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Full text of "Annales de la propagation de la foi"

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ANNALES 


VB  LA 


PROPAGATION   DE  LA  FOL 


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edby  Google 


^ve€  approbation  des  Supérieurs. 


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ANNALES 


DE  LA 


PROPAGATION  DE  LA  FOI 

RECUEIL  PÉRIODIQUE 


MM   LBTTlBf  DU  irftQUBB   Vf  OBS  «NlOlIRAniBB 

•M   MUtHmS    BBS    DBI7X    MOU  DES ,   BT    DB    TOUS    U8    DOCDIIBHTS 

«BLATIF8  AUX  MISf  10R8  BT  A  l'obCTRB  DB  LA 

VBOPAOATIOII  DB  LA  FOU 

CtfXfiCnON  FAISANT  SmTE  AUX  LETTRES  ÉMFIA1>(TE8. 


TOME.  DIX-SEPTIÈME. 


A  LYON, 

^CBBC  L'ÉDITEUR  DES  ANNALES, 
Rot  do  Pérat,  O*  0. 

1846. 

CIBTÎAKT   , 

UAUVEKSITY  OF  CALIFOWIit  gitizedbyGoOgle 


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mssiONS 

DE  L-OCÉANIE  OCCIDENTALE. 


MISSION   DE  TONGA. 


Lettre  du  P.  Jérôme  Grange,  Missionnaire  apostolique 
de  la  Société  de  Marie ,  à  AT.  Nicoud,  curé  de  Saint- 
Clair  (^hère). 

Tonga-Tabou.  1er  juiHd  1843. 


«   MoifSIEUR  ET  BIE?(  CHER  CuR^  , 

«  Uimmense  distance  qai  nous  sépare  ne  fait  que  me 
lier  plus  étroitement  à  TOtre  chère  paroisse^  et  me  rendre 
fotre  souvenir  plus  précieux;  aussi  dérobé -je  avec 
boBheur  quelques  instaais  à  «mes  nombreuses  occupations 
pour  m'entretenir  avec  vous. 

«  U  parait  c^tain  que  Tarchipel  de  Tonga ,  d'oii  f  ai 
llKmneurde  vous  écrire,  fat  aperçu,  il  y  a  deux  cents 
ans ,  par  le  Hollandais  Tasman  ;  mais  il  n*j  aborda  pas. 
A  peine  y  SHt-41  soixante  et  dix  ans  que  nos  insulaires 

TOV.  XVII.  98.  JJINVIER  1815. 


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virent,  pour  la  premièi*e  fois,  un  navire  qui  les  élonna 
beaucoup  ;  ils  Le  prirent  pour  une  lie  flottante ,  et  finireiH 
par  le  nommer  planche  ducid,  papa  langui^  nom  qu'au- 
jourd'hui ils  donnent  indistinctement  à  tout  ce  qui  est 
étranger.  Ce  navire  était  commandé  par  le  capitaine 
Cook. 

«  L'Ile  de  Tonga-Tabou^esi  située  par  le  178®delongi- 
tude  occidentale  et  le  21^  parallèle-sud,  et  par  conséquent 
peu  éloignée  de  vos  antipodes.  C'est  une  terre  entière- 
ment plate  ;  point  de  ruisseaux ,  point  de  sources  jaillis- 
santes. Sa  plus  grande  hauteur  n'excède  pas  trente  pieds 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Nous  pourrions  craindre  à 
chaque  instant  d'être  submergés ,  si  nous  ne  savions  pas 
que  celui  qui  a  creosé  FOcéan,  lui  a  dit  :  Tu  viendras  jus- 
qu'ici ,  et  tu  briseras  contre  ce  grain  de  sable  l'orgueil  de 
tes  flots.  Sa  plus  grande  longueur  est  de  huit  lieues ,  et 
elle  ne  dépasse  pas  quatre  lieues  en  largeur.  Elle  est  en- 
tourée d'une  quarantaine  d'Ilots,  tous  plus  élevés  qu'elle, 
et  qui  semblent  exécuter  une  danse  au  milieu  du  perpétuel 
balancement  des  vagues.  Le  terrain,  à  peu  près  sans» 
pierres ,  est  d'une  grande  fertilité.  L'île  est  bien  boisée , 
quoiqu'elle  ait  peu  de  grands  arbres  ;  il  en  est  cependant 
quelques-uns  d'une  prodigieuse  grosseur  ,  j'en  ai  mesuré 
un  qui  avait  cinquante-six  pieds  de  circonférence. 

«  La  population  do  Tonga-Tabou  est  d'environ  quinze 
mille  âmes  ;  ajoutez-y  le  même  chiffre  pour  les  sept  autres 
Iles  qui  sont  habitées ,  et  vous  aurez  un  total  de  trente 
milte  âmes  pour  tout  l'archipel ,  et  non  pas  deux  cent 
aille ,  oomme  je  le  lis  dans  presque  toutes  les  géogra- 
phies.  Voilà  lo  troupeau  que  nous  devons  énmgélifler» 
mon  confrère  et  moi.  Avant  de  vous  parler  de  nos  travaux, 
je  vous  ferai  connaître  en  peu  de  mots  le  peuple  qui  ttovs 
est  cenflé. 

«  Sa  nourriture  oeasiste  en  baoâiies ,  igouM»  et  frvHi 


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à  pain  ;  lecoeo  elle  kava  rorment  la  boisson  ordinaire.  Le 
bananier  croit  imouellement  et  très-rite  ;  il  produit  um* 
seule  grappe  où  l'on  compte  jusqu'à  cent  cinquante  (ruk.s, 
aussi  gros  que  vos  plus  belles  figues*  de  France*  Aussitôt 
qtie  le  fruit  est  mâr,  la  plante  mçurt,  et  se  irouve  bien- 
rôt  reoiplacée  par  un  nouvel  arbre  qui  sort  de  sa  tige.  S^ 
feuilles,  longues  de  six  pieds  et  larges  de  trois,  servent 
aux  insulaires  de  plats  et  de  uble.  La  banane  est  d'un 
bon  goût,  mais  peu  nourrissante.  X'igname ,  qui  fait  ^ 
principal  aliment  dos  naturels,  est  une  grosse  racine,  pe- 
sant de  dix  à  cinquante  livres ,  asse?  semblable  pour  la 
saveur  i  nos  pommos  de  terre.  L'arbre  à  pain ,  qni  a  quel- 
que rapport  avec  les  gros  noyers  de  France,  porte  un  fruit 
de  quatre  à  cinq  livres,  qui  est  d'un  très-bon  goût  lorsque! 
est  cuit  au  four.  Le  cocotier,  admirablement  placé  par  ki 
Providence  dans  ces  îles  basses  et  peu  arroséo»  ,  demie 
oontinnellement  des  fruits  qui  contiennent  trois  à  quatre 
verres  cPune  eau  très-agréable  à  boire ,  et  dont  la  chair 
o'est  pas  à  dédaigner  lorsqu'on  les  laisse  mûrir.  Son  noyau 
produit  une  huile  abondante,  dont  les  indigènes  font  usage 
pour  apprêter  leurs  mets  et  s'oindre  le  corps.  11  serait 
trop  long  d'énumérer  tous  les  avantages  du  cocotier  ;  H 
suffit  de  dire  qu'il  pourrait  servir  i  nourrir ,  babiller  et 
léger  les  naturels.  Le  kava  est  une  plante  assez  semblable, 
pour  l'extérieur,  à  rhortensia,  mais  beaueonp  plus  grande, 
ffos  insulaires  en  mitchent  la  racine ,  puis  la  délayeiH 
dans  de  Peau  qu'ils  boivent  ensuite  avec  délices.  Les  Baio- 
péens  partagent  peu  lour  enthousiasme  pour  cette  liqueur 
Aviné ,  soit  à  cause  de  son  âpreté,  soit  à  cause  de  sa  pté- 
paration  dégoûtante  ;  mais  le  Missionnaire  ne  pourrait  sVn 
abstenir  sans  nuire  à  la  confiance  que  demandent  ses  tf«- 
nux.  J'en  ai  pris  jusqu^à  dix  fois  par  jouf . 

«  Ténga^TiAou  poasMe  eneore  des  orangers  et  àeâ 
altronnicrs  Mssi  forts  qne  las  noyers  d^Enropa.  Le  < 


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nier  et  la  canne  à  sucre  y  croissent  parEadtemeni  bien.  Mais 
le  fruit  qui  me  parait  mériler  une  mention  honorable, 
bien  quMl  soit  peu  estimé  desnalurcls,  est  Tananas,  grosse 
liraise  épanouie  sur  une  tige  épineuse,  pesant  jusqu'à  trois 
livres ,  et  surpassant  autant  par  sa  qualité  que  par  sa 
grosseur  les  fraises  de  France.  Cest  le  seul  fruit  parfaite- 
ment bon  que  j'aie  mangé  dans  œs  lies.  J'ai  introduit  la  vigne 
et  le  figuier  qui ,  d'après  les  connaissances  que  j'ai  en 
agriculture,  doivent  bien  réussir.  En  onze  mois  la  vigne 
a  poussé  des  sarments  de  trente  pieds  de  long.  Les  fi- 
guiers nous  ont  déjà  donné  deux  fois  d'excellentes  figues, 
et  la  troisième  récolte  commence  à  paraître.  Parmi  les 
différents  arbustes  que  j'ai  apportés,  la  rose ,  la  balsamine 
et  le  géranium  ont  seuls  réussi. 

«  Nous  avons  quelques  animaux  domestiques,  tels  que 
le  cbien^  le  chat,  le  porc,  les  poules,  canards,  dindes, 
pigeons.  J'ai  amené  de^ Sydney  des  brebis  qui  prospèrent. 
Tonga  a  beaucoup  de  rats  et  de  lézards ,  mis  point  d'a- 
nimaux venimeux. 

«  Les  naturels  de  Tonga  ne  diffèrent  guère  des  Euro- 
péens pour  la  taille,  les  traits  et  la  couleur  ;  ils  sont  un 
peu  basanés^  ce  qu'on  doit  attribuer  à  la  température 
très-élevée  du  climat  :  il  est  assez  difiicile  4'avoir  le  teint 
bien  frais  avec  trente  degrés  (Réaumur)  de  chaleur, 
comme  nous  les  avons  pendant  quatre  à  cinq  mois  de 
l'année ,  où  le  soleil  est  près  de  notre  zénith.  Ici ,  comme 
en  France,  je  me  trouve  dans  la  classe  des  hautes  tailIes^; 
on  voit  cependant  ici  moins  de  petits  hommes  qu'en  Europe. 
Si  nos  insulaires  n'ont  pas  la  stature  élevée  que  je  leur  trouve 
dans  les  relations  de  voyages,  ils  n'ont  pas  davantage  la  vi- 
gueur qu'on  se  platt  à  leur  attribuer  ;  il  en  est  peu  qui 
n'aient  quelques  plaies  existantes  ou  cicatrisées,  et  plus 
de  la  moitié  d'entre  eux  meurt  poitrinaire.  Outre  leur 
mauvaise  nourriture,  beaucoup  d'autres  raisons  coniri- 


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boeat  à  cet  état  de  Ëûblesse,  sans  porkr  de  leurs  excès 
daas  le  mal. 

«  Si  les  voyageurs  qui  ont  tant  vanté  leur  propreté^ 
avaient  été  oUigés  de  vivre  seulement  quinze  jours  avee 
eux,  ils  auraient,  je  pense ^  changé  de  langage.  Sans 
doute  qu'ils  ne  les  ont  vus  que  dans  leurs  fêtes.  Ohl  alors 
ibsont  parés  avec  autant  de  recherche  que  peut  le  permet- 
tre une  agreste  pauvreté  ,  ils  savent  tirer  parii,  dans  Tin- 
lérét  de  leur  coquetterie,  de  tout  ce  que  leur  fournissent 
findustrie  et  la  nature.  Hors  de  là,  c'est  une  malpropreté 
dégoûtante. 

«  Ah  reste ,  on  peut  dire  qu'ils  sont  beaux ,  intelli- 
fgeatSj  toujours  gais;  les  Français  sans  éducation  sont  moins 
polis  et  surtout  moins  hospitaliers.  Aussi  je  crois  qu'ils 
sont  bien  loin  de  mériter^  sous  ce  rapport,  le  nom  de  sau- 
vages qu'on  leur  donne.  Se  rencontrent-ils?  ils  s'offrent 
leurs  amitiés,  f(<»  oto  ofa  (mon  amitié);  s'ils  portent 
quelque  chose  qu'ils  puissent  donner,  comme  du  kava  ou 
des  firuits,  ce  serait  une  grande  malhonnêteté  de  ne  pas 
l'offirir.  N'ont-ils  rien>  ils  en  font  mille  excuses.  Les 
subalternes  s'asseyent  à  terre  pour  parler  à  leurs  supé- 
rieurs. Allez-vous  dans  une  case?  c'est  le  gracieux  salut 
tsi  oio  ofa ,  puis  des  remerclments  pour  votre  visite ,  des 
félicitations  sur  votre  santé,  et  tout  en  vous  présen- 
tant le  kava ,  ils  s'excusent  de  n'avoir  rien  à  vous  offrir. 
)M  vous  ne  demeurez  pas  assez  longtemps  pour  qu'ils 
puissent  vous  préparer  des  aliments,  ils  se  confondent 
mk  r^;rets  de  n'avoir  pas  prévu  ^votre  arrivée.  Dans  les 
visites  de  cérémonie,  outre  le  kava ,  qui  est  de  rigueur , 
Os  se  font  mutuellement  des  présents  ;  ils  ne  savent  ja- 
aaîsrien  refusej*  de  ce  qu'on  leur  demande.  Dans  les  rap- 
ports particuliers  que  nous  avons  avec  eux ,  ils  on^  ea  gé- 
■énd  la  même  civilité  à  notre  égard. 
«  Les  hommes  et  les  femmes  ont  les  cheveux  courts ,  et 


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tas  enfaDls  des  deui  sexes  portent  jiiscpi'à  l'Age  de  dounn 
ans  une  espèce  de  tonsure,  faite  au  rasoir  ou  au  mojfen 
d'une  dent  de  requin  ;  c'est  un  triangle  qui  a  sa  base  sur 
te  front ,  et  son  sommet  à  la  partie  inférieure  du  derrière 
de  la  tête ,  laissant  de  chaque  côté  un  toupet  bien  frisé, 
i{ui  leur  donne  un  air  tout  à  fait  gentil.  Ils  naissent  aussi 
blancs  qu'en  Europe,  ce  n'est  qu'insensibiement  qu'ils 
se  cuivrent.  Les  hommes  faits  sont  tatoués  depuis  les  ge- 
noux jusqu  à  la  ceinture  ;'  ce  tatouage  est  ponr  eux  l'é- 
poque d'une  fête.  Ils  ont  peu  de  barbe  et  ils  se  ra- 
sent souvent.  Les  femmes  portent  les  mêmes  babtllemenis 
que  les  hommes  ;  ils  consistent  en  tapes ,  ou  étoffes  fiiites 
avec  des  écorces  d'arbres ,  dont  ils  se  couvrent  depuis  h 
eeînture  jusqu'au  genou.  Au  reste,  les  usages  sont  à  peu 
près  les  mêmes  ici  qu'à  Wallis,  et  vous  en  avez  lu  la  des- 
eription  dans  les  Atmales  de  la  Propagation  de  la  Foi. 

«  Il  serait  difficile  de  dire  quel  est  le  vice  domrnant  des 
naturels  ;  l'orgueil,  l'immoraliié,  la  paresse,  marchent  de 
pair.  Dans  leurs  rapports  avec  les  blancs  ils  s^nt  assez  peu 
respectueux  ;  ils  affoctent  même  une  espèce  de  mépris.  Je 
serais  presque  porté  à  croire  que  ce  mépris^  ils  l'ont  dans 
le  cœur ,  et  que  les  marques  particulières  d'amitié  qu'ik 
leur  donnent  quelquefois,  sont  ordinairement  intéressées. 
k  hurs  yeux,  tucun  peuple  sur  la  terre  n'est  digne  de 
s'asseoir  auprès  d'un  kanack  de  Tonga.  Lui  seul  sait  quel- 
que chose.  De  même  qu'autrefois,  qui  n'était  pas  Grec  mi 
ftomain,  était  considéré  comme  barbare,  ainsi,  d'après  Us 
idées  de  nos  insulaires ,  celui  qui  n'est  pas  de  Vlk^Sûcrée 
(c'est  ce  que  signifie  Tonga-T^Aou)  est  ignorant  et  esdftte. 
Si  le  roi  de  France  venait  ici ,  on  lui  donnerait  sans  doute 
de  grandes  marques  de  respect,  moins  toutefois  qu'au 
poi  et  aux  principaux  chefs  indigènes  ;  le  dernier  escltve 
de  Tonga  se  croirait  d'origine  plus  nc^le  que  lui.  Qimin 
à  la  moralité,  n'en  parlons  pas;  le  vice  ici  n^a  aucun  se- 


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erct,  même  pour  les  enfai^.  Ksods  toutefois  qu'on 
nous  respecte  et  qu'on  se  g6ne  beemcoiip  en  notre  pré- 
sence. 

«  La  paresse  semble  être  leur  débat  de  prédileetien.  Les 
naturek  ne  Font  d'antre  travail  que  celui  dont  ib  ne  peu- 
vent se  dispenser.  Hors  les  jours  de  fêtes,  ils  mangent  très- 
peu^  de  sorte  que  la  nourriture  d'un  homme  en  France 
suffirait  ici  abondamment  pour  dix  personnes.  Ils  souffrent, 
mais  pour  eux  mille  fois  mieux  vaut  souffrir  la  faim 
qoe  supporter  la  fatigue.  Il  en  advient  que  nous  som- 
mes réduits  à  (aire  de  temps  en  temps  bien  des  jeûnes 
forcés. 

«  Les  naturels  de  Tonga  ne  sont  point  grossièrement 
idolâtres  ;  les  esprits  seuls  reçoivent  leurs  adorations,  et , 
eomme  les  païens  de  l'ancien  monde ,  ils  débitent  à  lenr 
sujet  mille  contes  absurdes.  Le  plus  grand  de  leurs  dieux 
est  Maoui  qui ,  de  temps  immémorial ,  pêcba  Tonga  dans 
l'Océan.  On  conserve  encore,  disent-ils,  l'hameçon  qui 
servit  à  tirer  l'île  du  fond  des  mers.  Mais  ceux  qui  en  ont 
ta  garde,  ont  soin  de  dire  que  le  premier  qui  le  verra  sera 
frappé  de  mort.  La  vue  n'en  est  permise  qu'au  roi  seul , 
ea&int  bien-aimé  de  Maoui. 

c  Lorsque  nous  les  interrogeons  sur  l'origine  de  leurs  di^ 
fÎBhés,  ilsbatt>uticnt  quelques  mots,  puis  finissent  par  dire  : 
«  Nons  n'en  savons  rien,  nous  bisons  comme  nos  pères.  » 
Toujours  est-il  certain  qne  les  objets  de  leur  culte  som 
des  esprits  malins  qu'ib  craignent  beaucoup ,  mais  qu'ils 
l'ahnent  pas.  Ces  dieux  habitent  inWstblement ,  dit-on , 
dans  les  grands  dieis  et  dans  les  vieilles  femmes.  Nos  in- 
snlaires  sont  aussi  esclaves  de  mBIe  superstitions  :  too- 
cher  ira  bâton  placé  à  Tenirée  d'ane  plantation  de  bana- 
«iers  ou  de  cannes  à  sucre ,  est  un  crime  qae  les  espi4i6 
funiascnt  de  mort.  Personne,  s'il  nVst  grand  chef  on  ami 
des  êieax ,  ne  f^t  numger  Qtte  tortœ  o«  tmt  antre  ob- 


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jet  estioié  dans  le  pays.  Cependanl  ces  idées  s'en  vont ,  et 
les  jeunes  gens  surtout  les  méprisent.  Les  vieillards  seuls 
font  résistance.  «  Les  Dieux  que  les  Missionnaires  nous 
«  annoncent,  disent-ils,  sont  bons  sans  doute,  mais  les 
«  nôtres  ne  le  sont  pas  moins,  puisque  ce  sont  eux  qiti 
«  font  croître  les  ignames ,  les  cocos  et  surtout  le  kava. 
«  Tenons  bon,  il  faut  au  moins  que  la  moitié  deTtle 
«  reste  fidèle  à  nos  anciens  dieux  ;  autrement  ils  se  ven- 
«  géraient  de  notre  abandon  par  notre  perte.  » 

«  Les  habitants  de  Tonga  tiennent  à  honneur  d'avoir 
un  grand  nombre  d'enfants ,  et  ils  les  élèvent  avec  une 
tendre  sollicitude  jusqu'à  Tâge  de  quatre  à  cinq  ans.  A 
cette  époque  ils  les  abandonnent  ;  aussi  les  jeunes  gens 
n'ont-ils  aucui^  respect  pour  leurs  parents.  Bien  difierents 
des  Nouveaux-Zélandais ,  qui  exposent  leurs  infirmes  en 
plein  air  et  les  délaissent,  nos  insulaires  ont  recours  à 
tous  les  moyens  imaginables  pour  obtenir  leur  guérison  : 
le  malade  est  bien  logé ,  sa  nourriture  préparée  avec  soin  ; 
on  fait  pour  sa  santé  des  vœux  et  des  prières.  Si  un  grand 
c^ef  est  alité ,  on  coupe  des  doigts  à  plusieurs  personnes, 
quelquefois  même  on  en  immole  pour  apaiser  la  Divinité 
malfaisante  qui  dévore  les  malades  tout  vivants. 

«  Mais  rien  n'égale  le  soin  qu'ils  prennent  de  la  sépul- 
ture des  morts.  Dès  qu'un  naturel  a  rendu  le  dernier  sou- 
pir, les  voisins  en  sont  informés,  et  a  l'instant  toutes  les 
femmes  viennent  pleurer  autour  du  corps.  —  I,ci  jamais 
les  hommes  ne  pleurent. — On  le,  garde  ainsi  un  ou  deux 
jours ,  pendant  lesquels  on  s'occupejà  ériger  son  tombeau 
près  de  la  demeure  de  ses  parents.  La  maison  sépulcrale 
est  belle,  biiiesur  une  éminence,  entourée  d'une  jolie 
palissacle  de  bambous  choisis  ;  l'enceinte  est  plantée  dt 
toutes  sortes  d'arbustes  odoriférants  et  surtout  d'immor- 
telles. Enfin  le  monument  est  couvert  d'un  toit  artistemeot 
travaillé.  Pour  le  tombeau  des  rois  ou  des  plus  grands 


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13 

cheEs ,  on  va  diercher  des  pierres  colossales  dans  les  iles 
lointaines,  pour  couronner  le  sépulcre.  J*en  ai  vu  une  qui 
^  vingt -quatre  pieds  de  long  sur  huit  de  large  et  dix-huit 
ponces  au  moins  d'épaisseur.  L'un  de  ces  tombeaux  a  été 
construit  par  les  gens  de  Wallis ,  qui  ont  apporté  des 
Uocs  énormes  dans  d'immenses  pirogues.  C'est  prodigieux 
pour  ces  peuples.  Mais  ce  qui  fait  gémir  sur  le  malheur  de 
nos  insulaires,  c'est  de  voir  ces  pleureuses  qui,  pour  té- 
moigner leur  douleur ,  se  coupent  les  doigts ,  se  fendent 
le  nez ,  les  oreilles  et  les  joues  ;  et  cependant ,  tant  de 
larmes  ne  sont  que  de  vaines  cérémonies ,  où  le  cœur  n'a 
point  de  part  :  ces  femmes  sont  bien  joyeuses  lorsqu'elles 
se  voient  délivrées  d'un  tel  supplice. 

«  Nos  insulaires  n'ont  aucune  forme  régulière  d'admi- 
nistrer la  justice.  La  volonté  bizarre  d'un  tyran ,  qui  ne 
pense  à  faire  respecter  l'ordre  que  lorsqu'il  y  est  person- 
ndlement  intéressé,  voilà  l'unique  et  souveraine  loi.  J'ai 
vu  des  hommes  en  tuer  d'autres  sans  que  personne  se  soit 
le  moins  du  monde  inquiété  de  venger  le  crime.  Avec  des 
usages  aussi  arbitraires ,  ce  qui  m'étonne  c'est  que  ces 
peuples  ne  soient  pas  parvenus  à  se  détruire. 

m  n  n'y  a  pas  de  despote  plus  redouté  que  le  roi  du  pays. 
Lorscpi'îl  commande ,  chacun  s'empresse  de  lui  obéir  : 
veut-il  faire  mourir  quelqu'un  de  ses  sujets ,  il  n'a  qu'à 
renvoyer  chercher  ;  soyez  sûr  que  la  victime  contre  la- 
quelle est  décerné  ce  mandat  d'amener,  ne  cherchera  |)as 
i  prendre  la  fuite,  lors  même  qu'elle  connaîtrait  le  motif  de 
son  appel.  Aussitdtque  le  tyran  selève,  c'està  qui  aura  Thon- 
nenr  de  lui  baiser  les  pieds.  Ouvre-t-il  la  bouche?  cha- 
cun écoute  avec  une  respectueuse  attention  ;  et  ses  ora- 
cles fussent-ils  autant  de  sottises,  tout  le  monde  de  ré- 
pondre :  Cest  la  vérité ,  hoe!  Ce  régime  d'esclavage 
apportera  un  grand  obstacle  à  la  conversion  du  peuple  ; 
paorce  que  les  cheb  ont  en  général  de  fortes  raisons  pour 

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14 

demeufar  dans  Tinfidélité,  et  <pie,  d'ailleurs,  les  sujeu  sobl 
peuhardisà  prendre  rinitiative  ;  nous  espérons  néanmoins, 
parce  que  Dieu  tient  dans  ses  mains  le  cœur  des  peuples 
et  des  rois. 

«  Ici  la  cuisine  est  toujours  en  commun  ;  c'est  assez 
d'apercevoir  la  fumée  d'un  banquet  pour  avoir  droit  d'y 
prendre  place.  Quelqu'un  prépare-t-il  un  mets,  tout  le 
quartier  en  est  informé',  et  il  est  de  bon  ton  que  celui-là 
seul  qui  l'a  apprêté,  n'en  goûte  point.  Si  l'on  veut  faire 
cadeau  d'un  porc  ou  d'un  autre  animal,  on  vous  te 
donne,  on  le  tue,  on  le  mange  ;  il  ne  vous  reste  que 
rbonneur  de  régaler  vos  voisins.  Je  vous  ai  parlé  plus 
haut  de  l'empressement  des  naturels  à  offrir  des  fruits 
aqs  pensonnes  qu'ils  rencontrent  sur  leur  route;  cette 
politesse ,  cette  communauté  de  biens,  qui  parait  si  belle 
au  premier  abord,  est  loin  d'être  utile  en  réalité.  Qu'en 
arrive-t-il?  chacun  compte  sur  son  voisin,  et  personne 
ne  pense  à  se  pourvoir  de  ce'qui  lui  est  nécessaire.  Ainsi 
nos  kanacks  vivent  dans  une  funeste  oisiveté ,  et  meurent 
souvent  de  faim,  dans  une  tie  si  féconde  qu'un  seul  jour 
de  travail  par  semaine  suffirait  à  un  père  de  famille  pour 
nager  dans  l'abondance  avec  tous  ses  enEants. 

«  Nos  insulaires  bâtissent  avec  assez  d'élégance  ;  leurs 
maisons^  sont  de  forme  elliptique,  disposées  à  peu  près 
•onune  un  vaste  parapluie,  et  ouvertes  à  tous  les  vents , 
•e  qui  est  un  avantage  dans  les  grandes  chaleurs.  Elles 
sont  assez  élevées,  et  pour  l'ordinaire  d'une  grande  pro- 
preté k  l'extérieur.  Je  ne  pensfs  pas  qu'un  bon  ouvrier 
européen ,  avec  une  simple  hache  comme  nos  indigènes, 
pfti  travailler  avec  autant  d'adresse,  je  dirais  même  d'é- 
léipnee ,  la  charp^te  et  les  colonnes  qui  soutiennent  leurs 
cases.  Us  excellent  surtout  à  les  revêtir  de  tresses,  dont 
Us  forment  un  tissu  de  diverses  ooul^urs^  représentant  des 
igures  de  hi  plus  étonnante  régularité.  C«s  tresses  sont 


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uM  espèce  de  ftcdle  pkne ,  qui  leur  seri  à  lier  les  beis  ei 
leur  lient  lieii  de  clous.  Leurs  embarcations  ou  pirogues 
soBCd'one  beaiuéà  ravir  l'adintratioa  des  Européens  eû\- 
méoies.  J'en  ai  va  qnî  avaient  œnl  cinquante  pieds  de 
ioBg  ;  elles  étaient  ornées  de  brillants  coquillages  et  de 
phnes  des  plus  beaux  oiseaux  du  pays  ;  ils  savent  aussi 
très-bien  confectionner  les  voiles  et  les  ootdages.  Montés 
sw  ces  petits  navires,  nos  insulaires  font  quelqiiereis 
jMqu'à  trois  cents  lieues,  sans  autre  boussole  que  les 


«  Pmdant  les  derniires  années,  des  guerres  de  reli- 
gion avaient  divisé  et  armé  les  unes  contre  les  autres  les 
diverses  iribrn  de  Ten^  Les  adeptes  des  miaistres  pro-* 
tesunts  vooIaieBt  propager  leur  foi  avec  les  armes  parmi 
leurs  compatriotes  rdielles,  qu'ils  appdaient  k  parti  du 
HMi.  Alors  lesdeux  camps  se  sont  construit  des  forts  pour 
omettre  àTabri  des  surprises,  et  ils  s'y  retirent  pendant  la 
giKrre  ;  en  temps  de  paix  ils  habitent  des  villages  qui  sont 
aax  environs.  Tonja  compte  quatre  redoutes  principale^- 
Bte,  oànoùs  réiîdons,  est  la  mieux  fortifiée  ;  aussi  est- 
elte  répmée  presque  imprenable.  Des  Eurapéens  nous 
assareot  qu^Ue  a  renfermé  jusqu'à  cinq  mille  hommes  ^ 
je  crois  le  nombre  exagéré,  m^  deux  à  trois  mille  peu- 
vent y  habiter  h  l'atse.  Elle  est  divisée  eh  companimenis  par 
de  jolies  haies-  de  roseaux ,  et  ces  divers  compartiments 
on  scmt  groupées  les  maisons,  forment  des  mes  qui  se  croi- 
!wnt  en  tout  sens  et  donnent  à  ee  camp  Taspect  d'osé  pe^ 
litevillt. 

«  Béa  a  snutoHi  un  siège  il  y  a  trois  ans.  Une  trtlMi 
gngnén  an  protestantisme ,  qui  tentait  depuis  plumurs  an* 
néas,  mais  toojonrsen  vain,  de  faire  embrasser  sa  croyanoe 
à  b  fosçibtie  iBÛiëe  qui  mns  donne  l'hospitalité,  décida 
lendnrdsseeonvertiraiettt,  ou  qu'ils  expieraient  leur 
r  fnur  b  mort.  Le  Ministre  anghis,  qui  dirigenii 


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cette  affaire,  fit  entrer  dans  ses  vaes  un  comnnodore  de  ssi 
nation ,  dont  le  navire  était  en  rade.  On  vint  donc  assié- 
ger la  place  en  forme  ;  \eparli  du  diable  se  mit  en  état 
de  défense,  et  il  fut  heureux.  Le  commodore  Croker  fut 
tué  avec  onze  des  siens  et  beaucoup  d^nsulaires;  mais  il 
ne  périt  personne  du  côté  des  infidèles,  qui  restèrent  maî- 
tres de  trois  pièces  de  canon. 

«  Dernièrement,  un  capitaine  anglais  est  venu  ré- 
clamer ces  trois  pièces  ;  il  les  exigeait  avec  un  ton  de 
hauteur,  offrant  toutefois  une  récompense  aux  vainqueurs, 
et  il  ajoutait  qu'ils  pourraient  avoir  à  se  repentir  s'ils  n'ac- 
cédaient pas  à  sa  demandé.  Alors  un  des  chefs ,  après 
avoir  pris  Ta  vis  des  autres  guerriers ,  parla  ainsi  au  com> 
mandant  :  «  Vous  êtes  venus  nous  attaquer  chez  nous, 
«  lorsque  nous  jouissions  de  la  paix  la  plus  profonde  ; 
a  nous  n'avons  fait  que  nous  défendre,  alors  que  nous 
«  aurions  eu  des  raisons  pour  attaquer.  Les  canons  que 
«  nous  avons  pris ,  nous  appartiennent  d'après  les  lois 
«  du  pays  ;  nous  pourrions  donc  les  garder  et  nous  en 
«  servir  contre  vous.  Mais ,  afin  de  vous  montrer  que 
«  nous  ne  vous  craignons  pas ,  nous  vous  les  rendons. 
«  Pour  les  vendre,  nous  ne  le  voulons  pas  ;  c'est  au  pé- 
«  ril  de  notre  vie,  au  péril  de  la  vie  de  nos  femmes  et  de 
«  nos  enfants,  que  nous  les  avons  conqub  ;  il  n'y  a  pas  de 
«  prix  pour  cela.  Prenez-les  et  allez-vous-en.  » 

«  Quoique  le  pays  ne  parle  guère  à  l'imagination ,  k 
cause  de  sa  monotonie  et  de  son  peu  d'étendue,  les  hsiÀ- 
tants  de  Tonga  ne  sont  pas  cependant  tout  à  fait  étrangers 
à  la  poésie.  Ils  composent  eux-mêmes  des  chansons  qu'ils 
savent  rendre  tristes  ou  joyeuses  selon  la  circonstance. 
Lorsqu'un  convoi  de  pirogues  part  poar  une  Ile  loin- 
taine, grand  nombre  d'indigènes  accompagnent  leurs  fij^yes 
sur  le  rivage  ;  puis,  au  moment  où  les  voyageurs  mettent 
à  la  voile ,  deux  ou  trois  cents  personnes  entOBBent  oe 

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chant  mâaocolique  et  hariDODieiix  :  «  Où  vas-tu ,  jaune 
«  et  imprudent  oiseau,  où  vas -tu?  pourquoi  t'abandon- 
«  ner  aux  caprices  des  flots  et  des  ondes  trompeuses?  Tu 
«  ne  pourras  plus  désormais  étancher  ta  soif  dans  le  creux 
<  du  bambou ,  ou  dans  Tépaisse  écorce  du  cocotier»  Le 
«  bananier ,  de  ses  larges  feuilles ,  ne  te  défendra  plus 
«  des  ardeurs  du  soleil,  ni  du  froid  de  la  nuit  ;  et  si  le 
«  vent  vient  à  soufiler ,  tu  n'auras  plus  pour  abri  les  ailes 
«  de  ta  mère.  Où  vas-tu ,  jeune  et  imprudent  oiseau ,  oi 
«  vas-tu?  »  et  ils  répètent  en  cadence  ce  chant  si  doux 
jusqu'à  ce  que  les  pirogues  aient  disparu  à  leurs  yeux. 

«  Laissez-moi  maintenant  vous  parler  un  peu  de  no- 
tre nouvelle  Mission.  Les  prolestants  sont  en  possession 
de  rUe  depuis  pins  de  vingt  ans.  On  ne  peut  nier  qu'ils 
n'aient  de  leur  côté  beaucoup  de  naturels.  S'ils  sont 
venus  annoncer  Jésus-Christ  à  ces  peuples,  du  moins 
ont-ils  {Hréché  à  la  manière  de  Mahomet,  et  s'ils  ont  opé* 
ré  des  conversions^  c'est  avec  le  sabre.  Je  suis  sûr  qu'ils 
n'ont  qu'un  bien  petit  nombre  de  partisans  sincères  et 
qni  leur  soient  attachés.  J'ai  demandé  à  plusieurs  insulai- 
res poarqoai  ils  n'avaient  pas  embrassé  le  protestantisme, 
àepms  si  longtemps  qu'il  y  avait  des  ministres  dans  leur 
ile  ;  ei  j'ai  toujours  reçu  la  même  réponse  :  «  J'avais  peur 
des  coups.» 

€  En  effet,  on  ne  voudrait  pas  croire  en  Europe  avec 
qudie  sévérité  les  protestants  traitent  leurs  néophytes. 
Cea'esi  pas  assez  de  lew*  interdire  tous  les  amusements  , 
on  leur  impose  des  jeûnes  arbitraires,  on  les  soumet  à  une 
pém&eace  publique.  Les  travaux  forcés  suivent  de  près  la 
moiodre  infraction  à  des  pratiques  indifférentes:  il  n'est  pas 
rare  de  voir  un  pauvre  kanack  attaché  à  un  arfire,  frappé 
ittftqQ'àlomber  sous  les  coups,  et  cela  toutsini{^ment  pour 
avoir  fumé  une  pipe.  Je  dois  le  dire  néanmoins ,  depuis 
aaive arrivée  dans  cette  Ile,  les  ministres  ont  cru  qn'il  était 
TOM.  xvii.  98,  2 

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18 
de  leur  intérêt  de  reyoïir  à  un  régine  plus  doux,  ec  fa- 
teue  qu'il  y  a  sur  ce  poiot  une  grande  aœélioratk».  fie- 
¥pe  présence  n'eùt-eHe  amené  que  ce  résultat,  9  foadraic 
encore  s'en  réjouir  pour  l'humanité. 

«  H  n'y  a  pas  encore  un  an  que  le  P*  Cberron  s'est 
écabK  à  T&nffchTabou  :  deux  jours  après  son  arrhrée,  il 
tui  fui  enjoint  de  partir.  Vous  comprenez  sans  peine  qnds 
étaient  les  moteurs  de  cet  ordre.  Trois  mois  pitis  tard , 
lorsque  f  arrivai  ici ,  nous  craignîmes  nn  instant  un  soulè- 
vement général ,  et  nous  ne  nous  flmes  point  illusion  sur 
ses  causes  ;  mais  nous  avons  pris  patience ,  et  peu  à  peu 
le  calme  s'est  rétabli.  Maintenant  nous  commençons  à 
avoir  un  petit  troupeau.  Déjà  plus  de  deux  cents  natorek 
assbtent ,  matin  et  soir,  è  la  prière  et  à  nos  instructionB. 
Il  est  à  croire  que  si  nous  étions  venus  les  premiers,  il 
nous  eût  été  fi3icile  de  les  gagner  tous  ;  mais^  après  avoir 
été  prévenus  par  un  enseignement  contradictoire,  fliiie 
savent  à  quelle  doctrine  donner  le  choix.  D'ailleurs ,  tant 
d'étrangers  les  ont  déjà  dupés ,  qu'ils  sont  portés  à  les 
croire  tous  trompeurs;  et  en  cela  beaucoup  d'entre  eux  ne 
distinguent  pas  le  matelot  du  Missionnaire,  et  le  Mission- 
naire catboliqne  du  ministre  protestant.  Ce  sont  denétraB- 
fsrs,  cda  suffit.  «  Us  viennent ,  disent-ils,  pouur  se  dis- 
puter les  uns  les  autres,  pour  manger  ce  que  nous  avons  de 
meilleur,  et  se  moquar  de  nous;  puis  ils  finiront  par  s'em- 
parer de  nos  terres.»  Malgré  cet  obstacle,  notre  eonrage 
n'est  point  abattu  ;  nous  comptons  sur  la  grAoe  de  oeini 
qui  est  le  maître  des  coeurs ,  et  sur  la  protection  de  la 
Vierge  puissants  qui  $euU  a  terrassé  toutes  hs  kiréme$ 
dms  rmiitfere.  Tôt  ou  tard  nous  triompherons.  Llsialli- 
genoe  des  insulaires  aidera  même  à  nos  progrès,  ear 
ils  raisoBBifit  assen  bien  ;  je  vais  vous  en  douMT  ém 
^temples» 

«  Un  de  Ms  Servants  catéchumèttea  disputait  m  jov 

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«fee  jui  iieJfii<eoa^triotes  juroltstanu.  Celui-ci  donna  en 
premte  é^  la  yétiié'éd  sa  sacle  qu'elle  atait  été  apportée  la 
|V«Bièpe  dans  Itor  lia.  Le  catéchumène  répondit  :  «  Il  ne 
«  hal  pat  trop  faire  attention  à  Tépoque  où  une  religiot 
«  a  ilé  eBseignée  dans  un  pays  ;  mais  il  faut  examiner 
«  jwecsoiaai  las  Missionnaires  qui  Tont  prèctiée  ont  été 
«  esYOjés  par  le  vrai  Maître*  En  effet,  ajouta-t-il^  les 
«  YoleursdtefruitsdeTanceBt  toujours  le  propriétaire.» — 
ba  MMvel  !■  aillant,  qni  <rul  avair  tmwvé  une  raison 
piMttpiam,  flfieafiMiM  -de  ripoaler  avec  «n  tan  de 
mÊkÊmÊtz*MtiûÊKPài§amwÊihÊm  iaiMiUettre«  carao- 
ara  miniiTlra  aa!a  ^wrin  «voir  aucune  rebtioa  avac 
riJpApa^ésnqnettdflrBÎer  Tiolieîfoor  laisser  Se- 
vele  (la  P«  tOeww),  parae  qu'il  est  éerit  qu'on  ne 
ésîi  paâtt«Poir4a  cenHnnniiatfnB  avec  les  méchants  ; 
iaa  4miAmm  mas  fit  tons «dMr.-— C'est  bien ,  c'est 
Uen^  dk leaiéapiqrte,  yoîUi  «neraîaan  <pii prouveen* 
Bglise  est  bonne.  »  Puis  continuant  sa 
s  «Mte^dl  pasmii,  ajouta->t^iU  qne  le  vo- 
,  loaaqu'il  voîl  venir  le  propriétaire  (^  il 
Ies«koseaynléeSy  paran  qu'il  oeaînt'qn'oaiie 
«t  qn'on  ne  lui  «plène  son  Iapein«  Ainai  fit 
f  fwce  qu'il  anrail  lelé  Ja  religion  d'tiijpt* 
,  esqnUVéïaii  mâle  d'enseigner  sans  ayoir  ilé 
laarniArnMrf»» 
Un  «mue  catéclumi^ftnittfciidit  amc  le  même  suooës 
aiflioap  qui  t  en  présenoa  des  naturels , 
dn  ohapnle^  suspendu  à  son  non ,  et  rimer- 
d'jMi  San  ftailknr^  ;sur  l'ulîlké  de  ce  cMcr 
La  néophôfaa  ikit^apellé  nihi  s'asseoir  an  jni- 
^en  iMé  é^  wmima^M  lui  dit:  «  Xu 
ce  jfna  jjgmfin^nniae  lainlio  (chape- 
let), jovàiae  la.diin.La;ohapelet  ne  «eut  4^'i  régler 
de  paiiran^  M  TeadaB  dans  Jeqppl 
8. 

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«  nous  avons  Phabitude  de  les  dire.  Voici  les  prières  que 
«  nous  faisons  :  Je  crois  en  Dieu,  etc.  Bâbord  tu  vois  que 
«  cette  prière  n'a  rien  de  diabolique j  je ctoîs  en  Dieu...» 
Il  allait  continuer  lorsque  le  ministre  se  leva  et  renura 
chez  lui  pour  cacher  sa  débite.  Le  catéchumène  se  mit  à 
rh'e,  et  tous  les  naturels,  même  protestants,  d^apphacHr  à 
sa  réponse. 

«  Une  autrefois,  le roî  <ruBe  tle  voisme  et  prolastanfte 
étant  vénti  à  Tonga-Tabim,  vouhit  oonlFaindre  un.de.6as 
sujets ,  qui  est  notre  catéchumène,  à  retoonier  chex  6€a 
parents,  où  sa  foi  naissante  aurait  couitn  le  plus  grand 
danger.  Alors  un  de  nos  plus  fervents  disciples  prit  la  pa* 
rôle  devant  une  petite  assemblée,  eta'adressant  au  je«n« 
néophyto  :  «  Ne  vois-tu  pas,  dit-il,  que  c'est  p<mr  te  £ûro 
«  toumeir  à  Phérésie  que  le  roi  Ge(^ges  veut  t'emmea^ 
«  avec  lui?  Au  reste,  quds  sont  nos  meiUenrs  pareois^ou 
«  ceuK  qui  nous  ont  donné  la  vie,  ou  œox  qui  nousap- 
«  prennent  à  bien  vivre?  Ne  disons^ous  pas  ton»  les 
«  jours  que  notre  père  est  dans  le  ciel ,  ce. père  coaunun 
«  que  les  tneux  Seteto  H  Bdenimo  (Jérôme)i  nous  .ont 
«  bit  connaître?  Us  ont  quitté  leur  pays,  leurs  familles , 
«  leurs  amis^  qtd  sans  doute  les  aimaient  beaucoup  ^ 
«  leurs  parents  ont  versé  bien  de  larmes  à  leur  départ  ; 
«  je  suis  sûr  qu'ils  les  ont  acompagnés  jusque  sur  le  ma- 
«  ge,  et  le  vaisseau  avait  disparu,  qu'Us  {deuraÎMit  enoo- 
«  re.  Ces  étrangers  sont  venus  pour  l'amour  de  Jiaus-* 
«  C3u*ist  et  pour  nous  ;  ils  sont  venus  nous  aanoBoer  le 
«  bonheur,  et  maintenant  que  nous  Je  ooinaissons,  nous 
«  pourrions  le  quitter  ?  non ,  janKÛs  ;  et  quand  Georgoa 
«  débarquerait  avec  tout  son  peuple^pour  uoas  tiœr ,  noua 
«  devrions  encore  demeurer  format.  ».  Jene^puisvoua 
rendre  toitte  Véaérgiê  de  ses  paik)ks,  tout  kfimdason  ac- 
^  ;  chestle  kanacktout  poHrle  à*lalaiaf  les.pieds»  lea 


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91 

■ttkft,  ksyeu  ;  lafiguren'est  pas^  moins  expressive  que 
hfaflgiie. 

«  Je  V0B8  dteraû  aa  dernier  irait  qui ,  pour  être  plus 
anple,  iies«ra  pas  moins  de  votre  goût.  Dans  un  viÛage 
sitoé  à  qnalre  lieues  de  notre  haUtaiiot^^  souffrait  un 
kMnme  atleint  d^uae  maladie  grave ,  et  qui  refusait  obs- 
tinénent  le  baq[>llme.  Mous  avions  à  peu  pr^  désespéré 
de  le  gagna^  à  Dieu4  Heureusement  que  dans  {a  même 
ifibn  se  trouvait  une  de  nos  jeunes  catéchumènes  fort  in- 
tefligeote.  Nous  retournâmes  qi^lques  jours  plus  tard  au 
nèflie  Ken  ;  à  notre  arrivée,  nous  aperçûmes  cette  jeune 
personne  accourir  à  notre  renccmtre  :  «  Cela  va  bien!  di- 
«  saxt-elle,  cela  va  bienl  un  petit  enfant  de  cet  hpname 
«  qui  ne  voulait  pas  se  convertir^  est  tombé  malade  ; 
«  je  rai  baptisé  sans  en  rien  dire  à  personne.  iSn  bien 
«  fait  cokmne  tu  m'avais  dit.  11  est  mort  tout  de  suite  après. 
«  n  est  allé  en  paradis ,  et  d^'à  il  a  prié  pour  son  père, 
«  qui  maintenant  d^nande  sans  cesse  à  être  baptisé.  Je 
«  lui  ai  appris  tout  ce  que  je  savais,  il  en  sait  autant  que 
€  moi  ;  il  n'attend  plus  que  toi  pour  recevoir  le  baptême.  » 
Èft  effet,  nous  le  trouvâmes  bien  disposé  et  suffisamment 
îastrmt  ;  nous  lui'  adoûnistrâraes  le  sacrement  de  la  ré* 
génératioB,  et  deux  jours  après  il  rendait  son  âme  à 
Ueo. 

c  La  jeune  catéchumène  me  dit  encore  :  «  N'ai-je  rien 
«  gagné  pour  moi  à  baptiser  cet  en£mtP — Tu  as  beau- 
«  coop  gagné,  répondis-je;  car  si  cet  enfanta  obtenu  une 
«  si  grande  grâce  pour  son  père ,  qui  ne  lui  avait  donné 
9  qa'oae  existenee  misérable,  que  n'obtiendra-^t-il  pas 
«  pour  toi,  qui  loi  as  procuré  une  vie  étemelle.  —  Oh! 
m  tant  mieux ,  ^  ditrdle ,  je  suis  bien  contente*  » 

«  n  me  semble  que  depuis  peu  notre  sainte  cause  a  £»it 
bien  cfos  progrès.  Il  n'y  a  pus  longtemps  qu'à  notre  arrivée 
Ans  anepeuptecle,  BOUS  ftmea  reçus  à  ooupdesiiSets^et 


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personne  ne  YOuHit  ni  nous  reeevoir  ai  noir  donér-è 
manger.  Nous  avions  marché  la  moitié  du  jour,  pur  xtm 
chaleur  de  trente  degrés  ;  nous  étions  bien  h»  ;  ec  mm 
n'eûmes  peur  abri  qu'une  cabane  abandonnée  sur  le  hmé 
de  la  mer.  Mais  nous  étions  consolés  par  h  pensée  qu'aa- 
trefois  Marie  et  Joseph  essuyèrent  à  ft^Ueen  uatefobmi 
plus  humiliant.  Aujourd'hui  l'on  noi»aeoMHb  vncMÊi'^ 
tié  dans  cette  mémo  tribu ,  oè  déjà  nous  eonptons^  sîn 
catéchumènes.  Dans  la  grande  tribu  protestante,  on  ndns 
jeta  des  pierres ,  la  première  ft>is  que  nous  y  uHftraea  : 
aujourd'hui  lé  grand  chef  lui-même,  bien  qu'il  soit  hé»é^ 
tique,  vient  d'ordonner  i  son  peuple  d'avoir  k  nous  nesr 
pecter^  et,  de  bit,  il  donne  l'exemple  en  nous  recevant 
lionorablement  cbes  lui.  Un  bruit  degueere  s'éunt  éfe^é 
entre  sa  tribu  et  la  nôtre ,  il  convini  on  plîitât  il  profloen 
de  s'en  rapporter  aux  dmx  vima^  de  la  BeUyion  du 
Pape. 

«  Dieu  soit  béni  !  nous  voyoas  de  temps  en  temps  des 
infidèles  et  même  quelques  hérétiques  yeair  à  noua.  Nous 
avons  r^énéré  vingt-cinq  personnes  en  danger  de  mon, 
et  le  jour  de  la  fête  des  saints  Aipdtres  Pieire  et  Paul , 
nous  avons  administré  le  baptême  solennel  à  trente  p^^ 
5Uïnnes.  J^ai  donné  à  dilférenlB  néophytes  les  aouis  de 
mes  amis  et  bienraiteurs,  ce  qui  me  rappelle  de  btta 
doux  souvenirs.  Parmi  ces  néophytes  on  comptait  neuf  pères 
de  ibmille  et  seulement  trois  femmes.  Les  petits  onFanis 
suivent  toujours  le  père.  Oh!  qu'il  est  consolant  de  voir 
un  kanaek,  naguère  adonné  à  tant  de  ernnes  et  aux  plus 
sottes  superstitions^  venir  avecdeux  ou  troisenfiniâ  qu'ii 
conduit  par  là  main ,  solliciter  la  grfce  d'être  admis  au 
saint  baptême  ;  dP^itendre  dire  à  ces  jeanes  prédesttnéfr, 
dana  leur  simple  et  naïf  langage  :  A  vm»s  être  rdigieux 
W99C  mon  pér$  ;  oJki  oU  lotu!  Qu'il  est  touchant  de  ymt 
eepèra, assis  dans  saeaiHino,  oMouréda  ces petila aagci^ 


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3» 
dttsler  Bos  cantiqaeiy  réoiter  nos  ftièrm  et  le  obapelet , 
à  qnoi  répond  rinooceote  famille  qui  mt  k  peîie  bé- 
gayer; mais  pour  ia  mère,  couchée  nég^gemment  sur  nue 
uatte,  elle  ne  montre  que  de  rindifférence  et  même  dn  mé- 
prit poar  ses  enfants  et  pour  la  Religion  I 

«  U  est  en  effet  à  remarquer  qu'ici  les  femmes  sont  plu» 
éjflkjlffs  à  eon^ertir  que  Ie&  hommes  ;  jamais  elles  ne  pren-* 
•eut  rimtiative,  et  quand  elles  se  rendent»  ce  n'est  que. 
iMigtemps  après  Tabjuration  du  mari.  En  Europe  je  croia 
afoir  remarqué  tout  le  contraire  ;  les  femmes  y  sont  géné- 
plus  dévouées  à  la  Religion  que  les  hommes*  La 
ai  est,  je  pense >  qu'ici  oom;ae  dans  tout  pays  qak 
•'a  pas  été  édairé  et  civilisé  par  l'Evangile ,  les  femmes 
aeioBt  que  des  esclaves.  La  servitude  avilit,  et,  pourem- 
la  vérité,  pour  combattre  ses  passions,  il  faut  da 
î,  delà  noblesse,  de  la  grandeur  d'âme.  Nos  po- 
Ijaésiennes  sont  si  méprisées,  et ,  de  fait,  si  méprisables 
fttt  leur  conduite,  qu'on  les  regarde  comme  des  êtres 
difêrents  des  hommes. 

«  Obi  si  les  femmes  d'Europe»  si  solidement  pieuses,  et 
paitant  si  respectées,  pouvaient  être  les  témoins  de  l'é- 
tat d'avilissement  et  de  dégradation  où  sont  plongées  leurs 
soeurs  de  rOcéanie^  elles  seraient  encore  plus  dévouées 
à  la  Religion  «  qui  les  a  délivrées  de  cet  esclavage  ;  elki^ 
caoïprendr^ient  peut-être  mieux  encore  que  si  la  piété 
est  pour  elles  un  besoin  du  cœur,  elle  est  aussi  un  de- 
voir de  reconnaissance  !  Espérons  que  les  Océaniennes,  un 
^onr  devenues  catholiques,  rivaliseront  de  vertu  avec 
leurs  sœurs  de  l'ancien  monde. 

«  Dès  num  anivée,  et  après  que  le  tumulte  dont  j'ai 
parlé  plus  haut  fut  apisé,  nous  pensâmes  à  la  construction 
d'uie  église.  Cent  quatre-vingts  personnes  »  reçues  à  cette 
fpoqne  au  rang  des  catéchumènes»  mirent  l'affaire  en  train, 
etmi  nombre  à  peu  près  égal  d'infidèles  voulut  participer 


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u 

à  la  bonne  oetivre.  Celle  église  a  été  achevée  en  quatre 
mois  et  demi  ;  ils  ont  mis  à  sa  construction  toute  Padresse 
et  toute  l'activité  dont  ils  sont  capables  ;  et ,  de  &it ,  elle 
est  plus  belle  qu'on  ne  pourrait  se  le  figurer  en  Europe. 
Bâtie  en  bois,  elle  a,  en  y  comprenant  la  sacristie,  soi- 
xante-douze  pieds  de  long  et  trente  de  large.  Douze  co- 
lonnes élégantes  de  bois  de  fer  soutienneut  une  voûte 
magnifique,  élevée  de  trente  pieds.  Les  murailles  sont  en 
bambous  Uen  entrelacés  avec  des  ficelles  de  cocotier  ;  les 
poutres  qui  forment  la  voûte  sont  tressées  avec  des  fila- 
ments de  diverses] couleurs,  et  représentent  différents 
oiseaux  du  pays.  Deux  cents  jolies  nattes  en  forment  le 
pavé.  Je  puis  dire  avec  vérité  que  bon  nombre  de  parois- 
ses en  France  s'estimeraient  heureuses  d'en  avoir  une 
semblable.  Le  13  février,  jour  de  sa  dédicace,  fut  un 
grand  jour  de  fête  ;  plus  de  six  cents  naturels  assistèrent 
aux  offices  divins  :  nous  déployâmes  tous  les  ornements 
que  nous  pûmes  nous  procurer  ;  aussi  les  naturels  ou- 
vraient-ils de  grands  yeux  et  étaient-ils  tout  hors  d'eux- 
mêmes.  Le  soir  nous  fîmes  aussi  un  salut  très-solennel. 
Ce  fut  alors  que  je  me  servis  pour  la  première  fois  du  bel 
ostensoir  dont  Mme"^*  me  fit  présent  à  mon  départ  ;  ce 
fut  alors  qu'élevé  par  mes  faibles  et  indignes  mains ,  le 
Souvenr  du  monde  bénit  sensiblement,  pour  la  pre- 
mière fois,  celte  lie  lointaine  avec  ses  tribus  encore  infi- 
dèles. Ah!  Monsieur  le  Curé,  qu'il  était  beau  et  conso- 
lant pour  un  pauvre  Missionnaire,  le  spectacle  d'un  peuple 
encore  à  demi  sauvage  prosterné  aux  {Hods  du  Saint- 
Sacrement,  et  accomplissant  déjà  sans  le  savoir  l'oracle 
sacré  :  Ju  nom  de  Jésus,  totU  genou  fléchira  au  ciel,  sur  t 
la  terre  et  dans  les  enfers  ! 

«  Je  vous  ai  dit  qu'aujourd'hui  l'on  nous  respectait  à 
Tonga-Tabou.  Outre  plusieurs  autres  raisons,  ce  com- 
mencement d'estime  que  Ton  a  conçu  pour  nous,  vient  de 


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25 

là  kiute  idée  qu'on  s^est  fomée  de  aotre  ad^ce^  Nous 
fiihnes  les  premiers  à  signaler  la  gnunde  comète  que  tous 
avez  aussi  vue  en  Europe  ;  mais  nous  l'apercevions  beau- 
coup mieux  ici,  à  cause  de  h  beauté  des  nuits  sous  la  Zone 
Torride.  Nos  insulaires  ne  se  rappelaient  pas  avoir  ja- 
mais remarqué  rien  de  semblable;  ils  crièrent  à  la  mer- 
fdlle  et  interrogèrent  les  ministres  protestants,  qui  ne 
purent  leur  donner  qu'uee  réponse  vague,  ne  sachant  pas 
ce  que  c'était.  Le  [capitaine  d'un  navire  anglais  qui  se 
trouvait  en  rade,  ne  put  leur  en  dire  davantage  ;  mais  il 
nous  les  renvoya ,  en  leur  disant  que  les  Missionnaires  ca* 
liioliques  é^dent  savants ,  et  que  sans  doute  ils  sauraient 
leur  expliquer  cet  étrange  phénomène*  Aussitôt  il  nous  vint 
dés  dépntations  de  toutes  les  parties  de  t'Ue  ;  nous  leur 
dtmes  que  c'était  une  comète ,  chose  si  peu  nouvelle  pour 
nous  que  déjà  nous  en  avions  ¥«  trois.  Je  leur  expliquai 
eosuite  la  nature  de  ces  astres  errants ,  et  d'après  le  peu 
de  connaissance  que  j'avais  en  astronomie,  je  déduisis 
le  temps  que  celui-d  devait  paraître  sur  l'horizon ,  et  je 
rencontrai  juste.  Pour  les  intéresser  davantage,  je  leur 
fflontrad  la  figure  de  ces  corps  lumineui^  dans  un  oavrag<^ 
d^Uranographie  ;  tout  le  monde  voulut  voir  la  comète  sur 
le  livre  ^Hehnimo;  le  couoours  des  curieux  dura  quinze 
jours.  -. 

«  Un  tremblement  de  teire  extraordinaire,  qui  arriva 
dans  le  rnérn^  temps,  jeta  toute  l'Ue  dans  la  consterna- 
tion, fls  s'adressèrent  encore  à  moi  pour  avoir  l'explicaiio» 
de  ces  eflirayantes  secousses  ;  je  le  fis  de  mon  ndrax^  et 
je  leur  en  niontrai  aussi  h  figînre  et  les  effets  sur  un,  ou- 
vrage de  géegraphie  raisonnée.  lis  furem  très-eontents  de 
œs  faciles  notions  ;  mais  surtout  la  représtntaiioa  de  ces 
phénomènes  sur  le  papier  les  satisfit  pleinement  :  «  JI 
«  fSiut  qu'on  connaisse  bien  tout  ceh ,  disaiem-ib  >  puis- 
«  qu'on  en  a  (ait  la  deseriptioB.  » 


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•  Ua  résultat  eiotre  pkn  beuroux,  c'esc  que  Mut 
leur  aTODS  empécbé  de  commettre  des  cruautés.  Nos  iusii^ 
laires,  dans  dépareilles  drconsunces^  croient  que  leurs 
dieux  sont  irrita  contre  les  grands  cheb ,  et  que  ces  phé- 
nomènes sont  les  signes  avant-<x>ureurs  de  la  Tengeanee 
qui  les  menace  ;  ils  sont  donc  dans  Tusage,  pour  apaiser 
leurs  divinités ,  de  couper  des  doigts  à  plusieurs  person- 
nes, et  même  d'en  mettre  à  mort  quelques-unes.  Déjà 
plusieurs  jeunes  gens  étaient  destinés  à  perdre  les  doigts 
en  la  vie.  J'avais  beau  leur  dire  que  les  sujets  de  leur  su- 
perstitieuse terreur  étaient  des  effets  ordinaires  et  pure- 
ment naturels,  ils  ne  voulaient  pas  entendre  raison.  En&n 
je  changeai  de  batterie,  et  je  trouvai  un  moyen  qui  me 
réussit  mieux.  Voulez-yous  foire  entrer  ce  peuple  dans 
votre  sentiment  P  dites-lui  justement  le  contraire  de 
ce  que  vous  voulez  lui  persuader.  J*allai  donc  chercher 
une  grande  mappemonde ,  et  je  leur  montrai  toutes  les 
parties  du  globe  ;  je  les  priai  ensuite  de  me  désigner. 
Tbnjfo.  Ils  ne  pumt  jamais  y  parvenir,  et  je  m'y  atten- 
dais Uen,  car  c*est  un  point  presque  impercepiiBle.  Je 
le  leur  indiquai,  puis  je  fis  ce  raisonnement  :  La  comète 
se  montre  par  tout  le  globe  ;  partout  il  arrive  des  tremble- 
ments de  terre.  Pour  la  plupart  vous  savez  qu'il  n'y  a 
qu'un  seul  Dieu  tout-puissant ,  qui  est  Jéhovah.  Est-ce 
que,  par  l'appariticm  de  ces  phénomènes.  Dieu  indique  qu'il 
veut  faire  mourir  tous  les  rois  du  monde?  —  Non ,  répon- 
dn-eat^is  ;  ceux  de  TVmjra  seulement. — Àh!  sans  doute, 
leur  dis-je,  ce  grand  Dieu  Jéhovah ,  qui  gouverne  tous  les 
empires,  ce  grand  Dieu  quia  fait  twtes  choses  de  rien, 
ne  slnquièle  poini  <te  tous  les  autres  royaumes  du  monde  ;. 
to»  ses  soiBS«Mit  pour  2^Mf«,  parce  que  tontes  les  autres 
terres  ne  sent  rien^  tous  les  autres  rois  du  monde,  tous 
les  autres  peoipies.  sent  des  sotsi  c'est  pour  Toi^a  seul 
que  le  soleil  se  lève ,  que  la  lune  et  les  astres  se  meuvent  ^ 


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;tece  €{ae  c'est  dans  Fonfcr  senl  quese  troureni  leftbgnmct 
savants  en  KeligioB ,  liobHss  à  faire  des  livrw,  de  gmndi 
oaVires^  des  fusils^  des  montres^  des  haches,  des  co»> 
leanx ,  des  scies  et  de  belles  étoffes!  Tof^m  est  lout,  le 
reste  da  monde  n'est  rien  I  Oh  I  le  penple  aimé  des  eieux 
que  le  peuple  de  Tonga  !  —  Ici  on  m'interrompit  en  me 
disant  :  Helentmo  y  ta  langue  a  assez  remué  pour  nous 
faire  honte  ;  arrète-la,  pardonne-nous,  nous  sommes  des 
imbéciles,  tu  es  sayant.— Et  Ton  ne  parla  plus  décou- 
per des  doigts  ni  de  &ire  mourir  personne... 

«  Quelques  morceaux  de  planches  arrangés  avec  des 
bambous,  forment  dans  ma  cabane  un  petit  cadre  de  biblie- 
dbèqoe,  où  sont  placés  avec  ordre  cent  quatre-vingts  volu- 
mes assez  bien  choisis  et  reliés.  Tout  le  monde  a  voulu  les 
voir,  les  toucher  et  les  compter.  Il  est  bien  savant,  di- 
saîeot-ils ,  puisqu'il  a  tant  de  Kvrei.  Ici  je  passe  pour 
lia  érodit  du  premier  ordre.  Vous  voyez  qu'il  m*a  Min 
venir  bien  loin  pour  m'attiror  cette  réputation. 

«  Que  de  bien  à  faire  dans  ces  lies!  que  la  moisson  est 
grande,  et  que  le  nombre  des  ouvriers  est  petit!  Deux 
Missioanaires  et  un  frère  catéchiste  pour  trente  mille  indi- 
gènes I  et  puis  Fardiipel  de  Viti ,  qui  renferme ,  dit-on , 
an  moins  un  million  d'habitants,  et  qui  est  tout  près  de 
nous!  Que  de  brebis  errantes  et  sans  pasteurs  sont  encore 
plongées  dans  l'ombre  de  la  mort!  Oh  !  n'y  aura-t-il  per- 
sonne qui  vienne  au  secours  de  ce  pauvre  peuple?  Si 
quelqu'un  parmi  vous  meurt  sans  que  la  Religion  console 
ei  sanctifie  ses  derniers  instants,  c'est  presque  toujours 
par  sa  faute  ;  mais  ici  combien  d'âmes  périssent  faute  de 
prêtre!  Ohl  si  mes  amis  de  France  si  savants,  si  pieux» 
si  zélés,  pouvaient  voir  «cette  affreuse  disette  spirituelle, 
combien  d'entre  eux  franchiraient  les  espaces  qui  nous 
«éporent ,  et  voleraient  an  secours  de  leurs  frères  sur  ces 


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S8 

plages  lointaines  !  Les  dangers  de  la  mer  ne  sont  rien  pour 
im  apôtre  ;  despériissurles  lieux,  il  n^y  en  a  pas  pour  ceux 
que  Dieu  envoie  et  protège  :  pour  des  peines,  ils  en  trou- 
veront; mais  elles  disparaissent  sous  le  torrent  des  conso- 
lations que  le  Seigneur  nous  prodigue. 

«  Agréez  ,  elc. 

«  Jérôme  Grahgb  ,  Missionnaire  apostolique 
de  la  Société  de  Marie*  » 


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.29 


LHtre  du  P.  Chévfonj  Miaionnaire  apoêêoUque  de  la 
Société  de  Marier  à  sa  famille. 


Tonga-Tabou,  2ijuia  18-^3. 


m  BlEI9  0HBBsPARBIfTfr, 

«  Qb  m'aimoDoe  qu'il  vient  d'arriTer  un  navire  faisant 
voîle  pour  Sydney.  Je  profite  de  cette  occitsion  pour  vous 
donner  signe  de  vie,  et  satisfaire  au  désir  bien  légitime 
que  vous  m'exprimes  de  connaître  les  lieu&  que  nous  Jba- 
bitons,  et  les  succès  cpie  nous  pouvons  obtenir  dans  nos 
travaux.  Ce  pays  n'est  ré^esnent  plus  pour  moi  une  terre 
étrangère  :  je  croirais  presque  me  retrouver  en  France  en 
TOfant  nos  sauvages  adorer  le  Dieu  de  ma  patrie^  et  si 
ce  n'était  votre  souvenir ,  je  serais  complètement  Océa- 
nien. 

«  Grâces  à  Dieu ,  je  crois  que  la  domination  des  mi- 
nistres dans  ces  pays  a  reçu  le  coup  morlel,  et  qu'ils  se- 
ront bientôt  obligés  de  céder  à  la  puissance  de  Marie  ,  au 
nom  de  laquelle  nous  avons  pris  possession  spirituelle  de 
Tonga.  Je  ne  vous  parlerai  pas  des  pénitences  cruelles  qu'ils 
imposaient  aux  pécheurs,  avant  noire  arrivée;  je  vous  en 
ai  dit  un  mot  dans  ma  dernière  lettre;  mais,  je  le  répète 
pour  la  dernière  fois,  tous  les  jours  nous  voyons  encore 
les  traces  de  ces  barbaries  :  des  dents  brisées  à  coups  de 
poing ,  des  yeux  pochés ,  des  cicatrices  larges  et  nombreu- 
ses ,  certifieront  longtemps  ici  de  la  douce  rporale  des  pro- 
testants. 


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«  HAloos-nous  de  dire  que  File  eit  en  paix  aujeurd'hiû. 
Aussi  le  protefttantisme  s'en  va-t-il  avec  la  terreur  qu'il  aviâi 
mspirée.  Da  mit ,  les  défKlions  nombreuses  que  las  mi- 
nijtres  ont  à  déplorer  devraient  peu  ks  surprendre»  s'ils 
faisaient  un  instant  réflexion  à  ce  que  deviennent  leurs 
transfuges.  Quelques-uns,  en  petit  nombre^  se  rangent 
de  notre  côté;  mais  la  grande  majorité  retombe  dans  le 
paganisme ,  ou  plutôt,  sans  rien  changer  à  sa  croyance , 
elle  reprend  toutes  ses  anciennes  [uratiques.  Je  demandais 
^  à  l'un  de  ces  derniers  son  nom  de  baptême,  il  me  répon> 
dit  qu'il  n'en  savait  rien. —  «Combien  y  a-t-il  de 
«  Dieux?  —  Je  ne  sais  pas. — As-tu  été  baptisé? — Oui, 
«  mais  malgré  moi.  J'Iudritais,  ajonta-t-il,  le  fort  oc- 
«  cidental  de  Tonga  ;  depuis  lopgtemps  on  avait  eo^pleyé 
«  tour  à  tour  les  selHcitations  et  les  «ewioes  poiir«o«s 
«  faire  embrasser  la  religion.  Comme  BOusTefittioiis  li»- 
«  jours ,  on  rémiit  contre  nous  Yarvan,  fiapai  et  tow  les 
«  protestants  de  nie;  notre  fort  fut  pris «rt  je  fuseoMMiié 
«  avec  bon  nombre  des  nôtres  à  Vavon,  où  bm  gré  uni 
«  gré  ^  on  nous  fit  tons  chrétiens.  Àlocs4mme  laissa  re- 
«  venir,  et  de  retoor  ici ,  j'abandonnai  la  reKgiea.  » 

«  Si  nous  n'avons  pas  vu  jusqu'ici  un  grand  nombre  de 
protestants  se  oonverdr  à  la  foi  catholique ,  le  bon  Dieu 
aous  console  en  bénissant  le  petit  troupeau  qui  suit  nos 
instructions.  Nous  avons  baptisé  vingt-cinq  personnes 
en  danger  de  mort;  daïls  peu  dt  jours  notm  ferons 
te  premier  baptême  solennel  ;  trente  kanaks  y  seront  ré- 
générés, lesquels  ajoutés  au  même  nombre  de  néophytes 
venus  de  Wallis ,  formeront  comme  le  nojtkn  de  la  chré  - 
tîenté  naissante.  Nous  espérons  qu'die  s'accrottra  fcientôi 
par  un  second  baptême  ;  car  beaucoup  de  catéobumènes 
sont  venus  cette  semaine  solliciter,  mab  un  peu  trop  lard  « 
h  mente  &vear.«. 

«  J.  Cbeviov^  ilfisi.  ofoti.  • 


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31 


MISSION  DE  WALLIS. 


UtÊf  du  Fén  Rmdaire,  Miêsiotmaire  apoêiohfUê  de  ta 
So€iéU  de  Marie  ^  é  un  Pire  de  Im  mime  SoeiUi. 


Eb  Tm  de  I^jXIm]  a  bord  da  Bue^lMe,  le  !•'  d^cembra  1843. 


«  Moi  wàyiMmv  Ptei, 

«  Cefmle4]ittiqttenoiiftBioii(Aiiie8àbordde  hbelle 
Mgye  VUramêy  dont  Mgr  d'AnaU  âfiit  bit  h  béaé- 
dîccioB  la  feille ,  en  présence  de  rétaMM^.  Je  crote  bien 
^e  prtede  trois  mUk  peesonnes  oouvrai^t  les  quais  an 
«MBent  de  notre  embarquement;  les  Touloaaais  Ton- 
laiant  encore  nne  fois  voir  ce  jenneETdqaet  qa'Us  avaient 
eatonré  detantdbannenrs  etdetant  d^aftcUon  pendant 
•on  s^oor  dans  leur  àté  hospitalière.  Le  Prélat  arrive^ 
nooonq[>agBé  de  tout  le  clergé  de  la  viUe;  et,  aumoMeni 
ne  il  meuait  le  pied  snr  le  canot,  cette  pieuse  mnkitndir 
iMabait  à  genoux,  et  recevait,  en  fondant  en  larmes, 
In  béÉédietien  de  l'fivéqne  mÎMonnaife.  Et  nous  aussi 
•PUS hisrioin couler  les  n6tres;  oenelutpttssn 
■ss  asMMi  opprearii  parla  donlewr^tpe  nous  sais 
pour  k  dernière  fris,  et  eèiia  généMws  viBa  de  Ts 


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32 

et  les  nombreux  amis  que  nous  y  avions  renconuréSy  et'nou*e 
belle  France  que  nous  quittions  pour  la  propagation  de 
TEvangile. 

«  Bientôt  nous  mouillâmes  à  Corée  (Sénégambie)  ^  où 
nous  fïimes  accueillis  avec  enthousiasme  par  M.  Moussa , 
prêtre  mulâtre ,  qui  a  fait  ses  études  à  Paris ,  et  que  vous 
connaissez  sans  doute  de  réputation.  Il  est  aussi  distingué 
par  ses  talents  que  par  son  zèle,  et  avec  Taide  de  quelques 
sœurs  de  la  Charité ,  il  opère  de  grands  fruits  de  sahit 
parmi  ses  compatriotes  qui ,  pour  la  plupart,  sont  mabo- 
métans.  Le  jour  de  TAscension,  Mgr  Douarre  officia  pon- 
tificalement  en  présence  de  M.  le  gouverneur  de  nos  pos- 
sessions du  Sénégal ,  de  M.  Bruat,  gouverneur  des  cta- 
blissements  français  de  FOcéanie,  et  d'un  brillant 
état-major. 

«  Curieux  de  connatti'e  un  peu  cette  terre  d'Afrique 
où  nous  venions  d'aborder,  nous  fîmes  une  excursion  dans 
le  petit  royaume  de  Dakar,  qui  est  à  une  lieue  de  Corée. 
La  première  chose  à  faire  était  de  visiter  le  roi.  Accou- 
tumé que  j'étais  encore  à  nos  idées  européennes^  et  à  Té- 
elat  qui  environne  nos  princes,  je  me  smpris  à  trembler 
un  peu  à  l'approche  de  la  royale  résidence.  Qui  n'admi- 
rerait mon  étrange  simplicité?  au  lieu  d'un  palais,  je  ne 
vis  qu'une*  misérable  hutte,  semblable  à  celles  qu'hahitezu 
les  bergers  de  nos  montagnes  ;  et  à  la  place  du  trône ,  un 
tréteau  sur  lequel  était  accroupi  le  monarque.  C'est  un 
bel  homme ,  mais,  dans  toute  la  rigueur  du  mot^  une  ma- 
j^té  sans  culotte  :  une  mauvaise  ceinture  autour  des  reins, 
un  turban  autour  de  la  tête,  voilà  sa  parure^  son  man- 
teau ,  son  diadème.  Nous  dunes  avec  lui  une  assez  longue 
ac  intéressante. conversation,  à  la  suite  de  laquelle  nous 
lui  infimes  une  médaille  de  la  sainte  Vierge,  qu'il  ao* 
cepta  vdoDders  et  suspendit  k  l'iiif  tant  à  son  cmu  Puifitte 
MMriafartecfacràB8S.«rrçuml   ...  ,   ..  » 


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S3 

«  kxk  sortir  de  la  cabane  du  roi,  nous  aperçûmes  une 
treotahie  de  marabouts  ou  prêtres  mahométaos ,  assis  de- 
vaot  leiur  temple  et  dâlbérant  avec  beaucoup  de  gravité 
sur  le  difttiment  à  infliger  à  une  femme  qui  avait  commis, 
ofi  vol.  Je  ne  sais  quelle  sentence  porta  le  tribunal  ;  mais 
pendant  qu'il  était  tout  occupé  de  cette  affaire ,  saas 
trop  prévoir  de  danger  sérieux ,  nous  pénétrâmes  dans  la 
mosquée  ;  heureusement  que  nous  ne  fûmes  pas  décou- 
verts^ car  le  poignard  doit  ^tirer  vengeance  de  Tinfidèle 
assez  témà^ire  pour  oser  firancbir  ce  seuil  sacré.  Pour 
louer  le  vrai  Dieu  aux  lieux  mêmes  où  le  démon  reçoit 
tant  d'hommages ,  nous  chantâmes  quelques  couplets  de 
nos  pîaix  cantiques  en  passant  devant  les  marabouts ,  et 
ib  les  trouvèrent  fort  beaux. 

«  Nous  avons  séjourné  trois  semaines  à  Valparaiso. 
Vous  dire  Taccueil  que  nous  ont  fait  les  Pères  de  Picpus , 
est  une  chose  impossible.  Ils  ont  eu  pour  nous  toute  la 
charité  que  saint  Paul  demandait  aux  Corinthiens  pour 
ion  cher  Timothée. 

«  Pendant  notre  séjour  dans  cette  ville,  Mgr  Douarre 
s  adnûnistré  le  sacrement  de  Confirmation  à  plus  de  cinq 
mille  personnes,  et,  ce  qui  nous  a  surtout  comblés  de  joie, 
il  a  donné  le  baptême  solennel  à  un  jeune  indigèue  de$ 
Des  Marquises.  C'étaient  les  prémices  de  son  apostolat. 
M.  Bruat  et  sa  dame  ont  bien  voulu  être  parrain  et  mar- 
raine. 

«  Là  encore  une  scène  touchante  a  aussi  fait  couler 
nos  larmes.  Un  vénérable  Evêque ,  couronné  de  cheveux 
blancs,  s^était  vaitré  à  Valparaiso  par  suite  des  troubles  po- 
litiques survenus  dans  les  républiques  américaines ,  qui 
Tont  contraint  de  quitter  son  siège.  Il  vint  trouver  Mgr 
d^Amata  ;  et  étant  la  croix  pastorale  qu'il  portait ,  il  dit  à 
son  jeune  collègue  :  «  Monseigneur,  daignez  accepter  cette 
«  croix  que  je  vous  ofre.  Vous  êtes  digne  de  la  porter, 
TOH.  XVII.  98.  3 

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34 

9  VOUS  qui  Be  craignee  p^  d^affronter  de  é  grauds  pé- 

•  ritg  peur  étendre  le  règne  de  Jcsus-Cbrist.  Pour  mai, 

•  serviteur  inutile^  je  n'ai  rien  fait,  je  ne  puis  plus  rien 

•  pour  sa  gloire  ;  du  moins  je  vous  suivrai  de  mes  vœux., 

•  **t  je  ne  cesserai  plus  de  prier  pour  le  succès  de  vos  tra- 
«  vaux.  Vous  allez  faire  lever  le  soleil  de  justice  sur  de 

•  nouveaux  peuples,  vous  allez  enfanter  une  nouvelle 

•  Eglise  au  Sauveur  :  partez.  Monseigneur,  et  que  TAnge 

•  du  Seigneur  accompagne  tous  vos  pas  I  » 

«  Enfin  nous  reprîmes  la  mer;  nous  avons  vu  quelques- 
Mns  de  ses  dangers  ;  mais  Marie ,  cette  étoile  si  chère  au 
Missionnaire  voyageur,  nous  a  guidés  vers  le  porU  Après 
U'ente-deux  jours  de  navigation ,  nous  arrivâmes,  no  sa* 
mfèdï  soir,  devant  les  Marquises  où  la  France  a  devi^  éta- 
l>lissenients.  Nous  avons  mouillé  en  vue  de  TanaU ,  et  le 
lendemain^  dimanche  15  octobre,  Mgr  d'Amata a  çâébré 
h  Messe  pontificale  sur  le  rivage ,  sous  un  arbre  grand  et 
u>uffu ,  qui  lui  servait  de  cathédi*ale.  Un  modeste  autel 
avait  été  dressé  pour  Tauguste  sacrifice ,  là  où  peut-être 
maintes  fois  des  sacrifices  humains  s'étaient  offeru.  L«s 
naturels  contemplaient  avec  étonnement ,  sous  les  coco* 
tiers  e^  les  arbres  à  pain ,  cette  cérémonie  que  rendait 
eitrémement  imposante  la  présence  du  gouverneur,  celle 
de  son  état-major,  de  la  garnison  et  de  l'équipage  de 
r£^rant>;  joignez  à  cela  la  musique  et  les  salves  d'artillerie. 
A  rélévation,  la  frégate  a  salué  de  quinze  coups  de  canon, 
et  !e  fort  a  répondu. 

«  Nous  avons  trouvé  là,  avec  deux  Pères  de  Picpus,  une 
cinquantaine  de  kanacks  d'une  Ile  voisine  qui,  persécutés  par 
t^n^rs  parents  à  cause  de  la  religion  qu'ils  avaient  embraa- 
»oe ,  ont  mieux  aimé  s'exiler  que  d'abandonner  Jésus- 
Ohrist.  ih  venaient  au-devant  de  nous  avec  toutes  les  mar- 
qiu*)(  de  b  plus  vive  affection  !  Kaoc  e  U  Maiana  :  Bonjour j^ 
tiif.'i  PJre!  et  il  fanait  répondre  à  chaque  instant  Kaoa  ; 


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cVfuUoitt  Sea  loulaoide^iiuts.  Uae  pauvre  fieiiia  fille  4$ 
hùt  à  oeuf  ans,  nommée  Aamette,  venait  nous  baiser  la 
■aiii  à  teQs ,  en  nous  dkaeu  que  nous  étions  bien  bons. 

«  Je  vous  assure ,  mon  cher  Père ,  que  je  vois  peu  de 
difiârence  entre  les  Européens  et  les  Marquisiens  ;  ceux<i 
mm  très-bien  Ëiits  squs  tous  les  nqpports.  Seulement  il  y 
a  une  diose  frappaute,  que  tout  le  monde  remarque  :  c'est 
la  diOSrence  d'expression  qui  distingue  les  indigènes  bap* 

s  de  ceax  qui  ne  le  sont  pas.  Ces  derniers  ont  qualité 
)  de  sauvage  et  de  triste  dans  Tensemble  des  traits; 
dbez  les  autres ,  c'est  le  regard  de  Tagoeau  ^  «t  Ton  dirait 
^'une  teinte  de  christianisme  reste  visiblement  empreinte 
mr  leor  visage.  J'ai  aussi  fait  cette  observacioii  h  Ton^a , 
et  l'on  m^issure  que  j'aurai  lieu  de  la  Êiire  partouu 

«  Le  lundi,  nous  nous  sommes  rendus  à  la  grande  lie 
fhdahiva.  L'amiral  DupetU-Thouars  s'y  U'ouvuît  avec 
«q  bAdments  sous  tes  ordres.  Sur-le^chanp  il  mît  le 
Bmc^kale  à  la  disposition  de  Mgr  d'Amata,  et  le  ^''no- 
«nri»^  nous  faisions  voile  pour  Tonga-Tabou.  C'est  là  que 
oons  avons  dit  adieu  à  nos  compagnons  de  VUr4mie*  Pen- 
dnt  une  aussi  longue  traversée ,  nous  n'avons  eu  qu'à 
«ans  loner.de  leurs  égards;  mais  nous  devons  une  recon- 
toute  particulière  à  M.  le  gouvemeor  Braat  ;  ce 
officier  nous  aimait  ;  ansai  il  n'a  pu  quitter 
Vgr  d'Amatasans  verser  des  Im^mes. 

«  Le  jour  <ie  la  Présentation  de  la  sainte  Vierge,  nous 
eiioBs  en  vue  de  Tonga.  C'étmt  la  première  Missien  de 
•atn  Société  que  nous  avions  le  bimlieur  de  vkiter.  Com* 
bien  ne  fàmes^ous  pas  heureux  de  nous  jeter  dans  ks 
brM  des  Pères  Cli^rroa  et  Crange  et  du  cher  irère  Atodel 
Le  dénAmem  dans  kquel  nous  les  avons  trouvés  lions  a 
irracbé  des  larmes.  Vous  avez  des  panvres  en  France  » 
non  révérend  Pirre  ;  mais  je  no  pense  pas  qne,  dans  Tex- 
(3èft  defindigencff,  leur  détresse  égale  ce  que  nos  eontrèws 

3. 

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ont  eu  à  souftir  pendant  plusieurs  mob.  S*ils  pknteut  la 
croix ,  c*est  en  Tarrosant  de  leurs  sueurs  ;  ,ib  travailtodt 
dans  la  fetm ,  la  soif  et  la  nudité.  Ils  ont  été  admirables 
de  courage  et  de  confiance  en  Dieu  dans  leurs  épreuves  ^ 
âu  milieu  des  persécutions  que  leur  ont  suscitées  des  mi- 
flistres  protestants  établis  dans  cette  île  depuis  1825.  Des 
circonstances  majeures  ayant  forcé  Mgr  Poropallier  k 
les  laisser  dans  une  espèce  d'abandon ,  nos  ennemis  n  V 
valent  pas  manqué  de  dire  aux  naturels  que  les  prêtres 
catholiques  étaient  des  aventuriers ,  des  gens  sans  aveu , 
expulsés  de  leur  patrie  et  jetés  par  la  t^onpéte  sur  les 
rives  de  Tonga.  Cette  imposture  a  été  dévoilée  lorsque 
les  indigènes  ont  vu  l'accueil  honorable  que  leur  faisaî«M 
MM.  les  oflkiers  du  Bucéphale. 

«  Nous  avons  visité  presque  tous  les  chefs  de  TUe,  même 
celui  du  fort  protestant,  et  le  Toux-Tonga^  espèce  de  demi- 
dien  ou  grand  roi  de  Tarchipel.  Tous  ont  dtné  à  bord^  et 
après  avoir  bu  le  cixva  français,  qui  est  un  peu  meilleur 
que  celui  de  Tonga ,  le  chef  protestant  que  notre  visite 
avait  probablement  embarrassé ,  à  cause  de  ses  ministres , 
s'est  uU  peu  ouvert  ;  il  disait  à  deux  insulaires  catholiques  : 
«  Entre  ces  deux  religions,  nous  ne  sommes  pas  assez  ia* 
struits  pour  discerner  de  quel  côté  est  la  vérité  ;  il  serait 
bon  cependant  de  savoir  à  quoi  s'en  tenir,  et  pour  cela 
que  vos  Missionnaires  et  nos  ministres  eussent  une  con- 
férence. Si  nous  les  entendions  discuter  aitre  eux,  nous 
pourrions  bien  juger  qui  a  tort  ou  raison.  —  Mais  à  qui 
la  faute?  répliquèrent  les  cbe&  catholiques  ;  nos  prêtres 
ont  été  voir  vos  ministres,  et  ceux-ci  n'ont  même  pas 
vouhi  les  recevoir  :  diaque  fois  que  nos  Pères  se  présen- 
tent dans  vos  villages,  vos  pasteurs  ont  soin  de  se  cacha*. 
—  C'est  vrai,  répondît  l'antre.  » 

«  Je  crois  qu'aujourd'hui  le  succès  de  k  Mission  esc 
assuré.  Nos  confrères  qui,  depuis  quatorze  mois,  se* 


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Si 

mùitùX  dans  ks  larmes»  noissmiâeronl  biemAt  dans  l'ai- 
Ugresse.  Ib  ont  d^  ceot  néophytes  qm  sont  iHen  itt^eots, 
éenx  cents  catédunnènes  qui  leur  donnent  beau<^np  de 
ooosobtion,  et  en  tout  près  de  deux  nulle  personnes  qui 
le  rangent  de  leur  côté.  Nous  pouvons  assurer,  et  c'est  le 
ténoigDage  général',  que  les  deux  Pères  sont  aimés  de 
ions  les  insulaires ,  même  des  protestants;  et  pourrait-il 
en  être  autrement?  Us  pansent  et  guérisi^t  leurs  mala- 
des; ils  leur  donnent  ou  prêtent  des  outils;  ik  suppor- 
tent arec  patience  leur  ingratitude  et  quelquefois  leurs 
aqvis ,  sans  jamais  cesser  de  les  instruire. 

«  Jusqu'ici  nos  confrères  n'ont  point  encore  eu  de  disr 
CBSskm  avec  les  ministres;  au  rette,  il  n'y  a  pas  lieu  de 
s'efiayer  de  leur  sciew^  ;  les  connaissances  fie  la  plupart 
d'entre  aix  se  bornent  k  savoir  et  à  débiter  avec  anOisance 
■ne  fimle  de  sottes  objections  OHutre  le  cathdicisme.  Ce 
qu'ils  fimt  le  mieux,  c'est  le  commerce  et  leur  fortune,  lis 
s'y  entendent ,  je  vous  l'assure. 

«  Pendant  notre  s^our  à  Tonga^  les  officiers  du  Bueé- 
pkde  furent  invités  à  une  de  ces  fêtes  meurtrières,  que  le 
catholicisme  détruira  un  jour  ou  du  moins  réformera,  nous 
en  avons  la  confiance.  Six  mille  hommes  environ  étaient  réu- 
nis dans  une  immense  plaine  ;  un  morne  silence  régnait 
dus  tonte  l'assemblée ,  lorsque  tout  à  coup  un  chef  se 
lève  et  harangue  le  peuple.  A  Tinstant  deux  champions 
mutent  dans  l'arène ,  armés  chacun  d'un  énorme  casse^ 
télé.  Chacun  des  combattants  portait  des  coiq[»  terribles  ^ 
son  antagoniste,  qui  devait  être  assez  habile  pour  les 
éviter.  Un  grand  nombre  de  lutteurs  vinrent  successive- 
,  se  joindre  aux  premiers,  et  rassemblée  ne  fut  dis- 
I  que  lorsque  la  victoire  fut  assmce  à  l'un  des  deux 
pmis.  .Heureusement  ce  jour-là  il  n'y  eut  que  quelques 
blessés.  Pauvre  peunle,  d'être  asservi  à  des  coutumes  si 
MNmsl 


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38 

«  Cette  tie  est  sans  contredK  ia  plus  avant^ée  daos  fa 
eiTHisaiion  polynésietine  ;  son  itifttiences^étend  sur  tous  ks 
archipels  votsinsy  tels  (|ue  les  Samoa,  les  Fidji,  et  même 
ju8qu*aux  HéhriJts ,  avec  lesquelles  elle  communique  au 
moyen  de  ses  belles  pirogues ,  bien  construites ,  excel- 
lentes voilières ,  et  assez  grandes  pour  contenir  une  cîn-* 
quantaine  de  personnes.  Espérons  que  le  Seigneur  bénira 
un  peuple  si  intéressant ,  et  que  bientôt ,  grâce  aux  ef- 
foru  de  ses  dignes  SGssionnaires,  Il  appartiendra  tout  en* 
lier  à  la  véritable  Eglise. 

«  Nous  voHà  donc  à  Wallis ,  celle  terne  de  désiré  Je 
dois  y  demeurer  pour  établir  notre  imprimerie  qui  sera 
4\me  immense  utilité.  Le  temps  me  presse  ;  je  me  réserve 
de  vous  donner  une  autre  fois  plus  de  détails  sm*  nos 
dières  MissitHis.  Après -demain  aura  Heu  le  sacre  de 
Mjpr  BataiÀon. 

«  Daignez  agréer,  etc. 


•  P.  S.  ie  reprends  ma  lettre  pour  vow  retniecr  use 
scène  très-touckinte  qui  vient  de  se  passer  à  notre  débar- 
quement. Mgr  Bataillon ,  qui  était  venu  nous  embrasser 
sur  le  navire,  voulut  nous  emmener  h  terre  avec  Ini.  Lors- 
que le  canot  s'arrêta  sur  les  récifs,  les  naturels  qui  noni 
attendaient  sur  le  rivage,  an  nombre  de  quatre  cents  envi- 
ron, mirent  à  la  mer  une  de  leurs  pirogues  et  nous  y  firent 
monter.  Comme  ces  embarcations  calent  très-peu  d'eaa, 
n'étant  composées  que  d'une  seule  pièce  do  bois ,  ils  nous 
poussèrent  eux-mêmes  un  assez  long  espace  de  chemiit , 


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H 

tturcbant  dans  la  mer,  et  n'ayant  de  Teau  que  jus(|u*à  !;# 
crâture.  Enfin  la  pirogue  toucha  le  fond  et  ne  put  plos 
atancer.  Alors  ces  bons  c-hrétiens ,  sans  nous  laisser  le 
temps  de  descendre,  se  rangèrent  tout  aulour  de  nous  en 
penssant  de  grands  cris^  prirent  la  pirogue  sur  leurs 
épaules ,  et  nous  enlevant  ainsi  au  milieu  des  acclama- 
tions de  tout  le  peuple ,  comme  nos  ancêtres  enlevaient 
autrefob  les  Pharamond  sur  leurs  boucliers  au  jour  de 
enr  triomphe,  ils  allèrent  nous  déposer  au  milieu  de  ras- 
semblée rangée  en  bce  de  Téglise.  Le  chef  qui  présidait  vint 
alors  rendre  ses  hommages  à  Mgr  d'Amata.  De  là ,  nom 
entrâmes  à  Téglise  où  Monseigneur  donna  la  bénédiction 
^ffmelle.  » 


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UUf  de  Mgr  BataiUon ,  Bvêque  JCEnot  elHcain  apaUtn 
KqH$  de  fOeéame  eentralCf  au  R.  P.  Colin ,  Stspérieur 
finirai  de  la  Société  de  Marie. 


(kéêmit  «Dtrale ,  tle  WaUif»  •  d^cMibrt  1843. 


«  HOR  TEÈS-léviEBlID  PEU  , 

«  Ces  lignes  sont  celles  da  dernier  de  vos  entuits,  de 
cdai  qui  se  plaisait  à  être  ignoré  dans  son  Ilot  lointain,  et 
#|ai  tout  à  coup  se  voit  forcé  par  son  père  même  de  re- 
cevoir un  fardeau  tout  à  fait  au-dessus  de  ses  forces, 
d'être  subitement  donné  en  spectacle  aux  Anges  et  aux 
hommes.  Monseigneur  d'Amata,  arrivé  aux  lies  Wallis  le 
30  novembre,  m*a  remis  les  Bulles  de  la  Cour  de  Rome, 
avec  vos  lettres  par  lesquelles  vous  me  dédaries  que , 
m'opposer  aux  intentions  du  Souverain  Pontife,  serait  aller 
contre  la  volonté  de  Dieu.  Eh  bien  !  mon  révérend  Père , 
je  vous  ai  obéi ,  et  me  voici  Evéque  ;  mais  vous  en  êtes 
responsable;  vous  êtes  tellement  obligé  de  prier  pour 
moi ,  de  me  veiller  de  si  près ,  que  je  puisse  me  sauver 
dans  la  position  redoutable  où  vous-même  m'avez  placé. 
D  y  a  plusieurs  jours  que  j'ai  reçu  Ponction  sainte  ,  et  il 
me  semble  encore  que  c'est  un  rêve  ;  je  me  trouve  comme 
dans  un  labyrinthe  d'oà  je  ne  sais  par  où  sortir.  Que  Dieu 
m'assiste  I  » 


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41 

«Ruit-il  TOUS  dire  les  fcnix  et  les  espérances  qui  reitt- 
pfoent  mon  coeur?  Je  sens  en  moi ,  Dieu  en  est  témoin^ 
me  Tolonté  terme  de  sauver  mon  âme  d*abord,  et  pnis  de 
mPKT  celles  dont  je  dois  un  jour  répondre  ;  je  désire  ar- 
demment procurer  la  gloire  de  TEglise  romaine  ,  assurer* 
le  bonheur  de  tous  les  peuples  qui  me  seront  con6és  ,  et 
mrtout  odui  des  prêtres  et  des  frères  qui  me  seront  don- 
nés pour  collaborateurs.  Telle  est  mon  unique  pensée,  mon 
adôite  ambition;  mais  je  vous  en  conjure  par  votrn 
snour  pour  Notre-Seigneur ,  par  llntérétque  vous  portes 
à  vos  Missionnaires ,  pensez  sans  cesse  à  moi ,  au  saint  au- 
va ,  afin  que  Dieu  conserve^et  perfectionne  Tesprit  dont  II 
m^amme.  Qnant  if  mes  espérances ,  j'ai  le  pressentimenc 
que  nous  touchons  à  Tépoque  où  le  Seigneur  doit  faim 
^ter  ses  miséricordes  sur  les  peuplades  de  rOcéanie« 

€  J'ai  llionneur  d'être  »  etc. 


•  f  PlEABBi  Evêqut  d*EfioSf  et  Ficaire  apostoUqu 
dt  VOcéanie  centrale.  »  • 


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49 


MISSION  DE  LK  IfOUYELLE-CALÉDOIliE. 


L$Ure  du  Père  RougeifrQn^  Miitionnaire  aposioUçue  de  la 
S^âélé  de  Marie,  au  Jt»  P.  Favier,  de  la  mime  Société. 


PMtBikit.N9imlMW49me,ai  déocabre lg43. 


%  Mon   &£inÉRElfD   PÈKB, 

«  Arrivés  eafin  au  terme  de  aotre  loag  voyage  »  après 
avoir  mis  le  pied  sur  celte  terre  de  la  Nouvene-Calédonie, 
qui  pendant  si  longtemps  avait  été  l'objet  de  nos  conversa- 
lions  et  de  nos  plus  vifs  désirs,  nous  avons  hâte  de  jeter  un 
regard  en  arrière  sur  la  route  que  nous  avons  parcourue  , 
peur  vous  raconter  quelques-unes  des  circonstances  de 
notre  navigation.  Je  suis  heureux  de  reporter  mes  pensées 
vers  vous  et  vers  la  maison  du  noviciat  ;  vos  sages  con- 
seils vont  me  guider  ,  et  Tespoir  que  vous  prierez  pour 
moi ,  me  soutiendra  dans  les  épreuves. 

« C^est  le  29  novembre  dernier  que  nous  aperçûmes 

Wallis.  Je  vous  laisse  à  penser  quelle  fut  notre  joie  à  la 
vue  de  ces  riants  Ilots  qui  envirennent  Tlle  principale.  Sur 
eette  terre  ciiérie  nous  devions  embrasser  le  digne  Con- 
frère, qui  par  la  consécration  ^épiscopale  allait  devenir 
Mtre  Pasteur  et  notre  Père. 


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4» 

•  Nms  àvon  tfométoP.  BÉtifflldn  êêm ébàfiftaà^  mu 
loiilierB  »  n*apnt  plus  que  de  miséràUes  vèCementsM  Idm* 
beaux.  Ah  I  qu'il  a  souflfert  et  combattu  peiMfeMit  k»  six 
années  de  son  séjour  à  Wallls  1  Quel  autre  aurait  été  mmi 
figue  d*étre  le  premier  ▼ieaii*e  apîîMtolîqtfe  de  deOe  neu- 
feOe  Mission ,  quMl  a  fondée  avec  tant  de  pmoP  Tm 
nous  a  charmés  en  lui ,  même  sa  glorieuse  pauvreté*  L'fc 
•ntière  a  applaudi  de  grand  coeur  au  choix  dnSainCrSiége  ; 
toi  seul  a  été  consterné  de  sa  promotion  à  Pépiscopat.  En 
rapprenant,  il  est  resté  interdit.  Que  vonsaorieB  éié  hen* 
reon,  mon  référencIPère,  ai  iMts  aûei été  comme  nnas 
t^Dotn  de  la  joie  de  ses  néophytes  I 

«  Cette  nouvelle  se  répandit  m  un  iaatant  d^  beat  à 
Panlre  de  WaHia;  de  imites  partt  on  entsadait  crier  i 
ItaM  Bpikopé ,  AMh» Efikojm^BëtmMùn  m Bvéfmi 
Bt  lia  venaient  en  feale  ae  ppcat^sarà  sas  pieds,  ponr 
recevoir  sa  bénédiction. 

«Lacéréjncmiedesaconséoralion  entlienle  S  déoM»- 
hre,  époque  bie^  mémoraUé.  Ortreqoee^était  ki Cftied» 
Patron  des  Missions ,  c'était  aussi  le  même  jour  que,  sK 
ans  auparavant ,  Mgr  Tévêque  d'Aios  avait  dit ,  pour  ki 
première  fon,  la  sainte  Même  dans  une  Ibrêt  de  cette  Ile. 
Après  la  cérémonie  qui  édifia  beaoconp  nos  bons  fndi^ 
gènes,  eut  lieu  un  festin  où  assistèrent  le  roi  et  la  reine  de 
WalK^ ,  ainsi  que  HM.  les  oflteiers  du  Bueépkide;  la  tù/tt 
se  termina  par  une  partie  solennelle  de  kava. 

«  Htais  ce  quim'ale  pks  touché,  c'est  la  ferveur  de  la 
primitive  Eglise  que  j'ai  vue  renaître  dans  cette  Hé.  Tous 
kssoi^,  chaque  vIDage  se  réunitdans sa  chapelle poilrfiiire 
bp^ère;  un  catéchiste  pré^e  rassembla;  Tèxerdee 
flaif  Ils  se  retirent,  les  uns  dans  leurs  cabanes,  les  autres 
sur  le  rivage,  tandis  que  le  reste  demein*e  dans^  la  vallée, 
et  alors  Ils  récitent  le  chapdet ,  et  chantent  des  cantiqnet» 
en  Phonneur  de  Jésus  et  de  Marie.  Le  samedi,  ces  dont» 


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H 
ae  prokofeac  jusqu'à  OBie  heures  el  même  jniauit^  de 
sone  <|oe  de  tome  part  yiw$  entendez  des  hymnes  pienx  ^ 
et  qse  tonle  celle  Ue  bénit  h  la  fois  le  Dieu  qui  Fa 
ttttfée. 

«  Le  matin  enchanta  recommencent  dès  raurore ,  et 
an  lever  du  soleil  le  Missionnaire  sonne  la  sainte  Messe , 
oà  tons  ae  rendent  avec  empressement.  Omibien  leur  re- 
cueillement ne  m^o-t-il  pas  édifié  et  couvert  de  confusion  I 
Rien  ne  saurait  les  distraire  dans  ce  saint  exercice.  Un  jour 
<pie  j'accompagnais  Mgr  Donarra ,  nous  nous  trouvâmes 
Mmt  près  d'un  groupe  considérable  de  pieux  chrétiens  en 
prières.  Us  nous  entendirent;  deux  seulonent  détournèrent 
tant  aoit  peu  la  télé,  ec  paa  un  ne  quitta  la  prière  pour  venir 
à  nous,  ce  qui  est  si  naturel  à  un  Polynésien.  Sur  deux 
mUe  personnes  cpù  peuvent  communier,  près  de  cinq 
esnts  s'approdienl  ehMfue  dimanoba  de  la  saiitte  table. 

«  Autrefois  ce  peuple  était  fourbe,  voleur  de  profes* 
sien,  pirate  et  anthropophage;  aujourd'hui,  tant  la  grâce  a 
été  puissante  pour  changer  les  cœurs,  la  douceur  forme 
son  caractère,  Ja  franchise  lui  semble  naturdle,  et  il  a  It 
volen  horreur.  Ici  Ton  n'a  plus  besoin  de  serrures;  le 
Missioanahre  peut  laisser  firuits,  vin^  argent,  effets,  sous  I4 
main  des  naturels,  sai»  crainte  qu'ils  y  touchent.  Heu- 
reux peuple  d'avohr  si  bien  go&té  le  don  de  Dieu  I  Heu- 
reux nous-mêmes  de  penser  qu'ils  lèmiit  sans  cesse  vers  In 
del  pour  nous  des  mams  suppliantes!  Sans  doute  qu^ib 
d>tiendront  pour  des  milliers  dinfidèles  le  bien&it  d'une 
prodiaiae  oonversion* 

«  La  mort  ne  semble  plus  avohr  pour  eux,  ses  horreurs. 
«  Pourquoi  la  craindre?me  disait  un  néophyte.NesenM:ia- 
«  nous  pas  plus  heureux  dans  le  cid?»  Pendant  mon  aéjomr 
à  Wallis,  une  vieille  femme  vint  â  mourir;  et  ses  parents, 
an  lieu  de  ae  désoler,  vinrent  se  réunir  autour  du  corps , 
récitèrent  des  chapelets  et  chantèrent  continuellement  des 


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u 

cantiques.  Une  autre  Cm  je  plaignais. un  malade,  qui 
sodfrait  beaucoup;  il  me  répondit  :  «  Père,  ne  me  plains 
«  pas;  lasoufiranceestbonnepourleciel.»  Il  avait  raison. 
Ces  chrétiens  talent  mienx  que  nous ,  qui  depuis  si  long- 
temps sonunes  comblés  de  grâces. 

«Après  une  dizaine  de  jours  passés  auprès  de  Mgrréfè- 
que  d'Eues,  il  Mut  quitter  Wallis  ;  mais  que  notre  petite 
tfoope  apostolique  avait  diminué  1  Cinq  de  nos  confrères 
étaient  encore  aux  Marquises;  le  P.  Matthieu  restait  avec 
Mgr  Bataillon,  ainsi  que  le  Père  Roudaire  et  M.  Grézel. 

«  Et  moi  je  parlais  pour  la  Nouvelle-Calédonie, 
avec  Mgr  Douarre ,  le  P^e  Viard  et  les  deux  frères  Ta- 
ragnat  et  Marmoiton.  Le  bon  Père  Roudaire  a  vârsé  des 
torroits  de  larmes  en  se  séparant  de  Monseigneur^  et 
f  avoue  que  cette  nouvelle  séparation  m'a  été  aussi  pénible 
que  celle  de  mes  parents  et  de  ma  patrie.  Mais  nous 
n'étions  pas  seuls  dans  les  pleurs  ;  toute  Tlle  était  dans 
TafiDjction  à  cause  du  départ  du  Père  Viard.  Ce  bon  Père  a 
bien  voulu  passer  quelque  iemps  avec  nous  à  la  Nouvelle- 
Calédonie,  avant  de  rentrer  à  la  Nouvelle-Zélande.  Lors- 
qu'on apprit  qu'il  allait  s'éloigner  ,  ce  fut  une  désolation 
générale.  La  veille  de  son  départ ,  le  roi  et  les  chefs  vin- 
rent consulter  Mgr  Bataillon ,  pour  savoir  s'il  y  aurait 
péché  h  l'enlever.  Leur  projet  était  de  l'emporter  dans  un 
bois  et  de  Tatuicher  à  un  arbre ,  jusqu'à  ce  que  le  navire 
f&t  parti.  Le  Prélat  leur  ayant  répondu  qu'il  n'était  pas 
permis  de  s'opposer  à  la  volonté  de  Dieu  ,  ils  se  retirèrent 
en  pleurant ,  et  toute  la  nuit  se  passa  en  cris  et  en  lamen- 
tations. Ils  répétèrent  sur  un  ton  lugubre,  et  plus  de  deux 
mille  fois,  la  phrase  suivante  :  Notre  Père  est  mort,  pleu- 
rons! 

•  Plus  de  trois  cents  Jeunes  gens  l'ont  accompagné 
l'espace  de  deux  lieues ,  chargés  chacun  d'un  panier  de 
fruits  pour  le  Père.  Mais  le  moment  de  se  dire  adieu  était 

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H 

ttrKiyé;  d^  nous  avimcio«s  V6C8  le  canou  Alors  tom  Iç 
vSlage  se  iraospocte  sur  le  rivage,  et  pousse  des  cris  de 
douleur.  Plusieurs  tombaient  d'évanouissement*  Déjà  nous 
diioDs  au  lar^e ,  lorsque  tout  à  coup  uneCdule  d'innilairei 
le  jettent  à  la  nage  et  accompagnent  le  canot,  pour  voir 
encore  une  fois  le  boa  Père  ipiileur  était  ravi. 

«  Mgr  Douarre  avait  demandé  un  jeune  homme  dévoué 
pour  raccompagner  à  la  Nouvelle-Calédonie.  Il  s'en  prér 
iioate  un  sur-te-champ.  Mgr  lui  fait  un  tableau  terrible 
des  dangers  qu'il  va  courir.  N'importe  ;  il  répond  qu'il^sst 
urep  heureux  d'élre  choisi  pour  aller  au  martyre.  Tout 
était  arrangé  pour  son  départ,  lorsqn^un  chef  y  mit  toulà 
i:oup  obstacle.  Il  vint  néanmoins  sur  le  rivage,  mais 
on  le  tint  attaché  pour  qu'il  ne  pût  pas  nous  suiffe» 
Ce  pauvre  jeune  homme  fondait  en  larmes.  Nous  étions 
déjà  bi^  loin  en  mer,  lorsque  nous  découvrîmes  an 
insulaire  à  la  nage  qui  venait  vers  nous  :  c'était  lui  ; 
saaissix  hommes  qui  le  poursuivaient,  l'atteignirent,  et 
reotralnèrent  à  teire. 

«  Enfin  nous  sommes  arrivés  à  la  Nouvelle-Calédonie  ^ 
le  21  décembre.  Vous  raconter  dans  ce  moment  tout  ce 
qui  s'est  passé  depuis  l'instant  où  nous  avons  mis  pied  à 
terre ,  me  serait  impossible.  D'aiUeurs ,  j'en  pourrai 
Eure  la  matière  d'une  longue  et  intéressante  letnre.  Cette 
nouvelle  patrie  peut  avoir  quatre-vingts  lieues  de  long  sur 
<)uînse  de  large.  Je  n*ai  pas  encore  tu  de  pays  qui  me 
mppelâtaussi  bien  mon  Auvergne.  Elle  a  de  hautes  monta- 
gnes, de  riches  vallées,  de  magnifiques  cascades*  Il  est  à 
croire  que  nous  sonunes  les  seuls  Européens  qui  habitent 
ce  pays  sauvage.  Jusqu'à  ce  jour  les  indigènes  nous  ont 
Men  reçus;  nous  ne  savons  pas  si  cette  bienveillance  est 
sincère;  la  crainte  du  navire  peut  y  être  pour  beaucoup. 
Cependant  nous  espérons  qu'il  en  sera  de  même  dans  la 
suite;  car  la  Providence  veille  sur  ses  Missionnaires,  et 


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4» 

Marie  sur  ses  enfents.  Nous  allons  commencor  noire  apo- 
stolat ;  nous  nous  attendons  que  dans  le  principe  ce  sera 
un  apostolat  de  patience  et  de  prière.  Nul  n'a  autant  be- 
soin que  nous  du  secours  d^en  faant  ;  abandonnés  au  mî- 
lieu  d*un  peuple  qui  peut-être  sera  pour  nous  plus  férooe 
<|ue  les  tigres,  Dieu  seul  va  être  notre  défense.  Ce  qui  nous 
encourage,  ce  qui  nous  rend  heureux ,  c'^t  la  pensée  que 
la  obère  société  de  Marie  ne  cesse  de  prier  pour  nous,  que 
chaque  jour  nos  confrères  font  mémoire  de  nous  au  saint 
autel  ;  enfin  nous  sommes  fortifiés  par  la  touchante  com- 
munion de  prières  qui  existe  surtout  entre  les  associés  i 
rCEuVre  de  la  Propagation  de  la  Foi. 

«  Nous  ayons  Tespoir  que  dans  quelques  mois  un  nou- 
veau bâtiment  viendra  nous  visiter,  nous  apporter  des  se- 
uoars  et  de  nouveaux  confrères.  Nous  devons  une  grande 
reconiiaissance  à  M.  Tamiral  Dupelit-Thouars,  à  M.  le 
içwvienieur  Bniat ,  ii  M.  le  c(»unandani  La  Perrière ,  et  i 
ums  les  oflBciers  du  BucipkàU.  Us  ont  été  admirables  de 
géoérosité  envers  nous  et  envers  les  néiçhytes  de  toutes 
i«s  Missions  que  nous  avons  visitées.  Je  puis  dire  sans  exa- 
gération que  M.  La  Perrière  a  constanuttem  déployé  le 
«èle  et  le  défooeiDent  d'un  Missionnaire. 

•  Agréez ,  etc. 

•  RoueBTioif ^  WiitionnaireaposioU^*» 


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4« 


àsure  de  Mgr  Douane  ^  Fieatre  apoiioUpie  de  la  Nau- 
vdle-Calédomê,  d  MM.  les  Membra  de$  Conseile  cen- 
Ispaux  de  Lyon  et  de  Paris^ 


Eo  rade  de  Balade,  i  jaDvier  l^U. 


«  Messieurs, 

•  n  me  serait  trop  pénible  de  laisser  partir  le  Bu- 
sépkale  qui  vient  de^^nous  déposer  dans  la  Nouvelle-€alé- 
^Mie ,  sans  profiter  de  cette  occasion  pour  vous  témoi- 
^er  ma  vive  reconnaissance.  Moins  heureux  que  le  Vicaire 
^ipostolique  de  TOcéanie  centrale,  je  ne  puis  pas  encore 
vous  parler  de  ce  que  j'ai  fait  ;  je  m'en  dédommagerai 
tiéanmoins  en  vous  entretenant  de  mes  espérances. 

«  Avant  d'appeler  votre  attention  sur  la  Nouvelle-Ca- 
^donîe,  je  dois  quelques  mots  de  reconnaissance  aux  ma- 
telots, officiers  et  commandants  de  rt/ironte,  du  Phaè'ton, 
rit  du  Bucéphahf  dont  les  bontés  envers  nous  ont  été  sans 
wombre. 

«  Je  consacrerai  aussi  quelques  lignes  à  Wallis  ;  car 
ïjooiqueMgr  Bataillon  l'ait  fait  lui-même,  il  pourrait  bien 
:»veir  supprimé  plusieurs  circonstances  propres  à  édifier. 

«  Les  commencements  de  cette  Mission  avaient  été  pé- 
nibles ;  la  goélette  qui  avait  débarqué  notre  confrère  et  son 
c!;>téchiste  était  encore  sur  la  rade ,  que  déjà  la  presque 
Malité  de  leurs  effets  était  pillée  ;  pour  s'emparer  du 
'Mte,  défense  avait  été  £ûte  de  leur  fournir  des  vivres;  et 

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49 

sans  une  ûUe  du  roi  qai  leor  portait  en  cachette  quelques 
aliments,  ils  n^avaient  que  la  mort,  une  mort  prochaine  i 
attendre. 

«  Xétais  trop  ému  au  moment  du  sacre ,  pour  vous 
rendre  compte  de  ce  qui  s'est  passé  pendant  la  cérémonie; 
On  y  était  accouru  de  toutes  les  parties  de  Tile;  chaque 
naturel  avait  demandé  à  Dieu  les  grftces  les  plus  abon* 
dantes  pour  ce  Pasteur  tendrement  aimé  ;  s<nr  et  matiii 
l'église  de  saint  Joseph  était  pleine ,  et  à  la  tenue  des  ha* 
bicims  on  voyait  assez  quUls  priaient  de  tout  leur  cœur; 
«  Un  officier  du  Encéphale ,  appartenant  à  la  religion 
protestante^  m^avait  demandé  la  permission  d'esquisser  la 
scène  imposante  dont  il  allait  être  témoin ,  ce  que  je  loi 
avais  accordé  avec  d'autant  plus  de  plaisir^  que  je  lui  étais 
très-redevable  pour  les  bons  procédés  et  les  services  qu'il 
t'avait  cessé  de  nous  rendre  en  toute  occasion;  mais  ravi 
du  recueillement  de  ces  bons  sauvages ,  les  crayons  lui 
étaient  tombés  des  mains;  un  cantique  par  lequel  ils 
avaient  terminé  la  cérémonie,  l'avait  éleetrisé. 

«  J'ignore  quels  vont  être  mes  épreuves  et  mes  bo* 
soins ,  ne  connaksant  pas  encore  assez  la  terre  que  j'ai 
à  défricher.  Si  je  prévois  pour  les  commencements 
beaucoup  de  danses  à  faire ,  tout  me  porte  à  concevoir 
de  grandes  espérances  :  les  habitants  sont,  il  est  vrar, 
ignorants,  pauvres  et  très-paresseux;  mais  ils  me  pa^ 
raissent  bons. 

«  C'est  le  31  décemln^  que  je  me  prosternai  sur  celle 
terre  tant  désirée^  et  cpie  j'invoquai  sut  elle  les  grâces  d'en 
haut.  Le  jour  de  Koël ,  je  célâ)rai  le  saint  sacrifice  sur 
remplacement  de  ma  case  :  le  temple  était  beau ,  il  avaU 
pour  voûte  le  firmament;  Tairtel  ne Tessemblait  pas  mork 
par  sa  pauvreté  à  la  crèche  de  Bethléem,  et  les  bons  nc>- 
tnrtls  qui  l'envû-onnaient  dans  le  plus  profond  silence,  m» 
rappetaient  assez  les  bergers  accewusaoprès  de  l'Enfant'^ 
TOM.  xviî.  98.  4  . 

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66 

Dieu,  après  avûii*  eoieiidu  les  Ângea  enioimer  ces  bellas 
paroIeB  :  Gloire  d  Dieu  au  plut  haut  des  cieux^  et  paix 
sur  la  tare  aux  hommes  de  bonm  volonté.  Elles  E^adras- 
saient  aussi  en  ce  moment  à  mes  sauvages  ;  du  moins 
le  demaudais-je  de  tout  nu)n  cœur  au  divin  Eniant. 

«  Je  vous  ai  peu  entretenus  des  ressources  matérielles 
de  nie  :  ses  montagnes,  très-élevées^  sont  tout  à  fait  arides; 
il  n'en  est  pas  de  même  de  ses  nombreuses  vallées,  qui  pa- 
raissent d'une  fertilité  surprenante*  De  belles  cascades  ali- 
mentent des  ruisseaux  et  même  des  rivières,  qui  coupent 
rUe  dans  tous  les  sens.  Dernièretnea  i  en  allant  visiter  le  roi, 
j'en  ai  trav^sé  une  d'une  largeur  assez  considérable;  mi 
poun^ait  sans  eiagération  la  comparer  à  la  Seine  :  elle 
parcotti't  une  longue  plaine  assez  bien  cultivée  sur  quelques 
points.  Le  bananier,  le  taro  et  un  fruit  violet,  ressemblant 
assez  pour  la  forme  et  la  grosseur  à  la  pomme  de  terre,  font 
toute  la  richesse  des  habitants^  Leurs  cases,  qu'on  pren- 
drait pour  de  grandes  ruches  à  mid ,  n'ont  pour  toute 
ouverture  qa'uiie  petite  porte  étroite  et  basse ,  en  sorte 
que  poiu*  y  être  àl'aise  il  ne  faut  pas  avoir besoia  debeau- 
coup  d'air  pour  respirer ,  et  surtout  ne  pas  craindre  la 
fumée. 

«  J'ai  des  graines  de  cotonnier  et  d^ua  grand  nombre 
de  légumes  d'Em^ope;  j'espère  également  avoir  sauvé 
quelques  pieds  de  vigae  :  je  vais  donc  tenter  fortune, 
avec  une  cei*taine  probabilité  de  réussir ,  le  doMit  parais- 
sant asses  tempéré.  Cemme  les  pitnragcs  sont,  abon- 
dants ,  je  compie  eiqployer  l'aunitee  que  vous  avms  eu  k 
bonté  de  m'aHooer,  à  fiiire  venir,  dans  cinq  ou  six  mois, 
des  bestiaux  qui  potnront  offlrir  aux Missioiuiaîras  d'abord, 
et  ensuite  auk  «aturels  ^  linéique  resaourûe  pour  l'avettir. 
Je  pense,  Messieun,  anttisr  dans  vos  vnesM  agiiSttntde  b 
snrte;  car,  aprèsav^ir  fiiitdis  chréti^M^  il  fiuukaprésérvnr 
«es  itis«laîiw4e  r^isiveiét  tourne  de  tant  de  vices(  et  linotti 

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61 

ne  pouvons  les  eogageràun  travail  pénible,  pcnt-lue 
pourrousr-nous  en  faire  des  pasteurs. 

«  Loi*&que  je  parlerai  un  peu  la  langue  du  pays  ,  je  vi- 
siieraî  Fînt&'ieur  de  l'Ile,  accompagné  du  bon  Père  Viard , 
aa  déYouement  duquel  je  ne  saurais  trop  rendre  témoi- 
gnage ,  afin  de  connaître  les  différentes  localités  où  la  pré- 
sence d*un  préti*e  serait  nécessaire,  et  savoir  positive- 
ment s'il  y  a  ici  des  protestants  et  des  ministres,  ce  dont  je 
doute,  par  la  raison  que,  s'ils  avaient  voulu  occuper 
quelque  points  ils  se  seraient  fixés  au  port  Balade  ou  ditt^ 
kl  irallée  du  roi.  Inutile ,  Messieurs  ,  de  recominaudîT  à 
voire  pieux  souvenir  la  Nouvelle-Calédonie;  vous  m'aiderez 
surtout  à  remercier  la  divine  Providence  pour  tant  dé  soins 
partiariîers  qu'elle  nous  prodigue,  et  ajouterez  ain>i  h  tm 
dette  de  reconnaissance  qui  ne  saurait  être  plus  vive  !  Je 
■'aurai ,  pour  reconnaître  ce  que  .vous  et  les  membres  de 
ii  Propagation  de  la  Foi  faites  en  faveur  de  ma  Mission, 
qœdesvoeux  et  des  prières;  mais  Dieu  les  exaucera,  parce* 
qu'ib  parient  du  coeur.   Ces  sentiments  que  j'ose  vous 
exprimer,  vous  les  agréerez ,  Messieurs ,  ainsi  que  rboifi- 
nage  du  |m>fond  respect  avec  lequel  j'ai  Tbonneur  d'être» 

«  Votre  très-humble  et  obéissant  serviteur , 

«  t  G.  DoiTAftRE ,  Bvêque  tAnMé.  tt 


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63 


ExUraii  ^une  lettre  du  même  Prélat  à  M^te  C.  Monatpn. 


PortBaWe,  12  jâtiTifr  18S4. 


«  Mademoiselle, 

«  Je  ne  vous  parlerai  ni  de  Tonga  qui  promet  beau- 
coup ,  ni  de  Wallis  dont  la  Mission ,  sous  la  rapport  spi- 
rituel,  est  très-florissante  ,  pas  même  de  Futuna  ,  que 
le  sang  du  Père  Chanel  a  fertilisé;  il  faut  que  j'arrive  de 
suite  à  ma  Nouvelle-Calédonie  ;  c'est  là  le  lieu  de  mon 
repos,  du  moins  celui  de  mon  séjour;  j*y  habiterai ,  non 
pas  paroe'que  je  l'ai  choisi ,  mais  parce  que  le  Seigneur 
me  Ta  destiné* 

«  Avant  d'aborder  cette  terre  si  désirée ,  il  y  avait  en 
moi  un  peu  d'agitation  intérieure.  Comment  serons-nous 
reçus?  me  demandais- je.  Les  protestants  ne  nous  auront- 
ils  pas  devancés?  J'ajoutais  cependant  que  Dieu  devait 
avoir  préparé  la  voie,  que  c'était  son  œuvre,  qu'il  n'arri- 
verait que  ce  qu'il  voudrait  bien  ^  et  le  cœur  se  calmait. 
Nous  avons  été  agréablement  surpris  :  pas  un  protestant , 
paç  même  un  Européen  ,  ce  qui  est  irès-étonnant ,  car 
vous  ne  pouvez  aborder  dans  une  tte  sans  en  rencontrer. 

«  Le  jour  de  la  fête  de  saint  Thomas  je  me  prosternai 
sur  celte  terre  infidèle,  sur  laquelle  j'aurais  voulu  attirer 
toutes  les  bénédictions  du  ciel.  Le  Seigneur  m'entendait 
bien  certainement ,  et  Marie  jetait  sur  moi  un  regard  de 


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S3 
Mère.  UAnge  du  Seigneur  nous  avait  précédés;  les  cœurs 
ccaient  déjà  à  nous.  Un  chef  est  devenu  malade  par  la 
crainte  seule  de  me  perdre);  il  a  de  la  peine  à  mo  voir 
aller  visiter  d'autres  chefs.  Le  jour  de  Noël  j'ai  célébré  le 
saint  [sacrifice  sur  remplacement  de  ma  case.  Ponvais*je 
dioisir  un  plus  beau  jour  1 

«  Il  y  a  quelques  jours ,  nous  sommes  remontés ,  le 
Père  Viard  et  moi ,  à  une  douzaine  de  lieues  dans]  Tinté  - 
rieur  ;  nous  avons  fait  une  partie  du  chemin  pendant  la 
nuit ,  accompagnés  de  sauvages  que  nous  ne  connaissions 
pas;  et  mon  cœur  était  aussi  tranquille  qu'au  milieu  des 
mes  de  votre  pieuse  cité.  D'un  village  à  l'autre  c'était  à 
qui  ferait  des  tordies  pour  nous  éclairer,  et  tout  cela  sans 
que  nous  le  denumdassions.  A  mon  retour  du  hameau  de 
Boodet,  résidence  d'un  grand  chef  qui  ne  savait  comment 
eiprimer  sa  joie  de  nous  voir ,  et  avec  lequel  j'avais  laissé 
oxm  ccmfirère ,  pour  aller  rejoindre  seul  la  station ,  je  fus 
obligé  de  traverser  une  rivière  de  la  largeur  de  kt  Seine. 
Comment  bîre  I  Me  sachant  pas  nager,  je  dépose  mes  effets 
que  je  confie  à  un  naturel,  et  me  voilà  dans  cinq  ou  six 
pieds  d^eau  ,  entre  deux  bons  sauvages  qui  nagent  d'iuie 
main,  et  de  Tautre  me  soutiennent  jusqu'à  ce  que  nous 
sojnoDS  arrivés  à  l'autre  bord.  Je  suis  <d>ligé  de  m'en  tenir 
là  pour  cette  fois  ;  dans  six  mois  je  vous  écrirai  très-Ion^ 
foedient. 

«  t  G.  DouARRE,  BvêqUe  âjtmala*  » 


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64 


MISSIONS  DE  LA  NOUTELLE-ZËLMIDB 
ET  DE  FUTUNA. 


SwbraU  d'une  lettre  du  Pire  ServwU,  iUHiommre  opo^ 
eioUque  de  la  Société  de  Marie,  d  M*  Meumed,  curé 
de  Saint-fféant  (Loir«). 


Fnliiiia.  lefOaoût  1S4?.. 


«  MONSVim  BT  DtORE  Ccfii  y 

•  J'ai  quitio  la  Nouvelle-Zélande  ponr  un  petit  coin  de 
<erre ,  picsquc  imperceptible  dans  l'Océan ,  et  à  peu  près 
foronnu  des  géographes  ;  mais  je  n'ai  pas  tout  à  fait  perdu 
fe  souvenir  de  ma  première  Mission ,  à  laquelle  Futuna 
ressemble  sous  plusieurs  rapports.  Ici  comme  à  la  Baie 
des  lies ,  je  retrouve  cette  étemelle  fougère  qui  exerce  tant 
de  fois  la  patience  du  voyageur  ;  je  gravis  encore  les  col- 
Unes  par  des  chemins  escarpés ,  heurtant  à  chaque  pas 
4'ootrc  les  racines  des  mêmes  arbres  ;  c'est  aussi  une  terre 
%olcanique  avec  ses  ruisseaux  d'eau  chaude ,  avec  ses  cra- 
tères qui  fument  encore  dans  les  temps  de  pluie,  et  «es 


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\  éè  tmm  aox  seooiisses  phM  tûdeoies  (ftCà 
h  llowr6llc^2éfanMl6« 

«  Dam  les  néc^hytes  qui  m^entourent^  Je  retrouve 
mes  Nouveaux-Zélandais,  vifs,  travaillant  par  boutade, 
bcilet  i  la  colère  et  prompts  à  la  v^geance ,  mais  très- 

Bibles  à  Tamitié. 


«  Que  TOUS  dirais-je  de  la  population  de  Fotuna  P  Dia- 
prés les  rapports  de  quelques  vieillards  qui  an  ont  été  lé- 
moinSy  la  grande  tie  était  autrelbis  habiCëe  dans  toutes  ses 
vallées  et  contenait  plusieurs  milliers  de  kanaoks  ;  mais  le 
fléande  la  guerre  a  presque  tout  moissonné,  et  c'està  peine 
s'il  en  reste  neuf  cents.  Une  mortalité  plus  6fH»jante  encore 
a  fi'ap|)é  la  petite  Ke,  dont  tes  nature  jadis  au  nombre 
de  qiûnae  cents,  soat  aujourd'hui  réduits  à  cinquante.  De 
plus,  le  prédécesseur  du  roi ,  aaassiQ  du  révérend  Père 
Cbaael,  était  un  monstre  qui  a  tué  et  mangé  plus  d'uoi 
minier  d'bommes(l)»  Les  mères  elIes4néoies  ne  se  faisaient 
pas  scrupule  d'âter  la  vie  à  leurs  enfants*. •  Maintenant  la 
population  augmente  de  jour  en  jour;  depuis  que  les  in- 
digènes ont  embrassé  la  foi  catholique,  on  voit  partout  s'e- 
lever,  sous  ses  auspices,  une  jeime  génération  dont  les  pro- 
^h  finiront  par  combler  le  vide  des  familles. 

«  Ud  OMt  sur  la  maniera  dml  les  Futuniens  font  la 
gierre.  An  momeai  d'engager  Taclkuit  ils  se  peignent  eii 
'CttnrauBS,  se  jpevélent  d'une  belle  cein(ui*e,  lient 
\  elMvasx  an  lOOMaei  de  la  léie^  (ont  rouler  des  yeux 


;t)  Ob  •  cmnp^  a*  i<Mt  i|f  aturat  cadaf res  sar  la  table  de  m  pnnut  ; 
^cvre  trooTÛl^  ^m  «'^(«il  tropfM  fflur  W  4tiie»d'«a  roi. 

{  Extrait  d'^tu  leHr^  du  /».  Chetron.  J 

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^•eelanu  dans  leur  orbite,  el  s'éhuiceftl  an  ooabftt»  Ims 
«n  désordre,  poussant  des  hurlement&  affineox  ei  fiiisint 
<les  contorsions  horribles.  Leurs  armes  sont  des  massues 
^l  de  longues  lances  dentelées  qu'ils  manient  avec  adresse. 
La  femme  accompagne  son  mari  sur  le  champ  de  bataille, 
portant  avec  elle  de  Thuile  et  des  lapes  pour  Tensevellr  en 
cas  qu'il  succombe.  Lorsqu'un  parti  est  vaincu,  il  se  réfu- 
gîe  sur  le  haut  des  montagnes  oti  les  naturels  ont  des 
forts.  Mais  les  vieillards,  pour  qui  la  fuite  serait  un  dés- 
lionneur,  restent  paisiblement  dans  l^rs  habitations, 
attendant  une  mort  certaine;  et  quand  le  parti  vainquenr 
a  tout  pillé,  tout  ravagé  et  tout  tué,  il  va  présenter  aux 
vaincus  des  propositions  de  paix. 

o..^  Futuna  abonde  en  reptiles.  A  la  grande  tle,  iln'est 
çavU  que  de  petits  serpents  aux  conlenrs  brillantes  et  va- 
riées ;  mais  à  la  petite  Ile  il  en  est  de  toute  dimension 
^  de  toutes  nuances;  le  plus  gros  est  presque  ^là  un 
corps  humain ,  et  d'une  longueur  proportionnée  à  sa 
«grosseur. 

«  n  est  certain  que  ces  serpents  sont  venimeux ,  puis- 
>que  plusieurs  naturels  atteints  de  leur  morsure  ont  été 
malades  ;  cependant  on  n'a  pas  entendu  dire  que  quelqu'un 
•d'eux  en  soit  mort. 

«  Id  sortout  le  aerpeot  a  miUe  msee  po«r  saisir  sa 
qfvroie  ;  souvent  il  grimpe  sur  le  haut  des  aiiireiqn'il  en* 
lace  de  plusieurs  contours,  et  présente  k  travers  le  feoiU 
lage  une  partie  de  soi  corps  qnt  ressemble  à  une  em  Itm- 
pide  ;  l'oiseau,  surtout  le  pigeon ,  trompé  par  cette  appa- 
rence, va  pour  s'y  désaltérer ,  mais  il  j  trouve  la  mort. 
D'autres  fois,  caché  dans  l'épaisseur  des  rameaux,  il 
itoame  sa  tête  de  oAté  et  d'antre  pour  épier  sxproie,  et 
^'élance  sur  elle  avec  impétoeaité  pour  la  saisir. 

*%  Mais  la  Providence  a  donné  aux  oiseaux  un  merveil- 


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67 
fcui  iDslinct  pour  s*averiir  muluellemenl  du  danger. 
Pïirait-il  un  petit  serpent,  ils  se  réunissent  plusiews 
dans  Tendroit  où  se  cache  leur  ennemi  commun ,  et  (bat 
entendre  simultanément  le  cri  d'alarme.  Quand  le  serpent 
est  gros,  il  n'y  a  qu'un  seul  oiseau  qui  annonce  sa  pré- 
sence. 

«  Je  ne  vous  ai  rien  dit  encore  de  la  température  de 
Futuna.  Qaoique  nous  soyons  dans  un  pays  tropical,  nous 
i^avons  pas  beaucoup  à  souffrir  de  la  chaleur  ;  souvent 
les  brises  de  mer  nous  rafraîchissent,  et  nous  avons  une 
foule  d'arbres  pour  nous  ombrager. 

«  En  finissant ,  je  vous  prie  de  recommander  à  Dieu  k 
peuple  dont  le  soin  m'est  confié.  Il  nous  donne  beaucoiq» 
de  consolation  par  les  heureuses  disposiiions  qu'il  apporte 
aa  baptême.  N'oubliez  pas  non  plus  celui  qni  se  dit  um 
^rôtre,  dans  les  saints  cœurs  de  Jésus  et  de  Marie. 

«  Sbkvant,  Miss,  apott.  • 


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Extrait  tune  leUrt  du  P.  Reignier,  Missionnaire  de  ta 
Sod^é  de  Marie ,  d  ses  parents. 


Hm^nik^'déwét ,  SOnan  1813. 


«  Mon  cber  PinB  et  xa  cnàR^  MiaB , 

«  Depuis  longtemps  j'attends  en  vain  quelquossîgnes 
de  vie  de  votre  pari;  je  n*aî  point  eu  le  bonheur  de  rece- 
voir de  vos  nouvelles.  Dieu  soit  béni  de  tout ,  je  ne  vous 
en  porte  pas  moins  dans  mon  cœur,  et  prie  toujours  le 
Père  de  la  grande  famille  qu'il  nous  réunisse  un  jour 
dans  son  sein. 

«  Grâces  à  la  miséricorde  divine ,  mon  séjour  ici  n'a 
pas  été  inutile  ;  déjà  un  certain  nombre  dMmes  sont  allées 
au  ciel,  qui,  sans  le  secours  de  mon  ministère,  n'auraient 
pas  maintenant  le  bonheur  de  voir  Dieu  pour  toute  Téter- 
nité. 

«  Mes  premières  courses  apostoliques  se  sont  faites  en 
compagnie  et  sous  la  direction  du  Père  Comte.  Pendant 
que  nous  travaillions  de  concert  au  bien  de* la  Mission, 
nous  eûmes  la  douleur  d'apprendre  qu'une  bande  de  sau- 
vages venaient  de  dresser  des  embûches  h  une  tribu  rivale, 
et  que  plusieurs  naturels  avaient  été  massacrés.  Les  cada- 
vres des  vaincus,  mis  en  lambeaux,  furent  dévorés  par 
les  vainqueurs.  Cette  horrible  scène,  dont  les  kanacks  pro- 


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&9 
i€s|uite  6M)îca(  les  auteurs,  a  jeié  uo  gt-and  discrédit  sur 
b  KQde,  qu'elle •  couverte  de  confusion,  et  par  suite, 
les  iusulaures  ont  embrassé  la  foi  catholique  en  grand 
oointNre. 

«  Mes  cbers  parents ,  animés  peur  moi  d'une  exeessive 
teadr^sse»  vous  vous  troublez  peui*étre  dans  ia  cruinle 
qm  J6  ne  devienne  aussi  la  proie  de  quelques  cannibales  : 
cessez,  je  vous  en  prie,  de  vous  alarmer  à  mon  sujet  ;  les 
peuples  au  milieu  desquds  je  vis,  avaient,  il  est  vrai,  b 
coutume  affreuse  de  dévorer  les  chairs  fumantes  de  leurs 
enn^nis  vaincus;  mais,  grâces  aux  bienfaits  de  la  Reli- 
gion, ces  scènes  dTiorreur  sont  devenues  extrêmement 
rares;  je  suis  ici  aussi  en  sûreté  qu*en  France;  les  natu* 
rds  craignent  les  Européens,  et  respectent  les  Mission- 
aaîrcs. 

«  Tai  entrepris  récemment  un  voyage  ù  une  cinquan- 
taise  de  lieues  dans  Finiérieur  de  TUe,  et  j'ai  eu  le  bon- 
heur de  faire  retentir  les  saints  noms  de  Jésus  et  de  Marie 
parmi  des  populations  perdues  au  milieu  des  bois,  là  ou 
jiwiii  prôtre  n'avsât  encore  pénétré.  Avec  quel  étonne- 
vent  ces  pauvres  sauvages  nous  voyaient  !  avec  quelle  joie 
beawx>up  d'entre  eus  nous  recevaient  dans  leurs  cabanes  I 
Diea,  dam  sa  miaérleorde,  m'accorda  la  grâce  immense , 
peur  l»  eoMir  d'un  Missionnaire ,  de  donner  à  Jésus-Qyist 
denettveasai  4jseiplBSy  en  conférant  le  saint  baptême  à  un 
jinuMl  loaibre  dWanis  ;  plusieurs  de  ces  petits  anges  sont 
sllés  peu  après  au  ciel ,  et  j'ai  la  consolation  d'avM*  en 
euK  autant  de  saints  et  puissants  protecteurs. 

«  Onns  ma  Wsmu  nouvelle ,  la  pays  présente  des  phé- 
aemènes  estrâroepeni  cviaux  :  on  trouve  au  fond  des 
vaUém  ûonune  sur  les  momgftea  une  multitude  desomw 
fm  tièdea^u  bnuittuitâs,  4m  ruisseaux  d'eanx  chnurles 
H  souMes,  des'  abîmes  brAlanm*  4'ai  vu  futre  autres 


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60 

irae  vaste  fontaine,  dont  les  Jets  bouillonnants  s'élançaient 
jusqu'à  six  ou  sept  pîeds  en  Taîr,  au  mflieu'd^une  épaisse 
fumée  blanche.  Nos  insulaires  les  appellent  les  soupifùux 
4e  Vempire  de  Satan. 

«  Ces  sources  ont,  du  reste,  leur  utilité;  outre  qu'elles 
oflrcnt  des  bains  très-salutaires,  elles  servent  encore  au\ 
naturels  de  fourneaux  pour  cuire  leurs  aliments  ;  chacun 
y  porte  ses  pommes  de  terre ,  ses  légumes  ou  ses  poissons, 
et  fait  une  cuisine  aussi  prompte  qu'économique. 

«  Plusieurs  montagnes  présentent  le  spectacle  le  plus 
imposant.  L'une  d'elles,  extrêmement  élevée ,  a  ses  flancs 
couverts  de  neige,  tandis  qu'une  grande  source  d'eaux 
chaudes  jaillit  au  sommet.  Combien  de  fois  j'ai  contemplé 
avec  admiration  le  penchant  d'une  autre  colline  dont  l'as- 
pect est  autrement  grandiose  que  les  palais  de  vos  plus 
rrches  cités  !  A  la  cime  s'épanche  un  bassin  d'^ax  ther- 
males, dont  les  nappes  azurées  se  déroulant  en  cascades^ 
successives ,  sur  ime  échelle  de  gradins  d'une  centaine  de 
pieds,  bondissent  sur  des  aiguilles  de  granit ,  qu'elles  en- 
veloppent comme^e  gracieuses  toureHesd'un  nuage  trans- 
parent ,  et  glissent  jusqu'à  vous  sur  un  lit  marbré  de 
bleu ,  de  rouge  et  ^de  mille  autres  fraîches  couleurs. 
L'eau  qui  baigne  les  d^és  de  «e  curieux  amphithéitrè , 
permet  cependant  de  ks  franchir  et  d'arriver  jusqu'au 
9(Mnmet.  Alors ,  je  le  répète ,  le  coup  d'œil ,  dans  9on  en* 
semble,  est  plus  magniOqne  que  oelui  de  vos  momaiDenis 
tes  phis  admirés. 

«  Tout  récemment,  au  retour  d'une  de  mes  courses, 
j'nlfai  me  reposer  quelques  joofs  diez  on  de  mes  confirères 
voisins;  là  j'eus  la  consolation  de  domer  la  saints  com- 
munion à  vittgt-deox  naturels.  Ronr  la  première  fbb  ils  re- 
cevaient le  Dieu  de  tonte  charité^  qui  daignait  purifier  des 
lèvres  qui  s'étaientautrefois  sonillées  en  dévorant  la  chair 


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61 

de  lairs  semblables  1  Que  la  grâce  de  mon  Dieu  est  puis- 
sante ,  pour  transformer  ainsi  les  hommes  les  plus  Téroces 
eo  dons  agneaux  I 

«  n  faat,  mes  trës-chers  parents,  que  j'abrège  ces  dé- 
tails; je  suis  appelé  par  des  malades.  En  une  journée^ 
marchant  le  long  des  bords  de  la  mer,  sur  le  sable ,  j'ar- 
rÎTerai  jusqu'à  eux. 

«  Votre  fils  qui  vous  aime  ardemment  et  prie  Dîe« 
pour  TOUS  de  tout  son  cœur, 

«  Reignier^  Miss,  apost.  » 


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I« 


/ 
Extrait  d'une  UUre  du  Père  L.  Rozet  »  Missionnaire  apo- 
italique  de  la  Société  de  Marie ,  à  M.  Chirai ,  euré  de 
tteuville-surSaône* 


l^'atigaroa ,  Mission  de  l'Epipliatie    8  aoTcnibre  1943. 


«    MOi^SIEUA  LE  Cu&i, 

«  Le  Maori  est  un  peuple  jovial  et  bon.  Nauirellemeai 
doux  et  hospitalier,  il  a  beaucoup  perdu  de  ses  vertus  prî« 
mitives  au  contact  des  Européens,  dont  Texemplea  fini  par 
le  rendre  égoïste.  Une  fois  qu'il  vous  a  donné  sa  confiance,  il 
est  assez  docile.  Un  fait  récent  va  vous  en  fournir  la  preuve. 

«  C'était  auurefois  Tusage  parmi  les  chefs  d'enlever  la 
leune  fille  qu'ils  désiraient  pour  épouse.  La  tribu  où  je  réside, 
oubliant  combien  ces  moyens  sauvages  sont  réprouvés  par 
b  décence  chrétienne,  était  allée,  sans  me  prévenir,  se 
mettre  en  embuscade  pendant  la  nuit,  sur  le  passage 
d'une  jeune  insulaire,  et  l'avait  portée  en  triomphe  à  celui 
dont  elle  avait  fixé  le  choix.  Aussitôt  que  je  l'appris ,  je 
montrai  la  plus  grande  indignation  ;  j'exclus  tous  les  cou- 
pables de  la  prière  publique  et  de  Fentrée  de  la  cJiapelte, 
«t  leur  dis  que  je  ne  les  voulais  plus  pour  mes  enfimts.  Ils 
m'ont  envoyé  quatre  ambassades  pour  me  fléchir;  ils  m'ont 
écrit  pour  me  demander  pardon;  raab  fai  feint  d'être 
isexorable.  «  Je  vous  abandonne,  leur  ai-je  bit  répondre  : 
•  retournez  &  vos  anciens  usages,  si  vous  veniez  ;  faîtes* 

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«3 
«  vous  proientanls^  si  toos  Taiinez  nietix  ;  pour  moi,  j'é* 
«  criraî  à  FEvéquc ,  et  j'ailendrai  sa  décision  ;  mais  voos 
«  êtes  exclus  de  la  prière.  » 

«  La  tribu  s'est  moutrée  inconsolable;  le  gramd  chef  ;i 
pleuré  deux  nuits  ;  son  Ois  aine  ne  voulait  plus  ni  boire , 
01  manger,  ni  parier  à  personne.  Voyant  que  j'avais  réussi 
à  leur  inspirer  une  douleur  salutaire,  propre  à  prévenh* 
le  retour  d'un  semblable  soindale,  et  craignant  d'ailleurs  de 
trop  lesabatue,  je  fis  appela*  le  fils  aine  du  roi,  qui  étaii  le 
buor  époux  ;  je  lui  énumérai  toutes  les  marques  d'aflfectîoB 
que  j'avais  données  à  ses  compatriotes,  et  je  me  plaignis 
que  pour  récompense  de  cet  amour,  ils  eussent  aitaché 
ane  note  d'infamie  à  ma  Religion^  en  suivant  des  usages 
mauvais.  Après  beaucoup  de  larmes^  «  Eh  bien  I  me  dit-il, 
«  que  (aiU-il  donc  faire?  Je  suis  repentant;  c'était  notre 
«  ancienne  manière  de  nous  marier,  et  je  ne  pensais  pas 
«  Cadre  en  m'y  conformant  un  si  grand  mal.  »  Je  lui  dis 
qu'avant  tout  j'exigeais  qu'il  allât  rendre  la  fille  enlevée. 
«  J'irai  deoiain ,  me  répondit-il,  car  il  est  nuit  à  présent, 
«  et  je  ne  poun*ais  pas  arriver  ;  mais  au  moins  permetsr 
«  nous  de  prier  avec  toi*  » 

«  Voyanttantdesoumissionetdedéréi*ence,je  consentis 
à  ce  qu'ils  fissent  la  pi*ière  en  commun  dans  leur  maison; 
cela  les  consola  un  peo,  mais  ils  me  questionnaient  tous  les 
jours  pour  savoir  si  Monseigneur  leur  permettrait  de 
revenir  dans  notre  chapelle,  et,  sur  ma  réponse  que  je 
n'en  savais  rien ,  ils  reprenaient  tristement  :  «  Tu  es  dur 
«  pour  nous ,  toi  qui  nous  connais  ;  l'Evéqua  qui  vit  loin 
m  de  nous  le  sera  peut-être  autant  que  toi  ;  eh  bien  1  s'il 
«  ne  veut  pas  nous  recevoir,  notis  ne  suivrons  pas  nos  an- 
«  ciens  usages ,  puisqu'ils  sont  mauvais  ;  nous  n'irons  pas 
•  aux  protestants,  parce  que  leur  Eglise  est  fausse;  nous 
«  ferons  la  bonne  prière ,  ta  prière,  dans  notre  maison^ 
«  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  un  autre  Evéque  qui  veuiUi 


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64 

•  bien  nous  pardonner;  et  nous  voolons  tâcheri  par  notre 

•  oondtt&ie,  en  attendant  que  nous  soyons  reçus,  de  rc- 
«  gagner  ton  affection.  Cependant,  si  nous  venions  à  mou- 
«  rîr  pendant  ce  temps-là ,  nous  pensons  que  tu  retrou- 
«  verab  encore  pour  nous  ton  ancien  cœur  de  père ,  et 
«  qu'après  avoir  béni  notre  tombe,  tu  y  laisserais  tomber 
«  une  larme  et  quelques  prières.  » 

«  Il  a  fallu  me  faire  violence  pour  ne  pas  pleurer  de 
joie  à  de  si  beaux  sentiments.  Cependant  pour  rester  fi- 
dèle à  ma  parole,  je  n'ai  pas  voulu  les  admettre  à  la  prière 
publique  de  ma  propre  autorité,  leur  ayant  dit  que  je 
laissais  tout  à  la  disposition  de  TEvéque  ;  mais  je  leur  ai 
promis  de  partir  pour  Kororareka,  et  d'intercéder  en  leur 
hveur. 

«  A  cette  admirable  docilité ,  nos  jeunes  gens  joignent 
no  vif  désir  de  s'instruire.  Un  jour  que  je  leur  racontais 
quelques  traits  de  l'histoire  sainte ,  et  que  je  leur  parlais 
du  paradis  ten'estre,  deux  Maoris  se  lèvent  aussitôt  :  •  Al- 
^  tends  un  peu,»  me  disent-ils;  et  les  voilà  sortis  ;  une  ou 
deux  secondes  après,  ils  rentrent  avec  des  charbons  de  bois 
à  la  main.  Je  continue  ma  narration,  et  mes  sténographes 
s'efforcent  d'écrire  sur  leurs  jambes  ce  que  je  leur  disais. 
Après  avoir  rempli  ce  livre  d'une  espèce  si  nouvelle,  après 
avoir  crayonné ,  noirci  le  vélin  sur  toutes  ses  faces ,  ils  me 
prièrent  de  suspendre  mon  récit  pour  ce  jour-là ,  et  ils  se 
retirèrent  dans  leur  maison  pour  tirer  copie,  sur  du  pa^ 
pier,  de  ce  qui  était  écrit  sur  leur  peau... 

«  Louis  RozET,  Miss,  apost.  » 


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66 


MISSIONS  DE  UARABIE. 


Lettre  du  révérend  Père  Joguel,  religieux  espagnol  dm 
Servîtes  de  Marie  et  vice-préfet  apostolique  de  VJràbie^ 
à  M.  le  Présidera  du  Conseil  central  de  Lyon. 

(Traduction  de  l'italien.) 


Aden ,  le  9  juin  18U. 


«  MONSIEUH  LE  PRÉSIDErtT, 

«  Bien  que  la  moisson  recueillie  jusqu'ici  dans  cette 
Mission  abandonnée  ne  soit  pas  très-abondante,  cepen- 
dant je  crois  devoir  vous  donner  un  aperçu  de  son  éiat 
présent  avec  quelques  détails  sur  rétablissement  primitif 
du  christianisme  dans  ces  contrées.  Puisse  cette  fidèle 
peinture  d'un  passé  qui  ne  fut  pas  sans  gloire  pour 
l'Evangile ,  vous  intéresser  aux  malheurs  actuels  de  ee 
pauvre  peuple,  et  le  recommander  de  plus  en  pins  à  la 
charité  de  votre  pieuse  et  à  jamais  bénie  Association! 
TOM.  xvn.  98.  ô* 

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66 

•  Trois  religions  différenies  se  partageaient  TArabie 
«vant  Fère  chrétienne.  La  plus  répandue  était  comme  par- 
«mt  ndolàtrie;  chaque  ville  avait  son  sancloaire,  chaque 
tribu  son  autel  ^  consacrés  à  des  simulacres  dUionuneSi  de 
femmes  ou  d'animaux  divinisés.  Déjà ,  à  cette  époque ,  la 
Mecque  possédait  un  grand  temple  qu'on  pouvait  appeler 
le  Panthéon  de  FArabie,  puisqu'an  rapport  des  écrivains 
nationaux  il  renfermait  trois  cent  soixante-cinq  idoles. 
Cn  giand  nombre  de  pèlerins  y  accouraient  au  mois  fixé 
pour  ce  dévot  exeicice,  et  pendant  ce  temps  une  espèce 
de  trêve  sacrée  régnait  entre  les  tribus  les  plus  hostiles. 

«  A  ce  culte  grossier  se  joignait  lesabéisme,  dont  les 
sectateurs  faisaient  remonter  leurs  traditions  jusqu'au  ber- 
ceau du  monde,  pi*étendant  que  leur  religion  avait  été 
iVivélée  a  Adam ,  puis  écrite  par  Seth ,  et  propagée  prin- 
cipalement par  Enos;  mais  ceux  qui  l'embrassèrent,  pri- 
rent, dit- on,  leur  nom  de  Saba  ,  autre  fils  de  Seth.  Ils 
adoraient  les  astres,  qu'ils  croyaient  animés  et  établis  par 
Dieu  comme  des  génies  médiateurs  entre  lui  et  les  hommes, 
êlont  ils  se  chai  geaient  de  faire  agréer  les  vœux  et  les 
prières. 

«  Le  judaïsme  avait  aussi  beaucoup  de  partisans  en 
Arabie ,  non-seulement  parce  qu'un  grand  nombre  d'Hé- 
breux s'y  étaient  réfugiés  au  temps  de  la  captivité  de  Ba- 
bylone,  mais  encore  parce  que  l'émigration  même  s'était 
ffeîcratée  d'une  foule  de  prosélytes.  Il  tf est  pas  non  plus 
absolument  improbable  qne  la  reine  de  Saba,  nommée 
par  les  Arabes  Balkis^  ne  se  soit  convertie  à  la  vraie  rdi- 
pûoD  dans  le  voyage  qu'elle  accomplit  à  Jérusalem  ;  et  que, 
plus  lard ,  rentrée  dans  ses  états ,  elle  ne  Tait  propagée 
parmi  ses  sujets. 

«  Tel  était  Pétat  religieux  de  TArabîe  lorsque  vînt  su 
monde  le  Rédempteur  du  genre  humain.  Cette  contrée , 
par  son  rapprochemettt  de  la  Palestine,  ne  put  demeoner 


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67 
longtemps  sans  recevoir  cpielque  rayon  de  la  céleste  (u- 
mière  »  destinée  à  se  répandre  d'un  bout  du  monde  à 
rauire,  et  à  éclairer  tous  les  peuples  assis  à  Vomir e  de  la 
wunri.  Il  parait  hors  de  doute  que  saint  Paul  en  se  retirant 
daos  ces  sc^tudes  après  sa  conversion^  saint  Thomas 
eo  les  traversant,  comme  on  le  pense,  pour  aller  planter 
h  croix  dans  Tlnde,  n'y  aient  porté  TEvangile.  Et,  ce 
^ue  les  historiens  ecclésiastiques  constatent,  les  progrès 
de  la  fûj  y  furent  si  consolants ,  qu'on  put  compter  jusqu'à 
trente-cinq  sièges  épiscopaux  dans  la  seule  Arabie-Heu- 
reuse. Le  christianisme  pénétra  même  dans  le  désert ,  où 
plusieurs  tribus  se  soumirent  à  Jésus-Christ.  Quant  à 
rArabîe-Pétrce,  plus  voisine  de  la  Palestine,  elle  était 
pres<|ue  toute  convertie  à  la  foi.  On  nous  a  conservé  la 
méflioire  de  deux  conciles  provinciaux  qui  s'y  tinrent  au 
troisième  siècle  pour  Textinction  de  diverses  hérésies,  pro- 
pagées ici,  comme  dans  tout  le  reste  de  l'Orient,  avec  une 
déplorable  facilité. 

«  L'Eglise  arabe  eut  aussi  ses  martyrs,  entre  lesquels, 
pour  ne  parler  que  des  plus  illustres ,  on  cite  saint  Aretta 
00  Hareth  et  ses  trois  cent  quarante  compagnons,  quj 
sottflErirent  sous  Dhu-Naan  j  tyran  juif,  comme  s'exprime 
le  martyrologe  romain. 

«  Mais  cette  ardente  charité  devait  bientôt  s'éteindre 
dans  le  schisme  et  l'hérésie.  Alors  la  main  de  Dieu  finit 
par  s'appesantir  sur  ces  malheureux  peuples  :  après  avpir 
inutilement  attendu  leur  retour  à  l'unité,  elle  saisit  lepée 
de  Mahomet  pour  venger  de  longues  mjures;  elle  imposa 
les  dialnes  de  Tesclavage  le  plus  accablant  à  ceux  quijne 
voulaient  pas  se  soumettre  au  joug  si  doux  de  Jésus-Christ. 

«  L'Islamisme,  si  terrible  pour  tant  d'autres  contrées , 
fut  plus  &tal  encore  à  l'Arabie ,  où  depuis  ce  moment  il 
a  srâl  régné  dans  toute  son  intolérance.  S'il  s'est  conservé 
quelques  fidèles ,  ce  n'a  été  qu'en  se  réfugiant  aux  extré- 

5. 


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68 
miles  de  la  péuinsule;  du  moins,  à  présent^  ne  trouve- 
t-on  qu'à  Tor  el  à  Suez,  sur  la  mer  Rouge ,  à  Karak  près 
de  la  mer  Morte,  à  Hanran  et  à  Basra,  quelques  débris 
des  chrétientés  indigènes. 

«  Depuis  peu ,  un  assez  grand  nombre  d'Européens  ca- 
tholiques ,  attirés  par  le  commerce ,  étaient  venus  s'établir 
à  Gedda,  port  de  la  Mecque;  et  c'est  ce  qui  détermina  la 
sacrée  Congrégation  de  la  Propagande  à  m'envoyer  à  ce 
poste  en  1840.  Mais  à  cette  époque  les  événements  poli- 
tiques ayant  forcé  Méhémet-Ali  à  retirer  ses  troupes  de 
l'Arabie,  je  ne  trouvai  plus  en  arrivant  à  Gedda  qu'un  pe- 
tit nombre  de  coreligionnaires;  et  encore,  parmi  eux, 
plusieurs  étaient-ils  silr  le  point  de  partir.  J'informai  aus- 
sitôt la  Propagande  de  Féiat  des  choses,  et  je  reçus  l'ordre 
de  me  transporter  à  Aden ,  où  s'était  formé  un  troupeau 
plus  nombreux  depuis  que  les  Anglais  avaient  occupé 
cette  ville.  J'y  trouvai,  en  effet ,  quatre  cents  catholiques, 
la  plupart  militaires  irlandais;  le  reste  appartenait  aux 
troupes  indigènes  de  l'Inde.  Le  nombre  '^de  ces  derniers 
a  sensiblement  augmenté  depuis. 

«  Ici,  sous  la  domination  anglaise,  le  Missionnaire,  tout 
libre  qu'il  est  dans  l'exercice  de  son  ministère  apostolique, 
est  naturellement  placé  dans  des  conditions  moins  favora- 
bles que  le  ministre  protestant;  et  néanmoins  nos  consola- 
tions ne  nous  laissent  rien  à  envier  aux  siennes.  Tandis  que 
ses  assemblées  religieuses  ne  sont,  pour  ainsi  dire,  qu€ 
des  réunions  nationales,  nous,  en  jetant  les  yeux  sur  notre 
humble  chapelle  de  roseaux ,  nous  y  retrouvons  ce  carac- 
tère de  catholicité  promise  à  la  seule  Eglise  de  Jésus- 
Christ;  nous  y  voyons  confondus,  au  pied  du  même  autel, 
ces  hommes  de  diverses  tribus ,  de  mœurs  opposées ,  de 
langues  et  de  couleurs  différentes ,  auxquels  le  Sauveur 
nous  a  ordonné^  dans  la  personne  des  Apôtres,  d'aller 
prêcher  son  Evangile. 


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69 

«  Le  nombre  des  adultes  baptisés  ici  en  trois  années, 
qumque  pea  considérable,  me  console,  cependant  et  m'en- 
coorage  quand  je  pense  à  la  nullité  absolue  de  Tinfluenca 
cfarétienn,e  dans  ce  pays  durant  tant  de  siècles;  il  y  a  eu 
quinze  personnes  régénérées  par  la  gnke.  Mais,  hélas  1 
qu'est-ce  qu'un  tel  chiffi^e  comparé  aux  seize  mille  habi- 
tants qui  m'entourent,  et  parmi  lesquels  tant  d'dmes  ne 
connaissent  pas  encore  ou  connaissent  mal  Jésus-Cbçist  1 

«  Et  maintenant^  si  je  porte  mes  regards  sur  le  reste 
de  l'Arabie^  quel  affligeant  spectacle  elle  offire  aux  yeux  de 
la  foi  1  J'en  ai  été  témoin  moi-même  dans  un  récent  voyage 
entrepris  après  la  célébration  des  fêtes  de  Pûques  à  Aden. 
Comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  j'avais  laissé  à  Geddaun  cer- 
tain nombre  de  catholiques;  il  me  tardait  de  les  visiter, 
et  ils  se  sont  tous  montrés  heureux  de  me  revoir.  Pendant 
mon  séjour  parmi  eux ,  j'assistai  dans  ses  demiars  mo- 
ments un  voyageur  français,  brisé  par  une  chute  de<jia^ 
meau  :  fonction  bien  triste  à  remplir,  si  elle  n'eût  été  bien 
consolante  pour  celui  à  qui,  loin  de  sa  patrie  et  sur  la 
tarre  in&dèle.  Dieu  envoyait  ainsi  dans  ces  redoutables 
instants  le  ministre  de  paix  et  de  pardon. 

«  Un  mois  après  mon  arrivée  à  Gedda,  je  repartis  sur 
Boe  barque  qui  faisait  voile  pour  Suez.  Parvenu  en  voe  de 
Raja,  petite  rade  voisine  de  Tor,  je  descendis  à  terre,  et 
je  trouvai  là  dans  un  pauvre  village  une  ciaqnantaine 
de  daytiens  grecs-scfaismatiques,  administrés  par  un  moine 
du  moDC  Sinal.  Deux  jours  après,  je  me  metttis  en  ront0 
pour  visiter  cette  sain(e  montagne,  distante  d'une  journée 
et  demie  du  bord  de  la  mer.  Le  chemin  est  mauvais,  et  à 
l'exceptioa  de  quelques  parties  du  vadi  kabran ,  ombra- 
gées de  mrespftkmen  près  de  EaûUesconrs  d'eau,  on  n'a^ 
perçoit  de  végétatkm  nulle  part. 

«  Arrivé  au  monastère  oA^  comme  vous  le  savez,  la 
crainte  des  Arabes  n'a  permis  de  pratiquer  qu'une  porte 


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sôutermine  du  côte  au  jardiiii  je  fus  enlevé  par  le  cabestan 
à  une  hauteur  de  quarante  pîet's,  et  mlioduii  par  la  fem'- 
tre  qui  seit  d^enlrée  principale  au  couvent.  Je  fustrès-blen 
feçu  par  les  religieux ,  quoiqu'ils  soient  schisnoatiques. 
Us  étaient  alors  au  nombre  de  vin^^'i-deux,  la  plupart  ori* 
ginaires  de  la  Valachie ,  et  comptaient  parmi  eux  quatrr 
prêtres  seulement. 

«  L'intérieur  du  couvent  offre  peu  de  régularité  dans 
(a  construction  ;  mais  Péglise  est  Vraiment  comparable  aux 
grandes  basiliques  de  la  Terre-Sainte,  attribuées  à  sainte 
Hélène  et  à  Constantin.  Un  archevêque  du  litre  du  Mont- 
Sinal  est  h  la  tête  du  monastère;  et  néanmoins,  comme 
le  supérieur  actuel,  il  réside  souvent  à  Gonstantinople. 

«  Ce  couvent  a  obtenu  autrefois  de  Mahomet  un  firmaft 
pour  le  proléger  contre  la  fureur  de  ses  farouches  disci- 
ples ,  souvent  plus  lunatiques  que  le  prétendu  prophète. 
En  effet ,  Tédifice  serait  déjà  détruit  malgré  cette  puissante 
sauvegarde,  si  les  moines  n'avaient  consenti  à  y  laisser 
bâtir  une  petite  mosquée  qu'on  voit  encore  (1). 


(1}  <f  Le  monastère  de  ta  TraasSguralion.au  ment  SiBaï ,  est  «oe  m- 
pèee  éé  féXh  tHiage  enlourd  dt  haaies  ntcraitlet,  dont  les  {pierres  moC 
(Téimnaiei  Mon  lo  gisait.  La  ttôtof*  tomo  «n  uni  ^,  fW  rtioi  éê 
•it  «élét,  a  fMtrt«viRfla  al  qacl^Mi  toiata  da  laagour  ;  l'iBlénaar  ■*aal 
qu*im  amai  de  bAtinenta  irrëgoliera ,  eooatruits  d'apcàe  différanta  plana, 
aor  un  terrain  trèa-ioëgal.  Excepté  IVgJitOf  loat  y  eal  paorra;  aaU 
partout  règne  la  plus  grande  propreté. 

«r  Vttfi  dès  eboses  que  la  toyagenr  j  ntiriir^e  le  ^ni  ti<«  et  aroe  h 
floa  do  ^aiair  en  «rrinni  da  éeaort ,  o'aal  r^hmimtm  do  foMa,  «io  •> 
manque  jamaia.  Onlre  ces  aourcaeqni  aafibaail  m^  divèta  haaofaa,  il  y  a 
on  puits  célébra  qui  date ,  dit-on ,  dn  temps  daa  Paliiarches.  On  fréload 
que  ce  fut  tout  près  que  te  libéralenr  des  Hëbroni  reacomra  loa  fiQet  éê 
Jéihro. 


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71 

«  Le  jour  qoi  suhrit  noB  arrivée, Je  viâiai  k  ^ 

noBtagiie  où  le  chef  vénéré  du  peuple  |de  Bien  reçnt  lu 

tables  de  la  loi.  Le  rade  sentier  qei  meneau  aomoiei  est 

bordé  de  diapelles  en  raines.  C'est  m  resie  de  celhili» 


«  Le  eov^nl  propremml  éU  fol  bâti  tm  l'att  527  paf  Veraperetir  Jm- 
twif .  Ob  y  ▼«*  tntan  ïéUSaê  fak  serrait  d*4f lue  a«i  oalhatiqaet ,  «t 
^«à  ik  f«MBt  eipvM  •  U  j  «  otnl  qmiMiite  aof ,  par  Icfi  groce  i4éi^ 
■alv]iie»  <|ai  eo  spnl  auUret  aujonrd'haL  4e  Qe  ftu  arrêter  mei  rej^ai^ 
Mr  le  moDiuneol ,  sans  ëprooTer  un  tif  sentiment  de  douledr.  Htflaa  ? 
si  le^ciel  ne  Tient  an  secours  des  catholiques ,  l'or  et  Fintrigue  des  gi«c« 
le«r  enlèTCTOBt  iascBsibleBieDt  tons  les  saÉctnaires .  et  ne  laisseront  ^m 
en  kmr  poMissina  im  sent  an  iaUbsemattls  qnSlsoot  en  Otient. 

«  En  me  eondoisant  à  Féglise ,  le  frère  me  fit  apereeroir  une  «^ 
qnée  fni,  me  dit-il,  aTait  iié  construite  par  les  Arabes  etviplo)  os  jadis  a» 
•erric»  intérieur  de  la  maison. 

«  La  beauté  de  IV-^lise  mo  surprit  :  elle  est  dirisée  en  trois  nefs  pac 
dcvx  rangs  de  colonnes  de  granit ,  qni  supportent  une  To&te  peinte  en 
Vim  et  parsemée  d'étoiles  d*or.  Cas  coloanaa  qu'en  a  mal  à  peapos  «#- 
Tèlvea  de  plèla»,  apfariismisut  à  difera  ardeet  d'«rcbitoeture  ;  la  pkifit 
sent  du  corinibiaii  :  aUes  ramonlentau  commencement  du  sixiéoieaiècleu 

«  Toal  le  paré  est ,  ainsi  que  les  murs  du  sanctuaire ,  en  aarbe^e 
Uanc  et  Botr  tiré  d'Italie  et  d'un  fort  beau  tvarail. 

«  L'éflise  est  éclairée  par  une  multitude  de  lampes  d'argent  et  de  ter- 
meil.  Ce  sent  autant  de  cadeani  faits  par  les  Russes,  parce  que  le  corpa 
de  saisie  Galbarina  »  pa^r  laquelle  iia  qn^  «nq  grande  ténération ,  j  ré- 
pète. Las  mnraille»  sont  ornées  de  Qombreui  tableaux  ricbemeotasca- 
dré»  ;  nuis  U  n'en  est  pas  nn  dont  la  peinture  ait  quelque  mérite. 

«  Après  cette  TÎsite ,  je  fus  mené  dans  la  ckapelle  appelée  du  Muium 
mréeni.  C'est  an  lien  même  on  Dieu  manifesta  sa  présence  par  un  si  grand 
prodige ,  que ,  d'après  la  tradition ,  est  bâtie  la  chapelle  destinée  à  m 
perpétuer  le  aonTenir.  11  n'est  permis  d'y  entrer  que  pieds  nus.  Le  aanc- 
maire  est  es  toat  semblable  è  ceux  de  la  Palestine  :  nn  antel^élefé ,  aan- 
•emi  par  des  oalonnea ,  et  sons  l'autel  le  lien  référé.  » 

{PèUHmmf  à  /émia/em ,eU.,fwr  h  réUr$nd  Fir€  Mwriê^oêtpk 


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72 
auirefois  liabkée^  par  4e  saiou  enniies.  A  ces  retraites  Bt 
joîgnaieiit  les  jardins  ombragés  de  cyprès  et  d'oliviers  ; 
et  maintenant  que  ceux  qui  les  plantèrent  ne  sont  plus, 
ces  arbres  toujours  verts  contrastent  encore  admirablement 
avec  les  arides  rocbers  dont  se  forme  le  groupe  de  THoreb 
et  du  Sinai. 

«  A  la  vue  de  cette  dernière  montagne,  une  pénible 
réflexion  venait  désoler  mon  esprit.  Je  me  disais  :  Voici 
doue  où  la  loi  fut  donnée  à  Tbomme  sur  des  tables  de 
pierre;  et  maintenant  les  lieux  mêmes  où  Dieu  la  pro- 
mulgua jadis  aux  éclats  de  la  foudre ,  en  ont  perdu  le  son^ 
venir.  Ce  fetal  oubli  sera-t-îl  donc  éternel!  L'Arabie  au- 
rait-elle pour  jamais  fermé  les  yeux  aux  clartés  de  la  foi  I 
Ab  I  loin  d'elle  ce  malheur,  mais  plu0t  qu'elles  se  réalisent 
enfln  les  espérances  de  salut  dont  mon  cœur  aime  à  se 
nourrir. 

«  Après  huit  jours  de  voyage  dans  celte  péninsule  con- 
sacrée par  les  plus  grands  souvenirs,  j'arrivai  aux  sources 
connues  encore  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Fontaines  de 
Mcise.  EUes  scmt  ombragées  par  quelques  palmiers ,  et  se 
trouvent  situées  à  quatre  heures  ettvht>n  de  Suez*  De  là 
j*atteignis  bientôt  le  rivage  de  la  mer  Rouge. 

•  Agréez ,  Monsieur  le  Président,  etc. 

€  JoGVET,   Fice-Préfet  apastoliqtie 
de  la  Mission  de  V Arabie.  » 


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73 


MISSIONS  DE  L  AUSTRALIE. 


ExirtUi  Jtune  lettre  du  Père  JUmis-^Marie  PfêciaroU^  reli^ 
peux  passianùie^â  San  Bminenee  le  Cardinal  Gaepard" 
Bernard  PianeUi  »  Bvêque  de  Fiterhe. 

(Traduction  de  TitalieA.  ) 


\\9  Demncb;,  le  29  janrter  laU. 


«  Emirekce, 

«  Pftuvre  Missionnaire  I  conduit  par  la  Providence  sur 
ne  plage  lointaine,  transporté  du  sein  d^une  riante  na- 
ître au  nûlieu  de  sombres  forêts,  et  sans  autre  société  que 
des  tribus  sauvages ,  c'est  une  douce  insolation  pour 
■tt  de  tracer  sous  vos  yeux  une  rapide  esquisse  de  ma 


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74 

sftuatioD  nouvdle.  J'ose  espérer  que  Voire  Eminence  vou- 
dra bien  agréer  ce  témoignage  de  mon  humble  dévoô- 
menu 

«  La  station  qui  nous  a  été  assignée  'par  Mgr  Polding 
pour  Tévangélisation  des  sauvages,  est  Tile  Denwich, 
située  entre  le  27®  degré  de  latitude  et  le  161*  de  longi- 
tude^ à  une  dstanee  de  six  êenis  milles  enviroB  deSkf- 
ney,  dans  la  direction  des  côtes  du  nord ,  et  quarante- 
cinq  milles  avant  d'arriver  au  petit  village  de  Brisben- 
Town.  Celte  Ue,  de  quarante  mille?  environ  de  longueur, 
mais  beaucoup  moins  large ,  ne  compte  pas  plus  de  cent 
cinquante  habitants. 

«  La^  nous  sommes  quatre  Missionnaires  passionnistes 
établis  au  fond  d'une  baie ,  dans  une  maison  eir  ruines , 
qui  a  servi  autrefois  de  prison  avx  Anglais  déportés.  Non 
loin  de  notre  réndence^  s'arrAte  souvent  une  bande  de 
sauvages  composée  d'eaviros  quarante  persoones.  —  l^ 
plus  nombreuses  tribus  ne  comptent  pas  au  delà  de 
soixante  indigènes.  —  Quoique  chacune  d'elles  ait  un 
rayon  déterminé  qui  est  censé  la  propriété  héréditaire  et 
exclusive  de  la  peupbde^  cependant  elle  n'occupe  point 
de  poste  fixe.  Proonenant  d'un  lieu  à  l'autre  son  existence 
vagabonde ,  elle  ne  campe  jamais  plus  de  huit  à  dix  jours 
xlans  la  même  vallée,  semblable^  si  j'ose  le  dire,  ù  ces 
troupeaux  nomades  que  la  faim  pousse  vers  des  p&turagos 
nouveaux,  et  qui  abandonnent  sans  regret  la  prairie  après 
l'avoir  dévastée 

«  Nos  sauvages,  à  début  dTiabitations  permanentes , 
se  cottscrotsent  de  misérables  huttes  avec  des  écorccs  d'ar- 
bres ,  frètes  abris  d'un  jour  que  le  lendemain  verra  aban- 
Comtés  ou  rédnits  en  eendres. 


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75 

c  Depuis  longtemps  Êimib'arisés  avec  les  Européens,  les 
indigènes  qni  nous  avoisinent  sont  plus  sociables  ;  ik  se 
metient  volontiers  en  rapport  avec  nous,  et  samblent  même 
ooDs  écouter  avec  docilité  :  toutefois,  nous  sommes  avertis 
de  ne  pas  trop  nous  fier  à  ces  apparences  ;  car  ils  sont  d'un 
ooturd  à  trahir  même  ceux  qui  leur  font  du  bien. 

«  Os  ont  la  physionomie  moins  disgracieuse  et  la  cou^ 
leor  moins  noire  que  les  nègres  d'Afrique ,  mais  en  Eut 
d'ornements  ils  ne  dioisissent  pas  mieux  ;  ils  croient  s'em- 
beffir  en  se  barbouObnt  la  figure  av^  du  charbon,  sur 
fe^oel  ils  étendent,  en  guise  de  fard,  une  couche  de  terre 
rouge  00  d'autre  matière  fortement  colorée.  Avec  une 
laffle élevée  et  une  constitution  robuste.  Es  sont  polu^ns 
i  Feicès  ;  la  gloutonnerie  et  la  somnolence  se  partagent 
km  ?ie,  heureux  encore  si  la  vengeance  n'avait  pas  pour 
eux  phis  d'attrait  que  le  sommeil  ! 

«  n  est  rare^  à  la  vérité,  que  les  membres  d'une  même 
tribu  9e  divisent  entre  eux  par  des  querelles  intesUnes  ; 
ïïàk  h  guerre  s'élève  plus  d'une  fois  entre  peuplade  et 
peuplade^  et  les  armes  dont  se  servent  alors  les  combat- 
tants sont  la  massue ,  le  bouclier  et  la  hnce. 

«  là ,  comme  dans  vos  sociétés  dégantes,  la  vanité  a 
aiBsi  son  martyre.  C'est  un  axiome  reçu  parmi  nos  sau- 
vages que  les  prétentions  ii  h  beauté  sont  le  prix  de  la 
douleur.  Ausû  n'est-il  pas  d'homme  qui ,  pour  se  donner 
cm  oonplément  de  grâce,  ne  se  déduit  les  bras,  la  poi- 
trine ,  le  dos  et  les  jambes  avec  des  coquillages ,  afin  d'ob- 
ttnir  à  diaque  incision  une  hideuse  excroissance  de  cbair, 
qu'A  étale  avec  la  plus  repoussante  coquetterie. 

t  Quant  aux  finnmes ,  c*€»t  moins  le  goàt  de  la  parure 

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76 

que  l'idée  d'un  sacrifice  religieux  qni  les  porte  à  se  mutila*. 
Lorsqu'elles  sont  encore  en  bas  âge,  on  leur  lie  le  bout  du 
petit  doigt  de  la  main  gauche  avec  des  fils  de  toile  d'arai- 
gnée; la  circulation  du  sang  se  trouvant  ainsi  interrom- 
pue ,  on  arrache  au  bout  de  quelques  jours  la  première 
phalange ,  qu'on  dédie  au  serpent  boa ,  aux  poissons  ou 
aux  kanguroos. 

«  Sans  doute  que  nos  sauvages  espèrent  par  cette  of- 
frande obtenir  une  chasse  heureuse  et  une  pèche  abon* 
dante  ;  car  ils  n'ont  presque  pas  d'autres  ressources  pour 
vivre.  U  est  vrai  qu'ils  recueillent  aussi  une  espèce  de  ra- 
cine dont  le  goût  diffère  peu  de  celui  de  la  patate,  qu'ils 
mangent  au  besoin  un  reptile  assez  semblable  au  léz^, 
mais  beaucoup  plus  gros,  qu'ils  surprennent  parfois  le 
renard-volant  I  qu'on  prendrait  pour  une  grosse  chauve- 
souris  ;  mais  après  le  kanguroo  qui  se  trouve  en  grand 
nombre  dans  les  lies  voisines,  leur  principale  nourriture  est 
le  poisson.  Réunis  sur  la  côte  au  nombre  de  six  à  huit ,  et 
armés  chacun  d'un  filet  qu'ils  confectionnent  avec  ki  racine 
d'un  arbre  réduite  et  tordue  en  mince  ficelle,  ils  s'avan» 
cent  en  demi-cerde  dans  les  flots,  murmurant  à  voix  basse 
je  ne  sais  quelles  paroles;  et  quand  ils  ont  cerné  leur 
proie,  ils  la  poussent  doucement  vers  le  rivage.  Alors  tous 
ensemble  ils  poussent  de  gprands  cris ,  comme  pour  l'é- 
tourdir, et  s'en  emparent  avec  facilité.  Aussitôt  pris,  le 
poisson  est  jeté  palpitant  sur  la  braise  «  et  dévoré  même 
ayant  d'être  rôti. 

«  Pour  du  feu ,  ils  en  ont  toujours  à  leur  disposition  » 
Tusage ,  je  dirai  presque  la  dévotion  de  ce  peuple ,  étant 
de  ne  marcher  qu'un  brandon  à  la  main.  Si  par  mégarde 
ce  tison  vient  à  s'éteindre ,  ils  s'empressent  aussitôt  d'en 
allumer  un  autre ,  et  voici  comment  :  ils  prennent  un  sar- 


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*?7 

ment  bien  poreux  auquel  ils  pratiquent  une  légère  en- 
taille ;  sur  cette  incision  ils  appuient  la  pointe  d^un  second 
sarment  plus  sec  encore ,  ils  le  tournent  et  retournent  ra- 
pidement entre  leurs  mains  comme  un  fuseau,  jusqu'à 
ce  qu'éciiauffé  par  le  frottement,  il  iîune  et  puis  s'en- 
flamme. 

«  Cette  espèce  de  culte  des  sauvages  pour  le  ieu  se  re- 
produit encore  dans  leurs  funérailles.  Avec  le  guerrier 
qu'on  vient  de  déposer  dans  la  tombe ,  on  ne  manque 
jamais  de  placer  d'un  côté  une  de  ses  armes  défensives ,  et 
de  Tautre  un  tison  ardent.  Pensent-ils  que  ce  compagnon 
ioséparable  de  ses  migrations  pendant  la  vie ,  est  encore 
plus  nécessaire  à  ses  membres  glacés  par  la  mort?  Je  se- 
rais plutôt  porté  à  croire  que  cette  pratique  est  pour  eux 
un  symbole  d'immortalité  ;  car  de  même  que  la  flamme , 
en  se  dégageant  des  corps  qu'elle  consume,  s'élance  vers 
les  cieux,  ainsi  sont-ils  persuadés  qu'au  sortir  de  ce 
monde  ils  s'élèvent  dans  les  régions  supérieures ,  où  les 
]»îvaiions  de  la  terre  sont  oubliées  dans  les  joies  d'un  éter- 
nel festin. 

«  Vous  le  voyez ,  nos  pauvres  insuiaires  sont  encore 
bien  éloignés  des)  saintes  idées  de  la  foi.  Le  moyen  de  les 
leur  inculquer  serait  de  prêcher  aisément  dans  leur  langue 
naturelle;  mais  malheureusement  nous  ne  la  parlons  pas 
encore  avec  facilité  :  elleçst  embarrassante  pour  un  Euro- 
péen surtout^  parce  qu'elle  a  cette  pauvreté ,  ce  laconisme 
et  cette  absence  de  liaisons,  qui  jettent  ordinairement  tant 
de  difficultés  dans  l'idiome  des  nations  priioitives  et  des 
tribus  sauvages. 

«  Eminence ,  il  est  temps  que  je  termine  cette  lettre , 
M  ic  ne  veux  pas  trop  abuser  de  vos  moments  et  de  votre 


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80 


Extrait  d'une  Uttre  de  Hong-Kong  j  du  24  juillet  1843. 


«  Il  y  a  dans  cette  lie  une  église  catholique  fort  jolie, 
desservie  par  sept  ou  huit  Missionnaires  français,  italiens , 

espagnols  et  inùuic  chinois.  Ciiaquc  jour  on  y  dit  sept  ou 
huit  messes.  Ainsi,  clans  un  lieu,  inhabité  il  y  a  deux 
ans ,  et  où  s'élèvent  déjà  de  vastes  édifices ,  les  catholiques 
possèdent  une  belle  maison  de  prières.  Mais  ce  qui  ma 
frappe  et  me  réjouit  encore  davantage,  c'est  de  voir  sur 
celte  partie  du  sol  chinois  s^agenouiller  au  même  instant 
des  représentants  de  presque  toutes  les  nations  qui  sont 
sous  le  soleil,  avec  leurs  différents  costumes,  avec  toutes 
les  nuances  de  couleurs  sous  lesquelles  Tespèce  humaine 
se  montre  ;  et  ces  hommes ,  si  différents  de  mœurs,  d'in- 
térêts ,  de  couleur,  de  langage ,  sont^  au  pied  de  Fautel  y 
également  attentifs,  également  recueillis  et  occupés  du 
même  objet  :  unité  merveilleuse  que  [notre  sainte  Eglise 
romaine  a  seule  réalisée-  » 


LTOR  ,   IVP.  DB   I.  V    PBLAGACD. 


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81 


MISSIONS  DU  LEVANT. 


Extrait  cTune  lettre  de  Mgr  Guasco,  Evéque  de  Fez  et 
DAégat  apostolique  de  V Egypte  et  de  VJrabie,  à  MM. 
les  Membres  du  Conseil  central  de  la  Propagation  de  la 
Foi  à  Lyon. 

Alexandrie  d'Egypte,  16  octobre  1844. 


«  Messieurs  , 

«  Le  bot  que  je  me  propose  en  vous  adressant  cette 
esquisse  des  mœurs  égyptiennes  ,  est  d'ofinr  à  vos  As- 
socies un  gage  de  ma  vive  reconnaissance.  Je  n'ignore 
pas  que  ce  tableau,  souvent  ébauché  par  beaucoup' 
d'historiens  et  de  voyageurs,  ne  ^  composera  en  grande 
partie  que  de  traits  déjà  connus  ;  mais  si  la  vérité  des 
descriptions  peut  suppléer  à  Tintérét  de  la  nouveauté, 
si  le  caractère  d'un  peuple  a  toujours  quelque  chose  de 
saisissant  lorsqu'il  est  tracé  avec  exactitude,  j'aurai  aisé- 
ment ce  modeste  avantage  ;  car  en  peignant  les  Egyptiens 

TOM.  XVII.  99.  MARS  1818.  Digt0dbvL.OOgle 


82 
tels  qu'ils  sont ,  ce  sera  simplement  yom  redire  ce  qui 
se  passe  autour  de  moi  ou  sous  mes  yeux. 

«  La  population  indigène  se  partage  en  deux  EunUIes 
principales,  les  Arabes  et  les  Cophtes;  ces  derniers, 
comme  seuls  descendants  des  anciens  Egyptiens,  se  pré- 
sentent aussi  les  premiers  à  ma  pensée.  L'étymologie  de 
leur  nom ,  avivant  quelques  historiens,  parait  dériver  de 
Cophtos  ou  Kypt,  ville  autrefois  célèbre  dans  ce  pays.  Il 
en  est  qui  lui  attribuent  une  autre  origine;  mais  quelle 
que  soit  la  diversité  des  opinions  à  ce  sujet,  tous  les  au- 
teurs s'accordent  à  regarder  les  Cophtes  comme  les  habi- 
tants primitirs  de  la  contrée. 

«  Soumis  depuis  plus  de  vingt  siècles  au  despotisme 
étranger ,  ils  ont  oublié  peu  à  peu  le  génie,  les  arts  et  les 
connaissances  de  leurs  ancêtres  ;  touterois ,  ils  ont  con- 
servé plusieurs  de  leurs  usages  ;  et  les  notions  qu'ils  se 
sont  transmises  de  père  en  fils^  touchant  les  terres  ense- 
mençables  et  les  produits  les  plus  favorisés  par  Tinonda- 
lion  périodique  du  Nil,  les  font  choisir ,  même  aujour- 
d'hui, pour  remplir  les  fonctions  de  secrétaires  ou  d'in- 
tendants, sous  l'autorité  des  beys  et  des  gouverneurs. 
N'allez  pas  croire  que  pour  servir  d'instruments  à  une 
civilisation  qui  n'est  pas  la  leur,  ils  démentent  leur  ori- 
gine :  loin  de  là  ;  comme  les  pères  écrivaient  en  carac- 
tères hiéroglyphiques,  pour  dérober  au  vulgaire  le  se- 
cretde  leurs  seiences,-  ainsi  les  fils  écrivent  en  copbte  pour 
mieux  cacher  l'intelligence  de  leurs  calculs.  Voilà,  sans 
'aller  en  chercher  d'autre  cause,  d'où  vient  que  la  langue 
àe%  anciens  Egyptiens  ne  s'est  point  perdue. 

«  Les  Cophtes  embrassèrent  la  foi  chrétienne  presque 
aussitôt  qu'elle  fut  apportée  en  Egypte  par  l'évangéliste 
•saint  Marc.  Ils  la  gardèrent  dans  toute  sa  pureté  jusqu'à 
la  noiwance  du  monothélisme.  Abandonnant  alors  les 
iianiles  traditions  pour  les  nouveautés  de  la  secte,  ils 

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83 

portèreai  daM  letir  égarement  cette  opiniâirelé  et*oei 
esprit  de  parti,  qui  reaéeat  ra^eoglemeat  pveaqae  imm^ 
nUe,  8ttrt<mt  loraqa'à  la  farreur  d'uae  éçeàsm  ignoraacé 
il  a  reça  la  aaiietioii  da  leai^M  et  de  i*liabitiKle.  L*liépé$ie, 
d*aillein<s,  perdit  bieotdc  obez  eax  son  caraeière  primitif^ 
€0  8*allia»t  aax  superstilioas  ioealea^  et  en  faisant  aiu; 
sovrenirs  de  Panoîen  paganisne  desemproats  piua  cou*" 
pabks  encore. 

«  An  reste  ,  ks  Copbtes  Talent  nienx  que  ko» 
croyances;  tlssontdonx,  hnmaînset  hospitaliers;  sensî^ 
Ues  à  la  tendresse  paternelle,  comme  à  Tamour  ttiarl,  Sk 
honorent  et  respectent  les  liens  du  sang.  Le  commerce 
qalls  font  dans  rintérfeur  dn  pays,  et  radministratie» 
des  aflËûres  qu'on  leur  confie  Tolontiers,  leur  procurent 
parfois  des  trésors  considérables.  Mais  ces  richesses 
Biéaie  sofit  presque  toujours  la  source  de  leurs  malheurs  ; 
car  à  peine  a-t-on  deviné  leur  opulence,  que  des  maIwiU 
lants  ou  des  envieux  les  accusent  de  concussion  ou  de 
rapine,  et  sans  ph»  d'examen  le  gouvernement  les  dé- 
fMHiiUe  sans  pitié.  Trop  heureux  encore  s'ils  pouvaient 
toujours  s'en  tirer  par  la  perte  de  leur  fortune.  Malgsé 
ces  vexations  continuelles,  ils  n'ont  jamais  rien  entrepris 
contre  la  tyrannie  qui  les  écrase;  au  contraire^  ils-en 
sapportent  le  joug  avec  une  patience  à  toute  épreuve  : 
tant  il  est  vrai  qu'nae  longue  habitude  peut  rendre  Mh 
gers  les  fers  même  de  l'esclavage. 

«  Après  les  Cophtes ,  les  Arabes  sont  le  phis  ancien 
pen|de  de  l'Egypte.  Ils  forment  à  peu  près  les  deux  fiera 
de  la  population.  Leurs  mœnrs  diffèrent  arec  le  genre  4e 
vie  auquel  ils  sont  adonnés.  Je  ne  parierai  pas  des  fett&kSf 
parce  que  le  silence  est  le  seul  voile  que  la  charité  puisse 
jeter  sur  leurs  défems. 

«  Ceux  qui  sont  connus  sous  le  nom  de  bédotfins,  •m 
qm  cottvvent  les  solitudes  brûlantes  situées  à  l'orient  et 

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84 

ik  Toocideiu  de  l'Egypte»  présentent  des  caractères  beau- 
coup moins  odieux.  Divisés  par  bordes  nomades,  ils  dé- 
daignent ia  culture,  vivant  de  fruits  sauvages  et  du  pro- 
duit de  leurs  troupeaux.  Aussitôt  que  les  pâturages  oà 
ils  ont  fait  une  halte  passagère  sont  ^isés,  ils  char- 
gent leurs  tentes  et  leurs  familles  sur  leurs  chameaux,  et 
vont  se  fixer  dans  une  autre  oasis.  Ces  hôtes  des  déserts, 
Trais  pirates  d'un  océan  de  sables,  sont  la  terreur  des 
caravanes.  Malheur  à  celles  qui  ne  peuvent  leur  oppeser 
des  forces  supérieures  ;  elles  doivent  se  soumettre  au 
tribut  ou  accepter  le  combat.  Repoussés,  les  bédouins 
échappent  à  toute  poursuite  en  disparaissant  comme  un 
Irait  dans  des  profondeurs  inconnues  ;  ont-ils  l'avantage, 
ils  dépouillent  les  vaincus  et  se  partagent  entre  eux  le 
butin  ;  mais  ils  n'abusent  pas  du  succès  pour  répandre 
le  sang,  à  moins  qu'ils  n'aient  à  venger  quelques-uns 
de  leurs  compagnons  morts  ou  blessés. 

«  Malgré  leur  goût  pour  le  pillage^  ces  peuples  res- 
pectent les  droits  de  Thospiialité  ;  le  voyageur  qu'ils 
priment  sous  leur  sauvegarde,  n'a  plus  rien  à  craindre 
ni  pour  son  or  ni  pour  sa  vie ,  car  leur  parole  esc  un 
sarment  inviolable,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  d'exem- 
ple qu'aucun  bédouio  se  soit  rendu  parjure. 

«  Il  est  une  troisième  classe,  celle  des  Arabes-culti- 
vateurs, qui  ne  connaît  pas  plus  la  cruauté  du  fellah  que 
la  fierté  indomptable  du  bédouin.  Ce  sont  les  plus  doux 
et  les  plus  humains  des  orientaux.  Le  désir  de  la  ven- 
geance, si  naturel  aux  nations  à  demi  barbares ,  n'est 
point  éteint  dans  leurs  coeurs;  mais  si  l'ennemi  dont 
ik  ont  résolu  la  perte,  peut  se  soumettre  à  Tenir  boire 
le  café  aTec  eux,  il  n'a  plus  à  trembler  pour  ses  jours; 
à  cette  marque  de  confiance,  ils  oublient  tous  leurs  res- 
sentiments. 

c  Avant  de  commencer  leur  repos  ,  qu'ils  prennent 

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ordinairenieDt  à  Titrée  de  iairs  cbaaiiuëres  on  de 
leurs  tentes,  les  Arabes-agi^icuUeurs  crient  à  bante  voix  : 
Que  cdui  qni  a  faim  approche  et  mange  !  et  cette  invita- 
tion n'est  pomt  une  stérile  formule  de  politesse;  tout 
homme,  quelle  que  soit  la  religion  à  laquelle  il  appar- 
tient/a  droit  de  s'asseoir  à  leurs  côtés,  et  de  se  nourrir 
des  aliments  servis  à  leur  femille. 

«  Avec  tant  d'excellentes  qualités,  et  attachés  à  la 
colture  d'une  terre  qui  ne  demande  qu'à  produire,  iU 
devraient,  ce  semble,  jouir  de  toutes  les  délices  de  la  vie. 
Toutefois,  ils  sont  les  plus  malheureux  des  hommes.  Du 
matin  au  soir,  et  d'un  bout  de  l'année  jusqu'à  l'autre,  ils 
travaillent  sans  se  reposer  un  moment;  leurs  pénibles 
sœurs  produisent  chaque  année  des  richesses  immenses, 
et  cependant  ces  malhenreux  languissent  dans  la  pau- 
vreté au  milieu  de  l'opulence  qu'ils  entretiennent  ;  de 
tontes  leurs  fatigues,  il  ne  leur  revient  que  les  coups 
de  fouets  qui  trop  souvent  ensanglantent  leurs  épaules. 

«  Au-dessus  de  cette  caste  agricole,  dont  l'activité  n'a 
d'égale  que  la  misère,  les  grands  de  TEtat  s  enoormen 
dans  h  mollesse  et  l'oisiveté.  Convaincus  qu'une  aveugle 
fatalité  préside  aux  destinées  humaines,  ils  attendent 
Farrét  du  sort  sans  porter  un  regard  curieux  sur  l'ave- 
ur;  Ib  jouissent  avec  insouciance' du  présent,  pensent 
peu,  n'ont  pas  les  rêves  de  l'ambition  parce  qu'ib  n'en  ont 
pas  l'énergie,  et  sont  capables  de  fumer  un  jour  entier 
fans  ennni. 

«  Toot  seigneur  musulman,  en  Egypte,  se  lève  avec 
le  soleil  pour  respirer  l'air  frais  du  matin.  Bientôt 
après,  des  esclaves  lai  apportent  de  l'eau.  H  se  purifie  en 
se  fatimt  le  visage,  les  mains  et  les  bras  jusqu'aux  cou- 
des, el  les  pieds  jusqu'aux  chevilles;  cela  fak  il  se  tourne 
«ers  Forient  et  oommence  ces  prostrations.  Viennen  lea- 
uûte  d'mtrw  esdnves  qni  Ini  présentent  le  caC6  et  b 


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»6 
pnpt,  et  tant  ipie  dvre  le  déjeuaer  du  ntllfe  »  9i  ae 
licnûest  debéot  detant  lui ,  les  muins  croisées  sur  b 
loeitriiie  ,  cherchant  à  prévenir  ses  motndres  vokHUés. 
S«s  enfoats,  qif  il  ettroie  chercher,  paraissent  alors  ta  sa 
prôseRce  :  il  leur  dil  quelques  mots^  les  caresse  grave- 
ment, leur  donne  sa  main  à  bwer,  et  les  âih  reeouduîre 
auprès  de  leur  mère. 

«  De  si(  fanûile  il  passe  au  som  de  ses  aSuîres ,  qui 
ne  sont  jamais  compliquées;  quelques  heures  suffisent 
à  ce  travail  sérieux ,  après  quoi  le  musulman  n'a  plos 
qs'à  se  chercher  des  distractions. 

«  S'il  survient  des  visites ,  il  les  reçoit  le  plus  poli- 
méat  qu'il  sait,  mais  sans  beaucoup  de  complimenis. 
Ses  inférieurs  doivent  se  tenir  à  genoux  devant  lui»  ap- 
puyés seulement  sur  leurs  talons  ;  ses  égaux  oui  droit 
de  s'asseoir  à  ses  c6tés  ;  un  sopha  est  réservé  aux  vit»- 
K'urs  de  disiinaion.  Dès  qu'on  s'est  placé  dans  le  nu^ 
4|ui  convient  à  diacun ,  le  maître  du  logis  bat  des  mains , 
ei  h  rinstant  un  esclave  entre  et  pose  au  milieu  de  la 
Italie  une  cassolette  où  brûle  un  encens  précieux  ;  en 
apporte  de  longues  pipes  garnies  d'ambre  et  tout  alla- 
inées;  on  sert  le  café,  des  confitures  et  des  sorbets,  et 
U  conversation  se  poursuit,  lente  et  amicale,  au  milieu 
de  rafraîchissements  exquis,  à  travers  un  léger  auiige  de 
vapeurs  odorautes. 

«  Les  visiieui*s  parlent4Is  de  se  retirer,  un  esclave  re- 
paraît ,  un  large  plat  d'argent  à  la  main  ;  il  y  place  ki 
«;H8^olette  aux  senteurs  embaumées,  et  la  présente  tour  à 
leur  à  chacun  des  assistants,  qui  s'en  parfument  la  barbe. 
k/e$m  de  rose  est  ensuite  versée  sar  leur  léie ,  et  après 
««ile  cérémonie,  on  est  libre  de  reprendre  ses  paotoa^ 
fle»^  dese  dire  adieu. 

«  Le  soir,  on  va  à  la  promenade  :  monté  sur  dee  Éaes 
ea  sur  des  chevaux  riehemeac  capavaçoanés^  on  suit  les 


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rifes  du  MU  ou  le  bord  des  canaux  ,Jpoor  jouir  de  b 
Mnbeur  du  crépuscule.  Une  beur^  après  le  coucher  du 
soleil^  chacun  est  rentré  cheESoi.  On  aoupe^n  famttle» 
on  se  couche  tout  babillé  pour  se  rq[>oser  d^uue  journée 
toisivâ ,  et  Ton  ne  se  réveillle  que  pour  reprendre,  où  on 
i-avait  laissée,  la  trame  uniforme  d'une  vie  toujours  m- 
dolente. 

«  En  Egypte  comme  dans  tout  rOrient,  Texistenoe 
des  femmes  riches  est  en  quelque  sorte  murée  dans  Tin- 
térieor  du  logis  ;  elles  naissent ,  vivent  et  meureni  a|i 
sein  de  ce  sanctuaire  impénétrable.  Toutefois  ,  le  soin 
des  ailaires  domestiques  et  l'éducation  des  enfants  ne 
lesafasorbentpas  tellement  qu'elles  n'aient  encore  de.doux 
loisirs;  dies  ne  sont  même  pas  aussi  prisonnières  qo'uo 
pourrait  le  penser.  Tous  les  jeudis,  elles  sortent  avec 
leurs  esclaves  chaigées  de  rafraicfaissemeuts.  Des  pleur 
reuaes  à  gage  les  suivent.  C'est  qu'un  devoir  sacvé  les 
appelle  au  cimetière  public.  Là  elles  fout  entonner  des 
hymnes  funèbres  ;  à  ces  lamentations  metH:enaire>  elles 
méleat  loues  acceuts  plaintifs,  elles  versent  des  kirmes 
H  des  fleurs  sur  les  t  mbeaux  de  leurs  parents,  qu'elles 
«ouvrent  ensuite  des  mets  apportés  par  leurs  suivantes, 
<:tla. foule,  après  avoir  convié  les  dme>  des  morts,  prend 
un  repas  religietix ,  dans  la  persuasio»  que  ces  ombres 
chéries  savourent  les  mêmes  aliments  et  qu'elles  s'aaao^ 
cieot  au  sympathique  ban(|uet. 

«  Les  Egyptiennes  sortent  enoore  une  ou  deux  (bis  par 
semaine  pour  visiter  leurs  parentes  ou  leurs  amies.  ÀusHiôt 
qu'une  dame  étrangère  ^e  préseiteau  divan  des  femmes,  la 
maltresse  du  logis  ss  lève  en  souriant ,  et  va  l'embrasser 
au  milieu  de  la  sille;  elle  lui  prend  une  main  qu'elle 
presse  sur  son  ojeur  ù  plusieurs  reprises  ;  elle  l'invite  à 
s'asseoir  sur  le  so,  ha  d'honneur  :  «  Comment  avex-vous 
•  pu.  nous  oublier  si  lon^lemps  ?  lui  dit -elle;  ne  savez- 


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88  ' 
«  TOUS  pas  combien  nous  sommes  heureuses  de  vous 
«  voir?  Votre  prince  ennoblit  notre  demeure;  vous 
«  êtes  le  bonheur  de  notre  vie  ,  U  prunelle  de  nos 
«  yeux,  elc.  »  Tels  sont  les  premiers  compliments 
d'usage.  Bientôt  les  inévitables  pipes,  le  café,  les  sor- 
bels,  les  fruits ,  les  confitiires  et  les  parfums  sont  appor- 
tés par  les  esclaves  ;  Teau  de  rose  coule  sur  les  mains  ; 
on  mange,  on  rit,  on  folâtre  avec  une  joie  que  j'appel- 
lerais enfantine,  si  la  candeur  n'était  pas  inconnue  à  ces 
enfonts  de  la  servitude. 

«  Au  moment  de  se  séparer ,  on  se  dit  plusieurs  fois  : 
«  Dieu  vous  accorde  une  nombreuse  postérité^  que  le 
€  ciel  vous  donne  une  longue  vie  ;  puisse  votre  sanlé 
«  être  aussi  durable  qu'elle  nous  est  chère  1  etc.  •  Mais 
on  ne  s'appelle  jamais  par  son  Bom;  ma  mëre^  ma  sœur, 
ma  fille ,  voilà  les  titres  qu'on  adresse  à  la  femme  d'an 
âge  mûr,  à  la  nouvelle  mariée,  et  à  la  jeune  p^- 
soune. 

«  Tels  sont  les  Egyptiens  dans  leur  vie  privée  ;  tels 
sont  du  moins  ceux  de  leurs  usages  qu'un  Missionnaire 
peut  décrire  ;  cai*  s'il  les  connaît  sous  beaucoup  d*au^ 
très  rappor !s,  ce  n'est  pas  pour  en  parler,  mais  pour  en  gé- 
mir devant  Dieu.  Et  quand  je  pense  combien  est  profond 
l'abUne  qui  les  sépare  de  la  vérité ,  je  m'attendrb  sor 
leur  aveuglement  funeste ,  je  verse  des  larmes  amères 
sur  leur  avenir  éternel  que  je  voudrais  prévenir ,  fftt-ce 
au  prix  de  mon  sang. 

«  Daignez  agréer,  Messieurs,  Icxpression  du  respect 
avec  lequel  je  suis,  eic. 


«  t  Fr.-Perpetuo  Guasco,  Bvêque  de  Féz, 
Fimireet  Délégai  aposL  de  F  Egypte  et  de  VArahte. 


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Jutre  lettre  du  même  Prélat  à  M.  le  Président  du  Conseil 
central  de  Lyon. 


Alexandrie  d'Egypte,  24  fét rier  iS^%, 


«  Monsieur  le  Pe&idert  , 

«  Je  suis  heureax  de  fournir  mon  tribut  à  vos  Annales. 
Lesoj^u  dont  je  vais  vous  entretenir  est  bien  simple; 
K  s'agit  que  d'une  tonte  jeune  fille  ;  mais  dans  celte 
tt&Dt  a  éclaté  le  triomphe  de  la  grâce,  et  c*en  est 
aaez  pour  fixer  Tattention  de  vos  pieux  lecteurs. 

•  Sur  la  fin  de  1841,  une  famille  catholique  compo- 
sée de  trois  personnes,  le  père,  la  mère  et  une  fille  de 
dix  ans,  quittait  Alep  pour  se  rendre  en  Egypte.  Après 
aiDor  visité  les  lieux  saints  et  traversé  la  Judée ,  elle 
i'esfoDça  danft  le  désert  par  la  même  route  qu^avait  autre- 
Ui  pireonme  la  sainte  famille,  fuyant  devant  la  colère 
''Bérode.  Déj&  elle  apercevait  dans  le  lointain  les  murs 
f El-Aricb,  Tantique  Gerara,  lorsque  apparui  une  bande 
de  ioldats  albanais  :  à  cette  vue  l'épouvante  saisit  noi» 
pnax  voyageurs,  ils  courent  au  basara  et  se  oispersen 
daat  la  solitude  qui  ne  peut  les  cacher.  La  jeune  fille 
bt  trouvée  par  ses  ravisseurs,  pâle,  tremblante,  appe- 
Itttsa  mère  qu'elle  ne  devait  plus  revoir^  et  fut  emmenée 
captive  ao  Caire  où  on  l'enferma  dans  la  maison  d'un 
Amante. 
«  L'iaCmrtiuiée  y  passait  ses  jours  dans  les  pleurs  » 


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pouvait -«ile  irop^  en  répandre  sur  sa  liberté  perdue 
ec  sur  sa  famille  égorgée  I  Un  seul  bien  lui  restait  ; 
c*était  sa  foi  naïve  au  Dieu  des  orphelins^  et  ce  trésor 
menacé,  elle  le  défendait  avec  un  héroïque  amour  : 
«  Sache  bien,  disait-elle  souvent  à  son  maître,  sache 
«  bien  que  ton  esclave  est  chrétienne.  » 

«  Hélas  1  il  ne  l'oubliait  pas.  Chaque  jour,  frémis- 
riant  de  n'avoir  pas  encore  brisé  ce  faible  roseau  qui  se 
redressait  toujours  sous  l'effort  de  sa  main,  il  recourait 
à  de  noavelles  ruses,  flattait  par  de  plus  éblouissantes 
promesses,  s'abaissait  aux  supplications  pour  se  relever 
vaincu ,  mais  furieux ,  et  dans  son  dépit  essapit  de 
nouvelles  tortures ,  aussi  impuissantes  que  ses  prières 
méprisées  et  ses  vaines  menaces.  Des  larmes  et  des  san- 
glots, c'est  tout  ce  qu'il  arrachait  à  hi  pauvre  en&ni. 
En  vain,  le  Turc  lui  disait -il  :  «  Captive  d'un  musul- 

•  man,  tu  embrasseras  la  religion  de  ton  maître,  on  ta 

•  vas  périr  de  sa  main.  —  J^rends  ma  vie,  réponduk- 
«  elle,  mais  laisse-moi  mon  Dieu;  la  jeune  fille  qui 
«  a  tout  perdu  en  ce  moade,  ne  consentira  pas  à  se 

•  fermer  le  ciel.  ■ 

«  Et  la  grÂc«  compUiit  un  triomphe  de  plus  chaque 
fois  que  l'oppresseur  assaillait  fra  victime.  Comme  ces 
vierges  timides  des  premiers  siècles,  à  qni  il  fut  si  soa- 
vent  donné  de  dompter  dans  l'arène  des  lions  rugis- 
sants, de  les  voir  enchaînés  à  leurs  pieds  par  le  d^rme 
divin  d*une  angélique  vertu,  la  chrétienne  d'ÂJep  impo-> 
»ait  au  Turc  dans  sa  propre  maison,  devenue  pour  elle 
un  amphithéâtre;  et  le  soldat  albanais,  indigné  deeàder 
la  victoire  à  une  fille,  à  nue  enfant,  se  retirait  étonné  et 
confus  de  sa  défaite. 

«  Un  jour,  et  ce  fut  le  18  janvier  1845,  la  porte  de 
la  maison  où  notre  captive  gémissait  depuis  deu^  ans  , 
était  restée  entr'ouverte  :  ne  doutant  pas  que  le  momeni 


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de  sa  délivrance  ne  fût  venu,  elle  franebit  sans  élre  aper- 
çue le  seuil  de  sa  prison,  et  courut  se  réfugier  au  hasard 
dans  rhabiiaiion  voisine.  Par  bonheur  c'était  <Selle  d'un 
arménien  caiiioUque.  Â  la  vue  de  celte  en£int  qui  en- 
irait  chez  lui  tout  efiarée,  il  la  reçut  dans  ses  bras,  lui 
'iemanda  qui  elle  était,  d'oii  elle  venait,  cequ':;lle  vou- 
lait de  lui;  mais  elle,  tremblante,  et  comme  poursuivie 
jur  des  ennemis  intisibleft,  ne  sut  répondie  quo  par  ce 
«ri  déchirant  :  «  Sauvez-moi  !  achetez-moi I  » 

«  Le  bon  Arménien  pensa  qu'il  fallaii  la  retirer  pour 
fc  moment,  et  étant  parvenu  à  la  tranquilliser,  il  Fin* 
terrogea  de  nouveau  et  avec  plus  de  succès.  Elle  lui  ra- 
t.oata  lous  ses  malheurs  dans  le  plus  grand  détail,  pois 
eUe  ajouta  :  «  Vous  ne  me  rendree  pas  au  meurtrier  de 

•  ma  famille  ;  car  cette  ibis  il  tiendrait  sa  menace,  et 

•  pour  prix  de  ma  fidélité  à  notre  Dieu ,  je  serais  ou 
«  égorgée  dans  sa  maison,  ou  vendue  aux  nègres  du 
«  Sem^aar.  » 

•  11  n*en  follut  pas  davantage  pour  intéresser  l'Armé- 
fûea  au  sort  de  l'orpheline  :  d'abord  il  la  tint  cachée  pen- 
dant plusieurs  jours;  mais  craignant  de  s'exposera  quel-^ 
«ine  avanie  si  d'autres  que  lui  révélaient  son  secret,  il 
jugea  prudent  d'informer  lui-même  l'autorité  musul- 
uiane  de  tout  ce  qui  s'était  passé. 

«  Sm*sadcpo?iition,  le  gouverneur  égyptien  fit  ame- 
ner à  son  tribunal  la  fugitive  et  le  soldat  albanais  ;  il 
<|uesiionna  la  jeune  fille  sur  son  pays,  sur  ses  parents  et 
s:i  religion  :  à  quoi  elle  répondit  avec  beaucoup  d'assu- 
r  ince  qu'elle  était  chrétienne,  native  d'Alep,  qu'elle  avait 
i^téenlevéede  force  dans  le  désert  par  des  soldats  albanais, 
«i  qu'à  défaut  de  ses  parents  elle  reconnaissait  le  curé  ar- 
ménien pour  son  père.  —  «Fais  toi  mahométane,  lui 

•  dirent  les  Turcs  assii  pour  la  juger,  et  tu  partageras 

•  notre  fortune  et  nos  plaisirs.  —  Je  suis  reine  par 


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«  ma  foi,  répondit -elle:  tous  f  os  biens  ne  valent  pas 
«  ma  couronne;  je  souffrirais  la  mort  avant  d*y  re- 
«  noncer.  » 

«  Tant  de  courage  confondit  dans  une  même  admira- 
tion le  tribunal  et  Tauditoire,  les  musulmans  comme  les 
chrétiens.  Parmi  les  spectateurs  se  trouvait  un  jeune 
Chaldéen  catholique,  qui  avait  suivi  ces  débats  avec  Ir 
plus  vif  intérêt  :  charmé  des  vertus  de  la  jeune  fille,  ravi 
de  ses  réponses,  et  s'estimant  heureux  s*il  pouvait  lui 
faire  oublier  ses  longs  malheurs ,  il  la  demanda  pour 
épouse;  son  offre  fut  agréée,  et  le  curé  de  Terre-Sainte, 
Don  Léonard  de  Spigno,  mineur  observantin,  a  comblé 
ses  vœux  en  bénissant,  il  y  a  peu  de  jours,  ces  noces 
fortunées.  Toute  la  population  catholique  du  Caire  a 
pris  part  à  sa  joie,  et  mon  cœur  de  père,  trop  souvent 
abreuvé  d'amertume,  s*est  reposé  avec  une  indicible  con- 
solation sur  ces  deux  enfants,  si  dignes  l'un  de  Tautre  par 
la  générosité  de  leur  foi  et  l'innocence  de  leur  vie. 

«  Fasse  le  Seigneur,  dans  sa  miséricorde,  que  j'aie 
bientôt  des  relations  aussi  édifiantes  à  envoyer  au  Con- 
'seil  :  je  m'empresserai  de  les  lui  communiquer  et  de 
lui  renouveler  l'assurance  du  respea  avec  lequel  je 
suis,  etc. 

«  f  Perpéluo  Guasco,  EvêquedeFex^ 
ficaire  et  délégai  aposi.  de  r  Egypte  et  de  F  trahie.  ■ 


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93 


^émire  adreisé  aux  Conseib  centraux  de  VŒuvre  de  la 
Prifpagaiion  de  la  Foi,  par  M.  Eugène  Bore. 


17  dikemkrt  iai3. 


«  Messieurs  , 


«  Celui  qui  dierche  à  se  rendre  compte  de  Tétat  reli- 
gieux des  peuples  soumis  à  la  domination  musulmane, 
est  arrêté    par  des  difficultés  qui  le  poussent  à  des 
«inclusions  en  apparence  contradictoires.  Tantôt  il  est 
porté  à  louer,  et  même  à  envier  pour  de  grands  états  de 
''Europe,  l'espèce  de  sécurité  dont  jouissent',  en  divers 
fodroits  et  à  certains  moments,  les  chrétiens  de  la  Tur- 
loie  et  de  la  Perse  ;  d'autres  fois  quelques  actes  lui  re- 
tracent la  barbarie  intolérante  des  premiers  siècles  de 
l'Islamisme.  Souvent  il  rend  grâces  à  Dieu  de  trouver  ses 
6'ères  libres  dans  la  pratique  de  leur  religion,  et  tout  à  coup 
uo  incident  lui  fournit  la  triste  preuve  qu'ils  sont  gênés, 
molestés  et  dépendants  dans  l'exercice  de  leurs  droits 
H>iriinels.  Comment   expliquer  cette  opposition?  par 
l'examen  du  caractère  musulman,  tel  que  l'a  formé  la 
h»  de  Mahomet,  et  par  les  influences  hostiles  à  l'Eglise 
lu  changent  sa  droiture  naturelle* 

«  La  religion  musulmane,  contrefaçon  grossière  de  la 
loi  mo8a1q«e  avec  le  mélange  de  quelques  principes 


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94 
cturéiiens,  a  emprunté  au  judaïsme  la  (m  profonde  et 
inébranlable  à  TuBiié  divine ,  Tobservation  mélhodi(i»e 
et  scrupuleuse  de  ses  renflements  hygiéniques,  mais  sans 
se  pénétrer  de  l'esprit  de  charité  qui  vivifie  la  l»î  nou- 
velle, complément  et  perfection  de  Vanoienne.  Or,  «roire 
sans  aimer,  c'est  ne  remplir  que  la  moitié  de  la  vocationim- 
posée  à  rbomme,  eiquiconque  s'arrête  ainsi  à  mi-chemin 
dans  la  voie  de  la  vérité,  demeurera  nécessairement  in- 
complet et  défectueux.  Telle  est  done  la  nature  du  mu- 
sulman ;  vous  admirez  en  lui  sa  disposition  h  adhérer  aux 
dogmes  constitutifs  de  toute  religion  ;  vous  n'êtes  point 
effrayé  de  cette  audace  de  la  raison  niant  et  raillant  chez 
nous  les  croyances  des  autres  ;  au  eon  traire,  la  parole  on 
l'acte  qui  honorent  Dieu,  sont  toujours  respectés  et  ap~ 
prouvés  de  lui,  quelles  que  soient  la  bouche  ou  la  main 
qui  les  offrent ,  et  la  seule  faute  impardonnable  et  in- 
compréhensible à  son  bon  s^s  est  le  monstre  de  rincré- 
dulité  philosophique.  Inaccessible  aux  lâches  suggestions 
du  respect  humain,  plusieurs  fois  le  jour  il  se  met  en 
prière  sinr  la  terrasse  de  sa  maison,  se  prosterne  dans  In 
poussière  des  chemins  et  des  places  publiques  ;  il  récite 
par  les  rue^,  sur  son  chapelet,  les  mille  et  un  attributs 
glorieux  du  Créateur,  et  pendant  les  trente  jours  de 
jeftne  du  Ramazan,  l'homme  qui  peine  à  la  corvée,  la 
femme  délicate  ou  son  enfant  ne  porteront  pas  à  leur 
bouche  un  morceau  de  pain  ou  un  verre  d'eau,  tant  qiie 
la  lumière  qui  nous  éclaire  entre  les  deux  crépuscules 
permet  de  diatinguer  le  fil  blanc  du  fil  noir. 

«  Le  mal  d'amrui  doit  unijours  ooilkter  à  dire,  et  c'est 
poiu*quoi  nous  ne  voulons  point  exposer  ^es  défauts  dn 
caractère  turc  en  regard  de  ses  bonnes  qualités.  Notre 
intention  est  seuiemesi  de  révéler  ici  oertaii^  vices  qui 
lui  sont  ayovtés  par  l'espril  et  les  principes  de  la  reli- 


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9o 
(ion  musulmane*  parce  que  ces  mêmes  vicas  formeni  le 
priocipal  obstacle  au  triompfaede  TEvaiie^ie. 

«  Et  d*abord,  la  postérité  dlsmaël  étant  proclamée 
par  Mahomet  le  peuple  élu  à  qui  doit  appartenir  Vem^ 
pire  de  la  terre ,  toute  autre  race  qui  mécomiait  en 
o'adopte  point  son  symbole  doit  être  extaminée  par  le 
gbive,  à  moins  qu'elle  n'achète  par  un  humiliant  tribttt 
le  droit  d'exister.  Si  les  gouvernements  des  états  mu- 
iolmans  vivent  aujourd'hui  en  bonne  harmonie  avec  la 
ahrétienté,  c'est  la  nécessité  de  leur  faiblesse  qui  les  y 
eontraint»  Car,  selon  le  Coran,  ils  ne  peuvent  jamais 
déposer  les  armes,  et  la  guerre  sacrée,  leDjVAarf,  est  non- 
seulement  légitime  mais  de  précepte  obligaieire,  tant 
qu'il  existe  des  infidèles ,  terme  qui  dans  leur  bouche 
désigne  toute  société  non  musulmane.  Il  ne  faut  donc 
point  croire  à  une  amélioration  de  leur  part,  sous  ce 
rapport  ;  elle'  est  incompatible  avec  l'Islamisme.  Pour 
le  comprendre,  il  suffit  de  montrer  dans  quelle  sujétion 
vivent  les  peuples  d'une  autre  religion  soumis  à  la  raœ 
croyante. 

«  Tous  sont  encore  désignés  aujourd'hui  sous  le  nom 
humiliant  de  Raïasj  mot  qui,  sans  avoir  d'analogie  phi- 
lologique avec  le  mot  parias  qu'il  rappelle,  exprime  au 
fend  la  même  idée.  Son  radical  arabe  signifie  le  Iroii- 
peau  de  brebis  que  le  pasteur  fait  paître,  tond  et  trait  à 
sa  guise.  Or,  tel  est  véritablement  la  condition  des 
chrétiens  vivant  sous  le  joug  de  la  domination  musill- 
aiane,  sauf  peut-être  quelques  exceptions  dans  la  Perse, 
l'Egypte  de  MehemetAli  et  le  Liban  ^  où  leur  unité 
compacte  les  préserve  des  vexations  arbitraires  des 
pachas. 

«  Le  Rcûîa  n^est  pas  une  personne  devant  la  loi  maho- 
«éiane,  ta^h  plutôt  une  chose  utile,  dont  elle  use  et 

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96 
abuse  trop  souvent.  En  Turquie,  les  fcmctions  civiles  et 
le  service  militaire  lui  sont  interdits.  Il  a  pour  compensa- 
tion le  service  domestique,  l'industrie  des  arts  et  des 
métiers  ;  et  le  plus  haut  degré  de  l*échelle  sociale  auquel 
aspire  sou  ambition  est  la  profession  lucrative  de  ban- 
quier. Toutefois ,  si  les  voies  d'une  fortune  rapide  lui 
sont  ouvertes,  et  s'il  peut  à  satiété  se  gorger  des  deniers 
publics,  Tavidité  jalouse  de  ses  chefs  trouve  aisément 
aussi  le  prétexte  de  sa  ruine,  et  il  finit  bientôt  comme 
les  victimes  engraissées  pour  l'immolation  prochaine  du 
sacrifice.  Hors  des  cités,  il  se  livre  à  Tagriculture  ;  mais 
,  la  libre  possession  des  terres  ne  lui  est  pas  assurée,  et  il 
•est  plutôt  serf  que  propriétaire.  Ce  n'est  pas  que  Timpôt 
légal  soit  trop  pesant  ;  mais  il  est  aggravé  par  les  taxes  ar  • 
bitraires  des  gouverneurs  locaux  et  de  leurs  subalternes  ; 
en  sorte  que  le  paysan,  privé  par  ces  injustices  des  pro- 
fits de  la  récolte  la  plus  abondante,  ne  veut  plus  tra- 
vailler inutilement  pour  les  autres,  et  se  borne  à  ense- 
mencer le  coin  de  terre  suQisant  aux  besoins  de  sa  mai- 
son. Telle  est  la  cause  de  la  diminution  progressive  de 
la  culture,  et'  le  voyageur,  habitué  à  la  fertilité  des  cam- 
pagnes de  l'Europe,  croit  en  mettant  le  pied  sur  le  terri- 
toire ottoman  entrer  dans  un  désert. 

«  La  Perse ,  malgré  le  caractère  aciif  et  industrieux 
de  ses  habitants,  ^ffre  un  spectacle  plus  attristant  en- 
core, à  cause  de  Fusage  d'aflermer  et  de  sous-affermer 
les  villages,  livrés  de  la  sorte  aux  mains  de  spécula- 
teurs avides  et  peu  scrupuleux  de  s'enrichir  en  les  ap- 
pauvrissant. Le  Rcûia  persan  a  sur  celui  de  la  Turquit 
l'avantage  de  pouvoir  légalement  occuper  les  emplois 
publics  i  il  peut  être  anobli^  devenir  chef  et  adminis- 
trateur de  son  village  ;  libre  à  lui  encore  d'enirer  dans 
la  carrière  militaire,  qui  le  conduit,  avec  la  faveur  du 
prince,  jusqu'au  rang  de  généralissime  et  de  gouverneur 

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97 
de  province/  comme  le  prouvent  de  récenls  exemples. 
Celle  tolérance  des  Persans^  qui  a  l'inconvénient  d'ha- 
bituer trop  aux  mœurs  musulmanes  les  chrétiens  vivant 
parmi  evix,  tient  moins  à  leur  propre  religion ,  plus  su- 
perstitieuse encore  que  celle  des  Turcs,  qu'à  la  posidon 
particulière  des  chrétiens,  dont  le  petit  nombre  ne  peut 
inspirer  de  crainte  au  gouvernement.  IL  en  est  autrement 
de  la  Turquie,  où  la  moitié  de  la  population  est  chré- 
tienne. Tout  droit  politique  est  refusé  aux  Ratas ^  de  peur 
qu'en  s'unissant  et  venant  à  se  compter,  ils  ne  mettent 
un  twme  à  la*  domination  qui  les  opprime. 

«  L'homme  des  états  libres  de  l'Europe  ne  peut 
s'habituer  au  spectacle  de  populations  douées  des  plus 
riches  dons  de  la  nature^  ayant  eu  un  passé  glorieux, 
et  maintenant  tombées  dans  le  mépris  et  l'avilissement 
Voyez  le  Rata  en  présence  du  Turc  :  ses  habits  comme 
sa  maison,  lorsque  la  façade  en  est  peinte,  n'ont  point 
les  couleurs  éclatantes  que  se  réserve  le  musulman  ;  il 
est  condamné  à  porter  perpétuellement  le  deuil ,  et  4 
Constaniinople  où  la  force  irrésistible  de  la  civilisation 
triomphe  du  fanatisme,  lors  même  qu'il  est  velu  comme 
son  maître ,  ù  la  nouvelle  mode  adoptée  par  feu  Mah- 
moud, il  doit  encore  coudre  à  sonLonnet  une  bande  de 
taffetas  noir,  indiquant  à  tous  son  état  de  servitude. 
Dans  les  provinces  où  l'oppression  n'a  encore  ni  frein  ni 
contrôle,  un  pacha  voyant  des  chrétiens  se  présenter  à 
lui  avec  des  vêtements  un  peu  propres,  osa  le  leur  re- 
prodier  en  disant  :  •  Des  misérables  comme  vous  ne  doi- 
•  vent  se  promener  qu'en  haillons.  » 

«  Le  Rata  entre*t-il  dans  une  assemblée  de  musri- 
mans  accroupis  sur  leurs  canapés^  il  se  tiendra  timide- 
ment debout  jusqu'à  ce  qu'il  reçoive  la  permission  et 
s'tsseoir»  et  encore  se  mettra-t-il  au  dernier  rang  preicnt 

TOp.  XVII.  99.  DigfedbyL.OOgIe 


98 
par  rétiqucue  cérémoniale.  Ses  regards  seront  baissés  et 
furtifs;  le  ton  de  sa  voix  sera  craintif  et  doucereux,  et 
sa  posture  celle  de  Taocusé  à  la  barre  du  juge.  Le  plus 
souvent  il  ne  vient  pas  les  mains  vides,  ou  bien  les  bé- 
néfices résultant  de  la  négociation  cpii  Famène,  peuvent 
settlement  lui  concilier  de  la  bienveillance.  Il  y  a  peu 
(TaiMiées  encore  qu'ui>  Arménien  fut  renversé  de  cheval 
et  tué,  parce  qu'il  eut  le  malheur  de  se  trouver  au  détour 
é'one  rue  devant  le  cortège  du  Sultan.  Il  sera  irès-diffi- 
cile  et  quelquefois  impossible  au  marchand  de  recouvrer 
sf-s  créances,  s'il  a  eu  affaireà  un  acheteur  de  mauvaise  foi* 
Ces  cas,  très-fréquents  en  Perse,  sont  rares  en  Turquie 
où  la  loyauté  est  une  qualité  assez  ordinaire  du  carac- 
tère national.  £t  encore  oserions-nous  émettre  le  doute 
r^ue  les  consciences,  si  scrupuleuses  touchant  la  restitu- 
tion des  petites  sommes ,  se  conservent  aussi  pures 
dans  le  maniement  des  grandes  ;  car  le  juge  ne  refuse 
jamais  les  cadeaux ,  et  la  tache  de  concussion  souille  la 
tnémoire  des  plus  nobles  caractères  politiques. 

«  Jamais  le  Rata  n^oserait  entreprendre  avec  le  mu- 
sulman une  discussion  ouverte  sur  la  religion  ;  ce  serait 
une  témérité  punie  de  mort  immédiatement ,  surtout 
s'il  mettait  à  nu  les  impostures  du  prophète.  Beaucoup 
lie  fidèles  interrogés  sur  ce  point,  se  retranchent  dans  un 
sflence  absolu,  qui  a  la  lâcheté  apparente  de  Tapostasie. 
Un  livre  .de  controverse  ne  pourrait  encore  être  imprimé 
publiquement  à  Constantinople,  sans  mettre  en  péril  les 
jours  de  l'auteur.  Le  Franc  lui-même  n'entrera  point 
dans  une  mosquée  sans  la  permission  spéciale  du  gou-^ 
vemement,  et  plusieurs  hommes  de  police  doivent  l'ac- 
compagner pour  sa  sûreté  personnelle. 

«  L'esprit  de  prosélytisme  est  encore  ardent  parmi 
t«s  sectateurs  de  Mahomet,  et  ils  usent  de  toutes  le^  sé- 
ductions que  la  fortune  et  Tautonté  mettent  entre  leurs 

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99 
mains  pour  gagner  de  nouveaux  disdples.  Si  la  foi  des 
chrétiens    orientaux   était  languissante  et    incertaine 
comme  celle  d^un  trop  grand  nombre  de  chrétiens  de 
roccident,  que  de  défections  TEglise  aurait  à  déplorer  I 
Que  de  scandales  mettraient  à  l'épreuve  la  persévérance 
des  fidèles!  Ne  (aut-il  pas  avoir  une  conviction  pro* 
onde  et  un  attachement  tenace  à  la  croyance  de  ses 
pères,  pour  la  préférer  avec  les  humiliations  et  la  pau- 
ïreté  qui  raccompagnent ,   aux  honneur^  et  à  la   ri- 
cfaeste,  récompense  immédiate  de  tout  renégat?  Il  suffit 
de  prononcer  cette  courte  formule.  «  Il  n'y  a  pas  d'au- 
«  tre  Dieu  que  Dieu,  et  Mahomet  est  son  prophète.  • 
On  même  de  dire  plus  laconiquement   encore  :  Je  le 
nd$,  Oulouroum.  Dès  que  deux   musulmans    témoi- 
gnent qu'ils  ont  entendu  cette  profession  de  foi,  on  est 
contraint  d'opter  entre  l'islamisme  et  la  mort.  Et  souvent 
des  pi^es  sont  perfidement  tendus  à  la  simplicité  des 
Rmas.  On  en  cite  qui  ont  été  déclarés  musulmans  pour 
avoir  répété  machinalement  ces  paroles  avec  le  crieur 
qui  les  chante  cinq  fois  le  jour  du  haut  des  minarets. 
D'anu*es,  excités  à  les  balbutier  dans  un  moment  d'i- 
vresse, étaient  ainsi  punis  de  leur  intempérance.  Quel- 
ques-uns même,  convaincus  d'avoir  proféré  ces  paroles 
au  milieu  des  illusions  d'un  rêve^  n'ont  pu  échapper  h 
b  persécution.  Il  n'est  guère  de  Turc  un  peu  fervent 
qui  ne  cherche  à  convertir  ceux  qui  sont  sous  sa  dépen- 
dance ,  et  nous  pourrions  citer  beaucoup  de  cas  on  les 
BM^rens  employés  étaient  la  menace  et  la  violence.  Nous 
avons  rencontré  de  ces  victimes  dans  l'intérieur  de  Isê 
Twquîe  et  de  la  Perse,  ^  un  mot,  partout  où  la  pré- 
senoe  d^agents  européens  n'arrête  pas  l'audace  des  do- 
■doatenrs.  La  plupart  étaient  des  Grecs  et  des  Arméniens 
eokvés  à  leur  famille  dans  un  âge  encore  teudie,    et 
eipartés  au  fond  des  provinces  où  iU  remplis^^y^^gj^ 

7  • 


100 
fonctions  de  secrétaires,  d'inspecteurs  et  de  trésoriers. 
La  supériorité  intellectuelle  des  races  chrétiennes  force 
les  musulmans  à  y  choisir  ceux  à  qui  ils  confient  les  em- 
plois de  la  comptabilité  et  de  Tadministration.  A  quels 
excès  plus  graves  encore  devait  les  porter  le  fanatisme, 
dans  dts  temps  où  il  n'était  pas  contenu  par  Tinfluence 
de  la  politique  occidentale?  On  pourrait  presque  en  con- 
clure que  le  musulmanisme  aurait  déjà  péri  d'épuise- 
ment en  plusieurs  localités,  s'il  n'avait  sans  cesse  comblé^ 
par  cesVecrutemenis  illégitimes ,  les  vides  que  faisaient 
à  sa  population  la  guerre,  la  peste  et  la  polygamie  plus 
destructrice  encore  que  les  deux  autres  fléaux. 

«  La  traite  des  esclaves,  abolie  piésentement  par 
rhumanité  chrétienne  des  grandes  puissances  de  TEb- 
rope,  est  prospère  et  impunie  dans  les  Etats  mahomé- 
tans.  Les  Circassiens ,  les  Abazes  et  les  marchands  du 
Sennaar  ont  toujours  la  commission  d'approvisionner  les 
marchés  de  Smyrne ,  de  Constantinople  et  du  Caire. 
Combien  de  femmes  chrétiennes  sont  arrachées  à  leur 
famille  et  à  leurs  maris,  pour  contracter  malgré  elles  un 
second  mariage,  dont  le  premier  abus  est  de  les  priver, 
par  lé  fait,  de  leur  propre  religion  et  de  leâ  rendre  mu- 
sulmanes I 

«  En  Turquie ,  le  chrétien  peut  offrir  à  Dieu  les 
prières  et  les  hommages  consacrés  par  sa  liturgie  ,  sans 
craindre  jamais  que  le  gouverneur  ou  Timan,  intervenant 
dans  l'intérieur  du  sanctuaire,  en  trouble  les  rits  et  les 
cérémonies.  Mais,  par  une  contrariété  bizarre,  cette 
église  où  il  est  si  libre,  lui  n'est  pas  libre  de  la  bâtir.  Il 
fout  premièrement  qu'il  y  ait  un  titre  antérieur,  reconnu 
par  l'autorité  musulmane ,  et  constatant  que  ce  lieu  , 
avant  la  conquête,  était  consacré  au  culte  divin.  Sans 
.cela  on  ne  permettrait  pas  l'érection  d'un  monument 
4ont  la  destination  est  opposée  à  la  foi  du  Coran.  Il  est 

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vrai  qo'on  élude  aisément  cet  interdit  légal  ;  et  puis  on 
a  surtout  recours  à  Targument  décisif  du  richoei ,  mot 
spécial  qui  manque  heureusement  à  nos  langues  et  à  nos 
usages  ,  puisqu'il  exprime  le  prêtent  offert  aux  grands 
et  aux  juges  pour  acheter  leur  approbation.  Ce  défaut  a 
euTabi  toutes  les  classes  de  la  société ,  le  palais ,  le  mi- 
nistère ,  le  divan  ou  le  tribunal  de  la  justice ,  la  mos- 
quée, le  marché  et  Téchoppe  de  Fartisan. 

«  Une  fonction  n'est  point  conférée,  sans  que  le  can- 
didat n'engage  ses  émoluments ,  et  quelquefois  durant 
plusieurs  années,  pour  payer  et  récompenser  les  person- 
nes qui  ont  servi  d'entremetteurs.  La  sentence  juridique 
finit  presque  toujours  par  être  favorable  à  la  partie  la. 
plus  riche.  Il  ne  se  passe  guère  de  contrats  et  de  mar- 
chés sans  que  l'acheteur  ou  le  vendeur  ne  se  réserve 
un  bénéfice  équivalent  à  notre  mot  trivial  de  pot  de  vin. 
Mais  c'est  en  Perse^  surtout ,  que  ces  habitudes  de  véna- 
lité sont  devenues  publiques  et  sociales  :  personne  n'o- 
sera TOUS  demander  un  service,  sans  promettre  d'avance 
des  dédommagemenst,  et  plusieurs  fois  nous  avons  vu 
de  pauvres  gens  qui,  jugeant  de  nos  coutumes  d'après 
les  leurs,  se  croyaient  obligés  de  payer  en  quelque  sorte 
le  droit  de  nous  visiter,  en  se  présentant  avec  un  fruit 
on  une  fleur  à  la  main.  Ils  auraient  craint  d'être  éconduits 
s'ils  ne  se  fussent  concilié  notre  intérêt  par  l'appât  d'un 
bénéfice  quelconque.  Gomment  ces  pauvres  gens  peuvent- 
ils  comprendre  l'absolu  dévouement  de  la  charité  chré- 
tienne 1  Mais  revenons  au  sujet. 

«  L'Eglise  anciennement  bâtie  tombe-t-elle  en  ruine, 
OH  un  simple  pan  de  mur  miné  par  les  eaux  pluviales 
menace  t-il  de  crouler,  la  construction  partielle  de  l'é- 
difice devient  aussi  difficile  à  obtenir  que  la  reconstruc* 
àoia  totale.  Il  feut  dans  les  deux  cas  dresser  ime  requête 


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qui  doit  passer  par  h  fili^e  de  tons  les  bureaux  du  mi- 
nistère^ et  chaque  signature  obligée  qu'elle  rencontre 
sur  sa  route  se  paye  au  poids  de  Tor.  La  faculté  de  bâ- 
tir coûte  autant  que  la  bâtisse,  et  nous  connaissons  beau- 
coup de  villages  catholiques  qui  dans  quelques  années 
resteront  privés  du  culte,  parce  que  la  pauvreté  crois- 
sante des  populations  chrétiennes  de  Tempire  ne  leur 
permet  plus  de  faire  la  demande  officielle  de  la  répara- 
tion des  églises.  Et  qu'on  ne  croie  pas  la  justice  exercée 
gratuitement  par  les  musulmans,  surtout  à  l'égard  des 
chrétiens.  Les  avocats  et  les  écrivains  cherchent  souvent 
h  embrouiller  les  affaires^  à  trainer  en  longueur  les  pro- 
cès, à  doubler  la  somme  des  amendes^  et  les  juges  ne  se 
font  pas  scrupule  de  vendre  leur  sentence  aux  deux  par- 
ties à  la  fois,  en  donnant  gain  de  cause  à  celle  qui  rétri- 
bue le  plus  largement.  «  Ton  adversaire  m'a  mieux 
«  payé  que  toi  ,  »  disait  en  Perse  un  magistrat  à  un 
pauvre  Gialdéen  qui  se  plaignait  d'avoir  perdu  son 
procès. 

«  Outre  ces  rétributions  destinées  à  récompenser  des 
services  rendus ,  le  clergé  est  obligé  encore  de  verser 
d'énormes  sommes  dans  les  bureaux,  et  d'offrir  des  pré- 
sents pour  détourner  de  sa  tôte  les  avanies  qui  le  mena- 
cent. Nous  savons  tel  pauvre  Bvéque  faisant  dans  une 
ville  de  province  une  rente  mensuelle  à  un  riche  musul- 
man, son  voisin,  seulement  pour  conserver  la  jouissaaoe 
de  l'église  qu'il  a  fait  bâtir  dernièrement*  Quand  le  terme 
est  passé  de  quelques  jours ,  le  Turc  lui  dit  :  «  La 
«  clochette  de  ton  église  fait  beaucoup  de  bruit  ;  o* 
«  matin  ,  les  chants  de  tes  prêtres  ont  réveillé  mes 
«  feounes.  »  Et  l'Evéque  qui  comprend  l'allusion  s'em- 
presse de  lui  jeter  l'os  à  ronger^  et  s'obère  de  dette» 
pour  qu'on  le  laisse,  lui  et  son  troupeau,  vaquer  au  euke 


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éma.  Tel  autre  faisait  poser  qnelques  tuiles  sur  le  kmi 
d^  sa  chapelle,  lorsqu'un  musulman  rdperç(»it  et  accourt 
et  lui  disant  :  «  Donne-moi  telle  somme  ou  je  te  dé- 
•  nonce.  »  Le  Prélat  qui  craignait  de  payer  une 
amende  plus  forte ,  si  le  fait  allait  aux  oreilles  du  gou- 
verneur, dut  accepter  ces  conditions. 

«  'Les  habitants  des  villes ,  et  principalement  de  k 
capitale,  ont  encore  une  existence  assez  tolérable  compa- 
rativement à  celle  des  habitants  de  la  campagne ,  surtoia 
lorsque  les  villages  sont  situés  sur  les  grandes  routes  de 
Tesipire.  On  sait  que  dans  tous  les  étals  musulmaas 
il  n'y  a  pas  d'hôtellerie.  Les  voyageurs  sont  obligés  de 
recourir  à  l'hospitalité  publique.  Mais  ce  devoir  de- 
vient une  corvée  ruineuse  pour  les  chrétiens,  quand  îk 
sont  forcés  de  recevoir  quiconque  frappe  k  leur  porte. 
Us  musulmans  les  traitent  en  maitrei;  on  s'empare  dt* 
letv  maison  ;  les  brebis,  la  volaille,  la  crème  du  bit, 
les  jardins,  quand  il  y  en  a,  tout  çst  mis  à  contribution 
ponr  le  repas  du  soir,  et  nous  avons  vu  de  misérables 
hboureurs  apporter  le  dernier  boisseau  d'orge  ,  destiné 
iileur  famille,  pour  nourrir  le  cheval  d'un  soldat. 

«  A  ces  plaintes  l'on  peut  répondre,  à  rhonneur  du 
geuvemement  actuel  de  la  Turquie ,  que  ces  désordres 
mtautaat  de  violations  des  dernières  lois  de  CM-hmè. 
Les  hommes  les  [dus  capables  sentent  le  besoin  d'une  vé- 
ftniie,  ils  la  désirent,  et  si  Dieu  a  des  desseins  de  misÂri- 
cMde  sur  l'empire,  il  leur  fournira  sans  doute  les  morcus 
et  le  courage  de  l'exécuter. 

«  En  terminant  cet  exposé ,  nous  attiferons  Tatlentido 
éfk  lecteur  sur  ce  fait  affligeant ,  &  savoir  qu'à  la  «MMie 
te  maux  endurés  par  les  ratas  de  la  part  4as  miwttl- 
nans,  maux  partagés  par  les  catholiq«es,  il  faut  a}Ottier 
«a surerott  d'avanies  que  les  enfants  delà  véritable  E^Use 
Wi  souffrir  de  la  part  des  chrétiens  disftidests.  Le  «à- 


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iholicisme  est  bien  toujours,  et  partout  U  signe  que  f  <m 
contredit ,  la  pierre  angulaire  contre  laquelle  heurtent 
toutes  les  passions  ;  et  à  ce  caractère  exceptionnel  on  de- 
vrait reconnaître  sa  divine  vérité  et  sa  conservation  mira- 
culeuse. Nos  frères  dans  h  foi,  mince  débris  des  grandes 
ruines  de  TEglise  orientale,  sont  encore  clair-semés  et 
placés  çà  et  là,  comme  la  lumière  sur  le  candélabre  au 
milieu  des  ténèbres.  Leur  existence,  qui  est  une  protes- 
uiion  continuelle  et  manifeste  contre  le  schisme  et  Thé- 
résie,  irrite  ceux  qu'elle  condamne.  Aussi  ont-ils  Fines- 
iimâble  avantage  dVtre  éprouvés  et  purifiés  périodique- 
ment par  les  persécutions  promises  en  partage  aux  véri- 
tables enfants  du  Christ.  Chose  remarquable  I  ces  diffé- 
rentes sectes,  rivales  et  divisées  sur  tous  les  points , 
s'ac(^rdent  néanmoins  en  celui  de  combattre  l'orthodoxie» 
comme  leur  ennemi  commun.  De  même  que  l'amour  um- 
versel  des  hommes  unit  indistinctement  les  membres  de 
la  société  catholique,  et  les  porte  à  se  dévouer  pour  1« 
salut  de  leurs  frères  égarés  ;  ainsi  une  haine  particulièrt 
rassemble  et  ligue  les  dissidents,  dans  l'unique  but  d« 
nuire  spécialement  à  ceux  qu'ils  ne  peuvent  convaincro 
d'erreur. 

«  Le  récit  des  outrages,  des  violences  et  des  opposi- 
tions de  tout  genre  que  les  catholiques  ont  eu  à  souffrir 
el  endurent  encore  dans  l'exercice  de  leur  culte,  est  trop 
long  pour  trouver  place  ici  :  autant  vaudrait-il  compier 
les  épreuves  journalières  qui  remplissent  la  vie  de  Time 
fidèle.  Le  plus  ordinairement^  la  grande  accusation  in- 
tentée aux  catholiques  est  d'être  Franct  et  amis  des  Francs, 
et  ces  dénonciations  étranges  se  font  aux  Turcs,  afin  d^ex- 
dter  leur  ressentiment  et  de  provoquer  leurs  vengeances. 
Sans  cesse  on  leur  fait  craindre  que  la  foi  religieuse  des 
catholiques  ne  cache  la  pensée  politique  de  s'unir  avec 
rOccident  pour  les  4pposséder  de  leurs  conquêtes.  Grecs, 


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lOS       . 

ncsteriens,  jacobites,  cophtes,  arméniens  désunis,  tous 
acceptent  la  môme  calomnie  et  en  usent  comme  d'un 
épouvanlail  près  de^  autorités  turques  et  persanes  ;  les 
ministres  protestants  mêlent  au  besoin  leur  voix  à  cet 
harmonieux  concert,  notamment  en  Perse  où,  depuis 
cinq  années,  ils  travaillent  par  ce  moyeu  déloyal  à  arrêter 
les  travaux  de  nos  Missionnaires  et  à  les  faire  bannir  du 
ropume. 

«  E.  BoRé*  » 


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106 


Lettre  du  P.  Riccadonna^   de  la  Compagnie   de  Jésu.^, 
au  P.  Flanchet,  de  la  même  Société. 


«  Moff  BÉréREND  Père  y 

«  Vous  me  demandez  si  dans  mes  courses  apostoli- 
ques je  n'ai  pas  recueilli  quelques  traits  propres  à  vohs 
édifier.  En  voici  un  qui  répondra  peut-être  à  tos  pieux 
désirs. 

«  Au  commencement  de  1841 ,  une  famille  ncsto- 
rienne  composée  de  trois  personnes  ^  une  pauvre  veuv«* 
nommée  Nassimou ,  avec  son  fils  Nuejié  et  sa  fille  Schi- 
mouni^était  venue  d'Âmadie  se  fixer  à  Erbella.  Le  pays 
voisin  était  habile  par  de^  ehaldéens  catholiques.  Bien- 
tôt il  s'établit  en  ire  eux  et  la  famille  nestorienne  de  fré- 
quents rapports,  à  la  suite  desquels  ces  trois  enfants 
de  Terreur  embrassèrent  notre  Religion  sainte. 

«  Or,  un  jour  que  la  jeune  Schimounî  allait  puisrt 
de  Peau  à  la  fontaine  publique  d'Erbella ,  un  musul- 
man, aussi  connu  pour  ses  vices  que  pour  sa  bainr 
contre  les  chrétiens,  s'approcha  d'elle  et  lui  propos:t 
de  se  faire  mahométane.  Sans  lui  répendre,  Schimounî 
s'enfuit  pleine  d'horreur  ec  d'eflroi  chez  sa  mère. 

«  Le  turc  ne  devait  pas  l'y  laisser  en  paix.  Voyant 
sa  première  tentative  échouéo,  il  s'en  alla  trouver  un<' 
fenune  musulmane,  à  qui  il  dicta  le  rdie  odieux  qu'elle 
avait  à  remplir,  convint  du  prix  avec  elle,  et  le  lend<» 
main,  cette  misérable,  voilée  selon  l'usage  du  pays, 
fut  conduite  devant  l'babitatien   de  Nassimon.  Là,  eu 


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107 

présence  de  dc«  témoins,  le  tore  rinterrogc;  elle  n^- 
pond  qu'elle  M  SchKnoiioi  et  qu'elle  veut  embrasser 
le  Koran...  Aussitôt  Fimposteur  mène  les  témeins  aaprè.s 
du  cadi,  pour  certifier  la  déclaration  qu'ils  tiennent 
d  entendre;  et  eelui-^i  ordonne  à  son  tour  que  la  jeune 
fille  lui  soit  présentée.  La  vraie  Schiraouni  comparait 
à  sa  barre.  On  la  félicite  de  $on  abjuration.  Mais  elle, 
afee  autant  d'indignation  que  d'étonnement,  jure  qu'elle 
ne  sait  rien  de  tout  ce  qu'on  lui  impute.  De  leur  eAté, 
les  témoins  aflirment  qu'elle  a  déclaré  devant  eux  changer 
volontairement  de  religion.  C'est  tout  ce  qu'il  en  faUiât  au 
juge  ;  la  preuve  légale  existait  :  il  adjugea  donc  la  chré- 
tienne au  prophète.  En  vain  protesta*t-eUe  contre  la  sen- 
tence. Sa  fermeté  ne  6t  qu'af^praver  son  malheur.  Le 
eadi  prononça  qu'dle  serait  incarcérée  et  sonnuse  aux 
tortures,  jusqu'à  ce  qu'elle  reconnût  la  vérité  de  ses  pré- 
tendus aveux.  Elle  fut  en  effet  jetée  en  prison,  les  pieds 
et  les  mains  chargés  de  chaînes^  sans  autre  alioaient 
que  du  pain  et  de  l'eau ,  et  condamnée  à  reoevoit*  la  bas- 
tonnade troi^  fois  par  jour,  et  cela  pendant  cinq  jours 
eoBsécutib. 

«  Mais  ce  fut  sans  nccès  ;  la  courageuse  jeune  fille 
éuit  bien  résolue  à  mourir,  s'il  le  (allait^  plutôt  que 
de  renier  son  Dieu.  Les  musulmans,  d'ailleurs,  n'étaient 
pas  sans  appréhension  sur  les  suites  de  cette  affaire  ;  ih 
le  rappelaient  que  trois  mots  auparavant  le  consul  Iran- 
çàiê  de  Bagdad  avait  tiré  de  leura  mains  plus  de  vingt 
ehrétiennes,  réduites  en  esdavage  par  le  bey  de  Ravan- 
dôme:  s'il  apprenait  de  nouvelles  violenocs^  n'était^il 
^  à  craindre  qu'il  n'intervint  de  nouveau  ,  et  que  son 
caergie  bien  connue  ne  fU  retomber  la  persécuxion  sar 
•es  auteura?  Ils  ôtèreat  donc  k  Schi«M>uni  ses  lourdes 
chaînes,  et  cessèrent  de  la  frapper  pour  essayer  sur  elle 
(a  sédnetÎM  des  promesses.  Elle  y  résista  eomme  elle 


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108 
avait  fait  aux  tourments.  Mais,  devenue  un  peu  plus 
libre  depuis  que  le  genre  de  ses  épreuves  avait  changé, 
elle  en  profita  pour  méditer  son  évasion.  On  lui  avait 
dit  que  le  vice-consul  français  de  Mossoul,  M.  Jean 
Benni,  couvrait  les  opprimés  de  sa  protection  géné- 
reuse :  dans  son  malheur  c^était  son  unique  ressource  ; 
elle  se  déroba  furtivement  à  la  surveillance  de  ses  gar- 
diens «  et  le  8  juin  elle  vint  à  Mossoul  avec  sa  mère 
^  mettre  sous  la  sauvegarde  de  Tagent  consulaire* 

«  M.  Benni  raccueillit  comme  son  enfant ,  loua  sa 
constance  et  ranima  son  courage.  Tandis  quelle  com- 
mençait à  respirer  sous  l'égide  du  vice-consul ,  un  nou- 
veau malheur  la  frappait  dans  son  frère  ;  car  à  peine  sa 
fuite  était -elle  connue,  que  le  cadi  d'Brbella  avait  fait 
incarcérer  Nuejié  comme  otage.  M.  Benni  réclama  aussi- 
tôt sa  mise  en  liberté ,  et  fut  assez  heureux  pour  obtenir 
la  délivrance  de  cette  seconde  victime',  qui  vint  aussi  s« 
l'éfugier  à  Mossoul. 

«  Par  malheur  le  yisir  Mohammed-Pacha  se  trouvant 
alors  à  Mardin.  En  son  absence ,  le  gouverneur  de  Mos- 
soul se  mit  aussi  en  tète  de.  contraindre  Schimouni  à  l'a- 
postasie. II  fit  donc  venir  les  témoins  d'Erbella ,  et  le 
29  juin ,  somma  le  vice-consul  de  livrer  là  jeune  fille  à 
son  tribunal.  Un  refus  énergique  fut  tout  ce  qu'il  obtint. 
Au  lieu  de  sa  pupille ,  ce  fut  M.  Benni  qui  se  présenta  an 
divan ,  pour  demander  sinon  qu'on  abandonnât  les  pouf  • 
suites,  au  moins  qu'on  les  différât  jusqu'au  retour  pro- 
chain du  visir.  Ce  n'était  pas  ce  que  Toulaient  les  jugcss. 
Persuadés  que  Mohammed  rendrait  justice  à  la  chré- 
tienne, ils  repoussèrent  tout  ajournement,  et  comme  ils 
avaient  la  force  en  main ,  sans  respect  pour  le  représeit«> 
tant  d'une  puissance  alliée,  ils  violèrent  son  domicile  ec 
en  tirèrent  l'infortunée  Schimouni  qui,  toujours  intré* 
pide  et  toujours  fidèle  à  son  Dieu,  pretesta  qu'on  la  eou- 


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109 
peraît  ea  morceaux  avant  de  lui  arracher  une  abju- 
ration. 

«  Tandis  qu'elle  passait  du  tribunal  dans  un  cachot 
affirenx ,  dont  il  fut  défendu  aux  chrétiens  d'aj^rocher, 
le  zèle  du  vice-consul  ne  restait  pas  oisif.  Déjà  il  avait 
expédié  au  visir  des* lettres  pressantes  qui,  malheureu- 
sement f  furent  interceptées  par  les  arabes  du  désert.  Un 
second  courrier  fut  plus  heureux'et  rapporta  des  iostruc* 
tions  favorables.  Mais  le  gouverneur  n'en  tint  pas  compte. 
H  la  réception  des  dépêches,  il  convoqua  le  divan ,  où 
ragent  français  fut*  appelé,  et  sans  communiquer  les  or- 
dres qu'il  avait  reçus/il  lut  la  lettre  dans  laquelle  M.  Benni 
dénonçait  au  visir  l'iniquité  des  magistrats  de  Mossoul  : 
«  Et  Toilà,  ajouta-t-il  en  fureur,. les  accusations  qu'un 
«  râla  se  permet  contre  nousl  Je  le  livre  à  vos  insultes, 
«  et  si  vous  cr.oyez  que  sa  mort  puisse  expier  votre  in- 
«  jure,  je  l'abandonne  à  votre  vengeance!  » 

«  On  n'osa  pascependantse  porter  contre  lui  à  cette ex- 
u*émité*MaisSchimouni  paya  pour  levice-consal.  Ra{q[>elée 
de  nouveau  à  la  barre  du  gouverneur,  elle  repoussa  avec 
une  nouvelle  énergie  les  dépositions  mensongères  des  té- 
moins. N'importe ,  on  voulait  en  finir  :  «  Au  nom  de  nos 
«  lois ,  dit  le  juge ,  je  te  déclare  musulmane  !  — Et  moi^ 
«  s'écria  la  captive ,  je  déclare  que  je  suis  chrétienne , 
«  que  je  l'ai  toujours  été^  que  je  le  serai  jusqu'à  la  mort.» 
Le  juge ,  bondissant  sur  son  tribunal ,  commanda  aux 
bourreaux  de  la  flage^er.  Jille  reçut  ce  jour-là  près  de 
cent  coups  de  bâton.  On  lui  arracha  avec  les  cheveux  des 
bmbeanx  de  peau  saignante.  —  «  Tant  qu'il  me  restera 
«  un  souffle  de  vie,  il  est  à  JésuS'^Christ,  »  murmurait  h 
jeune  fille  d'une  voix  étouffée  par  la  douleur.  A  ces  mots, 
le  cadi  s'en  prend  aux  bouire^ux  :  «  Ils  ne  font  pas  leur 
«  devoir,  dit-il  au  gouverneur.  Ne  voyez-vous  pas,  à  la 
«  mollesse  de  leurs  coups,  que  l'argent  du  vîce-consi;logle 


110 

«  retient  leurs  bn»?  L&issez-moi  faire;  je  me  cliarge  , 
«  moi  y  de  mesurer  le  châtiment  à  l'obstination  de  la 
«  chrétienne.  »  Et  il  la  fait  emporter  chez  lui  sur  un 
brancard,  loin  de  tout  encouragement,  de  toute  conso- 
lation humaine,  afin  de  la  torturer  plus  à  son  aise. 

«  Libre  cette  fois  de  persécuter  sans  contrôle  et  sans 
témoins ,  il  chargea  de  fers  sa  victime ,  la  tint  constam- 
ment eiposée,  sous  un  ciel  de  feu,  aux  ardeurs  brûlantes 
du  soleil,  joignant  chaque  jour  le  supplice  du  fouet  à  la 
privation  presque  totale  des  aliments.  Aussi  fut-elle  bien- 
tôt réduite  à  la  dernière  extrémité.  Un  médecin  qui  la  vit 
dans  cet  état,  pensa  qu'elle  ne  pouvait  pas  vivre  au  delà 
de  vingt-quatre  bemres.  Et  pour  désoler  encore  son  ago- 
nie ,  le  cadi  lui  répétait  sans  cesse  que  si  elle  ne  se  faisait 
pas  musulmane ,  on  allait  Tabandonner  comme  tm  vil 
jouet  aux  outrages  de  la  populace  turque. 

«  Dieu  ne  permit  pas  qu'il  réalisât  cette  horrible  me- 
nace. On  venait  d'apprendre  à  Mossoul  que  le  consul  gé- 
néral à  Bagdad  avait  porté  ses  plaintes  à  Constantinople  ; 
de  son  côté,  M.  Benni  avait  écrit  de  nouveau  au  visir,  et 
des  ordres  plus  impérieux  de  Mohammed  avaient  enjoint 
au  gouverneur  de  suspendre  la  procédure  jusqu'à  son  re- 
tour. Il  fallut  bien  céder.  Après  trois  mois  et  demi  d'ab- 
sence ,  Mohammed  rentrait  enfin  à  Mossoul ,  et  le  jour 
même  où  la  Chaldée  fête  la  patronne  d^  Sdiimouni ,  cette 
héroïque  néophyte  était  rendue  à  sa  mère.  Elles  reprirent 
ensemble  le  chemin  d'Amadie ,  lieu  de  leur  naissance  ^afin 
d'y  achever  leurs  jours  en  paix,  dans  la  pratique  de  la 
Religion  et  k  fidélité  à  la  foi  dont  elles  avaient  foilU  être 
les  martyres. — J^étais  moi-même  dans  cette  ville  an  mo- 
ment où  dles  venaient  y  chercher  le  repos. 

€  Agréez,  mon  révérend  Père,  etc. 

€  RlOCADOIVRA ,  5.  J.  » 

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111 


MISSIONS  DE  SIAM. 


Uttre  de  M.  Grandjean ,  Missionnaire  apostolique  dans 
le  royaume  de  Siam^  d  ses  frères  et  sœurs. 


Bangkok,  le  1"  août  i&i3« 


«  Mes  CHEas  Fabres  et  Scburs  , 

«  Je  ne  puis  répondre  aujourd'hui  à  toutes  vos  ques- 
tions; mais  puisque  mon  cher  Joseph  est  si  curieux  de 
savoir  comment  les  Siamois  font  la  guerre,  je  vais  vous 
en  dire  un  mot.  Permettez^moi  auparavant  quelques  ob- 
servatîoas  sans  lesquelles  vous  ne  comprendriez  rien  au 
système  militaire  que  je  vais  exposer. 

«  1*  A  Siam,  personne  n'est  indépendant  :  dès  qu'on 
jeune  homme  a  atteint  Tâge  de  seize  à  dix-huit  ans,  il 
est  obligé  de  se  donner  à  un  prince  ou  à  quelque  grand 
mandarin  qui  le  prend  sons  sa  protection ,  et  auquel  il 
a  recours  lorsqu'on  lui  suscite  une  querelle  ou  qu'on  lui 

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112 

iatenie  quelque  procès.  2°  Lorsqu'il  s'est  ainsi  inféodé  à 
un  grand  du  royaume ,  c'est  comme  soldat ,  comme 
médecin,  comme  peintre,  comme  orfèvre  ou  comme 
exerçant  un  état  dont  ce  seigneur  peut  tirer  profit,  en  le 
faisant  travailler  pour  lui  et  gratuitement  pendant  trois 
ou  quatre  mois  de  Tannée  ;  le  reste  du  temps  il  est 
libre  de  chercher  sa  vie  comme  il  peut.  3**  Si  le  client 
n'a  ni  état  ni  profession ,  il  est  obligé  d'apporter  chi- 
que année  une  certaine  quantité  de  riz,  de  fruits,  de 
gibier,  d'ivoire  ou  d'autres  choses  utiles ,  en  tribut  à  son 
suzerain.  4°  Dès  qu'un   Siamois  &'est  constitué  vassal, 
tous  ses  enfants  mâles,  de  génération  en  génération,  dé- 
pendent du  prince  dont  il  est  feudataire,  et  lorsqu'ils 
sont  en  âge ,  ils  sont  tenus  de  rendre  à  ce  prince  les 
mêmes  services  que  leur  père ,  c'est-à-dire  d'être  soldats 
si  leur  père  était  soldat,  médecins  s'il  était  médecin^  etc. 
Voilà  pourquoi  tous  nos  chrétiens  sont  ou  militaires,  ou 
médecins,  ou  interprètes.  6®  Un  chef  est-il  appelé  par  le 
roi  sous  les  drapeaux,  il  emmène  avec  lui  tous  ses  clients, 
les  uns  en  qualité  de  combattants  ,  les  autres  de  ra- 
meurs, ceux-ci  pour  prendre  soin  de  sa  santé,  ceux-là 
simplement  pour  lui  former  un  cortège  d'honneur  ;  en 
sorte  que  sur  cinq  ou  six  mille  hommes  qui  entrent  en 
campagne,  il  n'y  en  a  quelquefois  que  cent  ou  deux 
cents  qui  ^rtent  le  fusil.  6^  Au  retour  de  l'expédition, 
chacun  re^id  son  arme  et  rentre  dans  ses  foyers  :  de  cette 
manière,  il  est  beaucoup  de  Siamois  qui  sont  allés  sou- 
vent à  la  guerre,  et  qui  n'ont  pas  fait  feu  une  seule  fois 
en  leur  vie.  7®  Un  soldat   reçoit   une  paye  annuelle 
de  trente -six  francs;  un  médecin  et  un  interprète,  de 
quarante-huit  ;  et  pour  un  si  beau  salaire  ils  sont  assujet- 
tis à  des  corvées  qui  les  occupent  au  moins  deux  ou  trois 
mois  par  an.  De  plus,  lorsqu'ils  sont  en  campagne ,  leur 
absence  «e  prolonge  quelquefois  une  ou  deux  années, 

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113 
pendanl  lesqvaUeft  îk  sont  obligés  de  se  procurer,  à 
leur  compte,  la  nourriture  et  les  véteoientsBécessaîres; 
or,  près  ou  lôki  de  leurs  familles^  eu  temps  de  guerre  ou 
eo  temps  de  paix,  ils  ne  reçoivent  jauiaîs  que  leur  solde 
aosuelie ,  qui  se  distribue  en  présence  du  roi  et  avec 
uae  grande  solennité.  Aussi  la  plupart  de  nos  cbréiieus 
sont-ils  très-pauvres,  et  c'est  presque  toujours  la  feumie 
qai  nourrit  le  mari  et  les  enfiints,  soit  en  faisant  des 
gâteaux,  soit  en  péchant  des  écrevisses  à  la  ligne ,  ou  en 
élevant  des  pores  qu'elles  vendent  aux  Chinois. 

«  Lorsqu'une  expédition  est  résolue,  et  qu'un  chef  a 
reçu  ordre  du  roi  de  mardier  à  l'ennemi,  il  fait  aussitôt 
sverthr  tous  ses  dients  de  se  préparer  à  partir  au  premier 
lignai.  Chacun  alors  fût  sa  petite  provisicm  de  rix,  de 
tsbac^  de  sd,  d'arèqne  et  de  bétd,  qu'il  met  dans  un 
satc,  ainsi  qu'un  vase  en  terre  pour  cuire  son  riz  ;  et  au 
joor  marqué  on  se  rend  chez  te  prince,  où  on  l'attend 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  prêt  :  il  parait  enfin,  monté  sur 
son  déphant,  et  chacun  le  suit  à  pied,  péîe-méle ,  sans 
ismbour  ni  trompette. 

«  On  se  met  en  route  avant  le  jour;  vers  les  neuf  ou 
dSx  heives  du  matin ,  on  s'arr^  pour  prendre  un  peu 
d'ilimeot  et  d^repos;  et  quand  la  ctoleur  commence  &  di- 
oinner,  c'est-à-dire  vers  trois  hem*es  du  soir,  on  continue 
la  marche  jusqu'à  la  auiu  A  peine  a-t-on  fait  halte,  que 
h  troupe  s'éparpille;  chacun  va  ramasser  un  peu  de 
bois,  bit  cuire  son  riz,  le  mange  et.se  couche  à  la 
bdie  étoile.  Il  n'y  a  que  le  général  et  les  grands  cheis 
qui  soient  abrités  pa^  des  tentes;  tous  les  autres  dor- 
meott  oo  du  moins  passent  la  nuit,  exposés  à  te  rosée, 
au  veut  et  à  la  pluie. 

€  Au  bout  de  quinze  jours,  de  trois  semaines  au 
phs,  les  peUtes  provisions  des  soldau  étant  épuisées, 
ib  u'out  plus  de  resaouree  pour  vivre  que  dans  le  vol  ou 
vos.  xm.  99.  A 


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114 

Vkmatme^  matscamme  ils  n'ont  pas  toujbun  oocasMfttte* 
pRier  08  de  mendier  ^  ih  passent  souvent  no  et  doux- 
jours  sans  aucniie  nonrriture.  La  fiè>Te  ùâi  alors  purm 
eu3i  d'affirenx  ravages;  et  ce  qui  mnliiptie  encore  les* 
VYCtimes,  cVsl  <{ue  n'ayant  point  dli^itaux,  les  médie- 
CM»  ne  soignant  le  malade  qu'autant  quil  peut  suivre  le 
corps  d'armée  ;  dès  qu'il  n'a  plus  la  force  de  soutenir  une 
longue  marche,  ne  fût-il  que  légèrement  blessé,  on  lui 
prépare  deux  rations  de  riz,  et  on  l'abandonne  ainsi  au 
milieu  des- déserts  où  il  est  bientôt  la  proie  des  bétes  fé« 
i*oces.  Figurez-vous  un  de  ces  malhenreux  délaissés  dans 
èes  higtibres  solitudes,  quel  ne  doit  pas  ttre  son  déses*- 
poir  !  Mais  c^est  bien  autre  chose,  lorsque  après  une  ba-» 
(aille  on  en  abandonne  ainsi  deux  ou  trois  centi  qui  ne 
peuvent  plus  marcher,  et  qui  se  voient  movrir  de  fiai» 
ou-  dévorer  par  les  tigres  I 

«  Il  est  vrai  qu'ils  évitent  le  combat  autant  qu'ib 
peuvent ,  et  qu'ils  ne  cherchent  guère  qu'à  surprendra 
çà  e^  i^  quelques  hommes  isolés,  afin  de  les  présenter 
au  roi  comme  un  gage  de  leur  victoire.  Quelquefois  ils 
^ont  surpris,  à  leur  tour,  par  l'ennemi  qui  les  massacre 
^ns  pillé ,  ou  les  nenvoîe  dans  leur  pays  après  lea» 
àvorr  coupé  le  nez ,  les  oreHIes ,  ou  les  extrémités  des 
pieds  et  des  mains  ;  car  les  Annamites  ne  se  soudent  pâs^ 
comme  les  Siamois ,  de  fairo  des  prbonniers^ 

a  Dans  la  guerre  qui  eut  lieu  Tannée  deiwère.^ 
coitime  presque  tons  mes  dbréUens  éftaieat-  partis,  aveé 
un  frère  do  roi ,  qui^dirigea  son  expédition  par  m^,  il 
n*en  mourut  qu'un  sent,  et  ce  fttt  de  maladfev  Ce  génénil 
avait  la  réputation  d'bn  prince  guerrier  :  sans  doute  q«t 
^  valeur  s'était  signalée  par  de  plus  briffants  eitpiéit»; 
cai- après  avoîï' examfné  de  loin  avec  une  innêtte  d*ap- 
proche  ta  forteresse  qu'on  voulait  emporter  ,  it  se  reUrs 
S  deux  |ournèes  de  cR5taiw?e,  eftjcnyftwilf  è  ses  h?a»pes  de 


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eommencer  Tattaque.  On  suivit  ses  ordres,  c'est-à-dire 
qa'oD  tira  le  canon  pendant  quatre  ou  cinq  jours  ,  mais 
4e  si  loin  que  les  boulets  n'arrivaient  pas  même  au  pied 
des  remparts  ;  puis  on  lui  fit  dire  que  les  projectiles  el 
la  poudre  étaient  entièrement  épuisés.  Aussitôt  il  envoya 
un  messager  prévenir  le  roi  que  la  citadelle  était  impre- 
nable, et  il  reçut  ordre  de  revenir.  Il  n'en  fut  pas  aiosi  de 
ceux  qui  formaient  l'année  de  terre,  presque  toute  com- 
posée de  païens  :  ils  sont  encore  en  campagne  ;  la  fièvre» 
la  fiiim  et  la  misère  en  tuent  tous  les  jours  un  grand  nom- 
bre ;  jusqu'à  présent  ils  ont  fait  prisonniers  environ  trois 
eentsCœhiiichiBois  tout  au  plus,  et  leurs  morts  s'élèvent 
déjà  à  plus  de  quinze  mille.  En  voilà  assez ,  je  pense , 
pour  TOUS  donner  une  idée  du  courage  des  Siamois  et  de 
b  manière  dont  ils  font  la  guerre. 

€  Je  ne  sais  pas  si  dorénavant  je  pourrai  vous  écrire 
aussi  souvent  que  je  l'ai  fak  jusqu'ici  ;  car  dernièrement 
il  a  été  résolu  qu'aussitôt  là  saison  des  pluies  passée , 
c'est-à-dire  vers  la  fin  de  novembre,  je  me  mettrais  en 
route  pour  essayer  de  pénétrer  dans  le  Laos,  pays  que 
Monseigneur  voudrait  enfin  évangéliser.  Ce  voyage  qui  doit 
durer  pRès  de  deux  mois,  toujours  en  barque,  ne  pré- 
sente rien  de  bien  dangereux  de  la  part  des  voleurs  ou  des 
bétes  féroces;  mais  comme  je  suis  obligé  de  partir  en 
cachette,  vu  qu'on  ne  m'accorderait  point  de  passeport , 
je  ne  sais  pas  encore  quel  parti  prendre  pour  éviter  les 
douanes  des  frontières,  qui  ne  manqueraient  pas,  si 
j'étais  reconnu,  de  me  ramener  à  Bangkok  de  brigade  en 
brigade.  Si,  une  journée  ou  deux  avant  d'arriver  à  ces 
douanes,  je  rencontrais  un  guide  qui  .voulût,  pour  de 
l'argent,  me  dérober  à  leur  surveillance,  en  me  condui- 
ant  à  pied  par  monts  et  par  vaux,  je  laisserais  là  ma 
barque  et  je  partirais  volontiers  avec  lui ,  m'abandon- 
liant  à  la  Providence  ;  autrement ,  je  serai  obligé  d'al- 

8. 


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116 

1er  droit  aux  postes  militaires,  sans  paraître  les  craiD- 
(Jre,  et  si  je  m'aperçois  qu'on  songe  à  m'arrêter ,  il  fau- 
f]ra  alors  tûcher  d'épouvanter  le  chef  en  lui  faisant  en- 
tendre que  je  suis  libre,  et  qu^il  n'a  aucun  droit  sur  ma 
personne,  ou  bien  lui  fermer  la  bouche  avec  de  l'argent. 
Qu'un  de  ces  moyens  réussisse,  il  est  bien  probable  que 
je  m'établirai  au  Laos,  pour  ne  plus  revenir  à  Bangkok. 
A  la  volonté  de  Dieu  I  Tout  ce  que  je  puis  vous  demander, 
c'est  de  prier  pour  le  succès  de  mes  travaux  au  cas  que 
je  puisse  annoncer  l'Evangile  h  ce  pauvre  peuple. 

«  Je  suis,  daos^Ies  saints  Gbots  de  JésQS  et  de 
Marie , 

«  Votre  tout  dévoué  Frère , 

«  J.  -B.  Grakdjeaii  ,  Miês.  apost.  » 


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117 


Extrait  éTune  letlre  de  Mgr  PalUgoix,  Ficaire  apostolique 
deSiam,  à  M.  Alhrand,  directeur  du  Séminaire  de» 
Missions  étrangères. 


Bangkok,  le  2t  jaiUe(  iSï^. 


«  Cbek  Confère  , 

c  Je  \ien$  de  faire  un  long  voyage  avec  M.  Vachal  et 
H.  Albrand,  voire  cousin.  Après  avoir  navigué  an  sud-ouest 
de  Bangkok,  Teau  venante  nous  manquer,  il  fallut  Ci- 
rer nos  barques  sur  la  vase;  puis  tournant  à  Pouest  et  re- 
montant un  magnifique  canal  tiré  au  cordeau,  nous  en- 
trâmes dans  la  rivière  7%d  c;Am,  dont  Tembouchure  est 
large  et  majestueuse.  A  demi-Journée  de  li,  oa  com- 
mence à  reifcontrer  des  bâtiments  immenses  oà  l*on  fa- 
brique le  sucre  ;  chaque  manufacture  occupe  au  moins 
deux  cents  ouvriers,  tous  Chinois.  Or,  ces  établissements 
se  comptent  par  centaines.  Votre  cousin  m'avait  devancé 
auprès  d'eux;  le  lendemain  matin  ^aperçus ce  Mission- 
naire debout  sur  le  rivage,  à  la  tête  d'une  soixantaine 
de  Chinois  chrétiens*  Ma  barque  mandarine  se  dirigea 
de  ce  côté ,  et  je  débarquai  devant  une  petite  église 
couverte  en  chaume  où  l'on  célébra  les  saints  mys- 
tères. 

«  Je  laissai  M.  Albrand  préparer  ses  néophytes  i  h 
confirmation,  et  en  compagnie  de  M.  Vachal  je  poussai  me» 


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118 

découvertes  presque  jusqu'à  la  source  de  la  rivière,  Tes- 
pace  de  soixante  lieues  environ.  Arrivé  à  la  ville  appelée 
Sùphântbâburi,  je  fus  arrêté  par  des  bancs  de  sable  in- 
surmoni  ibles.  Là  se  trouve  une  population  de  plusieurs 
milliers  deLaociens,  le  fleuve  est  extrêmement  poisson- 
neux et  infesté  de  crocodiles  ;  les  plaines ,  parsemées 
d*an tiques  palmiers,  sont  d'un  coup  d'œil  magnifique; 
en  |)or(ant  ses  regards  à  Test,  sur  un  terrain  légère- 
ment ondulé  et  fuyant  à  perte  de  vue ,  on  a  le  même 
horizon  qu'en  mer  ;  à  Touest ,  il  est  borné  par  une 
diatne  de  montagnes  ou  abonde  surtout  le  bois  de  cam- 
pèche. 

«  De  là  nous  redescendlnes  vers  «se  petite  ri- 
vière qui  coule  au  nord  ouest;  nous  y  trouvâmes  une 
quantité  de  barques  annamites,  appartenant  à  nos  chré- 
tiens qui  foBt  la  pêche  ,  et  qui  nous  approvisionnèrent 
de  poissons  et  de  tortues.  Nous  visitâmes  Sông-Phiaàng, 
gros  village  pittoresque ,  bâti  au  milieu  des  campagnes 
de  riz  et  tout  près  de  la  lisière  des  bambous  sauvages  qui 
bordent  le  pied  des  montagnes.  J'allai  offrir  quelques 
présents  au  chef  du  village,  riche  propriétaire  qui  a  une 
vingtaine  d'éléphants  et  plusieurs  cenuines  de  buffles. 
Je  me  mis  à  le  prêcher  ainsi  que  sa  famille,  et  il  reçut  b 
bonne  nouvelle  avec  joie,  promettant  de  venir  plus  tard 
s'insuuire  à  Bangkok.  De  SôngPlunông nous  nous  ren- 
dîmes i  Nâkôn-xâi-sl,  ville  considérable  dont  la  popu- 
lation se  conii>ose  de  Chinois ,  de  Laociens ,  de  Cambo- 
giens  et  de  Siamois;  sa  latitude  est  à  peu  près  huit  lieues 
au  nord  de  la  capitale.  Quand  j'eus  confirmé  et  visité  les 
néophytes,  nous  revînmes  à  Bangkok  par  un  canal  étroit, 
éont  la  navigation  est  exploitée  par  des  douaniers. 
Comme  leurs  attelages  n'étaient  p^  prêts ,  et  que 
nous  ne  voulions  pas  attendre,  nous  flmes  remorquer  nos 
barquei^  par  nos  rameurs.  Quand  ils  furent  essoufflée» 


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119 
hors  4%«lttne,  il  feUut  bien  nom  mettre  de  la  ptr- 
lie  et  tirar  Dôufl-mémes  comme  des  buflles.   Qwt  ne 
rieivil  ici  dte  enUrefH^neiars  de  canaux  et  de  §kmmm 
4eferi 

c  Je  suis  pfe3sé,  je  pars  cette  miîi  pour  Juthia*  Jie 
foos  prie  de  présenter  mes  amitiés  àfoitô  nt^s  ehers  dÎMO- 
««OIS.  Tous  mt%  GOnfirères  se  portant  Um.Pnn  pour 


«  Votre   très -humble  serviteur   et   frère  en  Jésus- 
Christ. 

«  f  J.  BAFtisn^   Bvêque  de  âlMm, 

Ficairt  apeÊtélique  dH.Simïïi.  f 


SHieê  mtr  U  numdarin.BenoH,  par  U  même  PrdaL 


«  Le  mandarin  Benoit  a  été  d^une  grande  édificatioM 
pour  la  chrétienté  de  Bangkok  pendant  sa  dernière  et 
longue  maladie,  et  ses  funérailles  ont  été  Faites  avec 
beaucoup  de  pompe,  pour  répondre  aux  dé$*irs  du  roi 
^  des  princes. 

«  Benedicto  Ribeiro  dss  Alvergarias  ,  issu  d'anciens 
^irtugais,  autrefois  auxiliaires  à  la  cour  de  Camboge, 
UiBsmigra  de  la  province  de  Battarabang  i  Bangkok, 
avec  lous  les  chrétiens  de  son  village,  tl  était  alors  ^é 


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ISO 
d*me  donsaine  d'années.  Peu  après,  ses  parents  ren- 
voyèrent an  collège,  et  de  Ik  il  fut  assoaé,  comme  collu- 
bcMrateur,  à  un  prâtre  qui  allait  faire  misûon.  II  m*a  ra- 
conté lui-même  qu'il  a  fait  bien  des  courses  et  essuyébien 
des  fiitigues  pour  procurer  le  saint  baptême  à  une  foule 
d*enfanis  moribonds. 

«  Plus  tard  il  se  maria;  msis  le  choléra  lui  ayant  bientAt 
enlevé  soa  épouse,  il  détacha  de  sa  succession  deux  vastes 
bâtiments  qu'il  offrit  à  TEglise  pour  en  faire  un  presbytère. 
N'étant  encore  que  lieutenant*canonnier,  il  avait  su  cap- 
tiver les  bonnes  grâces  du  roi  qui,  l'ayant  emmené  à  la 
.guerre  du  Laos,  lui  faisait  préparer  les  mets  de  sa  table, 
ce  qui  indique  qull  avait  une .  confiance  exclusive  en  sa 
fidélité,  craignant  sans  doute  que  tout  autre  ne  l'empoi- 
sonnât. 

«  Un  jour  que  le  roi  avait  fait  attacher  des  prisonniers 
Laociens  à  la  bouche  d'un  canon,  il  ordonna  à  Benoit 
d'y  mettre  le  feu  ;  mais  lui,  en  digne  chrétien  qui  a  hor- 
reur de  servir  d'instrument  à  un  acte  de  barbarie ,  se 
tenait  prosterné  devant  son  prince  sans  bouger,  quoi- 
qu'il sût  bien  qu'il  s'exposait  à  la  mort  par  une  telle 
désobéissance.  Le  monarque  irrité  le  fit  saisir  pmr  ses 
satellites,  et  un  autre  fit  feu  à  sa  place.  Quand  la  colère 
du  roi  fut  passée  :  «  Misérable ,  dit-il ,  je  te  pardonne  ; 
«  mais  pourquoi  n'as-tu  pas  fait  feu  à  mon  ordre  ?  — 
«  Je  craignais  le  péché,  répondit  Benoît.  —  Vous  au- 
«  très  chrétiens,  repartit  le  prince,  vous  observez  une 
«  religion  bien  austère.  » 

«  Quelque  temps  après,  le  roi  éleva  Benoit  au  grade 
de  grand  mandarin,  avec  le  titre  de  Phdja  Fîsét  Sông 
Kram  min  pûn  jâi  (mandarin  précieux  de  la  guerre  , 
habile  à  tirer  le  canon).  Le  jour  de  son  installation,  il  y 
eut  selon  la  coutume  une  procession  solennelle  autour 
des  remparts  avec  musique  et  fanfares.  Le  nouvean 


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flMBcburm  élail  kahiUé  en  costume  de  général  eturopéen, 
avec  chipeau  i  grand  plumet ,  assis  les  jambes  croisées 
sur  une  estrade  dorée  que  supportait  un  petit  char 
attelé  de  deux  ânes ,  monture  d'honneur  dans  ce  pays. 
Toot  le  cortège,  composé  de  plus  de  deux  mille  hommest 
défila  sur  la  place  royale  devant  Sa  Majesté  siamoise  qui^ 
placée  au  balcon  d'un  belvédère,  frappait  des  mains  en 
signe  d^applaudissement. 

«  Le  mandarin  Benoît  avait  un  si  bon  coeur  qu*il  au- 
rait voulu  rendre  service  à  tout  le  monde;  chrétiens  et 
paiens  s^adressaient  à  lui  de  tous  c6tés,  et  quand  il  s'agis- 
sait de  leur  obtenir  quelque  faveur ,  malgré  une  hernie 
qui  le  tourmentait  sans  cesse ,  il  était  d'une  activité  sur- 
preKmte.  Plus  d'une  fois,  en  voyant  qu'il  achetait  sou- 
vent des  esclaves  paienSt  trop  jeunes  ou  trop  vieux  pour 
'ui  être  d'sncun  secours,  je  loi  demandais  de  quelle  «U- 
lité  lui  seraient  ces  gens-li?  «  Je  les  achète,  répondait^!, 
•  pour  avoir  leur  âme  ;  »  et,  enefliet,  le  plusgrand  nom- 
bre de  ses  esclaves  a  été  baptisé.  11  a  aussi  procuré  le 
même  bienfait  i  «ne  femme  de  distinction  que  le  roi  hiî 
anit  fait  épouser  eh  secondes  noces. 

«  En  1834,.qnand  les  Siamois  allèrent  attaquer  la  Go- 
<4rinchine,  Bendt  eut  encore  souvent  occasion  de  mon- 
trer su  charité  peur  les  malheureux.  A  la  prise  de  Cho- 
dok,  ordre  fut  donné  par  le  barcalon,  ou  général  en  cht  C 
de  massacrer  tous  les  prisonniers  qu^on  trouva  aux  (rrs 
ou  à  la  cangue  dans  les  cachots.  Dès  qu'il  le  sut,  Beuok' 
se  hâta  d'aHer  implorer  la  démence  du  grand  mandarin, 
deifandaftt  au  moins  la  vie  des  chrétiens  détenus  pour 
cause  de  rdigioB*  Il  fut  as$ea  heureux  pour  Tobienir,  et 
ausshdt  il  courut ,  aitiva  juste  au  moment  où  le  i^laive 
altattt  frapper  les  vidônes ,  et  arracha  dee  mains  «les  sfl* 
data  une  doinaine  de  chnétîena,  qu'il  amena  .commckea 
triomphe  à  la  barque  de  guerre  ^{1^1  meiiiaH« 


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1Î2 
«  Il  avait  aussi  tin  tèîe  extraordiâdrê  pMr  ie  ouke 
divin.  Ayant  équipé  et  chargé  une  somme  dinroîso,  il  6i 

'%*t3eu 'qu'au  retour  du  navire  il  emploiratt  la  moitié  du 
gain  ft  construire  une  belle  église  :  mais  ses  désirs  funeni 
trompés,  la  somme  fit  naufrage,  et  néaomoivs  deux  ou 
trois  nns  après  il  se  donna  tant  de  movvenieits  qu'il  put 
élever  un  beau  temple  au  vrai  Die«  ;  on  peut  dire  q«e  te 
fut  à  la  sueur  de  son  front,  puisqu'il  surreilluit  lui- 
même  Fouvrage,  encourageait  les  travailleurs  et  mettait 

'  souvent,  avec  eux,  la  inatn  à  IVeuvre. 

«  n  seraittrop  long  de  raooncer  tous  les  services  qu'i  / 
a  rendus  à  la  religion  sur  ceite  terre  idolâire.  PiEu*ve«u 
(É  Fige  de  soixante-sîK  ans,  ses  infirmités  dégénérèrent  en 
«rises  très-douloureuses;  il  se  bdu  donc  de  mett»  ordre 
à  sa  maison  et  i  sa  conscieiios..Il  dit  à  son  frère^  en  ma 
présence  :  «  Je  t'en  prie,  charge-toi  An  soin  de  tnès 
«  affaires,  des  remèdes  et  de  tout  ce  qui  regarde  le 
«  corps;  pour  moi,  je  neveux  plusm'ooeuper  quede  mon 

'  «  âme.  s  A  la  nouvelle  qu'il  allait  plus  mal,  le  roi  lui 
envoya  sept  de  ses  médecins  qui  ne  le  quittèrent  plus. 
Un  chef  des  pages  venait  ions  les  jours  de  sa  part  avec 
des  présents  de  fleurs  et  de  fruits  rares ,  éi  allait  rendre 
compte  au  roi  de  l'état  du  malade.  Ua  jomr  Sa  Mi^é 
lui  fit  dire  :  «  Je  vois  bien  que  mes  oiédetitts  auront  de 

•  la  peine  à  vous  guérin  dites  à  l'Evéque  et  aux  prêtres 

•  qu'ils  fassent  des  bonnes  oeuvres  tant  qu'ils  pourront, 

•  pour  vous  ooneerter  la  vie.  • 

«  Bnfin,  afffès  avoir  reçu  tous  Isa  secours  de  la  reli- 
gien,  purifié  par  une  longue  et  emelle  ottladie ,  et  sen- 
tant sa  fin  approcher,  il  appda  sa  femne  et  ses  enfiotts , 
lenf  fit  te  signe  de  la  croix  s«r  le  front,  ieur  dsmui  sa 
béftédiciton  dernîèrt,  eta'endonmh  daas  le  Seigneur,  le 
8  mars  1 S43.  Dans  cette  MkAk  «éoM,  son  frère  alla  en 
porter  la  nooveHe  a«  roi  qui  lui  dit  anee  ua  leadrt  infeé- 


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123 

rét  :  «  Eh  bien!  maintenant ,  foules- vous  que  j^envoie 
•  cent  lalâpoins  pour  prier  auprès  de  son  corps?  — 
«  Sire,  je  ne  le  désire  pas.  —  Voulez -vous  que  j'aide  en 
«  quelque  chose  aux  funérailles? — Gomme  il  plâtra  à 
«  Votre  Majesté.  »  Le  roi  fit  donner  des  parfums  pour 
laver  le  corps,  des  étoffes  blanches  pour  Ten^evelir,  de  la 
dre  et  une  somme  de  quatre-vingts  ticaux  (1). 

«  Pendant  l^  huit  jours  qu'on  employa  à  préparer 
les  funérailles,  des  groupes  de  chrétiens  siamois,  cambo- 
gians,  chinois  et  annamites  récitaient  le  chapelet,  chacun 
i  son  tour  et  dans  sa  langue,  au  lieu  où  le  corps  était 
eiposé  ;  pendant  ces  huit  jours,  bien  des  princes  et  des 
oandanns  envoyèrent  aussi  leur  offrande.  Enfin  les 
ebsëqoes  furent  célébrées  avec  pompe,  au  milieu  d'une 
■lulliiade  de  cbréliens  et  de  païens  qui  regrettaient  eo 
U  \mt  chef,  leur  ami  et  leur  bienfaiteur.  » 


ii)  «  La  tical  Tant  «nriroo  tîogt-cioq  ffanc«  df  oo(rf  roooDaiif. 


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Lettre  de  M.  Raymond  Jlhrandj  Missionnaire  apostolique, 
d  M.  JJhrand,  son  frère. 


Bangkok,  24  mars  1 843. 


«  Mon  chee  Frèib  , 

«  Depuis  que  Mgr  Courvesy  me  rappela  en  1834  de 
ma  chère  Mission  de  Syncapour ,  pour  venir  évangéliser 
les  Chinois  qui  habitent  le  continent  et  qui  forment  la 
moitié  de  la  population  siamoise  «  jusqu'à  Tarrivée  de 
mon  cher  confrère,  M.  Dupont,  ma  vie  a  été  des  plus 
monotones.  La  seule  ville  de  Bangkok,  si  grande  et  si 
peuplée ,  étant  plus  que  suffisante  pour  occuper  tous 
mes  instanu,  je  ne  pouvais  faire  aucune  excursion  danr 
riniérieur  du  pays.  Poser  les  premiers  fondements  de 
ma  chrétienté  naissante ,  lui  donner  le  développement 
dont  rheureuse  disposition  des  Chinois  envers  notre 
sainte  religion  la  lendait  susceptible,  chercher  de  nou- 
veaux prosélytes,  et  pour  cela  parcourir  en  barque  les 
rues*canaux  de  la  capitale,  qui  est  bâtie  sur  pilotis 
comme  Venise,  les  instruire,  les  baptiser,  leur  accorder 
les  soins  et  les  secours  de  mon  minisièie,  que  leur  jeu* 
nesse  dans  la  foi,  leur  fervente  piété  rendaient  indispen- 
sables, tel  a  été  mon  apostolat  pendant  cinq  ou  six  ans  : 
apostolat  si  consolant  que,  n'eussé-je  pas  obtenu  d'autre 


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125 

résolut  de  mes  efforis  ,  je  me  croirais  trop  dédommagé 
de  tous  mes  sacriGces;  non,  ce  n^est  pas  inutilement  que 
fauraîs  traversé  les  mers.  Peut-on  trop  faire  pour  le 
salut  d'une  seule  âme?  Et,  quand  un  Missionnaire  voit 
soD  ministère  béni  par  des  conversions  nombreuses,  est- 
il  au  monde  une  position  préférable  à  la  sienne? 

«  Après  1840,  UM.  Dupont  et  Vachal  m'ont  été  succès- 
tifemenl  adjoints,  et  Parrivée  de  ces  deux  confrères  m*a 
rempli  le  cœur  de  joie.  Désormais  je  suis  assuré  sur  Ta- 
îenirde  ma  Mission,  mes  pauvres  Chinois  de  Siam  ne  se- 
ront pas  abandonnés  ;  je  puis ,  quand  le  Seigneur  k 
foadni,  chanter  mon  Nunc  dimitiis. 

«  Ce  double  renfort  a  ouvert  un  plus  vaste  diamp  à 
mon  ministère.  Mgr  Pallegoix ,  notre  Vicaire  apostoli- 
<iue,  a  jugé  le  moment  opportun  d'appeler^  par  une  pré* 
dication  plus  directe,  &  la  connaissance  de  TEvangiie  et 
i  la  participation  du  sahit  tous  les  Chinois  répandus  sur 
la  surface  du  royaume.  En  conséquence,  dans  les  trois 
années  qui  viennent  de  s^écouter^  fai  multiplié  mes 
courses  à  travers  les  provinces.  Je  consacre  environ 
ni  mois  à  cette  œuvre,  b'est-à-dire  la  seule  partie  de 
Tannée  où  Ton  peut  voyager  sous  ces  climats  brft- 
bntset  mabams*  Partout  le  Seigneur  a  béni  les  travaux 
de  son  pauvre  prêtre  ;  diverses  localités  sont  devenues 
des  stations  chrétiennes  où  s'oAre  de  temps  en  temps  le 
^Ariiable  sacrifice  ;  je  ne  leur  fais  pas  de  visites  sans  y 
baptiser  im  certain  nombre  de  nk>phytes  de  tout  âge, 
préparés  d'avance  par  mes  catéchistes  qui  presque  ton* 
joon  m'y  précèdent.  Ces  catéchistes  me  sont  du  plus 
P*9d  secours  poui*  le  succès  de  mon  ministère;  mais 
(onbien  serait  pins  abondante  la  moisson,  s^il  nous  ar- 
rinit  de  ftouveain  eolldliorateurs,  si  nos  ressources 
teient  moins  en  ^dftproportion  avec  nos  besoins  I 

«  Torin-toos  atoir  une  idée  de  mes  cesses  aposto* 


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tiques  ?  Pout*  cela  ,  je  n'ai  qu'à  raccmter  mon  dernier 
foyage,  car  ils  se  ressetublenl  tous.  Bang-pla-foiy  sla- 
tioQ  nouvellement  érigée  ,  a  reçu  ma  première  visite. 
Pour  m'y  rendre,  ainsi  qu'aux  autres  chrétientés  épar- 
ses  à  Test  de  Bangkok^  il  me  fout  traverser  le  golfe,  ce 
qui  n'est  pas  très-rassurant,  vu  la  petitesse  de  ma  bar- 
que.  La  tempête  nous  surprit  au  milieu  des  flots  ;  plu- 
sieurs fois  ma  faible  embarcation  &illit  chavi^^r  :  néan- 
moins,  alors  comme  toujours,  j'étais  sans  crainte,  sa- 
chant par  expérience  qu'il  y  a  une  Piovidence  spéciale 
pour  les  Missionnaires.  Et  d'ailleurs,  en  cas  d'accident, 
qui  y  [perdrait  7  Assurément  ce  ne  serait  pas  moi. 

«  Dans  toutes  mes  excursions ,  je  porte  avec  moi  une 
ample  provblon  de  quinine ,  afin  que,  si  la  fièvre  venait 
à  me  saisir,  je  pusse  m'en  défendre  avec  quelques  pi- 
lules. AssQz  souvent  je  trouve  occasion  d'en  faire  part 
aux  malades  que  je  visite,  et  il  n'en  faut  pas  davantage 
pour  me  faire  auprès  d'eux  la  réputation  de  docteur. 

f  Cette  précaniion  est  surtom  nécessaire  lorsque  je 
vais  pr^  des  montagnes.  Les  naturels  disent  qu'elles  sonc 
inle^i^  de  malins  esprits  qui  font  mourir  en  vingi- 
quatre  heures.  Avec  des  idées  plus  saines,  nous  appelons 
tout  simplement  ces  malins  esprits  fièvre  des  bois  :mz-; 
ladie  très- dangereuse  en  eSet ,  et  qui  a  bientôt  em- 
porté ses  victimes;  pour  en  être  atteint,  il  suOit  de  se 
reposer  sous  les  arbres  touffus  des  montagnes,  ou  d'y  boire 
de  l'eau  fraîche.  On  voit  sur  les  sentiers^  au  milieu  de 
âes  forêts  insalubres ,  beaucoup  d'ossements  humains. 
Jusqu'ici ,  grâce  à  Dieu,  j'ai  été  préservé  du  fléau. 

«  Mon  flostume  de  voyage  est  assez  singulier  pouir 
qpie  jevousen  dise  deux  mots.  Saps  bûs,.i^an$  souliers, 
jans  ekepeaa,  à  plus  forte  rtiaoA  sans  soutane,  je  che- 
mine avec  tout  le  sans-Êiçon  du  pays ,  eoqmrt  d'uçe 
^mple  cbemise  et  d'un  pantalon*  Ce  c|tti  serait,  j^reique 


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w 

UA  ^caudale  «n  Francf  est  ici  nécessiié  ;  nous  sommes 
oUigéa  de  aous  vêtir  de  la  sorte,  afin  de  xi'étre  pas^  re- 
coMus  comme,  étrangers  et  ramenés  à  la  capitale,  où 
probablement  on  ne  nous  ferait  d'autre  mai  que  de 
nous  ÎBierdire  de  nouvelles  sorties.  Les  Siamois  prennent 
cette  précautiou  par  la  crainte  de  favoriser  Tinvasion  du 
i^piime,  ^laissant  circuler  en  liberté  des  eitplorateurs 
e^neoiÎB.  Pour  nous  la  m^esure  est  mutile  :  travestis  de 
lamiaoière  <^  je  viens  de  décrire,  nous  pass(ms  pour  des 
diiiécieBs  i»aii&  de  Siam  ;  seulement,  le  profil  de  notre 
tes  et  la  nuance  de  notre  leînt  nous  trahissent  quelque- 
Kms*  aux  Cliînois  même  païens  je  ne  fais  pas  mystère  de 
ma  naissance,  ils  na  m*ont  jamais  dénoncé;  et  pour  mes 
Chinoi»  convertis^  je  a'oserais  pas  même  leur  faire  Tin- 
juve  d'an  tel  soupçon» 

«  Tous  ne  sauriez  croire  jusqu^à  quel  point  ils  me  sont 
rtoonnaissan^s  du  bienfait  de  la  foi ,  que  le  Seigneur  a 
daigné  leur  accorder  par  mon  ministère.  Lorsque  mes^ 
QHéciiistes  esihortent  à  s'amender  quelques  chrétiens 
oeins  fervents  que  les  auu*es,  je  les  ai  souvent  sur- 
pris à  leur  dire  que  leur  conduite  attriste  le  vieux  Père , 
lai  qui  a  quitté  parents,  famille  et  patrie,  qui  est  venu 
^siloînippur  le  salut  de  leurs  âmes.  C'est  là,  de  tous^ 
barguaieiili,  celui  qui  fait  le  plus  d'impression  sur  leur 
^œor.  » 


Bangkok,  12  féfricr  18U. 


•  Cette  année ,  j'ai  éprouvé  de  nombreuses  tracasse- 
ries. Cependant  j'ai  baptisé  une  centaine  d'adultes,  et  j'ai 
euverc  deux  nouvelles  Missions  qui  donnent  de  glandes 


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espérances.  BienlAt  je  vais  me  rAiettre  en  course.  Des 
catéchumènes  préparés  au  sacrement  de  la  régénération 
m*attendent  en  cinq  endroits  différents,  que  je  tisiterat 
en  poussant  jusqn^à  Tchantaboun. 

«  J'ai  avec  moi  huit  h  dix  petits  enfants  qui  me  rendent 
quelques  services,  en  môme  temps  que  je  les  forme  aux 
sciences;  le  plus  Agé  a  treize  ans,  et  le  plus  jeune  en  a  dix 
ù  peine.  Comme  leurs  parents  habitent  la  province,  je 
suis  obligé  de  les  nourrir.  Plusieurs  do  ces  enCsints  m*oiit 
été  donnés  par  écrit,  en  sorte  que  personne  ne  peut  les 
ravir  à  ma  sollicitude.  Voici  Thistoire  de  l'an  d'eux  :  Son 
pèie  et  sa  mère,  qui  sont  païens,  l'avaient  venda  deux 
livres  d'argent;  heureusement  pour  lui,  son  aïeul  ma- 
ta^nel,  chrétien  octogénaire,  parvint  à  se  procurer  cette 
somme  et  le  racheta.  Alors  il  me  confia  ce  précieux  dé> 
pôt;  mais  craignant  qu'après  sa  mort  les  parents  ne 
vinssent  me  l'enlever  pour  le  revendre  encore ,  il  m'a 
foit  un  écrit  par  lequel  il  déclare  qu'avant  de  m'arracher 
mon  pupille,  ils  doivent  me  rembourser  le  prix  de  8a 
rançon,  et  c'est  ce  qu'ils  ne  feront  jamais.  Je  Tai  baptisé, 
je  suis  content  de  lui;  fesp^e  qu'un  jour,  proma  au 
sacerdoce,  il  sera  l'apôtre  de  sa  famille  et  de  son  pays. 
Que  u%  puis-je  le  montrer  aux  jeunes  prêtres  d'Europe 
pour  les  engager  à  venir  sauver  de  si  belles  âmes! 

«  Raymond  Albiàhd,  Miss.  apoU.  » 


^  .«..«. 


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m 


MISSIONS 

DE  L'OCÉANIE  ORIENTALE. 


UUre  du  P.  Prançtns-^Jstise  Caret ,  de  laSùeiéêide 
Picpuif  d  Mgr  PJrchevêque  de  Càkédoine^  Supérieur 
général  de  la  même  Société. 


Wmon  de  Notre-Dan^e-Foi  iTtbiii ,  le  21  fëfner  1842. 


«  MONSEIG!! EVR , 

«  C'est  pour  la  troisième  fois  que  je  vous  écris  de 
Tahid ,  où  je  suis  avec  les  Pères  Saturnin  et  Armand , 
depuis  le  31  décembre  dernier.  Craignant  que  mes  let- 
tres ne  TOUS  soient  pas  parvenues,  je  répète  dans  celle-c^ 
les  nouvelles  qu'elles  contenaient. 

«  Le  26  juin,  Marguerite  Huaputoka^  la  troisième 
de  nos  catéchumènes  de  Vapoo ,  vint  noua  prier  de  Tin* 
T0¥.  XVII.  99.  9 


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138 

l'on  de  Bos  ooûfrères ,  le  Pire  ColombâBy  anrita  de  Ta* 
huaia  dans  rimenUon  de  me  décida  à  partir  pour  Tsdûiî« 
Il  avait  j  disait-il ,  acquis  la  certitude  que^  malgré  ke 
promesses  faites  par  la  reioe  Pomaré  de  nous  recevcw 
dans  ^  états ,  les  protestants  allaient  nous  Termer  Ten** 
trée  de  ces  Iles,  si  Ton  ne  se  hâtait  de  prévenir  lenrs  ma* 
ncBUYres.  Que  foire  dans  cette  alternative?  Je  n'avais 
personne  que  je  pusse  laisser  à  ma  place  auprès  de  ma 
congrégation  naissante,  qui  n'était  encore,  il  est  vrai, 
ni  chrétienne  ni  catéchumène,  mais  qui  montrait  la  bonne 
volonté  à  laquelle  la  paix  du  ciel  est  promise.  Je  ne  pus 
me  résoudre  à  Tabandonner  an  moment  du  péril.  Je 
chargeai  donc  le  Père  G)lomban  d'aller  prendre  le  Père 
Armand  avec  le  catéchiste  Nil  à  l'Ile  Nukahiva,  et  de  se 
rendre  avec  eux  à  Tahiti  ;  il  fut  convenu  que  je  resterais, 
quelques  mois  encore  à  Yapou  avec  le  Père  Saturnm , 
pour  voir  si  nos  néophytes  soutiendraient  la  rude  épreuve 
que  nous  attendions  à  la  prochaine  arrivée  du  roi.  Tout 
le  monde  savait  qu'il  avait  plusieurs  fois  menacé  de  nous 
massacrer,  s'il  nous  trouvait  encore  dans  l'Ile  à  son  re- 
tour. Chaque  jour  on  le  répétait  à  nos  néophytes  :  ^  Quit- 
«  tez  donc  la  parole  de  ces  étrangers ,  leur  disait-on  ;  le 
«  roi  va  les  tuer  en  arrivant,  et  on  pillera  tout  ce  qu'ils 
c  ont.  «.Néanmoins  tous  persévéraient  à  venir  auprès 
de  nous;  et  Tinstruciion  les  fortifiait  de  plus  en  plus. 

c  Une  épreuve  inattendue  était  réservée  à  Huaputoka. 
Un  jour  que  nous  étions  réunis ,  la  reine  entra  dans  no- 
tre cabane  et  voulut  que  nos  disciples  chantassent  un 
cantique;  oa  s'empressa  de  la  satisfaire.  Pendant  ce 
temps* là,  quelques  sauvages  qui  cueillaient  des  Afel'sur 
des  arbres  voisins,  tentèrent ,  en  lançant  la  perche  dont 
ils  étaient  armés,  de  percer  notre  toit  de  feuilles  :  je  les 
réprimandai  en  présence  de  la  reine,  qui  ne  dit  mot. 
Mais  &  peine Huapuioka  fut-elle  de  retour  chec  elle,  que 


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133 

la  raiies*y  rendit,  et  entourée  do  peuple  qui  s^ètak  ât* 
ttoiipé,  elle  paria  arec  beaucoup  décolère  à  cette  patmre 
femme ,  la  menaçant  des  pins  terribles  supplices,  si  elle 
revenait  auprès  de  nous.  La  foule  criait  et  hurlait  contre  nos 
disciples»  et  plusieurs  disaient  qu'il  fallait  les  mettre  au 
Ibur  avec  nous,  puisqu'ils  s'opiniâtraient  à  nous  écouter. 
Le  vieux  père  de  Huaputoka  passa  la  nuit  à  presser  ta 
fille  de  céder  à  l'orage;  mais  il  ne  gagna  rien  sur  elle  : 
elle  lui  prouva  au  contraire  que  TEvangile  fst  la  parole 
du  sahity  et  elle  déclara  en  finissant  qu'elle  mourrait  avec 
aes  deux  enfants  plutAt  que  de  retourner  au  paganisme, 
dont  elle  connaissait  l'absurdité  et  les  fourberies.  EHe 
vint  en  efiet  le  lendemain  comme  à  l'ordinaire ,  et  le  Sei- 
gneur la  récompensa  de  sa  fermeté  en  lui  donnant  de 
nouvelles  forces.  Elle  en  avait  besoin  ;  car  c'était  contre 
die  que  les  piîiens  dirigeaient  surtout  leurs  efibrts,  la  re- 
gardant comme  la  personne  la  plus  influente  de  tout  le 
troupeau. 

«  Cependant,  comme  nos  auditeurs  commençaient  à 
bien  connaître  notre  sainte  Religion ,  nous  en  admîmes 
onze  au  catéchuménat,  la  veille  de  l'Assomption  de  Marie. 
Je  n*ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  la  cérémonie  se  fit  à 
buis  clos ,  sans  qu'aucun  païen  le  sût,  et  le  lendemain, 
tous  vinrent,  dès  le  point  du  jour,  assister  à  la  messe 
Jusqu'à  l'offertoire;  ce  qu'ils  firent  tout  le  temps  du  ca- 
téchuménat. 

€  Enfin,  le  roi  débarqua  le  18  septembre,  et  nous  re- 
çûmes par  le  même  vaisseau  des  lettres  du  Père  François 
de  Paule^  qui  nous  donnait  avis  4|ue  ce  prince,  en  quit- 
tant Tahuaia,  avait  déclare  de  nouveau  qu'il  nous  ferait 
périr  à  son  retour  à  Vapou.  Je  laisse  à  penser  si  nous 
étions  sans  inquiétudes.  Un  jour  se  passa  sans  qu'il  arri* 
ât  rien^  sinon  que  le  fils  aîné  de  Pueri  (c'est  la  plus 


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134 

Igée  àeM^OktàtiiÊÊnimm)  qui  était  rtMM  vno  le  m, 
âdbraisa  &  sa  itère  de  nt^tliato  reprochostur  ee  qu'elle 
éuii  assea  bile  poor  écouler  net  prédicacioot;  il  ajooti 
4»*il  se  regardait  comme  déshoneré  wx  yeoK  de  «me 
rile»  d'avoir  aae  mère  qui,  à  se»  âge  «  abandoDiiait  les 
«ngea  de  ses  ancêtres.  Cétait  toucher  cette  naiiieQraise 
fefln&e  à  INendroit  sensible  :  elle  fut  ébnMt ,  sans  toute- 
fins  cesser  de  venir  aux  exercices;  le  dimancbe  96  sep- 
tembre elle  parut  enoere  à  la  messe  avec  les  autres  ca- 
léehuDiènes;  mais  ce  jour  fiit  un  jour  de  catastrophe. 

«  Comme  nos  disciples  se.  retiraient  de  grand  malin , 
après  avoir  assisté  à  la  sainte  messe  et  à  Tinatruciion,  les 
deux  femmes  Huaputoka  et  Pueri  furem  arrêtées  par  on 
prêtre  des  idoles  qui  leur  dît  :  «  Pourquoi  vous  ol)sliBei- 
■  vous  à  aller  chez  les  Missionnaires ,  malgré  les  défenses 
«  qu'on  vous  a  faites?  »  Au  même  instant  le  roi  parut 
lui-même ,  et  sa  colère  éclata  :  «  Voilà  donc ,  s'éûria-t-il^ 
«  ces  femmes  opiniâtres,  qui  n'ccoutent  rient  si  je  les 
«  vois  approcher  de  ce  lieu ,  je  les  perce  moi-même  de 
«  ma  lance,  et  si  je  les  trouve  chez  les  Missionnaires»  je 
«^les  brûle  tous  dans  leur  maison.  •  Ces  deux  pauvres 
femmes  s'en  allèrent  sans  rien  dire  ;  et  quelques  heures 
après,  Huaputoka  reparut  chez  nous  :  elle  était  exu*é* 
memeat  souffrante ,  mais  décidée  à  mourir  plutdt  que  de 
trahir  sa  foi.  Ce  même  jour,  la  u*ibu  d'Alipope  vint  tout 
entière  à  Hakahau  fêter  l'arrivée  du  prince.  Tous  les  jeunes 
garçons  que  nous  aviens  admis  au  catéchuménat  étaient 
dans  notre  maison  ,  lorsque,  vers  dix  heures  du  matin, 
la  tribu  dont  je  viens  de  parler  se  porta  eu  masse  sur 
notre  demeure ,  qu'elle  cerna.  Nous  Tentendions  s'exciter 
à  la  démolir,  ce  qui  eût  été  chose  fedle.  Comme  l'audace 
de  ces  insulaires  allait  toujours  croissant,  notis  crûmes 
qu^l^  avaient  ordre  du  roi  de  nous  massacrer.  Alors  nous 
prtmes  le  parti  d'ouvrir  notre  porte,  et  de  leur  deman- 


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135 

der  m  ipt^ils'voulaîeftl*  Nous  nooi  préseatâniM  donc,  le 
PëreSat«rns«iaiDi,  àreMr«eclenolre  aaisM  »  ot  nous 
teur  parlâmtsdi  peu  près  ea  oes  termes  c 

«  Nous  toîlà  tous  les  deux  ;  vous  pourez  nous  tuer  ; 
«  nous  sommes  snns  armes.  Mais  répondez  :  quel  tml 
«  vous  avons-nous  fait  pour  nous  traiter  comme  des  v6- 
«  leurs  et  des  assassins?  Nous  vous  annonçons ,  vous  te 
•  savez ,  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu  qu'il  faut  adorer  : 
«  voilà  tout  norre  crime!  Encore  une  fois ,  tuez-nous,  si 
«  cela  vous  plaît  ;  que  votre  roi  vienne,  qu'il  soit  témoin  <fe 
«  notre  mon.  Nous  irons  an  ciel;  peut-être  obtîendvons- 
«  nous  de  Diea  qu'il  ne  vous  puni&se  pas  d'^v#ij*  vemé 
«  notre  sang.  Mais  que  diront  les  étrangers ,  quaad  ils 
«  apprendront  que  vous  nous  avez  ôlé  la  vie  htxm  $iiî»i, 
«  à  nous  qui  sommes  vos  hâtes?  »  IbrécoutaîeKt  em  4- 
leoce.  Qu^ues-uns  même  nous  dirent  :  €  Pourquoi  vMs 
«  Eorions-noas  do  mal?  Vous  âtes  des  gesa  pacifique»^* 
Peu  à  peu  noua  vtaies  œtie  foule  ae  disperser  paiaible- 
meat ,  à  Texception  d'un  petit  nombt e  d'insubirtS^qoi 
demeuraient  immobiles  à  nous  regarder.  Nous  diaiea  à 
ces  da*niers  :  «  Puisque  vous  ne  voulez  nous  faire  a^cun 
«  mal ,  nous  renurous  chez  nous.  9  Noos  ferjp^es  en 
même  temps  notre  porte ,  et  un  instant  après  il  n']|  ^tft 
plus  personne  autour  de  notre  cabane^ 

•  Aasurémeiit,  ce  fut  INeu  -qui  nmia  inspira*  ^e^Jenir 
Ittrier  avec  tant  de  douceur;  car  ooite  apprlma»  depuis 
qu'ils  ne  dierchaitat  qu'un  piéleaiia  pMr  aoiM  «msai 
crer«  Durant  toute  cette  scène,  nos  catéchirtiftum  aè  aoM- 
pwtrou  avee  un  sangfMd  admirable ,  4  reioa|)Mft  die 
l'un  [£w% ,  mommh  Aaphaël ,  qtû  vouiait  résiner  aaiil  i^ 
laua  ;  nab  no«t  le  calMAmea, 

m  etf&àààPi  le  ÛH  ataé  de  Pveri  pressa  létteMMéi 
iitte  Hk  jom  soivanls,  cyi^elle  céda  «afla  ^  m  psiAk 


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136 

plus.  Avec  die  UN»ba  sa  GUe,  ainsi  qu'une  catécbamèiie 
infirme  que  ses  parents  menaçaient  de  hisser  mourir  de 
faim.  Huaputoka  et  les  autres  disciples  ne  furrât  nalle- 
ment  ébranlés  par  ces  défections ,  ce  qui  irrita  de  plus  en 
plus  le  roi  contre  cette  néophyte  ;  il  ordonna  même  à 
quelques  hommes  de  l'étrangler.  Heureusement  c'étaient 
des  parents  de  la  catéchumène ,  et  ils  refusèrent  d'obéir. 
Alors  le  roi  déclara  que  si  cette  femme  s'obstinait  à  dé- 
serter le  paganisme ,  il  faudrait  trancher  la  difficulté  en 
exterminant  les  étrangers  qui  l'endoctrinaient. 

«  Conune  nous  craignions  à  cliaqne  instant  d'appren- 
dre la  mort  de  Huaputoka,  je  la  baptisai  le  2  octobre, 
sous  le  nom  de  Marguerite;  et  depuis  ce  moment,  son 
cœur  fut  soulagé.  Ses  deux  enfants ,  avec  deux  autres 
Jeunes  garçons ,  furent  aussi  admis  au  baptême,  la  veille 
de  la  fâte  de  tous  les  Saints.  Nous  comptions  donc  alors 
«ept  néophytes  que  nous  cultivions  de  notre  mieux^  et 
auxquek  nous  donnions  les  avis  {M^opres  à  les  diriger 
après  notre  départ,  dans  le  cas  oili  nous  serions  (d)ligés 
de  nous  séparer  d'eux. 

«  Ainsi ,  depuis  près  de  six  mois ,  nous  étions  tou- 
jours à  la  veille  d'être  dévorés  par' ces  cannibales ,  dont 
la  fureur  n^était  évidemment  retenue  que  par  la  puis- 
sance invisible  du  Seigneur.  Chaque  jour  les  menaces  et 
la  rage  des  païens  s^augmentaient  d'autant  plus  qu'ils 
ne  poutaimit,  malgré  tous  leurs  efforts,  réussir  à  ébrankr 
Mena  de  nos  disciples.  Enfin,  le  21  décembre,  la  goé- 
lette le  R^A^Rtn,  portant  le  pavillon  de  Tahiti ,  parut  au 
large  dans  la  baie.  Je  me  rendis  an  rivage,  oh  aborda 
blentdt  une  petite  erabivcation  qui  me  porta  à  bord  avec 
le  roi  de  Yapou.  Là ,  après  avoir  pris  connaissance  des 
lettres  de  nos  Pères  qui  me  marquaient  que  ma  pvésence 
hélait  indispeasable  à  Tahiti ,  je  dammdai  p«ssi^  po«r 


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137 

teite  fle ,  et  j^averiit  le  roî  de  la  néoettilé  où  |e  œe  trou- 
Tab  de  parlir,  ajoutant  que  si  plus  tard  lui  et  soa  peuple 
désiraient  entente  U  parole  du  salut ,  on  leur  enverrait 
des  Missionnaires.  Je  lui  demandai  encore  si  on  pillerait 
DOS  effets  au  départ  :  il  me  donna  sa  parole  qu'on  les  res- 
pecterait; i}  fil  même  semblant  de  nous  r^retter.  Il  me 
donna,  an  sujet  de  nos  chrétiens,  que  je  lui  recommandai 
en  grâces,  toutes  les  promesses/ que  je  toulus ,  bien  dé- 
cidé à  n'en  tenir  aucune. 

«  De  retour  à  terre,  j'annonçai  à  mes  néophytes  que 
BOUS  allions  partir,  sans  pouvoir  ks  prendre  avec  nous , 
parce  que  le  capitaine  manquait  de  vivres»  Que  de  pleurs 
alors ,  que  de  sanglots  de  la  part  de  ces  pauvres  Indiens  ! 
«  QiQiDd  TOUS  aérez  loin ,  s'écriaiaat^ils ,  nous  serons 
«  tous  mis  sui  four  si  nous  n'apostaaions  pas.  Mais  nous 
«  préSéreroBs  toujours  la  mort  au  crime,  m  Je  tûchai  de 
faoimer  leur  coofianee  en  Dieu,  et  je  leur  promis  que  je 
revieadrais  au  plus  tôt  les  conduire  à  Mangaréva.  Ils  se 
consolèreBt  un  peu.  Cependant  nous  procédâmes  sans  dé- 
lai an  transport  de  nos  effets  sur  le  rivage;  mais  au  mt^me 
instant ,  notre  maison  lut  encombrée  par  len .  païens  qui 
eommencèrent  à  piller  tou>  ce  que  noi»  avions.  De  spn 
«Aie,  le  roi ,  malgi*é  les  présents  que  nous  lui  avions  of- 
Icrts  poiff  conserver  k  ce  prix  quelque  chose,  fit  trans- 
ponsr  nos^malles  chez  lui,  où  eU^.  furent  brisées,  et 
iBtt  œ  qu'elles  contenaient  enlevé.   Je  ne  conservai 
ponr  ma  part  que  les  médailles  qui  m'avaient  été  données 
par  le  Saint-P^e en  183&.  Mais,  en  même  temps,  nous 
rtmes  liai  d'admirer  une  marque  signalée  de  la  divine 
Providence  :  c'est  que,  dans  ce  pillage  universel,  aucun 
tks  ornements  sacerdotaux ,  aucun  des  vases  ni  des  lin- 
gis  sacrés,  ne  tomba  entre  les  mains  des  sauvages  ;  nous 
conservâmes  aussi  nos  livres,  et  nous  fûmes  fort  heureux 
^  aous  sauver  avec  cela  et  la  soutane  que  nous  avions 


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136 

sur  le  corps,  bioore  ce  pai<|Be  mm  conaenriou  t-u'û 
été  presque  entièreneni  Marié  par  la  mer.  Nous  avons 
perdu  dans  cette  circonstance  h  valeiir  de  BsilW  piastres 
environ ,  sans  compter  que  nous  avons  éié  sur  le  point 
d^étre  mas^acré8• 

«  Quant  à  nos  néophytes,  ou  las  insultait  sous  ans 
yeux,  on  les  menaçait  devant  noua  de  les  manger  a#ri8 
notre  départ.  L'un  d*em,  nommé  Pierre,  eut  assez, de 
vigueur  pour  s'arracher  des  mains  de  ceux  qui  vonlaiioi 
Penu-ainer  loin  de  nous,  et  pour  se  maintenir  dans  notre 
barque  avec  un  autre  cbrétien  nommé  Raphaël*  U«e 
veuve  avec  ses  deux  enfuiis  s'était  avimcée  jusque  anr 
une  pointe  de  rocher,  pour  se  jeler  à  la  mer  et  gag^ner  le 
navire  ;  mais  le  capitaine  refusa  de  la  prenApe  à  so»  Wrd* 
Il  but  avoir  «i  autant  de  peine  que  nonsà  amcher  eos 
âmes  an  démon ,  pouf  comprendre  combk»  notre  cœur 
eut  k  souffrir  en  nous  séparant  de  ce  petit  troupeau,  plus 
fervent  encore  que  celui  de  Gambier,  parce  qu'il  s'est 
formé  et  fortifié  au  milieu  de  la  persécution.  Hélas  l  q«e 
:ioni-i's  devenus?  ont-ib  persévéré P  Icc  2rlH>m  tués 
comme  on  les  en  menaçait?  nous  n'as  savons  sio»*  Lnn 
deux  aveugles  de  la  tribu  d'Atipopo,  qui  s'étaient  for^ 
mellement  prononcés  pour  notre  sainte  Religion ,  on^^ila 
pu  communiquer  avec  leurs  frères,  coaame  nous  le  kor 
avions  recommandé?  Jean,  ce  Job  de  la  terre  de  Yapou^ 
a-t-il  été  abandonné?  nous  Fignorons.  S'il  nous  arri^mic 
un  navire  de  guerre,  nous  le  prierions  d'aller  au 
de  ces  infortunés  néophytes.  • 


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Tahiti,  le  2  juin  I8i2 


«  Le  Père  Colomban,  en  revenani  de  Gambier»  a 
touché  à  Vapou.  Quelques  naturels  étant  montés  à  bord^ 
il  engagea  le  capitaine  à  les  retenir  en  otage,  pendant 
que  trois  fidèles  de  Mangaréva,  qu'il  conduisait  avec 
lai ,  allèrexit  ù  terre  pour  savoir  des  nouvelles  des  chré- 
ùeos  que  j^y  avais  laissés.  Ils  trouvèrent  l'infirme  Jean 
daas  la  maison  de  Marguerite,  avec  les  trois  autres 
cfa*étiens,  les  anciens  caté(tbumènes  et  trois  nouveaux 
disciples.  Pas  un  n'avait  fléchi  devant  la  persécution.  Les 
Mangaréviens  leur  proposèrent  de  se  réfugier  à  bord  ; 
iMûs  ils  répondirent  qu'ils  ne  pouvaient  le  faire,  et  qu'ils 
aaoHbîefit  Tareta  (Caret)  Ah  1  quand  pourrai-je  revoir 
ces  bons  néophytes  1  peut-être  vont-ils  se  multiplier 
ainsi  par  eox^méines.  Les  desseins  de  Dieu  sont  si  diSé- 
rents  de  c«ux  des  bonnes  I 

«  Je  sais,  etc. 

«  François  -d'Assise  Caret.  » 


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140 


LeUre  du  Père  Cypricn  Liausu,  Supérieur  de  la  Mission 
de  Notre-Dame-de-Paix  aux  îles  Gambier,  I\-êlre  de  la 
Société  de  Picpiis ,  d  Mgr  F  Archevêque  de  Calcédoine. 


l\e  Maagarëfa  .  le  16  juin  18S2. 


«  Monseigneur, 

«  Dans  le  cours  de  Tanoée  dernière,  j'ai  en  l'honneur 
de  vous  transmettre  les  détails  les  plus  consoluits  rar 
notre  Mission  ;  aujourd'hui  je  me  bornerai  à  reproduire 
les  mêmes  nouvelles^  parce  que  dans  ce  pays,  maintenant 
tout  cbrétien ,  les  choses  vont  toujours  à  pen  près  de  la 
même  manière.  Notre  population  continue  à  augmenter 
rapidement  :  vous  en  jugerez  vous-même  en  apprenant 
que,  cette  année,  nous  avons  compté  ici  cinquante-deux 
naissances^  tandis  que  nous  n'avons  eu  que  vingt-denx 
décès.  La  piété  se  maintient  :  il  y  a  eu ,  en  1841,  six 
mille  trois  cents  coomiunions  dans  la  grande  Ile,  qui 
ne  compte  que  seize  cents  habitants.  On  ne  cite  dans  tout 
TÂrchipel  que  quatre  indigènes  qui  n'aient  pas  fait  leurs 
pûques. 

«  Vous  savez ,  Monseigneiur,  que  notre  but  en  venant 
parmi  ces  peuples  a  été  avant  tout  d'en  faire  des  chré- 
tiens ,  et  puis  d'améliorer  aussi  leur  existence  maté* 
rielle,  en  leur  apprenant  les  arts  de  première  nécissité 
et  les  connaissances  qui  sont  pour  l'homme  un  bienfait» 


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Ul 

Il  blWa  d'abord  songer  à  les  nonitir,  à  les  v<^tjr  et  à  les 
loger  :  c'ett  aussi  de  ce  côté  qne  s'est  portée  d^abord  no- 
ire attention.  Dieu  a  béni  nos  eCTorts^  et  nous  n'en  som- 
mes pla«  maintenant  à  de  simples  essais  ;  nous  avons,  à 
la  grande  Ile  seulement,  huit  métiers  de  tisseranderie, 
lesquéb  ont  conrectionné  cette  ann/e  deux  mille  trois 
cents  brasses  de  toile.  Tout  le  coton  a  été  filé  en  deux 
mois  et  demi  et  tissé  en  sept  mois.  La  quantité  d'étc^e 
qui  est  revenue  à  chacune  des  fileuses,  a  été  aux  unes 
de  trois  à  cinq  brasses,  et  aux  autres  de  dix  à  onxe ,  pro- 
portionnelleoient  à  leur  travail. 

«  Les  bltimenu  nouvellement  élevés  sont^  à  Taravai, 
une  église  de  soixante-quinze  pieds  de  long ,  avec  ta  sa- 
cristie en  ddiors;  une  ma^n  pour  le  roi ,  de  quarante- 
deux  pieds  de  façade  ;  une  autre  résidence  pour  nous  de 
trente  pieds.  A  Âkamaru  les  habitants  s'occupent  à  réunir 
les  matériaux  nécessaires  à  la  construction  d'une  église 
de  quatre- vingts  pieds  de  long,  y  compris  la  sacristie 
qui  sera  derrière  Tautel.  Nous  avons  déjà  quatre  fours  à 
daax ,  et  on  va  en  faire  un  cinquiècne.  Tous  nos  insu- 
laires sont  résolus  à  se  bâtir  des  maisons  en  pierres,  parce 
qu'ils  trouTent  qne  les  consuructions  en  bois  se  pour- 
rissent trop  vite,  et  les  obligent  iroip  fréquemment  i 
abattre  leurs  plus  beaux  arbres. 

«  Hais  cette  bonne  volonté  se  trouve  enchaînée  pour 
le  moment  par  la  nécessité  où  ils  sont  de  se  procurer  de 
la  noiuriture.  Ils  ont  assaini  tous  les  endroits  marécageux 
pour  y  planter  du  taro  ;  ils  ont  arraché  les  forêts  de  ro- 
yaux inutiles  qui  couvraient  les  montagms,  et  ont  planté 
^  la  place  des  patates  douces.  Après  le  terrible  ouragan 
<lel84l,  ils  avaient  semé  dans  les  vallées  des  courges 
qui ,  dans  la  pénurie  presque  absolue  d'autres  aliments , 
l<or  ont  sauvé  la  vie.  La  crainte  de  la  famine,  jointe  à 


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14S 

QO»  exlioruUons,  leur  a  doué  lui  lel  geèt  pour  Vagri* 
culture,  qu'îk  eut  défricshé  jusqu'aux  plus  bimyms  ter- 
rains occupés  par  la  Toogère.  Nooaespénnis  que  dans  la 
suite  ils  n'auront  plus  à  redouter  ce  fléau.  Leurs  arbres 
à  pain ,  si  cruellement  endommagés  par  Torage  dont  j'ai 
parlé,  repoussent  avec  vigueur,  et  donneront  do  fruit 
dans  cinq  ou  six  mois. 

«  Nous  sommes id  trois  prêtres,  depuis  l'arrivée  du 
fête  Potentien  Guilmard,qm  nous  est  venu  de  Valparaiso 
tout  malade.  Les  frères  Gilbert  et  Fabien  jouissent  d'nne 
bonne  santé ,  et  travaillent  toujow^  avec  ardeur  à  nos 
établissements.  Les  mis  et  les  autres  mt  diargent,  Mon- 
seigneur, de  vous  profiter  leurs  hommages ,  et  de  vous 
dire  qu'ils  sont  bien  contents  de  leur  position. 

•  Je  ne  sais  point  d'autres  noiivenes  dignes  d'être 
adressées  à  Votre  Grandetnr.  Il  ne  me  reste  qu'à  vous 
prier  d'agréer  Vhommage  du  profond  respect  avec  lequel 
je  suis ,  etc. 


«  Cyprien  Luusv,  Missi&nnairt  ofôsU^Uque^ 
Supérieur  de  la  Mission  de  Natre^Dame-de-Paix. 


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t43 


UUTê  du  Père  Désiré  Maigret^  Prêùrê  de  la  SodHé  de 
Piqms,  Prifei  apostolique  des  îles  Sandwich ,  à  un 
Rr^e  de  la  même  Société. 


Hoodlola ,  30  octobre  18i3. 


«  MOM   RéfiftBffl)   PéftS, 

«  Le  navire  qui  vous  portera  ceue  lettre  est  tJjax , 
coBUDandé  par  M.  Letellier  de  Lillebonne;  ses  marins 
ttit  pour  la  plupart  du  diocèse  de  Rouen.  A  leur  arrivée 
ici  9  an  horame  qui  se  donne  le  titre  de  chapelain  des  ma- 
telots, leur  a  distribué ,  avec  TEcriture  sainte ,  quantité 
tk  petits  livres  sortis  des  presses  protestantes  de  TAmé- 
ri^e.  Selon  les  ministres,  autant  de  Bibles  placées,  au- 
oat  de  conversions  faites  ;  de  sorte  que ,  si  ces  Bibles 
tomes  seules  changeaient  les  cœurs,  comme  ils  le  préten- 
tet,  nous  ne  verrions  que  des  saints  sur  les  navires. 
BéJas  1  il  s'en  faut  bien  qu'il  en  soit  ainsi  I  Les  assassins 
des  Sept  Jle$,  près  de  TAscension,  où  j'ai  été  relégué 
pendant  sept  mois,  avaient  aussi  des  Bibles;  ils  y  fai- 
>tteat  des  lectures  deux  ou  trois  fois  par  jour;  ils  savaient 
fresque  par  cœur  ce  livre  sacré  ;  mais  il  faut  voir  comme 
ik  le  commentaient  au  profit  de  leurs  passions,  et  comme 
ces  interprétations,  laissées  à  leurs  caprices  individuels, 
teient  propres  à  les  rendre  meilleurs. 

«  Pour  revenir  wl  matelots  de  VAjax^  je  doute  fon 


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144 

qu'on  ail  réussi  à  eu  faire  des  protestants  par  le  moyen 
des  livres  qu'on  leur  a  distribués.  Cependant  il  serait 
bien  ù  désirer  que  les  catholiques  fissent  pour  conserver 
la  fui  de  leurs  frères ,  ce  que  les  protestants  font  ponr  la 
détruire.  Ne  pourrait-on  pas  répandre  une  foule  de  bons 
ouvrages  dont  la  réimpression  coûterait  peu ,  et  qui  se* 
raient  bien  autrement  capables  de  convertir  les  marins 
ou  de  les  prémunir  contre  le  vice ,  que  ces  misérables 
brochures  américaines  qu'on  voit  partout ,  et  qu'on  ne 
lit  qu'une  fois ,  si  tant  est  qu'on  les  lise?  Si  ces  opuscules 
ne  coûtaient  rien ,  le  matelot  les  recevrait  avec  plaisir;  il 
les  lirait  plus  souvent  qu'on  ne  pense,  et  en  tirerait  du 
profit  pour  le  salut  de  son  ûme.  J'ai  vu  nos  marins^  hon- 
teux de  ne  pas  posséder  un  seul  livre,  venir  m'en  de- 
mander :  que  n'avais -je,  comme  notre  chapelain  protes- 
tant, une  bibliothèque  nombreuse  à  leur  offrir  1 

«  Messieurs  les  ministres  viennent  d'établir  ici  une 
société  de  tempérance,  à  l'instar  de  celles  d'Angleterre 
et  des  Etats-Unis.  Us  y  ont  fait  entrer  tout  ce  qu'ils  ont 
pu  recruter  d'insulaires;  des  milliers  de  kanaks,  qui  nV 
vaient  jamais  bu  que  de  l'eau ,  ont  juré  qu'ils  ne  boiraient 
jamais  de  vin.  Ceux  qui  ont  donné  leurs  noms  font  partie 
de  ce  qu'ils  appellent  Pualijnu  vai  (armée  qui  boit  de 
l'eau).  Les  soldais  de  celle  nouvelle  milice  sont  distin- 
gués par  une  cocarde  qu'ils  portent  au  chapeau ,  s'ils  en 
ont ,  ou  pendue  au  cou  ;  et  sur  cette  cocarde ,  qui  n'est 
qi'un  morceau  de  papier,  est  écrite  la  devise  :  Plus  de 
liqueurs  enivrantes,  rien  que  de  Veau  fraîche» 

•  Ces  jours- ci,  notre  Pualijnu  vai  a  fait  une  prome- 
nade solennelle  dans  la  ville.  Il  y  avait  des  bannières,  il 
y  avait  des  pavillons;  et,  sans  parler  des  missionnaires  cal- 
vinistes et  du  gouverneur  en  grand  uniforme ,  il  y  avait 
des  kanaks  en  masse,  des  hommes,  des  femmes  et  des 
enfants  :  tous  mardiaicnt  en  rang,  cinq  par  cinq,  ou  dix 


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par  dix.  La  poussière,  qui  ne  manque  pas  dans  nos  rues' 
éttti  si  {^ude ,  que  quelquefois  la  Paali  jnu  vai  dispa- 
i^aissait  à  nos  regards.  Placés  au  haut  du  clocher,  à^ou 
nous  découTrons  toute  la  ville,  nous  avons  suivi  des 
yeux  cette  singulière  procession ,  où  personne  ne  priait  ; 
die  est  enfin  entrée  dans  le  temple  protestant ,  et  là  on 
a  fait  répéter  à  tous  les  membres  le  serment  qu'ils  ne 
boiraient  plus  que  de  Teau. 

«  Le  soir  même,  le  commandant  d^nn  navire  de  guerre 
américain ,  qui  se  trouve  dans  la  rade ,  vint  me  voir,  et 
me  raconta  que  Tun  des  porte-bannière  étant  allé  à  son 
bord,  on  lui  avait  présenté  de  Peau-de-vie ,  et  que  le 
brave  bonme  en  avait  bu  deox  grands  verres.  Ce  que 
vdjtnt,  le capitame  avait  fait  emporter  la  bouteille,  ai 
Mettre  à  la  plaœ  du  vin  de  Bordeaux ,  dans  la  crainte 
qi^il  ne  s'enivrftt;  et  le  porte-bannière  ^  qui  probable^ 
mentarak  la  tète  solide^  avait  enc(H^  bu  quatre  verres 
devin. 

«  Attorémenf  la  tempérance  est  une  excdlente  chose  ; 
iutts  on  me  permelMt  de  dontar  que  ce  moyen  réussisse 
k  PétabKr  parmi  nos  insalaircs.  En  vain  on  interdira  les 
liqaeiiiv  éùraagères  al  tes^boissoBS  fennetitéea;  il  fisui- 
énàt  duAger  lescienrs  pomr  empêcher  les  exoès;.  mais 
c'est  ce  que  les  calirinisles  ne  feront  pas,  parce  qn'jb  ne 
som  point  les  envoyés  tfe  Gehi^  qiû  cbitige  à  aoQ|;ré  les 
vdontés  les  plus  rebelles. 

c  Je  sais,  etc. 

«L.  D.  MàiGifir* 
Pr^cmirt  et  BréfH  aposloiique.  » 


T0«.  xm.  99.  10 

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m 


lettré  du  R.  P.  De^auUy  Ptêire  de  lé  Société  de  Picpui^ 
à  un  Prêtre  de  la  même  Société. 


Iles  Sindwioh,  OallYi ,  29  àécfuAn  iai3. 


€  Mon  RÉYÉsstc»  P£ii,    ^ 

m  Le  .23  do  oûoraBt ,  m  navire  de  guerre  iran^dity  te 
Bmêsàk^  commandé  par  M.  VrigMud ,  a  amiUé  dam  le 
rade  de  Honohilu.  Nous  nous  aitendiéns  énfim  à  recetmr 
ées  notnrellês  de  Mgr  de  Nilopolto;  maii  nous  atoos  été 
craeUement  trompés  dans  notre  attenta.  Le  Goanoiiidaot 
naos  a  dit  qu'un  bateau  à  vapeur  avait  parcouru  k  dé** 
tfoit  de  Magellan*  pour  aller  à  sa  vBtïaéMmy  etqo^l  mV 
vait  rencontré  aucan  vesUgé  de  wm  piaacigft  :  aoraicrii 
dênc  péri  dans  les  fioft  avce  masses  oomapaguniB?  S6o^ 
veot  nos  néophytes  noos  demandettt  s^ibrefevrontbieBfét 
towr  Ëvéque  :  cpie  leur  répondra?  BtlerAqu»  eeile  perii 
ittm  connuov  quel  elbt  elle  va  pràdoirt  «or  Is»  esprttt  I 
^ierlMea  «pie  le déocMirogenleHli  ae  se meuë  pas pàmi 
DOS  chrétiens. 

