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Full text of "Annales de l'Institut Pasteur"

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ANNALES 
HE L'INSTITUT PASTEUR 


ANNALEN 
DE L'INSTITUT PASTEUR 


(JOURNAL DE MICROBIOLOGIE) 


FONDÉES SOUS LE PATRONAGE DE M. PASTEUR 
ET PUBLIÉES 


PAR 


M. E DUCLAUX 


MEMBRE DE L'INSTITUT 
PROFESSEUR A LA SORBONNE 
DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR 


Assisté d'un Comité de rédaction composé de 


MM. D: CALMETTE (A.) directeur de l’Institut Pasteur de Lille ; 
CHAMBERLAND, chef de service à l'Institut Pasteur ; 
D: GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine; 
D' LAVERAN, membre de l'Institut de France; 
METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur; 
Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur; 
D' VAILLARD, médecin principal de l’armée. 


TOME DIX-SEPTIÈME 
1903 


AVEC DIX-NEUF PLANCHES 


PARIS 
MASSON ET C*, ÉDITEURS 
LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE 


120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 


{7me ANNÉE JANVIER 1903. No 1 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 
NOUVELLES RECHERCHES SUR L'ARSENIL DE L'ORGANISME 


PRÉSENCE DE CE MÉTALLOIDE DANS LA SÉRIE ANIMALE 
Par M. GABRIEL BERTRAND 


A la suite des expériences que j'ai décrites, concernant la 
recherche de très petites quantités d’arsenic et l'existence nor- 
male de ce métalloïde dans l’organisme de plusieurs mammi- 
fères 1, il m'a paru nécessaire d'examiner si l’arsenic se rencontre 
aussi chez les autres animaux, de poursuivre cette recherche 
jusque chez les types les moins élevés en organisation. 

Le problème se pose, en effet, de savoir si l’arsenic est un 
élément primordial de la cellule vivante, comme le carbone, 
l’azote, etc., ou bien s’il répond seulement au besoin d’une 
fonction particulière, apparue à un certain degré de perfection- 
nement de l'échelle animale. 

Pour résoudre ce problème d’une manière satisfaisante et 
pouvoir tirer des nouvelles recherches tout l’enseignement 
qu’elles comportent, il était indispensable d’opérer dans des 
conditions aussi rigoureuses que possible, c’est-à-dire sur des 
animaux vivant dans un milieu normal, éloigné par conséquent 
de toutes ces causes de contamination qui résultent du contact 
plus ou moins direct avec l’industrie actuelle. 

Les'cétacés, certains oiseaux, des poissons et d’autres ani- 
maux ‘qui fréquentent les abîimes de l'Océan présentent à ce 
point de vue les meilleures garanties. Ce sont eux que j'ai 
choisis. et, grâce à la générosité de S. A, S. le prince de 
Monaco, ce sont eux que j’ai pu étudier. 


1. Annales de l'Institut Pasteur, t. XNI, p. 553-561 (1902). 


19 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Toutes les captures, et:mème une partie des recherches 
chimiques (destruction des matières organiques, précipitation et 
mise en liberté du métalloïde) ont été effectuées au ‘cours d’une 
croisière scientifique entreprise cette année, du 48 juillet au 
17 septembre, à bord du yacht Princesse-Alice. 

A l'exception d’un mouton, qui provient des pâturages du 
mont Pico, et de l’orque, harponnée par le prince en Méditer- 
ranée, les autres matériaux d’études ont été recueillis en plein 
Atlantique, quelquefois à 1,800 mètres de profondeur, dans une 
zone comprise entre Gibraltar, les Açores et l'ouverture de la 
Manche (exactement le banc de la Petite-Sole). 

Bien entendu, on a pris les plus grandes précautions pour ne 
pas souiller les animaux. Les dissections ont été faites sur une 
table de bois et non, comme on en avait l'habitude à bord, sur 
des plateaux en zinc. Les pétrels ont été tués au fusil, mais, 
pour éviter l’erreur que pouvait apporter la présence du plomb 
de chasse, toujours arsenical, on a rejelé le corps de ces oiseaux 
et utilisé seulement les plumes, séparées avec soin aussitôt 
après la mort. Les actinies, les étoiles de mer, les seiches et 
autres animaux provenant des fonds ont été lavés complètement 
à l’eau de mer, afin de détacher les dernières particules sableuses 
qui pouvaient y adhérer. Dans le cas des étoiles de mer et des 
oursins, plus difficiles à nettoyer à cause des nombreux tenta- 
cules et des pointes qui hérissent leur surface, on a prélevé un 
échantillon du fond sableux sur lequel on Les avait dragués, et on 
y a cherché l’arsenic en opérant comme s’il s'était agi des ani- 
maux eux-mêmes. 

Cet échantillon, desséché, pesait 38 grammes. Il était formé 
presque entièrement de squelettes calcaires de globigérines. 
Attaqué par 73 grammes d’acide nitrique ét 65 grammes d'acide 
sulfurique, il n’a donné qu'une trace douteuse d’arsenic. Les 
quelques grains qui pouvaient rester après le corps des animaux 
ne peuvent donc être considérés comme une cause d'erreur. 

Il aurait pu en être autrement si on avait eu affaire à cer- 
tains fonds d’origine volcanique. C’est ainsi que 16 grammes de 
sable et de petits cailloux, ramenés d'une profondeur de 
1,187 mètres, près de l’île Sào Miguel, ont fourni un anneau 
arsenical d'environ 4 à 5 millièmes de milligramme. Les actinies, 
pêchées sur ce fond, dont la nature volcanique était évidenie, 


ARSENIC DE L'ORGANISME. ” 


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ont été fendues et nettoyées minutieusement, de manière à ne 
plus présenter trace de matières étrangères. 

Remarquons qu’il eût fallu un nettoyage vraiment grossier 
de ces actinies pour y laisser ! gramme et demi de sable ou 
petits cailloux correspondant à la plus petite quantité d’arsenie 
décelable par mon procédé de recherche, De sorte qu'on ne 
peut, ici non plus, faire valoir la présence de particules venant 
du fond dans le corps des animaux contre le résultat de 
l’analvse. 

Mais il ne suflisäit pas de recueillir et de préparer les échan- 
tillons dans des conditions aussi rigoureuses ; il fallait encore 
pouvoir les conserver et les analyser à l’aide de produits et de 
réactifs bien exempts d’arsenic. 

Chaque fois qu'on n’a pas expérimenté sur des matériaux 
frais, c’est l’alcool qui a servi d’agent conservateur. On en pos- 
sédait une provision dont un litre avait permis dé vérifier la 
pureté absolue au point de vue qui nous occupe. Les animaux 
ou parties d'animaux étaient placés dans environ leur poids de 
cet alcool, au titre de 96°. Au moment des analyses, on 
pesait à nouveau le liquide et la partie solide, et on opérait sur un 
mélange de portions aliquotes. 

FT aux réactifs, ils étaient encore plus purs que ceux 
employés au cours de mes précédentes recherches. C’est ainsi 
que 300 grammes d’acide azotique étaient nécessaires pour 
donner, avec 30 grammes d'acide sulfurique et 25 grammes de 
zinc, un anneau arsenical de 1/2 millième de milligramme, 
c’est-à-dire pour atteindre la limite de sensibilité de la méthode, 
telle que je l’ai modifiée. Dans aucune expérience, d’ailleurs, on 
n'a employé une aussi grande quantité de réactifs pour recher- 
cher l’arsenic. l 

Il était avantageux, en effet, au point de vue de la précision, 
de limiter autant que possible la quantité des réactifs mis en jeu 
dans chaque expérience. J’ai réalisé cette condition, aussi bien 
en ce qui concerne l'attaque de la matière organique que la sépa- 
ration de l’arsenic dans l'appareil de Marsh. | 

En prenant un mélange de 1 partie d'acide sulfurique avec 
9 d'acide azotique, et en ajoutant encore aux organes, suivanl 
les cas, une plus ou moins grande quantité d’acide sulfurique 
pur, on peut arriver aisément à libérer l’arsenic avec un poids de 


1 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


réactifs ne dépassant guère 1/2 à 3 fois celui de la matière 
sèche. 

Certains animaux ou organes, riches en composés calcaires, 
exigent toutefois un supplément d'acide sulfurique, destiné à la 
transformation du calcium en sulfate. 

Si l’on prend, par exemple, comme cela a été le cas le plus 
fréquent, des tissus mous (thyroïde d’orque, musele de grondin, 
testicule de squale, holothurie, etc.), ou même des plumes de 
pétrel, de la corne de mouton ou de l FCHlE de tortue, on pro- 
cède la manière suivante : 

Le tissu, frais ou au sortir de l'alcool, est d’abord divisé en 
petits fragments à l’aide de ciseaux. S'il y a lieu, le liquide 
alcoolique dans lequel il était conservé est évaporé à sec au 
bain-marie ; on opère alors cette évaporation dans la capsule où 
se fera l’attaque. La corne et l’écaille doivent être réduits en 
poudre fine dans un mortier, le mieux après dessiccation à l’étuve. 
L’échantillon ainsi préparé est pesé ; on évalue, soit par un 
caleul approximatif, soit par chauffage à l’étuve d’une portion 
aliquote, ce qu'il renferme de matière sèche, et on le met dans 
une capsule de porcelaine spacieuse avec une quantité du 
mélange acide correspondant à 1 ou 2 fois le poids de la 
matière sèche. On ajoute à ce mélange encore un peu d'acide 
sulfurique, à peu près 20 à 25 0/0 du poids SEC, et on 
chauffe doucement. On peut commencer ce chauffage au bain- 
marie, surtout si le tissu est imbibé d’alcool, mais il faut le con- 
tinuer sur un fourneau à gaz ou à pétrole, recouvert d’une toile 
métallique et d’un large disque de métal, perforé au centre. On 
peut ainsi pousser le feu à la fin de l’opération, sans courir le 
risque de surchauffer les bords de la capsule. 

Pendant le chauffage, il faut agiter continuellement le mé- 
lange en réaction qui doit rester très homogène. La dissolution 
se fait rapidement ; on obtient une masse visqueuse, jaune clair 
d’abord, puis jaune foncé, plus fluide, se caramélisant enfin. 

En opérant comme je l'indique, c’est-à-dire avec un mélange : 
assez riche en acide sulfurique, on n’a pas à craindre cette 
espèce de déflagration qui arrive quelquefois dans le procédé 
habituel de M. Arm. Gautier. La décomposition de la matière 
organique se poursuit régulièrement jusqu’à la fin. On aug- 
mente un peu le feu quand le mélange brunit, et l’on chauffe, 


ARSENIC DE L'ORGANISME. Gi] 


toujours en agitant, jusqu'à ce qu? la masse soit tout à fait 
noire et homogène‘. En général, on n'obtient pas le résultat 
indiqué du premier coup; 1l faut rajouter encore du mélange 
acide etévaporer de nouveau. Quand on a un peu d' habitude, 
on voit très bien, au cours de l'opération, qu’on n’arrivera pas au 
but sans une nouvelle addition de réactifs; on verse alors le 
mélange acide avec une pipette, peu à peu, tout en remuant et 
en poursuivant l’'évaporation. Lorsque l’attaque est terminée, la 
masse restant dans la capsule ressemble à du cirage ? ; si on en 
met un peu dans l’eau froide, elle se divise facilement en fines 
particules et le liquide se colore à peine en jaune. 

On éteint le feu, on projette goutte à goutte de l’eau froide 
sur le résidu noir, puis, à la fin, une plus forte quantité d’eau ; 
1/4 de litre, par exemple. On délaye bien la masse et, 
après refroidissement complet, on sépare les produits humiques 
insolubles par filtration. Le liquide, réuni aux eaux de lavage 
du précipité, est alors soumis à l’action de l’acide sulfureux et du 
gaz sulfhydrique, suivant la méthode connue. 

Avec les éponges, les astéries, les écailles de poisson, il faut 
augmenter, au début, la dose additionnelle d’acide sulfurique 
pur, à cause de leur richesse en combinaisons calcaires. 

Les oursins ont été traités avec leurs carapaces de carbonate 
de calcium ; on a donc modifié un peu le début de l opération, 
pour ne pas être gêné à la fin par une forte proportion de nitrate, 
qui aurait provoqué l’inflammatiou du mélange. 

Cent grammes d’oursins {sortant de l’alcool) et représentant 
26,8 de matière sèche, ont été placés dans une capsule avec 
l'extrait sec, soit 3,6, provenant des 110 grammes de liquide 
dans lequel ils baignaient. On a ajouté peu à peu le mélange 
acide, en opérant au bain-marie, jusqu’à ce qu’une nouvelle 
addition ne produisit plus d’effervescence sensible. Ace moment, 
la craie étant saturée, on avait employé 36 grammes de mélange, 
soit 325,4 (les 9/10) d'acide azotique. Ces 32£,4 correspon- 
dent à peu près à 25 grammes d'acide sulfurique pur ; on ena 
ajouté 30 : tout le calcium qui se trouvait sous forme de nitrate 
s’est transformé en sulfate, de sorte que le contenu de la cap- 


4. Avec l'éponge, les écailles de poissons, elle était sèche et pulvérulente. 

2. La plus haute température qu’on doive atteindre est celle à laquelle com- 
mencent à se dégager quelques vapeurs blanches (vapeurs d'acides gras princi- 
palement). 


6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sule renfermait finalement 324,4 d'acide zoatique et 5 + 3,6, 
— 8,6 d’acide sulfurique. L'attaque a été terminée comme 
les précédentes. | 

Je suis parvenu aussi à limiter beaucoup le poids des réac-. 
tüifs, zinc et acide sulfuriqne, nécessaires à la conduite de l’appa- 
reil de Marsh. Le poids de zine, platiné d'avance et lavé, est de 
15 à 20 grammes par opération. Sur ce poids, il ne s’en dissout 
guère que 2 1/2 à 3 grammes. La quantité d'acide sulfurique 
dépasse rarement 6 grammes. Jen verse d’abord 2 étendus 
au 1/5, pour chasser l’acide carbonique. Après un quart d'heure 
et derrière la solution arsenicale, j’en ajoute un troisième, dilué 
de 9 parties d’eau; puis, après 1/2 heure environ, je fais une 
seconde addition d'un gramme au 1/0 : enfin, après 1 heure, 2 
grammes d'acide au 1/5 complètent et même au delà la dose 
exigée pour le dégagement de tout l’arsenic à l’état d'hydrure. 

L’acide est toujours versé par l'intermédiaire d’un entonnoir 
à robinet, de manière à pouvoir régler le dégagement gazeux. 
Au commencement, lorsqu'on déplace lacide carbonique, on 
cherche à gagner du temps et l’on verse presque d’un seul coup 
la première dose d'acide; mais à partir du moment où la solution 
arsenicale pénètre dans lappareil, il faut régler la vitesse de 
production de l’hydrogène entre # et 10 c. c. au plus par minute. 

Les expériences d'isolement de larsenic que j'ai faites pen- 
dant la croisière ont surtout servi à m'orienter au milieu de 
mes recherches. Malgré une installation vraiment remarquable, 
on ne pouvait compter, en effet, travailler sur le navire comme 
dans un laboratoire. Le climat chaud et humide, le mouvement 
du roulis rendaient les manipulations très fatigantes, quelque- 
fois même impossibles. Les opérations de pêche et de chasse, 
indispensables pour se procurer les matériaux d’études, causaient 
à leur tour de nouvelles interruptions. Enfin, les attaques de 
matières organiques étant effectuées sur le pont, il était impos 
sible, malgré les dispositions prises, d'éviter tout à fait l’in- 
fluence du vent; l'entraînement des gaz chauds et quelques 
extinctions portaient la durée d’une attaque à 2 ou 3 heures, 
pendant lesquelles il fallait toujours eraindre l'introduction 
de poussières, notamment celles de la cheminée, dans le 
mélange en réaction. Pour ces diverses causes, on n’a exécuté, 
durant la croisière, qu'un nombre assez restreint d'expériences 


ARSENIC DE L'ORGANISME. 4 


qui, toutes, ont été reproduites au retour, à l’Institut Pasteur. 
Les unes comme les autres ont donné d’ailleurs les mêmes 
résultats. 

Les animaux sur lesquels ont porté les recherches ont été 
les suivants : 

Éponge (Desmacidon fruticosa [Montagut|, Bowerbank)!. Les 
individus de cette espèce, du type corné, viennent du banc de la 
Petite Sole (9°4 long. ouest. et 4804 lat. nord), à 150 mètres 
de profondeur. On les a lavés complètement à l'eau de mer, 
passés dans l’eau douce et fortement pressés à la main. A cet 
état, ils pesaient 1,365 grammes et renfermaient 8,90 0/0 de 
matière sèche. 

Actinie (Chitonactis Richardi, Marion). Deux individus pêchés 
à 1,187 mètres, près de l’ile So Miguel. Poids : 105 grammes; 
matière sèche : 12,48 0/0. 

Étoile de mer (Pedicellaster sexradiatus, Perrier) *. Nombreux 
individus ramenés de 1805 mètres de profondeur avec le chalut, 
au voisinage de l'île Terceira. Matière sèche : 24,16 0/0, 

Oursin (Strongylocentrotus Drübachiensis, Agassiz). Proviennent 
aussi en grand nombre de la même station que les étoiles de 
mer. La matière sèche n'a pas été dosée par rapport aux ani- 
maux frais. 

Holothurie (Stichopus regalis, Cuvier) du banc de la Petite- 
Sole. Matière sèche : 4,62 0/0. 

Anatifes {Lepas anatifera, Linné). Développés sur une pièce 
de bois équarrie, flottant au voisinage du banc Chauser (43° lat. 
nord et 31°5 long. O). On a utilisé seulement les parties 
molles (pieds, cirrhes, etc.), dans lesquelles on a dosé 10,99 0/0 
de matière sèche. 

Seiches (Sepia officinalis, Linné). Ramenées dans le chalut en 
même temps que les holothuries. Elles étaient de petite taille. 
14 individus, lavés et égouttés, pesalent 813 grammes. On y 
a dosé 35 grammes d'os et 134#,6 de matière sèche. 

Roussettes (Scyllium canicula, Cuvier). Pèchées au banc de 
la Petite-Sole. Après un lavage soigné, on a enlevé les peaux 
qui seules ont été conservées dans l’alcool et analysées. Elles 
contenaient 50,4 0/0 de matière sèche. 


1. Détermination de M. Topsent. 
2. Presque toutes ces espèces ont été déterminées par M. Jules Richard. 


8 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Germons (Thunnus alalonga, Gmelin). Pris à la ligne de 
traine, en plein Atlantique. On a prélevé 135 grammes de peau 
sur deux poissons de 4 à 5 kilogrammes chacun. 

Serrans {Serranus atricauda, Günther). Pêchés sur le banc 
Guettysburg. On avait mis à part des écailles, de la peau entière 
et des muscles. Matière sèche dans la peau : 44,4 0/0; dans les 
muscles : 34,2 0/0. 

Grondins (Trigla pini, Bloch). Pris au chalut sur lc banc de 
la Petite-Sole. On a séparé la peau de 30 individus ‘et conservé 
aussi une certaine quantité de muscles. Matière sèche dans la 
peau : 42,4 0,0; dans les muscles : 22,6. 

Squale (Ceutrocynurus cwlolepis, Boc.). Pris au palancre, à 
1095 mètres de profondeur, au nord de l'ile Säo Jorge. Les 
testicules frais pesaient 105 grammes; matière sèche : 12,5 0/0. 

Tortue de mer (Thalassochelys caretta, Linné). Capturée au 
large des Açores. La carapace a été mise à part. En s’aidant de 
la scie, de la pince et du pilon, on a séparé les écailles du 
squelette et on les a réduites en poudre pour l’analyse. 

Pétrels (Procellaria pelagica, Linné). Neuf de ces oiseaux 
tirés en haute mer ont fourni 34 grammes de plumes, y com- 
pris les becs et les ongles. 

Orque (Orca gladiator, Linné). Caplurée en Méditerranée, 
près de Gibraltar. Les glandes thyroïdes fraîches pesaient 
195 grammes. On n'a fait qu’une seule expérience sur 
50 grammes. La peau a été examinée au laboratoire, sur des 
échantillons conservés dans l'alcool. On avait mis à part une 
partie de l’épiderme. 

Mouton (Üvis aries, Linné). Provient des pâturages du mont 
Pico, à 1500 mètres d'altitude. Ils’était tué en tombant dans une 
crevasse, On a étudié seulement les cornes, séparées de leur 
partie osseuse et pulvérisées au mortier. 

Le tableau ci-après résume les résultats obtenus. 

Comme on le voit par ces résultats, tous les animaux exa- 
minés, depuis les vertébrés supérieurs jusqu'aux spongiaires, 
renferment de petites quantités d’arsenic. 

La présence de ce métalloïde n’est pas, comme celle d’autres 
éléments, en quelque sorte caractéristique de certains groupes 
d'êtres. Tandis que l’acte respiratoire, par exemple, s’accomplit 
avec le concours du cuivre chez des crustacés et des mollusques, 


| 


ARSENIC DE L'ORGANISME. 9 


| Poids des acides 
c $ PL Poids de matière | employés dans | Arsenic trouvé 
| Noms des espèces.| Organes examinés, _sèche soumis l'attaque en milligrammes. 
à l'expérience. ar 
azotique [sulfurique 
Eponge -...... entière 36.7 67,5] 17,5 |0,005 
A'UINIE: LS. entière 13.1 18 7 |0.002 
Etoile de mer. entière 29.0 40,5 19,5 [0,002 
Dursim en: entière 30.4 352.5| 33.510.004 
Holothurie.... entière 81.8 72 45 [0.00 
ANUS ER. moins les valves 31.5 147 26 110,002 
calcaires 
SIGNE LA: moins l'os 40.8 81 14 10,002 
SUN CAE testicules 12,5 16 7  |0,0015 
Roussette..... peau 24.7 45 45  [0.0025 à 0.003 
Germon ...... peau 26.( 180 40 |0.0035 à 0.004 
Grondin ...... peau JT 36 14 |0.005 
— muscle 30.1 71 1% |0.0015 
Selran:...:., peau DD 45 12 |0.001 
— muscle 17.1 33 8 [0.001 
— écailles environ 20) » » 0,001 
Tortue de mer. écailles 20 0:51! 9.5 10.0035 
Pétrelss ir plumes 34 43 15 |0,0025 
RTE MEUÉS LE HANCOTNE d0 (à l'état frais)| 45 10 |0,0025 
— épiderme 40 56,5! 19.5 |[0,0055 
— peau 414,4 36 9 [0.002 
Mouton. glande thyroïde. 20 50,5| 40,510,004 


avec celui du fer chez les vertébrés, la différénciation morpho- 
logique et fonctionnelle s’est poursuivie d’un bout à l’autre de 
l'échelle animale, sans s’accompagner, en ce qui concerne l’ar- 
senic, d'aucune différenciation chimique élémentaire. 

Il ressort, en outre, des résultats que je viens de publier et 
de ceux que j'ai communiqués antérieurement, qu’au lieu d’être 
localisé dans certains organes, l’arsenic se retrouve au contraire 
dans tous les Lissus. 

On sait qu’à l’aide de sa méthode derecherche, M. Arm. Gau- 
tier était arrivé à la conviction que la glande thyroïde est l'or- 
gane le plus riche en arsenic, celui qui renferme, pour ainsi 
dire, la provision arsenicale de l’individu. M. Arm. Gautier avait 
trouvé aussi une quantité notable d’arsenic dans la glande 
mammaire, beaucoup moins dans le cerveau et le thymus, enfin 
des traces seulement dans la peau et ses annexes (par exemple, 
un peu moins de 1/20° de milligramme dans 150 grammes de 
corne de bœuf). M. Arm. Gautier n’a pu en déceler, par contre, 
ni dans le foie, ni dans les muscles, ni dans les testicules'. Ma 
méthode, environ dix fois plus sensible et en même temps plus 


1. Comptes rendus Ac. d. Sciences, t. CXXX, p. 284-291, 4900. 


40 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


précise ‘, montre que ces derniers tissus renferment eux-mêmes 
une certaine proportion du métalloïde ?. 

Ainsi, l’arsenic existerait dans toutes les cellules vivantes ; 
il serait, au même titre que le carbone, l’azote, le soufre ou le 
phosphore, un élément fondamental du protoplasma *. 

Cette conclusion comporte des conséquences importantes. 
La nature et les transformations réciproques des combinaisons 
arsenicales de l’organisme devront maintenant préoccuper les 
chimistes; leur rôle à l’état de santé et de maladie devra faire 
l'ojet de nouvelles études de la part des physiologistes et des 
médecins. La thérapeutique et jusqu’à l’agriculture devront 
ressentir l’utile contre-coup des résultats acquis dans ces direc- 
tions. Enfin, la médecine légale voit s’éclairer un des points les 
plus obscurs de son domaine, celui sur lequel ont eu lieu le plus 
de discussions. 

M. Arm. Gautier à établi, comme on l’a vu plus haut, qu’une 
petite quantité d’arsenic existe, chez l’homme, dans la glande 
thyroïde, qu'il y en a aussi des traces dans le cerveau, dans la 
peau et ses annexes ‘. Cette découverte, contredite par divers 
savants *, se trouve aujourd’hui non seulement appuyée par des 
faits d’une signification très générale, mais encore étendue à 
tous les tissus de l’économie. On peut dire que de petites quan- 
tités d’arsenic isolées du corps, même du tube digestif, du foie 
ou des muscles, peuvent avoir une origine exclusivement nor- 
male. On devra donc toujours, soit aa cas de recherches sur la 
diffusion ou la répartition de l’arsenic, entreprises dans un but 
médical ou autres, soit au cas d’expertises médico-légales, baser 
les conclusions sur des dosages du métalloïde, et non pas, comme 
on l’a malheureusement fait dans quelques circonstances, se 
contenter de simples recherches qualitatives. 

1. Une description détaillée de cette méthode paraitra prochainement dans 
les Annales de Chimie et de Physique. 

2. À ce sujet, il est intéressant de remarquer que l'éponge, supprimée de la 
thérapeutique moderne, mais qui servait autrefois à combattre diverses affections, 
et notamment le goitre, trouve une nouvelle justification de son emploi dans les 
résultats exprimés plus haut. Non seulement, en effet, l'éponge contient de l'iode 
en quantité importante, mais encore cet autre principe essentiel de la glande 
thyroïde, l'arsenic, dans une proportion qui n’estatteinte par aucun autre animal. 

5. Les animaux se nourrissant tous, directement ou indirectement, de végé- 
taux, ces derniers doivent renfermer de l’arsenic. 

4. Loc. cit. 

5, Hopzmoser, Zeitsch. f. physiol. Chem., 1904, t. XXXIIT, p. 329-3#%; ZIEMKE, 


Apotheker Zeitung, 1902, t&. XVII, et Cerny, Zeitsch. f. physiol. Chem., 1902, 
p. 408-416. 


dns CR AR — TN ot Et ua 


4 


QUELQUES NOUVELLES RACES DE LEVURES DE LACTUSE 


Par P. MAZÉ 


Le lactose a été rangé pendant longtemps parmi les sucres 
susceptibles de se dédoubler en alcool et acide carbonique sous 
l’influencedes levures ; mais une étude approfondie des propriétés 
des levures ordinaires a conduit peu à peu à cette conclusion que 
le lactose était réfractaire à leur action. Partout où on avait cru 
observer une fermentation alcoolique du lactose, on n'aurait dû 
relever qu’une fermentation de ses composants, le glucose et le 
galactose, mis en liberté par la lactase sécrétée par des microbes 
qui se développent à côté des levures. 

M. Duclaux : a rencontré, le premier, une levure de lactose 
dans un lait qui fermentait comme du moût ensemencé avec des 
saccharomyces. Plus tard, M. Adametz *, d'abord, et M. Kayser ;, 
ensuite, en ont découvert deux autres jouissant également de la 
propriété de faire fermenter le lactose. Ces trois levures ont été 
l’objet d’études suivies. 

Quelques auteurs en ont sigaalé d’autres, en particulier, 
MM. Weigmam , Boccichio*, Jorgensen', Freudenreich et 
Jensen”; elles ont été rencontrées dans le fromage, l’aisy ou le 
beurre; mais elles r’ont pas été identifiées avec les 3 précé- 
dentes, et l’on se demande même si elles étaient toutes de véri- 
tables levures de lactose *. 

Le milieu qui semble le mieux qualifié pour héberger de pa- 
reilles levures est certainement le lait ; mais si on essaye de les 
y découvrir, on remarque Lout de suite qu’en fait de saccharomy- 
ces, on n'y rencontre que des levures ordinaires. Ce résultat 
s’explique de lui-même: les levures ordinaires passent inaper- 

1. Ces Annales, €. I, p. 573. 

2. Centralb. f. Bakt. 1889, t. V, p. 116. 

3. Ces Annales, t. V, 1891, p. 395. 

4. Milchzeitung, 1890, n° 38, p.743. 

5. Annales de Micrographie, t. VI, 189%. 

6. Mikroorg. d. Gahrungsind. 1898. 
1. Centralblatt für Bakt:, 1897, 2, p. 552, et O. Jensen, Annuaire agricole de 
la Suisse. 1901, 9e fasc., p. 344. 


La torula amara isolé, par M. Harrisson, du lait amer est également un 
ferment alcoolique du lactose. Revue générale du lait, ne 20, p. 437. 


42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR: 


çues dans le lait, tandis que celles qui sont capables de faire fer- 
menter le lactose se signalent par un dégagement abondant 
d'acide carbonique et par un changement rapide dans la saveur 
du lait, très sensibles déjà avant 48 heures de conservation. On 
s'applique donc à les éliminer dès qu'elles révèlent leur présence, 
et comme leur destruction est chose facile, on ne les rencontre 
qu'accidentellement dans le lait, et en conséquence dans le 
beurre. 

Pour les trouver, il faut s'adresser à des fromages à pâte 
molle, parce que ceux-ci ne subissent qu’un chauffage très mo- 
déré au moment de l’emprésurage, incapable par conséquent de 
tuer les germes que le lait peut rencontrer dans les fromageries ; 
et si le lait ne s’ensemence pas spontanément avant l’emprésu- 
rage, les fromages égouttés sont susceptibles de servir de 
récepiacles aux levures de lactose, en raison de leur consis- 
tance, qui n'offre aucune barrière à la pénétration de celles qui 
sont répandues sur les appareils de la fromagerie. : 

Comme j'ai eu l’occaston d'étudier la flore microbienne d’un 
certain nombre de variétés de fromages, je me suis attaché à 
vérifier si le monde des levures de lactose n’est pas, en réalité, 
plus peuplé que ne l’indiquent les renseignements qu’on possède, 
jusqu'à présent, sur lui. 

L'expérience a montré, tout de suite, que cette supposition 
est justifiée. J’ai isolé, avec le concours de MM. Perrier et Gué- 
rault, 11 espèces différentes de levures de lactose tirées de diver- 
ses variétés de fromages. 

Voici les fromages que j'ai examinés avec Je nombre de 
levures de lactose que j'en ai retirées. 


TABLEAU I 

Fromages. Nombre de levures. Nos 
Camembert. 2 1-2 
Brie. (0 » 
Coulommiers {double crème). 2 à -4 
Port-du-Salut. 1 G) 
Pont-l’Evèque. 1 6 
Bonde de Neufchätel. À 7 
Munster. 2 8-9 
Livarot. | 40 
Emmenthal. 0 » 
Mont-d'Or. il {1 
Saint-Nectaire. 0 » 
Tome de Savoie. (l » 
Reblochon. () » 


LEVURES DE LACTOSE. 13 


A côté de ces levures, il y a partout des levures ordinaires, 
sauf dans l’Emmenthal; comme je n’ai examiné qu’un seul 
échantillon de chaque variété de fromage, les renseignements 
du tableau précédent ne sauraient être invoqués en faveur de la 
présence constante ou de l’absence complète des levures de lac- 
tose dans une variété donnée de fromage; ce quile prouve, 
c'est que M. Perrier, en examinant un deuxième échantillon de 
Brie, en a trouvé une autre que je ne fais pas figurer ici. 

Ces levures ne tiennent pas une grande place dans la flore 
des fromages. Pour les mettre en évidence, j’ai ensemencé de 
petits fragments de pâte, de la grosseur d’une tête d’épingle, 
dans un bouillon organique légèrement acidulé et additionné de 
saccharose qui s’intervertissait par la stérilisation. 

Dans ce milieu, ce sont les ferments lactiques qui se déve- 
loppent les premiers ; puis les moisissures, les mycodermes, les 
oïdiums apparaissent et ne fardent pas à provoquer un léger 
dégagement de gaz. 

La levure, moins prolifique, ou plus difficile à rajeunir, ne 
se montre en abondance que bien plus tard, et quelquefois 
on est obligé de faire un deuxième passage dans le même 
milieu en prenant la semence au fond du tube où les rares 
globules présents se réunissent de préférence. La prise de pos- 
session du milieu se signale par une fermentation active, laquelle 
se révèle au moindre choc imprimé aux tubes par une efferves- 
cence tumultueuse. 

C’est à ce moment qu’on isole sur gélose, et toutes les espè- 
ces de levures ou de formes-levures obtenues sont ensemencées 
directement dans le lait. Celui-ci devient le siège d’une fermen- 
tation active au bout de 48 heures si la levure ensemencée fait 
fermenter le lactose. 

Pour mettre en évidence les caractères distinctüifs de ces 
levures, j'ai utilisé un milieu formé de parties égales de bouillon 
Martin et d'une solution de lactose additionné “a l Sn de phos- 
phate d'ammoniaque. 

On alcalinise avec du carbonate de sodium ou on acidifie avec 
de l’acide lactique, suivant les observations que l’on se propose 
de faire. 

Le choix de ce milieu se justifie par les raisons suivantes : 
d’abord on ne peut songer à un milieu minéral, lorsqu'il s’agit 


14 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


d'échelonner le plus possible les propriétés physiologiques de 
11 levures. 

Parmi les milieux organiques, c’est le petit-lait qui est tout 
désigné: on peut se le procurer facilement ou, à la rigueur, le 
préparer soi-mème ; mais rien ne prouve qu'il soit le meilleur, 
car la plupart des levures isolées proviennent de fromages où 
elles trouvent non seulement de la caséine mais encore une 
grande quantité de ses produits de dégradation, jusque, et y com- 
pris l’ammoniaque : de plus, on n’est jamais sûr d'avance de le 
rencontrer dans le commerce absolument exempt de lactose 
interverti, car la plupart des manipulations auxquelles on le 
soumet, dans un but de conservation, tendent à dédoubler le 
lactose en raison de la présence d’acide lactique. La présence de 
glucose ou de galactose libres est un inconvénient sérieux, 
parce que ces sucres favorisent la multiplication de la levure, et 
peuvent la rendre capable d'agir sur le lactose en vertu d’une 
action de masse. 

Avec le bouillon Martin, préparé de façon à éliminer aussi 
bien que possible de la viande le glycogène et ses dérivés , on 
ne se heurte pas à la même difficulté, et si l’on remarque qu’il 
est très riche en matières azotées solubles, au nombre desquel- 
les les levures trouveront la plupart des composés qu’elles ren- 
contrent dans la caséine plus ou moins complètement digérée, 
on peut admettre que, modifié comme je l’ai indiqué, il réunit 
les meilleures conditions propres à faciliter l'étude que je me 
propose de faire. 

Le milieu ainsi obtenu est stérilisé par filtration à travers 
une bougie Chamberland, afin d'éviter toute trace d’interversion 
du lactose. 

Additionné de 10 0/0 de lactose commercial pur, exempt de 
lactose interverti et renfermant un peu plus de 90 0/0 de lac- 
tose, il a servi à faire 2 essais de fermentation ; l’un en 
milieu alcalin, l’autre en milieu acide. Le taux de l’alcalinité, 
évalué en NaOH, est 0,3 0/00; l'acidité obtenue par addition 
d'acide lactique est de 0,773 0/00. La réaction est évaluée au tour- 
nesol d’orcine. Les cultures ont été faites dans des fioles de 
150 c. ce. qui recevaient chacune environ 400 c. e. de bouillon. 

Les résultats obtenus sont résumés dans les 2 tableaux 


suivants. 


LEVURES DE LACTOSE. 15 


TABLEAU II 


MILIEU ACIDE 


Etat de la Acidité totale 0/00 Alcool 0/0 
Levures fermentation. en SO#H?. en volume, 
1 finie 1,260 4,625 
2 — 1,349 4,95 
; <= 1,205 4,93 
+ inachevée 4,101 3,33 
5 finie 4,550 4,58 
6 LE 1,091 3,30 
7 LE 1,406 4,5 
8 . 1,473 3,44 
0 _ 1,091 2,50 
40 inachevée 4,359 4,30 
11 Fe 1,244 3,88 
a! LE 1,091 4,375 
b finie 1,241 4,&4 
c inachevée 15397 3,66 
TABLEAU Il 
MILIEU ALCALIN 
1 » ») » 
2 finie 0,680 4,55 
3 — 0,765 4,562 
4 Le 0,861 4,95 
5 LE 0,861 4,625 
6 LS 0,688 4,75 
re ET 10,785 4,437 
8 ra 0,918 4,375 
9 je 4,014 3,666 
10 Les 0,669 4,50 
41 à _. 0,851 4,1 


La durée des expériences en milieu acide est de 11 jours à 
26°: en milieu alcalin, les levures sont restées d’abord 6 jours à la 
température du laboratoire, 18-20°,et 6 jours à 26° ; on voit donc 
que la fermentation est plus rapide dans les milieux alcalins, puis- 
qu'elle est achevée partout en 12 jours, tandis que dans les 
milieux acides elle n’est pas terminée complètement en 11 jours 
avec un certain nombre de levures. Ceci semble indiquer que 
les levures de lactose, habituées à un milieu qui ne tarde pas à 


1. Les levures &, b, e, désignent respectivement les levures : Duclaux, Ada- 
metz, Kayser. 


16 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


devenir alcalin, préfèrent les milieux alcalins, ainsi que le prou- 
vent d’ailleurs une production plus grande d’acidité et un ren- 
dement en alcool en général plus élevé. | 

Les levures «, b, c se sont montrées également très actives, 
plus actives dans ce milieu que dans ceux que les auteurs leur 
avaient offerts, et l’on voit ainsi que, d’une manière générale, 
toutes ces levures de lactose présentent les mêmes caractères, 
en ce qui concerne la production d’acides et d'alcool surtout en 
milieu alcalin. 

Mais quelques-unes semblent se rapprocher du rendement 
théorique, ce qui veut dire que la quantité de lactose fournie 
est un peu faible; il est probable que beaucoup d’entre elles sont 
capables de pousser plus loin lenrichissement du milieu en 
alcool, si on leur offre une plus grande quantité de lactose ; c’est 
un moyen d'exagérer les carartères distinctifs de ces levures, et 
suivant les indications des tableaux IT et ITF, on réussira encore 
mieux dans cette voie en leur fournissant un milieu acide. 

J'ai donc repris ces essais : l'acidité au départ était de 0,8 0/00, 
le bouillon à été réparti dans des fioles de 250 c. c. à raison de 
150 c. c. par fiole; il renfermait 15 0/0 de lactose commercial, 
en réalité, 13,5 à 14 0/0 de lactose pur. La semence a été em- 
pruntée à des fermentations en pleine activité, dans le même 
milieu acidulé à 2 0/00: chaque fiole a reçu 1 c. c. de semence. 

Les résultats obtenus sont consignés dans le tableau IV. 


TABLEAU IV 


Durée et état Acidité totale Alcool 0/0 
Levures. de la fermentation. en SO“#H2. en volume, Observations. 

1 14 jours ; achevée 1,118 7,875 Les cultures 
> 11 — 1,201 5,25 ont été arrètées 
5 “l — 1,305 4,25 à mesure qu'on 
4 {1 — 4,159 4, constatait la fin 
5 16 inachevée 1,387 5,4% de la fermenta- 
6 11 achevée 4.066 D tion, les levures 
7 11 == 1,118 3,115 5 et à seules 
S 13 _ 1,097 4,375 présentaient en- 
9 10 — 1,097 d, core une très 
10 11 _ 1,284 5,06 légère fermen- 
11 41 — 1,190 k,715 tatüon. 

a il — 1,263 4,875 

b 46 inachevée 1,408 6,142 

Ce 14 achevée 1,263 4.56 


LEVURES DE LACTOSE. 17 


Les chiffres qui expriment la teneur en alcool! des liquides de 
cultures varient du simple au double ; on voit ainsiles différen- 
ces entre ces diverses levures s’accentuer de plus en plus; 
2 levures ont produit moins d'alcool en milieu riche en lactose 
qu’en milieu à 10 0/0 : ce sont les levures 3 et 7; cela résulte de 
la comparaison des chiffres des tableaux IT et IV ; les autres en 
fournissent davantage. 

Mais la comparaison de ces chiffres, considérés tels quels, ne 
nous donne pas une notion bien nette de l’activité de ces 
diverses levures ; les quantités d'alcool trouvées ont été produites 
en effet par des poids variables de levures; on aura donc des 
renseignements plus exacts sur cette activité, en ramenant les 
quantités d’alcool obtenu à l’unité de poids de levure; cependant, 
il ne faut pas accorder non plus à ces chiffres ainsi calculés plus 
de valeur qu'ils ne sauraient avoir. L'activité d’une levure se 
mesure par la quantité de zymase qu’elle peut mettre en jeu; 
cette zymase se conserve ou se détruit sous une foule d’in- 
fluences qui sont loin d’être identiques d’une levure à l’autre, 
d’une culture à l’autre. 

Le tableau V renferme les éléments des calculs en question 
et les résultats qu’ils ont fourni. La colonne intitulée pouvoir 
ferment, expression employée comme on voit dans un sens parti- 
culier, renferme le poids d'alcool fourni par l'unité de poids de 
levure. 