«  Comme  si  ce  n'était  pas  asseï  des  angoisses  oh  qous 
plonge  un  malheur  qui  nous  parait  que  trop  certain ,  nos 
minemîs  no«i  persécaient  tXKijours  de  leur  mieux.  M.  Mai- 
lot,  commandant  d&TEmbmcadey  qui  vint  visiter  ces  lies 
au  mois  d'août  de  l'année  dernîèrç,  avait  fait  accepter  au 
I  oi  les  conditions  suivantes  :  l*  que  les  élèves  de  la  haute 
école  catholique  ne  seraient  plus  obligés  de  payer  la  taxe 
personnelle ,  et  qu'ils  jouiraient  des  m^|«es  privilèges  que 


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U7 

eeai  de  la  hamie  école  prolestanle;  2^  qm  la  loi  qui  de- 
fend  de  se  marier  à  eeux  qui  ua  saveol  pajs  lire ,  serait  h 
rarfoîr  appliquée  avec  une  inpartialtté  égale  aux  pro-^ 
lestaols  et  aux  catholiques;  3^  que  rinspecteur  de»  écolei 
déiÎTrerait  desdipiâmes k  ceux  de  nos élèTes  qui  seraient 
capables,  suis  avoir  égard  à  la  religioo  qu'ils  professeot; 
4*  qu'il  s'y  aurait  plus  de  persécutions  ni  de  tracassenea 
de  la  pan  des  agents  subalternes* 

«  Nous  ne  désirions  qit'une  cbose»  c'était  que  ce$ 
ionditicHis  fassent  exécutée»  Mais,  le  navire  imefois  parti» 
^arbitraire  recommença  comme  aiqparavant.  Et,  pour  ne 
psier  que  de  nos  écoles,  à  la  fin  de  l'année  1843,  les 
élèras  de  M.  Maigret  furent  mis  aux  fers ,  parce  qu'ils  ré- 
damaient  Texécotion  de  la  parole  donnée;  et  pour  sortir 
de  prison ,  il  leur  fiillut  payer  double  laxe.  Il  nous  est 
nujours  impossible  d'obtenir  un  seul  diplôme.  Bien  de^ 
fois  nous  avons  présenté  des  candidats  qui ,  au  jugement 
dn  gouverneur,  du  roi  lui-même  et  dfi  tous  les  étrangers 
qui  avaient  assisté  à  lenrs examens,  étaient  fort  instruits  : 
l'inspecteur  les  a  toujours  refusés.  Je  suis  convaincu  que 
ie  jflm  savant  homme  d'Europe,  s'il  avait  le  malheur 
d*étre  papiste,  et  qu'il  vint  se  faire  examiner  par  nos  doc- 
teurs >  ne  semii  pas  trouvé  capable  de  tenir  une  misérable 
école  de  sauvages* 

«  On  va  jusqu'à  nous  contester,  à  nous  Missionnaires , 
le  droit  d'instruire  la  jeuneme^  et  l'on  veut  que  nous 
baraioos  notre  enseignement  aux  personnes  d'un  âge 
mtr  01  aux  viëUards.  Dans  plusieurs  dîsuicts,  on  a  en- 
levé de  ioroe  les  Plants  de  nos  écoles,  et  réduit  leurs  pau- 
vret parctttfl  à  mourir  de  faim  en  les  dépouillant  de  leurs' 
terres  et  eu  leur  interdisant  fo  m^  el  la  montagne.  Con- 
iràirenieiit*  aux  promesses  du  roi  données  pai*  écrit  au 
mmamndvat4erEmb$madfi,  on  a  forcé  nos. chrétiens  c{è 
Q^ïvaaier  au)L^ églises  4t  aux  oraisons  d'écoles  calvinistes; 

10. 


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148 

et  ceux  qu!  ont  refusé  de  le  Ibîre  ont  été  mis  à  FameDde, 
fiés  avec  des  cordes,  tratnés  de  tribunal  en  tribunal,  et 
traités  de  la  manière  la  plus  barbare,  jusqu'à  leur  faire 
Tomîr  le  sang.  A  Hawai,  les  agents  de  police  sont  venus 
souvent  porter  le  trouble  parmi  les  chrétiens ,  et  le* 
chasser  de  TEglise,  lorsque,  le  dimanche,  ils  étaient  réunis 
pour  prier.  Partout  enfin  les  violences  se  succèdent  avec  un 
caractère  de  jour  en  jour  plus  alarmant.  A  Kauai,  le  ré- 
vérend Père  Barnabe  a  été  saisi  par  Tordre  du  gouverne- 
ment, et  relégué  dans  sa  case,  pour  Tempêcher  de  ré* 
futer  les  calomnies  atroces  accréditées  sur  son  compte. 
Pendant  la  nuii ,  on  a  renversé  un  au(el  érigé  par  ce  Mis- 
sionnaire dans  une  maison  quMl  avait  louée ,  et  en  même 
temps  on  lui  a  fait  signifier  la  défense  de  le  rétablir.  Ces 
jours  derniers  nous  avons  appris  qu'une  église,  nouvelle- 
ment construite  par  les  catéchumènes  de  Mauij  a  été  li- 
vrée aux  flammes ,  et  la  main  qui  a  profité  des  ténèbres 
pour  allumer  Tincendie  est  encore  inconnue.  Faut-il  en 
conclure  que  ces  vexations  ne  se  font  pas  sans  Tordre  da 
roi  ou  des  principaux  chefs^  puisqu'on  n'a  jamais  puni 
ceux  qui  en  ont  été  les  auteurs?  Je  laisse  à  d'autres  le 
soin  de  prononcer. 

«  Vous  voyez,  mon  révérend  Père,  que  nous  ne  som- 
mes pas  sans  peine  ni  sans  combats.  Nos  adversaires  sont 
nombreux  et  puissants.  Dans  une  histoire  de  Havcaï 
qu'ils  ont  récemment  publiée ,  les  protestants  ont  fait  le 
recensement  des  ministres ,  maîtres  d'écoles  et  médecins 
qui  se  trouvent  dans  cette  lie  :  leur  nombre  se  monte  i 
quatre-vingt-neuf.  A  cette  légion  nous  ne  pouvons  op- 
poser que  neuf  prêtres  catholiques  qui  manquent  de  tout  : 
quatre  sont  à  ÔoAtf,  trois  à  Hatoaï  et  denx  à  ATatiol*.  Ce- 
pendant notre  troupeau  ne  eesse  pas  de  s'aocrottre;  il  se 
passe  peu  de  jours  sans  que  nous  inscrimns  le  nom  de 
quelque  nouveau  catédiumèoe.  Noos  avons  di^  près  de 


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149 
douze  mille  cinq  cents  cbréiiess  dans  noire  ardiipel  :  ce 
n'est  guère  que  la  dixième  partie  de  la  population.  Sur 
cent  dix  ou  cent  Ttngt  mille  habitants  que  Ton  compte 
dans  ces  Ues,  il  y  en  a  près  de  la  moitié  qui  sont  indiflë- 
rents,  c'est^-à-dire  qui  veulent  vin'e  au  gré  de  leurs  in- 
clinations et  qui  tiennent  encore,  quoique  secrètement, 
aux  anciens  usages.  Le  reste  se  partage  entre  les  préten- 
dus réformés  et  nous*  II  y  a  par  conséquent  trois  classes 
bien  distincte  :  les  calvinistes  (kapoe  kalavina)^  les  ca- 
tholiques (ka  poe  kaklika) ,  les  infidèles  {ka  pot  etmi). 
Les  calvinistes  ayant  de  leur  côté  tous  les  chefe,  et  par 
conséquent  toutes  les  richesses  du  pays ,  sont  naturelle- 
ment plus  nombreux  que  les  catholiques.  L'erreur  esl  sur 
le  trône  :  jugez  si  elle  doit  voir  Qvec  plaisir  la  vérité  se 
répandre  et  Ëiire  tous  les  jours  de  nouveaux  progrès. 
Aussi ,  comme  vous  l'avez  vu ,  elle  n'oublie  rien  pour  en- 
tiaver  notre  ministère  ;  mais  àous  espérons  que  ses  efforts 
seront  vains  contre  la  vérité.  » 

2  janvier  1844. 


«  Hier,  M.  le  commandant  de  la  Boussole  nous  a  fait 
l'honneur  d'assister  à  l'^amen  de  nos  élèves,  avec  quel- 
ques-uns de  ses  officiers  et  M.  notre  cx)nsul.  Ils  ont  bien 
voulu  nous  témoigner  leur  satisfaction ,  et  ils  ont  ajouté 
que  jamais  ils  ne  se  seraient  attendus  à  trouver  tant  d'ap- 
tiuide  et  d'instruction  chez  des  enfants  qui  ne  viennent 
que  de  sortir  de  l'état  sauvage.  Il  faut  avouer  en  effet 
qu'il  y  en  a  beaucoup  parmi  eux  qui  se  feraient  distinguer 
dans  les  écoles  d'Europe. 

«  Il  me  reste  à  vous  dire  un  mot  sur  Tétat  actuel  de 
tes  Ues  et  les  mœurs  de  leurs  hubiunts.  A  l'exception  de 
quelques  améliorations  opérées  par  les  étrangers  dans  les 


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150 

endroits  qu'ib  habitent,  les  terres  sont  dans  le  même  étai 
«fo^antrelbis.  Les  plaines  qui  se  trouvent  sur  le  bord 
de  la  mer  sont  en  général  fort  arides  :  on  fait  souvent 
cinq  ou  six  lieues  sans  rencontrer  un  arbre;  on  n'y  xoti 
d*Qutre  verdure  qu'un  peu  de  gazon  et  quelques  arbri6- 
seaux.  Souvent  il  n'y  a  que  la  terre  nue  et  des  pierres. 
I^s  ruisseaux  qni  descendent  des  nioniagnes  sont  la  seole 
ressource  du  pays.  On  pratiqne  diverses  saignées  pour 
faire  couler  l'eau  dans  les  marais  où  l'on  plante  le  tare. 
Si  les  ruisseaux  viennent  à  tarir,  c'est  alors  nne  disette 
coniplète  dans  le  pays. 

«  Quoiqu'il  y  ait  des  montagnes  fort  arides,  surtout 
au  sud ,  elles  sont  généralement  verdoyantes.  Cest  In 
qu'on  va  chercher  le,  bois  nécessaire  pour  la  coiastruc- 
tion  des  maisons  et  pour  le  chauffage.  Les  kanaks,  natu- 
rellement paresseux,  parce  qu'ils  n'ont  aucun  encou- 
ragement ,  ne  se  mettent  nullement  en  peine  de  faire  des 
plantations  aux  environs  de  leurs  demeures.  Us  aiment 
mieux  aller  chercher  le  bois  dont  ils  ont  besoin  à  deux 
et  même  trois  lieues  de  dislance.  Il  est  vrai  aussi  que 
s'ils  avaient  un  terrain  bien  cultivé  et  couvert  de  beaux 
arbres ,  les  chefs  le  leur  enlèveraient  bientôt.  Parmi  les 
naturels,  quelques-uns  ont  appris  des  métiers;  maiis  ils 
sont  en  fort  petit  nombre.  Au  reste,  la  dépravation  des 
mœurs ,  la  faim  et  la  misère  font  ici  de  tek  ravages ,  qtie 
la  population  diminue  tous  les  jours  d'une  manière  eF- 
frayante  :  je  suis  persuadé  que,  sur  six  décès ^  ù  peine 
y  a-t-il  une  naissance. 

«  J'ai  dit  que  les  insulaires  indifférents  tiennent  en- 
core en  secret  aux  vieilles  superstitions.  Il  n'est  pas  rare  , 
en  effet ,  de  rencontrer  des  médecins  du  pays ,  qui ,  lors- 
qu'ils vont  visiter  un  malade,  lui  ordonnent  d'offl'ir  un 
sacrifice  aux  anciennes  divinités ,  sacrifice  qui  consiste  à 
tuer  un  coq,  une  poule  ou  un  eochon ,  éi  à  renfouir  en 

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151 

tenre  wprès  Favoir  fait  cuire.  D'autres  fois  on  prend  ^e& 
cheiretix  du  malade  et  on  en  fait  un  petit  paquet  qu'on 
enterre  avec  un  soin  religieux.  Nous  avons  souvent  été 
témoins  nous-mêmes  de  ces  exiravaganceç. 

m  Les  choses  qui  provoqueiraient  le  plus  de  dégont 
en  Europe ,  sont  un  excellent  mets  pour  les  Sandwicbois. 
Si  un  chien ,  un  cocbon ,  un  cheval  viennent  à  crever-, 
ils  les  dévorent  jusqu'au  dernier  lambeau;  ils  ne  se  don- 
nesl  pas  même  la  peine  de  laver  les  intestins  :  après  les 
afok  jetés  sur  les  charbons»  ils  les  avalent  en  un  clin 
d'oAU  Je  dois  avertir  cependant  que  Ton  ne  rencontre 
rien  de  pareil  parmi  nos  chrétiens. 

«  Je  termine,  mon  révérend  Père,  en  vous  recom- 
mandant de  nous  envoyer  quelques  secours  le  plus  tôt 
powîhle  ;  sans  cela  ^  vous  cox^penez  bien  qu'il  nous  serait 
impossible  de  (lire  face  à  tant  de  besoins  et  a  tant  d'ea- 


«  F.  D.  Desvault,  Mi$$.  ap0$t.  • 


Après  trois  aa^  de  silence  et  d'incertitude  sur  le  sort 
de  Mgr  l^uchouze^  nof^  sommes  forcés  de  dire  qu'il  ne 
aous  nXbe  plus  d'espérance.  Tant  qu'il  a  été  possible  de 
douter  de  ^Qin  naiafrfige ,  nous  avons  dû  garder  pour  npus 
fjMXiSÎnîstyps  pressemimente,  de  peur  de  porter  un  deuil 
Jprématii^  dfms  un  grapd  nombre  de  familles,  où  l'ex- 
.ftmm^  de  nos  c^iaintes  aurait  été  prise  pour  l'annonce 
oficîelle  du  malheur  qu^ell^s  redoutaient.  Mais  aujourd'hui 
4M  im  necbeid^  les  phi9  actives  n'ont  pu  renaettre  sur 
Je  tnifed^  ^injsseaH  disparu ,  après  qu'on  a  vainement  ex- 
Ji|aré.jli9id(itroUs,  qu'im  a  înterrogé  sans  succès  les  i^vi- 
^m  <i(emandé  d|9s  ^naqgpemems  à  fm»  les  pprts 


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m 

sans  obtenir  une  seule  réponse  favorable ,  il  faut  biea  te 
résigner  à  en  conclure ,  avec  les  Missionnaires  et  les  ma- 
rins ,  que  le  Marie-Joseph  aura  sombré  au  cap  Hom. 

C'est ,  ea  effet ,  près  de  File  StatenrLand  ^  Test  de  lâ 
Terre  de  feu ,  et  par  un  temps  d'orage ,  qu'un  pieux  voya- 
geur, dernier  témoin  peut-être  de  sa  détresse,  a  cru  l'aper- 
cevoir au  moment  où  il  fuyait  emporté  par  les  vents.  Voici 
les  notes  qu'il  nous  a  été  donné  de  puiser  dans  son  journal  : 

«  Le  13  mars  1842 ,  par  la  latitude  de  51  degrés  et  62 
«  de  longitude ,  nous  eûmes  en  vue  un  navire  français 
«  qui  était  à  la  cape  ;  c'était  peut-être  celui  de  Mgr  Roa- 
«  chouze ,  qui  se  rendait  à  la  Mission  de  l*Océanie-Orien- 
€  talc;  peut-être  y  avait-il  à  bord  un  bon  nombre  de  re* 
«  ligieux  et  de  religieuses.  Si  loin  de  la  patrie  et  att 
€  milieu  d'une  mer  si  orageuse,  la  pensée  <}ue  fêlais  si 
«  près  de  zélés  compatriotes ,  me  consolait  :  j'aimais  à 
c  l'entretenir  longtemps  encore  après  que  j'eus  perdu  de 
«  vue  le  navire. 

«  Quelques  jours  après  nous  remarquâmes  les  trois 
«  nuages  que  les  marins  connaissent  sous  le  nom  de 
€  nuages  de  Magellan.  Deux  sont  blancs  et  un  autre 
€  grisâtre.  Je  me  rappelais  en  quittant  ce  cap  des  tem* 
«  pêtes,  tous  les  dangers  qu^avaient  courus  nos  derniers 
«  Missionnaires;  ils  avaient  rencontré  plus  de  vingt  mon** 
«  tagnes  de  glace  flottantes,  contre  lesquelles  ils  avaient 
«  &illi  se  briser.  Ces  montagnes,  qui  ont  souveUt  plus  dte 
€  six  cents  pieds  de  hauteur,  se  détachent  du  pAle  à  la  ffkt 
«  de  l'hiver ,  et  sont  poussées  par  les  vents  quelquefois 
«  jusqu'au  cap  Horn  ;  ce  qui  rend  ces  parages  très-dan* 
€  gereux  dans  certaines  saisons. 

« Ce  ne  fut  qu^après  vingt-un  jours  de  traversée 

c  que  nous  arrivâmes  à  Desterro ,  chef-lien  de  lile  de 
c  Sainte-Catherine.  Le  naVire  ne  devait  pas  aller  plut  loicu 
€  Le  pilote  qui  vint  &  bord,  nous  dit  que  le  bâtiment  <fo 


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«  Mgr  Roucbouze  avait  mouillé  pendant  quinze  jours  près 
«  de  rUe.  Le  Prélat  avait  perdu  une  religieuse  et  un  jeune 
«  Sandwichois  qu'il  ramenait  de  France ,  où  ce  fervent 
«  néophyte  avait  Cuit  ses  études.  La  première  avait  été 

<  enterrée  dans  le  cimetière  du  petit  village  de  Saint- 
«  Michel ,  et  le  Sandwichois  dans  celui  de  Desterro.  Ce 

•  jeune  insulaire  avait  beaucoup  de  talents  et  de  vertus, 

<  et  aurait  fait  un  bon  Missionnaire  ;  mais  il  ne  cessera 
«  pas  de  l'être  dans  le  ciel.  » 

Nous  citerons  encore  un  passage  d'une  lettre  écrite 
par  tm  membre  delà  société  de  Picpus ,  parce  qu'en  rap- 
pelant à  nos  Associés  toute  l'étendue  du  désastre  qui  vient 
de  frapper  une  grande  Mission ,  elle  leur  apprendra  les 
premières  mesures  prises  par  le  Souverain  Pontife  pour 
te  réparer  : 

<  Convaincu  que  nous  avons  un  grand  malheur  à  dépl#- 
«  rer,  notre  supérieur  général,  par  une  circulaire  du  7  no- 
«  vembre  dernier ,  a  demandé  ponr  Mgr  de  Nilopolis , 
«  pour  les  sept  prêtres ,  les  sept  catéchistes  et  les  neuf 
«  religieuses  qui  fâuxx>mpagnaiettt ,  les  prières  d'usage 
«  pour  les  membres  de  la  Congrégation  décèdes. 

«  Dans  la  même  persuasion,  le  Saint-Siège  vient  de  nom- 
«  mer  Vicaires  apostoliques  deux  de  dos  Pères  qui  sont 
«  actuellement  aux  Marquises:  Tun,  M.  Duboize,  avec 
«  le  titre  d'Evéque  d'Arathie,  aura  sons  sa  juridiction 
«  rarchipel  Sandwich;  l'autre,  M.  Baudicfaon  (François 
«  de  Pàule)  a  le  titre  d'Evèque  defasilinopoUs,  et  les 

•  Hes  Marquises,  Tahiti,  GamUer,  etc.,  formeront  son 

<  vicariat  aposttrtique.  Le  Père  Baudicfaon  >  vu  l'incerii- 
«  tnde  qtH  règne  toujours  sur  le  sort  du  MrtV-Jos^  t 
«  aara  provisoirement  laV^^  ^^  ooadjuteor de  Mgkr  de 
«  Nilopolis.  Je  vous  le  répèle ,  nous  n'avow  reçu  aueate 
■  nouvelle  ofidèUe;  maïs  queMe  conjecture  peut  nous 
«  autoriser  à  conserver  encore  de  l'espoir?  » 


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U4 


Extrait  d'une  lettre  du  R.  P.  Armand  Chausson  y  dé  ta 
Société  de  PiopuSy  à  «n  ISrétre  de  la  même  Société. 


T«hiti,  8  oclohre'18'^3. 


«t  Mon  RÉTEREND  PiHB  , 

«  A  mon  arrivée  dans  cette  tle ,  au  mois  d'août  1S41 , 
la  petite  vérole  avait  déjà  emporté  bien  des  victimes. 
Gomme  Tépidémie  iaisaît  des  progrès,  et  que  sur  un 
espace  de  deux  lieues,  à  Tahiti,  deui  cent  vingt  in^- 
laires  avaient  déjà  succombé ,  nous  xinmes  couseil ,  mon 
compagnon  et  moi ,  avec  quelcpies  personnes  churitables , 
parmi  lesquelles  je  dois  citer  M.  Lucas  ^  capitaiiiô  fran- 
çais ,  M.  Joseph  Brémont ,  négociant  de  Marseille ,  M.  je 
consul  américain  et  un  Espagnol  de  Bui:gos.  Il  fut  décidé 
que  j'irais ,  à  une  demi-lieue  du  port ,  soignier  les  ma- 
lades qu'on  pourrait  rassembler  dans  une  cabane  destinée 
à  servir  d'bôpitaL  Rendu  à  Tendroit  désigné,  je  trouvai 
^es  malheureux  hors  de  leurs  cases,  dans  de  mai^vaises 
buttes  faites  à  la  bâte,  sans  aueun  secours,  exposés  à 
toutes  les  intempéries  de  Tair,  et  pour  la  plupart ,  aban- 
donnés même  de  leurs  pareniA*..  Ji»  ne  pua  d'abord  réunir 
que  neuf  oMlades  dans  mon  hôpital  ;  l^s  aiitres  se  trou- 
vaient on  anr  le  point  de  Baourlr,  ou  trop  éloifl^  ;  d'ai^- 
Mt  «D^  mmumn  mim\  weater  dava  leurs  bsm» ,  afin 
4?OTroir,  diiiiflDi*ib,  la  oonaalMion  de  BMuvir  sur  leurs» 
terres. 


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155 

«  Toul  en  soigeani  le  corps ,  od  juge  bien  qne  je  pcn* 
sais  à  l'âme.  Néanmoins  trois  personnes  seulo^neari,  une 
femme  et  deux  hommes,  me  manifestèrent  )e  désir  de 
moorir  catholiques*  La  femme  fut  bsquisée  la  première,  et 
quatre  heures  après,  elle  n'existait  plu^  A  quelque  tempN 
de  là,  ayant  été  obligé  de  m'absenter  durant  une  nuit , 
pour  aller  an  port  chercher  des  vivres  et  des  remèdes,  il 
survint  une  grosse  phiie.  Aussitôt  mes  malades,  qui  jtis- 
qu'aloTs  s'étaient  tenus  à  Tabri ,  profitèrent  de  mon  ab- 
sence pour  sortir  et  recevoir  l'eau  sur  le  corps,  afin  de 
se  rafralchn*.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  :  sur  huit 
qui  avaient  commis  cette  imprudence ,  six  étaient  morts 
le  lendemain  à  mon  arrivée.  Les  deux  autres  respiraient 
encore  ;  c'étaient  précisément  ceux  qui  m'avaient  témoigné 
le  désir  de  rentrer  dans  le  sein  de  l'Eglise  :  je  m'empres-^ 
sai  de  leur  rappeler  la  demande  qu'ils  m'avaient  Ëiite. 
Gomme  ils  me  témoignèrent  qu'ils  persévéraient  dans 
leur  résolution ,  je  les  baptisai  sur4e-cfaamp,  et  ils  mou^ 
mrent  à  un  quart  d'heure  d'intervalle.  Si  d'un  calé 
j'ôprouvai  une  grande  joie  de  la  faveur  que  Dieu  venait 
de  foire  à  ces  deux  pativres  sauvages ,  d'un  autre  côté  je 
ressentis  une  profonde  tristesse  en  considérant  le  terrible 
jugement  qu'il  avait  exercé  sur  les  six  autres ,  auprès  des- 
quels pavais  pourtant  &it  les  mêmes  eiforts. 

«  Je  voulus,  après  cet  accident,  réunir  d'autres  ma* 
lades  dans  le  même  local ,  pour  être  plus  à  portée  de  l^tr 
donner  mes  soms;  mais  tout  fut  iniitih».  Dion  pins,  le» 
juges  du  port  me  firent  défense  d'aller  voir  ces  uiaUmureux, 
sons  peine  de  demeurer  confiné  dans  hi  prenrière  case  où 
je  mettrais  le  pied.  Un  autre  chef  me  dédara  qne  l'on  tire- 
rait sur  les  fié\Tcnx  qui  sortiraient  du  lieu  où  îis  se 
trouveraient ,  et  i>eut-6tt*c  ménae  sur  moi.  Je  me  via 
ainsi  réduit  a  attendre ,  les  bras  crobés,  la  cessation  en 
•éau.  n  sévit  encore  quelques  semaines ,  pqb  disinirtif 


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ne 

entièrement.  On  découvrit  alors  que  plusieurs  naturek 
que  Ton  avait  chassés  de  leurs  cases ,  parce  qu^ils  étaient 
atteints  de  l'épidémie  »  étaient  morts  dans  les  bois  el 
y  avaient  été  dévorés  par  les  porcs.  Telle  est  cependant 
la  civilisation  de  ce  peuple ,  si  vantée  par  ceriains  voya* 
geurs  qui  n'ont  jamais  vu  Tahiti  que  sur  la  carie  ;  tel 
est  le  résultat  des  travaux  des  missionnaires  protestants. 

«  Cette  même  année ,  le  25  septembre^  Dieu  voulut 
bien  bous  envoyer  un  sujet  de  consolation.  Sur  les  six 
heures  du  matin,  une  dame  anglaise,  protestante,  viat 
frapper  à  notre  porte;  elle  conduisait  une  femme  indienne 
toute  en  pleurs ,  et  portant  un  petit  enfant  auquel  oa 
avait,  la  veille,  administré  un  poison^  croyant  lui  don- 
ner un  remède*  Cette  dame  nous  demanda  si  nous  ne 
pouvions  pas  soulager  cette  innocente  cféature.  Je  ré- 
pondis que  le  plus  pressé  était  de  bapUser  promptement 
l'enfant^  après  quoi  nous  irions  chez  le  docteur  qui  de- 
meurait à  deux  pas.  La  mère  me  laissa  faire,  et  dix  mi- 
nutes après ,  elle  sortait  de  chez  le  médecin ,  en  pleurant 
son  enfant  qui  avait  expiré  ena*e  ses  bras. 

€  Uoe  autre  fois,  je  rencontrai  encore  une  pauvre 
mère  qui  me  demanda  des  remèdes  pour  son  Gls^  âgé 
d'un  an  environ.  Je  lui  fis  entendre  que  je  n'étais  pas  en 
état  de  soulager  le  corps  de  l'enfant ,  mais  que  je  pou- 
vab  procurer  un  bonheur  infini  à  son  âme,  si  elle  me 
permettait  de  le  baptiser.  Elle  parut  y  consentir.  Mais  le 
démon ,  jaloux  de  cette  conquête ,  s'empressa  d'y  mettre 
obstacle  i  le  grand-père^  qui  se  trouvait  là ,  voyant  que 
j^allais  baptiser  son  petit- fils ,  le  saisit  promptement  entre 
se&  bras ,  tandis  que  je  cherchais  de  l'eau ,  et  s'enfuit  sans 
vouloir  me  permettre  d'accomplir  cette  bonne  œuvre. 
Je  me  retirai^  le  coeur  navré  de  doideur  ;  j^espérais  toute- 
fbb ,  ayant  recommandé  le  salut  de  ce  jeune  indien  à 
Marie,  notre  bonne  mère. 


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167 

«  Deux  mois  s'étaient  écoules  sans  que  j'eusse  enienda 
parler  de  lui ,  lorsque ,  me  trouvant  au  port ,  je  ren- 
contrai un  Français  allié  à  cette  famille.  Je  lui  parlai 
du  refus  qu'on  m'avait  fait,  et  du  chagrin  que  j^en  avais 
ressenti.  «  Ne  craignez  rien ,  me  dit  cet  homme;  si  Ten- 
«  faut  est  encore  en  vie ,  je  vais  le  faire  porter  chez  moi, 
€  et  vous  le  baptiserez  en  sûreté;  car  il  m'appartient: 
c  je  l'ai  adopté  pour  mon  fils.  »  Effectivement ,  trois 
semaines  sfpr^ ,  le  Français  vint  me  chercber  à  la  vallée 
Dapetit-Thouars.  Je  monte  à  cheval  à  l'instant ,  je  me 
rends  à  trois  lieues  de  là,  et  je  puis  enfin  régénérer 
ce  pauvre  enfant.  Je  repassai  au  même  lieu,  deux  jours 
après ,  et  j'appris  qu'il  était  mort  la  nuit  qui  avait 
suivi  son  baptême.  N'est-ce  pas  là  une  admirable  misé- 
ricorde? N'est-ce  pas  à  Marie  que  cet  ange  doit  son  sa- 
lut? Oh!  quand  nos  Tahiliens  seront- ils  tous  ses  en- 
fants! Joignez,  dans  ce  but,  vos  supplications  aux  nôtres; 
que  Ton  sache  bien,  en  Enrope,  que  la  conversion  des  in- 
fidèles est  attachée  à  la  violence  que  les  saintes  âmes  fe- 
ront au  ciel  par  leurs  continuelles  prières.  Sans  cet  indis- 
pensable secours ,  hélas  I  que  pourraient  faire  les  pauvres 
Missionnaires  !  Quant  à  moi ,  je  déclare  avec  sincérité 
que  toute  mon  espérance,  par  rapport  à  l'avenir  de  te 
peuple  9  repose  uniquement  sur  la  ferveur  des  membres 
de  la  Propagation  de  la  Foi. 

«  Ce  nous  serait  aussi  une  consolation  de  recevoir 
eiactement  lés  numéros  des  Annales.  Nous  pourrions 
Msi  nous  réjouir  avec  l'Eglise  des  travaux  et  des  vic- 
toires de  nos  confrères ,  et  nous  consoler  par  là  despel* 
nés  qui  nous  éprouvent. 

«  Agrées ,  oioa révérend  Père,  etc. 

«  Armand  Chaussow  ,  lUisê,  apoM.  • 

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t£8 


LcUre  du  P.  FvMçotê-iTJsiise  Caret,  Prêtre  de  la  Société 
de  Piepuê  et  Préfet  apostolique  de  VOeéanie  orientale, 
à  Mgr  V Archevêque  de  Calcédoine,  supérieur  générd 
de  la  même  Société* 


MtsskNi  deIf«tre4IUtt-de-Foi,  à  lïihtii  ,>  7  jailiet  1844. 


«   MONSEIfilfEUR  , 

«  Je  profite  du  dépari  du  navire  firançais  la  Marie , 
pour  vous  infonner  4u  malheur  qui  vient  de  frapper  vos 
onfanis  de  Tahid.  Le  30  juin  dernier^  notre  maison ,  celle 
dont  je  voua  ai  tant  de  fois  parlé  dans  mes  lettres ,  et 
^i  nous  avait  coûté  si  cher,  fut  consumée  par  les 
Hommes  avec  tout  ee  que  nous  possédions  :  nous  n'avons 
pu  rien  sauver.  Notre  chapelle  a  eu  le  même  sort.  Ce 
âoùi  les  baUtants  de  Tahiti  qui  ont  mis  le  feu ,  pour 
veiner,  dlt-^n,  la  mort  d'un  ministre  protestant  an- 
glais qu'ils  ont  tué  eux-mêmes,  il  y  a  quelques  jours, 
))endant  la  bataille  livrée  à  Matavai  entre  les  Français  ei 
les  Tahitiens. 

«  Nous  n'avons  sauvé  que  Fhabit  que  nous  avions  sur . 
le  corps.  Jamais  dénftment  n'a  été  plus  grand  que  Te 
nôtre;  tout  est  à  recommencer,  comme  si  nous  n'eussions 
jamais  rien  fait.  Nous  étions  bien  pauvres  quand  nous 
arrivâmes  &  Gambîer;  mais  celte  pauvreté  n'était  pas 
comparable  à  notre  détresse  présenta»  Heurettsement 
M.  le  gouverneur  est  venu  à  notre  secours  pour  la  nour- 
riture :  nous  sommes  admis ,  mes  confrères  et  moi ,  à  la 


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ni 

lâbledes  officiai;  et  nos  trois  frères  reçoivent  la  ration 
aa  magasia  des  tivres.  H  nous  a  aussi  promis  du  bois 
pour  construire  une  nonrelfe  maisbn. 

«  J'évalue  la  perte  que  nous  venons  de  feire  à  cin- 
quante mille  francs  ;  mais  si  Von  m*cn  eût  offert  cent 
mille,  pour  abandonner  te  qui  vient  d*étre  brùfié,  je 
Q'âarais  pas  accepté  Vcifte.  Sans  dôme,  ce  n'étaient  p:is 
nos  meubles  ou  d'autres  effets  qui  auraient  pu  représenter 
cette  valeur,  puisque  noas  avons  ombrai  pour  tou- 
joars  la  pantreté  qai  nom  est  ehère;  c'étaient,  ootre 
ks  f ases  et  lingns  sacuâs ,  nos  livres  et  tous  nos  manu-- 
scrifis  ;  c'étaient ,  dK)se  que  }e  regrette  emtée  mille  auMs 
pertes,  tes  travaux  que  nous  avions  Mes  sm*  la  langue 
iie  Tahiti  et  des  Marquises*  Le  catéebism»  qno  nous 
^tvions  composé  pour  ce  dernier  archipel ,  était  entière^ 
ment  prêt  h  mettre  sons  presse  :  H  est  brftié.  Un  dietion* 
mire  de  la  langue  de  IhMti,  dqà  très^vancè,  et  que 
tout  le  monde  attendait ,  brûlé.  En£n ,  pourquoi  ces  dé- 
^*ls,  quand  tout  est  perdu  ?  Nous  avons  la  vie  sauve ,  et 
pois  c'est  tout» 

i  Un  jeune  postulant  dont  le  Père  François  de  Paule 
a  dû  vous  parler  dans  ses  lettres^  pensa  éu*e  tué  :  on  tira 
w  lui  presque  à  bout  portant  ;  mais  on  le  manqua.  Je 
restai  à  mon  poste  jusqu'à  onze  heures  du  malin ,  quoi- 
«p'il  y  eût  eu  qudques  coups  de  tirés  auprès  de  no- 
tre maison  ;  j'aurais  peut-être^ attendu  l'ennemi,  dans 
Tespoir  de  lui  faire  entendre  raison,  si  le  frère  Zenon  ne 
m'eût  pressé  de  partir.  Arrr\é  à  la  couf  du  gouverneur, 
je  la  trouvai  encombrée  de  troupes  sous  les  armes. 
K;  Bmat  était  h  trois  lieues  de  'là ,  a  la  tétc  de  quatre 
cents  hommes,  aux  prises  avec  les  insurgés.  Tout  le 
>K»de  me  demandait  si  notre  maison  était  en  feu ,  parce 
fi'an  «vaii  appri»>4{ae  celle  d'un  Polonais ,  placée  sur 
fck  route  de  fenneniî,  î  vingt  minutes  de  la  nôtre,  était 


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169 
Lr&lée.  Je  répondis  qu'à  mon  départ  les  sauvages  bV 
vaîeni  pas  encore  dépassé  la  Inuiaur  qu'on  appelle  au- 
jOurd*lmt  la  Pointe  de$  Missionnaires  y  i  cause  de  notre 
demeure  dans  cet  endroit  ;  j'ajoutai  que  j'allais  y  retour- 
ner avec  mon  cheval.  Tous  les  officiers  me  représentèrent 
que  ce  sarait  de  ma  part  une  imprudence  ineicusaUe, 
que  je  m'exposais  à  me  faire  tuer  en  pure  perte.  On  oie 
proposa  un  canot  pour  aller  à  bord  de  ÎUranie^  ou  je 
trouvai  le  Père  François  de  Paule  et'Ie  firère  Gilbert  qui 
étaient  dans  les  plus  vives  inquiétudes  à  mon  sujet,  me 
sacbaflt  au  milieu  dea  ennemis.  JUe  frère  Zéàon,  qui  était 
pesté  au  presbytère,  en  était  heureusement  parti  quel- 
ques minutes  après  moi.  Ce  fut  vers  quatre  heures  du 
soir  que  le  feu  fut  mis  à  notre  maison  ;  l'incendie  dura 
jusqu'au  matin.  La  chapeUe  et  le  reste  furent  brûlés  le 
jour  suivant.  La  guerre  avec  les  insurgés  contmue  tou- 
jours :  qui  sait  quand  elle  Gnira? 

«  J'ai  l'honneur  d'être ,  etc. 

«  François  d'Assise  Caret,  Miss,  apost.  » 


L'espace  nous  manque  pour  annoncer  les  derniers 
Mandements  publiés  en  faveur  de  l'Œuvre  :  nous  nous 
empresserons  de  les  faire  connaître  dans  le  prochain 
Kuméro. 


LyMi|  infr.  U  J.  B.  PéLàSAB». 


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161 


COMPTE- RENDU 

DE  iSU. 


LorsqHe  des  hommes  pleuK  s'unissent  pour  une  œuvre 
charitable ,  il  en  résulte  deux  biens  :  celui  quUls  se  pro- 
posaient de  faire  à  autrui ,  et  celui  qu^ls  se  font.  Ils  ne 
Toyaient  d'abord  que  des  pauvres  à  secourir^  des  ma- 
kdes,  des  affligés,  des  pécheurs;  et  ils  découvrent  tout  à 
coup  quQ  Dieu  même  est  avec  eux ,  et  ils  s'en  aperçoivent  * 
au  surcroit  de  lumière  et  de  chaleur  qui  se  répand  dans 
leurs  âmes.  Aussi  n'est-il  pas  sans  intérêt  d'étudier  le  tra- 
vail intérieur  que  l'Œuvre  de  b  Propagation  de  la  Foi  doit 
iaire  en  nous-mêmes,  et  en  cela  nous  pensons  bien  moins 
cnu^prendre  son  éloge  que  cherclier  à  réchauffer  notre  zèle. 

La  foi  est  le  premier  besoin  des  &mes ,  et  comme  il  n'y 
a  pas  de  vertu  plus  nécessaire,  il  n'y  en  a  pas  de  plus  com- 
battue. II  a  toujours  été  laborieux  et  difficile  de  croire  ce 
<|ui  ne  flatte  point,  ce  qui  veut  des  privations  et  des  sacri- 
fices, Cest  pourquoi  la  Providence  n'a  jamais  cessé  de 
suscita'  des  docteurs  pour  défendre  le  dogme  dans  les 
écoles  et  dans  les  chaires.  Mais  en  même  temps  elle  a  mé- 
nagé an  plus  grand  nombre  des  hoinmçs  une  sorte  de  dé- 

TOI,  XVII.  100.  VAI  1S4ft*  11      ,     ^^^U 

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162 
0oiis(ration  qui  les  touche  davantage,  celle  des  (bits  et  des 
exemples.  L*Œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi  donne  1 
joeax  qui  lisent  ses  Annales  deux  spectacles  instructifs.  — 
D'un  côté,  elle  nous  montre  Terreur  à  tous  les  degrés, 
iTec  toutes  ses  conséquences,  chez  de  grands  peuples  où 
elle  a  pu  se  produire  sans  contrainte  et  sans  détours..  On 
voit  d'abord  Thépésie  dans  ces  villes,  populeuses  des  Etats* 
Unis  où  diaque  secte  a  son  temple ,  éptscopaiiens^  pres- 
bytériens, quakers,  anabaptistes.  Ailleurs,  sur  les  ruines  de 
ces  vieilles  cités  d'orient ,  si  longtemps  célèbres  par  leurs 
grands  Evéques  et  leurs  conciles,  on  voit  le  schisme  réduit 
an  dernier  abaissement.  En  même  temps,  on  peut  appren- 
dre chez  les  nations  mahoméianes  combien  devient  stérile 
le  dogme  même  de  l'unité  de  Dieu^  corrofbpu  par  l'im- 
posture ,  déshonoré  par  une  société  qui  repose  sur  la  vio- 
lence ,  l'esclavage  et  la  polygamie.  Plus  loin ,  le  paga- 
nisme est  encore  mattre  des  belles  contrées  de  l'Inde  et 
de  la  Chine  ;  il  y  règne  avec  tout  l'éclat  qu'il  eut  chez 
les  peuples  fameux  de  l'antiquité.  Il  a  des  écoles,  une 
jftlérature ,  des  arts  qui  le  ^rvent ,  des  lois  qui  le  gar- 
dent. Mais  sous  ces  beaux  dehors  son  vrai  génie  se 
trahit  pai-  les  sacrifices  humains  et  pV  le  meurtre  des 
enfants  nouveau-nés.  Un  pas  de  plus;  et  si  l'on  parcourt 
les  archipels  de  la  mer  du  Sud,  on  y  trouvera  la  dernière 
dégradation  de  la  nature  humaine  dans  ces  fêtes  sanglan- 
tes où  le  vainqueur  dévore  le  vaincu.  Am.esure  qu'il  y»a 
plus  d'égarement  dans  les  intelligences ,  le  désordre  çst 
plus  profond  dans  les  mœurs.  Dieu  n'a  pas  permis  que  le 
mal  restïU  caché  sous  les  prestiges  de  la  docurine,  il  le 
pousse  à  bout  dans  la  pratique^  et  le  contraint  de  se  faire 
juger  par  ses  œu^Tos. 

La  vérité  nous  donne  un  spectacle  bien  différent.  Cha- 
que Mission  est  un  combat  dont  nous  devenons  les  té- 
moins. Le  chrisiianrsme  y  trouve  tous  les  ennemb  qu'il  a 


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163 
jiiiiais  em%  il  y  trouve  aussi  tous  les  genres  delmtoB.  U 
s'y  a  pas  de  oontroverses  soutenues  par  les  apologistes  de 
l*Eglise  qu'il  ne  fiiille  recommencer,  soit  pour  confondre 
les  étemelles  i^ariatîons  du  protestantisme ,  soit  pour  dé* 
mtier  les  subtilités  grecques ,  soit  afin  de  percer  les  nua- 
ges de  cette  métaphysi^e  ténébreuse  ou  Tidolâtrie  orienr 
taie  s'enveloppe.  Et  s'il  s'agit  de  ees  peuples  barbares  où 
h  parole  évangélique  n'a  pas  de  doctrines  à  vaincre  »  quel 
eSnrt  ne  ftut-il  pas  pour  pénétrer  dans  des  esprits  q)pri^ 
nés  sous  les  sens,  et  tirer  enfin  l'intelUgence  immortelle  dp 
celte  ohair  et  de  ce  sang  qui  l'étouffiiient?  U  n'y  a  pas  non 
phude  pénitences ,  de  luttes  contre  la  nalmre,  entuqprises 
par  les  selitoires ,  par  les  moines  qui  convertirent  la  moi* 
tié  de  l'Europe,  qu'on  ne  voie  se  renouvder  àsm  la  vie 
héroïque  de  ces  Missionnaires,  vokmtairemeBt  exilés,  er- 
nms  sur  des  mers  menaçantes ,  dans  les.foréts ,  sous  tm 
ciel  meurtrier,  parmi  des  chrétiens  pnsiUaniines  qui  s'efr 
fraient  <fe  leur  présence   au  milieu  des   inidèles  qui 
ipient  leur  passage.  Qu'ils  envieraient  souvent,  s'ils  pour 
vaient  rien  envier  ici-bas ,  le  frugal  repas  de  l'anadKNnète, 
fat  sécurité  de  sa  cellule  et  la  liberté  de  ses  cantiques  !  Hais 
comme  P^pneuve  décisive  est  ^le  des  persécutions ,  elle 
SB  répète  aussi  dans  tous  les  siècles.  Ce  sont^le  nos  joues 
les  prisons  du  Tong-King  toujours  pteini»,  les  confesseurs 
de  laClûnemourant  de  faim  dans  les  déserts,  et  les  écbafauds 
nierés  dans  les  villes  de  Corée,  afin  que  le  témoignage  du 
Mg  ne  cesse  pas.  Ainsi  aucune  sorte  de  combat  ne  s'inter- 
rompt dans  rEglise,  ni  celui  de  la  parole,  ni  celui  de  la  mor* 
tificaiîon,  ni  cdjui  du  m«*^re.  Tout  ce  cpi'elle  fut  aux  épo- 
fKssQcoessivesdascm  histoire,  elle  l'est  encore.  Elle  montre 
souverainement  son  immortalité  par  ce  pouvoir  qu'elle  a  de 
toujours  souSnr ,  de  toujours  mourir,  sans  jamais  s'étein^ 
dre.  Elle  montre  aussi  sa  fécondité;  car  enfin,  tant  de 
meurs  et  de  sang  ne  demeurât  pas  stériles  :  en  dépit  des 

11. 

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164 

résistances ,  la  conquête  chrétienne  s*élend  et  s^aiTermic. 
Dans  ces  vastes  empires  d'Asie  où  les  mandarii»  font  fou- 
ler aux  pieds  le  crudfix,  des  néophytes  diaque  jour  plus 
nombreux  s^agenouillent  autour  de  cette  image  chère  et 
sacrée.  Les  écueils  de  TOcéanie  qui  n'étaient  &meux  que 
par  les  naufrages  des  navigateurs ,  voient  fleurir  avec  la 
civilisation  moderne  les  vertus  des  premiers  âges.  Ainsi, 
selon  Fadmirable  langage  de  Fénélon  :  «  La  source  des 
«  bénédictions  divines  ne  tarit  point.. ••  ParTaccompUs- 
«  sèment  de  sa  promesse ,  Jésus-Christ  montre  qu'il  tient 
c  dans  ses  mains  immortellesles  cœurs  de  toutes  les  na- 
«  tions  et  de  tous  les  siècles  (1).  »  Voilà  comment  Dieu 
II0U3  fait  ix>nnattre  la  puissance  de  la  vérité.  Il  sait  que  les 
cœurs  drdits  ne  résistent  pas  à  ce  g^ure  de  leçon.  Oavrez 
la  ctièbre  lettre  des  fidèles  de  Lyon  sur  le  martyre  de  saine 
Pothin  et  de  ceux  qui  l'accompagnèrent.  Il  y  avait  dans  la 
ville  des  chrétiens  timides.  Mais  quand  ils  eurent  vu  leurs 
frères  traduits  devant  le  juge,  et  qu'ils  ^rent  entendu 
leurs  confessions  et  leurs  réponses  ;  alors ,  disent-ib,  leur 
foi  s'afiermit ,  ils  firent  gloire  de  s'avouer  en  publk;^  et  de 
confesser  hautement  le  Sauveur.  Les  mêmes  scènes  conti- 
nuent sous  nos  yeux.  Le  prétoire  n'est  pas  fermé ,  les  ha- 
ches sont  encore  sanglantes  :  nous  avons  entendu  les  in- 
terrogatoires de  nos  frères ,  nous  avons  assisté  à  leurs  tour^ 
ments,  à  leurs  glorieux  supplices.  Ne  sentirons-nous  pas 
une  foi  plus  ardente  se  réveiller  dans  nos  cœurs  ;  et ,  fiers 
du  triomphe  des  nôtres,  ne  nous  écrierons-nous  pas  aussi  : 
«  Nous  sommes  chrétiens  I  » 

En  assistant,  en  prenant -part  à  ces  combats  de  l'Eglise 
pour  le  service  de  Dieu,  à  ces  morts  victorieuses  »  à  ces 


<1)  Fëttéloo  ,  Sermon  pour  h  fîU  dt  l'Epifhaniên 

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coBCosttons  intréfMdes  des  néoi^ytes,  à  tant  de  sacrifices 
et  de  vertiis ,  il  faut  bien  lot  ou  tard  qu'on  ait  honte  de 
sa-méme  et  qu'on  veuille  aimer  Dieu  davantage  ;  on  s'at- 
tadie  plus  tendrement  à  cette  bonté  éternelle  qu'on  voit 
sans  cesse  occupée  à  solliciter  les  hommes,  sans  cesse  re- 
poossée  par  la  haine  et  le  mépris.  On  finit  par  se  pénétrer 
de  cette  sainte  passion  si  énergiquement  exprûnée  par 
Bonrdalone ,  lorsqu'il  montre  «  les  intérêts  de  Dieu  remis 
t  (»  nos  mains  tellemoat  que  nous  en  devons  être  les  ga* 
c  rants ,  et  qu'autant  de  fois  qu'ils  soufirent  quelque  alté-* 
«  ration  et  quelque  déchet ,  Dieu  a  droit  de  s'en  prendre 
«  i  nous ,  puisque  le  dommage  qu'ils  éprouvent  n'est  que 
«  l'effiH  et  ime  suite  de  notre^ infidélité.. •  Quand  vous 
«  travailleE  pour  vous-mêmes,  eontinue-t-il,  comme  vous 
«  êtes  vous-mêmes  petits,  quoi  que  vous  fussiez,  tout  est 
«  petit,  tout  est  borné ,  tout  est  réduit  à  ce  néant  insé- 
«  parable  de  vos  personnes  et  de  vos  états.  Mais  quand 
t  vous  vous  intéressez  pour  Jésus-Christ,  tout  ce  que  vous 
<  faites  a  je  ne  sais  quoi  de  divin  (1).  »  Ce  n'est  pas,  en 
efo,  uie  vaine  formule  que  cette  invocation  :  «  Saint  Fran- 
«  ^Xavier,  priez  pour  nous.  »  Invocation  qui  rsq>pelie 
b  mémoire  de  cet  homme  à' qui  l'amour  divin  ne  lais- 
sa pas  de  repos.  Ce  denier  recueilli  chaque  semaine  » 
c*m  une  coopération  à  la  rédemption  du  monde  par  le 
sasgde  Jésus-Christ.  Voilà  l'ouvrage  auquel  nous  nous  asso- 
cions. A  l'exemple  du  Sauveur,  nous  commençons  à  aimer 
te  hommes  sans  œs  liens  plus  étroits  que  forme  la  com- 
Qttnauté  de  race ,  de  patrie  et  de  religion  ;  à  en  aimer  au- 
^t  que  le  Sauveur  en  aima  sur  la  croix.  Chez  ces  peuples 
penwrs,  maudits  par  les  voyageurs;  parmi  ces  tribus  can* 


(1^  BwifdiWne ,  S$nwn  fitr  U  Zitu 


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166 
nibales  dont  on  noos  a  raconté  les  horribles  festins,  noos  ne 
voyons  phis  qae  des  âmes  hnmorteUes ,  souverainement 
dignes  de  pitié  et  de  dévouement.  En  apprenant  ainsi  h 
secourir  des  misères  absentes ,  comment  resterions-nous 
insensibles  à  celles  que  nous  voyons ,  que  nous  touchons , 
qui  nous  attendant  au  seuil  de  nos  portes ,  dans  nos  rues , 
au  fond  de  nos  prisons  et  de  nos  hôpitaux?  Non,  rCBorre 
de  la  Prqxigation  de  la  Foi,  en  tournant  le  cours  delà  cha- 
rité vers  des  contrées  lointaines  ,  n'dte  rien  aux  pauvres 
de  nos  villes.  Quand  vous  ne  savez  plus  refuser  au  eoUec- 
teur  qui  vient  recevoir  l'offrande  périodique,  fermerez-^ 
vous  la  porte  aux  enfants  éplorés  qui  viennent  y  deinander 
du  pain?  Quand  de  pauvres  montagnards  des  Alpes,  quand 
les  pédieurs  de  la  rivière  de  GéÉes ,  ou  les  soldats  irbn- 
dais  des  garnisons  de  Tlnde  retrandient  sur  leur  nourriture 
\y>nr  la  caisse  des  Missions ,  ne  voyez-vous  pas  qu'il  n'y  a 
rien  qu'on  n'en  puisse  attendre?  • 

Que  sera-ce  si ,  nous  élevant  à  des  vues  {dus  hmles  «t 
phs  dégagées  des  pensées  de  la  terre ,  nous  regardons  où 
vont  nos  offrandes.  Elles  prennent  le  même  dienmi  que 
nos  prières.  Elles  vont  dans  ces  trésors  de  Dieu ,  où  Tobole 
de  la  veuve  est  comptée,  où  un  v^re  d'eau  n'est  pas 
perdu,  où  nul  ne  donne  tant,  qu'il  ne  reçoive  bien  davan* 
tdge.  Nos  faibles  mérites  vont  s'y  confondre  avec  ceux  des 
Apftcres ,  des  Martyrs,  de  tant  de  catholiques  soufrante*, 
persécutés.  Enore  eux  et  nous  tout  est  commtm  :  nous 
avons  une  fleur  dans  toutes  leurs  couronnes;  il  n'y  a  p&s 
une  de  leurs  larmes  que  les  Anges  recueillent  cpti  ne  prie 
au  ciel  potu*  nos  péchés ,  qui  ne  fasse  descendre  la  nûsért*- 
corde  sur  nos  têtes  et  sur  nos  maisons.  Nous  ie  sommes 
oubliés  dans  aucune  de  leurs  supplications  ;  ils  ont  appris 
à  prier  pour  nous  en  voyant  chaque  année ,  au  temps  de 
1^  commémoration  des  morts ,  leurs  prêtres  monter  à  l'au* 
tel  pour  les  Associés  défunts  de  la  Propagation  de  fai  Fol. 


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167 

Lis  Përas  ct«  iliraier  ccmrïe  aiQérîcaia  daBdthnore  s'uatf* 
leot  aux  Evéques  de  la  Chine  et  de  la  Corée,  afin  de  nous 
bénir  (1).  Bien  ne  peut  résister  ^à  cette  sainte  conspira- 
lion.  Si  la  moitié  de  TEurope  au  XVP  siècle  tint  Terme 
contre  les  tentaiiTes  de  la  réforoie  et  contre  ses  violences, 
peut-être  fut-elle  secourue  plus  qu'elle  ne  le  pensa  par  ces  * 
nombreux  Missionnaires  italiens,  françaîa,  allemands, 
portugais ,  espagnols ,  qui  portaient  la*  foi  dans  les  deux 
mondes.  Peut-être  le  salut  de  plus  d'un  peuple  fut-il  dé^ 
ddà  par  l'immolation  volontaire  de  ces  milliers  de  ehré- 
tiens  qui  mouraient  au  Japon ,  ou  par  la  prière  innocenta 
de  ces  pauvres,  sauvages  du  Canada  qui  sortaient  de  l'eau 
baptismale.  Et  maintenant  que.  nous  .voyons  se  fonder  tant 
d'Eglises  nouvelles  ;  les  chrétientés  se  miilif plier  sur  toutes 
les  côtes  de  l'Asie^  de  l'Afrique,  de  l'Amérique,  dans 
toutes  les  lies  de TOcéanie,  ne  semble-t-il  pas  qu'en  allu- 
mam  autour  de  nous  tant  de  foyers  de. charité ,  la  Provi- 
dence veuille  réchauffer  en6û  nos  vieilles  Eglises  qui  se  re- 
froidissaieiit.  « 

Etc'esl  nous  A^odésd^  la  Propagation  de  laFoi  qui  sûm- 
mesdioisis  pour  étreksâriisans  de  ce  dessein.  Quand,  dans 
les  ohantîersd'un  port  y  des  manœuvres  se  courbent  sur  lebois 
qu'ils  ajustent,  combien  peu  comprennent  l'importance  de 
lewviravail  1  Cependant  ces  bois  rassemblés  formeront  le  aa*- 
Vttiequi  portera  siur  touteslesjuers  lepavillon  de  la  patricftn^ 
looré desouvenûrs  et  de  gloire.  Ainsi  nous  $onunes»lesma^ 
Mavres,6tnosaumôness(HitlesiaiblesmoyeusqueDieuveuC 
bien  employer  pour  former  et  mettre  à  flot  la  barque  de  l'a- 
postolat. Mais  cette  barque  porte  l'étendard  de  la  croUg^^et 
«vec  ki  leme  la  lumièr&et  toute  Ja  civilisation  du  mooédé 


(1)  Lettre  des  Pères  do  demâème  GMeile  4%  BeUîmMe.  Uutméê 
î,  le  Tinire  apoitoU<itte  de  Sitm  el  l'£Tèt|ae  de  Cafis. 


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170 

(1)  Dans  h  CoUl  àm  receUei  m  trmiirffUetiBpnf  4ifmn  dmê  partie«> 
ken,  parmi  lesqoelt  nous  citerons  lei  tuivanU  :  Diocèse  d'Alby,  800  fr« 
*  Aogoaléine ,  10,000  fr.  —  Aolim ,  400  fr.  —  Goatances ,  586  fr. 
70  cent.  —  MonUoi>an ,  2,000  fr.  —  Nantes ,  1,400  fr.  —  Rennes  » 
850  fr.  —  Saint^Glande,  3,000  fr.  —  Yersailles,  2,500  fr.  ^  Yi? iers, 
300  fr.  —  Tonrvy ,  .5,847 ir.  A9  tnà.  -^  Bêle  r  7>W7  fr.  15  eeol.  —  . 
6a?oM,  M38  ft.  85  oenU^  Torin,  764  fr.  40  cent.  —  Yercail, 
1 ,000  fr.  —  Portugal ,  3,121  fr.  -^  Hé  Boarbon ,  1 ,000  fr. 

Il  a  élé  reçu  de  di? ers  diocèses ,  tant  de  France  que  de  Be^iqne ,  des 
dons  pour  le  baptême  et  le  rachat  des  cBfiiâtt  chinois ,  dont  le  total  »*âèTO 
àl4311fr.44eenf« 

Tons  les  dons  faits  arec  «TTectatidn  tfp^îale ,  soit  pour  le  btplême  et 
le.  rachat  des  enfants  chinois ,  soit  ponr  toat  antre  objet ,  recoTront  fidèle- 
ment leur  destination. 

NovB  derons  ajouter  que  tons  les  bienfaiteurs  de  l'OEufre,  signala  oo 
non  dans  cette  note,  se  recommandent  d*ane  manière  spéciale  aux  prières 
des  Missionnaires. 

Le  produit  des  Annales  et  coUectiona  Tendues  se  trouro  nni  aux 
chiffres  des  recettes  de  chacun  des  diocèses  dans  lesqueb  la  Tente  a  été 
effectua. 

(2}  Yoir  cette  somme  an  compte  de  1^ ,  poblid  dans  le  cahier  de 
mai  1844  ,^no  94,  pag.  207. 

(3)  Les  Annales  sont  tirëes  actuellement  k  171,900  exemplaires  . 
MToir  :  Français,  94,000.  —Allemands,  24,000.  —  Anglais,  14,000. 
—  Espagnols,  1,500.  —  Flamands ,  4,800.  —  luliens ,  30,000.  — 
Portugais,  2,500. ^Hollandais,  1,100.  Cependant  ce  nombre  d'exem- 
plaires a  élë  un  peu  moindre  en  moyenne  pendtnt  Tannée  ^olëe. 

Dans  les  frais  de  publication  sont  compris  Tachât  du  papier,  la  com* 
position ,  le  tirage  ,  la  brochure  des  cahiers ,  la  traduction  dans  les  di- 
f  erses  lingues  et  la  dépense  des  impressions  accessoires ,  telles  que  ceHns 
des  prospectus ,  coup-d*mil ,  tableaux ,  billets  d*indulgence ,  etc. ,  ttt.  11 
faut  remarquer  en  outre  que  Textension  de  TOEurre  nécessite  quelquefois 
plnsieors  éditions  dans  la  même  laiigue ,  soit  â  casse  de  la  distance  doa 
lieux ,  soit  far  snîle  de  rëléfatioo  des  droilade  douaaei  •»:aBtre0  sotifc 
grares.  C'est  ainsi  que  parmi  les  éditions  ci-dessus  énumérées ,  il  t'en 
trouve  deux,  en  allemand ,  de«x  enanglais  vltoii  en  italien. 

(49  Dans  les  frais  d'administration  sont  comprises  les  dépenses  faites 
Don-seulement  en  France,  mais  aussi  en  d'atires  coatiées.  Ces  dépensai 
«e  composent  des  traitements  des  employés ,  des  frais  de  harctax ,  loyert  » 


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m 

ic^tns»  ports  de  lettres  pour  la  correspondjuice  tant  arec  les  diren 
ëiocèscaqoi  eontrikieDt  à  l'OEiiTre  par  l'enToi  de  lant  aamltaes,  ^afee 
les  Mileioiis  de  toot  le  globe. 

Les  fonctions  des  administrateurs  sont  toujours  et  partout  entièrement 
fratnites. 

(5)  hb  reste  en  excédant  des  recettes  sur  les  dépenses  de  chaque  année 
ferme  ie  premier  fonds  employé  an  payement  des  allocations  adressées  aox 
dit  erses  Missions  dans  Tannée  suifante,  Â'après  une  nourelle  répartition 
fâ  est  Totée  après  la  clôture  dli  cOUipte  de  la  précédente  année.  Ainsi , 
l'excédant  des  receltes  de  chaque  apnée  close^  de  môme  que  les  aumônes 
successif  ement  recueillies  dans  l'année  courante ,  ne  s^euroent  e»  réalité 
'  que  k  Aoins  possible  itm  lei  caÎHM  de  l'OEuTre. 


DÉTAIL  DES  AUMONES 

TBAHSMI8B8  PAR  tES  DIYERS  DIOCÈSES  QUI  t)Nt  GOIfTAIBITi 
A  L^ŒVTRB  EN  1S44. 

FRANCE. 


Diocèse  d'AIX.  ...... 

—  d'Ajaccio.      ...    .     . 

—  de  Digne •  ' 

—  de  Fr^us 

•  —-  de  Gap 

—  de  Maneille.      .    .    •    . 

_  IVAIJIY  {^^^     ll,85if^0c. 

—  UiiUttï.jg^^^   9,342    40 


14,483  f.  35  c. 

1.667 

25 

6,141 

95 

26,784 

80 

9,655 

»» 

Ur3^i 

47 

21,196 

9» 

* 

116.2Wf.7»c 

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172 
Rqport 
Diacèse  de  Cabors 

—  deMende.     •     •     •     •     • 

—  de  Perpignan 

—  de  Rodez  (1) 

—  tf  AUCH 

"'     Cl  /\ire*    •••••• 

—  de  Bayonne.      .     .     •    • 

—  de  Tarbes 

—  d'AVIGNON 

—  de  Montpellier 

—  deNtmes 

—  de  Valence,  .     .    •    .    • 

—  de  Viviers.   •     •     •     •     • 

—  de  BESANÇON.      •    .    # 

—  de  Bdley.    .     ♦     .     .     * 

—  de  Metz # 

—  de  Nancy.     .    •    .    •    é 

—  de  St-Dié. 

-^  de  Strasbourg 

—  de  Verdun 

—  de  BORDEAUX.      •    .    . 

—  d'Agen.   .••... 

—  d'AngouIéme 

—  de  la  Rochelle 

—  de  Lnçon. 

—  dePériguenx 

—  de  Poitiers 


1 15,260  f.  72  c. 

19,776 

20 

21,041 

16 

9,500 

•  ■ 

34,384 

95 

25,000 

»» 

26,461 

70 

26,000 

■» 

12,545 

>> 

28,586 

»> 

34,000 

•» 

19,281 

80 

17,70t 

85 

26,482 

60 

31,630 

09 

23,604 

25 

30,050 

85 

15,219 

42 

15,300 

»• 

41,883 

35 

13,000 

»» 

40,982 

15 

15,300 

9» 

13,000 

»» 

11,716 

»» 

26,089 

13 

4,630 

mm 

24,000 

mm 

719,427  f.  21c. 

(1)  1 ,540  fr.  60  cent. ,  arrii^  après  Ii  dôtvre  au  compte,  feront  9tm^ 
fdl  daps  la  recette  de  18i5.  Le  cbifTre  des  aumônes  rccaeillîes  dans  It 
iiocèie^e  Redei  en  ASii  est  donc  eo  rëaiité  de  35.925  fr.  55  cent. 


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173 

Report         719,427  f.  21  c. 

Diocèse  de  BOURGES. 

.     .    .    •         8,431     10 

—  de  Qermont-Ferram 

i     .    .   .        36,589    31 

—  de  Limoges  .    »    ■ 

.     .    «    .       11,444    85 

—  du  Puy.  .    .    •.  ; 

.     .'  ,    .        21,692    25 

—  de  Saint-Flour.  . 

.     .    ,    .        22,713    90 

—  de  Tulle.     .    . 

.     .     .             4,703     60 

—  de  CAMBRAY.  . 

.     .    .            89,806     16 

—  d'Arras.   .     .    , 

,    ,     ,            21,637     45 

—  de  LYON.    .    . 

.    :     .  ■       175,067     60 

—  d'Autuo. ,    .    ■,    . 

.     ,    .            16,937    36 

—  de  Dijon.      .    .    . 

.    .    .    ,         9,498    »» 

—  de  Grenoble.     .    - 

.    ..    ^.          39,663    20 

— '  deLangres.  .    .    .. 

.    .    ,     .       19,890    »» 

—  de  Saint-Claude. 

.    ,    .    .        19,511     »» 

—  de  PARIS.    .     .    • 

.     .     .            92,371     86 

—  de  Blois.      .    ,    - 

.    .    .             6,200    .. 

—  de  Chartres.     -;    - 

.     .              7,469    V, 

—  deMeaux.     .     .     . 

,    ^     .              2,123     10 

—  d'Orléans.     .     .     • 

.     .              9,032    75 

—  de  Versailles.    .     . 

.  ..     '.            11,862    20 

—  de"  REIMS.    .     . 

.     .    .           15,306    26 

—  d'Amiens.     .     . 

.    •.    •.           14,858    »» 

—  de  Beauvais.      .     . 

.    -.    .           12,166    .. 

—  de  Châlons-sur-Man 

10. .     .             8,800    »« 

—  de  Soîssons.      .     . 

.    .           12,017    65 

—  de  ROUEN.  .     . 

.     .    .           29,005    10 

—  de  Bayeux.  .     .    % 

.    .           29,966    »> 

—  de  Coulanccs  (1).   . 

.    .           16,424    .» 

1,472,853  f.  78  c. 

(I)  Une  somme  de  5,000  fr..  appartenant  à  l'exercice. de  iSi%,  a  i\é 
comprUe  par  erreur  dans  les  recettes  de  l'exereice  de  1943. 


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INoeëse  d'Evrenx.  • 
"—  cte  oé6s«  •  ■  •   ^ 

—  deSENS.     .    • 

—  de  MooKiis.  •  i 
«— '  doNèfora*  •  « 
•—  deTroyes.  .  .• 
~  de  TOULOUSE. 

—  de  Garcassomie.. 
^  de  Slontaiiban.  • 
^  de  Faniiers*  •    « 
•-  deTOURS.  •    . 
-—  d*ADgers.     •  .-^ 

—  du  Mans*  •  's 
— ^  de  Nantes*    •    « 

—  de  Quimper* 

—  de  Rennes.*  •  • 
— '  de  Samt-Brieux. 

—  de  Vannes.   .    * 


lf4 

Report 


1,472,853  f.  78  e, 

6,800    90 
10,54fi 

9,600 

7,416 

6,568 

7,100 
63,218 
18,093 
16,029 

7,422 
13,836 
40,038 
44,714 
60,168 
21,424 
64,637 
41,010 
27,864 


35 

B» 
B» 

30 
85 
20 

»« 

20 
35 

'25 
70 
35 

,80 


25 


COtomB»  rURÇAISBI». 

Diocèse  d*AIg«r.     ,-\    «^  «    •  2,687    65 

Ile.BpuiJwii *    *  7,500    »» 

Gnadeloi^e <  90  -  »> 

Martinique.  .......  4,993   *89 

Poiidicbà7  (1) »    »» 

SéBéêaU  .  .     *..„>*  278    »»  ^ 

,1,933,809  f.  «2  Ci. 

mBSSBBSsaasi^tssBmaam 


9)  Fondf  «0»  f«nti|iif. 


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byGoogk 


176    . 
ALLEBIAGNE. 

floriot.     kr.  pf.. 

De  divers  i'ocèscs.     •    5,790  20  »       12,507  f.  12.  c. 

GRIflID  DtrCHJ'  DE  BJUIB. 

Diocèse  de  FRffiOURG    6,820  20  2      12,571     94 

GBAlfD  DtNSnS  DB  HBSSB^DÂâHBVMyr» 

Diocèse  de  Mayence.  .     1,382  38  1        2,986    60 

WIHTIIBBIG* 

DiocèsedeRottenbourg  13,669  »»*  1      29,525    05 


57,590  f.  61c. 


AMÉMQUE  DU  NORD. 

pMitret. 

'>»eèscdè*** 200        l,000f.»»c. 

CANADA, 
livret,    th.    è. 

DkKJse  de  QltËBEC  2,137  18  *»  45,608  50 
-r-'de  Montréal.  ,  «52  2  6  13,912  »» 
—  de  Toronto  (1).  »  ••  »  »     p^ 

•£TAT8-4mi8.    .      . 
*      •      Mollfrs.  •      ' 

Diocèse  de  New-Yorck.  •        6    30  26    50 


60,547 f.»»  c 


d)  F«ndf  Bon  parroraiw    ' 

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176 

Report      60,547  f/»»  c. 

dollars. 

Diocèse  de  la  Nouvelle-Or- 
léans (1).     .     .        »     »»  »     »» 
—  de  Philadelphie.     .       10    »»             50    »» 

If  ou  VELLE-'iCOSSE  • 

Diocèse  d'HaUfax..    •    •    504    »»        2,620    •» 


63,117  f.»»  c. 


AMÉRIQUE  DU  SUD. 

BRESIL. 

Diocèse  de  Maragnan .    43,200    »»  270  f.  »»  c. 

CHILI, 
piastres. 

Diocèse  de  SANTIAGO      1,2&6    84        6,43i    20 
—  deCoquimbo.  .  138    ■»  690    »» 

7,391  f.  20  c. 


BELGIQUE. 

Diocèse  de  MALINES  (2).     .    .  36,330  f.  21c. 

—  de  Bruges 22,249    .. 

—  deGand..    *    .    .    .    .  43,639    74 

102,218  f.  95  c. 


f     (1)  FondsBoa  pirreniu. 

(S)  Une  partie  nottUe  dat  tomiiMi  rccDeillif  *  d«iu  ce  diocèse  pr*« 
yieal  de  d«u  «tw  m  moi  deiiiMtioo  •pVciile. 
\ 


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177 

Report 
Diocèse  de  Liège 

—  deNamur 

—  de  Tournay 


102,218  f.  95  c. 
33,615    22 
10,21C  '  81 
31,635    05 


ILES 

BRITANNIQUES 

177,686  f.  03  c. 

» 

• 

ANCLETERKB. ■ 

liTrei  tt.    >h.    i. 

District  de  Lancaslre. 

441  17  4 

11,312  f.  31c. 

—  de  Londres,     i 

394  15  7 

10,106 

35 

—  dTorck.     .     . 

200    3  4 

6,124 

24 

—  du  Nord.    .     . 

50  »»  6 

1,275 

32 

—  du  Centre,     i 

167    5  7 

4,282 

30 

—  de  l'Ouest,     i 

176     5  7 

4,614 

34 

—  de  l'Est.     .     . 

49  118 

1,264 

38 

Pays  de  Galles.    .    . 

.  55  13  9 

Ecosse. 

1,420 

03 

District  da  Nord. .    . 

.  46  B»  » 

1,177 

60 

—  de  l'Est.    .    . 

59    9  5 

1,622 

42 

—  de  l'Ouest.     . 

18  111 

niANDE. 

475 

»» 

Diocèse  d'ARMAGH.  . 

122  19  6 

3,154 

22 

—  d'Ardagb.  .     .• 

17    3  4 

440 

44 

—  de  Clogher.  .  .■ 

18    6  9 

470 

38 

—  de  Derry.  .     . 

51  18  1 

1,330 

99 

—  deDownetCon- 

nor.    .    .    . 

60  17  4 

1,564 

16 

TOI.  XTII.  100. 


49,434  r.  48  c. 
12 

Digitized  by  LjOOQ IC 


176 


Report 

49,434  f.  48  c. 

liT.  tt.  .k.  a. 

Diocèse  de  Dromore. 

26    6  8 

675 

08 

—  de  Kilmore.     • 

81  13  4 

2,098 

74 

—  de  Mealh.  .    • 

247    9  6;/, 

6,337 

42 

—  de  Raphoë.     • 

7    6  8 

188 

»» 

—  de  CASHEL.   . 

270  16  3 

6,943 

20 

—  deCloyneelRosî 

{       369    6  » 

9,472 

63 

—  de  Corck.  .     . 

845    5  3 

21,680 

03 

— -deKerry.   .     . 

118    2  6' 

3,029 

90 

—  de  Killaloë.     * 

163  13  9'/» 

.  3,941 

14 

—  de  Limerick.   • 

111  11  8 

2,867 

60 

—  de  Waterford  . 

622     7  8 

16,993 

16 

—  derftJBLIN. 

.     1,924  14  4 

49,465 

12 

—  de  Feras.   •     « 

366  16  .  Va 

9,126 

>» 

—  de  Kîldare   e 

t 

Leighlin.  .     • 

686    1  B'Ii 

16,032 

73 

—  d'Ossory.   . 

343  >»  4 

8,798 

35 

—  deTUAM.  .    • 

63  11  7 

1,373 

58 

—  d'Achonry .     . 

16  17  10 

407 

78 

—  de  Clonfert.    « 

13  10  » 

348 

60 

—  d'Elphin.   .     . 

92    9  3 

2,379 

11 

—  de  Galway.     . 

67    3  3 

1,724 

34 

—  de  Killala. .     . 

4  16  » 

123 

60 

—  de.Kiliiiacduagi] 

GOLOl 

i         30  11  » 

(IBS  BRITARRIQDÉS. 

782 

08 

-Caksntfli  (i)*     .    . 

B 

mm 

Cap  de  Bonne-Espéra 

noe«  •    •    •    • 

1,799 

»» 

214,020  r.  67  c. 

0)  F«a4t  MM  pirrcDnt 

Digitized 


byGoogk 


17» 


Duniniqne. 
Gibralur. 
Jamtique. 
Hadns. 


Report  214,020  r.  57  c. 

.     .  76     15 

.     .     .         1,70«     98 
.     .     .  340     »» 

.     .     .         8,263     60 


Maurice  (!lé) 2,326    .» 

Sjdney  (Australie). 10,280    >» 

Térapolly  (ÇJalabar)  (1).  .     ...  •     »» 


236,914  f.  30  c. 


RÉPUBLIQUE  DE  CRACOVIE. 
Diocèse  de  Cracovie.    .    <    <    «    .  363  f.  63  c. 


ÉTATS  DE  L'ÉGLISE. 


cens  ronsins. 

nUffi.        •       •       •      a 

.    .9,&89  25  » 

62,116  f.  49  c. 

Koeèie  d'Acqua-Peu- 

éaOïB.    .    .    4 

40  »  » 

217 

39 

~  d'AIatri.    .    . 

l&O  »»  » 

815 

22     . 

—  d'Albano.  .    . 

87  44  » 

476 

22     j 
61 

~  d'Amelia.  .    . 

,          62  »»  » 

282 

~  d'Anctee.  .    . 

134  32  » 

730 

HV 

—  d'AacoU.    . 

224  06  » 

1,217 

72 

—  tfAaaiK.    .    . 

.  .       «2  70  » 

449 

46     • 

—  deBagnorea.  < 

«4  32  » 

A6S 

26     ' 

*•  deBfiNÉVENT. 

308  64  » 

1,133 

91 

«7,895  f.  28  c 

P)  Tmèt  Ma  ptrreaw. 

12. 

■ 

Digiteedby  Google 

ISO 

Report 

£7',895f.28c 

êaa  romaJBs. 

Diocèse  de  Bertinoro. 

63  £3  » 

34£ 

27 

—  de  Sarsina.     • 

26  31  » 

142 

99 

—  de  BOLOGNE. 

1,£60  »»  » 

8,478 

26 

—  de  Cagli.    .    . 

84   71   m 

460 

38 

—  de  Pergola.    . 

£2  £0  » 

285 

33 

—  deCAMERINO. 

226  08  » 

1,228 

70 

—  de  Treja.    .    . 

30  95  » 

168 

21 

—  de  Cervîa. .    • 

30  70  > 

166 

85 

—  de  Césène. .     . 

227  04  > 

1,233 

91 

—  de  Citta  della 

Pîeve.      •     . 

47  08  » 

255 

87 

—  de  Cîita  dî  Ois- 

tdlo.  •    •    • 

170  »»  » 

923 

91 

—  de  Civîta-Vec- 

chi2k  .     .     . 

63  »  » 

342 

39 

—  deCivîta-Castd- 

lana.  .    .    • 

39  03  > 

212 

12 

' —  de  Corncto.     . 

30  »»  » 

163 

04    ' 

—  de  Fabriano.    • 

•  90  »»  » 

489 

13 

—  de  Matelica.     . 

125  £8  » 

682 

£0 

—  de  Faenza. .     . 

388  20  * 

2,109 

78 

—  deFano.    .     . 

330  »»  » 

1,793 

%8 

—  de  Ferentino.  • 

76  28  . 

414 

£7 

—  de  FERMO.    . 

667  22  6 

3,626 

22 

—  de  FERRARE  . 

719  7fi  » 

3,911 

69 

—  de  Foligno.     • 

114  •»  » 

619 

£7 

~  deForli.     .     . 

320  ».  » 

1,739 

13 

—  de  Forlimpopoli 

82  69  » 

449 

40 

—  deFossombrone 

79  80  » 

433 

78 

—  deFrascaii.     . 

48  84  > 

266 

44 

88,837  f.  12  c 

Digitized 


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181 


Report      88,837  f.  12  c« 

écos  rontim 

e  â*Iesi. .    •    • 

73  35  > 

398 

64 

dlmola.     •    . 

520  »  > 

2.826 

09 

deLorelteetRe- 

canati.      •    • 

54  71  > 

297 

34 

de  Macerata  et 

Tolentino.     • 

205  »  > 

1,114 

13 

de  Montalto.    • 

61  04  l 

>           277 

42 

deMontefiascone 

42  90  « 

233 

15 

deNarni.   •     • 

18  92  > 

102 

83 

de  Nepi,  SuUi 

etTolb.  .     . 

40»  > 

217 

39 

de  Norcia. 

30  39  > 

165 

16 

d'Orvieto.  .     . 

173  35  i 

S           942 

15 

d'Oskno.    .     .  ^' 

68  SO  I 

370 

65 

de  Palestrina.  . 

140  »  > 

760 

87 

dePennabniL. 

268  91  i 

i        1,461 

49 

de  Pérouse.    • 

421  48  • 

2,290 

65 

de  Pesaro.  •    • 

475  »  1 

2,581 

62 

de  Poggio-Mir- 

~ 

teco.  •    •    • 

£6  60  > 

307 

61 

de  RAYENNE. 

348  11  > 

1,«91 

9D 

de  Rieli*     •    • 

102  »  1 

554 

35 

de  Rimini. 

160  »  1 

869 

6'. 

de  Ripatransone 

110  »»  > 

597 

83 

deSan-Sereriuo 

95  »»  1 

516 

30 

de  Sinigaglia.  . 

222  »•  1 

1,206 

52 

deSPOLETTE. 

171  14  I 

930 

10 

de  Segni  ec  Ga- 

vignano.  .    * 

560i 

30 

43 

deTerni.  »    * 

60  »»  1 

326 

09 

1 10,107  f.  30  c 

Digitized 


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tsi 


Report 

1 10,107  r.  30  c 

écQt  ronMiiif . 

Diocèse  de  Terracine , 

PipernoetSezze 

67  60» 

367    39 

—  de  Tivoli.   .     • 

140  »»  > 

760    87 

—  de  Poli.     .     . 

5  20  » 

28    26 

—  deTodi.     .     . 

123  ..  . 

668    48 

—  d'Urhûnîa.       . 

133  72  > 

721     30 

^^  de  San-Angelo 

ÎB  Vado.  •     • 

23  40  » 

127    17 

—  d'URBINO .     . 

76  »»   « 

413    04 

•—  de  Velletri.     . 

99  56  » 

o41     08 

—  de  Viierbe.     * 

106  67  » 

&79    73 

—  de  Toscanella  . 

66  27  > 

305    81 

114,620  f.  43  c 


Pe  divers  diocèses. 


ESPAGNE. 

féaux. 

.     6,222    . 


1,555  f.  50  c 


GRÈCE. 


Diocèse  de  NÂXIE.  . 

I —  de  Saniorin.  . 

—  deSyra.    .  . 

—  de  Tine  (1).  . 


Jntchnitt. 

90  »» 

333  34 
336  67 


81    »» 

300    » 
303    » 


(1)  867  fr« ,  trntëf  tprès  It  clôture  da  compte  ,  seront  eomprii  < 


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183 

ILES  IONIENNES. 

AiocisedeZante.  * 

d04f.S5c. 

LEVANT. 

piastres  tor^et. 

Vicariat  apostoUqne  de 

CONSTANTINOPLE  •     6,876  »» 

1,719  r.»»c. 

Diocèse  de  SMYRNE  (!)•     4,656  »» 

1,164    » 

—  deScio.    .     .     .         700  »» 

175     » 

—  d'Alep.     ...        981  30 

230     99 

—  de  Beyroutb.       .        576  »» 

143     75 

Vicariat  apostolique  de 

VÉGYFTB.      .     .     .     5,29»  IJ) 

1,340     75 

4,773  f.  49  c 

LOMBARD  VÉNITIEN 

(royaume.) 

lÎTr.  •Qtrich. 

Diocèse  de  MILAN  .    46,061    43 

39,162  f.  22  c. 

—  de  Bergame.  .    13,794    12 

11,725     .» 

—  de  Brescîa.    .     16,749     70 

13,659     78 

-  de  Côme  .    .      4,171     76 

3,646    »> 

—  de  Crème.     .          774     63 

658     44 

-  de  Lodi.   .    .      2,437    66 

2,072    »» 

—  de  Manloue.  •          706    88 

600    »» 

-de VENISE.  .      2,362    »» 

1,964    20 

Dedlva^  diocèses.  .     12,674    76 

10,688    55 

Diocèse  de  **^.     .      3,667    66 

3,024    «» 

86,990  f.  19  c. 

^ 

# 

(1)  21  fr.,  tirifét  après  It  cMlore  du  compte,  feront  compris  dans  !• 

•m*mn^  J^  40CK 

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184 
DUaiÉ  DE  LUCQUES. 

livres  lacqnoîwt.  t.    è. 

Diocèse  de  LUCQUES    12,166  19  4 


9,125  r.2£c. 


ILE  DE  ftlALTE. 

tan  mtlltà. 

Diocèse  de  Malte.   .    5,962    1  18 


12,194  r.  36  c. 


DUCHÉ  DE  MODÈ^. 


Diocèse  de  Carpi.  . 

—  de  Massa.   . 

—  de  Modène. 

—  de  Nonantoh. 

—  de  Res^io.  . 


.  1,639  r.  10  c 

2,417     83 

7,917     18 

262    33 

7,491     07  * 

?19,727  f.  51  c. 


DUCHÉ  DE  PàRME. 

Diocèse  de  Borgo-San-Donnino.     .  700  f.  06  c. 

—  deGuastalIa ■    5S4    09 

—  de  Parme '6,707    90 

—  de  Plaisance '7,609    62 


14,571  f.  67  c. 


PAYS-BAS. 

floriai. 

Vicariat  apostolique  de 
Bois-le-Dac.      •     •       14,723  »» 
—  deBréda.  .    •        2,700  »» 


31,159  r.  68  c. 
6,714    30 

36.873  r.  98  c. 


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^korlat  apostoUqueda 

Limboui^.     . 

—  du  Luxembourg 

Ardijprétré  deSdûdand 

De  dhers  arcfaiprétrés. 


186 

Report 

0oriiis. 

7,338  »» 

£,276  »» 

£00  »» 

15,260  80 


PORTUGAL. 


(Kocèse  de  BRAGA.  . 

—  d'Ayeiro.    •     • 

—  de  Bragance.  • 

—  de  Coimbre.   . 

—  dePinbel.  .     • 

—  de  Porto.  •     . 

—  de  Vbeu.  •    . 

—  tfEVORA.      . 

—  de  Beja.    .    • 

—  d'Elias.     .    . 

—  de  LISBONNE. 

—  de  Guarda.    . 

—  de  Lamego.     • 
--  de  Lâria.  .     . 


rtîs^ 

1,231,120 

105,680 

86,880 

389,810 

£,060 

1,279,330 

341,460 

163,705 

65,600 

119,850 

1,917,396 

79,320 

20,160 

457,020 


36,873  f.  98  c 


15,528 

11,168 

1,058 

.  32,297 


93 
72 
20 
98 


96,927  r.  81c. 


7,694  f.  50  c 
660    50 


543 

2,380 

31 

7,995 

2,134 

1,023 

410 

749 

11,983 

495 

126 

2,856 


73 

80 

03 

06 
20 
75 

»• 
38 


lus  AÇOBES. 

Diocèse  d'Aogra .    .    .      467^080        2,920    »» 

ns  PC  ■AOikB. 

Diocèse  de  Funchal.    .         19,240  120    25 


42,123  r.  20  c 


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186 
PBU6SE. 

CBAND  DUCHi  DE  POSER. 
lUen.    ni.   pt 

fiiocëse  de  POSEN 

etGNESEN.   .    .      £88  29  11        9,t64t.99c 

nOYIRCE  DE  ncssE. 

Diocèse  de  Yannie.    .  1,709  10    2       6,215    73 

PKOTIRCE  KHéNARB. 

Diocèse  de  COLOGNE  21 ,990  20-11      82,465    11 

—  de  Trêves  <    .-  3,533    8    6      13,249    SI 

snistB. 

Diocèse  de  Breshu.    i  5,234  »»    2-     19,105    67 
*—  de  Prague  (par- 
tie prussienne)       470  »  »        1,716    60 

'WESTPHÂUB,     .      . 

Diocèse  de  Munster.     9,788  20    8      36,707    68 

—  dePaderbom.    5,467    6    4      20,561    9t 


1^2426  f.  90  c 
ÉTATS  SARDES. 

DUCBé    DB    ciNES. 

Diocèse  de  GÈNES 31,216  f.  18  e. 

—  d'Albenga 4,613    14 

—  deBobiMO.  .    .    .    .    .  \        1,574    99 

37,404  f.  31c 


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1«7 

Report  37,4«4f.3Ic 
Diocèse  de  Nice.     ...../     6,438    86 

—  de  Samne.      .     .     ,     .    .   •  2,379    65 

—  deSavone-   .     ..  •    .^  .    .  6,70«    63 

—  de  VinUfflille.    ^    ^    .    .    .  2^77    69 

piéarorfT. 

Kocèse  de  TUWN.    .    .    .    .    .  61,000    2» 

—  d'Acqai. .     ...     .     ...  3,609    80 

—  JAlbe.    . 6,12s    »» 

—  d'Aoste.  . ft^400    .1. 

—  d'Asti 3,198     93 

-y  de  Coni 2,600    »» 

—  de  Fossano 2,291     80 

—  d'Ivrée  (1) 8,522    66 

—  de  Mondovi 12,141     86 

—  de  Pignerol.      .     •     .     .     .  4,906    60 

—  de  Saluées 6,312     70      ^ 

—  de  Suse 1,662     70 

—  de  VBRCEIL 8,009    26 

—  d'Alexandrie 2,620    60 

—  de  Bielle .  6,670    »» 

—  de  Casah ,  6,^1     61 

—  deNovare .  7,000    »» 

—  de  Tonone .  8,991     30 

—  de  Yigevano 2,221     »» 


211,973  f.  81c 


(1)  520  fr.,  trriWs  après  It  clôlore  da  compte,  leront comprit  àêw 
^  recette  de  18i5. 


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188 

Report  211,973  f.  81  c. 

Diocèse  de  CAGLIARI.    .    •    .    •  141     74 

-^  de  SASSARl  (ï) »     »» 

—  d'Alghero  (2) #  »     »» 

SATOIE. 

Diocèse  de  CHAMBÉRY 12,000    »» 

—  d'Annecy.     .     .    .    .     .     •  26,838    »» 

—  de  Moutiers. 4,760    »» 

—  de  SaintrJean-de-Mauriepne.  .  2,825    »» 

258,528  f.  55  c. 


DEUX-SICILES. 

BOrAUSE  DE    RAFLES. 

• 

dacats.    pr. 

Diocèse  de  NAPLES. 

.   11,096  76 

47,893  f.  62  c. 

—  de  Noie.  .     .     • 

•  127  »•. 

548     13 

—  de  Pouzzoles. 

40  »» 

172    64 

—  de  SORRENTO  • 

1,779  ». 

7,678     17 

—  de  Gaeie.      .     • 

•     68  35 

295    »» 

—  de  Sora.  .     .     . 

180  00 

776    88 

—  de  Sessa.  .     . 

160  20 

691     43 

—  d'Alife  ei  Telese 

30  » 

86    32 
68,142  f.  19  c. 

(1}  6i2  fr.  44  cent.,  irrivës  aprèt  la  ctô4are  an  compte,  seront  com- 
pris dant  U  recette  de  18i5. 

(2)  150  fr.»  arrivét  après  la  dutare  do  compte,  seront  compris  dans 
la  rrccUc  de  1845. 


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189 

Report 

58,142  r.  19  c, 

^QMtt.    gr. 

Diocèse  de  CAPOUE.    • 

250  »» 

1,086 

96 

—  tfAversa.  •    •    • 

44  88 

193 

71 

^  d'Isernia.  .     .     • 

12  » 

51 

80 

-deSALERNE.    . 

131  .^ 

665 

40 

—  de  Caya.  •     .     • 

140  »» 

604 

24 

—  de  Nocera  de  Pa- 

gani*      •     •     • 

280  .» 

1,208 

48 

—  deMelfietRapoIIa 

100  » 

431 

60 

—  de  Lucera.     •     • 

7  £5 

32 

5» 

—  dcœNZAelCAM- 

• 

PA6NA«      .    . 

£0  » 

215 

80 

—  deMANFREDONIA 

50  »» 

216 

80 

—  de  CoDversano.   . 

230  » 

992 

68 

—  deTRANIelNA- 

ZARETH.    .    • 

86  70 

374 

20 

—  de  Monopoli.  •  \  • 

72  30 

312 

05 

—  de  Casidlaneta.  \ 

112  55 

485 

77 

—  dTOria.     .     .    • 

102  »» 

440 

24 

—  de  Lecce.     •    • 

360  »» 

1,610 

60 

—  d'Ugento  •     .    * 

89  60 

386 

72 

—  deOalUpoli.  •     • 

12  10 

52 

23 

—  deœSENZA.    . 

100  >» 

431 

60 

—  de  S.  SEVEHINA 

100  » 

431 

60 

—  d'Oppido.      .     . 

233  50 

1,007 

79 

—  deNicoteraelTro- 

pea 

60  »» 

215 

80 

—  de  Mileto.     .    . 

100  » 

431 

60 

—  deLANCIANOet 

ORTONA*  .    • 

60  »» 

258 

96 

— '  d'Aquila.  •    •    • 

256  87 

1,108 

65 

7l,t89f.06c. 

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Report 

71,189  f.  06  c 

docatt.    gr. 

Diocèse  d'Apnitina  et  Te* 

ramo.     •    •    « 

104  >• 

448 

87 

—  d'Alri  et  Penne . 

120  >» 

517 

92 

—  de  Gerace,     .    , 

150  »» 

«47 

40 

—  deMuro.  .     •    • 

60  » 

258 

96 

—  de     Giovinazzo  , 

MolfetUetTerlizzi 

i       411  £0 

1,776 

04 

—  deTARENTE.    - 

80  »» 

345 

28 

—  de  Venosa.     •    4 

50  » 

215 

80 

—  d'Avellino.     .     i 

57  40 

247 

74 

—  deTrivento.  *    < 

40  » 

172 

64 

—  de  Bojano.     .    < 

58  36 

251 

89 

—  d^Amalfi.  •     •    « 

13  » 

56 

11 

—  d'OTRANTE.      , 

126  60 

546 

41 

-^  deSolmonaetVaF 

ra      lOp  »» 

431 

60 

—  de  Monte-Cassino 

300  »• 

863 

20 

—  de  Foggia.     . 

50» 

215 

80 

—  de  Gotrone.    . 

20  M   ' 

86 

32 

—  îl'AscoB.   .    .    . 

10  »» 

43 

16 

—  de  Bisceglie.  • 

IID  *• 

SICILE. 

474 

76 

Diocèse  de  PALERME. 

.     1,854  01  6 

7,725 

08 

—  ^  MESSINE. 

568  09  5 

2,867 

08 

—  de  MONTRÉAL. 

327  25  5 

1,363 

58 

—  de  Catane.    . 

674  >•  » 

2.795 

84 

749  &  » 

3,124 

38 

—  de  Syracuse.  •    i 

66  97  » 

274 

88 

—  de  Girgenti.  • 

760  70  » 

3,10e 

59 

—  de  Gsdlagirone. 

SIO  »•  > 

875 

»» 

100.484  f.  3.9  c. 

Digitized 


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191 


Report  100,484  r.  39  c. 


da<9U.     gr. 

DiooisedeCeGaù.  .    » 

31  37  5 

130 

76 

—  de  Paui.  .    .    * 

46  60  » 

193 

65 

—  de  Nicceia.    *    * 

18  20  » 

75 

85 

•—  de  Upari.     »    » 

16  50  » 

68 

75 

■ 

100,953  f.  39  c. 

SUISSE. 

ftruiet  raîtset. 

Diocèse  de  Me,    *    .  18,258    60 

26,083  f.  62  c. 

—  de  Coire.     ,    .    3,791    67 

5,416    67 ^ 

—  deCôiDe(Tessio)    2,800    »> 

4,000    » 

—  de  Lausanne.    .    7,901    04 

11,287    20 

—  de  Saint-Gall.   .    3,351    64 

4,788    05 

~  de  Sion. .    •    .'   3,753    19 

5,361     70^ 

56,937  f.  24  c. 

TOSCANE. 

iir.toM.    1.    i. 

OiooàsedeFLORENCE  24,718  15  2 

20,763  f.  76  c. 

—  de  Colle.   .    .        654  11  8 

549    85 

—  de  Fiezole.     .     4,611  »>  » 

3,873    24 

—  de  Pistoie.     .     3,092  »»  » 

2,597    28 

—  de  Plato.  .    .     2,183    9  »' 

1,834    10 

—  deSim-Mniiato.     4,086  »  » 

3,432    24 

—  deSan-Sqwlcro    3,284  »»  » 

2,758    56 

—  de  PISE.    .    .    8,786  »»  » 

7,379    40 

—  de  Uvonme.    .    3,818    9  » 

3,207    50 

—  de  Pmitremoli .       600  »»  » 

504    »» 

46,899  f.  93  c. 


Digitized 


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193 

Report 

46,899  f.  93  c. 

lÎT.  tose.    t.    à. 

Diocèse  de  SIENNE. . 

2,696,»»  » 

2,263 

80 

—  d'Arezzo.  .     . 

3,116  11  4 

2,617 

08 

—  de  Chiusi.  •     • 

356  13  4 

299 

60 

—  de  Cortone.     .• 

700  »»  » 

688 

»» 

—  deGrosseto.    •• 

320  »»  » 

268 

80 

—  de  Massa  etPo- 

' 

pulonia.  •     • 

1,207  »»  » 

1,013 

88 

—  de  Modîgliana. 

638  16  8 

536 

57 

—  de  Montalcino. 

619  16  4 

520 

64 

—  de  Monte-Pul- 

ciano .      •     • 

346  13  4 

291 

2i, 

—  de  Pescia.  .     . 

1,200  »»  » 

1,008 

»» 

—  de  Pienza. 

152  13  4 

128 

24 

—  de  Sovana. 

1,464  »»  » 

1,229 

76 

—  de  Volierra.    . 

2,012  13  4 

1,690 

64 

(0 

59,366  f.  14  c. 

De  diverses  contrées 

du  nord  de 

l'Europe  (2).     . 

•     •    •    • 

2,627  f.  79  c. 

(1)  Dam  la  recette  des  dioccses  de  la  Toscane  loiit  compris  plosieora 
dons  qui  en  ëlèTcnt  le  chifTre* 

(2)  Danf  celle  somme  se  troorent  compris  267  fr.  74  cent.,  prodoîl 
de  la  rente d*iin  capital  de  G, 000  fr.,  proTcnant  du  diocèse  de  Varsofie» 
donne  à  TOEufre  en  1813 ,  et  dont  il  a  éié  fait  mention  dans  le  compte 
précèdent* 


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193 


La  répartîttcn  des  aumôneê  entre  les  ikerses  Mmi(m$, 
peur  1844^  a  été  atrêtêe  dans  V&rdre  suivant  : 


MISSIONS   D  EUROPE. 

A  Mgr  Carriithers,  évéq«e, 
tkaire  apostolique  d'Edimboiurf 
(EcosiBe) 39,000  r.»»c 

A  Mgr  ScoU,  évéqne,  vkaire 
apoMôUqae  chi    disirict  oecideo-.     .     . 
Ul  (id.).     . 54,000    »• 

A  Mgr  Kile,  éréque^  vieaire  apo- 
UoUqoe  du  district  du  Kord  (id.)         dl,000    »» 

A  Mgr  Mostyn,  éyèqiie,  vicaire 
apostoliqQe  do  district  da  Nord 
(Angletïsrrc) 8,000    »/ 

A  Mgr  Waraog,  évéqae,  vicaire 
apostoKqne  da  district  oriental  (tW.)  8,000    »» 

Att  Vicariat  apostolique  de  Lon- 
dres, pour  TEf^  catholique  de 
Saim-GecH^  (id.).     •    •    .    .  16,000    »• 

Au  inétte;^  pow  h  Mission  dé  ' 

Jersey.     •    •    •    •■    •    •    •    •  6,000    »» 

Att  Vicariat  apostolique  du  dis-  . 

trict  ocddeMil  (Angleterre) ,  pour 
Il  Mission  de  Bristol.    .    .    .    .  4,000    •» 


166,000f.»»c 
tM.  xtii.  100.  13 


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Report         165^900  f.  »»  c. 

A  Mgr  Brown ,  é^éque ,  vicaire 
HfûSUAioe  dttfMQfs  de  Galles  (An- 
^eterre).      .     .     .     r    .     .     .  16,000    »» 

Pour  la  Mission  des  (Uibts  de 
Karie  immaculée  en  Cornouaiiles 
(Angleterre) 19,000    »» 

Pour  la  Mission  des  Rédeinpto* 
nstes  en  Cornouaiiles  (tW.)*     ..  •  11,500    w» 

A  Mgr  Yenni,évd|«c*dè  Uu- 
saume  et  Genève  (Suisne).  •    .    »        .  Sfi^OOO    »» 

A  Mgr  Salzmann ,   éfvéque  -de-     *     * 
Bâle,  pour  TEglise  tMiioli(|in  ^  > 
Bàle  (id.) -    w    .    .>  6^9    ^ 

AMgrl'EvêquedcBeihléem.abbé'    *•     * 
de  SaÎDt-Manrice,  po«f  TEgltoe  c»- 
, ibolîque d'Aigle  (ûf,).  é    .     •    •  4,fi00    »• 

A  Mgr  Hughes ,  érdque ,  vicaire 
aposteUqœ  de  GilH*altar«    •    •    •  15, #09    #ft 

Pour  diverses  Missions  du  Nord 
de  l'Europe*  ..,..•.        1Î0,ÏÔÔ    »» 

A  Mgr  Paul  Sardi,  évéque,  vio- 
leur apostolique  de  la  Moldavie  (Mis- 
sien  des  RR.  PP.  Mineurs  Conven- 
tuels.)     .......     r  5*>000     »»  ' 

A  Mgr  Mdlajoni ,  év^uQ  a^i;    .     .     , 
Bislrateitr  du^vicarial  ap6&tûli)()ae 
de  la  Valachie  et  Bulgarie  ^ssioE  ,       . 

d»  RiL  PP.  Passionistcs).     .     .  ^,500    *»  , 

488,600  f.  »»  c. 

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,     Âeport        488,600  f.  »»  c. 
Pour  la  Mission  des  RIL  PP.  Ca- 
pucins  à  CaB^antinople.  •     •     •  4,800    »» 

Pour  bMiisioD  des  RR.  PP.  Do- 
mmi^DS  à  Constantinople.     .     •  10,000    sa 

A  Hfr  BHlereau,  archevêque^ 
ncaire  apostolique  de  Constaau- 

iqi^e.     •     M 31,000    »» 

^'À  MerlIaiiMeî,arcfaevéqnearmé- 

aien  catboliqm  de  ConstaDtinople.  26,500    »» 

Mission  des  Lazaristes  à  Gonstan- 
tbople,  collège,  écoles  et  éuUis- 
sement  des  Sœurs  de  JaCbarité.    «  34,436    »» 

A  Mgr  Blands,  évéqne  de  Syra 
et  dâégat  apostolique  de  la  Grèce 
contineotale S9,0t(l    •'» 

Pour  la  Mission  des  BR.  PP.  Ca- 
pucins à  Paros '    •     •  3^100    »» 

A  Mgr  Castelli ,  archevêque  de 
Maxie 3,600    »» 

Pour  la  Mission  des  Lazaristes 
iNaxie.  •     •    • 3,398    »i> 

Pour  les  Missions  des  RR.  PP.  Ca- 
pudtts  à  Céphakmie  et  à  Itbague.  •  3,100    »» 

l^r  te  diocèse  de  Zante  et  Ce- 
phsIoBie .     .  3,000 

A  Mfpr  SM^la,  évéque  de  San-     . 
torÎB 61^0 

IV)ur  la  Mission  des^La^ar^te^ 


»» 


634,  ll>ff.»»c. 
13. 


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IM 

Beport 

«S4,lt4r.»c. 

et  réiaUissemeiit  des  Sœnrsde  la 

Qwrilé  à  StmUHrin 

10,S70    .. 

A  Mgr  Zaloni,  évèque  de  Tine. 

3,S00    •• 

Pour  les  Bliasions  de  la  Compa- 

gnie de  Jésus  à  Tioe  et  à  Syra.    . 

3,000    »» 

Pour  1^  MiasioBsdesRR.  PP.  Ca- 

1 

^ns  <Ëiiis  111e  de  Candie.    .    . 

«,400    •»    ' 

655,984  f.»» 


tfmtOlfS  D'ASIE. 

A  Mgr  Mufôabini,  archevêque 
de  Smyme  et  vicadre  apostolique 
de  r  Asie  fitineore 29,000  f.»»c. 

Hiasioii  des  Lazaristes  à  Smyme» 
écoles  et  écabEssement  des  Soeurs 
de  la  Charité .         25,043    •• 

Pour  la  Hissioa  des  RR.  PP.  Ca- 

pudnsàScio )«500     •• 

\    AMgrJustiiiiani,évéquedeScio.  4,600    »» 

\    PourlaMissiondesRR.PP.  Hi- 
taeon  RéTomiés  à  Méldin.  .    •    •  3,000    •» 

Pour  les  Miasioiis  de  File  de 
Chypre* .    •         16,00e    •» 

PourdivergesMiflsiOii8âesRR.PP. 
Cqpudns  en  Asie.  ••   .    •    •    •  $,700    •• 

83»743f.»»c. 


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9W 


m» 


1»7 
Report  83,743  r.»>c« 

A  1^  Vinardell,  mimétpe, 
délégat  J|>06lolique  da  Liban,  et  . 

pour  les  divers  rits  unis.  •    .     •  93,&10-   »» 

Voar  le  collège  desRR.  PP.  Ca- 
pucins à  Alep*    •    •    \    •    •    •  3,100    »»* 

IG«oiis  des'RR.  PP.  Capndns 
en  Syrie.     ...••..  6,200    >»    - 

MisBioiis  des  RR.  PP.  Carmes 
en  Syrie. 3,200 

Miisioiis  des  Lazaristes  à  Alept  i 
Duas,  k  TrqK>li  de  Syrie, et  cd- 
lége  d* Aittova.  ....••,        9,632 

MissÎMis  de  la  Compagnie  de  Je- 
tosen Syrie,  et  séminaire  de  Gasbir.  51,000    »» 

A  Mgr  Triodie ,  évéqoe,  dflégat 
apoic4lqned6Babylone,etpotnrles  * 
<fifers  rite  unis.     .     ....  38,000    »» 

lli»on  Arménienne  en  Perse*  3/HiO  »» 

Mission  des  Laaristes  es  Perse.  .  27,618  »« 
Ifimioii  des  RR.  PP.  Dominicains 

dms la  Mésopotamie.    ....  1S,0M  »» 

MMon  des  BR.  PP.  Carmes  dans 
b Mésopotamie..    .....  3,0t0    «» 

MUoB  4bs  RR.  pp.  Capodas 
dwlaMésopolMiie Ut600    >» 

Srais4if0fages  de  Missionnaires  . 
Uarisies  partis  pour  le  Levant  et 
liCUae*»    .......  5,325    •» 


280,5231.»»  c 

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Report         280,523  f.  »»  c. 

Mission  des  RR.  PP«  Sernies  cft 
Arabie •     ♦  7|6M    ■» 

A  MgrBorgki,  évéque^  vîraifB 
apostolique  d*Âgra  (Mission  des 
RR.  PP.  Capucins  ) 60/)M     »» 

A  MgrCarew,  évécfae,  vicaire 
apostolique  de  Calcutta.    •    .•     •  24,500    »• 

Mission  de  la  Compagnie  de  Jésus 
àCaIoutta,eC€onége 7,000    «> 

A  Mgr  Fortini,  évéquê,  vkaire 
apostolique  de  Bombay  (Miss£o#  des 
RR.  PP.  Carmes) H,<W6    »» 

A  Mgr  François-Xavier ,  arche- 
vêque, vlcaiiie  apostolique  de  Vé- 
rapolly  (Malabar)  (Mission  dns  RR* 
PP.  Carmes).     ..•.«•  f8»080    •* 

A  Mgr  Bonnand ,  évéque,  vicaire 
apostolique  de  Pondichéry  (Coro« 
DUindid)  (OoÉ^négation  des  Missfons 
étrangères).     •     •      •     »  .  •     •  46,400    »» 

Mission  dé  h  Compagnie  de  Jésus 
au  Maduré.   ...•«•»  46^000    •• 

A  Mgr  Fenttelly,  évèque,  vicaire 
apostolique  de  Bladras.     •    »     •  S9>400    •« 

Bfiêsion  dés  Oblats  de  la  Sainit- 
Vierge  il  Madras.     .     »    •    .    •  3»f9è    «^ 

A  Mgr  Cereui,  év/^ue,  vicaire 
apostolique  de  Pégu  ec  Ava  (Mis- 

532,433  r.»»ç. 

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199 
•  ^  Report        632,423  f.»»€. 

sioBiitesOblaUdelaSaiBte-Tierge)  37,000    »» 

PréfecAire  apostoKque  et  Pro- 
cvre    des    Mfe^ns   Usdieimé^    à 
HoQg-Kong. .     ......  15,300    •• 

A  Mgr  PérOQMu ,  étéqtie ,  ^ 
otre  apostolique  du  Sa^Tchoen 
(CoDgrégatioD  des  MiiiieM  éirair 

gères).     ; 27,995    •» 

kMgtPonsoîj  é^èffaBf  ynmre 
apostolique  du  Yû^-Ntôi  em  CMae 

{idem) «     «     «     •  IS^SIO    mm 

Pour  la  Procore  de  H  CcnfPégfc 
tiondesMissioiisétrapgèniiàMteaa.         at»fiS6    14 

k  Mgr  CaqKAa ,  évéque,  vieaire 
apostolique  da  Fo-KieM  (MiarisQ 
desIlR.  PP.  DominicaiMi).     •     ^        tO,MO    •• 

Pour  la  Procnre  des  MiMisos  es^ 
pagMlesTàlfM»o(û{.).    •    •    «  3,200    »» 

Pour  la  Mission  des  Laiaristss 

iPékia.  .     .' S,000    mm 

A  MgrRDfQSttn,  évéque^  vicaire 
afMMoliqoe  da  Tcbé-Ktoqf  et  du 
Kaag^i  (Missions  .des  IsomsUk).  1 1 ,000    m 

A  Mgr  BsUas,  évéqoe,  vieairt 
apostolique  du  Ho-Nan  (Wsrion 
des  Lttailsl^V     •     -    \^     -  **^^    «^ 

Séttittiire  et  Proiwt  Jss'I^mi^ 
Hstisà  M«^,ftMi86iQ«deIcliéo»- 
Son.  .     .    .    «    «    ^    «    .    .  3»,9«7    7ê 

m^kmM  HfCoopHim  de  Je-         * 
^mCtàtm. 30,000    *• 

753»101f,j|lA 

« 

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2«e 

Report        753,101  f.  Me. 

A^Hgr  Houly,  évéquCi  vicaire 
aposioliqae  de  la  Tartarie*MoDgoIe 
(Mission  des  Lazaristes).     •     •    •  8|125    »» 

A  MgrVéroIle,  évéque^  vicaire 
apostolique  de  Léao-.Tong  (Congré- 
gation des  Missions  étrangères).  •  21,600     »» 

A  Mgr  Ferréol,  évéqiae,  vicaire] 
apostolique  de  Corée  (Congrégation  ( .      -  ^  |»^ 
des  Missions  étrangères).     ^   .A        "*^^    '• 

Mission  de  Lieou-Tcb<m  (itf.)  J        * 

A  Mgr  Hermosilla ,  évéque  ^  vi«-    - 
caire    apostolique  du   Tong-King 
oriental  (Mission  des  RR.  PP.  !>». 
minicains).    ...«•,•  99|000    »» 

A  Mgr  Retord ,  évéque ,  victiie 
apostolique  du  Tong-I^g  occiden- 
tal  (  Congrégation    dee^  Miaûons   - 
étrangères) M,0*Q    ^w 

A  Mgr  Cuénot,  évéqne,  vicarfre   ^ 
apostolique  delà  Cochinchiœorien--    .... 
taïe(»d.) .  84,170    »» 

A  Mgr  Lefebvre,  évéque,  vicaire 
apostolique  de  h  Cochinobine  ooct«- 
deotale(trf.)     ......  U/m    »» 

A  Mgr  Courvety,  vicaire  aposto- 
lique de  la  presqu'Ue  Malobe  (ti^O    .     a&tftM    »» 

A  Mgr  PaHegoijt,  évé^M,  vfaeir* 
apostolique  de  Siam  (it).     .     .  n^m»    *» 

Pfor  le  cotUige  général  de  P4iIo«* 

[(«^'O é    .       ^Mt^MO    U 


mfiAILQAc 


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Mi 


«SSIOIVS  D*APMQOB. 


A  Hgr  Burron ,  évéqae,  ncairt 
apostdiqiie  des  deu  Gainées.     •  30,000  L>»  t. 

A  Mgr  Griffiu,  évéqne,  vicaire 
apostolique  da  Cap  de  Bonne-Bs* 
pérance  (Mission  des  RR.  W.  Bo* 
ninicains) 99,000    »»    ' 

Pour  les  établissements  des  or- 
phelins et  orphdines  et  autres  ceu* 
vres  et  institutions  dans  le  dioeèse 
d'Alger 60,000    »» 

Pour  rétablissement  des  RR.  PP. 
TrapfMstes  dans  le  même  diocèse.  9,000    »» 

A  Mgr  Fidëe  de  Ferrare,  évé- 
que ,  vicaire  apostcdique  de  Tunis 
(Missioa  des  RR.  PP.  Capucins).  .  8,240    »» 

Pdur  la  Mission  des  RR.  PP.  Mi- 
seors  Réformés  à  IVipoIi  de  Bar-  * 
barie 3,200    »» 

A  Mgr  Solero,  érèque,  vicaire 
aposuriiqae  de  l'Egypte,  et  pour 
les  <Svm  riu  rais 38,840    »» 

Mission  desLaiaristes  etétaUîs- 
temeat  des  Sesurs  de  la  Oiaké  1 
Alettttdrie  (^nrP<«^).   .    .   ^    .         90,1«8    »> 

Pour  les  Missions  desRR.  PP.  Mi- 
BevsRéSmaâi  de  la  Haute-E|^.  6,4410    né 

364,848  r.»»c. 

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3M 

Rfiport        S54,846f.»*  c. 

Pour  les  MissioBS  de  la  Congré* 
gaticjp  de  Saini-Lazare  dam  TALya- 
sînie  et  le  Sennaar 16,000    »» 

Pour  la  Mission  de  Madagascar.  30,000    »» 

SM,S4Sf:B»c. 


■KsieM  ifmiÊâQwu 


A  Mgr  Fleming ,  évèque ,  Yîcaire 
apostolique  de  Terre-Neate.    •    •  30,000  T.  »  »  c. 

A  Mgr  Proveiicher,  é?éque,  vi- 
caire apostolique  de  la  Baie  <fUdsoik  35,000    »» 

Pour  les  Missions  du  vicariat  apo- 
stolique de  k)  Nouvelle*Ecosse.     .  33,000     »» 

A  Mgr  Donald  Mac -Donald» 
évoque  de  Charlotte-Tovm.    •    •  10,500    »» 

A  M^  Power,  évéque  de  Toronto 
(Haut-Canada) 31,000    »» 

A  Mgr  Gaulii^  évâque  de  Kia§^     . 
ston  (tiL) 18,000    •» 

A  Mgr  SUffBfàjf  archevêque  de 
Québec  (Bas-Canada).  ^     •    .    .  M^OM    m 

A  Mgr  Bourget,  évéqke  4e  Uaa%^ 
réal(W.). M,000    •m 

Pour  la  Mission  des  'OUats  de 
Marte  ioi«Kieélée  au  Caiiadi»  •    .  3,000    »• 


193,100f.»»e. 

ê 

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Report         192,100  f.»><i. 

Pour  les  Hissioiis  de  Iêi  Compt** 
gniedeJlésiisaa  Canadi.    •     •    »  SO,#W    •m 

A  Mgr Blândiet,  évéqtte,  tlctire 
apostdiqiie  de  TOréfsqn.,  .    •   *.    •       16,400    m 

#  Hgr  Loras,  évèqiie  de  Du- 
bQqae  (Blats-VÛs).  ^  •    .     .   %   -     *  3(^,606    •« 

A  Mgr  Letévère ,  évdque  cood'- 
jtttoor  ec  adttinistrafeiir  da  Détroit  * 
{iim).    • 31,500    mm 

k  Mgr  Pureéll,  évèqae  de  €ii>-    • 
ciiuttti  (il/.)*     ••*••.  JMO^    •» 

A  ligr  Femrick ,  évâqoe  de  Bos- 
ton (t<f.).     ^ 10,008    •« 

A  Hgr  Kenrids,  évéque  de  Phila-  • 
deipine  (ûf.)*    ^    .    .    .    .    .  12,000    »# 

A1^0'CûiHM)r,évé^dePilC»  • 
dMorg  (t(f.)*     ••««•/         M,000    «• 

A  Mgr  Wh^Mi,  évéquexle  lUdi-  *     • 
méod  (ûl.)*  •••»••  ^^  37^MM  .m 

A  Mgr  Hogtitos,  érécpede  Rew^ 
Yorck(Mt.).     .     .     .     .  ^    .  9S;000    «• 

Pour  h  IfisskmdeiKnieAlii 
MîsériDordeètfew-YordL^W.).     .  -       41 ,000    •• 

A  Mgr  Miles,  érèqâe  é&  Ibsl^ 
ti!fe(«.).^.     .     .•..'.  it,600    mm 

A  Mgr  Flagei,  dvéqbe  de Loai&-  * 
tîUe  («•)•  -.,.•..  3S,0»«    •• 

AUgr  de  la  Hallandike ,  évéqae 
de  Tînoennes  (irf.)  .    .'•*.•.  66,000    •• 


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S94, 
Report  -     £95^8  f.  »b  e* 

A  Mgr  KenridL ,  évèqoe  de  Saiot- 
Look  (Eutt-Unis).  «  .     .    ^^.  57,264    40 

A  Mgr  Henni»  évèque  de  MQwaii^ 
lki(id.) Ifi^OOO    >» 

A  Mgr  Byme ,  évéqne  de  liule- 
BockCiW.). 30,000    »» 

A  Mgr  Qaarler,  ér&pie  de  C3it- 
cago(ftf.)*a«.    ••..••  12,000    »» 

A  Migr  Chandies,  évéque  de  Mat- 
ABt(td.) 12,500    »» 

A  Mgr  Blanc,  évèque  de  b  NSit- 
^rile-Orléans  (id.) 40,800    »> 

A  Mgr  Portier,  évique  [de  Mo- 
bile (û!.) .    .         41,000    »» 

A  Mgr  Keynolds , .  évâqœ  de 
CbarlestOB  (nf.)*^  •    •    •    •    •  15,000    »» 

Po«r  lesHiasiluis  des  Lazaristes 
in  Etats-Unis 35,000    »» 

Pmt  les  Missions  delà  GMDpagnie 
4éJésa^,aa  Missouri  (Etats-Unis.)         50,046    16 

Fnht  les  Massions  de  la  ndème 
CompagHiè  aux  Blon|aflpBS-Bo- 
éiemm(id.).>^ 40,000    »» 

PiDor  les  Missions  de^  la  ȏme 
Compagnie  au  Kentad^y  (  Euts- 
Unis) 10,046     IG 

Pour  les  Mimons  de  la  Congréga-  , 
tien  de  N.-D.  de  Sainte-Croix  aux 
Iiau-Unis. 17,000    »» 


951,364  f.  72  c. 

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905 

J<^n       951,364  r.  73  c 

Pour  ks  IIi»oii8  des  Ml.  PP. 
Dominkaios  aux  Etats-Vois.     •    •  12,000    •• 

AMgr  Odin,  évéque,  vicaire  apo- 
stofiqne  du  Texas  (Missioit  des  La- 
aristes).     .•..•••         30,000    »• 

A  Mgr  Mac-Donnel,  évéque, 
mire  apostolique  des  Antilles  an-  • 

«bises. 16,000    m. 

Pour  la  Préfecture  apostolique 

fTHûd 96,«t0    «• 

à  Mgr  Fernandez,  étèque,  Ticaire 
ifOBlù&pe  de  la  Jamaïque.    •    •         15,000    »•  ' 

A  Mgt  Hynes ,  évéque  adminis- 
mceor  du  Vicariat  apostolique  de 
h  Guyane  Britannique.    •    •    •         30,000    »» 

Pour  la  Mission  de  Curaçao»    •  32,434    IS 

Pov  la  Mission  de  Surinam.    »  9,863    80 

Pour  les  Hissions  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  dans  F  Amérique  du 
Sud. «  15,000    mm 

Pour  hMissionde  la  même  Com- 
pignie  dans  rétat  de  Guatemala.    •  15,000    »»  ^ 

1,127,162  f.  70c. 


nSSIOHS  M  L^ocf Afin. 


A  Mgr  Grooir,  évêqoe,  vicaire 
^ostoliquede Batavia.  «    ^- ^  .        36,000Lm€. 


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Report  SBfiOOt.nwc 

Pour  le  Vicariat  apûilDli^tae  de 
rOeéaoi*  orientale  (MissioB&dèln 
CoDgrégation  de  Picpus).  .     .     .        13M09    96 

k  Mgr  Epalle,  évécpiev  vienre 
spoÊÊoikfoe  4e  la  Mélanésie  et  Mi- 
cTwésie  (MisûOQs  des  RB.  PP.  Ma- 
riâtes )•    105,000    »» 

A  Mgr  nmllon,  évéqoe,  vicaire  . 
^O6toIiqaederOcéanie€eiitrale(tV20        4D»000    •» 

A  Mgr  liftiiirre,  évéqoe,  poar  les  . 
Missions  des  RR.  PP.  MariiUes  dass  ' 
b  Sauvdle-GalédoDie.  •    .     .     •  16,000    »r 

Pour  la  Procure  de  la  mfime  Coiv- 
grégation  à  Sydney  (Australie).    •  3£946D    »» 

pMir  le  ¥ieariat  apostolique  de 
rAHrtrsAe* 1£,000    »> 

A  Bfgr  Poldingi  arcbevâqne  de 
Sjdnejr  (Ausuralie)v   .     .    •    •  S^OO    «t 

A  Mgr  Humpbry,  Mqm  d'Adé- 
bide  (td.) •    •  ,     .  12,320    »• 

A  Mgr  WiUson,  évéqve  d'Hobart* 
Immk  (TkmfteYm-DiéxÊmy    •  9,500    »• 

430,889  f.  26  c. 


La  rédaction  de  ce  compte  terminée ,  nous  recevons  une 
somme  de  1,370  tbalers,  soit  6,106  fr;  69  cent.,  rc- 
cneiTlie  en  1844  dans^O'ditcèie  de-Culm  (ftum)  ;  /«lie 
i  reportée  au  complexe  IMÂ. 


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Mr 


MISSIONS  DE  LA  CHINE. 


VICARIAT  APOSTOtlQlIB  DU  KIANG-Sï. 


extrait  d'une  lettre  de  M.  Laribe^  Missionnaire  apostolique 
&  la  Cmgrégatim  ie  St-dJXM/re^  à  M.  Metnm^  tHpec- 
teur  des  Nùvioes  de  ia  fnême  SodiM. 


Mm-Wdm^nM^ieÊàht^  184e. 


«  HûNSl£4J£  ET  nÈ$-CnEK  CoNFRÊEE, 

•  fuieqm  dois  ma  dendàre  letitre  je  tous  9i  jf^otBlà 
N  décaib  ck&«ni  ptteriv^  au  H#iipé„  wyage  »  fécpuA 
eiiaMHHnr»dei«titfaif«)  illMitbi«B^iiejewtts  tkmn^ 
fveit.  ¥oQ8  ne  irouveitec  pas -nuurnU ,  je  pease, 'que.* 
IMBam  les  dioata  d^M  |)iiiflitf  hma ,  je.voiB  disa  •% 
métaitnDa  MîvMd^i  mMMol^^ii  j*aUais  m  éurât^pAré  i 
ceiesefamwftir  ^wdtqitaioe^Mimq  îo«r8.«^acrîir«^ 


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â08 

et  voog  aurez  ainsi  h  snke  non  interromime  de  tonles  mes 
éprennes  pendant  Tespace  de  deux  mois. 

.m  L'année  denûire,  snr  le  soir  du  22  septembre,  la 
terreor  était  grande  parmi  mon  troupeau  de  Kieou-Tou; 
si  grande,  qu'il  se  croyait  à  la  veille  d'être  égorgé 
par  la  population  idolâtre.  Or,  ce  qui  avait  mis  odle-ci 
en  fureur,  c'était,  de  la  part  de  nos  héophytes^  le  refus  de 
oonconrir  avec  les  paiens  à  certaines  réjouissances  annuelles, 
oà  la  superstition  s'allie  toujours  au  scandale.  On  avait 
d'abord  espéré  assoupir  aisément  cette  affaire  ;  déjà  il  y  avait 
euàee  sujet  quelques  pourparlers,  auxquels  on  avait  appelé, 
dans  un  esprit  de  conciliation  et  d'un  mutuel  accord ,  les 
maires  des  villages  voisins;  mais  les  infid^es  pereistant 
dans  leurs  exigences  et  lés  chrétiens  dans  leur  résolution , 
la  querelle  s'enveniaaa  à  telpoint ,  que  le  21  septembre, 
\  la  nuit  tombante,  les  arbitres  efrayés  crurent  devoir 
prendre  la  fuite. 

c  Heureusement  Dien  permit  qu'un  néophyte  qui,  à 
'  oettelieure-Ui,  travaillait  encore  aux  champs,  les  vit  s'éloi- 
gner en  toute  hâte,  et  courut  leur  en  danander  la  raison. 
«  Vos  adversaires  ne  sont  pas  des  hommes ,  lui  répond!- 
«^«Bi-Hs,  mais  des  bèM  fiirooes  qui  ont  juré  de  s'a* 
«  breuver  de  votre  saii^.  Cest  pour  n'être  pas  témoins 
«  de  leurs  exoèsi  pour  n'être  pas  un  jour  accusés  de 
c  compUciié  avec  eux,  que  nous  nous  sauvons.  » 

«  Ce  chrétien  vola  ausritAt  aivertir  les  autres  ûiHes 
qui,  profitant  de  la  nàit,  onrent  secrètement  en  sàreté 
tons  les  d>Jets  de  région  oontenos  dans  la  chiqpdle  ou  dans 
leurs  haUtations  particaltères  ;  polsi  ils  tinrent  un  conaeS  oà 
il  fat  décidé,  sur  l'avis  des  ptai  sages,  qne,  loin  d'en  venir 
à  une  mâée  génén^ ,  on  ne  se  dMndMt  qu'autant  qu'on 
ee(^MsH{né^toarfaMMe«^         propre  maimu  Eb6d, 


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309 
après  avoir  recommaiidé  à  Dieu  le  snocès  de  la.  bonne 
canse,  ils  s'exhortèrent  les  uns  les  autres  à  comparaître, 
s'il  le  Cillait ,  devant  les  tribonaux  en  chrétiens  prêts  à 
soutenir  leurs  droits ,  sans  dissimuler  ni  trahfar  leurs 
croyances. 

€  Ce  fut  une  résolution  bien  prudente,  mais  aussi  bien 
difficile  à  tenir,  que  celle  d'éviter  le  combat  ;  car,  entre  Chi- 
Doîs,  on  désire  beaucoup  plus  qu'on  ne  craint  d'être  blessé 
par  ses  ennemis.  II  n'est  pas  rare,  en  effet,  de  voir  un 
homme  qni  a  reçu  à  peine  une  égratignure ,  se  saisir  d'un 
«bateau  pour  se  balafrer  le  visage ,  ou  s'armer  d'une 
pierre  pour  se  meurtrir  le  corps,  et  cela  dans  l'espoir  de 
çagndr  son  procès,  ou  tout  au  moins  de  faire  infliger  une 
forte  amende  à  son  adversaire;  il  s'en  trouve  même  qui 
recourent  au  poison ,  léguant  à  d'autres  le  soin  de  les  ven- 
^'er  ea  exigeant  comme  chdliment  de  l'homicide  une  plus 
grosse  somme  de  piastres. 

«  On  conçoit  qu'au  milieu  de  telles  angoisses ,  la  nuit 
dot  paraître  bien  longue  à  nos  fidèles;  elle  s'écoula  néan- 
moins sans  accident  ainsi  que  le  lendemain.  Ce  ne  fut  qu'à 
l'entrée  de  la  nuit  suivante,  qu'une  centaine  de  païens 
fondirent  sur  notre  chapelle  ;  ik  avaient  pensé  que  les  nd- 
1res  accourraient  pour  la  protéger ,  et  qu'alors  s'engage- 
rait une  action  où  le  nombre  leur  {n^om^tait  la  victoire  ^ 
(nais  ils  s'étaient  trompés.  Ils  eurent  beau  menacer  de 
UNtt  mettre  à  feu  et  à  sang ,  firapper  contre  les  murailles, 
«branler  les  portes  et  les  fenêtres ,  découvrir  le  toit  et  ai 
briser  les  tuiles ,  aucun  chrétien  joe  se  présenta  pour  dé- 
ieodre  un  bâtiment  qu'ils  avaient  eu  le  temps  de  vider  la 
veille;  chacun  attendit  l'ennemi  chez  soi,  afin  que  son 
agression,  s'il  en  venait  à  violer  les  domiciles,  pût  être  pré- 
^^cntée  aux  magistrau  comme  une  attaque  contre  les  pro* 
Priétés  plttiôt  que  comme  une  guerre  de  religion. 
TOX.  XVTI.  100.  H 

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SIO 
«  Ftate  de  rétistAiice,  il  ii*y  tmi  donc  point  de  combat. 
ToMee  borna  à  hke  le  plus  de  dégât  posside;  aprè^cpoî, 
It  bande  des  assaHlomt  prie  le  parti  de  se  retirer,  e«ipor> 
<anl  ponr  tout  trophée  qoelcpies  images  du  Sa«veur  et  de 
sa  sainte  Mère ,  avec  un  écriteau  qu'ils  avaient  enlevé  du 
frontispice  de  la  chapelle,  et  qu'ils  allaient,  disaient-ils, 
comme  ils  le  firent  fort  bien,  porter  au  mandarin  du  lieu. 
«  Ho-Koun ,  ajoutèrent-ils  (c'est  mon  nom  chinois)  Ho- 
41  Koun  n'est  plus  ici  ;  mais  si  profonde  que  soit  sa  retraite, 
«  nous  saurons  bien  le  déterrer.  Nous  allons,  dès  cette 
«  nuit^  au  nombre  de  plus  dequatre  cents,  uous  mettre  à 
«  sa  poursuite;  avant  le  jour  il  sera  entre  nos  mains,  et 
M  demain  nous  le  traînerons  au  tribunal.  Âpres  nous  être 
«  débarrassés  du  chef,  nous  nous  délivrerons  de  sa  suite  ; 
«  car  nous  voulons  en  finir  avec  tous  ces  Si-yan-gin  (Eu- 
«  ropéens)  auxquels  nous  ne  permettrons  plus  désormais 
«  de  puiseï'  au  puits  commun.  » 

«  L'alarme  des  fidèles  fut  pour  lors  à  spn  comble. 
Poussés  à  bout ,  ils  prirent  en  désespoir  de  cause  la  réso- 
lution d'aller  se  jeter  d'eux-mêmes  entre  les  bras  du  man- 
darin ,  qu'en  leur  qualité  de  chrétiens  ils  avaient  jusque- 
là  tant  redouté. 

«  Ils  n'étâieiit  pas  non  pins  sans  inquiétude  à  mon  su* 
fec.  Aussi  me  datèrent-ils  pnHBpiement  à  iTten-TUbii^ 
Fou  leur  mattie  d'école ,  chez  les  parents  duquel  j'étais 
alors  caché.  Il  (ut  suivi  de  près  par  quelques  astres  dtfé- 
tiens,  portant  des  charges  de  sapèqnes,  qu'il  font  ici  mon- 
trer ouvertement  à  l'appui  des  meilleures  raisons,  pour  que 
les  satellites ,  les  avocats  et  même  de  plus  grands  person- 
nages prennent  une  affaire  à  cœur.  En  suivant  par  pré- 
caution des  sentiers  mseï  éloignes  de  la  graode  route ,  ils 
avaient  évité  toute  rencontre  âeheuse ,  et ,  qooiqm  kms- 
ses  de  fatigue,  se  trouvant  un  peu  plus  à  l'aise  q«e  dans 

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911 

leor  rillage,  ito  voulureni  bien  me  hiaser  achever  e&  repos 
mie  nuit,  et  eux-mêmes  s'endonnirent.  Ce  ne  fit  que 
im  les  quatre  heures  da  matin  que ,  troublant  sans  le  sa- 
voir, en  me  levant,  leur  très -léger  sommeil,  j'apprk 
de  leur  bouche  tout  ce  qui  s'était  passé.  Pùû-fd,  ktnr 
répondis-je,  I-hhthim-tcku  j  ne  craignez  pasi  rappelez- 
mu  quHl  y  atm  Dieu. 

«  Le  jour  allait  panrftre,  Imrsqm  arrivèrent  aussi  qtoet- 
fKS  astres  fidèki  de  la  aème  duvdenté ,  dont  qoelques- 
Ms  partaient  las  iasigaes  du  âjmmg^Ming  «*  c'est  uae  e&- 
fhtt  de  nobkMe chinoise,  toute  personnelle  et  non  hécé- 
itaire,  qui  eonfère  le  droit  de  ceindre  sa  tâle  d'un  beuoet 
tné  d'un  banloa  deré,  méaie eu  préaeoce  du  mandarin. 
0BM  la  conridécacion  qu'aHe  dowte  vis^^vis  du  simple 
yeaple,  die  cseoipie  de  cerlaiaes  servitudes  à  l'égard 
detaotoritéa,  etdàivre  de  œitains  ohAtinenis  en  cas  de 
Mit;  «n  aorte  que  la  première  punition  qo»  puisse  ébte 
îàcBadéoarés  chinois,  pnuilion  qui  est  sensée  iort 
^,  est  la  porte  du  Kmmg^Ming ,  ou  nom  à  mériUg. 

«  Dès  le  grand  malin ,  ils  aflèrent  tous  ensemble  s'a- 
éesœr  an  plus  fiimeux  avocat  de  la  ville ,  pour  loiiûre 
^  llnstant  rédiger  leur  pétition  an  mandarin.  Ils  déclaré- 
•m  à  eo  dernier,  dès  la  première  entrevue ,  ^'à  part 
lear  qualité  do  chnàtieas^/\iy4eA«f^t-^»,  ils  ne  voyaient 
Heneuenx  qui  pÉtcomprometire  labontéde  leur  cause. 
&  peine  celle  praunère  pétition  était-dle  présentée,  qu'il 
^yauttusidHet  leur  tmnoneer  que  les  païens  avaient 
^enlevé  les  bomfii  des  AuniUeo  chrétiennes,  et  xju'ik 
■<tiiçaient  de  ooptnrer  leeoir  le  reste  du  béuil.  Ou  £t 
uMsiiôt  drotacr.  aele  de  ces  nouveaux  grieb,  qui  parurent 
^  odieux  an  magistrat,  qu'il  dépêcha  incontinent  cinq  t$eig' 
9*a ,  espèce  de  gendarmes  chinois ,  pour  bire  en  son  nom 
^^tter  le  pillage  et  rendre  les  animaux  enlevés. 

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SIS 

«  Quant  à  moi,  je  reçus  dans  le  m£me  moment,  comme 
un  autre  coup  de  foudre,  une  lettre  de  Mgr  Rameaux ,  qui 
m'intimait  Tordre  de  me  rendre  sans  délai  au  Houpé,  pour 
prendre^  au  nom  de  Sa  Grandeur,  les  informations  de- 
mandées par  le  Souverain  Pontife  au  sujet  de  M.  Per- 
boyre ,  notre  si  digne  confrère  et  glorieux  martyr.  Cette 
injonction  qui  m'arrachait  à  mes  disciples  au  moment  da 
>  danger,  me  jeta  d'abord  dans  une  profonde  tristesse  ;  mais 
réfléchissant  ensuite  que  ma  présence  au  plus  fort  de  la 
crise  était  pour  eux  un  embarras ,  et  que  mon  arrestatioB 
mettrait  peut-être  le  comble  à  leur  malheur,  j^adorai  le» 
desseins  de  la  divine  Providence ,  et  je  disposai  tout  pour 
mon  départ.  Je  quittai  enfin  ma  chrétienté  de  A-Afen,  on 
de  la  Pùrie^U'Nordj  pour  traverser  en  plein  jour  toute 
la  ville^  et  aller  me  cadier  dans  le  faubourg  Ifân-Mm^  oa 
de  la  PàrU'di^Midi^  dont  les  fidèles  étaient  déjà  venus  eat 
cérémonie  m'ofrir  une  retraite.  Là  je  m'occupai  de  cber^ 
duer  une  barque  qui  pàt  me  porter  an  plus  vite,  et  sû- 
rement à  lÂn-Ktang-F&u ,  éloigné  d'une  quarantaine  de 
lieues,  pour  rendre  visite  à.Mgr  Rameaux,  et  me  mmir 
avant  mon  départ  de  la  bénédiction  de  Sa  Grandeur. 

«  Le  lendemain ,  j'appris  que  les  cinq  gendarmes  en- 
voyés à  Kieou^Tou  pour  rétablir  l'ordre,  revenaient  sans 
avoir  rien  obtenu  :  les  insurgés  leur  avaient  répondu  qu^ik 
ne  rendraient  pas  les  bœub  aux  durétiens  de  leur  village , 
à  moins  que  le  mandarin  n'y  descendit  m  personne  ;  ib 
avaient  en  outre ,  et  pour  ainsi  dire  sous  leurs  yeux ,  ycié 
tes  cochons  de  nos  néophytes  ;  ils  m^iaçaient  de  leur  enle- 
ver encore  ce  jour-là  le  riz  de  leurs  greniers ,  de  couper 
ensuite  celui  qui  était  en  herbe,  et  puis  ils  parlaient  de 
ne  s^arréter  qu'après  leur  «itiëre  extermination. 

•  Voilà,  mon  très-cher  ami,  là  face  que  présentait  déjà 
cette  malheureuse  affaire,  lorsque  je  montai  sur  ma  bar* 


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213 

ffÊe,  à  une  heure  bien  avancée  de  la  nuit,  et  tout  absorbé 
par  les  trbtes  réflexions  que  m'inspiraient  un  état  si  ora- 
geux et  un  avenir  si  incertain.  «  Les  chrétiens,  me  disais- 
«  je ,  ont  sans  doute  quelque  chance  de  gagner  leur 
c  procès ,  puisque  leurs  ennemis  s'y  prennent  si  mal- 
c  adroitement.  D'ailleurs ,  s'ils  n'avaient  pas  aupara- 
«  vaut  pris  toutes  leurs  mesures ,  comment  s'expliquer 
c  de  leur  part  l'audace  d'une  telle  démardie  auprès 
c  du  mandarin?  Mais  d'un  autre  côté  s'ils  succombent, 
«  que  deviendront-ils?  les  uns  vont  renoncer  à  la  foi ,  les 
«  autres  partir  pour  Pexil. . .  » 

c  Tandis  que  je  m'abandonnais  à  cette  pénible  médita- 
tion,  la  barque  que  nous  avions  &it  démarrer  avant  le 
jov,  par  l'effet  d'une  crainte  dont  nous  ne  pouvions  en- 
tièrement  nous  défaire,  arriva  près  de  la  malheureuse 
cèrétienté  de  Kieau-ToUj  dans  laquelle  je  me  trouvais  il 
n'y  avait  pas  encore  deux  jours.  J'envoyai  aux  informa- 
tioQs  un  de  mes  compagnons  de  voyage ,  qui  revint  aus- 
sitAt  avec  un  néophyte  de  l'endroit  pour  nous  annoncer 
^le  mandarin,  irrité  de  ce  qu'on  n'avait  pas  tenu  compte 
deiesordres,  avant  envoyé  la  vdlle  d'antres  fM^-^,  en 
phi  grand  nombre;  mais  que,  pour  toute  réponse  à  cette 
MBfdle  sommation ,  une  vingtaine  dinfldèies  étaieut  aSAi 
àlnr  tour,  pendnt  la  nuit ,  porter  contre  les  nôtres  une 
déMiciation  en  forme.  C'est  akisi  qu'après  avoir  ijottlé 
mt  nouvelle  aniiété  à  toutes  oeUes  qui  d^  déduraieBt 
BM  cœor,  et  craignant  à  cbaqne  instnit  de  finre  h  r«i- 
cmire  de  quelque  eqnon ,  je  eeutiuuai  ëe  desœudre  le 
leuve  que  longe ,  pendant  une  heure  et  demie  envm>n,  k 
mte  qni  conduit  de  noire  nKilbeureux  ISeainTm  à  ISm- 
TdmjFm$:  je  voy»s  d^  monta-  et  desœudre  les  dif^ 
Imis  courriers  que  kg  cbrétiais  et  les  padens  envoyaient 
Hchef-lieu  et  renvoyaient  au  vfflage,  pour  doMier et  lUfh 


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214 
porter  les  nouvelles  cTane  affiiire  si  compliquée.  Ce  fui 
seulement  après  avoir  dépassé  de  quelques  lieues  cette 
route,  que  mes  rameurs  me  crurent  hors  de  danger.  Alors, 
le  cœur  péniblement  serré,  les  larmes  aux  yeux,  je  re- 
commandai de  nouveau  à  la  tendresse  du  divin  Pasteur  ces 
ouailles  confiées  pendant  si  longtemps  à  mes  soins,  ce 
troupeau  que  je  quittais  sans  presque  espérer  de  le  re- 
voir, et  dont  je  laissais  une  partie  exposée  à  la  rapacité 
de  loups  furieux;  je  le  mis  aussi  derechef  sous  la  pro* 
teoiion  toute-puissante  de  Marie  immaculée ,  et  le  laissant 
i  la  garde  de  saint  Vincent  de  Paul  que  je  lui  avais  donné 
pour  patron,  je  lui  adressai  une  dernière  fois  mes  tristes 
adieux» 

•  La  barque  prise  h  Kiën-Khâng  me  porta  très-heureu- 
sement à  Lin-Kiâng-Fou ,  auprès  de  notre  Evéque,  qui 
fut  bien  affecté  des  nouvelles  que  je  venais  lui  apprendre. 
Quoique  Sa  Grandeur  voulût  me  retenir  quelques  jours , 
je  pris  bientôt  congé  d'elle  pour  aller  remplir  llionorable 
mission  dont  j'étais  chargé,  et  je  me  rembarquai  le  6  sep  • 
tembre ,  qui  était  un  vendredi. 

«  Leaaltrmeeel  tes  dangees  ne  86  firent  paitoii^teiiips 
sMeadre  ;  en  deu.  jours  j'étaâ  parwan  à  NmhêhângSmg^ 
eefitale  4e  noire  proimce.  Lee  fidMes  a^es  enrraf  pas  phK 
tAi  ceaoiiefiMK»,  qi^ib  aceourarent,  mus  des  flm  à- 
Mlles  renseigaeineBts ,  penr  me  délovmer  de  passer  par 
O^Tdtimgj  dvétieaté  qui  se  irowait  BatareHenent  ear 
NMferettte«Un  JiHlas^bieitoowiiipoarfeI,me  disaii-OB, 
eawliMait  là  me  pereéeatÎDn  générale  pner  lent  le  Aïmif- 
J|.  Qne  fiêre?  Mffr  HanManx,  qm  n'en  avait  pas  été  en- 
cena  pr^penv,  m'avait  reeemmandé  de  mtor  eecte  lo- 
cafté,  à  cuMe  de  qadqaea  infirmes  qni  réclmnaîent  les 
amanis  de  la  Religion.  Je  pen^  qaefaidnnité,  d'accord 
iy  devait  l'eaiperttr  sar  la  prudeiice, 

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2iâ 

et  aprèft  aveirTSMuré  de  110a  nrieax  les  cèrében,  jefMr^ 
suivis  aoH  kiniraîre» 

«  Avant  de  débarquer  à  Ou-Tching ,  qui  est  Tendroii 
le  plus  commerçant  du  Kiang-Si^  je  fis  demander  en  se- 
cret au  premier  catéchiste  dans  quel  état  se  trouvaient  ses 
malades.  Ce  brave  homme  vint  au  plus  tôt  me  cherclier^  en 
me  soutenant  qu'il  n'y  avait  rien  à  craindre.  «LeJudas  dont 
on  m'avait  parlé,  me  dit-il ,  n'est  qu'un  pauvre  homme , 
baptisé,  il  est  vrai ,  dans  son  enfance ,  parce  qu*îl  descend 
de  parents  chrétiens;  mais  qui,  une  fois  parvenu  à  l'âge  de 
raison,  n'a  jamais  voulu  prier  :  probablement  qu'il  n'a 
jamais  vu  de  prêtres  ;  ainsi  par  lui-même  il  est  daps  l'im- 
puissance de  faire  des  révélations.»  Cependant,  comme 
l'expérience  me  l'a  malheureusement  U'op  bien  prouvé  de- 
pok,  il  ne  manquait  pas  d'émissaires  pour  le  mettre  au 
courant. 

«  Pendant  la  irait  que  je  passai  à  terre,  j'entendis  qoei- 
qnes  oonlessions  et  j'administrai  deux  malades  ;  f  apprifr 
plus  lard  que  Vvà  d'eux  était  mort  trois  jours  après.  Lors- 
que ensuite  il  s'agit  de  dire  la  Messe,  qucôqu -il  ne  fût  pu» 
«oeore  jour,  les  avis  se  partagëreai  tnr  le  dai^er  que  nous 
pouvions  eonrtr  pendant  le  saint  Sacrifiée.  Je  te  célébrai 
pourtant  à  la  pluralité  des  voix,  et  puis  je  courus  10^  re-* 
poser  dans  ma  nacelle.  Comme  j'allais  inmtédiatefiicat  ea- 
irer  dans  te  grand  lae  de  Pô-Yêng-Boû ,  iouii^s»  ré- 
iservoir  formé  de  toutes  les  litières  du  Mimng^,  j«  éwft 
abandonner  là  ma-  première  nacelle  pour  lui  substituer 
une  autre  barque,  plus  capable  de  résister  aux  tou  et  d» 
l)raver  Forage. 

«  Lu  froviace  du  Kiang-Si ,  prise  dons  son  ensemUe  y 
rcpréeeuseassexfttt  naturel  une  kmlle  d'arbre  :  le  pclk)lct 
ou. b tige,  enust  iucUaé  vers  le  nord;  à  rorieni,  à  Tocci- 
iHÊL  et  «tt  nûdi,  des  moutagues  âevées  en  dessineai  h) 


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216 
cottloir.  De  œ»  haateors  portesl ,  comme  un  réseui  de 
veines  régulières,  toutes  les  eaux  dont  le  pays  est  arrosé. 
Leur  pente  les  entraîne  vers  une  grande  rivière  qui  tra- 
verse la  contrée  d'un  bout  à  l'autre ,  comme  Tartère  prin- 
cipale,  à  laquelle  toutes  finissent  par  se  rattacher;  elle^ 
vont  ensuite ,  un  peu  au-dessous  de  la  capitale ,  se  jetei 
dans  le  vaste  bassin  du  lac  dont  j'ai  parlé  plus  haut  ;  et  ce 
lac  à  son  tour  se  décharge  dans  le  fameux  ISang ,  Tun  de» 
plus  beaux  fleuves  de  la  Chioe. 

«  C'est  là  que  j'ai  vu  pour  la  première  fois ,  avec 
une  surprise  qui  tenait  de  Tadmiration ,  flotter  les  énor- 
mes radeaux  des  marchands  de  bois  de  Nang-Ring. 
Je  les  prenais  de  loin  pour  des  Ilots  Couronnés  d'habita- 
tions. Les  uns  se  mettaient  en  marche ,  parce  qu'on  ve- 
nait d'avoir  quelques  nouvelles  de  la  paix;  un  plus  grand 
nombre  stationnaient  encore,  à  mison  de  l'incertitude  de 
ces  bruits  publics.  Pour  mouvoir  ces  masses,  vastes  comme 
des  villages  et  hautes  comme  des  tours ,  il  ne  £siat  rieo 
moûÉs ,  dit-on ,  que  l'effort  de  quatre-viigts  à  cent  bom- 
Bies,  dont  les  uns,  montés  sur  des  pinasses,  font  l'oflKe 
de  remorqueurs,  et  les  autres,  diantant  en  choeur  comme 
vos  gondoliers,  pirouettent  en  cadence  autour  des  cabes- 
tans pour  haler  un  cordage  fixé  à  de  grosses  ancrés* 
qa'nne  chaloupe  va  jeter  les  unes  après  les  autres  en  avant 
de  ces  immenses  radeaux.  Et  quoique  du  matin  jusqu'au 
•air  se  continue  une  telle  manœuvre ,  encore  fiiut-il  être 
en  tàOb  de  la  flottille  pour  s'apercevoir  qu'elle  base  le  moin- 
dre mouvement. 

«  On  dit  que  sur  le  Pà-Yang-Hou  les  tempêtes  sont 
très-firéquentes.  Il  y  a  peu  d'années ,  le  fib  d'ua  catéchiste 
éiOû-Tching  y  périt  avec  tout  l'équipage.  Nom  anoos 
nous-mêmes  fait  la  rencontre  d'aoe  lûirqQe  maa^aria^, 
abandonnée  depuis  peu  de  jours ,  et  dont  il  ne  poraissaii 


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517 

fins  am^essns  de  Peau  que  les  mâts  avec  une  puriie  de  la 
proae. 

«  Le  troisième,  jour  de  notre  navigation ,  nous  abordâ- 
mes à  un  endroit  malheureusement  trop  célèbre ,  appelé 
Lao^Ye-Miao ,  Pagode  de  Laoyi.  La  divinité  qu'on  y 
adore  n'est  autre  qu'une  tortue  ;  et  voici ,  d'après  une 
fable  populaire ,  l'origine  de  ce  culle  monstrueux.  L'em- 
pereur Tchu'Fuen-Loung ,  qu'on  croit  fondateur  de  la 
dynastie  Ming-Tchâo ,  et  qui  dut  le  Urône  à  la  révolte ,  li- 
vra sur  ce  lac ,  contre  son  maître ,  une  bataille  décisive  : 
or,  pendant  le  combat,  le  gouvernail  du  navire  qu'il  mon- 
tait ayant  été  emporté,  il  trouva  après  la  victoire  une  tor- 
tue accrochée  à  la  poupe  avee  ses  dents,  laquelle  aurait  ainsi 
tenu  lieu  de  timonier.  Vraiment,  nn  service  de  ce  genre  mé- 
ritait bien  un  autel  chez  les  Chinois ,  qui  en  ont  élevé  pour 
beaucoup  moins.  Aussi  s'empressa-t-on  d'installer  la  vi- 
hine  béte  dans  sa  pagode ,  où  elle  s'est  rendue  si  redouta- 
ble ,  qu'il  n'y  a  point  de  chef  d'embarcation  assez  hardi 
pour  doubler  cette  lie  sans  aller  auparavant  lui  présenter 
qudque  offrande.  On  ki  r^ale  ordinairement  du  sang 
d'un  coq  :  c'est  du  reste,  comme  vous  voyez,  une  assez 
pauvre  libation. 

«  Quand  le  capitaine  et  les  passagers  chinois  eurent  sa- 
crifié à  la  déesse ,  nous  levâmes  Fancre ,  par  un  vent  favo- 
rable ,  pour  longer  la  plus  stérile  et  la  plus  haute  monta- 
gne du  Kiang-Sù  Majestueusement  assise  au  milieu  du 
lac ,  elle  n'est  guère  habitée  que  par  des  bonzes,  dont  les 
pagodes,  au  nombre  de  près  de  deux  cents,  éparses  ci 
at  là  et  acculées  contre  des  rochers  i  pic,  font  de  loin 
vm  très-bel  effet.  Je  n^ai  rien  vu  de  plus  pittoresque, 
comme  site,  que  ce  lieu  consacré  à  un  culte  ridicule , 
où  accourent  les  pèlerins  de  toutes  les  provinces  envi- 
ronnantes. 


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218 
«  Gmioie  nous  sdliom  eairer  dans  le  Kiang ,  couvai 
de  barques  qui  foBt  par  eau  le  commerce  de  six  à  sept 
départemeols^  il  ËiUut  nous  présenter  à  une  douane  qui 
doit  accumuler  en  peu  de  temps  bien  des  millions  pour  ht 
fisc ,  à  en  juger  par  la  multitude  de  bâtiments  de  toutes 
dimensions  soumis  chaque  jour  à  son  contrôle.  La  taxe , 
dit-on,  se  perçoit  sans  avoir  égard  ni  à  la  qualité,  ni  à 
la  quantité  des  marchandises,  mais  uniquement  à  la  lon- 
gueur et  à  la  largeur  des  bateaux.  Après  cette  première 
ligne  qu'on  dit  très-sévère,  il  en  ^t  encore  une  peut-être 
plus  difficile  à  éviter,  c'est  celle  des  pauvres  qui,  sans 
avoir  même  Tapparence  de  la  misère ,  viennent  par  bandes 
innombrables  dépouiller  publiquement  les  passagers.  Leur 
audace  est  telle ,  qu'en  plein  jour  et  en  face  du  palais 
mandarinal ,  ils  s'en  prennent  aux  effets  qu'on  a  sous  la 
main,  et  même  aux  habits  dont  on  est  revêtu,  pour  peu 
quils  ne  soient  pas  contents  de  la  somme  qu'ils  ont  ex- 
torquée. 

«  Apnt  de  nouveau  hissé  les  TOiles ,  nous  parvînmes 
sans  autre  accident  à  Pu-Hô-,  ville  située  au  confluent  de 
huit  rivières.  Notre  pilote,  qui  avait  là  sa  Tamille,  voulut 
y  séjourner  une  semaine,  pour  célébrer  avec  les  siens  une 
fête  en  l'honneur  d'une  divinité  diinoise  qu'on  appelle 
vulgairement  Ching-^Mou,  la  Sainte  Mbre,  et  même  quel- 
quefois ThiénrHéou ,  Reine  du  Ciel.  On  en  distingue  or- 
dinairement deux,  l'une  indigène  de  la  province  de  Lou- 
Kienj  et  l'autre  étrangère  qui  aurait  été  apportée  des  îles 
de  rOcéanîe.  Si  vous  êtes  surpris  de  trouver  ces  exprès- 
stoQS  sur  les  lèvres  des  Chinois  »  je  l'ai  bien  été  davantage 
ea  voyant,  dans  un  Hvre  de  notre  capitaine  sur  la  création 
du  monde ,  une  estampe  représentant  un  vieillard  à  une 
seule  tête,  mais  à  trois  visages,  avec  cette  inscription  au 
\yA%  :  Ytchy-san  ^  San-yichy,  une  subsianee^trais ,  (rois- 


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21» 

ufki  tiAâUmei.  Que  pinmât  dooc  sifoifier  une  sanUable 
idole,  si  ridée  d'un  Dieu  créaleur  on  troig  poraornies  D'ea 
»^  1^  fat  base  :  êrinuê  H  unu$P  C'est  sans  doute  un  em- 
prunt iait  à  BOB  livres  smals;  car  il  parait  hors  de  doute 
que  les  CbiBois  les  ont  connus  i  diverses  époques. 

«  D'abord ,  on  croit  génà*aleraent  que  saint  Thomas 
lui-même  les  a  évangélisés.  Les  païens  adorent  cet  Àpdtre 
sous  le  nom  de  Tha-Mi^  et  parmi  les  deux  compagnons 
({ifils  lui  donnent,  se  trouve  toujours  un  nègre  qui  l'avait 
probablement  suivi  de  l'Inde.  Ils  diseirt  fonnellemest 
()ue  c'est  un  Si-koûe-gin  j  un  homme  de  Voceidmt  par 
rapport  à  eux.  Ils  ajoutent  qu'ayant  appris  que  sa  mère 
était  mourante,  il  n'avait  Elit  que  poser  quelques  bam- 
bous sur  la  superficie  des  eaux,  et  qu'ainsi  il  s'étaîf 
comme  envolé  au  delà  des  mers. 

m  Eu  saxmd  lieu,  il  est  constant  que  dans  la  province 
du  Hô'Nan  il  existe,  au  milieu  d'un  temple  d'idoles,  une 
pierre  sculptée^  d'une  époque  très-ancienne^  contenant  des 
traits  caractéristiques  de  l'Histdre  sainte,  tels. que  ceux 
(le  la  création  et  de  la  rédemption.  Des  redierches  faites 
dans  un  bot  religieux ,  il  j  a,  je  pense,  un  peu  plus  de 
deux  cent  cinquante  ans ,  ont  encore  amené  bien  d'autres 
découvertes  touchant  les  monuments  nationaux,  qui  prou- 
vent que  plfsieors  siècles  auparavant  la  foi  chrétienne 
était  connue  et  suivie  par  une  partie  de  la  population , 
dansées  nombi*eux  ropumes  ou  états  dont  la  réunion  a 
coMimé  depuis  l'inuBense  eoipire  de  la  Orne.  Dans  le 
A*«f-Sj,  par  exemple ,  nos  devaneiers a'ont^ils  pas  dé- 
terré une  grande  croix  en  for  qui  portait  la  date  la  plus 
andenne?  et  Boi-^méme,  il  y  a  ^  d'années,  n'ai-je  pas 
vu  de  mes  yeux,  dans  une  espèce  d'oratoire  de  notre ca* 
pttale,  une  grande  statue  de  fomme  dont  les  pieds  s'ap- 
puyaient inr  la  Ida  d'an  proa  serpent^  tandis  qu'elle  toiâic 


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330 

an  tout  petit  enfant  entre  ses  bras?  Derrière  cette  statue 
s'en  trouvait  une  autre  d'égale  grandeur,  figurant  un 
vénérable  vieillard  dans  Fadmiration ,  et  tout  autour  une 
dizaine  de  staiiiettes  ayant  assez  Tair  de  simples  bergers 
qui,  le  genou  en  terre,  présentent  à  la  femme  et  à  Ten- 
Euit  diverses  offrandes  :  les  uns,  chose  étonnante,  font  le  mo 
deste  hommage  de  deux  colombes,  les  autres  d'un  agneau. 
M'est-ce  pas  là  une  véritable  Nativité?  Les  Chinois  disent 
que  la  déesse  Abuan-JTn  ou  Ching-Mou,  doqt  j'ai  parlé 
plus  haut,  est  vierge,  quoiqu'ils  placent  presque  toujours 
un  enfant  dans  ses  bras ,  et  un  oiseau  blanc  au-dessus  de 
sa  statue,  avec  l'inscription  suivante  que  j'ai  lue  :  Kiau- 
ehé-tche-mau ,  mère  libératrice  du  monde.  N'est-ce  pas  la 
sainte  Vierge  avecie  Saint-Esprit  sous  la  formé  d'une  co- 
lombe? Le  malheur  est  qu'au  lieu  de  se  rattacher  à  nous 
par  ces  traditions  éparses,  qui  attestent  le  passage  de  l'E- 
vangile dans  ces  contrées  lointaines ,  les Chinoisdénatu- 
rent  ces  emprunts  faits  à  la  vérité  par  des  interprétations 
ridicules  ou  monstrueuses.  Quelquefois  je  fais  malgré  moi 
sur  ce  sujet  des  réflexions  bien  amères ,  et  je  crois  y  trou- 
ver les  raisons  pour  lesquelles  on  a  beau  déployer  sur  tous 
les  points  de  la  Chine  l'activité  du  zèle  apostolique ,  on 
n^opèrè  pas  néanmoins  de  nombreuses  conversions  ;  c'est 
que  nous  n'avons  plus  à  Eaiire  à  de  simples  infidèles ,  mais 
en  quelque  sorte  à  des  apostats.  Le  soleil  du  christianisme 
a  i^usieurs  fois  déjà  éclairé  de  ses  rayons  cette  terre  in- 
grate, et  autant  de  fois  les  yeux  se  sont  volontairement 
fermés  à  sa  Ueniaisante  et  divine  lumière  ;  Geiut-il  ensuite 
s'étonner  qu'ajoutant  ainsi  nuages  à  nuages,  ingratitudes 
à  ingratitudes ,  ces  peuples  aient  laissé  passer  pour  eux , 
sâon  h  menace  de  l'Apôtre,  le  temps  de  la  grâce  et  du 
sahit? 

«  J'insisterais  davantage  sur  c^te  pensée,  si  eUe  n'était 

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pas  une  pore  digression.  Je  revie&s  donc  à  mon  voyage. 
Les  huit  jours  que  je  perdis  à  PurHo ,  me  parurent  bien 
longs  et  ne  furent  pas  sans  quelque  danger.  Cependant  ma 
confiance  en  Dieu  était  sans  bornes.  J^aimais  à  penser  que 
ce  retard  était  un  effet  des  desseins  paternels  de  sa  divine 
previdence  envers  moi ,  et  qu'il  me  délivrerait  peut-être 
d'obstacles  plus  sérieux,  que  j'aurais  rencontrés  au  ZTott- 
Pé  si  j'y  fosse  arrivé  plus  tôt.  En  effet,  si  notre  trajet  eût  été 
plos  rapide ,  j'aurais  été  y  selon  toute  apparence,  englobé 
dans  la  persécution  qui  éclata  à  Han-Keou  dix  jours  avant 
mon  arrivée  ;  peat-étre  n'y  aurais-je  trouvé  personne  qui 
voulût  me  recevoir.  Enfiù ,  la  fête  de  la  déesse  terminée , 
nous  contiouâmes  de  voguer  sur  le  fameux  Aiang.  Quelle 
lenteur  à.  remontarson  cours I  Vraiment,  si  l'on  n'était 
embarrassé  par  ses  effets ,  le  mieux  serait  d'aller  à  pied. 
Ce  n'est  pas  la  rapidité  du  fleuve  qui  vous  arrête  :  il  pro- 
mène presque  toujours  tranquiltenent  ses  eaux ,  et  malgré 
cela ,  en  l'absence  de  tout  obstacle ,  on  ne  fait  guère  que 
se  traîner- à  fi>rce  de  bras  le  long  de  la  rive. 

«  La  ligne  des  barque  remorquées  les  unes  à  la  suite  des 
autres  est  interminable;  le  Xiang  en  est  bordé  dans  toute 
^  longueur. — Jamais  les  Européens  ne  pourront  se  faire  une 
juste  idée  du  commerce  intérieur  de  la  Chine.  — Or,  dans 
cette  multitude  de  bâtiments  qui  suivent  à  la  file ,  il  est  de 
rigueur  de  conserver  son  rang  contre  ceux  qui  veulent 
Tusurper,  sous  peine ,  une  fois  hors  de  ligne^  de  ne  pou- 
voir pas  y  rentrer  avant  un  mois  et  plus.  De  là ,  des  con- 
flits sans  cesse  renaissants,  des  impréca(ions.à  faire  frémir, 
et  des  menaces  d'en  venir  aux  coups  d'avirons  :  bruyante 
et  continuelle  cohue  qui,  tout  en  retardant  beaucoup  la 
manœuvre,  l'interrompt  néanmoins  rarement;  car  ces 
combats  se  bornent  presque  toujours  k  des  injures ,  et  de 
toutes  ces  perches  levées  les  unes  contre  les  autres,  à  peine 


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«n  vûic-oa  qadipwn  met  slrilMtlce  «ir  les  técet  qu*ellfs 
mentoeot. 

c  Unn  des  bords  da  Kitrng  deviettt-îl  iropraiicafale  :iii 
halage  et  feut-il  atteindre  le  bord  opposé ,  ces  barquci» 
mettront  phisiears  heures  à  effectcvsr  le  (Mmage,  et  leors 
moyens  de  résister  an  courant  sont  si  btUes ,  qu'elles  n*y 
nrriyeront  qne  trois  on  quatre  stades  a«-dttsoos  du  point 
de  départ.  C'est  ainsi  que  quatre  à  dnq  fois  le  joar  il  faut 
altemaiitement  visiter  les  deux  rires.  Si  le  vent  devient 
lisrvorable^  ces  milliers  d'embarcadons  prennent  bien  tant 
soit  peu  le  large;  mais  la  eonin^n  et  les  cris  ne  cessent 
point  pour  cela ,  parce  que ,  sendriables  à  une  troupe  de 
canards ,  ce  qne  lait  une  barque ,  Pantre  Timite  aMssH^; 
et  eHes  sont  ainsi  continnellenient  menacées  d'avaries  ea 
s*entre-clioquant. 

«  Rarmi  bm  nitelots  s'en  trewait  m  pins  grand  et 
plus  fort,  usais  surtout  plus  fonfimm  cpie  les  autres,  qtij 
croyait  donner  nne  plus  haute  idée  de  sa  bravoure  en  rem- 
chérissant  encore  sur  l'insolence  de  ses  camarades.  Il  avait 
servi  précédemment  dans  la  marine  impériale,  et  il  venait 
d'échapper  depub  peu,  disait-il,  à  Tincendie  de  pins  de 
trois  cents  navires,  que  les  Kcung-kùuy-tse  (1),  les  Jn- 
glais,  avaient  brûlés  près  de  la  ville  de  Tsin-Kiang-Fou^ 
dans  le  Kiang-Nan.  Comme  mes  deux  guides  ime  faisaient 
passer  pour  un  mandarin ,  tous  ces  gens  s'attendaient  à 
recevoir  de  moi  une  plus  forte  étrenne.  Pour  mieux  la  mé- 
riter sans  doute ,  ils  ne  cessaient,  notre  Ëinfaron  surtout. 


(1)  n  y  a  bîoi  des  «né»  fM  Icf  Glûioif  leur  donnooi  ee  non ,  ^' 
•i^iBe  iUkîm  rmtfn. 


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923 
d'iflsoher  do  matitt  au  soir  ceox^Ià  mêmes  qtû  nemettaieiit 
smcaD  ^hstade  à  notre  narche.  Après  qu'une  si  indipe 
conduite  nous  eut  attiré  maintes  reparties  des  plus  dés- 
ag^réables,  elle  finit  par  nous  Taire  donner  une  leçon  dont 
je  me  serais  bien  passé ,  tjuoiqne  tout  Péquipage  en  eât 
{^nd  besoin.  Void  comment  :  le  troisième  jour  après  no- 
tre sortie  de  Ph^-Hq,  nous  avions  été  enqyoriés  par  une 
bourrasque  loin  des  autres  navires.  Nous  eAmes  beau  faire 
efcrt  pour  nous  en  rapprocher,  de  nouveaux  tourbillons  de 
vents  nous  tinrent  àdistance,  et  par  là  exposés  à  devenir 
la  proie  des  bari^res  qui  infestent  le  Kianj.  k  la  faveur 
d'une  belle  lune,  nos  $;ens  ramèrent  longtemps  de  toutes 
leurs  forces;  mais  la  hitigue  finit  par  les  vaincre,  et  tout 
en  avouant  que  Tendroit  n'était  guère  tenàBle,  ils  résolu- 
rent de  jeter  Tancre  pour  prendre  un  peu  de  repos. 

«  Ils  étaient  à  peine  endormis ,  qu'on  entendit  de  loin 
venir  une  barque.  Peu  à  .peu  le  bruit  des  rames  se  rap- 
firochait.  Enfin  une  seoousse  nous  avertit  que  déjà  Fagraffe 
avait  été  jetée  sur  notre  bâbord.  Notre  fier  matelot ,  celui 
que  je  vous  ai  dit  si  plein  de  son  mérite  et  si  âpre  à  l'in- 
jure, crut  le  moment  arrivé  de  Grire  ses  preuves,  et  pensant 
aven*  affiiire  à  des  corsaire  que  le  bruit  allait  mettre 
en  fuite,  it  enchérit  encore  sur  tout  ce  que  je  lui  avais  en- 
tendu proférer  d'épjthètes  flétrissant»  et  de  défis  insul- 
»rats.  Les  provocations  continuant  de  part  et  d'autre ,  les 
sgrssseurss'écrîii'eBt  pour  dernière  r^onse  :  Au  piliagel 
au  pillage  I  et  quatre  à  cinq  d'entré  eux  montèrent  à  l'in- 
stant sur  notre  barque. 

«  Le  pilote  au  désespoir  vint  aussitdt  m'appeler.  J'é- 
tais loin  de  dcumir  pendant  un  tel  vacarme.  Je  me  rends 
sur  lé  pont  et  je  trouve  tous  mes  gens  à  genoux ,  deman- 
dant, sans  pouvoir  I%btenir,  pardon  pour  les  injures 
adrmées  aux  prétendus  brigautb.  «Puisque  nous  prend 

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234 

«  pour  des  voleurs,  répétaieat  ceu&-ci,  eh  bien  !  nous  to- 
«  lerons  ;  il  nous  faut  le  pillage.  »  Eu  aueudant ,  sans  oser 
pourtant  trop  s'avancer,  ils  trépignaient  si  fort  sur  noti*e 
faible  tillac,  qu'à  chaque  instant  il  nous  semblait  le  voir 
s'enfoncer.  Ma  présence  et  celle  de  mes  deux  guides,  kiang- 
koug^  ayant  rétabli  le  <silme,  fen  conçus  un  heureux 
augure,  et  je  me  décidai  à  tirer  tout  le  parti  que  je  pour- 
rais du  personnage  qu'on  me  faisait  jouer.  AfiTectant  donc 
une  fierté  toute  mandarine ,  je  dis  à  ces  étrangers  :  «  Vou- 
«  iez- vous  qu'on  vous  ait  fait  un  outrage?  Soit;  mais  ne 
«  savez-vous  pas  dans  quels  parages  nous  sommes?  l'heure 
«  à  laquelle  vous  venez  n*excuse-t-elle  pas  une  méprise? 
«  D*aiUeurs,  on  vous  demande  pardon  de  ces  injures  : 
«  que  vous  faut-il  de  plus  pour  être  satisEûts  ?  Puisque  vous 
«  n'avez  rien  de  commun  avec  les  corsaires ,  ne  les  imitez 
«  jpas  par  un  acte  de  brigandage.  » 

«  Pendant  que  je  leur  adressais  ces  paroles,  ils  étaient 
constamment  restés  immobiles  ;  ils  me  regardèrent  qud- 
ques  instants  d'un  ^ir  effaré ,  puis  tout  en  murmurant  je 
ne  sais  quoi  entre  leurs  dents,  ils  finirent  par  se  retirer 
en  emportant ,  sans  que  nous  nous  en  aperçussions ,  diffé- 
rents agrès  de  la  barque.  Le  lendemain,  notre  fier  matelot 
resta  bien  humilié  de  celte  aventure  ;  mais  ce  fut  l'affaire 
d'un  jour.  Nous  revîmes  un  peu  plus  loin  nos  agresseurs 
nocturnes  :  c'étaient  des  soldats  qui  s'en  retournaient  par 
eau  dans  leurs  familles  ;  ainsi  nous  eûmes  un  sâr  garant 
de  la  paix  conclue  avec  les  Anglais. 

«  L'accident  de  la  nuit  nous  avait  abattus  ;  nous  fûmes 
égayés  le  lendemain  par  une  rencontre  plus  heureuse* 
D'innombrables  marsouins  s'en  vinrent  folâtrer  à  l'entour 
de  nos  barques  :  ils  se  jouaient  plus  gaknent  dans  les  eaux 
que  de  jeunes  taureaux  ne  bondissent  dans  la  prairie.  Au 
lieu  de  les  épouvanter,  le  bnfit  de  Téquîpage-ne  Gût  que  les 

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225 
enhardir  dans  leurs  légers  ébats  ;  ils  en  metient  plus  d'ar- 
deur ec  de  grâce  à  plonger  dans  les  flots,  puis  à  reparaître 
pour  se  dérober  encore  aux  regards  des  passag^^s  qui 
sourient  i  leurs  évolutions. 

«  L'apparition  des  marsouins  est  généralement  regar- 
dée, comme  un  pronostic  de  tempête.  En  effet,  l'atmosphère 
ne  tarda  pas  à  se  charger  ;  le  vent  souffla  avec  tant  de 
force,  que  plusieurs  barques  n'osèrent  déployer  les  voi- 
les; mais  notre  pilote  plus  courageux  en  profita  pour  at- 
teindre heureusement  le  port  où  il  devait  déposer  sa  car- 
gaison de  papier.  Le  lendemain,  28  octobre,  après  avoir 
opéré  son  déchargement,  il  voulut  continuer  sa  route ^ 
quoique  le  vent  fût  encore  plus  violent  que  la  veille  ;  il  se 
flattait  d'arriver  ce  jour-là  même  à  Han-Kéoù ,  terme  de 
mm  voyage,  et  dont  nous  étions  encore  à  plus  de  trente 
lieœs.  Nous  voilà  donc  emportés  de  nouveau  au  gré  du 
mit  et  à  pleines  voiles. 

«  Pendant  plusieurs  heures  notre  barque  cingla  à  mer- 
veille; vous  auriez  dit  un  brick  français;  encore  lui  au-  . 
rions-nous  peut-être  disputé  le  pas.  Le  malheur  fut  qu'a- 
près avoir  fait  plus  de  vingt  lieues,  le  vent ,  toujours  dé- 
chaîné, cessa  d'être  constant;  il  nous  venait  par  bouffées 
et  nous  prenait  en  travers.  D'un  autre  côté ,  les  vagues 
grossissaient  à  vued'œil;  notre  embarcation  privée  de 
son  lest  menaçait  de  chavirer,  et  en  ce  cas  ^  il  est  certain 
qae  c'en  eût  été  fait  de  nous  tous^  nous  trouvant  alors 
au  milieu  du  lit  du  Kiang  que  les  Chinois  disent  pres- 
que sans  fond.  Le  pilote  alarmé  se  hâta  de  serrer  les 
voiles,  et  nous  dirigea  vers  la  côte;  mais  il  était  trop 
ttrd  :  k  proue  n'eut  pas  plus  tôt  regsa*dé  la  rive  où  no» 
toidkms ,  qu'on  coup  de  vent  furieux  nous  y  jeta  avec 
lia  rapidité  de  réeUnr.  En  un  instant,  le  gouvernail  s'en- 
iMioedaiisla  vase  et  y  reste  immobile,  les  voiles  tourmes- 
T<w.  XVII.  100.  ^*      r- 

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326 

létr  pnr  Tongo  qui  s'irriic  de  lew  nliirtance,  se  ééeki* 
m^  eu  emporleiit  le  somoiel  des  mais  qui  se  brisott 
iwiiiif mtsmi  de  roseaux.  Uo  horrible  diqoetk  de  iwr- 
gnss  rompues  se  fait  entendre  sur  nos  têtes,  tandis  q«e 
sons  nos  pieds  craquent  les  ais  disloqués  du  navire,  qui 
soBdyre  çnfin  et  nous  pesé  tous  dans  le  fomeax  £im3. 

m  Après  avoir  reçu ,  sans  savoir  comment ,  deux  contn- 
(  au  bras  et  à  la  jambe  droite,  dont  les  suites  se  sont  fait 
'  plus  d'un  mois ,  je  me  trouvai  alors  comme  au  sortir 
d\ni  sommeil  brusquement  interrompu;  et,  le  croiriez- 
vMs,  ayanf  de  Teau  an-dessus  de  la  ceinture,  planté  sur 
le»  débris  de  la  barque,  je  considérais  pour  ainsi'dfre  snne 
snrprise  et  sans  émotion  nos  ^ets  surnageant  pélensiéle 
atotour  du  navire  échoué. 

«  Un  de  nos  guides  me  tira  de  cette  stopeiir  lélhariP^pM 
es  me  criant  :  Jésus ,  Marie  1  En  même  temps  il  me  ten- 
dait sa  main  que  je  saisis  pour  le  rassura.  Les  matelots 
ne  sachant  où  donne^de  la  tête,  se  bornaient  à  £ure  un 
grand  tapage.  «Sauvez  avant  tout  les  personnes,  »  leur 
criâmes-nous.  Ils  détachèrent  aussitôt  la  chaloupe  qui 
aède  était  demeurée  intacte ,  et  nous  ramenèrent.  Après 
être  montés  dans  la  nacelle ,  nous  nous  mtmes  à  la  rem- 
plir chacun  d'une  partie  de  nos  effets.  Craignant  ensuite 
qu^^e  ne  coulât  à  fond ,  on  s'empressa ,  les  uns  à  force  de 
rames,  les  autres  avec  des  perches,  de  la  conduire  à  terre, 
où  malgré  ma  prétendue  dignité  de  mandarin ,  j'aidai  de 
mon  mieux  au  sauvetage^  piaflUnt  dans  la  boue  jusqu^aux 
genoux. 

«  HMis  au  plus  Ibrl  de  ee  rude  tfivMl,  cul  kidigM 
spectade  peifr  «n  Européen  naufiragé  se  préKfile  i  m» 
jmt\  Le  lîonjf  s'était  couvert  de  eannls  qài  BtâkiefimaÊ 
vers  nous ,  et ,  à  men  grand  étonnement  y  ks  mMiois  «i 

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227 
les  aperoevant  se  sent  tous  écriés  :  Paûrkaol  p&ùrhaol 
n0m$mmnei  perdue  t  nous  somma  perdus  1  ie  croym  an 
cemrtîre  qoe  c'étaient  autant  de  sauveurs  qui  volaient  à 
nette  eeeoors  :  je  fus  bientôt  gttà*i  d'une  si  grande  bon- 
boBÎe.  En  un  instant  nous  sommes  cernés  par  ces  pi- 
raiBB.  bnpossible  dès  lors  de  rien  retirer  du  navire.  Le 
cri  de  pilbge  se  fait  entendre,  et  nous  sommes  attaqués. 
Mon  nom  de  mandarin  aurait  dû  glacer  et  terrifier  oesbri- 
ginda;  <m  eut  beau  le  &ire  sonner  Inen  haut ,  comment 
pomoir  se  taire  entendre  au  milieu  d'up  si  horrible  brou- 
habaP 

«  Un  combat  s'engagea  entre  nos  sept  pauvres  mate- 
lots et  les  forbans  qui  crœssaient  toujours  en  nombre  ;  ils 
étaient  peut-être  plus  de  deux  cents.  La  lutte  cessait-die 
avec  nons ,  ils  se  battaient  entre  eux ,  les  plus  forts  vou- 
lant se  faire  la  part  du  lion.  Ce  qui  m'étouta  davantage  et 
me  fit  en  mtoe  temps  le  plus  de  peine ,  fuf  de  voir  quatre 
i  cinq  dialoupes  montées  uniquement  par  des  femmes ,  de 
vnâes  harpies ,  qui  surpassaient  peut-être  les  hommes  en 
ardeur  pour  le  j^age. 

tf  Pendant  celte  scène  révoltante,  des  barques  mar- 
diandes  de  toutes  grandeurs  montaient  et  descendaient  le' 
fleuve  ;  nons  avions  beau  leur  tendre  les  bras  en  signe  de 
liétresse  ;  arrivées  à  quelque  distance  de  nous ,  elles  foi- 
saiaat  nn  long  détour,  et  le  pilote  ou  le  timonier,  aprè» 
nous  avoir  fait  de  la  main  plusieurs  signes  négatift ,  conti- 
nuait tranquillement  sa  route  :  on  m'a  (fit  ensuite  qu'il» 
craignaient  eux-mêmes  de  s'exposer  an  pillage. 

«  Quand  il  ne  resta,  plus  rien  à  prendre ,  une  partie 
de Gtt  maraudeurs  seretira  avec  son  butin  ;  alors  nos  ma- 
(ebls^  enhaiwihi  par  le  petit  nombre  de  ceux  qui  restaient, 
reiinreat  à  lirctofe  avec  fureur»  et  cherchèrent  à  mettre 

16.  ■ 

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328 

en  pièces  les  bateaux  des  retardataires.  Moins  peut-être 
par  commisération  naturelle  que  par  crainte  de  trop  irriter 
ces  misérables ,  et  de  provoquer  de  leur  part  une  terrible 
revanche,  je  courus  mettre  le  holà^  en  dkant  à  nos  ma- 
rins que  pour  compenser  autant  que  possible  nos  pertes , 
jis  devaient  traîner  ces  canots  à  terre  au  lieu  de  les  dé- 
truire. Aussitôt  ils  s'élancent  sur  le  plus  proche ,  et  le  ti- 
rent à  force  de  bras  bien  avant  sur  le  rivage.  Ceux  qui  le 
montaient  étaient  loin  de  s'attendre  à  ce  que  l'affaire  prit 
une  telle  tournure  ;  les  voilà  qui  se  jettent  pêle-mêle  dans 
le  Kiang  pour  regagner  d'autres  barques;  mais  les  nôtres, 
animés  par  le  succès,  se  saisissent  de  deux  fuyards^  et 
me  les  amènent  par  leurs  longues  queues;  puis  ils  retour- 
nent encore  donner  la  chasse  aux  traînards ,  en  sorte  que 
tous  se  dispersèrent  sans  qu'il  en  restât  un  seul ,  à  Fexcep- 
tjon  de  nos  deux  prisonniers. 

«  Agenouillés  dans  la  boue ,  devant  moi  qu'ils  ap- 
pelaient le  grand  Lao-ye,  ou  seigneur,  ces  deux  misérables 
me  faisaient  mille  prostrations  et  révérences ,  en  me  sup- 
pliant avec  des  hurlemenls  affreux  de  leur  accorder  la  li- 
berté. Notre  réponse  fut  d'abord  qu'ils  allaient  payer 
pour  tous  leurs  complices,  et  que  pour  faire  un  exemple 
dont  ces  déleslables  parages  .avaient  besoin ,  la  corde  les 
attendaient  à  Ou-Tchang-Fou  où  nous  allions  les  conduire. 
A  la  fin  cependant,  comme  la  nuit  approchait,  nous  les 
relâchûmes  après  leur  avoir  fait  promettre  de  revenir  nous 
tirer  de  là ,  et  tout  en  gardant  le  canot  pour  caution  de 
leur  parole. 

«  Après  leur  départ ,  je  demandai  à  notre  capitaine  ce 
qu'il  comptait  faire  des  effets  que  nous  avions  sauvés. 
«  Hélas  !  me  répondit-fl  en  poussant  un  profond  soupir, 
«  cette  nuit  même  on  nous  les  ehlèvera.  »  De  leur  côté , 
les  matelots  se  préparaient  à  une  défense  acharnée.  «  Vie 

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229 

«  pour  vie,  disaieot-ils,  nous  vendrons  du  moins  la  nôtre 
«  bien  cher;  nous  repousserons  l'attaque  tant  qu'une 
«  goutte  de  sang  coulera  dans  nos  veines.  » 

«  Pour  moi ,  prévoyant  assez  qu'en  cas  d'assaut ,  leur 
nombre  et  leur  courage  seraient  insuflisants  pour  nous  dé- 
fendre ,  je  délibérai  en  moi-même  s'il  ne  serait  pas  expé* 
dient  d'abandonner  les  bagages  et  de  nous  enfuir  à  travei-s 
diampsy  sous  la  garde  de  la  Providence.  Je  m'en  ou- 
vris à  mes  fidèles  conducteurs.  «  Père,  c'est  impossible >  » 
me  dit  l'un  d'eux  qui  avait  fait  l'office  d'éclaireur  en  allaïUi' 
an  moment  du  pillage ,  cherclier  de  tout  côté  du  secours; 
«  Nous  sommes  ici  dans  un  ilot ,  entre  le  lit  principal  du 
«  Kiang  et  un  bras  consîdéi*able  de  ce  fleuve.  Faute  d'is- 
«  sue ,  il  faut  se  résoudre  à  y  passer  la  mauvaise  nuit  qui 
«  s'approche.  » 

«  En  effet ,  le  jour  était  sur  son  déclin ,  le  vent  souf- 
flait toujours  avec  plus  de  violence ,  et  une  grosse  pluie 
commençait  à  tomber  du  ciel,  dont  l'aspect  sombre  et  me- 
naçant nous  présageait  une  furieuse  tempête  :  où  trouver 
on  abri  ?  Nous  eûmes  recours  au  bateau  que  nous  avions 
pris  à  nos  pirates  ,'et  qui  n'avait  pour  nous  protéger  qu'un 
très-petit  couvert  en  treillis  de  bambous  sur  le  milieu. 
Après  avoir  amoncelé  à  l'entour  tous  nos  effets ,  nous  nous 
blottîmes  dedans  tous  les  dix,  péle-méle,  accroupis  les  uns 
sur  les  autres. 

«  Mon  dier  confrère,  que  cette  nuit  fut  longue I  dans 
qudles  angoisses  nous  l'avons  passée  !  Harassés  de  fatigue, 
et  n'ayant  pas  même  un  peu  de  place  pour  nous  étendre  ; 
sneoombant  au  sommeil ,  et  n'osant  nous  y  livrer  qu'à 
demi ,  parce  que  nous  regardions  conmie  inévitable  un 
Donvd  assaut  ;  péniblement  coudoyés  et  heurtés  les  uns 
parles  autres,  nous  dûmes  rester  assis  sur  nos  takns,  et 


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S8B 
'encore  fiillait^fl  être  contmaéllement  an  agueis.  XTn  peu 
après  minnit ,  yoilà  que  j'entends  comme  la  voix  tfune 
personne  encore  dans  le  lointain.  «Ecoutez,  m*écriai-je, 
«  les  brigands  reparaissent.  »  Après  que  chacun  eut  pen- 
dant longtemps  prêté  une  oreille  attentive,  je  passai  pour 
avoir  donné  une  fausse  alarme.  Biais  Févénement  vint 
bientôt  après  prouver  le  contraire  :  nous  étions  à  jaser 
comme  des  pies,  tandis  que  des  inconnus  s^approchaient , 
sans  lumière  e^  sans  le  moindre  bruit ,  du  gîte  où  nous 
étions  retranchés.  Lorsque  enfin  nous  nous  en  aperçûmes, 
dieu  sait  le  violent  Qui  vive!  que  leur  adressèrent  nos 
matelots.  Ils  y  répondirent  d'abord  d'un  ton  assez  mesuré 
en  nous  demandant  pourquoi  nous  nous  étions  empares 
du  bateau.  «  C'est,  réparthnes-nous,  parceque  ceux  à  qui 
«  il  appartient,  ne  sont  que  des  pillards.  Au  reste,  après 
«  l'avoir  retenu  pour  passer  la  nuit,  notre  mtention  était 
«  de  le  leur  restituer  demain.  » 

«  Après  quelques  autres  pourparlers^  auxquels  nos 
i|;ens  ne  mêlèrent  que  deux  ou  trois  apostrophes  d'une 
rage  bien  prononcée,  et  que  mon  guide  Tchang-siang- 
koung  sut  parfaitement  adoucir ,  en  donnant  le  titre  de 
Lao^ta-gin,  vieMard^grand-homme,  au  plus  âgé  de  la 
troupe ,  ees  inconnus  ajoutèrent  :  «  La(Hf/ê  souflre  trop 
«  dans  oette  position ,  nous  rengageons  à  nous  suivre. 
«  — Et  ses  gens,  réponJis-je,  qui  les  emmènera?  — 
«  Nous  viendrons  les  chercher  au  jour.  —  Ainsi  seul , 
«  où  allez-vous  me  conduire?  —  Dans  la  ps^^ode  du 
«  village.  » 

«  Il  est  &  remarquer  'que^  par  mie  superstition  des 
(rios  inhumaines ,  les  Chinois  sont  persuadés  qu'il  soflit 
4^tre  malheureux  pour  éure  coupable  ;  en  nous  recueil- 
km  dans  leurs  maisons,  ils  auraient  craint  d'attirer  sur 
MX  Me  partie  des  maux  qu'ils  voyaient  peser  sur  «ous , 


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£31 
et  tkMit  iB  Haas  croyaôent  poarssivis  p«r  iiiie  j«9lioe  «é* 
leste.  Nms  étiwM  A  lears  yeux  des  fan^ênj  maifaiêem'ê^ 
et  des  victimes  dn  T^tffi-mtfijf ,  destin  du  ckL 

«  Je  fiais  par  leur  dire  que  puisqu'ils  venaient  oiefiaii- 
ver  seul ,  je  remettais  au  lendemain  racoeptation  de  lèmss 
bons  offices,  et  ils  se  rethràreat  en  répétant  que  la  posisÎM 
é(»t  trop  douloureuse  peur  Jun  Lao  -yé.  Quelle  était  Jewr 
véritable  intention?  nous  n'avons  pu  le  savoir.  Quant  ji 
moi ,  fêtais  assez  tenté  de  les  suivre  ;  mais  pourtant ,  Me 
disais-je,  si  à  quelques  pas  d'ici  ils  me  précipitaient  dans 
le  Kiang ,  pour  se  débarrasser  de  la  crainte  que  plus  tard 
je  ne  dénonce  au  vice-roi  leur  brigandage  ;  après  s'être 
défaits  de  moi,  ne  prendraient-ils  pas  au  même  piège  mes 
compagnons  d'infortune  ?... 

«  Notre  situation,  comme  vous  le  voyez,  était erili- 
que ,  et  le  reste  de  la  nuit  se  passa  dans  de  cruelles  ap- 
prâiensions  ;  cependant  personne  ne  reparut ,  et  le 
en  ramenant  la  lumière ,  nous  rendit  Fespérance.  Nos  i 
telots  reprirent  la  vie  qu'ils  semblaient  avoir  perdue.  Hw 
bewreiix  que  le  capitaine  qui  n'avait  pu  sauver  une  seole 
sapèque,  je  portais  sur  moi  quelques  pièces  d'argeat;  je 
les  montrai  à  nos  marins;  et  par  je  ne  sais  quelle] 
crête,  de  morts  qu'ils  étaient  auparavant^  les  voilà i 
suscités.  Péi^ltaol  Vécrient-ils ,  plus  risa  d  traimimi 
Tkim^p  thien^l  le  ciel  esi  pour  nous  1  le  ciel  est  pournêm! 
ce  qu'ils,  entendent  du  firmament,  sanss'élever  jusqu'à  Hdêe 
de  l'Etre  suprême  qui  en  est  l'aulenr. 

«  A  l'instant,  et  malgré  une  pluie  d'orage  qui  n^aimt 
père  cessé  de  la  nuit ,  quelques  matelots  s'en  allèrent  k  la 
rechercbe  d'u  moyen  de  salut;  les  uns  se  placeront ^b 
observation  sur  le  rivage,  afin  d'adresser  des  signant 
de  détresse  au  premier  navire  qui  s'offrirait  à  leur  vw; 


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232 
taineau^te  :  il  ne  s'en  présenta  pas  un  seul  durant  toute 
la  journée.  Les  autres  qui  s'étaient  dirigés  vers  le  bras 
secondaire  du  Kiang^  aperçurent  bien  un  certain  nombre 
de  barques  amarrées  à  Taulre  rive  ;  mais  ils  eurent  beau 
supplier  ceux  qui  les  montaient ,  et  faire  luire  les  taâ$  à 
leurs  yeux,  pas  un  mouvement  ne  se  fit 'en  leur  faveur; 
ib  crurent  seulement  entendre  qu'on  leur  disait  pour  toute 
réponse  :  «  Nous  tenons  plus  à  notre  vie  qu*à  votre  ar- 
«  gent;  attendez  que  le  vent  cesse  ;  nous  irons  à  votre  se- 
«  cours  dès  que  nous  le  pourrons  sans  danger.  » 

«  Ce  péril  qu'ils  n'osaient  affronter  ni  par  cupidité  ni 
par  compassion ,  nos  gens  se  décidèrent  à  le  braver  sur 
leur  faible  chaloupe,  qu'ils  s'étaient  jusque-lù  ménagée 
comme  une  dernière  planche  de  salut.  La  nacelle  mise  à 
Teau ,  urois  ou  quatre  coups  de  vagues  suffirent  pour  la 
leur  enlever  :  heureusement  qu'aucun  d'eux  ne  fut  em* 
porté  avec  elle.  En  la  voyant  poussée  au  large  par  les  flots^ 
notre  capitaine  jeta  un  cri  de  désespoir  :  «  Cette  fois  nous 
«  sommes  perdusl  »  dit-il ,  et  il  se  mit  à  verser  un  tor- 
rent de  larmes. 

«  Pour  moi ,  au  milieu  de  tant  de  revers ,  f  avais  en- 
core la  force  de  retenir  les  miennes  ;  je  m'abandonnais ,  à 
b  vérité ,  aux  plus  affligeantes  réflexions  ;  mais  il  me  res- 
tait une  secrète  espérance;  je  pensais  qu'après  tant  d'é- 
preuves ,  le  Seigneur  ferait  éclater  sur  nous  sa  provi- 
dence :  «  Priez,  disais-je  à  mes  deux  chrétiens,  priez  Dieu 
•  qu'il  nous  aivoie  enfin  quelque  ange  libérateur.  » 

«  Quelques  heures  après  l'enlèvement  de  la  chaloupe , 
le  capitaine  prit  le  parti  d'aller  lui-même  à  la  découverte. 
Peine  perdue;  le  résultat  de  son  excursion,  comme  celui 
èm  précédentes,  fut  qu'il  n'y  avait  point  de  secours  pos- 
sible tant  que  durerait  la  tempête.  Je  dois  avouer  qu'à  son 


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333 
retour  la  constaroatioQ  devint  générale  et  qu'elle  fut  à 
son  comble.  Tous^  jusqu'à  moi ,  nous  crûmes  arrivé  le 
moment  du  sacrifice.  Le  jour  touchait  à  sa  fin ,  le  vent 
et  la  pluie  continuaient  avec  la  même  violence.  Oh  !  pour 
le  coup*,  je  le  répète ,  je  sentis  toute  espéi^ance  s'évanouir 
dans  mon  cœur.  Il  nous  semblait  voir  le  ciel  et  la  terre 
araiés  en  même  temps  contre  nous  conspirer  ensemble 
notre  perte.  Depuis  deux  jours-^  nous  n'avions  pris  au- 
cune espèce  d'aliments.  Notre  corps,  meurtri  par  le  nau- 
fi^ge,  était  encore  couvert  d'habits  humides,  et  cela  sans 
avoir  pu  prendre  un  peu  de  repos.  Nous  allons  donc 
mourir  ici  de  faim  et  de  froid ,  me  disais-je ,  ou  plutôt  les 
brigands  qui  nous  ont  épargnés  la  nuit  dernière ,  nous  ré- 
servent pour  celle-ci  nne  visite  dans  laquelle  nous  serons 
tous  égorgés. 

«  Je  n'étais  pas  non  plus  très-rassuré  sur  le  compte 
de  nos  matelots ,  tous  païens ,  qui  auraient  bien  pu  se  dé- 
dommager de  leurs  pertes  à  nos  dépens,  et  se  défaire  de 
nos  personnes  pour  mieux  jouir  de  nos  dépouilles. 

«  Ce  qui  me  faisait  le  plus  de  peine  était  de  périr  ainsi 
sur  ce  misérable  Mot,  sans  aucune  utilité  pour  la  Religion, 
après  avoir  si  souvent  et  si  ardemment  désiré  l'honneur  de 
pouvoir  un  jour  prêcher  un  mandarin  dans  son  prétoire, 
et ,  au  sortû*  de  là ,  d'être  envoyé  au  martyre* 

«  A  ce  regret  se  mêlaient  des  souvenirs  qui  m'inspi- 
raient de  justes  craintes.  Je  me  rappelais  avoir  entendu 
dire  qu'à  la  nomination  du  deuxième  Vicaire  apostolique 
de  la  Corée,  le  courrier  qui  lui  portait  les  insignes  épisco* 
paux ,  ayant  été,  pendant  son  voyage  à  travers  la  Chine, 
arrêté  par  des  voleurs ,  dépouillé  de  tout  et  puis  garroté 
à  un  arbre,  fut  ensuite  rencontré  dans  un  si  pitoyable  état 
par  des  satellites  qui  le  détachèrent.  C'était  bien  jusque-là. 


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984 

Alais  ses  libérateurs,  ayant  appris  à  quelle  espèce  de  geas 
H  aTâit  en  affiiire,  se  mirent  aossitAt  à  leur  ponmiie ,  et 
avec  les  malfiiiteurs  s'emparèrent  aussi  des  objets  irolés , 
ce  qui  donna  sujet  à  une  grande  perséontton.  Je  craignais 
également  de  voir  se  renouveler  à  peu  près  la  même  scène. 
Comment  pourrait-il  se  Êiire ,  me  dîsaisi'e ,  qu'un  pillage 
accomf^  en  plein  jour,  et  auquel  tant  de  mauvais  sajeis 
ont  pris  pnrt,  n'éveillât  pas  enfin  Tattention  et  la  vigilance 
de  Famtorité?  Peut-être  mes  ornements ,  mon  cmciis  et 
autres  objets  de  religion  sont-ils  déjà  entre  les  mains  des 
magistrats!  Tout  le  monde  ne  sait-il  pas  ici  que  les  ma- 
kouay,  satellites  chargés  de  répondre  des  voleurs  avx 
mandarins ,  partagent  le  [>lus  souvent  le  butin  avec  eu ,  à 
condition  de  protéger  leurs  nouvelles  tenUtives  de  ra- 
pines. Comment  pourrait-il  donc  se  faire  qu'en  paru- 
géant  nos  dépouilles,  ils  n'aient  pas  reconnu  que  les  objets 
enlevés  appartenaient,  pour  la  plupart,  au  culte  desdnré- 
tiens ,  à  cette  religion  des  martyrs  et  des  proscrits,  contre 
laquelle  on  avait  récemment  publié  tant  d'édits  dans  tout 
le  Houpé?  Quelle  bonne  fortune  pour  eux  que  cette  dé- 
couverte! Outre  qu'ils  y  gagnaient  la  prime  promise  aux 
dénonciateitfs  d'un  prêtre,  ils  disaient  preuve  de  vigi- 
lance ,  et  se  trouvaient,  par  la  seule  arrestation  d'im  IGs- 
sionnaire,  dispensés  pour  longtemps  d'être  sévères  envers 
les  malfoiteurs.  Aussi  ne  voyais-je  que  la  prison  au  sortir  de 
notre  Ilot,  si  toutefois  j'en  sortais  ;  et  s'il  fallait  y  mourir, 
je  tremblais  de  léguer  encore  la  persécution  à  une  pr^ 
vince  déjà  inondée  de  sang  chrétien. 

«  Que  bire  pourtant  pour  conjurer  ce  malheur?  Pavais 
déjà  beaucoup  prié^  et  non-seulement  je  ne  voyais  pas  mes 
supplications  suivies  d'un  heureux  dénoûment  ;  mais  cha- 
que pas,  an  contraire,  nous  enfonçait  plus  avant  dans 
l'aUme.  II  me  vint  alors,  quoique  un  peu  tard ,  l'idée 


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936 

d'ane  nouvelle  prière ,  qwe  voici  :  «  Swgneur^  ne  repbus- 
«  sez  pas  mon  fanmble  demande  ;  par  rinteroession  de  vo- 
«  tre  nouveau  martyr,  Jean-Gaibriel  Perboyre ,  venez  à 
«  notre  secours  1  »  Je  la  répétai  trois  fois  avec  une  fer- 
veur dont  je  trouverais  peu  d'exemples  dans  ma  vie;  après 
quoi ,  me  persuadant  que  je  venais  d'accomplir  en  grande 
partie  ce  que  f  avais  à  faire ,  soit  pour  la  vie ,  soit  pour 
ia  mort,  je  m'abandonnai  à  la  divine  Providence,  et 
comme  décharçé  du  poids  de  mes  inqm^des ,  je  suc- 
combai enfin  au  sommeil. 

«  A  peine  étais-je  assoupi,  qu'un  matelot  s'écrie: 
«  Voici  un  bateau  !  voici  un  bateau  1  »  Celui  qui  le  mon- 
tait ne  venait  probablem^t  que  pour  épier  s'il  restait 
quelque  chose  à  prendre.  A  notre  vue,  il  voulut  passer 
iMitre^  sous  prétexte  que  les  vagues  étaient  encore  trop 
jbautes  pour  qu'il  pût  abords  sans  danger.  Mais  Dieu 
permit  qu'à  force  de  promesses  et  de  prières,  le  nauton- 
nier  qu'il  nous  envoyait,  consentit  à  chercher  et  trouvAt 
enfin ,  à  une  centaine  de  pas  de  nous ,  un  endroit  acco- 
stable.  Quaure  ou  cinq  de  nos  gens  s'emparent  à  l'in- 
stant de  sa  nacelle ,  pour  aller  à  la  sution  la  plus  voisine 
située  à  peu  de  distance.  J'aurais  bien  voulu  être  de  la  par- 
lie;  mais  le  batdier  s'y  opposa,  soutenant  qu'avec  un  plus 
grand  nombre  de  passagers  sgn  frêle  esquif  courrait  risque 
d'être  englouti.  Je  dus  donc  me  contenter  de  la  promesse 
qui  me  fut  faite,  qu'on  allait,  pour  nous,  louer  au  port 
une  plus  grande  luirque.  Nous  pouvions  d'ailleurs  atten- 
dis plas  pntienmeiit  leor  retour  :  la  phû  avait  cessé,  le 
ifM  ae  oalanit^  Mtraoorar  siabatla  aeirawait  à  anoitié 
nfevé  de  son  JttcaMcawnt,  après  «ne  si  cruelle  angoisie, 
la  pfa»  gnmde  que  j'aie  ene  de  oia  vie ,  parée  tpk'diie  «a 
a.éîëlaplosjflqîiw. 

«  Nos  matelots ,  fidèles  à  leur  parole ,  après  avoir, 

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236 

comme  de  juste ,  apaisé  la  &im  qui  les  dévorait ,  n'eurent 
rien  de  plus  pressé  que  d'exposer  nos  malheurs  au  com^' 
mandant  du  port.  Il  eut  ou  il  fit  semblant  d'avoir  grande 
pitié  de  notre  position ,  et  dépécha ,  pour  nous  en  tirer, 
un  des  six  navii*es  au  service  de  la  station.  Les  huit  hom- 
mes qui  le  montaient ,  quoique  d'une  taille  et  d'une  force 
peu  ordinaire,  avaient  grand'peiue  à  vaincre  la  boule  en- 
core soulevée  par  la  tempête  expirante.  Ramant  de  toute 
la  vigueur  de  leurs  bras,  et  toujours  en  cadence  pour 
mieux  s'animer,  ils  nous  amenèrent  à  l'entrée  de  la  rade, 
où  j'aperçus  peut-être  plus  de  trois  cenls  personnes ,  ac- 
courues pour  voir  un  mandarin  avec  la  mine  d'un  nau- 
fragé. De  tous  ces  spectateurs ,  partagés  en  deux  rangs , 
les  uns  riaient  aux  éclats ,  les  autres  semblaient  s'a- 
pitoyer sur  mon  sort;  la  plupart  me  voyant  chanceler, 
ou  m'offraient  un  appui  bienveillant,  ou  m'adressaient 
quelques  mots  de  politesse.  Enfin ,  après  être  tombé  en 
défaillance  dans  la  boue  une  dizaine  de  fois^  je  parvins  en 
face  de  l'hôtellerie  où  m'attendait  avec  toute  son  escouade 
un  preux  caporal  chinois ,  que  je  distinguai  des  autres  à 
son  espèce  de  schakot.  11  me  reçut  en  grande  cérémonie. 
Par  ses  soins  un  grand  feu  m'avait  été  préparé ,  une  sorte 
de  collation  avait  été  servie,  et  je  pus  en  toute  liberté  rom- 
pre une  diète  absolue  de  plus  de  deux  jours,  en  faisant 
main-basse  sur  une  assiette  pleine  de  pâtisseries ,  et  tout 
en  répondant  à  mille  questions  plus  embarrassantes  les 
unes  que  les  autres. 

«  En  attendant  on  m'apprêtait  un  bon  souper,  pour  le- 
quel notre  commandant  et  notre  majordome  voulurent  être 
de  la  partie,  afin  de  me  continuer  une  courtoisie  dont  je  me 
serais  fort  bien  passé,  d'autant  plus  qu'un  de  mes  conduc- 
teurs avait  déjà  eu  l'imprudence  de  dire  que,  dans  le  pil- 
lage,  j'avais  perdu  deux  malles  contenant  des  effets  très- 


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237 

précieux.  Le  caporal,  voyant  les  spectateui*s  se  reiirer  peu 
à  peu ,  revint  sur  cet  article  qui  m'avait  jusqu'alors  tant 
intrigué  ;  car  j'appr^endais  qu'on  ne  les  eût  recouvrées , 
et  qu'à  la  vue  de  l'étrange  contrebande  qu'elles  renfer- 
maient ,  on  ne  se  doutât  de  mon  caractère.  Je  m'aperçus 
cependant  qu'il  me  craignait  autant  que  je  le  redoutais 
moi-même.  Et  en  effet,  c'était  une  chose  assez  humiliante 
pour  un  homme  de  sa  profession ,  payé  avec  ses  gardes- 
cAtes  pour  maintenir  le  bon  ordre,  qu'à  sa  barbe  on 
fût  venu  impunément  attaquer  et  ^dépouiller  jusqu'à  un 
mandarin!  Il  commença  donc  par  s'excuser  en  m'ex- 
posant  que  l'année  avait  été  des  plus  malheureuses,  à 
cause  de  l'incmdation  qui  s'était  élevée  plus  haut  et  qui 
avait  duré  plus  qu'à  l'ordinaire.  «  Ces  parages,  ajouta-l-il, 
«  confinant  aux  dépendances  de  trois  grandes  villes,  pul- 
«  lulent  de  malfaiteurs  de  toute  espèce,  qui,  pour- 
«  suivis  devant  les  tribunaux  d'une  juridiction ,  passent 
«  aussitôt  sur  le  territoire  des  autres  pour  s'esquiver  et 
«  gagner  du  temps ,  en  sorte  qu'il  est  impossible  d'en 
«  finir  avec  eux.  »  Ravi  de  lui  voir  ainsi  prendre  la  dé- 
fensive ,  je  l'eus  bientôt  rassuré  sur  les  suites  de  sa  cou- 
pable négligence,  en  lui  répondant  que  j'étais  par&itement 
au  fait  des  difficultés  de  sa  position,  que  je  ne  tenais  pas 
à  mes  malles ,  qui  réellement  contenaient  des  objets  pré- 
deux et  même  de  l'argent  ;  mais  que  j'en  faisais  volontiers 
le  sacrifice ,  pourvu  que  je  pusse  sain  et  sauf  parvenir  à 
Han-Keou;  qu'en  supposant  même  que  plus  tard  il  pût  les 
découvrir,  je  lui  en  faisais  l'abandon ,  à  condition  pour- 
tant qu'il  ferait  punir  les  ravisseurs. 

«  Le  repas  fini,  mes  convives  insistèrent  pour  me  faire 
passer  la  nuit  à  l'auberge,  afin  d'y  reposer  plus  à  mon  aise  ; 
mais  je  m*y  refusai,  pour  me  mettre  à  l'abri  de  tout  leur 
babillage.  Je  retrouvai  au  port  nos  bons  matelots,  dé- 


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2âi 

peuillés  de  tout ,  qui  m^afHwhÎMitpoM;  me  prier  de  leur 
faire  à  chacun  Taumône  de  oe  qui  lui  était  néeessaire  pour 
s'en  retourner  dans  sa  faunille,  sanûce  que  je  leur  rendis 
bien  ^(mtiers,  parce  qu'en  dfet  ils  m'avaiait  toujours 
été  très-fidèles»  AÎ>rès  tous  ks  moufaments  d'une  scène  s^ 
étrange,  pendant  laqodfe  l^ams  été  firaoéde  jou«r  tantde 
réies  bizarres,  dans  quel  profond  et  tranquille  sommeil 
je  fiis  bientôt  enserdi  au  fond  de  ma  nouvelle  bar- 
que! On  aurait  pUf  je  eroisi  m'éoindier  ipe  je  a'aurais 
rien  senti»  » 

(La  mite  au  pr§chmn  ffuméro»  ) 


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2S» 


MISSIONS  DU  CANADA. 


A  mesiire  que  le  diamp  des  Missions  devient  plus 
vaste  et  plus  ferdle,  le  Seigneur  y  appelle  aussi  des  ou- 
vriers plus  nombreux.  Il  ne  suscite  pas  seulement  des 
apôtres  isolés  à  ce  divin  ministère,  il  fait  naître  encore  des 
Congrégations  nouvelles,  dont  le  dévouement  collectif  ré- 
ponde mieux  à  des  besoins  généraux.  Parmi  ces  Institu- 
tM»  récentes,  il  en  est  une  que  nous  Serons  aujourd'hui 
oonahre  plus  spédaleman  à  nos  keteors  :  e*est  la  pre- 
màirt  fois  qu'elle  prend  place  dum  les  Annales ,  et  nous 
devons  indiquer  son  origine  avant  de  raconter  ses  tra- 
vaux. 

La  Société  des  OHêkIê  i$  Mmrk  ImmaeuUe,  fondée 
doMleiMAdelaFraMiepar  Mgr  de  Maaeood ,  évéque 
mmi  de  IfcmiHe,  conpl»  d^à  pfan  de  dix-huit  ans 
d'existence.  Elle  n*ava)t  encore  signalé  son  zèle  qu'aploor 
de  son  berceau ,  lorsqn'en  1841,  Mgr  Bornât ,  évéque  de 
Montréal  dans  le  Canada,  étant  Tenu  en  Europe  pour  des 
liées  aux  intérêts  de  la  Rdigion ,  et  en  particu- 


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240 

lier  pour  chercher  des  hommes  apostoliques  qu'il  dési- 
rait établir  dans  son  diocèse ,  demanda  à  Mgr  de  Mazenod 
une  colonie  de  ses  prêtres  OkhUs  de  Marie.  Ses  pieux  dé- 
sirs furent  exaucés,  et  le  digne  Prélat,  auquel  TEglise  du 
Canada  était  déjà  si  redevable,  eut  la  consolation  d'y  in- 
troduire encore  ces  nouveaux  collaborateurs. 

Leur  maison  ayant  été  régulièrement  constituée,  ils 
commencèrent  aussitôt  les  travaux  de  leur  ministère,  que 
le  Seigneur  accompagna  partout  d'abondantes  bénédic- 
tions. Les  Obhts  de  Marie  Immaculée  au  Canada  sont 
actuellement  au  nombre  de  dix-neuf,  dont  quinze  Mis- 
sionnaires profès  et  quatre  novices.  Ils  possèdent  trois 
établissements.  L'un ,  qui  est  à  Longueil ,  où  réside  le  vi- 
siteur général  et  où  se  trouve  le  noviciat,  est  spé- 
cialement chargé  du  soin  spirituel  des  Townships.  On 
appelle  de  ce  nom  les  habitations  dispersées  sur  les 
frontières  du  Canada  et  des  Etât-Unis ,  qui ,  ne  possédant 
pas  une  population  assez  nombreuse ,  ne  peuvent  être  éri- 
gées en  paroisses  avec  un  prêtre  à  poste  Oxe.  On  conçoit 
aisément  les  besoins  religieux  de  celte  portion  peu  favori- 
sée du  troupeau. 

Une  autre  communauté  des  Oblais  de  Marie ,  appelée 
par  Mgr  Signay  dans  le  diocèse  de  Québec,  a  été  établie 
dans  la  partie  nord-est  du  Saguenay,  sur  les  bords  de  la 
rivière  qui  porte  ce  nom.  Outre  les  missions  et  les  retraites 
données  aux  paroisses  catholiques ,  les  Pères  de  cette  mai- 
son embrassent  l'apostolat  des  sauvages ,  dont  quelques 
tribus  occupent  toujours  les  sources  de  la  rivière  Saint- 
Maurice  et  du  Saguenay ,  ainsi  que  les  rives  da  MontBio- 
rency. 

Plus  au  nord ,  vers  le  52™*  degré  de  latitude,  il  existe 
encore  des  Indiens  Papinaehois ,  entre  les  lacs  Àmnitchta- 
gan,  Papimouagan  et  Pirretîbi.  A  la  droite  du  fleuve  Saint- 

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241 

Latnrent,  vers  la  partie  orientale  da  Baé-CaïUKia ,  appMè  * 
Gaspésie ,  on  trouve  anssi  les  restes  des  Mtêtmàê  on  6a#- 
péiiens,  aatrefois  très-nombrenx,  et  reffiarqaid[)Ies  par  lenr 
civilisation  avancée.  Les  débris  de  ces  diftrentes  penphi-  » 
des,  encore  infidèles,  étaient  visités  depuis  plusieurs  an- 
nées par  MM.  de  Saint-Sulpice  et  par  d^ntres  prêtreaca- 
Badiens.  Grâce  à  leur  zèle ,  de  grands  soeeès  ont  été  obte- 
nus; il  en  est  même  plusieurs  qui  ont  recoeSH,  avec  une 
abondante  mo&son  d*imeS|  la  palme  ordinaire  du  dévoue-  ' 
mem  :  vicdmes  de  leur  charité,  ils  ont  succombé  aux 
btigues  d*un  si  pénible  ministère*  Aujourd'hui  les  Pères  ' 
OUaU  de  Marie  Immaculée  ont  la  sollicitude  de  toutes  ces 
Missions,  et  quelques-uns  d'entre  eux  doivent,  chaque  an- 
née, parcourir  les  différents  postes  où  se  groupent  les  sau- 
vages ,  afin  de  faire  parmi  eux  de  nouveaux  prosélytes ,  et 
de  fournir  à  ceux  qui  sont  déjà  chrétiens  les  secours  de 
la  Religion.  Ils  se  proposent ,  dès  que  leur  nombre  le  per-  ' 
mettra,  de  pousser  leurs  courses  dans  le  Labrador,  jusqu'au* 
pays  des  Petits-Esquimaux,  pour  en  arracher  leshaBttants, 
soU  i  leur  idoUtrie ,  soit  à  la  séduction  des  frères  M(H*a- 
ves,  qui  ont  déjà  formé  parmi  eux  quelques  établissements* 
La  troisième  maison  des  Oblats  de  Marie  Immaculée  est 
à  Bytown ,  diocèse  de  Kingstcm ,  dans  le  Haut-Canada. 
Les  membres  de  cette  communauté ,  comme  ceux  de  Mont- 
réal, sont  destinés  à  donner  des  missions  aux  paroisses 
dSjà  formées,  et  à  évangéliser  la  population  catholique. dis- 
séminée dans  rintérieur  des  terres*  Outre  ce  ministère ,  ils 
embraésent  eiico^  celui  des  chaïUters^  Jusquld  des  mH* 
fiers  debAcherons,  dispersés  pendant  six  mois  de  Fannée 
daoïs  les  forêts,  potnr  s'y  livrer  à  l'exploitation  des  bois, 
étaient  dans  le  plus  complet  abandon  sous  le  rapport  reii^ 
gienx.  Confiés  aux  soina  des  (^lats  de  Marie  Immaculée^ 
3l  pourroBt  désormais  participer  aisément  à  tous  les  se- 
cours spirituelf  que  le  zèle  et  la  charité  savent  multipper, 
T0«.  XVII.  100.  16 

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dA  Bytown  sMl,  de  pAms^^  chargé»  de  porter  le  fiaipbeaui 
dft  bfoii  aw.  $»«i««e0.^^gKm9ifNii  et  ^fUttiU*»»  i:é()aBdii& 
da«ft  t»  farcie  eordronesi  du  Cabada,  entre  l8s,50^  et 
62*^  dtiwh  de  liHîtude.  Autrefois  nombseitaes,  ces  tribus. 
8(MqMiiiile9aB&  Dédwtes  à  une  bie»foîble  pepuIaiioiL  :  las 
guMefr  Aéqpiesiee,  cpt^elles  se  sont  tim  entre  dloa»  ou 
qtt'eUei^Ollt  AM^wies  contre  les  blancs,  les  avaient  déjà 
crnelteieQfid^iQiinées  vei»  la  fin  du  demîec  aiède  ;  ei  de*^ 
pim,,  l^émigraijon  européenne  allant  lonjoui»  creissant^ 
ces.8Mva(es»nQli»ii]é$,datts  leur».  ibi:£tt^  ont.  j^i; pour  la. 
p^Êgm.  de  laim  et  de  misère. 

De  son  côté^Mgt*  le  Vicaire  apostolique  de  laBaiedlIud- 
son  appelle  aussi  les  OUaU  dans  son  immense  district;  ils 
iipnt  y  commencer  leur^  travaux  Télé  prodiain.  Or,  dans 
CM  contrées  prcsqiiie  aussi  ^Fastes  que  TEurope ,  et  qui  s'é- 
l^ent  du  TO"*"^  au  142™®  degré  de  bngitude  ocdden- 
t^e ,  et  du  481"*  au  68"*  de  latitude  boréale  ^  c'est-à-dire 
d'un  côté  d^ujs  les  limites  occidentales  da  Labrador 
jusqu'au  delà,  des  Monlagoes-Bocbeuses  vere  les  bords  de 
rpcéan.  Pacifique^  et  de  l'aulie  depuis  le  lac  supérieur  ei 
If^  frontières  sq[>tenirîonales  des  Etats-Unis,  jusqu'à  la 
m»  G]nçiale,.il  n'y  a  que  cinq  prêtres  dont  la  vie  entiène», 
absoii)ée  par  les  soins  que  réclame  une  pqmlation  d'jen.*- 
won  trois  mille  catholiques,  suffit,  à  peine  à  la  visitti 
dfts  divers  postes  de  la  Compagnie  anglaise/  t 

Ces  prêtres,  malgré  tout  1^  zèle,  n'ont  pn  enaonç. 
jMsr  qu'en  pnssant  la  bonne  tumcwm  dnns  ces  immenses. 
nigîQns,  où  la  plupart  des  trUms  ons conservé  leur  indé^ 
BSttdsnce.  BientAt  ils^e^pèmit  aller  sa  fiser  an  centrsdo; 
OBI  peuplades  prçsqpeeBeone  inoornines,  qui  portent  di£- 
ttoenisnoms  suivant  ksxxmtréesqn'^eanecni^t  et  qnl 
tontes  paraissent  disposées  à  bien  ameaUclss^nmislna 
de  rfi>^n6iie» 


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243 


UUr^  du  J?«  P.  Samrâiia^  Mimiotmairt  ObkU  de  Matiê 
Jmmaatlé$,  w  M*  P*  Mwarai^  de  la  mêa^  Cm^ 


Troif-EÎTièret,  le25  joillet  1844. 


«  Nous  Tôid  dé  retour  de  notre  MSssioii  sur  le  Saiut^ 
Mannce.  Les  fruhs  de  grâce  et  de  satut  dont  Dieu  a  bien 
voofti  couronner  nos  faibles  travaux,  nous  ent  ample- 
Bent  dCdôonnagés  des  fatigues  d'un  si  pàiible  voyage. 

«  Le  SaAit-lfauriee ,  dont  le  cours  est  d'environ  deux 
cents  lieues ,  serait  une  trës-beUe  rivière  sans  les  rag^des 
et  tes  doutes  fréquentes  ^r  en  rendent  la  navigation  si 
diflfcilk.  C'était  aur  sauvages  qui  en  bordent  les  rives  qœ 
aoos  étions  envoyés,  M.  Harault  et  moi ,  pour  rempiaoer 
M,  Paymant ,  missionnaire  plein  de  zèle  et  de  vertu  qui 
les  avait  visités  Tannée  précédente ,  mais  qui  se  trouve 
pris  en  ce  moment  d'un  riinmatisme  universel ,  par  smte 
des  s^ufhmees  quH  a  endmiiës^  dans  ses  courses  apeeiu-' 
liques.  Ces  sauvages,  qui  se  nomment  TMiMMoiife,  «a 
loat  énmgéBsés  que  depuis  s^  ans»  et  déjà  Qi  doment 
beauooup  de  onâcdatien  an  Ifissiomnires  <pii  leir  ont 
porté  la  boime  nouveHe.  Je  ne  vous  racoBtetui  due  ma 
leme4]iie  fes  dëfiâlt  de  nette  deraière  eqpéditioBé. 

«  Ré»  édone  partisses  2M^Ai'tMlr«04e  S  Ji6h  a^ 


16. 

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944 

à  vingt-cinq  pieds  de  longueur ,  monté  par  dnq  ! 
et  un  jeune  sauvage  qui  avait  passé  Tannée  cbeEM.  Pal- 
liant ;  nos  eOets  et  nos  petites  provisions  aUaieÉUires  com- 
posaient  loute  la  cargaison.  Pour  ne  point  nous  arrêter  à  de 
trop  longs  préliminaro ,  je  ne  décrirsli  pas  notre  voyage 
sur  le  Saint-Maurice ,  ni  les  divers  incidc^iits  qui  l\mt  ae« 
compagne.  Vous  pouvez  vous  en  fiiire  une  idée  en  voua 
représentant  deux  Misssionnaires,  montés  sur  un  frtfe  es- 
quif, voguant  seuls  sur  une  grande  rivière  dont  le  coaranc 
permet  à  peine  de  bâte  une  demi-  lieue  à  l'heure,  ne  vbyaac 
autour  d'eux  que  rochers ,  précipices  et  arbres  gigantes- 
ques, obligés,  à  cause  des  fréquents  et  longs  portages, 
de  mettre  souvent  pied  à  terre  et  de  diarger  sur  leurs  épau- 
les, non-seulement  leurs  provisions  et  leur  petit  bagage, 
mais  encore  le  navire  lui-même  quil  devient  impossible  de 
conduire  sur  le  fleuve*  * 

«  Ajoutez  à  cela  que  les  campements  de  la  nuit ,  qui 
auraient  dûi  nous  délasser  un  peu  de  la  Êitigue  du  jour,  ne 
nous  présentaient  pas  un  repos  fort  agréable.  Le  souper 
et  le  lit  étaient  en  parfaite  harmonie  avec  notre  étrange 
manière  de  voyager,  et  dignes  en  tout  de  la  vie  apostoli- 
que. Ordinairement  nous  nous  arrêtions  vers  le  crépus- 
cule ,  auprès  de  quelques  grandes  chutes.  Nos  gens  com- 
mençaient par  décharger  le  canot  et  le  renverser  sur  la 
rive;  chacun  prenait  ensuite  part  aiui  préparatifs  du  sou- 
per :  Tun  coupait  du  bois ,  Tautre  apprêtait  la  diaudîère, 
un  troisième  £iisait  jaillir  de  la  pierre  des  étincelles,  qull 
recueillait  sur  qoc^iues  feuilles  sèches.  En  quelques  in- 
stants une  vapeur  assez  abondante  s'élevant  de  notre  mar- 
mite avec  Todeur  de  h  viande  salée ,  nous  avertissait  que 
nous  pouvions  commencer  notre  modeste  repas. 

«  Comme  le  n<«nbre  des  plais  se  réduisait  k  la  plus 
simple  expression,  un  morceau  de  porc  nous  semûai  tout 
i  la  fois  d'çtttiwflto  «ttéi  mDm\Mmsù9  < 


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f45 
BUtes  mÊÊÛBÊt  pottr  florber  à  h  80  de  Tagreste  banqnef. 
Ven^t  eosoiie  la  prière  que  noos  faidoiis  en  coromun ,  et 
pois  B  Mbàt  songer  à  préparer  son  gîte  pour  le  repos  de 
la  mut.  Al<miioas  dresftkms  notre  p^ite  tente  sur  le  ter- 
rain le  plus  uni  et  le  moins  humide;  diacun  se  munissait 
de  deux  ooayertures  en  laine,  dont  Tune,  mise  en  double, 
servait  de  matelas ,  Fautre  recoon*ajt  le  corps  pour  le  dé- 
fendre du  froid  et  de  la  rosée ,  et  nous  ToilJk  couchés  aussi 
gaûement  cpe  si  nous  avions  été  sur  le  meilleur  Kt  et  dans 
ïbAliA  le  plus  confortable.  Demander  ensuite  si  Ton  dor- 
mait bien,  c^est  antre  chose;  car  outre  que  nos  épaules 
ne  s^aecoutomaient  pas  très-fecilement  à  la  dureté  de  no- 
tre couche,  mom  éûcm  continuellement  tenus  en  éveil 
par  «ne  armé^  innombrable  d'insectes  qui  ne  nous  lais- 
saieiit  ancon  repos.  Tous  les  maringouins ,  les  moustiques 
et  tesbrolots  des  forêts  voisines  semblaient  s'être  donné 
rendez-vous  sous  notre  tente  ;  le  nombre  en  était  tel ,  qu'à 
peine  poovimis-nous  reqptrer,  et  vous  devez  penser  s'ils 
aoos  épargnaient  les  coups  d'aiguillon  ! 

«  Noos  avons  ainsi  voyagé  une  vingtaine  de  jours  ^ 
tantôt  naviguant  sur  le  fleuve ,  tantôt  campés  sur  sa  rive , 
et  d'autres  f<râ  marchant  à  pied  et  obligés  de  nous  fbyer 
péniblement  le  diemiu  à  travers  les  bob.  Je  ne  vous  dirai 
rien  des  beautés  de  cette  nature  grandiose,  qui  ne  se  ren- 
contrent nolle  part  si  frappantes  que  dans  l'Amérique  dtt 
Mord  ;  mais  je  dois  pourtant  friire  une  exception  en  favefir 
do  la  femense  drate  du  Chawenigan*  Nous  avions  passe 
b  Miit  du  9  jtnn  au  pied  de  cette  cataracte.  Le  lende* 
main,  aooonqpagné  du  diarpentier  et  de  notre  jeune  sau«^ 
^9»,  je  TOttlas  aller  jouir  de  cette  cascade  importante; 
dont  là  Tefflâ  nous  n'avions  pu  voir  que  la  partie  infé- 
rienre*  Nous  grimp&mes  à  travers  un  bois  touffu  jusqu'ait 
sommet  de  la  collitte,  d'oA  se  précipitent  en  tourbillonnant 
ka  e(m  jmqrides  du  Saint-Maurice.  Un  bruit  sourd  et 


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majestueux  nous  avertit  que  nous  n'étions  pas  éloignés  <lu 
gouffre,  et  quelques  minutes  après  nous  contemplions  , 
à  son  point  de  vue  !e  plus  heureux,  celte  scèiie  ma|;nitiqae. 

a  Une  île,  ou  plutôt  un  amas  de  rocliei^,  en  divisiiiit 
la  rivière  à  Fend  roi  t  de  la  chute ,  forme  ainsi  deux,  iin- 
tnenses  cascades  dont  les  eaux  se  rejoignent  au  fond  de  l'a- 
1  Ime  pour  reprendre  leur  course  en  commun.  Nous  ne  yimes 
que  la  branche  Est  de  la  cataracte,  le  temjîs  ne  nous  per- 
mettant pas  de  visiter  celle  du  Nord  qui^  à  ce  qu'on  as- 
sure, l'emporte  de  beaucoup  sur  la  première.  Celle  clnuc 
du  Saint-Maurice,  située  à  douze  lieues  des  Trois-RivR-res, 
3  près  de  cent  pieds  d^élévation  ;  elle  est  visitée  par  un 
trrand  nombre  d'étrangers  que  la  curiosité  y  attire  de 
toutes  parts.  Mais 'j'ai  lais  oublier  ma  promesse  de  m'abs- 
lenir  de  toute  digression.  Et  pourtant  il  faut  vou^aconier 
f^ncore  une  circonstance  de  notre  voyage,  qui  se  raiiacbe 
plus  directement  à  mon  but. 

«  Le  16  juiu ,  huit  jours  après  notre  départ ,  étant  au 
bas  des  huit  grands  rapides  qu'on  aperçoit  après  le  fameux 
passage  de  la  Juque ,  nous  ne  fûmes  pas  peu  surpris  d'y 
trouver  un  canot  qui  venait  à  notre  rencontre.  Il  était 
luonié  par  quatre  jeunes  hommes  de  la  tribu  sauvage  de« 
Têks^e-bouîe  qui,  partis  de  Warmaniashing  le  12, 
avaient  fait  en  quatre  joui*s  près  de  quatre-vingts  lieues. 
Ils  nous  saluèrent  affectueusement,  mais  ils  paraiss^tM^nc 
tristes.  M.  Marault  leur  demanda  en  hn^ne  Jbérmqm  quel 
pouvait  être  le  sujet  de  leur  peine.  L'un  d'entre  eux  ré- 
pondit: «  Nous  sommes  surpris  et  attristés  de  ne  point 
«  VQÎr  ia  r(Ae  noire  qui  nous  a  visités  l'ann^^e  dernièi-e. — 
«  M.  Paymant  a  failli  mourir  et  n'a  pu  cette  fois  refeour- 
«  ner  parmi  vous,  leur  a  répondu*  M.  MarauU  ,  et 
«  cd&imc  le  Gardien  de  la  prière  (FEvoque)  ne  veut 
•  p^  vous  abandonnei-,  il  nous  a  envoyés  à  sa  place  pour 
1  \Qm  ipyruire.  «  Ces  (^uel^ues  parole»  sulEreal  pour 


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^47 
ks  flafftfafre.  OnrtimiaM  ato^  dé  s'aâfeâsér  à  moa  coa- 
Mre ,  ib  kri  (Hrefit  :  «  fkm  étions  très  efi  peine  de  te»  ft 
«  WaraumaaMag,  ^ant  qne  tm  n'arrivans  pas;  Atem 
«  BOUS  BOUS  sommes  dH  :  Partons  et  altom  Tîte  atN 
«  4a^àm  de  la  fvèe  fMvrv.  Hous  aTons  donc  descendu  le 

•  fleuve ,  bien  résolus  de  poursuivre  notre  roirte  Jtisqtt^îWi 
«  grMâ  village  (QuAec),  ti  ïioes  ne  t'avions  rencotfiré. 

*  Maimenant»  merci  au  GraiwWBsprit  qui  vent  (jne  tn  soii 
«  veiiii  au  miBea  de  nous;  nous  allons  le  prier  pour  qn^ 
«  te  protège  jusqu'à  ton  arrivée  à  la  cabane  de  ta  prière 
«  (PEgliBe),  où  ta  dois  nous  instruire.  » 

w  Ces  bons  néophytes  ne  vorfnrcnt  phs  se  séparer  de 
bous;  leur  canot  vogttait  à  cAté  du  nâtre  pendant  les  six 
jours  que  nous  emptoyâmes  i  nous  rendre  an  poste  dk 
Wamtnlasliipg*  Nous  y  arrivâmes  le  22,  à  la  tombée  dé 
laint.  En  présence  de  x^e  liea  tant  désiré,  à  la  vue  des 
sawages  <fi^>ersés  sm*  la  rive  du  fleuN^e  ^  quelles  douées 
émoiioBs  s'emparèrent  de  mon  Ame!  Dangers  du  voyage , 
nravBBt , faUgues ,  privations;  lout  avah  disparu  en  aper- 
œvanti  deux  pas  de  moi  des  amis,  des  frères,  plus  qut 
oda«  des  âmes  racbetées  an  prix  du  sang  de  Jésus-Christ, 
que  fêtais  appelé  à  samer!  Je  ne  les  connaissais  pas  en- 
core; mais  fa  peSne  qu'ils  m'avaient  cofttée  me  lei  rendait 
biendiers. 

«  Je  les  voynis,  hommes,  femmes  et  enfants,  sautet 
dé  jm  et  e^rimer  à  leur  manière  Je  bonheur  qu'ils  éprou- 
vaiett  de  notre  arrivée  au  mflieu  d'eux,  k  mesure  qu'a- 
vançait notre  barque,  on  se  hâtait  de  terminer  sut 
la  rive  les  prèparatife  de  noire  récepuon.  Sur  les  ordreii 
de  M,  MeLcoï,  commandant  du  posic,  le  pavillon  avait 
été  hi»éf  et  les  hommes  réunËi  en  groupe  chargeaient 
Icvmfunk.  Nous  menons  pied  à  terre,  et  aussitôt  unt 
dédiarge  générale  se  feît  entendre  pour  nous  saluer.  Après 
<iue}ques  paroles  édiangées  avec  M.  Me  Lcod ,  après  nos 


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S48 
remerclmenu  pour  ses offim  dJigeauas,  nous  lèunes  h 
nos  sauvages  :  il  fallut  leur  donner  à  lous  la  main;  amme 
ils  étaient  nombreux ,  la  cérémonie  fut  assez  longue*  Us 
ne  nous  quittèrent  plus  de  tout  le  soir,  et  la  journée  fut 
terqiinée  par  la  prière  en  commun  que  nous  fîmes  au  pied 
d'une  grande  croix. 

«  Le  22,  nous  eûmes  le  bonbeur  de  célébrer  h  sainte 
liesse  dans  un  des  appartements  du  fort.  Oh  !  que  j'offios 
de  bon  cœur  à  Dieu  la  viclime  sans  tache  pour  le  salut 
de  ces  pauvres  Indiens  l 

«  Après  le  saint  Sacrifice,  OsIdlolSy  un  des  dieb, 
suivi  de  plusieurs  hommes  de  sa  tribu,  vint  nons  deman- 
der audience.  S'adressant  à  M.  Marault,  il  lui  parla  ainsi  ; 
«  Mon  Père,  te  voilà  enfin  au  milieu  de  nous  ;  qu'il  y  ^ 
«  longtemps  que  nous  t'attendions  !  cinq  dimanches  sont 
«  passés  depuis  que  nous  sommes  ici;  nos  provisions 
«  sont  toutes  consommées ,  et  nous  ne  prenons  presque 
a  pas  de  poisson,  parce  que  Feau  est  trop  haute*  Les  en- 
«  droits  où  H  y  en  avait  beaucoup ,  en  sont  aujourd'hui 
«  tout  à  Eût  dépourvus.  Qu'allcns-nous  devenir^  mon 
«  Père?  Cependant  nous  aimons  mieux  mourir  que  de 
«  nous  passer  de  confession  cette  année*  Voici  ce  que  nous 
«  avons  résolu.  Si  la  pèche  est  toujours  malheureuse, 
«  nous  jeùnorons  pendant  dix  jours  pour  demeurer  avec 
«  toi  ;  nous  souffrirons ,  mais  n'importe  ;  nous  le  terons 
«  avec  plaisir  pour  sauver  notre  ûme.  Au  bout  de  dix 
«  jours ,  si  le  Grand-Esprit  ne  nous  envoie  pas  de  pois- 
«  son ,  la  nécessité  nous  forcera  de  partir  ;  nous  te  quilte- 
«  rons  enfin ,  quoique  avec  beaucoup  de  peine.  » 

«  Otkiloè'  ayant  cessé  de  parler,  nous  lui  répondîmes 
que  notre  intention  avait  été  d'abord  de  nous  arrêter 
quelques  jours  à  Warmantasbing  ;  mais,  ajoutâmes-nous , 
puisque  la  disette  de  vivres  ne  vous  permet  pas  de  demeu- 
rer plus  longtemps ,  nous  allons  nous  acheminer  ensemble 


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^9 

fera  b  diapelle  de  Kikeiidate.  Noos  ikhis  latmes,  en  effet, 
en  marche  le  lendemain;  je  pris  les  devants  avec  quelques 
sauvages  qui  m'offidrent  leur  canot,  et  le  27  nous  mettions 
pied  à  terre  à  Kikendate.  Un  coup  de  fusil  tiré  à  dessein 
avertit  de  noire  arrivée  les  sauvages  campés  aux  environs 
de  la  chapelle. 

«  Ils  vij^ent  en  trè&-grand  nombre  me.  présenter  leure 
félicitations.  Je  causai  assez  longtemps  avec  eux;  ils 
étaient  si  heureux  de  posséder  un  Missionnaire ,  qu'ils  ne 
savaient  comment  exprimer  leur  reconnaissance.  Le  len- 
demain M.  Marault  arriva  avec  le  reste  des  Indiens  que 
nous  avions  rencontrés  à  Warmantashing.  Nous  réglâmes 
aussitôt  les  exercices  de  la  Mission,  que  mon  confrère  ou* 
vrit  le  soir  même  par  une  instruction  préparatoire. 

«  Nos  sauvages,  après  une  si  bague  attente,  ne  pou- 
iraient  être  plus  avides  de  la  parde  sainte,  et  dès  les 
premiers  jours  nous  pûmes  jouir  amplement  des  fruits 
de  leurs  bonnes  dispositions*  Les  catéchumènes  surtout 
se  distinguaient  par  le  zèle  et  Tardenr  qu'ils  mettaient  à 
s'instruire,  afin  d'avancer  l'heureux  moment  où,  par  le 
baptême,  ils  seraient  eo&û  admis  an  nombre  des  fidèles.  Les 
plus  grands  sacrifices  n'étaient  conq^rtéspour  rien  quand, 
à  ce  prix,  il  fallait  mériter  la  grâce  de  recevoir  ce  pre- 
mier sacrement.  Nous  les  taoûons  à  l'élise  plus  de  six 
heures  par  jour  ;  la  plus  giande  partie  de  ce  temps  était 
destinée  au  catéchisme  et  à  des  instructions  familières  ^ 
où  tout  le  monde  assistaiu  Bien  loin  d'être  fotigués  de  ces 
exercices ,  qui  auraient  pu  paraître  longs  même  à  des 
dn-étiens  plus  formés,  ils  n'étaient  pas  plus  têt  sortis  de  la 
dapelle,  que  se  réunissant  en  divers  groupes,  ils  tâ- 
chaient de  se  rendre  compte  entre  eux  des  choses  que 
MUS  \ea^  avions  dites,  et  cda  durant  des  heures «en^ 
••ères ,  quelquefois  même  bien  avant  dans  la  aiit. 
..  «  Doqs  Jeurs  do\i^s  et  (lilBcultéSy  ils  ymfjmt  «m* 


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SfiO 

sultcr  les  Missionnaires  ;  alors ,  que  nous  fussions  couchés 
ou  non ,  endormis  ou  éveillés ,  ri  fallait  leur  donner  au- 
dience et  répondre  à  toutes  leurs  questions.  Nous  le  fai- 
sions d'autant  plus  volontiers  que  ces  éclaircissements 
fournis  à  quelques-uns,  étaient  aussitôt  par  eux  répétés  à 
tous,  et  nous  épargnaient  ainsi  de  longues  explications  sur 
les  mêmes  sujets.  # 

«  Grâce  à  cette  ardeur  pour  apprendre  les  vérités  de 
la  Religion,  nous  pûmes,  dans  l'espace  d'une  qiiinxaine 
de  jours ,  administrer  le  sacrement  de  baptême  à  vingt 
personnes ,  adultes  pour  le  plus  grand  nombre ,  et  bénir 
six  mariages.  Nous  préparâmes,  de  plus,  à  la  communion 
cinquante  sauvages  qui  avaient  é|^é  baptisés  les  années  pré- 
cédentes. Outre  les  heures  désignées  pour  les  instructions, 
nous  avions  destiné  d'autres  moments  de  la  journée  à  îa 
prière^  qui  se  faisait  toujours  en  commun.  C'est  là,  dans 
ces  douces  réunions  de  frères,  que  j'étais  profondément 
touché  de  voir  la  solitude  embellie  par  tant  de  piété  et  de 
ferveur  :  vous  auriez  dit  des  Anges  plutôt  que  des  hom- 
mes ;  fortement  appliqués  à  l'objet  de  leur  foi  et  de  leur 
amour,  ils  paraissaient  avoir  oublié  la  terre.  Leur  mo- 
destie dans  le  lieu  saint  était  parfaite ,  surtout  pendant  le 
saint  &icririce.  Malheur  à  celui  qui  par  légèreté  eût  seule- 
ment tourné  la  lête  ;  un  soufflet  vigoureusement  admi- 
nistré par  un  de  ses  voisins ,  l'eût  sur-le-diamp  averti  de 
sa  faute.  « 

"^«  Ces  intéressants  néophytes  aiment  beaucoup  la  prière, 
et  eft  font  pour  ainsi  dire  leur  nourriture  quotidienne. 
Pour  les  pèr^  et  mères,  c'est  une  consolation  autant  qu'un 
devoir  d'en  inspirer  le  goût  à  leurs  «ifants,  et  plus  d'une 
fois  nous  avons  eu  occasion  de  juger  par  nous-mêmes  que 
leurs  peines  n'étaient  point  perdues,  que  la  semence  jetée 
clans  ces  jeunes  cœurs  tombaient  sur  une  bwme  terre. 
«  Vous  me  permettrez ,  en  terminant  celle  lettre ,  de 


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561 
Ttas  tt  dlêr  ta  «Kaoafie  aMre  nâle  dcmt  f II  M 
Un  s^  qoeje  ni*eittrete«ûs  avec  nos  faoBuoes  dans  fes- 
pèoe  de  «acris^  qui  bous  mmak  de  logement,  fentencfis 
kmt  à  ooap  uoeToix  dTe^Bt  qui  semUah  partir  ^a  lieu 
saint.  Il  était  environ  cKx  beores  et  demie  du  soir.  Cu- 
rieux de  savoir  ce  que  ee  poa?ait  être,  je  regarde  à  tra- 
irers  les  fentes  de  la  cioison ,  et  jHiperçois  deux  petitse»- 
GMitBqoi  paginaient  fifoir  de  Iwit  à  dSx  ans  ;  k  pliis  je«^ 
modescenent  agenoniHéenfMe  de  fautd,  fateait  sa  prière, 
tandis  que  Tantre,  ddHMH  i  iMé  de  loi ,  ^eibit  ice  qn^I 
$*aoqnt(tftt  bien  de  ee  de^mr  saoré.  La  prière  fine,  te  feone 
Mentor  bk  baiser  la  terre  à  son  peik  élève ,  faccowpagne 
jusqa'à  la  porte  de  la  diapeHe ,  fai  présente  de  l^eam  bé- 
Jiita  avant  de  le  laisser  sortir,  et  revient  ensuîie  se  mettre 
à  genoQx  près  da  sanctuaire  pour  y  continuer  sa  prière 
qui  dura  encore  assee  loi^mps;  après  quoi  il  se  retira 
poor  aller  prendre  son  sommeil ,  qui  dut  être  bien  doux 
après  une  telle  action*  kté  teluAant  spectacle ,  je  ne  pus 
retenir  mes  larmes  ;  le  souvenir  de  ces  deux  innocentes 
créatures  ne  pourra  plus  s^^oer  de  mon  esprit  ;  il  me 
semble  les  voir  encore ,  offirant  à  ce  Dieu,  qu'ils  ne  con- 
nûssaientque  depuis  quelques  jours,  Thommage  d'un  cœur 
pur  et  ingénu. 

«  Enfin ,  grAce  aux  diqpoations  extraordinaires  de  ces 
bons  Indiens ,  il  ne  reste  plus  dans  tonte  leur  peuplade 
que  trois  infidèles;  encore  donnent-ils  des  marques  d'une 
prochaine  conversion.  Tous  les  autres  sont  d'une  conduite 
irréprochaUe,  et  nous  font  espérer  que  tant  qu'ils  ne  com- 
muniqueront pas  avec  les  UÔnei ^  ils  seront  toujours  de 
fervents  chrétiens.  Les  progrès  qu'ils  ont  faits  dans  la  tem- 
pérance et  les  autres  vertus  sont  vraiment  surprenants, 
e»  enx-^némes  en  sont  étonnés  :  «  Que  nons  étions  mé- 
«  chants,  nous  disait  Tun  de  ces  sauvages,  avant  que 
«  MM.  Dumoulin  etJPaynnni  eiiçsent  pénétré  flans  nos 


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269 
«.  déiertsi  qoe  de  iHen  ib  ont  fût  li  notre  Ame,  et  que 
•  BOUS  nons  trouToas  diangés  aujoard'hui*  Ahl  mon  Père I 
«  remercie  nos  frères  les  haHiprianU  (les  Associés  de  h 
«  Propagation  de  la  Foi)  à  canae  des  nies  noirei  que 
c  nous  devons  à  leur  générosité.  » 

«  Tel  est ,  mon  révérend  Père,  le  peuple  béni  de  Dieu 
auquel  j'ai  été  ^voyé  cette  année.  J'aurais  vdontiers 
passé  le  reste  de  mes  jours  auprès  deoes  chers  néq>bytes; 
mais  le  temps  fixé  pour  notre  départ  était  venu.  Tous 
les  préparatib  de  voyage  étant  donc  faits ,  nous  nous  em- 
barquâmes de  nouveau  sur  le  Saint-Maurice,  et  quittâmes, 
nonsans  regret,  cette  terre  de  bénédictions  oà  le  Seigneur 
nous  avait  bit  trouver  une  moissim  si  abondante. 

«  J*aî  rhonneur  d*étre ,  mon  révérend  Père ,  avec  un 
profond  respect ,  votre  très-humble  et  très-obéissant  ser- 
viteur, 

«  A.  M.  BouRBAiSÂ,  0.  M.  /.  » 


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353 


Extrait  éCime  hêtre  du  rétéreni  Ptre  FùietU,  ONat  iê 
Marie  Immaculée,  au  rMrend  Pire  Çuiguei,  de  la 
même  Ccngréffaêim* 


Q«âceJed««&ilSI4. 


«  Mon  rév£r£Nd  Pèrb, 

«  Je  suis  de  retour  à  Québec  deptiis  hier,  et  je  m^em- 
presse  de  vous  rendre  compte  de  notre  Mission  chez  les 
sanyages  Montagnaie.  Noos  nous  embarquâmes ,  M.  Bon-* 
cher  et  moi»  le  16  mai i  sur  la  goélette  la  Loutre^  pour . 
parcourir  les  divers  postes  où  nous  devions  rencontrer  les 
sauvages.  Après  un  jour  de  navigation ,  nous  nous  trou- 
vions devant  Jaiousac ,  à  quarante  lieues  à  Test  de  Qué- 
bec; c'est  le  premier  établissement  français  au  Canada. 
Situé  à  la  jonction  de  la  rivière  du  Saguenay  avec  le  Saint- 
Laurent,  ce  poste  se  compose,  comme  les  autres  dont 
)'aurai  occasion  de  parler,  de  quatre  maisons  pour  les 
directeurs  et  les  employés  de  la  Compagnie ,  d'une  cha- 
pelle et  de  quelques  constructions  pour  servir  de  ma* 
gasins. 

«  Après  avoir  passé  deux  jours  à  Jadousae,  nous  nous* 
«tnbarquâmes  pour  continuer  notre  voyage ,  et  le  12  juin 
nous  toudiions  à  Mosquaro,  sans  avoir  rien  observé 
sur  noure  route  qui  mérite  d'être  signalé.  lÀ  devait  être 
le  terme  de  notre  course  apestdique;  c'est  àms  ce  poste 
9ie  nous  devions  trouver  les  sauvages  à  qui  nous  venions 
'  «M  Misuoii.  Ib  y  étaient  en  effet  réunis  efi  asses 

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3S4 

grand  nombre  depuis  phisieurs  jours*  Après  quelques 
heures  de  repos ,  nous  flmes  l'oirrerture  des  exercices  par 
k  ciiaM  du  Ftvi  Cvmâor.  Je  fasénu  jusqu'au  larmes» 
(gmnd  j'eptfifldi»  œ»  pawww»  Miittwm  de»  ferte  bbiob-  • 
ner  dans  leur  chflqpdle  celte  t#uaiMMe  prière.  L'Es- 
prit-Saint  écouta  CaiTorablement  leur  pieuse  invocation , 
car  tous  ces  Indiens  profitèrent  è  F^vi  de  ce  temps 
de  grâcesf  Ifii  ph»  jeuaet.  même  furent  entendus  en 
cenlession ,  et  plus  de  cent  en£uits  eurent  le  bonheur 
de  s'approdier  de  la  table  sainte.  Tous  les  sauvages  que 
BOUS  avons  rencontrés  dans  ces  vastes  régions ,  témoi- 
gnent un  respect  extraordinaire  pour  la  divine  Eudia- 
ristie  ;  il  faut  en  quelque  sorte  les  forcer  de  comsuinier, 
parce  qWilft  ne  se  CE^ieni;  jamais  assot  bien  pcépaféspour 
UM  si  grands  fiureur» 

«^  Je  dois.  ranfflNpnr  en  pKwaaf  qu^il  j  a  une  grands 
pureté  de  mœurs  chesB  ces  bdiens^  «mi  fois  qa'ita^SMit  coor 
vertis  ao  diristianisniu  La^phis  gnmde  nésme  nègiie  te«r 
jours  dans  leurscéuiûoDs  entre  les  perseAiwsde  diffiwent 
sexe.  S^Hsse  laissaittit  naguère  aitratn»  à.  toule  sorte  de 
vices  par  Tusage  immodéré  de»bMSOPS  eniviantei^  au- 
jourd'hui; qu'ils  ont  secoué  le  joug  de  cette  fimesie  pas- 
sion^ on  les  trouve  pleinà  de  zèle  pour  la  pratique  des  ver- 
tus^ et  de  générosité  dans  raecompUssement  de  leurs,  de- 
voirs rdigieux»  Ua  sauvngje,  sfadressant  à  monosofirère, 
hii  disait  un  jpur  :  «  Tiens,  quand  on  bavait»,  on  na  se 
«  souvenait  pas  de  tes  leçons  ;  mais  depuis  que  nous 
«  avons  cessé,,  tout  reste  làk  »  Et  il  montrait  son ooeur. 

«  Les  exercices  de  notre  Miasioa  terminés^,  il  fsUm 
nous  arracbar  du  nuUea  de  nos  néeph|rtok  Ce  fbc  we 
seène  bienattendrissanie  91e  odie  dademier  adieu.  Qa^A 
était  toudiaat.da  veut  ces  pa«iffefrm«yags»ieadaiit  es 
larmes  è  notre  départi  Notre  caM(.i^aît  d^  (ni  lekr 
dieux,  ^'ikétaient  enoore  mur  le  nvac^  iM  ]^  i 


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jssqu^à  ce  que  rétojjgaeiBent  mm  est  dérobétà  leur  ^ 

«  Ces  heureuses  cRqi^tioiiSy  mou  (èer  Père,  se  re- 
trouvent daus  les  dmérentes  tribus  que  nous  avons  vi- 
sitées. Je  ne  veux  pas  vous-  rapporter  les  ^détails  de  cha- 
que Mission  en  particulier,  paixe  qu'il  n'y  a  rien  eu  d'ex- 
traordinaire ,  si  ce  n'est  la  fervenr  qui  leur  était  commun» 
i  toutes  ;  je  me  contenterai  de  vous  dire  le  résultat  de  aos 
travaux*  Sur  six  cents  sauvages  environ  que  nous  avant 
rencontrés  dans  les  différents  postes,,  près  de  cent  cin- 
quante ont  en.  le  bonheur  de  communier,  les  uns  pour  la 
|remi^  fois,  les  antres  pour  la  seconde  ou  la  troisiène; 
irente-six  en&nts  ont  reçu  le  baptême,  et  quinze  nt- 
riages  ont  été  bénis  selon  le  rit  de  l'Eglise. 

«  Vous  savez  sans  doute  quels  sont  les  moyens  de  aid>- 
sistance  pour  ces  peuplades  :  la  chasse  et  la  pèche,  c^est 
là  toute  leur  ressource  et  leur  unique  industrie^  Aussi  les 
voyes-vous,  au  sortir  de  laMissioa,  se  répandre  damte 
bois  on  le  long  des  rivages  de  la  mer  :  ceux-ci  pour  sur- 
prendre le  loup  marin  dont  ib  tb*ent  une  huile  excellente, 
et  ceux-là  pour  tuer  le  castor  et  la  martre  dont  ils  vendeaf 
les  peaux  aux  agents  de  la  Compagnie,  en  échange  des 
«èjets  de  première  nécessité.  Malheur,  à  eux  quand  le  gi- 
bier et  le  poisson  viennent  à  mancpier  !  Ils  sont  exposés  à 
périr  misérablement  au  milieu  des  tourments  de  la  laim* 
Pariez-leur  de  cultiver  la  terre  pour  en  tirer  leur  subais^ 
tance ,  ik  ne  vous  écoutent  pas*  Dites-leur  de  faire  des 
provinons,  car  souvent  la  chasse,  étant  abondante,  9s 
pourraient  aisément  se  pourvohr  pour  des  temps  plus  mau- 
ves; ils  ne  eomprennent  pas  une  pareille  préeaoïion.  On 
sauvage  mange  et  dort  tant  qu'il  a  des  vivres  ;  après,  i 
recommence  la  chaeie  ou  la  pèche»  au  risque  de  jeâaar 
des  semaines  entières. 

«  Tels  sont  les  hommes  que  nous  aTons  visités,  et  encan 
ie  son^ôb  pas  les  pinsà  pîaindrel  car  eux  au  moinst 


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édaîrés  des  lumières  de  la  foi ,  quils  onl  eu  le  bonheur  de 
recevoir  depuis  plusieurs  années,  tandis  qu'un  grand  nom- 
bre de  leurs  frères,  répandus  dans  rintérieur  du  pays,  ne 
connaissent  pas  encore  le  vrai  Dieu.  J'ai  appris  dans  mou 
voyage  qu'à  cent  lieues  de  la  mer,  l'honorable  Compagnie 
de  la  Baie  d'Hudson  est  en  rapport  avec  des  sauvages  qui 
n'ont  jamais  été  évangélisés;  et  cependant ,  m'a-t-on  dit, 
ces  Indiens  sont  d'un  caractère  doux,  et  ils  accueilleraient 
volontiers  les  ouvriers  apostoliques. 

«  L'an  dernier  un  d'entre  eux ,  vieillard  octogénaire  ^ 
se  présenta  à  la  baie  de  Ha-Ha  où  réside  un  Missionnaire 
à  poste  fixe  ;  il  avoua  que  depuis  longtemps  il  désirait  ren* 
contrer  une  de  ces  robes  noires  dont  il  avait  autrefois  en- 
tendu parler,  afin  d'apprendre  la  véritable  prière  du 
Grand -Esprit,  Après  avoir  reçu  les  instructions  suffisan- 
tes, il  fut  baptisé,  et  le  lendemain  son  ûme  régénérée  par 
la  grâce  s'envolait  au  ciel.  Combien  d'autres  sauvages  au- 
raient le  même  bonheur,  si  des  Missionnaires  en  plus 
grand  nombre  pénétraient  dans  leurs  solitudes,  pour  y  por- 
ter la  bonne  nouvelle!  Il  en  serait  temps;  car  îî  est  à 
craindre  que  les  ministres  de  l'erreur  ne  nous  devancent 
auprès  des  Nascapis ,  comme  malheureusement  ils  l'ont 
déjà  fait  auprès  des  Petits-Esquimaux  ^  qui  ont  été  en- 
doctrinés par  les  frères  Moraves.  Espérons  que  Dieu  fa*a 
éclater  enfin  sa  miséricorde  sur  ces  peuplades  abandon- 
nées ,  et  qu'il  enverra  des  apôtres  pour  leur  rompre  le 
pain  de  la  divine  parole. 

«  Je  suis ,  njop  révérend  Père ,  votre  tout  dévoué ,  etc. 

-^Uèr»i  jI}  OfS\MiLl  ItC  ,  p,  FlSSETTE  ,  (7.  M.  L  »    ^^ 

eîii 


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Extrait  d'une  lettre  duR.  P.  Laverlochére,  Ohlat  de  Marie 
Immaculée,  au  R.  P.  Guisues,  Fisiieur  général  de$ 
Missions  du  Canada. 


Lac  des  Deux-Montagoes ,  25^aoùt  ISii. 


c  Mon  RivéREicD  Pbke  , 

«  Après  trois  mois  d'absence,  nous  sommes  revenus, 
hier  au  soir,  sains  et  saufe  an  lac  des  Deux-Montagnes» 
Des  drconstances  imprévues  noos  y  retiendront  quelques 
jours.  Je  vais  donc  profiter  de  ce  repos  forcé  pour  résu- 
mer Pensemble  de  nos  courses  apostoliques ,  et  vous  édi- 
fier de  leurs  résultats  sur  les  tribus  sauvages  que  nous 
avons  visitées. 

c  €e  fot  le  14  mai  que  nous  partîmes  de  Monâ*éal, 
M.Moreau  et  moi,  après  avoir  offert  le  saint  Sacrifice 
pour  le  succès  de  notre  entreprise.  Dieu  nous  fit  corn- 
prencfre,  dès  le  début,  qu'il  la  bénirait.  Arrivés^  le  30 , 
au  fort  William  situé  à  quatre-vingt-cinq  lieues  de  Mont» 
réil ,  nous  trouvâmes  une  quinzaine  de  fomilles  indiennes 
qui  nous  attendaient  avec  impatience.  Nous  les  réimlmes  le 
aorméme  sous  une  sorte  de  hangar,  que  la  Compagnie  de 
la  Baie  d'Hudson)iOtts  avait  offert  pour  y  accomplir  les  exet- 
ciees  religieux.  Presque  tous  ces  sauvages  ont  eu  le  boa- 
heur  de  s'approcber  de  la  sainte  tiMe,  presque  tout  aussi 
out  voulu  s'enrôler  dans  la  société  de  tempérance;  afvir 
Tov.  xvn.  100.  17 

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268 
es  fttoir  pris  l'engagement  entre  les  mains  de  M*  Moreau, 
ils  sont  allés  notifier  leur  résolution  au  principal  commis 
du  poste.  «  Il  imporle ,  lui  ont-ils  dit ,  que  tu  saches  ce 
m  que  nous  venons  de  faire  :  nous  venons  de  promettre 
«  au  Grand-Esprit ,  en  présence  de  nos  Pères  les  robes 
m  noires,  de  ne  rien  boire  désormais  qui  fasse  de  nous 
m  d'indignes  priarUs  (chrétiens)  ;  si  donc  tu  t'avisais  de 
m  nous  ofinr  encore  de  la  liqueur  de  feu  (du  rhum)  tu 
m  sauras  que  nous  la  refuserons*  » 

«  Nous  ne  passâmes  que  six  jours  au  milieu  de  ces  fer- 
wnts  néophytes,  tant  leurs  bonnes  dispositions  avaient 
abrégé  notre  travail  l  Le  15  juin^  et  toujours  en  remontant 
rOttawa  qui  prend ,  ù  quelque  distance  du  fort  William , 
le  nom  de  Riviêre-Creusej  à  cause  de  là  hauteur  et  de  la 
proiûmité  de  ses  deux  rives ,  nous  arrivâmes  en  vue  de  Té- 
iqH&anûng.  A  mesure  que  nous  avancions,  oMS  aper- 
cevions les  cabanes  des  sauvages  dispersée  çà  et  là  wir  les 
b^rds  dm  Qeuve,  puis  enfei  les  sauvi^fes  eux-mêmes  qui 
■«us  attendaient  au  nombre  d'environ  ipois  oonts.  Ajaqsî* 
tAtaprès  que  [nous  eûmes  salué  les  employés  du  posie, 
MUS  nous  nilmes  en  devoir  de  visiter  atiiasi  m»  ladio^ 
dtms  leurs  propres  habitations  :  c'est  le  seul  moyen  de 
xakifire  en  eux  une  certaine  timidité  qui  les  empécbeiait 
4e  ^enir  à  nous,  malgré  Tardent  désir  qu'ils  en  Couvent. 
Dès  Get(e  furemière  entrevue,  il  ne  me  £a;i  pas  difficile  de 
dasonguer  nos  chréliensjdes  infidèles  ;  je  les  reconnaissais 
naa  seulement  à  leur  modestie  et  à  leur  aSsibailé ,  mais 
t  à  la  propreté  et  à  la  décence  d^  lears  vêtements. 

m  Le  soir,  nous  fîmes  l'ouverture  de  la  Mission  fMr  1» 
^dtt  Fmi  Creaiarj  qui  fut  suivi  de  la  prièro  et  da 
qwlqttes  cantiques  traduits  en  langue  îadieDne.  La  musiqud 
ptate  singatièrameiit  aux  sanvtges;  ils  dumieiit  nuit  ec 
jMT,  ee  je  suis  oonvsmicn  qu'un  des  meaUmm  moyeas  do 
teifKtruire  ppomptemeat ,  serait  de  conposer  en  vers  M 


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2S9 

abrégé  des  vérités  de  h  ReUgion  tjm  pèt  leur  servir  de  ea« 
tédnsme*  Rien  de  plus  édifiant  que  la  piété  et  lé  recueiDe- 
ment  qu'ils  apportaient  au  tribunal  de  la  péliitenoe  ;  qud- 
qiefois  ik  passaient  des  journées  enti^^  agenouHIés  ou 
assis  à  la  porte  de  la  diapelle,  en  attendant  que  leur  tour 
arririt  ;  exposés  durant  tout  ce  temps  aux  injures  de  Tair, 
ils  ne  se  faussaient  ni  distraire  par  aucun  objet  extérieur,  ^ 
ni  vaincre  par  la  kim ,  eux  natureBemeiit  m  curies  et  si 
fortement  deninés  par  la  soisualité. 

«  M.  Iforeau  s'occuppait  spécialement  des  dirétiens  ; 
pour  moi ,  je  donnais  mes  soins  aux  sauvages  encore  infi- 
dèles, que  je  réunissais  à  part  afiii  de  leur  apprendre  les 
prières  et  las  premiers  éléments  de  la  Religion^  Ik  me  strt- 
vaiaitpareottt,  et  j'étab  heureux  de  cet  empressement, 
parce  que  je  pouvais  plus  aisément  converser  avec  eux ,  et 
leur  faire  répéter  phis  souvent  ce  que  je  voulais  graver 
dans  leur  mémoire.  J'employais  aussi  quekpies  moments  de 
loiâr  à  leur  dresser  une  espèce  de  calendrier,  dans  lequel 
je  marquais  par  des  signes  symboHque»  ks  jours  de  di- 
mandie  et  de  ftte  ;  ainsi,  par  exeaq^,  le  jotur  de  TËpi- 
piame  écak  ëésigué  par  une  étoile,  k  Fète^iw  par  un 
ostmsair,  la^wteeAte  par  une  colondie ,  etc. 

«  Qaiiqu*il  f  «AC  <»core  beftueeup  à  £aûre  dans  ce 
poste,  MBS dAuMsaoaferatt départ;  ms  sauvages  çom- 
mençttent  k  mimqner  eMèremeat  de  nourriture^  JSous 
leur  dbtrilmibièsoe  qui  nous  restait  de  provisions  ;  mais 
qt'élait-oe  que  odaj[)our  une  troupe  de  trois  cents  £unc- 
liquaP 

«  Le  l*'  juitie^  après  avoir  offi^t^ascore  une  fois  l'adora- 
Me  vidiflie  pour  ces  chers  néofAytes^  et  leur  avoir  adressé 
nosderaiènes  recoaunandations,  nous  nous  éloignons  de  la 
cfa4)eile.  La  foule  bous  suit  tristement  vers  le  bord  du  lac  : 
IsaiMB  versevi  des  larmes  ;  les  auures  prient  ;  ceux-ci  nous 
conjura  im^jjBirtfut  de  prolonger  encore  notre  séjour 

iT. 

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26« 
parmi  eux  :  «  Nous  avons  d^à  betucoiy  jeftné ,  disaient 
«  ces  braves  gens  ;  mais  nous  saurons  jeàner'enoore  si  vous 
«  restez  quelques  jours  de  plus  avec  nous.  »  Au  moment 
de  quitter  le  rivage,  il  nous  Ëdlut  donner  la  main  à  tous* 
encourager  les  hommes,  consoler  les  femmes  et  bé4iir  les 
eofonts.  Cependant  une  cinquantaine  de  chasseurs,  rarme 
au  bras,  se  tenaient  sur  deux  rangs,  et  dès  que  notre  ca- 
not eut  levé  Tancre,  une  détonnatkm  de  cinquante  coups 
de  fusil  annonça  que  nous  quittions  Témiskammg.  | 

«  Ce  jour-là  le  vent  nous  était  contraire,  et  malgré  tous 
nos  efforts^  nous  ne  pAmes  nous  rendre  qu'à  deux  lieues 
du  poste,.  Le  lendranain  nous  atteignîmes  les  ^ntiue-Ar- 
tage$^  ainsi  appelés  à  cause  de  quinze  rofiies  assez  rap- 
prochés les  uns  des  autres,  où  Ton  est  obligé  de  porter,  à 
travers  les  bois,  bagage,  provisions  et  même  le  canot. 
Nouç  r«içonirâme§  çp?uiiç  ui)  g,-4ûd  lac  dont  les  bords 
%m\ ,  dk-on ,  visités  en  Wver  par  des  légions  d'ours.  En- 
fin ,  le  9  juillet ,  vers  les  neuf  heures  du  matin ,  nous  dé- 
couvrîmes devant  nous  le  fort  tfAbbilibbi,  qui  semblait 
s'élever  du  sein  des  eaux ,  tant  est  basse  la  pointe  sur  ta- 
qoetle  il  est  bâti.  A  notre  arrivée ,  nous  pûmes  fiMJlemept 
remarquer  une  grande  diffièrence  entre  les  sauvages  de  ce 
poste  etceuxdes  forts  Wffliam  et  Tànîfliomîng;  car  quoi- 
qtfils  fussent  près  d'une  centaine  réunis  <knsoe  moment,  à 
peine  y  en  eut-îl  quelques-uns,  déjà  chrétiens,  qui  vinrent 
^ous  saluer.  Quant  aux  infidèles,  ils  semblaient  nous  fuir; 
ce  ne  fut  qu'au  bout  de  trois  jours,  et  après  que  nous 
leur  eûmes  fait  nous-mêmes  plusieurs  visites  dans  k«r$ 
cabanes,  causant  familièrement  avec  eux  et  caressant  leurs 
enfants ,  qu'ils  commencèrent  à  s'apprivoiser  et  à  se  r»- 
dre  aux  exercices.  Ces  Indiens ,  généralement  plus  gros- 
siers que  ceux  de  l'Ottawa,  sont  tous  d'une  voracité  in- 
croyable ,  ils  mangent  ou  plutôt  ils  dévorent  du  matin  au 
soir  ime  quantité  énorme  de  viandes  et  de  poissons. 


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261 

«  L^accueil  que  nous  avions  reçu  ne  nous  promettait 
pas  de  la  part  des  Abbitibbes  un  concours  bien  empressé. 
Heureusement,  Tarrivée  d'une  quinzaine  de  sauvages  de 
Témiskaming  qui  venaient  de  Moose,  fut  pour  la  peuplade 
une  vraie  bénédiction]du  ciel  ;  comme  ils  devaient  repartir 
le  lendemain,  ces  fervents  néophytes  voulurent  tous  se  con- 
fessar,  et  il  fallut  passer  une  grande  partie  de  la  nuit  k 
les  entendre.  Avant  de  s'embarquer^  ils  assistèrent  tous  à 
la  Messe  avec  un  recueillement  admirable*  «  Voilà  une 
«  troupe  de  saints ,  me  dit  un  Canadien  qui  voyageait 
«  avec  eux;  nuit  et  jour  ils  prient  ou  ils  chantent  les 
«  louanges  de  Dieu.  »  Leur  exemple  produisit  sur  oeux 
d'Abtntibbi  un  changement  sensible.  Dès  ce  moment» 
nous  eûmes  la  consolation  de  les  voir  plus  assidus  à  tous 
les  exercices,  et  correspondre  à  nos  soins  avec  une  fidé- 
lité parfaite. 

«  J'ai  hâte  de  le  dire,  mon  révérend  Père,  s'il  reste  en- 
core dans  ce  poste  plus  d'une  âme  infidèle  dont  nous 
avons  à  déplorer  le  malheureux  état^  il  y  en  a  aussi  un 
grand  nombre  qui  déjà  font  la  gloire  de  la  Religion  et 
Tédification  de  leurs  compatriotes.  Là ,  comme  dans  les 
autres  stations ,  on  trouve  chez  les  nouveaux  du*étiens  des 
vertus  qu'on  ne  rencontre  plus  guère  ailleurs.  Ils  sont 
surtout  fortement  pénétrés  de  la  pensée  des  biens  étemels  ; 
l'espérance  d'une  autre  vie  leur  fait  endurer  avec  beau- 
coup de  patience ,  et  quelquefois  avec  joie ,  la  faim ,  le 
froid  et  tous  les  genres  de  maux  auxquels  ils  sont  expo- 
sés. «Pauvres  enfonts,  leur  disait  un  jour  M.  Moreau, 
«  vous  êtes  bien  malheureux  ici-bas  ;  je  suis  vivement 
«  touché  de  vos  misères.  —  Gila  est  vrai ,  mon  Père , 
«  répondit  une  pauvre  veuve ,  dont  la  fille  est  depuis 
«  longtemps  malade  ;  quelquefois  je  suis  tentée  de  me 
«  décourager  et  de  céder  aux  murmures  ;  mais  aussitôt 
«  je  me  dis  :  Eh  quoi  I  je  perdrais  confiance  en  celui  qui 


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963 

«  a  iant  souff^rrpour  me  gagner  le  ciel  ^  ei  qui  me  ré 
«  compensera  de  tout  ce  que  j*endure  pour  son  amour  ! 
«  celte  pensée  me  console,  ei  je  prie  ;  et  quand  j'ai  prié, 
<c  je  ne  sens  plus  mes  peines.  » 

«  Ces  bons  néophytes  se  laissent-ils  aller  à  quelque  faute, 
ils  tombent  aussitôt  à  genoux ,  et  ib  disent  :  Tebmùmién 
H  ki  nikim  chawenimichim  Kas$ia  mawickm  :  O  toi, 
mon  Maître ,  qui  as  été  bUssé  pour  moi^  prendê  pitié  de 
moi  et  pardonne  ma  faute.  Le  récit  qu'on  leur  feraîl 
de  la  pénitence  des  solitaires  et  de  la  pauvreté  des  religieux, 
ne  produirait  sur  eux  aucune  impressicm  ;  car  b  vie  qu'ils 
mènent  est  bien  plus  dure,  et  ils  ne  possèdent  pas  une  obo)e 
sous  le  soleil.  Leur  parle-t-on  de  la  beauté  des  grandes 
villes,  et  des  avantages  que  procurent  les  arts  et  Tindustrie 
aux  peuples  civiIisés,Hls  ne  témoignent  quede  rindifférenoe; 
mais  ils  se  montrent  enchantés  si  on  leur  décrit  la  magni* 
ficence  de  nos  églises ,  la  majesté  de  nos  cérémonies  et 
Téclat  de  nos  solennités  religieuses.  Poussant  alors  un 
soupir ,  ils  s'écrient  :  «  Oh  !  qu'ils  sont  heureux  ]es priants 
«  du  grand  village  (Montréal)  l  Que  n'avons-nous  de 
«  pareilles  cabanes  pour  la  prière  !  Si  nous  pouvions  imi- 
«  ter  les  priants  de  là-bas,  dont  tu  nous  parles  sou- 
«  vent!  » 

«  Du  lac  Âbbitibbi  nous  reprimes  en  toute  bsite  notre 
direction  vers  TOttawa.  Nous  suivîmes  ensuite  le  cours  de 
cette  rivière  jusqu'au  Grand-Lac ,  à  travers  beaucoup  die 
difficultés  et  même  quelques  accidents;  car  il  fallut  fraa- 
chir  plusieurs  porraflfe*  pénibles  et  des  rapides  dangereux. 
Ce  que  nous  avions  craint  était  arrivé  :  lessauvagesaui^- 
quels  nous  avions  donné  rendez-vols  ne  pouvant  nous 
attendre  plus  longtemps  à  ce  poste,  faute  de  provisions, 
s'étaient  déjà  retirés  dans  leurs  terres  de  chasse;  il  ne 
restait  plus  que  cinq  ou  six  Ëimilles.  M,  Ittoreau  baptisa 
une  jeune  fille  qui  se  mourait;  j'entendis  quelques  oon- 


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9*3 
ib^ions;  [^dprès  quoi   nous  partîmes  pour  Kanikevm^ 
nai&k. 

«  Noos  y  troavâmes  huit  familles  indiennes.  De  ce  noffri> 
bre  était  celle  du  grand  chef  Kitié  o  Kima ,  qui ,  (^Mé 
gn  observation  sur  un  petit  monticule,  nous  regardât 
Tenir*  A  pe^e  étions*nous  débarqué,  quUl  fut  auprès  A 
BOUS.  Ce  Saehem  était  vêtu  tout  eu  rouge  ;  il  porOH  i 
son  cou  trois  petits  médaillons  à  Teffigie  du  dernier  rtk 
d^AngletaTe ,  de  la  rehie  actuelle  Victoria  et  du  goufwr^ 
ncur  du  Canada',  et,  de  plus,  un  gros  collier  de  perles, 
un  chapelet  et  une  médaille  de  rimmaculée  Conceptel 
de  BIftrie.  Les  quatre  premiers  objets  ne  décorât  ra  pti- 
trin^  qu'aux  jottrs  de  paarade  ;  quant  au  chapelet  et  à  là 
médaille,  il  ne  les  quitte  jamais. 

«  Kitié  o  Kima  était  accompagné  d'un  chef  suballerttë: 
Après  qu'ils  nous  eurent  tous  les  deux  donné  la  main,  iè 
premier  nous  adressa  ces  psu^oles  :  «Vous  êtes  salués^ 
«  nous,  nos  Pères  les  rches  noires.  Avec  quelle  impatience 
«  nous  désirions  voire  arrivée  I  plusieurs  familles  de  fltt 
«  tribu  sont  retournées  dans  leurs  terres ,  quoi  que  j'aie 
«  fait  pour  les  retenir  encore  :  c'est  qu'elles  jeûnaient  de- 
«  puis  plusieurs  jours  ;  et  moi  je  jeûnais  aussi ,  mais  fàk 
«  voulu  vous  attendre.  Nous  ne  serons  pas  seuls  :  il  vies- 
c  dra  bienldt  d'autres  indiens ,  quand  ils  sauront  l'ârxiiée 
«  des  robes  noires.  » 

c  En  effet,  les  jours  suivants,  il  arriva  une  dizaine 
de  familles;  nous  avions  en  tout,  y  compris  les  enlbfilB» 
environ  soixante  personnes.  Nous  arrangeâmes  sans  àëm 
h  cabane  qu'on  avait  dressée  l'an  dernier  pour  les  es»- 
dces  de  la  Mission ,  et  nous  y  plaçâmes  une  table  qui  aflat 
servit  d'autel.  Par  malheur,  dès  le  lendemain ,  M.  Msattm 
tomba  malade  d'un  excès  de  &Ugue.  Au  cinquième  joar« 
cependant,  il  put  reparaître  au  milieu  des  sauvages ^  «t 
leur  adresser  quelques  instructions,  ce  qui  les  rempËtêê 


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364 
joie.  Ces  néophytes  sentaient  que  nous  avions  peu  de  forces 
et  peu  de  temps  à  leur  donner;  et  ils  tâchaient  d*y  suppléer 
par  l'empressement  et  le  z^e  :  nous  devons  dire  qu'ils  ont 
profité  de  nos  soins  au  delà  de  toute  espérance. 

«  A  notre  retour,  nous  aurions  volontiers  passé  quel- 
que tanps  à  Bytown,  mon  compagnon  et  moi  ;  mais  des 
paires  importantes  nous  appelant  au  lac  des  Deux-Monr 
tagnes ,  nous  partîmes  le  lendemain  pour  ce  poste  où  nous 
avons  reçu ,  de  la  part  des  MM.  de  Saint-Sulpice,  un  ac- 
cueil bien  propre  à  nous  faire  oublier  les  peines  et  les  fa- 
tigues de  notre  long  voyage. 

«  Je  ne  veux  point  finir  cette  lettre ,  mon  révérend 
Père^  sans  remplir  un  devoir  de  reconnaissance  envers  les 
agents  de  Phonorable  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson; 
dans  tous  les  postes  que  nous  avons  visités ,  ces  Messieurs 
ont  eu  pour  [nous  toute  sorte  d'égards ,  et  nous  ont 
traités  avec  cette  distinction  et  cette  noble^Ubéralité  qui 
les  canKîtérisent.     ^ 

«  Agi'éez,  mon  révà*end  Père ,  etc. 

«  J.  N.  Laverlochère,  MisSn  0.  M.  /.  »     » 


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296 


BxIraU  d*une  lettre  transmise  au  Conseil  central  de  Lyont 
par  Mgr  VEvéque  de  Montréal. 


HinioD  dM  TowMibps  de  l'Eit,  18U. 


Messieurs  , 


«  Je  me  conforme  à  vos  désirs  en  donnant  quelqaesdé- 
taiksur  l'état  de  cetteMission,  qui  a  pris  un  aspect  si  con- 
solant, depuis  surtout  qu'elle  a  reçu  la  visite  de  son  pre- 
mier Pasteur.  Ce  qui  m'a  le  plus  frappé  dans  les  Totm- 
skips  de.FBst»  c'est  raccroissement  rapide  des  catholiques, 
c'est  le  respect  des  protestantsen  général  pour  eux  et  pour 
kirs  prêtres ,  et  par  ooatre-ooup  le  discrédit  des  minis- 
tres, de  ceux  surtout  qui  sont  le  plus  hostiles  à  notoe 
«aiiite  Bi^gioii. 

«  En  effet,  si  Ton  compare  les  anciennes  statisticpies 
avec  le  dernier  recensement,  on  se  convaincra  qu'il  y  a 
en  notre  Ëiveur  augmentation  de  plus  du  double.  Aussi, 
les  Américains  eux-mêmes  en  font-ib  la  remarcjue  : 
«  Comme  votre  Eglise  grandit  1  nous  disent-ils.  »  Pour- 
quoi ce  changement  qui  nous  étonneP  D'où  sont  venus 
tous  ces  enfants  à  celle  qui  semblait  stérile? —  Pourquoi  ? 
les  Missionnaires  que  Safîrandeur  a  envoyées  parcourir  ce 


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366 

champ  désert,  ont  soaflDé,  et  bien  des  ossements  arides 
se  sont  ranimés  à  leur  toix.  U  y  avait  des  catholiques  ca- 
chés, qai  relaient  à  peine  par  le  souvenir  de  leur  enfiuMe; 
ils  avaient  fléchi  le  genou  devant  Baal ,  ils  rougêsaient  du 
plus  beau  de  leurs  titres  :  la  prédication  les  a  rappdés  à 
leur  devoir,  et  ils  se  sont  montrés  enfin  tels  qu'ils  étaient, 
tels  qu'ils  auraient  dû  toujours  paraître. 

«  Plusieurs  d'entre  eux  avaient  même  abandonné  la 
foi  de  leurs  pères ,  parce  qu'on  les  entretenait  dans  l'idée 
que  jamais  ils  n'en  entendraient  plus  parler  :  ils  ont  été, 
à  leur  grande  joie,  convaincus  du  contraire  ;  aussi  i 
chaque  Mission  avons-nous  à  enregistrer  quelques  re- 
tours. 

* 

«  D'un  autre  côté  ceux  de  nos  firères  qui  sont  disper- 
sés, sans  temple,  sans  autels  et  sans  prêtres  dans  les  Etats- 
Unis,  viennent  aussi  se  fixer  dans  cette  partie  du  Canada, 
attirés  par  l'espoir  des  secours  religieux.  Il  est  certain  que 
pour  un  grand  nombre  de  familles ,  la  cessatioB  des  IWb* 
sions  serait  le  signal  du  départ.  Un  jour,  nous  rencontroM 
un  Canadien  qui  déménageait.  —  «  Pourquoi  partir,  non 
«  anil  — Que  vouies-vous  que  je  fusse  ici  sans  préMf 
«  Je  ne  veux  pas  vivre  comme  un  païen.  —  Comeieiil 
c  donc? — Ibis  on  m^  dit  qM.  vous  ne  reviendriez  ptae^ 
«  et  j'ai  démonté  ma  maison.  —  Alors,  vous  pouvee  la 
«  remonter,  car  vous  aurex  toiiyours  des  Missionnaôres.  » 
Et  il  s'en  retourna  content.  Des  faits  semblables  se  («6- 
sentent  tous  les  jours.  Cela  prouve  combien  avait  raison 
ce  membre  du  Pariemeni  anglais,  qui  disait  que  le  sari 
moyen  de  coloniser  les  Towmihps,  était  d'y  bâtir  des 
églises  catholicpies,  et  qui  engageait  le  gouvernement  à 
en  faire  la  d^p«D8e# . 

«  Néamsrini  cette  partie  du  psjs  est  encore  en  majo^ 

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»7 

liié  protailMito.  QatMm  ea  sont  les  iqbsods?  O»  pré-  ^ 
tead  que  la  Grande-Bretagne,  par  soite  d'une  déiance 
iojuate  envers  les  Franca-Canadio»,  à  qui  deux  fois  die 
a  dà  la  cons^rvalion  de  cette  colonie,  a  voula  les  en- 
tourer d'une  ceinture  anglaise,  que  pour  cela  die  y  a 
domé  asile  i  des  Loyalietes  aoiéricains ,  ei  ensuite  y  a 
Yersé  le  surplus  de  sa  population.  Lai^e  anglaise,  rdi- 
gien  protestait,  pays  montagneux,  il  n'en  fidlaic  pas 
tant  pour  éloigner  le  Canadien  des  TmMuihpt^  surtout 
quand  il  s'agissait,  pour  aller  s'y  fixer,  de  quitter  sa  grande 
rivière  qui  est  son  orgueil  et  sa  vie. 

«  Htds  il  ftttfinit  de  éoo  amour  peur  son  doeber  et 
peur  la.maisoaottil  a  pns  naisHuu».  L'Américain  n^apas 
et  fidDiHe;  sa  patrie  est  le  lieu  où  il  peut  foire  une  for- 
tune rapide.  Pour  le  Canadien  c'est  dÛRSrent  ;  il  sera  in- 
tnépkie  TOyagear  tant  que  vous  vradnez;  vous  l'emmènerez 
jusqu'au  détroit  de  Bérbing  j  mm  ne  lui  erietrez  pas  Tes- 
pérancede  revenir  au  foyer  paternel.  Autrement,  comment 
pottvndthil  se  readre àla  taUe  coramone,  où  tous  les  en- 
iurn,  qsd  que  soit  leur  Age,  doivent  venir  s'asseoira  la 
«mveHe  année,  après  avoir  reçu  la  bénédiction  du  chef 
de  fanuUa?  Usage  tonehinl  et  pairismal  auqud  tout  Ca- 
mdiea  se  ferak  un  scrqpple  de  déroger  1 

«  Dpos  oeadcmiers  tvnps,  les  trodUes  politiques  joints 
an  amées  de  disiKc,  oot  détemné  une  émigration 
pbtt  oonsidénMa;  il  a  bien  foUu  quitter  le  pays  natal; 
nais  il  était  trop  tard.  Qaelqaes  OMioea  piua  tétoneèt  pu 
être  propriéiaire  iwlépaidiutt  sur  les  terres  oà  Ton  con- 
sentait às^enlcr;  joaûntcMiBi  on  eara  journalier  et  nadanft. 
Ha  là  leirisie  ém  dee  Miiaew  canadisnnes  dans  ks 
IVwmi'ifi  de  TBat^  tans  que  la  IVo|n«atîa»4e  la  Féi  n'^ 
pu  dernier  les  moyens  d^y  pourvoir.  Des  gens  qui  étaient 


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268 
allés  y  diercber  un  morceau  de  pain,  étaiait  km  de  pou- 
voir bâtir  des  églises ,  les  orner  et  soutenir  des  prêtres  ; 
rOSuvre  a  dû  faire  toutes  les  dépenses.  II  est  bien  néces- 
saire que  ses  secours  soient  continués  et  augmentés  même 
pendant  quelque  temps.  Alors  les  pauvres  catholiques , 
sûrs  de  trouver  des  Missiimnaires ,  accourront  en  foule  au- 
près d'eux  pour  y  recevonr  les  consolations  de  la  Religion, 
ou  pour  s'y  fixer  détinidvement  loin  de  toutes  les  séduc- 
tions de  Thérésie ,  et  ainsi  se  formeront  des  paroisses  qui 
poiûTont  un  jour  se  suflire  à  elles-mêmes. 

«  Maintenant  veut-on  avoir  une  idée  de  la  manière 
dont  s'exerce  le  ministère  dans  ces  ècmtréesP  En  été,  il 
n'y  a  rien  de  bien  saillant  :  deux  Mis^nnaires,  un  pour 
chaque  langue,  partent  munis  de  tout  ce  qui  est  nécessaire 
pour  dire  la  Messe  ;  ib  stationnent  phis  ou  moins  long- 
temps dans  chaque  poste ,  et  reviennent  après  une  tour- 
née de  cinq  ou  six  semaines. 

«  Mais  en  hiver,  c'est  un  peu  plus  accidenté  :  voyagm* 
par  25  ou  30  degrés  Réaumur,  en  voiture  décoKvene,  ne 
paraît  pas  trop  réchauffiuit  au  premier  abord.  C^peâdamt 
rien  de  ph»  dâideux.  Vous  avez  vu  quelquefois ,  au 
moins  en  peinture ,  ces  gentils  petits  Lapons,  traînés  pm* 
des  rennes  aussi  rapides  que  le  vent;  à  la  place  du  renne, 
mettez  un  petit  dieval  du  pays  qui  lutterait  presque  avec 
lui  de  vitesse,  exce^  dans  nos  numugnes,  et  vous  aurez 
le  voyageur  canadien  à  travers  les  nages.  On  l'encapu- 
chonnc  bi^  ;  deux  ou  trois  manteaux  ,  une  peau  d^ours 
quand  on  l'a,  deux  ou  trds  paires  de  chaussures  «pii  dé- 
passent le  gencm ,  ne  sont  pas  de  trop;  on  met  sur  la  tête 
une  grosse  casquette  en  fourrure ,  appdée  cascpie,  sans 
dottteàomsedesaforme^deaoDvdume,  et  par-dessus 
le  casque  un  bon  capw^on,  partie  obligée  du  costume 


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269 

d'hiver.  Puis  un  diAle  eiiYelopi)e  le  cou ,  le  menion ,  la 
bouche  et  souvent  le  nez  ;  de  sorte  qu'il  ne  parait  que  1^ 
yeux  ;  encore  si  on  n'est  pas  curieux,  et  qu'il  poudre (1), 
on  fera  fort  bien  d'abattre  sa  visière.  Il  est  même  des 
personnes  qui  portent  des  masques. 

«  Boni  nous  voilà  partis  ;  nous  aHons  voler.  —  Pas 
rite  :  une  rencontre  I  Quand  le  chemin  n'est  pas  plus  large 
que  la  voiture^  et  qu'à  côté  il  y  a  quatre  ou  cinq  pieds  de 
neige  molle ,  une  rencontre  c'est  la  croix  des  courses  d'hi- 
ver. Alors  il  faut  patauger  là  dedans^  hommes  et  che- 
vaux ;  heureux  quand  vous  ne  tournez  pas  sens  dessus 
dessous. 

«  Mais  nous  ne  rencontrons  plus  personne;  tout  va 
bi^  all^  au  moins  cette  fois.  —  Attendez  ;  voilà  devant 
vous  de  lourds  attelages  qui  font  une  lieue  en  deux  heures; 
quand  vmis  en  feriez  six  dans  le  même  espace  de  temps^ 
il  Êiudra  que  vous  preniez  patience  jusqu'à  ce  qu'il  plaise 
anx  diemins  de  s'élai^  ;  en  attendant ,  vous  languirez 
une  demi-journée  à  la  suite  de  ces  voilures. 

«  Enfin  les  voilk  passéesl  nouvd  obstacle  :  cfesi un  lac 
qsi  TOUS  barre  le  passage;  on  ne  le  traverse  plus  en  ba- 
team,  mais  il  n'est  pas  certain  que,  sur  cette  glace  douteuse, 
on  poisse  le  frandiir  en  voiture.  Il  n'y  a  pourtant  pan 


(1)  «  Je  dosie^que  tom  tmatiec  te  mot  daas  veCre  Dietiomire. 
Tons  ^MUMkicf  leTCBt  brftUatdvdéiert ,  les  siUet  qv*il  faH  toarbiUoii- 
■er  ;  nettei  4  la  place  m^  Teat  glacial  et  âne  neige  extrêmement  fine,  qui 
pénètre  partout ,  et  tous  ares  ne  idée  de  la  fouànrU. 

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270 
d'aulre  mojm*  En  avait  donc  I  Covetté  co^er.  Quels  cm- 
qnemeiitsl  mums-aous;  il  n'est  pas  bon  de  bwe  à  la 
glaoe  en  ce  temps-d.  Et  poortant  je  connais  qodqu'un 
qui,  au  mois  de  janyier,  a  vu  loi  manquer  ce  plancher 
trompeur,  et  sa  voiture  se  changer  en  bateau  ;  il  est  resté 
là  demi-heure ,  et  peut-être  y  serait-il  encore  si  une  main 
charitable  n'était  vewe  l'en  tirer. 


MANIEMENTS  Ef  N0UVHLL2S. 


La  main  des  Evéques  ne  cesse  pas  de  nous  bénir. 
Mgr  de  Lvçon  ^,  à  difirentes  époqutt,  avûtdi^  i«- 
commandé  l'Œuvre  à  son  dergé  par  ^patre  eiroslairèa 
spéciales ,  vient  encore  d'en  feire  Tobjet  d'un  nouveau 
Mandement  adressé  à  tousses  fidèles;  Nosseigneurs  de 
Troyes  et  de  Gap  ont  voulu  signaler  leur  entrée  dans  ces 
diocèses,  par  des  paroles  d'cnconragement  pow  l'Associar 
tion.  A  ces  augustes  suffrages  nous  sonunes  heureux  de 
joÎMhre  œox  deNesseigneurs  les  AnBhavéfOâS  d'Avignon 
«l  de  Novarre  (Piémont),  des  Evéques  d^AIbe  ^émom),  ' 
de  Massa  (Mod^e),  de  Périgueos^  de  Yerdiuit  dfî  ff^W 


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cl  ds  Valence  ;  Hgr  RidÉaixl-PMriA  SoOih,  Mqae 
dtNyvpe,  vicaire  aposudiqoe  des  Antaies  anglaises  ec 
«laioises,  a  daigné  publier  aussi  dans  le  néme  sens  une 
faHmclicMi  pastorale.  AinsirŒuvre  se soutieitt et  poursuit  ' 
saaission,  aj^yée  sur  la  reoonnaissanee*des chrétientés 
UntaineB,  sur  la  prière  dei  martyrs  et  la  protection 
dttomrSpiBa^t. 


Mgr  Borghi ,  dont  nous  annondons  le  départ  d'Europe 
a  y  a  près  d'un  an,  est  arrivé  heureusement  à  Agra,  le 
17  janvier  dernier,  avec  la  nombreuse  colonie  qu'il  em- 
menait dans  son  Vicariat  apostolique. 


Huit  prêtres  du  séminaire  des  Missions -Etrangères 
tiennent  de  s'embarquer  à  Bordeaux,  sur  un  vaisseau 
qui  va  en  Chme  :  quatre  s'arrêteront  à  l^fugapore ,  les 
«itres  iront  jusqu'à  Macao.  Les  quatre  premiers  sont  : 
MM.  Labbé,  du  diocèse  de  Verdun;  Lamaudie,  du  dio- 
cèse de  Cabors  ;  Daniel ,  du  diocèse  de  Quimper,  desti- 
nés pour  la  Mission  de  Siam;  et  M.  Couellan,  du  diocèse 
de  Vannes,  destiné  pour  la  Mission  du  détroit  de  Malaca. 


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2T2 

Les  quatre  aiUres  sont  :  MM.  Castex ,  da  diocèse  de  Tou- 
louse ;  Dagobert ,  du  diocèse  de  Bayeux  ;  Pidion ,  du 
diocèse  du  Mans  ;  et  Le  Turdec ,  du  diocèse  de  Saint- 
Brieue.  Le  premier  est  destiné  pour  le  Tong-King;  ks 
trois  autres  seront  à  la  disposition  du  procureur  des  Mis- 
sioDs-Etrangères ,  résidant  à  Macao ,  qui  les  enverra  dam 
celles  des  Missions  qui  auront  un  besoin  plus  urgent  d'oo* 
vriers  apostoliques. 


Lyon,  Impr.  de  J.  B.  rtuoAtr». 

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273 


MISSION  DE  L'ABYSSINIE, 


Lettre  de  M.  de  Jacohis ,  Missionnaire  italien ,  de  la  Con- 
grégation de  St-Lazare^  et  Préfet  apostolique  de  l'Jhys^ 
rinie,  à  M.  Etienne^  Procureur-général  (  aujourd'hui 
Supérieur  général  )  de  la  même  Société. 


Aioua,  18  juin  18 'é3. 


«  Monsieur  et  très-cher  Confrère, 


« 


La  grdce  de  Noire-Seigneur  soît  toujours  avec  nous, 
c  Vous  savez  que  la  guerre  qui  nous  fut  déclarée 
par  révêque  cophte ,  dernièrement  arrivé  d'Alexandrie 
BOUS  avait  obligés  à  nous  séparer,  afin  de  ne  pas  attir 
rer  sur  nous  sa  colère.  Aujourd'hui ,  cette  colère  est  peu 
redoutable  ;  impossible  de  dire  dans  quel  discrédit  il  est 
tombé.  Si  fen  crois  des  rapports  auxquels  f attacha 
tome  confiance,  il  serait  déjà  question  de  le  chasser  du 
TAbyssinie.  Ras^My^  qui  à  présent  remplace  Tempe* 
reor,  ff^aisaro^  sa  mère,  Timpératrice ,  et  d'autre 
grands  personnages  aturai^nt  résolu  de  s'en  débarrasser  ; 
lei  plus  graves  accusations  pèsent  stir  lui ,  et  entre  aiitces 

TCV.xTn.  lOl.^mLunr  it4s.  U 

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274 
choses  j.ùa  hii  reproche  d'être  favorable  à  la  croyance  des 
protestaau  f  lesquels  s(Hit  mal  tus  de  nos  Abyssins. 

c  En  même  temps  que  la  Providence  abaissait  ainsi  le 
pouvoir  désolant  de  Tévéque  hérétique  ,  elle  Edssut 
grandir  l'influence  de  FÉglise  d'une  manière  si  sensible, 
qfie.M.  Sdiimper,  naturaliste  allemand  et  protestant , 
en  a  été  frappé.  Ce  savant,  en  abjurant  ses  erreurs  pour 
entrer  dans  le  sein  de  l'unité,  est  lui-même  devenu  une 
de  nos  plus  grandescansdaitoiis  :  mb  zèle  est  admirable, 
sa  piété  touchante.  Une  conversion  si  remarquable  a  fait  le 
désespoir  des  ministres  de  la  prétendue  réforme ,  tout 
récemment  venus  dans  ces  contrées.^ — ^M.  Schimper  sem- 
ble aujourd'hui  fixé  parmi  nous;  il  vient  d'épouser  une 
dame  catholique  d'Âbyssinie. 

«  On  m'assure  qu'à  Gondar  ou  demande  avec  em- 
pressement un  Evêque  catholique.  Nous  avons  déjà  dans 
cette  ville  une  espèce  d'école  ouverte  aux  enfants  et  à 
toute  personne  qui  désire  se  faire  insuwe  dans  la  foi  ; 
le  catalogue  où  sont  inscrits  les  noms  de  nos  catholiques, 
permet  d'en  compter  trente-sept  ;  nous  errons  rece- 
voir bientôt  dix  autres  abjurations. 

«  Ce  ne  sont  là  que  de  faibles  commencements;  mais 
nos  espàranœs  sont  grandes*  JiHi  Gchtmuh  AtiCrefoîa 
emporeur^  aime  beaucoup  notre  foi  ^  et  protège  les  ca- 
tholiques qui  jouissent  dans  VHamara  d'une  parâûte  li- 
berté. U  nous  j^met  des  églises  si  le  bon  Dieu  lui  repd 
Fempiré. — Tous  les  cie/lera,  c'est-à-dire  nosbooimes 
d'étude  et  de  science ,  lesquels  jouent  ici:le  mèocie  xtAt 
foe  les  scribes  de  l'Évangile,  sont  peu  éloignés»  °?H*  <^ 
en*  de  prodamw  publiquement  la  cooyance  eathoUqoe; 
et  c^estun  bruit  public  dans  tout  le  royaume  Hamarirpift , 
que  dans  le  temps  qu'Oubié  envoyait  en  Eur  oy^demander 
un  évéque  au  jpatriarcbe  go|^,  oa  eanitaquiétait  ku^i- 
lempt  demeoiHi  «u  dé«srt  da  Bajfiiila»  pràa  de^  Gek 

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275 

ba-Bgim^  pAut  à  Gondar,  disant  qu'un  mauvais  évé- 
qite  Tiendrait  en  Abyssioîe ,  envoyé  par  les^Cophres; 
qu'après  lui ,  un  autre  évéque  serait  donné  par  Rome , 
et  que  ce  serait  t'époque  où  l'AbjfSsinie  deviendrait  ca- 
tholique. 

«  Après  cette  suite  non  interrompue  d^événcments  qui 
sablaient  devoir  renverser  noire  Mission  naissante ,  et 
dont  te  ciel  a- fait  pour  nous  autant  de  moyens  de  salue , 
nous  croirions  nous  rendre  coupables  d'ingratitude,  si 
nous  Hietticuis  en  doute  la  protection  de  Marie  conçue 
sans  pécbé  tant  de  fois  invoquée  par  nous  ;  aussi  la  petite 
bsûlle  catholique  que  le  ciel  nous  a  déjà  donnée,  ne  cesse- 
t^lle  de  prier  cette  tendre  mère  pour  le  succès  de  nos 
irai^Hix  aveeune  piété  si  touchante  que  souvent  nous  ne 
pouvons  retenir  nos  larmes. 

«  Voyant  aiqsi  ies^  feuilles  du  figuier  apparaître,  nous 
mom  oonpria,  selon: la  parole  de  Jésus-Christ,  que  l'été 
approchait,  et  qu'il  nous  Ëiudrait  bientôt  sortir  )[>our  nous 
Uvrer  aB&  travaux,  de  la  moisson.  Afin  de  nous  y  prépa- 
rer ,  nous  nous  étions  réunis  dans  les,hoit  jours  qui  pré- 
cèdent la  P^ecôte  pouv  vaquer  auK  e^reices  de  notne 
votraitespîriliiâDe*  Ce  fiit  pendant  ces  saints  jours  que  nous 
riQàmtti  la  uouivdle  de  J'approche  du  roi  Oubié  et  de  soft 
armée  vietflrîeu^  de  tous;  sesennenns.  Noire  retraite  ter- 
ottoée ,  nous  vms  hâ^ùones  de  nous  mettre  en  roBte  pour 
aBerleiFoir. 

«  Ce  pânce  avait  plaoé  son:  camp  à  jéufié^  avec  Fin^ 
leniîoft  d'y  passer  l'hiver  :  je  vous  épai^gnerai  le  récit 
de»  détailiL de  moa voyage;  mais  je  ne  pois  m'empfcber 
dftwuft.<yre  quelques  mots  sur  les  remarquables  mos- 
tagnes  que  Ton  rencontre  sur  la  route  ;  on  les  appelle  ici 
Jmba;  il  est  comme  impossible  de  ne  pas  voir,  dans  ces 
ii^poeantei  constractioQS de  la  pâture,  autant  de  places 
de  refuge  (Hréparéea  par  la  Providence^  afin  d'empôebor 

18. 

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276 
que  la  guerre  toujours  allumée  dans  ce  pays  ne  détruise 
pomplétement  la  nation  éthiopienne  qui  me  semble  des^ 
tiuée  à  de  grands  événements  religieux,  j^thiopia  prœ^ 
veniet  manus  gus  Deo  (1).  Figurez-vous  des  masses  énor^ 
mes  d'une  pierre  d'argile ,  ferrugineuse ,  couronnées  par 
un  plateau  de  quelques  milles  carrés  d'étendue ,  d'où  Ton 
peut  dominer  les  villages  voisins  :  on  croirait  voir  des 
cbdteaux  bâtis  de  main  d'homme;  car  ces  blocs  immenses 
sont  régulièrement  coupés  dans  leurs  contours,  et  ne 
laissent  dans  les  précipices  qui  se  trouvent  à  leur  base 
qu'un  étroit  passage  très-facile  à  garder.  —  Nous  vou- 
lûmes monter  VJmba  Bwrhairi(jsx(mVè$ùià  de  poivre  rouge) 
que  nous  avions  trouvée  sur  notre  route ,  et  qui  est  une 
des  plus  remarquables  du  Tigré  ;  mais  des  paysans  qui  ne 
nous  connaissaient  pas ,  armés  de  pierres  formes ,  nous 
rarent  bieniAt  iait  renoncer  à  notre  projet. 

«  Nous  sommes  restés  quatre  jours  au  cunp  du  roi 
Oubié ,  nous  avpns  été  parfaitement  accueilUs  et  par  loi 
et  par  son  armée  ;  notre  urrivée  a  même  tsnàié  une^n^ande 
joie  ;  les  cadeaux  que  le  Souverain  Pontife  a  envoyés  à  œ 
prince ,  ceux  qui  lui  sont  venus  de  la  part  du  rc»  de 
Naples ,  les  récits  qu'il  a  entendus  de  la  bouche  de  vingt- 
Irois  Abyssins  qui  revenaient  de  Rome,  sur  le  eano- 
tère  divin  du  successeur  de  saint  Pierre,  le  tenaient  dsms 
une  espèce  d'extase  qui  partageait  son  cœur  entre  l'admi- 
ration et  l'amitié.  Une  fois  la  saison  des  pluies  passée , 
il  doit  nous  donner  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  nous 
établir  définitivement  dans  l'Abyssinie.  Peut-être  poor- 
rons-nops  alors  (  c'est  là  du  moins  notre  projet  )  réarfr 
un  certain  nombre  de  catholiques  abyssins,  pour  former 


{1}  L'Ethiopie  t'onpreitMrt  d*tfi«idr«  fCf  maïnf  vert  le  Seigaevr. 
<F».67.Sa.} 


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277 

me  cbrétiaitésiir  le  modèle  de  ces  réduclkMis  deveones 
si  célèbres  dass  riiistoire  du  Paraguay.  Pour  le  moment 
nous  sommes  réduits  à  attendre  le  jour  marqué  parla 
Providence ,  et  nous  nous  condamnons  nous-mêmes  à 
une  espèce  d'inactivité ,  bien  résolus  de  ne  faire  autre 
diose  que  ce  que  Dieu  veut  que  nous  fassions  ;  mais  nous 
sentons  le  besoin  que  nous  avons  d^étre  aidés  continuel- 
lement par  les  prières  des  catholiques  d'Europe,  ù  qui 
j'attribue  les  succès  que  le  bon  Dieu  daigne  accorder  à 
sa  cause.  Aussi ,  avant  tout,  nous  supplions  ceux  qui  ont 
du  zèle  pour  la  propagation  de  lâ  foi ,  de  ne  pirs  nous 
priver  du  secours  de  leurs  prières  ;  qu'ils  invoquent  sou- 
vent en  notre  faveur  le  nom  sacré  de  Jésus  ;  qu'ils  re- 
commandent à  Marie  conçue  sans  péché  notre  pauvre 
Mission  :  c'est  sous  la  protection  de  cette  auguste  Vierge 
qu'elle  se  trouve  heureusement  placée.  Voilà  le  genre  de 
secours  que  nous  réclamons  avant  tous  les  autres  ;  plus 
1  jird ,  nous  serons  obligés  de  bâiir  et  d'orner  des  églises  ; 
de  là  naîtront  d^autres  besoins ,  Ton  sait  ce  que  deman- 
dent de  pareilles  entreprises. 

«  P.  S.  Massovrah.  —  Après  le  bon  accueil  que  j'ai 
trouvé  auprès  du  roi  Oubié,  j'ai  pu  enfin  sans  danger 
m'éloigner  de  lui  pour  m'occuper  des  intérêts  de  la  Mis- 
sion. Je  me  suis  mis  en  cx)urse  avec  l'intention  de  cher- 
cher dans  les  environs  de  Massowah  un  endroit  propice  à 
rétablissement  d'uncx)Ilége.  J'aurais  des  nouvelles  pleines 
dJintérêt  à  vous  communiquer  ;  mais  les  chaleurs  exces- 
sives du  mois  de  juillet  dans  ces  contrées  me  rendent 
comme  impossible  un  travail  de  longue  haleine.  — Je  veux 
seulement  vous  dire  en  toute  hâte  que  le  bon  Dieu  nous  a 
amenés  dans  l'endroit  le  plus  beau  peut-âtre  de  l'Abys- 
smie.  Là  ,  nous  avons  trouvé  dans  le  désert  du  Samha$ 
rl^x  ermites  qui  avaient  la  direction  spirituelle  de  trois 
difétientés  inconnues  et  très- vas  tes.  Ces  ermites,  que  la 


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278 

grAcaArameBÀàUfoi  caiholiqoe»  nous  oMcnt  le  poêle 
qu'ils  oocapeot  dcl«ellfiiiieiit  avec  leors  tmifieiises  terrains 
presque  tous  déseris  ,  mais  diannaats  et  fertiles^  ib  nous 
abandonnent  en  ontre  k  direction  spirituelle  de  kurs 
chrétientés.  Ce  pays  est  complètement  indépendant,  et  le 
plus  convenable  peut-être  de  toute  TAbyssinie  pour  Té- 
ducation  des  jeunes  gens. 
«  Je  suis ,  etc. 

«  De  Jagobis  ,  prUre  de  la  Mksion.  • 


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279 


Lettre  de  M.  jintoine  d'Jbbadie  à  M.  le  Comte  de 
MontaUmbert,  Pair  de  France,  etc. 


Saka  daoé  Ewrya ,  ce  19  octobre  ïBiZ, 


«  Mon  cher  Ami, 

«  Vous  (tocbem  m  wa  sur  les  canes  le  nomduliev 
4'où  je  vaii»écris,ll^t«lUiésous  tea8  dngp^  osM  mi 
de  latitude  oord,  et  peu  à  FestdaiBéridieB  de  JénisdeoK 
En  y  vennt  j'ai  tm  umempUr  le  plus  gnoid  devoir  d'm 
vejratgeur  :  si  j'ai  mal  fiût,  je  sois  peal-étre  eMmsàble,  car 
fêtais  «eol ,  et  n'avais  peraoBtie  pour  me  conseiller.  Mais 
trt/e  de  paroles;  éeoutez  et  juges. 

«  D'après  uti  fdan  tf 4la4ss  ft^^nMeet  tpi'il  n'est  pas 
domié  à  UB^seal  hoanais  de  terminer ,  je  m'étais  afpUqoé 
à  la  oonnaissanœ  dss  langues  de  la  Hattte-*Btbiq;Me,paje 
ÎBOonMi  au  monde  civilisé  depuis  le  iwjAge  ém  Père  àa^ 
toiae Femandex  qui  fut  plus  Iwarenx  qne  moi.  Âveelea 
hagoes  f apprenais  bitn^des  détails  nénb  sur  oes  coDtvéea 
înoommes  :  feateodais  idire  par  dès  mnsulmans  et  àm 
psiens  quelam^^orité  deJaHant^-BtUopie  eit^teétiaoaei 
mais  privée  4]e  prêtres  depuis  près  de  300  ans.  Je  parbia 
le  gaUa  conramme^iy  je  savais  un  peu  de  godama^  j'a 


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S8« 
nne  kmgue  habitude  de]  la  manière  de  voyager  dam  ces 
singulières  régions;  Je  me  disais  que  le  soin  d'explorer 
des  contrées  nouvelles  sous  le  rapport  de  la  Religion,  est 
moins  le  devoir  du  Missionnaire  que  celui  du  chrétien 
voyageur;  que  s'il  m'arrivait  quelque  malheur  dans  mes 
courses,  mes  amis  de  France  parleraient  de*  moi  pour  me 
I^laindre  et  non  pour  me  blâma*.  Toutes  ces  idées 
m'avaient  engagé  à  retarder  encore  d'une  année  mon 
retour  dans  ma  famille,  auprès  de  laquelle  m^appelait  un 
autre  devoir  peut-être  plus  impérieux  que  celui  qUi  m'a 
poussé  ici. 

«  Je  me  mis  en  route  au  mois  d'avril  dernier ,  et  tra- 
versai deux  déserts  effrayants  par  les  meurtres  qui  s'y 
commettent  journellement ,  mais  qu'il  est  facile  d'éviter 
quand  on  connaît  d'avance  le  pays.  Dans  le  Goudron  , 
|tremier  pays  galla  que  nous  foulâmes,  se  trouve  une  nom- 
breuse population  chrétienne.  Choumi-Metcha,  l'homme 
k  plus  riche  du  pays^  et  oramoy  c'est-à-dire  païen,  me 
ffitiat  quinse  jours  diez  lui,  et  malgré  l'ékHgnesient  de  nos 
moears,  nous  devînmes  amis.  Je  lui  demandai  plus  dhme 
kmjce  que  ses  eompatriotes  feraient  à  un  homme  de  mon 
pays  qui  viendrait  les  bénir  et  leur  enseigna*  la  foi  du 
Go^m  (pays  chrétien  de  l'Abyssinie) I  « Nons^  le  ferk>ns 
«  asseoir  à  notre  foyer,  me  dit-il,  nous  le  défendrions  de 
«  notre  lance.  Pour  moi  le  ciel  m'a&it  riche,  je  lui  donnerais 
«  une  jolie  terre,  une  maison  et  des  esclaves,  é  —  Un  autra 
Goudron  me  disait  :  «  Notre  pays  est  devenu  si  riche  et  si 
c  peuplé,  qâenonsne  tarderons  pas  à  nous  choisir  un  ioi  ; 
«  nous  aurons  aussi  à  opter  entre  Tislamisme  el  l'Evan- 
ftgtle';  car  la  religion  oromo  ne  nous  suffit  pas.  Nous 
«  penchons  pour  votrefoi;  les  musulmans  d'Enaiya  sont  nos 
r  ennemis.  »  En  quittant  le  Goudron,  nous  entrâmes  dans 
Djomma,  pays  oromo  où  il  y  a  aussi  des  chrétiens.  Il  en  est 
de  même  de  Lofe  et  de  Leka.  Dans  ce  dernier  pays  un 


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S8t 
gnerriar  vint  ua  jour  déposer  sa  lanœ  et  son  bovdier  à 
mœ  pieds,  puis  me  moatrant  son  maiet  (cdlîer  porté  par 
les  chrétiens  seolemeot)  il  Me  dit:  «Mon  nom  est  WaMa 
€  Mikael  (fils  de  Michel)  ;  j'ai  un  fils  déjà  grand  qui  n'a  pas 
«  ene(Hre  été  baptisé;  je  voudrais  i'envoyar  avec  vous  au 
€  Gojam  pour  ai^prendre  vos  livres  et  la  manière  de  trouver 
«  le  jour  de  Pâques ,  car  nous  n'avons  pas  un  prêtre  cbes 
«  nous*  »  En  admirant  son  haireuse  physionomie ,  je  ne 
pus  m'empécher  de  dire  tout  bas  ces  paroles  d'un  saint 
Pontife  qui  voyait  pour  la  première  fob  des  en&mts  an- 
glais, picore  païens,  dans  le  mardié  aux  esdaves  de 
Rome  (1). 

«  En  sortant  de  Leka  nous  avions  un  dés^t  à  tra* 
verser.  Prévoyant  les  obstacles  qui  m'arrêtent  aujourdlmi, 
je  voukiis  passer  par  Gomma,  «lais  cela  n'était  plus  pos- 
sible :  trois  Gallas»  dont  un  enfant,  voysfgeurs  comme 
nous,  venaittit  d'être  massacrés  à  nos  c^tés  ;  nous  entrâmes 
dans  Enarya  comme  en  un  lieu  de  refuge.  Deux  journées 
de  marche  dans  un  pays  sur  et  florissaint  nous  menèrent 
jusqu'à  Saka,  demeure  d'Abba-Bagibo,  musuhnan  et  Hri 
d'Enarya.  Malgré  les  primes  offertes  pour  l'apostasie ,  il  y 
a  encore  ici  ime  quarantaine  def  familles  chrétiennes.  Abtar 
Bagibo  n'a  pu  attirer  à  lui  que  vingt  familles  les  phis 
paiivres  et  les  plus  faiUes.  Les  cent  soixante  ou  eau 
quatre-vingts  chrétiens  qui  restent,  vivent  à  part  conittM 
des  proscrits  :  voici  venir  la  quatrième  génération  qttî 
n'a  pas  vu  de  prêtre,  et  les  gens  riches  sont  obNgés  d*en- 
voyer  leurs  enfents  au  Gojam  pour  les  (aire  baptiser  ;  ter 


(1)  «  Fout-il ,  s'ëcrio  Grégoire  en  soupirant,  cpio  des  crëatures  iUJfifti 
«  belles  soient  sous  la  puissance  du  d^mop!...  (V,  Godescard  ,  Yn  d* 
Mmt  Grégoire  !•  Grand.  )  A>^e  4u  U. 


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S8S 

feft  EtUopicBs,  coomie  viHisttvaK,  oroient  à  tort  ^ue  le 
hf^itme  Be  peut  é»e  Bàaànmé  par  od  lak.  C'est 
im  vrai  mirMle  que  la  toiii jwti  pciifaénmce  de  ces  mat* 
beoreux  ;  mais  ce  n'est  pas  tout  :  à  câté  d'fi&arya  est  Mona 
oi  les  durétiens  sont  fort  nombreux  (près  de  trois  ceats 
faflx.)  L'un  d'entre  enx,  guerrier  benreu,  aacqrô  une 
frande  prédominance  dans  Noua  ;  il  est  assez  instroh 
p^r  calcnler  le  jonr  de  Pâqoes.  Om  le  ^t  célébrer  avec 
ses  cordigiomiaîres  toutes  les  fôtes  de  TégUse  abyssine  ; 
mms  depuis  près  de  cent  ans  Noaa  n'a  pas  de  prâtre,  et 
piis«n  deees  chrétiens  n'a  été  baptmi*  Je  n'ai  pas  de 
renseignements  sur  les  fidèles  de  Gouma  et  de  Bjomma, 
pays  limitrophes  de  ceka-cL  Géra  près  Djonmia  «st  un 
petit  royaume  indépendant;  il  renferme  beaucoup  de  chré- 
Cieas  et  un  prêtre.  Non  loin  de  là  est  Motcha,  pays  à  lan^ 
gpesodoma,  ^»te,  froide  populeux,  rempli  d'alises «i 
ddchrétiens.  Ces  infortuasés,  qui  n'ont  p»  un  seul  nriaislre 
de  Dieu,  mènent  tous  les  dimanches  lews  enfiants  et  lem*s 
inanpeaiix  aolonr  de  kurs  églises,  ^  crient  à  lue^tôte  : 
isNotts  t'invoquons^  ^  Marie  1»  A  Test  deJCafaon  r^- 
eontre  huit  à  dix  petits  rogranmes  indépendants,  dont  les 
principaux  sont  Walama  et  Koulto.  Us  ont  une  langue  et 
use.  éoiuire  à  part,  et  se  disent  aussi  chrétiens;  mais  on 
les  vittie  peu ,  et  les  musulmans  qui  m'oirit  s^enseigné 
sMfent  peu  de  chose  sur  leur  reUgion, 

«  A  cinq  petites  jenmées  d'ici ,  au  delà  dn  fleuve 
Cndjab,  est  Kaia ,  royauaoe  si  grand,  qu^oa  met  trois  se^ 
maines  à  le  a*averBer«  Cest  là  que  se  réfaigîèrent ,  à  l's^- 
proche  des  Gallas  ,  les  populations  chrétiennes  de  race 
sMama  qui  occupaient  tout  le  pays  compris  entre  le  7*^ 
et  10^  degré  de  latitude.  Ce  royaume  est  tout  entier 
dirétien.  li  y  a  deux  ou  trois  ans,  des  envoyés  de 
Kala  parvinrent  jusqu'à  Gondar ,  et  engagèrent  forte- 
ment l'un  des  prêtres  de  la  Mission  apostolique  à  les 


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aeconpagaér  chas  -  enu  Mais  1t  cHsMioe  à  pariSMrir 
éfiaîc  eoBsidérible;  h  Mksionéudt esvoyé^M  iîi^fliiie, 
et  non  au  Kafin;  la  pradeace  ^  te  devoir  4iotèfeBi  un 
refus  positif* 

«En  panant  pour  ces  pays  faim  BoiDsàfiiire  pour  la 
stïieDce  que  pour  leaaooès  d^na  aasilon  à^^eoir,  dont  je 
croyais  déj4  ptétpÉanr  les  fines.  Je  Toaliis  approdKir  de 
Kafa  auiaut^iue  possible,  atje  deniaBdaî  à  ilbbsnBa^to 
la  permissiop  €t*y  alleri,  afia  de  m'arréterdanaDjamna,  «et 
de  prendre  tontes  sortes  de  reosdgneaieBts  -miprès  des 
gens  de  Kafe  ^  de  KoiiNo>  qui  vianiient  -mx  nuBchés  ^ 
€ep:iys.  Âbba-^agtbo  nie  pendit  avec  «ne  affabttitéiqd 
me  trompa4*abord>'4ae.«laaaismdasplaieséiaitaiMnvaiaa 
pour  un  v<^agenr;  qu'il  idlait  procbaîoenienteiifoyér  «aa 
nombreuse  ambassade  pour  reoevoir  la  fiUeda  roi  de  KaAi 
qui  lui  est  promise  en  naariage,  cft  qne  j'irais  en  màM 
temps  en  «aute  s&l^té.  Je  vécns  ici  trois  mois  sur  c0|le 
promesse.  J'ai  su  dep«ns  >pa«  la  waie  cause  de  oe  long 
délai.  Le  roi  d'EnaryamiRut  vendu  Jèrt  cher  an  une  antre 
cenaottUe  le  passage 4Vmpréu«  atqfasin;  aujourd'hui  il 
espère  échanger  ma  persontts  &  des  cotiditions  beanooup 
plus  avantageuses.  Les  gens  de  Kafa  raisonnent  avec  wm 
simplicité  qui  lût  nson  nudbanr  4  auprèa  de  ve«s  die  pro- 
voquera plus  d'un  aoorire  :  «tîet  étrwigor  n'a  jpas  4e 
«  femme,  donc  il  est  un  saint  ;  il  sak  lire»  donc  11  est 
«  ]u*éire  ;  il  est  blanc,  donc  il  est^éqae,  «t  pomrra  aacivr 
c  lesprétres  dont  notts  av<Hi8  tant  basons^  »  —  Le  nné 
roi  d'Ensurya  aearMiie  oeeta  abgtlièra  t^ion ,  car  elle 
tend  à  (aire  «mplk*  ses  trésorsw 

«  De  mon  «AtA  ai  j'étais  prAtra,  je  aliésilirais  pas 
à  nTenterrer  vivant  dana  Kafo;  car  tont  «in  pcapie  m\tp- 
pelle,  et  demanda  à  être  instruit.  Ifaia,  dans  asa  posî^ 
tion,  qu'irais-je  7  cbardiarP  «  ja  tefose  de  béwr  et  de 
sacrer,   on  m'en  Imt  nn  crima  ;  asalgré  aœs  proie»* 


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S84 
tAiîoM  on  ne  m'en  retiendra  pat  moiM,  et  si  mes  rares 
leciffèl  parvieaBent  jamais  de  Kab  en  Europe,  quel  Mis- 
sBtaBftire  osendts'aventiirer  sans  de  longues  instmctioDs 
qu^I  n'est  guère  possible  de  donner  par  écrit? 

En  arrivant,  j'annonçai  Hntenlion  de  m'en  retourner 
avec  la  caratane  du  mois  de  novembre  ;  cette  époqne 
approche,  et  Abba-Bagibo  refuse  de  me  laisser  partir.  II 
me  reste  un  seul  espoir,  c^est  qu'en  me  cramponnant  ici  et 
prévenant  mon  frère  que  je  laissai  au  Gojam ,  je  pourrai 
Dure  arrêter  les  mardiands  musulmans  qui  font  le  com- 
merce entre  Mousiamwa  et  Enarya.  J'échapperais  alors, 
car  ce  pays  vit  uniquement  de  son  commerce  avec  l'Âbys- 
sîaie.  Si  mon  frère  est  retourné  en  Europe  comme  il  en 
avait  l'intention,  j'ai  moore  une  ressource  auprès  de 
Fagent  consulaire  de  France  à  Mouszamwa;  mais  sans 
doute  il  n'osera  pas  friire  ce  qui  est  très-légal  dans 
toute  l'Ethiopie ,  où  l'on  arrête  à  chaque  instant  des 
marchands  et  des  voyageurs  pow  se  foire  rendre  un 
fompatriote  ou  un  ami.  Kafo  vit  principalement  du  eom« 
merce  avec  Choa;  ainsi  l'influence  de  Mouszamwa  serait 
ncrile  pour  me  délivrer,  si  j'étais  une  fois  entré  dans 
Kafii. 

«  J'ai  beaucoup  parlédemoi  dans  tout  ce  récit  pour  vons 
faire  semir  combien  serait  belle  la  position  d'une  Mission 
dans  Kafa.  Cinq  ou  six  prêtres  feraient  bientôt  oublier  le 
shigulier  usage  en  vertu  duquel  on  veut  me  retenir ,  uni- 
quement parce  que  je  suis  seul,  et  qu'un  homme  qui  sait 
quelque  chose  est  regardé  comme  trop  précieux  pour  êtwe 
jamais  renvoyé  hors  du  pays.  Je  vous  prie  d'appeler  l'atlcn- 
tidn  des  supérieurs  ecdésiastiques  sur  tout  cerî.  En  Tigué 
les  Missionnaires  sont  reçus  avec  indiffisrence ,  à  Gondar 
avec  défianoe;  au  Gojam  où  ils  n'étaient  pas  encore  allés 
Fan  demi^,  on  les  interrogerait  avec  curiosité,  car  le 
Goîam  est  resté  fervent.  Dans  Ka&  la  religion  est  asses 


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386 
tombée  en  oidi>li,  faute  de  prêtres  »  pour  qu'on  ignore 
toCâlenent  les  dîsinolioM  qà  i^parest  eiindieorrase- 
ment  Féglise  abyssine  de  celle  de  Rome.  Qu'il  soit  oanon 
possible  d'y  envoyer  une  Mission,  ces  nouvdles  sont  aqef 
importantes  pour  que  j'aie  dû  vous  les  écrire,  et  vous  in- 
viter de  rendre  grâce  au  Très-Haut  qui  a  conservé  jusqu'à 
nos  jours  un  reste  de  la  vraie  foi  dans  le  centre  de 
l'Afrique, 
c  Je  suis,  etc. 

«  AiifTomE  n'AiHUDiE.  » 


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26ê 


MISSIONS  DE  LA  CHINIU 


VICARIAT  APOSTOUQUB  DU  KIANG-Sl. 


Suite  de  la  lettre  de  M.  Laribe,  Missionnaire  apostolique 
de  la  Congrégation  de  Saint-Lazare ,  d  M.  Martin  ^ 
Directeur  des  Novices  de  la  mênw  Société.  (Voir  le 
numéro  précédent,  p.  207.) 


«  Le  lendemain,  nous  eûmes  le  bonbeur  d^appareiller 
avec  un  assez  bon  vent  pour  continuer  notre  roule  vers 
HafhKéoûj  distant  de  neuf  à  dix  lieues  seulement.  Avant 
la  moitié  du  chemin»  le  vent  avait  d'abord  cessé;  il 
reprit  bientôt,  mais  contraire  à  notre  direction  :  heureu- 
sement nous  avions  à  faire  à  des  gens  déterminés,  bien  au 
fait  de  notre  positicm  et  qui  ne  redoutaient  pas  la  fatigue 
du  vograge.  Deux  de  mes  petites  malles  avaient  édiappé  à 
notre  désastre;  mes  compagnons  de  voyage  avaient  été 
assez  heureux  de  leur  cAlé  pour  sauver  celle  qui  conte- 
nait leurs  vêtements.  C'était  comme  un  présent  du  ciel 


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387 

daaatette  cir^niianoek  Las  hdrits dont  mm  éUoQs  cetn 
^lerts  émîait  eiiaovebaiilideB;  (Faillenrs,  fiotre  séfonr 
éàm  le  ElmhPé^  o&  nont  a vioiis  ft  prendre  les  informations 
dftfûdndéea^diBvâBt  durera»  à  sepc  mois,  an  rapport  de 
Mgr  RaOMQox  lui-iiièBie,  et  eda  pendant  la  saison  ia  pins 
ngoarense,  cette  demiire  ceseonrce  noua  devenait  d'une 
■écesaité  indiapensaUe. 

«  Nos  yeux  cherchaient  la  terre  qnand  ib  rencontrè- 
rent enfin,  sur  la  soir,  l'imposant  aspeet  de  Timmanae 
forêt  de  mâts,  dont  les  cimes  innombrables  commencent 
à  s'élancer  du  milieu  du  Kiang,  cfest-à-dire  à  deux  on 
.ifois  lieues  au-deaaoua  de  Oùr-Tthtmi-Smg^  BanrYm^r 
Foû  et  Han-Kém^  trois  grandea  villes  cjpû  >  à  cause  de 
leur  proximité»  ne  semblant  en  former  (jpi'une  seule»  La 
nuit  était  déjà  obscure  lorsque  nous  parvînmes  à  l'endroit 
du  fleuve  où  il  est  anti&rement  couvert  deees  navires  et 
embarcations  de  toute  grandeur,  de  toute  forme,  et 
▼eous  de  presque  toutes  les  provinces  d'un  si  vaste  empire. 
Se  ne  crois  pas  qu'il  existe  au  monde  de  port  si  fréquenté 
que  ce  lieu.  Du  reste,  il  passe  pour  le  pbia  QMBaMVÇàsn 
dotpaysi»  NousanttiamdBUBiiBadescYoiaaqiHy  smto»- 
varies,  espèce  de  mes  bordées  deadetnt  oOté^  de  boutiques 
flottantes;  et  enfin,  vers  les  dix  ou  onze  heures  du  soir, 
dégagés,  non  sans  une  peine  extrême»  d'un  si  long  et  si 
difficile  bbyriothft^noua  arrivâmes,  sana  antre  perte  qœ 
cdledtt  tempsi  à  notre  débarcnière qpe  je  omyaîaàtort 
le  terme  de  nos  nudbem» 

«  Tchénq-SiÊÊ^oàmi  deaondit  aossiiôt  à  teire  pour 
prévenir  leaebfétiens  de  notre  arrivée;  ne  le  voyant  pas 
devenir,  je  me  doutai  de  quelque  mauvaise  aventure,  et  mes 
soupçons  furent  bientôt  fortifiés  par  l'abordage  d'une 
bai^iue  qui  vint  déposer  auprès  de  la  nôtre  trois  hommes 
et  uai^finnaia*  Le  bnteliar»  emré  dans  ki  viUe,  se  mit  à 


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388 
crier  aux  porte-bis  ec  aux  curieux  qui ,  à  cette  heure, 
eacombraieiit  encore  le  quai  :  Ce  sout  des  khi-têôy^  (1) 
dont  le  mandarin  vient  de  6ûre  la  capture.  Bien  que 
je  n'eusse  pas  entendu  nomner  la  rdigion  chrétiennet 
(J%m-Tchu'K%ao)j  j'avais,  malgré  cela,  un  td  pressen- 
timent qu'il  s'agissait  d'elle  qu'un  premier  monvement  de 
terreur  s'empara  tout  d'abord  de  mon  âme.  «Eh  quoi  I  ak 
«  dis-je  aussitôt,  pi  r^rettais  de  laisser  ta  vie  dans  llloc 
«  de  Yè-Kià-Tcheôu  :  eh  bienl  Dieu  t'a  exaucé,  tu  pour- 
«  ras  h  finir  pins  honorablement,  ou  dans  les  cachots,  on 
«  sur  l'écha&ud.  »  Mon  conducteur  arrive  enfin  après 
s'être  fait  si  longtemps  attendre,  et  le  résumé  de  son  rap- 
port est  que,  nous  trouvant  avec  des  effets  tout  fangeux,  il 
fallait  un  peu  plus  de  temps  pour  préparer  des  appartements 
convenables.  Je  tâche  de  m'approdier  secrètement  de  son 


(1)  roM-l«ijH*  Ml  le  nom  qa'on  doniid  pofolaifMMBt  à  toaict  Icf 
religions  oa  sectes  diflërentes  des  trois  reconnoes  par  le  yonyemeipet. 
tatoir  :  !<>  celle  des  Lêiirét,  qui  hoDorent  Gonfocias»  el  n'admettenl, 
4'oiie  mtiiiire  eoeore  fort  obsenre,  ^e  lee  principes  g^nëranx  des  pve- 
•îetrderoirsderkMua» ,  bieH  ^*4  r«t4tiear  ik  pratiquent  let  dewL 
aatres  religions  par  ostenlatieo  ou  par  oonfenanee  ;  a^  celle  des  Ibeeee, 
qui  adorent  un  Chinois  dn  nom  de  Ip,  et  qu'ils  appellent  Ltà^Kiûn,  e*ert«- 
à-dire  Vieillard-Roi,  Yieillard-Mattre  :  ce  Lj  pasu,  dit-on,  quatre>TÎBgls 
ans  dans  le  sein  de  m  mère  ;  pour  en  sortir,  il  la  tua  en  brisant  nue  de  se« 
edtes,  et  parut  à  la  TÎeJa  barbe  et  lesebetenx  d^l  Uanca;  3o  celle  des 
fonces  qui  adoreot  le  Foi,  renn  de  flarfe;  fc«s-ei  sont  a»  sarrSee  te 
ehtn  on  ^oé^iâ,  espèce  d'esprits  qui  sont  mmk  lee  bienfiiileiifs  êm 
hommes  ;  on  les  appelle  quelquefois  a? ant  la  mort  d'une  personne  po«r 
qu'ils  tollkltsot  m  guërison  avprèi  de  Feè  :  le  phm  souTent  on  lef  M 
Tenir  après  le  trépas  pour  qu'ils  dirigent  lee  àmee  dans  le  ténAren  4é- 
dale  de  l'enfer,  puis  les  ramènent  à  la  rie  on  sons  b  forme  I 
ou  sous  les  dehors  de  quelque  animal,  suirant  leun  bonnee  ou  leurs  i 
Taises  actions.  Toute  leur  fbtiegie  consiste  dane  cette  dégradante  mf- 
iempejFcneee. 

NoMaTODsparid  dei  tAfiiMbaMi^Us;  kaOhioeiiapp40calAe«<<y 


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289 
oreille  :  Qu'est-ce  qu'il  y  a  donc,  lui  dis-je?  Perséculion, 
me  répond-il  ;  nous  ne  pouvons  pas  débarquer.  —  Quel 
nouveau  contre- temps?  Le  beau  mandarin  qui  ne  peut 
pas  se  déclouer  de  son  bachot  I 

«  Plus  de  dix  fois,  pour  être  tant  soit  peu  libre,  j'avais 
dità  nos  bateliers  de  préparer  leur  souper  :  par  politesse  ou 
autre  motif,  ils  refusaient  de  s'en  occuper;  à  les  entendre, 
seul  je  devais  être  l'objet  de  leur  attention  ;  ils  n'é- 
taient que  des  gens  inutiles...  Toutefois,  ils  ne  nous  lais- 
saient pas  ignorer  qu'après  la  décharge  de  nos  effets  ils  de- 
vaient se  rendre  ailleurs  pour  passer  la  nuit,  sous  prétexte 
qu'il  n'y  avait  pas  dans  cette  rade  de  sûreté  pour  leur 
barque.  Quel  moyen  de  nous  tirer  de  là!  Les  chrétiens, 
en  nous  accueillant,  s'exposaient  à  se  faire  prendre  avec 
nous;  d'un  autre  côté,  où  trouver  une  auberge  qui  con- 
sentit à  nous  recevoir  avec  un  si  pitoyable  bagage  1  Le 
ciel  vint  encore  à  notre  secours ,  et  d'uue  manière  inat- 


l'espèce  opposée ,  qui  est  réputée  l'eDuemie  des  hommes.  Si  donc  ils 
Tiennent  k  ëprooTer  quelque  rcyers,  s*ils  tombent  malades,  ils  l'attribuent 
de  suite  k  la  malice  de  ces  derniers,  et  mandent  les  iàO'pi  pour  leur  donner 
la  chasse.  En  cas  de  guërtson  ,  les  imposteurs  se  félicitent  et  triomphent  : 
M  finfirmilë  se  prolonge,  ils  tous  disent,  pour  gagner  de  Tirgent,  que  le 
malade  a  perdu  l'âme ,  et  an  bruit  d'un  afTreux  tintamarre,  ils  vont  la 
cherefaer,  soit  sur  les  montagnes ,  soit  dans  les  plaines  ;  puis  »  après  de 
longues  fatigues,  la  lui  rapportent  en  la  tenant  avec  la  main  soigneuse^ 
ment  renfennëe  dans  un  pan  de  leur  robe.  Si  le  malade  demeure  dans  !e 
même  ëtat ,  on  bien  s'il  meurt .  ils  prétendent  qu'ils  ont  ëté  appelés  trop 
tard.  A  moins  de  connaître  tontes  les  superstitions  de  ces  différentes 
sectes,  ii  vous  est  impossible  de  comprendre  tout  l'excès  de  leur  ridicule; 
je  pourrai  peut-être  tous  en  dire  encore  quelque  chose  une  autre  fois. 

La  dénomination  de  tcht^-lsay-ti ,  censée  injurieuse,  signîGe  littérale- 
ment obsenratenr  d'abstinence  ;  on  l'a  appliquée  aux  partbans  des  cnlies 
non  autorisés  par  la  loi ,  parce  qu'ils  sont  plus  mortifiés  que  ceux  qnî 
roÎTeot  l'une  ou  l'autre  des  trois  religions  reconnues. 

TOK.  XVII.  101.  19 

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290 

tendue....  d^'àun  catéchiste  est  là  sur  le  rhrage;  de  loin  il 
nous  adresse  ces  paroles  :  Venez  à  terre.  Nous  obéis- 
sons, il  me  prend  par  la  main,  et,  après  avoir  fait  je  ne 
sais  combien  de  détours  pour  tromper  les  obsenratenrs, 
il  m'introduit  dans  sa  demeure.  Cétait  Tavant- veille  de  la 
Toussaint.  Voici  comment  il  avait  appris  mon  arrivée: 
tandis  qu'il  allait  tenir  conseil  à  mon  sujet  avec  d'autres 
chrétiens,  il  avait  rencontré  par  hasard,  ou  plutôt  par  une 
disposition  providentielle,  les  quatre  personnes  dont  j'ai 
parlé  plus  haut,  savoir,  deux  chrétiens  et  une  chrétienne 
qu'un  satellite  reconduisait  chez  eux  après  huit  jours  de 
captivité,  non  pas  que  leur  affaire  fût  terminée,  mais  par- 
ce qu'ils  avaient  pu,  avec  de  Targent,  trouver  des  cau- 
tions en  promettant  de  reparaître  en  (^s  d'un  nouveau 
jugement.  Instruit  par  eux,  le  courageux  catéchiste 
avait  pris  aussitôt  sur  lui  de  venir  nous  délivrer.  Que  le 
ciel  l'en  récompense  largement! 

«  Me  voilà  donc,  après  tant  de  traverses,  dans  le  célè- 
bre HànrKéou  vis-à-vis  de  Ou-Tchang-Seng  (capitale  du 
Hou'Pé)  dont  il  n'est  séparé  que  par  le  Kiàng^  et  à 
côté  de  Ban-Yâng-Foûj  détachée  seulement  par  uim 
rivière  qui  se  jette  dans  le  fleuve.  Au  milieu  du  Kiang 
jnsque  fort  au-dessous  de  Han-Kéou^  la  plus  commer- 
çante de  ces  trois  villes,  en  flotte  une  quatrième  formée 
d'innombrables  navires.  Dans  l'espace  de  cinq  à  six  lieues 
pour  le  moins,  soit  en  montant,  soit  en  descendant  ce 
fleuve  que  l'on  prendrait  pour  im  bras  de  m&t^  on  ne 
▼oit  que  maisons  sur  les  deux  rivts,  et  an  mili^ 
une  infinité  de  barques  de  la  forme  la  plus  belle. et 
en  même  temps  la  plus  bizarre.  Les  unes  sont  à  rancre« 
les  autres  croiser?  le  fleuve  du  matin  jusqu'au  soir,  dans 
toute  cette  étendue. 

«  Péking  passe  pour  la  ville  la  plus  vaste  et  la  plus 

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S91 

peuplée  de  runiven ,  en  raison  du  territoire  qu'elle  oc- 
eope;  eh  bien  I  V6n  dît  que  la  population  de  ces  quatre 
▼illes,  dont  je  Tiens  de  parler,  qui  tout  naturellemeat 
B*en  fom  qu'une,  s'élève  au  triple  de  celle  de  la  tHIc 
impériale.  On  parle  beaucoup  de  la  magnifique  situation 
de  CoiMtantinople  ;  je  doute  fort  qu'elle  puisse  offrir  une 
aussi  belle  perspective  :  si  elle  a  quelque  chose  de  plus 
séduisant,  elle  est  loin  certainement  d'être  aussi  imp^ 
saute.  Quoique  foutes  les  puissances  européennes  4^ 
qoentent  le  superbe  Bosphore,  son  commerce  est  assu- 
rément bien  auniessous  de  celui  de  notre  Bosphore  JM- 
fénaisj  aujourd'hui  même  que  la  guerre  avec  les  Ânj^aâs 
lui  a  porté  un  si  rude  coup. 

«  Les  dix^hnit  provinces  de  la  Chine  proprement  dise 
comptent  un  grand  nombre  de  villes  murées,  savoir 
cent  quatre-vingt-huit  fous  ou  villes  du  premier  ordie, 
deux  cent  txeate^nepiteheoûê  ou  villes  du  deuxième  ordre» 
et  douze  cent  soixante  et  dix-neuf  AtVfitf 'ou  villes  du  troi- 
sième ordre.  On  connaît  donc  ici  les  remparts,  mais«e 
sont  des  remparts  qui,  vu  leur  peu  d'élévation,  pourraieuâ 
(tre  dits  à  la  Vauban  :  pas  une  tour  qui  les  défende, 
mais  seulement  quelques  misérables  bastions,  qudtpns 
créneaux  à  barbaeane,  écroulés  en  partie  ou  gravemem 
sillonnés  de  profondes  crevasses.  Près  de  chaque  ville,  à 
h  distance  de  quelques  lys  se  trouve  une  seule  tour  de 
forme  octogone  à  neuf  étages,  et  autant  d'avant-toits,  oè 
les  esprits  protecteurs  de  cet  édifice  fixent,  dit-on,  leur 
demeure.  Quant  à  Pintérieur  des  villes,  ne  venez  pas  y 
cherdier  de  beaux  quais,  de  superbes  monuments^  des 
rues  élégantes  et  alignées  au  cordeau.  Vues  de  loin,  les 
quatre  dont  je  viens  de  vous  parler  présentent  un  coup 
d'orîl  imposant;  si  vous  approdiez,  vous  ne  trouvez  sur 
le  rivage  du  Kiang  que  d'informes  talus  ^  horriblemeot 

19. 