TABLEAU V 
Poids de levure calculé Alcool en poids Pouvoir 
0/0 c. c. de liquide de dans 400 c. c. de ferment. 
culture. liquide de culture. 
Levures. mgr. mer. 
1 130,6 4700 35,9 
296.6 4200 414,1 
3 189, 3400 17.9 
4 196,7 3200 16.2 
3 148,2 4332 29,5 
6 238,6 4000 16,7 
7 265,4 3020 411.3 
8 184,4 3500 19. 
9 . A496.7 2400 19,2 
10 21225 4050 14,8 
11 250,2 3820 152 
a 411,5 4913 34,9 
b 151,9 3900 32,5 
C » 3648 » 


18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Le pouvoir ferment, défini de la sorte, n’est pas, comme on 
peut s’en rendre compte, bien élevé chez les levures de lactose; 
mais par contre, le poids de levure récolté est assez élevé ; cela 
tient à la nature du bouillon, et aussi à la lenteur de la fermen- 
tation qui permet une aération relative du milieu de culture, 
pendant toute la durée des expériences. 

J'ai déterminé en outre, dans les liquides fermentés, la nature 
et la quantité des sucres restants ; j’ai employé pour cela la 
méthode ordinaire, basée sur la recherche des pouvoirs rotatoires 
et réducteurs des solutions avant et après interversion; le lactose, 
on le sait, est plus résistant que ses isomères à l’action des 
acides dilués. Pour obtenir une interversion complète, j'ai 
traité les liqueurs par 1,5 0/0, en volume, d’acide chlohydrique 
concentré, à la température de 120° pendant 3 heures, après 
avoir vérifié préalablement que des solutions à 10 0/0 de lactose 
étaient complètement interverties dans ces conditions, 

Le tableau V1 résume les résultats observés. 


TABLEAU VI 


SUCRES RESTANTS DANS LES LIQUIDES FERMENTÉS 


Levures. Lactose 0/0, Glucose 0/0. Galactose 0/0. 
1 2,318 0.596 0,474 
2 4,974 0,913 1.300 
3 2,313 2,05 0,276 
4 6,046 0,61 0 
5 2,343 0,77 0,468 
6 2,476 2,06 0.369 
7 5,541 1,07 0 
8 3,109 1,490 0,159 
9 4,211 2,948 0.569 

10 4,480 0,565 û 
il 4,457 0,68 0 
a 4,974 0.24 0,096 
b 3,463 1,050 0 

C 9 


3.431 0,932 0,776 


On peut déduire de ces chiffres que toutes les levures étu- 
diées préfèrent le galactose au glucose, à l'exception du n° 2; 
cela prouve qu ‘elles sont bien adaptées à la fermentation du 
lactose. 

On peut prévoir, en outre, qu'elles ne laissent diffuser 
à travers leur membrane cellulosique que des quantités 


RD can as ar ÈTT PERTE 


LEVURES DE LACTOSE. 19 


négligeables de lactase, puisqu'il y a partout du lactose non 
dédoublé. 

Cependant, les proportions de lactose interverti au lactose 
varient dans des limites assez étendues; ce fait s'explique par 
un manque d'équilibre entre les actions respectives de la lactase 
et de la zymase; l’excès de lactose dédoublé se diffuse dans le 
liquide de culture; mais ceci n’est qu’une hypothèse; et il se 
peut que la lactase soit plus ou moins diffusible. 

J'ai recherché cette diastase dans les liquides de culture, 
mais en limitant mes investigations à 3 levures seulement; il 
est évident en effet qu'il est inutile de rechercher la présence de 
lactase dans les cultures des levures 4, 7, 10, 11 et b, puisqu'elles 
verenferment pas de galactose libre. Parmi les autres 1l y a éga- 
lement un choix à faire ; là où le lactose atteint un taux élevé, on 
ne saurait non plus en trouver; les recherches se limitent ainsi 
aux levures 1, 2, a et c qui renferment peu de lactose relative- 
ment, et une proportion convenable de glucose et de galactose. 

J'ai donc fait agir les liquides de culture sur des solutions 
de lactose à 10 ou 12 0/0 environ. On mélangeait 2 volumes de 
liquide de culture à 1 volume de solution de lactose à 25 ou 
35 0/0, et on filtrait le mélange à travers une bougie Cham- 
berland, de façon à obtenir un liquide stérile. On recueillait le 
liquide dans des fioles stériles, et on l’exposait pendant plusieurs 
jours à la température de 45°; les flacons étaient bouchés, afin 
d'éviter les pertes de liquide par évaporation. La recherche de la 
lactase a été faite dans les cultures âgées de 5 jours et de 11 jours, 
c'est-à-diré au moment où elles étaient en pleine activité et à la 
fin de la fermentation. 

Les résultats obtenus sont consignés dans le tableau suivant: 


\ 


TABLEAU VII 


CULTURES EN PLEINE FERMENTATION 


Lev. Durée d'action. ESS. DES | LAS 2 Difiérences. 
- Rotation. Réduction. Rotation. Réduction. Rotation. Réduction. 


2 47 heures 43948 à 20° 6,2 c.c. 13°28/ à 49 G0bic.c. +10 + 0,15 c.c. 


A} 46. — 7042 à — 10.1 1041" à 200 10,15 +4 +0,05 
€) #1 — 7032! à — 10,3 7034 à 190 40,3 n +2 + 0,,0 


20 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


CULTURES A LA FIN DE LA FERMENTATION 


2 %2-heures 1157 à 21 6.8 12014 à 19 6.6 + 16 + 0,20 
A — 11046 à — 6.8 14038 à — 6.65 +12 HO, 
F9 ges 11026 à — 6,83 11050 à — 6,55 , +94 + 0.30 


Le pouvoir réducteur est exprimé par le nombre de c. c. des 
solutions de lactose diluées au 1/10, qui décolorent 10 c. c. de 
liqueur de Fehling dont le titre évalué en glucose est 5,47. 

On voit que les levures a et c ne laissent pas diffuser la lac- 
tase pendant qu’elles sont encore jeunes, tandis que la levure 2 
en abandonne une petite quantité dans le milieu ambiant ; quand 
la fermentation est achevée, on en trouve également dans les 
cultures de a et c ; ceci prouve que les cellules âgées en mettent 
en liberté probablement par voie d’autophagie; la diastase 
recueillie de cette façon est cependant très peu abondante, et 
pour obtenir des quantités utilisables de lactase, il faudrait avec 
ces levures, comme toujours, avoir recours à un broyage. Je 
dois ajouter, cependant, qu’en réalité il y avait probablement 
un peu plus de diastase dans le liquide de culture, car le filtre 
en a retenu une certaine fraction. 

Les liqueurs qui ont servi aux essais relatés au tableau VII 
ont été maintenues encore pendant 52 heures à la température 
de 45°, l’interversion n’a fait aucun progrès ; la diastase avait 
déjà été détruite par un séjour de 42 heures à 45°. Ce résultat 
montre que l'influence de l'acidité sur l’interversion du lactose 
est. nulle, dans les conditions où ;e me suis placé. 

Si on détermine, d’après les données du tableau VII, les 

‘ quantités de lactose interverti, on obtient les chiffres suivants : 


Par la Réduction. Par la Rotation. 


é 


gr. gr 
Levure 2 culture en pleine activité 0,7 0,5 
2 à la fin de la fermentation 0,58 0,57 
a) = 1,470 1,14 
c) — 0,78 0,76 


Il nousreste maintenant à voir quelcrédit on peut accorder aux 
chiffres du tableau V, car le bouillon, indépendamment du sucre 
qu’on y a introduit, a une action sur la lumière polarisée ; le 
développement de la levure qui absorbe ou détruit, ou modifie 
les substances actives, produit une perturbation que l’on ne 
peut pas évaluer, et que l’on met, à tort, à l’actif des sucres; 


LEVURES DE LACTOSE. 21 


l'acide à haute température agit également sur elles : cette der- 
nière correction a été effectuée sur un bouillon privé de lactose; 
mais elle ne saurait être qu’approximative; il résulte de ces 
considérations que les chiffres en question ne traduisent pas 
d’une façon rigoureuse la composition du mélange de sucres 
qu'ils tendent à fixer, 

S'il n’est pas possible de dissiper cette indétermination, on 
peut du moins fixer jusqu'à quelle limite ils sont acceptables. 
Si la liqueur soumise à l’interversion n’avait renfermé que du lac- 
tose, le rapport des pouvoirs rotatoires après et avant l’action 
de l'acide eût été 1,33, celui des pouvoirs réducteurs 1,44; 
mais il y avait en présence du lactose, des proportions variables 
de dextrosc et de galactose; ces deux derniers sucres n’ont subi 
aucune modification pendant l’inversion, les rapports visés se 
déduisent donc de l'expression suivante : 


œ 
1,0526 X = (dextrose + galactose) + y dextrose + z galactose) 
æ lactose (y dextrose + z galactose) 


On voit immédiatement que la valeur de ce rapport ne peut 
pas être supérieure à 1,33 si l’on envisage les pouvoirs rota- 
toires, ou à 1,44 si on considère les pouvoirs réducteurs. 

Les éléments de caleul qui ont servi à déterminer la compo- 
sition du mélange de sucres restants, tableau VI, permettent 
également d'établir les valeurs correspondantes des rapports 
des pouvoirs rotatoires ou réducteurs après et avant l’inversion. 
Je les ai réunis dans le tableau ci-dessous. 


TABLEAU VIH 


Rapport des Rapports des pouvoirs 
Levures. pouvoirs rotatoires. réducteurs. 
1 1,22 1,27 
2 1,20 1,17 
3 1.40 1,32 
4 1,40 1,38 
5 1,24 4,25 
6 1.29 1.18 
7 1,37 1,32 
8 1,37 1,27 
9 1.21 1.20 
10 1,24 1.37 
41 1,35 1.36 
a 1,97 1,29 
“b 4,97 1.30 
e 1,24 1,26 


22 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Les rapports de la colonne 3 confirment naturellement les 
prévisions, puisqu'ils ne dépendent que de la nature et de la 
proportion des sucres présents; mais on voit que les chiffres 
trouvés pour les levures 3 et 4, comme exprimant le rapport des 
pouvoirs rotatoires, ne sont pas vraisemblables; et, en consé- 
quence, les chiffres du tableau VI les concernant s’éloignent 
sensiblement de la réalité. Les autres valeurs trouvées rentrent 
à peu près dans les limites prévues et reflètent assez fidèlement 
la composition des mélanges de sucres restants. 


L'ensemble des renseignements qui précèdent montre que 
les levures examinées ne sauraient être identifiées entre elles ; 
elles constituent autant de variétés distinctes. 

On peut cependant recueillir encore quelques caractères 
différentiels relatifs à Ja façon dont elles se développent sur 
divers milieux, à l'aspect des cultures, à leur résistance aux 
acides ou aux alcalis et enfin à leur morphologie. Je résumerai 
brièvement tous ces caractères qui ne présentent pas une très 
grande fixité, et qui sont probablement destinés à se modifier un 
peu, étant donnés les changements profonds apportés dans leur 
existence par les conditions nouvelles qui leur sont imposées. 

J'ai donné dans les tableaux IL, IIE, [V8 la durée des fermen- 
tations; on a vu qu'elle est variable pour les diverses espèces 
dans un même milieu, et pour une même espèce d’un milieu à 
un autre. 

Les différences que je vais noter par la suite ont été relevées 
sur des cultures effectuées dans des tubes à essai de 18 m. m. de 
diamètre. Chaque tube recevait environ 15 c. e. d’un bouillon 
identique à celui qui a servi aux expériences résumées dans le 
tableau IV. La semence a été empruntée également au dépôt 
formé dans ces cultures et répartie à raison de 2 gouttes par 
tube. 

J'ai groupé les renseignements obtenus dans le tableau 
suivant: 


LEVURES DE LACTOSE. 9: 


TABLEAU IX 


____ Aspect des cultures, 
Après un mois de 
Jèvures. au ?e jour. conservation. 
1 liquide louche bourrelet. 
à clair — 
3 trouble — 
4 Le Le 
5 == rien. 
6 _ bourrelet. 
7 louche 3 
8 clair — 
9 —— voile fragile 
10 — voile. 
il trouble voile. 
a — bourrelet. 
D trouble formé de grameaux voile. 
c trouble bourrelet. 


La plupart des levures troublent le liquide ; ce trouble est 
plus ou moins persistant : il dure jusqu’à la fin de la fermenta- 
tion avec les levures « et c; quelques-unes laissent le milieu 
parfaitement limpide pendant toute la durée de la fermentation, 
ce sont 2, 8 et 9. La levure b forme des grumeaux qui, vers le 
5e jour, sont entraînés à la surface par le dégagement du gaz et 
produisent un voile factice qui tombe plus tard; la levure 
11 produit le mème voile. Si on conserve les levures pendant 
1 mois, on remarque que quelques-unes donnent des voiles ; 
mais le plus grand nombre forment un simple bourrelet autour 
du ménisque dans la zone d'influence des forces capillaires. 

Quant au développement, il'n’offre rien de particulier; la 
fermentation se déclare en moins de 24 heures à la température, 
de 26°, cependant la levure € est notablement inférieure aux 
autres au point de vue du développement et de la rapidité avec 
laquelle apparaît la fermentation. 

Avec les milieux solides on ne peut également faire que des 
observations de peu d'importance. Un seul met en relief quel- 
ques caractères assez tranchés ; c’est la gélose préparée avec du 
bouillon de haricot neutre additionné de 3 0/0 de saccharose. 
Un certain nombre de levures présentent en effet sur ce milieu, 
lorsqu'elles sont ensemencées en surface, une couleur rouge 
lie de vin, plus ou moins prononcée; ce sont: 2, 8, 9, 10 etb; 
2 et 10 se colorent très fortement : 2 laisse diffuser la matière 


LS] 


/ ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


colorante dans la gélose ; la levure 9 est modérément teintée ; 
8 encore plus faiblement, et enfin, avec b, la couleur n'apparaît 
que dans les régions les plus saillantes et peut manquer com- 
plètement. 

Sur gélose acide, la couleur rouge est beaucoup moins pro- 
noncée ; 8 et b ne se colorent pas sur ce milieu. 

Si on examine l’action des levures sur les sucres fermentes- 
cibles les plus répandus, on constate qu’elles font fermenter le 
maltose en moût de bière, le saccharose, le sucre interverti, 
même en liquide Raulin, et par suite le dextrose et le lévulose 
offerts séparément : mais la levure 3 a donné lieu à des observa- 
tions assez curieuses sur lesquelles je reviendrai plus 
loin, 

Considérées au point de vue de leur résistance aux acides 
et aux alcalis, elles se conduisent, à peu d’exceptions près, de la 
même façon. Comme substance alcaline, j’ai employé la soude 
à l’état de carbonate de. sodium, et comme acide, j'ai accordé la 
préférence à l’acide lactique. 

En milieu alcalin, si la levure se développe, elle finit tou- 
jours par faire fermenter le lactose; mais, dans les liqueurs 
acides, on constate d’abord la disparition de la propriété de faire 
fermenter le lactose, la fermentation étant caractérisée par une 
effervescence visible lorsqu'on donne aux tubes quelques 
légères secousses ; il y a une limite d’acidité au delà de laquelle 
la levure se développe péniblement, mais sans faire fermenter ; 
elle mène une vie végétative fort diflicile d’ailleurs ; puis l’arrêt 
du développement se constate à son tour, si l’on exagère encore 
les doses d’acide. Ce sont là des faits qui s’expliquent d’eux- 
mêmes, comme on le sait; si la levure peut se développer, elle 
diminue l’alcalinité et atténue par conséquent l'influence nocive 
de la réaction, tandis qu’elle augmente au contraire le rôle 
empêchant de lacidité. 

Toutes les levures font fermenter le lactose dans le bouillon 
que j'ai utilisé en présence de 0,88 0/00 de soude, employée, je le 
répète à l’état de carbonate de sodium, tandis qu’à 1,1 0/00 
aucune ne se développe. Quelques-unes parviennent à faire 
fermenter le sucre de lait dans le bouillon additionné de 2 0/0 
d'acide lactique libre; ce sont 5, 6, 11, a et c; toutes les autres 
se développent également à l'exception de 2, mais ne produisent 


LEVURES DE LACTOSE. 25 


pas de fermentation ; à la dose de 1 0/0, la levure 2 ne fait plus 
fermenter ; elle se développe encore à 1,5 0/0. 

Quelques éléments de différenciation peuvent être tirés aussi 
de leur morphologie ; mais, dans l’ensemble, 1l est certain que 
les ressemblances l'emportent sur les différences, Ce n’est pas 
le microsrope qui nous fournira les moyens de les distinguer. 

Une seule, le n° 5, en 24 heures, a donné des spores sur 
blocs de plâtre, à la température de 26°; malgré plusieurs tenta- 
üves faites en employant des levures de divers âges, mais tou- 
jours âgées de moins de 8 jours, je n'ai pas réussi à en faire 
produire à d’autres. 


La manière dont se comporte la levure 3 cultivée en présence 
de divers sucres mérite, comme je l’ai dit, d’être examinée ; 
elle ne fait fermenter ni le saccharose, ni le maltose, ni le sucre 
interverti et, par suite, le dextrose et le lévulose offerts séparé- 
ment. 

Quand je dis qu’elle ne fait pas fermenter ces sucres, cela 
signifie que, pendant toute la durée des cultures, on ne constate 
à aucun moment le moindre dégagement de gaz, même au 
moyen d'une agitation énergique ; mais si on recherche l'alcool 
dans les cultures, on en trouve toujours un peu. 

Cette particularité est assez curieuse si l’on songe que, dans 
un milieu additionné de 10 0/0 de lactose, cette levure fait fer- 
menter le dextrosé dans des proportions assez élevées. Lorsque 
le lactose atteint 14 0/0, elle laisse une plus grande quantité de 
dextrose comme résidu, mais pas plus que la levure 9 qui fait 
fermenter tous les sucres étudiés indistinctement. 

Si on la cultive dans un bouillon additionné de 5 0,0 de 
dextrose ou de lévulose, voici les quantités d'alcool que l’on 
obtient au bout de 14 jours. 


TABLEAU X 
Acidité 0/00 en SOiH2 Alcool 0/0 en poids. 
Glucose 0,539 0,60 
Lévulose 0,437 0,57 


Les cultures ont été effectuées dans des fioles de 195 c. c. 


26 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


qui recevaient chacune 100 c. c. de bouillon ; la semence a été 
empruntée à une culture en présence de 10 0/0 de lactose. 

Un peu plus de 1 0/0 de sucre a subi la fermentation alcoo- 
lique. Le développement, très lent, va cependant en progressant 
pendant toute la durée de expérience. 

En réalité, il n’y a donc, en apparence, qu’une résistance 
plus forte à la fermentation, de la part de ces deux sucres ; la 
zymase ne fait pas complètement défaut; mais il n’en est pas 
moins intéressant de voir que la levure 3, sortant d’une culture 
pourvue de lactose, ne soit pas plus active vis-à-vis du dextrose. 

Pour pénétrer plus avant dans l'intimité de ce phénomène, 
J'ai effectué dans l’espace de 18 jours une série de 6 passages 
dans un milieu à peu près neutre, additionné de 5 0/0 de galac- 
tose. On voit donc que la semence transportée d’un tube à 
l'autre était toujours empruntée à une culture de 3 jours, au 
moment où la fermentation était déjà active. Le 6° passage a 
servi à ensemencer des milieux préparés avec un bouillon à 
peu près neutre, additionné de 5 0/0 de dextrose ou de lévulose, 
et de doses variables de galactose conformément aux indications 
suivantes : 


TABLEAU XI 


Milieu n° 1 Glucose 5 0/0 + Galactose 0 témoin I. 
2 _— — + — 0,5 0/0 
3 — — + = L 
4 — SE 2 2 
5 Lévulose 5 0/0 + — 0 témoin II. 
6 NO Et 12 
7 = DR RE. 
8 = RARES ET 


L'expérience a duré 14 jours, voici les résultats qu'elle à 
donnés. 


TABLEAU XII 


Milieux. Alcool 0/0 en poids. 
1 témoin I 0,45 
9 0,66 
3 0,83 
% 1,056 
5 témoin Il 0,36 
6 0,40 
ÿl 0.50 
8 0,80 


Seuls, les n° 3, 4 et 8 ont montré pendant quelques jours 


LEVURES DE LACTOSE. 27 


les symptômes d’une fermentation; mais elle élail peu active ; 
on n'a jamais observé de dégagement spontané de bulles de gaz 
au sein des liquides. 

Les cultures ont été effectuées, comme celle du tableau X, 
dans des fioles de 125 c. e., chaque fiole recevant 100 c. c. de 
bouillon: ce n’est donc pas une aération trop active des liquides 
de culture qui a pu conduire à ces résultats. 

Le développement a été encore très lent dans les témoins, et 
dans les n° 2 et 6: mais il a progressé jusqu’à la fin : et quand 
‘on a arrêté les cultures, on ne pouvait pas les distinguer les unes 
des autres par l'abondance du dépôt de levures qui s'était formé 
au fond des fioles : l’allure a été pourtant différente dans les 
n® 3, 4,7 et 8; ici, en effet, la prolifération a été très active dès 
le début, Ces observations sont donc conformes à tout ce que 
Fon sait déjà sur la façon dont une levure se conduit vis-à-vis 
des sucres qu'elle fait fermenter ou qu’elle brüle peu à peu, sans 
les dédoubler d'une manière active en alcool et acide carbonique. 

Le galactose, sucre qui fermente bien, favorise la multipli- 
cation de la levure ; le dextrose et le lévulose, très résistants à la 
fermentation, sont incapables de produire une active proliféra- 
tion cellulaire. 

Les exemples de ce genre ne manquent pas dans le monde 
des levures, mais, jusqu’à présent, on avait toujours constaté que 
c’étaient le lactose et le galactose qui offraient cette résistance 
à la fermentation. 

En réalité, le lactose doit surtout son inertie à l’absence de 
lactase chez les levures ordinaires, et cela le met hors de cause 
en ce qui concerne les faits que l’on envisage ei: ceux-ci inté- 
ressent le galactose seul, car on s'aperçoit aisément que c’est la 
double question de la pluralité des zymases ou de l'adaptation 
d’une zymase à la fermentation de plusieurs isomères qui est en 
jeu ici. 

Les levures ordinaires peuvent être, pour la plupart, acsou- 
tumées à la fermentation du galactose : lorsque cette accoutu- 
mance est acquise, elle se maintient de générations en généra- 
tions, tant que celles-ci se succèdent dans un milieu pourvu de 
galactose : on ne saurait évidemment, en présence de ces faits, 
choisir entre les deux interprétations possibles. 

La levure 3 fait fermenter le dextrose issu du lactose : la 


28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


zymase qu'elle produit est donc accoutumée à deux sucres ; on 
ne peut tirer de là une autre conclusion, étant donnée l’idée que 
nous nous faisons de l’accoutumance, en admettant bien entendu 
que l’accoutumance porte sur l'extension de l’activité de la 
zymase, et non sur l'aptitude du protoplasme à fabriquer un 
nombre plus ou moins grand de diastases; cette déduction se 
trouve d’ailleurs vérifiée pour toutes les levures de lactose étu- 
diées; mais elle est fausse pour la levure 3; et dès lors il faut 
bien interpréter les faits d’une autre façon, et en conclure qu'il y 
a une dextro-zymase et une galacto-zymase : les levures de 
lactose produisent les deux zymases; mais la levure 3 perd en 
grande partie sa faculté de produire la dextro-zymase lorsqu'elle 
est cultivée en présence du dextrose seul ; le galactose constitue 
pour elle, si l’on ne considère que les sucres, un aliment de pre- 
mier ordre; elle se développe activement en sa présence, ce qui 
veut dire qu’elle est surtout capable de produire de la galacto- 
zymase ; mais, en raison même de cette vigueur, elle peut fabri- 
quer également beaucoup de dextro-zymase si on lui offre en 
même temps du dextrose, ce qui est la règle en présence du 
lactose ; elle ne conserve pas cette propriété dans un milieu 
additionné de dextrose ; il en résulte que son développement en 
souffre, et que la fermentation, très lente à se produire, reste 
toujours pénible. 

Quand on ja cultive pendant quelque temps en présence de 
galactose seul, et qu’on la replace ensuite dans un mélange des 
deux sucres en proportions variables, on voit, d’après les résul- 
tats du tableau XI, qu'elle a perdu en quelques jours la pro- 
priété de sécréter de la dextro-zymase en présence du galactose; 
cette faculté n’est pourtant pas annihilée ; les cultures témoins 
montrent en effet que le dextrose fermente encore à peu près 
avec la même activité que lorsque la semence est empruntée à 
une culture en présence de lactose, tableau X; mais il n’est 
pas douteux que dans les cultures 2, 3 et 4, la levure a com- 
mencé d’abord par consommer le galactose et le faire fermenter 
ensuite là où il était assez abondant ; les cellules formées aux 
dépens du galactose n’ont pas montré, par la suite, une 
activité appréciable vis-à-vis du dextrose, puisqu'elles n’ont 
donné qu’un poids d'alcool très légèrement supérieur à celui qui 
correspond au galactose présent. 


LEVURES DE LACTOSE. 29 


J'ai toujours placé en regard des résultats obtenus avec le 
dextrose ceux qui ont été fournis par des expériences parallèles 
effectuées avec le lévulose ; ils sont, comme on le voit, de 
même ordre ; ils sont aussi particuliers à la levure 3, toutes les 
autres font fermenter le lévulose. 

La notion de la multiplicité des zymases n’a rien qui doive 
nous surprendre, étant données nos connaissances actuelles sur 
la variation du nombre de diastases qu'une cellule peut pro- 
duire ; elle rend compte, d'autre part, des distinctions sidélicates 
que la cellule vivante établit entre les substances isomères ; elle 
nous permet également de comprendre pourquoi l’utilisation ou 
la fermentation de deux hexoses issus d’un disaccharide ou de 
deux isomères d’un mélange inactif ne se fait jamais d’une 
manière parfaitement parallèle. 


CONCLUSIONS 


Les levures de lactose sont très répandues dans la nature, 
au même titre que les levures de saccharose ou de maltose; si 
on a pu les considérer comme des exceptions relativement rares, 
on doit admettre que leur monde est aussi peuplé en espèces 
que celui des premières, car un examen plus approfondi des 
fromages pourrait sans doute conduire à la découverte d’un 
erand nombre d’autres espèces. 

Ces levures présentent cependant peu d’activité comme fer- 
ments alcooliques ; elles peuvent produire des quantités assez 
élevées d'alcool, mais à condition d’y mettre beaucoup le temps 
et de mettre en œuvre un poids de végétal relativement élevé. 

Elles préfèrent généralement le galactose au dextrose; la 
levure 3 examinée à ce point de vue présente des particularités 
assez curieuses qui ne peuvent s'expliquer que par la pluralité 
des zymases. 

On peut se demander maintenant quel est le rôle des levures 
de lactose dans les fromages ; d’une manière générale, les fro- 
mages renferment peu de lactose ; et la faible quantité qui y 
persiste après l’égouttage est détruite dé préférence par les fer- 
ments lactiques et les moisissures. En réalité il n’y en a guère 
que des traces qui subissent la fermentation alcoolique sous 
l'influence des levures ou des microbes producteurs d'alcool, et 
effectivement on en trouve dans tous les fromages; mais comme 


30 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


les levures communiquent aux milieux où elles se développent 
des qualités organoleptiques très marquées et souvent appré- 
ciées, il y a lieu de rechercher quel peut être leur rôle dans la 
production des bouquets. C’est une question qui a son intérêt 
pratique ; j'espère être bientôt en mesure de fournir là-dessus 
quelques renseignements. , 


INFLUENCE 


DE LA CONFIGURATION STÉRÉOCHIMIQUE DES GLUCOSIDES 


SUR L'ACTIVITÉ DES DIASTASES HYDROLYTIQUES 


Par HENRI POTTEVIN 


Il n’y a pas bien longtemps encore, le rôle physiologique 
attribué aux diastases était des plus limités ; il se réduisait à 
présider aux transformations (changements d'état physique, ou 
dédoublements moléculaires) que doivent subir les aliments 
pour devenir aptes à pénétrer dans l’intérieur des cellules et à 
être utilisés par elles. Dans ces dernières années, ce cadre s’est 
considérablement élargi, et la plupart des phénomènes intracel- 
lulaires dont la production était considérée comme l’apanage du 
protoplasma vivant (combustions respiratoires, fermentations 
anaérobies, synthèse de molécules comolexes), relèvent claire- 
ment aujourd'hui d'actions diastasiques ; si bien que la chimie 
biologique se trouve peu à peu ramenée à l’étude d’un certain 
nombre de ferments solubles, susceptibles d’être isolés des cel- 
lules et d’exercer en dehors d’elles leur activité spécifique. 

Lorsqu'on veut aborder de front les transformations bio- 
- chimiques des albuminoïdes, on est bientôt arrêté par l’insuffi- 
sance de nos connaissances sur la chimie de ces composés ; il 
n’en est plus tout à fait de même si on se tourne du côté des 
substances ternaires, celles-ci sont beaucoup mieux connues, et 
avec elles on peut, dans quelques cas, suivre d'assez près le 
mécanisme des actions diastasiques. L'étude de ces cas favorables 
est intéressante à double titre, d’abord à raison même de l’im- 
portance physiologique des phénomènes qu’elle éclaire, ensuite 
parce qu’elle fournit la seuie base solide que l’on puisse donner 
aux inductions par lesquelles on essaie de pénétrer ce qui se 
passe dans les cas plus obscurs, et en particulier dans le domaine 
des corps azotés. 

Les diastases hydrolytiques dont l’action s'exerce sur les 
dérivés des sucres constituent le groupe le mieux connu de fer- 
ments solubles ; à leur sujet, Fischer a le premier fixé l’atten- 


32 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tion sur les relations de structure moléculaire, qui semblent 
devoir exister entre la substance active et les corps qu’elle est 
capable d’hydrolyser. C'est à nos connaissances dans cet ordre 
d'idées que je me propose d'apporter une contribution. 


I 


On désigne sous le nom de glucosides des composés définis 
qui résultent de l’union des sucres avec des corps divers (acides, 
alcools, phénols, etc), et qui, sous l'influence des agents d’hydra- 
tation, fixent un certain nombre de molécules d’eau, et se dédou- 
blent en leurs composants : dans ce qui va suivre nous viserons 
seulement ceux qui dérivent de l’union des hexoses avec les 
alcools ou les phénols, mais parmi ceux-ci nous comprendrons 
les bihexoses et les trihexoses que l’on ne considère pas en 
général comme des glucosides, bien qu'ils le soient par toutes 
leurs propriétés et en particulier par la façon dont ils réagissent 
vis-à-vis des ferments solubles. 

L'ensemble des propriétés des glucosides dont nous nous : 
occupons conduit à les regarder comme des éthers-oxydes pro- 
duits par la combinaison de deux molécules alkoylées, le sucre 
fonctionnant lui-même comme alcool, et à leur attribuer des 
formules analogues à la suivante : 


CH20H — CHOH — CH — (CHOH)? — CH — O0 —CHS - 
RÉ OR 


qui correspond à la combinaison d’un hexose 


CH20OH — CHOH — CH — (CHOH}2? — CHOH 
TEEN ET 0) | 


et de l'alcool méthylique CH*—OH avec élimination de H°0. 

On dispose aujourd’hui de méthodes dues à Fischer, à Van 
Eckenstein, à Michaël, qui permettent de préparer synthétique- 
ment les glucosides correspondant à l'union de la plupart des 
alcools et de quelques phénols avec un sucre quelconque. Les 
glucosides synthétiques les mieux connus se présentent chacun 
sous deux formes isomères, dont l’existence découle théorique- 
ment, comme une conséquence nécessaire, du fait que, dans la 
molécule de sucre, le carbone auquel est fixé l'oxhydrile qui 
s’éthérifie est asymétrique. Les deux composés que fournit avec 
un même hexose, le d-glucose (glucose ordinaire) par exemple, 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES, 33 


un mème alcool R.OH répondent aux deux formules stéréoiso- 
mères, 


H H 
| | 
R—0—C C—O0—R 
| 
“ae | H—C—0OH 
(9) { | 
OH—C—H OH—C—H 
| Ho 
CH —— CH 
| 
H—C—0OH H—C—0H 
| 
CH20H CH?0H 
d-glucoside & d-glucoside 8 


Si donc on considère tous les glucosides dérivés du d-glucose, 
ils doivent pouvoir être rangés en deux séries d’homologues : 
celle des composés set celle des composés 8. En dehors des 
actionsdiastasiques que nous aurons à étudier plus loin, il n’existe 
aucun caractère physique ou chimique qui permette, d’une 
façon générale, un glucoside étant donné, de décider si sa place 
est dans l’une ou dans l’autre de ces deux séries ; pourtant, si on 
adoptait les vues de M. Simon ‘, on trouverait dans le pouvoir 
rotatoire même du composé une donnée susceptible de lever 
lindécision dans un certain nombre de cas. Pour interpréter 
l’ensemble des réactions du d-glucose, on a été conduit à admet- 
tre qu'il peut exister sous 3 formes, stable chacune dans des 
conditions déterminées, et répondant l’une à la formule 
aldéhydique de Berthelot ?, les deux autres aux deux stéréoiso- 
mères de la formule oxydique de Tollens citée plus haut. Lors- 
que Tanret eut découvert les trois formes tautomères du d-glu- 
cose, caractérisées, en particulier, par le pouvoir rotatoire 
instantané de leurs solutions aqueuses, on pensa tout de suite à 
rattacher ces formes aux formules précédentes : d’après Simon 
ce rattachement devrait être fait comme suit : la forme tauto. 
mère $ qui, dissoute dans l’eau, prend immédiatement son 
pouvoir rotatoire limite de + 52°5, et qui est la forme stable en 
solution aqueuse, correspond à la formule aldéhydique : les deux 
formes + (glucose ordinaire cristallisé) et y, dont les pouvoirs 
rotatoires instantanés sont respectivement  106° et L 220,5, 
_ mais tendent à se rapprocher de + 52°, 5 par deux birotations 


1. Simon, Comptes rendus, 95 février 1901. 
2. CH20H — (CHOH)}+ — COH. 


34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


de sens inverse, correspondraient aux deux formules oxydiques. 
Les glucosides de la série : se rattacheraïent à la forme tautomère 
 ; ceux de la série &, à la forme ;. Toutes les fois que le grou- 
pement alkoylé serait tel que sa substitution à l’oxhydrile OH ne 
modifie pas de façon essentielle les relations intramoléculaires. 
d’où dépend le pouvoir rotatoire, les glucosides ; posséderaient 
une rotation spécifique droite supérieure à celle du glucose, et 
ceux de la série $ une rotation gauche, ou droite mais inférieure 
à celle du glucose + 52°,5. Ces considérations, qui pourraient être 
étendues à tous les sucres, se vérifient bien pour les dérivés 
méthyliques des hexoses (les seuls pour lesquels on ait obtenu 
en fait les deux isomères à l'état isolé et pur), ainsi qu'on peut 
le voir par le tableau ci-dessous. 


% D» (en solution aqueuse). 


D-glucose. + 520,5 
Méthyl-d-glucoside «. + 1550,5 
Méthyl-d-glucoside $. — 310,85 
D-galactose. + 839,2 
Méthyl-d-galactoside ». — 178,8 
Méthyl-d-galactoside 6. + 2 


Nous examinerons par la suite dans quelle mesure les indi- 
cations tirées de l'hypothèse de Simon cadrent avec celles que 
fournit l’étude des actions diastasiques. 


Les glucosides sont extrêmement répandus dans les tissus 
vivants : à côté d'eux on trouve toujours les diastases qui doivent 
présider à leurs mutations et qui, capables selon toute vraisem- 
blance d’en effectuer la synthèse, ontla propriété de les dédoubler 
par une action inverse de celle qui leur a donné naissance, 
lixation de H°0 et mise en liberté des composants. Chaque 
diastase est, en général, capable d'exercer son action hydrolytique 
sur un certain nombre de glucosides. 

Considérons la maltase (ou plus exactement la solution de 
diastases que l’on obtient en faisant macérer dans l’eau de la 
levure de bière préalablement desséchée et tuée) et l’émulsine 
‘solution fournie par les amandes amères). La maltase 
hydrolyse le maltose et le méthyl-d-glucoside +, elle n’attaque 
ni le méthyl-d-glucoside 8 ni les glucosides naturels (amyg- 
daline:, arbutine, saliciné, coniférine, etc.); l’émulsine est 


2 


4. La maltase produit sur l’amygdaline une hydrolyse partielle : il ne se forme 
ni aldéhyde benzoïque ni acide cyanhydrique, mais des deux molécules de glucose 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES. 35 


douée de propretés inverses, elle hydrolyse les glucosides 
naturels déjà cités, et le méthyl-d-glucoside $ ; mais elle est sans 
action sur le maltose et le méthyl-d-glucoside . Fischer, qui a 
découvert et généralisé ces faits, a admis pour les expliquer que 
la substance diastasique active possède une constitution stéréo- 
chimique en rapport avec celle des corps qu'elle est capable 
d'attaquer : la diastase et le glucoside seraient l’un à l’autre 
« ce que la clef est à la serrure ». 

Les données qui définissent la stéréochimie d’un glucoside 
sont, d'après ce que nous avons dit plus haut: 4° la nature du 
sucre générateur; 2° la position « ou 8 de la molécule alkoylée. 
Pour justifier l'hypothèse de Fischer, il faudrait établir par l’ex- 
périence que chaque diastase limite son action aux dérivés d'un 
même sucre, el parmi ceux-ci aux homologues d'une méme série « 
ous. Comme nous ne savons ni déterminer complètement un 
glucoside, ni séparer les uns des autres et isoler à l’état pur les 
divers ferments solubles, nous devons renoncer à la méthode 
simple qui consisterait à faire agir des diastases pures sur des 
glucosides bien définis, et force nous est d’aborder le problème 
par des voies détournées. 

La maltase est caractérisée par la propriété de dédoubler le 
maltose en deux molécules de glucose : pour pouvoir dire qu’elle 
est inactive vis-à-vis des dérivés du d-fructose et du d-galactose 
par exemple, il faut et il suffit que nous trouvions un ou plu- 
sieurs mélanges diastasiques capables d'hydrolyser le maltose, 
contenant par conséquent de la maltase, et incapables d'agir sur 
aucun des dérivés des deux autres sucres. Prenons d'autre 
part la maltase et l’émulsine, chacune d’elles hydrolyse Pun 
des deux méthyl-d-glucosides, elles doivent représenter l’une la 
diastase des composés », l’autre la diastase des composés 8 dé- 
rivés du d-glucose ; et il doit être possible dès lors de constituer 
avec les glucosides du d-glucose deux séries distinctes, sans 
termes communs, telles que tous les glucosides d’une série 
soient dédoublés par l’émulsine et non par la maltase, tandis que 


que contient la molécule d'amygdaline, une se trouve détachée et il reste un 
glucoside nouveau :lenitrileamygdalique, entièrement dédoublable par l'émulsine. 

1. Cein’est pas tout à fait ainsi que l’entendait Fischer puisqu'il admettait, 
par exemple, que la maltase dédouble le maltose et le méthyl-d-fructoside, « à 
cause de la ressemblance de constitution entre le d-glucose et le d-fructose ». 
Mais il semble difficile de concevoir que la constitution du sucre lui-même ait 
moins d'importance au regard de la diastase que la position de la molécule 
éthérifiée. 


36 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 5 

pour ceux de l’autre série ce soit l'inverse. On devra raisonner 
de même pour chaque diastasé et pour chaque sucre. La possi- 
bilité de vérifier expérimentalement les conséquences des idées 
de Fischer se trouve donc subordonnée à la connaissance de 
mélanges diastasiques doués de propriétés déterminées ; pour 
obtention de tels mélanges on n’a disposé jusqu'ici d'aucune 
méthode générale et on a dù se borner à tirer parti de ceux 
que le hasard a fait rencontrer. Il est naturel queles vérifications 
n'aient pu s'étendre au delà des diastases les plus communes 
{invertine, maltase, émulsine, lactase) et que, même dans ce 
domaine limité, elles n’aient pu se faire que par tàtonnements *. 


Les premières recherches de Fischer avaient abouti à des 
données un peu confuses *. Ce savant admettait, en particulier, 
que l'invertine hydrolyse à la fois le saccharose, le maltose et 
les méthyl-d-glucosides de la série z: plus tard il a trouvé que 
S. Marxianus, qui fait fermenter le saccharose et non le mal- 
tose, fournit une solution de ferments hydrolysant le saccharose, 
mais sans action sur le maltose et sur le méthyl-d-glucoside : ; 
tandis que pour le S. Octosporus c’est le contraire : cette levure 
fait fermenter le maltose et non le saccharose, elle fournit une 
solution de ferments hydrolysant le maltose et le méthyl-d- 
glucoside «, sans action sur le sucre de canne: il en a conclu 
que l'hydrolyse du saccharose et celle du maltose étaient l’œuvre 
de deux diastases différents, l’invertine et la maltase, cette der- 
nière seule étant capable d'agir sur le méthyl-d-glucoside « ?, 
En acceptant cette donnée, que nous aurons d’ailleurs l’occasion 


{. Il existe beaucoup de glucosides dérivés du d-glucose, le saccharose en 
tète, la phlorididzine, le gallotannin, etc., qui résistent à l’action de l’une et de 
l'autre des deux diastases complémentaires, émulsine et maltase. Il n'y à là rien 
qui soit en contradiction avec les considérations que nous avons développées ; 
eelles-ci, en effet, n'impliguent nullement que la constitution stéréochimique 
doive intervenir seule, comme condition unique, pour déterminer la façon d'être 
réciproque des glucosides et des diastases. D'une part la nature de la molécule 
’alkoylée doit intervenir pour modifier la résistance du composé vis-à-vis d’une 
action hydrolytique quelconque, comme elle intervient pour modifier les chaleurs 
de formation et de dédoublement; d’autre part rien ne nous dit que tous les 
dérivés 4 du d-glucose soient bâtis rigoureusement sur un type unique, et quil 
n'existe pas entre eux des cas d'isomérie secondaire d'ordre non stéréochimique. 
Pour toutes ces raisons, on comprend qu'il puisse et qu’il doive exister plusieurs 
espèces, dans chacun des deux genres de diastases qui correspondent aux deux 
séries d’isomères @ et f. 

2. V. Duccaux, Trailé de Microbiologie, t. 1, p. 122 et suiv. 

3. Fiscuer Er LiNoner, Berichte, XXVNIII, p. 984. 


# 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES. 37 


de confirmer par la suite, on peut classer de la façon suivante 
les uns par rapport aux autres les glucosides et les diastases 
étudiés. 

L'invertine dédouble le saccharose, le raffinose (en 1 molé- 
cule de lévulose et 1 molécule de mélibiose !), le gentianose (en 
1 molécule de lévulose et 1 molécule de gentianobiose ?). 

La maltase dédouble le maltose, le méthyl-d-glucoside 2 ?, 
Péthyl-d-glucoside z*, le benzyl-glucoside et le glycérine-glu- 
coside (ces deux dérivés n’ont été obtenus qu’à l’état de sirop 
incristallisable contenant un mélange des deux isomères x et f 
dont un seul est attaqué *), l’amygdaline , le tréhalose ?, le 
méthyl-d-fructoside *. 

L’émulsine dédouble l’amygdaline, la coniférine * et ses 
dérivés, la picéine, la salicine, l’hélicine, l’esculine, l’arbutine, 
le lactose et le méthyl-d-galactoside 8 ‘°, le benzyl-glucoside et 
le glycérine-glucoside (lisomère qui n’est pas attaqué par la 
maltase ‘‘) le phénol-glucoside ‘?, le & carvacrol-glucoside ‘?. 

La lactase dédouble le lactose. 

La classification précédente est, en gros, d'accord avec la loi 
que nous avons énoncée, mais il y a contradiction sur quelques 
points. 

Pour l’invertine il n’y a pas de difficulté, car les sucres 
hydrolysés peuvent tous les trois être considérés comme des 
dérivés du d-fructose (lévulose), le groupement alkoylé étant 
constitué respectivement par les molécules de glucose, de méli- 
biose, de gentianobiose, el rien ne s'oppose à ce qu’ils soient 
rangés dans la même série de d-fructosides. ; 

Pour la maltase, nous trouvons à côté du maltose et du tré- 


4. ScnerBcer ET Mirrezueier, Berichte, XXII, p. 3188. — Bau, Wochensch. 
Brauerei, XV, p. 389. — Fiscner, Berichte, XXVIII, p. 3034. 
. BourquEeLor ET HEeRisse*, Journ. de Ph. et de Chim., 1902, p. 417. 
. Fiscier ET LiINbxER. ZL. €. 
. Fiscuer, B., XXVII, p. 2985. 
. Fiscuer. B., XXVII, p. 2985. 
. Fiscer, B., XXVHII, p. 1508. — V.p. 5, note. 
. Fiscxer, 2., XXVIII, p. 4429. — Bouroquecor, C. R., CXVI, p. 826. 
. Fiscaer, B., XXVIII, p. 1429. 
Pour les glucosides naturels, voir. Vax Run, Die Glycoside, Berlin, 
gebrüder Bornträger., 1900. 
40. Fiscxer, B., XX VIII, p. 1429. 
41. Fiscuer, B., XX VIII, p. 2400. 
12. Fiscuer, B., XXVII, p. 2985. 
43. Hucx Ryax, Proced. Chem. Soc., XV, p. 196. 


© D -1 D O: & 9 19 


33 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


halose, qui se dédoublent tous les deux en deux molécules de 
d-glucose, un certain nombre de glucosides dérivant du même 
d-glucose, mais aussi un dérivé du d-fructose, le méthyl-d-fruc- 
toside. L 

Pour l’émulsine, tous les corps dédoublés dérivent du d- 
glucose, sauf le méthyl-d-galactoside 8 et le lactose. Le sucre de 
lait doit en effet être considéré comme un galactoside, car oxydé 
par le brome à froid, il donne un acide monobasique, l'acide 
lacto-bionique, que l’ébullition avec les acides étendus dédouble 
en galactose et acide gluconique : le groupement réducteur de 
la molécule de lactose appartient donc au glucose, qui intervient 
dans la formation du galactoside par un des groupes alcool de 
sa chaine. 


Nous allons examiner successivement les points sur lesquels 
portent les discordances entre ces données et notre loi ; mais 
auparavant et pour n’avoir plus à y revenir, je vais fournir les 
indications nécessaires sur les glucosides synthétiques dont 
j'aurai à me servir. 

Le méthyl-d-glucoside « et les deux méthyl-d- galactosides 
ont été préparés par les méthodes de Fischer ! et de Van Eckens- 
tein? ; le méthyl-d-glucoside a été purifié par des cristallisa- 
tions successives dans l’alcool ; les deux méthyl-d-galactosides 
ont été séparés par cristallisation fractionnée dans l’éther 
acétique. Les corps bien cristallisés ainsi obtenus possédaient 
les constantes ci-dessous. 


Point de fusion. Pouv. Rot. wa. 
Méthyl-d-glucoside . 1650 + 1580,2 
Méthyl-d-galactoside v. 1100 + 177,8 
Méthyl-d-galactoside f. 176 neutre. 


Le méthyl-d-fructoside a été préparé en suivant les indications 
de Fischer *. On obtient ainsi un sirop incristallisable qui 
contient vraisemblablement un mélange des deux isomères x et f, 
il contient aussi toujours une petite quantité de lévulose non 
combiné. Pour éliminer le petit excès de lévulose qui eût été 
génant dans certaines expériences, j’ai traité le sirop, convena- 
blement étendu et stérilisé par filtration, par le Saccharomyces 


4. Fiscuer, B., XXVIIT, p. 1145. 
2. Van EckensTEIN, #ecueil des Tr. Ch, des Pays-Bas, XIII, p. 183. 
3. Fiscuer, B., XXVIIT, p. 1145. 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES,. 39 


apiculatus. La levure cultivée sur de l’eau de touraillons glu- 
cosée solidifiéte par la gélose avait été raclée, lavée à l’eau 
stérile, puis ajoutée aseptiquement au sirop. Après un mois de 
séjour à l’étuve, le liquide ne donnait plus de réduction appré- 
ciable à la liqueur de Fehling. 

Le glycérine-glucoside a été préparé suivant les indications 
de Fischer et Bensch ‘. On obtient un sirop incristallisable re 
fermant un mélange des deux isomères » et 8: ramené à la con 
centration de 10 0/0 (en glucoside supposé anhydre), il contenait 
encore 0,29 0/0 de glucose qui n’a pas été éliminé. Si on sou- 
met le sirop à l’action séparée de la maltase et de l’émulsine, on 
constate que, sous l'influence des diastases, sa rotation spécifique 
diminue dans le premier cas, augmente dans le second, d’où il 
suit que les glucosides dédoublés possèdent des pouvoirs rota- 
toires qui sont, par rapport à celui du glucose, supérieur dans un 
cas, inférieur dans l’autre. 

Un sirop de glycérine-glucoside, mélangé à son volume d’une 
solution diastasique filtrée, obtenue en faisant macérer, dans 
l’eau saturée de toluène, de la levure de bière préalablement 
desséchée à basse température, abandonné à l’étuve à 35°, a 
donné : 


Rot. % D. Glucose en 100 c. ce. 
Au début. . + 70,8 0,14 
Après 1 jour. + 60,0 1,00 
Après 5 Jours. + 59,2 4,19 


Etant donnés la diminution subie par la rotation spécifique 
et l'augmentation de la teneur en glucose, on peut calculer le 
pouvoir rotatoire du glucoside qui a subi l’hydrolyse; ce pouvoir 
serait, pour le corps C’H'°0*, de 160° 

Dans une autre expérience, 0,5 d’émulsine sèche ont été 
délayés dans 20 c. c. d’eau et ajoutés à 50 c. e. du sirop de glycé- 
rine-glucoside ; le mélange a été saturé de toluène et placé à 
l’étuve à 35°, il a donné 


Rot. 4. Glucose en 100 e. ec. 
Au début. 10,6 0,20 
Après 1 jour. 109,2 0,46 
Après 3 Jours. 109,0 0,59 


L'augmentation du pouvoir rotatoire est faible mais certaine, 
je l’ai observée d’une façon constante en renouvelant à maintes 
reprises l’essai; cet augmentation est trop voisine des erreurs 


4. FiscuEr ET BENscu, B., XX VII, p. 2478. 


40 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ; 

inévitables de lecture pour qu’on puisse tirer de l’expérieñce, 
pour le pouvoir rotatoire du glucoside dédoublé, un nombre 
présentant quelques garanties d’exactitude, mais on est bien 
assuré que Ce pouvoir rotatoire est inférieur à celui du glucose. 


Il 


Fischer attribue à la maltase la propriété d’hydrolyser le 
méthyl-d-fructoside pour les raisons suivantes : la macération 
de levure fraîche contient de l’invertine, car elle hydrolysele sac- 
charose, mais elle n’attaque ni le maltose, ni les autres d-glu- 
cosides, ni le méthyl-d-fructoside; la macération obtenue en 
employant la levure préalablement broyée ou desséchée à 
basse température dédouble au contraire, outre le saccharose, 
le maltose, les méthyl-d-glucosides de la série + et le méthyl-d- 
fructoside. En précipitant cette macération par l'alcool, repre- 
nant le précipité par l’eau, précipitant à nouveau, et ainsi de 
suite plusieurs fois, on obtient une diastase qui n’agit plus que 
sur le saccharose. 

Si ces données impliquent que l’hydrolyse du méthyl-d-fruc- 
toside n’est pas le fait de l’invertine, elles n’excluent pas lhypo- 
thèse d’après laquelle cette hydroïyse serait due à une diastase 
différente de la maltase, mais se comportant comme ‘elle dans 
les conditions des expériences sus-visées ; il faut remarquer en 
effet que les propriétés de diffuser péniblement au travers des 
parois cellulaires intactes et de perdre rapidement toute activité 
par des précipitations suecessives à l’alcool sont communes à la 
plupart des ferments solubles. à 

Pour trancher la question, nous allons rechercher s’il existe 
des solutions de diastases capables d’hydrolyser le maltose 
sans attaquer le méthyl-d-fructoside. J’ai obtenu des mélanges 
diastasiques jouissant de ces propriétés avec le schizosaccha- 
romyces octosporus, le mucor alternans, le mucor mucedo, ete. 


J'ai isolé de sur des figues de Smyrne, en suivant les indica- 
tions de Beijerinck !, un organisme présentant tous les caractères 


4. V. Duczaux. Microbiologie, t. II, p. 635. 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES. 41 


du schizo-saccharomyces octosporus. La culture qui à servi 
aux expériences contenait un mélange de cellules asporogènes 
rondes ou légèrement elliptiques, d’un diamètre de 6 à 10 y, et 
de cellules sporulées, grosses, alteignant 18 et 20, et pré- 
sentant à leur intérieur les 8 ascospores caractéristiques; cette 
culture donnait sur mout de bière gélosé une couche blanche, 
légèrement teintée de brun. 

Ensemencé dans du mout de bière, mon schizo-saccharo- 
myces se développe en déterminant rapidement une fermenta- 
tion assez active; il se comporte de même dans l’eau de tourail- 
lons additionnée de maltose, de glucose ou de lévulose, mais il 
ne détermine aucune fermentation dans l’eau de touraillons 
additionnée de saccharose. 

Pour expérimenter avec les glucosides de synthèse, le schizo- 
saccharomyces était cultivé sur mout de bière gélatiné dans des 
boîtes de verre, la culture raclée était mise en suspension dans 
l’eau stérile. lavée à plusieurs reprises par décantation, puis 
introduite avec pureté dans des tubes à essai stériles, où on 
ajoutait ensuite les solutions des glucosides à 10 0/0, stérilisées 
par filtration : avec le maltose, le méthyl-d-glucoside z, le glycé- 
rine-glucoside ; on a observé des fermentations actives. Dans les 
deux derniers cas, le dégagement d’acide carbonique était 
moins vif que dans l’autre, mais il se prolongeait plus longtemps : 
au bout de 8 jours 70 0/0 da maltose avait disparu, et la fer- 
mentation était extrêmement ralentie; il restait encore 60 0/0 
de méthyl-d-glucoside et 80 0/0 de: glycérine-glucoside, la fer- 
mentation se poursuivait dans ces deux cas aussi active qu’au 
début. 

Avec le saccharose et le méthyl-d-fructoside, il n’y a pas eu 
de fermentation ; après 8 jours de séjour à l’étuve le pouvoir 
rotatoire du liquide n'avait pas changé, preuve que les glucosides 
n'avaient subi aucune attaque; à ce moment l'addition d’un peu 
de levure de bière dans les tubes en expérience déterminait au 
bout de quelques heures une fermentation énergique. 


Le mucor mucedo et le mucor alternans sont des organismes 
bien connus; il n’y a pas lieu d’insister sur leurs caractères. 
Pour l'expérience, ils étaient cultivés sur mout de bière, dans 
des fioles à fond plat dont le goulot était fermé par un bouchon 


19 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


4 


traversé par deux tubes; l’un de ces tubes s’arrêtait au haut de 
la fiole tandis que l’autre descendait jusqu’au fond ; grâce à ce 
dispositif, on pouvait facilement renouveler aseptiquement le 
liquide au-dessous de la culture. 

Les champignons formaient à la surface du liquide un mycé- 
lium spumeux et déterminaient un dégagement d'acide carbonique 
actif. Quand le développement de la culture était suffisant, on 
soutirait Le liquide, on le remplaçait par de l’eau stérile, on 
lavait ainsi à plusieurs reprises le mycélium, puis on introdui- 
sait une solution à 10 0/0 du glucoside à étudier, préalablement 
stérilisée par filtration : en agitant la fiole on immergeait autant 
que possible le champignon, et on abandonnait à l’étuve à 35° 
après avoir fermé à la lampe le tube plongeant et relié l’autre 
à un tube recourbé s’ouvrant sous le mercure. 

Avec le maltose, le méthyl-d-glucoside z, le glycérine-gluco- 
side, j'ai obtenu des dégagements rapides d’acide carbonique ; 
avec le saccharose et le méthyl-d-fructoside, il ne s’est pas pro- 
duit de dégagement appréciable : comme dans le cas du schizo- 
saccharomyces octosporus au bout de 8 jours, le pouvoir rotatoire 
des solutions n'avait pas varié. 

Le fait que le méthyl- -d-fructoside ne fermente avec aucun 
des organismes mis en œuvre implique bien qu'il n'est pas 
dédoublé par leurs diastases, pourtant très actives vis-à-vis du 
maltose et des d-glucosides; j’aitenu cependant à vérifier directe- 
ment le fait, Pour obtenir les solutions de diastases, les orga- 
nismes (culture raclée de sur gélose au moût de bière pour le 
S. octosporus, mycelium prélevé sur moût de bière après lavage 
à l’eau pour les mucors) étaient broyés à la molette avec du 
verre pilé jusqu'àce quel’examen microscopique de l’espècede pâte 
homogène ainsi obtenue montre qu'une bonne partie des cellules 
avait été dilacérée, puis mis à macérer 24 heures dans l’eau 
chloroformée. 

Le liquide de macération était privé de chloroforme à 45° 
sous pression réduite et stérilisé par filtration. Chaque essai se 
faisaiten mélangeant dans un tube stérile5ce.c. delasolutiondias- 
tasifère et 5 c. ce. de la solution à 10 0/0 des glucosides filtrés; les 
tubes étaient ensuite fermés à la lampe, Done d’air, et abandon- 
nés à l’étuve à 35°. En procédant ainsi on évite les causes d’er- 
reur qui viennent fausser les résultats lorsqu'on opère en milieu 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES. 413 


non stérile additionné d'antiseptiques; ceux-e1 ne sont jamais 
absolument indiflérents vis-à-vis des diastases, ils exercent 
toujours sur elles une influence dont il est d'autant plus difficile 
de tenir compte qu'elle varie d’une diastase à l’autre et, avec une 
même diastase, selon les conditions de l'expérience. 

La précaution de sceller les tubes à la lampe, vides d’air, 
évite l’altération des substances actives qui se produit en géné- 
ral assez vite à 35° au contact de l’oxygène ; on peut dès lors 
prolonger le contact des ferments et du glucoside autant qu'on 
veut, en sorte qu’une quantité même extrêmement faible de 
ferment arrivera toujours à produire une action appréciable. 

J'ai opéré suivant la même technique dans tous les essais 
que j'aurai à rapporter plus loin : l'indication est dès maintenant 
donnée une fois pour toutes. 


Exr. I. Les essais faits comparativement avec le saccharo- 
myces octosporus, les deux mucors et une levure de Frohberg 
ont donné les résultats suivants. 


Glucoside mis en œuvre. Durée Sucre réducteur total (en glucose) produit par les diastases, 
de 2" 
l’action. de S. Octosp. de M. Mucedo. de M.alt. de Lev. Froh 
Maltose. 8 jours 0,18 0,16 0,22 0,20 
Saccharose . S _— 0,30 0,25 0,8 0.42 
Méthyl-d-gluc. «. ARS 0,09 0,07 0,15 0,45 
Méthyl-d-fruct. 1 mois 0 0 0 0,12 


Il est donc bien établi qu’on ne peut attribuer à une seule et 
même diastase l’hydrolyse du maltose et celle du méthyl-d-fruc- 
toside. N’étaient les observations de Fischer rapportées plus 
haut, en présence du fait que toutes les levures capables d’atta- 
quer le saccharose attaquent aussi le méthyl-d-fructoside, on 
inclinerait à ranger ce dernier parmi les glucosides qui relèvent 
de l’invertine. Peut-être les observations de Fischer pourraient- 
elles s'expliquer par la résistance du fructoside à l’action des 
ferments, résistance certainement supérieure à celle du sucre 
de canne. Mais à raison de l'incertitude qui règne sur la compo- 
sition des mélanges que nous appelons d’un même nom, 
méthyl-d-fructoside, il n’y a pas lieu de pousser plus loin sa 
comparaison avec le saccharose. 

Nous laisserons donc de côté la question de savoir siles deux 


44 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


“ 


glucosides sont hydrolysés par une seule diastase ou par deux 
diastases différentes ; le seul point qu'il nous importe d'avoir 
bien fixé, c’est que le méthyl-d-fructoside n’est pas hydrolysé 
par la maltase. 


Il m'a paru intéressant de rechercher comment se comportent 
vis-à-vis des glucosides synthétiques la maltase du sang et celle 
de l'urine. Fischer avait annoncé ‘ des expériences établissant que 
la maltose du sang de bœuf et celle du sang de cheval hydrolisent 
le maltose, mais sont sans action sur le méthyl-d-glucoside v ; 
il n’est pas à ma connaissance que ces expériences aient été 
publiées depuis. 

Pour les expériences sur la maltase du sang, le sang était 
recueilli aseptiquement, le sérum séparé de même était 
mélangé dans des tubes stériles à la moitié de son volume 
d’une solution de glucoside filtrée. On appréciait la marche de 
l’action diastasique par la variation du pouvoir rotatoire du 
mélange et par un dosage du sucre réducteur formé (avant ce 
dernier dosage, le mélange était privé de ses matières albu- 
minoïdes par ébullition avec l’acide acétique au 1/1000, puis 
avec l’acétate de fer; ce traitement est sans action sur les glu- 
cosides méthylique et glycérique, aussi bien d’ailleurs que sur 
le maltose). L'action diastasique s’accomplissait à la température 
de 35°. 


Exp. 11. — Sang de cheval (nourriture mixte, foin et 
avoine), pris dans la jugulaire, sur animal à jeun. Chaque tube 
recevait 10 c. c. de sérum et 5 c. c. de la solution des gluco- 
sides. 


Glucosides mis en œuvre. Durée de contact. Glucose produit. 
Maltose. 8 jours .09 
Méthyl-d-glucoside +. 8 — 0,20 
Glycérin-clucoside , 8 * — 0,12 

Exe. TI. — Sang de lapin. A. lapin nourri d'herbe : B, lapin 


nourri de son et d’avoine. 5 ce. c. de sérum et 2,5 c. c. de solu- 
tion de glucoside à 25 0/0. 


4. Fiscser, P#., XXVIII, p. 1429. 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES, 45 
Glucosides mis en œuvre. Durée de contact. Glucose produit. 
Re... 2 cf 
= — A B 
Maltose. 8 jours 0,49 0,45 
Méthyl-d-gluc. «. 8 — 0,22 0.08 
Glycérine-glue. 8 — 0,16 0.02 


L'urine était mélangée à son volume (10 e. e. de la solution 
des glucosides à 10 0/0), le mélange saturé de chloroforme était 
abandonné à 35° dans des tubes scellés. 


Exe. IV. — Urine du matin (homme, régime mixte). 
Glucosides mis en œuvre. Durée de contact. Glucose produit. 
Maltose. 2 jours 0,20 
Méthyl-d-eluc, «. 2 — 0,12 
Glycérine-gluc. 2 — 0,07 


La maltase du sang et celle de l'urine sont donc capables 
d'hydrolyser non seulement le maltose, mais encore le méthyl- 
glucoside ; elles ne se distinguent pas de la maltase des fer- 
ments". 


Nous allons envisager maintenant l’anomalie relevée parmi 
les glucosides hydrolysés par l’émulsine, et nous procéderons 
comme dans le cas précédent, nous chercherons s’il existe des 
mélanges diastasifères capables d’hydrolyser les glucosides de la 
série 8, mais sans action sur le lactose et sur le méthyl-d-galac- 
tostde 6. Le sucre de lait constitue un édifice moléculaire parti- 
culièrement résistant vis-à-vis des actions biochimiques en 
général; la presque totalité des levures est hors d’état d'agir sur 
lui, et même, pour celles qui peuvent le faire fermenter, il consti- 
tue un aliment bien inférieur au sucre de canne; enfin, beaucoup 
de mucédinées, pourtant très polyphages, ne peuvent se déve- 
lopper si on les ensemence directement sur un milieu de culture 
contenant du lactose comme unique aliment hydrocarboné. Il 
était imdiqué de demander à ces moisissures des mélanges dias- 
tasifères incapables de dédoubler le lactose, tout en étant capables 
d'agir sur l’ensemble des d-glucosides &. 

L’Aspergillus niger cultivé sur liquide Raulin normal (où l’ali- 
ment-hydrocarboné est le sucre de canne) fournit par macéra- 
tion dans l’eau chloroformée un liquide riche en diastases 


1, V. BouroueLor et Hérissey, Bulletin Soc, mycolog., 1894. 


45 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


diverses, cette solution de ferments hydrolise le saccharose, le 
maltose et les d-glucosides de la série , les d-glucosides de la 
série 8, mais 1! est sans action sur le sucre de lait et sur les 
deux méthyl-d-galactosides. 


Exr. V.— Les solutions diastasiques, privées de chloroforme 
et filtrées, et les glucosides ont été mis en présence dans des 
tubes scellés, comme il a été dit plus haut, puis abandonnés à la 
température de 35°. Les résultats ont été les suivants : 


Corps mis Teneur 0/0 du mélange Glucoside 
en expérience. en glucoside dissous. Durée de l'action. dédoublé 0/0 
Saccharose. 10 3 jours 83 
Maltose. 10 — 67 
Méthyl-d-glucoside &. ) — 39 
Amygdaline. 4 — 6% 
Arbutine. 4 — 52 
Lactose. 10 1 mois 0 
Méthyl-d-galactoside «. 5 — (0 
Méthyl-d-galactoside 6. 5 — (0 


Il apparaît donc qu’on ne peut attribuer à une seule et même 
diastase le dédoublement des d-glucosides de la série 8 et celui 
du lactose et du méthyl-d-galactose $; l’hydrolyse de ces deux 
derniers composés par l’émulsine, qui est réelle, est due certai- 
nement à la présence d’une lactase dans l'extrait d'amandes. 

Les spores d’Aspergillus niger, semées sur un liquide Raulin 
où le saccharose est remplacé par du lactose, donnent des fila- 
ments mycéliens qui n’acquièrent pas un développement supé 
rieur à celui qu’ils peuvent acquérir dans le même liquide privé 
de sucre; mais si, sous une culture florissante d’Aspergillus, on 
remplace le liquide nourricier par une solution de laetose addi- 
tionnée de sels, la plante continue à se développer et consomme 
le sucre de lait. Si on prélève alors le mycélium, il donne encore, 
par simple macération dans l’eau chloroformée, une solution de 
ferments inactive sur le lactose et sur les méthyl-d-galactosides; 
mais si on broie la plante avec du verre pilé, avant de la mettre 
à macérer, on obtient une solution qui dédouble le lactose et le 
méthyl-d-galactoside $, mais respecte le méthyl-d-galactoside «. 


Exp. VI. — Macération de mycélium broyé : 5 c. ce. de macé- 
ration et à c. c. de solution des glucosides à 10 0/0. 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES. 47 


Corps mis en expérience. Durée du contact. Glucoside dédoublé 0/0. 
Lactose. 2 jours 30 
— 4 mois 60 
Méthyl-d-galact. «. — 0 
Méthyl-d-galact. 8. — 48 


Si, au lieu d’un liquide Raulin lactosé, on introduit sous 
l’Aspergillus une solution de méthyl-d-galactose 6, celui-ci est 
consommé, et la plante broyée fournit une solution de diastases 
dont les propriétés sont identiques à celles du mélange obtenu 
avec le lactose. Il n’en est plus de même si on remplace le 
galactoside 8 par son homologue + : celui-ci est bien encore 
décomposé et brûlé par la moisissure, mais la lactase qu'il four- 
nit diffère de la première, elle hydrolysele méthyl-d-galactoside 4, 
mais reste inactive vis-à-vis du lactose et du méthyl-d-galac- 
toside 8. 


Exe. VII. — Macération d'Aspergillus, souslequel on a introduit 
une solution de méthyl-d-galactoside 8 : 5 ce. e. de solution dias- 
tasifère et 5 c. c. de solution des galactosides à 10 0/0. 


Corps mis en expérience. Durée de l'action. -  Galactoside dédoublé 0/0. 
Lactose. 4 mois 40 
Méthx]l-d-sal. à. = _10 
Méthyl-d-gal. 6. À — 28 


Exe. VIT. — Macération d’Aspergillus, sous lequel on a intro 
duit une solution de méthyl-d-galactoside 4 D €. ©. de solution 
diastasique et 5 c. c. de solution des galactosides à 10 0/0. 


Corps mis en expérience. Durée de l'action. Galactoside dédoublé 0/0. 
Lactose. 1 mois (l 
Méthyl-d-galact. &. — 35 
Méthyl-d-galact. €. — (] 


Comme le méthyl-d-galactoside 8 ne peut être isolé que 
péniblement, et en quantités relativement faibles, des liqueurs 
mères de cristallisation du dérivé x. et constitue par conséquent 
un produit précieux, il est commode, si on veut constater la 
production par l’Aspergillus des deux d-galactases séparément, 
de procéder comme il suit : en introduisant sous le mycélium 
un liquide Raulin à 5 0/0 de lactose, on détermine l'apparition 
de la diastase 6: en remplaçant le sucre de lait par le mélange 


48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


brut des deux méthyl-galactosides, on détermine l'apparition 
des deux diastases à la fois. 

Il me paraît intéressant d’insister sur ce fait que, étant 
donné une plante ne sécrétant pas normalement de lactase, 
comme l’Aspergillus niger, on peut, en variant la nature de l’ali- 
ment qu'on lui offre, obtenir séparément chacune des deux 
galactases stéréo-isomères. La connaissance de pareils systèmes 
de diastases douées de propriétés complémentaires peut être 
extrêmement précieuse pour les recherches chimiques, car on 
peut demander aux ferments solubles, considérés comme réac- 
tifs spécifiques d’un certain groupement d’atomes, des indications 
que ne saurait fournir jusqu'ici aucune méthode chimique. 


Nous venons de voir cesser l’anomalie que présentaient vis- 
à-vis de la loi dont nous poursuivons la vérification les dérivés 
du d-galactose. Le lactose et le méthyl-d-galactoside 8 sont 
homologues, ils ne sont pas hydrolysés par l’émulsine, mais ils 
le sont par la d-galactase de l’Aspergillus niger : d’après les 
expériences de Fischer, ils ne le seraient plus vis-à-vis de la 
lactase des levures. 

Fischer‘ a opéré sur des grains de képhyr et des levures de 
lactose; les grains de képhyr mis à macérer dans l’eau lui ont 
donné un liquide diastasifère très peu actif; les levures delactose, 
par simple macération dans l’eau, n’ont pas fourni de diastase en 
quantité appréciable: il a fallu pour en obtenir employer la levure 
broyée. Les mélanges diastasiques ainsi préparés ont dédoublé 
le lactose, mais non le méthyl-d-galactoside ; il m’a semblé que 
ce résultat pourrait tenir d’une part à la faiblesse des extraits 
diastasiques mis en œuvre, d'autre part à la résistance plus 
grande du méthyl-d-galactoside, et peut-être aussi à l'influence de 
l’antiseptique {toluène) ajouté au mélange. J'ai repris ces expé- 
riences en employant les levures de lactose connues sous le nom 
de levures de Duclaux, de Kayser, d’Adametz ; les résultats ont 
été les mêmes dans les trois cas. Les levures cultivées dans des 
boîtes de verre sur du petit lait solidifié par la gélose, raclées, 
lavées à l’eau stérile, et ajoutées à des solutions à 10 0/0 des 
galactosides, ont donné : avec le méthyl-d-galactoside «, pas de 
fermentation; avec le lactose et le méthyl-d-galactoside 8, des 

4. FiscHer, 2, XXVIT, p. 3479. 


STÉREOCHIMIE ET DIASTASES. 49 


fermentations actives. Dans le cas du lactose, la fermentation 
s’est déclarée en moins d’une heure; elle a été dès le début 
tumultueuse; au bout de 24 heures elle s’est apaisée, et après 
48 heures le dégagement de CO? était devenu très lent, pour 
cesser complètement le 4° jour. Dans le cas du méthyl-d-galac- 
toside la fermentation a été lente à s'établir, elle n’a commencé 
à donner un dégagement appréciable d'acide carbonique qu’au 
bout de 18 heures, elle n’a jamais pris par la suite un caractère 
tumultueux ; par contre, au bout de cinq jours, elle ne manifestait 
pas encore de ralentissement sensible, elle n’a cessé d’être 
apparente qu’au 12 jour. Au bout de deux semaines les 
liquides ont été repris : dans les tubes à lactose tout le sucre 
avait disparu, à 1 ou 2 centièmes près : les contenus des tubes à 
méthyl-d-galactoside 8 ont été réunis et soumis à des distilla- 
tions fractionnées pour concentrer l'alcool, ils ont fourni 15 €. c 
d’un liquide dont la densité à 15°, prise par pesée, était égale à 
0,9835, ce qui correspondrait à la présence de 1,49 d'alcool éthy- 
lique pur; cet alcool est nécessairement mélangé d'alcool 
méthylique dans une proportion voisine de 1/3, el la quantité 
trouvée provient de la destruction d'environ 2,4 de méthyl-d- 
galactoside sur 3 grammes mis en œuvre, 

Les levures essayées sont donc capables de faire fermenter le 
méthyl-d-galactoside 8; il en résulte qu’elles doivent sécréter une 
diastase capable de lhydrolyser : l'expérience suivante montre 
qu'il en est bien ainsi; elle a été faite avec une solution de 
ferment obtenue en traitant comme il a été dit plus haut un 
mélange des trois levures broyées. 


Exp. IX Corps mis en expérience.  - Durée du contact. Galactoside dédoublé 0/0. 
Lactose, 4 mois 65 
Méthyl-d-galactoside «, == U 
Méthyl-d-galactoside f$. — 37 


De tout ce qui précède, nous pouvons conclure que les dérivés 
du d-galactose ne présentent pas plus que ceux du d-glucose 
des incompatibilités avec la loi de Fischer, telle que nous l’avons 
énoncée, et que dans les limites où elle a pu être soumise au 
contrôle de l'expérience, cette loi apparaît dégagée de toute 
contradiction. 


4 


90 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


III 


La classification des diastases et des glucosides dédoublés 
par elles, que nous avions donnée plus haut, doit être corrigée 
et s'établit de la façon suivante; à côté du nom de chaque 
diastase figurent les glucosides qu’elle hydrolyse. 


Glucosides. Pouv. rot. & D. 
Saccharose 
Inyertiner 26e | Raffinose 
Gentianose 
: Maltose + 1400 
: Méthyl-d-glucos. « + 15705 
Ethyl-d-glucos. x + 150,5 
Maltäse.s:,.." / Glycérin-glucos. z + 160 
Tréhalose + 190 
! Benzyl-glucos. (L isom.) ? 
Amygdaline part. 
Amygdaline — 36,3 
_ Nitrile amygdalique — 26,9 
| Coniférine — 66,9 
Arbutine gauche. 
Picéine — 84 
Salicine — 62,56 
EmuISine 207 Hélicine — 60,43 
Esculine ? 
Méthyl-d-glucos. & — 31,8 
Glycérin-glucos. f gauche. 
_ Benzyl-glucos. f ? 
. Thymol ? 
: Carvacrol-gluc. f ? 
Lactose 
ARR Can Méthyl-d-galactose 6 
aLaciasess ns Méthyl-d-galactose & 


Pour les glucosides hydrolysés par la maltase et l’émulsine, 
nous avons inscrit en face de chacun de ceux qui sont connus à 
l’état pur et cristallisé, son pouvoir rotatoire, Si on fait 
abstraction de l’amygdaline, glucoside azoté dont la construction 
moléculaire est encore incertaine, on voit que les glucosides 
dédoublés par la maltase ont un pouvoir rotatoire droit supé-° 


STÉRÉOCHIMIE ET DIASTASES. 51 


rieur à celui du glucose (+ 529,5), tandis que ceux qui sont 
dédoublés par lPémulsine ont un pouvoir rotatoire gauche. 

Si nous nous reportons à l'hypothèse de Simon que nous 
avons exposée en commençant, nous voyons qu'il existe entre 
les données qui résultent de la façon dont les glucosides 
réagissent vis-à-vis des diastases et celles qu’on pouvait induire 
en faisant appel aux seules considérations théoriques, un accord 
qui valait d’être signalé. | 

Pasteur avait montré le rôle considérable que joue l’isomérie 
optique, et par conséquent la structure stéréochimique qui en 
est la traduction, dans les phénomènes chimiques de la vie des 
cellules; nous voyons aujourd’hui ce rôle se poursuivre dans le 
domaine des actions diastasiques. Chaque diastase agit sur un 
type stéréochimique déterminé, il est très naturel d'admettre que 
cela tient précisément à ce qu’elle est elle-même bâtie sur un 
type homologue. 


ETUDES SUR L'HÉMOLYSE 


Par Le D' HENRI LANDAU (pe Varsovie) 


Travail du laboratoire de M. Metchnikoff. 


Dans les recherches faites jusqu’à présent par divers auteurs 
au sujet de lhémolyse, on s’est bien peu occupé des animaux à 
sang froid. Or, la façon dont ils se comportent à l'égard de l'hé- 
molyse présente une question très intéressante à ee. non 
seulement par elle-même, mais aussi en raison du fait que ces 
animaux possèdent des globules rouges nucléés. Jusqu'ici, on 
n’est pas encore fixé sur la manière dont se comportent les 
noyaux des érythrocytes en présence des hémolysines, car les 
opinions des auteurs divergent sur ce point. Ainsi, la plupart des 
savants, — je ne mentionnerai ici que les noms de Bordet!, von 
Dungern?, — en injectant du sang des oiseaux (poules, pigeons, 
oies) aux lapins ou aux cobayes, ont obtenu une hémotoxine 
qui dissout, tant in vitro qu'in vivo (dans la cavité abdominale), 
le protoplasma seul des globules rouges, sans jamais attaquer les 
noyaux; d'après Bordet, ces derniers deviendraient bien vite, 
dans la cavité abdominale des animaux immunisés, la proie des 
macrophages. Par contre, Krompecher * est arrivé à des résul- 
tats tout opposés : après avoir injecté pendant un temps pro- 
longé (de 2 à 3 semaines) du sang de grenouille au lapin, il a 
obtenu un sérum qui dissout les hématies de la grenouille 
dans leur totalité, c’est-à-dire protoplasmas et noyaux: ces der- 
niers présentaient d’abord à leur périphérie des espèces de 
bourgeons, puis ils se segmentaient, ou bien se dissolvaient, ou 
encore se transformaient en longs filaments qui disparaissaient 
peu à peu. Si d’autres auteurs n'avaient pas observé les mêmes 
faits, c’est, pense Krompecher, parce qu'ils avaient expérimenté 
sur des animaux trop rapprochés dans l’échelle zoologique. 

Les résultats obtenus par Krompecher nous ont paru intéres- 
sants à contrôler, ou respectivement à compléter par des expé- 

1. Annales de l'Institut Pasteur, 1899, p. 276. 


2, Münch. med. Wochenschr. 1899, 13-14. 
3. Centralbl. f. Bakteriol. 1900, XXVIIL, p. 588. 


ÉTUDES SUR L'HÉMOLYSE. 53 


riences sur d’autres animaux de la même catégorie, et, lorsque 
M. le P'Metschnikoff nous proposa d’étudier la question dans son 
laboratoire, c’est avec empressement que nous nous sommes 
rendus à son invitation, 

Nos expériences ont porté sur des grenouilles, notamment sur 
l'espèce verte (Rana esculenta) ‘, puis sur les tortues de terre 
(Testudo graeca) ; le lapin fournissait le sérum hémolytique. 
Habituellement, on injectait dans la veine auriculaire du lapin 
soit du sang défibriné desdits animaux, soit du sérum seul, soit 
_les globules obtenus par la centrifugation et lavés à plusieurs 
reprises avec la solution physiologique de sel. Ces préparations 
ayant été injectées en quantité plus ou moins considérable, on 
retirait, au bout d’un certain temps, du sang de l’animal soumis à 
l'expérience, et on le faisait agir sur les globules de la grenouille 
ou de la tortue. On examinait le phénomène macroscopique- 
ment (dans le tube à essai) et microscopiquement (dans une 
goutte pendante), en déterminant la force hémolytique par la 
quantité minimum de sérum nécessaire pour dissoudre un cen- 
timètre cube de l’émulsion du sang à 5 0/0 dans une solution 
de sel marin à 0,85 0/0 en une heure, à la température de la 
chambre. Pour ramener le contenu de divers tubes à volume 
égal, on y ajoutait de la solution de chlorure de sodium. 

Les résultats de nos expériences, dont le nombre s'élève à 
près de trente, sont assez homogènes et concordants entre eux. 
Tandis que le sérum du lapin normal agglutine faiblement les 
globules rouges de la grenouille et de la tortue, etne les dissout 
point (même en proportion de 10 parties de sérum pour 1 partie 
de sang), — nous obtenions, six jours après une injection unique 
de 4 c. c. de sang — un sérum à action nettement hémolytique. 
À part certaines particularités individuelles, l’action du sérum 
croît proportionnellement au nombre d'injections reçues par 
l'animal, à la quantité de sang ou de ses éléments injectés, enfin 
au laps de temps écoulé depuis i£ nremière injection. Les plus 
actifs des sérums obtenus dans nos expériences dissolvaient le 
sang de grenouille ou de tortue en proportion de 1/10, en une 
heure de temps et à la température ordinaire. (La température de 


1. Krompecher n'indique pas dans son travail l'espèce de grenouille employée; 
quant à nous, nous avons dû nous restreindre à l'espèce À. esculenta, vu la grande 
difficulté de se procurer la À. femporaria, 


54 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


37° accélère l’hémolyse). En moyenne, nos sérums dissolvaient 
en proportion de 1/4. 

Outre le pouvoir dissolvant, les sérums obtenus par nous 
présentaient, pour le sang des animaux respectifs, des propriétés 
agglutinantes et précipitantes. Toutefois, l’agglutination ne se 
produisait bien nettement qu'avec le sérum des animaux pré- 
parés par l’injection des globules seuls, dépourvus de sérum, et 
on ne l’observait pas du tout, si l'injection avait été faite avec 
du sérum sanguin seul. Si c’est le sang en totalité qui avait 
servi aux injections, les phénomènes de l’agglutination offraient 
un caractère intermédiaire entre les deux catégories précé- 
dentes. Autrement dit, le stade agglutinatif antérieur à l’hémo- 
lyse était Le plus accentué sous l'influence des sérums provenant 
des animaux de la première catégorie, et n'apparaissait point 
avec le sérum des animaux de la seconde catégorie. Le sérum 
actif, ajouté au sérum de l’espèce animale pour le sang de 
laquelle il constitue un agent toxique, produit dans ce sang un 
trouble, et, après un certain temps, il se dépose au fond du vase 
des flocons très fins. Cette propriété précipitante est inhérente 
aux sérums de tous les animaux immunisés, quel que soit 
l'agent de l’immunisation : sang total ou ses éléments parti- 
culiers. 