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292 

détériorés  par  les  inondations  ;  dans  les  rues»  que  des 
éclioppes  entourées  de  palissades»  de  pauvres  ateliers 
minés  par  les  eaux  ou  ruinés  de  vétusté.  Les  vides  laissés 
entre  ces  masures  sont  comblés  par  des  immondices  qui 
répandent  partout  une  odeur  suffocante.  Point  de  régula- 
rité dans  Talignement  des  maisons,  point  de  trottoirs, 
point  de  lieu  pour  se  mettre  à  Tabri  de  la  foule  qui  vous 
presse^  qui  vous  coudoie ,  qui  vous  dispute  le  passage  ;  on 
y  marche  péle-méle  au  milieu  des  bœu&,  des  porcs  ou 
d'autres  animaux  domestiques,  se  garantissant  comme 
on  peut  de  Finfection  que  répandent  les  ordures  de  toute 
espèce,  recueillies  avec  soin  par  les  Giinois  dansTiniérêt 
de  l'agriculture,  et  transportées  en  plein  jour  dans  de 
petits  tonneaux  découverts.  Seulement  de  distance  em 
distance,  la  vue  fatiguée  rencontre  quelques  riches 
magasins,  de  belles  et  vastes  maisons,  d'opulentes  pago- 
des. Les  places  et  promenades  publiques  sont  remplacées 
par  des  jardins,  des  étangs  et  même  des  champs. 

Mais  à  quoi  m'occupé-jc.  Monsieur  et  très-cher  Con- 
frère? Est-ce  là  le  noble  but  de  mon  importante  Mission? 
Hélas!  j*ai  la  douleur  de  vous  appreùdre  que  j'ai  été 
loin  de  pouvoir  l'atteindre.  Adorons  les  desseins  de  Diea 
qui  a  voulu  qu'elle  fût  traversée  jusqu^à  la  fin.  Je  ne 
manquais  pas  de  bons  chrétiens  pour  me  dédommager 
par  leur  empressement  des  rudes  épreuves  de  moa 
voyage;  mais  je  ne  pouvais  arriver  dans  des  circon- 
stances plus  intempestives  :  point  d'Evéque ,  point  de 
prêtre.  Mgr  le  Vicaire  apostolique  avait  auparavant  fixé 
sa  résidence  à  OtU-Chang-Foû;  mais  personne  ne  con- 
naissait sa  retraite  actuelle.  Les  autres  prêtres  étaient 
tous  dispersés  en  différents  districts.  D'un  autre  côté,  la 
fomeuse  tempête  nous  poursuivait  encore  de  ses  tristes 
suites.  Nous  eûmes  trois  jours  de  pluies  continuelles  ; 


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293 
nos  effets  périssaient  et  infectaient  ;  enfin,  après  trois  au- 
tres jours  passés  dans  une  maison  qui  du  temps  de 
Mgr  Rameaux  avait  servi  de  chapelle ,  et  depuis  cette 
époque  était  trop  bien  connue  des  satellites^  le  danger  que 
redoublait  encore  le  concours  des  fidèles  dans  mon  asile 
me  fit  songer  à  le  quitter.  Mon  stang-houng  fut  chargé 
de  repassser  le  Kiang  pour  annoncer  aux  chrétiens  de 
ChU'Chang-Fcû  que,  puisqu'il  m'était  impossible  d'agir 
sans  Mgr  d'Arade  et  que  je  ne  pouvais  parvenir  Jusqu'à 
lui  y  j'allais  me  rembarquer  pour  le  Kiang-Si.  Ces  bons 
fidèles  qui  étaient  venus  bien  des  fois  m'inviter,  quoique 
im  peu  froidement  par  crainte  de  la  persécution ,  à  me 
rendre  au  milieu  d'eux,  accoururent  aussitôt  pour  m'an- 
noncer  que  Mgr  Rizzolaii  était  en  route,  et  qu'il  venait 
même  d'indiquer  une  entrevue  auprès  de  leurs  maisons. 
Le  lieu  était  une  petite  chapelle  formée  d'un  galetas^  et 
que  je  trouvai  très-bien  ornée.  Monseigneur  le  Vicaire 
apostolique  arriva  effectivement,  et  j'appris  que,  pendant 
l'alerte  qui  venait  d'avoir  lieu,  il  avait  choisi  pour  sa  re- 
traite une  hôtellerie  païenne  où  on  le  prenait  pour  un 
marchand  chansinois. 

Voici  l'occasion  de  cette  alerte  :  M^  Rîzzolati  avait 
Catit  acheter  des  matériaux  en  bois ,  briques,  chaux,  etc.^ 
dans  l'intention  de  faire  agrandir  une  chapelle,  con- 
struite autrefois  dans  une  chrétienté  appelée  Péhiè^  dis- 
tante d'une  journée  tout  au  plus  d^Ou-Tchang  Sêng^  et 
d'y  ajouter  encore  quelques  appartements  pour  un  petit 
séminaire.  Ce  projet  coïncida  malheureusement  avec  celui 
des  Anglais  dans  la  province  de  Kiang-Nàn.  Bien  qu*é«- 
loignés  de  Han^Kéou  de  quatre  à  cinq  cents  lieues,  ik 
ne  laissaient  pas  d'inspirer  la  terreur  d'une  prodiaine 
invasion  :  on  disait  dans  le  public  «  que  les  Âbtmjh 
c  Kouy-Tse^  ou  diables  rouges,  une  fois  entrés  dans  le 


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294 

•  Kiang,  avaient  affiimé  le  nord  et  conquis  le  midi;  que 

•  l'empereur  Tao-Kouang  était  en  fuite  ;  qu'un  prince 
«  dePancienne  dynastie,  nommé  Tchu^  lui  avait  été 

•  substitué  pour  les  provinces  situées  au  septentrion» 
«  au-dessus  du  Kiang\  que  celles  du  sud  au-dessous  du 

•  fleuve ,  formaient  un  nouvel  empire  sous  la  dominatioii 

•  des  vainqueurs.  A  Han-Kéou,  Ou-Tchang  et  Han^- 
«  Fang,  on  allait  jusqu'à  dire  que  mille  Anglais  étaient 
«  déjà  cachés  dans  la  chrétienté  de  Pékié.  »  Aussi,  lors- 
que les  infidèles  virent  à  Teau  la  peûte  flottille  chargée 
des  matériaux  de  constructicm  que  les  chrétiens  avaient 
CB  nmprudence  d'expédier  tout  à  la  fois,  on  s'empressa 
de  divulguer  qu'on  attendait  à  Pékié  plus  de  dix  mille 
Anglais  pour  lesquels  on  voulait  bâtir  de  dignes  habita- 
tioos^  On  n'avait  pas  encore  commencé  à  déposer  les 
nutériaux  sur  le  rivage  que  déjà  grondait  la  persécu- 

«  La  nuit  mémo  qui  suivit  le  départ  de  Mgr  Rizzolati,  les 
satelGtes  enlevèrent  de  la  chapelle  les  effets ,  vêtements 
et  objets  de  religion  qu'on  y  avait  déposés.  Un  édit  fut 
lancé  par  le  mandarin  TchthPeaO'y'Foug-Oum'Chu  ,  et 
six  chrétiens  arrêtés  ;  les  autres  avaient  pris  la  fuite ,  ne 
laBsant  dans  leurs  maisons  que  les  femmes  et  les  enfants» 
Cet  ordre  se  renouvela  plusieurs  fois  dans  une  huitaine 
de  jours ,  et  autant  de  fois  les  chrétiens  furent  obligés 
de  déserter. 

•Ble  trouvant  donc  de  l'autre  côté  inKiang  avec  Thon- 
aev  de  jouir,  dans  celle  ^hjXotkt  à'Ou-TehangSéng , 
de  ta  présence  de  Mgr  Rizzolati,  nous  employâmes  les 
pmniers  jours  aux  formalités  voulues  pour  les  procédures 
e»  matière  de  canonisation.  De  sinistres  nouvelles  vinrent 
bieal6t  les  interrompre  ;  les  bruits  de  persécution  se 
■Mltiplîaient  :  un  chrétien  au  milieu  des  tom*men(s  venait 


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295 

d'avouer  au  mandarin  qu'il  y  avait  dans  la  province  deux 
Européens ,  un  îy,  c'était  TEvéque ,  et  un  md,  c'était  son 
Provicaîre ,  M.  Maresca.  Interrogé  encore  si  Mm-Taô- 
Vnenj  Mgr  Rameaux ,  très-connu  sous  ce  nom  dans  tous 
les  tribunaux  du  Hou-Pé  pendant  la  dernière  persécution , 
s'y  trouvait  aussi ,  il  avait  répondu  négativement ,  affir- 
mant qu'il  en  était  sorti  et  qu'il  ignorait  le  lieu  de  sa 
retraite.  Un  autre  chrétien ,  baptisé  depuis  peu ,  était  en 
prison  :  son  père  et  sa  mère,  encore  païens ,  menaçaient 
chaque  jour  de  poursuivre  en  justice  Mgr  d'Arade  pour 
Fobliger  à  leur  faire  rendre  leur  fils.  Ces  bruits  et 
d'autres  semblables  nous  obligèrent  à  songer  à  nous  sé- 
parer. Toutefois  j  pour  ne  pas  manquer  eniièrement  le 
but  de  mon  voyage,  je  crus  devoir  supplier  Mgr  le  Vicaire 
apostolique  de  vouloir  bien  s'occuper,  quand  le  temps  le 
permettrait,  des  informations  juridiques  sur  le  martyre  de 
notire  cher  confrère ,  puisque  mes  péchés  m'enlevaient  la 
consolation  de  mener  à  bonne  fin  une  œuvre  aussi  impor- 
tante. 

«  J'étais  pressé  de  partir;  mais  il  m'en  coûtait  trop, 
après  un  si  long  voyage ,  de  m'en  retourner  sans  rendre 
visite  aux  restes  de  M.  Perboyre ,  qui  reposaient  à  deux 
lieues  de  nous ,  hors  de  la  ville ,  du  côié  de  la  seconde 
porte  oiientale  Oùt-Toûng-Mén.  Un  dimanche  donc, 
veille  de  mon  départ ,  immédiatement  après  la  messe ,  je 
m'acheminai  avec  un  guide  vers  le  lieu  de  la  sépulture  : 
elle  était  située  dans  un  carré  de  quelques  arpents  seule- 
ment ,  penché  vers  le  couchant  et  par  conséquent  vers 
notre  <^e  Europe  ;  quelques  mottes  de  terre  superpo- 
sées à  une  légère  élévation  la  protégeaient  de  tout  côté. 
Cest  dans  cette  modeste  retraite  que  reposent  les  pré- 
deux  restes  de  notre  saint  Martyr,  en  la  compagnie  dt 
neuf  autres  apôtres,  dans  Tordre  suivant  :  au  milieu,  du 


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296 

côté  d'en  haut,  sont  les  tombeaux  réunis  de  trois  frères 
de  Tordre  de  saint  Ignace  :  l'un  de  ces  trois  frères  mou- 
rut dans  le  Hou-Pé ,  après  deux  ou  trois  mois  d'aposto- 
lat; îe  second ,  dans  la  même  province  d'où  il  fut  ensuite 
transporté  à  Out-Chang-Foû  par  le  troisième  qui  tra- 
vaillait alors  dans  le  territoire  dont  cette  ville  est  la  capi- 
tale. Au  commencement  des  deux  lignes  collatérales,  ce 
sont  encore  deux  Jésuites  aussi  bien  qu'au  second  rang  de 
la  colonne  à  gauche  ;  en  tout,  six  frères ,  tous  Français.  A 
côté  du  dernier  tombeau  des  frères  Jésuites  se  trouve 
celui  d'un  Lazariste  :  c'est  M.  Perboyre.  En  face,  à  droite, 
est  celui  de  M.  Clct;  enfin,  deux  prêtres  de  l'asso- 
ciation de  la  Sainte-Famille  terminent  des  deux  côtés 
l'une  et  l'autre  colonne. 

«  Les  sépulcres  de  ces  bienheureux  Missionnaires  sont 
ornés  d'une  pierre  sculptée ,  en  haut  de  laquelle  est  gra- 
vé le  monogramme  du  Sauveur,  et  au-dessous,  leur 
nom  chinois^  leur  nom  de  baptémie  et  l'année  de  leur 
sépulture.  Trois ,  cependant ,  savoir  :  celui  de  M.  Per- 
boyre et  ceux  des  deux  prêtres  de  la  Sainte-Famille  sont 
encore  bien  informes  et  privés  de  toute  indication  des 
trésors  qu'ils  renferment.  J'ai  pris  des  mesures  pour  pr^* 
curer  une  inscription  à  celui  de  notre  illustre  confrère. 

«  L'épitaphe  qui  a  été  placée  sur  le  tombeau  de 
M.  Clet,  également  martyr,  est  ainsi  conçue  :  Taô- 
Kouûng-AurMien  ,  y-yan  sont ,  KouAieim-douy-Esie, 
Ouey4oêng'ichto-hoey-sâ't8ê'tô ,  c'est-à-dire  :  «  La  ciii- 
«  quièmc  année  de  Tao-Rouang  (empereur  actuel)  a 
«  été  déposé  ici  Louis  Lieoû,  prêtre  de  la  Congr^ation 
«  de  saint  Vincent.  »  Cette  cinquième  année  correspond 
à  1826,  époque  où  le  corps  de  notre  confrère,  enseveli 
ailleurs,  fut  transporté  dans  la  terre  où  il  repose.  Les 
siècles  antérieurs  sont  exprimés  par  ces  mots  :  V-yan- 


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297 

50ttt ,  qni  ne  sont  autre  chose  qu'une  (jies  soixante  diffé- 
rentes indications  employées  pour  désigner  toutes  les 
années  successives  de  Tempire  chinois,  jusqu'au  commen- 
cement du  règne  actuel;  en  sorte  que  ce  nombre  de 
soixante  une  fois  épuisé ,  le  tour  recommence ,  et  ainsi 
de  suite  indéfiniment.  Lieoû  est  le  nom  chinois  de  M.  Clet, 
et  Louis  son  nom  de  baptême;  d'autres  disent  qu'il  s'ap- 
pelait François  (1). 

«  Le  tombeau  de  R.  Haubin ,  qui  finit  aussi  sa  vie 
dans  les  fers  pour  la  confession  de  la  foi ,  se  trouve  à  qua- 
tre ou  cinq  journées  de  distance  de  ce  cimetière,  et  dans 
les  dépendances  d'un  hien  ^  ou  ville  du  troisième  ordre  ; 
je  crois  avoir  entendu  dire  que  M.  Dumazel  avait  été  in- 
humé sur  les  montagnes  de  Kou-Tching-Hien. 

«  A  notre  arrivée,  quelques  infidèles  qui  habitent  dans 
le  voisinage  étaient  venus  nous  offrir  leur  ministère  pour  le 
cas  où  nous  voudrions  ajouter  quelque  ornement  à  des 
tombeaux  si  simples  :  nous  eûmes  beaucoup  de  peine  à 
nous  débarrasser  de  leurs  importunes  instances;  la  pro- 
messe de  les  employer  plus  tard  put  seule  les  faire  dis- 
paraître. Enfin,  il  me  fut  donné  de  répandre  en  toute  li- 
berté mon  cœur,  mes  prières  et  mes  larmes  sur  ces  tom- 
bes chéries.  Mille  réOexions  tour  à  tour  consolantes  et 
sombres,  douces  et  terribles ,  traversaient  successivement 
mon  esprit.  Le  temps  qui  marchait  vite  en  ce  lieu  plein 
d'intérêt  pour  un  enfant  de  saint  lancent,  me  força  bien- 
tôt d'y  mettre  un  terme.  Je  récitai  neuf  Gloria  au  tom- 
beau de  M.  Perboyre,  un  Te  Deum  pour  lui  et  pour 
M.  Qet,  plusieurs  De  profundis  pour  tous  nos  autres  si 


(1)M.  Qei  8*appelait  Jean-Fraoçois,  et  non  LonU.  {Kpte  dit  R.) 

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298 

dignes  prédécesseurs  dtBS  Tapostolat ,  et  je  leur  fis  eofin  à 
ums  de  respectueux  et  douloureux  adieux ,  en  priant  nos 
deux  confrères  de  m'obtenir  la  grâce  d'imiter  leurs  bâroi- 
ques  vertus. 

«  Et  maintenant,  Monsieur  et  très-cber  Confrère, 
puisque  la  volonté  de  Dieu,  au  lieu  de  me  laisser  parcourir 
les  plaines  et  gravir  les  montagnes  du  HourPé  et  du  Ho- 
Nàn ,  me  condamnait  à  battre  simplement  »  pendant 
une  quinzaine  de  jours ,  le  territoire  de  HaxhKéou  et 
de  Out'Chang-Foû  y  il  £dlait*bten  s'y  soumettre  et  s'en 
retourner ,  afin  de  cesser  d'exposer  soit  Mgr  d'Arade , 
soit  le  Père  Maresca.  Ce  dernier,  qui  devait  aussi 
prendre  une  part  active  aux  procédures  et  devenir 
mon  compagnon  de  courses ,  n'était  arrivé  que  depuis 
deux  jours.  Toute  mesure  possible  étant  donc  prise  poiîr 
la  réussite  future  de  notre  importante  affaire,  je  me  rem- 
barquai pour  le  KiangSi  et  recommençai  un  autre  voyage 
qui  devait  »  comme  le  premier,  être  traversé  jusqu'au 
terme. 

«  Or,  td  fut  le  principe  de  mes  nouvelles  et  dou- 
loureuses infortunes.  Pour  diminuer  les  frais  de  naulage, 
je  permis  qu'on  me  rettm  à  Han^Kéou  une  barque  mar- 
ctende  sur  laquelle  se  trouvait  déjà  un  passager  pékinois  ; 
nous  fumes  tous  d'accwd  que  le  baragouin  du  nord  diSSé- 
rait  assez  de  cebii  du  midi  pour  que  nous  n'eussions  rieR 
à  eraifidre  de  mon  accent  étranger  ;  par  le  fait  c'était  na 
bo»me  de  la  plus  ais^le  et  de  la  plus  sûre  compagnie. 
Cette  cMoession ,  et  bien  plus  encore  Tamoiur  du  gaia, 
avai^t  porté  notre  pilote  à  prendre,  à  notre  insu,  un  troi* 
sième  passager;  nous  ne  soupçonnâmes  pas  la  supercherie  et 
ne  la  découvrtnaespcMnt  à  l'embarquenent.  Une  fois  désan- 
crés,  la  faute  se  trouva  commise,  sans  qu'il  nous  fût  possible 
de  la  réparer.  Bie»t6t  j'aperçus  un  bomoi  qui  préparait 


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299 

un  lit  sur  rarrière  da  bdtiment  :  j'en  ressentit  de  la  peine, 
et  j'adressai aossitdt mes  reproches  au  capitaine;  celui-ci, 
pour  toute  excuse,  me  répondit  que  le  proposé  du  bureau, 
chargé  de  la  surreillance  des  barques ,  lui  avait  imposé  ce 
voyageur ,  sans  lui  laisser  la  liberté  de  le  refuser.  Je 
parus  goûter  fort  peu  cette  défaite  ;  je  menaçai  le  ca- 
pitaine de  diminuer  d'autant  le  prix  de  nos  places^  et 
nous  continuâmes  à  suivre  paisiblement  le  cours  du 
fleuve. 

«  Peu  à  peu  notre  iaconnu  s'introduisit  dans  l'intérieur 
de  la  barque  et  ne  fut  pas  longtemps  sans  nous  faire  pen- 
ser que  nous  avions  fait  en  lui  l'acquisition  d'un  dan- 
gereux garnement.  Cependant  i)  se  contint  un  peu  durant 
les  premiers  jours. 

«  A  l'approche  du  lac  Pô-Fang,  il  ne  se  passait  pres- 
que pas  de  moment  dans  le  jour  que  nous  ne  rencontras^ 
sions  quelque  détachement  de  l'escadre  chinoise  qui  re- 
venait de  Kiang-Nàn.  Je  suis  porté  à  croire  qu'ils  appar- 
tenaient à  l'armée  de  terre,  non  à  la  marine;  ils  ne 
montaient  que  des  bâtiments  frétés  ;  chacun  d'eux  avait 
arfooréun  pavillon  sur  lequel  on  lisait  l'indication  des  décu- 
rîes ,  des  centuries ,  des  divisions,  des  légions  auxquelles 
appartenaient  ces  soldats»  et  le  nom  de  la  province  qui  les 
avait  fournis.  Cette  yaillante  armée,  qui  n*avait  pas  vu 
l'ennemi ,  n'en  revenait  pas  moins  triomphante,  comme  si 
eHe  Teût  taillée  en  pièces.  Son  chant  de  triomphe  com- 
mençait par  ces  mots  :  Hoûng4ioûy^ri  :  Ce  drapeau  dé- 
pl^f  U$  emwmii  mi  friê  la  fmUl 

«  A  en  juger  par  les  détachements  qui  passèrent  comme 
en  revue  devant  nous,  l'armée  chinoise  devait  être  fort 
considérable;  on  dit  que  cette  fois -là  Tempereur  avait 
véritablement  fait  des  levées  dans  tout  son  empire ,  ce  qui 
n'empêclui  pas  qu'a^ouit  même  que  son  armée  ne'  fikt  rts- 


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300 
semblée  sur  le  théâtre  de  la  guerre ,  il  ne  capitulât  avec 
les  Anglais ,  leur  accordant  la  liberié  de  commerce  dans 
cinq  de  ses  ports ,  et  leur  promettant  deux  mille  taëb^ 
environ  vingt-huit  ou  vingt-neuf  millions  de  francs.  Ce 
prince  faible  et  inconséquent  faisait  en  même  temps  un 
grand  déploiement  de  forces ,  et  un  traité  honteux,  plutôt 
que  de  courir  les  chances  d^une  bataille. 

«  Il  parait  que  la  somme  promise  aux  Anglais  a  mis 
de  la  gène  dans  le  trésor  ;  peut-être  faut-il  attribuer  à 
cette  cause  une  mesure  que  vient  de  prendre  Fempereur. 
Sur  une  pétition  adressée  par  les  six  premiers  tribunaux 
de  Pékin ,  il  a  rendu  une  ordonnance  qui  retranche  ju9- 
qu^à  nouvel  ordre  la  moitié  de  leurs  traitements  à  tous 
les  mandarins  de  Tempire.  Je  tiens  ce  fait  d^un  chrétien 
déjà  gradué  qui  se  rend  à  Pékin  pour  obtenir  quelque 
emploi  par  la  voie  du  concours  public. 

«  Cependant  notre  barque,  nullement  contrariée,  pour- 
suivait paisiblement  le  cours  du  fleuve  ;  je  trouvais, 
après  mes  méditations  et  mes  prières ,  un  agréable  dé- 
lassement à  considérer  le  fameux  Kiang ,  dont  l'aspect 
étsdt  bien  différent  de  ce  qu'il  avait  été  pour  moi  lorsque 
je  le  remontais.  En  allant  au  HaurPèy  (c'était  le  moment  dei 
inondations)  je  pouvais  à  peine  distinguer  un  fleuve  dans 
cette  mer  sans  rives;  actuellement  il  roulait  ses  eaux 
tranquilles  entre  deux  bords  couverts  de  moissons  déjà 
verdoyantes. 

«  Je  vous  ai  dit  que  dans  les  années  où  les  inondations 
du  Kiang  sont  considérables ,  les  habitants  de  ses  bo^is 
émigrent  dans  d'autres  provinces,  et  pariiculièremcait 
dans  celle  du  Kiang-Si.  Or,  voici  la  manière  dont  se  fgot 
ces  émigrations  : 

«  Lorsque  le  débordement  conuaence  à  amener  la 


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301 

disette ,  les  pauvres  mettant  à  contribution  les  riches 
du  chef-lieu ,  en  reçoivent  du  grain  à  titre  d'em- 
prunt. Si  rinondation  ne  diminue  pas  assez  tôt  pour 
qu^on  puisse  faire  les  récoltes  successives  du  blé,  du  riz, 
du  coton ,  des  fèves ,  du  maïs  et  de  diverses  plantes 
inconnues'  en  France  et  d*un  grand  usage  en  Chine, 
l'émigration  est  jugée  indispensable  et  définitivement  ar- 
rêtée. 

«  Alors  ces  pauvres  riverains  se  réunissent  en  troupes 
de  cent  ou  deux  cents  ;  chaque  Bande  prend  pour  chef  et 
pour  guide  un  membre  d'une  famille  riche  ;  celui-ci  ne 
peut  pas  refuser  ce  singulier  honneur  sans  s'exposer  à 
perdre  le  grain  qu'il  a  prêté ,  et  sans  voir  même  ses  biens 
livrés  au  pillage;  s'il  accepte,  au  contraire,  il  peut  es- 
pérer de  récupérer  ses  fonds ,  et  d'en  retirer  même  un 
intérêt  avantageux. 

«  Les  émigrants  partent  ainsi ,  à  la  suite  de  leurs  chefs  ; 
quelque  part  qu'ils  se  dirigent ,  ils  gardent  une  exacte 
discipline.  Us  n'entrent  pas  dans  les  maisons  pour  quêter; 
le  long  des  chemins ,  quoique  leurs  regards  se  portent  sur 
les  passants  avec  une  douloureuse  anxiété,  on  ne  les  voit 
jamais  leur  demander  la  plus  légère  aumône.  Spnt-ils 
arrivés  dans  un  village  ou  dans  un  marché,  le  chef,  qui 
0st  ordinairement  un  bachelier,  quoique  en  habit  de  men-  ' 
diant,  s'adresse,  au  nom  de  tous,  aux  anciens  du  vil- 
lage ,  aux  notables  du  bourg ,  avec  lesquels  il  traite  seul 
de  l'aumône  qu'il  demande.  S'ils  entrent  dans  une  ville , 
le  [même  ordre  s'observe.  C'est  toujours  le  chef  de  la 
bande  qui  seul  a  le  droit  de  porter  la  parole  :  il  va  d'abord 
au  mandarin  qui,  pour  l'exanple  et  pour  satisfaire  à 
son  devoir,  fournit  une  aumône  convaiable;  chacun  donne 
ensuite  suivant  ses  dispositions  et  ses  moyens;  il  est  rare 
qu'ils  soient  complètement  rebutés. 


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302 

«  Ces  dispositions  générales  envers  les  émigrants  les 
empêchent  de  mourir  de  faim  ;  mais  elles  leur  laissent  bien 
des  maux  à  souffrir  :  c^est  à  peine  si  les  deux  tiers  peuvent 
revoir  leur  pays  ;  les  autres  périssent  durant  rémigratîon, 
par  les  marches  excessives,  Thumidiié,  le  froid,  les  cha- 
leurs ,  rinsalubrité  des  aliments ,  les  intempérances  qui 
succèdent  à  ces  jeûnes  forcés,  et  surtout  parla  malpro- 
preté. Le  plus  souvent  les  bandes  se  subdivisent  en  deux 
sections  :  la  première  se  forme  dliommes  avec  leurs 
femmes,  et  de  jeunes  gens  maigres  et  défaits,  haletants  sous 
le  poids  des  instrum^ts  de  cuisine,  du  riz ,  de  la  paille, 
du  bois,  etc.  La  seconde  est  composée  de  femmes  et  de 
filles,  les  nnes  jaunes  comme  du  safiran,  les  autres  aussi 
pâles  que  la  mort.  Ces  infortunées  ont ,  pour  la  plupart, 
besoin  d'un  bâton  pour  se  soutenir  sur  leurs  pieds  ;  et 
cependant  il  leur  faut  encofe  porter  sur  les  bras  ou  char- 
ger sur  leurs  épaules  les  plus  jeunes  des  enfants;  leur 
cœur  est  déchiré  par  les  cris  de  ceux  qu'elles  mènent  à 
leur  suite,  trop  lourds  pour  être  portés,  et  trop  faibles 
pour  soutenir  les  fatigues  de  la  marche  :  aussi  tombent- 
Ils  souvent  de  lassitude.  Voilà,  mon  très-cher  Ami,  Taf- 
fligeant  spectacle  dont  j'ai  été  déjà  cinq  ou  six  fois  le  té- 
moin oculaire. 

«  Un  jour,  le  soleil  des  tropiques  darde  ses  rayons  sur 
la  tête  presque  nue  de  tant  de  malheureux  ;  le  lendemain 
ils  sont  inondés  d'un  torrent  de  pluie.  Et  puis,  où  iront- 
ils  passer  la  nuit?  il  ne  se  rencontre  p^*sonne  qui  leur 
offre  un  asile;  il  n'est  point  d'auberge  qui  les  reçoive; 
ils  s'arrêtent  dans  la  soirée,  sous  quelque  hangard, 
sous  le  vesta)ale  de  qodque  pagode,  au  risque  d'être 
étouffés  par  la  fumée,  suffoqués  par  la  mauvaise  odeur, 
dévorés  par  les  insectes  qn'esgendre  la  malpropreté. 
Telle  est  leur  vie  de  chaque  jour. 


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303 
«  Ceux  dont  les  forces  rémteit  à  tant  de  souffranoeB, 
trouvent,  dans  les  secours  qui  leur  ont  été  alloués,  noa- 
seulement  de  quoi  s'arrachcA*  à  la  faim ,  mais  encore  des 
ressources  pour  acheter  les  grains  qui  doivent  les  nour- 
rir jusqu'à  la  produiine  récolte ,  aisemencer  leurs  terres, 
acquitter  leurs  dettes  »  raviver  le  grand-père  et  la 
grand'mère  laissés  dans  le  pays  inondé,  si  toutefois  ils 
les  retrouvent  encore. 

«  L'année  dernière,  avant  mon  départ  pour  le  Hùu- 
Pi ,  une  troupe  de  plus  de  cent  cinquante  de  ces  malheu- 
reux parvint  à  une  de  nos  chrétientés,  éloignée  d'environ 
deux  journées  de  celle  où  je  faisais  la  Mission.  Un  caté- 
chisme aperçu  sur  une  table  par  le  chef  des  pauvres, 
amena  une  reconnaissance  entre  le  mattre  de  la  maison 
et  la  bande  des  mendiants,  toute  composée  de  chrétiens; 
notre  catéchiste  en  fut  averti  :  ilreçutdanssademeurt* 
tous  ces  chrétiens,  qui  étaient  de  notre  ancienne  Mission 
du  Hou-Péi  ils  prétendaient  porter  le  même  nom  que 
notre  confrère,  M.  Ly  (Joseph)  ;  ils  se  disaient  même  de 
ses  parents  ;  après  noAs  avoir  demandé  avec  empresse- 
ment de  ses  nouvelles^  ils  nous  témoignèrent  leurs 
tefMA  de  ce  qu'ils  ne  pouvaient  lui  rendre  une  visite. 
Notre  cher  confrère  était  pour  lors  occupé  dans  la  pro- 
nnnoe  de  Tehé-Miâng.  Ils  racontèrent  aussi  à  nos  fidèles  dn 
JKcmgSi  plusieurs  particularités  touchantes  du  martyre 
de  M.  Peii>eyQe.  L'entrevue,  en  un  mot,  fut  très -cor- 
diale de  part  et  d'autre  :  nos  ohrétiens  voulaient  doubler 
leurs  aumônes;  mais  les  pauvres  émigrés  s'y  refusèrent, 
et  n'acceptèrent  que  des  rafratdiissemenls* 

«  Il  est  temps  que  je  revienne  à  notre  malencontreux 
eompagnon  de  voyage.  Cétait  le  plus  fin  Argus  que  j'aie 
eonnu  de  ma  vie.  Il  se  disait  de  la  capitale  du  Kiang-*Si , 
d'où  il  venait,  disait-il,  de  conduire  un  naandarin  à  Pékin; 


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304 

de  Pékin  il  en  avait  conduit  un  autre  jusqu'au  Hou-Nân  ; 
actuellement  il  se  rendait  dans  sa  Ssimilie.  Malheureuse- 
ment on  me  faisait  passer  aussi  pour  mandarin.  S'il  était 
vrai  qu'il  eût  eu  des  rapports  si  fréquents  et  si  intimes 
avec  ces  hauts  personnages ,  il  était  diflBcile  qu'il  ne  pé- 
nétrât tdt  ou  tard  le  secret  de  ma  position  véritable  ;  com- 
ment la  modestie  du  missionnaire  et  la  simplicité  de  TapA- 
tre  pouvaient-elles  ne  pas  contraster  à  ses  yeux  avec  la 
jactance  mandarine?  comment  soutenir  une  conversation 
qu'il  ramenait  sans  cesse  sur  les  mandarins ,  qu'il  se  pi- 
quait de  connaître  presque  tous,  lorsque  je  ne  con- 
naissais pas  même  un  seul  mandarin  du  Kiang-Si,  d'où 
Ton  avait  dit  que  j'étais  moi-même?  je  le  laissais  par- 
ler, j'approuvais  des  yeux,  du  sourire,  de  la  tête;  je 
me  tenais  au  large ,  je  faisais  le  grand  en  me  rendant 
rare. 

«  Malgré  ma  prudence  et  ma  réserve,  je  ne  tardai  pas 
à  comprendre  que  cet  homme ,  qui  se  donnait  le  nom  de 
ZtVou-1%,  m'épiait  et  cherchait  à  me  deviner.  Véritable 
Prêtée,  il  savait  revêtir  toutes  les  fofmes  :  après  avoir 
conversé  avec  moi,  il  accostait  mes  deux  Siang-Kaungj  et 
leur  faisait  mille  questions  à  mon  sujet.  Ces  bonnes  gens 
n'avaient  pas  cru  mentir  en  me  faisant  passer  pour  un 
haut  personnage;  car,  si  le  prêtre  est  le  lieutenant  du  roi 
du  ciel,  est-ce  trop  l'élever  que  de  le  ranger  parmi  les 
officiers  des  princes  de  la  terre?  Mais  la  partie  n'était 
pas  égale  entre  eux  et  mon  espion.  Il  conclut  beaucoup 
de  choses  de  leur  embarras  et  peut-être  de  quelques 
contradictions  inévitables. 

«  Cependant  il  dissimula ,  et  résolut  de  ne  rien  dire 
ouvertement,  ni  de  ses  soupçons,  ni  de  ses  projets  contre 
moi,  jusqu'à  la  douane.  En  venant,  nous  l'avions  passée 
à  Ta-Kou-Thang.  Cette  fois-ci  nous  devions  le  laire  à 


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305 
Kian-Kiang-Fou*  Nous  ne  pouvions  y  arriver  qu^assesi 
avant  dans  la  nuit.  C'était  le  temps  que  Liéou-Ye  avait 
choisi  pour  lever  le  masque. 

«  Quoique  sur  une  même  barque  assez  petite,  nous 
avions,  dès  les  premiers  jours,  établi  entre  les  deux  voya- 
geurs et  nous  une  sorte  de  séparation  avec  des  marchan- 
dises et  des  ballots;  à  Taide  de  celte  clôture,  nous 
pouvions  départ  et  d'autre  dire  et  Êiire  bien  des  choses 
sans  être  vus  ni  étatendus.  Mes  deux  Stang-Koung  ron^ 
Client  dans  ma  case;  pour  moi^  bien  que  je  fusse  couché» 
je  ne  dormais  pas  enccHre  ;  je  faisais  quelques  prières,  qui 
ne  tardèrent  point  à  être  interrompues  par  la  conversa 
tîon  qui  commença  entre  Liéou-Ye  et  l'autre  voyageur  > 
brave  homme  de  Pékin  d'environ  trente  ans. 

«  Je  ne  comjffènais  pas  d'abord  les  paroles  de  LiéotH 
Ye,  qui  parlait  avec  beaucoup  de  feu  et  de  volubilité; 
j'entendais  de  temps  en  temps  le  Pékinois  lui  répondre^ 
chef  ché,  c'est  vrai ,  c'est  vrai  l  Un  voyageur  d'une  autre 
barque  ayant  passé  sur  la  nôtre,  comme  sur  un  pont  pour 
prendre  terre,  Liéou-Ye  l'appela  pour  lui  faire  part  de 
ses  conjectures  sur  moi.  Il  énuméra  devant  ces  deux  iii^ 
terlocuteurs  une  dizaine  d'indices  ,  auxquels  il  avait  re- 
connu que  je  n'étais  pas  Chinois  ;  toutes  ses  observations 
étaient  vraies  et  dénotaient  un  esprit  pénétrant.  C'est 
probablement  un  Anglais ,  ajoutait-il,  et  par  conséquent 
un  espion  ;  il  vomissait  contre  moi  toutes  sortes  de  ma- 
lédictions ,  et  jurait  avec  imprécation  de  dénoncer  cet 
Européen  aux  mandarins  dès  la  pointe  du  jour,  avant  la 
visite  de  la  douane. 

«  Je  me  sentis  saisi  d'une  agitation  involontaire ,  et 

beaucoup  plus  pénible  que  la  frayeur  du  naufrage  dont 

je  vous  ai  parlé.  Le  visage  de  Liéou-Ye,  bien  que  spv- 

rituel,  était  celui  d'un  scélérat  consommé.  Nulle  sûreté  à 

TOM.  XVII.  101.  20 

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396 

lui  faire  une  confidence,  même  accompagnée  de  piastres; 
«t  par  quel  moyen  pouvais- je  espérer  de  me  tirer  de  ses 
mains?  Tandis  que  le  cœur  serré  et  respirant  à  peine  je  oie 
^nais  assis  sur  mon  lit  pour  mieux  penser  à  ce  que  j'avais 
il  laire,  j'entendis  Liéou-Ye  dire  à  ses  deux  compagnons  : 
«  11  faut  interroger  le  capitaine,  et  voir  s'il  sait  d'où  est 
«  cet  bonuDe.  » 


«  Réveillé  d^un  profond  sommeil ,  le  capitaine 
répondit  .  «  Tout  ce  que  je  sais,  c'est  que  je  l'ai 
«  pris  à  Ban-^Kemi ,  oà  il  logeait  dans  me  grande  «t 
«  belle  maison.  »  Mes  espions,  après  avoir  encore  res^ 
êassé  leurs  conjectures  jusqu'à  ce  que  la  lampe  s'étei- 
gnit Saute  d'huile ,  se  laissèrent  à  leur  tour  aller  au 
sommeil. 

«  Hélas  I  il  n'y  avait  pas  pour  moi  c^e  repos  dans  cette 
cruelle  nuit.  Rien  ne  saurait  vous  donner  une  idée  du 
tourment  que  j'endurai  ;  dussé-je  paraîire  bien  peu  pré- 
paré au  martyre,  je  ne  puis  m^empôcher  de  vous  raconter 
mes  angoisses.  Toute  la  nuit  mon  esprit  fut  livré  aux  plus 
sombres  réflexions  ;  un  homme  passa ,  par  hasard,  sur  le 
pont ,  au-dessus  de  ma  petite  chambre ,  d'où  je  ne  l'en- 
tendis point  sauter  sur   la  barque  voisine  :  aussitôt  je 
m'imagine  que  l'interlocuteur  survenu  est  allé  donner 
l'alerte,  et  qu'à  sa  suite  les  satellites  sont  accourus  et  se 
sont  portés  sur  le  pont  de  la  barque,  pour  me  saisir  au 
réveil.  Celte  pensée  acheva  de  m'accabler  ;  tantôt  je  me 
tenais  sur  mon  séant ,  tantôt  je  m'agitais  dans  mon  lit  ;  le 
«œur  me  battait  avec  violence;  ma  respiration  était  pré- 
cipitée et  brûlante  ;  et  je  tremblais  encore  qu'en  hale- 
•ttiDt  avec  si  grand  bruit ,  je  ne  vmsse  à  réveiller  mes 
bourreaux,  et  à  ooafirnMr  leurs  soupçons.  Qùrimq^ 
l^ice  queceiui  de  lu  crainte  I  le  BBal  lui-oiteie  nous  ferak 
'moins  souffrir. 


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M7 
«  Une  pensée  îni|»iétaiite  whit  eneore  atigmeoter  mes 
angoisses.  Je  me  rappelai  que  le  Vicaire  apostolique  da 
Chan-Si,  ayant  été  reconnu  il  y  a  quelques  années  pour 
un  Européen ,  passa  une  si  cruelle  nuit ,  bien  quMl 
eût  donné  soixante  piastres  pour  acheter  le  silence, 
qu'il  trouva  le  matin  ^  barbe  toute  blanchie;  je  ne 
doutai  point  que  la  mienne  n*eàt  le  même  sort,  ce 
qui  n'aurait  pas  manqué  de  me  trahir ,  et  je  fus  étonné 
au  retour  du  jour  de  la  trouver  de  la  même  couleur  que 
la  veille. 

«  Enfin  le  jour  parut,  j'ouyrîs  ma  maUé,  j'en  retirai 
Targent  qui  me  restait,  j'en  fis  troi3  parts  dont  étia% 
pour  mes  Siang-Koungy  et  je  les  engageai  à  venir  visiter 
^•»  place  de  Kian-Kiang-Fou  ;  îi  leur  en  coûtait  de 
sortir  si  matiM  ;  je  leur  secouai  la  main  pour  les  réveiller, 
et  leur  dis  à  Toreille  que  j'avais  à  leur  communiquer  des 
eftoses  de  tiaute  importance.       " 

«  Nos  incommodes  voisins  dormaient  profondément  | 
Hs  se  reposaient  de  la  peine  quils  s'étaient  donnée  à  me 
fourmenter. 

«  Nous  confiâmes aOBéfiets  nn  iqattrs  delà  barque^  afin, 
lui  dimes-nous,  qu'ils  ne  devinssent  pas  la  proie  des  t^v% 
pauvres  qui  pourraient  nous  moleSter  comme  ils  l'avaient 
ftft  à  Ta-Kourthang,  61  nous  primes  terrée  Âus^itAt 
Ae  tenir  conseil  sm%  pairU  à  prendre.. Fautr il,  leur  disais* 
je ,  que  je  confie  moik  salut  à  l'agilité  de  mes  jarrets  ?  dois^ 
jefàîre  tomber  ma  barbe,  et  changer  de  costume?  devons- 
AOQS'ttous  séparer  ?  Si  nous  fuyons,  sera-ce  par  la  voie  de 
ttlire  eu  par  celle  dû  fleuve  P  faudra-t-H  le  descendre  ou  là 
remonter?  laisser  nos  hardes  ne  sera  pas  un  gros  sacrifice; 
mais  si- elles  sont  saisies  sur  la  barque,  elles  déposeront 
eoBtre  pous. — Nous  étions  i  plus  de  trois  journées  ^efs 
plus  vobine  de  nos  chrétientés,  el  en  Ms  de  dénondalîM^ 

se. 

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308 
et  de  poursuite,  nous  aurions  été  saisis  mille  fois  avant  d'y 
être  arrivés. 

«  Plus  nous  délibérions,  moins  nous  étions  filés  sur  le 
parti  à  prendre.  Déjà  avec  notre  mine  de  mourants ,  nous 
avions  fait  le  tour  de  cent  échoppes,  visité  sans  les  voir 
autant  de  bazars ,  et  nous  étions  aussi  irrésolus  qu'au 
premier  instant.  «Prions Dieu,  dis-je  à  mes  deux  cour- 
riers ;  si  nous  ne  le  pouvons  pas  de  bouche,  prions  dans 
le  fond  de  nos  cœurs.  Adressons-nous  à  tous  les  saints,  et 
surtout  au  glorieux  martyr  Gabriel  Perboyre,  et  puis  di- 
sons comme  Judas  Machabée  :  Sicutautemfumtvoluntas 
in  cœlo,  $ic  fiât  (1).  » 

«  J'envoyai  Tu-Sien-Cheng  dans  la  barque ,  comme 
pour  y  chercher  un  panier  qui  nous  servit  à  emporter  des 
provisions,  et  dans  la  réalité  pour  savoir  ce  qui  s'y  passait. 
Tout  y  était  tranquille.  Liéou-Ye  qui  n'avait  pas  quitté 
le  bateau ,  dit  en  souriant  qu'il  y  demeurait  pour  le 
garder.  Une  cruche  à  remplir  du  bon  vin  de  Kian-Kiang 
nous  fournit  le  motif  apparent  d'un  second  voyage  ;  la 
barque  avait  déjà  été  jaugée^  le  nautonier  était  allé  au 
bureau,  pour  obtenir  qu'on  lui  délivrât  l'attestation. 

«  Quelques  heures  après  je  fis  engager  mes  dangereux 
compagnons  de  voyage  à  prendre  avec  nous,  dans  un 
restaurant,  une  tasse  de  camphou.  Le  voyageur  pékinois 
se  rendit  à  notre  invitation.  Liéou-Ye  refusa,  prétendant 
qu'il  était  obligé  de  demeurer  dans  la  barque,  pour  faire 
sécher  des  linges  qu'il  avait  trouvés  humides  dans  set 
maUes.  Ce  fut  une  prévention  de  plus  pour  nous  contre 


(1)  Qoe  ce  qui  est  ordonné  par  la  yolonté  de  Diea  dans  le  ciel ,  s'ac- 
covplisae.  {i.  Mach.  3.  <M>0 

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309 
cet  bommet  que  bous  n'appelions  au  restauranl  qu'afinde 
le  sonder  de  plus  près.  Pour  notre  Pékinois,  nous  M 
tronTâmes  son  air  de  bonhomie  ordinaire  ;  ce  qui  nous 
fit  présumer  qu'on  ne  songeait  pas  encore  sérieusement  à 
exécuter  de  sinisU*es  projets  contre  moi  ;  peut-être  ne  se 
croyait-on  pas  assez  sûi;  de  son  coup ,  et  n'osait-on  pas 
essayer  un  esclandre  qu'on  aurait,  en  cas  d'erreur,  payé 
fort  cher. 

«  Nous  primes  le  thé ,  battîmes  encore  le  pavé  de 
quelques  rues,  et  n'en  pouvant  plus  de  lassitude,  je  dis 
adieu  au  Pékinois ,  lui  donnai  un  Siang-Koung  pour  l'a»- 
compagner,  et  pris  l'autre  avec  moi  pour  regagner  notrt 
barque.  Nous  y  trouvâm^p  encore  Liéou-Ye  oa:upé  à  dé- 
ployer ses  effets;  nous  aperçûmes,  non  sans  quelque 
effroi,  au  fond  d'une  de  ses  malles,  plusieurs  contoiurs 
d'une  grosse  chaîne  en  fer  :  depuis  lors  la  véritable  pro- 
fession de  ce  protée  nous  parut  plus  que  jamais  une  énigme 
inexplicable;  je  ne  doutai  plus  que  cet  homme  ne  jouât 
un  rôle,  et  qu'il  ne  se  donnât  pour  ce  qu'il  n'était  pas.  La 
pensée  me  vint  qu'il  avait  emprunté  sa  chaîne  à  Kian^ 
Kiang  pour  mon  usage  ;  j'eus  lieu  de  penser ,  plus  tard, 
qu'il  l'apportait  de  plus  loin. 

«  «  Je  luiadressai  quelques  p^iroles polies^  elfallaiprier 
Dieu  et  me  reposer,  lorsque  Tu-SienrCKeng  y'mi  m'avertif, 
que  Fusage  étant  de  régaler  les  matdots  d'une  barque 
passée  à  la  douane ,  Liéou-Ye  avait  fiiit  préptfer  un  gala 
auquel  il  m'invitait.  Nouveau  piège ,  dîmes-nous,  nouvelle 
séance  d'obso^ation  I  Cependant  je  ne  pouvais  pas  refuser* 
Je  fis  répondreque  j'acceptais,  à  condition  que  je  suppôt- 
ferais  la  moitié  des  firais  durqpas.  LePâûnoiset  Tdumjf' 
Siang-Kimngi  après  s'être  longtemps  fut  attendre,  am- 
vèrast  ;  on  se  mit  àtable;  le  r^l  se  prolongea  jusqu'à 
ta  nuit.  Je  fus  toujours  traité  en  grand  personnage,  et  le 


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310 

MtiUa  LiéOB^Ye  vovhit  méipe  qadquefbiB  me  servir  à 
lN)ire,  œ  qui  esl  la  fonction  la  plus  basae  parmi  les  convi  vas 
<UfK>i8«  Point  de  couteaux,  point  de  cuillers,  point  de 
lonrcbettes.  SansdouteLiéon-Ye  m'attendait  à  la  manière 
éantje  ferais  jouer  lesÂotkiy-r^,  c'estrà-dire  les  deuxlxh- 
ttaoetSy  qui,  comme  on  lésait,  remplacent  cb^  les  Chinois 
m)s  services  d'Europe.  Je  pouvais  subir  ceite  épreuve 
Sdus  les  yeux  de  Liéou-Ye  ;  dix  ans  d'habitation  dans  le 
noble  Tchoûng-Koûe  m'avaient  rendu  habile  à  faire  u^ge 
des  bâtonnets.  Je  craignais  moins  cet  exercice  que  celui 
des  contes  à  débiter.  Noire  intrigant  en  fit  un  pas- 
sable débit;  en  homme  important  je  lui  donnais  de 
temps  en  temps  de^  sourires  d'approbation.  Mon  Tchang* 
Siang-Koung,  qui  savait  que  j'avais  besoin  d'être  suppléé, 
se  montra  à  son  tour  conteur  habile  ;  il  mit  sur  le  tapis 
des  anecdotes  de  mandarins,  matière  favorite  de  Lléou- 
Ye ,  qui  excitèrent  dans  notre  assemblée  une  gaieté  si 
vjVe,  que  les  passagers  des  autres  barques ,  attirés  par 
les  éclats  de  rire,  vinrent  se  mêler  à  notre  belle  humeur. 
Les  contes  furent  longs,  et  je  n'eus  pas  besoin  de  faire  des 
frais  de  conversation.  Liéou-Ye  n'osa  m'adresser  qu'une 
(|uestion  :  «  Quel  âge  avez- vous?  »  Et  comme  s'il  eût  été 
trop  hardi  envers  un  homme  de  ma  dignité  ,  il  se  hâea 
di'igoùter  :  «  Vous  n'avez  pas  passé  dO  ans?  — Non;  lui 
«  dis-je,  je  ne  les  ai  pas  encore  atteints.  —  Je  suis  dbnc 
m.  votre  aine,  me  ditr^il  d'une  manière  assez  peu  polie.  ^ 
U>  avait  fait  acheter  ,  je  ne  sais  à  quelle  intention^  une 
élfkùe  d'eau-de-vie  si  forte ,  que  quelques  gouttes  suffi* 
itàmi  pour  bràler  le  palais*  J'ordonnai  au  Siang-Koung  dé 
Airecbauff^  une  pince  de  notre  vin  qui  était  doux  etpa&» 
Noblement  bon,  quoiqu'il  neiitkt  pas  de  raisin  :  comme  roel 
4itevives  lui  faisaient  honneur  de  bonnç  grâce ,  j'en  fis 
AuttSér  une  saq^nde,  f  y  joignis  trois  uisrettea  de  pâtis^ 
iBrie«  dont  m-avaient  fiut présentdes  chrétiens  du  Hùu*Pk 


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31t 

Mm  fialB^lre  célèbre  gala;  on  prit  une  lasse  de  thé,  od 
fama  noe  pipe;  pois  je  fi&  mes  prières ,  et  tombant  de 
lasttlAide,  je  m'endormis  profondément  après  avoir  répété 
mire  devise  :  SictU.  auiem  fueril  voluntas  in  cœlo,  sic 
fiak 

«Le  lendemain,  Dieu  ayant  permis  qu'on  levât  l'ancre 
et  même  de  grand   matin  ,   nous  continuâmes  notre 
roule.  Lèvent  nous  fut  favorable  jusqu'à  l'enirée  du  lac, 
c'est-à-dire  pendant  deux  jours;  mais  là,  il  s'éleva  une 
forte  brise  du  midi  qui  nous  était  contraire.  Il  fallut 
awarrer  de  nouveau  coQtre  un  bord  déjà  garni  d'autres 
kirques  qui  attendaient,  comme  nous,  un  meilleur  temps* 
Les  voyageurs  passaient  la  plus  grande  partie  de  ta  jour^ 
née  à  terre  pour  respirer  plus  à  l'aise  et  pour  babiller.  Je 
fis  un  jour  entier  de  retraite  forcée,  au  fond  de  notre 
barque,  de  peur  d'être  reconnu  par  les  gens  de  Kian- 
Kiang-Foûf   qui,  faisant  le    commerce  à  llan-KéoUy 
pouvaient  m'y  avoir  vu  parmi  les  chrétiens  du  village  de 
KieoU'TovL*  Liéou-Ye  s'en  formalisa;  toutes  mes  hon- 
nêtetés n'avaient  pu  l'apprivoiser;  nous  eûmes  encx)re  la 
douleur  de  l'entendre  dire,  qu'arrivés  à  Oû-Tching^  lieu 
du  débarquement,  il  saurait  bien  qui  j'étais^  dût-il  poui* 
cdia  me  suivre  partout  où  j'irais.  Le  capiinii^e,  auprès,  du* 
qnel  on  me  Élisait  passer  pour  être  duKiang^Si^  dit  aussi 
qu'il  ne  savait  pas  d'où  je  pouvais  être  ;  Liéou-Ye  lui 
awt  sans  doute  communiqué  ses  soupçons.  Le  lende* 
maitt  je  i^ontrai  que  je  pouvais  rompre  mon  ban  ;  tout  en 
rftdaol;  sur  le  rivage ,  jetins  conseil  avec  un  de  mes  gui- 
des» et  nous  crûmes  pouvohr  tirer  enfin  la  conclusion  tani 
désirée:  Fuyons»  fuyons!  Je  rentre  dans  la  barque;  je  ma 
plaiostout  haut  d'un  vent  qui  peut  encore  apporter  à  mes 
pressantes  ai&iires  plusieurs  jours  de  retard  ;  j'annonce  aii 
cai^taine  que  je  débarcpie  ;  je  le  prie  de  me  faire  con-. 


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312     * 

duire  jusqu'à  Ta-KourTang ,  où  je  dois  prendre  la  rouit 
déterre;  maisfai  beau  l'assurer  que  rcAan^-Stony-iTouiij 
doit  demeurer  avec  nos  effets  sur  la  barque,  dont  le  nau* 
iage  ne  sera  pas  diminué  ,  il  fait  la  mine,  ne  bouge  pas, 
et  laisse  à  TthSien-Cheng  tout  l'embarras  de  mon  petU 
débarquement.  Je  fis  mes  adieux  à  mes  deux  compagnons 
qui  me  promirent  très-gracieusement  de  me  rendre  leur 
visite  à  Ou-Tching^  et  m'embarquai  pour  Ta-Kou-Tang^ 
dont  nous  n'étions  éloignés  que  de  trois  lieues. 

«  Le  vent  était  contraire  ;  nous  n'arrivâmes  que  vers 
le  milieu  de  la  nuit  ;  mais  le  danger  avait  fui  loin  dt 
bous;  du  moins  nous  le  pensions.  ••!!!  Le  lendemain 
BOUS  étions  balancés  dans  de  commodes  palanquins, 
et  trois  jours  après  nous  arrivions  dans  notre  première 
chrétienté  d'Ou-Tchtng. 

«  La  persécution  que  l'on  craignait  dans  cette  ville 
lorsque  j'y  passai ,  comme  je  l'ai  dit  au  commencement 
de  ma  lettre ,  y  avait  éclaté  depuis  huit  jours.  En  y  ar- 
rivant cette  fois-ci ,  sur  le  soir,  je  descendis  sans  me  dou- 
ter de  rien ,  dans  la  boutique  d'un  catéchiste  qu'on  avait 
mis  en  prison  ;  mon  arrivée,  aussi  inopportune  qu*inat* 
tendue,  jeta  ses  employés  dqns  un  extrême  embarras ,  et 
Ddoi-méme  dans  de  nouvelles  perplexités.  Je  demandai  ou 
était  la  chapelle ,  f  avais  promis  à  Tchang-Siang-Koung  de 
l'y  attendre.  Hélas  I  cette  chapelle  le  mandarin  l'avait  fait 
iarmer  depuis  quatre  jours.  Les  autres  catéchistes ,  in* 
struits  de  ma  présence  parmi  eux,  ne  jugèrent  pas  la  mai- 
son de  leur  confrère  assez  sûre;  ils  furent  tous  d'avis  qu'il 
fidiait  me  cx)nstituer  un  gtte  plus  à  l'abri,  qui  fftt  sur  k 
bord  du  lac,  afin  qu'en  cas  d'alerte  je  pusse  plus  faci- 
lement me  dérober  au  danger.  Ce  fut  un  galetas  qui  me 
servit  d'aile;  j'y  passai  ma  première  nuit  sans  accident , 
mais  abîmé  dans  une  multitude  de  réflexions  diverses  : 


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313 

«  Je  De  sors  donc  d'an  péril  que  pour  retomber  dans  un 
«  autre  ;  je  fois  comme  le  lierre  qui ,  après  avoir  parcouru 
«  vallons,  collines  et  montagnes,  revient  de  lui-même 
«  se  placer  sous  le  feu  des  diasseurs.  Cette  fois  enfin,  Fivii 
Dominas^  disais-je  avec  David ,  quia  uno  tctniùm  {ut  ila 
«  dicam)  gradu,  ego  manque  dividimur  (1).  Je  regret- 
«  tais  de  mourir  à  Ve-Kia-Tchéou,  parce  que  là  le  sacrî- 
m  fice  de  ma  vie  n'anrait  été  d'aucune  utilité  pour  la  Reli- 
«  gion;  à  KianrKiang-Fou  ^  parce  que  j*étais  incoa» 
tt  nu  ;  à  HanrKiou ,  parce  que  je  n'étais  pas  escorté 
«  de  mes  chrétiens.  Ici,  je  n'ai  pas  lieu  d'éprouver 
«  un  seul  de  ces  regrets  :  le  pasteur  est  au  milieu  de 
«  ses  ouailles  ;  je  peux  les  exhorter  de  la  voix  et  de 
«  l'exemple ,  et ,  comme  M.  Perboyre ,  entrer  dans  la  lice 
«  avec  les  paroles  d'Eléazar  :  Quamobrem  fortiter 
•  viid  excedendo...  exemplum  forte  relinquam,  sipromjh 
«  to  anima  ac  fortiter  pro  gravissimis  ac  sanctissimis 
«  Ugibus  hanestd  marte  perfungar  (2). 

«  Dieu  se  contenta  encore  de  ma  bonne  volonté ,  et 
ne  me  trouva  pas  digne  du  martyre.  —  Le  jour  suivant 
je  pus  m'embarquer  pour  Nan-Tchang^eng ,  notre  ca- 
pitale ,  dont  tons  les  chrétiens  s'empressèrent  de  m^ac- 
cueillir  de  leur  mieux.  Mais,  comme  on  n'était  pas  sans 
crainte ,  à  cause  du  voisinage  de  OurTching ,  je  ne  fis 
pas  long  séjour;  j'ai  su  depuis  que  cette  chrétienté  de 


(1)  n  n'y  a  pow  tint;  dira  qn*an  poiol  entre  ma  rie  et  mt  mort. 
(l.Reg.ao.  3.) 

(Î5  C'est  poarqvaîmamoteoinrageiifement je  laimerai  un  exemple 

de  fermeté  ea  souffrant  arec  conMance  et  a?ee  joie  one  mort  honorable 
poar  le  cahe  sacr^  de  m  Irk^intei  loîa.  (  2.  Mach.  6^  Î7  et  28.  ) 


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314 

Nan-Tchang-Smg  ^aii  tombée  eUe^mène  sons  le  feu, 
d'Dne  cruelle  persécutioii. 

«  De  là ,  Je  me  rendis  à  Choui-Tchéou-Fon ,  chrélienié 
éloignée  d'environ  vingt-deux  lieues  de  celle  de  Nanr 
TchangSeng;  j*y  trouvai  Mgr  Rameaux.  Ce  digne  Evéque 
fat  on  ne  peut  plus  étonné  de  mon  arrivée  ;  son  cœur  pa^ 
ternel  compatit,  autant  qu'il  est  possible  de  le  faire,  à 
mes  longues  infortunes;  il  rfomit  rien  pour  me  faire  ou^ 
blîer  mes  fatigues. 

«  J'avais  enGn  touché  au  terme  de  mon  pitoyable 
voyage:  des  contre-temps,  des  acxîîdcnts,  des  dangers, 
l'avaient  sillonné  depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin  ; 
peut-être  Dieu  voulait-il  par  là  punir  mes  péchés ,  me 
faire  sentir  mon  indignité,  et  me  donner  au  moins  lë 
mérite  des  tribulations. 

«  Mon  Tchang-Siang-Koung,  que  j'avais  laissé  sur  la 
barque  pour  conduire  mes  effets,  eut  toutes  les  peines  du 
monde  à  se  défaire  de  Liéou-Ye  ;  il  y  parvint  cependant 
et  arriva  heureusement  à  Ou-Tcking. 

«  Qu'allez-vous  penser  d'une  aussi  longue  lettre?  Si 
favais  prévu  sa  longueur,  je  n'aurais  pas  eu  le  courage 
de  la  commencer;  aurez- vous  celui  de  la  lire? 

«  Mgr  Rameaux  est  parti  dès  les  premiers  jours  de 
janvier,  pour  aller  faire  sa  visite  pastorale  dans  la  pro- 
vince de  Tche-Kiang;  il  n'est  pas  encore  de  retour.  Sa 
Grandeur  a  été  retenue ,  plus  longtemps  qu'elle  ne  pen- 
sait ,  par  la  visite  qu'elle  a  dû  faire  aussi  à  l'Ile  de  ïYnjr- 
ffay  ou  TchoU'San,  que  les  Anglais  occuperont  jusqu'à  ce 
que  les  Chinois  aient  entièrement  payé  l'amende  qui  leur 
a  été  imposée. 

«  Depuis  ledépart  de  Mgr  j'ai  pu  reprendre  mes  courses 
sans  autres  maladies  que  quelques  rhumes,  au  commen- 
cement du  printemps.  J'ai  visité  dix-huit  chrétientés.  J'ai 


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su 

bapdsé  quinze  adultes.  C'est  à  peu  près  mon  contingent  de 
dhaqae  année.  Je  y'iem  encore  de  baptiser  deux  personnes  : 
la  première  est  une  femme  de  soixante  ans ,  retenue  dans 
son  lit,  elle  est  de  la  ville  de  Nan-Foung-Hien;  la 
seoonde  est  un  jeune  homme  de  vingt  ans,  de  Kior^ 
Tehang-Fou.  Hélas  I  que  de  raisons  n'ai-je  pas  de  crain- 
dre que  la  persécution  ne  rende  encore  les  conversions 
plus  rares  I  Je  dois  aussi  vous  dire  que  le  procès  que 
favais  laissé  entre  les  chrétiens  de  Kieou-Tou  et  les  infi- 
dèles du  même  village  est  terminé  à  l'avantage  des  fidèles. 
Le  mandarin  s'est  montré  juste  ^  ce  qui  est  rare;  les 
païens ,  du  reste,  avaient  agi,  dès  le  début,  de  manière  à 
compromettre  leur  cause;  pendant  tout  le  cours  du  pro- 
cès, ilsontétémenacés  des  peines  les  plus  infamantes  par 
lemandarin, qui, cependant, n'a  pas  jugé  en  dernier  res- 
sort ,  parce  que  les  deux  partis ,  après  avoir  supporté  de 
gfandes  dépenses ,  ont  mieux  aimé  s'arranger  à  l'amia- 
We.  Les  chrétiens  sont,  d'après  le  traité,  délivrés,  soit  de 
la  contribution  aux  spectacles ,  soit  de  toute  part  aux  au- 
tres superstitions  usitées  dans  le  village...  Ici  de  nouveau 
un  grand  SU  nomen  Domini  benedicktm;  car  toute  cette 
affaire  s'est  heureusement  pacifiée  contre  l'attente  géné- 
rale. Nous  n'avons  point  à  déplorer  de  ces  haines  inter- 
minables qui  paraissaient  fort  à  craindre.  Nos  chrétiens 
ont  gain  de  cause,  et  cependant  ik  sont  regardés  par  les 
paûlens  comme  leurs  bienfaiteurs, 
k  Je  suis ,  etCé 

«  Laribe.  » 


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316 


MISSIONS  DE  LA  GÉORGIE. 


LeUre  du  R.  P.  Damien  de  Fiareggio,  Capucin  et  Préfet 
apostolique  de  la  Géorgie,  d  Monsieur  le  Président  du 
Conseil  central  de  Lyon.  (Traduction  de  ritallen.) 


Trébûondo,  1-13  fëfrier  18i5. 


«  MoifsiBUR  LE  PubiDBnr; 

«  La  générosité  avec  laquelle  les  Conseils  de  l'Œurre 
de  la  Propagation  de  la  Foi  ont  secouru  les  Missions  ca- 
tholiques de  la  Géorgie^  confiées  depuis  plus  de  deux  ans 
à  mes  faibles  soins  par  la  sacrée  Congr^tion  de  la  Pro- 
pagande ,  me  fait  regarder  comme  un  devoir  de  vous 
adresser  le  récit  fidèle  de  notre  injuste  expulsion  de  ces 
contrées ,  où ,  dès  l'année  1661 ,  (m  nous  a\'ait  toujours 
vus  sujets  paisibles  et  soumis. 

«  Le  projet  de  ce  bannissement  n'est  pas  nouveau  ;  d^à  il 
avait  préoompé  le  gouvernement  moscovite  dès  les  pre- 
mières années  qui  le  virent  mature  de  la  Géorgie;  mais 
les  [H^édécesseurs  du  monarque  actuel  n'en  étaient  point 


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S17 

vernis  à  Texécution  :  ib  voulaient  trouver  un  prétexte 
qm  revêtit  une  telle  conduite  des  apparences  de  Téquité  et 
de  la  justice;  aussi,  pour  le  faire  naître,  on  n'a  rien 
épargné. 

«  Ilest  impossible  de  dire  en  combien  de  manières 
nous  fûmes  constamment  vexés,  tourmentés  par  la  multi- 
tude incessante  de  lois,  ordres  et  décrets  impériaux. 
C'était  peu  de  nous  prohiber,  sous  peine  de  Texil  en  Sibé- 
rie ,  de  recevoir  à  la  foi  catholique  tout  membre  de  la 
secte  grecque;  on  nous  défendait  encore,  sous  la  même 
peine,  de  Tinstruire;  la  conversion  de  tout  hérétique, 
païen ,  infidèle ,  rendait  celui  qui  en  était  l'auteur,  passi- 
ble de  graves  peines.  Bien  plus ,  entretenir  des  correspon- 
dances avec  le  Saint-Siège,  et  surtout  avec  la  sacrée  Pro- 
pagande, prendre  le  titre  de  Missionnaires^  recevoir  des 
secours  de  l'Europe,  nous  montrer  dépendants  de  toute 
autorité  spirituelle  qui  ne  réside  pas  dans  l'empire ,  écrire 
ou  dire  que  nous  n'étions  pas  soumis  au  consistoire  de 
Hohilev,  foire  ordonner  des  prêtres  ou  demander  les 
saintes  huiles  à  tout  Evêque  qui  ne  fàt  pas  sujet  russe , 
c'étaient  autant  de  délits  dont  le  moindre  châtiment  était 
l'expulsion  de  la  Géorgie.  —  Il  nous  fut  pareillement  dé- 
fendu, sous  peine  de  l'exil  en  Sibérie,  de  baptiser  aucun 
enfant  né  d'un  mariage  mixte  contracté  entre  catholiques 
et  grecs-schismatiques  ;  mais  c'est  peu  que  tout  cela  : 
nous  avions  défense  de  nous  opposer,  même  par  de  simples 
conseils,  à  de  tels  mariages;  et  si  on  en  célébrait  dans 
l'église  grecque-russe,  on  voulait  nous  obligera  les  con- 
firmer par  une  bénédiction  solennelle.  —  Il  n'était'pas 
permis  de  bâtir  des  églises  dans  les  lieux  oh  la  population 
catholique  n'arrivait  pas  à  quatre  cents  âmes;  et  là  où  elle 
atteignait  ce  chiffre,  il  fallait ,  pour  construire,  le  permis 
impérial  :  or  ce  permis,  on  ne  l'obtenait  jamais  ou  que  très- 
difficilement.  Même  dans  ces  derniers  temps,  l'empereur 

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318 

avait  expressément  ordonné,  pour  les  seuls  catholiquesde 
la  Géorgie,  qu'ils  ne  pussent  jamais  mettre  pierre  sur 
pierre ,  soit  pour  bâtir  des  églises  nouvelles ,  soit  pour 
réparer  celles  qui  tombaient  en  ruine. 

«  Je  serais  trop  long  si  je  voulais  rappeler  un  à  un 
les  décrets  presque  innombrables  que  le  gouvernement 
russe  ne  cessait  de  publier,  ou  iaisait  publier  par  le 
consistoire  de  Mobilev ,  pour  nous  obliger  à  trahir  nos 
$aints  engagements;  et  cependant  comme  tant  de  vexa- 
tions trompèrent  Tattente  du  pouvoir  qui  voulait  ou  trou- 
ver un  prétexte  pour  expulser  les  Pères  de  leur  Mission, 
pu  du  moins  les  fatiguer  et  les  contraindre  à  Tabandon- 
ner  volontaii*ement ,  on  eut  recours  à  d'autres  intrigues 
encore  plus  honteuses.  On  prit  le  parti  de  fomenter  et  de 
protéger  la  désobéissances!  Finsubordination  de  quelques 
prêtres  arménO'caiholiquesd'Akhalzikh,que  le  gouver- 
nement jugeait  propres  à  seconder  ses  projets. 
,    «  Parmi  eux  se  trouvait  un  certain  D.  Paul  Sciagu- 
liaoti/^trop  connu  dans  ces  contrées  et  même  à  Rome 
pour  ses  transgressions.  Déjà,  en  1826,  il  avait  été  déposé 
du  poste  de  supérieur  de  cette  province,  excommunié  et 
déclaré  suspens  de  ses  fonctions  sacerdotales  par  son  supé* 
rieur  légitime ,   Mgr  Vincent   Coressi ,  archevêque  de 
Sardia  et  vicaire  apostolique  patriarcal  de  Conslantiuople, 
qui  n'agissait  pas  en  cela  sans  avoir  consulté  le  Saint-  Siège. 
Dans  la  suite,  Àkbakikh  ayant  été  placé  par  le  Vicaire  apo- 
stolique patriarcal  de  Constantinople  sous  la  juridiction 
des  préfets  apostoliques  de  la  Géorgie ,  Sciagulianti  fut, 
parleur  intercession,  réintégré  dans  ses  fonctions  sacer- 
dotales, nourri  pendant  dix  années  à  la  table  des  Pères 
capucins ,  dans  le  couvent  de  Tiflis ,  et  de  là  envoyé  une 
seconde  fois  conune  supérieur  d'Âkhalzikh  par  le  feu  Père 
Joseph  de  la  G)lla.  —  Pour  reconnaître  tant  de  bienfaits , 
tl  ne  fit  cependant  que  se  montrer  toujoui*&  plus  insubor* 

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319 

doDfié,  et  les  réprimuideft  ne  «ervaiau  qu'il  le  jeter  d&BS 
4ei  excès  plus  -grives*  EoceiuMgé  par  les  promesses 
jd'im  sénatenr,  que  Teftpemur  avait  envoyé  remplir  mat 
iDinoD  en  Géergie ,  biealét  SciafttUaiiti  ne  recommiph» 
-^lesapérîeur  et  travailla  même  à  la  ruine  des  I%es. 

«  Vers  la  fin  de  1842,  la  sacrée  Goa(régi^im  delà 
Propagande  m'élal  préfet  de  la  Géorgie;  et  en  lSiâ,k 
Vicaffe  patriarcal  de  €aii8tantinop)e  me  pria  de  cobA- 
nnety  comme  mon  prédécesseur,  à  exercer  une  enlikre 
juridiction  sur  ta  pr<KNMed'AkhaI^kb.  J'en  donnai  ausMtôt 
avis  au  clergé  de  cette  pMfinde,  et  spécialement  à  Sciagn^ 
Uanti ,  que  j'inviM  à  reniner  dans  la  voie  de  Tobéissaoce, 
-hii  promettant ,  à  cette  eonditioB ,  Foubli  dn  passé ,  et 
pouà  rafCftir,  tons  tes  témoignages  d'un  amour  fraternel. 
, —  Mais  au  lien  d'accueillir  celte  invitation  muie  de 
paix,  il  rédigea  des  mémoires  gros  de  calomnies  et 
d'impostnres  contre  nos  Pères  et  contre  moi;  puis  les 
fit  tenir  à  la  police  d'Akhahikh  ,  au  eauvemeur  de  la 
Géorgie  et  de  Tlmérétie,  dememrant  à  Tiflis,  et  enfin  ^ 
au  général  en  chef  lui-même ,  nommé  Nddgard.  Pour 
accréditer  ses  mensonges  ,  il  avait  eu  soin  de  les  présen- 
ter revêtus  des  signatures  de  quinze  prêtres  arméno-ca- 
tholiqnes,  de  la  province  d'Akbalzikh»  —  Je  fus  appelé 
bientêt  par  les  susdites  autorités  oiviles  et  militaires  à 
jme  justifier,  et  àexiiiber  les  pièces  ofiicielles  qui  consta- 
taient ma  nomination;  oe  q^e  je  fis  sans  hésiter  un  seul 
instant. 

«  Cependant  le  général  en  chef  Neid^^ ,  tenant  à  con- 
naître toute  la  vérité  ,  envoya  à  Athnlrikh  le  colottel 
Ccniébic,  luthérien  y  muni  de  tontes  les  pièces  do  pcck 
eès ,  avec  ordre  de  prooéderèune  enqnêteminutiottse»  Le 
oolonel,  étant  arrivé  sur  les  lieux,  interrogea  un  à  un  tov 
les  prêtres  de  oetie  province}  U  leur  présenu  les  pétitiogs 
revétties  de  leui^iîgnaittresi  Wur  demandant,  s'ibroeon- 


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320 

Baissaient  dans  ces  signatures  Touvrage  de  leur  main , 
et  sMIs  pouvaient  prouver  toutes  les  assertions  que  ren- 
fermaient ces  documents;  mais  les  quinze  prêtres,  dont 
on  invoquait  le  témoignage,  affirmèrent  tons ,  à  l'excep- 
tion de  quatre ,  qu'ils  n'avaient  point  donné  leur  signa- 
ture, et  qu'elle  avait  été  falsifiée.  Or,  les  auteurs  de  ce 
mensonge  étaient  Sciagulianti  et  trois  autres  ennemis 
des  Pères ,  parmi  lesquds  deux  prêtres  frappés  des  cen- 
sures de  l'Eglise. 

€  De  retour  à  Tiflis ,  le  colonel  présenta  les  docu- 
ments de  son  enquête  au  général  en  chef  Neidgard  qui , 
après  les  avoir  lus  soigneusement  d'un  bout  à  l'autre, 
m'écrivit  une  lettre  ministérielle  sous. la  date  du  31  fé- 
vrier 1844,  dans  laquelle  il  reconnaissait  notre  inno- 
cence et  condamnait  la  fausseté  de  nos  accusateurs, 
mais  surtout  de  Sciagulianti  (source  et  origine  de  tant  de 
maux).  En  même  temps  il  le  rappelait  à  Tiflis,  pour 
qu'il  ftkt  soumis  par  moi  à  la  pénitence  qu'il  avait  méritée; 
cependant  Sciagulianti  refusa  d'obéir;  il  prétexta  son 
grand  âge  et  la  mauvaise  saison.  Alors  le  général  en  chef, 
qui  ne  voulait  pas  le  laisser  impuni ,  le  condamna  à  restar 
dans  sa  maison,  et  pour  qu'il  n'excitât  plus  de  nouveaux 
troubles  par  ses  discours ,  il  lui  défendit  de  prêcher. 

€  Nous  crAmes  dès  lors  posséder  la  paix  ;  mais  le  gé- 
néral Neidgard  avait,  dans  sa  décision,  consulté  sa 
bonne  foi  et  non  les  intentions  de  son  gouvernement , 
dont  la  pensée  était  bien  différente  de  la  sienne.  En  effet, 
après  quelques  semaines ,  le  général  reçut  un  décret  im- 
périal, sous  la  date  du  19  mars  1844,  où  il  étaiudit  : 
«  Que  vu  le  rapport  très-soumis  du  clergé  arméno-catho- 
€  lique  d'Àkhalzikh ,  sur  les  affiih*es  qui  avaient  eu  lieu 
«  entre  lui  et  les  Pères,  sa  Majesté  avait  daigné  ordon- 
«  ner ,  en  vertu  de  son  pouvoir  suprême,  que  Sciagu- 
<  liant!  serait  le  supérieur  absolu  de  tous  les  catholiques 

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S31 
«  arméaiens  de  la  Géorgie  et  des  proTlnces  y  annexées  ; 
«  que ,  quant  aux  Pères  •  ils  poorraient  rester  dans  leurs 
«  emploîty  BMÎs  au  ocmditions  suitantes  :  1^  qu'ils 
«  préleptiflit  senwHt  de  se  regarder  à  jamais  comme  su- 
«  jets  du  trtee  russe  ;  2^  qu'ils  n'ain-aient  pins  aucune 
«  correspoBdaoMse  aveo  les  autorités  spirituelles  de  Té- 
«  tranger  ;  3®  qu'ils  n'entretiendraient  plusaucime  corn- 
«  munication  ni  avec  ledergé,  ni  avec  le  penple  catho- 
«  lique  arménien  ;  4^  qu'ils  dépendraient  en  tout  du 
«  consistoire  de  Mobilev.  —  On  ajoutait  que,  s'ils  ne 
«  voulaient  pas  accepter  res  conditions ,  ils  devaient  être 
«  expulsés  iBunédîatemenfhors  des  frontières.  »  — Le 
gèràral  en  cW,  avant  de  nous  donner  connaissance  de 
ce  décret,  écrivit  au  ministre,  rinformant  d'une  manière 
détaillée  de  tout  ce  qui  avait  eu  lieu ,  et  défendant  vive- 
oient  notre  cause  ;  mais  bientôt  il  lui  fut  répondu  de 
Sftinf-Pélersbonrg  que,  sans  faire  de  nouvelles  recher- 
ches, il  eût  à  exécuter  le  décret  impérial* 

€  C'est  le  3  juin  1844  que  ce  fuial  décret  me  fut 
signifié  par  le  chef  du  gouvernement  civil ,  le  général 
Gurco.  On  m'ordonnait  en  même  temps  de  faire  connaître 
les  Pères  qui  acceptaient  les  conditions  susdites  et  vou- 
laient rester  en  Géorgie  ;  et  l'on  me  prescrivait  de  remet- 
tre h  la  chaoceUerie  du  général  en  chef  tous  les  papiers 
de  Qos  archives  concernant  le  gouvernement  spirituel  des 
Arméniens  catholiques.  Je  répandis ,  sous  la  date  du  13 
juin ,  qu'étant  liés  par  notre  vœu  solennel  d'obéissance, 
nous  ne  pouvions  prendre  sur  nous  aucune  réponse  d^- 
nittve  sans  la  permission  du  Saint-Père;  que  nous  deman- 
dions au  gouvernement  russe  de  solKdter  lui-même  une 
décision,  ou  de  nous  permettre  d'écrire  à  Rome.  Ma 
lettre  fut  envoyée  au  ministre  :  pour  toute  léponse  le  gé« 
oéral  Gurco  me  signifia ,  le  27  août  de  la  même  année , 
que  la  cour  de  Russie  ne  voyait  aucune  nécessité  de 
TOH.  XVII.  101*  21 

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$M 

diiPiiidpr  iumi  permitiion  mi  Pafei 4|ue  nMSikiriMfi  prA- 
ler  «ferment  luB^kôt,  ou  te*»  expiiMi. 

«  Gepeodâni  le  gouveroaCMU  fit  puUiir  psst  là  poiiœ 
émê  toutes  les  viUes  et  toue  les  yilis«is  où  ae  iuMvaieBi 
*das  cttbdiqiies  le  nouveM  titre  de  eepéricur  4mmé  À 
SdaguliaoU  ;  ce  qui  fui  pour  les  iidèlesleeuîeid'am  lelte 
désoiatioB,  qu'où  u*eii(€iiduU  puruii  eux  que  semptrs,  que 
pleurs  et  que  ^éuMuesueuts.  Mae  curiurfiques  de  TifltSviie 
Gorii  de  Koutais,  proteetèreia,<|u'a]rantioiûours«ppartfinu 
m  lite  latia ,  ils  ue  poumieut  reeefotr  pour  leur  curé  on 
iopérieur  m  SciafuUauii ,  ni  siueun  préire  de  son  rite. 
Ces  oppositions  ayaut  obligé  le  gouteruenent  local  de 
Tiflis  d'écrire  de  nouveau  au  umislre»  notre  expulaîon  fut 
ajournée.  —  De  leur  c6(é  les  catholiques  du  rite  armésieu 
des  provinces  de  Lores  et  d'Alexandropoli,  ainsi  que  umk 
leurs  curés,  et  même  tm  très- grand  nouibre  de  eeus 
.d'Akbalzikh  présentèrent  de  chaleureuses  suppUcadoos  au 
gouvernement,,  demandant  i  rester  sous  la  direction  des 
Pères;  mais  on  refusa  de  les  écouter.  Au  ceatrarne  le 
général  Guroo ,  le  gouverneur  civil  et  le  directeur  de  la 
police  ne  cessèrent,  par  des  ordres  reitérés  et  deamenaoeib 
de  réclamer  les  papiers  dont  j*ai  parlé  ci-dessua  ,  coa* 
cernant  les  catholiques  arménieus;  et  la  coaatance  de  mm 
refus  les  ayant  tous  lassés,  le  10  ieptei»bre  de  la  mène 
année  le  directeur  de  la  police  se  rendit  à  notre  couvent, 
et  ravit  à  nos  archives  les  papiers  en  question. 

«  Cependant  j'appris  que  le  mallieur^x  Soiagulianti^  se 
confiant  dans  la  proteciion  du  ministre,  avait  ooeupé  noire 
irèa-ancienne  église  latine  d'Akhaltikfa;  et  ^pe  même,  sans 
autre  autorité  que  celle  qu'il  tenait  de  la  polke  ^  il  avait 
déclaré  suspens  d  ditini$  le  prêtre  qoe*i'y  avais  établi» 
A  cette  nouvelle,  n'écoutant  que  le  cri  du  devoir ,  j'en" 
voyai  sur-le-champ  le  Père  Chérubin  de  Serravesxa  qui» 
pour  se  conformer  à  mes  ordres ,  aymit  mis  les  sct^'Iés 


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3»a 

h  cette  ^ise  âfee  qm  sceau  préfectoral  et  avec  celui  de 
la  police,  en  rapporta  ks  elefeii  Tiflis. 

«rSor  ces^  esiftfiitet,  on  me  reoiit  une  lettre  du  dîrec- 
ie«r  de  la  pelke  de  Tiffo ,  portait  la  date  du  2  ftep- 
Ifqnbre  1S44.  Oa  m'y  denaudait  Tioventairc  de  tous  les 
dfcts  et  emeoeats  4le  ladite  église.  Cette  lettre ,  je  la 
kiwaî  «ma  réponse  ;  mais  je  compris  que  no^  touchions 
à  Textrénilé,  et  ipie  bieot^  j'allais  être  contraint  par  la 
force  à  abandonner  oette  portion  chérie  du  troupeau  de 
Jésus-Christ* 

«  Dans  cette  persuasion  ,  je  crus  qu'il  était  de  mon 
devoir  d'offirir  une  messe  solennelle  de  morts  pour  le 
repos  des  âmes  de  tous  cevx  de  nos  confrères  qui  a^aienl 
pendu  lenrdemier  sonpiren  Géorgie*  Le  lendemain  j'offris 
naesecoBde  fois  le  saint  Sacriice  pour  tous  les  catholiques 
défimts  de  cette  contrée.  —  Ici,  Monsieur,  je  dois  avouer 
que  le  coeur  me  manque  pour  vous  raconter  la  douleiur , 
la  consternation  de  nos  pauvres  catholiques.  On  les  voyait 
courir  à  l'égUse  dm  matin  au  soir,  tristes,  les  larmes  aux 
yenx,  et  en  si  grand  nombre,  que  souvent  ils  ne  pou« 
vstou  pae  y  entrer.  Leurs  prières  éiaieni  incessantes  ;  le 
spectacle  qu'ils  nous  offiraient  était  déchirant  :  les  ons 
restaient  prosternés,  les  lèvres  collées  contre  terre;  les 
antres  élevaient kars  bras  tremblants  vers  le  saint  taber- 
nacle  ;  d'autres  fondaient  en  larmes  devant  l'image  de  la 
sainte  Vierge;  et  tous  accompa^^iant  leurs  prières  de 
tek  cris  et  de  tek  sanglots,  qa'o«i  les  aurait  pris  pour  des 
condamnés  qui  vont  subir  la  mort.  C'était  un  spectacle 
à  Cendre  le  cceur.  Tous  sans  exception  voulurent  recevoir 
les  sacrements  de  pénitence  et  d'eudiaristie ,  comme 
s'ils  louchaient  à  leurs  derniers  jours.  —  Chez  les  ca- 
dioliques  des  autres  villes,  on  vit  se  renouveler  les 
mêmes  scènes  aussitôt  qu'on  eut  connaissance  de  notre 
prochain  bannissement  ;  et  ceue  consternation  et  cette 

21. 

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334 

ferveur,  loin  de  se  ralentir,  allèrent  touloucs  croiwaBt 
îusqu'au  jour  de  notre  expulsion. 

•  Cependant  le  général  en  chef  Neîdgard  revint  à 
Tittis  de  la  guerre  du  Daghestan,  où  il  était  resté  envin» 
8ÎX  mois  avec  une  armée  très-nombreuse ,  et  conraw  il 
était  pleinement  informé  de  tout  ce  qui  avait  eu  lieu,  H 
fit  de  nouvelles  et  plus  vives  instances  auprès  du  ministre 
pour  qu'on  nous  laissât  en  paix.  Pour  réponse  on  lui 
reprocha  amèrement  de  ne  nous  avoir  pas  déjà  chassés , 
et  on  lui  envoya  un  ordre  absolu  de  nous  expulser  à 

nnstant. 

«  Ce  fut  alors  que  le  général  Gurco  m'écrivit ,  m'inti- 
mant  Tordre  de  partir  avec  tous  mes  confrères.  Mais 
comment  obéir  à  une  telle  injonction?  je  ne  pouvais 
abandonner  ce  troupeau  qui  m'avait  été  conBé  par  le  Vi- 
caire de  Jésus-Christ.  D'ailleurs  la  neige  était  assez 
abondante  ,  et  l'hiver  s'annonçait  rigoureux.  J'adressai 
donc  au  général  en  chef,  sous  la  date  du  14  novembre , 
une  supplique  ,  dans  laquelle  je  demandais  qu'il  nous 
fût  accordé  un  délai  jusqu'après  la  mauvaise  saison , 
attendu  que  l^s  routes  se  trouvaient  dans  un  tel  état , 
qu'il  était  impossible  d'entreprendre  un  si  long  voyage, 
sans  s'e^iposer  au  danger  manifeste  de  perdre  la  vie.  Cette 
supplique  fut  acceptée  et  envoyée  au  mînisure;  mais  la 
réponse  fut  que  ,  sans  avoir  égard  à  nos  observations, 
on  devait  nous  conduire  aussitôt  hors  des  fipontières. 
Ce  dernier  arrêté  du  ministre  nous  parvint  vers  le 
milieu  de  décembre  ;  toutefois  il  ne  fut  pas  de  suite  mis 
à  exécution ,  parce  que  la  neige  était  tombée  si  abon- 
dante, qu'il  était  impossible  même  aux  cosaques  de  nous 
accompagner. 

«  Le  29  an  matin ,  un  oflicier  de  police  vint  nous 
annoncer  qu'il  fallait  absolument  partfa»  ;  puis  nous  pré- 
sentant nés  passeports ,  il  réclama  deux  roubles  d'ar- 


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326 
geni  qui  en  étaient  le  prix.  «  Qui  donc,  »  lui  dis*je 
atec  calnae ,  «  vous  a  demandé  de  partir  ?  Si  vous  nous 
«  chassez  par  force ,  avons-nous  besoin  de  vos  pass*- 
«  ports?  reportez-les  à  celui  qui  vous  les  a  remis;  ec 
«  diteskluique^  si  je  possédais  quelque  chose,  je  le  don*- 
«  nerais  aux  pauvres,  et  non  k  la  police  pour  de  sem* 
«  blables  actes.  »  —  Sur  cette  réponse  inattendue ,  ce 
malheureux  satellite  jeia  les  passeports  sur  mon  lit,  et  se 
retira.  11  ne  revint  que  le  soir  du  jour  suivant  pour  nous 
annoncer  que,  par  une  concession  du  directeur  de  la  po- 
lice, nous  pourrions  célébrer  la  messe  le  lendemain. 

«  Enfin  le  premier  jour  de  la  présente  année  1845 
on  amena  devant  la  porte  de  noire  couvent  deux  char- 
rettes allemandes ,  qui  avaient  la  forme  de  deux  litières. 
Elles  étaient  entourées  de  plusieurs  cosaques  armés  de 
lances,  de  fusils  et  de  pistolets.  Peu  après  vinrent  des 
oflkiers  de  police  suivis  de  sbires  ;  ils  entrèrent  dans 
notre  couvent  et  nous  traînèrent  dehors  par  force.  Il  était 
deux  heures  de  raprès-midl.  Cependant  je  ne  voulus 
pas  abandonner  notre  demeure  sans  en  avoir  auparavant 
scellé  les  portes,  quoique  nous  fussions  environnés  de 
satellites,  et  exposés  aux  regards  d'une  foule  immense* 
Je  vous  laisse  à  penser.  Monsieur,  dans  quelle  mer  d*hor* 
ribles  angoisses  devaient  nager  nos  cœurs  et  ceux  de  nos 
pauvres  catholiques  ,  nous  voyant  ainsi  séparer  les.  uns 
des  autres  par  la  violence  la  plus  barbare.  —  L'un  des 
assistants,  comptant  pour  rien  la  crainte  des  tourments 
auxquels  il  s'exposait ,  courut  sonner  la  doche  et  l'agita 
de  la  manière  qu'on  a  coutume  d'employer  pour  les 
offices  des  morts  :  il  voulait  faire  comprendre  à  tous  que 
oe  pauvre  troupeau  allait  être  privé  de  ses  pères  spiri- 
tuels, et  cette  Eglise  de  Jésus-Christ  rendue  veuve  par 
nôtre  injuste  exil*  —  Pour  moi ,  quoique  je  me  sentisse 
à  la  vue  de  tant  de  larmes  que  les  catholiques 

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336 
n'étaient  pas  seab  à  répandre;  (car  plasd'm  hérétique 
pleurait  atec  eux  ;  )  je  ans  qall  était  de  mon  devoir , 
avant  d-abandonner  le  troopeau  confié  à  mes  soins ,  de  le 
reooromanderau  tendre  cœur  de  Jésus ,  ei  de  l«  faire 
entendre  une  dernière  exhortation.  Je  ranuosai  donc  toitf 
mon  courage,  et  fendis  la  foule.  J'étais  accompagné  de 
mes  confirères,  savoir  :  du  Père  Chérubin  de  Serravexza, 
du  Père  Philippe -Marie  de  Boiogne,  a  dn  Père  Emidia 
ée  Morrovalle^  ainsi  que  de  deax  autres  préures  catbo* 
liques  arméniens  qui  devaient  être  également  chassés  ; 
savoir  :  du  Père  Sitnéon  Giulardian ,  religieux  méchita- 
riste,  et  de  D.  Jacques  Halaician.  Sans  d'autres  armes  que 
le  cruciiix  qui  reposait  sur  notre  poiirine,  nous  enir&mes 
dans  Téglise,  et  arrivés  près  du  grand  autel  où  se  con- 
serve la  sainte  Eucharistie ,  nous  nous  agenouillâmes 
devant  la  table  de  communion.  Nqus  éuons  là,  priant 
depuis  environ  une  demi*  heure  ,  lorsque  les  satellites 
russes  qui  nous  entouraient  et  qui  croyaient  ne  pouvoir 
nous  décider  h  abandonner  Téglise^nous  signifièreat  qu^tl 
était  temps  d'obéir.  Je  leur  répondis  avec  fermeté  que  si 
la  religion  et  la  décence  le  leur. permettaient,  ils  n'avatoit 
qu'à  nous  arracher  de  cet  autel  ;  car  nous  ,  sans  trahir 
r>os  devoirs,  nous  ne  pouvions  abandonner  de  notre 
propre  mouvement  l'église  que  le  Saiat-Pèi*e  nous  avait 
conGée. 

«  Alors  un  officier  de  police  alla  donner  avis  de  ce 
qui  se  passait  au  général  Gurco  ,  clief  du  gouvernement 
civil,  et  sur  ses  ordres^  le  directeur  de  la  police  Spaginski 
entra  dans  l'église  pour  nous  en  arracher.  A  peine  parut- 
il  dans  le  sanctuaire ,  suivi  de  ses  ofliciers  subaUerneSt 
et  s'approdia-t-il  avec  eux  pour  nous  inviter  à  partir, 
qu'il  s'éleva  du  sein  de  la  fo»le  un  bruit  confus  de  pleurs 
«t  de  gémissements  capables  d'attendrir  les  rocbera.  Je 
aompris  alors  qu'il  n'y  avait  (dus.  de  «essource  conlm  k 

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327 

despoiisnie  et  la  force  ;  je  me  levai ,  et  m'éiani  revélu  de 
réiole ,  je  bénis  noire  désolé  troupeau.  Trois  fois  je 
m'écriai ,  en  soupirant  et  en  pleurant  :  «  Mes  enfants, 
«  mes  cbers  enfants,  soyez  forts  dans  la  foi  catholique,  et 
«  le  Dieu  tout- puissant  sera  notre  protecteur.  »  —  En* 
soite  nous  nous  livrâmes  entre  les  mains  des  ministres  dû 
la  police.  Mais ,  6  Dieu  !  que  de  peines,  que  de  douleursi 
pour  arriver  jusqu'au  seuil  de  l'église! 

«  Les  catholiques  se  jetaient  en  foule  sur  nos  pas  pour 
nous  dire  un  dernier  adieu  ;  ils  voulaient  baiser  nos 
habits  et  nos  mains,  et  tout  baignés  de  larmes,  ils 
s'écriaient  :  «  Ah!  Pères!  comment  nous  laissez-vous 
«  orphelins?  qui  nous  assistera  au  moins  au  moment 
«  suprême  de  notre  mort  !  Ah  !  par  pitié ,  enterrez-nous 

d'abord,  et  puis  abandonnez-nous! »   Mais  les 

Russes,  insensibles  à  tant  de  gémissements  et  de  larmes*^ 
nous  poussèrent  hors  de  Téglise,  et  nous  ayant  forcés  de 
monter  sur  les  charrettes  qu'on  avait  préparées,  ils  nous 
firent  escorter  par  des  cosaques^  un  oOGcier  de  police  et 
d'autres  satellites  qui  ne  nous  quittèrent  plus  jusqu'à  la 
frontière  de  Turquie. 

«  Ainsi  il  nous  fallut  quitter  Tiflis;  les  principauii 
d'entre  les  catholiques,  au  nombre  dé  cent  pour  le  moins, 
nous  accompagnèrent  en  pleurant  pendant  un  long  trajet  ; 
puis  s'étant  mis  à  genoux,  ils  nous  demandèrent  notre 
bénédiction^  que  nous  leur  donnâmes  d'un  grand  cœur^ 
les  exhortant  de  nouveau  à  se  maintenir  fermes  dans 
la  foi  catholique. 

«  La  nuit  du  3  janvier,  nous  arrivâmes  à  demi  morts 
de  froid  à  la  ville  de  Gori.  Ayant  appris  que  le  gouverne- 
ment, déconcené  par  Pintrépidité  de  nos  deux  confrèreB 
chargés  ds  soin  de  cette  Mbsion ,  n'avait  pu  jusque-là 
les  chasser  de  leur  poste,  je  demandai  comme  une  grâce 
à  foBicier  de  police  la  liberté  de  passer  au  moins  cettd- 


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328 
Dttii  dans  le  couvent  :  ma  demande  fut  repoussée  ;  mais  un 
des  principaux  catholiques  de  Gori ,  M»  Jacques  Zub- 
bolanti ,  à  force  d'instances ,  obtint  du  gouverneur  la 
permission  de  nous  offrir  Thospitalité  dans  sa  maison. 

«  Le  jour  suivant,  nous  devions  être  les  témoins 
d'une  scène  encore  plus  déplorable  que  celles  qui,  jusque- 
là  ,  étaient  venues  nous  désoler  :  )e  supérieur  de  cett^ 
église  de  Gori^  le  Père  Emmanuel  d'Iglesias,  s'éuit 
persuadé  que  les  Russes,  en  qualité  de  chrétiens,  n'ose- 
raient pas  employer  la  violence  pour  l'aiTacher  du  lieu 
sdittt.  Fort  de  cette  persuasion ,  il  s'était  retiré  dans  une 
chapelle  revêtu  de  ses  habits  sacerdotaux,  et  là  il  se 
tenait  en  prière.  Le  gouverneur  de  la  ville»  à  qui  les  au* 
t^Hlés  supérieures  de  Tiflis  avaient  déjà  Intimé  l'ordre 
d'en  chasser  les  Missionnaires ,  fit  conduire  devant  la 
p()rte  du  couvent  deux  charrettes  escortées  comme  les 
nôtres  par  des  cosaques  ;  puis  accompagné  d'un  colonel, 
du  directeur  de  la  police,  d'autres  officiers  et  de  sbires, 
3  pénétra  dans  la  chapelle  et  en  chassa  tous  les  catholi- 
ques qui  étaient  à  genoux ,  fondant  en  larmes  devant  le 
très  saint  Sacrement,  ou  bien  se  confessant  à  l'autre 
llissionnaire,  le  Père  Bernard  de  Bologne.  Après  ceh, 
le  gouverneur  intima  au  Père  Emmanuel  l'ordre  de  dépo- 
ser ses  ornements  sacrés  et  de  partir  ;  et  comme  le  Père 
n'obéissait  pas  ^  le  gouverneur  lui-même,  de  ses  mains  ;sa- 
cilléges^  et  avec  l'aide  des  agents  de  la  police,  osa  le 
dépouiller.  Les  deux  bons  Pères ,  obligés  ainsi  de  céder  à 
là  force  y  ne  purent  pas  même  dire  un  dernier  adieu  à  leur 
peuple  affligé;  mais,  placés  sur  la  charrette,  ils  furent 
chassés  comme  deux  malfaiteurs. 

«  Le  lendemain  il  nous  fallut  poursuivre  notre  voyage; 
tous  ceux  qui  connaissent  l'élévation  et  l'aspérité  da 
mont  Sùwtam^  pourront  aisé/nent  se  fiûre  une  idée  de  ce 
qjCte  nous^  eûmes  à  souffrir  pour  le  traverser  dans  une  sai* 


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32» 
son  si  rigoureuse.  Le  9  janvier ,  grdce  k  Dieu ,  nous 
étions  en  vue  de  la  ville  de  Koutais.  Là ,  nous  trouvâmes 
un  grand  nombre  de  catholiques  accourus  à  notre  ren- 
contre ,  et  qui ,  par  leurs  pleurs ,  nous  témoignèrent  une 
tendre  affection.  Entrés  dans  la  ville,  nous  descendimes, 
accompagnés  de  Tofiicier  de  police  qui  ne  nous  quittait 
jamais,  chez  M.  Etienne  Acopovi ,  où  nous  reçûmes  Tac- 
cueil  le  plus  filial.  —  Bientôt  je  fus  instruit  de  la  manière 
inhumaine  dont  avait  été  chassé  de  cette  ville  le  Père 
Florent  de  Torgiano,  que  j'y  avais  établi,  depuis  deux 
ans ,  en  qualité  de  curé.  Le  gouverneur,  usant  de  ruse , 
Pavait  fait  appeler  chez  lui  ;  aussitôt  avait  paru  devant 
sa  maison  une  charrette  de  poste  accompagnée  de  deux 
cosaques  armés  et  d'un  officier  de  police;  et  le  Père 
avait  été  obligé  d'y  monter,  sans  pouvoir  obtenir  la  per- 
mission de  célébrer  la  sainte  Messe,  quoique  ce  jour- là 
fat  un  jour  de  fête ,  et  sans  qu'il  liu  eût  été  donné  d'aller 
au  couvent  prendre  une  légère  collation ,  avant  de  se 
mettre  en  route.  —  Les  catholiques,  qui  s'étaient  aperçus 
de  la  violence  qu'on  faisait  à  leur  Père ,  étaient  accourus 
en  foule  pour  lui  baiser  la  main;  mais  ils  avaient  été 
cruellement  repoussés  par  la  police. 

«  Et  nous  aussi  il  nous  fallut  partir  de  Koutais,  après 
avoir  obtenu  avec  peine  d'y  demeurer  presque  deux 
jours.  Ils  furent  employés  à  confondre  nos'  larmes  avec 
celles  de  nos  affligés  catholiques ,  qui  voulurent  encore 
nous  accompagner,  en  pleurant,  pendant  un  long  trajet, 
sur  le  chemin  de  notre  exil.  —  Ainsi ,  avec  le  cœur  percé 
d'épines  toujours  nouvelles  et  toujours  plus  doulou- 
reuses, nous  nous  acheminâmes  par  la  très-difficile 
route  à'UsurgheUi.  Ohl  que  de  souffrances,  que  de 
Irayeiurs  nous  éprouvâmes  en  traversant  ces  âpres  mon- 
tagne^, toutes  couvertes  de  neiges  et  de  glaces!...  Cha- 
que pas  <pie  Gsiisait  notre  cheval  dans  ces  sentiers  glissants^ 


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330 
mettait  nos  jours  en  danger,  et ,  après  ces  journées  rudes 
et  laborieuses^  nous  étions  contraints  de  passer  la  nuit 
sur  la  terre ,  dans  des  chaumières  enfumées ,  que  des 
bêtes  de  somme  partageaient  avec  nous. 

«  Enfin ,  après  quatre  jours  d'un  aussi  pénible  voyage, 
nous  arrivions  à  Usurgheiti.  Une  grande  consolation 
nous  y  attendait.  Nos  confrères  de  Gori  se  reposaient  là 
depuis  plus  d'un  jour,  il  nous  fut  donné  de  les  revoir... 
Tous  ensemble  nous  fûmes  escortés  jusqu'aux  frontières 
de  la  Turquie ,  où  nous  devions  rencontrer,  chez  les  ma- 
hométans,  celte  hospitalité  que  nous  refusaient  si  cruel- 
lement des  chrétiens  moscovrites. 

«  Le  17  janvier,  vers  le  soir,  nous  arrivâmes  à  Ctu- 
rukfu ,  premier  village  turc  au  delà  des  frontières  russes. 
.  Nous  descendîmes  chez  M.  Paul  Borro ,  Génois ,  où  nous 
trouvâmes  le  Père  Flprent  de  Torgiano.  Nous  aurions 
voulu  fixer  notre  demeure  dans  ce  pays,  pour  êire  plus 
rapprochés  de  nos  pauvres  catholiques  de  la  Géorgie  ; 
mais  l'impossibilité  de  trouver  une  habitation  nous  con- 
traignit au  départ. 

«  C'est  pourquoi ,  le  20  du  même  mois,  mais  bien  à 
contre-cœur,  nous  nous  embarquâmes  pour  Trébizonde , 
où  nous  étions  rendus  le  soir  du  25  janvier  (6  février) 
après  avoir  essuyé  deux  furieuses  tempêtes.  : —  A  Trébi- 
zonde, nous  avons  été  accueillis  avec  beaucoup  d'afia* 
bilité  par  tous  les  habitants ,  mais  sunout  par  le  consul 
de  France,  M.  de  Cleirambault,  qui  voulut  lui-même 
nous  donner  l'hospitalité  jusqu'à  ce  qu'il  nous  eût  trouvé 
une  habitation  commode.  —  C'est  dans  cette  nouvelle 
demeure  que  nous  sommes  tous  réunis ,  attendant  qtie  la 
sacrée  Congrégation  de  la  Propagande  nous  ait  indiqué 
notre  destination. 

«  Quoique  les  satellites  russes  ne  nous  aient  jamais 
quiués  dans  notre  voyage  au  travers  de  la  Géorgie^  6e<- 


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331 

pendant,  partout  o&  nous  avons  passé,  nous  avons  pu 
satisfaire  la  piété  des  fidèles ,  écoutant  leurs  cobressions , 
les  communiant ,  et  donnant  aux  enfants  qui  ne  ravalent 
pas  encore  reçu ,  le  sacrement  de  confirmation.  Le  spec- 
ucle  des  injustes  traitements  qu^on  nous  faisait  subir, 
inspirait  à  nos  chrétiens  de  tels  sentiments  de  compone- 
f  ion  ,  que  tous  ceux  qui ,  avant  notre  départ ,  avaient  des 
difféiends,  se  réconciliaient ,  et  que  tous  voulaient  régler 
leurs  alTaires  par  notre  entremise. 

«  En  quittant  la  Géorgie ,  j'ai  posé  les  scellés  sur  tous 
nos  couvents,  après  avoir  distribué  aux  pauvres  les 
effets  mobiliers  qui  s'y  trouvaient;  mais  il  ne  m'a  pas 
été  possible  de  sceller  les  églises  de  Tiflis ,  de  Gori ,  de 
Koulais,  parce  que  j*ai  dû  respecter  les  prières  des  catho- 
liques. L'unique  consolation  qui  leur  restait,  me  disaient- 
ils  ,  c'était  de  pouvoir  s'y  réunir  et  d'y  prier  ensemble 
pour  que  Dieu  leur  vint  en  aide  pendant  l'horrible  per- 
sécution qu'ils  redoutaient.  Pour  ce  qui  concerne  les  effets 
dont  la  propriété  est  aux  dites  églises,  je  les  ai  confies  à  la 
garde  des  principaux  catholiques  qui  m'en  ont  délivré 
rinveniaire ,  et  se  sont  engagés  à  les  conserver.  —  Tou- 
tefois j'ai  cru  devoir  protester  ,  par  avance ,  contre 
tout  envahissement  des  biens,  meubles  et  immeubles, 
qui  appartiennent  à  la  Blission ,  et  fai  donné  ma  pro- 
curation à  M.  Monnot ,  chargé  d'affaires  du  consulat  fran- 
çais à  Tiflis.  J'ai  joint  à  cette  procuration  une  copie  de 
la  protestation  expédiée  par  moi,  de  Koutais ,  au  général 
en  chef  Neidgard.  — Enfin,  j'ai  gardé  dans  mes  mains 
tous  les  titres  des  biens  immeubles,  quoique  le  gouver- 
nement m'eût  tah  écrire  cent  et  cent  fois  de  les  lui 
remettre. 

«  Eg  outre,  avant  de  partir,  j'ji  confié  por  écrit  à 
D.  Antoine  Glacov  tous  les  pouvoirs  qu'il  m'était  permis 
de  communiquer,  le  priant  instamment,  tant  que  le 

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333 
Russes  le  laisseraient  dans  cette  Mis^n ,  de  prendre  soin^ 
non-seulement  des  catholiques  de  Kouiais,  mais  aussi  de 
tous  ceux  qui  étaient  sous  ma  juridiction. 

«  Voilà ,  M.  le  Président ,  la  déplorable  histoire  de 
notre  expulsion  d'un  pays  où  les  Pères  de  notre  ordre 
avaient  paisiblement  passé  cent  quatre-vingt-trois  ans. 
Toujours  chers  aux  diflcrcntes  sectes  et  aux  diverses  na- 
tions qui  l'habitent ,  ils  avaient  été  constamment  respec- 
tés par  les  gouvernements  qui  s'y  étaient  successivement 
établis,  je  \eux  dire  les  Perses,  les  Géorgiens  et  les 
Turcs.  Déjà  une  première  fois,  il  est  vrai ,  ils  avaient  été 
expulsés  par  les  rois  géorgiens  ;  mais  ces  mêmes  rois  ne 
se  contentèrent  pas  de  les  rappeler ,  ils  voulurent  encore, 
comme  pour  dédommager  nos  Pères,  leur  donner  et  des 
terrains  et  des  esclaves ,  ainsi  qu'il  est  prouvé  par  des  ac- 
tes authentiques  qui  sont  encore  entre  nos  mains.  Les 
Russes  seuls  n'ont  cessé  de  nous  inquiéter  dès  le  pre- 
mier jour  qu'il  les  vit  maîtres  de  la  Géorgie.  Est-ce  ainsi 
qu'il  fallait  recompenser  notre  fidélité  et  tant  de  services 
que  nous  leur  avons  rendus?...  Ils  ont  fini  par  nous  expul- 
ser de  la  manière  la  plus  barbare,  sans  avoir  aucun 
reproche  à  faire  peser  sur  nous;  au  contraire,  après  les 
plus  longues  et  les  plus  sévères  perquisitions^  ils  ont  eux- 
mêmes  reconnu  notre  innocence. 

«  Ce  qui,  par-dessus  tout,  m'étonne,  c'est  que,  pour 
justiGer  la  nomination  de  l'intrus  Sciagulianli,  on  ose 
avancer,  comme  me  l'a  écrit  le  consistoire  de  Mohilev, 
sous  la  date  du  30  novembre  1844,  que  le  gouvernement 
a  été  poussé  à  cette  nomination  par  les  prières  de  tous 
les  caUioliques,  ce  qui  est  complètement  faux.  J'ai  eu,  par 
les  soins  des  catholiques  eux-mêmes,  les  copies  fidèles  de 
plusieurs  pétitions  présentées  par  eux  au  gouvernement, 
dans  lesquelles  ils  déclinaient  l^autorité  de  Sciagulftnti,  et 
demandaient  à  rester  sous  celle  des  Pères.  Une  de  cet 


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pétitions  qui  avait  été  adressée  au  mois  de  novembre  au 
général  en  cbef  Neidgard ,  par  onze  villages  entiers  ca- 
tholiques-arméniens ,  disait  formellement  qu*ils  avaient 
été  trompés  et  trains  par  les  espérances  à  l'aide  desquelles, 
après  la  guerre  soutenue  contre  la  Turquie,  on  les  avait  en- 
gagés à  venir  dans  Fempire  russe.  Alors  on  leur  promettait 
qu'ils  seraient  libres  dans  l'exercice  de  la  Religion  catho- 
lique; et  maintenant,  ajoutaient- ils,  nous  voyons  par  expé- 
rience que  nous  avons  perdu  cet  te  liberté  dont  nous  jouis- 
sions sous  la  domination  ottomane  ;  car  elle  nous  laissait 
gouverner  par  les  supérieurs  que  l'Eglise  nous  donnait, 
6  nous  contraignait  point  d'en  accepter  d'autres» 
«  J'ai  dans  mes  mains,  Monsieur  le  Président,  les 
preuves  authentiques  de  tout  ce  que  j'ai  rapporté  ci- 


Je  vous  prie  d'agréer,  etc. 


«  J.  Dahien  de  Viareggio,  Capudn, 
Ex-Préfsi  aponU  de  la  Géorgie.  » 


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MISSIONS  DU  TONG-KTNG. 


iMire  eu  A.  P.  Raytmnd  SatcdOj  DominietHn  ei  Procu- 
reur des  Miêsians  BSfûgndei  d$  la  Chine  et  du  Tcng- 
King^  au  Conseil  central  de  Z.2f<m«(TrâdncUoD  de  Tes* 
pagnol.) 


BIicto,i6iiiail844. 


«  Messibubs, 

«  Appelé  par  mes  supérieurs  à  diriger  les  affaires  des 
Missions  de  la  Chine  et  du  Toog-King ,  je  regarde  comme 
UD  devoir  de  faire  arriver  à  votre  vénérable  conseil  l'ex- 
pression de  la  graiitude  et  de  l'affection  respectueuse  que 
tous  les  membres  d'une  association ,  à  laquelle  nous  de- 
vons tant  de  bienfaits,  inspirent  aux  Evéques,  aux  Mission- 
saires  et  aux  fidèles  du  Tong-King. 

«Ces  sentiments  de  reconnaissance  dont  je  suis  pénétré, 
mi'împosent  également  l'obligation  de  vous  faire  connaître 
les  es{iérances  de  la  Mission  du  Tong-King,  de.  cette 
terre  auosée  du  sang  de  tant  de  martyrs  ;  mais  le  dou- 


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335 

looreux  événement,  dont  je  vous  entretiendrai  bientôt,  mt 
meUant  dans  Tinipossibiliié  de  vous  envoyer  nn  tablea^i 
eomplet ,  je  laisse  ce  soin  à  mes  supéi'ieurs,et ,  pour  moi» 
je  me  contenterai  d'ajouter  ù  l'esquisse  mal  ordonnée  de 
mon  voyage  quelques  renseignements  généraux. 

«  Après  irois  années  de  séjour  nu  Tong-King ,  an  mo- 
ment où,  toutes  les  premières  difficultés  étant  vaincues, 
je  m'abandonnais  avec  une  joie  inexprimable  à  Tespérance 
de  pouvoir  travailler  uiilement  à  la  conversion  d'us 
foyaume  auquel  je  me  sentais  si  fortement  attaché,  je  re- 
çus, tlans  le  courant  d'octobre,  de  notre  Père  provinci^d 
résidant  à  Manille,  l'ordre  de  me  rendre  à  Macao  pour  y 
prendre  la  procure  des  Missions  de  notre  ordre  en  Chine 
et  au  ToDg-King.  Abandonner  mes  nouveaux  chrétiens , 
était  pour  moi  un  sacrifice;  ntais  en  obéissant  j'aiqciais  à 
penser  que  si,  au  Tong-King,  je  travaillais  comme  un  Mis- 
sionnaire isolé,  à  Macao  je  pourrais  participer  aux  tra- 
vaux de  tous  ceux  de  mes  confrères  qui  se  dévouent  aux 
Missions. 

c  Consolé  par  cette  pensée ,  je  partis  du  Tong-King  au 
mois  de  novembre.  Notre  barque ,  montée  par  des  cbré- 
lieas,  était  accompagnée  de  deux  autres  barques  d'infidè- 
les^ qui  conduisaient  une  provision  de  riz.  J'étais  oMi^ 
de  me  tenir  caché  pour  n'être  point  aperçu.  Toutefois^ 
cette  gène  devait  être  la  nu)indre  mortification  de  mon 
voyage.  Après  trois  jours  de  navigation ,  comme  nous 
étions  arrêtés  par  un  calme  au  pied  de  la  iorteresse  du 
grand  mandarin  du  district,  nous  vîmes  arriver  à  nous 
quelques  jonques  montées  par  le  Secrétaire  du  manda- 
rin, par  des  officiers  et  des  soldats.  Elles  venaient  réclamer 
l'impôt  dont  est  frappée  l'exportation  des  vivres.  I>ans 
une  situation  aussi  critique,  je  n'eus  d'autre  ressource 
que  de  me  blottir,  en  eniassant  sur  moi  toutes  les  vieiltos 
h^des  des  matelots,  quelques  meubles  et  hi  voilure  de 


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336 
rembsurcation,  de  sorte  que  pour  conserver  là  vie  je  TailUs 
étouffer.  Bientôt  nos  visitears  eurent  sauté  dans  la  bar- 
que ;  ils  s'y  arrêtèrent  même  pour  prendre  leur  repas ,  et 
fe  secrétaire  du  mandarin  resta  couché  pendant  deux  heu- 
res à  mes  côtés  ;  mais  tous  partirent  sans  soupçonner 
qu'il  y  eût  là  un  Missionnaire.  Pendant  leur  importune 
visite  le  premier  des  catéchistes  que  j^avais  avec  moi  ré- 
citait le  chapelet;  c'est  peut-être  à  sa  fervente  prière  que 
je  dois  mon  salut. 

«  Le  4  décembre  nous  abordions  à  b  Fku,  prem^re 
▼ille  chinoise.  Les  habitants  de  cinq  villages  des  environs, 
dont  deux  diinois  et  trois  tong-kinois,  étaient  privés  de- 
puis deux  ans  des  secours  spirituels.  J'avais  reçu  Tordre 
de  leur  administrer  les  sacrements.  Les  termes  me  man- 
quent pour  vous  exprimer  la  joie  avec  laquelle  ces  pauvres 
néophytes  m'accueillirent.  Tous  voulaient  profiter  d'une 
occasion  si  favorable;  ils  accouraient  en  foule  pour  se 
confesser;  et  les  mères  apportaient  leurs  entants  pour 
leur  faire  donner  l'eau  sainte  du  baptême.  Attendri  i  la 
vue  d'une  telle  ferveur  que  n'avaient  pu  ralentir  deux 
années  d'abandon ,  je  me  livrai  tout  entier  au  travail, 
si  bien  qu'il  m'est  arrivé  de  rester  trob  jours  et  trois 
nuits  sans  goûter  le  sommeil ,  afin  d'entendre  les  con- 
fessions. 

«  Mais  cette  dévotion ,  cette  ferveur  de  nos  pénilenu, 
vous  l'apprécierez  bien  davantage  lorsque  vous  pourrez 
vous  faire  une  idée  de  la  manière  dont  on  se  confesse  an 
Tong-King.  Représentez-vous  des  maisons  construites  en 
roseaux  et  couvertes  de  paille;  de  petites  ouvertures  pra- 
tiquées à  un  mètre  d'élévation  au-dessus  du  sol ,  leur 
servent  de  fenêtres;  et  ce  sont  elles  aussi  qui  remplacent 
la  grille  du  confessionnal  ;  le  prêtre  est  placé  dans  l'inté- 
rieur, et  les  fidèles  qui  se  tiennent  à  genoux  en  ddiors 
sont  exposés  à  la  rigueur  des  saisons  ^  ce  qui  relève  sîn- 


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337 
gafi^ement  le  mérite  de  leur  piété ,  surtout  pendant  k« 
nuits  d'hiver. 

«  Pour  moi ,  les  Ëitigues  de  celte  station  ont  été  abon- 
damment  récompensées  par  les  fruits  que  j'ai  eu  la  conso- 
lation d*y  recueillir.  Car  dans  l'espace  de  quatre  rnois^ 
faiconréré  solennellement  99  baptêmes,  soit  d'enfants  « 
soit  d'adultes;  j'ai  entendu  1,036  confessions,  donné  Ja 
cominiuiion  à  plus  de  1,000  personnes,  administré  17 
extrêmes-onctions  et  béni  4  mariages. 

«  Dans  cette  foule  de  pénitents,  on  a  pu  remarquer 
quatre  ou  cinq  mandarins  locaux  (maires)  le  second 
mandarin  du  district  et  le  secrétaire  du  mandarin  prin- 
cipal. Tous  ceux  qui  avaient  scandalisé  leurs  frères  en  re- 
tournant aux  superstitions  pendant  la  persécution  prccé- 
deote,  ont  donné  des  témoignages  publics  de  leur  sincère 
repentir.  Pour  réparer  ce  scandale,  je  les  avais  réunis 
dans  l'église  ;  tandis  que  je  me  préparais  à  célébrer ,  iis 
se  tenaient  debout,  et  chacun  d'eux  versant  d'abondantes 
larmes,  faisait  sa  profession  de  foi  en  disant  :  «  Mes 
€  frères ,  je  crois,  en  Dieu  le  Père ,  le  Fils  et  le  Saint- 
€  Esprit.  Vous  connaissez  Icc  superstitions  auxquelles 
«  j'ai  pris  part.  Je  veux  sincèrement  me  corriger.  4c 
€  TOUS  conjure  de  ne  pas  suivre  mon  exemple  et  de 
«  prier  pour  moi  Notre-Seiçneur  Jésus- Christ.»  Les  as- 
sistants fondaient  en  pleurs  ;  et  moi-môme  jo  me  sentais 
ému  à  la  vue  d'une  scène  si  louchante. 

«  Mon  séjour  à  la  /%u  commençait  ù  se  prolonger  im 
delà  des  limites  que  j'aurais  voulu  lui  donner  ;  mais  en 
sortir  n'était  pas  chose  facile.  Cependant  il  fallait  prendi« 
un  parti  ;  je  me  décidai  à  acheter  une  barque  que  j'offris 
en  payement  à  ceux  qui  voudraient  bien  me  conduire  à  ma 
destination.  J'en  trouvai  une  qui  était  si  petite  et  eum 
mauvais  état  que  c'était  exposer  sa  vie  que  de  la  lui  con- 
fier. Jugez  ce  qu'elle  pouvait  être ,  puisqu'elle  ne  nom 
TOV.  XTII.  101.  22 

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338 
eoôta  que  deux  cent  cinquante  francs,  y  compris  les  ac- 
cessoires. Je  m'embaïquai  avec  sept  Chinois  et  trois Tong- 
Kinois;  nous  étions  groupés  les  uns  sur  les  autres,  surtout 
quand  nous  voulions  reposer  ;  mais  ce  n'était  lù  que  le 
commencement  de  nos  maux. 

«  Après  quelques  jours  de  navigation,  nous  nous  vîmes 
Assaillis  par  trois  barques  de  pirates  qui,  s'étant  élancés 
sur  nous,  saisirent  noure  gouvernail  et  s'emparèrent  de  tout 
ce  que  nous  possédions,  sans  la  moindre  résistance  de  notre 
pùitt.  Notre  argent,  nos  provisions ,  Teau  douce  que  nous 
avions  prise  pour  le  voyage,  tout  nous  fut  enlevé  ;  môme  ib 
nous  dépouillèrent  de  nos  bardes  et  emportèrent  quelques 
pkmcbes  de  notre  frôle  embarcation.  Mais  ce  qui  m'affligea 
davantage,  ce  fut  de  voir  tomber  dans  ces  mains  sacrilèges 
Fe  crucifix ,  la  boito  des  saintes  huiles ,  les  reliques  des 
martyrs  et  la  correspondance  des  Evoques ,  du  Vicaire 
provincial  et  des  Missionnaires.  Parmi  ces  écrits  il  s'en 
trouvait  un  fort^étcndu,  destiné  aux  respectables  Conseils 
dé  FŒuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi.  N'écoutant  que  ma 
douleur,  je  priai  ces  pirates  de  me  rendre  le  Bré- 
viaire et  les  papiei-s  qui  devaient  leur  être  complètement 
iimtiles;  mais  celui  qui  tenait  le  gouvernail  fut  si  irrité 
de  ma  demande,  qu'ayant  saisi  son  sabre,  il  m'en 
aurait  tué,  si  je  n'avais  eu  l'adresse  de  me  cacher  sous  le 
pont. 

«  Impossible  de  vous  peindre  les  sou£Erances  qu'il  nous 
bilut  endurer  pendant  les  sept  jours  que  dura  encore 
notre  vo}*age.  Sans  ressource  contre  le  froid ,  sans  autres 
provisions  qu'un  peu  de  riz  et  quelques  poissons  déjà 
en  ponrriiore ,  n'ayant  pour  toute  boisson  qu'un  peu 
^taa  douce  mélangée  d'eau  salée  et  remplie  d'ordures  ei 
«Tinsecles,  notre  troupe  offrait  le  plus  triste  tableau; 
qnriques-uns  d'entre  nous  étaient  tombés  malades;  les 
infidèles  se  désespéraient  ;  tous  nous  nous  attendions  k 

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339 

monrir  de  besoin  et  de  misère  ;  mais  grâce  à  Dieu ,  nous 
arrivâmes  à  Macao  :  c'était  le  vendredi  saint. 

«  Ici  je  devrais  terminer  mon  récit ,  si  les  pirates , 
comme  je  viens  de  le  dire,  ne  m'avaient  pas  enlevé  la  cor- 
respondance du  Vicaire  provincial ,  le  Père  Dominique 
Marti  ;  mais  désirant  réparer  autant  que  possible  une  perte 
si  dodoureuse,  et  en  attendant  le  retour  du  courrier  que 
j'ai  expédié  à  ce  Père  pour  le  prier  d^écrire  de  nouveau  sa 
relation ,  je  veux  ,  à  Taide  de  quelques  faits  qui  se  sont 
passés  sons  mes  yeux ,  essayer  de  vous  faire  connaître 
les  espérances  de  la  Religion  auTong-King. 

«  La  preuve  la  plus  éclatante  des  progrès  que  fait  le 
christianisme  dans  celle  contrée ,  c'est  que  Tannée  der- 
nière huit  villages  dinfidèles ,  sans  excepter  leurs  manda- 
rins locaux  (maires)  ont  demandé  tous  ensemble  des 
catéchistes ,  pour  leur  enseigner  h  doctrine  chrétienne  et 
les  disposer  au  baptême.  Je  ne  saurais  vous  dire  quelle 
^e  nous  apporta  cette  heureuse  nouvelle.  Des  catéchistes 
lurent  envoyés  à  Finstant  ;  leurs  instructions,  celles  des 
Missionnaires  et  de  quelques  prêtres  indigènes,  mais  sur- 
tout le  zèle  et  l'activité  de  Mgr  le  Vicaire  apostolique  qui 
s'était  empressé  d'accourir  ,  ont  tant  avancé  les  choses, 
que  ce  digne  Prélat,  pour  sa  part,  a  baptisé  en  deux  jours 
quatre-vingt  seize  adultes,  et  donné  la  communion  à  cent 
nooveaux  convertis. 

«  Mais  celte  joie  fut  troublée  par  l'ai'restation  d'un 
catédiiste  nommé  Dat ,  qui  avait  été  envoyé  par  le  Père 
Marti  pour  compléter  Tinstruction  des  néophytes  de  ces 
villages.  On  le  conduisit  chez  le  mandarin  delà  justice, 
qui  le  condamna  à  recevoir  quarante  coups  de  roiin. 
Celte  sentence  fut  exécutée  d'une  manière  si  cruelle,  que, 
lui  ayant  déchiré  les  chairs,  on  le  laissa  dansi'état  le  plus 
pitoyable;  puis  il  fut  renvoyé  en  prison.  Mais,  A  Dtd» 
de  mMrlcordel  que  vos  yoles  sont  impénétrables  I  qw 

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340 

\oè  pensées  ressembleni  peuaoK  pensées  des  homn^s!.... 
Le  mandarin  voulail  punir  ce  caiéchiste  en  le  jetant  dans 
un  cachot  ;  et  dans  celte  même  prison  ,  ce  catéchiste  a 
converti  et  baptbé  un  assassin  qui,  nprès  avoir  pleuré  ses 
crimes ,  a  souffert  avec  tant  de  résignation  la  peine  qu'il 
avait  méritée,  qu'au  moment  où  on  lui  coupait  le  poignet, 
on  l'entendit  s'écrier  :  O  Jésus I  et  il  mourut  ainsi, 
en  invoquant  le  très-doux  nom  de  notre  adorable  Ré- 
dempteur. 

«  Cette  convei*sion  ne  fut  pas  le  seul  événement  re- 
marquable qui  accompagna  Farrestaiion  du  catéchiste. 
Pendant  qu'il  attendait  la  sentence  déGnitivedu  mandarin 
de  la  justice,  le  roi  apprit  la  manière  arbitraire  avec 
laquelle  ce  naagistrat  avait  agi  à  son  égard.  En  effet 
aucune  autorisation  ne  lui  avait  été  donnée  ;  il  avait  laissé 
de  cdté  les  formalités  ordinaires;  même  il  n'avait  point 
présenté  de  rapport  au  mandarin  général.  Dès  lors  certain 
que  le  roi  lui  ôterait  la  vie ,  ou  du  moins  son  emploi  ;  ne 
pouvant  supporter  cette  pensée  humiliante  que  le  man- 
darin général  serait  son  juge,  il  eut  recours  au  suicide.  — 
Après  sa  mort  des  négociations  furent  entamées  avec  le 
mandarin  général;  il  accorda  la  liberté  du  catéchiste, 
moyennant  la  somme  de  20  barres  d'argent ,  c'est-à-dire 
1,400  francs. 

a  A  la  même  époque,  dans  le  district  de  Mgr  Ximcno  , 
coadjuteur  de  Mgr  Hermosilla ,  deux  autres  villages  de- 
mandèrent également  le  baptême.  On  leur  envoya  des 
catéchistes;  mais  quelques  infidèles,  irrités  de  voir  déserter 
de  la  sorte  les  rangs  de  l'idolâtrie,  présentèrent  un  rapport 
au  maire  du  village  voisin  qui ,  accompagné  de  plusieurs 
satellites,  arrêta  les  catéchistes  et  quelques  chrétiens  zélés 
qui  les  aidaient  dans  leur  ministère.  Mgr  Ximeno  envoya 
de  suite  avec  des  présents  une  des  personnes  les  plus 
narquantes  de  l'endroit  où  je  résidais,  afin  d'obtenir  da 

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341 

mandaria  général  le  rachat  des  captifis.  Celui-ci  répondit 
qu'il  donnerait  Tordre  de  ne  pas  les  conduire  à  la  capi- 
tale, et  qu'on  leur  rendrait  la  liberté  immédiatement.  — 
Us  furent  effectivement  mis  en  liberté,  mais  un  peu 
plus  tard ,  parce  que  tous  les  mandarins  s'étaient  rendus 
aux  funérailles  de  ce  mandarin  de  la  justice  qui  s'était 
suicidé. 

m  Id  je  dois  vous  signaler  une  circonstance  qui  me  fait 
ooncevoir  les  espérances  les  plus  flatteuses  pour  l'avenir 
de  la  Religion  dans  le  Tong-King.  Le  mandarin  qui  avait 
arrêté  les  catédiistes  était  allé ,  accompagné  d'autres 
Humdarins  locani,  rendre  visite  au  mandarin  des  sceaux, 
qui  est  le  secrétaire  du  roi  :  il  croyait  obtenir  de  sa 
part  des  marques  de  saiis&ction  ;  mais  le  contraire 
arriva  ;  car  ce  haut  fonctionnaire  lui  dit  d'un  ton  indi- 
gné :  «  Vous  êtes  plus  coupable  que  les  chrétiens  eux- 
€  mêmes,  vous  qui  les  avez  arrêtés  ,  sans  en  avoir  reçu 
m  l'ordre  du  roi  ou  des  grands  mandarins;  et  je  me 
«  rendrais  coupable  à  mon  tour,  si  j'approuvais  cette  ar- 
m  restaiion.  »  Cette  sévère  réprimande  enleva  tonte  espé- 
rance au  mandarin  prévaricateur;  les  catéchistes  furent 
délivrés,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  mais  moyennant  une  somme 
d'argent;  bientôt  ils  retourneront  aux  mêmes  villages  qui 
tiennent  de  les  redemander  avec  de  vives  instances,  en  di- 
sant qu'ils  ne  craignent  pas  les  infidèles. 

«  Dans  le  courant  de  celte  même  année,  Mgr  le  Vicaire 
apostolique  et  son  Coadjuteur ,  accompagnés  de  quelques 
prêtres  indigènes ,  ont  visité  un  grand  nombre  de  chré- 
tientés et  administré  le  sacrement  de  confirmation  à  plu- 
sieurs miilliers  de  fidèles.  De  son  côté ,  le  Père  Vicaire 
provincial  ne  laisse  échapper  aucune  occasion  de  mani- 
fester son  zèle.  Comme  j'étais  encore  à  la  PMi,  je  reçus  une 
lettre  dans  laquelle  il  m'annonçait  qu'il  venait  de  partir 
pour  la  province  méridionale  :  c'est  elle  qui  fut  le  théâtre 


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342 

de- la  dernière  penéottUon  ;  depuis  oeile  époque  f,90u&  en 
étions  comme  exiié$«  Il  lui  a  Tallu  traverser  une  rnukâtode 
d'obstacles  :  nous  avons  bien  des  raisons  de  craindre  qu'il 
n'ait  déjà  été  arrêté;  toutefois  nous  aimons  à  espérer  que 
la  divine  Providence  ne  nous  privera  pas  d'un  ap6tre 
qui,  à  kii  seul, peut  tenir  lieu  de  plusieurs  Missipnnairesi 
et  dont  les  secours  sont  réclamés  par  une  province  qu'a 
sanctifiée  le  sang  de  tant  de  martyrs. 

«  Tel  est  Fétat  de  la  Mission  du  Tong-Kîng  oriental;  les 
choses  sont  à  peu  près  sur  le  même  pied  dans  le  TcHig- 
King  occidental;  de  sorte  que  la  Religion  gagne  pea  à  peu 
cette  terre  que  l'ennemi  infernal  tenait  depuis  taaldesiècles 
sous  son  empire.  Tous  Iv;s  jours  elle  envoie  desélus  au  ciel  ; 
mais  c'est  surtout  parmi  les  enfants  qu'elle  va  lescbercber. 
Notis  avons  des  catéchistes  et  plusieurs  médecins  chrélieBS 
qui,  appelés  à  donner  leurs  soins  à  ces  pauvres  enfonts,  i 
l'article  de  la  mort,  parlent  avec  énergie  à  leurs  parents 
des  avantages  du  baptême.  Souvent  ceux-d  se  décident  à 
les  laisser  baptiser,  a6n  de  les  envoyer  au  ciel  ;  ils  exigent 
seulement  qu'on  leur  donne  de  quoi  se  proairer  le  cer- 
cueil ou  la  robe  nécessaire  pour  leurs  funérailles.  Ces 
bonnes  oeuvres  sont ,  il  est  vrai  ,  pour  la  Mission,  la 
source  d'une  dépense  de  quelques  milliers  de  francs; 
mais  qu'importe  la  dépense,  si  l'on  envisage  la  conquête 
de  tant  d'dmes  dont  les  unes  vont  peupler  le  ciel ,  et 
les  autres  restent  conune  une  espérance  pour  nos  Mis- 
sions? 

«  Connaissant,  Messieurs,  le  tHe  de  votre  pieose  Asso- 
ciation ,  je  croirais  vous  faire  une  injure  si  j'entreprenais 
d'exciter  votre  foi ,  en  vous  exhortant  à  poursuivre 
votre  si  glorieuse  carrière  ;  mais  vous  écrivant  pour  la 
première  fois,  au  nom  de  cette  Eglise  du  Tong-King 
qui  vous  doit ,  en  grande  partie ,  ses  progrès ,  je  vou- 
drais pouvcMT  vous  dire  jijsqu'où  va  la  reconnaissanoe  des 


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343  ' 

Evéques,  des  Missionnaires,  des  Pères  ei  de  lous  les  Gdèlff 
de  ces  contrées. 

«  Je  conjure  tons  vos  Associés  de  ne  point  se  laner 
de  contribuer  à  cette  belle  Œuvre,  si  digne  de  la  charité 
chrétienne;  leurs  aumônes  sont  reçues  par  Dieu  conHne 
HO  sacriGce  d'agréable  odeur  ;  et  je  dois  ajouter  poor 
ienr  consolation,  que  tous  les  prêtres  du  Tong-King 
célèbrent  deux  messes  chaque  année,  et  les  élèves  de 
la  maison  du  Seigneur  récitent  chaque  jour  le  chapdet 
pear  que  Dieu  leur  accorde  les  bénédictions  du  temps  et 
de  rétemité. 

«  Je  suis ,  etc. 

«  Fb.  Ràtvohd  Barcblo.  • 


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344 


Extrait  (Tune  lettre  du  même  Père  à  M.  le  Président  du 
Conseil  central  de  Lyon.  (Traduction  de  TespagnoU) 


Macao,4j«iUell8U. 


«  Monsieur  lb  Présidbivt  , 

«  D'après  les  lettres  écrites  par  le  Vicaire  aposto 

Itque  Mgr  Hermosilla  en  mars  et  mai  de  cette  année ,  la 
persécution  qui  recommence  ses  fureurs ,  rend  de  jour 
en  jour  TEglise  du  Tong-King  plus  digne  de  compassion. 
Un  des  gouvemeursde  cette  contrée  a  promulgué  un  décret 
vraiment  diabolique  qui  renouTclle  tous  les  édits  anté 
rieurs  de  persécution ,  et  intime  aux  mandarins  inférieurs 
fe  plus  strict  accomplissement  des  dispositions  qu'il  con- 
tient. Le  samedi  saint  on  a  arrêté  un  Père  indigène  de 
notre  ordre  et  un  catéchiste,  ainsi  que  le  maître  d*une 
maison  dans  laquelle  s'étaient  retirés  trois  chrétiens  qui  y 
vivaient  paisiblement*  Le  catéchiste  et  les  autres  capti& 
ont  été  rachetés  avec  de  grosses  sommes  d'ai^ent  ;  mais 
te  Père  a  été  soumis  à  la  torture  du  rotin ,  et  comme 
malgré  les  tourmentSi  il  demeurait  constant  dans  la  foi,  on 
Ta  conduit  en  prison  la  cangue  au  cou.  Il  y  est  encore 
aujourd'hui.  —  Le  même  jour  on  a  saisi  un  autre  Père 
indigène  du  Vicariat  occidental,  le  même  qui,  déjà  Tannée 
dernière,  avait  été  pris  et  racheté.  Ce  Père  a  été  bâtonné 
deux  fois.  Mais  sa  constance  ne  s'est  pas  démentie ,  ainsi 


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345 

que  l'écrit  Mgr  Retord,  qui  lui-même  a  été  Fobjel  de  vives 
poursuites;  car  les  païens  étaient  venus  un  jour  cerner  le 
I^urg  où  il  résidait  ;  mais  averti  à  temps ,  le  Prélat  put 
prendre  la  fuite  avant  que  les  troupes  ne  fussent  ar- 
rivées. La  capture  s'est  bornée  à  quelques  livres  euro- 
péens et  autres  effets; 

«  Le  23  avril  dernier,  un  antre  Père  indigène,  domi- 
nicain ,  a  été  également  arrêté  avec  sept  chrétiens  qui 
raccompagnaient.  Rien  de  plus  odieux  que  les  circon- 
stances de  cette  arrestation  :  le  Père  allait  administrer  les 
sacrements;  il  était  obligé  de  passer  devant  la  maison 
d'un  infidèle  qui  déjà  avait  dénoncé  un  autre  Père,  il  y  a 
quelque  années;  aujourd'hui  il  montrait  le  plus  vif  in- 
térêt pour  les  dirétiens,  ce  qui  n'empêchait  pas  les  Euro- 
péens de  se  défiei*  de  lui,  et  l'événement  a  prouvé  que  ce 
n'était  pas  sans  raison.  En  effets  lorsque  le  Père  fut  arrivé 
près  de  l'habitation  de  ce  païen,  cdui-d,  venant  à  sa  ren- 
contre, l'engagea  à  entrer  et  à  se  reposer  dans  sa  demeure. 
Le  Père  s'en  excusa;  mais  l'insistance ,  ou  plutôt  la  vio- 
lence du  païen  fut  telle,  qu'il  devint  impossible  de  ne  pas 
céder.  Cependant,  à  peine  le  Père  eut-il  mis  le  pied  dans 
la  maison,  que  l'infidèle,  fermant  la  porte,  appela  ses  do- 
mésUques,  et  tous  ensemble  s'étant  Jetés  sur  lui  et  sur  ses 
compagnons^  ils  les  traînèrent  devant  le  mandarin.  Ceux 
qui  suivaient  le  Missionnaire  furent  rachetés;  mais  pour 
lui,  après  avoir  subi  la  rude  épreuve  du  rotin,  il  fut  con- 
duit la  cangne  au  cou  à  la  prison  où  se  trouve  l'autre  Père 
dbminicain  dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Jusqu'à  présent,  il 
vtj  a  pas  encore  eu  de  jugement  rendu  contre  eux,  et  l'on 
^nore  ce  que  pensera  le  roi  de  leur  capture.  J'aurai  soin 
de  vous  tenir  informé  des  suites  de  cette  afl&ire. 

€  Le  Procureur  deê  Missions  espagnoleê. 
Fa.  Raymond  Barcblo.  » 


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346 

Lellre  du  même  Pêne  au  Préiident  du  Conseil  cetHral  de 

Lyon.  (Traduciion  de  Tespagnol.  ) 

Macao,  10  juillet  18ii. 

«  MemsiBUR  le  Psésident  , 

«  Dans  ma  lettre  du  16  mai  dernier ,  je  vous  amionçais 
'que  f  avais  expédié  un  courrier  au  Père  Marii ,  Vicaire 
provincial,  pour  le  prier  de  faire  une  seconde  copie  de  h 
relation  qui  vous  était  d^tinée,  et  qui  m'avait  été  en- 
levée" par*' îes' pirates.  Ce  Père  vient  de  m'écrire  ;  mais 
dans  la  crainte  de  vous  fatiguer  par  des  redites ,  je 
laisserai  les  passages  qui  reproduisent,  quoique  avec  plus 
de  détails ,  les  nouvelles  que  je  vous  ai  déjà  données. 
Je  me  contenterai  d'extrair«  de  sa  lettre  ce  qui  lait  suite  a 
Histoire  de  la  conversion  des  villages  dpnt  je  vous  au 
entretenu ,  et  ce  qui  a  ti-ait  au  voyage  du  Père  dans  la 
province  méridionale. 

«  Voici  ce  qu'il  me  mande  relativement  au  prenter 
point  : 

«  Je  ne  pouvais  abandinmer  notre  catéchiste  après  son 
«  arrestation  ;  afin  donc  de  suivre  la  trdc e  de  ses  pas,  it 
«  quittai  les  cliréiienlés  nouvelles  qu'il  venait  de  fonder. 
«  Ces  clirélientés  on\  montré  un  constant  amour  pour  kt 
«  Beligion  chrétienne.  Dès  qu'elles  an^rirem  que  leur 
«  catéchiste  était  en  prison,  elles  s'empressèrent  de 
«  nous  envoyer  des  députés  pour  nous  prier  de  0e  pai» 
«  les  abandonner.  Cette  demande  nous  oonbki  4e  joie. 
«  Ifous  nous  liâtâmes  de  leur  envoyer  un  nomlnre  soflS^ 
«  sant  de  catéchistes.  Il  nous  fallut  les  prendi^  parmi  nos 
«  étudiants  en  morale.  Ceux-ci  continuèrent  les  instroc- 
«  tions  déjà  commencées,  avec  persévérance,  et  en  sui- 
«  vaut  une  méthode  plus  convenable  et  moins  bruyante, 
«  sans  que  cependant  ils  se  cachassent  pour  aoseiguer  ; 


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347 
car  il  esl  impossible  de  catéchiser  en  secret  quatre  ou 
cinq  villages  à  la  fois.  —  Le  nombre  des  adultes 
auxquels  a  été  conféré  le  baptême  dans  ces  villages, 
dépasse  déjà  le  chiffre  de  deux  cents.  Presque  tous 
Tout  reçu  des  mains  de  Mgr  le  Vicaire  apostolique  qui, 
pendant  deux  ou  trois  mois  de  séjour  dans  ces  localités, 
a  travaillé  avec  un  zèle  infatigable.  » 
«  Le  Père  Marti,  venant  a  raconter  son  voyage  dans  lu 
ovince  méridionale,  continue  ainsi  : 
«  Depuis  Tannée  1838 ,  époque  oà  la  province  méri- 
dionale inférieure,  nommée  Nam-Dinh,  fut  le  théâtre 
d'une  si  sanglante  persécution,  aucun  Européen  n'avait 
osé  y  pénétrer.  Cette  province  cependant  compte  plus 
de  124,000  chrétiens.  Nous  étions  (rf>Ugésde  diriger, 
de  la  frontière,  plas  de  vingt  préires  indigènes,  qui,  au 
plus  fort  du  da«ger,  n'ent  pas  cessé  de  résider  dans  k 
pays,  comme  l'attesie  le  grand  nombre  de  martyrs  sa- 
crifiés par  Tring-Kang-Kang*  —  Au  commencement 
de  1843,  alors  que  la  fureur  de  la  perséctttîoa  s^était 
on  peu  apaisée,  nous  avions  fait  bâtir  «ne  petite 
maison  à  Ztic-7%uy;  c'est  Teodreil  roéme  où  était 
autrefois  notre  ^lége  pour  TenseieBement  de^Ia  bio- 
raie.  Depuis  lors,  ayant  appris  que  les  priBcIpaox  de 
ce  village  désiraient  le  retour  du  Vicaâre  pnmndal,  et 
qu'ils  étaient  décidés  à  braver  tous  les  dangers,  je  fis 
part  de  cetle  nouvelle  à  Mgr  h  Vicaire  apestoUque,  et 
muni  de  sa  bénédiction,,  je  rmontai  au  cemmencanent 
de  septembre  vers  le  distriet  deCM^JEs ,  simé  dans  ki 
province  méridi(»ale  supérieure»  avec  respéranee  de 
descendre  un  peu  plus  tard  vers  lAêe-Thm/^ 
«  H  me  parut  convenable  de  donner  anx  fidèles  de  Coo- 
Xa  des  exercices  publics  et  soleonek^  antam  que  les 
circonstances  le  pennettraidDt.I>Bns  cette  pensée,  j'avais 
décidé  les   principaux  luibitants   i  construire  noe 


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ut 

petite  église  de  cinquante  pieds  de  long  sur  vingt  de 
large.  Depuis  plus  de  six  années  ces  exercices  n'avaient 
pu  avoir  lieu  dans  ce  district,  h  cause  de  la  persécution  ; 
et  œtle  fois  même  ils  furent  accordés  i  la  con- 
dition que  ceux  d'entre  nos  chrétiens  pour  lesqueb 
ils  étaient  plus  nécessaires  ne  manqueraient  pas  d'y  as- 
sister. Malheureusement  ce  n'était  pas  chez  eux  que 
nous  devions  trouver  la  meilleure  volonté.  II  me  fallut 
donc  les  envoyer  chercher  un  à  un  par  nos  catéchistes; 
et  encore,  m'étant  aperçu  de  la  focÛité  avec  laquelle  ils 
se  laissaient  aller  à  la  dissipation,  je  pris  le  parti  de  les 
faire  rester  chez  moi ,  afin  de  pouvoir  les  assujettir  à 
une  vie  réglée  pendant  la  durée  de  la  retraite. 
«  Qui  aurait  pu  croire  que  de  si  faibles  moyens  dussent 
amener  de  grands  résultats?  Mais  Dieu,  qui  est  riche  en 
miséricorde,  a  versé  si  abondamment  ses  grâces ,  que 
pendant  les  dnq  derniers  jours  des  exercices  nous  en- 
tendîmes plus  de  500  confessions ,  dont  la  plupart 
étaient  de  deux,  trois  et  cinq  ans;  quelques-unes  même 
remontaient  encore  plus  haut.  Le  Père  Rivas  et  deux 
Pères  long-kinois  me  prêtaient  le  secours  de  leur  mi- 
nistère; nous  étions  jour  et  nuit  au  confessionnal;  et 
cependant  nous  ne  pûmes  satisfoire  les  désirs  de  tons 
nos  chrétiens  dont  plusieurs  furent  renvoyés  pour  être 
entendus  après  lesexercices.  Ce  ne  furent  pas  seulement 
les  habitants  de  Cao-Xa,  comme  nous  l'avions  pensé 
d'abord,  qui  arrivèrent  à  nous  :  il  en  vint  aussi  d'autres 
chrétientés;  de  sorte  que  la  foule  était  telle,  que  l'église, 
et  la  cour  qui  est  assez  vaste,  se  trouvaient  encombrées. 
Le  matin  et  le  soir  le  nombre  des  assistants  dépassait 
le  chiffre  de  mille,  et  le  dernier  jour  qui  était  la  fête  du 
saint  Rosaire ,  la  plupart  d'entre  eux  furent  obligés 
de  rester  debout  même  pendant  Félévation ,  tant  l'af- 
fluence  était  considérable.  Ce  jour-là  nous  avions  orné 


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349 

c  notre  pauvre  église  à  Taide  de  tentures  et  de  jolies  gra- 
«  vures  venues  de  France;  il  y  eut  Grand'Messe  et  ser- 
«  mon.  Jamais  nos  chrétiens  n'avaient  été  témoins  d'une 
c  semblable  cérémonie  ;  aussi  ils  se  retirèrent  singulière- 
«  ment  touchés.  Bien  ne  vint  troubler  Tordre  ;  et  par  là 
c  nous  voyons  que,  lorsque  Dieu  inspire  une  pensée,  il 
«  sait  la  conduire  à  bon  terme,  au  delà  de  toutes  les  pré- 
m  vbions  humaines.  » 

a  Souffrez,  M.  le  Président,  que  je  bisse  encore  parler 
le  père  Marti.  Je  sais  Fimportance  que  vous  attachez  à 
tout  ce  qui  intéresse  la  Religion.  C'est  lui  qui  va  vous  dire 
avec  quelle  solennité  la  fête  de  notre  père  et  patriarche 
saint  Dominique  vient  d'éti*e  célébrée  au  Tong-King. 

<  Mgr  le  Vicaire  apostolique  étant  venu  dans  notre  col- 
«  lége  pour  traiter  de  quelques  affaires ,  nous  voulûmes 
«  solenniser  ensemble  la  fête  de  notre  glorieux  père  saint 
«  Dominique.  Notre  petite  église  n'a  rien  de  splendide; 
«  des  tentures  en  damas  et  quelques  tableaux  qui  nous 
«  ont  été  envoyés  de  France ,  nous  servirent  à  l'orner  : 
«  sa  toiture  est  soutenue  par  trente-deux  piliers  qui  lui 
«  donnent  un  certain  aspect;  mais  ses  trois  nefs,  longues 
<  seulement  de  70  pieds  et  larges  de  25 ,  ne  pouvaient 
«  suffire  à  la  fouledes  fidèles.  Nous  fumes  obligés  de  dresser 
«  une  tente.  Mgr  le  Vicaire  apostolique  se  voyait  ce  jour-là 
a^entouré  de  quatre  prêtres  européens,  de  neuf  prêtres 
a  tong-kinois ,  et  environ  de  deux  cents  catéchistes  ou 
«  étudiants.  Aussi  il  nous  fut  donné  de  célébrer ,  avec 
«  toute  la  solennité  qu'on  pourrait  déployer  en  Europe , 
«  une  messe  pontificale  suivie  d'un  sermon.  Cette  fête  fut 
«  accompagnée  d'une  octave.  Jamais  le  Tong-King  n'a- 
«  vait  vu  une  si  pompeuse  cérémonie.  » 

«  Ves  Associés,  Monsieur  le  Président,  auront  peine  ù 
comprendre  que  l'on  puisse  célébrer  au  Tong-King  de  pa- 
reilles solennités  sans  qu'elles  arrivent  à  la  connaissance 


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350 
des  mandarins.  Mais  il  faut  savoir  que  les  maisons  y 
sont  séparées  les  unes  des  autres  par  des  jardins  plus  ou 
moins  vastes  qu'environnent  de  grands  et  épais  roseaux. 
L'habitation  la  plus  insignifiante  est  aussi  bien  cloîtrée 
que  peuvent  Tétre  beaucoup  de  couvents  en  Espagne. 
De  là,  la  facilité  de  faire  des  réunions  nombreuses  sans 
être  aperçu  au  dehors.  Pour  les  églises  et  les  résidences 
des  Missionnaires,  surtout  pendant  les  persécutions,  elles 
sont  encore  plus  retirées.  L'endroit  le  pliis  sâr  et  le  plus 
reculé  du  village  est  celui  qu'on  choisit  pour  les  bâtir.  Le 
jardin  qui  les  environne  n'est  pas  seulement  fermé  par 
une  haie  de  roseaux  :  il  a  sa  muraille,  son  fossé  et  son 
fiontre-fossé  ;  et  ce  n'est  là  pour  personne  un  sujet  d'éton- 
ucment  ;  car  c'est  ainsi  que  sont  construites  les  bonnes 
maisons.  Mais  ce  qui  leur  donne  encore  plus  de  sûreté , 
c'est  qu'elles  se  trouvent  entourées  des  habitations  des 
plus  fidèles  chrétiens  ,  habitations  qu'il  faut  nécessaire- 
ment traverser  pour  entrer  ou  sortir.  Aussi  il  est  im- 
possible que  le  Missionnaire  et  les  assistants  soient  surpris, 
à  moins  que  les  fidèles  ne  se  prêtent  à  la  trahison,  ce 
<]ui  n'a  jamais  eu  lieu;  et  pour  celui  qui  connaît  le  respect 
etledévouement  dont  nous  environnent  ces  bons  chrétiens, 
il  n'est  pas  facile  de  supposer  que  cela  arrive  jamais.  Les 
Missionnaires,  il  est  vrai,  ont  été  quelquefois  arrêtés  au 
moment  du  saint  sacrifice,  ou  pendant  qu'ils  remplissaient 
d'autres  fonctions  sacrées;  mais  c'était  alors  que ,  fugitirs, 
ils  portaient  les  sacrements  aux  malades,  et  jamais  dans 
leur  résidence. 

«  Veuillez,  Monsieur  le  Président,  recevoir  l'assu- 
rance, etc. 

o  Le  Procureur  des  Missions  espagnoles  ^ 
Fr.  Raymond  Bargelo.  » 


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351 

Extrait  d'une  lettre  du  R.  P.  Martin  de  tordre  des  Frères 
Prêcheurs  y  et  Ficaire  provincial  du  Tong-King  oriental  ^ 
au  Conseil  central  de  Lyon.  (  Trad.  de  Tespagnol.  ) 

Cao-Xa,  aa  Tong-King.  28  JMvier  i8U. 
«  ItesSIEVRS, 

c  ....  Les  abondantes  aumdnes  dont  nous  sonuoes  rede- 
vables à  votre  inépuisable  charité  sont  venues  si  à  propos 
soulager  notre  misère  ,  et  les  diverses  applications  que 
nous  en  avons  faites  ont  eu  des  résultats  si  précieux,  que 
ce  sera  pour  vous  et  pour  vos  Associés  un  besoin  de  bénir 
le  Seigneur  qui  a  daigné  se  servir  de  vos  offrandes  pour 
opérer  les  merveilles  de  sa  grâce. 

«  Nous  avons  commencé  par  venir  au  secours  d'une 
multitude  de  pauvres  ;  le  nombre  en  est  grand  dans  ces 
contrées.  La  persécution  les  avait  multipliés  ;  mais  nor.s 
avons  pu  indemniser ,  en  partie  du  moins ,  plusieurs  de 
nus  néophytes  qui  avaient  payé  fort  cher  leur  dévouement 
à  la  foi.  Tous  ceux  qui  souffrent  pour  le  nom  de  Jésus- 
Christ  ont  été  Tobjet  de  notre  sollicitude.  Ainsi  les  fa- 
milles de  ces  illustres  soldats  qui  ont  honoré  noire  sainte 
Religion  par  leur  héroïque  martyre,  sans  vos  aumônes  se* 
niient  restées  plongées  dans  la  misèi'e;  aujourd'hui,  dé- 
liinrées  par  vous,  elles  bénissent  le  ciel  pour  vos  bienfeits. 
Nous  soutenons  vingt-deux  maisons  de  pieuses  filles  de 
notre  tiers-ordre,  et  trois  maisons  de  Religieuses  dites 
Amantes  de  la  croix  y  que  la  persécution  n'a  pu  encore 
détruire.  Ces  servantes  du  Christ  qui  ont  toujours  vécu 
bien  pauvrement ,  sans  autre  ressource  que  le  modique 
produit  de  leur  ti*avail,  vous  doivent  également  de  ne  pas 
airoir  à  gémir  dans  le  dénûment  le  plus  complet ,  elles 
dont  la  résignation  vraiment  exemplaire  a  déjà  à  lutter 
contre  des  vexations  et  des  avanies  de  tout  genre.  Pendant 
les  deux  dernières  années  ,  à  la  fête  de  notre  Père  saint 


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352 

Dominique,  el  à  celle  de  saint  François  Xavier,  nous  avons 
fait  passer  un  subside  assez  considérable  à  chacime  de 
ces  maisons,  enjoignant  à  celles  qui  les  habitent  une  com-^ 
munion  et  des  prières  pour  tous  les  Associés  vivants  ei 
défunts  de  cette  grande  et  bienfaisante  Œu\Te  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi.  Ainsi  ceux  que  Tocéan  sépare ,  la 
charité  sait  les  unir  par  des  liens  étroits.  Oui ,  sans  con- 
naître seulement  le  nom  de  nos  chrétiens ,  vous  leur  en- 
voyez d'abondantes  aumônes  ;  et  eux  à  leur  tour ,  qui 
ignoreraient  même  votre  existence  si  elle  ne  se  révélait 
par  des  bienfaits,  ils  élèvent  leurs  mains  et  leurs  vœux 
vers  le  ciel  pour  en  faire  descendre  des  bénédictions  qu'ils 
invoquent  sur  vous. 

«  Je  dois  encore  vous  faire  part  d'une  autre  bonne 
œuvre  que  vos  aumônes  nous  ont  rendue  possible.  Elle 
est  plus  importante, plus  agréableàDieu  et  plus  utile  aux 
âmes  que  toutes  celles  que  je  viens  d'énumérer.  Un  grand 
nombre  de  chrétiens ,  quelquefois  même  des  chrétientés 
entières,  sont  obligés  de  payer  certaines  contributions  su- 
perstitieuses, et  cela  en  vertu  des  édits  iniques  de  Minh- 
Menh  et  des  lois  municipales  des  villes.  — Situation  dou- 
loureuse! les  enfants  de  Dieu  tributaires  du  démon  !  !  !... 
Et  comment ,  laissés  ù  nous-mêmes ,  pourrions-nous  les 
racheter  d'un  si  honteux  esclavage?  Mais  aujourd'hui , 
grâce  à  vos  secours,  nous  avons  pu  délivrerplusieurs  mil- 
liers de  fidèles  de  ce  tribut  infâme;  nous  espérons  même 
racheter  tous  les  autres,  si' vous  continuez  à  nous  faire 
passer  vos  aumônes ,  si  surtout  vous  nous  aidez  de  vos 
prières.  Non,  l'argent  ne  saurait  suffire  à  arracher  lésâmes 
de  l'esclavage  du  démon.  Dieu  seul  peut  toucher  le  cœur 
de  ceux  de  nos  infidèles  qui  ont  en  main  la  puissance. 

«  Je  suis ,  etc. 

«  Fr.  DonmiQUE  Marti  , 
Fie.  provincial  du  Tong-Ktng  oriental.  » 


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353 

Lettre  du  même  Père  au  R.  P.  Gétmal  de  Vordre  des 
Frères  Prêcheurs.  (Traduction  du  lalin.) 

28  mai  i8U. 

c  Très-Revereno  Père  , 

«  J'ai  appris  par  une  lettre  de  notre  R.  P.  procureur 
de  Ifeicao  que  vous  désiriez  vivement  recevoir  des 
nouvelles  de  cette  Mission  du  Tong-King  oriental.  La 
manifestation  de  ce  désir  est  pour  notre  Mission  la  preuve 
de  la  singulière  affection  que  vous  lui  portez.  Aussi 
c'est  avec  joie  que  je  prends  la  plume  pour  essayer  de 
satisfaire,  autant  que  me  le  permettra  un  temps  qui  me 
presse,  des  vœux  aussi  bienveillants. 

«  Vous  savez  déjà,  irèsR.  P.  par  quelles  épreuves  a 
passé  celte  Mission  ,  surtout  pendant  les  dix  dernières 
années  qui  viennent  de  finir ,  et  de  quelle  manière ,  au 
fort  de  la  persécution ,  ont  combattu  pour  la  foi  et  rem- 
porté la  palme  du  martyre  les  deux  Evéques  qu'avaient 
fournis  notre  ordre  et  notre  province ,  savoir  :  le  très- 
digne  Vicaire  apostolique  Mgr  Delgado ,  et  son  illustre 
coadjuteur ,  Mgr  Hénares.  —  Vous  n'ignorez  pas  davan<> 
tage  la  glorieuse  victoire  remportée  ,  dans  ce  même  com- 
bat, par  le  Vicaire  provincial  de  la  Mission,  savoir  :  le 
P.  Fernandez  qui  eut  pour  compagnons  de  son  triomphe 
8  religieux  indigènes,  4  prêtres  séculiers ,  13  catéchistes 
ou  simples  fidèles ,  parmi  lesquels  on  comptait  8  chré- 
tieuis  de  notre  tiers-ordre.  Tous  ces  faits  vous  sont  par- 
faitement connus ,  trèa  R.  P.  ;  vous  ne  sauriez  même 
ignorer  les  circonstances  les  plus  mémorables  du  martyre 
de  ces  illustres  confesseurs,  après  qu'elles  ont  été  racon- 
tées dans  une  multitude  d'écrits  qui  les  ont  portées  chez 
toutes  les  nations  de  l'univers. 

TOM.  XVII.  101.  23 

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364 
«  Cétaii  dans  rannée  1838 ,  et  dans  les  années  qui  sui- 
virent, que  tous' ces  généreux  a:  hlètes  versaient  avec 
gloire  leur  sang.  En  1841 ,  ie  Seigneur  brisait  la  verge 
de  fer  dont ,  il  s'était  servi  pour  éprouver  cette  Eglise 
désolée.  En  effet  le  20  janvier  de  cette  année,  le  cruel 
tyran  Minh-Menh,  qui  avait  formé  de  noirs  desseins  con- 
tre le  peuple  de  Dieu,  qui  avait  résolu  d^ exterminer  ses 
saints  et  d^ effacer  le  nom  ele  (  son  Qirist  )  par  un  juste 
jugement  se  vit  rayer  lui-même  de  la  liste  des  vmnis* 
La  miséricorde  divine  nous  a  préservés  d*une  ruine  com- 
plète; car  la  fareur  que  déployait  cet  ennemi  de  TEgliae 
était  si  cruelle,  si  fourbe,  si  incessante,  que»  si  Di^  dans 
sa  honte  n'eût  abrégé  ces  mauvais  jours  ^  personne.  nlM 
échappé. 

«Depuis  qu'il  n'est  plus,  la  pa*sécution  s'est  peu  à  pM 
ralentie  ;  nous  avons  proûté  du  premier  moment  de  calme 
pour  rassembler  les  membres  dispersés  d'Israël.  11  nous  a 
fallu  raffermir  ce  qui  était  faible,  consolider  ce  qui  ét»it 
brisé ,  rétablir  ce  qui  était  tombé ,  et  mettre  tout  en  oeuvre 
pour  relever  les  murs  de  notre  mystique  Jérusalem. 

«Le  premier  objet  qui  s'est  présenté  à  notre  sollioUude, 
e^est  la  réunion  de  nos  étudiants  qui,  semblables  à  des  Wé* 
Kè  privées  de  leur  pasteur ,  s'en  allaient  errants  çà  et  la* 
De  leur  éducation,  en  effet,  dépend  la  conservation  et  Tao- 
ci'oissement  de  la  Mission;  car  c'est  dans  leurs  rangs  que 
nous  allons  chercher  ces  prêtres  et  ces  catéchistes  qui  CQih 
sacrent  péniblement  leur  vie  à  la  conversion  des  infidèles 
et  à  l'administration  des  sacrements  aux  chrétiens.  Pour 
les  Européens ,  comme  ils  sont  ordinairement  très-peu 
nombreux ,  et  d'ailleurs  plus  exposés  aux  persécutions,, 
il  est  rare  qu'ils  puissent  publiquement  et  avec  Vb^Aé 
exercer  de  semblables  ministères.  C'est  pourquoi  ,..dè8 
l'année  qui  vit  mourir  le  tyran,  nos  deux  collèges  où  s'en- 
seignent le  latin  et  la  théologie  furent  relevés  «  mm  d^m 

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365 

un  autre  Iica ,  et  avec  de  grandes  fatigues  cl  dépenses. 
«  Déjà  notii  en  avoiis  vu  sortir  douze  prêtres.  Toui,  â 
Tetception  d'an  seul  qui ,  à  peine  élevé  au  sacerdocô ,  à 
fendu  le  dernier  soupir,  travaillent  tx\ec  des  soins  dignes 
d'éloges  an  salut  des  âme^  ;  mais  la  persécution  ùous  en 
avait  raii  un  nombre  égal ,  d'où  il  résulte  que  sept  oii 
huit  autres  prêtres  que  ht  mort  nous  a  enlevés,  sansavoî^ 
besoin  du  glaive,  n'ont  encore  aujourd'hui  personne  qHÎ 
tes  remplace.  —  Tous  nos  religieux  profôs ,  ïhissionnaSires 
IMrgènes ,  ne  dépassent  pas  le  nombre  de  30  ;  et  encdrè 
deux  d'entre  eux  sont  retenus  dans  les  fers.  Pour  les  aà-^ 
très  prêtres  séculiers  qui  exercent  le  ministère  dans  cette 
Mission,  ibsont  au  nombre  de  18;  Vtitk  d'eux  égalemeiri 
est  en  prison  po^r  la  fol.  Si  donc  vous  ajoutez  6  Mission- 
fliSres  eurôi^éens,  Mgr  le  Vicaire  apostolique  et  son  Coad- 
joteur,  vous  serez  amené  à  conclure  que  le  clergé  de  tonte 
la  Mission  se  compose  seulement  de  66  prêtres  ;  et  si 
Toas  dédirisieis  les  pHsonniers  et  les  infirmes ,  il  en  restera 
à  peine  60.  Que  ce  nombre  est  petit ,  en  présence  d'une 
si  ricte  moissotil  Dieux  on  trois  Européens  nous  seraient 
fiéœ^sdires  ;  en  égard  à  la  gêne  où  nous  jette  la  persécu- 
tion ,  ils  nous  suffiraient.  Aussi  avons-nous  songé  à  aug- 
menter le  nombre  des  Missionnaires  indigènes ,  comme 
nous  étant  d'une  indispensable  ressource.  Mais  héla^! 
itfleAôns  reste  qtle  8  candidats  en  théologie  et  20  éfe- 
TCs  en  latinité  ;  encore  nous  raudi*a-t4l  attendre  bien  des 
années  avant  dé  pr6i(houVoIr  ces  derniers  aux  saints  or- 
<k*es  :  car  telle  est  la  faiblesse  annamite  qu'on  ne  saurait, 
Mis  imprud^ce,  élever  les  naturels  au  sacerdoce ,  avaw 
de  longues  épreuves  et  toute  la  maturité  de  l'âge.  En  se- 
conde ligne ,  et  comme  une  espérance  moins  prochaine 
éneore  pour  la  Mission ,  se  trouve  un  nombre  considéra- 
ble de  Jeunes  geiis  appliqués  à  l'étude  des  lettres  euro- 
péennes et  des  caraetères  dnnoU.  Vous  dire  eombiéii  ils 

23. 

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356 

sont ,  m'est  chose  impossible ,  parce  qu'en  dehors  des  col* 
léges  dirigés  par  nos  Pères ,  chaque  prÊtre  en  réunit  le 
plus  qu'il  peut  dans  sa  demeure ,  en  attendant  que  Mgr  le 
Vicaire  apostolique  juge  à  propos  de  les  admettre  au  cours 
de  théologie»  Ce  qui  est  certain ,  c'est  qu'ils  sont  aujour- 
d'hui moins  nombreux  qu'autrefois ,  parce  que ,  d'un  côté 
le  martyre,  de  Tautre  le  découragement,  ont  éclaira  leurs 
rangs.  De  ces  derniers,  plusieurs  qui  avaient  cherdié  un 
abri  dans  leurs  femilles,  se  sont*établis.  Donc  avant  dix 
ans,  nous  ne  remplirons  pas  le  cadre  d'ouvriers  apostoli- 
ques nécessaires  à  cette  Mission. 

«  Voilà  pour  le  clergé.  Quant  aux  néophytes ,  ils  ont 
peut-être  gagné  en  nombre  et  en  ferveur.  Ce  n'est  pas  que 
la  persécution  les  ait  épargnés^  qu'elle  n'ait  occasionné 
bien  des  clmtes;  mais  l'apostasie  des  vaincus  a  été  passa- 
gère ;  un  prompt  retour  a  suivi  l'égarement  momentané 
de  la  peur.  A  quelques  rares  exceptions  près  (et  on  peut 
dire  de  ceux-là  ,  qu'avant  de  quitter  nos  rangs ,  ils  n'é- 
taient déjà  plus  des  nôtres)  le  renoncement  à  la  foi ,  le 
concours  aux  superstitions  légales ,  ont  été  puranent  ex- 
térieurs ;  on  s'est  prêté  à  des  apparences  criminelles ,  pour 
échapper  à  des  tourments  horribles. 

«  Mais  aussitôt  l'orage  calmé,  tous  sont  venus  aux  pieds 
du  prêtre  déplorer  leur  pusillanimité  sacrilège  ;  bien  plus» 
on  a  vu  ceux  qui  passaient  pour  indifférents  avant  la  per- 
sécution ,  ceux  dont  la  tiédeur  trop  connue  était  pres- 
qu'un  scandale ,  secouer  depuis  leur  sommeil  léthargi- 
que ,  devancer  leurs  frères  aux  tribunaux  sacrés ,  et  servir 
de  modèles  aux  âmes  les  plus  pieuses.  D'après  les  notes 
que  les  Missionnaires  m'ont  transmises ,  il  est  constant 
que ,  sur  plusieurs  points  de  nos  districts  du  nord  et  de 
l'est ,  le  total  des  sacrements  adaûnislrés  l'année  dernière 
égale,  s'il  ne  le  dépasse  pas ,  le  chiffre  des  années  de  paix. 

«  Cest  qu'en  effet  nos  prêtres  annamites  ont  pleine  U* 

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367 

b^rté,  de  la  part  des  mandarins,  pour  l'exercice  du  saint  mi- 
BÎstère  ;  s^ib  s'assujettissent  encore  à  quelques  précpuiions 
dictées  par  la  prudence ,  c'est  moins  pour  éviter  les  pour- 
svkes  des  soldats,  que  les  pièges  de  certains  spéculateurs 
cupides*  qui ,  dans  la  capture  d'an  prêtre  ,  voient  un 
moyen  d'extorquer  une  rançon.  Les  Missionnaires  euro- 
péens eux-mêmes  ne  craignent  pas  de  se  montrer  dans 
les  YiHages  qui  leur  ofirent  une  certaine  sécurité  ;  ainsi 
Mgr  le  Vicaire  apostolique  et  son  vénérable  Coadjutcur 
viennent  de  parcourir  presque  toute  la  province  du  nord^ 
et  dans  chaque  viHage  qu'ik  ont  visité  ils  ont  administré 
la  confirmation. 

«  Plus  de  réserve  est  commandée  dans  la  province  du 
midi,  ou  l'autorité  se  montre  plus  sévère,  et  les  méchants 
plus  audacieux.  Là ,  par  conséquent ,  la  témérité  du  zèle 
ajqpellerait  évidemment  le  danger,  ainsi  que  viennent  d'en 
&ire  l'expérience  deux  de  nos  prêtres  annamites  :  l'un , 
IKxniniqae  JosejA  /Vue  ,  prêtre  séculier  ,  a  été 
arrêté  le  7  avril,  et  l'autre,  Thomas  Than ,  reli- 
gieux de  notre  ordre,  le  21  du  même  mois.  Je  sais  que 
l'amour  de  l'or  a  été  l'unique  cause  de  celte  double  arres- 
tation; mais  le  bruit  n'en  est  pas  moins  parvenu  au  chef^ 
lieu  de  la  province,  où  les  deux  prisonniers  sont  mainte- 
nant dans  les  fers.  Je  reviendrai  un  jour  sur  cet  événe- 
ment et  sur  tout  ce  qui  a  trait  à  l'année  courante ,  potir  en 
parler  plus  au  long.  Pour  le  moment ,  qu'il  me  suffise 
d'ajouter  que,  malgré  l'incarcération  des  deux  Pères  tong- 
kinois,  tout  continue  à  marcher  assez  en  paix.  Je  suis 
dans  cette  province  depuis  le  mois  de  janvier ,  et  quoî- 
qu'Européen,  jusqu'ici  mon  poste  est  tenable.  Nos  prêtres 
annamites,  qui  veulent  me  consulter  en  secret,  le  peuvent 
sang  danger.  Pourvu  qu'ils  s'environnent  de  toutes  les  pré- 
cautions commandées  par  la  prudence ,  rien  ne  vient  iar 
tenomfre  l'exercice  de  leur  ministère  :  c'est  que  nos  chré- 


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^59 
tifst^^  aguerris  par  les  épreuves  qui  oui  dmifé  plus  d'éoer- 
({ie  i  leur  foi ,  plus  d'élao  à  leur  charité ,  pâlissent  mains 
«ievant  le  péril. 

«Le  roi  Thieu-Tri  parait  avoii*  hérité  dei^ip^piété  de  sctt 
ftfre.  Toutefois^  jusqu'ici  il  n'a  lancé  cQftlre.le^  chréu^ui 
aupun  nouveau  décret  ;  mais  cette  trêve  qt^'il  leiir  accorcte^ 
est  peut-être  moins  la  preuve  de  s^  di^posiMOOS  bîeaveil- 
tentes ,  que  le  résuh^t  de  la  frayeur  que  lui  inspire  la 
Ei*ance  ;  et  il  est  à  craindre  que  cetU$  frayeur  venant  à 
cessai*,  sa  fureur  n'éclate  avec  plus  de  rage.  Mais  nous  sar 
\xms  et  nous  croyons  fermement  q^ue  le  cœur  des  rois  esl 
dans  la  main  de  Dieu.  Si  donc  la  ferveur  de  nos  prières  et 
riijcdeur  de  nos  soupirs  monte  jusqu'à  ce  Roi  des  rois ,  il 
saura  nous  donner  la  paix  pour  la  gloire  de  s^n  nom  et  Id 
sjituit  des  âmes.  Et  c'est  pourquoi ,  veuillez,  très  R.  P.,  rer 
coo^nander  à  tous  ceux  de  nos  frères,  q^t  bat>itent  près  dç 
vo^St  1^  maison  du  Seigneur,  de  s^  souveuir  dans  leurs 
l^>9;ise$  veilles  d^  nous  qpi  pojrtoos  le  poids  de  la  dialeur 
«a  du  jour,  de  se  rappeler  aussi  celle  Eglise  du  Tong- 
Kic^ ,  demandant  pour  e|le  une  paix  si  désirée  et  si  ion- 
^emen^  attendue.  Je  coiyuce  encore  et  je  Siipplie  nos. 
tryi^-clières  sœurs,  les  épouses  du  Christ,  de  ne  pas  ou- 
Uiei*  dans  leurs  prières  et  ng»  personnes  et  notre  Mission; 
oi«  me  servant  des  paroles  de  saint  Léandre  de  SévîUe 
à^s^^œur  sainte  Florentine,  je  leur  dirai  :  «fe  tiens  pour- 
caiain  que  Dieu  8*inclitie  pour  écouter  en  mire  favewr  la 
priire  des  vierges* 

f  Enfin,  très-révérend  Père,  je  me  recommande  d*une 
loaiû^e  spéciale  à  vos  pieus^  souvenirs ,  etc.. 

«  Fr.  Dominique  Mai^ti  , 
Fie.  prov.  des  Misûons  du  Tong-JCing  oriental.  » 


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Boièrmi  fiPimc  ttitre  4u  même  Père  au  Conseil  central 

de  Lyon.  ( Traduction  de  Tespagnol.) 

Luc-Thoy  auToDg-King*  22  août  J844. 
«   MesSIEtAS, 

•  L'intérêt  que  vous  daignez  porter  à  nos  Missions 

iB'invite  à  vous  rapporter  quelques  fait§  douloureux  qui 
viennent  de  s'y  passer.  Plus  tard  ,  mieux  informé  moi- 
rtiéme,  Je  vous  raconterai  avec  plus  de  détails  ce  dont  je 
ie  puis  vous  donner  aujourd'hui  qu'un  simple  aperçu. 

«  Dans  le  courant  du  mois  de  janvier ,  des  mandarins 
se  sont  mis  à  la  poursuite  de  Mgr  Retord,  Vicaire  aposto- 
lique du  Tong^King  occidental.  Ils  espéraient  l'arrêier  à 
Me-Finh^  village  qui  appartient  à  la  province  du  midi. 
Abu  dès  la  veille  le  Préfat  avait  pu  s'enfuir.  Cependant 
qadqMs  livres  et  [riosieorsolqets  de  religion  ont  été  saisis, 
ce  qui  a  occasionné  l'arrestation  du  maii*e  du  vifliige  et 
(f  aoires  personnes  marquantes. 

«  Le  samedi  saint  6  avrilMgr  Gautbier  ,  coadjuteur 
deligrlteterd,aété  également  l'objet  de  vives  poursuites. 
Mm  Dfeu  ai  permis  que  les  mandarins  qai  en  voulaient  à 
sa  pcTKMHie  ne  posseBt  ratteind^e.  Leurs  re<^rches  ce- 
peathm  r  ORt  pas  été  stériles^  Ils  cm  arrêté  on  prêtre  îd-^ 
(Kgèœ  et  plttsieiffs  cfaréiieas.  Deux  attirée  prêtres  ont  ea 
le  même  son  y  Vmm  ce  joar-là  même,  Faqtre  quinze  jours 
apiès.  Keo  que  la  ovpidité  de  quelqaes  spé^daieur^ait 
éléb  cause  de  ces  deux  ctemières  arroméeeis  1^  <to«t 
(*a|Rifii  ont  élé  OMS  dans  les  mams  du  gomerBeor  de  le 
province  méridionale,  qui  ayant  ordonaé  qu'on  inslniiflt 
leiv  preeès  sotvMrt  les  lois  tynmniqafe  el  eee^oors  en 
vigneQr  de  Miab^Menfa,  a  im  par  les  ooadboMMr  à  ^voir 
la  lêle  firanehée.  Lee  irifaonaux  sufrêmes,  diavgée  d'exil 
nmcr  œs.  sortes  de  catnes ,  n'ont  peseneers  donné  leur 
aiissnreells-ct»  Weniniicndons  «fee—puért  qm'tte  s'eifB* 
qiioi*  AJors'eeeteiBeiit  ne»  poortone-saEnnr  gmlkc  i 


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360 

les  idées  qui  dominent  à  la  cour ,  à  i'égardde  la  Rdigion 
clirélienne. 

«  A  la  même  époque,  dans  la  provincede  Nghé  qui  est 
voisine  de  la  Cochinchine ,  M.  Masson  courait  les  plus 
grands  dangers.  11  a  pu  sauver  sa  personne;  mais  il  ne 
lui  a  pas  été  donné  de  préserver  de  la  destruction  plusieurs 
petites  églises  qu'il  avait  fait  construire. 

«  Peut-être,  Messieurs ,  serez-vous  tentés  d'ajttribuer 
tous  ces  douloureux  événements  à  la  trop  grande  liberté 
que  nous  osons  prendre.  J'avoue  que  je  n'oserais  nous 
disculper  entièrement;  mais  notre  témérité  ne  trouve- 
t-elle  pas  quelque  excuse  dans  notre  triste  position  ?iVot<« 
voyons  des  enfants  qui  nous  demandent  du  pain;  pour- 
xions-nous  l'efuser  de  le  leur  rompre  ?  Ici  les  naturels  se 
laissent  tellement  dominer  par  les  sens ,  que  si  on  lea 
prive  des  ressources  extérieures  de  la  piété,  il  est  grandop 
ment  à  craindre  que  leurs  sentiments  religieux  ne  soient 
bientôt  remplacés  par  une  froide  indifférence.  Il  est  rare 
d'en  trouva*  parmi  eux  qui  sachent  réciter  le  chapelet 
autrement  qu'en  public.  L'usage  et  aussi  le  génie  de  leur 
langue  demandent  que  cette  prière  soit  faite  à  haute  voix 
•t  comme  en  chœur.  Aussi  dès  que  les  poursuites  nous 
bissent  un  peu  de  répit ,  nous  nous  voyons  obligés  d'indi- 
quer des  réunions  plus  ou  moins  nombreuses ,  afin  de 
donner  à  leur  piété  un  aliment  qui  lui  est  nécessaire.  La 
ferveur  avec  laquelle  «Is  se  livrent  à  nos  exercices,  les  sou- 
tient et  les  encourage;  elle  les  porie  à  se  croire  plus  en 
sûreté  qu'ils  ne  le  sont  en  effet. 

«  Un  mot  encore;  il  vous  aidera  i  nûeux  comjNrendve 
le  besoin  que  nos  néophytes  ont  des  moyens  extérieors 
pour  soutenir  leur  dévotion.  Chaque  fois  qu'ik  font  leur 
prière ,  ib  aiment  à  placer  devant  eux  quelques  pieuses 
images.  Pour  les  conserver  plus  longtemps,  ib  ont  s<Mn 
de  les  éiindre  sur  une  toile ,  puis  ib  les  roulent  autopr 


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361 

d'an  roseau  ;  mais  ccmime  ils  les  déplient  eC  replient  sans 
cesse,  elles  ne  sauraient  avoir  une  grande  durée,  surtout 
si  rhumiâité  les  pénètre,  ce  qui  arrive  souvent ,  obligés 
qu'ils  sont,  en  plus  d'une  rencontre,  de  les  cacher  entre  les 
roseaux  qui  forment  le  toit  de  leurs  pauvres  habitations. 

«  Cependant,  malgré  les  tristes  événements  dont  je 
viens  de  placer  le  récit  sous  vos  yeux ,  Tadministration 
spirituelle  de  nos  chrétientés  n'aurait  point  été  interrom- 
pue, si  à  celte  même  époque  on  n'eût  pas  fait  courir  le 
bruit  que  des  navires  français  allaient  apporter  la  guerre 
et  détrôner  Thieu-Tri.  On  vit  aussitôt  les  espions  se  mul- 
tiplier, surtout  dans  la  province  du  midi  ;  de  sorte  que 
les  prêtres  indigènes  eux-mêmes  furent  obligés  de  se  tenir 
cachés.  Depuis  un  mois  ces  bruits  de  guerre  circulent 
infiniment  moins,  et  comme  les  espions  n'ont  fait  que  des 
démarches  inutiles,  leurs  recherches  sont  beaucoup  moins 
actives. 

«  La  confirmation  de  la  sentence  prononcée  contre  nos 
deux  préti*es  indigènes  arrêtés  dans  le  mois  d'avril  vient 
d'arriver.  Les  termes  dans  lesquels  elle  est  conçue  semblent 
prouver  que  la  haine  de  la  Religion  chrétienne  et  de  ses  mi- 
nistres est  à  peu  près  la  (nême.  Toutefois,  en  môme  temps 
que  l'on  approuve  et  confirme  le  jugement,  l'exécution  en 
est  suspendue  jusqu'à  nouvel  ordre,  ce  qui  dans  les  tribu- 
naux du  Tong-King  est  considéré  comme  une  diminution 
de  peine.  Faut-il  voir  dans  cette  mesure  la  preuve  que  la 
cour  attache  plus  de  prix  au  sang  des  chrétiens ,  ou  bien 
devons-nous  l'attribuer  à  des  considérations  politiques 
qui  naissent  de  ki  crainte  d'une  guerre  avec  la  France? 
C'est  là  un  problème  dont  le  temps  donnera  la  solution. 

«  Aujourd'hui  comme  toujours,  nous  nous  recomman- 
dons à  vos  prières,  etc. 

«  Fr.  DoHiif iqve  Marti  , 
Fie.  provincial  du  Tong-King  mental.  » 


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Les  deux  relations  qui  suiTeuit  sont  du  R.  P.  Marti 
dont  on  vient  de  lire  les  intéressaixes  lettres.  Nous  au- 
rions désiré  être  ii  ffiéme  de  les  publier  plus  tAt;  mais 
quoique  anciennes  de  date,  nous  n'avons  pas  cru  devoir 
en  priver  la  piété  de  nos  lecteurs  ,  tout  ce  qui  se  raita- 
che  aux  martyrs  étant  sacré  pour  eux. 

Extrait  d^une  relation  du  R.  P.  Marti. 

Cl  Lorsqu'en  1838  parut  le  premier  édit  du  roi  Minh- 
Menh,  qui  ordonnait  à  lous  les  soldats  de  fouler  la  croix 
aux  pieds,  la  province  orieniale  avait  un  gouverneur  dont 
lotite  l'élude  éiait  de  ne  molester  personne.  Aussi  le 
petit  nombre  de  soldats  chrétiens  qui  se  trouvaient  sous 
ses  ordres  furent  laissés  en  paix.  Un  second  décret  parut 
au  mois  d'octobre  :  un  autre  gouverneur  plus  timide 
avait  remplacé  le  premier.  Les  soldats  reçurent  Tordre 
de  comparaître  devant  lui  et  de  fouler  aux  pieds  b 
oroîx,  —  Parmi  ces  soldats  il  s'en  trouvait  un  nommé 
Hoafih.  Sa  loyauté  et  sa  valeur  lui  avaient  acquis  une 
célébrité  qui  ne  le  cédait  en  rien  ù  celle  des  trois  soldats 
vénérables  martyrs,  dont  on  a  déjà  rapporté  rhistoire(l). 
Hoanh  refusa  de  commettre  le  crime  qu'on  lui  deman- 
dait, et  fut  jeté  en  prison.  Cependant  le  gouverneur, 
qui  au  fond  était  humain  ,  ne  voulait  ni  contraindre  le 
confesseur  par  la  violence,  ni  lui  intenter  un  procès- 
11  craignait  d'exciter  la  colère  de  Minh-Menh ,  en  lui  ap- 
[««'enant  que  dans  sa  province  il  se  trouvait  encore  des 
chrétiens  qui  refusaient  de  so  soumettre  à  ses  prescrip- 
tions. Ne  sachant  à  quoi  se  déterminer,  il  prit  le  parti 
de  laisser  cette  affaire  k  lun  des  grands  mandarins  de 
la  province  qni  se  chargea  de  faire  aposiasier  le  va- 
lent eux  Hoanh.  Mais  la  ruse  et  les  tourments  furent 


i^)  Voir  tow.  XÏI.  !!•  73,  p.  5*a. 

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363 
iiujLtiiemeo|..eiiHiloyés;  le  coaftpa^eur  opposa  une  iavûcibhi 
pu|iei?ee  et  perfiévéra  d^os  sa  Coi. 

«  Au  mois  de  piars  1840  arriva  un  atUre  gouverseur. 
Pensant  que  la  coosuince  du  soldat  tenait  au  peu  da 
rigueur  qui  avail  é(é  dçployé  contre  lui,  il  résolue 
<ie  le  vaincre  i^  force  de  tourments  :  par  ses  ordres , 
Hoanb  resia  cinq  jours  privé  de  toute  nourriture  ;  puis 
il  le  fit  comparaître  à  son  tribunal ,  espérant  que  le 
courage  du  généreux  chrétien  serait  abauu  par  suite  de 
la  faiblesse  de  son  corps  exténué  ;  mais  il  ne  tarda  pas 
à  reconnaître  son  erreur*  Alors  changeant  de  conduite^ 
il  essaya  la  séduction  des  promesses  ;  puis  il  revint  aux. 
menaces.  Tout  fut  inutile  :  Fiuvincible  soldat  de  Jésus- 
("iirist  se  content^  de  liii  répondre  ;  «  Je  suis  préf^ 
«  à  souSî'ir  tous  les  iotu*ments  et  la  mort  même  plutôt 
«  que  d'exécuter  vos  ordres ,  en  profanant  Timage  d# 
«  mon  Dieu.  Jamais  je  ne  foulerai  aux  pieds  la  croix;  ja- 
«  mais  je  ne  ferai  un  tel  outrage  à  mon  Seigneur.  — 
n  Quel  seigneur?  dit  le  mandarin  en  colère.  Insensé, 
«  ne  vois'tu  pas  qu'il  n'y  a  là  qu'un  morceau  de  bronze?  » 
—  «  Du  bronze?  oui,  g^od  mandarin»  je  le  sais  ;  mais 
f  parce  que  le  bronxe  a  servi  à  fabriquer  cette  image» 
%  en  est-elle  moins  celle  de  mon  Seigneiu*  ?  C'est  dofc 
«  avec  i*aisan  que  je  h  vénère ,  sans  faire  attention  à 
«  hi  matière  dont  elle  est  Ciite^  » 

«  Alors,  le  gouverneur  ordonna  à  ses  satelli(es.d'a|tacber . 
le  confesseur  par  les  pouces  avec  de  petites  cordes,  pun 
de  1^  tirer  avec  tqute  la  violence  possible ,  et ,  peindant 
qt^'il  serait  étendu  en  croix,  de  le  frapper  sMr  les  jatnbef- 
<'t  sur  les  bras  ^ve^  des  nerEi  de  boeuf  armés  de  fer  aux 
(>\irémttés,  ne  cessant  de  le  tourmenter  jusqu'à  ce  qu'il 
eût  mis  les  pieds  sur  un  crucifix  qu'on  avait  jeté  devaii  t  luî^ 

«  Pendant  une  torture  si  horriblp,  Tinvinciblc  soldat 
restai^  immobile,  ferme  comme  ipa  rocher  contré  lequel 


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364 
vient  se  briser  la  tempête.  Sa  beuche  se  proférait  pas  une 
plainte;  mais  ses  yeux  s'élevaioit  vers  le  ciel,  d'oà  lai 
descendait  le  secours  à  l'aide  duquel  il  supporta  une 
grêle  de  coups  qui  bientôt  Teurent  couvert  de  sang  et 
entièrement  défiguré.  A  la  fin ,  le  gouvemenr,  stupé&it, 
ordonna  aux  bourreaux  de  s'arrêter.  Assez,  dit-il;  qu^on 
le  repcHTte  en  prison  ;  ce  n'est  pas  un  homme ,  c'est  un 
monstre.  —  Depuis  ce  jour  il  n'osa  plus  le  faire  compa- 
raltreàson  tribunal;  ilse  contenta  de  le  condamner  à  mort. 

«  On  a  su  qu'un  catéchiste,  qui  était  allé  le  visiter  dans 
sa  prison  pour  le  consoler  et  Tencourager,  l'avait  trouvé 
plein  de  courage  et  d'allégresse.  C'est  ainsi  que  le  Sei- 
gneur se  plait  à  répandre  les  grâces  les  plus  précieuses  et 
les  dons  les  plus  abondants  sur  ceux  qui  souffrent  pour  son 
saint  nom.  On  a  su  aussi  que ,  dans  cette  même  prison, 
se  trouvait  un  mauvais  chrétien  jeté  pour  vol  dans  les 
fers.  Celui-ci,  venant  h  comparer  ses  tourments  à  ceux 
du  martyr,  fut  tellement  frappé  en  voyant  combien  les 
causes  de  leurs  souffrances  se  ressemblaient  peu,  et  avec 
quelle  résignation  l'intrépide  soldat  supportait  des  dou- 
leurs plus  violentes  que  celles  qui  excitaient  ses  murmu- 
res ,  qu'il  se  prit  à  détester  ses  pédiés  avec  une  douleur 
sincère.  En  témoignage  de  son  repentir^  il  aimaii  a 
rendre  les  services  les  plus  humbles  au  généreux  confes- 
seur^ et  on  le  voyait  employer  une  grande  partie  des 
jours  et  des  nuits  à  réciter  avec  lui  des  prières.  Que 
deviendra  cet  invincible  soldat?  On  l'ignore.  On  dit  que 
le  roi  a  commué  sa  sentence  de  mort  en  une  condamna- 
tion à  l'exil  ;  toutefois ,  on  ne  sait  encore  rien  de  positif. 
jéutre  rdaiion  du  même  Père. 

«  Au  moment  où  le  père  Joseph  Hien  était  jeté  en  pri- 
son, les  mandarins  s'étaient  également  emparés  d'un 
jeune  homme  de  18  ans,  appelé  Dominique  Doû.  H  s'ea- 
fnyait  du  liou  où  le  Missionnaire  a>'uit  été  découvert , 


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365 
quand  il  fut  rencontré  par  des  soldats  qui  lui  dirent  : 
Es- tu  chrétien?—  Et  pourquoi  ne  le  seraJs-je-pas? ré- 
pondit-i\  —  Alors  ils  lui  ordonnèrent  de  fouler  la 
croix  aux  pieds*  Mais  lui  de  répondre  hautement  :  Je 
n^en  ferai  rien.  On  le  mena  donc  au  gouverneur  qui 
voulut  l'interroger  h  son  tour;  même  question ,  même  ré- 
ponse* 

«  Le  gouverneur,  voyant  rînirépidîté  de  Dominique  , 
composa  son  visage^  et ,  prenant  un  aîr  de  compassion ^ 
mâle  de  douceur ,  comme  s'il  eût  plaint  l'aveuglement 
de  son  prisonnier  :  «  Mon  fils,  lui  dit-il,  tu  ne  peux 
«  demeurer  chrétien*  Abandonne  la  religion  de  Jésus  ; 
«  c'est  une  religion  fousse,  marche  sur  la  crofx.  » 
Mais  le  valeureux  confesseur  répondit  aussitôt  :  «  Non, 
c  mandarin,  la  Religion  de  Jésus-Christ  n'est  pas  fausse  ; 
«  tous  nous  devrions  la  suivre*  Je  la  suis  donc  et  la 
«  suivrai  jusqu'à  la  mort.  Le  mandarin  peut  me  tuer  ; 
c  mais  jamais  je  ne  foulerai  aux  pieds  la  croix.  »  Le 
gouverneur,  irrité  de  cette  réponse ,  ordonna  de  le  lier 
aux  chevilles ,  et  de  commencer  à  le  frapper.  Les  bour- 
reaux eurent  bientôt  sillonné  de  plaies  ce  tendre  corps  ; 
mais  l'intrépide  jeune  homme  opposait  à  tant  de  barbarie 
son  invincible  patience,  et  ne  cessait  de  confesser  la  foi. 

«  Ce  supplice  fut  répété  avec  la  même  cruauté  pendant 
plusieurs  jours  consécutif,  mais  toujours  supporté  avel 
une  constance  qui  ne  se  démentit  jamais. 

«  La  dernière  fois  le  tyran  fit  lier  le  confesseur  parles 
mains  à  une  poutre  ;  puis ,  ayant  ordonné  qu'on  le  sus- 
pendit en  l'air,  il  dit  :  Frappez-le  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  se 
détermine  à  obéir.  L'ordre  Ait  exécutéavec  tant  de  barbarie 
que  tous  les  assistants  étaient  saisis  d'horreur ,  en  voyant 
les  chairs  du  jeune  Dominique  voler  en  lambeaux;  mais 
lui ,  d'un  visage  serein  et  plus  résigné  que  jamais ,  in- 
vitait les  bourreaux  à  firapper  plus  fort.  Le  mandarin, 

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366 
eoorusi  ik  cesser  eofia  cette  boudierie,  nais  dénna  de^ 
epdves  poar  qa*on  laissât  le  coeressevr  plusieurs  jourâ 
sans  noun*iture.  Puis,  if  le  fit  exposer,  la  caugae  au 
cou  ^  à  la  porte  de  la  ville ^  forlemeiit  lié,  et  dans  un<^ 
situation  pénible,  qui^  à  elle  soute,  étaîl  un  toormeiït 
eoBtînuel.  Dominique  supporta  toutes  ces  tortures  avee 
patience  et  courage.  Enfin,  legouverneur  ordonna  qu'on 
le  traînât  de  force  sur  la  croix  ;  mais  le  confesseur  criaic 
qu'on  lui  faisait  violence,  qu'il  était  chrétien  et  ne  cesse- 
rait de  Téire  jusqu'à  la  mort,  que  le  mandarin  pouvait  le 
tuer ,  que  jamais  il  ne  lui  ferait  abandonner  une  religion 
dans  laquelle  il  voulait  vivre  et  mourir. 

«  Le  mandarin  déconcerté,  et  ne  voulant  d'ailleurs  ni 
foire  mourir  Dominique,  ni  envoyer  un  rapport  ao  roi , 
appela  les  chefe  du  village  tf  où  était  le  confesseur ,  ainsi 
que  quelques  membres  de  sa  femille;  puis,  le  remettant 
entre  leurs  mains  :  «  Emmeaez-le  av^  vous ,  dit-it ,  et 
m  prenez  soin  de  l'instruire  ,  afin  qu'il  abandonne  la  reli- 
«  gion  de  Jésus-Christ*  »  Maisl'iBvincible  jeune  homme 
s^  hâta  de  répondre  :  «  Que  les  chefs  de  mon  village  fas- 
«  sent  de  iBoi  tout  ce  qu'ils  voudront,  jatiiais  jo  n'aban- 
«  d(»inerai  la  Relig^n  véritable.»  —  «Quoi  donc, 
c  s'écria  le  gouverneur  qui  ne  pouvait  plus  retenir  sa 
«  colère,  je  suis  le  grand  mandarin  ;  tous  m'obéisseat , 

I  et  ce  mauvais    sujet    ne  m'obéira  pas  II Mat- 

c  heureux ,  si  je  ne  ta  mets  pas  à  mort,  c'est  que  je 
«  ne  veux  pas  que  les  chrétiens  te  regardent  comme  un 
«  saint  ;  mais  souviens-toi  que  je  ne  te  laisse  pas  en  paix. 
«  Je  te  rappellerai,  et  je  te  ferai  soufirir  de  tels  tourments 
«  qu'à  la  fin  tu  t'estimeras  heureux  de  fouler  aux  pieds 
«  la  croix.  » 

«  Jusqu'ici  cependant  le  barbare  mandarin  n'a  pas  mis' 
à  exéeotion  ses  menaces;  mais  le  jeime  Dominique  eapère 
et  désire  avoir  le  bonheur  de  DMMirir  pour  JésusrCbrist. 

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U7 

fHHJVELLES,  HAlfMRHTS,  BéPAM  »E  HMMHflfÀIBBS. 

Nos  Associé!  apprendront  arec  joie  fne  le  natire  ^  fnituit  Anff«rs 
a«  commencement  de  mai  1844 ,  emportant  MK.  Charrier  et  Galjr,  eM 
arriyéà  Macao.  Dans  une  lettre  adressée  de  celte  rille  à  sen  eonsin 
M*  Benelin,  curé  de  Monlromand  (Rb6ne)  sons  la  date  da  30  noTes* 
kre,  le  premier  de  ces  denx  illustres  eonfesstnrs  de  la  foi  dît  avte  •» 
ton  de  calme  et  d'intrépidité  que  nous  arons  si  sourent  adairé  en  ki^ 
«  Je  suis  arriré  en  Chine  bien  portant  et  après  une  narration  de  cin^ 
«  mois  et  quatre  jours,  sansoompter  dix-huit  jours  de  reUche  à  Syncapour. 
«  Notre  trarersée  a  été  aaseï  longue  pour  nous  faire  goûter  de  tous  les 
«  Itmps  et  respirer  tous  les  Tnnts.  Une  tempête  des  plus  furieuses  • 
m  failli  nous  engloutir  dans  les  mers  de  la  Chine.  Pendant  douze  heures 
«  elle  BOUS  a  tenus  entre  la  fie  et  la  mort.  Tout  le  monde  priait. 
«  Grâce  à  Dieu ,  aucune  ararie  au  navire.  Nous  arons  salué  V Empire 
«  Cihiie,  et  mouillé  à  Bfacao  le  24  octobre,  six  jours  après  le  maurais 
«  temps. 

«  Mon  séjour  dans  oette  Tflte  ne  sera  pas  très-long.  Je  dois  partir 
«  deflMÎn  par.  une  Somme  «hinoMe  qw  me  conduira  josqu'auv  fhmtières 
«  de  la  Chine  et  du  Toni^'ffing.  Li,  je  tftdieni  d'en  tronrer  une  autr? 
«  pour  aller  plus  loin.  La  persécution  au  Tong-King  est  dans  le  mène 
«  état  qu'au  momsnt  d^  notre  déliTranoe.  Le  roi  faK  toujoursscrupuleu- 
«  seoMMtexéentw  leserdoiiiianoeide  son  père.  Les  mandarins  continuent 
•  à  £iîre  la.  chasse;  cependant,  dms  ces  trois  dernières  années,  ils  n'ont 
«  pn  saisir  avcnn  Européen.  JiCS païens  se  conrertissent  en  foule,  et  tons 
M  les  oufrisrs  apostoliques  trataiHent  selon  la  mesure  de  leurs  fortes. 
«  Las  direts  objets  que  j'emportai  il'Europesont  arrirés  ici  arec  moi: 
«  jeleieB?oieanT0Éi(^Kmg  pw  trois  toies  difB^rentes,  afb  que  si  une 
«  partie  TÎcat  à  sepciéis ,  Taiiiresoît  savrée. 

«  le  ne  prend»  avec  OMÎ-que  le  strict  nécenaire.  Encore  me  faudra 
c  i-il,  one  fois  arrivé  em  firontfèree  de  la  Chine  ,  laisser  pour  quelque 
«  temps  mon  petit  bagage.  Heureux  si  je  pub  me  faire  accompagner  de 
«  mon  bréviairel  Heureux,  encore  ei- jo-  puis  nMt*mème  me  tirer  d'af- 
«  faire ,  en  faisant  ainsi  W  contrebiBdo...  » 

Nons  n'avons  point dt  nenvetteoM  s^et de  m.  Ifiebe  ,  Dnelos  et 
Bemewu 


Une  leUre  du  R.  P.  Gérard  ,  préfet  apostolique  de  4a  Mission  des 
Mineurs  réformés  à  Constantinople  ,  nous  annonce  T  heureuse  fondation 
d'un  étabnssement  religieux  dans  Ftle  de  Mételiu  (ancienne  Lesbos). 


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368 

Cette  tle  ,  autrefois  ponrrue  de  toutes  les  ressources  spirituelles,  se  trou- 
vait depuis  de  longues  eno^  sass  église  et  sans  prêtre  qui  y  r/sidàl. 
Depuis  le  mois  d'août  ISii,  ellese  Toitdotëe  d'une  chapelle  et  d'un  éta- 
Uiisement  confiés  aux  soins  des  Mineurs  réformés.  Mgr  Mussabini,  ar- 
cheréque  de  Smyme,  a  bien  touIu  se  rendre  en  personne  à  Mételin  pour 
inaugurer  cette  chapelle  qui  est  dédiée  à  la  Mère  de  Dieu.  M.  le  baron 
de  Bourqueney,  ambassadeur  de  France  à  Constantinople  ,  et  M.  Bar- 
thélémy Geymut ,  consul  de  Sardaîgne  à  Smyrne  »  ont  employé  leur 
crédit  et  leur  zèle  à  aplanir  toutes  les  difficultés  qui  s'opposaient  k 
eette  utile  fondation* 


Nous  avons  la  douleur  d'annoncer  à  nos  Associés  la  mort  de  denx 
Evêques  missionnaires;  ce  sont  :  Mgr  Mac-Donnell,éyèque  d Oljmpe  et 
vicaire  apostolique  des  Antilles  anglaises,  décédé  le  26  octobre  1844  ; 
et  Mgr  François-Xavier  de  Ste-Anne,  archevêque  de  Sarde  et  vicaire 
apostolique  du  Malabar,  décédé  le  7  décembre  1844,  après  un 
ttra  apostolique  de  plus  de  44  ans. 


Le  R»  P.  de  Smet,  ainsi  que  les  prêtres  et  religieuses  qui  l'accompa- 
gnaient, sont  arrivés  à  la  Colombie  au  commencement  du  mois  d'août 
dernier. 

Plusieurs  religieux  appartenant  à  l'ordre  des  Mineurs  de  TObservanee 
sont  partis  pour  diverses  Missions,  savoir  :  pou  l'Egypte  inférieure  ,  le 
P*  Antoine  d'Orsogna  de  la  province  de  St-Bemard  ;  —  pour  le  Chan-Si 
(Chine)  le  P.  Barthélémy  Sandrini,  de  la  province  de  Toscane ,  et  le  P. 
Benoit  Dominique,  Espagnol  ;  —  pour  la  Chine, le  P.  Pierre  de  Lucqoes  ; 
—  pour  l'Albanie,  le  P.  Diego  de  Turin,  et  le  P.  Henri  de  Nocera. 

Quatre  religieuses  de  SUoseph  ,  de  l'Apparition  ,  parties  il  y  a 
quelques  mois  avac  le  R«  M*  Brunoni,  missionnaire  apostolique  de 
H  Propagande,  sont  arrivées  à  Lamaca ,  tle  de  Chypre,  où  elles  s'oc- 
cupent de  l'instmclion  des  personnes  de  leur  sexe  et  du  soin  des 
malades. 


Notre  Œuvre  continue  à  recueillir  les  bénédictions  de  l'épiscopat  : 
Mgr  Brown,  évêque  d'ApoUonie  et  vicaire  apostolique  du  pays  de  Galles, 
et  Mgr  l'Evéque  de  Namur,  viennent  de  la  recommander,  le  premier, 
dans  son  mandement  du  carôme  ;  le  second  ,  dans  une  lettre  circulaire 
adressée  aux  doyens  et  curés  de  son  diocèse. 


LyoD;  Iinpr.  de  J.  B.  FiLiOAcn. 

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369 


MISSIONS 

DE  LA  TARTARIE  MONGOLE. 


UltredeM.  Huc^  missionnaire  lazariste  en  Mongolie, 
à  M.  Donatien  Hue  ,  avocat  à  Toulouse^ 


TtrUric  MoDgole  ;  Villëe  des  Baux-Noiret^ 
le  .8  jaof  if  r  1844. 


«  Mon  GHBB   FBèRE  , 

«  J'ai  reçu  avec  un  iadicible  plaisir  ooue  l^tre  iatc* 
reiaance,  oà  tu  as  bien  voulu  lae  fiiire  un  peiit  compte- 
rendu  de  ce  qui  se  passait  en  France*  Quoique  ce  ta- 
bleau tracé  à  grands  traits  m'ait  para  un  peu  som- 
bre, il  a  néanmoins  captivé  longtemps  mon  attention  ; 
cpand  on  peut  jeter  un  ooup4^«Btl  sur  «on  pays ,  sous 
quelque  couleur  qu'il  apparaisse  ^  il  est  toujours  beau  k 
von**..*. 

«  Puisque  tu  as  eu  la  complaisance  de  me  fiûre  un 
croquis  de  l'état  actuel  de  la  France  ,  il  but  bien  qu*en 

TOU.  XVn.  102.  SEPTIVBRB  «  •  â  »•  34 

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3?« 

retour  je  te  parle  un  peu  de  ma  nouvelle  patrie ,  de 
la  Tariarie  Mongole. 

«  OIi!  la  Tariarie  !  S*i1  existe  au  monde  un  pays  neur, 
un  pays  inconnu ,  un  pays  qui  ne  ressemble  en  rien  aux 
auues  contrées ,  c'est  sa»s  eoBtredlk  celui  que  j'habite. 
Les  Européens  vont  partout,  excepté  en  Tartane.  L'Amé- 
rique est  depuis  longtemps  européanisée;  les  Indes  le  se- 
ront bientôt;  les  choses  de  la  Chine ^  grâce  à  TéchaufTou- 
rée  des  Anglais ,  finiront  par  vous  devenir  feinilièrts.  Vos 
na\ires  européens  sillonnent  les  mars  dans  tous  les  sens. 
Il  n'est  peut-être  pas  une  tie,  pas  uh  rocher  dans  l'océan, 
qu'on  n'ait  reconnu  et  analysé.  Dernièrement  enfin ,  M. 
Durville,  à  force  d'énergie,  n'a-t-il  pas  fait  l'impossible? 
N'est-il  i^s  allé  voir  ce  qui  se  passait  parmi  les  glaces  du 
pôle?  Mais  qui  songe  à  la  Tartarie?  A  part  qudques  Mis- 
sionnaires français  qui  depuis  peu  y  ont  planté  leur  tente, 
et  qui  cherchent  à  y  semer  le  grain  évangélique,  per- 
sonne ne  vient  explorer  ses  déserts. 

«  Et  il  ne  faut  pas  dire  que  la  Tartarie  est  si  peu  de 
chose  qu'elle  n'en  vaut  pas  la  peine.  Jette  plutôt  un  coup 
d'œil  sur  la  mappemonde ,  et  considère  l'espace  qu'elle 
y  occupe.  La  Oiine,  si  vaste  d'ailleurs,  n^est  presque 
lien  ctNiiparée  à  nos  régions  de  l'Asie  centrale.  De  plus, 
la  'Fartorie  ^  un  aspeec.  tout  dilëreÉt  des  amres  pays. 
En  Europe,  pur  ei^mple,  eesoKtdesvidet,  delvÛiH 
ges ,  des  moinons  d'une  variété  pvodigieisc,  qui  retou^ 
vriMit  h  sdI.  AiHeurs  ek  la  civiliialion  n'a  pas  encore  pé- 
nétré, ofi*  remoiMe  à» foréuinBieaM»,  avec  lui  Ion 
inoitf  de  végéMiodi.  Débs  leapoyaautrefeiafloriasaMtct 
maintenaM  btutitMft  jusc|«'à  k  mrviliKle,  ce  sasidt» 
peuples  étrangers  qui  ont  pris  la  place  des  nations  éteia^ 
taa,  «t  quî»  moitié  civiUsés,  moitié  harbaros,  passent 
lear  y'm  pavw  4es  nm»  ^  dps  déoombpes  ^i  attas- 


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teat  la  splendeur  des  leœps  anciens*  En  T^Ktarie»  i 
de  ceut  cela  :  ce  sont  de  vastes  pKârîes  et  des  sfldiindea 
înunenses.  Dans  chaque  rojamie  oa  rMwomia  seulqawt 
une  viUe,  ou  pUiiétune  modesie  habhalion  où  le  uni 
(m  sa  réflidenee.  Les  popatations  vivent  sons  la  lèmev 
sins  jamais  avoir  de  peste  fixe*  Elles  campent  tantôt  ki 
9t' tantôt  U^y  prenant  pour  règle  de  leurs  migrations  s«f^ 
œssives  la  variation  des  ssîsens  et  la  bonté  des  pSmn 
rages. 

a  -AuJoiird'Mti ,  voilà'  une  vaste  étaûdae  de  tél*mh  <|tii 
oine  Taspect  le  plus  vivant  et  le  pins  anioié.  Sor  le  font 
vert  de  la  pmirie  on  vcfit  s'élevw  dés  tentes  de  divem» 
^ndeors;  u)ut  à  T^ntoiv,  dans  les  gorges  des  mmâêh 
glies ,  sor  le  versant  des  collines,  aunî'  loin  que  la  vnef 
peut  s^étendtv  vera  rberiaon,  TcbII  ne  découvre  qnêidoi 
nronpeaux  isMnenses^  de  IkooCi  ,  de  chameaux  et  de  obe^ 
viras;  dans  la  plaine,  cesrgnuida troupeaux  ne  se  £bm 
<Ksiingoer  que  par  l<rars,  ondula tioss  ;  on  dirait  la  nier  qui 
nioiitonne  et  qui  oomnKnee  à  grossir.  Cependant  ce  W^ 
Menu  est  sans- cesse  ailonaé  par  des  Tartares  à  dieiisl^ 
qni,  armés  d*ane  langue  perche,  galoppeat  de  côté  et 
d'autre  pour  réunir  à  la  masse  du  troupeau  les  aniasans! 
qui  s'en  sont  écartés.  A  Tendroit  où  sont  les  tentes,  €b 
sont  les  enfants  qui  folâtrent  et  badinent ,  les  matrcnes 
qui  font  cuire  le  lait^  ou  vont  puiser  de  Teau  ^  la  dteme 
qu*on  a  creusée  la  veille.  Toutefois  le  lendemain  on 
paysage,  aujourdliui  si  pittoresque  et  si  vivant ,  n'est  ^m 
qu'une  vaste  solitude.  Hommes,  troupeaux,  babitatiofis^ 
tout  a  disparu  :  une  fumée  noire  et  épaisse  qui  s'âève{à 
et  là  de  quelque  foyer  mal  étemt ,  le  croassement  des 
oiseaux  de  proie  qui  se  disputent  des  débris  de  cbametttt 
abandonné ,  voilà  les  seuls  indices  qui  annoncent  qtte  le 
nomade  Mongon  a,  la  veille ,  passé  par  là.  Et  si  ta  me 

24. 

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372 

^temandes  pour  quelle  raison  ces  Tartares  ont  si  brusque- 
ment abandonné  ce  poste ,  je  te  répondrai  :  I^urs  trou- 
peaux avaient  dévoré  toute  Tb^bequi  couvrait  cette  phi- 
ne  ;  ib  les  (mt  donc  poussés  devant  eux,,  et  ils  ont  été 
chercher  plus  loin,  n*iniporte  où,  de  nouveaux  et  plus 
frais  pâturages.  Ces  grandes  caravanes  s^^  vont  ainsi  à 
travers  le  désert  sai»  dessein  formé  ;  elles  donnent  où  la 
nuit  les  surprend;  et  quand  ces  pasieura  ont  rencontré  un 
endroit  à  leur  fiuitaisie,  ils  y  dressent  leur  tente. 

«  La  "Vartarie  offire  en  général  un  aspect  sauvage  et 
profondément  mélancolique.  II  n'est  rien  qui  y  réveille  le 
souvenir  de  l'agriculture  et  de  l'industrie  ;  les  pagodes 
et  les  lamaseries  ou  couvents  de  religieux  idolâtres  sont 
les  sails  monuments  qu'on  rencontre.  Les  Tartares  y 
attachent  une  grande  importance.  La  rdigion  est  tout 
pour  eax.  Le  reste  est  k  leun  yeux  vain ,  fugitif  et  indi* 
gne  d'occuper  lemrs  pensées.  Aussi,  tout  ce  qui  ressent 
la  richesse  et  l'opulence ,  tout  ce  qui  porte  l'empreinte 
des  arts,  se  trouve  cono^tré  dans  les  pagodes.  Par  la 
même  raison ,  tout  ce  qui  se  rattadie  de  lom  on  de  pris 
aux  sciences  et  aux  lettres  ne  dépasse  pas  l'enceinte  des 
lamaaeries. 

«  Il  ne  serait  pas  étonnant,  mon  cher  Donatien ,  que 
tout  ce  Tartarisme  fût  peu  conforme  à  les  goûls  et  à 
tes  habitudes  d'avocat.  Peut-être  que  ces  gardiens  de 
troupeaux  sont  à  tes  yeux  des  personnages  fort  bizarres, 
des  excentriques,  comme  disent  les  Anglais.  Mais  je  dois 
Cavouer  que ,  pour  mon  compte ,  je  les  trouve  intéres- 
sants au  dernier  point  ;  je  soupire  après  le  moment  où  il 
me  sera  donné  d'aller  vivre  parmi  eux,  et  j'espère  que 
ces  peuples  naturellement  religieux ,  quand  ils  connaîtront 
la  vérité  chrétienne ,  renonceront  sans  peine  aux  erreurs 
du  bouddisme. 


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378 
c  Qnoicpie  je  me  sois  aTaacé  à  pMs  de  deax  œsts 
lieoes  yers  le  nord  de  la  Tartarie ,  je  ne  paisse  pourtant 
pas  haUtuellement  mes  jours  parmi  les  Mongous.  C'e^ 
encore  avec  les  Chinois  que  j^ai  plus  ou  moins  affiûre. 
Dans  la  vaste  patrie  de  ces  derniers  il  y  a  un  si  grand  ai* 
combrement  d'hommes,  que  le  trop  plein  de  la  popula- 
tion se  déverse  partout  aux  environs,  dans  les  pays  voi* 
ains.  Ainsi ,  les  Chinois  du  nord  de  l'Empire  s'ii^trent 
peu  à  peu  dans  la  Mongolie ,  ou  ils  achètent  des  rois 
Tartares  la  permission  de  défricher  quelques  arpenis  de 
terre  dans  les  gorges  des  monti^;nes.  La  vallée  des  Baux^ 
IfaireSf  où  je  demeure  actuellement,  est  cultivée  par  des 
Chinois  chrétiens.  Le  temps  que  me  laisse  l'exercice  du 
saint  ministère ,  je  le  consacre  exclusivement  à  l'étude 
des  langues  Mandchou  et  Mongole.  Cependant  il  n'est  per- 
sonne qui  ne  sache  que  ce  n'est  pas  avec  des  livres  et  des 
dictionnaires  qu'on  apprend  à  bien  parler  une  langue. 
C'est  pour  cette  raison  que  dernièrement  j'allai  faire  une 
visite  h  une  iamille  Tartare,  qui  n'est  guère  éloignée  d'ici , 
que  d'une  journée  de  chemin.  Je  vais  te  raconter  ce  voya- 
ge un  peu  en  détail  ;  les  petits  incidents ,  qui  pourront 
s'y  rencontrer,  te  mettront  peut-être  mieux  au  courant  des 
moeurs  locales,  qu'un  exposé  sec,  brusque  et  rapide. 

€  J'avais  besmn,  pour  me  conduire  chez  ces  Tartares, 
d'un  homme  qiû  connAt  la  route.  Un  brave  dffétien  se 
présenta.  Dans  sa  famille  le  désceuvrement  était  ses  uni* 
que  occupation ,  de  plus  il  aimait  à  dievandier.  Cétait 
bien  l'hcmime  qn'H  me  falhit  ;  il  me  convenait  d'autant 
mieux  qu'ayant  eu  autrefois  qudques  relations  aivec  la 
fiimille  où  j'avais  dessein  d'aller,  il  pouvait  en  quelque 
façon  me  servir  d'introducteur. 

«  Ia  jour  que  nous  avions  fixé  po«r  eette  aspédiimi 
élint  arrivé,  mmis  Ames  dt  grand  matin  nos  { 


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374 
ierwytge*  J'insérai  une  écrHom  et  quQtqiies  livres 
>  le  sac  qui  eootenaH  ma.couvertuce  et  mon  înaielas» 
MoD  conducteur ,  de  son  càtè ,  se  chargea  de  faire  la  pra<* 
vision  nécessaire  de  tabac  à  fumer  et  d'eau-de*vie,  ou 
pour  mieux  dire  d'un  violent  alcool  que  Ton  relire,  par 
le  moyen  de  la  distillation,  de  certaines  céréales  que  pro- 
duit le  pays.  Quand  les  cbréliens  m'eurent  solennellement 
souhaité  bon  voyage ,  je  m'installai  de  mon  mieux  sur  un 
petit  mulet  proportionné  à  ma  taille;  et  mon  guide,  après 
«voir  escaladé  les  flancs  escarpés  d'un  grand  et  maigre 
cheval ,  alla  s'asseoir  au-dessus  des  bagages. 

«  La  route  que  nous  suivuucs  est  vraiment  difficile  à 
«lécrire.  Ce  sont  des  ravins  qu'il  faut  traverser,  des  ro- 
chers^ des  montagnes  qu'il  faut  giavir  et  descendre,  des 
flaques  d'eau ,  des  lagunes  qu'on  doit  passer  sur  la  glace. 
Sans  cesse  on  est  obligé  de  faire  de  longs  circuits  pour 
éviter  des  précipices  ou  pour  tourner  des  hauteurs  inac- 
cessibles; en  un  mot,  on  s*en  va  en  zig-zag,  choisissant 
(levant  soi  les  endroits  qui  offi'ent  le  moins  de  diflicultés. 
Après  avoir  fait  cinq  lieues,  allant  toujours  de  celte  façou 
par  monts  et  vaux ,  mon  conducteur  me  dit  :  «  Nous 
allons  nous  arrêter  là-bas  pour  dîner...  »  et  du  manche 
de  son  fouet  il  m'indiquait  quelques  maisonnettes  de 
teire,  habitées  par  des  cultivateurs  chinois.  —  «  Plus 
«  loin ,  ajouta-t^il ,  ce  sont  les  prairies  ;  les  hommes  n'y 
«  habitent  pas.  »  Je  ne  demandais  pas  mieux  que  de 
faire  une  petite  halle;  il  était  près  de  midi,  et  j'avais 
(juclque  raison  de  soupçonner  que  mon  estomac  ne  se  re- 
fuserait pas  à  prendre  quelque  nourriture.  "•-  i- 

M  Arrivés  à  ce  hameau  ,  il  ne  fut  pas  nécessaire  de  dé- 
libérer sur  le  choix  de  Taubergc.  Nous  nous  estimâmes 
fort  beiu*eux  de  rencontrera  notre  disposition  unesom- 
Ik'c  et  sale  grange.  Nous  nous  y  introduisîmes  aprc's  avoir 


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39« 

aOttRÉé  iMtt aaiÉiMWt  à  we  fevtht  &eliée«B  lenre,  deiMft 
kporte.  Le»  gensde  Tendroii;»  jemM  et  viaox ,  ne  tav- 
dèratt  fas  4e  wstr  iiûms  rendre  Ytsiie  dèa  qu'ik  ûchm 
—  *«  D'où  esrttt?  Où  vas-tu?  Quel  esi  toa 
fliiieire?  »  Voiti  les  qveslioftft  obligées  et  indis- 
pensables que  Ton  s'adresse.  Bientôt  cbacun  alliune  sa 
pipie;  el^^B  ptfeiUeeâreonstance  le  pauvre  voyageur  n'a 
pas  60  soin  de  pnépaFér  quelques  provisions ,  après  avoir 
ftimé  sa  pipe ,  il  est  obligé  de  se  remettre  en  route ,  car  il 
est  censé  avoir  dfné.  Mon  conducteur  avait  prévu  le  cas  ; 
il  lira  de  son  havre-sac  une  bonne  tranche  de  mouton  rôti  ; 
on  nous  apporta  un  peu  de  sel  sur  un  fragment  de  porce- 
laine ,  et  dans  un  clin  d'œil  le  repas  fut  Gni.  Après  dîner , 
fl  est  convenable  de  prendre  le  thé;  c'est  réiîquelie  des 
gCDs  comme  il  faut.  Nous  demandâmes  donc  aux  Chinois 
qai  nons  entouraient  s'ils  n'auraient  pas  une  théière  ï 
Dous  prêter.  Ils  se  mirent  à  rire ,  et  nous  montrant  leurs 
habits  déchirés  :  «  Est<e  que  nons  pouvons  encore  boire 
«  du  thé,  nous  autres?  dirent- ils.  »  Cependant  un 
homme  de  bonne  volonté  sortit  et  rentra  un  instant  après, 
apportant  de  Teau  bouillante  dans  un  large  et  profond 
récipient.  Je  détachai  bien  vite  de  ma  ceinture  le  sac  à 
ihé  ;  je  jetai  une  poignée  de  feuilles  dans  celte  eau ,  et 
nKm  compagnon  de  voyage  et  moi ,  armés  chacun  d'une 
écndle,  nous  nous  mimes  à  puiser  dans  celte  théière 
peu  élégante ,  il  est  vrai ,  mais  proportionnée  aux  cir^' 
masimcm^  Hmm  i6vii4om  la  aaciM  à  mism  notre 
emmpit ,  et  iMMéc  dnuMn  «rim  à  la  voode  pokm 
éum  le  iMMpKt  «aa  tapsa  ë'eHi  baatttnata   Quand  loak 

fjpa^  ai  Dùa»  rafiHaiea  aom  mma  ««eo  m 


«  Ayrèi  avoir  £ravi  une  montagne  assez  escarpée, 

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376 
nous  nous  trouvâmes  sur  le  Man4imHlMe.  On  appelle 
ainsi  un  immense  plateau  qui  s'élève  aundessus  du  niveau 
ordinaire  du  soi.  Le  Man4im-dxe,  sur  lequel  nous  ve- 
nions de  monter,  a  peut-être  plus  de  cent  lieues  de  cir* 
conférence.  Là-dessiis  point  d'habitation^  point  de  terre 
cultivée,  pas  un  seul  arbre  ;  ce  n'est  qu'une  seule  pi-airie 
qui  s'étend  en  vaste  et  incommensurable  plaine;  c'est 
comme  un  océan  de  verdure  qui  n'a  pas  de  limites. 

a  Les  voyageurs  courent  gi^and  risque  de  s'égarer  sur 
le  Man-tien-dzi ;  car  il  est  entrecoupé  ei  sillonne  par  mille 
sentiers  qui  se  ressemblent  tous ,  et  qui  tous  ont  une  di- 
rection différente.  Si  on  a  la  maladresse  de  perdre  celui 
qui  seul  peut  vous  conduire  au  but  de  votre  voyage,  et  si 
pour  comble  de  malheur  le  temps  vient  a  s'obscurcir,  et 
qu'on  ne  puisse  se  guider  d'après  la  marche  du  soleil ,  on 
se  trouve  alors  exposé  à  de  grands  dangers  ;  on  est  comme 
un  capitaine  de  navire  qui  aurait  perdu,  dans  un  coup  de 
vent,  son  gouvernail,  sa  boussole,  sa  carte  marine  et 
tous  ses  instruments  nautiques.  Si  c'est  pendant  l'hiver, 
on  est  perdu  sans  ressource  ;  car  sur  ce  terrain  élevé  le 
froid  est  des  plus  terribles.  Quand  le  vent  souffle  avec 
violence,  il  n*est  pas  rare  d'entendre  dire  que  chevaux 
et  cavaliers  ont  été  gelés  en  traversant  ce  fatal  labyrinthe. 
Malheur  donc  au  pauvre  voyageur  qui  s'égare  sur  le  Mati" 
tim-dze  ! 

«  Or,  nous  nous  égarâmes...  et  le  soleil  venait  de  se 
coucher,  et  nous  étions  vers  la  (in  du  mois  de  novembre  I 
Je  r^ardais  mon  conducteur  qui  avait  Tair  tout  ébahi ,  et 
qui  tournait  la  tôte  de  côté  et  d'autre,  comme  un  homme 
qui  cherche  et  qui  ne  trouve  pas.  «  Eh  bien!  lui  dis-je, 
«  est-ce  que  par  hasard  nous  aurions  perdu  la  route?  — 
«  Hélas  I  me  dit-il ,  dans  mon  cœur  11  s'élève  des  doutes... 
«  Depuis  le  temps  que  nous  sommes  en  chemin ,  nous  de- 


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377 
«  vriODs  élre  (U^  daseesdas  da  plateaui  nous  devrions 
«  BOUS  trouver  dans  la  vallée  des  Mûrien...  Rdintmssoiis 
«  chemin ,  rd^roassons  diemio ,  s'écria-t-il  avec  énergie  ; 
«  à  cette  heure ,  ceUe  affaire  devieni  blanche  et  luisanU 
€  (c^est-à-dire,  je  comprends  oette  affaire)  ;  nous  aurions 
«  dû  iMrendre  le  sentier  que  nous  ayons  rencontré  à 
«  gauche.  » 

«  Nous  virons  donc  de  bord  et  nous  entrons  dans  ce 
sentier  d'espérance,  qui  nous  conduisit,  en  effet,  sar  les 
bords  du  Man-tien-dze.  Déjà,  du  haut  de  mon  petit  mulet, 
je  découvrais  là -bas ,  loin  dans  renfoncement ,  des  champs 
coltivés,  et  mon  cœur  s^épanouissait  insensiblement.  — 
«  EeiHie  que  cela  peut  encore  passer?  grommela  mon 
«  conducteur  entre  ses  dents.  Aujourd'hui,  vraiment, 
«  je  ne  suis  que  mastic  et  colle  (je  suis  stupide)  I  Voilà 
«  que  cette  vallée  n'est  pas  la  vallée  des  Mûriers  !  » 

«  n  ne  fallut  ps^  délibérer  longtemps  ;  nous  descen- 
dhnes  de  cheval.  La  nuit  commençant  à  se  fiadre,  il  était 
prudent  de  nous  réfugier  dans  cette  vallée,  où  nous  pou- 
vions espérer  de  trouver  quelque  habitation ,  puisque  nous 
apercevions  des  champs  en  culture.  Cela  valait  infiniment 
mieux  que  de  s'exposer  à  bivouaquer  la  nuit  entière  s«r  oe 
malencontreux  Hkm-tien-dxe. 

«  Cependant  je  ne  pouvais  considérer  sans  effroi  celle 
descente ,  longue  et  ardue ,  qui  conduisait  à  la  gorge  ou 
nous  comptions  trouve^  quelques  renseignements.  J'étais 
travaillé  d'une  soifdévôrante,  et  je  ne  me  sentais  pas  grandes 
forces  aux  jambes  pour  me  soutenir  sur  le  versant  de  cette 
montagne  escarpée.  —  «  Allons ,  il  n'y  a  pas  d'autre 
«  m«jreB,  disait  mon  hemmt  à  masdctià  coUe^  il  faut 
«  àégnngOer  ptkv  id.  ^G^Hiam,  nais  je  suis  btisé  ; 
m  je  mews  de  soif.  — Akt  mus  avCM  ut  aotr*  Muie 
«  pleiae;  b«v«ns  m  «««p  Cetu-de-ii».  ~à  k  bmm 

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378 
«  heure ,  lui  dis-je  eni^iant,  quoique  lu  te  sois  fourvoyé, 
«  tu  sais  encore  donner  un  bon  conseil. ..  »  En  disant 
cela ,  je  m^emparai  de  Poutre  que  f  appliquai  pron^^e- 
ment  à  mes  lèvres.  J'ciaîs  si  atféré  que  je  nem^apercevais 
ni  du  goAt  rrl  de  ta  feroe  iftm  si  violent  breuvage.  J'en  bus 
i  longs  traits^  fl  me  ^ntfMait  qi»  fêtais  à  une  sonrœ 
d'eau  fraîche  et  délicieuse.  Je  me  sentis  à  l'instant  plein 
de  vigueur.  Nous  tirâmes  donc  nos  montures  par  la  bride, 
et  tantôt  assis,  tantôt  debout^,  tantôt  nous  roulant  et  nous 
culbutant ,  nous  nous  trouvâmes  enfin  au  bas. 

•''  «  11  était  nuit  close.  Nous  remarquâmes  dans  un  en- 
foncement, au  pied  d'une  colline ,  une  lueur  vers  laquelle 
nous  nous  dirigeâmes  comme  par  instinct  et  sans  nous 
rien  dire.  C'était  la  cabane  d'un  berger.  Nous  appro- 
châmes vers  la  fenêtre,  et  à  travers  les  crevasses  du  pa- 
pier qui ,  dans  ces  pays-ci ,  lient  lieu  de  carreaux  de  vitre, 
nous  vîmes  un  Chinois,  accroupi  à  côté  de  quelques  ti- 
sons, et  fumant  tranquillement  sa  pipe,  a  Holà  !  mon  vieux 
«  frère  aîné,  sommes-nous  dans  le  chemin  de  la  vallée 
M  des  MâriersPn   A  l'instant  cet  homme  fut  à  côté  de 

lïous.  —  a  Est-ce  que  cela  peut  encore  passer?  dit-il 

«  vous  vous  êtes  égarés  sur  le  Man-tien-dze ,  n'est-ce  pas? 
«  La  vallée  des  Mûriers  est  au  détour  de  celle  gorge;  il 
«  y  a  encore  une  lieue,  et  plus;  la  route  est  bonne.  »  Ces 
paroles  du  vieux  frère  aîné  nous  rassurèrent.  Après 
l'avoir  remercié  et  lui  avoir  souhaité  du  bonheur,  nous 
montâmes  à  cheval.  Nous  chevauchâmes  encore  pendant 
rme  heure  dans  l'obscurité ,  et  nous  arrivâmes  enfin,  saH$ 
nouvel  encombre,  à  la  demeure  des  Tartares  Mongous. 

«•  «  Nous  fûmes  accueillis  avec  une  expansion  et  une 
cordialité  au  delà  de  toute  expression.  «  Voilà  Takoura , 
«  le  chef  de  fimiille,  »  me  dit  mon  conducteur,  en  me 
montrant  un  homme  de  taille  moyenne,  mais  d'une  mai- 


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.3» 
gtmt  ^ÊÊÊtpmUè.  AçAê  mm  ^éftpeftft  «MiBeUeflMit  la 
««éreoce)  le  ^Aêux  TakovMn  noM  mnktk  à  nous  asseoir. 
Jl  eut  la  bfljiilMmîe  de  me  preadve  poer  on  hoBHiie  de 
<|Qdqtte  impeftanœ ,  el  en  conaécpieBce  il'  me  fit  meMreà 
,bhphoe  d^honaeiir,  elea^^dire  weAlèopposéàlaperte 
dteitBée.  Je  .me  laiss^ti  foire.,  et  bieiit<^t  tout  le  monde 
Rassit  en  rond ,  et  à'ia-foçen  des  taîUeurs ,  autour  du  bra- 
sier qui  répandait  eneore  plus  de  fumée  que  de  cbakur. 

«  Après  nous  être  offert  les  uns  aux  autres  la  petite 
fiole  de  tstbac  à  priser,  après  avoir  allumé  nos  pipes  et  en 
avoir  fait  mutuellement  rechange^  le  vieux  Tarlare  m'a- 
dressa la  parole.  —  «  Tu  n'es  pas  Qiinois,  me  dit-il ,  tu 
«  es  Tartare  Mandchou;  je  comprends  cela  k  la  frange 
«  qui  est  au-dessus  de  ton  bonnet  ;  quel  est  ton  noble 
«  royaume?  —  Je  suis  du  royaume  de  France.  —  Ab  ! 
«  ah!  du  royaume  de  France?  c'ésl  biea...  Et  quelle  est 
«  la  ville  illustre?  ^  Je  suis  de  la  ville  de  Toulouse.  — 
«  Ah  I  ah I  tu  es  de  la  ville  de  Toulouse...  c'est  bien  » 
«  c'est  bien.  —  Sans  doute,  lui  dis-je,  tu  as  été  à  la  ville 
«  de  TotdoïKA;  il  s'y  fait  .un  grand  commerce.  —  Non , 
«  me  répondit-il  ;  j'ai  été  seulement  un^  fois  à  MoukdfiA; 
«  mm  je  ne  sui^paa^uxlyéJila^iUe  de  Toulouse*  p 

«  H  n-est  pas  nécessaire  de  dire  que  ias  ï^rtares  Vbm^ 
gous  ne  sont  pas  trës4evts  en  géographie.  Les  boiiMi 
gens  s'tmagMrirent,  sans  sonipale^  qae  le  royaume  de 
France,  la  vitie  de  Toulouse,  tout  cda  était  renfBnmé 
dans  la  M:uidebo«rie.  Cette  croyanoe  ne  me  paraisKun 
nuUemoM  dangerMse,  Je  h  leur  ai  laissé  tranquilleiMBl 
pfdesser,  eu  wkUI  de  la  laberté  des  epinioBs  prodaMét 
parlaChanede  1^0» 

«  Quand  on  se  fut  paisiblement  orienté  de  part  ec 
d'autre ,  voilà  que  la  conversation  s'engagea  rapide  m. 
animée,  comme  au  plus  fort  d*une  querelle.  —  «Mais 


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380 
«  eafioi  criiitdetoniestes  forces  le  chef  de  fanOle,  d*ici 
«  à  la  vaUée  des  EauX'Noire$  il  n*y  a  pas  loia  ;  com- 
«  ment  pouvez^vous  arrÎTer  si  tard?  Est-ce  que  cela  peut 
«  encore  paeser  ?  —  Ah  I  c'est  difficile  à  dire ,  c'est  diffi- 
«  ciie  à  dire,  répondait  sur  le  même  tmi  mon  conducteur, 
«  cela  ne  peut  pas  passer;  liens,  vois-tu,  nous  nous 
a  sommes  égarés  sur  le  Man-tien-dze.  —  Comment ,  tu 
«  ne  connais  pas  encore  le  Man-tien-dze^  toi?  Tu  fais  si 
«  souvent  le  trajet,  et  tu  peux  l'égarer  encore?  En  vé- 
«  rite,  cela  ne  petit  pas  passer,,*  N'est-ce  pas  que  lu  es 
«  bien  fatigué?  me  disait-il  en  me  frappant  sur  l'épaule. 
«  — Suffisamment  fatigué;  mais  n'en  parlons  plus,  me 
«  voici  arrivé  chez  loi ,  tout  est  bien.  — Tiens,  regarde , 
«  ajoutait-il  en  poussant  mon  conducteur  avec  le  bout  de 
<c  sa  pipe,  regarde  ;  toi,  tu  t'égares  sur  le  Man-tien-dze  en 
«  plein  jour  ;  moi ,  je  puis  voyager  par  une  nuit  obscure, 
«  je  ne  perdrai  jamais  la  route.  »  Et  puis  c'étaient  des 
éclats  de  rire,  des  soupirs  et  des  condoléances  à  n'en  pas 
finir. 

«  On  avait  posé  sur  le  brasier  une  cruche  en  fer , 
pleine  de  thé  au  lait.  Pendant  que  la  compagnie  raison- 
nait à  tue-tête  sur  les  routes  du  Man-tien-dze,  je  buvais 
sans  discontinuer  de  ce  ihé  au  lait  à  grandes  rasades. 
Bientôt  on  apporta  les  petites  herbes  salées  et  Teau-de-  , 
vie.  C'est  le  prélude  obligé  des  repas  chinois  et  tartares. 
On  se  grise  avant  le  repas;  c'est  absolument  l'opposé  de 
la  méthode  anglaise.  Le  chef  de  famille  prit  mon  petit 
verre ,  le  remplit  et  me  l'offrit  cérémonieusement  en  le 
soutenant  des  deux  mains.  Je  l'acceptai  de  la  même  ma- 
nière, et  quand  tous  les  verres  furent  remplis,  Takoura 
prit  le  sien  ,  et  faisant  à  la  ronde  une  petite  inclination  de 
tête ,  il  nous  inviïa  à  boire,  o  Mais  ton  vin  est  froid  ,  me 
dit  l'amphitryon,  je  vais  te  le  changer.  »  Il  le  versa  dans 


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la  petite  urae  à  vin  qnl  fiunut  sur  lei  okarboas,  et  ne 
remplit  de  nouveau  le  verre.  En  Chine  et  en  Tartai*îe,  ri 
n'est  pas  d'us^;e  de  boire  froid.  L'ean-cb^  néme,  on 
plutôt  ce  virulent  esprit  de  vin,  on  nous  le  sert  tout 
chaud  et  tout  fumant. 

«  Ce  soir-là  je  n'étais  guère  d'humeur  de  boire  de 
Teau-de-vie  bouillante;  je  sentais  comme  un  incendie 
dans  mes  entrailles.  «  Si  tu  as  de  Teau  froide,  dis-je  à 
»  Takoura ,  pour  le  moment ,  c'est  tout  ce  que  je  dé«re.  » 
Je  n'avais  pas  encore  adievé  d'émettfe  ceue  hasardeuse 
proposition,  qne  de  toutes  parts  on  me  tira  des  àr^ 
guments  à  bout  portant,  pour  me  prouver  qu'il  n'était 
ni  bon  ni  prudent  de  boire  de  l'eau  froide.  Mais  un  jeune 
hma  de  hnit  à  neuf  ans,  arrivant  fort  heureusement  avec 
nne  grande  tasse  d'eau  fraîche ,  coiqpa  court  à  cette  alter- 
cation. Je  m'emparai  de  la  tasse;  je  demandai  à  mon  ar- 
gumentatrar  s'il  en  voulait  bohre  ki  moitié,  et  pendant 
qn'il  riait  de  toutes  ses  forces,  j'avalai  d'un  seul  trait 
cette  eau  dâideuse.  Je  rendis  la  tatie  au  petit  launa,  en 
hû  recommandant  de  la  renqpyr  de  nouveau.  «  C'est  une 
«  affiûre  finie,  dit  alors Takonra,  piûsque absohnnoit  tu 
«  neveuxpasboiredu  vin,  qu'on serv^ le  sovper.» 

<c  Pendant  que  Madieke ,  fils  atné  de  la  famille ,  enle- 
vait les  petits  verres  et  Teau-de-vie,  Tsanmiaud^  son 
frère ,  autre  lama  de  vingt-un  ans ,  apporta  un  grand  plat 
où  s'élevait  en  pyramide  un  hachis  de  viandes  de  mouton. 
A  l'aide  de  mes  deux  bâtonnets,  j'en  saisis  quelques  mor- 
ceaux ,  puis  rejoignant  les  bâtonnets  et  les  élevant  hori- 
zontalement à  la  hauteur  du  front  :  «  Mangez  lentement, 
«  dis-je  aux  convives;  pour  moi,  j'ai  feît.  »  Et  comme 
je  m'aperçus  que  le  bon  Takoura  allait  encore  batailler, 
je  m'empressai  d'ajouter  :  «  Tiens,  écoute  mes  paroles  et 
«  ne  va  pas  me  quereller.  Nous  sommes  bons  amis ,  n'est- 


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3St 

•  <e  pas?  Tiii  le  Mib,  dam  ta  fan^,  c^ert  comne  si 
«'  l'élaîs  <:liesMM  ;  peur  leinooMnt.,  je  sois  trop  (Ssitigiiér 
«  mm  tte  oriiiis  pts^  detmki  110»  reparierons  de  tout 

•  eria.  »  Pendant  qne  le  Taitare  répétait>n  branlant  la 
tête  :  «  Cela  ne  peui  pas  passer,  »  jemé  letat  et  j'aUU 
m'élendre  à  l'endroit  qu'on  m'avait  assigné  pour  passer 
la  nuit.  Je  m'y  enveloppai  de  ma  couverture ,  et  bientôt 
je  m'endormis  d'un  sommeil  de  plomb. 

«  Le  lendemain  ,  j'eus  lieu  de  m'apercevoir  que  pen- 
dant mon  sommeil  mon  conducteur  n'avait  pas  perdu  son 
temps.  Il  ne  s'était  pas  fait  faute  de  boire  quelques  verres 
d'eau-de-vie,  et  cela  l'avait  rendu  disert  outre  mesure.  H 
avait  fourré  dans  la  It^tede  nos  Mongons,  candides  et  in- 
génus ,  que  j'étais  un  homme  extraordinaire ,  d'une  science 
a  faire  trembler  les  plus  fameux  lamas.  Il  leur  avait  an* 
nonce  quel  était  le  but  de  mon  voyage  :  je  savais  à  peu 
près,  assurait-il,  les  langues  des  dix  raille  royaumes  qui 
sont  sous  le  ciel  ;  je  désirais  encore  apprendre  la  langue 
mongole,  et  c'est  pour  cela  que  j'avais  dessein  d'habiter, 
pendant  quelques  jours ,  chez  les  Tartares.  Ainsi,  je  dus 
à  la  magnifique  amplification  de  mon  conducteur  tous  les 
témoignages  d'honneur,  de  respect  etd'afl'ection,  dont  je 
fus  entouré  dans  cette  famille. 

«  —  Docteur,  me  dit  Takoura ,  puisque  tu  as  le  des- 
«  sein  d'apprendre  les  paroles  mongoles  ^  tu  as  très-bien 
«  fait  de  venir  ici;  le  lama  Tsanmiaud  a  beaucoup  de 
«  capacité,  dans  peu  de  temps  il  l'aura  enseigné  tous  les 
<t  mots.  Quand  tu  sauras  exprimer  les  choses  essentielles, 
«  nous  ne  parlerons  plus  chinois.  »  J'acceptai  de  bon  cœur 
celte  invitation ,  et  comme  mon  conducteur  ne  m'était  plus 
nécessaire,  il  s'en  retourna  le  jour  môme  dans  sa  famille- . 

«  Quand  nous  eûmes  pris  le  repas  du  matin ,  après 
avoir  prouvé  à  ces  Tariares,  par  des  faits  irrécusables. 


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3ii 
que  je  ne  méprisais  ni  le  via  ni  les  mets  de  leur  taUe, 
j'étalai  sur  un  buffet  ma  petite  bibliothëque.  J'ouvris 
mes  livies  et  je  les  femUetai  tous  les.  uns  après  lesauires. 
Ces  bonnes  |;ens  étaient  pressés  autour  de  moi ,  les  ymx 
gmnds,  ouverts  et  la  bondiebéantecomme  des  enlants  au- 
tour de  la  table  d*un«  escamoteur*  Ameaure^iiaft  je  prenais 
nn  livre,  le  père  de  fomillo  annonçait  solennellemeni  à 
Tasscaiblée  la  qualité  de  la  marchandise.  «  Voici,  disait* 
«  il ,  un  livre  chinois  ;  voici  un  livre  mandchou  y  voici  un 
«  livre  mongou««.  »  Mais  quand  je  6s  paraître  mon  bré- 
viaire doré  sur  tranche  letrdié  en  maroquin  violet ,  ce  fut 
un  enthottsiasne  difficile  à. décrire.  Après  l'avoir  ouvert, 
j/d  le  présenui  au  Jama  comme  au  (dus  lettré  d^  la  société» 
A  peine  eut--il  aperçu lescaracières  européens^  qii'il  s'é- 
cria aussitât  :  Choral  chmxtl  11  fit  passer  le  livre  à  la 
ronde,  et  tous,  a|»^  Tawoir  ieuilleté,  répétaient  avec 
stupéfiiction  :  Un  Uwe  c&otW 

«  Les  lamas  mongous  et  thibetains  donnent  le  nom  de 
charak  une  certaine  écriture  énigmatique  ei  mystérieuse,, 
dont  la  forme  ressemble  beaucoup  aux  lettres  gothiques. 
rm  ai  rfimMpquÀflUc towie» 8i«iQÉiUwe»>dft>pritees^ui 
se  iroufttBt  ÔÊouklm  pnjaiiiff  ttim'eitï  ^P(MMt>eapaaaéc  que 
«ria  ptiiurmit  tendes.  tvMtfÊmà^  Gatrcaradèraa  sont'  totts>, 
ea  dfot,  souBgnésearougBy.elibiontarépaodusçàetlfli 
danslecorp8dnTelunie,de^attnîèpeàlai>e;roiaa«wcntrdfla 
astifAcmaires  et  des  livres  de  priàres  du  moyesa  âge.  On 
rencontre  encore  beaneoup.  de  ee^caractàle»  dkséminés 
parmi  les  peintims  des  ve&tea4]tt  pafodes..Les  lamas  ne 
comprennent  rien  àcette  écritum,  ib^ie  sawMt  pas  même 
la  lire  ;  de  là  vient  qu!ila  domieB|JftnMi  de  ckar(kk  tmte 
langue  qui  est  jpour  eux  inintelligible. 

«  Le  jeune  XsaBnûand,  me  i^miettantle  bréviaire ,  me 
dil  d'une  vm  tMM  tmnbfamieiVémoiiQo:  «  Nlest-ce  pas 


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384 
.  que  c'est  du  eKara?-Si  ce  n'est  pas  du  chara,  lui 
-  dis-je,  qoe  sera-ce?  »  Il  s'assit  alors  à  côté  de  moi 
avec  l'air  satisfit  d'un  homme  qui  vient  de  faire  une  trou- 
vaille. U  prit  de  nouveau  le  bréviaire  entre  ses  mains ,  et 
il  ne  cessait  de  le  tourner  et  de  le  retourner  dans  tous  les 
sens...  •  Mais,  dit-il,  est-ce  que  tu  connais  le  chara, 
«  toi?  —  Oh I  Je  suis  très-fort  en  ekairo;  tiens,  regarde, 
.  je  le  lis  même  plus  vite  que  le  chinois  et  le  mandchou  ; 
.  avec  le  cftora  je  puis  parler  et  écrire  tout  ce  que  je 
.  veux.  —  Dans  la  pagode  où  fai  étudié  les  livres,  il  y 
«  a  plus  de  huit  cente  lamas  :  aucun  ne  connaît  cette 
«  langue;  il  y  a  seulement  un  vieux  lama  qui  sait  en  Ure 
.  quelques  mots...  Mais,  ajouta-t-il,  quelles  paroles  y 
.  a-t-a  dans  ton  Uvre  ehara?  —  Ce  Uvre  contient  des  pa- 
«  rôles  saintes;  c'est  mon  livre  de  prières.  —  Ohl  est- 
.  ce  que  tu  récites  des  prières?  s'écria  le  vieux  Takoura. 
•  -Et  pourquoi  n'en  récilerâis-je  point?  Jepne  tousles 
.  jours,  et  plusieurs  fob  par  jour;  Uens,  maintenant  je 
«  vais  prier  encore,  le  moment  est  arrivé. .  Et  je  me 
levai  aussitôt  pour  réciter  mon  bréviaire. 

.  -Puisque  ta  veux  prier,  me  dit  Tsanmiaud,  je  vais 
.  teconduire  dMS  ««  aulre  leole;  «  ssras  plus  tnm- 
.  quille;  id  a  y  a  trop  de  iwmuUe.  .  J'allai  donc  dans 
la  tente  voisine  aooompagné  du  lama  et  de  son  neveu. 
Durant  tout  le  temps  que  je  mis  à  dire  mon  bréviaire,  ils 
nslèrent  debout,  à  côté  de  moi,  gardant  un  religieux 
sHence.  Quand  j'en,  terminé,  Tsamniaud  me  demanda  « 
favais  fini  ma  prière,  et  sur  ma  réponse  affirmauve  ils 
me  filant  l'an  et  l'autre  une  indinalion  profonde ,  comme 
pour  me  féliciter  de  ce  que  je  venais  de  faire. 

.  Une  fois  que  mes  hôtes  se  lurent  aperçus  que  j'éuis 
un  homme  de  prière,  je  fa.  décidément  un  ami  de  la  &- 
miUe.  Les  Mongous  sont  «ssemieUemeot  reUgieux.  Hs 

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385 
croient  à  une  irie  future  i  et  ils  s'en  occupent  sérieusement. 
Les  choses  d'ici-bas  sont  pour  eux  d'un  intérêt  secondaire* 
Takoura  était  le  plus  fervent  de  la  famille.  Au  commence- 
ment de  cbm^ue  repas,  pendant-que  je  récilais  monBene^ 
dieUe,  il  trempait  son  petit  doigt  dans  son  yerre,  puis  il 
projetait  au  loin  quelques  gouttes  d'eau-de-vie.  Cette 
pieuse  libation  ne  l'empêchait  cependant  pas  de  se  griser 
assez  souvent.  Ce  bon  vieillard  [ne  savait  pas  prier  dans 
les  livres  ;  mais  il  savait  presque  toujours  son  chapelet  à  la 
main.  Les  Mongous  se  servent ,  en  eifet ,  pour  prier  d'une 
espèce  de  chapelet  composé  de  cent  huit  grains.  A  chaque 
grain  ils  doivent  dire  :  Paix  et  bonheur  aux  quatre  par^ 
ties  du  mande...  C'est  une  formule  que  Fo  enseigna  aux 
hommes,  disent-ils,  pendant  qu'il  propageait  les  prières* 
Hais  ses  disciples  ne  sont  pas  très-scrupuleux  sur  ce  point  ; 
il  en  est  beaucoup  qui  ne  récitent  rien  du  tout.  Takoura 
avait  adopté  cet  usage  facile  et  expéditif.  Il  se  contentait 
souvent  de  dérouler  entre  ses  doigts  les  grains  du  chape- 
let ,  et  cela  ne  l'empêchait  pas  d'entretenir  la  conversation 
à  droite  et  à  gauche  avec  le  premier  venu. 

€  Comme  pour  le  moment  je  ne  devais  pas  faire  m 
kmg  s^onr  parmi  les  Tartares  Mongous,  je  me  hâtai  de 
rêdBger  nn  petit  manuel  de  convcnation,  vme  espèee  de 
dictionnaire  omtenant  les  expressions  les  plus  usmUcs» 
Pendant  que  j'écrivais  en  français  ce  petit  ouvrage,  ces 
bonnes  gens  étaient  consternés  d'étonnement  ;  ils  ne  poor 
taient  comprendre  comment,  à  l'aide  de  ees  mtBOtbru 
thara,  corons  ils  les  appelaient,  je  pouvais  écrire 4es 
mots  mcmgous.  —  «  Maître,  me  dit  le  vieux  Tartare, 
«  pvisque  ta  t*empflres  de  toutes  nos  paroles,  tti  vovdat 
«  bien  m'enseigner  quelques  expressions  ^ara...  je  M 
«  sois  pas  trop  vieux  pour  les  apprendre?  Ma  langue  eut 
«  encore  assez  souple,  n'est-ce  pas?  »  A  l'iosiant  il  mm 

TO».  Xni.  tOS.  DigitizelRjOOgk 


386 

montra  un  couteau,  puis  un  briquet,  en  me  demandant 
le  nom  ekara  de  ces  divers  objets.  —  «  Ceci  s'appelle 

•  couteau,  luidis-je,  cela  s'appelle  briquet...  Quand  lu 
«  iras  dans  le  royaume  de  France,  si  tu  dis  couteau, 
«  briquet,  tout  le  monde  te  comprendrai  »  Mon  homme 
cîfait  dans  le  délire  de  renthousiasme.  Si  quelque  étranger, 
Chinois  ou  Tartare,  venait  le  visiter,  il  répondait  à  leurs 
formules  de  politesse ,  eu  leur  criant  de  toutes  ses  forces  : 
Couteau,  briquet,  et  puis  il  se  prenait  à  rire  d'un  rire 
inextinguible. 

«  Ce  petit  succès  dans  ses  premières  études  de  la  lan- 
gue chara  Tencouragea  outre  mesure.  Il  apprit  encore  ik 
dire  :  Ma  pipe,  fumer  tabac...  Mais  je  m'arrêtai  là  ;  je  me 
fardai  bien  de  lui  en  apprendre  davantage;  car  il  me  ré- 
pétait à  satiété  ces  deux  ou  trois  mots,  et  je  ne  pouvais 
'  plus  obtenir  de  lui  qu'il  me  parlât  mongou.  La  première 
nuit  qui  suivit  son  initiation  dans  la  science  chara,  il  l«i 
arriva  plusieurs  fois  de  me  réveiller  brusquement  pour  me 
demander  si  c'était  bien  couteau,  briquet,  qu'il  fallait 
dire.  Je  fus  obligé  de  me  fâcher  et  de  lui  répondre  que  ia 
nuit  était  faite  pour  dornfiir,  et  non  pas  pour  apprendre 
les  langues.  —  «  Ah  I  me  répondii-il ,  tu  as  dit  vrai  ;  tes 
a  paroles  abondent  en  raison  1  »  Dès  lors  il  ne  me  tour- 
menta plus;  mais  il  ne  se  faisait  pas  faute  de  faire  de  temps 
en  temps  des  à  parte ,  et  de  marmoter  entre  ses  dents  : 
Couteau^  briquet^  mapipc^  fumer  tabac.  Une  autre  raison 
plus  grave  m'empêcha  de  Tintroduire  plus  avant  dans  la 
connaissance  du  chara;  je  m'étais  aperçu  qu'en  récitant 
son  chapelet,  au  lieu  de  dire  :  Paix  et  bonheur  aux  quatre 
parties  du  monde  ^  il  disait  sans  trop  se  gêner  :  Cauteau, 
briquet ,  etc* 

«  Le  troisième  jour  après  mon  arrivée ,  Takouia  fut 
obligé  de  faire  un  voyage  à  un  marché  chinois  qui  se  te- 

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387 
ttiU  à  deox.  jiCNiniées  de  sa  réôdeace*  J'avoue  que  cet  it* 
éUent  ne  me  contpfurta  guèrei;  je  fiia  dès  lors  plus  vr$ar 
quille  pour  comioner  avec  le  lama  mon  peiit  dioiioB-' 
naire*  Tous  les  jours  »  aooompagné  de  TsaiaoïiaiMl ,  falfaûii 
Élire  «ne  prosaeuade  à  une  petite  pagode»  qui  n*éli9}i 
fUispe  éloi|^  que  d'un  quart  d'heure.  Elle  est  située  dans 
we  position  vraiment  pittoresque.  Figure-loi  une  m<m^ 
tagçe  escarpée  et  rocailleuse,  dooi  les  flancs  entr'ouveris 
forment  une  espèce  d'angle  aigu;  c'est  dans  cet  enfonce^ 
ment  qu'est  érigée  la  pagode.  Aux  environs  se  trouvent 
diseéminées  çà  et  là ,  sans  régularité  et  sans  plan ,  les  e^ 
Iules  ou  habitations  des  lamas.  0es  arbres  mQgniiiqiies 
s'^èvent  parmi  ces  maisonnettes,  et  au  pied  de  la  mon- 
tagne les  eaux  d'un  torrent  bondissent  à  travers  d'énormes 
quartiers  de  roche.  Quand  les  lamas,  velus  de  leurs 
grandes  robes  rouges  ou  jaunes ,  prennent  leur  récréation, 
le  taUeau  est  vraiment  ravissant. 

«  La  pagode  dont  je  te  parle  était  alors  en  réparation; 
deux  lamas  travaillaient  aux  peiniures  ^.la  voàie ,  et  il 
m^a  paru  qne  ces  artistes  mongous  n'élaient  pas  défkmifvns 
d'habileté.  Je  voudrais  bien  pouToir  te  dire  en  lenMs 
techniques  quelque  chose  de  raisonnable  sur  les  décora- 
tions kmanesques ,  je  sais  que  cela  t'intéresserait  ;  mais 
tu  n'as  pas  oublié,  je  pense ,  que  je  n'entends  rien  en 
peinture.  Tont  ce  que  je  puis  dh*e ,  c'est  que  le  bizarre  et 
le^  grotesque  dominent  dans  tous  les  desms  des  pagodes. 
Les  fhiits  et  les'fléurs  sont  rendus  avec  firatdemr  et  âëÊ* 
catesse  ;  mais  les  personnages  sont  tous  sans  vie  et  sans 
mouvement;  leurs  yeux  ne  regardent  pas;  la  camatidli 
est  froide  et  morte.  Les  peintres  de  ces  pays-ci  n^ontpi» 
la  moindre  idée  du  dài^-obseur  ;  dans  les  paysagci ,  IMl 
se  trouve  aligné  sur  le  même  plan. 

«^LesfrÛlr^Mtt^iés  àçeue  p8«pfle4qpt  peuQçai" 

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388 
breus.  Il  y  en  a  tout  au  plus  une  cinquantaine  ;.  mais  ce 
qui  en  augmente  le  nombre,  c'est  que  diaque  lama,  en 
général,  a  sous  sa  direction  deux  ou  trois  chabi  ou  no- 
vices, auxquels  il  enseigne  les  prières  et  la  liturgie. 
Tous  les  jours ,  j'allais  causer  avec  ces  lamas  qui  ont  tou- 
jours clé  pour  moi  pleins  d'affabilité  et  de  prévenance.  Je 
ne  sais  pour  quel  personnage  ils  me  prenaient;  mais  ils 
poussaient  le  respect  à  un  tel  point,  que  par  pudeur  je 
fus  obligé  de  leur  défendre  de  me  faire  la  prostration  à 
deux  genoux  quand  ils  me  saluaient.  Une  fois  je  vis  le 
moment  qu'ils  allaient  me  creuser  une  niche  dans  leur 
pagode ,  et  me  placer  à  côté  de  leurs  fétiches.      •"'  '  *  * 

«  Un  jour  que  nous  causions  tous  ensemble  de  diffé- 
rentes choses  :  «  J'ai  envie  d'apprendre  le  thibetain, 
«  leur  dis-je,  est-ce  bien  difficile?  —  Très-difficile,  me 
«  dit  un  lama;  quand  on  ne  commence  pas  jeune,  on 
«  étudie,  on  étudie,  et  c'est  vainement.  —  Voyons,  va 
«  chercher  un  livre  thibetain.  —  Il  courut  à  la  pagode  et 
revint  un  moment  après  chargé  d'un  énorme  in-folio* 
«  Lis-moi ,  lui  dis-je ,  une  page  de  ce  livre  ;  mais  lis  bien 
<(  lentement  et  avec  une  grande  clarté.  » 

»  A  mesure  qu'il  lisait,  j'écrivais  en  caractère  soi- 
disant  chara.  La  page  étant  achevée ,  ils  me  demandèrent 
pourquoi  j'avais  écrit  du  chara.  a  Dans  un  instant  vous  le 
saui^z,  leur  répondis-je.  »  Et  je  me  mis  à  fumer  une  pipe 
jjpndant  qu'ils  s'amusaient  à  regarder  mon  écriture  énig- 
malique.  Quand  j'eus  fini  de  fumer,  «  Tenez ,  leur  dis-je , 
«  je  vais  vous  lire  ce  que  j'ai  écrit...  —  Oh  !  oh  !  firent- 
«  ils  tous  a  la  fois,  c'est  inutile,  c'est  inutile;  nous  tie 
«  comprenons  pas  le  chara,  nous  autres.  —  N'importe, 
a  écoutez;  et  toi,  dis-je  à  celui  qui  avait  lu  le  passage 
«  thibetain ,  clierciie  l'endroit  que  tu  viens  de  parcourir, 
c  et  éecwte  si  m€^dkrraa*aoo(Nile  on  ne  s'accorde  pas.» 

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U9 
«  Pendant  qae  je  Usais ,  tous  ces  pauvres  hunas  reie*- 
na^ot  leur  respiration.  A  peine  j'eus  fini  :  «  Tout  s'ik> 
«  corde,  s'éci*ièrent-ils ;  les  paroles  une  à  une,  um  à 
c  une,  tout  s'accorde.  »  Et  alors  tout  hors  d'eux-mêmes 
ils  se  demandaient  entre  eux ,  en  gesticulant  avec  vigueur  : 
«  Hais  comment  cela  se  fait-il  ?  on  lit  thibetain ,  il  écrit 
ckara...  puisîl  Ut  son  chara,  et  c'est  tUbetain.  » 

«  Un  lama,  écartant  alors  les  autres  de  ses  deux  bras> 
vint  se  placer  devant  moi ,  et  me  regardant  fixement  : 
«  Es-iu  Fo  vivant?  me  demanda-t-il....  »  Cette  singu- 
lière interpellation  me  fit  crisper  les  nerfs.  —  «  Tu  es  un 
«  insensé  !  lui  répoodis-je  avec  énergie.  —  En  vérité  » 
«^ajouta-t-il,  en  se  fra{^ant  avec  la  main ,  en  vérité^  je 
«  ne  sais  pas,  je  ne  comprends  pas;  mais  certainement 
c  les  Fo  vivants  n'en  savent  pas  tant  que  toi.  » 

c  Qu^un  Chinois  qui%e  connaît  que  ses  caractères 
presque  hiéroglyphiques ,  ne  puisse  pas  se  faire  une  idée 
juste  des  idiomes  alphabétiques ,  à  la  bonne  heure  ;  mais 
les  langues  mandchou ,  mongole  et  thibetaine  sont  pu- 
rement alphabétiques ,  et  je  ne  comprends  pas  comment 
ces  lamas  n'ont  pas  encore  soupçonné  qu'à  l'aide  d'un 
alphabet  on  pouvait  écrire  toutes  les  langues.  Au  reste , 
ces  lamas  ne  ni'ont  pos  paru  grands  amateurs  de  l'étude. 
4*ai  eu  lieu  de  ra'apcrcevoîr  qu'ils  passaient  leur  vie  dans 
une  oisiveté  profonde  ;  de  plus,  leurs  idées  ne  sont  guère 
spiritualisées.  I!s  n'ont  pas  de  leur  état  une  très-haute 
opinion.  Tous  m'ont  dit,  il  est  vrai,  qu'être  lama  valait 
mieux  qu'être  homme  noir  (c'est  ainsi  qu'on  appelle  les 
gens  du  monde,  ou  ceux  qui  no  rasent  pas  leur  tête). 
Bfais  quand  je  leur  ai  demandé  en  quoi  l'état  de  lama 
l'emportait  sur  celui  dliommc  rioîr,  j'ai  été  surpris  et  cho- 
qué d'entendre  toujours  la  même  réponse.  Tous  m'ont 
dit:  c  Tant  qu'on  est  chabi^  ou  étudiant^  on  a,  il  est 


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39» 

•  vrai,  beatusQOfi  à  toBA*ir  ;  mais  quand  on  a  appris  les 
c  prières  jijoqa'au  b<mt ,  tout  est  fini  >  on  n'a  plus  be^in 

•  de  traTailler  ;  on  peut  se  reposer  da  matin  au  soir  ;  on 
«  n'a  pas  à  se  préoccuper  ni  du  boire,  ni  du  Tétir,  ni  du 
«  manger.  »  11  ne  faudrait  pas  pourtant  généraliser  ce 
qoe  je  dis  ici  ^  peut-être  qu'ailleurs  les  choses  iront  diffé- 
remment. Il  pourrait  bien  se  faire  que  l'esprit  de  r^i- 
chement  se  fût  introduit  dans  la  petite  lamaserie  dont  je 
parle.  Quand  j'aurai  visité  les  grandes  pagodes,  peutr 
être  serai'je  obligé  de  tenir  un  autre  langage. 

«  Les  lamas  ne  sont  pas  cloîtrés.  Us  ont  en  général 
le  caractère  ambulant.  Ils  courent  sans  cesse  de  pagode  en 
pagode,  quelquefois  par  esprit  de  dévotion ,  souvent  par 
humeur  de  vagabondage.  Cest  ce  qui  m'a  fourni  l'Occa- 
sion d'en  voir  un  grand  nombre.  Un  soir  que  j'étais  paisi- 
bkment  occnpé  à  écrire  la  nomindature  des  expressions 
rnoog/sÀSi  que  me  dictait  Tsanmiaod,  nous  «itendlmes  au 
dehors  cooune  le  piétinement  d'un  grand  nombre  de  cbe^ 
vaux.  Nous  allâmes  voir ,  c'était  un  escadron  de  douae 
lamas.  Ils  venaient  de  fort  loin ,  et  ilsavaiau  encore  plus 
de  cent  lieues  à  faire  avant  d'arriver  au  terme  de  leur 
voyage.  Ils  allaient  en  pèlo'inage  à  k^  grande  pagpde  de 
Têlonùr.  Ces  lamas  étaient  inconnus  de  la  famille^  ikfur 
rent  néanmoins  ébergés  comme  des  amis  et  des  frères.  On 
leur  servit  d'abord  le  tbé  au  lait ,  et  afNrès  qu'on  eut  pré- 
paré un  repas  frugal ,  mais  copieux  «  on  leur  disposa  des 
tentes  pour  passer  la  nuit.  Lesdroiu  de  l'hospitalité  sont 
ioviolables  chez  les  Tariares.  Il  ne  s'est  pas  passé  de  jour 
sans  qu'il  ne  vint  quelque  étranger,  et  je  n'en  ai  pas  vu 
éoonduire  un  seul.  Tous  ont  été  accueillis  avec  une  sincère 
et  loyale  générosité.  Je  suis  moi-même  une  grande  preuve 
du  caractère  hospitalier  de  la  nation  mongole.  En  défini- 
Uve ,  je  n'étais  qu'un  étranger  pour  ces  gens-là,  puisqu'ils 


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3»! 

ne  croyi^est  Mandchou;  je  ne  lent  wms  jamak  rmim 
aticon  service ,  ils  n'avaient  rien  à  aliendre  de  moi;  1» 
voyaient  clairesieot  <itie  c'était  mon  i&térét  profïre,  am» 
avantage  qui  m'avait  conduit  et  qui  me  retenait  ciiezeuL;. 
et  pourtant,  il  faut  le  dire,  j'ai  été  traité  comme  ne  le 
serait  pas  un  bienfaiteur  par  ses  protégés. 

«  Esin^,  après  sfa:  Jours  d'abseaee,  Takoiira  &t  de 
retoKF  de  scni  voyage  à  Outa-Mada.  Qmaid  il  parut,  fé» 
{^OBvaidè»l)attcnenlideccrar;  en  vérité,  ce  fut  commi 
s»  je  retroiivaisi.im  ^ieil  ao^  Je  Inî  deiwmdai  en  mongi» 
desnew^es  de  s»  samé,  si  le  voyage  avait  été  h^wsKy 
sf  la  neige  qui  éiafc  tondit  ejtk  abondanee  ne  lui  avait  peiril 
easié  ôemat^é  BfcscpestkmséUttent  rapides,  aMnéesefc 
paipîtantfts  d'émotion  ;  je  lui  décochais  sans  iniemij^liM 
toutes  Ics^  phrases  sentimentales  que  TsanMand  mteaU 
enseignées.  Mais  à  mon  grand  désappointement,  jeii^ab«t 
tins  pas  un  seul  mot  de  réponse.  Je  me  sentis  alors  pro- 
fondément humilié ,  et  je  demeurai  convaincu  que  je  {Pro- 
nonçais mal  le  mongou.  Je  changeai  d'Idiome ,  et  sur  u» 
ton  un  peu  plus  modeste,  je  lui  adressai  en  chinois  les 
mêmes  questions. ••  Même  profond  silence!...  Takonr^ 
était  toujours  immobile  devant  moi  ;  ses  yeux  me  regtkr-^ 
dàient  fixénient;  sa  figure  s'enflammait  et  prenait  peu  à 
peu  nn  caractère  vi^ment  effrayant.  La  peur  s'empara  de 
inoi ,  je  li'osai  pas  hasarder  d'autres  questions.  Je  cru* 
qu'il  avait  éprouvé  quelque  grand  malheur^  et  que  par 
suite  son  système  cérébral  s'était  détraqué.  Enfiki,  spth 
iin  silence  de  part  et  d'autre,  ^ence  vraiment  sinistre  et 

lugubre,   fexplosion  eut  Ken Ctmkant  hriquef! 

s'écrîa*t-il  d'aine  voix  vibrante  et  métaffique*;  et  pub  m 
laissant  aTIer  sur  nn  large  tapis  de  feutre,  coùude  tm 
homme  épuisé  par  un  grand  effort  :  —  «  Etofiti ,  ajoata-^ 
«  t-ît  d^une  voix  sourde  et  étouffée,  à  force  d«  pemer^  le 


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392 

«  êwvenir  tst  mmU Ma  pipe,  fumer  uAae.  »  Je 

pris^vitemeat  sa  pipe ,  je  la  garnis  de  labac  ei  je  la  lui 
offris  en  disant  :  «  Tu  parles  admirablement  le  chara.  » 
Cette  petite  flatterie  ne  Ait  pas  sans  effet  ;  elle  me  valut  des 
compliments  à  perte  de  vue  sur  mes  progrès  dans  la  lan* 
gue  mongole. 

«  Ce  jour  fut  comme  un  jour  de  fête  pour  toute  la  fa- 
mille, et  le  repas  du  soir  avait  Tair  d*un  petit  festin.  Le 
bon  Takoura,  qui  voulait  me  régaler,  avait  acheté  quel- 
ques gourmandises  à  la  station  chinoise.  Pendant  que  nous 
buvions  le  vin,  il  appuya  la  main  sur  mon  épaule,  et 
8*approchant  confidentiellement  de  moi,  il  meditàToreille 
et  à  Voix  basse  :  «  J'ai  acheté  un  paquet  d'ognons;  nous 
«  aHons  en  mangerun ,  n*est-ce  pas?...  »  Et  puis  prenant 
le  ton  du  conmiandement  :  «  Voyons,  s*écria-t-il ,  qu'on 
m^apporte  les  ognons.  » 

«  Les  ognons  de  ce  pays-^â  ne  poussent  pas  de  bulbe 
grosse  et  renflée,  comme  ceux  de  TEurope.  Ils  sont  oblongs 
et  semblables  aux  porreaux.  La  saveur  est  pourtant  la 
même;  elle  est  également  brûlante  et  acre.  Un  ognon  est 
pour  les  Tartai*es  et  les  Chinois  un  mets  très-friand ,  el 
cela  m*a  fait  comprendre  comment  le  souvenir  des  ognons 
d'Egypte  avait  pu  si  fortement  exciter  les  murmures  des 
Israélites  dans  le  désert.  Ceux  que  Takoura  me  fit  servir 
s^étaient  gelés  en  route  ;  ils  étaient  dur^  et  raides  comme 
des  barres  de  fer.  «  Je  m'en  doutais ,  me  dit  Takoura  ; 
m  mais  n'aies  pas  peur ,  j'en  ai  inséré  quelques-uns  dans 
m  mes  bottes,  et  j'espère  qu'ils  ne  seront  pas  gelés.  » 
Aussitôt  il  enfonça  son  bras  dans  i^e  de  ses  bottes ,  et  en 
letira,  en  effet,  un  ognon  qui  était  tout  fumant.  Après 
ravoir  essuyé  avec  soin  sur  le  devant  de  son  gUet,  il  m'en 
iAit  généreusement  la  moitié.  Nous  le  mangeâmes  sans 
autre  apprêt ,  à  peu  près  comme  si  c'eût  été  une  orange. 


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393 

'  «  Après  avoir  passé  une  douzaine  de  joui^  chez  ces 
Tartares  Mongous ,  je  songeai  à  revenir  dans  ma  vallée  des 
Baii^Noires.  —  «  Demain^  au  soleil  levé ,  je  pars ,  dis- 
«  je  au  chef  de  famille;  il  faut  que  je  m'en  retoiurne.  » 
II  est  inutile  de  dire  quelles  furent  les  instances  et  les  sup- 
plications de  ces  bonnes  gens,  pour  m'engager  à  rester 
parmi  eux  encore  quelques  jours.  Il  était  dix  heures  du 
soir,  et  le  vieux  Takoura  n'avait  pas  encore  achevé  ses 
harangues,  -r^  «  Il  est  tard ,  lui  dis-je ,  le  temps  de  dormir 
est  arrivé  ;  tu  dis  des  paroles  toutes  blanches  (  vaines)  ; 
deaoain  il  faut  que  je  m'en  retourne. — Tu  as  raison , 
il  est  tard;  disons  seulement  une  parole,  que  ce  soit 
une  parde  droite  et  raisonnable  :  Est-ce  que  demain 
au  soleil  levé  tu  dois  absolument  partir?  —  Absolur 
ment;  j^en  ai  pris  la  résolution.  —  Dans  ce  cas-là* •» 
Madieke ,  fais  diaofler  l'eau-de-vie  ;  bis  frire  quelque» 
tranches  de  chevreau.  —  Estrce  que  tu  vas  encore  man- 
ger?  —  Tais- toi ,  me  dit-jl  ;  tiens,  je  n'écoute  plus  tes 
paroles...  Comment  I  tu  pars  demain,  et  avant  de  dor- 
mir nous  ne  boirions  pas  encore  ensemble  un  verre  de 
vin  I  »  Je  dus  me  résigner  et  subir  cette  intempestive 
coUati<m. 

«  Le  lendemain,  quand  le  jour  parut,  je  me  hâtai 
d'empaqueter  ma  bibliothèque  de  voyage.  «  Le  déjeuner 
«  n'est  pas  encore  prêt ,  me  dit  Takoura ,  tu  n'as  pas  be- 
«  soin  de  tant  te  presser,  attends  un  insunt ,  je  vais  de- 
«  hors  examiner  le  temps.  »  Il  rentra  quelques  minutes 
après ,  et  me  dit  avec  l'air  et  le  ton  d'un  homme  con- 
vaincu :  «  C'est  affi*eux!  le  temps  est  abominable;  au- 
«  jourd'hui  on  ne  peut  pas  voyager,  il  est  impossible  de 
«  traverser  le  Man-tien-àxe;  en  vérité,  ce  temps  est 
«  affreux  !  »  Takoura  me  disait  tout.cela  avec  un  sérieux 
vraiment  admirable.  Le  ciel  était  pourtajat  pur  et  serein  ; 


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3H 
pendant  Thiver  on  ne  pouvait  désirer  un  plus  beau  jonr. 
«  Cela  n'est  pas  bien,  Takoura,  je  vois  que  tu  dis  de» 
«  paroles  creuses  »  tu  éparpilles  des  mensonges. ..  Puisque 
c  tu  ne  veux  pas  me  lester  le  cœur,  je  partirai  sans  dé- 
jeuner. »  —  «  Ce  n'est  pas  cela ,  ce  n'est  pas  cela  ;  je  sais 
«  bien  que  tu  veux  partir  ;  mais  tu  ne  peux  pas  t'en  aller 
«  seul;  Tsanmiaud  t'accompagnera;  je  vais  faire  seller  les 
«  chevaux  :  quand  on  est  deux ,  vois-tu ,  la  route  est 
«  riante  et  animée.  » 

«  Cette  prapeskâonne phitassec;  màiTskcfon  était 
Mwtjouf^  d'une  teniear  insuj^portable;  le  déjeimer  n^en 
fifisifiHt  pas,  c'était  to^MT»  à  recoMinncer»  Le  temps 
Sikaii  pourtant  son  dieoun,  et  je  n'ataispes  «nvie  deme 
trouver  en  route  pendant  lasuit.  Aa4ieHd6  hftter  avec 
moi  les  péparatife  du  départ ,  mon  bftte  élaic  cownie 
pétrifié;  il  avait  toujours  quelqw  oiéchante  nrtooo  à 
m^objeeter  pour  me  retenir  encore  quelques  minutes. 
«  Qu'as4u  peur,  vat  deaut^il,  le  temps  est  magnifique, 
«  le  soleil  est  chaud  et  briRant^  la  soirée  ne  peut  pas  être 
«  froide...  »  Enfin,  après  nous  én*e  salués  le  plus  affec- 
tueusement possible,  ou ,  en  d'autres  termes ,  après  nous 
être  fait  les  adieux  en  braillant,  je  me  mis  en  route  accom- 
pagné du  lama. 

c  Quand  ROI»  eûmes  gravi  ime  haute  montagne ,  nous 
nous  trouvâmes  sur  le  Man^Hm^xe.  Le  vent,  qui  ne  se 
faisait  pas  remarquer  dans  ta  vallée,  était  pourtant  glacial 
et  violent  ;  il  passait  sur  la  figure ,  tranchant  et  aign 
comme  des  lames  de  rasoir.  La  neige ,  qui  était  tombées 
en  abondance  les  jours  précédents,  ajoutait  encore  i  b 
rîguetir  du  froid.  Pendant  l'hiver  eHèest  ici  peraumeme; 
l'orage  la  disperse  et  la  b:daie  de  côté  et  d'autre;  quel- 
quefois eHe  va  s^iocumider  dans  quelque  enfoncement ,  et 
alors  elle  devient  mamovible,  les  chaleurs  de  l'été  n'en 


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395 
fimdent  que  la  superficie.  Ce  jonr-ti  le  vent  enlevait  en 
tourbillons  cette  neige  glacée,  et  nous  la  lançait  avec 
fiolence  ;  c^était  à  peu  près  comme  si  on  nous  eût  jeté  au 
visage  des,  poignées  d'épingles.  Nous  ne  rencontrâmes  pas 
un  seul  voyageur  sur  le  Man-Hen-dze;  nous  aperçûmes 
seulement  au  loin  quelques  troupeaux  de  brebis  jaimes  et 
de  bouquetains  qui  s'enfuyaient  à  notre  approche ,  et  des 
optantes  qui  se  bittâitiit  emporter  dans  les  airs  par  la  ra- 
pîdiiéda  vent.  Lesôleil  vtMÎtdeseoeaeher  quand  noos 
encrâmes  ^iaiis  la  vaUée  des  Bamûo^oiret^  oè  les  bons 
«ttce»  dea  ebrétieia  chinois  qui  atieadaîoot  mon  retiNv, 
nova  firûBilyâHAt  oddîer  les  petites  ineommo 
rouie. 

«  Sans  doute,  mon  cher  Donatien,  qu'en  lisant  les 
quelques  pages  que  je  viens  de  t'écrire^  tu  t'es  formé  une 
idée  quelconque  de  cette  &mille  Tartare-Mongole ,  où  j'ai 
reçu  une  si  franche  et  si  cordiale  hospitalité.  Cependant 
j'ai  bien  peur  que  cet^  idée  ne  soit  pas  très^xacte  ;  je  vais 
donc  encore  ajouter  quelques  mots  et  essayer  de  la  rec^ 
Ufier.  Il  faut  maintenant  apf)eler  les  choses  par  leur 
nom.  Pendant  douze  jours  j'ai  donc  eu  pour  habitation  un 
palais;  les  Montons,  aveclesqueb  je  t'ai  foitEûre  connais 
sanee,  sont  tous  membres  de  la  iamiRè royale  du  royaume 
dé  Pé{é;  le  bon  Takoura  n^  ni  plus  m  moins  qu'un 
prince  du  sang  ;  les  filset  les  petks-fils  <fai  prinee  Takoura, 
tous  ces  enfùms  sales  et  morveux  sent  des  dues ,  des 
comtes,  des  barons,  des  marquis,  que  sais-je?  C'est  que 
les  ÊmriDes  prineières  ne  sont  pas  par  ici  dorées  et  nrt>a«^ 
tées  comme  en  Europe.  B  m'est  venu  en  pensée  que  tous 
les  monarques  de  TaflCiquité ,  tous  ces  rois  magnifiques 
qu'Homère  a  eu  l'exliêaie  f  omphisanre  4%ibilkr  si  riche- 
meot,  pourraient  fort  bien  aiveir^  des  personnages  à  la 
façon  dn  prinos  TaJummf  Qmaà  je  vejraiala  duehesse 


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396 
Biacfadie,  aax  habits  tout  reluisants  de  graisse  et  de 
beurre ,  se  traîner  manssadement  à  la  dteme  voisine  et 
charrier  avec  effort  Teau  nécessaire  au  ménage,  je  me  figu^ 
rais  ces  grandes  et  illusti*es  princesses  d'autrefois  qui ,  au 
dire  des  poètes ,  ne  dédaignaient  pas  de  porter  leurs  pas 
sur  les  bords  des  fontaines ,  et  de  purifiei*  de  leurs  royales 
mains  les  tissus  de  lin  et  de  soie... 

«  Et  pour  te  bien  persuader  cpie  le  prince  Takonra  est 
en  effet  un  haut  et  puissant  personnage,  un  grand  seigneur 
s'il  en  fut  jamais ,  je  dois  ajouter  que  sur  sa  ten^Cèodale , 
autour  de  sa  royale  habitation ,  il  possède  qudques  Ëimilles 
d'esdaves.  Oh  1  je  t'en  prie ,  ne  va  pas  l'efiaroucber;  que 
cette  idée  d'esclavage  ne  resserre  pas  trop  fort  tes  entrailles 
constitutionnelles.  L'esclavage,  tel  que  je  l'ai  vu  mis  en 
pratique  dans  la  vallée  des  Mûriers,  ne  m'a  pas  paru  quel- 
que chose  de  bien  affreux  ;  le  plus  lîgide  républicain  n'y 
trouverait  certainement  rien  à  redire  :  les  princes  et  les 
esclaves  traitaient  toujours  d'égal  à  égal  ;  ils  prenaient 
ensemble  le  thé^  s'offraient  mutuellement  la  pipe  quand 
ils  fumaient  ;  lesenCants  jouaient  et  se  battaient  ensemble, 
le  plus  fort  assommait  le  plus  foible,  qu'il  fût  comte  ou 
esclave...  et  voilà  tout. 

«  Je  dois  pourtant  avouer  qu'ils  rougissaient  et  ;|vaien( 
honte  de  dire  qu'ils  étaient  esdaves  :  ce  burlesque  sobri- 
quet n'avait  pas  trop  l'air  de  les  flatter.  C'est  qu'en  effet 
l'esclavage,  si  mitigé  qu'on  le  suppose,  ne  se  trouve  pas  a 
b  hauteur  de  la  dignité  humaine,  et  voilà  pourquoi  il  a 
été  insensiblement  abdi  partout  où  l'Evangile  a  pénétré. 
Si  plus  tard  il  vient  à  être  chassé  du  sol  de  la  Tarlarie , 
ce  sera  encore  l'œuvre  du  christianisme. 

'  «  Avant  de  clore  celte  lettre,  il  est  peut^tre  bon  que 
Je  prévienne  une  observation  que  tu  pourrais  me  faire, 
sur  ce  que  ma  lettte  ne  rappelle  pas  souvent  le  souvenir 


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397 
d*un  Missionnaire  apostolique.  Usant  de  ton  privilège  de 
chicane^  tu  pourrais  me  demander  comment  il  se  fiiit 
qu'étant  parti  de  France  avec  mission  de  prêcher  l'Evan- 
gile et  de  combattre  l'idolâtrie ,  j'aille  jusque  dans  les  pa*- 
godes,  vivre  familièrement  avec  des  lamas,  être  témoin 
de  leurs  cérémonies  idolâtriques ,  me  coudoyer,  pour 
ainsi  dire,  avec  les  statues  de  Fo,  respirer  en  un  mot  un 
atmosphère  d'erreur,  et  pourtantretasir  la  vérité  captive... 
Il  est  écrit  :  Quomodà  eredeni et ,  quem  non  audieruni? 
juomodô  auiem  audieni  $ine  prœdicanteP  quomodà  verâ 
prœdieahminisi  miiianiur  (1)  ?  Et  s'il  m'était  permis  d'a- 
jouter un  mot  aux  paroles  de  saint  Paul,  je  pourrais  en- 
core (Hre  :  Et  comment  prêcheront-ils ,  s'ils  ne  savemt  pas 
parier  ?  Avant  donc  que  de  prédier  aux  Mkmgous ,  je  dois 
chercher  à  apprendre  la  langue  mongole.  La  petite  pagode 
ou  j'ai  été  me  paraît  un  endroit  très-&volrable;  mais  ti 
de  prime  abord  j'allais  dire  à  xe&  lamas  :  «  Brûlez  ce  que 
vous  adorez,  »  je  me  priverais,  sans  contredit,  du  moyen 
d'apprendre  une  langue  qui  m'est  pourtant  indispensable^ 
et  que  je  ne  puis  étudier  que  diez  les  paient.  Quand  je 
saurai  le  mongou ,  je  n'aurai  plus  rien  à  ménager  ;  les  per- 
sécutions qui  pourront  s'élever  ne  me  feront  pas  reculer, 
je  l'espë^e.  Ainsi  donc,  patience  encore  qndque  temps  ; 
dans  ma  prochaine  lettre  tu  recevras ,  si  Dieu  le  veut^  des 
détails  apostoliques.  Au  mois  de  mai  j'irai  me  fixer  dans 
cette  petite  pagode,  et  je  n'en  sortirai  que  lorsque  jeserai 
capable  de  parler  correctement  et  rondement  h  langue 
mongole.  Nous  avons  dit  nos  conventions  avec  le  sous» 
supérieur  qui  m'a  paru  le  plus  instruit  et  le  plus  studieux 


(1)  ComiDflot  croinmt-Us  en  lai ,  f'iU  b'«o  ooI  point  catondn  ptrier  r 
Ettommeot  en  eateadronl-ib  ftrier,  fi  pecMmie  m  Irar  prêche?  El 
inMMiil  Umt  prècliera-l-M,  li  Om  m' mi  «BToy4  ?  (8.  Pi«l  ata  Rom.X, 


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308 

de  la  oommoiuaité*  Jeldj^erai  daB&samaîsefiiieiie^ils'eit 
charge  de  m'apprendre  le  moigoa  ei  le  thibetaio  :  ea  re* 
vancbe  j'ai  pris  ïeafpigsm&at  de  lui. donner  des  leconsile 
mandchou  ec  de  chinois.  Quoique  je  ne  sois  pas  fort  dass 
ces  deux  langues,  ce  sera  une  bonne  occasion  pour  moi 
d'y  £iire  quelques  progrès  ;  car  on  n'apprend  jamais  mieux 
une  chose  que  liU'squ'on  esc  obligé  de  l'enseigner  aux 
autr^. 

«  Adieu ,  mop  cher  Donatien*  Me  soyez  nullemeot  es 
sollicitude  sur  mon  compte.  Je  vous  embrasse  lous  de 
toute  l'affection  de  mon  cœur. 

.  «  E.  Hoc,  Mistiaimaire  ffetkdijw.  > 


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399 


MISSIONS  DU  BRÉSIL. 


Lettre  du  P.  Joêq^Satôj  Misiimmaire  ie  la  Compagnie 
deJéêUi,  à  «m  fiire  de  ja  même  Compagnie.  (Tra^ 
doctioD  de  TespogooL) 


Forto-AJ^rc  (Provmce  de  Rio-Gfaadt  d«  Sod  dam  le  Brëul), 


«  M09  BéviftERD  Pèbs  ^ 

«  Çesi  sffx  retour  d'une  Mission  que  nous  venons  de 
donner  dans  le  nord  de  cette  province ,  que  j'ai  reçu 
yotre  leftre.  Elle  m*a  tàk  bien  du  {>bisÉr  »  et  pour  vous 
<D  lénoigner  leuie  ma^reconoaissaiioe,  je  m'empresse  de 
TMft  eatoysr  une  petHe  rdation  de  celle  course  apo- 
«Krfiqtte,  qui  a  élépoor  moi  la  pramière  dans  te  aoaveaii 
monde. 

«  Nous  étions  partis,  le  P.  Sfertos  et  moi,  le  1 1  avril, 
pour  nous  rendre  aux  Champê  de  f^acaria ,  situés  à  une 
distance  d'environ  soixante  Kenes  de  Porto- Alegre.  Voas 
serez  sans  doute  étonné  d'apprendre ,   mon  révérend 

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400 
Père  I  que  malgré  la  vitesse  des  chevaux  et  notre  marcbe 
accélérée ,  il  nous  a  follu  sept  jours  pour  arriver  à  notre 
destination;  mais  votre  étonnement  cesserait  bientôt,  si 
vons  pouviez  voir  ces  chemins  et  ces  déserts.  En  allant 
et  en  venant,  nous  dûmes  traverser  par  deux  fois  des  forêts 
habitées  par  des  Indiens  féroces  :  la  première  où  nous 
nous  engageâmes  n'avait  pas  moins  de  cinq  lieues ,  et  la 
seconde  était  de  trois  lieues  environ.  Le  sentie  est  très- 
scabreux  et  triste  sous  tous  les  rapports;  on  ne  finit  que 
gmyiv  et  descendre  des  montagnes  très-élevées ,  ooa- 
'vertes  de  toutes  sortes  d*arbres  sauvages;  à  chaque  pas 
les  pierres  et  les  rochers  vous  barrent  le  passage  ;  et 
<Ittand  ils  laissent  une  issue ,  elle  est  si  étroite ,  que  bien 
auvent  un  homme  à  cheval  a  de  la  peine  à  en  suivre  les 
détours  sans  se  blesser  ;  à  droite  et  à  gaudie  vous  n'avez 
qu'une  masse  d'arbres  qui  vous  empêchent  de  rien  voir  à 
quelques  pas  de  distance.  Dans  certains  endroits ,  engagé 
sous  une  sombre  voûte  de  feuillage  qui  ne  permet  pas 
même  de  découvrir  le  ciel ,  on  doit  traverser  de  si  grands 
bourbiers,  qu'il  y  a  danger  pour  le  cheval  et  le  cavalier 
d'y  rester  ensevelis ,  à  la  première  méprise  ou  disurac- 
tion  des  guides.  Il  faut  enfin  s'ouvrir  de  temps  en  temps 
de  nouveaux  passages  en  se  jetant  dans  l'épaisseur  du 
boiS|  après  avoir  mis  pied  à  terre  et  coupé  quelques  arbres* 

«  Ajoutez  &  tout  cela  la  crainte  continuelle  de 
tomber  dans  quelque  embuscade  des  Indiens^  qui  se 
trouvent  là  diez  eux,  et  font  de  fréquentes  sorties  contre 
les  passants  qu'ils  poursuivent  de  leurs  flèdies  pour  les 
tuer ,  ou  les  obliger  du  moins  k  quitter  la  forêt  avec 
prédpitation.  Le  pb  est  que  dans  ces  malheureuses  ren- 
contres il  est  bien  diflkile  d'échapper  de  leurs  mains  ; 
car  à  travers  ces  arbres,  cesrodiers,  ces  bourbiers  et  ces 
ravins  dont  j'ai  parlé ,  et  mille  autres  (d)sudes  contre 

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401 
lesquels  il  faut  lutter  à  la  fois,  on  ne  peut  ni  courir  à 
pied ,  ni  précipiter  sa  fuite  à  cheval. 

«  Nous  avions  ainsi  marché ,  les  uns  h  la  suite  des 
antres,  pendant  une  journée  tout  entière,  quand  la  nuit , 
avec  ses  ténèbres  qui  paraissaient  au  milieu  de  ces  bois 
bien  plus  épaisses  que  partout  ailleurs ,  vint  nous  sur^ 
prendre.  Il  n'était  pas  possible  de  continuer  noure  mardie, 
et  force  nous  fut  d'attendre  sous  un  arbre  le  retour  da 
soleil.  Nous  allumâmes  nn  grand  fen  potfr  nous  défendre 
da  froid  et  pour  épouvanter  les  bétes  fauves  qui  parcoo-* 
rent  ces  forêts.  Le  profond  silence  qui  y  règne  le  jour  et 
fai  nuit,  silence  qui  n'est  interrompu  que  par  les  rugisse* 
ments  de  quelque  tigre  ou  de  quelque  pandière  par  lés 
cris  du  bugio  (c'est  une  espèce  de  singe  rouge)  par  te 
bruit  d'un  grand  nombre  de  sangliers  qui  rôdent  ensem- 
ble, ou  par  le  vent  qui  agite  les  branches  de  ces  arbres 
majestueux  ;  enfin  la  proximité  des  Indiens  qui  sont  presque 
tonjoursen observation  :  tout  cet  ensemble  rnspâre  une  cer- 
tasie  horreur  qui  n'est  pas  fiE^dle  à  décrire,  et  qui  se  &H 
sentir  même  au  cœur  du  Missionnaire.  Cep^dant  avec 
l'aide  du  ciel  nous  sortîmes  sains  et  saufs  de  ce  mauvais 
pas. 

«  Le  jour  suivant ,  après  avoir  traversé  deux  grandes 
rivières,  dxmi  l'une  est  très-dangereuse  par  la  rapidité 
de  son  cours,  nous  parcourûmes  trois  lieues  de  désert 
sous  une  pluie  torrentielle^  qui  nous  trempa  jusqu'aux 
os,  et  noos  obligea  de  mettre  pied  à  terre,  de  crainte  âm 
tomber  éûas  d'affreux  précipices  avec  nos  chevaux  qui 
giissaientcontinuellement.  C'estainsique  nous  marchâmes 
jusqu'à  kl  nuit ,  presque  sans  avoir  pris  la  moindre  noup- 
riture ,  et  nous  arrivâmes  avec  peine  à  une  cabane ,  oà 
uae  pauvre  femme  nous  reçut  avec  grande  charité,  et 
mom  logea  de  mm  mieux.  Le  lendemain ,  malgré  la  pluie 
TOB.  xm.  IW.  ^9'^'^^^  by  ee3ogle 


402 

cous  résolûmes  de  continuer  notre  voyage,  et  nous  &tieî- 
gnlmes  enCa  le  lieu  désigné  pour  oofflmenoer  la  Mission. 

a  Vous  savez,  mon  révérend  Père,  que  ce  pays 
porte  le  nom  de  Champs  de  Facaria  (de  -vacherie)  panoe 
que  c'était  dans  ces  parages  que  nos  anciens  conTrères 
faisaient  élever  (es  troupeaux  destinés  à  Tentretien  ec  i 
la  nourriture  de  leurs  néophytes,  les  Indiens  Cwirm^is. 
Vous  comprendresK  facilement  comtnen  la  vue  de  ces  forêts 
et  de  CCS  champs ,  jadis  témoins  des  efforts  et  des  vertus 
de  nos  Pères  ,  devait  nous  suggérer  des  réflexions  de  tom 
genre.  Elles  s'offraient  en  foule  à  notre  espriû  Le  souvenir 
de  leurs  immenses  travaux ,  par  lesquels  ils  étaient  par- 
^uus  à  adoucir  les  mœurs  féroces  de  ces  sauvages  ,  à  les 
civiliser  ,  à  les  instruire  si  parfaitement  dans  les  vérités 
de  la  foi ,  qu'ils  firent  l'admiration  du  monde  par  leur 
piété ,  produisait  en  nous  un  charme  inexprimable ,  et 
nous  encourageait  à  surmonter  tous  les  obstacles  pour 
devenir,  sur  le  théâtre deleurs  succès,  le&imitateur&fidèifis 
d'un  aussi  noble  dévouemept. 

tt  Les  forêts  qui  entourent  de  toute  part  le  territoire 
connu  sous  le  nom  de  Champs  de  Facaria ,  sont  habitées 
par  des  Indiens  plus  ou  moins  sauvages.  Parmi  eux  pn 
distingue  doux  nations  d'un  caractère  très-cruel  :  l'une  se 
compose  des  BokcudoSj  ainsi  appeléi  à  cause  d^un 
trou  qu'ils  se  forment  sous  la  lèvre  intérieure^  par  lequel 
ils  sifflent  d'une  manière  horriUe ,  soit  en  attaquant  leurs 
ennemis ,  soit  pour  se  denumder  mutuellement  Au  secours 
-dans  les  rencontres  difficiles;  l'autre  porte  le  nom  de 
Car<madoSf  parce  qu'ils  ont  sur  la  tête  u&e  courooiic 
ou  tonsure  semUable  à  celle  de  nos  préù^.  €es 
deux  tribus  irrécoBciliable&  se  font  une  guerre  atraoe; 
leurs  armes  sont  des  péchas  et  de  petites  laoces; 
ks  B^kûudotj  les  arcs  .et  ks  flèdiét  aMt-d'uae  dû 

••   DigitizedbyLjOOQlC 


403 
son  bien  plus  grande  que  chez  les  Coronados  :  les  uns  ec 
les  autres  ont ,  du  reste,  grand  soin  de  les  orner  avae 
tOHte  la  recherche  possible. 

«  Ces  Indiens  ne  font  usage  d'aucun  vêtement  ;  ils  ftoat 
très-forts,  et  sortent  rarement  de  leurs  forêts.  Us  n'asdail* 
lent  les  passants  que  quand  ils  sont  sûrs  de  leur  coup^ 
ce  qui  les  oblige  à  rester  quelquefois  .plusieurs  jours  en 
cbservaUon  pour  mieux  atteindre  leur  but  :  les  malheureux 
qui  tombent  entre  leurs  mains  sont  toujours  impitoyd)le« 
WÊiaa  massacrés  ;  mais  leurs  effets  sont  laissés  intacts ,  & 
Boîns  qu'ils  ne  contiennent  du  fer.  Ce  métal  étant  Puni- 
que objet  de  leur  convoitise ,  ils  Tenièvent  avec  empres^- 
«efloent  :  contean ,  don ,  serrure ,  tout  est  bon  pour  eux  ; 
ikr  l'arrangent  et  s'en  servent  pour  leurs  flèches  et  leurs 
ianees.  Le  reste,  et  même  l'argent,  est  abandonné, excepté 
peot-étre  quelques  pièces  de  monnaie  pour  orner  le  coU 
des  Indiennes. 

«  Mais  il  est  bien  temps,  mon  révérend  Père,  de 
revenir  à  notre  Mission  de  Facaria.  Arrivés  à  l'endroit 
où  elle  devaitcommeucer,c'est4-dire  à  une  petite  cabane 
ibrmée  de  roseaux ,  nous  eàmes  le  bonhem*  d'y  réunir  en 
peu  de  jours  environ  quatre  cents  personnes.  Cet  audi« 
loire  qui ,  sans  doute,  vous  paraîtra  bien  petit ,  surpassa 
cependant  de  beaucoup  nos  espérances  ;  car  le  pays  est 
presque  désert  et  les  haUtanls  demeurent  très-éloigués 
les  uns  des  autres.  Pendant  treize  jours  que  nous  restâmes 
là  »  notre  prhicipale  occupation  fut  d'apprendre  à  ces 
ftttvresgens  les  premières  vérités  de  notre  sainte  Beligion , 
ignorées  d'un  grand  nombre  :  leur  abandon  avait  été  si 
absolu,  que  la  plupart  ne  s'étaient  jamais  approchés  des 
sMreipcnts ,  et  que  plusieurs  n'avaient  pas  même  Tûf)â 
le  baptême*  Mous  eûmes  la  consolation  d'en  v^ésAtat 
près  d'une  centaine^  nous  fîmes  aussi  quelques iuaria||i^ 

[^^dbyLjOogie 


404 
et  nous  arrangeâmes  les  différends  qui  existaient  entre 
les  familles. 

«  De  là  nous  nous  rendîmes  au  point  central  des  Champs 
de  Vaearia,  à  une  dislance  d'environ  quatorze  lieues  vers 
Touest,  ou  Ton  trouve  une  petite  église  qui  tombe  en  rui- 
nes ;  nous  y  employâmes'  quinze  jours  aux  mêmes  tra- 
vaux et  avec  le  même  fruit  que  dans  la  Mission  précédente. 

€  Pour  vous  former  une  idée  de  l'ignorance  de  ces  pau- 
vres Indiens  et  de  leurs  besoins  spirituels ,  il  suflQra  de 
vous  dire  qu'ils  passent  plusieurs  années  sans  voir  d'au- 
tre ecclésiastique  que  quelque  prêtre  en  voyage  :  peut- 
être  s'arrêtera-t-il  un  ou  deux  jours  parmi  eux  ;  mais 
quand  la  nouvelle  arrive  aux  habitants  les  plus  rappro- 
chés de  la  cabane  qui  a  eu  le  bonheur  de  le  recevoir  , 
ce  prêtre  est  déjà  parti  pour  continuer  son  itinéraire. 
Aussi  les  mauvaises  herbes  poussent-elles  de  fortes  raci- 
nes dans  un  champ  si  inculte ,  et  il  faut  bien  de  la  patien- 
ce pour  les  en  arracher.  Cependant  le  Missionnaire ,  appe- 
lé à  cette  œuvre  difficile,  n'est  pas  sans  consolation  au 
milieu  de  ses  fatigues  et  de  ses  embarras  ;  la  joie  la  plus 
pure  monde  son-  cœur  en  voyant  les  effets  admirables  de 
la  grâce  divine  sur  ces  esprits  simples  et  dociles.  Rien  ne 
peut  les  détourner  de  la  Mission  :  pour  y  assister  ils  aban- 
donnent leurs  cabanes;  ils  font  plusieurs  lieues  de  che- 
min chargés  de  leurs  provisions,  et  portant  sur  leurs 
épaules  les  petits  enfants  qui  ne  peuvent  pas  marcher  ;  ib 
supportent  le  froid ,  la  pluie  et  des  privations  de  tout 
genre.  J'ai  été  extrêmement  touché  de  leur  constance  à  se 
rendre  à  nos  instructions,  et  du  recueillement  avec  le- 
quel ils  nous  écoutaient,  malgré  un  froid  si  intense  que  je 
ne  me  souviens  pas  d'en  avoir  jamais  éprouvé  de  pareil  ; 
Ut  manquaient  d'ailleurs  de  tout  abri  pour  s'en  défendre, 
dtf  ils  sont  dans  le  dénèment  le  plus  complet. 

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405 

«  Nous  avons  eu  le  bonheur  de  remettre  ces  pauvres 
gens  dans  la  voie  de  la  vertu  et  de  la  religion  ;  ils  se  sont 
approchés  des  sacrements  de  pénitence  et  d'Eucharistie  ; 
les  ennemis  se  sont  publiquement  réconciliés  ;  la  récita- 
tion journalière  du  chapelet  a  été  introduite  dans  tou- 
tes les  familles  y  et  nous  avons  enfin  terminé  la  Mission 
par  la  plantation  solennelle  de  la  croix ,  que  ces  néophy- 
tes se  font  un  devoir  de  visiter  fréquemment.  Voilà ,  mon 
révérend  Père,  le  fruit  de  nos  fatigues.  Depuis  notre  re- 
tour ,  j'ai  repris  Texerdce  du  saint  ministère  dans  cette 
ville  ;  et  le  Père  Coris ,  dont  la  santé  nous  avait  donné  des 
craintes ,  se  dispose,  maintenant  qu'il  est  rétabli ,  à  re- 
commencer ses  excursions  avec  le  Père  Martos.  Ces  deux 
Pères  vous  présentent  leurs  respects ,  et  je  vous  prie 
aussi,  mon  révérend  Père,  d'agréer  l'assurance,  etc* 

«  Joseph  Satô  , 
Missionnaire  de  la  compagnie  de  Jésus,  ê 


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406 


ijttM  du  P.  Miehel  Cabezay  Misiionnmre  de  la  Compm 
gmê  dé  Jésus  ^  à  un  Père  de  la  mêmeCon^agnie,  (Tf»» 
dtictioD  de  l'espagnol.) 


Do  DMkf  ro  (Provinct  de  Ste-Catherme  dons  le  BrëMM 
leJOaoûllSU. 


C  Mon  RÉVBRBND  PÈRB  , 

«  Je  ne  saurais  vous  exprimer  la  joie  que  votre  leltre 
est  yenue  m^apporter  au  milieu  de  mes  montagnes.  Elle  a 
été  pour  moi  œ  qu'ont  toujours  été  vos  instructions  :  ma 
force  I  ma  consolafion  et  ma  lumière.  Vous  jugerez  dn 
besoin  que  j'aide  vos  conseils  »  au  récit  des  circonstances 
difficiles  où  me  place  l'exercice  de  mon  ministère. 

«  Sainte-Catherine ,  oh  je  débarquai  le  30  avril  1843, 
est  une  des  provinces  méridionales  de  l'empire  du  Brésil 
située  entre  Rio-Janeiro  et  Rio-Grande.  Elle  est  divisé* 
en  deux  parties,  —  le  continent  et  l'île  du  même  nom,  — 
séparées  par  un  bras  de  mer  de  trois  cents  pas  de  lar- 
geiur.  Dans  toute  la  province  il  n'y  a  que  dix-sept  pa- 
roisses i  six  dans  l'ile  et  onze  sur  la>  terre  ferme,  très- 
étendues,  mais  peu  peuplées  et  mal  distribuées.  Les 
naturels,  pauvres  pour  la  plupart,  sont  disséminés  d^ns 
les  montagnes  et  les  déserts,  et  habitent  des  maisons 
d6  terre  couvertes  en  chaume,  où  il  n'y  a' d'autre  meubte 
qu'une  simple  natte.  Un  pantalon  de  toile ,  une  chemise 
de  cotOB  I  un  chapeau  de  paille,  voilà  tout  leur  habille« 


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401 

ment;  ils  ont  pour  diaossure  une  espèce  de  sandale 
appelée  Tamango,  formée  d^une  semelle  de  bois  et  d'une 
empeigne  de  cuir  qui  embrasse  la  moitié  du  pied.  Leur 
nourriture  consiste  en  Parotas  ou  haricots ,  en  maïs  et 
en  viande  sèche  quand  ils  peuvent  s'en  procurer.  Malgré 
l'ignorance  où  il  croupissent,  on  découvre  en  eux  un  fonds 
de  foi  et  de  religion  qui  présente  de  grandes  ressources 
aux  ouvriers  évangéliques.  Il  suffit  de  leur  proposer  les 
vérités  du  salut  pour  les  ramener  à  la  pratique  du  bien. 

c  Aussitôt  après  mon  arrivée  à  la  capitale,  mon  pre- 
mier soin  fut  d'étudier  la  langue  portugaise  qu'on  parlô 
dans  ce  pays.  Au  bout  d'un  mois  je  commençai  à  faire  le 
catéchisme  aux  enfants  dans  l'église  du  Rosaire,  qui 
appartient  aux  nègres,  et  même  de  petites  instructions 
que  j'étais  obligé  d'écrire  et  d'apprendre  par  cœur.  Je 
trouvai  d'abord  tant  de  difficultés  dans  cette  étude ,  que 
si  le  motif  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des  âme$ 
ne  m'avait  soutenu,  l'amour-propre  m'aurait  fait  tout 
abandonner  ;  je  surmontai  toutefois  ma  répugnancei 
naturelle,  dans  l'espoir  qu'avec  l'exercice  je  parviendrais 
enfin  à  me  faire  bien  comprendre.  Dieu  voulut  récom*- 
penser  celte  constance  qu'il  me  donnait  lui-même  ;  le  con- 
cours augmentait  chaque  jour  et  remplissait  la  petite 
église  ,  où  j'établis  la  dévotion  journalière  du  chapelet , 
si  propre  à  toucher  le  cœur  de  la  sainte  Vierge. 

«  Sm*  €99  emreGMtM)  les  PP.  Vilà  et  Lopez  arrivèrene 
et  s'aBSOoièMot  à  mes  travaux*  Ce  renfort  m'eacoorsiBMw 
Pimdaiit  q«eh|ue  temps  encore,  prêcher,  coninMr, 
liater  ka  prisons  et  les  hèpîtaiix  fiirttit  nos  oocupaliiaf 
ordîiairBS,  jiwiii'à  os  ipi^ayant  acquis  assez^  de  finiirt 
(tans  larlangue,  no»  confàmss  un  plan  plus  vaste.  Nonft 
étions  bien  iafonnés  da  malheureux  état  du  pays  par 
«apport  à  b  religios  ;  et,  pour  y  remédier,  nousprhi» 


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408 
la  résolution  de  faire  des  Missions  dans  toute  la  province , 
d^abord  dans  les  paroisses  de  File,  ensuite  dans  celles  do 
continent ,  et  enfin  dans  la  capitale. 

«  Vousn^attendez  pas  que  je  tous  donne  tous  les  détails 
de  nos  excursions  ;  ce  serait  trop  pour  une  lettre.  Je  me 
contenterai  de  dire  un  mot  du  nombre  des  Missions  que 
nous  avons  faites,  de  Tempressement  du  peuple  à  y  assister, 
des  difficultés  qui  ont  éprouvé  notre  zèle ,  et  du  succès 
dont  nos  fatigues  ont  été  couronnées. 

c  Nous  avons  parcouru  jusqu'à  présent  quinze  pa- 
roisses ;  dans  ce  nombre ,  il  en  est  qui  ont  une  étendue 
de  quatre,  cinq,  et  même  de  vingt-deux  lieues.  Les  che* 
mins  sont  bordés  de  précipices  ou  entrecoupés  de  rivières 
et  de  marais.  Vous  concevez  par  laque  les  habitants, 
surtout  les  plus  pauvres  qui  allaient  à  pied ,  devaient 
essuyer  de  grandes  fatigues  pour  assister  aux  exercices 
reUgieux;  les  autres  y  venaient  par  eau  dans  des  pirogues, 
ou  à  cheval,  ou  sur  des  chars  quand  la  route  le  permet- 
tait. Pour  leur  épargner  cette  peine ,  nous  faisions  quel- 
quefois de  petites  Missions  dans  des  bourgades  intermé- 
diaires. 

«  Mab  la  plus  grande  difficulté  pour  eux,  c^était  de  se 
procurer  un  habit  convenable.  Dans  les  montagnes,  oà 
Us  sont  presque  toujours ,  un  vêtement  ordinaire  leur 
ioffit,  et  ils  n'en  ont  point  d'autre  pour  assister  à  de  sem- 
bbdldes  réunions,  dans  lesquelles  ils  ne  veulent  cependant 
pat  ae  présenter  en  pauvres.  Or ,  pour  avoir  cet  habit,  ils 
tendent  quelquefois  les  firuits  qui  leur  sont  nécenaires 
fmtr  subvenir  aux  [M*emiers  besoins ,  on  ib  l'achètent  à 
crédit ,  ou  ils  l'empruntent  au  moins  ponr  recevoir  les 
incréments.  Dans  une  occasion  Je  disais  k  im  pénitnnt 
de  revenir  dans  trob  ou  quatre  jours,  et  il  me  répon- 
dit :  «  Mon  Pire,  je  ne  puis  pas;  cet  habit  appartient  à 


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409 
«  iiD  attire,  qui  m^a  dit  de  le  lui  rendre  tout  de  suite,  car 
«  il  doit  communier  demain.  »  Cet  usage  est  très-général  ; 
et,  soit  orgueil ,  soit  bienséance ,  ik  y  tiennent  beaucoup, 
et  il  n'est  pas  possible  de  les  y  faire  renoncer. 

«  A  ces  obstacles  se  joignent  les  intempéries  de  la 
saison  ;  mais,  pour  leur  salut,  ces  bons  fidèles  se  con- 
danment  à  tous  les  sacrifices.  Quelquefois  nous  vou- 
lions suspendre  la  Mission,  dans  la  pensée  que  Torage  les 
empêcherait  de  se  rassembler  ;  mais  lorsque  nous  comp- 
tions pouvoir  respirer  un  peu ,  nous  voyions  arriver  des 
groupes  de  vingt  ou  trente  personnes ,  toutes  trempées  et 
couvertes  de  boue,  et  nous  étions  forcés  de  continuer 
notre  travail.  L^auditoire  a  toujours  été  nombreux  ;  nous 
y  avons  compté  jusqu^à  trois  ou  quatre  mille  âmes.  Dans 
ces  grands  concours,  l'église  ne  pouvant  pas  contenir 
toat  le  monde ,  il  fallait  placer  la  diaire  près  de  la  porte, 
afin  que  ceux  qui  étaient  dehors  pussent  nous  entendre. 

«  Nos  prédications,  grâce  à  Dieu,  ont  porté  leurs 
fruits  :  elles  ont  amené  autour  de  nos  confessionnaux  une 
multitude  de  pénitents ,  dont  la  persévérance ,  nous  Tes- 
pérons,  nous  fera  oublier  nos  fatigues. 

«  Partout  le  ciel  a  répandu  ses  bénédictions  sur  nos 
tmvaox  ;  partout  il  y  a  eu  des  scandales  réparés ,  des 
haines  invétérées  assoupies ,  des  désordres  détruits.  Aus- 
aitAt  que  la  Mission  s'ouvrait  dans  nn  village,  les 
eonemis  savaient  déjà  qu'ils  devaient  se  réconcilier;  et , 
chose  admirable  1  peu  de  joursaprès,  des  hommes  qui 
amdent  conservé  pendant  plusieurs  années  un  ressenti- 
ment mortel,  s'embrassaient  publiquement;  il  arrivait 
•ouvent  que  l'ofibiisé  allait  chercher  l'agresseur  avec  le 
même  désir  de  se  réconcilier  avec  lui ,  que  s*it  avait  été 
lui-même  le  coupable.  Telle  est  la  force  d'en  haut!  Des 


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410 

personnes,  témoins  de  ces  changemesls,  ne  sayaie&t  eom^ 
ment  nous  en  exprimer  leur  admiration. 

«  Quant  à  nous,  mon  révérend  Père ,  en  présence  de 
ces  prodiges  de  la  grâce ,  nous  sentons  à  peine  les  priva- 
tions ,  les  fatigues ,  les  souffrances ,  au  prix  desquelles 
le  Seigneur  veut  bien  les  accordcTé  II  est  vrai  que  sou- 
vent les  choses  les  plus  nécessaires  nous  manquent  :  un 
peu  de  riz  et  des  haricots  cuits  à  Teau  ont  été  notre 
nourriture  la  plus  ordinaire  ;  il  faut  souffrir  de  la  cha- 
leur ,  du  froid ,  des  orages  et  des  insectes  ;  mais  tout 
cela  devient  léger  à  un  ministre  de  Jésus-Christ  crucifié 
pour  le  salut  des  âmes.  Et  d'ailleurs  ,  quels  sacrifices  au- 
raient pu  nous  coûter,  en  voyant  ces  généreux  fidèles  venir 
avec  tant  de  confiance  et  d'émotion  chercher  à  nos  pieds  le 
remède  à  leurs  maux  ? 

«  Pour  la  plus  grande  gloire  de  la  divine  bonté  qui 
opère  partout  des  prodiges  de  sa  miséricorde,  laissez-^mot 
vous  dire,  entre  autres  spectacles  de  vertu  que  nous  avons 
rencontrés  au  fond  de  ces  forêts ,  la  constance  admirable 
d'un  pauvre  esclave.  Un  jour  que  je  lui  demandais  s'il  ne 
fréquentait  pas  les  assemblées  trop  souvent  funestes  des 
autres  nègres  de  sa  condition  :  «Non,  me  répondit-il; 
«  quand  mies  camarades  ai'invilent  à  prendre  part  à 
«  Wurs  fêtes  dissolues ,  je  m'y  refuse  en  leur  disani  cpie 
«  j'ai  une  âme  que  je  dois  rendre  à  mon  Créateur,  ai 
«  que  je  ne  veux  pas  la  perdre.  »  J'hésttaisà  croire  à  ont 
vie  si  pure  dans  un  esclai»*  Je  lui  demandai  s'il  réduôcte 
chapelet  ou  quelque  autre  pri^.  «  Oui ,  mmi  Père* , 
«  ajonta-t-il  ;  je  sais  Ure,  et  tous  les  soirs,  avant  de mr 
<  coucher  y  je  dis  le  petit  oflBce  de  la  sainte  Vierge.  «  Je 
compris  alors  que  sa  conduite  exemi^aîre  était  VefiM 
d'une  protection  spéciale  de  la  Mère  de  Dieu. 

c  Le  chiffre  total  des  confessions  que  nous  avons  en- 


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4tt 

tendaes  dans  tontes  nos  excursions,  est  de  quatorze  mille 
emriron.  Elles  auraient  été  plus  nombreuses,  s^il  y  aYait 
eu  plus  de  confesseurs^  Nous  a^ons  administré  le  bnptême 
n.pltts  de  soixante  enfants  et  adirites  :  parmi  ceux-ci^  il 
y  avait  un  protestant  allemand  qui  est  rentré  dans  le  sein 
de  réglise.  La  plupart  des  enfiints  baptisés  appartenaient 
au  district  le  plus  abandonné  de  la  province;  c'est 
un  désert ,  regardé  comme  un  lieu  d*asile  pour  leV 
criminels.  Les  émigrés  de  tous  pays ,  qui  y  habitent  au* 
nombre  de  quatre  cents  familles  ,  subsistent  de  la  pêche 
et  de  la  chasse,  et  manient  le  ftisîl  et  le  poignard  avec* 
une  dextérité  qui  devient  une  source  de  meurtres.  Sans 
temple,  sans  prêtre,  sans  autorité  capable  de  les  contenir, 
ils  vivent  dans  une  espèce  d'indépendance  du  ciel  et  de 
la  terre.  L'église  la  plus  prochaine  est  à  dix  lieues  de  dis* 
tance. 

«  Les  tristes  renseignements  qu'on  nous  donna  sur  ces 
malheureux  colons ,  nous  appelèrent  parmi  eux.  Une 
vieille  maison  de  chaume  nous  servit  de  logement  et  de 
chapelle  ;  nous  avions  pour  cloche  un  pistolet  dont  Texplo-, 
sion ,  comme  un  signal  convenu ,  appelait  aux  offices  cca 
pauvres  gens,  que  Ton  voyait  aussitôt  accourir  du  haut  de 
leurs  montagnes.  Cette  Mission  ,  dont  bien  des  circon- 
stances semblaient  devoir  rendjre  le  succès  très-incertain, 
a  parfaitement  réussi  ;  nos  néophytes  étaient  si  contents, 
qu'ils  ne  savaient  comment  montrer  leur  gratitude  pour 
le  bienfait  que  nous  leur  avions  procuré.  Maintenant  ils 
ont  l'intention  de  bâtir  une  ^lise ,  pour  avoir  auprès 
d'eux  un  prêtre  qui  les  dirige  et  leur  enseigne  les 
devoirs  qu'ils  avaient  toujours  ignorés ,  ou  qu'ils  n'avaient 
jamais  remplis. 

«  Dans  le  courade  nos  Missions  mnsB?av«nsrien  reçnv 
pas  même  la  plus  légère  amntee ,  afin  d'^oigner  d»  no« 


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412 
loot  soupçon  d'avaijce.  Par  là ,  ces  gens  connaltrout  que 
oe  que  nous  cherchons  dans  leurs  montagnes ,  ce  sont 
uniquement  leurs  âmes. 

«  D'après  tout  ce  que  je  vienà  de  vous  dire ,  mon 
révérend  Père,  il  vous  sera  facile  de  comprendre  Taffectîon 
et  la  reconnaissance  de  ces  habitants  pour  nous.  A  notre 
départ  de  chaque  paroisse ,  la  douleur  se  peignait  sur 
leurs  visages.  Tous  voulaient  que  nous  restassions  avec 
eux.  S'ils  ont  compris  que  cela  étaitimpo6sible,du  moins 
BOUS  ont-ils  conjurés  de  ne  pas  sortir  de  la  province  » 
dans  Tespoir  de  nous  entendre  encore.  Leur  plus  grand 
plaisir  est  de  recevoir  de  notre  main  une  petite  médaille, 
une  croix,  une  image  ou  un  chapelet.  Partout  les 
autorités  ecclésiastiques  et  civiles  ont  favorisé  nos  travaux, 
et  conuribué  au  succès  de  nos  Missions.  Les  curés  nous 
ont  donné  des  preuves  de  leur  dévouement.  L*un  d'eux  , 
âgé  de  trente-trois  ans ,  prêtre  de  beaucoup  de  moyens 
,  et  d'une  rare  vertu,  fut  si  ému  à  notre  séparation,  que 
les  sanglots  étouffèrent  sa  voix.  Il  écrivit  au  président  de 
là  province  de  nous  conserver  au  pays,  pour  le  plus  grand 
iMen  des  âmes.  En  effet,  aussitôt  que  nous  rentrâmes  à 
b  capitale ,  M.  le  gouverneur  accompagné  de  son  aide- 
de-camp  vint  nous  voir  ,  nous  remercia  de  ce  que  nous 
avions  bit  pour  les  habitants  de  Sainte-Catherine,  et  nous 
promit  sa  protection.  L'assemblée  provinciale  a  voulu  aussi 
montrer  sa  gratitude ,  en  nous  allouant  une  pension  an- 
nuelle d'environ  cinq  cents  francs ,   pour  le  loyer  de 
notre  maison  ;  elle  est  même  dans  rint«{ntion  de  Taug- 
monter  plus  tard ,  dans  le  double  intérêt  des  Missions  et 
de  rittstruction  publique.  Qu'en  sera-t-il  ?  je  l'ignore  ; 
chaque  fois  qu'on  nous  parle  de  cette  affaire ,  nous  répon- 
dons que  nous  dépendons  de  nos  supérieurs  qui ,  bien 
informés,  ordonneront  ce  qui  sera  plus  agréable  à  Dieu 
ec  plus  convenable  i  l'utilité  de  ce  bon  peuple. 


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413 

«  Voilà,  mon  révérend  Père,  Pétat  des  choses  dans 
œtte  contrée.  Il  me  reste  à  vous  dire  que  le  mois  d'oo- 
tobre  prochain  nous  partirons  pour  le  nord ,  où  nous 
passerons  trois  ou  quatre  mois;  ensuite  nous  reviendrons 
faire  la  Mission  à  Do  Desterro,  et  nous  aurons  ainsi  par- 
couru toute  la  province  de  Sainte-Catherine. 

«  Agréez ,  etc. 

«  Michel  Càbbza,  Missiofmaiu  de 
la  Compagnie  de  Jésus.  • 


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414 


Extraù  d'une  lettre  du  P.  Samuel  de  Lodi^  Capucin  , 
au  P.  André  d^Jrexxo^  Procureur  général  des  Capucin» 
à  Rome. 


Bahia,  le  16  mars  1845. 


«  Mon  revérskd  Pêrb^ 

«  Le  Père  Louis  de  Livourne,  homme  vraiment  aposto- 
lique, dont  le  nom  est  répété  avec  éloge  et  avec  amour  en 
Italie  comme  au  Brésil ,  s'est  décidé  à  sortir  momentané- 
ment des  forêts  qui  sont  le  théâtre  ordinaire  de  son  zèle, 
pour  venir  passer  deux  mois  dans  notre  hospice.  J'ai 
profilé  de  sa  présence  au  milieu  de  nous  pour  recueillir  , 
sur  les  sauvages  indigènes  de  la  province  de  Bahia^  toutes 
les  notions  qu'un  séjour  de  vingt  ans  parmi  eux  avait  pu 
fournir  à  son  esprit  observateur  ;  et  ces  renseignements  , 
écrits  en  quelque  sorte  sous  sa  dictée,  je  me  fais  un  devoir 
d'en  envoyer  à  votre  Révérence  un  résumé  fidèle,  dans 
l'espoir  qu'elle  les  Gra  avec  le  même  plaisir  que  nous  les 
avons  entendus. 

«  Ces  Indiens  occupent,  entre  les  fleuves  Rio-Pardo 
et  Taype^  un  territoire  d'environ  trois  cents  milles  de  long 
sur  deux  cents  milles  de  large ,  tout  couvert  de  forêts 
encore  vierges,  tout  hérissé  de  montagnes ,  ou  coupé  par 
des  vallées  marécagaises.  Ils  forment  quatre  tribus  dis- 
iioctes,  connues  sous  les  noms  de  Camacans,  de  Botecu- 
doi,  de  Pataxoi  et  de  Mongaioe.  Sans  deute ,  ces  enfants 

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415 
dégénérés  appartiemient  comme  nous  à  la  grande  familie 
bomaine  ;  mais  on  a  souvent  de  la  peine  à  reconnaître  des 
bonmes  dans  ces  créatures  rebelles'  ou  étrangères  auK 
grâces  de  TEvangile. 

«  La  chasse,  la  pédbe,  des  fruits  sauvages  et  quelques 
racines  alimentaires  qu'ils  trouvent  dans  les  bois ,  four- 
nissent auK  premiers  besoins  de  leur  existence.  Ils 
mangent  à  toute  heure ,  et  prennent  plus  ou  moins  de 
nourriture  selon  -quMk  ont  pu  s'en  procurer ,  sans  mettre 
rien  en  réserve  pour  le  lendemain.  Presque  toujours  va- 
gabonds, le  plus  qu'ils  s'arrêtent  dans  un  même  lieu  est 
Tespaoede  quelques  jours;  une  cabane  dressée  à  la  hâte 
pour  se  défendre  de  la  pluie,  est  le  seul  établissement 
qu'ils  élèvent  dans  la  vallée  qui  a  su  fixer  un  instant  leur 
fie  errante.  Le  caractère  traditionnel  de  la  tribu  se  per- 
pétue et  se  transmet,  invariable  et  uniforme,  des  vieillards 
aux  enfants;  le  fils  imfte  son  père ,  la  fille  se  modèle  sur 
celle  qui  lui  a  donné  naissance ,  et  c'est  là  toute  l'éduca- 
tron  de  la  jeunesse. 

«  Dans  leurs  mariages ,  ils  ne  respectent  ni  Tunité  ni 
i'indissolidbilité  de  cette  union.  S'il  suffit  d'un  consente- 
ment mutuel  et  de  l'aveu  des  parents  pour  former  le 
contrat,  il  suffit  aussi  de  la  volonté  capricieuse  des  époux 
pour  le  dissoudre  :  le  caractère  difficile  d'une  femme,  sa 
stérilité ,  ou  quelque  infirmité  habituelle ,  sont  autant  de 
motiis  qui  autorisent  le  divorce.  Ils  n'en  ont  pas  moins  en 
horreur  l'adultère ,  et  toute  femme  convaincue  d'un  tel 
<^ritne  est  sévèrement  châtiée  ;  quelquefois  on  l'attaclie  à 
un  arbre,  et  son  mari  vient  lui-même  venger  son  injure , 
en  rimmolant  à  coup  de  flèdiea. 

«  Quand  une  femme  est  sur  le  point  de  donner  le  jour 
h  son  enfistnt ,  elle  se  retire  au  bord  d'un  torrent  solitaire, 
afin  de  pouvoir  l'y  baigner  aussitôt  qu^il  sera  né.  Plus  tard, 
ce  souvenir  rattachera  par  un  lien  religieux  le  jeu^  iç^^ 


416 

dien  à  son  premier  berceau  ;  ce  torrent  sera  pour  lui  une 
eau  sacrée,  l'objet  du  culte  le  plus  affectueux;  rarement 
il  s'éloignera  de  sesTives,  et  s'iU'en  écarte  jamais,  ce  sera 
pour  y  revenir  avec  un  nouvel  amour  ;  il  croit  même  re- 
tremper sa  vigueur  affaiblie  chaque  fois  qu'il  boit  à  cette 
source,  où  dès  son  enfance  il  s'est  désaltéré. 

<  Gomme  tous  les  sauvages,  ceux  de  la  province  'âé 
Bahia  sont  excessivement  jaloux  de  leur  indépendance  ; 
il  n'y  a  parmi  eux  ni  supérieurs,  ni  lois,  ni  administration 
qui  règle ,  en  la  restreignant ,  la  liberté  des  individus. 
Chacun  est  mailre  de  lui-même  et  de  ses  actions.  La  seule 
autorité  qu'ils  reconnaissent  est  celle  de  l'âge;  encore  leur 
soumission  au  vieillard  qu'ils  ont  au ,  est-die  une  pure 
déférence  qui  exclut  toute  contrainte.  En  temps  de  guerre 
ils  se  choisissent  un  chef,  dont  le  pouvoir  expire  aussitôt 
la  campagne  terminée. 

«  Entre  eux ,  ces  guerres  sont  rares ,  et  n'ont  jamais 
pour  origine  l'esprit  de  conquête,  ni  l'avidité  du  butin; 
quelquefois  c'est  une  injure  personnelle  qui  la  provoque, 
d'antres  fois  une  atteinte  au  droit  de  [M*opriété.  Que  des 
étrangers,  par  exemple,  viennent  chasser  sur  le  territoire 
d'une  autre  tribu ,  la  peuplade  offensée  déclare  alors  la 
guerre,  non  par  des  ambassadeurs  ou  par  de  bruyants 
défis,  mais  de  la  manière  suivante  :  L'indien  qui  croit 
avoir  à  se  plaindre ,  place  une  flèche  en  travers  sur  le 
sentier  que  doit  parcourir  l'étranger.  Celui-ci,  arrivé  % 
reconnaît  à  ce  signal  que  sa  &ute  est  découverte,  et  il  se 
hâte  de  consulter  sa  tribu,  pour  savoir  s'il  doit  donner  sa* 
tisEaction  ou  accepter  la  guerre.  Si  les  avis  sont  pour  la 
paix,  il  dépose  une  autre  flèche  parallèlement  à  celle  qu'il 
a  rencontrée  sur  son  passage  ;  si  au  contraire  les  Indiens 
acceptent  le  combat,  leur  flèche  sera  placée  en  face  de  la 
première,  et  les  deux  pointes  tournées  Tune  oontie 
l'autre. 

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«  A  son  tour,  le  sauvage  offensé  revient  observer  la 
direction  des  flèches  pour  savoir  la  réponse  de  Tennemi. 
Si  c^est  la  paix,  il  se  garde  de  toute  représaille  ;  si  au  con- 
traire la  guerre  est  déclarée,  ses  compatriotes  s'y  disposent 
sans  délai ,  ou  si  leur  nombre  est  insuffisant  pour  assurer 
la  victoire,  ils  vont  [en  diligence  chercher  du  renfort  chez 
leurs  alliés.  Les  femmes  suivent  leurs  maris  au  combat, 
soit  pour  porter  les  flèches ,  soit  pour  recueillir  les  traits 
que  lancent  les  deux  armées  ;  il  en  est  même  qui ,  dans 
le  moment  du  péril  surtout,  se  mêlent  aux  guerriers,  et 
manient  Parc  aussi  bien  que  les  hommes.  A  l'exception 
des  femmes  âgées  ou  de  celles  qui  allaitent  de  petits 
enfants,  toutes  se  rendent  sur  le  champ  de  bataille. 

«  Vous  savez  que  tous  les  guerriers  sauvages  cherchent, 
en  se  défigurant  plus  ou  moins,  à  se  donner  un  air  ter- 
rible. Les  Boiecudos  sont  peut-^tre  ceux  qui  y  ont  le 
mieux  réussi.  Ils  ont  coutume  de  porter  dès  Tenfance  un 
morceau  de  fer  introduit  dans  la  lèvre  inférieure  et  aux 
lobes  des  oreilles;  ils  y  attachent  un  anneau  de  bois 
peint,  de  quatre  à  cinq  pouces  de  diamètre,  dont  le  poids 
allonge  nécessairement  ces  parties;  la  lèvre  surtout  se 
replie  et  pend  sur  le  menton.  Ils  coupent  leurs  cheveux 
bien  près  par  le  bas,  et  les  laissent  croître  dans  la  partie 
supérieure  de  la  tête;  puis  à  force  de  gomme  ils  les  fixent 
dans  une  direction  horizontale.  Cette  forme  hérissée  de 
leur  chevelure,  jointe  à  sa  coupe  circulaire ,  lui  donne 
assez  Paspect  d'un  chapeau.  Les  paupières  et  les  sourcib 
ont  aussi  leur  préparation  particulière; ils  les  teignent, 
ainsi  que  le  reste  du  visage^  avec  le  suc  d'un  firuit  nommé 
aeafiroa ,  qui  donne  un  jus  couleur  de  sang.  De  11  cet 
aspect  horrible  de  leur  physionomie ,  qui  ne  laisse  pas 
d'imprimer  une  certoine  frayeur  à  leurs  ennemis. 

c  Ib  mangent  par  fois  de  la  diair  humaine^  non  pitf" 
QD  excès  de  fërocité,  mais,  ce  qui  paraîtra  incroyable,  par 
tw.  xm.  108. 

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418 

mi  seatiioepit  ex^^éré  de  tendresse,  fl  y  a  peu  de  temps 
qu'uQe  mère  mangeason  enlant  que  la  mort  wait  de  loi 
ravir ,  soit  qu'elle  voulût  s'incorporer  la  substance  de  ce 
(Hs  bien-aimé ,  soit  qu'elle  ne  pût  se  résoudre  à  le  confier 
à  la  terre  pour  y  devenir  la  pâture  des  vers.  D'autres,  et 
ce  sont  les  guerriers,  dévorent  leurs  ennemis  ;  ils  pensent 
protéger  ainsi  leur  vie  contre  la  vengeance  du  mort,  et 
même  se  rendre  invulnérables  aux  Sèches  de  toute  la 
tribu. 

«  Cette  manière  étrange  de  traiter  les  morts  tient  sans 
doute  à  l'idée  qu'ils  se  sont  faite  de  l'état  des  ilmes  dans 
une  autre  vie.  Voici  un  £ait  assez  curieux  qui  vous  en  dira 
sur  ce  sujet  plus  qu'un  long  commentaire  ;  je  le  rapporte 
tel  que  le  Père  Louis  me  l'a  raconté. 

c  n  y  a  environ  deux  ans  qu'il  entendit,  k  la  porte  de 
sa  cabane,  une  grande  rumeur  de  voix  confuses»  comme 
un  cri  d'alarme  poussé  en  tumulte  par  des  gens  surpris 
par  un  assaut.  C'était  sur  les  dix  heures  du  soir;  le  cial 
ét;âi^  serein,  et  les  étoiles  scintillaient  sur  un  ciel  sans 
nuages;  la  lune  seule  refusait  sa  clarté.  Attiré  par  et 
lyruit  inattendu,  le  Père  quitte  sa  demeure^  et  trouve  une 
foule  de  CatiMcans  plongés  dans  la  stupeur  et  l'effroi,  et 
iHisant  à  la  hâte  leurs  préparatifs  de  défense.  «  De  qnoi 
s'agit-il  donc?  leur  demande  le  Missionnaire.  —  Com* 
ment  I  lui  répondent-ils,  vous  ne  voyez  pas,  Ji  l'obseur*- 
cissen^t  de  la  lune,  le  malheur  qui  nous  menace!  Cei 
asu*e  est  le  rendez-vous  des  âmes  séparées  de  iews 
corps;  aujourd'hdi  elles  y  sont  en  si  grand  nombre,  qoe 
leur  multitude  voile  son  disque  tout  entier.  Qui  sait  it 
Ouâjigiahara  (l'Etre  suprême)  ne  les  renverra  pas 
parmi  nous,  pour  rendre  à  la  lune  aa  lumi^P  Alors 
ces  espriu  s'incorptrerent  aux  tigres ,  aux  serpent» 
vepiffieax  et  aux  bétes  féroces,  pour  dévorer  ies.n* 
Yant^*»«a  » 


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419 

«  Le  Père  Loois  fit  de  son  mieox  pour  les  tranquiili*? 
aer,  tenr  aasvrant  qu^il  n'y  aradt  rien  à  craindre,  et  qne  œ 
qni  GSiuaait  leur  effiroi  éuût  un  phénomène  tout  naturel , 
oomiu  sous  le  nom  d'éclip^  ;  mais  ils  n'entendaient  rien  i 
ses  exfdications,  et  leurs  vieux  préjugés  remportant  dans 
leur  esprit  sur  ses  paroles,  ils  continuaient  de  se  tenir  sur 
la  défensive.  Alors  il  imagina ,  pour  les  tirer  d'angoisses, 
une  expérience  qui  lui  réussit  :  il  alluma  un  flambeau,  et 
prenant  deax  corps  sphériques,  il  montra  aux  sauvage» 
eoBunënt  ces  globes  pouvaient ,  dans  leurs  évolutions, 
pregeter  tour  à  tour  leur  ombre  Tun  sur  l'autre  ;  ce  qui 
expliqua  à  ces  bonnes  gens  la  cause  de  leurs  vives  inquié^ 
tndes  et  finit  par  les  détromper. 

«Nos  Indiens  portent  un  grand  respect  aux  morts,  et  les 
cneevelissent  avee  toutes  les  marques  d'un  deuil  profond. 
Qaand  un  membre  de  la  peuplade  vient  de  fermer  les 
yeux,  sen  plus  prodie  parent  se  place  «i  pleurant  à  ses 
côtés,  et  lui  exprime  tous  les  sentiments  que  la  douleur 
inspire  à  ceux  qui  aiment.  Ses  doléances  finies  ,  un  autre 
parent  le  remplace  et  feit  de  même  ;  ensuite  cbacnn  des 
assistants  témoigne  à  son  tour  l'affliction  qu'il  éprouve,  et 
tes  larmes  ne  tarissent  souvent  qu'au  bout  de  six  ou  sept 
heures.  Pendant  ce  temps ,  on  prépare  le  cercueil,  qu'on 
recouvre  de  feuillage  après  que  le  corps  y  est  placé ,  et  le 
convoi  marche  vers  le  lieu  de  la  sépulture,  où  on  le  dépose 
doucement  et  en  silence.  Un  des  parents  veille  tout  armé 
auprès  du  tombeau ,  afin  d'en  écarter  les  bétes  féroces. 
Cette  garde  funèbre  est  ainsi  continuée  durant  neuf  à  dix 
jours  par  diaenn  des  parent.  Dbm  eet  intervalle,  il  y  a 
toujours  avec  la  sentintUe  ^quelques  amis  du  défunt  qtf 
vîeuuent  géflûr  sur  sa  tombe,  et  «'entretenir  tvec  son  itm 
qu'ils  craieDi  préMute  bien  qu^inviaiMe,  car  ils  supposent 
qu^elk  s'éloifiie  pe»du  carpe  qtt'eUe^uMMu 

•  ••«••itirQiDtieraisvetfaalieBêey  mon  révérend  Père^ 

27. 


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430 

il  je  terminais  cette  lettre  sur  nos  Indiens  sans  vous  dire 
6Ù  en  est  rœuvre  de  leur  conversion.  Jusqu'ici  le  zèle  d% 
nos  confrères  a  rencontré  des  obstacles  presque  insur- 
montables; et  cependant  le  ciel  a  déjà  reçu,  comme  tribut 
de  ces  forêts  séculaires ,  plusieurs  centaines  d'enfants  on 
d'adultes,  que  le  Père  Louis  a  baptisés  au  moment  de  leur 
mort. 

«  L'année  dernière  j'ai  eu  la  consolation  d'apprendre 
que  la  tribu  des  Botecudo$  demandait  à  s'instruire  de  b 
Religion  dirétienne  ;  aussitôt  je  lui  ai  envoyé  le  PM*e  An- 
toine de  Faleme,  dont  le  dévouement  n'est  pas  resté  sans 
succès,  pubqu'il  compte  déjà  quarante  catédiumènes 
parmi  ces  sauvages.  En  m'annonçant  cette  heureuse  nou- 
velle, il  y  joignait  l'espérance  de  voir  bientôt  ce  nombre  se 
multiplier  ;  mais  pour  cela  il  implore  l'assistance  de  nos 
prières,  sachant  bien  que  vainement  les  Apôtres  plantent 
et  arrosent,  si  Dieu  ne  fait  croître,  n'affermit  et  ne  per- 
fectionne. 

«  Veuillez  agréer,  mon  révérend  Père,  etc. 

SiHUEL  de  Lodi ,  Mis$.  apo$t.  » 


P.  S.  «  Le  P.  Loms  de  Uvoome  a  quitté  l'hospice  de 
Bahia  dès  que  ses  Corées  l'ont  permis;  il  lui  tardait  de 
revoir  ses  (^ers  Indiens  qu'il  évangélise  depuis  vingt* 
quatre  ans.  On  n'est  pas  surpris  de  son  empressement  à 
retourner  dans  l^vssombres  forêts,  quand  on  sait  tout  le 
l^ien  qu'il  jr  a  défà  opéré,  et  celoi,  pittt  grand  encore, 

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qo'il  est  peat-étre  au  moment  d'accomplir.  Les  sauvages^ 
qn^il  a  convertis  en  grand  nombre,  vivent  sous  sa  direo» 
lioa  comme  une  grande  famille  sous  la  tutelle  révérée  d'un 
père.  Il  est  tout  pour  eux  :  apôtre,  grand-chef,  médecin, 
ardiitecteet  organisateur  du  travail  ;  sous  sa  conduite  » 
les  hommes  se  sont  formés  à  Tagriculture ,  et  les  femmes 
oot  appris  à  tisser  des  étoffes.  Bientôt,  si  les  espérances 
du  zélé  Missionnaire  ne  sont  pas  trompées ,  l'œuvre  de 
civilisation  chrétienne  s'étendra  à  plusieurs  tribus  ;  un  dés- 
armement général  des  Indiens  est  sur  le  point  de  se  con- 
clure par  sa  médiation ,  et  il  se  flatte  qu'après  les  avoir 
réconciliés ,  il  aura  aussi  le  bonheur  de  les  convertir.  •^ 


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MISSION  DE  UILE  IVIAURICE. 


LHire  communiquée  à  MM.  les  Membres  du  Conseil 
central  de  Lyon,  par  Mgr  Jllen-CoUier ,  Ficairt 
apostolique  de  Vile  Maurice. 


15  mars  1845. 


«  MeS8IE0BS^ 

«  AU  sein  de  la  vaste  mer  des  Indes,  il  est  une  Ue  que 
sa  beauté  et  sou  importance  signalent  à  Tintérét  du  voya- 
geur. Vos  compatriotes  l'appelèrent  île  de  France.  Elle  a 
repris  maintenant  le  nom  àitle  Maurice ,  qu'elle  portait 
avant  l'occupation  française.  La  nature  s'est  plu  à  féunir 
sur  ce  point  de  l'océan  des  avantages  dont  peu  de  pays 
cm  été  favorisés;  elle  lui  a  donné  des  sites  pittoresques 
d'une  rare  magnificence,  un  sol  d'une  fertilité  inépuisable, 
et  un  climat  dont  nul  autre  ne  surpasse  la  salubrités 

«  Mais  la  Sagesse  incréée  Ta  dit  :  La  terre  avec  tous  ses 
trésors  ne  peut  suffire  au  cœur  humain.  Il  lui  faut  un  plus 
noble  adiment  pour  le  nourrir  et  le  vivifier  ;  il  but  que  la 


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423 
parole  de  i*éterndle  Vérité  descende,  comme  un  rayon  qui 
les  échauffe,  sur  les  œuvres  mortes  de  la  nature ,  et  leur 
communique  ce  charme  qui  les  anime ,  nous  captivé  et 
Qous  enchante.  Sans  cette  effusion  de  la  lumière  infinie,  It 
création,  cette  servante  de  Dieu ,  ressemble  au  corps  de 
rbomme^  au  moment  cà  l'ouvrier  suprême  venait  dêr  h 
fermer  :  elle  peut  bien  offirir  par  elle-même  un  spectacte 
latteur  à  Vceil  qui  la  contemple  ;  mais  Gant  que  le  souffle  éé 
l'esprit  régénérateur  n'a  point  passé  sur  elle»  ses  tableatix, 
même  les  plus  brillants,  ne  disent  rien  à  l'âme  ;  ib  sont 
froids  et  sans  mouvement  ;  ce  n'est  qu'une  peinture  ina- 
nimée ;  ce  n'est  qu'une  demeure  consuruite  par  un  ardii* 
lecte  habile,  mais  privée  des  habitants  qui  devaient  doMWt 
de  l'intelligence  à  ses  murs  et  de  la  vie  à  sa  solitude^ 

«  Tel  est  le  sort  de  l'Ile  de  France;  elle  est  belle  sans 
doute,  mais  elle  le  serait  au  centuple,  si  ses  grâces  natu- 
felleffétaien t  ennoblies  par  l'influence  sacrée  de  la  Religion  • 
Aujourd'hui  c'est  un  corps  sans  âme  ;  mais  il  fout  le  dire  , 
son  triste  état  est  plutôt  le  fruit  d'un  malheur  que  celui 
d*une  faute. 

«  A  la  fm  du  siècle  dernier ,  lorsque  File  appartenait  à 
h  France  ,  le  christianisme  avait  presque  disparu  de  b 
bce  du  pays;  un  gouvernement,  qui  proscrivait  chei  lui  te 
culte  de  Dieu,  ne  pouvait  être  disposé  à  le  propager  dans 
ses  colonies.  Quelques  prêtres ,  dont  le  nombre  dépassa 
rarement  dix  ou  douze,  luttaient  contre  les  progrès  du  iiial« 
H  répondaient  de  leur  mieux  aux  besoins  ^iritueb  de  la 
population.  Il  est  vrai  qu'alors  elle  ne  s'élevait  prd>ablâ* 
■ait  pas  à  la  moitié  du  chiffre  qu'elle  atteint  aujourdlmi» 

•  En  1811,lesdeuxllesdeFraflceetd0BMfteiOi^ 
ébreni  aux  forces  de  la  flotte  brUauMque,  tifmnmMùm 
réespar  les  troupes  an^ises^  itV'utmimhfMiiiÊàk 


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424 
rendirent  Bourbop  à  ses  anciens  maîtres^  et  gardèrent  Ftle 
de  France  qui  reprit  son  nom  hollandais  de  Maurice» 

«  A  en  juger  par  le  nombre  annuel  des  baptêmes ,  bi 
pqmlation  catholique  doit  dépassa*  quatre-vingt  mille 
âmes.  La  grande  majorité  se  compose  de  noirs ,  dont  la 
profonde  ignorance  est  le  résultat  du  malheur  de  leur  con- 
dition. Pour  une  Eglise  aussi  considérable ,  le  goovanw- 
mcÊki  a  reconnu  et  rétribué  d'abord  huit  prêtres ,  et  plus 
tard  dix.  Ce  cbifli^e  n'a  pas  été  dépassé  depuis  que  la  co- 
lonie appaiiient  à  TAngleterre. 

•  Les  esclaves ,  dont  le  nombre  s^élevait  à  soixante 
miHe,  furent  émancipés  en  1839.  Avant  leur  affranchis- 
sement,  ils  étaient  généralement  traités  avec  humanité  et 
presque  avec  bienveillance.  Bien  qu'ils  vécussent  dans 
l'ignorance  de  la  doctiine  chrétienne,  faute  de  prêtres  et 
de  catéchistes  pour  les  instruire ,  ils  étaient  presque  tous 
baptisés.  Aujourd'hui  encore  la  plupart  d'entre  eux,  tout 
en  se  disant  catholiques,  ne  connaissent  pas  les  premiers 
éléments  de  la  Religion ,  et  ne  savent  pas  même  réciter  le 
Pater ^  ni  faire  le  signe  de  la  croix. 

«  Il  est  certain  que  depuis  l'émancipation  leur  condi- 
tion n'a  fait  (|u'empirer  :  indolents  par  caractère ,  ils  se 
refusent  au  travail  dès  qu'il  n'est  plus  pour  eux  une  né- 
cessité. Leur  unique  ambition  se  borne  à  se  procurer  un 
petit  eoin  de  terre  pour  y  semer  du  maïs  et  se  construire 
une  méchante  cabane  ;  tout  leur  bonhetu:  consiste  à  passer 
leur  temps  couchés  à  terre  sous  ce  chétif  abri.  Un  peu  de 
riz  soiBt  à  leur  nourriture,  et  le  labeur  d'un  jour  leur  en 
fournit  assez  pour  vivre  une  semaine  entière. 

•  Ils  aiment  beaucoup  les  cérémonies  religieuses;  et 
éê  UMMs  les  Anes,  celle  qui  émeut  le  plus  leur  piété  est  la 
as— ifcwjiHJiOn  des  morts.  Lesoh-,  ibse  rendent  an  dme- 
iikm  et  j  brèlst  des  Gtef|;e8  sur  les  tombeaux  de  leurs 


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425 
amis  défiints;  Tenccinte  Ainéraire  ressemble  alors  à  ud 
champ  en  feu,  dominé  par  une  croix  lumineuse  elle-même. 
Au  centre  s'élève  un  grand  crucifix  ;  des  flots  de  lumières 
se  pressent  h  ses  pieds ,  et  le  serrent  de  si  près  que  la  base 
en  est  toule  noircie  et  presque  à  demi  brûlée.  C*est  un 
spectacle  singulier  et  vraiment  saisissant  de  voir  ce  lugubre 
séjour  des  morts,  inondé  ainsi  d'éUres  vivants  qui,  vêtus  les 
uns  à  Teuropéeniie,  les  autres  à  la  mode  bizarre  des  Orien- 
taux, viennent  se  courber  tristement  sur  des  tombes ,  au 
milieu  d'une  forêt  de  torches  embrasées. 

«  Dans  la  ville  de  Port-Louis ,  il  y  a  un  prêtre , 
M.  Tabbé  Laval ,  qui  se  dévoue  exclusivement  à  Tinstruc- 
tion  des  nègres.  Ses  travaux  sont  excessifs ,  mais  Dieu  a 
daigné  les  bénir.  Dans  Tespace  de  vingt  mois  qui  se  sont 
écoulés  depuis  son  arrivée  dans  Tile  ,  il  en  a  préparé  cinq 
cents  au  sacrement  de  confirmation.  Chaque  soir  il  passe 
deux  heures  et  demie  à  les  instruire,  à  réciter  avec  eux  le 
rosaire,  à  chanter  des  cantiques  dans  Téglise,  où  ils  ne 
manquent  jamais  de  se  trouver  réunis  au  nombre  de  deux 
ou  trois  cents.  De  l'état  d'ignorance  et  de  dégradation  pro- 
fonde ou  ils  étaient  plongés,  il  les  a  élevés  à  la  dignité  des 
vrais  enfants  de^Dieu,  à  la  connaissance  de  leurs  devoirs  ;  il 
en  a  fait  non-seulement  des  hommes  honnêtes  et  indus- 
trieux,mais  de  bons  catholiques.  N'est-il  pas  déplorable 
qu'un  si  petit  nombre  ait  eu  jusqu'ici  la  possibilité  de  se  faire 
instruire?  G)mbien  n'avons-nous  pas  à  gémir  sur  le  sort 
de  tant  de  milliers  d'autres^  égarés  encore  dans  les  ténèbres 
et  le  vice,  et  qui  cependant  profiteraient  aussi  bien  que 
les  premiers  des  bienfaits  d'un  enseignement  religieux  I  Os 
sont  tous  disposés  à  le  recevoir,  ils  le  désirent  même;  mais 
ils  n'ont  personne  qui  puisse  le  leur  donner.  Ib  prquvenl 
su$samment  leur  bonne  volonté  par  l'empresseacnt  avec 
lequel  ils  apportent  leurs  eolant*  au  bapttaie. 


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«  Naguère  TEvéque  avait  annoncé  qu'il  irait  donner  ce 
sacrement  dans  le  district  de  Savanne,  qui  est  à  rextrémité 
de  111e  la  plus  éloignée  de  Port-Louis.  La  nouvelle  s'en 
répandit  aussitôt,  et  tous  les  habitants  des  localités  envi- 
ronnantes accoururent  pour  présenter  leurs  enfants  à 
feau  sainte  de  la  régénération.  Nous  connaissons  le  pays 
et  la  route  que  Sa  Grandeur  eut  alors  à  parcourir.  Laissant 
Port-Louis  au  nord>  on  arrive  bientôt  à  Grand-River^  tor- 
rent rapide,  qui  comme  toutes  les  rivières  de  File  coule 
dans  un  ravin  non  moins  escarpé  que  profond.  Son  lit  est 
encombré  d'énormes  blocs  de  rochers,  à  travers  lesquels  il 
se  précipite  avec  fracas.  Souvent  il  se  dérobe  aux  regards 
sous  les  massifs  de  verdure  qui  ombragent  ses  rives  ;  mais 
alors  même  que  ses  eaux  disparaissent,  on  les  entend  mu- 
gir ,  elles  s'indignent  et  frémissent  contre  les  obsucles 
qui  semblent  vouloir  les  empêcher  de  courir  vers  l'océan. 

«Ces  ravins,  que  l'on  rencontre  fréquemment  dans  l'tle, 
sont  tellement  abruptes  et  vont  se  perdre  si  loin ,  que  les 
oiseaux  du  ciel  peuvent  seuls  en  visiter  les  gouffires  inac- 
cessibles. Le  voyageur  en  voit  souvent  voltiger,  au-dessus 
de  ces  abîmes,  de  nombreuses  tribus  aux  ailes  blanclies 
et  rouges  :  paisibles  habitants  de  ces  solitudes  ,  dont  le 
brillant  plumage  œnlraste  heureusement  avec  la  soni!>i*c 
verdure  de  la  végétation.  L'éclat  d'un  ciel  admirablemifiit 
pur  ajoute  à  ce  paysage  un  charme  ravissant,  et  lui 
donne  l'aspect  d'une  terre  enchantée.  Plus  loin  on  tra- 
verse une  plaine  qui  s'élève  par  gradation  à  mesure 
qu'elle  s'éloigne  de  l'océan.  Elle  offre  à  sa  surface,  comme 
tout  le  reste  du  pays,  des  traces  de  son  origine  volcanique* 
que  les  siècles  ne  peuvent  eflEicer. 

«  Dans  rintérieor  de  IHo ,  en  rencontre  une  finréc  tra^ 
fMée  dans  sa  kmgarar  et  sa  largeur  par  une  botme 
route.  Les  arbres  qui  la  bordent,  mteroeptent  la  vue  dam 


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427 
toutes  les  directions,  tq  point  que  le  Toyageur  n^aperçoit 
plus  rien  devant  lui  ni  au-dessus  de  sa  tête,  si  ce  n'est  par 
intervalle  le  sommet  âpre  et  sauvage  de  quelques  mon- 
tagnes qui,  comme  la  chaîne  dont  elles  dépendent,  pré- 
sentent les  formes  le»  plus  irrégulières.  Elles  semblent 
braver  les  lois  de  Féquilibre  ;  on  dirait  qu'agitées  par 
quelque  génie  malfaisant  qui  s'est  enfui  soudain,  mais  qui 
va  revenir  leur  rendre  le  mouvement,  elles  attendent  son 
retour  pour  précipiter  leur  chute  un  moment  interrompue. 

«  Un  ruisseau  souterrain  et  un  lac  formé  dans  le  cra- 
tère d'un  volcan  éteint  se  font  remarquer  à  peu  de  distance 
de  chaque  côté  de  la  route  :  ce  sont  encore,  au  milieu 
d'autres  indices  si  nombreux,  comme  des  témoins  irrécu- 
sables des  agitations  convulsives  qui  ont  autrefois  boule^ 
versé  le  pays.  Des  lits  de  corails^  des  stratifications  soushm- 
rines,  trouvées  dans  le  centre  de  l'Ile ,  attestent  que  les 
points  les  plus  élevés  gisaient  autrefois  dans  les  profon- 
deurs de  l'océan. 

«  Après  un  trajet  de  douze  ou  quatorze  milles,  on  son 
de  la  forêt  et  Ton  arrive  à  l'extrémitéde  File,  dans  un  pays 
ouvert  et  bien  cultivé.  C'est  là  qu'est  situé  le  village  de 
Port-Souillac,  dont  la  population  est  considérable.  L'Evêque 
avait  £iit  annoncer  qu'il  viendrait  y  donner  le  baptême. 
Aussi  tous  les  habitants,  jeunes  gens  et^vieillards,  étaient- 
ils  accourus  de  plusieurs  lieues  pour  assister  à  la  cérémo- 
nie. On  avait  choisi  une  place  à  l'abri  des  ardeurs  du  soleil^ 
pour  y  réunir  les  ouailles  autour  du  pastemr  ;  elles  se 
terraient  de  si  près  autour  du  Pontife ,  qu'à  peine  lui 
feaiait-il  Tespaoe  nécessaire  pour  se  tenir  debout.  Après 
ime  inscruttion  sur  la  nature  et  les  obligations  du  bap- 
têoie.  Monseigneur  commença  Tadminisiration  de  ce 
tacrement,  et  ait  bout  de  quelques besres  il  avait  régé^ 
iéré  cent  soiianie  et  dfat  persottnei;  Cet  fi<Me»sest  à 


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ireaie  ou  quarante  milles  de  la  chapelle  la  plus  rappro- 
chée, et  jamais  ils  n'ont  eu  de  prélre  résidant  au  milieu 
d'eux.  Ceux  qui  peuvent  supporter  la  dépense  d*uD 
voyage,  amènent  leur  jeune  famille  de  Textrémité  de  File 
à  Port-Louis,  et  ils  y  séjournent  tout  le  temps  nécessaire 
pour  instruire  et  préparer  leurs  enfants  a  la  première  com* 
munion.  Ensuite  ils  retournent  avec  eux  dans  leur  pays 
où,  suivant  toute  probabilité,  le  reste  de  leur  vie  s'écoulera 
s>ans  qu'il  se  présente  pour  eux  une  nouvelle  occasion  de 
voir  un  prêtre  et  de  s'approcher  des  sacrements  :  heureux. 
si  à  leur  dernière  heure  la  Providence  leur  ménage  ceice 
consolation  ! 

«  On  ne  s'étonnera  pas  qu'il  en  soit  ainsi ,  quand  on 
saura  qu'à  Port-Louis  même,  oii  le  clergé  est  comparati- 
vement nombreux  (  puisqu'il  y  a  quatre  ecclésiastiques) 
il  est  impossible  de  procurer  les  secours  de  la  religion  i 
tous  les  mourants  qui  les  réclament.  En  (ace  des  trente  à 
quarante  mille  catholiques  de  cette  capitale ,  les  prêtres 
sont  réduits  à  voir  un  grand  nombre  d'infortunés,  arrivés 
au  dernier  période  de  la  misère  et  de  la  maladie,  implorer 
en  vain  leur  assistance  et  mourir  sans  sacrements ,  parce 
ç|ue  nos  confrères  se  trouvent  dans  l'impossibilité  absolue 
de  donner  leurs  soins  à  tous  ceux  qui  les  sollicitent  dans 
le  même  moment.  Peut-on,  sans  verser  des  larmes,  songer 
au  triste  sort  d'un  malheureux  qui,  à  son  heure  suprême^ 
supplie  le  ministre  du  salut  de  venir  ,  pour  l'amour  de 
Dieu,  le  préparer  à  paraître  devant  son  juge  étemel ,  et 
qui  s'entend  dire  pour  toute  réponse  :  «  Faites  de  votre 
«  mieux  pour  vous  disposer  vous-même  ;  le  prêtre  que 
«  vous  attendez  ne  peut  venir  I  »  Et  quelle  pénible  si- 
tuation pour  un  pasteur,  forcé  de  Caire  un  choix  au  mi- 
lieu., des  demandes  multipliées  dont  son  ministère  est 
robjet  >  sans  jKiveîr  quelle  directton  il  doit  prendre,  vers 


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quel  agonisaDt  il  portera  ses  pas ,  n'ignorant  pas  qu'au 
moment  même  où  il  va  administrer  un  malade,  il  en  hisse 
derrière  lui  un  ou  deux  autres  qui  expireront  peut-être 
dans  le  désespoir  l  Ah  I  daigne  le  Seigneur  avoir  pitié 
de  cette  multitude  de  pauvres  catholiques,  condamnés  à 
un  si  cruel  malheur  dans  cette  lie  abandonnée  ! 

«  Au  milieu  de  ce  dénûment  de  secours  spirituek ,  les 
annemis  de  l'Eglise  ne  restent  pas  oîsîfe  ;  à  peine  y  a-t-il 
dans  toute  Tile  un  village  ou  même  un  hameau  un  peu 
considérable,  où  les  médiodistes  n'aient  érigé ,  pour  les 
enfents  du  peuple,  une  école  gratuite,  dont  la  direction  est 
confiée  à  des  maîtres  et  maîtresses  venus  d'Angleterre. 
Les  enfants  de  la  classe  émancipée^  qui  vont  y  chercher 
l'instruction,  s'inoculent  en  même  temps  les  préjugés 
dont  leurs  maîtres  sont  imbus  ,  et  quoiqu'ils  aient  été 
baptisés,  ainsi  que  leurs  parents,  dans  TEglise  catliolique, 
aussitôt  qu'ils  ont  fréquenté  ces  écoles,  les  mmistresles 
considèrent  comme  appartenant  à  leur  communion. 

«  De  notre  côté,  nous  avons  aussi  à  Port-Louis  une 
école  gratuite,  soutenue  principalement  par  l'Evêque; 
mais  elle  ne  peut  contenir  que  cinquante  élèves,  ce  qui 
nous  oblige  presque  tous  les  jours  à  refuser  ceux  qui  se 
présentent.  II  n'est  pas  douteux  qu'en  donnant  à  cette  in- 
stitution un  développement  plus  convenable,  on  prévien- 
drait la  chute  de  plusieurs  centaines  d'enfants  catholiques 
qui ,  pour  se  faire  instruire ,  n'ont  d'autre  ressource  que 
les  établissements  méthodistes  du  gouvernement  colonial* 
Pourquoi  faut-il  que  notre  pauvreté  nous  condamne  à  les 
TOUT  périr ,  quand  ils  tendent  vers  nous  leurs  mains  sup- 
pliantes ,  et  nous  conjurent  de  les  arracher  au  péril  immi^ 
nent  dont  leur  religion  est  menacée  I 

«  Un  collège  royal  a  été  fondé  pour  l'éducation  des  en- 
fcnts  d'origine  européenne.  Sa  direction,  confiée  d'abord 

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h  im  prêtre  catheliqae,  a  ptssé  entre  les  mah»  d'un  pro- 
ttsuol  irlanàiis. 

«  On  y  donne  un  soin  tout  particulier  à  Tétude  de  l'an- 
glais, dont  on  se  sert  pour  l'explication  des  auteurs  clas- 
siques* Les  efforts  du  gouvernement  tendent  à  introduire 
l'usage  de  cette  langue,  aussi  bien  que  l'esprit  et  les  cou- 
tumes anglaises  :  il  est  urè8-prd)able  que  l'entreprbe 
réussira ,  elle  ne  demande  que  du  temps  pour  atteindre 
son  but.  Mais  avec  sa  langue  le  gouvernement  espère 
(et  nous  croyons  qu'il  s'en  flatte  vainement)  que  la  co- 
lonie adoptera  la  religion  nationale  de  la  Grande-Bre- 
tagne. 

«  Sans  considérer  quelles  funestes  conséquences  en  traîne- 
rai t  pour  l'ordre  social  le  conflit  de  tant  d'églises  qui,  pour 
être  toutes  protestantes,  n'en  sont  pas  moins  rivales,  on 
cberdierait  vainement  parmi  les  naturels  de  llle  un  seni 
homme  sensé  qui  ne  regrettât  devoir  ^on  pays,  où  la  seule 
religion  professée  jusqu'ici  était  celle  qui  compte  dans  son 
sein  deux  cents  millions  d'Ames,  se  partager  en  mille  sec- 
tes opposées,  dont  les  doctrines  oontradictdres  ont  wm 
pe«  la  charité  pour  résultat  qae  It  vérité  pour  principe. 

«  Une  mortalité  progressive  a  décimé  la  population 
nègre  depuis  son  émancipation  ;  la  cause  en  est  surtout 
dans  la  funeste  halntude  de  l'ivrognerie,  vice  qui,  dans 
un  climat  cbaud,  est  toujours  fiital.  Pins  d'une  fois  on  a 
n*ottvé  le  long  des  diemins  qndqnes-uns  de  ces  malheu- 
reux morts  des  suites  de  Pivresse.  n  a  été  constaté  que 
dans  le  cours  de  l'année  pins  de  quarante  noirs  avaient 
suecombé,  victimes  de  leur  intempérance,  avant  d'arriver 
à  la  porte  de  l'hApital  et  avant  d'avoir  reçu  les  premiers 
secours  du  médecin.  A  cet  égard,  la  dégradation  des  nè- 
gres, il  but  en  convenir^  s'est  aecrae  depuis  leor  affinan- 
obissement. 


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431 
«  Sans  doute,  r6sclava([6  est  une  plaie  d«  Thumaoîté 
dont  la  Religion  s'afflige;  il  ne  devrait  pas  être  toléré  par 
un  peuple  chrétien,  et  tout  gouvernemeot  qui  protégerait 
un  tel  système  par  desconsidéraiions  d'intérêts  matériels  ou 
politiques,  mériterait  la  flétrissure  des  nations  civilisées. 
Néanmoins,  il  est  maintenant  démontré  par  Texpérience 
f|ue  son  abolition  dans  les  colonies  britanniques,  faute 
d'avoir  été'ac<:ompagnée  de  ces  mesures  sages  et  prudentes 
qui  seules  pouvaient  en  assurer  le  bienfait,  est  devenue 
un  véritable  malheur  pour  cette  classe  infortunée,  en  fa- 
veur de  laquelle  on  l'avait  si  généreusement  conçue  et  si 
loyalement  exécutée.  Pour  remplacer  les  bras  dont  Ta- 
griculture,  et  particulièrement  la  culture  de  la  canne  i 
sucre,  se  trouvaient  privées  par  Témancipation ,  on  intro- 
duisit dans  nie ,  Tannée  dernière ,  plus  de  vingt  mille 
coolies  amenés  ici  des  différentes  présidences  de  Tlnde.  Ce 
sont  des  hommes  de  couleur  cuivrée  >  de  haute  taille  et 
d'une  maigreur  affreuse;  ils  portent  pour  tout  vêtement 
une  ceinture  de  toile  autour  des  reins,  et  un  lambeau  de 
même  étoffe  roulé  autour  de  la  tête;  ce  qui  leur  donne 
une  étrange  tournure  aux  yeux  d'un  Européen.  Qndqnes- 
uns  reeherdient  avec  une  prédilection  tonte  particulière 
les  vieilles  vestes  que  nos  soldats  ont  jetées  au  rd>ut;  ce 
sont  pour  eux  des  habits  de  luxe.  Rien  n'est  divertissant 
comme  devoir  l'air  de  satisfocdon  avec  lequel  ils  posent 
•t  s'admirent  sous  cet  accoutrement  favori,avec  un  turban  à 
la  tète,  et  autour  du  corps  un  misérable  haillon  rouge,  d'oè 
s*MiBppe  une  longue  paire  de  jambes  noires  et  toutes 
Bues.  Cette  classe  d'hommes  est  eneore  païenne  ;  elle  a 
OMiservé  Tusage  de  brûler  tes  mùHs.  Jusqu'ici  il  n'a  pas  , 
été  possible  d'entreprendre  sa  conversioa;  car^  ainsi  que 
je  l'ai  dit  plus  haut,  le  nombre  des  prêtres  est  si  limité, 
qu'il  ne  peut  même  suffire  à  l'administraticm  des  catbo- 
Ikpes. 

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43Î 
<  Dans  un  climat  où  la  chaleur  est  excessive  »  la  dis- 
tance  à  parcourir  pour  se  rendre  à  Téglise ,  distance  qui , 
en  Europe,  serait  comptée  pour  rien ,  devient  souvent  un 
obstacle]  très-sérieux.  A  ce  sujet,  je  ne  puis  résister  au 
plaisir  de  ciler  la  conduite  édiGante  d'une  pauvre  femme/ 
dont  la  demeure  est  située  à  plus  de  vingt  milles  de  Té- 
glise  la  plus  rapprochée.  Cette  pieuse  insulaire  avait  Tba- 
bilude  de  se  rendre  à  Port-Louis ,  à  des  époques  fixes, 
pour  participer  aux  sacrements.  II  lui  fallait  pour  y  arri- 
ver une  journée  entière  de  marche;  et  ce  qui  augmentait 
encore  la  fatigue  d'une  course  déjà  au-dessus  de  ses  forces, 
par  la  longueur  du  trajet  et  la  chaleur  de  la  température, 
c'est  qu'elle  avait  à  traverser  un  torrent  dont  les  eaux 
débordées  avaient  emporté  le  pont.  Seule,  elle  n'aurait  po 
le*passer  à  gué  ;  elle  se  faisait  donc  accompagner  par  son 
mari  qui ,  après  lui  avoir  aidé  à  franchir  cette  rivière  en 
ayant  de  l'eau  jusqu'à  la  poitrine,  retournait  à  ses  tra- 
vaux ,  laissant  la  fervente  voyageuse  continuer  sa  route 
avec  ses  vêtements  tont  mouillés. 

«  Dans  cet  état  elle  avait  encore  seize  nulles  à  psffoou- 
rir  pour  n'être  point  surprise  par  la  nuit.  Mais  au  dédia 
du  jour,  lorsque  le  ciel  avait  perdu  sa  couleur  azurée 
pour  revêtir  une  nuance  de  lilas  éclatant,  lorsque  les  nua- 
ges se  coloraient  de  cette  teinte  verdâtre,  inconnue  peut- 
éure  en  tout  autre  climat,  en  ce  moment  notre  voyageuse 
arrivait  ordinairement  àla  ville.T^me  de  son  pèlerinage, 
l'église  recevait  sa  première  visite.  Le  lendemain  naaiiAf 
elle  s'approchait  toujours  de  la  sainte  table ,  et ,  ce  jneax 
devoir  accompli,  elle  ^  remettait  en  route.  Arrivée  an 
passage  de  la  rivière^  elle  y  trouvait  son  mari  qui  la  por- 
tait à  l'autre  bord,  et  rentrait  avec  elle  ^n  logis. 

«  La  Mission  de  Maurice  a  sous  sa  dépendance  diffé- 
rentes lies ,  dont  les  habitants  catholiques  ont  bien  lieu  de 

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433 
déplorer  leur  malhair.  Llle  Rodrignez ,  aitoée  à  une  di^ 
tance  de  quatre  ceois  milles  du  côté  de  Test ,  a  été  peuplée 
par  des  familles  qui  autrefois  émigrèrent  de  Tlle  Maurice. 
Elles  [M^fessent  notre  foi ,  et  se  composent  d'environ^cinq 
cents  personnes.  Ces  infortunés,  non-seulement  n'ont  pas 
de  pasteur  au  milieu  d*eux ,  mais  on  dit  qu'ik  n^ont  jamais 
reçu  la  visiie  d*un  prêtre  ;  ils  vivent  sans  secours  religieux 
et  meurent  algpdonnés  à  leur  sort,  quel  qu'il  puisse  étre>  . 
pour  l'éternité. 

«  A  six  cents  milles,  dans  une  autre  direction^  File 
d'Âgalega  c(»npte  qudques  centaines  d'hs^itants  condam- 
nés au  même  abandon.  Cinq  cents  milles  plus  loin ,  et  à 
phis  de  trois  cents  lieues  de  Port-Louis ,  on  trouve  le 
groupe  des  Iles  Seychelles.  Là  aussi,  les  principales  famille» 
soot  originaires  de  Maurice,  et  revendiquent  le  nom  de 
catholiques,  parce  que  leurs  pères  s'honoraient  de  le 
porter.  Jamais ,  depuis  qu'elles  existent ,  ces  lies  n'ont  joui 
de  la  présence  d'un  prêtre ,  bien  que  leur  population  soit 
d'environ  six  mille  âmes,  y  compris  les  nègres  qu'on  y  a 
transportés  des  côtes  d'Afrique.  A  diverses  reprises,  leurs 
habitants  ont  adressé  des  pétitions  au  gouvernement  local 
podr  obtenir  un  ministre  de  leur  culte  ;  mais  ces  demandes 
étaient  toujours  restées  sans  résultat.  A  la  fin  cependant 
cm  leur  donna  à  entendre  qu'il  serait  lait  droit  à  leurs 
justes  réclamations  ;  line  lueur  d'espoir  brilla  on  instant  à 
leurs  yeux ,  la  satisfaction  était  peinte  sur  tous  Tes  visages 
et  semblait  un  présage  assuré  du  bon  accueil  réservé  aa 
pasteur  si  longtemps  attendu.  Enfin  le  vaisseau  arrive  et 
leur  :ttiiène ,  non  pas  un  prêtre  catholique ,  mais  un  mi* 
nistre  protestant;  pour  me  servir  du  texte  sacré  :  «  lia 
«  avaient  demandé  du  pain ,  on  leur  donnait  ime  pierre  I  » 

Quelques-uns  de  ces  pauvres  gens  sont  si  bien  dSsposés 
pour  la  Religion,  qu'on  les  a  vus^  comme  cela  est  encore 
TGV.  XTII.  103.  38 

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<3( 
arrivé  l'aniiee  âeraiàre ,  entreprendre  le  tojage  de  Ptk 
Manrice  poar  recevoir  le  bâpi^e  des'mains  d'ua  prêtre 
catholique  ;  ils  s'en  relouroaient  ensuite  en  bénissant  Die« 
lie  leur  avoir  accordé  eettc  faveur,  qu'ils  ne  croyaient  paft 
avoir  achetée  trop  cher  par  un  trajet  de  sept  cents  Ueuei 
s^ur  rOcéan.  Puisse  le  Seigneur,  qui  voit  ks  besoins  spi- 
rituels et  Tabandon  de  ces  bons  insulaires,  inspirer  i 
quelqttes  âmes  généreuses  la  pensée  de  les«6courir!  Oui^ 
l>euple  affligé,  ne  désespère  pas  encore!  Jusqu'ici  le  vfim 
de  catholique  a  toujours  été  cher  ù  ton  cœur  ;  ce  titre 
^Horieux  ne  te  sera  pas  onleTc  :  îl  a  été  ton  soutien  dans 
la  détresse ,  ton  appui  dans  la  iribulniion ,  comme  il  est 
rneore  ton  espoir  au  milieu  de  ton  délaissement  ;  cette 
«onfiance  ne  sera  pas  trompée ,  le  prêtre- de  Dieu  viendra 
Co  visiter,  il  viendra  habiter  sur  tes  rivages,  tu  entendras 
lit;  sa  bouche  les  paroles  de  rétemclle  vie^  ses  bénédictions 
descendront  sur  toi  et  sur  tes  cnrants ,  et  tu  apprendras  à 
chanter  avec  lui  Tliymne  de  la  reconnaissance  au  Dieu  qtû 
t'a  délivré.  Dirupisti  vincuîa  mm;  tilitacrifiùabo  koHiam 
taudis. 

BAPTÊJffi  DES  ENFANTS  D'INFIDÈLES. 

Longtemps  on  n'avait  pu  régénérer  les  enbnts  d'infi- 
«KMes  que  sur  des  points  isolés  ;  le  nombre  de  ceux  qui 
passaient  du  berceau  dans  la  tombe  avec  lesoeau  dubop^ 
téme  était  encore  peu  considérable,  et  voilà  pourquei 
nous  en  avons  parlé  rarement  aux  pieux  Lectenrs  de  nés 
Annales.  Mai»  depuis  quelques  années,  ce  bienftits*est  dé^ 
vi(4oppé  dans  des  pi*oportions  plus  consotacnles.  Nos  Missim  - 
naires,  avec  les  aninOnes  de  T Association ,  sont  partentu 
à  le  généraKsef  dans  les  principales  chrétientés  de  TAsie; 
bientôt  on  aura  peine  à  compter  les  jeunes  prédestinés 
dont  ils  pcMfleront  le  ciel  ;  déjà  mème^  le  tableau  de  ceux 


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435 
4ju'îb  lui  ont  donnés,  est  assez  rîchc  pour  provoquer  la 
l'ecDonaiisaoce  et  Tadmiralion  de  notre  foi.  Aussi  roflrons- 
nous  aux.  membres  de  l'OEuvre  avec  un  religieux  empres- 
sement. Il  ne  se  composera  que  de  chiffres;  mais  des 
difllres  sont  assez  émouvants  lorsqu'ils  représentent  une 
multitude  d'âmes  conquises  au  bonheur  éternel! 

«  Cesl  par  millions,  écrit  Mgr  Pérocheau,  Vicaire 
apostolique^  que  chaque  année  en  Chine  les  parents 
tuent  leurs  propres  enfants.  Quand  ils  ne  les  étouffent 
pas  à  leur  naissance,  ils  exposent  ces  malheureuses 
créatures  sur  la  voie  publique,  où  leurs  corps  servent 
de  pâture  aux  chiens  et  aux  loups.  L'autorité  le  sait , 
rt  ne  punît  point  ;  personne  n^improuve ,  personne  ne 
blâme  même  les  riches  qui  n'ont  pas,  comme  la  classe 
jMmvre,  le  prétexte  de  la  misère  pour  excuser  un  si* 
grand  crime.  H  n'y  ti  tpie  la  charité  chrétienne  qui  s'en 
alarme.  Gnîce  aux  aumônes  de  la  Propagation ,  nous 
avons  déjà  sauvé  un  grand  nombre  d'orphelins,  qui  vous 
doivent  le  baptême  et  la  vie. 

«  —  (1)  Aux  époques  de  disette ,  on  dirait  quela  na- 
mre  perd  tous  ses  droits  sur  le  cœur  des  Chinois  païens. 
Alors  on  a  vu  des  pères  et  mères  refuser  de  partagc^^ 
Yefur  dernière  poignée  de  riz  avec  leurs  propres  enfants; 
qui ,  après  avoir  poussé  à  leurs  oreilles  des  cris  husacB- 
tables  pendant  quelques  jours ,  se  sont  éteints  dans  une 
maigrew  effrayante.  D'autres  >  pires  que  les  tigres , 
ont  tné  les  enfants  qui  venaient  de  naître ,  snrtout  le& 
filles,  ou  les  ont  jetés  à  la  voirie,  comme  chez  nous 
on  jette  un  petit  chien  qu'on  ne  veut  pas  élever.  Ces 
pamvrcs  créatures  exposées  sur  le  bord  des  rivières  > 
au  milieu  des  broussailles ,  ou  dans  queltpies  trous  fan- 
■fwa ,  fcnt  entendre  tles  cris  déchirants  ;  et  l'égcfere 


{i)  Eittiit4*«af  lettre  i%  M»  BertraBi,  MMsionoaire  apo<»tolif}e. 

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Chinois  qui  les  voit  ne  s'en  émeut  point  :  que  dis-je  ? 
il  en  rit  comme  si  c'étaient  de  vik  animauy  Pauvre 
peuple  !  que  de  fois  j*ai  senti  mes  entrailles  émues  à 
la  vue  de  tant  de  malheurs!  «  Que  n'avons-nous  la 
liberté?  me  suis-je  dit  bien  des  fois.  Je  ferais  au  ^onts 
en  petit  ce  qu'a  réalisé  saint  Vincent  de  Paul  en  Fran- 
ce. »  Vœux  inutiles  !  Ne  pouvant  sauver  la  vie  du 
corps  à  ces  petits  enfants ,  j'ai  cherché  à  procurer  le 
salut  de  leurs  âmes...  Deux  hommes  instruits  et  quel- 
que peu  médecins  que  j'emploie  à  cette  bonne  œuvre 
depub  huit  mois ,  en  ont  baptisé  six  cent  vingt-quatre, 
dont  plus  de  cinq  cents  sont  déjà  montés  au  ciel. 

«  —  (1)  La  Mission  du  Su-Tchuen  poursuit  son  œuvre 
du  baptême  des  enfants  païens  en  danger  de  mort ,  et 
le  Seigneur  continue  à  la  bénir.  Chaque  année  le  nom- 
bre de  ceux  qu'on  régénère  va  toujours  croissant. 
«Il  était  en  1839,  de  12,483 1 
en  1840,  de  16,766; 
en  1841,  de  17,826; 
en  1842,  de  20,068  j 
en  1843,  de  22,292; 
9  II  s'élève  cette  année  à  24,381. 
«  Nous  avons  observé  que  les  deux  tiers  de  ces  en- 
fants  environ    meurent   dans   l'année   même  de  leur 
baptême.  C'est  ainsi  que  sur  le  chiffre  de  1844,seiie 
mille  sept  cent  soixante-trois  ont  pris  peu  après  leur 
vol  pour  la  félicité  étemelle.  Ces  âmes  bienheureuses 
jégénérées  par  nous  dans  les   eaux  salutaires  du  bap- 
tême, fiCî'^ï'ont-elles  nous  oublier?  Pourront-elles  ou- 
blier la  généreuse  As9ociation ,  qui ,  après  Dieu ,  lenr 
a  ouvert  les  portes  du  ciel? 

(1)  EiUrait  d*iiiie  ItUre  de  Moueigneor  Përodieaa  ,  fietira  tfiiH 
lifM  an  So-Tclracii.      ^ 


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437 

«  Nous  payons  des  fid^es ,  hommes  et  femmes ,  qui 
connaissent  les  maladies  des  enfants ,  pour  aller  cher- 
cher et  baptiser  ceux  qu'ils  trouveront  en  danger.  II 
leur  est  facile  d'en  rencontrer ,  surtout  dans  les  villes  et 
dans  les  bourgs  où  affluent ,  les  jours  de  foire ,  une  foule 
d'indigents  réduits  à  la  dernière  détresse,  qui  viennent 
là  demander  l'aumône.  C'est  surtout  l'hiver  que  le 
nombre 'en  est  plus  grand,  parce  que  la  misère  est 
plus  pressante.  On  voit  alors  partout,  sur  les  routes, 
aux  portes  des  villes  et  des  villages ,  ou  entassés  dans 
les  mes,  dçs  pauvres  sans  nombre  privés  presque  en- 
tièrement d'habits,  n'ayant  ni  feu  ni  lieu^  couchant 
tn  plein  air,  si  exténués  par  les  longues  tortures  de 
la  &im  qu'il  ne  leur  reste  que  la  peau  et  les  os.  Les 
femmes ,  qui  sont  ici  les  plus  à  plaindre,  portent  sur 
le  dos  des  enfants  réduits  à  la  même  extrémité  qu'elles. 
Nos  baptiseurs  et  baptiseuses  s'en  approchent  avec  les 
douces  paroles  de  la  compassion,  offrent  gratis  des 
pilules  pour  ces  petits  agonisants  ,  donnent  souvent 
aux  parents  quelques  liards,  toujours  avec  une  grande 
bonté  et  avec  l'expression  du  plus  vif  intérêt. 

«  Pour  ces  malheureux ,  c'est  un  spectacle  ravbsant, 
presque  inouï.  Ils  permettent  volontiers  que  nos  gens 
examinent  l'état  de  l'enfant ,  et  leur'  versent  sur  le  front 
quelques  gouttes  d'eau ,  qu'ils  assurent  leur  être  sa- 
lutaire ,  en  même  temps  qu'ils  prononcent  les  paroles 
sacramentelles. 

€  Nos  chrétiens  baptiseurs  .sont  divisés  en  deux  classes. 
Les  uns  sont  ambubnts  et  vont  au  loin  chercher  les 
enÊints  moribonds.  Les  autres ,  attachés  à  des  postes 
fixes,  dans  les  villes  et  les  bourgs,  se  consacrent  à 
la  même  œuvre  dans  leur  voisinage.  Je  viens  de  faire 
imprimer  des  règles  distinctes  pour  les  diriger  et  les 
stimuler  tous  dans  leurs  belles  fonctions* 


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43S 

«  Les  hommes  forment  une  association  spéciale  qui 
a  pour  nom  Association  Angélique.  Chaque  année ,  de 
vive  voix  et  par  écrit,  je  presse  tous  les  preuves  de 
donner  plus  d'extension  à  celte  œuvre  qui  me  tient 
fort  au  cœur.  J*espère  pouvoir ,  Tan  prochain ,  lui  don- 
ner un  développement  beaucoup  plus  considérable,  si 
le  Seigneur  nous  conserve  dans  noire  peliie  tranquil- 
lité. C'est  seulement  depuis  quatre  ans  qu'existe  ÏJsso- 
dation  Angélique ,  et  c'est  à  son  zélé  concours  que 
nous  devons  d'avoir  levé  sur  le  paganisme  une  si  abon- 
dante moisson.  Plus  elle  fei*a  d'eiTorts,  plus  il  y  aura  da 
dépenses  ;  mais  l'argent  peut-il  être  mieux  employé?  Nous 
comptons  sur  la  charité  des  Directeurs  et  des  Associés  d« 
rOEuvre  si  admirable  de  la  Propagation  de  la  Foi. 

La  même  Association,  récemmentélablieauYun-Nan  par 
Mgr  Ponsot,  porte  déjà  ses  fruits  :  2,000  enfants  d'infidèles 
ont  été  baptisés  pendant  les  six  premiers  mois  de  184^. 

Au  Tchè-Kiang,  il  ne  se  passe  pas  d'année  qu'on  n'en 
baptise  au  moins  400. 

Dans  le  Xan-Si ,  les  infidèles  sont  dans  l'usage  d'in- 
viter eux-mêmes  les  chrétiens  à  baptiser  leiurs  enfants , 
lorsqu'ils  sont  en  danger  de  mort. 

Vicariat  apostolique  du  Chan-Si.  —  (1)  «  Il  s'est  éveillé 
parmi  nos  néophytes  un  esprit  d'émulation  qui  nous  comblt 
de  joie;  tous  rivalisent  de  zèle  pour  le  baptême  des  enfants 
moribonds  ou  exposés  ;  quand  on  peut  leur  conserver  la 
vie,  c'est  à  qui  aura  le  bonheur  de  les  élever  pour  l'amour 
de  Jésus-Christ.  Nos  médecins  ont  la  plus  grande  pari  à 
<'ette  bonne  œuvre  ;  les  uns  eh  baptisent  dix ,  les  autres 
trente  pnr  an  ,  les  plus  habiles  ou  les  plus  heureux  vont 
même  jusqu'à  cent  et  au  delà.  Une  vierge  chrétienne, 


ft)  Extrmt  d*uiie  Wttte  de  IHgr  Alphoate ,  Vicaire  «pesloli^e  ém 


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«oœmée  Aii0éKqiie  Son?,  apparieouu  à  usericbe^unUle, 
a  consacré,  pesdant  vingt  aos,  sa  fortune  à  sauver  ks  en*- 
(MMtde  sonsMce.  Afin  de  prévenir  le  meurtre  si  commun 
rfe  ces  pauvres  créatures ,  die  prometiaît  une  prime  auk 
mères  qui  coonervenûent  kurs  filles,  s-engs^^nt,  de 
phm,  à  les  nourrir  et  à  les  ëmer  à  sesfrais*  Lesâmesdom 
•Ile  a  peuplé  le  ciel,  r<mt  appdée,  il  y  a  peu  de  temps,  à 
neoevoir  réteroeUe  récompense;  ses  âUes  qui  lui  oui  sur- 
Técii,  pkurent  encore  celte  mèi^  adoptive,  et  ma  douleur 
aéra  longue  à  se  oakner. 

ProvinceduHoVi-KooaRf.  — (1)  «  J'eoci^uragepartom 
le  baptême  des  eaianfs  abandonnés  ;  mais  je  ne  puis  déve- 
lûf^r autimt^ue  je  le  désircaraiscotte  oeuvre  ijoiéredsonte, 
parce  que  je  suis  trèsr-pauvre.  Cepeudaiàt,  avec  Faidede 
vos  aumânes,  j'd)tiens  des  résoluits  bien  précieux*  Une 
seule  femme  chrétienne  en  a  bapiîsé  4(^3  dans  Fespaoe  de 
din  Ddois. 

Ile  de  HoBg^Koag.  —  (2)  a  On  élève  aussi  dans  rilo  di; 
Hoeg-Kong  une  maison  pour  recueillir  ks  enfants  cbinoi>, 
si  crnellemem  ^riiandounés  et  en  si  grand  nombre  daus  ce*. 
«laibeureuiL empire.  Et  ce  quidoitredoubkr  notre  ardetu* 
pour  la  diffusion  delasainteOEuviedelaPropagisitiondela 
Foi,c^eBt  qu'on  doit  aux  aumônes  des  Associés^  non-seuli«- 
IMnt  cette  pieuse  fondation,  mais  encore  tout  le  bien  qui  se 
iNt  d^BsTile.  Le  fruit  qu'on  espère  de  toutes  ces  dépens^j^ 
fit  d'autant  plus  grand,  qu'ici  les  p^uvresChinois  sont  ui- 
franchis  du  joug  tyrannique  du  céleste  emperettr,  et  qu'iiâi 
peuvent,  dans  toute  la  liberté  de  leur  conscience^  rendit* 
à  Dieu  le  seul  culte  d'agréable  oJeui*. 

«  —  (3)  Pour  la  consolation  de  vos  Associés,  laissez-moi 

■  I     I         I  ■       I         ■     i>       ■  I  I  I I  ■  I      n         y 

(1)  Extrait  d'une  \e\Lre  de  Mgr  Rizzolati.  Vicaire  aposloliq^ue  da  Uov- 
Kotiang. 

(2)  Extrait  d'une  lettre  du  Vhn  Cherubino,  MÎMÎonnaîrt  rrancûtcair:» 

(3)  Extnit  d'une  lettre  du  f^,  QiliViél  ll«r<*Ht.  Miitear  olnwrf anttn. 


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440 

yiom  dire  Tusai^  que  nous  faisons  de  leurs  aufliAnes  ;  elles 
ne  pouvaient  pas ,  ce  me  semble,  recetoir  une  desttnaUon 
plus  conforme  aux  inspirations  de  leurs  coeurs  généreux. 

«  Vous  savez  cpiel  est,  dans  ces  contrées  infidèles,  le 
sort  d'une  multitude  d'en£aints  exposés  sur  la  voie  pu* 
blique  :  leurs  corps  sont  dévorés  par  les  plus  vils  ani* 
maux ,  et  leurs  Âmes  restent  privées  pour  toujours  du 
bonheur  céleste*. •  Ce  que  vous  aurez  peine  à  croire,  c'est 
que  Tavarice  des  parents  soit  la  cause  la  plus  ordinaire  de 
4:es  infanticides.  Il  est  d'usage  ici  que  le  futur  époux 
achète  sa  femme.  Or ,  plus  un  père  a  de  filles  à  marier, 
moins  il  peut  les  vendre  cher ,  parce  qu'on  suppose 
qu'obligé  de  bire  beaucoup  de  dépenses  pour  les  nourrir, 
il  est  pressé  de  s'^  défaire.  D'après  ce  momtrueux  calcul, 
il  sacrifiara  donc  sans  pitié  cinq  ou  six  en&nts  à  l'espoir 
de  placer  plus  avantageusaonent  une  fille  unique. 

«  Déjà  depuis  plusieurs  années,  la  charité  des  Vicaires 
apostoliques  avait  recueilli  quelques-unes  de  ces  infortunées 
créatures,  qui  sont  devenues  plus  tard  de  ferventes  dire- 
tiennes  et  d'excellentes  mères  de  famille.  Mais  l'expérience 
a  fait  voir  que,  faute  de  lait,  leur  aliment  naturel,  plusieurs 
d'entre  elles  étaient  enlevées  par  une  mort  prématurée  ; 
c^est  pourquoi  l'on  a  conçu  l'année  dernière  le  projet,qu'on 
exécute  celle-ci ,  de  construire  un  hospice,  où,  réunies 
toutes  ensemble ,  elles  pourront  au  moins  être  allaitées 
par  des  brebis,  notre  pauvreté  ne  nous  permettant  pas  de 
taire  mieux. 

«  Cet  hospice  est  situé  dans  un  bourg  tout  composé  de 
dirétiens.  hmï%  sur  une  gracieuse  colline ,  il  est  protégé 
contre  la  violence  des  vents  par  une  ceinture  de  montagnes 
hautes  et  incultes ,  qui  servent  de  pâturage  aux  brebis 
nourricières. 

«  Noire  intention  était  de  ne  recevoir  au  plus  qu'une 
<louzaine  d'orpheKn&i  Mais  quand  cet  asile  sera  connu 

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441 

dans  le  resce  de  la  province,  les  pareuts  qui  conserveni 
encore  quelques  sentiments  d'humanité ,  préféreront  sans 
doute  nous  apporta  en  secret  leurs  p»ivres  enfants,  que 
de  les  jeter  en  pâture  aux  bétes.  Alors ,  fisuidra-t-il  les 
laisser  périr  à  la  porte  de  Tbospice  construit  pour  être 
leur  refuge?  Nous  n'aurons  jamais  cette  cruauté.  Quoique 
le  nombre  de  ceux  que  nous  avons  reçus  soit  déjù. supé- 
rieur à  nos  ressources,  nous  accueillerons  encore  ceux 
qu'on  viendra  nous  offirir  ;  le  cœur  plein  de  confiance  en 
Dieu,  et  les  regards  tournés  vers  TEurope,  nousadop-. 
terons  oes  nouveau- venus  au  nom  de  votre  sainte  Asso- 
ciation. 

Siam.  «  —  (1)  Il  y  a  parmi  nous  une  foule  de  gens  qui 
exercent  la  médecine.  Quand  l'occasion  se  présente  à  eux, 
ils  ne  manquent  pas  d'administrer  le  baptême  aux  enfants 
moribonds;  mais  combien  la  moisson  neserait-dlepasplus 
abondante,  si  l'on  pouvait  en  douter  dans  les  villes  voi- 
j^ines  et  même  au  loin,  en  leur  donnant  un  secours  annuel 
de  quarante  à  soixante  francs,  tant  pour  les  remèdes  que 
pour  frais  de  courses  l  Un  des  médecins  que  nous  avons 
à  [Juikia ,  parvenait  à  baptiser  de  60  à  100  enEatnts 
<  jûu]ue  année  ;  de  scMrte  que,  s'il  nous  est  permis  de  le 
dire,  on  sauverait  une  Ame  an  prix  du  plus  léger  sacrifice. 
Certes,  y  a-t-il  meilleur  moyen  d'empliqrer  lesamnônesde 
l'Œuvre  ?  Depuis  quelques  années,  le  nombre  de  ces  petits 
anges  monte  à  quatre  ou  cinq  mille. 

En  Mongolie,  le  dernier  cUffi^  que  Mgr  Mouly  nous 
ait  bit  connaître,  était  de  6,000  enOemts  pliens  régénérés 
à  l'article  de  la  mort. 

CocUnchine.  « —  (2)  Vous  recevrez  avec  plaisir  qud- 
cpies  détails  sur  une  de  nos  osuvres^  petite  en  appa- 

(i)  Extrait  d^nne  lettre  ée  MgrlPallegoix,  Vicaire  apostotîqae  do  Siaiii. 
t3)  Extrait  àuu9  lettre  de  H.  Feouiat*,  «««(nmalre  apditot{qn% 


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44i 

renée,  mais  qui  a  de  grands  réAiUats  pour  le  saint 
des  âines;  je  veux  parler  des  enfants  païens  baptisés 
à  l'article  de  la  mort.  Tout  le  monde  peut  s'en  oce«- 
per,  mais  on  peut  dire  que  c'est  principalement  l'œo- 
we  des  femmes;  elles  a^introduisent  plus  facilement  dans 
les  maisons ,  et  (m  s^en  défie  moins  que  des  hommes. 
Par  lears  charitables  soins  nn  nombre  considérable  de 
tes'  petites  créatures  re^îTent  à  peine  la  vie,  qu'elles 
l'échangent  avec  les  joies  sans  fin  du  paradis. 

«  Dans  im  village  dont  le  maire  est  chrétien,  il 
existe  une  maison  de  Rdigiensss,  que  Monseigneor  en- 
voie de  côté  et  d^autre  à  la  recherche  de  ces  iofbrts- 
nés  enfants.  EOes  vent  ordiMrement  denx  à  deux, 
une  vieille  et  une  jeune;  et  pendant  qne  la  plus  dgée 
lie  conversation ,  Tanire  qui  doit ,  selon  les  oonvenan* 
res  j  lui  céder  la  parole ,  s^approche  de  la  mère  cpn 
rieni  Tenfaot  malade,  on  s'assied  près  de  la  natte  sur 
laqueile  il  est  abadonné;  elle  le  flatte,  le  prend  dans 
ses  bras,  et  tandis  qu'elle  hri  prodigne  les  cm-eases, 
elle  parvient  h  iaire  dégoutter  sur  son  front  un  peu 
d'eau  d'un  flacon  qu'elle  tient  caché  dans  sa  longne  et 
Isrge  manche.  L'an  dernier  ces  BeUgieuses  en  ont  régé- 
néré 145,  et  depuis  environ  im  mois  elles 'ont  déjà 
atteint  le  chifire  de  96. 

«  Un  jour  elles  en  baptîsènot  lÂ;  quelquefois  eUes 
n'en  rencontrent  que  S  on  4;  mais  qwand  elles  ae 
■KUent  en  quête ,  il  n'esi  pat  de  jom*  qu'elles  ne  fes- 
sent des  bJenhemonx*  11  arrive  parfois  q&'elles  ne  re- 
viennent au  logis  qu'après  une  sennîne  de  courses. 
Elles  s'arrêtent  en  voyage  cImi  les  chrétiens  qui  les  res- 
pectent beaucoup.  ToiOes  leun  dépensée  sont  aïK  frais 
de  la  Mission. 

«  Lorscpie  vient  le  teaaps  des  maladies  poiu*  ces 
enjants,  que  de  parents  offinoit  à  nos  Rdigieoses  leurs 

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443 

nooT^aU'tiés  pour  quelques  ligatures  et  même  peur 
moîûs  !  Quand  ils  ont  déjà  quatre  ou  cinq  ans,  et  qu'on 
trouve  d^  chrétiens  qui  veulent  s*en  charger,  on  en 
achète  quelques-uns.  Combien  d'autres  femilles  les  don- 
neraient pour  rien ,  à  l'âge  de  quelques  jours ,  ou  de 
quelques  mois  I  Ah  1  si  nous  avions  les  mêmes  avanta- 
ges que  la  France!  Si,  comme  vous,  nous  avions  des 
Hospices  vastes  et  en  grand  nombre,  lisseraient  bien- 
tôt  remplis  de  ces  pauvres  délaissés. 

«  On  ne  peut  être  que  profondémem  affligé ,  en 
iftyant  le  peu  de  cas  que  les  païens  font  de  ces  pe- 
tites créatures.  Dès  qu'elles  sont  dangereusement  mala- 
des, ce  n'est  plus  pour  eux  qu'un  fardeau.  On  les  en- 
veloppe dans  des  lambeaui.de  natte,  et  on  les  éloi- 
gne de  sa  vue  I  —  Une  de  ces  personnes  que  Monsei- 
gneur envoie  baptiser,  renoonlra  siaù  un  enfant  éo 
quelques  jours ,  jeté  nou  krin  d'noe  BKiisoii  sur  le  fu- 
mier ,  la  figure  enfoncée  dans  la  fonge*  Heureusement 
il  vivait  eneore ,  et  put  recevoir  le  bapléme  1 

«  —  (1)  Les  païens  ne  peuvent  concevoir  le  lèle 
de  nos  néophytes  à  rechercher  les  enfonts  en  danger 
de  mort.  Pour  l'expliquer,  ib  forgent  nûUe  contes  ab- 
sBides  :  les  uns  disent  que  les  chrétiens  enlèvent  leurs 
ânes  et  se  les  approprient;  d'autpes,  qu'ils  jettent  sur 
les  enianfs  des  soru  pour  les  filtre  mourir  à  leur  plaœ, 
et  se  prolonger  ainsi  la  vie  à  euK-*méflMS. 

«  Si  puériles  que  smnt  ces  suppositions,  elles  ne 
laissent  pas  que  de  |H*évenir  contre  nous  oertains  esprits. 
Ainsi,  une  dirétienne  de  cette  province  fut  arrêtée, 
il  7  a  quelques  mois ,  par  la  mère  de  f  enGnt  qu^eilc 
venait  de  b^tptiser ,  et  inÉiiée  devant  deux  petits  man- 
darins mttitaires  qui  te  tronvaient  dans  la  cooMninc. 

(1}  Eurait  d'iroe  kttr*4e  Mgk-  Giifii#t,  éfèqw  de  M^(«lIopotU. 

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Ai* 

th  lui  demandèrenl  ce  qu'dle  avait  fisiit  à  oe  petil  i 
ribond  :  elle  l'avaaa  sans  détour  ;  et  ces  mandarins,  lois 
de  la  punir,  louèrent  au  contraire  le  zèle  généreux  qtti 
b  portait  à  faire  du^  bien  aux  âmes  des  enfants. 

«  Voici  le  résultat  de  nos  efforts  pendant  une  série 
de  neuf  ans,  c'est-à-dire  de  1836  à  1844: 
en  1835,      133,     . 

en  1836,      498,  dont         47  ont  survécu, 
en  1837,  1,027,  104 

en  1838,     663,  110 

en  1839,      729,  60  • 

en  1840,      770,  94 

en  1841,  1,881,  300 

en  1842,  2,565,  534 

en  1843,  8,273,  1,457 

Dans  la  Gochinchine  occidentale,  nouvellement  érigée 
en  Vicariat  apostolique,  plus  de  mille  enfants  mori- 
bonds ont  aussi  reçu  le  baptême  en  1843. 

Le  total  des  en&nts  baptisés,  pendant  Tannée  1843, 
dans  la  Mission  espagnole  du  Tong-King ,  est  de  11,260. 
Au  Tong-King  ocddental ,  Monseigneur  Retord ,  grou- 
pant les  chiffres  des  vingt  dernières  années,  porte  à 
32,558  le  nombre  des  entants  de  païens  baptisés  em 
danger  de  nKNrt.  «  La  |rinpart  d'entre  eux  ont  succombé 
peu  après,  ajotlte  le  Prélat,  et  jouissent  dans  le  ciel 
de  la  félicité  suprême.  »- 

«  (1)  —  Le  zëe  entreprenant  de  Monsagnenr  de 
Metdbpolis,  qui  avait  donné  une  si  heureuse  impul- 
sion à  rœuvre  du  baptême  des  enfants  en  danger  de 
mort,  vient  de  compléter  ce  premier  bienfait  en  do- 
tant la  Codiinchine  d^uoe  fondation  nouvelle  en  faveur 
des  enfiints  trouvés.  Plusieors  maisons  pour  Fun  et  Tau- 

(1)  EMrtil  é*unt  lettre  de  M.  Miche,  MissioDiiaîre  apostolique, 

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446  • 

tre  sexe  sont  déjà  élevées  à  cet  effet ,  et  remplies  de 
jeunes  iooocents  qui  y  troavent ,  outre  les  secours  né- 
cessaires à  la  vie  y  la  grâce*  du  baptême  et  une  solide 
instruction.  Un  jour  ils  béniront  la  divine  Providence  de 
les  avoir  arrachés  du  sein  de  leurs  mères  dénaturées,  pour 
les  placer  entre  les  mains  d'un  père  adoptif  qui,  sans  né- 
gliger les  soins  du  corps ,  veut  avant  tout  en  faire  des 
enfants  de  Jésus-Christ.  Dans  ce  moment,  Sa  GrandeiM* 
avise  aux  moyens  de  multiplier«ces  pieux  asiles  qui  pro- 
mettent d'autant  plus  pour  Tavenir^  qu'Us  seront  placés, 
non  pas  hors  du  royaume ,  mais  sur  les  lieux  mêmes 
ou  les  en£aints  sont  recueillis.  Cette  œuvre  entraînera 
sans  doute  de  grandes  dépenses;  mais  la  Providence  y 
pourvoira. 

«  Voilà  les  fruits  de  votre  Œuvre,  —  écrivaient,  il  y  a 
quelque  temps,  MM.  les  Directeurs  des  Missions  étnm- 
f^res  dans  une  lettre  collective  adressée  aux  deux  Conseib; 
—  c'est  vous  qui  peuplez  ainsi  le  Ciel  de  ces  innocentes 
créatures  qui  en  auraient  été  exclues,  si  vous  n'étiez  venus 
kor  en  ouvrir  l'entrée.  Par  vous,  ces  enfonts  sont  de- 
venus les  amis  de  Dieu ,  et  leur  reconnaissance  vous 
assure  leur  protection  • 

«  U  nous  est  doux  de  vous  répéter  que  personne  ae 
s'intéresse  plus  que  nous  au  succès  de  l'Œuvre  que  vous 
dirigez,  parce  que  vous  êtes  \youT  nous  une  seconde  Ptqh 
jidencey  et  que  nous  n'existons,  pour  ainsi  dire,  que  pas 
vonsu  Aussi,  Messieurs ,  nous  aimons  à  nous  associer  à  ce 
eencert  de  bénédictions  qui  montent  sans  cesse  vers  le 
ciel  pour  appelen$nr  vos  têtes  une  rosée  de  grâces,  à  ces 
nuéeê  de  petits  enfants  qîsi  vous  doivent  le  bonheur  de  voir 
Dieu,  et  à  tous  ces  martyrs  qai»  sous  la  hâdie  du  boor- 
reaa,  vous  léguèrent  tant  de  précieux  souvenirs ,  et  voas 
firent  pour  le  ciel  tant  de  promesses,  qu'ils  n'auront  fm 
iiaiH|ué<le  réaliser. 


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•  446 

NOUVELLES. 

LeilreduP.  FrançoUdsPhughe,  préfet  des  Capudm  de 
Syrie,  à  M.  le  prisiderU  du  Conseil  central  de  Lyon. 

Beyrouth,  le  Jiin  1845. 

«  Monsieur, 

«  Je  viens  aujourd'hui ,  plutôt  avec  mes  larmes  qu'a- 
vec la  plume,  retracer^les  cruautés  et  les  infamies  de 
tout  genre    commi^  dans  la  Syrie  au  mpis  de  mai 

dernier^  et  particulièreroent  dans  le  Liban Huit 

jours  avant  ces  scènes  déplorables ,  Abei  se  trouvait 
(iqà  occupé  par  les  soldats  du  gouvernement  turc ,  et 
le  commandant  de  ces  troupes ,  au  lieu  d'empêcher  les 
flésordres ,  se  mootira  onvertanent  hostile  aux  Maronites 
et  partisan  des  Druses,  puisqu'il  enlevait  aux  chré- 
tMB  tous  moyens  de  défense  eu  leur  ôtant  leurs  ar- 
mes, tondis  €|u'il  laissait  à  lears  ennemis  tous  les 
oMijens  d'attaque. 

«  Sur  ces  entrdaitts  j'étais  retourne  d'Abéi  à  Bey- 
routh ,  persuadé  que  la  paix  allait  se  rétablir.  Mais  au 
conu*aire,  le  8  mai,  les  Druses,  d'accord  avec  les 
«oldats  Uffos ,  projetèrent  la  destruction  d'Abéi.  Le 
vendredi  9,  tes  Drases  au  nombre  de  plus  de  deux 
aile  entourent  œ  village  de  tous  côtés,  et  Tassaillent 
,p»en|n'à  l'improvista;  ils  tuent  tons  ceux  qu'Hs  ren- 
oontrent,  et  awlient  le  fen  aux  maiiODs  des  chrétiens  : 
fas  sue  n'échappa  à  l'inoendie.  Les  Marotiltm  se  déien* 
dirent  natant  qu'ils  pnrent;  mais  étant  en  très^petit 
nombre,  ib  m  réfagièrent  dans  k  maison  d'un  prinoe 
dvélien  oà  ils  firent  enêore  quelque  réaîalance.  A  la 
4n  ib  dirait  céder ,  et  lonqu'ik  ae  fiflrent  vendus,  te 
Jkuses,  au  présence  du  eomosandant  des  troofes  or» 
qnes,  en  égorgèrent  treize.  Puis  un  chef  nommé  Bttnmd^ 


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447 
Aba-Macliat,  suivi  de  ses  gens,  tlAiacta<iiier  notre  coii^ 
rent  où  se  trouvait  le  Père  Charles-de-Lorette.  A  la  vue 
de  ces  barbares,  le  Missionnaire  se  mît  à  fuir  ;  loais 
poursuivi  et  atteint,  il  fut  neuversé  à  coups  de  sabre 
sur  la  tête  et  sur  les  épaules.  Ses  assassins  Tacbevèrent 
.à  coups  de  fusil,  lui  ouvrirent  le  ventre  et  brûlèrent 
soB  cadavre.  Ils  enlevèrent  ensuite  les  vases  sacrés  «t 
les  linges  de  Tautel,  déchirèrent  un  tableau  représen^ 
tant  Tassomption  de  la  Vierge,  et  mirent  la  cloche  de 
réglise  en  mille  pièces.  Le  professeur  arabe  de  Féco^, 
un  moine  maronite  et  deux  jeunes  élèves  âgés  de  douae 
ans,  périrent  avec  le  Père  Charles.  Les  missionnaires  amé* 
ricains  ont  trois  maisons  à  Abéî ,  elles  furent  respec*» 
lées,  et  eux  se  montrèrent  tout  à  fiiit  indifféraus  au 
désastre  des  catboliqties. 

«  Dans  la  province  de  Meten ,  ks  chrétiens  avaieR 
d'abord  été  victorieux;  mais  plus  tard  les  Drnsesbrù* 
lèrent  toutes  leurs  maisons  et  saccagèrent  notre  couvenf 
do  Solima.  où  ils  prirent  tout  ce  qu'y  avaient  laissé 
■os  deux  MissioHUÛres,  lesquels  prévoyant  ce  qiii  po»- 
«ût  arrivei-,  étaient  descendus  à  Beyrouth ,  depuis  quel- 
ques jours.  On  ne  voit  plus  dans  ce  pays  une  seule 
oMÛson  ni  une  seule  église  ;^  y  a  eu  grand  massacre 
des  chrétiens  et  surtout  des  etcdésiastiques.  Ceux  q«i 
mu  fm  éviter  la  mort,  et  en  {MUtiailîer  les  femmes  et 
les  eoÊuits ,  fugitife  et  dîspenés  i  Beyroudli  et  ailleors, 
tirent  les  larmes  des  yeux  à  ceux  qui  les  voient  ainn 
languir  de  misère  ;  et  les  cmaulés  ifui  ont  eu  .lieu  à 
Géun  et  aux  envirens  Suit  hotreur  i  entendre.  Lm 
Arases  attaquèrent  ces  kwiditéft,  qnoKpt'mi  y  efttpbcé 
A»  ifldato  pour  maintBnir  le  bm  ordres  mais 
ci  firent  tout  le  contraiie.,  0tr  ik  ne  fcnû^nt  qpas  4 
dv^iens  de  se  défendre.  Ces  fanatiques,  ainsi  déchaî- 
nés et  libres^  caaaDhnent  lea  ]Aus  horribles  cruautésec 


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448 

les  barbaries  les  plus  exécrables,  tuèrent  autant  de  chré- 
tiens quils  purent  en  trouver,  mutilèrent  de  jeunes 
filles,  égorgèrent  des  enfonts  dans  les- bras  de  leui-s  mè- 
res, et  assassinèrent  les  prêtres  et  les  moines  qui  n'eu- 
rent pas  la  possibilité  de  fîiir.  Ensuite  ils  saccagèrent 
le  pays,  de  concert  avec  les  soldats  du  gouvernement,- 
mirent  le  feu  aux  maisons ,  aux  églises ,  et  livrèrent  aux 
flammes  les  cadavres  des  preuves  et  des  religieux. 

«  Tout  est  détruit^  on  ne  trouve  plus  rien  d'entier 
de  ce  qui  appartenait  aux  chrétiens.  On  compte  plus 
de  40  prêtres  et  moines  massacrés,  130  églises  incen- 
diées et  démolies,  et  avec  elles  douze  monastères. 
Quant  aux  maisons  brûlées  et  en  ruines,  elles  sont 
innombrables.  On  voit  clairement  que  ceci  est  une  guerre 
contre  la  Religion ,  et  si  les  souverains  de  l'Europe  ne 
mettent  pas  un  frein  à  cette  persécution,  je  ne  sais 
comment  la  chose  finira  pour  tous.  les  Missionnaires.  De- 
puis trente-neuf  ans ,  je  suis  dans  cette  Mission  de  Syrie, 
et  je  n'ai  jamais  rien  va  de  pareil.  Ici ,  dans  les  villes 
de  Beyrouth  et  de  Seyde,  nous  avons  un  grand  nom- 
bre de  chrétiens  que  l'intervention  des  consuls  a  déli- 
vrés. Ils  sont  à  demi  nus,  privés  de  tous  leurs  biens, 
exposés  aux  rigueurs  de  la  saison ,  et  si  les  Europe»» 
et  MM.  les  consuls  n'en  avaient  eu  pitié  et  n'étaient 
venus  à  leur,  secours  par  des  aumônes  dignes  de  leur 
générosité ,  ils  auraient  certainement  péri  de  misère  et 
de  faim. 

«  A  l'instant  même,  j'apprends  que  dans  le  village 
de  Gézin ,  quarante  Maroniies,  hommes  et  femmes ,  qui 
y  étaient  demeurés  cachés  dans  les  décombres,  ont  été 
découverts  par  les  Dmses ,  et  obligés  de  se  faire  musul- 
mans pour  échapper  à  la  mort.  » 


Ljoo,  imprimerie  de  J.>B.  PsLàOAVP. 

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449 


rassiONS 

DE  ^AMÉRIQUE  DU  NORD. 


CANADA. 


Lettre  du  R.  P.  Chazelle,  de  la  Compagnie  de  Jésui,  é 
MM.  les  Membres  du  Conseil  central  de  V Œuvre  de  la 
Propagation  de  la  Foi,  à  Lyon. 

Sandvrich  (Haut-Caoada),  17  otHI  18i5. 


«  Messieuks, 

«  La  nouvelle  Mission  du  Canada,  établie  dans  le 
diocèse  de  Toronio,  vous  remercie  des  secours  qui 
viennent  de  lui  être  accordés.  Unis  à  près  de  huit  cents 
sauvages  catholiques  qui  sont  nos  enfants  en  J.-C. ,  nous 
offrons  pour  vous  et  pour  tous  les  membres  de  voire  As- 
sociation, à  Celui  qui  récompense  en  cette  vie  et  en 
l'antre,  le  saint  sacrifice  de  la  messe ,  nos  prières  et  nos 
faibles  travaux ,  avec  les  heureux  résultats  que  la  grâce 
leur  donne. 

«Ainsi,  Messieurs,  vous  arrive  des  extrémités  de 
rAmérique  duKord  et  des  derniers  rangs  de  lafarnî^' 

TOM.  XVII.  1 03.  NOVEMBRE  114  5.    ^'^'^^"^  ^^  ^"iftPS^^ 


460 
des  nations ,  ce  même  tribut  de  reconnaissance  que  vous 
recevez,  de  toutes  les  parties  du  monde  et  de  tant  de 
peuples  divers.  Que  cette  communication  réciproque  des 
trésors  de  lu  charité  est  un  beau  spectacle  I 

«  Plus  d'une  fois,  sous  ce  point  de  vue,  je  me  suis 
arrêté  à  contempler  TOEuvre  de  la  Propagation  de  la 
Foi ,  et  bientôt,  entraîné  par  le  cours  naturel  de  mes  ré- 
Oexîons,  je  la  voyais,  dans  Tesprii  qui  l'anime,  dans 
les  prodiges  qu'elle  opère ,  dans  son  organisation  et  dans 
son  histoire,  m'offrir  plusieurs  de  ces  iraits  divir.s  aux- 
quels on  reconnaît  les  institutions  que  Dieu  inspire  et 
bénit. 

«  Rien  de  plus  obscur  et  de  plus  faible  que  les  com- 
mencements de  cette  Association.  Et,  cependant,  née 
dTiier ,  elle  remplit  aujourd'hui  le  monde.  Par  elle,  les 
nations  sont  bénies.  Ce  n'est  pas  des  grands  et  des  riches 
qu'elle  tire  ses  puissantes  ressources  ,  mais  des  petits  et 
des  pauvres.  Combien  de  fois,  chaque  jour,  à  chaque 
heure,  l'obole  de  la  veuve  est  offerte ,  par  les  motifs  les 
plus  élevés ,  avec  une  courte  mais  fervente  prière  !  Vo- 
lontiers je  croirais  que  les  Anges  président  à  l'harmonie 
qui  règne  dans  une  Association  dont  les  parties,  si  nom- 
breuses et  si  diverses,  sont  toujours  unies  et  agissantes 
dans  un  accord  parfait.  Us  en  éloignent  les  obstacles ,  ec 
s'appliquent  surtout  à  faire  circuler ,  dans  tous  les  mem- 
bres de  ce  vaste  corps ,  le  principe  de  zèle  qui  lui  donna 
aaîssanee. 

«  L'époque  esc  encore  récente ,  ojl  l'Eglise ,  à  qui  tou- 
les  les  nations  ont  été  promiseB  et  qui  a  tant  de*  pertes 
douloureuses  à  réparer  y  porta  ses  regards  sur  tant  d'îles 
éloigiiées ,  jusqn^ors  inconnues ,  et ,  les  voyant  couver- 
tes de  peuples  infidèles ,  elle  fut  toucliée  d^un  vif  sen- 
de  compassion ,  elle^  cria   vers  le  Seigneur  et 

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451 
fut  exaucée  :  l'Œuvre  de  la  Propagation   de  la  Fol 
exi&te* 

«  Et  c'est  dans  la  ville  qui,  après  Rome,  est  la  ville 
des  Martyrs,  que  ce  magniBque  don  fut  fait  à  TEglise. 
On  le  comprend  :  un  si  puissant  secours  pour  propager 
le  christianisme  devait  se  trouver  là,  où  si  abondamment 
fut  répandu  le  sang  qui  est  la  semence  des  chrétiens.  Vous 
savez ,  Messieurs ,  quel  est  celui  qui  écrit ,  et  il  n'est  pas 
nécessaire  de  vous  dire  si  son  cœur  est  touché  de  cette 
nouvelle  gloire  de  sa  patrie. 

c  En  vous  offrant  aujourd'hui  l'hommage  de  leur  re- 
connaissance ,  les  missionnaires  du  Haut-Canada  désirent 
vous  Caire  connaître  les  principaux  résultats  qu'ils  se  pro- 
mettent de  vos  secours,  sur  lesquels  reposent  toutes 
leurs  espérances.  Il  est  juste  et  bien  naturel  que  vous 
sachiez  où  tend  une  œuvre  qui  est  la  vôtre. 

«  Je  crois  que  le  zélé  Prélat ,  à  qui  la  Providence  a 
confié  la  fondation  du  diocèse  de  Toronto ,  vous  a  fait 
part  de  ses  désirs  et  de  ses  projets  pour  la  conversion 
des  sauvages.  Dans  ce  but,  quelque  chose  a  été  com- 
mencé ;  je  vous  dirai  ces  premiers  essais*  Mais  aupara- 
vant il  est  nécessaire  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  peu- 
ples que  nous  avons  à  évangéliser. 

«  L'Amérique,  avec  ses  sauvages,  offre  un  spectacle 
digne  d'occuper  les  esprits  observateurs  et  solides ,  de 
même  qu'il  a  intéressé  toutes  les  itnaginations.  Mais ,  de- 
puis que  les  froids  calculs  du  commerce  et  de  la  coloni- 
sation se  sont  emparés  principalement  de  l'Amérique  du 
Nord ,  l'espèce  de  prestige  qui  s'attachait  à  ses  forêts , 
vaste  domaine  d'une  race  presque  mystérieuse,  a  disparu, 
et  ce  grand  phénomène  a  été  négligé  par  la  science  et  la 
philosophie ,  comme  par  la  curiosité  publique. 

«  D^autres  causes ,  teUcs  que  l'obscurité  des  traditions 

29. 

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462 

locales ,  ont  encore  contribué  à  détourner  l'esprit  euro- 
péen de  tout  ce  qui  pouvait  Tintcresser  à  l'homme  pri- 
mitif du  Nouveau-Monde;  et  peut-être  TEgiise elle-même 
ne  trouve  pas,  dans  l'histoire  de  ses  grandes  entreprises 
apostoliques,  la  page  que  méritent  les  Missionsdu  Canada. 

c  Je  ne  prétends  pas  répandre  quelque  lumière  sur 
un  sujet  peu  connu.  Mais  j'habite  le  pays  des  anciens 
peuples  américains  :  il  est  peu  changé;  je  vois  leurs  des- 
cendants dispersés  autour  de  moi  :  ils  sont  encore  sau- 
vages, ils  sont  encore  presque  tous  hors  de  la  vole  du 
salut;  et,  par  conséquent,  lorsque  je  cherche  &  ac- 
quérir les  connaissances  dont  un  Missionnaire  a  besoin , 
le  passé  ne  peut  que  se  mêler  au  présent  dans  mes  étu- 
des, et,  l'un  par  l'autre,  ils  se  manifestent  et  s'expli- 
quent. 

«  Je  dirai  d'abord  quels  sont  ces  débris  de  nations 
vers  lesquels  nous  sommes  envoyés.  Dans  les  diocèses  de 
Québec  et  de  Montréal ,  qui  renferment  le  Bas-Canada, 
se  trouvent  des  sauvages  de  trois  ou  quatre  tribus  prin- 
cipales. Ils  errent  presque  tous  au  nord ,  loin  des  lieux 
où  il  y  a  un  commencement  de  civilisation.  Peu  nom- 
breux ,  ils  vont  s'aflaiblissant  sous  le  poids  d'une  misère 
extrême. 

«  Le  Haut-Canada  ou  Canada-Ouest  est  divisé  en  deux 
diocèses  :  le  diocèse  de  Kingston  et  celui  de  Toronto.  Le 
premier  n'a  que  mille  sauvages  environ.  C'est  dans  le  se- 
cond qu'habitent  ceux  pour  lesquels  notre  Mission  a  été 
établie  :  ils  sont  plus  de  neuf  mille. 

«  Deux  langues  forment  la  grande  division  entre  les 
races  indiennes  de  ce  pays  :  la  langue  iroquoise  et  la  lan- 
gue algonquine.  La  première,  appelée  Mohawk  par  les 
Anglais,  est  celle  des  Six-Nations,  établies  depuis  1776, 
•or  la  Grande-Rivière,  ouRivière-Ouse,  qui  se  jettedans 

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le  lac  Erié.  Cinq  de  ces  nations  sont  les  mêmes  qui  for- 
mèrent autrefois  cette  confédératron ,  que  les  sanglantes 
défaites  de  tant  de  tribus  sauvages  et  les  malheurs  de  la 
Nouvelle-France  ont  rendue  célèbre.  On  les  appelait  or- 
dinairement les  cinq  cantons  troquois.  Voici  les  noms  qui 
leur  furent  donnés  par  les  Français  :  les  Agnins ,  les  On- 
cyouthes,  les  Onontagués,  les  Guyogouins  et  les  Tson- 
nonthouans.  Aujourd'hui  les  Anglaisdisent  :  les  Mobawks^ 
les  Oneidas ,  les  Onondagas ,  les  Cayagas  et  les  Sénécas^ 
Ces  peuples  habitaient  le  pays  qui  est  maintenanl  Vétâd. 
de  New-Yorck ,  au  N.-O. ,  principalement  le  long  du  la€^ 
Ontario.  Comme  la  plupart  restèrent  fidèles  à  TÂngie- 
terre ,  durant  la  guerre  de  Findépendance ,  Georges  1U« 
leur  accorda  une  étendue  de  teires  considérable  sur'  le& 
bords  de  la  rivière  Ouse.  Les  autres ,  après  avoir  vendu 
ce  qu'ils  possédaient,  sont  allés  s'établir,  pour  le  plus 
grand  nombre ,  dans  le  voisinage  d'une  baie  du  lac  Mi- 
chigan,  la  Baie-Verte;  ils  sont  connus  sous  le  nom  d'lEt« 
diens  de  Ncw-Yorck, 

«  Cesircquois,  qu'on  peut  appeler  les  Romains  de 
rAmérique  du  Nord ,  s'incorporaient  quelquefois  les  na- 
tions vaincues.  Une  d'enlr'elles  a  conservé  son  nom  :  les . 
Toscaroras.  Voilà  pourquoi  on  dit  maintenant  les  Six- 
Natîons.  L'année  dernière  je  les  visitai  :  je  parcourus  le» 
bords  de  la  Grande-Rivière.  Cette  population  se  monte 
à  deux  mille  trois  cenu  âmes;  et  sur  ce  nombre  deux 
mille  environ  sont  encore  infidèles  :  ils  ont  conservé  le 
sacrifice  du  chien-blanc. 

«  Sous  le  rapport  de  la  civilisation ,  le  progrès  est 
à  peu  près  nul.  Encore  quelques  années  et  l'on  ne  trou- 
vera plus  ces  sauvages  sur  les  bords  riches  et  pittores- 
ques de  la  Grande-Rivière;  ils  s'éloignent  et  le  gouver- 
nement veut  les  éloigner.  Tels  sont  les  Iroquois  d'au- 


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jourd'kui.  Le  nom  qu'ilft  uenneDl  de  Kurs  ancétre&« 
fait  encore  trembler  les  autres  sauvages ,  laniii^  que 
rabaissement  auquel  ils  sont  réduits  inspire  au  voya- 
geur Téionnement  ^et  la  compassion.  Comme  Dieu  « 
visité  riniquité  des  pères  sur  les  enfants!  Esl-ce  assez? 
Le  sang  des  martyrs  ve  demande- t-il  pas  aussi  misàri- 
corde?  El  n'y  aura  t-il  poiut,  parmi  ces  naiions  barba- 
res, comme  autrefois,  du  moins  quelques  âmes  choisies? 
Nous  Tespêrons  et  nous  prions  le  Seigneur  d'envoyer 
et  de  remplir  de  son  esprit  ceux  à  qui  celte  œu\re  d'a- 
pôtre est  destinée. 

«  L'autre  langue ,  dont  il  a  été  question ,  n'a  rien  de 
commun  avec  celle  dos  Iroquois.  Elle  est  presque  uni- 
verselle ,  depuis  la  baie  d'Hudson  jusqu'aux  Moniagnes- 
Roclieuses  :  c'est  la  langue  du  commerce.  Elle  a  plusieurs 
dialectes,  mais  peu  difîbrents.  Nous  l'appelons  Àl^on- 
quine,  quoique  le  peuple  de  ce  nom  ne  parle  peut  êire 
qu'un  dialecte. 

«  Je  ne  rapporterai  ici  que  les  deux  grandes  divi- 
sions, sous  les(|uelies  les  Anglais  et  les  Américains  com- 
prennent presque  toutes  Ie>  tribus  indiennes  qui  parlent 
TAlgonquia  :  les  Ollawas  et  les  Chippewais.  Ce  sont-là 
les  sauvages  qui,  avec  le>  Molia^ks,  se  trouvent  daias 
le  Haut-Canada,  et  forment  uoe  population  de  plus  de 
10,000  âmes.  Il  y  en  a  environ  8,000  dans  léiat  du 
Michigan,  dans  le  diocèse  du  Détroit. 

«  Le  gouvernement  anglaîs  a  partagé  ceux  qui  sont 
sous  sa  domination  en  surintendances.  Il  y  a  un  dépar- 
tement indien  qui  administre  le  produit  des  lerrt^  ven- 
dues à  la  couronne.  Le  revenu  annuel  de  ces  fonds  en 
eoiployé  à  bâtir  des  églises,  des  écoles  et  des  maisons 
dont  souveot  les  sauvages  ne  veulent  point.  Il  sert  num 
k  ce  qii'on  appelle  les  Présmts^  c'est-à-dire  à  une  diftUi- 


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butioD  annuelle  d'armes  et  de  munitions  ,  de  couteani, 
de  couvertures  de  laine  et  de  quelques  morceaux  d'é- 
toffes. 

«  Ce  ne  fut  qu'en  1830  qu'on  vit,  dans  le  Haut- 
Canada,  des  missionnaires  hérétiques  clierchant  a  cou- 
veriir  les  sauvages.  Ces  missionnaires  étaient  des  métbo- 
disies.  Âpeine  ont-ils  pu  fonder  trois  établissements  biea 
faibles.  Mais,  par  leurs  courses  et  leurs  Camp-Meetings ^ 
ils  ont  obtenu  une  inQuence  qui  est  devenue  en  quelques 
endroits  un  grand  obstacle,  le  seul,  à  proprement  parler, 
que  nous  présente  le  protestantisme.  Car ,  avec  toutes  ses 
ressources ,  Téglise  d'Angleterre  n*est  point  une  riva^ 
dangereuse.  Nous  ne  lui  demandons  que  la  liberté,  qiu 
d'ailleurs  nous  est  garantie  par  les  traités  les  plusse 
lennels. 

«  Je  ne  saurais  dire  ce  que  le  catholicisme  a  fait  pour 
ces  pauvres  sauvages  du  Haut-Canada,  pendant  pr^d'ut4 
siècle ,  alors,  qu'ils  étaient  beaucoup  plus  nombreux 
qu'aujourd'hui  et  qu'ils  aimaient,  en  général,  à seia|^ 
pelt'r  les  Robes-Noireê.  Le  diocèse  n'avait  point  smm 
d'apôtres  pour  leur  en  envoyer.  Voici  seulement  ÏSL^e^ 
tième  année  depuis  que  M.  Proulx,  prêtre  c^nadieM, 
rouvrit  le  premier  une  Mission  indienne,  et  s'établit  dan» 
lu  Grande-Manitouline.  Enfin  ^  après  bien  des  éximt' 
ments ,  nous  que  la  Providence  a  appelés ,  nous  «m 
heureux  de  ce  que  la  porte  nous  a  été  ouverte.  11  conviem 
de  dire  un  mot  de  nos  vues ,  de  nos  désirs  et  de  nos  «m" 
vaux  commencés. 

«  Sandwich  est  une  paroisse  presque  entièrement  com- 
posée de  Franco-Canadiens.  Elle  fut  divisée  en  deux  il  j 
a  dix-huii  ans.  Ces  deux  paroisses,  Sandvrich  et  Âmhost- 
burg ,  sont  les  seules  qu'il  y  ait  dans  toute  ccite  partie  éû 
Haut-Canada  qui  est  uo  pays  de  Missions.  Sandwich  «t 


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a  ville  du  Détroit,  capitale  de  Tétat  du  Mlicliigm,  ne 
urent  dans  Torigiae  que  deux  villages  sauvages.  Les  Jé- 
suites y  avaient  réuni  les  Hurons  catholiques,  qui  ne 
descendirent'  point  à  Québec  après  la  sanglante  catas- 
trophe qui,  jointe  à  la  famine,  détruisit  presque  toute 
cette  nation  puissante.  Le  dernier  Missionnaire ,  le  P. 
Pothier,  mourut  ici  en  1781.  Ses  successeurs  furent  des 
prêtres  de  Québec.  Mais  déjà  vers  les  dernières  années 
du  P.  Pothier,  presque  tous  les  Hurons  étaient  partis. 

«  Cette  paroisse ,  appelée  autrefois  TÀssomption  du 
Détroit,  en  nous  oifrant  un  ministère  important  à  rem- 
plir auprès  des  catholiques  d'origine  Irançaise  et  des 
Irlandais  du  voibinage ,  devient  le  premier  poste  d*oii 
nous  nous  élançons  au-devant  des  tribus  sauvages  qui 
nous  attendent. 

«  Sandwich  est  situé  à  neuf  milles  du  lac  St-Claûr  et  i 
soixante-quatorze  du  lac  Huron,  sur  la  rive  gauche  du 
fleuve  du  Détroit.  La  première  Mission  que  nous  avons 
fondée  est  dans  une  lie,  i  l'entrée  du  lac  St-Clair,  ap- 
pelée rile-du-Sud  ou  l'île  Walpole.  Cette  Ile  n'est  habi- 
tée que  par  les  Indiens.  Quoiqu'ils  soient  un  mélange 
4e diverses  nations,  ces  sauvages  sont  prodigieusement 
unis  dans  un  esprit  de  nationalité  dont  on  ne  trouve  ail* 
leurs  aucun  exemple.  Ils  se  glorifient  d'être  les  seuls  des 
PeauX'Rouges  qui  soient  restés  fidèles  aux  coutumes  de 
lenrs  ancêtres.  Ennemis  par  conséquent  de  tout  ce  qui  a 
Tapparence  du  christianisme,  ils  nourrissent  et  fortifient 
leur  éloignement  pour  la  prière  et  même  pour  la  civili- 
sation, parles  pratiques  habituelles  de  la  jonglerie  on 
magie  sauvage.  Depuis  près  d'un  an  que  nous  sommes 
dans  l'Ile  Walpole,  le  Seigneur  nous  a  envoyé  bien  des 
^preuves,  mais  il  ne  nous  a  pas  laissés  sans  consolations* 

c  A  vingt-cinq  milles  de  Tlle  Walpole ,  près  du  lac 


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Huron,  est  ce  qu'on  appelle  une  Réserve  indienne  y  c'est- 
à-dire  une  certaine  étendue  de  terres  que  le  gouverne* 
ment  a  laissée  aux  sauvages.  Cette  réserve  est  de  quatre 
milles  carrés  sur  la  rive  gauche  du  fleuve  St-CIair.  Les 
méthodistes  y  ont  une  mission  établie  depuis  1831»  Là, 
tous  les  ans  au  mois  de  septembre  ou  d'octobre ,  se  re- 
nouvellent dans  un  camp-meeting  les  hurlements  et  les 
convulsions  de  la  plus  fanatique  des  sectes.  Là ,  cepen- 
dant. Dieu  nous  a  aussi  donné  un  petit  troupeau  de 
néophytes. 

«  De  Port-Sarnia  à  la  plus  grande  des  lies  du  lac 
Huron,  appelée  Manitoualine  ou  Manitouline,  la  distance 
est  d'eaviron  deux  cents  milles.  Cette  lie  appartient  aux 
sauvages.  Le  nombre  de  ceux  qui  Thabitent  se  monte  à 
onze  cents.  Il  y  a  cinq  villages.  Dans  un  seul ,  on  voit  des 
cabanes  bien  bâties,  une  église,  une  école,  des  ateliers; 
c'est  celui  où  l'église  d'Angleterre  a  réuni  tous  ses  con- 
vertis. Ils  ne  sont  pas  plus  de  cent  soixante ,  quoiqu'on 
donne  un  logement  et  d'autres  gratifications  à  quiconque 
veut  se  faire  protestant.  Les  catholiques  ne  reçoivent 
rien,  et  cependant  ils  sont  près  de  sept  cents.  Vaste, 
riche  et  admirablement  située  pour  des  sauvages ,  la 
Grande-Manitouline  pourrait  être  considérée  comme  un6 
terre  promise ,  ou  le  Seigneur  appelle  les  tribus  algon- 
quines  dispersées  et  errantes.  Il  semble  que  leurs  infor- 
tunes ont  fait  monter  vers  le  ciel  un  long  cri  de  détresse 
qui  a  touché  le  cœur  de  Dieu. 

«  Depuis  1648,  époque  où  les  Jésuites  fondèrent  leur 
première  Mission  à  Manitouline,  que  de  changements  sur 
l'un  et  l'autre  hémisphère  1  Et  la  grande  tie  du  lac  Huron 
n'a  pas  changé I  Ses  rivages,  ses  forêts,  ont  conservé 
leur  beauté  primitive ,  et  c'est  la  vieille  race  américaine 
qui  l'habite  encore.  Les  brillants  steamboats  et  les  hauts 


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navires  de  tout  genre  qui  «illonneni  le  lac  Huron»  ne 
l'ent  point  encore  visitée.  Elle  n'aime  et  ne  reçoit  que  U 
petite  barque,  Tarbre  creusé  en  canot  et  la  Nacelle  d'é» 
corce. 

«Au  mois  de  juillet,  époque  des  Présents  ^  vousvoya 
CCS  canots  arriver  par  centaines  de  tous  cAtés,  principale- 
ment du  lac  Supérieur.  Bientôt  les  tentes,  les  cabanes  de 
joncs ,  de  feuillage,  sont  élevées,  et  deux  ou  trois  camps 
principaux  existent  sur  les  bords  pittoresques  de  quelque 
baie.  Vous  apercevez  bien ,  ici  et  là ,  quelques  hommei 
et  des  choses  qui  annoncent  la  civilisation;  mais  ce  n'est 
que  comme  un  faible  contraste.  Le  grand  spectacle  c'est 
la  vie  sauvage,  en  temps  de  paix  et  dans  ses  jours  solen- 
nels. Alors  la  Robe^Noire peut ^  comme  il  lui  plaît,  se 
promener  autour  de  ces  camps,  entrer  dans  les  cabanes, 
s'asseoir  sur  la  natte  du  chef;  elle  peut  causer,  prêcher, 
se  faire  tout  à  tous,  sauvage  môme  pour  gagner  les  sau- 
vages. Une  chose  néanmoins  lui  manque,  une  grande 
diose!  le  temps;  car  aussitôt  que  b  distribution  des 
présents  est  finie,  cette  foule  se  disperse.  Cependant  on 
conçoit  les  heureux  résultats  que  le  saint  ministère  peut 
avoir  dans  une  réunion  si  nombreuse. 

«  L'année  dernière,  le  P.  Choné  s'y  est  trouvé  avec 
M.  Proulx.  Il  venait  d'arriver  de  Sandwich.  Depuis  lors 
ce  Missionnaire  n'a  cessé  de  travailler,  non  sans  quelque 
succès ,  auprès  de  ses  cbers  insulaires  catholiques  ou  in- 
fidèles. Manquant  presque  de  tout,  il  semble  n'épi*ouvcr 
d'autre  besoin  que  celui  d'avoir  des  colkiborateurs,  parce 
qu'il  voit  ce  qu'on  peut  espérer  et  ce  qu'on  devrait  faire. 
Le  Seigneur  lui  enverra  sans  doute  bientôt  des  secours 
spirituels  et  temporels;  son  troupeau  ira  croissant,  et 
la  Grande-Manitouline  deviendra  le  centre  des  Missions 
que  noas  avons  à  fonder.  Tel  est  notre  espoir. 


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«  An  sujet  de  ces  MissioBS  à  fonder ,  je  dois  dire  que 
Mgr  TEvéquedu  Détroit,  d'accord  tixec  celui  de  Toronto, 
BOUS  appelle  au  Saut-de-Sie-Marie  où  nos  Pères  avaient 
jadis  uae  ebrétienlé  florissaitte.  J'ajouterai  que  le  même 
Prélat  nous  presse  aussi  d'aller  sur  le  lac  Supérieur, 
qu'il  nous  indique  Tcndroit  où  nous  devons  nous  établir, 
ei  qu'il  nous  présente,  avec  quelques  néophytes,  une 
foule  d'infidèles  à  qui  il  ne  peut  envoyer  de  Missionnaire. 
A  cette  invitation  de  Mgr  l'Evêque  du  Détroit  répondent 
tous  nos  désirs;  car  les  Missions  dont  je  viens  de  parier, 
împorianles  par  elles-mêmes,  le  deviendront  surtout  par 
celles  qui  en  continueront  la  cbatne  :  elles  doivent  nous 
conduire  bien  loin.  Quand,  sur  les  bords  du  lac  S^ 
Clair,  l'imnée  dernière,  nous  dressions  notre  lente,  déjà 
nous  songions  à  la  transporter  sur  le  rivage  de  quel- 
qu'une des  baies  du  plus  grand  lac  du  globe,  en  face  de 
celle  immonsiié  de  forêts,  de  prairies  et  de  lacs,  qui 
s'éiend  jusqu'aux  Montagnes-Rocheuses. 

«  Cette  pensée,  ce  désir  tienner..  au  fond  même  de 
notre  entreprise  et  sont  impérieusement  commandés  par 
les  circonstances  ;  et,  en  effet,  les  nations  indiennes  les 
mieux  conservées,  les  plus  nombreuses,  sont  répandues 
dans  cet  inunense  Ouest  qui  touche  au  lac  Supérieur.  La 
plupart  n'ont  jamais  eu  de  Missionnaires  catholiques ,  et 
depuis  assez  longtemps  elles  sont  visitées  par  desprédî- 
cants  méthodistes»  Quand  on  s'arrête  à  cette  pensée  «  il 
n'est  pas  besoin  d'avoir  beaucoup  de  zèle  poiur  sentir 
ses  entrailles  émues. 

«  Je  dirai  encoi*e  une  chose  :  ces  sauvages ,  tels  que 
nous  1q&  connaissons,  depuis  le  lac  Si-Clair  jusqu'au  lac 
Supérieur,  ont  de  q;uoi  intéresser  vivement  quiconque 
a  quelques  seniimenU  apostoliques,  non-seulement  à 
cause  de  leurs  grandes  inforuuiei  nati«nales  et  de  leur 


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misère  privée ,  qui  est  quelquefois  extrême ,  non-seule- 
ment par  leur  déplorable  situation  aux  yeux  de  la  Foi , 
mais  encore  par  des  qualités  estimables  qui  se  révèlent  à 
un  sage  observateur,  par  un  certain  penchant  au  catho- 
licisme et  par  l'autorité  puissante ,  paternelle,  divine, 
qu^ils  aiment  à  reconnaître  dans  la  Robe-Noire. 

«  Je  sais  qu'on  a  dit  :  Le  sauvage  est,  dans  l'espèce 
humaine,  au  dernier  degré.  Mais  cette  proposition,  à 
cause  de  sa  généralité  et  dans  le  sens  qu'on  lui  donne 
ordinairement,  est  fausse.  Car  l'Indien  a  son  type  de 
beauté  physique  assez  remarquable  :  on  en  est  quelque- 
fois singulièrement  frappé.  Or,  est-ce  là  tout  ce  que  Dieu 
lui  aurait  donné?  Est-ce  là  tout  ce  qu'on  admire  dans 
un  guerrier  de  la  race  rouge?  Si  les  formes  et  les  maniè- 
res peu  attrayantes  ne  sont  pas  un  signe  de  l'absence 
des  belles  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur,  pourquoi  les 
habitudes  de  la  forêt  le  seraient-cUes  ?  Il  faut  qu'on  ap- 
prenne à  mieux  juger  les  sauvages* 

«  On  dit  encore  :  L'Indien  n'est  pas  ce  qu'il  fut  autrefois* 
—  Dans  le  conseil  de  guerre  et  sur  le  champ  de  bataille, 
cela  est  vrai  ;  mais ,  s'il  a  moins  de  sagesse  et  de  valeur, 
il  a  aussi  moins  de  fourberie  et  de  férocité.  On  peut  dire 
qu'il  n'est  pas  méchant.  Ses  défauts  ont  été  singulière- 
ment affaiblis  et  ses  bonnes  qualités  ne  sont  pas  éteintes. 
Le  sauvage  est  un  véritable  enfant.  Toute  éducation  ne 
lui  convient  pas.  Vouloir  l'élever  et  le  civiliser  comme 
un  Européen ,  c'est  presque  vouloir  changer  la  couleur 
de  sa  peau. 

«  Seule,  l'Eglise  catholique,  cette  sage  et  tendro 
mère  de  tous  les  habitants  du  globe ,  sait  donner  à  cha- 
que peuple,  comme  à  chaque  individu ,  ce  qu'il  lui  CitM 
pour  cette  vie  et  pour  l'autre.  Elle  peut,  modifiant  la 
nature  et  les  habitudes  de  l'Indien ,  le  rendre  chréUen 


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fervent  et  heureux,  sans  qu*il  cesse  d'être  sauvage.  Au 
contraire^  moins  il  aura  de  rapports  avec  Thabiiant  des 
cités  9  plus  sa  régénération  sera  aisée  et  durable. 

«  Voilà  pourquoi  la  Grande-Manitouline  nous  paraît 
être  un  refuge,  un  sanctuaire  pour  nos  sauvages.  Dans 
cette  lie ,  loin  des  sectes  et  des  vices  des  hommes  dvi- 
lisés  I  loin  des  marchands  et  sur  tout  des  vendeurs  de 
boissons  enivrantes  ,  nous  avons  Tespoir  de  recueillir  uH 
bon  notnbre  de  ces  pauvres  enfants  de  la  forêt,  que  pour- 
suit, jusque  dans  leurs  plus  éloignées  et  leurs  plus  âpres 
solitudes ,  cette  cruelle  civilisation  qui  les  a  dispersés 
et  presque  anéantis. 

«  Ici ,  une  pensée  se  présente  bien  naturellement. 
Voilà  donc  à  quel  degré  de  misère  et  d'abaissement  sont 
descendus  les  maîtres  de  ce  riant  et  magnifique  pays  I 
Sans  doute  une  parole  de  châtiment  et  de  mort  fut  en- 
voyée d'en  haut  contre  ces  nations  barbares  :  elle  a  eu 
son  accomplissement.  Mais  la  miséricorde  suit  la  justice  ; 
le  Seigneur  a  pitié  de  ceux  qui  souffrent ,  et  un  jour  ar- 
rive où  il  a  surtout  pitié  des  peuples  sur  lesquels  son 
bras  s'est  appesanti,  et  qui  n'existent  plus  que  dans  quel- 
ques restes  dispersés  et  mourants. 

«  Ces  restes^  d'ailleurs,  appartiennent  à  l'Eglise,  puis- 
qu'elle acheta,  il  y  a  deux  siècles^  cette  nouvelle  terre , 
au  prix  des  sueurs  et  du  sang  de  ses  Missionnaires.  Alors, 
autour  de  ces  lacs  et  de  ces  forêts  immenses ,  elle  re- 
cueillit de  belles  prémices.  Nous  le  disons  même  aux 
sauvages  païens  ou  protestants  :  «  Vos  përes  furent  ca- 
tholiques. »  Ils  nous  écoutent ,  et  il  y  a  parmi  eux  assez 
de  souvenirs  pour  que  ce  iait  ne  soit  pas  contesté,  assez 
d'intelligence  pour  qu'il  soit  compris. 

«  Par  conséquent,  dans  ceux  qui  furent  autrefois  ici  le 
peuple  de  Dieu ,  toute  cette  postérité  sauvage  doit  trou- 


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462 

ver  des  bénédiciions.  C'est  noire  pensée,  c'est  noire  es- 
poir 9  et  c'est  aussi  un  encouragement  accordé  à  noire 
faiblesse.  Car/ aussi  bien  que  nos  néophytes,  nous  avons 
besoin  de  nous  rappeler  le  passé  et  d'y  voir  nos  pères. 
il  est  vrai  que,  par  la  comparaison,  ce  passé  nous  hu- 
milie et  pourrait  nous  abattre;  mais  aussi ,  sons  tant 
d'antres  rapports ,  il  est  bien  propre  à  nous  dcmner  des 
forées. 

«  Que  Dieu  soit  béni  1  II  a  daigné  nous  appeler ,  et 
nous  soonnes  venus  avec  joie  et  confiance;  nous  avons 
commencé  cette  ceuvre  de  salut,  et  nous  la  continuons» 
animés  des  mêmes  sentiments,  parce  qni3  nous  comp^ 
tons  sur  les  grâces  si  puissantes  de  TEglise  ,  sur  celles 
de  notre  vocation  spéciale,  et  sur  les  prières  que  fait 
pour  nous  l'Association ,  véritable  miracle  de  Providence 
opéré  pour  être  un  nouveau  et  puissant  auxiliaire  du 
miracle  toujours  subsistant  de  la  propagation  de  la  foi. 

«  J'ai  l'honneur  d'être,  avec  un  profond  respect  et  la 
plus  vive  reconnaissance ,  Messieurs , 

«  Votre  très-humble  et  obéissant  serviteur, 
«  P.  Chazelle.  » 


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463 


COLOMBIE. 


Extrait  d'une  lettre  de  M.  Bolduc ,  Missionnaire 
apostolique,  à  M.  Cayenne. 


CowHu,  le  i5  février  181'*. 


«  Monsieur, 

«  Voilà  près  d'un  an  que  je  n^ai  pas  eu  la  satisfaction 
de  pouvoir  vous  écrire.  Depuis  celle  époque  j'ai  fait  en- 
core, parmi  nos  sauvages,  de  nouvelles  excursions  dont  je 
me  propose  de  vous  rendre  compte ,  après  vous  avoir 
dit  quelques  mois  sur  les  vastes  solitudes  que  nous  évan- 
gélisons. 

«  D*après  les  rapports  des  premiers  navigateurs  an- 
glais qui  visitèrent  les  côtes  de  TÂmérique,  au  nord  du 
fleave  Colombia,  il  parait  que  le  territoire  portant  le  même 
nom  fut  anaennement  découvert  et  habité  par  des  Espa- 
goois  ;  Ton  voit  encore  aujourd'hui  des  ruines  en  briques, 
restes  de  ces  premiers  établissements,  formés  dans  la  vue 
cfanker  les  nations  sauvages  à  b  connaissance  de  TEvan- 
gile.  Parmi  les  bdigènes  on  a  trimTé  ici  des  reliques  at- 
mtant  ce  &it  ;  un  cruci€x  de  enivre,  tout  usé,  est  de  temps 
imniémorial  au  pouvoir  d\me  tribu.  Comment,  par  qui 
fat-il  apporté?  voilà  ee  qa'dto  ne  prat  dire.  (Test;  très- 

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464 

probablement  vers  le  temps  où  ils  s'emparèrept  de  la  Ca- 
lifornie, que  les  Espagnols  formèrent  un  établissement  sur 
l'île  Vancouver,  séparée  de  la  terre-ferme  par  le  détroit 
de  Juan  de  Fuca.  Gray  découvrit  le  fleuve  Colombia  ;  Van- 
couver le  remonta  jusqu'à  la  pointe  où  est  bâti  le  fort  qui 
porte  son  nom,  et  prit  possession  du  pa}*s  environnant. 

«  La  vaste  contrée  qui  s^étend  entre  les  Montagnes- 
Rocheuses  et  rOcéan  pacifique ,  se  divise  en  deux  zones 
distinctes  par  leur  climat,  par  leur  aspect,  par  leurs  pro- 
ductions; la  ligne  de  séparation  court  parallèlement  aux 
rivages  de  la  mer  du  sud,  dont  elle  se  tient  éloignée  d'en- 
viron deux  cents  milles.  Moins  boisée  que  les  régions 
de  Touest ,  la  partie  orientale  s'élève  par  plateaux,  dont 
les  plus  éloignés  servent  de  base  aux  monts  Hood,  Sainte- 
Hélène,  Reignier  et  Raker.  Les  cimes  de  ces  montagnes  s'é- 
lancent dans  les  airs  à  une  hauteur  de  quinze  &  seize  mille 
pieds,  et  sont  couronnées  de  neiges  éternelles.  L'année 
dernière,  les  monts  Baker  et  Sainte-Hélène  sont  devenus 
volcaniques;  et  même  depuis  quelques  mois ,  le  premier 
a  éprouvé  des  changements  considérables  de  forme,  du 
côté  où  se  trouve  le  cratère.  Dans  la  zone  orientale,  le 
climat  est  sec  et  sain  ;  en  hiver  comme  en  été  la  pluie  y 
est  très-rare  ;  la  neige  ne  s'élève  jamais  à  plus  d'un  pied. 
On  n'y  voit  ni  marais  ni  plaines  inondées  par  les  grandes 
eaux  ;  point  de  brumes  ;  aussi  les  fièvres  n'y  sont  pas 
connues. 

«  Dans  la  partie  inférieure,  depuis  octobre  jusqu'en 
mars,  les  pluies  sont  presque  continuelles  ;  des  nuages 
épais ,  dont  l'atmosphère  est  constamment  chaînée , 
cachent  le  soleil  pendant  des  semaines  entières ,  et  il  n'est 
pas  rare  de  passer  jusqu'à  quinze  jours  sans  qu'on  puisse 
l'apercevoir.  Cependant,  dès  qu'il  peut  se  faire  jour  à 
traders  les  vi^^eurs,  il  répand  aussitôt  dans  l'air  une  chaleur 

,  .  DigitizedbyLjOOQlC 


465 
douce  et  yhîfiante.  Gel  hiver  a  élé  loat  à  &it  remar- 
qfjisibh  p^  le  peu  de  pluie  que  Ton  a  eu  ;  pendant  une 
grande  partie  de  février  et  vers  le  commencement  de  mars 
le  temps  a  été  magnifique  ;  c'était  comme  au  mois  de  mai  ; 
rberbe  croissait  dans  les  prairies ,  les  fraisiers  étaient  en 
pleine  floraison. 

«  En  mars,  les  pluies  sont  plus  rares  ;  un  soleil  ardent 
réchauffe  la  nature,  qui  se  pare  d^une  verdure  naissante. 
Le  blé  semé  en  automne,  peut  déjà  en  avril  rivaliser  de 
beauté  avec  celui  qu'on  voit  dans  le  Canada  au  mois  de 
juin.  Dès  lors  et  pour  tout  Télé ,  temps  clair  et  fortes 
chaleurs.  Quelquefois  cependant  d'épais  nuages  s'amon- 
cdlent  ;  on  dirait  qu'ils  vont  se  fondre  en  torrents  de 
pluie  ;  mais  bientôt  ils  se  dissipent  sans  avoir  fait  en- 
tendre de  coups  de  tonnerre^  sans  mémQ  donner  la 
moindre  ondée,  que  les  moissons  paraissent  désirer  si  ar- 
demment. 

«  Dans  le  mois  de  juin,  les  rivières  gonflées  par  la  fonte 
des  neiges  sur  les  montagnes,  inondent  les  plaines  basses, 
et  augmentent  encore  les  dépôts  d'eau  croupissante  for- 
més par  les  pluies  d'hiver.  Les  vapeurs  qui  s'en  élèvent 
sons  un  soleil  brûlant ,  occasionnent  ou  entretiennent  les 
fièvres  tremblantes,  plus  fréquentes  dans  les  années  où  les 
rivières  ont  été  plus  débordées. 

m  Cette  maladie  règne  dans  presque  tout  le  pays  de- 
puis la  fin  d'août  jusqu'à  la  mi-octobre.  Il  est  générale- 
ment assez  rare  que  ceux  qui  en  sont  une  fois  attaqués, 
ne  le  soient  pas  plusieurs  années  de  suite;  et  comme  je 
Fai  eue  cette  année  pendant  plus  d'un  mois ,  j'ai  tout  Uai 
de  craindre  encore  pour  l'avenir  quelques  nouveans 
accès. 

«  Ycm  ne  muriez  crràre  condbien  ont  été  épouvasH- 
Vhê  Im  savages  qa^ce$  fièvres  ont  portés  parmi  les  do»* 
TOH.  xvn.  103.  30 

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466 
brenses  tribus  qui  habUaient  aurrefofe  les  bords  du  Co- 
lombia.  H  suffit  de  dire  qu'on  û  trouvé  de  gros  camps 
hidiens  enilèrement  détruits  par  ce  fléau.  Quand  lessan* 
tages  se  sentaient  attaqués,  ils  allaient  sans  perdre  de 
temps  se  précipiter  dans  leseaax  froides  des  rivières,  et 
ib  mouraient  sur-le-champ.  Les  blancs,  avec  les  soins 
convenables ,  n^en  meurent  jamais. 

«  lime  semble  que  Tannée  dernière,  je  vous  ai  annoncé 
que  je  devais  faire  une  Mission  clans  Puget-Sound ,  et 
pénétrer,  si  je  pouvais,  jusque  dans  Tile  Vancouver; 
cette  Mission  a  eu  lieu  et  je  vais  vous  eu  dire  quelques 
mots. 

«  Pour  parvenir  à  mon  but,  il  eût  été  peut-être 
dangereux  de  pénétrer  seul  dans  la  grande  ile  Vancouver  ; 
aucun  prêtre  ne  s'y  était  encore  montré,  et  les  sauvages 
de  cet  endroit  ne  sont  pas  encore  bien  familiarisés  ayec 
les  blancs.  Or,  en  ce  temps-là,  Th onorable  compagnie 
de  la  baie  d'Hudson  se  préparait  à  aHer  bâtir  rni  fort  à 
fextrémité  sud  de  cette  île.  M.  Douglas  qui  devait  diriger 
cette  expédition  m'invita  généreusement  à  prendre  pas- 
snge  à  l)ord  de  son  vaisseau.  J'acceptai  bien  volontiers 
ses  offres,  et  je  quittai  Covflhz  le  7  mars  pour  me  rendre 
i  Skvirally. 

«  Le  steamboat  le  Beaver  (le  Castor)  nous  attendait 
depnis  quelques  jours;  cependant,  comme  il  y  avait  plu- 
sieurs préparatifs  à  Ëiire  pour  le  voyage,  nous  ne  mon'» 
limes  à  bord  que  le  13  au  matin.  Après  avoir  mardbè 
tente  la  journée  du  13,  nous  ancrâmes  dans  nn  remons 
formé  par  une  pointe  de  llle  Whidbey,  appelée  Pointe- 
Perdrix.  Deslignesfurent  aussitôt  préparées,'  et,  pendant 
la  veillée,  nous  eûmes  le  plaisir  de  prendre,  pour  lé 
•du  teodemaÎB,  me  grande  <iuatiiité^<P«iËCtîltenis 
I ,  aiBa  sembliMes  poar  h  ftÂtiië 'e«  (^dar  ti  g«A^ 


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k  h  nôrflie  daCmada;  f ^  ai  remarqué  plusieurs  de  qua^ 
ne  pieds  et  long. 

m  Les  eaux  de  !a  baie  de  Puget  sont  richement  peuplées^ 
Le  saumon  y  abonde ,  c'est  la  plus  grande  ressource  deà 
indigènes.  Dans  les  mois  de  juillet ,  d'août  et  de  septem- 
bre surtout,  ils  en  prennent  à  ne  savoir  qu'en  faire.  Oit 
troo^  ici  une  espèce  de  poisson  bien  plus  petit  que  ceux 
dont  je  viens  de  parler,  et  qui  paraît  être  particulier  à  là 
o6le  du  Nord-Ouest.  On  le  voit  remonter  les  rivières  au 
printanps  en  quantité  prodigieuse.  Il  contient  une  telli 
abôjidaBce  de  graisse,  que  quand  il  a  été  pris  da«i  la 
bonBe  saison  e^  qn'H  est  un  peu  sec,  on  peut  l'ailaniet 
Ipar  le  bout  de  la  quMe  et  il  tn^ûle  comme  une  cbanddle 
jusqu'à  la  tète*  Les  sauvages  en  font  une  excellente  kuile 
(fui  leur  sert  à  assaisonner  leurs  aliments. 

«  Le  14,  de  bon  matin ,  nous  levâmes  l'ancre  et  diri- 
geâmes notre  course  vers  l'entrée  du  détroit  de  .'uan  de 
Fuca.  Nous  allâmes  à  terre,  et ,  après  avoir  visité  un  petit 
camp  de  sauvages  de  la  grande  tribu  des  Klalnnis,  nous 
nous  portâmes  sur  la  pointe  sud  de  l'île  Vancouver.  Il 
était  à  peu  près  quatre  heures  du  soir ,  lorsque  nous  y 
arrivâmes.  Nous  n'aperçûmes  d'abord  que  deux  canots  ; 
mais  ayant  tiré  deux  coups  de  canon,  nousvtmes  les  in- 
digènes sortir  de  leurs  retraites  et  entourer  le  steam- 
boat.  Le  lendemain,  les  pfrogues  arrivèrent  de  tous  côtés. 
Je  descendis  alors  à  terre  avec  le  commandant  de  l'expé- 
dition et  le  capitaine  du  vaisseau  ;  cependant  ce  ne  fut 
qu'au  bout  de  quelques  jours,  c'est-à-dire  lorsque  j'eus 
des  preuves  bob  équivo^es  des  bonnes  dispositions  des 
Indiens  que  je  me  rendis  à  leur  village ,  situé  à  six  mil- 
les du  port ,  au  fond  d'une  diarmiffile  petite  baie. 

«  CoauBe  presque  toulies  les  ti*ibus  d'alentour ,  celle-d 
possède  un  petit  fort  en  pieux  d'environ  cent  cinquai^te 

30. 

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468 
pieds  carrés^  On  se  fortifie  ainsi  pour  se  mettre  à  Tabri 
des  surprises  des  Yonglelats,  tribu  puissante  et  guer- 
rière, dont  une  partie  campe  sur  Tile  Vancouv^  elle- 
même;  le  reste  habite  sur  le  continent,  au  nord  de  la 
rivière  Fraser.  Ces  féroces  ennemis  tombent  ordinairement 
de  nuit  sur  les  yilbges  qu'ils  yeulent  détruire,  massacrent 
autant  d'hommes  qu'ils  peuvent ,  et  prennent  les  femmes 
et  les  enfants  pour  esclaves. 

«  A  mon  arrivée,  toute  la  tribu ,  hommes ,  femmes  et 
enfonts,  se  rangea  sur  deux  lignes  pour  me  donn^  la 
main ,  cérémonie  que  ces  sauvages  n'omettent  jamais.  Je 
les  assemblai  tous  dans  la  plus  grande  loge ,  celle  du 
chef;  et  là  je  leur  parlai  deTexistence  d'un  Dieu  créateur 
de  toutes  choses ,  des  récompenses  qu'il  promet  aux  bon- 
nes actions ,  et  des  châtiments  éternels  dont  il  punira  le 
crime.  Mes  instructions  furent  souvent  interrompues  par 
les  harangues  de  mes  auditeurs»  En  voici  une  que  j'ai 
crue  propre  à  vous  intéresser.  Au  milieu  de  la  foule  je  vis 
un  homme  d'environ  trente  ans  qui  se  leva  précipitam- 
ment et  me  dit  :  «  Chef  (1  ),  écoule-moi.  Il  y  a  bien  dix 
«  ans,  j'ai  entendu  dire  qu'il  y  avait  un  maître  en  haut 
c  qui  n'aimait  point  le  mal,  et  que ,  parmi  les  Français, 
«  il  se  trouvait  des  hommes  qui  apprenaient  à  connaître 
m  ce  maître.  J'ai  aussi  entendu  dire  qu'il  viendrait  un 
«  jour  de  ces  hommes-là  sur  nos  terres.  Depuis  ce  temps, 
«  mon  cœur,  qui  auparavant  était  très-méchant,  est 
«  devenu  bon;  je  ne  fois  plus  de  mal.  Maintenant  que 
«  tu  es  arrivé  chez  nous,  tous  nos  coeurs  sont  contents.  » 

ji  Un  jour  i]ue  je  leur  parlais  du  baptême  et  que  je  leur 


1)  Ils  donnenl  gënéralemenl  le  oom  de  chef,  dans  leur  lingw  tiàh ,  à 
■t  penonnage  de  diftinetion. 


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469 
disab  qae  d^à  plusieurs  nations  avaient  (ait  régàiérer  leurs 
enfiuits ,  un  vieillard  se  leva  et  me  dit  :  «  Tes  paroles  sont 
€  bonnes  ;  mais  on  nous  a  raj^rté  que  ceux  qui  ont  Mé 
«  baptisés  chez  les  Kwaitlens  etIesKawitshins  (à  la  rivière 
€  Fraser)  sont  morts  presque  aussitôt;  cependant,  comme 
«  tu  dis  que  c^est  une  bonne  chose,  nous  te  croyons» 
«  Puisque  Teau  sainte  leur  fera  voir  le  maître  d'ai  haut 
«  après  leur  mort ,  baptise  tous  ceux  de  notre  c^mp  ;  fiût* 
«  leur  cette  charité,  car  ils  meurent  presque  tous.  »  Je 
leur  promis  que  je  reviendrais,  le  dimanche^  pour  conférer 
ce  sacrement  et  que  tous  devaient  s'y  trouver. 

«  Cependant  le  bruit  de  mon  arrivée  s'étant  ré- 
pandu, plusieurs  nations  voisines  arrivèrent  en  masse.  » 

«  Le  18 ,  qui  était  un  samedi,  fut  employé  à  la  con- 
struction d'une  espèce  de  vaste  reposoir  pour  célébrer  à 
terre  le  jour  du  Seigneur.  M.  Douglas  me  donna  plusieurs 
de  ses  hommes  pour  m'aider  dans  cet  ouvrage.  De  longues 
branches  de  sapin  formèrent  les  côtés  de  cette  chapelfo 
agreste,  et  les  tendeletsdusteamboat,  la  couverture. 

«  Le  dimanche  au  matin ,  plus  de  douze  cents  sauvages 
des  trois  grandes  tribus  Kawitshins,  Klalams  et  Isamishs 
étaient  rassemblés  autour  du  modeste  temple.  Notre 
commandant  n'oublia  rien  de  ce  qui  pouvait  contribuer 
à  rendre  la  cérémonie  imposante;  il  me  donna  liberté- 
entière  de  choisir  à  bord  tout  ce  qui  pouvait  servir  de 
décoration.  Lui-même,  il  assista  à  la  messe,  ainsi  quif 
quelques  Canadiens  et  deux  dames  catholiques;  Ce  fut 
au  milieu  de  ce  concours  nombreux  que^  pour  la  pre- 
mière fois  ,  nos  saints  Mystères  furent  célébrés  sur  cette 
plage  depuis  tant  d'années  en  proie  aux  abominations  de 
l'enfer.  Fasse  le  ciel  que  le  sang  de  l'Agneau  sans  tacbe 

ende  cette  terre  fertile,  et  lui  donne  de  produire  upe 

abondante  moisson. 


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47« 

«  Ce  jour  éttot  celui  que  y^vm  &té  pour  le  btptèflie 
deseabiito,  je  me  rendis  au  village  principal,  accomp»- 
ignè  de  toute  la  ioule  qui  avait  afiëisté  au  service  diti«. 
£a  arrivant ,  il  iiatUut  encore  iionner  la  main  à  plus  de 
«ix  cents  personnes.  Les  enfants  furent  disposés  sur  deux 
lignes  au  bord  de  la  mer  ;  je  leur  distribuai  à  chacun  un 
mmj  écrit  sur  un  petit  bout  de  papier ,  et  je  coaunençai 
laoérémonie.  Il  pouvait  être  environ  dix.  heures  du  ma- 
dn ,  et  lorsque  j'eus  fini  il  était  presque  nuit.  AJors^  je 
comptai  les  nouveaux  chrétiens  et  j'en  trouyai  cent  deux^ 
J'étais  épuisé  de  fatigue  ^  et  néanmoins  je  dus  faire  einxHre 
plus  de  deux  lieues  à  pied  pour  revenir  au  steamboat. 

«  Sflivant  le  plan  de  voyage  tracé  avant  notre  départ , 
sous  ne  devions  rester  ici  que  quelques  jours,  et  poursui- 
vre ensuite  notre  course  de  fort  en  fort ,  jusqu'à  l'établis- 
sement des  Russes  à  Sitka  ;  mais  le  petit  navire  qui  por- 
tait les  provisions  destinées  aux  divers  établissements  delà 
côte,  était  attendu  de  jour  en  jour  et  n'arrivait  point.  Ce 
retard  me  contrariait  beaucoup.  M.  le  Grand- Vicaire 
m'avait  dit  que  son  intention  était  d'établir,  au  commen- 
cement de  l'été,  une  Mission  dans  l'île  Wîdbey,  et  que 
je  devais  en  faire  partie.  Voyant  donc  qu'à  la  suite  de  la 
caravane,  je  ne  pourrais  pas  être  de  retour  assez  tôt  pour 
remplir  ses  vues ,  je  me  décidai  à  revenir  sans  délai  sur 
mes  pas.  J'achetai  un  canot,  et ,  ayant  engagé  le  clief  des 
Isamislis  et  dix  de  ses  gens  à  me  conduire  directement  à 
nie  Wîdbey,  je  quittai  Vancouver  le  24  de  mars,  em- 
portant avec  moi  les  plus  vifs  sentiments  de  reconnais- 
sance pour  tous  les  égards  du  commandant  de  l'expédi- 
tion et  du  capitaine  Brotchie ,  dont  j'avais  en  tant  i  me 
louer  pendant  la  traversée  des  fies  Sandwich  au  fort 
George. 

«  La  mer  était  bien  calme,  mais  le  tea^  é4M  oouvert 


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471 

d*UDC  iinmt  épaisse.  Par  précaation ,  J^avais  pris  m 
coœpgs,  sfp$  quoi  je  me  serais  indubiiaWement  égaré, 
ayant  une  u-aversée  de  vingt-sept  milles  à  faire.  Le  pre- 
mier jour  nous  alleignîmes  une  petite  lie  qui  se  trouve 
etitre  Pextréifnité  de  Vancouver  et  le  continent.  Noos  y 
passâmes  la  nuit.  Mes  Indiens  qui  avaient  tué  im  loup 
naritt  d'un  coup  de  fusil,  firent  grand  festin  le  soir.  Yoib 
ne  sanriez  croire  combien  un  sauvage  peut  manger  dans 
un  seul  repas  ;  maïs,  s'il  est  vorace  dans  Tabondanee,  il 
«ait  aussi  jeûner  plusieurs  jours  de  suite,  sans  en  éprou- 
ver beaucoup  de  fotîgue. 

«  Le  25  «  il  Caisait  une  forte  brise  du  Nord-Ouest;  oies 
rameors  avant  de  s'éloigner  du  rivage,  montèrent  sur  une 
coliioe  pour  reconnaître  si  la  mer  était  bien  grosse  au 
milieu  du  Détroit.  Ils  furent  assez  long-temps  à  se  déci- 
der. Enfin  ils  dirent  qu'avec  l'aide  d'une  voile  on  pourrait 
se  tirer  d'affaire.  Un  mât  fut  donc  préparé,  une  couver- 
ture servit  de  voile  ^  et  nous  voilà  à  la  merci  des  flots. 
Ters  trois  heures  de  l'après-midi^  nous  abordâmes  à  Plie 
Wîdbey,  non  sans  avoir  couru  quelque  danger. 

«  Un  grand  nonibre  de  sauvages  Klalams  et  Skadjit^ 
vior^t  me  recevoir  sur  le  bord  de  la  mer.  Je  connaissais 
de  réputation  k  premier  chef  des  Skadjâts  et  je  demandai 
ii  le  voir  :  ou  m%  répondit  qu'il  était  parti  depuis  deux 
^jourspoiir  l'Ile  Vancouver,  afin  de  m'y  rencontrer.  A  ^ 
place,  on  me  présenta  ses  deux  fils.  L'un  d'eux ,  en  me 
sorrautla  maip,,  médit  :  «Mou  père  Netlam  n'est  pas 
f  ici,  il  est  alléàKamosom  (nom  de  la  pointe  sud  de 
«  rUe  Vancouver)  pour  t'y  voir;  mais  s'il  apprend  qoe 
«  tu  es  ici ,  il  va  revenir  à  la  course,  11  sera  bien  coa- 
«  tent  a  lu  restes  parmi  nous,  car  il  est  fatigué  de  dire 
«  la  mute  tons' tei  dimanehes  et  de  prêcher  à  ses  gewl  • 
'ai  98  {dus  tard  que  sa  messe  consistait  à  expliquer  avx 


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sauvages  de  sa  tribu  TécheUe  chronologico-faistorique  de 
la  religion ,  à  faire  force  signes  de  croix  et  à  chanter  quel* 
ques  cantiques  avec  le  Kyrie^  efetiofi. 

«  Je  dressai  ma  tente  près  de  la  croix  que  M.  Blanchet 
avait  plantée  dans  cette  lie  en  1840 ,  lorsqu'il  y  aborda 
pour  la  première  fois.  I^  lendemain ,  tout  le  camp  des 
Skadjâts  se  rendit  près  de  moi  pour  entendre  la  parole  de 
Dieu.  Pour  vous  donner  une  idée  delà  population  de  cette 
tribu  ^  il  suffit  de  vous  dire  que  je  donnai  la  main  à  une 
file  de  six  cent  cinquante  personnes,  et  ce  n'était  pas 
tout;  plus  de  cent  cinquante  Indiens  qui  avaient  passé  la 
nuit  près  de  ma  tente ,  n'étaient  point  de  ce  nombre ,  et 
presque  tous  les  vieillards,  les  femmes  âgées  et  beaucoup 
d'enfants  étaient  restés  dans  leurs  cabanes.  Après  Tin- 
struction ,  plusieurs  cantiques  furent  chantés  avec  un  ton* 
nerre  de  voix  étourdissant. 

«Plusieurs  parents  m'avaient  prié  de  baptiser  leurs 
enfants;  je  me  rendis  au  village  et  demandai  qu'on  nie 
présentât  tous  les  jeunes  Indiens,  au-dessous  de  sept  ans, 
qui  n'avaient  pas  encore  reçu  la  grâce  de  la  régénération* 
Aucun  d'eux  ne  fut  oublié;  ils  étaient  an  nombre  de  cent 
cinquante.  Cette  fois,  la  cérémonie  eut  lieu  dans  une  pe- 
tite prairie ,  entourée  de  hauts  sapins  séculaires.  Il  n'était 
pas  midi  lorsque  je  commençai  et  je  ne  finis  qu'au  coucher 
du  soleil.  J'étais  mort  de  fatigue;  le  ciel  avait  été  sans 
miages  et  le  soleil  ardent ,  ce  qui  m'avait  causé  un  vio- 
lent mal  de  tét^.  De  plus,  un  bien  mince  déjeuner  que 
f  avab  pris  de  bon  matin,  dut  me  soutenir  jusqu'à  la  nuit 
dose. 

€  Le  27 ,  le  chef  des  Skadjâts  me  déclara  qu'U  necon- 
Timait  point  que  je  fusse  logé  dans  une  maison  de  toile 
(sous une  tente)  :  «C'est pourquoi,  ajouta^t-il,  demain 
«  tu  me  duras  où  tu  veux  que  nous  te  construisions  une 


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«  demeure^  et  lu  verras  combien  ma  parole  est  puissante 
«  quand  je  parle  à  mes  gens.  »  Voyant  la  bonne  volonté 
de  ce  chef,  je  lui  indiquai  une  petite  éminence ,  et  ausd- 
tôt  je  vis  arriver  plus  de  deux  cents  travailleurs;  quel- 
ques-uns avaient  des  haches  et  étaient  destinés  à  couper 
le  bois  ;  les  autres  devaient  le  charrier  sur  leurs  épaules. 
Quaire  des  plus  habiles  se  mirent  en  devoir  d^ajuster  la 
diarpente.  En  deux  jours  tout  Ait  terminé ,  et  je  me  trou- 
vai installé  dans  une  maison  de  vingt^huit  pieds  de  long 
sur  vingt-cinq  de  large.  Bien  entendu  que  le  bois  était 
brut;  mais  le  toit  était  couvert  en  écorce  de  cèdre,  et 
rintérieur  revêtu  de  nattes  de  jonc.  Pendant  toute  la  se- 
maine, je  fis  plusieurs  instructions  à  ces  sauvages,  et 
leur  appris  des  cantiques;  car ,  avec  eux,  si  on  ne  chante 
pas,  les  meilleures  choses  ne  valent  rien;  il  leur  faut  du 
bruit. 

«  Savais  terminé  les  exercices  de  la  Mission,  lorsqu^ar- 
rivèrent  plusieurs  sauvages  du  continent.  Dès  qu'ils  mV 
perçurent,  ils  se  jetèrent  à  genoux  près  de  moi,  et  s'expri- 
mèrent ainsi  :  «  Prêtre,  voilà  quatre  jours  que  nous  sommes 
«  en  chemin  pour  te  venir  voir ,  nous  avons  marché  la 
«  nuit  comme  le  jour  et  presque  sans  manger.  Mainte- 
«  nant  que  nous  te  voyons,  nos  cœurs  sont  dans  une 
€  grande  joie.  Aie  donc  pitié  de  nous  ;  nous  avons  ap- 
c  pris  qu'il  y  a  un  maître  en  haut^  mais  nous  ne  savons  pas 
«  lui  parler.  Viens  chez  nous ,  tu  baptiseras  nos  enfants 
«  comme  tu  as  baptisé  ceux  des  Skadjâts.  »  J'étais  at- 
tendri par  ces  paroles.  Assurément,  je  n'aurais  fait  au- 
cune difficulté  de  les  suivre  dans  leurs  forêts;  mais  je 
n^avais  que  peu  de  jours  pour  me  rendre  à  Skwally  où 
j'étais  annoncé.  Il  fallut  partir. 

«  Je  quittai  ces  bons  hidiens  le  3  d'avril.  Pendant 
mcm  séjour  au  milieu  d'eux ,  je  n'ai  éprouvé  que  des  con- 


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solations.  Ce  sont  eux  qui  m'ont  nourri ,  et  bien  certaine- 
ment ils  sont  allés  au  delà  de  mes  désirs. 

«  Vous  voyex.  Monsieur,  par  celte  relation  qve  ht 
sauvages  de  la  baie  de  Pugei  montrent  asses  dezëlepMr 
la  religion;  c^ndant  ils  ne  comprennent  guère  Tétea- 
due  de  ce  mou  S'il  ne  s'agissait  que  de  safoir  quelques 
prières  et  de  chanter  des  cantiques  po  ur  être  chrétien ,  il 
n'y  en  aurait  pas  un  qui  ne  voulùtle  devenir.  Mais  fl  est 
un .  point  capital  qui  les  relient ,  c'est  la  réforme  des 
mœurs*  Aussitôt  qu'on  touche  cette  corde ,  leur  ardeur  se 
change  en  indifférence.  Les  chefs  ont  beau  faire  à  ce  aqet 
de  Téhémenies  harangues  à  leurs  gens ,  quelle  impression 
peuvent-ils  produire,  eux  qui  sont  les  plus  coupables! 
Je  ne  me  défie  nullement  de  la  Providence  ;  mais  on  fem 
dire,  sans  trop  s'exposer  à  commettre  d'erreur ,  que  nos 
principales  espérances  ne  reposent  pas  sur  les  tribus  qyi 
habitent  les  bords  de  l'Océan,  ou  qui  sont  fixées  à  l'em- 
bouchure des  nombreuses  rivières  qui  s'y  jettent. 

«  J'ai  l'honneiu^  d'âlre.  Monsieur,  votre  très-hunbie 
serviteur, 

«  J.-B.-Z.  BoLDUG,  Mi$t.  apoti.  • 


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Extrait  d*une  Jettrt  du  P.  de  Smet ,  de  la  compagnie  de 
Jésus,  d  M.  de  Smet,  son  frère  y  à  Gand  (1). 


Stiote-llarit  du  Widkmelte,  9  «ctobre  f844. 


«  Mon  cbea  Fbèib  , 

«  Cest  après  une  navigation  de  près  de  huit  mois 
que,  le  28  juillet,  nous  découvrîmes  les  côiesde  i'Orégon. 
Oh  1  quelle  joie  alors  1  quels  transports  d'allégresse  I  quelles 
actions  de  grâces  dans  nos  cœurs  et  sur  nos  lèvres  I  Tous , 
nous  entonnâmes  Thymne  de  la  reconnaissance,  le  Te 
Deum;  mais  à  peine  nous  étions-nous  livrés  aux  premiers 
sentiments  de  bonheur,  que  Tidée  de  nouveaux  périls  à 
affronter  vint  renouveler  toutes  nos  inquiétudes  :  nous 
approchions  du  Colombia.  L'embouchure  de  ce  fleuve 
est  d'un  accès  difficile  et  dangereux ,  même  pour  les  ma- 
rins pourvus  de  bonnes  cartes;  et  nous  savions  que  notre 
capitaine,  n*ayant  pu  en  aucune  manière  s'en  procurer, 
ne  connaissait  pas  les  rodiers  et  les  brisants ,  qui  rendent 


(1)  On  sait  qae  Im  PP.  De  Smet  A  YercrajsM,  accompagni^  de 
^■atrf  Mmiftsê  BMsbret  de  \%  mètat  G*flipig«îe  et  d»  m  lœiiTe  de  la 
4tagrégatieo  de  Katee-JOame,  ^ oitiètent  le  poct  d'Aorert  ie  12  dëcen- 
bre  1&43  pour  sa  rendre  aux  Montagues-Rocheusês.  Le  DaTife  Vlnfëti- 
gahle  qui  les  portait,  après  afoir  trafers^  l'Ccëan  Atlantique,  doublé  la 
pointe  mëridioBale  de  l'Amérique  du  sud  et  remonte  l'Océan  Pacifique. 
•rnf  I  le  2S  juillet  IBii  eo  irqe  dw  cAfae  de  VOrigitn,  et  le  &  aoibft  sui' 
f  «fit  il  mooilU  au  fort  Vaneouvtr  aitué  sor  la  rire  du  ûeum  Cokmbia, 


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rentrée  du  fleuve  presque  infranchissable  dans  la  saison 
où  nous  étions. 

«  Nous  aperçûmes  bientôt  le  cap  Désappointemenij  qui 
semble  indiquer  aux  voyageurs  la  route  qu'ils  doivent  sui- 
vre. Comme  il  était  déjà  tard ,  le  capitaine  prit  la  résolu- 
tion de  virer  de  bord ,  pour  éviter  les  côtes  pendant  la 
nuit.  Pendant  que  le  vaisseau  s'éloignait  de  la  terre  ferme, 
nous  considérions  de  loin  les  hautes  montagnes  et  les 
vastes  forêts  de  TOrégon.  Çà  et  là ,  nous  vîmes  s'élever  la 
fumée  des  cabanes  de  nos  sauvages.  A  cette  vue  une  foule 
de  sentiments  s'emparèrent  de  notre  âme;  les  redire  ici  ne 
me  serait  pas  possible.  U  faut  avoir  été  dans  noure  position 
pour  comprendre  ce  que  nous  sentfanes  alors  ;  notre  cœur 
palpitait  de  joie  à  l'aspect  de  ces  pays  immenses ,  où  se 
trouvent  tant  d'âmes  abandonnées',  naissant,  vieillissani 
et  mourant  dans  les  ténèbres  de  l'infidélité,  foute  de  Mis- 
sionnaires ;  malheur  auquel  nous  allions  mettre  un  terme» 
sinon  pour  tous,  du  moins  pour  un  grand  nombre. 

«  Le  29,  tous  les  Pères  célébrèrent  le  saint  Sacrifica; 
nous  voulions  faire  une  dernière  violence  au  ciel.  Le  conv- 
mencementde  ce  jour  fut  sombre,  nos  esprits  Fétaienl 
aussi  ;  vers  dix  heures  le  temps  s'éclaircil  et  nous  permit 
d'approcher,  avec  précaution,  de  cette  vaste  et  alTreuas 
embouchure  du  Colombia.  On  ne  tarda  pas  à  découvrir 
d'énormes  brisants ,  signe  certain  d'un  banc  de  sable  de 
plusieurs  milles  d'étendue.  Les  écueils  traversent  le  fleuve 
dans  toute  sa*  largeur,  et  présentent  une  barre  qui 
semble  en  interdire  l'entrée.  Cette  vue  nous  jeta  vrai- 
iBent  dans  la  consternation  ;  on  sentait  qu'il  était  inu- 
tile de  tenter  le  passage,  et  qu'infoilliblement  nous  y  trou- 
verions notre  perte. 

«  Dans  cette  triste  situation ,  que  foire ,  que  devMiir, 
où  aller? 


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47T 

«  Le  30,  le  capitame  se  tronvaiit  aa  haut  du  mAt  pour 
faire  qaelqoes  découvertes ,  aperçut  un  navire  qui  longeait 
le  cap  pour  sortir  du  fleuve.  Ou  ne  le  vit  que  peu  de  temps^ 
car  il  alla  jeter  Fancre  derrière  un  rocher,  en  attendant  le 
vent  favorable.  Nous  conjecturâmes  alors  qde  le  fleuve 
était  encore  praticable^  et  nous  espérâmes  pouvoir  nous 
diriger  sur  la  course  de  ce  navire. 

«  V^rs  trois  heures,  le  capitaine  envoya  le  lieutenant 
avec  quatre  matelots  pour  sonder  les  brisants  et  diercher 
une  voie  pour  entrer  le  lendemain,  31  juillet,  jour  de  la 
fête  de  saint  Ignace  :  cette  heureuse  couiddence  ranima 
nos  espérances  et  rdeva  nos  coursées.  Nous  attendions  tout 
de  la  protectii»  de  notre  fondateur,  et  nous  le  priâmes,  avec 
toute  la  f(»rveur  dcmt  nous  étions  ciqpables ,  denepas  nous 
abandonner  dans  ce  péril  extrême.  Ce  devoir  rempli,  on 
n*eut  rien  de  plus  {uressé  que  d'aller  sur  le  tiHac ,  pour 
découvrir  la  chaloupe  montée  par  le  lieutenant.  Vers  les 
onze  heures ,  elle  rejoignit  VInf€Ui$€Me;\es  visages  tristes 
et  découragés  des  matelots  nous  annonçaient  de  mauvaises 
nouvelles^  on  n'osait  les  int^roger...  Cependant  le  lieu^ 
tenant  dit  au  capitaine  qu'il  n'avait  pas  trouvé  d'obstacles, 
et  que  la  veille ,  à  onze  heures  du  soir,  il.  avait  traversé 
la  barre  avec  cinq  brasses  d'eau  (  30  pieds).  Alors  on  dé^  * 
ploya  les  voiles,  et  VInfaUgàbk  s'avança  à  la  faveur  d'une 
légère  brise.  Le  ciel  était  pur,  le  soleil  brillait  de  tout  son 
éclat ,  depuis  longtemps  nous  n^avions  pas  eu  une  aussi 
belle  journée. 

«  n  ne  manquait  plus,  pour  b  rendre  la  plus  belle  de 
imtre  voyage,  que  Pheureuse  entrée  dans  le  leove.  A  ne- 
sure  qu'on  approchait,  tons  redoublèrent  leurs  prières , 
chacun  se  recueillait  et  se  tenait  prêt  k  tout  événemoit* 
Cependant  le  vigilant  et  courageux  c^rftaine  ordonne  de 
jeter  le  plomb.  Un  matdot  s'atladie  au  deiNm  du  vaisseM 


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4iB 
et  sonde;  on  entend  le  cri  :  7  brasses.  De  cinq  en  cinq 
minâtes  le  cri  se  renouirelle  ;  puis  6  brasses. . .  5  brasses. . . 
le  nombre  dÎBfnniiait  toujours.  On  devine  ccm*  ien  chaque 
cri  devait  faire  palpiter  nos  cœufs.  Mais  «jifand  on  cria 
3  brasses,  tout  espoir  s'évanonil;  carc*é(?jt  le  minimum 
de  Teau  nécessaire  au  narire.  On  crut  un  instant  que  le 
vaisseau  allait  se  briser  contre  les  récife.  Le  lieutenant  dit 
au  capitaine  :  fiNous  sommes  entre  la  vie  et  la  mort;  mais 
il  faut  avancer,  » 

«  Le  Seigneur  voulait  mettre  notre  foi  ù  Tépreuve,  il 
n'avait  pas  résolu  notre  perte.  Le  cri  de  4  brasses  se  bit 
entendre,  on  respire ,  on  prend  cotnrage;  mais  le  danger 
n'était  pas  passé.  Nous  avions  encore  deux  milles  de  M-* 
sauts  à  franchir.  Un  second  cri  de  3  brasses  vînt  de  non* 
veau  nous  remidir  d'èponvante.  Le  lieutenant  dit  alors  an 
capitaine  :  •Nousfmu  sommes  trompés  de  rouie.^  — Bahl 
reprit  le  capitaine ,  ne  myez^^ous  pas  qne  {Infatigable 
passe  partout?  Jvasuex*^.  Le  Gel  était  pour  nousl  Sans 
kii  j  ni  rhabileté  du  capitaine ,  ni  la  bonté  du  navire ,  ni 
l'activité  4e  l'équipage  n'eussent  pu  nous  préserver  d'une 
perte  certaine*  Nous  étions  à  plus  de  cent  mètres  de  la 
bonne  voie ,  au  milieu  <f«  canal  du  Sud ,  que  jamais  vais^ 
'  seau  n'avait  traversé.  Quelques  moments  après ,  nous  ap- 
prîmes d'une  manière  positîvn  que  nous  avions  échappé 
nomme  par  mirade. 

«  En  effet)  noire  vaisseau  avait  pris,  d'abord,  une  bonne 
direction  à  l'entrée  du  fleuve;  mais  à  peu  de  distance  de 
ton  eari)aachuief  le Colombia  se  iGvise  en  denx  branches 
fimnant  eomnie  deOK  canrax;  i'wi  au  Nord,  non  loin  dn 
cap  DéÊtfpamtimaUj  est  œlnî  que  nous  devions  suivre; 
l^anipe,  an  Snd ,  n'est  point  fré^enté,  à  cause  des  bri* 
•aoli^pii  en  bantntt  Tenirée,  et  sur  lesqfoeis  noua  nronê 
posé  les  piMÉUii  «t  ppobeMenMit  les  doinitcs>  lions 


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sûmes  CDOore  que  le  gouverneur  du  fort  Jstoriaj  nous 
ayant  îipirçus  depuis  deux  jours,  s'était  rendu  à  Textré- 
mité  dsi  cip  avec  quelques  sauvages  et  que,  pour  nous 
atlirei  de  ce  côté ,  il  avait  allumé  de  grands  feux ,  élevé 
nn  drapeau  et  tiré  quelques  coups  de  fusil.  Nous  avons , 
n  est  vrai ,  remarqué  ces  signaux  ;  mais  nul  d'entre  nous 
o^ea  avait  compris  le  motif.  Dieu  sans  doute  voulait  nous 
nootrer  qu'il  est  assez  puissant  pour  nous  exposer  au  dan- 
g^  et  nous  en  retirer  ensuite  sains  et  saufs.  Que  son  saint 
oom  soit  béni  !  gloire  aussi  à  si  ini  Ignace  qui  a  protégé» 
visiblement  ses  enfants  le  jour  île  sa  fête. 

«  Vers  quatre  heures  et  demie,  us  csuMit  m  dirigea  vera 
leoft;  il  était  monté  i>ar  «tes  sauvages  Clmpsaps^  ayaol  à 
leur  tête  un  Américain  établi  sur  les  côtes;  leurs  cm 
éUnnèretit  beaucoup  nos  P^^es  et  les  sœurtde  Notre-Dame. 
Noos  ne  pâmes  distinguer  que  le  mot  Catche  qu'ils  répé<- 
:  à  riiifini.  On  leur  fit  signe  d'approcher,  et  le  capî* 
leur  permit  de  monter  à  notre  bord.  Aussitôt  l'A* 
mérjcain  m'aborde  et  m'expose  le  cbager  cpae  noosavîoiis 
coam;  il  ajoute  qu'il  avait  voulu  ventr  à  notre  secours, 
maiê  que  les  sauvages,  voyant  le  péril ,  tt'acvaieiit  pas  oeé 
s^  exposer. 

«  De  leur  côté,  les  Indiens  nous  racontaient  par  signes 
quelles  avaient  été  leurs  craintes ,  comment  à  chaque  in- 
stant ils  s'attendaient  à  voir  le  navire  renversé  et  brisé;  ils 
avaient  pleuré,  et  déchiré  leurs  vêtements,  sûrs  que, 
sans  l'intervention  du  Grand-Esprit ,  nous  n'eussions  ja- 
siais  échappé  au  péril.  En  vérité,  ces  braves  sauvages  ne 
iSéiaient  pas  trompés.  C'est  le  témoignage  de  tous  ceux 
qin  connaissent  l'histoire  de  notre  passage;  ils  ne  cessent 
de  nous  en  féliciter,  comme  d'une  chose  unique  et  mer- 
frilleuse. 

«  La  seconde  visite,  que  nous  reçûmes  à  bord ,  fut  celle 

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de  quelques  TeKinùuh$^  peuplade  établie  dans  rimmense 
forêt  qui  s'étend  sur  la  rive  septentrionale  du  fleuve.  Les 
Clapsopt  occupent  la  rivemâridionale,  et  fonnentnne  po- 
pulation d'environ  cent  cinquante  hommes.  Les  Tchinouh 
habitent  trois  grands  villages  au  delà  de  la  forêt  ;  ces  deux 
nations ,  quoique  voisines ,  sont  ennemies  Tune  de  Tautre. 
Les  hommes  s'enveloppent  d'une  couverture  pour  paraître 
devant  les  blancs.  Ils  mettent  toute  leur  vanité  dans  leurs 
colliers  et  leurs  pendants  d'oreilles;  ils  donneraient  tout 
ce  qu'ils  possèdent  pour  s'en  procurer.  Ces  sauvages  se 
mettent  extrêmement  à  leur  aise  ;  il  faut  être  très-réservé 
avec  eux,  afin  d'empêcher  la  trop  grande  familiarité.  Il  leur 
suffit  qu'on  ne  les  chasse  point;  contents  pour  lors,  ils 
n'exigent  pas  qu'on  s'occupe  autrement  d'eux  ;  ils  sont  d'un 
naturel  paisible,  leur  physionomie  ne  diSère  en  rien  de 
celle  des  peuples  civilisés  ;  ils  sont  robustes  et  bien  faits; 
trouvant  facilement  de  quoi  sarïsfoire  à  leurs  besoins ,  ils 
mènent  pour  la  plupart  une  vie  fainéante  et  oisive  ;  leur 
unique  occupation  est  la  pêche  et  la  diasse.  Le  saumon 
abonde  dans  leurs  fleuves,  et  le  gibier  dans  leurs  forêts. 
Après  s'être  pourvus  chaque  jour  de  ce  qui  leur  est  néees- 
saire^  ils  se  couchent  au  soleil  des  heures  entières,  sans 
bouger.  Ils  vivent  du  reste  dans  l'ignorance  la  plus  gros- 
sière de  la  religion. 

«  Le  lendemain  matin  nous  vîmes  une  chaloupe  qui 
s'efforçait  de  nous  rejoindre;  elle  p<N*tait  M.  Burney ,  le 
même  qui  les  jours  précédents  s'était,  du  haut  du  cap,  si 
vivement  intéressé  à  notre  sort.  Il  nous  aborda  avec  toute 
la  bienveillance  possible;  c'est  à  lui  que  la  garde  du  fort 
Asîoria  est  confiée;  il  y  fait  sa  résidence  avec  sa  famille, 
et  il  était  chargé,  de  la  part  deson  épouse  et  de  ses  enfants, 
de  nous  inviter  à  descendre  chez  lui ,  pour  leur  procurer 
le  plaisir  de  nous  voir.  Persuadé  qu'après  un  si  long  se- 


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jour  sur  mer,  celle  visite  serait  très-agréable  à  chacun  dfe 
nous,  j'y  consentis.  Pendant  que^cette  honorable  famille 
BOUS  préparait  à  dîner,  nous  fîmes  une  petite  excursion 
dans  la  forêt  voisine.  Nous  y  adminimes  des  sapins  d'une 
hauteur  et  d'une  grosseur  prodigieuses.  Il  n'est  pas  rare 
d'en  rencontrer  de  deux  cents  pieds  de  haut  sur  quatre 
pieds  et  demi  de  diamètre.  On  nous  montra  un  tronc  de 
sapin  qui  avait  quarante-deux  pieds  de  circonférence. 
Après  une  course  de  deux  heures,  M.  Burney  nous  re- 
conduisit au  fort. 

«  Dans  une  seconde  promenade,  plusieurs  d'entre 
nous  admirèrent  des  tombeaux  de  sauvages.  Le  corps  du 
défunt  est  placé  dans  une  espèce  de  canot ,  fabriqué  d'un 
tronc  d'arbre;  on  le  couvre  de  nattes  ou  de  peaux ,  puis 
on  le  suspend  à  un  arbre,  ou  on  l'expose  sur  les  bords  de 
la  rivière.  Nous  vîmes  jusqu'à  douze  tombeaux  semblables, 
réunis  dans  un  même  endroit  ;  ils  se  trouvent  ordinaire- 
ment dans  des  lieux  de  difficile  accès ,  afin  d'être  ainsi 
plus  à  l'abri  des  animaux  féroces.  Non  loin  de  ce  ci- 
metière, un  de  nos  Pères  plus  curieux  que  les  autres, 
ayant  aperçu  à  l'écart  le  museau  d'un  oiirs  qui  n'avait  pas 
t'air  trop  apprivoisé ,  s'en  revint  saisi  d'une  panique  asse» 
plaisante. 

«  Le  2  août,  je  résolus  de  devancer  mes  compagnons 
au  fort  Fancouver,  pour  informer  le  Rév.  M.  Blanchet 
de  noire  heureuse  arrivée.  Du  reste,  voici  pour  nos  Pères 
ee  qui  concerne  le  reste  de  lemr  voyage  :  le  3  et  le  4,  la 
marche  du  navire  fut  retardée  faute  de  vent;  d'un  coup 
d'œil  on  pouvait  apercevoir  le  chemin  qu'on  avait  fait  en 
upoîs  jours.  Vers  le  soir  une  légère  brise  se  leva  et  permk 
de  continuer  la  route.  Au  bout  de  quelques  heures ,  on 
fut  au  delà  des  écueils  c[ui  se  prolongent  l'espace  de  six 
lieues.  Cette  distance  une  fois  parcourue ,  on  peut  tenir 

TOM.    XVn.     103»  DigitizedbyJJbOOgl 


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482 

oonstamment  le  milieu  du  fleuve;  il  s'y  trouve  toujours 
use  quafiUié  d'eau  suflisante ,  mais  les  nombreuses  sinuo- 
sités exigent  une  manœuvre  continuelle* 

«  Ici  la  rivière  est  des  plus  belles  :  surfece  unie  comme 
on  cristal ,  courant  intercepté  à  la  vue  par  le  rétrécisse- 
ment du  lit  et  des  rochers,  mugissement  sourd  desdraies 
et  des  cascades  ;  rien  n'est  plus  Tarie  ni  plus  agréable  que 
le  Colombia.  On  ne  se  lasse  pas  d'admirer  la  richesse ,  la 
variété  et  la  beauté  des  sites,  que  la  nature  offre  dans 
ces  régions  solitaires;  des  forêts  vierges  bordent  les  deux 
rives,  dans  presque  toute  leur  longueur;  elles  sont  cou- 
ronnées de  naoniagnes  également  boisées.  En  remontant 
le  Colombia,  on  renconure  çà  et  là  d'assez  larges  baies, 
au  milieu  desquelles  de  jolies  petites  îles,  semées  sur 
les  flots  comme  des  groupes  de  fleurs  cl  de  verdure, 
présentent  un  coup  d'œil  charmant;  c'est  ici  que  les  ar- 
tistes devraient  venir  étudier  leur  ait,  ils  y  trouveraient 
les  vues  les  plus  pittoresques  et  les  plus  gracieuses  qu'on 
puisse  imaginer  :  les  couleurs  les  plus  variées,  les  sites 
les  plus  ravissanU  sont  prodigués  sur  celte  terre.  Plus  on 
tançait ,  plus  les  perepeclives  étaient  gi*andes  et  majes- 
tueuses. EnDn  le  S  août,  le  navire  arriva  au  fort  Fancou- 
€6T,  vei's  les  sept  heures  du  soir.  M.  le  gouverneur,  homme 
plein  de  religion ,  accompagné  de  son  épouse  et  des  per- 
«omies  les  plus  notables ,  se  trouvait  sur  la  rive  pour  nous 
recevoir.  Nous  jetâmes  l'ancre  ;  nous  nous  rendîmes  aus- 
«itût  au  foii ,  où  nous  fûmes  SKMCueillis  et  traités  avec  toute 
la  coi*dialilé  possible. 

«  Le  12,  après  huit  jours  d'attente,  arriva  le  Rév» 
M.  Blancheu  H  n'avait  pas  reçu  la  leure  que  je  lui  avais 
édite  ;  mais  aussitôt  que  la  nouwUe  de  noire  arrivée  lu 
fut  parvenue ,  il  se  hâta  de  nous  rejokidro,  accompagné 
d'un  bon  nombre  de  ses  paroissiens.  11  afvaît  voyagé  tout 

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483 

«D  joar  et  une  mut  sans  s^arréier.  Sa  pésence  nous  oom- 
Jda  de  joie.  Qooique  nous  fassions  très-bien  au  fort ,  nom 
-déârioBS  au  plus  tôt  parvenir  à  Tendroit  que  la  divine 
Phïvidenoeuons  avait  destké  ;  les  religieuses  de  leur  cAté 
soupiraient  après  leor  nouveau  couvent  de  fi^allameUe. 
En  conséquence  M.  Blanchet  ^ok'donna  les  préparatife  du 
idqpart ,  et  le  14  nous  quiltAnies  le  fort  VeokcmtiDer. 

«  Un  adieu  bien  sensible  nous  restait  à  faire  au  capi* 
laine  de  notre  navire;  il  nous  attendait  au  bord  duflenve. 
L'émotion  Ait  vive  de  part  et  d'autre  :  lorsque  pendant 
huit  mois  on  a  partagé  les  mêmes  dangers,  et  qu^ensemble 
on  a  vu  si  souvent  de  près  la  mort,  on  ne  se  sépare  pas 
sans  larmes* 

«  Notre  petite  escadre  se  composait  de  quatre  canots^ 
montés  par  les  pproissiens  de  M.  Blanchet ,  et  de  notre 
chaloupe;  nous  remontâmes  le  fleuve,  et  bientôt  nous  en- 
trâmes dans  la  rivière  Wallameite^  qui  se  jette  dans  le 
Cohimbia. 

«  Aux  approches  de  la  nuit ,  nous  amarrâmes  nos  bar- 
ques et  nous  allâmes  camper  sur  le  bord.  Là  nous  nous 
réunîmes  autour  du  feu  en  table  d'hôte  assez  pittoresque^ 
puis  nous  nous  livrâmes  au  repos;  mais  les  maringoums 
Tinrent  par  milliers  interrompre  notre  soipmeil  ;  les  reli* 
gieuses,  auxquelles  on  avait  cédé  la  tente,  ne  furent  pa9 
plus  épargnées  que  oeux  qui  dormaient  à  la  belle  étoile* 
Vous  compr^ez  sans  peine  que  la  nuit  nous  parut  un  pea 
ioBgue;  aussi  fûmesHious  sur  pied  au  premier  rayon  dtt 
jeor.  J'aidai  les  religieusesi  dresser  on  petit  autel  ;  e'élai€ 
k  16  aoàt,  jour  de  TAssomplion ,  léte  qu'on  ne  célèfcvv 
«osidbis  ici  qte  le  dimanche  suivant.  M.  Blanchet  ^A^k 
fessnot  ^Q:à&m^  Mis  bftâotres  communièrent. 

«  Enfin  le  17,  à  onze  heures  du  matin ,  on  aperçât  b 
dière  Mission  de  ff^oHamettc.  M.  BInncbet  eut  soin  de 


— 'dbyLjOOgk 


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484 

faire  iransporter  nos  bagages  ;  les  religieuses  furent  coa- 
duiles  en  charelle  à  leur  demeure,  éloignée  d'environ  cinq 
milles  de  la  rivière  ;  à  deux  Heures  nous  étions  tous  ras- 
sembles et  prosiernés  dans  l'église  de  ff^aUameUe,  pour  y 
adorer  et  remercier  notre  divin  Sauveur,  par  un  Te  Deum 
solennel  qui  fut  chanté  avec  une  vive  émotion. 

«  Le  dimanche  18  ,  ici  fêle  de  TAssomplion ,  dès  huit 
heures  du  matin  on  vit  arriver  en  foule  les  cavaliers  cana- 
diens y  qui  avaient  amené  de  loin  leurs  femmes  et  leurs 
enfants  pour  assister  h  la  solennité.  A  neuf  heures  la  foùle 
se  pressa  dans  Téglise ,  les  hommes  d'un  côté,  les  femmes 
de  l'autre,  dans  un  ordre  parfait.  Vingt >enfant8  de  duBur 
environnaient  Faulel;  le  Rév.  M.  Blanchet  célébra  le 
saint  Sacrifice.  Quant  à  ses  paroissiens,  à  peine  civilisés > 
9s  nous  édifièrent  beaucoup  [xir  leur  piété. 

«  Depuis  mon  arrivée  dans  l'Orégon  ,  j'ai  fait  une 
grande  maladie;  Dieu  m'a  accordé  la  guérison,  et  au- 
jourd'hui, 9  octobre,  date  de  ma  lettre,  j'ai  le  bonheor 
de  me  mettre  en  route  pour  les  Montagnes  Rocheuses. 

«  Je  suis, 

P.  J.  de  Smet ,  S.  J. 


«  P.  S.  Dès  le  9  septembre,  en  attendant  que  leur 
maison  fût  habitable ,  les  Sœurs  commencèrent  à  instruire 
en  plein  air  les  femmes  et  les  enfants  qui  se  disposaient  k 
la  première  communion.  Le  12 ,  elles  avaient  déjà  dix- 
neuf  élèves ,  âgées  de  16  à  60  ans;  toutes  ces  personnes 
viennent  de  loin ,  apportent  des  vivres  pour  plusleufs 
jours  et  couchent  dans  la  forêt ,  exposées  à  toutes  les  in- 
jures de  l'air.  On  ne  peut  concevoir  combien  ces  pauvres 
gens  sont  avides  d'instruction  ;  on  consacre  jusqu'à  six 

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485 

heures  par  jour  à  leur  enseigner  le  signe  de  la  <Toix  et 
les  prières  ordinaires.  Un  jour,  on  apprii  qu'une  femme 
était  depuis  deux  jours  sans  manger;  les  chiens  avaient 
dévoré  sa  petite  provision ,  et  elle  n'avait  pas  voulu  re- 
tourner chez  elle,  afin  de  ne  pas  perdre  la  leçon  du  ca- 
téchisme. 

«  On  ne  saurait  croire  combien  les  Sœurs  sont  chéries 
et  respectées,  et  quelles  démonstrations  de  reconnaissance 
ces  Indiennes  leur  témoignent;  les  unes  leur  apportent 
des  melons,  les  autres  des  pommes  |le  terre ,  du  beurre, 
des  œufs ,  etc. 

«  Le  couvent  n'ayant  encore,  le  34,  ni  portes,  ni 
châssis,  à  cause  de  la  rareté  des  ouvriers,  on  vit  ces  bon- 
nes Sœurs,  les  unes  s'essayer  au  maniement  du  rabot,  les 
autres  placer  les  vitres ,  peindre  les  portes  et  les  fenê- 
tres, etc.  Ce  qui  leur  fait  aésirer  si  ardemment  leur  nou- 
velle habitation ,  c'est  que  déjà  on  leur  a  présenté  un« 
trentaine  de  pensionnaires  Canadiennes ,  qui  leur  procu- 
rei'ont  le  moyen  de  nourrir  gratuitement  les  jeunes  or- 
phelines qui  se  trouvent  abandonnées  dans  les  bois.  Ces 
petites  malheureuses,  recueillies  chez  les  Sœurs,  pouiv- 
ront  ainsi  recevoir  des  soins  spirituels  et  corporels  ;  mais^ 
pour  réaliser  ce  projet  qui  promet  de  si  beaux  ré- 
suluts ,  il  faudrait  quelque  secours  qui  permit  de  fournir 
des  habillements  k  ces  pauvres  enfants,  le  produit  du  pen- 
sionnat ne  pouvanl  servir  qu'à  leur  nourriture.  Voici,  du 
reste,  le  brillant  prospectus  de  ce  pensionnat  : 

«  Par  irimesire  :  100  livres  de  farine,  26  livres  de 
lard  ou  36  de  bœuf,  4  livres  de  sain  doux ,  un  sac  de 
pommes  de  terres ,  3  galons  de  pois,  ^  douzaines  d'œub, 
un  galon  de  sel ,  4  livres  de  chandelles,  une  livre  de  thé, 
4  livres  de  riz. 

«  Cest  au  mois  d'octobre  que  les  Sœurs  sont  définit!* 


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486 

• 

CBtrées  dans  leur  coniHnt;  le  Rév.  M.  Blandiec 
fiât  pea  après  bénir  leur  chapelle  avee  tome  la  solen- 
ailé  pott3>le.  Depuis  ce  momeiit  dles  ont  le  boobeur  d*»- 
voir  tous  les  jours  la  sainte  Messe,  cpi'on  des  Pères  nia- 
iionnaires  établis  au  lac  Ignace,  Tient  y  cél^M'er.  Dès  les- 
premiers  jours  de  leur  installation ,  elles  ont  eu  encore  la 
douce  consolation  de  voir  faire  la  première  communion  à 
use  trentaine  de  femmes,  qu'elles  avaient  instruites  et  pré- 
farces. Ces  succès  obtenus  en  si  peu  de  temps  ont  fait 
concevoir  le  projet  de  former  une  seconde  maison  de  co 
genre  au  village  de  la  Cuhute.  M.  Blanchet  et  le  P.  de 
Vos  petlsent  que  la  disparition  des  ministres  protestants, 
qui  vient  d'avoir  lieu  après  d'infructueux  essais,  est  une 
circonstance  bien  favorable  à  ce  nouvel  établissement  des 
religieuses.  Malheureusement  la  station  de  sainte  Marie  de 
Wallamette  fournirait  à  elle  seule  de  quoi  occuper  douze 
Sœurs ,  et  elles  ne  sont  que  six. 

«  Nous  apprenons  avec  plaisir  ,  qu^aussitôt  après 
son  sacre,  Mgr  Blanchet  se  rendra  en  Europe,  afin  de 
Élire  de  nouvelles  démarche  pour  obtenir  encore  douze 
autres  religieuses.  Fasse  le  ciel  qu'il  réussisse,  et  que  le 
défaut  de  moyens  pécuniaires  ne  mette  pas  un  obstacle 
insurmontable  au  grand  sacrifice  que,  cette  fois  encore, 
la  pieuse  Congrégation  des  sœurs  de  Noire-Dame  s'impo- 
serait avec  la  même  générosité.  » 


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487 


DIOCESE  DE  DUBUQUE. 


ExtraUd^unehttredeM.  Crétin,  Missionnaire  apostolique  y, 
d  sa  sœur. 


Fort  AtkinsoD.  Ie22  jaio  1845. 


«  Matrès-cheresœur, 

«  Comme  je  vons  Tavaîs  annoncé  dans  ma  dornître 
lettre,  je  suis  depuis  quelques  mois  parmi  les  sauvages 
Ouinébégo  ou  Puants.  Ces  pauvres  Indiens  paraissent 
irès-bîen  disposés;  ils  ont  adressé  au  gouvernement  péti- 
tions sur  pétitions  pour  en  obtenir  des  prêtres  catholi- 
ques ;  mais  on  ne  fait  nulle  attention  à  leurs  instances,  et 
malgré  eux  on  continue  à  leur  imposer  des  minisires 
prolestants,  qu'ils  sont  obligés  de  payer  vingt-cinq  mille 
francs  par  an,  bieq  qu'ils  ne  les  écoutent  pas. 

«  L'année  demièrç,  je  crus  un  instant  que  leurs  \œnx\ 
si  long-temps  méconnus,  allaient  enfin  être  exaucés.  La 
fête  de  saini  Jean-Baptiste  avait  été  fixée  pour  l'ouverture 
d'an  grs^d  conseil  de  la  nation  ;  tous  les  chefs  des  Puants 
et  la  plupart  de  leurs  guerriers  devaient  s'y  trouver 
réunis,  pour  entendre  les  propositions  d'un  commissaire 
du  gouvernement,  chargé  de  traiter  avec  eux  de  la  vente 
de  leurs  terres* 


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«  Les  sauvages  convoques  dans  renceinle  du  fort, 
refusèrent  d'y  Unir  leur  séance,  déclarant  que  leur  cou- 
tume n'était  pas  de  se  réunir  en  tel  lieu  ;  qu'enfants  des 
champs  et  des  forêts ,  ils  ne  savaient  délibérer  librement 
qu'en  pleine  campagne ,  et  non  sous  des  remparts  ,  en 
face  du  soldat  et  à  la  gueule  du  canon.  Aussitôt  on  donna 
ordre  de  construire  une  immense  tente  de  feuillage,  à  un 
quart  d'heure  du  fort  ;  des  sièges  y  furent  convenablement 
préparés,  et  deux  jours  après ,  à  dix  heures  du  matin, 
par  un  temps  superbe,  la  première  assemblée  s'ouvrit  au 
bruit  de  l'artillerie. 

«  Tous  les  saiu  âges  étaient  en  grande  tenue  indienne, 
parés  de  plumes  et  de  panaches,  et  la  face  tatouée  avec 
des  variations  infinies.  Le  commissaire  qui  était  le  gé- 
néral Doge,  gouverneur  du  Wîsconsin,  prit  la  parole  et 
leur  dit  quel  était  son  message;  il  leur  fit  entendre  qu'on 
leur  donnerait  un  très  bon  prix  de  leurs  propriétés.  Ce 
prix  se  réduisait  h  payer  environ  cinquante  centimes 
l'arpent.de  leur  excellente  terre,  qu'arrosent  six  rivières 
considérables,  et  dont  l'étendue  comprend  deux  millions 
trois  cent  mille  arpents.  En  leur  enlevant  ce  vaste  terri- 
toire, on  avait  pour  but  d'en  transporter  les  possesseurs 
à  Test  du  Missouri.  Les  sauvages  ayant  écouté  cetie 
proposition,  demandèrent  un  jour  pour  en  délibérer 
ealr'eux  ;  ainsi  la  séance  fut  levée  et  renvoyée  au  len- 
demain. 

«  Cette  fois,  le  eoncours  des  spectateurs  fiil  encore 
plus  nombreux  que  la  veille  ;  beaucoup  de  colons  dee 
rives  du  Chien  encombraient  la  place  du  conseil ,  lorsque 
parut  le  premier  chef,  le  grand  orateur  de  la  nation 
appelé  ÏFakou^  Bien  qu'il  ne  fût  pas  chréUen ,  on  voyait 
avec  surprise  briller  sur  sa  poitrine  un  grand  crucifix  de 
dix  pences  environ.  Ce  vieillard  à  cheveux  blancs  s'a^anoo 


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avec  dignité  et  avec  une  politesse  peu  connue  des  sau- 
vages ;  il  salue  les  dames  qui  se  pressent  sur  son  passage 
en  grand  nombre,  leur  tend  la  main ,  et  leur  adresse  ces 
paroles  :  «Je  suis  bien  aise,  mes  soeurs,  que  vous  assistiez 
«  à  celte  conférence  ;  votre  présence  nous  prouve  l'intérêt 
«  que  vous  prenez  à  notre  sort  ;  je  vous  en  remercie  an 
«  nom  de  tous  les  hommes  de  ma  tribu.  »  Puis,  se  tour- 
nant vers  le  général  Doge  :  «  Mon  frère,  lui  dit^il,  je  te 
«  revois  ici  avec  plaisir;  en  te  députant  près  de  nous, 
«  noire  grand  père  (le  Président  des  Etats-Unis)  ne 
«  pouvait  faire  un  meilleur  choix ,  car  nous  t'aimons 
«  tous  ;  tu  as  déjà  présidé  plusieurs  fois  à  nos  traités  avec 
«  les  blancs ,  et  nous  nous  sommes  applaudis  de  ta 
«  loyauté  ;  tu  as  toujours  été  un  ami  pour  notre  nation, 
«  nous  espérons  que  tu  seras  encore  notre  défenseur 
«  auprès  de  noire  grand  père.  Si  je  parle  seul  aujotuv 
«  d'hui  ,  garde-toi  bien  de  croire  que  je  sois  seul 
«  capable  d'exprimer  les  sentiments  de  ma  tribu  ;  tous 
«  les  chefs  ici  présents  savent  manifester  leurs  pensées; 
«  mais  habitué  dès  ma  jeunesse  à  porter  la  parole  dans  les 
«  conseils^  on  m'a  élu  comme  le  plus  ancien  pour  défeo- 
«  dre,  au  nom  de  tous,  nos  intérêts  communs. 

«  Tu  viens,  dis-tu,  de  la  part  de  notre  grand  père, 
«  nous  demander  la  cession  de  notre  territoire?  Mais 
,  c  aurait- il  oublié  les  magnifiques  promesses  qu'il  m'a 
c  faites  à  Washington,  à  deux  époques  diflerentes?  Pour 
«  moi ,  il  m'en  souvient  comme  si  c'était  ajourd'hui  ;  *  je 
«  reçus  dans  cette  vilie  le  plus  gracieux  accueil  ;  tout  le 
c  monde  était  enchanté  de  me  voir ,  de  me  montrer  ce 
«  qu'il  y  avait  de  curieux  dansles  cités  que  je  traversais; 
«  les  marques  du  plus  entier  dévouement  nous  étaient 
«  prodiguées  ;  on  nous  disait  qu'on  ne  nous  inquiéterait 
«  plus  sur  les  terres  où  nous  nous  retirerions,  et  ea 


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m  àgsii  d^mie  inakâraUB  aUitneft oirne  donna  mte  m^ 
«  daiiie  d^arevit,  représentant  deux  mains  enlacées.  — 
«  Gomfites snr  moi ,  me  disait  le  grand  père;  je  Yons 
«  défendrai  loujonrs;  Yons  serez  mes  eafonls;  si  l'os 
«'  tous  £ait  quelqne  tcvt,  adressas^toos  toujours  à  mon 
«  vos  sujets  de  plainte  cesseront  dès  qu'ils  me  seront 
«  connus,  et  je  vous  défendrai.  —  Et  moi,  simple  enfisint 
«  de  la  nature,  qui  n'ai  qu'une  langue ,  je  croyais  à  la 
«  sincérité  de  ces  promesses;  mais,  voilà  que  malgré  nos 
«  réclamations  ,  toutes  nos  affaires  ont  été  administrées 
«  sans  même  nous  consulter.  On  a  renvoyé  des  agents 
«  que  nous  aimions  pour  nous  en  donner  d'autres,  sans 
«  prendre  noire  s^is.  Nous  avons  adressé  des  pétitions 
«  auxquelles  on  n'a  eu  aucun  égard.  On  nous  avait  bien 
«  promis  qu'on  nous  laisserait  toujours  sur  les  terres 
«  que  nous  occupons,  et  déjà  on  veut  nous  envoyer  je  ne 
«  sais  où?  Mon  frère,  tu  es  notre  ami,  dis  à  notre  grand 
«  père  qu'avant  de  prendre  le  chemin  d'un  nouvel  exil, 
«  ses  enfants  ont  besoin  de  faire  ici  une  balte  plus 
«  longue  :  l'arbre  qu'on  transplanterait  sans  cesse ,  ne 
«  tarderait  pas  à  périr. 

«  Pour  se  dispenser  d^étre  juste  envers  nous ,  on 
«  nous  accuse  d'être  la  nation  la  plus  perverse  qui  soii^ 
«  sous  le  ciel.  Si  le  reproche  nous  était  fait  par  des 
«  Indiens,  je  montrerais  qu'il  est  exagéré.  Mais  ce  sont 
«  les  Blancs  qui  nous  l'adressent ,  et  je  me  borne  à  ré- 
«  j>ondre  qu'il  retombe  sur  eux.  Pourquoi  nous  imputer 
«-  des  vices  que  vous  mêmes  avez  fomentés?  pourquoi 
«  venez-vous  nous  tenter  jusqu'à  la  pprte  de  nos  cabanes 
«  avec  votre  eau  de  feu,  si  destructive  de  notre  tribu  ? 
«  s'il  se  commet  des  crimes  parmi  nous,  c'est  par  suite 
«  de  l'ivresse;  et  qui  nous  enivre?  qui?  des  honmies 
«  avides  qui  nous  vendent  du  poison  au  prix  de  nos 
«  dépouilles. 


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«Comme  ttf  m'as  iimtéi  ce  faire  tatit6s4es4 

«  qw  jjê  croirais  vtHes  ï  ma  natioii,  permets  qu^vimldit 

«  finir  je  t'en  adresse  une  de  la  plus  haute  ioqxirtattoe» 

«  Hêtre  grand  père  nous  aiait  dit  :  —  Je  vons  enverrai 

«  des  hommes  qui  vous  apprendront  à  bien:  vivre.  — ' 

«  Ces  hommes  sont  venus  en  e&t;   mais  quoiqu'ils 

«  soient  assez  bons ,  nos  enfants  ne  les  écoutent  pas 

«  mieux  que  nous.  C'est  que  nous  voulons  des  Prêtres 

«  catholiques.  Ceux-là  se  feront  mieux  écouter,  sois-en 

«  sûr.  Je  prends  Dieu  à  témoin  que  ce  que  je  dis  est 

«  Texpressîon  des  voeux  de  ma  nation;  j'en  prends 

«  aussi  à  témoin  les  chefs  ici  présents.  »  Et  tous  les  chefs 

firent  entendre  un  murmure  approbateur,  sans  qu'il 

s'élevât  aucune  réclamation.  Alors  le  commissaire  déclara 

que  sa  mission  était  remplie,  et  qu'il  rendrait  au  grand 

père  un  compte  exact  de  tout  ce  qui  s'était  passé. 
«■ 

«  Le  lendemain,  les  sauvages  demandèrentencore  une 
{^semblée.  Plusieurs  autres  diefs  prirent  la  parole ,  et 
ne  firent  qae  confirmer  ce  qui  avait  été  dit  la  veille; 
maïs  avant  l'ouverture  de  la  séance,  le  grand  orateur 
ayant  exprimé  le  désir  que  je  \Jnsse  m'asseoir  à  côté  du 
président,  je  fus  mvité  à  prendre  la  place  du  comman- 
dant du  fort,  ce  qui  n'a  pas  peu  étonné  beaucoup  de 
protestants.  Si  Dieu  lève  enfin  les  obstacles  qui  s'op- 
posent à  mes  desseins,  j'espère  avec  sa  grâce  contribuer 
à  améliorer  la  condition  de  ce  pauvre  peuple. 

«  Je  suis  encore  seul  ici ,  avec  une  famille  sauvage 
dont  la  mère ,  très-bonne  chrétienne,  parle  un  peu 
français;  logé  dans  une  maison  formée  de  troncs  d'arbres 
couchés  horizontalement  l'un  sur  l'autre ,  et  recouverte 
d'écorce^  j'ai  à  peu  près  le  nécessaire.  Les  deux  plus 
I^us  grands  inconvénients  du  pays  sont  les  serpents  à 
sonnette  et  les  cousins.  On  ne  peut  marcher  avec  assu- 


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492 

pance  dans  les  bois  et  les  prairieSi  surtout  près  des  ri- 
vières, où  à  chaque  pas  on  entend  bruire  la  queue  de  cet 
aOreux  reptile;  il  est  très  rare  cependant  quMI  morde  ; 
il  n'attaque  jamais,  à  moins  qu'on  ne  Tait  prévenu  en  le 
foulant  du  pied  dansTherbe. 

«  Les  cousins  sont  encore  plus  inquiétants;  feu  suis 
dévoré  depuis  trois  jours ,  sans  avoir  un  instant  de  repos 
ni  le  jour  ni  la  nuit.  Ils  sont  ici  par  myriades.  Mes 
pauvres  chevaux  se  roulaient  ce  soir  à  terre  pour  s'en 
débarrasser  ;  ne  pouvant  plus  tenir  dehors ,  ils  ont  cassé 
teurs  harnais  et  sont  venus  se  caclier  dans  Tétable,  où  ik 
ne  se  sont  pas  mieux  trouvés.  Je  porte  des  gants  de  soie, 
je  chausse  des  bottes,  je  couvre  ma  face  d'une  gaze  pour 
éviter  la  piqûre  de  cet  insecte  incommode  ;  mais  pendant 
h  messe  il  s'attache  à  mon  chef  dépouillé,  alors  sans  dé- 
fense; et  bientôt  ma  tête  enfle  d'un  demi-pouce  au  moins, 
pour  une  demi -journée. 

«  Je  termine  ma  lettre  à  la  prairie  du  Chien  ,  ce  9 
juillet.  Je  ne  dis  rien  des  divers  dangers  que  j'ai  courus, 
et  auxquels  j'ai  échappé  par  la  grâce  de  Dieu.  Continuez 
bien  de  prier  pour  moi. 

«  Votre  tout  aifeciionné  frère , 

«  J.  Cbetin^  Miss^  tipost.  » 


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493 


DIOCÈSE  DE  VINCENNES. 


Extrait  d'une  lettre  du  P.  Sorin,  de  la  Société  de 
Notre-Dame  de  Sainte  Croix,  d  M.  le  Supérieur  de  la 
même  Société^  au  Mans. 


NoUoaa56ibi.  22  janTÎer  ii\ô. 
«  Mon  RÉvéEEIlD  PÂREy 

«  J'arrive,  et  je  bénis  le  ciel  de  me  ramener  au  milieu 
de  mes  chers  néophytes.  Les  sauvages  sont  à  cinq  lieues 
d'ici,  dans  les  bois;  dans  deux  ou  trois  heures  ils  vontéire 
avertis  de  mon  retour  ;  ils  seront  auprès  de  moi  cette  nuit 
même.  J'ai  dû  m'informer  tout  d'abord  de  leur  persévé- 
rance ;  voici  la  réponse  que  l'on  m'a  faite  :  «  Père ,  le 
«  changement  de  cette  tribu  est  devenu  le  sujet  de  toutes 
«  les  conversations   du  pays.  Jusqu'à  Fhiver  dernier 
«  c'était  une  bande  d'ivrognes  et  de  voleurs,  le  scandale 
«  et  l'effroi  de  tout  le  voisinage.  Depuis  leur  baptême,  ce 
«  ne  sont  plus  les  mômes  hommes  :  tout  le  monde  admire 
c  leur  sobriété,  leur  honnêteté,  leur  douceur,  et  surtout 
«  lear  assiduité  à  la  prière  ;  leurs  cabanes  retentissent 
«  presque  continuellement  de  pieux  cantiques.  » 

«  «C'est  un  mystère  pour  moi,  me  disait  tout  à  l'heuve 
«  un  vieux  chasseur  canadien ,  que  le  spectacle  de  ees 


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494 

c  Indiens  (els  qu'ils  sont  aujourd'hui.  Croiriez- tous  que 
«  j'ai  vu  de  mes  yeux  ces  mêmes  sauvages ,  en  1813  et 
«  1814,  livrant  au  piUûge  et  aux  flammes  les  habita- 
«  lions  des  blancs ,  saisissant  les  petiis  enfants  par  le 
a  pied  et  leur  écrasant  la  tête  contre  les  murailles ,  ou 
«  les  jetant  dans  des  chaudières  bouillantes?  Et  mainte- 
«  nant^  à  la  vue  d'une  robe  noire,  ils  tombent  à  genoux, 
a  baisent  sa  main  comme  des  enfants  celle  d'im  père;  ils 
«  nous  font  rougir  nous-mêmes  ?  » 

«  La  cruauté  parait  avoir  été,  en  effet,  la  plus  saillante 
de*leurs  inclinations  naturelles.  Lors  du  fameux  traité 
de  Harisson  avec  la  nation  indienne  en  1815,  quand  le 
Président  de  TUnion,  après  avoir  reproché  au  chef  de  la 
tribu  son  ancienne  barbarie,  lui  fit  demander  s'il  oserait 
bien  encore  commettre  quleque  acte  du  même  genre  : 
«  A  la  première  occasion  que  j'en  trouverai,  »  répondit 
fièrement  le  sauvage.  L'armée  des  Etats-Unis  parvint , 
après  mille  dangers,  à  les  refouler  dans  leurs  forêts,  et 
finalement  à  leur  imposer  la  loi  ;  maïs  il  n'appartenait 
qu'aux  ministres  de  Jésus-Christ  de  changer  ces  oobuk 
farouches,  et  d'en  faire  des  hommes  en  en  faisant  des 
chrétiens. 

«  Je  viens  de  visiter  un  de  leurs  anciens  cimetières. 
On  voit  encore  distinctement  chaque  tombe.  Avec  eux 
on  "enterrait  leur  carabine,  leur  casse-tête,  leur  corne  à 
poudre,  leur  pipe  et  leur  plus  bel  habit.  D'après  une  vieille 
tradition  ils  demandaient,  en  mourant,  qu'on  ne  Bt 
pas  passer  la  charrue  sur  leurs  corps.  Moins  heureux  que 
leurs  descendants ,  ils  ignoraient  encore  qu'il  y  eàt 
quelque  chose  de  meilleur  à  solliciter  de  ceux  qui  leur 
survivaient.  Cette  réflexion  me  fait  souvenir  d'un  fait 
iréceiH,  -dont  nom  avens  tous  été  beaucoup  édifiés.  €ne 
'iveuve  tiidimoe  vînt  à  perdre  Také  de  ses  deux  fife,i 

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495 
TÎBgl-bttû  listes  de  Soath-Bena.  EHe  sacrifia  le  peu  qui 
loi  restait  pour  fitire  apperier  les  >estes  du  cher  défnt 
dans  le  cimetière  de  Notre-Dame  du  Lac.  Pïmvre  mère  I 
il  jr avait  treize  jours  que  le  convoi  fen^jreétait  en  marchei 
quand  il  arriva  à  l'église.  Linfidèle  qu'elle  avait  gagé 
pour  lui  rendre  ce  service,  ne  pouvait  s'empêcher  lui- 
même  d'admirer,  dans  une  femme  sauvage,  un  pareil  ^uste 
de  religion. 

«  Quand  un  Indien  a  embrassé  h  prière ,  vous  diriez 
presque  qu'il  ne  pense  plus  à  autre  chose.  Il  y  a  deux 
mois,  un  de  ceux  que  nous  avons  convertis  avait  cru  me 
voir  passer  dans  la  diligence,  à  quelque  distance  de  Na- 
taouassibi  ;  deux  heures  après,  tout  le  village  était  aocouru 
de  plusieurs  lieues  à  l'endroit  où  ils  supposaient  que  je 
devais  m'anéter.  Gnq  joùi'S  entiers,  m'assure-t-on  ,  ils 
restèrent  là  à  m'attendre,  pensant  toiy'ours  que  j'allais 
venir.  Pauvres  sauvages  I  si  j'avais  soupçonné  leur  nié- 
prise  I  Aujourd'hui  je  les  attends  à  mon  tour ,  et  plus 
heureux  qu'ils  ne  l'ont  été,  je  ne  serai  pas  frustré  du 
plaisir  de  les  voir. 

«  Ke  suis-'je  pas  trop  heureux  aussi ,  non  révérend 
Père,  de  trouver  une  si  belle  occasion  de  vous  éonre , 
après  avoir  en  vain  cherché  qudques  heures  pour  le  faire, 
depuis  cinq  ou  six  jsemames  ?  Je  vais  donc,  puisque  j'en  ai 
le  temps,  passer  en  revue  toutes  nos  œuvres,  vous  entre- 
tenir de  nos  projets,  et  vous  confier  toutes  nos«spérances. 

«  Je  ne  vous  parlel*ai  point  du  collège  que  vous  cou- 
Baissez;  nous  y  avons  déjà  trentenleux  élèves,  c|ui  eussent 
ÎMitilement  cherché  ailleurs,  à  plusde  deux  cems  milles  à 
la  ronde,  une  éducation  chrétienne.  Le  manque  |>re6que 
total  de  récoke,  l'année  d^ni^,  nous  prive  d'en  ammr 
davantage.  Je  nentionaei'ai  à  peine  notre  nouveau  novi- 
ciat de  Xrùres ,  quelque  dvilicieux  qu'il  paraisse  à  tous 

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496 
ceux  qui  le  visitent.  Cest  déjà  beaucoup  qu'il  soit  fondé 
dans  rUe  Sainte-Marie,  qui,  de  Taveu  de  tous  ceux  qui 
y  pénètrent,  est  un  des  plus  beaux  sites  qu'on  puisse  ima- 
giner. Ces  humbles  murs,  dont  la  conslrucûon  n'a  pris 
que  huit  jours  de  travail ,  sont  aussi  riches  d'avenir  que 
ceux  du  collège.  C'est  là  que  je  demeure  depuis  deux 
mois  avec  seize  novices  ,  dans  une  petite  cellule  de  sept 
pieds  sur  six,  plus  content  et  plus  iieureux  que  jamais. 

«  Toutefois ,  ce  qui  nous  rend  cette  ile  Sainte-Marie  * 
si  chère  à  tous,  ce  n'est  pas  tant  sa  beauté  naturelle^  que 
la  richesse  mestimable  des  privilèges  dont  elle  est  dotée* 
L'Archiconfrérie  vient  d'y  être  canoniquement  érigée 
pour  tous  les  catholiques  du  pays  ;  j'allais  aussi  ajouter 
pour  les  protestants  ;  et  pourquoi  non?  Si  cette  Associa- 
don  de  prières  a  pour  but  la  conversion  des  pécheurs, 
chacun  d^eux  ne  peut-il  pas  dire  avec  saint  Paul  :  Quo- 
rum primus  ego  sumP  Nous  avons  achevé  il  y  a  quelques 
'  semaines  une  chapelle  dédiée  au  cœur  immaculé  de  la 
sainte  Vierge  ;  Marie  ne  l'a  pas  laissée  vide  de  témoi- 
gnages sensibles  de  sa  protection  et  de  son  amour. 
Le  jour  de  l'Epiphanie,  une  famille  respectable  du  pays 
(le  père  et  six  enfants),  guidée  par  l'éloile  du  salut,  venaic 
chercher  à  Notre-Dame  du  Lac  sa  régénération  dans  les 
eaux  sacrées  du  baptême  ;  quelques  jours  après,  la  mère 
de  cette  famille,  cédant  aussi  à  l'empire  de  la  grûce,  de- 
mandait à  jouir  du  bonheur  de  ses  enfants,  en  abjurant 
à  son  tour  ses  erreurs. 

«  Le  reste  de  la  nuit  ne  me  sufiSrait  pas,  mon  révéirend 
Père,  pour  vous  décrire  tous  les  pieux  monuments  que 
je  vois  dici  se  grouper  autour  de  la  chapelle  du  saint  et 
hnmaculé  cœur  de  Marie.  Que  n'anrais-je  pas  à  vous 
dire^  d'abord,  de  ces  modestes  ateliers,  où  tant  de  petits 
malheureux,  sans  ressources,  vont  trouver,  avec  unepr^ 

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497 
fession  honorable,  des  exemples  et  des  leçons  qui  feront 
d'eux,  un  jour,  h  consoladon  de  TEgiise  catholique^  et 
Thonneur  de  la  société. 

«  Voyez,  un  peu  plus  loin,  ces  chers  petits  orphelins 
dans  leur  asile.  Ils  sont  venus  à  Noire-Dame  couverts  dt 
haillons,  transis  de  froid  et  mourant  de  faim.  Les  eussiei- 
Tous  repoussés,  bon  Père?  et  quand  vous  n^aurlez  point 
eu  de  pain  assuré  pour  le  lendemain,  n*auriez-vous  pas 
partagé  celui  du  moment  avec  ces  petits  affamés? 

«  Que  je  vous  montre  encore  une  chose  que  Dieu  a 
faite  au  sein  de  ce  désert,  et  que  je  ne  puis  considérer, 
d'ici  même,  sans  que  mes  yeux  se  remplissent  de  larmes* 
Nous  sommes  an  milieu  de  la  nuit,  le  spectacle  n'en  sera 
que  plus  beau.  Voyez -vous  sur  les  bords  de  ce  lac  qu'on 
vous  a  tant  vanté,  voyez-vous  ces  trois  lumières?  Ce  sont 
les  lampes  solitaires  des  trois  chapelles  que  le  Seigneur  a 
fait  élever  à  sa  gloire  par  les  mains  de  vos  enfants.  N« 
TOUS  serable-t-îl  pas  entendre  Jésus-Christ  répétant  k 
jour  et  la  nuit  a  notre  communauté  naissante  :  «  Ne  crat^ 
«  gnez  pas ,  petit  troupeau.  Je  ne  vous  laisserai  point 
«  orphelins.  Voici  que  je  suis  avec  vous.  Deliciœ  meœesn 
«  cumfiliishominumP» 

«  Si  on  m'avait  dit,  il  y  a  deux  ans,  lorsque  nous  ar- 
rivions sur  les  rives  de  ce  lac  alors  couvertes  de  neige,  que 
sitôt  les  arbres  d'alentour  auraient  fait  place  à  tout  ce 
qu'on  y  voit  aujourd'hui  ;  si  l'on  avait  ajouté  que  duift 
deux  ans,  du  même  coup  d'œil  on  pourrait  voir  briUer , 
au  milieu  de  l'obscurité  de  la  nuit,  ces  trois  biapes  attu- 
inée$  devant  trois  différents  tabernacles  du  Dieu  vivant, 
Taurions-nous  pu  croire?  Aujourd'hui  que  les  résultais 
ont  dépassé  toutes  nos  espérances ,  ne  devons-nous  pos 
dire  avec  le  Palmiste  :  «  Ce  changement  est  l'œuvre  àm 
Très* Haut?»  Si  nous  n'avions  le  calice  du  salut  à  oflnr 

TOM.  XTU.    103.  DigitizedSJ^OOgle 


49S 
dkkqàe  mti^M,  que  rendrioM-iiovs  aa  Seignewr  paat  tant 
àôljimbiiB  doni  il  nous  a  comblés?  Oui,  fiusîons-itoiis 
eocore  plus  dépourvus  et  plus  souffirants^  si  Jésus-Cbrist 
c#(  si  près  de  nous,  nous  sommes  assez  riches,  assez  bien 
gprdés.  G^'lui  dont  la  main  nourrit  lès  petits  oiseaux ,  et 
qui  donne  aux  lis  des  champs  leur  parure,  sait  bien  ce 
qiii  nous  est  nécessaire.  Depuis  plus  de  trois  ans  que  nous 
soaunes  sur  cçite  terre  étrangère ,  aux  soins  journaliers 
du  8auveur  Jésus ,  que  nous  a-t-il  manqué?  Rien,  Sei- 
gneur, rien. 

,  «)  Il  esc  vrai  que  le  retard  des  secours  sur  lesquels  nous 
coiiplions,  joint  au  manque  de  récolte,  nous  a  jeiés  dans 
de  ^nds  embarras  ;  mais  j'aurais  honte  de  craindre. 
Personne  ne  mourra  de  faim  à  Notre-Dame  du  Lac.  Nos 
espérances  ne  seront  point  confondues  ;  nos  églises  s'élè- 
vtront;  le  mouvement  donné,  de  jour  en  jour  ira  pro^ 
gressaut  ;  les  infidèles ,  les  protestants  et  les  sauvages 
».#root  évangélisés  ;  le  nom  dp  Dieii ,  mieux  connu ,  sera 
aiuf»!  plus  aimé  et  béni  dans  nos  solitudes. 

m  Et  cependant,  si  la  confiance  avait  dû  nous  man- 
quer, c'eût  éié  aux  premiers  jours  de  notre  établissement. 
Qui  d'entre  nous  a  oublié  ce  long  voyage  de  Saint-Petersà 
Notre-Dame,  oà  nous  cheminions  sur  une  neige  qui  n'avait 
pAs  moins  de  cinq  pieds  d'épaisseur?  La  rigueur  du  froid 
Hait  extrôme.  Nous  couohioM  sur  la  plancher;  une  seule 
ciwvertHre  servait  pour  trois;  l'un  de  nous  voilait  à  l'en- 
UMiea  du  feu,  ec  aliuKOtait  le  foyer  pendsiic  la  met.  El 
malgré  tCNHW  les  fatigues  «c  les  eonlre^tanps,  notre  petite 
Gokmm  était  heturenset  ec  personne  se  laitta  éebapper 
tam  piÀinu*  Lorsque  h  faim  uoussatsissaileB  roote^  nous 
mtm  âdrasaiûDS  au  firère  Vincent,  notre  écoMme;  alors  il 
fmnMJt  na  p»D,  le  plaçeit  sim*  un  iroae  d'arbre,  et  par- 
«ipaicv  eprfei^rois  ott  quaûre  vigaoreBx  coups  de  hache» 

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499 
â  en  détacher  quelques  morceanx,  que  nous  mangions 
avec  autant  ^'appétit  que  les  mets  les  plus  friands. 

€  Adieu,  bon  Père,  recevez  l'assurance  du  respect, 
de  la  reconnaissance  et  du  déronement  de  votre  chère 
famifte  de  Notre-Dame  du  Lac.  Bénissez-la  du  fond  de 
votre  cœur  paternel  ;  c'est  Tardenie  prière  de  votre  afiec- 
tiosnéfils, 

«  E.  SoBm.  » 


Dans  une  autre  relation,  le  même  Missionnaire  donne 
les  détails  suivants  sur  les  sauvages  soumis  à  sa  dfreo 
tioD  spirituelle. 

«  La  plupart  des  Indiens  qui  nous  avoîsinent  sont  de 
\a prière j  c'est-à-dire  catholiques.  Il  n'y  a  que  douze  ans 
qu'ils  sont  convertis,  et  bien  qu'ils  aient  eu  beaucoup  à 
souffrir  de  la  part  des  blancs,  je  ne  sache  pas  qu'un  seul 
ait  abandonné  la  religion.  Quoique  naturellement  mous  et 
indolents,  une  fois  qu'ils  sont  instruits,  ils  se  montrent 
zélés  et  ardents  pour  les  pratiques  de  l'Eglise  ;  la  seule 
chose  qu'ils  paraissent  avoir  à  cœur,  c'est  d'être  bons 
chrétiens;  le  commerce,  les  ricliesses  ou  les  plaisirs  de  la 
vie  présente  ne  semblent  leur  faire  aucune  impression. 
Pourvu  qu'ils  puissent  recueillir  quelques  épis  de  mais  ^ 
tuer  quelques  chevreuils  ou  quelques  chats  sauvages,  et 
puis  venir  saluer  quaniah  (la  robe  noire)  ils  sont  con- 
tents. 

«  Ils  sont  communément  d'une  taille  élevée  et  même 
majestueuse.  Leur  caractère  d'aujourd'hui  me  semble 
très-doun  ;  et  tependanl  je  sais  qu'il  y  a  dix  ans,  ils  ne 
tenaient  pas  plus  &  la  vie  de  leurs  camarades  qu'à  celle 
de  leurs  chevaux.  D'après  le  portrait  digne  de  foi,  que 

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plusieurs  personnes  m^en  ont  fait ,  ces  mêmes  sauvages 
que  je  trouve  si  bons  maintenant,  étaient  d^une  cruauté 
à  faire  frémir.  On  me  parlait  dernièrement  d'une  Indienne 
qui^  pour  une  légère  injure,  avait  froidement  £ait  asseoir 
sa  propre  sœur  sur  un  billot  devant  elle,  pour  lui  fendre 
la  téie,  à  son  aise,  d'un  coup  de  hache. 

«  A  la  barbarie  ils  ajoutaient  une  incroyable  supersti- 
tion. Quelquefois  au  plus  fort  de  l'hiver,  ces  hommes  si 
fiers  et  si  cruels  étaient  tellement  épouvantés  d'un  songe, 
que  dans  la  crainte  d'avoir  déplu  au  Grand-Esprit ,  ik 
s'imposaient  à  eux-mêmes  les  pénitences  les  plus  sévères, 
oomme ,  par  exemple ,  de  monter  au  haut  d'un  grand 
arbre  de  la  forêt,  et  d'y  rester  sans  boire  ni  manger, 
pendant  deux  ou  trois  jours,  jusqu'à  ce  qu'un  nouveau 
songe  vint  leur  apprendre  que  la  colère  du  malure  de  la 
vie  était  passée.  Alors  ils  descendaient,  reprenaient  leurs 
fusils,  et  le  premier  gibier  qu'ils  rencontraient,  devait 
faire  les  frais  d'un  festin  pour  tout]  le  voisinage,  sans 
qu'il  fût  permis^au  chasseur  d'en>ien  goûter.  Ce  n'était 
que  de  la  seconde  pièce  qu'il  pouvait  [rassasier  sa  faim. 
Depuis  que  la  lumière  deTEglise  abrillé^sur  eux,  ils  sont 
devenus  aussi  doux  ,  aussi  humains ,  quelquefois  même 
aussi  pieux  que  les  meilleurs  chrétiens  d'Europe.  Le 
vol  est  inconnu  parmi  eux ,  ainsi  que  le  mensonge  ;  ils 
ignorent  de  même  la  plupart  des  vices  des  peuples 
civilisés. 


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£01 


Statistique  de  V Eglise  catholique  aux  Etals-Unis  en  18^6, 
adressée  par  Mgr  PurceUj  Evêque  de  Cincinnati^  d 
MM.  les  Membres  des  Conseils  centraux  de  Lyon  et  de 
Paris. 


Ohio,  10  mars  1845. 


«  Ualmanach  caibolique  de  cette  année  vous  aura,  sans 
doute,  déjà  annoncé  qu'il  y  a  maintenant  dans  les  Etats- 
Unis,  sans  comprendre  le  Texas  qui  va  nousélre  annexé, 
21  diocèses  et  un  vicariat  apostolique,  675  églises  et  592 
chapelles,  572  prêtres  engagés  dans  les  Missions,  137 
prêtres  dans  les  collèges  et  séminaires,  22  institutions 
ecclésiastiques  ,  220  séminaristes ,  28  collèges  et  écoles 
supérieures  pour  les  jeunes  gens,  29  communautés  reli- 
gieuses ,  94  sociétés  catholiques  de  bienfaisance  >  et  une 
population  catholique  évaluée  à  1^300,000  âmes;  peut- 
être  même  va-t-elle  considérablement  au  delà. 

«  Les  statistiques  comparatives  présentent  des  résul- 
tats qui  ne  sont  pas  moins  intéressants^  car  elles  constatent 
les  progrès  continus  de  notre  sainte  Religion  dans  ce  pays. 
Ainsi  en  1835  il  y  avait  aux  Etats-Unis  13  diocèses,  14 
Evéques,  272  églises,  327  prêtres,  12  séminaires  ci  9 
collèges;  et  dès  l'année  1840  on  comptait  déjà  16  dio- 
cèses, 17  évoques,  454  églises,  482  prêtres,  18  sémi- 
naires et  1 1  collèges  ;  enfin  en  1845  il  y  a  21  diocèses , 
1  yicariat  apostolique,  26  Evéques,  675  églises,   709 


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prêtres,  22  sémi^ires  et  15  collèges,  sans  parler  de  Tac- 
croissement  des  communautés  de  femmes  et  des  écoles  pour 
les  demoiselles. 

«  Ce  calcul,  Messieurs,  vous  montrera  que  vos  dons 
géucreuK  ne  tombent  pas  sur  une  terre  stérile,  et  que 
les  fidèles  de  nos  diocèses  sont  disposés  à  rivaliser  «vec 
leurs  frères  d'Europe,  avec  celte  contrée  si  éminemment 
catholique ,  qui  nous  prodigue  depuis  tant  d'années  ses 
aumônes  avec  une  piété  au-dessus  de  tout  éloge. 


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6Ùi 


MISSIONS  DU  LEVANT* 


Lettre  de  Mgr  HiUereau ,  archevêque  de  Petra^  el  vicaire 
apostolique  de  Constanlinople  ,  à  M.  Vahbé  Boujf, 
chapelain  des  Dames-CarnxéUtes^  à  Marseille. 


CoastoniUiople,  le  4  mai  1^44. 


c  Mon   CSBH  ÂBBÉ , 

«  Depuis  mou  retour  de  France  à  Constanlinople ,  êm 
occupations  de  tout  genre  ne  m'ont  pas  permis  de  i 
plir  les  promesses  que  je  vous  avais  biles.  Vans 
sur  une  longue  lettre  ,  car  vous  m'avez  répété 
fois  :  EeriwA-nm  longuemmi  ;  je  veux  satisfaire  vios  d^ 
sûrs,  je  le  dois  même,  puisque  votre  obligeance  &«  se  fc^ 
(ose  à  auottne  peine  quand  il  s'agit  de  me  rendre  sefvioit 

€  Pour  trouver  du  charme  au  récit  des  événements  ^ 
pour  suivre  et  comprendre  les  moindres  incidents  dont  ïiê 
se  compliquent,  il  faut  préalablement  connaître  bien  déd 
choses  sur  le  pays  dont  on  parle.  Ainsi ,  vous  suives  avec 
beaucoup  d'attention  et  d'intérêt  tout  ce  que  11»  joummi 
pablieni  ^tr  les  diocèses  de  France  ,  parce  que  la  cou* 


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604 

fonnité  dans  les  usages  religieux ,  l*aiial(^îe  et  Tunilé 
dans  Torganisation  ecclésiastique,  font  que  vous  êtes  tout 
de  suite  comme  sur  les  lieux,  et  placés  au  point  de  vue  fa- 
vorable pour  bien  juger  de  l'action.  Quant  aux  missions, 
I  n'en  est  pas  ainsi  :  le  plus  souvent  Pimagination  erre 
ea  quelque  sorie  dans  des  régions  idéales;  ni  les  instru- 
ments, ni  les  agents  des  faits  ne  sont  assez  connus  pour 
donner  une  couleur  fixe  au  tableau  que  Tesprit  se  re- 
présente. Je  vais  donccommencer^  en  vous  donnant  des  no- 
tions précises^  par  vous  mettre  en  état  de  tout  lire  à  l'avenir 
sur  ces  Missions  avec  autant  d'intelligence  que  vous  le 
furiez  si  vous  aviez  séjourné  longtemps  dans  le  Levant,  si 
vous  aviez  tout  vu  et  observé  avec  autant  de  soin  que  U 
pins  infatigable  touriste. 

«  Je  sortirais  de  mon  sujet  si  je  vous  parlais  de  Pétat 
de  ces  contrées  dans  les  temps  anciens  ;  c'est  à  l'histoire 
à  vous  dire  ce  qu'elles  ctaienlàrépoqueoùlepaganismeet 
la  fable  y  avaient  établi  leur  empire;  et,  plus  tard,  ce 
qu'elles  devinrent  quand  les  courageux  chrétiens  d'Europe 
vinrent,  avec  leur  redoutable  épée,  tracer  au  milieu  de  ces 
provinces  une  route  qu'ils  parcouraient  par  centaines  de 
mille,  pour  aller  retremper  leur  foi  au  berceau  du  chris* 
tianisme.  Je  vous  renvoie  aux  mêmes  sources  pour  ap- 
prendre ce  qu'étaient  ces  contrées,  lorsque  le  vieux  tronc 
de  l'empire  romain  s'y  desséchait  jusque  dans  ses  der- 
nières racines.  Il  £iut  parler  de  l'Orient  tel  qu'il  est  au- 
jdQrd'hui ,  et  de  l'organisation  qu'il  a  subie  après  quatre 
siècles  d'occupation  par  un  peuple  qui  est  resté  à  côte 
des  vaincus  sans  rien  faire,  ni  pour  le  pays,  ni  pour  les 
hommes  ;  qui  a  laissé  au  temps  la  peine  de  détruire  tous 
les  monuments  ancienssans  presque  rien  élever  àleur  place» 
et  qui  a  établi  sur  des  décombres  un  trône  qui  s'est 
promptement  assimilé  lui-même  à  des  ruines.  Aujour- 


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505 
d'Itui  on  peai  Yèair.en  Orient  pour  y  contempler  des  mi- 
nes immenses,  pour  exhumer  les  souvenirs  d'un  passé 
plein  de  grandeur,  et  en  quelque  sorte  pour  y  voir ,  dans 
le  mélange  des  peuples  et  dans  la  confusion  des  institu- 
iions  contraires  ,  une  autre  Babel ,  dont  la  construction 
semble  plus  avancée  que  ne  Tétait  celle  dont  parle 
Moïse. 

«  Dans  cette  lettre  sur  la  Turquie ,  je  ne  vous  entre* 
tiendrai  que  de  sa  constitution  religieuse  et  de  Toi^anisa-r 
tion  civile  qui  en  découle. 

«  A  Constantinople  et  dans  le  reste  de  Tempire ,  tous 
ceux  qui  font  profession  de  Tislamisme  composent  la 
famille  turque  ;  de  quelque  race  ou  pays  qu'ils  soient  ori- 
ginaires, dès  qu'ils  embrassent  le  Coran^  ils  sont  par 
ce  seul  fait  considérés  comme  membres  de  la  nation. 
Seuls ,  les  Turcs  sont  aptes  à  remplir  les  emplois  qut 
donne  le  gouvernement  et  ù  porter  les  armes  ;  bien  plus, 
il  n'y  a  qu'un  musulman  dont  le  témoignage  soit  reçu  en 
justice  contre  un  musulman,  même  dans  le  cas  où  le  dé- 
bat serait  entre  un  turc  et  un  raya.  Ainsi ,  un  chrétien, 
dans  un  procès  avec  un  mahométan,  doit  nécessairement 
trouver  des  témoins  qui  professent  la  religion  de  la  par- 
lie  adverse  :  les  titres  écrits  ne  compteraient  pour  rien  ; 
le  témoignage  des  chrétiens  n'est  admis  que  dans  les  af- 
faires des  chrétiens  entre  eux* 

€  Sous  l'autorité  et  dépendance  des  musulmans ,  se 
mmvent  ensuite  autant  de  nations  qu'il  y  a  de  croyances 
rdigieuses;  et,  parmi  lés  chrétiens ,  ces  nationalités  se 
fractionnent  en  autant  de  catégories  qu'il  y  a  de  ri is  ou 
lie  liturgies  diOërentes;  enfin,  au  sein  de  chaque  rit, 
ceux  qui  professent  la  foi  catholique  forment  une  nation 
distincte,  et  les  hérétiques  en  fent  une  autre.  Chaque 
eorp6  ou  lambeau  de  nation  conserve  sa  langue,  a  un 


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506 
cfaef  parlicultâr  ^  élu  par  les  naïaUes,  ei  sMotisi  par  h 
Porte  à  gouveroer  ses  MlioiniQX. 

«  Voici  la  nomenclature  de  ces  nations  ;  ce  sont  1°  les 
Francs.  On  entend  par  là  tous  les  sujets  des  puissances 
européennes,  domiciliés  ou  de  passage,  soit  a  Consianti- 
nople  ,  soit  sur  quelque  autre  point  de  l'empire  ;  ils  ne 
relèvent  que  des  ambassadeurs  respectifs  ,  ou  des  consuls 
et  agents  consulaires,  dans  les  différents  lieux  où  ils  se 
trouvent.  2^  Les  Raya$.  Ce  mot  désigne  tous  ceux  qtti 
^sont  sujets  du  sultan,  mais  qui  ne  professent  pas 
r^lamisme.  Parmi  eux  on  compte  :  —  Les  Lalins-Rayas^ 
ou  catholiques  qui  sont  du  rit  latin  ;  ils  ont  un  cbef 
à  Constàntinople,  quoiqu'ils  soient  peu  nombreux  :  — 
les  Grecs  i  qui  ont  à  Constantinople  un  patriarche 
chargé  de  leurs  affairés  nationales  et  particulières;  dans 
tes  provinces,  les  Evéques  sont ,  pour  les  intéréu  tem* 
porels,  des  espèces  de  sous- gouverneurs  qui  relèvent 
de  lu'. 

«  Dans  là  nation  grecque  se  trouve  la  snbdiYisioo 
des  Grecs  mekhites ,  qui  habitent  la  Syrie  et  autres  pro- 
TÎnces  voisines;  les  uns  sont  hérétiques,  e?  ceux-là  sont 
administrés  par  les  Evéques  que  leur  envoie  le  patriar- 
che hérétique  de  Constantinople  ;  les  autres  professent 
notre  foi  et  ont  à  leur  tête  un  prélat  qnî  a  le  tif  re  de  Pa- 
triarche d'Antioche,  bien  qu'il  ne  soit  reconnu  par  la 
Porte  Ouanane  que  comme  simple  métropolitain.  Il  a 
•otis  lui  une  douzaine d'évéques,  à  laide  desquels  il gour 
verne  son  peuple  poui*  le  temporel  et  pour  le  spirituel, 
iadépendanunent  de  tout  autre  chef  raya*  3"  Les  Jrmé* 
niesis.  Leur  supérieur,  fixé  à  Consuntinople,  est  qualifié 
par  la  Porte  Ottomane  de  patriarche,  mais  dans  TEglûe 
nationaie  il  B!en  a  ni  le  rang  ni  le  titre.;  le  vrai  patriar^ 
che  estrEvéfue  d'Esmia^cim,  aujt  confins  de  h  Géorgie  t 


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607 
aujourd'hui  du  domaine  de  la  Russie.  Le  patriarche  ar- 
ménien de  Constantinople  gouverne  sa  nation  pour  le 
temporel  et  pour  le  spirituel  par  Tentremise  d'£véquds 
et  vicaires ,  ses  subdélégués.  Au  sein  de  la  nation  ar- 
ménienne existe  la  subdivision  des  catholiques,  qui  for- 
ment un  corps  à  part.  Grâce  aux  gouvernements  eu- 
ropéens ,  et  spécialement  à  la  France ,  ils  ont  éié  déta- 
chés de  la  nation  hérétique  par  un  Firman  ou  décret  im- 
périal donné  en  1831,  Depuis  lors  ,  ils  ont  un  supérieur 
ecclésiastique,  simple  prêtre,  qui  est  accrédité  auprès  de 
la  Porte  comme  patriarche ,  et  en  exerce  l'autorité  quant 
au  temporel;  il  fait  administrer,  hors  de  Constantinople, 
par  des  subdélégués,  partout  où  il  y  a  des  catholiques  de 
son  rit.  4^  Les  habitants  du  Moat  Liban  appelés  Maro- 
mt€$.  Ils  ont  été  jusqu'ici,  po»r  le  temporel,  sens  le 
goavernement  d'un  prince  portant  le  titre  d'émir;  povr 
le  spirituel ,  ils  relèvent  d'un  patriarche  assisté  de  pith 
sieurs  Evéques ,  qui  n'ont  eu  jusqu'à  ce  moment  aucune 
rebUon  avec  la  Porte  Ottomane.  5®  Les  Syriens.  iJn  pa- 
triarche reconnu  par  la  Porte,  gouverne  pour  le  temporel 
et  le  spirituel  les  hérétiques  de  cette  nation ,  auxquels  où 
donne  ordinairement  le  nom  de«/acoit/^:sarésidenceha- 
bîtuetle  est  à  Merdi  n ,  en  Mt  sopotaroie.  Ceux  d'entre  les  Sy- 
riens qui  professent  notre  foi  ont  un  patriarche  à  Alep;  c'est 
lui,  avec  les  Evéquesqu'il  nomme, qui  dirigeeepetit  trou- 
peau. 6^  Les  ChcUdéens.  Les  membres  hérétiques  de  cectft 
nation,  connus  sous  le  nom  de  NeHoriens  ,  ont  un  chef 
chargé  du  tempord  et  du  spirituel  avec  le  titre  de  F«- 
triarehe;  sa  résidence  était  naguère  à  quelque  distance 
de  Mossul,  où  dernièrement  il  a  dû  se  retirer  et  fixer  son 
$éjour.  Les  Oialdéens  catholiques  ont  à  leur  tête  un  pa 
triarehe  résidant  à  Bagdad.  Son  autorité,  n'étant  pas  re- 
connue par  la  Porte,  ne  s'est  exercée  jusqu'ici  que  sous  la 
dépendance  directe  des  pachas  des  provinces  ;  mais  oa 


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508 
agit  actuellement  auprès  du  pouvoir  pour  le  faire  agréer 
cdinme  chef  d'une  nation  ,  et  on  y  réussira  sans  doute. 
7^  Enfin  les  Juifs  noéones  forment  une  catégorie  à  part , 
sous  la  Présidence  de  leur  grand  rabin^  qui  a,  lui  aussi, 
ses  subdélégués  et  agents,  au  religieux  comme  au  civil. 

«  Dans  les  grandes  villes,  ces  diverses  populations 
occupent  des  quartiers  différents ,  parlent  chacune  leur 
langue,  et  n*ont  de  relations  que  celles  que  les  affaires  et 
les  besoins  de  la  vie  nécessitent;  chaque  individu s'occ^ipe 
de  sa  petite  nation,  comme  si  elle  était  seule  dans  le  pays  ; 
chacun  traite  de  ses  intérêts  auprès  de  Faulorité  musul- 
mane^ et  quelquefois  avec  plus  de  rivalités  et  de  jalou* 
sies  que  les  royaumes  entre  eux. 

«  Vous  pouvez  maintenant ,  après  ce  que  je  viens  de 
vous  dire,  vous  former  une  idée  de  l'organisation  reli- 
gieuse et  ecclésiastique  de  ces  contrées.  Chaque  langue 
ancienne  forme  une  Eglise ,  et  chaque  Eglise  une  nation.. 
Nous  avons  donc  en  Orient,  d'abord  des  Latins  qui  ont  des 
Eglises  à  Constantinople  et  dans  quelques  autres  villes  de 
la  Roumélie.  Au  même  rit  appartiennent  diverses  riiré- 
tieatés  en  Moldavie,  en  Yalachie,  en  Bulgarie,  en  Servie, 
en  Bosnie  et  en  Albanie,  sous  la  direction  d'Evéques  qui 
relèvent  directement  de  Rome.  Après  ki  liturgie  latine, 
viennent  les  liturgies  proprement  orientales  :  la  liturgie 
^-ecque^  Tarménienne,  la  syrienne,  la  chaldéenne  et  la 
OQphte  ;  c*est-iklire  les  Eglises  où  Ton  se  sert  des  langues 
grecque,  arménienne,  syriaque,  chaldéenne  et  cophte. 

«  Voulez-vous  maintenant  savoir  comment  les  affaires 
de  ces  Eglises  sont  traitées  auprès  du  gouvememeilt , 
quand  son  intervention  est  nécessaire?  Si  les  Eglises  dont 
il  s'agit  appartiennent  aux  Européens  ou  Francs  ,  c'est 
l'ambassade  de  France  ou  Fambassade  d'Autriche  qui 
doit  agir  directement ,  et  sans  que  les  supérieurs  ec- 


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609 
clésiasliqaes  aient  à  paraître.  S'agit-il  de  personnes 
rayas  ou  d'églises  appartenant  aux  rayas?  l^affaire  doit 
être  portée  au  reis-effendij  ou  ministre  des  affaires  étran- 
gères; toutes  les  questions  religieuses  sont  de  sa  compé- 
tence, et  elles  doivent  être  poursuivies  auprès  de  lui  par 
les  patriai*ches  respecii&  résidants  à  Constantinople,  de 
conceri  avec  les  parties  intéressées  qui  doivent  aussi  se 
transporter  à  la  capitale,  s'il  y  a  à  débattre  de  grands  in- 
térêts. Quant  à  la  manière  dont  elles  sont  traitées  et  ter- 
minées ,  je  n'entrerai  pas  dans  le  détail  ;  il  y  aurait  trop 
de  choses  à  dire  sur  les  lenteurs  de  l'instruction,  et  sur  les 
moyens  de  lever  les  difficultés. 

«  La  multiplicité  des  affaires  religieuses  portées  à 
Constantinople ,  fait  penser  à  organiser  les  divers  rits 
dont  se  compose  le  catholicisme  en  Orient,  pour  en 
former  un  seul  corps  ;  c'est  une  œuvre  ù  laquelle  l'ambas- 
sade de  France  donne  toute  sa  sollicitude,  et  de  son  côté 
la  Porte  Ottomane  y  prêle  volontiers  la  main,  pour 
soustraire  ses  rayas  aux  influences  d'une  intervention 
étrangère.  On  profite  de  ce  que  les  chefs  des  principales  na- 
tions orientales  sont  ici,  pour  traiter  d'une  combinaison 
et  la  rendre  la  moins  mauvaise  possible  :  celle  à  laquelle 
on  paraîtrait  s'arrêter  de  préférence,  serait  de  prendre  le 
chef  orthodoxe  de  la  nation  arménienne  pour  chef  tem- 
porel de  tous  les  rayas  catholiques,  en  le  chargeant  de 
résoudre,  d'intelligence  avec  un  agent  particulier  de 
chaque  corps ,  toutes  les  questions  qui  demanderaient 
fe  concours  du  gouvernement.  A  la  fin  de  Tannée  pro- 
diaine,  je  pourraivous  faire  connaître  le  résultat  de  cette 
grande  et  importante  mesure. 

«  Voilà  pour  ce  qui  regarde  le  catholicisme  en  gé- 
nérai. Quant  à  ce  qui  nous  concerne  en  particulier,  je 
n'ai  rien  d'extraordinaire  à  vous  apprendre.  Le  bien  s'est 


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510 
contiiraé  tout  petitement  ;  des  conversions  ont  en  lieu  à 
)a  dérobée,  car  il  n'y  a  pas^ d'antre  moyen  de  les  opérer, 
les  hérétiques  ayant  en  main  la  force  du  gouvernement 
et  Tautorisation  de  s'en  servir  con  ire  ceux  qui  voudraient 
embrasser  la  foi  catholique.  La  liberté  du  culte  accordée 
par  le  sultan,  cette  tolérance  dont  les  journaux  ont  Tait 
tant  de  cas ,  se  réduit  en  réalité  à  pouvoir  allonger  de 
quelques  pas  les  processions,  qui  de  temps  immémorial  se 
font  autour  des  églises^  à  pouvoir  sonner  quelques 
cloches,  et  à  porter  les  morts  aux  cimetières  avec  autant 
de  pompe  qu'on  le  veut,  il  est  vrai  qu'en  cela  le  gouver- 
nement a  fait  une  concession  qui  a  dû  lui  coûter  beau- 
coup ;  mais  les  instances  des  ambassades  de  France  et 
d'Angleterre  réunies  ont  été  telles^  que  les  préjugés  reli- 
gieux ont  dû  plier,  et  il  a  été  établi  en  droit  que  les  chré- 
tiens qui  ont  embrassé  l'islamisme  pourront ,  s'ils  le 
veulent,  sans  danger  pour  leur  vie,  retourner  à  leurreU-^ 
gion  primitive,  et  faire  de  nouveau  profession  du  chri- 
stianisme. J'ai  dit  qu'on  l'a  établi  en  droit;  car  pour  le 
faity  il  faudra  encore  bien  du  temps  avant  que  ks  raoé^ 
gats  revenus  à  la  profession  publique  de  l'Evangile , 
puissent  habiter  Coçstantinople  sans  que  leur  vie  soit 
menacée. 

«  Le  point  sur  lequel  il  y  a  eu  réellement  amélioration 
notable,  est  l'instruction  de  la  jeunesse.  Les  Frères  de 
la  doctrine  chrétienne  ont  jusqu'ici  un  plein  succès  ;  ils 
réunissent  autant  d^enfants  que  leurs  classes  peuvent  en 
contenh*.  Leur  nombre  dépasse  trois  cents.  Les  Sœurs  de 
la  diarité  jouissent  également  d'une  faveur  qui  ne  laisse 
rien  à  désirer  ;  elles  ont  dans  leur  maison  une  réunion 
assez  considérad)le  de  petites  orphelines,  et  en  outr«  un 
pensionnat  composé  d'une  centaine  de  demoiselles.  Leurs 
classes  pour  les  externes  softtfréqo^tées  par  plus  été 

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trois  ce&ts  enfants  ;  elles  assistent  les  infirmes,  dbtribuent 
des  remèdes  gratis  ou  à  bas  prix,  donnent  et  fonl  donner 
par  des  médecins  qui  ventent  bien  les  ^seconder  dans 
cette  bonne  oeuvre ,  des  consultations  gràluiles  auï- 
pauvres  malades,  dont  ie  nombre  s'élève  quelquefois 
jusqo^à  deux  cenis  par  jour  ;  elles  prodiguent  auic 
indigents  des  secours  do  tout  genre,  et  leur  industrieuse 
charité  ne  néglige  aucun  moyen  de  soulager  les  mi- 
sères. Cependant  ces  deux  Congrégations  vouées  à  Pin- 
struGtion  de  la  jeunesse,  ne  font  encore  qu'une  partie  du' 
bien  qu'il  y  aurait  à  faire,  parce  que  leurs  établissements 
se  trouvent  placés  loin  du  centre  de  la  population ,  à 
laquelle  elles  sont  appelées  à  rendre  service-  Nous  espé- 
rons qu'avec  le  temps  elles  pourront  s'en  rapprocher  par 
des  fondations  nouvelles. 

«  L'éducation,  du  reste,  tend  à  prendre  des  dévelop- 
pements en  Turquie.  Les  catholiques  d'Andrinople  m'ont 
fait  plusieurs  demandes  pour  avoir  une  maison  de  reli- 
gieuses ;  ceux  de  Salonique  ont  le  même  désir  ^  et  ont 
fait  à  cet  effet  plusieurs  démarches.  M.  Bore,  déjà  connu 
par  ses  ouvrages  et  ses  écrits  scientifiques  et  religieux,  a 
fondé  à  Angora  (l'ancienne  Ancyre)  une  école  qui  doit 
porter  des  fruits.  La  maison  d'éducation  que  dirigent 
les  Lazaristes^  donne  aussi  de  la  satisfaction  à  tous  les  pa- 
rents par  la  manière  dont  les  enfénts  sont  élevés. 

m  Telle  est  <ei  la  faible  moisson  qui  croît  parmi  les  ron- 
oes  et  les  épines;  et  c'est  encore  beaucoup  au  milieu  de 
l'abondante  ivraie  semée  par  tant  de  mains  dans  ce  champ 
dm  père  de  bmille.  Vouléfr^ous  que  je  vous  dise  encorep- 
ea  peu  de  mots  ce  que  font  ici  les  puissances  européenne» 
em  fcvenr  du  christianisme?  ovi  en  sont  à  notre  égard  lesi 
disoositioBS  des  mosnlmansf  en  queHes  voies  marcbent 
les  hérétiques,  grecs  et  arméniens? 

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612 
«  Deux  gouvernements  européens,  la  France  et  TAii* 
triche,  agissent  en  faveur  du  catholicisme,  et  Taf^uient 
de  toute  leur  inQuence  :  TAutriche  à  Constantinople  et 
dans  les  provinces  limitrophes  de  ses  états  ;  et  la  France 
dans  la  capitale  et  dans  tout  le  reste  deFempire.  L'An- 
gleterre et  la  Prusse  aident  à  répandre  le  protestantisme; 
mais  la  terre  n'est  pas  bonne  pour  celte  semence.  La 
Russie  dirige  occultement  Téglise  grecque,  et  prépare  sous 
main  une  suprématie  plus  directe  ;  elle  accorde  des  déco- 
rations aux  évéques,  et  des  subventions  aux  membres  du 
clergé  qui  peuvent  la  servir;  elle  cherche'  à  intervenir 
dans  Télection  du  patriarche  de  Jérusalem,  pour  pouvoir 
accroître  son  influence  et  son  action  sur  les  lieux  saints. 
L'église  grecque  est  toujours  dans  le  même  état  d'atta- 
chement à  ses  vieilles  erreurs  ;  cependant  les  liens  de  la 
subordination  se  relâchent ,  et  les  métropolitains  des 
grandes  provinces  marchent  à  grands  pas  vers  l'indépen- 
dance; déjà  l'église  de  Grèce  se  gouverne  par  elle- 
même  ;  la  Servie  veut  son  primat  indépendant  ;  la  Bul- 
garie agit  auprès  de  la  Porte  pour  se  donner  elle-même 
des  évêques  de  sa  propre  nation.  A  Constantinople^  le 
patriarche  accepte  en  secret  l'appui  et  les  faveurs  de  la 
Russie,  qu'il  renie  auprès  du  Divan  par  crainte  d'une 
déposition;  le  clergé  grec  parait  peu  satisfait  de  ses 
supérieurs ,  et,  si  au  moindre  signe  de  mécontentement, 
le  patriarche  n'envoyait  au  Mont-Atlios  les  évéques  et 
les  Prêtres  qui  lui  résistent ,  pour  les  y  tenir  ù  la  chaîne 
et  sous  le  bâton,  il  y  aurait  fréquemment  des  dissensions 
ecclésiastiques.  En  même  temps^  par  complaisance  pom* 
son  puissant  protecteur  du  nord,  le  synode  de  l'église 
grecque  défend  l'étude  de  la  langue  française ,  comme 
source  de  corruption  morale  ,  et  favorise  l'étude  de  la 
kogue  russe,  que  beaucoup  de  prêtres  prévoyants  cultivent 
atee  soin. 

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513 
«  Nos  Arméniens  semblaient ,  il  y  a  quelques  mois, 
vouloir  tendre  la  main  aux  catholiques ,  et  se  laisser 
attirer  à  Tuorté;  mais  ils  ont  changé  de  direction. 
Les  chefs  voyant  le  bon  accueil  que  Fempereur  de 
Russie  a  fait  au  patriarche  de  leur  nation  ,  qui  réside 
actuellement  sur  ses  terres ,  paraissent  pour  le  moment 
disposés  à  sympathiser  avec  les  Moscovites;  et  pour  en 
donner  une  preuve  extérieure,  le  patriarche  vient  de 
changer  la  coiffure  de  son  clergé,  et  de  lui  en  faire 
adopter  une  qui,  pour  la  forme ,  se  rapproche  beaucoup 
du  bonnet  des  prêtres  russes. 

«  Quant  aux  Musulmans,  le  christianisme  n'a  jusqu'ici 
opéré  sur  eux  aucun  effet,  et  dans  les  régions  où  les 
lumières  de  la  civilisation  commencent  à  pénétrer ,  le 
changement  qu'on  remarque  dans  les  idées  se  réduit  à 
un  léger  dégoût,  à  une  certaine  teinte  d'indifférence  pour 
la  Religion.  Du  reste,  le  peuple  turc  professe  toujours  le 
même  attachement  pour  ses  croyances ,  et  se  montre 
fidèle  à  ses  moindres  pratiques.  Le  pouvoir,  de  son  côté, 
veille  à  l'accomplissement  des  préceptes  de  la  loi  musul- 
mane; il  vient  même  d'établir  une  censure  sévère,  chargée 
d'examiner  tous  les  livres  écrits  en  langue  turque  ou 
arabe,  pour  s'assurer  qu'ils  ne  renferment  rien  de  con- 
traire à  la  religion  et  au  gouvernement.  Il  est  vrai,  le  fana- 
tisme n'a  pas  Eût  de  victimes  cette  année-ci  comme 
Tannée  dernière,  où  un  renégat  a  eu  la  tête  tranchée  à 
Constantinople  pour  être  retourné  an  christianisme  ,  et 
un  autre  a  été  pendu  pour  le  même  motif  à  Bilégik;  mais 
pourtant  il  a  montré  par  la  démolition  du  couvent  des 
Dominicains  à  Mossul,  par  les  mauvais  traitements  exercés 
sur  les  Missionnaires  qui  s'y  trouvaient ,  par  l'usurpation 
violente  et  à  main  armée  d'un  terrain  appartenant  a.x 
catholiques  de  Merdin,  par  la  démolition  d'une  églisp  dar  s 
To».xyn.l03.  «...^L^oogle 


514 
le  faubourg  de  Constantiuople ,  sous  le  seul  prétexte 
qu'elle  était  au  milieu  d'un  quartier  musulman^  où  ce- 
pendaDtelIeexistaitdepuisuombred'années,  il  a  montré, 
dis-je,  qii'il  est  toujours  vivant,  et  même  sanguinaire  dans 
Toccasion. 

«  Voilà  ce  que  je  puis  extraire  aujourd'hui  de  mes 
mémoires  ecdésiastiques  ;  à  la  fin  de  184£,  je  vous  ferai 
le  récit  de  ce  que  Tannée  aura  présenté  d'événements 
propres  à  servir  d'aliment  à  votre  piété.  Veuillez  tou- 
jours nous  continuer  le  secours  de  vos  bonnes  prières, 
et  agréez  l'assurance  de  mon  bien  sincère  et  affectueux 
attachement. 

«  f  J.  M.  HiLLEREAu^  Archevêque  de  Pétra, 
Vie.  apost.  de  Constantinopk.  » 


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£15 


MISSIONS 

DE  LA  COCHINCHINE. 


Lettre  de  Mgr  Dominique  Lefehvre^  Evéque  ihmmh- 
poUSy  Ficaire  apostolique  de  la  Basse-Cockinehiiu  ^  é 
Mgr  Etienne  T%éàdore  Cuenot^  Evéque  de  AÊMhpoUti 
Ficaire  apostolique  de  la  Coekinchine  orieniak. 

10  décembre  iSH. 

€  HoNSiisifKm, 

c  II  convient  que  je  fasse  à  Votre  Grandeur  le  récit 
de  nos  souffrances;  car,  quoiqu'on  ait  déjà  publié  au 
loin  les  principaux  événements  qui  nous  concernent ,  il 
est,  sans  doute,  bien  des  circonstances  qui  vous  sont  en- 
core inconnues,  ou  qu'on  vous  a  faussement  exposées.  Ja 
vais  autant  que  possible  retracer  les  faits  dans  toute  leur 
exactitude. 

«  Je  commence  par  la  cause  qui ,  après  Dieu ,  m'a 
conduit  sur  la  grande  scène,  où  j'attends  en  paix  le  dé- 
noûment.  Votre  Grandeur  sait  que,  d'après  ses  instruc- 
tions^ j'avais  institué  niây-Phuôc  (1)  catéchiste  en  titre. 


(1}  Lf  mot  Théff  signifie  mattre.  Phêèû  eit  le  nom  propr»  de  ce 

ratéchiite. 


Digi 


it^ftyLjOogle 


516 

L'année  dernière  il  me  demanda  une  lettre  lesUmoniale 
en  texte  annamite,  outre  celle  que  je  lui  avais  donnée  Tan- 
née précédente  en  langue  latine.  J'hésitai  un  instant 
devant  les  inconvénients  de  cette  mesure  ;  mais  sa  de- 
mande éuit  juste,  car  sa  lettre  en  latin,  comme  il  m'en 
fit  Tobservation^  ne  lui  servait  de  rien  aux  yeux  des  in- 
digènes qui  ne  comprennent  pas  cette  langue,  et  n'auto- 
risait pas  suffisamment  sa  mission.  Je  lui  délivrai  donc 
la  lettre  qu'il  sollicitait,  non  sans  craindre  les  suites  fu- 
nestes qui  pouvaient  en  résulter. 

€  Le  caractère  de  [ce  catéchiste  est  de  faire  les  dioses 
trop  en  grand  pour  les  circonstances  actuelles.  11  acheta 
uue  barque  et  se  fit  suivre  partout  par  deux  servants. 
H  prêchait  hardiment  dans  quelque  lieu  qu'il  allât ,  et 
sans  prendre  aucune  des  précautions  conunandées  par  la 
prudence,  bien  disposé  qu'il  était  à  tout  souffrir  pour  la 
meilleure  des  causes. 

«  J'avais  soinMe  l'envoyer  au  loin,  de  peur  qu'il  ne 
me  compromit.  Vers  Ic^mois  d'août,  je  désignai  à  son  zèle 
un  village  tout  païen,  appelé  Cén-ngao,  à  deux  ou  trois 
journées  de  ma  résidence  :  ses  instructions  furent  bien 
écoutées,  il  forma  plus  de  trente  catéchumènes  ;  mais 
l'ennemi  de  tout  (bien  lui  suscita  des  diflScultés  i  natten* 
dues.  Trois  des  principaux  habitants  du  village  ne  goû- 
tèrent pas  sa  doctrine  ,  et  cherchèrent  le^moyen  de  lui 
tirer  de  l'argent,  qu'ils  estimaient  plus  que  ses  belles 
paroles.  En  conséquence  ils  se  saisirent  de  sa  personne , 
de  deux  chrétiens  qui  se  trouvaient  là  par  circonstance, 
et  d'un  de  ses  servants.  Ils  exigèrent  cinquante  ligatures 
de  leur  prisonnier,  lui  promettant  la  liberté  ù  ce  prix. 
Thdy-Phuôc  refusa  de  les^donner  :  ils  en  demandèrent 
vin^,  sans  qu'il  voulût  entendre  parler  de  rançon.  Pour 
dix,  le  catéchiste  aurait  pu  se  tirer  d'affaire ,  et  obvier 
aux  uristes  suites  de^^son  arrestation,  qu'il  ne  prévoyait 

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517 

pas.  Sur  son  refus  obstiné,  on  le  chargea  de  la  cangue, 
et  on  porta  son  aflaire  au  chef  du  canton,  qui  se  rendit 
sur  les  lieux,  fit  dresser  le  catalogue  de  tous  les  effets  con- 
tenus dans  la  barque  de  Thây-Phuôc ,  et  informa  Vâng^ 
huyen  (1)  de  cette  prise. 

«  Ce  fonctionnaire  évoqua  raflûreà  son  tribunal,  et 
interrogea  le  catéchiste  pour  savoir  s'il  était  prêtre ,  et 
par  qui  il  était  envoyé.  Thày-Fhuàc  satisfit  à  toutes  les 
questions  sans  compromettre  personne,  même  quand  il 
fallut  rendre  compte  de  la  feuille  qui  portait  mon  nom.  Je 
crois  néanmoins  que,  malgré  ses  réponses  évasives,  le  man- 
darin ne  laissa  pas  de  soupçonner  fortement  la  présence 
d'un  Missionnaire  européen  dans  la  contrée.  Il  parait 
même,  d'après  les  rapports  les  plus  plausibles,  que  le  ser- 
vant du  catéchiste  arrêté  avec  lui  leva  tous  les  doutes,  en 
déclarant  positivement  le  lieu  de  ma  résidence. 

c  Thây-Fhuàc  resta  plus  d'un  mois  à  la  sous^éfec- 
ture,  annonçant  les  vérités  du  salut  à  qui  voulait  l'enten- 
dre, et  faisant  admirer  ses  connaissances  et  sa  fermeté  au 
mandarin  lui-même.  Après  avoir  pris  ses  informations 
aussi  exactes  que  possible,  celui-ci  alla  faire  son  rapport 
au  premier  magistrat  de  la  province.  Ordre  fut  aussitôt 
donné  d'amener  ThAy^Phudc  au  chef-lieu  ;  et  en  consé- 
quence il  y  fut  conduit  sous  bonne  escorte  avec  son  ser- 
vant. Les  deux  autres  chrétiens  arrêtés  avaient  été  mis  en 
liberté  pour  une  somme  modique,  quoiqu'ils  eussent 
constamment  refusé  d'apostasier. 

«  Depuis  longtemps  je  sentais  tout  le  danger  de  ma 
position  ;  le  mattre  et  la  maîtresse  de  la  maison  que  j'ha- 
bitais, étaient  morte  l'un  et  l'autre ,  et  j'étais  resté  seul 
possesseur  des  bâtiments  et  du  jardin ,  sans  avoir  personne 


(1)  Ong^kvtfftn  Tent  dire  Chef  4e  iouê-prifeeêurê. 


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518 
ponr  me  couvrir  de  son  nom.  Il  est  vrai  qu^on  avait  placé 
«D  néophyte  du  village  dans  cette  demeure  ;  nuûs  c'était 
m  pauvre  jeune  homme  qui  passait  beaucoup  phis  pour 
4tre  logé  cheE  moi,  comme  il  l'était  en  eSet,  que  pour  le 
propriétaire.  J'étais  donc  trop  connu  pour  être  bien 
caché  dans  un  moment  si  critique.  11  parait  aussi  qu'un 
païen  de  Tendroit  avait  eu  vent  de  ma  présence  en  ces 
lieux,  et  qu'un  jour,  dans  un  mouvement  de  mauvaise  hu- 
meur contre  les  cheb  du  village,  échauffé  d'ailleurs  par 
les  fumées  du  vin  dont  il  avait  l'habitude,  il  avait  dit  pu- 
bliquement devant  un  grand  nombre  de  soldats  païens  et 
d'officiers  suballernes,  que  le  hameau  recelait  un  maître  de 
rdigion  europé^.  Ce  discours,  ayant  été  porté  aux 
oreilles  des  grands  mandarins  de  la  province ,  leur  fit 
prendre  des  informations  précises  ;  ils  furent  aidés  dans 
leurs  investigations  par  le  servant  même  de  Thây-Phuàe^ 
qui  apostasia,  et  dès  Ion  ne  cacha  plus  ce  qu'il  savait. 
JFixés  par  ses  aveux ,  les  mandarins  se  réunissent  en 
^grand  conseil,  il  est  décidé  qu'il  Esiut  se  saisir  de  ma  per- 
iame,  et  plus  de  deux  oenu  soldats  se  mettent  en  cam- 
pugne^oommandéspar  Vong4anMnnhon  diefdelamiUcê» 

m  Sor-Ie-chsunp  je  fiis  informé  de  cette  expédition.  Le 
3S  octobre,  après  avoir  célébré  le  saint  sacrifice,  sinon 
peur  la  dernière  fois ,  au  moins  pour  ne  plus  l'oflrir  de 
longtemps,  je  cherdiai  une  retraite  plus  sûre  dans  une 
antre  maison,  en  attendant  l'arrivée  des  satellites  pendant 
la  nuit  :  ils  ne  vinrent  pas  eneore.  Le  lendemain  29,  on 
ent  le  temps  de  cacher  tous  mes  efiets  ;  les  Religieuses  et 
loos  nies  étèvesprirem  te  fuite,  et  motHOiéme  je  me  réfegiaî 
dan&nn  viUage  voisin,  ou  on  ne  m'aurait  jamais  décwK 
^mu  J'y  passai  la  naît  et  la  journée  du  30  dans  les 
alarmes^  songeant  aux  maux  qui  allaient  désoler  la 
pauvre  chrétienté  qui  m'avait  donné  asile. 

«  En  effet,  la  soldatesque  était  airivée  vers  k  corn- 


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519 

mencement  de  la  nuit.  Un  enfant  de  treize  ans,  fils  du 
chef  de  canton,  qui  connaissait  ma  demeni%,  conduisit  la 
troupe  tout  droit  ù  la  maison  que  j'avais  quittée.  On  lui 
mit  trois  épées  nues  devant  les  yeux,  et  on  lui  ordonna  de 
déclarer  si  c'était  là  qu'habitait  le  maître  de  religion  eu- 
ropéen :  l'enfant  l'affirma  ;  on  lui  demanda  encore 
pourquoi  il  ne  s'y  trouvait  plus  :  il  répondit  que  son  père 
et  deux  des  principaux  du  village  qu'il  nomma,  l'avaient 
eimneiié  ailleurs  ,  mais  qu'il  ne  savait  où  ils  l'avaient 
conduit. 

«  Là'dessus ,  le  mandarin  envoya  ses  soldats  prendre 
le  premier  chef  du  village,  vieillard  septuagénaire,  appelé 
Ca-ngô.  Le  chef  du  eanton  Tôngloc  et  un  autre  chef 
nommé  Câu-Tkiên  se  rendirent  à  la  maison  qu'on  fouil- 
lait, pour  répondre  aux  envoyés.  On  se  saisit  de  leurs 
personnes  et  on  les  conduisit  devant  le  mandarin,  chargés 
de  la  cangue.  Ils  soutinrent  la  première  question  avec 
assez  de  constance.  Trois  néophytes  qui  étaient  nouvelle- 
ment installés  dans  ma  demeure ,  et  qui  s'en  disaient  les 
maîtres,  subirent  aussi  courageusement  les  premières 
épreuves;  mais  ils  avaient  h  foire  à  un  mandarin  qui  ne 
se  hisse  pas  vaincre  aisément.  Quelques  enfonts  lui 
avaient  déclaré  le  secret  qu'il  cherchait;  on  n'avait  d'ail- 
leurs pu  si  bien  détruire  tous  les  indices  de  mon  séjour 
en  cet  endroit,  qu'il  n'en  restât  encore  des  signes  pea 
équÎToques  ;  'et  après  maints  et  maints  coups  de  rotin 
rigoureusement  assénés  ;  mes  catéchistes  eux-mêmes 
furent  contraints  de  fairedes  aveux. 

«  Restait  à  découvrir  le  lieu  où  je  m'étais  retiré  :  cette 
révélation  coûtait  beaucoup  à  mes  gens,  mais  le  mandarin 
menaçait,  tempêtait,  frappait;  il  ne  cessait  de  répéter, 
comme  il  me  l'a  dit  depuis,  que  si  je  ne  paraissais  pas> 
phis  de  cinquante  personnes  du  village  périraient;  qœ 
je  devais  me  sacrifier  mot-même  pour  le  salut  du  peufrie» 


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520 
II  tenait  le  môme  langage  qu'aulrerois  Caiphe^sansmienx 
compi'endi^e  le  sens  de  ce  qu'il  disait.  Mes  catéchistes  cé- 
daient peu  à  peu  à  la  forôe  de  son  raisonnement,  surtout 
quand  il  en  venait  aux  arguments  physiques  ;  n'y  pouvant 
plus  tenir,  ils  résolurent  d'indiquer  ma  retraite. 

«  Cependant,  je  me  croyais  en  sûreté  dans  mon  asile  ; 
sans  xien  savoir  de  ce  qui  se  passait  entre  le  mandaria 
et  les  catéchistes  dans  l'intérieur  de  la  maison,  je  recevais 
seulement  de  temps  à  autre  quelques  nouvelles  de  ce 
qu'on  pouvait  observer  au  dehors  et  de  loin.  Le  soir,  on 
m'avertit  que  plusieurs  embarcations  se  dirigeaient  vers 
le  lieu  de  ma  retraite.  Aussitôt  je  cherchai  mon  salut 
dans  la  fuite,  je  traversai  le  champ  voisin,  et  m'enfonçai 
dans  l'épaisseur  du  bois,  avec  deux  jeunes  gens  qui  me 
suivaient.  J'entendais  le  bruit  des  barques  qui  abordaient 
sur  la  rive  du  fleuve,  et  les  cris  des  soldats  qui  menaçaient 
du  rotin  les  personnes  de  la  maison  que  je  venais  de 
quitter.  Bientôt  je  distinguai  leurs  pas  qui  se  dirigeaient 
dans  la  plaine  vers  l'endroit  où  je  me  tenais  blotti  ;  ils 
avaient  pu,  à  la  faveur  du  clair  de  lune,  suivre  mes  traces 
à  travers  les  champs;  déjà  l'un  de  la  troupe  s'était  avancé 
tout  près  de  moi,  lorsqu'un  caporal  lui  cria  :  «  N'entre 
pas  dans  la  forêt.  »  Cette  parole  me  sauva  du  danger  pour 
cette  fois.  Après  avoir  parcouru  le  terrain  dans  tous  les 
sens,  les  soldats  se  retirèrent.  Je  restai  encore  longtemps 
à  mon  gtte  ;  j'étais  môme  disposé  à  y  passer  la  nuit, 
/(uitie  à  être  dévoré  par  le  tigre  que  j'entendais  parfois 
trôder  à  peu  de  distance;  mais  je  le  redoutais  moins  que 
mes  persécuteurs. 

«  Enfin  une  voix  se  fait  entendre  :  je  reconnais  une 
voix  amie  ;  j'y  réponds,  et  je  me  dirige  vers  l'endroit  d'où 
l'on  m'appelait  :  c'étaient  trois  néophytes  qui  venaient 
me  chercher.  Je  m'informe  si  les  soldats  sont  partis;  on 
me  répond  affirmativement,  mais  on  exige  que  je  me 


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621 

livre.  «  Eh  bien  !  répondis-je,  s^il  le  faut»  je  le  ferai  vo« 
«  loniiers;  retournons  d'abord  ù  la  maison,  et  voyons 
«  clairement  ce  dont  il  s'agit.  » 

«  Arrivé  là  ,  je  trouve  toute  une  famille  plongée 
dans  raffliction ,  et  versant  un  torrent  de  larmes  ;  je  lui 
adresse  quelques  paroles  de  consolation,  et  me  montre 
disposé  ù  supporter  avec  une  parfaite  égalité  d'dme  tout 
ce  qu'il  plairait  à  Dieu  d'ordonner.  Alors  on  me  raconte 
que  les  satellites  avaient  saisi  quelques  effets,  etfrappé  une 
ou  deux  personnes;  puis,  ajoute-t-en,  ce  qu'il  y  a  de 
plus  désolant^  c'est  notre  chef  de  canton  qui  a  amené  lui- 
même  cette  troupe  de  furieux;  il  a  fortement  réprimandé 
le  maître  de  la  maison  de  vous  avoir  fait  évader,  et  il  a 
déclaré  hautement  que,  sans  délibérer  davantage,  vous 
n'aviez  qu'à  vous  remettre  à  la  discrétion  du  mandarin. 
«  Après  un  instant  de  réflexion  et  de  prières^  je  com- 
pris que  je  n'avais  pas  d'autre  parti  à  prendre.  Une  con- 
sidération m'embarrassait,  c'est  que  j'allais  abandonner 
le  soin  de  la  Mission,  sans  en  avoir  chargé  personne  à 
ma  place  :  je  désirais  m'aboucher  avec  M.  Fontaine ,  tant 
pour  lui  demander  une  dernière  absolution  de  mes  fautes, 
que  pour  remettre  les  rênes  de  l'administration  entre  ses 
mains.  Je  dis  au  maître  de  la  maison  que  si  on  venait  de 
nouveau  pour  me  prendre,  comme  on  n'en  doutait  pas, 
il  fallait  déclarer  que  je  me  livrerais  dans  l'aprèsHooidi 
du  31;  que  je  demandais  seulement  une  demi-journée 
pour  mettre  ordre  à  mes  affaires.  Il  parait,  à  en  juger  par 
l'événement,  que  cet  homme,  ou  ne  fit  pas  la  déclaration, 
ou  ne  fut  pas  cru  de  ceux  qui  la  reçurent. 

«  Aussitôt  je  me  dirigeai,  avec  le  père  Thiing  et 
quelques  guides,  vers  la  chrétienté  ou  résidait  notre  dier 
confrère.  11  fallut  nous  frayer  une  route  à  travers  des 
champs  incultes ,  où  l'herbe  dépassait  notre  tète  :  après 
avoir  ainsi  voyagé  pendant  toute  la  nuit,  l'espace  de  trois 


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522 
ou  quatre  lieues,  nous  arrivâmes  an  point  dn  jour  près  do 
village  dont  j'ai  parlé.  Le  père  Thiêng  et  deux  de  mes 
guides  prirent  les  devants,  p(nir  savoir  en  quel  lieu  du 
village  se  trouvait  M.  Fontaine ,  car  je  l'ignorais ,  et 
pour  chercher  une  barque  destinée  à  me  conduire  secrè- 
tement auprès  de  lui.  Pendant  ce  temps ,  je  restai  assis 
derrière  un  buisson,  avec  un  jeune  écolier  et  un  membre 
de  la  famille  que  je  venais  de  quitter  ;  je  récitai  là  mon 
chapelet,  demaudant  que  la  volonté  de  Dieu  s'accomplit. 

«  A  peine  avais-je  fini  ma  prière^  qu'un  homme  à 
figure  sinistre  parut,  armé  d'une  lance  ;  puis  deus.  le  sui- 
virent, puis  trois  autres  accoururent.  «  Ce  sont  ceux  qui 
vous  cherchent,  »  me  dirent  mes  compagnons.  Je  me  lève 
h  l'instant ,  et  marche  gravement  à  leur  rencontre  :  ils 
reculent  d'an  pas,  d'un  air  timide ,  en  me  présentant 
leurs  piques  :  i\^  me  croyaient  nmni  de  pouvoirs  extraor- 
dhiaîres  pour  leur  nuire,  et  ils  se  mettaient  en  défense. 
Je  leur  tends  les  bras,  en  leur  disant  qu'il  était  inutile  de 
venir  à  moi  avec  des  sabres  et  des  piques ,  qu'ils  pou* 
vaient  me  prendre  aisément ,  puisque  j'étais  sans  arme. 
Rassuré  par  ces  paroles,  un  des  plus  hardis  s'avance,  me 
saisit  par  le  bras,  me  fsii  mettre  à  genoux,  et  me  lie  les 
mains  avec  une  corde,  sans  bien  serrer  le  noeud.  11  m'é- 
pargna les  trois  ou  quatre  coups  de  rotin  qui'  sont 
d'usage  toutes  les  fois  qu'on  se  saisit  d'un  mal&iteur. 

«  On  me  demancb  pourquoi  je  ne  m'étais  pas  livré 
plus  tôt,  pour  faire  cesser  les  vexations  qui  accablaient 
oies  chrétien».  Je  répondis  qne  ma  résolution  en  avait 
été  prise  ^  du  nromeot  où  j'avais  été  informé  de  ces  ri-^ 
gueurs  ;  quesi  telle  n'avait  pas  été  ma  disposition,  j'aurais 
encore  pu  échapper  au  poursuites  de  mes  ennemis. 
Un  des  che6  de  la  troupe  m'a8sm*a  que  son  dessein 
n'étmt  pas  de  m^arr^cer;  mais  qne  l'aflinre  de  Thây- 
/%ti^(r  ayant  mis  les  gouverneurs  d^ns  la  nécessité  d'agh*. 


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533 
on  avait  yonlu  sealementme  donner  la  chasse.  Du  reste, 
les  mêmes  protestations  m'ont  été  répétées  plus  d'une 
fois  par  d'autres  mandarins  :  ù  leurs  yeux ,  m'avouaient- 
ils,  je  n'étais  coupable  d'aucun  crime  ;  mais  les  édits  de 
Hinh-Menh  pariaient  plus  haut  que  mon  innocence;  il 
avait  bien  fallu  me  traiter  en  proscrit ,  autrement  on 
n'aurait  plus  été  l'ami  du  César  annamite. 

€  Tous  ces  mandarins  m'assuraient,  d'ailleurs,  que  je 
ne  serais  pas  envoyé  au  supplice,  et  que  j'en  serais  quille 
pour  retourner  en  Europe.  Néanmoins,  malgré  ces  paroles 
officieuses,  et  quoique  je  les  priasse  de  se  cont^ter  de 
mon  arrestation  et  de  ne  plus  tourmenter  personne  à 
mon  sujet ,  ils  recherchèrent  encore  mes  deux  compagnons 
cachés  tout  près  de  là,  et  les  prirent  l'un  et  l'autre. 
Hais  leur  captivité  fut  très-courte ,  et  sur  quelques 
instances  que  je  fis  au  mandarin ,  il  les  relâcha  tous  les 
deux.  Pour  moi ,  à  Taide  d'une  barque  qui  se  trou- 
vait dans  le  voisinage,  on  me  transféra  à  Cai-Nhum 
oik  résidait  le  grand  mandarin  militaire,  ayec  une  partie 
considérable  de  la  force  armée.  Le  chef  de  l'escorte 
me  traita  avec  beaucoup  d'humanité  et  d'égards  ;  après 
avoir  ordonné  qu'on  ôtât  mes  liens,  il  me  fit  asseoir 
sur  sa  natte  et  manger  à  sa  table  :  c'était  me  faire  des 
lumnenrs  dont  je  me  serais  passé  volontiers. 

«  Vers  les  neuf  heures  du  sonr,  nous  arrivâmes  au 
chef-lieu  de  la  province.  On  me  conduisit  sans  délai 
ao  palais  du  premier  mandarin,  qui  s'avança  aussitôt 
dans  la  cour  pour  me  voir  et  m'adresser  quelques  ques- 
tions :  «  Etes-vous  Européen  ou  Annamite  P  me  dit-il .  —  Je 
sois  Européen.  —  Mais,  dit  le  mandarin,  il  parle  comme 
vn  homme  de  ce  pays*  »  Alors  il  quitte  son  siège,  vient 
me  considérer  de  près,  et,  à  la  feveur  d'un  flambeau,  il 
n'a  pas  de  k  peine  Â  me  reconnaître  pour  un  étranger; 
il  retourne  donc  s'asseoir ,  et  continue  ainsi  son  inter- 


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624 

rogatoîre  t  «Quel  âge a^^ez-vooa ? — Trcnte-dnqaiis.— 
€  Trente-cinq  ans^  el  vous  êtes  duc-thay  (1)?  —  Oui, 
«  mandarin,  je  suis  maitre  de  la  religion. — Depuis  com- 
«  bien  de  temps  étes-vous  arrivé  dans  ce  royaume?— 
«  Depuis  neuf  ans.  —  D^où  éies-vous  venu?  par  où  êtes- 
«  vous  entré?  —  Je  suis  venu  de  Macao  et  je  suis  entré 
«  par  le  nord  du  royaume.  —  Et  ensuite  quelle  pro- 
«  vince  avez-vous  traversée,  où  avez-vous  établi  veut 
«  résidence?  —  Je  ne  me  suis  û%é  dans  aucun  endnnt, 
«  j'ai  logé  partout,  mais  seulement  en  passant^  jusqu'à 
€  ce  que  j'aie  pénétré  dans  la  région  du  midi.  —  De- 
€  puis  combien  de  temps  étes-vous  dans  cette  contrée? 
«  —  Depuis  trois  ans.  »  Cette  durée  de  mon  séjour 
avait  déjà  été  déclarée  par  les  personnes  du  village  de 
Cai'Nhum;  je  ne  pouvais  plus  refuser  cet  aveu. 

«  Après  ces  questions,  le  sumdarin  dit  qu'il  ne  vou- 
lait pas  me  presser  davantage;  il  me  fit  asseoir  sur 
une  natte,  m'offrit  un  dgare  et  donna  ordre  de  me 
préparer  un  lit  dans  son  palais.  Dès  que  je  le  pas, 
j'allai  m'asseoir  sur  ce  lit ,  où  je  fus  suivi  d'une  foule 
de  curieux  ;  enfin  ils  se  retirèrent  pour  me  laisser  re- 
poser, et  je  dormis  d'un  profond  sommeil  :  la  nuit 
précédente  avait  été  mauvaise. 

«  Le  surlendemain ,  2  novembre ,  je  fus  appelé  i 
comparaître  devant  le  grand  mandarin  pour  reconnaître 
mes  effets,  qui  étaient  tombés  entre  les  mains  des  sa- 
tellites. Les  trois  catéchistes  compromis ,  Tông-loc^  Cà- 
ngô  et  CdurThién  venaient  d'arriver ,  chargés  de  la  csa- 
gue  :  le  juge  trouva  mauvais  que  la  Thùnrtrûong  (2) 


(1)  Duê-thay  est  U  nom  qu*on  donne  en  G>diincbin0  aax  Ef^oei;  il 
signifie  Souverain  maître^ 

(2)  Qief  on  maire  d*an  ikon,  c'est-à-dire  d'ane  commune  de  secoed 
ordre. 


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BU 
ne  fût  pas  au  nombre  des  captifs,  et  le  lendemain  on 
alla  prendre  avec  Inl  les  trois  hommes  qui  avaient  géré 
les  affaires  du  village  depuis  que  fy  avais  cherché  un  asile. 

«  Vint  ensuite  la  visite  de  mes  effets.  On  avait  pris 
quatre  grands  vases  pleins  de  farine ,  et  un  autre  con- 
tenant du  vin  pour  le  saint  sacrifice.  «  N'est-ce  pas 
«  avec  cela,  dit  le  juge,  que  vous  enchantez  les  chrétiens?» 
Je  protestai  hautement  contre  cette  calomnie,  et  le 
mandarin  lui-même  parut  n'y  pas  croire  fortement,  car 
il  accepta  un  verre  de  vin ,  et  convint,  après  l'avoir  bu 
sans  craindre  de  se  laisser  enchanter^  ^ue  c'était  un 
breuvage  fortifiant.  Plusieurs  des  assistants  suivirent  son 
exemple,  et  le  vase  fut  bientôt  vide.  La  farine  me  fut 
rendue  pour  mon  nsage  ;  car  j'avais  déclaré  que  c'était 
l'aliment  ordinaire  des  Européens,  et  on  croyait  que  je 
m'en  nourrissais  habituellement.  Parmi  mes  effets,  se 
trouvaient  deux  ornements  pour  le  saint  sacrifice  :  le 
mandarin  me  commanda  d'en  revêtir  un  :  je  m'y  refu- 
sai en  disant  que  ce  vêtement  bénit  étant  destiné  au 
culte  divin ,  je  n'osais  le  prendre  pour  satisfaire  une 
vaine  curiosité.  Ordre  fut  alors  donné  à  un  homme  de  la 
foule  d'endosser  une  chasuble;  il  la  mit  sens  devant 
derrière,  et  je  lui  criai  tout  irrité,  qu'il  ne  devait  pas 
se  mêler  de  ce  qu'il  ne  connaissait  pas ,  et  qu'il  eût  à 
me  rendre  mon  habit  ;  il  le  fit  stu'-leK:hamp. 

c  Le  grand  mandarin  examina  ensuite  ma  boite  aux 
sahdtes  huiles  :  «  Quelle  est  la  liqueur  contenue  dans 
«  ce  vase?  demanda-t-il.  —  C'est,  répondis-]e,  de  Thuile 
«  ordinaire  d'Europe.  —  A-t-elIe  quelque  vertu  parti- 
«  culière?  —  Elle  a  la  vertu  de  procurer  aux  malades 
«  qui  reçoivent  la  sainte  onction,  des  grâces  de  salut. 
«  —  N'arrachez-vous  pas  les  yeux  aux  enfants  morts 
«  pour  composer  cette  huile?  —  Non,  c'est encoire une 
«  calomnie  inventée  par  Ie3  ennemis  de  notre  sainte 

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536 

«  Rdigion  :  si  nous  avions  ces  faorriblas  pratiques,  paur- 
a  rions-nous  faire  un  seul  adepte?  Vous  savez  que  nous 
«  faisons  aux  plus  petits  enfants  des  funérailles  bonora- 
tt  bles;  comment  donc  supposer  que  nous  proianions 
«  leurs  corps  par  de  révoluuites  cérémonies  I  > 

«  Le  peu  d'ef&u  qu'on  m'avait  pris,  fut  porté  sur 
le  catalogue.  Je  voulus  retenir  mon  bréviaire ,  ainsi  qu'un 
nouveau  Testament  et  deux  ouvrages  de  piété,  dont 
la  lecture  m'aurait  consolé  dans  ma  prison  :  ils  me 
furent  refusés^  sous  prétexte  que  je  n'avais  plus  per- 
sonne à  instruire,  et  partant  plus  besoin  de  livres* 

«  Des  feuilles,  sans'nom  et  sans  date,  destinées  i 
accréditer  la  mission  des  catéchistes ,  éuûent  tombées 
sous  la  main  des  soldats;  elles  Curent  ejamînées  avec 
attention;  on  me  demanda  qui  les  avait  composées. 
Pour  toute  réponse ,  je  priai  le  mandarin  de  ne  jamais 
me  faire  de  pareilles  questions,  parée  que  je  ne  pourrais 
le  satisfaire ,  ma  Religion  me  défoidant  de  rien  dire 
qui  pût  être  préjudiciable  à  mon  prochain.  «  —  Mais, 
«  ajouta-t-il,  sî  l'on  vous  livrait  à  la  torture,  paiie* 
«  riez-vous  alors?  —  Frappez,  tortonei  comme  il  vous 
«  plaira,  lui  répondis-je;  vous  ne  m'anradteres  aucun 
«  aveu  de  ce  genre.  »  On  ne  poussa  pas  les  interro- 
gations plus  loin.  Mes  effets  furent  seéllés  et  confiée  à 
la  garde  d'uA  mandarin  subalterne.  Si  je  suis  libéré, 
ces  effets  devront  m'étre  rendus,  siboa  ils  seront  con - 
llsqués.  Mais  ce  qui  est  une  f<Ms  entre,  les  main»  de 
ces  juges  avides,  a  bien  de  la  peine  à  en  sortir  jamais. 

«  Ce  même  jour ,  je  ib  dire  au  mandarin  que,  tout 
honoré  que  j'étais  de  loger  dans  son  palais ,  je  désirais 
qu'il  m'assignât  une  autre  demeure,  parce  que  mes  chré- 
tiens n'oseraiait  jamais  approcher  de  moi  dans  un  lieu 
peuplé  d'oflSciers  et  de  soldats  païens.  En  conséquence  « 
on  me  fit  préparer  un  gite  à  la  caserne.  Je  ne  m'y  trou- 

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627 

vaî  pas  mieux,  et  au  bout  de  quelques  jours,  sur  de 
nouvelles  demandes,  on  me  conduisit  à  la  prison  publi- 
que ,  où  je  resterai  Yraisemblablement  jusqu'à  mon  dé- 
part pour  la  capitale.  L'accès  jusqu'à  ma  loge  est  un  peu 
plus  facile,  quoique  je  sois  loin  de  pouvoir  correspon- 
dre librement  avec  mes  néophytes.  Au  reste,  j'ai  Thon- 
ueur  d'être  compté ,  chaque  jour ,  au  nombre  des  crimi- 
nels et  des  brigands  qui  partagent  ma  captivité  :  Et  cum- 
iniquis  reptUatm  est.  Qu'il  est  beau  d'avoir  au  moins  ce 
trait  de  ressemblance  avec  notre  divin  Maître  I 

«  Il  me  reste  à  rendre  compte  de  ma  troisième  com<> 
parution  devant  le  grand  mandarin.  Dans  cette  séance, 
qui  eut  lieu  le  5  novembre ,  il  s'agissait  de  faire  mon  rap- 
port en  règle,  afin  de  l'envoyer  au  roi.  Après  avoir  écrit 
mon  nom ,  mon  âge,  et  l'époque  de  mon  arrivée  dans  la 
Cochinchine,  on.  me  questionna  de  nouveau  sur  les  lieux 
par  où  j'avais  passé»  Je  répondis  que  je  m'en  tenais  à  ce 
que  j'avais  déclaré  déjà  ;  que  j'étais  arrivé  par  le  nord  du 
royaume,  et  que  j'étais  venu  peu  à  peu  jusqu'au  midi; 
que  jamais  je  ne  désignerais  aucun  des  villages  qui  m'a- 
vaient donné  asile;  que  je  ne  pouvais  d'ailleurs  me  les 
rappeler  tous  ;  qu'on  était  libre  de  me  torturer  comme  on 
voudrait ,  mais  que  jamais  je  ne  ferais  de  déclarations 
plus  précises.  Là-dessus,  le  mandarin  me  demanda  si  je 
sentirais  la  souffrance  sous  la  verge  des  bourreaux.  — 
«  Je  n'en  sais  rien,  répondis-je,  je  n'ai  pas  encore  été 
«  soumis  à  la  question;  mais  je  pense  que  j'éprouverais 
«  quelque  douleur.  » 

«  Mon  interrogatoire  fini ,  le  juge  reprocha  à  Thây- 
Pkuùc  d'être  cause  des  suites  de  mon  arrestation,  et  lui 
proposa  de  fouler  aux  pieds  la  croix.  Ce  brave  chrétien 
n'hésita  pas,  il  déclara  que  les  sentiments  de  la  Religion 
avaient  pénétré  jusqu'à  la  moelle  de  ses  os ,  et  qu'il  ne 
pouvait  y  renoncer*  C'était  la  quatrième  ou  cinquième 

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538 
foisqu^il  faisait  cette  généreuse  confession.  On  interrogea 
ensuite  Ca-ngo  :  il  allait  faire  une  dissertation  pour  mo- 
tiver son  refus  <f  apostasier  ;  mais  comme  je  n'aime  point 
ces  longs  raisonnements  de  la  part  de  gens  peu  instruits, 
qui  parlent  ordinairement  d'une  manière  peu  claire  et 
peu  exacte ,  je  pris  la  parole  et  je  représentai  au  mand:^.- 
rin  que  mes  néophytes  ne  pouvaient  se  prêter  à  une  ab- 
juration; que  les  vérités  de  notre  religion  sainte  étaient 
si  incontestables ,  que  les  renier  serait  un  des  crimes  les 
plus  diflSciles  à  pardonner.  On  ne  me  permit  pas  d'en 
dire  davantage,  et  on  m'ordonna  de  laisser  répondre 
ceux  qu'on  interrogeait. 

«  Après  m'avoir  imposé  silence ,  on  somma  de  nouveau 
mes  trois  compagnons  de  captivité  de  déclarer,  oui  ou  non, 
s'ils  oseraient  marcher  sur  le  crucifix.  Noi  Khong  dain 
(Nous  n'oserions  pas)  leur  criai-je ,  et  il  firent  tous 
trois  cette  réponse ,  même  Tong-loc  dont  la  foi  était  si 
chancelante.  Quelques  mandarins  me  reprochèrent ,  en 
présence  d'une  foule  nombreuse,  de  ne  pas  prendre  les 
intérêts  de  mes  chrétiens  en  leur  défendant  de  fouler  la 
croix,  puisqu'ils  auraient  ainsi  évité  les  tourments  dont 
ils  étaient  menacés.  Je  répondis  qu'en  effet  cet  acte  d'a- 
postasie les  aurait  délivrés  de  quelques  maux  passagers, 
et  leur  aurait  fait  trouver gr&ce  devant  un  roi  de  la  terre; 
mais  qu'il  leur  aurait  fait  encourir  la  disgrâce  du  grand 
roi  du  ciel,  et  les  aurait  rendus  dignes  de  supplices sansfin; 
tandis  qu'en  se  dévouant  à  souffrir  ici-bas  les  tourments 
et  la  mort,  ils  acquéraient  pour  l'éternité  un  poids  im* 
mense  de  gloire.  «Mais,  dirent-ils,  on  ne  voit  pas  ce 
«  ciel  dont  vous  parlez.  —  ïl  n'est  pas  nécesaire  de  le 
«  voir,  il  suffit  de  savoir  avec  certitude  qu'il  existe: 
«  tous  les  jours  vous  croyez  des  choses  que  vous  n'avez 
«  pas  vues.  »  J'en  vins  à  parler  du  châtiment  réservé  au 
crime ,  et  des  récompenses  promises  à  la  vertu  :  et  j'ai 

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&29 

tkisî  préehé  trois 'on  quatre  fois  mes  jugés.  Mais  qoel 
fruit  espérer  de  ces  esprits  étroits,  dont  tous  les  désirs 
se  bornent  aux  choses  de  la  lerrel  ik  ne  ydient  que  leurs 
places;  et  pour  embrasser  TEvangile,  il  fondrait  s'expo- 
ser à  les  perdre!  En  général^  ils  aimait  et  estin^ent  notre 
Religion  sainte  ;  souvent  je  les  ai  entendus  dire  dans  leurs 
conversations  particulières  :  ir  Cette  doctrine  est  vraie; 
«  ce  mattre  est  dans  la  voie  droite.  »  Mais  qu'ils 
sont  loin  de  tirer  la  conséquence  naturelle  de  pareils 
aveux  I 

«Le  village  où  je  résidais  a  beaucoup  souffert  et  court 
risque  d*étre  entièremeAt  détruit,  surtout  si  les  chefs  . 
principaux  sont  longtemps  retenus  prisonniers.  Heureu* 
sèment,  le  Qtuin  Phu  (chef  de  la  préfecture)  qui  craint 
de  se  trouver  en  faute  pour  ne  m'avoir  pas  arrêté,  depuis 
si  longtemps  que  j'habite  des'  lieux  soumis  à  sa  juridic- 
tion, a  épousé  la  cause  de  cette  malheureuse  phrétienté, 
et  il  va  faire  le  procès  auiL  mandarins  qui  m^ont  pris.  Je 
ne  sais  encore  ce  qui  résultera  de  ces  débats  ;  je  préi&ume 
que  le  roi  fera  grâce  au  village,  et  qu'on  pourra  le  réta- 
blir. M.  Fontaine  en  a  été  quitte  pour  la  peur  ;  il  n'a  pas 
même  abandonné  sa  résidence  ordinaire,  seulement  il  est 
plus  au  secret  qu'autrefois. 

a  Ce  confrère  pourra  satisfaire  Votre  Grandeur  sur* 
les  diverses  demimdes  qu'elle  m'adresse  ;  il  m'est  impos- 
able, pouir  le  moment,  de  faire  un  tableau  exact  des  be- 
soms  de  ma  Mission.  J'ai  habituellement  quinze  ou  vingt 
écoliers  à  nourrir.  C'çst  le  premier  objet  de  mes  dépenses. 
Après  mes  élèves,  ce  sont  des  milliers  de  chrétiens  dans 
la  détresse  qu'il  est  indispensable  de  secourir,  des  famiK 
les  sans  nombre  engagées  pour  detiçs  au.  service  des 
païens,  et  qu'il  faudrait  racheter.  Enfin  ce  S(mt  des  en<- 
fonts,  d'infidèlesmoribonds  à  régénérer  dans  les  eaux  dn 
baptême.  Depuis  que  la  prison  me  sépare  de  tous  ces  né- 

TOM.   XYII.    103.  DigitiMyLjOOgle 


530 

cessileuK,  je  n'ai  plus  que  des  prièies  à  leur  donner; 
mais  c'est  pour  moi  une  consolation  biensaisible  devcHr 
que,  privés  de  mes  soins ,  ils  en  deviennent  pour  Vout 
Grandeur  Tobjet  d'une  plus  tendre  sollicitude. 
«  Veuillez  agréer,  Monseigneur,  etc. , 

«  f  DoHirtiQUE , 
Evêque  d'hauropolis  H  coadjuUw\  ■ 


Nous  sommes  heureux  d'annoncer  à  nos  lecteurs  que 
M.  le  contre  amiral  Cécillc,  commandant  les  forces  na^ 
valcs  françaises  stationnées  dans  les  mers  de  Flnde  et  de 
la  Chine,  vient  d'écrire  au  roi  Thieu-Tri,  pour  obtenir  la  ' 
Ii!)erlé  de  Mgr  Lefebvre ,  cl  la  cessation  des  cruautés 
auxquelles  les  chréiicns  sont  en  butte.  Espérons  que  sa 
lettre,  dictée  sous  Tinspiralion  de  la  foi  et  de  l'humaDité, 
fera  une  salutaire  impression  sur  le  prince  persécuteur, 
et  que  le  nom  de  M.  Cécille ,  déjà  si  cher  aux  apôtres  et 
aux  néophytes  de  l'Océanie,  sera  prononcé  avec  la  même 
reconnaissance  par  nos  frères  de  la  Cochinchii^e  et  du 
Tong-Kîng. 


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&31 

NOUVELLES  DIVERSES. 

Au  mob  d^Tril  d«nii«r,  dans  one  rëunion  tenue  i  S^oey  poorla  Prd^ 
pagalion  de  la  Foi,  Mgr  Poldiog  qui  prë«idait,  a  annonce  qu'il  arait  reç« 
.de  son  Téntfrable  ami  Mgr  Pompallier  une  lellre  datée  du  13  mars  :  le 
saint  ETd(|ue  de  la  NouTelle-Zëiande  loi  marquait  qu'il  était  entouré  de 
mines  de  tous  côtés,  mais  que,  dans  la  dernière  insurrection  des  naturels 
contre  les  Européens,  où  un  si  grand  nombre  de  ces  derniers  ayaît 
pérl«  sa  maison  épiscopale,  ses  chapelles  et  tout  ce  qui  lui  appartenait 
at ait  été  religieusement  respecté  par  les  insulaires,  que  ni  lui  ni  aucun  de 
•es  Missionnaires  n'araient  reçu  la  moindre  injure ,  et  qu'ils  araient  les 
plus  rires  actions  de  grâces  à  rendre  à  Dieu  de  ce  que,  au  milieu  de  si 
terribles  dÀutres,  il  atait  daigné  reiller  sur  euz«  et  protéger  d'une  ma- 
Bière  si  visible  la  Misdon  de  U  NouTeHe-Zélande.  Mgr  Pompallier  dit 
dans  sa  lettre  que  kf  chefr  des  naturels  éUient  Tenus  le  trourer,  et  lui 
avaient  dit  :  «  Etéque  1  n'aie  pas  peur.  Nous  sayona  que  tu  n'es  venn 
•  ici  parmi  nous  que  pour  nous  faire  du  bien.  Nous  saTons  aussi  que  im 
«  ne  te  mêles  pas  des  aflaires  politiques.  Continue  d'en  agir  ainsi,  et  ta 
«  n'a4  rien  à  craindre.  »  Le  Prélat  afîBrmequ'àsa  conoaisiance  aucun  des 
uMigènes  qui  ayaient  embrassé  la  foi  chrétienne,  n'avait  eu  part  aux 
outrages  eiercés  contrôles  Européens.  Cette  conduite  de  leur  part/ ajoute 
rArcheyèque  de  Sidney.  prouve  que  les  y  raies  Aaximes  de  la  foi  catho- 
lique eiereent  ééjk  une  puissante  influence  sur  les  esprits  des  nouveaux 
coavertia. 

Mgr  Brady,  qui  avait  exerce  le  nunistère  apostolique  pendant  doute 
aas  k  rUe  Bourbon,  avant  d'ôtre  appelé  auprès  de  Mgr  l'Archeyèque  de 
Stdnej  en  qualité  de  Yicaire  général,  a  été  sacré  à  Rome,  en  mai  dernier, 
Evvque  de  Perth  dans  l'Australie.  Outre  son  vaste  diocèse,  Mgr  Brady 
est  chargé  des  deux  Yicariats  apostoliques  de  Port-Essinglon  et  de  la 
Sonde,  qui  eonfprenaont  la  moitié  de  la  Nouyellc-Hollande,  et  renferment  * 
vue  population  considérable  d'indigènes. 

Ce  Prélat  s'est  embarqué  à  Londres,  sur  le  navire  VEUtobtth,  emme- 
nant avec  lui  27  personnes,  ddit  6  Sœurs  de  la  miséricorde. Me  Dublin  ; 
2  Bénédictins  espagnols  t  les  PP;  Giuseppe  Serra  du  diocèse  de  Barce»  * 
lone,  et'RosendôSalyado  du  diocèse  de  Pampelone  ;  et  un  Prêtre  élèya 
de  la  Propagande,  M.  Angelô  Confalonieri,  du  diocèse  de  Trente.  On  ne 
sait  pu  les  noms  des  autres  Miuionnaires. 

Mgr  Collier,  y ioaire  apostolique  de  l'Ile  Maurice,  s*est  embarqué  le  1<^ 
jaio  à  Gravesend  (Angleterre)  pour  son  Vicariat.  Il  emmène  avec  lui 
deux  Prêtres,  trois  Etudiants  en  théologie,  et  huit  Religieuses  de  la 

34, 


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5» 

maison  de  Lorelte,  de  Dublin.  Trois  Eccl^iastiqnes  s'dltienl  déjk  em- 
barquas à  Londres,  il  y  a  quatre  mois»  pour  cette  intéressante  Mission. 

Quatre  Prêtres  do  Séminaire  des  Mimîont  é^ngèresse  sont  embarqués 
à  Bordeaux,  le  6  juin,  pour  Pondicbery  ;  ce  sont  :  MM.  Dëpemmier,  du 
diocèse  de  Chambf^ry  ;  Couderc,  du  diocèse. de  Qm'mper  ;  Godet,  du  dio- 
cèse de  Versailles,  et  Moncourrier,  du  diocèse  de  Tulle. 

Le  14  août,  deux  Prêtres  et  trois  Clercs  de  la  Congrégation  des  Oblals 
de  Turin  sont  partis  de  Cirita-Vecchia  pour  les  Missions  d'Ara  et  (de 
Pt^gu,  dans  Tempire  birman;  co  sont: MM.  Vincent-Martin  de  Meué 
(profince  d'Yvrëe)  Esprit  Famdli  de  Cirt^e  (proTince  de  Turin)  Can- 
dide Parazza  de  Seimio  (province  d*AIbe)  Cbarles  Pregni  d*lsola  (pro- 
Tince d*Asli)  et  Jean  Bazilia  de  Partula  (prorince  de  Bielle). 

Noms  des  Prêtres  et  des  catécbistea  de  la  GongrëgatÎMi  de  Picpvs,  q«i 
se  sont  embarqua  à  Brest  sor  le  €r€iêquëur,  le  29  juittet  18i5,  ponr 
Jes  Missions  de  TOcéante  orientale. 

Prêtres  MM.  Favens,  du  diocèse  deCabors. 


Dordilloii 

de  Tours. 

Mouret 

deMende. 

Holbein 

de  Rennes. 

Hébert 
CSnk» 

de  Coutanees. 
-  de  VenaUles. 

.  Pouaoi 

d*Orléans. 

Jaussen 

-    de  Viviers. 

Fouroon 
Sous-Diacres  MM.  Migorel 
Morcno 
CaU^chisles  MM.  Gabriac 

de  Rouen, 
de  Seez. 
Espagnol, 
de  Rodez. 

Valle-'c       • 

deCharUes. 

Darleil     ^ 

deCabon. 

Guerric 

de  Cabors. 

PrêroU 

de  Viviers. 

CarbonnJor 

•  de  Ciaborsi 

•    .                   D'Arriolâ 
.     •                  •     Deipccb 
*  Darque 
Andréi 

Espagnol., 
de  Cabors.    • 
de  Tulles 
de  Viviers. 

Dufnas 

deSt-Flour. 

Et  un  jfune  Sandwicbois  appelé'  Evaristc  Lohéolé. 
vm  ne  ToMR  mx*»mtkmiL, 


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&33 


TABLE  DU  TOME  DIX-SEPTIÈME. 


Compte-rendu, />(ijf.  161. 

MaDderoent»  et  nouyelles,  78,  270, 367,  531 . 

Départ  de  Missionnaires,  78,  .79,  271,  272,  368^ 

.    MISSIONS  D'ASIE. 

CHIKE. 

Extrait  d'une  lettre  de  M.  Latibe, lazariste,  207. 
Suite  de  la  lettre  du  même,  286* 

TAnTAmiB  M^60LE. 

Lettre  de  M.  Hue,  lazarîstev369[* . 

GOCHmCHME   ET  foKO/-KII^G« 

Lettre  de  M^  Lefebvrci  515. 

Lettre  du  R^  P.  Raymond  Barcelo, dominicain,  334. 

Extrait  d'une  lettre  du  même  Père,  344. 

Lettre  du  même  Père,  346. 

Extrait  d'une  lettre  du  R.  P.  Marti,  351 . 

L  ttr^  du  même  Père,  353,  359,  362,  364. 

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534 

SIAV. 

Lettre  de  M.  ÇrandjeaD)  Missionnaire  apostolique,  111* 
Extrait  d'une  lettre  de  Mgr  Pallegoix,  117. 
Notice  sur  le  mandarin  Benoit  par  le  même  Prélat,  119. 
Lettre  de  M.  Raymond  Albrsind,  Missionnaire,  124* 
Notice  sur  le  baptême  des  enfants  d'infidèles,  434. 

MISSIONS  DU  LEVANT. 

ARABIE. 

Extrait  d'une  lettre  de  Mgr  Guasco,  éyêquo  de  Fez,  81. 

Autre  lettre  du  même  Prélat,  89. 

Lettre  du  R.  P.  Joguet,  Religieux  espagnol,  65/ 

Mémoire  de  M.  Eugène  Bore,  93. 

Lettre  du  P.  Riccadonna,  106. 

CONSTANtmOFLE. 

Lettre  de  BIgr  Hillereau,  503. 

GÉOKGie. 

Lettre  du  R.  P.  Damien  de  Varreggîo,  Capucin  et  Préfet 
apostolique,  316. 

MISSIONS  D'AFRIQUE. 

ABYSSINIB. 

Le:tre  de  M.  de  Jacobis,  Missionnaire  lazariste,  S73* 
Lettre  de  M.  Antoine  d'Abbadie,  279. 

ILE  MAURICE. 

Lettre  de  Mgr  Allen-Collier,  Vicaire  apostolique  de  Til^ 
Maurice,  422. 


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S35  ' 

BUSSIONS  D'AMÉRIQUE. 

CANADA. 

Notice  sur  la  Société  des  Oblats  de  Marie  Immacu- 
lée, 239. 

Lettre  du  R.  Bourrassa,  Missionnaire  oblal,  243. 

Extrait  d*une  lettre  du  R.  P.  Fisseite,  253. 

Extrait  d'une  lettre  du  R.  P.  Laverlochère,  257. 

Extrait  d'une  lettre  transmise  au  Conseil  central  par  Mg;r 
l'Evéque  de  Montréal,  265. 

Lettre  du  P.  Cbazelle^  Missionnaire  jésuite,  449. 

COLOMBIE. 

Lettre  de  M.  Bolduc,  463. 
Lettre  du  P.  de  Smet,  475. 

£tats-unis. 

Lettre  de  M.  Crétin,  Missionnaire,  487. 

Lettre  de  Mgr  Purcell,  Evéque  de  Cincinnati,  501. 

Lettre  du  P.  Sorin ,  Missionnaire,  493. 

BRÉSIL.    • 

Lettre  du  P.  Joseph  Satô,  Jésuite,  399. 

Lettre  du  P.  Micliel  Cabeza,  Jésuite,  406. 

Extrait  d'une  lettre  du  P.  Samuel  deLodi,  Capucin,  414. 

MISSIONS  DE  L^OCÉANIE. 

AUSTRALIE. 

Extrait  d'une  lettre  du  P.  Louis-Mar'e  Pesciaroli,  73. 

OCÉAlflE  OCGIDEUTALB. 

Tonga. 

Lettre  du  P.  -Jéréflfte  Grange,  5. 
Lettre  du  P.  Chevron,  29. 

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&36 

WALLIS. 

Letti^  du  P.  Roudaire,  31. 

Lettre  de  Mgr  Bataillon,  Evéque  d'Enos,  40. 

NOUVELLE  GÀLÉDONIE. 

Lettre  dii  P,  Rongeyron,  42. 

Lettre  de  Mgr  Douarre,  Vicaire  apostolique,  48. 

Extrait  d'une  lettre  du  même  Prélat,  52. 

NOUVELLE -zéLAlf DE  ET  FUTUIU. 

Extrait  d'une  lettre  du  P.  Servant,  54. 
Extrait  d'une  iSttre^lu  P.  Reignier,  58. 
Extrait  d'une  lettre  du  P.  L.  Rozet,  62« 

OGÉANIE  ORIENTALE^ 

Lettre  du  P.  François  d'Assise  Caret,  129, 158. 

Lettre  du  P.  Gypriea  Liausu,  140. 

Lettre  du  P.  Désiré  Maigret,  143. 

Lettre  du^.  Desvaulty  146. 

Lettre  du  P.  Armand  Chausson,  l54. 


Lyon,  ûnprimerie  de  J,-B.  Pâlagaod. 

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ANNALES 


M  U 


PROPAGATION  DE  LA  FOI. 


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Jvec  approbation  des  Supérieurs. 


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ANNALES 


DE  LA 

PROPAGATION  DE  LA  FOI. 

RECUEIL  PÉRIODIQUE 

DBS  LETTBES  BES  ÉVâQOBS  ET  DES  laSglORKAlJlBS 

USngglOKS  DES  DEDX  MONDES,  ET  DE  TOUS  LES  DOCOHENTS 

ULATIF8  AUX  HISSIONS  ET  A  L'CEOVBE  DE  LA 

PROPAGATION  DE  LA  FOI. 

COUECnOR   FAISANT  SUITE  Al'X   LETTRES   ÉDIFIANTES. 


TOME  DIX-HUITIÈME. 


A  LYON, 

CHEZ  L'ÉDITEUR  DES  ANNALES, 

Bm  du  tint,  n*  0, 

1846. 


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6 

mmaimumiimmmm 


MISSIONS  DE  LX)CÉÀ]NIE* 


UUreduP.  Mathieu ,  PrùcUair^  apoiUAifM  de  h ioeiétê 
de  Marie ,  d  $a  famiUe* 


YalKaOrnailBéê. 


«  BUN  CHBRS  PaBBNTS, 

«  Voici  bientdt  six  mois  que  je  suis  à  Wallis,  au  mT- 
Kea  de  ce  bon  peuple  que  Dieu  bénit  toujours  avec  on» 
inépuisable  tendresse  :  c*est  plus  de  temps  qu^il  n^en  al- 
lait pour  bien  conaallre  ma  nouvelle  patrie.  Je  puis  donc 
nttintenant  vous  en  tracer  un  tableau  fidèle ,  et  je  le  fai» 
avec  joie,  parce  qu^en  vous'peignant  nos  chers  néophytes, 
je  suis  bien  sâr  de  vous  les  faire  aimer. 

«  L'Ile  de  Wallis  a  près  de  dix  lieues  de  tour  ;  elle  est 

environnée  de  plusieurs  Ilots,  et,  par  delà,  enfermée  dan» 

une  ceinture  de  réci£s,  qui  ne  laisse  d'entrée  aux  navirm 

que  par  une  passe  très-éiroiie.  Sa  population  n'exoède 

XVIII.  104.  jAi^viEi  1846. 


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ê 

pas  deux  mille  six  cents  habitante.  Il  y  a  une  dizaine 

«I^H^ft^^K  --_  k^MUiBMH  ^MaOÉ*  m^^g^^^»  «^^^.A^^^m^«  a^ 
%MvatïïtOC9  y    ^^9    UVIUDWIV    VCmvir%     TQDWW^     UVO    M/lVUt^U^y      nt* 

ont  en  effet ,  à  une  époque  assez  récente,  égorgé  trente 
Européens,  brûlé  un  bâliment  anglais,  et  massacré  tout 
réquipage ,  à  Texception  d^un  mousse.  Depuis ,  la  grâce 
les  a  si  bien  changés,  qu'il  n'j  a  gtt&re  de  ports  dans 
toute  rOcéanie,  ou  les  étrangers  soient  mieux  reçus  ec 
plus  en  sûreté. 

«  Au  physique,  le  type  des  Wallisiefts  se  dessine  avec 
une  certaine  grandeur  ;  leur  physionomie,  généralem^it 
noble  et  bien  caractérisée,  difl^  peu  de  celle  des  Euro- 
péens; leurs  longs  cheveux  flottant  sur  les  épaules,  ou 
crêpés  autour  de  la  tête  en  forme  de  turban,  donnent  une 
expression  à  la  fois  originale  et  fière  à  leurs  traits  ba- 
sanés. Us  ont  pour  vêtement^  deiwis  les  aisselles  jittipi'aux 
pieds,  une  grande  tape  qui  enveloppe  plusieurs  fois  le 
corps,  avec  une  natte  fine^  serrée  autour  de  la  taille  par 
une  ceinture  de  corde.  On  remarque  qu'ils  ont  presque 
tous  le  petit  doigt  de  la  main  coupé;  mutilation  qu'ils 
s'imposaient  en  l'honneur  de  leurs  dieux.  C'est  aujour- 
d'hui le  seul  vestige  qui  reste  de  leurs  anciennes  su- 
perstitions. 

«  Nos  insulaires  sont  d'un  naturel  enjoué  ;  ils  aiment 
la  bonne  plaisanterie  et  s'y  connaissent.  Rien  n'égale  le 
respect  qu'ils  portent  à  leurs  Missionnaices ,  si  ce  n'est 
Taffection  qu'ils  leur  témoignent.  Parmi  eux  la  politesse 
a  ses  règles  aussi  strictement  observées  qu'en  France  ; 
nous  devons  les  connaître  et  nous  y  conformer,  au  moins 
jusqu'à  un  certain  point.  Le  cava^  par  exemple,  fait  partie 
obligée  de  toutes  les  réunions  ;  on  ne  peut  rendre  ou  re« 
cevoir  une  visite  sans  que  la  racine  traditionnelle  soit  pré- 
sentée, mûchée  et  distribuée  avec  toutes  les  cérémonies 
voulues. 

«  Ce  qui  distingue  surtout  les  indigènes  de  Wallis , 


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f 

€m.  kor  goàt  prononcé  pour  la  iMsiqne.  On  poHl  ëÊm 
qn'ib  chantent  continuelloineni ,  soit  quHb  tranaMëlt, 
ipoit  qn^iismarebent,  aoit  qa*ite  portent  des  ftrdeattx^  o« 
9^ï\a  pritem.  L'harmonie  a  peiir  «ox  tant  d^aitrait,  qd^ 
M  sacrifient  vokm^rs  tes  beares  destinées  ao  repos  ;  <m 
drait  qa'aprè&  avoir  porté  le  poids  do  |oor  et  do  la  dMK 
leiir,  ils  se  tirassent  miem  au  charme  de  lèttrs  aocorll 
que  dans  le  calme  d'un  paisible  sommeH.  Dians  les  MMfis 
soirées  d*4té,  lorsqae  l'ttt  est  rafraîchie  par  te  brîie ,  ta 
qa'nn  asuw  pins  cbux  a  remplacé  le  soleil  des  trofriques 
dbwla  popvtolkm  s^rénnit  dmia  qnalque  siie  graeîaaK, 
BOUS  itn  grand  arlu<e,  ou  ù  la  porte  de  Téglise.  Là,  ims 
tMHardss'asseyent  sor  des  nattes  ;  à  qvelqiiedtstaAoe,  h 
îemewepvead  place  sur  la  pelome^  par  groupes  de  ciaqfl 
si«  peroonnes  rangées  en  cercle  et  tournées  en  feoe  lis 
«les  denautres;  ces  groupes  sont  aocaat  do  cheeurs  dow»- 
sioieatet  de  musiciennes  parfaitement  eieercés*  Quoiqaè 
In  WaUisioB»  aient  presque  tm»  do  très-beDes  vdx,  n'^tt 
pia  admis  qui'  Tant  à  prmidre  part  au  concert  ;  il  n'y  # 
q«e  eeM  dont  Torgane^  reconnu  pur  et  OexiMie,  sepàèes 
avec  plm  de  boriieiuf  aux  effets  do  rbarmonie. 

m  AlorSf  chaque  ehosur  se  ftut  entendre  tour  à  tour: 
les  uns  répètent  sans  cease  le  roA^ain,  les  aotres  ts«t  le 
«hant,  ou  donnent  une  expression  plus  animée  au  féctm- 
tif  ;  et  ces  accords  se  succèdent  ainsi  durant  la  mnt>«»- 
titafO,  sans  autre  imerruption  que  les  a|)plandissenienis 
dis  awiîleurs*^ 

«  Si  ronreaMtfque  dans  les  voix  bea«coiip  d'ënsemUa 
etde  mesure^  on;  est  eneore  plus  frappé  de  rimmolnUlént 
du  oalme  impertuièable  des  mnsMiens*  Quoique  las 
ehatfl  soient  paa^  dans  le  genre  comique^  ot  fniiHs 
excitent  les  édala  de  rire  da  tome  rassemblée,  on  nvvit 
jamais  le  phia  léger  asenveaseni  dans  la  (A^ioéomiedb 
Oiox  qm  exéeatont.  Qi^nd  le  motif  est  tnste^  dasl 


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ottlMi  qoeHpdbis  de  leon  yevx,  iBitt  ans  qse  k^ 
ioit  le  moins  do  monde  altérée. 

€  Le  refirtin  qui  est,  d^CMNlinaire»  qvekpiemot  noa?e«i 
introduk  per  les  Missionnaires  dans  leor  lai^iiet  n'a 
sooYent  àuGon  rapport  avec  le  reste  du  cbaat^:  c*est  une 
espèce  de  bomnlon  qui  n'eu  là  que  poor  rharmonie;  on 
k  r^iètedeax  on  trots  foisi  la  fin,  et  on  termine  bnisqne* 
■MBC  en  le  lateant  inachevé. 

•  Ootresesconoertsnootnnies,  WaDis  a  encore  des 
diants  de  promenade  on  de  marclie.  Il  arrive  souvent,  le 
dimanche^  que  jWends  tout  k  coup  les  hommes  et  les 
jeues  gens  entomer  leur  loti  (chant)  avec  des  voix  de 
stentor.  Ds  parcourent  ainsi  d'un  pas  grave  les  différents 
quartiers  du  Yillage.  Lor^*on  les  invite  à  entrer  dans 
une  maison  pour  y  prendre  le  eava,  ils  acceptent ,  puis 
recommencent  leur  marche  jusqu'à  l'heure  du  chapelet  ou 
jusqu'à  la  prière  du  sdr.  Leur  thème  musical  est  presque 
UM^ilrs  inspiré  par  la  reoonnaissanee  ou  la  Religion  ;  en 
Toici  quelques  phrases  des  plus  populaires  :  «  Amitié  au 
•  Père  Boudaûne ,  au  Père  Mathieul  Ce  sont  nos  prêtres 
é  et  nos  pilotes  ;  ils  conduisent  notre  pirogue  au  del.  » 
— »  Ou  bien  :  «  Amour  et  respect  au  souverain  Poatifii 
m  qui  règne  à  Rome  I  »  —  Ou  enowe  :  «  Prions  saint 
€  Pierre  cpii  lient  les  deb  du  Paradis^  pour  qu'il  nous  en 
€  ouvre  k  porte.  » 

«  Il  y  a  des  chants  innombrables  en  l'honneur  de 
N.  S.  P.  le  Pape  Grégoire  XVI,  et  du  Prince  des  Ap6trss, 
auquel  ils  ont  une  grande  dévotion.  Us  mettent  également 
tn  musique  les  histoires  de  l'ancien  et  du  nouveau  Testa* 
ment,  et  toutes  les  vérités  ée  la  Religion  à  mesure  qu'ils 
les  apprennent.  Pour  vous  donner  une  idée  de  ces  hymnes 
pieux,  je  vous  envoie  un  cantique  composé  par  la  fille 
du  roi,  lorsque  1^  Bataillon  anaonça  qu'il  s'absenterait 
pour  visiter  son  vicariat  apostolique  :  j'ai  tâché  de  le  tra* 


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9 

doire  aussi  UttértleiiMDt  que  postible,  mâh  sans  espoir  da 
faire  passer  dans  le  fraaçttt  ces  ummures  si  natres,  ceite 
douceur  si  harmonieuse  de  la  langue  des  Wallisiens^ 
qui  se  prête  admirablement  à  tous  les  sentiments  qu'ils 
veulent  exprimer. 


«  Eyéque,  partes;  moi,  Je  pleure. 
«  Est-il  chose  plus  déchirante  que  d'entendre  notre 
père  qui  nous  dit  :  Mes  enfants ,  vous  prierei  sans 
cesse  pour  moi  ;  sdutenes-vous  de  celui  qui  Tousa  fiûts 
enfants  de  Jésus-Christ,  quand  vous  offrires  à  Marie  la 
couronne  du  rosaire....  Ecoutei  mes  dernières  instruc- 
tions; je  vais  me  séparer  de  vous. 
«  Pouvions-nous  être  frappés  d'un  coup  plus  sensible  ! 
Parents  d'Ouvéa,  pleurons;  il  va  parUV;  n'ayons  tous 
qu'un  seul  cœur  pour  pleurer. 
«  Si  notre  père  s'éloigne ,  qâe  vont  devenir  ses  en^ 
fimts?  Quand  reviendra  notre  père?  hélas I  reviendra- 
t-il  jamais?  Pleurons! 

«  Hais  le  ciel  le  veut.  Un  message  saint  lui  a  été  ap- 
porté par  Douane.  On  lui  a  dit  :  Bvéque,  une  portion 
de  l'univers  a  été  assignée  à  toi  seul  par  le  Père  de  tous 
les  chrétiens. 

«  O  mon  père,  partez,  mab  souvenez- vous  de  vos  en- 
Tants,  et  revenez  les  bénir;  car  ils  sont  sans  forœ, 
comme  la  jeune  plante  qui  vient  de  naître. 
«  O  Jésus,  déjà  nous  le  ravir!  laissez-nous  encore 
notre  père  ;  car  pour  moi,  quand  f  entends  son  adieu, 
je  sens  mon  âme  hésiter  entre  la  vie  et  la  mort.  Oui,  il 
vaut  mieux  que  je  m'en  aille  de  ce  monde  avant  le 
départ  de  notre  père.  Qu'il  soit ,  du  moins,  quelque 
temps  encore  le  souti^  de  notre  fiiibieBse.  Notre  âme 
est  chancelante,  et»  s'il  ne  la  fortifie,  elle  tombera 
dans  la  mort. 


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10 

«:  Pèiaeétoti,  ayw  ykié  da  TanfoiU  q«i  vous  prie. 
»  ProBoacaK  «ir  moi  la  senteBoe  que  ^us  .voiMkiz;  quo 
«  ja  le  smey.car  je  Hie  cens  déiXMiragée  et  faible. 

«  Je  BA  puis  lapportor  désorBKiu  un  plus  long  eûl 
«  dans  ce  monde  ;  s^i  noire  souiien  s^éloigoe  de  nous , 
«  n^est-il  pas  à  craindre  que  nous  ne  retournions  aux 
«  idoles  que  nous  ayons  adorées? 

«•  Cest  pourquoi  ^  désire  tant»  Père  céleste^  de  me 
«  réunir  avons,  pour  eélébrer  àjaroaisdaas  mes  chants 
•  w>4M  teme-poissante  maîesté.  » 

•  — Je  mm  dérangé  par  nue  (bsubmi  de  la  parusse, 
qui  tient  regarder  i  ma  porte  pour  v<Mr  ce  que  je  bis; 
e'eac  leur  habitude.  BUe  me  demande  i  qui  j'écris.  —  Je 
lui  r^ud&que  c'est  à  nt%  pareMu  t~  H  la»t  encore  lui 
décliner  tous  vos  noms.  ^ — A  mon  tour,  je  lui  demande 
si' aile  n'a  rten  à  tous  iaire  dire.  —  Oui,  elle  présente 
Sis  amitiés  à  JuUka  (AagéUque)  ;  elle  serait  b^en  aise 
de  la  voir  venir  ici  pour  instruire  les  feimncs  d'Ouv^  ; 
elle  me  prie  de  vous  remercier  d'avoir  envoyé  un  prêtre 
ftti  peut  leur  donner  les  sacrements  et  la  sainte  comma*: 
^■ion  ;  car»  ajoaie-t-elle»  rt)e  était  bien  malheureuse  avant 
Karrivée  des  Missionnaires. 

«  C'est  une  chose  amusante  de  voir  l'étonnenienide 
eas  sauvages  lorsque  arrive  d'Eurq>e  quelque  obiet  qu'ils 
n'ont  pas  enoora  vu.  Après  l'avoir  bien  regardé,  ils  le 
tittchent,  ils  le  sentent,  ils  le  tournent  de  toute  mauiàre, 
puis  ils  expriment  leur  admiration  par  une  exclamation 
eu  un  peUt  claquement  de  laague.  Je  les  intrigue  beau^ 
eeupavec  un  canif  taiHe-plume.  C'est  un  cri  d'admira- 
tion chaque  Cois  que  la  plume  en  sort  toute  taillée. 

«  Il  y  a  peu  d^  joum ,  on  débarqua  un  riieval  que  le 
gouverneur  frangais  de  Taiti  envoyait  en  présent  au  roi 
de  Wallis.  La  pauvre  béte  avait  été  si  maltraitée  à  bord 


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11 

far  le  rouIis>  qu'elle  faisait  pitié.  Auttkât  arrivée  4  terre, 
elle  fiu  emourée  d'une  fbulè  de  naturels ,.  qui  ne  pou- 
laieal  se  lasser  de  contempler  un  si  grand  animaU  Ils 
ra]K>eièrent  ensuite  un  gros  diien  ;  mais  ils  en  avaient 
peor,  et  à  chaque  mouvement  qu'il  faisait^  les  adminir 
teurs  prenaient  la  fuite.  Ils  me  danandaient  s'il  était 
méchant»  s'il  mangjeait  les  hommes  q]uand  il  était  est 
colère  »  s'il  aimait  la  viande ,  s'il  mordait  comme  les 
chiens.  Moi  je  le  caressais  pour  les  rassurer.  On  lut 
9ffostaL  des  feuMles  et  de  l'herbe  ;  ils  l'examinèrent 
nanger  très-longtemps ,  regardant  comme  ses  dents 
étaient;  faites  ;  enfin ,  après  s'éure  lassés  en  observa^ons 
et  en  conjectures,  ils  s'en  allèrent  en  me  disant  :  «  Main* 
«  tenant  nou^  connaissons  cettegrande  béte;»  nous  l'avons 
€  vue  tout  &ire  ;  il  ne  nous  reste  qu'à  l'entendre  chauler.  » 
c  Les  maisons  des  WaUisiens  consistent  en  un  gran4 
uât  de  forme  circulaire  »  couvert  de  feuilles,  et  souteniji 
par  des  pieux*  Â  Tintérieur  sont  étendues  des  nattes ,  sur 
lesquelles  on  s'assied,  on  se  couche  et  on  mange.  Quoique 
les  habitations  soient  disséminées  presque  sur  toute  la 
côte,  il  y  a  cependant  trois  points  ou  villages  principaux, 
oà  l'on  a  construit  des  églises.  L'une  est  dédiée  à  Motre^ 
Dame  de  Bon-Espoir ,  l'autre  à  saint  Joseph  ,  et  la 
troisième  à  saint  Pierre*  Ces  églises  sont  en  bois.  Tontes 
les  pièces  en  sont  unies  avec  de  petites  cordes  de  coco  ; 
les  planches  même  sont  fixées  de  cette  manière;  «t 
cependant  les  plus  violents  orages  ne  peuvent  les  ébran- 
ler. Il  y  a ,  dans  chaque  sanctuaire,  une  lampe  qui 
brûle  devant  le  Saint-Sacremcat.  Les  fenunes  Teatre- 
tiennent  avec  un  soin  extraordinaire.  Chaque  fois  qu'il 
£Eût  grand  vent ,  je  les  vois  se  tenir  auprès  de  la  lampe 
avec  un  tison,  la  nuit  aussi  bien  que  le  jour,  pour  la  ral- 
lumer dans  le  cas  où  elle  viendrait  à  s'éteindre.  A 
piques  pas  de  l'église  s'élève  une  maison  carrée,,  divisée 


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12 

en  pedtei  diambres  pour  nos  confirtres ,  et  près  de  11 
une  habiUliott  pour  les  jeunes  gens  qui  veulent  partager 
leurs  CEiUgaes.  Ces  jeunes  gens  sont  au  nombre  de  trent» 
ou  quarante  ;  ils  se  sont  oflerts  d'eux-mêmes  aux  Mission* 
■aires  pour  les  servir,  les  accompagner ,  et  seconder  nos 
frères  dans  leurs  travaux. 

•  96  juin.  —  Je  reprends  ma  lettre ,  interrompue 
par  un  événement  qui  m*a  donné  poiùr  uh  instant  quelques 
inquiétudes.  Le  lendemain  du  départ  de  Mgr  Bataillon , 
on  vint  m'avertir  qu'il  y  avait  un  navire  en  vue.  BiçntAc 
je  sus  que  c'était  la  goélette  des  missionnaires  protestants, 
quMls  cbercbaimit  à  entrer  par  la  pûsse  située  derrière 
111e,  et  que  leur  canot  avait  déjà  mis  à  terre  plusieurs 
personnes.  Je  courus  sans  délai  vers  la  paroisse  voisine 
du  lieu  de  leur  débarquement,  pour  être  plus  à  portée 
de  connaître  leurs  menées,  et  bien  décidé  à  leur  résister 
de  tout  taon  pouvoir  a'ib  cherchaient  à  infecter  le  trou--^ 
peau.  Deux  ministres  anglais  descendirent  eu  effet  à 
Pq3,  avec  quelques  naturels  de  Tonga  et  de  Niùka  ;  mais 
ils  n'y  restèrent  qu'un  jour,  et  repartirent  très-inquiets^ 
dit-on,  du  voyage  de  Mgr  le  Vicaire  apostolique  à  Tonga 
et  à  Fidji. 

•  Quelques  jours  après  je  reçus  une  lettre  à  l'adresse 
de  Monseigneur;  le  second  de  la  goélette,  qui  était  ca- 
tholique, Pavait  laissée  à  terre  ;  elle  était  du  P.  Chevron, 
Missionnaire  à  Tonga.  Ce  confrère ,  rendant  compte  des 
efforts  lentes  par  l'hérésie  pour  entraver  son  ministère, 
disait  à  Sa  Grandeur  que  les  prolestants  calomniaient 
également  la  France  et  le  catholicisme  dans  leurs  ser- 
mons ;  qu'ils  avaient  ordonné  des  prières  publiques  et  des 
jeûnes  pour  préserver  llle  de  l'arrivée  d'un  navire  de 
guerre  Trançais;  qu'ils  peignaient  nos  compatriotes  aux  in- 
digènes conune  leurs  plus  grands  ennemis,  comme  des  en- 
vahisseurs qui  cherchaient  à  s'empara  de  leur  pays  pour 


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13 

Im  réduire  en  esclavage.  De  tdles  cakHoanies  font  nne  . 
gnaàe  impression  sur  ce  peuple,  naturellmneni  ombra- 
geux et  méfiant  à  r^;ard  des  étrangers,  et  plus  jaloux 
de  son  indépendance  qu'aucune  nation  du  monde.  Voua 
pouvez  juger  quelle  délavenr  en  résulte  pour  les  praires 
cathcdiques ,  qu'on  cherdie  par  ce  moyen  à  foire  passer 
pour  des  agents  politiques ,  préparant  les  tdes  à  une 
usurpation. 

«  n  est  arrivé  derni^ement  un  baleinier  américain  à 
Wallis,  ayant  à  son  bord  une  vingtaine  de  protestants  in- 
digènes de  Niu)uiy  qui  avaient  demandé  à  être  tranq[>or- 
lés  ici.  Nous  apprîmes,  par  eux  ^  par  un  Anglais  qui 
était  resté  quelques  années  dans  leur  lie,  quels  traite- 
Bients  les  ministres  font  subir  à  ces  pauvres  naturels.  C'est 
incroyable!  Pour  certaines  fautes,  <m  les  flagelle  k  coup 
de  corde  jusqu'à  ce  qu'ils  spient  tout  en  sang.  Plusieurs 
même  expirent  sous  les  coups.  A  d'autres  on  arrache  les 
cheveux  et  les  sourcils.  On  nous  fit  une  telle  peinture  de 
ces  cruautés,  que  nous  n'aurions  pu  y  croire,  si  nous 
n'avions  vu  nous-mêmes  les  marques  de  la  torture  em- 
preintes sur  le  corps  de  ceux  qu'on  débarqua.  QueHe 
triste  position  que  celle  de  ces  peuples,  condamnés  à 
marcher  sous  le  fouets  comme  les  animaux ,  parce  qu'on 
ne  leur  a  inspiré  que  la  crainte  du  maître,  au  lieu  de  leur 
apprendre  à  aimer  la  vertu  I       . 

«  A  Wallis,  nous  n'avons  aucune  législation,  aucun 
code  pâial^  point  de  tribunaux  ;  et  cependant  toutela  po- 
pulation se  conduit  bien,  par  la  seule  grâce  de  Dieu  et  le 
accours  des  sacrements.  Dq[>uis  que  je  suis  ici  je  n'ai  en- 
tendu parler  d'aucun  délit,  si  ce  n'est  de  quelques  accès 
de  colère  momentanés;  mais  en  même  temps  qu'on  ap- 
prend la  faute,  on  apprend  aussi  la  réparation  :  le  cou- 
pable vient  de  lui-mèm  auprès  de  nous  recevoir  sa  peine, 
qui  n'est  qu'une  simple  réprimanda.  En  fiiut^  davantafe 
pour  des  cceurs  si  bien  disposés! 

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14 

«  Ce  qui  entretient  dans  les  hfllMiants  de  WiUis  le  stt- 
tifflent  et  rmnour  du  devoir,  c'est  qu'ils  sont  trts^Wfidas 
de  la  parèle  de  Reu.  Outre  les  instruotions  éos  HËaàomr 
vaires,  il  y  a  dans  dmque  village  et  petits  hameaux  des 
catéchismes  d'bommes,  de  femmes,  d'enfonts  :  les  plus 
instruits  d'entre  eux  enseignent  les  autres;  cfaacuH  aè 
confesse  et  communie  environ  tous  les  mois  ;  partout  oft 
récite,  le  soir ,  le  chapelet  en  commun  ,  suivi  d'un  can- 
tique à  la  samte  Vierge.  Quoique  toutes  les  maisons 
restent  ouvertes  ,  la  nuit  comme  le  jour ,  on  n'entend 
jamais  parler  de  vol.  Dernièrement  les  ofiBciers  d'un  na^ 
vire  français  voulurent  éprouver  nos  naturels  sur  ce 
point.  Ils  laissèrent  irahier  à  dessein,  sur  le  pont, 'des 
hameçons  et  autres  objets  capables  d'exciter  leur  convoi- 
tise; mais  les  néophytes  s'empressaient  de  les  porter  aux 
matelots,  croyant  que  c'étaient  des  objets  oubliés  par 
mégarde. 

«  Ce  n'est  pas  assez  pour  les  Wallbiens  de  se  montrer 
idèles  observatem-s  de  l'ËvangHe  ;  ils  voudraient  encore 
en  être  les  apôtres,  et  aller  porter  la  foi  parmi  les  ido- 
lâtres et  les  hérétiques.  Les  jeunes  gens  demandent  ei 
foule  à  partir  avec  les  Missionnan*es.  Mgr  Bataillon  ,  cé^ 
danl  à  leurs  instances,  en  a  emmené  quelques-uns  à  Tonga 
et  i  Fid^.  De  ce  nombre  était  un  petit  garçon  d'une 
quinzaine  d'annés  ,  nommé  Selevatio  (Gervais).  Sa  [uété, 
qui  en  Élisait  un  petit  ange j  avtiit  décidé  Monseigneur  à 
l'admettre  parmi  ses  compagnons  de  voyage,  et  le  bonheur 
de  l'eflfant  était  à  son  comble.  Peu  de  temps  après  ,  je 
le  vis  u>ut  en  larmes  ;  il  n'avait  pu  dHenir  de  ses  parents 
la  permisMou  de  s'embarquer.  Je  tâdiai  de  le  consoler  en 
lui  disant  que  plus  tard  nous  parthîons  ensemble  ;  mus 
œfte  promesse  ne  convenait  pas  à  Fimpatienee  de  soa 
«èle.  T<mt  à  coup  on  remarqua  quil  avait  disparu  ;  ea 
le  chereha  partout  ;  enfin  ,  après  plusieurs  jours,  en  le 


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u 

^otxvké  II  8'é»rit  gKflié  fortiveMeAt  à  bord  de  VJlddplm, 
-H  s^'éCMl  cetdié  à  fond  de  cale;  ii  «e  tenait  là  blotti,  espé- 
rant <|ae  le  nafvire  partirait  bientôt,  et  qu^une  fois  an 
l«r(^,  il  ne  serait  plus  temps  de  le  remettre  à  terre;  nmk 
le  vaisseau  tardant  trop  à  lever  Tancre,  Selevaiio  fat 
irflbi*  Cependant  il  troava  sur  le  pont  un  de  ses  parent^ 
et  le  pria  d'intercéder  pour  lui  auprès  de  son  père  et  de  sa 
mère ,  qni  ^  laissèrout  enfin  toucher  et  consentipent  i 
son  dépcnt.  Qnand  on  lui  demandait  pourquoi  il  avait 
agi  de-la  aorte,  il  s'imaginait  en  donner  une  bonne  raison 
en  disant  :  «  Je  voudrais  bien  savoir  si  l'Ëvéque  -et  nos 
«  Missionnaires  ont  attendu  la  permission  de  lenrs  poFSEilB 
«  pour«q«iC(er  la  France.  S'ils  TavaientlUty  nous  serions 
«  encore  dans  notre  fakadevolo  (  paganisme).  » 

«  Mgr  Bataillon  a  emmené  aussi  un  homme  imrié» 
nommé  Plnlîppe.  C'est  un  prodige  de  mémoire  et  d'intel- 
ligeace;  il  «ait  tous  les  dialectes  des  archipels  voisins, 
ainsi  que  l'anglais  et  un  peu  de  français.  Ces  langues,  il 
les  a  apprises  je  ne  sais  comment^  dans  le  but  d'être  utile 
a  la  Mission. 

«  Tandis  que  les  jeunes  gens  de  Wallis  prêtent  à  nés 
efforts  un  eonooars  si  gàrareux ,  et  font  souvent  plus  de 
bien  que  les  Miasionoaives  par  leur  asàle  et  leurs  exemples  ^ 
les  vieillards  continuent  d'être  pour  nous  un  sujet  d'édift- 
caiion  ;  ils  ont  encore  pour  b  plupart  leur  innocence  bap- 
tismale. C^est  merveiUe  de  voir,  sous  ces  traits  et  ces 
dehors  sauvages,  une  douceur  toute  chrétienne.  L'un 
d'eux^  que  le  commandant  de  VEmbuteade  a  surnommé 
k  vieuœ  tigre,  parce  qu'il  &k  a  eGGectivemeot  les  traits^ 
est  bien  Phomme  de  Ta^^ect  le  plus  feroucfae  qu'il  sok 
.possMe  de  rencontrer.  Sou  vrai  nom  est  Honorio;  il  est 
ivonier  ministre  du  roi.  U  fut  un  des  plus  ardents  persé- 
cuteurs de  Mgr  Balûtllon,  à  son  artivée  daiK  Ttte.  M^in- 
tenam  c'est  un  agneaa.  Qwmdil  séjotone  à  Saint-Josqpli, 


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1« 

je  sais  sftr  de  le  voir  arriver  Unis  les  matins  avec  sa 
petite  racine  de  eava  qu'il  vient  nous  oflrir.  Le  soir»  il  ne 
peut  se  retirer  diez  lui  sans  nous  avoir  toucbé  et  baisé  la 
main,  en  signe  d'amitié.  S'il  ouvre  la  boudie  dans  les  as- 
semblées^ c'est  surtout  pour  recommander  le  respect  et  la 
/K>umission  aux  Missionnaires.  «,Pour  moi ,  dit-il ,  je  suis 
«  frère  d'un  vieux  arbre  penché  sur  le  bord  d'un  abtme. 
«  Je  vous  ai  donné  autrefois  de  bien  mauvais  exemples. 
«  Voici  maintenant  les  guides  que  vous  devez  écouter,  et 
«  qui  conduiront  voure  pirogue  au  eid.  »  Ce  txm  vieillard 
â  versé  Uen  des  larmes  au  départ  de  Monseigneur  ;  il  ne 
pouvait  rester  deux  jours  sans  le  voir  et  lui  demander  sa 
2)énédiction  ;  aujourd'hui  il  se  console  auprès  du  Saint- 
Sacrement;  et,  dans  l'exercice  de  cette  dévotion  qui  lui  est 
cbère^  il  attend  en  patience  son  retour. 

«  19  août.  —  Monseigneur  vient  d'arriver.  Je  com- 
mençais à  être  inquiet  de  sa  longue  absence.  Les  ymts  lui 
ont  presque  toujours  été  contraires.  Il  n'a  pas  réussi  à 
Tonga  comme  il  l'aurait  désiré,  à  cause  des  calomnies 
débitées  par  les  ministres  protestants  contre  nous ,  et 
surtout  contre  la  France ,  dont  ils  nous  représentent 
comme  les  agents  ;  c'est  au  point  que  la  qualité  de  Français 
est  aujourd'hui  un  titre  d'exclusion  dans  toute  l'Ooéa- 
nie.  Espérons  que  celte  persécution  d'un  nouveau  genre 
ne  durera  pas  longtemps;  la  vérité  touche  de  près  au 
triomphe,  quand  l'enfer  a  épuisé  toute  la  série  de  ses 
mensonges. 

«  Maintenant  voici  notre  saint  Evéque  rentré  à  Wallis, 
et  jesuis  tranquille;  si  nous  avons  à  souffrir,  nous  souf- 
frirons ensemble.  C'était  sa  première  absence  ;  aussi  le  re- 
tour a-t-il  été  une  fête.  Dès  le  pdnt  du  jour,  aussitôt  qu'on 
put  i^rcevoir  son  navire  au  loin  dans  la  brume,le8  natu- 
rds  vinrent  me  réveiller  avec  des  cris  de  joie  :  Fakapcfor 
hgi  Bpikopol  Epikopo!  Le  vent  était  excellent;  le  vais- 


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17 

seau  mouilla  bienlAl  en  (ace  de  Téglise  de  Saint-Josepb* 
Aussitôt  j^allai  avec  les  eufants  de  chœur  au  boi-d  de  la 
iner,  pour  faireau  premier  pasteur  une  réception  sol^nellew 
Quand  le  canot  aborda,  des  larmes  de  bonheur  coulaient 
des  yeux  de  tout  ce  peuple  rangé  sur  le  rivage.  Après  le»oé> 
rémonîes  ordinaires,  Monseigneur  entra  à  Téglise,  précba» 
etcélébi*a  la  sainte  messe.  Cétaitpour  l'Ile  entière  use  joie 
que  je  ne  puis  exprimer.  Pendant  les  trois  jours  que  le 
Prélat  resta  dans  ma  paroisse  ,  la  maison  qu'il  habitait 
ne  désemplit  pas  ;  chacun  venait  le  visiter,  lui  apporter 
du  cavaj  et  lui  demander  sa  bénédiction. 

m  Les  insulaires  de  Tonga  que  Mgr  le  Vicaire  aposto-' 
lique  a  amenés  avec  lui^  au  nombre  de  sept  ou  huit,  ont 
été  aussi  parfaitement  reçus.  Pour  la  plupart  ils  ne  sont 
pas  encoi*e  baptisés.  Le  but  de  lenr  voyage  est  d'étndîer 
WaHis,  d'examiner  ce  qui  s'y  passe,  afin  d'aller  ensuite 
en  rendre  compte  à  Tonga,  et  confondre  par  leur  témoi- 
gnage les  calomnies  des  protestants.  Ils  paraissent  trè^ 
bien  disposés,  et  je  crois  qu'il  ne  faudra  pas  beaucoup  dt 
temps  pour  les  rendre  bons  catholiques. 

«  Mathieu,  Miss.  apoH^ 


TOI.  xvifi.  104.  * 

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It 


Um^  dm  P.  RmUUausc  ,  Miaionnairt  apo$Udiqu€  de  la 
êodéêé  de  Marie,  au  Procureur  dee  Miemone  de  la 
Êêciéié. 


TMga,  le  di  juillet  ttM*. 


«  Mon  Révérend  Père  ^ 

«  Le  silence  qpe  j*ai  gardé  ù  longtemps  avec  vous  a 
dû  vous  surprendre,  après  tous  les  soins  dont  vous 
m'avez  enloaré  jusqu'au  fond  de  TOoéanie.  PTallez  pas 
cependant  m'accuser  d'oubli  et  d'indillerenoe.  La  faute 
en  est  à  nos  occupations  si  multipliées  et  surtout  au 
manque  d'occasions:  presque  toujours  placé  loin  des  lieux 
où  abordaient  les  navires ,  je  n'avais  connaissance  de  l'ar- 
rivée d'un  bâtiment  que  lorsqu'il  était  reparti.  Enfin,  au- 
jourd'hui que  je  me  trouve  à  Tongatabou^  dont  Mgr  Ba- 
taillon bat  k  visite  pastorale ,  il  me  reste  quelques  in- 
stants avant  notre  départ  pour  les  lies  Fidji,  où  nous 
allons,  le  Père  Bréhéret  et  moi ,  jeter  la  divine  semence  ; 
feu  profite  pour  vous  confier  mes  souvenirs  de  peines 
et  mes  sujets  de  joie. 

«  J'ai  passé  deux  ans  à  Futuna,  et  c'est  dans  ceue 
Mission  que  j'ai  commencé  Texercice  du  saint  ministère^ 
au  milieu  des  plus  vives  contradictions.  Nous  avions  été 
précédés  par  un  jeune  chef  des  tles  Wallis,  homme  doué 
de  véritables  talents ,  mais  qu'il  emploie  au  triomphe  * 
des  plus  mauvais  desseins.  Il  s'était  fiitt  accompagner 
de  deux  cents  naturels,  qui,  pendant  une  wmià  de 


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1» 

sqour  à  Eutiiiia^  est  bk  un  bqûI  qu'il  mot  a  été  im- 
possible jusqu'ici  de  léptrar  eatîèreineBC. 
du  peu  de  coiuiaissttMe  que  noos  a? kos  de  la 
pour  accrédUer  leurs  calosiBtes,  is  ont  prévemi  9m 
FuAunieiis  coatre  bous,  ranimé  le  feu  de  la  disoerde 
entre  deux  fstctioBs  rivales,  et  resmeité  les  aRôn- 
nés  snpersiiUone,  que  les  insulaices  Sfvaient  abm- 
données  d'eux-'Bidnies  depnis  la  «ort  du  R,  P.  ChaiML 
Deux  fois  nous  avons  va  la  guerte  sur  le  pomc  4l'éda- 
ler  ;  on  a  tenté  d'assasmer  le  nonvean  roi  ^  qni  est  <»*- 
iholique  Servenl;  en  a  &tt  mille  efforts  pour  eropêAar 
la  oonstmelicn  de  nos  den  égKses,  <le  eeHe  sortout  *fm 
a  été  âevée  sur  le  lien  m^^ie  on  le  premief  ànmjfr 
de  rOcéanie  a  versé  son  sang. 

«  Pour  que  nous  ne  pussions  pas  boos  méprendre  snrlie^ 
^pcribleauteur  de  toqtes  ces  tracasseries,  c'était  aux  iëtesdb 
lasainte  Vierge  que  le  démon  nous  siraekait  ptvs  d'enira««s« 
Al'une  dexxs  fèles^  nous  allions  comme  d'habitude,  leirè- 
re  Marie-Nizier  et  moi,  nous  mettre  à  la  tète  des  tratam 
deTéglise.  La  vëlle,  toat  était  calme  et  tranquille  dans 
Ftttuna.  Aussi,  qndle  ne  fut  pas  notre  surprise  de  renée»- 
trer  les  naturels  par  bandes  qni ,  la  hmce  h  la  main,  «fii^ 
raient  comme  des  furieux  vers  la  vaUée  où  était  noipe 
d^nenre.  Non^  lenr  demandâmes  ce  qo^  j  avait;  «i 
lieu  de  nous  répondre,  ils  criaient:  «  Oà  est  le  rotP  oà  eer 
le  roi? — Nous  leur  dîmes  qu'il  assistait  à  la  messe  éà 
Père  Servant.  —  Non^  non  ;  eo  vent  le  tuer,  nemcomMB 
b  défendre;  »  et  il  mws  Att  impossibie  de  les  retenir. 

«  Plus  loin,  nous  vîmes  les  femmes  qu  se  mnsneat 
vecs  les  montagnes  pour  y  cacher  ce  qn'elhs  avmeotde 
piécienx,  et  leurs  enlinis  qui  les  avivaient  enptearaflU 
Bh  Ueal  eetle  épevvnnle  n'avmt  mionn  motif  fmié« 
ssnne  beore  aprts^  imii  notre  monde  détre0{>éseitfBh 
anienr  de  nesB  pcv  te  teaMN. 

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90 

«  Nous  eàmes  bien  d'autres  difficultés  au  sujet  de 
réglise  de  Pdl.  Pendant  deux  mois,  il  nous  a  été  im- 
possible de  la  commencer  ;  chaque  jour  amenait  un 
nouvel  obstacle.  Enfin ,  après  les  avoir  tous  écartés  Fun 
après  Fautre,  je  partis  avec  le  frère  Marie-Nizier  pour 
diriger  la  construction.  Toute  la  population  de  ces 
vallées  était  convoquée  autour  de  la  croix.  Je  demain» 
dai  qu^on  nommât  qudqu'un  pour  présider  aux  travaux, 
et  les  voix  se  réunirent  en  fiiveur  du  fils  du  roi  asssosin, 
actudlement  did  d'une  partie  de  111e.  Dans  une  courte 
exhorution,  j'invitai  les  naturels  à  se  conduire  d'une 
manière  digne  de  l'œuvre  sainte  i  laquelle  ils  allaient 
se  livrer  :  «  Ce  n'est  pas  ici ,  leur  dis-je ,  une  habitation 
ordinaire,  c'est  un  temple  que  vous  élevez  à  Dteu^  sur 
le  lieu  même  où  fume  encore  le  sang  de  votre  premier 
apôtre.  »  Je  donnai  ensuite  le  signal  pour  se  mettre  i 
graonx ,  et  nous  récitâmes  tous  ensemble  à  haute  voix 
]e  PakTf  VAve  et  le  Credo;  je  fis  le  signe  de  la  croix, 
et  l'on  se  mit  à  l'ouvrage. 

«  Les  quatre  assassins  de  notre  confrère  étaient  là. 
Je  leur  dois  ce  téaioîgnage,  ce  sont  eux  qui  ont  montré 
le  plus  d'ardeur  et  de  bonne  volonté,  surtout  celui 
qui  avait  finppé  le  premier  coup.  Tout  son  extérieur 
annonçait  un  sincère  repentir,  et  je  ne  me  rappelle  pas 
ravdr  vu  rire  une  seiûe  fois  pendant  toute  la  divée 
des  travaux. 

«  L'église  de  Pol  est  assez  bien  ;  elle  a  soixante* 
quinze  pieds  sur  trrate;  l'entrée  regarde  la  mer;  dans 
le  sanctuaire  se  trouve  renfermé  l'emplacement  que  le 
B.  P.  Chaud  habiudt  ;  la  partie  droite  de  l'autel  ooo» 
vre  le  lieu  oà  il  était  assis  quand  il  reçut  le  coup  de 
la  mort;  l'endroit  oà  reposait  sa  tto  et  oà  a  coulé  soa 
sang  est  aussi  à  droite,  dans  le  sanctuaire,  près  de  h 
balustrade;  la  croix  qui  rindifne /est  teUe  que  l'a  pi»- 
téc  Mgr  Poropallier.  .  , 


91 

«  Vig]kfb  a^aobevait,  lorsque  notre  bonne  Hère  nous 
délivra  du  plus  grand  ennemi  de  noire  Mission.  Le  chef 
dont  je  TOUS  ai  parlé,  aÎMuidonna  Futuna  avec  sa  bande. 
Nous  respirAmes  alors,  le  P^e  Serrant  et  moi.  Nous  com- 
mencions à  nous  fiiire  comiH*endre  assez  bien  des  natui  els; 
nous  nous  adonnâmes  donc  avec  une  ardeur  toute  nouvelle 
i  leur  instruction. 