Conservés à la glacière pendant 24 heures, les sérums gar- 
daient leur pouvoir hémolytique, qui ne disparaissait habituel- 
lement qu’au bout de 4 ou 5 jours. Une élévation de tempéra- 
ture à 55°, pendant une demi-heure, annulait le pouvoir 
dissolvant du sérum vis-à-vis des globules rouges, sans diminuer 
son action agglutinante, qui devenait même plus évidente. 
L’addition d’une certaine quantité de sérum frais de lapin neuf 
au sérum chauffé restituait complètement le pouvoir hémoly- 
tique à ce dernier. 

L'examen microscopique nous a démontré que les globules 
rouges de la grenouille, aussi bien que de la tortue, subissent, 
sous l'influence du sérum actif, des modifications identiques et 
constantes : le globule change sa forme ovale en sphérique, 
le noyau devient plus net et se déplace du centre vers la 
périphérie de la cellule; en même temps, le globule perd pro- 
gressivement sa coloration, devient de plus en plus pâle, enfin, 
il n’en reste plus qu’un mince rebord décoloré autour du noyau 


ÉTUDES SUR L'HÉMOLYSE. 55 


fort accusé. Au bout d'un certain temps, habituellement après 
une heure, le rebord disparait à son tour, et l’on ne trouve à ce 
moment qu’un dépôt abondant, formé d’amas de granulations et 
fort semblable aux amas de bactéries agglutinées et des noyaux 
très nombreux. Ces derniers sont entassés par places en amas 
assez considérables et répondent par leur quantité au nombre 
des hématies contenues dans la préparation donnée; leurs forme 
et structure ne diffèrent en rien des noyaux à l’état normal, leurs 
contours sont nets ; ils se colorent parfaitement avec les couleurs 
basiques. Même après avoir tenu les préparations à l’étuve pen- 
dant 24 heures à la température de 37°, c’est-à-dire dans les 
conditions les plus favorables à l’hémolyse, nous n'avons pas vu 
disparaître les noyaux, ni observé aucune des modifications indi- 
quées par Krompecher. C’est seulement après un temps plus 
prolongé (48 heures et au delà) que les noyaux commençaient à 
s’altérer : ils se ratatinaient ou se gonflaient, mais nous avons 
vu les mêmes phénomènes se produire pour les noyaux des 
hématies conservées pendant un temps prolongé dans une solu- 
tion de chlorure de sodium à 0,85 0/0. 

Vu la concordance parfaite des résultats de toutes nos expé- 
riences, nous nous bornons à rapporter seulement plusieurs 
exemples les plus caractéristiques, 


Lapin n° 121, Le 2% mai 1902, on a injecté dans la veine auriculaire 
1,5 c.c. de sang défibriné de grenouille ?. Poids = 1.500 grammes. — Le 
5 juin 1902, injection de 5 c. c. de sang de grenouille. Poids = 1.590 gram- 
mes. — Le 12 juin, injection de T e. c. Poids — 1.655 grammes. — Le 21 juin, 


4. I1 faut remarquer que le lapin n’est pas indifférent à l'introduction dans 
son organisme, resp. dans son système vasculaire, du sang on du sérum de gre- 
nouille ou tortue, qui sont des agents violemment toxiques pour ses globules 
rouges. Les doses maximales supportées par les lapins de nos expériences 
étaient 9 e. c. de sang ou bien la quantité correspondante de globules, ou 8 €. €. 
de sérum. Certains animaux succombaient même après l'introduction de quan- 
tités bien plus faibles, telles que 3 ou 4 €. €., ce qui tient naturellement à une 
moindre résistance individuelle, L'autopsie de ces lapins ne révélait habituelle- 
ment qu'une légère tuméfaction de la rate. Le sang retiré du cœur était stérile. 
Assez souvent, nous constations aussi une inflammation et de l’œdème autour du 
point d'injection, et ces lésions se terminaient par la nécrose et la chute de la 
portion correspondante de l'oreille. Krompecher à trouvé que les lapins succom- 
bent constamment, si l’injection de sérum de grenouille dépasse 1 c. c.; c’est ce 
que nos expériences ne confirment point. 

2. Nous obtenions le sang des animaux (tant grenouilles que tortues) de la 
facon suivante. Après avoir desséché la surface cutanée, on séparait la tête du 
tronc à l’aide des ciseaux passés à la flamme, puis ayant recueilli le sang dans 
un vase Stérilisé, nous le défibrinions en le battant énergiquement avec une 
baguette, 


: 


56 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


injection de 7 e. e. Poids — 1.560 grammes. — Le 30 juin 1902, saignée (de 
la carotide). — Le sérum dissout le sang de grenouille (en émulsion à 5 0/0 
dans une solution de NaCl à 0,85 0/6) en une heure, dans la proportion 
d’une païtie de sérum pour 3 parties de sang, après lavoir agglutiné ; il se 
produit un dépôt abondant, Les noyaux restent intacts. — Le 8 juillet, injec- 
tion de Sc, c. de sang de grenouille. Poids — 1480 grammes. — Le 18 juil- 
let, saignée, Le sérum dissout le sang de grenouille dans la proportion de 
À o/°, avec conservation des noyaux. Autres phénomènes comme précé- 
demment. 

Lapin no 13. Le 22 mai 4902, on a injecté dans la veine auriculaire 
2,5 c. c. de sérum de grenouille. Poids = 1,875 grammes. — Le 7 juin, injec- 
tion de 4e. €: de même sérum. Poids — 1.760 grammes. — Le 25 juin, injec- 
tion de 6 c. e. Poids — 1750 grammes. — Le 4 juillet, saignée. Le sérum 
dissout le sang de grenouille (5 °/, dans une solution de NaCl à 0,85 0/0) 
au bout d’une demi-heure dans la proportion de 1 pour 4, sans produire 
d’agglutination préalable. Précipité fort abondant; conservation des noyaux. 
Le 10 juillet 1902, injection de 7 c. c. de sérum de grenouille, Poids — 
1,850 grammes. — Le 95 juillet, saignée. Le sérum dissout de même les 
hématies de la grenouille dans la proportion de { pour 4 et attaque le proto- 
plasma seul sans modifier le noyau. 

Lapin n° 23. Le 15 juin 1902, on a injecté dans là veine auriculaire des 
globules provenant de 6 c. c. de sang de tortue, suspendus dans la solution 
physiologique de NaCl (les globules avaient été séparés par la centrifugation 
et puislavés à plusieurs reprises dans la solution de sel), Poids — 1810 gram- . 
mes. — Le 98 juin, injection de globules provenant de 7 c. c. de sang de 
tortue. Poids — 1.850 grammes. — Le 6 juillet 1902, injection des globules 
provenant de 9 c. ce, de sang de tortue. Poids — 1.850 grammes. — Le 
12 juillet, injection de la même quantité de globules. Poids — 1.740 gram- 
mes. — Le 17 juillet, saignée. Le sérum obtenu agglutine fortement les glo- 
bules rouges de la tortue et les dissout dans la proportion de { pour 4 en une 
heure, à la température ordinaire. Les noyaux restent intacts. Le 18 juillet, 
injection de globules retirés de 9 c. c. de sang de tortue. Le 30 juillet, sai- 


gnée. Le sérum a un pouvoir hémolytique de 1:5 et n'attaque pas les 
10YAUx 


De ce qui vient d’être rapporté, il s’ensuit que, malgré le 
degré de préparation de nos animaux, biea supérieur à celui 
des lapins de Krompecher, la karyolyse a absolument fait défaut. 
Le même fait a été constaté pour l'hémolyse provoquée in vivo. 
Ea injectant, dans la cavité abdominale des animaux préalable- 
ment préparés, de 1 à 2 c. c. de sang défibriné de grenouille ou 
de tortue (ou mieux encore la même dose de globules suspen- 
dus dans une solution physiologique de sel marin), nous ne 
trouvions, dans l’exsudat de la cavité retiré de 15 à 20 minutes 
après l'injection — que des globules peu nombreux et notable- 


ÉTUDES SUR L'HÉMOLYSE 57 


ment décolorés à côté de nombreux noyaux soit libres, soit con- 
tenus dans des leucocytes mononucléaires. Après avoir injecté 
la mème quantité de sang dans la cavité abdominale d'un lapin 
normal, on trouve au bout de 2 heures au plus, un nombre 
considérable de globules intacts ". 


* 
* * 


Comme Krompecher ? l'avait déjà remarqué, une goutte de 
sang de grenouille ajoutée à une goutte de sang de lapin amène 
la dissolution rapide des globules rouges de ce dernier; mais, si 
l'on mélange le sang de grenouille au sang d'un lapin qui à préa- 
lablement reçu des injections de sang ou de sérum de grenouille, 
la dissolation n’a pas lieu, et les globules ne font que s’ageluti- 
ner, En examinant de plus près les réactions qui se produisent 
entre le sang des animaux à sang froid et les éléments du sang 
de lapin, nous nous sommes convaincu que le sérum des pre- 
miers (grenouille aussi bien que tortue *) possède des propriétés 
nettement hémolytiques envers les globules rouges du lapin. 
Une partie de ce sérum suffit pour dissoudre complètement les 
globules contenus dans 45 ou même 20 parties de sang de lapin 
(en émulsion à 5 °/, dans la solution physiologique de sel), au 
bout de quelques minutes. 

D'après les recherches bien connues de Bordet, d’Ebrlich 
et Morgenroth sur l’origine des antihémolysines, il était à pré- 
voir que le sérum des lapins auxquels on avait inoculé du sang 
ou du sérum de grenouille ou de tortue aurait le pouvoir de 
neutraliser l’action toxique du sérum desdits animaux sur Îles 
hématies du lapin; autrement dit, à côté du pouvoir hémolytique 
envers le sang de l'espèce animale qui a fourni le vaccin, le sérum 
en question possède un pouvoir antihémolytique envers le sang 
de leur propre espèce. C’est en effet ce que l’expérience con- 
firme: l'addition d’une partie de nos sérums actifs à une partie 
de sérum de grenouille où resp. de tortue suflit pour indiquer 

{. Il serait intéressant de savoir comment se comportent, vis-à-vis des noyaux 
des globules rouges, les sérums provenant des animaux à hématies nucléées. Il 
n'existe à ce sujet dans la science aucune donnée. Certes, Nolf (Ann. de l'Instit. 
Pasteur, 1900, p. 311) a injecté le sang des oiseaux (poules) aux oiseaux (pigeons), 
mais il n’obtenait qu'un sérum agglutinant sans action hémolytique. 

2. Loco cit. 


3. En ce qui concerne le sérum de grenouille, le fait est connu depuis long- 
temps. Voy. Landoiïs, Trailé de Physiologie, 1900, p. 26, 


te) ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


une influence antitoxique; mais, pour neutraliser complètement 
la toxicité dudit sérum, il faut employer de 12 à 15 parties de 
préparation antihémolytique. 


On sait que les sérums actifs envers les cellules d'une espèce 
animale donnée et obtenus par voie d’immunisation de ces ani- 
maux peuvent agir également sur les cellules d’autres espèces 
plus ou moins rapprochées (Bordet', Ehrlich et Morgen- 
roth *, ete.); de mème le sérum toxique pour certaines cellules 
de l’animal donné peut attaquer d’autres éléments cellulaires du 
même organisme (von Dungern *, Moxter ‘). 

Nos sérums hémolytiques, examinés à cet égard, ne se sont 
pas montrés tout à fait spécifiques. Il est vrai que les sérums 
actifs envers les globules rouges de la tortue n’attaquaient point 
les globules rouges de la grenouille, et inversement; mais cha- 
cun de ces deux sérums agissait sur le sang d’espèces plus rap- 
prochées : ainsi, le sérum actif pour les hématies de la grenouille 
dissolvait les hématies du crapaud (Bufo vulgaris), du triton 
(Triton cristatus), de la salamandre (Salamandra maculata), de 
l’axolotl (Siredon pisciformis), et le sérum spécilique pour les glo- 
bules rouges de la tortue terrestre agissait également sur le sang 
de la tortue d’eau (Emys Europæa). (Le sérum du lapin neuf se 
comporte envers les globules des animaux énumérés à peu près de 
même qu'avec le sang de grenouille ou de tortue de terre, c’est- 
à-dire qu'il ne les dissout point; seuls les globules rouges du 
crapaud semblent être sensibles, car ils se dissolvent dans le 
sérum du lapin normal, quand on met en contact une partie de 
sang et 10 parties de sérum). Toutefois, l’action des sérums spé- 
cifiques sur le sang des animaux ci-dessus mentionnés est en 
général bien plus faible que l’action des mêmes sérums sur Le sang 
des animaux des espèces qui ont servi à l'immunisation des lapins ; 
en outre cette action subit d'importantes oscillations individuel- 
les, comme on le voit dans le tableau ci-joint. Quant à la marche 
du processus hémolytique dans ces cas de non-spécificité, elle 

1. Ann, de l'Instit. Pasteur, 1899, p. 273. 


2. Berl. Klin. Wochenschr., 1901, p. 571. 
3. Munch. med. Wochenschr., 1899, p. 1228. 


4 


4. Deutsche med. Wochenschr., 1900, p. 61. 


_ 


ÉTUDES SUR L'HÉMOLYSE. 59 


ne se distingue en rien de ce que nous avans noté pour la gre- 
nouille et la tortue de terre : le protoplasma des hématies esl 
seul attaqué, tandis que le noyau reste intact. 


Proportion à laquelle le 
sérum spécifique Proportion à laquelle le sérum spécifique, 

pour la tortue de terre pour les globules rouges de la grenouille dissout le sang 
dissout le sang (émulsion 5 °/) de : 
(émul. 8 0/0) de : : î AT È 


a — — Æ TT — NT TNENSS 
Tortue Tortue f - 
terre AE Grenouille. Crapaud. Triton. Salamandre.| Axolotle. 


En outre, les quatre dernières rubriques pourraientnous ame- 
ner à conclure qu'ils existe un rapport constant entre le degré 
de parenté zoologique des espèces animales données et l’action 
qu'un sérum hémolytique exerce sur leur sang, de sorte qu’en 
se basant sur ce facteur, il serait possible de déterminer jusqu’à 
un certain degré le rang occupé par une espèce donnée dans la 
classification zoologique. 

L’imparfaite spécificité de nos sérums actifs existait aussi en 
ce qui regarde la propriété précipitante de ces sérums; ainsi, le 
sérum spécifique pour le sang de grenouille, qui provoquait un 
précipité abondant dans le sérum de grenouille, précipitait de 
même le sang des autres batraciens cités (crapaud, etc.). Il n’exis- 
tait pour les deux cas que des différences quantitatives, c’est-- 
à-dire que le dépôt formé dans le sang des derniers était moins 
abondant et demandait, pour se produire, une proportion plus 
notable de sérum actif. | 

Même résultat pour le sérum actif contre le sang de la tortue 
de terre. Cette non-spécificité des précipitines prouve qu'il existe 
une parenté biologique entre les albumines provenant des diver- 
ses espèces animales, de même qu'entre les diverses albumines 
d'une même espèce, ce qui, du reste, a été déjà plus d’une fois 
constaté et, tout dernièrement, Linossier et Lemoine : ont obtenu 
des résultats analogues aux nôtres, 

4, Comptes rendus de la Soc. de biologie, 1902, p. 276. 


OBSERVATIONS 


SUR LES MOUSEIQUES DES ENVIRONS D'ALGER 


Par MM. EDMOND SERGENT er ÉTIENNE SERGENT 


Ayant l'intention d’étudier et de combattre le paludisme en 
Algérie, nous avons pensé que l’étude des moustiques de ce pays 
s’imposait d'abord. Nous avons limité nos recherclies, cette 
année-Ci, à une zone d'environ 15 kilomètres de rayôn autour 
d'Alger, où nous avons recueilli des Culicides à l’état larvaire 
ou adulte pendant les différentes saisons. 

La région explorée comprend le massif de la Héaré fait 
de gneiss et de micaschistes, qui descend rapidement de 400 mè- 
tres d'altitude jusqu'à la mer, au nord et à l'est. Sur le flanc 
est s'étage la ville d’Alger. A l’ouest et au sud, les roches cristal- 
lophylliennes disparaissent sous les terrains calcaires qui cons- 
lituent le Sahel algérien, chaîne littorale peu élevée et coupéé 
de ravins, qui sépare la vaste plaine de la Mitidja de la mer. 

Les moustiques capturés dans cette région appartiennent à 
9 espèces, dont 5 connues et 3 nouvelles, 

Ce sont : 

Anopheles maculipennis (Meigen) ‘ : 

Stegomyia fasciata (Fabr.); 

Culex fatigans (Wiedemann)?; 

Culer pipiens (Linné): 

Culex spathipalpis (Rondani):; 


1. Nous avons observé que les À. maculipennis algériens sont plus petits 
que ceux des environs de Paris. (En Algérie, femelles : 5 mm.5 sans la trompe: 
mâles, # mm. 1/2 à 5 millimètres. En France, femelles : 6 mm. 1/2 à 7 mm. 1/2; 
mâles, 6 à 7 millimètres.) 

2. Pour déterminer le c. f'atigans, espèce très variable, nous nous sommes 
servis des caractères suivants, qui sont constants : Le siphon respiratoire de la 
larve est très long et étroit. Le rapport entre la plus petite largeur et la plus 
srande longueur de ce siphon est, en moyenne, de 4 à 15. [Chez le €. pipiens, il 
est de 4 à 7]. Chez la femelle, la première cellule sous-marginale de l'aile est trois 
fois plus longue que sa tige: chez le mâle, elle est deux fois plus longue que sa 
tige. La nervure transversale postérieure de l'aile est éloignée de la transv ersale 
moyenne de 1 fois 1/2 à 2 fois 1/2 sa propre longueur, 


MOUSTIQUES DES ENVIRONS D’ALGER 61 


Culex lateralis (Meigen) !, 

Les espèces nouvelles sont : 

Anopheles Algeriensis, n. sp. Theobald. 
Culex Sergenti, n. sp. Theobald. 
Culex Mariæw,n. sp. 


Anopheles algeriensis. Theobald. 


Cette espèce nouvelle est voisine d'A. bifurcatus. Elle semble 
en être la forme vicariante en Algérie. Elle en diffère par les 
caractères suivants : 1° {aille moindre; femelle, 3 mm. 1/2 à 
4 mm. 1/2, au lieu de 5 à 5 mm. 1/2; mâle, 3 à 4 millimètres 
au lieu de 6; 2° les nervures transversales des ailes sont diffé- 
rentes : chez À. Algeriensis, les nervures transversales antérieure 
et postérieure sont sur une même ligne dans les deux sexes. 
Chez A. bifurcatus femelle, la postérieure est interne; chez le 
mèle, c'est l’antérieure qui est interne ; 3° les écailles latérales 
des nervures des ailes sont plus longues et plus minces chez 
A. Algeriensis que chez A. bifurcatus. 

Les larves de À, Aïgeriensis présentent les particularités 
suivantes : les soies médianes et angulaires de la tête sont tantôt 
absolument dépourvues de ramuscules comme chez A. bifurcatus 
(18 sur 46 larves examinées); tantôt garnies de poils courts, 
comme chez A. superpictus (3 sur 46) examinées); ou bien les 
soies médianes sont simples, et les angulaires se divisent en 2 ou 
parfois 3 rameaux (25 sur 46 examinées). 

Dans les œufs, les chambres à air sont très volumiueuses. 
Elles occupent plus des 2/3 de la longueur totale de l'œuf. Après 
la ponte dans les bocaux de laboratoire, les œufs sont disposés 
irrégulièrement à la surface de l’eau, parfois en étoile, parfois 
parallèles entre eux, parfois isolés. 

Culex Sergent. Theobuld. 

Cette espèce est voisine de C. geniculatus Olivier (=C. hortensis 
Ficalbi). Elle se caractérise par des bandes blanches apicales se 
continuant avec des taches blanches latérales triangulaires, sur 
chaque segment de l'abdomen, tandis que chez C. geniculatus, les 
bandes des sommets de chaque segment sont simples, sans 
expansions latérales (Theobald). 

4. Chez les c. lateralis que nous avons capturës en Algérie, les écailles päles 


qui couvrent chaque côté du mesonotum sont plus dorées, d’après Theobald, que 
chez les spécimens européens. 


62 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


r 


Feuezze. — La téte est couverte d’écailles fines, blanches et 
jaunâtres, et surles côtés de la nuque seulement d’écailles plates 
blanches. Le, rebord des orbites est marqué par des écailles 
blanches. Les antennes, les palpes et la trompe sont d’un noir 
bleu. 

Les palpes se terminent à leur 3° article, plus grand que les 
autres ; il n'y a pas de 4° petit article. 

Le thorax est brun jaune, avec des écailles courbes blanc 
jaunâtres. Il ne porte aucun dessin. 

L’abdomen est noir. Chaque segment à une mince bande 
blanche apicale, s’élargissant sur les côtés en triangles blancs 
dont le sommet est dirigé vers la tête. La face inférieure de 
l'abdomen est entièrement blanche. à 

Les paites sont bleu-noir, sauf à la base et à la face interne 
des fémurs, qui sont jaunâtres. Il y a quelques écailles blanches à 
l'articulation du fémur et du tibia et à celle du tibia et du méta- 
tarse. Les ongles sont égaux et simples à toutes les pattes. 

Les ailes ne sont pas tachetées, La première cellule sous- 
marginale est deux fois plus longue que sa tige. Elle est plus 
longue et plus mince que la deuxième cellute postérieure. Celle- 
ci à la même longueur que sa tige. Les nervures transversales 
antérieure et moyenne sont sur la mème ligne, la tranversale 
postérieure est en dedans de la moyenne à une distance de 
1 fois 1/2 à 2 fois 1/2 sa propre longueur. 

La longueur est de 3 mm. 1/2 à 4 mm. 1/2 sans la trompe, 
5 mm. 1/2 à 6 millimètres avec la trompe. 


Culex Marie n. sp. 


Cette nouvelle espèce se caractérise par un anneau blanc à 
la trompe (surtout chez le màle); les derniers articles du tarse 
blancs ; des anneaux blancs sur les divers segments des pattes; 
un mélange d’écailles blanches et noires sur les nervures des 
ailes, les pattes, la trompe. 

Feuezze. — Têle noire, avec de nombreuses écailles minces 
courbes dorées — des écailles droites bifurquées — et des écailles 
plates blanches, celles-ci surtout surles côtés de la nuque. Autour 
des yeux, qui sont noirs, une rangée d’écailles blanches. Sur le 
front, noir, écailles blanches et écailles minces dorées. Antennes 
d’un brun-jaune, avec des anneaux blancs à la base et au sommet 


ms 


MOUSTIQUES DES ENVIRONS D’ALGER, 63 


de chaque article, ceux du sommet étant plus étroits que ceux 
de la base. Les palpes sont très courts, noirs. Le 3° article a un 
anneau blanc à la base et le sommet tout blanc. Il n’y a pas de 
ie petit article. La trompe, noire, est pailletée d’écailles blanches 
surtout à la partie médiane, où elles forment un anneau un peu 
diffus. 

Lethorax,cuivré sombre, est couvert d’écailles dorées minces, 
d'un petit nombre d’écailles blanches et de poils noirs. Il ne 
présente aucun dessin. Les flancs, d’un brun jaunâtre, portent 
des écailles blanches disposées par amas. Le scutellum est revêtu 
d’écailles dorées et blanches peu denses, etest bordé d’unerangée 
de poils bruns. Le metanotum, cuivré, est nu. 

L’abdomen est noir. Le 1 segment est presque partout cou- 
vert d’écailles blanches disposées sans ordre, les autres segments 
ont une bande blanche basale peu considérable qui s’élargit en 
deux taches latérales triangulaires, ce qui détermine un trapèze 
noir apical. La face ventrale est entièrement blanche. Les poils 
qui se dressent au bord de chaque segment sont dorés. 

Les hanches sont jaunâtres, couvertes par places d’écailles 
blanches. Les pattes sont noires, pailletées d’écailles blanches, 
sauf la face interne du fémur qui est jaunâtre. Les derniers 
articles du {arse aux 3 paires sont entièrement blancs (ceci est 


moins net à la 1'° paire). Les autres segments des pattes ont 


tous un anneau blanc basal et un anneau blanc apical, sauf 
l’avant-dernier article tarsal des 3 paires, et l’antépénultième de 
la 1° paire, qui n’ont pas d’anneau apical. La formule indiquant 
les dents des ongles est : 1.1 — 1,1 — 1.0. 

Les ailes, non tachetées, ont leurs nervures longitudinales 
revêtues d’écailles noires et blanches mêlées. La frange est 
blanche, La 1'° cellule sous-marginale, de même longueur que la 
2° postérieure, est plus étroite qu’elle, plus éloignée de la base 
de Paile, et plus rapprochée de l'apex. La 1" sous-marginale a 
la même longueur que sa tige, la 2° postérieure est plus longue 
que la sienne, La nervure transversale surnuméraire (antérieure) 
est très courte et parfois difficile à distinguer; elle est au 
mème niveau que la nervure moyenne. La postérieure est en 
arrière à une distance égale à sa propre longueur. Les haltères 
sont jaunâtres. 

Mare. — Les antennes, noires brunes, avec leurs deux derniers 


64 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


articles non plumeux, plus longs que les autres, sont moins 
longues que la trompe. Les palpes noirs sont de la même lon- 
gueur que la trompe. Il Y a un anneau blanc à la base de chacun 
me 2 derniers articles, qui ne sont presque pas renflés. Le 
1% article porte à sa partie moyenne un large anneau jaunâtre, : 
coupé par un mince anneau noirâtre autour de l'étranglement. 
De longs poils bruns partent de la partie terminale du 1° article 
et des 2 autrts articles. La trompe, noire, a un large anneau 
blanc à sa partie movenne. Le lobe basal de Papa génital 
externe est très long, et poilu. 

La formule qui exprime le nombre de dents des ongles 

Lt: 2.1 — 1.1 — 0.0. 

Dimensions: Femelle, 5 m. m. 1/2 sans la trompe, 7 1/2 avec 
la trompe. 

Mâle, 4 m. m. à 5 1/2 sans la trompe, 5 1/2 à 7 1/2 avec la 
trompe, 

La femelle de cette espèce, très sanguinaire, pique en plein” 
jour. 

Les larves de C. Mariæ ont un tube respiratoire presque 
aussi large à son extrémité apicale qu’à sa base. 

Influence des saisons. — Il n’y a, à Alger, à proprement par- 
ler, que deux saisons : l'hiver, frais et pluvieux, et l'été, chaud 
et sec. C’est durant cette dernière saison que pullulent les 
moustiques, mais ils hivernent à l’état adulte et à l’état larvaire. 

On trouve toute l'année, ea certains points, des larves d’Ano- 
pheles, de Culer spathipalpis, de Culex pipiens; et nous avons 
assisté, au mois de février, à la sortie de leurs nymphes de plu- 
sieurs Anopheles. D'après nos observations, les premières pontes 
de l'été ont lieu dans la première quinzaine de juin, les dernières 
pontes dans la première quinzaine d'octobre. 


Distribution des espèces. — On peut ranger ces différents 
moustiques, d’après l'habitation de leurs larves, en plusieurs 
catégories : 


1) La larve de C. Mariæ n’a été pêchée que dans les trois 
d’eau salée des falaises de calcaire cristallin. Cette eau provient 
des grandes lames que les tempêtes d’équinoxe jettent par-des- 
sus les rochers de la côte, et des pluies. En été, où il ne pleut 
jamais, l’évaporation amène un fort degré de concentration des 


sels de cette eau. 


MOUSTIQUES DES ENVIRONS D’ALGER 


L 


13 


VAoussel 5c 


6) 


66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Au mois d'août, époque à laquelle il y avait beaucoup de 
larves dans ces eaux, une analyse qu’a bien voulu faire faire 
M. G. Bertrand dans son laboratoire y révélait une proportion 
de 55 grammes de chlorures pour 1 litre. Au même moment, l’eau 
de la NET tanée. puisée en pleine mer, contenait 34 grammes 
de chlorures par litre. 

Ces larves vivaient done dans une solution de chlorures 
presque deux fois plus concentrée que l’eau de mer. 

Elles pouvaient vivre d’ailleurs dans des solutions moins 
fortes : les premières pluies d'octobre ayant rempli ces trous 
d’eau, les chlorures étant dans la proportion de 43 grammes 
par litre, les larves vivaient fort bien. 

2) Les moustiques dont les larves ont été capturées un peu 
partout sont €. pipiens L., C. spathipalpis, qui se contentent des 
flaques d’eau les plus sales. Les larves de C. Sergentii et de 
C. lateralis vivent dans les mêmes conditions. mais sont beau- 
coup plus rares. 

3) Il est une espèce que nous n’avons rencontrée que dans 
les villes d'Alger et de Mustapha, c’est le Sregomyia fasciata. Ses 
larves vivent dans Les moindres collections d’eau citadines. Nous 
en avons trouvé dans les quelques gouttes d’eau qui restaient 
au fond d’un pot de fleurs sur un balcon, dans le pot à eau d’un 
cabinet de toilette. - 

Leurs adultes sont les moustiques les plus fréquents des 
appartements. Le Si. fasciala étant considéré comme capa- 
ble de transmettre le virus de la fièvre jaune, il y a lieu de 
retenir le fait. < 

4) Les larves d'A. maculipennis, d'A. Algeriensis, de C. fati- 
gans ont le même habitat, où on les rencontre souvent réunies. 
Leurs gîtes s’échelonnent, de façon frappante, le long des 
vallées qui descendent du massif de la Bouzaréa, et à partir des 
sources mêmes. (300 mètres d'altitude). 

Les Anopheles ont été recueillis dans 13 localités sur 29, que 
nous avons explorées. Sur ces 13 localités possédant des 
Anopheles, 6 jouissent d’une réputation incontestée de salubrité au 
point de vue paludisme. Ces 6 localités sans fièvre et avec Ano- 
pheles sont aux altitudes respectives de 350 mètres, 300 mètres, 
270 mètres, 220 mètres, 190 mètres, 150 mètres. 

Les 7 localités fiévreuses et avec Anopheles sont aux altitudes 


MOUSTIQUES DES ENVIRONS D’ALGER 67 


respectives de 180 mètres, 120 mètres, 100 mètres, 93 mètres, 


20 mètres, 15 mètres, # mètres ‘. 


Conclusions. — Parmi les espèces de moustiques capturées 
dans les environs d'Alger, deux appartiennent au genre Ano- 


pheles propagateur du paludisme. 

Une autre, le Stegomyia fasciata est l'espèce qui a été reconnue 
capable de transmettre la fièvre jaune. 

Enfin, le Culex fatigans est un des moustiques qui peuvent 


être les hôtes dangereux de la Filaire du sang. 

1. Nous remercions vivement M. le Dr Bordo, de Chéragas, pour les rensei- 
gnements cliniques qu'il nous à fournis, au sujet du paludisme du Sahel algérien, 
question pour laquelle il a une compétence toute particulière. 


EXPLICATION DES FIGURES 


1. OBuf d’'Anopheles Algeriensis (vu de face). 
RS = — (vu de profil). 


: | Différentes formes des soies médianes et angulaires de la tète des larves 
. ( d'4. Algeriensis (dessinées d’un seul côté), 


. Aile d'An. algeriensis. (Schéma.) 

. Ecailles des nervures des ailes d'An. algeriensis. 

9. Ecailles des nervures des ailes An, bifurcatus. 

40. Aile de Culex Marie. 

11. Ongles des pattes de Culex Mariæ, mâle et femelle, 

12. Siphon respiratoire de la larve de Culex Mariæ. 

-43. Face supérieure de l’abdomem de Culex Sergentii, femelle, 
14. Face latérale de l'abdomen du même. 


RÉSUMÉ DU RAPPORT 


SUR LA CAMPAGNE ANTIPALUDIQUE 


organisée en 1902 à la gare de l'Alma (Est-Algérien.) 
Par MM. EDMOND SERGENT er ÉTIENNE SERGENT 


Le paludisme est, encore aujourd’hui, le principal obstacle à 
l'essor de la colonisation et à la mise en valeur de l'Algérie. De 
grands travaux de drainage ont assaini certaines régions ; mais 
ces ouvrages coûteux n'ont pu être exécutés que sur des points 
limités. D'autre part, si l’on étudie, de près, l’histoire de quel- 
ques villages, on aboutit à cette conclusion que le progrès de La 
civilisation n’entraîne pas toujours un abaissement dans la 
morbidité paludéenne. Nous connaissons des localités autrefois 
salubres où l’endémie palustre s’est implantée récemment, alors 
qu'une ère de prospérité semblait devoir récompenser les 
efforts des travailleurs. Cela tient sans doute à ce que le prin- 
cipal soin du colon, partout où il s’établit, est de se procurer 
de l’eau en abondance, de l’accumuler pour la saison sèche; il 
crée ainsi des milieux de culture pour les larves des Anopheles, 
propagateurs du paludisme. 

Il était intéressant d’expérimenter en Algérie les nouvelles 
mesures prophylactiques du paludisme, basées sur la défense 
contre les moustiques. Il fallait, pour obtenir une expérience 
précise, opérer sur un territoire restreint, réunissant les con- 
ditions nécessaires à l’application rigoureuse de ces mesures, et 
à la constatation de leurs résultats. 

Grâce à M. le D' Stéphann, médecin en chef, et à M. Mayer, 
directeur de la Compagnie de chemins de fer de l’Est-Algérien, 
que nous remercions vivement pour toutes les facilités qui nous 
ont été données, nous avons pu mettre en défense contre les 
Anopheles une des gares les plus éprouvées de tout le réseau 
par le paludisme, la gare de l’Alma, sur la ligne d'Alger à Cons- 
tantine, à 38km,600 d'Alger. | 

Cette gare est située dans la plaine de la Mitidja, au pied 
des premiers contreforts de l'Atlas, au fond de la vallée de l’oued 
Boudouaou, large de 600 mètres environ, que la voie traverse 


CAMPAGNE ANTIPALUDIQUE 09 


perpendiculairement. Il n’y à pas de remblais, de sorte que la 
voie présente de chaque côté de la gare deux rampes rapides 
pour remonter les flancs de la vallée. Ceux-ci atteignent 30 à 
35 mètres d'altitude, tandis que la gare, dans le bas-fond, est à 
15 mètres seulement. La vallée est dirigée sensiblement dans la 
direction sud-nord, et renferme, à 1,800 mètres en amont (au 
sud) de la gare, le village de l’Alma; elle aboutit à la mer, à 
3 ou 4 kilomètres au nord. Dans cette vallée, à 200 mètres à 
l'est de la gare, coule l’oued Boudouaou sur un lit de galets, 
sans végétation fluviale, torrent en hiver, ruisseau en été. 
A 300 mètres à l’ouest de la gare, et parallèlement à l’oued, a 
été creusé de main d'homme un canal d'irrigation, qui provient 
du grand barrage du Fondouck, situé à une dizaine de kilo- 
mètres en amont, Ce canal reçoit de l’eau jusqu’en octobre, 
époque à laquelle on ferme le barrage, mais alors les pluies 
surviennent. Il contient donc constamment de l’eau. Il est large 
de 1 à 2 mètres, d’une profondeur variant de 50 centimètres à 
1 mètre. Il n’y a presque pas de courant, et il y pousse une 
végétation luxuriante, qui nourrit une faune très abondante. 
L'eau potable est apportée à la gare de l’Alma, par des trains, 
de la gare de Ménerville, salubre, située plus loin sur la ligne. 
Il y à de plus un puits non couvert chez la garde-barrière, La 
gare est enfouie dans un petit bois d’eucalyptus qui en ont des- 
séché les abords immédiats. Les arbres d’autres essences sont 
rares dans les environs. Dans la vallée, en amont et en aval, 
s'étendent des cultures de céréales et des vignobles. Près de la 
gare s'élève une ferme isolée, habitée par la famille N. 

Durant notre expérience, la gare était occupée par 13 per- 
sonnes, dont 9 y étaient installées depuis plus d’un an et étaient 
toutes impaludées ; # étaient arrivées durant l’hiver, n'ayant 
jamais eu les fièvres. 

Les voisins de la gare, non compris dans l'expérience, 
étaient un homme d’équipe indigène qui logeait avec sa femme 
et ses deux enfants dans un gourbi, sorte de cahute ouverte à 
tous les vents. Dans le sang de ces enfants, nous avons trouvé, 
pendant l'été, l’hématozoaire de Laveran en dehors de tout état 
fébrile. Pour le moment, nous avons renoncé à essayer de défen- 
dre ces indigènes très arriérés. 

La ferme dont nous avons parlé était habitée par un colon, 


70 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


ancien légionnaire, sa femme et un enfant en bas âge. Un autre 
enfant leur naquit en été 1902, au moment de l'expérience. Ce 
colon refusa l’offre que nous lui fimes d'installer chez lui les 
mesures de défense prises à la gare. 

Il faut remarquer que ces voisins de la gare, tous paludéens, 
constituaient des sources d'infection inaccessibles, où les 
Anopheles pouvaient venir s’infecter. 

Ces mauvaises conditions augmentaient donc les difficultés 
de la prophylaxie. 


* 
# * 


Les méthodes de prophylaxie du paludisme peuvent se 
diviser, à l’heure actuelle, en 3 catégories : 

1) Traitement préventif par la quinine des malades dont le 
sang contient l’hématozoaire, et qui sont ainsi des sources d'in- 
fection ; | 

2) Protection contre les piqüres d’A nopheles adultes ; 

3) Destruction de ces moustiques à l’état larvaire. 

10 Traitement préventif par la quinine. — La Compagnie de 
l'Est-Algérien a fait le nécessaire depuis longtemps: sur simple 
demande des agents, le chef de gare leur livre gratuitement de 
la quinine en paquets ou en comprimés. Des circulaires rap- 
pellent aux employés l'importance de cette médication. 

Nous nous sommes donc occupés des deux autres modes de 
défense. , 

2° Moyens mécaniques de protection contre les pigüres des 
ANOPHELES. 

A. Défense individuelle. — Les moustiquaires pour lits ne 
sont pas employés à cause de leur fragilité relative, qui les rend 
plus dangereux, une fois avariés. 

Nous avons muni les agents d’un casque en moelle de sureau 
dont les larges bords supportent une voilette cylindrique de 
tulle portant deux coulisses; la supérieure se serre autour du 
casque, l’inférieure sous le col rabattu du veston. Les larges 
bords du casque tiennent le tulle à bonne distance de la peau. 
Les employés ont chacun deux paires de gants de gros fil, qu'ils 
doivent mettre l’une sur l’autre. On leur recommande de fermer 
par un élastique le bas de leur pantalon. 

Malheureusement, l'emploi de ces voilettes et des gants a été 


CAMPAGNE ANTIPALUDIQUE 71 


fort néghgé par les agents, comme nous avons pu nous en 
assurer. 

B. Défense des habitations. — Le principe en est basé sur 
l’obturation de toute ouverture par une toile en fil de fer galva- 
nisé dont la maille mesure 10,5 de côté. 

Ainsi, la porte de bois préexistante est doublée par un châssis 
formé d’un cadre de bois couvert de toile métallique et attaché 
au mur par deux charnières. Ce châssis est maintenu fermé par 
un ressort. Certaines portes munies d’une sorte de perron ont 
permis de construire un tambour, une cage de toile métallique, 
s’ouvrant d’un côté dans l'appartement par la porte de bois, de 
l'autre côté sur le dehors par un châssis comme ceux qui dou- 
blent les autres portes. 

On place un cadre garni de toile métallique entre la fenêtre 
et le volet en le fixant avec du plâtre. Une lucarne est ménagée 
au milieu de la toile métallique pour permettre d'ouvrir le ex 
Cette lucarne est soigneusement fermée par un chässis ressem- 
blant en petit à ceux qui doublent les portes. 

Un carré de toile métallique est collé avec du plâtre à la 
partie supérieure des cheminées. Il sera très facile de l’enlever 
pour le remplacer, lorsque la suie aura bouché les mailles. 

- Les chiffres suivants indiquent le résultat dû à ces mesures. 

La pose des grillages eut lieu le 26 juin. En 2 visites des 
chambres faites avant cette date (15 et 20 juin), c’est-à-dire au 
moment où les moustiques sont encore rares, 11 Anopheles 
femelles furent capturées (tous dans les chambres à coucher). 
En 15 visites faites après la pose des grillages, du 4 juillet au 
11 novembre, c’est-à-dire à l’époque où les moustiques sont le 
plus abondants, 10 Anopheles femelles seulement sont trouvés. 
Elles étaient toutes dans le bureau du chef de gare et La buvette, 
pièces ouvertes à tout instant au moment du passage des trains, 
Aucune ne fut capturée dans les chambres à coucher. 

3° Destruction des larves d’ANoPHELESs. 

Nous nous sommes servis dans ce but du pétrole ordinaire, 
répandu à la surface de l’eau. Dans les environs de la gare, le 
principal gîte des larves d’Anopheles était un canal d'irrigation 
couvert de végétation. Nous faisions faucher ces Fee el 
nous versions le pétrole dans la proportion de 10 à 20 cm. par 
mètre carré d’eau. L'eau du canal était ensuite bien brassée 


72 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


pour favoriser l’étalement du pétrole. Les pétrolages qu’on 
effectuait aussitôt qu’une pèche révélait la présence de jeunes 
larves dans l’eau ont dû être répétés toutes les trois semaines ou 
tous les 15 jours (au mois de septembre tous les 8 jours). Leur 
résultat est représenté par les chiffres suivants : | 

Avant la campagne, il y eut 2 pêches (20 et 22 juin), c’est- 
à-dire à un moment où les moustiques sont encore rares; les 
2 coups de filet les plus fructueux donnèrent 25 larves ou 
nymphes d’Anopheles. 

Pendant la campagne (26 juin au 11 novembre), c’est-à-dire 
à l’époque où les moustiques sont le plus abondants, il y eut 
1% pêches : les 14 coups de filet les plus fructueux donnèrent 
14 larves ou nymphes *. 


Résultat sur la santé du personnel. 