«  Dès  ce  moment ,  les  choses  diangèrent  de  face.  Nous 
nVûrnes  pas  de  peine  à  faire  comprendre  aux  néoph]rte6 
qu'on  les  avait  trompés,  qu^ils  s'étaient  laissé  séduire  par 
des  ennemis  de  leur  repos.  Le  jour  ne  suffisait  plus  pour 
entendre  les  confessions  ;  il  fallait  y  donner  une  partie  des 
nuits.  Peu  à  peu  les  abus  disparurrat,  ^  aujourd'hui 
cette  Mission  est  dans  un  état  florissant.  Tous  les  natu- 
rels sont  baptisés;  déjà  une  bonne  partie  d'entre  eux 
a  £iit  la  première  communion;  ils  se  conduisent  d'une 
manière  vraiment  édifiante,  et  avec  autant  de  réguhuîté 
que  les  plus  fervents  chrétiens  d'Europe;  il  ne  leur  man- 
que qu'une  instruction  plus  complète.  Encore  un  an  ou 
deux,  et  Futuna  sera,  je  pense,  la  plus  bdle Mission 
du  vicariat  apostolique  de  rOcéanie  centrale.  Le  pen 
de  communication  qu'elle  entretient  avec  les  étrangers, 
Famour  du  travail  et  la  force  du  caractère  de  ses  habi- 
tants me  confirment  dans  cette  opinion. 

«  D'ailleurs^  la  conversion  de  ce  peuple  est  toute  de 
conviction ,  elle  n'a  rien  eu  d'intéressé.  Nos  néophytef 
n'ont  pas  été  gâtés  par  les  présents.  Depuis  que  nous 
sonunes  parmi  eux^  nous  ne  leur  avons  rien  donné,  puis- 
que nous,  n'avions  rien  pour  nous-mêmes;  et,  connne  m 
la  divine  Providence  voulait  continuer  encore  une  situation 
que  la  nécessité  avait  faite^  tous  les  objets  que  vous  nous 
aves  envoyés  de  France  à  la  fia  de  1841 ,  ou  ont 
été  engloutis  dans  les  flots  ,  ou  ont  été  gardés  par 
le  baleinier  diargé  de  fkus  les  remettre;  rien^  absolu-- 

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it  rien  B'a  parti  è  Fouwa.  Beraihgigt  eiKX>re  la 
portion  d'efleis  que  Mgr  Balaiiloa  deaiiurit  à  cetle  lie , 
a*écé  presque  en  toialilé  eoDsnméepar  les  flammes. 

«  Oa  remarque  parmi  les  Fuumieos  plus  de  sknpU- 
fAié  qu'à  Wallis,  plus  d'énergie  qu'à  Tonga.  Ce  sont 
4»  bomœes  qui  raisonnent^  qui  réiédrissenC  :  ils  ne 
m  rendent  pas  aisément;  mais  une  fois  convaincus^  Hs 
ppiiuent  leur  parti  a?eo  fermeté ,  et  ne  retournent  pas  en 
arrière» 

•  Pwsent  les  Fidjiens ,  va«  lesquels  je  sais  envoyé  , 
Iwr  resseM^rl  Mais  ce  que  j'ai  af^m  d'eux  ne  me 
fMmiet  pas  trop  oette  errance  ;  on  les  dit  féroces 
îmiii'à  l'antiiropopbagie.  Si  j  de  mon  côté ,  il  me  fallait 
êtKi  dévoué  jusqu'à  la  mort,  j'emporte  avec  moi  un  sou- 
«amr  qui  m'en  donnerait  la  force  :  Mgr  Bataillon  m*a 
«Nifié  kl  croix  de  Misûonnsûre  que  portait  notre  vénéré 
•ffire  Cbonel;  sa  vue  m'animera  à  tous  les  sacrifices. 
Vcnillez,  mon  révérend  Père,  nous  obtenir  par  vos  prières 
Jift  ^iKfs  dont  nous  avons  besoûi  dam  une  Mission  ai 
i,  et  crmre  aux  saitiments  de  respect  et  de  re- 
kssaaee  avec  lesquds  je  suis ,  etc. 


J.  F.  RwLLBMJX,  itfjmofifiatfc 


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M 


LeHn  du  R.  P.  Grange^  SKsêfonnaire  ap^klique  4$ 
la  êêciéU  de  Marit,  à  un  Père  de  la  mime  société* 


Tonga,  Mars  l&U 


«  Mon  Réyéremd  Père  , 

«  Ce  qu'on  nous  adresse  à  ce  bout  du  monde  qom 
arrive  bien  tard,  si  tant  est  qu'il  nous  arrive.  Mak 
ne  TOUS  lassez  pas  de  nous  écrire,  je  Yoesen  conja-» 
re  ;  confiez  à  la  mer  autant  de  lettres  que  voos  pour- 
rez :  elle  ne  sera  pas  toujours  cruelle ,  et^  quek|ae  joar^ 
un  flot  bienfiiisam  jettera  sur  la  rive  un  de  vos  éêmx 
messages ,  que  je  recueillerai  arec  bonheur  ei  reco»-* 
naissance. 

«  Vo«s  ne  demandez,  mon  Père,  qudie  est  mûn 
occupation  à  vos  antipodes.  Eh  I  ce  que  vous  foités  «n 
Fhmce,  je  le  fins  dam  mon  lie;  seulement  je  k  iûs 
moins  bien  ^pie  vous,  ie  m'iMlDwa  et  j'insirnis  tes  «ifcny 
j'apprends  à  nos  kanaeks  b  fin  pour  laquetti  ilta  moM 
snr  la  terre;  je  les  preMe  de-  qokterie  neniôDfe  poap 
h  vérité,  il  en  est  qm  nféeoutent  et  qui 
«ndgMinetts en  pmiqne  teenx^là  sont w 
D^trea  prêteM  me  oreille  iMet  attesii^  à  mea  f«*o|et  » 
sans  se  tionaer  la  Mine  de  rétamer  lenr  vie  ^  maia  te 
grand  ttOidi>re  juge  tm^éûcêrim  ts^fi  séiitea^  «t  jW  la 


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24 

douleur  de  les  voir  8'éloigner  de  moi ,  au  moins  pour 
fiQ  temps.  Le  soleil  fait  en  vingt-quatre  heures  le  tour 
du  globe,  et  partout  il  trouve  les  hommes  avec  le  même 
caractère  et  les  mêmes  inclinations  ;  partout  il  les  trouve 
de  glace  pour  leurs  intérêts  étemels ,  et  tout  de  feu  pour 
la  vanité  et  le  mensonge. 

«  Conune  vous  encore ,  je  db  mon  bréviaire ,  je  tâche 
de  me  recueillir  pour  prier,  je  célèbre  la  sainte  messe 
à  peu  près  tous  les  joura  ;  mais  c'est  pendant  votre  re- 
pos, de  même  que  vous  faites  ces  saintes  actions  pen- 
dant que  je  me  livre  au  sommeil  ;  et  si  je  m'en  acquit- 
lais  avec  ferveur ,  no^s  accomplirions  à  la  lettre  les  pa- 
roles du  Psalmiste  :  Diei  diei  éructât  verhum,  et  nox 
mùctiindical  scientiam.  Ainsi  nous  formerions  commedeux 
choeurs  qui  chanteraient  alternativement  les  louanges  du 
ieignear  Jésus  ^  et  notre  Dieu  serait  glorifié  dans  tous 
les  temps  comme  dans  tous  les  lieux  :  à  moi  seul 
est  la  faute  si  la  perfection  manque  à  ce  pieux  concert. 

«  Dans  mes  lettres  du  mois  de  juillet  dernier ,  que  vous 
coaaaissez  sans  doute  (1),  je  parlais  en  détail  de  Tonga  et 
de  ses  habitants;  aujourd'hui  je  vais  détache^  quelques  pa- 
ges dt  Bion  journal,  pour  vous  mettre  au  courani  des 
difficultés  que  nous  rencontrons  dans  la  prédication  de 
l*£faogile,  et  des  espérances  que  noos  pouvons  conoe- 
foir. 

«  fiepais  cette  époque,  IHea  nous  a  ménagé  bien  des 
épettves  qu'il  a  cependant  Eût  tourner  à  «a  gloire^  après 
s'm  être  servi  pour  nous  purifier.  D'abord  les  mission* 
Mires  Wesléiensimt  redoublé  leurscalomnies  ooatre  nous; 
je  tt'ea  sais  pas  surpris  :  chaque  jour  ils  voient  décret 
%m  iMr  inAoence,  et  la  nôtre  grandir  en  proporiion; 
ih  VQMt  que  ceux  de  lesuns  eoreUgJonnairei,  qui  pea« 


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96 

vent  avdr  des  cmnmunicatîOQS  aTec  bous,  inissent  cou^ 
jours  par  se  rasger  de  notre  côté ,  sans  qu'ils  obtien- 
nent le  même  avantage  de  leurs  rapports  avec  nos  chré- 
tiens.  La  raison  en  est,  en  deBors  de  la  grâce,  que 
nos  disciples  ont  Tait  librement  profession  de  notre  sainte 
foi ,  tandis  que  les  adeptes  de  Thérésie  y  ont  élé  symené» 
par  la  violence.  Parmi  nos  néophytes  de  Wallis,  un 
seul  qui  habitait  la  grande  tribu  protestante,  consen* 
tit  après  maintes  soUicilations  à  se  dire  enfant  de  la 
réforme  ;  mais  cette  apostasie  de  qudques  jours  n'a  servi 
qu'à  prouver  une  fois  de  plus,  et  par  un  témoignais 
irrécusable ,  que  les  ministres  appellent  l'intimidation  en 
aide  à  leur  prosélytisme.  Quand  arriva  le  saint  jour  de 
Pâques,  voyant  ses  frères  catholiques  aller  à  la  table 
sainte  goûter  un  bonheur  dont  il  s'était  privé  par  sa  bi- 
blesse,  notre  prodigne  vint  en  pleurant  se  jeter  à  nos 
pieds  et  implorer  la  grâce  d'être  admis  à  la  communion  de 
FEglise.  11  demanda  aussi  pardon  à  ses  frères  du  scan- 
dale qu'il,  avait  causé,  en  i'excuiani  sur  la  violence 
f  M'on  lui  avait  faite. 

La  confession^  qui  parait  au  (nremier  abord  «ne  prati- 
que si  onéreuse  à  notre  orgueil ,  a  été  embrassée  avec 
joie  dans  notre  lie.  J'avoue  que  les  ministres  protestants 
y  oot  bien  un  peu  contribué;  car  ils  exigent  de  leurs 
adeptes  la  confession  et  la  pénitence  publiques.  Sans 
doute  que  nos  insulaires  ont  vivement  apprécié  la  doo- 
eeur  du  joug  de  Jésus-Christ,  qui  ménage  la  faiblesse 
du  pécheur  en  couvrant  sa  ocmfiision  volontaire  du 
secret  le  phis  inviokible.  D'ailleurs  nos  kanacks  avaient 
d^  une  espèce  de  concession,  avant  l'arrivée  des  Eu- 
ropéens. Elle  se  pratiquait  surtout  en  cas  de  maladie*. 
Dans  leur  opinion ,  si  cpielqu'un  est  visité  par  la  souf- 
france, c^est  totqours  pour  avoir  efiensé  une  divinité 
qui  tire  ainsi  vengeatece  da  coupable  jMipi'à  ce  tpi'il 


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26 
slmniitie;  et,  lorsque  le  malade  est  trop  faible  pour 
s*aocii8er  Idi-méme,  un  ami  qui  oonnak  sa   faute  en 
fiittenson  nom  Taveu  réparateur. 

«  On  comprendra  mieux  eombten  cet  antique  usage 
BOUS  iarorisait ,  quand  on  saura  jusqu'où  vont  les  prér 
tentions  vaniteuses  de  ce  peuple,  dont  l'orgueil  égale, 
si  toutefois  il  ne  surpasse  pas  son  extrême  pauvreté* 
A  leurs  yeux  un  Européen  est  à  peu  près  ce  qu'est 
ailleurs  un  nègre  esclave*  Nos  kanacks  disent  sans  façon  : 
iVm  Uanc,  mon  Européen,  comme  nos  planteurs  des 
AntHles  disent  :  Mon  nègre,  mon  esclave.  Je  n'approuve 
certes  pas  TEuropéen  qui  méprise  son  frère^  parce  qu'il 
est  noir  ;  et  néanmoins  je  reconnais  qu'il  lui  est  de  beau- 
coup supérieur  par  les  connaissances  et  la  civilisation. 
Mais  qu'un  pauvre  insulaire  de  Tonga  nous  foule  smx 
pieds  et  nous  méprise  comme  une  race  déchue,  c'est 
par  trop  ridicule.  Quoi  qu'il  en  soit ,  un  des  principaux 
die6,  celui  qui  nous  a  reçus  sur  ses  terres,  nous  tra- 
cassait depuis  longtemps ,  et  prétendait  même  nous  dicter 
des  lois  dans  les  affaires  du  culte  :  Si  le  catholicisnie 
Esiîsait  autorité ,  disait-il ,  c'est  parce  qu'il  était  sa  reli- 
gion ,  et  non  parce  qu'il  avait  été  apporté  par  les  deux 
vieux. 

«  Dans  la  crainte  d'une  rupture  générale,  nous  ne 
lot  avions  résisté  que  légèrement;  enfin  à  l'occasion 
d^me  grande  tête,  ce  chef  prit  un  arrêté  qui  défea- 
dait  la  danse  à  nos  néophytes ,  et  qui  la  commamilait ,  sous 
peine  d^une  rude  amende^  à  ceux  qui  n'étaient  p» 
baptisés.  Peut-être  rirez-voiisl  mais  nous  vîmes  dans 
cette  ordonnance  un  danger  sérienx  pour  la  Mission, 
et  voici  comment.  Dès  notre  arrivée,  dans  111e ,  nous 
atiens  dit  aux  naturels  que  plusieurs  de  leurs  danses 
étaient  permises  :  en  eSSet^  il  en  est  qd  s'exécutent  avec 
me  convenance  parfirite;  eHes  ont  lien  entre  i^ersonnss 


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dm  inémt  mxe ,  ei  encore»  poQr  s'y  li^mr  promwMl  ik 
des  habits  plus  décents  que  de  coalQine.  Si  nous  latt^ 
éom  interdire  à  nos  chrétiens  ce  que  nous  avions  d'abord 
rec(Hmu  licite,  nos  adversaires  étaient  là  pour  nous 
accuser  de  mensonge  :  ils  n'auraient  pas  manqué  de 
dire  que  leurs  prédictions  se  réalisaient  ;  qu'après  nf9us 
être  introduits  sous  le  masque .  de  la  tolérance  ,  nous 
4:onunencions  à  tyranniser  nos  discifdes^  et  que  no«pi 
ne  nous  arrélerions  €|u'aprèsJe^ avoir  faits  esclaves.  Kous 
voulûmes  donc  mainienir  à  la  lettre  ce  que  nous  avions 
professé  :  tout  d'abord  nous  avions  promis  la  liberté, 
nous  ne  voulûmes  pas  qu'au  nom  de*]a  religion,  ua 
chef  vint  y  porter  atteinte. 

«  Nous  lui  déclarâmes  donc  que  son  ordonnance  n'était 
pas  juste.  A  ces  mois^  il  s'emporta  devant  toute  l'as^ 
semblée  et  dit  :  «  De  quoi  se  mêlent  ces  deux  blaocs, 
c  jetés  par  le^  vagues  sur  mes  terres?  chez  qui  demMk 
«  rent-ils?  u'estrce  pas  chez  mpî?  »  Nous  lui  réponcfiaM» 
aussi  en  présence  de  tout  le  monde  :  «  C'est  vrai , 
c  c'est  chez  toi  que  sont  logés  ces  deux  blancs  ;  ils  Vem 
«  remercient;  mais  sache  qu'ils  ne  sont  pas  ici  pour 
<  iaire  ta  volonté  ;  ils  y  sont  pour  le  monlrer  le  chn- 
«  BGÛn  du  salut ,  ainsi  qu'à  tauc  peufde  disposé  à  ks 
«  entendre.  Us  hadwient  ehez  toi.  Bttis  si  tu  n'es  pas 
«  oonteut,  lun'asipi'à  le  dire;  ik  trouveront  à  Vi^>ri- 
«  ter  ailleurs;  toutes  les  terres  se  fitusseat  pas  mai  bouc 
«  de  ton  domaine,  et  plusieurs  chfrft  qui  sont  m  par- 
«  tageront  volontiers  avec  eux  leurs  cabanes.  Tu  peuK 
«  commander  à  d'autres  blases^  mais  noo  à  ceux  qu'ea- 
«  voie  le  Très- Haut.  Mous  reo^plârons  notre  mimom 
«  »vec  une  entière  iadépeadance,  el  si  personne  ueuwt 
«  nous  recevoir ,  nous  n'auvooa  pas  uMÎns  fiut  ce  q/m 
«  nous  devions.  Comme  nous  l'avons  dit  plusieurs  faii^ 
«  nous  partirons  avec  les  béuédîeimis  que  nous  éiionê 


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9S 

«  venus  t^apporter,  ne  laissant  peut-être  derrière  mous 

«  que  la  malédiction  divine.  » 

«  A  ce  mot  de  malédiction ,  il  baissa  la  tète  et  garda 
un  profond  silence.  Nous  nous  éloignâmes  alors  de  lui, 
suivis  de  plusieurs  insulaires  qui  nous  prièrent  de  lui 
pardonner  :  Ce  n^était ,  dîsaientwis,  qu*nn  accès  de  colère 
qui  passerait  bientôt.  À  l'entrée  de  la  nuit  il  q^ivoya 
un  de  ses  eniants  nous  demander  si  nous  voulions  le  voir; 
nous  répondîmes  qa^*l  pouvait  se  présenter,  que  nous 
n'avions  jamais  de  haine  contre  personne.  II  accourut 
aussitôt,  portant  une  grosse  racine  de  cava,  et  accompa-^ 
gné  d'un  des* plus  sages  vieillards  ,  qui  venait  de 
£iire  sa  première  communion.  Il  s'assit  à  la  porte  de 
notre  cabane,  et  lorsque  nous  lui  eûmes  fait  de  nouvelles 
instances  pour  entrer ,  il  se  jeta  à  nos  pieds  tout  bai- 
gné de  larmes,  nous  demanda  pardon  et  nous  baisa 
les  mains,  puis,  la  tête  baissée  et  dans  un  morne  si- 
lence^ il  attendit  humblement  nos  reproches.  Quand  il 
vit  qu^au  lieu  de  l'en  accabler ,  nous  l'assurions  à  di- 
verses reprises  que  nous  avions  tout  oublié  :  «Pardon, 
«  s'écria-t-il ,  mille  fois  pardon  des  paroles  offensantes 
«  que  Je  vous  ai  dites.  Ma  maison  est  la  vôtre;  je 
«  suis  trop  heureux  que  vous  vouliez  bien  y  demeu- 
«  rer;  je  vous  demande  eomme  une  grâce  de  ne  la 
«  quitter  jamais,  de  prier  Weu  qu'il  me  rende  meil- 
«  leur.  Nos  ancêtres  étaient  méchants,  et  nous  sommes 
«  comme  eux.  Vous^  qui  savez  si  bien  souilrir  pour 
«  le  nom  de  Jésus-Christ,  âoignez  de  moi  les  malé- 
«  dictions  dont  vous  m'avez  menacé;  commandez  dé- 
«  sormais,  et  vous  verrez  si  je  sais  obéir.  »  Là-dessus 
nous  hii  fîmes  un  petit  cadeau,  et  il  se  retira  content. 
Nous  avions  bien  pensé  que  cette  affaire  n'aurait  pas 
d'autre  issue. 

«  Ce  n'est  pas  de  ce  côté  que  nous  viennent  les  plus 


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99 

mdes  combats.  Il  bous  a  fallu  bien  da  temps  ayant 
de  pouvoir  pénétrer  dans  toutes  les  parties  de  111e,  parce 
qne  les  méthodistes  s^étaient  plu  à  nous  peindre  sous 
des  couleurs  fort  peu  favorables.  Cependant ,  comme  la 
vérité  finit  toujours  par  avoir  raison ,  ces  fâcheuses  im- 
pressions, suite  de  leurs  calomnies,  ont  disparu  peu 
à  peu ,  et  ne  se  rencontrent  plus  que  chez  quelques  ex- 
altés; en  général  on  nous  aime. 

«  Vers  la  fin  de  juillet  dernier^  nous  visitâmes  pour 
la  première  fois  une  tribu  toute  protestante.  Le  grand 
chef  et  les  habitants  nous  firent  un  excellent  accaeil. 
Nous  rendîmes  même  une  petite  visite  au  ministre  qui 
nous  reçut  poliment  y  mais  avec  froideur.  A  peine  étions- 
nous  sortis  qu'il  monta  en  chaire ,  et  se  mit  à  débiter 
contre  nous  et  notre  religion  toutes  les  calomnies  d'usage; 
il  alla  si  loin  que  dans  la  soirée  nous  dames  opposer 
i  ses  attaques  une  réponse  publique.  Nous  avions  ses 
prières  disciples  pour  auditeurs;  ils  n'en  forent  pas 
moins  très-satisfaits  de  nos  explications.  Après  avoir  ré- 
futé sérieusement  ceDes  des  objections  qui  méritaient 
d'être  discutées ,  nous  combattîmes  les  autires  avec  le 
ridicule^  arme  parfcÀ  très-puissante  auprès  de  nos  in* 
sidaires. 

«  Je  m'aperçus  néanmoins  que  mes  réponses  par 
rapport  à  la  croix  fiiisaieBt  peu  d'impression  sur  un 
dief  qui  nous  avait  accueillb  avec  une  extrême  bien- 
veillance ;  alors  je  me  mis  à  crayonner  quelques  mots 
sur  mon  carnet  :  «  Qn'écris-tu  là?  me  dit-il.  —  Je  note 
«  la  belle  réception  qne  tu  nous  as  faite.  Je  suis  très- 
«  sensible  à  ton  amitié,  et  j'espère  en  garder  toujours 
«  te  souvenir  ;  je  veux  même  que  mes  amb  de  France 
«  la  connaissent,  et  sois  en  sûr,  ils  t'aimeront  aussi 
«  quand  ils  viendront  à  apprendre  que  tu  m'as  fait  du 
«  bieii.  Aujounfhui  j'ai  Inenla  résolution  de  me  rappeler 


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•  lenjcnir»  les  bornés;  mais  comme  Pfaomme  est  faible, 
m  el  qu'il  ouUie  fSeicikmeiit  les  choses  qu'il  lieodrait 
«  le  plus  à  ûiwr  daos  sa  mémoire,  quand  il  n'a 
«  sous  les  yeux,  aucun  signe  qui  lui  en  retrace  le  sou* 

•  venir,  voilà  pourquoi  je  prends  ces  notes.  Si  jamais 
«  l'accueil  que  tu  nous  &iis  en  ce  jour  s'dfaçait  de  mon 
«  esprit,  ce  livre  me  redirait  ta  générosité  ;  en  y  jetant 
«  un  coup  d'œil,  je  retrouverai  pour  toi  touie  ma 
«  reconnaissance*  »  Comprenant  aussitôt  ma  pensée, 
fne  la  croix  était  un  signe  vénér^le ,  destiné  à  nous 
tappeler  l'immense  amour  de  Dieu  pour  nous^  il  me 
Ait  :   «  Vieillard^  la  langue  est  druiie ,  et  ton  coeur 

•  l'est  sans  doute  ans».  » 

«  Quant  i  l'accusation  qu'on  nous  fait  d'imposer 
noire  religion  par  la  vmlence,  comme  je  me  trouvais 
dans  une  tribu  que  les  protestants  avaient  conver- 
tie les  armés  à  la  main ,  je  répondis  :  «  Oui ,  nous 
grossissons  nos  rangs  par  force;  notre  religion  est 
une  rdigion  qui  tue,  qui  UÊfke  à  la  raine  des 
hommes  ;  la  vAÛre  sons  doote  ne  se  propage  qne  par 
la  douée  persuasion ,  c'est  ne  religion  de  paix  et 
d'amour  ;  partout  oà  ont  passé  vos  ministres ,  on 
voit  des  marques  de  cette  évangélique  charité;  j'ai 
vois  moi-même  ici  des  prewes,  et  en  venant  vous 
visiter  aujourd'hui ,  j'ai  traversé  le  territoire  d'Hirie 
(c^est  une  tribu  qui  a  été  toute  massacrée  pour  n'avoir 
pas  voulu  se  bire  protestmite)  ;  j'y  cherchais  des 
bommes,  et  je  n'y  ai  trouvé  que  des  ossements.  Cen 
là  de  l'amour,  j'en  conviens;  mais  de  cet  amour 
qn'ont  les  chato  pour  les  rats,  les  requins  pour  les 
antres  poissons.  »  Id,  un  vieiUard  qui  était  de  cette 
Iribtt  dUttle,  et  qui  avait  tout  vu,  m'interrompit: 
Ta  langue  est  sévère,  mnrmunhi^^  mais  eUe  est 
vraie  ;  ne  nom  parie  plus  de  œla,;  ^^ttfgimHM)m 
des  regrets.  » 


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31 

«  Le  miaistre  fuc  époinramé  da  C6tle  bonne  réoepttoa 
qu'on  nous  avait  fail»  :  «  Ces  ensorcelés .  de  papistes, 
«  dit-il^  sont  capables  d'attirer  trout  à  eux.  »  En  con- 
séipience  il  défendit  à  tous   les  siens  d'avoir   aucun 
npport  avec  nous  :   «  S'ils  reviennent,  ajouta-t-il^ 
«  se  les  recevez  pas;  car  il  n'y  a  pas  de  crime  plus 
«  grand  qne  de   oomoiuniqiier  avec  un  catbolique*  » 
Aussi  9  à  notre  seconde  visite ,  fûmes  -  nous  accueillis 
froideinent,  et  lorsque  nous  (]piittâmes  la  tribu  ^  un  na- 
turel nous  suivit^  avec  mission  de  dire  que  le  chef 
nous  priait  de  ne  pas  remettre  le  pied  sur  ses   terres. 
Nous  jugeâmes  à  propos  de  retourner  sur  nos  pas^ 
pour  avoir  avec  ce  chef  une  explication  ;  nous  lui  par- 
lâmes à  peu  près  en  ces  termes  :  «  Nous  revenons  auprès 
«  de  toi  pour  connaître  au  juste  ta  pensée ,  et  savoir 
«  pourquoi  tu  nous  reçois  si  mai  aujourd'hui ,  toi  qu 
€  nous  fis  l'autre  fois  un  accueil  si  cordial.  »  Comme  il 
ne  faisaitque  balbutier ,  nous  reprîmes  :  «Tu  ne  veux  pas 
«  nous  exprimer  tes  véritables  sentiments,  mais  noot 
«  les  comprenons  ;   ton   langage  à  notre  ^ard  u'ess 
«  plus  le  même,  mais  ton  coeur  n'a  pas  changé,  c'est 
«  toujours  un  cœur  bienveillant  et  généreux^  un  vrai 
«  cœur  Tonga.  En  efiet ,  depuis  que  vos  lies  sont  con- 
«  nues ,  tout  le  monde  s'est  accordé  à  leur  donni^  le 
«  nom  d'Ile  des  Amis ,  à  cause  de  la  douceur  de  leurs 
«  habilants.  Au  sein  même  de  l'infidélité,  vous  étiez 
«  déjà  amis  de  tous  les  hommes,  et  maintenant  que 
«  TOUS  avez  embrassé  la  religion ,  elle  a  dû ,  si  elle  est 
«  divine,  augmenter  et  perfectionner  la  bonté  de  votre 
,  «  coeur.  Nous  pouvons  donc  conclure  que  votre  inimi- 
«  tié  à  notre  égard  n'a  pas  pris  naissance  dans  votre 
«  lie;  elle  vient  d'une  terre  étrangère.  Mais,  que  par- 
«  lé-je  d'inimitié  I  ce  n'en  est  que  l'apparence  ;  elle  est 
«  bien  sur  vos  lèvres;  mais  il  n'y  en  a  point  dans  votre 


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32 

«  âme.  Oui,  quand  ou  vous  a  iolerdit  mille  choses  qui 
«  ne  sont  défendues ,  ni  par  la  *Ioi  de  Dieu ,  ni  par 
«  la  coutume  d*aucun  peuple  du  monde,  vous  avef 
«  cédé  9  parce  que  vos  cœurs  ne  veulent  que  la  paix  ; 
«  mais  quand  on  voudra  vous  commander  la  haine ,  il 
«  vous  sera  impossible  d*obéjr  :  autant  vaudrait  ordon- 
«  ner  aux  poissons  de  voler ,  ou  à  la  mer  de  quitter 
«  vos  rivages.  » 

•  Du  reste,  pourquoi  nous  halriez-vous?  Avonls-^ious 
<i  fait  du  mal  à  quelqu^un?  Avons-nous  appelé  la  pan- 
«  sance  des  armes  au  secours  de  nos  prédications? 
«  Nous  venons  visiter  les  peuples  en  amis;  si  quel- 
«  qu^un  désire  connaître  nos  doctrines ,  nous  sommes 
«  toujours  prêts  à  les  lai  enseigner.  —  Mbis,  reprit-il , 
«  nous  avons  notre  religion  et  notre  missionnaire. — 
«  Si  votre  ministre  a  pour  lui  la  vérité,  pourquoi  se 
«  cache- t-il  à  notre  approche?  SU  est  vrai  missîonnafa*e, 
«  qu'il  vienne  montrer  ses  titres  et  défendre  sa  cause; 
m  il  n'appartient  de  fuir  la  lumièi*e  qu*à  ceux  qui  font 
«  le  mal  :  nous ,  nous  cherchons  le  grand  jour ,  et  dé- 
«  sirons  que  tout  le  monde  voie  nos  œuvres.  » 

«  Pendant  que  nous  parlions  ainsi ,  le  pauvre  dief 
tremblait  de  tous  ses  membres  ;  nous  ne  pûmes  lui  ar- 
racher que  ces  paroles  :  «  Je  ne  vous  défends  pas  de  re- 
«  venir  ;  vous  ferez  comme  vous  voudrez.  »   Toutefois^ 
effrayés  qu'ils  étaient  par  les  menaces  du  ministre ,  ni  lut 
ni  les  siens  n'osèrent  nous  donner  l'hospitalité  ;  ce  qui 
est  inouï  à  Tonga,  Il  était  nuit,  nous  partîmes;  mais, 
épuisés  par  la  faim  et  la  fatigue ,  nous  fûmes  réduits  h 
nous  jeter  dans  une  case  abandonnée  qui  se  trouvait  • 
hors  des  limites  de  cette  tribu.  Nous  étiotos  contents; 
disdples  de  celui  qui  n'avait  pas  où  reposer  sa  Céte , 
nous  avions  plus  que  nous  ne  méritions. 

«  Un  autre  chef,  celui  du  village  que  nous  habî- 

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33 
tons,  s'élait  converti  depuis  peu,   et,  dans  un  pre- 
mier moment  de  ferveur,  avait  formé  la  résolution  de 
forcer^  les  infidèles    et   les  protestants  à  se  faire  ca- 
tholiques, ou  à  sortir  de  sa  tribu.  Avant  de  rien  entre- 
prendre, il  vint  nous  consulter.  Nous  lui  dîmes  de  n'en 
rien  Élire ,  et  nous  insistâmes  avec  énergie  pour  qu'on 
Itissit  à  chacun  une  pleine  liberté.  —  «  Mais  les  pro- 
«  testants ,  dit-il,  ont  bien  usé  de  violence.  »  —  «  Oui , 
«  mais  ils  ne   sont   pas  les  envoyés   de  Dieu;  ils  ne 
«  connaissent  pas  Tesprit  de  FEvangile  qui  défend  la 
«  Gpntrainte,  et  nous  enseigne  à  gagner  les  infidèles 
a  et  les  hérétiques  par  nos  bons  exemples >  par  la  per- 
«  suasion  et   l'ascendant  de   la  vérité.  Si  le  Seigneur 
«  voulait  employer  la  force,  qui  pourrait  résister  h  sa 
«  toute-puissance?  Il  respecte  la  liberté  de  tous  lés  hom- 
«  mes  :  gardons-nous  d'y  porter  atteinte.  »  Cette  ré- 
ponse, qui   a  été  connue  de  toute   Tile^   a  fait  dire 
au  natm^ls  :   «  Les  papistes  ne  sont  pas  comme  les 
m  autres;  quand  nous  voudrons  une  religion  nouvelle, 
«  c'est  la  leur  que  nous  embrasserons. 

«  Peut-être  s'écoulera-t-il  encore  bien  du  temps  avant 
quMls  prennent  ce  parti ,  qui  ferait  leur  bonheur.  Toute- 
fois la  grâce  opère  déjà  d'une  manière  assez  sensible, 
et  en  voici  un  petit  trait.  Une  vieille  femme  avait  gra- 
vemait  mjurié  le  fils  d'un  grand  chef,  qui  est  catho- 
lique ainsi  que  toute  sa  famille  :  il  était  décidé  que  h 
coupable  recevrait  en  punition  quarante-cinq  coups  de 
bâton.  Heureusement  pour  elle ,  la  femme  du  chef,  qui 
est  notre  plus  fervente  néophyte,  intercéda  auprès  de  son 
mari  :  «  Tu  veux ,  lui  dit-elle ,  châtier  cette  femme 
«  comme  si  tu  étais  infidèle  ;  mais  avant  d'être  baptisé 
«  tu  ne  disais  pas  cinq  ou  six  fois  par  jour  :  Pardon- 
«  nex-notM  nos  offenses ,  comme  nous  pardonnons  à  eeitx 
•  qui  nous  ont  offensés.  Ne  m'objecte  pas  qu'il  faut 

Tov.  XV111. 104.  3 

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34 

m  bien  infliger  une  peine  proportionnée  à  l'injnre  :  si 
«  Dieu  nous  traitait  comme  nous  le  méritons,  que  se- 
«  rait-il  Tait  de  nous?  Puisqu'il  est  si  bon  que  de 
m  nous  remettre  nos  énormes  et  innombrables  fautes, 
«  n'est-il  pas  juste  que  nous  remettions  aussi  les  ofienses 
«  que  nous  avons  reçues?  C'est  ce  que  nous  prêchaient  les 
n  deux  vieux ^  dimanche  dernier;  fais  les  venir,  et 
«  tu  verras  ce  qu'ils  t'en  diront.  »  Nous  fumes,  en  effet, 
oppelés,  et  nous  prononçâmes  en  faveur  du  repentir. 
Cette  femme  qui  était  inGdèle  se  convertit  aussitôt. 

«  Dernièrement ,  un  grand  sujet  de  guerre  s'est  élevé 
par  suite  d'un  vol  commis  dans  la  tribu  où  nous  rési- 
dons. II  s'agissait  de  quelques  dents  de  baleine  qu'on 
y  adorait.  A  force  de  tentatives  auprès  des  deux  partis, 
nous  sommes  parvenus  h  rétablir  la  paix.  Les  deux  vieux 
ont  encore  eu  le  bonheur  de  terminer  heureusefloent 
plusieurs  autres  querelles,  prêtes  à  dégénérer  en  combats, 
et  ce  ministère  de  conciliation  a  été  assez  avantageux 
à  notre  sainte  cause.  Tout  le  monde  a  dit  :  «  Le» 
«  missionnaires  Wesléiens  nous  ont  entraînés  à  faire  la 
«  guerre^  et  ceux-ci  nous  retiennent  quand  nous  allons 
«  nous  entr'égorger  :  leur  religion  est  une  religîop 
•  d'amour ,  elle  est  bonne  pour  Tonga. 

«  L'état  actuel  et  les  progrès  de  notre  Mission  peu- 
vent se  résumer  dans  les  chiffres  suivants  :  Noos  venons 
de  conférer  le  baptême  solennel  à  quarante  personnes, 
dont  quinze  avaient  appartenu  à  Théresie  ;  quelques  joturs 
après,  nous  avons  admis  à  la  première  communion  vingt- 
quatre  néophytes;  en  tout,  nous  comptons  aujourd'hui 
cibquante-quatre  communiants  dans  notre  petite  chrétie»- 
lë.  Que  vos  prières  nous  aident  ù  en  augmenter  le 
nombre  I 

«  Parmi  nos  catéchumènes,  se  trouve  une  petite 
6Ue,  âgée  de  sept  à  huit  ans,  et  déjà  bien  instruite. 


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3a 

qui  noos  a  montré  que  Tespril  et  le  sentiment  ne  sont 
étrangers  à  aucun  peuple.  Son  père  et  sa  mère  se 
(lisaient,  bien  catholiques,  mais  se  mettaient  peu  en 
peine  de  se  préparer  au  baptême.  Comme  nous  avions 
des  raisons  pour  ne  pas  régénérer  cette  enfant  sans 
sa  fomille,  nous  lui  dîmes  d'attendre  encore.  Elle  fut 
profondément  affligée  de  notre  réponse,  et  s'en  alla 
confier  son  chagrin  à  ses  parents  :  «  Que  je  suis  à 
«  plaindrel  leur  dit-elle  ;  rien  ne  m'est  plus  cher  que 
«  votre  salut ,  et  vous  repoussez  toujours  la  grâce  du 
o  baptéfiie,  qui  est  la  porte  du  ciel.  Si  vous  veniez 
«  à  mourir  dans  cet  état,  le  paradis  vous  serait  fermé, 
«  comme  disent  les  deux  vieux.  Encore  ne  vous  con- 
«  tentez- vous  pas  d'être  malheureux;  vous  êtes  aussi 
«  cause  que  je  le  suis  :  voilà  que  toutes  mes  com- 
a  pagnes  vont  être  heureuses  après-demain ,  et  moi  je 
a  demeure  dans  mon  malheur ,  et  c'est  à  cau^  de  vous! 
«  Puis  vous  dites  que  vous  m'aimez  1  »  €omme  elle 
sanglotait  en  achevant  ces  mois,  ses  parents  lui  ré- 
pondirent :  «  Console-toi,  chère  enfant,  au  prochai» 
«  baptême ,  tes  désirs  seront  satisfaits.  » 

«  Après  un  trait  si  édifiant^  ne  vous  imaginez  pas 
qu'ici  tout  soit  merveille.  Partout  le  bien  et  le  nrial 
sont  mêlés.  On  rencontre  à  Tonga  rindifférence  pour 
la  religion,  l'ingratitude  et  même  le  mépris  pour 
ses  ministres  ;  mais ,  comme  ailleurs  ,  le  bon  Dieu  sait 
y  discerner  ses  élu«.  De  ce  nombre  et  parmi  les  pre- 
miers convertis ,  se  trouvaient  deux  jeunes  mariés , 
dans  lesquels  nous  rencontrâmes  une  grande  droiture 
d'esprit  jointe  à  une  piété  solide  :  nous  les  priâmes 
d'aller  demeurer  dans  une  tribu  infidèle ,  espérant  que  * 
leurs  bons  exemples  amèneraient  quelques  personnes  i 
la  foi.  Notre  confiance  n'a  pas  été  trompée.  Ils  ont 
tellement  répandu  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ  autour 

3. 

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38 
d'eux,  que  déjà  nous  comptons  dans  cette  petite  peu- 
plade plus  de  quarante  néophytes,  qu'on  dirait  avoir 
été  formés  sur  le  modèle  des  deux  fervents  époux. 

«  J'ai  trouvé,  dans  celte  môme  tribu,  un  petit  pro- 
dige auquel  vous  aurez  peine  à  croire.  C'est  un  enfant 
de  cinq  ans ,  et  toutefois  déjà  assez  instruit  pour  que 
je  n'aie  pu  l'embarrasser  par  aucune  question  de  son  ca- 
téchisme ,  en  l'interrogeant  de  toutes  les  manières.  Ce 
petit  ange  nous  a  demandé  la  permission  d'apprendre 
la  doctrine  chrétienne  à  ses  parents  qui ,  à  Texception 
de  son  père  et  de  sa  mère,  sont  encore  tous  .dans  le 
paganisme.  C'est  un  catéchiste  d'autant  plus  excellent, 
qu'on  ne  peut  rien  refuser  à  son  innocente  simplicité; 
c'est  lui  qui  dit  le  bénédicité  et  les  grâces  dans  la  &- 
mille.  A  peine  a-t-il  vu  célébrer  la  messe  cinq. ou  six 
fois,  et  déjà  il  en  imite  toutes  les  cérémonies;  une  feuille 
de  bananier  lui  sert  de  corporal,  une  coquille  de  mer 
lui  tient  lieu  de  calice  :  quand  il  sera  grand,  repète-t-il, 
il  veut  la  dire  tout  de  bon.  Plaise  à  Dieu  que  cette  voca- 
tion s'affermisse ,  et  qu'un  jour  l'Océanie  le  compte  au 
nombre  de  ses  apôtres. 

«  Croyez,  mon  cher  Père,  qu'une  ou  deux  conso- 
lations de  ce  genre  font  oublier  bien  des  fatigues. 
Qu'après  cela  il  y  ait  encore  à  souffrir ,  je  ne  le  dissi- 
mulerai point.  Oui ,  nous  avons  des  misères ,  et  même 
beaucoup;  si  je  les  racontais  toutes,  je  pourrais  peut- 
être  effrayer  quelques-uns  de  ceux  qui  pensent  à  venir 
nous  rejoindre.  Mais  Dieu  est  puissant  pour  soutenir  ceux 
qu'il  envoie.  Somme  toute ,  les  consolations  ici  surabon- 
dent encore.  Des  misères!  Tapôire  en  a  peut-être  moins 
que  certains  navigateurs;  les  mers  sont  sillonnées  par 
une  infinité  de  marchands,  qui  souffrent  autant  et  plus 
que  nous.  Des  misères  1  il  en  est  aussi  pour  les  pécheurs 
de  baleine  et  pour  les  trafiquants  de  perles;  il  en  est 

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37 
surtout  pour  ces  marins  qui,  poussés  par  Tamour  de 
la  gloire,  ou  Tirrésislible  besoin  de  connaître,  vont 
d'un  pôle  à  Tauire ,  au  risque  d'être  ensevelis  sous  des 
monceaux  de  glace ,  chercher  le  magnétisme  terrestre. 
Et  nous  ne  ferions  pas  pour  gagner  des  âmes,  pour  pé- 
dier  les  perles  immortelles  qui  doivent  faire  un  jour 
Pomement  des  deux ,  ce  qu'on  accomplit  tous  les  jours 
pour  favoriser  la  vanité  ou  enrichir  le  domaine  de  la 
science? 

«  Un  mot ,  en  terminant ,  sur  le  cep  de  vigne  que  j'ai 
planté.  Après  mille  essais  divers,  je  suis  parvenu  à 
arrêter  sa  force  exubérante  de  végétation ,  et  j'ai  eu  la 
consolation  de  lai  voir  porter  des  fruits.  Que  pensez- 
vous  que  j'aie  fait  du  premier  raisin  qui  ait  mûri  à 
Tonga?  que  je  l'ai  donné?  conservé?  Non  rien  de  tout 
cela  :  je  l'ai  cueilli  religieusement ,  je  l'ai  pressé  dans 
un  linge  très-propre ,  puis  après  en  avoir  clarifié  le  jus, 
je  m'en  suis  servi  pour  dire  la  messe ,  le  premier  jan- 
vier 1844.  Commp  mon  confrère  était  alors  absent, 
je  n'avais  personne  à  qui  exprimer  mes  vœux  de  bonne 
année,  et  pendant  que  vous  passiez  ce  jour  dans  l'al- 
légresse, au  milieu  de  vos  nombreux  amis ,  je  me  trou- 
vais seul  à  cinq  mille  lieues  de  la  pairie.  Mon  cceur  avait 
pourtant  besoin  de  s'épancher.  Que  faire?  Je  célébrai 
pour  tous  les  membres  de  la  société  de  Marie ,  pour 
mes  parents,  amis  et  bienfaiteurs  d'Europe ,  et  je  char- 
geai celui  qui  est  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux 
de  vous  faire  parvenir  mes  souhaits  :  puissent-ils  s'ac- 
complir ,  et  vous  serez  heureux ,  heureux  sur  la  terre  où 
probablement  nous  ne  nous  reverrons  pas,  plus  heu- 
reux dans  le  dd  où  j'espère  vous  devancer  pour  ne 
vous  quitter  jamais. 

«  J.  Grange  ,  flltssîonnaire  apostolique  de  la 
Bociéié  de  Marie.  » 


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38 


Lettre  de  Mgr  Bataillon,  Évêque  d'Enos,  au  R.  P. 
Colin ,  Sitpérieur  général  de  la  société  de  Marie, 


\\n\\\s ,  20  aoùl  lgl4. 


a  Mon  RÉvÉRE?iD  Père, 

«  J'aitelidab  pour  vous  écrire  que  ma  visite  des  Mes 
fût  terminée ,  oGn  de  vous  donaer  des  détails  phis  pré- 
cis sur  toutes  nos  Missions  de  TOcéanie»  Je  sais  cembien 
il  importe  qne  vous  soyez  au  courant  du  véritable  éfsrt 
des  choses,  aussi  vais^je  tâdier  de  les  peindre  telles  qaè 
je  les  connais.  Ce  rapport  vous  montrera,  ici  comme 
partout ,  un  méhnge  de  bien  et  de  mal  ;  ici  comme 
partout,  Tœavre  de  Dieu  ne  s'q)ère  que  lentement, 
et  s'achète  au  prix  des  conli^adiclions  et  des  souflj^ances. 

«  C'est  le  1 7  mai ,  six  mots  après  le  passage  de  Mgr 
d'Amaia ,  que  nous  soat  airivés  les  VP.  Caiinoa ,  Favier 
61  Bréhéret ,  avec  les  deux  frères  Annct  et  Jean.  A  cetle 
«époque,  les  Pères  Mathieu  et  Rondaii^  commençaient  à 
ptrier  la  langue  des  indigènes,  et  pouvaient  à  la  rignevr 
me  rem(4acer  à  Wallis  ;  je  me  déterminai  donc  à  me 
•éparer  pour  quelque  temps  de  cette  chrétienté,  et  je  louai 
la  navire  Trançais  VJdolpke,  qui  avait  amené  nos  nwjt- 
imux  confrères ,  afin  d'aller  moinnéme  tes  installer  dons 
las  Mes  auxquelles  je  les  destinais.  Mous  partions,  le  11 
juin  ;  nous  avons  touché  à  Fuluna ,  à  T^ftigaL  tl  à  Fidji  ; 
aigourd'hui,  20  août,  je  suis  de  retour  d'un  si  long 
voyage ,  et  c'est  encore  à  YJdolphe  que  je  confia  cette 


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39 
lettre,  pour  qu'il  vous  la  porte  en  Finance.  Je  donnertii 
séparément  un  aperçu  de  chaque  Mission,  en  vous  disant 
d'abord  un  mot  sur  celle  de  Wallis. 

r  Mmion  itOuvéa  (If^allis)   dite  Mission  de  N.-D. 
du  Bon-Espoir. 

«  Voas  avez  déjà  reçu,  au  sujet  de  celte  Mission,  det 
renseignements  qui  me  dispensent  d'entrer  dans  beau* 
€0opMe  détails.  Elle  est  toujours  sur  un  bon  pied  et 
noos  donne  de  grandes  consolations.  Une  seule  chose 
«eus  alanme  pour  l'avenir,  c'est  un  noyau  de  proies- 
lants  venus  de  Vavau  et  protégés  par  un  chef  très- 
puissant  ,  eetui-là  même  qui  doit  occuper  le  trône  après 
le  roi  actuel.  Nous  n'avons  pas  d'autre  épreuve  à  Wallis- 
J'aime  à  croire  que  Dieu  nous  l'envoie  dans  sa  miséri- 
corde ,  pour  stimuler  notre  vigilance  et  tempérer  notre 
joie;  car,  sans  celte  inquiétude,  nous  serions  peut-être 
trop  heureux.  Nos  néophytes  sont  fervents  et  pleins  de 
bonne  volonté ,  amis  du  travail  et  assidus  à  la  prière , 
aussi  avides  d'instruction  qu'empressés  à  recevoir  les 
sacrements;  pour  la  plupart,  ils  savent  déjà  lire  et 
écrire ,  et  sont  à  même  de  rendre  compte  de  leur  foi  et 
de  réluler  toutes  les  objections  du  protestantisme. 

«  Cette  année-ci ,  nous  avons  pu  nous  occuper  de  la 
première  communion  des  enfants.  Elle  a  eu  lieu  dons 
les  deux  paroisses  principales ,  Notre-Dame  et  St.-«Ioseph; 
diacune  d'elles  comptait  deux  cents  jeunes  Wallisiens 
environ.  La  veille  du  grand  jour ,  loi*sque  ces  enfants, 
déjà  réconciliés  avec  Dieu,  allèrent  demander  un  nou- 
veau pardon  à  leurs  familks ,  ce  ne  fureat  que  picurt 
d'aHendrissement  éam  tout  le  village.  Avec  quelle  émo- 
tion ils  entendirent ,  le  lendemaio ,  la  clocbe  qui  les  ap- 


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pelait  à  Téglise  1  Ils  étaient  tous  babilles  de  tape  blanche. 
11  ne  m^est  pas  possible  de  vous  dire  combien  je  fus 
touché  de  leur  maintien  respectueux ,  de  leur  modestie 
et  de  leur  ferveur. 

«  Après  la  messe  il  y  eut  un  déjeuner  commun.  Mous 
servîmes  nous-mêmes  ces  petits  anges,  placés  sur  deux 
rangs  et  assis  sur  de  belles  nattes  ;  nous  leur  distri- 
buâmes des  images  de  première  communion;  ensuite, 
tous  leurs  noms ,  inscrits  sur  un  tableau  dédié  à  la  sainte 
Vierge  »  furent  suspendus  à  im  pilier  de  Téglise.  A  leur 
tour  ces  heureux  enfants  vinrent  nous  remercier,  et  après 
les  avoir  bénis,  nous  les  renvoyâmes  à  leurs  parents. 
Priez ,  mon  révérend  Père^  pour  que  nos  néophytes  con- 
servent cette  ferveur, et  surtout  pourqu^ils  ne  soient  pas, 
un  jour,  en  butte  aux  persécutions  de  Tbérésie. 

2®  Mission  de  Tonga,  ditp  Mission  de  la  Fier ge 
immaculée. 

«  Vingt-deux  jours  de  navigation  nous  conduisirent 
de  Futuna  à  Tonga-Tabou  (1).  Comme  nous  avons  Tin- 
tention  de  nous  fixer  plus  tard  dans  cette  ile ,  qui  est 
sans  contredit  la  plus  importante  de  notre  vicariat,  nous 
avons  cru  devoir  y  placer  le  Provincial  pour  nous  pré- 
parer les  voies.  Nous  n'avons  encore  à  Tonga  qu'un  bien 
petit  nombre  de  prosélytes  ;  mais  la  Mission  n'est  qu'à 
son  commencement,  et  l'avenir  lui  appartient.  Avant  de 
propager  la  foi ,  il  a  fallu  d'abord  dissiper  les  pré- 
jugés ,  et  faire  tomber  les  calomnies  que  les  ministres 


(1)  Noos  sapprimoDS  le  passage  de  cette  leUre  qni  concerne  Fotona . 
parée  qu'il  rentre  dans  les  détails  déjà  donnés  par  le  P.  Routteanv* 
Voir  pins  haut  la  lettre  de  ce  Missroonaire  ,  p.  18. 


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protefttauis  avaient  répandues  de  toute  part  et  surtout 
aooréditées  à  Tonga.  J'ai  ?a  avec  plaisir  que  nos  Pèree 
en  étaient  déjà  venus  à  i>out.  Ib  vont  maintenant  dans 
toute  rUe ,  et  sont  fevorablement  accueillis,  de  tout  le 
monde,  des  infidèles  comme  des  hérétiques;  et  certes 
ce  n'est  pas  un  mince  progrès  d'avoir  amené  les  choses 
ù  ce  point  /  dans  un  pays  où ,  d'abord ,  on  ne  pouvait 
même  supporter  notre  vue.  Sans  parler  des  néophytes 
qui  ont  reçu  de  nos  mains  le  baptême  et  h  confirma- 
tion, BOUS  avons  inscrit,  avant  notre  départ,  soixante 
nouveaux  convertis  au  moins ,  sur  le  tableau  des  caté- 
diumènes.  Ce  qui  a  jusqu'ici  ralenti  l'essor  de  cette 
Mission,  c'est  l'absolu  dénûment  où  sont  restés  nos  con- 
frères :  nous  allons  maintenant  y  remédier,  et  sous  peu 
nous  espérons  que  la  chrétienté  de  Tonga  comptera  parmi 
les  plus  florissantes. 

3°  Mission  de  Fidji ^   dite  Mission  de  N.-D.  des  Sept- 
Douleurs. 

«  Après  un  séjour  de  trois  semaines  à  Tonga ,  VAdoi- 
phe  a  fait  voile  pour  l'archipel  de  Fidji.  Mon  inten- 
tion était  d'y  placer  deux  prêtres.  Sur  quel  point  poui- 
rais-je  les  établir,  je  l'ignorais  encore:  je  péichais  pour 
les  lies  les  plus  importantes  du  groupe,  quoiqu'elles 
lussent  les  plus  sauvages;  mais  des  obstacles  de  plus 
d'un  genre  en  décidèrent  autrement.  C'est  à  Namouk;* 
que  je  déposai  nos  confrères.  Ils  ont  été  très-bien  ac- 
cueillis par  la  population ,  bien  qu'elle  soit  protestante  ; 
déjà  même  ces  insulaires  les  ont  pris  en  afiection ,  c^t 
sont  venus  à  bord  au  moment  de  mon  départ,  pour 
me  prier  de  ne  pas  assigner  aux  Missionnaires  d'autre 
poste  que  leur  Ile ,  me  donnant  à  entendre  qu'ils  n'étaient 


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pas  loin  de  se  Convenir  au  cathoUcisme.  Sur  leurs  ia- 
stances,  je  fis  direauiL  Pères  Roulleaux  et  Bréfaéret  qui 
étaient  à  cerre ,  de  séjourner  quelque  temps  à  Nsunouka 
pour  y  apprendre  la  langue^  a  moins  que  des  circonsian* 
ces  imprévues  ne  leur  offrant  ailleurs  une  moisson  beau- 
coup plus  abondante,  leur  fissent  un  devoir  d^aller  la 
recueillir.  Nous  avons  laissé  près  des  deux  Pères  le 
frère  Annet  et  deux  catécbisles  de  WalUs  avec  quatre 
néophytes  Fidjiens,  que  nous  avons  ramenés  de  Tonga 
dans  leur  patrie.  Telte  est  à  son  dâ>ut  la  nouvelle  Eglise 
de  Fidji.  Puisse  Motre-Seigneur  bénir  son  humble  ber- 
ceau !  Je  la  reeonnmide ,  ainsi  que  toutes  nos  MilssioBS , 
à  vos  saints  sacrifices  et  aux  prières  de  la  société. 
«  Agréez,  mon  révérend  Père,  elc. 


«  f  Pierre  ,  Évéque  dEnos.  » 


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LeUre  du  Pire  Escoffier,  Mimonnmre  a^siolique  de  la 
tociéU  de  Piejms,  à  ses  foretUs. 


Nodu-HÎT*  ,  archipel  des  Blarfuûes. 


«  MOK  BtE{«  CUK  PÊRB  et  HA  BORNE  MÈ&E  , 


«  Il  VOUS  (arde  sans  doute  de  recevoir  de  mes  nou- 
velles. Le  vopge  é\xnl  long,  les  périls  sont  communé- 
ment nombreux;  vos  craintes  poor  moi  étaient  donc 
fondées  :  aussi  que  de  vœux  n'avez-vous  pas  form^ 
pour  votre  enftntl  Elles  étaient  ardentes,  vos  prières, 
tar  le  Seigneur  nous  a  constamment  protégés;  les  vents 
ent  presque  toujours  été  lavoraWes ,  et  sauf  les  misères 
tnbérentes  à  la  navigation ,  nous  av(His  fuit  la  traversée 
la  plus  heureuse  possible. 

«  Partis  le  4  mai  de  Toulon ,  nons  arrivions  le  23 
«oàt  à  Valparaiso;  nous  étions  on  vue  des  Marquises, 
le  33  septembre  ;  le  t4  octobre ,  à  dix  heures  du  nralin, 
notts  jetions  Tancre;  enfin  le  lo,  une  gratid'messe  d'ac- 
tien  de  grâces  était  chantée  ^r  cette  terre ,  derenue 
Résonnais  notre  patrie  et  le  Ken  de  notre  repos. 

«  Je  ne  vous  dirai  pas  la  joie  que  f  ai  épnmvée  en 
Voulant  pour  la  première  fbis<;e  sol  sauvage.  — Dieu  bé- 
nira les  désirs  de  mon  cœur,  me  diaaia-je  à  moi-même; 
'et  bientôt  ees  hommes  à  Tair  fëreoe  seront  mes  anm. 


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Je  les  aime  tant ,  je  leur  prouverai  mon  aOcciion  de 
tant  de  manières,  qu'ils  écouteront  ma  parole;  Jésus- 
Christ  la  gravera  dans  leurs  cœurs,  et  quand  ils  l'au- 
ront connu,  ce  Dieu  qui  est  la  bonté  infinie,  ils  lui 
rendront  amour  pour  amour.  Oh  1  priez ,  mon  cher  Père 
et  ma  bonne  Mère,  que  celte  pensée  de  votre  enfant 
ne  soit  pas  un  rêve  de  son  cœur.  Priez  la  sainte  Vierge  ; 
j'ai  la  confiance  que,  par  elle,  il  n'y  a  pas  de  merveille 
qu'on  ne  puisse  opérer.  Vous  le  savez ,  j'ai  toujours  mis 
en  Marie  mon  espérance;  et  ce  n'est  pas  après  avoir  reçu 
tant  de  preuves  de  sa  tendresse,  que  je  cesserai  dV 
voir  recours  à  sa  puissante  protection. 

«  Maintenant  je  reviens  sur  quelques  circonstances  de 
ma  longue  traversée.  En  passant  à  Gorée ,  j'allai  visiter 
Dakar,  petit  village  situé  environ  à  deux  lieues  de  la 
pointe  où  nous  étions  descendus.  Arrivé  là,  je  demandai 
l'honneur  d'être  présenté  au  chef  du  pays.  Nous  fûmes 
introduits  auprès  de  sa  majesté  a(ricaine  par  une  espèce 
de  confident ,  armé  d'un  petit  poignard ,  emblème  de  sa 
dignité  ;  nous  trouvâmes  le  roi  assis  sur  quatre  planches, 
reciMiverles  d'un  vieux  tapis  rayé  de  jaune  et  de  rouge  ; 
il  était  accroupi  comme  les  tailleurs;  il  me  tendit  la 
main  avec  beaucoup  de  bienveillance ,  et  me  fit  asseoir 
à  sa  droite. 

a  Après  les  premiers  saluts  d'usage ,  je  fis  quelques 
questions  au  prince  sur  son  royaume ,  sur  ses  sujets,  ec 
même  sur  son  auguste  personne.  Ce  mot  d'augusie  le  fit 
sourire,  et  il  m'insinua  qu'il  était  moins  puissant  que  le 
roi  de  France. —  «  Un  roi  étant  pour  moi  le  représentant 
de  Dieu  sur  la  terre ,  lui  répondis-je,  quelle  que  soit 
sa  puissance ,  il.  est  toujours  auguste  à  mes  yeux. — 
Sa  majesté  parut  contente  et  me  serra  la  main  avec 
beaucoup  d'affection.  Puis,  vint  la  religion.  Ce  roi 
est  mahométan;  après  une  petite  explication  de  nos 


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dogmes,  il  comînt  que  le  catholicisme  élait  bon ^' et  il 
m^avoua  que  s'il  était  convaincu  que  sa  croyance  fût 
mauvaise,  il  n'hésiterait  pas  à  Tabandonner. 

«  Je  n'avais  pas  le  temps  de  poursuivre  l'œuvre  de 
la  grâce.  Je  tirai  de  ma  poche  une  médaille  miracu- 
leuse^ que  je  lui  offris  après  l'avoir  baisée  avec  respect. 
11  la  reçut ,  la  baisa  aussi ,  la  mit  à  son  cou ,  et  m'as- 
sura qu'elle  serait  l'objet  de  sa  vénération.  Or,  mon 
dier  Père  et  ma  chère  Mère,  on  n'a  jamais  entendu 
dire  que  personne  ait  en  vain  prié  Marie...  Nous  nous 
embrassâmes  et  nous  quittâmes  bons  amis. 

a  Le  22  juillet^  nous  étions  à  la  hauteur  de  La  Plata. 
Il  élait  une  heure  après  minuit.  Le  vent  soufflait  depuis 
deux  jours  avec  violence.  Un  matelot  vint  me  prévenir 
que  la  mer  était  U'ès-grosse,  et  qu'une  tempête  nous 
menaçait.  Je  me  lève  aussitôt,  et  soigneusement  enve- 
loppé de  mon  manteau  de  toile  cirée ,  je  monte  sur  le 
pont. 

«  La  mer  était  en  feu ,  les  éclairs  se  succédaient  dans 
le  ciel  avec  une  effrayante  rapidité  ;  des  gerbes  d'élec- 
tricité s'échappaient  de  toutes  les  vergues  ;  le  long  des 
mâts ,  près  des  canons ,  partout  où  il  y  avair  un  clou, 
brillait  un  jet  de  flamme  ;  des  rafales  s'engouffraient  avec 
fracas  dans  les  quatre  ou  cinq  voiles  que  l'on  n'ayait 
pu  serrer;  des  montagnes  d'eau  tombaient  à  chaque  in- 
stant sur  le  pont ,  et  semblaient  vouloir  engloutir  le  navire. 

«  J'avais  souvent  désiré  de  voir  une  tempête  ;  maîn* 
tenant  assis  au  pied  du  grand  mât,  je  sentais  l'ardeur 
de  ma  curiosité  s'éteindre  dans  le  déluge  qui  m'inondait. 
Des  pensées  bien  plus  graves  préocuppaient  mon  esprit. 
La  mort  était  là  devant  moi;  et  en  présence  d'un  m 
terrible  ennemi,  il  est  difficile  de  ne  pas  éprouver^  je 
ne  dirai  pas  un  sentiment  de  peur,  mais  quelque  chose 
de  très-approchant.  J'attendais  la  fin,  et  je  priais  Celui  qnî 


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tient  sous  sa  Diain  les  vents  et  les  orages,  je  priais 
aussi  ma  Mère  qni  est  au  cieU 

«  Tout  à  coup  un  furieux  coup  de  vent  emporta  toutes 
nos  voiles.  Le  fracas  fut  si  horrible  qu'un  moment  je 
crus  que  le  navire,  brisé  contre  un  écueil,  allait  s'en- 
tr'ouvrir  et  s'abîmer.  Je  levai  les  yeux ,  tout  était  encore 
debout.  *  Seulement^  quelques  lambeaux  de  toile,  agités 
par  la  violence  du  vent,  fouettaient  les  vergues  et  les 
mâts.  Le  navire  n'était  plus  guidé  que  par  les  Anges 
qui  veillaient  à  notre  conservation.  11  était  bien  gardé*. • 
Je  rentrai  dans  ma  petite  couchette  en  chantaqt  ce  couplet 
du  cantique  : 

Les  vents  et  la  mer  en  furie 
En  vain  voudraient  me  submerger. 
Caché  sous  l'aile  de  Marie  ^ 
Je  ne  redoute  aucun  danger. 

«  Vous  voyez >  ma  bonne  Mère,  que  partout  et  tou- 
jours la  sainte  Vierge  protège  votre  enfant;  aidez-moi 
donc  à  la  remercier  pour  tant  de  faveurs, 

«  Quand,  avant  mon  départ,  je  vous  parlais  de  mes 
misères  à  venir,  vous  me  témoigniez  vos  craintes  et  vos 
inquiétudes  :  eh  bien!  au  Uea  d'un  arbre,  à  l'ombre  da* 
quel  j'espérais  me  mettre  à  l'abri ,  on  nous  construira  une 
jolie  petite  cabane  en  feuilles  de  palmier ,  tressées  avec 
un  art  admirable.  Je  n'attendais  pour  me  reposer,  le 
soir,  que  le  sable  fin  du  rivage,  et  voilà  que  la  Provi- 
dence me  ménage  un  délicieux  lit  de  mousse;  à  côté, 
sera  mon  petit  bagage;  en  (ace,  une  croix,  avec  une 
image  de  Marie;  et  là^  je  prierai  mon  Dieu  de  ne  ja* 
maism'abandonner^  de  veiller  siu*  moi,  de  me  fortifier 
et  de  me  conduire,  afin  que  je  lasse  jusqu'au  bout  sa 


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volonté.  Dans  ma  cellule  je  graverai  les  noms  de  mon 
père,  de  ma  mère,  de  mes  frères  et  de  mes  sœurs  , 
ainsi  que  ceux  de  quelques  amis  véritables,  et  je  prierai 
pour  eux  tous  les  jours. 

«  Adieu ,  mon  cher  Père  et  ma  bien  bonne  Mère. 
«  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur  et  suis  votre 
enfant  tout  dévoué. 


«  Alphonse  Escoffier  ,  Missionnaire  apostolique 
de  la  société  de  Picpus.  » 


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MISSIONS  DE  SIAM. 


If  tire  de  M.  Grandjean^  Missionnaire  aposiolique,  dsa 
famille. 


Baogkock  ,  le  i^  jaia  igl4. 


«  Bien  €hebs  Parents, 

«  J'arrive  du  Laos  où  mes  supérieurs  m'avaient  en- 
voyé ,  Tannée  dernière ,  aussitôt  après  la  cessation  des 
l»hiies.  Quoique  mon  voyage  ait  été  sans  succès,  et  que 
je  n'aie  pas  même  eu  la  consolation  de  donner  le  baptême 
à  un  seul  enfant  moribond,  je  vous  en  ferai  néanmoins  le 
vét:ii,  qui  ne  sera  pas  sans  intérêt  pour  vous  ,  puisqu'il 
s'agit  d'un  pays  et  d'un  peuple  encore  si  peu  connus 
•a  Europe. 

«  Je  sortis  de  Bangkock  le  5  décembre  1843 ,  avec 
i|ntre  rameurs  ;  j'étais  accompagné  de  H.  Yachal ,  mis- 
spMinaire  arrivé  à  Siam  depuis  un  an  ;  ce  confrère  était 
une  autre  barque. 


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«  De  Bapgkock  à  Laiteon-Lavan ,  ville  que  nous  atleir 
gntmes  le  16  décembre,  les  bords  du  Me^liuim  sont 
assez  peuplés;  on  trouve  coniinuellement  des  maisons 
éparses  çà  et  là  sur  la  rive;  de  temps  en  temps  2cpp9f 
raissent  de  gros  villages ,  et  presque  chaque  jour  on 
rencontre  quelques  petites  villes  où  réside  un  gouver- 
neur. Jusques-là  le  fleuve  n'est  pas  encore  très-rapide, 
et  le  voyage  n^est  pas  sans  agrément.  Mais  lorsqu'on 
a  dépassé  Latteon-Lavan ,  rhorizon^  resserre  graduel- 
lement et  s^àssombrit  ;  à  droite  et  à  gauche  on  com~ 
meuce  à  apercevoir  des  montagnes ,  entre  lesquelles  le 
Meinam  se  précipite  avec  la  fougue  d'un  torrent ,  cou- 
vert de  gros  arbres  déracinés  qu'il  entraîne  au  moment 
des  pluies,  et  qu'il  laisse  ensuite  plus  ou  moins  en- 
foncés dans  le  sable.  Lorsque  l'inondation  a  cessé ,  cet 
obstacle  fait  qu'on  ne  peut,  plus  voyager  de  nuit  ,  et 
rend  même  la  navigation  périlleuse  pendant  le  jour  ; 
car  il  n'est  pas  rare  que  la  barque  heurte  conure  quel- 
ques-uns de  ces  troncs  à  demi  cachés  par  l'eau ,  qu'on 
ne  distingue  pas  toujours  assez  à  temps  pour  les  éviter. 

«  Les  bords  du  fleuve  ne  sont  [dus  que  de  vastes  forêts, 
presque  impénétrables  ,  remplies  de  tigres'  et  d'autres 
animaux  féroces  qui  ne  permettent  plus  de  dormir  près 
du  rivage  ;  on  est  obligé  d'amarrer  la  barque  assez  loin 
de  ces  bords  dangereux.  Ce  n'est ,  au  reste ,  qu'après 
deux ,  trois  et  quatre  jours  de  marche  qu'on  rencontre 
un  médiant  village,  où  l'on  ne  trouve  rien  à  acheter  ; 
les  villes  y  sont  encore  semées  à  de  plus  longs  intervalles  : 
nous  n'en  avons  aperçu  qu'une ,  assez  petite ,  depuis 
Latteon-Lavan  jusqu'à  Rahang  où  nous  arrivâmes  lé  31 
décembre» 

«  Dans  tous  ces  pays  il  régnait  une  telle  disette  qu'a* 
peine  avons- nous  pu  nous  procurer  le  riz  nécessaire  : 
heureusement  que  nous  avions  apporté  de  Bangkock 

To«.  xnit.  104,  4 


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50 
ime  assez  boone  prorisieii  de  poissons  secs ,  et  qae  nos 
gens  nons  tuaient  de  temps  à  attire  quelques  péUcans 
oa  quelques  gros  hérons  ;  sans  quoi  ik>us  aurions  9icm^ 
vent  été  obligés  de  nous  cent^ter  de  notre  ris  tom 
seul. 

«  Cest  avec  un  de  ces  oiseaux  que  nous  noua  ré* 
galâmes  le  jour  de  Noël ,  sur  un  beau  banc  de  saUe, 
où  nous  nous  étions  arrêtés  pour  passer  ce  saint  jour. 

«  Du  reste,  ce  premier  mois  se  passa  sans  aucun 
accident  (adieux ,  et  sans  qu'on  pensât  même  à  nous 
arrêter  ;  car  conune  nous  étions  tous  deux  siur  des  bar- 
ques qu'on  appelle  JnnamiteSy  et  que  les  couiriers  du  roi 
emploient  ordinairement  pour  leurs  messages,  on  nous 
prit  partout  pour  des  agents  du  prince ,  en  sorte  que 
gouverneurs  et  douaniers  ne  songeaient  pas  même  à 
demander  à  nos  gens  qui  ils  étaient  ni  o&  ils  alkiient* 
Quant  à  nous  ,  il  va  sans  dire  qu'en  toucbant  aux 
stations  soumises  à  la  surveillance  des  officiers,  nous 
nous  gardions  bien  de  montrer  notre  £sice.  Cepen- 
dant,  quand  nous  fûmes  arrivés  àRahang,  ville  assez 
considérable  ,  distante  seulement  de  vingt  ou  trente 
lieues  de  Moulmien^  qui  appartient  aux  Anglais ,  siu*  le 
golfe  du  Bengale ,  nous  y  trouvâmes  une  douane  très- 
sévère  qui  ne  laissQ  circuler  aucune  b:irque  sans  passe- 
port :  aussi  n'essayâmes-nous  pas  de  franchir  furtive- 
ment le  poste,  comme  nous  avioiis  fait  ailleurs  ;  nuûs 
nous  jugeâmes  plus  à  propos  de  nous  rendre  directe- 
ment et  en  plein  jour  chez  le  gouverneur ,  pour  voir  s'il 
ne  serait  pas  possible  de  le  gagner  par  quelques  petits 
présents,  sauf,  en  cas  de  refus ,  à  tenter  le  passage  de 
quelque  autre  manière.  Je  pris  donc  avec  moi  une  bou- 
teille d'eau  de  cologne ,  un  petit  paquet  de  thé  et  une 
paire  de  ciseaux  ,  puis  me  présentant  hardiment  devant 
lui ,  je  lui  annonçai  que  nous  étions  des  Bàd  JLuang 
de  Banghock  (car  c'est  ainsi  qu'on  nous  appelle)  ;  que 

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61 

BOUS  avions  intention  de  nous  rendre  à  Xieng*Maif  {»- 
pitale  du  Laos  occidental,  et  que  nous  n'avions  pat  voota 
passer  outre  sans  le  vçwar  et  lui  oflrir  quelques  gage»  ig 
notre  amitié.  Api^ès.ce  début  ei  sans  lui  laisser  le  teoip» 
de  répondre»  je  lui  deourndai  laquelle  des  deux  voies  il 
jugeait  la  plus  iadle ,  ou  de  continuer  notre  route  m 
barque,  ou  d'aller  par  terre  avec  des  éléphants* 

«  J'espérais  par  ce  ton  d'assurance  lui  faire  croirs  que 
nous  étions  en  règle,  et  qu'il  était  inutile  d'en  exiger 
la  preuve.  Mais  ma  ruse  ne  réussit  pas,  car  sa  première 
parole  fut  de  nous  demander  si  nous  avions  des  paise* 
ports,  —  Oui,  nous  en  avons,  lui  répondis-je  auasicdt* 
Nous  avions  en  eflFet  une  méchante  lettre  d'un  manda- 
rin chrétien  qui  portait  en  substance  ,  qu'il  y  avait  or- 
dre de  tel  prince  à  tous  les  gouverneurs  des  villes , 
chefs  de  villages  et  de  douanes ,  de  laisser  circuler  libre- 
ment et  de  ne  point  molester  tels  Bàd  Luang  ,  qui  al- 
laient visiter  les  chrétiens  chinois  et  annamites ,  dispersés 
dans  le  royaume  ;  mais  on  ne  disait  pas  qu'il  nous  fui 
permis  de  prêcher  aux  païens ,  bien  moins  encore,  que 
nous  pussions  franchir  la  frontière. 

«  Comme  il  demanda  à  voir  ces  passe-porls  ,  force  fut 
de  lui  présenter  cette  lettre  en  laquelle  nous  n'avions  au- 
cune confiance,  mais  que  le  cas  difficile  où  nous  nous 
trouvions,  m'obligeait  à  manifester.  Par  la  grâce  de  Dieu  , 
eUe  fut  mal  comprise  et  fut  même  regardée  comme  une 
recommandation,  émanant  du  prince  même 'dont  il  était 
quesuon  dans  la  lettre.  Aussi  se  garda-t-on  bien  de  nous 
arrêter.  Au  contraire,  après  avoir  lu  cette  pièce,  le  gou- 
jwnneurnous  ditque  nous  étions  libres  d'aller  où  nous  voû- 
tons :  quant  àpoursuivre  noire  route  par  le  fleuve,  nous 
»ele  pouvions  pas,  ajouia-t-fl,  àcausedes  cascadesnom- 
Creuses  qu'on  rencontre;  à  la  rigueur  pous  pouvions  aï^ 
»  par  terre  avec  des  éléphants  ;  mais  les  chemins 
«smx  très-  difficiles  ,  nous  ferions  mieux  de  prendre  telte 


£2 
rWière  qull  nons  indiqua  ^  et  qoi  nous  condairait  à  une 
▼ille  appelée  Thoën  ,  d'où  nous  atteindrions  plus  aisé- 
ment Xieng-Mai  avec  des  éléphants.  Je  lui  répondis  que 
nons  suivrions  son  conseil.  Après  avoir  obtenu  de  lui  une 
lettre  qui  était  un  passe-port  en  bonne  et  due  forme  pour 
pénétrer  dans  le^Laos  ,  nous  continuâmes  notre  route  jus- 
qu'à Thoën  où  nous  arrivâmes  en  sept  jours. 

«  Comme  vous  voyez ,  nous  passâmes  le  nouvel  an  à 
peu  près  comme  nous  avions  passé  les  fêtes  de  Noël.  Nous 
n^eûmes  pas  d'oiseaux  à  manger  ce  jour-là  ,  mais  nons 
nous  r^alâmes  avec  du  poisson  sec  et  des  œufs  salés,  que 
nous  avions  achetés  à  Rahang.  Je  pensai  un  peu  à  St-Dié, 
à  vous  tous,  et  aux  personnes  qui  me  sont  chères  ;  hélas  I 
je  n'eus  pas  le  bonheur  d'offrir  pour  elles  le  saint  sacrifice. 

«  Arrivés  à  Thoën,  nous  confiâmes  nos  barques  au  gou- 
verneur ,  et  nous  prîmes  des  éléphants  pour  traverser  les 
montagnes  immenses  que  nous  avions  devant  nous.  Elles 
ne  forment  pas  une  chaîne  très-élevée  ;  mais  elles  sont 
remplies  d'éléphants  sauvages,  de  tigres  et  de  panthères, 
qui  en  rendent  les  défilés  assez  dangereux.  Nous  mîmes 
cinq  jours  à  les  franchir ,  pendant  lesquels  nous  passions 
les  nuits  à  la  belle  étoile  ,  n'ayant  que  l'épaisseur  des  ar- 
bres pour  nous  garantir  de  la  rosée,  et  de  grands  feux  al- 
lumés autour  de  notre  camp  pour  nous  préserver  desbé* 
tes  féroces.  Ces  feux,  que  nous  avions  soin  d'entretenir 
jusqu'au  jour,  servaient  aussi  à  nous  réchauffer  ;  car  vou$ 
sentez  bien  qu'au  mois  de  janvier ,  au  milieu  des  forêts  , 
et  à  une  latitude  de  vingt  degrés  an  moins,  nous  devions, 
surtout  pendant  les  ténèbres ,  respirer  un  air  assez  frais. 

€  Lorsque  nous  arrivâmes  au  sommet  de  la  plus  hante 
de  ces  montagnes ,  et  qu'il  nous  fut  donné  de  jeter  les 
yeux  sur  ce  pauve  Laos  ,  où  jamais  Missionnaire  n'avait 
encore  mis  le  pied  ,  je  me  sentis  ému  ;  mille  pensées  di- 
verses roulaient  dans  mon  esprit;  ne  pouvant  contenir  les 


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53 
mouvements  qni  agitaient  mon  âme ,  j'entonnai  à  haute 
voix  le  Je  Dèum ,  pour  remercier  Dieu  de  m'avoir  fiait 
la  grâce  de  pénétrer  dans  ces  régions  infidèles,  parmi  ces 
nations  privées  depuis  tant  de  siècles  des  lumières  de  TE- 
vangile.  Je  chantai  ensuite  le  Feni  Creator ,  pour  con- 
jurer le  Seigneur  de  vouloir  bien  achever  son  ouvrage  , 
et  faire  fructifier  au  centuple  la  sainte  semence  que  j'al- 
lais bientôt  confier  à  cette  nouvelle  terre  ,  encore  toute 
couverte  de  ronces  et  d'épines^  Il  n'est  guère  possible  , 
il  est  vrai ,  de  trouver  quelqu'un  qui  chante  plus  mal  que 
moi  ;  mais  comme  ces  montagnes ,  jusqu'alors  maudites 
du  ciel,  n'avaient  jamais  eu  le  bonheur  d'entendre  bénir 
le  Dieu  qui  les  a  Élites  ,  je»  vous  assure  qu'elles  étaient 
si  enchantées  de  ma  voix ,  qu'on  eût  dit  qu'elles  se  plai- 
saient y  par  leurs  échos  ,  à  répéter  à  L'envi  mes  accents. 

«  Pendant  tout  ce  temps-là ,  je  marchais  seul  avec 
deux  petits  serviteurs  qui  m'accompagnaient.  Mon  con- 
frère ,  qui  était  un  peu  indisposé  ,  me  suivait  de  kîn 
monté  sur  un  éléphant.  Lorsque  nous  fûmes  descendus 
4ans  la  pkiine  ,  nous  cheminâmes  encore  deux  jours  i 
travers  une  campagne  assez  vaste  et  assez  agréable  ,  qui 
paraissait  avoir  produit  une  belle  moisson  de  Hz  :  on  ve- 
nait de  lever  la  récolte.  Enfin  nous  arrivâmes  sains  et 
m&  â  Xieng^ai ,  le  18  janvier  1844. 

«  Ce  petit  voyage  à  éléphant  nous  coûta  cent  vingt 
francs  environ ,  sans  compter  les  frais  de  nourriture  qui 
se  sont  élevés  toutau  plus  à  six  francs  pour  monconfrèfe, 
pour  moi ,  pour  deux  hommes  et  trois  jeunes  euGuils. 
Dès  la  pointe  du  jour ,  on  frûsait  cuire  le  riz,  qu'on  Mm-* 
geaitàla  hâte,  puis  on  marchait  jusqu'à  quatre  heures  du 
soir  sans  s'arrêter.  On  faisait  alors  im  secoml  repus  sem- 
blable à  celui  du  maiiR  ,  après  lequel  on  se  délasssélâ 
rire  et  à  causer  prèsdct  finix  qu'on  avait  uUonés  pour 
banit.     . 


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64 

m  On  diatiDgae  ordmaireaeBt  deux  sortes  de  LaodeBi^ 
tm  UM  qu'on  appelle  Utoung-Damy  c'est-à-dire  Ftn£re$^ 
NêWê  f  et  les  autres  qu'on  appelle  Thoung^KItao  ,  c'estr 
^wiire  FctUrtê-Blana,  On  les  nomme  ainsi  parce  que  les 
JMOimfffT  de  la  race  Fentres-Noùrs,  arrivés  à  l'âge  de  qua*- 
ionpe  ou  seÎEe  ans,  ont  coutume  de  faire  peindre  sur  leurs 
wrçé  différemes  6gures  d'hommes  ,  de  fleurs ,  d'élé- 
(AsBts  9  de  tigres  ,  de  serpents  et  autres  animuux.  Cette 
i>péf otion  se  fait  en  pratiquant ,  au  moyen  de  plusieurs 
aiguilles  jointes  ensemble  ,  une  foule  de  piqûres  sur  l'é- 
piderme;  puis  ils  y  versent  une  encre  noire  qui  foit  res- 
sortir Cous  les  uraits  dessinés  sur  la  peau  ;  ils  ont  beau  se 
laver  ensuite,  l'impression  ne  s'e(&ce  jamais.  Ce  tatouage 
«e  s'exécute  pas  sans  douleur,  puisqu'on  est  obligé  de  gar- 
rotta* le  patient ,  qui  demeure  ordinairement  malade 
pendant  quinze  joui's,  et  qui  en  meurt  même  qudquefois* 
-Cepenxlant  comme  Us  jeunes  Laociei»  ne  pourraient  trou- 
ver da  fiancées  si  ce  genre  de  beauté  leur  manquait ,  il 
•te  est  aucun  paruii  eux  qui  ne  souffre  volontiers  cette 
i>lpératioa  douloureuse.  Les  Fenùres-Blancs,  au:  ooutraire» 
te  contentent  de  leurs  grâces  naturelles. 

«  Tous  ces  peuples  s'étendeat,  au  nord  jusqu^aux  fnm^ 
4U»es  de  la  Chine  ,  au  midi  jusqu'au  royaume  de  Siam  ; 
A  t'est  ils  confinent  avec  la  Cocfaincbine  et  le  Tong-King  , 
flif  ouest  avec  l'empire  des  Birmans.  Aux  Fm^reê^BUma 
gppartieot  la  région  oriastale,  les  FmUres-Noir»  occupeat 
taiprovincts  de  l'ouest.  Us  soat  divisés  en  une  fodte  de 
palks  royaumes ,  dont  chaque  prince  a  droit  de  vie  <C 
*éi«ion  ;  mais,  à  l'exception  dedeux  ou  trois  seuleaMOt» 
jb  4épende»t  tous  du  roi  de  Siatm^  q»  les  somme  ou  ks 
«bMtltfesekmsoobonpkiisir;  ilssoat,.depltt0fOUigéade 
iwi  payer  ua  irîbai  aenoeL  NéaoaMini.,  ceoMne  ib  aoftt 
«te-ékwiés  de  BaaelMk ,  et  que,  snis  ae  iéuaia«ûeol, 
ib  pourraient  bien  faire  trembler  toute  la  puifsanoe  6ia- 


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u 

moise,  k  prince  suzerain  a  pour  eux  beaucoup  d^égards, 
il  ménage  ces  vassaux  couronnés  ,  et  leur  fait  toujours 
quelques  présents  lorsqu'ils  apportent  leurs  tributs. 

«  En  général,  les  Fentres^Blanes  ne  tiennent  pas  beau- 
coup à  leurs  talapoins  ni  à  leurs  idoles;  leur  caractère 
se  rapproche  assez  de  celui  des  Cochinchînois  ,  et  il  pa- 
rait qu'il  ne  serait  pas  bien  difficile  de  les  convertir  au 
chrtttiaiiisine.  Les  FerUrcs-Noirs  ont ,  au  contraire ,  un 
lUMrel  qui  diffère  peu  des  Siamois  ;  ils  sont  fortement 
attachés  à  leurs  pagodes ,  à  leurs  livres  religieux ,  et  qui- 
conque parmi  eux  n'a  pas  été  talapoin  ,  du  moins  pen- 
dant quelque  temps ,  est  généralement  méprisé  ;  on  Tap- 
peHe  êchûti-dib  ,  c'est-à-dire  kamme-cru  ou  profane  ,  et 
il  a  peine  à  trouver  une  épouse.  Ils  sont  d'ailleurs  asser- 
vis aux  superstitions  les  plus  grossières. 

«  J'aurais  préféré  me  rendre  d'abord  chez  lesFentres- 
Bhmct ,  comme  présentant  une  moisson  plus  sûre  et  au 
moiiifl  aussi  abondante  ;  mais  Mgr  le  Vicaire  apostolique 
ne  le  jugea  pas  à  propos ,  ou  plutôt  il  crut  qu'il  valait 
HMVxse  hâter  de  prendre  en  quelque  sorte  possession  de 
l'oMtf,  parce  que  ces  peuples  n'étant  qu'à  quinze  journées 
de  MoulMiiBi  où  sont  les  protestants  ,  il  était  à  craindre 
q«o  letbiblistes  ,  établis  dans  cette  viHe  ,  ne  vinssent  se- 
tter parmi  eux  leurs  erremrs^  avant  que  nous  eussions  pit 
les  édahw  des  lumières  de  la  foi.  Maintenant  que  nous 
coDMiitoflsces  eontrées  par  nous-mêmes  ,  nous  n'avons 
phifl  telle  inquiétude ,  et  nous  sommes  bien  assurés  qua 
\m  ttiiiiaires  qui  ne  peuvent  faire  un  pas  sans  leurs  fem* 
nés  at  1em*s  enfants,  ne  s'aviseront  jamais  de  dormir  peu* 
dant  quinze  jours  au  milieu  des  tigres ,  pour  venir  faabi*' 
mr^oM  pays  oA  ,  avec  tout  leur  or  et  leur  argent,  ils  m 
poorraientse  proeurer  aucun  des  avantages  matériels  de 
r*eniatenea« 

•  Aprtf  avoir  dit  un  mot  en  général  sur  les  Fmtrtt^ 


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£6 

Noin  et  les  Centres-Blancs ,  il  &at  miiiiteiiaiit  vous  par- 
ler plus  en  particulier  du  royaume  de  Xieng-Mai ,  que 
j'ai  habité  pendant  deu\  mois  et  dem|« 

€  Ce  royaume  est  le  plus  à  Fouest  de  tous  les  états  du 
Laos ,  et  c'est  aussi  un  des  plus  considérables.  La  capi- 
tale f  qui  porte  le  même  nom  ,  est  bâtie  au  pied  et  à  Test 
d'une  assez  haute  montagne ,  dans  une  vaste  et  belle  plaine* 
Elle  a  une  double  ceinture  de  murailles,  entourées  cha- 
cune de  fossés  larges  et  profonds.  L'enceinte  intérieure 
a  y  s'il  en  faut  croire  ce  que  le  roi  m'a  dit ,  mille  toises  de 
long  sur  neuf  cents  en  largeur.  Comme  celte  ville  est  bâ- 
tie à  peu  près  comme  toutes  celles  de  Flnde ,  c'est-à-dire 
que  les  maisons  ne  se  touchent  pas  et  sont  environnées 
d'arbres  et  de  petits  jardins  ,  il  n'est  pas  aisé  d'en  esti- 
mer la  population.  Le  fils  atné  du  roi  m'a  assuré  qu'elle 
renfermait  plus  de  cent  mille  âmes  ;  mais  il  a  évidemment 
exagéré,  et  de  beaucoup  ;  car,  après  avoir  parcouru  Xieng- 
Mai  plusieurs  fois  et  en  tous  sens ,  je  ne  crois  pas  qu'on 
puisse  lui  donner  plus  de  vingt  mille  habitants^  même  en 
comptant  les  espèces  de  faubourgs  qui  sont  hors  des  oui- 
railles.  A  l'est  de  la  ville  ,  et  seulement  à  trois  ou  quatre 
mioutes  de  l'enceinte  fortifiée ,  coule  une  rivière  dont  les 
bords  sont  en  partie  couverts  de  maisons  ;  malbeureose- 
ment  elles  sont  toutes  habitées  par  des  banqueroutiers  4e 
Bangkock ,  qui  se  sont  réfugiés  là  en  changeant  de  mmm , 
pour  éviter  les  poursuites  de  leurs  créanciers.  Le  roi  leur 
donne  volontiers  asile,  parce  que  cela  augme&te  sa  poîa- 
sance  et  ses  revenus.  Dans  cet  eut ,  les  villages  sont  aasec 
nombreux  ;  mais,  ne  les  ayant  pas  vus ,  je  ne  saurais  ee 
évaluer  la  population  toule. 

«  Le  vm ,  les  cochons  et  les  poules  sont  i  très^wi 
narcbé  ;  en  revanche  il  y  a  peu  de  poissons^,  encore  sm^41s 
très-petits  ,  et  presque  point  de  légumes  ;  en  aocta  q«e 
pendant  le  carême  et  les  vendredis  et  samedis  nous  n'a* 


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S7 

Tiens  à  mmger  que  des  (fiufs  avec  les  feuilles  d'une  cer- 
taine rave  très^amère  ;  c'était  tous  les  jours  la  même  répé- 
tition sans  aucun  changement,  âuk  gens  riches  sont  ré- 
servés les  porcs  et  les  poules.  L'aident,  d'ailleurs  «  est  si 
rare  que  peu  de  familles  peuvent  se  permettre  l'usage  de 
la  viande.  On  vit  communément  de  riz ,  sans  autre  assai- 
sonnement qu'une  espèce  de  poivre  rouge  très-fort ,  au- 
quel la  bouche  d'un  Européen  a  de  la  peine  à  s'accoutu- 
mer ,  ou  de  petits  poissons  qu'on  a  broyés  et  faits  pourrir 
d'avance  :  je  n'ai  jamais  pu  prendre  sur  moi  d'en  faire  ma 
nourriture. 

«  Ces  peuples  ont  aussi  beaucoup  de  vaches  ,  très-pe- 
tites ,  qui  n'ont  presque  pas  de  lait ,  et  qu'on  ne  songe 
même  pas  à  traire.  Lorsque  nous  leur  disions  que  dans 
notre  pays  on  estime  beaucoup  le  lait  de  vache  et  qu'on 
en  fait  un  aliment  savoureux ,  ils  se  mettaient  à  rire  et 
n'avaient  que  du  mépris  pour  nos  compatriotes.  Quant 
aux  bœufs  et  aux  éléphants,  bien  qu'ils  fourmiOenl  aussi, 
les  habitants  n'en  tuent  guère  et  n'en  mangent  ordinaire- 
ment la  chair  que  lorsqu'ils  tombent  de  vieillesse.  Ils  s'en 
senreat  pour  kdEwurer  leurs  champs ,  pour  porter  le  coton 
qn'ib  vont  acheter  dans  les  royaumes  voisins,  et  pour  ren- 
trer le  riz  au  temps  de  la  moisson. 

«  Ce  transport,  dont  j'ai  été  témoin  plusieurs  fois,  se 
fût  d'une  manière  trop  curieuse  et  trop  divertissante 
pour  ne  pas  en  dire  un  mot.  Ils  battent  le  riz  sur  le 
chaoq>  oiéme  où  3s  l'ont  récolté  ;  puis,  lorsque  le  gram 
êU  réui  en  monceaux ,  ils  s'y  rendent  tous  les  matms  ,- 
ohactm  avec  une  suite  de  quinze ,  vingt  ou  trente  boeufs. 
Le  premier  de  ces  boouEi ,  c'est^fc-dire  celui  qui  marche  à 
la  tête  du  troupeau,  a  ordioaiment  hi  tête  couverte  de 
gmriBmiM  9  snrmoBlée  d^un  bisoeau  de^ plumes  de 
paons^  et  le  eoB  eathromé  de  petites  dochettes.  Tous  ces 
auntux  ont  a«r  le  dos  denx  espèces  de  bottes  qui  pen- 


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6» 
dent  de  chaque  côté,  et  qu'on  rempUt  de  râ ,  après  quoi 
on  revient  à  la  ville  en  faisant  un  vacarme  épouvantable; 
car  le  pont  qni  est  au\  portes  de  la  cité  n'ayant  touc 
au  plus  que  deux  toises  de  largmir ,  ks  convois  qni  ren- 
trent se  heurtent  à  ceux  qui  sortent.  11  en  résulte  nne 
mêlée  générale.  Chacun  court  çà  et  là  pour  reconnaître 
son  bétail  égaré;  les  clameurs  des  guides ,  les  mugisse- 
ments des  boeufsy  se  confondent  avec  le  carîlbn  de  mille 
sonnettes.  Viennent,  au  milieu  de  cette  cobue  ,  les  élé- 
phants au  pas  grave,  avec  leurs  grosses  clochettes  qui  ont 
toutes  un  timbre  différent  ;  puis  les  buffles  épouvantés 
de  ce  tintamarre ,  se  frayent ,  en  battant  tout  en  brèche , 
une  impitoyable  trouée^  suivis  de  leurs  maîtres  qui 
crient  :  Nentua  ha  di  Khuai  Souak,  c'est-à-dire ,  Gare  ! 
gare  1  c'est  un  buffle  furieux  !  Enfin  les  spectateurs 
oisifk  qui  se  rassemblent  en  foule,  augmentent  encore 
le  tumulte  par  leiurscris  et  leurs  éclats  de  rire  continuels. 
Le  tout  fait  un  vacarme  vraiment  comique ,  une  scèaa 
accidentée  de  trompes  d'éléphants ,  de  cornes  de  bceub»  ^ 
de  bâtons  laociens ,  qui  se  dressent ,  se  baissent  ei  ae 
croisent  en  tous  sens  ;  et  ce  spectacle  qui  commettoe  à 
la  pointe  du  jour,  se  prolonge  jusqu'à  neuf  ou  dix  henres, 
moment  oit  on  interrompt  le  trsmsport ,  parce  que  le 
soleil  devient  trop  ardent.  Tel  est  pour  les  vm  le  tia- 
vail ,  pour  les  autres  le  diverliaBement  du  mois  de 
janvier. 

«  Chez  ce  peuple  la  cultitre  ae  bamek  pm  prti  as  m. 
L'jndusu*ie  est  encore  mains  florissante.  Cooinie  la  rraènt 
qui  va  à  Bangkack  esl  trèa-dangeveuse  (  de  Xie^^W  à 
Bahang  on  conpie  treola«<de«x  oaaaides  où  phniaoït 
barqnes  se  brisera  obaqse  anafo)  et  <|iie  les  ooflMMir 
aâcatioaa  avec  d'Miires  viHes  ne  paotent  se  faire  fw 
par  tirant  ei  h  travam  des  «MMgnoa  aaas  f  n ,  îLest 
pe«  de  Lancioia  qui  a'adosMst  m  «ooMnafae.  àmà 


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*9 
dè$  qu^ils  ont  levé  leur»  récoltes,  vtventrils  dans  une  obi* 
veté  presque  complète  jusqu'au  mois  de  juin  ou  de  juillet, 
on  ils  recommencen  t  i  labourer  lears  diamps.Par  la  même 
raison ,  ils  ont  peu  de  numéraire,  et  presque  tous  les 
marelles  se  font  en  échange.  Le  sel  surtout  joue  ua 
très-grand  rôle  dans  les  traesactions;  atec  lui  on  peut 
se  procurer  tout  ce  qu'on  veut  ;  il  vient  de  Bangkock 
et  se  vend  très-cher  à  Xieng-Mai. 

«  Les  lois  du  royaume  sont  d'une  grande  sévérité  : 
pour  un  vol  considérable,  il  y  a  peine  de  mort ,  et  pour 
un  simple  larcin  ,  répété  trois  fois,  on  encourt  la  mémo 
condamnîttion.  Aussi  dérobe-t-on  beaucoup  moins  qu'à 
Bangkock.  Quoiqu'il  y  ait  à  Xieog-Mai  un  grand  non^)re 
d'ivrognes  (les  indigènes  font  tous  du  vin  de  riz,  qu'ils 
boivent  avec  excès  )  il  est  eq)eadafit  très-rare  qu'ils 
se  battent  ou  se  disputent.  Pendant  tout  le  temps  que  je 
suis  demeuré  dans  ce  pays ,  je  n'ai  entendu  parler  que 
d'une  seule  querelle,  et  c'était  entre  femmes.L'une  d'elles, 
dans  sa  colère ,  ayant  voulu  renverser  la  cabane  de 
l'autre,  celle-ci  alla  porter  |4ainte  au  prince ,  qui  arriva 
aussitôt  avec  mie  uroupe  de  satellites ,  s'empara  de  la 
tapageuse  et  la  raÂt  aux  fers  ou  ello  resta  phis  d'un  mois  ; 
ce  ne  fut  même  qu'à  foroe  d'argent  qn*dle  parvim  à  en 
sortir. 

«  Quoique  je  VOM  ain  dit  plus  kant  que  le  caractère 
des  FmlT^inrê  dîApe  peu  de  odui  des  Siamois,  je 
crois  eependant  las  praonsm  plot  eurieoK  et  surton 
plus  mendiants  :  cette  deratèn  qnaUlé ,  si  c'en  est  une  ,- 
va  si  loin  qu'il  est  arrivé  plusieurs  fois  au  minlsupe  du  rot 
M*Bitee  de  noua  denUMlBr,  tsmdt  un  fruit  qu'il 
neagnait  aussiiét  àmwà  wÊm^  eouwm  aurait  fiiit  mi 
enfant ,  tanlAc  dev  on  trais  umfc  quil  emportait  eftea 
lui.  le  na  voudrais  pas  dédider  lequel  des  deux  peuples 
est  kplusraié  et  k  pfass  trompeur;  capsudiut ,  sH 


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fallait  adjuger  une  prime,  je  la  donnerais  aux  Laociens 
qui  en  imposent  d'autant  plus  aisément  qu'ils  ont  un 
extérieur  plus  franc  et  plus  ouvert.  Ils  sont  d'ailleurs 
sans  respect  pour  la  décence.  Je  leur  ai  quelquefois 
reproché  de  n'avoir  d'autre  religion  que  les  désirs  dé- 
pravés de  leur  coeur,  et  ils  me  l'avouaient  sans  rougir. 

«  Pour  les  femmes,  elles  sont  plus  actives,  plus  labo- 
rieuses et  plus  intelligentes  que  les  hommes.  Aussi  ont- 
elles  sur  leurs  maris  un  véritable  empire ,  et  peuvent- 
elles  les  chasser  lorsqu'elles  n'en  sont  pas  contentes.  Si 
le  prince  n'eût  pas  défendu ,  sous  peine  de  mort ,  d'em- 
brasser notre  sainte  religion ,  elles  n'auraient  certaine- 
ment pas  tardé  à  se  faire  chrétiennes ,  et  leurs  maris 
n'eussent  pas  manqué  de  les  suivre. 

«  Il  y  a  à  Xieng-Mai  presque  autant  de  pagodes  que 
de  maisons;  on  ne  peut  faire  un  pas  sans  en  ren- 
contrer à  droite  on  à  gaudie.  On  en  compte,  dans  cette 
ville  seulement^  au  moins  une  centaine  qui  sont  habitées 
chacune  par  dix ,  vingt  ou  trente  talapoins ,  sans  parler 
de  celles,  en  aussi  grand  nombre,  qui  tombent  de  vétusté 
et  qu'on  ne  rétablit  pas.  Quant  à  ces  talapoins  ,  ce 
sont  presque  tous  des  jeunes  gens  qui  savent  à  peine 
lire,  et  dont  le  temps  se  passe  à  dormir^  à  manger,  i 
jouer  ou  à  faire  pis  encore.  Ils  m'ont  eux-mêmes  avoué 
plusieurs  fois  une  partie  de  leurs  désordres  ;  mais  quand 
ils  ne  nous  en  auraitet  rien  dît ,  nous  en  avons  assez  vn 
it  nos  propres  yeux  pour  pouvoir  affirmer,  sanscraindie 
de  mentir,  que  toutes  leurs  pagodes  sont  des  iocks 
d'immoralité. 

«  Cependant  raveogleflmit  de  ee  pauvre  peuple  est 
li  profond,  qu'il  persévère  dios  «a  cirite  qui  le  déshonore. 
U  «ait ,  il  comprend  siaiBleiumt  que  ton  dieu  B*est  qa'oa 
Eantâme ,  que  sa  religiott  s'est  qu'un  tissu  de  mensonges» 
«es  temples  des  foyers  de  vices,  6t  il  tftme  wcore  de 


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se  convertir;  il  craint  les  menace»  de  son  roi«  Ces  in- 
fortunés venaient  en  foule  se  faire  instruire ,  plusieurs 
se  préparaient  déjà  au  baptême  ;  mais  une  seule  pa- 
role du  prince  les  a  tous  replongés  dans  Terreur.  Oh  ! 
que  les  jugements  de  Dieu  scmt  impénétrables  !  0  vous 
tous  qui  lirez  cette  lettre ,  je  vous  en  conjure  par  le 
sang  et  la  mort  de  Noore-Seigneur  Jésus-Christ ,  ne 
passez  aucun  jour  sans  prier  pour  ces  esclaves  de  la 
crainte,  afin  qu^à  notre  retour  parmi  eux  nous  les  trou- 
vions mieux  disposés. 

€  Je  ne  vous  dirai  pas  ici  comment  nous  avons  été 
obligés  de  quitter  le  pays  ;  j^en  parie  assez  au  long  dans 
ma  letu*e  à  M.  Micani  ,  dont  vous  pourrez  prendre 
connaissance.  J'ajouterai  encore  un  mot  sur  les  courses 
que  nous  avons  faites  à  notre  sortie  de  Xieng-Mai ,  et 
avant  de  nous  rendre  à  Bangkock. 

«  Partis  de  la  capitale  le  vendredi  de  la  Compassion 
de  la  sainte  Vierge ,  nous  atteignîmes  le  même  jour  un 
autre  petit  royaume  appelé  Lapoun ,  au  sud  de  Xieng-  ' 
Mai.  A  notre  arrivée,  nous  nous  rendîmes  au  siège  du 
gouvernement, bôtel-deville  de  Tendroit,  où  nous  trou- 
vâmes six  à  huit  mandarins,  qui  se  réunissent  là  tous  les 
jours  pour  entendre  les  plaintes  du  peuple,  juger  les 
différends  et  administrer  la  chose  publique,  presque  en- 
tièrement absmdonnée  à  leurs  soins.  On  nous  demanda 
qui  nous  étions,  d'où  nous  venions  et  quelles  affaires 
nous  amenaient  dans  le  pays.  Us  le  savaiait  déjà,  car 
plusieurs  d'entre  eux  nous  avaient  vus  à  Xieng-Mai  ; 
mais  ce  sont  là  des  questions  banales  par  lesquelles  on 
a  coutume  d'entamer  la  conversation.  Nous  en  profitâmes 
pour  annoncer  la  bonne  nouvelle  de  Jésus*Christ.  Un 
rire  moqueur  fui  à  peu  près  toute  la  répcmse  qu'on  nous 
dimna.  On  nous  permit  cependant  de  nous  installer 
dans  une  epèce  de  salle,  située  hors  de  la  ville ,  oA 


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Boos  préotdDMy  d»  Mati»  ao  soir ,  les  curieux  qui  ve- 
naieiK  nous  examner*  Noos  n*y  fànies  pas  en  repos. 
Penchait  la  mit ,  quarante  à  ctHquaate  talapoios  se 
rémiissaieiit  aulo»  de  notre  mh ,  battaieiit  du  tam-- 
bour  et  powaiest  des  Tooiférations  qui  ne  nous  per- 
mettaient pas  on  instant  de  sommeil  ;  quelquefois  même 
ils  lançaient  des  pierre  contpe  notre  habitaition  ,  sans 
touielbis  ^poupser  plus  loin  l^Tanîe. 

«  Après  en  avoir  îmiUleBient  porté  plainte  à  lliôtel-de- 
ville ,  je  pris  le  parti  d'aller  seul  trouver  le  roi  :  Cen- 
trai dans  son  palais  sans  me  feire  annoncer,  et  lui 
parlai  avec  tant  de  hardiesse  quUl  eut  peur^  et  fit  aussitôt 
défendre  à  ces  talapoins  de  nous  molester  à  l'avenir.  On 
Fécouta  ;  mais  comme  ce  peuple  n'était  rien  moins  que 
(Usposé  à  recevoir  la  parole  de  Dieu ,  nous  secouâmes 
la  poussière  de  nos  pieds  et  nous  dirigeâmes  notre 
course  vers  le  sud^esc*  Après  quatre  jours  de  marche  , 
toujours  au  milieu  des  montagnes ,  n'ayant  que  du  riz 
et  des  œu&  à  manger  ,  nous  parvînmes  à  un  autre 
royaume  appelé  Lakhon;  nous  y  restâmes  douze  jours, 
ne  recueillant,  pour  fruit  de  nos  prédications ,  que 
des  mépris,  des  railleries  et  des  insultes.  Les  choses  au- 
raient même  pu  aller  plus  loin  si  nous  n'avions  pas  eu 
des  lettres  de  Bangkok  :  comme  on  croyait  que  ces  re- 
commandations avaient  le  sceau  d'un  prince  royal ,  la 
■Mdveillanoe  n'osa  pas  en  venir  aux  coups.  Voyant  donc 
ce  peuple  rebelle  à  la  grâce,  nous  songeâmes  de  non* 
veau  à  continuer  notre  route ,  toujours  vers  le  sud-est, 
et  tOHpuirs  à  travers  des  monti^iaes  sans  fin. 

«  Jusqu'alors  j'avais  voyags  sur  le  dos  d'un  éléphant , 
et  quoique  la  marche  de  oet  animai  sdt  extrémemeot  rade 
et  kifiommode ,  je  ma  trouvj»  encore  asses  à  l'aiM; 
nais  dans  cette  dernière  statian  n'ayanl  pu  nous  pio* 
eurer  qfkè  les  éléphants  néeessaîMa  au  transport  de  nos 


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eCBts ,  il  fellm  nous  résoudre  à  cheminer  à  pied.  C'était 
att  mois  d'^stTril  :  lé  del  était  de  feu  ;  la  chaleur  avait 
desséché  et  fait  tomber  les  feuilles  des  arblres  ;  les  sour- 
ces étaient  presque  toutes  taries,  et  les  sentiers  que 
nous  suivions  n'ofEraient  que  des  rochers  très-aigus 
ou  un  sable  brûlant.  Dès  le  premier  jour,  mes  pieds 
avaient  tant  souffert,  qu'en  arrivant  au  gîte  où 
nous  devions  dormir ,  la  peau  était  levée  partout.  Le 
lendemain ,  n'ayant  pu  mettre  mes  souliers  ,  je  me 
trouvai  le  soir  avec  la  plante  des  pieds  toute  brûlée  ; 
quand  vint  la  troisième  étape,  je  pouvais  à  peine  faire 
un  pas.  A6n  d'éviter  la  grande  chaleur  du  jour ,  je  pris 
avec  moi  un  de  mes  serviteurs^  et  nous  poussâmes  en 
avant  dès  le  matin  ,  comptant  nous  arrêter  vers  midi 
pour  attendre  les  éléphants.  Par  malheur  le  guide  s'en- 
dormit. 

«  Ne  voyant  rien  arriver,  nous  commençâmes  à  crain- 
dre que  la  caravane  fatiguée  n'eût  fait  halle  avant  le  lieu 
du  rendez-vous.  Que  foire  ?  le  jour  baissait  et  nous 
mourions  de  foim  :  retourner  sur  nos  pas ,  sans  savoir 
s'il  faudrait  aller  loin ,  c'était  impossible ,  nous  étions 
sans  force  ;  passer  la  nuit  sans  feu ,  au  milieu  des  ti- 
gres, cela  n'était  guère  pralicable.Que  faire  donc?  Comme 
on  nous  avait  dit  qu'il  y  avait  devant  nous,  à  peu  de 
distance,  un  petit  village,  nous  recueillîmes  nos  forces 
et  nous  nous  décidâmes  à  aller  demander  T'hospitalité 
dans  ce  hameau ,  où  nous  attendrions  nos  éléphants  qai 
ne  manqueraient  pas  d'y  passer  le  lendemain. 

«  La  nuit  s'avançait  à  grands  pas  ,  et  nous  n'aperce- 
vions encore  aucune  habitation  :  mon  serviteur  n'en  pou- 
vait plus  ;  moi  j'allais  encore  clopin-clopant^  mais  je  com- 
mençais à  croire  que  nous  serions  obliges  de  nous  coucher 
à  jeun,  lorsque  enfin  nous  vîmes  près  de  nous  une  petite 
cabane.  Hous  allâmes  y  demander  asile.  Les  pauvres 


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gens  qu^elle  abritait ,  n'ayant  poiot  récollé  de  riz  cette 
année,  n'avaient  à  manger  que  des  bourgeons  d'arbres, 
avec  une  espèce  de  pommes  de  terre  sauvages  qui  crois* 
sent  naturellement  au  milieu  des  forêts.  Ces  pommes  de 
terre  seraient  un  poison  mortel  si  on  les  prenait  sans  pré- 
caution ;  avant  d'en  Enire  usage  on  les  coupe  en  morceaux , 
on  les  laisse  dans  l'eau  pendant  plusieurs  jours ,  on  les 
expose  ensuite  au  soleil  jusqu'à  ce  qu'elles  soient  bien  sè- 
ches ,  après  quoi  on  les  &it  cuire,  et  on  peut  alors  les 
manger  quand  on  n'a  pas  autre  chose. 

«  Ces  pauvres  gens  donc  nous  dirent  qu'ils  n'avaient 
que  cela  à  nous  donner,  mais  que  si  nous  voulions  aller 
chez  le  chef  du  village ,  dont  la  maison  n'était  pas  loin  , 
nous  y  pourrions  trouver  un  peu  àe  riz.  Nous  suivîmes 
leur  conseil,  et  après  avoir  bu  un  verre  d'eau,  nous  par- 
tîmes* 

«  A  notre  arrivée  chez  le  chef  du  village ,  je  déclarai 
qui  j'étais ,  et  comment  je  venais  frapper  à  sa  porte  ;  puis 
je  le  priai  d'accorder  quelques  aliments  à  deux  hommes  qui 
mouraient  de  faim,  promettant  de  le  récompenser  le  len- 
demain lorsque  nos  éléphants  passeraient.  On  nous  ap- 
porta un  peu  de  riz  froid ,  mêlé  avec  les  pommes  de  terre 
sauvages  dont  f  ai  parlé  plus  haut.  Ce  riz  était  pressé  dans 
une  espèce  de  corbeille  en  joncs,,  dont  l'ouverture  était 
tout  juste  assez  large  pour  qu'on  pût  y  passer  le  bras.  Nous 
nous  assîmes  de  chaque  côté ,  mon  domestique  et  moi ,  et 
tour  à  tour  nous  plongions  la  main  dans  cet  étrange  ra- 
goût ;  il  était  si  dégoûtant  qu'il  fallait  boire  à  chaque 
poignée  pour  la  faire  descendre. 

«  Le  lendemain  nos  éléphants  n'arrivant  pas ,  on  nous 
dit  qu'ils  avaient  sans  doute  pris  un  autre  chemin  qui 
passait  à  trois  lieues  du  village  où  nous  étions  :  nous  en- 
voyâmes à  leur  recherche ,  et ,  le  second  jour  seulement, 
nous  apprîmes  qu'on  les  avait  vus  sur  la  route  de  Muang- 


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Tré,etqa*ai^uHpea  ils  atteindraient  cette  ville.  A  cette 
nouvelle ,  mes  hôtes  me  firent  un  ragoût  avec  la  peau  d'un 
éUpbant  crevé;  et  Je  partis.  Mes  plaies  n'étaient  pas  en- 
core guéries  ;  mais  il  fallait  :ivancer  bon  gré  mal  gré  ; 
car  mon  confrèi*e ,  dont  j'étais  séparé  depuis  trois  jours  , 
était  plus  en  peine  que  moi.  Je  le  rejoignis  à  Muang-Tré 
le  soir  même.  Cette  fois  mes  pieds  étaient  tellement  en 
compote,  que  je  suis  resté  toute  une  semaine  sans  pouvoir 
marcher. 

«  Nous  touchions  à  la  saison  des  pluies  ;  il  était  temps 
de  songer  au  retour.  Nous  quittâmes  donc  Muang-Tré . 
et  ap^  avoir  encore  couché  quatre  nuits  dans  les  mon- 
ugnes ,  nous  louchâmes  à  une  ville  siamoise  appelée 
Tait,  sur  un  auire  fleuve  que  celui  par  lequel  nous  étions 
montés.  Là,  nous  avons  acheté  une  barque^  et  en  douze 
jours  nous  sommes  arrivés  à  Bangkock. 

«  Ce  voyage  a  tellement  fait  blanchir  mes  cheveux,  que 
tout  le  monde  en  me  revoyant  me  donnait  soixante  ans 
au  moins  ;  on  ne  m'appelait  que  le  vieiuc  père  ;  je  me  porte 
cependant  toujours  très-bien  ,  et  je  me  sens  encore  assez 
de  forces  pour  recommencer.  Le  bon  Dieu  bénira  peut- 
être  un  jour  nos  travaux. 

«  J.-B.  Grandjean,  Missionnaire  apostolique.  » 


Tos.  xviii.  104.  5 

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Autrt  Lettre  du  même  Missionncfire  à  Af.   Miemri  » 

Supérieur  eu  sémifunre  de  Smaé-IHé. 


Baogkock  ,  le  3  juin  18U» 


«  MorCSlBUK  LB  SupiRIEUR, 


«  J'ai  eu  le  plaisiir  de  recevoir  voire  chère  et  précieuse 
lettre  quelques  semaines  avant  la  Toussaint.  La  recon- 
naissance est  Tunique  sentiment  que  je  de^Tais  vous 
exprimer  ;  et  cependant ,  permettez-moi  de  vous  le  dire, 
je  voudrais  bien  que  le  Seigneur  vous  inspirât  de  m'é- 
crire  un  peu  plus  souvent ,  car  vos  conseils  produisent 
toujours  sur  mou  âme  Theureuse  inOuence  de  la  rosée 
du  ciel  sur  une  terre  desséchée.  Je  ne  mérite  pas ,  il 
est  vrai ^  qu'on  pense  tant  à  moi;  mais  quand,  d'une 
part ,  je  me  vois  si  faible ,  si  abandonné ,  si  dénué  de 
tout  secours ,  et  néanmoins  obligé  de  vivre  non-seule- 
ment au  milieu  du  monde  pour  le  combattre ,  mais  au 
centre  du  paganisme  pour  le  détruire,  en  butte  aux  traits 
de  mille  passions  divinisées,  que  je  suis  venu  attaquer 
jusque  sur  leurs  autels;  quand,  d'un  autre  côté ^ je  me 
souviens  que  j'ai  consenti  bien  librement  et  de  tout  mon 
coeur  à  courir  tant  de  dangers  pour  le  triomphe  de  TE- 
vangile,  je  vous  l'avoue,  c'est  avec  une  grande  et  ejitiëre 
oonfiance  que  je  demande  à  Dieu  qu'il  me  rappelle  à  fai 


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e7 

ftémoire  de  n^  anciens  amis,  aoit  au  saint  sacrifice  de 
k  messe  ,  soit  dans  leurs  communions* 

«  Aujourd'hui  que  j*ai  voyagé  un  peu  par  le  moodi 
îdolâtt^ ,  j'en  rapporte  assez  de  nouvelles  pour  vous  in- 
téresser. Plût  à  Dieu  que  j'eusse  moins  vu  et  obiew 
davantage  !  Je  ne  m'arrêterai  cependant  pas  à  vous  réc 
péter  ce  cpie  j'ai'  déjà  raconté  à  mes  frères  :  la  letlfe 
que  je  tenr  ai  écrite  est  pour  vous  comme  pour  eux« 
«elle^  n'en  jera  que  le  complément. 

«  Lûrsqœ  nous  arrivâmes  à  Xieng-Mai,  le  18  janvier 
de  cette  année ,  comme  nous  n'y  connaissions  perseme 
et  que  personne  ne  nous  connaissait ,  nous  débarquâmes 
dans  une  espèce  de  maison  commune ,  que  le  roi  a  fait 
élever  hors  des  murs  de  la  ville  pour  les  étrangers.  Cette 
habitation ,  où  nous  avons  passé  la  première  quinzaine  ^ 
n'ayant  que  le  toit  et  le  plancher ,  reste  complètement 
ottverte  in  tons  les  vents  ;  en  sorte  que  nous  avions  pas- 
sablement froid  pendant  la  nuit ,  et  pendant  le  jour  nons 
étions  tellement  obsédés  par  la  multitude  des  curieux  yq«e 
BOUS  avions  toutes  les  peines  du  monde  à  nous  en  débar- 
rasser lorsque  nous  voulions  prendre  nos  repas  ou  réciter 
le  biliaire.  Car  il  fiaiut  vous  dire  qu'à  peine  installés»  Ja 
noQvtile  en  fht  aussitôt  répandue  à  plus  de  trois  jomrnéfs 
à  h  ronde  ;  en  acoourak  en  foule  de  tous  côtés  pour  jofttr 
&ma  spectacle  si  nouveau  ;  et  com'mc  disaient  ces  pauvres 
gens  en  leur  langue  i  Ma  hà  tm  louang  farangut  4hé 
hac  io  ttœi  han  êàc  tua  :  c'esl-à-dire ,  NcfU»  venons  v^ 
hs  gramds  imkqHnnt  françaù  que  ntnn  n'avons  jamais 
mu  de  noire  vie*  11  en  arriva  même  de  Muang-Nàut  9»- 
tre  royanme  laoeien ,  distant  d'environ  dix  journées  de 
Xieng'Jtfai.  Us  venaient,  disaient-ils,  pour  contem|pI<r 
les  ioA  kaula ,  c'est^ànlire  k»  talapoitts  étrangers ,  qu'os 
leor  avait  peints  comme  des  géants,  hauts  de  six  coudées* 
^   m  VoQS  voyez  par  là^  Monsieur  et  bien  cher  Ami ,  qp^e 

6. 

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6* 

1)0118  me  sommes  pas  entrés  dans  le  Laos  en  cachette ,  ei 
que  notre  Mission  apostolique  avait  eu  au  loin  un  prompt 
^  retentissement. 

«  Dès  que  nous  fûmes  débarqués,  nous  allâmes  trouver 
an  grand  mandarin,  chargé  de  présenter  les  étrangers 
au  roi ,  et  nous  le  priâmes  de  solliciter  pour  nous  une 
audience.  Le  lendemain ,  ce  personnage  vint  nous  an- 
noncer que  son  maître  était  disposé  à  nous  recevoir  dans 
la  journée ,  mais  qu*il  fallait  auparavant  nous  rendre  à 
rhôtelde  ville,  où  Ton  examinerait  nos  papiers,  afin  d'en 
rendre  compte  au  prince.  Nous  partîmes  donc ,  et  Ton 
nous  introduisit  dans  une  grande  et  méchante  salle  où 
huit  à  dix  mandarins  ,  d'un  âge  assez  avancé  et  à  face 
vénérable ,  étaient  gravement  assis  à  terre  et  nous  at- 
tendaient. Comme  il  n'y  avait  là  ni  bancs  ni  chaises^ 
force  fut  aussi  de  nous  asseoir  au  niveau  des  vieux  aréo* 
pagites.  On  demanda  nos  passe-ports  qu'on  trouva  en 
règle ,  puis  on  nous  interrogea  sur  le  motif  de  notre 
arrivée  dans  le  pays. 

«  Nous  déclarâmes  franchement  que  nous  étions  des 
prêtres,  venus  d'abord  d'Europe  et  ensuite  de  Slam,  pour 
leur  préchar  la  Religion  du  vrai  Dieu,  créateur  du  ciel 
et  de  la  terre ,  et  leur  enseigner  l'unique  chemin  qu^ 
pAt  les  condoire  au  bonheur.  Cette  annonce  donna  lieu 
h  plusieurs  questions,  auxquelles  nous  répondions  encore 
lorsqu'on  vint  nous  annoncer  que  le  roi  nous  mandait 
M  palais.  Il  nous  reçut  asseï  bien ,  nous  demanda  en 
siamois  plusieurs  explications  sur  la  Religion  chrétienne. 
fioas  en  profitâmes  pour  semer  dans  son  cœur  quelques 
paroles  de  vie;  puis ,  lui  ayant  offert  nos  présents,  nous 
sollicitâmes  la  permission  de  demeurer  dans  son  royaume. 
n  noua  répondit  qu'il  y  consentait  bien  volontiers ,  qu'il 
nous  ferait  bâtir  une  maison  convenable ,  et  qu'en  attaii- 
daat  nous  pourrions  rester  dans  la  salle  oh  nous  étions 


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69' 

logés.  Ces  {Mrésents  que  nous  lui  offrîmes  oonsisuieiit  en 
une  petite  serinette,  une  bouteille  d'eau  de  Cologne, 
un  prisme ,  un  miroir  à  facettes  et  deux  verres  en 
cristal. 

«  Le  lendemain  nous  apprîmes  que,  pendant  la  nuit» 
le  roi  avait  convoqué  ses  principaux  mandarins ,  qu'il 
leur  avait  demandé  leur  avis  sur  notre  arrivée,  et  que 
plusieurs  avaient  répondu  :  «  Nous  avons  un  Dieu  et  des 
ministres  à  nous  !  Quel  besoin  avoos-nous  de  ces  prê- 
tres inconnus  et  de  leur  Dieu  ?  S'ils  veulent  rester  id  » 
qu'on  les  place  hors  des  murs  avec  les  étrangers.  »  Pea 
de  jours  après  je  demandai  une  nouvelle  audience ,  sous 
prétexte  de  montrer  au  roi  quelques  curiosités  que  je 
lui  offris  encore ,  et  malgré  l'opposition  du  conseil ,  f  ob- 
tins qu'on  élèverait  notre  maison  dans  la  ville  ;  mais 
cette  habitation  était  si  peu  de  chose,  que  nous  commen- 
çâmes dès  lors  à  prévoir  ce  qui  arriva  plus  tard  :  c'était 
simplement  une  pauvre  baraque  en  bambou ,  qui  avait 
tout  au  plus  coûté  quarante  francs.  Quoiqu'elle  n'eût 
ni  fenêtres  ni  lucarnes,  elle  était  tellement  à  jour  de 
tous  côtés ,  que  nous  y  voyions  irès-dair ,  aussi  clair  , 
à  peu  près ,  que  si  nous  avions  eu  le  ciel  pour  toiture. 

€  Un  prince  étant  un  jour  venu  nous  voir  avec  un  de 
ses  plus  jeunes  fils ,  je  m'avisai  d'offirir  à  cet  enËmt  un 
petit  pantalon  en  indienne.  Pendant  que  j'étais  encofe 
à  Bangkock,j'avais  fait  confectionner  une  vingtaine  d'ha- 
billements semblables,  pour  les  donner  à  des  familles  pau- 
vres ;  ils  me  revenaient  chacun  à  sept  sous  et  demi.  Je 
n'avais  donc  pas  lieu  de  m'attendre  à  enchanter  mon 
illustre  bambin  avec  un  si  mince  cadeau.  Mais  il  ne 
l'eut  pas  plus  tôt  reçu ,  qu'il  s'en  revêtit  et  retourna  Mi 
palais  ,  je  ne  dirai  pas  joyeux'  comme  un^  prince^  mais 
bien  comme  un  roi.  Le  lendemain  la  reine  elle-inéflie 
ae  rendit  avec  une  troupe  de  neveux  et  de  petita-ilt, 


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r0 

dans  une  maison  voisine  da  ma  salle ,  et  m'envoya  «n 
gros  morceau  d'argent  avec  prière  de  lui  vendre  dix 
pamlalons  :  «  Va  dire  ù  la  reine ,  répondis-je  au  messa- 
m  gcr ,  que  je  ne  suis  pas  marchand  de  culoltes  ,  que 
«  je  lui  en  donnerai  volontiers  dix  pour  rien ,  mais 
«  qu'elle  se  présente  une  autre  fois;  car  tu  vois  bien, 
«  H  y  a  trop  de  monde  citez  moi  pour  que  je  puisse  la 
•  recevoir.  » 

n  Elle  fut  satisfaite  de  la  réponse ,  et  quelques  jours 
a^ès  ne  pouvant  revenir  elle-même ,  elle  m'envoya  trois 
princesses,  ses  flUes,  toutes  ti*ois  déjà  mariées,  pour 
demander  les  vêtements  que  j'avais  promis.  Ces  prin- 
«t^es  étaient  accompagnées  de,  beaucoup  de  suivantes, 
dont  les  unes  m'apportaient  des  présents  en  riz  et  en 
fruits^  les  autres  portaient  ou  conduisaient  par  la  main 
tes  petits  princelots  qui  venaient  se  partager  les  pan- 
talons. Je  lis  asseoir  a  terre  mes  nobles  visiteuses  ;  elles 
fiimèi'ent  chacune  leur  pipe  et  moi  la  mienne ,  en  cau- 
sant en  laocien  tant  bien  que  mal,  car  alors  je  savais 
«ocore  assez  peu  la  langue.  Chaque  enlant  reçut  eii^ 
suite  son  pantalon  et  fut  heureux  comme  un  ange.  €ki 
voulut  encore  m'en  faille  accepter  le  prijt ,  que  je  refu- 
MÎ  comme  vous  le  pensez  bien  :  je  me  trouvais  déjà  irop 
payé  d'avoir  \m ,  avec  si  peu  de  chose  ,  me  concilier  de 
leyoles  affections* 

«  Quinze  jours  après  notre  arrivée  à  Xteng*-Mai ,  nous 
iB^ines  habiter  la  maison  que  le  roi  nous  avait  fait  coa- 
su*ttire  :  ce  n'était,  comme  j'ai  déjà  dit,  qu'une  petke 
baraque  en  bambou  où  nous  étions  très  a  l'étroit; 
«ianmoins ,  comme  on  l'avait  élevée  dans  l'enoeinte  de  la 
^Ule ,  assez  près  de  la  porte  principale  et  sur  le  bord 
4»b  grande  /ne,  nous  n'en  demandions  pas  davantage 
fÊmr  le  moment.  I<ious  avions  oontinuellemeiit  des  audi- 
ts et  notts  prtefaions  tous  les  jours  du  matin  au  soir. 


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71 

«  Le  dialecte  deXieng-Maî,e!  généralement  de  tous  les 
Laocitns  f^entr es- Noirs  ,   diflere  assez  peu  du  siamois 
dans  les  livres;  mais  le  langage  vulgaire  et  surtout  la  pro- 
nonciation ont  beaucoup  moins  d'analogie.  Au  bout  de 
quinze  jours,  cependant,  je  pouvais  le  parler  assez  bien  pour 
me  faire  comprendre.  Je  suis  môme  allé  prôchcr  chez  plu- 
sieurs princes ,  cousins  du  roi ,    qui  m'avaient  invité. 
Héhs  !  qu'il  est  difficile  aux  riches  d'entrer  dans  le 
royaume  des  cieux  !  Ils  reconnurent  la  vérité  ,  et  ils  la 
méprisèrent.  L'un  d'eux,  plus  orgueilleux  que   les  au- 
tres,  se  voyant  à  bout  d'objections ,  termina  par  ces 
mots  la  conférence  :   «  Vous   direz  tout  ce  que  vous 
«  voudi^ez ,  Père  ;  je  ne  veux  pas  de  votre  religion ,  et 
«  personne  à  Xieng-Mai  ne  l'embrassera.  »  —  «  Comme 
«  vous  voudrez ,  lui  répondis-je  ;  mais  songez  que  , 
«  tout  prince  que  vous  êtes,  vous  mourrez  un  joar  , 
«  que  vous  quitterez  vos  biens  e{  vos  plaibirs ,  et  qu'une 
«  fois  entre  les  mains  de  ce  Dieu  dont  vous  repoussez 
«  aujourd'hui  la  doctrine ,  vous  ne  vous  en  débarrasse- 
«  rez  pas  aisément  :  si  fort  et   si   robuste  que   vous 
«  soyez,  la  mort  vous  menace  dé  plus  près  que  vous 
«  ne  le  pensez  peut  -  éti*e  !»  Il  se  moqua  de  ma  ré- 
flexion ,  et  qu'mze  jours  plus  tard  il  avait  paru  devant 
Dieu. 

«  Quant  au  peuple,  il  venait  en  foule  nous  entendre  : 
qndqnes-uns  paraissaient  mal  intentionnés  ,  d'autre» 
éCafent  assez  indifférents,  mrais  le  plus  gi-and  nombre 
montrait  des  dispositions  satisfaisantes.  Parmi  ces  der- 
niers, il  en  était  plusieurs  qui  auraient  déjà  consenti  ^ 
se  préparer  au  baptême  ,  slls  n'avaient  craint ,  disaienl- 
ib,  le  roi  et  les  prinqes.  Cet  aveu  nous  fit  appréhender 
qu^on  n'eût  publié  à  notre  insu  la  défense  d'embrasser 
notre  foi.  Ce  qui  nous  confirma  dans  cette  pensée  ,  c'est 
que  jamais  je  ne  pus  ^  même  en  payant ,  trouver  quel- 


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72 

qu'un  qui  iranscrlvli  les  prières  que  j^avais  ti*aduilfift  e& 
bocien  ;  tous  ceu\  à  qui  j'en  parlais  me  disstieat  pour 
toute  réponse  :  Je  crains  le  roi  I  De  plus  y  une  bonne 
vieille  nous  ayant  donné  son  neveu  pour  serviteur  ,  cet 
enfant  ne  put  rester  qu^uù  jour  avec  nous;  car  le  premier 
mandarin  ne  Teut  pas  plus  tôt  su  ,  qu'il  épouvanta  cette 
femme  et  l'obligea  de  retirer  son  neveu.  Ce  ministre,-  vrai , 
suppôt  de  Satan,  était  sans  cesse  à  épier  les  personnes 
qui  venaient  nous  voir^  et  dès  qu'il  en  connaissait  de 
bien  disposées  ,  il  les  intimidait  aussitôt  par  ses  menaces. 
Si  le  roi  nous  eût  été  favorable ,  pensez- vous  que  son 
ministre  eût  osé  contrecarrer  ainsi  ses  intentions?  Quand 
on  coni\ait  bien  les  mœurs  de  ce  pays,  on  comprend  que 
c'est  impossible.  Cependant  ayant  eu  ^  à  cette  époque  , 
occasion  d'aller  voir  le  prince ,  et  lui  ayant  demandé  s'il 
s  opposait  à  ce  que  ses  sujets  se  fissent  chrétiens ,  il 
m'assura  que  non;  mais  il  parlait  évidemment  contre  sa 
|)ensée ,  comme  vous  le  verrez  plus  tard. 

«  Quelques  jours  après  cette  audience ,  la  reine  vint 
m'offrir  quelques  présents ,  et  m'annonça  que  le  roi  souf- 
frait beaucoup  d'un  mal  que  ses  docteiu's  ne  pouvaient 
^'uérir,  qu'il  me  priait  d'aller  le  voir,  et  que  peut-être 
je  lui  rcndi*ais  la  santé;  car  quoi  que  je  pusse  dire,  on 
voulait  absolument  que  je  fusse  médecin  :  j'y  allai  effec- 
tivement^ accompagné  d'un  jeune  serviteur  qui  s'^tep- 
dait  un  peu  à  traiter  les  maladies.  L'audience  ne  se  fit  pas 
attendre  :  sa  majesté  arriva  aussitôt,  me  rcaidit  compte 
de  son  état  et  me  demanda  sij'y  connaiasais^quelquesremè* 
des.  «  En  ma  qualité  de  prêtre,  lui  répondis-je^  je  ne  me 
«  suis  occupé  que  des  moyens  d'être  utile  aux  âmes  ; 
«  mais  j'amène  avec  moi  un  jeune  homme  qui  a  été, 
«  pendant  quatre  ou  cinq  ans ,  disciple  d'un  médecin  du 
«  roi  de Bangkock,  et  qui  peut-être  calmera  vos  sonflran - 
«  ces  »  •  Elevant  ensuite  la  voix  pour  me  faire  enten- 


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73 

dre  de  mon  serrileur  qui  était  prosterné  auprès  de  la 
porte  :  «  Eh  bien  I  lui  dis-je ,  as-tu  bien  compris  ce 
«  que  vient  de  dire  le  roi  ?  Connais-tu  cette  maladie  P 
«  peux  -  tu  la  guérir  ?  ■»  —  «  Oui ,  Pèie ,  je  puis 
«  la  guérir.  »  —  «  En  combien  de  Jours  ?»  —  «  Je 
«  demande  quinze  jours.  »  Ce  jeune  bonmie  alla  donc 
soigner  le  prince  fort  régulièrement,  et  dès  la  première 
semaine  il  y  eut  un  mieux  si  considérable  que  le  roi , 
tout  joyeux ,  lui  dit  un  jour  :  «  Va ,  si  tu  peux  me 
«  r^idre  b  santé,  ta  fortune  est  faite  I  ni  tes  maîtres  ni 
«  UÂ  f  TOUS  ne  manquerez  de  rien  ;  dis  aux  Pères  de  res- 
«  ter  toujours  dans  ma  ville ,  j'aurai  soin  d'eux.  »  Le 
lendemain  le  roi  m'aivoya  son  ministre  pour  m'annoncer 
qu'il  entrait  déjà  en  convalescence,  que  s'il  était  un  jour 
bien  rétabli)^  il  nous  accorderait  tout  ce  que  nous  lui  de* 
manderions,  fût-ce  même  une  église  à  colonnes  dorées I 

«  Tout  ceci  nous  réjouit  beaucoup ,  parce  que  notre 
ministère  y  gagnait  plus  de  liberté  :  les  habitants,  voyant 
que  nous  étions  en  grande  faveur  auprès  du  roi ,  com- 
mencèrent à  prendre  omrage;  un  certain  nombre  d'en- 
tre eux  vinrent  méfne  demander  à  se  préparer  au  baptême. 
Mais ,  hélas  !  comme  toutes  ces  espérances  s'évanouirent 
tientât  I 

«  A  peine  le  prince  fut-il  parfaitement  guéri ,  qu'il 
congédia  mon  jeune  homme  sans  lui  donner  la  moindre 
récompense,  sous  prétexte  qu'il  n'allait  pas  mieux.  Tout 
le  monde  cependant  le  voyait  marcher  et  allar  se  pro- 
mener chaque  jour  ,  tandis  qu'aupiaravant  il  pouvait  à 
peine  faire  un  pas  dans  son  palais  ;  les  mandarins  eux- 
mêmes  félicitaient  mon  serviteur  d'avoir  si  complètement 
réussi ,  et  lui  faisaient  mille  compliments  sur  son  habi- 
leté. Le  roi  se^l ,  soit  ingratitude ,  soit  avarice,  soit  qu'il 
détestât  en  son  cœur  notre  sainte  Religion,  prétendit  que 
son  état  n'avait  pas  changé  ;  Tunique  satisfaction  qu'il 


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74 

donna  à  son  bieniaitenr  fui  d*envoyer  ,  vers  le  soir , 
son  minisU*e  cliez  nous  pour  consoler  mon  serviteur  éooa- 
duit,  en  lui  disant  :  «  Ne  crains  pas  ,  quoique  tu  n'aie* 
«  pas  pu  guérir  sa  majesté ,  elle  te  pardonne  ;  elle  ne 
«  pense  pas  à  te  couper  la  tête.  » 

«  A  partir  de  ce  moment,  les  personnes  qui  se  pré- 
paraient au  baptême  commencèrent  à  se  retirer  les  une!i 
après  les  autres ,  apportant  pour  raison  que  le  roi  araî t 
défendu  à  tons  ses  sujets  de  se  faîj'e  chrétiens.  Dès  ce 
moment  aussi ,  notre  maison  ,  auparavant  toujours  pleine 
depuis  le  matin  jusqu'au  soir  ,  fut  entièrement  déserte  ; 
et  tandis  qu'autrefois,  dès  qu'on,  nous  apercevait  dans  les 
rues,  chacun  s'empressait  de  nous  inviter  à  monter cbes 
lui ,  personne  n'osait  plus  nous  parler  :  on  commençait 
môme  à  se  moquer  de  nous,  et  bientôt  Ton  finit  par  nota 
insulter. 

«  II  aurait  fallu  être  aveugle  pour  ne  pas  voir  que 
Bos  affaires  allaient  fort  mal.  Je  sollicitai  donc  une  no»- 
velle  audience  du  roi,  et  l'ayant  obtenue  ,  je  lui  deman- 
dai sans  autre  préaa>bule  pourquoi,  malgré  ses  promesses, 
il  défendait  a  son  peuple  d'embrasser  notre  Religion. 
Etait-ce  crainte  ou  fourberie  de  sa  part ,  ou  bien  les  pré- 
sents quQ  nous  lui  avions  faits  le  retenaient-  ils  encore  un 
peu ,  c'est  ce  que  je  ne  saurais  dire  ;  mais  il  nia  tout 
et   protesta  à  plusiccnrs   reprises    qu'il    n'avait  jamais 
rien  dit  contre  nous.  «  Cependant,  repris-je,  tout  k 
«  monde  le  croit ,  et  en  conséquence  personne  n'ose  con- 
»  tinuer  à  se  faire  instruire.  S'il  est  vrai  qu'on  se  trompe, 
«  ne  poumez-vous  pas  manifester  hautement  votre  volon- 
«  té ,  tt  rassurer  ceux  de  vos  sujets  qui ,  ayant  eu  le  bon- 
«  heur  de  connaître  le  vrai  Dieu ,  ont  le  désir  de  Tado- 
«  rer  ?  »  —  «  Non ,  répondit-il ,  je  n'ai  défendu  à  per- 
«  sonne  d'embrasser  voire  Religion  :  je  m'en  tiens  là ,  je 
«  n'en  veux  pas  faire  davantage.  » 


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n 

«  Je  me  relirai  assez  embarrassé  et  ne  sachant  qoet 
parti  prendre ,  car  je  voyais  évidemment  qu'il  mcniaiu 
Abandonner  dès  lors  ce  poste,  conquis  avec  tant  de  peines, 
nous  paraissait  une  résolution  bien  précipitée;  d'un  autre 
côté^  en  différant  de  partir  nous  avions  à  craindre  d'être 
chassés  honteusement  et^  par  suile,  de  ne  pouvoir  plus 
prêcher  dans  aucun  autre  état  du  Laos  ;  car  le  bruit  de 
notre  expulsion  se  fût  bientôt  répandu  partout ,  et  dan* 
les  autres  royaumes  on  n'aurait  pas  manqué  de  suivre 
Texemple  de  Xieng  -  Mai.  Nous  étions  donc  à  prier  et  à 
réfléchir  sur  le  parti  qu'il  convenait  de  prendre ,  lors- 
qu'un jour,  ne  sachant  que  iaire    dans  notre  maisôa 
qui  était  entièrement  dièserte ,  je  m'avisai  d'aller  rendre 
visite  à  une  famille  païenne  que  j'avais  cûonoe  h  Bang- 
kock.  Elle  me  conGrma  tout  ce  que  nous  avions  pressenti. 
Ces    gens   m'ayant  assiHré  que  le  roi  avait  menacé  de 
couper  la  tête  à  quiconque  recevrait  le  baplômc ,  et 
que,  pour  ce  motiJ,  personne  p'oserait  plus  venir  à  nos 
instructions ,  nous  nous  décidâmes  enGn  à  porter  ailleurs 
le  flambeau  de  la  foi,  comme  vous  pourrez  le  voir  dans 
la  lettre  que  j'ai  écrite  à  ma  famille. 

«  Je  suis ,  Monsieur  le  Supérieur  ,   dans  les  saints 
oœurs  de  Jésus  et  de  Marie ,  votre  tout  dévoué  serviteur. 

«  J.-B.  Grand  JEAN, 
«  Missionnaire  apostolique.  » 


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7« 


BilSSIONS  DE  LA  CHINE. 


Lettre  de  Mgr  Ferrèol,  Ficaire  apoitolique  de  la  Corée 
et  du  Liéou'Kkiéou ,  à  MM.  les  Membres  des  Cameils 
centraux  de  lyon  et  de  Paris. 


Uacao ,  25  mai  1845. 


«  Messieurs, 


«  Les  malheurs  qui ,  ces  dernières  années  ,  sont  ve- 
nus fondre  sur  la  Mission  coréenne,  ont  dû  profondé- 
ment attrister  vos  cœurs ,  si  brûlants  de  zèle  pour  la 
Religion.  Bien  des  fois  vous  aurez  conjuré  le  Père  de 
famille  de  faire  liiire ,  sur  cette  portion  de  sa  vigne  si  dé- 
vastée par  Forage ,  des  jours  plus  sereins  et  de  lui  ra- 
mener des  temps  plus  calmes.  Aujourd'hui  vous  atten- 
dez ,  sans  doute ,  avec  la  plus  grande  sollicitude  des 
nouvelles  qui  vous  apprennent  que  vos  vœux  ont  été 


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77 

exaucés ,  et  que  les  fidèles  coréens  possèdent  enfin  leur 
pasteur  !  Hélas  t  Messieurs ,  j'ai  la  douleur  de  vous  an- 
noncer que  je  suis  encore  loin  de  mon  troupeau. 

«  J'avais  pu,  Tannée  dernière,  m'aboucher  avec  un 
chrétien  qui  suivait  Tambassade  à  Péking  ;  nous  convln* 
mes  aisemble  que  je  tenterais  encore  la  voie  périlleuse 
de  Pien-Menj  par  où  mes  prédécesseurs  étaient  entrés  , 
et  qu'à  son  retour  en  Corée  il  disposerait  tout ,  de  con- 
cert avec  les  principaux  catéchistes ,  pour  mon  intro* 
duclion. 

«  Je  fus  fidèle  au  rendez-vous  ;  j'arrivai  à  la  fron- 
tière le  premier  jour  de  cette  année ,  à  Theure  même 
o&  la  légation  coréenne  la  franchissait  pour  passer  eh 
Chine.  Le  même  chrétien  ne  tarda  pas  à  se  rendre  à 
Fauberge  où  j'étais  descendu.  En  le  voyant  mon  cœur 
palpita  de  joie  :  j'étais  à  4a  porte  de  ma  nouvelle  patrie , 
de  hi  terre  qui  m'avait  été* promise,  et  dans  laquelle  je 
cherchais  à  pénétrer  depuis  si  longtemps.  Je  me  croyais 
à  la  fin  de  mon  exil  ;  toutefois  je  tremblais  d'apprendre 
de  funestes  nouvelles.  Les  bras  me  tombèrent  quand  i( 
me  dit  que  mon  entrée  ne  pourrait  encore  s^effectuer 
pour  le  moment.  Sur  sept  du*étiens,  partis  de  la  capi- 
tale ,  et  parvenus  sans  obstacles  à  Itckeou ,  douane  la 
plus  voisine  de  la  Chine ,  trois  seulement  avaient  pu  la 
franchir;  les  autres ,  objets  de  graves  soupçons ,  entourés 
partout  de  soldats  qui  les  acc&blaient  de  questions  pres- 
santes ,  s'étaient  hâtés  de  regagner  Pintérieur,  emmenant 
les  chevaux  et  emportant  les  habits  qui  devaient  me  servir. 
Dès  lors  mon  entrée  devenait  impossible;  il  fallut  l'a- 
journer. 

«  Vous  me  demanderez  peut-être  si  je  n'aurais  pas 
pu  l'effectuer  sur  un  autre  point.  Depuis  que  les  Chi- 
nois ont  refoulé  les  Coréens  dans  la  presqu'île ,  il  existe 
une  antipathie  nationale  très-violente  entre  les  deux  peu- 


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7« 
pies;  Lft  Corée  est  séparée  du  Lead-^Tong  par  un  temùa 
Beoire  ec  déaeri  de  quinze  lieues  de  large  ^  et  de  la 
'MaatcJiourie  par  dimoienses  et  impénétrables  forêts.  Il 
n'y  a  que  deux  poiau  de  coatact  :  Ttio  est  au  nord  ; 
ott  s'y  refid  par  un   chemin  qui   traverse  les  bois  ec 
▼a  aboutir  ù  la  mer  du  Japon;   les  Chinois  peoveoi 
.s'y  réunir ,  une  fois  tous  les  deux  ans,  pour  y  faire  le 
commerce^  L'hutre  est  au  midi ,  non  loin  des  eûtes  que 
kiigne  la  mer  Jaune  ;  c*ëst  par  là  que  passe  Tambos- 
sade  envoyée^  deux  fois  Tan,  par  le  roi  de  Corée  à 
remperear  de  Chine,  à  la  neuvième  lu|ie  pour  lui  de- 
mander le  calendrier ,  et  à  la  onzième  pour  lui  présenter 
M»  souhaits  de  bonne  année.  Ce  passage  est  appelé  en 
ehinois  Pien-Mm  ou  fwrU  de  la  fnmliére. 

«  Dans  la  dernière  persécution ,    le  gouvememeot 
coréen  ayant  su  que  les  Missionvaires  s^étaient  introduits 
par  cette  voie  ,  a  redoublé  sdr  la  limite  ses  postes  de 
aurveiHanoe.  li  a  exigé  que  tous  ceux  qui  seraient  atta- 
ehés  à  rambassade  ou  la  suivraient  en  qualité  de  négo- 
ciants^ reçussent  à  Itcheou  un  passe-port.  C'est  une 
petite  planche  de  trois  pouces  de  long  et  d'un  pouce  de 
fai^e;  on  y  écrit  le  nom  du  voyageur  et  celui  de  son 
pays  :  au  bas  est  apposé  le  sceau  du  mandarin.  Avant 
de  l'obtenir  on  est  soumis  à  une  foule  d'interrogations  ^ 
très-embarrassantes  pour  quiconque  veut  aller  en  Chine 
dans  un  autre  but  que  celui  du   commerce.  En  rentrant 
on  doit  remettre  son  passe-port  au  chef  de  douane  qui 
Ka  délivré*  On  arrêterait  toute  personne  qui  n*en  au- 
rait pas«  Sur  une  longue  étendue  de  la  limite  coréenne 
sont  échelonnés  des  postes  de  soldats  pour  la  garder. 
Ces  précamioos  ne  aont  i>rises  par  le  gouvernement 
coréen  que  pour  empêcher  les  Chinois^  ou  tout  étran* 
ger,  de  pénétrer  dans  le  pays«  Depuis  la  capitale  jusqu'à 
k^^frootière,  on  t  donné  le  signalement  des  trois  Français 


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79 
mk  à  moriea  1839  :  leur  Bartyve  a  ea  dn  reteatisseniaïc 
dans  tout  le  royaome  ;  nr  la  routa  oa  se  rappeUe  lear 
paisag^e ,  leur  figure  écningère  ,  el  sartc^nt  leur  barbe 
épaisse.  Aussi ,  dès  qu*on  rencontre  quelqu^un  qui  en 
a  plus  que  le  coamiiQ  des  indigènes,  on  l'interroge  pour 
a*ai6ttrer  s'il  n'est  pas  Europétlu 

«  Vous'  voyez ,  Messieârs ,  que  je  n'aurais  pu  tenter 
cette  voie  »  sans  courir  à  une  mort  certaine.  Je  dus 
dès  k>rs.  porter  mes  vues  sur  un  autre  point.  La  mer 
n'ofirirait  un  passage  moins  périlleux ,  s'il  y  avait  des 
rebtioos  commerciales  entre  les  deux  nations  ;  mais  ici 
isolement  plus  complet  encore  qve  par  terre  ;  tes  pédieurs 
coréens  ne  quitt«[it  pas  les  cotes  de  leur  pays ,  et  les 
chinois  n'abordent  jamais  en  Corée.  L'antipathie  nationale 
▼a si  loia  que,  si  la  tempête  jette  la  jonque  de  l'un  des 
deux  peuples  sur  te  rivage  de  l'autre ,  le  capitaine  et 
requise  sont  conduits  sous  bonne  escorte  à  la  capitale  ^ 
poar  dirt  ensuite  remis  entre  les  mains  de  leur  gouvar* 
nemeiit  respectif. 

«  Les  Coréens  me  donnèrent  sur  la  Mission  les  nou- 
veHes  suivantes  :  Depuis  la  grande  persé^tion ,  il  y  a  eu 
sept  martyrs ,  dont  six  hommes  et  une  ieone.  En  1 839 , 
cette  dernière  néophyte,  qui  appartenait^  la  familleroyale, 
avait  eu  la  faiblesse  de  renoncer  extérieurement  à  la  fin* 
Ne  pouvant  tenir  contre  les  remords  de  sa  conscience ,  die 
alla.  Tannée  dernière ^  se  présenter  devant  le  juge,  lui 
«vouant  que  c'était  la  force  des  tourments  ifui  lui  avait 
arraché  une  parole  d'apostasie ,  mais  qae  pour  le  moment 
elle  se  dédarait  chrétienne  et  toute  prête  à  marcher  à  h 
mort.  Quelques  jours  après  elle  fi»t  étranglée.  Les  six 
.kommes  <mt  aussi  péri  par  la  corde.  Chaque  année  est 
«igoalée  par  quelque  persécudon  locale ,  aras  qui  n^est 
pas  de  nature  à  troubler  la  tranquillité  générale  de  la 
Mission.  Les  esprits  sont  bien  disposés  pour  notre  ReU- 


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so 

gkm  saiiite;  la  dasse  des  lettrés  a  pour  elle  une  singaKire 
estime ,  et  semble  n'attendre  pour  se  déclarer  en  sa  Enveor 
que  le  moment  où  elle  sera  libre.  Espérons  que  ce  temps 
n'est  pas  éloigné. 

«  Mes  courriers  consentirent  à  introduire  un  de  nos 
élèves  coréens  que  j'avais  ordonné  Diacre;  il  était  trop 
jeune  encore  pour  recevoir  la  prêtrise.  Sera-t-îl  par- 
venu sans  accident  jusqu'aux  provinces  méridionales,  oà 
se  trouvent  les  chrétiens  ?  Je  l'ignore  encore.  N'ayant  plus 
rien  qui  me  retint  à  Pim^Mm ,  je  m'en  arracèai,  le  coeur 
rempli  d'amertume  ;  mais  je  retrouvai  bientôt  ma  tran- 
quillité ,  en  pensant  que  mon  entrée  dans  la  Mission 
n'était  pas,  pour  le  moment,  conforme  à  la  volonté  de 
Dieu ,  volonté  qui  doit  nous  être  plus  obère  que  la  con- 
version du  monde  entier.  Avant  de  quitter  la  frontière, 
je  voulus  voir  défiler  devant  moi  les  mandarjns  et  les 
soldats  qui  composaient  laJégation  coréenne;  je  ne  pus 
me  défendre  de  leur  adresser  intérieurement  ces  paroles  : 
c  Oh  !  Si  vous  saviez  le  prix  du  don  que  nous  vous 
«  apportons  ,  loin  de  nous  rejeter  ou  de  nous  mettre  à 
«  mort  comme  des  malfoiteurs,  vous  nous  recevriez  à 
«  bras  ouverts  comme  des  envoyés  du  ciel.  » 

«  Je  m'embarquai  au  Leao-Tong  pour  retourner  à 
Macao.  Quinze  jours  de  navigation  sufiirent  pour  ce  voyage. 
Il  y  a  six  ans,  j'employai  cinq  mois  et  demi  pour  me 
rendre  en  Tartarie.  Par  suite  de  la  guerre  Anglo-Chi- 
noise, se  Bont  établis,  entre  notre  Procure  et- quelques- 
unes  de  nos  Missions ,  des  rapports  aussi  prompts  qn'<Hi 
peut  le  désirer.  C'est  déjà  un  grand  bien  ;  mais  ce  qui  esi 
plus  encore,  c'est  le  libre  exercice  de  la  Religion  chréltame, 
que  H.  de  Lagrenée,  ministre  plénipotentiaire  de  la 
France ,  a  demandé  et  obtenu  pour  tous  les  sujets  du 
céleste  empire.  La  gloire  d'un  acte  aussi  méritoire  était 
réservée  a  un  de  nos  compatriotes  ;  son  nom  est  nulle 


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81 

fois  béni  par  tout  ce  qu'il  y  a  de  chrétiens  en  Chine.  Un 
avenir  glorieux  semble  se  préparer  pour  la  foi  dans  le 
fond  de  TOrient. 


«  Voici  la  supplique  que  le  gouverneur  de  Canton 
a  présentée  à  Tempereur ,  au  sujet  de  la  liberté  de  con- 
science. 

«  Le  délégué  impérial ,  gouverneur  des  deux  pro- 
vinces de  Koang-Tong  et  de  Koang-Si ,  feit  à  votre  Ma- 
jesté cette  humble  supplique  : 

«  J'estime  que  la  Religion  du  Maître  du  ciel ,  prati- 
quée par  les  peuples  de  l'Occident,  a  pour  objet 
d'exhorter  au  bien  et  de  détourner  du  mal.  Précbée  en 
Chine  dès  la  dynastie  des  Ming ,  elle  fut  tolérée  pen- 
dant quelque  temps;  ensuite,  des  gens  dupays,s'en- 
veloppant  de,  son  ombre  pour  commettre  les  crimes  les 
plus  détestables ,  jusqu'à  outrager  les  femmes  et  arracher 
les  yeux  des  malades  (1) ,  reçurent  des  juges  le  châ- 
timent dû  à  leurs  forfaits. 

«  Sous  le  règne  de  Kia-King ,  fut  inséré  dans  le  Code 
pénal  un  article  qui  déterminait  la  peine  qu'on  infligerait 
à  ces  sortes  de  coupables  :  toutefois ,  cette  loi  n'mter- 
disait  pas  aux  Chinois  le  libre  exercice  du  cahe  des  Occi- 
dentaux ,  mais  punissait  seulement  l'abus  qu'ils  en  Csù- 
saient. 

«  Aujourd'hui  le  ministre  plénipotentiaire  de  la  France, 
de  Lagrenée ,  désirerait  que  ceux  des  sujets  de  votre  Bfa- 
jesté  qui  pratiquent  cette  Religion,  et  qui  sont  irréprocha- 
bles sur  tout  le  reste ,  ne  fussent  pas  traduits  devant  les 


(1)  Voir,  à  la  page  sairaiite ,  les  expUcatioiu  doon^  par  Hgr 
Ferrai. 

TOK.  xmi.  104.  16 

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as 

tribunaux*  Coome  la  cbose  parait  raisoonable ,  je  prie 
inaUiaiinent  votre  Majeslé  d'useï*  de  sa  clémence  célesle, 
et  de  déclarer  innocents  tous  les  sectateurâ  de  la  Religioii 
cbrétienne,  sans  distinction  de  Chinois  et  d'étrangers  » 
poui-vu  que  d'ailleurs  ils  obéissent  aux  lois  établies.  S'ils 
reviennent  aux  premiers  abus  et  commettent  les  mêmes 
crimes,  ils  seront  punis  d'après  les  anciennes  lois. 

«  Quant  aux  Français  et  aux  autres  étrangers,  il  leur 
est  permis  d'élever  des  temples  et  d*y  faire  les  céré- 
Bionies  de  leur  culte,  dans  les  cin(i  points  ouverts  au  com* 
mciTC  ;  mais  ils  ne  pourront  s'introduire  dans  l'intériear 
de  Tempire  et  y  prêcher  leur  Religion.  Si,  au  mépris  de 
«ctte  défense ,  ils  osent  franchir  les  limites  qui  leur  soAt 
assignées  ,  ils  seront  arrêtés  par  les  autorités  locales^  et 
conduits  au  consul  de  leur  nation  le  plus  rapproché , 
pour  être  punis  et  contenus  dans  le  devoir;  mais  les 
Biandaritis  s'abstiendront  de  leur  infliger  aucun  cbâli- 
atent*  De  cette  manière  la  clémence  impériale  brillera 
anx  yeux  de  l'univers  entier ,  le  bien  et  le  mal  ne  se- 
ront pas  confondtis,  et  les  lois  conserveront  tout«  leur 
vigueur. 

«  Désirant  donc  que  les  chrétiens,  qui  sont  tionnêtes 
çem  d'ailleurs ,  ne  soient  plus  inquiétés  au  sujet  de  leur 
Reltgîon  ,  je  prie  très-instamment  votre  Majesté  de  leur 
accorder  la  liberté  de  conscience.  C'est  là  ma  supplique. 

•  TaO'Koang,  le  dix-neuvième  jour  de  la  onzième 
lune  de  la  vingt-qualrièmc  année  de  son  règne  (  28  dé- 
cembre 1844)  avec  son  crayon  rouge,  a  signé  cette 
pétition  et  y  a  fait  droit.  Qu'on  ait  à  la'  respecter.  » 


«  Le  génie  chinois  perce  ici  à  chaque  ligne.  Le  vice- 
roi  a  pallié  comme  il  a  pu  les  persécutions  suscitées  ea  di- 

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83 
vers  lemps  contre  les  chrétiens.  L'empereur  et  les  man- 
darÎDS  ne  croient  nollement  aux  crimes  allégués  dans 
celte  supplique ,  puisque  jamais  il  n*en  a  été  question 
devant  les  tribunaux  ;  ce  n'est  là  qu'une  absurde  accusa- 
tion faite  par  la  populace ,  et  qui  trouve  son  origine 
dans  la  manière  dont  s'administre  l'extrême-onciion. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  cet  édit  aura  les  résultats  les  plus 
avantageux  pour  les  progrès  de  la  Religion  en  Chine. 
Nous  avons  lieu  d'espérer  qu'au  bout  de  quelques  an- 
nées, nous  pourrons  publiquement  pénétrer  dans  le  cé- 
leste empire ,  et  voh*  ces  peuples  orientaux  sortir  de 
l'isolement  où  l'orgueil  et  la  crainte  les  retiennent  de- 
puis tant  de  siècles.  J'attends  à  Macao  l'occasion  d'un  navire 
qui  &sse  voile  vers  les  côtes  de  la  Corée  ;  elle  ne  tar- 
dera pas  à  s'offrir.  Déjà  j'ai  fait  avertir  nos  pêcheurs  néo- 
phytes de  se  porter  vers  tout  vaisseau  européen  qui 
paraîtrait  dans  leurs  paniges ,  pour  savoir  s'il  n'aurait  pas 
à  bord  quelque  Missionnaire. 

«  Agréez  l'hommage  du  profond  respect  avec  lequel 
j'ai  l'honneur  d'être , 

«  Messieurs, 
«  Voure  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 


«  f  J.  Joseph  ,  Ev.  de  Belline ,  Ficaire  JpostoKquQ 
de  la  Coféç  ttdM  LUim^Khiiou,  » 


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84 


NOUVELLES  DIVERSES. 


La  Société  de  saint  Lazare  a  envoyé,  en  1846 ,  aux  di 
verses  Missions  qu'elle  dirige,  cinq  prêtres,  deux  frères 
coadjuteurs  et  treize  sœurs  de  la  Charité,  savoir  : 

Deux.  Missionnaires  en  Chine,  M.  Delaplace,  du  diocèse 
<3c  Sens ,  et  M.  Peschaud ,  du  diocèse  de  Saint-Flour  ; 

Deux  Missionnaires  dans  le  Levant ,  M.  Faveyrial ,  du 
diocèse  de  Lyon ,  et  M.  Richou,  du  diocèse  d'Angers; 

Un  Missionnaire  en  Amérique,  M.  Delcros,  du  diocèse 
de  Saint-Flour. 

J)eux  frères  coadjuteurs  à  SmjTne  ; 

Cinq  sœurs  de  la  Charité  à  Constantinople ,  trois  à 
Smyrne,  et  cinq  à  Alexandrie. 

Dans  celte  énumération  ne  sont  pas  compris  :  trois 
Missionnaires ,  deux  frères,  et  quatorze  sœurs ,  que  la 
nitme  Congrégation  a  fournis  à  l'Algérie,  pendant  Fan- 
iiée  1845. 


Sont  partis  de  Bordeaux  en  juillet,  et  de  Toolon  en 
novembre  dernier,  pour  la  Mission  des  deux  Guinées  : 
MM.  Briot  de  la  Maillerie  (Ernest-Hyacinthe)  de  Vannes , 
Arragon  (Stanislas-Auguste)  de  Grenoble  , 
Tisserant  (Nicolas-Eugène)  de  Paris , 
Lossedat  (Joseph-Marie)  de  Clermont-Ferrand , 
Warlop  (Henri-Théodpre)  de  Bruges  (Belgique) 


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85 

Et  les  frères  : 
Mersy  (Pierre)  de  Bordeaux , 
Hugues  (Siméon)  de  Bordeaux. 
Le  16  septembre,  se  sont  embarqués  avec  Mgr  Brî^dy , 
évéque  de  Perth ,  pour  la  Nouvelle-Hollande  : 
MM.  Thevaux  (François)  de  Clermont-Ferrand  , 
Bouchet  (Maurice)  d'Annecy  (Savoie) 
Odon  (Théodore)  frère  coadjuteur,  de  Bordeaux. 
Tous  ces  Missionnaires  appartiennent  à  la  société  du 
saint  Cœur  de  Marie. 


N(m$  des  prêtres  et  des  Catéchistes  de  la  Société  de  Marie 
qui,  dans  le  mois  de  novembre,  se  sont  embarqués  au 
Havre,  sur  TArche  d'Alliance ,  four  VOcéanie. 


Diocèses  : 

Les  Pères  Mugnîery,  Bclley, 

Verne ,  Belley, 

Vachon,  de  Givors,  Lyon, 

Mériais,  Nantes  , 

Padel ,  Nantes  , 
Collomb,^ 

Villien,  /Moutiers  enTarcntaise,  Savoie. 
Crey  ,     ) 


Les  Catéchistes  F.  Joseph  Muraour  , 
F.  Optât, 


F.  Gérard 


Fougerouse 


F.  Lucien  Magnhodier  , 
F.  Paschase  Saint-Marlîn 


Fréjus, 
.  Autun, 
*    Clermonl, 

Viviers ,. 

Toulouse. 


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S6 

Huit  de  ces  Religieux  sont  destioés  pour  le  vicariat 
apostolique  de  l'Océanie  centrale  et  pour  la  Nouvelle- 
Calédonie. 

Les  cinq  autres  se  rendent  auprès  de  Mgr  Epalle,  vicaire 
apostolique  de  la  Mélanésie  et  de  la  Micronésie. 


Noms  des  Religieux  de  la  Compagnie  de  Jéeus  qui  sont 
partis  pour  les  Missions  étrangères,  pendant  le  cours 
de  1845. 

Pour  la  Mission  du  Maduré. 

Les  PP.  GiibrieideSc^Ferriol,dudiocèsedeGreDoUe  « 

Charles  du  Raaquet,  deOermont, 

Jean  Richard  ,  duPuy  , 

Eugène  Hurlin,  de  Rayonne, 

Charles  Daugnac ,  de  Rodez  , 

Louis  L'hoste ,  de  Râle  , 

Antoine  Pereira ,  de  Goa^dans Tlndc, 

Antoine  O'Kenny  ,  de  Dublin(Irlande). 

Pour  la  Mission  du  Canada. 

Les  PP.  Louis  Sache ,  du  diocèse        de  Tours  , 

Jean-Rapiiste  Pedelupc  ,         de  Marseille  , 
Jean-Raplîste  Menei ,  de  Nantes  , 

Auguste  Koliler,  clerc  tonsuré,  de  Strasbourg. 

Pour  les  Missions  de  la  Chine. 
Les  PP.  Augustin  Poîssemeu!c, du  diocèse  de  Vannes, 


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87 

Les  PP.  Régis  Rocher ,  de  GrenaUe , 

Louis  Sica,          da  royaume  de  Noplest 

Mathurin  Lemaltre,  du  Mans, 

Constant  Tingun  ,  d'Angers  , 

Théobald  Werner ,  de  Strasboin|(, 

Alexandi*e Rose,  diacre,  de  Tom^. 

Le  frère  Léopold  Deleuze  ,  de  Toumu. 


Pour  les  Etals-Unis. 

Les  Clercs  Basile  Gacciarini ,  ^ 

Antoine  Ciampi ,  >  de  la  Province  romaine. 

Joseph  Finotii,  ) 

Ange-Marie  Paresce,  ) 

Alméric  Zappone^  / 

Camille  Vicinanza,  )  delaProvincedeNapIc»* 

Eugène  Vetromîle, 


Livius  Vigilante. 


'•) 


Eu  mai  1845 ,  se  sont  embarqués ,  à  Civita-Veccbia  « 
pour  la  Mission  de  Jérosalem,  le  P.  Etienne  Basane  ,  d 
le  F.  Jean  d*Argîle ,  mineurs  ofaservontins. 

Le  buitseptenbre,  trois  autres  Religieux  du  même  ordre 
sont  partis  de  Livourne  pour  la  même  Mission  ;  €8  «ont 
les  PP.  Gonzalve,  Portugais,  Raphaël  de  Castel-Emîle« 
et  Fidèle  de  Fano. 

Deux  mineurs-réformes ,  les  PP.  Léonard  de  Jesi  «t 
Bnflbide Parme,  ont  quitté  Gvita-Yecchia  le  4  septembre. 


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88 
pour  se  rendre ,  le  pranier  au  Grand  Caire  ^  le  second  ï 
Constantinople. 


Sont  partis  de  Bordeaux  le  sept  juin  184S,  et  arrivés 
à  Pondichéry  le  huit  septembre ,  après  une  heureuse  na- 
vigation : 

MM.  Martin  (Jacques)  d'Annecy  (Savoie) 
Lavorel  (Joseph)  idem. 

Tissot  (Jean-Marie)  idem. 

Thevenet  (Jean)  idem. 

Et  les  FF.  Canon  (Pierre)  idem. 

Fonianel  (Sulpice)  idem. 

Ils  sont  tous  les  six  deslinés  au  vicariat  apostolique  de 
Vh'igapatam  (Inde)  qui  vient  d'être  confié  à  la  Société 
des  Missionnaires  de  saint  François  de  Sales ,  dans  le 
diocèse  d'Annecy. 


Dix  Missionnaires  irlandais  ,  des  diocèses  d'Ardagb, 
d'Armagh  et  de  Kiimore  ,  se  sont  récemment  embarqués 
à  Dublin  sur  le  navire  V  Union j  qui  a  mis  à  la  voile  pour 
le  vicariat  de  la  Trinidad ,  dans  les  Indes  occidentales. 

Dans  quelques  jours,  plusieurs  autres  prêtres  dont  les 
préparatifs  de  départ  n'étaient  pas  achevés  ,  quitteront 
Dublin  pour  la  même  destination. 


Un  prêtre  espagnol,  M.  Joseph  Garriga,  s'est  embarqué 

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89 
à  Marseille ,  le  quatre  octobre  dernier  ^  pour  la  Mission 
d'Agra,  dans  Tlndoustan. 


Mgr  Rameaux  ,  évéque  de  Myre  in  partihus ,  vicaire 
apostolique  du  Tché-Kiang  et  du  Kiang-Si^  est  mort  à 
Macao  le  quatorze  juillet  dernier. 

Le  Prélat  élail  allé  dans  cette  ville  pour  conférer  avec 
M.  de  Lagrenée  sur  les  intérêts  de  la  Religion  chrétienne 
en  Chine.  Cette  perle  est  d'autant  plus  regrettable  que 
Mgr  Rameaux  n'avait  encore  que  quarante-trois  ans  ;  il 
en  avait  passé  quatorze  dans  Tempire  chinois ,  et  partout 
il  s'était  concilié  Feslime  et  la  vénération  générale  par  ses 
qualités  et  ses  vertus.  ^ 


Mgr  Joachin  Salvetti,  de  Tordre  des  Mineurs  Observan- 
tins,  vicaire  apostolique  du  Chan-Si  et  du  Chen-Si ,  a 
terminé  par  une  sainte  mort  sa  longue  carrière  apostolique. 
Le  vénérable  Prélat  portait,  imprimés  sur  son  corps,  les 
vestiges  des  tourments  qu'il  avait  soufferts  pendant  trois 
années  de  prison  ,  sous  le  règne  de  Tempereur  chinois 
Kta-Âing. 


Le  P.  François  d'Assise  Caret ,  membre  de  la  société 
de  Picpus  et  Préfet  apostolique  de  TOcéanie  orientale,  est 
mort  à  Mangaréva  (une  des  lies  Marquises)  le  vingt-neuf 
octobre  1844.  Ce  fervent  Missionnaire,  si  connu  de  nos 
lecteurs  par  les  lettres  intéressantes  qu'il  à  données  aux 
annales  y  évangélisait  depuis  dix  ans  les  plages  lointaines 
où  il  a  succombé  ;  il  est  revenu  mourir  au  milieu  de  ises 


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90 

j^raniers  néophytes ,  qni  Tant  eueveli  dans  leur  égUse 
principale. 


On  Bovs  écrit  de  Bordeaux  : 

«  Nos  pauvres  et  nos  militaires  contribuent  aussi  h  h 
sainte  OEuvreen  donnant  leur  sou  par  semaine.  Dernière- 
ment, j*ai  remis  en  leur  nom  plus  de  quatre-yingt  francs 
à  M.  le  trésorier,  et  j'ai  de  nouveau  reçu  d*eux  quelques 
autres  fonds.  Il  m*est  arrivé  de  dire  à  ces  braves  militaires 
que  je  recevais  leur  argent  avec  peine,  parce  que  je  sa- 
vais le  sacrifice  qu'ils  faisaient  en  me  le  donnant,  et  ils 
m'ont  répondu  qu'ils  préféraient  se  retrancher  toute  dou- 
ceur, plutôt  que  de  se  priver  de  cette  consolation.  Quand 
j'ai  adressé  les  mêmes  paroles  aux  pauvres,  qui  m'appor- 
taient l'aumône  reçue  par  eux  de  la  charité  publique  et 
rendue  aux  Missions  par  leur  dévouement ,  ils^m'oiK 
également  dit  qu'ils  se  passeraient  de  dtner ,  plutôt  que 
de  renoncer  an  bonheur  de  contribuer  à  TOEuvre.  Quel- 
quefois  ils  me  donnent  leur  sou  en  Itards  ,  6C  font  phn 
d'une  demi-lieue  pour  me  l'appoHer  I  » 


Un  Missionnaire  du  Kian-Nan ,  en  Chine  ,  écrit  i  m 
de  ses  confrères  : 

«  Ce  n'est  pas  ici  qu*il  fout  élever  uneoontrovo^  pour 

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91 

savoir  si  Tusage  de  Topium  est  une  chose  indifférente. 
On  montrerait  des  femilles ,  naguères  dans  Taisance  , 
aujourd'hui  désolées  ;  les  enfants,  sans  nourriture  et  sans 
YélementSi  obligés  de  se  faire  voleurs;  les  femmes  vendues 
«C  les  faroenrs  devenus  pires  que  des  bétes  brutes.  Ce 
mal  est  trës^répandu  dans  les  villes,  â  des  personnes 
bien  instruites  vont  jusqu^à  dire  C[u'un  Chinois ,  habitué 
à  fumer  de  l'opium,  est  un  homme  perdu  pour  les  affaires 
de  la  vie  civile.  Après  avoir  usé  de  ce  dangereux  poison, 
pendant  trois  années  seulement ,  il  ne  sera  plus  propre 
qu'à  satisfaire  sa  passion  ou  plutôt  sa  fureur.  S'il  peut  y 
réussir,  il  traînera  encore  sa  vie  pendant  assez  longtemps; 
mais  il  sera  rédyit  à  un  état  complet  de  stupidité.  Si ,  au 
contraire,  les  ressources  lui  manquent,  alors  il  est  en  proie 
à  des  souffrances  et  à  une  langueur  dont  il  ne  se  relèvera 
plus.  Un  fumeur  ordinaire  dépense  au  moins  douze  francs 
par  jour ,  dont  la  moitié  pour  le  poison  ,  et  le  resiP 
pour  les  besoins  qu'il  impose.  Or ,  c'est  là  une  somme 
considérable  pour  la  Chine.  » 


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92 


Extrait  (Tune  lettre  de  Mgr  Retord,  Ficaire  apostolique  du 
Tong-King  occidental ,  d  M,  Berger ^  d  Lyon» 


Aa  ToDg-King,  le  25  juillet  18i5. 


«  Vous  désirez,  mon  cher  Ami ,  savoir  des  nouvelles 
de  M.  Charrier.  Eh  bien  !  ce  zélé  confesseur  de  la  foi  est 
de  retour  auTong-King  depuis  le  mois  de  janvier  dernier. 
Quand  il  arriva,  je  me  trouvais  avec  M.  Titaud  dans  un 
village  tout  chrétien,  où  nous  avons  un  collège  de  quarante 
élèves  ;  alors  les  eaux  de  l'inondation  couvraient  encore 
toute  la  plaine  ,  et  les  nombreux  hameaux  dont  elle  est 
semée,  semblaient  autant  de  petites  Iles  verdoputes.  Aussi* 
tôt  qu'on  m'annonça  l'approche  de  M.  Charrier,  j'envoyai 
plusieursbarquesà  sa  rencontre,  tandisque  dans  le  village 
on  préparait  les  tambours  et  tous  les  instruments  de  mu-* 
sique  ,  et  que  dans  le  collège  on  décorait  l'église  comme 
aux  joi^rs  de  grands  solennels.  Notre  chapelle  de  bamboo 
était  toute  tendue  d'étoffes  de  soie,  et  l'autel  orné  de  co- 
lonnes, d'images  et  de  belles  dorures. 

«  Enfin,  vers  les  dix  heures  du  soir,  des  hommes  placés 
en  faction  hors  du  village ,  annoncent  l'apparition  d'une 
torche  flamboyante,  qu'on  voyait  se  promener  sur  les  eaux 
comme  un  météore. C'est  M.  Charrier  qui  arrive!  Aussi  tôt  le 
collège  et  tout  le  village  se  portent  vers  ce  point  lumineux. 


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93 

qui  grossit  en  s'approdiant;  plusieurs  chréueus  se  Jetlcnt 
dansdepeliles barques  et  vonlàlarenconlreduMissionnai- 
re,et  nos  musiciens  s'empressent  d'ajuster  leurs  instruments. 
Le  voilà  arrivé  !...  Oh  I  comme  nous  nous  embrassâmes 
cordialement  !  — Mais  voyez  comme  notre  belle  procession 
déOle  majestueusement  à  la  lueur  des  flambeaux.  Quel 
vacarme  font  mes  hommes  avec  leurs  tambours  et  leur 
musique  ;  et  nous ,  comme  nous  faisons  retentir  au  loin 
les  échos  en  chantant  le  Te  Deum  I  Nous  entrons  à  l'église 
où  je  doQue  solennellement  la  bénédiction  épiscopale;  puis 
nous  venons  dans  ma  chambre  ,  et  là,  dans  l'intimité  , 
nous  causons  du  Tong-Kîng  et  de  la  France ,  heureuse 
causerie  qui  dura  presque  toute  la  nuit. 

«  M.  Charrier  resta  près  de  dix  joiu's  avec  moi ,  puis 
nous  nous  séparâmes  pour  aller ,  chacun  de  noure  côté , 
travailler  à  la  vigne  du  Seigneur  ;  depuis, nous  ne  nous 
sommes  pas  rencontrés  de  nouveau ,  mais  nous  nous  écri- 
vons souvent.  L'intrépide  confesseur  se  porte  bien  ;  il  est 
actuellement  occupé,  comme  moi,  à  faire  la  Mission ,  et  à 
gagner  autant  qu'il  pQut  des  âmes  à  Dieu. 

«  Sans  doute  vous  êtes  étonné  d'apprendre  que  nous 
donnions  à  notre  joie  une  expression  si  bruyante.  —  La 
persécution  a  donc  cessé  ?  allez-vous  dire.  —  Non ,  mon 
cher  Ami ,  elle  dure  toujours,  puisque  nous  avons  encore 
plusieurs  confesseurs  de  la  foi  qui  gémissent  dans  les 
prisons,  sous  le  poids  d'une  condamnation  à  mort,  ou  qui 
traînent  leur  triste  existence  sur  les  plages  de  l'exil  ;  die 
dore  toujours,  puisque  les  mandarins  lancent  encoreccmtre 
la  Rdigion  des  ordonnances^  où  ils  répèlent  toutes  les  ca- 
lômnieft  consignées  dans  les  édits  de  l'ancien  roi,  puisqu'ils 
wxent  encore  sans  cesse  nos  chrétiens  poiu*  leur  extorquer 
de  Fargent,  puisqu'on  arrête  encore  les  Missionnsures  et 
les  prêtres  du  pays  tout  comme  par  le  passé.  Ainsi  ^  par 
CMBuple ,  la  veille  de  Toussaint  de  l'année  dernière,  on  a 


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saisi  en  basse  G)ckiiichine  Mgr  Lefebvre  avec  un  prêtre 
indigène  et  plusieurs  chrétiens  ;  et  cette  année ,  il  y  a  eu 
aussi  plusieurs  arrestations  dans  le  Tong-King  oriental 
et  occidental.  De  ce  nombre  étaient  deux  de  mes  prêtres; 
mats  au  moyen  d'nne  somme  d'argent,  glissée  à  propos 
dans  la  main  des  persécuteurs ,  nous  avons  pu  obtenir 
leur  délivrance.  D'autres  ont  été  bloqués,  et  n'ont  dû  leur 
salut  qu'à  la  fuite.  La  persécution  règne  donc  toujours  , 
et  maintenant  encore  j'apprends  que  tout  est  en  feu  dans 
la  basse  Cochincfaine  :  on  a  cerné  plusieurs  villages  pour 
prendre  les  Missionnaires  ;  on  en  a  pillé  d'autres,  parce 
qu'ils  étaient  soupçonnés  de  leur  donner  asile.  Malgré 
toutesces  vexations,  nous  sommes  bien  plus  à  l'aise,  surtout 
au  Tong-King,  que  du  temps  dn  roi  Minh-Menh  ;  et  puis, 
à  force  d'être  persécuté  on  finit  par  s'y  habituer  ;  les  mille 
tracasseries  suscitées  par  le  tyran  et  ses  satellites  ne  font 
presque  plus  aucune  impression  :  c'est  au  point  que 
nos  néophytes,  bien  loin  d'être  abattus,  sont  plus  coura- 
geux que  jamais. 

a  Pour  mon  compte ,  je  me  suis  mis  sous  la  protection 
de  la  sainte  Vierge^^d'une  manière  toute  spéciale  ;  je  lui 
ai  dit  :  «  Marie,  vous  êtes  ma  mère  et  je  suis  vou^eenlànt; 
c'est  pour  lajgloire  de  Jésus ,  le  fruit  de  vos  entrailles , 
que  je  veux  travailler  ;  ce  sont  les  âmes  qu'il  a  rachetée» 
de  son  sang  que  je  veux  retirer  de  la  gueule  du  serpent 
infernal;  ce  sont  les  brebis  confiées  à  mes  soins  que  je  veux 
palU'e  :  pour  cela  je  vais  parcourir  ma  Mission  dans  tous* 
les  sens  ;  j'ii-ai^dans  les  montagnes  et  dans  b  plaine  ;  je 
voguerai  sur  les|fleuves  et  sur  la  mer  ;  fîrai  partout  oit 
il  me  sera  possible  de  pénétrer ,  sans  craindre  ni  les  man- 
darins ni  les  fatigues  ;  je  prêcherai  à  voix  tortt  tous  ceux 
qui  voudront  m'entendre ,  et  il  fimdra  que  vous  me  pro- 
tégiez dans  toutes  mes  courses  apostoliques  ,  car  vo» 
êtes  ma  mère  ci  je  suis  voire enfane.  Vous  cortîgerei  met 

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iaiprudeiices,  si  j'en  fais  ;  vous  me  recirerezdu  péril  qvaokd 
je  m*y  serai  trop  exposé ,  et  cela  ne  vous  coûtera  pas 
beaucoup,  vous  êtes  si  puissante  t  je  vous  confie  mon  sort; 
entre  vos  mains  il  sera  mieux  qu'entre  les  miennes.  » 

«  Vraiment  il  parait,  mon  ch^  Ami,  que  ma  confiance 
en  Marie  lui  a  été  agréable,  et  qu'elle  s'est  chargée  devant 
Dieu  du  soin  de  ma  personne  :  je  vais  partout ,  je  passe 
près  des  mandarins  ,  des  milliers  d'indigènes  accourent 
sur  mes  pas ,  je  chante  des  messes  pontificales ,  les  païens 
viennent  me  voir  et  plusieurs  d'entre  eux  se  convertissent^ 
les  chrétiens  sont  dans  la  joie ,  étudient  le  catéchisme  et 
récitent  leurs  prières  avec  une  grande  ferveur,  j'ai  toujours 
près  de  moi  deux  ou  trois  prêtres  du  pays  et  souvent  un 
Missionnaire  européen  ;  et  cependant  nous  ne  pouvons 
suffire  à  entendre  les  confessions,  quoique  nous  y  consa- 
crions la  plus  grande  partie  de  la  nuit.  Or,  malgré  toute 
cette  publicité  ,  personne  ne  parle  de  me  prendre.  On 
arrêtera  un  pauvre  prêtre  Annamite ,  qui  peut  se  cacher 
aisément,  et  dont  l'existence  fait  très-peu' de  bruit;  et 
votre  ami,  on  ne  s'ensaisii*a  pas.  N'y  a-t-il  pas  là  une  marque 
de  la  protection  spéciale  de  Marie?  Pour  moi ,  j'en  suis 
persuadé,  et  vous  m'allégueriez  mille  raisons  pour  me 
prouver  le  contraire,  que  je  ne  vous  croirais  pas. 

«  11  faut  avouer  aussi  que  le  glaive  de  la  persécution 
semble  s'être  émoussé.  Le  roi  explique  lui-même  cette 
apparente  douceur  envers  les  confesseurs  delà  foi  :  C'est, 
dit-il ,  qu'il  ne  veut  pas  salir  son  sabre  dans  un  sang  si 
impur.  Au  mois  de  mai  dernier,  il  a  remis  Mgr  Lefebvre 
à  une  frégaie  française  qui  est  venu  le  réclamer,  comme 
la  corvette  T  Héroïne  avait  réclamé  M.  Charrier  l'année 
précédente  ;  toutefois,  il  parait  qu'il  ne  l'a  rendu  que  par 
force ,  et  que  sa  colère  a  été  grande  de  se  voir  obligé  de 
lâcher  une  si  belle  proie. 

«  Vous  (lésires  encore  savoir  mes  chagrins.   Mais  je 

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n'en  ai  pas  ;  je  suis  toujours  joyeux  et  content  comme  à 
mon  ordinaire.  Bien  plus,  j'éprouve  souvent  les  plus  douces 
consolations  en  voyant  le  grand  nombre  de  conversions 
qui^  par  la  grâce  de  Dieu,  s'opèrent  journellement  sous 
mes  yeux.  L'année  dernière,  nous  avons  baptisé  dans  ma 
Mission  plus  de  douze  cents  adultes,  et  plus  de  quatre 
mille  enbnts  de  païens  à  Tarticle  de  la  mort.  Je  crois 
même  que  cette  année  nous  recueillerons  encore  une  plus 
belle  moisson  ;  car,  à  moi  seul ,  j'ai  déjà  baptisé  plus  de 
cent  adultes.  Vive  Jésus  1 


«  Je  vous  embrasse  bien  cordialement,  et  je  suis  , 
comme  vous  le  savez ,  voure  ami  le  plus  sincère  et  le  plus 
éloigné. 


«  t  PiERKE,  Evéque  (fJcarUhe.  » 


IfM.  —  Imp.  ie  J.  B.  réUgtvd^ 

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S7 


MISSIONS  DE  LA  CHINE. 


Extrait  d'une  UUre  de  M.  Pichm ,  Missùmnaire  egpoeio- 
ligue,  â  Af.  Legrégeois^  directeur  du  Séminaire de$ 
Miisione  Etrangères. 


IMtroil  de  U  Sonde»  26  août  1S45 


«  MoRsiEUa  BT  véiféaé  Corfrerb^ 


«  Cest  le  cœur  ému  des  plus  doux  souvenirs  que  je 
reprends  aujourd'hui  la  narration  de  notre  vopge.  Ne 
craignez  pas  que  j'abuse  de  votre  patience  par  l'ennuyeux 
récit  des  incidents  d'une  navigation  qui ,  du  reste ,  a 
été  assez  monotone  ,  grâce  au  temps  plus  heureux 
que  nous  n'eussions  osé  le  désirer;  je  crois  vraiment  que 
les  bons  anges  de  nos  Chinois  s'étaient  mis  de  la  par-tie 
pour  enfler  nos  voiles. 

TOM.  xviiK  106.  aiARS  1846  7 


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«  Ma  dernière  lettre  était  du  24  avril;  le  lendcninin 
pous  passions  la  ligne  pour  prendre  presque  immédiate- 
ment  lesvents  généraux  qui,en  dix  jours,nous  conduisirent 
par  le  32^  de  latitude-sud  et  le  30^  de  longitude-ouest. 
Le  24  ipai  ,  nous  doublions  le  cap  des  Aiguilles  ;  puis 
commençant  à  filer  ,  dans  certaines  journées  ,  nos 
quatre-vingts  lieues  marines,  qui  valent^  tout  bien  compté» 
cent  onze  de  vos  lieues  métriques  environ' ,  nous  passions 
le  12  jufn  entre  les  lies  Saint-Paul  et  Amsterdam j  le  26, 
nous  frisions  Tlle  de  Noël ,  et  aujourd'hui  nous  voici  au 
beau  milieu  du  détroit  de.  la  Sonde,  après  cent  deux 
jours  de  mer  ,  sans  Fombre  d^une  tempête  ni  d!un 
Jauger. 

«  Essayerai-je  de  vous  donner  certains  petits  détails 
sur  l'aspect  des  Iles  de  Sumatra  et  de  Java  ,  où  la  terre 
produit  d'eUe-méme  et  pour  ainsi  dire  sans  culture  cette 
multitude  de  fruits ,  de  plantes ,  d'arbres  immenses  et  de 
iQUte  espèce,  qui  ne  permettent  pas  à  Tœil  de  découvrir  la 
couleur  du  sol,  tant  la  végétation  est  riche  et  abondante  ? 
Oh  !  si  je  pouvais  vous  peindre  surtout  ces  pauvries  Malais, 
encore  plus  qu'aux  trois  quarts  sauvages  ,  et  tout  à  fait 
étrangers  ù  ce  qui  regarde  les  connaissances  indispensables 
au  salut  de  leurs  âmes.  Sans  doute  c'est  une  distraction  et 
une  sorte  de  bonheur  de  voir  ces  grands  enfants  de  vingt 
à  quarante  ans  venir,  avec  leur  pirogue  formée  d'un  seul 
tronc  d'arbre  grossièrement  cTeusé,  et  leurs  voiles  de  paille 
icnduessur  un  simple  bambou,  s'accrocher  au  moyen  d'une 
longue  perche  recourbée  aux  flancs  de  noire  navire,  pour 
nous  oflrir  leurs  cocos,  leurs  ignames,  ananas,  bananes, 
gii*omons ,  paLntos ,  etc. ,  etc. ,  que  saîs-je  encore  ?  des 
lorlucs,  des  pcrrnches^  des  singes  ,  et  mille  choses  tout 
aussi  intéressantes.  Mais  ,  si  l'on  observe  avec' un  certain 
plaisir  ces  visages  nouveaux  d'un  autre  hémisphère,  après 


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une  traversée  un  peu  longue,  c'est  aussi  avec  un  sentimeni 
bien  pénible  que  Ton  voit  ces  pauvres  peuples,  dont  b 
nudité  est  à  peine  voilée  par  un  diiffon  informe^  entortilla 
autour  des  reins  ^^  faire  des  grimaces  et  des  singeries  i 
et  se  livrer  aux  éclats  d'une  joie  plus  qu'enfontinepour  dai 
niaiseriesqu'on  leur  donne  ou  seulement  qu'on  leurroontre; 
tandis  que  si  on  lenr  demande  s'ils  aiment  le  bon  Dieu,  ils 
vous  répondent  en  anglais  ^  dont  ils  ont  fini  par  saisir 
quelques  mots  par-ci  par-là  ;  Not  knaw^  Jene  kcon'^ 
naiipas0 

«  Que  c'est  triste  1  Si  vous  saviez  comme  cela  saigne 
le  coeur  !  Pendant  deux  jours  qu'ils  se  sont  presque  coh« 
tinuellement  succédés  à  notre  bord  5  nous  ne  savions  dé* 
tourner  les  regards  de  dessus  ces  visages  nalfe  et  bons» 
quoique  évidemment  d^énérés  et  abâtardis  ;  nous  aurions 
si  bien  voulu  les  avoir  plus  longtemps  près  de  nous,  et 
pouvoir  nous  en  faire  mieux  entendre ,  pour  jeter  dans 
leurs  âmes  au  moins  quelques  germes  de  la  sainte  parole! 
Nous  nous  sommes  dédommagés  ,  en  quelque  sorte  ,  en 
leur  suspendant  au  cou  des  médailles  de  l'immaculée 
Conception ,  qui  furent  reçues  avec  des  démonstrations  ' 
de  joie  impossibles  à  décrire.  Nous  leur  fîmes  signe  qu'il 
fallait  les  porter  avec  respect,  et  nous  vimes  avec  plaisir 
que  quelques-uns  d'entre  eux  les  baisaient  à  notre  exem- 
ple ,  sans  savoir  probablement  ce  qu'ils  faisaient  ;  mai» 
n'importe,  nous  aimions  à  penser  que  la  Bonne  Mère,  dan;, 
le  cœur  de  laquelle  nous  les  avons  intérieurement  remis, 
voudra  bien,  tôt  ou  tard,  peut-être,  leur  tenir  compte  de 
cet  acte  de  vénération,  quoique  purement  matérielle  ;  et 
il  sera  toujours  vrai  de  dire  que  le  nom  et  l'image  de 
Marie  auront  en  quelque  sorte  pris  possession  de  ces  ter- 
res infidèles  ;  que  ce  nom  et  cette  image  resteront  là ,  au 
moins  gravés  surlccuivre,  en  attendantquc  lodivinMaiire 


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siisciieassez  d*ouvriers  évangéliques  pour  aller  les  graver» 
d'une  manière  plus  réelle  et  plus  efficace,  dans  les  cœurs 
de  ces  pauvres  gens.  Priez  beaucoup  et  faites  prier  tou- 
tes les  âmes  qui  s'intéressent  à  la  Propagation  de  la 
Foi  ;  car  le  Sauveur  a  dit  :  Qui  demande  obtieni ,  et 
Ton  ouvrira  à  celui  qui  frappe.. 

«  Mais  quîttons  ces  îles  enchantées^  dont  la  brise  du 
soir  et  du  matin  nous  apportait,  à  trois  ou  quatre  lieues  en 
mer,  des  parfums  tels  que  jene  sache  pas  en  avoir  jamais 
respiré.  (On  nous  assure  qu'on  les  sent  quelquefois  à  dix 
lieues  de  distance,longtemps  avant  de  découvrir  le  rivage.) 
Quittons  ce  petit  Eden  ,  dont  la  fertilité  spontanée  ferait 
presque  croire  qu'il  n'aurait  pas  entendu  l'anathéme  gé- 
néral Spinas  ei  iribulos  germinahii ,  si  elle  ne  ser^'ait, 
au  contraire ,  à  faire  mieux  ressortir  par  le  contraste  la 
dégradation  de  ses  habitants ,  que  le  baptême  n'a  poini 
encore  relevés  de  la  chute  originelle,  et  qui,  au  milieu  dt 
l'abondance  de  leurs  terres  dont  s^enricliissent  des  royau- 
mes étrangers  ,  présentent  le  tableau  de  la  plus  afTreuse 
.  misère,  autant  au  physique  qu'au  moral.  Hâtons-nous  de 
revenir  à  notre  bel  et  bon  navire  Y  Orient  ^  que  nous  n'ou- 
blierons jamais,  et  que  nous  appellerions  volontiers  notre 
petit  paradis  flottant ,  tant  le  Seigneur  s'est  plu  à  nous  y 
faire  goûter  de  consolations.  Connaissant  toutl'intérét  que 
vous  prenez  à  ce  qui  touche  la  gloire  de  Dieu,je  me  croirais 
coupable  de  larcin  si  jene  vous  disais  part  des  merveille^ 
dont  nous  avons  été  témoins^  et  que  nous  devons ,  je  me 
hâte  de  le  dire  ,  à  l'entremise  de  Marie ,  VEioile  de  la 
mer.  11  faut  reprendre  la  chose  à  son  début,  pour  vous 
mieux  faire  comprendre  tout  le  travail  mystérieux  de  la 
grdce. 

«  A  peine  étions  -  nous  en  mer  que  ,  comme  pour 
**écompense  des  petits  sacrifices  que  nous  avions  faits,  Dieu 

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nous  envoya  trois  matelots  pour  les  préparer  à  la  première 
communion.  Quoiqu'ils  se  fussent  présentés  d'eux-mêmes, 
nous  jugeâmes  prudent  de  ne  rien  enlrepr^dre  avant 
d'en  avoir  prévenu  le  capitaine,  et  nous  lui  demandâmes 
tout  simplement  s'il  y  avait  moyen  d'exercer  notre  minis- 
tère en  foveur  de  ceux  qui  le  réclamaient.  Sa  réponse  fut 
telle  que  nous  la  désirions.  En  conséquence ,  nous  nous 
mimes  à  l'œuvre. 

«  Nos  trois  matelots  (  le  plus  jeune  avait  vingt  ans  ) 
montraient  chaque  jour  le  plus  grand  zèle*  à  suivre  nos 
intniclions  ,  et  cela  ouvertement ,  sans  que  personne  y 
trouvât  à  redire.  Les  choses  en  étaient  là ,  lorsqu'un  di- 
manche, c'était  le  quatrième  après  Pâques ,  ayant  eu  le 
bonheur  d'offirir  le  saint  Sacrifice  ,  nous  vîmes  tous  les 
matelots  réimis  autour  de  l'autel.  Cette  induite  de  l'équi- 
page fitune profonde  impression  sur  l'esprit  du  capitaine. 
A  parth*  de  ce  jour,  nos  marins  ne  manquèrent  plus  d'as- 
sister i  la  sainte  Messe ,  les  dimanches  où  nous  pûmes  la 
célébrer. 

«  Enfin  arriva  le  beau  mois  de  Marie;  beau  partout, 
mais  plus  beau  encore  peut-être  loi*squ'il  est  fêlé  à  sept 
ou  huit  'cents  lieues  de  toutes  terres ,  sous  la  voûte  des 
deux  d'un  azur  si  pur  et  si  richement  décoré  d'étoiles, 
surtout  dans  l'hémisphère  austral.  Voyant  tous  lesmatelots 
si  bien  disposés  ,  nous  demandâmes  au  capitaine  s'il  y 
aurait  quelque  inconvénient  à  ce  que  nous  allassions,  cha- 
que soir  chanter  des  cantiques  avec  l'équipage.  Il  nous 
répondit  qu'il  n'en  voyait  aucun.  Alors  nous  ouvrîmes  ce 
mois  dédié  à  la  mère  de  Dieu.  Au  déclin  du  jour  ,  lors- 
que le  temps  le  permettait ,  avait  lieu  un  peut  exercice 
qui  consistait  dans  la  récitation  d*une  dizaine  de  chapelet, 
de  la  prière  du  soir,  et  enfin  dans  le  chant  d'un  cantique 
à  Marie,  bonne  patronne  des  matelots. 


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102 
c  Nos  marins  étaient  aux  anges;  et  cependant  le  mois 
de  mai  se  passa  toaténtia*8ansaiitre  résultat  que  ces  gages 
extàieors  de  dévotion.  Cinq  ou  six  seulement  s'appro- 
chèrent du  sacrement  de  Pénitence.  Le  capitaine ,  bien 
qu'il  n'assistât  pas  à  la  sainte  Messe ,  laissait  néanmoins 
échapper  parfois  des  paroles  qui  montraient  visiblement 
les  combats  de  son  âme.  Nous  lui  prêtâmes  des  livres  , 
entre  autres  un  ouvrage  qui  a  pour  tiu^  VJthée  devenu 
croyant ,  excellent  traité  dont  la  lectwe  Tit  sur  son  esprit 
une  vive  impression. 

«  Pendant  qu'il  était  ainsi  à  se  débattre  contre  les 
coups  de  la  Grâce,  Dieu  nous  inspira  de  commencer,  à 
reffet  d'obtenir  sa  conversion  ,  une  neuvaine  en  Thon - 
neur  de  Mgr  Borie  ,  pour  lequel  cet  officier  avait  la  plus 
grande  vénération.  Elle  se  termina  le  3  juin.  Eb  bien! 
le  même  jour ,  à  neuf  heures  du  soir ,  au  moment  où 
l'un  des  Missionnaires  se  promenait  seul  sur  le  'pont , 
le  capitaine  l'abcnrde  et  d'une  voix  émue  il  lui  dit  :  — 
«  Monsieur  ,  j'ai  un  grand  service  à  vous  demander. 
—  «  Je  suis  tout  à  vous ,  répond  le  Missionnaire.  —  Je 
€  veux  me  confesser,  non  pas  ce  soir  même,  car  ce  n'est 
«  pas  trop  d'un  jour  pour  m'y  préparer ,  mais  pa^  plus 
«  tard  que  demain.  »  Puis  la  conversation  s'engage  et  se 
prolonge  bien  avant  dans  la  nuit.  Le  lendemain ,  le  ca- 
pitaine assista  ù  la  sainte  Messe  ,  bien  que  ce  ne  fut  pas 
un  dimanche.  A  cette  vue  ,  tout  l'équipage  fut  ébranlé. 
On  ne  pouvait  en  croire  ses  yeux.  Nous  avions  d'abord 
fixé  pour  la  première  communion  le  jour  de  la  fêle  de  la 
Très-Sainte-Trinité  ;  mais  le  capitaine  nous  ayant  mani- 
festé le  désir  de  communier  ,  s'il  était  possible ,  avec 
ses  matelots  ,  et  ,  voulant  avoir  plus  de  temps  pour  se 
préparer  à  cette  action  si  auguste  ,  nous  nous  rendîmes 
de  bien  bon  cœur  à  ses  désirs. 


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103 
«  En  altendant,  nous  nous  mimes  à  faire  tous  les  soirs^ 
dq)Qjs  le  quatre  juin  jusqu'au  dixHienf  du  même  mois, 
une  petite  instruction  à  Téquipage.  C'était  pour  nous  une 
véritable  joie  de  voir  ces  matdots  si  saintement  avides 
d'entendre  la  parole  de  Dieu  ;  quelquefob  ils  étaient  tout 
trompés  d'eau  et  de  sueur  ;  n'importe,  ils  oubliaient  leur 
corps  pour  ne  penser  qu'au  bien  de  leur  âme.  Le  capitaine 
de  son  côté  ne  se  contentait  plus  de  prêcher  d'exemple, 
il  exhortait  encore  de  vive  voix  ;•  sa^ie  ,  on  peut  le  dire , 
était  celle  d'un  apôtre.  Il  pressait  tantôt  son  lieutenant , 
tantôt  son  frère.  Une  fois  entre  autres  il  resta  avec  ce  der- 
nier jusqu'à  ime  heure  du  matin  sur  le  pont,  à  lui  parlei* 
de  Religion  :  «  Si  tu  veux  me  faire  grand  plaisir ,  lui 
dit-il  en  le  quittant^  tu  te  confesseras  et  le  plus  tôt 
possible.  »  Le  jour  m&ne  il  se  confessa. 

«  Permettez-moi  de  vous  faire  part  encore  d'tm  autre 
trait  qui  est  personnel  au  capicaine.  Il  sortait  un  soir  du 
saint  tribunal  lorsqu'il  trouva  M.  Gastex  qui  lisait  dans  la 
salle,àla  clarté  delà  lampe  :  il  l'aborde,  et  le  voilà  tout  aus- 
sitôt à  lui  parler  du  Bon  Dieu^  mais  d'njae  manière  si  admi 
rable^  que  cedier  confrère  était  ravi  de  l'entendre.  En6n 
ils  en  vinrentà  causer  des  possessionsdu  démon. — «  Mais 
«  croyez-vous,  lui  dit  le  capitaine,  qu'il  existe  encore  de 
«•  ces  sortes  de  possessions  ?  —  Assurément  ;  elles  sont 
«  même  assez  fréquentes  dans  les  pays  infidèles.  —  C'est 
«  ^al ,  reprit  le  capiiaine ,  je  viens  de  lui  jouer  un 
t  mauvais  tour  :  comme  il  doit  grincer  des  dents  au 
«  fond  des  enfers  1  »  En  disant  ces  mots ,  une  grosse 
larme  s'échappa  de  ses  yeux  et  vint  mouiller  sa  mous- 
tache. 

a  Je  ue  finirais  pas  si  je  voulais  vous  rapporter  tous  les 
traits  de  ce  genre.  Mais  il  me  tarde  de  vous  faire  part  de 
qui  bo  passa  le  19  juin.  Ce  jour  fut^  sinon  le  plus 


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104 
beau^  au  moins  un  des  plus  beaux  jours  de  noire  vie.  Il 
y  eut  communion  générale.  Oui ,  Bfonsienr  ^  depuis  le 
premier  capitaine  jusqu'au  dernier  mousse ,  tous  eurent 
l'insigne  &veur  de  recevoir  le  pain  des  Anges ,  et  cela  ^ 
à  la  tùèanà  messe.  Nos  chers  matelots ,  ne  trouvant  pas 
assez  vaste  la  salle  où  nous  avions  coutume  de  célébrer  les 
saints  Mystères ,  entreprirent^  pour  donner  plus  de  solen- 
nité à  la  fête ,  de  nous  ériger  un  temple  sur  le  pont  du 
navire.  Sans  doute  ce  n'était  pas  chose  si  facile  qu'une 
^ise  à  construire  en  pleine  mer.  Blais^vous  le  savez,  tout 
estpassibleâquia  lafoi.Amsi  Dieuseconda-t-il  àmerveille 
leurs  généreux  efforts  t  six  heures  suflSrent  pour  ce  pieux 
|iravail;à  minuit  ils  commencèrent,  et  à  sept  heures  du  ma- 
tin le  sqnctuaireétaittermhié. Desimpies  toiles,  artistement 
tendues^  formaient  le  toit  et  les  murailles;  l'intérieur  était 
pavoisé  de  drapeaux  ;  des  nattes  diinoises  recouvrs^ient 
le  parquet  en  forme  de  tapis;  des  images,  des  tableaux 
ornaient  l'autel  improvisé;  l'église  enfin  é^it^  sinon  magni- 
fique ,  au  tpoins  passablement  belle. 

«  A  huit  heures  commença  la  cérémonie,  qui  s'ouvrit , 
selon  le  pieux  désir  du  capitaine ,  par  la  bénédiction  du 
navire^  et  aussitôt  après^  le  célébrant  monta  à  l'autel.  Tous 
les  matelots  étaient  là ,  avec  leurs  habits  de  fête  ;  pen- 
dant l'auguste  sacrifice  ,  l'un  d'entre  qous  leur  adressait 
des  paroles  d'édification. 

c  Enfin  le  moment  tant  désiré  arriva.  Le  prêtre  ayant 
communié  sous  les  deux  espèces  ,  se  tourne  vers  les 
marins  et  leur  fait  une  exhortation  ;  son  cceur  en  dit 
plus  que  ses  lèvres ,  tant  il  était  ému  ,  ou  plutôt  Dieu 
seul  parla.  Après  la  communion ,  le  célébrant  prit  dt* 
nouveau  la  parole  ^  puis  termina  le  saint  sacrifice. 
Aussitôt  commença  une  messe  d'actions  de  grAces  a  la- 
quelle tous  assistèrent.   Qu'il  était  touchant  de  voir  et 


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d*eotendre  ces  bond  matelots  1  Gonuide  la  douce  joie  du 
cid  rayonnait  sur  leurs  visages,  et  se  manifestait  dans  toutes 
leurs  actionsi  Quand  tout  fut  fini,Ie  capitaine  vint  se  jeter 
au  cou  de  son  confessseur  en  disant  :  «  Les  moments  les 
«  plus  heureux  de  la  vie  sont  toujours  mêlés  de  quelque 
«  arrière-pensée;  mais  pour  aujourd'hui  le  coeur  est  con- 
«  tent  tout  de  bon.  » 

«  Vous  eussiez  pleuré  de  joie  en  entendant  nps  matelots 
faire  aussi  leurs  réflexions  chacun  de  leur  côté  :  «  Mais 
«  comment,disaitrun desplus  vieux,nousqui  ne  voulions 
«  pas  même  Êiire  cela  une  fois  Tannée  ,  ah  I  je  le  fera» 
«  bien  maintenant  tons  les  jours  I  » — «  Voyez-vous^  disait 
«  un  autre ,  si  je  faisais  naufrage  maintenant ,  cela  me 
«  ferait  autant  de  mourir  que  de  manger  ce  morceau 
«  de  pain.  » 

«  Ce  n'est  pas  tout.  Le  soir  nous  chantâmes  les  vêpres 
en  deux  chœurs.  Puis  eut  lieu  la  rénovation  des  vœux  du 
baptême,  qui  fi^t  précédée  et  suivie  d'une  petite  instruc- 
tion. Vous  ne  sauriez  croire  combien  celte  cérémonie,  qui 
ne  fut  certainement  pour  personne  une  simple  formalité , 
fit  d'impression  sur  ces  braves  gens.  Après  que  nous 
eûmes  renouvelé  nous-mêmes  les  promesses,  pour  leur 
donner  l'exemple ,  le  capitaine  s'avança  le  premier  an 
pied  de  l'autel^  à  la  tête  de  ses  matelots ,  et  prononça  la 
formule  ordinaire  d'un  ton  ferme  et  énergique,  qui  nous 
frappa  d'autant  plus  qu'il  contrastait  singulièrement  avec 
les  larmes  qui  roulaient  dans  ses  paupières.Ilauraitfallule 
voir  et  l'entendre,  ainsi,du  re8te,que  toaslessiens,debout, 
la  main  droite  sur  le  livre  des  saints  Evangiles,  pronon- 
çant lentement  et  d'une  voix  émue  :  «  Je  renonce  au 
«  démon ,  à  ses  pompes,  à  ses  œuvres,  et  je  m'attache  à 
«  Jésus-Christ.  »  Mous  avions  borné  là  notre  formule  ; 


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mais  le  capilaine  ajouta  :  «  Pottr  toujours  »  ci  la  plupart 
r^>étèrent  après  lui  cesermeat  éternel. 

«  Viot  ensuite  la  consécration  h  la  bonne  Mère  des 
matelots,  qui  n'était  jamais  oubliée  dans  tous  nos  petits 
entretiens.  Elleful  suivie  du  petit  cantique  :  Dam  les  tra- 
verses de  la  vie.  Et  à  ce  dernier  couplet  : 


Vois  cette  foule  recueillie, 

Qui  ta  ppar tient ,  qui  te  supplie  ; 

Ce  sont  tes  enfants  à  genoux  , 

Marie, 
Jette  le  regard  le  plus  doux 

Sur  tous. 


Tous,  en  effet,  tombèrent  à  genoux ,  comme  instinctive- 
ment. Knfin,lereZ>eumfutchanté,maisàpleinevoiXy  par 
tout  le  moïide  et  avec  un  accent  de  bonheur  au-dessus  de 
toute  expression.  Je  regrette,  comme  le  capitaine,  que 
l'auteur  du  Génie  du  Christianisme  n'ait  pas  été  là  :  c'est 
lui  qui  eût  pu  vous  rendre  cette  scène  dans  sa  touchante 
vérité. 

«  Vous  savez  que  nous  avions  emporté  avec  nous  le 
tableau  où  sont  peints  nos  soixante -dix  martyrs;  nous 
le  montrâmes  à  nos  marins,  et  cette  page  de  nos  Missions 
les  frappa  beaucoup  :  «Ces  pauvres  Pères  ,  disait  Pun 
«  d'eux  en  parlant  de  nous,  ils  seront  comme  ça  un  jour. 
«  Cest  pourtant  dommage!  »  Ce  fut  le  sujet  de  toutes 
les  conversations  pendant  plus  d'une  semaine  ;  chacun 
faisait  là-dessus  des  réflexions  plus  ou  moins  philoso- 
phiques ;  il  en  est  même  qui  auraient  voulu  être  Mis- 
sionnaires, que  sais-je  I 

«  Jenedois  pas  passer  sous  silence  un  fait  que  les  mate- 

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lots  regardent  comme  prodigieux  :  c'est  que  le  jour  delà 
commnnioiiydepuishuitheures  du  matin  jusqu'à  cinq  heu- 
res du  soir,  le  ciel,  quiauparavantétaitcouvert  de  nuages, 
devint  pur,  le  vent  tomba,  et  la  mer,  auparavant  agitée^ 
se  fit  calme.  A  peine  avions-nous  fini  le  chant  du  Te  Deum^ 
que  la  brise  commença  à  souffler,  et  le  navire  à  sillonner 
les  ondes.  Un  vieux  marin  ,  brave  Breton  ,  fit  à  ce  sujet 
une  réflexion  assez  naïve  :  «  Est-il  surprenant ,  dit-il , . 
«  que  maintenant  nous  aillions  vite  ?  Le  navire  est  dé- 
«  chargé  d'un  poids  immense.  Moi,  j'avais  plus  de  péchés 
«  que  le  bâtiment  nVst  gros  ,  et  tout  cela  est  passé 
a  par  le  sabord.  »  Autre  circonstance  assez  curieuse  : 
Comme  j'ai  eu  Thonneur  de  vous  le  dire ,  l'intérieur 
de  notre  Eglise  était  pavoisé  de  pavillons.  Cela  s'était  fait 
au  milieiv  de  la  nuit  et  par  conséquent  au  sein  des  ténè- 
bres. Eh  bien  1  il  arriva  qu'à  l'endroit  même  où  tous  vin- 
rent s'agenouiller  pour  recevoir  la,  sainte  communion^  se 
trouva  le  seul  drapeau  sur  lequel  étaient  écrits  ces  deux- 
mots  :  «  Rendez'4)ous.  »  Le  capitaine  fut  le  premier  à  en 
faire  la  remarque. 

«  Je  doisrecdfier  une  erreur  qui  m'est  échappée.  J'ai  dit 
que  tous  les  marins  avaient  communié  à  la  même  messe  ; 
il  en  est  un  cependant, mais  un  seul  qui  y  manqua,  et  voici 
pourquoi.. Pendant  la  nuit,  le  petit  mousse  va  ouvrir  sa 
malle  pour  préparer  ses  beaux  habits  ;  mais  quelques 
pommes  pourries  lui  tombent  sous  la  main  ,  et  sans 
réfléchir  il  veut  en  croquer  une.  Aussitôt  il  se  meta 
Pœuvre  ;  il  allait  lui  porter  un  second  coup  de  dent , 
quand  il  s'aperçoit  de  sa  distraction  :  il  l'a  jette  aussi 
tôt  de  dépit  ;  mais  il  n'était  plus  temps  :  il  y  avait 
goûté.  Du  reste  ,  sa  faute  ne  fut  nuisible  qu'à  lui 
seul  :  le  capitaine  fut  heureux  de  Tavoir  pour  tenir  le 
gouvernail. 


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«  loutile  de  voqs  dire  que  nous  conserfons  et  que 
nous  conserverons  toujours  un  bien  doux  souvenir  de 
VOrieni.  Je  ne  puis  vous  dissimuler  que  c'a  été  pour 
moi  un  véritable  sacrifice  de  quitter  ce  navire  ,  où  j'ai 
éprouvé  tant  de  bonheur  et  goûté  tant  de  joie. 

«  n  me  reste  maintenant  à  vous  prier  d'exctiser  tout 
ce  griffonnage;  je  n'ai  pas  le  temps  de  le  relire,  et  j'au- 
rais encore  moins  le  courage  de  le  recommencer  ;  seule- 
ment ,  je  puis  vous  certifier  que  je  n'ai  rien  avancé  dont 
je  ne  fusse  entièrement  certain.  J'ai  vu  de  mes  yeux  et 
entendu  de  mes  oreiUes  tout  ce  dont  j'ai  l'honneur  de 
vous  Gaiire  part  dans  ce  trop  long  récit. 

«  Que  vous  dirai-je  de  notre  arrivée  à  Syncapore  P 
Le  Seigneur  se  ptait  à  nous  inonder  de  consolations.  Quelle 
cordialité  de  la  part  de  nos  vénérables  confrères  1  Oh  ! 
quelle  joie  sturtout  de  voir  nos  bons  petits  Chinois ,  qui 
sont  déjà  en  assez  grand  nombre  dans  le  séminairel  Comme 
le  bon  Dieu  et  la  saiate  Vierge  doivent  les  entendre  avec 
plaisir!  Comme  leur  ferveur  m'a  fait  honte  I....  Nous 
les  trouvâmes  réunis  à  la  chapelle ,  et  chantant  tous 
ensemble  le  chapelet.  Ils  avalent  dû ,  au  moins  pour 
la  plupart ,  entendre  le  bruit  de  nos  pas  ;  et  Dieu 
sait  si  l'arrivée  de  huit  Pères  européens  est  un  événe- 
ment capable  de  piquer  leur  curiosité  !  Eh  bien  !  pas 
un  ,  pendant  plusd'une  heure  que  dura  la  prière ,  car 
ils  en  sont  insatiables.,  pas  un  ne  se  détourna  pour 
nous  voir.  Si  tousles  prêtres  d'Europe  savaient  combien 
Us  sont  intéres-sants  ,  la  Chine  sera't  inondée  de  Mis- 
sionnaires. 

«  Enfin  ,  il  faut  bien  en  finir.  Mes  deux  chers  confrè- 
res, MM.  Dagobert  et  Leturdu  ,  qui  se  trouvent  encore 
ici  ,  se  joignent  à  moi  pour  vous  prier  d'agréer  de 


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nouveau  Tassurance  du  respectueux  aiiachement  et  de 
raffeciion  toute  cordiale/  avec  lesquels  nous  avons  Thon- 
neur  d*étre, 


«  Monsieur  et  irès-honoré  confrère, 
Tos  irès-lmmbles  et  très-obéissants  serviteurs, 
Au  nom  de  tous  :  P.  PtCHoif ^ 
nfiisiannaire  apostolique.  » 


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Lellre  de  M.  Chauveàu  ,  Miisiomaire  apoiioHque,  à  son 
frère. 


Macao  ,  20  novembre  1815. 


Mon  cher  frère  , 


«  La  lettre  que  je  commence  se  ressentira  de  la  préci- 
piiaiioo  avec  laquelle  je  l'écris;  car  je  ne  me  suis  jamais 
trouvé  dans  une  position  qui  laisse  aussi  peu  de  loisir ,  et 
qui  impose  tant  de  devoirs.  Il  y  a  trois  heures^  tranquille 
encore ,  j'étais  destiné  pour  la  Mission  de  Lieoukieou  i  et 
c'omme  le  départ  ne  devait  avoir  lieu  que  dans  trois  on 
quatre  mois  ,  je  me  livrais  tout  doucement  à  l'aride  étude 
liu  chinois  ;  tout  ù  coup  on  m'apprend  que  des  courriers 
arrivent  du  Su-Tchucn  et  du  Yun-Nan ,  provinces  limi- 
trophes à  Toccident   de  l'empire  céleste.  Peu  d'instants 
aprèSi  je  suis  appelé  chez  M.  le  procureur  qui,  me  pre- 
nant sous  le  bras  :  a  Adieu  le  martyre  et  le  Japon  ,  me 
a  dit-il  ;   le  bon  Dieu  vous  appelle  au  Yuri-Nan.  — 
«  Amen,  lui  répondis- je,  j'irai  au  JKwn-iVan.  Quand  faul- 
«  il  partir  ? — Tout  de  suite  ,  c'est-à-dire  je  vous  donne 
«  aujourd'hui  pour  faire  vos  dispositions  ;    dcmaûi  ù 
«  midi  ,    soyez  prêt.  »   Je  m'incline    et  m'en    vais. 
Puis  je  prends  la  plume,  ci  je  griffonne  ce  qui  précède  cl 
rc  qui  suit. 


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lit 

c  Ainsi,  c^est  bien  au  Vun-Nanqneje  dois  consommer 
ma  coni^se^  mon  sacrifice,  ma  vie  ;  je  n*ai  poipt  demandé 
cette  province ,  pas  plus  que  toute  autre  ;  je  n'ai  pas  plus 
désiré  l'occident  de  la  Chine  que  le  nord  ou  le  sud  :  seu- 
lement, j'étais  décidé  à  me  dévouer  au  pays  qui  me  se- 
rait assigné  par  la  volonté  divine. 

«  Tu  me  demandes  quels  sont  les  principaux  obstacles 
qui  s'opposent  à  la  conversion  des  Chinois  ;  je  te  dirai 
d'abord  quela  question  est  un  peu  prématurée^  je  ne  sau- 
rais encore  la  résoudre  par  inbi-méme.  Cependant  j'ai 
assez  entendu  causer  ,  sur  ce  chapitre,  des  hommes  d'ex- 
périence ,  pour  pouvoir  te  donner  quelques  éclaircisse- 
ments. Je  ne  parle  pas  des  causes  générales  de  corrup- 
tion ,  qui  se  trouvent  partout  où  il  y  a  des  hommes.  Ce 
qui  c?6t  particulier  aux  Chinois  ^  c'est ,  en  premier  lieu^ 
leur  excessif  amour  de  l'argent  :  ce  peuple  vendrait 
ses  dieux  si  quelqu'un  voulait  les  acheter.  Croirais- 
tu  qu'à  Macao  nos  officiers  ne  peuvent  sortir,  le  soir  , 
avec  leurs  épaulettes  et  leurs  galons  sans  courir  de  très- 
graves  dangei-s  ;  les  Chinois  ,  prenant  tout  cela  pour  de 
l'or  massif,  se  jettent  sur  l'imprudent  qui  étale  à  leurs 
yeux  ce  trésor  ,  et  le  dépouillent  après  l'avoir  roué  de 
coups  pour  l'empécberde  crier:  pareille  aventure  est  en- 
core arrivée  au  capitaine  d'armes  de  YArchimède  ,  il  n'y 
a  pas  huit  jours.  C'est  donc  à  cet  esprit  cupide,  autant 
qu'il  est  faux  et  menteur  ,  qu'il  faut  attribuer  la  lenteur 
des  Chinois  à  se  convertir. 

«  La  seconde  cîïuse  est  l'orgueil  de  ce  peuple  :  il  im- 
porte de  noter  ici  que  le  Chinois,  fut-il  borgne,  bossu  , 
boiteux  ,  lépreux ,  mendiant,  voleur  et  idiot,  se  préfère 
toujours  à  un  Européen.  Dans  nos  Missions  même  ,  nous 
trouvons  parfois  des  chrétiens  qui  veulent  que  le  Père 
leur  obéisse;  noscouiricrs  se  raôlcnl  assez  souvent  de  nous 


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112 

donner  des  ordres  en  route ,  et  ce  n'est  pas  une  des  moin- 
dres peines  du  début  dans  la  carrière  apostbU(iue.  On  a 
beau  prouvera  un  Chinois  qu'il  s'est  trompé  ;  il  y  aura 
éclipse  et  tremblement  de  terre  ce  jour-là,  si  vous  le  feites 
convenir  qu'il  a  tort.  Mais  enfin,  si  Terreur  est  palpable, 
si  la  faulcestmanifeste,  et  qu'il  soit  impossible  de  la  nier, 
il  vous  dira  un  oui  qui  le  déchire  plus  que  le  choléra. 

•Il  faut  que  je  vous  cite  un  trait  de  ce  caractère  vaniteux. 
Pendant  la  dernière  guerre ,  M.  Libois  disait  à  un  de  nos 
domestiques  que  les  Chinois  seraient  battus  par  les  An- 
glais.   «Mais  c'est  impossible,  lui  répondit  cet  homme; 
a  c'est  impossible  ;  vous  n'y  pensez  pas.  Père  ;  romarqucz 
«  donc  que  c'est  impossible,  cela  ne  se  peut  pas.»  Lorsque 
la  guerre  liit  terminée  ,  comme  chacun  sait,  à  l'avantage 
des  Anglais ,  ce  même  domestique  disait  encore  :    «  Oh  ! 
«  oui ,  les  Barbares  sont  assez  forts  sur  mer  ;  mais  quand 
«  l'empereur  enverra  ses  grosses  jonques,  nous  ver- 
«  rons.»  Eh  bien  1  ces  grosses  jonques  seraient  venues,  ce 
Chinois  les  eût  vues  couler  à  fond  par  les  Européens,  qu'il 
n'aurait  pas  avoué  sa  défaite  :  «  Oui ,  aurait-il  dit ,  elles 
«  coulent  bas  parce  que  l'eau  y  entre  ;  »  mais  il  n'aurait 
jamais  été  possible  de  le  faire  convenir  que  si  l'eau  y  en- 
trait, c'était  parce  que  les  boulets  anglais  avaient  fait  brè- 
che. Et  cependant,  ce  Chinois  si  orgueilleux  ,  vous  fera 
plus  de  courbettes  que  vous  n'en  voudrez;  les  prostrations 
sont  ici  ce  qu'il  y  a  de  plus  commun.  Rendez  ce  peuple 
plus  humble,  moins.entiché  de  son  excellence  prétendue; 
faites-le  surtout  moins  cupide  et  parlant  moins  rapace, 
moins  fripon ,  et  bientôt  vous  en  ferez  un  peuple  de 
cliréliens. 

«  Malgré  ces  défauts ,  les  Chinois  ont  sur  leurs  voisins 
de  la  Cochinchinc  une  supériorité  incontestable  :  ils  ont 


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lis 

plus  de  culture  dans  Tesprit ,  plus  de  propreté  dans  la 
tenue,  plus  de  distiHCtioD  dafhs  les  manières  et  d'expres- 
sion dans  leur  physionoinie  ;  ce  sont  en  général  des  hofni- 
mescapables.  Les  Gochinehinois,  au  contraire,  sont  d'un 
extérieur  beaucoup  moins  avantageux  ;  on  dit  qi^e  la  race 
annamite  est  une  des  plus  laides  du  monde;  de  plus,  elle 
ne  compte  dans  son  sein  que  des  hommes  petits,  maigres 
et  excessivement  timides  ;  aussi  ,  cent  Européens  bien 
armés  feraient-ils  aisément  la  conquête  de  la  vaste  et  po- 
puleuse terre  d'Annam.  Une  chose  bien  digne  de  remarque 
dans  le  Chinois,  c'est  l'impassibilité  de  son  caractère  ;  ' 
dites-lui  ceque  vous  voudrez,  ilne  paraîtra  jamais  étonné 
ni  ému  :  il  examine  et  discute  ,  tandis  que  pour  un  rien 
l'Annamite  crie  au  prodige. 

«  Maintenant  un  petit  mot  sur  ma  position  per- 
sonnelle. Dans  quelques  moments  je  vais  donc  partir.  On 
me  fait  passer  par  un  chemin  très-agréable,  dit-on,  mais 
c'est  le  plus  dangereux  ;  je  dois  traverser  Canton.  Voici 
le  plan  qu'on  a  adopté.  Hier  soir,  deux  de  mes  cour- 
riers ont  pris  les  devants  ;  ils  me  précéderont  proba- 
blement de  vingt-quatre  heures  à  Canton.  Là,  ils  doivent 
s'entendre  avec  un  vieillard  vénérable  ,  ancien  élève  des 
Jésuites,  qui  connaît  tous  les  coins  et  recoins  de  la  pro- 
vince ,  et  qui,  tout  cassé  qu'il  est,  veut  par  dévouement 
à  la  religion,  favoriser  encore  une  fois  avant  de  mourir 
l'entrée  d'un  Missionnaire  en  Chine.  Ils  chercheront  donc 
ensemble  dans  la  forêt  de  barques  qui  couvrent  la  rivière 
de  Canton ,  quelque  grande  jonque  de  commerce ,  et 
après  avoir  arrêté  leur  choix,  ils  demanderont  au  patron 
de  la  jonque  s'il  est  disposé  à  passer  de  la  contrebande. 
Le  rusé  Chinois,  devinant  bien  qu'il  y  a  là  de  l'argent  à 
gagner,  ne  manquera  pas  de  répondre  par  un  refus.  On 
insistera  alors  en  ajoutant  que   tout  s'arrangera  avec 

TOM.  XVIIl.  MARS   106.  8 

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114 

quelques  piastres  ;  le  patron  deviendra  plus  irai lablc, 
et  quand  on  lui  aura  promis  quelques  centaines  de  francs, 
le  marché  sera  conclu.  Aussitôt  on  lui  dira  qu'il  doit  met- 
tre à  la  voile  sans  délai ,  et  que  c'est  un  Européen  qu'il 
transportera.  A  ce  mot  d'Européen ,  il  va  se  lamenter  , 
se  désoler  du  piège  qu'on  lui  a  tendu  ,  et  protester  que 
pour  aussi  peu  d'argent,  il  ne  saurait  courir  de  si  grands 
dangers.  Les  courriers,  qui  sont  chinois  aussi,  ne  s'éton-. 
nerontpasde  cet  incident;  ils  s'y  attendaient:  cent  francs 
de  plus  sont  promis  au  patron  ,  et  le  voilù  pleinement 
rassuré.  Une  fois  ces  préliminaires  conclus  ,  on  convien- 
dra de  l'heure  du  départ ,  et,  au  milieu  de  la  nuit ,  j*ar. 
riverai  dans  le  plus  grand  silence  possible  à  bord  de  la 
jonque  ,  qui  se  hâtera  de  lever  l'ancre.  Tu  conçois  com- 
bien cette  nuit  me  paraîtra  solennelle. 

«  Personne  ne  sait  ici  mon  prochain  départ,  parce  que 
si  les  mandarins  de  Macao  en  étaient  instruits  ,  ils  don- 
neraient l'alerte  à  Canton,  et  je  serais  pris  en  arrivant. 
Mais  cette  chance  ,  comme  toutes  les  autres,  a  été  pré. 
vue.  D'ailleurs ,  si  on  m'arrête,  j'en  serais  quitte  pour 
quelques  coups  de  rotin  et  quelques  jours  de  prison  ; 
i>uis  on  meramènerait  à  mon  consul  de  Macao;  mes  pau- 
vres courriers  seuls  seraient  bien  à  plaindre  ;  on  le> 
condamnerait  à  l'exil  perpétuel ,  et  peut-être  à  la  mort. 
Eh  bien  1  c'est  un  danger  qu'il  faut  remettre  à  la  garde  de 
Dieu.  Quand  cette  lettre  te  parviendra,  j'aurai  vu  le  Su- 
Tchuen  probablement,  ou  uncachot.Mais  les  mandarinsne 
gagneraient  rien  à  m'arrêter  ;  s'ils  me  saisissent  dans  la 
province  de  Canton  ,  je  rentrerai  par  celle  du  Fo-Kien  ; 
s'ils  méprennent  encore  de  ce  côté ,  Dieu  me  donnera  le 
courage  de  pénétrer  par  le  Kiang-Sou.  Car,  vois-tu,  il 
faut  que  la  Chine  ouvre  enGn  ses  portes  à  l'Evangile ,  et 
nous  disons,  pleins  de  confiance  on  Dieu  :  Ou  ces  peuples 


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115 

nous  écouteront ,  ou  ils  nous  chasseront ,  ou  ils  nous  tue- 
ront; sMIs  nous  écoutent,  ils  se  convertiront;  s'ils  nous 
chassent ,  nous  rentrerons  ;  s'ils  nous  tuent ,  d'autres 
viendront. 

•  Je  monte  dans  la  barque  chinoise  aujourd'hui,  jour 
de  la  Présentation.  Pendant  que  vous  chantez  :  Ergo 
nunc  tua  gens^  etc. ,  je  chanterai  cette  hymne  moi  aussi, 
pas  si  fort  que  vous ,  il  est  vrai  ,  mais  assez  pour  que 
la  sainte  Vierge  m'entende.  Une  dernière  fois  ^  à  la  garde 
de  Dieu  I  si  nous  sommes  toujours  entre  ses  mains  ,  on  le 
sent  bien  plus  encore  quand  on  n'a  que  lui  pour  confi- 
dent et  pour  ami ,  durant  trois  mois  de  voyage  sur  des 
barques  d'infidèles ,  sans  livres  ,  sans  bréviau'e ,  sans 
même  un  chapelet  :  que  faire  dans  cet  isolement  ?  sinon 
s'entretenir  avec  Dieu  qui  n'abandonne  jamais  personne , 
et  qui  est  plus  spécialement  à  côté  de  ses  serviteurs 
aux  jours  de  la  souffrance  et  du  danger.  Maintenant  plus 
que  jamais  je  me  recommande  à  vos  prières.  Vive 
Jésus  !  vive  Jésus  1 


«  Chauveau,  Missionnaire  apostolique. 


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116 


Ure  3e  M.  de  la  Brunxêre  ,  Missionnaire  apostolique , 
d  M.  Jurine  ,  directeur  du  Séminaire  des  Missions 
Etrangères. 


«  Monsieur  et  bien  cher  confrère  , 


«  Je  me  trouvais  encore  à  Macao  ,  au  mois  de  juillet 
dernier ,  lorsque  la  corvette  la  Favorite  vint  mouiller 
dans  la  rade,  se  disposant  à  faire  voile  pour  le  nord  de 
la  Chine.  Le  capitaine  de  ce  navire  nous  parla  deTin- 
tenlion  où  il  était  de  visiter  les  côtes  du  Leao-Tong ,  et 
témoigna  le  désir  d'avoir  à  son  bord  un  missionnaire,  et^ 
s'il  était  possible  ,  un  interprète.  L'occasion  ne  pouvait 
être  plus  favorable.  Un  courrier  ànLeao-Tong  était  arrivé 
depuis  quinze  jours  ;  des  deux  élèves  coréens  qui  avaient 
étudié  à  la  Procure  ,  Tun  avait  déjà  été  donné  au  com- 
mandant de  VErigone ,  et  l'autre  devait  m'accompagner 
dans  ma  Mission  ,  pour  faire  de  là  une  tentative  sur  la 
Corée.  Avec  des  conditions  si  avantageuses  pour  les  deux 
parties  ,  on  se  met  aisément  d'accord.  Je  m'embarquai 
donc  avec  mon  courrier  et  mon  jeune  coréen  ;  le  17  juil- 
let ,  la  corvette  appareilla ,  et  je  conçus  l'espérance  de 
toucher  bientôt  au  terme  de  mes  vœux  ,  c'est-à-dire  aux 
rivages  de  ma  nouvelle  patrie. 

«  C'est  le  23  août  seulement ,  que  nous  pûmes  jeter 

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117 

l'ancre  en  face  de  la  petite  ville  d^Ofhlong  ,  peu  aupa- 
ravant bombardée  par  les  Anglais.  Il  n^appartientqu'à  un 
in^in  de  décrire  les  divers  incidents  qui  signalèrent  notre 
longue  traversée  ,  tels  que  les  échouements  sur  les 
bancs  de  sable  qui  obstruent  Tembouchure  du  Ta-Kiang, 
DOS  quatre  ancres  perdues ,  et  les  périls  d'une  nuit  qui 
Ëûllit  être  pour  nous  la  dernière  :  il  n'y  a  rien  dans  tout 
cela  qui  ne  soit  très  ordinaire  en  pareils  voyages.  Par 
bonheur  j  la  main  de  Dieu  a  toujours  été  avec  nous,  et 
personne  n'a  péri. 

«  Mais  quelle  agréable  surprise  ce  fin  pour  nous  de 
rencontrer  dans  ces  parages  lErigone^  sur  laquelle  ,  M. 
Maistre  naviguait  depuis  six  mob  entre  Macao  et  le  Fleuve 
Bleu  ,  en  attendant  une  occasion  de  pousser  jusqu'à  le 
Corée  I  Du  fond  de  mon  cœur  je  remerciai  la  bonté  di- 
vine ,  car  je  retrouvais  en  ce  moment  et  les  conseils  d'un 
excellent  confrère ,  et ,  plus  encore  ,  un  ami  pour  com- 
pagnon de  voyage, 

«  Cependant,  malgré  la  joie  de  nous  voir  réunis,  notre 
embarras  était  extrême.  Nos  deux  navires ,  pour  obéir  à 
de  nouvelles  instructions ,  allaient  prendre  une  direction 
opposée  au  but  que  nous  devions  atteindre  ;  il  fallait 
donc ,  ou  avec  eux  abandonner  la  Chine ,  ou  chercher 
un  asile ,  s'il  pouvait  y  en  avoir  pour  des  européens,  sur 
celte  terre  inhospitalière.  Je  ne  crus  pas  qu'il  y  eût  lieu  h 
délibérer  dans  une  telle  alternative ,  et  décidé  à  me  jeter 
sur  la  plage  ,  je  ne  cherchai  plus  qu'à  me  mettre  en 
conuDunication  avec  les  chrétiens  du  pays. 

«  Le  jour  même  où  je  songeais  sérieusement  à  quitter 
la  frégate ,  mon  élève  s'aboucha  avec  un  vieux  payen  qui 
était  venu  apporter  des  vivres.  C'était  un  homme  doux , 
honnête  ,  assez  influent  dans  l'endroit ,  et  très-ami  des. 


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118 

Français.  II  ignorait  mon  caractère  de  prêtre.  On  lui  de- 
manda s'il  pourrait  loger  deux  hommes  de  l'équipage , 
qui  désiraient  attendre  en  Chine  le  retour  de  leur  navire. 
Contre  toute  attente ,  il  parut  enchanté  de  la  proposition. 
Une  seule  chose  l'arrêtait ,  c'était  la  crainte  des  manda* 
fins  de  Xam^haù  Alors  fut  composée ,  au  nom  de  l'amiral 
Cécile  9  une  lettre  par  laquelle  il  nous  recommandait  à 
la  protection  des  mandarins  ,  ajoutant  que  le  capitaine 
Page  devant  bientôt  reparaître  sur  ces  côtes ,  prendrait 
information  de  tout  j  et  qu'au  besoin  il  ferait  justice. 

«  Muni  de  cet  important  passe- port ,  je  quittai  la  fré- 
gate, le  10  septembre  à  sept  heures  du  soir ,  accompagné 
de  mon  élève  ,  du  vieux  Chinois  »  et  d'un  de  ses  do^ 
mestiques.  Grâce  aux  ténèbres  de  la  uuit ,  le  débarque- 
ment fut  tranquille  ;  nous  attendîmes  sur  le  rivage  les 
gens  qui  devaient  porter  nos  effets,  puis  on  se  mit  en 
marche.  La  curiosité  chinoise  fut  plus  forte  que  nos  pré* 
cautions  :  de  distance  en  distance  des  groupes  se  for- 
maient sur  notre  chemin  ;  ils  étaient  composés  de  gens 
inoffensib  et  d'enfants  qui  nous  regardaient  en  silence,  et 
restaient  bouche  béante  de  surprise  après  nous  avoir  con- 
sidérés. Ils  avaient  souvent  rencontré  des  officiers  anglais 
ou  français  protégés  par  une  imposante  escorte;  mais  deux 
Européens  conduits  par  un  Chinois  ,  sans  armes  ,  à  dix 
heures  du  soir  ,  et  suivis  d'un  bagage  de  voyageur ,  voilà 
un  spectacle  qui  leur  était  inconnu. 

«  Dans  cette  occasion  ,  notre  vieux  Chinois  déploya 
tout  son  talent  oratoire.  11  s'arrêtait  devat  les  principaux 
groupes,  gesticulant  avec  beaucoup  de  vivacité  ,  nom* 
mant  à  chaque  instant  les  Français  et  les  Anglais,  et  pro- 
bablement mettant  en  œuvre  la  première  ressource  do 
l'éloquence  chinoise,  qui  consiste  à  dire  très  peu  ou  point 
du  tout  la  vérité.  Quoiqu'il  en  soit ,  son  zèle  eut  un  plein 


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succès.  D'ailleurs  ,  la  conclusion  de  la  paix  et  le  voi- 
sinage de  la  flotte  britannique  étaient  pour  nous  une  sûre 
garantie. 

«  A  peine  arrivés  au  logis  ,  il  fallut  boire  le  thé,  fu- 
mer une  pipe  avec  notre  bote  ,  et,  par  dessus  tout,  sup- 
porter patiemment  les  regards  avides  d'une  cinquantaine 
de  Chinois^  qui  avaient  libre  entrée  dans  la  maison.  Après 
une  longue  séance ,  chacun  songea  à  se  reposer.  Libres 
alors  ,  et  en  présence  de  Dieu  seul ,  nous  bénîmes  son 
adorable  conduite  sur  nous,  ignorant  encore  ses  desseins, 
et  renonçant  de  bon  cœur  à  toutes  les  préoccupations  de 
la  sagesse  humaine.  Je  me  souviens ,  qu'en  ce  moment 
notre  joie  était  grande.  Mon  jeune  élève  coréen  dont  la 
piété  et  les  talents  sont  remarquables ,  me  parlait  avec 
une  effusion  touchante.  C'est  ainsi  que  nous  nous  endor- 
mîmes paisiblement ,  et  le  sommeil  fut  profond  ,  car  nul 
trouble  n'agitait  nos  cœurs. 

«  Le  lendemain ,  au  moment  où  nous  finissions  Torai- 
son  du  matin,  arrive  notre  hôte  ;  il  nous  serre  affectueu- 
sement la  main  ,  en  nous  priant  de  rester  chez  lui  autant 
que  nous  le  voudrions.  Tandis  que  nous  causons  en- 
semble, quelle  n'est  pas  ma  surprise  de  voir  entrer  dans 
ma  chambre  un  Chinois  effaré  ,  qui  me  crie  en  latin  : 
«  Père,  Père,  vous  êtes  perdu I  »  C'était  mon  courrier 
qui  me  rejoignait ,  après  quinze  jours  d'absence.  «  —  Et 
toi ,  lui  répondis-je ,  je  te  retrouve,  voilà  ce  qui  me  fait 
grand  plaisir.»  Le  pauvre  Chinois  ne  savait  que  balbutier, 
et  sa  contenance  étonnait  singulièrement  les  assistants. 
Nous  nous  mimes  à  rire  pour  détruire  la  mauvaise  im- 
pression de  ce  début.  Puis ,  quand  il  parut  calmé  ,  je  le 
priai  de  m'expliquer  l'état  de  nos  affaires.  Il  me  remit 
deux  lettres ,  l'une  de  Mgr  de  Bezi ,  et  l'autre  de  M.  La- 
vaissière  ,  toutes  deux  empreintes  d'une  admirable  cha« 


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120 
riié.  Mgr  de  Bczi ,  dont  j'ignorais  la  présence  en  ces 
lieux  ,  n'avait  pas  plutôt  été  instruit  de  ma  situation  sur 
VErigone^  qu'il  s'était  empressé  de  m'envoycr  une  barque 
et  des  habits»  avec  ordre  de  me  conduire  sans  retard  jus- 
qu'au lieu  de  sa  résidence.  Le  courrier  chargé  de  cette 
mission  ,  avait  accosté  la  frégate  au  moment  où  elle  met- 
tait sous  voiles  ;  là  on  lui  avait  indiqué  ma  nouvelle  de* 
meure,  et  il  accourait  toui  essoufflé  ,  dans  la  crainte  que 
je  ne  fusse  déjà  entre  les  mains  des  satellites.  Son  impa- 
tience paraissaitextréme;  je  n'avais  encore  ouvert  qu'une 
des  deux  lettres,  quedéjà  il  s'écriait  :  «Partons,  partons; 
la  barque  nous  attend  sur  le  rivage  ;  hélas  I  nous  som- 
mes perdus!  »  Cette  peur,  comme  vous  le  voyez,  était 
line  peur  de  Chinois.  Aussi  j'en  riais  de  bon  cœur. 

«  Un  nouvel  incident  vint  encore  ajouter  à  l'agitation 
de  cette  scène.  Un  bruit  étrange  se  faisait  entendre  dans  la 
cour  voisine  ;  des  porteurs  arrivaient  chargés  de  caisses, 
de  malles  i  et  d'autres  objets  qui  en  partie  étaient  les 
miens.  J'avais  à  peine  jeté  les  yeux  de  ce  côté,  que  je  vois 
paraître  M.  Maistre,  vêtu  à  l'européenne ,  et  venant  aussi 
partager  l'hospitalité  qui  m'avait  été  accordée.  Dieu  nous 
réunissait  de  nouveau  pour  nous  séparer  encore.  Je  lui 
montrai  la  lettre  de  Mgr  de  Bezi.  Il  fut  décidé  entre  nous 
que  je  monterais  sans  délais  dans  la  barque  envoyée  par 
par  le  prélat ,  qu'elle  me  conduirairait  à  une  corvette 
anglaise,  alors  en  station  devant  On-long^  et  que  là  je  de- 
manderais un  asile  pour  mon  confrère^  jusqu'au  temps  où 
l'on  pourrait  lui  expédier  un  autre  canot. 

«  Cependant ,  il  fallut  céder  aux  instances  de  notre 
hôte ,  et  assister  à  un  diner  dont  il  fit  les  honneurs  avec 
une  politesse  très-remaquable.  Notre  réunion  était  grave 
et  silencieuse  sans  être  triste,  les  appétits  étaient  peu  déve- 
loppés; les  convives  semblaient  souvent  s'interroger  du  re- 


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121 

gard;  oous  étions  dans  rattentedudénoftment  qui  se  pré- 
parait. 

«  Enfin  je  pars  vers  le  milieu  du  jour,  conduit  par  un 
ami  du  vieux  Chinois.  Mon  courrier  nous  avait  précédés, 
et  les  chrétiens  de  la  barque  étaient  prêts  ;  nous  nous 
éloignons  donc  rapidement  ,  et  bientôt  nous  abor- 
dons la  corvette.  J'expose  ma  demande  au  capitaine,  qui 
Taccueille  avec  une  générosité  vraiment  anglaise  ;  je  laisse, 
de  plus  ,  une  lettre  pour  M.  Maistre ,  et  encore  tout  eu* 
ropéen  ,  je  m'enfonce  dans  ma  petite  embarcation  pour 
n'en  plus  sortir  que  Chinois»  Deux  chrétiens  préparent 
tous  les  éléments  de  la  métamorphose  ;  on  me  rase  le 
contour  de  la  tète;  on  ajoute  à  mes  cheveux  une  longue 
queue ,  que  ses  poils  durs  et  épais  m'ont  fait  appeler  une 
queue  de  cheval,  au  grand  scandale  de  mes  conducteurs; 
car  leurs  propres  cheveux  sont  de  la  même  espèce.  Une 
petite  calotte  de  soie  noire,  surmontée  du  bouton  rouge, 
de  larges  lunettes  pour  corriger  l'insolence  de  mon  nez  , 
et  une  pipe  à  la  main ,  cx)mplétèrent  l'homme  nouveau 
dont  il  fallut  me  revêtir.  Un  Européen  déguisé  de  la  sorte 
s'appellerait,  selon  nous  ,  un  faux  Chinois  ;  les  chrétiens 
du  A'tanjf-nan  l'appellent  un  faux  Européen  ,  en  ce  sens 
qu'il  renonce  à  ses  mœurs  anciennes,abandonne  sa  langue 
maternelle  ,  et  meurt  pour  toute  sa  vie  extérieure  à  son 
titre  de  naissance. 

«  Nous  entrâmes  dans  les  canaux  du  Kiang-nan  , 
comme  dans  les  ruisseaux  d'un  désert  :  la  terreur  causée 
par  la  guerre  précédente  nous  avait  admirablement  pré- 
paré les  voies.  Sur  notre  chemin  se  trouvait  une  chrétienté 
florissante  ,  dont  le  catéchiste  ,  homme  riche  et  très-dé- 
voué à  notre  sainte  cause  ,  accourut  avec  empressement 
5  ma  rencontre,me  conjurant  de  descendre  un  momentau 
milieu  de  ses  néophytes.  Comme  il  me  vit  insensible  à  tou- 


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122 

tes  ses  instances ,  il  me  déclara  que  Monseigneur  n'était 
point  à  sa  résidence  ordinaire  ;  que  Je  n'y  trouverais  per- 
sonnepour  me  recevoir,  et  qu'il  valait  mieux  prendre  quel- 
ques jours  de  repos,  que  d'aller  m'exposer  en  pure  perte. 
Ma  réponse  fut ,  qu'ayant  ordre  de  Mgr  de  Bezi  de  ne 
m'arrôter  nulle  pari,  mais  de  me  rendre  directement 
auprès  de  Sa  Grandeur  ,  j'aimais  mieux  obéir  au  péril 
de  ma  vie ,  que  de  manquer  à  une  recommandation 
aussi  formelle.  A  ces  mots  mes  gens  sourirent  ;  le  ca- 
téchiste fit  un  profond  salut ,  et  se  relira.  Le  croiriez- 
Yous  ?  loute  cette  terreur  qu'on  avait  cherché  à  m'îns- 
pirer  ,  était  une  fiction  charitable  ,  une  politesse  fort 
usitée  dans  le  cérémonial  chinois  :  c'est  ce  que  mes 
courriers  me  déclarèrent  ensuite.  Vous  le  voyez ^  il  reste 
toujours  dans  nos  chrétiens  quelque  chose  du  caractère 
national. 

«  Ce  catéchiste  avait  voulu  ,  en  me  retenant  quelques 
heures ,  donner  aux  chrétiens  le  temps  de  me  présenter 
leurs  hommages ,  et  faire  diversion  à  l'ennui  d'un  voyage 
clandesiin.  Mais  si  je  devais  aller  chercher  quelque  part 
une  consolation ,  c'était  bien  plutôt  aux  pieds  d'un  prélat^ 
dont  la  charité  ne  se  peut  louer  dignement  que  par  ceux 
qui  ont  approfondi  celle  de  Jésus  Christ. 

«  La  résidence  de  Sa  Grandeur  était  alors  Tcham-pu- 
Kiao.  Les  Pères  Goiteland  et  Estève  ,  Jésuites,  s'y  trou- 
vaient ;  ainsi  notre  Divin  Maître  me  donnait  pour  quel- 
que temps  une  famille  complète  :  un  Père  et  des  Frères. 
C'est  là  que  M.  Maistre  vint  nous  rejoindre  avec  le  reste 
des  bagages. 

«  Vous  parler  des  occupations  par  lesquelles  je  cher- 
chai à  utiliser  mon  séjour  dans  cette  province  ,  me  con- 
duFrait  à  des  répétitions  fastidieuses  et  de  nul  intérêt. 


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123 

Si  vous  aimez  les  détails  exceotriques ,  vous  apprendrez 
avec  plaisir  que  j'ai  habité  huit  jours  chez  un  médecin 
diinois  ,  excellent  chrétien ,  qui  ne  jugeant  pas  son  an 
assez  lucraiif,  a  imaginé  d'y  joindre  une  autre  brandie 
d'industrie ,  en  vendant  des  cercueils.  Il  en  avait  déjà 
vingt-six  en  magasin.  Un  pareil  médecin  en  Europe  ef- 
fraierait terriblement  ses  clients  ;  ici  nos  compatriotes 
seuls  y  voient  une  singularité*  Mais  laissons  la  plaisante- 
rie, et  voyons  ce  qui  vous  intéresse  davantage. 

«  La  province  de  Nan-King  est  une  des  plus  riches  et 
des  plus  fertiles  dç  la  Chine.  Elle  est  entrecoupée  dans 
tous  les  sens  par  une  multitude  de  canaux,  dont  le  nombre 
excède  de  beaucoup  celui  de  nos  routes  communales  en 
France  ,  en  sorte  que  le  voyageur  ou  le  marchand  ne  dit 
jamais  :  mon  cheval  ou  ma  voiture  ,  mais  ma  nacelle. 
Ces  barques  sont  couvertes  ;  on  y  peut ,  à  volonté,  lire, 
écrire  ,  manger  ,  et  dormir  comme  dans  sa  chambre  ; 
elles  sont  surtout  d'une  utilité  incomparable  au  Mission- 
naire ,  qui ,  avec  deux  chrétiens  pour  matelots,  parcourt 
sans  danger  tous  les  points  de  son  district.  Mais ,  de 
même  que  les  maux  sur  la  terre  se  compensent  toujours 
par  quelque  avantage  ,  de  même  aussi  les  biens  ont  leurs 
imperfections*  Ainsi  ces  canaux  ,  qni  par  la  facilité  des 
communications,  contribuent  tant  à  la  richesse  du  com- 
merce ,  engendrent  beaucoup  de  fièvres  pernicieuses  ,  et 
produisent  une  mortalité  souvent  effrayante.  On  sait 
que  Tancienne  tradition  des  Missionnaires  a  fait  appeler 
cette  contrée  h  tombeau  des  Européens.  Je  n'ose  rien  af- 
firmer sur  le  nombre  des  chrétiens  qui  l'habitent,  à  cause 
de  la  divergence  des  témoignages  que  j'ai  été  à  même  de 
recueillir  :  peut-être  le  chiffre  de  quarante  mille  ne  s'é- 
loignerait-il pas  trop  de  b  vérité.  Les  apôtres  chargés 
d'y  travailler  le  champ  du  Seigneur  ,  sont  les  Pères  Je- 


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1*24 

suites.  Il  paratt  qu'ils  occuperont  bientôt  la  province  de 
Pékin.  Plaise  à  Dieu  de  répandre  sur  leurs  travaux  les 
bénédictions  de  l'ancien  temps  I 

«  Permettez-moi  de  borner  à  ce  peu  de  mots  ce  que 
je  voulais  vous  dire  du  Kiang-nan  ;  mon  séjour  a  été  de 
trop  courte  durée,  pour  en  donner  un  aperçu  plus  com- 
plet. Je  n'ajouterai  qu'une  setde  remarque  :  sur  mille 
jonques  environ  qui  sortent  annuellement  de  Cham^hai^ 
pour  se  rendre  aux  différents  ports  du  Leao-tong ,  plus 
de  ving-cinq  sont  chrétiennes.  Cham-hai ,  comme  vous 
savez  ,  est  au  nombre  des  ports  de  cosamerce  oh  les  An- 
glais doivent  avoir  des  factoreries  ;  déjà  ils  y  ont  choisi 
leur  terrain.  Ce  voisinage  des  Européens  a  changé  l'as- 
pect politique  de  la  province ,  et  les  Missiomiaires  y 
jouissent  d'une  liberté ,  ou  plutôt  d'une  facilité  d'action, 
qui  ne  peut  aller  qu'en  croissant. 

«  Le  digne  évoque  qui  nous  avait  si  bien  accueillis, — 
je  reviens  avec  bonheur  sur  ce  sujet,  —  est  d'une  cha- 
rité vraiment  catholique,  qui  s'étend  indistinctement  sur 
les  Missinnnaires  étrangers  ,  comme  sur  les  siens  pro- 
pres. En  moins  de  quinze  jours  ,  nous  avons  pu,  par  ses 
soins,  monter  sur  une  jonque  dont  l'équipage  composé 
dedix-^pt  hommes  comptait  quatorze  chrétiens.  Le  pro- 
priétaire lui-même  était  venu  en  personne  solliciter  l'hon- 
neur de  nous  porter  à  notre  destination  ,  et  pour  notre 
passage  il  n'a  jamais  voulu  entendre  parler  d'argent. 

«  Ce  fut  dans  la  nuit  du  1^^  au  3  octobre,  entre  la  fête 
de  Notre-Dame  du  Rosaire  et  celle  des  Anges  Gardiens, 
qu'une  barque  vint  nous  prendre  sur  un  point  isolé  de 
la  côte ,  nommé  Tsang-Ka-Lou ,  et  nous  conduisit  au  na- 
vire. A  en  juger  par  ses  dimensions ,  le  bâtiment  pouvait 
être  de  150  tonneaux.  L'empressement,  les  attentions  , 


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125 

et  la  8«nplicité  des  chrétiens ,  ont  fait  pour  nous  de 
cette  traversée  la  plus  agréable  promenade  qui  se  puisse 
concevoir.  Les  vents  étant  contraires ,  il  fallut  rester  im- 
mobiles pendant  douze  jours  près  de  TSIe  Tsong-min. 
Chaque  matin ,  nous  célébrions  la  sainte  Messe  sur  un  au- 
tel préparé  par  l'équipage.  ;  tous  y  assistaient  avec  une 
dévotion  franche ,  qui  ne  se  trouve  pas  toujours  dans 
des  chrétiens  plus  familiers  avec  nos  saints  mystères. 

m  Nous  étions  embarqués  depuis  trûb  jours^  lorsque 
sur  le  soir ,  je  vois  entrer  dans  ma  chambre  le  capitaine 
à  la  tête  des  autres  néophytes.  On  me  prie  de  m'asseoir  ; 
j'obéis  aussitôt.  Tous  alors  se  prosternent  à  la  manière 
.  chinoise  -,  le  front  jusqu'à  terre;  et ,  comme  je  les  priais 
instamment  de  se  relever  ,  le  capitaine ,  prenant  la  pa- 
role au  nom  de  ses  matelots^  me  conjure  de  les  entendre 
en  confession.  Que  ce  spectacle  serait  extraordinaire 
pour  bien  des  Européens!  La  bonne  volonté  ne  me  man- 
quait pas ,  mais  je  n'avais  pas  encore  d'oreilles  pour  eux  : 
la  langue  mandarine  que  je  commençais  à  savoir  ,  la  seule 
qui  se  parle  au  Leao-tong  ,  ne  pouvait  me  servir  dans 
cette  occasion  ;  car  vous  n'ignorez  pas  que  la  province 
de  Nan-King,  à  l'exception  de  la  capitale ,  a  un  jargon 
tout-à-fait  différent  de  l'idiome  classique.  Cependant  nous 
en  vînmes  à  un  expédient  qui  pût  contenter  leurs  pieux 
désirs  :  ce  fut  d'écrire  en  lettres  chinoises  les  principaux 
péchés  qui  se  rattachent  aux  dix  commandements  de 
Dieu ,  et  d'en  faire  un  petit  catalogue  ,  où  le  pénitent 
montrait  du  doigt  les  fautes  qu'il  avait  à  déclarer.  Nous 
eûmes  aussi  la  consolation  de  distribuer  le  corps  de 
Jésus-Christ.  Ce  bon  Maître  voulut  payer  par  des  riches- 
ses spirituelles  les  attentions  généreuses  qu'on  prodiguait 
à  ses  ministres. 

«  L'administration  du  plus  auguste  des  Sacrements  ne 

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126 

ne  fut  pas  le  seul  acte  de  religion  accompli  à  la  gloire  de 
Dieu ,  au  milieu  des  centaines  de  jonques  payennes  qui 
étaient  à  nos  c6tés.  Il  fallut  procéder  encore  à  la  bàaédic- 
tion  du  navire,  et  de  tout  ce  quMl  contenait*  Le  lendemain 
de  la  cérémonie  ,  deux  autres  jonques  appartenant  à  la 
même  maison  de  commerce ,  accostèrent  notre  bâtiment , 
et  s^unirent  ensemble  par  des  cordages.  Elles  étaient  éga- 
lement montées  par  des  chrétiens  :  nous  dûmes  donc  im- 
plorer sur  elles  de  nouvelles  bénédictions,  et  je  ne  saurais 
exprimer  tout  ce  que  les  circonstances  du  lieu  et  des 
personnes  avaient  de  touchant  pour  un  cœur  de  Mission- 
naire. Souvent  le  soir  ,  respirant  la  fraîcheur  de  la  nuit 
sans  crainte  d'être  vus  ,  nous  entendions  ces  pieux  néo- 
pyhtes  chanter  en  cadence  leur  prière  accoutumée.  Nous 
nous  disions  alors ,  mon  confrère  et  moi  :  «  Quelle  po- 
«  sillon  est  la  nôtre?  Et  comment  en  sommes- nous  ve- 
tt  nus  à  ce  point  de  bonheur  P  Y  a-t-il  dans  noire 
«  patrie  quelque  avantage  qu'on  hésitât  à  sacrifier^ 
«   pour  goûter  la  centième  partie  de  ce  que  notre  bon 
«  Maître  nous  fait  sentir  en  ce  moment?  »   Souvent 
même ,  dans  ces  heureux  instants ,  le  silence  nous  était 
plus  agréable  que  Tépanchement  de  nos  pensées.  Oh  ! 
alors ,  Toraison  n'était  pas  difficile  ;  nous  ne  la  faisions 
pas,  pous  ainsi  dire  ;  mais  presqu'à  notre  insu  elle  s'em- 
parait de  notre  esprit  et  de  notre  cœur  :  «  Testis  mihi 
est  Deus  quod  non  mentior.  Dieu  m'est  témoîn  que  je 
ne  mens  pas.  »  Et  je  puis,  cher  confrère^  en  appeler  au 
témoignage  de  ceux  à  qui  ces  voies  de  l'apostolat  sont 
connues. 

«  Le  12  octobre,  une  brise  favorable  nous  annonça 
l'heure  propice  au  départ  :  les  cinq  voiles  se  déployè- 
rent ,  el  noire  jonque  ,  d'une  construction  supérieure  , 
devança  de  beaucoup  celles  qui  Tenvironnaienu  Nous 


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127 

comptions  déjà  quatre  jours  de  marche  ;  il  n'en  fallait 
plus  qu'un  pour  atteindre  un  petit  port  du  Leao-tong  , 
dans  les  environs  de  Kai-tcheou^  lorsqu'un  vent  du  nord 
vint  retarder  nos  espérances.  Nous  dûmes  courir  â  l'ouest, 
et  chercher  un  refuge  dans  la  rade  de  U-tao^  sur  le  litto- 
ral du  Chang-tong.  Plus  de  cent-cinquante  jonques  s'y 
réunirent  avec  nous.  Les  montagnes  disposées  en  cou- 
ronne, et  pour  la  plupart  assez  élevées ,  forment  un  abri 
sûr  et  commode  ;  mais  le  peu  d'eau  qu'on  y  trouve  ,  en 
défend  l'entrée  à  de  gros  navires  ,  la  profondeur  or- 
dinaire n'étant  que  de  trois  à  huit  brasses  et  demie* 
Un  seul  fait  remarquable  a  signalé  notre  séjour  en  cet 
endroit.  Au  moment  où  nous  étions  à  table,  presque  sur 
la  fin  de  notre  diner,  deux  satellites  payens  vinrent  à 
l'improvistc  percevoir  les  droits  de  mouillage ,  qui  s'éle- 
vaient à  mille  quatre- vingt  sapéques ,  c'est-à-dire  ,  à  peu 
près  une  piastre.  Us  entrent  dans  noire  salle  à  manger , 
furetant  partout  du  regard  selon  leur  habitude.  Nos  chré- 
tiens ,  plus  braves  que  je  ne  Taurais  pensé ,  ne  perdirent 
point  contenance.  Un  cercle  est  aussitôt  formé  autour 
des  nouveaux  venus  ;  on  leur  fait  mille  questions  ;  on 
les  accable  de  politesses ,  tandis  que  d'autres  matelots  , 
serrés  près  de  nous  et  paraissant  occupés  autour  de  la 
table  ,  nous  cachent  de  toute  l'épaisseur  de  leurs  corps. 
Une  manœuvre  si  plaisante  nous  faisait  rire,  bien  entendu, 
et  ce  rire  même  ne  contribuait  pas  peu  au  bon  succès  de 
leur  comédie. 

«  Cependant ,  le  plus  âgé  des  satellites  gagnait  peu  à 
peu  du  terrain  ;  il  s'était  déjà  glissé  dans  l'enceinte  du 
groupe  qui  nons  faisait  un  rempart^  et  nous  touchait 
presque  ;  la  situation  devenait  critique ,  lorsqu'un  chré- 
tien tant  soit  peu  espiègle,  s'approche  ,  et  tire  la  queue 
du  vieillard  d'un  coup  sec  qui  fait  trembler  sa  tête  :  il  se 


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retourne  soudaiô,  et  son  attention  absorbée  par  le  danger 
que  venait  de  courir  un  meuble  si  précieux ,  nous  laisse 
libres  de  tout  péril.  L'un  et  Tautre  se  retirèrent  après 
quelques  saints.  L'hilarité  était  au  comble^  et  dans  cette 
joie ,  non»  rendîmes  au  Seigneur  de  nouvelles  actions  de 
grâces* 

«  On  remit  à  la  voile  aussitôt  que  le  vent  nous  le 
permit.  Le  samedi  22  octobre ,  nous  avions  jeté  Fancre 
devant  Ta-ChMn-Ku^  petit  port  situé  à  moitié  chemin 
entre  Kai-Tcheou  et  la  frontière  de  la  Corée,  s'il  Tauts^en 
rapporter  à  notre  capitaine,  qui  paraissait  bien  connaî- 
tre cette  partie  du  golfe.  C'est  là ,  en  présence  de 
cette  terre  où  je  n'ai  pas  encore  mis  le  pied  ,  que  je  me 
suis  hasardé  à  vous  écrire  ces  lignes*  Quoique  la  côte  soit 
nue  et  desséchée  par  le  vent  du  nord  ,  elle  parait  très- 
accidentée  ;  quelques  montagnes ,  ou  mamelons  de  t^re, 
s'élèvent  à  peu  de  distance  dans  l'intérieur ,  mais  le  pays 
est  généralement  plat.  La  bise  qui  souffle ,  annonce  un 
climat  autrement  sévère  que  celui  de  notre  France  septen- 
trionale, quoique  sous  une  moindre  latitude.  Déjà  la  terre 
s'est  couverte  d'une  triste  et  sombre  atmosphère,  qui  ne 
la  quittera  pas  avant  six  mois,  et  l'œil,  cherchant  qaelqne 
objet  qui  puisse  le  récréer  ,  se  promène  en  vain  sur  cet 
âpre  horizon.  Malheur  donc  à  quiconque  viendrait  de- 
mander à  ces  contrées  les  joies  de  la  vie  présente  !  Une 
terre  stérile,  un  peuple  pauvre  ,  une  nature  en  deuil 
pendant  sept  ou  huit  mois  de  l'année ,  offrent  peu  de  ce 
qu'on  appelle  les  charmes  de  l'existence  humaine.  Hais 
des  âmes  que  Jésus-Christ  aime  ,  pour  lesquelles  il  est 
descendu  dans  la  crèche  et  mort  sur  une  cix)ix ,  des  âmes 
simples  et  disposées  à  l'Evangile,  des  sueurs  à  répandre, 
une  abondante  moisson  à  recueillir,  présentent  au  Mission- 
naire des  richesses  qui  le  font  tressaillir  de  joie.  Alors, 


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129 
pour  lui  la  nature  est  belle  et  riante  ;  tout  lui  devieo. 
précieux  y  m&ne  la  pauvreté  des  cabanes,  la  rigueur  du 
climat ,  la  nudité  du  désert  ;  seul ,  au  milieu  de  ce  loin- 
tain cercueil  oii  il  est  venu  s'ensevelir  vivant ,  il  aime 
à  répéter ,  dans  le  fond  de  sqn  cœur  ,  à  Jésus-Christ  qui 
Ta  envoyé  :  Hœc  requte$  mea  ,  Hîc  habitabo.  Cest  ici 
mon  repos ,  c'est  ici  ma  patrie. 

«  Je  voudrais  vous  parler  davantage  de  cette  terre  du 
Leao-Tong;  mais  j'ai  besoin  de  voir  et  d'apprendre  avant 
de  laisser  courir  ma  plume. 

«  Tout  ce  que  je  pourrais  ajouter  d'utile  pour  nos 
Missionnaires,  c'est  que  le  petit  port  où  nous  nous  trou- 
vons en  ce  moment ,  est  le  plus  commode  à  leurdébarque- 
ment ,  tant  à  cause  du  peu  de  sévérité  des  douanes ,  que 
par  la  proximité  de  deux  grandes  familles  chrétiennes, 
très-dévouées  à  notre  sainte  Reb'gion.  Notre  navire ,  qui 
n'était  pas  destiné  pour  ces  parages ,  y  est  allé  exprès 
pour  nous»  Sur  les  autres  points  de  la  côte,  on  ne  trouve 
des  néophytes  qu'à  une  assez  grande  distance  ;  ou 
bien  on  rencontre  une  surveillance  plus  active  de  la 
part  des  employés.  Pour  ce  qui  regarde  la  sûreté  du 
voyage  maritime ,  on  peut  sans  hésitation  se  confier 
à  l'expérience  des  pilotes  chinois  ,  qui  savent  leur 
route  a  peu  près  comme  nos  cochers  de  fiacre  les  rues 
d'une  ville.  C'est  une  chose  singulière  de  les  voir,  avec 
une  simple  boussole,  sans  instruments  d'observation  nau- 
tique^ et  sans  traités  de  navigation ,  diriger  leur  navire 
en  droite  ligne  au  point  où  ils  tendent,  connaissant  tous 
les  endroits  où  peut  atteindre  la  sonde  ,  déterminant 
ainsi  en  pleine  mer  et  les  distances  parcourues  et  la 
position  du  vaisseau.  Si  les  voyageurs  doivent  souvent 
préférer  la  mer  à  la  terre,  c'est  surtout  quand  il  faut 
choisir  entre  les  difficultés  toujours  dispendieuses  d'un 

TOM.  xviii.  106.  '^^ 

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130 

voyage  à  a*avers  Tempire  céleste ,  et  la  brièveté  d*une 
traversée  qui ,  dans  la  mousson  Ëivorable ,  se  fait  en  six 
jours. 

«  Veuillez ,  mon  bien  cher  Ck)nfrère ,  penser  souvent 
à  votre  petit  Missionnaire  ,  qui  vous  sera  toujouîs  uni 
dans  les  cœurs  de  Jésus  et  de  Marie , 


a  DB  LA  BRUNIERB,  Mi$S.  JpOêt.   > 


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131 


VICARIAT  APOSTOUQUE  DU  CHAN-SI. 


FISSION     ITALIENNE     DES     MINEURS     OBS£aVÀIi)TirtS. 


LcUre  de  Mgr  Jlphorue  ,  Coadjuteur  de  Monseigneur  le 
Ficaire  apottolique  du  Chan-^,  aux  deux  Conseils  de 
VOEuvre. 


«  Messieurs, 

«  Je  viens  appeler  votre  attention  sur  les  durétientés 
de  Su-ganrfu  ,  que  f  ai  récemment  parcourues.  Dans  k 
cours  de  cette  visite  pastorale  ,  j'ai  recueilli  sur  les 
lieux  quelques  traits  édifiants ,  et  je  m'empresse  de  vous 
les  offirîr,  comme  des  épis  glanés  pour  vous  dans  le  champ 
du  Seigneur. 

«  Nous  donnons  au  département  de  Su-gan-ful^  nom 
de  district^  parce  qu'il  est  confié  aux  soins  d'un  seul  prê- 
tre. Me  croyez  pas ,  cependant ,  qu'il  embrasse  un  terri- 
toire de  peu  d'étendue ,  ou  que  le  nombre  des  fidèles  qui 
l'habitent  soit  très-limité  ;  non  ,  il  comprend ,  sur  un 
espace  il'environ  cent  milles  carrés  d'iuilie ,  huit  villes  de 

9. 

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132 

troisième  classe ,  auxqneUes  se  rattachait  parles  liens  de 
la  juridiction  une  multitude  de  localités  secondaires. 
Nos  néophytes  comptent,  pour  la  population  totale,  le 
chiffire  de  deux  mille  neuf  cent  quatre-vingt-cinq,  difisé 
en  quarante-ime  chrétientés  ou  groupes  plus  ou  moins 
nombreux* 

«  La  première  de  ces  chrétientés ,  connue  sous  le  nom 
de  CoUine  de  la  famille  Kiao  ,  est  la  plus  coosidérable  ; 
elle  se  compose  de  deux  cent  quatre-vingt-quatorze  mem- 
bres. Seide  de  tout  le  district ,  elle  possède  une  ^lise  et 
quelques  maisonnettes  destinées  à  abriter  les  Misnonnai- 
res  de  passage.  Ces  réduits  sont  du  petit  nombre  des  ha- 
bitations construites  en  briques;  car  la  phis  grande  parde 
des  indigènes  en  est  réduite  à  se  creuser  des  grottes 
dans  la  colline* 

«  De  Kiao  je  passai  à  Ma-kiang ,  où  je  trouvai  dexkx 
cent  cinquante-un  néophytes.  Le  village  de  ce  nom  est 
composé  moitié  de  chrétiens  et  moitié  d'infidèles.  Long- 
temps ils  vécurent  sous  la  même  administration  ;  mais, 
grâce  à  leur  persévérante  fermeté^  les  catholiques  ont 
obtenu ,  après  quarante  ans  de  procès  dispendieux,  leur 
^tière  séparation  d'avec  les  idolâtres,  et  aujotu^d'hui  ils 
pnt  des  chefs  pris  dans  leur  sein,  qui  surveillent  les  in- 
térêts et  font  respecter  les  droits  de  la  communauté  chré- 
tienne. Blalgré  Tancienne  division  des  espritis  et  Topposi' 
tioQ  toujours  subsistante  des  doctrines ,  nos  frères  ont  si 
bien  su  gagner  Testime  de  leurs  rivaux,  que  ceux-ci  vien- 
nent d'eux-mêmes  inviter  les  fidèles  à  baptiser  leurs  en- 
fants en  danger  de  mort. 

«  Le  même  usage  règne  dans  la  chrétienté  de  Cao-kia* 
kioang.  ki,  nous  avons  même  une  consolation  déplus  : 
c'est  que  les  parents  joignent  à  la  demande  du  baptême 
pour  leur  enfont^la  promesse  que  si  le  malade  revient  à  la 

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133 
santé  ,  ils  le  feront  élever  dans  la  religion  du  Maître  du 
cieU  Une  moitié  du  YiUage  est  occupée  par  les  gentils,  et 
Tautre  par  les  chrétiens,  au  nombre  de  cent  quatre-vingt- 
quinze.  Us  sont  administrés ,  en  vertu  d'un  règlement 
légal ,  par  un  conseil  où  les  deux  partis  nomment  un 
égal  nombre  de  membres.  Cette  franchise  accordée  à  nos 
néophytes  n'est  pas  une  simple  &veur  ;  elle  est  le  prix 
de  leurs  services ,  une  récompense  d'a9tant  plus  hono- 
rable qu'elle  leur  a  été  décernée  par  ceux  qui  les  persé- 
cutaient. Voici  à  quelle  occasion. 

«  Lorsque ,  il  y  a  peu  d'années ,  s'éleva  contre  la  re- 
ligion une  tempête  si  violente  »  vingt-trois  fidèles  de  Cao- 
kia-kioang  furent  arrêtés  et  confessèrent  la  foi  avec  cou- 
rage. Ils  auraient  pu  se  dérober  à  une  condamnation  avec 
de  l'argent  ;  mais  ils  préférèrent  donner  un  exemple  pu- 
blic de  constance  en  subissant  la  peine  de  l'exil*  Toujours 
soumis  à  leur  prince ,  quoique  injustement  frappés ,  ils 
oublièrent  sa  tyrannie  au  moment  oii  la  révolte  menaça 
son  trdne  ;  on  les  vit  courir  aux  armes  ,  et  cimenter  de 
leur  sang  un  pouvoir  qui  les  opprimait.  C'est  pour  ce  fait 
glorieux  qu'on  les  rappela  dans  leurs  familles.  Les  païens 
eux-mêmes  ont  salué  leur  retour  avec  une  admiration 
mêlée  d'effroi  ;  ils  se  disaient  en  parlant  des  confesseurs  : 
«  Ceux  qui  ont  bravé  la  prison  ,  l'exil  et  la  mort, 
«  n'ont  rien  à  redouter  ;  c'est  à  eux  d'inspirer  la  crainte.  » 
En  commandant  le  respect  par  leur  dévouement^  ils 
avaient  conquis  le  libre  exercice  de  leur  foi  si  longtemps 
calomniée. 

«  Une  autre  chrétienté  ,  ceUe  de  Sin-Kioang  ,  a  pris 
naissance  et  s'est  affermie  au  milieu  d'aussi  étonnantes 
vicissitudes.  Son  berceau  n^étaitjadis  qu'un  repaire  de  bri- 
gants,  dontl'empereur  fitraser  les  habitations,  et  dèslors 
la  contrée  ne  présenta  plus  qu'une  solitude  maudite.  Elle 


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134 
n'en  était  que  plus  propre  à  servir  de  refuge  à  des  pros- 
crits. Il  y  a  quarante  aas ,  un  de  ces  chrétiens  qu'on  tra- 
quait dans  les  villes ,  vint  y  chercher  une  retraite  igno- 
rée ;  il  s'y  bâtit  une  cabane  et  défricha  à  Tentour  un  petit 
coin  de  terre.  D'autres  néophytes,  poussés ,  eux  aussi  , 
par  le  vent  de  la  persécutiim  ,  découvrirent  Fasile  du 
pieux  solitaire^  et  ravis  de  partager  le  calme  dont  il  jouis- 
sait, sanctifièrent  avec  lui  par  leurs  vertus  FaDcien  théâtre 
de  tant  de  crimes* 

«  Le  village  ne  pouvait  ainsi  grandir  sans  appeler 
TattentioD  des  païens  du  voisinage.  Poiu*  quelques-uns 
ce  fut  une  occasion  de  salut  ^  trois  iamilles  demandèrent 
le  baptême  ;  pour  le  plus  grand  nombre  ce  fut  le  sujet 
d'une  jakmsie  qui  alla  jusqu'à  jurer  la  perte  des  chré- 
tiens. Ils  auraient  exécuté  cet  odieux  projet,  s'ils  n'en 
eussent  été  détournés  par  un  vénérable  vieillard ,  en 
grande  estime  parmi  eux  à  cause  de  sa  science  et  de 
sa  bonté. 

«  Une  nuit ,  ils  étaient  sur  le  point  d'assaillir  le  vil- 
lage et  d'y  mettre  le  feu.  Ce  vieillard,  qui  ne  savait  rien  du 
complot ,  sentait  néanmoins  son  âme  si  agitée,  qu'il  ne 
pouvait  goûter  un  instant  de  sommeil  ,  oppressé  qu'il 
était  par  de  sinistres  pressentiments.  Il  se  lève  et  sort 
dans  la  campagne,  pour  se  distraire  du  trouble  auquel  il 
était  en  proie.  Mais  quelle  n'est  pas  sa  surprise  de  ren* 
contrer  des  groupes  de  paysans  ameutés  ,  qui  se  prépa- 
rent à  incendier  la  retraite  des  chrétiens  I  Saisi  d'horreur 
5  la  pensée  d'un  tel  crime,  cet  homme  de  bien  les  arrête, 
les  supplie  ,  les  apaise  ,  et ,  après  les  avoir  désarmés  , 
les  renvoie  dans  leurs  familles  ,  bien  résolus  de  respecte! 
à  Tavenir ,  dans  nos  fidèles^  le  malheur  joint  à  l'in^ 
nocence. 

«  Quoique  les  néophytes  de  Sin-kioang  n'aient  plus 


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t35 

été  menacés  par  les  infidèles  du  pays ,  ils  n*ont  pas  tou- 
jours échappé  aux  poursuites  des  mandarins;  on  en  comp- 
ta plusieurs  parmi  eux  qui  ont  souffert  pour  la  foi  ^  il 
en  est  même  qui  ont  subi  FexiU  Plus  tard,  on  les  a  tous* 
graciés,  à  rexception  d'un  saint  vieillard  qui  est ,  depuis 
vingt-deux  ans ,  courbé  sous  le  poids  de  la  cangue*  De- 
venu aveugle  pendant  sa  longue  captivité ,  il  fut  libre 
alors  de  retourner  chez  lui ,  mais  à  la  condition  de  gar- 
der le  fardeau  qui  pesait  sur  tes  épaules ,  à  moins  quMl 
n^aimât  mieux  s^en  débarrasser  par  Tapostasie*  Ce  nou- 
veau Job  est  un  parfait  modèle  de  résignation  dans  ses  souf- 
frances. Dans  ma  visite  à  son  village,  j'ai  voulu  m'entretenir 
quelques  instants  seul  avec  lui.  Quelle  consolation  de 
voir  près  de  moi  ce  généreux  athlète  de  Jésus-Christ , 
brisé  parles  tourments  quMl  a  endurés  pour  son  amour  I 
La  cangue  touchait  ma  poitrine  ;  je  baisai  plusieurs  fois, 
sans  qu'il  s'en  aperçût ,  cet  instrument  de  son  martyre 
qui  me  faisait  envie  :  trop  heureux  si ,  quelque  jour  ,  un 
pareil  supplice  couronnait  mes  faibles  travaux  I 

«  Dans  les  montagnes  qui  forment  la  chaîne  orientale 
du  district ,  fleurit  une  nouvelle  chrétienté ,  peu  nom- 
breuse ,  mais  d^une  ferveur  admirable.  Un  bachelier  con- 
verti à  la  foi  en  est  le  fondateur.  Son  zèle  a  &it  autant 
de  conquêtes  à  Jésus- Christ  qu'il  compte  de  membres 
dans  sa  famille  ;  trente-sept  chrétiens  ,  dont  deux  sont 
gradués  comme  lui ,  ont  reçu  de  ses  mains  le  baptême. 
Je  fus  beureui  de  féliciter  ce  bon  vieillard,  qui  m'accueil- 
lit comme  un  ange  descendu  du  ciel  :  c'était  la  première 
fois  qu'il  voyait  un  Européen^  et  cet  Européen  était  un 
ae. 


«  Plus  loin  ,  en  s'enfonçant  toujours  dans  les  vallées 
de  Test,  on  rencontre  plusieurs  familles  converties  à  la  Re- 
ligion par  un  confesseur  de  la  foi,  nommé  Baptiste  Uvang. 


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136 
Il  avait  loi^mèmeélé  psûen  et  criminel  avant  que  la  gntce 
en  flt  un  apAtre  et  un  athlète  de  TEvangile.  De  cruelles 
persécutions  lui  furent  suscitées  par  les  siens  ,  sans  que 
sa  vertu  en  fût  ébranlée  ;  au  contraire  ,  il  désarma  la 
haine  par  sa  patience ,  et ,  ce  premier  triomf^  obtenu, 
il  ne  tarda  pas  à  voir  tous  ses  parents  lui  demander  le 
baptême. 

«  Ses  épreuves  ,  cependant ,  n'étaient  pas  finies.  Ar- 
rêté par  ordre  des*  mandarins,  il  souffrit  avec  une  rare 
constance  les  tourments  les  plus  raffinés^  plutôt  que  d'ab- 
jurer sa  foi  :  tantôt  on  le  soufDeluiit  avec  barbarie,  tan- 
tôt on  le  suspendait  par  les  oreilles  ,  et  dans  cet  état  on 
lui  injectait  de  Teau  dans  les  narines,  ou  bien  encore  on 
chargeait  ses  épaules  de  lourds  fardeaux ,  après  Tavoir 
bit  mettre  à  genoux  sur  des  lames  de  fer  rouge  ;  on  en 
vint  presqu'à  lui  broyer  les  jambes ,  en  les  comprimant 
avec  ses  chaînes  dans  une  horrible  étreinte,  ku  milieu 
de  ces  tortures  il  gardait  le  silence ,  ou  il  invoquait  avec 
ferveur  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie.  Le  mandarin  , 
voyant  tous  ses  efforts  inutiles,  et  ne  sachant  plus  quel 
supplice  inventer  ,  permit  au  généreux  chrétien  d'ailer 
dans  sa  fiimiUe  se  guérir  de  ses  blessures,  et  surtout , 
ajouta-t-il ,  de  sa  folle  obstination. 

m  Les  autres  chrétientés  de  Sthgan-fu  ne  présentent 
rien  de  remarquable ,  excepté  leur  piété  qui  est  exem- 
plaire. Il  en  est  une  ,  cependant ,  dont  l'origine  rappelle 
un  fait  assez  curieux.  Un  pauvre  néophyte  de  Pékin ,  ne 
pouvant  se  procurer  dans  cette  capitale  des  moyens  suf- 
fisants de  subsistance ,  s'était  retiré  dans  les  plus  âpres 
montagnes  du  C%an-5t,pour  y  gagner  sa  vie  en  colportant 
de  petits  objets  de  négoce.  Arrivé  à  Si-lin  ,  il  remarqua 
devant  l'habitation  d'un  paysan  une  vieille  croix,  au  pied 
delaquellefumaient  des  bâtonnets  d'encens.  Grande  fut  sa 


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137 

snrpriseet  sa  joie  à  celte  vue.  Ceux  à  qui  il  demanda  l'ex- 
plication d'un  culte  si  étrange  lui  répondirent  qu'on  ado- 
rait un  esprit  inconnu  ,  mais  puissant^  et  qu'en  cda  on 
suivait  l'exemple  des  ancêtres ,  qui  avaient  légué  cette 
croix  au  village  comme  une  sauvegarde  contre  tous 
les  fléaux. 

«  Notre  chrétien  ne  laissa  pas  échapper  l'occasion  qui 
s'offrait  à  son  zèle.  Comme  un  autre  S.  Paul  dans  l'aréo- 
page ,  il  annonça  aux  paysans  le  Dieu  qu'ils  adoraient 
sans  le  connaître ,  et  la  prédication  du  nouvel  apôtre  fit 
tant  d'impression  sur  eux  ,  qu'ils  le  prièrent  de  se  fixer 
dans  le  pays ,  pour  achever  de  les  instruire.  Il  consentit 
bien  volontiers  à  leur  demande.  Pendant  six  ans  qu'il  se 
dévoua  au  ministère  de  catéchiste  ,  il  enseigna  à  ces  bons 
montagnards  tout  ce  qu'il  savait  de  la  doctrine  chrétienne, 
toutes  les  prières  qu'il  avait  apprises,  et  les  pieuses  pra- 
tiques en  usage  parmi  les  fidèles  ;  de  plus  ,  il  choisit  par- 
mi ses  disciples  douze  des  plus  capables  et  des  plus  fer- 
vents ,  qu'il  déclara  catéchumènes ,  et  leur  imposa  à  cha- 
cun le  nom  d'un  saint  honoré  par  l'Église.  Ces  douze  fu- 
rent les  premiers  admis  au  baptême,  mais  ils  ne  furent 
pas  les  seuls  ;  grâce  aux  soins  du  Missionnaire  qui  les  a 
visités  ,  on  compte  aujourd'hui  dans  cet  humble  village 
quarante-neuf  chrétiens. 

«  Je  viens  de  vous  dire  ce  qui  fait  notre  joie  dans  cette 
vaste  Mission  :  un  mot  maintenant  sur  ce  qui  nous  afflige. 
G>mbien  pensez-vous  que  nous  ayons  de  chapelles  pour 
les  quarante-une  paroisses  de  Surgan-fu  P  Une  seule  ; 
et  encore  avait-elle  été  si  ébranlée  par  un  tremblement 
de  terre ,  qu'il  eût  fallu  l'abandonner  tout  à  fait ,  si  la 
sainte  OEuvre  né  nous  avait  mis  à  même  d'y  faire  les  plus 
urgentes  réparations.  Nos  fidèles  qui  se  réjouissent  au- 
jourd'hui de  la  voir  restaurée ,  n'oublient  pas ,  soyez-en 


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138 
sûrs,  h  qui  ils  doivent  ce  bienfait ,  et  ils  ne  manquent  ja- 
mais de  nommer  leurs  frères  d'Europe  dans  les  prières 
que  leur  reconnaissance  fait  monter  au  ciel.  Partout  ail- 
leurs ,  quand  le  Missionnaire  veut  rassembler  son  trou- 
peau ,  il  n'a  qu'une  chambre  d'emprunt  pour  lieu  de  réu- 
nion ;  quelquefois  rnéme^  à  défaut  du  plus  obscur  réduit, 
il  convoque  ses  néophytes  dans  une  caverne  »  pour  oflrir 
avec  eux  les  saints  mystères. 

m  Mais  ce  qui  manque  plus  encore  à  Su-gan-fu ,  ce 
sont  des  prêtres;  il  n'y  en  a  qu'un  seul  pour  desservir  le 
district  tout  entier*  Aussi  ne  peut-il  ni  prendre  un  soin 
convenable  de  son  troupeau  ,  dispersé  çà  et  là  sur  un 
espace  de  cent  lieues  carrées  ,  ni  s'occuper  sérieusement 
de  la  conversion  des  gentils.  Quel  ministère  que  le  sien  ! 
cinq  ou  six  prédications  par  jour ,  des  instructions  spé- 
ciales aux  catéchumènes  qui  se  disposent  au  baptême  , 
des  entretiens  particuliers  avec  les  néophytes  appelés  à 
recevoir  les  sacrements  de  pénitence  et  de  confirmation  : 
voilù  une  partie  de  ses  charges  quotidiennes ,  qui  pren- 
nent »  à  elles  seules ,  les  deux  tiers  de  la  journée. 

«  Et  je  n*ai  encore  parlé  que  de  sa  vie  sédentaire  : 
que  dire  de  ses  fatigues  en  voyage  ?  Souvent  il  lui  arrive 
de  braver ,  pendant  des  semaines  entières ,  la  pluie  et  les 
vents  ^  d'endurer  la  faim  et  la  soif ,  de  rester  exposé  en 
plein  air  à  Thumidité  pénétrante  des  nuits  ,  après  avoir 
haleté  tout  le  jour  sous  un  ciel  de  feu  »  de  s'abandonner 
enfin  à  la  chute  des  torrents  et  des  fleuves  ;  et  tous  ces 
dangers,  toutes  ces  fatigues ,  il  les  affronte  le  plus  sou- 
vent pour  une  seule  âme ,  pour  un  pauvre  moribond  qui 
attend  de  sa  main  les  derniers  sacrements. 

«  Encore  s'il  trouvait ,  au  terme  de  sa  course,  un  lieu 
propre  à  se  délasser.  Mais  non  ;  en  été  il  doit  se  réfu- 
gier dans  des  grottes  humides ,  où  le  repos  n'est  possible 


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139 
qu'aux  dépens  de  la  santé  ;  en  hiver  il  est  suffoqué  par 
l'odeur  du  charbon  fossile ,  qui  brûle  jour  et  nuit  dans 
les  chaumières^  et  infecte  de  ses  fétides  exhalaisons  le  ré- 
duit du  pauvre ,  seul  abri  qui  s'ouvre  à  rbomme  apo- 
stolique. Tout  cela  finit  ordinairement  par  donner  au  Mis- 
sionnaire, ou  des  maladies  aiguës  qui  renchatnent  pour 
un  certain  temps  au  logis ,  ou  des  infirmités  qui  rac- 
compagnent jusqu'au  tombeau. 

«  A  ce  genre  de  tribulations  s'en  joint  un  autre  encore 
plus  cruel  :  c'est  celui  que  nous  suscitent  les  idolâtres  et 
les  faux  frères.  Contrariétés ,  injures ,  calomnies ,  on 
m'a  tout  prodigué  ;  je  n'ai  pas  fait  une  démarche  qu'on 
n'ait  flétrie  ,  pas  une  entreprise  à  laquelle  on  n'ait  ap- 
porté des  entraves.  Fondais-je  une  chrétienté  ?  bâtissais- 
je  un  établissement  ?  L'ennemi  de  tout  bien  était  là  qui 
créait  sourdement  des  obstacles.  Quels  orages  n'a  pas 
déchaînés  contre  moi  l'érection  d'un  séminaire  !  J'y  ai 
dépensé  beaucoup  de  sueurs  et  d'argent,  et  d'amères  vexa- 
tions ont  été  ma  récompense.  Mon  domestique  arrêté,  cin- 
quante chrétiens  emprisonnés  avec  lui ,  voilà  mon  premier 
salaire.  Pour  ma  part,  je  me  vis  obligé  de  fuir  ,  entraî- 
nant avec  moi  mes  élèves  proscrits  comme  leur  maître  ; 
tour  à  tour  nous  fûmes  chassés  de  la  maison  d'un  fidèle  et 
du  sommet  de  quelques  montagnes,  où  nous  avions  cher- 
ché successivement  asile;  et  pour  trouver  ce  repos  et  cette 
sécurité  que  nous  refusait  même  la  solitude  ,  il  nous  fal- 
lut demander  refuge  à  la  cabane  d'un  mendiant.  Là  , 
pour  un  moment,  la  paix  et  la  facilité  de  nous  recueillir 
nous  furent  données  :  j'en  profitai  pour  reprendre  vis-à- 
vis  de  nos  étudiants  des  soins  un  instant  suspendus  ; 
f enseignai ,  je  préchai ,  faisant  ainsi  pratiquer  à  ces  bons 
disciples  un  double  noviciat ,  celui  de  la  science  et  celui 
do  la  croix. 


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140 

m  Dieu,  toujours  bienveillant  envers  ceux  qui  souffrent 
pour  la  justice ,  daigna  nous  consoler  à  travers  ces 
^reuves.Il  permit  qu'une  lettre  de  Mgr  Moulynous  ar- 
rivât alors  du  fond  de  la  Tartarie  ;  instruit  de  notre  si- 
tuation déplorable ,  il  nous  écrivait  pour  compatir  à  nos 
peines  et  nous  exciter  à  la  résignation.  Ce  témoignage  de 
sa  charité  ne  nous  fut  point  inutile  ;  après  Ta  voir  reçu  , 
la  patience  nous  devint  en  quelque  manière  plus  douce 
et  plus  facile.  Une  autre  grâce  encore  retrempa  notre 
courage.  Cest  que  nous  pûmes,  pendant  plusieurs  mois, 
garder  le  Saint-Sacrement  exposé  sur  un  modeste  autel  ; 
étudiants  et  fidèles  du  voisinage  venaient  en  secret  Tado- 
rer  avec  leur  Missionnaire  ,  et  nous  sortions  tous  de  là 
plus  forts  et  plus  décidés  à  supporter  ^aussi  longtemps  que 
Dieu  le  voudrait,  les  privations  et  les  soufirances. 

«  Malgré  la  surveillance  dont  nous  sommes  Fobjet , 
nous  pouvons  de  temps  en  temps  exercer  le  saint  minis- 
tère au  dehors  ;  et  c'est  encore  pour  nous  une  satis- 
faction d'autant  plus  agréable,  que  nous  en  jouissons  sous 
les  yeux  mêmes  de  nos  ennemis.  La  difficulté  est  souvent 
extrême,  surtout  quand  il  s'agit  des  femmes.  Dans  ce  cas 
le  courage  ne  suffirait  point ,  s'il  n'appelait  à  son  aide 
quelque  sainte  ruse  dans  le  genre  de  celle  que  je  vais  ra- 
conter. Des  prisonnières  chrétiennes  avaient  demandé  un 
prêtre  pour  entendre  leur  confession  ;  mais  on  les  gar- 
dait à  vue ,  et  les  mesures  des  satellites  étaient  si  bien 
prises,  qu'il  paraissait  impossible  de  parvenir  jusqu'à  elles 
Baptiste  Uvang  ,  cet  illustre  confesseur  de  la  foi  dont  j'ni 
parlé  plus  haut ,  l'essaya  néanmoins,  et  fut  assez  heureux 
pour  tromper  la  vigilance  des  soldats.  Autour  de  l'en- 
ceinte qui  retenait  les  prisonnières,  étaient  entassées  des 
cannes  de  maïs  ;  il  s'y  cacha  pendant  le  jour,  et  de  là 
reçut  les  aveux  de  toutes  ces  captives  ,  sans  que  les 
gardiens  en  eussent  le  moindre  soupçon. 


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141 

«  Si  la  direction  du  troupeau  fidèle  nous  laisse  peu  de 
temps  à  donner  aux  paiiens ,  ne  croyez  pas ,  cependant , 
que  de  leur  part  il  ne  nous  vi^ne  parfois  des  consolations 
inattendues.  Quelle  joie  pour  nous  de  voir  apparaître , 
au  milieu  de  nos  réunions  mystérieuses  ,  une  femme  ido- 
lâtre que  la  grâce  a  touchée ,  et  qui  est  sortie  en  secret  du 
sein  de  sa  Emilie  endormie,  pour  assister  au  saint  sacri- 
fice dans  nos  nouvelles  catacombes  ,  et  ne  rentrer  dans 
la  maison  qu'avec  le  bienfait  du  baptême  !  Notre  émotion 
n*est  pas  moins  vive ,  lorsque  nous  entendons  les  gentils 
eux-mêmes  rendre  hommage  à  notre  sainte  Religion ,  pu- 
blier avec  admiration  les  vertus  qu'elle  inspire ,  et , 
quand  ils  veulent  assurer  le  bonheur  de  leurs  enfants  , 
rechercher  avec  empressement  pour  leurs  filles  des  maris 
chrétiens* 

«  Mais  où  notre  cœur  surabonde  de  joie ,  après  avoir 
longtemps  gémi  dans  une  affliction  profonde  »  c'est  au 
retour  de  nos  frères ,  de  ces  infortunés  transfuges  qui 
avaient  cédé  aux  conseils  de  là  peur ,  et  que  la  honte  re- 
tenait enchaînés  dans  le  camp  ennemi.  Après  une  dou- 
loureuse attente ,  je  les  ai  tous  vus  à  mes  pieds  ,  implo- 
rant le  pardon  de  leurs  fautes  ,  et  se  relevant  purifiés 
pour  aller  à  la  table  sainte  sceller  leur  réconciliation  avec 
le  sang  de  l'Agneau  sans  tache. 

«  Pour  opérer  ces  prodiges  de  conversion ,  Dieu  n'em- 
prunte pas  toujours  notre  ministère  ;  il  se  sert  bien  sou- 
vent des  laïques  ,  des  femmes  ,  quelquefois  même  des 
apostats  ;  car  ces  derniers  ,  jusque  dans  la  profondeur 
de  leur  chute ,  se  rappellent  encore  les  douceurs  du  ta- 
bernacle d'Israël.  Je  n'en  citerai  qu'un  exemple. 

«  Deux  chrétiens  ,  un  père  et  son  fils ,  avaient  apo- 
stasie pendant  la  dernière  persécution;  la  crainte  des  tour- 
ments les  avait  rendus  parjures.  Devenus  après  leur  faute 


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142 

un  objet  d*horreur  pour  eax-mémes ,  ils  tombèrent  bien- 
tôt dans  raccablement  du  désespoir  ,  et  dès  lors  ne  con- 
naissant plus  de  frein  ^  ils  cherchèrent  a  oublier  dans  des 
excès  de  tout  genre  la  foi  qu'ils  avaient  trahie.  Le  fils 
épousa  une  femme  païenne  qui  avait  pour  les  chrétiens 
une  haine  déclarée.  Cependant ,  comme  il  n'avait  pu  ef- 
facer de  sa  mémoire  toutes  les  vérités  de  notre  Religion 
sainte  ,  nos  dogmes  et  nos  préceptes  revenaient  souvent 
dans  ses  entretiens  ,  et ,  sans  qu'il  s'en  doutât,  il  en  in- 
spirait l'amour  à  sa  compagne.  Peu  à  peu  ce  sentiment , 
aidé  par  la  grâce  ,  triompha  si  bien  de  ses  anciennes 
préventions  ,  qu'elle  pressa  son  mari  de  l'initier ,  sans 
plus  de  délais  au  culte  qu'il  lui  avait  fait  connaître.  Alors 
le  jeune  homme  se  prit  à  .sangloter ,  et  confessa  par 
quelle  faiblesse  il  avait  renié  le  Dieu  des  chrétiens.  Cet 
aveu  y  loin  d'affaiblir  le  courage  de  son  épouse ,  la  con- 
firma dans  sa  pieuse  résolution  ;  elle  n'en  mit  que  plus 
d'instances  à  demançler  ^  comme  le  comble  du  bonheur  , 
d'être  comptée  parmi  les  enfants  du  Maître  du  ciel. 
Quoique  ce  désir  fût  la  condamnation  de  sa  conduite 
passée ,   le  mari  ne  s'y  opposa  pas  ;  au  contraire ,  il 
encouragea  sa  femme  dans  la  voie  où  elle  entrait ,  et  pour 
lui  faciliter  les  moyens  de  s'instruire ,  il  la  confia  quel- 
que temps  à  des  vierges  chrétiennes.  Celles-ci  l'accueilli- 
rent comme  une  sœur.  Après  quinze  jours  de  pieux  exer- 
cices ,  elle  reçut  le  baptême  ,  et  sortit  des  fonts  sacrés 
avec  une  telle  ferveur,  que  s'élevant  au-dessus  de  son  sexe^ 
elle  se  fit  l'apôtre  de  son  époux  et  de  son  beau-père  , 
et  parvint  aies  ramener  Pun  et  l'autre  dans  le  sein  de 
l'Eglise.  J'ai  vu  plusieurs  fois,  depuis  ,  ces  trois  néophy- 
tes ,  et  j'ai  trouvé  en  eux  tant  de  ferveur  et  de  simpli- 
cité, qu'on  ne  saurait  trop  exalter  la  miséricorde  de  Celui 
qui  fait  surabonder  la  grâce  où  abonda  le  délit. 


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143 

«  Vers  la  fin  de  1839  ^  eut  lieu  une  conversion  tout 
aussi  consolante.  Une  païenne  ,  infirme  et  presque  aux 
portes  du  tombeau  ,  était  assistée  par  un  médecin  chré* 
tien  ,  qui  l'instruisit  en  peu  de  temps  et  lui  conféra  le 
baptême.  Revenue  à  la  santé  contre  toute  espérance  , 
elle  se  mit  à  étudier  avac  ardeur  notre  sainte  foi ,  dont 
elle  ne  savait  encore  que  les  vérités  fondamentales  ;  bien- 
tôt après  elle  reçut  la  confirmation  et  fut  admise  au  ban- 
quet eucharistique. 

«  Peu  de  temps  s^éiait  écoulé  depnis  cette  dernière  fa- 
veur ,  lorsque  sa  fille  unique ,  âgée  de  cinq  ans  j  tomba 
dangereusement  malade ,  et  se  sentant  près  de  mourir  , 
demanda  le  baptême.  A  peine  était-elle  régénérée  , 
qn^elle  dit  à  sa  mère  :  •  Mes  forces  m'abandonnent ,  je  te 
«  quitte^  mais  c'est  pour  aller  t'attendre  au  ciel  ;  l'année 
«  prochaine  nous  nous  y  reverrons.»  Et  l'enfant  momnit. 

«  Quand  l'année  fut  presque  révolue  ,  la  mère  se  sen- 
tit en  effet  défaillir.  Elle  appela  de  nouveau  le  médecin  à 
qui  elle  devait  le  bienfait  de  la  foi.  Il  vint  ;  mais  comme 
il  savait  la  prédiction  de  la  jeune  enfant ,  il  avait  compris 
que  l'heure  solennelle  du  dépari  éiait  proche  ,  et  dans 
cette  conviction  il  s'était  fait  accompagner  d'un  prêtre. 
Cétait  l'infatigable  Baptiste  Uvang ,  qui  fut  présenté  à  la 
Êmûlle  en  qualité  de  docteur.  Tandis  que  le  médecin  dis- 
sertsût  longuement  avec  le  mari  et  le  beau-père ,  le  mi- 
nistre de  Jésus-Christ  entendait  la  confession  de  la  fer- 
vente néophyte  ,  et  lui  administrait  le  viatique  et  l'ex- 
tréme-onclion.  Enfin ,  arriva  le  jour  anniversaire  de  la 
mort  de  la  jeune  fille ,  et  ce  fut  celui  où  expira  paisible- 
ment sa  mère. 

«  A  ces  joies  qui  nous  viennent  du  dehors  ,  ajoutez 
celles  que  nous  goûtons  en  quelque  sorte  en  famille  au 
milieu  de  nos  chrétiens.  Combien  nous  sommes  dédom- 


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144 

mages  de  nos  tribulations  et  de  nos  fatigues  par  la  fer* 
veur  des  nouveaux  convertis ,  si  saintement  avides  d'ins* 
tructîons  religieuses  ;  par  Tempressement  de  nos  pauvres 
néophytes  à  s'approcher  du  tribunal  de  la  pénitence ,  età 
se  nourrir  du  pain  céleste  1  Et  nos  catéchumènes^  comme 
ils  s'inclinent  avec  amour  sous  le  joug  de  la  croix  I  Os  n'i- 
gnorent pas  à  quels  sacrifices  ils  se  dévouent  en  frappant 
à  la  porte  de  TEglise;  ils  savent  que  dès  le  premier  pas  ils 
auront,  ou  des  liaisons  coupables  à  rompre,  ou  des  habi- 
tudes invétérées  à  combattre ,  qu'ils  vont  se  trouver  sans 
appui ,  exposés  aux  outrages  de  leurs  proches,  aux  vexa- 
tiens  des  pàiens  ,  aux  rigueurs  de  l'exil  ;  et  malgré  cet 
anathème  général ,  ils  n'ont  qu'un  désir ,  celui  d'être 
baptisés  ;  qu'un  bonheur,  celui  de  voir  approcher  le  jour 
oà  l'eau  sainte,  en  coulant  sur  leur  front ,  les  désignera 
conune  de  nouvelles  victime  aux  traits  de  nos  ennemis. 

«  Que  dirai-je  du  courage  de  nos  chrétiens  qui  vien- 
nent ,  de  soixante  milles  de  distance ,  à  pied  ,  dans  l'an- 
goisse du  dénûment  et  de  la  crainte  ,  au  lieu  où  ils 
espèrent*  rencontrer  un  ministre  des  autels  ,  et  pouvoir 
participer  aux  saints  mystères?  Rien  ne  les  arrête  :  le 
chapelet  à  la  main ,  une  petite  croix  d'argent  suspendue 
au  cou  ,  ou  bien  ,  sur  lem*  chapeau  ,  quatre  lettres  chi- 
noises qui  expriment  une  invocation  au  Saint-Esprit ,  on 
voit  des  fenmies ,  des  enfants  ,  braver  résolument  les 
privations  et  les  périls  d'un  si  long  voyage. 

«  S'il  est  une  vertu  plus  admirable  encore,  c'est  leur 
charité.  De  simples  cultivateurs ,  qui  n'ont  que  la  misère 
en  partage  ,  imposent  un  tribut  volontaire  sur  leurs  pé- 
nibles sueurs  ,  sont  industrieux  a  trouver  im  superflu 
dans  leur  indigence ,  pour  soutenir ,  avec  leurs  pieuses 
collectes  ,]es  confesseurs  de  Jésus -Christ ,  qui  languis- 
sent sans  secoius  dans  les  prisons  ou  l'exil.  Et  ce  qui  est 


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145 

digne  de  remarque  ,  les  plus  pauvres  sont  les  plus  géné- 
reux ;  l*aumône  lombe  plus  abondante  des  mains  qui  au- 
raient plus  de  droits  à  la  recevoir  I 

«  Que  manque-t-il  à  une  terre  si  féconde?  Des  ouvriers 
plus  nombreux.  Elle  ne  demande  qu'à  produire  :  pour- 
quoi sont-ils  si  rares  ceux  qui  consentent  à  recueillir  ses 
fruits  ?  Viennent  donc  à  notre  aide  de  nouveaux  coopé- 
ra teturs  !  viennent  plus  spécialement  nos  vénérables  frères 
de  Tordre  sérapbique ,  auquel  est  confiée  cette  Mission 
lointaine  1  héritiers  du  zèle  qui  dévorait  notre  saint 
fondateur  ,  qu*ils  viennent  en  grand  nombre  répandre , 
sur  ces  terres  abandonnées ,  le  germe  de  leurs  bons 
exemples  et  celui  de  la  divine  parole  ,  ainsi  qu'ils  le  font 
avec  tant  de  succès  dans  les  autres  régions  du  monde 
catholique!  » 

«  Et  vous,  charitables  associés  de  la  grande  OEuvre , 
je  ne  puis  terminer  cette  lettre  sans  vous  payer ,  au  nom 
de  nos  Missions  ,  un  sincère  tribut  d'éloges  et  de  recon- 
naissance* Tant  qu'il  restera  un  néopliyie  dans  ces  chré- 
tientés lointaines,  il  conservera  avec  une  pieuse  affection 
le  souvenir  de  nos  bienfaiteurs  ,  de  ces  frères  généreux 
de  rOccident  qui  tendent  une  main  secourable  aux  en- 
fants de  la  Cliine ,  pour  les  attirer  après  eux  à  l'étemeUe 
béatitude.  Réunis  à  notre  troupeau ,  nous  continuerons 
jusqu'au  dernier  soupir  d'appeler  les  bénédictions  d'en 
haut  sur  vos  familles  ,  comme  nous  hâtons  déjà  par  nos 
prières  ,  en  faveur  des  Associés  défunts ,  la  possession 
de  celte  gloû^e  dont  ils  nous  ont  aplani  le  chemin. 


«  f  Alphor SB  , 
Coadju(eur  du  Ficaire  apostolique  du  Chansi*  » 

To».  XVIII.  105.  10  ^        T 

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148 


MISSIONS  DE  MADAGASCAR. 


JBçctraii  i*un  Mimair$  priêtnti  à  MM.  k$  memhrts  de$ 
pameOs  Cmtram  de  TŒuvre  par  Af.  Palmwd ,  Ptéfe^ 
apQrtolifHe  d4  Madagoêcor. 


«  Messievas  9 


«  Quand  on  obsenrê  la  posilion  géographique  de  Ma- 
dagascar ,  on  se  demande  avec  une  douloureuse  surprise 
comment  il  se  fait  que ,  plaoée  sur  la  route  de  Tlnde ,  et 
à  côté  de  deux  colonies  très-fréquenlées  par  les  Français 
d^ois  deux  siècles  ,  oette  lie  n'ait  vu  briller  qu'un  in* 
siant  les  lumières  de  la  foi,  qui  ont  pénétré  au  sein  même 
de  la  Chine.  Et  cependant  les  Malgaches  sont  mieux  dis- 
posés que  les  Indiens  et  les  Chinois  à  embrasser  notre 
Religion  sainte  ;  le  climat  de  leur  lie  n'est  pas  plus  mal- 
sain 9  en  général  ,  que  les  Antilles,  que  Batavia  et  bien 
d'autres  rivages  où  les  Européens  ne  cessent  d'aborder.  Il 
a  donc  fallu,  ou  des  circonstances  exceptionnelles,  ou  des 


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préventions  trop  légèrement  oHiçues ,  pour  Tahe  aban-* 
donner  par  les  hommes  apostolique»  te  défrlcliement*  h 
peine  commencé  de  ce  vaste  pays* 

«  Louis  XIV  avait  projeté  Toccupation  de  Madagascar»  et 
fondé  deux  établissements!  Ton  au  Fort-Dauphin,  Vautre 
à  Sainte-Marie.  A  h  sollicitatiott  de  cé  prince  ,  saint 
Vincent  de  PàuI  y  envoyo  des  kBssioAilaires  <)tti ,  peu  de 
temps  après  leur  arrivée^  forent  malheureusement  décimés 
par  la  nnort;  ce  qui  Ji*empécha  pas  Thomme  de  Dieu  de  di*" 
I  iger  vers  le  même  but  deux  nouvelles  colonieiii  Cette  fbb 
le  soooès  rendit  encore  moins  à  ses  vœuxi  Lu  pi^mière, 
jetée  par  Forage  sur  le  Cap  de  Bonne^BapéMucë  »  dut 
revenir  en  France  dix-huit  mois  après  ^  laute  d^un  navire 
qui  la  transpcMriât  à  sa  destiaatiofi  ;  ht  seéonde  fut  prise 
en  mer  par  les  Espagnols  avant  d*avoir  vu  les  cAtes  de 

Madagascar. 

• 

m  Cependant  Mi  tourdake,  ttii  des  jf^rerhSét^  apAtres 
de  cette  ib ,  ne  cessait  de  demander  à  saint  Vlticcnt  des 
colhboraieuri  :  «  N'écoutée  pas^,  lui  écritait-il»  cëax 
«  qui  veulent  tous  détourner  d'envoyer  ici  des  Mission- 
•  naires)  ceut  de  nos  confrèi^  qni  Sont  niorts,  ont  péri 
«  bien  moins  par  Tinsalubrité  du  pays  >  .que  par  Pexcès 
«  de  leur  zèle  ,  par  leurs  courses  multipliées  pour  satis- 
«  feire  au  désir  qu'ont  tous  les  Malgaches  de  s'instruire 
«  dé  la  tleligion.  Avec  deux,  ou  trois  Missionnaires  ,  en 
«  peu  d'années  ,  toute  la  province  du  Fort-Dauphin  sera 
«  chrétîejine.  » 

«  En  effet,  saint  Vincent  de  ftKil  ayant  envoyé  d'autres 
prêtres  y  la  Mission  proq[>6rait  de  jour  en  jour  ,  lorsque, 
par  suite  des  vexations  que  l'avidité  des  traitants  faisait 
éprouver  aux  Malgaches,  ceux-ci  massacrèrent  trac  par- 
tie  dé^Françaîs»  L'évacuation  de  l'Ile  fut  alors  ordonnée , 

10. 

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148 
et  Louis  XIV  défendit  à  tous  ses  navires  d*dbord€r 
ces  rivages  teints  du  sang  de  nos  compatriotes.  Sods 
Louis  XVIII ,  on  fonda  de  nouvelles  colonies  à  Sainte- 
Marie  et  à  Tintingues;  mais  aucun  Missionnaire  n'accom- 
pagna l'expédition. 

«  J'allai  pour  la  première  fois  à  Saint&Marîe  en  1837. 
Les  Malgaches,  au  nombre  d'environ  six  miUe^  me  témoi- 
gnèrent le  désir  de  se  faire  chrétiens.  Gomme  cette  ile  tôt 
malsaine ,  je  n'y  passai  que  trois  mois  pour  m'acdima* 
ter;  à  mon  départ ,  j'avais  déjà  baptisé  c^t  quatre- 
vingu  indigènes^  dont  un  tiers  d'adultes.  En  1838  ,  je 
revins  parmi  eux  ;  mon  séjour  fut  de  six  mois;  je  bfttis 
deux  chapelles  ;  peu  de  parsonne^  furent  baptisées,  paroc 
que  les  travaux  de&  deux  orat<Mres  avaient  absorbé  tovt 
mon  temps* 

«  Plus  heureux  en  1839  ,  je  grossis  mon  petit  trou- 
peau de  quatre  cents  ncmveaux  cathcdiques  :  c'était  le 
firuit  de  huit  mois  d'instructions.  Depuis  cette  époque  , 
je  n'ai  plus  résidé  à  Sainte-Marie;  mais  j'y  ai  toudié  plu- 
sieurs fois  en  allant  à  Nossi-bé  ,  et  j'ai  pu  m'assorerque 
les  néophytes  persévéraient  dans  leurs  bonnes  dispo- 
sitions. 

«  C'est  en  1 840  que  j'ai  commencé  h  Mission  de  Nossi- 
bé.  Je  fus  reçu  avec  enthousiasme  par  tous  les  chefs  ,  et 
en  particulier  par  la  reine  Tsimekou ,  âgée  de  quinze 
ans  j  qui  me  pressa  avec  les.  plus  vives  instances  de  me 
fixer  dans  son  village.  Aussitôt  j'ouvris  une  école  où 
Tsimekou  et  quarante  airures  personnes  venaient  ap- 
prendre à  lire ,  à  écrire  ,  et  à  prier  Dieu.  Ces  conamen- 
caments  me  comblèrent  de  consolation  ;  mais  ce  lurent 
mes  succès  mêmes  qui ,  dans  la  suite  ,  me  créèrent  des 
obstacles ,  en  soulevant  contre  moi  l'envie  et  la  copiditc. 


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149 

o  II  existe  à  Nossi-bé  et  dans  quelques  lies  voisines 
une  ancienne  colonie  d'Arabes  mahométans ,  hommes 
corrompus,  ignorants  et  fanatiques,  qui  ont  tous  les  vices 
des  autres  nations  musulmanes  ,  sans  en  avoir  les  bonnes 
qualités.  Ils  dirent  aux  Malgaches  que  les  enfants  aux- 
quels on  apprenait  à  lire  mourraient  bientôt  ;  que  j'étais 
un  espion  envoyé  par  les  Français  ,  pour  les  livrer  aux 
Hovas  leurs  ennemis,  et  qu'il  fallait  me  tuer  pour  la  sûreté 
de  la  tribu.  Plusieurs  naturels  se  laissèrent  égarer  par 
ces  calomnies ,  et  proposèrent  au  chef  Tsimaneruhou 
d'entrer  dans  le  complot  ;  mais  celui-ci  leur  répondit  : 
«  J'ai  confiance  en  ce  blanc  ;  si  vous  voulez  lui  faire  du 
•  ipal ,  je  réunirai  tous  mes  guerriers,  et  nous  mourrons 
«  tous  pour  défendre  sa  vie.  »     ' 

«  Sur  ces  entrefaites  arriva  un  navire  de  l'état,  qui  fit 
une  longue  station  dans  l'Ile.  Mes  persécuteurs  en  furent-, 
ils  intimidés  ,  ou  bien  les  bonnes  dispositions  de  là  plu- 
part des  Malgaches  imposèrent-elles  silence  aux  calom- 
niateurs P  je  ne  sais  ;  toujours  est*il  qu'on  ne  m'inquiéta 
plus  jusqu'à  mon  départ.  Après  huit  mois  de  séjour  à 
Nossi-bé ,  je  retournai  à  Bom'bon  ,^  où  je  fus  obligé  de 
remplacer  M.  le  Préfet  a][)ostolique ,  pendant  son  voyage 
en  France. 

«  Jusqu'ici  j'avais  ^travaillé  seul  sur  ces  plages  aban^ 
données ,  n'ayant  que  Dieu  pour  confident  et  pour  appui 
dans  mon  isolement.  J'allais  enfin  trouver  des  collabon 
ratem's.  En  1842  ,  il  arriva  deux  Missionnaires  pour 
Madagascar  :  c'étaient  M.  Minot ,  honune  vraiment  apo^ 
stolique,  mais  âgé  de  soixante  ans,  et  M*  Joly ,  du  sémi- 
naire du  St-Esprit,  prêtre  aussi  courageux  que  zélé.  Nous 
partîmes  ensemble  pour  Madagascar.  M.  Joly  resté  seul 
à  Sainte-Marie^  en  repartit  malade  au  bout  de  trois  mois. 
M.  Minot  passa  six  mois  à  Nossi-bé.  Gomme  il  ne  pouvait 


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150 
apprendre  la  l^ncuf)  du  pays,  nous  pensâmes  qu'il  se> 
rait  pins  mile  iin%  Malgaches  en  se  Sxant  h  BouriM» , 
d'où  il  pourrait ,  comme  procuceur ,  rendre  à  la  Mission 
bien  des  services.  Poiir  moi  j['allai  à  Nossi-Hitsion,  petite 
Ile  située  à  huit  lieues^de  No^i-bé  ,  oii  le  roi  Tsimiarou^ 
quoique  maliomclan  ,  avait  témoigné  I^  désir  de  me  voir. 
C'est  surtout  ici  que  j*ai  éprouvé  toute  la  funeste  îoflueQœ 
des  Arabes.  Tsimiarou  me  ^^t  d'abord  avec  beaucoup 
d^amiiié  ;  sans  attendre  m^  demande  ,  il  mit  à  ma  dispo- 
sition cent  cinquante homçies  pourme  bâtir  un  logement. 
Il  venait  chez  moi  trois  ou  quatre  fois  par  jour  pour  s'in- 
struire. Indépendamment  de  la.  religion  ,  je  lui  appris  les 
éléments  de  la  lecture  ,  do  calcul ,  de  la  géographie  et 
de  la  culture  européenqe  ;  il  saisissait  tout  avec  une  éton- 
nante facilité,  et  après  chaque  conH  i  ence  il  allnît  mr  son 
iribunal  répéifr  aux  Malgaches  ca  que  je  hû  «raîa  ensei- 
gné. Il  trottiMilsorl9«i|  irèa-benux  les  aeiea  de  foi  »  d'es- 
pérance et  de  dmrîté  diréiieDiies  s  %  ¥oi)à,  dûnài^îl , 
c  dea  prîèeea  admirables. ,  ei  qn»:  je  odaipreiids»  landh 
«  que  je  «'entend»  ifien.  à  celM  des  musulman^,  i 

%  Cependant ,  les  Arabes  de  Nossi-bé  s*én|nrenc  ;;  ik 
vinrent  en  foule  assiéger  Tsimiarovi, ,  hii  fioenl  des  ca- 
deau]^ et  des  caresses ,  joignant  aui  plus  ma^nificpes 
promesses  ,  s'il  leur  restait  attaché  ,  la  menace  des  ven- 
g«Qaoes  i^élestes  en^eas-iiPsAmBden.  Le  r^i  s»  laissa  in- 
tiiip^r  ^  ^ ,  par  epainte  de  lui  •déphilre^,  presqoe  pep- 
soBoe  Bf^os»  plns^  Mquenier  ma^oabMe.  Béduil'  A  me 
soMtiide'i  peu  près  oomplèKs  j'étais  $uv  to  polm  de  qoi»- 
ter  riWy  loysqiïHiBe*  circonsHmce  pcovidontienadi^BgeEi 
la  fiice  de$(4ioses^ 

«  Pavais  recommandé  &  mes  élèves  de  m'ayertir^,  dés 
qu'ils  sauraient  un  ^fant  malade.  L'un  d'eux  vint  an  jour 
m'appeler.  Je  dis  aux  parents  du  malade  que  j'allais  lui 


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151 

doiner  le  baplènê  ;  quê  ê^*il  môurak  après  Pavoir  reçu, 
iMT  dottleur  tte  aérait  pm  aana  conselatiotf ,  parce  que 
8«  âflie  irait  êaprès  de  Dieaf  Jouir  de  là  félicité  du  det  : 
«  Oui,  me  répondireat-ilsi  nous  Sommes  bien  tionfénts 
c  décela.  « 

«  Au  sortir  de  la  case,  lep^de  Tétant  racontait  au 
gens  du  village  ce  c(ue|e  venais  de  faire  :  «  Ce  blanc,  leur 
«  disait-il ,  k  donné  une  tôi^  sainte  à  mon  fifs ,  et  s'il 
c  meart^  il  sera  heureux  avec  Dieu.  -^  C'est  bienf  répé« 
m  taient  ses  amis,  v  L'un  d'enx  Èïé  dit  avec  nne  tristesse 
mêlée  d'espérance  :  «  Ecnor  aussr  fai  un  enfiint  malade^ 
«  viesslui  donner  ton  remèdei  #  QueTcpies  jours  après^ 
on;  m'apporta  la  première  dé  ces  petites  créatures  «  qui 
étais  rétablie^  pour  me  remert:ier  d^sagnérison.  Dès  ce 
moment  on  me  prie  pour  tm  grand  médedn;  on  m'in* 
vitait  de  tout  côté  k  voir  les  malades  ;  ^en  visitaiS'Jttsqit'à 
vingt  on  viigt-cinq  par  jour.  Heureasement  f avais  apporté 
de  Bourbon  une  petitepharmadè,  dbnt  je^usagef  avec  as* 
ses  de  bonheur  pour  rendre  à  la  sattté  un  bon  nombre  d^in- 
digènesto 

«  Alors ,  les  espritis  sensibles  aux  bienfaits  ^diângèrent 
tout  à  Eut  à  mon  égard;  les  Malgaches  comprirent  que  non- 
seulement/en^  Uwr  portais  pas  malAetir,  comme  les  Arabes 
le  leur  avaient  fait  croire,  mais  que  j'étais  pour  eux,  selon 
leur  eiqpression  >  tm  pète  ei  une  mite.  Us  venaient  en 
grand  nombre  à  la  messe ,  le  dimanche ,  et  prêtaient  à 
ma  parole  oneoreiite  attentive.  Tous  les  soirs,  j^envoyais 
plusieurs  de  mes  élèves  enseigner  la  prière  et  le  catéchisme 
dans  les  villages  voisins,  et»  grâee  à  leur  rtfe,  j^eus  bien- 
tôt une  centaine  d'adaltes  disposés  au  baptême.  Je  difiiêrai 
néanmoins  de  leur  administrer  ce  sacrement^  dans  Fincer« 
titude  où  j'éuis  de  pouvoir  soutenir  cette  chrétienté  nais- 
sante. Le  temps  était  venu  de  m'en  séparer  \  j'étais  seul 


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152 

depuis  huit  mois;  je  oe  voyais  arriver  attciui  Uîs&îooBaire; 
|e  repris  encore  une  fois  le  chemin  de  Bourbon.  A  Nossi- 
Mitsiou  et  à  Nossi-bé  j'aurais  pu  baptiser  environ  deux  cents 
adultes  et  sept  à  huit  cents  petits  enDaints  deletu^  familles; 
mais  le  danger  de  séduction  était  si  grand  pour  eux,  dans 
ces  endroits  où  les  Arabes  dominent ,  que  j*ai  préféré  at- 
tendre qu^il  y  eût  des  Missionnaires  à  poste  fixe. 

«  Après  vous  avoir  entretenus  de  ce  qu'on  a  fait  jos- 
qu'ici  à  Madagascar^  il  me  reste,  messieurs,  à  exposer 
quelques  observations  générales ,  sur  le  caractère  des 
habitants  et  sur  le  climat  du  pays.  Si  je  m'étais  borné  à 
évangéliser  une  seule  c6te,  j'aurais  pu^  sansdoute,inslmire 
et  baptiser  un  bien  plus  grand  nombre  de  personnes  ;  mais 
comme  Madagascs^r  est  un  pays  très-peu  connu  des  Euro- 
péens, j'ai  préféré  suspendre  ce  bien  partiel,pour  parcou- 
rir les  points  les  plus  importants  de  cette  Ile ,  ponr  étu- 
dier les  moBurs  des  indigènes  ,  et  surtout  ponr  constater 
Cinfluence  du  climat ,  contre  lequel  s'élèvent  tant  de  pré- 
ventions. Possédant  les  deux  principaux  idiomes  de  Mada- 
gascar, il  m'a  été  plus  facile  d'acquérir  des  notions  exac- 
tes sur  tous  ces  sujets  ;  et ,  soit  par  ce  que  f  ai  vu ,  soit 
oar  les  informations  que  j'ai  puisées  auprès  des  naturels 
dans  les  différentes  provinces  ,  j'ai  recueilli  les  observa- 
tions suivantes  : 

«  P  Le  caractère  des  Malgadies  varie  avec  les  diver- 
^  tribus.  Ainsi ,  ceux  du  nord-est ,  nonunés  Bttsimiisa- 
ras ,  sont  naturellanent  timides  ,  bons ,  doux ,  bo^ta- 
ders ,  respectueux  envers  les  Européens  ;  ils  n'oseraient 
faire  du  mal  à  un  blanc,  quelque  injustice  qu'ils  souffrent 
de  sa  part  ;  le  vol  est  inconnu  parmi  eux.  Les  S<ikàlaoes  , 
qui  habitent  l'ouest ,  sont ,  au  contraire ,  altiers ,  cur^ 
bulents,  passionnés  pour  la  guerre  et  portés  au  vol  ;  peut- 
être  n'attenteraient  -  ils  pas  sans  motif  à  la  vie  d'on 


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153 
blatte;  mais  aussi  ne  laisseraient-ils  pas  une  iojusiice  sans 
vengeance.  Entre  ces  deux  extrêmes  ,  se  dessinent  autant 
de  nuances  qu'il  y  a  de  peuplades.  Les  ÀrUi-Nossi  (  habi- 
tants du  sud  )  par  exemple  ,  diffèrent  peu  des  Betsimù- 
taras  :  les  Jntan-Karaê  (habitants  du  nord  )  sont  coura- 
geux :  intrépides  comme  les  Sakalaves ,  avec  des  mœurs 
plus  douces  ;  ce  sont  ceux  qui  offrent  le  plus  de  ressources 
pour  un  meilleur  avenir.  Les  Hovas^  qui  habitent  Finiérieur 
et  qui  ont  conquis  une  grande  partie  de  Madagascar  , 
avaient  fait  des  progrès  réels  en  civilisation  sous  le  roi 
Aa(2am,progrès  blâmés  et  combattus  parla  reine  actuelle, 
qui  est  un  tyran  aussi  détesté  de  ses  vassaux  héréditaires 
que  de  ses  nouveaux  sujets. 

«  Tous  ces  peuples  ont  beaucoup  d'aptitude  pour  les 
sciences  et  les  arts  européens  :  on.  en  bit  une  expérience 
journalière  à  Bourbon  »  oii  les-  Malgaches  sont  les  seuls 
Africains  qui  exercent  les  métiers  avec  intelligence.  Leurs 
enfants  apprennent  à  lire  en  six  mois.  Dans  bien  des 
villages  où  je  ne  suis  resté  qu'une  semaine  ou  deux ,  j'ai 
réussi  y  en  gardant  près  de  moi  les  enËints  toute  la 
journée ,  à  leur  apprendre  le  Pater ^  VJve  j  le  Credo , 
les  conamandements  de  Dieu  ,  les  actes  des  vertus  théo- 
logales ,  VJngelus ,  les  principales  vérités  de  la  Reli- 
gion et  un  ou  deux  cantiques.  On  n'obtiendrait  pas  mieux 
des  enfants  européens. 

«  Mais  c'est  surtout  sous  le  rapport  religieux  que  les 
Malgaches  donnent  les  plus  belles  espérances.  Us  recon- 
naissent un  Dieu  unique  ;  s'il  n'y  a  parmi  eux  ni  idoles  , 
ni  culte  public,  ni  temple,  ni  prêtre,  c'est  qu'à  l'exemple 
des  patriarches  les  chefs  de  famille  offrent  eux-mêmes  des 
sacrifices  ,  tels  que  les  prémices  delà  récolte  ,  ou  le  sang 
d'un  taureau.  Sans  doute  il  règne  dans  les  esprits  bien  des 


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f64 

lopemiiions  ;  miis  ils  y  renoncent  facilement  quand  b 
Rdigioo  les  a  détrompés. 

«  De  toutes  ces  observations  il  est  aisé  de  conclure  que, 
s*il  y  a  dans  celte  lie ,  comme  partout ,  des  obstacles  à 
surmonter.^  ils  sont  moins  grands  et  moins  nombreux, 
que  chez  d'autres  nations  inGdèles  ,  oà  rEvangftb  s^an- 
nonce  avec  succès.  Chez  \s&Betsimit$ara$  et  autres  tri- 
bus qui  ont  un  bon  diractère  ,  on  peut  ,  en  deux  ou 
trois  ans ,  gagner  à  la  Religion  au  moins  la  moitfé  des 
grandes  personnes^  et  la  plupart  des  autres  ne  mour- 
raient pas  sans  demander  le  baptême.  Les  Sàkalavt» , 
au  contraire,  surtout  dans  les  lieux  où  dominent  les  Ara- 
bes, comme  à  Nossi*bé  et  à  Mayot ,  offriraient  peu  d'adul- 
tes au  prosélytisme  ;  mais  on  peut  compter  que  tous  les 
enlants  seraient  à  nous  ;  en  sorte  qu'on  aurait  Tespérance» 
et  presque  la  certitude ,  même  dans  les  pays  soumis  aux 
conditions  les  plus  défavorables ,  de  voir  toutes  les  géné- 
tions  futures  devenir  chrétiennes. 

«  V  Sous  le  rapport  de  la  salubrité  ,  Madagascar  est 
Tobjet  de  préventions  qui ,  pour  être  générales,  n'en  sont 
pas  moins  injustes.  En  effet,  s'il  y  a  dans  celte  lie  des 
plaines  marécageuses  ^  il  y  a  aussi  de  hantes  montagnes 
qui  la  traversent  dans  toute  sa  longueur  ;  d'oeil  suit  que, 
sur  une  étendue  de  trois  cents  lieues ,  l'état  sanitan*e  est 
aussi  varié  que  les  influences  locales  sont  différentes.  Ce 
qui  a  donné  lieu  à  la  mauvaise  réputation  du  climat,  c'est 
que  les  Français  se  sont  fixés,  jusqu'ici,  précisément  dans 
les  lieux  les  plus  malsains.  On  remarqua  d'abord  Tama- 
tave,  Foulpointe,  Tintingue,  Sainte-Marie  comme  de  beaux 
sites,  ayant  d'excellents  ports  i  et  Ton  s'y  établit  :  mais 
sous  ces  flatteuses  apparences  ,  on  n*avait  pas  voulu  voir 
lesgermes  cachés  de  contagion;  nos  compatriotes  y  mou- 
raient en  foule  ,  et ,  sans  plus  d'examen  ,  on  en  tira  la 


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166 

même  conclusion  contre  Madagascar  tooi  estier  »  on  l'ap- 
pela le  Umbeau  des  Européens. 

«  Pour  moi ,  après  avoir  pris  mes  renseignements 
dans  les  diverses  régions  de  Tile,  après  avoir  interrogé  les 
naturels  du  pays  et  les  blancs  qui  sont  venus  s*y  fixer, 
ayant  constaté  par  moi -^  même  des  expériences  faites 
depuis  longues  années ,  j'ai  acquis  la  conviction  qu'une 
grande  partie  même  des  cêtes  est  d'une  salubrité  par- 
faite. Ainsi  Fùuhemar  ,  Diego  Suarex ,  sur  une  zone 
décent  lieues,  oCDrent  un  pays  aussi  sain  que  fertile  :  j'y 
al  vu  sept  ou  huit  maisons  de  Français  ,  composées 
d'hommes  j  de  femmes  et  d'enlbnts ,  qui  étaient  là  de- 
puis six ,  dix  9  quinze ,  dix-huit  années  ;  tous  se  por- 
taient très-bien  ,  et  ils  m'ont  assuré  n'avoir  jamais  eu 
d'accès  de  fièvre  ^  tandis  que  dans  les  lieux  jadis  colo- 
nisés par  la  France ,  on  ne  voit  que  peu  de  traitants , 
dans  un  état  presque  habituel  de  maladie,  et  pâles 
comme  la  mort.  La  côte  sud-ouest,  appelée  Si- JugusUn^ 
est  également  &vorable;  la  température  y  est  fraîche ,  le 
pays  sec  et  sans  marais.  Des  baleiniers  américains  ou  an- 
glais couchait  souvent  sur  le  rivage^  quelquefois  même 
en  plein  air  ,  à  l'exemple  des  naturels ,  sans  qu'aucun 
d'eux  prenne  la  fièvre  ;  il  en  est  de  même  pour  nos  marins 
de  Bourbon  ^  qui  y  font  de  fréquents  voyages.  A  Sainte- 
Marie,  au  contraire,  on  est  atteint  par  le  mal  presqu'aussitôt 
qu^on  aborde.  J'ai  vu  un  baleinier  qui  a  eu  vingt-quatre 
hommes  malades ,  pour  y  être  resté  vingt  jours  ;  un  autre 
navire  y  a  perdu  la  moitié  de  son  équipage.  L'intérieur  de 
111e  est  encore  peu  connu  ;  à  en  juger  par  la  province 
d'Emyrme ,  où  les  Européens  ont  longtemps  séjourné , 
il  serait  aussi  sain  que  la  France. 

«  Je  termine,  Messieurs^  en  recommandant  ma  Mission 
à  vos  charitables  prières  ,  et  ù  celles  de  vos  pieux  Asso- 


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166 
liés  :  si  leurs  vœax  et  les  vôtres  s^élèveot  avec  perse* 
véraoce  en  &veur  de  Madagascar ,  ce  vaste  pays  sera 
bientôt  chrétien. 

«  Je  suis ,  etc. 


«  Dalmoihd  ,  Préfet   Apostolique.  » 


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U7 


Lettre  du  R.  Père  Cotain  ,  Missionnaire  apostolique  de 
la  Compagnie  de  Jésus ,  à  ses  Confrères  de  Fols. 


La  Ressource  ,  28  août  1845. 


«  Que  ne  m'est-il  donné,  mes  bien-aimés  Frères  ,  de 
fnincbir  aussi  vite  que  la  pensée  l'espace  immense  qui 
nous  sépare  l  Que  d'agréables  moments  je  passerais  au 
milieu  de  vous  ,  dans  ces  allées  de  Mons  si  délicieuses, 
où  mon  cœur  vous  voit  tous  réunis ,  réparant  par  quel- 
ques jours  de  repos  vos  forces  épuisées ,  et  vous  prépa- 
rant ainsi  à  continuer  avec  courage  vos  saints  exercices 
et  vos  travaux  !  L'âme ,  édiGée  comme  autrefois ,  et  ex- 
citée par  vos  exemples  ,  je  reprendrais  la  route  de  notre 
cher  Madagascar  ,  dont  je  vous  aurais  parlé  tout  à  mon 
aise  ;  j^aurais  vu  vos  saints  transports  au  récit  de  nos 
premiers  combats ,  de  nos  épreuves  déjà  sur  cette  patrie 
nouvelle ,  comme  aussi  de  nos  douces  espérances  pour 
Tavenir;  j'aurais  entendu  l'expression  animée  de  vos 
désirs ,  de  vos  vœux  ardents  de  nous  suivre.  Et  tout  plein 
de  ces  pensées  ,  de  si  suaves  et  de  si  consolantes  émo- 
tions ,  je  serais  revenu  les  partager  avec  mes  braves  com- 
pognons  d'armes,  sur  cette  même  terre  promise,  où  nous 


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TOUS  âttendond.  Mais  où  m'emporte  mon  cœur  ?  ce  chaN 
me,  ce  beau  révc  ,  se  dissipe.  Je  suis  loin ,  bien  loin  de 
TOUS  ;  à  la  Ressource  ,  non  à  Môns  I  Je  serai  dans  voire 
retraite  au  moins  par  la  pensée  ,  mes  bien  chers  Frères  ; 
et  de  cette  manière  j'y  suis  bien  souvent.  Cest  ainsi  que  je 
vous  vois,  en  ce  moment,  m'entourant  tous,  et  me  prêtant 
une  oreille  attentive.  Je  vais  donc  ,  il  en  est  temps  , 
commencer  mon  récit* 

«  Le  moment  du  départ  pour  Hsidagascar  était  enfin, 
arrivé.  Nous  nous  end^rquons ,  avec  les  effets  les  plus 
nécessaires  ,  M.  Dalmond  notre  Préfet  &  notre  tête , 
le  P.  Denicau ,  le  P.  Monnet  et  moi ,  ainsi  que  le  bon  F. 
Bemade  et  deux  Malgaches ,  attadiés  tous  les  deux  à  la 
Mission.  Ce  fut  le  6  juin  que  le  FdUgeur^  corvette  de 
l'état ,  mit  à  la  voile  pour  Saint-Augustin.  Nous  faisions 
ce  jour-là  l'office  de  Notre-Dame  Juœilium  ehristiano- 
nomtfi  .*  nous  ne  pouvions  partir  sous  de  meilleurs  aus^ 
pioes«  Aussi  la  traversée  fotrelle  heuseuse  ,  quoiqu'un 
peu  longue  à  cause  des  calmes  ;  nous  arrivâmes  an 
monillage  de  St*Augustjn ,  après  douze  jours  de  tra- 
versée. 

«  Nous  voilà  donc  en  vue  de  cette  terre  tant  désirée , 
que  nous  sommes  venus  chercher  de  si  loin  !  Nous  voyons 
déjà^  accourant  au  loin  sur  la  plage ,  quelques  hommes 
de  ce  peuple  qui  va  devenir  noire  peuple.  La  sagaye  où 
lance  ^  qu'ils  portent  quand  ils  quittent  leur  case^  brille 
sur  leurs  épaules  ;  leur  démardie  est  fière*,  leur  corps 
noir,  d'assez  belle  taille  pour  la  plupart ,  est  à  moitié  re- 
couvert par  une  étoffe,  f^^riquée  par  eux-mêmes^  et.dont 
ils  se  drapent  à  la  manière  antique  ;  leurs  cheveux  artis- 
tement  tressés  ,  eniremôlés  de  perles  ,  de  dents  d'ani- 
maux ,  de  quelques  objets  en  argent  ou  en  cuivre,  font 
assez  bon  effet  ;  mais  la  graisse  de  bœuf  ou  de  mouton , 


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dont  ils  les  enduisent ,  les  rend  quelque  peu  dégoû- 
tants par  la  mauvaise  odeur.  A  part  cela,  tout  l'ensemble 
de  leur  costume  a  quelque  chose  d'agréable  et  de  noble 
dans  sa  simplicité.  Vous  vous  croiriez  transportés  aux  pre- 
miers âges  du  monde  ,  et  retrouver  des  hommes  tels  que 
les  ont  décrits  les  anciens.  Mous  les  voyons  s'agiter  ,  et 
pousser  à  la  mer  quelque  chose  de  blanc  :  c'est  leur  piro- 
gue ,  fiiite  souvent  d'un  seul  tronc  d'arbre,  frêle  esquif 
d'environ  neuf  pieds  de  longueur  sur  un  ou  uir  eidemi 
de  large ,  sur  lequel  cinq  i  six  homoies  ne  craignent  pas 
de  s'embarquer.et  de  se  livrer  pendant  d'asseï  longs  voya- 
ges è  la  merci  -des  flots.  Le  vent  leur  est  favorable ,  ils 
dressent  leur  petite  voile  carrée  ;  en  voilà  deux  ou  trois 
qui  se  dirigent  vers  notre  bord.  D'un  oôté^  c'est  le  fils 
du  prince  Grimm  et  quelques-uns  de  ses  gens  ,  tous  du 
territoire  de  Quing^Fauiou ,  qui  est  à  notre  droite  ;  de 
l'autre^  ee  sont  les  ^voyés  du  prince  Wiil ,  qui  vien- 
nent de  l'entrée  de  la  rivière  de  St -Augustin  ,  pour  sa- 
voir, ainsi  que  ceux  du  prince  Grinun,  qui  nous  sommes, 
et  si  nous  venons  en  amis  ou  en  ennemis.  M.  Dalmond  et 
le  petit  Malgache  Joseph  les  ont  bientôt  rassurés  ,  en  leur 
disant  en  peu  de  mots  le  niotif  qui  nous  amène.  Ravou , 
ravau  I  s'écrient^ils  :  cùnUnU^  contents  t  Ces  insulaires 
nous  tendent  la  main  en  signe  d'alliance  ;  ils  annoncent 
qu'il  fout  des  cadeaux  pour  preuve  de  notre  amitié,  et 
qu'alors  nous  pourrons  ,  en  descendant  à  terre ,  expo*- 
ser  à  l'assemblée  des  chefs  et  du  peuple  tout  ce  que  nous 
désirons. 