La gare de l’Alma était l’une des gares du réseau le plus 
éprouvées par les fièvres paludéennes. Du 1° juillet 1894 au 
1 décembre 1901, 9 agents ont rempli les fonctions de chef ou 
de sous-chef de gare. Tous y ont contractés le paludisme, dès la 
première année de leur séjour; 8 d’entre eux ont dû être changés 
de poste, « pour cause de paludisme, sur avis du médecin ». Le 
9%, le chef de gare actuel, est gravement impaludé depuis la 
1" année de son séjour (1898) et a eu tous les ans des accès de 
plus en plus violents. 

Le 16 juin, date à laquelle a commencé la campagne, 
15 personnes habitent la gare. Parmi elles, 9 y sont installées 
depuis plus d’un an et sont impaludées, 4 sont arrivées 
durant l'hiver 1901-1902, n’ayant jamais eu les fièvres. Ces 
quatre personnes ont passé lété et l'automne 1902 sans présenter 
aucun symptôme de paludisme. Parmi les anciens impaludés, 
presque tous ont eu quelques accès, attribuables à leur infection 
antérieure. Le chef de gare, qui avait tous les ans son 1° accès 
estival vers le 1° juillet, ne l’a eu cette année que le 20 août. 

Des sujets non protégés, pouvant servir de « témoins » pour 


notre expérience, nous sont fournis par les seuls voisins de la. 


1. Du 26 juin au 11 novembre, 14 pêches pratiquées dans une autre localité 
non pétrolée de la même région nous fournirent {aux 1# coups de filet les plus 
fructueux) 220 larves environ. La différence entre ces nombres de 14 larves pour 
VAlma, et de 220 larves pour la localité témoin, donne une idée de Peffet du pétro- 
lage. 


DANCE EE AU 0 UE Te 


CAMPAGNE ANTIPALUDIQUE 13 


gare, la famille N., qui avait refusé nos toiles métalliques. Ils 
entraient tous, le 15 septembre 1902, à l'hôpital de Mustapha, 
avec le même diagnostic: « fièvres paludéennes ». 

Conezusiox. — En résumé, le pétrolage du canal et la pose 
des toiles métalliques ont diminué d’une façon évidente le nom- 
bre d’Anopheles ‘ trouvés dans les chambres, et, par suite, res- 
treint le nombre des chances d'infection ou de réinfection pour 
les habitants de la gare. 

Les quatre nouveaux venus dans la gare n’y ont pas contracté 
le paludisme. C’est la première fois que des personnes passent 
un été en ce lieu sans y prendre les fièvres. 

Evidemment, c’est là une expérience restreinte, mais nous 
ferons remarquer qu’elle en est d'autant plus précise. Nous espé- 
rons la reprendre l’année prochaine sur une plus grande échelle, 
grace à M. Mayer, directeur de la Compagnie de l’Est-Algérien, 
qui a décidé de faire établir dans plusieurs autres gares les 
moyens de défense expérimentés à l’Alma. 

1. Les Anopheles capturés à l’Alma appartiennent à l’espèce 4. maculipennis 
(Meigen) et à une espèce nouvelle À. Algeriensis (Theobald). Les Culex trouvés 
sont de l'espèce C. pipiens (Linné) ou d’une espèce nouvelle, C. Sergentii (Théo- 


bald) ou de l'espèce C. fatigans (Wiedemann). 
Ces moustiques feront l’objet d’une étude spéciale. 


MÉTHODE D'HYDROLYSE DES PROTOPLASMIDES 


Par M. À. ÉTARD 


I 


Difficultés des travaux biologiques. — La cellule vivante qui a 
pris un si grand rôle n’est pas une sorte d’entité, de pièce 
identique dont les accommodations amènent la variété dans la 
série des êtres. Les groupements chimiques diffèrent d’une 
espèce à l’autre, d’un tissu à l’autre, de l’état normal à l’état 
pathologique. Pour cette raison, il est nécessaire de poursuivre 
cette sorte de dissection chimique des tissus qui a occupé 
Schützemberger, puis Fischer et Kossel. Ces travaux sont 
dignes de tenter les chimistes. Ils sont à la vérité d’une grande 
difficulté. 

Les produits biologiques sont des plus décevants, qu'ils 
viennent d'hydrolyses ou des sérums. Ce sout des sirops de bel 
aspect, incristallisables, indéfiniment solubles dans l’eau et tout 
à fait insolubles dans les solvants carbonés. Ils ne laissent pas 
prévoir de fractionnement possible ou d’action partielle qui les 
sépare. On serait en moins mauvaise posture devant un sirop 
limpide qui contiendrait à la fois tous les pentoses, hexoses et 
heptoses connus. Cela a une apparence simple, donne des réac- 
tions” générales et même des analyses moyennes satisfaisantes. 
Il faut seulement se dire qu'il n'y a pas une solution dans l’eau, 
mais une multitude de solutions qui se retiennent les unes les 
autres, et où aucun corps n’a sa solubilité propre ni ses cons- 
tantes tant qu’on ne l’a pas séparé. Il en est à peu près de même 
pour les réactifs qui n’ont pas d’action ou précipitent à la fois 
tous ces corps analogues. 

Un second point nous prive d’une idée d'ensemble sur les 
albuminoïdes, les peptones, les sérums. C’est la fonction variable 
de l'être ou du tissu qui les engendre. Les spermes de poissons, 
les embryons végétaux, tout ce qui a une fonction temporaire 
à évolution rapide a permis à l’Ecole biologique allemande de 
découvrir des protamines et des bases hexoniques. Il se peut 


HYDROLYSE DES PROTOPLASMIDES. 75 


qu'on retrouve ces racines chimiques dans des tissus perma- 
nents, comme on trouve tant d’autres survivances héréditaires. 
Mais il est douteux que cela donne une vue juste de la masse des 
üssus vivants en équilibre stable, tels que les tendons, les os, 
les muscles, etc. 


ssl 


Recherches des racines chimiques des tissus. — On a rarement 
tenté l'oxydation des protoplasmides, car il en revient peu de 
chose : la substance se détruit. Cela semble indiquer que dans la 
matière vivante prédominent les chaînes linéaires azotées ou 
oxyazotées, mais de structure analogue aux sucres qui se dévi- 
dent complètement. Si à l’état initial il y avait là une proportion 
notable de dérivés phényliques ou pyridiques, ils ne seraient 
pas comburés, et apparaïtraient sous des formes substituées 
connues. | 

Pour celte raison, plus ou moins consciente, et surtout 
parce que cela réussit, on a fait jusqu’à présent de lhydrolyse 
et comblé les points faibles des formules par de l’eau, sans tou- 
cher. au substratum profond des groupes biologiques. 

Toutes les hydrolyses par acides ou bases sont recomman- 
dables dans des conditions déterminées. 

Depuis quelques années on a renoncé au réactif de l’inven- 
teur de Phydrolyse : Braconnot (1820). 

L'acide sulfurique charbonnerait facilement la matière, ce 
qui est une preuve d'énergie, et par contradiction les ions de 
l'acide chlorhydrique seraient les plus forts connus. C’est là 
plutôt une vue de théoricien, et le chimiste qui connaît la ma- 
tière choisit les ions convenables [à où ils se trouvent. 

Dans le domaine de chimie biologique de l’Institut Pasteur, 
je me suis occupé entre autres choses de la conduite des hydro- 
lyses, et voici quelques observations sur ce sujet. 

Les ions chlorhydriques ne sont peut-être pas dénüés d’une 
perfection théorique, mais pratiquement cet acide ne se manie 
que dans du verre, ce qui exclut l'usage de grandes masses. 


76 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Après une hydrolyse chlorhydrique, on doit subir la présence 
génante du chlore ou des chlorures, Pour les éliminer, il faut 
faire intervenir l’argent, qui n’enlève le chlore que dans un pré- 
cipité insoluble chargé de matières d’hydrolyse entraînées, qu'il 
n’est plus aisé de faire revenir au jour. 

L'idéal est de chasser totalement du champ d'expérience 
toutes les choses accessoires sans passer par des précipités 


insolubles. ; 
Dans cet esprit, le plus commode est de revenir à l’hydro- 


lyse sulfurique, convenablement étudiée. J'ai constitué un 
hydrolyseur avec un cylindre de tôle d'acier de 100 litres, garni 
d’une épaisse feuille de plomb à soudure autogène, (Fig. I.) 


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Un couvercle également revêtu de plomb, serré par des serre- 
joints, assure l'étanchéité. La vapeur sous pression arrive par 


les trous d’un serpentin. 
Une couche calorifuge couvre l'extérieur et permet de mar- 


cher en calorimètre à 110°. Les accessoires de niveau, de rem- 
plissage et de mesure sont représentés par le dessin ci-joint, 
exécuté d’après mon modèle. 


HYDROLYSE DES PROTOPLASMIDES ET 


En marche normale, cet appareil peut recevoir : 


Muscle frais euit et pressé 30k, (Renfermant 15Kk de sec. 
Acide sulfurique à 64° B. 15F,. 


L'état initial est donc : 


Protoplasmide supposé sec. Soit en 0/0 30 0/0. 
SO#H? dans la masse 15k. Soit en 0/0 30 0/0. 
Eau servant à éteindre SO*H? 5k L eau du tissu 40 0/0. 


Le volume est alors 50 litres. 
L'apport de vapeur chaude provoque la liquéfaction hydro- 
lytique, et après 8 heures l’état final aboutit à la composition 
suivante : 


AN De DAS ES SA AA CD RCE PR NT MORT LE 120 0 
SOH20)/ 0m IA MASSE ER RAT dense est dau case 14 0/0 
Albuminoïde supposé sec (mais hydrolysé)...,,...., 14 0/0 


Le voluroe est devenu 410 litres, 


En d’autres termes, la concentration en SO‘H:? était au 
début de 30 0/0, elle n’est plus à la fin que 14 0/0. 

Tel est le milieu hydrolisé final qu’il s’agit de traiter. Cet 
appareil permet d'obtenir de grandes quantités de matière 
transformée, déduction faite de quelques fibres non dissoutes 
et de la graisse facile à isoler. | 

L’acide sulfurique peut être éliminé exactement. Il suffirait de 
saturer par un excès de baryte, d'enlever à son tour la baryte 
par le gaz carbonique. 

Mais on est loin de retrouver la matière organique engagée : 
une partie est définitivement perdue dans l’entrainement des 
précipités barytiques qui foment des laques. 

Il faut éliminer les corps étrangers à l'état de cristaux 
solubles, se séparant purs et pouvant toujours, en cas de besoin, 
être redissous. Voici donc le nouveau système que j'ai 
employé : 

La masse d’hydrolyse sulfurique finale est saturée exacte- 
ment par de l’ammoniaque, filtrée et évaporée; le sulfate 
d’ammonium, tant qu’il s’en dépose est simplement lavé avec 


73 _ ANNALES DE L'INSTITUT PASFEUR. 


ses eaux mères : il se comporte ainsi comme un sel insoluble ; 
grâce à ce moyen imparfait, la tyrosine et la leucine suivent au = 
moins en très grande partie les sels impurs. Avec quelque 
pratique, on les séparera de là en éliminant à l’état pur le sel 
inutile, dont on doit retrouver le poids à titre de contrôle. 

La concentration, poussée à l’état de sirop épais, laisse dans 
ces sirops 20 0/0 de sulfate. J’ai essayé d'enlever ce sel étranger 
à l’état de sulfate de nickel et d’ammonium, en ajoutant du 
sulfate de nickel; mais dans ces milieux extrêmement complexes, 
on ne peut enlever plus du tiers du sulfate ammonique, et on_ 
introduit un peu de nickel à la place. 

Une réaction rapide m'a permis d'obtenir la matière orga- 
nique, sinon exempte de sulfate, au moins en parfait état pour 
la recherche uitérieure. Il suffit de délayer le sirop sulfaté épais 
dans un mélange à volumes égaux d’acide acétique cristallisable 
et d'alcool méthylique; aussitôt le sulfate d’armmoniaque, facile à 
essorer, se précipite. : 

C’est un avantage de localiser temporairement une grande 
partie de la tyrosine et de la leucine dans un dépôt soluble. 
Cela diminue d'autant la complexité des matériaux hydrolysés, 
où s’accumulent entre autres choses le glycocolle, l'acide glu- 
tamique et des bases. 

- Le fait d'avoir renoncé à un précipité complètement insoluble 
n’a que des avantages, car après ce travail préliminaire, que tous 
les systèmes exigent, les séparations de chimie minutieuse se 
font dans des conditions où le sulfate disparaît tout à fait. 

Ayant déjà montré que l'hydrolyse, par les alealis sous pres- 
sion, amène les corps biologiques les mieux connus à des états 
limites, on ne peut employer ce procédé pour se faire une idée 
de la constitution des protoplasmides. 


OBSERVATIONS 
À porpos du mémoire de MM. TISSIER et MARTELLY 


Par M. PIERRE ACHALME 


Lorsqu'en septembre dernier, je publiai dans ces Annales 
un mémoire sur les difficultés de détermination de certains 
microbes anaérobies, et sur l’utilité que pouvait présenter pour 
arriver à ce but l'étude de leurs fonctions chimiques, spécia- 
lement en ce qui concerne la fermentation des hydrates de 
carbone, je ne pensais pas trouver dans ce recueil même une 
confirmation de ces idées aussi absolue qué celle que vient 
involontairement apporter le travail paru dans le numéro de 
décembre, sous la signature de MM. Tissier et Martelly. 

Ces savants en effet, partis d’un point de départ différent, 
ont été amenés à étudier des microorganismes très voisins de 
ceux qui ont fait l’objet de mes recherches, et l’insuffisance 
de leur technique les a conduits à des confusions si évidentes 
qu'elles démontrent péremptoirement l'utilité du fil conducteur 
que j'ai cherché à dégager de dix années d’études. 

Grâce à lui, il est possible de se convaincre facilement que 
les auteurs de ee mémoire ont décrit, sous le nom de! bacillus 
_putrificus coli (Bienstock), un mierobe différent de celui isolé par 
ce savant. J'ai, en effet, opéré avec un bacille venant de Biens- 
tock lui-même, etconservé dans la collection de l’Institut Pasteur. 
Ce mierobe faisant fermenter d’une manière constante le glycose 
et le maltose, il est clair que l’on ne saurait établir, sur des 
caractères essentiellement instables, uneidentification aveccette 
espèce, d’un microbe ne possédant pas ces propriétés fermenta- 
tives. Le nom de bacillus putrificus coli (Bienstock) pourrait au 
contraire beaucoup mieux s’appliquer au bacille que MM. Tissier 
ei Martelly décrivent comme nouveau sous le nom, mal choisi 
du reste, de bacillus bifermentans sporogenes, bien que l'insuffisance 
de l'étude en rende la détermination exacte difficile. 

Je pourrais être plus affirmatif si les auteurs du mémoire 
_ précilé ne s'étaient pas montrés aussi avares de détails au sujet 


80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


de la technique suivie par eux. Quoi qu’il en soit, en employant 
celle que j’ai décrite, ils pourront se convaincre, entre autres 
choses, que le bacille tétanique, en culture pure, ne se diffé- 
rencie nullement du putrificus et des autres microbes du groupe 
par « la sécrétion d'une diastase peu active sur {es substances 
albuminoïdes et les protéides », mais qu'au contraire il produit 
une trypsine extrêmement puissante. 

Je serai également désireux de connaître le procédé grâce 
auquel MM. Tissier et Martelly ont pu affirmer la sécrétion de 
lipase par les bacilles qu’ils ont étudiés. Tout en réservant la 
question, encore insuffisamment éclaircie, de l’action de la 
lipase sur les graisses, je n’ai obtenu aucun résultat par des 
recherches faites au moyen de la monobutyrine, et la lecture 
du mémoire précité ne suffit pas à convaincre — loin de là — 
que les auteurs se sont mis à l’abri de la cause d’erreur prove- 
nant de la saponification due à l’'ammoniaque formée dans la fer- 
mentation des matières azotées. 

Au sujet de la bibliographie, je ne saurais qu’exprimer mes 
regrets de ce que MM. Tissier et Martelly aient cru devoir 
prendre si tardivement connaissance de mon mémoire paru en 
septembre dernier. Cela leur eût épargné une erreur chronolo- 
gique, qu'ils regrettent certainement, en attribuant à Fränkel la 
première détermination du bacille que j’ai décrit en 1891, et qui 
prend une importance de plus en plus grande dans la pathologie 
humaine, sous les noms de bacillus emphysematosus, bacillus 
enteritidis sporogenes, bacillus perfringens, etc. Gette multiplicité 
de noms plus sonores que significatifs, (le bacille en question 
ne dégageant de gaz abondants que dans certaines conditions 
et ayant une sporulation plutôt difficile) n’est pas faite, en 
effet, pour simplifier un sujet déjà assez compliqué par lui- 
même; aussi le but de mon mémoire était-il de lui donner un 
état civil définitif, en le différentiant de ses proches parents 
appartenant au même groupe biologique. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


Le Gérant : G. Masson. 


A7ue ANNÉE JANVIER 1903. No 2 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 
Epithéloses infecteuses et Épittélomas 


Pair A. BORREL 


La théorie psorospermique ou coccidienne du cancer a été 
le point de départ d’un très grand nombre de travaux: elle a eu 
une vogue considérable à un moment où les coccidies parais- 
saient être les seuls parasites capables de faire proliférer les 
cellules épithéliales par leur développement intra-cellulaire. 

L'’adénome du foie du lapin était la tumeur épithéliale type, 
et la coccidie oviforme le type des parasites à rechercher et à 
caractériser dans les tumeurs épithéliales. 

Nous avons suivi dès le début, en 1890, le développement de 
cette théorie, critiqué successivement les figures invoquées à 
l'appui de la théorie parasitaire et soutenu dans un rapport au 
Cougrès de Paris ‘ (1900) que la démonstration du parasite ou 
des parasites du cancer restait à faire. Les psorospermies de 
Neisser et de Darier, les coccidies de Soudakewitch, celles de 
Sawtchenko, en y joignant les levures de San Felice, nousg 
paraissaient insuffisamment caractérisées et pouvaient être 
expliquées par des particularités de structure et d'évolution de 
la cellule cancéreuse (cellules endogènes, boules muqueuses, 
corps à fuchsine, archoplasma et centrosomes). Parallèlement 
s’est développée, depuis Guarnierti, la théorie coccidienne des 
maladies éruptives, et, dans les cellules épithéliales des pustules 
de la vaccine, de la variole, etc., on a décrit des parasites dont 
le Cytorictes vaccinæ est Le prototype. Là encore, la réaction de 
l'organisme se traduit par une multiplication des cellules épithé- 
liales qui donne naissance à de petites tumeurs : pour les 


1. Congrès de Médecine, Paris, 1900, section de Bactériologie. — Borrez, Les 
Théories parasitaires du cancer; ces Annales fèv, 1901. 


6 


82 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


mêmes raisons que ci-dessus, la théorie coccidienne était toute 
indiquée, et elle a eu de nombreux partisans. 

Certains auteurs, et Bosc! en particulier, ont voulu élargir 
la question en soutenant que les figures intra-épithéliales de la 
vaceine, de la variole, de la clavelée sont identiques à celles 
décrites comme coccidies dans le cancer, et, en se basant sur 
cette prétendue identité de parasites, M. Bosc a voulu créer une 
grande classe de Maladies à Sporozoaires qui comprendrait la 
vaccine, la variole, la clavelée, le cancer, la syphilis et sans 
doute bien d’autres encore. 

- Les Sporozoaires de la syphilis n’ont pas encore vu le jour 
de la publication ; nous venons de rappeler que nous avons dis- 
cuté jadis les parasites du cancer; nous critiquerons dans le 
cours du présent travail, les Sporozoaires des maladies érup- 
tives. Mais nous pouvons dire déjà que les éléments intra-épi- 
théliaux des maladies éruptives n'ont de commun avec les 
pseudo-parasites du cancer que leur siège intra-épithélial : la 
morphologie en est toute différente et certainement l’origine 
aussi, à tel point que, même en admettant leur nature parasi- 
taire, il faudrait en faire des parasites d’un type spécial. 

D'ailleurs, pour comparer la vaceine et le cancer à ce point 
de vue, il serait très important d’être fixé une fois pour toutes 
et d’une façon précise sur les termes de la comparaison : du 
côté cancer, s'agit-il des coccidies première manière, type 
Neisser ou Darier, ou des coccidies de Soudakewitch, 
ou des coccidies-levures, type Plimmer, ou des parasites de 
#Sawichenko? Du côté maladies éruptives, s'agit-il des para- 
sites de Guarnieri, ou des formes géantes de Funck, ou des 
boules chromatiques de Roger dans la variole, ou des formes 
que Bosc a décrites dans le sang des moutons claveleux ? Il y a 
vraiment trop de parasites dans celte question et trop mal 
caractérisés : la multiplicité des travaux, le peu de précision des 
deseriplions montrent bien que la démonstration cruciale 
manque et que, si parasite il y a, ce parasite est encore flou et 
se détache mal sur le fond des préparations microscopiques. 

Pourtant les Sporozoaires sont maintenant très bien connus 
au point de vue zoologique : ils ont des caractères tranchés, une 


4, Bosc; Les maladies à Sporozoaires, Arch. de Médecine expérimentale: 
mai 1901. 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 83 


structure cellulaire fixée, une évolution déterminée qui ne laisse 
pas place au doute lorsqu'on les rencontre, même très petits, 
dans les cellules parasitées. 

Avant d'affirmer la présence de Sporozoaires, il faut autre 
chose que des descriptions imprécises ou des dessins vagues. 
De plus, à! faudra dorénavant tenir compte aussi du fait expéri- 
mental, que la plupart. des virus en question passent à travers les 
filtres. 

Que plus tard, néanmoins, la démonstration soit faite, que 
les-virus claveleux, cancéreux, etc., appartiennent à quelque 
groupe de Protozoaires, à cela rien liuporsible: nous en con- 
naissons d’assez petits Por passer à travers les filtres (Micromo- 
nas Mesnili'), mais rien, jusqu'ici, n'autorise une pareille conclu- 
sion. | 

Pour nous, malgré une étude attentive et minutieuse des 
inclusions de la vaccine, de la clavelée ou du cancer, nous 
n'avons pas su trouver de stades caractéristiques d’un parasite 
coccidien, et ce parasite restera pour nous encore très problé- 
matique; on peut même affirmer, sans craindre de se tromper, 
que l'immense majorité des formations intra-épithéliales 
‘ décrites comme parasites représentent tout autre chose : à côté 
de l'hypothèse parasitaire, d’autres interprétations sont pos- 
sibles. 

Dans le cours de ce travail, nous comparerons les maladies 
éruptives, et la clavelée surtout, avec le cancer, non pas au 
point de vue des Sporozoaires, mais au point de vue des lésions 
anatomiques, et nous resterons plus près de la réalité des faits, 
en constatant simplement que les virus encore inconnus de ces 
maladies ont une action de prédilection sur le tissu épithélial, 
et déterminent, dans le sens le plus large du mot, la production 
de tumeurs épithéliales: 

L'action du virus claveleux, à ce point de vue, est particu- 
lièrement intéressante et, dans une note à la Société de Biolo- 
gie (18 janvier 1902), nous avons déjà signalé la prolifération 
extraordinaire des épithéliums bronchiques et des endothéliums 
_alvéolaires dans la pustule pulmonaire. Ces nodules pulmo- 
naires «le la clavelée avaient été jusque-là peu étudiés et décrits 


1. Borrez, Expériences sur la filtration du virus claveleux, Soc. de Biologie, 
48 janvier 4902. 


84 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


comme nodules broncho-pneumoniques dus à un processus 
particulier de pneumonie proliférative. 

Ils méritent une attention toute particulière. 

Dans la première partie de ce travail, nous étudierons les 
différentes lésions claveleuses et nous les comparerons aux 
lésions de la vaccine, de la variole, du molluscum contagiosum 
ou acné varioliforme, de la fièvre aphteuse, et même de la peste 
bovine. Nous serons amenés ainsi à constituer une sorte de 
groupement de diverses affections dans lesquelles la réaction de 
l'organisme vis-à-vis du virus se traduit par la prolifération 
des épithéliums et la formation de pustules ou même de petites 
tumeurs épithéliales. De ce fait, nous grouperons ces maladies 
sous le nom général d’ Éprraérroses. 

Nous constaterons en passant que, parmi ces épithélioses, 
quatre sont dues à des virus qui traversent les filtres, comme 
cela a été déjà démontré pour la fièvre aphteuse (Lœæffler), pour 
la clavelée (Borrel), pour la peste bovine (Nicolle et Adil-Bey), 
pour le molluscum contagiosum (Marx et Sticker). 

L'action de ces virus petits, sur la cellule épithéliale, dans 
les Epithélioses, permet jusqu’à un certain point de comprendre 
l’action du virus cancéreux dans les ÉprraéLiomas proprement 
dits. 

L'étude expérimentale et anatomo-pathologique de l’Épithé- 
lioma de la souris sera pour nous une occasion de préciser les 
analogies et les différences qui existent entre l’Épithéliose cla- 
veleuse et l’Épithélioma cancéreux. 


ÉPITHÉLIOSE CLAVELEUSE. 
Descriphion de la maladie. 


La clavelée ou variole ovine est une maladie du mouton, et 
le mouton seul est sensible à l’action du virus claveleux. Par 
ses caractères cliniques, la maladie ressemble beaucoup à la 
variole humaine. 

Elle peut être reproduite facilement au laboratoire par ino- 
culation expérimentale. Les agneaux de la région parisienne 
sont particulièrement sensibles, et la mortalité chez les inoculés 


est considérable. 
Si on inocule sous la peau d'un mouton, à la seringue, une 


DATE ATEN" MCE 7 rs, 


la 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 85 


goutte de sérosité claveleuse, on constate, après une période 
d’incubation de 4 jours en moyenne, une infiltration du tissu 
sous-épidermique, marquée bientôt par une tache rouge vineuse 
qui s'étale rapidement sur la surface cutanée; la température 
s'élève en même temps et tout d’un coup, à #1°, 41°-5. La pus- 
tule d’inoculation se développe et atteint quelquefois des 
dimensions considérables ; le tissu épithélial est épaissi, le derme 
infiltré et le tout constitue une grosse induration proéminente ; 
les limites de la pustule sont nettement marquées, régulière- 
ment circulaires. 

Pendant la première semaine, la pustule est en voie d’évo- 
lution, d'aspect chaud, congestif, correspondant à une 
période de prolifération du tissu épidermique; puis elle 
parait se flétrir : une ombilication centrale apparaît, la surface 
s’affaisse, prend un aspect blanchätre, purulent, une ulcération 
se produit, correspondant à une vacuolisation et une nécrose 
du tissu épithélial; l’aspect devient gangreneux, noirâtre, et la 
guérison se fait lentement, si entre temps, la généralisation de 
la maladie n’entraîne pas la mort de l’animal. 

En effet, très souvent, vers Le 9°, 10° jour après l’inoculation, 
des pustules de généralisation apparaissent sur tout le corps, 
discrètes ou confluentes, suivant la gravité de la maladie. La 
température depuis le 4° jour est restée élevée, l’animal a des 
symptômes généraux, il est triste, mange peu ou pas du tout, le 
museau est œdématié, les muqueuses rouges, les yeux iar- 
moyants; l’éruption généralisée amène une détente et une 
légère rémission de la température. Souvent, la mort arrive 
avant l’éruption ou dans les 1° jours qui suivent cette éruption, 
du 9° au 16° jour de la maladie. 

L'éruption secondaire a des sièges de prédilection : le 
museau, la vulve, l’anus: d’une façon générale, les muqueuses 
ou les régions à peau fine, aisselle, aine, etc. 

Ces pustules de généralisation sont plus petites que la pus- 
tule d’inoculation, elles atteignent rarement les dimensions 


d’une pièce de deux francs, l’évolution en est très régulière, 


passant par des périodes de floraison, de sécrétion, de dessicca- 
tion et de guérison. 

Le schéma suivant montre la marche normale et très ordi- 
paire de la maladie expérimentale. 


86 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


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période de HeDT. I2Liié avec les ra: = - du Een au 17 yo 


Du 10° au 23° jour, la mortalité s’échelonne, avec un maxi- 
mum vers les 14°, 15° et 16° jours. 

Après 24, 25 Jours, età moins de complications secondaires, 
la guérison peut être considérée comme certaine. 

Lésions à l'autopsie. 

A l’autopsie d’un mouton mort vers le 15° jour, on trouve 
des lésions généralisées à presque tous les organes. 

Le ganglion correspondant au point d’inoculation est toujours 
très gros, comme dans la vaccine, chez la génisse. Les lésions 
profondes portent surtout sur le poumon et sont tout à fait carac- 
téristiques. 

Le tissu pulmonaire est parsemé de nodules durs, hyalins, 
denses, très variables comme dimensions, presque toujours 
nettement circulaires, avec une petite tache centrale opaque, 
entourée d'une zone hyaline qui se détache à l’emporte-pièce 
sur le tissu aéré du poumon: on les a comparés à des grains 
de sagou. Cet aspect est surtout dù à un épaississement marqué - 
de la plèvre au niveau de la petite tumeur. 

Les tumeurs pulmonaires isolées atteignent parfois 1 centi- 
mètre de diamètre, souvent elles sont confluentes et, dans cer- 
tains cas, le processus est tel qu’un lobe entier du poumon est 
transformé en un tissu carnifié, dense, rougeâtre, d’une consis- 
tance qui rappelle presque celle du tissu hépatique. 

Dans la cavité abdominale, l'estomac est presque toujours 
farci de pustules, sous forme de taches rondes, régulières, de 
la dimension d’une lentille, blanchâtres et opaques sur le fond 
transparent et bleuté des parois du rumen. 

Souvent, ces pustules sont confluentes. 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS, 87 

Plusieurs fois, le pancréas s’est montré tapissé de pustules 

claveleuses, sous forme de petites pendeloques appendues au 
tissu de la glande. 

Les lésions du foie sont moins apparentes et Les pustules 
sont généralement très petites, à peine comme des points nacrés, 
visibles surtout à cause de l’épaississement de la capsule au 
niveau de la lésion. Les lésions profondes et les pustules pro- 
fondes dans le tissu hépatique peuvent passer inaperçues à 
l'examen macroscopique; elles sont reconnaissables à l'examen 
microscopique. 

Le reia est presque toujours atteint et montre aussi des 
lésions sous forme de taches opaques dans la couche corticale 
ou de petits pseudo-tubercules translucides, visibles surla tranche 
à la section. | 

Les ganglions mésentériqueset, d’une façon générale, tousles 
ganglions de la cavité abdominale sont hypertrophiés: presque 
toujours on peut noter une apparition de petits ganglions, 
rappelant par leur aspect rougeûtre le tissu splénique. 

Ni la rate, niles ganglionsne montrent delésions pustuleuses. 


Étude anatomo-pathologique des lésions. Claveau. 


Au niveau des pustules claveleuses développées sur la peau, 
le derme est infiltré et rempli d’une sérosité virulente, qu'on a 
désignée sous le nom de « claveau ». 

On peut recueillir des quantités notables de claveau en sai- 
sissant une pustule entre les mors d’une grande pince à forei- 
pressure, et en ponctionnant avec une pipette stérilisée, Le 
liquide qui monte par pression dans la pipelte est d’une transpa- 
rence parfaite. 1l est filant, visqueux, épais, rapidement coagulé. 

Ce liquide est très virulent et reste virulent malgré des dilu- 
tions considérables. 

Son étude, au point de vue microscopique, doit être faite 
tout d’abord. L'examen à l’état frais montre des cellules très 
spéciales, sur lesquelles nous avons particulièrement appelé 
l'attention (Société de Biologie, 18 janvier 1902) et qui sont tout à 
fait caractéristiques des lésions claveleuses. Ce sont de grands 
éléments d’origine mésodermique, de grands macrophages 
mesurant jusqu’à 40 et 50 y, à noyau vacuolisé, et contenant à 
côté du noyau des corps granuleux facilement visibles dans le 


88 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


protoplasma. Ces cellules sont constantes dans toutes les loca- 
lisations du virus claveleux; elles méritent bien le noin de 
CELLULES CLAVELEUSES : on ne les retrouve ni dans la vaccine, ni 
dans la variole, ni dans les autres épithélioses que nous étudie- 
rons dans le cours de ce travail, et dont les lésions sont pourtant 
très semblables aux lésions claveleuses. 

Il était tout naturel de rechercher, dans ces cellules si spéci- 
liques, le parasite de la clavelée, et l'inclusion para-nucléaire se 
présente tout d’abord à l’observation microscopique. 

Les conditions d'étude sont parfaites : le claveau, facile à 
recueillir, peut être examiné vivant, à l’état frais; les cellules 
claveleuses sont en grand nombre, l’étude des inclusions peut 
être poursuivie pendant des heures, en goutte pendante, en 
chambre humide, à toutes les températures; jamais nous n'avons 
pu observer une apparence de vie ou de mobilité quelconque . 
des éléments en question. 

On peut, sur une même préparation, voir successivement un 
très grand nombre d'’inelusions à l’état vivant; jamais nous 
»’avons pu noter une évolution quelconque ou un ensemble de 
stades qui puissent faire songer à un parasite appartenant aux 
groupes connus des Sporozoaires. 

C’est toujours le même aspect granuleux, amorphe, quel- 
conque, ressemblant vaguement à un corps amæbiforme, mais 
figé dans sa forme. L’inelusion, plus réfringente, se distingue 
toujours très bien dans le protoplasma de la cellule claveleuse. 
Souvent, la partie centrale de l'inclusion présente une ou plu- 
sieurs vacuoles qui rappellent plutôt un noyau de polynucléaire 
vidé; nous retrouverons le même aspect sur les préparations 
colorées. | 

Quelquefois, l'inclusion est de grandes dimensions, pres- 
que égale au noyau de la cellule, à bords irréguliers, dentelés; 
dans d’autres cas, elle est plus petite ou formée de 3 ou 4 petites 
masses réunies par de fins tractus; jamais nous n'avons pu 
observer de mouvements de condensation des différents corps. 

S'il s’agit d’un parasite, il faut admettre non pas un Sporo- 
zoaire, mais un être dont l'aspect rappellerait un vague plas- 
mode immobilisé, dès que sorti de l'organisme du mouton. 

Nous avons étudié ces cellules sur des préparations fixées 
et colorées, et nous avons varié autant que possible les méthores 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. S9 


de fixation et de coloration employées pour l'étude cytologique 
des éléments cellulaires et des parasites protozoaires. 

A ce dernier point de vue, la méthode de Laveran mérite 
d'ètre mise en première ligne : elle a permis de mettre en évi- 
dence, dans des parasites jusque-là mal étudiés, les plus fins 
détails de la structure cellulaire ; nous l'avons appliquée à l’étude 
du claveau récemment recueilli. Le claveau est étalé sur lame 
en couche mince et fixé par l’alcool absolu une demi-heure; la 
préparation est ensuite colorée par le mélange éosine-bleu à 
l'argent, passée au tannin, lavée, séchée, examinée. 

| La méthode montre admirablement les grandes cellules 
claveleuses avec le noyau vacuolisé, coloré en violet foncé : 
antour du noyau, une zone de protoplasma granuleux, plus 
coloré que le protoplasma périphérique et en bleu pur. Dans le 
protoplasma est logée l'inclusion para-nucléaire : celle-ci montre 
un aspect réticulé qui est figuré exactement dans les dessins, 
planche V, figure 1,-2,-3 ; ellen’est pas contenue dansune vacuole, 
elle est colorée par l’éosine; elle présente, au centre, 2, 3 ou 
4 apparences vacuolaires prenant mal ia couleur et rappelant, 
seulement par la forme, un noyau de polynucléaire. 

Tantôt l'inclusion colorée par l’éosine est unique, rassemblée 
en une seule masse, tantôt elle paraît avoir des satellites, elle 
est rattachée par des tractus très fins à des masses secondaires 
qui présentent la même réaction colorante : figure 2, planche V. 

L'examen de multiples préparations ne nous a jamais montré 
autre chose, jamais nous n'avons pu voir un indice de noyau ou 
de corps chromatique caractéristique d'un noyau de protozoaire. 

Au contraire, la réaction éosinophile de l'inclusion doit faire 
penser plutôt à quelque substance intra-cellulaire en voie de 
résorption, et nous retrouverons dans le cours de cette étude de 
multiples raisons morphologiques pour penser qu'il s'agit de 
leucocytes ayant pénétré dans la cellule ou ayant été nhagocytés 
par elle. D’autres méthodes de fixation et de coloration n’ont 
pas modifié cette opinion. 

J'ai employé le fixateur suivant : 


RAT TT COS SMS A RE PER PR ie 2 
Ac. Chromique . ........... RE VU VIRE eee 3 
CH dep, 51: 0 JAM TE PTE 
Ac. acétique 20 


90 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Pour réussir des préparations ce frottis avec la fixation que 
j'indique ici, il est nécessaire de prendre quelques précautions, 
applicables d’une façon générale à toutes les préparations par 
frottis. 

Le claveau, étalé en couche mince, doit être firé avant dessic- 
cation, Si l’on veut ensuite pouvoir colorer électivement par la 
méthode rouge Magenta, picro-indigo-carmin. ' 

Si l’on plonge dans le fixateur et sans autres précautions la 
lame sur laquelle on a étalé la goutte de claveau, il arrive 
presque toujours que la pellicule étalée se détache tout 
entière : elle n’adhère pas à la lame. 

Pour obvier à cet inconvénient, on peut attendre une demi 
dessiccation, ou bien, ce qui est mieux, après avoir étalé en 
couche mince et avant toute dessiccation, on passe rapidement la 
lame dans une solution de tannin à 5 0/0 qui produit instanta- 
nément l’adhérence de la pellicule, et, tout de suite après, on 
verse le fixateur sur la lame; il se produit un léger précipité de 
tanoate d’osmium, que l’on entrainé par un excès de fixateur : ce 
précipité est d'autant plus faible qu’on a moins laissé agir le 
tannin; il gêne d’ailleurs très peu l'examen ultérieur. 

Ce désavantage est compensé par le brillant et la précision 
des colorations que l’on obtient : le passage rapide dans le 
tannin ne nuit d'aucune façon à la bonne fixation. 

Fixer une heure environ, lavage à l’eau ; coloration par la 
méthode déjà indiquée. ù 

L'aspect des cellules claveleuses par cette méthode est tout 
différent de celui que donne la méthode de Laveran, et les 
ligures 4, 5, planche V, montrent les résultats. 

Toutesles cellules pseudo-parasitées présentent à peu de chose 
près la même structure : un noyau nettement vacuolisé et, à côté 
du noyau, une inclusion colorée en brun foncé, se détachant sur 
le protoplasma plus clair de la cellule. Dans l'inclusion, des 
boules chromatiques, rouges, de dimensions variées, irrégu- 
gulières, éparses dans la masse de l'inclusion, ou périphériques, 
souvent appendues en forme de gouttes bataviques sur des pro- 
longements de la masse brune centrale. 

L'aspect de ces inclusions très irrégulières, sans symétrie 
aucune, sans noyau défini, ne plaide pas non plus en faveur 
d'un être vivant. Nous les retrouverons sur les coupes de 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 91 


pustules claveleuses fixées et colorées par la même méthode, 
non seulement dans les cellules claveleuses mésodermiques, 
mais aussi dans les cellules ectodermiques, dans les cellules 
glandulaires ; nous pourrons sur coupes les comparer aux corps 
intra-épitheliaux de la vaccine ou de la variole. 

En dehors de ces grandes cellules claveleuses, dans le 
claveau, se trouvent en plus ou moins grand nombre, suivant le 
moment de la récolte, des leucocytes polynucléaires et des 
débris de leucocytes qui, en dégénérant, prennent les aspects 
‘les plus variés. 

Les leucocytes du mouton sont assez particuliers, le noyau 
est généralement multilobé, mais, dans certains cas, il est 
formé par une série de petits noyaux en forme de vésicules tout 
à fait distinctes, rondes ou piriformes : le leucocyte est poly- 
nucléé au sens propre du mot. 

Au point de vue bactériologique, malgré l'emploi de mul- 
tiples méthodes de coloration, rien d’intéressant n’a pu être 
noté. 

Pustule cutanée d’inoculation. 


Pour l'étude microscopique et sur coupes des lésions cla- 
_veleuses, j'ai toujours utilisé des pièces prélevées vivantes, par 
biopsie ou sur des animaux sacrifiés, de façon à avoir une fixa- 
tion aussi parfaite que possible, et j'ai suivi, dans cette étude, la 
technique employée pour l'étude des pseudo-parasites du cancer. 
(Ces Annales, fév. 1904.) 

J'ai pu ainsi comparer d’une façon très exacte les résultats 
obtenus dans l'étude du cancer à ceux fournis par l'étude de la 
clavelée et des autres épithélioses. 


A la fin du 3° jour, lorsqu'on a inoculé à la seringue une 
goutte de sérosité claveleuse sous la peau du mouton, on cons- 
tate une infiltration œdémateuse dans le tissu sous-épidermique: 
l’épithélium nalpighien paraît normal, tandis que déjà les coupes 
montrent quelques cellules claveleuses mésodermiques et une 
infiltration du tissu par des leucocytes polynucléaires. 

 Vingt-quatre heures après, la tache rouge superficielle appa- 
_raît, et les coupes montrent, en même temps qu’une infiltration 
plus notable du tissu sous épidermique, des modifications 
dans le tissu épithélial malpighien. 


92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Les modifications apparaissent d’abord dans la zone 
moyenne du réseau malpighien; on note quelques figures de 
division, les cellules paraissent s’hypertrophier, la zone épithé- 
liale intéressée montre des assises cellulaires plus nombreuses, 
et la pustule est déjà indiquée. 