«  De  grand  matin  on  met  un  canot  à  la  mer  ;  M,  Dal- 
mond, nous  trois  et  le  jeune  Malgache  chargé-  des 
présents ,  prenons  place  avec  un  officier  du  FoUigeur  : 
nous  arrivons  sur  la  plage.  Il  vous  est  plus  facile  de  vous 
imaginer ,  qu'à  moi  de  décrire ,  ce  que  nous  éprou- 


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160 

vâmes ,  en  foulant  pour  la  première  fois  la  terre  de 
Madagascar.  Notre  premier  mouvement  fut  de  nous 
prosterner  sur  ce  rivage  désiré ,  si  longtemps  assis  à 
Pombre  de  la  mort,  et  sur  lequel ,  après  dix-huit  siècles  , 
par  nos  sueurs  et  nos  travaux  ,  aidés  du  secours  de  la 
grâce  ,  allait  aussi  briller  la  douce  ,  la  vivifiante  lumière 
de  la  foi. 

«  Nous  nous  relevons ,  et  après  un  quart  d'heure  de 
marche  nous  atteignons  le  viUage  des  Iffahafaks,  peuplade 
assez  mal  famée  dans  le  pays ,  mais  qu'il  faut  traverser 
pour  se  rendre  à  Quing-^ousou  ,  et  qu'il  importe  par 
conséquent  d'avoir  pour  amie.  D'ailleurs,  là  aussi ,  il  y  a 
des  âmes  à  sauver.  Le  prince  Grimm  est  le  chef  de  cette 
tribu.  Il  s'avance  vers  nous ,  deux  lances  à  la  main  , 
accompagné  d'un  certain  nombre  d'insulaires ,  tous 
comme  lui  armés  de  sagayes,  quelques-uns  même  de  fu« 
sils.  Nous  voili  dans  son  village,  au  milieu  de  son  peuple* 
Jamais  prêtre  n'avait  paru  dans  ces  lieux.  Difficilement  je 
pourrais  vous  peindre  la  surprise  des  Malgaches  :  ils  ont 
Tair  tout  ébahis  de  nous  voir  ;  la  forme  de  notre  habit , 
sa  couleur ,  notre  maintien  grave  et  modeste ,  tout  les 
étonne  ;  ils  ne  savent  comment  nous  classer  parmi  les 
êtres.  Sommes-nous  des  Dieux,  ou  des  êtres  surhumains^ 
comme  quelques-uns  d'entre  eux  le  disent?  sommes- 
nous  simplement  des  hommes  ,  comme  tout  semblerait 
assez  l'annoncer  ?  ce  fut  pour  un  moment  le  sujet  de  con- 
versations bruyantes  et  d'étranges  conjectures. 

«  Cependant  tout  se  dispose  pour  le  conseil  :  les 
hommes  se  rangent  en  cercle,  accroupis  sur  leurs  talons  : 
devant  la  case  du  chef,  on  étend  une  nate  pour  lui  ;  et  vis-* 
à-vis ,  une  autre  pour  nous  :  les  femmes  et  les  enlants  se 
tiennent  à  quelque  distance ,  assez  près  pourtant  pour 
entendre  tout  ce  qui  va  être  dit.  M.  Dalmondala  parole  : 


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161 

malgré  sa  pronondatloo  différente  de  la  leur ,  ces  indl-» 
gènes  finissent  par  le  comprendre ,  assez  du  moins  pour  se 
montrer  contents  de  nous  voir  dans  le  pays  ,  et  dispo- 
sés à  faire  un  traité  d'alliance  avec  nous.  C'est  ordinaire- 
ment par  le  sang  que  se  cimentent  ces  unions.  Les  deux 
parties  contractantes  se  font  une  légère  piqûre  ;  on  mé< 
lange  le  sang  qui  en  découle  ;  chacun  en  met  quelques 
gouttes  sur  sa  langue  et  Tavale.  Après  cette  cérémonie , 
on  est  ce  qu'ils  appellent  frères  de  sang  ;  c'est-à-dire 
tellement  liés  d'intérêts  et  d'affection  ^  qu'on  se  doit  mu< 
tuellement,  en  toute  occasion  et  jusqu'à  la  mort ,  proteo* 
tion  et  assistance* 

«  De  crainte  que  ces  peuples  ne  mètent  qtielque  idée 
superstitieuse  à  cette  pratique  ,  nous  ne  jugeâmes  pas  à 
propos  de  nous  unir  de  la  sorte  avec  nos  Malgaches.  M. 
Dalmond  leur  offrit  de  faire  ce  traité  à  sa  manière;  c'est^ 
à-<JKre  sur  une  feuille  de  papier ,  à  laquelle  serait  apposée 
de  notre  part  une  marque  rouge  (le  cachet  de  la  Mission) 
marque  qui  vaudrait  bien  tout  ce  qu'on  pourrait  faire 
avec  une  piqûre,  et  mieux  encore.  Ils  y  consentirent,  après 
en  avoir  délibéré  entre  eux.  Aussitôt  ils  se  lèvent  con* 
tents  du  cabare  ou  conseil ,  et  nous  tendent  les  mains  en 
signe  d'amitié.  Depuis  que  cette  pièce  leur  a  été  remise  » 
ils  nous  voient  toujours  de  bon  œil.  Pour  nous ,  le  cœur 
plein  de  joie  de  ces  heureux  commencements,  nous  rega- 
gnâmes notre  vaisseau  avec  la  résolution  de  venir  nous 
fixer  chez  les  Mahafales^  dès  que  nous  serions  un  peu  plus 
nombreux. 

«  Le  même  jour ,  nous  descendîmes  à  Saint-Augustin. 
Ce  village  ,  ainsi  appelé  par  les  Européens ,  est  situé  à 
l'embouchure  de  la  rivière  qui  porte  le  même  nom ,  sur  le 
canal  de  Mozambique  et  à  peu  près  sous  le  Tropique  du 
Capiicorne.  Si  population  ,  à  ce  qu'il  m'a  semblé ,  doit 
Tow.  xvni.  106.  11 

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162 

approcber  de  mille  âmes.  Les  cases  qa'eUe  habite  sont  très- 
basses  et  tris-petites^  comme  partout  h  Hadagascsv ,  et 
éparpillées  sans  aucun  ordre  sur  on  sol  tout  sablonneux.  Si 
Tair  y  est  sain,  comme  on  le  dit,  Q  faut  s'attendre  an  moins 
i  souffrir  beaucoup  en  été  :  les  chaleurs  doitent  y  être  ter- 
ribles^ tant  à  cause  des  monticules  qui  Fentouroit  en  de- 
ml-cerde,  que  de  la  réverbération  du  soleil  sur  ces  sa- 
bles brûlants.  Là^  de  même  que  chez  les  Makafàle$t  point 
de  terres  cultivées,  point  dç  jardinage,  point  même  d'ar- 
bres fruitiers;  quelques  tamariniers  seulement,  et  d'an- 
tres arbustes  sauvages,  tristes  à  voir  et  tout  à  bit  inutiles 
pour  les  constructions,  i  l'exception  du  palétuvier  ver- 
doyant, qu'on  aperçoit  dans  les  marais  voisins.  Ce  n'est 
pas,  pourtant,  que  quelques  petits  points  de  cette  cAte  dé- 
solée ne  soient  cultivables  ;  mais  l'indolence  des  haUtants, 
jointe  au  défaut  d'industrie,  n'en  sait  tirer  aucun  parti. 
Le  peu  de  fruits  qu'on  trouve  k  Saint^AugusUn,  lui  vient 
de  rintérieur ,  aussi  bien  que  le  riz  et  différents  légumes  : 
on  les  récolte  dans  les  villages  plus  reculés,  situés  égale- 
ment sur  les  bords  de  la  rivière. 

«  Tout  occupés  des  réflexions  que  faisait  naître  en  nom 
l'aspect  d'un  pays  si  sauvage,  destiné  pourtant  à  devenir 
notre  station  la  plus  importante  ,  puisque  c'est  là  que 
les  vaisseaux  de  différentes  nations  viennent  aborder;  tout 
occupés,  dis-je,  de  ces  réflexions,  nous  cheminons  vers  le 
village.  Bon  nombre  d'habitants,  venus  à  notre  rencontre, 
nous  entourent  et  semblent  satisfaits  de  nous  voir.  On  nous 
avait  annoncés,  dès  la  veille,  conmie  des  hommes  de  priè- 
res, >/mjn/jS(mrou;  commodes  envoyés  de  Dieu,  Hirak-Za- 
nahare.  Les  enfants  surtout  veulent  nous  serrer  de  plus 
près;  ils  prennent  nos  mains  avec  respect  et  affection,  et 
^oiblent  pressentir  déjà  quelque  chose  de  ce  qui  attirait  si 
puissamment,  dans  la  Judée,  il  y  a  plus  de  dix-huit  siè- 


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163 
des,  tantd^antreseiifaDU  auprès  do  Sauveur.  Pauvres  pe- 
tits Bblgacbes  I  puissent-ils  éprouver  bientôt  les  suaves 
effets  et  la  maternelle  iuQuence  de  la  religion  I  s'il  fout 
enjuger  par  rintérét  qu*ils  nous  inspirent,  par  la  con- 
fiance et  Famour  qui  semblent  eux-^mêmes  le  s  animer ,  cet 
heureux  moment  ne  saurait  tarder  beaucoup. 

«  Au  milieu  de  ce  cortège ,  et  précédés  du  héraut  d'ar* 
mes  qu'on  nous  a  dépéché  par  honneur,  nous  arrivons  à 
la  case  du  chef  de  ce  peuple,  le  prince  Will;  là,  nous 
attendent  d'autres  chefs  subalternes,  avec  bon  nombre 
d'hommes  armés.  Lé  commandant  du  FoUigeur  et  un  au^ 
tre  officier  s'asseyent  avec  nous  sur  la  natte  qui  nous  a  été 
préparée,  tandis  que  le  prince  Will  et  son  fils  encore  en-* 
font  en  font  autant  de  leur  oAté*  Figurez- vous  cette  scène 
vraiment  poétique  :  ces  groupes  de  femmes  et  d'enfants 
assez  rapprochés;  ces Sakàlaves^  nous  enfermant  de  leur 
cercle  de  lances,  drapés  de  leur  SaimbaUf  et  accroupis  sur 
leurs  talons;  ces  orateurs  qui  parlent  et  gesticulent  avec 
chaleur  :  vous  vous  croiriez  facilement  au  temps  d'Homère. 
Mais,  pour  que  rien  ne  manque  du  cachet  des  anciens ,  à 
peine  tout  le  monde  est-il  à  sa  place,  qu  e  voici  venir  deux 
esclaves,  portant  des  vases  pleins  de  lait,  les  plus  élégants 
qu'on  ait  pu  trouver  dans  la  case  du  prince  :  les  deux  nè- 
gres s'approchent  et  les  présentent  à  chacun  des  étrangers. 

<  Après  cette  civilité  toute  pastorale^  le  plus  grand  si- 
lence se  £iit.  H.  Dalmottt,  invité  à  prendre  la  parole,  est 
écouté  par  l'assemblée  attentive  :  il  expose,  conmie  chez 
les  Mahafàleif  les  motifs  de  notre  arrivée  à  Saint-Augus- 
tin, tout  le  bien  que  nous  voulons  faire  à  ses  habitants, 
et  demande  qu'un  traité  d'alliance  fraternelle,  rédigé  sur 
papier  et  scellé  du  sceau  rouge,  soit  le  gage  et  le  garant 
de  notre  mutuelle  amitié.  On  délibère  quelques  instants  : 
la  pi*oposition  est  acceptée  avec  joie.  Cependant ,  comme 

11 

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164 
(les  envoyés  du  roi  Baba  doivent  bienlôt  venir  au  village, 
on  diiT^rede  quelques  jours  la  cérémonie,  pour  lui  donner 
plus  de  solennité. 

«  Ce  retard  est  mis  à  profit  pour  mieux  connaître  le 
pays.  Une  chose  me  pressait  surtout  :  je  désirais  ardem- 
ment savoir  si  l'intérieur  offrait,  à  quelque  distance,  un 
peu  plus  de  ressources;  si  Ton  voyait  des  champs,  des  vil- 
lages, des  forets.  Nous  gravissons,  le  Père  Denicau,  deux 
oOiciers  et  moi,  non  sans  difficultés  et  sans  quelque  péril, 
à  travers  des  arbustes  piquants,  et  par  des  pentes  raides, 
Je^  petites  montagnes  qui  environnent  Saint- Augustin. 
Deux  enfants  Malgaches  fort  aimables,  et  qui  jusqu'à  la 
iin  ne  se  sont  pas  démentis,  lorsque  quelques  jours  après 
tout  sembla  nous  délaisser  et  nous  maudire ,  s'offrirent 
joyeij^sement  pour  nous  servir  de  guides  dans  nos  excurr 
sions.  Nous  en  avions  besoin^  au  milieu  d'un  pays  où  Ton 
ne  rencontre  pas  un  chemin  tracé. 

«  Nous  gravissons  la  crête  de  ces  monts  rocailleux, 
couverts  de  sable  et  de  débris  de  coquillages,  sans  trouver 
d'autre  abri  contre  un  soleil  brûlant,  que  des  arbustes 
rabougris  et  hérissés  d'épines.  Arrivés  près  d'un  sommet 
plus  élevé,  d'où  je  comptais  embrasser  un  plus  vaste  ho- 
rizon, je  laissai  prudemment  le  bon  Père  Denicau  se  reposer 
un  peu  avec  un  des  enfants  (l'autre  et  les  deux  officiers 
s'étaient  déjà  écartés  pour  se  livrera  la  chasse)  :  nous  de- 
vions nous  rejoindre  plus  tard.  Après  bien  des  tours  et  des 
rlétours  pour  trouver,  parmis  ces  bruyères  et  ces  buissons, 
quelque  petit  passage  ;  après  plus  d'une  piqûre  aux  jam- 
bes et  quelques  déchirures  à  l'Iiubit,  je  parviens  au  point 
culminant.  Plein  d'espérance  de  découvrir  enfin  une  assez 
belle  campagne,  je  m'exhausse  encore,  pour  mieux  voir, 
sur  Tarbuste  qui  me  semble  le  plus  élevé.  Mais,  ô  surpri- 
se !  ô  désenchantement  !  aussi  loin  que  ma  vue  peut  s'é- 


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166 
4eiidre  d«iis  rinicrieur  des  terres^  ce  sont  mêmes  buis- 
sons, mêmes  bruyères,  même  aspect  d'un  soi  aridemeni 
monotone.  Pas  un  champ  cultivé,  pas  un  arbre ,  pas  le 
moindre  petit  hameau,  pas  Tombre  d*un  être  à  figure  hu- 
maine I  Seulement  à  ma  gauche,  sur  le  bord  de  la  mer, 
quelques  cabanes  de  pêcheurs  se  détachent  sur  la  nudité 
du  sable^  et  occupent,  comme  Saint- Augustin^  des  plages 
basses  et  brûlantes.  Je  l'avoue,  je  revins  le  cœur  attristé 
auprès  du  Père  Denicau,  qui  m'attendait  avec  quelque  im- 
patience, désireux  de  savoir  lui  aussi  ce  qu'était  notre 
nouvelle  patrie.  Nous  nous  consolâmes  mutuellement  dans 
l'espérance  de  trouver  mieux^  quand  nous  pourrions  pé- 
nétrer plus  avant  dans  Madagascar,  au  sein  de  ces  mon- 
tagnes qu'on  dit  beaucoup  plus  élevées. 

«  Saint-Augustin,  vers  lequel  nous  descendions^  nous 
parut  dès  lors  avoir  quelques  charmes.Nous  y  remarquions 
plus  d'arbres,  plus  de  verdure  que  partout  ailleurs.  Ajou- 
tez à  cela  sa  bonne  position,  sa  proximité  des  auures  vil- 
lages ,  qui  bordent  les  deux  côtés  de  la  rivière ,  et  qui 
forment  entre  eux  une  population  de  dix  à  douze  mille 
âmes.  Toutes  ces  considérations  nous  montraient  clai- 
rement qu'il  fallait  débarquer  là ,  et  y  fixer  notre  pre- 
mière tente. 

«  Telles  étaient  nos  pensées  et  notre  conversation ,  lors- 
qu'arrivés  au  pied  de  la  montagne  par  un  sentier  fort  dif- 
ficile, nous  nous  trouvâmes  sur  la  plaine  sablonneuse  de 
Saint-Augustin,nonloinde  l'endroit  où,  plus  tard^  les  of- 
ficiers devaient  venir  nous  rejoindre.  Nous  nous  mimes  à 
parcourir  cette  plaine^  poiu*  mieux  connaître  la  localité. 
Je  tenais  beaucoup  à  voir  la  source  où  tout  ce  peuple  va 
puiser  de  Feau  :  notre  bon  i)etit  guide  nous  y  conduisit 
bien  volontiers.  Chemin  faisant,  nous  visitâmes  en  détail  la 
grande  case,  qu'un  bien  digne  commerçant  de  Bourbon , 


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k  qui  elle  aiq[MurUeDt,  nous  avait  généreuseiiieDi  oflbne, 
en  aitendant  que  la  nôtre  fiU  bâtie  sur  le  terrain  qaenoos 
aurions  choisi.  Elle  nous  parut  suffisante  pour  nous  et  nos 
bagages.  Non  loin  de  là»  je  remarquai  un  emplacement 
assez  conrenable,  où  nous  pourrions  fixer  notre  demeure» 
quand  le  prince  et  son  peuple  y  auraioit  donné  leur  oom- 
plète  adhésion.  Il  entrait  dans  les  desseins  de  Dieu  que  ce 
ne  fût  pas  de  sitôt.  Nous  arrivons  à  la  source  :  grande  en^ 
core  est  notre  surprise^  lorsque  au  lieu  d'une  fontaine 
jaillissant  du  rocher ,  nous  apercevons  nn  méchant  petit 
urou  creusé  dans  le  sable,  où  croupit,  à  deux  ou  trois  pieds 
de  profondeur,  un  peu  d*eau.  Ce  sont  là,  après  tout,  les 
seuls  puits  Malgaches  que  nous  ayons  vus  jusqu'ici  sur 
la  côte.  Celui  que  nous  avons  à  Tollia^  et  que  nous  de* 
vous  au  chef  frère  Remacle,  est  presque  une  merveille 
dans  le  pays.  Faute  de  meilleurs  instruments,  c^est  avec 
les  mains  et  un  pieu  pointu  que  les  pauvres  insulaires  pra- 
tiquent ces  petites  fosses;  ils  s'arrêtent  presque  aussitôt 
que  Teau  parait^  de  peur  de  trop  se  &tiguer.  Heureuse^ 
ment  pour  eux,  elle  est  généralement  assez  bonne ,  et 
n'exige  pas  un  long  travail  pour  se  montrer  ;  deux  ou 
trois  pieds,  quaure  au  phis,  sont  bientôt  creusés  dans  le 


«  Cependant  nos  officiers  sont  arrivés  de  leur  chasse; 
les  matelots  rappellent  à  l^mbarcation  ;  nous  nous  diri* 
geons  vers  le  rivage,  quelque  peu  fatigués  comme  vous  le 
pensez,  n^  bons  amis.  Vous  devez  l'être,  de  voire  côté, 
d'un  récit  aussi  long.  Reprenons  donc  haleine  cette  nuit  , 
vous  dans  votre  chère  retraite ,  nous  sur  le  FoUigeur^ 
A  demain  I 

« — Nous  voilà  bien  reposés.  Le  soleil  commence  à  mon- 
ter sur  l'horizon ,  le  ciel  est  magnifique,  comme  tous  les 
jours  à  Saint-Augustin.  Les  envoyés  de  Quing  Baba  sont 


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167 
Mieore  en  route  ;  nous  pouvons  donc  coiisacrer  celte  nou- 
velle jooroée  à  nos  exploratioD$|  et  du  résumé  fid^e  de 
tout  ce  que  nous  aurons  vu  par  nous-mêmes,  ou  entendu 
raeoBter  par  les  habitants.  Déjà  notre  vaisseau  est  envi- 
ronné de  pirogues.  Ce  sont  des  Malgaches  de  divers  points 
de  la  côte^  qui  viennent  pour  vendre  ou  pour  échange 
leur  superflu;  ici  ce  sont  des  poules,  des  giromons,  des  pa^ 
tates  douces,  des  haricots  du  cap,  du  lait  même;  là  on  vient 
nous  olfrir  des  boeufs  dont  le  pays  abonde,  à  cornes  |n^- 
que  verticales,  et  qu*on  prendrait  pour  des  dromadaires, 
avoir  leur  gibbosité;  dtes  moulons  à  grosse  queue  et  à 
oreilles  pendantes  comme  celles  des  chiens  :  comme  ces 
animaux  domestiques,  Us  ont  du  poil  pour  fourrure,  au 
lieu  de  la  laine  quils  portent  ailleurs.  On  ne  coi^natt  pas 
le  porc  dans  ces  parages  ;  mais  pour  le  sanglier,  on  le 
rencontre  assez  fréquemment  dans  l'intérieur  des  terres  : 
les  Malgaches  lui  font  quelquefois  la  chasse  ,  bien  qu'ils 
n'en  mangent  pas.  Comme  oiseaux  de  basse-cour,  on  ne 
trouve  ici  que  la  poule,  dont  les  œufs  sont  fort  petits.  La 
pintade  y  est  à  l'état  sauvage,  aussi  bien  que  les  pigeons; 
parmi  ces  derniers  il  en  est  de  verts,  de  bleus  et  de  cou- 
leur cendrée.  La  tortue  de  terre  est  fort  commune;  on 
vient  la  chercher  de  Maurice  et  de  Bourbon,  comme  un 
mets  digne  de  figurer  sur  les  meilleures  tables;  ici^  vous 
perdriez  tome  considération  si  vous  osiez  y  toucher.  Il  n'y 
a  poiaA  de  chevaux  dans  l'Ile,  excepté  diez  les  Hovas  qui 
les  tiennent  des  Européens.  Si  ce  qu'on  dit  est  vrai,  il  y 
aurait  dans  les  montagnes  une  eq>èce  d'une  sauvage,  que 
les  naturels  semblent  redouter.  Madagascar  a  très-peu 
de  chiens;  point  de  chat ,  aussi  les  ratsfoisonaentF-ils.  En 
lait  de  bête  féroce,  il  n'existe,  assure-t-on,  qu'une  petite 
espèce  de  Ugre,  qu'on  trouvé  môme  assez  rarement.  En 
revandie  toutes  les  rivières  sont  iniéstées  de  caïmans  : 
pour  ma  part ,  J'en  ai  vu  de  vingt  à  vingt- cinq  dans  un 


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16S 

es^ce  ti*ès-i*esscrré ,  sur  le  bord  d'une  faible  rivière.  S'il 
y  a  des  serpents  ,  ils  ne  passent  pas  pour  très-venimeux. 
On  rencontre  aussi  quelques  petits  singes^  entre  autres  le 
Mak  ou  Makis  f  d'une  espèce  fort  jolie,  et  propre  à  Ma- 
dagascar: il  a  le  museau  noir  et  pointu,  les  oreilles  droi- 
tes, velues  et  fort  courtes,  le  poil  fourré  comme  celui  du 
lièvre,  et  la  couleur  cendrée  ;  sa  longue  queue  zébrée 
qu'il  jette  n^ligemment  sur  ses  épaules,  est  à  raies  blan- 
ches et  noires,  et  ya  s'aplatissant  et  s'élargissant  jusqu'à 
l'extrémité  en  forme  d'éventail.  Je  ne  dis  rien  des  riches- 
ses du  pays  en  botanique  et  en  minéralogie  :  Madagas- 
car, c'est  presque  tout  un  nouveau  monde  à  explorer! 

«  Les  envoyés  de  Qutng  Baba  sont  enfin  arrivés.  Un 
Jmpitaki  ou  chef,  vient  à  bord  Tannoncer  et  nous  avertir 
que  nous  pouvons  descendre  à  terre,  quand  il  nous 
plaira,  avec  nos  présents  pour  le  roi  et  pour  le  prince 
Will  ;  qu'aussitôt  un  grand  conseil  sera  tenu  à  notre  so- 
jet.  Nous  ne  nous  fîmes  pas  longtemps  attendre  :  quelques 
heures  après  nous  étions  à  Saint-Augustin,  réunis  à  ce 
conseil  tant  désiré!  Les  propositions  faites  par  M.  Oal- 
monl  furent  disculées  par  les  orateurs,  et  soumises  aux 
réflexions  et  à  l'approbation  de  toute  l'assemblée,  qui  les 
accepta  d'une  voix  unanime. 

«  En  ce  moment  la  joie  la  plus  vive  se  manifeste  sur 
tous  les  visages;  et  pour  en  donner  une  marque  plus  sein 
sible,  aussitôt  que  nous  nous  levons  pour  nous  diriger 
vers  la  mer,  une  foule  de  jeunes  guerriers  se  précipitent 
devant  nous,  la  lance  surrépaule,et  nous  accompagnent 
par  honneur  jusque  sur  le  rivagCi  exécutant  en  cadence 
une  de  leurs  danses  nationales.  Longtemps  encore,  après 
que  nous  les  avons  quittés,  ils  chantent  à  la  même  place 
leur  air  favori.  Je  vous  laisse  i  penser  quel  plaisir  nous 
ressentions  nousmémes^au  sortir  d'unescèue  si  consolante, 


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169 

et  qui  semblait  nous  promettre  dans   iin  avenii  très« 
rapproché  des  résultats  si  heureux. 

i  IVbis  l'œuvre  de  Dieu  ne  se  fait  pas  ordinairemect 
d^une  manière  si  douce  et  si  facile  :  son  élément  comme 
sa  vie,  c'est  l'épreuve,  c'est  la  croix.  Elle  ne  devait  pa&' 
ndus  manquer.  Un  baleinier  américain^  parti  de  Maurice 
avec  son  chargement  complet,  venait  d'arriver  à  Saint- 
Augustin  :  quel  motif  lui  a  fait  prendre  cette  direction,  an 
Ueu  de  suivre  celle  des  Etats-Unis?  Pourquoi  doncs'é« 
carter  si  grandement  de  sa  routePMais pourquoi,  surtout^ 
demander  de  prime  abord  au  capitaine  d'un  petit  navire 
qui  se  trouvait  avec  nous  :  N'y  a^t-tlpas  des  Misstonnai" 
Tes  sur  ce  bâtimerU  français?  Cette  question  et  toutes 
ces  pensées  nous  donnent  les  plus  graves  inquiétudes* 

«  De  plus,  et  comme  pour  renforcer  ces  noirs  pressen* 
timents,  des  nuages  épais  de  sauterelles,  telles  qu'elles 
nous  sont  dépeintes  dans  les  livres  saints,  arrivent  des 
bords  de  l'Afrique  à  travers  le  canal,  poussées  par  un 
vent  impétueux;  elles  couvrent,depuis  plusieurs  jours,  une 
étendue  immense  du  pays  des  Mahafales.  Si  ce  fléau  passe 
sur  le  territoire  de  Saint -Augustin,  un  peuple  aussi  super- 
stitieux ne  va-t-il  pas  l'attribuer  à  notre  présence,  et  au 
traité  qu'il  a  fait  avec  nous?  Heureusement  cette  seconde 
Tainte  fiit  bientôt  dissipée.  Un  vent  violent,  venu  de  terre 
chassa  de  nouveau  ces  insectes  vers  l'Océan,  et  les  balaya 
dans  les  flots. 

«  Restait  toujours  l'américain,  et  le  mal  était  là.  Avant 
peu  il  ne  vérifia  que  trop  nos  inquiétudes  :  à  la  faveur  des 
calomnies  les  plus  atroces  contre  nous,  au  moyen  aussi 
de  nombreux  et  d'assez  considérables  cadeaux,  il  chan- 
gea la  face  des  afiaires,  et  nous  aliéna  complètement  les 
gens  de  Saint-Augustin.  Impossible  de  nous  installer  au 
jour  convenu,  tant  les  esprits  étaient  montes  contre  nous  » 


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170 
Force  fut  donc  de  nous  rembarcpier,  et  de  regagner  leFol- 
tigeur  avec  tous  nos  bagages.  Le  but  du  iMileinier  était 
atteint  :  rien  donc  ne  le  retenant  plus,  il  ne  tarda  pas  à 
mettre  à  la  voile.  Et  nous ,  notre  affaire  manquée  pour 
le  moment  sur  ce  points  qu*aUions-nous devenir  P  Dieu 
y  avait  pourvu. 

«  Peu  de  jours  auparavant,  nous  étions  allés,  M.  Dal- 
mont  et  moi,  en  découverte  jusqu'à  ToUia ,  gros  village, 
situé  sur  la  baie  du  mémenom^  à  cinq  lieues  environ  au 
nord  de  Saint^Augustin.  Là  habite  le  prince  Duc ,  ainsi 
afqpelé  apparemment  parée  quNl  est  marié  avec  la  sœur  de 
Quing  Baba;  ilnous  accueillit  fort  bien,  et  dans  son  em- 
pressement à  nous  avoir  près  de  lui ,  nous  montra  une 
très-grande  case,  où  nous  pourrions  nous  loger  plus  corn* 
modément  qu*à  Saint-Augustin.  Nous  promîmes  de  nous 
rendre  à  ses  désirs,  dès  que  la  chose  nous  serait  possible, 
acceptant  de  grand  cœur  cet  asile  ouvert  par  la  Provi* 
dence. 

«  Le  jour  de  notre  installation  fut  fixé  à  la  fête  de  la 
Visitation.  De  grand  matin,  tous  les  préparatifs  de  départ 
sont  faits  à  bord  ànFoUigettr.  Nous  y  célébrons  pour  la 
dernière  fois  le  saint  Sacrifice;  et  après  nos  adieux  à  tous 
les  ofiiciers,  nous  descendons  dans  la  chaloupe,  au  milieu 
de  nos  effets.  Aussitôt  qu'on  nous  aperçût  de  ToUia^  tout 
le  peuple  se  rendit  sur  le  rivage,  témoignant  par  ses  cris 
et  ses  acclamations  la  joie  qu'il  avait  de  nous  voir.  Nos 
matelots  s'empressent  de  porter  nos  effets  dans  la  case. 
Nous  voilà  donc  établis  enfin  sur  cette  terre  Malgache,  ob- 
jet de  tant  de  vœux.  Là  aussi,  nous  n^étions  pas  au  bout 
de  nos  épreuves  :  plus  tard  viendront  les  consolations. 

«  Ce  premier  jour  fut  des  plus  pénibles ,  moins  encore 
parles  embarras  inséparables  d'un  nouveau  déplacement, 
que  par  la  curiosité  et  les  importunilés  in'^essantes  de 


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171 
noft  pauvres  Malgaches.  Leur  exigence  n'a  pas  de  bor- 
nes :  jasqu'i  b  nuit  bien  dose ,  ils  ne  nous  laissent  pas 
un  instant  de  trêve  ni  de  répit  ;  nous  leur  donnons ,  et  ils 
demandent  encore  :  c'est  tout  au  plus  si  nous  pouvons 
ronger  un  morceau  de  biscuit,  à  la  hâte  et  à  la  dérd)ée. 
L'officier  qui  nous  a  conduits ,  témoin  de  ce  spectade , 
du  désordre  de  cette  case  ouverte  à  tous  les  vents  ,  du 
péle-méle  de  nos  effets  9  au  milieu  des  sables  qui  nous 
servent  de  plancher ,  de  toute  cette  vie  de  sacrifices  qui 
nous  attend  ,  que  nous  connaissions  à  Favance ,  et  que 
nous  sommes  venus  chercher  de  si  loin ,  ne  peut  retenir 
ses  larmes. 

«  Cependant  les  ténèbres  se  sont  épaissies ,  et  peu  à 
peu  tout  ce  peuple  s'est  retiré  ;  il  fait  bien  entendre  aux 
environs  ses  diants  de  réjouissance ,  mais  à  mi-vdx  pour 
ne  pas  troubler  notre  repos.  En  somme  ,  celte  première 
nuit,  malgré  le  vent  et  le  froid  ,  est  encore  assez  bonne. 
Dès  le  matin  ,  grand  bruit  autour  de  nous  ;  on  crie ,  on 
s'agite;  tout  le  village  parait  sur  pied.  C'est  un  bœuf 
qu'on  se  prépare  à  tuer  en  notre  honneur.  Il  parait  que 
chez  les  Malgaches  c'est  une  distinction  réservée  aux 
grands  et  aux  nobles ,  que  de  porter  le  coup  mortel  à  ces 
animaux  :  voilà  pourquoi  sans  doute  on  me  l'offrit.  Je 
remerciai  le  prince  Duc,  et  lui  renvoyant  toute  la  gloire  de 
la  préséance  ,  je  lui  remis  en  main  le  coutelas ,  que  lui- 
même  m'avait  présenté.  H  en  fit  bon  usage.  Le  pauvre 
bœuf  fut  égorgé  et  dépouillé  en  un  moment  :  je  le  fis  aus- 
sitôt dépecer  et  distribuer  par  familles ,  n'en  réservant 
pour  nous  qu'une  faible  part. 

«  Nous  avions  ajourné  au  dimanche  l'ouverture  solen- 
nelle de  nos  exercices  religieux.  Dès  la  veille ,  nous  an- 
nonçons qull  y  aura  une  grande  prière  ,  à  laquelle  tout 
le  village  est  invité  ;  nous  embellissons  ,  au  plus  vite  et 


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172 
de  noire  mieux  ,  une  assez  grande  encéinle  ,  prisé  sar 
notre  case  ;  tentures  en  blanc  ,  draperies  au-dessus  de 
l'autel ,  vases  de  fleurs  apportées  de  France  ^  jolie  gra- 
vure de  la  sainte  Vierge  ;  tout  ce  que  nous  avons  est 
étalé  f  pour  donner  de  Téclat  à  ce  premier  acte  de  re- 
ligion. L'heure  venue ,  on  soime  la  cloche  ,  la  porte 
de  la  chapelle  est  ouverte ,  le  peuple  entre  en  foule,  pré- 
cédé du  prince  ,  de  la  princesse  et  de  leurs  enfants,  qui 
viennent  prendre  une  placed^honneur  sur  la  natte  qui  leur 
est  préparée.  Tout  le  monde  est  dansPadmiratlon  de  ce 
qu'il  voit  ;  surtout  lorsque  ,  sortant  de  l'intérieur  de  la 
case  f  le  Père  Denicau  et  moi  en  surplis ,  M.  Dalmont 
avec  la  mosette  et  Télole ,  enCn  le  Père  Monnet  revêtu  , 
comme  officiant ,  de  Taube  et  de  la  chasuble  ,  nous  nous 
avançons  vers  Fautel  pour  y  chanter  la  grand'messe.  Ces 
pauvres  Malgaches  gardèrent  jusqu'au  bout  une  attitude 
respectueuse  ,  qui  nous  surprit.  La  princesse  ,  surtout , 
semblait  sentir  déjà  la  grandeur  de  l'action  à  laquelle 
elle  assistait  pour  la  première  fois  ,  tant  elle  se  tint 
modeste  et  recueillie  1  Puisse  cette  âme ,  qu'on  dirait 
prédestinée ,  recevoir  bientôt  le  baptême ,  et  donner 
ainsi  au  peuple  dont  elle  est  aimée ,  l'exemple  de  la 
soumission  à  l'Evangile  1  Nous  communiâmes  tous  h  cette 
messe  ,  la  première  qui  ait  été  dite  dans  cette  partie  de 
Madagascar.  A  compter  de  cette  pieuse  cérémonie^  nous 
n'avons  plus  discontinué  de  monter  tous  les  jours  à  l'autel  : 
aous  en  avions  besoin  pour  nous  préparer  aux  nouvelles 
épreuves  qui  nous  attendaient. 

«  Peu  s'en  fallut  qu'au  bout  de  quinze  jours  tout  ne 
fût  renversé  à  ToUia  ,  comme  il  l'avait  été  à  Saint-Augus- 
tin. Les  mêmes  calomnies  y  avaient  été  répandues  ,  ci 
commençaient  à  porter  les  mêmes  fruits  ;  un  esprit  do 
crainte  et  de  défiance  s'était  emparé  des  habitants  ;  le 


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173 

mal  gagnait  toujours.  Le  Père  Denicau,  s!  doux  et  si  bon, 
accusé  d'être  venu  chez  ces  indigènes  pour  leur  faire 
du  mai ,  fut  menacé  d'un  coup  de  sagaye  ,  qu^il  eut  le 
bonheur  d'éviter.  «  Comment  pouvez-vous ,  leur  dit- 
«  il ,  en  conservant  son  calme  ,  comment  ponvez-vous 
«  croire  qu'un  si  petit  nombre  d'hommes ,  débarqués  au 

milieu  de  vous  sans  aucun  moyen  de  défense  ,  y  soient 
«  venus  pour  vous  nuire ,  à  vous  si  nombreux  et  si  bien 
«  armés?  —  Oui ,  répondit  un  bon  insulaire,  ce  serait 
«  bien  dommage  que  vous  eussiez  de  mauvais  desseins  : 

vous  avez  Tairsi  bon!  Serait-ce  donc  qu'on  nous  aurait 
«  dit  des  mensonges  P  » 

«  Peu  à  peu  ces  mensonges  tombèrent.  Mais  je  ne 
pus  jouir  longtemps  de  ce  retour  :  le  moment  était  venu 
où  ,  pour  le  bien  de  la  Blission ,  il  fallait  momentanément 
m'éloigner  de  mes  compagnons  d'armes  ;  les  choses  qui 
leur  manquaient ,  l'arrivée  de  nos  Pères  de  France  ,  enfin 
un  petit  navire  qui  allait  mettre  sous  voile ,  tout  me  rap- 
pelait au  plutôt  à  Bourbon.  Nous  nous  flmes  donc  nos 
adieux  ,  le  cœur  gros  de  cette  séparation ,  mais  plein 
d'espérance. 

n  Gloire  à  Dieu  ,  mes  chers  amis ,  qui  n'éprouve  que 
pour  consoler  ;  remerciez-le  bien,  et  priez  toujours  pour 
nous. 

«  P.  CoTAiN  ,  s.  J. 


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174 


MISSIONS 


DB  LA 


NOUVELLE-ZELANDE. 


Extrait  étwM  lettre  commumquée  aux  CameUs  centraux 
de  TŒwûre ,  par  Moneeigneur  Popupaïlier  ,  Ficaire 
apoetolique  de  la  Nouvelle-Zélande. 


Kororarckâ ,  nul  1845. 


Messieurs  , 


«  Depuis  six  mois  environ,  notre  tle  est  en  proie i  des 
désordres  sanglants ,  dont  la  religion  et  rbumaniié  ont 
également  à  gémir.  Pendant  que  j'étais  à  visiter  le  sud 
de  la  Nouvelle-Zélande  ,  les  tribus  du  nord  ,  et  sartoat 
celles  de  Kaikohe  près  de  Wai-mate ,  organisèrent  nn 
complot  politique,  ayant  pour  but  de  replacer  scms  Fan- 
torité  nationale  tout  le  pays  dont  les  Anglais  revendiquent 
la  domination.  Le  moteur  de  ce  soulèvement ,  appelé  Jean 
Heke,  est  chef  de  la  tribu  de  Kaikohe,  et  neveu  du  grasd 


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176 

Hong!  »  qui  fut  une  sorte  d* Attila  pour  cette  Me.  Jean  Heke 
avait  été  un  des  premiers  disciples  des  ministres  protes- 
tants f  avant  de  déchirer  un  traité  qu^on  sait  être  leur 
ouvrage  :  il  prétend  aujourd'hui  qu'il  a  été  trompé  en 
souscrivant  à  la  cession  du  territoire  ;  que  tous  les  autres 
cheb  Tont  signée  ,  comme  lui  »  sans  savoir  ce  qu'ils  Cui- 
saient; que  jamais  ils  n'ont  eu  l'intention  d'aliéner  ,  en 
faveur  d'une  natioa  quelconque ,  Findépendance  de  leur 
pays,  et  qu'ils  veulent  à  toute  force  recouvrer  leurs  di*oit8 
méconnus. 

«  Gomme  la  question,  ainsi  posées  était  toute  politique, 
il  ne  m'appartenait  pas  de  la  résoudre.  J'ai  fait  ce  que  j'ai 
pu  ,  néanmoins^  pour  empédier  les  hostilités  ;  j'ai  engagé 
les  natureb  à  employer  la  voie  paisible  des  réclamations, 
plul6t  quede  procéder  ,  comme  ils  faisaient,  par  l'injure 
et  les  coups  de  hadie.  Tous  les  cbe&  que  j'ai  visités,  et  ce 
sont  les  plus  influents,  ont  reçu  mes  paroles  avec  reqpect 
et  affisction,  bien  qu'ils  fussent  presque  tous  protestants 
ou  païens  ;  mab  leur  réponse  a  été  constamment  celle-ci  : 
€  C'est  perdre  du  temps  que  de  parler  et  d'écrire.  Nous 
«  n'y  gagnerons  rien  >  si  ce  n'est  d'être  trompés  une  fois 
«  de  plus.  Que  les  Anglais  retirent  leur  pavillon  qui  flotte 
«  surnotre  lie  en  signe  de  souveraineté  ^  qu'ils  arborent 
«  à  sa  place  l'ancien  drapeau  de  la  Nouvelle-Zélande  ; 
«  alors  nous  resterons  tranquilles  et  nous  les  laisserons 
€  en  paix.  »  Dans  l'intérêt  des  deux  partis,  j'ai  informé  de 
tout  l'autorité  anglaise  de  Kororaréka.  Elle  avait  ordre  de 
ne  pas  céder. 

«  Jean  Heke  arriva  bientôt  avec  trois  ou  quatre  cents 
hommes,  armés  jusqu'aux  dents,  et  tous  déterminés  à 
mourir  plutôt  que  de  reculer.  Du  côté  des  Anglais,  il  y 
avait  en  rade  la  Corvette  le  Haxard^  et  le  brick  Fictaria  ; 
à  terre  se  trouvaient  environ  cinquante  soldats,  quatre- 


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176 

vingts  marins  et  cent  vingt  colons  organisés  en  garde  ua< 
lionale;  en  outre,  deux  forts  avec  des  pièces  de  canons 
protégeaient  l'étendard  britannique  et  ses  défenseurs. 

«  Quand  je  vis  la  ville  exposée  à  devenir  le  théâtre  du 
combatte  louai  un  petit  navire^  sur  lequel  je  fis  embar- 
quer une  bonne  partie  de  mes  gens  et  de  nos  effets  :  pour 
moiy  avec  deux  membres  de  la  Mission  et  quelques  indi- 
gènes, je  ne  voulais  m'éloigner  qu'au  moment  où  le  dan- 
ger serait  imminent.  J'avais  été  informé  que  Tartillerie 
anglaise  devait  raser  la  ville,  plutôt  que  de  la  laisser  au 
pouvoir  des  naturels  ;  ainsi,  la  prudence  nous  conmiandait 
d'en  sortir,  dès  qu'une  fois  elle  serait  devenue  un  champ 
de  bataille. 

«  Le  1 1  mars  avant  le  soleil  levé ,  c'est-à-dire  avant 
cinq  heures  du  matin,  les  Nouveaux-Zélandais  commencè- 
rent l'attaque  sur  trois  points  presque  simultanément  s 
d'abord  par  la  vallée  de  Matampe  ,  puis  par  celle  d^Ot- 
servaj  et  enfin  par  la  colline  du  Pavillon  anglais.  Quand 
je  vis  le  feu  engagé^  je  me  retirai  à  bord  delà  goâette  qui 
nous  attendait  ;  les  balles  sifilaientsur  nos  têtes  comme  la 
grêle,  mais  aucune  ne  nous  atteignit.  Ce  combat,  dont  nous 
avons  été  les  témoins  alDigés,  a  duré  jusqu'à  dix  heures 
et  demie  du  matin.  Heureusement  l'efl^usion  du  sang  a  été 
moins  grande  que  ne  le  faisait  craindre  une  lutte  aussi 
longue  :  on  compte  une  vingtaine  de  morts  et  une  trentaine 
de  blessés  de  part  et  d'autre  >  La  victoire  resta  aux  na- 
turels, après  que  le  magasin  des  munitions  anglaises  eut 
fait  explosion. 

«  Toute  la  population  blanche  a  été  recueillie  à  bord 
des  navires  en  rade,  et  de  là  transportée  à  Auckland  :  en 
s'éloignant  de  la  côte  ,  elle  a  pu  voir  les  flanmies  qui  dé- 
voraient ses  habitations.  De  toute  cette  ville ,  livrée  aux 
horreurs  de  la  guerre,  du  pillage  et  de  l'incendie,  un  seul 


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t77 

établissement  à  peu  près  est  resté  debout  ;  c'est  celui  de 
PETèque  :  les  naturels  Font  épargné  avec  les  maisons  qui 
'  Tentourent.  Maintenant  je  réside  au  milieu  des  cendres  Je 
n'aisousles  yeuxquedes  ruines,  et  malgré  la  tristesse  dont 
ce  spectacle  remplit  mon  âme ,  je  continue  de  travailler 
au  salut  de  mon  troupeau,  en  lui  envoyant  des  Mission- 
naires qui  sont  bien  reçus  partout. 

«  Si  vous  désirez  connaître  la  correspondance  que  j'ai 
eue,  dans  des  drconstances  si  difficiles,  soit  avec  le  com- 
mandant des  forces  britanniques ,  soit  avec  le  chef  des 
Nottveaux-Zélandais ,  vous  trouverez  ci-jointe  une  copie 
des  deux  lettres  que  je  leur  ai  adressées. 

«  Je  suià ,  etc* 

fi-^7  '  *    "      ■ 

«  -j:  J.  B.  François  Pompàllier  , 
Fie.  apost.  dt  VOcéanie  ocçidwtaie. 


Tom.  XVIU,  106.  18       r^ir^^ïr^ 

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178 


Extrait  dCunt  lettre  de  Mtmeigneur  PùmpaUier  f. Ficaire 
apostolique  de  VOcéame  occidentale  ^  à  Jean  Heke^ 
[  (Âef  d'une  tribu  xélatidaiie. 


Kororareka  ,   31  jantier  1815. 


«  A  Jeaiv'Hbke,  salut. 


«  Voici  les  cboses  que  j^ai  à  te  dire.  J'ai  appris  par  le 
Père  Petit  que  tu  désirais  me  voir.  Cette  parole  in'a  été 
agréable  ;  loais  je  ne  puis  de  sitôt  ,  à  c^nse  de  mes 
nombreuses  occupations ,  me  rendre  auprès  de  toi.  Pour 
le  moment  ^  je  ne  t'envoie  que  cette  lettre  :  c'est  ma 
pensée. 

«  Tu  doijs  savoir  que  mes  paroles  ne  sont  pas  celles 
d'un  chef  établi  pour  régler  les  intérêts  de  ce  monde. 
Sois  persudé  au^i  qu'elles  ne  cachent  aucune  déception. 
Oui ,  Jean  Heke  ^  j'aime  tous  lés  Nouveaux-Zélandais  , 
et  ceux  qui  se  sont  engagés  en  aveugles  dans  le  proies- 
umtisme  ,  ec  ceux  qui  n'Ont  tourné  à  aucune  religion. 
Biais  j'aime  aussi  tous  les  étrang[ers  ;  je  désire  ardon* 
ment  qu'ils  vivent  dans  le  bien  ,  et  que  tous  les  habitants 
de  cette  tle  soient  heiureux.  C'est  pourquoi  une  profonde 
tristesse  me  pénètre  le  cœur  ,  à  la  vue  des  semences  de 

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179 
guerre  qui  croissent  dans  la  Nouvelle-Z^ande.   A  peloe 
arrivé*  f  ai  appris  que  tu  avais  renversé  à  Kororareka  le 
pavillon  anglais.  Et  voilà  que  probablement  Tespace  va 
être  eu  feu  (1),  et  les  Maoris  détruits. 

«  Vois  ,  je  nWme  pas  à  cacher  ma  pensée.  Je  te  dis 
donc  :  Vous  ne  serez  pas  assez  puissants  pour  résister  aux 
Anglais  v  Q'est-à-dire  à  leurs  soldats  qui  sont  en  grand 
nondire  de  mille  au-delà  des  mers.  Vous  manquerez  bien- 
tôt de  poudre.  Et  puis,  tous  le  chefs  zélandais  ne  sont  pas 
unis  de  pensas  et  de  conunandement  ;  c'est  pourquoi  je 
dierdie  quelque  moyen  de  vous  sauver.  En  voici  un  peut- 
être  :  ce  serait  d'écrire  au  gouvernement  colonial  et  à  la 
reine  d'Angleterre  vos  récl^Onations  au  sujet  de  vos  terres 
et  de  votre  autorité. 

«  Si  vous  ètesinQexibleset  que  le  gouvernement  anglais 
le  soit  aussi ,  c'est-à-dire  si  vous  faites  la  guerre,  gardez- 
vous  de  tourner  vos  armes  contre  les  Anglais  qui  vivent^ 
^  paix  ,  contre  les  femmes ,  contre  les  enfants  ;  gardez- 
voos  de  piller  leurs  maisons  ;  car  ceci  est  un  grand  crime 
devant  Dieu  ,  et  aux  yeux  des  nations  européennes. 

«  Si  j'étais  un  Anglais  vivant  à  la  Nouvelle-Zélande  , 
si  je  vous  avais  sollicité  autrefois  de  céder  aux  étrangers 
la  souveraineté  de  votre  île  ,  ton  cœur  aurait  raison  de 
se  défier  de  mes  conseils.  Mais,  au  contraire,  je  suis  d'une 
oadon  différente.  Je  ne  votls  ai  jamais  parlé  de  vous  sou- 
mettre à  aucun  pouvoir  étranger  ,  soit  anglais ,  sbit  fran- 
çais ,  soit  américain.  Ce  n'est  pas  ma  mission.  Je  ne  suis 
pas  venu  au  '  nom  d'un  roi  de  la  terre  ,  pour  régler 
entre  les  chefs  les  intérêts  de  ce  monde  périssable.  J'ai 


(I)  EipresuoD  âgurëe  des  NouTeaiii.-ZélaDdaia  ,  tirée  du  feu  et  de  U 
famée  ^ui  remplissent  l'air  dans  les  combats  au  (usil. 

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180 
été  envoyé  par  le  prince  des  Evéques  de  Y  Eglise-tronc , 
pour  me  vouer  exclusivement  au  ministère  du  salut. 

«  Aussi,  telles  forent  mes  paroles  dans  l'assemblée  qui 
se  tint  à  Waitangi  (1)  v  «  Votre  souveraineté  vous  re- 
«  garde ,  je  n'ai  pas  à  vous  diriger  en  cela  ;  si  vous  vou- 
«  lez  céder  vos  droits  de  chefs  à  une  nation  étrangère  « 
€  ou  s'il  vous  plaît  de  les  conserver  ,  c^est  votre  affaire. 
«  Pour  moi ,  je  suis  prêt  à  travailler  au  salut  de  vos 
«  âmes  ,  soit  que  vous  apparteniez  au  gouvernement  des 
«  Anglais  ,  soit  que  vous  gardiez  votre  indépendance  na- 
«  tionale.  A  vous  la  sollicitude  de  cette  courte  vie  ;  à 
«  moi  le  soin  de  vous  procurer  le  bonheur  du  ciel.  » 

«  Jean  Heke ,  considère  bien  qUe  mon  séjour  ù  la 
Nouvelle-Zélande  est  une  preuve  de  mon  affection  pour 
vous  tous ,  pour  vos  aifants  et  pour  votre  postérité.  Mes 
prêtres  »  mes  catéchistes  et  moi  nous  ne  cesserons  de 
•  prier  pour  que  ces  nuages  qui  obscurcissent  le  ciel  sedis- 
sipent  ;  pour  que  la  justice,  la  paix  et  la  vraie  félicité  bril- 
lent d'un  nouvel  éclat  sur  la  Nouvelle-Zélande.  Enfin,  Je 
reviens  à  ce  que  je  t'ai  dit  :  Fais  des  réclamations  avant  de 
faire  la  guerre.  La  parole  et  les  écrits  valent  mieux  que 
le  glaive  sanglant.  La  justice  est  le  fondement  de  la  gran- 
deur des  nations  ;  l'iniquité  est  la  cause  de  leur  diute. 
Je  finis  là  mon  discours.  Jean  Heke  ,  fais-moi  connaître 
tes  pensées  i  bonnes  ou  mauvaises.  Salut  à  toi  et  à  tous 
les  tiens. 

«  VEvêque  catholique  romain , 
J. -Baptiste  Fiukçojs  Poipaluer.  » 


{i)  Lieu  ou  fut  signé  le  trailé  de  prise  de  po&sewioo  par  lo  preoiicr 
fouTerneur  auglaif.  _,  . 


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181 


Extrait  d^une  lettre  de  Monseigneur  PompàUier  ,  Evêque 
de  Moronée  et  Ficaire  apostolique  de  VOcianie  occi- 
dentale ,  à  M.le  capitaine  Hone. 


Baie  des  Iki  »  l«r  atril  1845. 


«  Monsieur  le  CoHiUNDàNT , 


«  Je  suis  très-reconnaissant  de  Toffre  que  vous  me  faî- 
tes,en  votre  nom  et  en  celui  de  son  Ex.  M.  le  Gouverneur 
Fiu-Roy ,  de  nous  transporter  en  lieu  sur ,  moi  et  les 
onailletf  confiées  à  mes  soins.  Mais,  hélas  I  j'ignore  jus- 
qu'il sur  quel  point  de  la  Nouvelle-Zélande  les  person-. 
nés  protégées  uniquement  par  les  forces  présentes  de  la 
colonie  peuvent  être  en  sûreté» 

€  D'abord ,  mes  ouailles  en  ce  moment  se  composent 
presque  exclusivement  de  natureb  qui,  pour  la  très- 
grande  majorité ,  sont  restés  paisibles  durant  les  hosti- 
lités qui  viennent  de  ruiner  cette  ville.  Or  ^  ces  tribus 
m'ont  Ëiit  entendre  qu'elles  ne  pourront  compter  sur  la 
protection  de  l'autorité  anglaise,  que  lorsque  celle-ci  sera 
en  mesure  de  défendre  ses  propres  colons*  • 

«  Quant  k  moi,  M.  le  Commandant,  quant  hmes  prê- 
tres et  aux  catéchistes  qui  secondent  leur  mission,  nous 


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-  182 
avons  tout  quitté,  fÎEuniUe  et  patrie ,  pour  travailler  au 
salut  de  la  Nouvelle -Zélaude;  noiis  n'avons  ni  femmes  ni 
enfants  qui  puissent  nous  distraire  et  nous  arrêter  dans  la 
voie  des  sacrifices  ;  de  plos^  c'est  un  dévoir  pour  tout  lé^ 
gitime  pasteur  de  donner  sa  vie  pour  ses  brebis  :  consé-, 
quemment,  je  ne  demande  pointa  être  transporté  ailleurs. 
Notre  place  de  sûreté  est  au  dd^  terme  de  tous  nos  désirs. 

«  Je  déplore  du  f<Mid  de  l'âme  les  différends  politiques 
qui  se  sont  élevés  dans  ce  pays  entre  les  Nouveaux-Zélan- 
dais  et  son  Exe.  M.  le  gouverneur.  Tous  mes  vœux  sont 
pour  la  paix,pour  le  bonheur  des  blancs  et  des  indigènes  ; 
tons  les  efforts  dont  je  suis  capable ,  je  les  ai  faits  pour 
prévenir  les  hostilités;  ilsconttnderont  pendant  la  guerre 
pour  récondlier  les  partis.  Mais ,  quand  les  questions  sont 
engagées  sur  un  terrain  purement  politique  ,  la  voix  de 
'  la  Religion,  toute  pacificatrice  qu'elle  est,  reste  étrangère 
au  débat  ;  die  ne  veut,  ni  disposer  des  propriétés,ni  pro- 
noncer entre  les  peuples  ;  elle  les  laisse  à  leur*  consden- 
ce^  et  au  tribunal  du  Seigneur  Roi  des  rois  :  c'est  là  qu'ils 
auront  à  répondre  de  la  justice  de  leur»  cause,  de  leur 
respect  pour  le  droit  des  gens^  de  leur  fidélité  ani^  lois  de 
)a  nature  et  de  l'Evangile. 

«  Les  Nouveaux-Zélandais,  malgré  bien  des  calomnies 
contre  la  Religion  catholique,  ont  compris  leïèle  et  le  dés- 
intéressement de  notre  ministère  parmi  eux  :  c'est .  pour 
ce  motif,  sans  doute,  que,  dans  l'effervescence  même  du 
combat,  ils  ont  respecté  ma  personne^  celle  des  mem- 
bres de  ma  Mission  et  tout  ce  qui  m'appartient.  Bien  plus, 
ce  respect  qu'ils  ont  pour  l'Evêque  catholique^  si  décrié 
dans  son  apostolat ,  a  sauvé  de  l'incendie  environ  quinze 
maisons  de  résidents  anglais,  qui  avoisinent  sa  demeure, 
EUessont  encore  debout  et  intactes;  les  natnrels.n'y  ont 
pas  rois  le  feu ,  par  la  raison  que ,  s'ils  l'avaient  fait^  mon 


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183 
établissement  eût  été  aussi  coosumé  pair  les  flammes.  Au^ 
milieu  des  dedamités  qui  viennenr  d'affliger  celte  ville,  je 
me  fâicite  de  yoir  des  maisons  épargnées  en  considération 
de  TEvéque  catholique,  et  c'est  une  sorte  de  tribut  de  re- 
connaissance que  la  Religion,  en  ma  personne,  offre  à  M. 
le  Gouverneur,  pour  la  protection  qu'il -donne  aux  habi- 
tants de  la  Nouvelle-Zélande*  Plût  à  JDieu  que  tout  Euro- 
péen quittiit  ses  préjugés  contre  l'Eglise  romaine^  qui 
sauve  ce  qu'elle  peut  des  désastres  dont  elle  est  innocebtel 

«  Par  eétte  lettre  vous  comprenez,  M.  le  Commandant, 
que  mon  dessein  n'est  pas  de  priver  ce  pays  du  ministère 
que  j'y  exerce  depuis  huit  ans  ;  je  n'appréhende  ni  le 
pillage ,  ni  l'incendie  ^  ni  la  mort ,  pourvu  que  je  puisse 
assister  les  troupeaux  confiés  à  ma  garde  ;  tout  ce  que  je 
crains  sur  la  terre,  c^est  le  péché. .. 

«  Une  dernière  considération  qui  m'enchatne  à  inon 
poste  ,  c'est  que ,  s'il  y  a  de  mauvais  indigènes ,  'U  s'en 
trouve  aussi  de  vertueux  :  or  ceux-ci  méritent  le  dévoue- 
ment du  Missionnaire  ,  jusqu'au  péril  de  sa  vie. 

«  Après  tout ,  fussent*îls  tous  mauvais  ,  leur  pasteur 
doit  être  bon  et  miséricordieux  à  leur  égard,  et  les  âccom- 
.  pagner,  s'il  le  £illait,  jusqu'au  gibet  de  leur  punition,  pour 
tâcher  de  recueillir  avec  leur  dernier  soupir  un  acte  de 
repentir  sur  leurs  fiiutes;  et  ainsi,  sauver  leurs  âmes,  pour 
lesquelles  notre  Divin  Maître  a  donné  son  sang,  aussi  bien 
que  pour  les  nôtres. ... 

«  J'ai  l'honneur  d'être,  etc.  ' 


«   J.    B.-  FftAIfÇQlS  POHPALLIBR  , 

Vie.  apoit.  de  VÔcèanie  occiieniale* 


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184' 
MANDEMENTS  ET  NOUVELLES. 

La  main  des  premiers  Pasteurs  ne  se  lasse  pas  de  noas 
bénir.  Au  Brésil ,  Mgr  TEvéque  de  Para  ;  dans  la  Confé- 
dération germanique,  Mgr  FEvéque  de  Fulde  ;  en  Prusse, 
Mgr  TEvéque  de  Paderbom  ;  en  France ,  Mgr  TETéque 
de  Gap  (  pour  la  troisième  fois  )  viennent  encore  de  re- 
commander l'Œuvre  à  leurs  diocésains. 


Liste  des  membres  de  la  Société  de  S.- Lazare  ,  'partis 
pour  les  Missions  étrangères  pendant  Cannée  1846. 

Pour  la  Chine  ,  MM.  Peschaud  et  Ddaplace  ^  embar- 
qués le  12  juillet.  —  Pour  Constantinople ,  M.  Gamba , 
embarqué  le  l^juin^  et  cinq  filles  de  la  Charité  le  21 
novembre.  —  Pour  Santorin. ,  M.  Faveyrial ,  embarqué 
le  1*^  août.  —  Pour  Smyrne ,  M.  Ridiou  ,  embarqué  le 
.  même  jour  avec  deijix  frères-coadjuteurs  et  quatre  filles 
de  la  Charité.  —  Pour  Alger  ,  MM.  Duhirel ,  Vives  et 
Schlick ,  embarqués  le  25  septembre ,  avec  deux  frè- 
res-coadjuteurs  et  vingt-une  filles  de  la  Charité.  — 
Pour  TAmérique  ,  dix  clercs,  dont  quelques-uns  dans 
les  ordres  sacrés,  embarqués  le  27  septembre.  —  Pour 
Alexandrie ,  huit  filles  de  la  Charité,  parties  les  unes  en 
mai ,  les  autres  en  novembre. 


'  Le  frère  Joseph  Giannelli  àe  Lucques ,  Minêuf-Obscr- 
vantin,  est  parti  pour  les  Missions  de  l'Amérique  méri- 
dionale ,  avec  dix-huit  Religieux  de  son  ordre. 

Sur  la  fin  de  décembre  1845,  le  Père  Basile  Nicolettide 
Lucques,  Mineur-Observaniin,  est  allé  rejoindre  ses  con- 
frères en  Albanie,  et  partager  leur  périlleux  apostolat. 


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181 


Extrait  d'une  leUra  de  Monseigneur  Retord  y  Vicaire  apo^ 
itoîique  du  Tong-King  occidental,  d  M.  LangloiSj  Supé- 
rieur du  Séminaire  des  Missions  Etrangères. 


16  mai  1845. 


«  Le  Père  Pierre  Khoan  est  le  seul  martyr  qu^ait  foit 
Thîéu-Tri.  L'intervention  de  la  corvette  ¥Héroïne  pour 
réclamer  nos  confrères  a  produit  un  bon  effet  :  voilà  trots 
ans  que  nous  sommes  bien  plus  à  l'aise  que  par  le  passé, 
et  nous  en  profitons  pour  travailler  de  toutes  nos  forces» 
Vous  verrez  ,  par  le  catalogue  de  l'administration  des 
sacrements  ,  que  nous  ne  sommes  pas  restés  sans  rien 
faire.  M.  Titaud  surtout  est  infatigable  ;  il  est  ici  depuis 
quator^  mois ,  et  il  a  déjà  entendu  6,000  confessions.  Je 
confesse  aussi  vingt  ou  trente  personnes  par  jour.  Il  paraît 
qn'en  G>chiochine  nos  confrères  sont  moins  à  leur  aise 
que  nous* 

Catalogue  des  Sacrements  administrés  dans  le  Tong-King 
occidental  j  pendant  Vannée  1844. 

Enfants  d'infidèles  baptisés  en  danger  de  mort,  4, 1 62 

Adultes  baptisés ,  1  »237 

Enfiints  dechrétiens  baptisés  solennellement ,  3,461 
Enfants  de  chrétiens  ondoyés ,  auxquels  les 

cérémonies  du  baptême  ont  étésuppléécs ,  8,05 1 


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186 


CoofeKioDs, 

171,418  (1) 

Commnnions, 

100.619 

Fiatiqnes, 

2,292 

Bxtr£mes-Onctioi9t 

4;172 

Mariages  bénits, 

1,036 

P^ionnel  de  la  Mi$$um  du  Tong-King  occidental 
en  1844. 


«  9  Eviques  —  2  Provicaires  —  4  Missionnaires  — 
84  Prêtres  indigènes  —  3  Diacres—  3  Sonsdîacpcs— 
4  Minorés  —  2  Tonsurés  —  26  Théologiens  — 217  Elè- 
ves en  latinité ,  dans  7  collèges  placés  dans  autant  de 
villages  —  146  Catéchistes  gradués  —  636  Elèves  caté- 
chistes —  En  tout  1,131  personnes  qui  vivent  aux  frais 
de  la  Mission. 

€  Nous  avons  28  couvents  de  soeurs  Amantes  de  la 
Croix ,  qui  contiennent  606  religieuses*;  enfin  48  parois- 
ses qui  s'élèvent ,  d'après  les  catalogués  les  plus  récents , 
au  chiffre  de  182,676  âmes.  En  y  joignant  le  ncmibre  do 
prêtres ,  des  catéchistes  ,  des  élèves  et  des  religieuses, 
vous  aurez  184,014  âmes  pour  la  population  catholique 
du  Tong-King  occidental. 


(1)  Dant  M  ubleaa  ,  les  confeMionfl  r^pëtëei  ne  font  point  compiéci 
séparéuMBl  des  conteiont  umnellet  ':*ceUet-€i  doifent  fbnner  plof  de 
la  moitid  da  nombre  total.**  Il  en  est  de'm^me  def  commvnioni  pateaki 
et  des  coDunnnioni  r^^tdes. 


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187. 
—  Où  Ht  dans  ane  lettre  de  Mgr  Gauthier,  Coadjateur 
du  Vicaire  apostolique  du  ^Toug-King  occidental ,  à  M. 
Langlois  :  (25  janvier  1846.)' 

«  lies  mandarins  chrétiens  semblent  vouloir  se  ^appro- 
cher de  nous*  Ainsi  le  premier  mandarin  de  la  province 
dite  Sanh'Tuyenj  qui  est  chrétien  ^  a  pris  ouvertement 
nos  néophytes  sous  sa  protection.  Aux  fêtes  de  la  Tous- 
saint ,  le  preânier  mandarin  militaire  de  la  province  du 
Nord ,  ou  Sofih^Bac ,  assistait  publiquement  à  ma  messe 
avec  ses  soldats,  dont  la  plupart  sont  païens.  C'est  ce 
même  mandarin  qui  a  fait  relâcher  le  Père  Triéu,  et  quel- 
ques inois  après  il  a  battu  les  rebelles  qui,  depuis  longues 
années,  ipfestaient  la  province  de  Sanh  Doaù  Je  connais 
un  autre  grand  mandarin  lettré,  qui  ne  craint  pas  d'aller 
avec  toute  sa  famille  au  presbytère,  pour  présenter  ses  de- 
voirs au  curé  de  la  paroisse;  souvent  même  il  fait  v^ir 
le  prêtre  chez  lui^  pour  y  célébrer  la  messe  et  administrer 
les  sacrements.  La  plupart  des  autres  mandarins  de  cette 
province  se  montrent  très-bien  disposés  à  notre  égard. 
Cela  vient  un  peu  de  ce  que  le  gouverneur,  quoique  pas- 
sionné pour  Je  culte  de  Bouddha,  s'est  déclaré  ouverte- 
ment en  notre  faveur.  Ce  retour  à  la  bienveillance  pa- 
rait d'assez  bon  augure  à  tout  le  monde,  et  relève  le  cou- 
rage de  nos  pauvres  chrétiens. 


—  Le  26  avril  1846  ,  Mgr  Cuenot ,  Vicsure  apostoli- 
que de  la  Cochinchine  orientale ,  écrivait  à  ses  confrë^ 
de  Paris  : 

«  Les  soupçons  que  les  mandarins  de  ma  province 
avaient  conçus  sur  ma  présence ,' paraissent  assoupis ,  et 
j'espère  que  je  pourrai  encore  gard^*  mon  poste  quelque 
temps.  . 


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.188 
«  Quant  au  roi  Thiéu-Tri ,  ses  dispositions  ne  parais- 
sent pas  plus  hostiles  que  par  le  passé  ;  et  si ,  en  haute 
Cochinchine ,  des  espions  courent  le  pays  pour  tâdier  de 
découvrir  les  Missionnaires  ,  c'est  par  Tordre  des  manda- 
rins et  non  du  roi. 

Voici  le  catalogue  des  Sacrements  administrés  en  1 844 1 

Confessions  annuelles  »  .  30,842 

Confessions  répétées/.;:  22,440 

Communions  annuelles  »  20, 1 95 

Communions  répétées ,  1 2, 1 46 

Viatiques,  S^619. 

Extrêmes*Onclions ,  1 ,334 

Mariages  bénits ,  669 

Confirmations  t  305 

Adultes  baptisés  ,  1  »007 

Nouveaux  catéchumènes ,  •   i.         394 

Enfants  de  fidèles  babtisés  solennellement,  2,606 
Enfants  de  fidèles  ondoyés  ,  auxquels  les 

cérémonies  ont  été  suppléées ,  2,550 

Enfants  de  païens  baptisés  en  danger  de 

mort,  6,706 

dont  environ  1,800  vivent  encore  et  sont  élevés  par  les 

fidèles» 

Si  réiat  général  de  cette  chrétienté  s'améliore,  des  faits 
récents  attestent  que  la  persécution  n'y  est  pas  éteinte.  M. 
Chamaison  en  Cochinchine ,  et  M.  Tidaut  au  Tong-King , 
viennent  d'être  arrêtés  :  le  premier  est  dans  les  prisons 
de  la  capitale  ;  le  second  a  été  relâché  moyennant  seize 
barres  d'argent.  (Une  barre  vaut  80  fr.  de  notre  monnaie.) 
C'est  Mgr  Lefebvre  qui  donne  cette  nouvdie.  Depuis  sa 
délivrance^  le  Prélat  est  à  Pulo-Pinang,  où  il  attend  une 
occasion  favorable  pour  rentrer  en  Cochmchine. 


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189 


Lettre  du  Pire  François  de  Plaughe,  Misiiannaire  capucin 
•  et  Préfet  apostolique  de  la  Syrie ,  aux  CcmeiU  cen- 
traux de  VŒuvre.  (Traduclioa  de  ritalieo.) 


Beyrouth  ,  16  décembro  I84S. 


«  Messieues  y 


«  Dans  ma  derDière  leitre  j'avais  eu  rhonneur  de  vous 
annoncer  pour  Tavenir  de  plus  amples  tiétails  sur  les 
malheurs  de  la  Syrie  ;  je  viens  aujourd'hui  remplir  ma 
promesse.  L'excès  du  mal  dans  les  régions  désolées  du 
Liban  avait  fini  par  leur  donner  quelque  espérance  ; 
on  s'était  persuadé  que  la  sublime  Porte  ,  à  l'aspect  de 
tant  de  ruines  ,  prendrait  enfin  des  mesures  énergiques 
pour  rétablir  la  paix  et  la  sécurité ,  si  cruellement  com- 
promises. Aussi  tressaillit-on  lorsque  arriva  deConstantino- 
pie  un  ministre  plénipotentiaire,  du  nom  de  Schia-Kib- 
Effendi  :  Il  devait,  disait-on,  de  concert  avec  les  ambassa- 
deurs des  cinq  grandes  puissances  européennes,  désarmer 
la  montagne ,  et  la  faire  rentrer  dans  l'ordre  et  le  repos. 
Mais  l'attente  universelle  fut  trompée  ;  au  lieu  de  calmer 
les  maux  existants ,  il  y  ajouta  des  cruautés  nouvelles,  et 
ce  fut  contre  les  chrétiens  seuls  qu'il  les  exerça. 


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190 
«  Arrivé  à  Beyrouth  V  il  se  hâ(a  de  signifier  aux  cou- 
sais des  nations  étrangères  qu'ils  eussent  à  rappeler  sans 
délai  tous  les  Européens,  ecclésiastiques  ou  laïques,  épars 
dans  les  diverses  contrées  du  Liban.  Se  dirigeant  ensuite 
sur  Ddcamar^  il  y  commit  tant  et  de  si  criantes  atrocités^ 
que  j^  ne  pourrais ,  faute  de  temps  et  de  courage  ,  vous 
en  faire  l'histoire.  Ses  violences  toutefois  ne  se  bornèrent 
pas  là.  U  envoya  à  Zucc  un  certain  Ibrahim-Pacha  ,  au- 
quel il  donna  tout  ensemble  et  des  instructions  barbares 
et  de  nombreux,  soldats  pour  les  exécuter  ;  elles  ne  furent 
que  trop  suivies.  Tel  fut  le  sort  des  pauvres  chrétiens 
que,  même  après  avoir  déposé  les  armes,  ils  se  virent  en- 
core indignement  outragés  ;  on  se  fût  porté  contre  eux  . 
aux  derniers  excès  de  fureur ,  si  ces  infortunés  n'eussent 
livré  ,  pour  racheter  leur  vie ,  le  peu  d'argent  qu'ils 


«  Sur  la  fin  d'octobre ,  ce  pâcba  sanguinaire  se  rendit 
à  Gazir.  Là  ,  conmie  partout  ailleurs  ,  les-  chrétiens 
avaient  déjà  remis  leurs  armes  ;  et  cependant  ils  furent 
victimes  des  plUs  horribles  vexations.  On  abandonna  leur 
vidage  en  proie  à  la  licence  d'une  vile  solda  tesque ,  et  je 
laisse  à.  présumer  de  quelles  infamies  il  dut  être  le  théâ- 
tre. Sur  le  nombre  des  malheureux  qu'on  y  tortura  ,  se 
trouvaient  quatre  prêtres  ;  ils  reçurent  la  bastonnade  à 
différentes  reprises  ,  et  pour  les  guérir  de  leurs  meur- 
urissures  ,  on  les  jeta  dans  une  prison  souterraine  où ,  du- 
rant quatre  heures ,  on  fit  tomber  de  l'eau  par  un  énorme 
conduit.  L'un  d'entre  etix ,  à  la  vérité  ,  se  vit  tirer  de  ce 
cachot  humide;  mais  ce  fut  pour  être  pebdu ,  la  tête  en 
bas^  aux  rameaux  d'un  grand  arbre  ;  on  le  laissa  long- 
temps dans  cette  aCBreuse  attitude  ,  et  quand  il  s'agit  de 
le  délivrer,  on  coupa  brusquement  la  corde  ;  il  tomba  sur 

tête ,  et  resta  demi-mort  par  Tèffet  de  sa  chute. 


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191 

«  Ils  voulaient  appliquer  à  un  autre  prêtre  le  même 
supplice  ,  dans  lé  village  d'Âramon.  Mais  ici  les  cbré* 
tiens ,  quoique  désannés^  résistèrent  victorieusement  aux 
soldats  9  et  les  chassèrent  en  leur  tuant  deux  hommes. 
Un  seul  chétien  fut  blessé. 

«  Â  Gézin  »  autre  bourg  de  la  montagne  ,  les  fidèles 
se  croyaient  en  sûreté.  Mais  voilà  qu*au  moment  où  ils 
étaient  rassemblés  pour  la  prière,  à  rinstant.méme  où 
le  ministre  du  Seigneur  offrait  pour  eux  Tauguste  sa- 
crifice ,  ils  furent  assailUs  par  les  ennemis  les  plus  for- 
cenés du  nom  chrétien  ,  c'est-à-dire  par  les  Druses  réu- 
nis à  quelques  soldats  turcs.  Ces  fanatiques  se  précipi- 
tèrent le  fer  à.  la  main  sur  le  petit  bercail  qu'ils  avaient 
surpris.  «  Faites-vous  musulmans ,  criaient-ils  aux  ca- 
«  tholtques ,  et  nous  vous  laisserons  la  vie  et  la  li- 
«  berté.  »  Après  le  peuple  ^^  ils  outragèrent  le  prê- 
tre ,  qu'ils  arrachèrent  de  l'autel  avec  violence-  ;  enfin 
ils  s'attaquèrent  à  la  victime  eudiaristique  elle-même^  la 
jetèrent  dans  h  boue,  et  la  foulèrent  d'un  pied  sacrilège  I 

«  Je  ne  sjgiis  si  vos  larmes  couleront  en  Europe  au  récit 
de  celte  profanation  I  Mais  ce  que  je  puis  dire ,  c'est 
qu'au  moment  où  elle  fut  consommée  ,  les  pauvres  chré- 
tiens de  Gézin  pleurèrent  bien  douloureusement  sur  ce 
crime ,  jusque  là  sans  exemple  dans  l'histoire  de  leurs 
calamités  i  Tandis  que  les  musulmans  poussaient  des 
cris  de  joie  barbares  ,  eux  exhabient  des  plaintes 
amères  ,  et  demandaient  tristement  au  ciel  pourquoi , 
dans  leur  détresse  ,  il  ne  leur  avait  pas  au  moins  épar- 
gné la  douleur  de  voir  les  saints  mystères  insultés  par  les 
infidèles. 

«  Une  parole  s'échappe  ici ,  malgré  moi>  de  mon  Ame 
attrbtée  :  que  fait  donc  cette  nation  ,  qui  jadis  s'était  ac- 
quis ,  dans  nos  contrées ,  une  réputation  si  glorieuse  par 

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192 

son  ardeur  à  défendre  le  catholicisme ,  contre  le  fana- 
tisme  des  enfants  du  prophète  ?  Jusquès  à  quand  Verra- 
t-elle  d'un  œil  sep  et  d'un  cœur  impassible  tant  de  profil^ 
nations  s'accomplir  ^  tant  de  sang  déborder ,  et  s'amon- 
celer tant  de  ruines  ? 

«  Voilà,  Messieurs,  où  en  sont  ces  pauves  Maronites 
qui ,  malgré  leur  délaissement ,  aiment  encore  à  se  nom- 
mer vos  amis  et  vos  frères  I 

€  Nous  ne  l'ignorons  pas  ,  les  pieux  Associés  de  votre 
Œuvre  ne  se  trouvent  point  au  nombre  de  ceux  qui  ou- 
blient l'Orient.  Ils  prient  sans  doute  pour  nous  :  dai- 
gne le  Dieu  qu'ils  implorent,  exaucer  leurs  ferventes  sup- 
plications ,  et  rendre  aux  fidèles  désolés  du  Liban  un 
rqpos  qu'ils  semblent  avoir  enfin  mérité  par  un  assez  long 
martyre  1 

•  Veuillez  agréer,  etc.- 


«  F.  François  db  Plooghe^ 
Miss,  aqmcm  et  Préfet  apùstoliqut. 


Lyon  ;  inp.  J.  U.  Pélagiad  «t  G*.    . 

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19S 


COMPTE -RENDU 


DE  18i5. 


Jasqu^ci  \e&  recettes  de  ItEtovre  de  la  Propagation  de 
la  Foi  ODt  suivi  presque  toujours  une  progression  crois- 
sante ,  et  tous  ceux  qui  ie  sentent  vivement  émus  par  la 
considération  puissante  des  grands  intérêts  de  la  gloire 
de  IKeu  et  du  salut  des  âmes  ont  trouvé  dans  la  pensée 
des  succès  de  cette  CEuvre  un  motir  de  consolation  et  de 
sainte  joie.  Cependant  >  quand  on  compare  les  augmenta- 
tions successives  des  aumônes  destinées  au  soutien  des» 
Missions  avec  les  progrès  des  Hissions  elles-mêmes,  on  ne 
tarde  pas  à  s^apercevoir  qu*il  existe  entre  ces  deux  cho- 
ses qui,  ce  semble,  devraient  être  corrélatives ,  une 
TOH.  XVIII.  106.  haï  1816.  13 

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194 

disproportion  frappante ,  et  que  le  zèle  des  apôtres  a  Me- 
nacé de  beaucoup  les  efforts  de  la  charité. 

En  effet ,  si  nous  recueillons  les  inscriptions  nomia^ 
tites  reproduites  dans  les  Annales,  nous  trouvons  d'aiM>rd 
que  le  nombre  des  Missionnaires  et  des  autres  personnes 
cpti  quittent  chaque  année  l'Europe  pour  aller  évangéliser 
lea  nations  lointaines  est  presque  quadruple  aujourd'hui 
de  ce  qu'il  éltit  il  y  a  eitf  ans«  U  hw%  éàiplm  remarquer 
que  ces  départs  ont  en  principatement  pour  but  les  Mis- 
sions les  plus  éloignées  de  nous,  celles  qui  nécessitaient 
par  conséquent  des  frais  de  voyage  plus  considérables^ 
Cest  ainsi  que  sur  les  718  Mis^onnaires ,  frères  caté- 
chistes ou  religieuses  ,  qui  sont  partis  pendant  les  cin^ 
dernières  années ,  383  éuient  destinés  pour  TOcéanie , 
la  Chine  ou  les  contrées  qui  touchent  cet  empire  ,137 
pour  les  Indes  orientales  ;  en  sorte  que  ces  deui  chiffres 
réunk  forment  les  trois  ringnitofis  environ  du  nombt^ 
total  des  départs  signalés. 

Cependant ,  depuis  1840  ,  que  de  Hissions  nouvelles 
ont  été  établies  1  combien  d'autres  ont  pris  des  accrois- 
sements considérables  qui  ont  exigé  de  la  part  de  PCEuvre 
de  plus  abondants  secours  I  Sa  184Q  nous  aiione  sur  nos 
tableaux  de  répartition  :  pour  la  Chine  et  les  pays  voisiM 
vingt -un  Vicariats  apostoliques  ;  en  184&  »  viQgt-kiiiu 
Oins  rOcéanie»  en  1840  ,  il  n'en  existait  qœ  trois; 
l'année  dernière  on  en  con^tak  doue.  Dans  rAménque 
du  nord  nous  secourions  en  1840  diat-iieaf  diocèses ,  en 
18  {â  vin^t-nouT.  Enfin  dans  les  diverses  autres  ooBt^ée^ 
«n  1840  trente  ,  en  1846  cinquante-trois.  Ainsi  »  dans 
cinq  ans  ,  sans  parler  d'une  foule  de  Missions  qui  « 
tous  le  titre  modeste  de  Préfecture  apostolique  ou  autre, 
n*en  ont  pas  moins  une  importance  très-'grande  ,  eiem- 


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191 

rralnentde  notables  dépenses ,  qamttte-atiif  diocèse  #« 
Vicariats  tiposK)Iiqiies  de  pit»  ont  féàmè  V^ppoi  de 
rŒirvre  de  la  Propagstie»  de  la  Foi. 

Or  ,  Tassisrance  d'un  Diocèse  ou  d'un  VicarkHape§*» 
tolique  comprend  :  en  Amérique  ,  l'entretien  d'un  Eté- 
que ,  de  dix  ou  douze  Missionvàires ,  o«  d'an  pins 
grand  nombre,  eniretieo  waufaA  'A  lavt  poowoir  ea  par^ 
tie  du  moins ,  et  cpelquefois  pendant  plnsieurs  années» 
Il  faqt  de  pins  éterer  des  églises,  dcA  ptesbytères  ;  et  à 
tontes  ces  coaslmeiioBs  ks  aUocaliaas  de  l'fllaiwe  dM*» 
vent  aider  d'uM  manière  efficace  ^  le  plus  aoiiwiit  très« 
dispendieuse..  Ce  sont  enfin  des  sémîeairea  ,  des  onUé* 
ges  y  des  écoles  ,  des  asiles  pour  les  orpbelins  à  établir 
et  à  soutenir.  Car ,  si  Taumâne  des  catholiques  du  lieu , 
pauvres  pour  la  plupart  comn^  le  sont  presque  tous  les 
Migrants  yenos  d'EurppfS  ,  contribue  à  Téreetion  des. 
églises  ,  ooDibien  de  fondations  d'un  inlérti  général  et 
cependant  indispensables  dans  un  Diocèse  restent  encore 
à  la  cbavgs  exclusive  de  rS^réqpiel 

En  Chine ,  anTong-King ,  m  Corée^a'H nea^afUpasi 
pour  U  moment  d';âever  des  édifioes  religieu  >à  qnellesi 
dépenses  un  Vicaire  apoeiollqne  n'est^il  pas  sans  cesse  €»* 
traîné ,  aoit  poitir  nsîter  ses  ouailles  épiaraes  sur  una 
vaste  étendue  de  pays  ,  soit  pouf  soutenir  les  Mission- 
nsires ,  les  prêtres  indigènes  et  les  catéchiste  qni  le  pins 
souvent  n^ool  pour  vivre  que  les  aumônes  du  Prélat ,  soit 
enfin  peur  soulager  les  obrétiens  dans  l'état  de  misèrent 
freuse  où  iia  sont  réduits  »  et  potur  les  débwer  détente 
coopération  aui  superstitions  païennes.  Que  de  frais  l'ad- 
miniauratkn  du  saint  baptême  à  des  milliers  d'enCuiU  in- 
fidèkts  en  danger  de  mort ,  l'assistance  des  confesseurs 

13. 

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196 
da  latôi  dans  les  csm^chs,  Te&trée  des  prêtres  européea» 
cbns  leurs  Missîoiis,  ne  néeessiteiit-ellespas!  L*eipédition 
même  des  courriers,  seul  et  indispensable  moyai  de  cor- 
respondance ,  est  déjà  nne  source  de  dépenses  très-con- 
sidéraMes* 

Dans  rOoéanîe  ,  outre  Térection  des  cabanes  et  d«s 
égUsea  de  roseaux  ou  de  briques ,  il  fiut  i  un  Victîre 
aposftoUque  un  nafk^e  pour  aller  d'une  De  à  une  autre; 
{(faut  que  ses  Missionnaires ,  avec  le  flambeau  de  la  foi, 
portent  4  leurs  néophytes  tous  las  arts  utiles  à  la  vie , 
des  tdiementt  ,  des  outils ,  des  instnimenls  de  divers 
genres;  il  fiiut  tout  donner  à  ces  peuples ,  parce  qu'ils 
manquent  de  tout. 

Si  dans  les  autres  contrées  du  globe  les  besoins  oe 
peuvent  être  déterminés  d'une  manière  aussi  prédse  par 
cela  qu'ilssont  diffirenis  selon  les  lieux  et  les  drcoostan- 
ces  ,  ils  n'en  imposent  pas  moins  à  IXEuvre  des  d>I^* 
tions  très-nombreuses.  Sans  doute  l'on  n'a  pas  toujoar» 
à  pourvoir  aux  frais  de  passage  des  Missionnaires ,  à 
Iliabiilemait  des  sauvages  ,  au  soutien  des  diréUeDs  cap- 
tif ;  mais  partout  il  y  a  des  églises  ou  des  cbapella  du 
moins  i  édifier  ,  des  écoles  à  élever  et  à  soutenir ,  des 
prêtres  qui  administrent  des  chrétientés  hteo  pavfresà 
l'entretien  desquels  il  fout  pourvoir  ,  des  paroisses  aon- 
villes  à  fonder  pour  maintenir  les  populations  dans  la 
foi ,  des  nouveaux  convertis  à  préserver  des  persécu- 
tions auxquelles  leur  générosité  même  à  éoout^  la  voix 
de  leur  conscience  les  expose.  Partout  des  voyages  cou- 
tivuels  et  souvent  périlleux  à  entreprendre.  QuediM»^' 
nous  encore  P  un  seul  mot  :  Cest  que  les  Missinns  secou- 
rues par  rCEuvre  sont  toutes  dans  des  terres  infidèles  ou 


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197 
dans  des  contréet  où  rhéréste  domine  par  le  nombre  on 
p-nr  la  puissance  ;  on  peni  comprendre  dès  lors  quelle 
est  la  multiplicité  de  leurs  besoins. 

Cependant ,  à  part  une  on  deux  exceptions  ,  aucune 
des  Hissions  plus  anciennement  établies  n'a  pu  encore 
^tre  abandonnée  i  ses  ressources  propres  :  agir  autre* 
ment  c'eût  été  risquer  d'amoindrir  les  développements 
que  ne  cesse  de  prendre  aussi  chacune  de  ces  Missions 
plus  anciennes ,  et  quelquefois  de  compromettre  son  tive* 
air.  Confiants,  en  effet,  dans  Tappui  efficace  de  TCEuvre, 
les  supérieurs  eeclésiastiques  de  ces  Diocèses  eut  multi- 
plié les  efforts  de  leur  zèle  ;  eux  aussi  ont  augmenté  le 
nombre  de  leurs  prêtres  et  de  leurs  églises ,  enlrepns 
des  fondations  utiles ,  contracté  quelquefois  des  engage^r 
RMiits  que  la  néosssité  des  circonstances  leur  a  cemmau* 
dé  de  souscrire  sous  peioe  d'arrêter  pour  longtemps  les 
progrès  de  la  Beligiaii  dans  les  contrées  qui  sont  con- 
fiées à  leurs  soins*  —  Loin  de  pouvoir  supporter  une 
dimioiiiion  de  secours,  la  plupart  au  cobtrairo  réelaiiient 
aujottrd!bui  encore  avec  des  instances  irès^vîvea  detaot** 
mentaAîons  considérables* 

Ainiis  depuis  1840^  aeeroMement  exMordiaaire  de 
nombre  de  Missionfiaires  qui  sont  partis  pour  leé  cûÊh 
trées  lesptaséloigjsées  ;  omUtiplication  UPès«nociUe  d^ 
Diocèses  ou  Vicariats  apoitoliques  ;  impossibilité  preti- 
qu'absolue  d'une  cessation  de  secours  à  l'égard  de  ccnk 
dont  la  fondation  était  moins  récente* 

La  conelusion  de  ce  qui  précède  esi  bienaimple  t  en 
préstoce  de  tant  de  deadandes^  et  avee  une  telle  inauft- 
suc^  de  ressources  pow  y  subvenir  ,  il  a  fallu  laimpr  en 


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iS9 

sauffraocQ  ei  Us  aaoieones  et  les  QouvtUes  lli^<ms,  se 
bovuBt  k  sainiaire  aux  plus  în<ti$peBs^hlei  besoin» ,  ré- 
duire des  allocations  qui,  si  elles  eussent  été  plus  abon- 
dantes ,  auraient  puissamment  seni  &  la  dilatation  de 
bfoi.  Combieu  de  pauvres  malades^  par  exemple, 
sont  morts  dans  le  dénftmant  de  tout  secours  reli- 
gieux ,  qui  auraient  eu  la  boobeur  de  parliiâper  aux  sa* 
crements  de  rBglist  qu'ik  désiraient  I  coaibien  d*jnfidèles 
ai^ourd'hui  eneore  dans  les  léuàbres  de  l'idolâtrie  eus- 
sent ouvert  hi  yeux  à  la  lumière  I  combi«i  de  peupla- 
des ou  d'Iles  lointaines  auraieot  été  éTangéiisées  si  le 
Misakinnaire  avait  pu ,  «a  se  transportast  avec  prcMDpti- 
t«de  d'ualteu  à  un  antre  ,  mukipUer  son  aotion!  Mais  il 
lui  e&t  feUa  pour  osia  des  moyens  qui  lui  ont  mafMpié, 
parce  que  lesresaources  de  notre  CEavre  ont  été  nn&eu- 
reusMueat  inaulBsantes.  U  est  donc  oertaîn  que  depuis 
oiliq  ans  raccrgisiement  de  nos  receties  n'a  pss  répondu 
aux  progrès  qu'out  faits  dans  le  même  temps  les  Minions. 

Q«^eii  aera-i-il  maiafenant  de  Tannée  nouvelle  que 
•MecoomençoDs  ?IM^  les  demandes  de  secours  se  mul- 
tiplieat;  sept  nouvelles  Missions  importantes  réc^ment 
une  part  des  aumAnes  qui  doivent  aider  aux  progrès  de  la 
iôi  dans  toatea  les  oontréeset  dies  toutes  les  nations  du 
UMude.  lyactresse  prépnreot,  et  bientôt  feront  entendre 
tour  veûu  Geptudam  demeurerons-nous  stiiiettnaires,  et 
«o«a  verr»*t^o«  réduto  h  n^admettfe  des  Missions  nouvel 
le»  un  partage  de  ces  aumAnes«  déjà  si  modiques^  qn*en 
retranchant  aux  Missions  plus  sndennes  une  partie  no- 
table des  subsides  déjà  si  insuffisants  que  nous  leur  don- 
•Bous  P  ou  Uen  (audra-t-it  que  cet  tfanrqui  semanifeste 
daus  toua  les  rtogs  de  la  sainte  Idérardbie  de  PEgHse 
•e^urêie,  que  le  chef  snprétne  de  eette Eglise  «esse  hii- 


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Mèuie'de  p#iirvoirift  TéwiAgéifeaiion  des  peuples  eiiear« 
iafiéidei  ei  remaitt  ft  im  attira  temps  le  soîm  de  te  ^ 
Mgardelevr  laiiic? 

1t  est  vraî  que  te«te  œuvre  d'tuft^Bes  est  dt  sa  «i* 
l«re  cinM)iiscrite  ;  ear  si  Tesprit  de  chftriié  ne  dit  juaids 
c^est  assea  ,  U  leoips  qn'oa  p^itcoasacrer  4  aae  fae«M 
CBirvre ,  les  somoes  doot  <hi  peut  disposer  en  sa  hWÊt 
iMit  néeeisMnsnMM  des  bornes.  Mais  l'Œuvre  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi  loirait-eile  d^  trouvé  les  siennes  P 
Iftm  ,  nous  ne  pouvoois  oroire  qa*il  en  soit  ainsi  :  la  eon» 
naissance  ptns  approtowtîe  des  besoins  ei  UnsnAsanet 
des  sumAiMB  aetuelles  seront  les  metils  mêmes  qsA  rani* 
mercmt  n^ore  tMè  et^  rendront  leieffeu  désotniniB  plas 
efficaces  et  plus  nombreux. 

QoeHes  oireenramces  se  rébntssent  d'oiUenrs  pour  nous 
antemmer  tf  un  néwniiu  ocmnige  2  un  voyens-nons  pti 
^e  coniaiifoitrdtaiaecnMe  préparer  ,  et  dans  «a  SMnir 
yenéinigné  peni'toe ,  de  grands  et  coasoianta  ivtoa^ 
«enta  }  Ins  Ipaeniknis  'madenesM  abrégerai  reqmaa  » 
ea  fU8niii4i9fnMlM  en  qnUqne  série  ifs  distsiiBen  ant 
nenda  ptne-hcilea  tos-  iienmnniii  étions  a^eo  les  Mfcsi<n»> 
ies  anwiren  ampi  froaifti  qae  In  flèche  traaapertrnt  )m 
ffkrm  aadMiifiini.daanianiasieacaatféea  doflfbas 
tes  tkadni^QMnni«*taaMîie«i«  ^sipHlantla  bnnnt 
jumilln^  ei;dfafMgéna.«  hier  ensore  antl^ropnfbafai , 
nniiafrtieniaaH<W#<ni  neai^ka  dignes  de  noas  ter- 
irir  de  modèles.  Plus  loin  »  e'aai.  k.vieU  empire  da  la 
Chine  qui  s*ébranle  ;  pour  la  première  fois  il  abaisseleft 
barrièra»^  déinManNU  waaypioeiie»  ei  imdèrt  bk  se- 
lweiiéinifin.4ea|iWt4n^pnaacrJ9i«anoc«tre  iaa  ^M- 
M«L  ffinnéfiigi  âffllBii  #H  fc»iw^yent  ni  Im  lna^ 


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Dieuu  ai  la  mort ,  aborden;  de  Aouveaa  sor  les  o&tes  m- 
boeptialières  de  la  Cerée*  Lm  ttert  f«t  le  oeigaent  de 
toutes  parts  ne  mettront  pas  le  Japoaè  Tahri  de  leen 
héroïques  entreprises  :  déjà  s*approcbent  de  ses  rî?age$ 
ceux  qoi  doivent  y  véBWt  Téteodard  sacré*  La  terre 
même  d'Annam  »  rassasiée  du  sang  de  tant  de  naartyrs , 
semble  firappée  de  stupenr  ^  et  son  roi  barbare  <mvrant, 
bien  qu*à  regret ,  ses  cachots ,  en  laisse  sertir  des  prê- 
tres et  des  Evéqaes  dont  la  voix»  derenna  pins  poissanie 
encore  depuis  que  leurs  mains  ont  porté  dès  iers  »  mul  • 
lipliera  les  conquêtes  de  la  Foi«  Dans  les  pays  où  Thé- 
résiedonine  »  un  profond  seadnent  d'inquiétude  s'em- 
pare des  esjNrits  élevés  ;  on  étudie  ,  on  médite  ,  et  Ja 
réflexion  aidée  de  la  grAce  donne  à  TS^ise  de  oonveaux 
enfants* 

Cependant ,  dn  sein  de  Ift  «lia  élenMUe ,  ta  Fontife 
romain  à  qui  il  a  été  donné  de  tfillar  à  oatie  grande 
(Mvre  de  la  conquête  uaiveradài  dn  Mande  qni  ae  pour- 
suit à  traversles  siècles  ne  eesae.cfaflgnanterle  neflubre 
dea  Missions*  il  appaUe  oanx  fni  éanram  j^mttdra  soin 
des  iroupeanx  que  leur  aile  dnîl  aanMMMsr  pnrtenier , 
et  lea  honuaes  apestoBipMaanpiésaMMi  m  ii^oiulant  en 
foule  :  Nous  voilà.  Psnk ,  ê%  naïaqnekpin  pari  eacora 
des  périls  plus  sérîettx  à  nfcoisr  »  ém  ataiaclea  fim 
diflUesà  vaincns,  cViSt  là  ^qM  In  aadie  dePEsprit 
divtn  pousse,  et  en  pins  grand  nem^nt  esyha-inrtipidff» 
ceux  qui  doivent  attnqtar  rkMtoJe  ^Mf«6  dans  sss 
derniers  renrancbemenis. 


Or ,  si  la  main  du  Seignav  agNn  nlMi  T wiiws  ,  q«i 
peut  douter  que  ee  ne  sais  m  vw  4ê  <|Qiifne  graad 
dessein  demiséricevdel  n^r  «sesÉbiptei  eÉMansIMw" 


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Sftl 

n'a  pas  besoio  de  nous.  Le  ciel  et  la  terre  attendent  ses 
orckes ,  ironloir  et  faire  ne  sont  pour  Ini  qu'une  seule 
chose.  Hais  comme  dans  la  conduite  ordinaire  de  ce 
monde  il  a  résolu  que  des  hommes  seraient  mêlés  à  Tac* 
lion  de  sa  Providence ,  il  nous  permet  de  coopérer  avec 
lui  et  ne  dédaigne  pas  de  nous  associer  à  ses  plans  di- 
van. Ne  nous  montrons  donc  pas  infidèles  à.une  vocation 
si  magnifique  ;  mais  redoublons  d'ardeur  pour  accroître 
le  nixnfcre  de  nos  Associés  :  /en  soutenant  des.  Apôtres  t 
nos  aumônes  nous  donneront  part  à  leurs  mérites  ,  et 
DOS  prières  réunies  bâteront  le  momont  qui  a  été  marqué 
pour  la  conversion  des  peuples* 


■■^^^ff  I  m 


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COMPÏE  GÊiNtlAj.  atSDIft  filS  UGETTES  ET  OâPEKSB 

France    I  ^^^1^'  1,082,053  98  j  ^  ûm  lûa  f  si  i» 

rrance.    jp^^^      987,049  SS{   •    •    •    •    2,OI»,lMf.51c 

Allemagne «S^acO  U 

Amérique  du  nard »    79.819  48 

Amérique  du  sud 11,017  il 

Belgique 196/m  6S 

IAogleteiTtt.    89,697  91  \ 
CeloQiet.  •    IS^l  30  ] 

Eglise  (états  de  n .    107,464  S) 

Espagne 4,466  86 

Grèce j,167  »• 

Levant 6,97>  4e 

Lombard-Vénitien  (royaume) 64,677  94 

Lucques  (duché  de) 9,639  80 

Malte  (île  de) 13,821  64 

Modène  (duché  de) 17,449  47 

Parme  (duché  de) 14,690  »• 

Pays-Bas 97,681  18 

Portugal 41,189  61 

Pnisse 166,616  81 

I  Gènes 68,077  66 
SaToie 46,169  80 

Siciles  (deux)  [^^ ;  ;  ;  •.;   S;2t  2|      ^'^«  ^ 

Suisse 49,141  16 

Toscane 51.049  69 

De  diverses  contrées  du  nord  de  l*Eiirop6«    •       1»497  81 
Vente  extraordinaire  d'Annales  en  pajs 

étranger 6,669  •* 


Totaldesrecettes  propres  à  Tannée  1645(1)*   8,797,664    61 

Restait  en  excédant  des  reoMes  sur  les  dé- 
penses du  précèdent  compta  de  l'année 
1844(2)* "^ 291,199    67 


ToUl  général.    .    .    .    8,996,861    98 
*  Voir  Im  mUs  ,  pag .  2(M  «t  206. 


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fiOS 

DE  L'QEUVAE  DB   U  FMBÛàlMUi  tt  Li  fOl  ESi  1949. 
DÉPHNSKS. 

Missions  d'Europe CCO,  lâ3  02 

Id.        d'Asie.      .    .    . 1,035,878  86 

Jd.        d'Afrique 2:ii,52^  20 

Id.        d'Amérique 1,022,448  61 

Id.        de  rOcéanie 430,40i  Ifi 

Frais  de  publication  des  Annales  et  autres 

imprimés  (3)* 181,103  67 

Frais  d'adminisUation  (4)* 20,432  98 


\ 


\ 


Total  des  dépenses  propres  à  Tannée  1845.    8,689^248    50 
Reste  en  eicédant  des  recettes  suîr  les  dé- 
penses du  présent  compte  (5}*    •    •    •     '909,6tY    88 


Somme  égale  avtotid  général  circootre.  .,    8^998^61    08 

n  Voir  tef  noies,  pt;.  t»A  et  2M. 

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204 

(1)  Dans  le  total  des  recettes  se  trouvent  divers  dons  par* 
ticolierSipaniii  lesquels  noos  citerons  les  suivants  :  Diocèse  de 
Nantes ,  de  diverses  personnes ,  88,500  fr.  ^  Gènes  ,  2S,ooo 
fr.  —  Vintûnille ,  1,000  fr.  —  Saluées  ,  19  fr.  10  c.  —  Mou- 
tiers  ,  1,500  fr.  —  Smyme ,  135  fr.  —  Viviers ,  400  fr.  — 
Lyon  ,  1,000  fr.  donnés  par  un  anonyme  et  dont  la  mention  a 
été  demandée.  —  Beauvais,  1,000  fr.  —  Angouléme,  1,000  fr. 

—  Belgique,  31,510  fr.  —  Portugal ,  3dO  fr. 

Dans  le  nombre  des  dons  ,  quelques-uns  avaient  des  desti- 
nations spéciales  ,  qui  ont  été  scrupuleusement  respectées. 

Nous  devons  ajouter  que  tous  les  bienfaiteurs  de  l*GEuvre  , 
signalés  on  non  dans  cette  note,  se  recommandent  d^une  ma- 
nière spéciale  aux  prières  des  Missionnaires. 

Le  produit  des  Annales  et  collections  vendues  se  trouve  uni 
aux  chiffres  des  recettes  de  chacun  des  diocèses  dans  lesquels 
la  vente  a  été  effectuée. 

(1)  Voir  cette  somme  au  compte  de  1844 ,  publié  dans  le 
cahier  de  mai  1845,  n«  100  ,  pag.  189. 

(3)  Les  Annales  sont  tirées  actuellement  à  167,000  exemplai- 
res ,  savoir  :  Français ,  96,000.  —  Allemands,  18,500.  —  An- 
glais ,  13,500.  —  Espagnols,  1,000.  —  Flamands  ,  4,800.  — 
Italiens  ,  19,000.  —  Portugais  ,  1,500.  —  Hollandais,  i,100. 

—  Polonais,  500.  —  Cependant  ce  nombre  d'exemplaires  a  été 
un  peu  moindre  ea  moyenne  pendant  Tannée  écoulée. 

Dans  les  frais  de  publication  sont  compris  Tachât  du  papier, 
la  composition ,  le  tirage  ,  la  brochure  des  cahiers  ,  la  traduc- 
tion dans  les  diverses  langues  et  la  dépense  des  impressions 
accessoires ,  telles  que  celles  des  prospectus  ,  coup-d'œil ,  ta- 
bleaux ,  billets  d*indulgence ,  etc. ,  etc.  Il  faut  remarquer  en 
outre  que  Textension  de  l'Œuvre  nécessite  quelquefois  plu- 
sieurs éditions  dans  la  même  langue ,  soit  à  cause  de  la  dis- 
tance des  lieux,  soit  par  suite  de  Télévation  des  droits  de  doua- 
nes ou  autres  motifs  graves.  C'est  ainsi  que  parmi  les  éditions 
ci-dessus  énmnérées  ,  il  s'en  trouve  trois  en  allemand ,  deux 
en  anglais  ,  trois  en  italien. 

(4)  Dans  les  frais  d'administration  sont  comprises  les  dé- 
penses faites  noii*seulement  en  France,  mais  aussi  en  d'autres 
nontrées.  Ces  dépenses  se  composent  des  traitements  des  em- 
ployés ,  des  frais  de  bureaux,  loyers,  registres  »  ports  de  lettres 
pour  la  correspondance  tant  ave«  les  divcn  diocèses  qui  een- 


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W6 

tribileot  h  VOExmê  par  Tenvoî  4e  kurs  aumônes ,  qu'arec  les 
MissiODS  de  tout  le  globe. 

Les  fonctions  des  administrateurs  sont  toujours  et  partout 
entièrement  gratuites. 

(5)  Le  reste  en  excédant  des  recettes  sur  les  dépenses  de- 
chaque  année  forme  le  premier  fonds  employé  au  payement 
des  allocations  adressées  aux  diversjes  Miadons  dans  Tannée 
suivante  ,  d'après  une  nouvelle  répartition  qui  est  volée  ajwès 
la  clôture  du  compte  de  la  précédente  année.  Ainsii  l'exeéduit 
des  recettes  de  dhaque  année  dose ,  de  même  que  les  aumô- 
nes successivement  recueillies  dans  l'année  courante  ,  ne  sé- 
journent en  réalité  que  le  moins  possible  dans  les  caisse»  de 
rOEuvre. 


DÉTAIL  DES  AUMONES 

TKÀNSHISBS  fàM  LIS  DIVERS  MOCèsiS  QUI  OKT  ODUTUBUi 
k  L^CBIJVRB  BN    1846. 

FRANCE- 


Diocèse  d'An 

—  d'Ajaccio 

—  de  Digne 

—  de  Fré|u8    .    ,    .    .    . 

—  de  Gap 

—  deMarseSie*    ..  •    .    • 

(CaMm  11,119  8o( 


20.001  r.  35  c. 

1,710    .. 

7,104  30 
36.161     40 

8,446  >. 
36,463    76 

31,638    >» 
130,613  f.  70c. 


(t)  Ua  doD  iti.OOO  (nat»  ,  utiyi  Icop  lard  ,  Mia  e«iapn*  (i«M 
n««(MdelS49. 


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Dioeèse  de  Cahon  . 

—  de  Mende  (1). 
.  —  de  Perpignan 

~-  deRodea.     . 

—  d'AUCH.     . 

—  d'Aire.   .     . 

—  deBayonne  . 

—  de  Tailles.  . 

—  tfAVJGNON. 

—  de  Montpellier 

—  de  Ninies .    . 

—  de  Valence  . 

—  de  Viviers    . 

—  de  BESiUSÇOS 

—  de  Belley.    . 

—  de  Metz  .    , 

—  de  Nancy.    . 

—  de  Saint- Dié. 

—  de  Strasbourg 

—  de  Verdun  . 

—  de  BORDEAUX 

—  d'Agcn   .     . 

—  d'Angoulême 

—  de  la  Rochelle. 

—  deLnçon.    . 

—  dePérigneux 


Report 


lM,613f.70 
17,671     76 

9,620 

9,600 
38,246 
27,000 
26,166 
24,112 
13,868 
28,323 
36,000 
18,648 
19,231 
27,086 
i»,666 
23,846 
36,648 
16,094 
16,360 
41,338 
19,026 
41,274 
20,000 

4,600 
12,313 
27,668 

7,000  »» 

'708,493  f.  07c. 


15 

20 

18 

76 
20 

90 
20 


98 
76 

26 
61 
76 

26 


06 
69 


(I)  Sur  cet  9M0  fr.  15  c.  ,  8,9ft5rr.  nS  c*  pwieaiiett  da  re- 
coaTrement  d'une  partie  n<MaWc  d«  12.356  f^.  $0c.  qui  tYtieol  él^ 
ÏMcrilt  au  conipie-fcnJu  do  18V3  (n^fli  de*  Annales  ,  ptg.  fffl)  - 
CttiMM  parle  rë^ullant  da  Don-payoaoPiU  de  loUree  de  change  tenint  de 
Mffide.  —  L«  eumôncs  recur-lUc*  dans  ce  dloe*«e  «m  1815  ne  Bent  !•»« 


<»iîcoreforTcnu<^. 


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M7 

Beport 
Diocèse  de  Poitiers 

—  de  BOUBGBS    .... 

—  de  Qermont-FerrâDd  .     . 

—  de  LiiBoges 

—  du  Pay 

~  de  Saint-flour  .... 

—  de  TuUe 

—  de  CAMBRAT    .... 

—  d'Ams 

—  de  LYON 

—  d*AolBii  ...... 

—  de  DijoB  ^     .     .     .     •     • 

—  de  Grenoble 

—  de  UngreB 

—  de  Siiiif*<Ilaade.     ...     . 
-^dePARIft 

—  de  Blois 

<— >  de  Chartres  .,•*#• 

—  de  Meeuz 

—  d*(Mésiis.         •     .  •  •  •  • 

—  de  Tersaines.    •    .    •     • 

—  deMBDlS 

—  d^Amiens. 

—  de  BetaTsis  ..... 

—  de  ChâlGm-sar-MarDe  .     . 

—  de  SoissoDS  .  •     • 

—  deRODEN 

—  de  Bayeux 

—  de  Coutances    •     •     •     . 

—  dlStreiix 

"""  de  Seez  •••••• 


708,493  f.  07  c. 
24,379  ». 

8,349  15 
27,484  40 

40 

90 
60 
10 
95 

77 

f.{\ 

95 
85 


22,086 
23,053 
5,065 
88,105 
20,411 
192,643 
lo.Pf?.'. 

10,612 
S8»4«6 

19,141 

&7,697 

6,300 

6,271 

4,974 

13,956 

8,664 

13,947 

15,936 

15,907 

8,400 

13;i08 

27,001 

31.257 

31,000 

7,129 

11,545 


37 

»» 

65 
30 
85 
85 
95 
50 
25 

20 
21 


95 
47 


1,529,220  f.  29  c. 


Digitized 


byGoogk 


3M 

! 

Beport      1,629,220  f.  29  c 

Diocèrf  a<J  SENS 10,800    " 

—  de  Moulins    .     . 

6,826    80 

—  de  Nevcre    .     . 

6,700    >• 

—  deTroyes     .    . 

8,S6S    •• 

—  de  TOULOUSE  . 

02,306     09 

—  de  Carcastonne 

17,644     85 

—  de  Montaid)an    , 

16,067     60 

—  dePamiers  . 

6,430    •> 

—  de  TOURS.  . 

14,478     60 

—  d'Angers.  .  . 

38,262    20 

—  du  Msins  «     • 

49,888     60 

—  de  Nantes.    . 

99,639    25 

—  de  Quimper. 

23,101     75 

—  deRenoes    . 

«0,330    65 

—  de  Saint  Bricuc 

34,000    »• 

—  de  Vannes    . 

26,263    » 

GOLONIIS   rEÀMÇAISBS* 

Diocèse  d'Alger 

l!e  Bourbon 

Cayeane  (1) 

Marunique 

/PoBdichéry    1,006  1S\ 
Pondicbéry.lKarikal  7  81) 

(Mabé                  84  06) 
Sénégal 


3,136  65 

8,600  >• 

t360  »• 

4,663  »> 

1,100  >» 

351  60 


3,019,103  r.  63c 


(1)  H  y  aurait  ea  5U>0  fr.  de  plus  ,  tî  le  c«pitaiiie  àt  naj\n  ,  ao^ 
Si  a? aient  élé  cod6(<s  ,  n'avait  malhetorememènt  p^ri  m  moment  mètat 
é9  êm  arrirëe  en  France  ,  et  si  TomiMion  de  la  aomaie  dans  le  coonai»* 
Dt  n'avait  pas  empécbé  qa*cUe  fût  imm^iatemeot  reronvr^ 


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309 
ALLEMAGNE. 

florins.        kr. 

^  divers  dioûèses  .    .     6,771  31         12^724  L  69c. 

«EAND   DUCaé  DE  BADE. 

Diocèse  de  FBIBOURG.    5,106  43        10,942     97 

eBÀRD   DUCHÉ  DE   HBSSE-DARXSTADT. 

DJoûèsedeMayeace.    .    4,311  40  9,239    65 

OEtSE-ÉLBCTORALB. 

WocèsedeFuIde.   .     «     1,907  41  4,087     90 

DUCHé  DE  NASSAlî. 

Diocèse  deLimbourg  .     1,661  54  3,561     20 

^rUETEMBBRG. 

Oiooèse de  Rottenbourg.  13,526  39        28,109    97 

68,666  f.  38  c. 


AMÉRIQUE  DU  NORD. 
ftocèsede***     •    .    .  3,000  f. 

CANADA. 

Diocèse  de  QUÉBEC    .     2,069    2  7     44,141  f.  43  c. 

—  de  Montréal.    .        926  14  »     19,766    50 

—  de  Toronto  «    •         23    9  »  500    »» 

ÉTATS-^NIS. 


Diocèse  de  New- York  •       105  30  52e    SOT 


67,934  f.  43  c. 
tOV«   ETTO.    106.  14 

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210 

Report        67,934  f.  43c- 

Diocèse  de  la  Nouvelle- 
Orléans  J     .     .     1,550  »»  7,730    ■» 

HESLIQtJE. 
piastres. 

Diocèse  de  Californie  .        300  1,676    »» 

rtOUYELLE-ÉCOSSE. 

Diocèse  d'Halifox    .     .  2,060    •» 


79,319f,43c. 
AMÉRIQUE  DU  SUD. 

BRESIL. 

Diocèse  de  BAHIA  .     .  466,760  l,361f.»»c. 

—  de  Rio-Janeiro   .  3,576,680  10,136    89 

—  de  Fernambouc .  294,796  837    46 

—  de  Maragnan.     .  137,280  390    »» 

—  de  Marianne  (Mi- 

nas-Geraes)  .     •        130,009  369    32 

CHILI, 

piastre*.       • 

Diocèse  de  SANTIAGO.     1,318  21/2      6,591    60 

—  de  Coquimbo     .        268  3  1,341     85 


îl,017  f.  12e. 


.  BEL^QUB. 

Diocèse  de  MALINES.    ....  36^000  f.  02  c- 

—  de  Bruges 24,454    60 

—  de  Gand.    .    .    ,    .    .  44,4t8f    <9 

104>487f.51c^ 

Digitized  by  VjOOQ IC 


tu 

Report 
Biocèse  de  Liège  .     .  •  .     .     . 
—  de  Namur  .     .     .     .     . 
~  deTôurnay.    .    .    .    , 


104,487  f.  61c. 
£0,039    »• 
10,599    38 
99;H9    91 

196,083  f.  68  c. 


ILES  BWTAMNIQCES. 


liT.w.  th.    4.     ■ 

District  dfiLahcasire. 

«17  10  »     . 

13,199  r.  50  c. 

—  daLéndres    . 

34S  tB  3 

8,893    30 

—  dYorcà.  .    . 

177  10  8 

4,657    23 

—  da  Kotd  .    . 

8»    8  31/2 

.    2tS97    »» 

—  du  Ceotre.    . 

179  16  6 

4,615    96 

~  del'EsL    .    . 

31     6  » 

797     20 

— .  de  l'Ouest .     . 

1^    7  9 

3,887     02 

Pi'ysdeGaBe*   .    . 

68    .11/2 

ÉCOSSK. 

.    1,490    70 

District  in  Nord.    . 

48    »  • 

.    I«a34    » 

—  do  i'Èst    .    . 

li    8>    . 

163    68 

—  de  l'Ouest.    . 

£663. 

nuLKpE:. 

.    MAO    .. 

Diocised'AiuilAGH. 

106    »  9 

2,714    60 

—  d'Ardagh  .     . 

21     3  5 

541     88 

—  de  Clogher    . 

17  18  51/2 

458    43 

—  de  Derry  .     . 

46    7.1/2 

1,212    97 

—  de   Down    et 

CMaof    .    . 

63    8  9 

1,387    80 

48, 730  f.  27  c. 
14. 

Digitizedby  VjOOQL' 

Diocèse  à»  Dromore  • 
_  de  KiloKMre    • 

—  deMeath  •  • 
«—  deBapboë.  • 
_  de  CASHEL  . 

—  de   Goyiie  ei 
Ross    •     •     • 

^  de  Corck  •     • 

—  de  Kerry  .     . 

—  de  Killaloë     . 

—  de  Limerick  • 

—  deWaierford. 

—  de  DUBLIN    • 

—  de  Feras  .     . 

—  de  Kildare  et  ' 
LeigUin   •     • 

—  d'Ossory  .    t 

—  deTUAM.     . 

—  d^Achonry.    . 

—  deClonferl    . 

—  d'Elphin  .     • 

—  de  éalvay     • 

—  deKiUâla.     . 
— doKilmacduagh 

Reçu  d'un  curé  dans 
le  Sud.     •    • 


2H 
Report 

(v.  tu    «Ik*  é. 

30     1  8 

64  17  r 
239  17  11 1/2 

18  12  » 
426  19  1 1/2 

367  18  5 
891     4  2 

124  13  61/2 
162    7  6 
95  15  9 

589  16  41/2 
1762  .»  • 1/2 
606  12  7 

301    3  9 
316    3  101/3 

49  11  8 

33  18  6 

7  b** 

68  »»  3 

89    5  6 

23  14  » 

32    9  7 

400  >»  » 


48,730  f.  27  c. 


770 
1,660 
6,176 

475 
10,984 

9,418 

22,939 

3,191 

4,156 

2,451 

15,170 

45,114 

12,989 

7,710 

8,097 

1,369 

611 

179 

1,741 

2,054 

680 

831 

10,240 


06 
52 
82 
92 
70 

38 
74 
43 
52 
80 
99 

42 

28 
22 
08 
88 
20 
10 
90 
84 
24 


COLONIES  BMTAlWIQOn» 


Agra 

C;vp  de  BoBoe-EspéranM 


723    •• 
3,056    *» 


220,324  f.  31  «• 

Digitized  by  VjOOQ IC 


tu 

_       .     Report    220.324  f.  31  c. 
Dominique  .........  104-  ••    . 

G})>raltdh«    ;    .....     .   ♦...'■      1,609'. 4» 

Jamaïque ':.■..'.     ;■     160    -«v 

Maurice  (He).  .  .  .  ,  .  .  .'  1;300  »• 
Sydney  (Australie).  •  .  .  >  .  v.  •;«0p  ".  72 
Trinidad..  .  .  .  '.  .  .  .  .  "  IvOo'o"  ». 
VérapoUy  (Malabar).  .    ,    .     .    .       •l,6g(>    .» 

■    232,838  f.  1 1  c. 


■OBBttS 


ETATS  M  L'ÉGLISE. 


ROME 

7,847  24  ô 

42,648  f.  07  c. 

Difoëse  d'Aoqoa-Peii^ 

dente  •     •    •    • 

42  ..  » 

228    26 

~  d'Alatri.  .    .    . 

157  »»  • 

863    26 

—  d*AU>9iio. .    .    , 

96  97  . 

527     01 

—  d'Âmelia..     •    • 

6i  »•  > 

298    91 

—  d'Anagni..    .    . 

94*63  > 

613     75 

-n  d'hncAm.*    •    «  . 

.140  »»  » 

760    87 

— i  d^AsoolL  •    .    . 

216  02  • 

1.171     02 

-r  de  Bs^noreou  .    . 

81  47  . 

442     77 

.  -^  de  BAVENT.  ♦ 

160  >»  . 

869    57 

r  deBertiiiero  .    .* 

....  64  26 > 

349    24 

—  de  SaniM!    *.     • 

il  84. 

423    04 

-^  BdLOGNE.    .    . 

1,640'..  .' 

8,369    67 

— .  deCaglL  .     .     • 

81  67  • . 

443     31 
•  1,056     96 

—  deCAMERlNO.  . 

194  48  . 

—  .deCervîa,.     .     • 

36  ••  . 

190    22 

""T"  de  ijifS^ne*     •     •  • 

199  ».  • 

1,081     52 
60,230  f.  86  c. 

Digitized 


byGoogk 


^  de    Çitt^  .   délia 
;  Pieyc»'<  p  •.     . 

—  àb  Ciot  di  Cas- 

tello  •  •  n  '  • 
~  de,  Ovito  -  Vec- 

chia.  •  •.  '  • 
r—  de  Coroeio.  •     • 

—  de  Fabriano.  .     • 

—  de  Faenza.     •     • 

—  de  Fano    •     .     • 

—  de  FerenlÎDÔ..     . 

—  de  FERMO.   .     . 
_  de  FERRARE.     . 

—  de  Foligno.    •     • 

—  de  Forli.  .     .  \ 

—  de  Forlimpopolf.I 

—  de  Fossombrone.. 

-^    tic   ti'i.àsLUU, 

—  de  Gubbio. 

—  d'Iesi  .     . 

—  dlmola.   . 

—  de  Lorette. 

—  de  Rec^nali. 
-1  de  Mtftclica. 
-^  de  MonteGa^conc. . 

•  —  de  Narni. .     .    .. 

-~  de   Pîfepi  et  Suiri 

"        (  commune  dte 

Tolfa)..     .     ." 

—  de  Nocera.     .     . 


914 

.  •  Report 

20»»  ». 

62  »»  » 

140 .40  » 

-  80  »»  » 
27  »»  » 

100  ■»»  » 

382  »»   » 

M9  55  • 

73  18  » 

^^2  10  . 

743  73  6 

90  >»  » 

'    290  »»  » 

'   74  96  » 

90  60  » 

103  40  » 

£90  »»  » 

164  96  » 

£22  BB  • 

•66  31  » 

''  44  86  » 

\  106"  B»  ■» 

,70  éo  » 
"  "  li  7rB 


60  »»  ». 
160  »»  » 


60,230  r.  35  c. 

10g  10 

382  61  • 

763  04 

434  78 

146  74 

643  48 

2,076  09 

2,226  81 

397  72 

1,967  93 

4,042  04 

4«9  13 

1,676  09 

407  39 

492  39 

661  96 

3,206  62 

■    896  62 

•  2,836  98 

300  69 

'242  12    ' 

.    '670  65 

*  381  .62 
.     69  Oi 


2>i 
•816 


74 
22 


86,337  f.  t««"- 


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215 

Report    86,337  f.  18  c. 

écos  romains, 


Diocèse  de  Norcia  . 

67  45  « 

366 

68 

—  d'Orvieto.      . 

182  31  . 

•  990 

81 

—  d'Osîmo.  .     . 

Ô5  50  « 

301 

63 

-^  de  Falestrina. 

110  •»  » 

697 

83 

—  de  Perugîa.    . 

538  20  » 

2,925 

»» 

—  dé  Pesaro.     . 

350  »»  » 

1,902 

17 

—  de   Poggio-Mir 

teto.  •    .     . 

91  60  » 

334 

78 

—  de  RAVENNE. 

384  53  » 

2,088 

76 

—  de  Rieli.  .     . 

86  »»  » 

467 

39 

—  de  Rimini.     . 

..     9oe  >»  » 

1,086 

96 

—  de  Ripalransoufi. 

.  ,      139  10  . 

765 

98 

~  dô  Sabina  (Ne- 

rola).  .    . 

2  .85  > 

15 

49 

—  de  San-Severino. 

,          85  B»  > 

461 

96 

—  de  Sinigaglia. 

320  »»  . 

1,739 

13 

—  de  SPOLErrE. 

171  60  > 

932 

61 

—  de  Terni.  .     . 

169  25  5 

921 

33 

—  de  Terracîna.     . 

67  .41  » 

366 

36 

—  deTîVdll  .     .     . 

163  05  » 

686 

14 

—  de  Todi.  •     .     . 

34  eo  m 

les 

«7 

—  d'Urbaiia.     .     , 

i        147  09. 

799 

40 

— '  d^Sén-Angelo  in 

. 

Tado.     .     . 

.          26  »»  » 

141 

31 

—  d'URBlNO.    , 

76  ».  »  - 

413 

04 

—-  deVelleiri.    .  ..  . 

111  43* 

<a& 

60 

—  deVeroIî.      .    *, 

106  36  & 

•    678 

«7- 

—  deVîlerbe.   •.     * 

87  46  ^ 

476 

â7 

— i  dtToscanella..    , 

25  53  »' 

13S 

76' 

—  de  TVcja. 

24  90  » 

136 

83 

106,964  f.  62  c. 

Digitized 


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216 

Report     t06,9MC.S^c. 

éetu  roaMÎAf.   ' 

Diocèse  d^Orbetello 
(abbaye  des  trois 
Fontaines).    .     .  93  84  »  510    •• 


107.464  f.Sîc. 


ESPAGNE. 

rten. 

De  divers  diocèses.     .       1 7,865  »  »       4.466  f.  35  c. 


GRÈCE. 


Diocèse  de  Sym.    .     .  404  44  364f.»»c. 

—  deTine.   .     .     .       2,103  33         1,893    »» 

2,257  f.»»f 


LEVANT. 


Vicariat  apostoli()tte  de  8,282  »•        f,070(.  50  c. 

OONSTÂNTINOPLE . 

Diocèse  de  SMYRNE.     .  4,384  »« 

—  deScio.     .     .     •  760  »» 

—  d^Alep  ....  487  20 

—  de  Be}Toiith.  .     •  300  »» 

—  deKarbékîr'.     .  2,600  •• 
Vicariat  apoBtoIique  de 

(•EGYPTE.     ...  6,144  16 

Ile  de  Chypre.     ...  896  >» 

Tripoli  de  Barbarie  .     .  1^40;»» 


1,096 

•  • 

m 

»» 

111 

43 

16 

•• 

671 

44 

1,Î84 

03 

«4 

»» 

36a 

t> 

6,9;îf.«c 

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317 
LOMBARD-VÉNITIEN 


(tiOiMomt.) 

K«r.  MIrick. 

• 

Diocèse  de  MilAN. 

(doM  |»«.) 

39,080  45 

34,000  f 

.  »» 

—  de  Bergame 

(id.) 

15,499  60 

13,484 

65 

—  de  Brescia 

(id.) 

18,180  86 

15,652 

17 

—  dtCôme 

(id.) 

8,409  48 

3,096 

26 

—  d»  CrémoBe 

(id.) 

2,126  43 

1.850 

»• 

—  de**"^ 

(id.) 

1,247  12 

1,085 

»» 

D  nne  ville  de  la  Lom- 

bardie 

(id.) 

1,149  42 

1,000 

»• 

De  divers  diocèses 

(id.) 

14,071  70 

12,242 

39 

niocèsede****** 

(id.) 

3,755  71 

3,367 

48 

81,677  r.  9< 


DUCHÉ  DE  tCICQUES. 

livret  lneqMbet     t.    é. 

Diocèse  de  LVCQUES  13,705  14  8        9,529  f.  30  c. 
ILE  DE  HALTE. 

«CUtBMllM. 

Diocèse  de  Malte  .  .    5,966    8  >»       12,322  r«  61c. 


DUCHÉ  DE  W»ÈHE. 

Diocèse  de  Carpî 1 ,498  (.  32  c. 

—  de  Massa.     .     , S.906    77 

—  de  ModèneXl)  :•     ....  «,590     15 

8,904  f.  24  cl 


(A)  Une  foinin»  lie  i.MO  ffiief .  appii$eMit  à  l'tiMeict  de  18i5  . 
•vaut  été  90aftim  par  ermr  étm  la  reeeCte  de  resereîce  frMdent  ,  h 
iiMMUil  des  mtm^m  recatilliei  dans  le  dioc^  de  Modèoe  en  184r>  a 
«ipnc.éi^  en  ri^iu'  de  6,500  fV.  15  c* 


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21S 

Report  8,994  f.  24  c. 

—  de  nonaniola 372    53 

—  deReggio 8,082    70 

ir,449    47 

BÛCHÉ  DE  PARME. 

Kocèse  de  Borgo-Sàtt-DoDoiao  ;     •  495  f.  33  c« 

—  de  fiuastalla £69    »» 

—  de  Parme  •»»'••..  6,530    50 

—  de  Plaisance  •(••«*  7,295     1 7 

14,890    •» 

PAYS-BAS. 

Vicariat  apûstoltque  de 

Bois-IeDuc.     ..•.•..  33,015 f.  84c. 

—  de  Bréda.    ......  5,936    60 

—  da  Limbourç.     ....*•  16,205    72 

—  du  Luxembourg* 10,646    04 

Archiprêlré  de  Schieland     ....  1,058    20 

De  divers  archiprêtrës 30,768     83 


97,«31     13 

fOltrUCAL. 

ocèsedeBRAGA 

1.289,800 . 

8,M*f.  »pc 

—  d*lTCfc-0.      . 

..    .      103,600 

•47    &0 

— '  de3i*agànGe. 

.     .        19,200 

120    .. 

—  de  Coîmbre. 

,     ;     466,Q10 

5,912    56 

^  dePtniiet    . 

.   «      t4;6S< 

.  •    «3    ■» 

—  de  Porto.    . 

.     ,      9Si,74S 

S.Wt    15 
17,770  f.  21c. 

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21» 

. 

Kepqrt.  •     • 

17,776  r.  2  le. 

de  Vîseu.     •     . 

rets» 

.      283,420 

1,771     37 

cTBVpRA    .    \ 

.    ..     14»,7«0^ 

.917     25  ■ 

deBêja  .    •  \ 

75,440 

471     60 

de  Crato.     .     « 

13,440 

84    ». 

d'EÎvas   .     .  / 

.    -.      118,660 

741     .» 

deFaro*.     k    « 

,.-    16,400 

102    .50   . 

de  LISBONNE  , 

.  2,168,635 

13,553     31 

df^  Giiarda    •     , 

,  .,    144,840 

905    25 

de  Lamego  •     . 

2,400 

15    »» 

Léiria.     .    .    . 

.     .      267,790 

1,611     18 

deThomar  •     . 

16,320 

102    »» 

ILES  AÇORES. 

Diocèse  d^Angral  .    ,    .    '  495,t&0      3,094    94 

ILB   DE   MADÈRE 

DioGèse  de  Funchal.    .     .     .     16,000        100    »» 


41,239    61 


PRU8SB. 

;      OlUNDi  DUCHÉ   DE  POSElf. 

thtien     til     pr. 

i>iooèsedètOSEN         . 
ctGNBSEN  .  ...  «686  10  » 


9,«3rf.06c. 


'     PROTIRCK  Dl  PRVSSB. 

Diocèse  de  Culm     .   .2,483    3    .6       9,368    05 
-deVarmiè    ..    J,16Ô  16    7       4,333    32 

16,229  f.  32  c: 


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Report        1-6,229     S'2 

■     PBOTINOB  lUiJMAMB. 

Di<ioè«e  de  COLOGNE '99,263     I     9      8i,44S     9« 
•^  de  Trêves      .     M36.28  »»      ^,638     fiO 

SllésiBt    ' 

Diocèse  de  Breslao  .       6,063    8    4    22,290     54 

—  d'OImott  (par- 
tie prussienne      .      75  •»  •■»  274     39 

—  de  Prague  (partie 

prussienne.     .     •      674  ••  »•       2,190  -  01 

WB«TPB&tll. 

Diocèse  deMunater(l).     6.447     6  10    24,176     9S 

—  de  Paderborn  .     6,467  27  >•     20,467     là 

186,625     si" 


ETATS  SARDES. 


D«Caé   DB  «ftHBS. 


Diocèse  de  GÊNES 

—  d'Albenga  . 

—  de  Bobbio . 
Diocèse  de  Nice. . 

, —  de  Sanane. 

—  de  Satooe. 

—  de  Tintimine. 


vif 


62,317  f.  29  c. 
4,703     36 
1,666 

5,619; 

2,396 
4,615 


76 
60 
91 

89 
16 


83^07?  f.  86 1  ■ 


(1)  13,n8rr.  70  c.  ,  arrit^  trof  (wd  ,  «woal  porWt  ta  ei>ib|itr  <<* 
f  ÎM. 


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»» 
»» 


231 

Report  83^077  f.  86  c. 

Diocèse  de  TURIN.  • 61^000  30 

—  d'Aoqni .  3^666  38 

—  d'Albe 6,298  85 

—  d'Aoste 6,200  >» 

—  d'Asli 3,232 

—  de  Coiiî 2,800 

—  de  Foisaiio 3,486  29 

—  tfivrée •     .  8,902  30 

—  de  Mondovi.   •     .     •    .     •     •  9^636  58 

—  dePignerol 4^753  »» 

—  de  Salaces 5,129  20 

—  de  Suae. 1,592  85 

—  de  VERCEIL 7,084  55 

—  d'Alexandrie 2,330  »» 

—  de  Bielle.  « 5,000  »» 

—  de  Casai 5,430  04 

—  de  Novare 7,150  »» 

—  deTortone.  ......  9,999  »» 

—  deVigevano  (1).     ....  3,330  94 

SAKDAIGKB. 

Diocèse  de  CA6UARI 16,806  34 

—  tf 0R18TAN0 176  76 

—  deSASSARI 980  48 

—  d'Algiiero 150  » 


257,309  f.  61c. 


(1)  Une  fomm*  de  600  fc  profCM»!  4e  ee  diocèse  a  éié  conveHie 
a  fcme  an  profit  de  rOEotre  ,  MifapI  la  NeodHaaiidatîoo  ^pnm  do 
doQJMeor. 


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sn 


Report    257,309  r.  61c. 


SAVjMI* 

Diocèse  de  CHAMBÉBY.     .    .     « 

—  d'Annecy 

—  deMoatiers. 

—  de  SaiBtrJean-deDIaorieoDe. 


1 1,519    30 
»7,2A0    •• 

.      M75    •• 
a,916    »» 

30â,4S8  f.  91  c 


m:ux-siciles. 


SOTiCn  DB  HAPCCS. 


Diocèse  de  NAPLES. 

—  de  Pouzzoles. 

—  de  SORRENTO 

—  de  CJaëie. 

—  de  Sora. 

—  de  Sessa. 

—  de  CAPOUE 

—  d*Aversa. 

—  d'Isernia. 

—  de  Cava  . 
*—  de  Nooera  de  Pa 

«ani    . 

—  deMelfietRapoUa 
— deCONZAelCAM- 

PAGftA.     .     . 

—  de  Conversano . 

—  de  TRANI  et  NA- 
ZARETH. .    . 


dne«ts      gr. 

8,249  90 
tOO  »» 

1,170  »» 
11  90 
140»»' 
104  £6 
312  60 
100  »» 
27  70 
151  20 

240  •> 

LOO  »• 


7»t)4 


42 
78 
23 


36,900  f.  67  c 

435    16 
6,091 
5t 
-   609 

455 
1,358 

435 

120 

657 


70 
16 
64 
97 


f^MI    40 
435    16 


150  »  652    75 

123  20  636    13 


339    60 
48,123    m 


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223 

Report 

48,123  i 

.66  c. 

daeau  p. 

—  de  Monopoli.    . 

73  67 

320 

69 

—  de  Castellaneta  . 

114  »» 

496 

09 

'-  de  Lecce.     .     . 

300  » 

1^305 

49 

—  d'Ugento .     .     . 

41  »> 

178 

42 

—  de  Gallipeli .     . 

23  16 

100 

79 

—  de  S/USTA-SE- 

VERINA  .     . 

100  »> 

435 

16 

—  d'Oppido.     .    . 

177  .» 

770 

24 

—  deNieotera  etTro- 

pea.     .     .    . 

63  » 

274 

16 

—  de  Mileto.    *    . 

100  >» 

435 

16 

— •  d'Aquila .     .     . 

264  20 

1,149 

71 

—   d'Aprutino    et 

Teramo    .     . 

112  08 

487 

74 

—  d'Atri  et  Penne  . 

30  » 

130 

55 

—  de  Gerace    .    . 

120  •• 

622 

20 

—  4a  Muro.     .    . 

30  •> 

130 

55 

—  de  TARENTB  .  . 

46  91 

204 

14 

—  deVenosa     .    . 

£0  » 

2ir 

58 

—  de  Boiano     .    . 

44  •» 

191 

47 

—  d'OTRANTE.     . 

110  »» 

478 

68 

—  de  SulmoBa    et 

Valvà  .    .    . 

80  »» 

348 

13 

—  de  Bifonte-Cassino 

90  » 

SOI 

65 

—  de  Bisoeglie  .     . 

100  »• 

435 

16 

—  deGravina^Moo- 

tepeloso  et  Al- 

.. 

tamura..    .    . 

340  »» 

1,479 

56 

—  de  CHIETI    .    . 

300  »> 

1,305 

49 

—  de  BRINDISI.    . 

1£0  »» 

652 

75 

~  de  Montevei^ine 

46  50 

202 

35 

• 

60.767  r.  47  c> 

Digiteedby  Google 

•224 

Report 

Au.»    9. 

ocèse  de  Castdlamare 

276  .» 

—  de  BE6GI0 .    . 

120  >• 

—  de  San-Severo    . 

100  >» 

—  deCatanzaro.    . 

26  60 

—  de  Mani.     .    . 

47  2S 

—  d'ACERENZA  et 

MATERA  .    . 

106  60 

—  de  LANQANO  . 

60  »> 

—  deCassano  .    . 

20  >» 

—  de  Capaccio  .     . 

tl6  73 

60,767  f.  i7  0 
1,196    70 


522 

20 

435 

16 

115 

75 

205 

75 

463 

«9 

261 

to 

87 

03 

507 

97 

SICILI. 

Diocèse  de  PALERME  .2.118  41  &  8,826  74 

—  de  MESSINE.     .     454  »  •  1,891  67 

—  d«  MONTRÉAL.    685  40»  2,439  17 

—  deCatane     .     .     705  »•  >  2,937  50 

—  de  Mazzora  .     .     668  01  •  2,783  38 

—  de  Syracuse.     .     125  09  »  521  21 

—  deGirgenti  .     .     710  05  >  2,958  54 

—  de  Caltagirone    .     140^  80  5  586  69 

—  deNoto  .     .     .     107  »»  »  445  83 

—  de  Caltanissetta.     143  81  »  599  20 

—  deTrapani  .     .    256  85  6  1,070  23 

—  deÇefalù.     .     .     129  10  •  537  92 

—  dePatti..    .    .      78  »»  »  325  »• 

—  deNicosia.  .     .      36  »»  »  150  »» 

—  de  Lipari.    .     .      27  •»  •  112  60 

96,748  f.6Ô"«-T 

Digitized  by  VjOOQ IC 


226 


SUISSB. 


Diocèse  de  Bâie.    .  . 

—  de  Coire.     .  . 

—  de  Cûme  (  Tes- 

sin).      .     .  . 

—  de  Lausanne.  . 

—  de  Sahil-Gall.  . 

"^  w  OtOB    •       •  - 


francs  sutsscf. 

12,395  55 
3,530  14 

2,000  » 
9,268  85 
3,254  23 
4,020  «1 


17,707  f.  93  c. 
5,043  06 


2,857 

13,226 

4,648 

5,758 


14 
93 
90 
30 


s 

49,-242 

26 

,    TOSCANBw 

J 

li>.   lOM.       «.          d. 

locèse  de  FLORENCE. 

19,598  10  » 

16,462  r.  79  c. 

-de  Colle.      .    . 

826     6  8 

693 

84 

—  de  Fiexole.  .     . 

3,347  10  » 

2,811 

90 

—  de  Pistoie.    .     . 

2,540  »»  > 

2,133 

60 

—  de  Prato.      .     . 

2,424  ..  > 

2,036 

16 

•—  de  San-Mfniato  . 

3,047  U  p 

2,659 

do 

—  de  San-Sepolcro. 

3,094     6  8 

2,599 

24 

--  de  PISE. .     .     . 

7,131     1  4 

6,990 

09 

—  de  Li^urne  .     . 

3,800  >»  » 

3,192 

»» 

•—  de  Pontremoli.  . 

680  »»  > 

571 

20 

—  de  SIENNE.  .    . 

2,679    6  8 

2,250 

63 

—  d'Arezzo.     .     . 

3,549    3  4 

2,981 

30 

--  de  Chiasi.    .     . 

332    6  8 

279 

16 

—  de  Cortone. .     . 

600  »>  » 

504 

»• 

—  do  Grosseto  .     . 

320  »»  » 

268 

80 

—  de  Massa  et  Po- 

pulonia.     .     . 

1,160  >»  » 

• 

974 

40 

•  X.YIII.  106. 


46,309  01 
15 

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22« 

Report 

46,309  r.  01  c. 

Hr.  MH.      *.        d. 

Diocèse  de  Modigliana. 

514    4  8 

431 

94 

—  de  Montalcino.  . 

630  »•  > 

629 

20 

—  de  M<mte  -  Pal- 

ciano.   .    .     . 

366  t3  4 

308 

»• 

—  de  Pescia.    .    . 

1,040  ».  » 

873 

60 

—  de  Pienza.    .    . 

146  13  3 

IM 

20 

—  de  Sovana.  .    . 

860  »  » 

722 

40 

—  de  VoUerra  .     . 

2,086  •»  • 

1,T52 

24 

De  divarses  coBtrées  du 
nord  de  TEurope  (1). 


61,049    69 


2,497  f.  82  c. 


(1)  Dans  cett«  somme  ae  troaTeol  compiii  M7  flr.  74  c.  ,  proJail  àt 
4a  retle  d'un  capital  de  6,000  (r.  ,  proreoaat  da  dioeèaa  de  Tcrta^îe . 
à9oné  à  rCVa^Hre  an  18^ ,  et  da»t  il  a  été  fait  mwiiai  dMa  W  ( 
4c  Ijuansdileaaaët. 


N¥a^  Il  eat  arrÎT^Jde  diran'^t^acèies  daa  aannai^ii^laaUlii.re  de 
'exercice  n*a  pas  permis  de  comprendre  dans  Jet  receltes  de  1845.  Ces 
49mme4  Égareront  an  comple-rendu  de  '1846tf 


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227 


»• 


•  » 


La  réjm^twn  iet  aum/kus  entre  les  diverses  Missiom  ^ 
fxntr  1846 ,  a  Hé  etrrêtée  dans  Vardre  suivant  : 


A  Mgr  Carrnthen  ,  évêque , 
vieiire  apostolique  d'Edimbourg 
(Ecosse)..     •..;...         82,085  f..»c- 

A  MIgr  Scott ,  étéque ,  Tîcaîre 
apostolique  do  district  occidental 
(Ecosse).  •..-......•    -S^.OOO 

A  Mgr  Kile,  évéque,  vicaire  apos- 
lolique  du  district  du  Nord  (Ecosse).        *S5,MN) 

A  Mgr  Mostyo  ,  évéque,  vicaire 
apostolique  do  distri  et  du  Nord  (An- 
«*««eiTe) t     .     .    •  4,000    »• 

An  Vicariat  apostolique  de  Lon-» 
<)res,  pour  la  Mission  de  Jersey.     •  6,000    »• 

AMgrBrowB  ,  étéqoe  ,  vicaire 
apostolique  du  pays  de  €alles  (An- 
^'«^ •     •     •  16,000 

P^or  la  Mission  des  Cblats  de 
Marie  knmacnlée  en   Comouailles 

(Angleterre) 20,000 

^arla  Mission  <«Rédènipto- 
f»ias  en  Comouailles  (Angleterre  .  2,1100  »  »• 

AMgr!15vêquedeKerry(IHaiide)         W,0W    »• 

A  Mgr  Hugues,  évéque ,  vicaire 
^PittoU^iie  de  Gibraltar.  •    .     .  16,000    •* 

f^T  le  diocèse dt  Uisaneet 


•• 


f$» 


^^^^^' 71,000    •• 


269,6^    — 

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S38 

Report      269,5i5f.ttc 

A  Mgr  SalzmaiiD,  évéquc  de  Bâie 
(Soisse) ,  6»SW   •• 

A  Mgr  Mirer ,  vicaire  apostolique 
de  SainirGall  (Suisse).  .     .     ,     .  2,000    »» 

A  Mgr  Gaspard  de  Cari ,  éy^e 
de  Coîre  (Suisse) 8,000    »• 

A  Mgrl'Evéquede  Bethléem, abbé 
de  Saint-Maurice,  pour  l'Eglise  ca- 
iholique  d'Aigle  (Suisse).     .     .     .  *M0    •• 

Pour  un  établissement  catholique 
en  pays  protestant,  recommandé 
par  TEvéque 20,000    •» 

Pour  diverses  Missions  daNord 
de  l'Europe 152,628    Oî 

A  Mgr  Paul  Sardi ,  évêque ,  visi- 
teur  apostolique  de   la  Moldavie 
(  Mission  des    RR.  PP.   Mineurs         .     . 
ConveniueU) 20^000    »• 

A  Mgr  Molajoni ,  évéquc^  adUm- 
nistrateur  du  vicariat,  apostolique 
de  la  Valadiie  et  Bulgarie  (Mission 
des  RR.  PP.  Pttssionistes).    .     .     •  ,     .    8,000.   •• 

A  Mgr  Topîch,^  évêque d'Alessio  3,030    •• 

An  même  ,  pour  le  diocèse  de 
Scopia ;....,..       1,480    »• 

AMgrSeverinî,  évôquedeSupp».  4,060    »» 

A  Mgr  Pooten  ,  évêque  adiBÎfti&- 
trateur  d«  diocèse  d'Aaiiyari  .     •  MO    »• 

A  Mgr  Labella  ,  archeféque  de  . 
Durauo.  ....•....;,  1,3*0   •» 

A   Mgr  Guglielmi  ,   éwâque  de 

^     ,     Il      * 
490,753  f-Oîc 

ê 


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S29 
Report      490,763  f.  02  c. 

Sciitari.    « 4^380    »» 

A  Mgr  Guglielini ,  pour  le  dio- 
cèse de  Puhti 2,020    »» 

Pour  la  Mission  de  la  Compagnie 

de  Jésus  en  DalmaUe 3,600    >• 

Au  Vicariai  apostolique  de  Sopbia 
(Mission  des  RR.  PP.  Capucins).  4,000    »» 

Pour  la  Mission  des  RR.  PP.  Ca- 
pucins à  Consiantinople.     •     .     •  3^000    »» 

Pour  la  Httsion  des  RR.  PP.  Do- 
minii^ins  à  Consiantinople. .     #     •         10^000    »» 

A  Mgr  HiUereau ,  archevêque , 
vicaire   apostolique  de  Constanli- 

nople.  • 31^000    »» 

A  Mgrlbroiichi^  archevêque  ar- 
ménien catholique  de  Constantino- 

ple lÔ^OOÔ    •» 

Mission  des  Lazaristes  à  Constan- 
tinople^  coUége^  écoles  des  Frères , 
établissement  des  Sœurs  de  la  Cha- 
rité^ et  frais  dlmprcssion.  .     •     .         38^600    »» 
Mission  des  Méchitarisies  à  Con- 

stantinople 3^000    »» 

A  Mgr  Bbncis ,  évêque  de  Syra  et 
dél^t  apostolique  pour  la  Grèce 

comiBentale 22^000    »» 

Pour  la  Mission  des  RR.  V9.  Ca- 
pucins à  Paros 1,600    »» 

A  Mgr  Castelli^  archevêque  de 
Raxie  .........  3^000    »» 

Podr  la  Mission  des  RR.  PP.  Ca- 


631,753  f.  02  c. 

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230 

Report      631^763  {.02  c. 
jpiscHis  à  Naiiè 1^200 

A  Mgr  Zaloni^  évéque  de  Tine.    .  3^000 

Pour  la  Mission  des  RR.  PP-  Bli- 
«enrs  Réformés  à  Tine.  .     .     :     .  1,000 

Pour  les  Missions  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  à  Tine  et  à  Syra  .     •  6^000 

Pour  la  Mission  des  Lazaristes  et 
rétablissement  des  Sœurs  de  la  Cha- 
rité i  Santorin.   •••...  6^000 

A  Mgr  Noslrano^  archevêque  de 
Corfou.     . 3,000 

Pour  le  diocèse  de  ZanCe  etCépha- 
leaie*  .     .    .     .• 2^000 

Pour  les  Missions  des  RR.  PP. 
Capucins  à  Céphalonie  et  à  Idia- 
<pie •  2^000 

Pour  la  Mission  des  RR.  PP.  Ca- 
pucras  k  Candie 2^600 

Pour  la  Mission  des  RR.  PP.  Ca- 
pucins à  la  Canée 3,000 

660,453  f.  02  c 


hissioms^d'asie. 

A  Mgr  Mussabini%  archevêque  de 

Smyrne  et  vicaire  apostoUqpie  de 

l'Asie  Mineure 31,304/- Sic- 
Mission  des  Lazaristes,  à  Sm^rmei . 

écoles  des  Frères  et  établissemeat 

ëe»  Sœurs  de  la  Charité.      .     .     .         14,700    »» 
A  la  même  ,  pour  le  collège  de  la . 

Pn^agande  à  Smyrne.  .    •    .    .  4,300    »» 

60,704  f.  35  c 

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2SI 

Report      50,704  f.  36  c. 

A«x  Lazaristes^  pour  âtre  distri- 
bué par  les  mains  des  Sœurs  de  h 
Charité  aux  victimes  de  l'incendie  de 
Smyme *         15^056     »» 

Aux  mêmes  >  pour  reconstruire 
à  Smyme  la  maison  des  Frères  de 
la  doctrine  chrétienne^  détruite  par 
rincendie 20^000    »i^ 

Pour  la  Mission  do  RR.  PP.  Ca- 
pucins à  Smyme 6,000    »» 

A  Mgr  Justiniani ,  évéque  de 
Sdo 3^600    »» 

Pour  la  Mission  des  RR.  PP.  Mi- 
neurs Réformés  à  Mételin.   •     •     •  4|000    »» 

Pour  l€S  Missions  de  Hle  de 
Chypre .         12^00    »» 

Pour  la  Mission  des  RR.  PP.  Mi- 
neurs  Réformés  à  Rhodes.   •     •     •  2,000    »» 

Pour  la  Mission  des  RR»  PP.  Ca- 
pucins dans  TAnatolie 8|000    ^^    ^ 

Au  Révérendissime  Custode  dt  Je- 
iiisalem,  pour  la  Mission  de  Terre- 
Sainte .     •     •  S96    >i^ 

A  Mgr  Villardell^  an^vâque  » 
délégat  apostolique  au  Liban,  et 
pour  les  divers  Rits  Unis 34^210    »* 

Qission  des  RR.  PP.  Capueias 
ea  Syrie 8,000    >»- 

Hissioi  des  RR.  PP.  Carmes  en  « 

Syrie. 3)600    »i> 

Missions  des  Lazaristes  à  Aky^  à 

166,864  f.  35  c. 

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2IS 

Report      166^8641. 35  c. 
Damas^  à  Tripoli  de  Syrie  ^  ei  col- 
lège d'Antoura 10,000    •» 

Mission  de  la  Compagnie  de  Jé- 
sus en  Syrie •       ,17,000    >• 

A  Mgr  Trioche,  évéque^  délégat 
apostolique  à  Babylone,  et  pour  les 
divers  RUs  Unis 40,000    »• 

Mission  Arménienne  en  Perse.    •  3,000    »» 

Mission  des  Lazaristes  en  Perse.         15,000    »• 

Mission  des  RR.  PP.  Oonyniqain$ 
dans  la  Mésopotamie 10^000    »» 

Mission  des  RR.  P^.  Carnées  ^aus 
la  Mésopotamie 3j000    »« 

Mission  des  RR.  PP.  Capucins 
dans  la  Mésopotamie 12>000     »» 

Mîssim  des  RR.  PP.  Servîtes  en  .     . 

Arabie 10^000     »» 

A  Mgr  Borçhi^  évéque^  vicaire 
apostolique  d^Agra  (Mission  des 
RR.  PP.  Capacins) 34,605    »» 

A  Mgr  Carew,  évéque,  vicaire 
apostolique  de  Calcutta  .     .     •     •  5,000    v» 

A  Mgr  Fortini,  évéque^  vioairt     •     <     • 
apostolique  de  Bombay  (Mission  des 
RR.  PP  Carmes).      .....         19,000    »» 

A  Mgr  Loais  de  Sainte-Thérèse , 
évéque,  vicaire  apostolique  de  Yé-  Q 

rapolly  (Ihlabar)  (Mission  des  RR.  * 

PP.  Carmes).  19,000    >» 

Pour  la  Mission  dn  Canara.    •     •    •      6,000*  «» 

A  Mgr  Bonnand,  évèqne,  vicaire 

355,469  r.  35  c. 

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^3 

Report    355,  469  f.  35  c. 
apostolique  de  Pondichéry  (Goro- 
maodel)  (CoogrégatiOD  des  Missions 
étrangères) 67,336    »» 

Mission  de  la  Compagnie  de  Jésus 
auMaduré 3S,4(K)    »» 

A  Mgr  Feoelly,  étêqae,  vicaire 
apostolique  de  Madras.  .     .    >i     .        19,000    »» 

Poar  la  Mission  de  Vitagapatan.  6^010    »» 

A  Mgr  Ceretti ,  évéque ,  vicaire 
apostolique  de  Pégu  et  Ava  (Mission 
des  Oblats  de  la  sainte  Vierge).     .         60,000    >» 

A  Mgr  de  Bési ,  évéque ,  vicaire 
apostolique  du  Quang-Tong ,  et  ad- 
ministrateur de  Nankia..     .     *     •         SO^OOO    »» 

A  Mgr  Rjzzolati ,  évéque,  vicaire 
apostolique  du  Hou-Qaoïig  (MissÎM 
des  RR.  PP.  Blineurs  Réformés.     .        20,000    >»» 

Au  Vicariat  apostolique  du  Chaa- 
Si  (Mission  des  RR.  PP.  Mineurs 
Observantins) 14,000    »» 

A  Mgr  Alphonse-Marie  de  Donato, 
évéque  ,  vicaire  apostolique  du 
Chen-Si  (Mission  des  RR.  PP.  Mi- 
neurs Observantins).  •      •      .      ,      •  ICyOfO      »>    • 

PréGecture  apostolique  et  Procure 
des  Missions  Italiennes  à  HoBg- 
Koag. M.OOO    »» 

A  Mgr  Pérocheau,  évéque,  vi- 
caire apostolique  du  8u-Tchuen 
(Congr^tion  des  Missions  étrau- 
gères) Sl,14«    «S 

663,360  r.  40  c 

Digitized  by  VjOOQIC 


2» 

Report 

A  M^  PoDSOt ,  évéqtte ,  inciire 
apostolique  du  Yun-Nu  m,  CUiM 
(CoDgrégttton  des  Missions  étran- 
gères)  

Pour  U  Procure  de  la  Congréga- 
tion des  Missions  étrangères  à  Macao 

A  Mgr  Carpena^  évéqne^  vicaira 
apostolique  du  Fo-Kiaa  (Misskm 
des  RR.  PP.  Dominicains).  •     •     . 

Au  Vicariat  apostolique  du  Tihé^ 
Kiaog  et<iu  Kinng-Si  (Mismnsdaa 
Lazaristes 

A  Mgr  Baldus  ^  é^êqua  y  Yieairn 
apostolique  du  Ho-Nan  (Missian 
des  Lazaristes).    ...••• 

Séminaire  et  Procure  dts  Lasa- 
ristes  à  MacstO)  y  compris  Us  frab  de 
voyage  des  Missionnaires  deslnéa 
pour  la  Chine •    » 

Mission  de  la  Compagnie,  de.  Jé^ 
sus  en  Chine •     • 

A  Mgr  Mouly^  évéque,  vicftira 
apostolique  de  la  Tartarie  Mbngole 
(Mission  diM  Lazaristes).     »     .     • 

A  Mgr  Yerrolles,  évéqne^  vicuPt 
apostolique  de  la  Mantchovrie  (Cm** 
grégation  des  Mssions  étrangères)  .. 

A  Mgr  Ferréol,  évéque,  Tkaire 
apostolique  de  la  Coréa(GatgrégatioB 
des  Missions  étrangèraa)»     .     »     • 

Misiot  de  Lieou-Tchoa  (/i.)«    «^ 


663,360  f.  Me. 

15,£84    51 
37,043    »> 

30^0M    » 

sc^ooe  o 

14,006    >» 

L3,3»8    30 
40,000    «• 

11,000    »» 

16,312    65 
'  18,475     •• 

876,113  f.  86  c. 


Digitized 


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33$ 

Beport    875,113  r.  86  c. 

A  Mgr  Hermosilla,  évèque ,  vh 
taire  apotiolique  du  ToDg»Kiog 
oriental  (Mission  [des  RR.  PP.  '  Do- 
minicains).       

A  Mgr  Retord,  évêque,  vicaire 
apostolique  du  Tong-King  ociden- 
tal  (Congrégation  des  Missions 
étrangères) 

A  Mgr  Cuénot ,  évéque ,  vicaire  \ 
apostolique  de  laCochinchiDeorien- 
lale    (Cougrégaûon   des  Missions 
étrangères).    .     • * 

A  Mgr  Lefebvre,  évéque,  vicaire 
apostolique  de  la  Cocbincbine  occi- 
dentale (Congrégation  des  Missions 
éu-angères) •     • 

A  Mgr  Bouchot,  vicaire  aposto- 
lique de  la  presqu'île  Malaise  (Con- 
grégation des  Missions  étrangères). 

A  Mgr  Pallegoix,  évéque,  vicaire 
apostolique  deSiam  (Congrégation 
des  Missions  étrangères).     •     .     . 

Pour  le  Collège  général  de  Pulo- 
Pinang  (Congrégation  des  Missions 
étrangères) 


25,000 


32,706 


2S,896 


25,275 
22,895 
26,000 


l,036,S78f.86<u 


HISSIOm  n'ÀFtIQVB. 

A  Mgr  Griffiiz ,  évéque  ,  vicaire 
apostolique  du  Çep  de  Bonne-Espé- 
ranœ  (  Mianoii  des  RR.  PP.  Domi- 
nicains.)     


28,000r.»>c. 


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236 

Report         34,000  f.»»c. 

Pour  les  établissements  des  or- 
phelins et  orphelines  et  [autres  œu- 
vres et  institutions  dans  le  diocèse 
d'Alger 71,029    20 

Pour  réuiblissement  des  RR.  PP. 
Trappistes  dans  le  même  diocèse  •  12,000    »» 

A  Mgr  Fidèle  de  Ferrare  ,1  évê- 
que  ,  vicaire  apostolique  de  Tunis 
(Mission  des  RR.  PP.  Capucins).     •  8,000    »• 

Pour  la  Mission  desRR.  PP.  Mi- 
neurs Réformés  à  Tripoli  de  Bar- 
barie     2,500    »» 

A  Mgr  Solero ,  évéque  ,  vicaire 
apostolique  de  TÉgypte ,  et  pour 
les  divers  Rits  Unis 40,000    »» 

Mission  des  Lazaristes  à  Alexan- 
drie d^gypte ,  y  compris  le  solde 
des  constructions  de  la  maison  des 
Frères  de  la  doctrine  chrétienne  et 
de  celle  des  Sœurs  de  la  Charité    .        55,000    »» 

Pour  les  Missions  des  RR.  PP.  Mi- 
neurs. Réformés  dans  la  Haute- 
Egypte 6,000    •• 

Pour  les  Missions  de  la  Congré- 
gation de  Saint-Lazare  dans  TAbys-  ' 
sinie  6t  le  Sennaar 

Pour  la  Mission  de  Madagascar     . 

A  Mgr  Allen  Collier  ,  évéqiie  , 
vicaire  apostolique  de  l'Ile  Maurice. 


15,000 
20,000 

»• 
»» 

22,000 

»» 

279-,629 

20 

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237 

MISSIONS   D^AHéftlQUE. 

A  Mgr  Fleming  ,  étéque,  vieaire 
apostolique  de  Terre-Neuve    •     •         10,00(K    »ii 

A*  Mgf  Provencher ,  évéque  ,  vi- 
caire apostolique  de  la  Baie  d'Had- 
son ;  33,000    »» 

Pour  la  Mission  des  Oblais  de       • 
Marte  immaculéeà  la  Baied'Hndson.         10,000    »» 

Pour  les  Missions  du  Vicariat  apo-  ^ 

stolique  de  la  Nouvelle^Ecosse.     •         30,000    »» 

A  Mgr  Donald  Mac*DonaTd,  évé« 
que  de  Oiarlotte-Town.      •     •    •  7^000    »» 

A  Mgr  Power,  évéque  de  Toron- 
to (Haut-Canada).     •     .     .     •    •         10,00&    »v 

A  Mgr  Phelan,  évéque  admiois* 
traieur  de  Kingston  (Haui-Canada).  10,000    »» 

A  Mgr  Signay,  archevêque  de 
Québec  (Bas^Canada)    .    »    ,    •        45,000    »• 

A  Mgr  Bourget,  évâi|ae  de  Monl- 
réal  (Bas-Canada).    .....         28,086    »» 

Pour  la  Mission  des  O^ats  de 
Marie  immaculée  au  Canada*    «    .         1&,000    »»  ' 

Pour  les  Missions  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  au  Canada*.    •     •    ..        34,S00    9^ 

A  Mgr  Blandiet ,  évéque ,  vica&e 
aposioliqnederOrégon  .    .    .    •         23,000    »« 

A  Mgr  Loras ,  évéque  de  JMm* 
que  (Etau-Unis) ^        30^000    »»  ' 

A  Mgr  Lefévère  ,  <évêque  eoeé^  ' 
jutewr  et  administrateur  du  Détrek 
(Etats-Unis)    .....-,•.         30^^000    »» 

310,580    »• 

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33< 
Report        31 0,580  f.  »»c. 

A  Mgr  Purcell  j  évéque  [de  Cin- 
cinnati (Eut&^Unis) 16,000    »• 

4  Mgt  Kevick,  é\éqae  de  Phite* 
delphie  (Etats-Unis).     ^     *     -     ^         11,000    »• 

A  Mgr  O'Connor,  étdqcre  de  PiU- 
slxiiirg(Eta^lftu8).     .    ,     .    .         30,000    »* 

A  Mgr  Wbelan ,  évéque  de  Rieb- 
moad  (Btau-Upis) SO^MO    »• 

A  Mgr  Hughes ,  évéqw  de  New- 
YoKk  (EMs^Jnis) U,000    »» 

AMgrTyler,  éTèqat  dllartféitl 
(Eiats-Uftîe) 8,000     »i» 

A  Mgr  Miles ,  iyéqÊt  de  Nasb- 
ville  (Erdt»4)Als)  / 18,fitd    »» 

A  Mgr  Flaget ,  Mqf$e  de  Lom- 
ville  (EuiSrUtis) 30,950     »» 

A  Mgr  de  la  Hailaaiiège ,  Mqm 
de  VtticMMS  • 66,000     »» 

A  Mgr  Kenrick ,  éirlqMddSaiirt- 
Louis  (BÎitt-Uois) Sfi.OtO    »» 

A  Mgr  Henni,  Mqm  de  IfttunMh 
kie  (Etan-Uni^ 95,000    •n 

A  Mgr  Ryme,  évécpie  de  Uttlt- 
Rook(EiM»*Uab).     .....         16,000    »» 

A  Mgr  Quarter,  èfàqm  de  dit- 
cag»  (EiMft^Uiib) 2«,000    »» 

A  Mgr  Cbancbes ,  éiêfK  éê  Nm- 
cbei  <BM»4J«b) 8A,M0    »» 

A  Mgr  BhQe,  éréqMde  la  !lo«- 
velle^Iéans  (Eut^UUs)    .     .     •         96v050    m 

A M^  border,  éféqve  de  Mo^ 

664,580    »i» 


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93» 
Report       664,5S0f.  »»  c. 

bile  (Btats-Uois) 30,000    •• 

A  Mgr  Reynolds  ,    évêqiie   de 
Charlestoa  (Etals- Dois)  .     .     .     .  40,000    i»# 

Pour  les  Missions  des  Laiarisies 
aux  Etats-Unis    «;....         40,000     •»> 

Pour  les  Missions  de  It  Qom- 
pagnie  de  Jésus  au  Missouri  (Etato-  | 

Unis) 13^0«0    •» 

Pour  les  Missions  de  la  même 
Cooipagnie  aux  Montagnes  Rocheu- 
ses (Etats-Unis) &8,86S    61. 

Pour  les  Missions  des  RR.  V9. 
Dominicains  aux  Etats-Unb.     •     .         It^OM    »» 

A  Mgr  Odin,  évèque,  vicaireapo- 
stolîque  du  Texas  (Mission  des  La- 
zaristes)             4&,flflD    «» 

A  Mgr  Smith  ,  évéque ,  vicaire 
ifpostoliqae  des  Antilles  anglaises   •         9ft,(Hlft    »» 

A  MgrFemandez,  évéqae,  vicaire 
apostolique  de  la  Janmîqne.     •     •  4,000    »» 

A  Mgr  Hynes ,  évéqae  adminis- 
trateor  du  Vicariat  apoiîoliqiie  de  It 
Guyane  Britannique  .    •     •     •     •         3^,000    •» 

A  Mgr  Niewindt,  évéqoe,  vi- 
caire apostolique  de  Curaçao  '  •     •         90,000    »» 

Pour  la  Mission  de  Sariiia«i«    •         13^040    ••^ 

Pour  les  IGssions  de  la  Gonipa- 
gnie  de  Jésus  dans  rAnéricpe  du 
Sud.    ........    .         15,00t    •* 


t, 0^2,448    61 


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946 

HISSIONS   DE  L'QCiktHlE. 

A  Mgr  Grooff,  évéque,  vicaire 
apostolique  de  Batavia  •     •     •     »  20,000    »» 

Pour  le  Vicariat  apostolique  de 
rOcéanie  orienlale  (  Missions  de  la 
Congrégatio|  de  Picpos).  .     .     •       112,932     16 

A  Mgr  PoQipallier  ,  évéque  ,  vi- 
caire apostolique  de  la  Nouvelle-Zé- 
lande (Missions  des  RR.  PP.  Ma- 

ristes) .     ♦     .         50,000    »» 

A  Mgr  Epalle ,  évéque ,  vicaire 
apostolique  de  la  Mélanésie  et  Mi- 
cronésie  (Missions  des  RR.  PP.  Ma- 

ristes) 100,000    »» 

A  Mgr  Batailon ,  évéque  ,  vicaire 
apostolique  de  TOcéanje  centrale 
(Missions  des  RR.  PP.  Maristes).     •         55,050    »  » 

A  Mgr  Douarre,  évéque, .pour  les 
Missions  des  RR.  PP.  Maristes  dans 

la  Nouvelle-Calédonie 25,050    »» 

Pour  la  Procure  de  la  même  Con- 
grégation à  Sydney  (Australie).      .         40,000    »» 

A  Mgr  Poldtng,  archevêque  de 
Sydney  (Australie)    .     ...     .     .         10,000    »» 

A  Mgr  Hampbry ,  évéque  d'Adé- 
laïde (Australie) 10,100    »> 

A  Mgr  Brady  ,  évéque  de  Penh 

(Australie) ,       51,270    •» 

A  Mgr  Willson,  évéque  d'Hobart- 
Towii  (Terre  de  Van-Diémen)    .     .         6,000     »» 

480,402     16 

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2*1 


MISSIONS  DE  LA  CHINE. 


Lettre  du  P.  Clavelin  ,  Missionnaire  de  la  Compagnie  de 
Jésus  en  Chine^  à  un  Père  de  la  même  Société* 


A  bord  du  ThomaS'Crisp  ,  à  doaie  lifuet  de  Cbang-haî, 
13  octobre  1844. 


«  Mon   RivÉEBND  PèftE  , 


«  Nous  voici  donc  enfin  au  lermerd^  nos  désire*  Booore 
quelques  heures ,  et  nous  sommes  .dans  les  bras  de  nos 
frères.  Sur  le  point  de  terminer  un  voyage  bien  kwi^  et 
irès-beureui ,  on  sent  tout  naturdlementses  penséess'é* 
lever  au  del ,  en  action  de  grâces  de  la  protection  cons- 
tante dcmt  il  a  bien  voulu  nous  favoriser  ,  puis,  redescen- 
dre ei  s'suréter  avec  une  délicieuse  eflîision  ,  au  souvenir 
des  personnes  qui  nous  Pont  obtenue  par  leurs  prières. 

«  A  peine  sortis  de  Hong-Kong  ,  nous  avons  eu  vent 
conuraire  ,  puis  un  calme  plat  qui  nous  a  retenus  une  se- 
.  maine  entière  en  vue  de  cette  tle.  Nous  avons  alors  re- 
couru à  nos  armes  ordinaires  ,  aux  neuvaines  ;  nous  en 
avons  commencé  une  en  l'honneur  de  Notre-Dame  des  sept 
Tox.  xnn.  106«  16 

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242 

douleurs  ;  mais  ce  fui  d'abord  sans  succès.  II  nous  vint 
alors  en  pensée  d*y  ajouter  les  Litanies  de  saint  Joseph  , 
et ,  le  jour  même  »  nous  obtenions  la  brise  la  plus  favo- 
rable ,  comme  si  Marie  eût  voulu  nous  rappeler  que 
des  Missionnaires  ne  pouvaient  entrer  dans  le  céleste  em- 
pire ,  que  par  la  protection  immédiate  de  celui  qui  en 
est  le  grand  Patron.  Le  ciel  devint  superbe  ,  et  notre  na- 
vire glissait  sur  une  mer  unie  et  tranquille ,  de  manière 
à  nous  faire  presque  douter  de  son  mouvement. 

«  Quand  nous  îdmes  h  la  hauteur  de  Formose,  la  mous- 
son contraire  se  déchaîna  contre  nous  avec  une  rigueur 
étonnante.  Ce  jour- là  même  notre  capitaine  fit  entrer  son 
navire  dans  une  espèce  de  rade ,  formée  par  le  continent 
et  quelques  lies  ,  pour  le  disposer  à  mieux  soutenir  Tac- 
tion  de  ce  vent  malencoatreux.  Lorsque  nous  remîmes  i 
la  voile  ,  il  avait  entièrement  cessé.  Cependant ,  comme 
nous  étions  très-chargés,  le  capitaine  ne  voulut  pas  s'ex- 
poser au  gros  temps  de  la  pleine  mer  ;  il  prit  le  parti 
de  longer  la  côte  ,  à  travers  les  innombrables  lies , 
grandes  et  petites  ,  qui  bordent  le  littoral  de  la  Chine. 
Ce  genre  de  navigatkNi  étak  bien  aouveau  pour  nous , 
«ccoatumés  que  nous  étioBs  aux  aHures  et  a«x  bordées 
gTMdioies  de  la  Sirène  ^  qui  fuyak  k  terre  oomne  son 
pitts  dangereux  ennemi.  De  plus  ,  comme  le  vent,  qeai- 
que  faible,  nous  était  le  plus  80«vent  ooniraire>  et  que 
le  tempe  a  été  constamment  beau  ,  noua  avons  eu  tout  le 
ïMr  de  considérer  à  notre  aise  les  rivages  de  Pempife 
ehinois.  Nous  en  approcbionsassee  près  povr  poimiir  es 
apprécier  la  végétation  et  les  productions  variées*  Nous 
avons  passé  devant  plusieurs  villes  et  nombre  d^vîllages, 
et  le  plus  souvent  nous  étions  entourés  d'une  foule  consi- 
dérable de  barques  de  pêcheurs  :  nous  en  avons  compta 
me  fois  jmqu'à  .cent  cinquante.  Rien  n'est  plus  simpli» 


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S43 
que  la  Tie  de  cette  population  flottanle  :  du  riz  ,  du 
poisson  et  de  Teau  ,  voilà  sa  nourriture;  le  fond  de  la 
^barque  lui  sert  de  lit  ;  le  bambou  fait  à  lui  seul  {»*esque 
tous  les  frais  du  mobilier  :  le  mât ,  la  voile ,  le  vast 
pour  vider  le  canot ,  les  tasses  à  boire ,  la  boite  qui  ren* 
ferme  les  instruments  propres  à  allumer  le  feu  ,  le  souf- 
flet même,  tout  est  de  bambou.  Nous  avons  aussïjeté 
Tancre  plusieurs  fois  pour  renouveler  nos  provisions. 
Libre  alors  à  chacun  dé  descendre  à  terre  et  de  s^y  pro- 
mener en  toute  sûreté.  Nombre  de  Chinois  sont  venus  i 
notre  bord  ,  pour  voir  un  vaisseau  européen  ,  et  vendre 
les  produits  de  leur  culture  ;  tous  nous  ont  paru  d'une 
bonne  pâte  d'homme  ,  si  Ton  peut  s'exprimer  ainsi  ,  el 
d'une  grande  gaieté. 

€  Nous  avons  pu  ainsi  nous  former  une  idée  assez 
juste  de  plus  de  trois  cents  lieues  du  littoral  chinois.  Cest 
une  chaîne  contmuelle  de  montagnes  élevées  ;  rarement 
on  aperçoit  des  terres  basses  qui  permettent  à  Tœil  dé 
pénétrer  dans  l'intérieur.  Ces  montagnes  ,  conune  lés 
Iles  ,  sont  en  général  un  peu  desséchées  ,  roeaillemes  l 
et  presque  entièrement  dépouillées  d'arbres  et  d^arbrisi- 
seaux  :  je  n'ai  pas  encore  vu  une  seule  forêt.  Mais  «n  rt^ 
tanche  ,  les  terres  sont  parraitemeut  cultivées  ^  vola 
nature  Ai  terrain. 

«  Comme  vous  le  voyez ,  ce  mode  de  navigation  n'é- 
tait pas  saifs  quelque  charme  ;  nâais  ,  comme  tous  le» 
autres,  il  avait  aussi  ses  inconvénients.  Dans  la  nuit  da 
1^  au  2  octobre  ,  le  vent  étant  très-faible ,  on  jeta  Tan- 
cre  pour  n'être  pas  emporté  par  les  courants.  Le  lende- 
main ,  quand  nous  voulûmes  partir  ,  notre  navire  rest» 
immobile  ;  il  était  embourbé  au  point  de  ne  caler  plus 
que  six  i  sept  pieds  d'eau  ,  lui  qui  en  demande  treize. 
Heureusement  la  marée  haute  nous  remit  à  Oot,«t,  aprSs^ 

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U4 
avoir  laboaré  la  vase  pendant  près  d*une  heure  ^  nous 
pûmes  enfin  gagner  une  mer  plus  profonde.  Au  nulieu  de 
ces  dangers ,  la  confiance  en  la  divine  Providence  ne  nous^ 
a  jamais  manqué  ,  el  la  gaieté  n*a  pas  cessé  un  ùu^tani 
de  régner  dum  notre  petite  république* 

«  Cest  ainsi  ,  mon  R.  Père  ,  qu^en  allant  i  petites 
journées  ^  nous  avons  fini  par  arriver  i  Chusan ,  le  8 
oclobre.  Nous  avons  mis  vingt-sept  jours  pour  faire  deux 
cent  quatre-vingts  lieues.  C*est  un  peu  long  ;  et  cepen- 
dant ,  nos  Pères  qui  nous  ont  précédés ,  trouveront ,  j*en 
suis  sûr  ,  que  nous  avons  été  fort  heureux  ,  eux  qui  ont 
employé  deux  mois  à  faire  le  même  trajet ,  avec  la  per- 
spective plusieurs  fois  renouvelée  d*un  naufrage  asset 
prochain. 

«  Pendant  quarante-huit  heures  passées  à  Chusan  , 
nous  eûmes  le  loisir  de  visiter  Ting-hac ,  la  ville  capitale, 
ei  ses  environs.  Chusan  estxomme  la  reine  de  TArchipel 
qui  porte  ce  nom.  C'est  vraiment  une  des  clefs  de  la 
Chine*  Maîtres  de  ce  point ,  les  Anglais  peuvent ,  dans 
un  jour  ou  deux  ,  s'emparer  avec  la  plus  giunde  facilité 
4as  conduit^  aliipe&taires  de  Tempire ,  et  TaflOuner  en 
<faelqi\es  mois  »  sans  qu'il  soii  nécessaire  de.  recourir  aux 
armes.  Son  port  est  vaste  ,  profond ^J)ien  abrité;  les 
vaisseaux  peuvent  y  mouiller  à  quelques  minutes  du  ri  • 
V2^e.  La  plaine  est  très-bien  cultivée  ,  et  la  fertilité  du 
sol  répond  aux  soins  qu*on  lui  prodigue.  Le  riz  donne 
jusqu'à  trois  récoltes  par  an.  Cependant ,  comme  la  cul- 
ture ,  cell  a  des  patates  douces  surtout ,  a  envahi  jus- 
qu'aux sommets  des  montagnes ,  les  terres  sont  toutes 
déboisées,  et  Taspect  de  Tensemble  est  très*  peu  pittores- 
que. Il  y  manque  cet  agrément ,  ce  charme  que  donnent 
ks,  bosquets ,    les  lorèts  ,  les  haies  viVes  et  les  belles 


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246 

ririères.  A  Ckusan  PagréaUe  a  été  presque  enUèrement 
sacrifié  à  TuUle  :  aussi ,  ceux  qui  ne  visent  qu'au  positif, 
ne  tarissent  pas  en  louanges  sur  la  richesse  et  la  fécon- 
dité de  nie. 

«  Ting-hac ,  la  ville  proprement  dite  de  Chiuan  ,  est 
assise  k  une  demi-lieue  du  rivage  ,  et  occupe  le  fond  de 
la  petite  plaine  dont  je  vous  ai  parlé.  Sa  population  ae- 
tuelle  peut  être  encore  de  quarante  mille  habitants , 
quoique  pendant  la  guère  elle  ait  perdu  deux  grands 
quartiers ,  celui  des  mandarins  et  celui  des  magasins  pu- 
blics. L*un  et  Tautre  ont  éié  détruits  de  fond  en  comble. 
L'enceinte  des  anciens  murs  de  la  ville  existe  encore , 
moins  ce  que  les  Anglais  ont  abattu  pour  avoir  les  ma- 
tériaux nécessaires  à  kurs  établissements  militaires.  Les 
maisons  chinoises  sont  peu  élevées;  les  rues^  en  général 
mal  percées ,  mal  pavées  ,  sont  de  plus  encombrées  et 
envahies  par  les  avant- magasins  qui  les  bordent  de  cha- 
que c6ié.  Nous  sommes  entrés  dans  les  prindpales  bou- 
tiques :  on  nous  a  toujours  fort  bien  reçus  ;  partout  on 
nous  appelait  Foulomcis  j  Français  ;  et  les  Ft*ançais  ici, 
comme  partout  ailleurs  en  Chine ,  à  ce  qu'il  paraît,  sont 
trës-aimés*  On  peut  dire  d'une  ville  chinoise  :  qui  a  vu 
une  rue ,  les  a  vues  toutes ,  tant  elles  se  ressemblent. 

«  Ce  qui  nous  a  le  plus  frappés  à  Ting  hac^  c'est  Tan- 
cienne  pagode,  aujourd'hui  convertie  en  caserne  pour  les 
soldats  anghb.  Elle  se  compose  de  plusieui  s  corps  de  bâ- 
timents. Dans  le  premier,  qui  sert  pour  ainsi  dire  de  vesti- 
bule ,  se  voit  tout  en  entrant ,  sur  une  espèce  d'estrade 
et  enfoncée  dans  une  niche ,  une  idole  de  Bouddha , 
sans  doute  pour  donner  un  avant  goût  de  dévotion  envers 
ce  Dieu  ,  qui  est  le  plus  révéré  des  bonzes  et  du  peuple; 
c'est  aussi  le  principal  personnage  de  ce  temple.  De  cha- 
que côléda  vestibule,  à  droite  et  à  gauche  de  Bouddha  , 


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2«S 

86  trouvent  deux  autres  statues  ,  les  plui  énormes  que 
faie  jamais  vues.  Elles  occupent  tn  largeur  un  espace 
de  plus  de  vingt  pieds  ,  et  en  hauteur  chacune  d'eltesatr 
teint  au  moins  une  égale  dimension.  Ces  divinités  chinoi- 
ses ont  des  têtes  à  la  Gargantua  ,  des  yeux  qui  sortent 
de  leur  orbite  ,  une  figure  enluminée  ,  un  rire  bête 
et  respirant  tout  autre  chose  que  la  vertu  :  on  dirait 
un  Baccbus  sur  le  tonneau  qu'il  vient  de  vider ,  et 
leurs  ventres  pourraient  au  besoin  servir  de  greniers 
publics.  Tout  est  bien  doré,  et  cependant  d'une  laideur  à 
mettre  en  fuite  les  spectateurs.  C'est  vraiment  Je  chef- 
d^œuvre  du  diable  de  pouvoir  se  faire  adorer  sous  des 
figures  aussi  hombles. 

«  Mais  ce  n'est  là  que  le  vestibule  ;  traversons  la  cour 
qui  nous  sépare  du  temple  proprement  dit ,  et  entrons 
dans  le  sanctuaire.  Voyez-vous  au  milieu  de  cette  vaste 
salle  ,  sous  ce  baldaquin  élancé ,  à  colonnes  et  i  jour , 
ces  trois  énormes  et  gigantesques  statues  ?  C'est,  dit-on  , 
la  trinité  de  Bouddha.  Celui-ci  occupe  le  fond  de  la 
scène ,  le  dos  enfoncé  dans  nne  espèce  d'écaillé  de  pois- 
son ;  vous  le  reconnaissez  toujours  à  son  gros  ventre  et  au 
cachet  qu'il  porte  sur  le  front.  Les  deux  autres  idoles  sont 
dans  la  même  attitude,  et  n'ont  pas  de  caractère  disiinc* 
tif.  Entre  elles  et  Bouddha  ,  un  peu  plus  bas  cependant , 
«t  dans  des  proportions  moins  grandioses ,  se  trouvent 
deux  diables  destinés  à  les  défendre  contre  leurs  ennemis. 
Mais  si  ces  dieux  peuvent  être  défendus ,  ils  le  seront 
surtout  par  ces  deux  autres  personnages  dont  ils  sont 
flanqués  à  droite  et  à  gauche  :  ils  sont  aasis  dans  une 
espèce  de  rose  ou  d'œillet ,  planté  sur  le  dos  ,  l'un  d'un 
éléphant ,  et  l'autre  d'un  gros  monstre  que  je  n'ai  pu 
reconnaître. 

«  Tournez  autour  de  ce  monwnent  qu^on  pourrait  ap- 

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peler  le  maître-autel  de  la  pagode ,  et  voyez  comment 
Fidolâtrie  a  singé  le  Christianisme.  Examinez  cette  belle 
niche  qui  s'élance  à  plus  de  vingt  pieds;  considérez  la  sta- 
tue de  cette  femme  qui  l'occupe  :  elle  est  debout^  les  pfeds 
sur  un  animal,  entouré  d'une  vingtaine  d%sprhs  célestes. 
Comme  ce  demi-jour  qui  vient  d'en  haut  fiait  bien  sur 
ces  peintures  I  quelle  lumière  mystérieuse  il  répand 
sur  tout  cet  ensemble  !  Sur  le  devant  et  plus  bas  ,  s'é- 
lève l'autel,  que  parent  de  chaque  côté  deux  petites  ni* 
cfaes  portatives ,  comme  nous  en  avons  pour  nos  Saints  ; 
au  milieu  est  la  pierre  du  sacriGce.  Ne  dirait-on  pas  que 
nous  sommes  devant  un  autel  dédié  à  notre  Vierge  îm* 
maculée  ,  par  exemple  ,  dans  la  nouvelle  chapelle  de 
l'église  de  St.-Sulpice  à  Paris?  Mais  hélas I  au  lieu  de 
Marie ,  c'est  la  déesse  de  la  mer ,  debout  sur  un  dauphin, 
et  escortée  d'une  troupe  de  petits  diables.. ••  Tous  les 
Européens  oint  admiré  ce  monument ,  et  il  n'en  est  aucun 
à  qui  cette  vue  n'ait  rappelé  les  sanctuaires  que  le  Chris- 
tianisme élève  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu. 

«  À  droite  et  à  gauche  de  cette  immense  salle  ^  sont 
rangés  les  simulacres  de  vingt-six  dieux  différents ,  tons 
avec  une  position  et  un  accoutrement  particulier. -C'est  le 
polythéisme  chinois  en  action.  Le  fond  de  l'enceinte  est 
occupé  par  dix-huit  autres  statues ,  représentant  les  sa- 
ges et  les  savants  du  céleste  empire.  Ces  statues  qui  ont 
toutes  de  huit  à  dix  pieds  de  haut ,  sont  fort  bien  dorées  ; 
au  reste ,  sous  le  rapport  de  l'art ,  elles  sont  absolument 
■ailes  ,  et  ne  rivalisent  entre  elles  qu'en  disproportiofis 
efaoquantes  ;  c'est  à  qui  fera  les  plus  vilaines  grimaces  « 
présentera  le  plus  gros  ventre  et  roulera  des  yeux  plus 
hagards.  Mais  malbenr  est  arrivé  à  celles  qui  ont ,  par 
quelque  proéminence  singulière  ,  attiré  Tattention  des 
Anglais  :  les  soldats  se  sont  amusés  à  les  mutiler  ;  Tun 


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faimi  sauter  le  nés  à  cdoi-d ,  l'auire  les  cornet  à  celai- 
là ,  an  troisième  s'auaquait  aux  dents  ;  c'est  ainsi  que 
le  panvre  Boaddba  a  perda  toutes  les  ûennea.  Ce  temple 
a  aussi  sa  tour  ;  son  bourdon  qui  donnait  autreibisie 
signal  de  la  prière ,  est  remarquable  par  sa  grandeur , 
par  la  finesse  de  son  grain  ,  par  la  perfection  des  carac- 
tères de  rinscription  qu'il  porte  ;  et  si  ton  bord ,  au  lieu 
d'être  denté,  était  uni  et  horizontal,  il  ressemblerait  asses 
aux  cloches  de  nos  églises  d'Europe.  Quant  au  logement 
dçs  bornes,  il  n'y  a  rien  qui  soit  digne  de  fixer  l'attention» 

«  En  quittant  cette  pagode  ,  nous  montâmes  sur  une 
colline  qui  est  dans  l'enceinte  des  murs  ,  et  d^où  la  vue 
s'étend  sur  toute  la  cité  ,  sur  le  port  et  les  alentours. 
C'est  en  escaladant  cette  hauteur  que  les  Anglaisseaont 
rendus  maîtres  de  la  ville  ,  au  début  de  la  seconde 
guerre.  Lorsqu'à  la  suite  d'une  première  trêve  ,  qui  fat 
bientôt  violée,  les  forces  britanniques  évacuèrent  TVfijf* 
Aoc,  les  Chinois ,  pour  se  mettre  à  Tabri  d'une  nouvelle 
invasion  ,  se  butèrent  d'élever  une  forte  digue  à  l'en- 
droit où  les  Européens  étalent  naguère  descendus,  et  ils 
l'armèrent  de  cinquante  pièces  de  canons.  Les  Anglais 
en  effet,  ne  tardèrent  pas  à  revenir  ;  mais  voyant  le  lieu 
de  leur  premier  débarquement  fortifié  par  l'ennemi ,  ils 
tournèrent  tout  simplement  la  position  ;  un  de  leurs  ré* 
giment«  attaqua  la  ville  sur  un  point  opposé ,  et  y  entra 
après  une  courte  résisunce  ,  au  grand  étonnement  des 
Chinois  qui  disaient  :  «  Ces  barbares  sont  des  sorciers  ; 
«  nous  avions  bien  fortifié  cet  endroit ,  et  au  lieu  de 
«  venir  contre  nos  canons  ,  ils  sont  allés  prendre  la 
«  ville  par  un  autre  c6té,  laissé  presque  sans  défense.  » 
Voilà  qui  doit  vous  donner  une  haute  idée  de  la  sdence 
miliuire  de  ces  Chinois*.  Us  ne  connaissaient  pas  non 
p'us  l'usage  de  la  bombe.  La  première  fois  que  les  An* 


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glais  leur  en  lancèrent  quelqiies*unes ,  voyant  qu^elles 
ne  venaient  pas  droit  comme  un  boulet ,  mais  qu'elles 
tombaient  d'en  haut ,  ils  se  contentaient  de  s*écarter  pour 
leur  faire  place,  puis  se  précipitaient  sur  elles  pour  exa- 
miner un  projectile  si  paciGque  au  premier  abord.  Jugez 
de  leur  étonnement  et  de  leur  épouvante  au  moment 
de  Texplosion. 

M  Nous  sortîmes  aussi  dans  la  campagne  pour  voir  de 
près  la  culture  du  riz»  A  use  petite  lieue  de  Ting-hac , 
nous  trouvâmes  une  pagode  agréablement  placée  au  mi- 
lieu des  bosquets  :  c'est  un  pèlerinage  très  en  vogue  ; 
les  dames  chinoises  ne  manquent  pas  d'y  aller  plusieurs 
fois  dans  le  cours  de  l'année ,  et  elles  y  laissent  de  ri- 
dies  présents.  Là  encore  sont  des  statues  de  Bouddba  et 
compagnie ,  à  grosses  léies  et  à  gros  ventres.  Nous  eu* 
mes  beau  demander  le  bonze,  il  ne  voulut  pas  se  mon- 
trer ;  ce  qui  ne  nous  ettipécha  pas  de  parcourir  le  tem- 
ple 9  en  ouvrant  nous-mêmes  toutes  les  portes  et  les 
sanctuaires.  Pour  se  rendre  à  cette  pagode ,  on  traverse 
un  grand  nombre  de  tombeaux  ,  une  vraie  nécropole  ; 
car  ces  tombes  couvrent  les  collines  environnantes  sur 
un  espace  de  trois  ou  quatre  lieues  carrées.  A  part  quel  - 
ques  monuments  de  mandarins^  les  autres sépulttures  ne 
sont  que  des  amas  de  terre  voués  à  l'abandon  ;  ou  voit 
beaucoup  de  cercueils  en  bois  ,  qui  contiennent  encore 
les  cadavres  à  moitié  découverts;  les  chrétiens  seuls  les 
enterrent  dans  des  fosses. 

«  Si  Chuion  réunit  unt  d'avantages ,  on  a  vraiment 
raison  de  s'étonner  que  les  Anglais  ne  l'aient  pas  préféré 
k  Hang'Kang,  où  ils  sont  décimés  par  les  fièvres  du  pays. 
C'estqu'ils  ont  aussi  perdu  beaucoup  de  monde  ici  dans 
les  premiers  temps  de  l'œeupation  s  leur  tort,  à  oe  qu'il . 
parait ,  est  de  n'avoir  pas  observé  que  œs  pertes  pro- 


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venaient  de  causes  accidentelles  ,  et  non  du  climat  com- 
me à  Hong-Kong.  Aussi ,  maintenant  que  la  salubrité  de 
Chusan  est  parfaitement  constatée  ,  les  autorités  anglai- 
ses regrettent  beaucoup  cette  tle  ;  quelques-uns  même 
pensent  que  leur  intention  est  de  s'y  maintenir,  et  de  ne 
point  quitter  une  position  aussi  favorable.  D'après  les 
traités  ,  Chusan  doit  être  rendu  an  commencement  de 
1846 ,  si  les  frais  de  la  guerre  sont  payés  à  cette  époqne, 
et  ils  le  seront  sans  aucun  dotftte,  pvîsqa'avjourd'faui  ik 
le  sont  presque  eniièrenent. 

«  Et  la  Religion  ciihoUque ,  oà  en  est-elle  à  Chusan? 
Il  y  a  deux  Bliâsîonnaires  laaaristes  :  Tun  Européen ,  M. 
Danioonrt ,  a  fixé  sa  demeure  jmi  milieu  des  Français 
près  du  port  ;  l'autre  ,  Chinois  de  naissance  ,  réside  à 
Tmghae  ,  où  il  travaille  à  former  une  ehrétienté  ;  mais 
ses  compatriote  A  se  montrent  peu  disposés  à  embrasser 
la  foi  ;  oa  n'en  compta  pas  plus  de  vingt  qui  se  soient 
fait  bapiiser. 

«  Les  forces  britanniques  dans  cette  lie  peuvent  mon- 
ter à  douze  cents  hommes ,  dont  deux  cents,  Indiens  d'o- 
rigine ,  sont  païens  ou  mahométans.  Durant  la  guerre  » 
ces  soldats  noirs  se  sont  portés  à  de  tels  excès  qu'il  en  est 
résulté  au  fond  des  cœurs  ,  surtout  dans  la  classe  qui 
n'est  pas  commerçante ,  une  aversion  profonde  pour  le 
nom  anglais,  un  ressentiment  qui  n'attend  peut-être  que 
Toccasion  d'éclater.  Le  gouvernement  chinois  qui  connaît 
sa  faiblesse ,  prend  les  iitsoret  les  plot  énergiques  pour 
dimprimer  les  élans  de  cett  e  haine»  Ainsi  ^  eeux  qui 
ont  brâlé  lee  fadoreries  anglaises  i  Caatoa  ,  ont  été 
condamnés  à  être  attachés  à  vm  pieu  sor  une  place  de 
cette  vtUe  ,el  à  BMUrir  de  fiedm.  La  sentence  a  été  exé- 
cutée. D'autres  avaient  nasstcré  m  équipage  anglais , 


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•  351 

luittflragé  sur  les  €0168  ;  on  les  a  aomiés  i  Micao ,  &tta<- 
chés  arec  des  cordes  qoi  leur  traversâiest  les  mains  ; 
puis  9  coMhhs  à  Camoo  ,  ils  ODt  élé  exéeutés  publique* 
ment.  11  n'y  a  pas  longtemps  que  trois  bâtimentt  de  la 
oième  fiattMi,ayaatédioifé8ur  les  écoeils  de  rtleFbrmose, 
les  marins  qui  les  mentaient  ^  environ  deux  cents  boas- 
mes ,  ont  été  égorgés.  On  attend  encore  le  diâtiment  de 
eetie  barbarie.  La  conr  de  Pékin  s'en  ooeupe ,  et  oomsie 
les  Chinois  savent  a«  moins  proportionner  la  peine  su 
erime ,  on  espère  qu'après  une  punition  éclatsnte  ,  cette 
ne  cessera  d*étreinhospitaKère  ;  les  étrangers  pourront  y 
aborder  ,  et  avec  eux  h  lanière  de^rEvangile*  Déjà  la 
sacrée  Congrégation  a  offert  cet  apostolat  aux  prêtres  des 
Missions  étrangères,  et  Ton  (feux,  M.  Bsrantin,  est  resté 
Faonée  dernière  sur  le  continent  en  faee  de  cette  !le  , 
pendant  près  de  quatre  inois  ,  cherchant  par  tous  les 
moyens  a  y  pénétrer  ;  mais  il  n*a  jamais  pu  trouver  un 
seul  Chinois  qoi  foulùt  le  suivre,  ou  même  le  jeter  sur 
les  efttes  ^  tant  le  danger  est  évident. 

«  On  nous  avait  dit  en  France  que  les  femmes  chi- 
noises ne  paraissaient  pas  dans  les  rues.  A  Chusan ,  au 
moins,  il  est  loin  d'en  être  ainsi.  Oa  en  voit  un  très- 
grand  nombre,  et  toutes  avec  leurs  pieds  extrêmement 
petits.  Ce  qu'il  y  a  de  mieux  en  elles ,  c'est  la  modestie 
de  leur  babillement;  elles  sont  vraiment  admirables  sous 
oerapport ,  surtoot  celles  qui  semblant  appartenir  à  un 
rang  plus  élevé. 

c  Comme  Paris  et  nos  villes  d'Europe ,  Ting-hac  a 
aussi  ses  fashionables.  Je  me  plaisais  déjà ,  à  Hong-kong^ 
à  les  voir  se  promener  plusieurs  ensemble  dans  le  quar- 
tier le  plus  fréquenté ,  avec  leurs  souliers-sabots  retrous- 
sés, leur  pantalon  de  soie  lustrée  et  brune,  tranchant 


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S6S  * 
snr  leortbeanx  bat  bfauict  à  ooature,  ec  leor  fcrt  pile- 
tôt  qui  ▼€BtiC  s'agrafer  avec  grâee  aar  répanle  droitti 
Us  oot  la  télé  et  la  barbe  bien  rasées;  leur  qaeae,  pei- 
gnée et  tressée  atec  le  plos  grand  soin,  gestkiile der- 
rièreeux  o«  se  repose  négligemment  snr  leurs  épaais, 
tandis  que  le  oordoo  de  soie,  qni  h  termine  en  rallon- 
geant. Tient  battresor  lenr  poitrine.  Lenrs  maim  sont 
ornées  de  qoelqoes  ongles  d'nn  ponce  de  longnsnr; 
rnne  eit  armée  d'nne  légère  badine  on  du  paraplnie, 
et  Tautre  de  réveniaU  poor  se  rafraîchir  le  visage  oa  k 
protéger  contre  les  ardeors  dn  sdeîLCea  dans  ce  dernier 
cas  »  lurtont ,  que  In  pose  dn  fosUonable  est  à  peindre  ; 
sa  léte  est  découYcrte ,  sa  fignre  s'épanonit  »  ses  maniè- 
res sont  dégagées;  on  sent  que,  s*il  cherche  à  voir,  1 
aspire  bien  davantage  à  être  yu.  An  moins  ces  dandjs 
sont-ils  d*une  propreté  remarquable,  qualité  qu'on  li- 
merait à  rencontrer  pins  souvent  parmi  les  Chinois. 

«  On  espère  beaucoup  de  notre  ambassade,  et  toas 
les  Missionnaires  sont  persuadés  qn*il  n*y  a  qu'à  deosB- 
der  la  liberté  des  cultes  pour  Tobtcnir  (1).  Si  les  Anghii 
nePont  pas  iait,  c^est  qu'ils  n'y  ont  pas  pensé,  et  ce  qni  le 
prouve ,  c'est  l'article  qu'ils  ont  fait  insérer  dans  le  traité 
supplémeniaire,  article  o&  il  est  stipulé  que  les  Chinoii 
ne  doivent  plus  metire  à  mort  les  Missionnaiires  enropéenk 

«  En  retour  de  cette  grande  fiicilité  à  tout  accorder, 
les  autorités  danoises  n'exigent  qu'une  senle  chose  dei 
négociateurs  ,  c'est  qu'ils  n'aillent  pas  à  Pékin.  De  U 
mille  suppositions,  mille  conjectures.  Les  tms  disent  qoe 


(1)  Nos  kdeiirfl  MTfDl  ^e  ceUe  liberté  a  été  eo  effet  doDêaàét  H 
obtenue  ;  l'édit  impérial  ^i  V«€oorJe  ,  eft  petK'rieor  de  devx  noit  ^  ^ 
date  de  cette  leUre. 


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Tempereurest  fou ,  et  qu'on  ne  veul  pas  que  Tunivers  en 
soil  instruit.  D'autres  soutiennent  que  ce  prince  ne  sait 
encore  rien  de  la  guerre  qui  a  eu  lieu  avec  les  Anglais,  ni 
de  kl  présence  de  ceux-ci  dans  son  empire.  Ils  ajoutent 
qu'étranger  à  Tadminisuration  de  ses  États,  il  la  laissa 
tout  entière  entre  les  mains  de  quelques  premiers  mi- 
nistres. 

«  Nous  avons  quitté  Chusan  le  10  octobre,  et  nous 
allons  bientôt  mouiller  à  ff^oosung ,  entrepôt  des  mar* 
chaodises  anglaises,  placé  à  Tembouchure  du  fleuve  sur 
lequel  est  bAti  Chang-hai^  à  dix  ou  quinze  miUes  dans 
rintcrieur.  Notre  capitaine  doit  j  déposer  une  vingtaine 
de  caisses  d'opium  ;  il  n'est  pas  permis  d'en  porter  à 
Chang-haû 

«  Vous  avez  déji  beaucoup  entendu  parler  de  la  fu- 
neste passion  qu*ont  les  Chinois  de  fumer  l'opium  ;  elle 
sera  la  ruine  du  céleste  empire.  D'abord ,  elle  finira  par 
épuiser  son  numéraire.  On  ne  peut  apprécier  les  sommes 
qu'elle  fait  passer  dans  les  coffres  anglais.  La  maison 
Mathesson  occupe ,  à  elle  seule ,  trente  navires  à  ce  com- 
merce ;  et  une  caisse  d'opimn ,  qui  peut  avoir  deux  pieds 
carrés,  se  Tend  maintenant  deux  mille  piastres.  Hais 
cette  perte  d*argpnt  est  Uen  peu  de  chose  si  on  la  com- 
pare à  celle  que  fait  éprouver  au  moral  de  l'homme  l'usage 
dé  ce  poison.  Le  fumeur  d'opium  insère  dans  sa  pipe  une 
petite  boule  de  cette  drogue,  grosse  comme  une  tête 
d'épingle  ;  puis^  couché  sur  sa  natte,  il  approche  sa  pipe, 
ainsi  préparée,  d^one  lampe  allumée  près  de  lui  ;  il  en 
tire  deux  ou  trois  bouffées  et  en  savoure  la  douceur.  Une 
«orte  de  langoenr  s*insiaiie  dans  ses  membres  ,  ei  Toiià 
toute  sa  félicité.  Mais  bitnite  les  sets  sfémoussent  ;  on 
ne  sent  plus  rien,  sinon  le  besoin  physique  comme  d'une 
faim  qu'il  ftmt  rassasier*  C'en  wn  prostration  de  forets 


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t&4 

qui  &'éiend  j«8qne  swr  le  moral^  ait  point  qv'auboutde 
quatre  ans  av  plus  ,  mu  fumeur  habituel  defieat  inha« 
bile  à  remplir  umte  charge,  à  continuer  même  soi  né» 
goce.  Il  ne  tarde  pas  à  fiaire  deé  perles*;  il  se  ruine,  de* 
^  vient  crapuleux ,  brigand ,  et  meurt  d'une  manière  digie 
de  ces  titres*  L'osafe  [de  Topium  abrutit  dans  toste 
la  force  du  mot;  aussi  les  marchands  eux-mêmes  regar» 
dent-ils  ce  commerce  comme  inËlme  ;  mais  Timmense 
gain  qu'il  procure  fait  passer  pardessus  toutes  ces  con- 
sidérations. 

«  ^Angleterre  qui  fait  ce  trafic,  prospérera-t-eDe  ton- 
jours?  Dieu  le  sait.  Toutefois  il]est  certain  qu'elle  est  entre 
ses  mains  un  moyen  puissant  de  propager  la  vraie  Religios. 
Espérons  qu'elle  le  sera  encore  pour  d'autres  pays,  comme 
elle  Fest  maintenant  pour  la  Chine*  Déjà  les  noovsaox 
comptoirs  regorgent  de  ses  marchandises»  de  son  graia« 
de  ses  toiles^  de  son  ctton^  deses  fers,  etc.»  etc.;  elle 
commerce  réclame  de  nouveaux  débouchés.  C'est  sur  le 
Japon ,  dit^on  ,  que  plusieurs  maisons  commerçantes  ont 
les  yeux  tournés.  Le  navire  le  Moris$on  a  été  envoyé  pir 
l'une  d'elles  pour  explorer  ce  pays.  Après  avoir  toadé 
aux  tIesIZieoii-cAÂeoci,  il  est  entré  dans  un  des  porttds 
Japon,  mais  sans  pouvoir  communiquer  avec  la  terrt. 
Des  forts  on  a  tiré  sur  lui  ifuelques  coupa  de  caaonii 
et  très-maladroîteBieBt,  pnisqae  pas  ua  seul  boulet  n'i 
porté.  Cela  fait  penser  ^'il  pourrait  bien  en  être  desfa^ 
ces  militaires  si  vantées  du  Japon,  comme  de  celles  d^h 
Chine ,  et  qu'une  iréfate  bien  résolve  l'auraît  biennk 
forcé  k  cesser  d^dtrepcfséoviaiiru  Oa  assure  qa'un  boà 
àm  gouverMiaentesteiMOM  t«rks  oAlesdeeecafdiipflb 
cherchant  i  ne  lue  aiiaquer,  nuis  aaas  donner  de  jMWi 
niocife;  c'est  afin  d'en  avoir  eMUile  pour  altar»  avec  dtf 
fMces  respectables^  émmmàer  ans  laponaia  raisM  dt 


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255 

cette  agression  ,  de  cetle  violation  du  droit  des  gens. 
M.  ramiral  Cécile»  à  qui  les  Chinois  ont  donné  le  beau 
surnom  d'homme  vraif  brûle  d'envie  d'aller  canonner  le 
Japon  avant  de  retourner  en  France» 

«  Que  Dieu  daigne  jeter  un  regard  de  miséricorde 
sur  ces  lies  infidèles!  Le  sang  des  martyrs,  dont  elles  ont 
été  inondées  ,  sera  une  deuxième  fois  ,  nous  Tespé- 
rons  ,  la  semence  de  nouveaux  chrétiens.  Nous  pou- 
vons par  nos  prières  hâter  cet  Aeureux  temps  ,  qui 
ne  parait  pas,  du  reste,  fort  éloigné, où  il  sera  donné 
à  quelques  membres  de  la  Compagnie  d'aller  encore 
planter  la  croix  sur  cetie  terre  si  chère  à  saint  François 
Xavier. 

«14  octobre.  —  Nous  voici  arrivés  à  fFoo-sung^  et 
nous  avons  déjù  levé  l'ancre  pour  nous  diriger  sur  Chang- 
hai.  De  notre  navire,  nous  avons  aperça  ce  matin ,  pour 
la  première  fois,  les  rivages  de  notre  chère  Mission.  Ce 
ne  sont  plus  de  hautes  montagnes,  comme  avant  d'arri. 
ver  à  Chu$an\  ce  sont^  au  contraire,  des  terres  extrê- 
mement basses  et  qu'on  ne  voit,  pour  ainsi  dire,  que 
quand  on  est  dessus.  Nous  avons  mouillé  ici  au  milieu 
d'une  dizaine  de  bâtiments  européens,  presque  tous 
obargés  d'opium.  Qvtnd  je  vois  !•  tèle  que  ces  empoi- 
sGoneurt  déploient  pour  se  procwer  quelques  riebeascB 
périssables,  les  dangers  anxiqiieb  ib  s'eiposent,  les 
privations  auxquelles  ib  se  soumeUent,  je  bm  dis  inti- 
riettreme&t ,  en  peMVil  au  boaliew  de  notre  vocntfèa  : 
USeigneurn'aparfaitceiiefèmur  étêm^  Attasipoor 
témoigner  à  Dieu  noire  reooMMMMoe,  HMSiemottS  cpe 
c'est  bien  peu  de  souffrir  pour  tau  ee  que  iMit  d'auCrw 
endurent  pour  le  démon  ;  et  cependant  ce  Dieu  est  si 
bon  qu'il  veut  s'en  contenter ,  qu^I  nous  promet  même, 
si  nous  le  faisons  ,  un  bonheur  sans  fin. 


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256 

«  18  ociobre.  —  Je  reprends  ma  lettre,  que  je  n'ai  pu 
vous  envoyer  de  Changeait  et  je  vais  continuer»  mon 
R.  Père ,  à  causer  encore  un  peu  avec  vous  ;  je  veux  vous 
conduire  dans  notre  petit  séminaire  oà  nous  somiqes  tous 
réunis  en  ce  moment* 

«  Quand  nous  mouillâmes  devant  Chang-hai  ,  le 
15  octobre,  il  était  nuit.  Pensant  bien  que  nos  Pères 
étaient  aux  aguets  ^ur  connaître  notre  arrivée ,  nous 
attendîmes  tranquilleineut  qu'une  barque  vint  nous  cher- 
cher de  leur  part.  L^  consul^  qui  nous  est  tout  dévoué, 
donna  aussitôt  avis  de  notice  présence  à  Mgr  de  Bésî ,  et, 
à  trois  heures  du  matin,  une  barque  mystérieuse  vint 
s'accoler  tout  doucement  à  notre  navire;  un  Chinois  nous 
remit  une  lettre  du  P.  Estève,  qui  nous  disait  de  venir 
|0Ut  de  suite  le  rejoindre ,  et  de  nous  abandonner  avec 
confiance  entre  les  mains  des  chrétiens  qu'il  nous  envoyait. 
Comme  nous  étions  restés  habillés,  nous  ne  Ames  presque 
qu'un  saut  de  notre  lit  dans  la  barque.  Après  avoir  re- 
monté le  fleuve  l'espace  d'une  demi-lieue ,  elle  nons  dé- 
posa tranquillement  sur  le  rivage,  i  trois  ou  quatre  mi- 
nutes de  la  demeure  de  Mgr  le  Vicaire  apostolique. 

«  Bn  foulant  enfin  le  sol  de  notre  Mission ,  comme 
les  noms  de  JéMt  et  de  Marie  venaient  vite ,  et  pour  ainsi 
dire  d'eux- menas,  ae  pbeer  sur  nos  lèvres  |  Un  instant 
après,  notts  avions  le  plaisir,  jt  ne  dis  pas  d'embrasser 
le  P.  Estève,  car  c'ait  un  plaisir  prohibé  devant  les  Ciii- 
sois ,  mais  bim  de  le  voir ,  d'être  près  d*ua  frère ,  et  de 
loi  6ûre  tontes  les  qnestioM  que  vous  auriez  faites  vous- 
néme  an  pareille  ciroottstaaoe. 

«  Tontes  nos  Messes  ,  comme  vous  le  pensez  bien  , 
mon  R.  P.,  ftireni  dites  en  action  de  grâces.  Après  le 
déjeuner,  il  fallut  procéder  à  notre  nouvelle  toilette ,  car 


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nous  étioDS  descendus  avec  nos  habits  européens.  Le 
gros  couteau>-rasoir  chinois  eut  bientôt  fait  tomber  nos 
perruques  de  barbares ,  et  nos  chrétiens  riaient  de  bon 
cœur  à  la  vue  des  ravages  qu'ils  fai&aient  sur  nos  têtes. 
Ils  n'ont  presque  laissé  d'intact  que  la  place  de  la  tan- 
sure^  et  c'est  à  ee  tonpet  qu'ils  ont  attaché,  tant  bien 
qne  mal  ^  une  queue  de  trois  à  quatre  pieds  de  longueur. 
Pour  compléter  la  métamorphose,  une  camisole  blan- 
che y  une  culotte  de  même  couleur ,  dont  les  extrémités 
entrent  dans  de  grands  bas  à  couture ,  remplacèrent  re- 
dingote, gilet,  pantalon ,  etc.;  mais  ce  n'est  là  que  Tha- 
billement  de  dessous.  Nous  mimes  ensuite  une  grande 
robe  de  toile  mince,  couleur  nankin ,  d'une  coupe  et 
d^une  taille  qui  rappelle  assez  bien  l'habit  de  la  Compa- 
gnie, et  par-dessus  encore ,  un  beau  camail  à  manches , 
de  drap'bleu.  Aux  pieds  des  souliers-sabots  retroussés  » 
une  calotte  noire  sur  la  tête ,  ou ,  dans  les  grandes  cir- 
constances ,  un  vrai  bontiet  chinois.  Voilà  notre  véte- 
mient  complet.  Je  fus  exécuté  le  premier ,  et  quand  je   • 
reparus  aux  yeux  de  nos  Pères ,  ils  ne  me  reconnurent 
pas,  tant  f avais  l'air  chinois.  Nos  chrétiens  le  disent 
eux  mêmes,  et  ils  ajoutent  que  j'ai  beaucoup  gigné  à 
changer  de  costume.  Je  n'ai  pas  de  peine  à  le  croire.  Si 
ce  n'étaient  ces  souliers  qui  me  blessent  un  peu  les  pieds, 
mon  nouvel  accoutrement  me  plairait  beaucoup,  et  je 
«uîsmétne  tout  fier  de  sentir  cette  queue  d'un  autre  ges- 
ticuler sur  mes  épaules;  tant  il  est  vrai ,  mon  R.  P.,  que 
le  bon  Dieu  soit  tout  adoucir! 

«  Ve^s  midi ,  je  me  suis  mis  en  route  avec  les  PP. 
Languillat  et  Rafiin,  pour  aller  à  IVam-dam^  au  petit 
aémînaire  de  la  Blission,  voir  Mjr  et  les  PP.  Gotteland 
etBrueyre.  Grâce  à  une  marée  contraire,  nousn'arri- 
^lAmes  qu'à  trois  heures  du  malin  ;  il  n'y  avait  cependant 

To«*  xvin.  106.  17 

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268 

f  qa^me  distance  de  trois  à  quatre  lienes*  Vous  ïotis  mt- 

\  ffnez  oommeot  noos  fàmes  reçus  par  le  iwii  P.  Brueyre. 

I  n  BO^  conduisit  auprès  du  P*  Gotteland ,  qui  était  bÎM 

mmi^  La  nouYelle  de  notre  arrifée  et  uotre  présence  lai 
Suent  un  peu  de  bien.  Sa  maladie  est  une  fièvre  lyphoide; 
elle  va  son  cours,  ^on  espère  encore  le  sauver  «  Toute  la 
fimdté  chinoise^  païenne  et  cbrétiennOt  a  été  convoqaée 
par  Hgr  et  par  les  fidèles  pour  venir  à  son  secours ,  et  le 
frère  Sinequet  est  arrivé  bien  à  propos  pour  exerceras- 
pièsde  lui  ses  fonctions  d'infirmier.  La  mort  du  P.  Got- 
idand  serait  une  perte  accablante  pour  lai  Mission.  Tons 
les  chrétiens  sont  remplis  de  tendresse  et  de  véoératioa 
faut  lui  ;  les  prêtres  du  pays ,  Lazaristes  ou  fiutres,  loi 
est  donné  toute  leur  confiance  ;  ligt  de  Biési  Taiflie 
cMMne  un  frère.  A  la  nouvelle  de  sa  maladie ,  il  s'est 
hâté  d'accourir  pour  lui  prodiguer  ses  soins.  Après  Tavoir 
administré,  il  a  ordonné  un  triduum  de  prières  pour  ob- 
Mér  du  ciel  sa  guérison^  et  pendant  ces  trois  jours»  oa 
*    adonné  la  bénédiction  du  Saint-Sacrement.  J'ai  puas- 
sisfer  à  un  de  ces  saints ,  et  j'ai  été  bien  édifié  de  la  piélé 
et  da  maintien  de  ces  bons  Chinois.  A  chaque  instant, 
3a  viennent  demander  des  nouvelles  de  notre  cher  na- 
hde*  Qaand  nous  entriaies  auprès  du  P.  Goudbnd, 
Mgi:  de  Béai  n'y  était  plus;  sur  la  nouvelle  de  notre  ar- 
rifée, il  avait  regsgaé  en  toute  hâte  sa  maison,  pour  nous 
weeveii  et  £siire  débarqiœr  nos  effets  laissés  sur  le  nafiiie« 

«  Nous  le  vîmes  enfin  hier  au  sou*.  Ce  Prélat  noos 
a  tons  charmés  par  sa  bonté  et  ses  manières  ;  if  est  fort 
instruit  ,  d'une  piété  et  d'un  zèle  admirables ,  et  il  eit 
pmÊéiement  bien  avec  les  autorkés  anglaises  ,  qufhii 
imideot  mille  services.  Etant  ua  jour  dlé  sur  un  de  leeis 
Miknents  de  j^uerre ,  il  y  fat  l'objet  des  attentions  les 
pittsd^cates.  Les  oKoiersIni  oflrirentundloer  soti 


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259 
toutemofiaigre^bien  que  ce  îklun  mardi  ; — 'ils  peasmnt 
que  les  Évéques  faisaient  toujours  abstmenee ,  —  et  ils 
n^appelèrent  à  prendre  soin  du  Prélat  que  des  matetots  oa 
soldats  catholiques.  Vous  iiojez  que  sous  plus  d'us  rap- 
port notre  sort  est  digne  d'envie. 

«  Nous  venons  d'examiner  le  pe  tit  séminaire  de  Id 
Mission ,  dirigé  par  le  P.  Brueyre  ;  il  compte  trente-si^ 
élèves,  dont  les  plus  savants  pourraient  être  admis  en 
sixième.  Ces  jeunes  Chinois  sont  bien  dégourdis  et  fort 
gais.  Nous  avons  été  très-satisfaits  de  notre  visite.  Dans 
une  autre  lettre ,  je  vous  parlerai  plus  au  long  de  cet  éta- 
blissement, de  la  maison  de  Monseigneur  et  de  h  nôtre» 
Quil  me  suffise  aujourd'hui  de  vous  dire  que  'tout  ici 
n^est  pas  aussi  étrange  et  aussi  éloigné  de  nos  usages 
qu'on  le  pense  ordinairement  en  France. 

«  Le  pays  paraît  beau  et  riche ,  mais  il  est  trop  plat.  Le» 
canaux  qui  le  traversent  en  tout  sens  pour  alimenter  le» 
rizières,  sont  une  source  presque  continuelle  de  fièvres» 
qui  sévissent  contre  les  habitants  indigènes  eux-mêmes^ 
à  plus  forte  raison  contre  les  étrangers. 

«  Et  quel  danger  ooat't^'eii  en  Chine?  demandes  tm0» 
Dans  nc^e  province  pr€si|iie  point.  Le  mandarin  aaii 
fort  Uen  qull  y  a  des  Buropéeiis  dans  son  gouveraa* 
ment,  il  l'a  dit  aux  Anglais  ;  mais  il  ferme  entièrasiait 
lea.yeux.  Dien  voiiile  qu'il  ne  soH  pas  changé  »  ou  iqiie 
«M  successeurs  lai  ressenri>lentl  Mgr  de  Bési  est  connu 
eoomie  Européen  dans  toute  la  ville  et  ses  environs* 
Oa  coameiifieici  à  s'habituer  à  voir  des  étrangers  avec 
leuca  costumes,  grâce  au  goût  des  Anglais  pour  Ja  chasse, 
qui  les  «mpoirte  sdUivent  à  phisieurs  lieues  de  Chang^hai^ 
sans  emnte  qu'il  leur  en  mésarrive.  Pour  nous  ^ruoii» 
ne  aoTMis  ptstrci^  idéoouvmj  now  allons  en  bf^qr;^ 

17. 

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260 
cependant  le  trajet  du  canot  à  la  maison  on  Ton  Ta  ^  se 
fait  à  pied  pendant  le  jour  comme  pendant  la  mift  ,  ao 
milieu  même  des  paysans  chrétiens  ou  païens.  On  ne 
laisse  pas ,  toutefois ,  que  de  prendre  des  précautions , 
et  c'est  pour  cela  que  nous  avons  été  introduits  peu- 
dant  la  nuit.  La  nouvelle  position  que  la  guerre  a 
faite  en  Chine  aux  Européens ,  et  par  contre- coup  aux 
néophytes,  est  déjà  très-avautageuse,  et  on  a  les  espé- 
rances les  mieux  fondées  qu*elle  ira  toujours  en  s*amé- 
liorant  ;  mais  enfin ,  il  n'y  a  encore  rien  de  tout  k  fait 
stable.  Il  est  même  vrai  que  dans  les  provinces  les  plus 
éloignées  des  côtes ,  les  Missionnaires,  en  plusieurs  en- 
droits, sont  en  butte  à  d'incessantes  U'acasseries.  Nulle 
persécution  ouverte  cependant,  nulle  arrestation;  les 
mandarins  ne  s'en  soucient  plus ,  ils  connaissent  ce 
que  peuvent  les  puissances  de  l'Occident. 

€  Deux  mots,  en  fioissant,  sur  noire  Mission.  Elle 
renferme  dix  mille  chrétiens^  pieux  et  pleins  de  foi; 
mais,  faute  d'ouvriers,  un  grand  nombre  meurent  sans 
tes  secours  de  la  Religion.  Monseigneur  a  visité  cette  an- 
née, à  Nankin  et  aux  environs,  des  fidèles  qui  n'avaient 
pas  va  de  prêtres  depuis  plus  de  trente  ans.  Les  paieos, 
•a  plusieurs  localités ,  demandent  à  être  instruits ,  et  pe^ 
sonne  n'est  là  pour  satisfaire  leurs  désirs.  C'est  ce  qei 
navre  le  cœur  de  nos  Missionnaires  qui ,  d'ailleurs <,  se 
consument  de  travail.  On  nous  promet  tout  au  plus  à 
nous ,  nouveaux  arrivés ,  huit  jours  de  retraite ,  et  une 
quinzaine  ensuite  pour  nous  préparer  à  entrer  dans  la 
carrière  apostolique.  J'entends  dire  de  tous  côtés  :  Une 
centaine  de  païens  ici,  deux  cents  là^  trois  cents  encore 
ailleurs  ,  appellent  en  vain  des  prêtres.  Monseigneur 
nous  répétait  encore  hier  :  «  Si  j*iavaisd<  s  collaborateurs, 
«  les  Chinois  se  convertiraient  par  «intitr$,  tt  par  mil- 


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261 

«  lions  si  Ton  obtenait  la  liberté  des  cùUes.  >  Puistenl 
les  cris  de  détresse ,  poussés  par  Mgr  de  Bési  et  par  le 
P.  Gotteland  presque  mourant»  être  entendus  de  nos 
Pères  d'Europe^!  Si  on  ne  se  hdte  pas  de  secourir  celte 
Mission,  le  travail  tuera  les  apôtres,  ù  raison  de  leur 
petit  nombre ,  et  ce  sera  toujours  à  recommencer. 

«  Adieu ,  mon  révérend  Père ,  Adieu! 


Toujours  tout  à  vous  en  N.-S. 
«  S.  CL\VELIN,S.  J.  • 


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Jutre  lettre  du  même  Père  à  M.  Cléret ,  lieuietmmi 
de  vaisseau. 


Hifn-ka-han,  ChrélienU^  i  one  lieue  de  Chang-lkai, 
1er  janvier  18i5. 


Moif  BfEif  CHER  Monsieur  , 


«  Me  voilà  donc  dans  cette  Chine  après  laquelle 
flous  avons  tant  soupiré ,  et  qui  a  fait  si  souvent  le 
sujet  de  nos  conversations.  Vous  vous  attendez  sans 
doute  à  ce  que  je  vous  en  parle  longuement  ,  et  ,  de 
fait ,  il  y  aurait  beaucoup  à  dire  ;  car  ,  si  j'en  juge 
par  moi-même  et  par  ce  qu'ont  observé  nos  autres  Mis- 
sionnaires ,  on  n'a  pas  en  Europe  une  idée  bien  jqste 
de  cet  empire  si  vanté.  Mais  ,  pcmr  en  tracer  un  u- 
t)leau  fidèle  ,  il  fondrait  l'avoir  parcouru  ,  l'avoir  étu- 
dié ;  et  pour  cela  quelques  années ,  à  plus  forte  rai- 
son quelques  mois  ,  ne  sauraient  suffire.  La  Qiine  est  si 
▼a$te  ,  ses  provinces  si  différentes,  que  le  Chinois  ^  mal- 
gré le  cachet  ineffaçable  de  sa  race  qu'il  porte  empreint 
sur  le  firont ,  a  nécessairement  des  coutumes  et  des  usa- 
i;es  qui  varient  selon  le  changement  des  climats  et  la  di- 
versité des  productions  locales.  Il  me  semble  que  l'écMl 
dont  il  laut  bien  se  garder  ici ,  c'est  de  trop  générdiser 
ses  considérations  sur  ce  peuple  singulier.  M.  Davis  « 
dont  vous  m'avez  laissé  l'ouvrage,  ne  me  parait  pas  tout 
à  fait  exempt  de  ce  défaut.  J'ai  vu  déjà  plusieurs  choses 


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363 
(bus  le  Kimg-mm  qai  iafinnmit  ses  Miertmis ,  Wèa 
qif  elles  poissent  être  mraies  pour  U  profinoe  de  CfKw^ 
où  rântear  t  ptssé  la  plus  gnmde  partie  des  amiées  qu'à 
avéen-en  Chine* 

«  Il  y  a  aussi  un  antre  incoDTéirient  à  éviter  :  qoMid 
en  a  été  longtemps  dans  on  pays  ,  on  se  fait  tellement  à 
ses  osâmes ,  qoe  les  cooHimes  les  plus  étranges  cessent 
presque  absolument  d'avoir  ce  piquant  de  la  nouveaofé 
qui ,  à  lui  seul  ,  fait  plus  écrire  que  tout  le  reste.  Et 
alors ,  si  on  est  accablé  d'occupations ,  comme  nous  le 
sommes,  on  se  dit  :  «  A.  quoi  bon  prendre  la  plume  ?  je 
n'ai  rien  d'extraordinaire ,  rien  qui  puisse  iniéresser  ;  » 
et  à  l'aide  de  ce  beau  raisonnement  la  pare^se  finit  par 
prendre  le  dessus. 

«  Pour  moi  ,  Je  sens  peu  à  peu  que  le  Chinois  me  ga- 
gpe  ;  la  niécamor|dios6  sera  bientôt  complète.  A  Texte- 
rienr ,  peu  s'«n  fiuBil  cpi'eUe  ne  le  soit  déjd.  Depuis  quejfî 
vous  ai  q«iité,  il  m'a  folio  changer  de  jiom>  de  langage, 
de  costume  ,  etc.  ;  c'était  tout  un  homme  à  refaire.  Mais 
j'ai  gagné  an  change  deux  belles  moustaches ,  me 
mouche  dont  vous  ne  feriez  pas  fi  >  et  de  plus>  une 
belle  queue  à  Tolre  service ,  car  je  puis  la  détacher  très- 
facilement.  Toutefois  elle  ne  m^a  pas  encore  joué  le  toor 
qu'elle  a  fait  à  on  antre  Missionnaire  qui ,  n'ayant  plos 
une  chevelure  assez  longue  pour  attacher  cet  ornemeni 
postiche ,  l'avait  cousu  dans  sa  calotte.  Un  jour ,  au  dé-^ 
tout  d'one  rue,  on  coop  de  vent  malencontreux  l'enleva 
dans  les  «ira ,  «o  grand  étonnenent  des  passants ,  pe» 
habitués  «ans  dente  à  voir  des  comètes  de  cette  espèoeu 

«  VooeapprendhrezsÉremenl  avec  plaisir  qoe  le  eapt^ 
taÉie  Balfor,  qtû  réside  à  Ch&mg*hai  en  qoaliié  de  oonnl 
de  la  OrandMirttagtie^se  nMMre  pom»  noosd^Bneb6Bté^ 
et  d7oM  obl^ftance  adniirabltt^  il  nous  traite  avec  «m 


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264 
pedkesse  «xqaise.  J'ai  été  plusieuni  foift  le  vî&ifer ,  et 
tovjMTs  il  esc  Tenu  me  recevoir  et  m'a  reconduit  à  la 
porte  chapeau  bas  ;  ce  qui  me  gène  un  peu  ,  parce  que  , 
comme  chinois ,  je  ne  puis  ni  ne  dois  me  découTrîr.  Nous 
sommes  convenus  en  riant  que  je  lui  rendrais  en  retour 
un  salut  à  la  chinoise.  Vous  savez  en  quoi  il  consiste  :  on 
joint  les  mains  sur  la  poitrine,  puis  les  agitant  légère- 
ment ,  on  dit  Uin  tsin.  Quand  ce  sont  des  mandarins  qui 
demandent  audience  ,  M,  Balfor  les  reçoit  dans  sa  cham- 
bre ,  quelquefois  même  il  les  £ait  attendre  à  la  porte* 
Voilà  comment  il  faut  agir  avec  les  autorités  chinoises  : 
vouloir  les  traiter  d'égal  à  égal ,  avec  nos  formes  euro- 
péennes ,  c'est  s'exposer  à  la  déception  ,  puis  à  la  risée 
de  ce  peuple^qui  ne  sait  comprimer  les  saillies  delà  joie 
c[u'il  éprouve  après  vous  avoir  trompé. 

«  M.  Baltor  a  pris  une  part  active  à  la  guerre  ;  c'est 
lui  qui  a  dirigé  Pattaque  du  fort  Wo(hmng  qui  proté- 
geait rentrée  du  fFam-pou ,  sur  les  bords  duquel  est 
bâti  Chang-hai.  Comme  les  autres ,  il  croyait  alors  que 
la  Chine  était  un  empire  redoutable  ;  mais  une  étude 
approfondie  du  gonvernemetit  chinois  ,  de  ses  ressour- 
ces et  de  ses  moyens  de  défense  a  bien  modifié  ses 
idées.  Aussi  quand  les  circonstances  lui  permettent  de 
prendre  sa  reranche  ,  il  se  garde  bien  de  la  manquer. 
Tout  dernièrement  les  mandarins  voulaient  inquiéter  on 
dçses  domestiques  ,  je  ne  sais  trop  pourquoi  :  à  l'ins- 
tant M.  Balfor  leur  fit  demander  réparation.  Sur  l'a- 
dresse de  la  lettre  qu'ils  lui  écrivirent  à  cet  effet ,  les 
Chinois  oublièrent  un  de  ses  litres  ;  M.  Bnlfor  la  leur 
rettfoya  sans  l'ouvrir  ,  et  oomsao  ks  maodartBS  sem- 
blaient s'en  tenir  là  ,  il  leur  manihi  que  s'ils  ne  lui  don- 
naient à  l'instant  la  satisfaetîMi  la  plus  euttëre ,  il  allait 
chercher  des  bâihnents  de  guerre  à  Chuim  pour  se  ia 


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faire  lui-même.  A  ce  mot  de  bâtiments  de  guerre  ,  ils 
furent  comme  frappés  de  la  foudre  ;  ils  écriviroiit  sur- 
Ic'diamp  une  lettre  d^excuse  ,  et ,  du  ton  le  plus  bas  et 
le  plus  rampaut ,  ils  le  conjurèrent  par-dessus  tout  de 
ne  pas  faire  Tenir  les  vaisseaux  redoutés. 

«  Ces  mandarins  sont  les  dignes  successeurs  de  ceux 
qui  administraient  et  défendaient  Chang-hai  au  temps 
de  la  guerre  ;  tous  abandonnèrent  leur  poste  bien 
avant  l'arrivée  des  Anglais  devant  la  ville ,  jetant  çà 
et  là  dans  les  fossés  les  insignes  de  leurs  grades  ,  pour 
se  confondre  avec  la  foule  des  fuyards.  Monseigneur  de 
Bési  a  été  lui-même  témoin  de  cette  terreur  panique  : 
hommes,  femmes,  enfants,  se  précipitaient  en  toute  hâte 
vers  Tintérieur  des  terres,  emportant  avec  eux  leurs  effets 
les  plus  précieux. 

«  Mais  c'est  assez  sur  de  pareilles  matières  ;  je  vous 
en  tends  répéter  que  vo\is  voulez  surtout  des  détails  con- 
cernant notre  Mission ,  nos  travaux  ,  nos  succès  et  nos 
espérances.  Je  me  ferai  un  plaisir  de  satisfaire  vos 
pieux  désirs  ;  seulement  je  vous  parlerai  comme  un  hom- 
me qui  n*a  que  trois  mois  d'expérience  ,  c'est-à-dire 
qui  n'a  pas  encore  pu  se  former  une  idée  exacte  desper* 
sonnes  et  des  choses ,  ni  les  apprécier  sous  leur  vrai 
point  de  vue.  J'ai  déjà  visité  plusieurs  chrétientés  ,  j'ai 
traversé  Chang-Iiai  et  Somkan-fou  ;  mais  je  ne  vous  di- 
rai rien  de  ces  villes  :  vous  avez  vu  Canton ,  et  qui  a  vu 
une  ville  chinoise  les  a  vues  toutes ,  elles  ne  diflèrentque 
par  le  chiffre  de  leur  population.  La  province  du  Kiang^ 
nan  ,  au  moins  dans  la  partie  que  j'ai  parcourue  ,  est 
une  plaine  coup^  par  des  canaux  ,  sans  routes  ni  che- 
mins ,  à  moins  que  vous  ne  donniez  ce  nom  à  des  sentiers 
qui  ont  un  ou  deux  pieds  de  Urge* 


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«  Id  OB  voyage  $«rlCNiten  batetoi.  Vons  comaisseï 
les  biitpKf  chiooiseï  :  ane  grosse  et  lourde  rame ,  ph» 
oanoins  biea  fixée  sar  Tarrière^  veos  faitaviiicer  leate* 
omit ,  et  imprioie  à  P^mbarcation  un  mouTement  sac- 
cadé qui  finit  par  reus  fatiguer.  Si  les  Ctrinois  appii* 
quaient  à  leurs  canots  le  système  d'engrenage  employé 
pour  faire  monter  i*eau  dans  les  rizières ,  ils  accélére- 
raient cerlainement  leur  marche  indolente  ,  et  adouci- 
raient les  peines  du  voyage.  Mais  il  ne  faut  pas  encore 
y  songer  actuellement ,  ce  serait  sortir  avec  trop  d'échi 
de  Tornière  de  la  routine  ,  on  crierait  à  Tinstant  :  hm 
mao  ,  aux  rouges  cheveux  (à  TÂnglais) ,  *t  tam  ,  d  TEu- 
rapéen.  Plus  tard  ,  cette  amélioration  pourra  s'intro- 
duire ;  car  le  contact  avec  les  étrangers  modifie  d'osé 
manière  remarquable  les  idées  des  Chinois  ,  et  ceux-ci 
ne  peuvent  qu'y  gagner  sous  le  rapport  des  arts  et  de 
rindttstrie. 

«  A  part  cette  lenteur  et  ce  mouvement  saccadé,  nos 
barques  sont  assez  commodes  :  on  y  est  à  Tabri  de  h 
pluie»  çt ,  avec  le  vernis  chinois,  on  peut  les  rendre  fort 
propres.  Nous  en  avons  quatre  ou  cinq  pour  le  service 
de  la  Mission.  Au  milieu  est  la  cellule  du  Père  ,  longae 
de  cinq  à  six  pieds  ,  sur  trois  ou  quatre  de  large 
et  quatre  ou  cinq  de  hauteur.  Sur  le  devant  est  une  p^ 
tite  chambrette  pour  le  catéchiste ,  et  derrière ,  sous  ks 
pieds  des  rameurs  ,  se  trouve  la  cuisine.  Comme  ici  il 
n'y  a  pas  d'hôtels ,  on  est  obligé  de  tout  porter  avec  soi; 
c'est  un  vrai  ménage  ambulant*  Quand  donc  le  momeot 
du  repas  approche  ,  un  des  bateliers  lève  une  planche,  et 
le  voih  devenu  cuisinier. 

«  Dans  les  campagnes  la  eultiireest  parbite;  je  ae 
eesse  de  l'admirer.  Les  principan  prodvifs  sont  le  ta  « 


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UT 
lé  blé  ,  le  colM  ,  «t  ueetptee  à»iftc$  MUiM  qv'an 
appelle  lobanx.  Les  jardin  potagère  en  Erenoe  Be  eent 
pas  mieux  soif&és  que  les  chemps  de  nos  Giiiiois  ;  si 
vous  en  exceptez  la  place  qn^occopent  les  tonbeavx ,  il 
n'y  a  pss  un  pouce  de  tefraindonl  oo  ne  tire  parti*  Ces 
campagnes  sont  donc  extrêmement  riches  ;  mais  si  elles  • 
ont  les  avantages  de  la  plaine ,  elles  en  ont  aussi  les  in- 
convénients; un  horizon  borné  et  des  aspects  consfam^ 
ment  semblables  engendrent  nécessairemeni  un  pen  de 
monotonie.  Ajoutez  qne  très^^oufeot  il  vans  arrive  de 
ces  terres ,  travaiHées  atec  tant  de  soin,  un  parfum  dant 
Todorat  est  peu  flatté  ;  car  en  porfrit  agrieriienr  le 
Chinois  est  très-appréciateur  des  engrais,  il  met  à  oentri* 
btttion  tout  ce  qui  peot  les  produire  ou  les  augmemer. 
Cependant  ces  belles  cnltmres  qui  se  préseslSBt  partout 
à' la  vue ,  ces  miniers  de  maisoBS  distribuées  dans  les. 
champs  et  environnées  d'art)res>  eea  tombeaux  qui  sedé- 
tachent  de  la  surface  plane  du  sol ,  ces  cinaux  si  multi- 
pliés et  sillonnés  par  tant  de  barques ,  cette  population 
active ,  industrieuse ,  gaie,  qui  afflue  partout,  ce  fleuve 
de  fFistm-pou  ,  si  large  et  si  profond ,  tout  cela ,  dis-je , 
ne  laisse  pas  d'avoir  son  charme  et  ses  agréments. 

«  Vonssavet  que  ce  Yicarlat  comprend  deux  pre« 
vie  ces ,  le  Kùmg-tum  et  le  Ckang^m.  Dans  la  première 
noua  comptons  près  de  seixam»*dfx  mille  ohrétieys^  et 
trois  ou  quatre  mille  seulement  dans  la  seeonide.  La* 
majeure  partie  de  ceux  du  Kimfman  se  trouve  grou^ 
pée  aux  environs  de  Ckang^hm^  lis  eont  divisés  anraai 
que  possible  ,  en  paroimes  dont  le  centre  ,  appelé  le 
C<m-8ou ,  est  une  nmkon  qui  appartieiK  le  plus  souvent 
en  commun  à  la  chrétiearté.  Il  y  a  mva  chapelle  oà  l'on 
ne  pénètre  ordinairemeni  qu^près  avoir  traversé  pUir 
sieurs  corps  de  logis«  On  en  conçoit  la  raison  ,  dans  un 


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3M 

pays  oà  It  Reiigion^a  élé  si  longtemps  penécatée.  Le 
Cowhtou  t  parfois  quelques  reTeaus  provenant  de  dons 
on  de  fondations  pieuses.  Ik  sont  administrés  par  un 
conseil  composé  des  meilleurs  chrétiens  »  et  employés  à 
TentreCten  des  bâtiments^  et  à  celui  d*un  certain  nombre 
de  pieuse  filles  qui  ,  ne  voulant  pas  se  marier ,  s'y 
retirent  pour  prier  ,  instruire  les  enfants  et  travailler 
en  commun  ;  leur  occupation  consiste  surtout  à  coudre  , 
à  filer  et  tisser  le  coton ,  à  prendre  soin  de  la  chapelle. 
Ces  néophytes  ,  qo'oa  appelle  communément  Vierges 
chrétiennes  ,  habitent  un  quartier  à  part  et  qui  leur  est 
exclusivement  réservé  ;  mais  elles  ne  font  pas  de  vœux. 
Nous  pourrons  dans  la  suite  tirer  un  bon  parti  de  cette 
institution  ;  car  ,  si  ces  personnes  étaient  plus  instrui- 
tes ,  elles  pourraient  être  de  très-bonnes  maltresses  d'é- 
cole ,  former  de  bonnes  mères  de  famiUe ,  et  par  là 
exercer  sur  la  cbrétieBlé  mse  heureuse  ioflnenoe. 

«  Ces  Missions  ,  depuis  la  destruction  de  la  Compa- 
gnie ,  ont  élé  bien  abandonnées  ,  et  maintenant  encore 
elles  réclament  les  plus  pressants  secours.  Les  chrétiens 
ont  gardé  la  foi  ,  mais  ils  sont  peu  instruits.  Quand  on 
pense  aux  épreuves  qu'ils  ont  soudertes,  au  dénûment 
religieux  où  ils  sont  depuis  pli»  de  cinquante  ans  ,  au 
commot»  qu'ils  sont  obligés  d'avoir  avec  des  païens  cor- 
rompus dès  le  plus  bas  âge  ,  on  ne  peut  s'empêcher  de 
reeonwdtre  «  dans  leur  cMservation  ,  un  signe  visible 
d'une  proleotJOB  de  Dieu  toute  spéciale.  Si  la  France  avait 
été  soufflke  aussi  longtemps  à  de  pareilles  épreuves  ,  je 
ne  salssi  elle  compterait  encore  beaucoup  de  catholiques. 
La  persécution  ,  il  est  vrai ,  a  causé  ici  bien  des  défec- 
tions ;  le  Kiang-nan  sail  comptant  autrefois  trois  cent 
mille  néofdiytes  ;  mais  aussi  l'Evangile  a  trouvé  parmi 
eox  des  légions  de  témoins,  et  nous  espérons  qu'on 


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S69 
pcmrra  .dire  encore  de  ces  héroïques  ifictlmes  :  Utang 
des  martyrs  est  une  semence  de  chrétiens. 

«  Il  y  a  eu  et  il  y  a  encore  un  plus  grand  nombre  de 
marljTs  d'une  autre  sorte,  dont  la  générosité  n'est  guère 
moins  admirable.  Nous  comptons  bien  des  familles  qni 
n'ont  pas  hésité  à  sacrifier  leurs  richesses ,  et  à  se  voir 
dépouiller  de  tout,  afia  de  conserver  le  précieux  trésor 
delà  foi.  Que  cette  pauvreté  est  méritoire  surtout  dans 
un  Chinois  !  11  faut  savoir  que  jusqu^à  ces  derniers 
temps  ,  c'est-à-dire  jusqu'à  l'époque  de  la  guerre  avec 
les  Anglais  ,  nos  malheureux  chrétiens  ,  même  après  que 
les  grandes  persécutions  eurent  cessé,  étaient  continuel- 
lement victimes  des  exactions  qu'exerçaient  les  manda- 
rins de  tout  grade.  Quand  ceux-ci  avaient  besoin  d'ar- 
gent y  ils  suscitaient  des  embarras  aux  fidèles  ,  en  les 
menaçant  de  les  dénoncer  aux  grands  tribunaux  :  leur 
langage  élait  compris  ,  on  payait  tribut ,  et  lout  se  cal- 
mait jusqu'à  ce  que  de  nouveaux  besoins  se  fissent  sentir 
chez  leurs  iniques  persécuteurs. 

«  Mais  depuis  la  guerre,  les  choses  ont  bien  changé 
pour  noire  Mission.  Nos  frères  commencent  enfin  à  sou- 
lever leur  front  ,  si  longtemps  courbé  sous  le  poids  du 
de^otisme,  et  les  mandarins  n'osent  plus  taxer  leur 
croyance.  Si  quelques  officiers  subalternes  essayent  en- 
core de  temps  en  temps  cette  manœuvre  ,  c'est  heureu- 
sement sans  succès.  L'un  d'eux,  voyant  que  des  chrétiens 
ne  voulaient  plus  se  laisser  rançonner  ,  les  menaça  de 
faire  réimprimer  l'édit  de  proscription  ,  ce  qui  à  toute 
autre  époque  eût  été  le  signal  d'une  persécution  nou- 
velle. Les  néophytes  tinrent  ferme  ;  l'édit  fut  imprimé  , 
publié  et  répandu  sans  faire  la  moindre  sensation. 

«  0  n'y  t  pas  eBcore  un  moin  cjo'iui  lotre  juandarUi, 

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270 

ne  pesvaBt  obiaiir  ce  qn^il  déeifait  d'one  ehrédmé  , 
envoya  des  satellites  a?ec  des  cbatnes  et  des  cordes  pour 
se  saisir  des  principaux  fidèles ,  s'ils  n'obéissaient 
promptement  à  ses  ordres.  Les  chrétiens ,  sans  hésiter , 
se  jetèrent  eux-mêmes  sur.  les  soldats  ,  et  les  chargè- 
rent des  fers  qu'ils  avaient  apportés  ;  puis  ils  en  appelè- 
rent au  tribunal  du  grand  mandarin.  Celui-ci  commença 
par  mettre  en  prison  ceux  qui  venaient  lui  demander  jus- 
tice ,  afin  de  procéder  selon  les  règles.  Mgr  de  Bési 
rayant  su,  en  avertit  aussitôt  le  consul  anglais.  M.  Bat- 
for  répondit  qu'il  se  chargeait  de  tout ,  et  qu'il  allait 
écrire  sans  délai  au  gouverneur  de^la  province,  de  ma- 
nière à  faire  cesser  la  persécution,  non-seulement  pour 
cette  fois ,  mais  pour  toujours.  Depuis  ce  temps -là  tout 
est  tranquille.  Les  grands  mandarins  eux-mêmes  trai- 
tent les  païens  qui  viennent  dénoncer  nos  frères,  de  façon 
à  leur  ôter  Tenvie  d'y  revenir  une  seconde  fois.  Le  con- 
sul anglais  m^a  répété  souvent  :  «  Si  on  vous  suscite ,  à 
«  vous  ou  à  vos  chrétiens ,  le  moindre  embarras^  venex 
«  me  trouver ,  je  me  charge  de  mettre  les  autorités 
«  ekinoiaes  à  la  caisw.  % 

«  Aussi ,  quand  les  chrétiens  me  paraissent  tut  peu 
intimidés  ,  je  leur  dis  toujours  de  ne  rien  craindre ,  et 
surtout  de  ne  pas  donner  de  l'argent  ;  que  si  les  païens 
les  inquiètent  ,  j'en  référerai  ati  jfrand  mandarin  des 
rouges  cheveux  (au  consul  anglais).  Cela  les  rassure  en- 
tièrement. Ainsi  ,  il  s'opère  insensiblement  une  révolu- 
tion toute  à  TaTantage  de  notre  sainte  cause.  Qui  eût 
pensé  que  telle  serait  la  suite  d'une  |[uerre  d'opium  I 

«  Beaucoup  d'anciennes  familles  qui  ont  apostat 
voudraient  revenir  à  leur  première  croyance ,  mais  mi 
reste  de  peur  les  retient  toujours  ;  et  quant  aux  païens , 
si  lii  éîioas*nsisg  :i|oiâ>iMii  pour  iBftittMki»  à Jenrtoon- 


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271 

version,  desittlUèn  rotenaMit  le  baptême  I  Un  do  Me 
MissiraBaires  en  a  dé}à  régénéré  plus  de  œnt  Tannée 
dendère ,  et ,  entre  amtres,  nn  des  desoendanls  du  grand 
Cdao  on  premier  ministre  de  Cam-lii ,  lequel  seconda 
si  bien  antrefois  te  P.  Ricci ,  premier  Missionnaire  qui 
portini  à  pénétrer  dons  Pékin.  Jkctueliement  il  faut  cou- 
rir ou  plus  pressé  ;  k  peine  arvons*nous  le  temps  d'ad- 
ministrer les  sacrements  aux  fidèles.  Ce  qui  retient  les 
païens  dans  lears  erreurs ,  ce  n-est  pas  la  conviction  ; 
ils  l'avouent  eux-mêmes  ,  et  ils  appellent  notre  foi  la 
Religion  du  cid  :  s'ils  ne  l'embrassent  pas ,  c'est  qu'à 
la  crainte  de  fperdre  leurs  biens  et  leurs  charges  ,  se 
joint  encore  la  difficulté  de  renoncer  à  tous  les  désor- 
dres de  leur  conduite  privée. 

«Quoiqu'il  n'y  ait  plus  aujourcfhui  de  persécution 
ouverte  en  Chine  ,  tontes  les  Missions  ne  sont  pas  aiMsi 
tranquilles  que  la  nôtre;  les  provinces  siuiées  dans  l'in- 
térieur de  l'empire  sont  beaucoup  moins  protégées  par  la 
présence  des  Enropéens.  H  ne  fout  pas  oublier  que  les 
lois  qui  proscrivent  le  Christianisme,  pour  n'être  pas  mi- 
ses à  exécution ,  ne  sont  cependant  pas  encore  retirées  ; 
et  c'est  là  surtout  ce  qui  enchaîne  les  Chinois  au  paga- 
nisme. Dernièrement  »  dans  la  Mission  des  Laiarisies , 
qui  touche  à  la  nôtre  ,  un  mandarin  a  tait  mettre  à  la 
torture  plusieurs  chrétiens.  Aucim  n'a  apostasie.  M. 
Anote ,  prêtre  de  St-Lazare ,  venu  sur  la  Cléùpâire  ,  a 
été  arrêté  au  moins  deux  fois  en  s'acheminant  vers  sa 
résidence  ;  il  s'en  est  tiré  au  moy«i  de  quelques  piastres 
données  à  propos.  Un  Missionnaire  Franciscain  ,  se  ren- 
dant également  à  son  poste  ,  a  été  trahi  par  son  nez  qui , 
de  Eait,  abuse  de  la  permission  qu'ont  les  Européens  d'en 
avoir  un  long  :  heureusement  il  avait^déjà  franchi  la  pre- 
mière et  principale  douane  ;  en  sorte  que  le  mandarin  de 


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272 
U  seconde  ,  à  qui  il  fut  conduit ,  s^en  troim  fort  eoh 
barrassé.  «  Si  j'arrête  cet  étranger ,  se  ditril  à  hHHDtee, 
«  il  budra  faire  son  procès  ;  nu^is  auparavant  je  domi 
«  en  intenter  un  au  mandarin  de  la  première  douane , 
«  pour  TaYoir  laissé  passer.  Ce  fonctionnaire  est  plas 
«  puissant  que  moi,  et ,  pour  prévenir  le  tort  que  poar- 
«  rait  lui  causer  cette  affaire  ,  il  ne  manquera  pas  dt* 
«  me  faire  casser  auparavant.  »  Sur  ce,  lejngedonaa 
au  plus  vite  la  clef  des  champs  au  Missionnaire  ,  qui  est 
le  bonheur  de  ne  {dus  la  perdre. 

«  D'après  ces  quelques  déiaik  ,  vous  comprendrez  fa- 
cilement combien  les  considérations  générales  qu'on  pour- 
rait émettre  sur  ce  pays  seraient  hasardeuses  ,  pour  ce 
qui  concerne  la  Religion  comme  pour  le  resie.  Cependant 
on  s'accorde  assez  à  croire  que  la  Chine  doit  subir  bien- 
tôt une  grande  crise  ^  soit  dans  sa  constitution»  smtdios 
son  administration  intérieure,  soit  dans  ses  rapports  avec 
les  autres  puissances.  Le  peuple  lui-même  en  a  un  pres- 
sentiment ;  il  croit  à  un  changement  prochain  de  dynas- 
tie. Outre  que  l'empereur  n'a  qu'un  fils  encore  bien  jeone, 
il  ne  semble  plus  digue  de  régner  depuis  l'opprobre  jeie 
sur  lui  par  les  Anglais.  Les  soldats  du  céleste  empb*eéiaieflt 
Join  de  s'attendre  à  être  battus ,  et  après  leur  défaite ,  les 
Tartares  disaient  à  Mgr  Yerrolles ,  Vicaire  apostolique 
.du  Leao^Tong  :  «  C'est  la  première  fois  qae  cela  nous  ar- 
«  rive.  — Consolez- vous Jcur  répondit  le  Prélat,ce  n'est 
«  pas  ladernière.  »  Le  Cbinois,comme  il  arrive  soovpst 
à  celui  qui  a  présumé  de  ses  forces  ,  a  passé  d'un  excès 
de  présomption  à  un  excès  de  défiance  ^  pour  lui  le  sol- 
dat européen  est  la  bravoure  personnifiée.  Aussi,  un  de 
nos  régiments  pourrait- il  faire  ,  l'arme  au  bras ,  le  toar 
de  la  Chine ,  sans  craindre  d'en  être  empêché  par  to 
habitants* 


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273 

«  Votre  amitié  pour  moi  tous  feit  demander  comment 
je  me  trouve  de  ma  nouvelle  vie.  Grâces  à  Dieu ,  je  puis 
vous  dire  que  le  Maître  que  nous  servons  ne  se  laisse  pas 
vaincre  en  générosité  ;  on  dirait  même  parfois  qu'il  est 
meilleur  en  Chine  que  partout  ailleurs. 

«  La  vie  du  Missionnaire  est  certainement  une  vie  péni- 
ble,  une  série  de  petites  privations  ,  qui  viennent  souvent 
du  côté  où  on  ks  attend  le  moins;  mais  ces  peines,ces  sol- 
licitudes n'atteignent  le  plus  souvent ,  pour  ainsi  dire  « 
que  la  surface  de  Tâme,  le  fond  est  toujours  tranquille. 
Notre  existence  ressemble  beaucoup  à  la  marche  d'un  na- 
vire sous  rinfluence  des  vents  alizés  :  le  bâtiment  fait 
beaucoup  de  chemin  ,  et  cependant  la  mer  est  belle  ; 
c'est  à  peine  si  sa  surlace  est  ridée.  Il  y  a  ,  et  il  doit  y 
avoir  ,  de  temps  à  autre  ,  quelques  coups  de  vent  un  peu 
plus  forts ,  et  c'est  là  ce  qui  forme  le  Missionnaire  com- 
me le  marin.  Sans  cela  nous  serions  tous  marins  d'eau 
douce  ,  et  où  serait  le  mérite  ?  Je  suis  habituellement 
aussi  gai ,  aussi  content  que  je  Tétais  auprès  de  vous  » 
dans  ces  belles  soirées  que  nous  avons  passées  sur  la  du- 
nette ,  ou  à  nous  promener  sur  le  pont  ;  ou  bien  encore 
au  Brésil ,  lors  de  nos  promenades  au  Corcovado  et  aux 
cascades.  Je  suis  plein  d'espoir  pour  l'avenir  dé'notre 
apostolat  ;  il  ne  manque  que  des  ouvriers  et  la  connais- 
sance de  la  langue ,  pour  recueillir  une  abondante  mois- 
son. Ah  I  c'est  ici  qu'on  apprécie  tes  bienfaits  de  l'Œuvre 
de  la  Propagation  de  la  Foi  ;  c'est  avec  ses  secours  que 
nous  faisons  presque  tout  le  bien  qu'il  nous  est  donné 
d'opérer.  Enfin  ,  secondée  par  les  fervents  chrétiens 
d'Europe  ,  notre  Mission  pourra  reprendre  son  ancien 
lustre ,  son  ancienne  splendeur.  C'était  autrefois  la  plus 
belle ,  la  plus  nombreuse  ,  et  la  plus  florissante  dt  la 
Chine.  Tout  à  vous ,  S.  Clàviuii  ,  S.  J.  » 

TOH.  xYin.  106.  18 

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274 


Juire  lettre  du  même  Religieux  à  un  Père  de  la 
même  Compagnie. 


«  Mon  RévsRERD  et  bien  cher  Peiub, 


«  Comme  j'ai  quelques  instants  de  loisir ,  je  me  hâte 
d'en  profiter  pour  venir  de  nouveau  causer  avec  tous. 
Dans  les  dernières  lettres  reçues  d'Europe,  on  nous  par- 
lait beaucoup  des  ménagements  que  nous  devions  pren- 
dre au  milieu  de  nos  travaux.  Mais  venez ,  naon  bien 
cher  Père ,  venez  passer  un  mois  avec  nous  dans  la  Mis- 
sion, et  vous  jugerez  vous-même  s'il  est  possible ,  dans 
la  disette  d'ouvriers  où  nous  sommes ,  de  s'en  tenir  aux 
limites  qu'on  voudrait  de  loin  assigner  à  notre  zèle. 
Quand  un  mourant  vous  fait  appeler,  direz-vous  que 
vous  avez  besoin  de  repos,  que  l'état  de  votre  santé  le  ré- 
clame ,  qu'il  faut  vous  ménager?  Direz-vous  :  «  Attendez 
à  demain  ?  »  Mais  demain  cet  homme,  qui  n'a  pas  vu  de 
prêtres  depuis  quarante  ans ,  aura  paru  devant  Dieu*  En 
semblable  cas ,  j'ai  entendu  la  semaine  dernière  des  con- 
fessions de  quarante  et  cinquante  ans ,  et  ceux  qui  les 
avaient  faites  n'ont  pas  plus  tôt  été  administrés,qu*ils  ont 
rendu  le  dernier  soupir. 

«  Comme  les  maladies  ici  durent  peu,  et  qœ  I^  Chi- 
Mit  sttceomb^mt  bcitonent  à  leur  atteinte ,  nos  chrétiens 
sont  pleiM  de  soIUckode  pour  recevoir  les  derniers  s»- 
erements.  Dermèronent,  Monseigiieur  vit  arriver  k  lui 
un  homme  qui  venait  de  plusieurs  lieues  à  pied  récla- 
mer la  grAce  de  l'extréme-onction.  Surpris  d'une  peraiile 
demande ,  le  Prélat  se  sentait  d'abord  peu  disposé  à  y 

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275 
Bonscrhre;  mais  enfin  eédant  à  ses  ÎBSunces ,  il  se  mît  i 
Tadministrer  ;  il  ifataît  pas  encore  acheté  sa  denrière 
(Miction,  que  ce  bon  néophyte  expirait  dans  ses  bras* 

•  C'est  surtout  le  samedi  que  les  fidèles  vienneit  cher- 
cher  le  Missionnaire  pour  aller  au  secours  des  mourants» 
et  c^est  de  leur  part  une  pieuse  industrie  pour  avoir  un 
frétre  le  dimanche;  ils  peuvent  si  rarement  entendre  U 
Messe!  Il  est  arrivé  cependant  qu'ils  ont  poussé  la  chose 
trq>  loin.  Un  jour,  deux  chrétientés  appelaient  à  la  fois 
Monseigneur,  et  chacune  disait  avoir  un  infirme  plus 
dangereusement  malade  que  Tautre.  Celui  vers  lequel  se 
dirigea  d*abord  le  Prélat  était  fort  peu  indisposé  «  et  pen* 
dant  ce  temps-là  l'autre  s'en  allait  à  Dieu  sans  sacre- 
ments. 

«  La  mort  n*a  pas,  pour  les  Chinois,  ces  couleurs  Mm- 
br»  et  lugubres  sous  lesqudles  elle  apparaît  lourjours 
aux  Européens  :  mourir  leur  semble  une  action  fort  or- 
dinaire ,  et  on  n*a  pas  besoin  de  beaucoup  de  circon- 
loditions  potir  les  avertir  du  danger  dans  les  maladiee 
graves.  Pendant  qu'on  leur  administre  les  derniers  sa» 
crements,  il  n'est  pas  rare  d'entendre  dans  la  maison 
des  conversations  qui  ne  respirent  rien  moins  que  la  tris- 
tesse; c'est  Pnsage ,  personne  ne  s'en  formalise. 

«  Dès  leur  en&tnce^  du  reste ,  les  Chinois  sont  fami- 
liarisés avec  les  idées  funèbres  :  ils  voient  autour  d'eus 
les  tombeaux  où  reposent  les  restes  de  leurs  aïeux,  de 
lears  parents;  ils  les  conservent  bien  souvent  dans  leurs 
bdrftatiDns  ;  cVst  presque  un  meuble  do  faoïitte.  Il  n'est 
pwnredev«firq«atre  oir  cit  q  bières  disposées  ifeas  la 
daMibreoè  Yon  tnivaiHe^  et  les  femmes  filer  et  oricot^, 
kr  dos  appuyé  ooiir»  ces  souvenirs  ée  la  mort.  Le  plus 
sewvêBt,  BéSMntrtns^/ les  osrcuaHs  sent  déposés  dans  les 

18. 

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276    , 

cluunps  »  couverts  d'un  peu  de  paille ,  ou  bien  cachés 
dans  uae  petite  maisonnette ,  ou  sous  un  amas  de  terre. 
Il  n'y  a  guère  de  c&rétientés  où  Ton  ne  vous  désigne  les 
sépulcres  de  tels  ou  tels  Missionnaires^  et  on  sait  bien 
vous  dire  s'ils  étaient  Européens ,  Jésuites  ou  autres.  On 
trouve  aussi  à  Wam-dam  le  tombeau  d'un  catéchiste  mis 
à  mort  en  haine  de  la  Foi.  Ce  fervent  chrétien  a  encore 
aujourd'hui  deux  de  ses  descendants  qui  remplissent  les 
mêmes  fonctions.  Sa  maison  servait  de  retraite  aux  apô- 
tres du  pays  dans  les  temps  les  plus  difficiles.  Les  man- 
darins, ayant  appris  qu'il  avait  chez  lui  deux  Européens» 
vinrent  faire  une  visite  domiciliaire  pour  les  saisir.  Dès 
qu'il  les  vit  arriver ,  ce  catéchiste  fil  avertir  les  Pères  de 
se  tenir  prêts  à  partir  ;  puis  se  présentant  à  la  porte  pour 
recevoir  les  mandarins,  il  leur  dit  :  «  Vous  ne  pouvei 
«  pas  m'interroger  ici ,  conduisez-moi  à  votre  tribunal , 
«  et  alors  je  vous  parlerai  clairement ,  je  vous  avouerai 
«  tout.  »  Les  mandarins ,  satisbits  de  cette  proposition, 
se  rendent  au  prétoire^  et  là,  le  catéchiste  leur  fait  un 
aveu  complet,  comme  il  l'avait  promis  :  «  Quand  vous 
«  êtes  arrivés  chez  moi^  il  y  avait  alors  deux  prêtres 
«  étrangers;  mais  maintenant  ils  n'y  sont  plus,  je  viens 
«  de  leur  donner  le  temps  de  prendre  hi  fuite.  Vous  ai-Je 
«  parlé  dairement?  »  A  ces  mots,  les  mandarins  furieux 
de  se  voir  ainsi  joués  par  un  paysan ,  et  surtout  privés 
de  la  récompense  attachée  à  la  prise  d'un  Européen,  firent 
tellement  battre  ce  généreux  néophyte  qu'il  mourut  sous 
les  coups. 

«  Si  vous  désirez^  mon  R.  Père,  avoir  ime  idée  plus 
exacte  et  plus  complète  du  genre  de  vie  que  nous  menons 
ici ,  venez  faire  un  petit  tour  avec  moi  dans  upe  de  nos 
chrétientés.  Allons  en  banpie,  nous  causerons  plus  l 
notre  aise.  Quand  vous  entendrez  pnmonoer  les  mots 


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2r7 

xem-vuj  pêreipirituel;  lao<a ,  vénérahk  vMUard;  ia-ta^ 
deux  fois  grand ,  prenez  un  air  sérieux  et  composez-Tous; 
que  votre  extérieur ,  autant  que  possible ,  soit  en  harmo- 
nie avec  ces  titres  pompeux.  A  votre  arrivée  au  Com^aUy 
les  principaux  fidèles  viennent  vous  recevoir  à  la  porte, 
un  genou  en  terre  ;  les  jours  de  grande  fête ,  ils  seront  en 
surplis  et  porteront  des  flambeaux.  On  vous  conduit  à  la 
chapelle  où  se  trouvent  réunis  tous  les  chrétiens  et  toutes 
les  vierges  du  Corn-sou.  Ces  saintes  filles  entonnent  cer- 
taines prières ,  et  après  Tàspersion  de  Peau  bénite ,  on 
vpus  installe  dans  votre  chambre ,  oilt  l'on  vous  sert  une 
tasse  de  thé  si  vous  ne  devez  pas  dire  la  Messe.  Si^  au 
contraire ,  le  moment  du  saint  Sacrifice  approche ,  on 
vient  bientôt  vous  chercher^  et  c'est  alors,  quand  il  y  a 
fête ,  que  vous  revêtez  le  grand  habit  long  ou  camail  à 
longues  manches  qui  vous  descend  jusqu'aux  genoux  ; 
de  plus,  vous  portez  sur  la  tête  le  hom-mao,  qui  est  de 
rigueur  toutes  les  fois  que  vous  vous  disposez  publique- 
ment à  exercer  une  fonction  religieuse.  A  votre  entrée 
dans  la  chapelle,  les  vierges  recommencent  leurs  prières 
chantées  ;  elles  continuent  pendant  tout  le  t^nps  que  vous 
revêtez  les  habits  sacerdotaux ,  et  quelquelbis'même  pen- 
dant toute  la  durée  de  la  Messe.  Avant  de  monter  à  Tau- 
tel  ,  vous  remphicez  le  hom-mao  par  le  tsi4tin  ,  espèce 
de  tiare  que  vous  conservez  jusqu'à  la  fin  du  saint  Sa- 
crifice ;  on  doit  aussi  l'avoir  toutes  les  fois  qu'on  admi- 
nistre les  sacrements.  Quand  le  prêtre  se  tourne  vers 
l'assemblée  des  fid^es ,  tous  se  prosternent  la  fooe  contre 
terre ,  comme  8*3s  étaient  indignes  de  contempler  k  face 
d'un  ministre  du  Très-Haut. 

«  Pendant  l'action  de  grâce ,  les  vierges  prient  de  nou- 
veau à  haute  voix  ;  leur  récit  jnodulé  a  ime  teinte  mar- 
quée de  dévotion,  et  ne  rappelle  pas  mal  le  ton  d'une 


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278 

vûàn  qui  change  SiUfxh  du  bercean  de  $on  «abni  fumt 
rehdOTQir«  De  retour  i  votre  cbambre,  on  tous  sert  à 
déjiiiMHr.  Ce4t  le  moment  où  les  chrétiens  tiennent  sa- 
luer le  MîMioonaîre  et  se  prosterner  devant  lui  en  disant  : 
•  Zêm  vu  hao  la  tm?  Père  spùritmtl^  tout  tm4^  InmP  » 
Le  prêtre  répond  :  «  ffao  Za,  tout  va  bien.  •  Pu»  les 
chrétiens  le  remercient  d'avoir  bien  voulu  leur  dire  la 
messe  ;  ils  se  lèvent  ensuite  et  se  raqgent  debout  autour 
du  Fère^  qui  doit  toujours  être  assis.  Les  vierges  à  leur 
tour  footdeaaanderau  Père  la  permission  delui  offrir  leurs 
hommages  :  s*il  y  consent ,  elles  se  présentent  toutes  en- 
semble et  répètent  les  mêmes  cérémonies.  Après  la  ré- 
ception des  vierges ,  vient  encore  celle  des  femmes.  Tons 
cas  saluts  vous  ennuient  fort ,  surtout  quand  vous  ne  sa- 
ves  pas  encore  la  langue.  Je  tâche  d'expédier  prompte- 
ment  les  visiteurs,  en  disant  à  tous  de  beaucoup  prier 
poor  que  le  xenH>u  puisse  bientôt  parler  »  parce  qu'alors  i  | 
pottrra  tes  entretenir  plus  longtemps*  Je  preste  aussi 
de  oe  moment  pour  leur  recommander  de  baptiser  les 
pMils  païens  en  danger  de  mort^  et  d'instruire  les  adul- 
tes* Pour  chaque  baptjàme ,  je  leur  promets  une  médaille 
ou  une  image,  ou  un  chapelet,  et  j'espère  en  avoir  beau- 
conp  à  doBoerdansla  snite.  Les  premiers  chrétiens  ren- 
triiRt  encore ,  les  ims  pour  vous  prier  d'aller  administrer 
des  iidurmesou  baptiser  des  enfouis»  les  autces  pour  vous 
oo^îurer  de  vouloir  bien  revenir  dire  la  mepse  dans  leur 
Cmrêim^  s^6«»  etc.  C'est  toujours  è  genoux:  qu'ik  vous 
font  eai  demandes,  et  quand  vous  ysMsorives ,  ils  vous 
«ttrfWFctent  par  une  nouvelle  prosttaaioA*  11  est  enoofs 
d*usage  que  la  première  et  la  damière  fois  qu'un  chré' 
tien  vous  voit  dans  sa  maison ,  il  vous  réitère  la  même 
oérémottie.  Il  vous  faut  bien  prendre  les  Chinois  comme 
ils  sont  s  de  l'extérieur,  ou-comme  ils  disent,  iêlêfém^ 
c^est  pour  eux  presque  toot. 


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279 
«  MoQft  votci  enfin  arrivés  an  dtner ,  et  ce  n'est  pas 
WM  paiîie  aCaire;  jugez^en  par  celui  que  ni'a  fait  doA* 
ner  uo  prèlre  cbioois  malade ,  que  j'étais  allé  visiter  le 
lendanaîn  de  NodI.  Au  milieu  de  la  salle ,  on  dressa  deux 
tables  dont  le  beau  vernis  tenairlieu  de  nappe.  Sur  Tex- 
trémîlé  opposée  à  la  place  qui  m'était  destinée,  se  irou- 
vaienl  deux  candélabres,  deux  vases  en  verre  ,  bariolés 
de  ronge,  et  qoi  étaient  censés  représenter  des  fleurs  ; 
puis  deux  cassolettes,  au  milieu  desquelles  s'éh^raient 
deux  baguettes  auxquelles  on  mit  le  feu  quand  je  parus  ; 
c'étaient  dtux  butons  d'encens.  Sur  celte  même  table  y 
ornée  d'un  assez  joli  tapis ,  était  déposé  d'avance  tout  le 
dessert  ;  je  parvins  à  compter  seize  pluls  symétrique- 
ment disposés.  L'autre  lable  où  je  devais  manger  n'avait 
encore  rien.  Quand  je  fus  assis ,  nombre  de  chrétiens  ar- 
rivèrent pour  me  tenir  compagnie^  et  les  plus  distingués 
eurent  l'honneur  de  me  servir.  Ils  commencèrent  par  for- 
mer sur  la  table  un  premier  rang  composé  de  quatre  plats, 
portés  sur  des  trépieds  où  se  trouvaient  des  lampions  al- 
lumés, afin  de  maintenir  les  mets  dans  un  degré  de  cha- 
leur  convenable  ;  puis ,  ils  continuèrent  d'apporter  d'au- 
tres plats ,  et  je  les  vis  enfin  s'arrêter  quand  ils  eurent 
achevé  le  quatrième  rang.  C'était  un  nombre  égal  à  celui 
des  plats  de  dessert.  Ils  aiment  qu'il  en  soit  ainsi ,  parce 
que ,  disent-ils,  le  timié  le  veut.  Le  ti-mté ,  c'est  le  bon 
goàt,  le  bon  genre,  le  genre  noble,  et  nos  chrétiens,  mat- 
gré  nos  plus  vives  représenta  ti  ons,  veulent  toujours,  autant 
que  possible,  nous  traiter  avec  le  li-rniV;  autrement, 
disent-ils ,  ils  passeraient  pour  vilains,  ce  dont  ils  n^  se 
soucient  nullement. 


«  Alors  on  «le  pi*ésent«  des  bâtonnets ,  que  je  la 
pottr  {^rendre  oMn  service  européen ,  car  on  peut  en  bm 
Mage  'm  sans  dîttculté  ;  puis  on  déposa  devant  moi  wt 


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3S0 
aisiettA  qui  ressemblait  à  nos  soucoupes  de  Fmioe.  Des- 
sus était  un  petit  verre  à  liqueur  dans  lequel ,  ppur  con- 
mencer,  on  me  versa  du  vin  diinois,  que  Ton  sert  sou- 
vent tout  chaud.  Pour  la  couleur ,  il  ressemble  à  un  vin 
blanc  qui  n'est  pas  parfaitement  clariGé;  pour  le  go&t, 
il  ne  maoque  jamais ,  les  premières  fois  qu'on  en  hoiJL ,  de 
vous  rappeler  celui  d'oeufs  pourris;  mais^on  s'y  habitue 
facilement ,  et  maintenant  il  me  fait  l'effet  d'un  vin  un 
peu  au-dessous  de  la  qualité  médiocre. 

«  En  voyant  tant  de  plats  devant  vous ,  vous  ne  savez 
par  quel  bout  commencer.  Il  y  a  ordinairement  du  porc 
frais  et  salé ,  de  la  poule  bouillie ,  rôtie  ,  salée  ,  de  la 
chèvre ,  rarement  du  bœuf ,  parce  que  ,  m'a-t-on  dit , 
il  n'est  permis  d'en  tuer  que  pendant  deux  mois  de  l'an* 
née.  Vous  avez  aussi  des  boulettes ,  des  pâtisseries ,  etc., 
etc.  ;  mais  vous  cherchez  en  vain  un  plat  de  légumes  qui 
soit  un  peu  moins  échauffant ,  le  ti-mié  dit  que  c'est  bon 
pour  les  pauvres  ,  on  se  gardera  donc  bien  d'en  servir 
au  ta-ta. 

«  Nous  sommes  heureux  quand  nous  pouvons  avoir  du 
pain ,  et  aujourd'hui  nous  en  avons  souvent  ;  mais  il 
prend  toujours  envie  aux  Chinois  de  nous  le  donner  brû- 
lant^ ou  de  l'amollir  eu  le  chauffant  à  la  vapeur,  ou  bien 
de  déposer  dans  Tintérieur  des  espèces  de  confitures  qui 
ne  vous  aident  pas  trop  à  le  digérer.  Quand  vous  rendez 
votre  assiette ,  qu'on  ne  vous  change  pas ,  à  moins  qu'elle 
ne  soit  par  trop  encombrée,  c'est  signe  qu'il  but  passer 
au  second  service.  Il  ne  se  compose  que  d'un  seul  plat, 
mais  c'est  le  plat  chéri  du  Chinois^  le  plat  par  excellence, 
puisqu'à  lui  seul  il  a  l'honneur  de  donner  son  nom  au 
dtner.  C'est  tout  simplement  un  bol  de  riz  cuit  h  l'eàu.  Le 
dîner  s'appelle  Uorn  tfé  ou  riz  du  mi^m;  le  déjeuner 
t$at)  vê  OB  rix  du  matin ,  et  le  souper  iu  vion  riz  de  Im 


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281 
nuxL  Si  vous  ne  touchiez  pas  à  ce  mets ,  on  serait  tout  sur- 
pris,  vous  n'auriez  pas  (Une.  La  première  fois  je^ refusai, 
et  je  vis  les  chrétiens  qui  m'entouraient  tout  ébahis; 
maintenant  j'en  prends  un  peu,  et  Ton  est  satisfait. 

«  Quand  le  riz  est  mangé,  tous  vos  hommes  s'empres- 
sent d'enlever  les  plats,  d'essuyer  la  table  avec  un  torchon 
qui  y  reste  toujours  suspendu ,  d'avancer  le  dessert  et  de 
vous  servir  du  vin  diinois  pour  la  dernière  fob^  car  il  ne 
doit  plus  figurer.  Dans  ce  dessert,  vous  voyez  apparaître 
des  poires ,  des  grenades,  des  oranges,  des  marrons,  des 
graines  grOIées ,  des  pâtisseries,  etc.  Enfin ,  une  tasse  de 
tfaé  couronne  le  festin  ;  on  a  soin  de  vous  le  donner  sans 
sucre  et  tout  br&Iant ,  les  feuilles  restant  toujours  au  fond 
de  la  coupe.  Si  vous  devez  demeurer  quelque  temps  dans 
h  maison ,  on  laisse  sur  la  table  votre  tasse  à  ihé ,  pour 
preuve  qu'aucun  Mire  ne  s'en  servira;  et  quand  vous 
voulez  en  prendre  une  seconde  et  une  troisième  fois^  on 
se  contente  de  mettre  de  Teau  chaude  sur  les  anciennes 
feuilles,  et  votre  dié  est  tout  fait  ;  autrement,  vous  cote- 
riez risque  d'avoir  une  tasse  où  d'autres  auraientbu  avant 
vous. 

•  J'ai  oublié  de  vous  dire  qu'avant  te  dessert  if  est 
une  cérémonie  toute  particulière  aux  Chinois ,  et  ce  n'est 
pas  celle  qui  sourit  le  plus  aux  Européens  nouvellement 
débarqués.  Quand  vous  ne  voulez  plus  d'aliments  gras , 
vous  voyez  arriver  un  homme  portant  un  bassin  d'eau 
chaude  et  une  petite  serviette  d'un  pied  carré;  puis,  se 
retroussant  les  manches,  il  trempe  la  serviette,  la  tord 
pour  en  faire  découler  l'eau  et  vous  la  présente  en  cet 
état  Selon  le  ti-mté ,  vous  devez  l'accepter,  vous  bien  es- 
sayer les  mains,  les  lèvres  et  le  visage. 

«  Si  vous  dtniez  avec  un  indigène,  vous  le  verriez 
plonger  ses  (n-opres  baguettes  dans  les  différents  plats  et 


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2» 
vous  en  déposer  une  portion  dans  TOtre  assiette;  il  se 
permettrait  bien  d'antres  gracieusetés  inconnues  à  notre 
civilité  européenne.  Voilà  ce  qui  m^a  le  plus  frappé  dan* 
les  repas  chinois  ;  c'est  toujours  la  même  chose ,  ils  ne 
Tarient  que  sons  le  rapport  de  la  «quantité  etik  la  qnalilé 
des  mets.  L'encens,  toutefois»  est  néserré  poor  les«e- 
casions  solennelles  ;  nos  Pères  n'ont  àk  qne  c'est  b  pre- 
mière fois  qu'ils  en  entendent  parler.  Cest  qm'antfi  b«s 
chrétiens  sont  pour  la  plupart  d^bomnètes  ciiltivaieQn« 
qui  ne  sont  pas  les  plus  laforisés  da  cAlé  de  là  fertone. 

«  Maintenant^  mon  bien  cher  Père^  je  vons  quitta 
pour  sortir  presque  de  la  Chine.  Je  lais  à  dix  liewi  dn 
continent,  dans  111e  àe  Tiùm'4nim9  où  l'on  compte  dut 
mille  chrétiens  au  milie»  d^n  Men  phis  grand  nombre 
d'infidèles.  Monseigneur  m'a  dit  que  je  serai  le  pveaîcr 
Européen  appelé  à  fixer  là  son  si^MH*.  Je  reoommnde 
d'une  manière  tonte  spéciale  à  vos  prières oettenoiiveUe 
Mission.  Il  y  a  beaucoup  de  hmu  à  iMre  et  un  eqpoir 
onde  <le  baptiser  «ne  foule  de  pniens.  Be  plus ,  c'eal  par 
Tionirmim  qu'on  pense  communiquer  avec  le  Japnn. 
Avis  donc  aux  braves. 

«  Tout  à  vous  en  N.-S. 

€  S.  CLàVHIN,  S.  J.  » 


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283 


MISSIONS  DE  LA  CORÉE. 


Le$  dernières  nouvelles  de  la  jCorée  nous  montraient 
k^  Ferréol  aux  portes  de  cette  Missicm  ;  il  était  prêt 
à  franchir  enfîn  les  barrières  qui  le  séparaient  de  son 
tronpeau ,  quand  de  nouveaux  obstacles  vinrent  encore 
une  fois  tromper  son  attente  ,  en  lui  fermant  la  voie  qui 
aiait conduit  ses  prédécesseurs  au  martyre.  Repoussé  de 
/W-oun,  le  Prélat  dut  porter  ses  vues  sur  un  autre  point. 
On  lui  avait  dit  que  sur  les  bords  de  la  mer  du  Japon»  à 
r^boucliure  du  Mikiang  ,  qui  sépare  la  Mantcbourie  de 
la  Péninsule ,  existait  un  bourg  tartare  appelé  Houng- 
tAoun  ,  en  relation  de  commerce  avec  la  Corée  :  il  en- 
^ja  explorer  ce  passage  par  un  de  ses  élèves.  C'était  un 
jeune  diacre  coréen  qui  venait  d'achever  ses  études  à 
Maeao  ;  il  parle  trois  langues  sans  compter  son  idiome 
ittturel ,  le  chinois  comme  un  bemme  du  pays ,  le  latin 
i^Mo  &cilHé  et  le  françws  passaUement.  Un  néophyte 
cUoois  raoûooipÉgnaiu  Quelques  chiéiiens ,  ses  omi* 
Patriotes  ,  avaient  promis  de  se  rendre  de  leur  cM 
^  Binmg.t§kmm  ,  tt  an  ôgoal  dut  ils  étaient  coave- 
>^»  tlevoit  lear  «ervir  k  se  reoMnatlreMaiilieit^la 
^■^^  Dans  kl  lettre  sûvance,  le  Jeune  Conha  lait  à  aM 
^^e  le  réeit  ée  ton  Toyage« 


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384 


Lettre  d'Jndré  Kimcn-Kim  ,  Diacre  ecrém  ,  à  Mgr  Fer- 
réol  y  Evêque  de  Belline ,  Ficaire  apattoUiue  de  la 
Corée  et  des  iU$  lÀeau-Kieau.  (Traduction  du  chinois.) 


HongolHi ,  15  déeembfe  ISU- 


Monseigneur  , 


«  Après  avoir  reçu  la  bénédiction  de  Voire  Grandeur, 
Cl  pris  congé  d'elle,  nous  nous  assîmes  sur  notre  traîneau, 
et  glissant  rapidement  sur  la  neige ,  nous  arrivâmes  en 
peu  d'heures  à  Kouan-4chmg-Ue.  Nous  y  passâmes  la 
nuit.  Le  second  jour ,  nous  franchissions  la  barrière  de 
Pieux  ,  et  nous  entrions  en  Mantchourie.  Les  campagnes 
toutes  couvertes  de  neige ,  ei  ne  présentant  partout  que 
la  monotonie  de  leur  blancheur  uniforme  ,  offiraient  ce- 
pendant à  nos  yeux  un  spectacle  amusant  par  la  multi- 
tude des  traîneaux  qui,  pour  se  rendre  d'une  habitation  à 
une  autre  ,  sillonnaient  l'espace  en  tout  sens  ,  avec  une 
vitesse  que  Ton  voit  rarement  en  Chine. 

€  La  preniière  ville  que  nous  reBContrflnKesfDttfiUrtfif 
métropole  de  la  province  qui  porte  le  mâme  wm  ^  et  ré- 
sidence d*un  Hiang4[im  ou  général  d'armée.  Blieestiis^ 
sise  sur  la  rive  orientale  du  Saungarif  àxM  le  froid  de 
février  enchaînait  eacore  le  cours.  Une  dutlne  de  mon- 
tagnes ,  courant  de  Foccidenc  à  Forient ,  el  dont  Im  ci- 
Mes  s'efiSiçaient  alors  daos  un  léger  nm^  de  vapoirs  • 
Tabrite  contre  le  vent  glacial  du  tmtA.  Gosmie  presque 


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286 
toutes  les  cités  diinoises  ,  Ghirin  n'a  rien  de  remarqua- 
ble ;  c'est  un  amas  irrégulier  de  chaumières  ,  bâties  en 
briques  on  en  terre ,  couvertes  en  paille  »  avec  un  seul 
rez-de-diau8sée.  La  fumée  qui  s'élevait  de  ses  toits,  mon- 
tait perpendiculaire  ,  et  se  répandant  ensuite  dans  l'at- 
mosphère à  peu  de  hauteur ,  formait  comme  un  manteau 
immense ,  de  couleur  bleuâtre ,  qui  enveloppait  toute 
la  ville.  Mantchoux  et  Chinois  l'habitent  conjointement  ; 
mais  les  derniers  sont  beaucoup  plus  nombreux.  Les 
uns  et  les  autres,  m'a-t-on  dit»  forment  une  population  de 
six  cent  mille  âmes  ;  naais  comme  le  recensement  est  in- 
connu dans  ce  pays,  et  que  la  première  qualité  d'un  récit 
chinois  est  l'exagération  ,  je  pense  qu'il  faut  en  retran- 
cher les  trois  quarts  pour  avoir  le  chiffire  réel  de  ses  ha- 
bitants. 

«  Ainsi  que  dans  les  villes  méridionales  ,  ses  rues  sont 
très-animées  :  le  commerce  y  est  florissant  ;  c'est  un  en- 
trqp^  de  fourrures  d'animaux  de  mille  espèces,  de  tissus 
decoton,  de  soieries,  de  fleurs  artificielles  dont  les  femmes 
de  toutes  classes  ornent  leur  téte^  et  de  bois  de  construc- 
tion qu'on  tire  des  forêts  impériales. 

m  L'abord  de  ces  forêts  est  peu  éloigné  de  Ghirin  : 
nous  les  apercevions  à  l'horizon ,  élevant  leur  tête  chauve 
et  noire  au-dessus  de  Téclatanto  blancheur  de  la  neige. 
BUes  sont  interposées  entre  l'Empire  Céleste  et  la  Corée 
comme  une  vaste  barrière  ,  pour  rompre  toute  com- 
munication entre  les  deux  peuples  ,  et  maintenir  ,  ce 
semble  ,  cette  division  haineuse ,  qui  existe  depuis  que 
les  Coréens  ont  été  refoulés  daos  la  péninsule.  De  Test  à 
l'ouest ,  elles  occupent  un  espace  de  plus  de  soixante 
lieues  ;  je  ne  sais  quelleest  leur  étendue  du  nord  au  midi. 
S'il  nous  avait  été  possible  de  les  traverser  en  cet  en- 


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2S6 
droit ,  et  de  pousser  ea  droite  ligue  vers  la  Corée ,  nous 
aurions  abrégé  noire  chemin  de  moitié  ;  mais  elles  dois 
opposaient  un  rempart  Impénétrable.  Nous  dûmes  faire 
on  long  circuit ,  et  aller  vers  Ningotiêtra  cberclier  une 
route  frayée. 

«  Une  difficulté  nous  arrêtait  :  nous  ne  connaissions 
pas  le  chemin  qui  conduit  à  cette  ville.  La  Providence  vînt 
i  notre  secours  ,  et  nous  envoya  pour  guides  deux  mar- 
chands du  pays,  qui  retournaient  dans  lenr  pafrle.  Noos 
glissâmes  en  leur  compagnie  quelque  temps  encore  sur 
la  glace  de  la  riviène ,  en  la  remontant  vers  sa  source. 
L'inégalité  du  terrain ,  les  montagnes  dont  il  est  entr^ 
coupé  ,  les  bois  qui  le  contrent ,  le  déftmt  de  route  tra- 
cée ,  déterminent  les  voyageurs  à  prendre  la  voie  des 
fleuves.  Aussi  ,  en  quittant  le  Soungari ,  nous  allâmes 
nous  jeter  sur  un  de  ses  affluents  ,  qui  va,  plus  au  nord, 
grossir  de  ses  eaux  le  courant  principal.  Les  Chinois 
nomment  cette  rivière  Mou-touan  ;  sur  la  carte  euro- 
péenne elle  est  marquée  Hur-dia  ;  serait-ce  son  nom  ta^ 
tare  ?  je  l'ignore.  Des  auberges  sont  échelonnées  sur  ses 
rives.  Nous  fûmes,  un  jour,  agréablement  surpris  d'o) 
rencontrer  une  chrétienne  :  on  nous  y  reçut  en  frères  ; 
QOii-seuIemest  on  n'exigea  rien  pour  notre  logement , 
■Mus  o»  nous  contraignit  néme  d'acoepler  des  proviiioas 
do  booche.  C'est  one  joslioe  à  rendrerax  néofÂytesciii* 
■ois  :  ib  pratiqveat  envers  kvrs  Mrts  écranfers 
rbosphalité  la  phis  géBéreuse. 

«  Noos  nous  avancions,  tantôt  sur  la  glace  du  lleiive, 
tantôt  sur  Fun  ou  sur  l'autre  de  ses  bords,  suivant  que  la 
route  nous  oflhiit  moins  d'aftpérité.  A  droite  et  à  gauche 
s'élevaient  de  hautes  montagnes  couronnées  d*arbre5  ^- 
gantesques  ,  et  habitées  par  les  tigres ,  les  panthères, 
les  ours  ,  les  loups ,  et  autres  bétes  l^roces  ,  qui  se 


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387 
réuBUMBl  pour  fiiice  lar  goeire  aux  paistfits*  Malheur  à 
riiqprudent  qui  oserait  seul  s'engager  au  aûlieu  de  ceite 
affreuse  solitude  1  il  n'irait  pasbin  sans  élre  dévoré.  Oa 
noua  dit  que  dans  le  courant  de  Tbiver ,  près  de  quatre- 
vingts  hommes  »  et  plus  décent  boeufs  ou  chevaux  étaient 
devenus  la  proie  de  ces  animaux  carnassiers.  Aussi  les 
voyageurs  ne  marchent-ils  que  bien  armés  et  en  forte 
caravane.  Pour  nous ,  nous  formi<His  un  bataillon  redou- 
table à  nos  ennemis.  De  temps  en  temps,  nous  en  voyions 
sortir  quelques-uns  de  leur  repaire  ;  mais  notre  bonne 
eontenance  leur  imposait ,  ils  n'avment  garde  de  nous  at« 
tafcpier. 

«  Si  ces  animaux  luttent  contre  tes  hommes,  ceux-ci 
^revanche  leur  font  une  guerre  d'extermination.  Cha- 
que année  vers  l'automne  ,  l'empereur  envoie  dans  ces 
forêts  une  armée  de  chasseurs  ;  cette  dernière  année  ,  ils 
étaient  cinq  mille.  II  y  a  toujours  plusieurs  de  ces  preux 
qui  payent  leur  bravoure  de  leur  vie.  J*en  rencontrai  un 
que  ses  compagnons  ramenaient  au  tombeau  de  ses  pères, 
à  plus  de  cent  lieues  de  là  :  il  avait  succombé  au  chaïnp 
dlionneur  ;  sur  sa  bière  étaient  étalés  avec  orgueil  les 
trophées  de  sa  victoire ,  le  bois  d'un  cerf  et  la  peau  d'un 
tigre*  Le  chef  du  convoi  fîinètoe  jetait  par  intervalle  sur 
la  voie  publique  du  papier  monnaie ,  que  l'âme  du  défunt 
devait  ramasser  pour  s'en  servir  au  pays  d'outre-tombe. 
Cet  pauvres  gens ,  hélas  I  étaient  loin  de  penser  que  la 
Foi  et  les  bonnes  ceuvres  sont ,  dans  l'autre  monde  ,  la 
seule  monnaie  de  bon  aloi.  Sa  Majesté  chinoise  s'est  ré- 
servé à  elle  seule  le  droit  de  chasser  dansées  forêts ,  ce 
qiy  n*empéche  pas  une  foule  de  braccmniers  chinois  et 
ooréeu  de  les  exploiter  à  leur  profit. 

m  AvttBt  d'atteindre  la  rwteqni  perce  la  fbrét  jusqu'à 
farflMT  erieniite,  nMetraverstawinttpetit  lacdtseptà 


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288 
huit  lieues  de  large  ;  il  était  glaoé  comme  la  ritière  qni 
Palimente.  Il  est  célèbre  dans  le  pays  par  le  nombre  de 
perles  qu'où  y  pèche  pour  le  compte  de  remperenr.  Od 
le  nomme  Hei-hou  ou  Hing-tehou-mén^  Lac  fwir  ou  Ar(e 
aux  pierres  précieuses.  La  pédie  s'y  fait  en  été.  En  sor- 
tant de  la  Porte  aux  perks ,  nous  entrâmes  dans  une  h^ 
^tellerie.  Le  premier  jour  du  nouTel  an  chinois  appity- 
cbait ,  jour  de  grande  fête  ,  de  grands  festins  ,  et  de 
joyeuse  vie.  Tout  voyageur  doit  interrompre  sa  courte 
,  pour  le  célébrer.  L'aubergiste  nous  demanda  d'oil  nous 
venions  et  où  nous  allions.  «  De  KkomirUkenftxe ,  tai 
«  dtmes-nous  ,  et  nous  allons  à  Houng^choun  ;  m» 
«  nous  ne  savons  pas  le  chemin  qui  y  condiUt.  —  En  œ 
«  cas  f  pousuivit*il,  vous  allez  demeurer  chez  moi  ;  voiâ 
«  la  nouvelle  année  :  dans  huit  jours  ,  mes  chariots  doi- 
«  vent  se  rendre  au  même  endroit  :  vous  mettrez  des- 
«  sus  votre  bagage  et  vos  provisions  ,  et  vous  partirez! 
«  leur  suite;  en  attendant,  vous  serez  bien  traités.  »  Son 
offire  fut  acceptée  avec  remerdment.  Nos  chevaux ,  d'ail- 
leurs, étaient  si  fatigués  qu'une  halte  de  quelques  jours 
leur  était  nécessaire. 

«  A  l'époque  du  nouvel  an  ,  les  païens  se  livrent  ï 
de  curieuses  superstitions.  Les  gens  de  Tauberge  pas- 
sèrent la  première  nuit  en  veille.  Vers  l'heure  de  minuit; 
je  vis  s'approcher  du  Khang  ,  ou  fourneau  qui  me 
servait  de  lit ,  un  maître  de  cérémonies ,  affublé  de  je  ne 
sais  quel  habit  étrange.  Je  devinai  son  intention  ;  je  fis 
semblant  de  dormir.  Il  me  frappa  légèrement  à  plusieurs 
reprises  sur  la  tête  pour  m'éveiller.  Alors  sortant  comme 
d'un  sommeil  profond:  «  Qu'est-ce  donc?  qu'y  a- t-il? 
«  lijul  dis-je.  —  Levez- vous  :  void  que  les  Dieux  appro- 
«  chent  ;  il  faut  alkr  les  recevoir.  —  Les  Dieux  appro- 
«  chent  I....  D'où  vimnent-ils?  quels  sont  ces  Dieax? 


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289 
—  Oui ,  les  Dieux ,  les  grands  Dieux  vont  venir  ;  leiiez* 
«  vous ,  il  faut  aller  à  leur  rencontre.  —  Eh  I  mon  anû  , 
«  un  instant.  Tu  le  vois^  jesuisen  possession  du  dieu  du 
«  sonuneil ,  en  est-il  un  parmi  ceux  qui  vienn^t  qui 
«  puisse  m^étre  aussi  agréaUe  à  Theure  qu'il  est  ?  De 
«  grâce  ,  permets  que  je  jouisse  tranquillement  de  m 
•  présence  ;  je  ne  connais  pas  les  auires  dont  tu  me  par* 
«  les.  »  Le  maître  de  oériémonies  s'en  alla  gronunelanc 
je  ne  sais  quelles  paroles.  Il  est  à  présumer  qu'il  ne  fut 
pas  fort  édifié  de  ma  dévotion  pour  ses  grands  Di^x^  et 
qu'il  augura  mal  du  soccès  de  mon  voyage. 

«  Voici  la  manière  dont  se  fait  cette  réception  nocturne. 
Le  moment  venn  ,  c'est-à-dire  à  minuit ,  hommes,  fem- 
mes, enfants  ,  vieillards,  tous  sortent  au  milieu  de  la 
cour ,  chacun  revêtu  de  ses  pins  beaux  habits  :  là ,  on  se 
lient  debout  ;  le  père  de  famille  qui  préside  à  la  cérémo- 
nie ,  promène  ses  regards  vers  les  différents  points  du 
ciel.  Il  a  seul  le  privilège  d'apercevoir  les  Dieux.  Dès 
qu'ils  se  sont  montrés  à  lui ,  il  s'écrie  :  «  Us  arrivent , 
«  qu'on  se  prosterne,  les  voilà  de  tel  côté.  »  Tous  à  l'in- 
stant se  prosternent  vers  le  point  qu'il  indique.  On  y 
tourne  aussi  la  tète  des  animaux,  le  devant  des  voitures; 
il  faut  que  chaque  chose  dans  la  nature  accueille  les  Dieux 
k  sa  manière  :  il  serait  malséant  si ,  à  l'arrivée  de  tes 
hôtes  célestes,  leurs  yeux  rencontraient  la  croupe  d'un 
cheval.  L»es  divinités  étant  ainsi  reçues  ,  tout  le  monde 
rentre  dans  la  maison  et  se  livre  à  la  joie  d'un  copieux 
festin  en  leur  honneur. 

«  Nous  demeurâmes  huit  jours  à  Hiny^tehcfiMnm.  Le 
4  de  la  première  hme ,  laissant  là  notre  traîneau  dëeor* 
nais  inutile ,  notts  stUÉms  nos  chevaux  et  nous  pant^ 
n»  aveo  les  cbarlois  de  ravbergiite.  Ses  gens  s'étMenc 
^og^gés ,  mojMnint  M  prix  convemi ,  à  fournir  dm 
TOM.  xvni.  106.  DitftdbyLjOOgle 


290 
hangB  à  DOS  montures,  et  à  porter  dob  provisions  pai- 
rfiatqne  sons  trav^rs^ions  la  forft;  car  on  n*y  trouve  que 
de  boîs  pour  se  diaaffer  et  foire  caire  ses  aliments.  Enfis 
MM  orivâmes  à  Ma4im^  près  de  /RnjwiÉra ,  oi 
(MUMBçait  la  route  ,  dont  Fautre  bout  attdgnait  la 
iMrà  UBe  distance  de  soixante  lieues*  Il  y  a  sept  à  huit 
«Mf  08  ne  rencontrait  sur  le  chemin  aucune  habitaiicMi , 
i«eue  cabane  qui  donnât  un  abri  au  Toyageurs.  Cenx-d 
m  i4«nisBaieat  «B  caravanes  et  campaient  àreuffroitoA 
kn^iessurpranait ,  en  ayant  soin  pour  écarter  les  ti* 
gras  d*entretenir  des  feux  jusque  matin.  Anjourdlnî 
des  hAtelleries  sontécbelcmnées  surles  bords  de  Ursule  : 
ca  aost  de  grandes,  huttes,  eoasiruUes  à  la  maniire  des 
sauvages  ,  avec  des  branches  et  des  troncs  d'arbres  m- 
peipoaés ,  demi  les  intervalles  ainsi  que  les  plus  grosses 
{sMs  sont  bouchés  avec  de  la  boue.  Les  architectes  et 
BMttresde  ces  caravansérails  eafiimés  sont  deux  ou  trois 
ChinoiSt  qu'on  attelle  en  langage  du  pays  KouaÊMf-hmr 
Us  t  fsiu  êon»  famiUe  ,  venus  de  loin  ,  la  pUipartdéser- 
teurs  de  la  maison  pat^neUe  et  vivant  de  rapine.  CeA 
pendant  Fhiver  seulement  qu'ils  sont  là  ;  le  beau  temps 
revenu ,  ils  quittent  leurs  cabanes^  et  s'en  vont  bra- 
coMttT  dans  le  bois ,  ou  chercher  le  /en-set^  ,  cette  rt- 
ctue  précieuse  ,  qui  se  vend  en  Chine  le  double  du  poids 
de  Ter. 

«  L*ioîérieur  de  ces  taudis  est  encore  plus  hideux  q«« 
le  dehors  n'est  misérable.  Au  milieu  ,  montée  sur  trois 
pierres ,  repose  une  grande  marmite  ,  seule  vaisselle  * 
ces  restaurants.  On  met  le  leu  par-deas»  ;  i^^^^ 
•'éekan^  par  où  el^e  peut.  Je  tous  laîaae  à  jugtf  de  Is 
«Mceur  qui  s'attache  aux  paras.  Des  féails^  ii«s  €<'** 
mm  de  <àasse  .  ettfaaiés  oonme  le  rente, sattiP- 
pandas  aux  troMs  qui  tommu  las  aa«mîUes?ia«<^ 

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291 
est  couvert  d'écorces  d^arbres  :  c'est  sur  ce  duvet  que  le 
voyageur  doit  reposer  ses  membres  fatigués  et  réparer 
ses  forces.  Nous  nous  trouvions  quelquefois  plus  de  ceot 
étendus  là  péle-méie«  presque  les  uns  sur  les  autres.  La 
fumée  m'étoufTait ,  j'en  étais  asphyxié  ,  je  devais  sortir 
de  temps  en  temps  pour  respirer  Fair  extérieur  et  re- 
prendre baleine  ;  le  matin  j'expectorais  la  suie  avalée 
pendant  la  nuit* 

«  Les  Kùwmg*kwMXie  n^elfrent  à  leurs  botes  que  le 
lofe  et  Peau.  C'est  donc  une  nécessité  pour  ceux-ci^  avant 
de  pénétrer  dttts  le  bois  ,  de  £ftire  leurs  provisions.  Là , 
la  monnaie  de  cuivre  n'a  pas  de  cours  :  l'argent  y  est 
presque  inconnu  ;  les  maîtres  d'auberge  reçoivent ,  en 
échange  de  rhospitalifé  qu'ils  donnent ,  du  riz,  du  mil- 
let ,  de  petits  puins  cuits  à  la  vapeur  ou  sous  la  cen- 
dre, de  la  viande,  du  vin  de  mais ,  etc.  Quant  aux  bétes 
de  somme,  elles  wo$.  logées  à  la  belle  étoile,  et  il  &ut  faire 
sentinelle  pour  les  soustraire  à  la  voracité  des  loups  et 
des  tigres ,  d^nt  Tapprodie  nous  était  signalée  par  les 
dievaux  qui  hennissaient ,  ou  qui  soufflaient  avec  force 
de  leurs  naseaux  dilatés  par  là  peur.  On  s'armait  alors 
^^  torches  ,  on  frappait  du  tam-tam  ,  on  criait ,  on 
htiriait ,  et  on  mettait  l'ennemi  en  fuite. 

«  Ces  forêts  m^ontparu  très-anciennes  ;  les  arbres  en 
^at  énormes  et  d'une  hauteur  prodigieuse.  Ce  n'est  que 
^ur  la  lisière  que  la  hache  les  abat  ;  à  l'intérieur  la  vieil- 
lesse  seule  les  renverse*  Des  nuées  d'oiseaux  habitent 
dans  leurs  brandies  ;  il  y  en  a  d'une  grandeur  démesu- 
^^«  qui  enlèvent  de  jeunes  cerfs  ;  leurs  noms  me  sont  in- 
«'xmniis.  Les  faisans  surtout  abondent  :  on  ne  saurait  se 
faire  une  idée  de  leur  multitude ,  quoique  les  aigles  et 
^  vautours  leur  fessent  une  guerre  cruelle.  Un  jour  , 
**^»«  vfcwg  un  dt  ces  oiseaux  rapaoes  finHbre  sur  un  mal-30gk 

10 


194 
«  Quand  noos  arritâmes  à  la  frontière,  il  défait 
8*éc(niler  huit  jours  avant  Pouverture  du  marcké.  Que 
le  temps  me  parut  Icng  I  Qu'il  me  tardait  de  reconnatu^, 
au  signal  convenu ,  les  néophytes  coréens  et  de  m'aboa- 
cher  avec  eux  I  Mais  force  fut  bien  d'attendre.  «  Hélas  1 
«  me  disais- je  y  ces  peuples  en  sont  encore  à  cet  état  de 
«  barbarie  de  ne  voir,  dans  un  étranger,  qu'un  ennemi 
«  dont  il  faut  se  défaire ,  et  qu'on  doit  rejeter  avec  hor- 
«  reur  de  son  paysl  »  Comme  je  comprenais  alors  cette 
vérité,  que  Thomme  n'a  pas  de  demeure  permanente  ici- 
bas,  qu'il  n'est  qu'un  voyageur  de  quelques  jours  sur  la 
terre  I  Moi  même  je  n'étais  souffert  en  Chine  que  parce 
que  Ton  me  croyait  Chinois,  et  je  ne  pouvais  fouler  le 
sol  de  ma  patrie^que  pour  un  instant  et  ea  qualité  d'étran- 
ger. Oh  !  quand  viendra  le  jour  où  le  Père  ooflumun  de  la 
grande  famille  humaine  fera  enril^rasser  tons  ses  enfants 
dans  l'effusion  d'un  baiser  fraternel,  dans  cet  amour  im- 
nsenae que  Jésus ,  son  Fik^  est  venu  comminiiquer  à  touf 
les  hommes  I 

«  Avant  de  partir,  vous  m'aviez  recommandé,  Mon- 
seigneur, de  prendre  des  renseignements  sur  le  pays  que 
fanrais  i  parcourir.  J'ai  tâché  de  me  conformer  aux  in- 
tentions de  Votre  Grandeur.  En  observant  moi-méflu, 
en  interrogeant  les  autres,  en  faisant  un  appel  aux  sou* 
nmin  de  ma  première  jeunesse ,  passée  dans  les  écolei 
de  la  Corée ,  j'ai  pu  recueillir  les  détails  que  je  vais  voos 
soumettre.  Je  serai  le  plus  bref  possible. 

«  Les  Mantcboux  proprement  dits  sont  disséminés  sur 
un  vaste  terrain  y  moins  étendu  cependant  que  ne  l'indique 
la  carte  européenne  que  j'ai  sous  les  yeux  ;  ils  ne  vont 
guère  au  delà  du  46^  de  latitude.  Bornés ,  i  l'occident, 
par  la  barrière  de  pieux  et  le  Soungari^  qui  les  séparent 


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395 
de  la  Moi^lie;  au  nord,  par  les  deux  petits  éw»  àm 
(hh£in  et  des  Jn-A'-IalM  ou  Tariuui  au»  jMdHOi  4i 
poisiimt;  à  l'orient ,  par  la  mer  du  Japon  ;  ils  coafiafiQl 
ayec  la  Corée  au  midi. 

«  Depuis  qu'Us  ont  conquis  la  Chine ,  leur  pays  est 
désert;  d'immenses  forêts^  oh  le  voyageur  ne  rencontre 
aucun  être  humain»  en  couvrent  une  partie;  le  reste 
est  occupé  par  quelques  stations  militaires ,  s'il  faut  ap- 
peler de  ce  nom  un  petit  nombre  de  familles  tartares» 
groupées  ensemble  à  des  distances  très  considérables,» 
Ces  familles  sont  entretenues  aux  frais  de  l'empereur  ;  il 
leur  est  défendu  de  cultiver  la  terre.  Il  semble  qu'elles 
De  sont  là  que  pour  faire  acte  de  présence»  et  dire  aux 
peapladcs  du  nord ,  très-timides  d'ailleurs  et  se  trouvant 
assez  au  large  dans  leurs  bois  :  «  Ne  descendez  pas  ;  le 
pqrs  est  occupé.  »  Des  Chinois  clairs-semés  qui  défri- 
chent, en  fraude  de  la  loi,  quelques  coins  du  pays,  leur 
vendent  le  grain  nécessaire  à  leur  subsistance. 

«  La  Mantchourie  paraît  très- fertile;  on  le  reconnaît 
à  Therbe  luxuriante  qui  s'élève  à  hauteur  d'homme.  Dans 
les  endroits  cultivés,  elle  produit  le  mais,  le  millet»  le 
sarrasin,  le  froment  cq  très- petite  quantité.  Si  eetle 
dernière  récolte  n'est  pas  plus  abondante ,  il  faut  l'im* 
puter,  je  crois»  à  l'humidité  du  sol  et  aux  brouillar()l 
dont  il  est  souveuf  couveru 

«  Toure  Oandeur  demandera  peut-être  la  cause  de  ta 
solitude  qui  règne  en  Mantchourie.  Ce  fut  une  politique 
du  dief  de  la  dynastie  actuelle  en  Chine^de  transplanter, 
lors  de  h  conquête^  son  premier  peuple  dans  le  pays 
envahi.  Quand  il  fit  irruption  dans  Fempire ,  il  emmena 
avec  hii  tous  ses  soldats  avec  leurs  familles ,  c'est-à-dKre 
tons  ses  sujets;  il  en  laissa  une  partie  dans  le  Leao-  7mg, 


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29fi 
et  distribua  le  reste  dans  les  principales  cités  diinoises. 
Il  s'assurait  ainsi  la  possession  de  ces  villes,  en  y  jetant 
une  population  nouvelle ,  intéressée  k  les  maintenir  dans 
le  devoir^  à  étouffer  les  révoltes  dans  leur  naissance,  et 
à  consolider  sa  puissance  sur  le  trône  impérial. 

«  Cet  état  de  choses  a  duré  jusqu'à  nos  jours.  Les  Chi- 
nois et  les  Mantchoux ,  quoique  habitant  depuis  deux 
siècles  dans  la  même  enceinte  de  remparts,  et  parlant  le 
même  langage,  ces  deux  nations  ne  se  sont  pas  fondues  : 
chacune  conserve  sa  généalogie  distincte.  Aussi ,  en  en- 
trant dans  une  auberge ,  en  abordant  un  inconnu ,  rien 
de  plus  commun  que  cette  question  :  «  Ni  che  mingjeu^ 
c  khi  jeu?  Es-tu  Chinois  ou  Mantchoux?  »  On  désigne 
les  premiers  par  le  nom  de  la  dynastie  des  Ming ,  et  les 
seconds  par  le  nom  de  bannière.  Cest  que  les  Mant- 
choux, dans  le  principe,  furent  divisés  en  huit  tribus, 
se  ralliant  chacune  sous  un  étendard  dont  elle  conserve 
la  dénomination. 

«  Les  Mantchoux  n'ont  pas  de  littérature  nauonale  : 
tous  les  livres  écrits  en  leur  langue  sont  des  traductions 
d'ouvrages  chinois,  faites  par  un  tribunal  spécial  établi 
iiPéking.  Ils  n'ont  pas  même  d'écriture  propre;  ils  ont 
emprunté  aux  Mongols  les  caractères  dont  ils  se  servent. 
Leur  langue  se  perd  insensiblement;  il  en  est  assez  peu 
qui  la  parlent  ;  encore  cent  ans  ,  et  elle  ne  sera  dans 
les  livres  qu'un  souvenir  du  passé.  Elle  a  beaucoup  d'af- 
finlté  avec  la  nôtre  ;  cela  doit  être ,  puisqu'il  y  a  quelques 
siècles ,  la  Corée  étendait  ses  limites  au  delà  du  pays  des 
Mantchoux  proprement  dits ,  et  ne  faisait  des  deux  états 
qu'un  seul  royaume ,  habité  par  le  même  penple.  On 
trouve  encore  dans  la  Mantchourie  certaines  familles 
dont  la  généalogie,  religieusement  conservée  »  atteste  luie 


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297 
origine  coréenne;  on  y  rencontre  aussi  des  tombeaux 
renfermant  des  armes ,  des  monnaies ,  des  vases  et  des 
livres  coréens. 

«  Je  vous  ai  parlé  (dus  haut  des  Ou-Kin  et  des  Tu-Pir 
Latse.  Je  n'ai  pu  recueillir  sur  leur  compte  que  des  don- 
nées incomplètes.  Les  derniers  sont  ainsi  appelés  par  les 
Chinois^  parce  qu'ils  se  revêtent  d'habits  faits  de  peaux 
de  poisson.  Habitant  sur  les  rives  dnSoungari  et  sur  les 
bords  des  rivières  qui  grossissent  ses  eaux  »ou  errant  dans 
les  bois,  ils  se  livrent  à  la  pèche  et  à  la  chasse,  et  vendent 
aux  Chinois  les  fourrures  des  animaux  qu'ils  ont  tués  et 
le  poisson  qu'ils  ont  pris.  Le  commerce  se  fait  en  hiver; 
le  poisson,  qui  est  alors gelé,alimente  les  marchés  à  plus  de 
deux  cents  lieues  au  loin  j  les  Tu-Pi-Latse  reçoivent  en 
échange  dès  toiles,  du  riz  et  de  l'eau-de-vie  extraite  du 
millei.  lis  ont  une  langue  à  eux.  Leurs  états  sont  indé- 
pendants de  l'empereur  de  Chine,  et  ils  n'admettent  pas 
les  étrangers  sur  leur  territoire.  Les  Chinois  disent  qu'ils 
sont  d'une  malpropreté  dégoûtante.  Cela  peut  être;  maïs 
pour  avoir  le  droit  de  leur  faire  un  pareil  reproche, 
<:eux  qui  les  accusent  devraient  eux-mêmes  changer  de 
linge  un  peu  plus  souvent  qu'ils  ne  font,et  détruire  la  ver- 
mine qui  les  dévore. 

«  Au  delà  du  pays  occupé  par  les  Ih-Pi-LaUe,  et 
jusqu'à  la  frontière  de  la  Russie  asiatique,  il  est  à  présu- 
mer qu'il  existe  d'autres  bordes  errantes.  Cette  opinion 
que  j'émets  n'est  qu'une  simple  conjecture  ;  car  on  n*a 
aucune  dooAée  positive.  Au  mîdt  de  cette  tribu ,  du  û6cé 
dé  la  mer  »  est  «a  pty$  qtt'on  m'a  nommé  Ta-Tcho-Som , 
fiorte  de  terre  affranchie  m  se  «oit  réunis  il  n'y  a  pas 
longtemps ,  et  où  se  réiuii«eiit  encens  tons  les  jours ,  une 
toule  de  vagabonds  chinois  et  coréens  :  les  uas  poussés 


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298 

par  Tesprii  d'indépendance ,  les  autres  pressés  d'écbap- 
per  au  cb&umenc  dû  à  leurs  méfaits  ou  à  la  poursuite  de 
leurs  créanciers.  Accoutumés  au  brigandage  et  au  crime, 
ils  n'ont  ni  mœurs  ni  principes,  lis  viennent  cependant, 
m'a-t-on  dit,  de  se  choisir  un  chef  pour  réprimer  leurs 
propres  désordres,  et  se  donner  une  existence  plus  régu- 
lière. D'un  commun  accord ,  ils  ont  décidé  qu'on  enter- 
rerait vif  tout  homme  coupable  d'homicide;  leur  chef 
lui-même  est  soumis  à  cette  loi.  Comme  iU  n'ont  pas  de 
femmes ,  ils  en  enlèvent  partout  oà  ils  en  trouvent.  Ce 
petit  état^  qui  ne  ressemble  ps»  mal  au  commencemeM 
de  l'antique  Rome ,  en  anra-t-it  les  développemeou? 
C'est  ce  que  l'avenir  dévoilera. 

«  Non  loin  de  la  frontière  coréenne ,  au  milieu  de  la 
forêt,  s'élance  vers  les  nues  le  Ta-Pei-Chan  ou  U  Grande- 
Montagne-Blanche ,  devenue  célèbre  en  Chine  par  le  ber- 
ceau de  Han-ff^ang ,  chef  de  la  famille  impériale  actuel- 
lement sur  le  trône.  Sur  le  versant  occidental  a  été 
conservée,  à  l'aide  de  réparations,  son  antique  demeure  : 
lieu  entouré,  par  la  superstition  chinoise,  d'un  culte  re- 
ligieux ,  le  dévot  pèlerin  y  vient  des  contrées  les  plus  loin- 
taines incliner  son  front  dans  la  poussière.  Les  auteurs 
sont  partagés  sur  l'origine  de  Han-Wang  :  les  uns  disent 
qu'il  fut  d'abord  chef  de  voleurs  et  qu'il  exploitait  les 
pays  d'alentottr;  qœ^  se  voyant  à  la  i4te  d'un  ps^ii  nom- 
breux ,  il  jeta  les  fondeaieotf  d'une  paistanee  royale. 
D'autres  somieniient,  pour  savver  son  honneur,  que 
c'était  nn  de  oes  petits  roitelets  éonme  il  y  en  a  bew- 
coup  en  Tàrtarie,  eC  qn'il  m  fit  qn'tframfir  l'héritige 
qa^'A  avait  reçn  de  ses  pères.  Quoi  qa'S  en  soit  de  sa 
naissance,  il  c«t  eertain  q«e  vers  la  &i  de  la  dynastie  des 
Mimjf,  ce  prinee  était  dëji  atsec  pdflsaal  pottr  fiiirt  tres- 
Mer  l'emperevr  de  Chine.  f^m-U,  hm  des  derniers 


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i99 
moBârqtieft  de  cette  race  déchue,  pour  dâ>iliier  les 
forces  de  ce  wisiii  dangereux,  le  pria  de  lui  entoyer 
l'élite  de  ses  guerriers ,  sous  prétexte  de  les  opposer  aux 
MoDgols  cfui  menaçaient  ses  états.  Dès  qu'M  les  vit  en  sa 
puissance,  il  les  fit  tous  périr,  à  Texception  d'un  seul, 
qui  sut  par  sa  benne  mine  intéresser  un  mandarin  en  sa 
faveur,  et  fut  mis  pair  lui  au  nombre  de  ses  domestiques, 
li  gagna  tellement  sa  confiance,  qu'il  devint  l'intendant 
de  sa  maison.  A  qu^ue  temps  de  Ui,  un  autre  officier 
chinois,  étant  venu  virfter  le  mandarin,  vit  le  jeune 
Tartare ,  et  dit  à  son  confrère  qu'en  conservant  ce  pros- 
crit, il  s'exposait  à  encourir  l'indignation  de  l'empereur. 
L'autre  lui  répondit  qu'il  s'en  déferait,  mais  qu'en  at- 
tendant il  fallait  se  livrer  à  la  joie  du  festin. 

«  Cependant,  le  jeune  homme  ,  qui  avait  entendu  ce 
propos ,  craignant  pour  ees  jours  ,  ordonne  à  un  pale- 
frenier de  sdler  le  meilleur  des  chevaux  de  son  maître, 
disant  qu'il  a  une  conuuission  importante  à  remplir*  Le 
cheval  prét,il  monte  diessus,  et  court  à  bride  abattue  à  la 
lUonUtftêe'Blamche  annoncer  à  Ban4f^cmg  la  trahison  de 
l'empereur  et  le  sort  de  ses  infortunés  compagnons  d'ar- 
mes. HarirfFang  ne  se  possède  plus  ;  il  envoie  l'alné  de 
ses  dix  fils  à  la  tête  d'une  armée  s'emparer  de  Moucden^ 
capitale  du  Leao-Tong ,  que  les  Chinois  avaient  enlevé 
aux  Coréens.  Le  général ,  arrivé  k  Maucden^  fut  effrayé 
du  nombre  des  ennemis  et  s'en  retourna  sans  coup  férir* 
Son  père ,  outré  de  sa  lâcheté^  le  tua  de  sa  propre  main; 
puis,  prenant  sa  famille  et  tout  son  peuple ,  vint  se  pré- 
senter devant  la  ville ,  qui  lui  ouvrit  ses  portes.  Il  y  plaça 
son  trône. 


«  SureesMUniiâm,  don  ùBimen  en  priais  kipé- 
rîil,  deol  l'anime  n^mff^mkg^iVmtnTcm,  tnmk- 
raitoe  coûqrirtiion  castre  Tcfa—f  Ttenf, 


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300 
de  ff^art'ùi ,  et  élurent  un  antre  prince  à  sa  place. 
Tdunmg-Tseng ,  voyant  ses  affaires  dése^rées,  se  pen- 
dit à  UQ  arbre  sur  le  mont  Meickan.  On  a  conservé  cet 
arbre  jusqu^à  nos  jours  ;  les  Chinois  Tentourent  d'une 
grande  vénération ,  persuadés  qu^il  a  été  sanctifié  par  la 
mort  de  Tempereur.  Celai  qu^on  a^it  mis  à  sa  place 
s*appelait  Tchouang-ff^aaig.  11  eut  Timprudence  de  s'at- 
tirer la  haine  d'un  mandarin  puissant  en  lui  enlevant  sa 
femme.  OuSang-Kom,  Tépoux  outragé,  demanda  da 
secours  au  nouveau  roi  de  Mûuedm  pour  poursuivre  le 
ravisseur  qui ,  effrayé^  s'était  enfui  dans  les  provinces 
méridionales. 

«  Pendant  ce  temps- là  (1644) ,  le  rusé  HanWanq 
envoie  son  second  fils  Choun-Dje^  qui  s'empare  de  Péking 
et  inaugure  la  dynastie  des  Tartares-Mantchoux.  Chaun- 
Dfe  fut  père  de  Khan-Hi,  sous  le  règne  duquel  on  eut 
un  instant  l'espoir  de  voir  tonte  la  Chine  se  convertir  à 
la  foi  chrétienne,  espoir  qui  s'évanouit  sous  le  règne  de 
ses  successeurs  «/otmjf-7cAm ,  Kien-Loung,  Kia-Khing, 
Tao-Kauangj  qni  ont  plus  ou  moins  persécuté  la  Religion. 

«  Je  reviens  au  récit  de  mon  voyage.  Le  20  de  la  pre- 
mière lune ,  le  mandarin  coréen  de  Kien-fFtn  transmit 
à  Houng-Tchoun  la  nouvelle  que  le  commerce  serait 
libre  le  lendemain.  Dès  que  le  jour  parut,  nous  nous 
bâtâmes,  mon  compagnon  et  moi,  d'arriver  au  marché. 
Les  approches  de  la  ville  étaient  encombrées  de  monde; 
nous  marchions  au  milieu  dé  la  ioule ,  tenant  en  main 
notre  mouchoir  blanc ,  et  portant  à  la  ceinture  un  petit 
sac  à  thé  de  couleur  rouge  :  c'était  le  signe  dont  on  était 
convenu  et  auquel  les  courriers  coréens  devaient  nous 
reeoanallre;  de  pins,  c'étÂt  à  e«%  de  nom  abonter. 

«  MouaentTHias  dantkfilb,  note  «avortions,  per- 
8(Mine  ne  se  présentait.  Plusieurs  henres  s'écosl^cnt 


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301 
ainsi  ;  nous  commencions  à  éire  dans  rinqniéCttde. 
«  Auraient-ik  manqué  an  rendez-Tons?  nons  disions- 
«  nons  l'un  à  Tantre.  »  Enfin ,  élrat  allés  afareater  nos 
chevaux  à  un  ruisseau  qni  coule  ù  trois  cents  pas  de  la 
Tille ,  nous  Toyons  venir  à  nous  un  inconnu  qui  avait 
aperçu  notre  signalement.  Je  lui  parle  chinois ,  il  ne  me 
comprend  point.  «  Comment  t'appelles-tu  ?  lui  dis-je 
«  alors  en  coréen.  —  Han  est  mon  nom ,  me  répondit-îK 
«  —  Es-tu  disciple  de  Jésus?  —  Je  le  suis.  »  Nous  y 
voici,  pensai-je* 

«  Le  néophyte  nous  conduisit  auprès  de  ses  compa- 
gnons. Ils  étaient  Tenus  quatre  »  et  il  y  avait  plus  d'un 
mois  qu'ils  attendaient  notre  arrivée.  Nous  ne  pûmes  pas 
avoir  ensemble  un  long  entretien  :  les  Chiiiois  et  les  Co- 
réens nous  environnaient  de  toutes  parts.  Ces  pauvres 
chrétiens  paraissaient  abattus  par  la  tristesse.  L'air  mys- 
térieux qui  régnait  dans  l'échange  de  nos  paroles»  intri- 
guait les  païens.  Quand  ceux-ci  semblaient  moins  atten- 
tif à  nos  discours ,  nous  glissiotis  quelques  mots  sur  nos 
affaires  religieuses,  et  puis  tout  de  suite  nous  revenions 
au  marché  de  nos  animaux.  «  Combion  en  vent-tn?  — 
«  Quatre-vingts  Ugatnres.  -—  C'est  trop  cher.  Tiens , 
«  prends  ces  cinquante  ligatures  et  livre-moi  ta  bote. — 
«  Impossible ,  tu  ne  l'auras  pas  à  moins.  »  C'est  ainsi 
que  nous  donnions  le  change  à  ceux  qui  nous  observaient. 

«  J'appris  de  ces  durétiens  que  depuis  la  peréécution 
l'Eglise  coréenne  était  asseï  tranquille  ;  qu'un  grand  nom- 
bre de  fidàles  s'étaient  retôrét  dans  les  provinces  méridio- 
nales ,  comme  nsoins  exposées  aux  conpsde  ki  tempête  ; 
que  plusieurs  familles  s'étaient  récemment  convertksà 
la  foi  ;  qu'il  serait  difficile  aux  néophytes  de  eonserver 
longtemps  un  Missionnaire  européen  dans  le  pays ,  mais 
que  se  coftfiaat  en  la  bMté  divine ,  Us  fei  aient  tout  ce  qui 

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302 
dépendrait  d*eax  pour  le  recemir  ;  qne  Pien^JUtn  serait 
nioins  dangereux  que  Eimnf4dumn  pov  son  imroduo 
tion ,  par  h  ruson  qu'en  emvànt  par  le  nord  ,  oam  la 
difficnhé  de  passer  la  fironUère  ,  il  lui  Ëuidrait  encore 
traverser  tout  k  royaume. 

«  Notre  entretien  étant  fini ,  nous  nous  primes  les 
mains  en  signe  d'adieu.  Eux  sanglotuient ,  de  grosses 
larmes  coulaient  sur  leurs  joues  ;  pour  nous  ,  nous  re- 
gagnâmes la  Wlle,  et  nous  disparûmes  dans  la  foule. 

«  Le  marebé  de  £ie9^ff^en  nous  offrit  un  spectacle 
Gorieux.  Les  vendeurs  nVmt  pas  le  droit  d'éuiler  leurs 
marchandises  dès  qu'ils  sont  arrivés  ;  il  faut  qu'ils  atten- 
dent le  signal.  Aussitôt  cpie  le  soleil  est  parvenu  au  milieu 
de  sa  course ,  on  hisse  un  pavillon ,  on  bat  du  Uim- 
iëm  :  à  l'instuit  la  feule  immense ,  compacte ,  se  rue 
sur  la  place  publique;  Coréens  ,  Chinois  »  Tartares  , 
tout  est  mêlé  ;  dhpenn  parle  ta  langue  ;  on  crie  àfndre 
la  tête  pour  se  &ire  entendre  ;  et  tel  est  le  mugissement 
de  ce  flot  popnlaire ,  qne  les  échos  des  montagnes  voisi- 
nes répàtent  eesdttMurs  discordâmes. 

«  Quatre  ou  cinq  heures  ,  c*est  tout  ce  qifon  accorde 
de  temps  pour  vendre,  et  acheter  ;  aussi  le  mouvement 
qu'on  se  donne  ,  les  rixes  qui  ont  Heu  ,  les  coups  de 
poing  qui  trottent ,  les  rapines  qui  se  font  presqu'^  main 
armée  ,  impriment  à  JTMH-IPm l'image,  non  d'une  foire, 
mais  d'unoTifle  prise  d'assaut  et  ttvrée  au  pHIage.  Le  vAr 
venu  ,  le  signal  du  retour  pour  les  étrang^sest  donné; 
on  se  retire  dans  le  même  désordre ,  les  soldai  poussant 
les  traînards  avec  la  pointe  de  lemv  lances.  Heôs  eftmes 
bien  de  la  pône  à  nous  tnrer  de  cistte  oehie.  Nous  rega- 
gnions ffaung-tckam^  lorsque  nonsttmes  de  Mweau 
«'^ir  à  nous  les  courriers  coréens  ;  ib  ne  poofuentse 

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303 

résoudre  à  nous  quitter  ;  ils  voulaient  encore  s^entrete- 
nîr  avec  nous,  nous  dire  un  dernier  adieu.  Mon  compa- 
gnon sauta  à  bas  de  son  cheval  pour  échanger  encore 
quelques  paroles  amies  ;  je  lui  fia  signe  de  remonter,  de 
peur  que  les  satellites  qui  nous  environnaient ,  ne  soup- 
çonassent  en  nous  des  personnes  qui  avaient  d'autres  in- 
térêts que  ceux  du  négoce  :  ensuite ,  saluant FAnge  qui 
préside  à  l'Eglise  coréenne ,  et  nous  recommandanl  aux 
prières  de  ses  Martyrs  ,  nous  fa*anchtmes  le  Mtkiang  ,  et 
nous  rentrâmes  en  Tartarie. 

«  A  notre  retour ,  nous  trouvâmes  le  chemin  bien 
changé.  Le  fleuve,  sur  la  glace  duquel  nous  avions  glissé 
auparavant ,  éUtit  alors  en  grande  voie  de  dégel.  Des 
ruisseaux  descendant  du  haut  des  montagnes  ,  grossis- 
saient son  cours,  qui  entraînait  pêle-mêle  et  des  troncs 
de  vieux  arbres  et  d'énormes  glaçons.  De  nouveaux 
voyageurs  avec  leurs  voilures  arrivaient  toujours,  et  s^en- 
combraient  sur  ses  bords.  Leurs  cris  ,  les  hurlements  des 
bêles  féroces  mêlés  au  fracas  des  eaux ,  faisaient  de  cette 
vallée  un  spectacle  solennel  et  terrible.  Personne  n'osait 
s'aventurer  au  milieu  du  danger.  Chaque  année,nous  dit- 
on  ,  beaucoup  de  personnes  périssent  ensevelies  sous  la 
glace.  Plein  de  confiance  en  h  (fivine  Providence  qui 
nous  avait  conduits  jusque-là, je  cherchai  un  endroit  guéa- 
Ue ,  et  je  passai  à  Tautre  rive.  Mon  compagnon  fut  plus 
prudent  ;  il  prit  un  guide ,  et  alla  &ire  un  kmg  dr- 
cuii.  Nous  n^eÛBies  à  regretter  qiM  la  perte  d'un  de  nas 
chevaux. 

•  De  votre  Révérendissime  Grandeur , 


«  Le  tr&s-obéissant  et  très-indigne  fils , 
«  Ain>K^sÀs  Knui-Kis,  Diacre  cùréen.  » 

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304 


Extrait  cTune  lettre  de  M.  Daveluy ,  Pr4tre  de  la  SodéU 
des  Missions  Etrangères ,  à  M.  Barran ,  Directeur  on 
Séminaire  de  la  même  Congrégation. 


HoaUie  en  Chine,  28  août  1845. 


«  Monsieur  et  cher  Confrère  , 


«  La  Corée  vient  défaire  un  heureux  effort,pour sortir 
de  la  solitude  dans  laquelle  on  voudrait  étouffer  sa  foi. 
Vous  savez  qu^un  jeune  diacre  de  cette  nation  ,  nomnié 
André  Kimai-kim ,  avait  été  envoyé  dans  le  Nord  par 
Mgr  Ferréol ,  pour  y  tenter  une  voie  nouvelle.  Dans  le 
cas  où  il  trouverait  le  passage  absolument  fermé  ,  il  de- 
vait retourner  au  Leao-Tong ,  épier  Foccasion  de  se  glis- 
ser dans  son  pays  à  travers  les  post&  nombreux  de  Picn- 
men  ,  et ,  s'il  était  possible,  y  acheter  une  jonque  pour 
venir  à  Chang-hai  on  à  Chusan  chercher  le  Vicaire  apo- 
stolique. 

«  C'est  ce  qu'il  a  fait  avec  autant  de  bonheur  que  d'io- 
telligence  et  de  courage.  Soutenu  par  une  confiance  sans 
bornes  en  la  Providence ,  André  a  surmonté  tous  les  ob- 
stacles ;  il  s'est  procuré  un  petit  navire,  monté  par  vingi- 
quatre  chrétiens ,  et  avec  une  simple  boussole,  sur  une 
mer  tout  à  fait  inconnue  pour  lui  comme  pour  son  équi- 
page ,  il  a  fait  voile  vers  la  Chine.  Dans  une  tempête  sa 
barque  a  perdu  le  gouvernail  ;  mais  elle  a  été  remorqwe 

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306 

jusqu'à  Chang-hai  par  un  bateau  chinois.  André  est  allé 
*monilter  au  milieu  des  bâtiments  anglais  qui  statioo- 
^aient  dans  le  port  ;  jugez  de  la  surprise  des  officiers 
lorsquHs  Tout  entendu  leur  dire  en  flrançais  :  «  Moi  Co- 
réen y  je  demande  votre  proteàiion!  Cette  protection  lui  sl 
été  accordée  ,  et  il  aurait  été  bien  défendn  au  besoin ,  je 
vous  prie  de  le  croire. 

«  Mgr  Perréol  fut  aussitôt  prévenu  et  se  hâta  d'ac- 
courir auprès  de  ses  intrépides  Coréens.  Quand  il  leur 
ftit  permis  de  voir  leur  pasteur  ,  de  recevoir  sa  'bénédic- 
tion ,  quand  ils  virent  an  autre  prêtre  accompagnant 
monseigneur  pour  les  secourir  ,  leur  émotion  fut  extré- 
*«rie.  Au  milieu  de  leur  joie  ,  André  nous  rapporta  un 
«ujet  de  tristesse  qui  les  tourmentait.  Ces  l»ons  chré- 
tiens 9  jetant  les  yeux  sur  nous  ,  et  pensant  à  notre  vie 
{>as$ee ,  puis  aux  travaux  et  aux  souffrances  qui  nous  at- 
tendent dans  leur  pays,  avaient  le  coeur  oppressé  et  sW- 
iligeaient  de  nous  conduire  au  milieu  de^  persécu(ion$* 
Hs  Jie  savaient  pas  encore  ,  sans  doute  ,  les  délices  doot 
notre  âme  est  inondée,  le  bcmheur  dont  Dieu  récempenee 
déjà  en  ce  monde  les  sacrifices  faits  pour  sa  gloire.  Bien- 
tôt ,  j^espère  ,  ils  verront  que  nous  partons  de  grand 
^Mar;  et  «  «tt  fmée^  ioulhiiioefi,  Mett  imms  accordera 
ii%  ïlbrw  4»  lemÊ^fn  fMpi'aM  Càtvrire. 

u  Nous  eftmes  quelques  jours  plus  tard  un  grand  sujet 

^consolation.  Monseigneur  pensa  devoir  conférer  h  prS- 

*  frise  à  André  ,  et  la  cérémonie  se  fit  dans  la  chap^e  de 

-Ifin-ia-ham  ,  dirétienté  distante  de  Changez  de  deux 

^am  mois  teie>>  jQ^jupo  ptéam  fmrt\fému  ^  vm  chinois 

IwarfliTi»  t  rnritenini  f  nr  tifinllr  mn  fnili  in  itrf 

tieas étaient  accooms.  Nonsydéployi^oHi  tmm)êjfmtfe 

possible.  Mais  comment  tous  peindre  notre  joie  bi  Toyaot 

'c«s  prëttices  àa  dergé  coréen  I  André  est  le  prewer 

rom.  XfUh  IM.  S» 

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3<hi 

prêtre  de  cette  nation*  Dieu  ,  nous  Tespérons  »  les  mslti- 
pliera  dans  quelques  années  ;  c^est  là  notre  œuvre,  notre 
premier  but  :  puissions-nous  l'accomplir)  Cette  ftteint 
complétée  peu  de  jours  après  :  André  célébra  sa  première 
messe  dans  la  chapelle  du  petit  séminaire,  où  trente- trois 
élèves  dirigés  par  les  PP.  Jésuites  font  la  consoUtion  dt 
Mgr  de  Bési. 

«  Vous  parlerai-je  maintenant  des  bruits  répandns  en 
Corée  ?  Malgré  la  persécution  ,  on  djt  ,.et  cela  parmi  tes 
païens  ,  que  notre  sainte  foi  aura  beaucoup  de  prosély- 
tes. C'est  même ,  ajouie-t-on  ,  la  parole  d'un  des  minis- 
tres du  Roi.  Le  courage  et  la  force  de  la  plupart  des  fi- 
dèles ont  donné  partout  une  haute  idée  de  la  Religion  ; 
die  est  estimée,  admirée  même  de  ses  ennemis  ;  tout  ce 
qui  est  grand,  généreux,  est  attribué  aux  chrétiens,  et  si 
quelque  idolâtre  fait  un  acte  de  vertu  un  peu  au-dessus 
du  commun  ,  il  n'en  faut  pas  davantage  pocu-  le  faire 
soupçonner  d*étre  chrétien.  Tout  cela  joint  aux  cou- 
versions  qui  s'opèrent  chaque  jour  ,  malgré  la  fureur 
des  ministres  ,  nous  donne  de  belles  espérances.  Noos 
apprenons  aussi  le  retour  de  bien  des  apostats ,  et  la  fer^ 
veur  est  loin  de  se  ralentir  parmi  les  fidèles. 