Dans les cellules les plus superficielles, des gouttes éléidi- 
niques se forment en plus grande abondance; certaines cellules 
en sont bourrées. Par leur aspect, ces gouttes chromatiques 


pourraient en imposer pour des corps étrangers à la cellule; 


leurs dimensions sont très variées, depuis 1 jusqu’à 6 et Tu; 


elles gardent énergiquement les matières colorantes. 

C’est seulement vers le 8° jour que la lésion claveleuse est 
complètement établie, et la figure 1, planche I, représente la 
coupe d’une pustule cutanée, avant la vésiculisation, lorsque la 
pustule a encore cet aspect congestif et chaud que nous avons 
décrit. 

De la surface vers la profondeur, on trouve d’abord les 
strates épithéliales d'aspect corné en voie d'exfoliation; la por- 
tion de la coupe qui a été dessinée montre une sorte d’invagina- 
tion des squames épidermiques fortement colorées en rouge; 
cet aspect est dû à ce que la coupe intéresse la portion péri- 
phérique d’un follicule laineux. 

Immédiatement au-dessous, on rencontre plusieurs assises 
de grandes cellules très hypertrophiées, encore vivantes, mais 
vacuolaires; la structure filamenteuse du protoplasma malpi- 
ghien n’est plus reconnaissable : la vésiculisation de la pustule 
est proche. Toutes ces cellules contiennent en abondance des 
gouttes de structure homogène, colorées soit par le rouge 
Magenta, soit par l’acide picrique (lorsque la décoloration est 
poussée trop loin) : elles sont d’origine éléidinique et ne peu- 
vent, en aucune façon, être interprétées commeéléments parasi- 
taires; leurs dimensions varient à l’infini, comme le montre la 
figure 1, planche I &.,a. 

Nous trouverons cette lésion cellulaire dans toutes les 
maladies pustuleuses; elle domine dans la pustule variolique. 

Cette zone des grandes cellules vacuolistes va en se dévelop- 


pant et s'étend de plus en plus jusqu’à fonte cellulaire com- 


plète, lorsque la pustule s’ombilique et arrive à la période de 
sécrétion. 


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ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 93 


Plus profondément, la figure 1, planche I, montre des assises 
cellulaires dans lesquelles la structure filamenteuse du proto- 
plasma est conservée; il n’est pas rare de voir des cellules 
invaginées, des imbrications cellulaires, des cellules enkystées 
dont l'aspect répond aux descriptions qui avaient été données 
jadis des coccidies type Darier-Wickham (fig. 1 b.) 

Enfin, les couches les plus profondes et les cellules basales 
de l’épithélium contiennent toutes ou presque toutes des inclu- 
sions logées dans le protoplasma cellulaire et souvent dans une 
vacuole périnucléaire. Le noyau de la cellule a l'aspect parti- 
culier caractéristique du processus claveleux : il est vacuolaire. 
Les inclusions sont colorées en brun, elles renferment des 
grains chromatiques irréguliers, et leur description correspond 
exactement à celle que j'ai déjà donnée des inclusions vues 
sur les frottis, dans les grandes cellules mésodermiques du 
claveau. 

La figure 1 b montre que les cellules glandulaires ont les 
mêmes inclusions et que leur noyau est aussi vacuolisé. Dans le 
tissu conjonctif interstitiel et profondément dans le derme, 
abondent les grandes cellules claveleuses mésodermiques. 

Il est certain que, dans ces différents cas, le processus est le 
même; les inelusions sont de même nature, dans les cellules 
ectodermiques et mésodermiques. 

Cette diversité d’habitat du parasite hypothétique plaide 
contre l'interprétation parasitaire; les types de sporozoaires 
capables de vivre dans des cellules d’origines diverses sont 
plutôt rares. On ne connaît guère que l’Adelea Mesnili de 
Ch. Pérez, qui parasite des issus de nature diverse chez un 
lépidoptère, et le Cyclospora karyolytica de Schaudinn, qui para- 
site non seulement les noyaux des cellules épithéliales de l’in- 
testin de la taupe, mais encore ceux des cellules conjenctives 
et des leucocytes de la paroi. 

L’examen des préparations nous éloigne encore davantage 
de cette interprétation, et les arguments en sa faveur ne nous 
ont pas convaincu. En attendant démonstration meilleure, 
l'hypothèse de leucocytes intra-cellulaires nous paraît beau- 
coup plus probable et plus admissible; nous la garderons 
jusqu'à preuve contraire, en reconnaissant que la preuve 
absolue manque, et que la discussion sur Le terrain morpholo- 


94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


gique pourrait rester indéfiniment ouverte et devenir oiseuse. 
Ces éléments dans la clavelée sont lanalogue des corpus- 
cules de Guarnieri dans la vaccine, nous aurons encore à y 
revenir. Mais ils n’ont aucun rapport avec les figures décrites 
dans le cancer comme parasites; celles-ci ont une tout autre 
origine. 
Pustule stomacale. 


Les parois de l’estomae chez un mouton atteint de clavelée 
généralisée présentent des pustules nombreuses. 

Les coupes montrent sur la surface épithéliale de petites 
tumeurs entièrement constituées par- la prolifération des 
cellules épithéliales à type ectodermique et malpighien; les 
figures de karyokinèse sont en grand nombre; autour de 
centres nombreux se constituent de véritables globes épider- 
miques; les cellules invaginées, kystiques, identiques aux 
cellules jadis décrites dans les cancers épithéliaux comme 
coccidies (type Darier-Wickham), sont très abondantes, et 
donnent au tissu un aspect épithéliomateux qui mérite d’être 
signalé. 

Des inclusions sont visibles dans les cellules épithéliales et 
dans les cellules mésodermiques sous-jacentes. 


Lésions pulmonaires. 


Au point de vue qui nous occupe surtout, les lésions pulmo- 
naires de la clavelée sont particulièrement intéressantes. Les 
nodules hyalins caractéristiques sont superficiels ou profonds, 
sous-pleuraux, ou péribronchiques ou épars dans tout le paren- 
chyme; parfois, la lésion est diffuse et peut envahir un lobe 
entier du poumon. 

Dans la plupart des cas, la tumeur claveleuse a pour centre 
une bronche ou une bronchiole dont l'épithélium, rempli de 
cellules en voie de karyokinèse, a surabondamment proliféré : 
les ramifications de lépithélum bronchique s'étendent dans 
tous les sens et pénètrent radiairement la tumeur; la figure 2, 
planche I, montre une portion de la coupe d’une pareille 
tumeur; le type des cellules endothéliales alvéolaires est com- 
plètement modifié, et le poumon, à la coupe, paraît avoir repris 
le type embryonnaire; de véritables acini se trouvent constitués 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 95 


et tapissés d'un épithélium cubique. Deux hypothèses sont pos- 
sibles : ou bien Fendothélium préexistant arepris, sous l'influence 
du virus, le type cubique, ou bien cet endothélium a éte rem- 
placé par un véritable épithélium d’origine bronchique. 

Dans cette dernière hypothèse; qui me paraît la plus probable, 
lépithélium bronchique, par son développement exagéré sous 
l'influence du virus claveleux, se comporterait comme un lissu 
envahissant de proche en proche et se moulant sur les parois 
alvéolaires préexistantes. 

Le dessin montre que le schéma de la structure alvéolaire 
est conservé, la circulation se fait d’une façon presque normale, 

La réaction épithéliale proliférative est de toute évidence. — Dans 
le tissu interstitiel, sont éparses les cellules claveleuses, 
(pl. I, fig. 2. a a) avec noyau vacuolaire et inclusions caracté- 
ristiques. [l n’y a pas d’inclusions dans Pépithélium alvéolaire, 
pas plus que dans l’épithélium bronchique, parce qu'il s’agit 
d’un nodule claveleux périphérique, développé autour d'une bron- 
chiole terminale. 

Dansle cas de pustule profonde et lorsque la lésion claveleuse 
intéresse une grosse bronche, l’aspect est tout autre, comme 
cela a été figuré (pl. VE, fig. 4). 

Dans la figure dessinée, prise en pleire lésion claveleuse au 
point de jonction d'une grosse bronche avec une bronchiole 
secondaire, on remarque une structure très différente des deux 
épithéliums. 

Ea A, les cellules proliférées dela grande bronche rappellent 
le type ectodermique à protoplasma presque filamenteux; les 
assises cellulaires sont très nombreuses. 

En B, l’épithélium est régulièrement cylindrique, de type endo- 
dermique, le protoplasma est rempli de petites granulations chro- 
matiques, il a conservé la structure normale. 

Dans le premier cas, et seulement dans les cellules à type 
ectodermique, on trouve des inclusions cellulaires, le noyau a 
_ pris le type vacuolaire si souvent signalé, 

Ici, les inclusions se rapprochent du type Guarnieri dans la 
vaccine; elles sont beaucoup plus petites que les inclusions que 
nous avons décrites jusqu'ici dans la clavelée. Toutes les assises 
cellulaires sont manifestement infiltrées de leucocytes polynu- 
cléaires qui circulent entre les cellules épithéliales. Les réactions 


96 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


colorantes et l’aspect des leucocytes extra-cellulaires sont iden- 
tiques aux réactions colorantes et à l'aspect des corps intra- 
cellulaires. | 

Les inclusions sont de petites dimensions, elles paraissent 
correspondre à des fragments de leucocytes qui auraient pénétré 
dans les cellules épithéliales; le processus de pénétration est très 
évident sur cette coupe. 

Dans l’épithélium cubique de la bronche secondaire, les 
noyaux ne sont pas vacuolisés, il n’y a pas d'inclusion. 

Le dessin montre dans le tissu péribronchique quelques cel- 
lules claveleuses typiques. 

Nodules claveleux sous-pleuraux. — Les nodules claveleux 
superficiels sous-pleuraux sont très propices pour l'examen histo- 
logique: ils sontfaciles à prélever en tranches minces, la fixation 
des couches superficielles se fait très rapidement, et, au niveau 
de la plèvre épaissie, à cause de la simplicité du tissu et de son 
excellente fixation, les plus fins détails de structure peuvent être 
étudiés. 

Sur des coupes tangentielles, dansle tissu pleural œdématié, 
immédiatement au contact des alvéoles à épithélium cubique, 
on peut étudier le processus claveleux dans sa plus grande sim- 
plicité. Ce tissu est d’une transparence remarquable, il se prête 
admirablement à l’étude des moindres granulations visibles au 
microscope. 

J'ai dessiné (pl. V, fig. 11) lacoupe d'une pustule pulmonaire 
sous-pleurale, chez un animal sacrifié au 15° jour de la maladie. 

En A, l’épithélium alvéolaire et au-dessous le tissu pleural 
_ œdématié. Les cellules claveleuses (b D’), avec noyau vacuolisé et 
inclusions pseudo-parasitaires, y sont très abondantes; des 
leucocytes polynucléaires infiltrent le tissu, il y a là un processus 
inflammatoire très évident. 

Je désire appeler l’attention des microscopistes sur des gra- 
nulations {rès fines éparses dans le tissu, comme cela a été figuré 
très exactement dans le dessin. 

Cesgranulations très bien définies, brillantes,sont très petites; 
la dimension exacte est donnée par la comparaison avec le cen- 
trosome d’un leucocyte mononucléaire (c), qui se trouvait dans 
la préparation à ce niveau; elles sont de moitié plus petites, et 
n'ont certainement pas 1/4. : isolées, en diplocoques, en chai- 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 97 


nettes, en amas plus ou moins nombreux, éparses dans le Lissu, 
abondantes surtout dans les points où les cellules claveleuses 
se rencontrent en grand nombre. 

L'examen des préparations est à priori en faveur de bactéries, 
de mierocoques très fins qui seraient l’agent virulent et la cause 
des processus claveleux; en faveur de celte hypothèse plaide le 
lieu où ces granulations abondent dans les endroits où les cel- 
lules elaveleuses sont les plus nombreuses, en plein foyer inflam- 
matoire, exactement au niveau de la prohfération épithéliale. 

Il est peu probable qu'il s’agisse de granulations d’origine 
cellulaire, analogues, par exemple, aux granulations, des Mast- 
sellen, mais beaucoup plus fines. 11 faudrait admettre, dans ce 
cas, que des cellules bourrées de granulations, trop petites pour 
avoirencore étédécrites, s’émiettent à la façon des elasmatocytes 
et envoient dans le tissu œdématié des prolongements très longs 
et très fins; elles laisseraient dans les interstices cellulaires les 
granulations dont il est question, simulantdes microbes très fins 
pour induire en erreur les bactériologistes. 

D'ailleurs, même en admettant que ces éléments soient réel- 
lement d’origine microbienne, ce qui est très probable, on n’est 
pas en droit de conclure d’une façon définitive à leur rôle causal 
dans le processus claveleux; peut-être s’agit il simplement de 
microbes d'infection secondaire. Je les ai pourtant trouvés plu- 
sieurs fois dans les coupes de pustules pulmonaires, sur des ani- 
maux sacrifiés. 

Je les ai trouvés aussi dans les pustules du foie, au niveau 
de la capsule de Glisson épaissie, toujours sur des coupes tan- 
gentielles et superficielles, en suivant les techniques de fixation 
et de coloration que j'ai indiquées. 

La figure 10, pl. V, montre les lésions claveleuses de la 
capsule de Glisson, au niveau d’une pustuie hépatique. Dans le 
tissu capsulaire épaissi, œdémauié, les cellules fixes sont large- 
mentétalées, le tissu fibrillaire est d'une pureté et d’une transpa- 
_rence parfaites.on voit quelques macrophages avec des inclusions 
Celles-ci abondent dans les mononucléaires à noyau vacuolisé et 
ici, plus que partout ailleurs, la vraie nature de ces inclusions 
paraît de toute évidence : on voit souvent des leucocytes intra- 
cellulaires parfaitement reconnaissables. 

Les granwations brillantes, très chromatiques, sont éparses 


= 


4 


98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. - 


dans tout le tissu; elles sont à la limite de la visibilité, etelles sont 
pourtant très visibles à cause de leur coloration intense qui les 
distingue de granulations quelconques; on entrouve quelquefois 
dans le protoplasma étalé des macrophages. 

La figure 9, pl. V, a été dessinée avec une exactitude abso- 
lue, à un grossissement de 3,000 diamètres. (Apoch. Zeiss 1,5" 
ocul, 18). 

Pourquoi, dans les séreuses, ces élémentssont-ils visibles et 
pourquoi ne les retrouve-t-on pas dans la profondeur des pus- 
tules cutanées. Je les ai cherchés en vain dans toutes les autres 
ocalisati ons du processus claveleux. 

Le fait n’est pas inexplicable; la fixation de la séreuse est 
immédiate dans le fixateur, le liquide fixéteur pénètre tout de 
suite et mordance d’une façon intense les éléments superficiels, 
les colorations sont beaucoup meilleures à ce niveau. Les cytolo- 
gistes le savent très bien et, pour des études particulièrement 
délicates, n’utilisent que les premières coupes, les plus superfi- 
cielles. Dans la séreuse, Le processus claveleux esttrès pur, et on 
peut obtenir des coupes d’une finesse et d’une transparence par- 
faites, ce qui n’est pasle cas, dans les conditions ordinaires de la 
fixation des pustules,où des granulations,des épaisseurs cellulaires 
gênent toujours plus ou moins l'examen. 


Pustule hépatique. 


On trouve dans le foie, des pustules claveleuses, généralement 
peu développées, caractérisées par le développement des canali- 
cules biliaires et la prolifération de l’épithélium, suivant un pro- 
cessus assez semblable au processus pulmonaire; à cette proli- 
fération est liée une infiltration interstitielle de leucocytes poly 
et mononucléaires : ici encore les cellules claveleuses sont pré- 
sentes : je n’ai pas trouvé d'inclusions dans les épithéliums pro- 
liférés. 

Pustule du rein. 


La réaction épithéliale dans lerein est généralement beaucoup 
moins marquée; à la mort de l'animal, les pustules hépatiques ou 
rénales sont très petites, probablement parce que les métastases 
sontrécentes. Il serait sans doute possible, par d’autres méthodes 
d'inoculation, d'obtenir des pustules d’inoculation qui seraient 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 99 


intéressantes à étudier au point de vue des réactions épithé- 
hiales des divers organes. 


* 
* *# 


En résumé, l'étude histologique des lésions claveleuses 
nous a permis d'établir les points suivants : 

1° IL existe dans la clavelée un élément caractéristique et 
spécifique : la cellule claveleuse à noyau vacuolisé, avec inclu- 
sion pseudo-parasitaire ; 

2° Dans toutes les localisations du virus claveleux, le pro- 
cessus semble commencer par une lésion mésodermique accom- 
pagnée bientôt d’une réaction épithéliale proliférative, aboutis- 
sant après un certain temps à la vacuolisation cellulaire ; 

3° Le processus est du même type dans la peau, le poumon, 
le foie, le rein: il y a production de tumeurs épithéliales déve- 
loppées aux dépens des éléments préexistants de l’organe; 

4° Dans les lésions claveleuses des séreuses, peuvent être 
mises en évidence des granulations très fines, éparses dans le 
tissu œdématié : | 

5° Les inclusions pseudo-parasitaires, dans les cellules 
mésodermiques ou ectodermiques, sont très probablement dues 
à la pénétration de polynucléaires qui subissent dans ces 
cellules des processus de dégénération. 

Dans la vaccine, nous Un . retrouver des inelusions dif 
rentes comme morphologie, mais ayant la même origine leu- 
cocytaire, 


ÉPITHÉLIOSE VACCINALE 


Dans la clavelée, le virus peut être entraîné dans les organes 
profonds et donner des pustules parenchymateuses. 

Dans la vaccine et la variole que nous allons étudier au 
point de vue anatomo-pathologique, les lésions pustuleuses 
siègent exclusivement dans les régions à épithélium ectoder- 
mique. Le virus est localisé au niveau des pustules et le gan- 
glion vaccinal hypertrophié est même dépourvu de virulence. 

La lésion vaccinale est caractérisée par la formation d’une 
pustule ectodermique, due à la prolifération des cellules épithé- 
liales rapidement suivie de dégénération vacuolaire ; la période 
proliférative est beaucoup plus courte que dans la clavelée, la 


100 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


destruction cellulaire plus précoce : on ne saurait ici parier de 
tumeur, bien que la réaction vis-à-vis du virus soit essentielle- 
ment du même type que dans la clavelée 

Dans les pustules de la vaccine, pour la première fois, en 1892 
Guarnieri a décrit le Cytorictes vaccinæ, et on a depuis longtemps 
voulu rapprocher le parasite de la vaccine du ire du 
cancer. 

Le champ de bataille des parasitaires et des à (7 
surlout éte la cornée du lapin. 

Il suffit de faire sur ua lapin une légère incision à la surface _ « 
de la coruée, avec une lancette souillée de vaccine, pour voir 
au bout de peu de temps (24 à 48 heures) se développer une 
tache laiteuse qui se transforme en quelques jours en une véri- 
table pustule. 

Dès le premier jour, sur les coupes, on constate, dans lin- 
térieur des cellules épithéliales de la cornée, des corps très 
particuliers, réfringents, prenant fortement les matières colo- 
rantes basiques. Sous forme de boules chromatiques, ils sont 
souventsitués dans une vacuole périnucléaire des cellules exacte- 
ment au niveau de la lésion, à droite et à gauche de la ligne 
d’inoculation. 

A ce niveau, le protoplasma des cellules de la cornée est 
devenue granuleux, le protoplasma et le noyau prennent 
beaucoup mieux des matières colorantes, la cellule est mani- 
festement en activité, et les cellules de la lésion vaccinale se 
distinguent très bien des cellules restées normales. 

Les figures de karyokinèse abondent et, dans le vrai sens 
du mot, une petite tumeur épithéliale se développe. 

Déjà, dès les premières heures, le tissu sous-épithélial 
montre de nombreux leucocytes, et ceux-ci, attirés au niveau 
de la lésion, pénètrent entre les cellules épithéliales. 

Les préparations sont d’une remarquable simplicité, le tissu 
épithélial cornéen est très facile à étudier, il semble que 
l’aecord devrait être fait depuis longtemps sur la vraie nature 
des inclusions que l’on observe. Il n’en est rien pourtant, et 
trois opinions sont en présence : 

Pour les uns, les corps intra-épithéliaux de Guuraiétt sont 
des parasites protozoaires; pour les autres, ils représentent des” 
leucocytes ayant pénétré dans la cellule épithéliale; pour 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET: ÉPITHÉLIOMAS, 104 


d'autres, enfin, les figures en question résultent de modifications 
spéciales du protoplasma de la cellule f, 

L'accord, semble-tl, sera difficile à établir, tant qu'on res- 
tera sur le terrain morphologique, et je désire simplement 
donner quelques figures dont l'étude m'a conduit à confirmer 
l'interprétation donnée par Metchnikoff, Salmon, etc. Il s’agit 
de leucocytes polynucléaires intra-épithéliaux. 

La planche IV, figures 1, 2, 3, 4, montre les formes variées 
de ces inclusions pseudo-parasitaires,:et, malgré l'inlinie variété 
de ces figures, il est difficile d’y voir des stades correspondant à 
l'évolution d’un parasite. 

Le type le plus fréquent est représenté par un point chro- 
matique homogène, logé dans une encoche du noyau et dans 
une vacuvle qui englobe le noyau et l'inclusion, figure #4, &,c 
Il y en a de toutes dimensions, depuis 1 g jusqu’à 5 et 6y.. Géne 
ralement, les formes petites sont à la périphérie de la lésion, 
les formes plus grosses sont au centre, au voisinage de la strie 
d’inoculation: il peut y avoir, dans une même cellule, plusieurs 
inclusions de dimensions inégales : il n’est pas rare de trouver 
des formes en bissac dans une même vacuole, il y a des formes 
bourgeonnantes et des formes qui simulert une division égale. 
Les inclusions de ce type sont colorées d'une façon intense et 
homogène; rarement on voit un petit liséré incolore à la 
périphérie. 

Ces inclusions, dans l'hypothèse parasitaire, sont difficiles 
à interpréter : les protozoaires de cette taille sont généralement 
plus difficiles à colorer : les bactéries seules ou les levures ont 
une pareille affinité pour les couleurs basiques. 

Pour caractériser un protozoaire, il faut un noyau; où est-il 
ic1? Faut-il admettre que le proto;lasma a la même affinité que 
le noyau pour la couleur, ou bien sont-ce des parasites réduits 
à leur noyau: faut-il admettre des formes de résistance, enkys- 
tées? tout cela est bien difficile. 

Dans d’autres cas, Le pseudo-parasite prénd un aspect plas- 
modique, et se colore mal (fig. 4, b.); dans les cellules infec- 


1. San elice et Malato, dans des travaux récents, disent obtenir par l'mocu- 
lation de culture d'un staphylocoque isolé chez un varioleux des figures 
identiques. (Studien über Pockeln. Archiv. für Dermatologie und Syphilis, 
LXIE Band. 4102), 


102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tées, à côté du noyau et toujours dans une vacuole péri- 
nucléaire, on aperçoit des corps granuleux colorés en brun 
jaune et contenant ure série de granulations chromatiques 
irrégulières, colorées en rouge par le magenta: ces grains chro- 
matiques représentent-ils des noyaux du parasite? Mais ils sont 
de taille variée : il y en a de gros, il y en a de très fins. Pour un 
seul -parasite, 11 y a trop de noyaux, ou bien, si ces noyaux 
correspondent à des stades de division nucléaire, cette division 
est par trop irrégulière : les parasites connus montrent des 
divisions nucléaires beaucoup plus égales. 

On peut voir enfin, figure 1 et 4, planche IV, €, €, des 
formes de bourgeonnement; le plasmode parait émettre des 
prolongements dans différentes directions, quelquefois linclu- 
sion tout entière a un aspect étoilé, en rosace, actinomorphe. 
Les figures €, c, figure 4, sont remarquables ; à côté du noyau 
de la cellule épithéliale, on voit des touffes de filaments ressem- 
blant à des filaments actinomycotiques. 

Toutes les formes d’inclusion que nous venons de passer en 
revue peuvent être trouvées dans la même préparation, dans 
des cellules épithéliales diverses, à différents niveaux; elles 
doivent être expliquées parle même processus, et elles ont sûre- 
ment la même origine. 

Dans l'hypothèse parasitaire, elles sont inexplicables; du 
moins, on ne connait pas de parasites qui se présenteraient 
d’abord sous la forme micrococcique, noyau sans protoplasma 
ou protoplasma sans noyau, avec divisions par bourgeonnement 
ou scissiparité, puis donneraient des formes plasmodiques avec 
noyaux multiples irréguliers, et, finalement, se transformeraient 
en touffes d'apparence actinomycotique. 

Quel est le lien qui réunit ces formes? Quels sont les stades 
qui correspondent aux stades connus d’un type de Sporozoaire? 
On ne saisit là aucune apparence de régularité ou de vie. 

Les partisans du parasitisme peuvent toujours répondre 
qu'il s’agit de parasites nouveaux, d’êtres non encore décrits. 
_Ilest bien certain, dans tous les cas, qu'il ne saurait être ques- 
tion de coccidies; nous attendrons de nouvelles preuves pour 
admettre la théorie parasitaire. 

L'hypothèse leucocytaire est à mon avis beaucoup plus satis- 
faisante, plus admissible au point de vue morphologique, elle 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 103 


est corroborée par toutes les réactions colorantes que présen- 
tent les pseudo-parasites, comme l’a démontré Salmon dans le 
laboratoire de Metchnikolf. 

L’émiettement, le bourgeonnement des leucocytes, la pro- 
duction de boules chromatiques de dimensions variées sont 
choses fréquentes et familières à tous ceux qui ont étudié les 
phénomènes de chromatolyse à l’intérieur des cellules. 

Dès les premières heures, on peut constater la présence des 
leucocytes dans le tissu épithélial de la cornée inoculée ; ceux-ci 
circulent entre les cellules et peuvent certainement pénétrer 
dans la cellule épithéliale, attirés par quelque lésion cellulaire 
ou par la présence, à l’intérieur de cette cellule, de quelque chose 
que nous ne savons pas Voir. 

Les figures 2, 3, planche IV, montrent à un fort grossisse- 
- ment une coupe de cornée du lapin au 6° jour de linoculation, 
et le dessin exact permet de saisir le mécanisme probable de la 
formation des pseudo-parasites. 

Tantôt le leucocyte entier pénètre dans une cellule épithéliale 
et constitue une grosse inclusion qui va évoluer, ou plutôt dégé- 
nérer. Tantôt, une partie du leucocyte seulement pénètre dans 
la cellule. Il n’est pas impossible de comprendre qu’un leuco- 
cyte circulant entre les cellules épithéliales, &, a, figure 3, plan- 
che IV, envoie d'abord un unique prolongement plus ou moins 
gros dans l’intérieur de la cellule, puis abandonne, par un 
brusque mouvement de recul, partie de son prolongement 
contenant ou non un lobe nucléaire, ou même réduit à ce lobe 
nucléaire. Ainsi pourrait-on peut-être expliquer la grande diffé- 
rence qui existe comme dimensions entre les diverses inclusions. 

Les inclusions à type actinomycotique s'expliquent aussi très 
bien dans l'hypothèse leucocytaire, et je renvoie le lecteur aux 
planches du mémoire de M. Cantacuzène sur la résorption du 
tissu hépatique !, qui montrent très bien, dans l'intérieur de gros 
macrophages, des polynucléaires phagocytés avec la forme radiée 
si caractéristique (ici, il ne saurait être question de protozoaires). 

Ces formes radiées, étoilées du pseudo-parasite vaccinal ont 
été très bien vues et dessinées par Hückel?, qui les a interprétées 
comme modifications du protoplasma des cellules de la cornée : 


1. Ces Annales. T. XVI, juillet 4902, 
2. Hucxer, Ziegler’s Beiträge, 1898. 


10% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


nous ne partageons pas cette manière de voir. Aucune des 
figures d'inelusion vues dans la cornée du lapin ne m'a paru 
pouvoir être rapprochée des formations archoplasmiques du 
cancer ?. 


Pustule saccinale cutanée chez le singe. 


x 


Le virus vaccinal peut être inoculé avec succès à presque 
tous les mammifères; le cheval est particulièrement sensible et, 
sous le nom de horse- por, on désigne une affection des équidés 
due au virus vaccinal, capable de généralisation et de locah- 
sations variées sur les diverses régions de là peau ou des 
muqueuses, 

Chez les autres animaux, vache, lapin, mouton, singe, etc., 
l'inoculation vaccinale donne naissance à une pustule unique 
sans symptômes généraux appréciables. 

Le virus est exactement limité aux lésions pustuleuses et 
paraît se développer surtout dans les couches les plus super- 
ficielles, soit dans le tissu épithélial, soit dans les portions sous- 
jacentes des régions papillaires. 

La démonstration peut en être faite chez le lapin. 

On rase la peau du dos d’un lapin suivant le procédé indiqué 
par Calmette, ou bien on épile la peau dorsale d’un lapin, choisi 
à peau fine, et on dépose le virus vaccinal sur cette peau rasée 
ou épilée; on constate après #8 heures, dans le courant du 
3 jour, l’apparition de petites taches rouges qui évoluent 
rapidement et donnent des pustules vaccinales caractéristiques ; 
suivant la quantité de virus utilisé, l’éruption peut-être discrète 
ou confluente, — Lorsque l’éruption est parfaitement établie, 
vers le 5° ou le 6° jour, le raclage superficiel des pustules est 
très virulent, tandis qu'il est absolument impossible de recueillir 
la moindre trace de virus par ponction sous-cutanée ou même 
en raclant la peau du lapin par la face profonde; le virus est 
exactement localisé dans les portions cutanées les plus super- 
ficielles. ; 

L'examen histologique confirme ces résultats, les lésions 

1. M, Sikovsky, dans les Archives Russes des Sciences biologiques, vient de 
publier un travail dans lequel il montre qu’on peut obtenir des figures tout à fait 
identiques aux corpuseules de Guarnieri, en inoculantsur la cornée par scarifica- 


tion du vaccin chauff, ou du sérum de lapin, ou de la toxine diphtérique. Arch. 
russes. Fase, 5, Tome IX, 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES Ef ÉPITHÉLIOMAS. 105 


vacernales chez le lapin sont tout à fait superficielles, intéres- 
sant presque exclusivement le tissu épithélial et la zone papillaire 
sous-épithéliale ; il y a prolifération de la zone malpighienne, 
suivie rapidement &e fonte cellulaire. 

Le singe donne de beaucoup'les plus belles pustules. Dès le 
3° Jour, la pustule commence à se développer, elle est vési- 
culeuse dès le 6° jour; les coupes du 4° au 5° jour sont surtout 
intéressantes. 

La figure 1, planche IL montre une pustule de la région 
dorsale chez le singe au 4° jour. — Déjà le processus de vésicu- 
lisation cellulaire est très avancé ; comme dans la clavelée, il 
suit une période de prolilération. 

La lésion de la cellule épithéliale débute toujours par la 
formation d'une vacuole autour du noyau dans les cellules de la 
couche moyenne de Malpighi; dans la vacuole, pénètrent des 
leucocytes qui ici sont de toute évidence. Le dessin montre dans 
la cellule, autour du noyau, l'apparition d’une substance gra- 
nuleuse colorée en rose päle, da, &. 

La couche basale de lépithélium est atteinte plus tardive- 
ment, mais subit le même sort; la vésicule vaccinale se trouve 
constituée par la fonte des éléments épithéliaux ; d’autre part, 
la lésion vacuolaire des cellules atteint progressivement les 
couches superticielles. 

Autour de la vésicule centrale, les cellules épithéliales con- 
tiennent des inclusions de plusieurs sortes. 

Dans les couches superficielles, le protoplasma subit des 
modifications qui se traduisent par l'apparition de réseaux chro- 
matiques, imbriqués, en couches concentriques ou formant une 
sorte de casque qui coiffe le noyau; en même temps, des gouttes 
éléidiniques remplissent certaines cellules et sur des frottis 
pourraient donner l'illusion de nombreux parasites. (PI. IE, 
lig. 1, b, b.) Dans les cellules de la couche moyenne, les 
inclusions pseudo-parasitaires sont dues à la pénétration de leu- 
cocytes, où de fragments de leucocytes, suivant le processus 
que nous avons indiqué au sujet de la pustule cornéenne chez 
le lapin. — En résumé, dans le cas de la vaceine, la lésion est 
presque exclusivement épithéliale, le tissu sous-épidermique 
parait à peine intéressé et seulement au contact immédiat des 
papilles et de l’épithélium. 


106 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ÉPITHÉLIOSE VARIOLIQUE 


Le virus de la variole doit être très voisin du virus vaccinal, 
et la discussion est toujours ouverte pour savoir si les deux 
virus sont des adaptations d’un virus unique, ou s’ils constituent 
deux virus différents. 

Peut-on faire de la vaccine avec de la variole? Le fait de 
vaccination réciproque plaide en faveur de la communauté 
d’origine. 

L'homme et le singe sont surtout sensibles. Chez le lapin, 
l’inoculation de virus varioleux sur la surface cutanée reste 
sans résultat; l’inoculation dans l’œil donne une pustule, visible 
seulement au microscope, et qui peut être considérée comme 
une pustule vaccinale en miniature; les mêmes inclusions 
existent dans les cellules, mais en très petit nombre; cette 
minime lésion de l'œil par le virus varioleux n’est pas suffisante 
pour conférer l’immunité au lapin; inoculé par la méthode 
Calmette sur la peau du dos, le lapin montre une belle éruption 
vaccinale,. 

Je puis ici citer, en passant, l'expérience que nous avons 
répétée plusieurs fois avec MM. Roux et Nocard, et qui nous a 
montré que l’inoculation sous-cutanée ou intra-veineuse de 
virus varioleux ne conférait pas l’immunilé vaccinale à la 
génisse. 

Il semble que l’immunité est fonction de la pustule : le singe, 
également sensible aux deux virus, peut être facilement vacciné 
par une pustule vaccinale contre la variole ou vice versa. 

L’homme constitue de beaucoup l'espèce la plus sensible au 
virus varioleux. 

Je ne veux pas ici faire une description de la variole, il me 
suffira de noter que les lésions varioliques, chez l'homme, sont 
presque exclusivement épidermiques (surface cutanée, muqueuse 
de la bouche ou de l’œsophage). Même dans le cas de généra- 
lisation sur toute la surface cutanée, il ne semble pas démontré 
que les organes profonds soient atteints. 

Chez l’homme, l'étude de la pustule variolique est facile; 
la figure 2, planche IT, représente la coupe d’une pustule de 
généralisation prélevée par biopsie avant toute apparence de 
vésiculation et sans infection secondaire. 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 107 


La coupe fixée et colorée, suivaut la technique jusqu'ici 
employée, montre, au niveau des papilles situées au centre de 
la pustule, une infiltration inflammatoire très évidente ; dans 
le cas de généralisation, il faut bien admettre que le virus 
arrive par les vaisseaux au niveau de la surface cutanée; il doit 
s'arrêter à l’extrémité papillaire et provoquer là une lésion 
avec extravasation de sérosité, diapédèse de leucocytes, etc. 
Cette lésion est bientôt suivie d’une réaction épithélale avec 
prolifération des cellules et vésiculisation rapide; les coupes en 
série montrent que la pustule a toujours pour centre une lésion 
papillaire; j’ai cherché en vain à ce niveau un parasite visible. 

La grosse lésion de la variole consiste dans la formation 
énormes vacuoles au centre du réseau de Malpighi, comme 
cela est figuré dans le dessin. Ces vacuoles se réunissent de 
proche en proche par dégénération de nouvelles cellules; une 
infiltration leucocytaire considérable survient bientôt. 

Au pourtour de la vacuole centrale, on peut étudier les 
débuts de la fonte cellulaire; avec une intensité plus grande, 
le processus est le même que dans la clavelée ou la vaccine; 
les cellules deviennent hydropiques, les filaments protoplas- 
miques. disparaissent, le noyau devient vésiculeux et 
augmente de volume, il se forme de véritables plasmodes de 
cellules épithéliales par fusion de cellules voisines. Voir la 
planche IF, figure 2, g. 

Dans les couches superficielles, nous retrouvons la pro- 
duction de granules éléidiniques en quantités considérables : 
toutes les cellules sont remplies de boules chromatiques dont 
les dimensions sont très variables, depuis { » jusqu’à 5 à 6 4. Ce 
processus éléidinique est très intense, et ces granulations intra- 
cellulaires sont fortement colorées par toutes les couleursbasiques 
d’aniline; on les a souvent décrites comme parasites, surtout 
lorsqu’ou les a trouvées dans des frottis (Roger). Il est de toute 
évidence qu’il ne s’agit pas de parasites. D’ailleurs, les pustules 
de la variole ne peuvent d'aucune façon prêter matière à con- 
fusion, au point de vue des sporozaires ; si, dans la pustule 
vacciuale de la cornée, il est difficile de reconnaître les leu- 
cocyles intra-épithéliaux pseudo-parasitaires, dans la pustule 
cutanée variolique, les leucocytes intra-épithéliaux sont faci- 
lement reconnaissables comme tels, 


ae ANNALES DE L'INSTITUT PASEUR. 


Avec la variole, nous nous éloignons déjà beaucoup des 
formes un peu bizarres de dégénération leucocytaire qui ont 
donné naissance à la théorie coceidienne, dans la pustule cor- 
néenne vaccinale ou mème dans les pustules cutanées elave- 
leuses. 

Avec la fièvre aphteuse, nous n’aurons plus à discuter de la 
nature parasitaire ou leucocytaire des inclusions intra-épithé- 
liales ; les leucocytes qui circulent dans le tissu épithélial ou 
pénètrent dans les cellules sont parfaitement reconnaissables ; 
il ne peut plus être question de coccidies et, pourtant, comme 
nous allons le voir, la lésion de la fièvre aphteuse est super- 
posable à la lésion variolique. 


ÉPITHÉLIOSE APHTEUSE 


Je ne veux pas ici entrer dans la description de la maladie, 
et me contente de retenir les lésions de la peau ou des 
muqueuses qui permettent de relier cette affection pustuleuse 
à la vaccine, à la variole, à la clavelée. 

L'examen microscopique des aphtes confirme en tous 
points cette manière de voir; la pustule aphteuse peut être 
superposée à la pustule variolique ou vaccinale. 

Ici encore, les lésions cellulaires, après une.période de proli- 
fération rapide, débutent dans la couche moyenne du réseau 
de Malpighi, comme le montre la planche IF, figure 1, pustule 
aphteuse développée sur le groin d'un cochon; les cellules 
deviennent vacuolaires, le réseau fibrillaire protoplasmique dispa- 
raît par une véritable fonte, le noyau est isolé dans une vacuole, 
et les cellules détachées nagent isolées dans le liquide des 
pustules jusqu’à liquéfaction totale. 

Les couches basales del’épithélium disparaissent quelquefois 
et le derme est à nu, infiltré de leucocytes en quantité considé- 
rable; les couches superficielles de l'épithélium résistent 
beaucoup plus longtemps, et la lésion aphteuse, vésiculaire, peut 
s’étaler en large surface, de proche en proche, par liquéfaction 
des cellules de la couche moyenne. Iei, pas de pseudo-parasites, 
mais une infiltration leucocytaire considérable inter et intra- 
cellulaire. 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS, 109 


ÉPITHÉLIOSE BOVI-PESTIQUE 


M. Nicolle, à Constantinople, a pu étudier la peste bovine, et 
a démontré que le virus pestique, dans certaines conditions, 
passait à travers les filtres; celte maladie très grave, à forme 
septicémique, est caractérisée par des lésions pustuleuses de la 
muqueuse intestinale, de la muqueuse buccale et par des 
éruptions cutanées (dans les formes peu graves) sur les mamelles 
le scrotum, le périnée, Le pourtour de la vulve, la face interne 
des membres. 

M. Nicolle a bien voulu me confier des pièces fixées par 
M. Adil-Bey avec le fixateur dont j'ai déjà donné la formule, et 
j'ai pu étudier, dans les meilleures conditions, les lésions de la 
muaueuse intestinale et de là muqueuse buccale. 

Je donnerai ici seulement la description de la pustule buccale. 

La figure 2, planche IIL, représente la coupe d'une pustule, 
elle montre d’ane façon évidente l’action intense du virus pes- 
tique sur le tissu épithélial. 

À la limite de la pustule, dans les couches basales, les figures 
de karyokinèse sont en grand nombre. La lésion débute toujours 
par la couche moyenne et s'étend rapidement aux couches les 
plus superficielles de l’épiderme, de telle sorte que la pustule 
est rapidement ulcérée: des leucocytes, en grand nombre, 1nfil- 
trent le tissu épithéhal ; ils sont logés dans la trame vacuolaire 
des anciennes cellules; ici encore, les cellules épithéliales 
montrent les formations éléidiniques que nous avons signalées 
dans la variole ou la clavelée, (e, é, ë),il y a formation de véri- 
tables cellules géantes épithéliales comme dans la variole; les 
leucocytes pénètrent dans les cellules dont le noyau devient 
hydropique; les couches basales de l’épithélium résistent plus 
longtemps; elles se regénèrent par un processus de multiphication 
intensive; 6 figures de karyokinèse sont visibles en un seul 
point de la coupe dessinée. figure 2, planche I. 

La lésion est essentiellement du type des maladies pustu- 
leuses et, malgré la forme septicémique et la présence du virus 
dans le sang, nous nous croyons autorisé à faire rentrer la 


peste bovine dans le groupe des épithélioses que nous étudions 


dans ce travail. 


110 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


ÉPITHÉLIOSE ACNÉIQUE 


Acné varioliforme ou molluscum contagiosum. 


Marx et Sticher ‘ viennent de démontrer que le virus de 
l’'Epühélioma contagieux des oiseaux passe à travers les filtres. 

Cette affection, pour laquelle le mot Epithéliose me paraît pré- 
férable, est une maladie du pigeon et de la poule, caractérisée 
par la présence de tumeurs épithéliales sur la crête, les pau- 
pières, le bec, etc. Elle est facilement inoculable; quelques jours 
après l’inoculation, les tumeurs se développent, et les cellules 
épithéliales néoformées présentent des modifications protoplas- 
miques tout à fait spéciales ; la cellule devient énorme, hydro- 
pique, le noyau est repoussé par le développement de masses 
granuleuses, mamelonnées, dont la vraie nature reste encore 
obscure. ; 

Macroscopiquement, la tumeur est verruqueuse, les auto- 
inoculations déterminent la production de tumeurs souvent très 
grosses. 

La lésion décrite chez l'homme sous le nom de molluscum 
contagiosum est une Épithéliose très voisine de celle des oiseaux. 

Au point de vue histologique, la tumeur du molluscum est 
constituée par un développement exagéré des cellules de l’épi- 
thélium malpighien; il se constitue un bourgeon épithélial, 
mamelonné, invaginé, quelquefois gros comme un pois, qui 
proémine à la surface cutanée: au centre de cette sorte de verrue, 
existe une dépression par où s’exfolient des cellules épithéliales 
kératinisées. La tumeur est nettement délimitée du côté du 
derme et peut être facilement énucléée. 

Les couches basales sont normales, mais peu à peu les 
cellules de la 3° ou 4° assise deviennent granuleuses, hydro- 
piques; à côté du noyau, il se forme dans le protoplasma des 
granulations confluentes qui repoussent le noyau, et constituent 
des masses bourgeonnantes, remplissant quelquefois toute la 
cellule. Les cellules s’individualisent, elles s’entourent d'une 
membrane épaisse, puis se transforment en des blocs kérati- 
nisés qui sont exfoliés. Les cellules enkystées du molluscum ont 


4. Manx ET Sricuer, Unlersuchungen über das Epithelioma contagiosum des 
Geflügels. Deut. med. Woch., 11 déc. 1902, 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 111 


été les premières coccidies, et le point de départ de toute la 
question des Sporozoaires (Neisser, 1889). 

Dans le molluscum des oiseaux, l’action du virus inoculable, 
mais encore indéterminé, filtrable, par conséquent petit, se tra- 
duit par une prolifération du tissu épithélial constituant une 
véritable tumeur. 

Suivant notre définition, le molluscum doit rentrer dans le 
groupe des Epithélioses, etles cliniciens avaient depuis longtemps 
remarqué cette parenté, puisque la maladie est désignée souvent 
sous le nom d’acné varioliforme. 

Nous avons passé en revue différents types de maladies, 
caractérisées par la multiplication des cellules épithéliales sous 
l'influence de virus divers, et nous proposons de les réunir par ce 
caractère commun sous le nom générique d’Epithélioses. 

Varicelle, verrues, papillomes, affections épithéliales encore 
mal connues trouveront peut être plus tard, place dans ce groupe. 

Un autre caractère non moins important justifie ce groupe- 
ment et paraît être déjà suffisamment mis en évidence. Les 
agents infectieux, les virus de ces Epithélioses ont un point 
commun : ils sont assez petits pour passer à travers les filtres 
qui retiennent les microbes ordinaires. 

La démonstration est déjà faite pour la fièvre aphteuse 
(Læffler), pour la clavelée (Borrel). pour la peste bovine (Nicolle 
et Adil-Bey), pour le molluscum contagiosum (Marx et Sticker) et 
ce fait expérimental doit l'emporter, semble-t-il, sur les discus- 
sions morphologiques. 

L'exemple de la péripneumonie qui passe à travers les filtres 
et qui cultive sous forme d'éléments à peine visibles doit orien- 
ter les recherches plutôt du côté des microbes petits ; il doit forcer 
les partisans de la théorie coccidienne à admettre des formes de 
leurs parasites assez petites pour traverser les filtres, et ces 
formes petites dont l'existence est la plus certaine sont évidem- 
ment celles qu’ils n’ont pas vues. 


% 


Quel est le lien que l’on peut établir actuellement entre ces 


412 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


différentes maladies à réactions épithéliales et les maladies 
capcéreuses, entre les Epithéhoses et l'Epithélioma ? 

Par les Sporozoaires, les partisans de la théorie parasitaire 
du cancer ont voulu réunir les maladies éruptives et les 
tumeurs cancéreuses. Nous avons vu que cette assimilation 
pêchait par la base : il faudrait d’abord démontrer l’existence de 
ce sporozoaires. 

Pour nous, l'étude des épithélioses et de la clavelée en par- 
ticulier doit jusqu'à un certain point servir d'introduction à 
l'étude des tumeurs cancéreuses; la culture du virus claveleux, 
par exemple, constituerait un progrès important, parce qu'elle 
nous permettrait de connaître l’un de ces petits virus dont l’action 
détermine la multiplication des cellules épithéliales : le virus 
cancéreux, lui aussi. fait proliférerles épithéliums, et l'étude de la 
clavelée ou des Epithélioses en général facilement inoculables 
sera toujours beaucoup plus simple que l’étude du virus cancé- 
reux, dont l’inoculabilité est encore entourée de mystères. 


ÉPITHÉLIOMA DE LA SOURIS 


Morau !, en 1894, a publié ua mémoire très encourageant 
sur l’inoculabilité du cancer de la souris ; dans ses expériences, 
linoculation était loujours suivie de succès. Ces résultats 
n'avaient jusqu'ici eu aucune confirmation. 

Tout récemment, Jensen * a publié le résultat d’expériencse 
faites sur la souris et dit avoir oblenu jusqu’à 8 passages de 
souris à souris. 

J'ai moi-même, il y a près d’un an, commencé Fétude expc- 
rimentale du cancer de la souris, et j’ai pu faire 6 passages, à 
condition d’inoculer à chaque passage un certain nombre d’ani- 
maux (12 à 15). Dans mes expériences, l’inoculation est loin de 
réussir à tout coup, et la proportion des inoculations réussies 
ne dépasse pas 1 sur 10, Cette proportion est beaucoup plus 
élevée dans les expériences de Jensen : 2 sur 5 en moyenne; elle 
était énorme dans le cas de Morau : 4 sur 5. 

Dans les expériences de Morau, c'est seulement après 3 ou 

. 14. Morau, Sur la transmissibilité de certains néoplasmes, Arch. de Med. 
Exp. 1894. 


2, CG. O. Jexsex, Nogle torsog med. Kœærtsvulster. //ospitalsdende, n° 19, 
7 mai 1902. 


que 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 113 


& mois d’incubation que les souris inoculées montrent un début 
de développement de tumeurs. 

Chez Jensen, comme chez moi, lorsque linoculation est 
positive, du 12° au 20° jour, on perçoit sous la peau un nodule 
qui grossit rapidement, et déjà, au bout de 40 jours, la tumeur 
pèse plus que la souris elle-même. 

Le cancer de la souris peut être inoculé à certaines souris, 
inais toutes les souris ne sont pas inoculables; pour avancer 
sûrement dans cette question, il faudra d’abord établir le déter- 
minisme exact de l’inoculation positive. 

Les cas de cancer spontané de la souris ne sont pas rares; 
ils peuvent être très fréquents dans un même élevage, dans 
une même cage. 

Il y a deux mois environ, j'ai eu connaissance d’un élevage 
de souris où les cas de cancer spontané étaient relativement fré- 
quents; dans l’espace de 1 mois, trois souris cancéreuses, de la 
même origine, furent apportées au laboratoire. 

J'allai moi-même visiter cet élevage de souris, et la dame 
qui élevait les bestioles me déclara que, depuis deux ans, elle 
avait eu dans la même cage plus de 20 cas de « grosseurs » chez 
ses souris; en tout 200 souris environ étaient nées chez elle, et 
beaucoup d’ailleurs avaient été vendues encore jeunes ; les cas 
observés portaient seulement sur les souris conservées pour la 
reproduction. La proportion est donc énorme de souris cancé- 
reuses, devenues cancéreuses dans la même cage. Des observa- 
tions ultérieures seront faites sur cette lignée si éminemment 
cancéreuse pour déterminer la part respective de l’hérédité ou 
de la contagion dans le développement de ce cancer de la souris. 

Il y a deux ans, M. Giard avait eu dans son élevage de 
souris une proportion assez notable de cas de cancer et, grâce à 
son amabilité, j'avais pu faire l'étude histologique de quelques- 
uns de ces cas. | 

Tout récemment, j'ai eu à ma disposition un nouveau lot de 
souris, provenant d'une seule et même cage; deux souris sont 
cancéreuses et, dans cette cage, depuis un an, cinq ou six souris 
cancéreuses ont passé ; dans tous ces cas, il semble biea qu’une 
cause de contagion locale doit ètre invoquée. 

En effet, dans d’autres élevages, beaucoup plus importants, 
que je connais et qui fournissent des centaines et des centaines 

8 


114 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de souris par an, jamais un cas de cancer n’a été observé. 
Tous ces faits plaident en faveur de l’existence du virus cancé- 
reux. 

Chez la souris il s’agit d’un vrai épithélioma qui débute dans 
les culs-de sac glandulaires et souvent au niveau des mamelons, 
à l’aine, à l’aisselle ou au niveau de l’abdomen; la métastase 
ganglionnaire est rapide et évolue en même temps que la tumeur 
principale ; quelquefois, la vulve-est le point de départ. 

J'ai laissé évoluer les tumeurs spontanées ou inoculées jus- 
qu’à cachexie complète, la tumeur devient quelquefois énorme, 
plus grosse que la souris elle-même; la mort arrive en un ou 
deux mois; souvent, la tumeur s’ulcère et, à l’autopsie, on 
trouve toujours des métastases dans le poumon. 

Le type de la tumeur est toujours le même : elle a presque 
toujours une structure tubulée très nette, elle est constituée 
par des tubes ou des cylindres épithéliaux, formés tantôt d’une 
couche cellulaire gardant le type acinus, ou bien de plusieurs 
assises cellulaires formant des cylindres pleins et de véritables 
bourgeons épithéliaux (Fig. 3, pl. VI). 

La tumeur s'accroît périphériquement, elle s’énuclée géné- 
ralement bien, adhérente seulement par un eôté à la face pro- 
fonde de la peau. Les réactions conjonctives autour des cylindres 
épithéliaux sont très peu marquées, et la tumeur est presque 
exclusivement constituée par des éléments épithéliaux, dans 
des mailles conjonctives très lâches. 

Les tumeurs métastatiques gardent exactement, soit dans 
les ganglions, soit dans le poumon, la structure de la tumeur 
principale. 

Le mode de généralisation au poumon par métastase cellu- 
laire et par la circulation générale était dans un cas de toute 
évidence. 5 

J'ai dessiné, planche VI, figure 2, une portion de la coupe du 
poumon à un faible grossissement. 

La métastase pulmonaire est exlusivement intra-vascu- 
laire, intra-veineuse ; sur la figure on voit la coupe d’un bour- 
geon épithélial, absolument isolé dans le vaisseau, toutes les 
grosses veines satellites des bronches sont, sur la coupe, remplies 
du tissu cancéreux et, dans ce cas, la métastase ne constitue pas 
à proprement parler une tumeur pulmonaire, mais une embolie 


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ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 115 


cancéreuse dans les vaisseaux du poumon :il y a eu transport et 
greffe de quelques cellules de la tumeur initiale entrainées par 
le courant circulatoire dans les vaisseaux du poumon, qui a 
fonctionné comme filtre d'arrêt. 

Dans le cas particulier, ce mode de généralisation a le 
caractère d’un véritable schéma. 

En étudiant à un fort grossissement les cellules cancéreuses 
de la souris dans le cas d’une métastase pulmonaire, j'ai cons- 
taté que certains tubes épithéliaux et non tous présentaient 
des inelusions intra-cellulaires sur la nature desquelles je 
manque de données positives. 

Le dessin, figure 3-4, planche VI, mieux que toute explication, 
permet de se rendre compte de la morphologie de ces inclu- 
sions ; 1l s’agit tantôt de corps très chromatiques, petits, irrégu- 
liers comme forme, tantôt de masses relativement grosses, 
5 à 6 y, mal colorées, aréolaires, situées à côté du noyau 
dans la portion du protoplasma voisine de la lumière du tube. 
Fait à retenir : tous les tubes ne montrent pas ces inclusions, et 
lorsqu'un tube les présente, elles ont toutes, dans ce même 
tube, la même structure : toutes petites et très chromatiques 
ou bien toutes plus grosses, peu colorées et alvéolaires, absolu- 
ment comme dans un tube séminifère, toutes les cellules sont 
en même temps au même stade de division. 

Grossièrement ces inclusions ressembient aux inclusions 
décrites dans les bronches de la pustule claveleuse, figure 1, 
planche VI; dans ce cas, il s’agirait de fragments de leucocytes 
ou de leucocytes entiers ayant pénétré dans les cellules. Cette 
opinion pourrait se soutenir et le fait serait intéressant au point 
de vue qui nous occupe : les lésions de la cellule épithéliale 
dans les deux cas, seraient très voisines et de même ordre. 

. On pourrait aussi penser à quelque modification du proto- 
plasma de la cellule, en rapport avec des phénomènes de sécré- 
tion, — Les éléments manquent pour se faire une opinion défi- 
nitive et absolue, et ces inclusions demandent à être mieux 
étudiées. 

Si nous comparons maintenant le processus pulmonaire dans 
l'Épithéliose claveleuse, au processus pulmonaire dans l'Épithé- 
lioma de la souris, nous pouvons établir une différence radicale 
entre les deux maladies, bien que, macroscopiquement, la res- 


116 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


semblance soit grande. — Dans la clavelée, ce sont les cellules 
préexistantes des organes et du poumon en particulier qui pro- 
lifèrent et donnent la néoformation épithéliale sous l'influence 
du virus : dans le cancer, au contraire, ce sont les cellules 
cancéreuses de la tumeur initiale, métastatiques elles-mêmes, 
qui vont se fixer dans le poumon et constituer par leur déve- 
loppement un nouveau tissu dans le tissu pulmonaire. 

En d’autres termes, dans la clavelée que nous prendrons 
comme type d'Épithéliose, le virus touche et peut faire proliférer 
différents Épithéliums : il y a une pustule cutanée, une pustule 
pulmonaire, une pustule hépatique, une pustule rénale, ete, 
avec les réactions et les caractères des cellules de chaque 
organe ; dans le cancer, il n'y a qu’un seul type cellulaire, 
hétéromorphe, métastatique lui-même, et les tumeurs dans les 
différents organes peuvent être considérées comme les prolon- 
gements de tumeurs primitives. 

Il y a une différence essentielle entre les lésions claveleuses 
et les lésions cancéreuses ; 

L'étude comparative que nous avons faite des épithélioses et 
de l’épithélioma nous permet seulement de les rapprocher, 
elle montre que la prolifération épithéliale dans les tumeurs 
cancéreuses ne constitue pas une réaction exceptionnelle, sans 
analogue dans les maladies virulentes connues, et cette consta- 
tation ne peut qu'encourager la recherche du virus cancéreux. 

La démonstration n’en parait pas facile; l’inoculabilité du 
cancer de la souris n’est même pas établie sur des expériences 
sans conteste. L'expérience cruciale manque encore. 

L'objet d'étude le plus favorable semble être actuellement le 
cancer de la souris; et la question aura fait un grand pas le 
jour où, en dehors de toute intervention de la cellule cancéreuse 
vivante, l’inoculation positive aura définitivement fait justice 
des théories diathésiques du cancer : 


4. La question du cancer de la souris est intimement liée à celle du cancer 
humain, et cette question du cancer est à l’ordre du jour dans beaucoup de labo- 
ratoires; des essais sérothérapiques sont faits en différents lieux et certainement 
méritent-d'être continués. Jensen a publié le résultat d'expériences, malheureuse- 
ment trop peu nombreuses, faites avec le sérum de lapins soumis à des injections 
répétées de tumeurs de la souris; ce sérum aurait donné de bons résultats dans 
le cas de tumeurs traitées au début, 

On peut déjà prévoir qu’il sera possible, avec la souris, d'établir d’une façon 
expérimentale et certaine ce que l’on doit attendre de la sérothérapie cancéreuse. 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS, 117 


En résumé et comme conclusions à ce travail, nous avons 
voulu surtout établir que les maladies cancéreuses ne consti- 
tuent pas un groupe pathologique absolument à part et sans 
analogue dans les maladies virulentes. 

A son point de départ, la théorie coccidienne des tumeurs 
épithéliales avait eu une vogue considérable, parce qu’on ne 
connaissait à ce moment que des parasites intra-cellulaires, des 


Les résultats cliniques obtenus par Richet et Héricourt d'abord, par Dungern, 
Charcot, Leyden et Blumenthal, ont été plus ou moins satifaisants, mais toujours 
très inconstants et peu nets : aucun des expérimentateurs n’a pu tirer de conclu- 
sion définitive, à cause de l'absence d’une base expérimentale. 

Pourtant, les essais de traitement, même empiriques, méritent d’être continués. 

On peut, en l'état actuel, viser deux éléments dans la tumeur cancéreuse : 
d'une part, la cellule cancéreuse que beaucoup considèrent encore comme le vrai 
parasite se développant comme élément clranger à l'organisme : dans cette 
hypothèse, l'étude des cytotoxines a suggéré déjà l’idée de faire un sérum anti- 
cellulaire et on a inoculé des cancers à des animaux pour obtenir un sérum 
anti. 

Personne que je sache n’a jusqu'ici essayé de prendre la tumeur opérée chez 
une malade déterminée, d'obtenir un sérum anti chez un animal, et de réinoculer 
a la même malade, le plus tôt possible après l’ablation de la tumeur, lanti-corps 
cellulaire supposé actif. 

D'autre part, il faut tenir compte d'un autre facteur qui n’est pas négligeable, 
ja présence possible, dans la tumeur cancéreuse, de parasites et d'un virus qui 
peut en l'état actuel être considéré comme plus ou moins voisin des virus de 
nos Épithélioses; or, rien de plus facile que d’obtenir un sérum actif contre la 
vaccine, la peste bovine, la fièvre aphteuse et la clavelée par l'inoculation des 
tissus virulents. On peut essayer de faire de même pour le cancer, et il est 
important dans ce cas de ne prendre que des tumeurs du même type. 

La technique à employer et qui tient compte des deux facteurs : cellule et 
virus, me parait être la suivante, et j'ai déjà entrepris des recherches dans 
cette voie. 

Le cas le plus simple est celui des tumeurs cancéreuses du sein. Après 
l'ablation chirurgale du sein, le tissu cancéreux est broyé et inoculé en masse à 
un mouton. Avec la technique employée, j'ai pu inoculer sans inconvénient en 
une seule fois jusqu'> 100 grammes de tissu cancéreux mis en suspension dans 
500 c. c. d’eau physiologique. La résorption est rapide, en à ou 6 jours. Huit jours 
après, le mouton est saigné à 500 c. c., 45 jours après, saigné de nouveau ; ainsi, 
on récolte une quantité de sérum {out à fait spécifique, en quantité suffisante 
pour faire à la malade, tousles mois ou toutes les trois semaines, une inoculation 
de 20 ec. c. de sérum, supposé actif. Le même mouton, dans le cas d’une 2° malade 
et d’une nouvelle ablation de tumeur cancéreuse, est de nouveau inoculé en 
suivant la même technique, et saigné 8 jours et 15 jours après cette 2° inocula- 
tion ; le sérum recueilli est spécifique pour le 2° cas dans l'hypothèse cytotoxique; 
il est plus actif que le 1er, dans le cas de l'hypothèse parasitaire. 

Plusieurs malades sont déjà en traitement par ce sérum polyvalent et spéci- 
tique, les résultats seront jugés plus tard, lorsque les cas seront assez nombreux 
et le temps écoulé assez long pour savoir si un pareil sérum, inoculé pendant 
2 ans, tous les mois, est capable d'empêcher les métastases dans les organes et 
d’arrèter le processus cancéreux, 

Ce temps-là n’est pas proche. et à cause 4 cela, j'ai cru devoir publier ici les 
indications qui précèdent, 


118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR ‘ 


protozoaires, des coccidies capables de faire proliférer les 
cellules épithéliales. J'ai essayé de montrer déjà, dans mon rap- 
port au Congrès de Paris de 1900, que beaucoup de parasites 
étaient capables de produire le même résultat: coccidies, levures, 
champignons, etc. 

L'étude actuelle des Épithélioses nous montre que beaucoup 
de virus à réaction épithéliale traversent les filtres et doivent 
rentrer dans le groupe des microbes petits. 

Il serait téméraire d'affirmer qu'il en est de même pour le 
virus cancéreux ; mais l'hypothèse est plausible ; elle doit orien- 
ter les recherches, non d’une façon exclusive. Elle ne doit 
pas, en effet, trop décourager les chercheurs qui, jusqu’à ces 
derniers temps, ont essayé de retrouver dans leurs coupes des 
stades caractéristiques d’une coccidie, mais le vent ne parait pas 
souffler du côté des Sporozaires jusqu'ici décrits, et Bosc lui- 
même, qui avait décrit dans de multiples travaux des « stades 
évidents », reconnaît maintenant qu'il avait été trop loin, et il 
ne trouve plus ses figures aussi caractéristiques ; les parasites de 
la vaccine sont fortement battus en brèche par le travail récent 
de Sikorsky, qui obtient par inoculation de toxine diphtérique 
sur la cornée ou par inoculation de vaccin chauffé des figures 
identiques. 

Reconnaissons simplement que létiologie des tumeurs 
malignes reste encore obscure, et gardons-nous surtout d’éta- 
blir un lien trop intime entre les Épithélioses infectieuses et les 
Epithéliomas. 

Il y a analogie, il n’y a pas identité. 

4. Loc. cit. 


a dd lat aa ads here te tata 


Fees 11: 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 119 


EXPLICATION DES PLANCHES 


A part les figures 1, 2 et 3 de la planche V, obtenues après fixation et 
coloration par la méthode de Laveran, toutes les figures proviennent de 
frottis ou de coupes fixés par la même méthode, 

Aie OSHNUEL EEE LRU Lise ma Re 2 
CE” CRETE ER SEE Furl a More 3 
Chlorure de platine....... NOR NTSC DE ART EE 
NGIBR ACCTIQUE TT AT ER PEN ET IeE ÉNÉSRÉRRALE 20 
RARE RES PAS APCE TS PR RÉ EE AE 350 

La méthode de cbtoraties a été la même dans tous les cas : rouge ma- 
genta, — picro-indigo-carmin. Seule la figure 1, planche II, a été obtenue 
après coloration par : rouge magenta, — bleu à l’argent-acide picrique. 
Les figures 6, 7, planche V, ont été obtenues après coloration thionine-tannin, 


PLANCHE I 


Fig. 1. — Coupe d'une pustule d'inoculation avec virus pur, 8e jour, 
paroi abdominale. 

La surface cutanée est à droite, la coupe passe au voisinage d’un folli- 
cule laineux et montre des squames épidermiques pénétrant dans la profon- 
deur, colorées en rouge. 

En &, la zone des cellules vacuolisées contenant de nombreuses gouttes 
éléidiniques 

En #, cellules invaginées, pseudo-kystiques, à filaments radiaires (pseudo- 
coccidies du type Darier-Wickham). 

Plus profondément, les cellules des couches profondes du réseau de 
Malpighi ont le noyau vacuolisé et contiennent une inclusion paranucléaire, 
(les formes bourgeonnantes sont fréquentes, — comparer avec les figures de 
la vaccine, cornée du lapin, planche IV). 

En c, cul-de-sac glandulaire, la couche basale montre les cellules à noyau 
vacuolisé et des inclusions du même type que b. 

En d, cellules claveleuses, mésodermiques avec noyau vacuolisé et 
inclusion paranueléaire du même type que dans les cellules ectodermiques, 

De nombreux leucocytes pôlynucléaires plus ou moins reconnaissables 
sont présents dans le tissu œdématié. 

Fig. 2. — Coupe d’une tumeur claveleuse pulmonaire chez un animal 
sacrifié au 15e jour. 

Portion périphérique d'un nodule sous-pleural : en B épithélium proli- 
féré d'une bronchiole; en A, alvéoles pulmonaires à épithélium cubique. 
Toutes les cellules contiennent de nombreuses granulations cellulaires. — 
L'épithélium des alvéoles et l’épithélium bronchique, ici, ne contiennent pas 
d’inclusion, le noyau n’est pas vacuolisé. 


120 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


En «, dans le tissu conjonctif, entre les alvéoles, se trouvent de nom- 
breuses cellules claveleuses mésodermiques, à noyau vacuolisé et grosses 
inclusions. 


PLANCHE II À 


Fig. 1. — Pustule vaccinale chez le singe. Région dorsale au 4° jour. 

La coupe, fixée par le mélange usuel, a été colorée par rouge de Magenta, 
bleu à l’argent-acide-picrique. 

Les noyaux ont pris une coloration violette. — Dans les cellules épithé- 
liales, les différenies inclusions sont restées colorées en rouge. 

Au centre de la pustule, dans la zone déjà vacuolisée, les cellules subis- 
sent une véritable fonte qui débute par la formation d’une vacuole péri- 
nucléaire. 

En 4, dans la vacuole autour du noyau, se distingue, très bien colorée 
en rose pâle, une substance granuleuse, avec pénétration de leucocytes 
polynucléaires, plus ou moins reconnaissables: le processus est semblable à 
celui que nous trouverons dans la pustule cornéenne, il est ici plus net. 

En #, dans les couches épithéliales superficielles, se produisent de nom- 
breuses gouttes éleidiniques, et certaines portions du protoplasma se dis- 
posent sous forme de couches concentriques englobantle noyau, ou formant 
comme un casque au-dessus du noyau. 

Des leucocytes plus ou moins reconnaissables, quelquefois réduits à 
l'aspect de boules chromatiques, sont épars dans toute la pustule. 

Au-dessous du tissu malpighien, on note une très lègère infiltration 
cellulaire. 

Fig. 2. — Pustule variolique prélevée par biopsie dans un cas de variole 
généralisée sans infection secondaire (peau de la cuisse.) 

La pustule montre le premiers débuts de la vésiculisation. Dans le tissu 
malpighien hypertrophié, les cellules de la couche moyenne sont déjà 
détruites et remplacées par de grandes vésicules à contenu amorphe, infiltrées 
de leucocytes polynucléaires. Le début du processus se voit en &, les cellules. 
deviennent hydropiques, et les filaments protoplasmiques disparaissent. 

En g, des ponts épithéliaux persistent encore, et des cellules géantes ou 
plutôt des plasmodes cellulaires d’origine épithéliale sont visibles. 

Les couches basales sont encore intactes ; au niveau de la papille centrale, 
un processus inflammatoire est très évident. 

Les cellules épithéliales superficielles contiennent en nombre immense 
des granulations chromatiques d’origine éleidinique. 


PLANCHE I 


Fig. 1. — Pustule aphteuse. 

La pustule a été prélevée avant vésiculation sur le groin d'un cochon. 

La lésion importante siège dans la zone moyenne du réseau de Malpighi. 
Les cellules subisseat un rapide processus de fonte. Autour du noyau, il y a 


formation d'une vacuole et quelquefois pénétration de leucocytes polynu- 
cléaires dans la cellule. 


07 © A A Lo 4e 20 pes SAN En Là em 


ÉPITHÉLIOSES INFECTIEUSES ET ÉPITHÉLIOMAS. 121 


Au niveau des papilles, on peut voir un processus inflammatoire très net. 

Fig. 2. — Peste bovine. 

Érosion de la muqueuse buccale chez le bœuf. 

Le processus destructif dans la peste bovine est extraordinairement 
intense, et touche presque en même temps les couches superficielles et les 
couches moyennes de l'épithélium malpighien. 

En 4, la trame cellulaire ancienne est remplacée par une série de lacunes, 
infiltrées de leucocytes et de débris leucocytaires. 

En g, g' il y a hydropisie cellulaire, gonflement et lobulalion du noyau, 
formation de cellules géantes épitheliales. 

Dans les cellules malpighiennes, il y a, comme dans la variole, production 
de gouttes éleidiniques, le processus est un peu différent : il s'agit ici d’une 
lésion de muqueuse et non d'une lésion cutanée. 

Les couches basales de l’épithélium prolifèrent abondamment, 

Cinq figures de karyokinèse }, k, k, peuvent être notées dans la portion de 
la coupe qui a été dessinée, 


PLANCHE IV 


Fig. 1. — Corspuscules de Guarneri dans la cornée du lapin. 

Lésion de la cornée au 5e jour, au niveau de la ligne de scarification. 

En «, formes microscopiques du pseudo-parasite, logées dans une vacuole 
périnucléaire et dans une encoche du noyau ; 

En b, formes plasmodiques granulaires avec petits corps chromatiques; 

En c, formes radiées et bourgeonnantes; 

En d, une cellule endogène pseudo-kystique. 

Fig. 2. — Cornée du lapin au 8e jour. 

a, pseudo-parasite à un fort grossissement ; 

b, un polynucléaire intercellulaire. 

Fig. 35. — a, leucocytes intercellulaires ; 

b, un fragment de leucocyte: 

€, pseudo-parasites intracellulaires; 

Fig. 4. — Cette figure montre très bien les formes variées des pseudo- 
parasites de Guarnieri et surtout les formes actinomorphes. 6, €’, 


PLANCHE V 


Fig. 1, 2, 3. — Grandes cellules claveleuses sur frottis, coloration par la 
méthode de Laveran. 
Fig. 4 et 5. — Grandes cellules claveleuses sur frottis. 


Fixation liquide chromo-acéto-osmique et chlorure de platine, coloration 
rouge magenta, picro, indigo-carmin, 

Fig. 5 et T. — Grandes cellules claveleuses, fixation alcool absolu, colora- 
tion par thionine-tannin. 


Fig. 8. — Cellules de l'épithélium d’une pustule vaccinale, substance 
granuleuse périnucléaire avec leucocytes intracellulaires. 
Fig. 9 et 10. — Coupes tangentielles de la capsule de Glisson, au niveau 


d'une pustule claveleuse hépatique. 


442 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Fig. 9. — Dessinée à un grossissement de 3.000 (Apochrom. 1. 5. oc. 
18). ; 

En a, une cellule claveleuse, noyau vacuolisé, inclusion pseudo-parasitaire ; 

En pb, un polynucléaire avec centrosome : 

En c, une grande cellule contenant des granulations chromatiques très 
fines, peut-être des bactéries (?), peut-être le microcoque spécifique; 

En d, on voit le centrosome de la cellule. 

Fig 10. — La figure d'ensemble montre Ja distribution générale des gra- 
nulations en question dans la capsule de Glisson œdématiée, en pleine lésion 
claveleuse. 

Fig. 11. Coupe tangentielle d’une pustule pulmonaire intéressant la 
plèvre et les premières alvéoles à épithélium cubique. 

Les mêmes granulations sont visibles et très nombreuses, dans le tissu 
pleural infiltré, au niveau des grandes cellules claveleuses pseudo-parasitées. 
b, b'. ; 

En c, un leucocyte mononucléaire avec un centrosome dont les dimensions 
permettent de se rendre compte de la finesse des granulations qui sont en 
question. 


PLANCHE VI 


Fig. 1. — Coupe d'une bronche claveleuse au point de jonction de la 
grosse bronche avec une bronchiole secondaire. 

En À, l’épithélium proliféré a un aspect ectodermique et filamenteux, 
les cellules contiennent des inclusions, et le noyau présente la dégénération 
vacuolaire caractéristique, 

En B, l’épithélium de la bronchiole ne présente pas d'’inelusion, 

En €, c, grandes cellules claveleuses mésodermiques. 

Fig. 2. — Cancer de la souris. 

Coupe d’un poumon cancéreux, — La coupe montre, dans une grosse 
veine, la présence de nodules cancéreux isolés et libres. 

Dans ce cas, les vaisseaux du poumon étaient presque tous farcis de tissu 
cancéreux métastatique. 

Le dessin, très exact, a le caractère d'un véritable schéma ; il y a eu 
transport des cellules cancéreuses de la tumeur sous-cutanée. 

Fig. 3. — Coupe d'ensemble d’un fragment d’une tumeur du sein chez 
la souris, bourgeons épithéliaux avec inclusionsintra-cellulaires de différents 
lypes. 

Fig. 4. — Un tube cylindrique à un fort grossissement, montrant les 
inclusions intra-épithéliales dans les cellules cancéreuses. 


ÉTUDE EIPÉRINENTALE DE LA CABLE 


FILTRATION DU VIRUS; SÉRO-CLAVELISATION ; SÉROTHÉRAPIE 


Par A. BORREL 


Le virus claveleux existe au niveau de toutes les lésions 
claveleuses, non seulement dans la pustule d’inoculation et les 
pustules cutanées, mais aussi dans les organes profonds, diffé- 
rant en cela du virus vaccinal ou variolique, qui cultive seule- 
ment au niveau des surfaces ectodermiques. 

A cause de cela, l’étude expérimentale de la clavelée est 
beaucoup plus facile que celle de la variole et devait la précéder, 

A la suite de l’inoculation sous-cutanée, il se développe une 
pustule d’inoculation qui apparait dès le 4° jour, la température 
s'élève en même temps et, au 9° ou 10° jour, dans les cas graves, 
des pustules de généralisation apparaissent sur tout le corps. 

Dans la région axillaire ou inguinale correspondant à la 
pustule d'inoculation, un ganglion se développe, et il est bien 
certain que la généralisation se fait par la circulation; le virus 
passe par le sang pour aller se localiser dans les organes ou à 
la surface cutanée au niveau des lésions pustuleuses. 

Mais la clavelée ne peut pas être considérée comme une 
maladie septicémique, le virus ne cultive pas et ne reste pas 
dans le sang; comme l’ont démontré MM. Nocard et Roux, il ne 
fait qu'y passer. 

Bosc a soutenu que le parasite de la clavelée existait dans le 
sang : il l'y a même vu au microscope. Mais plus tard, à la 
suite des critiques de Nocard, pour démontrer la virulence du 
sang, il en a prélevé 200 c.c. sur un agneau, la veille de 
la généralisation, et il a obtenu une pustulé par inoculation : on 
- ne voit pas très bien ce qu'a voulu démontrer Bosc par cette 
expérience ; 1l est bien certain que le parasite doit passer à cer- 
tains moments par la circulation, mais il est non moins certain 
que le virus nereste pas dans le sang : le système circulatoire 
n’est pas le lieu du virus claveleux ; on peut inoculer à tous 


12% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


les moments de la maladie des quantités notables de sang, sans 
donner la maladie, ni produire la moindre immunité. Voilà ce qui 
est démontré par de nombreuses expériences. é 

Pour démontrer que la clavelée est une maladie septicémique, 
Bosc aurait dû inoculer, non pas 200 c. c. de sang, mais des 
quantités beaucoup plus faibles : 1c. c., une goutte, et cela devrait 
suffire, d’après l’auteur lui-même. 

Bosc décrit dans le sang des animaux claveleux un parasite 
visible au microscope : quelle que soit la patience d’un micros- 
copiste, il est difficile d'examiner sur lame, en préparations 
microscopiques fixées et colorées, la quantité de sang qui 
correspond à un centimètre cube ; si l’on constate des parasites 
à l’examen microscopique, l'inoculation doit réussir à tout 
coup, à des gouttes, à des dilutions de goutte. 

Peut-être le parasite vu et décrit dans le sang n'est-il pas 
le microbe de la clavelée ? 

Bosc ‘ a soutenu que le ganglion claveleux est toujours viru- 
lent; or, jusqu’à lui, tous les auteurs s’accordent à reconnaître 
qu'il est rare de trouver la pulpe ganglionnaire virulente. Pour 
le démontrer, il inocule 2 c.c. de pulpe ganglionnaire : la 
technique décrite pour se procurer cette pulpe dite virulente 
laisse soupçonner toutes sortes de contaminations possibles. 
J'ai fait moi-même plusieurs expériences et seulement, une fois, 
en inoculant un demi-centimètre cube de pulpe prélevée à la 
mort de l’animal, au 14° jour, j'ai obtenu une pustule; j'en 
suis à me demander, pour ce résultat positif unique, s’il n’y a pas 
eu de ma part une faute de technique. 

Malgré les affirmations de Bose, nous constaterons, d'accord 
avec des expérimentateurs qui ont fait leurs preuves, que le 
ganglion claveleux, comme le ganglion vaccinal, est rarement 
virulent, que le sang n'est pas le lieu du microbe, que seules 
sont virulentes, les pustules claveleuses : nous éviterons ainsi 
de prendre des exceptions pour des règles. 


FILTRATION DU VIRUS 


Après les travaux de Læffler sur la fièvre aphteuse, après la 
découverte du microbe de la péripneumonie par MM. Roux. 


4. Bosc, Soc. de Biologie, 26 avril 1902, 


ber 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA CLAVELÉE 195 


Nocard et nous-même, il était tout naturel de rechercher si le 
virus claveleux ne rentrait pas dans ce même groupe des mi- 
crobes petits, et nous avons étudié la question de la clavelée à 
ce point de vue. 


L'expérience montre que la filtration du virus aphteux ou 
du microbe de la péripneumonie est d’autant plus difficile que 
le liquide est plus albumineux. Jai cherché à obtenir des pro- 
duits très riches en virus, aussi peu albumineux que possible, et 
j'ai laissé de côté le virus claveau, liquide essentiellement coagu- 
lable, très albumineux, difficilement filtrable, 

Pour étudier le virus claveleux, au point de vue de la filtra- 
tion, j'ai utilisé Le raclage superficiel des grosses pustules d'inocula- 
tion, recueilli quelques heures après la mort de l'animal et dilué dans 
de l'eau ordinaire. 

Après la mort de l'animal, les couches superficielles de la 
pustule sont facilement dissociées, et laissent exsuder peu de 
sérosité albumineuse; l’absence du sang favorise l'opération. 
Avec le tranchant d’un scalpel, on racle toutes les couches épi- 
théliales, y compris la région papillaire. Le raclage d’une seule 
pustule de 5 à6 centimètres de diamètre est mis en suspension 
dans 100 c. c. d’eau de conduite ; le liquide louche ainsi obtenu 
est très riche en virus; il peut être dilué au cent millième et 
davantage ; il contient très peu de matières albuminoïdes en 
solution. 

Avant de passer sur les bougies, il est filtré sur papier pour 
éliminer les éléments cellulaires et les débris qui colmateraient 
rapidement les pores de la bougie filtrante. 

Une expérience première de filtration sur bougie Berkefeld 
donna un résultat positif, Le liquide stérile dans le bouillon ou 
sur gélose à 37°, se montra virulent. 

Je fus amené à étudier de plus près les conditions de cette 
filtration. 

Dans ces expériences de filtration, j'ai utilisé différentes 
bôugies ;: Chamberland, Berkefeld, et des entonnoirs filtrants en 
porcelaine d'amiante Garros. - 


Pour les travaux de laboratoire à l’Institut Pasteur, M. Cham- 
berland avait mis à notre disposition des bougies de porosité 
variable, que j'ai désignées sous la rubrique F?, F°, F‘et Ft, 


126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


débitant 1, 2, 3 et 10 fois plus, dans la même unité de temps et 
dans les mêmes conditions, que la bougie F : celle-ci est le 
modèle courant, répandu dans les laboratoires pour les filtra- 
tions ordinaires. 

M. Garros nous a fourni des entonnoirs filtrants en porce- 
laine d'amiante à parois minces, 2 millimètres environ, qui dans 
les conditions normales retiennent les microbes. Pour être 
suffisamment poreuse, la porcelaine doit être cuite à tempéra- 
ture élevée, et l’entonnoir mouillé doit montrer une certaine 
translucidité. Enfin, j'ai eu aussi à ma disposition des bougies 
Berkefeld du type commercial ordinaire. 

Avec les bougies Chamberland, j'ai employé le dispositif de 
filtration très simple que montre hf figure 1. 


Dans un tube à pomme de terre qui porte une effilure de 
distribution, la bougie est introduite, et le tube est fermé sur la 
bougie par un tampon de coton. À 

Grâce à une poire en caoutchouc reliée à la bougie par un 
tube de verre porté sur un petit bouchon de caoutchouc, on peut 
filtrer sous pression, et rapidement; le liquide aqueux qui contient 
le virus filtre très vite. 

La figure 2 montre le dispositif employé avec la bougie Ber- 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA CLAVELÉE 127 


kefeld à monture métallique, de mème la filtration est faite sous 
pression de poire de caoutchouc. 

Avec les entonnoirs filtrants Garros, la filtration se fait sans 
pression, et la figure 3 montre le dispositif utilisé. 

Dans le cas d’une filtration rapide, extemporanée, sous pres- 
sion de poire de caoutchouc, le virus claveleux passe quelque- 
fois à la bougie Berkefeld, 3 fois sur 10 en moyenne; bougies 
neuves, stérilisées à l’autoclave. 

Le virus ne passe jamais à la bougie Chamberland ordinaireF, 
quelquefois aux bougies F?, F*, toujours à partir des bougies 
He Fete - 

Le virus, dans une expérience qui a porté sur dix entonnoirs 
(rarros de 4 à 2 millimètres d'épaisseur, cuits à haute tempéra- 
ture, a passé 3 fois. 

Dans toutes ces expériences, les liquides filtrés ensemencés 
en bouillon ou sur gélose à 37° ont paru stériles, tandis que le 
liquide sur le filtre contient beaucoup de microbes raclés sur la 
peau de mouton, sans précaution aucune d’asepsie. 

Pourtant, et j’attire l'attention sur ce point d’une façon spé- 

_ciale, si la dilution a été faite avec de l’eau du robinet non 
stérilisée, le filtre laisse passer certains microbes, particulière- 
ment petits, mobiles, des vibrions, des spirilles, qui paraissent 
et se cultivent très bien dans le liquide filtré lui-même, simple- 
ment conservé à la température de 20°. 