«  Tds  soitt ,  Moâsieiir  ei  dier  Confrèr»  ^  lasiadieci 
rapportés  par  André*  et  sur  tesquetsMos  foodûBs,  après 
Dieu  ,  l'espoir  de  quelques  firuits.  Vous  imirez  tos  pri^ 
res  à  nos  travaux  ;  les  bonnes  ûmes  de  l'Eui^ope  attiie* 
ront  sur  notre  pauvre  Mission  les  bânédictions  de  Him^ 
et  alors  ,  peut-être ,  nos  eiforts  ne  seront  pas  ioutiMv» 

«  En  attMdMtroecasioft de  iioa«Mx  détails»  teiiiks 
rsttayeig  rassumneede  yattac|w»€»t  wepeesnBidefttte 
défwé  servkesr , 

«  A.  Daviivt  ,  ^11».  ff^*  • 

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MANDEMENTS  ET  NOUVELLES. 


Depuis  la  publication  do  dernier  Numéro ,  six  Mande- 
ments ont  paru  en  Êiveur  de  TŒuyre  ;  nous  devons  ces 
Bouveaux  encouragements  à  Nosseigneurs  les  Evéquesde 
Verdun ,  d'Autun  ,  de  Strasbourg  ,  de  tarcassonne,  de 
Savone  et  de  Perjrijgiian. 


H.  Ubermami,  supérieur  de  la  Société  du  Saint-Cœitr 
de  Marie,  nous  communique  la  lettre  suiminte,  que  nous 
aurions  touIu  mettre  plutôt  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs. 
C'est  le  récit  d'un  témoin  oculaire  sur  les  derniers  mo- 
ments de  M.  Tabbé  Tisserant ,  Préfet  apostolique  des 
Deux  Guinées  ,  qui  a  péri  le  7  décembre  1845 ,  dans  le 
naufrage  de  la  conrette  &  vapeur  le  Papin.  Ce  fervent 
Missionnaire  s'était  dévoué  au  sc^ut  des  Noirs;  eu 
1844  il  était  leur  opAtre  à  Tafiti ,  et  il  allait  encore  les 
étangéliser  éur  la  côte  d'Afrique ,  quand  Dieu  Ta  appelé 
pour  élre  an  de!  leur  intercesseur 

Letire  de  If .  Du  Bourdieu  ,  comminaire  de  marine  ,  d 
M.  De$gen$ttes ,  curé  de  Notre-Dame  des-Vicioîres, 

Toulon  .  12  janvier  i$%6. 

«  MoMsitim  , 

€  TsA  assisté  aux  derniers  moments  et  à  la  mort  dé- 
pliable  de  M.  Tabbé  Tisserant ,  mon  infortuné  compa- 
gMB  de  wyage  à  borddu  Aiptit.  Seul  survivant  de  tous 
les  ollders  embarqués  sur  ce  bdtiment ,  je  voudrais  bire 

20. 


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connaître  aux  personnes  qui  s'inléressent  it  ce  d^e  ecclé- 
siastique, combien  sa  conduite  a  été  belle  et  noble  en  pré- 
sence de  Ja  terrible*  catastrophe  qui  a  causé  la  perle  du 
Papin^  et  fait  périr  la  moitié  de  son  équigage.  C'est  à 
TOUS  y  Monsieur,  que  je  crois  devoir  m'adresser  pour\ous 
prier  de  transmettre  les  détails  suivants  à  sa  Camille ,  ea 
employant  la  vole  que  vous  jugerez  convenable* 

«  Je  ne  retracerai  point  les  circouMMBS  dit nmifiragoa^ 
les  jommaux  les  ont  rapportées  avec  assez  d'exactitude. 
Lorsque  le  sort  du  Papin  fut  décidé  et  que  Ton  ,eut  re- 
oQMMt  rittpDSflîbUité  de  le  remette  4  ftot ,  ehaiDun  dat 
scanner  de  courage  po«r  auendre  le  retour  du  jour  el 
coMAltre  natre  poskion  reloUvcment  à  Im  eôie»  Uafr  laer 
violente  battait  le  navire  en  fiane,  la  lame  brîaiic  sur  l«i 
pont ,  et  en  readait  le  séjour  daagereu  et  pémbld^  Non*. 
noua  reiirimes  dMu»  le  carré  des  oflSciera,  f^Mir  cbtrçber 
un  abri  contre  le  froid  glacial  de  la  nini».  M«  Tabbé  Tifip 
sertnt  émii  paraii  nous ,  exhortant  tout  le  monde  à  ff»^ 
vm  de  eouraga  et  d^  rédgnaUon ,  poor  atteqdn(«»' 
chrétien  rbeure  de  la  naoct  qof  aôos  .  rsfBrdiws  t9aa 
oonune  inévitable .  Ses  paroles^  eaiprehM^d^puii^liiieiiii) 
soumission  aux  décrets  de  la  Providence ,  apportaient 
quelques  soulagements  aux  angoisses  de  notre  cruelle  si- 
tuation.   «  Mes  frères  ,  nous  disait- il ,  sachons  attendre 
«  avec  une  fermeté  et  une  résignation  chrétienne  les  ap- 
«  proches  de  la  mort.  Dieu ,  j'espère,  voudra  bien  nous 
«  tenir  compte  des  terribles  épreuves  que  nous  subissons 
m  dans  ce  moment ,  et  il  les  acceptera  en  expiation  de 
m  nos  fautes.  Je  vous  donne  en  son  nom ,  ainsi  qu'à  tous 
«  les  chrétiens  réunis  sur  ce  bâlhnent ,  l'absolution  in 
ariicuh  mortis* 

m  Un  iatf .  que  nous  avîoos  embarqué  k.  iMger  jmib 
tenir  d'interprète  au  consuiai  de  Jicg$à».f  s'émit  ré** 


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rn^'anprte  d0  nd«0*  Ee  daupift  d»  te  Milbelireini. 
éîMt  ééthmm.  li  sopptiaît ,  a»  BM^atasi ,  M«  l*abbé 
TissêniiitctelM^aovêriaTO.  «  Mon  amîi  lui  rêpondàii 
«  ceitil*<i ,  il  ne  dépand  pas^deniûi  de  mm  sMwer  dao» 
«  ce  moDchi,  et  je  né  pois  rien  penr  Tûu&^ns  ruittre  à 
«  ftielM  qiteYoos  B»miS'fiusie&<^réiia»» —  Je  veiuk 
«  bien  me  ftire  ohréliea ,  &t  voasxMaatives  la  vie^r— 
«  Je  né  puis  rien  pour  votre  vie  ;  mais  acceptiez  it^^ 
«  cours  du  clu*i^ianisine ,  j'appellerai  avec  confiance  sur 
«  vous  la  miséricorde  divine.  »  Le  juif,  ému  par  ce 
langfige  simple  et  touchant,  parut  accepter  avec  plus  de 
calme  les  chances  terribles  qui  nous  menaçaient  :  il  de- 
manda le  baptême  comme  moyen  de  salut  pour  Tautre 
monde.  L'abbé  Tisserant  lui  achninisira  ce  sacrement  sous 
rinvQcation  de  saint  Nicolas ,  patron  du  jour. 

«  A  <|iwtre^  be«m  d«  mathi  ^  4e  7  déœmbre  ,  Teau 
ayant  envahi  de  tome  part  Fiaiérieur  du  bûiiment,  nous 
contraignit  à  monter  sur  le  pont^  et  de  là  à  nous  réfu- 
gier dans  la  mdttire  pour  éviter  le  choc  des  lames  qui  dé- 
ferlaient sur  le  navire ,  et  balayaient  tout  ce  qu'elles  ren- 
contraient sur  le  pont.  Uabbé  se  plaça  non  loin  de  moi 
sur  le  bastingage ,  et  il  se  retenait  aux  haubans  du  grand 
mât.  Avant  de  prendre  celte  position ,  il  entendit  M.  De 
la  Perte,  chancelû^  interprète  du  consul  de  Mogador,  se 
plaindre  du  froid  cruel  qu'il  épronvaità  la  tète,  par  suite 
de  la  perte  de  sa  casquette.  M.  Tisserant  se  découvrit ,. 
contraignit  M.  De  la  Porte  à  mettre  son  propie  bonnet , 
restant  ainsi  nurléte  exposé  aux  torrents  d'eau  glaciale 
ei  de  gréto  que  la  lempéte  déversait  sur  mus. 


«  Aprte  trois  hoÉ»es dmnftauaw JmtÊm ,  nctavt^ 
«a  poiidrt  le focr.eth  mnefmnà  k  dmutvmjmèÊKm 
denawKPwcerflukwa  lyalaii  aaii  I—  ma  Ui  t>h»g> 
L'abbé  Tisserant  voulut  tenter  Tmiiqua  voie 


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si(r 

semMait  mus  Atre  rtenée  ;  stitisnDt  m  malade  camot 
que ,  de  set  ttaifis  joiates ,  il  prsandt  sar  sa  poitriae ,  il  , 
s^ékinça  dans  les  tets,  espérant  cpe  leur  mpulsion  le  por- 
terait vers  te  lerre.  Un  blal  courant  <pii  s'était  formé 
sons  le  remoQs  da  naTire  ,  le  nunena  le  long  dn  bord , 
où  ,  écrasé  par  lé  dioc  des  ianes ,  il  coala  se«s  bo6 
jrenx,  sansqn'HnoasfttposnUedelaidmdierkncNndre 
sûcours. 

«  Telle  fut  la  fin  de  ce  digne  prêtre  :  il  a  emportéavec 
lui  Teslime  et  les  regrets  de  tous  ceux  quiont  survécu  à 
ce  terrible  désastre.  Le  néopkyte  aussi  a  été  au  nombre 
des  victimes  du  naufrage. 

«  Veuillez  agréer ,  Monsieur  ,  rhommage  de  mes  sen- 
timents respectueux. 

«  Dit  BovEMBir ,  eommiêsmre  de  marine , 
nmtfragé  du  Papin.  » 


—  Sept  prêtres  ,  appartenant  à  la  Congr^tion  des 
Missions-Etrangères  ,  viennent  de  s'embarquer  &  Bor- 
deaux :  ce  sont  MM.  Borelte ,  de  Tonlouse  ;  Boric  et 
Regrerie ,  de  Tulle  ;  Adnet ,  de  Yerdon  ;  Hesnard  «  de 
Poitiers  ;  Sage ,  de  Besançon ,  et  Pincbon ,  de  Limoges. 
M*  Sorte  ,  frère  de  Mgr  Dumoulin  Borie  ,  martyrisé  sa 
Tong-King  en  1839,  est  destiné  jKmt  Siam,  et  M.  Borelie 
pôurfa  CoohMrin.  JUa^wiife  autres  Missioomîresse 
mdeut  d^idbMiiMaeaoïtfiià  iisaeroiii  euvoyésdans 
cgitodeslKiiiwwqniu»lM||>nat«wlbow«4fo«vrkfs 
af«sioUquei^ 


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311 

Sont  partis  |K>ur  la  Mission  du  Texas ,  à  boni  du  navire 
ÏEUtabetk'EtUn  : 

MM.  Claude-Marie  Dubois*  prêtre  da  dioeèse  de  Lyon. 

laeq«eaGirati4oo,  id.  hL 

i«Mi-BaplistePigaerria«  id.  ImeloM  (EspsfDe). 

RidMudliflMMi/,  id.WalerCsffd(lffleiide).     . 

ClaiKk4tfarie  Chtmboddl  «  dottre ,  Lyon. 

Aolokifr-Marie  ClMinrkNi»aoa»4iacre,  id. 

Matthieu  Chazelle  U.       id. 

Charles  Fadey»  deronninoré ,  id. 

Félix  Ferrkre,  darc  tonsuré  »  d'Agen. 

Joseph  Anstaett,  étndianl  en  théologie,  Strasbourg» 

Emmanuel  Domenedi ,  id.  Lyon. 

Piem*l|aneLMOttr,étuiMaaC,  id. 

Emilio  Gianoizi ,  frère  (Italie). 
Mgr  Odîn  nous  annonce  qu'en  Italie ,  en  Belgique  et  en 
IrtaMle  »  d'antres  Hissioonaires  se  préparent  à  le  suivre  au 
Texas.  Nous  publiions  les  noms  de  ces  BUssionnaires  dè5<iu'on 
nous  les  aura  transmis. 


iHama  des  Pères  eifrèrea  de  la  GM^agnfe  4e  Jeans ,  pajrtis 
ponr  les  Misaiops-Ilmngjères  : 

I*  Dtt  HaTFe ,  le  15  noi;pQibre  «MB  «  ponr  lea  MiMiMa  de  la 
HoTaiie^rcnade  ;  ks  PP»  Fripais  êmwk  ~  IpwBt  de  à 
*-  Bwawné  Bnjan  — JoaeUfli  Cota<îllt'-^Lonia( 
Thomas  Piquer  -*  Jacques  Cenarrura ,  scolastiqua  —  Fanala 
Legarra ,  scolastique  —  BonaTentura  Fdin ,  scdastique  — 
4;abriel  Trobat ,  frère  coa^Juteur  —  Jean  Beltia,  frère  coad- 
juieur; 

^  De  Marseille  ,  le  11  décendwe  1845»  pomr  la  Mission  de 
Syrie  «  les  PP.  Edouard  Billottet ,  de  Beaançon ,  et  Etienne 
Moaier,  d'Avignon: 

3<*  De  Naples ,  le  15  jan? ier  18l6 ,  pour  la  Chine  ,  les  PR 
Augustin  et  René  Massa ,  et  le  frère  coadjutenr  Nicolas  Massa  ; 

V  De  Toukm  ,  pour  Madagaacar ,  les  PP.  Louis  Jooen, 
ISnai^deLyon,  etlefrèrecoa4îttteurJ.  6. 


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S12 

5*  De  Bordeaux ,  le  24  féwcr  1S46 ,  pour  4e  Maduré .  ïesPP. 
Joseph  Barrcl ,  de  Lyon ,  Benotl  Burlhey  ,  de  Besançon ,  et 
Louis  Verdier ,  du  Puy. 

—  Le  2  mawK  deux  prétecs  et  deuE  ctUIflteiiw  4>ia  SoôHé 
de  PiepoifevMil  «odxîrqvés ,«aiHnre  ^^sm-l^i^ÊffÊuM  dm 
mené»  SMi.  9Ms  l«s4]UAre  sont  ibtÊÊimèi  fonr  jitodwicb. 
Les  deux  prdlMiitfoiiimL  GmM  et  BowUdo  /eu  diocèse  de 
Coutance^,  et  U»  deM  «aléebîMf  .*  Beriaatt  ditoèsede  Cahors, 
et  Boyer ,  iliooèMe  de  Mende. 

—  Mgi»  PcrpctuoOu«s«r ,  Vlcaïf^  apMolfqiieiAe  l'Egypte, 
aon$  apprend  en  ces  termes  rarrtTée  d^rnie  cetofiie  4^  Mi- 
gieuses  dans  sa  Mission  : 

«  Le  24  décembre  damier  ,  un  bMhueiH  frété  psr  S.  Ex.  le 
comte  de  la  Marguerite  ,  ministre  desaflkfres  étrangères  de 
sa  ATajef^té  le  roi  de  Sardaigne  ,  déposait  ft  Alexandrie  ks 
Sœurs  de  Charité  de  Hotre-Dame  du  Bm-TaOeitr.  Ces  Itdi- 
gicuses  se  Tendirent  Imitiédiatement  au  Caire ,  où  étkes  arri- 
Tèrent  le  26  a\i  matin.  Leurs  pas  furent  dirigés  Tenllfiglisede 
Terre-Sainte ,  et  là  un  spectacle  bien  attendrissant  les  atteih 
dait  :  c^étaient  leurs  futures  élèves ,  que  j'arais  réunies  pour 
letreoerofr;  t'^^a^èak^ftnpàmét  Mmwè  jm»ii<fcs, 
qui  se  pressaieilti^0«r  ^^«ir-lei  saiMei  Ai«ig|re&;  c*étaîent  sur- 
tout les  mères  qui  bénissaient  nos  Sœurs  4e  Charité  ,  en  ^ 
«Btnttriettr  <0Mwy4PaMir1Wrfé  tel  iftri*dihs  bmiMi  b  f^ 
«tfiinieNRM««t  d^éM^^NMê^^exposor  «a  ctatt  èrÉlMi^ 


Ltm.  «.  tep.  dt  I. 

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SIS 


MISSIONS  DE  L'INDE. 


Exiraii  (Tune  lettre  de  M.  Luquet ,  à  M.  Vaibé  Huoi  , 
Prêtre  de  la  Congrégation  des  Miesions-Etrangéret 
dam  le  Fun-nân  en  Chine  (1). 


Sortkelpaltoo ,  le  6  iTril  1S4I. 

«  Mon  Cher  CoRFRiaB. 

«  Vous  désirez  saroir  ce  gueCadt  loin  de  vous  le  pauvre 
Missionnaire  dont  le  cœur  vous  est  si  dévoué.  Que  vous 
limiez  à  eonnahre  les  lieux  el  les  choses  qui  Tentourent, 
je  le  conçois  :  il  est  si  doux  d'accompagner  par  la  pen- 
sée les  amis  qu'on  ne  revoit  plus  que  dans  ses  souvenirs  t 

«  Toutefois  ,  je  n'entrerai  aujourd'hui  dans  aucun  dé- 
ail  personnel  ;  je  vous  entretiendrai  de  sujets  plus  gra- 
ves, et  par  conséquent  plus  dignes  de  votre  intérêt. 
Aintt  résignez-vous ,  <àer  ami  ;  vous  ne  saurez  rien  de 


(1)  Depuis  lenfoi  ée  eeUe  l9iXn  ,   M.  LiMioel  t  <flë  Mcrë  ^flquf 
'H^boo  in  partibus, 

TOM.    XVIII.    107.    JUILIBT.    1846.  21 

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.314 

0MMI  hmiible  réduit  de  Sonkelptttoa  ,  ma  dapeUe  le 
dimanrfift ,  ec  ma  demeure  hors  le  temps  da  saint  sacri- 
Coe,  tandis  que  le  sebisme  étale  à  drâxpasdemoi  fe 
laxeile  sa  bdie  mais  déserte  église  ;  toos  ne  saura  ries 
de  ces  riants  yergers  de  cocotiers ,  de  bananiers  ,  de 
manguiers  et  de  pamplemousses,  oà  se  jouent  des  oisesin 
au  plumage  varié ,  <|ui  essaient  de  bénir  le  Dieu  de  l*uni- 
vers  par  leurs  chants  comme  par  leur  riche  parure. 

«  Ecoutezcependantim  des  plus  gracieux.  L'ent«ida- 
¥00S?  n  Teui  me  répéter  quelques-unes  de  ces  notes  n- 
fissantes  du  rossignol  de  nos  montagnes.  Pauvre  petit  1  ta 
neconfiais  pas  cette  belle  hngue  des  oiseaux  de  ma  patrie; 
tues  beau,  mais  voilà  tout  ;  et  je  vois  en  toi  la  vive  inisfe 
d*nne  âme  ornée  de  dons  éclatants  ,  mais  que  la  grice 
de  mon  Dieu  ne  vivifie  pas  encore. 

€  Que  de  petits  riens  ,  pour  moi  pleins  de  charmes , 
vous  aimeriez  à  vous  entendre  dire ,  mon  ami  ;  mais  vont 
n^en  aurez  pas  un  mot.  A  peine  vous  nommerai-je  ce  sé- 
millant JnipauUey ,  ce  rai  palmiste  comme  on  TappeDe 
en  Europe  ,  rangé  par  nos  Indiens  au  nombre  des  ani- 
maux  de  hanme  easUf  comme  ces  disgracieux  cœbeaax 
qui  nous  assourdissent  sont  bien  et  dûment  réputés  p«- 
rias.  Que  de  grâce  et  de  légk^eté  dans  cet  écureuil  i 
demi  domestique  I  Yoyez-le  à  Textrémité  de  cette  branche 
préparée  par  le  atfiiir,disputar  à  d'innocentes  abeilles  (1) 
le  suc  savoureux  d  où  Ton  extrait  la  liqueur  perfide ,  ti 
recherchée  de  nos  buveiurs. 

«  Pmsque  je  viens  de  prononcer  avec  vous  le  nom  de 
iénâr ,  je  vous  dirai  un  mot ,  â  cesujet ,  d'une  carkoee 
tradition  où  vous  trouverez  plus  d'un  £iit  à  observa.  Os 
voit  encore  en  circulation  dans  l'Inde  un  assez  grand 

'1)  Cet  tbeiHw  n*oni  p  it  de  dard. 

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iKanbre  d'anciens  sequinsiioyenttfe^L^  peuple  les  Ap 
pdle  sânârekâssou ,  momme  du.^â^dr^  Voici  pourqMai* 

«  On  appelle  $ânâr$  les  Iiommes  de  la  caste  èccupée 
exclusivement ,  comme  vous  savez  ,  à  recueillir  des  cq- 
eotlers  et  des  palmiers  le  suc  qu'on  transforme  en  kallou 
et  en  arak  ,  boissons  enivrantes ,  qui  remplacent  le  vin 
et  Teau-de-vie  dans  ce  paya. 

«  Un  jour  ,  dit-on  ,  un  sânâr  étant  monté  sur  un  oo* 
cotier  9  laissa  par  mégarde  tomber  la  serpe  qu'il  portaità 
sa  ceinture.  Tout  auprès,  croissaient  divers  arbrisseaux, 
parmi  lesquels  s*en  trouvait  un  d*unee^[>ècemerveiUeuse. 
La  serpe  atteignit  dans  sa  chute  «a  rameau  de  oei  arbusti 
endianté ,  et  se  changea  immédiatement  en  or ,  mais  en 
or  si  pur  qu'il  n'en  est  pas  de  semblable  sous  le  soleil* 
Ravi  de  cette  découverte ,  l'Indien  fil  toucher  à  la  bran* 
che  coupée  tous  les  objets  de  fer  qu'il  possédait  ;  pais, 
riche  de  ce  trésor,  il  se  rendit  aussitôt  chez  un  orfèvre 
pour  y  fabriquer  la  monnaie  qu'on  voit  aujourd'hui.  Et 
afin  de  garder  le  souvenir  de  cet  événement ,  il  se  fit  re- 
présenter au  revers  de  la  monnaie  ,  devant  le  cocotier 
devenu  ainsi  l'occasion  de  sa  fortune. 

«  Telle  est  la  tradition  populaire  où  le  caract^  indien 
s'est  dépeint  au  naturel.  Je  me  suis  ibit  apporter  une 
de  ces  pièces  d'or,  et  Ton  m'a  montré  au  revers  le 
sdnâr  aux  pieds  de  son  cocotier.  —  C'est  tout  simple- 
ment le  doge  de  Venise  à  genoux  devant  la  croix. 

«  Voilà  donc  un  témoignage  encore  vivant  du  prodi- 
gieux développement  donné  autrefois  au  commerce  de  la 
belle  mais  aujourd'hui  si  mélancolique  Venise.  Voilà  une 
preuve  de  plus  ,  que  nos  rêves  européens  d'alchimie,  au 
moyen-àge ,  étaient  répandus  sur  une  immense  portion 
du  globe. 

21. 


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316 

«  Je  ne  sais  A  Sons  serez  de  mon  avis ,  mais  j'épronvt 
un  certain  diarme  à  reconnaître  ces  vestiges  du  passé,  i 
découyrir  ,  sous  dqs  couleurs  locales  ^  sous  le  Toile 
transparent  des  contes  populaires  les  emprunts  &its  à 
d'autres  temps  et  à  d'autres  pays.  Aussi  regardé^ 
comme  une  étude  précieuse  la  conversation  fréquente 
avec  nos  chrétiens  instruits ,  sur  ces  faits  intimes  qui 
révèlent  tout  le  génie  d'un  peuple.  Par  là  je  m'ha- 
bitue peu  à  peu  à  prendre  ce  qu'il  faul  de  leurs  ré- 
dts  ,  et  je  me  concilie  leur  affection  par  l'intérêt  tout 
particulier  qpeje  témoigne  pour  ce  qui  les  concerne.  Je 
me  plais  par  dessus  tout  avec  ceux  de  Poudoupàléyam* 
Ils  viennent  me -voir  souvent  et  avec  plaisir,  parce  qu'As 
savent  combien  je  les  affectionne.  De  plus  ,  conmie  ce 
sont  eux  qui  m^envoient  chaque  matin  le  repas  de  la  jon^ 
née,  j^aîme  à  bénir  en  eux  l'attention  de  la  bonne  Provi- 
dence  qui  me  nourrit. 

«  Je  voua  ^i  déjà  parlé  du  zèle  que  Tamhissdmy'-mùVr 
deliary  le  plus  distingué  d'entre  eux,  avait  déployé  contre 
le  schisme.  Aujo^rd'hui  j'ai  besoin  de  vous  apprendre  ce 
que  je  dois  à  son  concours  pour  l'établissement  de  la  Pro- 
pagation de  la  foi  parmi  nous. 

«  Vous  savez  que  récemment  nos  Confrères  de  Poodi- 
chéry  ont  imprimé  en  taxnoul  une  Notice  sur  cette  Œuvre, 
notre  seule  ressource  véritable  dans  les  Missions.  Grâce 
au  fervent  chrétien  dont  je  viens  de  vous  nippekr  le 
souvenir,  sur  soixante-dix  fidèles  seulement,  dont  se  com- 
pose la  petite  communauté  de  Poudoupaléyam  ,  nous 
avons  pu  établir  cînqdixaînesde  la  Propagation  de  la  Foi. 

«  Mais  revenons  à  nos  bons  chrétiens  de  l'Inde  et  au 
fruit  que  je  redre  de  mes  fréquents  rapports  avec  eux.  J'y 
trouve  un  excellent  moyen  de  me  préparer  à  soutenir 


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317 

digoemeBt  la  hitte  dana  laquelle  a^us  lommea  <«imi|ia, 
pçur  si  longtemps  encore  ,  avec  le  vieux  pagabiflme  de 
ces  contrées. 

«  ^ancienne  littérature,  les  livres  de  morale  eldç  reli- 
poa  des  gentils  ,  renferment  sons  Tenveloppe  souvent 
eaOravagante ,  si  vous  le  voulez,  de  fables  plus  ou  moins 
obscures ,  des  séductions  et  un  prestige  qui  sont ,  pour 
plusieurs,  un  grand  obstacle  à  recevoir  la  doctine  si  pure 
et  si  simple  de  l'Evangile.  On  s^explique  par  là  ,  com- 
ment dans  l'ancien  monde  de  la  Grèce  et  de  Rome  , 
Homère  et  les  autres  poètes  ont  dû ,  pendant  bien  long- 
temps ,  fasciner  de  daleureuses  imaginations  et  les  re- 
tenir dans  des  voiea  étrangères  i  cdle  du  siinî. 

«  Biais  si  la  poéûe  païenne  de  Tli^de  est  un  lien  de 
plus  qui  Tenchalne  aux  autels  de  ses  dieux ,  ne  peut-elle 
pas ,  appliquée  à  nos  saintes  doctrines ,  devenir  entre 
nos  mains  un  instrument  paissant  fie  grâce  et  de  eonvei^ 
skm  ?  Les  anciens  Pères  de  la  Cojfnpagnle,  de  Jésus  ,  si 
propres  à  exécuter  dans  les  KUssicms  tant  d'oBuvres  spé- 
ciales, auxquelles  leur  caract^  d'auiiliairçs  les  appelle, 
l'en  serviront  souvent  avec  succès»  N'est-ce  pas  à  ses 
remarquables  poésies  que  le  P.  Btesobi  j  supérieur  à  tous 
les  autres ,  est  redevable  de  cette  juste  réputation  qui 
ne  doit  pas  périr, 

«  Les  productions  de  ce  genre  ,  cbamées  pendi^nt  la 
nuit ,  dans  les  lieux  publics,  nous  paraissent  à  tous  d'une 
si  grande  importance  que  ,  dans  notre  synode  de  janvier 
dernier  ,  on  a  cru  devoir  recommander  Fadoption  de  cet 
usage  ,  comme  un  moyen  efficace  de  procurer  la  conver- 
sion des  gentils. 

«  Je  ne  Cab  qu'effleurer,  vous  le  voyez,  bien  des  ques- 
tions et  des  plus  graves  ;.  c'est  que  toute  ida  vie  de  travail 


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3f« 
neilAmftpÉt  pour  ^pokerceDfltqQ'Uflieitiii 
à  Toof  indkpMr. 

«  n  eo  est  deux  principales  qui  me  préoecopenl  biea 
soutent.  La  première  serait  de  démontrer,  par  la  compa- 
raison entre  les  mo^rs  légaU$  de  la  gen^lé  et  celles  da 
christianisme  ^  la  somme  de  bienfaits  apportés  an  monde 
par  notre  sainte  Religion  ,  si  outragée ,  si  méconnue  par 
ceux  qoi  matériellement  engofttent  le  pltis  les  avamtagei. 
Lasecondeconsisteraità  redierdier  dans  Tétndedes  livres, 
des  traditions ,  des  nsages  et  des  langues  des  peuples  a« 
milieu  desquels  diacun  de  nous  se  trouve ,  ces  traits  ds 
Eimille  que  le  temps ,  à  la  suite  de  la  grande  conTusion 
de  Babel  «  n'a  pu  entièrement  efiacer. 

«r  Voyez  ,  par  exemple  ,  sœr  Tare  de  Tîti»  à  Rome , 
les  instruments  de  musique  du  temple  de  Jérusalem;  mN» 
les  retrouverez  en  partie  entre  les  mains  de  nos  Indiens. 
Prêtez  Toréille  i  leulrs  accents  modidés,  et  knrsque  toui 
aunsz  écouté  les  paysans  du  royaume  de  Maples ,  lors^ 
vous  aurez  yu  le^  larmes  venir  aux  jeax  d'im  Breton  ea 
entendant  chanter  un  berger  des  Abruzzes,  comparez  ces 
mêmes  airs  avec  les  notes  plaintives  de  l'Indien ,  qui  tra- 
iraffle  à  Tirrigation  du  jardin  placé  devant  sa  porte  ,  et 
vous  me  direz  si  Iki  musique  ,  ccmime  toute  antre  chose 
humaine ,  n*a  pas  une  commune  origine. 

m  L^arcbitectore ,  «cette  puissante  manifestation  maté- 
ridle  des  plOs  grandes  pensées  de  l'homme ,  va  vous  ol* 
firir  ausri  de  semblables  analogies. 

€  Ouvrons  la  Bible  ;  lisons  les  pompeuses  desa*iptions 
du  temple;  voyons  ensuite  les  ruines  si  imposantes  de  h 
vieille  Egypte  ;  arrêtons  les  r^;ards  de  notre  profonde 
douleur  sur  les  malheureuses  pagodes  de  Fhide ,  où  tant 
de  mlDtons  drames  sacrifient  encore  au  démon  ;  et  noo> 


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SI» 

verrom  si ,  dans  Tettsembledeft  dîqpositioiii  et  deifbr^ 
mes ,  on  ne  retrouTe-pas  tonvent  une  pensées 


«  Je  fus  également  frappé,  en  entrantpour  la  première 
fois  dans  rintérieur  des  grandes  maisons  de  Tlnde ,  de 
me  retrouver  exactement  au  milieu  de  ce  que  j'avais  tu 
à  Pompeia  et  dans  les  autres  mines  de  constmctionB  ro- 
maines. A  Textérieur ,  pas  d'autre  ouverture  que  la  porte 
d'entrée  ;  au  dedans  ,  mêmes  distributions  d'ens«ad)Ie 
que  dans  les  habitations  antiques  :  appartement  séparé 
pour>  les  femmes  ;  peu  ou  point  d^étages  aiix  mai- 
sons ;  cours  à  galeries ,  sur  lesquelles  s'ouvrent  des  lo- 
gements trës-rcstreints  ;  ameublement  peu  compliqué  ; 
candélabres  modifiés  par  l'habitude  où  l'on  est  ici  de 
s'asseoir  à  terre  sur  de  simples  nattes  ;  formes  et  orne- 
ments des  vases ,  tout  ici  était  une  vivante  image  d'un 
temps  bien  éloigné  de  nous  f  tandis  qu'il  semUei'tea 
immobilisé  pour  ces  peuples» 

«  Ajoutez  à  ces  premiers  détails  ces  femmes  séparées 
habituellement  de  la  vue  des  étrangers ,  dans  Tintérieur 
de  la  maison;  ce  luxe  de  serviteurs  et  de  familiers  ;  ces 
jeunes  filles  vaquant 'aux  travaux  domestiques  ,  allant 
comme  Rebecça  puiser  de  l'eau  à  la  fontaine  commune  » 
parées  de  leurs  bijoux  ,  de  leurs  colliers ,  de  leurs  pen- 
dants d'oreilles  qui  ne  les  quittent  jamais  ;  et  vous 
jugerez  facilement  de  l'intérêt  qu'on  peut  attacher  à  tant 
d'utiles  et  attrayantes  observations. 

«  Des  monuments  d'une  ^Mxpie  bien  antérieure  à  celle 
que  je  vous  ai  indiquée  jusqu'ici,  consultent  encore  les  ana- 
logies qui  existât  partout  entre  les  œuvres  de  l'homme. 
Tandis  que  les  anciei»  peuples  d'Europe  élevaient ,  par 
des  efforts  d'une  puissance  dont  nous  avons  peine  à  nous 
rendre  compte  ,  ces  iaun  de  géaniê ,  ces  palaii  de  féeê 


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aso 

que  tî  tcittiee  a  claisés  sons  le  noms  de  duhm» ,  de 
ptulwwf,  decrombdb,  Tliide  dressait  aussi  sur  ses  col- 
liaes  les  pierres  colossales  qu'on  y  voit  encore  aujoordlim. 

«  Je  TOUS  parierai  de  ce  que  j'ai  pu  observer  jh^s  de 
Sadras ,  sur  la  route  de  Madras  à  Pondichéry  ;  malhai- 
reosement  le  temps  m'a  manqué  pour  pousser  plus  loio 
mes  redierches. 

«  Figurez- vous  mon  étonnement ,  je  dirai  pluiAt  m» 
joie ,  en  me  voyant  tout-à-coup  en  présence  d'un  monu- 
ment si  peu  espéré ,  d'un  monument  qui  me  rappdait 
d'une  manière  si  firappante  les  pierres  druidiques  qui  se 
dressent  sur  le  mamelon  des  Fourches  »  près  de  moi 
rocher  de  Langres.  Tous  mes  souvenirs  d'enfance  a 
déjeunasse  furent  délicieusement  ravivés  en  cet  instant. 

m  Trois  modestes  collines  se  trouvaient  près  de  la 
route  ,  couvertes  et  entourées  de  pierret  levées ,  exacte- 
ment comme  celles  de  nos  monuments  celtiques'de  France. 
Ces  pierres ,  qui  sont  toutes  d'un  granit  blanchâtre  on  Ié> 
gèrement  mélangé  de  rouge  ,  et  dont  quelques-unes  sont 
d'une  très-grande  dimension ,  affectent  des  dispositions 
variées  dans  leur  arrangement.  La  plus  considérable 
parait  avoir  été  placée  au  sonmiet  de  la  colline  cen- 
trale ;  j'ai  cru  remarquer  ,  dans  la  double  ligne  de 
blocs  isolés  qui  vient  y  aboutir  du  pied  de  la  montagne , 
une  sorte  de  galerie  servant  d'avenue  au  point  culminadi. 
On  pourrait  aussi  reconnaître  plusieurs  enceintes  con- 
centriques de  pierres  de  bout ,  à  la  naissance  des  col- 
lines; et  sur  la  pente  de  la  dernière  ,  j'ai  vu  trèsrdàire- 
ment  un  dolmen ,  dont  la  partie  maféneare  est  formée 
par  une  large  dalle  ,  posée  sur  déplus  petites ,  qois'sp- 
puient  elles-mêmes  sur  de  hautes  (ûerres  verûcries ,  Cdt- 
Kiaut  le  base  du  monument. 


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Ml 

«  Ce  que  je  YÎeas  de  voii$expo8er  auffil  pour  iadiquer 
ma  pensée ,  au  sujet  du  rapprochement  à  faire  entre  les 
usages  des  différents  peuples.  Il  me  reste  à  tous  parler 
de  la  comparaison  à  établir  entre  les  mœurs  légales 
du  paganisme  et  la  sainte  loi  de  TEvangile  :  étude  fé- 
conde, bien  propre  à  faire  vivement  sentir  à  tous  la  grâce 
immense  accordée  aux  peuples  chrétiens. 

«  Que  n*aurais-je  pas  à  vous  dire,  au  sujet  de  rinde, 
sur  la  condition  malheureuse  des  femmes  païennes! 
Vouées  quelquefois  par  leurs  propres  familles  au  culte 
de  divinités  infâmes  ,  qui  exigent  pour  premier  sa- 
crifice celui  de  la  vertu  ;  mariées  sans  qu^on  se  soit 
donné  la  peine  de  les  consulter  sur  le  choix  qu'on  leur 
impose*  ;  veuves  perpétuelles ,  et  souvent  dès  l'enEamce  , 
sans  que  jamais  la  loi  leur  permette  de  contracter  de 
nouveaux  liens  ;  ne  connaissant  pas ,  ou  du  moins  ra- 
rement ,  au  foyer  domestique,  les  joies  chrétiennement 
pures  de  notre  heureuse  Europe  ;  toujours  et  partout , 
ces  pauvres  femmes  eh  sont  réduites  à  fétat  d'où  le  ehris- 
tianisme  seul  a  pu  tirer  cette  moitié  du  genre  humain. 
Entrer  avec  vous  dans  ces  détails  navrerait  votre  âme 
et  offenserait  peut-^tre  la  délicatesse  de  votre  cœur  ; 
qu^un  voile  donc  couvre  entre  nous  ces  tristes  mystères 
d'iniquité. 

«  Mais  ce  qu'il  faut  que  le  monde  connaisse ,  ce  sont 
les  excès  de  la  plus  horrible  superstition  ;  je  veux  parler 
des  sacrifices  humains  ,  encore  accomplis  de  temps  en 
temps  dans  l'Inde  ,  malgré  la  surveillance  des  gouver- 
nements européens  qui  la  dominent» 

«  Voici  ce  que  j'en  ai  appris  dépuis  mon  arrivée  dans 
la  Mission.  Pendant  mon  séjour  à  Pondidiéry ,  on  trouva 
près  des  anciens  fossés  de  la  ville,  le  cadavre  d'un  enfant 
mon  depuis  quelques  jours.  On  vit  aussitôt  qu'il  avait  été 


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399 

immolé  dans  un  sacrifice.  Cette  sanglante  cérémonie  s'ac- 
complit de  la  manière  suivante.  Après  avoir  revêtu  h 
pauvre  créature  d'une  toile  teinte  de  safran,  qui  lui  con- 
vre  toute  la  partie  inférieure  du  corps  »  on  lui  passe  no 
cordon  au  cou  avec  une  guirlande  de  fleurs.  D'autres 
fleurs  couronnent  aussi  la  victime  ;  alors  on  lui  perce  de 
clous  les  deux  mains oii  l'on  place  des  bananes;  ses  pieds 
sontassiyeuis  par  un  lien ,  et  on  l'étrange  ensuile. 

«  De  pareilles  cruautés  s'exercent  quelquefois  sur  des 
femmes ,  s'il  faut  en  croire  ce  qui  m'a  été  rapporté  par 
un  chrétien  digne  de  foi  et  fort  insU'uit  des  usage  païens 
du  pays.  Il  y  a  dans  l'Inde ,  me  racontait-il ,  certains  ma- 
giciens mendiants ,  dont  l'emploi  est  d'exploiter  la  crainte 
ou  la  crédulité  publique ,  en  débitant  d'après  les  rensei- 
gnements pris  ailleurs  ,  des  souhaits  prophétiques ,  ana- 
logues aux  besoins  de  chacun  ,  et  par  conséquent  pro- 
pres à  leur  attirer  les  largesses  de  l'espérance.  Ces  hypo- 
crites s'appellent  Kaudoukoudoupékârers  f  du  nom  d'un 
peUt  tambour  qu'ils  agitent  vivement  en  entrant  dans  les 
maisons.  Quelquefois  on  les  consulte  sur  des  alTaires  de 
haute  importance  ,  dont  le  secret  doit  leur  procurer  une 
récompense  considérable.  C'est  alors ,  dit-on  >  qu'ils  ont 
recours  aux  sacrifices  humains. 

«  Pour  cela  ,  comme  ils  ont  ordinairement  leurs  re- 
traites dans  les  forêts ,  ils  font  choix  de  quelque  femme 
de  la  campagne ,  qu'ils  attirent  à  eux  et  dont  ils  se 
ménagent  raCÊection  par  de  petits  présents.  Lorsqu'ils 
jugent  leur  victime  suffisamment  préparée ,  ils  ^enfe^ 
ment  dans  leur  cabane ,  et  l'enterrent  toute  vive  jus- 
qu'au cou  ;  ils  forment  ensuile  avec  de  la  pâte  de  farine 
une  espèce  de  grande  lampe  »  qu'ils  lui  mettent  sur  h 
tête  ,  et  après  l'avoir  remplie  d'huile  ,  ils  y  aUumeB| 
quatre  mèches.  Lorsque  sa  chaleur  l'a  (ait  mourir,  ce  qui 


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S9S 

oe  lardepM  àarriter ,  ibfai  décapitent.  Alon  »  cofluna 
Pâme  de  cette  malbeureuse  est  devenue^  par  le  foit  seal 
du  sacrifice ,  une  divinité  nouvelle  ,  c'est  à  elle  que  les 
magiciens  s'adressent  pour  obtenir  la  révélation  désirée. 

«  Ces  faits ,  si  horribles  qu'ils  soient ,  ne  sont  pas 
encore  absolument  étrangers  au  temps  où  nous  vivons. 
11  est  vrai  que  la  vigilance  du  gouvernement  anglais  met 
un  frein  redouté  aux  cruelles  exigences  de  la  superstition 
indienne.  A  défaut  de  victimes  humaines ,  les  dieux  sont 
obligés  ostensiblement  de  s'en  tenir,  même  dans  les  plus 
grandes  occasions,  à  quelques  offrandes  de  riz ,  de  fruits, 
ou  d'animaux.  C'est  ce  que  l'on  vit  pratiquer  l'année  der- 
nière avec  pompe  près  de  Pondichéry ,  au  bourg  de 
Siâgy  désolé  par  le  choléra.  On  inunola  un  bufle  dont  Iç 
sang  fut  mélangé  à  des  boules  de  riz  ,  destinées  à  la 
nourriture  de  Taffamée  déesse  en  qui  le  fléau  se  per- 
sonnifie. Ces  boules  furent  lancées  hors  du  village  ,  dans 
la  direction  des  quatre  points  cardinaux  ,  afin  que  la 
cruelledévastatrice  ,  rencontrant  cet  aliment  sur  son  pas» 
sage  9  voulût  bien  s'en  contenter  et  épargner  les  hom- 
mes. 11  parait  que  le  remède  ne  fut  paselficace;  car , 
depuis  ce  temps  ,  le  mal  parut  en  progrès. 

«  Indépendamment  du  riz  et  du  sang  jetés  en  pSture 
i  ce  mauvais  génie ,  les  gentils  ont  encore  plusieurs 
moyens,  tout  aussi  infaillibles,  de  l'arrêter.  Tantôt  ce  sont 
des  guirlandes,qu'ils  tendent  à  l'entrée  des  hameaux  pour 
lui  barrer  le  passage  ;  d'autres  fois  ils  pensent  venir  k 
bout  de  l'effrayer  par  des  processions  où  ils  se  réunissent, 
le  sabre  nu  à  la  main  ,  brandissant  leur  arme  et  frappant 
l'air  comme  des  forcenés,  pour  mettre  en  fuite  la  di$$$ê 

du  vamissemefU Oh  !  quand  viendra  pour  ces  peuples 

l'aurore  du  salut  que  nous  attendons ,  que  nous  deman* 


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324 

dons  pour  eux  atec  instance ,  que  Doai  hâterions  ds 
bien  grand  cœur  par  le  sacrifice  de  notre  tie  I 

«  Priez ,  Je  vous  en  conjure ,  N.  S.  et  sa  très-saintt 
Mère  pour  qu'enfin  ces  jours  de  bénédictions  se  lèrent  ; 
et  croyez-moi  pour  toujours  , 

«  Votre  tout  dévoué  confrère  et  ami  » 

«  LuQVBT ,  Miss,  aposl.  » 


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325 


Lettre  de  M.  Jarrige ,  Miseion.  apoet.  »  à  M.  Teeton , 
Directeur  au  Séminaire  des  Missions-Etrangèree, 


TiiTaDdërain ,  capitale  d«  TraTaieora. 
«  MoifSIEUE   ET   GHBB  CONFEÈRB  » 


«  Vous  savez  que  depuis  longtemps  nous  parlons  4 
Pondichéry  d'aller  évangéliser  les  Ifaldives.  J'ai  quitté 
Nilaguéry  en  juin  dernier,  pour  aller  prendre  les  in- 
formations nécessaires  au  succès  d'une  entreprise  si  diffi- 
cile ;  et  après  avoir  reçu  ,  dans  le  Coimbatour ,  les  ins- 
tructions de  Mgr  de  Drusipare  ,  je  me  suis  mis  en  route 
pourCochin.  En  traversant  la  chaîne  de  Gates  ^  etea 
m'avançant  dans  le  Malabar,  j'admirais  la  fertilité  de 
ces  contrées,  toutes  couvertes  de  moissons  ou  de  riches 
pâturages.  Quelle  force  dans  la  végétation ,  quelles  récol- 
tes abondantes  !  Les  pluies  qui  arrosent  ce  pays  ,  durant  la 
plus  grande  partie  de  l'année ,  tempèrent  la  chaleur  du 
climat,  et  donnent  une  merveilleuse  féconcGté  à  la  terre. 

c  Plus  loin ,  quand  on  a  descendu  le  versant  occiden- 
tal des  Gates ,  on  se  trouve^  au  milieu  d'une  multimde 
de  rivières ,  qui  s'égarent  dans  toutes  les  directions  ,  eo 
cherchant  leur  chemin  vers  l'Océan  :  on  dirait,  à  voir  les 
sinuosités  qu'elles  décrivent ,  des  reptiles  immenses  dé- 
roulant à  vos  pieds  leurs  anneaux  sans  fin.  Ça  et  là^ns 
leurs  plis  capricieux  ,  elles  tracent  des  canaux,  s'épan- 
chent en  vastes  bassins ,  ou  forment  des  lies  dont  ellei 
reflètent  la  verdure  ;  leur  cours  parait  alors  suspendu; 


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936 

elles  semblent  dormii^  au  pied  des  arbres  qui  ombragent 
leurs  rives.  De  petites  barques  sillonnent  presque  sans 
cesse,  jour  et  ouit,  en  tous  sens ,  la  surface  tnuiquUle  de 
ces  lacs*  dont  la  longueur  est  quelquelois  de  trois  ou 
quatre  lieues.  Toutes  ces  beautés  sont  Touvrage  de  la  na- 
ture ,  ou  pIutAt  de  son  auteur. 

«  Sur  le  bord  de  Tun  de  ces  lacs ,  on  voit  les  mines 
de  la  ville  de  Cranganore ,  érigée  du  temps  des  Portu- 
gais en  archevêché.  Les  Hollandais  en  détruisirent  les  for- 
tifications sur  la  fin  du  16*  siècle  :  à  présent  il  n*y  reste 
pas  une  seule  maison.  Sa  distance  de  Cochin ,  qui  sa 
trouve  au  midi  de  cette  ville  déserte  ,  est  d^environ  buit 
lieues. 

«  Cochin ,  dont  je  viens  de  parler  ,  est  situé  à  la  fois 
sur  le  bord  de  la  mer  et  à  Tembouchure  de  plusieurs  ri- 
vières réunies,  qui  forment  ensemble  un  port  sûr  »  vaste 
et  commode.  Mais  aujourd'hui  ce  n'est  plus  qu'une  om- 
bre du  passé  ;  le  commerce  a  fui  ses  comptoirs;  l'ancienne 
métropole  du  Christianisme  dans  l'Inde  n'a  pas  une 
église ,  excepté  une  simple  habitation  convertie  en  cha- 
pelle. Les  Hollandais  d'alors  rasèrent  tous  les  sanctuaires 
catholiques  ;  ils  n'en  épargnèrent  qu^un  seul  appartenant 
aux  Français ,  pour  le  changer  en  temple  protestant  ;  il 
est  encore  au  pouvoir  des  enfants  de  la  réforme.  La  ca- 
thédrale même  fut  renversée  ;  sur  une  de  ses  tours  »  que 
la  croix  dominait»  s^âève  aujourd'hui  un  mâtdepaivaioB. 

«  Si  mon  cœur  de  Blissionnaire  est  afOigé  d'un  tel 
spectacle  ,  il  est  bien  consolé  d'ailleurs  à  la  vue  de  ces 
églises,  semées  de  toute  part  sur  les  bords  des  lacs  et  des 
ri^ères  ;  ce  sont  les  plus  beaux  édifices  du  pays  ,  et  son 
principal  ornement.  Quelle  joie  de  penser  qu'en  s'éloi- 
goant    d'une    ville   qui  le  repoussait  »   le  Seigneur  a 


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SS7 

croutédans  les  campagnes  tant  d'asiles  pieux ,  où  son 
culte  est  en  honneur  !  Là  nos  frères  sont  très-nombreux 
et  divisés  en  paroisses ,  comme  en  Europe.  Du  côté  de 
Cochin ,  les  chrétiens  appartiennent  pour  la  plupart  an 
rite  syro-cbaldéen ,  et  font  remonter  leur  origine  jusqu'au 
temps  de  saint  Thomas  apôtre  des  Indes.  Vers  le  6*  siè^ 
de ,  ils  tombèrent  dans  le  schisme  et  Thérésie  de  Mcsto- 
rius ,  qu'ils  abandonnèrent  en  majeure  partie  à  Tavéne- 
ment  des  Portugais ,  pour  se  réunir  à  TEgUse  catholique. 
Les  autres  sont  dans  un  bien  triste  état.  A  la  mort  de  leur 
dernier  évéque ,  ils  ne  savaient  comment  lui  donner  un 
successeur  ;  qu'ont-ils  fait  ?  lis  ont  trouvé  un  expédient 
auquel  tous  nos  théologiens  d'Europe  n'auraient  jamais 
pensé.  Ils  ont  amené  un  prêtre  ,  aspirant  à  l'épiscopat , 
devant  le  corps  du  défunt ,  et  prenant  ses  mains  glacées 
par  la  mort ,  ils  les  ont  imposées  sur  la  tête  de  i'ordi- 
nand.  Que  voulez- vous  de  plus?  Ne  voilù-t-il  pas  un  cvé- 
que  sacré  par  un  autre  évoque  ?  Plusieurs  personnes 
m'ont  attesté  ce  tait ,  sur  lequel  j'ai  pris  des  informa- 
tions spéciales. 

m  Près  de  Cochin  se  trouve  Ferapoîy  ,  qui  est  une  île 
formée  par  une  ceinture  de  rivières  ;  c'est  la  résidence 
du  Vicaire  apostolique  du  Malabar^  Un  nombreux  sémi* 
nuire  divisé  en  deux  parties  ,  l'ime  pour  les  Latins  ,  et 
l'autre  pour  les  Syriaques  ,  prépare  au  sacerdoce  de 
jeunes  lévites  qui  in*ont  fort  édifié  par  leur  régularité  et 
leur  modestie. 

€  Voilà,  Uonsiear  et  cher  Confrère^  les  principales 
notttelles  que  je  puis  vous  donner  pour  le  moment.  U 
me  reQommande  à  vos  prîmes  et  saints  sacrifices* 


«  F.  Jàmigi  ,  Mîês.  9po$$.  » 

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Exiraii  éTune  hUre  de  Mgr  Bonnmi^  Bvêque  de 
Drusipare  »  d  M.  Vaibi  Be$stm. 

Poiidi€b67  ,  le  18  noTembre  iS46. 

«  Mon  TBis-CHBE  Ami  , 

€  Dans  le  cours  de  ma  dernière  visite  pastoralci  un  de 
ces  orages  si  fréquents  dans  Plnde  nous  surprit  un  soir 
que  nous  nous  trouvions  quelque  peu  attardés.  Nous 
avions  encore  plusd*une  lieue  à  faire  avant  de  rencontrer 
un  abri.  11  fallait  suivre  d^étroits  sentiers  ,  à  travers  les 
champs  et  les  bois  »  et  cependant  les  dernières  lueurs  du 
jour  s'éteignaient  au  couchant.  Aussi  nos  chrétiens , 
voyant  que  le  seul  moyen  d'échapper  au  déluge  de  pluie 
qui  chaque  nuit  inonde  la  contrée ,  était  de  nous  réfu- 
gier dans  le  plus  proche  village  ^  se  mirent-ils  tous  en 
mouvement.  Les  uns  se  chargeaient  de  mes  effets  que 
mes  gens  n'avaient  plus  la  force  de  porter  ;  les  autres  al- 
lumaient des  torches  pour  éclairer  le  chemin  ;  d'autres 
prenaient  les  devants  pour  avertir  les  fidèles  voinns  des 
endroits  où  nous  devions  passer,que  le  Grand  Samy  (prê- 
tre) arrivait ,  qu'il  fallait  apporter  des  flambeaux,  etc. 

«  On  accourait  en  foule  ;  presque  à  chaque  pas  je  voyais 
œs  néophytes  se  prosterner  à  mes  pieds  pour  demander 
ma  bénédiction  ,  que  je  leur  donnais  de  toute  mon  âme. 
Devant  moi  et  à  mes  cAtés ,  s'étendût  une  longue  file  de 
torches,  comme  une  traînée  de  feu  ,  tandis  qu'au  loin  la 
campagne  scintillait  de  lumières  ,  qui  s'agitaient  en  se 
npprocbant  du  groupe  dont  j'étais  entouré.  C'était  un 


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339 

coap  <rœil  d*autaat  plus  intéressant  que  le  ciel  était  ecm- 
vert  d'épais  nuages  et  la  nuit  extrêmement  sombre. 

«  Cependant  la  pluie  nous  menaçait  toujours,  les  éclairs 
sillonnaient  Tespace  en  tout  sens,  le  tonnerre  éclatait  sur 
nos  tètes ,  et  les  hautes  montagnes  au  pied  desquelles 
nous  prédpitions  notre  marche  ,  rendaient  encx)re  ses 
détonations  plus  effrayantes.  Nos  chrétiens  connais- 
saient le  danger  ,  ils  en  étaient  alarmés  pour  moi  ;  je 
les  entendais  presqu'à  chaque  coup  de  tonnerre  recourir 
à  Dieu,  implorer  la  protection  de  Marie,pour  que  leur  Evé- 
que  et  ses  gens  ne  fussent  pas  atteints  par  les  torrents , 
avant  d'arriver  à  Saint-Antoine.  Leurs  vœux  furent  exau- 
cés ,  et  Forage  enfin  se  calma.  A  peine  étions-nous  arri* 
vés ,  que  de  nombreux  coups  de  boites  annoncèrent  aux 
paroisses  voisines ,  à  la  faveur  du  silence  de  la  nuit  et 
des  échos  des  montagnes,  que  leur  premier  pasteur  allait 
bientôt  les  bénir. 

«  Le  lendemain  ,  après  avoir  célébré  la  sainte  messe, 
et  donné  quelques  avis  ,  je  partis  pour  la  principale  pa- 
roisse du  district ,  située  à  plus  de  deux  lieues  de  dis- 
tance. Les  chrétiens  du  chef-lieu  ,  venus  à  ma  rencontre 
dès  le  matin  ,  avaient  amené  avec  eux  leur  plus  bruyant 
orchestre  ;  ils  me  conduisirent  donc  en  musique  jusqu'à 
réglise.  Jamais  je  n'avais  encore  été  favorisé  d'une  ré- 
ception si  pittoresque.  La  vallée  dont  nous  suivions  les 
détours,  entre  les  hautes  montagnes  dont  je  vous  ai  parlé, 
est  peut-être  la  plus  fertile  que  j'aie  vue  dans  l'Inde  ;  tout 
y  est  cultivé  ,  et  la  végétation  d'une  vigueur  étonnante. 
Ici  les  pluies  tombent  pendant  quatre  mois  de  Tannée  ; 
mais  l'agriculture  n'eu  souffre  pas  ;  les  habitants  travail 
lent  avec  leur  parapluie  en  main.  Vous  devez  bien  pré- 
sumer que  cet  abri  n'est  pas  de  soie ,  c'est  tout  simple- 
ment une  feuille  d'arbre,  assez  commune  dans  le  pays,  et 

TOI.  xnu.  107.  22 


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830 

que  je  n'ai  pas  tuo  aiUears  :  il  soffit  de  lui  donner  um 
forme  circulaire  et  d'y  emmandier  uu  bâton  de  bambou. 
Un  de  ces  parapluies  ,  bien  conditionné ,  ne  mouillera 
pas  9  quelque  pluie  qu^il  fasse  ;  les  meilleurs  se  vendent, 
je  crois ,  six  sous. 

c  Au  milieu  de  ma  visite  pastorale  je  me  vis  an'éter 
par  la  maladie.  Dès  que  je  fus  un  peu  rétabli ,  je  me 
traînai  jusque  sur  les  montagnes  de  Nilaguery  où  les  An- 
glais vont  retremper  leur  santé.  Le  flanc  de  ces  colli- 
nes est  extrêmement  boisé  ,  mais  le  plateau  qui  les  cou- 
ronne n'a  presque  point  d'arbres.  C'était ,  il  y  a  trente 
ans,  un  séjour  absolument  inconnu  aux  Anglais  ;  et  déjà 
ils  y  ont  construit  une  petite  ville ,  qui  occupe  le  point  lé 
plus  élevé.  La  croix  devait  aussi  dominer  ces  hauteurs. 
Nous  y  avons  fait  bâtir  une  grande  chapelle  en  1839.^ 
pujsse-t-elle  être  une  arche  de  salut  pour  les  cinq  cents 
chrétiens  qui  l'entourent  !  Je  suis  le  premier  Evêque  ca- 
tholique qui  ait  gravi  et  visité  ces  montagnes. 

«  Les  anciens  habitants  de  cette  région  n'ont  rien  de 
commun  avec  ceux  de  la  plaine  :  ils  portent  tous  la  barbe 
longue,  se  drapent  d'une  espèce  de  toge  antique  ,  par- 
lent un  idiome  particulier ,  et  n'ont  point  de  temple  ;  oo 
dit  que  leurs  sacrifices  se  font  au  pied  d'un  arbre.  A 
défaut  de  monuments  qui  constatent  l'origine  de  cet 
montagnards,  il  en  est  qui,  se  fondant  sur  certaines 
analogies  ,  croient  voir  en  eux  des  descendants  des  Jvits 
Où  des  Romains. 

«  Je  célébrai  les  fêtes  de  Noël  au  pied  du  Nilaguery ^ 
dans  une  jolie  chrétienté  qui  a  beaucoup  souffert  du 
temps  de  Tippoo  ;  j'y  donnai  la  confirmation  ,  et  de  là  j« 
repartis  seul  pour  Pondîchéry  où  j'arrivai  le  9  janvier. 

«  Adieu,  mon  cher  Abbé  ;  croyez-moi  toujours  wvre 
sincère  ami  •         «  f  Cuuoe  ,  Evêque  de  Drusipare  ei 
Fk.  ÀposU  de  Pùndidiiry.  m 


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331 


Extrait  d'une  lettre  du  Père  Brissaud ,  MUewnnairt  de 
la  Compagnie  de  Jésus  »  d  ses  parents  et  à  ses  amis 
d'Europe. 


TolocoriB  (C<^te  do  Malabar)  .  12  ttfrkt  1845. 


«  BiBH  €HEft8  Parents  et  Avis  , 


«  B  me  semble  vous  eatendre  tous  k  la  fois  me  de* 
mander  :  Commet  vous  trouvez-vous  dans  votre  nouvelle 
patrie? — Je  suis  ici  plus  content  que  je  ne  l'ai  été  comme 
Vicaire,  Curé ,  Chapdain ,  Missionnaire  ,  plus  content 
enfin  que  je  ne  Tai  été  nulle  part  en  Europe ,  excepté  au 
Qoviciat  à  Avignon.  —  Rien  ne  vous  manque-t-il  ?  ^-  A 
cette  question  qui  me  rappelle  ces  paroles  de  J.  C.  & 
ses  Apôtres  :  «  Depuis  que  vous  êtes  avec  moi  quelque 
«  chose  vous  a-t-il  manqué  »  je  puis  aussi  répondre  ; 
«  Bien,  Seigneur,  absolument  rien.  »  Un  seul  jour, 
j'étais  sans  un  petit  morceau  de  pain,  et  j'étais  fort  éloi- 
gné du  lieu  où  j'aurais  pu  en  trouver.  Au  moment  du 
repas ,  un  inconnu  ,  un  de  ces  noirs  qui  n'en  ont  jamais 
chez  eux ,  et  qui  n'en  mangent  pas  ,  m'apporte  un  paiç 
d'une  livre;  je  ne  sais  comment  il  avait  pu  se  le  procurer. 

«  Une  autre  fois ,  dans  un  voyage  d'une  soixantaine 
de  lieues  ,  j'atteins  de  nuit  un  village  tout  païen  ,  dont 
lés  maisons  ressemblent  assez  aux  cabanes  qui  sont  dans 
vos  vignes.  N'allez  pas  vous  figurer  qu'il  y  ait  icf  deshétel- 
leriesoù,  moyennant  finance,  on  puisse  être  logé  et  servi  ; 
il  iaut  porter  avec  soi  toute  sa  cuisine ,  sa  vaisselle  et  ses 

22. 


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S3S 

meubles  les  plus  indispensables ,  ou  bien  se  rtewbe  I 
ne  rencontrer  sous  la  hutte  hospitalière  que  ce  qii*oi 
trouve  dans  les  champs  d'Europe. 

«  Me  voilà  donc  arrivé  à  ce  village  tout  païen  »  dans 
un  pays  rempli  de  voleurs  et  d'animaux  maUadsants,  a^ 
la  nuit,  la  pluie ,  les  éclairs  et  les  tonnerres ,  sanssaw 
où  je  pourrai  seulement  £siire  chauffer-un  peu  d*esii. 
Croyez-vous  que  le  Seigneur  m'abandonnera  à  ma  dé- 
tresse ?  Non ,  mes  chers  parents.  Il  y  avait,  à  une  deni- 
lieue,  un  régiment  anglais  campé  en  pleine  campagne; 
un  oflGcier  protestant  ayant  su  que  j'étais  là ,  me  bit  ot 
firir  sa  tente  ,  et  se  réfugie  lui-même  auprès  d'un  decs 
compagnons  d'arme.  De  plus ,  à  mon  arrivée ,  on  fût 
éloigner  la  troupe  pour  me  laisser  tranquille,  ^  les  mit 
principaux  chefs  partagent  avec  moi  leur  souper.  J'eases- 
suite  avec  eux  une  conversation  très^micale.  Comme  oi 
voyage  la  nuit  dans  ce  pays  à  cause  des  chaleurs,  je  par- 
tis à  la  suite  du  régiment  à  une  heure  du  matin ,  et  je 
fus  entouré  ,  durant  la  marche  ,  par  les  soldats  catho- 
liques ,  qui  sont  toujours  en  certain  nombre  dans  les  ar 


€  Depuis  l'Europe  jusqu'ici,  le  Seigneur  m*a  toojoin 
gardé  comme  la  prunelle  de  l'œil.  Que  dirai-je  encore? 
J'ai,  comme  presque  tous  les  Blissionnaires  qui  dârniou 
sous  ce  ciel  dévorant,  payé  tribut  au  climat, c'est-à-dire, 
que  j'ai  été  malade.  Mais  un  médecin  anglais  cathoUquei 
qui  se  trouvait  dans  la  ville  où  l'on  m'a  porté ,  m'a  don- 
né tous  les  remèdes  et  tous  les  soins  possibles  ;  il  b'* 
logé  et  nourri  jusqu'à  par&ite  santé  ;  et  non  seuIeoieBi 
il  a  refusé  tout  ce  que  ma  reconnaissance  pouvait  isi 
offrir,  mais  il  a  défendu  à  ses  domestiques  derecefoirdf 
moi  la  plus  légère  récompense. 

•  Si  vous  me  demandez  maintenant  poarqsai  f^ 


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333 
quitté  ceux  qui  m'aimaient  et  qui  m'étaient  bien  chers  » 
pourquoi  j'ai  foi  une  si  belle  patrie ,  et  dit  quatre  mille 
lieues  et  plus  pour  Tenir  s(ms  un  soleil  de  feu ,  au  milieu 
de  sables  brûlants  ,  à  travers  tous  les  dangers  d'ui^e 
navigation  orageuse  ;  je  vous  présenterai  pour  toute  ré- 
ponse le  Crucifix  qui  brille  sur  ma  poitrine,  je  vous  mon- 
trerai Jésus-Christ ,  qui  pour  nous  est  descendu  du  ciel  : 
C'est  pour  glorifier  Dieu ,  vous  dirai^e  ,  pour  imiter 
mon  Rédempteur  et  mourir ,  s'il  le  faut ,  pour  lui , 
comme  il  est  mort  potir  nous.  Je  ne  doute  pas  qu'il  ne 
m'en  donne  le  courage  si  l'occasion  se  présente.  Enfin , 
c'est  pour  me  sauver  moi-même ,  en  sauvant  ces  pauvres 
Indiens  délaissés.  En  Europe ,  vous  ne  manquez  pas  de 
prêtres  ,  mais  ici ,  quel  abandon  !  C'est  eueore  pour  at- 
tirer sur  vous  une  plus  grande  abondance  de  grâces  ;  car 
vous  savez  bien  que  nous  travaillons  tous  en  commun 
pour  embellir  notre  éterneUe  couronne,  pour  nous  atti* 
rer  mutuellement  au  ciel.  Je  ne  veux  pas  y  aller  seul  : 
chaque  jour  j'offre  ce  que  je  fais  et  ce  que  je  souflre 
pour  vous  tous,  mes  bien  chers  parents  et  amis  ;  je  vous 
attends  aa  grand  rendez-vous ,  n'y  manquez  pas. 

•  Cest  dans  cette  espérance  que  je  vous  embrasse ,  et 
vous  prie  de  me  croire  maintenant  et  toujours,  dans  les 
^ts  cœars  de  Jésus  et  Marie , 

«  Votre  tri&-humble  et  tout  dévoué , 
m  BaissAUD,  JéiuiU  Miaiannaire.  » 


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S34 


Alfred  fun$  Uttre  du  Père  IHneal ,  Mimonnûm 
êpatoUque  de  la  Compagnie  de  Jéeut ,  d  ion  frire. 

Triobinopoly  ,  25  met  1845. 

c  Des  côtes  de  France  à  celles  de  Fliide  «  noire  navi- 
gAtion  n'ayant  présenté. aucun  incident  remarquable ,  je 
m'abstiens  de  vous  en  faire  un  récit  qui  ressemblerait  à 
toutes  les  relations  de  voyages  sur  TOcéan.  Le  mercredi 
de  Pâques ,  nous  entrions  dans  le  port  de  Galle  à  Tilede 
Ceyian.  Nous  fumes  fort  étonnés  du  contraste  qu'offrait 
cette  lie  avec  les  terres  que  nous  avions  depuis  longtemps 
en  vue.  Ici  le  rivage  n'est  qu'une  immense  forêt  de  pal- 
miers et  d'arhres  fruitiers  de  toute  espèce  ;  jamais  la  na- 
ture n'avait  déployé  à  mes  yeux  un  tel  hixe  de  végéta- 
tion i  c'est  bien  avec  raison  que  cette  lie  est  appelée  le 
paradis  de  l'Inde. 

«  Nous  y  descendîmes  le  soir ,  pour  aller  rendre  vi- 
site au  seul  prêtre  qui  se  trouve  dans  le  pays ,  et  afin  de 
pouvoir  dire  nos  messes  le  lendemain.  L'église  et  k 
presbytère  sont  à  un  mille  delà  ville,  au  milieu  de  la  fo- 
rêt,  ce  qui  en  fait  un  séjour  frais  et  enchanté.  Là  nous 
fûmes  témoins  d'un  trait  qui  fait  honneur  à  la  pieuse  hosr 
pitalité  des  chrétiens  de  l'endroit.  Aussitôt  qu'ils  appri- 
rent notre  arrivée  ,  ils  vinrent  en  foule  demander  notre 
bénédiction ,  et  se  relevant  heureux  de  l'avoir  reçue,  ik 
se  retirèrent  en  silence.  Nous  avions  prévenu  le  Mission- 
naire que  nous  avions  diné  abord ,  et  que  nous  ne  pren- 
drions rien  chez  lui  :  C'est  bon  ,  nous  répondit-il ,  je  oe 
préparerai  rien.  Et  voilà  qu'à  neuf  heures  on  nous  prie 


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335 

de  passer  danski  pièce  vohine  pour  nous  rafraîchir.  Nous 
y  trouvons  un  repas  des  plus  copieux.  Nous  nous  ré- 
crions ,  et  le  prêtre  nous  dit  :  Ce  n^est  pas  moi  qui  vous^ 
Tofire,  c'est  le  bon  Dieu  qui  vous  TenToie  ;  il  est  d'usage 
dans  le  pays  que  les  fidèles  défrayent  les  prêtres  qui  pas- 
sent chez  eux  ,  et  ils  le  font  avec  une  émulation  vrai-< 
aient  rdigieuse* 

«  Pendant  que  nous  étions  à  prendre  le  frais,  durant 
b  veillée  ,  nous  vîmes  élinceler  sur  nos  léles  comme  une 
multitude  de  perles  de  feu  ;  c'étaient  des  vers-luisants 
ailés  qui  se  jouaient  dans  l'air ,  et  croisaient  en  tout  sens 
des  sillons  lumineux  en  voltigeant  d'un  arbre  à  l'autre. 
Tout ,  en  un  mot ,  avait  pour  nous  l'attrait  de  la  nou- 
veauté et  le  charme  de  la  surprise ,  sous  un  ciel  si  dtflTé- 
reot  de  celui  qui  avait  frappé  nos  regards  dès  l'enfance. 

€  Arrivé  dans  la  Mission  ,  je  ne  fus  pas  longtemps 
sans  me  ressentir  du  climat  indien  ;  toute  ma  vigueur 
dTurope  ne  résista  que  trois  mois  à  son  influence.  En 
septembre ,  je  tombai  sérieusement  malade  pour  quel- 
ques jours  et  j'ai  été  plus  de  six  mois  à  me  rétablir.  Au- 
jourd'hui je  me  trouve  très-bien  »  et  il  y  a  lieu  d'espérer 
quej'en  serai  quitte  pour  ce  premier  tribut  payé  au  chan- 
gement de  température.  Cependant  mes  forces,  comme 
celles  de  tous  nos  autres  Missionnaires ,  sont  beaucoup 
diminuées.  Celui  pour  qui,  en  France,  des  courses  de  sept 
à  huit  lieues  n'étaient  qu'une  promenade  ,  ici  n'oserait 
pas  se  hasarder  à  faire  une  seule  lieue  à  pied. 

«  Heureusement  nous  n'avons  pas  besoin  d'une  santé 
si  robuste  pour  remplir  noure  ministère  et  faire  le  bien^ 
D'abord  nous  ne  sortons  jamais  de  la  maison  qu'à  cheval  ; 
puis ,  comme  il  est  de  toute  impossibilité  de  voyager  de 
neuf  heures  du  matin  jusqu'à  cinq  heures  du  soir,  il  s'en 
soit  que  les  étapes  sont  nécessairement  rapprochées.  9f 


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SM 

nous  lommet  appdés  pour  un  uuilade  à  phis  de  deux 
lieues»  nous  j  allons  le  soir  et  nous  y  coudions  ;  là  nous 
(lisons  la  messe  de  bon  matin ,  car  dans  tous  les  villages 
chrétiens  il  y  a  une  petite  église  de  terre ,  où  les  fidèles 
se  réunissent  le  soir  pour  réciter  la  prière  conmiune.  La 
messe  dite  ,  nous  causons  quelques  instants  avec  les 
néojdiytes ,  qui  viennent  tous  ensemble  nom  saluer  ;  s*îl 
y  a  quelque  différend  entre  eux,  ils  Texposent,  et  la  paix 
se  raffermit  ;  enfin  ils  nous  présentent  leurs  enfants  pour 
les  bire  bénir,  et  pour  adieu  nous  leur  disons  quelques 
mots  qui  y  bien  ou  mal  articulés ,  sont  toujours  reçus  avec 
une  pieuse  avidité. 

€  Cet  empressement  du  peuple  à  s^instruire ,  est  un 
des  traits  les  plus  heureux  de  son  caractère.  On  pourrait 
tenir  les  fidèles  vingt-quatre  heures  de  suite  à  l'église 
sans  lasser  leur  attention ,  pourvu  que  ce  soit  le  gourou 
(le  prêtre)  qui  leur  parle.  Aussi  voit-on  fréquemment  se 
réaliser  ici  le  mot  si  connu  de  saint  Thomas  :  Que  Dieu 
ferait  plutôt  un  miracle  en  faveur  d'une  dme  simple  et  fi- 
dèle aux  inspirations  de  sa  conscience,  que  de  la  laisser 
périr  faute  des  secours  de  la  foi.  Guidé  à  son  insu  par  une 
Providence  mystérieuse  ,  le  Missionnaire  arrive  à  la  porte 
d'une  cabane  isolée  ;  là  il  trouve  un  vieillard,  un  infir- 
me ,  attendant  sur  le  bord  de  la  tombe ,  que  l'envoyé  de 
Dieu  vienne  lui  donner  la  seule  chose  qui  lui  manque 
pour  Fétemel  voyage ,  la  grâce  du  baptême  ou  le  pain 
des  forts. 

«  Quelquefois^  cependant,  le  missionnaire  esta  huit  on 
dix  lieues  quand  une  personne  tombe  malade.  Duis  le  dé- 
sespoir de  mourir  sans  sacrements ,  elle  se  fait  porter  au 
vUlage  que  le  Père  administre  ;  en  vain  on  s'est  hâté ,  le 
Père  est  d^à  reparti  pour  im  autre  endroit  ;  on  court 
•Booreaprès  lui.  La  seule  penséecpi'il  aura  le  bonbair 


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337 

de  se  confesser  et  de  recevoir  sen  Dieu,  soutient  le  pauvre 
infirme  ;  ce  vœu  est-il  exaucé  ,  il  est  au  comble  de  la 
joie.  Alors  il  dit  à  ceux  qui  l'ont  amené  :  «  Ob  !  foites 
«  de  moi  ce  que  vous  voudrez  maintenant  ;  je  ne  désire 
«  plus  rien  ;  le  bon  Dieu  peut  me  laisser  mourir.  »  Et  en 
effet  la&tigue  de  pareils  voyages  produit  bientôt  ses  tris- 
tes conséquences  ;  le  malade  succombe ,  et  on  ne  rap- 
porte cbez  lui  qu'un  cadavre. 

«  Je  reviens  au  climat  de  Plnde  et  à  son  action  sur 
les  étrangers.  Vous  savez  que  les  mois  de  février ,  mars 
et  avril  sont  l'époque  où  le  soleil  passe  sur  nos  tètes.  Peut- 
être  vous  imaginez- vous  qu'alors,  sous  ses  feux  brûlants, 
nous  sommes  constamment  dévorés  par  la  soif  :  point  du 
tout;  bors  des  repas ,  il  ne  m'arrive  presque  jamais  de 
penser  à  boire.  Nous  le  devons  en  bonne  partie  à  notre 
régime  alimentaire.  Il  est  donc  bien  raffraichissant , 
m'allesE-vous  dire.  C'est  au  contraire ,  d'après  vos  idées, 
la  nourriture  la  plus  irritante  :  le  riz  qui  en  &it  le  fond, 
est  toujours  accompagné  d'une  sauce  composée  de  pi- 
ment ,  de  poivre  ,  du  fruit  de  tamarin  et  autres  épices, 
toutes  plus  fortes  les  unes  que  les  autres.  Au  commence- 
ment, une  cuillerée  de  ce  mélange  vous  brille  le  palais, 
mais  bientôt  on  s'y  habitue  à  tel  point  que  ,  sans  cet 
étrange  assaisonnement  ,  on  ne  mangerait  qu'avec  dé- 
goût ,  et  la  digestion  ne  se  ferait  pas. 

«  Ici ,  quand  on  veut  se  bien  raffraichir  ou  prendre 
une  potion  bienfaisante,  telle  ,  par  exemple ,  que  vous  en 
donneriez  à  un  convalescent,  on  boit  une  tasse  d'eau  dans 
laquelle  on  a  lait  bouiDir  une  grosse  poignée  de  poivre. 
Quand  fêtais  en  Franceje  pensais  quelquefois  en  m'abreu- 
vant  à  une  claire  fontaine  :  Si  je  trouvais  de  pareilles 
lources  dans  l'Inde ,  quand  je  serai  dans  ce  pays  em- 
brasé !  di  bien ,  nous  en  trouverions  à  diaque  pas  que 


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338 

BOUS  ne  les  go&terions  point.  L*eau  firalcbe  seraii  mor- 
telle ;  la  bonne  eau  ,  celle  qui  vraiment  désaltère ,  est 
celle  des  étangs  ou  des  rivières  constamment  exposées  à 
Tactiou  du  soleil. 

c  Quelle  que  soit  la  chaleur,  nous  n*en  sommes  passof- 
foquéSy  comme  en  France.  Au  plus  fort  de  Tété ,  pourvu 
qu'on  soit  à  Tombre ,  on  ne  s'aperçoit  pour  ainsi  dire  du 
feu  qui  vous  pénètre,  qu'à  la  sueur  abondante  qui  dé- 
goutte doucement  de  toutes  ks  parties  du  corps.  Pour 
avoir  une  température  modérée  dans  les  appartemenu , 
il  faut  isoler  des  rayons  du  soleil  non  seulement  Tinté- 
rieur  ,  mais  encore  les  murailles  ;  ce  qui  se  fait  au  moyen 
de  grands  toits  de  palmiers ,  qu'on  construit  tout  autoor 
des  demeures  :  sansceh,  les  murs  s'échauffent  tellement 
que  les  chambres  deviennent  des  fours.  Dans  toute  l'Inde 
vous  ne  trouveriez  pas  un  carreau  de  viure.  Portes  et  fe- 
nêtres sont  à  jalousies,  pour  donner  à  l'air  un  libre  cours, 
et  entretenir  ime  ventilation  continuelle.  Matelas  etfou- 
teuils  rembourrés  seraient  ici  hors  de  saison;  les  lits,  sim- 
plement tressés  avec  des  courroies  de  rotin,  ne  demandent 
point  d'autres  garnitures,  et  sont  ainsi  toujours  prêts.  Ds 
servent  de  canapés  pendant  le  jour  ,  et ,  la  nuit  venue,  on 
se  jette  dessus  tel  quel  ;  on  est  de  cette  manière  bientôt 
cooché  et  bientôt  levé. 

«  Je  ne  finirai  pas  sans  vous  retracer  un  des  pieux 
exercices  que  nos  Indiens  affectionnent  davantage.  Le 
soir  du  vendredi  saint ,  arrive  de  tous  les  pys  d'alentour 
une  multitude  innombrable  ,  les  uns  attirés  par  la  curio- 
sité 9  les  autres  par  la  dévotion.  Nos  chrétiens  s'accrou- 
pissent dans  une  partie  de  la  grande  place  désignée  pour 
eux.  Vers  les  huit  heures  y  du  haut  d'une  estrade  qui  les 
domine  I  un  catéchiste  commence  à  baote  voix  les  Su- 
tûm$.  Ce  sont  d'abord  des  discours  composés  par  nos 


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339 

anciens  PèreSyOùrhistoire  du  mystère  qui  va  être  mis  sous 
leurs  yeux  est  clairement  développée,  avec  des  réflexions 
morales  tout*à-lait  à  la  portée  de  ce  bon  peuple.  J'étais 
ravi  de  joie  en  voyant  avec  quel  profond  silence ,  quelle 
attention ,  quel  recueillement ,  cette  lecture  était  écoutée 
pur  des  milliers  de  néophytes.  Ce  tableau,  contrastant 
avec  la  cohue  et  le  tumulte  qui  régnaient  à  Pautre  extré- 
mité de  la  place^  où  se  trouvaient  confondus  païens, turcs  et 
protestants,  nous  représentait  bien  les  saintes  femmes  qui 
accompagnaient  notre  Seigneur  au  milieu  de  la  soldates- 
que et  delà  foule  des  juifs  ;  nous  étions  heureux  de  pou- 
voir nous  dire,  en  arrêtant  nos  regards  sur  ces  pieux  fi- 
dèles :  Cestbien  ici  le  troupeau  des  élus  ! 

«  La  vivacité  de  leurs  sentiments  religieux  éclatait 
surtout  lorsque  ,  par  une  sorte  de  mise  en  scène,  on  re- 
présentait à  ce  bon  peuple  Phistoire  dont  il  venait  d'en- 
tendre le  récité  Alors  le  catéchiste,  interprète  de  la  dou- 
leur commune ,  faisait  au  nom  de  tous  des  amendes  hono- 
rables; Tair  retentissait  non  pas  de  cris ,  car  le  silence 
qui  /égnait  parmi  nos  fidèles  ne  fut  pas  un  instant  inter^ 
rompu ,  mais  de  coups  dont  ils  se  frappaient  la  poitrine. 
Ainsi  se  succédèrent  les  Stations  durant  plus  de  quatre 
heures.  A  la  dernière  ,  quand  on  exposa  aux  regards  le 
Sauveur  en  croix ,  rendant  le  dernier  soupir,  Témotion 
ne  connut  plus  de  bornes  ;  les  larmes  coulaient,  les  fronts 
frappaient  la  terre  ;  on  oubliait  tout  pour  donner  un  libre 
cours  à  sa  compassion  et  à  sa  douleur.. .. 

«  Votre  frère  tout  dévoué , 

«  TiaiiGAL,S.  J.* 


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340 

Extrait  d'une  lettre  du  P.  St.-Cyr  ,  Mi^iùmnairê  de  la 
Compagnie  de  Jésus  dansleMaduré,dses  Confrères. 


Dindigul  ,  3  mtrt  i844. 

,^    «  Mes  RivipENDS  P£aBfr, 

«  Je  ne  m'étonne  pas  de  rintérét  que  vous  portez  à 
notre  cher  Maduré.  Puisqu'en  religion  les  œuvres  de  zèle, 
plus  encore  que  les  biens  temporels ,  sont  une  propriété 
commune  et  le  trésor  de  tous  les  membres ,  cette  Biission 
n'est-elle  pas  aussi  la  vôtre  ;  ce  champ  que  nous  culti- 
vons ,  ne  sont-ce  pas  vos  prières  qui ,  mêlées  à  nos 
sueurs  ,  lui  donnent  son  heureuse  fertilité  ?  Il  est  donc 
bien  juste  que  je  vous  rende  compte  d'un  ministère  auqnel 
une  fraternelle  charité  vous  associe.  Je  n'irai  pas  cher- 
diOT  bien  loin  le  sujet  de  ma  lettre;  une  excursion  que  je 
viens  de  faire ,  me  le  fournit  naturellement. 

«  De  Dindigul ,  ma  résidence  ordinaire ,  j'étais  allé 
visiter  mon  petit  troupeau  d'Jycoudy  ,  qui  se  compose 
d'environ  quarante  familles  chrétiennes.  H  y  a  là  une 
église  dédiée  à  saint  François  Xavier  ;  elle  est  petite  , 
mais  il  s'y  rattache  un  fait  assez  curieux.  Autrefois  elle 
s'élevait  près  de  la  montagne  sacrée  où  l'idole  de  Palani 
fait  son  séjour.  Ce  dieu^  dans  sa  grande  et  belle  pagode, 
au  milieu  de  ses  pèlerins  qui  venaient  par  troupes  in- 
nombrables lui  prodiguer  leurs  hommages  ,  peu  satis&ût 
des  sacrifices  qu'on  lui  ofrait  le  jour  et  la  nuit ,  ne  pou- 
vait aoufCrir  près  de  lui  cet  humble  sanctuaire  en  paille 
qui  se  voyait  dans  la  plaine  ;  il  menaçait  d'abandonner  le 
pays ,  si  on  ne  le  délivrait  de  ce  voisinage  importun.  Les 


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341 

Brabmes  qui  s'engraissaient  des  immenses  retenos  d« 
temple,  mirent  en  jeu  tant  d'artifices»  que  le  Zémmdoi  on 
souverain  d'Aycoudy  donna  ordre  de  raser  la  cbapdie. 
Mais  ce  prince ,  craignant  d'un  autre  cAté  la  colère  de 
celui  dont  il  renrersait  Tautel ,  voulut  que  dans  la  ville 
même,  non  loin  de  son  palais ,  on  reconstruisit  l'édifice 
sacré,  tel  qu'il  existe  encore  aujourd'hui. 

«  A  deux  milles  plus  loin 'est  la  fiimeuse  montagne 
dont  je  viens  de  parler.  Ici  nous  sommes  au  sein  de  l'em- 
pire de  Satan  ,  dans  le  cœur  de  l'idolâtrie  ,  au  milieu  de 
ses  ténèbres  les  plus  épaisses.  Palani  est  Fun  des  cinq 
lieux  sacrés  de  l'Inde.  Il  partage  avec  Ramseram ,  Chirin- 
gam  ,  Jaggrenat  et  Benarès ,  le  privilège  d'accorder  in- 
Tailliblement  la  béatitude  céleste  à  tous  ceux  qui  auront 
visité  son  parvis.  Pour  se  rendre  l'idole  favorable,  il  n'est 
pas  de  bizarre  expédient  qu'on  n'emploie.  Cultiver  sa 
chevelure  pour  venir  en  faire  l'offrande  au  grand  dieu  de 
Palani,  c'est  une  dévotion  très  en  vogue  parmi  les  païens, 
et  un  gage  certain  d'une  félicité  constante  ;  parcourir  , 
vêtu  de  toiles  de  couleurs,  une  partie  de  l'Inde;  apporter 
au  temple  des  vases  de  lait  ;  mendier,  une  clochette  à  la 
mam ,  des  dons  pour  le  grand  dieu ,  sont  encore  des  pra- 
tiques très  à  h  mode.  Quelle  que  soit  la  maladie  qui  vous 
travaille ,  venez  à  Palani  et  votre  guérison  est  certaine. 
Venez-y  avec  des  poissons  morts  ,  et  ces  poissons  jetés 
dans  l'étang  du  dieu  revivront  aussitôt  ;  présentez  du  sa- 
ble,  et  ce  sable  se  changera  incontinent  en  sucre  ;  ou  bien 
offîpet  du  sucre  ,  et  il  vous  reviendra  du  sable.  Gardez- 
vous  bien  d'en  douter,  les  brahmes  en  sont  garants  ;  et  la 
parole  d'un  brahme  n'esUelle  pas  sacrée  ?  C'est  ainsi  que 
ces  adroits  hypocrites  nourrissent  la  crédulité  populaire. 

«  Ce  sont  ces  prodiges  supposés  qui  font  affluer  de  tou- 
tes les  parties  de  l'Inde  ces  massesde  pélmns  qu'on  vwt. 


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343 

ea  janvier  et  en  mai  ,  accourir  par  toutes  les  routes  ; 
c'est  grftee  à  ces  merveilles  mensongères  que  les  anciens 
maîtres  du  pays  ont  doté  de  tant  de  privilèges  la  pagode 
et  ses  ministres  »  et  qu'ils  ont  consacré  à  Tentretien  dn 
temple  unt  de  domaines  exempts  de  tout  impôt ,  dont  b 
rente  égale,  assure-t«on,  les  revenus  du  royaume  de  Ton- 
daman  tout  entier.  Toujours  est-il  que  Tamiée  dernière, 
les  Anglais  ont  affermé  la  recette  de  Palani ,  en  y  com- 
prenant les  offrandes  des  pèlerins  ,  pour  une  somme 
d'environ  cinquante  mille  roupies  ,  ou  cent  cinquante 
mille  francs  de  noire  monnaie  ;  et  Ton  dît  généralement 
que  c'est  à  peine  le  quart  de  ce  qui  revient  annuellement 
au  temple.  11  paraîtrait  que ,  cette  année  ,  le  gouverne- 
ment de  Madras,  pressé  par  les  ordres  émanés  de  la  cour 
des  Directeurs  ,  aurait  apporté  quelques  modifications  à 
ce  trafic  qui  spécule  sur  tout ,  et  tire  bénéfice  de  Tido- 
lûtrie  elle-même*  Une  partie  des  biens  de  la  pagode  en- 
levés au  diable ,  aurait  été  définitivement  attribuée  à  la 
Compagnie  des  Indes  ;  quant  à  ce  qui  reste  pour  l'en- 
tretien du  temple ,  des  brahmes  et  des  dévadassis  ,  le 
gouvernement  ne  s'en  mêlerait  plus. 

«  Le  sanctuaire  s'élève  sur  une  petite  montagne  co- 
nique ,  assez  régulière  ,  qui  se  détache  de  la  masse-im- 
posante des  grandes  Gates.  Au  pied  de  la  colline  ,  une 
large  voie  qui  en  fait  le  tour,  est  plantée  de  beaux  ar- 
bres et  environnée  d'une  foule  de  niches  ou  pagodins. 
C'est  là  que  se  promenait  le  grand  Ter,  ou  diar  du  dien  ; 
c'est  là  que  des  païens  fanatiques ,  se  précipitant  sous  les 
roues ,  se  faisaient  écraser  pour  aller  jouir  de  la  f^icité 
promise  à  leur  démence.  Pour  meiure  fin  à  ces' actes  hor- 
ribles ,  dont  les  brahmes  étaient  les  chauds  partisans,  le 
gouvernement  a  défendu  la  marche  de  ce  char  monstrueux. 

«  Au  bas  de  la  montagne  est  une  pagode  avec  pyra- 

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S4S 
inide,  dédiée  au  dieu  Fichnou.  Plus  loin  s^éliye  le  grand 
portique  y  qui  ouvre  cette  suite  continue  de  degrés  dont 
Textrémité  touche  au  temple»  A  l'ouest^  est  un  autre  por- 
tique, iBorc^u  d'architecture  vraiment  remarquable;  jus- 
qu'à présent ,  je  n'ai  rien  vu  dans  Tlnde  qui  puisse  loi 
être  comparé.  L'entrée  a  pour  ornement  des  statues  fan-* 
tastiques  de  paons  et  de  lions  ;  le  toit  de  pierre  qui  le  sur- 
oionte  y  est  soutenu  par  des  groupes  de  petites  colonnes 
sculptées  avec  art ,  et  présentant  les  formes  les  plus  cu- 
rieuses et  les  plus  variées.  Un  se  trouvent  les  statues  des 
anciens  seigneurs  de  Palani  et  d'Aycoudy  ;  elles  sont 
aussi  l'objet  d'im  culte  spécial. 

«  Introduits  par  le  grand  portique  ,  les  pèlerins  com- 
mencent à  gravir  la  sainte  montagne.  Les  plus  dévots  en 
montent  les  nombreux  degrés  à  genou ,  et  sur  chaque 
degré  cassent  une  noix  de  coco  en  l'honneur  de  la  divi- 
nité ;  ceux  qui  n'ont  pas  le  courage  de  faire  cette  longue 
ascension  d'une  manière  aussi  pénible ,  ne  se  dispensent 
pas  au  moins  de  se  prosterner  à  tous  les  petits  temples 
ou  pagodins  qui,  parsemés  sur  le  flanc  de  la  montagne , 
servent  comme  de  halte.  A  chaque  prostration  il  &m 
oifrir  quelque  sacrifice.  Dans  ces  pagodins  se  trouvent 
tantôt  un  paon ,  monture  fayorile  du  Grand  Seigneur , 
tantôt  un  vignesoura  ou  pouléar ,  dieu  à  tète  d'éléphant, 
à  quatorze  bras  ,  et  à  ventre  monstrueux  ;  tantôt  un  dieu 
serpent  à  cinq  létes ,  idole  que  je  n'ai  trouvé  qu'à  Palani; 
tantôt  im  éléphant ,  tantôt  un  chien ,  tantôt  un  killi- 
piUei»  espèce  de  perruche  ou  de  pie  verte ,  fort  commune 
dans  le  pays ,  tantôt  d'autres  simulacres  grotesques  dont 
les  noms  me  sont  inconnus* 

«  Sur  le  plateau  de  la  montagne  ,  élevée  à  plus  de 
cinq  cents  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  plaine ,  sa 
trouve  une  vaste  enceinte  quadrangulaire ,  dans  laquelle 


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00  pAiiètre  par  un  élégant  portique.  Au  milieu  de  oetu 
enceinte  sivgit  le  grand  temple  avec  sa  haute  et  magnifi- 
que pyramide.  Il  faudrait  un  ChampoUicm  indien  pour 
déchiffrer  les  caractères  »  ou  ,  pour  mieux  dire ,  les  fi- 
gures symboliques  grossièrement  sculptées  sur  les  quatre 
fiices  de  Tédifice.  A  Test  du  temple ,  sons  un  arbre  véné- 
rable de  vieillesse,  glt  un  petit  pagodin  ;  c'est  là  qn*ha- 
tûte  le  dieu»  Autour  du  sanctuaire  (vincipal  on  remarque 
une  multitude  de  paons  et  de  chevaux  en  pierre  on  eo 
terre  cuite  :  la  divinité  monte  ces  coursiers  pour  aller  ài 
la  promenade  ou  à  la  chasse.  Du  haut  de  cette  monta- 
gne escarpée ,  Ton  a  vu  souvent  de  fenatiques  dévots  se 
précipiter  la  tête  la  première,  et  pendant  que  la  muiti 
tude  applaudissait  à  cette  extravagance ,  leurs  crânes  vo- 
laient en  morceaux  ,  leurs  membres  violemment  arra- 
chés se  dispersaient  de  part  et  d'autre.  Il  va  sans  dire 
que  le  gouvernement  anglais  a  (ait  cesser  ce  speccicle 
sanglant. 

«  Vous  me  demanderez  sans  doute  quel  est  donc  ce 
dieu  de  Palani ,  si  Guneux,  si  vénéré  P  Cest  ici  que  je 
suis  embarrassé  pour  vous  répondre.  Interrogez  les 
païens ,  ils  seront  pour  la  plupart  aussi  embarrassés  que 
moi  ;  ils  vous  diront  tous  :  «  Mais  c'est  le  Seigneur  de 
Palani.  »  —  Si  vous  insistez  en  demandant  quel  est  ce 
Seigneur  de  Palani  ?  ils  vous  regarderont  avec  un  air 
étonné  et  balbutieront  encore  :  «  Cest  le  Seigneur  de 
Palani.  »  Par  le  fait ,  ils  ne  savent  pas  ce  qu'ils  adorenu 
S'ils  se  hasardent  à  donner  quelques  explications,  cha- 
cun créera  un  personnage  diflerent ,  et  contera  des  anec- 
dotes contradictoires.  Ce  n'est  pas  que  les  noms  et  sur- 
noms manquent  à  ce  grand  dieu  :  les  Indiens  sont  peut- 
être  plus  fertiles  en  épithètes  que  n'étaient  les  Grecs  eux- 
mêmes.  Je  pourrais  vous  citer  cent  noms  magnifiques  qui 


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le  donnent  au  Seigneur  de  Palani.  L'histoire  la  plus  gé- 
néralement reçue  suppose  que  ce  dieu  est  un  fils  du  grand 
•Siva  ;  que  son  nom  réel  est  Supramaniaien  ;  qu'ayant 
cherché  querelle  à  son  frère  atné,  il  le  relégua  sur  la  ' 
cime  escarpée  de  la  montagne  de  Firpachy ,  tandis  qu'il 
établissait  lui-même  son  trône  et  sa  demeure  sur  le  mont 
sacré  de  Palani ,  où  depuis  lors  il  règne  en  souverain. 

«  Terminons  enfin  ce  fastidieux  récit  des  folies  du  pa- 
ganisme. J*aurais  des  choses  plus  révoltantes  encore  à 
vous  conter  ,  mais  à  quoi  bon  exciter  votre  dégoût  ?  Ce 
que  j'ai  dit  suflira^»  je  l'espère,  pour  vous  Ëiire  apprécier 
l'idolâtrie  dans  l'un  de  ses  sanctuaires  les  plus  vénérés  et 
tes  plus  célèbres.  Puissent  aussi  ces  quelques  détails  vous 
engager  à  prier  pour  ces  aveugles>  si  profondément  plon- 
gés dans  les  plus  épaisses  ténèbres  :  ce  sont,  cependant, 
des  hommes  rachetés  par  le  sang  de  Jésus^Christ;  ce  sont 
des  hommes  que  je  suis  appelé  à  convertir ,  et  que  vous 
pouvez  m'aider  à  sauver. 

«  Il  est  temps  enfin  de  terminer  cette  longue  lettre  , 
en  me  reconunandant  à  vos  bonnes  prières.  Je  suis  avec 
une  sincère  affection  ,  votre  frère  et  votre  ami , 


«  Im  St.'Cyr  ,  S.  J.  Miiiionnatre,  % 


TOM.  xviu.  107.  93 

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346 


MISSIONS  DE  LA  CHINE- 

VICAWAT   APOSTOUQUE  DU   HOU-KOUÂNG. 


Lettre  de  Mgr  Rizzolati  ,  Vicaire  apostoUque  du  Bùu^ 
kofKvn  jf ,  à  MU.  lee  Membreê  dee  ComeUi  Centraum 
delffontt  de  Parie. 


Oo-tdMBhAMi ,  70  oetokn  1845. 


Messieurs  , 


«  Je  vous  ai  promis ,  dans  ma  dernière  lettre ,  de 
continuer  le  récit  des  faits  les  plus  importants,  survenus 
cette  année  dans  mon  Vicariat.  Pour  lem'r  ma  parole  ,  je 
prends  sur  le  temps  destiné  au  repos;  car  je  ne  puis  déro- 
ber une  minute  à  mes  pressantes  et  nombreuses  occu- 
pations. 

«  Mais  je  dois ,  avant  tout ,  m*acquitier  d'un  autre 
devoir  aussi  doux  qu'impérieux.  C'est  avec  toute  Teffa- 
sion  du  cœur ,  au  nom  des  Missionnaires,  des  sémina- 
ristes et  des  fidèles  du  Hou-kouang,  que  je  remercie  les  Con- 
seils de  l'Œuvre  des  secours  qu'ils  m'allouent  cette  année; 


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347 
ces  dons,  je  les  reçois  justement  dans  la  plos  grande  dé- 
tresseoù  je  me  sois  trouvé  jamais,  depuis  que  le  Saint-Siège 
m'a  imposé  la  direction  ou  plutôt  la  formation  nouvdle 
de  cet  immense  Vicariat.  Je  remercie  aussi  vos  frères 
généreux  de  leur  diarité  sans  bornes,  si  admirablement 
concertée  pour  adoucir  la  misère  de  leurs  semblables  jus- 
qu'au bout  du  monde,  et  coopérer  au  salut  de  tantd'âmes 
qu'ils  ne  connaissent  pas.  Dieu  veuille  augmenter  le  nom- 
bre de  ces  pieux  Associés,  auxquels  est  due  une  si  large 
part  du  bien  que  produisent  les  Missions  I 

«  La  dernière  fois  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  écrire, 
j'étais  dans  la  chrétienté  de  Heiriekanrfouy  au  district  de 
JumriamrfoUi  où  nous  avons  eu  à  déplorer  l'arrestation  du 
P.Tien  et  deson  catécbiste.Ces  deux  confesseurs sontencore 
dans  les  diatnes  pour  leur  héroïque  constance  dans  la  foi*  Je 
dois  mettre  sous  vos  yeux  le  tableau  de  leurs  souffraiKses. 

«  François  Tien  ,  prêtre  chinois  de  la  maison  de  Na- 
ples  ^  ou  il  a  fait  ses  études  ecclésiastiques  ,  administrait 
avec  le  P.  Irtelli  la  chrétienté  de  Hei-tchan-fou  ,  lors- 
qu'il fut  arrêté  par  les  satellites  et  conduit  au  tribunal  de 
Tarn-sien.  Son  catéchiste ,  le  compagnon  inséparable  de 
ses  travaux  ,  le  fut  aussi  de  sa  captivité.  Traduit  au  pré- 
toire sous  la  prévention  d'être  prédicateur  et  chef  de  la 
Religion  chrétienne ,  le  P.  Tien  fut  chargé  de  chaînes 
sous  les  yeux  du  mandarin  civil  »  qui  le  fit  mettre  à  ge- 
noux devant  lui  pour  répondre  aux  questions  suivantes. 

«  Quel  est  ton  nom?  —  Tien-Konam.  —  Ta  patrie  ? 
«  —  La  Chine.  —  Es-tu  prêtre  de  la  Religion  du  ciel  ? 
«  —  Je  le  suis.  —  Est-il  vrai  que  les  ministres  de  ce  culte 
«  éu^nger  arrachent  les  yeux  aux  moribonds  ?  (  vieille 
«  calomnie  qui  a  pour  liase  Tadminislration  mal  com- 
«  prise  des  derniers  sacrements,  et  en  particulier  Tonc- 
«  tion  que  le  prêtre  fait  sur  les  yeux  des  malades.)  — 


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348 

«  Non  9  mandarin  ;  ce  crime  n*a  jamais  été  le  nAlre*  — 
«.  Tu  mens  ;  car  ce&it  ,«atlestépar  le  dernier  rescrit  im- 
«  pénal ,  n*a  pas  été  contredit  par  les  Français  dans  leur 
«  supplique  à  Fempereur.  —  La  loi  peut  nous  accuser , 
«  les  Français  peuvent  ne  pas  nous  défendre  ;  mais  nous 
«  ne  pouvons  avouer  un  crime  dont  nous  sommes  inno- 
«  cents.  » 

«  Le  juge,  voyant  qu*il  ne  gagnait  rien  sur  ce  premier 
chefy  passa  à  d'autres  questions,  et  continua  ainsi  Tinter- 
rogaioire  :  »  Combien  de  personnes  ont  embrassé  u 
«  prédication  ?  —  Je  Tignore.  —  Qaels  sont  ces  Irvres 
»  européens  qu'on  a  saisis  avec  toi  ? — Des  livres  à  moa 
«  usage.  —  Tu  sais  donc  la  langue  de  TOcddent*  — 
«  Je  sais  le  latin.  —  Où  Tas-tu  appris?  —  En  Italie, 
«  une  des  contrées  méridionales  de  l'Europe.  —  Quoi 
«  donc  !  tu  es  allé  en  Europe?  —  Oui ,  mandarin  :  j'y  ai 
«  fait  un  séjour  de  plusieurs  années,  afin  de  mieux  appren- 
«  drela  religion  chrétienne,  et  les  sdences  qu'on  ignora 
«  en  Chine.  —  Ah  I  scélérat  I  tu  n'es  que  trop  digne 
«  des  châtiments  que  je  te  réserve.  » 

«  Des  scènes  plus  terribles  allaient  succéder  à  ce  débitt 
orageux.  Ce  que  le  mandarin  voulait  avant  tout,  c^était 
l'apostasie  de  ses  prisonniers.  Laissant  pour  ce  qu'elles 
vahient  toutes  les  autres  imputations ,  il  ordonna  aux 
deux  confesseurs  d'abjurer  la  foi  chrétienne ,  et  de  fouler 
aux  pieds  le  Crucifix;  à  cette  condition,  il  promettait  de 
les  mettre  en  liberté.  «  Mieux  vaut  mourir,  »  fut  leur 
unique  réponse.  Alors  on  les  jeta  dans  une  étroite  prison, 
au  milieu  d'une  vingtaine  de  malËiiteurs  ,  qui  aggravè- 
rent encore  [mur  eux  le  poids  des  chaînes ,  en  les  pour- 
suivant de  leurs  blasphèmes  et  de  leurs  obscénités. 

«  Si  horrible  que  fût  leur  cachot ,  le  mandarin  ne  les 
y  laissa  pas  en  paix;  souvent  il  les  mandait  au  prétoire,  et 


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349 
c^était  pour  lear  Infliger  les  plus  cruelles  tortures^.  Le 
P.  Tiefty  eu  sa  qualité  de  prêtre,  avait  le  privilège  fïéive 
soumis  à  des  supplices  plus  nombreux  et  plus  raffinés. 
Un  jour^  ce  magistrat,  joignant  la  dérision  à  la  barbarie, 
iui  fit  mettre  les  bras  en  croix ,  et  dans  cette  attitude,  or- 
donna de  le  su^endre  à  une  poutre  par  les  cheveux.  Une 
autre  fois  ,  il  le  retint  à  genoux  ,  la  chair  nue  ,  sur  des 
pointes  de  carreaux  brisés  ,  recouvéftes  seul^nent  d*un 
papier  détrempé  de  sel ,  afin  d*envenimer  les  plaies.  Ce. 
supplice  ,  qui  commençait  au  lever  du  soleil ,  ne  cessait 
qu'à  minuit». •  et  il  dura  Tespace  de  six  jours...  et  quand 
le  prêtre  tombait  de  lassitude ,  ou  s'évanouissait  de  fai- 
blesse ,  les  bourreaux  étaient  là  qui  le  relevaient  bruta- 
lement par  les  oreilles,  ou  le  rappelaient  à  la  connais- 
sance par  des  soufflets. 

«  Au  septième  jour ,  le  patient  ne  pouvant  plusse  te-; 
nir  sur  ses  genoux ,  qui  n'étaient  plus  qu'une  plaie  où  la 
corruption  s'était  mise  ,  on  fut  obligé  d'abandonner  ce 
genre  de  torture.  Mais  il  n'y  eut  point  d'autre  adoucis- 
sement à  ses  souffrances  ;  le  système  de  rigueurs  conti-  ^ 
nua  dans  la  prison.  C'était ,  de  la  part  du  juge ,  un  calcul 
autant  qu'une  cruauté.  Supposant  que  le  P.  Tien,  comme 
chef  de  la  Religion  chrétienne,  devait  avoir  amassé  des 
trésors ,  il  espérait ,  à  force  de  tourments ,  se  les  faire 
donner  pour  rançon  ;  mais  cette  soif  de  l'or  n'ayant  pu 
être  satisfaite ,  sa  rage  s'en  accrut ,  et  il  frappa  de  plus 
rudes  coups  sur  ses  victimes. 

«  Après  des  supplices  nouveaux  ,  le  Père  fulencliaîné 
à  son  catéchiste  par  les  pieds  et  par  les  mains  ,  de  façon 
que  ,  le  jour  comme  la  nuit ,  ils  ne  pouvaient  ni  se  lever, 
ni  s'asseoir ,  et  qu'on  était  obligé  de  leur  mettre  les  ali- 
ments à  la  bouche  ,  comme  à  des  enfants  en  bas  âge. 
Pour  aggraver  encore  cette  situation  et  i^endre  tout-à-fuit 


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360 
impossiUe  l'usage  de  leurs  mains ,  les  saielUles  ima^ 
rent  de  fixer  au  cou  des  prisonniers  une  longue  uaiene 
de  fer  ,  à  laquelle  leurs  bras  étendus  furent  assujetis ,  ce 
qui  les  tenait  violemment  en  croix.  Ils  restèrent  dix-oed 
jours  consécutifs  dans  cette  posture  douloureuse ,  saes 
pouvoir  goûter  un  insuml  de  repos.  S'ils  furent  tirés  d'ooe 
si  cruelle  agonie ,  ils  le  durent  à  l'intervention  d'un  chré- 
tien du  district ,  qut  vint  les  visiter  et  donna  huit  mille 
sapéques  pour  qu'on  mit  fin  i  cette  horrible  torture*  Ce 
généreux  néophyte  »  que  l'inondation  avait  empêché  d'ar- 
river plus  tôt  ,.se  nomme  Tchen-kouo-tai. 

«  Le  mandarin  voyant  que  l'appareil  des  supplices 
était  sans  résultat,eut  recours  à  d'autres  armes  pour  vain- 
cre la  résistance  des  confesseurs  ;  il  demanda  à  la  sè^ 
ductioa  ce  qu'il  n'avait  pu  obtenir  de  la  violence,  l^» 
jour  il  envoya  sa. femme  et  d'autres  membres  de  sa  là- 
mille  auprès  du  P.  Tien  ,  pour  l'exhorter  à  fouler  aux 
pieds  la  croix.  Dès  que  le  prêtre  les  vit  entrer  dans  soi 
cachot ,  devinant  le  motif  qui  les  amenait  ,  il  poussais 
cri  si  perçant  que  tous  les  détenus  en  furent  efirayés*  et 
qu'il  se  trouva  sur-le-champ  débarrassé  de  cette  visite 
comme  d'une  sinistre  apparition.  En  riscpiant  une  pa- 
reille démarche ,  le  juge  venait  d'assumer  sur  sa  tète  on'' 
grande  resposabilité ,  car  en  Chine  l'introduction  dtf- 
destine  d'une  femme  auprès  des  prisonniers,  est  im  é^ 
capital.  Mais  comme  ce  mandarin  est  Mantcboa  ,  ilap^ 
à  craindre' d'être  dénoncé  par  ses  collègues  diinofe  y  ^ 
l'intérêt  exige  que  ,  sous  peine  d'être  suspects  à  la  <ij- 
nastie  régnante  ,  ils  ménagent  en  toute  occasion  la  i^<^ 
tartare ,  à  laquelle  l'empereur  tient  par  son  affecrion** 
par  son  origine. 

«  Aussi  l'impunité  servait-elle  an  mandarin  d'enoos- 
ragement  à  tous  les  excès.  Un  jour ,  vonlaot  ajouter  fin- 


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35t 
suite  à  la  cmauté ,  il  fit  revêtir  le  P.  Tieu  desomemenis 
sacerdotaux ,  qui  étaient  malheureusement  toBibés  entrée, 
les  mains  des  satellites  ,  en  présence  de  sa  femme  et  de 
ses  filleis^  assemblées  pour  jouir  de  ce  divertissement  sa- 
crilégCé  Après  qnoi,  cet  autre  Baitazar  profana  les  vases 
du  sanctuaire  ,  surtout  le  calice  ,  et  invita  sa  femme  à 
boire  après  lui  dans  la  coupe  sacrée  ;  mais  à  peine  y  eut-, 
elle  porté  la  main,  qu^elle  tomba  subitement  malade,  sans 
qu'on  pût  assigner  de  cause  naturelle  à  cet  accident. 

«  Quand  le  juge  se  fut  assez  joué  des  confesseurs  et 
de  nos  saints  mystères ,  il  récëgea ,  pour  en  finir ,  une 
instruction  sommaire  adressée  au  mandarin  supérieur  de 
la  province.  Voilà  donc  le  jugement  de  cette  afiaire 
ajourné.  Puisse  la  décision  du  vice-roi  être  dans  le  sens, 
du  rescrit  impérial ,  qui  permet  à  tout  indigène  le  libre 
exercice  de  notre  Religion  ! 

«  Au  lieu  même  où  le  P.  Tien  a  été  pris,  j*ai  couru 
aussi  les  plus  gi*ands  dangers.  Les  satellites  ,  instruits  des 
ma  présence  à  i2e»-toAafi-/bu^  et  de  celle  du  P.  Irtelli,  re* 
ligieux  Franciscain,  vinrent  en  hâte  et  par  deux  fois  nous 
y  chercher ,  en  répandant  le  bruit  que  le  mandarin  al* 
lait  arriver  en  personne ,  et  que  le  seul  moyen  de  pré- 
venir sa  visite  était  de  leur  payer  une  forte  rançon.  L'ar- 
gent, en  Chine ,  est  une  preuve  péremptoire  d*innoceBe0 
auprès  de  cette  soldatesque  éminenmient  vénale. 

«  Sans  les  bois  qui  couvrent  ces  montagnes  sauvages , 
sans  les  chaumières  en  ruine  qui  présentent  çà  et  là  des 
retraites  toutes  préparées ,  nous  aurions  inbilliblement 
partagé  le  sort  du  P.  Tien  et  de  son  catédiiste.  Mais 
rfaonneur  des  chaînes  portées  pour  Tadorable  nom  de 
Jésus  ,  n'est  pas  réservé  à  tous.  On  sait  d'aHleuis  qu'il 
n'est  pas  perm^  de  prévenir. les  desseins  àe  la  Provi* 


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369 

dence  ,  sans  uoe  impolsioii  spéciale  de  la  ff&ce  divine  « 
et  8i  Ton  n'est  miséricordieusement  prédestiné  â  la  palme 
dn  martyre.  Quand  on  nous  apprit  que  tout  se  disposait 
pour  une  uroisième  perquisition ,  je  jugeai  qu'il  Êillait  cé- 
der aux  circonstances ,  et  préserva  cette  chrétienté  d'une 
imminente  dévastation. 

«  Nous  partîmes  le  19  juillet ,  et  après  cinq  jours 
d'un  fatigant  voyage  ,  par  le  vent  et  la  pluie,  dans  ces 
montagnes  escarpées,  nous  arrivions  à  Kilipien^  hameau 
de  deux  cent  vingt  âmes  ,  que  je  me  mis  aussitôt  à  ad- 
ministrer. Biais  avant  la  fin  du  second  jour ,  de  nouveaux 
t^ults  de  persécution  se  firent  entendre  ;  <m  disait  que 
nous  étions  nommément  dénoncés  au  tribunal ,  et  que  le 
juge  envoyait  une  troupe  de  soldats  à  notre  poursuite. 

^  «  Ces  pauvres  fidèles  ,  effrayés  au  delà  de  toute  ex- 
pression ,  nous  engagèrent  eux-mêmes  à  les  quitter  sans 
délai ,  et  à  nous  réfugier  à  Tien-kiorkou ,  parce  que  les 
chrétiens  y  étant  assez  nombreux ,  nous  fourniraient  Ëid- 
iement  un  plus  sûr  asile.  A  peine  avons  nous  fait  quatre 
milles  sur  le  fleuve  ,  qu'un  néophyte  survient  à  la  hâte , 
et  nous  apprend  que  notre  projet  de  retraite  vers  7&n- 
iûi-jbtt  est  connu ,  et  que  le  mandarin  a  commandé  aux 
satellites  de  diriger  aussi  de  ce  côté  leurs  perquisitions. 
Que  foire  ?  Les  catéchistes  qui  nous  accompagnent,  nous 
disent  tout  désolés  que  le  péril  est  égal  à  rétrograder  ou 
à  poursuivre.  Dans  celte  extrémité  ,  j'élève  mon  âme  à 
Dieu ,  et  j'ordonne  de  marcher  en  avant. 

«  Nous  glissions  en  silence  sur  le  fleuve  qui  baigne  les 
murs  de  Xam-tin-wn ,  lorsqu'à  un  demi  mille  de  la  cité, 
un  autre  chrétien  nous  annonce  que  h  nouvelle  de  notre 
départ  y  est  déjà  parvenue,  et  que  les  soldais  examinent 
sévèrement  tous  les  passagers  qui  se  trouvent  sur  les  bar- 


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363 
ques*  A  cq  nouveau  contretemps  Tembarras  de  ma  suite 
est  extrême.  Les  uns  nous  conseillent  de  continuer  notre 
fuite  par  les  montagnes  ;  mais  la  nuit  était  proche  ,  et 
nous  avions  à  craindre  les  léopards  et  les  singes  ,  non 
moins  redoutables  que  les  bêtes  féroces.  D'autres  sont 
d'avis  de  passer  à  pied  et  en  habit  de  villageois^  au 
milieu  même  de  la  cité  qui  nous  barre  le  chemin.  Avant 
de  prendre  un  parti,  je  fis  mettre  tous  mes  gens  en  priè- 
res ,  et  nous  implorâmes  la  lumière  d'en  haut ,  si  néces- 
saire dans  ce  moment  de  trouble.  Puis,  sur  mon  invita- 
tion, le  P.  Irtelii  s'habilla  en  paysan  ;  il  se  mit  aux  pieds 
de  misérables  souliers  de  paille ,  chaussure  assortie  à 
ion  déguisement  agreste  ,  et  avec  un  seul  guide  ,  passa 
inaperçu  sous  les  murs  de  la  ville.  Ce  fut  ensuite  à  mon 
jour  y  et  nous  échappâmes  ainsi  aux  recherches  que  les 
satellites  dirigeaient  principalement  sur  les  barques. 

«  Nos  voyages  ne  sont  pas  toujours  aussi  tristes. 
Ainsi  le  18  juin,  j'étais  à  Lao-ko-keou^  ville  d'une 
grande  activité  conunerciale.  A  peine  y  comptons-nous 
vingt  néophytes ,  que  je  visitai  rapidement ,  potu*  re- 
prendre aussitôt  ma  course  sur  le  fleuve.  Tandis  qu'em- 
p<Hrtés  par  le  courant  et  la  rame ,  nous  voguions  en  si- 
lence vers  une  autre  chrétienté ,  des  accords  mélodieux , 
formés  sur  la  rive  par  des  groupes  de  villageois ,  sem- 
blaient nous  saluer  au  passage.  Par  intervalle  les  instru- 
ments se  mariaient  aux  voix;  c'était  comme  le  joyeux 
refrain  de  couplets  champêtres.  Nous  distinguions  surtont 
le  son  du  Luo,  instrument  qui  n'imite  pas  mal  le  carillon  des 
clochettes  et  le  bruit  agaçant  des  cymbales.  Il  est  très-fa- 
milier aux  Chinois,  qui  s'en  servent  principalement  au 
temps  des  récoltes  ,  chaque  fois  qu'une  vingtaine  do 
moissonneurs  sont  réunis  sur  un  même  champ,  afin  de 
donner  au  travail  plus  d'ensemble  et  plus  d'activité. 


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364 

«  Je  comptais  prendre  quelque  repos  dans  cette  dire- 
tieoté  si  désirée  de  Tien^kia-kou  ;  mais  il  fallut  en  re- 
partir le  lendemain  même  de  mon  arrivée  :  ces  pauvres 
néophytes  redoutaient  aussi  une  surprise  des  mandarins. 
Je  me  rendis  donc  à  celle  de  Pe-kuo-xe-kau  ;  qui  nVn 
est  éloignée  que  de  trois  milles  et  demi ,  et  qui  joint  à 
l'avantage  de  sa  position  géographique  celui  d'être  en- 
vironnée de  plusieurs  autres  villages  chrétiens.  Cette 
proximité  double  le  courage  des  fidèles.  Aussi  me  reçu- 
rent-ils  ,  malgré  la  persécution ,  au  bruit  des  bottes  ,  à 
la  lueur  des  feux  d'artifice,  et  avec  les  autres  démonstra- 
tions publiques  de  la  joie.  Je  retrouvai  parmi  eux  le  P. 
Irtelli  qui  vint  me  recevoir  ,  selon  le  cérémonial  usité 
pour  les  évéques  ,  précédé  de  la  croix  ,  et  entouré  de 
catéchistes  revêtus  de  surplis  et  portant  des  flambeaux 
allumés.  Ce  lieu  me  parut  à  l'abri  des  vexations  des  sa- 
tellites, qui  craignent  assez  la  multitude  ;  et  je  résolus 
d'y  attendre  la  fête  de  l'Assomption  de  la  Très-sainte 
Viei^e. 

«  Dans  cette  même  contrée  se  sont  passés  deux  faits  que 
je  dois  vous  raconter.  Un  chrétien  avait  perdu  siir  la  voie 
pid)lique  un  exemplaire  du  catéchisme.  Ce  livre,  ramassé 
d'abord  par  un  païen  de  Xam-sin-sienf  parcourut,  l'une 
après  l'autre,  les  familles  les  plus  distinguées  de  la  ville. 
On  le  lut ,  on  le  relut  ;  une  doctrine  si  nouvelle  et  si  rai* 
sonnable  fit  naître  à  ces  païens ,  si  égarés  sur  notre  com- 
pte ,  une  toute  autre  idée  de  l'Evangile.  Tous  voulaient 
voir  le  catéchisme  des  chrétiens  ;  il  n'était  bruit  dans 
toutes  les  boutiques  de  thé,  que  des  vérités  qu'il  renferme, 
et  chacun  en  restait  émareillé. 

«  Le  pauvre  néophyte  qui  l'avait  perdu  ,  craignait 
une  poursuite  des  mandarins  et  voulait  racheter  son  livre, 
fût-^  au  prix  de  sa  fortune.  Il  ne  put  on  venir  h  bout» 


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356 

Les  païens  Tappréciaient  trop  pour  s*en  priver  aussi  vile. 
Ennemis  du  Christianisme  ,  avùnt  d*en  connaître  som- 
mairement les  maximes  ,  ils  en  eurent  à  peine  entrevu 
Tesprit ,  qu'ils  [devinrent  ses  plus  chauds  défenseurs. 
Pour  satisfaire  à  tous  les  désirs ,  un  docteur  idolâtre  se 
fit  comme  Tapôtre  de  ses  concitoyens,  et  se  chargea  d'ex- 
pliquer ce  catéchisme  à  toute  la  ville  et  jusqu'au  manda- 
rin lui-même.  Nous  espérons  que  le  zèle  heureux  de  cet 
homme ,  malgré  les  inexactitudes  qui  ont  dû  échapper  à 
son  ignorance ,  produira  des  flruits  abondants  sur  un  ter- 
,  rain  si  bien  disposé  par  la  divine  miséricorde. 

«  L'autre  fait,  arrivé  à  5uffi-fi-sten,  a  quelque  analogie 
avec  le  premier.  Le  mandarin  du  lieu  s'imagina  ,  sur 
un  &UX  rapport,  que  les  chrétiens  d'un  hameau  soumis 
à  sa  surveillance,étaient  membres  d'une  société  secrète  dont 
les  principes  tendaient  directement  à  renverser  le  trône 
impérial. 

«  Il  s'y  transporta  par  deux  fois  en  personne ,  et  pour 
mieux  s'assurer  de  leur  doctrine ,  leur  prit  un  datéchisme 
et  un  abrégé  des  preuves  de  notre  sainte  Religion.  Après 
les  avoir  lus  pendant  trois  jours  ^  il  les  renvoya  par  un 
satellite.  Cet  homme,  accoutumé  an  vol ,  retint  en  secret 
le  catéchisme.  Mais ,  contre  toute  espérance  ,  ce  fut  pour 
Dieu  le  moyen  d'appeler  à  la  foi  ce  firippon.  La  curiosité 
lui  fait  ouvrir  le  livre  dérobé  ;  ses  yeux  se  dessillest  au 
flambeau  de  h  vérité  catholique,  et  c'est  maintenant,  avec 
un  autre  employé  du  tribunal,un  fervent  catéchumène. 

«  Revenons  aux  chrétiens  du  district  de  XcmrriikrMn. 
Nul  d'entr'eux  n'avait  vu  d'Evéque.Mon  arrivée  produisit 
une  sorte  d'ivresse.  La  présence  de  leur  prélat  chassa 
de  tous  les  esprits  le  souvenir  des  craintes  qui  l«  envi- 
ronnaient ;  ils  n'eurent  plus  d'antre  pensée ,  d'autre  oc- 
cupation que  de  le  Wevoir  ,  dans  chaque  chrétienté  , 


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35« 

avec  lesténioigDagesd'one  joie  publique.  CèUkii  unqwc- 
tacle  d'autant  plus  merveilleux  qu'il  était  inattendu ,  et 
qu'il  contrastait  avec  Taprété  de  ces  montagnes ,  les  phs 
hautes  que  j'aie  parcourues,  et,  du  reste,  en  parfaite 
harmonie  avec  les  épouvantes  et  les  terreurs  d'une  per- 
sécution. 

«  Un  autre  sujet  de  consolation ,  un  nouvel  adoucis- 
sement aux  amertumes  de  mon  cœur  ,  était  de  voir  revi- 
vre la  piété  et  la  foi  de  ces  chrétiens^  qui  reconnaissaient 
dans  la  personne  de  leur  pasteur  celle  même  de  Jésus- 
Christ  ,  dont  ils  s'efforçaient  d'être  les  disciples  en  pra- 
tiquant ses  préceptes  divins.  L'Assomption  de  laHèrede 
Dieu  ne  fot  pas  seulement  célébrée  par  le  concours  de 
tous  les  fidèles  des  environs  ,  mais  aussi  par  tout  ce  que 
put  imaginer  leur  zèle  pour  lui  donner  l'animation  d'une 
lete  et  le  sentiment  pieux  d'un  devoir.  Oh  I  qu'il  était 
touchant  dans  leur  bouche  ,  le  doux  nom  de  Marie  ,  ré- 
pété au  loin  par  les  gorges  de  ces  affreuses  montagnes  1 
Si  suave  partout,  il  acquiert  au  milieu  des  infid^es  el 
dans  le  feu  de  la  persécution  ,  je  ne  sais  quel  diarme 
inaccoutumé^  qui  dissipe  la  tristesse ,  et  inonde  le  cœur 
de  trop  de  joie  pour  que  la  parole  suffise  à  l'exprimer. 

c  Quand  je  me  décidai  à  partir ,  le  17  août ,  ce  fu- 
rent ,  parmi  ces  bons  fidèles ,  une  douleur  et  des  plain- 
tes que  je  ne  pouvais  calmer.  Je  me  bornerai  à  dire 
qu'ils  renouvelèrent  à  mes  yeux  la  scène  des  adieux  de 
l'Apôtre  à  Milet.  Je  dus  leur  donner,  au  nom  de  la  sainte 
obéissance ,  l'ordre  formel  de  ne  point  m'accompcgner , 
Gonune  ils  le  voulaient  à  tout  prix  ,  jusqu'à  la  barque 
qui  m'attendait  au  bord  du  fleuve.  La  distance  était  peu 
de  chose  ;  mais  il  ne  fallait  pas  attirer  stu*  eux  de  graves 
périls ,  et  les  livrer  peut-être  ,  en  les  quittant  ^  h  h  fo- 
reur des  ennemis  de  la  foi. 


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3£7 

«  Je  me  dirigeai  vers  le  district  de  Kot^-chen-sien.  Le 
groupe  de  chrétientés  quMi  renferme  y  dans  une  drconfé' 
rence  de  trois  milles  et  demi  de  diamètre  ,  occupe  le 
centre  d*une  chaîne  assez  élevée.  C'est  le  plus  grand  dis> 
trictde  mon  vicariat;  il  contient  à  lui  seul  quinze  cents 
néophytes.  De  ce  côté ,  il  n'y  a  pas  d'animaux  très-fé* 
roces  ,  mais  on  trouve  une  multitude  de  singes  qui  se 
réunissent  par  bandes,  et  vont^  d'une  montagne  à  l'autre^ 
donner  de  fréquentes  alertes  aux  pauvres  habitants. 

«  Mon  arrivée  fut  saluée  par  des  démonstrations  plus 
bruyantes  que  partout  ailleurs.  Ces  cbrétiens  redoutent 
fort  peu  les  satellites,  à  moins  qu'ils  ne  viennent  par  troupe 
de  cent  hommes ,  comme  lorsqu'ils  arrêtèrent ,  il  y  at 
cinq  ans ,  le  vénérable  M.  Perboyre.  J'étais  heureux  de  la 
joie  sincère  et  spontanée  qui  brillait  sur  le  visage  de  ces 
fervents  néophytes;  elle  me  touchait  d'autant  plus  qu'elle 
prenait  uniquement  sa  source  dans  un  profond  sentiment 
de  religion. 

«  A  mon  entrée  dans  la  chapelle ,  je  fus  reçu  avec  les 
cérémonies  ordinaires  par  les  PP.  Dracopoli  et  Yang  , 
l'un  grec  et  l'autre  chinois.  Le  sanctuaire  dont  je  parle  , 
occupe  la  partie  supérieure  de  l'habitation  d'une  pieuse 
fiimille ,  nommée  Leu.  Pendant  l'année  c'est  simplement 
la  plus  belle  pièce  de  la  maison  ,  celle  où  l'on  reçoit  les 
étrangers,  selon  les  usages  du  Hou'kauang;  en  temps 
de  Mission  ,  on  enlève  les  différentes  portes  qui ,  jointes 
ensemble  ,  lui  servent  de  cloisons  des  deux  côtés ,  on 
dresse  un  autel  mobile  ,  et  la  chambre  des  hôtes  devient 
une  église  qui  peut^  avec  la  cour  contigue^  contenir  plus 
de  mille  chrétiens. 

«  Je  venais  d'y  conférer  le  sacrement  de  la  confirma- 
tion à  cent  trente  personnes ,  quand  je  reçus  avis  du 


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35S 

Recteur  de  mon  séminaire  qu*une  dénonciation  avait  été 
faite  contre  cet  établissement ,  que  le  chef  du  lieu  où  il 
est  situé  avait  déjà  pris  les  noms  de  tous  les  élèves ,  et 
qu'il  paraissait  impossible  de  conseAer  désormais  celte 
pieuse  maison.  Il  me  priait  de  retourner  à  Ou-^cham-fouj 
pour  y  prendre  à  temps  les  mesures  convenables. 

«  Je  suspendis  aussitôt  le  courà  de  ma  visite  ,  et  me 
mis  en  route  pour  la  capitale  du  Hou'kouang,-  Parvenu 
au  bord  du  célèbre  Siam-hoy  je  louai  une  barque  païenne 
qui  me  transporta  à  Xa^iam  ,  où  je  passai  la  nuit  dans 
la  demeure  d'un  zélé  catéchiste  qui  s'est  voué  à  la  con- 
version de  ses  compatriotes  idolâtres*  J'appris  avec  con- 
solation qu'il  venait  d'amener  à  la  vraie  foi  trois  diefs  de 
famille  influents  j  propriétaires  d'un  temple  d'idoles  sur 
lequel  ils  avaient  droit  de  patronage.  On  me  demanda  s'il 
fallait  détruire  la  pagode  ;  je  répondis  que  les  idoles  seu- 
lement devaient  être  mises  en  pièces,  avec  les  autres  ob- 
jets superstitieux  qu'elle  renfermait.  Je  me  propose,  après 
l'entière  conversion  de  ces  trois  familles  ,  et  avant  leur 
baptême  ,  de  changer  le  temple  des  démons  en  une  église 
du  vrai  Dieu.  Veuille  le  Seigneur  que  ce  ne  soit  pas  la 
cause  de  quelque  grave  persécution  ,  suscitée  par  les 
bonzes  et  les  prêtres  du  paganisme. 

c  La  nuit  même  que  je  passai  dans  la  maison  du  ca  • 
téchiste  ,  je  fus  subitement  éveillé  par  un  courrier  que 
m'expédiait  le.  P.  Navarro,  avec  une  lettre  très-pressante. 
«  Monseigneur,  m'écrivail-il,  treize  clercs  et  leur  maître 
«  de  langue  chinoise  sont  dans  les  prisons  deOu-tcham-fou. 
«  Vite,  vite  venez  nous  dire  ce  que  nous  avons  à  faire.» 
A  celte  désolante  nouvelle  ,  je  me  hâtai  de  louer  une 
barque  ,  avec  la  clause  de  voyager  jour  et  nuit ,  à  rame 
ou  ù  voile  ,  comme  les  courriers  publics  ,  et  je  me  remis 
en  route  au  point  du  jour.  Ce  trajet  se  fit  heureusement 


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369 

en  quarante-huit  heures.  Avant  d'entrer  à  Ou^tcham-foUf 
j'allai  d'abord  à  Honrkofà ,  ville  qui  n'est  séparée  de  la 
première  que  par  le  fleuve ,  et  j'y  rencontrai  le  P.  Vang, 
recteur  du  séminaire  ,  avec  une  partie  de  ses  élèves  qui 
par  bonheur  se  trouvaient  absents  au  moment  de  l'arres- 
tation. 

«  Le  dénonciateur  était  un  conmiandant  de  la  milice 
bourgeoise ,  qui  avait  espéré  par  là  se  recommander  à 
ses  chefs.  Le  matin  du  20  ao&t ,  sur.  les  dix  heures  ,  le 
mandarin  de  Chiam-sia-^en  vint  avec  un  bon  nombre  de 
soldats  investir  le  séminaire,  et  fit  prisonnier  tout  ce  qui 
lui  tomba  sous  la  main  ,  c'est-a-dire  treize  étudiants  et 
leur  maître  de  langue  chinoise.  Il  emporta  en  outre  le 
plus  beau  Crucifix  du  Vicariat  apostolique ,  diverses  ima- 
ges pieuses  ,  et  plusieurs  traités  chinois  sur  la  Religion 
chrétienne. 

c  Mes  pauvres  jeunes  gens  furent  d'abord  renfermés, 
ou  pour  mieux  dire  entassés ,  avec  des  malfaiteurs ,  dans 
un  si  étroit  cachot  qu'ils  étaient  obligés  de  dormir  de 
bout,  sans  autre  appui  que  leurs  compagnons  d'infor- 
tune. La  barbarie  des  mœurs  chinoises  n'a  point  de  limite 
à  l'égard  des  prisonniers  ;  ils  semblent  placés  en  dehors 
de  toute  loi ,  indignes  de  tout  sentiment  humain  ,  et  c'est 
trop  peu  de  dire  qu'ils  sont  traités  par  leurs  geôliers  plus 
durement  que  de  vils  animaux. 

«  Cependant  une  chrétienne  obtint  le  lendemain  ,  à 
prix  d'argent ,  qu'on  les  transportât  dans  une  chambre 
plus  spacieuse  ,  où  ils  pouvaient  du  moins  s'asseoir  et  se 
coudier  sur  la  terre  nue.  L'arrestation  de  ces  enfants , 
et  les  circonstances  qui  l'accompagnèrent  ,  offrirent  à 
celte  grande  cité  un  spectacle  des  plus  touchants.  En 
prison,  ils  récitaient  de  saintes  prières,  et  s'exhortaient 


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.    360 

mutueUeineiit  à  subir  toutes  les  tortures  plutôt  que  de 
manquer  à-  leur  foi.  Ce  ne  fut  point  assez  pour  eux  de 
s'affermir  les  uns  les  autres  ;  s^exerçant  d'avance  aux 
fonctions  de  Missionnaires  ^  ils  ne  cessèrent  de  convier 
leurs  compagnons  idolâtres  à  confesser  le  vrai  Dieu.  Leur 
constante  joie  ,  témoignage  de  leur  innocence,  leur  mo- 
destie scrupuleusement  gardée  au  milieu  de  scélérats  en 
qui  Tbomme  se  reconnaît  moins  que  la  brute ,  leur  zèle 
enfin  pour  le  salut  de  ces  infidèles^  ne  pouvaient  demeu- 
rer sans  fruit  ;  quelques  prisonniers  écoutèrent  la  voix  de 
leurs  jeunes  apôtres^  et  au  sortir  du  cachot  songèrent  se- 
sieusement  à  se  convertir.  Il  en  fut  de  même  au  prétoire. 
Des  spectateurs  et  des  soldats  en  vinrent  naturellement  à 
penser  qu'une  religion  doit  être  sainte  et  vraie,  lorsqu'elle 
produit  tant  de  courage  et  de  vertu  dans  la  faiblesse 
môme  de  Tenfance  ;  ils  se  décidèrent^  eux  aussi ,  à  suivre 
fidèlement  la  grâce  divine  qui  les  poussait  sous  les  éten- 
dards de  la  croix. 

«  La  nouvelle  de  cet  événement  s'était  répandue  en  un 
clin  d'œil  dans  la  ville.  Elle  devint  aussitôt  le  sujet  de 
toutes  les  conversations.  C'était  à  qui  louerait  le  plus  la 
piété  et  l'intrépide  courage  de  nos  prisonniers  ;  on  était 
ravi  de  la  joyeuse  sérénité  qui  rayonnait  sur  leur  figure, 
comme  im  reflet  de  la  paix  intérieure  de  leur  âme. 
Cette  gatté  était  si  grande  ,  que  le  P.  Vang  ,  allant  plu- 
sieurs fois  les  fortifier  en  prison^  en  reçut  lui-même  la 
consolation  qu'il  leur  portait^  et  sentit  se  dissiper  à  cette 
douce  influence  toute  l'amertiune  de  son  cœur  ,  toute  la 
tristesse  que  leur  position  lui  avait  d'abord  inspirée. 

«  Ils  ne  furent  pas  moins  admirables  devant  le  juge, 
un  nombre  incroyable  de  curieux  était  venu  assister  h 
leur  interrogatoire.  Leur  contenance ,  empreinte  à  la  fois 
de  dignité  et  de  modestie ,  abattit  lu  fierté  du  mandarin  » 


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qui  déposa  ,  sans  &'en  apercevoir ,  la  majesté  officielle 
du  joge,  pour  adopter  un  ton  plus  conforme  à  ^innocente 
candeur  des  accusés.  Voici  quel  fut  en  substance  ce  pre^ 
mier  interrogatoire  ,  auquel  tous  nos  séminaristes  forent 
nnariablement  soumis  deux  à  deux.  «  Qui  étes^vons  ? 
«  — Nous  sommes  NN.  —  Quel  délit  aTez*vous  commis  ? 
«  —  Aucun.  —  Est-il  vrai  que  vous  soyez  étudiants  de 
«  la  Religion  du*étienneP — Oui ,  oui ,  c^est  vi*ai  :  nous 
«  sommes  chrétiens.  —  Quel  avantage  en  retirez^vous? 
«  —  De  servir  fidèlement  notre  Dieu  en  ce  monde ,  et 
«  après  notre  mort ,  de  posséder  les  joies  du  paradis  qui 
tr  n'aura  pas  de  fin.  —  Quoi  1  jeunes  ccnnme  vous  Téles^ 
«  vous  pensez  déjà  à  ce  qui  suit  la  mort!  —  C'est  une 
•  salutaire  peiosèà  pour  ne  pas  offenser  Dieu.  —  Dites^ 
«  moi  s'il  est  vrai  que  vous  creviez  les  yeux  aux  mo- 
«  ribôndte.  »  —  Au  lieu  de  répondre  ,  nos  prisonniers 
se  mettent  à  rire  de.  tout  leur  coeur  ;  le  peuple  en  (ait  au- 
tant ,  et  le  mandarin  lui-mène  »  ne  pouvant  soutenir  la 
gravité  de  son  rôle  ,  rit  comme  les  autres.  Ainsi  cette 
pf^odière  séance ,  qui  dura  trois  heures  ,  vint  aboutir  à 
une  scène  de  comédie.  Puis  le  mandarin ,  cherchant  vai- 
nement à  se  composer ,  leur  demanda  toujours  en  riant, 
combien  d'yeux  ils  avaient  crevés  en  leur  vie.  Cette  ridi^ 
cale  question  excita  une  explosion  nouvelle  daùs  l'assem- 
blée. Pour  dénoàment  »  le  juge  avec  un  sérieux  affecté, 
les  renvoya  en  leur  disant  :  «  C'est  bien  ;  demain  je  vous 
«  ferai  aussi  crever  les  yeux.  »  • 

«  Les  autres  interrogatoires  ressemblèrent  plus  ou 
moins  au  premier.  Chacun  admira  la  présence  d'esprit  et 
le  calme  de  nos  étudiants,  dans  un  lieu  où  régnent  d'ordî* 
nairéla  confusion  et  le  tuihulte  des  accusés  ,  la  terreur 
qu'inspire  le  juge  et  la  froide  barbarie  des  bourreaux. 
En  définitive,  le  mandarin  ne  trouva  pas  de  motif  de  les 

TOH.  xvm.  107.  24 


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369 

retenir  en  prison  ,  moins  encore  de  les  punir.  Exdté 
d'ailleurs  par  un  collègue  influent  qui^  par  compassion 
naturelle,  avait  pris  ces  enfants  sous  son  patronage,  il  les 
remit  en  liberté  ,  apr^  vingt«<leux  jours  d'injusie  déten- 
tion. Son  arrêt  leur,  enjoignait  de  se  rendre  ayssitètdans 
leur  pays  respectif^  et  leur  défendait  de  fréquenter  nos 
éocdes.  Pour  6ter  au  séminaire  tbute.cbance  de  rétablis- 
sèment ,  il  interdit  au  maître  de  langue  chinoise  le  séjour 
de  la  ville  ,  et  sous  le  faux  prétexte,  qu^il  était  chef  de  la 
Religion  chrétienne ,  le  fit  conduire  par  des  soldats  dans 
son  village ,  à  huit  ou  neuf  journées  de  chemin. 

c  Au  demeurant,  mes  pauvre^  séminaristes,  depuis  six 
mois,  pendant  lesquels  ils  n'ont  eu  d'autre  repos  que  cdni 
de  la  prison  ,  ont  dû  se  réfugier  çà  et  là  ,  conune  des 
proscrits.  Faute  d'un  locd  suffisant,  il  m'a  follu  leur  assi- 
gner trois  résidences  séparées,  malgré  les  suites  (odieu- 
ses qu'il  est  facile  de  prévoir.  Voyez  quelles  raisons  j'ai 
de  vous  remercier  de  votre  allocation  qui  va  me  penMl- 
tre  de  pourvoir,  du  moins  en  partie,  aux  besoins  du  sé- 
minaire ,  de  venir  au  secom*s  du  P.  Tien ,  toujours  en« 
chaîné  pour  le  nom  de  Jésus ,  etde  foire  foce  aux  àéçaor 
ses  que  nécessitent  l'entretien  des  Missionnaires  ,  levs 
voyages  et  ceux  des  courriers. 

«  J'ai  encore  à  vous  apprendre  ,  avant  de  dore  cette 
lettre ,  que  d'autres  mandarins  de  diflEénentes  villes,  sous 
prétexte  de  rediercher  la  secte  proscrite  des  jeûneurs, 
sorte  de  conspirateurs  dont  le  gouvernement  à  juré  l'ex- 
termination,  se  sont  permis  de  nombreuses  violences  sur 
nos  paisibles  chrétiens.  Six  néophytes  de  In-cham-sun 
ont  été  cruellement  battus  et  souffletés,  parce  qu'ils  rc- 
Tusaient  de  fouler  aux  pieds  ^'adorable  signe  de  poire 
Rédemption. 

«  Je  suis  ,  etc. 

«  f  Joseph  ,  Eéqued'Aradc , 
Fie.   afoêU   du  Uou-Kouanj,  • 

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363 


«MÉlMMllgMiiai«*iMlà<i«ilMiÉMMB*a*M#MM*»-«i» 


MISSION  DES  îles  LIEOU'KIëOU. 


Lettre  de  M.  Fùfeade  ,  Mutkmnaitt  apostolique  du 
iÂeou-KhièoUj  à  M.  libois,  proâureur  deà  Murions 
Etrangéren  à  Macûô. 


ârtnde  Im^u,  ,  Tu-maî  ,  Boiuerie  A*àmku , 


«  MONSIEUB   ET    CHER  CONFRÈRB  , 


«  J*avais  inutneméût  teftlé  de  vôu$  écrire, ^an  dernier, 
et  je  conservais  peu  d'espoir  de  mieux  réussir  cette 
année-ci,  lorsqu*enfin,  après  quatorze  ihois  d^attente , 
dans  la  matinée  du  19  juin ,  je  découvris  tout-à- 
coup  ,  du  lieu  que  j'habite  ,  un  beau  navire  européen , 
cinglant  vent  arrière  et  toutes  voiles  déployées  vers  te 
port  de  Nafa.  Ne  pouvant  distinguer  le  pavillon,  j'aimais  * . 
à  me  persuader  que  ce  devait  être  un  bâtiment  français  ; 
mais  toutes  mes  conjectures  se  trouvèrent  en  défaut ,  H 
|*appri$  le  soir,  de  la  manière  la  plus  positive ,  que 
c'était  une  frégate  anglaise.  Je  me  décidai  aussitôt  à 
comnonniquer  avec  ce  navire,  et,  après  en  avoir  obtem  la 
permissioii  de  qui  de  droit,  suivi  d'une  fort  belie  escorte 

24. 


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364 
qui  prétendait  me  faire  honneur ,  et  qui  était  chargée  dt 
me  garder  à  vue ,  je  me  rendis  en  rade  le  21  juin. 

c  Le  capitaine  venait  justement  de  quitter  son  bord 
lorsque  j'y  arrivai  ;  mais  le  chiruipen  major ,  qui  sait 
le  français ,  me  reçut  avec  '  beaucoup  de  bonté  ,  fit 
armer  un  canot  pour  moi ,  et  voulut  bien  me  conduire 
lui-même  vers  rofficierqueje  cherchais.  Ceiui-d  s'atten- 
dait à  ma  visite  ;  il  avait  appris  dans  une  entrevue  avec  le 
gouverneur  de  Nafa  ,  mon  séjour  dans  le  pays;  il  savait 
que  j'y  avais  été  amené  par  un  bâtiment  de  guerre,  et  que 
j'y  avais  été  déposé  à  titre  d'interprète.  Il  ne  parut  point 
contrarié  de  ma  présence,  et  me  tirant  immédiatement  à 
l'écart,  il  se  mit  à  causer  avec  moi  de  ce.  qui  avait 
pour  nous  un  mutuel  intérêt.  Après  m'avoir  donné  des 
nouvelles  de  France ,  il  me  dit*,  que  parti  depuis  environ 
deux  mois  de  Hong-Kong,  il  venait  de  visiter  toutes  les  lies 
du  Sud  dépendantes  de  Lthchu  ;  qu'il  s'en  allait  en  droite 
ligne  au  Japon  ,  et  de  là  en  Corée  ;  qu'il  reviendrait  à 
Nafa  le  15  août ,  avec  l'intention  d'y  jeter  Tancre  assez 
longtemps  pour  visiter  l'Ile  tout  à  loisir  ;  qu'à  son  retour, 
il  trouverait  ici  un  bâtiment  de  diarge  venu  pour  le  ravi- 
tailler ,  et  que  je  pourrais  profit<^  de  cetter  occasion  pour 
écrire  à  Macao.  Aujourd'hui  12  août,  mou  capitaine  n'a 
pas  encore  reparu;  mais  l'autre  navire,  leRoyalùte ,  com* 
mandé  par  M.  Ogle ,  ayant  dès  hier  mouillé  dans  la  rade, 
je  crois  qu'il  est  bon  de  me  meture  sans  délai  à  ma  co^ 
•  respondance.  Ces  détails  une  fois  donnés,  je  passe  à  l'im- 
portant chapitre  de  ma  Mission.  * 

«  Au  moment  de  notre  débarquement  dans  cette  lie , 
le  6  mai  1844  ,  on  nous  conduisit  tout  droit  à  la  Bon* 
xerie  de  7ii-mat  (vrai  nom  de  Pthtsum)  ;  c'était  la  dt- 
meure,  ou  plutôt  l'honorable  prison  qu'on  nous  destinait: 
nous  n^avions  pu  l'éviter ,  et  nous  y  Simunes  encore  au* 


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366 
jourd'hni.  Nous  trouvâmes  là  ,  outre  une  nombrcust 
garde  postée  dans  tous  les  alentours ,  uu  fort  joli  cercle 
de  petits  mandarins,  installés  près  de  nous  dans  Tupique 
but ,  nous  dit-on ,  de  charmer  nos  loisirs  ,  et  de  plus,  je 
ne  sais  combien  de  domestiques.  Les  honneurs  ne  nous 
manquèrent  pas  dans  ces  premiers  temps  ;  la  nuit  conwe . 
le  jour  ,  nous  ne  pouvions  nous  moucher  »  cracher  ou 
tousser  ,  sans  nous  voir  assaillis  par  une  douzaine  d'in- 
dividus ,  qui ,  Fair  effaré  ,  venaient  nous  demander  si 
nous  nous  pâmions.  La  table  répondait  en  apparence  à 
ce  grand  train  de  maison  ;  le  pays  était  censé  épuiser  ses 
produits  pour  nous  sustenter  :  dans  le  fond ,  nous  Pavons 
reconnu  depuis ,  tout  ce  qu'on  nous  présentait  alors  avec 
tant  d'étalage,  n'était  que  fort  peu  de  chose  eu  égard  aux 
ressources  indigènes.  La  pauvreté  n'est  pas  si  grande  à 
Lftrchu  qu'on  voudrait  le  faire  croire.  J'ai  dit  nous  jus- 
qu'ici; car  alors^  bien  que  M.  Duplan  ait  toujours  présenté 
Augustin  comme  d'un  rang  très-inférieur  au  mien ,  bien 
que  ce  catéchiste  lui-même  ait  toujours  observé  envers 
moi  la  disuince  convenable,  on  affectait^  je  ne  sais 
peurquoi,  de  nous  traiter  sur  un  pied  absplumeot  égal* 
Les  choses  ont  changé  depuis^  et  il  y  a  longtemps  que 
mon  catéchiste  et  moi  nous  avons  pris ,  aux  yeux  de  tous , 
bi  place  respective  qui  nous  appartient. 

«  Quoi  qu'il  en  soit ,  (détail  l'espérance  des  maîtres  de 
céans,  qu'ébahi  de  tant  d'éclat^  nageant  dans  une  telle 
abondance ,  il  ne  me  resterait  rien  à  désirer  dans  le 
monde ^  et  qu'ainsi,  riant,  mangeant,  et  surtout  dor- 
mant bien^  j'attendrais  patiemment  que  vint  me  reprendra 
celui  qui  m'avait  déposé  sur  ces  bords.  Grande  fut  donc 
lenr  stupeur  quand ,  paraissant  plus  qu'mdifférent  à  tout 
ce  carillon ,  je  demandai ,  au  bout  de  quelques  jours ,  une 
audience,  non  pas  du  roi  (je  ne  l'aurais  jamais  obtenue)  » 


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366 
«mis  pour  le  moins  da  gouveroeur-géiiéral  de  la  prowioe« 
Où  mit  tooc  en  œuvre  pour  esquiver  le  coup,  mais  je 
Uns  fiprme ,  et  l'en  finit  par  en  passer  par  là* 

«  Ce  fut  à  Tumaï ,  dans  une  maison  que  je  croîs  te^ 
un  Collège,  qu'eut  lieu  Tentrevue.  J'aurais  mieux  aimé 
que  ce  fut  à  la  capitale,  dans  le  palais  du  gouverneur  ;  on 
s'y  refusa.  Le  personnage  qu'on  me  donna  pour  FEicel- 
lence,  était  un  grand  bel  homme  d'une  quarantaine  d'an- 
nées ,  assez  richement  vêtu ,  et  traînant  après  lui  une  nom- 
breuse suite.  H  avait  de  la  dignité  et  une  gravité  incroyable 
dans  tout  son  extérieur.  Du  reste,  pendant  les  deux  ou 
trois  heures  que  dura  la  conférence,  raide  comme  an 
fotoque  dans  sa  pagode ,  s'il  desserra  les  dents ,  ce  ne  fut 
que  pour  absorber  les  mets  de  Tindispensable  diner  diplo- 
matique. Cette  importante  partie  de  ses  fonctions  il  la 
remplissait  à  merveille.  Un  petit  interprète»  accrédité 
comme  courrier  de  la  cour^  parlant,  répondant^  déci- 
dant et*  tranchant  comme  bon  lui  semblait ,  fit  à  lui  seul 
tous  les  autres  frais  de  la  cérémonie. 

«  Mon  but ,  en  demandant  cetlB  aadiaMe  »  n^ansit  élé 
quo  d'entrer  en  matière  et  de  me  mettre  en  fappert  avte 
les  aulorilés.  C'était  un  résidiat  peu  difficile  à  obtenir,  et 
j'y  parvins  alors.  A  dater  de  cette  entrevue  »  qui  fat  suivie 
d'une  seconde  im  mois  après ,  plusieurs  letures  ont  été 
écrites  de  part  et  d'autre,  et  bien  des  conuQunicatioqt 
échangées  de  vive  voix. 

«  Ce  que  je  Vécbmais  avant  tout ,  c^était  ma  liberté  : 
•ans  elle  que  pouvais^je  faire?  Ch-,  dans  les  oommenoe- 
ments,  je  ne  jouissais  pas  même  d'upe  ombre  d'indépen- 
dance. Je  n'étais  point  libre  à  rinlériear  de  ma  pialsoo , 
puisque  j'avais ,  niiit  et  jonr ,  à  mes  côtés  cette  feule  im- 
portune de  mandarins  et  de  domestiques,  dont  je  vont  si 


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a£7 

dëjà  entretenn  ;  putsqtie  je  ne  pouva»  Êiire  uo  pas -qui 
ne  fût  suivi ,  un  mouvement  qui  ne  fût  observé.  Je  n'étais 
point  libre  au  deh(»rs  ;  car  c'était  à  peine  si  Ton  me  per« 
mettait  de  prendre  un  peu  d'exercice ,  au  milieu  du  sable 
et  de  la  boue,  sur  le  bord  de  la  mer  ;  et  encore  ne  poo^ 
vaî&je  le  faire  seul ,  ipais  entouré  de  mes  inévitables  man* 
daritts ,  mais  précédé.desatcUites  armés  de  bambow  pour 
frapper  le  pauvre  peuple  et  éloigner  les  passants  (ce  qui 
devait  natureUe;nent  me  rendre  assea  odieux). 

«  Après  bjendes  diflBcuUés,  on  consentit  à  m'abandon- 
iier,  pouf  y  être  seul  à  loisir^  et  la  cfaambre  où  je  couché 
dans  la  bonzerie^  et  un  petit  jardin  qui  est  attenant; 
Quant  à  mes  excursions  au  dehors^  voici  par  quels  pro- 
cédés,  peut-être  un  peu  hasardeux^  j'ai  fini  par  obtenir 
aussi  quelque  amélioration.  Voyant  que  je  ne  gagnais  et  ne 
gagnerais  jamais  rien  parles  voies  de  douceur,  tout'd^uh 
coup ,  sans  faire  la  moindre  attention  aux  clamcurs.de  ma 
suite ,  je  me  mis  à  circuler  à  mon  aise  partout  où  bon  me 
semblait,  sans  toutefois  m'écarter  jamais  des  chemins 

ouverts  à  tous  sans  distinction. 

#  • 

«  D'abord  ^  on  ae  coménta  de  coi^urer>  de  crisv^  de 
mettre*  en  jeu  toute  sorle  de  jolis  petits  moyens,Qsités  daM 
le  pays  en  pareille  circonstance  ;  mab  quand  on  vit  buni 
qu'on  perdait  son  temps^  on  résolut  d'user  de  vidence, 
et  un  beau  jour,  tandis  qu'à  Un  quart  de  lieue  environ  di 
ma  bonaerie ,  je  m'avançais  paisiblement  sur  la  grande 
route  de  Nafa,  un  mandarin  me  saisit  des  deux  mate 
et  m'empêcha  de  passer  outre.  Je  demandai  à  cet  homme 
s'il  agissait  au  nom  de  l'autorité  publique  ;  sur  sa  réponse 
afiirmatîve,  je  rétrogradai  et  rentrai  chez  moi  ;  mais  éoi* 
vant,  dès  le  lendemain,  au  goavemeur^&iéraI>  je  le  priai 
de  me  biire  savoir  pour  qœl  délit,  povr  quel  crime,  j'avaii 
été  arrêté  comme  un  malfai^ur.  Son  Excellence  rendit 


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ses 

que  je  n'énîs  oonpoibie  d'aacon  délh  dî  d^aucim  crime; 
mais  qu'une  loi  de  FEtat  défendait  aux  étrangers  de  se 
promener  ailleurs  que  sur  le  rivage  de  la  mer,  et  il  me 
rappela  que  le  commandant  du  navire  qui  m'avait  amené, 
avait  promis  que  je  me  soumettrais  aux  lois  du  royaume. 
Je  répliquai  entre  autres  choses  :  que  le  commandant, 
en  promettant  de  ma  part  soumission  aux  lois  du  pays, 
avait  voulu  dire  que  ,  devenu  semblable  aux  particuliers 
du  royaume ,  j'obéirais  à  toutes  les  lois  justes  qui  les 
obligent ,  ce  que  je  désirais  de  tout  mon  cœur  ;  mais  qu'il 
n'avait  certainement  pas  entendu  parler  d'une  défense 
arbitraire,  d'une  exception  odieuse,  qui  me  plaçait 
en  dehors  du  droit  commun ,  et  n'atteignait  actuelle* 
nient  dans  le  pays  aucun  autre  que  moi  ;  défense  que  1^ 
commandant  lui-même,  par  ses  actes,  avait  prouvé  ne 
pas  reconnaître,  puisqu'il  était  allé  partout  où  il  avaic 
vouhi. 

«  J'ajoutai  en  finissant  :  «  Jusqu'à  ce  qu'il  me  soit  dé* 
€  montré  que  j'ai  tort ,  le  gouverneur  ne  s'étonnera  point 
«  si ,  m'appuyant  sur  ma  conscience ,  je  ne  déroge  en 
«  aucune  manière  h  ma  conduite  passée.  »  A  cette  note 
on  ne  répliqua  rien ,  et  dès  lors  je  pus  circulera  loisir 
•ans  avoir  à  craindre  la  moindre  violence. 

«  Restait  à  me  débarrasser  des  mandarins  et  des  satel- 
lites. Pour  y  parvenir,  voici  à  quel  expédient  j'eus  re- 
ooun.  Plus  ma  suite  était  nomlo^reuse,  plus  elle  Elisait 
tapage  et  frappait  le  pauvre  peuple ,  plus  aussi  je  mar- 
chais v!te  et  j'allais  loin.  Quand  on  vit  cela ,  on  d^;ro8- 
sit  peu  à  peu  mon  escorte ,  et  aujourd'hui  je  ne  suis  plus 
accompagné ,  dans  mes  sorties  et  promenades  ordinaires , 
que  d'un  ou  de  deux  mandarins  avec  un  seul  domestique. 
On  me  laisse  converser,  diemin  faisant,  avec  les  pas- 
sante qu'on  ne  chasse  plus  comme  par  le  passé  ;  on  m'i»* 


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369 
tite  même  parfois  à  entrer ,  soit  dans  les  bonzeries^ 
soh  dans  les  maisons  particulières^  pour  y  prendre  le  tbe 
ou  me  reposer  un  instant.  En  un  mot,  bien  que  je  sois 
loin  d'être  libre,  puisque  on  ne  me  laisse  jamais  aller 
seul ,  mon  esclavage  est  devenu  pour  moi ,  OMnme  pour 
le  public  I  tm  peu  plus  tolérable. 

«  Tous  m^aviez  recommandé^  Monsieur  et  cher  con- 
frère ,  de  preidre  aussitôt  que  je  pourrais  Fhabit  du  pays.  ^ 
Fidèle  observateur  de  vos  instructions,  je  n'ai  point  tardé 
i  réclamer  des  indigènes  rhonneur  déporter  leur  costume. 
Vous  croyez  peut-être  que  mes  pauvres  gens ,  flattés  de 
.cette  demande ,  se  sont  emprises  d'y  répondre  ;  hé  I 
pas  du  tout  ;  quelques  instances  que  nous  ayons  faites ,  ib 
n^ont  jamais  voulu  permettre,  ni  à  Augustin  ni  à  moi,  d'a- 
cheter ou  de  confectiohner  une  de  leurs  robes;  tout  ce  que 
j*ai  pu  adopter  de  l'équipement  local ,  a  été  la  chaussure , 
parce  qu'il  m'a  suffi  pour  cela  de  mettre  mes  pieds  nus 
dans  une  espèce  de  petites  cages  qu'on  appelle  ici  des 
souliers^ 

«  Notre  grande  aflaire  était  d'obtenir,  pour  moi  la  li- 
berté de  prêclier  notre  sainte  Religion,  et  pour  les  gens  du 
pays  la  liberté  de  l'embrasser.  Sans  cette  permission  au- 
thentiquement  donnée ,  sans  cette  garantie  pour  le  peuple 
que  je  crois  dans  un  état  d'oppression ,  il  nous  serait  bien 
difficile  d'avoir  quelque  succès  ;  mais  la  concession  solen- 
nellement faite ,  j'ai  lieu  d'espérer  qu'avec  la  grâce  de 
Dieu,  il  y  aurait  bientôt  des  conversions  et  qu'elles  se- 
raient même  très  nombreuses.  Je  n'ai  point  débuté  par 
cette  question  en  traitant  avec  les  mandarins;  j'y  suis  venu 
cependant  à  la  longue ,  et  après  l'avour  une  fois  entamée ,  * 
c'est  celle  que  j'ai  poursuivie  avec  le  plus  d'instances*  Ma 
premi^  demande  a  été  suivie  d'un  refus ,  mais  si  £ii- 
Uement  motivé  qu'il  ne  m'a  pas  été  difficile  de  revenir  n 


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370 

b  charge.  Cette  fois  la  réponse  do  mandarin,  qooiqoe 
toajoors  native,  était  mieux  fondée  en  raison.  Us^ap- 
poyait  principalement  snr  ce  motifs  qoe  si  la  tolérance 
m'était  accordée,  d'une  part  la  Oiine,  dont  on  est  tri- 
butaire j  romprait  tous  ses  rapports  avec  le  royaume; 
d'autre  part,  le  Japon,  qui  seul  foit  le  commerce  ici, 
retirerait  ses  navires  :  double  malheur  d'où  résulterait 
infailliblement  la  ruine  du  pays. 

c  11  fallait  réduire  ces  appréhensions  à  leur  juste  Ya- 
leur  ;  je  répondis  donc  :  V  Que  je  savais  des  royaumes 
tributaires  de  la  Chine,  le  royaume  Annamite  et  celui  de 
Siam ,  par  exemple ,  qui  avaient  accoitlé  le  libre  exercice 
de  la  religion,  à  des  époques  où  elle  était  proscrite  en 
Chine^  sans  que  cet  empire  ait  pour  cela  rejeté  le  tribut , 
ou  même  fait  entendre  des  pluiates*;  2^  Que  s'il  s'agissait 
d'ouvrir  le  port  de  Nafa  au  commerce  européen ,  le  Japon  , 
qui  en  pourrait  souffrir ,  aurait  sans  doute  quelque  droit 
à  Êûre  des  réclamations;  mais  que,  s'agissant  ici  d'admi- 
nistration intérieure^  je  ne  voyais  pas  en  quoi  cette  affaire 
r^rdait  un  Etat  vobin ,  dont  on  prétend  ici  ne  relever 
en  aucune  manière. 

«Un  autre  point  sur  lequel,  pour  des  raisonsqueje  crois 
bonnes,  je  n'ai  fuit  aucune  demande  formelle  aux  auto- 
rités, mais  qui  a  été  dès  les  premiers  jours ,  l'objet  de 
toute  mon  application ,  c'est  l'étude  de  la  langue  du  pays, 
ou,  si  vous  l'aimez  mieux ,  de  la  langue  Japonaise.  Je  ne 
crois  pas  me  tromper,  en  vous  certifiant  que  le  même 
idiome  est  à  l'usage  des  deux  peuples.  Cette  langue  est 
la  seule  qu'on  parle  ici  ;  le  Chinois  n'est  entendu  que  de 
•  quelques  interprètes,  issus  d'anciens  émigrés  duFokien; 
et  encore  ne  s'en  servent-ils  jamais  dans  le  commerce  or- 
dinàire  dQ  la  vie. 

«  Je  9e  saurais  vous  redire  tput  ce  qu'on  a  lait  pour 


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371 

me  rendre  ce  travail  impossible.  Non  levleilieiit  on  ii*« 
jamais  voulo  me  donner  des  leçons,  ni  me  proeurer 
aucun  livre  ;  mais  on  s*est  même  refosé  longtemps  à 
nommer  devant  moi  les  choses  les  plus  simples  quand  je 
le  demandais:  souvent  on  se  plaisait  à  me  tromper  sur 
le  sens  dea  expressions  que  j*avais  saisies  an  hasard , 
ou  bien  on  m'enseignait  malicieusement  des  mois  de  hi 
buigue  écrite  »  qai  ne  sont  point  usités  dans  le  langage 
ordinaire*  Cependant,  par  une  miséricorde  tonte  spéciale 
de  Dieu,  noe  petits  mandarins  de  la  bonzerie,  ont, 
depuis  sept  à  huit  mois ,  changé  subitement  de  disposi* 
tiens  à  cet  égard.  L'un  d'eux,  surtout,  qui  semble m'avoir 
pris  en  amitié,  m'a  rendu  et  me  rend  encore  de  très 
grands  services;  il  va  même  jusqu'à  me  dicter  de  petits 
dialogues  qui  me  sont  bien  utiles ,  et  qui  ne  le  seront  pas 
moins  un  jour^à  nos  confrères.  Bref,  j'ai  actuellement 
un  dictionnaire  de  plus  de  six  mille  mots ,  je  puis  à  peu 
près  tout  entendre ,  et  soutenir  une  conversation  quel- 
conque sans  trop  de  difficulté.  Ce  matin  même  on  m'a 
prié,  à  plusieurs  reprises,  de  servir  d'interprète  auprès 
du  capitaine  anglais  qui  est  venu  à  terre  ^  et  je  me  suis 
tiré  d'affaire  sans  aucun  embarras.  » 

«  Voilà,  Monsieur  et  cher  conOrère ,  quelles  ont  été 
mes  tentatives  sur  1^  points  les  plus  importants  :  je  vous 
en  ai  fait  connaître  le§  résultats  aussi  nettement  que  je 
Vai  pu.  En  somme,  nos  affaires  ne  sont  pas  bril- 
lantes. Je  résume  la  shuation  en  trois  mots  :  t^  Je  me 
trouve  à  cette  heure  prisonnier  de  fait ,  soit  dans  ma 
bonzerie  où  personne  ne  peut  m'aborder  sans  l'autorisa- 
tion et  la  surveiUao(;e  des  maftdarins;  soit  au  dehors  do 
ma  résidence,  dont  je  ne  puis  m'écarter  d'un  paa  sans 
être  suivi.  2''Je  suis  en  butte  à l'oppeaition  la  pbs  formelle 
de  l'autorité  ,  qui ,  si  elle  ne  me  persécute  pas  ouverte- 


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S73 
meut  parce  qa'dlene  Tose  point,  ne  néglige  aucun  moyen 
de  me  susciter  en  dessous  toutes  les  petites  vesa- 
lioos  qu'elle  peut  imaginer.  3?  Comme  prédicateur  de 
rEyangile^  n'étant  ici  que  pour  Fannoncer,  je  ne  trou^ 
pas  dans  la  langue  indigène  des  mots  correspondants  à  nos 
dogmes ,  et  je  crains  de  les  compromettre  par  un  essai  de 
traduction  qui  peut-être  les  défigurerait.  Dans  cet  em- 
barras, j'ai  recours  à  tous;  tAdiez  de  me  trouver  des 
livres ,  de  bons  livres  que  néoessair^ooent  les  PP.  jésuites 
ont  dû  foire  quand  ils  étaient  an  Japon  :  diercbez-les  je 
ne  sais  où ,  mais  enfin  trouvezrifs. 

c  Faut-il  pourtant  nous  décourager?  Ob  I  non.  Dieu 
nous  £)sse  la  grâce  de  ne  jamais  perdre  confiance!  C'est 
lui  qui  m'a  envoyé  à  ces  îles,  qui  m'y  a  conservé  jusqu'à 
ce  jour,  et  qui  parait  vouloir  m'y  garder  encore;  je  mets 
en  lui  toute  mon  espérance,  il  ne  m'abandonnera  point 
Peut-être  jetterons-nous  le  filet  pendant  une  bien  longue 
nuit,  sans  rien  prendre  ;  mais  quand  viendra  l'heure  du 
Seigneur,  la  pêche  miraculeuse  nous  dédommagera  bien 
de  l'attente.  » 

«  Nous  devons  d'autant  plus  Tespâ-er ,  qu'ici  le  pamrrs 
'  peuple  est  excellent.  Il  ne  demande  pas  mieux  que  de 
me  voir,  de  me  parler  et  de  m'entendre;  j'en  ai  plus 
d'une  fois  acquis  la  preuve.  Ainsi  l'an  dernier,  fêtais 
sorti  avec  Augustin  pour  faire  une  promenade.  Iks 
petits  mandarins  qu'une  longue  course  contrariait ,  troo- 
vèrent  que  j'allais  bien  loin  ;  mais  leurs  remontrances 
n'ayant  point  été  reçues,  ils  eurent  recours  à  im  autre 
procédé,  k  une  ruse  de  leur  politique ,  employée souTest 
avec  succès;  se  donnant  l'air  de  gens  fatigués,  harassés, 
ils  semblaient  n'avoir  plus  la  force  de  mettre  un  pied 
devant Pautre;  ils  me  suivaient  en  se  traînant^  uoe 
i)onnéle  distance,  et  s'asseyaient  à  toutes  les  pierres^ 


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S7S 
persnadéB  que  selon  ma  ooataoae,  je  les  attendrais ,  j*au^ 
rais  pitié  d'eux  et  rebrousserais  chemin.  Mais  ce  jour-là, 
Tatigué  à  Texeès  de  leurs  grimaces ,  et  certain  d'ailleurs 
que  je  n'avais  rien  à  craindre ,  tout-à-coup  je  double  le 
pas  avec  mon  catéchiste,  et  bientôt  une  colline  nous 
dérobe  aux  yeux  de  nos  poursuivants.  • 

«  On  ne  sait  plus  où  nous  sommes  ;  pour  la  première 
fois  nous  nous  trouvons  seuls.  ProGtant  de  l'occasion , 
,  traversant  les  villages,  et  suivant  toute  espèce  déroutes, 
nous  poussons  jusqu'à  quatre  grandes  lieues  loin  de  notre 
bonzerie  ;  nous  allons  jusqu'aux  ruines  d'une  ville ,  qui 
n'est  plus  aujourd'hui  qu'une  bourgade ,  et  qui  a  dû 
être  autrefois  la  capitale  du  royaume  du  Sud.  Partout 
sur  les  chemins^  dans  les  hameaux,  les  pauvres  paysans 
nous  saluent  et  nous  font  politesse. 

«  Arrivé  au  terme  de  ma  course,  tandis  qu'Augustin 
s'avançait  un  peu  plus  loin  à  la  découverte  ,  j'étais  resté 
assis  sur  le  haut  d'une  montagne.  Les  villageois  ne  m'ont 
pas  plus  tôt  aperçu,  qu'ils  quittent  leurs  champs  et 
s'empressent  autour  de  moi;  les  uns  m'offrent  leurs  pipes, 
Jeur  tabac ^. et  vont  me  chercher  du  feu  dans  une  maison 
isolée;  d'autres  me  parlent^  m'interrogent^  et,  bm 
qu'alors  j'eusse  beaucoup  de  peine  à  les  comprendre  et 
à  leur  répondre,  nous  engageons  de  notre  mieux  la 
conversation.  C'était  la  première  fois  qu'ils  me  voyaient; 
ils  ne  pouvaient  me  connaître  encore  .que  par  les  ca- 
lomnies semées  partout  contre  moi,  et  jamais,  selon  toute 
apparence,  aucun  européen  n'avait  paru  chez  eux; 
cependant,  nos  premiers  rapports  étaient  déjà  ceux  d'une 
mutuelle  bienveillance.  Nous  étions  là  depuis  quelque 
temps  et  les  choses  allaient  au  mieux,  quand  tout-à- 
coup  apparaît  mon  étemelle  escorte.  A  sa  vue ,  mes 


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3M 
pauvresgeos  de  céder  le  terraÎB  el  de  s*etquiver  effirajpés 
dans  touteft  le»  directions* 

«  Uoe  autre  fois  Je  rencontrai,  dans  une  de  mes 
promenades,  un  bon  villageois  à  qui  j^adressai  quelques 
mots^  et  qui  m'amusa  beauconp  par  ses  réponses,  car 
c'était  la  simplicité  même.  Je  dis  à  un  petit  mandarin 
qui  m'accompagnait  :  «  En  vérité,  voilà  un  brave  boBune; 
«  sa  firanchise  ne  sait  rien  dissimuler  »  on  peut  le  oroiro 
«  sur  parole*  »  Mon  surveillant  jugea  que  Toocasion 
était  belle  pour  me  faire  la  leçon.  «  M'est-il  pas  vrai , 
«  dit-il  à  cet  ingénu^  que  quand  le  maître  s*en  va  partout 
«  dans  vos  villages ,  vous  autres  paysans  vous  avec  grand 
«  peur?  »  Le  ton  sur  lequel  la  question  était  fiiite,  dictait 
clairement  le  sens  de  la  réponse  ;  il  n'y  avait  ni  à  se 
méprendre  ni  à  délibérer,  le  bonhomme p*bésita  point 
non  plus.  «  Oui,  maître,  nous  avons  grand  peur; 
«  maisjevaisvous  dire  :cen'e8t  point  le  maître  européen 
«  que  nous  craigaons ,  car  nous  savons  bien  qu'il  ne 
«  nous  fera  pas  de  mal  ;  mais  c'eu  des  mandarins  et 
«  des  satellites  que  nous  sommes  effrayés.  *  fiiai  ^ 
ce  ne  fut  pas  précisénmit  la  réponse  demandée  et  atten* 
due ,  celle-ci  était  si  vraie,  empreinte  de  tant  de  boom 
foiy  et  si  naïve  dans  ses  termes  ^  que  non  jenne  lettré  nt 
put  retenir  ua  éclat  de  rire. 

«  Ces  mandarins  eux-mêmes^  quoique  ici  comme  par- 
tout ce  soit  en  général  la  pire  espèce,  ces  mandarins  ne 
sont  pas  lousmadvais;  il  en  est  plusieurs  qui  entendraient 
facilement  raison,  s'il  leur  était  permis  de  prêter  roreillc 
à  la  vériié.  Dès  les  premiers  temps  de  ma  résidence  h 
Lu<hu^  un  de  ceux  qui  étaient  auprès  de  nous, 
homme  qui,  du  reste,  nous  a  toujours  paru  droite  capable 
et  fort  instruit  pour  un  pays  si  peu  avancé,  ayant 
provoqué  Augustin  par  ses  questions,  eut  avec  lui  une 


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376 

petite  conférence  snr  Texistence  d'un  Dieu  Créateur  «  sur 
le  culte  que  nous  devons  lui  rendre ,  etc.  A  peine  eut-il 
entreTU  nos  vérités  saimeB^  que  toucbésans  doute  par  la 
gtâce ,  et  snbiieoient  frappé  de  la  sublimité  d'une  doc- 
trine qu'il  entendait  pour  la  preflôière  foi^,  il  ne  put  coa« 
tenir  son  admiration.  Ce  ne  fut  point  assez  pour  lui  de 
Texprimer  par  ses  paroles»  îi  alla  jusqu'à  improviser  unQ 
jolie  pièce  de  vers  chinois,  où  il  vantait  la  science  do 
mon  oatéchiste  »  et  manifestait  son  désir  4o  l'eniendi'a 
tous  ks  jours  de  sa  vie. 

«  Ce  début  me  donnait  les  plus  belles  espérances. 
Malheureusement  notre  futur  néophyte  nous  fut  immé- 
diatement enlevé  ;  peut-être  a-t-il  payé  bien  cher  cette 
expression  si  franche  de  ses  nobles  sentiments.  Baigne  le 
Seigneur  dans  sa  miséricorde ,  lui  tenir  compte  de  ce 
premier  hommage ,  en'  découvrant  à  ses  yeux  le  di^n 
flambeau  de  la  foi ,  dont  la  première  lueur  a  fait  sur  son 
âme  une  si  vive  impression. 

«  Depuis  ce  triste  dénouement ,  il  n'y  a  plus  eu  moyen 
po«ir  mon  catéGbis|e,  dans  ses  rapports  avec  les  mandarins^ 
4e  parler  de  religion.  Toutes  les  fois  que,  d'une  manière 
ou  de  l'autre  ,  il  a  voulu  amener  la  conversation  sur  ce 
chapitre^  il  a  vu  toutes  les  oreilles  se  fermer,  et  ses  audi** 
tours  s'esquiver  sous  un  prétexe  quelconque.  Oh  ne  dis-» 
pute  point,  on  ne  conteste  pas ,  on  ne  veut  rien  entendre. 
Ne  croyez  pas,  du  reste  ,^qu€^ce  soit  par  indiflcrenoe  où 
par  apathie  qu'on  agit  de  la  sorte :.cette conduite^  j'en 
suis  certain,  est  dictée  par  des  ordres  qui  partent  de  Aulf. 
Quoitpril  en  soit,  mémo  aujourdhui,  je  me  Oatte  d*avoîr 
parmi  mes  mandarins  au  moins  un  demi  ffroiélyie;  mais 
je  crains  fort  qu'il  ne  soit  déjà  suspect  à  l'autorité ,  et 
par  politique,  noussommcs  obligés  de  nous  montrer  assez 


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37« 
froids  envers  lui.  Oh!  $i  nous  étions  libresl  Bipérûot  eo 
Dien^  el  cela  viendra. 

«  Cette  lettre  est  déjà  bien  longue ,  Monsieur  et  cher 
confrère^  et  cependant  je  ne  voos  ai  point  tout  dit.  Je 
devrab  peut-éure  vous  donner  quelques  déiails  sor  les 
moeurs  de  ce  peuple,  voos  décrire  cette  belle  contrée , 
vous  parler  de  la  doucenr  et  de  la  salubrité  de  son  di- 
mat.  Ces  questions,  et  beaucoup  d^autres  que  je  n^indiqoe 
même  pas,  nemanqueraiait  ni  d'intérêt  ni  d'importance; 
mais  obligé  pour  le  moment ,  de  me  renferma  daas  le 
cercle  des  observations  les  plus  indispensables ,  je  me 
bornerai  à  jet^  qudque  jour  sur  deux  points  essentiels, 
qui  ont  été  jusqu'ici  et  qui  sont  encore  à  présent  très 
difficiles  à  résoudre. 

«  1^.  Le  royaume  de  Lu  Chu  dépend-il  du  Japon?  Si 
vous  posez  cette  question  à  nos  mandarins  »  ils  paraîtront 
d'abord  ne  pas  même  vous  entendre.  Si  vous  revenez  pln- 
sieurs  fois  à  la  chaîne ,  ik  ne  savent  pas ,  diront-Us ,  ce 
que  c'est  que  ce  Nippum  (nom  de  l'empire  Japonais) 
dont  vous  leur  révélez  l'existence.  Enfin ,  pressez-les  de 
nouveau  et  pressez-les  encore ,  ils  finiront  par  vous  avouer 
qu^on  a  bien  entendu  parler  de  ce  pays-là^  mais  qu'on 
n'en  est  aucunement  tributaire.  De  toute  antiquité,  ajou- 
teront^Us ,  on  ne  relève  ici  que  de  la  Chine ,  qui  a  eMUtè 
r archipel  (c'est  aussi  faux  que  le  reste);  on  ne  se 
conduit  que  par  la  volonté  du  Fils  du  Ciel^  on  lui  paie 
tribut  de  deux  ans  en  deu^  an$;  le  roi  reçoit  de  lui  sa 
couronne,  ne  détermine  rien  que  selon  son  bon  plaisir, 
et  les  loîs^  les  mœurs  du  royaume,  ne  diffèrent  en  rien  des 
lob  et  des  mœurs  du  Céleste-Empire.  Dans  la  conversauoo, 
si  vous  êtes  étranger ,  on  vous  parle  tous  les  jours  avec 
emphase  de  h  Chine,  on  vous  la  vante,  on  vous  raconte 
•on  histoire,  on  vous  décrit  ses  provinces  eç  ^es  villes; 


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37r 

jamais  UD  mot  du  Japool  Toiià  les  pardes  ;  quaat  aux 
faiis,  ils  sont  bien  différents. 

€  Il  est  vrai  que  Lu-Chu^  depuis  Fan  1372  de  Vhré 
chrétienne,  c^esl-à-dire  depuis  quatre  cent  soixante  et 
treize  ans ,  paye  tribut  à  la  Chine  ;  il  est  vrai  encore  qu'a 
Tabdication  ou  à  la  mort  du  roi ,  un  mandarin  chinois 
Vient  ici  introniser  son  successeur ,  mais  on  ne  parait  pas 
tenir  par  d^autres  liens  au  Céleste  Empire ,  tandis  qu^on 
semble  uni  de  toutes  parts,  à  ce  Japon,  qu'on  affecte  de 
méconnaître.  À  LvrChu,  rien  n'est  diinois,  tout  est  ja- 
ponais* Si  les  nobles,  les  villes  et  les  bourgs  ont  leurs  dé* 
nominations  chinoises,,  elles  ne  sont  usitées  qqe  vis-à-vis  de 
la  Chine  etdes  Européens  ;  les  noms  japonais  des  hommes 
et  des  lieux  s)|j^  jes  seuls  qui  aient  cours  et  qui  soient 
entendus  dans  le  pays.  Le  culte,  la  langue,  les  habitations, 
les  meubles,  les  mœurs,  les  coutumes,  même  chez  les 
habitants  de  la  ville  de  Kuninda^  qui  descendent  des 
chinois  envoyés  ici  sous  la  dynastie  précédente ,  ne  diffé- 
rent en  rien  (j'ai  tout  lieu  de  le  penser)  du  culte,  de  la 
langue,  des  habitations,  des  mœurs  et  des  coutumes  du 
Japon.  J'ai  entre  les  mains  les  lettres  de  saint  François 
Xavier,  Thistoire  du  père  Charlevoix,  des  extraits  de 
Malte-Brun  et  de  Balbi ,  sur  le  Japon ,  et  chaque  fois  que 
je  Us  ces  ouvrages ,  je  suis  tenté  de  croire  qu'il  s'agit  de 
lu-Chu ,  tant  il  y  a  d'analogie  entre  ce  que  je  vois  et  ce 
<]u'ils  décrivent.  Je  ne  sais  combien  de  mots  japonais ^ 
cités  et  traduits  par  ces  différents  auteurs ,  se  retrouvent, 
avec  la  même  prononciation  et  le  même  sens,  dans  la 
•angue  de  Lu-Chu.  De  plus^  je  n'ai  pas  encore  aperçu  une 
«eule  jonque  chinoise  dans  le  portdeA^a/a,  tandis  qu*il 
y  a  constamment  au  mouillagejde  dix  à  quinze  navires  ja- 
lK)nais.  Or,  il  est  défendu  à  ces  derniers,  par  un  édit 
publié  en  1637 ,  de|faire  voile  vers  un  pays  étranger;  ils 
'^Ji-  xviii.  107.  25 


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378 
ne  peuTjMil  que  se  llyrer  au  cabotage  ou  aller  daas  les  lie» 
dépendantes  de  Tempire.  Enfin  ^  il  est  m^ilheureiiBemeni 
très'certain ,  et  ceci  je  Tai  vu  et  revu  de  mes  yeux ,  qu^ane 
croix  est  gravée  sur  la  pierre  pour  être  foulée  aux  pieds, 
à  rextrémito  de  la  digue  de  TttmaX ,  précisément  où  Ton 
a  toujours  fait  débarquer  les  Européens  qui  sont  venus  i 
Lu-Chu;  et  tout  le  monde  sait  que  c'est ^  non  de  la  Chine, 
mais  du  Japon  qu'a  pu  venir  cette  infernale  idée. 

«  Il  est  donc  prouvé ,  pour  moi  du  moins,  qu'on  D'est 
ici  chinois  que  de  bouche ,  et  qu'on  est  japonais  de  bit. 
D'où  vient  cette  contradiction  P  Voici  une  explication  que 
je  hasarde  sans  vous  la  garantir.  Si  vous  consultez  le 
Voyage  autour  du  Monde  ^  publié  sous  la  direction  de 
Dumont-d'Urville,  vous  y  lirez  (Art.£u-^ti):  cQuand 
«  té  fameux  Tay  Ko  Sama\  empereur  du'iapon  (grand 
«  persécuteur  du  christianisme),  voulut  surprendre  et 
«  conquérir  la  Chine ,  l'un  de  ses  moyens  préliminaires 
«  fut  d'envoyer  un  agent  auprès  de  Chang^Ning^  alors 
«  roi  de  Lieou-Tcheou ,  pour  l'engager  à  rompre  son  ban 
«  vis-à-vis  de  l'Empire-Céleste,  et  à  édianger  le  patronage 
c  chinois  contre  le  patronage  japonais.  Chang-Ning, 
«  non  seulement  résista  à  ces  insinuations,  mais  fidèle  à 
«  la  loi  jurée ,  il  fit  prévenir  secrètement  la  cour  de  /Vto 
«  de  l'attaque  qui  se  méditait.  Cette  noble  conduite  attira 
«  sur  i^tVoti^rcAeotf  le  plus  terrible  orage.  Tay  Ko.Saff^ 
«  résolut  de  soumettre  ces  lies ,  et  la  mort  étant  venue  le 
«  surprendre  au  milieu  de  ses  projets ,  il  en  légua  b 
«  réalisation  à  son  successeur.  En  effet ,  quelque  lemp* 
«r  après  une  flotte  équipée  à  Sat  Xuma  ,  opéra  une  des- 
«  cente  sur  Lteou-Tchèou  ;  les  insulaires  eurent  beau  ré- 
«  sister,  ils  furent  anéantis  ou  vaincus;  le  père  du  roi 
«  fut  tué ,  et  Chang  Ning^  emmené  prisonnier  au  Jap<>" 
«  pendant  deux  ans,  ne  désarma  ses  geôliers  que  [KU' 


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379 
«  son  inébranlable  constance  et  sa  magnanime  fidéUié  à 
«  tenir  les  premiers  serments.  On  l'élargit,  on  le  ren- 

•  voya  dans  ses  étals,  et  son  premier  acte  d'autorité, 

•  quand  il  eut  remis  le  pied  sur  son  territoire,  fut  d'en- 
«  voyer  une  ambassade  à  l'empereur  de  la  Chine.  »  Ce 
narré  n'est,  je  pense,  qu'une  traduction  de  la  relation 
du  Pu-Pao-Kuam,  ambassadeur  de  Kamhi  à  Lu-Chu 
C'est  bien  ainsi,  en  effet,  qu'on  aura  dû  exposer  les 
choses  au  diplomate,  chinois.  Voilà  qui  est  très4ouchant 
et  très-politique;  mais  ce  n'est  pas  ainsi  que  s'arrangent 
les  affaires  de  ce  monde ,  surtout  vis-à-vis  d'un  gouver^ 
nement  comme  celui  du  Japon.  Si  le  roi  de  Lu-Chu  eût 
tenu  la  noble  conduite  qu'on  lui  prêle,  l'empereur  du  Ja- 
pon, au  lieu  de  continuer  pacîûquemeni  avec  lui  les  re- 
lations commerciales  qui  persévèrent  encore  aujourd'hui, 
serait  revenu  dans  ses  états ,  les  armes  à  la  main  ,  aurait 
tout  mis  de  nouveau  à  feu  et  à  sang,  et  dans  les  vingt- 
quatre  heures  aurait  exterminé  le  pauvre  sire,  resté  sans 
force  et  sans  défense  après  les  désastres  précédents. 

«Ne  semblerait -il  donc  pas  beaucoup  plus  probable 
que  le  roi  Chang-Ning ,  après  avoir  obtenu  sa  liberté  , 
non  point  par  son  admirable  constance  ,  mais  par  de  so- 
lides concessions,  aura  représenté  ku  vainqueur  qu'en 
«)mpanl  son  ban  vis4-vis  de  la  Chine ,  il  allait  s'attirer 
«ne  guerre  qu'il  ne  pourrait  soutenir,  tandis  qu'en  main- 
tenant le  statu  quo,  et  en  laissant  à  PEmpire-Céleste  tous 
les  honneurs  du  patronage,  il  donnerait  au  roi  du  Japon 
les  avantages  réels.  Il  aura  promis,  en  conséquence,  un 
iribut  qu'on  paierait  secrètement,  le  monopole  du  com- 
merce,Tobéissance  comme  feudataîre ,  l'éloignement  des 
étrangers,  et  l'interdiction  de  leurs  doctrines.  Et  les 
Japonais ,  que  je  crois  généralement,  comme  les  gens  de 
*  ce  pays,  beaucoup  plus  positifs  que  vains,  auront  ac- 
<^epté  les  profils  de  cet  arrangement.  Ceîle  hypothèse 

25. 


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380 

admise I  tout  se  concilie  ;  dans  le  cas  contraire^  Je  m 
ici ,  du  moins  jusqu'à  présent^  bien  des  bits  ineipK- 
cables.  Maintenant ,  H  est  temps  de  passer  à  la  seconde 
question. 

«  2®  La  Foi  a-t-elle  déjà  été  prêchée  à  JLu-CAi*?— Nos 
Mandarins  répondent  que  non  ;  mais  conune  ils  meoteot 
da  matin  au  soir,  on  n'est  pas  obligé  de  les  croire  sur 
parole.  Ceqrî  est  incontestable,  c'est  qu'ils  coDDaissent 
fort  bien ,  au  moins  de  nom ,  notre'Religion  sainte  :  j'ai 
même  remarqué  que  deux  d'entr'eux ,  dans  une  conver- 
sation avec  moi ,  Favaient  appelée  non  point  la  Rebgioo 
du  Mattre  du  ciel ,  conune  on  la  désigne  en  Chine,  mais 
la  Religion  de  Jésus ,  comme  au  Japon.  Le  gouvernenr 
général ,  m'ayant  un  jour  écrit  que  ses  compatriotes  n'a- 
vaient aucun  goût  pour  la  foi  chrétienne ,  je  lui  répon- 
dis :  «  Qu'en  savez-vous  maintenant^  puisque  celle 
«  Religion  n'a  pas  encore  été  préchée  dans  le  royaume? 
«  On  n'a  ni  aversion  ni  goût  pour  ce  qu'on  ne  connaît 
«  point.  »  A  ceci  il  ne  me  répliqua  rien,  parce  qa'il 
pouvait  bien  avoir  ses  raisons  pour  cela  ;  mais  comme 
cet  honune  n'est  pas  un  sot,  il  me  sembla  qu'il  ne  m'ao- 
rait  pas  écrit  de  la  sorte,  si  jamais  auparavant  il  n'eut 
été  question  de  TEvangile  dans  le  pays. 

«  Si  nous  consultons  le  père  Charlevoix ,  cet  auteur 
ne  dit  pas,  il  est  vrai ,  un  seul  mot  de  LurChu  da* 
son  histoire;  mak,  s'il  m'en  souvient  bien ,  il  avoue Iti- 
même,  quelque  pari,  qu'il  a  omis  beaucoup  de  choses 
dignes  d'intérêt  :  «  Parce  que^  dit-il,  grand  nombre  * 
«  lettres  et  de  pièces  importantes,  perdues  dans  (to 
«  naufrages,  ne  sont  jamais  parvenues  en  Europe. »  ^ 
l'esté  il  parle  de  l'établissement  de  la  foi  dans  plosienfs 
Iles  au  sud  du  Ximo  (  appelé  généralement  aujonrd'hm 
KmSitt);  or  presque  toutes  les  îles  situées  au  sud  do 


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381 
Ximo  sont  dépendantes  de  Lu-Chu.  Enfin  il  est  bon  de 
noter  que  le  père  Charlevoix,  ne  distinguait  pas  Lu-Cku 
du  Japon,  puisqu'on  remarque  au  commencement  de 
son  histoire  les  données  géographiques  suivantes  :  c  Au 
«  nord  des  Philippines  et  de  File  Formose ,  on  trouve 
«  un  nombre  presque  infini  d'Iles  de  toutes  grandeurs, 
«  c'est  un  grand  archipel  qui  forme  l'empire  du  Japon.  » 
«  A  ces  indications ,  j'oserai  ajouter  encore  le  témoi- 
gnage de  Beniowski ,  bien  qiie  sa  parole  ne  fasse  pas 
autorité;  ce  navigateur  dit  savoir  débarqué  dans*une  lie 
de  l'archipel  Lu  -  Chu  ,  qu'il  appelle  Usmoy-Ligan  , 
dont  les  naturels,  convertis  par  un  Missionnaire,  pro* 
fessaient  presque  tous  le  Christianisme.  Qu'il  y  ait  de 
l'exagération  dans  le  nombre  des  néophytes^  j'en  suis 
convaincu;  mais  que  Beniowski ,  fout  conteur  qu'il  est, 
ait  écrit  que  les  habitants  de  cette  lle^  où  il  a  séjourné 
quelque  temps ,  élaient  tous  chrétiens ,  quand  il  n'y  en 
avait  pas  un  seul ,  c'est  ce  que  j'aurai  beaucoup  de  peine 
h  croire. 

«  De  toutes  ces  données  résulte,  sinon  la  preuve,  au 
moins  la  présomption  fondée  que,  si  l'Evangile  n'a  point 
encore  été  prêché  dans  les  trente^i^  lies  du  royaume,  il 
l'a  été  dans  plusieurs,  et  surtout  dans  celles  du  nord,  qui 
touchent  au  Japon,  Conmient  supposer,  en  effet,  que  les 
Japonais  chrétiens,  si  remarquables  par  leur  esprit  de  pro- 
sélytisme ,  ces  Japonais  qui  dans  une  guerre  portèrent 
sons  le  casque  la  foi  en  Corée,  n'aient  rien  essayé  de  sem- 
blable à  Lu-Chu ,  où  ils  firent  aussi  invasion  à  la  même 
époque ,  et  où  leurs  jonques,  partant  de  la  grande  lie 
Kin-Sin^ qui  était  le  principal  foyer  du  Christianisme» 
.importaient  leurs  produits,  leurs  idées  et  même  leurs 
Prêtres  catholiques? 

«  Je  terminerai  ces  observations  par  l'anecdole  sui- 

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382 
vante,  qui  est  encore  pour  moi  une  énigme,  bien  que  f  y 
aie  déjà  beaucoup  pensé.  Dans  les  commencements 
de  notre  séjour  ici,  Augustin  avait  pris  Thabitude  d*aller 
tous  les  soirs,  à  la  nuit  tombante ,  réciter  son  chapelet 
sur  les  bords  de  la  mer  qui  baigne  les  murs  de  notre 
jardin;  et  comme  il  ne  savait  alors  ni  dire  ni  entendre 
quatre  mots  de  la  langue,  comme  d'ailleurs ,  grâce  aux 
postes  établis  près  de  nous,  il  ne  pouvait  s*éloigner  sans 
qu'on  s'en  aperçût ,  on  le  laissait  ordinairement  seul. 
Or,  le 2  octobre  dernier,  par  un  ciel  très-obscnr,  tandis 
que  tout  était  en  émoi  par  suite  de  la  mort  du  prince 
royal  arrivée  dans  la  matinée  ,  Augustin  entend  tont  i 
coup  comme  le  bruit  d'un  homme  qui  marchait  dans  Tean. 
C'était  un  homme,  en  effet;  il  parait  devant  lui,  nne  rame 
à  la  main  ,  et  parlant  à  demi-voix ,  montrant  du  geste  b 
bonzerie ,  il  semble  lui  demander  quelque  information 
avec  beaucoup  d'instance.  Mon  catéchbte  surpris,  ne  sa- 
chant ce  qu'on  lui  veut ,  et  craignant  que  ce  ne  soit  on 
malfaiteur,  fait  mine  de  se  mettre  en  défense.  L'inconnu 
s'éloigne  alors,  court  porter,  je  ne  sais  où ,  sa  rame  qn'il 
pensait  sans  doute  être  un  objet  d'effiroi,  puis  revient  ea 
toute  hâte,  et  renouvelle  salutations,  genuOesions  et 
prières. 

«  Cette  mystérieuse  entrevue  durait  depuis  quatre  ou 
cinq  minutes  ,  quand  deux  jeunes  gens  du  pciste ,  attirés 
probablement  par  la  voix  étnue  d'Augustin,  accooreot 
sur  les  lieux.  Le  solliciteur  ne  les  a  pas  plus  t6t  aperçus 
qu'il  se  sauve  du  côté  de  la  mer,  comme  il  était  venu.  Un 
second  personnage  qu'Augustin  n'avait  point  remarque» 
mais  qui  était  resté  près  de  là  en  observation  „  s'enfun 
avec  le  premier ,  et  tous  deux  montant  bientAt  dans  tine 
barque,  s'éloignent  à  force  de  rames.  Là-dessus,  je ï"^ 
suis  perdu  et  je  me  perds  encore  en  conjectures.  Croj*^' 


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383 
inoi^  si  nous  étions  libres ,  nous  découvririons  peut-ô(re 
ici  bien  des  choses ,  dont  on  ne  se  doute  guère.  Oh  !  la 
liberté  !  denumdez  bien  pour  nous  à  Dieu  l'heureuse  et 
suinte  liberté  ! 

« — ^La  frégate  anglaise  est  enfin  revenue  lundi  dernier, 
18  août;  elle  86  nonune  Samaringé  Son  capitaine,  sir 
Edmond  fiulcher,  homme  très^instruit  et  très<*capable,  a 
trouvé  ici^  à  son  grand  regret»  nn  ordre  qui  le  rappelle 
iaimédiatement  à  Hong'^ong;  ainû,  au  lieu  de  station'* 
ner  denx  ou  trois  mois ,  comme  il  l'aurait  désiré  »  il  ne 
peut  rester  que  trois  jours ,  et  il  doit  appareiller  dans  la 
soirée  de  vendredi  prochain.  Il  parait  qu'il  a  été  reçu 
très-poliment  au  Japcm  ;  mais  sans  qu'on  l'ait  admis  à 
vidter  la  terre  ferme ,  il  ne  lui  a  été  permis  de  descendre 
que  dans  ime  fort  petite  lie,  située  dans  le  port  même  de 
Nangasaki.  Les  Japonais  put  dit  au  capitaine  que  le 
royaume  de  Lu-Chu  payait  tribut  à  l'empire ,  ce  qui  est. 
une  autorité  de  plus  à  l'appui  de  mes  raisonnements.  Je 
n'ai  rien  pu  savoir  sur  la  Corée. 

«  Je  me  trouve  actuellement  dans  l'impossibilité  de 
votia  adresser  de  plus  amples  détails.  Les  anglais  qui , 
dn  reste ,  m'entourent  de  tous  les  honneurs  et  me  ren- 
dent tous  tes  bons  offices  qu'ils  peuvent  imaginer  g  me 
font  perdre  tout  mon  temps.  C'est  au  milieu  de  la  nuit 
que  j'achève  cette  longue  lettre,  souvent  interrompue,  et 
toujours  reprise  à  la  hâte.  ' 

«  J'ai  toujours  été  très-content  d^Augustin  ;  quoique 
sa  santé  ne  soit  pas  des  plus  fortes,  il  s'est  habituellement 
assez  bien  porté.  Pour  moi ,  monsieur  et  dier  confirère  t 
je  n'ai  pas  été  nudade  un  seul  jour...  Veuillez  agréer,  etc. 

«  Th.  FoRCiinB , 
«  Missimnaire  Jposiolique. 


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384 


NOUVELLES  DIVERSES. 

Un  saint  Missionnaire  dont  le  nom  est  bien  a»na  de 
nos  lecteurs,  le  P.  François,  capucin.de  la  maison  de 
Lyon,  vient  de  périr  dans  Flnde,  Yictime  de  son  zèle 
et  de  sa  charité.  Sur  sa  demande^  H  avait  été  désigné 
pour  ouvrir  l'importante  et  périlleuse  mission  du  Laliore, 
et  c^est  au  moment  où  il  allait  mettre  le  pied  sur  cette 
terre  idolâtre,  que  le.fer  de  ceux  qu'il  venait  sauver  loi  a 
Até  la  vie.  Voici,  d'après  une  lettre  de  M.  Fabbéliosnat, 
vicaire-général  de  Verdun ,  les  détails  de  cette  mort  ai 
précieuse  devant  Dieu. 

«  Le  P.  François^  de  Saint-Etienne  (Loire),  avait  été 
envoyé  par  son  Evéque  à  Loodhiaoa ,  ville  située  à  peu 
de  distance  du  Setledje,  qui  limite  au  nord  les  posses- 
sions anglabes.  Cette  station  n^était  pour  lui  qu^in  lien 
de  passage;  de-là,  il  devait  pénétrer^  à  la  première  oc- 
casion favorable,  dans  ce  royaume  de  Labore,  terme 
de  tous  ses  désirs.  Il  y  a  peu  de  lemps  encore ,  il  écri- 
vait que  tout  était  prêt,  et  que  bientôt  il  irait  planter  la 
croix  sur  cette  terre  infidèle. 

«  Il  faisait  alors  ses  derniers  préparatifs.  C'était  le  1? 
décembre  1845.  Le  lendemaiu,  il  partit  à  la  suite  des 
nombreux  corps  d'armée  que  le  gouverneur  -  général 
conduisait  au  combat  contre  les  Seiks  :  il  avait  dû  s'é- 
quiper à  ses  frais,  et  il  portait  avec  lui  tout  son  petit 
bagage  de  Missionnaire. 

«  Le  18 ,  les  deux  armées  se  trouvèrent  en  présence. 
Peu  de  temps  avant  le  combat,  le  P.  François  avait  en- 
tendu les  confessions  d'un  bou  nombre  de  soldats  irian- 
dais  ;  tous  avaient  reçus  de  lui  des  paroles  de  consoia- 


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385 
lion  et  de  fini^  ;  tous  avaient  en  ta  vertu  éprouvée 
une  teHe  conGance,  qu'ils  ne  pouvaient  s*en  jséparer. 
Aussi  Pintrépide  Religieux  n'hésita-t-il  points  par  amour 
pour. eux»  à  se  jeter  au  fort  de  la  mêlée ^  pour  écouter 
les  aveux  des  pédieurs^  secourir  les  blessés  et  recueil- 
lir les  derniers  soupirs  des  mourants.  On  voulut  ie  faire 
retirer;  mais  il  n*écouta  que  son  zèle,  et  tandis  qu'il  rem- 
plissait ce»  devoirs  héroïques  de  la  charité,  une  effroyable 
décharge  d'artillerie  porut  tout-à-coup  la  mort  dans  les 
rangs  du  60^  régiment  de  la  Reine.  Ce  corps  fut  comme 
anéanti  en  un  instant;  et  la  cavalerie  des  Seiks  se  jetant 
comme  la  foudre  sur  les  escadrons  renversés  des  Anglais^ 
acheva  avec  le  cimeterre  ceux  que  la  mitraille  n'avait  fait 
qoe  blesser, 

«  De  ce  nombre  fut  le  P.  François.  Pendant  que^  par 
une  dernière  absolution ,  il  ouvrait  le  ciel  à  un  pauvre 
mourant^  les  sabres  de  trois  Seiks  se  levèrent  sur  sa 
tête  ;  il  fut  frappé  à  coups  redoublés ,  et  rendit  le  der- 
nier soupir  tout  auprès  du  soldat  qu'il  venait  d'assister. 
Malheureux  Seiks  !  s'ils  avaient  su  quel  sang  ils  répan- 
daient, s'ils  avaient  su  combien  ce  bon  Père  désirait 
leur  dévouer  sa  vie ,  ils  auraient  eux-mêmes  protégé  ses 
jours. 

«  Du  côté  des  Anglais ,  il  n'y  eut  qu'un  cri  de  dou- 
leur dans  les  rangs  de  ceux  que  la  mort  avait  épar- 
gnés, lorsqu'ils  virent  que  le  P.  François  ne  reparaissait 
plus.  Deux  jours  après  cette  sanglante  affaire,  on  re- 
trouva son  corps  parmi  les  monceaux  de  cadavres  qui 
couvraient  la  plaine.  Il  était  horriblement  défiguré  ;  sa 
tête  enir'ouverte  laissait  apercevoir  de  nombreuses  bles- 
sures, et  son  cou  était  presque  tranché. 

«  Ses  obsèques  ont  eu  lieu  avec  grande  pompe.  Ca- 
tholiques et  protestants  pleuraient  sa  perte ,  car  il  était 


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3Â6 
aiiiié  de  tous;  il  arait  £iii  à  loos  beMeoop  de  Lien. 
Cbacao  ^se  disait,  en  raccompagnant  an  lonbeaa ,  ce 
qa^avait  été  ce  zâé  HisaioiiBaire;  on  se  rappelait  les 
exemples  de  cbarité  qu'il  a?aii  donnés ,  soit  dans  la 
guerre  de  Gwalîor,  oà  il  afait  dqi  sniri  Pannée  jnsqne 
sor  le  dianip  de  bataille  pour  y  awster  les  nonrants; 
soit  dans  les  bôpitanx  d'Agra,  de  Kornaiil  et  de 
Bleroot,  oi  il  s'était  eofenné  dormtdenx  moîs^  lors- 
que  le  dioléra  scTÎssait  atec  tant  de  foreur  dans  ces 
parages.  Si  le  peuple  deLaborea  perdu  en  lui  unapôtre^ 
espérons  qu*il  a  au  ciel  un  puissant  intocessenr.' 


Lettre  de  M.  VJhhé  Hillereau,  à  M.  h  ComU  de  LipiMf. 

CoD^laolinople,  ITmti^  1846. 
«  MoRSIEtm  ET  CHEE  ÀHl  , 

«  Vous  m'aviez  bien  raccommandé  lorsque  je  partis 
de  France ,  de  vous  instruire  des  particularités  intéres- 
santes qui  pourraient  se  rencontrer  dans  mes  courses  en 
Turquie;  je  le  £aiis  aujourd'hui,  et  d'autant  plus  volontiers 
que  je  viens  d'être  témoin  du  spectacle  le  plus  décbirant 
qui  se  soit  jamais  offert  à  mes  yeux. 

«  J'étais  parti»  le  28  avril  dernier ,  en  compagnie  de 
M.  Bonnieu  ,  missionaire  Lazariste,  pour  visiter  les  ca- 
tholiques de  Brousse ,  et  m'informer  de  l'état  et  du  lieu 
d'exil  où  avaient  été  jetées  vingt-une  femilles  chrétiennes 
desconfinsdel'AIbaDieetdelaServie.En  parcourant  cette 
partie  du  littoral  de  l'Asie,  je  voyais,  au  milieu  d'an 
pays  fertile  et  pittoresque,  les  routes  couvertes  de  mH- 
liers  de  malheureux,  qui  venaient  chercher  aux  ports  de 
mer  des  blés  d'Europe. 

«  Brousse,  ville  florissante  dans  l'antiquité,  séjour 


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387 
des  SolUms  pendant  un  siècle ,  et  capitale  de  l'ancien 
royaume  de  Bithynie,  est  placée  au  pied  du  mont  Olympe 
qui  r<Hnbrage  majestueusement  de  ses  cimes  couvertes 
de  neiges  étemelles  ;  elle  compte  encore  de  nombreux 
lifd)itants ,  mais  à  peine  s'y  trouve*t*il  quatre-vingts  ca- 
tholiques do  rit  latin.  M.  le  consul  de  France  qui  nous 
donna  Phospitalité  et  auprès  duquel  nous  primes  nos 
premières  informations,  nous  dit  que  les  pauvres  exilés 
que  nous  cherchions  venaient  d'être  conduits  dans  une 
petite  ville  appelée  Moalitch ,  à  douze  heures  de  marche  ; 
du  reste,  il  ne  connaissait  pas  le  motif  de  la  peine  qu'ils 
supportaient.  Nous  lui  racontâmes  que  ces  familles,  après 
de  longues  années  de  vexations  et  de  violences  exercées 
par  les  Turcs  pour  les  amener  &  professer  l'Islamisme , 
avaient  feint  de  radopter,puis  s'étaient  déclarées  ouver- 
tement cathdiques  l'année  dernière ,  lorsqu'elles  eurent 
appris  que  les  Ambassadeurs  de  France  et  d'Angleterre 
avaient  obtenu  des  concessions  favorables  à  ceux  qui  vou- 
draient retourner  au  christianisme^  ravies  qu'elles  étaient 
de  pouvoir  ainsi  rejeta*  pour  jamais  un  culte  qu'elles 
détestaient  intérieurement* 

«  Hais  les  autorités  turques  qui ,  dans  les  provinces, 
conomettent  encore  comme  de  tout  temps  mille  actes  ar- 
bitraires^ les  jetèrent  aussitôt  en  prison,  d'oii  elles  ne 
sortirent  que  pour  s'acheminer  vers  l'exil  ou  {dutdt  vers 
le  tombeau.  On  sépara  ces  malheureuif  en  deux  com- 
pagnies; l'une  était  composée  des  hommes,  et  l'autre 
des  femmes  et  des  enfants  ;  puis  on  les  transporta  de  Sco- 
pia&Salonique,  où  un  prêtre  de  la  mission  de  Constanti- 
nople  put  obtenir,  avec  beaucoup  de  peine,  de  les  visiter 
et  de  leur  donner  les  secours  de  la  religion.  Les  mauvsiis 
traitements  de  tout  genre  que  les  soldau  Turcs  leur  avaient 
inOigés,  révolteraient  desbartiares;  aussi  les  victimes 
étaient  mourantesdans leur  prison  deSalonique;  douze  y 


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388 

périrent  ;  ane  d'elles  tomba  mor  le  de  fiitigue  sur  le  rivage 
même  de  la  mer ,  au  moment  où  on  les embarqaaitpour 
le  lieu  de  leur  exil. 

«  Arrivés  à  Hobalitchi  nous  nous  transportâmes  dans 
le  khan  où  ils  étaient  réunis ,  et  là ,  quelle  scène  lamen- 
table se  présente  devant  nous  I  je  ne  puis  la  décrire  sans 
verser  des  larmes.  Les  premiers  objets  qui  s*ofrent  à  nos 
regards  ce  sont  des  femmes  encore  jeunes ,  des  filles  »  des 
enfants  presque  nus ,  la  plupart  n'ayant  qu'une  chemise 
sale  et  déchirée  syr  leur  corps  rongé  par  la  vermine ,  et 
tremblant  de  froid  ;  de  toutes  les  poitrines  s*exhalaient 
des  gémissements  et  des  cris  qui  déchiraient  Tâme.  Les 
uns,  épuisés  de  fatigue,  étaient  étendus  par  terre;  les 
auures  étaient  assis  sur  des  haillcms  dégoûtants  et  sor 
des  ossements  d'animaux ,  dont  il  y  a  un  d^t  fort  con- 
sidérable dans  cette  cour,  comme  poiur  achever  d'en  cor- 
rompre l'air  et  augmenter  leur  supplice.  Les  prémices 
paroles  que  ces  malheureux  m'adressëi:ent  furent  celles^: 
«  Nous  sommes  catholiques  et  nous  le  serons  jusqu'à  la 
mort.» Puis  il  nous  demandèrent  des  objets  de  piété,  des 
croix,  des  chapelets,  demande  touchante  dans  la  bouche  de 
quatre-vingts  martyrs,  qui  désiraient  plutôt  les  symbdes 
de  leur  religion  que  la  nourriture,  les  vêtements  et  les 
remèdes  dont  ils  avaient  un  extrême  besoin. 

«  Nous  avions  apporté  des  médailles  et  des  chapdets, 
mais  nous  n'avio&s  point  de  croix  ;  ne  sachant  comment 
satisfoire  leur  piété,  je  tirai  un  crucifix  que  je  porte  ha- 
bituellement sur  la  poitrine  et  qui  m'est  cher  à  bien  des 
titres.  Ils  le  saisirent  aussitôt ,  et  à  la  vue  de  l'image  sa- 
crée de  leur  Dieu ,  souffrant  comme  eux  et  pour  eux ,  ils 
poussèrent  un  cri  de  joie,  le  premier  peut-être  qui  leur 
soit  échappé  depuis  le  commencement  de  leurs  malheurs  ; 
ils  le  baisèrent  avec  amour,  se  le  passèrent  les  uns  aux 
autres  ^  et  y  collèrent  leurs  lèvres  décolorées  par  la  bim. 


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SS9 
Les  infortunés  I  ik  éuâenl  heureux  un  instant  de  voir  au 
milieu  d'eux  des  amis  et  des  frères ,  eux  qui  étaient  ac- 
coutumés à  ne  voir  que  des  ennemis  et  des  bourreaux. 
Ah  1  nous  aussi  nous  étions  heureux  de  secourir  ces  mar- 
tyrs de  la  religion ,  et  de  mêler  no^  larmes  i  leurs  sou- 
pirs ,  je  ne  dis  pas  à  leurs  larmes ,  leurs  yeux  n'en  versent 
plus ,  la  source  en  parait  tarie. 

«  Nous  pénétrâmes  ensuite  dans  leurs  misérables  ca- 
banes ,  que  je  devrais  appeler  cachots ,  où  personne  i^'ose 
aller  les  visiter ,  et  oà  les  plus  malades  étaient  étendus 
pèle-méle ,  n'ayant  pour  lit  qu'une  couverte  déchirée  ;  et 
c'étaient  pour  la  plupart  des  femmes  et  des  enfants  ! 
Cest-là  que  le  spectacle  était  affreux!  Au  milieu  d'eux , 
gisaient  trois  cadavres  ;  ils  nous  les  montraient  d'un  air 
qui  indiquait  qu'à  leurs  yeux  la  mort  était  un  bienfait  ; 
celui-ci  nous  disait  :  «  c'est  le  cadavre  de  mon  épouse;» 
celle-ci  :  «  c'est  le  cadavre  de  mon  père  »  ;  plus  loin ,  nous 
entendions  une  malheureuse  femme ,  égarée  par  sa  douleur 
ou  plutôt  dans  le  délire  d'un  inexprimable  chagrin,  répé- 
tant des  chants  lugubres  auprès  des  restes  de  l'un  de  ses 
parents  ;  sa  voix  altérée,  ^accents sauvages,  étaient  inter- 
rompus par  des  cris  de  désespoir  ;  puis  elle  recommençait 
ses  chants  qui  nous  glaçaient  d'horreur.  Une  autre  femme 
et  une  jeune  fille  n'ont  pu  tenir  à  tant  de  tourments  ; 
l'excès  de  la  douleur  les  a  fait  tomber  en  démence ,  il  y 
a  quelques  jours;  elles  nous  regardaient  stupidement  sans 
parler*  Les  personnes  du  sexe,  qui  auraient  dû  trouver 
plus  de  phié ,  ont  été  victimes  de  plus  d'outrages  ,  un 
grand  nombre  d'entre  elles  est  déjà  dans  la  tombe  ;  celles 
qui  ont  pu  survivre  à  d'inexprimables  tortures ,  à  la  mort 
de  leur  parents,  au  supplice  continuel  d'entendre  des  cris 
de  douleur  et  de  désespoir ,  sont  dans  un  abattement  et 
dans  une  consternation  qui  leur  ôte  le  sentiment.  Aussi , 
toutes  les  fignres  sont  pâles ,  livides,  couvertes  de  rides  ; 


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390 
quélqBes  regards  oà  se  peignait  une  indicibie  angoisse , 
se  portaient  vers  le  Ciel  d  semblaient  lui  denuHMkr: 
pourquoi  sommes-nous  condamnés  à  tant  de  souffrances? 

m  Plusieurs  d'entr'eux  ont  eu  les  jambes  mennrieset 
même  brisées  à  couj^  de  bâton  ;  d'autres  sont  attaqués  de 
la  dyssenterie;  des  enfants  surtout,  qui  portent  sur  leor 
corps  de  larges  blessures  faites  par  les  insectes  qui  les 
dévorent ,  font  entendre  des  cris  continuels  et  demandent 
à  bojre  sans  pouvoir  Tobtenir  ;  leurs  pères  et  leurs  mères 
ne  sont  plus  I  d'antres  enflants  à  la  mamelle  étaient  pfties 
comme  leurs  mires^  qui  les  voyaient  périr  lentement  sans 
pouvoir  les  soulager  ;  d'autres ,  enfin ,  couchés  au  milieu 
de  personnes  mourantes ,  n'avaient  plus  qu'un  souffle 
de  vie.  Il  n'y  a  plus  de  vieillards  parmi  ces  infortunés; 
le  dernier  s'est  éteint  presque  sous  nos  yeux* 

«  Partis  de  leur  pays  au  nombre  de  cent  quatre-vingts 
environ ,  ils  n'étaient  plus  à  Hohalitcfa ,  la  semaine 
dernière  (3  et  4  mai  1846),  que  quatre-vingt-sept  ; 
la  mort  avait  déjà  moissonné  le  reste ,  et  parmi  ceux  qui 
respiraient  encore  trente  au  moins  éuient  malades,  le 
donnai  l'Exlréme-Onction  à  quinze  grandes  personnes. 
Lelendemain,  après  avoircél^ré  la  sainte  Messe  en  plein 
air,  an  milieu  de  la  cour  de  leur  prison,  jedistribuai  le  Si 
Viatique  à  une  quinzaine  d'infirmes,  et  ^tre  autres  à  une 
jeune  femme  qui ,  la  veille ,  me  suppliait  d'administrer 
les  derniers  sacrements  à  son  mari  qu'elle  soutenait  dans 
ses  bras  ;  elle  ne  pensait  pas  sans  doute  que  le  lendemain 
elle  serait  étendue  mourante  à  ses  côtés.  Moua*donnâmes 
la  sépulture,  avec  les  cérémonies  accoutumées,  à  trois 
personnes  qui  avaient  succombé  presque  sous  nos  yeux  ; 
dix  autres  avaient  péri  depuis  une  semaine  qu'ils  étaient 
dans  ce  lieu  ;  le  jour  même  de  leur  arrivée ,  cinq  étaient 
morts.  Tous  doivent  également  finir  dans  ces  contrées 
marécageuses  ,  dit  le  pacba  de  Brousse ,  parce  que  l'air 


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391 
y  est  mal  sain  ;  ainsi  donc  ils  recueilleront  tons  la  palme 
do  martyre  «  pom*  s^étre  refusés  à  souiller  leur  triomplie 
par  une  lâche  apostasie. 

«  Avant  de  nous  sépara  de  ces  pauvres  gens,  que  leur 
courage  et  leurs  malheurs  nous  rendaient  si  chers,  nous 
les  exhortâmes  à  s'aimer  et  s'entr'aider  les  uns  les  autres, 
à  adorer  la  main  du  Dieu  qui  les  éprouvait  d'une  ma- 
nière bien  forte ,  il  est  vrai ,  mais  qui  les  recompenserait 
magnifiquement  un  jour.  Nous  leur  donnâmes  d'utiles 
conseils  pour  lutter  conlre  leurs  maladies  ;  nous  fîmes 
balayer  leurs  cachots  infects  ;  enfin  après  leur  avoir 
distribué  tout  ce  que  nous  avions  d'argent  sur  nous, 
environ  quatre-vingts  francs,  nàusleur  promîmes  des 
linges,  des  habillements  et  tous  les  secours  dont  ils  au- 
raient besoin  au  temporel  comme  au  spirituel,  les  assu- 
rant que  nous  ferions  un  rapport  exact  de  leur  alTreuse 
situation  aux  autorités  civiles  et  ecclésiastiques.  Nous 
avons  tenu  nos  promesses.  'V  l\ 

«  A  peine  étions  nous  rentrés  à  Brousse  !"  que  M.  le 
consul  de  France  nous  demanda  où  en  étaient  les  pau- 
vres exilés.  En  entendant  le  récit  que  vous  venez  de  lire, 
il  hit  extrêmement  touché  et  dit  que ,  dès  le  lendemain, 
le  pacha  serait  informé  de  tout;  et  s'engagea  de  la  ma- 
nière la  plus  pressante  à  secourir  tant  de  personnes  qui 
subissaient  un  si  cruel  et  si  injuste  châtimait.  Le  consul 
d'Angleterre  arriva  quelques  instants  après.  Lui  aussi  ne 
pouvait  comprendre  tant  d'horreurs;  il  promit  de  plaider 
énergiquement  la  cause  des  prisonniers  auprès  du  pacha 
de  la  province.  La  conduite  des  deux  consuls  a  été  uni- 
forme et  admirable  en  cette  circonstance;  tous  deux  ont 
informé  leurs  ambassadeurs  respectifs  qui ,  à  leur  tour, 
ont  fait  des  démarches  auprès  de  la  Porte ,  et  ont  agi  avec 
toute  l'énergie  qu'on  pouvait  attendre  de  leur  zèle  bien 
connu  pour  la  liberté  de  conscience.  J'entends  faire  leur 


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392 
ëùgt  chaque  jour ,  ei  cependant  on  ne  sait  pas  tout  ce 
qu'ils  ont  fait  en  faveur  de  la  religion  dans  ce  pays.  Q«e 
Dieu  bénisse  leurs  louables  efforts ,  qui ,  nous  l'espérons, 
seront  couronnés  d'un  plein  saccës. 

«De  son  côté  Mgr  l'Archevêque  de  Pélra,  vicaire  aposto- 
lique patriarcal  de  Constantinople ,  a  montré  le  plus  vif 
intérêt  à  ces  malheureux  qui ,  par  leur  exil ,  sont  devenus 
ses  diocésains.  Ses  larmes  coulèrent  au  récit  de  leurs  souf- 
frances; il  ordonna  immédiatement  un  quête  dans  toutes 
les  églises  de  Constantinople,  y  ajouta  une  forte  aumône 
et  l'envoya  aux  exilés  de  Mohalitch  par  le  religieux  fran- 
ciscain qui  était  leur  curé.  Ce  missionnaire  pourra  ainsi 
diminuer  les  privations  de  ceux  qui  seront  encore  vivants. 
Hélas  !  il  ne  reverra  qu'une  faible  portion  de  son  trou- 
peau ;  il  ne  trouvera  plus  dix  enfants  dont  les  Turcs  ont 
fait  des  esclaves;  il  n'entendra  que  des  gémissements 
autour  de  lui  ;  mais  aussi  il  aura  la  consolation  de  voir 
que  des  tortures  si  longues  ne  peuvent  arradier  le  dé- 
saveu de  la  foi  catholique  à  des  femmes  et  à  des  enfiuits. 

«  Agréez,  Monsieur  le  Comte,  etc. 

HillÊreau. 

Nous  apprenons  que  le  gouvernement  turc,  instruit  des  vio- 
lences exercées  sur  ces  malheureuses  familles  albanaises,  a  en- 
voyé un  agent  à  Mohalitch ,  pour  sauver  celles  des  victimes  qui 
pouvaient  encore  être  seccurues. 

Cinq  Prêtres  delà  Congrégation  des  Oblats  de  Marie  Imma- 
culée, sont  partis  pour  les  missions  du  Haut*Canada«  Ce  sont 
MM.  Malloys,  Bermond,  Chevallier,  Ryan  et  Faraud. 


LyoD,  impr.  Ue  J.  B.  PéUgaod 


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S93 


MISSIONS  DES  ÉTATS-UNIS. 


Ma!m  Pèr«s  do  Sixième  Concile  de  Baltl—oge  à  Hll.  lee 
Dlrectnuni  de  l'OEavre  de  la  Propagation  de  la  Fol. 


n  Les  Pères  du  sixième  Concile  provincial  de  Baltimore 
ne  pouvaient  clore  leurs  graves  et  laborieuses  sessions , 
.vans  exprimer  leur  vive  admiration  des  succès  merveilleux 
qu'obtient  partout  votre  Société,  et  sans  vousoffiMr  Thom- 
mage  de  leur  reconnaissance  et  de  celle  de  tous  les  fidèles 
commis  à  leurs  soins.  Ils  n'ont  pas  oublié  que  les  besoins 
de  leur  E^ise  naissante  ont  fait  naître  cette  grande  Œu- 
vre^ que  c'est  à  votre  industrieuse  charité  qu'ils  sont  re- 
devables des  progrès  étonnants  de  la  Foi  dans  les  Etats- 
Unis,  et  que  si  leur  vénérable  métropolitain  préside  asx 
délibérations  et  dirige  les  conseils  de  vingt-deux  de  ses 
frères,  c'est  par  vous  qu'il  contemple  cette  réunion  admi- 
rable qui  rappelle  les  beaux  jours  de  l'Eglise.  N'était-il 
pas  touchant^  Messieurs,  de  voir  réunis  autour  du  mâme 
autel  vingt- trois  prélats  et  plus  de  cinquante  prêtres, 
,  n'ayant  tous  qu'im  cœur  et  qu'une  âme  ,  animés  par 
le  même  esprit  de  force  et  de  vérité,  se  partageant  leurs 
peines  et  leurs  espérances,  et  s'animant  à  combattre  sous 
le  vieil  étendard  que  le  successeur  tle  Pierre  montre  es-- 
<*ore,  après  dix-huit  siècles,  i  toutes  les  nations  avec  une 
vigueur  toujours  nouvelle  ? — Ce  spectacle  nous  a  souvent 

roB.  xvm.  108»  SEPTEnas  1846,  S6 

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394 
alleodrîs,  tellement  il  est  étrange  dans  le  siècle  et  le  pays 
où  nous  vivons  !  L'Eglise  souffre  dans  les  contrées  citi- 
lisées ,  elle  y  est  à  la  gène  :  les  successeurs  des  Apôtres 
ne  pourraient  s'y  rassembler  sans  exciter  les  craintes  ou 
même  les  mentces  des  puissances  de  ce  sionde.  leftOCMN 
ne  sommes  que  d'hier ,  nous  sortons  à  peine  de  notre  en- 
fance, et  nous  rendons  en  commun  et  publiquement  notre 
témoignage  à  la  Foi,  à  la  discipline  de  notre  sainte  Reli- 
gion I  Nous  avons  sans  doute  ici  plus  qu'ailleurs  nos  fiiti~ 
gués  et  nos  sollicitudes ,  car  nous  avons  accepté  l'héritage 
que  Jésus-Christ  a  laissé  à  ce\i\  qui  promettent  de  le  sui- 
vre. Notre  position  unique  au  milieu  de  tant  d'opinions 
divergentes ,  de  tant  de  sectes  qui  divisent  et  déchirent 
les  lambeaux  épars  de  l'Evangile  tel  qu'elles  l'ont  lait»  nous 
e%pQse  au  fanatisme  des  préjugés,  au  mépris  de  riadiffé- 
rence^  aux  attaques  et  même  aux  persécutions  passagère» 
de  certains  ennemis,  aveugles  et  acharnés.  Mais  que  leur 
a-t-il  servi  de  br&ler  deux  ou  trois  édifices  consacrés  i  no- 
tre cult^  La  flamme  qui  dévorait  les  temples  du  Seignew, 
réveillait  en  même  temps  ceux  qui  ne  pensaient  plos  à 
l'existence  de  la  vieille  société  chrétienne,  et  ils  se  ssat 
demandé  avec  étonnement  ce  qu'elle  était  et  ce  qu^sUe 
xnit  tà\i  pour  mériter  d'être  ainsi  vouée  aux  malédictioes, 
à  l'ostracisme  d'une  intolérance  qui  se  dit  religiettss.  L'on 
dirait  qu'une  cause  mystérieuse  et  providentielle  agk  s«r 
las  esprits  qui  n'ont  pas  fait  un  pacte  avec  le  measimge, 
et  que  le  bon  sens  et  la  pénétration  de  nos  concitoyens 
entrevoient^  dans  ce  conflit  de  symboles  et  de  croyaaoes, 
q«e  rintelligenes  humaine  a  besoin  de  l'intelKgeiice  de- 
vwe  pour  guide  et  pour  repos.  Dieu  doit  parler  par  hii- 
même  ou  par  des  organes  infaillibles ,  pour  que  l'hoomis 
pui$$e  croire.  L'erreur  a  parcouru  le  cercle  des  nélamor- 
phoses  possibles,  elle  ne  peut  p!us  varier. 

«  Notre  marche  est  sàre ,  paii»ible  et  pleine  d'avenir. 


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396 

lùa»  nom  oe  saorfeit  vms  cacher^  Meamurs ,  que  inm 
basoint  se  nnillîplHfiit  i  mesure  qoe  nous  ateiiçofls»  4pi*H 
a^y  a  pas  lia  mhdI  dioeèM  qui  soit  affranchi  des  lieM  éa 
TeiiGiiiice,  et  que  si  naos  nous  réjouissons  du  biea  donc 
vous  airez  é4é  la  source  vivifiante^  il  en  reste  encore  plus 
à  faire. —  En  ISiO,  i^église  des  Etats-Unis  n'avait  pour 
temple»  qoe  des  cabanes.  JLes  phis  vieui  diocèses  sont 
(k)nc  encore  jeunes^  et  sont  bien  loin  d'avoir  acqitts  assez 
de  force  pour  marcher  sans  appui.  Séminaires  «  collèges, 
catliédrales  ,  églises  ,  Maisons  religieuses  »  presbytères, 
asiles  pour  les  orphelins  des  deux  sexes,  hôpitaux ,  éee^ 
las  gmtoiles,  ornements  du  culte,  tout^  en  un  mot,  éÊÛi 
à  ci^r.  Il  n'y  a  pas  encore  un  quart  de  siècle  que  Die« 
vous  suscita  pour  devenir  les  pères  nourriciers  de  toutes 
lesJMissions  catholiques!  Les  Rois  ,  dans  un  temps  ,  se 
glorifiaient  de  ce  litre  et  de  ce  privilège.  Il  a  passé  de 
leurs  roaius  à  celles  du  pauvre ,  et  vous  êtes  leurs  écono- 
mes fidèles.  Jetez  vos  regards  sur  notre  partie  du  Nouveau- 
Monde  ;  comptez  les  croix  qui  montrent  partout  le  sym- 
bole du  salut.  L'ceuvre  est  solide  ,  permanente  ,  à  Tabri 
des  vicissitudes  de  toutes  les  entreprises  qiie  la  charité  a 
Tonnées  dans  TOrient.  Elle  n'est  pas,  il  est  vrai ,  arrosée 
par  le  sang  des  martyrs,  mais  elle  ne  cesse  pas  de  Tétre 
par  la  sueur  de  ses  prêtres  infatigables.  Nous  p(*usons  , 
et  notre  pensée  n'est  pas  trop  hasardée,  que  la  Providence 
nous  réserve  une  mission  spéciale,  et  que  les  desseins  de 
Dieu  sont  grands  et  magnifiques  pour  notre  existence  fu- 
ture ,  et  comme  nous  ne  sommes  encore  qu*au  point  du 
départ,  que  Ténigration  de  l'Europe  est  toujours  inces- 
sante et  plus  nombreuse,  que  nos  ouailles  sont  en  général 
àt  ces  pauvres  à  qui  l'Evangile  doit  être  sans  cesse  an- 
nonc  é,  que  de  l'édncation  chrétienne  des  enfants  dépend 
notre  sort,  que  nous  n'avons  pour  ressources  que  Tau- 
mAne  qu^on  nous  envoie,  nous  pensons,  dis-je,  que. 


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comne  patcevs,  aons  devons  i  sot  bibles  troopeainde 
vous  exposer  leur  détretee.  Jamais  époqne  n'a  élé  piv 
importanis  el  plus  critique  :  c'est  celle  de  notre  déie- 
loppement^  c'est  celle  où  tous  les  esprits  droits  et  géoé- 
renx  se  tournent  vers  nous ,  c'est  celle  de  Faction  et  di 
<xMnbat.  En  continuant  à  nous  soutaiir ,  vous  jouirez 
plus  tAt  du  triomphe  de  la  (oi  catholique^  vous  nouseo^ 
rouragerez  à  persévérer  jusqu'à  la  fin ,  vous  sfemerez  daih 
un  champ  qui  porte  déji  des  fruits  avec  abondance ,  ec 
peut-être  qu'un  jour  vous  recueillerei  ce  que  vous  noos 
avez  prêté.  Témoins  de  la  vérité  divine  ,  nous  somme» 
aussi  les  témoins  naturels^  les  interprètes  sûrs  des  besoias 
qui  nous  pressent. 

«  Pour  répondre  à  votre  appel ,  Messieurs ,  nous  re 
commandons ,  dans  la  lettre  pastorale  du  Concile  aux  pas- 
teurs et  aux  fidèles  y  l'éiablisscmcnt  de  votre  Société  dans 
tous  nos  diocèses.  Nous  nous  bâtons  de  concourir  à  votre 
l>onne  œuvre  ,  de  vous  témoigner  combien  nous  en  ap- 
précions les  bienfaits.  Nous  prions  Dieu  ^  parla  miséri- 
rorde  de  Jésus-Christ^  de  verser  sur  vous  l'abondance  da 
dons  de  son  Esprit-Saint^  et  de  vous  accorder  la  récom- 
pense promise  aux  prophètes  et  à  ceux  qui  par  leitr 
4-harité  participent  à  leur  ministère. 

«  Agréez ,  Messieurs ,  l'assurance  de  l'estime^  de  b 
vénération  et  de  la  gratitude  des  Pères  du  sixième  Cob 
cilo  provincial  de  Baltimore. 

Vos  dévoués  serviteurs , 
Si^né  :  f  Samuel,  Archevêque  de  Baltimore; 
t  Michel,  Evêque  de  Mobile,  Promo- 
teur du  Concile  ; 
F.  Lhoxvb  ,  secrétaire  du  Concile* 


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str 


MISSIONS  DE  L'OCÉANIE  CENTRALE. 


MISSION  DE  Ik  NOUVELL&CALÉDONIE. 


NoafeUe4::êlédoDie  ,  le  U^  «ctobre  1846. 


Leiire  du  R.  P.  Rùugeyron  ,  Missionnaire  apostolique  , 
au  T.  R.  P.  Colin  ^  Supérieur-général  de  la  Société  de 
Marie. 


m  Mon  Tute-RiTéasiiCD  Pà&£  » 


€  Nous  Toilà  donc  »  depuis  plus  de  yiogt  mois  »  sur 
celte  terre  de  la  Mouveile-Calédouie  ,  que  nos  géogru 
phes  ont  représentée  sous  de  si  noires  couleurs»  mais 
qui  a  aussi  ses  charmes  ,  lorsqu'on  la  coosidère  a\ec 
des  yeux  de  Missionnaire.  Quoique  90US  soyons  restés 
sans  presque  aucune  ressource  et  sans  défense ,  dans  un 
pays  dénué  de  tout  ,  chez  un  peuple  féroce  et  antro- 
popbage,  rien  de  ficheuxne  nous  est  arrivé ,  grice  i  la 
divine  ProYidence ,  qui  Teille  d'une  manière  si  particu- 
lière sur  les  enroyés  de  Jésus  auprès  des  nations  sau- 
vages. Votre  cœiur,  très-révérend  Père,  si  plein  desoUi- 
dtud«  et  de  tendresse  pour  tos  enbnts ,  a  plus  souffert 


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sst 

que  nous-mêmes  de  risolement  où  nous  sommes  de- 
meurés jusqu'à  ce  jour.  Vtuniez  donc  maintenaDt  par- 
tager notre  joie  >  et  nous  aider  à  remercier  Marie  de  a 
protection. 

c  Vous  désireriez  beaucoup  de  détails  sur  ceitegranje 
ITf  que  nous  habitons.  Bien  que  je  vive  au  milieu  de 
son  peuple  depuis  assez  longtemps ,  je  ne  suis  pas 
encore  assez  instruit  de  ses  usages  et  de  ses  mœurs  ; 
pour  les  décrire.  J^admire  beaucoup  nos  sayants  voya- 
geurs ,  qui ,  pour  avoir  rencontré  quelques  sauvages  sur 
on  rivage  isolé ,  échange  avec  eux  quelques  paroles , 
ou  ,  si  vous  le  voulez  ,  assisté  à  une  ou  deux  de  leun 
fêtes  ,  de  retour  dans  la  patrie  ,  publient  les  reiatioDs 
les  plus  intéressantes  sur  les  coutumes,  la  religion  ei 
la  langue  des  peuplades  quMIs  ont  visitées  dans  leurs 
courses  lointaines.  Je  ne  puis  les  imiter ,  car  il  mesem- 
ble  qu'il  faut  plus  d'investigations  pour  découvrir  la 
vérité  sur  toutes  ces  choses. 

«  Le  dialecte  Calédonien  m'a  semblé  fort  difficile , 
faut  à  cause  de  son  génie  tout  différent  de  nos  langues 
d'Europe  ,  qu'à  cause  de  sa  prononciation.  Seuls  Euro- 
péens dans  cette  ile ,  sans  interprète,  sans  grammaire^ 
sans  vocabulaire  ,  car  je  ne  puis  donner  ce  nom  à  la 
série  de  mots  qui  ont  été  publiés  ,  puisqu'elle  n'a  rien 
dTexact ,  nous  avous  eu  d'énormes  difficultés  ù  vair 
rre.  Depuis  trois  mois  seulement  ,  nous  commeoçofls 
h  balbutier  en  calédonien  et  à  faire  quelques  petites 
instructions. 

«  Du  reste  ,  nous  avons  été  obligés  de  négliger  sos- 
Tfnt  l'étude  pour  viser  au  plus  pressé ,  qui  était  de  f» 
pas  mourir  de  faim.  Nos  provisions  pour  cinqpersos- 
nés  étavent.pea  considérables  :  un  bsril  de  salaison  H 


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399 

trois  barUs  de  lirine.  Nous  ne  pùaykm»  pas  irop  comp- 
ter sur  des  écbsAges  avec  les  naturels  ,  car  nous  avions 
peud^dTets  à  leur  céder,  ei  nos  Calédoniens  avaient  en- 
core moins  à  nous  vendre.  Ce  n'est  pas  que  oeptiys  s#it 
aride  et  impropre  à  la  culture,  comme  Tout  avancé  cer- 
tains voyageurs  ;  outre  ses  sites  d'une  granfde  beauté  , 
il  ne  manque  pas  de  plaines  très4ertiles,qui  pourraient 
nourrir  une  multitude  d'habitants.  Mais  mille  causes  , 
et  surtout  la  paresse,  réduisent  les  indigènes  de  la  Nou- 
velle-Calédonie à  la  plus  extrême  misère.  Ils  cultivent , 
et  même  fort  bien,  avec  le  secours  d'un  morceau  de  bois 
poitu  ou  avec  leurs  ongles ,  mais  ils  cultivent  peu  et 
jamais  en  raison  de  leurs  besoins.  L'arbre  à.pain  se 
trouve  dans  quelques  parties  de  Tile  ,  sans  qu'ils  sa- 
chent en  tirer  parti.  Vraiment  ils  sont  arriérés  de  trois 
siècles  et  plus  sur  les  peuples  des  îles  Tonga  et  Oûvea, 
bien  qu'ils  ne  soient  pas  sans  intelligence.  Ils  ont  aussi 
des  cocotiers  ,  mais  souvent  ils  les  détruisent  dans  leurs 
funestes  guerres.  C'est  bienun  peuple  enfant  et  sans  pré- 
voyance. Ont-ils  fait  une  récolte  abondante?  on  dirait 
qu'elle  hnv  pèse.  Ils  appellent  des  voisins  de  dix  à 
douze  lieues  à  la  ronde,  pour  s'en  débarrasser  plus  viie^ 
et  leur  festin  dure  autant  que  leurs  provisions  ;  de  sorte 
que  pendant  les  trois  quarts  de  l'année  ils  n'ont  rien  à 
manger.  Leur  nourriture  consiste  alors  en  quelques 
poissons,  coquillages^  racines  et  écorces  d'arbres  ; 
quelquefois  ils  maogent  de  la  terre  ,  dévorent  la  ver- 
mine dont  ils  sont  couverts ,  avalent  avec  gloutonnerie 
les  vers  ,  les  araignées ,  les  Jézards  ,  etc..  Je  ne  sais 
comment  ces  malheureux  peuvent  vivre  pendant  les 
neuf  à  dix  mois  de  disette ,  et  comment  eux  ,  qui  se  re- 
paissent de  la  chair  de  leurs  ennemis  vaincus  ,  ne  se 
font  pas  la  rhasse  ,  ne  s'entr'égorgent  pas  pour  assouvir 
la  faim  qui  les  dévore. 


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400 

«  Nous  ne  pcamn»  donc  tuesdre  qm  pea  de  te- 
cottTS  des  tiaturels  ;  et  d^ailleurs ,  ne  Toninnt  pei 
tenter  la  Providence  ^  nous  nous  sommes  mis  à  gagner 
Q^tre  pain  à  la  sueur  de  notre  front.  Il  nous  follait  un 
four  ,  pour  tirer  parti  de  noure  Earine  ;  nous  f&mes  ré- 
duits k  aller  chercher  la  terre  glaise  à  «ne  lieae  de 
notre  habitation»  puis  à4iaçonner  des  briques,  à  les  faire 
Hécher  et  cuire.  Ensuite  il  fallut  creuser  un  puits  ;  b 
pierre  ,  la  chaux  ,  pour  le  bâtir ,  étaient  encore  à  use 
lieue  ;  de  b  la  nécessité  de  nous  construire  une  em- 
barcation pour  le  transport  de  ces  matériaux. 

€  D*un  autre  c6té  nous  avions  h  bire  à  un  peuple , 
4iui  en  apprendrait  souvent  à  plusieurs  de  nos  filons 
d^Europe  ;  il  devenait  de  plus  en  plus  importun  et  hos- 
tile ;  c'étaient  tous  les  jours  de  nouveaux  vols,  exécutés 
:jvec  une  adresse  vraiment  surprenante.  Pour  y  mettre 
un  terme,  nous  fûmes  obligés  d'entourer  notre  habits- 
lion  et  notre  jardin  d'une  forte  haie  palissadée.  Dèi» 
lors  nous  sommes  restés  plus  tranquilles.  Mais  voici  on 
nouvel  embarras  ;  notre  première  maison  tombait  en 
ruines  ,  les  bois  en  étaient  vermoulus  ,  nous  ravoot» 
reconstruite  en  pierres.  Enfin  il  nous  a  falln  ,  dès  le 
r^mmencement ,  défricher  un  terrain  asf  ez  vaste  ,  bè- 
4her  notre  jardin  ,  semer  force  graines.  Humainement 
parlant  ,  tout  cela  était  un  peu  pénible  pour  noos  ; 
mais  quelle  force  ne  puisions-nous  pas  dans  ce  souvenir, 
qu'avant  de  commencer  son  ministère  apostolique  , 
N.  S.  J.  C.  avait  daigné  se  faire  ouvrier  dans  Thum- 
Me  boutique  de  saint  Joseph  !  D'ailleurs  nous  étions  en- 
couragés par  l'exemple  de  Mgr  TEvéque  d'Amata  ;  tou- 
jours le  premier  au  travail  ,  il  s'était  fait  le  manoanrre 
du  bon  frère  Jean.*  Que  de  fois  je  l'ai  vu  plier  sous  le 
poids  de  l'oiseau  !    sa  gaité  éuiit  toujours  la  même  ,  et 


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4*1 

Ha  foi  admirable.  Le  frère  Mtiie  efti  reaié  nabde  pen- 
dant sept  mois ,  des  suites  d'une  ckale  ;  k  mon  t(»r 
je  Taî  remplacé. 

•  Je  ne  peosais  peut-être  pas  en  quittant  la  France  , 
que  j'allais  à  la  Nouvelle-Calédonie  planter  des  choux  et 
enfiler  des  perles  :  çh  bien  I  j*ai  Tait  Tun  etFautre  (1). 
y  aurait-il  donc  quelque  ministère  vil  et  méprisable  dam» 
la  maison  de  Dieu ,  lorsqu'on  TeKerce  en  vue  du  salut 
des  âmes?  Le  bon  P.  Viard  luttait  de^dévouement  avec 
Mgr  Douarre  ;  mais  comme  son  expérience  et  sa  con- 
naissance de  ridioçie  parlé  par  quelques  étrangers  ré 
skiant  ici,  le  mettaient  à  mém^  de  s'occuper  d'une  ma- 
nière plus  directe  de  l'œuvre  de,  la  Mission  ,  il  iaisaii 
plus  souvent  des  courses  parmi  les  tribus,  et  ces  visites 
n'ont  pas  été  sans  heureux  résultats  ;  il  se  livrait  aussi 
avec  ardeur  à  l'étude  de  la  langue  calédonienne  ,  et  il 
nous  était  en  cela  d'un  grand  secours. 


o* 


«  Ainsi  ,  mon  révérend  Père ,  depuis  vingt  mois 
nous  travaillons  sans  relâche  ,  et  encore  nous  n'a\ons 
pas  réussi  à  nous  créer  des  ressource^  suffisantes.  Au 
moment  de  nos  plus  grands  besoins ,  notre  jardin  a 
<*essé  de  produire  ,  par  suite  de  la  sécheresse.  Que  Dieu 
soit  béni  I  cette  épreuve  n'a  fait  qu'accroître  notre  con- 
fiance en  sa  providence  t  Nous  achetâmes  alors  un  champ 
(i'ignames  ;  nous  nous  étions  bien  fatigués  à  les  arra- 
f^her ,  et  au  moment  où  nous  allions  les  emporter  a 
ttolre  demeure  ,  le  chef  qui  nous  les  avait  vendues,  en- 
voya une  troupe  de  bandits  qui  nous  les  enlevèrent  sou« 
ttos  yeux.  En  un  instant  elles  avaient  toutes  disparu. 

(1)  «  Nous  trouTanl  dans  la  dernière  iiëcefsifé»  nous  atiMM  défait  deti  i 
Ptile*  f n  perles  »  et  avec  eetlê  etpèee  de  noMaie  nous  aroM  pu  Qou» 
(racQier  des  vifret  peBdanitixBMÎt. 


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40 
V\m  Md,  MHS  »fMi  MOMiAMe  pkoié  des  ignames  ; 
mm  notre  récdie  a  mMiaé  fente  de  pluie. 

«  Que  faire  alors  pour  ne  pas  mourir  de  faim  ? 
Acheter  ;  nous  Pavons  fait,  tant  que  nous  avons  eu  des 
objets  dVchange  ,  et  que  les  naturels  ont  eu  de  quoi 
nous  vendre.  II  nous  a  follu  ensuite  aller  de  porte  en 
porte  pourdemander  quelques  racines,  et  encore  n*eu 
avons-nous  pas  trouvé  dans  notre  voisinage.  Plusieurs 
jours  de  suite  ,  nous  n'avons  rien  pris  avant  trois  heures 
du  soir,  nous  n'avions  quedes  racines  d'herbes,  et  encore 
l>as  à  satiété.  Plus  d'une  fois  nous  avons  envié  la  oour- 
riturc  que  les  hommes  les  plus  nécessiteux  d'Europe 
dédaignent  souvent. 

m  Mais  le  Dieu  qui  nous  a  conduits  jusqu'aux  porter 
de  la  mort ,  nous  en  a  toujours  retirés  d'une  manière 
touchante.  Permettez-nous  de  vous  citer  quelques  traits. 
La  veille  de  la  Toussaint ,  nous  avions  épuisé  nos  der- 
nières provisions.  Le  F.  Biaise  s'inquiétait  fort  pour  \^ 
jour  suivant  :  «  Que  mangerez-vous  demain ,  nous  di- 
«  sait-il  ,  vous  jeûnerez  ?  —  Eh  oui  !  lui  répondhnes- 
«  nous  ,  nous  avons  grand  besoin  de  faire  pénitence  , 
«  l'occasion  ne  saurait  être  plus  favorable.  »  Le  len- 
demain ,  comme  je  craignais  que  le  jeûne  ne  se  proloo- 
^eât  trop  ,  j'allai  au  jardin  arracher  quelques  troncs 
de  choux  ;  c'était  tout  ce  qui  nous  restait.  Déjà  le  firère 
se  mettait  en  mesure  de  les  faire  cuire ,  lorsque  la  Pro- 
vidence nous  envoya  quatre  ou  cinq  personnes  chargées 
de  vivres. 

«  Un  autre  joiur,  c'était  celui  de  la  fête  de  saint  Frao- 
çois  Xavier  j  nous  étions  réduits  à  la  même  exurémité  , 
et  nous  n'avions  deiiant  nous  qu'un  avenir  affreux  ;  noas 
venions  d'être  délaissés  par  la  tribo  qui  jusque-là  noas 

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403 
avati  /mmi  des  aUmenu  ;  pertOMie  ne  veilak  plus  rten 
nous  vendre.  IL  foUak  donc  noas  résigner  à  nuHirtr. 
Mats  non  ,  le  Missionnaire  ne  peut  pas  flionrir  de  faim  ; 
il  meurt  épuisé  de  fatigues  en  courant  après  les  âanes éga- 
rées ,'  ou  sur  Téchafaud  en  confessant  la  divinité  de  J.  C 
Celui  qui  nourrit  lesoiseaux  du  <iiel,  ne  laissera  pas  périr 
le  serviteur  qui  s'est  exposé  à  tant  de  privations  pour  sa 
gloire.  Aussi  notre  épreuve  ne  fut-elle  pas  de  longue 
durée.  Ce  jour-là  oiéme  ,  des  sauvages  in^irés  ,  je  n'en 
doute  pas  ,  par  TApôtre  des  Indes  et  par  nos  bons  an- 
ges ,  vinrent  de  trois  lieues  nous  vendre  d'abondantes 
provisions.  Ce  qui  vous  fera  reconnaître  en  cela  le  doigt 
de  Dieu ,  c'est  que  ces  indigènes  étaient  d'une  tribu  en- 
nennie  de  la  nôtre ,  qu'ils  se  présentaient  k  nous  pour  la 
première  fois ,  et  précisément  au  moment  de  notre  plus 
grande  nécessité.  A  la  vue  de  cette  nourriture  providen- 
tielle ,  j'échangeai  un  regard  avec  Mgr  d'Amata  ,  et  nos 
larmes  coulèrent  en  abondance.  Qu'elles  étaient  douces 
ces  larmes  !  c'était  la  reconnaissance  qui  les  faisait  ver- 
ser. Oui  9  dans  les  Missions  cbei  lés  sauvages,  mille 
cbosesviennent  ranimer  la  foi  et  l'amour  du  prêtre.  Dieu 
est  partout ,  je  le  sais  ;  mais  il  fait  sentir  d'une  manière 
plus  frappante  sa  puissance  et  sa  bonté  sur  ces  plages 
lointaines  ,  où  nous  sommes  exilés  pour  sa  gloire. 

«  11  faut  bien  qu'il  en  soit  ainsi  ;  sans  cda  que  de- 
vieudrions-nous ,  pauvres  prêtres ,  perdus  au  sein  des 
mers ,  dans  ces  Iles  sauvages  et  k  la  discrétion  de  peu- 
ples féroces  ?Blais  notre  grande  consolation  et  notre  force 
sont  dans  la  prière.  D'ordinaire  on  prie  mal  ,  parce 
qu^on  manque  de  confiance  ;  et  il  est  assez  difficile  ,  je 
TaYOue ,  de  ne  compter  nullement  sur  sa  propre  indus- 
trie et  sur  la  puissance  de  ceux  qui  nous  protègent , 
mais  de  tout  attendre  de  Dieu  seul,  lorsque  Ton  se  voit 


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404 
eatoaré  de  seocNin  hamauu.  Pour  nous,  dtitsnolreit»- 
lemait  et  sotre  détresse ,  qa'il  lums  était  ab é  de  noos 
écrier  avec  cette  foi  qui  pénètre  les  deux  :  Daminus 
firmawienium  meum  ,  #1  refugium  meum  ,  H  Uberëiêr 
meus.  Ps.  17  (1).  Ce  n'est  i\vfk  la  Nouvelle-Calédonie 
que  j'ai  sa  dire  :  panem  nattrum  qwUidùmumda  noUs 
hodie  (2)  ;  c'est  que  jamais  je  n'avais  senti  aussi  bien 
qu'ici  et  la  puissance  de  Dieu  et  ma  foiblesse. 

«  Le  13  aoAt  dernier,  nous  eAmes  un  instant  de  con- 
solation ;  un  bâtiment  pamten  rade  ,  nons  crûmes  nos 
misères  6nies.  Hélas  !  cen'était  pas  le  navire  si  désiré  ;. 
celui-ci  portait  le  pavillon  américain  ,  et  comme  il  était 
en  mer  depuis  fort  longtemps  ,  il  ne  nous  laissa  que 
pende  ressources.  Notre  dénuement  devint  bientôt  plus 
grand  que  jamais  ;  nous  étions  même  aux  abois,  lorsque 
le  P.  Viard  se  rappela  qu'un  chef  de  tribu  qui  habitait 
à  quinze  lieues,  lui  avait  donné,  quatre  mois  auparavant, 
un  champ  d'igntimes  pour  gagner  nos  bonnes  grâces* 

«  Nous  n'osions  pas  espérer  que  ce  chef  fût  resté  si 
longtemps  fidèle  à  sa  parole  ,  qu'il  eût  conservé  pour 
nous  des  ignames  sur  lesquelles  nous  n'avions  jamais 
compté ,  lorsque  nous  avions  vu  d'autres  naturels  venir 
nous  dérober  les  fruits  qu'ils  nous  avaient  vendus.  Mais 
la  faim  nous  pressait ,  et  Mgr  d'Amata  nous  conseillai! 
de  partir.  Vraiment ,  qui  n'admirerait  les  soins  de  la 
Provideqee  I  Le  chef  en  question  nous  fit  un  accueil  ami 
cal ,  et  nous  montra  le  champ  d'ignames ,  qui  était 
resté  intact ,  tandis  que  depuis  longtemps  la  tribu  avait 
épuisé  ses  ressources.  U  fit  arracher  ces  fruits ,  et  les  fit 
transporter  dans  notre  barque.  U  poussa  la  générosité 

(1)  LaSciinMvr^moiiappiii,  moa  rtAïf»  et  bmb  liWittMr. 
(Xi  Poauet  nom  awjoiirdTmi  aoire  ptia  4e  cheye/wf. 


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406 
pins  lain,  il  noasdoBua  encore  des  cooos;  Buiscoaune 
088  derniers  étaient  tapeuif  il  s'adressa  à  son  fils,  petit 
enfiint  de  sept  à  hait  mois  ,  le  priant  de  lerer  cet  inier^ 
dit.  Un  signe  que  Ton  fit  faire  k  Tenfant ,  fîit  la  manpie  ' 
de  sa  volonté ,  et  nous  partîmes ,  après  avoir  fait  des 
présents  à  ce  chef ,  emportant  avec  nons  d'abondantes 
provisions. 

n  Nous  n'étions  de  retour  de  cette  excursion  que  de- 
puis trois  jours ,  lorsque  parut  en  rade  la  corvette  fran- 
çaise le  AAm,  c'était  le  28  septembre  1845.  Je  n'es- 
saierai pas ,  mon  révérend  Père  ,  de  vous  dire  notre 
joie  »  lorsque  nous  vîmes  arborer  le  drapeau  national  f 
Nous  allions  trouver  des  amis,  des  frères,  des  sauveurs! 
ce  moment  vaut  bien  des  épreuves.  Je  ne  saurais  assez 
louer  le  digne  commandant  du  AAm,  M.  Bérard  ,  ainsi 
que  son  état  major;  ils  ont  subvenu  à  tous  nos  besoins 
avec  une  générosité  vraiment  prodigieuse. 

«  Je  ne  crains  pas  de  le  dire  ,  M.  Bérard  a  eu  pour 
nous  les  soins  et  la  tendresse  d'une  mère  ;  il  s'est  mon« 
tré  d'un  rare  dévouement  pour  le  bien  de  la  Mission. 
Voilà  notre  sort  vraiment  changé  ,  et  le  jRAtn,  en  nons 
quittant,  nous  laisse  en  abondance  des  vivres  pour  un 
an  !  Béni  soit  le  navire  de  la  patrie  !  et  que  le  ciel  dai- 
gne rendre  au  centuple  k  son  commandant  ^  à  ses  offi- 
ciers et  à  tout  son  équipage  ,  les  biens  dont  ils  nous  ont 
(:omblés!  Ils  peuvent^  compter  que  leur  souvenir  ne  s'ef- 
facera pas  de  nos  cœurs  ! 

«  Quoiqu'il  en  soit  de  nos  privations  jusqu'à  ce  jour, 
ne  pensez  pas,  mon  révérend  Père^  que  la  mélancolie  se^ 
soit  emparée  de  nous  ;  il  ne  nous  est  jamais  venu  à  Tidée 
d*avoir  du  regret  de  notre  sacrifice.  La  paix  de  l'âme,  la 
gaîié ,  l'union  ont  toujours  régné  parmi  nous.  Pouvions- 
nous  ,  du  reste  ,  ignorer  qu'avant  de  monter  sur  le  Tlia- 


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bar ,  le  cbré(kA  éok  tuitre  Jésus  air  le  Cal  Yair«  P  Mms 
savions  an»si  que  b  croix  tst  un  présage  d'beuresx 
saocès  ,  qse  PépreaTe  eslle  cachet  des  cetivres  de  Ueu, 
et  qn'aa  édifice  spiritual ,  quel  q«*il  soit,  doit  être  Ud 
sar  le  fondement  solide  des  soafiraooes  !  Que  nos  mi- 
sères  se  renouvellent ,  que  d'autres  pins  pénibles  sur- 
viennent  encore  ,  qu'importe  ,  si  à  ce  prix  nousdevon^ 
conquérir  les  âmes  qui  nous  sont  confiées  ?... 

«  Puisqu'il  me  reste  encore  un  peu  de  temps  avant  que 
ie  Rhin  ne  mette  à  la  voile  ,  j'en  profite  pour  vous  don 
ner  quelques  renseignements  sur  nos  Calédoniens.  Ce^ 
petits  détails  ,  que  jecompletterai  plus  tard,  vouslour- 
niront  roccasionde  leconnaltre  de  plus  en  (  lusquenooK 
avons  une  Mère  ,  qni ,  du  haut  du  ciel  ,  veille  sur  non» 
avec  la  plus  tendre  sollicitude. 

«  Les  peu(»les  de  la  Nouvelle-Calédonie,  comme  tou!> 
les  Océaniens  que  nous  connaissons  jusqu'à  ce  jour ,  ^ 
distinguent  pur  une  grande  hospitalité ,  qui  fait  que  toui 
est  eu  commun.  Cette  pratique  par^ilt  fort  bonne  ,  mis 
en  réalité  elle  a  d'assez  tristes  conséquences ,  car  elle 
entretient  ces  peuples  dans  letir  incroyable  paresse ,  e» 
les  portant  à  compter  sur  les  ressources  des  autres.  H^ 
ne  refuseront  jantiuis  ce  que  vous  leur  demanderez  ,  <  «* 
lierait  un  crime  ;  ils  accompagneront  même  leur  don  de 
paroles  flatteuses  «  mais  au  lond  de  Tâme  ils  se  dessai 
sissent  à  regret ,  et  parce  qu'ils  ne  peuvent  faire  au- 
trement (1). 

(t)  «  Une  ieale  remirque  Toat  prooTcra  combien  cet  sentiments  mèn- 
qaeat  d«  sÎDC^ritë.  A  !■  mort  «i'unCalëdonieo,  ses  parents  et  setaraif^* 
rénntitent  ponr  te  lamenter  près  du  liea  oà  le  eaëtTre  deil  être  plesf^> 
L'on  déii^e  de»  plfonort  d'eflke  ;  d'ontianira  ee  iftAàm  fiuooN* 
Mm» il  n'y  •  ^oe  feinte  «t  hffonm  daa»  ces  Urmet  Aprèi  letg^**- 
•ements  et  les  sanglote  ,  Tons  entendes  les  mémos  personnes  éclater  pb 
rires  et  en  cris  de  joie.  Non  ,  il  n*y  a  ni  tendressee  ,  ni  afiectioo  (Us» 
ees  eonrs  ,  ^î  n'ont  pas  encore  re^  le  don  d»  la  charité. 


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4»7 
«  En  revanche ,  ils  spsitfon  pillards.  coHune  je  vous 
lai  déjà  dit  ;  ce  qui  ii*est  pas  siurprenaot»  vu  leur  coin 
plète  indigeoce.  Aussi  le  moindre  ob^el  les  tente-t  il. 
Si  nous  n'avions  p«8  usé  ,  surtout  dans  le  commence- 
m^t ,  d'une  surveillance  continuelle ,  ils  nous  auraient 
bientôt  réduits  au  même  dénuement  qu'eux.  Cependant 
nous  n'avons  pas  eu  des  pertes  bien  considérables  ;  et 
je  dois  dire  à  l'honneur  de  nos  Calédoniens,  que  sur  ce 
point  ils  ont  déjà  fait  bien  des  progrès.  Lorsqu'il  fut 
question  d'aller  occuper  notre  nouvelle  maisootdisunte 
d'une  demi  lieue  de  l'ancienne ,  nous  les  chargeâmes 
du  transport  de  nos  tffets  »  et  il  ne  nous  a  rien  man- 
qué ,  sinon  peut-être  une  chemise.  Ils  commencent 
à  devenir  hommes  ,  espérons  (fàe  bient^  ils  seront  de 
bons  chrétiens. 

«  Le  principe  de  la  toi  soUque  est  en  vigueur  à  la 
ffouvelIe-Calédonie  ;  les  seuls  allés  mâles  saiti  reconnus 
cheb  après  la  mortdelevr  père.  Ehi  reste,  ces  rois  sent 
à  peu  près  sans  influence,  et  ime  des  amsee  Mi«q«eMes  il 
faut  l'attribuer  ,  est ,  je  pense  ,  leur  trop  grand  nom- 
bre; il  a' est  pas  de  si  petit  liameau  qui  u'ait  le  sien. 
J'admire  ,  au  contraire ,  combien  nous  sommes  par\'e- 
nus  à  nous  faire  respecter  même  des  chefs,  au  point  que 
l'un  de  nous  serait  capable  de  mettre  en  fuite  des  milliers 
de  sauvages.  Comme  leur  Ile  n'avait  presque  pas  été 
visitée  par  les  Européens,  ils  ont  encore  Uoe  grande  id<'e 
des  Blancs.  Ils  nous  aTttribuent  la  puissance  sur  le  vent 
et  la  pluie.  Le  ciel  ,  selon  eux  ,  est  la  terre  que  nous 
habitons ,  et  ils  l'ont  conclu  parce  qu'ils  voyaient  nos  ' 
navires  à  Tborison  toucher  le  ciel. 

«  Les  femmes  surtout  ont  besoin  que  la  Religion 
vienne  les  arradber  à  leur  esclavage  et  à  ieor  aviUssè- 
ment*  Comme  chei  toutes  les  nations  que  l'Evangile  n'a 


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40S 

pas  civilisées  »  elles  rampent  iei  aux  pieds  de  rhomme 
f(iiiles  tyrannise.  A  elles  estdéyolue  la  charge  de  portei 
les  Kirdeanx,  d'aller  chercher  la  nourriture,  d'avoir  soin 
(les  champs^  une  fois  qu'ils  sont  défrichés.  EUe^  omis 
plus  grande  part  aux  travaux  ,  et  la  plus  petiie  aax 
douceurs  du  ménage.  Y  a  t-il  un  bon  fruit  i  manger? 
aussitôt  le  mari  le  fait  Tapau  ,  et  s'il  est  permis 
à  l'épouse  d'être  témoin  du  dîner  de  son  mari ,  c'csi 
^  condition  qu'elle  n'y  touchera  pas ,  autrement  elle 
serait  punie  de  mort.  Si  elle  tombe  malade ,  elle  esta 
l'instant  expulsée  dé  la  famille ,  elle  couche  à  la  belle 
f>iot!e  ou  sous  cpielques  branches  plus  ou  moins  bien 
eotrelacées  ;  il  faut  qu'elle  reste  là  exposée  aux  iujtire» 
de  l'air  et  de  la  pluie.  Sur  le  moindre  soupçon,  pour  uns 
simple  désobéissance  à  son  mari,celui-ci  entre  en  fureur, 
et  la  traite  avec  une  barbarie  incroyable  ;  quelquefois 
il  lui  brise  le  crâne  avec  une  pierre ,  et  bientôt  arriveat 
de  prétendus  chirurgiens ,  qui  lui  déchirent  les  chairs 
avec  des  coquillages.  C'est  un  spectacle  à  faire  frémir. 

«  Je  croîs  cependant  les  Calédoniens  naturellement 
moins  cruels  qu'une  telle  conduite  ne  le  ferait  penser. 
Quoiqu'ils  soient  antropophages  ,  ils  ne  tuent  jamais  un 
homme  précisément  pour  s'en  nourrir  ;  ils  dévorent  seu- 
lement leurs  captifs.  Cest  une  victoire  et  un  trophée 
pour  eux  d'avoir  mangé  un  ennemi  ,  car  sa  mémoire 
est  à  jamais  flétrie.  Depuis  notre,  séjour  dans  celte  ile  . 
une  vingtaine  d'individu5  ont  été  tués  et  mangés  dans 
notre  voisinage.  J'ai  vu  ae  mes  propres  yeux  un  roor- 
«:eau  de  chair  humaine  rôtie  ;  c'était  un  morceau  de  h 
main,  et  l'on  avait  eu  soin  de  l'envelopper  d'une  feuille, 
pour  en  mieux  conserver  le  jus  et  l'odeur.  11  n'est  pas 
rare  de  fouler  aux  pieds  les  ossements  de  malheure^ix 
ainsi  ég«>rgps.  Nos  sauvages  se  font  des  guerres  cruellef». 


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409 

et. lorsqu'ils  savent  qu'un  de  leurs  ennemis  se  rend 
dans  quelque  lieu,  ils  vont  se  cacher  près  de  la  route., 
et  se  précipitent  sur  leur  victime  avec  la  fureur  du 
tigre  altéré  de  sang. 

«  Que  de  fois  nous  avons  été  menacés  et  de  la  mort 
et  du  feu  !  Ils  venaient  sur  nous  avec  des  lances  ,  des 
casse-tétes  et  des  frondes  ;  nous  les  entendions  vociférer 
qu'ils  allaient  nous  br&ler  dans  notre  maison.  Rien  de 
tout  cela  n'est  arrivé.  Nous  ignorons  s'ils  ont  vonlu  in- 
cendier notre  demeure  ;  mais  toujours  est-il  certain  que 
plusieurs  fois  nous  avons  trouvé  ,  à  Tentour,  des  char- 
bons ardents;  Pourquoi  avon&-nous  été  épargnés  par  ces 
barbares  ?  qui  a  pu  arrêter  leurs  bras  si  souvent  levés 
sur  nous?  Leurs  armes  sont  meurtrières,  nous  n'en  avons 
vu  que  trop  de  preuves  sous  les  yeux...  et  au  milieu  de 
ce  peuple,  nous  dormons  en  paix  ,  nous  vivons  joyeux. 
C'est  que  nous  savons  que  Dieu  est  pour  nous  ,  et  que  la 
mort  nous  serait  un  gain. 

«  Je  termine  cette  lettre  ,  déjà  bien  longue ,  par  le 
récit  de  trois  faits  ,  oili  la  Providence  nous  a  protégés 
d'une  manière  spéciale.  Dans  le  courant  de. novembre 
1 844 ,  un  de  nos  voisins,  d'accord  avec  le  chef  de  notre 
tribu  ,  nous  apporta  un  gros  poisson.  Gomme  notre  dé- 
jeuner n'avait  pas  été  copieux  ce  jour-là  ,  nous  étions 
contents  de  trouver  le  moyen  d'apaiser  une  fois  la 
faim  qui  noustourmentait.Mais  ce  festin  nous  coûta  cher, 
nous  étions  empoisonnés,  et  si  bien  empoisonnés,  qu'un 
chat  qui  avait ,  comme  nous  ,  mangé  de  ce  poisson  , 
périt  le  neuvième  jour.  Que  faire  en  cette  triste  con- 
joncture ?  Point  de  médecin  ,  point  de  contrepoison  , 
point  de  remèdes.  Notre  unique  ressource  était  de  nous 
jeter  entre  les  bras  du  grand  médecin ,  du  médein  cé- 
leste. Nous  le  fîmes  avec  confiance  ,  car  on  prie  bien 
To».  viin  108.  Î7 

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4i0 
tlors.  Couchés  «ur  nos  grabtu ,  chacun  dans  Dotre  peut 
coin ,  nous  eodurîoiis  les  douleurs  les  plus  sigûes ,  ei 
BOiis  n'ayions  pas  à  nos  c6tés  une  ftme  charitable  poor 
nous  donner  quelques  légers  soulagements.  Notre  unique 
remède  a  été  du  café  «  dont  Texcellente  dame  Bruat 
avait  fait  cadeau  à  Mgr  d'Amata.  Nous  ne  doutâmes  pat 
un  instant  que  nous  échapperions  tous  i  cette  maladie  , 
et  notre  espérance  n'a  pas  été  vaine*  Après  trois  semii- 
Des  de  souffrances  plus  ou  moins  vives ,  nous  pûmes  re- 
prendre nos  occupations  ordinaires,  et  aujourd'hui  noos 
ne  nous  apercevons  nullement  que  nous  ayons  été  em- 
poisonnés. 

€  Dans  le  mois  de  juillet  précédent ,  une  affaire  m'ayant 
appelé  dans  une  tribu  voisine ,  je  faillis  être  victime 
delà  barbarie  d'un  naturel.  Armé  d'un  énorme  bambou, 
il  s'était  posté  derrière  un  arbre  pour  m'assaillir  aupas- 
sa^e  ;  il  m'avait  déjà  frappé  deux  fois  à  la  tête,  sans  me 
fiiire  de  blessure  ;  mais  espérant  être  plus  heureux  au 
troisième  coup ,  il  me  visait  à  la  figure.  J'avais  beau  me 
cacher  derrière  le  fils  d'un  chef,rien  n'arrêtait  le  furieux. 
Ne  sachant  plus  alors  comment  me  tirer  de  ce  mauvais 
pas ,  je  me  recommandai  à  Marie ,  et,  prenant  mon  élao» 
j'échappai  par  la  fuite  à  mon  bourreau  qui  ne  put 
m'atteindre. 

«  Un  autre  jour,  j'avais  accompa^é  Mgr  d'Aman 
dans  la  même  tribu.  A  mon  retour»  comme  il  se  trouvait 
«M  rivière  à  passer  ,  nous  priâmes  des  naturels  de  nous 
proidre  fur  leurs  épaijdes  ;  ils  parurent  se  prêter  à 
Mire  demande  avec  iu  grand  plaisir,  et  tandis  qa'ua 
hnmmn  nous  portait  sur  ses  épaules^  d'autres  nouste- 
Mûentpar  les  jambes  et  par  les  bras.  Tant  d'empreme- 
sent  nous  devint  suspect,  et,  de  falt,nous  ationsàiaife 
i  des  pillards ,  qui  fouillaient  nos  poches  pour  nous 


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411 

dévaliser.  Btam  parvenus  ,  bies  cpi'atec  peine  ,  à  nous 
dégager  de  leurs  maias ,  Boosfeigotmes  de  bous  meure 
à  la  .poursuite  des  voleurs  ,  maïs  bientôt  nous  vîmes  les 
lances  levées  sur  nos  têtes  ;  nous  leur  laissâmes  donc  nos 
bourses  p<»ir  garder  nos  vies.  Un  instant  après  »  une 
pierre  lancée  avec  force  vint  frapper  l'aile  du  chapeau 
de  Monseigneur.  Heureusement  qu'à  cet  instant ,  je  m'é- 
tais courbé  pour  boire  de  Teau  du  ruisseau  ;  comme  je 
me  trouvais  dans  la  direction  de  la  pierre ,  j'en  aurais 
été  infailliblement  atteint. 

«  Maintenant  un  grand  pas  est  fait  pour  le  succès  de 
cette  Mission  :  c'était  d'apprendre  la  langue  de  cette  lie, 
langue  inconnue  jusqu'à  ces  jours  ;  c'était  de  nous  éta- 
blir au  milieu  de  ce  peuple  cannibale  ,  brute  à  l'excès  , 
qui  semble  avoir  oublié  tous  les  premiers  principes  de  la 
loi  naturelle  ,  de  ce  peuple  sans  culte  ,  sans  temple , 
sans  prêtre  /presque  sans  Dieu  ,  car  ses  diviniiés ,  au- 
tant que  nous  avons  pu  le  comprendre  ,  ne  sont  que  les 
esprits  de  leurs  principaux  chefe  ,  qui  habitent  je  ne  sais 
oilk.  Cependant  les  Calédoniens  croient  à  l'existence  de 
leur  âme  ^  et  au  dogme  d'une  vie  future. 

«  Je  ne  vous  parlerai  pas ,  mon  révérend  Père  ,  des 
progrès  spirituels  de  notre  Mission  :  le  P.  Yiard  veut  bien 
s'en  charger.  LtRhin  va  partir,  et  emmène  ce  cher  con- 
frère que  réclame  Mgr  Pompallier.  Que  cette  séparation 
nous  est  sensible  !  quel  vide  affreux  elle  fait  dans  nos 
cœurs  I  combien  nous  allons  soupirer  après  l'arrivée  de 
nouveaux  ouvriers  qui  viennent  nous  soulager  !  Quelque 
saint  et  zélé  que  soit  Mgr  d'Amata  ,  comment  voulez- 
vous  qu'avec  un  pauvre  prêtre  il  défriche  un  terrain 
aussi  vaste,qu'il  éclaire  ces  cinquante  mille  Calédoniens, 
qui  commencent  à  entr'ouvrir  les  yeux  à  la  lumière  I 

27. 


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412 
«  Daignez  bénir  voire  en&nt ,  mon  révérend  Père  , 
baignez  le  confiera  la  garde  de  Marie,  et  le  recommanda 
aux  prières  de  cette  chère  Société  qu'il  aime  à  la  vie  et 
k  la  mort. 

«   ROUGEYRON,  à/iiS.  ApO$L  • 


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413 


Lettre  du  R.  P.  Fiard  ,  Miseionnaire  apoitolique  de  la 
Société  de  Marie  ,  au  T.  R.  P.  Supérieur  général  de 
ta  même  Société  (l). 


A  bord  de  U  cortetie  frioçaise  le  Hkén  ,  27  octol>re  1645. 


«  Mon  TRà^BÉvéBBNO  Péri, 


«  Noos  luisons  voile  pour  Sydney  ,  où  nous  espérons 
arriver  après  demain.  Voilà  vingt-deux  jours  que  nous 
avons  quitté  la  Nouvelle-Calédonie.  M.  Bérard,comn)an- 
dant  le  Rhin  «  était  chargé  de  lettres  pour  moi ,  par  les- 
quelles Mgr  Pompallier  me  pressait  de  revenir  sans  re- 
tard à  la  Nouvelle-Zélande.  U  m'a  été  bien  pénible  de 
laisser,  surtout  dans  les  circonstances  présentes  ,  Mgr 
Donarre  et  le  P.  Rougeyron.  Je  remercie  la  Providence 
lui  a  permis  que  je  sois  resté  près  de  deux  ans  aveceux^ 
|>oar  me  rendre  témoin  de  leurs  vertus  et  me  foire  par- 
iciper  à  leurs  mérites. 

«  Je  vais  maintenant ,  mon  révérend  Père ,  vousMon- 
ler  une  idée  de  l'état  où  se  trouve  actuellement  la  Mis- 
ion  à  la  Nouvelle-Calédonie.  U  parait  que  la  population 

t)  Le  B.  p.  Tiard  .  rappelé  de  la  NoiiTeUe-Calëdoiiitf  par  Mgr 
ompêUier  ,  «on  Eféqne  »  est  arrivé  à  Sydney  ie  29  octobre  1845.  La 
a  troa? ë  des  lettres  do  S.  Siëge  ,  qui  le  nommaient  Etèque  d*Ortbosi« 
•  Coadjuleur  de  Mgr  Pompallier.  Son  sacre  a  eu  lien  à  Sydney,  le  4 
ntier  dernier  ;  et  peu  de  jours  après  ,  il  est  parti  avec  Mgr  TEtA- 
>«  de  Maronëe  poor  la  Noavelle-Ztnaadc. 


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414 

de  cette  tle  s* élève  à  cinquante  mille  habitants ,  dispersfe 
sur  toute  son  étendue.  Les  yoyages  présentent  d'assez 
grandes  diflicnttés ,  i  cause  des  montagnes  ,  des  torèts 
et  des  rivières  qtiî  couvrent  et  coupent  tout  le  paja. 

«  L'étude  de  la  langue  calédonienne  nous  eài  loag* 
temps  arrêtés ,  sans  l'heureux  concours  d'une  drcons- 
tance  assez  singulière.  J'ai  trouvé  ici  des  naturels  qui 
■parient  la  langue  de  Wsrflis»  d'oà  ils  seraient  originaires, 
à  ce  qu'il  paraît.  Leurs  ancêtres  ^'étani  attirés  la  haine 
d'un  ancien  roi  ,   furent  contraints  d'abandonner  leur 
patrie  ;  et  ,  après  avoir  erré  d'archipel  en  arebipd,  ils 
s'arrêtèrent  aux  Iles  Loyalry ,  et  plus  tard  ils  sont  venas 
se  fixer  dans  la  Nouvelle-Calédonie  ,  où  ils  se  sont  beau 
coujp  multipliés.  Comme  ils  remarquèrent ,  dèslecom 
mencemeat  de  notre  séjour  en  cette  tle»  que  je  parlais 
leur  langue  ,  ils  me  prirent  en  affection  «  et  ils  me  regar 
dent  conune  un  de  leurs  amis.   Un  de  leurs  cheGs  m'a 
été  d'un  grand  secours ,  parce  qu'il  parlait  bien  les 
deux  langues. 

«  Si ,  par  suite  de  circonstances  impérieuses  ,  bous 
ne  nous  étions  pas  trouvés  réduits  à  une  si  grande  dé- 
tresse, si  nous  n'avions  pas  été  obligés  de  nousoeoaper 
si  souvent  de  travaux  matériels  /  nousaurians  pa  afaa* 
cer  beaucoup  l'œuvre  même  de  la  Mission.  J'ai  mit  à 
^  profit  tout  le  temps  libre  pour  m'appliquer  fortement  à 
rétudedela  langue,  et  en  peu  de  mois  je  me  suis  tros^^ 
en  état  de  traduireie  Pater  et  VJve  et  de  composer  quel- 
ques cantiques. 

«  J'ai  accompagné  plusieurs  fois  Mgr  Douarre  dans 
les  voyages  qu'il  a  faits  pour  visiter  les  natwela,  et 
j'ai  profité  de  ces  circonstances  pour  donner  quelques 
instructions  à  ce  pauvre  peuple.  Dans  les  prenuersmois, 
je  pus  préparerai!  saint  baptême  un  enfant  de  hiûtaes. 


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4U 

qui  éiaiiaangereuscmenl  malade  ;  je  lui  imposai  le  non 
«le  Joseph  :  peut-être  que  la  grâce  du  sacrement ,  opé- 
rant aussi  sur  son  corps ,  contribua  à  sa  guérison  ,  qui 
fut  prompte.  Je  régénérai  encore  Ist  femme  du  grand 
chef  de  Koko  ;  je  lui  donnai  le  nom  de  Marie  ,  et  le  jour 
niéme  son  âme  s'envolait  au  ciel.  Quelques  jours  après, 
un  petit  enfant  la  suivait  dans  le  sein  de  Dieu.  Une  autre 
fois ,  j'aperçus  par  hasard  ,  près  d'une  cabane  ,  vm 
nottveauné  étendu  sur  une  natte,  et  qui  allait  expirer  ; 
j'eus  le  bonheur  d'en  faire  un  ange. 

«  Le  jour  de  l'Assomption  (1844) ,  vingt  naturels  4ft 
différentes  tribus  ,  à  qui  j'avais  appris  à  faire  le  sijoie 
de  la  croix  et  à  réciter  le  Pater  et  VJte  ,  vinrent  ckez 
nous  pour  assister  à  la  sainte  Messe.  Nous  éprouvâmes 
une  biengrande  joie  en  enteudantnos  Calédoniens  offirtr 
poar  là  première  fois'  leur$  prières  au  Dien  véritable, 
jusque  là  il  m'avait  fallu  courir  de  c4té  et  d'autre  pour 
les  instruire  séparément  dans  leurs  cases.  Mais  à  partir 
du  l**'  novembre  de  la  même  année  ,  j'ai  réuni ,  ^oir  et 
matin  9  un  certain  nombre  de  naturels  dans  la  maison 
du  chef  de  Ballade.  En  trois  mois ,  j'ai  pu  leur  apprendre 
le  Pater  ,  VJve  ,  le  Sytnbolej  le  Décalogue  et  plusieurs 
cantiques  en  l'honneur  de  Marie.  Ils  ont  de  l'intelligenee 
et  de  véritables  dispositions  pour  le  chanu  Leurs  pro- 
grès auraient  été  plus  rapides ,  si  la  constructioa  de 
notre  nouvelle  demeure,  qui  était  de  la  dernière  urgence, 
ne  m'aTak  obligé  de  suspendre  mes  instructions.  L'ha- 
bitation des  Missimi&aires  est  maintenant  à  £«lao  ,  à 
um  deoii  lieue  de  Mtàamata,  notre  ancienne  résidence. 

•    «  Notre  maison  finie ,  Mgr  d'Amata  m'envoya  visiter 

.les  diverses  tribus.  Je  me  dirigeai  d'abord  vers  celle  de 

Jeugiene,  à  quinze  lieues  de  notre  habitation.  J'appris  en 

chemin  que  le  chef  de  celte  tribu  était  en  guerre,  et  qu'il 


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416 

avait  taé  quatre  femmes.  Je  poursuivis  ma  routeen  toute 
hâte.  Bientôt  jo  vis  venir  à  ma  rencontre  quelques  bom* 
mes  ,  envoyés  par  ce  chef  pour  me  faire  connaître  le 
grand  désir  qu^il  avait  de  me  parler  ,  il  avait  eu  soin  de 
me  tenir  prête  une  embarcation  pour  le  passage  de  la  ri- 
vière. Je  le  trouvai  entouré  de  sept  à  buitcentsKanacks, 
armés  de  lances  et  de  massues;  il  me  donna  force  démons- 
trations d'amitié  et  de  respect ,  et  j'eus  le  bonheur  de 
mettre  fin  à  la  guerre. 

«  Nous  nous  rendîmes  ensuite  à  sa  case ,  qui  était  i 
deux  lieues  de  là  ;  durant  toute  U  route  .  il  m'entoura 
d'égards  et  me  fit  remarquer  ses  propriétés.  U  avait 
e.u  soin  de  prévenir  sa  femme ,  qui  vint  sur  le  seuil  de 
la  porte  pour  me  recevoir  et  me  présenter  son  fils  ,  en- 
fant à  la  mamelle.  Je  le  caressai  et  lui  administrai  le 
saint  baptême  ,  après  avoir  fait  comprendre  aux  parents 
la  grandeur  de  ce  bienfait,  lis  furent  enchantés  et  m'offri* 
rent  des  ignames  et  des  cocos.  J'allai  ensmte  m'asseoir 
!>ur  une  superbe  natte  ,  qui  m'était  réservée  «  et  le  chef 
prit  place  auprès  de  moi.  Pendant  qu'on  préparait  le  re* 
pas,  je  m'entretins  dans  l'idiome  de  Wallis  avec  mon 
hôte  et  sa  femme  ;  le  chef  traduisait  ensuite  notre  con- 
versation aux  naturels  présents  ,  qui  étaient  avides  de 
savoir  ce  que  nous  disions. 

«  Sur  leur  demande ,  je  me  mis  à  chanter  les  canti- 
ques que  j'avais  appris  à  nos  catéchumènes  de  Ballade  , 
et  ils  en  furent  ravis.  Mon  chapeau  triangulaire  captiva 
vivement  leur  aueniion  ;  ils  voulurent  le  voir ,  le  tou- 
cher ;  ils  me  demandèrent  la  permission  de  remporter 
pour  le  montrer  i  leurs  amis  des  autres  tribus  ,  et  il  ne 
me  fut  rendu  qu'au  bout  de  deux  jours,  après  l'avoir  fait 
voyager  à  plus  de  cinq  lieues.  Le  crucifix  que  je  portais 
sur  ma  poitrine  les  impressionna  bien  davantage  ;  ils 


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417 

voulurent  savoir  le  nom  de  celui  ^i  était  mort  sur  celle 
croix.  Je  pris  de  là  occasion  de  leur  annocer  N.  S.  J.  C. , 
et  de  leur  raconter  tout  ce  qu'il  Jivait  fait  et  souffert  pour 
leur  amour.  Ils  en  parurent  fort  touchés.  C'était  toujours 
le  chef  qui  me  servait  d'interprète  :  je  ne  connaissais  pas 
encore  la  langue  de  ces  Kanacks. 

«  Mais  la  nuit  approchait,  et  je  n'avais  pas  encore  ré- 
cité mon  bréviaire.  Je  leur  dis  que  j'allais  prier  le  grand 
esprit  de  les  rendre  heureux  ,  et  ils  gardèrent  un  pro- 
fond silence.  Ma  prière  achevée  »  ils  me  servirent  des~ 
ignames  cuites  ,  des  bunanes  et  des  cocos.  Je  is  un  bon 
'  souper  dont  j'avais  grand  besoin.  Il  fallut  ensuite  re- 
commencer la  conversation,  qui  se  prolongea  fort  avant 
dans  la  nuit  ;  puis  je  me  retirai  avec  mon  guide  dans  la 
case  du  chef  où ,  après  avoir  récité  le  «  bapelet ,  je  m'en- 
dormis tranquillement.  A  mon  réveil ,  j'aperçus  auprès 
de  moi  une  corbeille  ,  où  se  trouvaient  les  restes  d'une 
jambe  humaine  ,  que  nos  gens  réservaient  pour  leur  dé- 
jeuner. Je  fis  comprendre  au  chef  combien  c'était  une 
chose  horrible  de  se  nourrir  de  la  chair  de  ses  semblables; 
il  me  dit  qu'il  n'en  savait  rien  ,  mais  qu'à  l'avenir  il  n'en 
mangerait  plus. 

«  Après  que  feus  fait  mes  prières ,  le  chef  me  con- 
duisit vers  un  beau  champ  d'ignames,  et  en  me  les  mon- 
trant ,  il  me  dit  :  •  C'est  le  champ  de  mon  fils  ;  il  t'en 
«  fait  cadeau ,  accepte-le  par  affection  pour  lui.  »  Je 
l'acceptai  en  effet  avec  une  vive  reeonnaissance.  Je  ne 
pensais  pas  alors  combien  ce  champ  nous  serait  utile , 
lorsque,  quatre  mois  plus  tard,  nous  serions  réduits  à  la 
dernière  misère.  Notre  chef  me  fit  visiter  en  détail  ses 
plantations  ;  puis^  en  sa  compagnie  ,  je  parcourus  toute 
la  tribu  pour  baptiser  les  petits  enfants.  Le  lendemain 
je  lui  fis  mes  adieux  ,  promettant  de  revenir  le  voir  \ 


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418 

lorsque  mon  navire  serait  arrivé  et  qae  je  poamôs  lai 
(tonner  deâ  gages  de  mon  affection  pour  loi  et  son  fils.  — 
«  Si  ton  navire  tarde  à  venir  ,  me  répondit- il,  viens  , 
»  toi ,  pour  nous  instruire  et  nous  tirer  de  notre  mal-* 
«  heur.  »  —  11  m'accompagna  fort  loin  avec  une  partie 
des  gens  de  sa  tribu  ,  portant  son  fils  dans  ses  bras  ;  au 
mom^rn  de  nous  séparer  ,  il  m'exprima  avec  vivacité 
taus  ses  regrets,  et  après  lui  av«ir  renouvelé  mes  adi^ix, 
je  me  dirigeai  vers  Ballade ,  où  je  rentrai  après  neuf 
jours  d'absence. 

«  Bientôt  j'en  repartis  pour  passer  à  l'Ile  BaUbio,  on 
je  restai  deux  jours,  instruisant  les  sauvages  et  bapiî 
sant  un  bon  nombre  d'enfents.  Les  naïui'elsmefireni  n- 
marquer  un  énorme  rocher,  au  pied  duquel  ils  eroyaieoi 
apercevoir  des  taches  de  sang  ;  c'était  tout  simpleiDeiM 
des  veines  qui  se  dessinaient  dans  la  pierre.  Ils  me  di- 
rent que  c'éUiit  là  le  trône  de  leur  dieu.  Lorsqu'un  Ka- 
nack  meurt,  disent-ils,  son  âme  se  rend  à  Balabio  pour  y 
Mre  jugée  ;  elle  est  bien  accueillie  par  le  Dieu  si  elle  s'est 
conduite  avec  sagesse ,  mais  il  la  punit  rigoureusement 
si  elle  s'est  mal  comportée.  Près  de  ce  rodier,  se  trouve 
un  arbre  très-ancien  et  très-toufl^u  ,  dont  le  feuillage  sert 
de  sanctuaire  à  la  divinité.  De  Balabio  je  me  rendis  par 
mer  à  Arama ,  où  je  reçus  un  accueil  favorable ,  surtout 
de  la  part  du  chef,  qui  fut  sensible  à  ma  visite.  Dansées 
diverses  courses ,  j'ai  bagtisé  environ  deux  cent  soixante- 
dix  enfants ,  dont  i^n  bon  nombre  est  déjà  allé  au  ciel 
prier  pour  le  succès  de  ceue  Mission. 

«  Aujourdliui ,  il  me  semble  qu'un  heureux  change- 
ment s'est  déjà  opéré  parmi  les  Calédoniens  ;  ils  sont 
moins  voleurs  ,  leurs  guerres  sont  moins  fréquentes  ;  ils 
commencent  à  comprend^re  le  motif  qui  nous  a  conduits 
au  milieu  d'eux  ;  nos  confrères  sont  bien  reçus  partout. 


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41» 

L'élan  est  donné ,  et  ce  peuple ,  en  général ,  a  le  désir 
de  se  faire  instruire.  Déjà  nous  avons  jeté  la  divine 
semence  sur  plusieurs  points  de  Tlle  ;  nous  comptons 
même  un  petit  nombre  de  disciples  suffisamment  prépa- 
rés au  saint  Baptême  ;  il  en  est  beaucoup  qui  connaissent 
les  vérités  indispensables  au  salut  ;  d'autres ,  plàs  nom- 
breux encore  ,  savent  les  prières  les  plus  importantes. 
Ainsi ,  mon  révérend  Père ,  la  moisson  blanchit ,  mais 
où  sont  les  ouvriers  poiu*  la  recueillir? 

«  Mgr  Douarre  et  le  P.  Rougeyron  ont  commencé 
leurs  courses  apostoliques  le  jour  de  la  fête  des  SS.  apô- 
tres Pierre  et  Paul.  Ils  doivent  posséder  maintenant  une 
jolie  chapelle.  H^  Bérard  a  foiumi  les  prmci^nx  bois 
pour  sa  construction  ,  et  let  ouvriers  de  la  corvette  le 
Rhin  y  ont  travaillé.  Aujomrd'lHii ,  nos  coBfrères  ont  la 
consolation  de  posséder  N.  S*  près  d#  leur  demeure^  et 
d'oflrir  tous  les  jours  le  saint  sacrifice  ;  bonheur  que 
nous  ne  pèuvioos  goûter  autrefois  que  le  4imanche,  faute 
de  pain  et  de  vin.  Ah  1  mon  révérend  Père  ,  c'émit  bien 
là  kl  plus  pénible  des  privations.  Ce  qui  adoucissait,  ce- 
pendant ,  notre  juste  douleur ,  c'était  la  pensée  que  nos 
confrères  ne  montaient  jamais  à  TaulAl  sans  faire  mé- 
moire de  nous  et  des  peuples  ifoi  nous  étaient  confiés. 

•  Daignez  agréer ,  etc. 


«  ViARD ,  Provk.  apoit. 


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490 

MISSION  DE  TONGA. 


Lettre  du  R.  P.  CcUinan  ^  Missionnaire  apostolique  ^  au 
T.  R.  P.  Colin^  Supérieur  de  la  Société  de  Marie. 


Ile  Tonga-uboa  ,  octobre  1S4^. 

«  Mon  tbès-révérbnd  Père  , 

«  Les  lettres  que  vous  avez  reçues  de  Tonga ,  vou» 
ODi  tout  dit  sur  cette  missioD,  tout,  excepté  les  souffiraiH 
(!es  de  ceux  qui  la  dirigent.  Persuadés  que  les  croix  sont 
plus  méritoires  quand  elles  sont  connues  de  Dieu  seul,  et 
péut-^tre  dans  la  crainte  de  trop  affliger  votre  cœur  pa- 
ternel ,  nos  confrères  ont  voilé  leur  détres&e  d'un  si- 
lence généreux  ,  ils  vous  ont  laissé  les  joies  de  Tespé- 
pérance  ,  et  ils  ont  gardé  pour  eux  1k  secret  d'une  situa- 
rion  qui  les  tue.  Pour  moi ,  je  nç  suis  pas  libre  de  les 
imiter  :  vos  ordres  formels  m'imposent  d'autres  devoirs. 
Vous  m'avez  dit ,  en  me  bénissant  pour  la  dernière  fois  : 
«  Rappelez-vous  que  je  dois  et  que  je  veux  tout  con- 
«  naître ,  le  faible  aussi  bien  que  le  fort  de  nos  Mis- 
«  sions.  »  Eh  bien,  mon  très-révérend  Père ,  vous  saurez 
tout ,  vous  saurez  le  génie  exceptionnel  des  peuples  que 
nous  sommes  appelés  à  évangéliser  ,  les  divers  d)su- 
rles  qu'ils  opposent  à  nos  travaux,  les  peines  et  les  pri- 
vations qiie  vos  enfants  supportent  dans  ces  lies» 

«  L'état  habituel  des  peuples  de  l'Océanie  est  iine 
extrême  pauvreté  ;  leur  caractère  dominant  est  l'indo- 
lence et  la  paresse  ;  l'usage  le  plus  remarquable  parmi 


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421 
eux  est  une  hospitalité  poussée  si  loio ,  qu^elle  ne  trou- 
verait de  modèle  dans  aucune  de  nos  contrées  d'Europe. 

'  «  Pour  ce  qui  est  de  la  pauvreté  ,  ils  logent  dans  des 
«^ases  ,  consistant  en  une  toiture  de  feuilles  »  supportée 
par  des  pieux  ;  elles  sont  toujours  si  basses  qu'il  faut  se 
courber  pour  y  entrer  ,  et  quelquerois  pour  s'y  tenir  de- 
bout. Ces  cases,  qui  représentent  un  carré  de  douze  à 
vingt  pieds,ne  forment  jamais  qu'une  seule  pièce,  et  sont 
en  général  ouvertes  dans  tout  leur  contour.  Le  mobilier 
des  plus  riches  se  compose  d'un  plat  en  bois  pour  faire  le 
fcava ,  de  quelques  noix  de  coco  vides  pour  contenir  Teau 
ou  l'huile  ,  de  quelques  nattes  étendues  sur  le  sol  pour 
s'asseoir  ou  dormir  ,  d'une  ou  deux  haches  avec  un  ins- 
trument aratoire  venant  d'Europe,  quelquefois  d'un  fusil 
ou  d'armes  en  bois  à  la  façon  du  pays.  Une  cabane  de 
<*«  genre  n'est  pas  toujous  habitée  par  une  seule  famille , 
car  tous  ne  se  donnent  pas  la  peine  de  bâtir.  Il  est  beau- 
coup d'indigènes  qui  vont  sans  façon  s'installer  chez 
leurar parents  ou  leurs  voisins  ,  dont  ils  partagent  les  vi- 
vres y  s'il  y  en  a  ,  aussi  bien  que  le  couvert  ;  chose  qui 
doit  vous  sembler  étrange  en  France ,  mais  qui  jamais 
ne  souffre  ici  aucune  diificulié. 

«  Le  vêtement  de  nos  naturels  est  assorti  à  leur  loge- 
ment ;  il  consiste  ,  comme  vous  le  savez  déjà  ,  en  une 
bande  de  /aj?e(l),  qui  les  couvre  de  la  ceinture  au  genou. 

(1}  ff  La  lûftt  est  une  espèce  d'étofie  ,  fabriqua  avec  T^eorce  d*iiD  ar- 
brisseau qui  ressemble  à  une  grosse  plante  de  cbanrre.  Chaqne  ^ree 
est  battue  t^parëroent ,  jusqu'il  ce  qu'elle  atteigne  retendue  et  la  îi^^f"^ 
d'un  moucboir  ;  on  les  cotlo  ensuite  le»naes  «ax  aulrea^de  manière  à  n'en 
former  qu'une  seule  pièce  ,  qui  a  sontent  soixante  aunes  de  long  sur 
trois  on  quatre  de  large.  ÀTec  Ict  dessins  en  couleur  rouge  dont  on  ne 
manque  pas  de  l'embellir  ,  la  /ope  ressemble  asseï  d  du  gros  papier  d« 
^apiaserie»  l^gèjcment  gommë« 


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492 

Cette  espèce  d'éioffe  est  de  peu  de  durée  ^  oe  suppoie 
pas  le  lavage  et  se  dissout  à  Teau  k  peu  près  commek 
papier.  Bialgréson  peu  de  valeur  et  la  facilité  dela&bri- 
cation  ,  elle  n'est  rien  moins  qu*abondante ,  et  Ton  voit 
niAine  des  cbets  qui  n'osent  paraître  en  public ,  parce 
qu'ils  n'ont  pas  une  tape  convenable  pour  se  couvrir. 

«  Ici  la  base  de  la  nourriture  est  l'igname ,  le  finût  à 
pain  9  le  taro  ,  la  banane,  le  porc,  le  chien,  le  chat  et  la 
poule.  Le  poisson  pourrait  aussi  fournir  de  grandes  res- 
sources dans  plusieurs  localités.  Si  ces  divers  comestibles 
abondaient ,  la  vie  serait  assez  foeile  ;  mais  pour  cda  il 
faudrait  un  certain  travail ,  et  surtout  un  certain  ordre 
économique,  ce  à  quoi  les  indigènes  ne  pravent  se  résou- 
dre, soit  à  cause  de  leur  indolence  naturelle,  soit  à  causé 
de  leur  système  d'hospitalité,  soit  en  un  mot  parée  qu'ils 
sont  des  sauvages.  Bxi  somme ,  les  aliments  sont  rares 
dans  ces  régions  ,  au  point  que  le  sentiment  de  mes 
confrères  ,  comme  le  mien  ,  est  que  les  rois  de  ces  ar- 
cipels  croiraient  vivre  dans  l'opulence ,  s'ils  pouvaient 
faire ,  toutes  les  vingt-^piatre  heures  ,  ui^  repas  comme 
celui  qu'on  ferait  en  Fhince  avec  des  pommes  it 
terre.  S'il  en  est  ainsi  des  rois ,  vous  comprenez  quel 
doit  être  le  sort  du  peuple.  La  faim  est  réellement  son 
plus  grand  fléau  ,  et  nous  sommes  convaincus  qu'elle 
abrège  la  vie  d'un  grand  nombre  de  Kanacks. 

«  Cette  extrême  indigence  des  peuples  de  l'Océanie 
ne  vient  pas  de  la  stérilité  du  sol  ;  on  trouverait  peu 
•tt  pltttêt  point  de  terres  en  France  comparables  k  celles- 
ci  pour  la  fertilité.  Elle  ne  vient  pas  non  plus  de  la  stu- 
pidité des  habitants  ;  outre  quils  ont  ime  inteUigence 
remarquable  pour  des  sauvages,  ils  entendent  très4riea 
la  culture  de  leiu%  plantes.  Cette  pauvreté  et  cet  état  ha- 
bituel de  famine  sont ,  comme  je  l'ai  déjà  inmué ,  le 

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423 

résultat  de  la  paresse  elle  fruit  d'une  hospitalité  qui  dé- 
^énire  en  spoliation. 

«  La  paresse  va  si  loin  chez  les  naturels  ^  qu'ils  sent 
eondiés  au  motus  la  moitiédu  temps  ;  ils  passent  le  reste 
assis  ,  mdme  pour  cultiver  la  terre.  On  ne  les  surprend 
jamais  debout ,  sinon  quand  ils  marchent ,  et  ils  ne 
lont  jamais  un  pas  dans  le  simple  but  de  se  promener. 
Si  vous  entrez  dans  quelque  case  »  vous  trouvez  toute 
la  iamille  désœuvrée ,  et  très-souveni  endormie.  On  se 
réveille  pour  vous  recevoir  ,  mais  on  ne  se  lève  pas  tou- 
jours f  ou  Ton  se  recouche  avant  la  fin  de  la  visite. 
Viennent-ils  vous  voir,  il  leur  arrive  assez  souvent 
(ie  se  coucher  chez  vous  ,  et  même  de  s'y  endormir  jus- 
tju'au  lendemain.  Trouver  cela  ioconvenant  serait  vouloir 
passer  pour  un  homme  mal  élevé.  Quand  on  vous  fait 
grâce  du  sommeil ,  on  vous  dit  du  moins  en  partant  que 
Ton  va  se  coucher  ,  et  »  dans  le  bon  genre  ,  vous  devez 
répondre  que  c'est  bien.  La  formule  ordinaire  de  politesse 
en  abordant  quelqu'un  ,  est  de  lui  dire  :  mah  e  mche  , 
courage  d  dormir. 

«  Néanmoins»  la  pesanteur  des  espriu  n'est  pas  chez 
ces  peuples  en  rapport  avec  l'engourdissement  des  corps  ; 
Us  ont  une  pénétration  naturelle  qui  annonce  de  l'apti- 
tude pour  les  sciences  ;  leurs  discours ,  leurs  chants , 
leurs  danses ,  etc.  attestent  nne  capacité  supérieure  à 
celle  des  gens  de  vos  campagnes.  Ils  font  dans  les  artsde 
certaines  choses ,  des  armes»  par  exemple,  des  édifices^ 
et  surtout  des  embaic^^tions  admirées  des  étrangers  pour 
leur  élégance  et  le  fini  du  travail  ;  seulement  ils  y  em- 
ployant vingt  fois  plus  de  temps  que  n'en  mettraient  des 
ouvriers  européens. 

«  L'hospitalité  ,  placée  chez  nous  au  rang  des  vertus 
ahrétiennes^  ne  mérite  pas  ici  ce  nom  ;  car  ,  outre  qu'elle 


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424 

n'est  pas  dans  le  cœur  ,  elle  est  évidemment  opposée  au 
bien-être  de  la  société,  et  entraîne  après  elle  tout  un  cor- 
tège de  Tices ,  ayant  à  sa  tête  cette  incarable  paresse 
dont  je  viens  de  vous  entretenir.  Il  est  vrai  qu'elle  Débit 
qu'une  seule  famille  de  ces  grandes  popubitions^  qu'elle 
unit  même  une  tie  à  l'autre;  mais  cette  fiimille  ne  ressem- 
ble guère  à  celle  dont  il  est  parlé  aux  actes  des  Apô- 
tres. C'est  une  vaste  communauté,  où  tout  le  monde  aie 
droit  de  prendre  ,  et  où  personne  ne  se  met  en  peioe 
d'apporter-  Dans  le  fait  ^  c'est  moins  l'hospitalité  qu'aee 
mendicité  générale ,  autorisée  par  les  idées  du  pays ,  ou 
si  vous  aimez  mieux  ,  c'est  le  droit  de  vivre  aux  dépens 
dés  autres.  Les  maisons  »  les  comestibles  ,  les  animaux, 
les  enfants  ,  les  objets  quelconques  ,  bien  que  censé 
apartenir  à  des  propriétaires  spéciaux ,  font  cependant 
en  réalité  le  domaine  public.  Un  homme  bâtit  une  case 
pour  lui  et  sa  famille,  un  autre  veut  s'y  loger  aussi,  il  le 
peut  en  vertu  des  droits  de  l'hospitalité.  Celui  qui  pré> 
pare  son  repas,  est  obligé  de  le  partager  avec  tous  cetn 
qui  se  présentent ,  et  si  le  nombre  des  bouches  est  trop 
grand,  c'est  lui  qui  doit  restée  à  jeftn.  Vous  êtes  posses- 
seur de  quelque  objet,  on  le  voit,  on  le  regarde^  et  dès 
lors  il  est  acquis  au  spectateur  ;  vous  devez  le  lui  offrir 
en  vous  excusant  du  peu,  et  votre  offre  ne  sera  jamab 
refusée.  Un  père,  une  mère  ont  des  enfants;  on  les  leur 
demande,  il  faut  les  céder;  et  ainsi  du  reste.  Cela  se 
passe  journellement ,  à  la  première  rencontre ,  sur  les 
chemins  ,  dans  les  réunions,  le  tout  avec  une  adresse  et 
une  courtoisie  admirables. 

«  Voilà  ce  qui  se  pratique  entre  égaux  ;  à  l'égard  de^ 
cheb  il  faut  bien  un  petit  supplément.  Ceux-ci  àéddeni, 
de  plus,  de  la  vie  de  leurs  sujets,  qu'ils  peuvent  faii^  as- 
sommer au  gré  de  leurs  caprices ,  pour  des  fautes  qtt» 

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426 

dODvent  mériteraient  à  peine,  selon  nous,  une  légère  ré- 
primande; et,  bien  que  les  idées  religieuses  aient  déjà 
beaucoup  modifié^  même  chez  les  infidèles^  ce  despotisme 
atroce,  il  s'ept  néanmoins  présenté  plusieurs  cas  de  ce 
genre  depuis  mon  u*rivée  à  Tonga*  Ces  chefs  disposent 
des  bras  des  hommes  pour  les  employer  à  leurs  planta- 
tions, à  leurs  embarcations^  etc.  :  biei^  entendu  que  les 
travailleurs  rentrentfle  soir,à  jeun  dans  leurs  cases  où  ils 
ne  trouYent  rien  à  manger.  Les  femmes  et  les  filles  sont 
la  propriété  des  chefs ,  qui  en  disposent  soit  pour  eux- 
mêmes,  soit  pour  les  étrangers  ^  à  qui  ils  les  vendent 
ou  les  donne^^. 

«  Vous  allez  peut«être  penser  qu'un  tel  régime,  qua- 
lifié par  les  Européens  du  nom  flatteur  d'hospitalité , 
qn'un  tel  régiftie,  di»je,  qùdque  défectueux  qu'il  soit, 
a  du  moins  oeta  de  bon  qu'il  pourvoit  aox  besoins  de  la 
partie  £auble  de  la  société.  Du  tout,  mon  très-révérend 
Père  ;  sous  l'empire  de  cette  loi^qui  consiste  seulement, 
comme  je  l'ai  dit  plus  haut ,  dans  l'oMigation  de  don- 
ner^ quoiepe  à  regret,  à  ceux  qui  viennent  demander,  on 
n'est  nullement  tenu  de  porter  secours  à  ceux  qui  ne 
peuvent  venir;  d'oà  il  jrétuile  que  1«  malades  et  les 
billards  reaieai  dois  «a  eût  plut  ou  moins  compte 
d'abandon.  Voilà  surtout  ceux  dpnt  la  faim  hâte  les  der* 
niera  instante. 

«  Telle  est  donc^  esquissée  à  grands  traits,  cette  hospi- 
talité océanienne  dont  on  lit  en  Europe  des  relations  sé- 
duisantes ,  qui  porteraient  presque  à  ^re  le  procès  à 
notre  civilisation  chrétienne^  pour  l'envoyer  à  l'école  des 
«am'ages.  Les  auteurs  de  ces  récits  n'avaient  vu  les  choses 
<1u'eQ  passant ,  et  les  avaient  jugées  sans  les  approfondir. 
U  fant  habiter  comme  nous  sur  les  lieux  pour  s'aperce* 
▼oîr  que  cette  manière  de  vivre ,  tant  préconisée ,  est 

TOI.  XVIII.  m.  siPTimi.  1846.  olIbyL^oogle 


426 
vicieuse  dans  ses  principes  autant  <piç  funeste  dans  ses 
conséquences. 

«  Llle  d'où  je  tous  écris,  atec  celles  quî  FaToisHient, 
a  reçu  des  Européens  le  beau  nom  S^Artkipel  des  Jmit^ 
à  cause  de  raménîté  de  caractère  ,   et  de  la  préten- 
due hospitalité  de  ses  habitant  ,  qualification  faussé , 
je  le  répète^  à  moins  qu'on  ne  retende  relativement  i 
des  peuples  plus  féroees,  comnte  il  en  existe  assez  près  de 
nous,  aux  Iles  Fidji.  Car  ici  même^  à  Tonga  ^  la  génén- 
tion  est  loin  d'être  éteinte,  quia  vécu  naguère  de  la  dttr 
de  ses  sembls|bles;  et  c'est  tout  récemment  que  nous  avons 
pu  obtenir  de  nos  néophytes  l'aveu  que, dans^eor  jeunesse, 
ils  se  faisaient  la  chasse  les  uns  aux  autres  pour  se  man- 
ger. Les  lieux  où  se  passaient  les  scènes  les  phis  solen- 
nelles de  cannibalisnie,  sont  racore  dans  ée  nnomèotoon* 
verts  d'ossemeols  humains.  A  des  époques  plus  récentes, 
ils  se  sont  bit  des  guerres  d'cxterminlion,  dans  ht" 
quelles   le  droit  des  geoa  étaii  peu  re^ecté  à  régiid 
des  vaincus.  On  a  vu  ieiv  il  n'y  a  pas  ptos  de  sept  ans. 
une  ville  du  parti  infidèle,  HmAé,  prise  d'snsavt,  et  .les 
vaiiiqneurs^  quoiqw  tous  proitstaats  et  en  e^te  quaNlé 
cMsés  plnslraiiaiBS,  aprte  avoir  tuéloutts  les  graôdse 
personnes,  se  firent  uajeude  jeserhi  enfini»  en  V^if,  ^ 
de  les  recevoir  sar  la  poiftedeslaneesetletraniehantdss 
bâches.  Peu  d'années  auparavant ,  ils  avaient  enicfé  ^ 
canot  de  guerre  avec  ses  hommes ,  en  présence  d'o»^ 
corvette  commandée  par  Dumont-dTrville,  qui  fut  ohli|s 
de  brûler  un  village,  Mdspanga,  pour  obtenir  satis&ctioo. 
Ce  caractère  de  douceur  et  (fhospitalité  dont  en  foit  io 
parade  envers  ceux  qui  se  présentent  dans  Tappareil  deb 
force  ^  comme  les  navires  de  guerre ,  se  change  ïksï^bi 
en  férocité  à  Tégard  des  faibles ,  et  la  preuve  c'est  qo'" 
n'y  a  presque  pas  une  de  ces  Iles  qui  ne  compte^  tb"* 


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«7 

son  histoire,  TenlèTemeiit  de  quelque  «mre  deooBunerce 
atec  le  nassacre  des  équipages. 

«'Abordons  maintenant  notre  position  parmi  ces  peu- 
pics.  Tout  étranger  qui  vient  aujounfhui  pour  se  fixer 
parmi  eux  a  le  choix  entre  deux  partis  :  ou  d'entrer 
dans  la  communauté  dont  je  viens  de  parler ,  ou  de  se 
traiter  lui-même  àses  frais,  comme  on  le  ferait  en  Europe.  • 
Celui  qui  ne  possède  rien^  comme  sont  quelques  matelots 
odiappés  des  navires  ou  des  naufrages  ,«nè  peut  qu^em- 
brasser  le  premier  ;  il  y  gagne  tout  ce  qull  reçoit,  mène 
une  vie  vagabonde,  pèle-méle  avec  les  naturels,  sefaisant 
leur  valet ^  adoptant  leurs  mœurs ^  leurs  usages^  parta- 
geant avec  eux  la  nourriture  et  la  faim,  le  bien  et  la  mi- 
sère. Pour  celui  qui.  a  des  ressources,  il  peut  se  loger 
et  vivre  à  ses  dqpent,  comme  font  ks  flM&istres  protestants 
et  quelques  industriels  qui  yieaiMBt .  eipteilçr.  le  tom- 
mery  de  ces  îles.  Mgr  PomfwHier  adopta  on  syslèait 
mille,  q«e  MgrBataiUoi  a  dà  snîvre jnqu'à  ce  jour;  ot 
mojtû  tmne  oonaisle  à  fure  des  cadeMx  à  «pwlqvai 
chdb,  pour  en  dbdOÊir  àmpromeêêÊê  de  biamsîHaÉoeeA 
deseoouni,  MàreBHiMleaMiMOBiaîfiisàkurdîscpé« 
tion peu*  la juntrrilfin  et  lekigaaieic  GdbmiÉat'lMi    . 
siiipleoieM  $m  son  des  mateieis  dMt  j'ti  parié ,  smC 
tomefois  Fadoptios  dee  fommn  ixxnrntàpêu  é%tmvmffou 
Tette  est  éomt  la  poêttku  oè  mu3  9om  tfèamtti  «Miel^ 
lemeot  daas  rOoéame  centrale,  poniion  wiStitdfêom 
s'est  vu  hû* Aéne  dans  sa  Missioit  de  WaUis  jttsqv*^  ^« 
coasécntioa  épsonpoile*  Dqpnb fers,  gricei  la  farts» 
de  ses  nouveaux  chrétien^  ta  aux  aeoours  rtmaê  d^fin* 
rspe,  le  sort  du  prélat  ei  des  snieta'qBisiBC  ateo  isà 
a  tsuc-à-faii  dmoyé»  Mais ,  dans  les  autres  Uns  ,  sen» 
èoanmHiaRKi  avec  les  indigènes  mus  net  dus  on  ^tat 
de  aoafitmoe  et  d'asservissement  que  je  ni»  essayer. 

28.        ^        , 

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4S8 
de  TOUS  bire  connaître ,  et  s^oquel  la  c<mvem<m  (k 
ces  peuples  n'apporterait  même  pas  un  ^lier  remède. 
«  Je  4ois  constater  d'abord, que  Messeigneurs  Pom- 
pallier  et  Bataillon  n'ont  pu  suivre,  dans  les  commence 
ments^  une  autre  ligne  de  conduite.  La  crainte  de  laire 
passer  fes  Missionnaires  pour  des  industriels,  l'absencf 
de  renseignements  exactà  sur  le  caractère  intime  de  ces 
peuples,  le  défaut.de  ressources  suffisantes,  la  difficulû 
des  communications,  que  sais-je  1  mille  raisons  ont  force 
la  main  aux  deux  prélats.  Mais  nous  voyons  maintenaBt 
la  possibilité  de  changer  cet  état  de  choses,  et  c'est  un 
bonheur  ,  car  sans  une  amélioratioji  notable  nos  Mis- 
sions ne  seraient  pas  possibles.  Vous  en  jugerez,  mon 
Père,  par  ce  que  je  vais  dire. 

«  Quelque  bienveillants  que  vous  supposiez  les  ioso- 
laires,  voi<«  même  nos  néophytes,  ils  ne  croiront  jamais 
^voir  nous  traiter  beaucoup  mieux  (pi'eux-màn^.  1'^ 
nous  logent  dans  de  petites  cases,  en  conservant  Tosar 
d'y  vemr  passer  une  partie  du  jour  et  même  de  la  tfA, 
s'ils  le  \n%fsat  à  propos;  c'est  le  genre  du  pays.  Os  ^' 
tagt&l  avec  nous  le  peu  de  nourritare  qn'ils  peatesc 
tfoir;  bien  eateodaque  nous  leur  rendons  la  pareiU^t 
fmid  MM  poavoM  nous  en  procurer^  soit  à  bord  des 
navires,  «oit  par  le  travail  de  nos  nsains.  Pour  eux>  qa^ 
ils  wuKfMBt  de  vivres,  oe  qui  arrive  au  noms  la  Vi» 
ût  du  temps,  ils  prennent  le  parti  de  courir  kf  ^ 
à  la  recherche  des  fruits  et  des  plantes  sauvages,  C' 
Moi  partout,  vivait  de  rapines  et  de  kava,  jeAnantê^ 
vent  phuieurs  jours  de  suite  ,*  se  coacbant  pour  iasi>s 
aentir  la  Cum,  et  ne  se  rdevant  que  pour  se  livrer  i  de 
nonvelies  investigations.  Rien  de  pins  commua  ici  qa« 
de  renc(»trer  des  bandes  d'affisunés,  rêdant  et  fiff<^^ 
pour  nronver  um  pâture.  Si  l'un  de  nos  néophytes  bo«s 

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429 

envoie  quelques  ignames ,  le  panier  est  ordinairement 
suivi  d'une  troupe  dMnsuIagres ,  et  chacun  convoite  sa 
part  des  vivres.  Même  scène  si  Ton  dit  cuire  à  la  maison. 
11  faut  en  faire  immédiatement  la  distribution  aux  visi- 
teurs, sous  peine  de  perdre  les  sympathies  en  violant  la 
coutume  du  pays  ;  heureux  quand  nous  pouvons  sauver 
notre  peiitmorceau. 

«  Vous  comprenez,  montrés-révérend  Père,  quel  dé- 
périssement doit  en  résulter  pour  des  honmies  dont  la 
vie  est  aussi  laborieuse  que  la  nôtre.  Rien  ne  servirait 
de  rappeler  leurs  promesses  à  ceux  qui,  par  un  contrat 
formel,  ont  pris  avec  Mgr  le  Vicaire  apostolique  l'enga- 
gement de  nous  nourrir  et  qui  en  ont  reçu  le  payement 
d'avance  ;  nous  aurions  fort  mauvaise  grâce  ;  je  vous  en 
dirai  là  raison  tont-à-l'heure.  D'ailleurs ,  ils  sont  aussi 
aSamés  que  les  autres,  et,  sur  ce  point,  je  ne  fais  pas 
Qne  seulQ  exception ,  depuis  le  roi  le  plus  puissant  jus- 
qu'au dernier  de  ses  sujets.  Cet  état  m'inspirait  dans  le 
principe  la  plus  grande  pitié  ]pour  ce  peuple  ,  mais  JQ 
n'ai  pas  tardé  à  m'y  accoutumer,  par  la  pensée  que  c'est 
son  état  habituel ,  une  conséquence  rigoureuse  de  cette 
hospitalité  qui  autorise  chacun  à  compter  sur  les  autres 
pour  vivre;  C'est  pour  lui ,  il  est  vrai ,  une  déception 
continuelle,  mais  il'  n'y  fait  pas  attention.  Ces  sauvages 
ae  raisonnent  pas  :  sans  souci  du  lendemain*,  ils  n'ont 
pas  même  la  conscience  de  leiir  misère  actuelle  ;  aussi 
n'en  sont-ils  ni  tristes,  ni  abattus,  comme  vous  pourriez 
vous  le  figurer,  et,  malgré  tant  de  souffrances,  ils  ne  lais- 
sent pas  d'organiser  très-souvent  des  fêtes ,  des  chants , 
des  danses^  des  orgies  incroyables. 

«  Et  maintenant,  voyfez,  mon  très-révérend  Pè?c ,  si 
l'cmt  peut  apprécia*  l'esprit  de  ces  gens-éitfi^s  nos 
idées  d'Eurqte.  Les  cbefs  qui  passât  pour  chargés  do 


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430 

^in  de  notre  existence  ,  bien  que  nous  n^en  receviom 
presque aoeun  secours^  ne. s'en  considèrent  pas  mm 
comme  dos  nourriciers,  et  ne  cessent  de  nous  demander 
àce titre  tantAt  unechose^  tantêt ime  antre.  Yo» cro]^ 
sans  doHte  qn'ils  y  nettent  de  la  manvaise  vcdonté?  il 
n'en  est  rien.  D'après  l'asage  dn  pays,  tont  étranger  qui 
se  place  sous  la  protection  d*on  kanacl^aitre  par  là  dus 
la  condition  des  indigène^  c'est-à-dire  qu'il  met  à  la  dé- 
position de  ce  chef  son  avoir  et  sa  personne,  pour  en  r^ 
cevoir  en  échange  la  liberté  de  vivre  comme  les  antres, 
je  veux  dire  comme  il  pourra.  On  a  beau  proposer  ao 
naturels  des  conditions  intermédiairesentre  les  systèmes 
de  communauté  et  d'indépendance  :ilsles  acceptent  sam 
y  comprendre  grand'cbose,  et  ils  en  reviennent  tonjoun 
à  leur  routine.  Jugez  par  là  comment  doivent  s'entendre 
un  évéque  et  des  diefe ,  traitant  ememble,  l'ila  avec  ses 
idées  d'Européen,  les  autresavec  leurs  idées  de  SMivsg^ 
On  n'en  tombe  que  plus  vite  d'accord,  et  chaque  parti 
*se  retire  avec  la  conviction  d'avoir  fait  un  bon  marché. 
En  attendant^  nous  sommes  les  victimes,et  nous  ne  pour 
rions  nous  en  prendre  à  nos  débiteurs  qu'en  ré- 
formant d'abord  leurs  notions  primitives  sur  le  modéte 
des  nôtres  „  ce  qui  nous  est  impossible. 

«  De  là  tant  d'exigences  que  les  chefs  font  peser  sor 
nous  comme  une  dette.  Ce  que  nous  ne  pouvons  leif 
donner,  il  faut  au  moins  le  leur  prêter  ;  ainsi  nos  ustei- 
siles  de  cuisine ,  nos  scies,  nos  haches,  nos  instrumes^ 
aratoires^  circulent  sans  cesse  entre  leurs  mains,  et  no» 
reviennent  rarement  intacts,  Nos  malles  sont  pour  «ff 
un  objet  de  convoitise  continuelle  ;  k  leurs  yeux  »  eH^ 
renfermenr  des  trésers  tnépuî»!iles^  et  réeHement  elto 
•ont  portr  le  pays  uki  Tîcbe  moMHer.  Il  sersh  împwto' 
de  les  ouvrir  en  lenr  présence ,  non  que  nous  ayotf  * 


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«1 

craiodre  des  vols  à  force  ouverte,  mais  seulement  des  de* 
mandes  dont  Je  refus  nous  compromettrait;  nous  viole- 
rions, diraient-ils,  les  lois  delà  communauté >  en  vertu 
desquelles  ils  ont  droit  d^appcller  Zeur  tout  ce  qui  est  à 
nous,  nous  permettant  en  retour  d'appeler  nôtre  ce  qui  est 
à  eux;  et  vous  savez  qu'ils  n*ont  presque  rien.  Ce  sont, 
de  leur  part^  de  fréquentes  questions  pour  savoir  si  kur 
navire  n'arrivera  pas  bientôt  ;  vous  comprenez  qu'Us  en 
attendent  de  nouvelles  largesses,  qui  toutefois  ne  seront 
jamais  grandes*  Nous  en  sommes  au  point  de  craindre 
plutôt  que  de  désirer  l'arrivée  de  ce  bâtiment,  dans  la 
certitude  qu'il  nous  apportera  peu  de  chose^  et  que  nous 
ne  pourrons  contenter  leur  incroyable  cupidité*  Quand 
je  vins  ici,  l'année  d^mière^  avec  Mgr  cPEnes,  on  s'ap* 
perçut  bien  vite  après  son  départ  d'un  refiroidisSement  su* 
bit,  parce  que  l'attente  générale  n'avût  pas  été  satisfaite. 
Le  Bucepkaky  et  deraiëremeM  le  Bhin^  ont  fait  aussi  des 
mécontents,  qooiquje,  dans  l'iatérét  de  la  Mission^  ils  sa 
9M>ient  montrés  plus  gévénsax  ei  plus  cûmphisaais^  que 
ne  le  fat  jamais  a«ciia  navire.  Au  reste ,  es  carac* 
tère  d'avidité  est  ptrtoitt  le  même  en  Oséanie» 

«  Les  |>ré4eBlions  de  ces  hommes  iiiq>érletti  ne  se  bor- 
neat  pas  à  l'usage  de  tout  ce  que  nom  avoas^lles  ^'étea- 
deai  jusqu'à  iiosperooass.U  but  que  nos ibères  «oient  leurs 
done^tiques,  einousHnémes  mus  avons  besMn  cl^adresae 
et  d'én^gie,  pour  ne pa» news  abaisser  en  leur  fawur  è 
des  fonoions  indignes  de  noire  ministère.  Ne  croyez  pas» 
an  reste,  qv'M  nous  sacke  gréde  Mtre  complaisaaoe  et 
de  nos«&acrîficea  :  on  neoi  exf^oîie  comme  on  fait  ei 
France  les  bêles  de^onan  w  les  m^Ms*  Cela  est  froisr 
sam  penr  nos  iâém^  mA  ^«ai  dans  l'prdra  natorel^iei 
leurs.  Oui,  soyez  s&r  que  nous  ne  sommes  pas,  awi  yeus 
des  chefe  et  même  d'tme  grande  partie  du  peuple,  ce  que 
sont  des  nègres  esclaves  aux  yeux  de  leurs  mahres  ;  nous 


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452  . 

sommes  à  peine  pour  eux  ce  qu'estim  boeuf  pour  un  me- 
tdyer ,  et  «haque  jour  nous  .en  acquérons  de  nouvelles 
preuves.  Je  ne  dis  ceci  qu^à  vous,  mon  Pére^  non  poter 
m*en  plaindre,  ni  pour  refroidir  tes  entrailles  de  voire 
charité  envers  nojs  pauvres  sauvages.' Je  sais  d'avance  que 
plus  ils  sont  aveugles  ,  plus  ils  exciteront  votre  pi^é, 
aussi  bien  que  la  nôtre.  Mais  je  vous  le  dis  parce  qae 
•vous  l'avez  exigé  et'  qu'il  vous  importe  de  le  savoir  , 
dans  Tintérét  de  vos  enfants  et  pour  le  succès  de  leur 
Mission. 

«  J'ajoute  que  les  services  et  les  dons  ne  sont  pour 
eux  que  des  titres  h  de  nouvelles  exigences,  et  que  le  plus 
léger  refus  bit  oublier  soudain  toute  espèce  d'obligation, 
provoque  les  menaces  et  les  plus  durs  reproches.  Le 
P.  Chevron  s'est  vu  sur  le  point  d'être  chassé,  avec  le 
P.  Grange,  de  la  misérable  case  qu'ils  habitaient,  pour 
nvoir  prié  un  chef  d'agréer  ses  excuses  de  ce  que  le 
F.  Attale  ne  pouvait  aller  lui  faire'  la  barbe  chez  lui.  Plus 
d'une  fois  il  a  fallu  à  ce  confrère  toute  la  prudence  er 
toute  la  force  d'un  ApAtre  pour  empédier  ce  même  chef 
de  gouverner  la  Mission  à  son  gré.  Et  cependant ,  c'est 
Fnn  de  nos  zélés  et  fervents  néophytes ,  assistant  cliaque 
jonr  à  la  messe  et  à  la  prière^  souvent  agenouillé  au  tri- 
btinal  de  la  pénitence.  Si  un  tel  néophyte^  que  J'appelle 
zélé  et  fervent,  vous  fait  pitié ,  jc'est  que ,  je  le  répète, 
vons  le  juges  d'après  vos  idées  d'Europe  ;  mais ,  placé 
au  point  de  vue  de  Tonga, vous  béniriez  avec  nous  la  di< 
vine  Providence  du  diangettent  que  la  grâce  a  dû  opérer 
dans  cet  bomti^e^  puisque,  au  lieo  de  faire  assonmier  sar 
le  champ  celai  qui  ose  loi  dire  de  légères  observa- 
tions, il  se  contente  d'entrer  contre  lai  dans  des  aecès 
de  colère. 

«  Puisque  j'en  suis  aux  effets  de  la  grlce  ,  ajôutoos , 

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433 

pour  vous  distraire  un  peu  dece  sombre  tableau,  que  ce 
caractère  égoïste  et  féroce  d^  nos  insulaires^  quelque  gé* 
néral  qu^il  soit,  commence  cependant  à  offrir  des  excep- 
tions parmi  nos  néophytes,  ^usieurs  prennent  déjà  un 
soin  plus  vigilant  de  leur  faoïille,  travaillent  davantage, 
ont  pour  nous  des  égards,  nous  aident  à  vivre  selon  leurs 
moyens,  et  surtout  forment  par  leur  conduite  un  contraste 
bien  frappant  avec  la  vie  qu'ils  menaient  dans  le  paga- 
nisme. Vous  apprécierez  d'autant  plus  ce  progrès  qu'ils 
sont  obligés  de  lutter  contre  Topinion,  et  que  le  surcroit 
.  de  travail  qu'ils  s'imposent  n'allège  pas  leur  position  pri- 
mitive, l'hospitalité  s'opposant  comme  un  mur  d'airain 
à  toute  espèce  d'amélioration  individuelle.  11  y  a  bien  des 
courages,  même  en  France,  qui  faibliraient  devant  de  tels 
obstacles.  Toutefois  ces  bons  néophytes  s'affermissent,  et 
leur  nombre  augmente  peuà  peu.  llenest  dont  la  ferveur 
pourrait  être  comparée  à  celle  d'une  communauté  reli- 
gieuse ,  Vils  n'avaient  sans  cesse  besoin  d'être  soutenus 
et  encouragés*  La  Religion  n'a  pas  encore  jeté  en  eux 
d'assez  profondes  racines  pour  qu'un  changement  de  lo- 
calité^ un  voyage  avec  des  parents  payens,  un  séjour  pro- 
longé parmi  les  hérétiques^  et  bien  d'autres  causes  sem- 
blables ne  puissent  ébranler  leur  foi  et  affaiblir  leur  piété. 

€  Povr  en  revenir  à  mon  sujet,  lorsque  j'arrivai  dans 
ces  régions ,  je  trouvai  nos  confrères  exténués  sous  ce 
régime  de  communauté,  et  Mgr  d'Enos,  plus  qu'aucun 
auure ,  en  a  ressenti  les  ineonvénients ,  an  point  de  s'être 
trouvé  dans  la  nécessité,  m'a-t*il  avoué  confidentiellement^ 
de  prier  le  roi  de  Watlis  de  lui  permettre  du  moins  de 
manger  avec  ses  porcs.  Pour  obvier  autant  qu'il  était  en 
lui  à  cette  désastreuse  position ,  le  Prélat  nous  a  fait  venir 
d'Amérique  quelques  vivres;  mais  comme  ils  étaient  de-' 
puis  bientôt  dix-huit  mois  à  bord ,  et  qu'ils  avaient  subi 


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434 
tfes  avaries,  il  â  fiiUu  se  hâter  cPttiYoirlafin.  Lors  même 
4a^ls  eussent  été  frais ,  comment  en  aurions-nous  oon> 
^ené  la  moindre  part  avec  des  faméliques  qui  se  pres- 
saient autour  de  nous  pour%avoir  à  manger  ;  et  les  affamés 
ici,  ne  perdez  pas  œla  de  vue,  c^est  tout  le  monde ^  de- 
puis le  plus  grand  des  rois  jusqu'au  dernier  du  peuple. 

«  n  nous  reste  la  culture  de  la  terre  :  mais  outre  qu'il 
nous  faudrait  des  bras  et  des  instruments  que  nous  n'avons 
point ,  jles  missionnaires  ne  peuvent  s'appliquer  à  ces 
travaux  sans  déchoir  encore  dans  l'opinion  publique. 
D'ailleurs ,  nous  ne  pourrions*  pas  en  même  téknps  cultiver 
la  terre  et  nous  dévouer  à  la  Mission.  Quant  à  nos  deux 
frères ,  l'un  est  usé  par  de  longues  souffrances;  les  du- 
lades  qu'il  faut  traiter  ou  visiter,  ceux  qui  vienneiU  ou 
qu'on  apporte  de  tous  les  coins  de  i'ile,  absorbent  à  peu 
près  tout  son  temps.  L'autre^  le  frère  Reynaud^  a  bien 
entrepris  ime  plantation ,  mais  c'est  lin  rude  travail  qœ 
celui  de  défricher  la  terre ,  avec  la  fiiim,  sous  le  soleil 
des  tropiques.  11  a  néanmoins  obtenu  quelques  ignames 
qui  nous  ont  fait  grand  plaisir.  Par  malheur  ^  il  y  a  perdu 
4«  qui  lui  restait  de  forces  et  de  santé.  El  puis,  encore  une 
M& ,  sous  Tempire  *de  la  loi  commune^  ne  £aut-il  pas 
que  tout  le  monde  ait  part  aux  fruits-  de  sa  peine?  En 
France ,  on  dirait  :  «  Vjoiià  im  firère  qui  s'exténue  pour 
«  entretenir  des  hooMnes  que  nous  devrions  nonrrir 
•  nons-smàmeSypnisqn'ils  nous  rendent  desservices  inap- 
«  préekblet;  an  BMMna ,  aaubigeons-ie  en  l'aidant.  > 
Ici  ce  n'est  plus  cda  9  on cfit  :  «YoMàvB  frère  qui  m- 
«  vayiebea«cottppMrcultîveritMifaaBies;tantaûeix, 
«.  nousenmangeriu.  » 

«  Qn'im  uâ langage  voaspotaiMe étrange,  je  le oqo- 
^oi%  ;  vous  tes  baKtné  aux  sentimenu  générenx.  bis 
parmi  ces  peuples  sauvages ,  les  qualités  du  cœur  sont  à 


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436 

peu  près  inconnues  ;  pour  eux  les  émotions  morales  «e 
sont  9  le  plus  souTont ,  qu*nne  affaire  d^nsage  ou  de  con- 
vention. Ainsi,  pour  en  citer  un  exemple  entre  mitie: 
dans  les  funérailles  (je  parte  des  païens)  il  y  a  un  Keu 
ixé  pour  pleurer;  on  s^y  rend  comme  à  un  festin.  Ce  sont 
alors  des  cris ,  des  vociférations ,  des  hurlements  à 
ân*attler  les  astres»;  on  se  frappe ,  on  se  déchire  le  corps , 
on  s'ampute  les  doigts  ;  et  soudain ,  le  temps  précis  des 

.  larmes  étant  écoulé,  on  passe  à  des  transports^  à  des 
danses ,  à  des  repas  où  Ton  réunit  tous  les  vînmes  d^m 
quartier,et  où  accourent  tous  les  affamés  du  pays.  La  fête 
se  prolonge  ou  se  réitère  suivant  la  dignité  du  mort.  Tou- 
bliaisde  tous  dire  que  celui-ci ,  quelquesjours  avant  son 
décès,  est  placé  hors  de  sa  case ,  sur  la  natte  destinée  à 
Tensevelir,  et  qu'il  voit  faire  sous  ses  yeux  tous  les  ap- 

.  prêts  de  ses  obsèques ,  je  veux  dire  les  préparatifs  des 

réjouissances  qui  suivront  immédiatement  sa  sépulture. 

• 

«  Je  vous  en  ai  peut-être  assez  dit»  mon  très-révé« 
rend  Père ,  pour  vous  donner  un  aperçu  des  peuples  que 
nous  évangélisons,  et  vous  (aire  apprécier  le  vice  d'ime 
situation  qui  nous  frappe  dans  nos  vies,  dans  nôtre*  di- 
gnité et  dans  notre  ministère.  Si  vous  me  demandez  main- 
tenant en  qm  ce  système  pourrait  être  modifié ,  ou  quel 
.  régime  on  pourrait  Itii  substituer  avec  avantage ,  je  vous 
soumettrai  mes  idées  à  ee  sujet,  après  avoir  pris  Tavis  de 
mesconfirères,  qui  sont  plus  anciens  que  moi  dans  ces 
lies. 

c  Quoi  qu'on  ftssepour  remédier  aux  défeuts  du  prb- 
âpe-de  communaùcé ,  il  sera  toujours  un  gouffre  où  vien- 
dront s'engloiitir  les  ressources  de  h  mission,  et  il  ne 
tfous  lawsert  jamais  que  la  perspective  d'uncp  extrême 
misère;  car  cesyaftme  ,  étant  constiiné  comme  il  Tesi , 
oe  pe«  siAvenîr  à  nos  besoins  qn^après  avoir  préalable* 


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436 

ment  pourvu  à  ceux  des  peuples ,  ce  qui  sera  toujours 
impossible.  U  faut  donc  y  i^noncer^  sauf  à  conserver  avec 
\e%  naturek  les  relations  ,  non-seulement  de  ministère , 
mais  encore  de  dévouement  à  leurs  intérêts  temporels. 
C'est ,  du  reste ,  ce  que  uoujs  faisons  tous  les  jours  ;  il 
n'y  a  rien  à  innover  sous  ce  rapport* 

«  Il  faut  ensuite  entrer  dans  la  voie  .des  échanges  avec 
les  indigènes  pour  nous  procurer  des  comestibles.  Vous 
allez  peut-être  croire  que  pour  en  venir  là ,  des  fonds 
énormes  seraient  nécessaires ,  d'après  ce  que  je  vous  ai 
dit  de  la  rareté  des  vivres  ;  pas  du  tout.  Sous  Tempire 
de  la  communauté,  il  semblerait  naturel  que  celtii  qui 
n'a  rien  donné  ne  reçût  rien  ;  ici  on  ne  fait  jamais  ce 
raisonnement.  Aussi ,  ceux  qui  en  trouvent  l'occasion , 
vendent-ils  jusqu'à  leur  dernière  îgname^saciant  d'avance 
qu'ils  n'en  seront  pas  moins  admis  à  partager  la  récolte 
de  leur'voisin.  Les  navirçs  qui  viennent  se  ravitailler 
dans  ces  parages,  trouvent  ordinairement  plus  qu'ils  ne 
veulent  acheier,  et  les  Européens  qui  vivent  ici  à  leur 
frais ,  ont  toujours  plus  à  faire  pour  renvoyer  les  pour- 
voyeurs que  pour  les  attirer.  Le  tout  est  d'avoir  des  ob- 
jets d'échi^ige,  l'argent  n'ayant  pas  cours  dans  nos  îFes. 
Ces  échanges  se  font  à  des  conditions  assez  modérées  ; 
mais,  dussions-nous  acheter  une  et  même  deux  fois  au- 
dessus  du  prix  ordinaire  ,  on  pourrait  encore  nous 
nourrir  sans  dépasser  les  somme»  allouées  par  TŒuvre 
4e  la  Propagation  de  la  Foi. 

«  Quant  aux  établissements  à  fonder,  c'est  à  peu  près 
la  même  chose.  Les  terres ,  du  moins  jusqu'à  présent , 
ne  se  vendent  pas  ;  les  naturels  ne  comprennent  rien  aux 
transactions  où  il  s'agit  d'immeubles*  Mais  les  che(s,  quî 
sympathisent  avec  nous,  nous  céderaient  volontiers  les 
terrains  nécessaires,  et,  bien  que  le  sol  fût  censé  jraster 
leur  propriété,  nous  y  ferions^in^piuiém^t' élever  nos 


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437 

diverses  consli*uctions  à  nos  frais  ;  car  il  serait  contraire  a 
tovtes  les  loi$  du  pays  de  jamais  nous  en  disputer  la  pos- 
session. Les  Européens  ne  suivent  pas  un  antre  sySlème. 

«  Sans  doute ,  les  ministres  protestants  et  leurs  adep- 
tes ne  manqueront  pas  de  crier  à  la  nouveauté ,  lors- 
qu'ils nous  verront  opérer  un  tel  changement  dans  nos 
conditions  d'existence;  mais  nous  sommes  si  accoutumés 
à  les  entendre  crier  pour  des  motifs  îencore  plus  ab- 
surdes, qu'ils  ne  faut  pas  s'inquiéter  de  leurs  clameurs. 
Quant  à  nos  néophytes ,  il  nous  sera  facile  de  lever 
*  tous  les  scrupules  qui  pourraient  troubler?  leur .  cons- 
cience à  cet  égard ,  et  de  leur  faire  comprendre  que  la 
Religion  n'a  rien  de  commun  avec  la  manière  dont  nous 
nous  procurons  des  vivres,  qu'on  peut  modifier  l'une 
5a ns  toucher  à  Tautre*  D'un  autre  côté,  ne  craignez  pas 
que  ce  nouveau  régime  nous  assimile  aux  ministres  pro- 
testants. Il  y  aura  toujours  entre  eux  et  nous  assez  de 
différence  aux  yeux  des  naturels;  car,  outre  la  dis- 
tinction des  doctrines,  notis  continuerons  de  nous  dé- 
vouer au  soin  des  malades,  de  rendre  à  tous  les  ser- 
vices qui  dépendent  de  nous ,  de  faire  même  les  dons 
que  pourra  nous  permettre  notre  pauvreté  >  ce  que  les 
ministres  ne  font  jamais  gratuitement. 

«  Vous  voyez  donc^  mon  trèsrrévérend  Père,  qu'il 
faut*prendre  un  parti  et  opérer  au  plus  tôt  une  réforme 
que  vous  jugerez  ,  comme  nous,  absolument  nécessaire. 
Elle  est  possible ,  gr&ce  aux  secours  que  TOEvre  de  la 
Propagation  de  la  Foi  daigne  nous  allouer  ;  elle  est  ur- 
gente \  car  outre  que  nos  souffrances  sont  de  nature  h 
user  rapidement  les  hommes ,  notre  mission  n'a ,  dan» 
le  système  actuel,  d'autre  perspective  ,  après  une  exis- 
tence précaire  ,  qa*un  avenir  de  privations  et  de  dô- 
oouragement. 

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TEurope  odnraient  'plas  de  ressources  aa  zèle  c(u  Mis- 
sionnaîre.  11  me  semble  que  que  le  spectacle  de  notre  dé- 
vouement ,  de  nos  sacrifices  et  de  nos  misères ,  ferait 
sur  elles  une  toute  autre  impression  ,  qu'il  ne  fait  sur  dos 
.  pauvres  insulaires.  Un  obstacle  de  plus  à  signaler ,  est 
la  conviction  où  sont  les  naturels ,  que  nul  peuple  sons  le 
soleil  ne  les  égale  en  noblesse,  en  puissance ,  en  talents. 
Lesétrangersquiseprésententavec  l'appareil  de  la  force, 
comme  font  les  commandants  des  bâtiments  de  guerre, 
excitent  encore  leur  admiration  ;  mais  jamais  dans  leor 
opinion  ils  ne  les  élèvent  jusqu'à  eux.  Les'autres  ne  re- 
cueillent que  leur  mépris,  et  nous-mêmes  ne  sonmies  à 
leurs  yeux  que  des  misérables,  venus  dans  leurs  ile>  pour, 
chercher  une  existence  que  nous  refusait ,  sans  doute, 
notre  pays  natal.  Le  ministère  apostolique  est  trop  an- 
dessus  de  leur  conception  ,  pour  qu'ils  puissent  de  long- 
temps en  apprécier  les  motifs.  Notre  pauvreté  volontaire 
est  pour  eux  unechiptière  et  un  scandale  ;  et  les  ministres 
protestants ,  entourés  du  prestige  de  l'opulence ,  né  man- 
quent pas  de  les  affermir  dans  ce  sentiment.  Ajoutex  i 
tant  d'entraves  toutes  les  passions  fomentées  par  Tido- 
latrie;  ajoutez  beaucoup  d'autres  oppositions  locales, 
que  les  bornes  d'une  lettre  ne  me  permettent  pasd'effleo- 
rer  ,  et  vous  aurez  une  idée  des  travaux  préliminaires 
qui  sont  notre  partage  ,  pour  disposer  ces  peuples  à 
entendre  parler  de  religion. 

€  11  est  temps  ,  mon  Père  ,  de  finir  cette  4ettre  que 
vous  trouverez  bien  longue ,  quoiqu'elle  ne  dise  pas 
tout.  En  la  lisant  avec  quelque  attention  ,  vous  y  re^ 
marquerez  sans  doute  des  contradictons  frappantes.  Je 
les  ai  senties  moinnème ,  et  elles  sont  d^  deux  sortes  ; 
les  unes  seulement  apparentes  ,  .et  les  autres  réelles.  Je 
n'aurais  pu  faire  disparaître  les  premières  qu'à  l'aide 
«Texplications ,  qui  auraient  trop  chargé  mon  texte.  Les 

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441 

autres  doivent  être  attribuées  aux  anomalies  de  I^esprit 
humain  ,  elles  ont  principalement  rapport  aux  peintu- 
res que  j*ai  tracées  du  caractère  de  ces  peuples.  S'il  se 
trouve  des  inconséquences  dans  le  caractère  des  nations 
civilisées,  dont  les  idées  sont  censées  avoir  plus  de  recti- 
tude ^  à  plus  forte  raison  doit- on  s'attendre  à  en  ren- 
contrer dans  le  génie  inculte  de  nos  sauvages. 

«  Notre   consolation  et  notre  espérance ,  dans  l'iso- 
lement absolu  où  nous  sommes  ,  est  que  vous  éleyez 
pour  nouai  vos  mains  vers  le  Seigneur.Priez  et  faites  prier 
nos  confi  ères  ,  ainsi  que  les  personnes  pieuses.  Que  le 
bon  Dieu  soutienne  notre  courage  et  fasse  de  nous  des 
hommes  selon  son  cœur  !  que  Marie  nous  bénisse  et  nous 
couvre  de  sa  protection  i  nous  sommes  en  voie  d'acqué- 
I  ir  bien  des  mérites  «  si  nous  avons  assez  de  vertu  pour 
sanctifier  nos  peines  I  Priez  aussi  pour  nos  pauvres  et 
bien  aimés  sauvages  ;  plus  ils  sont  aveugles  ,  plus  ils 
ont  besoin  qu'on  dilate  pour  eux  des  entrailles  de  ten- 
dresse. 11  y  en  a  déjà  beaucoup  au  del,qui  se  souviennent 
de  nous  et  de  leurs  frèes  devant  le  trône  de  Dieu.  Un 
plus  grand  nombre  se  félicite  près  de  nous  d'avoir  enfin 
ouvert  les  yeux  à  la  lumière  ,  et  nous  avons  la  confiance 
que  de  grandes  miséricordes  sont  réservées  pour  les  au- 
tres, dans  les  trésors  secrets  de  la  divine  Providence.Puis- 
sions-nous  être  dignes  de  leur  en  ouvrir  la  source,  et  de 
recevoir  pour  nous-mêmes  la  part ,  dont  nous  avons  un 
si  pressant  besoin  !  C'est  en  exprimant  ces  vœux  que  je 
vous  supplie ,  mon  très-révérend  Père  ,  de  daigner  nous, 
bénir  tous. 


•  Calibkiiv,  s.  m.  ^ 
TOM.  xviii.  108.  29 


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442 


MISSIONS  DU  CANADA. 


Lettre  du  R.  P.  Auhert ,  Missionnaire  Oblat  de  Marie 
Immaculée  ,  à  son  frère.  Missionnaire  de  la  même 
Société. 


Si.  Boniface  ,  Rivière  Roufe  »  le  26  août  1S45 

«  Mon  bien  cher  FRèRe , 


«  Jeté  par  la  Providence  à  huit  cents  lieues  de  Moat- 
réal ,  au  milieu  des  tribus  sauvages  de  rAnoérique  di 
Nord  ^  je  vais  vous  faire  connaître  en  peu  de  mots  ta 
nouvelle  contrée  que  j'babite,et  vous  tracer  one  esquisse 
de  mon  dernier  voyage. 

«  Le  25  juin ,  nous  partîmes  du  petit  village  de  La* 
chine  ,  à  trois  lieues  de  Montréal.  Notre  embarcation 
était  un  canot  d'écorce  de  bouleau.  Nous  devions  «  sur 
cette  Irugiie  nacelle  ,  vivre  pendant  deux  mois,  et  par- 
courir d'immenses  pays  ,  presque  partout  inhabités. 
Quatre  Canadiens  et  deux  Iroquois  formaient  notre  équi- 
page; les  passagers  éuient  le  Père  Taché  et  moi.  Nour 


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441 

•mportioub  avec  aous  des  prQvi&ioBS  de  bouche  pour  ce 
long  trajet ,  quelques  pièces  de  loile  et  des  couvei- 
lures  de  laine  qui  devaient  nous  servir  de  lit  ;  nos  ra- 
meurs  y  avaient- ajouté  des  fusils  ,  des  munitions  de 
chasse  et  des  lignes  pour  la  pécke. 

«  Le  voyage  en  canot  est  de  tous  les  noyeii^  de 
transport  le  plus  commun  et  le  moins  pénible*  Un  ca- 
not d'écorce,  long  de  vingt  pieds ,  large  de  quatre  ,  sur 
deux  de  profondeur ,  porte  dix  voyageurs  et  leur  ha* 
gage  ;  il  flotte  sur  les  moindres  ruisseaux  ,  et  traverse 
les  lacs  les  plus  étendus.  Six  rameurs  font  sans  peine 
vingt  lieues  par  jour  ,  et  Ton  ne  s'aperçoit  du  mouve- 
ment qu'ils  lui  impriment,  qu'aux  objets  qui  semblent 
fuir  sur  la  rive.  Puis,  quand  la  navigation  devient  im- 
possible j  deux  hommes  chargent  aisément  Tesquif  sur 
leurs  épaules. 

«  n  y  a  bien  aussi  quelques  désagréments.  Le  soir 
venu ,  on  ne  trouve  pour  logement  qu'une  tente  dressée 
i  la  hâte  sur  la  rive ,  et  pour  lit  que  la  terre.  11  ne  faut 
demander  i  ces  contrées  sauvages  ni  des  hAtelleriei 
eonune  en  Europe  ,  ni  Thospitalité  des  maisons  religieu* 
ses.  Je  ne  vous  dirai  rien  des  repas  :  le  Missionnaire 
n*a  pas  à  se  plaindre  de  cet  apprentissage  de  la  vie 
des  forêts  ,  quand  il  doit  passer  la  sienne  avec  des  sau- 
vages. Je  n'ajouterai  rien  non  plus  sur  les  dangers  de 
la  navigation  ;  notre  confiance  était  plus  encore  dans 
TEtoile  des  mers  que  dans  la  force  et  Thabileté  de  nos 
rameurs. 

«  La  vie  du  canot  n'est  pas  entièrement  monotone  t 
on  peut  y  lire  et  même  y  écrire  à  son  uise.  Les  paysages 
les  plus  pittoresques  se  succèdeoJt  sous  les  regards;  le 
diantdes  rameurs  anime  la  solitude.  Nous  mêmes,  noue 

29. 


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444 

diantions  souvent  qiielqaes-uns  des  cantiques  de  France  ; 
c'était  un  délassement ,  et  une  source  de  pieuses  pen- 
sées que  nous  communiquions  à  nos  matelots.  Là  ne  se 
bornaient  pas  les  exercices  religieux  de  l'équipage  ; 
outre  la  prière  commune  sous  ia  tente  improvisée  <k 
diaque  soir  ,  nous  récitions  ensemble  sur  la  barque  le 
Gbapelet,et  nous  faisions  une  pieuse  lecture.  Le  dimao- 
che  ,  dans  la  solitude  des  forêts  ,  était  aussi  pour  noQ& 
le  jour  du  Seigneur.  Une  tente  mieux  parée  que  de  cou- 
tnme  devenait  Téglise  du  Dieu  vivant  ;  on  y  élevait  un 
autel  sur  des  troncs  d'arbres  couchés  près  du  rivage  ; 
des  fleurs  sauvages  Tornaient  de  leurs  couleui*s,et  repas 
daient  tout  .autour  leurs  parfums.  Là  descendait  la  vic- 
time qui  partout  s'immole  pour  le  salut  du  monde;  là 
s'accomplissait  d'ime  manière  touchante  la  parole  di 
Prophète  :  q^t  du  couchant  à  Vaurore  on  offre  d  Dieu 
une  ohlation  pure  et  sans  tache. 

€  La  solitude  jette  une  même  empreinte  sur  tous  les 
pays  que  nous  avons  parcourus.  Le  bruit  des  rames,  le 
sifflement  des  écureuils  et  le  cri  des  oiseaux  parviennent 
seuls  à  l'oreille.  Des  arbres  ,  des  rochers  et  des  eaux , 
c'est  là  tout  ce  que  l'œil  aperçoit.  A  peine  trouve-t^» 
çà  et  là  des  traces  de  l'homme  ,  quelques  postes  de  b 
Compagnie  de  la  Baie  d'Hudson  »  et  des  huttes  de  sao- 
vages ,  écheloimées  à  de  grandes  distances  sur  les  bords 
des  lacs  et  des  rivières. 

«  Nous  avons  traversé  d'abord  le;  lac  de  St^^Lomsti 
celui  des  Deux  Montagnes  ,  auprès  duquel  les  Solpî- 
ciensontune  Mission  pourles  Iroquois  et  les  Âlgon- 
quins.  On  remonte  ensuite  l'Ottawa  et  le  Mattawan ,  on 
deses  affluents  qui  coule  de  l'ouest  à  l'est.  Sur  le  cours 
abondant  et  limpide  de  l'Ottawa  ,  la  grande  rivière ,  se 
trouvent  Bytown  avec  nne  maison  de  notre  ordre,  et  de 


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446 

nombreux  cfaauUers  visités  par  nos  Pères.  Au  delà,  il  est 
souvent  nécessaire  de  transporter  le  canot  d'une  riviire 
à  l'autre  ;  mais  ces  portages  ont  peu  d'étendue  ;  on  en 
compte  ,  jusqu'à  la  Rivière  Rouge  ,  quatre-vingt  qui 
comprennent  à  peine  ,  tous  ensemble,  la  distance  de  dix 
lieues. 

«  La  rivière  des  Vases ,  que  l'on  prend  sur  le  ver- 
sant opposé  au  bassin  du  Matta^van  ,  est  d'abord  si 
étroite  qu'à  peine  la  barque  peut  y  passer.  Elle  va  s'é- 
lai^issant  peu  à  peu  jusqu'au  lac  Nipissing  où  elle  a  son 
embouchure.  Ce  lac ,  dont  nous  avons  traversé  une 
partie  considérable  ,  est  très-dangereux  ,  parce  que  les 
eaux  y  sont  basses  et  que  le  moindre  vent  y  soulève  des 
vagues.  Des  croix  plantées  sur  des  tombeaux ,  dans  une 
presqu'île  que  l'on  touche  en  passant,  avertissent  du  pé- 
ril l'imprudent  voyageur.  Ce  n'est  pas  là  seulement  que 
que  nous  avons  rencontré  de  ces  monuments  funèbres  ; 
ils  se  montrent  encore  auprès  de  quelques  rapides,  où 
ils  protègent  les  débris  de  plus  d'un  naufrage. 

«  Le  lac  Nipissing  s'écoule  par  la  rivière  des  Fran- 
çais dans  le  lac  Huron  ,  un  des  plus  remarquables  de 
l'Amérique  par  sa  grandeur ,  la  limpidité  de  ses  eaux 
et  la  multitude  de  ses  lies.  La  stérilité  de  ses  rives  , 
fait  éprouver  à  l'œil  on  pénible  contraste.  Les  arbres  y 
croissent  à  peine  et  n'ont ,  pour  nourrir  leurs  nctnes , 
qu'  une  terre  maigre  et  sans  profondeur  ;  c'est  une  végé- 
tation pauvre  sur  des  oôtes  rocailleuses  :  on  ne  découvre 
nulle  part ,  si  ce  n'est  à  l'embouchure  des  rivières  ,  cas 
vallées  ou  ces  prairies  dont  l'herbe  épaisse  et  verdoyante 
sinnonce  un  sol  fertile.  Par  compensation,  tous  ces  lacs 
oflrent  une  pèche  abondante. 

«  Le  saut  Sif  .-Marie  éublit  une  communioatioa  entre  te 
lac  Huron  et  le  lac  Supérieur,  le  plus  grand  de  Tuniveri, 


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44S 

puisqu'il  égale  plusieurs  mers  ea  étendue.  Nous  en 
avetn  côtoyé  ia  partie  septentrionale  sur  une  longueer 
49  160  lieues,  que  Ton  traverse  en  buit  jours,  quand  1^ 
temps  est  cakne. 

«  Après  avoir  remonlé  la  Taminîstîquia  ,  que  plH- 
sieurs  géographes  regardent  comme  la  plus  haute  source 
du  Sî.-Laurent ,  on  arrive  ainsi  sur  un  plateau  de  mé- 
diocre étendue ,  qui  sépare  le  Canada  du  territoire  de  la 
Baie  d'Hudson.  A  partir  de  ce  point ,  les  eaux  coulesc 
vers  Touest  et  forment  différents  bassins^depuis  la  rivière 
de  la  Savane  jusqu'au  lac  Winipeg  ,  qui  a  près  de  œflt 
lieues  de  longueur. 

«  C'est  là  que  se  décharge  la  Rivière  Rouge  ,  sur  tes 
bords  de  laquelle  est  bâti  le  village  de  St.-Boniface  , 
résidence  de  Mgr  Provenchère  ,  Evêque  de  Juliopoliset 
Vicaire  apostolique  de  la  Baie  d'Hudson.  Là  devaii  aussi 
lie  terminer  notre  longue  et  aventureuse  navigation. 

«  L'accueil  bienveillant  du  Prélat  nous  a  fait  oublier 
bientôt  les  fatigues  de  la  traversée.  La  beauté  du  pays , 
rhetireux  naturel  de  nos  sauvages  ,  tout  a  contribué  à 
rendre  heiureuses  les  premières  impressions  qui  noos 
nem  venues  de  notre  nouvelle  patrie. 

«  Les  Indiens  ,  que  nous  devons  évangéliser ,  co»- 
mencent  à  se  montrer  à  mesure  qu'on  avance  vers  le 
lac  Supérieur  ;  m^  rarement  encore  en  tronve-i^nite 
Membreuses  femitles.  Ils  ne  viennent  par  bande  qn^a» 
4Wers  postes  de  la  Compagnie  tle  la  Baie  d'Hadton  »  oi 
^fM'étdvangeflfi  les  protluitsde  leur  diasseeontre  lettMcu 
((ttl  setvenf  à  leur  iftage. 

«  En  général ,  ils  sont  peu  soucieux  du  lenflemaîn  ; 
tien  qu'ils  ne  eonnaissetft  poîm  quel  livre  renferine  la 
itaimf^4  i^aquef^ikptMpàmj  ils^vait  par 

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447 

raitement  la  mettre  en  pr ajdqae  dans  un  ^ns  matériel. 
Ils  n*ont  pas  même  Tidée  de  faire  provision  de  vivres 
pour  quelque  temps  ;  aussi  quand  la  chasse  et  la  pèche 
viennent  à  manquer  ,  se  trouveraient-ils  dans  la  plus 
$;rande  détresse  ,  s'ils  étaient  délicats  sur  le  choix  de 
leur  nourriture.  Leur  maison  est  une  cabane  de  forme 
conique,  qu'ils  couvrent  avec  l'écorce  du  bouleau.  Ils 
ont  pour  vêtement  une  espèce  de  capote  qui  varie  selon 
les  lieux  et  les  goûts.  Leurs  rapports  avec  les  Blancs 
les  portent  à  imiter  leur  manière  de  se  vêtir.  Mais  ce 
qui  est  digne  de  remarque,  c'est  que  dans  leur  costume, 
les  hommes  et  les  femmes  surtout ,  ont  une  attention 
particulière  à  ne  jamais  blesser  les  lois  de  la  pudeur. 
Les  sauvages  qui  appartiennent  au  vaste  district  de  Mgr 
de  Julîopolis^  paraissent  plus  intelligents  que  ceux  du 
Canada  et  sont ,  je  suppose  ,  plus  susceptibles  d'être 
instruits  et  civilisés. 

«  Notre  arrivée  a  fait  ici  une  grande  impression  ; 
on  nous  regarde  comme  des  personnages  extraordinai- 
res. Les  Sauteux^  tribu  qui  habite  aux  environs  du  lac 
Winipeg  ,  savent  déjà  que  des  roheê  noires  viennent 
d*au  delà  du  Grand  Lac  (  c'est  ainsi  qu'ils  appellent 
rOcéan) ,  leur  enseigner  la  prière  du  grand  Esprit.  Ils 
désirent  ardemment  de  nous  voir ,  et  plusieurs  ont  déjà 
fait  plus  de  dix  lieues  pour  se  procurer  cette  visite.  On 
vient  de  nous  présenterun  jeune  homme  de  cette  tribu, 
la  tété  ornée  de  belles  plumes ,  et  le  visage  tout  enin  • 
miné  de  vermillon.  Il  n'a  pas  paru  trop  intimidé.  Après 
nous  avoir  considérés  avec  aaention  ,  il  s'est  approché 
de  nous,  et  montrant  la  croix  de  Missionnaire  que  nous 
portons  sur  la  poitrine,  il  a  demandé  si  c'était  là  le  Ma- 
niUm  (Dieu)  ;  on  lui  a  répondu  que  c'était  son  fils 
venu  parmi  les   hommes  pour  les  sauver.   A  mon  tour 


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448 

je  me  suis  informé  s'il  était  de  la  prière  (la  Religion  catho- 
lique) ,  et  sur  sa  réponse  négative ,  je  lui  ai  dit  qve  s'il 
ne  s'en  mettait  point ,  il  ne  verrait  pas  un  jour  le  Grand 
Esprit;  il  a  répondu  alors  qu'il  voulait  y  rét^fr. 

«  J'ai  l'intime  conviction  qu'un  nombre  suffisant 
d'ouvriers  apostoliques  dissiperaient  bientôt  ici  les  té- 
nèbres de  l'infidélité.  Mais  les  quelques  Missionnaires 
qui  partagent  les  travaux  de  Mgr  de  Juliopolis ,  ne  peu- 
vent se  montrer  à  un  poste  sans  se  voir  aussitôt  forcés 
de  le  quitter  poiu*  d'autres  ,  oiileur  présence  estréda 
mée.  Il  n'est  pas  de  prêtre  ici  qui  ne  tasse  au  moins  cioq 
cents  lieues  par  an.  On  est  souvent  obligé  de  revenir 
au  point  du  départ ,  et  comme  on  ne  peut  parcourir  ce> 
contrées  que  dans  la  belle  saison,  la  plus  grande  partie 
du  temps  destiné  à  visiter  les  infidèles  est  prise  par  b 
voyages.  Vous  voyez  combien  il  est  nécessaire  qu'où 
vienne  à  notre  secours  sous  tous  les  rapports. 

«  Veuillez  ,  mon  trè>-cber  frère ,  remercier  Dieu  de 
ce  que  sa  sollicitude  a  éloigné  de  nous  tout  accident , 
pendant  cette  lon^^ue  course.  Demandez  lui  pour  nous  U 
grâce  de  répondre  à  notre  sainte  vocation ,  et  de  remplir 
dignement  le  beau  ministère  qu'il  nous  a  confié. 

«  Croyez  moi  »  etc. 

«    PlfiRBE  AuBEltT  y 

P,  Mmionnaire ,  O»  M.  J,  • 


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449 


Lettre  du  P.  LaverUchêire  ,  Missionnaire  Oblat  de 
Marie  Immaculée^  au  R.  P.  Bellon^  de  la  même 
Société, 


LoDgueil,  22  septembre  18i3. 


«  Mon  RÉTéRBND  Pbr£  , 


«  Vous  savez  déjà  que ,  Tannée  dernière  ,  je  fus 
chargé  de  porter  la  parole  du  salut  aux  sauvages  de 
rOttawa.  Cette  année  ,  c'est  encore  sur  moi  qu'a  pesé 
ce  redoutable  et  précieux  ministère.  J'ai  eu  pour  com 
pagnon  le  Père  Garin  »  qui,  bien  que  peu  familier  avec 
la  langue  indienne  ,  a  beaucoup  contribué  à  alléger  le 
poids  de  mes  fatigues. 

«  Le  6  mai ,  après  avoir  eu  le  bonheur  d'offrir  ,  tous 
les  deux ,  l'auguste  sacrifice  ,  et  nous  être  mis  sous  la 
protection  de  Marie  Immaculée,  nous  partîmes  de  Mont- 
réal poiur  aller  équiper  un  canot ,  au  lac  des  deux  Hou- 
uignes.  Noos  avions  avec  nous  sept  hommes  pour  le 
conduire ,  quatre  Iroquois  ,  deux  Algonquins  et  un  Ca- 
radien.  Cette  diversité  d'origine  faisait  de  notre  léger 
esquif  une  petite  Babel  ;  on  ne  s'y  entendait  pas.  Le 
aoir  ,  quand  nous  avions  pris  notre  modeste  repas  ,  ei 
le  matin  avant  de  nous  mettre  en  route  ,  nous  notis  di- 
viaions  en  trois  bandes  pour  louer  ,  chacun  dans  notre 
Uttfw,  ^Diiu  des  naêions. 


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440 

«  En  remonlant  l'Oliawa  ,  nous  apprîmes  que  plu- 
sieurs jeunes  caDadiens  s'étaient  noyés  dans  cette  rivière, 
qu'ils  traversaient  sur  des  radeaux.  Grand  nombre  de 
chasseurs,  à  qui  nous  racontâmes  cet  accident»  en  con- 
çurent une  impression  salutaire  ,  et  plusieurs  demandè- 
rent à  se  confesser.  Le  cours  de  TOitawa  était  si  rapide 
que  nos  sept  rameurs  eurent  une  peine  incroyable  à  at- 
teindre le  fort  desPetttes^  allumeUs,  où  nous  arrivâmes 
le  33  mai.  C'était  le  premier  poste  que  je  devais  évan- 
géliser. 

m  Je  ne  sais  quel  noir  pressentiment  s'emparait  de 
moi,  à  l'approche  de  cette  station,  qui  pourtant  m'était 
bien  chère.  Le  bruit  avait  couru  que  la  mort  y  avait 
exercé  ses  ravages,  l'hiver  dernier  ;  j'en  eus  bientôt  la 
triste  preuve  sous  les  yeux*  A  peine  débarqué  ,  je  vis 
venir  à  moi  une  quinzaine  de  femmes  ,  tenant  au  bi^s 
des  enfants  encore  en  bas  âge  :  «  Nos  maris  sont  par 
«  tis  ,  me  dirent-eiles  toutes  ensemble  !  —  Où  sont-ils 

•  donc  allés  ,  mes  enfants  ,  leur  demandai -je  ?  —  Là 

•  haut ,  je  pense,  me  répondit  l'une  d'elles ,  jetant  ven> 

•  le  ciel  un  regard  plein  de  larmes;  puis,  elle  ajouta  : 

•  Oh  I  si  tu  savais  ,  mon  Père  ,  combien  j'étais  triste 
«  cet  hiver  dans  le  bois  ,  lorsqu'il  a  été  visité  par  la 
«  mort  ,  mon  mari  I  «  Je  ne  verrai  donc  plus  la  r^b* 
«  notre  I  plaise  à  Dieu  que  je  la  revoie  ,  pour  qu'dfe 

•  me  purifie  de  mes  péchés  !  »  C'était  ainsi  qu'il  disiitt 
«  mon  mari.  »  Plusieurs  autres  me  répétèrent  la  oitoie 
plainte,  avec  un  acœnl  qui  me  déchirait  lecoeur.  L'an- 
née  dernière  ,  en  qmttant  ces  okers  Indiens  nous  la^- 
«tons  bien  quelques  maladûs  ,  huhs  nous  n'aurions  ja- 
mais penf^é  que  la  mort  en  dAt  frappor  on  aussi  i^rand 
Mmbre.  Trente^n  ,  dans  la  force  de  Vàge  ,  ost  suc- 
combé pendant  l'hiver  ;  la  plupart  amiort  ombrasse  !• 
Soctéié  de  Tempérance  et  vmûonc  foft  chrétitBiMMtf* 

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461 

«  J*avais  déjà  tellement  pris  en  affeciien  ee  tronpeâM 
désolé ,  que  je  ne  le  quittai  qu'à  regret.  Tandis  que  nos 
rameurs  chargeaient  le  canot  ,  et  que  tous  mes  cfaern 
enfants  étaient  là,  tristes  et  silencieux ,  une  femme  s'if- 
procfae  de  moi  d'nn  air  mystérieux  et  me  dit  :  €  Remc 
mittin  keko  nassa  ,  je  veux  te  donner  quelque  ekoee  , 
mon  f  ère.  »  En  même  temps  elle  me  présente  une  petite 
cassette  de  sucre  d*érable  ,  en  ajoutant  :  «  Quand  le 
«  sucre  a  coulé  de  Farbre,  j'ai  pensé  à  toi ,  et  j'ai  dit: 
«  Voilà  ce  que  je  donnerai  à  notre  père ,  la  robe  noire , 
«  lorsqu'il  \iendra  nous  instruire  de  la  sainte  prière  du 
«  Grand  Esprit.  »  J'aurais  foit  une  peine  extrême  à 
cette  bonne  femme  ,  en  révisant  son  laodeste  présent  ; 
car  c'est  de  tout  son  cœur  que  le  sauvage  donne. 

«  A  trente  lieues  du  poste,  nous  rencontrâmes  une 
huitaine  de  familles  qui  venaient  à  la  Mission.  Je  fus 
d^c  obligé  ,  pour  dédommager  ces  braves  gens  ,  de 
m'arrêter  deux  jours  au  milieu  de  leurs  tentes.  Je  les 
^confessai  tous ,  et  après  leur  avoir  dit  la  sainte  Messe  . 
où  quelques-uns  communièrent ,  nous  nous  remîmes  en 
route. 

«  Quinze  lieues  plus  loin  ,  au  passage  d'un  rapide 
appelé  V Eveillé ,  nous  attendait  une  terrible  épreuve. 
Arrivés  au  pied  de  cette  chute  ,  qui  peut  avoir  trois  mij- 
les  de  loaguenr  ,  nous  déposâmes  à  terre  la  moitié  4^ 
notre  charge  pour  remonter  plus  aisément ,  et  je  restai 
là  pendant  que  le  P.  Garin  franchissait  le  premier  ce 
mauvais  pas.  Nos  hommes  ,  après  l'avoir  transporté  à 
[*autre  extrémité  du  rapide ,  devaient  venir  me  prendre 
à  mon  tour  ,  et  avec  moi  le  reste  de  nos  effets.  Trois 
heures  s'étaient  déjà  écoulées ,  et  je  commençais  &  être 
inquiet  pour  nos  rameurs  ,  quand  tout  à  coup  je  tes  ris 


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462 
venir  à  travers  les  bois ,  mouillés  jusqu'aux  os  et  pâtes 
comme  la  mort.  Ils  me  racontèrent  en  tremblant  CDCore 
Taccident  qui  leur  était  arrivé.  Ils  redescendaient  vers 
moi ,  et  le  canot ,  entraîné  par  le  courant  et  pouiBsé  par 
un  vent  impétueux,  voguait  avec  la  rapidité  de  l'éclair, 
quand  il  heurta  contre  un  tronc  d'arbre  qui  le  brisa  en 
deux.  Tous  les  hommes  tombèrent  dans  Teau  ,  et  ce  ne 
fut  qu'à  grand'  peine  qu'ils  gagnèrent  le  rivage.  Deux 
se  seraient  infailliblement  noyés  ,  si  les  autres ,  très- 
habiles  nageurs  ,  ne  leur  eussent  porté  secours.  Sans 
prendre  un  instant  de  repos,  ils  retournèrent  au  fort  des 
ÀUumeitei  ,  pour  y  acheter  une  nouvelle  barque  ,  qui 
fût  propre  à  continuer  le  périlleux  voyage. 

«  Pour  moi ,  j'éprouvais  une  peine  extrême  »  en  sou 
géant  à  l'anxiété  dans  laquelle  se  trouvait  le  P.  Garin. 
JDemeuré  seul  en  haut  du  rapide ,  à  une  lieue  au*dessus 
de  nous,  sur  la  rive  opposée ,  sans  feu ,  sans  vivres,  sans 
savoir  ce  que  nous  étions  devenus,  et  nous  croyant  tous 
noyés ,  il  dut  passer  une  nuit  affreuse.  Il  avait  près  d« 
loi  tous  les  bagages ,  et  moi  toutes  les  provisions.  Ce  fut 
le  lendemain  soir  seulement ,  qu'il  trouva  par  hasard 
un  morceau  de  pain  ,  que  notre  cuisinier  avait  jugé  ù 
propos  de  mettre  dans  un  sac  avec  nos  chaussures.  Oh  ! 
qu'une  séparation  de  ce  genre  fait  bien  sentir  ce  que 
vaut  un  frère  et  un  ami  î  Le  canot  qui  me  transpona  au 
delà  du  fleuve,  n'avait  pas  encore  atteint  le  rivage,  que 
déjà  nous  étions  dans  les  bras  l'un  de  Tautre. 

«  Yoilàleseul  accident  remarquable  que  j'aie  à  vou^ 
signaler  ,  mon  révérend  Père ,  bien  que  plus  d'une  fois 
encore  notre  frêle  barque  ait  failli  périr  et  quelques- 
uns  de  nos  hommes  se  noyer.  Pour  les  deux  Hissionnai 
^  »  ils  n'ont  couru  aucun  danger  imminent  :  Marie  Im- 


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463 

maculée  ,  leur  auguste  mère  ,  veillaii   sans  cesse  sur 
leurs  jours. 

m  De  lè  nous  poursuivîmes  notre  route  vers  Ternis- 
kaming  ,  où  nous  arrivâmes  heureusement  le  11  juin. 
Nous  y  étions  attendus  avec  impatience.  J'eus  la  conso- 
lation d'apprendre  que  sur  six  cent  vingt-cinq  personnes 
agrégées,  Tannée  dernière ,  à  la  Société  de  Tempérance, 
une  seule  avait  manqué  à  son  engagement.  Vingt-cinq 
autres  se  sont  empressées,  sur  notre  invitation  «d'en  faire 
partie.Cette  tendance  des  sauvages  vers  la  sobriété,  vous 
paraîtra  d'autant  plus  admirable,que,  depuis  l'arrivée  des 
blancs  parmi  eux  ,  l'ivrognerie  a  été  leur  passion  do- 
minante ,  la  source  de  leurs  malheurs. 

«  Il  existe  entre  Temiskaming  et  le  Grand  Lac ,  une 
famille  dont  chaque  membre  ,  le  père  et  ses  neuf  fils  , 
s'était  rendu  fameux  par  des  excès  de  tout  genre.  C'était 
la  terreur  de  la  contrée.  Tous  les  ans  il  en  venait  quel- 
ques-uns au  poste  durant  la  Mission  ;  mais  jamais  ils  n'a- 
vaient songea  se  faire  insti-uire.  Deux  jours  avant  notre 
départ  de  Temiskaming^  j'appris  que  le  père  était  campé 
à  peu  de  distance.  Je  vais  le  trouver  ,  et  pensant  au  di- 
vin Pasteur  ,  qui  recherchait  avec  tant  d'ardeur  et  de 
tendresse  la  brebis  égarée,  je  l'aborde ,  je  l'embrasse,  je 
lui  parle  de  la  bonté  de  Dieu  et  de  sa  justice ,  je  lui  mon- 
tre l'image  du  Sauveur  mort  sur  la  croix  pour  notre 
amour.  Il  parut  tout  étonné  de  ma  démarche,  et  je  crus 
remarquer,  sur  cette  vieille  et  hideuse  figure,  quelque 
chose  de  moins  repoussant,  depuis  que  je  lui  parlais  de 
'  ta  miséricorde  infinie  de  Dieu  pour  les  coupables  repen- 
tants. Je  le  revis  le  même  soir  ;  et  le  lendemain  il  vint 
encore  me  trouver  ,  me  demanda  si  je  partais  déjà  ,  si  je 
ne  reviendrais  pas  l'année  prochaine.  Toutes  ces  ques- 
tions ,  il  me  les  adressait  avec  un  accent  qui  attestait  te 


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4^ 

triomphe  de  la  grâce  ,  et  me  fiiisait  biefi  augurer  de  80b 
retour  à  la  vertu. 

«  Nous  quittâmes  Temiskaming  après  seize* jours  de 
Wission.  Plus  de  deux  cents  sauvages  s'étaient  confessés  ; 
un  grand  nombre  avait  participé  à  ia  divine  Eucharis- 
tie ,  quelques-uns  pour  ia  première  fois  ;  quinze  per- 
sonnes ont  reçu  le  bienfait  de  la  régénération  ,  et  parmi 
elles  trois  adultes  ,  un  homme  et  deux  femmes^  dont 
Tune  nous  édifia  d'autant  plus  par  sa  ferveur,que  sa  con- 
version s'était  fait  plus  longtemps  attendre.  Tant  qu'a 
duré  la  cérémonie  de  fon  baptême  ,  elle  n'a  cessé  de 
verser  des  larmes  ,  qui  montraient  la  vivacité  de  sa  foi 
<^t  de  son  repentir.  Je  la  vis  ensuite  ;  elle  pleurait  en- 
core ,  mais  c'était  de  joie.  «  Que  j'étais  malbeuretise  , 
mon  Père  ,  me  dit-elle  ,  avant  q^e  le  Grand  Esprit 
m'eût  pr.se  en  pitié.  Depuis  le  jour  où  la  Robe  fioire 
me  prévint  qu'à  moins  d'un  changement  de  vie  ,  je 
ne  pourrais  être  comptée  au  nombre  des  chrétiens, 
je  n'ai  paseu  un  moment  de  repos.  Souvent ,  pendant 
que  je  dormais  ,  il  me  semblait  que  j'étais  précipitée 
dans  le  gouffre  (l'enfer).  Mors  je  m'éveillais  tout  ef- 
frayée ,  et  je  promettais  au  Grand  Esprit  de  faire  tout 
ce  que  m'avait  conseillé  la  Robe  noire  :  mais  toujours 
j'étais  vaincue  par  lei/a/cAt-mant/ou  (démon). La  vue 
des  saintes  graines  de  la  prière  (le  chapelet),  et  surtout 
la  sainte  figure  de  Marie  (la  médaille)  que  mes  enfant^ 
portaient  à  leur  cou  ,  faisaient  sur  moi  ime  vive  im- 
pression. Depuis  l'année  dernière ,  j'habite  avec  mon 
fils;  tous  les  jours  nous  comptions  ensemble  les  sain^ 
tes  graines  de  la  prière,  cela  me  faisait  du  bien,  et  je 
sentais  de  plus  en  plus  augmenter  en  moi  le  désir  du 
baptême.  Que  l'année  parut,  longue!  «  Plût  à  Dieu 
qu'elle  vint  vite  la  Robe  noire ,  me  disai&-je ,  elle  m'ob- 


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466 

«  (rendrait  peui-élre  miséricorde,  »  C'était  la  pcDsée  de 
«  tons  mes  jours  pendant  ce  triste  hiver.  Voici  une  leiirc 
«  de  mon  fils ,  il  l'a  écrite  pour  toi ,  avant  de  partir  pour 
€  Kithi'Kami  (la  baie  d'Hudson).  » 

«  J'ouvris  aussitôt  cette  lettre  et  je  lus  ce  qui  suit  : 

•  A  toi  mes  saluts  et  mes  pensées ,  mon  Père  la  Roht 
«  notre.  J'emporte  im  grand  regret  de  Temiskaming, 
«  car  tu  vas  y  venir ,  et  je  ne  te  verrai  pas,  je  ne  pourrai 
«  pas  aller  t'ouvrir  mon  &me  pour  que  tu  la  purifies.  Que 
«  je  suis  malheureux.  !  pense  à  moi ,  prends  pitié  de  ma 
«  mère,  elle  a  im  si  grand  désir  d'être  baptisée,  qu'elle 
«  vit  déjà  comme  si  elle  était  chrétienne.  » 

«  Lorsque  j'eus  parcouru  cette  lettre,  je  demandai  à 
ma  néophyte  pourquoi  elle  ne  me  l'avait  pas  montrée  plus 
voi.  «Je  vais  te  le  dire,  reprit-elle.  Quand  mon  fils  t'écri- 
«   vait,  il  était  désolé  en  songeant  qu'il  ne  verrait  point 

•  la  Rohe  noire ,  et  moi  je  me  disais  :  Je  suis  bien  plus 
«  malheureuse,  il  est  baptisé  mon  fils  !  Je  ne  pensais  pas 
«  à  autre  chose.  Mais  le  bonheur  rend  la  mémoire.  Si  tu 
«  rencontres  mon  fils  à  Abbitibbi ,  annonce-lui  bien  que 

•  sa  mère  était  chrétieniie,  quand  elle  t'a  remis  sa  lettre.» 

«  De  Temiskaming  à  Abbitibbi  le  trajet  se  fit  en  neuf 
jours.  Nous  trouvâmes  peu  de  sauvages  à  ce  poste  ;  la 
plupart  des  chasseurs  étaient  partis  pour  Moose  ,  et  les 
i"emroes  étaient  allées  tendre  des  filets  à  une  certaine 
distance,  pour  avoir  de  quoi  se  nourrir  durant  la  Mission. 

«  La  chrétienté  d* Abbitibbi  est  encore  peu  nom- 
tireuse  ,  mais  il  serait  difficile  d'en  trouver  une  plus 
fervente.  A  toutes  les  heures  de  la  nuit ,  j'entendais  cet 
pieux  néophytes  prier,  chanter  ou  réciter  ensemble  le 
chapelet. 

«  La  privation  de  chapelle  a  été  jnsqu'à  présent  m 

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46« 

ob&iacle  à  l'iDStruclion  des  Abbitibbites.  Obligés  de  leur 
taire  le  catéchisme  en  plein  air ,  Tinconstance  du  climat 
nous  forçait,  presque  à  chaque  fois,  de  nous  retirer  dans 
nos  cabanes  auss'iôt  Fexercice  commencé  ;  mais  grâce  à 
la  générosité  de  Thonorable  sir  Georges  Simpson ,  goit-  ' 
verneur  de  la  Compagnie  de  la  Baie  d'Hudson^  on  adéjf^ 
préparé  le  bois  pour  construire  une  église  de  trente 
pieds  sur  vingt-cinq ,  qui  pourra  ,  je  Tespère  ,  au  prin- 
temps prochain,  offrir  un  abri  à  la  plus  grande  partie  de 
la  population. 

«  Cent  cinquante  personnes  ont  constamment  assisté 
aui  exercices  de  la  Mission  ;  leur  manière  de  se  confes 
ser  est  assez  curieuse  pour  que  je  vous  en  dise  un  mot. 
En  faisant  la  revue  de  leur  conscience.ils  gravent  des  ca- 
lactères  symboliques  sur  un  morceau  d'écorce  ;  un 
homme  la  tête  en  bas ,  par  exemple  ^  leur  rappelle  qu'ils 
se  sont  enivrés. 

*  «  Nous  avons  baptisé  dix-neuf  enfants  ,  et  six  adul- 
tes. Parmi  ces  derniers,  un  surtout  mérite  d'être  cité  ; 
c'est  un  jeune  chasseur  d*un  caractère  violent  et  sangui- 
naire. Il  n'y  a  pas  encore  deux  ans  qu'il  tua  sa  nièce 
d'un  coup  de  fusil.  Depuis  le  jour  du  meurtre ,  ce  mal- 
heureux n'a  goûté  de  repos  ni  jour  ni  nuit ,  selon  son 
propre  aveu  :  «  Il  me  semble  toujours  voir  ma  nièce 
devant  mes  yeux ,  me  disait-il ,  me  reprochant  de  l'avoir 
tuée  ,  avant  qu'elle  eût  reçu  le  baptême.  »  Il  était  l'an* 
née  dernière  brillant  de  jeunesse  et  dosante;  maintenant 
une  maladie  intérieure  le  consume.  Je  n'ai  jamais  vu  pé- 
nitent plus  contrit  de  son  crime  ,  et  j'ai  cru  trouver  un 
motif  d'indulgence  à  son  ^arddans  son  état  débile  et  la 
vivacité  de  son  repentir. 

«  Nos  adieux  d'Âbbitibbi  eurent  quelque  chose  de  si 
ouchant  que  des  agents  protestants  de  la  Compagnie , 

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467 

venus  récemmeDt  de  Moose  en  furent  frappés.  Figurez- 
vous,  mon  révérend  Père,  plus  de  trois  cents  sauvages , 
la  plupart  infidèles^  agenouillés  au  bord  du  lac ,  et  le 
Missionnaire  debout  dans  son  canot,  levant  au  ciel  ses 
mains  habituées  à  bénir  et  ses  yeux  pleins  dclarmes  , 
priant  le  Père  des  miséricordes  de  daigner  jeter  un  œil 
de  compassion  sur  celte  portion  de  son  hériiage .  «  Non , 
«  me  disait  un   protestant ,  témoin  de  ce  spectacle , 
«  non  ,  je  n^avai  s  encore  rien  vu  de  si  attendrissant.  » 
«  —  Ce  L'était  pourtant pasmonéloquence,Iuiréponclis- 
«  je ,  qui  captivait  cette  foule  d'Indiens  ,  puisque  , 
«  comme  vous  le  savez,  je  puis  à  peine  lescomprendre  ; 
«  c'était  la  divine  influence  de   la  Religion  que  je  me 
«  suis  efforcé  de  leur  faire  connaître  ;  c'était  la  présence 
«  de  celui  qui  à  dit  :  Qui  vous  écoute ,  m'écoute!  » 

«  Dans  chacun  des  postes  où  nous  avons  donné  les 
exercices  de  la  Mission^  nous  avons  reçu  des  délégués 
de  la  Compagnie  l'accueil  le  plus  bienveillant.  Le  com- 
maDdantd'Abbitibbi,quoique  protestant,  a  eu  pour  nous 
autant  d'égaids  que  le  plus  fervent  catholique.  Un  trait 
vous  prouvera  son  admirable  franchise  ,    en  même 
temps  qu'il  vous  fera  coonaltre  à  quel  point  nos  frères 
égarés  se  méprennent  sur  les  vrais  motifs  qui  dirigent 
le  Clergé,  Il  me  demanda  ,  un  jour ,  quel  profit  nous 
retirions  d*un  voyage  qui  devait  nous  être  si  pénible.  Je 
lui  répondis  que  cette  peine  était  pour  nous  un  vrai 
bonheur ,  que  nous  l'avions  sollicitée  avec  instance  ,  et 
que  nous  croirions  déshonorer  la  Religion  catholique  et 
nous-mêmes  ,  si  nous  réclamions  autre  chose  que  la 
nourriture  et  le  vêtement.  Il  ne  put  en  revenir^  et,  dans 
son  étonneœent ,  s'adressant  à  qnelques  jeunes  gens 
indociles  ,  il  leur  dit  en  ma  présence  :  «  Vous  êtes  des 
«  misérables  de  ne  pas  écouter  la  Rohe  noire ,  qui  ne 
TOI.  xvin.  108.  30 

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458 

«  vieBl  ici  que  pour  tous  (aire  do  bien  ; 

«  si  noua  nous  eûloos^aas  vos  déserts ,  c^estpons^- 

«  gner  de  Pargenc,  mais  lui^  il  n'en  retiife  paswisMU  » 

€  D'Abbiiibbi  au  Grand  Lac  »  nous  voyageâmes  en 
compagnie  de  plusieurs  sauvages  ,  qui  conduisaient  des 
canots  chargés  de  marchandises.  Ce  fut  une  occasiaii 
pour  nous,d'exercer  notre  ministère  le  long  de  la  route. 
Après  avoir  ramé  toute  la  journée ,  ces  bons  Indiens  ne 
trouvaient  point  de  meilleur  délassement  que  dé  venir, 
le  soir  ,  se  confesser  et  entendre  la  parole  de  Diea. 

.  m  Un  soir ,  taudis  que  nofis  étions  occupés  à  dres- 
ser  notre  tente ,  arrivèrent  près  de  nous  plusieurs  néo- 
phytes quf  avaient  suivi  les  exerdoes  de  la  Missirai 
.  Temiskaming.  Je  leur  demandai  où  ils  allaient.  «Nous 
«  venons.tevoir,me  répondirent-ils.  Enfants  des  torèts, 
«  nous  nous  sommes  dit  :  «  11  passera  bientôt  »  notre 
»  bon  père  la  Robe  noire.  Allons  au  devant  de  lui  pour 
€  camper  près  de  sa  tente.  »  Ces  braves  gens  avaient 
déjà  fait  cfnq  journées  de  marche  ;  ils  nous  accompa- 
gnèrent encore  pendant  deux  jours,  puis,  forcés  de 
rentrer  enfin  dans  leurs  familles ,  ils  nous  demandèrent 
un  peu  d*eau  bénite  ,  et  s*en  retournèrent  contents. 

«  Arrivés  au  Grand  Lac  ,  nousf&mes  agréableflMitf 
surpris  de  voir  les  chefs  des  trois  petites  tribus  qui  fii^ 
queutent  ce  poste,  c'est-à-dire  ,  le  chef  du  lieu,  oefaiide 
Kanikwanakag,  et  celui  de  Michikanabikong  réunis  dans 
un  mémecamp  :  je  savais  qu'autrefois  Tespritde  jalousie 
les  tenait  séparés.  Otichkwagami ,  chef  d&ftbdukMyh 
bikeng^  vint  au  devant  de  moi ,  suivi  des  deux  amtoi^ 
et  d^une  soixantaine  de  personnes  ;  il  tenait  àsa  amm 
la  lettre  que  Mgr  TEvéque  de  Montréal  ki  avait  tm 
parvenir  Tbiver  dernier,,  et  me  la  présentaAl^ilflMdit  : 


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469 
Tu  es  salué  par  nous^  mon  Pire.  L*été  dcraier,  lors- 
que notre  ancien  Père  (M.  Moreau)  passa  au  Grand 
L»ac»  il. était  malade  ,  et  ne  put  ni  nous  confesser 
ni  cous  instruire  ^  ce  qui  nous  affligea  beaucoup;  car 
nous  étions  ici  plusieurs  qui  voulions  nous  purifier  de 
iros  péehés.  Grande  a  doue  été  notre  joie  ,  lorsque 
l*Mver  dernier  dois  nifom  reçu  une  lettre  du  Gardien 
4e  la  prière  ;  il  nons  disait  :  «Vobs  serez  Tisités  par 
les  Rêbes noires  an  printemps  prochain^  C'est  ceqoe 
BfiOY,  Gardien  ck^  la  prrière  à  MomréaIJaïs  savoir  à  Oti- 
ehkwagami  y  chef  de  Miebikanabikong  ^  pourqi/il  en 
sTertisse  tons  ses  jeuneat  gen^^  «  Toili  ce  que  m'a 
écrit  le  Gardien  de  la  prière  :  aussi  fai  eu  soin  de 
l'fiFononcerà  tons  cet»  denta  fribn.  Déplus  »  comme 
di^fS  longtemps  le  chef  du  Grand  Lac  et  moi  nons 
né  campions  plus  emerable ,  j^étais  afSigé  de  nos  dis- 
sentions  ;  pour  y  mettre  un  terme  >  j'allai  le  trou- 
ver, je  lui  fis  connaître  ce  que  voulait  de  nons  le  Gar- 
dien  de  la  prière,  et  nous  cimentâmes  de  nouveau  la 
paix.  Désormais  nos  tentes  seront  unies  aussi  bien 
que  nos  coeurs.  Nous  espérons  que  notre  exemple 
sera  suivi  par  tous  les  guerriers  des  deux  tribus.  Que 
TOUS  en  semble ,  ajouta-t-il,  ens'adressant  à  l'assem- 
blée ?  »  Chacun-  répondit  par  un  signe  approb^tif,  et' 
Torateur  s'assit  au  milieu  des  siens. 

«  Ce  bon  néophyte  tvtlt  conilnm  tui-niéme ,  à  Mi- 
eUknabikong  ,  une  grande  eabue  d'écorce ,  destinée 
à  servir  de  ckapdie.  Elle  pouvaiit  comenîr  près  de  cent 
seixante  personne»v  C'est  Ht  que  f  ai  fah  ma  dernière 
IlisBion,  qui  a  duré  neuf  jMrs.  Plus  de  deux  oeeu 
saevages  y  ont  pris  part ,  et  m'ont  fait  oublier  ,  par  la 
vivacité  de  leur  foi ,  toutes  les  fotigue^  du  ministère 
apostolique. 

30. 


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460 
«  Je  les  quittai  le  £  août ,  et  après  avoir  descendo 
pendant  neuf  jours  la  rivière  Gaiineau  ,  sur  une  piro- 
gue que  m'offrit  le  chef  Otichkwagami ,  f  arrivai  i  By- 
town  ,  le  14  à  onze  heures  du  soir. 

«  Je  m'arrête  ici  »  mon  révérend  Père.  Les  détails 
que  je  viens  de  vous  soumettre  ,  suffircmt ,  je  peose , 
pour  constater  le  dévetoppement  que  prend  diaque 
jour  le  catholicisme  dans  ces  régions  reculées,  et  poar 
vous  donner  iine  idée  des  progrès ,  autrement  plus  con- 
sidérables y  qu'y  fera  l'Evangile  ,  lorsque  des  Miasion- 
naires  pourront  se  fixer  au  milieu  des  tribus.  C^e 
Eglise  qui  n'est  encore  qu'à  son  berceau,  pourrait  sous 
peu  être  citée  conime  une  chrétienté  modèle  ,  si  elle 
avait  pfus  de  secours  religieux.  11  n'est  pas  'iéméraire<l<' 
le  penser  ,  quand  on  voit  plusieurs  Indiens  se  mûiie- 
nir  toute  l'année  dans  la  grâce  de  Dieu,  bien  qu'ils  ««* 
jouissent  de  la  présence  du  prêtre  que  diurant  quel- 
ques jours. 

«  Ah  !  si  jamais  le  nombre  des  ouvriers  apostolique» 
permettait  de  proportionner  les  secours  aux  besoins  , 
toutes  ces  tribus  qui  peuplent  le  nord  de  l'Amérique^ei 
qui  ,  pour  la  plupart ,  demandent  des  Ao&m  notra  « 
seraient  bientôt  membres  de  la  grande  famille  catholi- 
que. Que  de  fois  j'ai  jeté  des  regards  d'une  saieir 
envie  sur  ces  pauvres  sauvages  de  la  Baie  d*HodsoB  , 
qui  nous  appellent  à  grands  cris  ,  et  qu'à  notre  débwi 
les  ministres  de  l'erretu*  vont  peut-êire  envahir  ;  car 
on  dit  que  les  frères  Moraves  s'étendent  chaque  jour 
davantage  dans  ces  contrées  1  • 

«  Veuillez  prier  pour  moi ,  mon  révérend  Père  ,  et 
me  croire  votre  affectionné  conrrère , 

«   LiVERLOCHiRB,  0.  M.  J. 


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461 


fettre  du  R.  P.  Hanipaux  »  Misitotmatre  apostolique 
de  la  Société  de  Jésuê^  â  son  Frère. 


St«-Cro»»  grande  Ue  Hanitouline,  14  septembre  1845. 


«  Mon  BiEif  CHBB  FrIkb  « 


«'Je  suis  eiifin  au  milieu  de  mes  sauvages^  à  la 
grande  lie  Manitouline ,  dans  le  nord  du  Haut-Canada. 
Mon  Toyage  de  Montréal  ici  s'est  fait  presque  constam 
ment  sur  Teau  et  en  bateau  à  vapeur  ,  ce  qui  a  beau 
coup  facilité  et  accéléré  ma  course  ;  j'ai  frit  près  de 
quatre  cents  lieues  en  moins  de  huit  joui's.  Je  ne  tous 
dirai  rien  de  cette  longue  traversée.  On  croirait  être 
toujours  sur  mer ,  tant  sont  vastes  les  lacs  qui  se  ren- 
contrent si  souvent  dans  ces  régions  du  Nouveau- 
Monde. 

«  Arrivés  au  lieu  ordinaire  ^u  débarquement ,  nous 
étions  encore  à  trente  milles  de  notre  Blissîon.  Un  petit 
canot  d'écorce  f  monté  par  des  Indiens  catholiques , 
aous  eut  bientôt  transportés  au  delà  de  la  baie  qui 
nous  séparait  de  notre  cher  troupeau.  Après  avoir 
attaché  la  pirogue  au  rivage,  nous  nous  enfonçâmes 
dans  le  bois  par  un  sentier  peu  battu.  Nous  ne  pûmes 
pas  toujours  le  suivre ,  car  nous  rencontrâmes  devant 
nous  Tincendie  ;  il  CsiUut  faire  un  détour  pour  éviter  les 


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46S 
flanunes.  Il  y  arait ,  me  dit-on  ,  quatre  ou  cinq 
qae  ce  fen  avait  pris  ;  la  foudre  ou  un  accident  qiel- 
conque  ra¥ait  allumé.  Depuis  oe  tem|ii  il  va  brAlMUii 
forêt ,  attiré  par  k  bois ,  on  poussé  par  le  wnt;  mais- 
tenant  il  n'est  plus  qu'à  une  demi-lieue  ou  trois  quam 
de  lieue  de  notre  station.  Formez-vous  une  idée  de  ces 
forêts  :  elles  sont  vieilles  comme  Adam  ;  ce  n'est  qn'avee 
peine tpi'oB pe«t s'y  finayeriNMi^itela haohe  à  la  maiii 
à  hauteur  d'honmie^ce  sont  des  arbres  de  toute  espèee, 
tombés  de  vétusté  et  qui  pourrissent  depuis  des  siècles. 
Aussi  la  flamme  a-t-elle  beau  jeu  dans  cetimmease 
bûcher. 

«  Nous  allions  donc  avec  nos  sauvages  ,  sanuatci 
quelque  sorte  comme  des  écureuils  de  branche  en  brti* 
cbe,  et  enfin  nous  arrivâmes  au  déelin  du  jour  i  la  Ififr 
sion.  J'ai  trouvé  là  mieux  que  je  n'^alleadais  ;  des  mt 
sons  en  bois,  mêrae  assez  grandes ,  des  cabaoes  à  pei 
près  semblables  à  celles  des  churbomiiers  de  vos  fovto, 
forment  ijmeespèce<le  village  eoraaielespanvMahaBieiai 
de  Franoe.  Nous  avons  éié  devancés  ,  il  y  a  sept 
ans,  par  un  Blissionnaire  canadien ,  qui  a  fondé  csMt 
chrétienté  en  y  co«Btr«iaaii€inie  petite  égiise-enboOkCi 
.en  ralliant  autour  de  la  croix  les  tentes  dâ$p«r>Aesdfls 
Indiens. convertis.  * 

«  Nous  voilà  donc  installés  dans  la  maison  éi 
Missionnaire.  Les.  sauvages  m  rassemblent ,  ils  noef^ 
Ucitent,  ils  sont  tout  contents  de  revoii'  le  P.  Cboai« 
mon  compagnon  d'apostolat ,'  qui  les  'évangélisait  (fc- 
puis  un  an,  et  avec  lui  un  nouveau  Père  qui  vient  pow 
demeurer  avec  eux.  t^our  nous  ,  nous  bénissons  Diei. 
nous  le  remercions.de. notre  heureuse  arrivée.  Moi  ir 
toitt,  je  me  trouve  au  comble  de  la  joie  d'être  pœ^ 
première  fois  avec  ces  néophytes  qui  vont  être  désorva> 
mes  enfants  bien  aimés. 


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46» 

«  BtcoiniiiMt8QiHpiUcMa>ttYige3?6oiitBJk*hftbi^ 
d*abovdP  Oui ,  à  peu  près  coBWMdetyillageoiB.  Legon* 
f«rMmeiit  anglais  leur  donne  à-lom  ,  cfaaque.année  , 
une  eouyerture  de  lit  en  laine>  de  Tiodienne  poinrfidre 
ave  espèce  de  chemise  ,  et  un  morceau  de  drap  aVac 
lequel  les  hommes. se&çonnentdes  pantalons^et  les  fem^ 
mes  des  habits  décents*  Plusieurs  achètent  d'autres-étof' 
f  es  ;  il  en  est  même  qui  sont  assez  bien  véms. 

«  Comment  vivent-ils?  La  pomme  déterre  et  le  blé 
de  Turquie  sont  la  nourriture  commune.  Ils  ont  souvent 
du  poisson  )  qu'ils  pèchent  daus  le  grand  Jac;  quelques 
oiseaux ,  c'est  août  ce  que  la  drasie  leur  fournit ,  car  il 
y  a  peu  d'animaut  dans  lesbois.On  trouve  ici  m  grand 
nombre  des  vaches,  des  moutons,  des  chevaux ,  des  co- 
chons ,  des  poules  ,  des  chats ,  des  chiens  surtout.  De 
toutcela,  l'Indien  vit  comme  il  peur,  chacun  va  partout, 
peur  son  compte  et  à  son  gré ,  chercher  sa  vie.  Les  che- 
vaux ne  servent  guère  aux  sauvages  que  le  dimanche , 
pour  lutter  ensemble  de  vitesse.  On  ne  trait  pas  les  va- 
ches ,  parce  qu'elles  sont  trop  au  loin  dans  les  bois.  Et 
nous  ,  comment  vivotts*nous  ?  comme  les  sauvages  i 
peu  près  ;  mieux  cependant ,  parce  que  nous  avons 
amené  de  h  ville  ,  avec  l'argent  de  la  Propagation  de  la 
Foi  ,  du  lard  ,  de  la  farine  et  du  sel  ;  nous  partageons 
ces  provisions  en  bons  pères  avec  nos  enfonts  des  forêts, 
et  nous  nous  trouvons  nourris»  comme  des  rois. 

«  Le  premier  dimanche  qui  suivit  celui  de  notre  ar* 
rivée  ,  mon  confrère  invita  les  sauvages  à  se  rénnir 
après  Vêpres.  Ils  se  rassemblèrent  donc,  les  hommes  seu- 
lement ,  c)iez  un  de  leurs  chefs.  La  cabane  était  assez 
grande,  mais  il  n^y  avait  point  de  chaises  ;  nos  Indiens 
étaient  étendus  siu*  le  plancher  comme  des  moisson- 
neurs sous  un  arbre  ;  on  nous  trouva  cependant  à  dia- 


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464 

can  un  siège  ,  et  noos  voilà  à  causer  avec  eox.  Mod 
confrère  jette  au  milieu  de  rassemblée  un  gros  paqiet 
de  tabac  à  fumer;  une  hilarité  générale  aceueiUe  son 
présent.  On  n'y  porte  pas  la  main  ,  mais  chacun  en  tire 
un  peu  à^  soi  avec  son  bâton  ,  comme  on  retire  des 
pommes  de  terre  du  feu.  Un  sauvage  demande  au  P. 
Cboné  son  couteau  pour  couper  le  tabac  qui  était  en 
rouleau  assez  dur  ;  il  s'en  ser  t ,  Tessuie  sur  la  semelle 
de  son  soulier ,  et  le  rend  au  Père  sans  se  déranger ,  en 
passant  le  bras  pardessus  sa  tête. 

«  Comme  je  venais  pour  demeurer  avec  les  IndicDS, 
il  fallait  qu'ils  m'imposassent  un  nom  sauvage.  La  cé- 
rémonie fut  fixée  au  jeudi  suivant.  Pour  ce  jour  solen- 
nel ,  mon  confrère  leur  ayant  donné  à  peu  près  le  lard 
d'un  cochon  tout  entier  et  de  la  farine,  on  prépara  uii 
festin  public.  Le  moment  venu ,  la  peuplade  se  rassen- 
ble  à  l'intérieur  ou  autour  de  la  plus  vaste  cabane.  Noos 
arrivons  vers  deux  heures  du  soir.  Cette  fois,  noustron- 
vous  des  tables  dressées,  en  aussi  grand  nombre  que  U 
maison  pouvait  en  contenir.  De  plus ,  il  y  avait,  le  long 
du  mur  ,  une  estrade  d'honneur,  où  nous  devions  pren- 
dre place  ,  mon  confrère  et  moi ,  avec  les  dix-huit  diet» 
de  la  tribu.  On  avait  servi  du  lard ,  des  oiseaux ,  des 
pommes  de  terre  ,  du  mais  et  du  thé  dans  de  grandes 
carafes.  Des  bancs  servaient  de  sièges  aux  vieillards  ; 
les  autres  étaient  debout ,  ou  assis  par  terre  ,  ou  à  ge 
noux ,  partout ,  même  sous  les  tables  ;  on  parlait 
peu  ,  mais  l'appétit  ne  perdait  rien  au  silence  ,  et  noos 
mangions  en  sauvages. 

«  Le  repas  fini ,  on  enlève  les  tables.  Alors  un  oratenr 
s'avance  et  harangue  assez  longtemps  l'assemblée  sur  le 
bonheur  que  goûte  la  peuplade  depuis  qu'elle  a  coono 
la  prtVre  ,  c'est-à-dire  la  Religion.  «  Voilà  nos  Pères , 


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465 
ajoute-t-il ,  toîU  ceux  qui  sont  accourus  de  si  loin  pour 
nous  apporter  ce  bienfait.  Uns  nouvelle  Robe  noire 
vient  encore  s^établir  par  oî  nous,  pour  nous  servir  de 
guide  dans  la  connaissance  et  i*amour  du  vrai  Dieu  ;  elle 
s'appellera...  Après  un  instant  de  suspension  sollennelle , 
il  prononce  enfin  mon  nouTe.m  nom  Nossaouaqiuii ,  qui 
veut  dire,  fourche  qui  enlève  Us  cœurs  de  la  terre  en  haut  ; 
puis  il  entonne  et  chante ,  avec  toute  rassemblée  , 
rbymne  nat  onal  que  les  vieillards  accompagnent  en 
prononçant  en  cadence  honhon  hon.k  mon  tour ,  je  té- 
moignai  aux  sauvages  mes  se  itiments  de  joie ,  mes  désirs 
et  mes  espérances  pour  Tivenir  ;  puis  on  se  sépara  , 
chacun  emportant  au  bout  de  son  bâton  une  portion  du 
Urdqui  était  de  reste. 

«  Nous  comptons  à  peu  près  sept  cenu  néophytes 
dans  cette  peuplade.  Notre  chapelle  est  de  construction 
bien  chétive  ;  mais  nous  projetons  d'en  bâtir  une  plus 
convenable  Tannée  proctiaine  ;  nous  avons  apporté  des 
ornements  qui  en  font ,  telle  qu'elle  est ,  un  petit  para- 
dis i  l'intérieur.  Je  suis  au  comble  de  la  joie  ,  bien 
qu'il  faille  me  mettre  maintenant  à  Tétude  de  la  langue 
indienne,  comme  j'ai  'ait ,  étant  jeune ,  pour  apprendre 
le  latin.  Priez  donc  et  faites  prier  pour  moi ,  afin  que  je 
parle]^bien  vite  le  sauvage. 

«  Je  suis  tout  \  vous  dans  les  SS.  Coeurs  de  Jésus  et 
de  Marie. 

«  Hanipaux  ,  s.  J.  • 


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NOUVELLES  DIVEBSESu 


LtttTt  de  M,  GmtnHêt  ^  mtÊÊWi^tUfW^tipêÊêolÊfiii , 
à  M.  Bissenrdon  ,  Supin$uride9  llH$nmmQà^4e  bjm. 


Tong-Kîiig,  SO  jniUei  1845. 


Monsieur  , 


«  Depuis  que  j'ai  quitté  la  Fmuoey  qaedefois^  en 
esprit  ;  ne  me  suis^je  pas  reportàprès^devom  I  StBs 
drâte  que  plusieurs  fois  aussi  ^ova  vaus^étes  deoModi* 
0&  estMl  œ  Tonkinois?  L'Océan  Ta  pcBi-étreeaseicH 
dans  son  sein.  Détrompaz-^yous  ^  la  mer  ne  m'aUi 
aueun  mal.  Ses  EkMs  agités  m'ont  ,  il  est  Yrai ,  prectfé 
te  qpeclacle  d'une  temf^le  ;  mais  ce  n'était  qae  pour 
twprimer  pins  dé  yiie^ietaa  nurive»  ei  aiaottéraraane 
eaurte  vess  un  riwge  kMBtain  et  désûréh   . 

•  EnGn,  après  cinq  mois  de  naTigation  ,  faireVa 
Maoao.  Le  i(^ décembre  dernier^ uÀCfainoia  qne  sabrg^ 
panse  rendrait  digne  de  figurer  parmi  ses  dieux,  afeim 
voulu  me  conduire  jusqu'à  Laphù ,  village  situé  sor  les 
frontières  de  la  Chine  et  du  Tong^King.  Là  ^  il  m'a  (âlh 
chercher  une  barque  de  pécheurs  ,  pour  atteindre  saii 
bruit  la  préfecture  de  Jén^uâng  ,  premier  endroit  oà 
te  débarquement  soit  possible.  En  deux  jours  et  deai 
nuits ,  je  suis  arrivé  à  la  première  Mission  des  Pères 
Dominicains,  et  grâce  à  leur  concours  empressé^  j'ai  pu 


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467 
continuer  mon  voyage  sans  trop  de  danger  et  de  fati- 
gue. Depuis  ce  moment ,  de  fleuve  en  fleuve  ,  et  de 
village  en  village  J'ai  traversé  deux  provinces ,  et  sois 
dâbârqué  au  Tong-King  occidental ,  tout  près  delà  ré- 
sidence de  Mgr  Ketord,  notre  Vicaire  apostolique. 

«  Comment  vou^  dire  la  réceptioA^qu'on  m'a  faite  1 
Il  était  nuit  quand  j'arrivai  en  barque  au  village.  Mgr 
Retord,  H.  Titaud  avec  cinq  ou  six  prêtres  qui  venaient 
d'être  ordonnés  ,  tous  nos  catéchistes  et  nos  élèves^  su\ 
vis  de  la  multitude  des  chrétiens  armés  de  flambeaux^, 
se  pressaient  pour  voir  et  saluer  le  pauvre  revinant.  Il 
y  avait  des  chants ,  des  cris  et  des  larmes  ;  on  entonnait 
des  psaumeSy  on  tirait  des  boites  ,  on  jouait  des  mstru 
ments  ;  aux  voix  et  à  la  musique  se  joignaient  ks  tam- 
bours et  les  chaudrons  ;  c'était  un  vacarme  épouvanta- 
ble. Jamais  on  n'eût  osé  en  faire  autant  avant  ma  déli- 
vrance. Depuis  cette  époque  ,  je  parcours  la  Mis^ioi^ 
sans  avoir  de  district  fixe  ;  j'administre  partout  où  ^ 
me  trouve,  et  certes, Touvrage  né manqne  pas. 

«  Dans  les  premiers  joiurs,  laciurioslté  de  nos  chré 
tiens  était  trop  vive  pour  songera  autre  chose  qu'à  la  sa 
tisfaire  ;  detix  semaines  fiurent  employées  à  raconter  de^ 
histoires  et  à  recevoir  des  visites  ,  après  quoi  je  reprit^ 
mes  fonctions  apostoliques. 

«  Ce  n^aa  plus  aHJourdjhui^  coMaciipar  le^passé  *' 
ai  ministtfa  occulta:  que  nous  «xergona.  Partout  4  sur 
nos  pas,  la  foule  est  immense  ;  l'élan  ne  seraitpas  fin^ 
général  en  temps  de  paix  ;  et^'ce  qui  constate  une  situa 
tion  nouvelle  ,  ce  mouvement  vers  le  christianisme  se 
produit  au  grand  jour  ;  sovs  les  yeux  des  païens ,  au  su 
des  magistrats ,  qui ,  poar  la  plupart ,  sont  instruits 
de  mon  retour.  Du  reste,  nos  chrétiens  n'en  font  pas  un 


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468 

myslère.  Les  mandarins,  de  leur  côté,  voyant  T%ieuhtr\ 
garder  le  silence  snr  la  Religion  ,  et  amnistier  quelques 
vieux  prêtres  ,  sous  prétexte-quMl  a  pitié  de  leur  âge  , 
sont  persuadés  ,  ou  du  moins  feignent  de  Fétre ,  que 
les  anciens  édits  sont  aux  yeux  du  roi  une  lettre  morte^ 
et  que  s'il  ne  les  désavoue  pas  ,  c'est  uniquement  par 
respect  pour  la  mémoire  de  son  père. 

«  A  ToHibre  de  cette  tolérance  ,  nous  circulons  et  ad- 
ministrons assez  en  liberté.  Pour  mon  compte^  je  suisré 
gulièrement  au  confessionnal  depuis  midi  jusqu'à  minuit, 
et  souvent  jusqu'à  trois  heures  du  matin  ;  c'est  le  mo- 
ment où  commence  la  prière  commune ,  suivie  de  la 
messe  et  de  la  prédication.  Alors  on  dort  un  peu  ^  plus 
ou  moins  ,  selon  les  occupations  de  la  matinée,  qui  est 
en  partie  consacrée  à  recevoir  les  visites  et  à  vider  les 
différends.  Il  a  fallu  annoncer  que  je  ne  confesserais  pat 
avant  midi  ;  sans  cela  ,  depuis  janvier  ,  je  ne  serais  pas 
sorti  du  tribunal  de  la  pénitence. 

«  Vous  le  voyez,  depuis  la  mort  de  Mink-Menk ,  l'état 
religieux  du  Tong-King  n'est  plus  le  même  ;  nos  chré- 
tiens sont  dans  la  joie,  les  païens  demandent  en  foule  i 
se  convertir  ;  mais  les  catéchistes  ne  sont  pas  assez  nom- 
breux pour  répondre  à  leurs  bonnes  dispositions.  Que 
n'avons  nous  ici  deux  ou  trois  cents  frères  de  la  doc- 
trine chrétienne  I 

«  Je  finis ,  Monsieur  le  Supérieur ,  en  vous  présen* 
tant  mes  respects  et  amitiés,  et  en  me  i^ecommaudant  i 
vos  prières. 


«  Votre  tout  dévoué  , 


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469      . 

Noms  ^e$  RR.  PP.  Capucins  partis  en  mai  18 16. 

1^    Pour  les  Missions  d'Earope  : 

ConstantinopU.  —  Le  P.  Dominique  de  Hona  ,  de  la 
province  de  Savoie  ;  le  P.  Séraphin  de  Florence  ,  pro* 
viace  de  Toscane  ;  le  P.  Augustin  de  Visso  ,  province 
d'Ombrie. 

Philippopoli.  —  Le  P.  Maurice  de  Castellazzo  ,  pro- 
vince de  Montrerrat  ;  le  P.  Séraphin  de  Casieltermini  > 
province  de  Païenne. 

V  Pour  les  Missions  d'Asie  : 

Syrie.  —  Le  P.  Fidèle  de  St*Georges  ,  province  de 
Savoie  ;  le  P.  Alexandre  de  Cassine  ,  province  de  Mont- 
ferrât. 

Mésopotamie.  —  Le  P.  Augustin  dé  Sorso ,  province 
de  Sassari  ;  le  P.  Joseph  de  Fiesi  »  province  de  Sassari  ; 
le  P.  Benoît  d'Iglesias ,  province  de  Cagliari. 

3*  Pour  les  Missions  d* Amérique  : 

BréHl.  —  Le  P.  Fabien  de  Scandiano,  province  Lom- 
barde ;  le  P.  Sébastien  de  Ploaghe,  province  de  Sassari  ; 
le  P.  Dominique  de  Casale  ,  province  de  Toscane  ;  le 
P.  Bernardin  de  Lagonegro ,  province  de  Basilicata  ;  le 
P.  Raphaël  de  Foggia ,  province  Romaine  ;  le  P.  Vincent 
Marie  d'Ascoli ,  province  de  la  Marche. 

4®  Pour  les  Missions  d'Afrique  : 

Pays  des  GaUas.  —  Mgr  François  Guillaume  Massaja, 
premier  Vicaire  apostolique  de  cette  nouvelle  Mission ,  et 
BvéquedeCassia ,  de  la  province  de  Turin  ;  le  P.  Juste 
d'Urbin,  province  de  la  Marche  ;  le  P.  César  de  Castel- 
Tranco ,  province  Lombarde  ;  le  frère  Pascal  de  Duno  , 
province  de  Turin. 

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470 
TABLEAU    DES    NOUVEAUX 
Cwfiés  il  la  société   des  Hission*- 


NOMS 

NOM 

■POQCI 

4et  oovteaax 

MISSION. 

d«  le«r 

YKIIIÀIB  ArOSMCfCfOlS. 

dont  Ut  faisaient  partie 
•ftot  leur  ére«lfoii. 

KaECTWB. 

Le  Leao-tODg 

Pékin 

1840 

La  Malaisie 

Siam  et  Malaca 

lin 

Le  Yun  nan 

Sut-ClNrefi 

1MI 

;     La  Cochiochine  occident. 

Lft  Cochinchîoe 

1844  { 

L^  Kouy4cbeau 

Sut*CtMi6l 

1846  i 

Le  Japon 

La  Corée 

1846  j 

-  Le  Tonquin  méridional 

Le  Tonqtm  occ. 

1846 

Le  Vicariat  apo$toIiqQe  du  Leao-tong  a*  pour  lîoiites, 
au  sud  la  grande  muraille  et  la  Corée ,  à  1  ouest  le  mé- 
ridien de  Pékin  ,  à  Test  la  Corée  et  la  mer  du  Japoji , 
au  nord  les  possessions  russes. 

Celai  de  la  Malaisie  comprend  toute  la  presqu^fleMa- 
tafse  josqu^à  Martaban  (la  ville  de  Monlmîen  exceptée), 
fi^nmg  ,  Sîngapore^  Nicobar  ,  Andaman,  Joncelan  ; 

Cdai  du   Yun-san  toute  la  prOThice  du  Yun-nan. 


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471 
VICARIATS  APOSTOUQUBS 


NOMS  BT  TITIIES 

VICÉB»    àVOSlOlJQUSft. 


Mgr  Em.-Jean-Praitçois^VetToUes,  Ev6q.  de  Cotombie. 
K^  ieftn-Bt^  Braobo;  Evhpm  d'Atalie,  sacré  en  184£. 
Mgr  Joseph  Ponsol,  Evéque  de  Philomélie. 
Mgr  Dominique  Le  Febirre,  Evéque  d'Isauropolis. 
Mgr  Engène-Jean*ClaudeDesOëches,  Byéque  de  Sinite. 
Mgr  Th.-Augu8tin  Forcade ,  Evéque  nommé  de  Samos. 
Mgr  Jean-Denis  Gauthier  »  Evéque  d*Emaâs. 


Celui  de  la  Cochiiichine  occidentale  toute  la  Basse- 
Cochinchine; 

Celui  du  Kouy-tcheou  toute  la  province  du  Kouy- 
tcheon; 

Celui  du  Japon  comprend  tout  le  Japon  ,  les  Iles 
Lieoa-tcheou  ,  Bonines  ,  et  autres  lies  adjacentes  ; 

Celui  du  Tonquin  méridional ,  les  provinces  de  Nghé- 
an  ,  d'Ha-tinh  ,  et  le  Bd-chinh. 


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472 

Noire  Œuvre  oonûnue  à  recueillir  les  bénédictions  d« 
rEpiscopat  :  Mgr  l' Archevêque  de  Toulouse ,  Mgr  l'Efé- 
que  d'Orvièie  ,  Mgr  r  Evéque  de  Malle  et  Mgr  revêqae 
de  Gap  ,  viennent  de  la  recommander  au  clergé  eiwx 
fidèles  de  leurs  diocèses. 


Deux  Prêtres  et  un  frère  de  la  Congr^tion  du  SaÎBi- 
Cœur  de  Marie  se  sont  embarqués  au  Havre  ,  le  12  mai, 
pour  les  Missions  de  la  Guinée  i  ce  sont  :  M.  JérômeGn- 
vière  ,  du  diocèse  de  Clermont ,  nommé  Préfet  ipoê- 
en  remplacement  de  M.  Tisserand ,  M*  LeBerre,  * 
diocèse  de  Vannes ,  et  le  frère  JeanBapiiste  Thîcrsé,de 

Strasbourg. 

M.  Tabbé  Dubuis,  ancien  vicaire  de  Fontaine  (Lyoo), 
ôiait  au  nombre  des  Missionnaires  qui  ont  suivi  Hgr 
Odin  au  Texas. 

Le  P.  Louis  Ambrosi  ,  de  Vérone^  est  parii  de» 
pies,  le  1 7  janvier  dernier  pour  les  Missions  de  la  Qùie* 

Le  2  jnillet ,  le  P.  Sorin  ,  Supérieur  de  rctablififr 
ment  de  Notre-Dame  du  Lac  (EutsUûis)  ,  s'esl em- 
barqué ,  avec  un  prêlre ,  deux  séminaristes  ,  trois  pro- 
fès  et  un  postulaiît ,  qui  tous  sont  membres  de  la  Coro- 
munauté  de  Si*-Croix. 


Lyon  ,  imprimerie  de  J.  B.  PéH^^- 

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473 


MISSIONS  D^AMÉRIQUE. 


MISSION  DES  MONTAGNES  ROCHEUSES. 


Lettre  du  R.  P.  de  Smet ,  Missiofmttire  apostolique  de  kt 
Compagnie  de  Jésus  ,là  un  Père  de  la  même  Société. 


€  TRàa-tUVÉRElfDPàRB, 


«  Je  reprends  le  récit  de  mes  courses  interminables 
au  point  où  je  l'ai  laissé  dans  ma  dernière  lettre  (1)« 
Nous  étions  alors  à  Saint-Paul  de  Wallamet ,  entourés 
des  soins  de  Mgr  le  Vicaire  apostolique  de  rOrégon,  qui 
nous  avait  accueillis  avec  une  charité  sans  bornes.  Ma 
praniàre  sollicitude  fut  de  prendre  des  informations  sur 
le  lieu  le  *  plus  propre  à  fonder  une  Mission  centrale* 

(i)  Voir  Id  Nooiëro  103  ,  ptge  475. 

Tov.  xvm.  109f  RovtVBBB  1846.  ^^   n 

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474 

Dans  ce  but  je  fis  plusieurs  courses  dans  un  rayon  assez 
étendu,  mais  elles  n'amenèrent  aucun  résultat:  les  meil- 
leures localîlés  éteîentdéjà-exploîlées,  ou|>fé8fntatent  des 
obstacles  nombreux.  Que  fit  alors  Mgr  Blanchet  ?  11  me 
pria  ,  avec  un  désintéressement  vraiment  admirable , 
d'examiner  les  terr^  soumises  à  sa  jwidiciian  ,  et  d*en 
détacher  la  portion  que  je  jugerais  convenable  pour 
l'œuvre  projetée.  Je  commençai  cette  étude,  et  nous 
avions  à  peine  pefeeuru  d^mumUes,  lorsque  nous  arrivâ- 
mes dans  une  vallée  qui  déroula  à  nos  regards  toutes 
les  beautés  de  la  nature  ,  et  montra  réuni  à  la  fms  ce 
qu'elle  peut  ofiHr  d'utUe  ,  d'agréable  et  de  pittoresque. 

€  Qu'on  se  représente,  au  midi,  une  N'aste  plaine 
d'où  l'on  voit  s'élever  jusqtfaxrx  nues  les  cimes  blanchâ- 
tres des  trois  plus  hautes  montagnes  de  l'Orégon  ,  les 
monts  Mood  ,  Sle-Hélène  et  Olympe  :  au  levant ,  un 
horizon  lointain  dont  les  nuances  indécises  se  ibodeiM 
avec  l'aïur  du  eiel  :  &  Toecident ,  les  eaux  brilluHes  et 
limpides  de  deux  jolis  lacs  où  ,  pendant  que  nous  les 
contemplions  du  haut  de  la  colline ,  nageaient  et  folâ- 
traient le  castor ,  la  loutre  et  le  rat  musqué.  Un  de  ces 
lacs  est  au  pied  d'un  amphitéitre  ffA  s'Âète  eir  pente 
douce  jusqu'au  plateau  sur  lequel  nous  nous  trouvions, 
et  où  je  décidai  que  la  Mission-mère  serait  placée.  La 
belle  riviène  de  Wallamet  dècriwit  MamtnsyeoK  une 
longue  eourbe  ;  die  est  bordée  fiar  une  svpcriMsCoiito 
<fai ,  ims  tfipak» ,  frantira  du  bois  de  Hntm^m» 
fèces  MX  besoins  de  l'éfaMiisenient.  EairejeMe  ftrti 
<^  la  eoHhie  m  trativent  ,  sé^wées  pit  dto  "koengi» 
Miflhrs,  «le  riMiies  praMes  d'un  lernur  favonMe  ftwih 
les  sortes  de  p#odcte ,  et  asses  èMutneB  fWf$ÊÊke  k 
l'entretien  d'une  grande  ferme,  ioignei  Jt  ces  avantay^ 
celui  d'avoir  à  mi-côte  une  quantité  de  lbMifaw»4itNB(  on 


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«6 

pourra  tirer  plt»  tard  «n  bon  parti  ;  Time  d^les  ttfmli 
qQ%  cent  pas  de  la  maison.  Ma  résolution  une  fbis  W- 
iHée  ,  on  ne  lafda  paaà  mettre  la  mainàl*€euvfei  et 
ét^  les  bAtimenls  sont  très  avancés. 

«  Lliiyer  s'approchant  rapidement,  je  ne  pus,  quoi- 
que affaibli  par  une  maladie  dont  je  relevais  à  peine  , 
résister  au  désir  de  visiter  tous  mes  chers  sauvages  des 
montagnes  qm,  de  leur  côté ,  à  ce  que  j'avais  appris  dU 
P.  Mengarini,  attendaient  mon  retour  avec  la  plus  vive 
impatience.  Le  3  octobre ,  je  quittai  la  Mission  de 
St-Paul  et  notre  nouvelle  fondation  ,  appelée  St-Fran*- 
çois  Xavier  ,  après  avoir  témoigné  ma  reconnais- 
sance à  Mgr  Blanchet.  Le  6 ,  j'arrivai  à  Vancouver  pré- 
cisément à  temps  pour  prendre  place  ,  avec  l'agrément 
du  gouverneur  ,  dans  une  berge  montée  par  huit 
hommes  et  partant  pour  Wallawalla.  Nous  campions  , 
le  lendemain ,  auprès  du  Gap  Hom  ,  rocher  qui  se  ' 
dresse  en  forme  de  pain  de  sucre  au-<lessus  delà  rivière. 
C'est  un  des  points  où  le  cours  de  ces  eaux  turbulentes 
et  profondes  est  le  plus  solennel.  Leur  masse  énorme 
s*est  ouvert  un  passage  entre  deux  hautes  montagnes,  et 
se  précipite  avec  impétuosité  sur  des  (récifs  et  des  dé» 
bris  de  roches  volcaniques ,  pendant  un  cours  d*envi* 
ron  quatre  milles.  Ce  passage  si  dangereux  est  connu 
sous  le  nom  de  Grandes  Cascades.  Voici  l'histoire  de 
leur  formation ,  telle  que  les  Indiens  qui  habitent  ces 
pMvgBtttiefbnt  nicaMiées.  MosvkiHanb,  meiibaient- 
Omp  aempiMsDtateMonl^éiMfMOàleseauoMM 
iApÊmbhmm^  mmw^  immamat  rocher  fiiifi*éenittti, 
Wm  le  lit  âm§0om  »  et  eMtvelil  les  snodas  forèli.de 
mkétts  ^èewffmdmslLm^rtWÊSHpgelea  Ttsm 
itt  PaUÉM.  teydbsine»  «neffel, 

4b  gffDt  trtMt  d'flffheea  » 


Jl. 

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476 

hauls  d*une  vingtaine  de  pieds ,  et  dont  on  ne  peut  ex- 
pliquer l'existence  sans  recourir  au  récit  des  sauvagies. 

«  De  là  jusqu'aux  Dalles ,  c'est-à-dire  pendant  envi- 
ron quarante  milles ,  on  ne  rencontre  pas  le  moindre 
obstacle  à  la  navigation.  Nous  passâmes  près  de  plu- 
sieurs lies  basaltiques ,  où  les  Indiens  déposent  leurs 
morts,  dans  des  huttes  faites  de  planches  de  cèdres ,  et 
couvertes  de  nattes  pour  les  soustraire  à  la  voracité  des 
loups.  Quelques  ilôts  étaient  remplis  de  ces  sortes  de 
cercueils.  Depuis  les  grandes  DaUes  jusqu'aux  sources 
de  la  Colombie ,  le  fleuve  ne  présente  qu'une  suite  de 
courants ,  de  chutes ,  de  cascades  et  de  dalles.  Il  faut 
des  hommes  de  beaucoup  d'expérience  pour  y  diri- 
ger les  embarcations  ,  et  malgré  toute  l'adresse  et  h 
prudence  des  bateliers  ,  il  n'est  peut-être  pas  un 
fleuve  au  monde  qui  soit  le  théâtre  de  tant  de  dé- 
sastres. Pendant  l'automne ,  la  plupart  des  sauvages 
se  rendent  sur  ses  deux  rives ,  et  viennent  disputer 
aux  corbeaux ,  ou  partager  avec  eux ,  les  saumons 
morts  et  mourants  qui  flottent  par  milliers  sur  la  sur- 
face des  eaux.  Dans  le  voisinage  des  camps  l'air  en  est 
infecté;  on  aperçoit  ces  poissons  en  état  de  putréfaction, 
suspendus  aux  branches  des  arbres  ou  sur  des  écbaf- 
faudages  élevés  exprès ,  et  c'est  à  cette  nourriture  mal- 
saine et  détestable  que  le  pauvre  Indien  doit  avoir  re- 
cours durant  son  long  carême  d'hiver. 

«  On  ne  saurait  se  former  une  idée  du  dénuement 
extrême  de  ces  malheureuses  petites  tribus  ,  éparses  le 
long  du  fleuve.  Qu'on  se  figure  de  misérables  huttes  en 
paille ,  en  joncs ,  en  écorce ,  en  branches  de  pins  ,  on 
en  lambeaux  de  peaux  ;  autour  de  ces  loges  soDi  en- 
tassés des  arêtes  de  poissons,  des  ossemaits  d'animam, 
des  immondiees  de  tout  ganre.  Dans  llaièriear,  oe  mm 

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477 

des  botlcs  de  racines  jetées  dans  un  coin  ,  des  peaux 
suspendues  à  des  perches ,  des  poissons  qui  boucanent 
au-dessus  du  foyer.  Pour  toute  batterie  de  cuisine,  pour 
unique  ustensile  de  ménage,  Tlndien  n'a  qu*unc  chau- 
dière d*osier  enduite  de  gomme ,  et,  pour  faire  bouillir 
l'eau,  des  pierres  rougies  au  feu;  dans  cette  chaudière 
s'agite  un  liquide  dont  il  est  impossible  de  deviner  la 
composition.  Si  du  mobilier  on  passe  au  personnel,  on 
ne  voit  que  des  visages  crasseux,  des  cheveux  en  désor- 
dre ,  des  mains  faisant  presque  à  la  fois  les  fonctions  de 
peignes  ,  de  mouchoirs  ,  de  couteaux ,  de  cuillers  et 
de  fourchettes.  J'omets  uiie  foule  d'autres  détails  dont 
la  seule  pensée  fait  bondir  le  cœur.  Voilà  une  esquisse 
des  misèFes  corporelles  de  ces  tribus,  faible  image  d'un 
autre  genre  de  misères  infiniment  plus  déplorables. 

«  En  effet ,  que  n'aurais-je  pas  à  dire  si  je  parlais  du 
pitoyable  état  de  leurs  âmes!  L'idolâtrie  de  la  majeure 
partie  va  jusqu'à  rendre  les  honneurs  divins  aux  plus 
vils  animaux,  elle  ne  recule  même  pas  toujours  devant 
les  sacrifices  humains.  Dans  le  courant  de  l'été  dernier 
et  presque  en  face  de  la  maison  des  minbtres  protes- 
tants j  un  enfant  fut  dévoué  aux  mânes  d'un  de  ses  corn- 
*  pagnons  mort  la  veille.  La  victime  ,  garoltée  si  cruelle- 
ment que  les  cordes  lui  entraient  dans  la  chair ,  fut  ex- 
posée sur  un  rocher  où  elle  n'aurait  pas  tardé  à  rendre 
le  dernier  soupir ,  si  un  homme  compatissant  ^  M.  Par- 
kins ,  n'était  parvenu  avec  peine  à  la  racheter. 

«  Ajoutez  à  ce  sombre  tableau,  un  dévergondage  de 
mœ(u*s  qui  ne  suit  d'autre  loi  que  le  caprice  ou  la  passion 
du  moment ,  un  amour  effréné  pour  le  jeu  qui  enlève 
jusqu'aux  heures  destinées  au  repos  le  plus  nécessaire, 
une  paresse  qui  ne  cède  qu'à  l'empire  de  la  faim ,  une 
pente  eoniinuelle  à  la  disstmulalioD ,  k  la  |oann«uUse, 


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4M 

kiau&oequi  ctttbas,  et^wutiupfiKimeidèedcsprift- 
éfMX  ?ice»  où  QittupiiienteMoro  ces  pravies  p» 
pie»  sur  k»  rives  de  la  Coleinhie,flturouaâBenUa.feai 
de  Vabiioe  dans  lequel  ils  soal  plencés ,  ils  sememui 
bfwein  indéfiiûssable  dlavo^iier  we  poiasnce  sopè- 
rieare  à  l'hoBime ,  et  sent  atunuilsi  UnU  ce  qui  pcoi 
leur  révéler  quelque  meyen  de  la  flédur. 

«  Le  99,  je  fus  reçus  à  WiMai^fo  f»  M.  Kealir, 
eommmdam  du  fort ,  avee  cetie  pifliteise  et  eette  tat^ 
dialM  qui  distinguent  les  mendlireadeniononMe  Ccm* 
pagttie  de  la  baie  d'Hudson.  J'emphqrai  quelques  joan 
k  hSn  les  préparatifs  nécessaôres  au  reste  de  moa 
voyage;  puis  devançant  de  quelques  jours  le  P.  Mea^ 
garini  ,  qui  se  proposait  d'ateompagnernos  bêlas  de 
charge  ,  je  partis  avec  un  Iroquois  et  un  Gana^ea  poitf 
guides.  Le  6  »  après  avoir  traversé  la  grande  moncagoe 
des  Kalispels,  élevéede  cinq  mille  pieds  au-dessus  de  h 
plaine,  je  rencontrai  le  P.  Hœken,  qui  venait  au  devant 
de  moi  accompagné  de  quelques  sauvages. 

«Ha  ouvert ,  depuis  deux  mois  ,  ime  BTunoa 
parmi  les  Kalispels ,  sous  les  auspiœs  et  le  paeroaigs 
de  saint  Ignace.  Je  ftis  reçu  dans  le  ounp  au  son  dei 
cloches,  et  sahié  par  des  décharges  de  mouaqueterit- 
H  serait  impossible  de  vous  dire  Fémoâon  de  mon  Mar 
^  la  mie  de  la  première  députation  de  mes  ehers  In- 
diens, de  mes  enftnts  en  Jésus-Christ,  et  de  vm»  per- 
dre la  joie  srfranehe  qui  paraissait  les  animer  en  salusot 
mon  retour.  Les  détails  que  me  donna  le  jeime  Mis- 
sioouairesur  leurs  dispositions  aetudles  sonft  tropia^ 
téreisants  pour  les  mietire  ;  je  ks  raconle  afiade 
prailver  ee  que  peut  la  gràoe  sur  xm  peuple ,  ipuasd  b 
vérité  est  Funi^^é  (^jet  cte  «eadésirs.  CduM  ft*avvt 
re^dennii|uedeuxèDiirleBvitftesentMl  ellMI; 

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4M 

t 

tout  cequeje  hii  avais  reeommandé  alors  availété  stric- 
teoieot  obaenré.  «  Ce  qui  me  frappa  d*abord ,  en  arri- 
vant au  milieu  de  ces  Indicas ,  me  dit  le  P.  Hoeken,  et 
«6  que  je  ne  puis  me  lasser  d'inlmirer  de  plus  en  plus , 
c'eal  la  ehavicé  vfaimeHt  fraiemelle  et  la  profonde  imion 
qui  semUe  ne  foire  de  toute  cette  peuplade  qu'une  mê- 
me famille.  »  L'amour,  le  respect  et  Tobéissanee  qu'ils 
ont  voués  à  leurs  chefs  »  ne  connaissent  pas  de  bornes, 
et  l'accord  qui  règne  entre  ces  chefs,  offre  le  spectacle 
de  la  plus  parfaite  union  :  «  Jamais ,  disent-ils ,  nos 
lèvres  ne  demandent  et  nos  cœurs  ne  désirent  qu'une 
même  chose.  »  Ce  sont,  dans  toute  la  force  du  terme,  les 
pères  de  la  tribu  ,  comme  un  bon  Supérieur  l'est  de  sa 
conununauté.  Leur  commandement  n'a  rien  d'impé- 
rîenx  ,  mais  ils  ne  parlent  jamais  en  vain  ;  à  peine  leur 
voix  s'est  fait  entendre  qu'on  s'empresse  d'exécuter  jus- 
qu'à leurs  moindres  vœux.  Un  Indien  éprouve-t-il  quel- 
ques difficultés  ,  est-il  visité  par  l'épreuve  ,  veut-il 
entreprendre  un  voyage ,  toujours ,  même  dans  les 
circonstances  les  plus  ordinaires  ,  il  consulte  son 
chef  et  se  détermine  d'après  ses  conseils.  S'agit-il  de  ma- 
riages, il  s'adresse  encore  aux  chefs  qui  les  permettent, 
les  retardent  ou  les  désapprouvent,  selon  qu'ils  le  jugent 
prudent,  et  chacun  se  soumet  à  cette  déci^on. 

«  En  sa  qualité  de  père,  le  chef  pourvoit  à  la  nourri- 
ture <fe  9«s  enfiinls ,  c'est-à-dire  de  la  peuplade  entière. 
Tout  otevreuil  tué  à  la  chasse  est  porté  à  sa  loge  ;  là  il 
est  divisé  en  autant  de  portions  qu'il  y  a  de  familles.  Par 
une  sage  éoenomie  l'avenir  est  aussi  prévu,  et  une  côl^ 
de  ebaque  animal  est  mise  en  réserve  pour  ceux  qiii 
doivent ,  au  printemps ,  cultiver  la  terre.  La  distri- 
bution se  fiiit  avec  une  admirable  impartialité  :  le 
viaiUard  el  l'infirme  ,  la  veuve  et  orphelin  ont  leur  part 


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4S0 

assurée  ,  aussi  inen  que  le  chasseur.  .N*estH!e  pas,  soos 
plus  d  un  rapport ,  le  retour  de  ces  temps  beur^ix  où, 
comme  nous  Vappremient  les  Actes  des  Apôtres,  tous 
n'avaient  qu*un  cœur  et  qu'une  àme  ?  Ne  retrouve-t-OB 
pas  ,  au  fond  de  nos  solitudes  ,  cette  simplicité  et  celte 
union  qui  embellirent  les  premiers  siècles  du  Christia- 
nisme ? 

€  A  l'arrivée  du  Missionnaire  ,  un  des  chefs  lui  ex- 
pliqua' ingénuement  la  manière  de  vivre  des  Indiens 
entre  eux  ,^et  conclut  ainsi  :  c  Nous  sommes  pauvres 
«  d'esprit ,  mais  à  défaut  d'intelligence ,  nous  avons  de 
«  la  docilité.  Aujourd'hui  que  nous  avons  le  bonheur 
«  de  posséder  une  [Robe-noire ,  nous  écouterons  ,  nous 
«  suivrons  sa  parole  ;  tous  les  changements  qu*il  lui 
<c  plaira  d'ordonner  seront  exécutés  sans  délai.  »  FI 
n'est  pas  nécessaire  d'ajouter  que  la  /lofce-no&'e  remercia 
Dieu  des  pratiques  et  des  coutumes  établies  dans  ce  pe- 
tit coin  du  monde ,  où  chacun  vit  content  dans  sa  mé- 
diocrité ,  et  qu'elle  confirma  les  lois  qui  produisaient 
cette  heureuse  harmonie.  Le  cœur  est  touché  lorsqu'on 
entend  ce"peuple  parler  des  ténèbres  dans  lesquelles  il 
a  été  plongé  si  longtemps ,  lorsqu'on  le  voit  se  réjouira 
la  lumière  de  l'Evangile ,  rivaliser  d'ardeur  dans  Texer- 
cice  des  vertus  chrétiennes'  qui  ravissent  son  esprit  e( 
enchainent  ses  affections.  Pour  lui,  toute  sa  gloire  con- 
siste dans  sa  fidélité  au  service  du  Seigneur ,  toute  son 
ambition  est  de  s'instruire  de  ses  devoirs.  C'est  la  pensée 
de  Dieu  qui  dirige  le  jeune  homme  dans  le  choix  d'une 
épouse ,  ta  fenune  dans  celui  d'un  mari.  Pendant  lean 
moments  de  loisir,  tous  ces  bons  néophytes  entourent  et 
assiègent  en  quelque  sorte  le  Missionnaire  ,  auquel  ils 
enlèveraient  encore  les  heures  de*  ta  nuit ,  ai  ses  forces  - 
répondaient  à  son  zèle  et  au  leur.   Ici  lés  plamtes ,  les 


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481 

médisances  ,  les  murmures  sont  inconnus  ;  Torgueil 
et  le  respect  humain  sont  absolument  étrangers.  Que 
de  fois  ne  remarquons- nous  pas  des  vieillards ,  des 
chefs  mêmes ,  assis  à  côté  d'un  enfant  de  dix  à  douze 
ans  ,  prêtant  pendant  deux  heures  l'attention  d'un 
écolier  docile  à  ces  précoces  instituteurs ,  qui  leur 
apprennent  les  prières  et  leur  expliquent  les  figures 
de  lechelle  catholique (1)  avec  la  gravité  qui  convient  à 
un  maître  ! 

.  «  Dans  leurs  adversités ,  quand  la  pèche  ou  la  chasse 
a  trompé  leur  attente  ,  lorsqu'ils  sont  condamnés  à  un 
jeûne  rigoureux,  nul  signe  d'impatience  ne  leur  échappe; 
e^ilmes  et  tranquilles  comme  aux  jours  d'abondance,  ils 
attribuent  leurs  malheurs  à  leurs  péchés.  Dans  leurs 
succès,  ils  reconnaissent  et  bénissent  la  main  miséri- 
cordieuse de  Dieu.  La  Robe-noire  ayant  un  jour  loué  un 
jeune  chasseur  de  sa  dextérité,  celui-ci  rougit  et  répon- 
dit en  souriant  :  «  Je  ne  suis  point  chasseur;  je  prie,  et 
a  lorsque  le  Grand-Esprit  envoie  les  chevreuils  à  la 
«  portée  démon  fusil,  je  tire  mon  coup  et  ils  meurent.» 
«  Au  milieu  de  nos  bons  Kalispels  il  m'eût  été  facile 
d'oublier  que  la  saison  était  déjà  très  avancée ,  et  qu'il 
fallait  se  hâter  pour  se  rendre  avant  l'hiver  à  Ste-Marie, 
chez  les  Têtes-Plales.  Le  8  cependant ,  je  fis  mes  pré- 
paratifs et  je  songeai  au  départ  lorsque ,  vers  le  soir , 
se  présenta  une  petite  députa tion  envoyée  parla  tribu 
des  Cosurs-iTAlène.  Ils  avaient  craint  avec  raison  que  je 
ne  différasse  d'aller  chez  eux,  à  cause  de  la  conduite  te- 
nue par  un  de  leurs  chefs  vis-à-vis  de  la  Robe-noire.  Voici 
le  discours  qu'ils  m'adressèrent  :       * 


(t)  Représentation  det  principaux  traits  ie  rÂnciein  et  du  Ifonreia 
Taitament. 


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4» 

«  Père  Pierre^ 

«  Nos  cheis  te  parlent ,  nous  te  portons  leurs  paroles. 
«  Nous  avons  appris  que  tu  avais  traversé  la  grande  ^n 
c  (l'Océan)  pour  venir  consoler  tes  enfants  des  numta- 
c  ffxw  ;  nous  te  dirons  qu  à  cette  nouvelle  tous  les  In- 
€  diens  se  sont  r^pujs ,  et  nous  surtout,  qui  avions 
«  parlé  si  souvent  du  Père  Pierre  depuis  qu'il  nous  avait 
€  quittés.  Nous  pensions  que  nous  serions  les  premiers 
c  à  te  voir,  et  cette  espérance  mettait  le  cond)le  ànotre 

<  joie;mais  nous  avons  appris  que  ton  cœur  n'était  plus 
»  le  même  à  notre  égard,  et  cette  pensée  nous  a  rendus 
«  tristes.  C'est  vrai ,  Père ,  tu  n'as  pas  sujet  d'être  con- 
«  tent ,  ear  plusieurs  d'entre  nous  ont  commis  des  fau- 
c  tes  ;  mais  le  Grand  Esprit  nous  a  punis  comme  nous 
«  le  méritions,  o'est  ce  qui  nous  fait  croire  qu'il  ne  veut 
«  pas  nous  rqeter.  Nous  avons  perdu  ,  cette  année, 
«  notre  glrandchefet.quelques  autres  personnes  :  de  ce 
«  nombre  sont^des  enfants  morts  avant  d'avoir  pu  élit 
a  régénérés  dans  l'eau  sainte.  Cette  dernière  perte,  qui 
c  nous  a  paru  la  plus  douloureuse  ,  nous  a  fait  penser 

<  qu'en  nous  cb&tiant  ainsi ,  le  Grand-Esprit  voulait 
«  nous  apprendre  combien  c'est  un  grand  mal  d'oublier 
«  son  baptême....  Maintenant  que  nous  sommes  tous 
«  réunis  au  village  du  Sacré  Cœur  de  Jésus ,  nous 
«  redoublons  d'efforts  pour  contenter  la  Robe-noire ,  ou 
«  plutôt  pour  contenter  notre  Père  qui  est  au  cieL  Nous 
«  nous  préparons  surtout  à  bien  faire  notre  première 
«  communion.  Tu  le  sais  mieux  que  nous ,  Père ,  ee 
«  jour  est  le  plus  beau  de  la  vie.  Viens  donc  nous  voir 
«  pour.éireléiiMHndenotrebraheiir.  Oh!sî  tupoiHM 
c  être  au  milieu  de  les  enfants  ce  jour-là;  il  noussem- 
«  ble  que  nous  n'aurions  plus  rien  à  désirer  sur  btcrrt* 


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488 
«  Hwiftimdonste  piouiverqtie  ee  b'^a  pas  seulement 
«  atto  des  paralea  i|iie  mm  ùknmiBj  mairavee  w»e 
«  dodiké  filMe  ,  tmrwjm  simmiet  décidés  à  faite  dé- 
«  sonmîsicvl  ae  ipie mm  Fèies  nefus  éironu  YoUà  les 
«  deaniefs  iboIs  i|iii  sortent  dvnotre  cœur.  Maintenant» 

<  Père  Picara  »  nods  M  te  demandma  pkn  qa*ane 
«  eiuMe  :  Tiens  ta»fniéine  nom  dire  si  c'est  là  oe  que 

<  tu  Mends  de  notreaiaour*  m 

«  Je  cédai  d\iutant  plus  volontiers  &  leurs  sollicita- 
lions  ,  que  la  saison  permettait  encore  de  franchir  la 
haute  montagne  des  Cceurs  (TAlène  et  de  se  rendre  par 
cette  route  chez  les  TélcsPlcUes. 

ff  Le  9  ,  je  me  séparai  du  P.  Hoeken  et  de  son  inté- 
ressante petite  colonie  composée  de  trois  cents  person- 
nes. Les  trois  députés  des  Cœun^tt Alêne  et  deux  Kalis*- 
peto  m*eseof  tèrent  Le  lendemain  ,  lesoleîl  se  leva  naa- 
jestueusement  et  tout  nous  présageait  une  magnifique 
journée^  mais  ees  apparences  trompeuses  disparurent 
sous  des  nuages  rouge&tres  et  de  mauvais  augure.  Bien- 
tôt la  neige  tomba  à  gros  flocons.  Nous  traversâmes  la 
rivière  Spokane  au  bas  des  grands  rapides  ,  et  nous 
poursuivîmes  notre  route  jusqu'au  coucher  du  soleil.  La 
pluie  était  abondante»  mais  les  torrents  demeuraient  en- 
core à  sec  dans  la  haute  plaine  que  nous  parcourions. 
Nous  fîmes  halte  auprès  d'une  petite  fontaine.  Je  vous 
tracerai  à  ee  sii^et  une  esquisse  4e  oolre  manière  de 
camper. 

«  Dans  tes  temps  pluvieux ,  une  tente  est  dressée 
h  la  hâte  ;  on  ooupe  ekisuite  des  branches  de  sapin , 
8*n  7  ena ,  ou  des  broussailles,  qu'on  étend  sur  la  terre 
humide  afin  de  ne  pas  dormir  dans  un  bourbier.  Les 
sefles,  les  brides ,  tes  bagages  sont,  atissi tôt  mis  à  l'a- 
bri. On  ramasse  dansl^  environs  autant  de  branches  et 


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484 

de  Ironcs  d'arbres  qull  est  possible  d'en  porter;  puis  on 
allume  des  copeaux  résineux.  A  ces  prèpararatib  suc- 
cèdent ceux  du  souper ,  qui  consiste  dans  un  peu  df 
farine ,  quelques  racines  de  gamache  et  un  morceau  de 
graisse  de  buffle  y  appelée  dépoiMe  par  les  monta- 
gnards canadiens.  Le  tout  fut  mis  ensemble  dans  h 
chaudière  poiir  en  composer  un  seul  ragoût.  Une  lon- 
gue perche  ,  car  la  flamme  nous  tenait  à  distance  res- 
pectueuse ,  fut  transformée  en  cuiller  à  pot ,  qu'il  fallui 
tourner  et  retourner  jusqu'à  ce  que  le  contenu  de  la 
marmite  eût  obtenu  la  densité  requise.  Nous  trouvi* 
mes  le  mets  délicieux.  Nous  n'avions  qu'une  écuelle  en 
tre  six  convives.  Mais  la  nécessité  rend  l'homme  indus 
trieux.  En  un  clin-d'œil  mes  Indiens  furent  prêts  pour 
l'attaque  de  la  chaudière.  Deux  d'entr'eux  munis  de 
morceaux  d'écorces,  deux  autres  avec  des  morceaux  de 
cuir,  le  cinquième  armé  de  l'écaillé  d'une  tortue,  pion 
geaient  et  replongeaient  dans  cette  marmite  avec  l'a- 
dresse et  la  régularité  d'un  forgeron  frappant  sur  son 
enclume.  Elle  fut  bientôt  à  sec.  Cependant  la  pluie  con 
tinua  toute  la  nuit.  Je  ne  pouvais  recevoir  que  deuxper 
sonnes  dans  ma  modeste  tente  ;  les  trois  autres  s'abri- 
tèrent  derrière  des  écorces  d'arbres  ;  elles  entrctin 
rent  le  feu ,  et  dormirent  à  merveille  ,  du  moins  elles 
l'affirmèrent  et  je  les  crus  sur  parole. 

«  La  neige  et  la  pluie  ne  cessèrent  pas,  le  1 1 ,  pen 
dant  toute  la  journée.  Nous  partîmes  cependant,  dam 
l'espérance  d'atteindre  enfin  la  Mission.  Mais  le  sentier 
était  devenu  si  glissant  sur  les  hauteurs  qu'il  nous  res- 
tait à  franchir,  que  nous  fimesà  peine  ime  vingtainede 
milles.  Le  12 ,  nous  levâmes  le  camp  de  grand  matto 
au  milieu  d'un  monceau  de  neige.  Nous  arrivâmes  au 
sommet  d'une  assez  haute  montagne  à  travers  un^ 


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486 
épaisse  forél,  dans  laquelle  la  oeige  qui  tombait  des 
arbres  nous  incommoda  beaucoup  ;  nos  chevaux  glis- 
saient et  s'abattaient  presque  à  chaque  pas.  Enfln, 
vers  deux  heures  de  Taprès-midi ,  j'étais  sur  les  bords 
de  la  rivière  de  St-Joseph ,  et ,  une  heure  plus  tard,  au 
village  du  Sacré  Cœur  de  Jésus  ,  avec  le  P.  Point  et  un 
frère  coadjuteur  ,  entouré  d'environ  six  cents  Cœurs- 
(C Alêne ,  qui  s'empressaient  pour  me  serrer  la  main 
et  me  souhaiter  la  bien  venue. 

«  Je  remercie  la  divine  Providence  de  m'avoir  con- 
duit au  milieu  de  ce  peuple.  Je  l'ai  retrouvé  plein  de 
ferveur  et  de  zèle ,  se  disposant  avec  la  plus  grande  as- 
siduité à  faire  dignement  sa  première  communion  le 
jour  de  Noël.  Du  matin  au  soir ,  et  même  pendant  la 
nuit  y  on  n'entendait  dans  tout  le  camp  que  la  récita- 
tion des  prières  et  le  chant  des  cantiques.  Chaque  jour, 
ces  Indiens  accroissaient  ma  joie  et  ma  consolation.  Vous 
verrez  avec  plaisir ,  dans  les  lettres  de  mes  confrères  , 
les  bénédictions  que  le  Seigneur  a  daigné  répandre  sur 
leurs  travaux ,  pendant  le  cours  des  deux  dernières 
années.  * 

«  Le  19,  après  avoir  pris  les  dispositions  les  plus  ur- 
gentes ,  je  partis  de  la  Mission  avec  quatre  Indiens,  me 
dirigeant  vers  Ste-Marie  par  la  chaîne  de  montagnes  qui 
sépare  les  CœurscTAlène  des  Têtes-Plates.  Les  pluies  et 
la  neige  des  jours  précédents  augmentèrent  encore,  et  ce 
fut  après  avoir  essuyé  toute  sorte  de  difficultés,  causées 
par  le  mauvais  temps,  que,  le  27 ,  au  sortir  de  la  val- 
lée de  St-Ignace^  nous  nous  trouvâmes  presque  au  pied 
du  point  culminant  Pendant  quelques  journées  nous 
serpentâmes  tantôt  à  travers  l'épaisseur  des  bois,  tantôt 
sur  les  flancs  des  rochers,  souvent  en  suivant  les  sinuo- 
sités de  la  rivière  jusque  dans  son  lit ,  A  tortueux  en 


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49t 

eertmns  mdriHts  q«%n  moins  d«  litrit  betires  nomli 
mes  forcés  éc  le  tramner  quarante  qmtre  fins.  Les^ 
dres  qui  ombragent  cette  gorge  sont  pnmfigiem;  la  phi- 
part  oiH  ctetrois  à  cinq  brasses  4le large, elrwie  éKvfltfon 
proportioimée  ;  Us  seat  ea  si  grand  nombre  qu\in  peai 
dire  sans  hyperbcAequIls  forment  une  nuit  impèaéira' 
Me  anx  rayons  dusoleil.  Je  demie  que  le  Uban  ait  ja- 
mais rien  produit  de  plus  mqesUieuK  queleure  eimes, 
de  plus  mystérieux  que  leurs  ténèbres*  Le  silenoe  de  œs 
lieux  ,  interrompu  seulement  par  le  souffle  de  la  brise, 
le  passage  de  quelques  bâtes  fieiuveSy  et  le  murmure  des 
innombrables  torrents  qui  bondissent  du  sonunet  des 
rochers ,  a  quelque  chose  qui  semble  tenir  d'un  monde 
tout-à-fait  nouveau» 

«  Deux  Ntz-Pereês  qui  descendaient  des  hauteurs 
que  nous  avions  à  fhmchir ,  nous  firent  une  deseriptiofi 
si  épouvantable  de  la  roule,  quH  nous  fellut  renoncer  à 
toute  tentative  de  ce  e6lé.  Les  eaux  se  précipitaient  des 
montagnes  avec  une  abondance  et  une  impétuosité  tel 
les  que  nous  ne  pensâmes  qu*à  rétrograder  ou  pkis  vite. 
Nous  voyions  s'annoncer  les  commencements  d'un  nos- 
veau  déluge.  Les  petits  ruisseaux  de  la  veille  étaient  de- 
venus de  gros  torrents ,  qui  nous  arrêtaient  à  chaque 
pas  pour  charger  et  décbai|;er  nos  bétes  de  somme. 
Après  une  infinité  de  misères  ^  de  culbutes  et  de  plon- 
geons ,  nous  régnâmes  enfin  la  rivière  de  St-I^œ 
qui  y  ayant  cru  de  plus  de  dix  pieds  ^  et  entrainaat 
dans  sa  course  vagabonde  des  masses  de  gros  aii)res , 
ne  fut  passée  qu'avec  des  dangers  extrêmes.  Une  <w 
Xe  disparus  sous  Peau  et  sou&ma  mule  ;  je  ne  làdiai 
cependant  pas  ma  béte ,  qui  me  traîna  jusqu'à  la  rive 
opposée. 

«  Mon  oampinm.,  fondsot  h  ank,  près  dtoe 

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«7 

grande  croix  plmitée  parxtn  chef  indien.  H  nranquaît 
encore  à  la  rivière  quelques  pieds  pour  déborder  ,  <m 
chacun  songea  k  dormir  sans  la  moindre  inquiéttide  ; 
mais  vers  minuit  un  de  mes  hommes  fut  étonné  de  sen- 
tir ses  deux  jamb^  dans  Teau  ;  H  mit  la  tête  en  dehors 
de  sa  tente  et  donna  le  signal  d^alarme.  H  était  plus  que 
temps  ,  nous  étions  au  milieu  d'un  lac  immense.  La 
plaine  était  inondée  dans  toute  sa  longueur  de  plus 
de  vingt  Ireues.  Â  peine  avai»je  lié  ensemble  mes  effets, 
que  je  me  vis  dans  Feau  jusqu'aux  genoux.  Ici,  connue 
dans  mille  autres  circonstances,  la  paternelle  providence 
de  Dieu  nous  avait  ménagé  un  secours  ;  deux  canots 
avaient  été  laissés  dans  l'endroit  même  où  nous  cam. 
pions  ;  par  ce  moyen  nous  nous  réfugiâmes  avec  arme» 
et  bagages,  tout  trempés,  sur  une  éminenceà  deux 
mille  de  distance.  Nous  députâmes  un  Cœur-cTAlè' 
ne  pour  porter  à  la  Mission  la  nouvelle  de  notre  dé- 
tresse ;  et  deux  jours  après,  cinq  canots  ,  dirigés  par 
deux  chefs ,  vinrent  à  notre  aide ,  et  nous  reconduisî- 
>ent  au  village  du  Sacré-Cœur  de  Jésus.  Les  sauvages 
se  réjouirent  des  contrariétés  auxquelles  ib  devaient 
mon  retour,  et  m'accueillirent  avec  les  mêmes  démons- 
trations de  joie  que  la  première  fois. 

«  Il  n'y  a  pas  longteo^  encore,  les  ÙBwn-dtAlèM 
étaient  renoinmés  parmi  leufsvoisins  pour  leur  habileté 
'dans  la  médecine ,  ^  est  ici  ^E&onyme  4e  magie  (1). 
Jls  OBt  été  effeetivemeol  ensevelis  dais  les  superstitioDs 

(f)  HMechie  est  le  nom  fnlgtire  donne  pir  les  Mancs  à  l'idolâtrie  d« 
«Étfn^e  ,  TnisenAMinmit  pan»  qweedrici  ne  eoBnaiiMBt  gnèvt 
iVwiwi  iHwr  yie  )m  lAflu  M  \mhmÈm^è^  coips,  irèoit  à  As» 
«Mridar  à  se»  Mmileoo  la  gaéwsa»  dit  «naa  ei  les-ttOfent  ùm  iobvenir 
am  antres.  Pami  les  ponroirs  magiques  qne  ees  Indiens  prétendent 
aroir,  il  en  est  qnl  passent  ponrmanTais  même  à  lenrs  yenx;  ce  sont  ceux 
qni  ont  pour  bot  de  noire  aux  1 


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488 
les  plus  absurdes  ,  et  leur  aveuglement  était  si  profond 
qu'ils  adoraient  les  animaux  les  plus  vils  et  les*objets 
les  plus  grossiers.  Aujourd'hui  ils  en  plaisantent  eux- 
mêmes  ;  mais  ils  ajoutent  avec  reconnaissane  :  «  Dieu 
c  a  eu  pitié  de  nous  t  II  nous  a  ouvert  les  yeux;  il  est  in* 
«  animent  bon.  »  Un  seul  fait  suffira  pour  vous  donner 
une  idée  de  leur  ancien  cijdte,  et  delà  facilité  qu'ont  les 
Indiens  à  adopter  des  Manitous  ou  Dieux.  Ils  me  dirent 
que  le  premier  blanc  qui  parut  sur  leurs  terr.es,  portail 
une  couverture  de  laine  blanche  avec  une  chemise  d'in- 
dienne, tachetée  de  petits  points  de  couleur  assez  sem- 
blables aux  boutons  dé  la  petite  vérole.  Les  Cœurs- 
d'Alêne  s'imagînant  aussitôt  que  la  cheniise  était  le 
grand  Manitou  de  la  petite  vérole ,  et  la  couverture  le 
grand  Maitre  de  la  neige ,  pensèrent  que  s'il  leur  était 
possible  d'en  devenir  les  possesseurs  et  de  leur  rendre 
un  culte  9  leur  nation  serait  à  jamais  exempte  de  la  fu- 
neste maladie,  et  que  tous  les  hivers  ils  auraient  la 
quantité  nécessaire  de  frimas  pour  favoriser  leur  chasse. 
Ils  présentèrent  donc  au  blanc  plusieurs  de  leurs  meil* 
eurs  chevaux  en  échange  de  ses  vêtements  ,  et  celui- 
ci  n'eut  rièi^  de  plus  pressé  que  de  leur  céder  sa  chc-' 
mise  et  la  moitié  de  sa  couverture.  Elles  ont  été  pen- 
dant quelques  années  les  objets  d'un  culte  singulier  par 
mi  les  CkBurs-^ Alêne.  De  loin  comme  de  près ,  les  In- 
diens venaient  leur  offrir  l'hommage  de  leur  adoration. 
Aux  principales  solennités, le  grand  Manitou  de  la  petite 
vérole  et  le  grand  Maître  de  la  neige  étaient  portés  en 
procession  sur  un  coteau  élevé,  consacré  à  la  pratique  de 
leurs  rites  superstitieux  ;  on  les  étendait  respectueu- 
sement sur  le  gazon  ;  le  calumet  leur  était  présenté 
aussi  bien  qu'aux  quatre  éléments;  des  cantiques  Paient 
chantés  en  leur  honneur ,  et  la  cérémonie  se  terminait 
par  la  grande  danse  de  Médecine ,  qui  consiste  à  faire 


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des  contorsions  étranges  en  poussant  des  cris  ou  plutôt 
des  hurlements  affreux. 

«  Le  4  décembre ,  je  me  séparais  encore  des  Cœurs- 
d'Alêne  pour  essayer  de  repasser  chez  les  Têtes-Plates. 
Mais  la  nouvelle  voie  que  j'avais  prise  se  trouvant  bien- 
tôt aussi  impraticable  que  la  première ,  j'abandonnai 
un  dessein  dont  la  Providence  semblait  me  détourner 
par  tant  d'obstacles,  et  je  me  réfugiai  chez  les  Kalispels. 
Ces  Indiens  mirent  tout  en  œuvre  pour  m'assurer  la  meil- 
leure loge  du  camp,  et  rendre  mon  séjour  parmi  eux 
aussi  agréable  que  les  circonstances  et  les  lieux  le  per- 
mettaient. Us  avaient  admirablement  choisi  leur  quar- 
tier d'hiver,  dans  une  position  charmante,  vis-à-vis  d'une 
bielle  chute  de  la  rivière  Clark ,  barrée  en  cet  endroit 
par  un  rocher  immense  dans  lequel  les  eaux  se  sont 
miné  deux  étroits  passages  ,  et  retombent  en  cascades 
écumantes.  Une  épaisse  et  vaste  forêt  les  défend  des  vents 
du  nord,  et  une  multitude  d'arbres  abattus  par  le  temps 
fournit  de  quoi  alimenter  tous  les  foyers.  Ce  camp  est 
environné  d'une  longue  suite  de  montagnes,  couvertes  de 
neige  de  la  base  au  sommet,  et  dont  les  mille  cimes  ré- 
fléchissent sur  tout  ce  paysage  une  splendeur  vraiment 
glaciale  lorsque  le  soleil  les  éclaire.  A  l'entrée  de  l'hiver, 
le  gibier  abandonne  les  hauteurs ,  et  quand  la  neige  a 
deux  ou  trois  pieds  d'épaisseur  il  arrive  souvent  que  , 
dans  une  même  journée,  quarante  chasseurs  tuent 
jusqu'à  trois  cents  chevreuils.  Jugez  combien  sont  nom 
breuses  les  bandes'd'animauxquiydans  cette  saison, rem- 
plissent les  vallées,  puisque  trob  cents  personnes  réunies 
au  camp  dont  je  vous  parle,  vivaient  uniquement 
du  produit  de  la  chasse.  Si  elle  vient  à  manquer  par  dé- 
faut de  neige  ,  un  jeûne  rigoureux  est  la  conséquence 
de  ce  malheur  ;  alors  toutes  les  femmes  fouillent  la 
fOM.  Tni.  109.  3S 

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490 
terre  (pMe,  prar  en  arracher  quelques  ractnes  q«i,  vaA- 
gré  leur  insipidité,  nourrissent  cependiBl  «stei  U 
tribu  pour  l'empêcher  de  mourir  de  fakiu 

c  Le  quartier  d'hiver  une  fois  désigné ,  les  In- 
diens s'occupèrent  d'y  ériger  la  maison  de  prière. 
Tandis  que  ks  hommes  coupaient  des  sapins,  les  fenr 
mes  portaient  des  nattes  et  des  écorces  pour  la<Miuwir; 
en  deux  jours  on  mit  la  dernière  main  à  cet  humble^édi- 
fice  »  où  des  néophytes  purs ,  simples  et  innocents ,  pré- 
sentent chaque  Jour  à  Dieu  l'hommage  de  kurs  tasan. 
Le  Missionnaire  y  continua  les  instructions  préparatoi- 
res au  baptême.  Quelle  consolatioa  ne  dut  pas  éproum 
le  bon  Pasteur,  entouré  de  ces  àmès  ferventes  et  pri^ 
légiées  t  Dans  l'espéranee  de  leur  prochaine  régénéra- 
tion,  ces  pauvres  gens  étaient  venus  des  différentes  va^ 
fées  du  pays  des  Kalispels  se  ranger  sous  sa  houlette , 
dépourvus  de  toutes  provisions^  et  renonçaBi  sans  regret 
à  la  chasse  des  bufQes,  si  pleine  de  charmes  pour  eux. 
Ils  s'appliquèrent  avec  zèle  à  s'instruire  de  la  natwe  du 
sacrement  de  baptême ,  des  dispositions  qull  exige  et 
des  obligations  qu'il  impose.  Le  jour  de  Noël ,  dans  le- 
quel cent  ringt-quatre  adultes  augmentèrent  le  nombre 
des  vrais  enGeints  de  Dieu  ,  ne  sortira  jamais  de  k  mé- 
moire de  nos  bons  Indiens.  Les  détails  de  cette  solennité 
vous  initieront  à  nos  fêtes. 

«  Quelques  minutes  avant  minuit ,  un  coup  de  pis- 
tolet donna  le  signal  dont  nous  étions  convenus.  H  fbt 
suivi  d'ime  bruyante  décharge  de  mousqueterie  cnrhon* 
neur  du  Dieu  enfant ,  et  trois  cents  voix ,  s'élcvanl  &  te 
fois  de  k  forêt ,  entonnèrent  dans  leur  propre  langue , 
et  d'un  commun  accord,  k  beau  cantique  ;  «  t>u  Di* 
pwsMnt  (oui  annonce  la  gloire.  »  Des  flots  d*adoralcm[^ 
se  pressèrent  immédiatement  vers  le  modeste  sanc- 
tuaire* 


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c  Maig^à  quoi  ressemble  done  notre  petite  éf^e  de  la 
forèlt  Je  TOUS  Tai  déjà  dît ,  des  nattes  »  des  écorces^  des 
troncs  d*arbres,  voilà  ses  matériaux.  Dès  la  veille  se» 
lambris  avaient  été  décorés  de  guirlandes  et  de  eou* 
ronnes  de  verdure.  L'intérieur  était  tapissé  de  branches 
de  sapins.  Sur  Vautel  décemment  orné,  brillaient  de» 
étoiles  en  ptpier  de  diverses  couleurs,  avec  une  profusioa 
de  ces  rubans  si  attrayants  pour  des  yeux  indiens.  A 
minuit  je  eélébrai  une  messe  solennelle ,  pendant  la* 
<tuelle  les  assistants  chantèrent  plusieurs  cantiques  ana^ 
logues  à  la  ciroonstaAce.  La  magnifique  strophe  du 
Ghuria  :  Paix  sur  la  terre  au»  hommes  de  bonne  volonté 
ne  se  réalisa  jamais  plus  complètement  dans  aucune 
autre  assemblée  du  monde  catholique.  Un  festin  géné- 
ral eut  lieu  après  les  saints  mystères,  ^  la  joie  dont 
eette  réunion  paraissait  animée  ,  ne  pouvait  pas  être 
plus  grande  dûa  les  Agapes  des  premiers  chrétiens. 

«  Plus  tard  ,  après  la  seconde  messe,  cent  vingt- 
qvatre  adultes  se  présentèrent  à  l'église ,  le  chef  à  kur 
lèêe,  afin  d'obtenir  Taecomplissement  de  leur  plus  ar* 
dtal  désir  ,  le  sacrement  de  la  régénération.  Les  vieil- 
lards que  j'avais  baptisés  deux  ans  auparavant ,  et  qui 
avaient  eaoaervè  d'une  manière  exanplaire  le  trésor  àé 
leur  innoomce ,  s'avuifaienl  en  qualité  de  parrains  et 
da  mairaiBCS.  Les  Pères  Hœken  et  Ssdtfrini  m'assis* 
laient  pendant  la  céréaiOQie,  où  tout  se  passa  dans  k 
plus  grand  ordre.  OfaI  que  ne  puisse  vous  peindre  les 
danees  émotions  que  ces  seènes*  mspirent  I  Ce  sont  icr* 
bas  les  phis  préaieuses  récompenses  du  Missionnaire  ; 
e'est  là  qi^il  puise  sa  force,  son  courage,  son  sèk  pew 
p^gnar  à  Dieu  des  âmes  au  milieu  des  dangers  et  dei 
privaÉMBsde  tom  goure.  Oui ,  la  promesse  de  notice  d^ 
vin  Sauveur  s'accomplit  dans  ce  monde  :  <  Vcm  rtee 


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492 

tfrez  le  eeyUupfe.»  Ce  que  nous  avons  abandonné  dans  le 
siècle  n'est  rien  en  comparaison  de  ce  que  nous  avons 
retrouvé,  de  ce  que  nous  éprouvons  dans  le  désert.  Le 
prêtre  n'adresse  pas  en  vain  aux  sauvages  les  sublimes 
paroles  du  Rituel  Romain  :  «  Recevez  la  robe  blandie , 
que  vous  porterez  sans  tache  au  tribunal  du  Seigneur , 
pour  jouir  de  la  vie  étemelle.  »  Il  peut  avoir  la  certitude 
morale  que  ses  catéchumènes ,  pour  la  plupart,  conser- 
veront  leur  innocence  jusqu'à  la  mort.  Lorsque  dans  h 
suite  on  leur  demande  s'ils  n'ont  pas  offensé  Dieu  ,  si 
leur  conscience  ne  leur  fait  aucun  reproche ,  combieti 
de  fois  n'en  reçoit-on  pas  cette  réponse,  si  consolante  daib 
sa  naïve  simplicité  :  «  Eh  quoi  t  mon  Père ,  au  bapti* 
«  me  j'ai  renoncé  ati  mal ,  n'est-il  pas  juste  que  je  Fé- 
«  vite  ?  La  seule  pensée  de  déplaire  au  Grancl-Esprit 
€  me  fait  trembler.  »  Les  cérémonies  du  baptême  $c 
terminèrent  par  une  distribution  de  chapelets,  que  les» 
sauvages  ontla  coutume  de  réciter  chaque  soir  en  famille 

c  Je  reçus,  quelques  jours  après,  les  nouvelles  ir» 
plus  satisfaisantes  de  nos  deux  autres  Missions.  Chesicf 
Téteê'Piates ,  les  PP.  Mengarini  et  Zertinati  furent  mm 
heureux  pour  voir,  à  la  messe  de  minuit ,  presque  tomt 
h  nation  s'approcher  de  la  sainte  uble.  Douze  peiii» 
musiciens ,  formés  par  le  P.  Mengarini ,  exécuièmi 
avec  une  admirable  justesse  plusieurs  morceaux  de 
iiieilleùrs  compositeurs  allemands  et  italiens.  L'histiurr 
de  cette  tribu  vous  est  déjà  connue  ;  sa  eonversu»)  est 
assurément  bien  propre  à  faire  ressortir  les  richesses 
infinies  de  la  divine  miséricorde  ;  j'ose  dire  eependaAi 
que  celle  des  CkBurg-d'Alêne  est  peut-être  plus  merveil- 
leuse encore.  Laissez-moi  vous  transcrire  les  détub 
pleins  d'intérêt  que  j'ai  reçus  récemment  de  leurs  télés 
Missionnaires. 


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A93 

<  Qu'étaient  ces  Indiens  il  n'y  a  pas  un  quart  de  siè- 
cle? Des  cœurs  si  durs  que  ,  pour  les  peindre  au  natu- 
rel ,  le  bon  jsens  de  leurs  premiers  visiteurs  n'a  pas 
su  trouver  d'expression  plus  juste  que  le  singulier  nom 
qu'ils  portent  encore;  des  intelligences  si  bornées  qu'ils 
rendaient  un  culte  divin  à  tous  les  animaux  qu'il  con- 
naissaient ;  en  un  mot ,  une  race  d'hommes  si  dégradés 
qu'il  ne  leur  restait  de  la  loi  naturelle  que  deux  ou  trois 
notions  fort  obscures  ,  encore  tous  s'en  éloignaient-ils 
dans  la  pratique  »  et ,  si  j'en  crois  la  réputation  qu'ils 
sëtaient  faite  chez  les  peuples  voisins  ,  ils  étaient  loin 
d'être  des  modèles  de  droiture  et  de  probité.  Aujour- 
d'hui quelle  diflérence  !  C'est  un  peuple  de  vrais 
rroyants,  digne  par  ses  vertus  d'être  comparé  aux  chré- 
tiens de  la  primitive  église. 

c  Vers  le  temps  où  de  nombreux  Missionnaires  tour- 
naient leurs  regards  vers  les  régions  occidentales  du 
Nouveau-Monde  ,  il  y  a  de*  cela  environ  quinze  ans ,  la 
nouvelle  se  répandit  un  jour  chez  les  Cœttrs-ctAlène 
qu'il  y  avait  un  Dieu  ,  que  ce  Dieu ,  unique  auteur  de 
tout  ce  qui  existe  ,  avait  fait,  outre  la  terre  que  nous 
voyons,  deux  choses  que  nous  ne  voyons  pas  :  un  séjour 
de  bonheur  appelé  le  oiel  pour  les  justes  ,  un  Keu  de 
tourments  appelé  l'enfer  pour  les  méchants  ;  que  le  fils 
de  ce  même  Dieu ,  semblable  en  tout  &  son  Père , 
voyant  les  hommes  courir  tous  dans  le  mauvais  chemin, 
était  descendu  du  ciel  pour  les  remettre  dans  le  bon, 
mais  que  pour  y  parvenir  il  avait  fallu  qu'il  mourût  sur 
une  croix.  Ces  vérités  qui ,  aux  yeux  de  tan  t  de  sages  ^ 
•ne  méritent  pas  qu'on  y  réfléchisse ,  produisirent  uoe 
autre  impression  sur  nos  sauvages.  A  ce  bruit,  toutes 
leurs  bandes  dispersées  accourent  au  lieu  où  se  trou- 
vait l'apêtre  de  cette  doctrine  ;  le  rassemblement  se  fait 
au  déclin  du  jour  ;  un  conseil  se  tient  pendant  la  nuit; 


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494 

les  grandes  nouvelles  se  confirment ,  et  on  oi^ondut 
qu'un  Dieu  si  puissant  et  si  bon  mérite  les  adoratioQi 
et  Tamour  de  la  tribu. 

«  Cependant  les  familles  réunies  ne  s'étaient  pas  en 
eore  séparées,  qu'un  fléau  frappa  de  mort  un  grand  non- 
bre  de  sauvages.  Au  moment  où  le  mal  semblait  sérir 
avec  plus  de  force  ^  un  des  morfonds,  nommé  en- 
suite Etienne ,  entend  une  voix  qui  vient  d'en  haal  et 
qui  lui  crie  :  «  Jette  tes  idoles,  adore  le  Dieu  des  chri^ 
«  tiens ,  et  tu  seras  guéri.  »  Le  mourant  croît  à  celte 
parole,  et  sa  guérison  est  complète,  n  se  rend  aœsilit 
auprès  des  autres  malades,  leur  raconte  ce  qui  loi  e^ 
arrivé,  et  leur  persuade  tfîmiter  son  exemple.  Ds  lefoBi, 
et  recouvrent  également  la  santé.  Je  tiens  ce  feildcb 
bouche  même  du  pieux  Etienne  ,  qui  pleurait  de  w- 
connaissance  en  me  le  racontant  Sa  déposition  m'a  été 
confirmée  par  des  témoins  occulaires  qui  ont  pu  dire: 
«  J'en  étais.  »  Et  moi-même  j'ai  vu  de  mes  ycflxl» 
montagne  au  pied  de  laquelle  les  idoles  furent  brisées. 

«  CepeiHbnt ,  après  einqon  six  aimées  de  fidélité  î 
notre  sainte  A)!,  la  plupart  des  sauvages  finirent  par  ae 
plus  j  conformer  leur  oanduite  ;  ei  ee  mouvemetttfé- 
tfograiienefaïqtie  tropsoeoadépas  les/'^Hamm^ 
Me.  A  la  vaix  de  leur  êhef,  «qui  selon  touteappar^^ 
n'avait  pu  «nsé  d'être  idolàfre  »  les  devû»  ùOWfM 
rant  une  assemblée ,  dite  des  Gr^nts,  àtm  hqsdk 
il  fat  r^sla  qu'^  repreadrait  les  anciemei  pntiqM 
ai  dès  tors  lui  asômaux,  redetPtiitii  dieux,  mtrimaeit, 
f«Me9sîiiÉ4u  culte  suprême.  La  masse,  8  «t  ««, 
«'svait  phtt  h  mÀmeeû^anee  wleur¥erta;  mm> 
ioitemiMede  la  aèvéritédu  ebef«  soit cweiiié pvi» 

«ue,iw  immeiin  saorlléges  qu'on  \m  mMu  flfo«< 


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*$6 

le  dire  MannMins  à  la  décharge  de  la  nation  ,  U  y  eut 
tMijonridans  son  sein  des  âmes  délite  qu^ne  fléchirent 
pas  le  f  CDOU  devant  Baal  ;  j'en  connais  même  qui ,  de- 
pids  que  la  vérité  s'était  manifestée  à  dles ,  n*ont  pas 
ett-à  se  reprocher  l'ombre  d'une  infidélité  grave. 

«  Tel  était  Fétat  de  la  peuplade  des  Cœurs-d* Alêne  , 
lorsque  la  Providence  m'y  conduisît  en  1842.  J'y  bapti- 
sai cent  vingt-quatre  personnes,  dont  la  plupart  étaient 
des  enfants.  Ma  visite,  dont  les  circonstances  sont 
rapportées  dans  mes  lettres ,  les  disposa  si  Wen  en 
fiiveur  des  BobeMwireg  ,  qu'U  fut  décidé  que  le  PtVe 
I^int  irait  i  leur  secours.  Trois  mois  après,  c'estrà-difç 
sur  la  fin  de  la  chasse  d'été  ,  ce  Père  quitta  Ste-Marie 
avec  l'autorisalioa  de  placer  les  nouveaux  néophytes 
MUS  la  {«etcctioD  du  Cœur  de  Jésus. 

«  Le  jour  où  il  posa  le  pied  sur  les  limites  de  leur 
terres ,  était  le  premier  vendredi  de  novembre.  Il  fit 
avec  les  trois  chefs  venus  au  devant  de  lui ,  la  consé- 
cration promise,  et,  le  premier  vendredi  de  dé- 
cembre ,  Fauguste  signe  du  salut  s^élevait  au  m!- 
neu  d'tm  concert  de  chants  et  de  prières  ,  sur  les  bords 
du  grand  lac  où  la  tribu  s'était  réunie  pour  la  pèche. 
Dès  ee  moment,  grâce  à  la  puissance  du  Dieu  sauveur, 
on  peut  dire  que  l'esprit  de  foi  anime  tous  les  habi- 
tants de  ces  heureuses  vallées.  IVon  seulement  les  as- 
îmMhiUMammnj  les  eéfèmoBÎes  sacrilèges ,  les  vi- 
sîoB»  diabdifuessi  firèqiieiiles  auparavant ,  disparurent 
lOuM^il;  mais  le  je« ,  dont  jusque  là  ces  sauvages 
mmm%  fait  u»a  de  lem  oeeupaiiaM  lea  plus  uiqMftaa- 
las»  fui  abudMaè  ,  alécnx  sanaÎMs  après,  la  aia- 

râeiw4uidapiMUeaéissîMaftpai*^ti»t  odOMMis- 
aallpIwiiîbafMs,  miikKssidubilM,  fiairippalèàsa 
|f«mère  iBsiîMtlkMW  Enfla,  dt  Noèl  i k  Purificatioû, 


'S 


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496 

le  foyer  du  Missionnaire  fut  alimenté  par.  tootcequi 
restait  des  objets  deVancien  culte.  Il  était  beau  de  voir 
aes  principaux  suppôts  faire  ,  de  leurs  propres  mains , 
justice  des  misérables  hochets  dont  Tenfer  s'était  servi 
pour  tromper  leur  ignorance  et  accréditer  ses  impos- 
tures ;  aussi  dans  les  longues  soirées  de  cette  saison , 
combien  furent  sacriGés  de  plumes  d'oiseaux  ,  de 
queues  de  loups ,  de  pieds  de  biche  »  de  sabots  de  che- 
vreuils, d'images  de  bois! 

c  Les  deux  tiers  de  la  peuplade  étaient  déjà  baptisés 
quand  les  diverses  tribus  se  virent  contraintes  de  retour- 
ner chacune  sur  leurs  terres  ,  pour  y  chercher  des 
moyens  de  subsistance  jusqu'à  la  saison  nouvelle.  Au 
printemps  de  1843,  elles  revinrent  au  lieu  désigné  pour 
la  construction  du  village  du  Cœur  de  Jésus.  Déjà  ce 
village ,  calqué  sur  le  plan  des  anciennes  Réductkms  du 
Paraguay,  est  tracé  sur  place  ;  chacun  se  fait  im  devoir 
de  concourir  à  son  établissement  selon  ses  forces  ou  son 
industrie.  Des  arbres  sont  abattus ,  des  bassins  creusés, 
des  chemins  ouverts ,  des  champs  publics  ensemensés; 
une  église  s'élève  rapidement  grâce  à  la  piété  des  tra- 
vailleurs ,  et  ces  nouveaux  enfants  de  la  foi  peuvent  dès 
à  présent  se  convaincre  que  la  Religion  ne  tend  pas 
moins  à  assurer  notre  bonheur  dans  cette  vie  qu'à  le 
consommer  dans  l'autre. 

€  Pour  la  quatrième  fois^  les  cent  et  quelques  famiHes 
des  ÙBurs-iTAlène  se  réunirrat ,  sur  la  fin  d'oetobr« 
1844  ,  dans  le  voisinage  de  leuré{^se.  A  voir  leurs  pe- 
tite loges  de  joncs  ainsi  groupées  autour  de  la  maison 
de  prière ,  la  touchante  image  du  pélican  des  déserts 
s'offiil  d'autant  plus  natureUement  à  l'e^ttît ,  que  ions 
les  sauvages,  jeunes  et  vieux  ,  se  préparrient  à  foirt 
ou  à  renouveler  leur  première  communion.   Environ 


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497 

f{\x\me  des  plus  exemplaires  avaient  déjà  joui  de  ce 
bonheur  ;  tous  s'étaient  confessés  ,  un  bon  nombre ,  les 
jeunes  gens  surtout ,  avaient  acquis  un  certain  degré 
d'instruction ,  mais  celle  des  vieillards  et  de  la  masse 
en  général  était  loin  d'être  suffisante.  Or,  pour  la  com- 
pléter ,  il  restait  deux  mois  à  peine  jusqu'à  Ijouverture 
de  la  chasse ,  époque  où  il  est  impossible  de  retenir  l'In- 
dien sous  la  tente.  Il  fallait  donc  se  hâter  et  choisir  de 
préférence  la  méthode  d'enseignement  la  plus  abrégée. 
«  On  sait  que  le  sauvage  ,  qui  a  un  œil  de  lynx  ^ 
n'oublie  presque  jamais  ce  qu'il  a  vu  ,  et  que  lorsqu'il 
attache  une  idée  quelconque  à  un  signe  extérieur , 
cette  idée  se  représentera  toujours  à  sa  mémoire  pourvu 
qull  en  conserve  le  signe  convenu.  De  là  cette  facilité 
prodigieuse  à  parler  par  gestes ,  cette  multiplicité  de 
métaphores  dans  ses  discours  ,  ce  penchant  à  peindre 
aux  yeux  par  une  sorte  d'écriture  hiéroglyphique  ce 
qui  autrement  ne  serait  pas  compris.  Cette  coutume 
servit  de  base  au  système  de  la  Robe-rurire;  elle  fit  des 
images  représentant  avec  tous  leurs  attributs  :  1^  les  vé- 
rités qu'on  doit  croire  ;  2^  les  fautes  qu'il  ikut  éviter  ; 
3®  le  sacrement  destiné  à  purifier  l'àme  ;  4^  enfin  la 
grande  action  à  laquelle  ses  néophytes  se  disposaient. 
Ces  premières  mesures  prises,  rinstructeur,  une  longue 
baguette  à  la  main ,  appela  l'attention  de  ses  auditeurs 
sur  chacun  des  points  du  tableau ,  dont  i)  tâchait  de 
donner  en  même  temps  une  définition  claire.  Le  succès 
surpassa  son  attente.  Ayant  fait  expliquer  ce  quil 
avait  dit  à  ceux  qui  lui  paraissaient'  les  plus  intel- 
ligents f  il  s'assura  que  rien  n'avait  été  omis  sur  les  ar- 
ticles essentiels ,  et  sur  le  champ  il  organisa  une 
série  de  répétitions  qui  transformèrent  le  village  entier 
en  écoles  ,  où  les  leçons  du  Missionnaire  étaient  repas- 
sées en  famille  dans  les  loges  et  reproduites  en  public 


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498 
dans  les  harangues  des  chefs.  Il  y  avait  unité  dans  le 
plan  9  insistance  sur  les  mêmes  points  ,  il  devait  y 
avoir  progrès ,  et  il  fut  sensible  dès  les  premiers  jours , 
ce  qui  concourut  à  Tencouragement  de  ceux  qui  en  avaient 
le  plus  besoin,  je  veux  parler  des  personnes  dont  la  mé- 
moire ne  secondait  pas  la  tendre  piété.  Ceux-mëmes 
dont  rinertie  formait  une  opposition  plus  redoutable , 
furent  emportés  dans  ce  mouvement  général. 

c  Les  résultats  d'un  élan  si  unanime  furent  tels  que, 
depuis  le  mois  da  septembre  jusqu'au  jour  de  lapre- 
laîère  comjnunion ,  il  ne  s'est  pas  commis  dans  le  vil- 
lage du  Cœur  de  Jésus ,  à  la  connaissance  des  cbeCs  et 
40$  Rûbep-wires ,  une  seule  faute  que  l'on  puisse  appe 
1er  grave,  du  moins  par  ceux  qui  étaient  baptisés.  Uest 
de  lait  que  tous  ceux  qui  n'avaient  pas  encore  eu  ce  bon- 
heur l'ont  sollicité  instamment  ;  que  tous  ceux  qui  s^ 
sont  préparés  à  la  première  communion  l'ont  feite;  que 
la  plupart  y  ont  apporté  des  (tispositions  beaucoup  plu^ 
qu'ordinaires.  Quoi,  en  effet,  de  plus  extraordinaire, 
même  parmi  ce  que  nous  nommons  en  Europe  de  boas 
chrétiens  ,  que  l'usage  de  la  confession  publique! Or, 
combien  de  nos  pauvres  sauvage  sont  venus  faire  Faveu 
public  et  spontané,  je  ne  dirai  pas  de  fautes  énormes  ou 
connues ,  mais  de  ces  légers  manquements  qui  échap- 
pent sept  fm  par  jour  à  la  fragilité  humaine ,  et  cda 
en  des  termes  qui  décelaient  une  douleur  vraimeatsur- 
naturelle.  J'ai  vu  des  maris  se  présenter  après  leurs 
4|K>use8  »  d^  mères  après  leurs  fiUes  »  non  pour  a^r** 
verlestorts  que  celles-eislmpulaient,  mais  pours'accuser 
etn-mémes  d'y  avoir  donné  lieu  par  leur  peu  de  patienie 
OU  de  charité.  Combien  d'autres  vertus  ^nt  été  prati- 
quées dans  ces  jours  de  ferveur  I  II  fieOIait  bien  quelque 
dévouement  à  ces  vieillanls  poiu*  devenir  les  écoliers  de 
leurs  petits  enfante,  età  ces  petits  enfimtapour  se  6iff 


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499 

les  patieniset  graves  précepteurs  de  leurs  vieux  pères. 
11  fallait  bien  quelque  degré  de  vertu  à  ces  mères 
qui ,  non  contentes  d'avoir  donné  à  leur  jeune  famille 
Taliment  qu*elles  se  refusaient  à  elles-mêmes  >  pas- 
saient de  longues  soirées  à  rompre  le  pain  de  la  divine 
parole ,  recueilli  par  elles  pendant  la  journée ,  non 
seulement  à  leurs  parentes ,  mais  encore  à  des  femmes 
étrangères  ;  il  en  fallait  aussi  à  ces  jeunes  gens ,  plus 
intelligents  que  les  autres,  pour  répéter  cent  fois  à  leurs 
frères  ce  qu'ils  avaient  saisi  dès  la  première  instruction; 
et  à  ces  chasseurs  dont  la  vie  est  le  mouvement^  pour 
se  condamner^  pendant  des  nuits  entières,  à  enseigner  à 
des  sourds  ce  que  la  Rohe-noire  désespérait  presque  ^d« 
leur  faire  entendre;  et  à  ces  pauvres  sourds ,  et  à  de 
malheureux  aveugles ,  pour  venir  assidûment  prendre 
place  auprès  du  prédicateur,  que  les  uns  n'entendaient 
pas ,  ou  près  de  ces  tableaux  que  les  autres  ne  voyaient 
point;  et  enfin,  et  surtout,  à  ces  chefs,  pères  et  pasteurs 
de  leurs  peuplades ,  pour  devancer  le  point  dû  jour,  se 
lever  quelquefois  au  milieu  de  la  nuit ,  par  des  temps 
froids  ou  pluvieux  ,  et  se  livrer  à  toute  Tardeur  du  véri- 
table zèle ,  afin  de  réveiller  de  leur  assoupissement  les 
&mes  qui  avaient  besoin  d'être  excitées. 


«  Ce«èto«fiitit0O«md«Dsbirf.  Comme  dleMl 
gimplt,e6mm»eile<ilpaic,4)>mmeeibet  oonfiaoïci» 
oomne  éUe  est  univergaile,  blbidkiMiifa^e!  FoiibaB 
4iM  la  poisttiiee  des  Meremenlt ,  fn  dMBS  le  pomir 
4t  li  prièie ,  isi  4mm  b  v«Mi  im  signe  d»  la  c«ek, 
dv-ehtpélel,  dmimaget,  émmMrfUei ,  ^kkprnob 
4e  Dieu.  Le  ptot  léger  mmgb  mt  ^àffÊL^fUÊÊk  e«  tfttir 
4a  pureté.  Quelimérèl  AilMearsMraSl^àdoiiiertOo 
loi  a  dit  que  la  bonté  divine  Tecrt  eott  booliew,  ^pM  fa 
imaaaiice  divmepem  (oui  ee^'eHeteu^  fue  U  eagme 


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500 
divine  dirige  tout  pour  le  bien  de  ses  enfants ,  qu1l  est 
lui-même  Tenfant  chéri  de  Dieu  »  et  il  le  croit.  Aussi  la 
foi  des  Indiens  opère-t-elle  des  prodiges.  J'ai  adminis- 
tré Textrème  onction  à  sept  ou  huit  d'entr'eux  :  on  disait 
de  Tun  ,  il  se  meurt ,  d'une  autre  »  elle  est  morte  ; 
quant  à  cette  dernière ,  sa  famille  était  tellement  per- 
suadée que  c'en  était  fait  d'elle  ,  que  lorsque  je  péné- 
trai dans  sa  loge  ,  son  mari  faisait  déjà  par  anticipation 
son  oraison  funèbre.  Or ,  de  toutes  ces  personnes  à  Ta. 
gonie ,  il  n'en  est  pas  une  qui  n'ait  recouvré  une  sanie 
florissante. 

«  J'ai  parlé  de  la  confiance  des  sauvages  dans  le  si- 
gne de  la  croix.  Elle  se  révèle  dans  les  occasions  les  plus 
communes  comme  les  plus  solennelles  de  la  vie.  Est-il 
question  de  fumer  le  calumet ,  ils  ne  le  portent  pas  à  la 
bouche  qu'il  n'ait  été  sanctifié  par  le  signe  de  la  croix  ; 
se  penchent-ils  sur  le  bord  d'un  ruisseau  pour  étancher 
leiu*  soif ,  leur  main  semble  se  refuser  à  faire  d'abord 
autre  chose  que  le  signe  de  la  croix  ;  à  peine  les  lèvres 
des  petits  enfants  ss^vent-eHes  balbutier  quelques  mots, 
que  déjà  on  leur  apprend  le  signe  de  la  croix.  J'ai  été 
témoin  d'une  scène  bien  touchante  :  un  père  et  une 
mère ,  inclinés  devant  leur  petit  Ignaee  y  qui  se  mou- 
rait (il  était  leur  fils  unique  et  n'avait  que  trois  ans),  je 
lésai  vus ,  dis-je,  s'effiNrçantde  sourire  pendant  que  des 
larmes  roulaient  dansleursyeux,  recueillirtoi^  la  forée 
iloot  leur  cœur  était  capable  poiu*  lui  su^érer  de  ftôre 
Je  ûgne  de  la  croix;  et  la  main  défoilknte  de  co  jeune 
enfant  cherchait  son  front  pour  accomplir  ce  dernier 
acte  d'ob^sance.  C'est  pour  en  rappeler  le  souvenir  si 
eonsolant ,  qu'on  voit  s'élever  sur  sa  tombe  une  croîs 
j^lus  ornée  que  les  autres. 

«  Un  jour  que  j'allais  à  Tendroit  où  le  pieux  enfant 


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601 

a  été  inhumé ,  un  spectacle  peut-être  plus  religi^x  eu'^ 
core  s'offrit  à  moi.  C'était  une  jeune  femme  assise 
auprès  du  tombeau  de  sa  fille  unique.  Elle  s'entretenait 
avec  une  orpheline  qu'elle  avait  adoptée ,  et  qui  ve- 
nait de  recevoir  le  baptême.  Que  lui  disait-elle  en  lui 
montrant  le  ciel?  «  Vois ,  mon  enfant ,  comme  on  est 
c  heureux  de  mourir  quand  on  a  reçu  le  baptême.  A 
€  présent ,  ma  petite  Clémence  est  au  ciel  ;  si  tu  mou- 
«  rais  tu  irais  la  revoir.  »  Et  il  y  avait  dans  l'accent  et 
la  physionomie  de  la  généreuse  mère  quelque  chose  de 
si  calme ,  que  vous  eussiez  dit  qu'elle  habitait  déjà  le 
séjour  dont  elle  parlait.  Je  m'arrête  dans  mes  citations, 
car  il  faut  se  borner.  C'est  ainsi  qu'en  s'approchant  du 
terme  heureux  après  lequel  leur  foi  soupire ,  ces  en- 
fants du  désert  donnent  »  sans  le  savoir,  aux  chrétiens 
civilisés  d'émouvantes  leçons  et  de  sublimes  exemples. 
«  Je  vais  maintenant  vous  les  faire  suivre  dans  la  re 
traite  qui  acheva  de  les  préparer  à  la  sainte  communion. 
Pendant  les  deux  derniers  jours ,  les  jeunes  gens  riva- 
lisant de  zèle ,  consacrèrent  ce  que  les  examens  spiri- 
tuels leur  laissaient  de  temps  libre,  à  la  décoration  de 
l'église.  C'était  un  oratoire  bien  petit,  puisqu'on  y  coropnt- 
nant  le  chœur  et  l'autel  il  mesure  à  peine  huit  toises  de 
longsur  quatre  delarge.Mais  si  parla  pensée  vous  élevant 
au  dessus  des  montagnes  qui  l'avoisinent ,  vous  eussiez 
vu  que^  depuis  les  limites  de  la  civilisation  américaine 
jusqu'aux  rivages  de  l'Océan  Pacifique,  cet  immense  pays 
ne  renferme  que  trois  maisons  de  prière  semblables  à 
ceHe-ci  ;  si  à  Faspect  de  la  vallée  au  fond  de  laquelk 
s'abrite  ce  sanctuaire  ,  vous  vous  fussiez  rappelé  qu» 
cette  solitude,  autrefois  maudite,  où,  pour  employer  le» 
termes  énergiques  appliqués  à  un  plus  grand  ordre  du 
choses,  «  tout  était  Dieu  excepté  Dieu  lui-même» ,  qua 
cette  solitude ,  dis-je ,  est  à  (présent  une  terre  sainte 

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50S 
dont  les  rivières  ont  vu  leurs  ondes  servir  à  la  sane- 
ti^eation  des  âmes»  dont  les  forêts  ont  donné  leurs 
pins  beat»  arbres  pour  la  eonstniction  d'un  temple  pins 
auguste  que  eelui  de  Salomon,  dont  les  fruits  oflSerts  sur 
Taulei  Tont  devenir  pour  ses  en&nts  la  manne  des  éhis; 
al^rs,  sans  dèute^,  dans  les  transports  de  votre  admira- 
tfon,  vous  vous  seriez  écrié  avec  la  foi  des  patriarches  : 
€  Vraiment,  c'est  ici  la  porte  du  ciel.  » 

«  0  Eglise  du  désert ,  nous  voici  arrivés  au  plus 
beau  jour  de  tes  triomphes,  celui  de  la  communion!  Les 
étoiles  du  firmament  brillent  encore  de  tous  leurs  feux* 
Quels  chants  se  font  entendre  ?  «  Lauda ,  Sùm ,  Saka- 
torem.  »  Qui  redit  ce  magni^que  cantique  ?  Des  sau- 
vages, des  hommes  qui  naguères  n'adressaient  leurs 
prières  qu'aux  animaux  de  leurs  forêts.  Où  vontrast 
Que  fontrils  ?  Âh  i  c'est  ici  que  je  dois  m'anéantir  ! 
Unissez-vous,  ô  mon  àme,  à  ces  nouveaux  adorateun. 
Jamais  honunages  furent-ils  plus  dignes  d'être  agiéés! 
Ils  ont  pénétré  dans  le  sanctuaire,  ces  fervents  néophy- 
tes. Mais  ce  n'est  plus  la  pauvre  petite  cbapeQe  aux 
yeux  de  leur  foi  ;  c'est  le  palais ,  c'est  le  trène  du  divift 
amour.  A  genoux ,  attentifs  aux  mouvements  les  phis 
intimes  de  leur  àme ,  ils  écoutent  en  silence  la  voix 
intérieure  qui  leur  parle.  Nous  avions  préféré  les  aban- 
donner à  leur  propre  dévotion ,  et  nous  n'avons  eu  qu'à 
nous  en  applaudir  en  voyant  la  ferveur  qui  respirait  sur 
tous  les  visages  pendant  qu'ils  s'approchaient  du  baa* 
quet  lacré.  On  a  souvent  observé  que  plus  l'àme  fit 
pénétrée  des  sentiments  ineffables  dont  nous  parions, 
moins  elle  est  portée  à  se  répandre  au  dehors;  il  en  fot 
ainsi  pour  nos  bons  sauvages.  Après  la  cérémonie,  j  si 
vu  les  plus  jeunes  se  retirer  à  l'écart  pour  mieux  jouir 
de  leur  bonheur. 


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503 

<  Le  soir,  pendant  le  renouvellement  des  vœux  ,  il 
y  eut  illumination  aussi  brillante  que  le  comportait  notre 
pauvreté.  En  prononçant  de  nouveau  les  engagements 
du  baptême ,  ces  heureux  néophytes  ,  les  yeux  pieuse- 
ment tournés  vers  l'autel  sur  lequel  était  exposée  la  sainte 
hostie,  semblaient  ajouter  avec  saint  Augustin  :  «  0 
«  beauté  toujours  ancienne  et  toujours  nouvelle  ,  nous 
«  vous  avons  aimée  bien  tard,  mais  nous  vous  aimerons 
«  toujours  !  »  La  bénédiction  du  Saint-Sacrement  vint 
mettre  le  sceau  à  ces  promesses  et  couronna  dignement 
une  journée  qu*à  jamais  on  appellera  la  plus  belle  de 
la  vie. 

«  Adieu ,  mon  révérend  Père  ,  je  succombe  sous  le 
poids  des  consolations  et  des  fatigues  ;  je  me  recom- 
mande à  vos  prières  ,  et  je  suis , 


Votre  très-humMe  ec  trè>  ebèiésani  ûls  en  i.  C. 
P.  i.  de  Snrr  S.  J. 


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604 


Leilre  du  R.  P.  Josci ,  Missionnaire  aposlolique  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  auR.  P.  Fomlloi,  de  la 
même  Société. 


TUU^  du  Sant<îaw  de  Jénu  ,  —  Tcn^v 
<kf  G»affs-d*AlèM  ,  -  S2  fëvrier  1845. 


«  Mon  Rjbvéiuuvd  Péri  , 


c  Me  voilà  donc  arrivé  au  bout  du  monde,  au  milieu 
d'un  labyrinthe  de  montagnes,  de  forêts,  de  lacs,  de  ri- 
vières, et  occupé  avec  le  Père  Point  à  diriger  la  Mission 
des  Cœwr^Mène ,  qui  sont  aujourd'hui  à  peu  près  tous 
baptisés. 

c  Pour  atteindre  jusqu*à  ces  régions  reculées ,  à  tra- 
vers un  pays  semé  d'obstacles  de  tout  genre,  et  siUonné 
par  des  bandes  ennemies  que  le  ressentiment  et  h 
cupidité  lancent  à  la  poursuite  des  voyageurs,  ce  qu'il 
nous  fallait  avant^tout  était  un  guide  expérimenté.  La 
Providence  y  pourvut.  Un  jour  que  je  cheminais  seul,  à 
une  demi-lieue  en  avant  de  ma^Ute  troupe,  chercbaoi 
dans  les  montagnes  qui  longent  la  Rtvière-verte  un  est- 
droit  propre  à  faire  halte  pour  dîner,  je  vis  venir  à  m^ 
un  homme  que  ses  cheveux  longs  et  en  désordre  au- 
raient &it  prendre  pour  un  sauvage ,  bien  qu'A  fàt 
habOlé  comme  les  blancs.  Je  loi  présente  la  main , 

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&05 
suivant  l'usage  de  la  prairie^  et  j'accompagne  ce  gestç 
d'un  bonjour  qui  m'est  rendu  en  français.  Vous  auriez 
peine  à  concevoir  le  tressaillement  qu'on  éprouve  en 
entendant ,  au  milieu  de  ces  vastes  solitudes  ,  l'accent 
de  sa  langue  maternelle,  c  Quoi ,  vous  parlez  français  I 
vous  êtes  donc  Canadien  ?  (les  chasseurs  canadiens  sont 
répandus  dans  toute  la  jprahie).  —  Je  suis  Iroquois.  — 
Vous  êtes  Iroquois  î  connaissez-vous  Sainte-Marie  T  — 
J'en  viens.  —  Et  votre  nom  ?  —  Ignace.  »  Je  n'essaierai 
pas  de  vous  peindre  ce  que  je  sentis  alors.  Ignace  était 
le  compagnon  fidèle  du  Révérend  Père  de  Smet ,  un 
homme  dévoué  ,  un  des  meilleurs  guides  du  désert. 
Sur-le-champ  nous  retournons  à  la  caravane  ,  dont  je 
l'installe  capitaine  ,  heureux  de  me  décharger  en  si 
bonnes  mains  d'un  commandement  qui  commençait  à 
me  peser. 

«  A  quelque  distance  de  là ,  nous  rencontrâmes  plu- 
sieurs familles  de  Banaks ,  dont  l'imprudence  faillit 
nous  être  bien  funeste.  Ils  avaient  mis  le  feu  à  la  mon- 
lagne  que  nous  devions  traverser,  et  la  flamme  se  com- 
muniquant des  hauteurs  à  la  praîne ,  était  portée  vers 
nous  par  un  vent  violent.  Que  feriez-vous  dans  une  po- 
sition semblable,  au  milieu  d'une  immense  plaine 
couverte  d'herbe  sèche  que  l'incendie  dévore,  en  pous- 
sant devant  lui  d'épais  tourbillons  de  fumée  ?  Mettriez- 
vousune  nvière  entre  vous  et  ce  réseau  embrasé  qui  en- 
veloppe la  caravane  comme  une  proie  T  Bien  ;  mais  on 
n'a  pas  toujours  une  rivière  sur  son  passage  ;  et  puis,  si 
elle  n'est  pas  large ,  l'obstacle  est  bientôt  franchi.  Que 
faire  donc!  mettre  soi-même  le  feu  à  la  prairie  sous  le 
vent  ,  et  quand  l'orage  en  a  emporté  le  foyer  loin  de 
'vous,  se  réfugier  dansVespace  dévasté  comme  dans  une 
oasis.  Le  défaut  d'aliment  est,  sans  doute,  la  meilleure 
barrière  qu'on  puisse  opposer  à  un  tel  ennemi. 
TOH.  xviii.  109.  83 

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506 
«  Quoiqu  il  nous  menaçât  de  fort  près  ,  nous  n'eà- 
ines  cependant  pas  besoin  de  recourir  à  cet  expédiaM. 
Vers  cinq  heures  du  sojr ,  Ignace  nous  voyant  à  une 
Pfetke  distance  du  feu,  mais- devinant  que  le  vent  attait 
changer  de  direction  ,  noua  fit  camper  à  labri  de  quel- 
ques arbres  verts  »  sur  les  bords  du  lit  profond  e(  ro- 
caillçia  d*uQi  ruisseau.  Un  spectacle  des  pbi6  imposants 
nous  fut  donoé  pendant  celte  nuit.  Imaginei-vous  une 
mir-^de  feu  débordant  sur  la  supface  du  désert  ;  tantôt 
bondissant  en  gerbes  embrasées  à  la  cime  des  foréis 
qu'elle  consume,  tantôt  ruisselant  comme  une  lave  étm- 
celande  jusqu'au  fond  des  ravins ,  pliant  ses  vagues  on- 
doyantes à  toutes  les  sinuosités  de  la  plaine,  ou  se  sou- 
levant avec  eflbrt  vers  le  ciel  quand  les  vents  contraires 
voulaient  maîtriser  ^  fureur.  Pour  nous,  confinés  corn 
me  des  Lapons  dans  des  trous  de  rocher  ,  nous  en  sor- 
tions de  iemps  en  temps  pour  observer  Tincendie  et  sui 
vré  ses  progrès  :  il  ne  s  arrêta  qu'à  une  portée  de  fu^ 
de  notre  camp. 

.  «  Ces  accidents  ne  sont  pas  les  seuls  que  le  vo}-a^ur 
ait  à  craindre  en  traversant  les  solitudes  du  Nouveau- 
Monde.  Il  est  certaines  régions  où  le  serpent  à  sonnettes 
se  rencontre  à  chaque  pas ,  et  nous  avions  à  peine  mis 
le  pied  dans  la  prairie  ,  que  nosvoiluriers  étaient  déjà 
occupés  à  tuer  ces  dangereux  reptiles.  Du  reste  ,  leur 
vue  fait  ici  moins  d'impression  ,  je  crois  ,  que  leur  nom 
en  Europe.  Je  m'étais  pouhn,  à  Paris^  d'une  Coled  am- 
moniac liquide  ,  qu'on  dit  être  un  spécifique  infailliUr 
contre  les  venins  de  toute  espèce  :  cette  précaution 
était  parfaitement  inutile  ,  car  à  côté  du  mal  la  Pro- 
vidence a  prodigué  le  remède.  C'est  une  plante  commu* 
uémcnt  appelée  racine  notre  ;  elle  m'a  paru  avoir  beau- 
coup de  ressemblance  avec  la  barbe  de  bcmc  de  vos 


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607 

pi*és;.  sa  tèlc  ,  qui  s'élève  au-dessus  des  autres  her- 
bes 9  la  fait  aisément  reconnaître.  On  en  fait  sécher  la 
racine  ,  qu'on  réduit  en  poudre ,  et  il  suffit  d'en  répan- 
dra un  peu  sur  la  plaie  pour  neutraliser  aussitôt  reffei 
*hi  venin. 

«  On  lui  attribue  encore  une  autre  vertu  ,  celle  d'en- 
gourdir le  serpent  par  son  odeur.  Notre  interprète  mé 
racontait  dernièrement,  qu'ayant  irrité  une  de  ces  hi- 
deuses bèleç,  qui  *  cherchair  à  s'élancer  pourfaitein- 
àre  »  il  lui  donna  le  vent ,  c'est-à-dire ,  se  plaça  de  ma- 
nière que  le  vent  passât  de  lui  au  reptile.  Il  portait  heu- 
reusement de  la  racine  noire.  Aussitôt  la  fureur  du  ser- 
pent se  calma  ;  il  se  laissa  approcher  et  tuer  sans  résis- 
tance, iln  sifflement  aigu,  comme  celui  d'une  clef  percée, 
produit  le  même  effet;  le  monstre  élève  aussitôtla  tète, 
parait  écouter  attentivement  et  reste  immobile.  J'en  ai 
vu  assommer  un  de  cède  manière.  Lesvoituriers  ne  font 
paatant  de  cérémonies.,  ils  les  tuent  à  coups  de  fouets. 

«  L'homme  n'est  pas  leur  seul  ennemi.  Outre  les  oi- 
seaux de  proie ,  tous  les  individus  de  la  famille  des  cerfe 
leur  font  la  guerre ,  et  voici  comment  :  ils  se  di  essent 
sur  kîurs  pattes  de  derrière  et  se  laissant  roiomhcr  sur 
leur  victime  ,  ils  la  coupent  en  morceaux  avec  la  com« 
de  leurs  pieds  de  devant.  Mais  le  plus  grand  dosîrucieur 
de  serpents  à  sonnettes  c'est  le  porc.  D'abord,  son  enve. 
loppe  de  graisse  est  impénétrable  au  venin  ,  puis  son 
grognement  tout  seul  paralyse  le  reptile,  dont  il  se  nour. 
rit  avec  avidité.  Linterprète  dont  j'ai  parle,  se  trouvant 
avec  quelques  amis  près  d'une  mission  protestante,  dans 
\m  endroit  où  il  y  a  beaucoup  de  serpents  à  sonnet- 
tes ,  en  rencontra  un  furieux  comme  le  premier.  Il 
courut  chercher  un  des  quadrupèdes  du  ministre  ;  dès 

33. 


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£0S 
que  le  serpent  Ventendit  grogner ,  sa  eolère  eessa  c<»ii* 
me  par  enchantement',  il  s'étendit  souple  et  résigné  de- 
vant le  porc ,  qui  le  prit  par  la  queue  et  ne  laissa  que 
la  tétc.  J'ignore ,  mon  révérend  Père  ,  si  ces  détails  ont 
quelque  attrait  pour  vous  ;  mais  je  suis  bien  sdr  devout 
intéresser  en  vous  parlant  de  nos  chers  néophytes  ;  et 
c  est  pourquoi  j'omets  les  autres  circonstances  de  mon 
voyage,  pour  vous  introduire  plus  vite  auprès  de  ces 
bons  Indiens. 

«  Les  lettres  du  R.  P.  de  Smet  vous  ont  fait  connaiut 
la  nation  des  Têtes-Plates  ,  cette  clievalerie  errante  des 
montagnes.  On  remarque  entre  eux  et  nos  CceitTscTAUne 
une  différence  qui  n'est  pas  à  l'avantage  de  ces  derniers, 
et  dont  la  cause  s'explique  peut-être  par  les  eondiUons 
irêographiques  au  milieu  desquelles  le  caractère  des 
deux  peuples  a  dû  se  développer.  Plus  rapprochés  des 
régions  où  se  trouve  le  Buffalo,  ce  pain  quotidien  de  la 
prairie  ,  les  Télcs-Plates  ne  se  sont  guère  occupés  jus- 
qu'ici que  de  chasse.  Pour  cela  il  leur  a  fallu  braver  i 
toute  heure  la  nombreuse  et  perfide  nation  des  Piedê- 
NmSy  et  emporter,  pour  ainsi  dire,  à  la  pointe  deVépée 
chaque  morceau  qu'ils  mangeaient  :  de  là  leur  bravoure, 
leur  esprit  d'abnégation  et  leur  habitude  des  sacrifices 
les  plus  généreux.  Les  Cœurs-d' Alêne ,  au  contraire,  sé- 
parés des  grandes  plaines  de  l'Est  par  des  montagnes 
qu'on  ne  franchit  qu'avec  peine  et  dans  la  bonne  saison 
seulement ,  ne  vont  guère  chercher  leur  nourriture  hors 
du  cercle  étroit  de  leurs  vallées;  leurs  ressources  sont 
la  petite  chasse ,  je  veux  dire  celle  du  chevreuil ,  la  pè- 
che ,  les  racines  et  la  mousse  ;  il  sont  pauvres,  intéres- 
sés ,  mais  faciles  à  plier  au  travail  :  c'est  la  fraction  la 
plus  modeste  de  la  grande  famille  indienne.  Vous  le 
voyez  ,  mon  très-cher  Père ,  je  n'ai  qu'à  me  féliciter  de 


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609 
la  portion  qui  m'est  échue  dans  le  champ  du  Seigneur: 
Pauperesevangelizanliar.  Au  reste,  cette  portion  je  n'au- 
rai pas  le  mérite  de  l'avoir  défrichée;  je  l'ai  trouvée  en 
pleine  culture. 

€  Jusqu'à  l'arrivée  des /?o6es-now-cs ,  les  Coeurs-cfA- 
tène  ont  vécu  extrêmement  isolés  ;  ils  n'étaient  ni  aimés, 
ni  estimés  de  leurs  voisins  ;  aussi  parlent-ils  une  langue 
qui  n'est  commune  à  aucune  autre  tribu  ,  tandis  que 
celle  des  Têtes-Plates^  beaucoup  plus  difficile  à  appren- 
dre ,  est  en  quelque  sorte  l'idiome  universel  des  mon- 
tagnes. Gomme  tous  les  sauvages  qui  ne  peuvent  chas- 
ser le  buffle ,  les  Cœurs-cTAlène  habitent  sous  de$  nattes 
de  roseaux,  qu'ils  attachent  à  des  perches  disposées  en 
cône  ,  avec  une  ouverture  au  sommet ,  pour  laisser  une 
entrée  au  jour  et  une  issue  à  la  fumée.  Dans  cette  es- 
pèce de  ruche  on  ne  peut ,  comme  vous  au  moyen  de 
vitres,  voir  de  l'intérieur  ce  qui  se  passe  au  dehors  ; 
mab  on  entend  tout  ce  qui  se  dit  à  demi-voix  dans  les 
loges  du  voisinage.  Un  chef  harangue-t-il  les  siens?  pe^ 
sonne  ne  sort  pour  l'écouter  ;  mais  à  peine  a-t-il  fini , 
que  toutes  les  cabanes  retentissent  du  cri  approbateur, 
qui  ressemble  assez  aux  huées  de  collège.  De  cette  faci- 
lité à  saisir  tout  ce  qui  se  dit,  vient  sans  doute  la  publi- 
cité qu'acquièrent  en  un  instant  les  fautes  les  plus  légè- 
res ;  et  c'est  ici  un  puissant  frein  pour  le  vice;  aussi  les 
sauvages  se  tiennent-ils  communément  dans  une  grande 
réserve.  Tout  vindicatifs  qu'ils  sont ,  ils  recevront  une 
injure  sanglante  sans  en  paraîlrc  alTcctés  ;  leur  rage 
se  concentre  au  fond  du  cœur  sans  que  leur  visage  tra- 
hisse la  moindre  émotion. 

«  Je  TOUS  ai  déjà  dit  un  mot  des  ressources  alimen- 
taîres  de  nos  Indiens  ;  j'ajouterai  quelques  détails.  Bien 
que  la  chasse  au  chevreuil  ait  lieu  en  toute  saison. 


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h\0 
Yhîyer  surtout  en  favorise  le  succès.  Les  chasseurs,  fw 
nis  en  grand  nombre,  cernent  le  gibier  de  manière  à  ce 
que  noyant  pas  d'autre  issue ,  il  soit  réduil  à  se  préci- 
piter dans  les  lacs  ;  on  le  poursuit  alors  en  çaAot ,  et  k 
phis  souvent  ce  sont  les  vagues  qui  rapporleat  la  proie 
sur  le  rivage.  Si  le  lac  est  large ,  ecux  qui  auraieûi 
.  échappé  aux  armes  de  llndien,  périssept  dans  les  eaux. 
Il  est  arrivé  à  la  tribu  de  tuer  ainsi  jusqu'à  trois  cenu 
cheviQuils  en  im  seul  jour. 

«  C'est  toujours  à  jeun  que  le  sauvage  entreprend  ett 
expéditions  ;  il  ne  mange  qu'à  la  fia  de  la  cbas^ ,  et 
bien  souvent ,  lorsqu'il  n'a  pas  réussi ,  il  vase  coucIkt 
sans  rien  prendre ,  pour  recomeneneer  le  leodcmakk 
D'un  autre  coté  ,  quand  il  a  été  heureux,  ses  journées 
ne  sont  plus  qu  un  long  repas  et  il  ne  s'arrête  qu'après 
avoir  tout  <iévoré.  On  a  vraiment  peine  à  eompcendrc 
lo»t  ce  que  llndien  p«ul  absorber  d'alinients  ',  coomm 
afiissi  toui  ce  qu'il  peut  endurer  de  privations  :  passer 
frais  au  quatre  jours  sans  prendre  aucune  Dourritore, 
n'est  pas  chose  bien  extraordinaire  pour  lui.  Au  resic , 
quiuid  les  sauvages  jeûnent ,  c'est  presque  toujours  de 
leur  part  imprévoyance  ou  paresse  ,  car  à  dé&ui  de  b 
chasse  et  de  la  pèche,  ils  ont  les  racines  qui  abondent , 
et  la  mousse  qui  ne  manque  jamais;  mais  ceci  est  Y^ 
feii^  des  femmes. 

«  Chez  les  CœurscTAlène  ,  comme  parmi  les  autres 
sauvages,  les  femmes  sont  aussi  industrieuses,  aussi  înfe- 
ijg^bles,  que  les  hommes  sont  insouciants  et  paresseux. 
Il  n'y  a  pas  longtiîmps,  on  ignorait  encore  dans  cescoa- 
irées  ce  que  c'est  qu'une  chaudière,  et  cependant ,  dé- 
pourvues de  tout  vase  qui  pàl  être  soumis  à  ractroii  du 
'feu  ,  les  mères  de  famille  n'en  donnaient  pas  moîn$  « 
leufs  alim€H<s  In  ruiî^son  convenable.  Pour  apf  rcior  U 

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611 

viamle ,  elles  se  servaient  de  panlera  d  osier  ,  enduits 
d'une  espèce  de  ciment  qui  ne  se  dissout  pas  fnémeLÀ 
Teaci  bouillante,  et  elles  obtenaient  ce  degré  de  chaleur 
en  jetant  dans  Teau  des  cailloux  rougis  au  £eu. 

.*  «  De  toutes  les  racines  qu'exploitent  les  sauvages,  la 
meilleure  est  sans  contredit  celle  que  les  Canadiens  ap- 
pellent gamaclie  ,  et  les  CœwrS'dTAlbxe  sxaàolot  :  c'est 
un  petit  oignon  blanc  et  fade  avant  d'èlre  cuit ,  mais 
ijui  devient  brun  et  sucré  après  cette  opération.  Quand 
les  femmes  ,  armées  de  bâtons  recourbés  et  pointus  , . 
s'en  sont  procuré  une  certaine  quantité  par  un  travail 
.  j)énible  ,  elles  creusent  dans  la  terre  un  trou  rond  de 
u-ois  à  quatre  décimètres  de  profondeur ,  sur  un  dia- 
înètre  proportionné  à  leur  riehessc;  elles  en  oott- 
rrent  le  fond  d'un  pavé  bien  uni  qu'elles  fbiti  chauffa* 
ou  plutôt  rougir  au  moyen  d'un  énorme  foyer.  Après  e» 
avoir  retiré  avec  soin  toute  la  braise ,  elles  recouvrent 
ce  pavé  d'herbes  humides ,  jsur  lesquelles  elles  répan- 
dent leur  gamache  ;  vient  ensuite  une  autre  couche  de 
foin  mouillé ,  puis  un  lit  d'écorce ,  et  enfin  un  tas  de 
terre  sur  laquelle  elles  entretiennent  une  espèce  d'in- 
cendie pendant  cinquante  à  soixante  heures  consécuti- 
ves. Par  ce  procédé  la  gamache  acquiert  une  consîs- 
lance  semblable  à  celle  de  vos  jujubes  ,  et  se  con- 
serve longtemps  pourvu  qu'elle  ne  soit  point  mouillée  : 
nos  sauvages  la  préfèrent  de  beaucoup  à  la  pomme  de 
terre. 

«  II  est  une  autre  productmi  du  désert,  que  j'm  déjà 
)K>mmée ,  e'est  la  mousse ,  ressouree  toujours  assurée 
4le  ceux  qui  jeûnent.  On  la  trouve  en  abondancesur  un 
pin  gras ,  fort  commun  aux  montagnes ,  et  qui  diffère 
de  ceux  que  j'ai  vtisen  Europepar  une  oroisssihee  belm- 
coup  plus  ricbe  el  par  sel  feuilles  qui  sont  triples  au 


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512 
lieu  d*éire  doubles.  Ce  parasite  y  d*un  vert  très-foncé  , 
disposé  en  couches  épaisses  ,  compactes  et  adhéren- 
tes les  unes  aux  autres ,  paraîtrait  plus  propre  à  bour- 
rer des  matelas  qu'à  soutenir  la  vie  humaine.  Les 
femmes  ,  munies  de  haches ,  vont  couper  les  branches 
qui  en  sont  le  mieux  garnies;  les  enfants  la  trient  pour 
en  ôter  ,  en  partie,  les  corps  hétérogènes,  puis  on  la 
soumet  à  la  même  opération  que  la  gamache,  avec  celle 
différence  qu'on  ne  la  recouvre  pas  d'écorces  et  que  le 
feu  dure  seulement  vingt-quatre  heures.  On  mêle  quel- 
quefois de  la  gamache  à  la  mousse  ,  et  celle-ci  y  gagne 
beaucoup. 

€  Aujourd'hui  les  Cœursct Alêne  cultivent  avec  suc- 
cès la  pomme  de  terre  :  telle  famille  qui  n'avait  pour 
outils  que  des  bâtons  pointus ,  en  a  récolté  cette  année 
environ  cent  boisseaux.  Quand  on  aura  pu  procurer  as- 
sez de  pioches  à  nos  Indiens,  ils  trouveront  dans  ce  tra- 
vail leur  ressource  la  plus  assurée  et  la  plus  facile  à 
obtenir. 

c  Les  maladies  des  sauvages  se  réduisent  presque 
toutes ,  dit-on ,  aux  rhumatismes  et  aux  dérangements 
d'estomac.  Ils  doivent  les  premières  à  leur  négligence  ; 
se  couchant  et  dormant  au  premier  endroit  venu ,  sur 
un  sol  généralement  Immide ,  faut-il  s'étonner  quils 
contractent  de  telles  infirmités?  Leurs  jeûnes  prolongés, 
suivis  d'une  voracité  excessive ,  sont  plus  que  sufBsanis 
pour  causer  les  secondes.  Du  reste ,  accoutumés  à  avoir 
toujours  la  tète  découverte ,  à  courir  nus-pieds  dans 
l'eau  ,  dans  la  boue,  dans  la  neige,  ils  ne  savent  ce  que 
c'est  que  migraines,  maux  de  dents,  maux  d'oreilles  ; 
et  parmi  nos  vieillards  je  n'en  ai  remarqué  qu'tm  seul 
qui  grisonnât  un  peu.  Aussi  quand  le  P.  Point  arriva 
dans  la  tribu ,  un  des  premiers  compliments  qu'on  lui 


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âi3 

adressa ,  fut  de  lui  dire  qu  il  avait  au  moins  cent  ans. 
Je  ne  le  cède  guère,  sous  ce  rapport  y  à  mon  confrère  : 
cependant  nos  sauvages  ont  déclaré  que  si  mes  cheveux 
étaient  vieux  ,  mes  yeux  ne  Tétaient  pas. 

c  J'ignore  encore  à  quoi  se  réduisait  la  science  mé- 
dicale des  sauvages  avant  l'arrivée  des  Missionnaires. 
Actuellement  nous  sommes  leurs  seuls  médecins;  à  la 
plus  légère  indisposition  ,  ils  vont  la  confier  à  la  Robe- 
noire  ,  et  il  faut  leur  donner  quelque  médiciment ,  ne 
fût-ce  que  pour  calmer  leur  imagination.  Je  suis  porté 
à  croire  qu'autrefois  ils  avaient  presque  toujours  re- 
cours i  des  pratiques  superstitieuses,  auxquelles  disjoi- 
gnaient pour  tout  traitement  ce  qu'ils  appellent  la  Suerie. 
Figurez-vous  un  petit  dôme,  construit  au  moyen  de  bâ- 
tons ployés  en  ceintre,  fortement  entrelacés  comme  un 
épais  réseau ,  et  dont  les  deux  extrémités  sont  fixées  en 
terre;  le  tout  est  recouvert  d'une  forte  couche  d'argile  , 
ne  laissant  vers  le  bas  qu'une  étroite  ouverture  carrée. 
La  hauteur  de  la  voûte  peut  être  de  cinq  décimètres,  sur 
un  peu  plus  d'un  métré  de  laideur  à  la  base;  au  milieu 
de  cette  rotonde  est  un  trou  rempli  de  pierres  rougies  au 
feu.  Le  patient  se  glissant,  comme  il  peut ,  par  la  porte 
qui  lui  est  réservée  ,  se  range  en  demi-cercle  autour  de 
ce  foyer  ardent  ;  l'entrée  se  bouche  avec  soin  ,  et  dans 
cette  espèce  d'éluve  on  donne  aux  mauvaises  humeurs 
*e  temps  de  s  évaporer. .  Rien  n'est  si  commun  que  ces 
9U€ric8  dans  tous  les  lieux  que  nous  avons  parcourus. 

«  Le  gouvernement  de»  Indiens  est  assez  paternel.  Le 
pouvoir  réside  dans  le  conseil  de  la  nation ,  présidé  pai- 
un  grand  chef  à  qui  il  appartient  de  notifier  les  décisions 
de  l'assemblée.  II  n'est  pas  question,  du  reste,  de  pou- 
voir législatif  parmi  nos  sauvages.  Avant  l'arrivée  des 
Missionnaires  ,  toute  leur  jurisprudence  coiuistaît  dans 


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514 

ce  qui  leur  était  resté  de  la  loi  naturelle  ;  aujourd'hui 
les  cofnmandcmentjs  de  Dieu  et  de  FEglîse  forûicnt  tout 
leur  code.  Quant  aux  ordonnances  émanées  d\ine  vo- 
lonté humaine  ,  Tusage  n'en  est  guère  connu  ;  je  doute 
méntie  que  le  veÂe  commander  enkie  dans  leur  langue. 
La  puissance  des  ehoh  se  borne  à  peu  près  à  ceUe  de 
h  persuaapii,  iTautorité  quedoni^e  la  vertu.  Il  n'en 
t^pas  de  mèiRe  du  pouvoir  cœrckif  ou  judiciaire;  c'est 
aux  chefs  qu'il  appartient  de  punir  le  désordre  ;  les  pei- 
nes qu'ils  pro&oneeni  se  réduisent  au  fouet  et  à  Icxil. 
Ordiooiremcnt  leeoupable  vient  lui-même  demander  le 
fouet.  S'il  ne  montre  pas  cette  bonne  volonté ,  on  lui 
donne  le  choix  entre  les  deux  ehitimenls  ,  et  quand  il 
&cn  trouve  d'assez  hardis  pouc  tout  refuser ,  rarement 
on  emploie eoBtro  eux  la  forée ,  mab  on  les  traite  à  peu 
près  en  exeonsBiuiiiés* 

<  Chaque  chef  a  ses  terres  ,  qui  se  trasmetient  de 
père  en  fils  ;  il  a  aussi  ses  clients  qu'il  nomme  ses  en- 
fants :  mais  ceux-ci  ne  lui  sont  pas  inféodés  au  point  de 
rester  toujours  enchaînés  à  sa  suite  ;  libre  à  eux  de  pas- 
ser sous  un  autre  patronnage.  Tout  chef  a  sur  ses  pro- 
pres terres  le  mime  pouvoir  que  le  conseil  a  sur  la  na- 
tion; et  quand  une  affaire  est  portée  au  tribunal  suprême, 
eest  uniquement  pour  donner  plus  de  force  à  U 
sentence  ,.  en  ôlant  tout  appui  au  coupable.  Si  chaque 
sauvage  a  le  droit  de  choisir  entre  les  différents  guides 
de  la  nation  ,  ces  derniers  ont  à  leur  tour  le  privilège 
d'élire  eelui  q4ii  est  pkaé  i  leur  tête  ;  ils  le  aonunent  à 
vie  :  c'eat  un  houAwr  très-onéreûx  ,  quie  la  plupart 
dédineat. 

«  Vous  parleraî-je  maintenant  de  notre  manière  de 
vivre  ?  Sans  cHre  à  l'abrî  des  prmtîoils ,  elle  nlropose 
cependant  pas  tevts  les  sacrifiées  que  Je  croyais  însépa- 


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oîB 

râbles  de  la  vîe  du  Missiornialre  ;  fear ,  grâces  aux  soins 
de  ceux  qui  m*ont  précède  iei^  nous  sommes  beaucoup 
mieux  que  je  n  aurais  osé  rallendre.  Chaque  prêtre  a 
sa  maisonnellc  en  bois;  des  fenêtres  ,  aux  vitres  de  pa- 
pier ,  lui  donnent  assez  de  jour  à  Fintérieur ,  et  le  m^et- 
lent  à  même  de  braver  le  froid,  qui  du  reste  n*est  pas 
sévcTo.  Lorsque  nous  aurons  remplacé  la  terre  de  nos 
loiîs  par  une  bonne  charpente  ,  qui  est  déjà  prête  ,  Jjê 
coniptc  que  nous  pourrons  aussi  nous  défendre  de  la 
pluie.  • 

«  Quant  à  la  aourriture ,.  elle  diffère  peu  de  celle  d^ 
A^s  sauvagies.  Parfois  nous  les  suivons  dans  leurs  ^' 
euirsions  aventureuse^,  ei  ujiârs  ocst  entre  eux  et  nom 
uoie  parfaite  communauté  de  biens  et  de  ikiigues.  L'aa- 
ncc  dernière ,  j'allai  passer  Thiver  à  Textrémiié  du  lac , 
au  milieu  de  nos  chasseurs ,  installé  comme  eux  dans 
une  simple  lo^.  Lorsqu'il  lallut  retourner  au  village^  je 
demandai  ù  un  Indien  s'il  pourrai!  m'y  rccooduire  eo 
un  jour  y  et  sur  sa  réponse  affirmative  ,  je  ne  songeai 
point  à  prendre  de  provisionai.  le  me  couchai  donc  daa$ 
une  nacelle  ,  tissue  de  petites  branches  moins  fortes  qM^ 
rosier  ,  et  recouverte  d'une  écorce  de  sapin  plus  frêle 
(  iicore^  J'avais  de  bonnes  raisons  pour  iiie  tenir  dans 
cet  le  attitude  »  carie  moindre  moiucemem  sur  un  bord 
iMi  S4.ir  l'autre  aurait  suffi  pour  faire  chavirer  le  au>bik 
(  sqtiir ,  et  comxuie  j'avais  passé  la  nuit  (wécédânte  à 
cciirç  ,  je  ne  tardai  pas  à  cédei  au  sommeil» 

«  Je  ne  dormais  pas  si  profondément  que  je  ne  m'a- 
porritsse  bientôt  dé  l'embarras  du  pilote.  Le  lac  se  trou-  • 
vait  couvert  de  glaçons  qui  menaçaient  à  chaque  ins- 
tant (!c  percer  les  flancs  du  canot  et  de  nous  couler  & 
foml.  Mais  voici  bien  un  autre  obstacle.  Ce  ne  sont  plus 
«les  morceaux  de  glace  isolés  qui  nous  mettent  en  péril, 


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616 

c  est  le  lac  entier  qui  se  prend ,  et  nous  force  tfabordcr 
comme  nous  pouvons  pour  camper  sur  la  grève. 

€  Il  pleuvait,  il  neigeait,  et  je  n'avais  rien  pour  m'a- 
brîter  sur  ce  bord  rocailleux.  Mes  sauvages  m'eurent 
bientôt  tiré  d'embarras  ;  sans  que  j'eusse  besoin  de  leur 
dire  un  mot ,  ils  élevèrent  avec  quelques  nattes  une 
demi-loge ,  dont  la  partie  ouverte  était  défendue  par  un 
bon  feu;  ils  furent  encore  moins  entrepris,  quand  il  fut 
question  de  se  faire  un  gîte  à  eux-mêmes;  le  canot,  cou- 
ché sur  un  de  ses  flancs,  leur  servit  de  toit ,  de  plan- 
cher et  de  lit.  Le  lendemain  nous  fîmes  à  pied  le  reste 
de  la  route  ,  Uintôt  sur  la  neige ,  à  travers  les  bois ,  les 
marais  et  les  broussailles,  tantôt  sur  le  lac  quand  la  glace 
était  assez  forte  pour  nous  porter.  Nous  arrivâmes  enfin, 
vers  midi,  avec  un  appétit  fortement  excité  par  le  jeûne 
et  la  marche  ;  il  me  semblait  que  j'aurais  fait  honneur 
à  un  bon  repas  :  on  ne  put  m'offrir  qu'un  morceau  de 
mousse.  C'était  la  première  fois  que  j'en  goûtais  ;  je  ne 
la  trouvai  pas  mangeable;  mais  quelques  jours  après  j'j 
étais  habitué.  Au  printemps  dernier, nos  confrères  n'ont 
pas  eu  d'autre  nourriture. 

€  Notre  temps  au  village  est  partagé  entre  les  fonc- 
tions du  saint  ministère ,  l'étude  de  la  langue  et  les 
travaux  agricoles.  Jusqu'ici  la  direction  des  èmes  a  été 
le  partage  presqu'exclusif  du  Père  Point.  Les  soins  ma- 
tériels de  la  culture  sont  mon  affaire.  D'après  les  inten- 
tions de  nos  Supérieurs  ,  je  cherche  à  tirer  de  noir« 
ebamp  de  quoi  subsister  sans  secours  étrangers ,  afin 
que  d'autres  peuplades  puissent  profiter  de  la  charité 
des  chrétiens  de  TEurope.  Quel  bonheur  pour  nous,  si 
après  avoir  servi  d'instruments  de  salut  à  nos  sauvages, 
nous  donnions  encore  la  fertilité  à  leurs  déserts,  et  Vai- 


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&17 

pect  de  colonies  florlssanles  à  leurs  malheureuses  tri- 
bus !  Tel  est  du  moins  notre  espoir ,  et  pour  le  réaliser 
nous  appelons  de  nouveau  le  concours  de  vos  prières. 


«  Agréez.,  etc. 

«  JOSET.  S.  'J.   » 


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518 


Aulne  letête  du  même  Mi$$i(mmàrê  ,  au  ré)éremi  Pètt 
CauneUle,  de  la  Compagnie -de  Jésus. 


MissÎMi  de  S.  Ignace  ,  10  octobre  18i5. 


«  Mon  Révérend  Père  , 

«  Je  vous  ai  promis  des  nouvelles  de  nos  Missions,  et 
je  tiens  parole  en  vous  communiquant  une  lettre  que 
J'ai  reçue  récemment  du  Révérend  Père  de  Smct  :  elle 
est  datée  du  9  septembre  1845. 

c  Me Toilà  donc,  écrit  cet  infatigable  Confrère ,  aux 
sources  de  la  Colombie  ,  en  vue  des  deux  beaux  lacs 
qui  donnent  naissance  au  plus  grand ,  mais  aussi  au 
plus  dangereux  fleuTC  de  ces  contrées.  Ma  loge  est 
dressée  sur  le  bord  du  premier,  ruisseau  qui  vient  lui 
payer  tribut ,  après  avoir  roulé  .ses  bruyantes  eaux  de 
cascade  en  cascade  sur  les  rochers  inaccessibles  qui 
sont  à  ma  droite.  J*aimerais  à  vous  voir  transporté  pour 
un  instant  auprès  de  moi ,  afin  d  y  jouir  d'un  spectacle 
qui  vous  rappellerait  votre  Suisse.  Au-dessus  de  mon 
campement ,  ce  sont  vos  pics  gigantesques  et  vos  ef- 
frayants glaciers ,  contrastant  avec  les  sites  gracieux  du 
plus  frais  paysage.  Le  coup-d'œil  que  présentent ,  dans 
la  plaine,  les  deux  lacs  dont  j'ai  parlé ,  n'est  pas  moins 
pittoresque.  Ils  sont  remplis  de  vie  en  ce  moment  ;  à 
leur  surface  fourmillent  des  oiseaux  aquatiques  de  tout 


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619 

genre  »  tandis  que  leurs  bords  sont  fréquentés  par  des 
pécheurs  d  uoe  espèce  bien  nouvelle  pour  moi,  par  des 
armées  d'ours  blancs  etuoirst  à  qui  les  dents  et  les  grif- 
fes tiennent  lie«  de  harpons.  Aux  iMremières  neiges ,  ils 
repreoaenlle  chemin  de  leurs  tanières ,  où  ils  passent, 
on  ne  sait  comment ,  les  quatre  mois  dliivcr. 

«  Mais  revenons  sur  le  passé  et  recueillons  nos  sou- 
venirs, pour  en  jalonner  Tespaoe  que  j'ai  franchi  depuis 
noire'demière  entrevue.  Après  vous  avoir  quitté,  je  me 
cendis  aux  belles  chutes  de  la  Colombie  que  nous  nom- 
moïïsles  Chaudières.  Huit  ou  neufcents  Indiens  s*y  trou- 
vaient réunis  pour  la  pèche  du  saumon..  Sur  un  bloc  de 
naerbre  qui  s'avance  en  pointe  dans  la  rivière ,  j'élevai 
ma  pauvre  chapelle  en  jonc ,  qu'entoaraient  les  buttes 
sauvages ,  comme  la  jeune  oouvée  cherchant  un  refuge 
sous  les  ailes  de  sa  mère.  Janwis  peuple  ne  fut  plus  af- 
famé de  la  divine  parole  ;  aussi  y  pour  répondre  à  des 
dispositions  si  heureuses  ,  je  fis  chaque  jour  plusteui^ 
instructions ,  qu'il  suivit  avec  une  attention  soutenue. 

«  La  fétc  de  saint  Ignace  avait  été  choisie  pour .  clù- 
ture  de  nos  exercices  religieux.  J'ai  passé  ce  beau  jour 
accablé  d'occupations»  mais  de  ces  occupations  douces 
au  cœur  d'un  apôtre.  Plus  de  cent  enfants  me  furent 
présentés  pour  le  saint  baptême  ,  ainsi  que  onze  vieil- 
lards dont  plusiciu*s,  portés  sur  des  peaux  ,  semblaient 
n'attendre  que  la  grâce  de'  la  régénération  pour  s'en- 
dormir en  paix  dans  le  sein  du  Seigneur.  Le  plus  âgé  , 
aveugle  et  centenaire  ,  me  dit  entre  autres  choses  : 
«  Ma  vie  a  été  longue  sur  la  terre ,  et  depuis  longtemps 
«  je  ne  cesse  de  pleurer  ,  car  j'ai  vu  mourir  tous  mes 
«  enfants  et  mes  anciens  amis.  L'isolement  s'est  fait  au- 
c  tour  de  moi ,  je  vis  dans  ma  nation  comme  parmi 
«  desétrangers;  les  souvenirs  seuls  m'occupent,  etib 

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620 
«  sont  tristes.  Cependant  une  chose  me  console  ,  j Vi 
«r  toujours  évité  la  compagnie  des  méchants  ;  mes  mains 
«  sont  restées  pures  de  leurs  vols  ,  de  leurs  querelles 
«  et  de  leurs  meurtres.  Aujourd'hui  que  le  Grand-Esprit 
«  m*a  pris  en  pitié  ,  je  suis  content  ;  je  lui  donne  mon 
«  cœur  et  lui  offre  ma  vie.  » 

«  La  scène  où  tout  cela  se  passait  était  vraiment  so- 
lennelle. Le  bloc  de  marbre  sur  lequel  Tautel  était 
dressé  ,  le  bruit  sourd  des  grandes  chutes  qui  retentit 
au  loin  dans  la  solitude  ,  ces  enfants  des  forêls  campés 
sur  les  bords  du  plus  puissant  fleuve  de  TOrégon  ,  à 
l'endroit  où  ées  eaux  forment  un  torrent  impétueux  et 
irrésistible ,  majestueux  et  immense  ,  qui  se  précipite 
à  travers  un  dédale  de  rochers  ,  ces  cascades  qui  jaillis- 
sent de  toute  part  comme  autant  de  colonnes  transpa- 
rentes ,  et  réfléchissent  aux  rayons  du  soleil  les  brillan- 
tes couleurs  de  l'iris;  tout  semblait  porter  intérêt  et  prê- 
ter son  charme  aux  belles  cérémonies  du  jour. 

<  Ma  présence  au  milieu  de  ces  bons  Indiens  nln- 
terrompit  pas  leur  pèche.  Ils  avaient  attaché  un  panier- 
monstre  à  une  pointe  saillante  de  rocher  ,  et  les 
beaux  poissons  de  la  Colombie  venaient  s'y  jeter  par 
douzaines  :  sept  à  huit  fois  par  jour  le  panier  se  vidait, 
et  chaque  fois  Ton  n'en  tirait  pas  moins  de  deux  cent 
oînquante  saumons.  Pendant  que  les  uns  étaient  oc- 
cupés à  les  recueillir,  d'autres  se  rangeaient  en  file  sur 
le  bord  ,  et  plongeant  leur  dard  avec  force  et  dextérité, 
rarement  ils  le  retiraient  sans  amener  une  proie.  Hors 
de  rOrégon,  on  m'accuserait  d'exagérer  :  j'ose  affirmer, 
pourtant ,  qu'il  serait  tout  aussi  facile  de  compter  les 
cailloux  si  profuscmcnt  semés  sur  les  deux  rives  du 
fleuve,  que  les  poissons  contenus  dans  ses  eaux.  Comme 
le  buiïalo  dans  les  plaines  de  lest ,  le  poisson ,  à  Foucst 

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&21 

*des  moDtogDea ,  est  le  pain  quotidien  des  peuples  qui 
faabiteut  ces  parages  ;  ou  peut  juj^er  de'Jeur  multitude 
par  la  cousommation  qui  s'en  fait.  Dans  la  saison  où  le 
saumon  remonte ,  tous  les  Indiens  se  rendent  sur  les 
points  favorables  des  différentes  rivières  ,  et  non  seule- 
ment ils  y  trouvent  alors  une  nourriture  très-abondante 
(ce  qui  n*est  pas  peu  dire  pour  qui  connaît  Tappétit  du 
sauvage),  mais  ce  qu'îb  en  conservent  encore  leur  tient 
lieu  de  provisions  pour  tout  Thiver.  Et  néanmoins  ,  des 
colonnes  innombrables  de  saumons  se  poussant  jus- 
qu'à la  source  des  rivières  ,  y  meurent  épuisées  et 
manquant  d'eau. 

€  Au  moment  ou  je  vous  écris ,  ma  tente  est  dressée 
sur  le  bord  de  la  Coloitibie  ,  dans  un  endroit  où  elle 
est  peu  large  et  peu  profonde  :  jY  vois  passer  les  sau- 
mons ;  ils  se  gênent  les  uns  les  autres  ;  et  pour  se  feirt 
place ,  ils  s'entredéchirent  h  belles  dents.  Les  truites  ,* 
ainsi  qu'une  espèce  de  carpes  ,  avides  des  œufs  qu'ils 
déposent  dans  le  sable  et  le  limon  des  rivières ,  les  sui- 
vent en  foule.  Voilà  une  assez  longue  digression  ,  que 
je  vous  aurais  épargnée  si  vous  n'étiez  encore  nouveau 
dans  le  pays. 

«  Le  4  août,  je  quittai  les  Chutes  pour  reprendre  le 
cours  de  mon  périlleux  voyage.  Ce  qu'il  m'^n  acoùtéde 
privations  et  de  fatigues ,  je  ne  m'en  souviens  plus  ; 
mais  ce  que  je  n'oublierai  jamais  ce  sont  les  grâces  que 
le  Seigoeur  a  semées  sur  mes  pas ,  ce  sont  les  heureu- 
ses disposttioDs  de  tidfit  de  peuplades  inconnues  ,  qu0 
j'ai  trouvées  si  avides  d'entendre  la  divine  parole»,  si 
enopressées.à  demander  le  baptême,  etque  j  ai  laissées 
prosternées  de  reconnaissance  au  pied  du  signe  de  no- 
ire Rédemption.  Enfin  j'arrivai ,  après  une  marche 
d'tt^  moi»  f  aux  sources  de  la  Colombie.  Je  ne  croyais 

TOM.  xvni.  109.  34 

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Siière  y  rencontrer  de  (faai  et^roèrle'ttiiiiiiiiiibière. 
Ifors  en  queVendroii  du  désert  les  CamdiMs  n'oM-ib 
pas  pénétré?  Le  roi  qui  trdne  dams  ce  pay!>9oliteire,  ta 
an  bvave  habitant  de  Saint  Martin  Canada),  qui  depmi 
vingt-six  années  a  quitté  sa  patrie.  Sen  palais  est  oem*^ 
fruit  de  treiie  peaux  d'orignal,  et,  pour  me  sertir  de-scs 
propres  expressions ,  il  possède  assea  9e  chevaux  pour 
y  hger  son  petit  train ,    c'est-à-dire  ,  sa  femme  et  se? 
sept  enfants  avec  tout  son  modeste  avoir  ;  fibre  à  hî 
de  tenir  sa  oour  (de  dresser  sa  loge)  partout  où  îî  veut , 
sans  que  personne  vienne  lui  en  disputer  le  dnyh.  Son 
sceptre,   c'est  un  piège  à  castor;  sa Idi ,  c*est sa  cara* 
bine  :  Tun  3ur  le  bras,  laulre  sur  lo  dos ^  il  visité  tour 
à. tour  ses  Bombreux  sujets ,  le  castor,  la  loutre,  le  m 
qwiisqué ,  la  martre ,  Tours ,  le  caribou ,  l'orignal ,  k 
4i^U)ii«  la  chèvre  des  montagnes,  le  chevreuils  queitf 
npi^,  aussi  bien  que  sou  parent  à  queiu)  rouge  :  tous , 
si  la  loi  les  atteint ,  lui  paient  tribut  en  viande  et  eo 
peaux»  Entouré  de  tant  de  grandeurs  terrestres,  jmisibk 
possesseur  de  tous  les  châteaux  de  granit  dont  la  na- 
ture a  embelli  se?  domaines  «  s^gneur  aoUtaire  de  ce$ 
majestueuses  montagnes  qui  élèvent  juacpi'iioi  nuis 
leurs  cimes  glacées  ,  Marigeau  n'oublie  pas  son  devoir 
de  chrétien.  Tous  les  joni's ,  soir  et  nmtin,  on  leiAMt  au 
milieu  de  sa  petite  famille  à  gcftioux,  recherfffemenNM 
•es  prières.  Depuis  plusieurs  années,  it  démratlttféett- 
ment  rencontrer  un  prêtre  ;  dès  qiifl «ot  wW  aili»ite , 
il  dccouniten  toute  hftte  pour  prôeuref  à  AfemoM el I 
^t  entfuits  Tinsi}pie  bonheur  du  tmptèmè.  ^OeQi  Ihveor 
leur  An  accordée  le  jour  de  la  NaliVité'tie  hrtfèMàinie 
Vierge,  aitisi  qu'aux  en&nts  de  trob  iiiitilei  Mien- 
oes  qui  le  suivent  dans  ses  (RAièrentes  n^Nrtions.  h» 
encore  ,  le  saint  sacriflce  de  la  meflsé'fet'Mhrt-pottr 
la  première  fcrs.  Mùrigeau  s'approcha  d6*ta  tafbt6*tAff ; 

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&S3 
En  méiMirie  de  tant'dieèieiifeits ,  iOtie  gm4e  «roix  fut 
platM^c  dans  une  pmim  qoo  nom  ap^ielàinee  làfMtu 
dé^lù  tVictwlté. 

«  Je  ne  puis  quitter  mon  bon  Canadien  sans  faire 
mention  honora We  de  sa  cuisine.  Le  premier  plal  qull 
m'offrit  fût  un  ragoût  composé  de  deux  pattes  d'ours;  un 
porc-épic  entier,  mis  à  la  broche,  flt  ensuite  son  appari- 
tion; puis,  une  grande  chaudière  fut  placée  au  milieu  des 
convives;  chacun  en  tira  le  morceau  qui  lui  convint,  et 
certes  il  y  avait  de  quoi  choisir  :  dépouille  de  buffalo ,  . 
chair  d'orignal,  queues  de  castor,  perdrix,  tourterelles, 
lièvres  y  figuraient  à  Tenvi  et  donnaient  satisfaction  à 
tous  les  goûts. 

c  Je  viens  d'être  joint  par  les  sauvages  de  la  Rivière 
rouge  que  j'attendais.  Les  nouvelles  qu'ils  me  donnent  ' 
des  dispositions  des  Piedê-noirs  sont  effrayantes  ;  vous 
connaissez  ces  barbares.  Dans  leur  rage  effipcnce ,  pour 
venger  quelque  parent  tué  à  la  guerre  ,  quelquefois 
pour  le  moindre  caprice,  ils  immolent  sans  pitié  la  mal- 
heureuse et  innocente  victime  que  le  hasard  offre  à  leurs 
coups.  Vos  bonnes  prières  toutefois  m'encouragent  ;  je 
ne  m'arrêterai  pas  à  la  vue  du  danger  ;  je  mets  toute 
ma  confiance  dans  le  Seigneur,  qui  saura  quand  il  vou- 
dra changer  et  adoucir  ces  caractères  implacables.  Il 
s'agit  pour  moi  de  porter  l'Evangile  aux  lieux  mêmes 
où  les  excursions  de  ces  brigands  sont  si  fréquentes  : 
nulle  considération  ne  poiurra  me  détourner  d*un  projet 
que  j  ai  nourri  dans  mon  cœur  depuis  ma  première 
visite  aux  montagnes. 

c  Adieu ,  mon  cher  Père  ,  si  Dieu  m*est  propice  , 
probablement  vous  me  reverrez  avant  l'hiver 

c  De  Sun.  S.  J.  » 
34. 

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£24 
c  —  J'aurais  bien  aussi  mes  notes  à  joindre  & 
celio  lettre  ;  mais  je  suis  trës*|iressé  :  il  faut  que  je 
me  rende  en  toute  hâte  à  ma  Mission  duSaoné-Ccewr. 
Comme  je  ne  pourrai  pas  donner  de  mes  nouvelles  en 
Suisse  avant  le  printemps  prochain ,  je  vous  serai  bien 
obligé  de  faire  savoir  à  nos  amis  que  je  ne  les  oublie 
pas  y  et  que  je  me  recommande  instamment  à  leurs 
prières. 

c  JosETi  S.  J.  9 


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696 


MISSIONS  DE  ^AUSTRALIE- 


DIOCÈSE  DE  PERTH. 


.Comme  le  diocèse  de  Per^h  figure  pour  la  première 
fols  dans  les  Aunales  ,  nous  avons  pensé  qu'une  courte 
notice  sur  cette  Mission,  encore  à  soiî  début,  faciliterait 
rintelligence  des  leUres  qu'on  va  lire. 

L'Australie  qui ,  en  1820,  était  encore  sans  autel  el 
sans  prëtre\  est  devenue  depuis  ,  sous  la  direction  de 
Mgr  Polding  ,  une  province  ecclésiastique  où  l'on  com- 
pte l'Archevêché  de  Sydney ,  les  Evéchés  d'Adélaïde 
et  d'Hobartown  ,  une  église  métropolitaine ,  vingt-cinq 
chapelles,  trente-une  écoles,  cinquante-six  Missionnai- 
res ,  partagés  entre  le  soin  de  la  population  civile  et  des 
eolonies  pénales,  et  le  ministère  de  la  prédication  parmi 
les  sauvages  de  la  Nouvelle-Hollande. 

Grâce  au  zèle  persévérant  du  Prélat ,  la  Religion  , 
en  1840,  se  trouvait  établie  sur  la  côte  orientale, 
mais  les  régions  de  l'ouest  restaient  encore  étrangères  à 
ses  bienfaits.  Pour  étendre  jusqu'à  elles  l'heureuse  in- 
fluence de  l'Evangile ,  Mgr  PoKVmg  fit  appel  à  la  a(4lie{- 


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(ude  du  Saint  Siège ,  et  M.  Tabbé  Brady ,  qu*il  avait 
chargé  de  porter  à  Rome  Texpression  de  ses  vœux  ,  fut 
renvoyé  en  Australie  avec  le  titre  d'Evêque  de  Perth,  et 
la^aiissioa  d*£rig^r  ddux  nouveaux  Vldirîais  «peaMl?^ 
ques  ,  celui  de  la  Sonde  et  celui  de  Port-E&sington. 

La  juridiction  de  Mgr  Brady  comprend  deux  millions 
d'indigènes  et  huit  mille  colons,  répandus  sur  six  cenis 
lieues  de  littoral.  Quant  à  rintèrieur  des  terres  ,  on 
manque  de  données  suffisantes  pour  évaluer  le  chiiïn 
des  tribus  quiriiabilent.  Il  n'est  pas  moins  difficile  da|- 
précier  les  dispoehifvi^de*  ces  pet^^faides  errantes,  et: 
présence  de  renseignements  incomplets  ,  qui  se  con- 
tredisent souvent  ;  toutefois  on  pense  assez  générale 
ment  que  ces  sauvages  sont  d!un  naturel  doux  et  do- 
cile, que  la  timidité  de  leur  caractère  promet  à  Fétran- 
ger  un  acevcll  paciflque ,  et  qu%  Fabri  de  letirs  vastes 
f'OFèls  ik  onl  conservé  le  degré  dinnocence  eompatade 
avec  des  superstitions  grossières.  Leur  religion  consiste 
dans  le  culte  de  d^ix  prinripes,  Vun  bon,  qulls en- 
tourent de  peu  d'honunagesi  parce  qu'il  ne.  eaimdt  leur 
nuire  ;  TautrC'  mauvais  ,  qui  reçoit  tous,  les  honneurs , 
parce  quji  tient  dai^  sa  main  tous  les  fléaux^  Ces  ii»- 
digènes  n  ont  eu  jusqu'à  présent  aucun  rapport  awe  les 
Européens  ,  et  n'ont  pas  encore  été  visités  par  les-  mi- 
nbtres  protestants ,  double  motif  d'espérance  pour  nû6 
Rfissionnaires ,  qui  savent  paj  expérience  combien  le 
triomphe  est  plus  facile  quand  ik .  n'ont  à  briser  que 
de  vieilles  idoles. 

La^^Hcide  Penk,  fésiêmcfe^  dm,  imneb£vèc|Oû  et 
cejMiH^ de  s»  Mission ,  est  éluécavirte rive  d'm bea« 
Olifm^9ff%\é\mIUmiirede$,Cjfg»e$^  à  wptiiiiltes^du 
p^  deArMwmfe.  Ces^U  ai^4u  ffmnctBenmoic^ 
lotoM  pourJ'bmfi»!  de  la  IVouvfiUâ-B«B«iMku  St  popiib- 


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lion  est  d'environ  trois  mille  âmes,  dont  la  moitié,  com- 
posée de  catholiques  et  privée  jusqu'ici  de  secours  spi- 
rituels ,  vient  de  saluer  avec  la  joie  la  plus  vive  Tar- 
rivée deaea  prcmieF  Pa»êtur. 

C'est  le  8  janvier  1846  que  Mgr  Brady  a  revu  la 
Nouvelle-Hollande.  A  sa  suite  trente  personnes ,  parmi 
lesquelles  on  aime  à  compter  des  enfants  de  St-Benoît, 
df»  Rcligrew  d«  S.-GflBttr  de  Marie  et  dies  Sœdrs  de  la 
Merci,  sont  descendues^  sur «e  lointain  rivage,  au  chant 
des  hjTunes  sacrés.  La  pieuse  colonie  ne  pensait  s'adres- 
ser q«'au  ciel,  et  déjà  sur  la  côte  sa  voix  avait  été  enten- 
due ;  quelques  sauvages  accouraient  à  la  no\fy«iuté  de 
ce  spectacle;  des  blancs  quittaient  leurs  travaux  aux  ac- 
cents de  cette  prière  inaccoutumée  ,  et,  réunis  sous  les 
bénédictions  de  leur  commun  père ,  semblaient  présa*  ' 
ger  rbeBftux  jour  où  tes  diverses  nation»  seront 
MaftNidttes  ifatns  Tanité  d*ime  famille  cbrèticnoe» 

Cet  avenir,  l'un  des  iFissionnaires,  M.  Bouchet,  n'a 
pu  que  l'entrevoir;  il  est  mort  peu  de  jours  après  son. 
arrivée  à  Perlh,  d'une  maladie  qui  s'était  déclarée  au 
Cap  de  Bonne  Espérftnee  ,  et  que  la  fatigue  d'Une  lon- 
gue navigation  avait  encore  aggravée.  Aitisi ,  c'est  suf 
la  tomhe  d^n  d»-  leurs  confrères  q!ic  les  apôtresde 
l'Australie  eccideneale  «nt  planté  leur  première  croîi  ?• 
Mais  pour  eên  ecite  épreuve  est  tav  nouveau  raotil  dVs-' 
pérer  :  m  Ltmftés  ne  peut  manquer  à  noire  Mission  , 
nou9écriwnt4b,'p«i»q«H'elte  commenee  parlewcriflce.*- 


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BU 


Lettre  de  Dont  Lèandre ,  Bénédictin ,  à  Dom  GiU- 
ranger  y  ahhè  de  Solesma. 


Penh,  Aiitralie  ocddectAla  :  màtéi ,  «etoTe^  rSpiphanie, 
13  j«im«i  4Siê. 


c  Mon  'mÈs-RévÉREND  Pêiœ  Abbé, 


c  Béni  soit  le  Seigneur,  le  Dieu  de  toute  bonté,  qui 
nous  a  conduits  si  heiutsusement  au  terme  de  notre 
voyage.  Le  lendemain  de  l'Epiphanie  nous  jetions  Tan- 
cre ,  et  jeudi  malin ,  à  neuf  heures  et  demie ,  nous  quit- 
tions notre  navire. 

«  Bien  différente  de  TAfrique  dont  les  montagne 
hautes  et  escarpées  annoncent  la  stérilité  du  sol  et  la 
barbarie  des  habitants  ,  TAustralie  n'oflre  que  de  dou- 
ces collines  où  les  bois  et  la  verdure  se  disputent  à 
Tenvi  le  privilège  de  réjouir  Tœil  du  navigateur  fotigué 
delà  monotonie  d*un  long  voyage  sur  les  eaux,  où  pour 
distraction  il  n*a  guère  que  les  vents  et  les  tempêtes* 

c  Enfin  je  touche  à  cette  terre  où  je  devrai  me  san- 
ctifier en  apprenant  le  chemin  du  salut  à  de  pauvres 
sauvages,  si  longtemps  inconnus  à  notre  Europe.  La  sol- 
licitude de  nos  économistes  ne  va  pas  jusqu'à  rompre  le 
pain  de  la  civilisation  à  de  malheureuses  créatures  dont 


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639 

Tàme  a  cependant  coûté  tout  le  prix  du  sang  de  notre 
doux  Seigneur  Jésus.  Les  anges  gardiens  de  ce  pays 
immense  auront  entonné  le  Gloria  in  excelsis  Deo  et  in 
terra  pax  hominibm  :  car  ils  voyaient  enfin  accompli  le 
temps  que  Dieu  avait  résolu,  dans  ses  desseins  étemels, 
de  mettre  entre  le  joyeux  avènement  de  son  fik 
sur  la  terre  et  Favénement  de  ses  ministres ,  dont 
la  parole ,  les  sueurs  et  les  travaux  devront  mettre 
la  paix  dans  le  cœur  de  tant  d*hommes  délaissés.  Ces 
cœurs  devront  devenir  nouveaux,  et,  de  grossiers  qu'ils 
sont,  la  grâce  en  fera  des  tabernacles  où  l'Esprit-Saintse 
plaira  à  faire  sa  demeure.  D'ici  là ,  mon  très-révérend 
Père,  combien  de  prières  il  faudra  que  mes  frères 
d'Europe  offrent  au  Dieu  des  miséricordes  !  Ah  !  s'ils 
ne  prient  pour  nous,  comment  pourrons-nous  réussir, 
abandonnés  à  nos  propres  forces? 

«  Le  jeudi  8 ,  Mgr  Brady  dit  pour  la  dernière  fois 
le  messe  sur  le  navire.  Tout  est  préparé  pour  mettre 
pied  à  terre  ;  nous  en  sommes  à  peine  à  un  mille.  A 
neuf  heures  et  demie  je  récite  les  litanies  de  tous  les 
Saints  sur  le  pont  avec  Dom  Serra.  Quelques  minutes 
après ,  nous  quittâmes  VElisabeth  ,  dont  le  capitaine 
David  Morrice  s'est  montré  fort  bon  pour  nous  pendant 
tout  le  voyage ,  malgré  la  divergence  de  croyances  reli- 
gieuses. Pendant  la  traversée  du  navire  à  la  côte,  Dom 
Rosendo  Salvado  chanta  les  litanies  de  tous  les  Saints, et 
tous  en  chœur  nous  répétions  :  Ora  pro  nobis.  Après  les 
litanies  on  chanta  le  Benedictus,  Quelle  effusbn  de  joie 
dans  tous  les  cœurs ,  et  pour  moi  en  particulier ,  qui 
voyais  un  enfant  de  notre  bienheureux  père  Saint  Be- 
noit ,  élever  le  premier  de  tous  la  voix  des  louanges  de 
Dieu  sur  une  plage  qui  n'avait  joui  que  pendant  si  peu 
de  temps  du  bonheur  de  posséder  un  ministre  du  Sei- 


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6S0 

gneur ,  dans  la  personne  de  notre  Evèque ,  leqad , 
après  deux  longues  années ,  venait  prendre  postessoa 
d'an  territoire  confié  &  ses  soins  par  le  sueeessair  du 
prince  des  apôtres. 

«  A  dix  hcfnres  nous  mettons  le  pied  sur  le  rivage  oè 
éwnent  assemblées  une  cincpiantaine  de  personnes.  Au?- 
sHdt  Monseigneur  entonne  le  Te  Deum  que  nous  ponr- 
SOTvens  tous  en  cliceur.  A  trois  pas  derrière  nous  etrA  la 
mer  ;  devant,  l'immensité  de  cette  île  qui  mérite  mfeux 
le  nom  de  continent.  An  verset,  Te  ergro  quœsnmut,Jwo$ 
nous  sommes  prosternés  sur  le  saWe.  Après  fc  Te  Dcfm, 
Monseigneur  donna  sa  bénédiction  ,  puis  nous  nons^ 
aciieminâmes  vers  le  rivage  de  FreemanUe ,  quî  est 
comme  le  port  de  la  ville  de  Pcrth,  Chemin  faisant 
j  aperçus  Dom  Serra  et  Dom  Salvado  pariant  à  un  sau- 
vage :  je  courus  à  eux  ,  et  ma  première  paroîc  en 
Australie  fut  le  Good  mormng  ^  Jionjmir  ,  adressé  i  ut» 
sauvage  sans  songer  s*il  serait  capable  de  nue  comprea- 
dre. Apeine  lui  avais-je  adressé  ce  salut, qu'il nae  répond: 
How  do  you  do  f  Comment  vma  porlez-vous  f  ie  f\& 
étonné;  mais  un  habitant  de  FreemanUe  j  qui  setali 
approché  de  noue  ,  me  dii  que  tous  les  sauvages  des 
côtes  savaient  parler  l'anglais ,  parce  qu'Us-  som  eouù^ 
nuellement  en  rapport  avec  ks  eolon^  Monseigneur  fit 
conduire  les  Soeurs  de  la  Miséricorde  dans  une  moisoot 
et  nous  dans  une  autre ,  et,  peu  après  ^ .  vini  nous  re- 
trouver le  même  sauvag/e  ,  accompagné  de  sa,  femme. 

«  Tous  les  deux  étaient  bien  eonmie  ceux  que  Frey- 
dhet  a  feît  dessiner  dans  l'atlas  dte*  soi»  voyage  a«f#Brd» 
monde  :  la  tête  grosse  et  en  d»propordon  avce  te  t^tp^ 
lé9  cheveux  totit  dégoûtants  â^fiuifeei  et  gratsstdt 
poisson ,  la  faèe  couverte  de  ponÂè  de  Mque  dddfée 
ditia de  l*hutle  ,  les  bras  et  le^jambi»  fiMrtnieaiM >  H 


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.611 
lotit  le  «onp»<i*ttne  mai^ur  lepoisMote  :  presque  nus, 
sauf  une  peau  de  kangourou  »  jetée  sur  leurs  épâul» 
comnie  Test  la  peau  d'agneau  sur  les  épaule»  du  Samf 
Jetm-BapÈble  du  GioUo ,  dans  son.  tableau  du  Ccuron- 
mniffUde  la  Vierge.  Un  long  bâton  de  la  grosseur  du 
pouee  leur  seryait  d  arme,  La  femme  avait  de  plus  Le 
goto  ou  sac  aux  provisions ,  jeté  sur  son  épaule  gauche. 
Ils  ne  purent  nous  dire  leur  âge.  Leur  corps  était  sil- 
lonné de  cicatrices  provenant  des  blessures  qu'ils  se 
font  à  la  mort  de  leurs  parenis  ou  de  leurs  amis ,  pour 
témoigner  leur  douleur.  Dans  la  journée ,  Dom  Serra  , 
Dom  Salvado  et  moi ,  coujTumes  les  bois  qui  couron* 
nenl  Frcemcnille ,  dans  Tcspoir  de  rencontrer  des  saiv 
vages  ,  parce  que  ceux  que  nous  avions  vus ,  n'a- 
vaient pas  tardé  à  nous  laisser  pour  retourner  dans  leur 
solitude.  Nous  ne  rencontrâmes  rien. 

«  Le  lendemain  de  notre  débarquement ,  Monsei- 
gneur dit  ta  messe  à  six  heures  d«  matin  >  dans  une 
maison  particulière.  Plusieurs  catholiques  vinrent  y  as* 
sister,  entre  autres  un  Français  qui  réside  à  Frteimanik 
depuis  sept  ans.  Freemanlle  est  un  petit  vfllage  sitaè 
sur  les  bords  de  la  mer,  à  remboncktire  de  Swmt  mer, 
ItMère  des  Cognes.  Ce  village  serait  beaucoup  plus 
agréable ,  si  la  grande  quantité  de  sable* «en  rendait 
rhabitation  fort  incommode.  Partout  jusqu'à  me  dis- 
tance  de  vingt  à  trente  milles  à  llntérieur ,  s'étend  ce 
sable  ,  qui  a  cola,  de  particulier  qv'il  est:asaez  fertile 
pour  rapporter  en  abondance  tout  ce  qa'on  y  sème  pen- 
dant la  saison  d'hiver  ,  époque  à  laquelle  la  grande 
quantité  de  pluîe  en  fertilise  la  stérilité  ;  et  comme 
d^aillcurs  il  ne  gtic  point  dans  cette  saison ,  et  que 
même  le  soleil  y  est  très-chnud,  pendant  certains  jours, 
il  en  résulte  une  abondante  fertilité  dans  un  terroir 
dont  le  premier  aspect  fait  croire  le  cjonlraîre. 


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531 

«  Avant  de  quitter  FreemanOc,  nous  vîmes  mie  bande 
de  douze  sauvages  que  Von  conduisait  dans  Tile  de  RoU- 
nest.  Cette  Ile  sert  de  lieii  de  déportation  à  tous  ces  pau- 
vres malheureux  qu'on  y  envoie  pour  la  moindre  feute. 
La  longueur  du  temps  est  proportionnée  au  crime;  mais 
quel  qu'il  soit,  tout  séjour  dans  celte  île  ne  fait  que  les 
abrutir.  Ces  douze  sauvages  étalent  enchaînés  les  uns 
aux  autres,  plus  ou  moins  sévèrement ,  suivant  la  gra- 
vité de  leurs  fautes.  Il  y  en  avait  de  tous  les  âges,  de- 
puis l'enfance  jusqu'à  la  vieillesse,  et  pas  un  qui  neùl 
déjà  l'impudence  du  crime  affichée  dans  ses  manières, 
impudence  qui  ,  jointe  à  leur  barbarie  naturelle  ,  en 
fajt  des  hommes  entièrement  incapables ,  moralement 
parlant ,  de  la  moindre  élévation  d'àme.  Ces  pauvres 
malheureux  s'en  allaient  gaiement  subir  leur  peine  sans 
paraître  rien  comprendre  à  leur  sort.  Cependant  tous 
étaient  retenus  par  des  cbaines  ;  quelques-uns  les 
avaient  au  cou ,  d'autres  au  bras  ,  d'autres  autour  des 
reins  et  aux  jambes.  Nous  leur  demandâmes  quel  crime 
ils  avaient  commis.  L'un  d'eux  nous  répondit  en  riant , 
qu'étant  à  la  chasse  du  kangourou,  il  avait  coupé  lencx 
à  un  blanc  qui  dormait  dans  les  broussailles.  Il  donnait 
pour  sa  défense,  qu'il  l'avait  fait  involontairement.  Tou- 
tefois on  l'avait  condamné  à  cinq  mois  de  détention  , 
pour  imposer  aux  autres  noirs.  L'ile  de  Roilne$t 
avokine  le  continent ,  mais  cependant  elle  en  est  assez 
éloignée  pour  que  les  sauvages  ne  songent  pas  à  s'enfuir 
à  la  nage.  Puis  ,  il  y  a  une  surveillance  extrême. 

«  A  quatre  heures  du  soir,  par  une  chaleur  extrê- 
me ,  nous  montâmes  une  barque  qui  devait  nous 
conduire  à  Penh.  Rien  de  plus  pittoresque  que  les 
bords  de  SwanRiver^  qui  descend  du  désert,  pour  cou- 
ler doucement  jusqu'à  la  mer.  De  côté  et  d'autre  jusqu'à 


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i33 
Penh  se  dresseni  des  rochers  qui  prennent  mUle  formes 
merveilleuses.  Là  des  quartiers  de  roche  et  de  gros 
troncs  darbres  ont  roulé  sur  les  bords  du  fleuve  ;  ici 
rentrée  d'une  grotte  ;  là  mille  colonnes  que  l'eau  et 
le  temps  ont  taillées  dans  le  roc«  Partout  une  mul- 
titude d  oiseaux  ,  qui  s'étonnent  de  ne  plus  trouver 
leur  solitude  d'autrefois  dans  les  Ueux  où  le  sauvage 
seul  Ait  le  témoin  de  leurs  ébats.  Des  espèces  de  pin- 
goins  se  tenaient  sur  les  bancs  de  sable  qui  coupent  k 
fleuve  de  distance  en  distance  ,  et  nous  regardaient  re> 
monter  doucement.  La  Bhnère  des  Cygnes  est  le  double 
de  la  Tamise  :  ses  eaux  sont  d^une  belle  couleur  verte , 
mais  salées  jusqu'à  la  source  pendant  l'été  ;  elles  de- 
viennent douces  pendant  l'hiver  où  l'abondance  des 
pluies  les  grossit  considéiablement.  Au  delà  de  Perth  , 
les  rochers  cessent;  alors  la  rivière  devient  peu  pro- 
fonde ,  parce  qu'elle  s'évase  beaucoup. 

€  A  quatre  heures -et  demie  nous  aperçûmes  la  ville, 
qui  se  présente  sous  une  forme  des  plus  pittoresques. 
Les  arbres  groupés  autoiu*  des  maisons  blanches  lui 
donnent  un  aspect  délicieux.  Aussitôt  que  notre  Evèquc 
eut  aperçu  le  lieu  de  sa  résidence  ,  il  fit  entonner  le 
chant  des  litanies  de  la  Sainte  Vierge  par  Dom  Roscndo. 
Après  les  litanies  on  chanta  Y  Ave  maris  sleUa^  le  Magm- 
ficat  et  le  Benedictus.  11  faut  être  témoin  de  ces  solenni- 
tés pour  goûter  tout  ce  qu'elles  ont  d'ineffable  :  le  récit 
ne  fait  que  les  gâter.  Pendant  ces  chants  nous  passâ- 
mes auprès  d'un  banc  de  sable  où  se  tenaient  deux  cor- 
morans, dont  les  formes  se  rapprochent  de  celles  du  pé- 
lican. Ils  se  tenaient  silencieux.  Je  me  rappelai  invo- 
lontairement ces  versets  du  psaume  :  A  voce  gemitAs 
mei...  similis  faclus  sum  pélicans  soliludinis. 

«  A  eiûq  heweg  tt  émïie  mhm  débarquàmet.  Don 

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634 

^tTdL  clDoni  Salwrfo  forenl  Ie9<dcn'premi«rs  i mettre 
pied  Si -ferre.  Un  grand  iioitibre  de  fêrsenoes  ntasem- 
falces  snr  \e'  rmifje  ,  nous  saluèrent  <de  letuscm^ 
crois  fois.  NouB  neçumes'Metiseignevr  au  sortir  de  la 
kirque  ,  pm-fiMs  nontàraes  V)us ,  deux  à  deux  ,  en 
ciienee ,  ters  l'église  ,  située  «sur  une  élévaiion  ,  à 
it  distanee-d'un -fiQftrt  d'heune  du  «rivage.  Quelques 
fB&  nmni  d'entrer  éms  VégUee  ,  Dont  Rosendo  , 
^  te  (rouviit  à  la  i6te  du  «oité^gp  avoe  D^ra  Serra , 
ento&aa  le  Te  Deum^  que  nous  achevâmes  dans  relise. 
Monseigneur  récitaenstti  le  les  prières  d  actions  de  grâces» 
d^nna  sa  béoédiotion  à  sen  nouveau  peuple ,  qui  parais- 
sait datas  la  joie  de  posséder  enfin  un  pasteur  qui  ne  lui 
sera  poiat  e&levé.  Tous  y  protestants  et  callioliques  , 
semblent  porter  beaucoup  d  affection  à  noire  Evèquc. 
Puisse  cette  affection  être  pour  les  protestants  un  acbe* 
minement  à  la  vérité  de  la  foi  ! 

«  J*ai  parlé  d*une  église;  mais  quelle  église  !  Cepen- 
dant il  faut  bénir  Dieu  avec  nous  de  la  possession  de  ce 
li«u  où  Notre  Seigneur  sera  du  moins  placé  plus  décem- 
aient.  Il  y  a  deux  ans,  pendant  les  six  mois  que  le  doe- 
teiu*  Brady  demeura  à  Perth ,  il  n'eut  pour  dire  la 
messe  qu'une  cabane  en  bois  y  où  six  à  huit  personnes 
pouvaient  à  peine  se  rassembler.  Pendant  son  absence, 
M.  Joustins,  préue  belge,  âgé  de  soixante-six  ans,  sou- 
tint la  Mission  et  excita  le  zèle  des  catholiques  à  élever 
une  chapelle  au  Dieu  que  le  cîel  et  la  terre  ne  peuvent 
contenir.  Les  catholiques  ,  quoique  pauvres,  s'y  prét4- 
rent  avec  ardeur.  Les  uns  portèrent  les  pierreè ,  les 
autres  les  bois;  ceux-ci  les  taillèrent ,  ceux-là  ftreox  TW- 
Itce  de  maçon  :  enfin ,  sans  trop  grande  dépense  Ar^ 
gent,  une  chapelle  de  quinze  pieds  de  large  dtir  tedw- 
ble  de  long  ,  fut  bâtie.  Elle  n'est  pas  encore  àelievèe  ; 
ta  portes  et  MtfciétBes  mm  4iéw«tftrà»l0«l;<vwt: 

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536 

iri«mnrénient  dont  il  n'y  «  pas  beaueeup  à  se  plaindre 
ihns  la  saison  où  nous  somm^ ,  qui  est  celle  des  gran- 
des chaleurs,  il  ny  a  pa  s  encore  d  autel ,  les  murs  sont 
enlièrement  nus ,  la  courerture  est  en  planches ,  ce 
qui  sera  fort  ÎDConuBode  dans  la  saisoa  des  pluies.  Cet 
ém  de  misère  ,  ^o«b  le  pouvez  exposer  à  Ja  Propaga- 
tion de  la  Foi ,  sms  le9  fonds  de  laquelle  il  est  impos- 
»iiile  de  rien  fure.  Bieoièl  la  Mission  eommenoera  pour 
les  sftufaffes  ;  ce  seroal  d*att(res  nouvelles  dépeAaes 
«uxciueUes  il  budra  subvenir.  Je  ne  paile  point  du 
4$eiire  de  vie  que  nous  oieMns  ;  il  est  tel  qu'il  eonvie&t 
k  un  Missionnaire,  et  surtout  à  ua  moine  doat  les  esfté- 
lances  sont  fondées  sur  des  biens  pïus  duitàbles  fueeeux 
de  la  terre. 

c  Le  lendemain  de  notre  «rrîvce ,  nous  nou^  occu- 
'pàiaes  de  décorer  régll^e  pouf  le  dimaoelke  ;  les  Béné- 
dieiios  en  furent  chargés, et  tousse  mirent  avec  empres- 
i^ement  sous  leurs  ordres.  On  s'occupa  de  tendre  des 
toiles  devant  les  fenéures,  puis  avec  des  branches  de 
palHiiers ,  l'on  revêtit  les  murailles  et  Ton  déecnn  k 
iràne  de  TEvéque. 

«  Le  dimanche,  11  janvier,  tout  étant  préparé  , 
Monseigneur  chanta  la  messe  pontificalement.  Un  grand 
nombre  de  personnes  vinrent  assister  à  la  cérémonie  , 
h  plupart  par  curiosité,  puisqu'une  grande  partie  de  po- 
pulation de  la  ville  de  Perth  est  protestante.  Tous  se  re- 
tirèrent émerveillés  delà  pompe  avec  laquelle  la  messe 
ftit  céltijrée.  Un  habitant  avait  prêté  un  petit  orgue  , 
que  Dom  Rosende  toucha  avec  cette  science  exquise  et 
<!ettè  entente  qui  lercndaient  im  des  premiers  musiciens 
de  FhaKe.  Il  y  avait  loin  de  son  brillant  orgue  du  mo- 
nastère de  la  Cava ,  si  vanté  ,  avec  cet  arganum  trouvé 
somme  par  hasard  au  milieu  dune  colonie  jetée  sur  des 

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336 

rivages  déserts  et  loin  de  toute  civUisdtion.  Les  deux 
prêtres  français  d^Âmiens  et  moi  formions  le  chœur. 
Tout  fut  chantjè  en  plamchanl  ;  nous  primes  le  /Cyrie 
et  la  messe  de  Dumont ,  du  premier  mode. 

c  Après  l'Evangile  ,  Monseigneur  fit  lire  sa  pasto- 
rale ,  que  tous  les  assistants  écoutèrent  avec  grande  at- 
tention. Li^  Vêpres  furent  suivies  d'un  sermon  prêché 
par  le  R.  P.  PoweH  ,  Missionnaire  iriandais.  J'étais  de- 
puis longtemps  initié  aux  liarmonies  du  chant  romain  , 
mais  jamais  ses  beautés  ne  m'avaient  autant  touchéféme 
qu'en  ce  jour  où  je  les  entendais  exprimer  par  un  des 
plus  habiles  organistes  de  l'Europe  y  sur  une  terre  où 
pendant  tant  de  siècles  les  arbres ,  les  montagnes  et  les 
forêts  furent  les  seuls  chantres  de  la  création. 

«  Qu'H  s&ni  beau  le  jour  où  nous|>ourrons  entendre 
les  voix  de  nos  chers  sauvage^  se  mêler  aux  nôtres  ! 
combien  je  le  désire!  combien  j'ai  hftte  de  le  voir  arri- 
ver 1  Mais  d'ici  là ,  patience ,  courage  et  travail.  Car 
combien  il  y  a  de  peines  à  subir  avant  qu'un  seul 
d'entre  eux  se  laisse  gagner  par  nous!  Mais  la  grèee  est 
puissante ,  et ,  malgré  cette  défiance  qu'ils  ont  des 
Européens ,  malgré  cette  haine  qu'ils  leur  portent,  nos 
pauvres  sauvages  deviendront ,  Dieu  aidant ,  de  bons 
chrétiens.  Il  semble  que  ces  peuples  soient  tombés  plus 
bas  encore  dans  la  misère  »  que  ne  le  fut  aucun 
sauvage  du  Nouveu-Monde  ou  des  autres  îles  de  l'Océa- 
nie.  Une  seule  ohose  peut  nous  les  rendre  amis  :  une 
abondante  quantité  de  nourriture  ,  qui ,  qudque  con- 
sidérable qu  jolle  soit,  ne  les  satisfait  point.  Jamais  leur 
estomac  ne  demande  grâce  :  ils  sont  insatiables*  T#ot 
le  reste  pour  eux  n'est  rien.  Et  cojpment  tm  pauvre 
Missionnaire  pourra-t  il  fournir  à  ces  affamés  de, quoi 
les  contenter ,  lui  qui  souvent  n'a  pas  dejpain  pour  4P0 


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ft37 

modique  repas  ?  Les  sauvages  des  autres  contrées  de 
rOcéanîe  ou  de  rAmérîque ,  se  laissent  attirer  par 
quelques  brillants  ,  une  médaille  ,  un  petit  crucifix  , 
une  image ,  un  vêtement  :  pour  ceux  de  la  Nouvelle- 
Hollande  ,  il  en  est  autrement.  DeiHiis  que  je  suis  à 
Perth  y  j'en  ai  vu  plusieurs  ;  tous  demandent  &  man- 
ger :  on  leur  présente  autre  chose  ,  ib  le  rejettent ,  à 
moins  que  ce  ne  soit  de  largent  dont  ils  achètent  du 
pain.  Ceux  de  Tintérieur  du  pays  ,  au-delà  des  monta- 
gnes que  nous  voyons  se  dresser  à  quelques  milles  de 
nous  9  ceux-là ,  dis-je ,  dédaignant  d'entrer  dans  les 
bourgades  des  colons  ,  méprisent  l'argent  qui  leur  est 
inutile  dans  leur  désert ,  et  ne  veulent  rien  recevoir  si- 
non des  aliments.  Il  paraît  cependant  que  ces  derniers, 
malgré  leur  barbarie  ,  sont  encore  préférables  à  ceux 
des  côtes ,  qui  ,  par  leur  contact  avec  les  Européens , 
ont  contracté  des  habitudes  vicieuses,  qui  viennent  ainsi 
ajouter  à  l'horreur  de  leur  état  sauvage,  lis  refusent  tout  ' 
autre  vêtement  que  leur  peau  de  kangourou.  Aucun 
d'eux  ne  veut  non  plus  cesser  de  s'enduire  la  tête  et  le 
corps  de  cette  huile  grasse  et  dégoûtante ,  qui  les 
préserve  de  la  piqûre  des  moustiques,  en  grand  nombre 
dans  les  bois. 

«  Cependant  ils  aiment  à  pi'endre  quelques-uns  des 
noms  qu'ils  entendent  les  Européens  se  donner  entre 
eux.  Ainsi  le  sauvage  de  FreenmnUe  nous  dit  qu'il  por- 
tait le  nom  de  John  ,  sa  femme  celui  de  Marianne 

«  Lorsque  l'on  voit  la  misère  de  ces  pauvres  êtres  , 
l'on  se  sent  ému  jusqu'au  fond  des  entrailles  :  ils  de- 
mandent du  pain ,  et  il  ne  se  trouve  personne  qui 
leur  en  donne  ,  petierunl  panem  el  non  erat  qui  frange- 
ret  €î8.  Leur  paresse  est  extrême ,  comme  celle  de  tous 
les  sauvages  ;  et  cependant  k  moindre  traviûl  ^u'on 

TOH.  xvni.  IW.  36   (  ^^^f^ 

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538 
donne  à  la  terre  lui  fait  rapporter  aa  centuple ,  et  plus 
on  avance  dans  rintérieur ,  plus  on  trouve  le  sol  excd- 
lent.  Au-delà  des  niontagneSy  éloignées  de  la  mer  d*envi- 
ron  cinquante  milles,  on  trouve  des  vallées  fertiles ,  uo 
sol  productif ,  entrecoupé  de  laes ,  de  rivières  qui  ren- 
dent ce  pays  très  agréable  à  habiter.  Les  Européens  n  y 
ont  jamais  péfiétré  que  partiellement ,  et  pas  un  n'a 
songé  à  s'y  fixer.   Cela  est  réservé  aux  Missionnaires. 

«  ,Une  école  de  sauvages  est  établie  à  Freeinantle  ;  là 
une  douzaine  de  Jeunes  enfants  sont  élevés  par  une 
femme  que  le  gouvernement  anglais  paie  à  cet  effet. 
L'éducation  qu'elle  donne  consiste  à  leur  apprendre 
l'anglais  :  quant  aux  principes  religieux,  elle  ne  leur  en 
inculque  guère.  Quelques-uns  de  nous  allèrent  voir 
cetle  école  :  elle  est  située  sur  le  bord  de  la  mer  ;  ib 
trouvèrent  les  enfants  sur  le  rivage.  Au  commandement 
de  leur  directrice,  ils  se  jetèrent  tous  dans  l'eau  ,  où 
ils  firent  plusieurs  évolutions  nautiques.  CTest  h  peu 
près  toute  leur  science.  Les  coups  de  verge  et  de  bâton 
ne  manquent  pas  à  ces  malheureuses  victimes. 

«  Voilà  ,  mon  très-révérend  Père  ,  tout  ce  que  j Sa- 
vais de  plus  intéressant  à  vous  raconter  d'un  voyage  où 
Dieu  nous  a  conduits  comme  par  la  main.  C'est  aussi 
tout  ce  que  j7ai  pu  apprendre  sur  les  Nouveaux  Hollan- 
dais ,  pendant  un  séjour  d'à  peine  huit  jours ,  sur  une 
tarre  qui  doit  être  le  lieu  de  mou  travail ,  en  attendant 
le  repos  de  la  béatitude  céleste.  Dans  quelques  mots 
l'aurai,  je  l'espère  ,  de  plus  intéressants  et  plus  anq^es 
détails  à  vous  donner.  J'espère  aussi  que,  Dieu  aidant, 
je  pourrai  vous  raconter  les  heureux  résultats  de  nos 
eçttreprises  auprès  des  natifs.  Puisse  Dieu  répandre  sa 
Si*àce  avec  effusion  ! 

«  Il  ne  me  reste  plus  qéfè  vous  parier  de  la  simadon 

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de  iH>tre  é^îse»  Un# triUiie  M  dfê8i6ftu  nnd!  de  kripiHe: 
c  est  là  que  sert  oon^iruite  la  calliédlrak  de  Penh ,  brs* 
que  HoBseîgiiewr  pemr»  t^oir.  des  fond»  pour  eMe 
csawe.  L*eai|riaoeiiiciil  est  Buperile  ;  de  tous  o6(ës 
Ton  a  one  Yiie  adnnble ,  qui  devien(hra  plas  belle  en* 
core  ,  kmque  te  grasde  qmatité  d*arbn»  qu  fonnent 
comme  une  immenee  forèt,sera  dimiiHiée.  De  cette  od- 
Une  ofi  yoilk  la  rmère  qui  serpeote  et  coule  tran* 
quittemeni  yets  la  mer.  De  là  on  aperçoit  le&flMmta- 
gnas  qui  s'éleftdent  cmmÊUt  un  beau  eordoo  Ueu  de  Fo* 
rieni  à  Foeddenu  II  eal  aBMftréHMm  peu  de  poritioni 
aussi  belles  et  aussi  pittoresques.  Le  pauvre  saufi^  , 
sott  qu'il  habite  dans  la  plaiae  ou  sur  les  montagnes  ^ 
soiiqull  attende  sur  les  bords  du  fleuve  le  poisson  ^fâ 
doit  faire  sa  nourriture,  pourfa  toiqolirs  fixer  ses  yeux 
sur  le  signe  de  notre  misâk ,  qui  eeuronnera  le  sommet 
de  la  maison  du  Dieu  de  bonté  et  de  mis^icorde. 

«  Je  ne  vous  parle  point  de  nos  projets  au  sujet  de  no* 
trenouveHe  Coogrëgalion  australienne.  Dom  Serra  doit 
vous  éerire  et  ve«s  éipdser  longuement  ce  quK  songe 
à  fiiire^  Nonseigneur  nous  a  permis  de  bitir  une  petite 
iHÉHine  à  quelques  pas  de  l*Eglise,  où  nous  pourrons , 
au  milieu  des  bois  et  du  silence ,  continuer  de  prati- 
quer la  rèf^  de  notre  bienheureux  Père  Salut  BenoU. 
'  Nous  commencerons  dansx  quelques  jours  cette  cons- 
truedoB  qui  n'exigem  pas   beaucoup    de  frais  et  de 
dépenses.  Qudques  pieux  fixés  en  terre ,  surmontés 
dHm  toit  de  feuOlaga ,  formeront  une  habiution  suffi* 
santé  pour  nous ,  et  d'autant  plus  que  ,  dans  peu  d^ 
floob.  Monseigneur,  après  avoir  donné  à  chacun  ses 
instruetions,  nous  dispersera  à  llntérieur,  où  nous  peur 
rons  commencer  nos  travaux  auprès  des  sauvages. 

«  Vcuillei  ikire  prier  vos  Moines  pour  moi,  mon  tiAs* 

36. 


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540 
révérend  Père.  Je  suis  assuré  (}ue  pas  un  d'eux  ne 
m'oublie.  Moi ,  de  mon  côté  ,  j'aime  à  me  rappekr 
sans  eesse  les  bons  exempks  de  régularité  et  d'obser- 
vance qu'ils  me  donnèrent.  Qu'ils  prient  pour  moi 
Marie,  la  bonne  protectrice»  du  pauvre  Missionnaire; 
qu'ils  me  recommandent  sans  cesse  à  elle ,  parce  que 
mes  besoins  sont  nombreux^  Qu'ils  la  prient  aussi  pour 
toute  la  Mission  ,  pour  la  conversion  des  pauvres  sauva- 
ges. Que  ceux  d'entre  eux  qui  songent  à  venir  nous  re- 
joindre ,  conservent  leur  vocation,  et  puissiez-vous, 
mon  très-révérend  Père ,  nous  les  envoyer  tous ,  car  la 
moisson  est  abondante ,  mais  les  ouvriers  roanquciiU 
Qu'ils  prient  également  pour  notre  Mission ,  tous  los 
apôtres  de  l'Ordre  de  Saint  Benoit,  si  grands,  si  nom- 
breux et  si  admirables  dans  leurs  travaux.  C'est  à  eux 
que  l'Europe  entière  doit  la  lumière  de  la  foi.  Puisse  t- 
il  en  être  de  n^éme  pour  cette  cinquième  partie  Aw 
monde  ! 

«  Votre  enfant ,  très-cher  et  révérend  Père  abbé,  se 
recommande  aussi  à  vos  bonnes  prières.  11  sera  long- 
temps encore  sans  avoir  de  vos  nouvelles.  Pui^c  Dieu 
atoir  cette  privation  pour  agréable  î  Veuillez  bénir  voire 
enfant  ^ 


«  Très-humbic  el  irés-obéissaol, 
F.    LÉA.NDRE,  ObLS.  B.  » 


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eu 


ÉijciraU  cTwie  kUre  de  M.  Thiersé ,  Préire  du  S.  Coeur 
de  Marie ,  à  sa  Mère. 


Penh  ,  8  f^rrier  1846. 


«  Ma  Chère  Mère  , 


€  Quelle  que  soit  la  contrée  que  votre  Bis  habite ,  je 
sais  qu'elle  sera  toujours  pour  vousTobjet  du  plus  vif  in- 
térêt ;  aussi ,  à  peine  débarqué  à  la  Nouvelle-Hollande , 
j'éprouve  le  besoin  de  vous  en  tracer  une  courte  des- 
ccîplîon. 

c  Celte  ile ,  qu'on  dit  sept  à  huit  fois  plus  étendue 
que  la  France  ,  ne  présente  aucun  des  aspects  qui  font 
la  beauté  de  notre  Euro})e  :  au  lieu  de  vos  cités  popu- 
leuses ,  nous  n'apercevons  que  des  rivages  déserts  ; 
nos  yeux  accoutumés  au  spectacle  des  terres  cultivées  , 
ne  rencontrent  partout  que  des  forêts  imnnenses.  11  est 
vrai  que  ces  bois  ont  aus^i  leur  grandeur  et  leur  grâce. 
On  y  voit  beaucoup  de  palmiers,  d'acajoux  et  d'autres 
arbres  qui  se  parent  des  plus  belles  fleurs  ;  une  multi- 
tude d'oiseaux,  tels  que  le  perroquet ,  le  cygne  et  le  pé- 
lican 9  animent  leur  solitude  ,  et  le  kangourou  bondit 
de  tout  côté  sous  leur  ombrage. 

€  Si  la  culture  est  peo  avancée ,  ce  n'est  pas  que  le 
pifS  8  )il  stérile  ;  il  se  prêterait  au  contraire  avec  tant 


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Mt 

d«  SQoeès  ftux  produirons  de toulgeare ,  qulldeniM- 
rii^u  moins  deux  récoltes  par  an.  La  Tigoe  sortoot  j 
réussit  à  nienreille.  En  ce  raornenl  les  edoossont  i 
tmdanger,  eije  vous  assure  l|u1l0n*oDtpas{îeader^ 
gretter  leurs  )>eines. 

€  Ici  la  température  est  beaucoup  plus  élcfèe  qie 
chez  vous.  Quand  le  soleil  est  arrivé  au  milieu  lest 
course,  les  indigènes  se  cachent  dans  leurs  Imbitatloos, 
pour  se  garantir  de  ses  feux.  11  fait,  en  effet ,  si  cliaud, 
de  midi  à  quatre  heures  ,  qu'on  risquerait  de  brûler  a 
chaussure,  si  l'on  se  hasardait  à  sortir  sans  piicaotioD. 
Bientôt  il  nous  faudra  marcher  pieds  nus  sur  le  sable 
embrasé,  car  nous  n'avons  plus  qu'une  paire  de  souliers 
pour  chacun  de  nous ,  et  peut-être  n'en  recevrons-nous 
pas  d'autres  avant  une  année.  Tant  mieux;  plusnoos 
sommes  pauvres  ,  plus  nous  sommes  heureux. 

«  Vous  ne  sauriez  croire  combien  nous  trouvons  de 
jouissances  dans  notre  dénûment.  Je  voudrais  que  vosi 
pussiez  assister  à  nos  modestes  repas ,  et  voir  eom- 
ment ,  à  défaut  de  plats ,  de  cuillers  et  de  foordiettes,  ' 
Hos  cinq  doigts  se  prêtent  à  tout  ;  la  terre  noas  sert 
à  la  fois  de  sièges  et  de  table  ,  et  la  voûte  des  dcuï 
forme  notre  toiture.  Le  soir  venu,  on  repose  doucement 
sur  le  sable  ,  et  lorsqull  ne  pleut  point ,  une  seule  cou- 
N'crture  suffit  pour  nous  garantir  de  la  fraîcheur  cldeli 
rosée,  ^^ot^e  unique  souci  est  d'entretenir  des  feux  durant 
la  nuit  entière ,  pour  éloigner  de  nous  les  reptiles  et  les 
scorpions.  Les  serpents  surtout  sont  ici  tt^s-dangercux. 
0  en  est  un  fort  petit ,  dont  la  morsure ,  dit-on,  donne 
uûe  mort  inévitable  et  presque  subite  &  quiconque  en 
est  atteint.  Du  reste,  il  n'y  a  pas  d'autres  animaux  nu»- 
btes ,  et  même  ce  servent  «dwt  je  ¥i#BS  de  paiier^  ^ 
W  met«  exoeUmt ,  miûs  tt  iina  aïok  som  de  l«i  eeiip^ 


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543 

k  l^e ,  où  tout  le  vmin  est  rentettté.  Les  tauvigei 
nous  en  ont  apporté  qudques-uns ,  que  mes  confMÙp^ 
ont  trouves  exquis. 

«  Ce  qui  nous  importune  le  plus  ,  ce  sont  des  mou- 
ches qui  ne  nous  laissent  de  repos  ni  le  jour  ni  la  nmt; 
toutes  les  parties  de  notre  corps  qui  sont  à  découvert 
leur  servent  de  pâture  et  répandent  du  sang  ;  ce  n  est 
pas  tout  y  si  on  a  le  mallieur  de  les  chasser  avant  qu  el- 
les soient  pleinement  rassasiées,  elles  distiTlent  dans  la 
plaie  un  venin  qui  cause  des  enflures  très-douloureuses. 

«  Venons  maintenant  à  la  religion  de  nos  sauvages. 
L*idée  de  Dieu ,  naturellement  griffée  dans  le  eoeor  4t 
tous  les  hommes,  résume  presque  tout  leur  symbole.  Si 
on  leur  demande ,  pendant  le  jour  y  où  est  Tesprit 
qu-ils  adorent ,  ils  monUreni  le  soleil;  la  nuit ,  ils  igno- 
rent où  il  fait  sa  demeure  »  ee  -qui  ne  les  empêche  pas 
d^exécuier des  danses  en  son  homieur  au  ckir  delà  lune. 
Ils  eroient  aussi  à  Timmortalité  de  r&me  ,  mais  en  mê- 
lant à  cette  vérité  les  fables  grossières  de  la  métempsy- 
cose. Après  la  mort ,  diseat4ls  ,  Tesprit  va  se  plonger 
dans  un  lae  immense  qui  se  trouve  au  centre  du  pays  ; 
de  là  il  passe,  au  bout  d*un  certain  temps,  dans  un  autre 
hémisphère,  pour  oslrer  dans  le  corps  d'un  homme-ou 
d*un  animal ,  selon  quKI  aiiien  ou  mal  «nployé  sa  pre- 
mière  vie.  Aussi,  quand  Us  renoonlPoat^kB  Européens, 
8*empressent-ils  de  leur  demander  des  nouvelles  de 
leurs  aïeux. 

«  Ces  déloils,  jeivous  le»  UfreoMiimeon  me  hm-M 
donnés  ,  car  j'ai  eu  fieu  doecasions  jmqu'îci  d'en  eo»- 
tater  l  exactitude.  Amot^lMtr  ,  -cependant ,  nous  mms 
reçu  la  visite  d'we  rsise  de  VottQii.'ËlUportaftt  Mn^m- 
fini  sur  Je  dos.  Wen  i^èk^ftAm^i^é»  iaammém  m 


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£44 

suite,  si  ce  n'est  ane  sorte  de  teinture  dont  eUes'éUii 
barbouaié  la  figure  et  les  mains.  Nous  lui  donnâmes 
deux  rubans,  l'un  jaune  qu'elle  noua  autour  de  sa  tète, 
l'autre  rouge  dont  elle  se  fit  une  ceinture,  et  toute  fière 
de  ce  nouvel  ornement,  sa  majesté  australienne  se 
coucha  mollement  sur  le  sable.  D'autres  chefs  de  tribus 
nous  ont  promis  de  pourvoir  à  notre  subsistance,  si 
nous  allons  nous  fixer  parmi  eux  pour  les  instruire. 

«  Vous  voyeï,  ma  chère  mère  ,  que  ce  pauvre  peu. 
pie  a  d'assez  bonnes  dispositions,  et  que  nous  pouvoi» 
espérer  de  grands  succès.   Oui,  j'ai  confiance  que 
I  heure  du  salut  est  venue  pour  cette  nation  dékissée. 
Fricz  Dieu  qu'il  me  fortifie  par  sa  grâce ,  afin  que  mon 
courage  ne  délàiile  pas  aux  jou«  de  labeur  et  desacri 
fice.  On  dit  que  dans  certaines  contrées  les  indigènes  ne 
«ont  pas  seulement  sauvages ,  mais  cruels  :  ceue  pen 
»ee  lom  d'enchaîner  nos  pas,  nous  attire  vers  eux;  nous 
sommes  plus  pressés  de  porter  secours  où  la  misère  est 
plus  profonde,  et.   s'il  y  a  des  dangers  à  courir .  le 
«ng  que  notre  adorable  Sauveur  a  versé  nous  appren- 
dra à  ne  pas  épargner  le  nôtre.  Je  ne  veux  pas  vendis 
simuler  que  j'ai  déjà  beaucoup  à  souffrir;  maisn.»- 
peletYous  aussi  que  le  Missionnaire  trouve  sa  consola 
tion  dans  les  croix ,  qu'elles  entretiennent ,  purifient  et 
tugmentent  en  nous  l'amour  de  Dieu  ,  ce  gage  et  cet 
•vami5oût  du  céleste  bonheur.  g»gecteei 

«  Demain  ,  nous  nous  mettons  en  route  pour  attei.i 
d^les  côtes  méridionales  de  l'Australie  ;  nous  allons  à 
|J^nquanu.m.les  de  Penh,  ouvrir laMissionde la 
•Tt.î''  î.''^"r''  quelques  jour,  de  repos  dans 
^*!!  /^""«'•^'  "*"•  «KHisdlsperseroMdans 
iL^  t^^"^  ^^  "**  bien-aimés sauvages. 
«^•«respréc»e,^«Mitwi,aa  ici atec Monseigneur. 


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646 

5C  ilirigeronl ,  partie  vers  le  nord,  partie  vers  rouesi; 
nous  serons  éloignés  d'environ  deux  cents  lieues  les 
uns  des  autres ,  et  je  pense  que  nous  ne  nous  rever- 
rons jamais  plus  sur  celle  terre. 

«  Adieu  ,  ma  bonne  mère  ;  ne  soyez  nullement 
inquiète  pour  ma  personne  ;  je  suis  très-eontent. 
Notre  unique  désir  doit  être  désormais  de  nous  retrou- 
ver au  ciel  :  c'est  &  cette  intention  que  je  prie  tous  les 
jours  pour  vous  au  saint  sacrifice. 


«  JOSEPU  TuiERsé, 
Prêtre  du  S.  Cœur-de-Marie.  » 


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M6 


MISSIONS  DE  L'OCaÈANIE. 


VICARIAT  APOSTOLIQUE  DE  LA  MÉLANÉSIE. 


Extrait  (Time  lettre  du  P.  Chaurain ,  lUisshfmmre  de  k 
Société  de  Marie  y  au  R.  P.  Colm^  Supériewr-GémoL 


Ile  SaQ  GhristoTil  (Archipel  de  &loiMa) . 
Port  Sle-Marie  ,  2  mars  1816. 


«  Mon  Très-Rév-érend  Père  , 


€  Il  n'y  a  que  peu  de  jours,  N.  T.  S.  P.  le  Pape  Gré- 
goire XYI ,  la  Société  de  la  Propagation  de  k  Foi,  ^ 
bien  des  âmes  généreuses  en  France  apprenaient  avec 
plaisir  qu'un  nouvel  essaim  de  Missionnaires  formés  i 
Lyon ,  partait  d'Europe  pour  porter  l'Evangile  aux  te 
du  nord  de  l'Océan  pacifique.  La  Mission  qulls  étaient 
appelés  à  fonder  avait  un  caractère  et  un  intérêt  toQt 
particuliers.  Jusqu'à  ce  jour ,  le  commerce  ou  Verreir 
avait  presque  toujours  précédé  l'arrivée  des  ouvrier 
apostoliques  ;  cette  fois ,  justement  jalouse  d'avoir  yi 


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&47 

M  longtemps  devaneée,  la  Relîgron  véritable  devait ,  la 
première  ,  ouvrir  la  porte  à  PEvangHe.  11  était  probable 
que  les  premiers  essais  coûteraient  du  sang  ;  nous-mê- 
mes ,  faibles  instruments ,  choisis  pour  être  les  pre- 
miers apôtres  de  ces  iles  inconnues ,  nous  ne  pouvions 
douter  des  dangers  sans  nombre  que  nous  aurions  & 
courir.  Tous  les  capiiaîncs  de  navires  les  mieux  infor- 
més sur  les  mœurs  de  nos  fulurs  néophjles ,  nous 
avouaient  que  chaque  fois  quils  avaient  tenté  d'entrer 
en  communication  avec  eux,  ils  avaient  eu  à  souflfrir  de 
leur  féi*ocité.  «  La  Religion  seule  ,  nous  dîsaient-îls  , 
«  avec  ses  espérances  éternelles,  peut  vous  soulenh* 
«  dans  une  si  périlleuse  entreprise^ 

a  Vous  vous  en  souvenez  ,  mon  très-révcrend  Père, 
quelquefois  nous  nous,  plaisions  à  nous  prédire  les  uns 
aux  autres  ,  en  votre  présence  ,  quelle  serait  la  pre- 
mière victime  de  noire  expédition  ;  aujourd'hui  le  ciel 
lui-même  vient  de  la  choisir,  et  ce  quenous  n'avions 
jamais  osé  concevoir  dans  nos  pressentiments  »  c'est  sur 
notre  chef  que  le  clioix  est  tombé  !  Conune  notre  divin 
Maître  ,  il  a  été  frappé  ,  avant  d'avoir  pu  se  faire  con- 
naître, par  la  matn  même  de  ceux  quH  venait  appeler  à 
la  vie  de  la  grâce.  Puisse  le  sang  du  Pasteur  ,  versé  par 
les  ouailles  ,  servir  bientèt  à  leur  conversion  ! 

«  C'est  le  16  décembre  1846,  que  Mgr  Epallea 
reçu  le  coup  mortel ,  à  Isabelle  ,  île  principale  de  l'ar- 
chipel de  Salomon  ,  à  peu  près  au  centre  de  son  Vica- 
riat. Témoin  oculaire  des  circonstances  qui  se  ratta- 
chent à  sa  mort ,  à  ses  cètès  ,  conversant  avec  lui  au 
moment  même  «ù  la  hache  et  le  eas9e46te  ont  été  te- 
vés  sur  lui  et  sur  tous  ceux  quî  raccompagnaient ,  j'es- 
père que  cette  narration ,  toute  défectueuse  qu'elle  est 
sous  plusieurs  rapports ,  aura  au  moins  le  mérite  de 
l'exactitude  et  de  la  vérité. 


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548 

«  Monseigneur  Jean-Baplisle  Epalle  ,  né  à  Marllies 
(diocèse  de  Lyon) ,  le  8  mars  t809,  après  avoir  exerce 
pendant  près  de  quatre  ans  ,  les  fonctions  du  minis- 
tère apostolique  à  la  Nouvelle-Zélande  ,  où  Monsci 
gneur  Pompallicr  l'avait  nommé  son  Pro-Vicairc,  revint 
en  Europe  sur  la  fin  de  l'année  1842  ,  pour  les  affaire» 
de  cette  Mission,  Il  fut  nommé  Vicaire  apostolique  de 
la  Mélanésîe  et  de  la  Micronésie  ,  et  sacré  à  Rome  Eve- 
que  de  Sion  ,  le  21  juillet  1844.  11  fil  ses  adieux àla 
France  le  2  janvier  1846  ,  et  à  l'Europe  le  2  février  d« 
la  même  année  ,  époque  où  ,  à  la  tète  de  sept  Mission 
naircs  et  de  six  frères  ,  il  partit  de  Londres  pour  sf 
rendre  à  Sydney. 

«  Après  un  voyage  de  dix  mois  ,  Mgr  Epalle  fil  son 
entrée  dans  son  Vicariat ,  le  premier  décembre  184S. 
€e  jour-là  nous  vîmes  SanChristoval ,  petite  tte  silué* 
à  l'extrémité  sud-est  de  l'archipel  de  Salomon,  êtes 
signe  de  prise  de  possession  au  nom  de  la  très-sainu 
Vierge  conçue  sans  péché,  Sa  Grandeur  jeta  dans  la  mer 
une  médaille  de  l'Immaculée  .Conception. 

«  Le  lendemain  Vanere  fut  jetée  dans  un  port  encore 
inconnu  ,  situé  au  169<»  de  longitude  est,  et  10®  13'  de 
latitude  sud.  Il  parut  digne  d'attention  :  c'était  une  es 
pèce  de  baie ,  autour  de  laquelle  nous  aperceviom 
plusieurs  sinuosités  en  forme  de  havres.  Noos  décoo 
vrions  çà  et  là  plusieurs  habitations  groupées  ensemble. 
et  formant  par  leur  réunion  une  espèce  de  village  cm 
péen.  Blentàt  les  pirogues  des  naturels  arrivèrent  en  si 
grand  nombre,  qu'il  nous  fut  aisé  de  juger  que  la  popu 
lation  du  voisinage  devait  être  au  moins  de  six  i  s^' 
cents  âmes.  Nous  étudiâmes  pendant  trois  jours  lesuso 
ges ,  la  langue  et  les  dispositions  de  ce  peuple  :  Mon- 
seigneur ,  accompagné  de  deux  Missionnaires  et  con* 


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549 

duit  par  trois  ou  quatre  matelots  ,  parcourut  dans  une 
embarcation  tous  les  rivages  du  port ,  afin  de  connaître 
les  ressources  qu'il  pourrait  offrir  à  un  établissement 
de  Missionnaires. 

«  A  la  suite  de  celte  reconnaissance ,  et  diaprés 
toutes  les  observations  faites  à  bord  et  à  terre  par 
l'équipage  et  par  nous ,  nous  crûmes  pouvoir  constater 
avec  quelque  raison ,  que  le  terrain  de  San-Christoval 
était  fertile,  qu'il  y  avait  des  sources  d'eau  fraîche, 
mais  probablement  pas  de  rivières  de  long  cours ,  le 
pays  étant  trop  souvent  entrecoupé  de  petits  monti- 
cules, sans  offrir  jamais  aucune  chaîne  de  quelque  éten- 
due ;  on  n'y  yit  point  de  plaine  ,  point  d'herbages  ,  ce 
qui  rendait  très- difficile  un  établissement  d'agriculture 
un  peu  considérable.  En  revanche ,  les  dispositions 
des  habitants  ne  parurent  pas  hostiles. 

a  r«'ous  inclinions  à  nous  fixer  dans  cette  ile  ;  mais 
de  fortes  raisons  nous  firent  désirer  un  point  plus  cen- 
tral. Monseigneur  annonça  donc  le  départ ,  et  le  6  au 
malin  l'ancre  fut  levée. 

«  Le  12,  après  avoir  longé  lentement  lac&teoe- 
cic^entale  de  GuadcUcanar  ,  nous  arrivâmes  en  vue 
iVbabeUe  ,  la  plus  considérable  des  iles  Salomon.  Nous 
étions  à  l'entrée  de  la  baie  des  Millc-vaisseaux.  Les  ha- 
bitants des  tribus  les  plus  rapprochées  sont  venus  eu 
foule  ;  ils  étaient  au  nombre  d'environ  cent  trente  dans 
soixante  pirogues.  A  leurs  cris  aigus  et  perçants  ,  à  la 
rapidité  de  leurs  gestes,  il  nous  fut  aisé  de  reconnaître 
un  peuple  plein  d'énergie  et  de  vivacité.  L'habileté 
qu'ils  montrèrent  dans  les  premiers  échanges  que  l'équi- 
page fit  avec  eux ,  nous  prouva  qu'ils  étaient  habitués 
à  la  visite  des  navires.  S'apercevant  que  notre  marche 


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«SA 

était  dirigée  vers  ud  point  im  peu  étot^^né  de  leurs  peu- 
plades ,  ils  s'empressèf eut  de  nous  invita  amseitôt  de 
la  voix  et  du  geete  à  deseendre  chc2  eux.  Nous  leur 
indiquâmes  le  havre  de  Y4slrolabe  ,  coraoïe  Fendroir 
où  nous  voulions  nous  arrêter.  Ils  répétèrent  aussi- 
tôt le  signe  que  nous  venions  de  faire,  et  en  nous  mon-  . 
trant  le  voisinage  du  lieu  indiqué,  ils  enaicnt  tous  ,  en 
se  frappant  la  tète  :  McUeniate  !  Statcniate !  expression 
qui ,  selon  Finterprétatioti  de  Monseigneur  ,  a  la  même 
signification  dans  la  plupart  des  iles  de  VOcéanie  ,  ei 
emporte  toujours  Tidée  de  quelque  chose  de  sinistre  , 
teHe  que  blesswrt^ ,  \naladw  ,  meurtre  ,  morf.  Ces  aver- 
tissements ^.ous  firent  peu  d'impression  :  Monseigneur 
erut  simplement  ijiic  nous  nous  dirigions  vers  quelque? 
lieux  malsains  ,  ou  tout  au  plus  vers  une  tribu  enne- 
mie de  celles  que  nous  voyions  alors.  A  onze  heures 
Tancre  fut  jetée  à  rentrée  du  liàvrc  de  YAstrobée. 

«  Aussitôt  Monseigneur  désigna  ceux  d  entre  nous 
>qui  devaient  raccompagner  à  terre,  pour  chercher  un 
lieu  propice  à  notre  premier  établiçsemenl.  De  son 
côté ,  le  capitaine  donna  ses  instructions  dans  le  même 
sens.  M.  Blemy,  second  officier  du  bord  ,  à  la  tète  de 
quatre  rameurs,  fut  chargé  de  conduire  le  Prélat  par- 
tout où  il  ^paudrttit  ;  nous  avions  pour  embareaticm  une 
baleinière.  Ceci  fah  ,  nous  partons.  Les  matelots  qui 
nous  escortent  ont  pris  leurs  fusils  et  leurs  sabres;  pour 
nous ,  toute  notre  conflance  est  en  Dieu.  Ce  jotur  et  le 
suivant ,  nous  avons  visité  tout  le  hftvre  et  une  partie 
de  File  St-Georges.  Le  résultat  de  nos  investigations 
nous  portait  i  croire  quîsabelle  était  fertile  et  avait  de 
feau  douce  ,  mais  que,  comme  Christoval,  elfe  n'offrait 
pa»  de  plaines ,  et  aucune  espèce  de  pâturages.  Les 
Missionnaires  ,  rescéi  sur  le  navire ,  ont  aufôi  rendo 
«ompte  de  leurs  observations.  Tous  les  naturels  qw 

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6» 

étaient  venus  à  bord  ,  leur  avaient  paru  fournis  abon- 
damment de  tous  les  fruits  déjà  trouvés  dans  les  autres 
lies  ;  de  pk» ,  ils  en  ont  apporté  plusieurs  qu'on  n'a- 
vait  point  encore  vus  jusqu'à  ee  jour.  L'équipage  a  été 
de  nouveau  frappé  de  leur  vivacité  dans  le  geste  et  le 
regard  ;  ils  étaient  toujours  bien  armés ,  et  outre  la 
lance  et  le  casse-téte  qu'on  avait  remarqués  entre  les 
mains  des  autres  sauvages ,  on  les  a  toujours  vus  avec 
l'arc  bandé ,  tenant  dans  leurs  mains  des  faisceaux  de 
flèches  empoisonnées^  et  de  magnifiques  boucliers  en 
écaille  de  tortue.  Interrogés  sur  la  manière  de  se  servir 
de  leurs  armes  ,  Us  les  ont  maniées  sur  le  pont  du  na- 
vire avec  une  habileté  effrayante.  Ils  se  sont  montrés 
disposés  à  échanger  contre  du  fer  et  des  haches  chacune 
de  leurs  armes,  à  l'exception  des  boucliers  en  écaille 
qu'îb  n'ont  voulu  céder  pour  aucun  prix  ,  quoiqu'ils  té- 
moignassent pour  le  fer  et  pour  les  haches  une  envie 
démesurée  ou.  plutôt  une  véritable  fureur.  On  a  re- 
connu,  parmi  leurs  objets  de  parure,  plusieurs  col- 
liers faits  avec  des  dents  humaines.  Un  canot  monté  par 
trois  ou  quatre  naturels,  est  venu  au  nav're  proposer 
la  vente  d'un  enfant  pour  une  hache  :  ils  indiquaient 
très-clairanent  qu'il  serait  bon  à  mange*.  Peut-être 
était-ce  un  malheureux  orphelin  qu'ils  avaient  enlevé  à 
leurs  ennemis.  En  somme ,  tout  le  monde  a  été  d'avis 
de  poursuivre  la  reconnaissance. 

c  De  nouvelles  données  furent  recueillies  le  15  par 
pmx  de  nos  confrères  qui  étaient  restés  à  bord.  Les  na- 
turels leur  avaient  désigné  les  tribus  amies ,  eoletu*  di- 
sant d'aller  s'y  reposer  {moémoè)  sans  crainte  {nàmah^ 
mole).  Mais  en  même  temps  ils  Ictir  avaient  indiqué  uH' 
autre  point  de  la  c&tc  ,  en  répétant  :  mate-fiMe ,  et 
ajoutant  :  dm  hommes  méchants  swU  là  ;  d'où  cba^ua 

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653 
concluait  qull  y  avait  là  vraisemblablement  des  sauva- 
ges en  guerre  avec  ceux  qui  visitaient  le  navire  ;  mais 
pouvait-on  en  conclure  qu'ils  fussent  plus  mal  disposés 
envers  nous?  c'est  ce  que  personne  ne  se  crut  en  droit  de 
faire.  Monseigneur,  à  qui  ces  renseignements  avaient  clé 
soumis ,  se  borna  à  répondre  :  «  S'ils  sont  en  guerre, 
«  nmts  lâcherons  de  mettre  la  paix  parmi  eux.  »  Un  jour 
avant ,  il  avait  encore  dit  ces  mots  :  «  Je  vois  bioi  que 
«  nous  dUons  commencer  par  un  mauvais  peuple ,  nm 
«  nous  couperons  le  mal  par  la  racine.  » 

«  Le  16,  Monseigneur  fatigué  du  voyage  delavciUc, 
s*était  levé  un  peu  tard.  Averti  que  rembarcatîon  est 
prête  et  n'attend  plus  que  lui  pour  se  mettre  en  raar 
che  ,  il  a  dît  :  Je  l'esterais  aujourd'lm  au  navire  m'^ 
bien  du  plaisir....  mais  f  espère  que  nous  reviendrom  é 
bonne  heure.  Ce  jour-là ,  il  a  décousu  le  galon  vert  de 
son  chapeau,  pour  ne  point  exciter  la  cupidité  des 
naturels.  M.  Blémy  a  demandé  la  direction  :  A  la  tribu 
ennemie  ,  lui  a  répondu  Monseigneur. 

«  A  quelques  pas  du  rivage  ,  nous  nous  voyons  en 
face  d'une  espèce  de  bataillon  d'indigènes  debout  surk 
sable.  A  mesure  que  nous  approchons ,  les  uns  sem- 
blent effrayés  et  se  retirent  derrière  les  arbres  qui  bor- 
dent la  côte  ;  les  autres ,  au  nombre  de  cinquante  à 
soixante,  demeurent  immobiles.  Nous  leur  faisons  quel- 
ques signes  pour  les  engager  à  venir  à  notre  rencontre. 
Alors  un  vieillard,  à  barbe  et  à  cheveux  blancs,  s'avance 
comme  en  tremblant  vers  notre  chaloupe;  il  a  en  main 
la  lance  et  le  casse-tête ,  et  tout  en  jetant  autour  <Ie 
nous  des  regards  où  semblent  se  peindre  la  méfiance  et 
ta  crainte,  il  nous  offre  quelques  fruits  en  guise  dcprc- 
jcnt.  Aussitôt  un  petit  morceau  de  fer  lui  est  donné  en 
retoujp.  En  même  temps,  Monseigneur,  le  P.  Fréraont, 

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653 

le  Frère  Prosper  et  moi ,  nous  avons  mis  pied  à  terre* 
M.  Blémy  et  deux  matelots  nous  OBt  aussi  accompagnés; 
ils  ont  laissé  deux  d'entre  eux  pour  la  garde  du  canot. 
Contre  leur  habitude  »  ni  l'ofQcier  ni  ses  deux  marins  » 
n  ont  pris  leurs  armes  :  its  les  ont  déposées  dans  la 
barque ,  honteux  ,  ont-ils  dit  plus  tard ,  de  montrer 
moins  de  «onfianoe  que  TEvéquc  et  ses  prêtres. 

<c  Cependant  le  vieillard  s'est  avancé  au  milieu  de  la 
foule  des  naturels ,  et  s'est  empressé  de  remeilrc  le  fer 
qu'il  a  reçu  à  un  jeune  homme  d'environ  vîngl -cinq  ans, 
d'un  teint  assez  blanc,  grand  et  bien  fait,  muni  d'un 
bouclier  richement  orné,  d'une  lance  et  d'un  casse-téie, 
et  paraissant  exercer  le  rôle  de  chef.  Ce  fer ,  il  l'a  re- 
gardé avec  mépris  et  dédain.  Pensant  le  satisfaire  , 
M.  Blémy  lui  a  fait  sign  e  de  venir  avec  lui  à  la  barque, 
et  lui  a  donné  une  petite  hache  quil  remporte  fière- 
ment ,  la  tenant  élevée  dans  ses  mains  à  la  manière 
d*un  casse-téte.  A  cette  vue ,  les  sauvages  ont  répété 
plusieurs  fois:  Kile-kHe!  Kile-kile!  (expression  qui ,  dans 
plusleus  îles ,  veut  dire  toutes  sortes  d'instruments  en 
fer,  tels  que  couteaux,  haches,  etc.)  En  retour,  M.  Blémy 
a  reçu  une  assez  mauvaise  lance  ,  qu'il  jette  aussi  vi- 
goureusement quH  peut  sur  le  sable ,  pour  montrer 
aux  naturels  qu'il  sait  aussi  se  servir  de  cette  arme.  Aus- 
sitèt  la  foule  a  pousé  un  cri  que  nous  n'avons  pu  déRnir. 

«  En  ee  liMae»! ,  la  pelke  troupe  européenne  s'est 
ttn  peu  iq^proebte  tto  groupe  de»  nurages  ;  Monsci 
fneur ,  Prosper  el  fcioi ,  avec  un  matelot,  nous  eom- 
BMnçoiM  à  Taide  de^quetqves  mots  connus  et  de  quel- 
ques 8%ae8 ,  à  engager  une  espèee  de  conversatian 
avee  eeux  qw  te  tuMvdnl  le  plus  près  de  nous ,  tan- 
dis que  le  P.  f  réatmt.  M,  Némy  et  un  autre  matelot , 
À  pe«  près  à  dis  pas  de  difUDoe ,  sefEorecat  d'en  faire 

TOM.  xviu.  109.  36    .   ^^__T 

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6M 

jutant.  Le  P.  Fr  monta  demandé  où  sont  tes  maisons; 
pas  de'î'éponse  ;  quels  sent  les  cheft  :  on  hri  en  a  indi* 
qoé  plusieurs ,  tous  devant  lui.  Prosper  a  fait  compfi- 
ment  à  un  chef  de  son  beau  casse-téte  ;  il  tfa  reç»  par 
gaste  qu'une  réponse  fière.  CJn  jeune  homme  ,  aperce- 
^nt  r«niieau  de  Monseigneur ,  lui  a  aussitôt  effort  en 
échange  deux^  espèces  de  citrons  sauvages,  dont  IHm 
à  moitié  mangé  ;  on  s'est  mis  à  rire ,  et  un  matelot  a 
ajouté  :  c  Ces  gens-là  ne  connaissent  pas  mal  le  prix 
des  choses.  » 

«  Pendant  ce  petit  incident,  Prosper  a  remarqué  dans 
la  main  d  un  sauvage  une  hache  européenne  ,  em- 
manchée au  bout  d'un  casse-tête.  Il  vient  aussitôt  m'en 
faire  l'observation.  A  mon  tour,  j'en  ai  déj^  aperçu  une 
autre;  je  l'ai  mpntréc  du  doigt  à  sa  Grandeur  On  dirait 
alors  que  les  sauvages  ont  remarqué  qu'ian  les  épie  : 
teur  attitude  e^t  devenue  plus  menaçante.  Prosper  a 
dit  :  Mais  ces  gens-là  sont  prêts  à  combattre.  MiHiseî- 
gneur  a  répondu  :  Ccst  vrai;  (es  maldoiê  auraimi  di 
prendre  leurs  armes;  et  il  a  fait  quelques  pas  du  côté  de 
la  barque,  mais  déjà  il  était  environné  d'une  dizaine  de 
naturels.  Prosper  et  moi,  nous  avopa  vu  aussitôt  u» 
grand  coup  de  hache  ttaiber  sur  la  tAjte  de  notre  Evc- 
que  :  il  a  été  porté  à  deux  mains  et  par  derrière  par  un 
sauvage  d'une  taille  très-moyenne.  A  ce  coup  tous  les 
indigènes  ont  poussé  un  horrible  cri  de  guerre.  Monsei- 
gneur resté  deteui  laisae  ithi|>^riMi4iidte  diiateuren 
portant  les  deux  mains  sur  sa  tile.  Oiijè  Taitaipie  est 
^énàt^le;  les  aasaillanvu  se  sont  divtoè-  tan»  tictint^ 
dioeun  de  nom  aperçoit  pkirirafs  eassMéles  kms  tm 
hiî  et  prêts  à  frapper;  eb«us  aaofe^à  hÊSt^  Arotp» 
néannK^na  dii  aivoîr  vu  frapper  le  SMtod  oovp  de  hache 
qo)  a  renversé  Monseigneur  pttr  terw  Eh  niétti»«mps 
M.  Blémy  reçoit  aussi  par  émiété  wà  ceup^de  ta  liBebf 

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666 

même  qulUvient  de  donner,  et  court  de  tomes  ses  for- 
ées à  rembarcatton  d'où  il  fait  parsir  un  coup  de  pbto* 
lei.  Le  P.  Frémontestmiversé,  par  deux  fois»  de  deu)^ 
coups  de  easse-tète;  Presper  é^lemenl  poursuivi  n'é- 
ebappe  &  la*  niorl  qu'en  se  jetant  à  la  nage  dans  la  mer. 
Pour  moi^  à  peine  ai*je  eu  le  tempa  de  voir  porter  te 
premier  coup  à  Monaei^ieur,  que,  me  retournant  aos* 
sitôt,  j'aperçois  deux  casse-tétea  lo¥ésswr9MM;  il  est  - 
tCBips  de  Aiir;  je  ne  pois  oependant  le  ftire  d'abord  q«6 
lentement  et  à  reculons,  afin  de  pouvoir  mieux  éviter 
les  coups.  Mais  bientôt  je  suis  obligé,  vu  le  nombre  des 
assaillants  qui  fondaient  sur  moi,  d'agir  des  pieds  et  des 
mains  de  plus  d  une  manière.  Enfin  Dieu  a  voulu  que 
je  me  sois  lire  de  leurs  mains  avec  deux  légères  contu- 
sions seulement,  Tune  à  la  tète  et  l'autre  à  la  jambe. 

«  La  chaloupe  elle-même  a  été  attaquée  par  une  quin- 
zaine de  sauvages,  qui  se  aonl  efforcés  de  la  faire  cou- 
ler à  fond,  et  n'ont  làcbé  prise  qu'au  bruit  des  coups  de 
pistolet.  A  peine  y  suis-je  rendu,  que  j'y  cherche  Mon- 
aeigneur»  et  ne  Tapereevant  pas  je  m'élanoe  de  nouveau 
sur  le  rivage^  Je*  le  vois  encore  eatse  les  mains  de  troia 
naturels,,  pceupés  r«n  à  le  frapper,  et  les  deux  autres  | 
lui  arracher  ses  habits,  ie  v<^  à  son  secours,  lorsqu'un 
nouveau  coup  de  fusil  parti  de  L'embarcation  ^  met  sas 
meurtriers  en  luite»  Le  corps  de.  jy^Meig^eur  est  seul , 
je  me  je^e  sur  lui ,  ]'ai  dans  mœ  bras  le  corps  de  mon 
évèque,à  demi  nu,baigné  dans  son  sang,  le  ciAne  ouvert 
par  plusieurs  blessures  quilaissent  à  découvert  sa  cervelle 
mute  sanglante;  tel  est  l'état  dans  lequel  je  le  trouve. 
Je  rappelle,  aucune  rtponsc,  aucun  signe.  J'essaie  de 
llemperter;  h  cette  vue,  les  sauvages  cachés  datîs  la  fo- 
rêt* quelques  pas  de  mol,  poussent  \m  *î  dc<!ê«^ofr. 
jIgssoSe  de  nouveande  mcchargerifemon  préeieut  trésor  ^ 

m  la  Heuleur  m'a  ôt*  les  forces.  Je  ne  puis  lé  trahier 

Di§tf^dbyLjOOgle 


6&C 

quà  qiiekiuas  pas;  j^appeNe  à  mon  secours,  on  ne  vient 
pas  d  abord  ;  les  matelots  ne  peuvent  ramer,  Us  char- 
lisent  leurs  armes.  J  appelle  eneore;  le  P.  Frémoniavec 
Pro$per  aceourt  à  moi  ;  nous  portons  ensemble  le 
corps  de  notre  premier  Evèque  et  de  notre  premier 
martyr.  Les  sauvages,  furieux  sans  doute  de  se  voir  en- 
lever leur  victime,  ont  poufêé  un  nouveau  eri;  mais 
déjà  Monse^ncnr  est  placé  dans  la  barque,  sur  les  ge- 
noux de  ses  trois  compagnons.  Toute  cette  épouvanta- 
l>le  seéne  n*a  duré  que  quelques  minutes. 

(c  Nous  demandons  à  Monseigneur  s'il  nous  connait: 
pas  do  réponse;  s'il  souffre  beaucoup:  il  laisse  plusieui^ 
Toîs  échapper  ces  mois  :  Mon  Dieu!  mon  Dieu!  cl  une 
seule  fois  ;  Ah!  que  je  souffre!  Après  quelques  coups  d^ 
i*amcs,  les  malelols  et  nous,  nous  éprouvons  un  violent 
mal  de  cœur;  nous  nous  sentons  défaillir.  Je  liens  alor? 
sur  mes  genoux  le  corps  de  Monseigneur,  sa  tèle  repose 
sur  ma  poitrine,  la  vue  de  la  profondeur  de  ses  plaies, 
d'un  os  tombé  de  son  crène  dans  la  barque  m*a  percé 
le  coeur;  seuls,  le  P.  Prémont  et  M.  Blémy,  c'est-à-dire, 
les  plus  grièvement  blessés  après  le  Prélat ,- ont  con- 
servé un  peu  de  calme.  L'un  s'efforce  de  suggérer  J 
Monseignecn*  des  sentiments  de  confiance  en  Jésus  et 
Marie  ,  l'autre  excite  tantôt  les  matelots  k  ramer  a\tt 
vigueur  ,  et  tantôt  tire  lui-même  des  eoups  de  pisto- 
let pour  avertir  le  bâtiment.  Vous  dire  ce  que  nous 
éprouvions  alors  dTabattcment  et  de  douleur,  serait 
chose  lout-à-fait  impossible. 

«  Cependant  notre  pauvre  embarcation  a'apprœbe 
tas t  bien  que  mal  du  navire  ;  c'est  le  charpeatiar  du  bmi 
qui  le  premier  a  ajperçu  de  loin  revmir  notre  ebaloope. 
il  n'est  pas  encore  onze  heures.  Surpris  d'un  si  proaift 
tciour»  il  avertit  nos  <ionfrèrcs  qui  »  eu)[  odo  pkts ,  oc 


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557 
Savent  à  quoi  TaUi^ibucn  Hélas  !  ils  sont  biciUik  tirés  de 
leurs  doutes:  les  premiers  mots  que  nous  faisons  en- 
tendre sont  :  De  Ui  charpie  ,  de  la  chai^ie  ,  non$  avons 
des  blessés. 

«  Impossible  de  rendre  rim|)ression  produite  dans 
tout  le  navire.  On  cherche  précipitamment  ce  qull  faut 
pour  des  pansements  ;  un  matelas  et  des  draps  délit 
sont  à  rinstant  portés  sur  le  pont,  le  médecin  est  ac- 
couru avec  des  rasoirs  à  la  main,  et  le  capitaine  a  dit  : 
.4  demain  la  vengeance. 

«  Monseigneur  nageant  dans  son  sang  a  été  placé 
sur  une  chaise  et  monté  de  la  barque  sur  le  pont.  11  est 
étendu  sur  un  matelas,  le  docteur  a  examiné  la  plus 
profonde  de  ses  plaies  et  déclare  qu'il  n  y  a  plus  rien  à' 
faire.  On  crucifix  est  placé  prés  de  notre  Evèque  pour 
recevoir  son  dernier  soupir;  le  P.  Jacquetlui  admî. 
nistrele  sacrement  de  rExtrérae-Onction,  tandis  quo 
tous  les  autres,  Pères  et  Frères,  versent  des  larmes  et 
récitent  des  prières. 

c  Le  docteur,  après  avoir  pansé  M.  Blémy^  dont  il  a 
regardé  la  plaie  comme  trè^-grave,  puis  le  P.  Frémont 
qull  n'a  pas  cm  en  danger,  a  essayé  ^ussi,  pour  nous 
satisfaire,  de  panser  Monseigneur.  Il  a  découvert  de  nou- 
velles blessures  en  lui  rasant  la  tète:  en  tout  cinq  coups 
de  hache  ou  de  cassetéte,  dont  trois  ont  pénétré  jus- 
que la  cervelle  et  lui  paraissent  mortete;  les  deux  plus 
graves  ont  été  reçus  sur  le  côté  droit  de  la  tète,  «n  troi- 
iième,  aussi  très-profond,  sur  le  sommet  da  eràne,  les 
deux  autres  unis  et  formant  un  Y  un  peu  au-dessous. 
En  le  ehangiMl  ik  liag»  ikm»  déeotrmm»  mssi  deux 
légers  coups <le  kmce,  Vuoau  bras  droit  et  Fautre  sur  la 
hanche  gauche,  et  par  surcrotl  phi^ieurs  contusions. 
Tout  son  coi^  en  elailMOimri,  il  «nit  aussi  été  traîné 


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568 
flur  le  saUe,  ce  qui  lui  avait  maeéré  le  nez  et  les  yeux. 
Sur  quoi  le  docteur  nous  a  déclaré  qtt*H  ne  pensait  pas 
que  sa  firandeur  eût  plus  de  dix  heures  de  vie,  et  quH 
éuiit  temps  de  lui  administi^er  les  derniers  saei^ements, 
si  déjà  il  ne  les  avait  point  reçus.  Sa  cruelle  agonie  de- 
vait être  bien  plus  longue. 

«  Pendant  qu'on  lui  mettait  le  premier  appareil, 
Monseigneur  a  paru  souffrir  davantage.  Plusieurs  fois  il 
a  vomi  du  sang.  Il  a  aussi  répété  plusieurs  fois  ces  paro- 
les :  Mon  DieUy  mon  Dieu,  délivrez-moi;  et  une  fois  : 
Défendez-moi. 

«  Le  soir  du  mercredi  1 7,  nous  avons  entendu  par- 
^  1er  d'un  projet  d'expédition  pour  le  lendemain  a  Icffei 
d'exercer  une  vengeance.  Le  capitaine  voulut  nous  en 
prévenir  luî-môme,  il  nous  annonça  d'abord  tout  sim- 
plement «  qu'il  voulait  aller  tuer  une  douzaine  des  au- 
«  vages  dans  les  tribus  qui  nous  avaient  attaqués.  »  En 
sulie  il  nous  lut  une  petite  lettre  dans  laquelle  il  disait: 
«  que  puisqu'on  désirait  savoir  les  motifs  de  lexpédi- 
«  tioa  <]u'il  projetait  pour  le  lenctemain,  il  avait  riion- 
«  neur  de  nous  lofonner  qu'il  envoyait  ses  gens  k  iare 
«  pour  6Aisir  M  jnetire  eu  noire  foinroir  les  loeurtriers 
c  de  uo4re  Ëv^ite  et  de  aon second oflicia'.  Il  ajoutait: 
«  qu'il  était  Ibreé  de  prendre  eette  mesure  par  son  équi- 
c  page,  fui  nf usait  d'alter  désiumais  à  tarre  si  on  Df 
«  lui  pflrmettailfas  de  tirer  vengeance  dHine  pareille  in- 
m  juie.  »  Consultés  mt  eciUe  aflaire,  tous  les  membres 
de  la  Mission  o^  été  d'avis  que,  laisser  agir,  e'ètattcon 
jcmirà  de  sftngltqHeffreprésalfles.  J'infonnm  donc  a»- 
d^  àê  mye  wis  le  ea^ksjne  ëe  nos  «mkneDU  &  eei 
4g«ird,  ot  j'ajoMtaî  :  «  li  ne  qom  wpffmpiimA  fm  de  pre- 
«  nonser  s'il  eslidt  voire  éwoir  ou  non  de  venger  h 
<  lilessure  de  vam  secondl  «Akier  et  rinwke  ftite  i 


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6i9 
c  votre  équijpi^e  :  vous  devez  savoir  quelles  «ont  les 
c  obligations  que  vous  impose  votre  qualité  de  eapi- 
«  taine.  Pour  nous,  queUe  que  soit  notrQ  douleur  à  la 
c  vue  de  notre  Evéque  mourant,  elle  est  encore  assez 
«  calme  et  assez  chrétienne  pour  nous  faire  détester 
«  toute  espèce  de  vengeance.  » 

«  Le  eapkaîne  alors  cbange  de  plan,  il  fait  une  nou- 
velle lettre  dans  laquelle ,  pour  nous  metlre  à  couvert 
et  cependant  réaliser  sos  desseins,  il  nous  déclare  que, 
manquaot  de  provisions  fraiclies,  il  enverra  demain  une 
de  ses  embafcalions  pour  aller  aebeter  des  ignames  ei 
des  tares  paiwi  les  naturels.  Une  pareille  réponse  ne 
nous  rassurait  qu*à  demi  sur  ses  véritables  intentions  > 
nous  avons  cru  devoir  prendre  Tinhiative  et,  le  lende- 
demain  jeudi,  à  aept  heures  du  matîo»  au  miyosent  où 
i  embarcation,  morne  de  toiues  pièees,  se  préparait  ii 
partir,  i*ai  préseoié  au  capitaine  la  lettre  suivante,  si- 
gnée de  tous  les  prêtres. 

«  ffc  Isabelle,  Ifèwe  de  titstmikée,  tSx-fntft  décembre 
«  mU  fttdt  emU  quartmte-einq,  cinq  heures  du  mn- 
«  th. 


«  Ignorant  quels  sont  tous  les  motifs  qui  vous  por- 
«  tcm  à  envoyer  votre  enrt)arcafâon  au  rivage  où  notre 
«  Evéque  a  été  moriellemem  Messé^  nous  croyons  de- 
«  voir  pr9te9ter  hautenwBt  que  nous  ne  voulons  aueun 
«  »ste  de  reprèsalllei,  eela  étant  oenlraire  à  la  nature 
«  même  de  notre  Mission  qui  est  toute  de  sacrifice  «t 
♦  de  paa. 

«  Nous  vous  priant,  et  au  besoin  nous  vous  requi- 
«  nm>,  d'iniirire  eetlt  prolasmbn  dans  votre  joufnal 


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6€0 
«  Agréez,  monsieur  le  eapîlaîne,  1  assurance  de  no- 
«  tre  considération. 

«  Vos  très-humbles  senîtcurs.  » 
(Suivent  les  signatures.) 

«  Le  capitaine,  après  la  lecture  de  cette  lettre,  a  ré- 
pondu que  l'embarcation  ne  partirait  pas,  et  les  mate- 
lots, à  cette  nouvelle,  ont  commencé  à  en  retirer  lente- 
ment et  à  regret  leurs  fusils  et  leurs  sabres, 

«  Revenons  à  Monseigneur.  Le  19,  on  remarqua  que 
ses  forces  diminuaient  sensiblement.  A  onze  heures,  il 
a  entr'ouvert  plusieurs  fois  les  yeux;  on  hïi  a  présenté' 
le  crucifix,  plusieurs  fois  il  Ta  serré  entre  ses  mains. 
A  trois  heures  et  demie,  il  semblait  respirer  à  peine;  le 
P.  Frémont  m'a  prié  de  réciter  les  prières  des  agoni- 
sants. Tous  les  compagnons  de  Monseigneur,  à  genoux, 
forment  un  cercle  autour  de  son  lit;  le  capitaine,  le 
docteur  et  un  officier  de  Téquipage  aussi  présents,  ont 
les  yeux  fixés  sur  le  Prélatet  donnent  par  fois  des  signes 
non  équivoques  de  douleur.   J'ai  commencé  de  mon 
mieux  la  récitation  des  prières,  mais  plusieurs  fois  les 
sanglots  ont  entrecoupé  ma  voix;  le  sentiment  de  mon 
indignité  en  prononçant  les  sublimes  et  touchantes  pa- 
roles :  Partez,  dmechrMBnm,  en  présence  de  mon  Eré- 
que  mourant,  la  solennité  d'une  pareille  drconstana» 
aux  yeux  de  la  Religion  et  de  la  Foi;  rimpression  que 
produirait  dans  tout  le  monde  cbrétîen  la  nouvelle  de 
ee  malheur;  les  membres  de  la  sociàé  de  Marie  et  ik 
la  famille  de  Monseigneur,  qu*il  me  semblait  voir  auteur 
de  son  lit  de  mort,  et  mclcr  leurs  bripes  aux  nôtres; 
telles  étaient  alors  les  pensées  et  les  réflei^ions  qui  si 
succédaient  rapidement  dans  mon  àme. 

«  A  quatre  heures  moins  quelques  minutes.  Monsei- 
gneur a  poussé  un  soupir  que  nous  avons  pris  pour  lo 


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dernier;  quelques  secondes  après,  il  en  a  {loussé  un 
autre  et  il  est  allé  recevoir  sa  belle  couronne.  Chacun 
alors  a  donné  un  libre  cours  à  sa  douleur,  on  a  versé 
bien  des  larmes  qui,  les  jours  précédents,  avaient  été 
un  peu  retenues  par  quelques  lueurs  d'espérance;  tou- 
tefois, on  pouvait  remarquer  que  notre  afQiction  avait 
un  caractère  particulier:  à  notre  tristesse  se  joignait 
quelque  fierté  d'avoir  pour  premier  Evéque  un  martyr. 

«  Toutes  sortes  de  soins* avaient  été  prodigués  à  Mon- 
seigneur pendant  sa  maladie;  nous  n'avons  que  des  ac- 
tions de  grâces  à  rendre  à  notre  eapitaine  et  à  son  équi- 
page pour  les  soulagements  sans  nombre  qu'ils  se  sont 
empressés  de  lui  accorder.  Au  maintien  grave  et  silen- 
cieux qu'ils  ont  toujours  gardé  pendant  les  quatre  jours 
qui  ont  précédé  sa  mort,  l'on  aurait  dit  que,  comme 
nous,  ils  allaient  perdre  un  père,  et  depuis  j'ai  entendu 
plusieurs  fois  de  simples  matelots  qui  disaient  :  A  ékdi 
ban  cet  Evéque,  il  n'aurmîpas  dû  tomber  en  rimamaheê 
imms.  C'est  aussi  ce  que  le  capitaine  ei  le  docteur  du 
bord  (qui  est  catholique)  m'ont  répété  plusieurs  fois.  Ce 
dernier  surtout  mérite  une  part  toule  particulière  à  no- 
tre reconnaissance;  il  n'a  pas  manqué  un  seul  instant 
du  jour  de  se  trouver  auprès  du  lit  de  Monseigneur  et, 
pendant  la  nuit,  il  a  ooiM^ié  sm  le  pont  pour  être  pkis 
à  même  de  lui  porter  secours  au  premier  moment  de 
crise. 

«  Quelques  Instants  après  avoir  fermé  les  yeux  & 
Monseigneur,  le  P.  Fremont  nous  a  réunis  en  conseil , 
pour  décider  quelles  mesures  il  fellait  prendre  relative- 
ment à  ses  dépouilles  précieuses.  Nous  sommes  tous 
demeurés  d'accord  qu'il  convenait  de  déposer  son  corps 
le  plus  près  possible  de  l'endroit  où  il  avait  consommé 
son  sacriOce.   Quant  i  l'heure  des  obsèques ,  elle  fitt 


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562 
fixée  au  lendemain  à  la  pointe  du  Jour,  afin  de  ne 
ire  pas  aperçu  par  les  naturels.  A  Tinstant  même  le 
P.  Verguet  èl  moi  nous  partons,  avec  une  embarcation 
et  cinq  matelots,  pour  aller  choisir  un  lieu  solitaire  ei 
faire  creuser  une  fosse.  Les  autres  membres  de  la  mis 
sion  restés  à  bord,  sont  occupés  à  revêtir  Monseigneur 
4e  ses  habits  pontificaux.  EnÛn,  ce  même  soir,  à  mon 
retour  au  navire,  je  surs  désigné  pour  célébrer  la  m^e 
de  renlerrement,  et  le  P.  Jacquet  pour  faire  les  obsè 
ques. 

c  Le  20,  samedi,  a  trois  hevres  et  demie,  tout  le 
monde  a  été  sur  pied.  On  a  réusai  à  élever  un  modeste 
autel  sur  le  pont,  quelifues  draperies  ont  été  tendue? 
tom  autourpourque  la  lumière  des  cierges  ne  fut  point 
v»e  du  rivage  ,  et  k  saint  sacrifice  commence  à  quatre 
heures  et  d^mie.  Ccf  ait  la  première  fois  que  je  cèl*' 
hrm  les  sainte  mystères  dantf  le  vicariat  de  la  Mélanc- 
met  l'avais  k  deux  pas  de  moi  et  sous  mes  yeux  le  corp? 
de  mon  Evèque!  H  était  au  milieu  de  ses  pretrerfei 
compagnons  dinfof  tune  ,  qui  ont  tous  é«  la  consoh- 
lion  de  faire  la  sainte  communion  pour  lui.  L'équipage 
tout  entier,  quoique  ppHettant,  a  assisté  à  cette  messe, 
et  nous  pouvons  dif  e  qu^îl  Ta  f»k  avec  un  recueiBemco» 
qu5  ^t  été  remarqué  même  parmi  des  ea^lloKques.  H  y 
inrait  auêsi  deux  Jeunes  «auvagea,  rerm  à  bord  lors  de 
notre  passage  à  la  Nouvelle  Calédonie,  et  qui  semblakfli 
être  là  pour  représenter  le  peuple  qui  venait  d'enlcfcr 
ka  vie  à  Blonaeigneur. 

«  A  einq  heures  on  a  ibîs  la  bière  aur  une  barqo^i 
»u  mt^m  des  Pères  et  4es  Frères  :  cette  ewbarcatiaa 
gowemie  par  le  premier  officier  eu  bord,  «tait  remor* 
quée  par  une  autre  dans  laquelle  se  trowmîenl  lecapi 
taîne  du  navîre  et  Téquipage.  Un  mcmvt  stlcnce  a  régné 


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«M 

|)end  j)t  (out  le  trajet,  qm  ft  duré  près  de  (foeranie  mi- 
nutes. A  sh  lieures  nous  sommes  arrivés  au  fond  en 
Havre  àe  VAstrotabe,  et  nous  avons  fnîs  pied  iur  la  pe- 
tite île  St. -Georges  que  nous  avions  choisie  pour  le  lieu 
de  la  sépulture,  parce  que,  n'ayant  pas  d'habitants  et  se 
trouvant  assez  éloignée  des  autres  Hes,  nous  n'avions 
rien  à  craindre  pour  le  précieux  dépôt  que  nous  vou- 
lions lui  confier.  C'est  là  qu'on  a  déposé  ,  sans  presque 
aucune  solennité  le  premier  apétre  des  lies  Salomon, 
et  chacun,  les  yeux  baignés  de  larmes,  a  jeté  sur  son 
corps  quelques  gouttes  d'eau  bénite. 

<  Comme  nous  étions  dans  un  pays  où  nous  avions 
déjà  remarqué  des  traces  de  cannibalisme,  il  a  falhi 
nous  priver  de  la  consolation  d'élever  sur  la  tombe 
de  notre  Evéque  aucun  signe  religieux.  Avant  de  quit- 
ter 1^  restes  de  notre  Père,  nous  avons  encore  récité 
quelques  prières  à  la  h&te,  et  nous  nous  sommes  retirés 
le  cœur  plein  d-inquiétiide  pow  l'avenir:  nous  ne  pou- 
vions plus  ignorer  qua  nous  fussions  orphelins,  et  la  res- 
ponsabilité dé  la  Mission  semblait  bous  accabler  dès  lors 
de  tout  son  poids. 

<  Il  voiis  tarde  sans  doute,  mon  irèa^évéMnd  Père, 
de  savoir  quelles  décisions  vos  enfants  ont  prioes  apvès 
d  aussi  tristes  événements.  Deux  jours  après  la  mort  de 
notre  Evéque,  nous  avons  recoiomencé  la  visite  des  tri- 
bus, et  si  nous  n'avons  pas  cru  trouver  dans  Isabettc 
une  sécurité  suifisantepoiu*  le  moment,  il  s'en  faut  bien 
que  nous  ayons  regardé  cette  Ile  comme  inabordable;  ^ 
seulement  nous  avons  pensé  qu'après  un  avertissement 
pareil,  U  était  de  la  prudence  même  évangélique  de 
chercher  pour  un  temps  un  asile  plus  sûr.  Nous  pen* 
sons  l'avoir  rencontré  dans  San  Christoval,  que  nous 
avions  visité  en  passant  et  dont  les  habitants  nous 
avaient  paru  assez  bien  disposés. 


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&«4 
«Lesaniedi,  trois  janvier,  après  onze  mois  de  course, 
nous  avons  été  conduits,  sans  le  savoir,  dans  un  port 
magnifique  et  eneore  inconnu  jusqu'à  ce  jour  aux  navi- 
gateurs. Nous  lui  avons  donné  le  nom  de  Part  $amk  Ma- 
l'iey  parce  que  la  sainte  Vierge  elle-même  semblait  nous 
l'uvoir  choisi.  Nous  y  avons  trouvé  une  belle  popula- 
tion, réunie  presque  tout  entière  en  un  joli  village,  et 
nous  avons  décidé  les  naturels  à  nous  vendre  un  terrain 
convenable,  situé  dans  la  partie  la  plus  centrale  du  port 
ci  arrosé  par  un  petit  ruisseau  d*eau  douce.  Aussii6t 
nous  avons  mis  la  main  à  Tœuvre;  la  hache,  la  pioche, 
la  bcche,  le  rabot  ,  se  sont  succédé  dans  nos  mains  e(, 
grâce  à  Dieu,  nous  avons  maintenant  un  abri  pour  le 
travail  et  une  maison  en  bois  de  vingt^eux  pieds 
(le  Iiauteur,  sur  trente-six.de  long  et  vingt  de  large.  Ce 
sont  les  indigènes  de  la  tribu  la  plus  voisine  qui  en  ont 
fait  la  toiture  avec  des  feuilles  de  palmiers;  ce  sont  eux 
qui  onttrauspoiHé  la  plus  grande  partie  des  bois  qui  sont 
eiitrés  dans  la  charpente;  o'csi  à  eux  encore  que  nous 
devons,  en  grande  partie,  Vabatis  des  ai  bres  qui  ob- 
struaient notre  propriété  et  auraient  pu  nous  occasion- 
ner qoelquics  surprises  de  la  pari  des  indigènes  mal-in- 
tentionnés. 

«  Il  est  bon  ,  je  croîs,  de  vous  faire  remarquer  ici 
<juc  ,  bien  différents  des  sauvages  d'Isabelle  ,  ceux  de 
C!)rislovai''ne  nous  ont  paru  s'entre-détruîre  générale- 
ment que  dans  des  guet-apcns  isolés.  Un  individu 
a-t  il  une  injure  à  venger  ou  Tenvie  de  se  repaître  delà 
<*lmir  de  quelqu'un  ,  il  va  se  blottir  au  milieu  de  quel- 
ques arbrisseaux  touffus ,  ou  derrière  quelques  gros 
arbres ,  près  du  sentier  que  doit  suivre  son  ennemi ,  et 
saisissant  le  moment  où  il  peut  le  frapper  à  deux  pas 
cl  par  derrière ,  il  est  toujours  sûr  de  s'en  défaire,  sans 


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6i66. 
courir  lui-même  aucun  danger.  Nous  ne  pensons  pas 
avoir  à  craindre  ici  une  attaque  générale;  nous  vou- 
drions  pouvoir  en  dire  autant  des  surprises  particuliè- 
res ,  mais  nous  commençons  à  connaître  assez  le  pays 
pour  savoir  que  s'avancer  seul  et  sans  armes  au  milieu 
des  bois,  c'est  une  imprudence  qu'on  paie  de  la  vie.  En 
un  mot,  le  peuple  au  milieu  duquel  nous  venons  de  fixer 
notre  tente  ,  nous  a  montré  trop  de  qualités  pour  ne 
pas  gagner  notre  affection ,  et  trop  de  méchanceté  pour 
ne  point  exciter  notre  méfiance. 

«  J'espère,  dans  une  prochaine  lettre,  vous  don- 
ner de  plus  amples  détails  sur  la  Mission  de  San-Cliris- 
toval  :  aujourd'hui ,  mon  très-révérend  Père,  vous  avez 
sans  doute  d'assez  grands  malheurs  à  pleurer. 

«  Je  n'ai  que  le  temps  de  me  recommander  au\ 
prières  de  la  Société  ,  et  de  solliciter  pour  mes  confrè- 
res et  pour  moi  votre  paternelle  bénédiction. 


«  Le  dernier  dé  fos  enfiinls  en  Jésus  et  Marie  , 
Bt.  CHAIWAIlf  ,  8.  W.  » 


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UamfBt  BM  Aâioeîéi  m  véyt^imakai^  tt  y  «  quelques 
■MHS ,  de  rheiirdttse  exaUaUM  d^Ke  IX  au  Pontificat 
suprême ,  ils  ignoraient  peut-être  à  combien  de  Utres 
ils  devaient  s'en  féliciter  pour  TOiEuvre  ,  qui  voit  au 
jourd'bui  dans  le  chef  de  TEglise  un  de  ses  plus  puis- 
aants  et  plus  anciens  [protecteurs.  L'illustre  Évéque 
dlmola  n'était  pas  encore  appelé  à  bénir  Tunivers ,  que 
depuis  longtemps  sa  main  paternelle  s'étendait  sur  nou^ 
son  nom  religieusement  inscrit  dans  nos  Annales, 
était  déjà  entouré  de  notre  reconnaissance,  avant  d'être 
salué  avec  amour  par  tout  le  peuple  cbrétien.  Dès  l'an- 
Qce  1837 ,  alors  que  notre  Œuvre  était  à  peine  connue 
en  Italie,  il  ^vait,  le  premier  entre  tous  les  Prélats  des 
Etats^omains ,  élevé  la  voix  ea  notre  foveur  >  el  son 

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567 
diocèse  répondant  à  Tappel  d'un  Pasteur  vénéré ,  por- 
tait ausstôt  le  chiffre  de  ses  dons  généreux  au-dessus 
des  aumAnes  de  toutes  les  cités  qui  l'avoistnent ,  à  Tex- 
ception  de  Rome  seule.  En  daignant  s'unir  &  nos  ef- 
forts ,  le  même  Pontife  nous  réservait  d'autres  gages  de 
sa  haute  bienveillance  ;  deux  nouveaux  Mandements 
publiés  en  1839  çt  en  1841 ,  témoignèrent  de  sa  vive 
et  persévérante  sollicitude  pour  les  progrès  de  l'Asso- 
ciation. 

Aussi  fos  Directeurs  de  l'CX^uvre ,  enoouragés  par  ces 
précieux  souvent» ,  ont^ils  éprouvé  le  besoin  de  psiter 
aux  pieds  da  &  Père  l'expression  de  leur  con6amce;(K 
liale  dans  une  proleotion  qui  leur  était  oomis»,  et  d'im- 
plorer  pour  eux  et  pour  leurs  Assoeiés  une  de  ses  pre- 
mières bénédîetions.  Leurs  ^roux  ont  été  exaueés; 
Sa  Sainteté  a  daigné  répondre  aux  Conseils  de  Lyon  et 
de  Paris  parles  deux  lettres -ifue  nouS' allons transeriro: 
oUes  sont  pour  lX)Euvre  comme  le  couronnement  dw 
gràees  dsnt  les  Souvmins  Pontifes  Tont  comblée  tour 
à  lour ,  depuis  répoq«e  de  sa  fondation  ao«s  le  règn« 
de  Pie  VII  qui ,  lui  aussi ,  ftil  Evoque  d*Imollr  (!). 


(i)  Cet  leftm  n*ODt  pu  étrt  mites  en  tét^  du  NuméM    parc«  qvc  t« 
tirtft  ^if  é^k  t9mm%mé  «fourni  mm$  hm  •?«■§  rtfves. 


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668 

LETTBE  Dfi   SA  SAINTETÉ  AU  CONSSIL  CB.^T&AL  DX  hYOH* 
«  Plus  PP.  IX. 


«  Dilectî  filîî  salulem,  ciAposlolîcamBencdîclîonem. 

«  Libenti  quidem  animo  vestras  excepimus  litteras 
suinmœ  vcstrœ  erga  Nos  pietatis,  et  observantiœ  lestes, 
quibus  Nostram  Deo  sic  disponente  ad  summum  Eeele- 
stse  PoutiâoatumeveeiioQemobsequeuUAsiine  Nobisgra- 
lulati  estas.  Gratissimum  porro  hoc  vostrom  Nobis  acei- 
dit  officiiun,  ium  quod  a  vestra  in  banc  Apesudicam  Se- 
dem  veneratiaoe  profectum  esse  tutelligimus^  tum  quod 
singubri  semper  benevolentia,  et  studio  Socictatem 
Propagationis  Fidei  isUc  primUttsinstitutam  prosequuti 
sumus,  in  c^jus  uiilitateai,  prosperUalemquc  magis  in 
«lies  procuradukmi  vos  incumbere  tantofiere  gloriamini. 
gi  quoniaiB  summa  animi  Nostri  coctôQlatioDe  uberes, 
ae  sêluiares ,  Deo  beœ  juvante ,  ex  eadem  SoeieiaU' 
in  cliristianam  rempuMlcam  fructus  redundare  copios- 
dmus,  idcirco  banc  occasionem  libentissime  arripimu? 
ut  prœcipuumnostrum  erga  illam  studium  testemur,  e( 
oonfirmemus,  Yobisque  simul  persuasum  esse  vokunus, 
nihil  Nobis  graiiiis  futarum,  quam  Soeietatem  îpsam, 
prout  magis  in  Domino  expedire  censuerimus,  ornai 
ope  tueri,  ac  fovcre.  Intérim  vero.  celestium  omnium 
munerum  auspicem  et  peculiarispaternse  Nostrao  in  vos 
earitatis  testem  Apostolicam  Benc^lictionem  intimo  cor- 
disafTcctu  Vobb  ipsis»Dileçti  Filii,  amanter  impertimur. 

<  Datum  Romsa  apudS.  Mariam  Majorem  die  19  aa- 

gusti  anno  1846^  Ponliûcatus  nostri  anno  primo^ 


c  Plus  PP.  IX    • 

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66» 

TAADCCnON  DE  LA.  LETTBE  BE  SA  SAINTETE 
AU  CONSEIL  CENTK4L   DE    LYO?f. 


«  PIE  IX ,  PAPE. 


«  Bien-atmés  fils ,  salut  ot  Bénédiction  >Apostonque. 

«  C'est  avec  une  douce  satisfaction  que  Nous  avons 
reçu  ,  en  témoignage  de  votre  pieuse  affection  et  de 
votre  déférence  pour  N^ns,  vos  £èlkkations  respectueu* 
ses  sur  notre  élévation  ,  par  une  disposition  divine ,  au 
suprême  Pontificat  de  rEglise.  Nous  avons  été  très- 
sensible  à  Taccomplissement  de  ce  devoir ,  soit  parce 
que  ao«s  avons  OMoprn  que  c'élaîi  ua  effet  de  voure 
véaéralîoii  pour  ce  Sîèg&  Apo8tol«i|iie  ,  sok  parce  q«ie 
Noua  aVtoM  tHyoura  p«né  nm  kitécéc  ei  un  zèle 
partievdiiÉffs  à  TOEuvre  de  la  Propu^iaiioo  de  la  Foi , 
iaaiUuée  en  preiaier  lieu  à  Lya»  ,  eh  qm  vous  vottr 
faites  gloire  derendvedejow  en  jour  pliift.flori8SttBt$ 
pav  V06  inoeasaotseffiN^ts.  GonnMssaoidoiioiM^eo  une- 
souveraine  oo&sdaiîott  les  fruits  aboa<hiUi  et  salu* 
taiitt  que  produit,  avec  Taie» du  S^^pMur,  eetl« 
nèiM  Société,  pour  lebiead^la  Glo^éilieoléiooteiir 
ti^e  y  Nous  saisissons  trè&¥oloB4ieffâ^  eolliS  oftawon 
d«  lui  donner  un  gage  et  une  noHVf Ue  éffeave  de 
noice  spéçiak  sollicitude  »  et  Nous  voidoM-que  vMa-. 
s^pei  eo  m&aia  tenps  iitarsuadésque.  rien  ne  Nottô'sera- 
plus  agréaUe  que  de  la  pvotéger  et  delà  fevoriser^k» 
tout  notre  pouvoir  ,  saloa  qu^  Nous  lejnferoiis  fim  ' 
convenable  dans  le  Seigf^ettP.  EaatieDdani ,  Notit  vous 
doimons  avoc  amour  |.  hieiv^imés  fils  ^  et  du  plus  {V^ 
(mi  de  notre  Qoeùr  larbiacdicti4b  apo$V>Uquet.  commm 

IXHI,  xviu.   109.  il   ^^^u 

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570 
«n  présage  de  tous  ks  dons  célestes  et  un  témoignage  de 
notre  affection  paternelle  et  toute  spéciale  envers  vous. 

«  Donné  à  Rome  ,  à  Sle-Marîe-Majeurc ,  le  19*  jour 
d*aoùt  de  l'année  1846, et  de  notre  Pontificat  la  première. 

«  PIE  IX,  PAPE.  » 


LKTTRr.  DE  SA    SÀTNTETfi  \C7  COnSCIL  CENTRAL  Dl  PÂEIS. 

«  Plus  pp.  ÏX. 


«  Dilecti  filiisalutem,  etApoâtolicamBenedietionem. 

«  Littcrœ  vestrsD,  quibus  gaudium,  summamque  le* 
tHiam  a  Vobis  ex  Nostra  ad  Apostolieœ  DtgnUatis  fasti- 
gium  evectione  susceptam  obsequentissimc  dedarastis» 
Nobis  pergratœ,  perque  jucundœ  fuerunt.  Insigne  enin 
singularis  ve^tr»  observantise,  ac  veneradonis  in  liane 
Apostolicam  Sedem,  et  filialis  prorsus  in  Nos,  pietatis 
spécimen  exhtbuerunt.  Illud  etiam  iisdem  in  litteris 
prSBcrpua  Ptos  animi  votuptate  perfudit,  quodin  iislu- 
eulentum  (estimoiiium  nacti  sumus ,  quantopere  vobis 
cordi  sit^  omnem  opem,  et  operam  constanteradhibere 
ut  Propagationis  Fidei  Societas,  quam  summo  semper 
afTectu  prosequuti  sumus,  magi?  in  dics  vigeat,  ac  flo- 
reat.  Quod  egregium  vestrum  stndium  vchementer  in 
I>omino  commendamus,  vobisque  persuasum  esse  vo- 
lumus  volutttatem  Nostram  in  iis,  quae  ad  îpsius  Sodé- 
Nrtis  bonum,  ac  splendorem  amplificandùm,  a  Nobi5 
prolkisci  poterunt,  promptam  semper,  ae  paratam  fti- 
iHram.  Intérim  ver©  studiosissimo  vestro  gratolatioiw 

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oflicio,  paribus  paternœ  Nostrse  beoevoleutiœ  significa- 
ûonibus  respendentes ,  Aposiolicam  Bencdiclionem  ex 
întimo  corde  depromptam  vobis  omuibus  aiQanter  im- 
periîmur. 

«  DaUim  RomsB  apud  S.  Mariam  Majorem  die  19  au- 
gusU  anno  1846,  Pontiflcatus  nostri  anno  priino. 

«  Plus  PP.  IX.  » 


XIÀBUCTION  DE  LA  LE1TBE  DE  SA  SATTÎTETB 
AU  C0R8EH.  CBUTRAL  de  PAKI8. 


PIE  IX ,  PAPE. 


c  Bien-aimés  fils  »  salut  et  Bénédiction  Apostolique. 

<  La  lettre  que  vous  Nous  avez  respectueusement 
adressée  en  témoignage  delà  joie  et  delà  vive  allégresse 
qu*a  excitées  en  vous  Notre  élévation  à  la  suprême  di- 
gnité de  Chef  de  TEglise,  Nous  a  été  tràs*sensible,  et  a 
rempli  Notre  cœur  d^une  douée  satisfie^tion.  Elle  Nous 
a  donné  une  preuve  insigne  de  votre  déférence  el  de 
votre  vénération  pour  le  Saint  Siège  Apostolique ,  en 
même  temps  que  de  votre  filiale  affection  pour  Notre 
personne.  Mais  ce  qui,  dans  cette  letlra»  a  surtout  com- 
blé notre  àme  de  joie,  c*est  que  Nous  y  avons  claire- 
ment reconnu  combien  vous  avez  à  cœur  de  con- 
tribuer de  tous  vos  moyens  à  développer  de  jour  en 
jour  et  à  rendre  de  plus  en  plus  florissante  cette  Asso- 
«ûation  pour  la  Propagation  de  la  Foi,  qui  a  toujours  été 
l'objet  de  notre  vive  atfi^tion.  Nous  louons  plcinemoni 

37. 


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^•«8  fc  Sc,gn«,r  eexf-îe  éclatant  qne  tous  tétncignez 
pour  éle,  ctWons  voulons  que  vous  saehiezque,  ^Z 
toutes  es  choses  qui  seraient  propres  à  ImLI 
prosperuee.  la  s^endeur  de  l'Ass  Jation,  et  qui  Ir 

n  cnt  compior  «ur  No..^  ooneo««.  ftépowlant  *Jaie,« 
au  témoignage  du  zèle  qui  vous  a  dictévos  parolT^ 

Nou.  vous  accordons  à  tous  affectueusement  et  du  plu^ 
profond  de  Notre  cœur,  Notre  Bénédiction  Apostl^" 
«  Donne  à   Rome  ,  à  Ste-ahric.lli£,re  ,   le 
t9-Jour  d'août  1846.  !'«„  premier  deoo3o„tifica. 


«  PI£  IX,  PAPE. 


NOUVELLES. 

La  Mission  des  PP.  Capucins  en  Mésopotamie  fait  de  jour  eo 
«11  f/,"'  «onsolanls  progrès.  Quand  ces  Religieux  arritè- 

•^  10.1a  qt  en  ,;«. 4ei«a.p«  ee  p«iit  it^np^n  s*-»!  raiM»» 
.WuU.plié.au  nulHMi d«s  obsUcIes de  tout g«,re ;  oha9a««i»ét 
la  vu  grandir  par  de»  conversions  plus  nombreuses ,  di-nie- 
menl  co.ironnées  en  1846  par  l'abjuration  de  deux  Evê^ueri,- 
cobites.  I^  premier,  Mgr  .\braham.  était  l'Ev^ttue  même  d'OiS- 

.!„t*!!S  '!i^  ^"^  '  ■'*"*'^'^  *»  'l»^"'*  *m«iHaire.  PMr' 
«•Irobé.  *4eiir  «rnsciew».  il. «t  «té ,  l'wi  « ttulw  ...hwu- 
»4s  d  bumiiwuon»  nar  ijuelgue»  mmktts  du  clergé  «chiMUi. 
.que  arménien;  mais  cette  épreuve,  soutenue  awc  feriaeté 
porte  drjà  ses  fruits  :  leurs  anciens  coreligionnaires  ,  dont  ih 


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$1i 


TABLE  DU  TOME  DIX- HUITIÈME. 


Ledre  de  Sa  Sainteté  au  Conseil  de  Lyon  ,  page  568. 
J^ettre  de  Sa  Sainteté  au  Conseil  de  Paris ,  570. 
Compte-rendu,  198. 

Mandements  et  nouvelles ,  184,  307  ,  384,  472,  67i, 
Départs  de  Missionnaires ,  84  ,  184  ,  310,  392,  469. 

MISSIONS  D'ASIE. 

GHIIOU 

Lettre  de  Mgr  Ferré^l,  Vie.  apoel.  île  la  Goiée,  7ê. 
Extrait  d'une  lettce  de  M.  PinchM,  97. 
Lettre  de  M.  Cfautveau,  110. 
Lettre  de  M.  de  la  Brunière  ,116. 
Lettre  de  Mgr  Alphonse ,  eoadjuteur  au  Chan-si  ,131. 
Lettre  du  P.  Clavelin  ,  Jésuite  ,241. 
Autre  lettre  du  même  Père,  262. 
Autre  lettre  du  même ,  274. 

Lettre  de  MonseigimrJteiliAi ,  Vie.  apost.  du  Uou* 
Kouang,  346. 


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574 

ILES  UEOLWUBOO. 

Lettre  de  M.  Foreade ,  Miss,  apost. ,  363. 

GOBÉB. 

Lettre  d*André  Kiraai-Kim,  Diaere  Coréen ,  284. 
Extrait  d'une  lettre  de  M.  Daveluy  ,  304. 

TONG-KING  OCCIDEKTAL. 

Lettre  de  Mgr  Retord ,  Vie.  apost.  ,  93. 
Lettre  de  M.  Charrier,  466. 

SIAM. 

Lettre  de  M.  Gra^djean ,  48. 
Autre  lettre  du  même ,  66. 

INDE. 

Extrait  d'une  lettre  de  M.  Luquet,  313. 

Lettre  de  M.  Jarrige ,  326. 

Extrait  d*une  lettre  de  Mgr  Bonnand,  328. 

Extrait  <fiine  lettre  du  P.  Brissaud ,  Jésuite  ,  331. 

Extrait  d'une  lettre  du  P.  Trineal ,  Jésuite  ,  334. 

Extrait  d'une  lettre  du  P.  StCyr,  Jésuite,  340. 

STHIB. 

Loitre  du  P.  Fr.  de  Ploughe ,  Capucin  ,189. 

amrAmionjL 
Lettre  de  }L  Fabbé  Htllereau  ,  386. 


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&75 . 
MISSIONS  D'AFRIQUE. 

Madagascar. 

Extrait  d'un  mémoire  àe  M.  Dalmon ,  Préfet  «p.  146. 
Lettre  du  P.  Gotin,  Jésuite,  157. 

MISSIONS  D'AMÉRIQUE. 

ÉTATS-UNIS. 

Lettre  des  Pères  du  Sixième  Concile  de  Baltimore, 393. 

Montagnes-Rocheuses. 

Lettre  du  P.  de  Smet ,  Jésuite ,  473. 
Lettre  du  P.  Joset ,  Jésuite ,  504. 
Autre  lettre  du  même  Père  ,518. 

CANADA. 

Lettre  du  P.  Aubert ,  (M)lat  de  Marie  Imimculée,  442. 
Lettre  du  P.  Laverlocbère  ,  Oblat ,  449. 
Lettre  du  P.  Hanipaux  ,  Jésuite  ,461. 

MISSIONS  DE  L'OGÉANIE. 

AUSTRALIE. 

Notice  sur  le  nouveau  Diocèse  de  Perth ,  525. 

Lettre  de  Dom  Léandre ,  Bénédictin ,  528. 

Lettre  da  M.  Thiersé,  Prêtre  du  S. -Cœur  de  Marie,  54 1. 


ociAmB  ORiEirrALE. 
BeS'Marquises. 

leurt  du  P.  Escoffier ,  Miss,  de  Picpus ,  43. 


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06CIMMÉU» 

WaUii. 

Lettre  du  P.  Mathieu,  Harisie,  6: 
Uttte  dm  P.  RduUeau ,  Mariste,  1& 
Lattre  de  Mgr  BatailloQ  ',  Bvâtpie  d'Ëooe  >  38; 

Tonga. 
Lettre  du  P.  Grange ,  Marisie  ,  93. 
Lettre  du  P.  Calinon  ,  Mariste ,  420. 

WMnnLB  jKtum^ 

Extrait  d*une  lettre  de  Mgr  Pompallier ,  1 74. 
Extrait  d'une  autre  lettre  du  même  Prélat  ,178. 
Autre  lettre  du  même ,  1S1. 

OCiANfE   CSimULB. 

NinweUe^CaiUome. 

Lettre  du  P.  Rottgeyron ,  Mariaie,  49f . 
Lettre  du  P.  Yiard  ,  Marisie,  413. 

Lettre  du  P.  Ghaurin ,  Mariste  ,  464. 


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