Ces microbes ne poussent pas dans le bouillon à la tempéra- 
ture de 37° et, si le milieu filtrat claveleux, macération de cel- 
lules épithéliales, n’était pas pour eux un milieu de culture 

excellent, ils passeraient inaperçus (dans un milieu albumineux, 
ces microbes ne poussent pas); on pourrait conclure à la stérilité 
absolue du filtrat. 

Il n’en est rien et, dans toutes mes expériences de filtration, 

chaque fois que le virus claveleux a passé, j'ai eu dans le 
liquidefiltré, au bout de 5 à6 jours, descultures de certains micro- 
bes, toujours les mêmes, que j'ai désignés sous le nom de 
vibrions des eaux. Ces microbes sont mis en évidence, macros- 
copiquement par une légère opalescence du liquide, et microsco- 
piquement par la méthode de coloration de Lœæffler (mordant 
ferro-tannique et fuchsine phéniquée) ; le liquidefiltré permet d’ex- 
cellentes colorations de cils sans Le moindre voile. 


128 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ceux qui passent le plus ordinairement sont des vibrions très poly- 
morphes dont certains sont à la limite de la visibilité, reconnaissables à leur 
cil unique. Ces formes sont celles qui passent à travers les pores de la bougie, 
puis, dans la culture, il se développe des vibrions de dimensions variables 
quoique cette culture paraisse tout à fait pure. 

Dans d’autres cas, ce sont des formes spirillaires qui passent, et la culture 
montre de très longs filaments grêles, invisibles à l’état frais, assez sem- 
blables aux spirilles de la fièvre récurrente, mais plus courts, 

Une fois, j'ai eu la culture pure, dans le filtrat claveleux, d’un microcoque 
excessivement petit, isolé, en diplocoque, en chainette, en staphylocoque, 
cultivant en milieu anaérobie, pourvu de nombreux cils vibratiles (8 à 10), 
culture faite à 370. Ce microcoque multicilié m'a paru, depuis, particulière- 
ment intéressant et je n’ai pas su le retrouver. 

Dans ce même milieu, j'ai obtenu, par filtration, la culture pure d'élé- 
ments très particuliers, que je considère comme appartenant au groupe des 
protozoaires, et que j'ai désignés sous le nom de Micromonas Mesnili. 

Le filtrat devient opalescent, et la culture en 5 et 6 jours à 200 est assez 
abondante. On peut obtenir des colonies sur le milieu filtrat claveleux soli- 


difié par la gélose. Les figures reproduites ci-dessous montrent la morpho- 
logie assez particulière de ce microbe : ce sont très ordinairement des élé- 
ments ovoides allongés, 1/4 u de largeur sur 3 et 4 y de longueur, munis de 
deux cils trapus, plus gros que des cils de bactéries, plus rigides, colorables 
directement et sans mordant par la fuchsine phéniquée. Dans le corps ovoïde du 
microbe, on distingue un grain chromatique très net, assimilable à un noyau, 
et colorable par la méthode de Laveran. 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA CLAVELÉE 129 


Ces éléments se divisent longitudinalement, et les figures montrent les 


} 


divisions en 2, 3 ou un plus grand nombre d'éléments; les figures 3, 4, 5 
sont particulièrement fréquentes et montrent les différents moments de la 
division précédée de la division du noyau (3). Quelquefois on constate un 
renflement à l'extrémité d'un cil, 6,6’ ; des formes pseudo-amæbhoïdes peuvent 
être rencontrées (9). 

A cause de la présence définie, à cause des caractères des cils, du mode de 
division longitudinale qui rapproche cet organisme desflagelles, je suis enclin 
à le considérer comme un protozoaire; il peut être obtenu en cultures suc- 
cessives, 

Ce doit être le plus petit des protozoaires connus. 


Tous les microbes observés dans les conditions de filtration 
ci-dessus sont des microbes mobiles. 

Le passage de ces vibrions des eaux servait ordinairement 
de test au passage du virus claveleux. 

Pour avoir le virus claveleux, débarrassé de tout microbe 
d'impureté, 1l suffit de faire les dilutions avec de l’eau bouillie; 
le liquide filtré, stérile dans toutes les conditions de culture 
jusqu'ici réalisées, est virulent et reste virulent pendant un 
certain temps. 

Dans le cas de filtration rapide, extemporanée, jamais le virus, 
ni les vibrions des eaux ne passent à la bougie F. 

Il en est autrement si, sur la bougie F, on filtre d’une façon 
continue, de ! à 7 jours. 

J'ai fait deux fois l'expérience, et j'ai constaté que d’abord 
rien ne passe; mais, au 4° ou 5° jour, des microbes d’impu- 
reté, mobiles toujours, et d’abord les vibrions des eaux traver- 
sent le filtre, Le liquide devient virulent, 

Cette étude de la filtration nous montre donc qu'avec le 
virus, certains microbes traversent les filtres. Ces microbes pour- 
raient passer inaperçus s'ils ne cultivaient pas dans le filtrat; 
ces microbes, décelables au microscope, sont toujours des micro- 
bes mobiles, et c’est là un point qui me paraît important à noter: 
il est certain que le passage de microbes immobiles à travers 
les filtres doit être beaucoup moins facile; ils peuvent être par- 
ticulèrement retenus, quelle que soit la petitesse de leur 
masse, par attraction sur les parois, tandis que des microbes 
mobiles & masse négligeable par leur mobilité peuvent échapper 
aux lois de l’altraction et passer, sans qu'il soit nécessaire d’ad- 
mettre une lénuité extrême, 


130 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le passage à travers un filtre n’implique pas forcément l’idée 
« d'un microbe invisible ». 

La filtration du virus claveleux dans les conditions que nous 
venons de relater, prouve néanmoins et d’une façon certaine 
que ce virus doit rentrer dans le groupe des microbes petits 
(bactéries ou protozoaires) ; les formes coccidiennes décrites dans 
la vaccine, la variole, la clavelée nous paraissent devoir être défi- 
nitivement adandonnées, et les recherches doivent être poursui- 
vies dans d’autres directions. à 


OBTENTION DU VIRUS EN GRANDE QUANTITÉ 


Par la filtration avec eau bouillie, nous avons eu un moyen 
commode et sûr d'obtenir du virus claveleux pur, et l'étude 
expériméntale du virus en a été beaucoup facilitée. 

A défaut de la culture in vitro, qui n’a pu être réalisée jusqu'ici, 
nous avons surtout cherché à obtenir cette culture in vivo, dans 
l'organisme du mouton, en essayant de produire des localisa- 
tions variées. 

Des expériences préalables nous ont montré que le virus 
inoculé sous la peau veutrale du mouton, est mulüiplié, déjà dès le 
3° jour, avanttoute réaction macroscopique locale; au 8°ou9"° jour, 
la quantité du virus dans la pustule paraît être maximum; il se 
produit plus tard une forte réaction de lorganisme, qui se tra- 
duit par une induration sous-cutanée considérable, au niveau de 
la pustule ; mais la récolte du virus est plus difficile, et on ne 
gagne rien à attendre la période de sécrétion des pustules. 

Par l’inoculation dans la mamelle chez la brebis en lactation, 
on obtient une lésion grave, et le lait devient virulent; mais 
cette source de virus n’est pas facilement utilisable, lorsqu'il s’agit 
d’inoculer detrès grandes quantités à un animalen voie d’hyperim- 
munisation : le lait est difficilement résorbé. Nous avons plus 
tard inoculé le virus claveleux dans la plèvre, et provoqué arti- 
ficiellement un épanchement pleural, par inoculation de grandes 
quantités d’eau physiologique et de mie de pain. Quelquefuis on 
obtient d'excellents résultats; et le liquide pleural extrait après 
4 et 5 jours est très virulent; on peut ponctionner et laver la 
plèvre plusieurs jours de suite, récolter ainsi beaucoup de virus. 

Mais toutes ces méthodes d’inoculalion sont compliquées, 
elles donnent des résultats inconstants. Il vaut mieux, dans la 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA CLAVELÉE 131 


pratique, employer une méthode beaucoup plus simple et plus 
sûre : celle d« l’inoculation sous-cutanée, 

J'ai voulu obtenir une énorme pustule d'inoculation et récolter 
d’une façon tout à fait aseptique les produits virulents, 

Pour cela faire, on choisit de préférence une brebis, on l’atta- 
che, étendue sur le dos, et on rase toute la surface ventrale, des 
aines aux aisselles ; puis, avec un injecteur, on inocule sous la 
peau, au moyen d'une longue canule, 3 à 400 c. ce. de liquide 
virulent tiède (soit 1 ec. c. de claveau pur récolté au 8° jour, 
dilué dans 500 c. c. d’eau physiologique). On porte le liquide 
très loin avec une aiguille, vers le haut et vers le bas, et on fait 
ainsi une boule d'æœdème qui intéresse une très grande surface ; 
la brebis est laissée couchée sur le dos pendant 1 heure au 
moins, jusqu à résorption complète du liquide; pendant ce temps, 
on malaxe la paroi abdominale et on répartit le liquide et le virus 
sur toute la région abdominale. 

Le lendemain et malgré toutes les précautions, le mouton a 
une grosse boule œdémateuse, au point déclive sous l'abdomen, 
mais cet œdème se résorbe totalement en 48 heures, — Après 
3 jours, la paroi abdominale paraît normale, il n’y a aucune 
réaction. On remarque, à la fin du 4° jour, un épaississement de la 
peau et une infiltration sous-cutanée qui se développe rapide- 
ment; c'est la pustule qui commence, et la surface cutanée devient 
chaude etrouge. Au 6°jour, toute la région abdominale est tendue, 
épaissie, infiltrée; la pustule d’inoculation, énorme, se déve- 
loppe : elle a 800 c. carrés de surface. Au 7°, 8 jour, elle fait 
saillie considérable, il n’y a aucun intérêt à attendre plus long- 
temps ; on doit, à ce moment, procéder à la récolte du virus. 

_ L'animal est sacrifié par piqüre du bulbe et attaché sur le 
dos. Avec un thermo-cautère, on circonscrit les limites de la 
pustule par une large bande circulaire de peau brûlée. La peau 
est disséquée aussi près que possible des couches malpighiennes, 
raclée par la face profonde; le claveau coule en abondance, il 
est aspiré à la pipette, tout le tissu œdématié est enlevé asepti- 
quement, une seule pustule donne 6 à 700 grammes de tissu 
claveleux. 

Le tout est broyé dans un appareil que j'ai déjà décrit dans 
les Comptes rendus de la Société de Biologie!; ce broyeur de 

1. Comptes rendus de la Société de Biologie, 20 décembre 1902. 


132 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


laboratoire, à grande vitesse, exprime le liquide, déchire et réduit 
en pulpe très fine tout le tissu virulent, qui est mis en suspen- 
sion dans de l’eau physiologique stérile. 

Une seule pustule peut fournir 2 litres de dilution clave- 
leuse, et le virus ainsi récolté est très actif. J'en ai fait l’essai 
plusieurs fois; au 10/000 et même au 20/000, la dilution est 
encore virulente; inoculée à la dose de 1 €. c., elle donne une 

belle pustule. 
Un seul mouton pourrait donc fournir de quoi claveliser 
sûrement plus de 1 million de moutons. 


SÉROTHÉRAPIE CLAVELEUSE 


Avec de pareilles quantités de virus, nous avons pu hyperim- 
muniser des animaux, des moutons guéris de la elavelée, et 
obtenir, à la suite d'inoculations répétées, un sérum actif; les 
premiers résultats ont été communiqués à la Société de biologie 
(26 juillet 1902). — Duclert en 1896, en inoculant 190 c. c. de 
sang pris chez un mouton guéri d’une clavelée grave, avait eu 
une action préventive du sérum : ces résultats n'avaient pas 
été confirmés par Nocard, Bosc, dans une note (Société de Biologie, 
26 avril 1902), disait avoir trois substances immunisantes : une 
anticlaveline A ‘une anticlaveline B, une anticlaveline C. — Que 
sont ces substances? S'agit-il de sérum anticlaveleux? Non, sans 
doute, car, dit M. Bosc, « le mot séro qui entre dans la compo- 
sition du mot séro-clavelisation ne préjuge en rien de la nature de 
ces substances ». Postérieurement à notre communication, Bosc 
dit avoir obtenu un sérum chez l’âne (Comptes rendus de l'Acad. 
des Sciences, 1% septembre 1902). Il n’est plus question des trois 
anticlavelines. 

Dans mes premiers essais, j'ai utilisé une brebis qui avait 
été inoculée dans la mamelle et avait eu des lésions graves de 
l'organe, persistantes sous forme de nodules durs, pendant près 
de 3 mois. 

Le sérum de cette brebis, avant l'hyperimmunisation, n’avait 
montré aucune action appréciable sur le virus claveleux, soit en 
mélange, soit préventivement. | 

Après plusieurs inoculations de liquide pleurétique virulent 
et de claveau {cinq inoculations de 200 c. ce. d’un claveau très 
actif), on à saigné la brebis et essayé les propriétés du sérum. 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA CLAVELÉE 133 


L'action du sérum fut des plus nettes. — On peut pour mesu- 
rer l’activité du sérum anticlaveleux, l’essayer en mélange 
avec le virus, ou bien faire des inoculations préventives de 
sérum, suivies de l’inoculation virulente, à 24 heures d’inter- 
valle. 

Pour les essais de sérum par mélange, il faut avoir un virus 
elaveleux aussi homogène que possible, de façon que l’action 
du sérum ne soit pas entravée par des fragments de tissu viru- 
lent ou des coagulums qui protégeraient le virus. Du claveau 
(recueilli par la méthode ancienne, ponction de pustule) est dilué 
dans du bouillon (3 grosses gouttes de 16 au c. €. pour AU €, c.); 
soit dilution à 1/150. La dilution agitée est filtrée sur papier et 
le fltrat, limpide, est toujours très virulent ; une très petite goutte 
inoculée sous la peau d’un mouton donne une énorme pustule. 
Pour opérer dans des conditions aussi comparables que possible, 
j'ai toujours ulilisé du claveau du 8° jour. 

Dans une expérience, le filtrat virulent fut mélangé, à la 
dose de 1 ce. c., à des doses variables de sérum, 1 €. c., 1/2 €. c., 
1/4c. c., 3 gouttes, 2 gouttes, 1 goutte, et chaque mélange, après 
3 heures de contact, fut inoculé, sous la peau, à la seringue, en 
des points différents sur la face ventrale du mouton préalable- 
meut rasé, Sur le même mouton, on inocula la mème quantité 
de virus, sans mélange de sérum, de façon à avoir une pustule 
témoin ; au bout de 8 jours, on peut mesurer exactement l’action 
du sérum par les dimensions des pustules développées; la pus- 
tule témoin a5 c. c. de diamètre, et les autres sont d'autant plus 
petites qu'il y a dans le mélange plus de sérum; avec 1/2 c. c. 
de sérum, il n’y avait même pas de pustule, 

On peut ainsi exactement doser et noter même l’action du 
sérum; à condition que le total du sérum inoculé ne soit pas trop 
considérable, il n’y a pas d'action générale sur l’organisme du 
mouton et Les pustules gardent leurs dimensions relatives. 

Quand le sérum est bon, il suffit de quelques gouttes pour 
neutraliser d’une façon complète une dose de virus qui, inoculée 
seule, donne au témoin une pustule énorme. 

Avec des doses moindres de sérum, on peut graduer la dimen- 
sion de la pustule et empêcher d’une façon certaine la généra- 
lisation et la maladie générale. 

De là une méthode de clavelisation par séro-virus qui me parait 


134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


devoir entrer facilement dans la pratique, dans les pays où la elavelée 
est endémique. 

On peut aussi mesurer l’action du sérum par la méthode 
préventive : inoculer par exemple, à une série de moutons 
2, 5, 10, 15, 20 c. c. de sérum et le lendemain faire une inocu- 
lation virulente, en même temps qu’à un témoin. 

L'expérience faite avec une dose de virus qui correspond à 
1e. ec. de notre dilution (3 gouttes claveau + 10 c. ce. bouillon) 
montre chez le témoin une pustule énorme, de 6 à 7 cent. de 
diamètre, suivie de généralisation, tandis que les moutons traités 
préventivement par le sérum ont seulement des pustules locales, … 
plus ou moins développées, ou pas de pustule. Avec'des doses 
de 2, 5, 10 c. e., les pustules se développent, mais petites. Sou- 
vent la pustule se décompose en une série de pustulettes discrètes 
et avortées, l’évolution en est rapide, elles se flétrissent rapide- 
ment. 

Il suffit de 2 c. c. de sérum pour empêcher la maladie géné- 
rale; avec 13, 20 ce. c. de sérum, il n’y a même pas de réaction 
locale au point d’inoculation du virus. 

On peut obtenir chez le mouton hyperimmunisé des sérums 
très actifs, et le mécanisme de l’action sur le virus mériterait 
d’être étudié au point de vue théorique de l’immunité. 

Pour l'étude de la sérothérapie anticlaveleuse, au point de 
vue prophylactique et thérapeutique, j'ai immunisé, depuis bien- 
tôt un an, 12 moutons qui, depuis quelques mois, fournissent 
un sérum actif et utilisable dans la pratique. | 

Le virus destiné à l’inoculation de ces moutons hyperimmmu- 
nisés, est récolté par la méthode déjà indiquée ci-dessus : 

1 mouton virus suffit pour l’inoculation de 12 moutons sérum. 
Après 5 à 6 inoculations de 300 c. c. de claveau, le mouton peut 
être saigné; son sérum est utilisable. 

Les saignées sont faites 8 jours et 12 jours après l'inoculation 
virulente; chaque mois, 2 inoculations virulentes sont faites. 
Le schema de la vaccination peut être établi ainsi : 


Mouton ayant résisté à clavelée grave et guéri. 

15 juillet, — {re inoculation, 200.c. c. clavean, OEdème considérable 
2 jours après l'inoculation, résorbé en 8 jours ou 10 jours. 

30 juillet. — 2e inoculation, 200 c. e. claveau, OEdème encore notable 
2 jours après l’inoculation, résorbé en 6 à 8 jours. 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA CLAVELÉE 135 
45 août. — 3e inoculation, 300 c. c. claveau, OEdème peu développé, 
résorbé rapidement. 
30 août, — 4e inoculation, 300 c. c. claveau. Pas d’œdème, 
15 septembre, — 5e inoculation, 300 c. c, claveau, NN eeRe. 


Saignée, le 22 septembre, à 500 c. c. 

Saignée, le 27 septembre, à 300 ce. c. 

30 septembre, — 6° Rise 300 c. ce. claveau. Pas d’œdèm'e ou peu 
d'ædème. 

Saignée, le 7 octobre, à 500 ce, c. 

Saignee, le 9 octobre, à 300 c. €, 


et ainsi de suite. | 

Les moutons bien nourris, assez gros, supportent facilement 
ce régime. 

On évite les abcès si Les manipulations sont bien faites. 

Les saignées se font très facilement à la jugulaire; la région 
étant rasée, l’hémostase faite, on aspire le sang dans un flacon, 
fermé par ua bouchon à deux trous; dans l'un passe un tube 
d'aspiration, dans l’autre un tube à eflilure recourbée qui pénètre 
directement dans la jugulaire à travers la péau, brûlée légère- 
ment par une pointe de feu, au niveau du trajet de la veine. 

Un mouton peut facilement fournir 1 Litre de sérum par mois. 

J'ai déjà eu l’occasion d'essayer deux fois, dans les condi- 
tions de la pratique, sur des troupeaux claveleux, le sérum anti- 
claveleux, et les résultats ont été parfaits au point de vue théra- 
peutique. ÿ 

A Caudry, le 10 octobre, M. Eloire m'informe que la cla- 
velée sévit sur ua troupeau parqué en plein champ. 

Huit moutons étaient déjà morts, sur un total de 50 moutons; 
les quarante-deux restants se répartissaient de la façon sui- 
vante: 

Trois moutons algériens, dont deux avaient de petites pus- 
tules visibles sur le museau(ces moutons avaient apporté le virus). 

Onze moutons avaient une température rectale au-dessous 
de 39°,5.. 

Sir moutons avaient une température rectale entre 390,5 
et 400. 

Dix moutons avaient 40°-419-410,5, De ceux-là, cinq à six 
avaient le museau enflé, la vulve rouge, etc. 

Sept moulons étaient aux différents moments de la généra- 
_  lisation. - 


136 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


Cing moutons avaient des croûtes sèches et pouvaient être 
considérés comme guéris. 


11 6 moutons  10routons  : Z Anoutons 5 roulorrs 


æœRErrte (te la face 


A tous les moutons, vu la gravité du cas, pour éviter, autant 
que possible, les pertes du malheureux berger, on inocule 
40 c. c de sérum, 

Le lendemain, une brebis du 3° lot, ayant, le jour de l’inocu- 
lation, 41°, les yeux larmoyants, le museau enflé, etc., meurt. 

Depuis, aucune mort n’est survenue, et tous les moutons sont 
restés en bonne santé ou se sont rapidement rétablis. 

La température prise deux jours après l'inoculation, le 12 oc- 
tobre, montra que, dans le lot n° 1, 3 moutons au moins étaient 
en période d’incubation:; les températures, le 12 octobre, étaient 
pour ces trois brebis : 40°,2-40°,2-400,5. 

La température, prise Le 15 octobre, montra que, dans le lot 
3, 10 moutons à température élevée (40°-41°) avaient, cinq 
jours après l’iuoculation, 39° à 39°,3. Pas de pustules visibles. 

L'avortement de l’éruption claveleuse, sur des moutons ayant 
d’jà une température élevée, s'est montrée de toute évidence. 

Cette expérience prouve qu'il est possible de traiter un trou- 
peau en pleine clavelée et d'interrompre, presque d'une façon 
absolue, la mortalité dans le troupeau. IL est vrai que, dans ce 
cas, la quantité de sérum employé a été énorme. 

Je remercie ici M. Eloire, vétérinaire à Caudry, qui a eu 
l’extrème obligeance de m’aider d’une façon très effective en 
plein champ et par un temps plutôt désagréable. 

Les températures ont été prises à deux reprises par M. Eloire, 
et j'ai été tenu au courant des résultats constatés par lui. 

Une autre expérience a été faite à Honnecourt, dans le trou- 
peau de M. Anselin, le 1% novembre 1902. 

Les animaux se répartissaient de la façon suivante : 154 têtes 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA CLAVELÉE 137 


1° 36 brebis mortes: 

20 20 en période de pustulation (4 brebis couchées) ; 

3° 37 plus où moias prises, écoulement du nez, roncnus pul- 
monaires, muqueuses rouges, œdème de la face ; 

4° 25 paraissant tout à fait saines ; 

5° 36 à pustules sèches, en voie de guérison. 

Les quatre premiers lots reçoivent 20 c. c. de sérum, ainsi 
que 9 du lot 5, soit 91 brebis traitées. 

La Lempérature. le mauvais temps et le nombre de têtes à 
inoculer en moins de deux heures n’ont pas permis la prise des 
_ températures; l’expérience a été faite en bloc, avec le concours 
de M. Stowb, vétérinaire départemental, et M. Mignot, vétéri- 
naire à Gouzeaucourt. Je les remercie ici. 

Le résultat a été parfait, puisque aucune brebis n’a succombé, 
et les malades se sont rapidement rétablis. 

Ces résultats sont encourageants ; les expériences montrent. 
que la dose de 20 ce. c. est plus que suffisante pour arrêter la 
mortalité dans un troupeau en pleine infection. 

Je compte essayer, à la prochaine occasion, le sérum anti- 
claveleux à des doses plus faibles, et j’espère obtenir des résul- 
tats satisfaisants avec 10 c. c.. 5 c. c. de sérum. 

Il est tout indiqué, d’ailleurs, de varier les doses avec la gra- 
vité du cas et d'employer une plus ou moins grande quantité de 
sérum, suivant le degré d'infection du troupeau. 

Sous l'influence du sérum, la convalescence des malades est 
d’ailleurs raccourcie, et le propriétaire est sûr de trouver son 
bénéfice à employer des doses plus fortes de sérum. 

La clavelée est assez fréquente dans certaines régions en 
France et dans beaucoup d’autres pays ; on sera rapidement fixé 
sur la valeur thérapeutique de la méthode, 


De la fixation de la toxine tétanique par le carveau | 


Par LE D' BESREDKA. 


——— 


(Travail du laboratoire de M. Metchmikofï.) 


A peine M. Ehrlich eut-il esquissé les grandes lignes de son 
ingénieuse théorie de l'immunité, que MM. Wassermann et 
Takaki firent connaître leurs expériences, devenues classiques 
depuis, sur la neutralisation de la toxine tétanique par la sub- 
stance cérébrale. 

Ce fut une date importante dans l'histoire de la théorie de 
Ebrlich : les résultats obtenus par MM. Wassermann et Takaki 
parurent au premier abord tout à fait surprenants; comme en 
même temps ils semblaient découler naturellement des idées 
que M. Ehrlich venait d'émettre sur la nature des antitoxines, la 
nouvelle théorie des chaînes latérales s’imposa aussitôt à l’esprit. 

Nous ne dirons pas ici quelle a été l’évolution ultérieure de 
celte théorie, qui s’est beaucoup étendue depuis et quelque peu 
modifiée sous la pression de nouveaux faits. La présente note n’a 
d'autre objet que d'analyser de près le phénomène de MM. Was- 
sermaun et Takaki, phénomène qui constitue une des bases fon- 
damentales de la théorie de M. Ehrlich. 

Sile cerveau de cobaye est capable de neutraliser, x vitro, à 
l'exclusion de tout autre organe, une dose même dix fois mor-, 
telle de toxine tétanique, cela tient, d’après les savants allemands, 
à ce que cet organe, comme le plus sensible à la toxine et le pre- 
mier attaqué par elle, renferme des chaînes latérales spécifiques, 
se combinant avec cette toxine ; en d’autres termes, à l’état nor- 
mal le cerveau renfermerait déjà une certaine dose d’antitoxine 
tétanique, identique à celle que l’on trouve dans Ie sérumdes ani- 
maux immunisés contre la toxine tétanique. | 

Uelte interprétation du phénomène de Wassermann cadrait 
si bienavecl'idée des chaîneslatérales, qu’elle est devenue bientôt 
une certitude pour M. Ehrlichet les adeptes de sa doctrine. 

Cette interprétation répond-elle effectivement à la réalité? 


FIXATION DE LA TOXINE TÉTANIQUE DANS LE CERVEAU, 139 


La toxine tétanique se trouve-t-elle réellement neutralisée par 
le cerveau à la faveur de la vraie antitoxine y présente, ou bien 
ne serait-ce pas plutôt à la faveur d'une autre substance qui, sans 
être l’antitoxine tétanique, pourrait cependant, par un mécanisme 
d’ailleurs tout différent, paralyser l’action nuisible de la toxine? 

Ce n’est pas, du reste, la première fois que la question 
s’est posée sous cette forme. Peu de temps après l’apparition du 
mémoire de MM. Wassermannet Takaki, notre maître, M. Metch- 
nikoff, a fait une étude approfondie de cette question. 

En se basant sur ses nombreuses expériences, ainsi que sur 
celles faites dans son laboratoire par M. Marie, M. Metchnikoff 
conclut que l’action du cerveau est « une action limitée dans 
espace et dans le temps' », et comme telle ne peut pas être 
comparée à celle du sérum antitélanique. Il a démontré en plus 
que la matière cérébrale ne détruit par la tétanine, et si celle-cr, 
mise en présence de la substance cérébrale, ne produt pas 
d'action, c’est que la toxine se trouve dans ce cas absorbée par 
les macrophages, et que sa diffusion vers les centres nerveux 
devient dès lors impossible. 

M. Marie, en résumant ses intéressantes recherches sur le 
phénomène de Wassermann, déclare que « lon ne saurait en 
aucune façon l'interpréter dans le sens d’une fonction anti- 
toxique, au sens vrai du mot». 

Un peu plustard, M. Danysz a conclu dansle même sens après 
avoir constaté que la toxine tétanique qui avait été fixée sur la 
substance cérébrale, pouvait devenir libre après la macération 
du cerveau dans l’eau physiologique. 

D'un autre côté, M. Marx, de l’Institut de Francfort, s’est 
proposé récemment de réfuter les conclusions de M. Kitachima, 
élève de M. Behriog, et de prouver que dans l’expérience de 
Wassermann le cerveau n’agit qu’en raison de son pouvoir anti- 
toxique, comme le soutiennent MM. Ehrlich et Wassermann. 

M. Marx a constaté ceci : soit un mélange de cerveau et de 
toxine tel que celle-ci n’est pas complètement neutralisée; 
ajoutons à ce mélange une dose d’antitoxine qui par elle-même 
est insuffisante pour neutraliser toute la toxine présente; ce 
nouveau mélange (toxine - cerveau + anlitoxine) injecté à une 


1. Voir le mémoire de Marie, Annales de l'Instilut Pasteur, 1898, p. 91. 


140 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


souris est tout à fait inoffensif; en d’autres termes, l’action du 
cerveau s’est additionnée à celle du sérum antitoxique pour 
amener la neutralisation complète de la toxine. Cette expérience, 
réalisée avec beaucoup de soin, est à l’abri de toute objection; 
mais où nous ne sommes pas du tout de l'avis de M. Marx, 
c’est lorsqu'il s’agit de son interprétation; car du fait que le 
cerveau et l’antitoxine du sérum peuvent, se trouvant ensemble, 
fixer plus de toxine que chacune de ces substances isolément, 
l’auteur conclut à leur identité, c’est-à-dire à la présence de 
l’antitoxine dans le cerveau. Or, il nous est impossible de 
souscrire à cette conclusion pour cette simple raison que deux 
substances peuvent agir dans le même sens, additionner leurs 
effets, sans pour cela être le moins du monde identiques. 

Quoi qu'il en soit, la question est encore sur le tapis’ ct 
quelques faits observés à l’occasion d’autres recherches nous 
ayant démontré qu'il s’agit là, comme l'avaient soutenu M. Met- 
chnikolf et ses élèves, d’une action non-antitoxique, nous nous 
sommes décidé à en faire le sujet d’un petit mémuire. 


I 


Prenons-:un cerveau de cobaye venant d’être extrait de la 
boîte cränienne; réduisons-le, en le broyant sur une toile métal- 
lique, à la consistance d’une pâte, de façon qu’il forme, délayé 
dans de l’eau physiologique, une émulsion très line et homo- 
gène. Ceci fait, ajoutons à cette émulsion une grande quantité 
de toxine tétanique fraichement préparée (2-3 c. c.), et laissons 
le tout à la glacière pendant 6 heures ou 1, 2, 3 jours. 

Comme nous avons tout lieu de croire que la dose de toxine 
tétanique ajoutée est notablement supérieure à celle qui peut se 
fixer sur le cerveau, et qu'il reste, par conséquent. de la toxine 
libre dans le liquide ambiant, nous soumettons notre mélange 
de cerveau et de toxine à l’action de la turbine (5-6 fois), en 
remplaçant chaque fois le liquide surnageant par de l’eau 
physiologique à 7,5 0/00. 

1, Voir LupwiG Ascuorr, Zeitschr. für allgem. Physiol. 1902, 
2, La toxine tétanique dont nous nous sommes servi tuait la souris à la dose 
de 0,005 c. c. en 36 heures; elle nous à été fournie par le docteur Louis Martin, 


chef de laboratoire à l'{nstitut Pasteur, et son collaborateur, le docteur Momont; 
je les prie d'accepter mes très vifs et sincères remerciements, 


FIXATION DE LA TOXINE TÉTANIQUE DANS LE CERVEAU. 141 


Après un certain temps, toute [a toxine libre doit se trouver 
éliminée par ces lavages répétés. 

Lorsqu'on juge l'opération terminée, on retire au moyen 
d’un tube effilé toute la partie liquideet on prélève, de l’intérieur 
de la pâte cérébrale restée au fond du tube, et débarrassée com- 
plètement de liquide, 1 ou 2 gouttes d’émulsion. Ceci fait, on 
délaye cette dernière dans un peu (1 c. c. environ) d’eau 
physiologique et l’on injecte le tout sous la peau du dos ou 
sous la peau de la cuisse d’une souris, 16 heures à peine après le 
moment de l'injection, cette souris présentera les symptômes 
caractéristique du tétanos, à évolution rapide et tuant l'animal 
en 24-30 heures, avec des signes du tétanos généralisé. : 

On pouvait se demander si l'effet de cette inoculation ne 
devait pas être attribué simplement à ce que l'émulsion injectée 
contenait un peu de toxine libre présente dans le liquide où 
baignait la matière cérébrable. Il est facile de prouver que cette 
hypothèse doit être rejetée. En effet, sur les 2 gouttes de 
matière cérébrale inoculées, 1l pourrait s’y trouver, au maximum, 
1/2 goutte ou 1 goutte de liquide de lavage; or, l'expérience 
montre que si le lavage a été conduit avec soin!, l’incculation 
même de 20 gouttes de l’eau du dernier lavage ne donne pas de 
symptômes tétaniques. 

Si l'on injecte plus de liquide, on voit souvent le tétanos se 
déclarer au bout de 2-3 jours, et cela par suite de la diffusion 
de la toxine fixée sur le cerveau dans le liquide ambiant; il est 
évident que cela n’est pas à comparer avec le tétanos fou- 
droyant produit par 1 ou 2 gouttes de la masse cérébrale. 

Il est done certain que, dans ce dernier cas, c’est bien la 
toxine fixée qui tue et non pas celle qui aurait pu se trouver à 
l’état libre. 

Nous voici donc en présence d’un fait qui va à l’encontre des 
notions généralement adoptées. 

En elfet, jusqu’à présent tous les auteurs qui ont répété les 
expériences de MM. Wassermann et Takaki ont été unanimes 
à constater l'action protectrice du cerveau, et voici que dans 

4. Nous insistons sur la nécessité de continuer les lavages jusqu'à ce que le 
liquide devienne absolument clair, car si celui-ci contient en suspension des 
particules même très fines de cerveau, le résultat de l'expérience peut être faussé, 


comme cela va sans dire, par la présence de la toxine fixée sur les particules en 
question. 


142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


notre expérience le cerveau ne protège plus, mais donne, par 
contre, à l'animal le tétanos, tout comme la toxine pure. , 

Cette contradiction n’esten réalité qu’apparente et s’explique 
d'une manière bien simple. 

MM. Wassermann et Takaki, ainsi que tous ceux qui ont 
étudié le phénomène en question, employaient de faibles doses 
de toxine, ne dépassant généralement pas 10-15 doses mor- 
telles. et lorsqu'ils arrivaient à la dose limite à laquelle le cerveau 
ne protégeait plus, ils se contentaient de signaler le fait sans 
se préoccuper du sort de cette toxine ajoutée en excès, ou plutôt 
ils croyaient que dans ce cas c'était la toxine non fixée, soit la 
toxine libre qui déterminait les symptômes tétaniques. 

Or, quand on examine ce phénomène de près, il est facile 
de s’assurer que les choses ne se passent pas ainsi ; en réalité, 
l’excès de toxine ajoutée n’est pas libre, toute la toxine se trouve 
fixée sur le cerveau; mais le fait est que le pouvoir protecteur et 
le pouvoir fixateur du cerveau ne vont pas de pair, le cerveau 
pouvant fixer beaucoup plus de toxine qu'il n’est capable d’en 
neutraliser. Et voici pourquoi le cerveau de cobaye, qui fut saturé 
de toxine tétanique dans notre expérience, donnait à tout coup le 
tétanos foudroyant, sans que cette mort püt être attribuée à 
la toxine libre de la masse injectée. 

Mais alors nous sommes autorisé à admettre, avec MM. Ehr- 
lich, Wassermann et tous les partisans de la théorie des 
chaînes latérales, qu'il existe dans le cerveau une véritable 
antitoxine télanique, neutralisant l'effet de la toxine ; s'il en 
était ainsi, cette antitoxine n’aurait dû se combiner qu'avec la 
quantité de toxine juste nécessaire pour sa neutralisation; elle 
ne devrait pas avoir de l’affinité pour une dose supérieure de 
toxine à tel point que le mélange püt devenir franchement 
toxique et meurtrier. 

N’est-il pas plus naturel d'admettre que la matière cérébrale 
possède vis-à-vis de la toxine tétanique une propriété fixatrice 
analogue à celle que l'on constate à un degré plus faible dans 
le carmin, par exemple, en un mot, dans une substance non 
spécifique? Le phénomène de Wassermann, tout en gardant son 
intérêt, cesse dès lors d’être une preuve de la présence des 
chaines latérales spécifiques ou d’antitoxine tétanique préexis- 
tante dans le cerveau. 


FIXATION DE LA TOXINE TÉTANIQUE DANS LE CERVEAU, 143 


IT 


Autre expérience, qui prouve que la toxine tétanique ne fait 
qu'adhérer à la masse cérébrale sans entrer avec celle-ci dans 
une combinaison tant soit peu stable. 

Prenons le cerveau sursaluré de toxine tétanique, comme il 
a été indiqué tout à l'heure, et que nous allons appeler, pour être 
plus bref, « cerveau toxique » ; faisons agir sur lui une certaine 
quantité de sérum antitétanique provenant d’un cheval fortement 
Immunisé : 

Cerveau + toxine 


———— — Antitoxine, 
ou cerveau Loxique 


Après avoir laissé le mélange en contact pendant une nuit à 
la glacière, soumettons-le à des lavages répétés au moyen de 
centrifugations afin d’en chasser les deruières traces de l’anti- 
toxine ajuulée. 

Quand on juge le lavage terminé,. on injecte les dernières 
eaux de lavage (1-2 c.c.) à quelques souris pour s’assurer qu’elles 
ne possèdent plus aucune propriété protectrice — ni préventive 
ni antiloxique — vis-à-vis de la dose mortelle minima de toxine. 

Ceci établi, 1l reste à savoir quelles sont les propriétés du 
cerveau ainsi traité, et que nous allons désigner sous le nom de 
cerveau « toxo-antitoxique ». 

Il y a lieu de se demander si Fantitoxine ajoutée en dernier 
lieu est entrée en combinaison chimique avec le cerveau 

toxique, ou bien si elle avait rencontré en ce dernier une com- 
binaison si stable qu’elle n’a pu exercer aucune action sur lui et 
a été ensuite éliminée au cours des lavages à la turbine. 

Pour résoudre cette question, il faut voir comment se com- 
porte ce cerveau « toxo-antitoxique » in vivo, injecté à la souris, 
puis in vitro, en présence de la toxine. 

Pour avoir un terme de comparaison, un autre cerveau de 
cobaye a été soumis exactement au même traitement que le cer- 
veau toxo-antitoxique, avec cette seule différence qu'au lieu de 
toxine, nous avous ajouté du bouillon qui sert à la préparation 
de cette toxine ; pour tout le reste, — nombre des centrifugations, 
quantité d’antitoxine et d’eau de lavage ajoutées, — il a été pro- 
cédé identiquement de la même façon dans les deux cas. 


LA 


144 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Ainsi, à côté d'un 
cerveau-toxine-antitoxine 
nous avons eu un témoin : 
cerveau-bouillon-antitoxine. 

Sans entrer dans les détails des expériences, nous allons 
résumer brièvement les résuitats obtenus : 

1. Le cerveau toxu-antitoxique, contrairement au cerveau 
toxique, injecté même à des doses élevées, est tout à fait inof- 
fensif pour la souris, tout comme le cerveau témoin; 

2. Le cerveau toxo-antitoxique se comporte au point de vue 
de ses propriétés préventives ou antitoxiques comme Île cerveau 
normal ; 

3. Le cerveau toxo-antitoxique, mis en présence d’une nou- 
velle quantité de toxine tétanique, se comporte tout à fait comme 
un cerveau normal; il protège la souris contre la toxine tétanique 
à la même dose que le cerveau témoin, et, en plus, il est capable 
de fixer, comme le cerveau témoin, une quantité de toxine beau- 
coup plus forte, donnant un tétanos foudroyant à une souris. 

Bref, le cerveau saturé successivement par la toxine et l’an- 
titoxine redevient un cerveau tout à fait normal et ne garde 
aucune trace du traitement subi. 

Ceci posé, il est très facile de reconstituer le mécanisme de 
celte transformation. 

A la suite de l’addition du sérum antitoxique au cerveau 
toxique, il s'était passé ceci : toute la tôxine qui était fixée sur 
le cerveau a complètement abandonné celui-ei et est venu se 
combiner avec l’antitoxine. 

Eh bien, s’il existait dans le cerveau une véritable antitoxine 
fixant la toxine tétanique, on ne comprendrait pas pourquoi une 
nouvelle quantité d’antitoxine, ajoutée au cerveau toxique, 
viendrait défaire une combinaison déjà faite dans les mêmes 
conditions ; il ne reste qu’à admettre que la substance qui fixe la 
loxine dans le cerveau, ne possédant pour cette dernière qu'une 
affinité faible, n’est pas la véritable antitoxine. 

Ce n’est pas tout. Le cerveau toxique traité-par le sérum anti- 


tétanique et bien lavé ensuite à la turbine dans de l’eau physio- « 


logique, récupère tout son pouvoir primitif de fixer de nouveau la 
toxine tétanique (nous avons fait dans ce but des dosages com- 
paralifs avec le cerveau normal); il est donc clair que le cerveau 


TELE MES Dev D éd ie 


FIXATION DE LA TOXINE TÉTANIQUE DANS LE. CERVEAU. 145 


n'avait subi aucune modification pendant qu'il était en contact 
avec la toxine tétanique. 

Nous avons répété cette expérience plusieurs fois en variant 
la durée du contact de la matière cérébrale et de la toxine 
(jusqu'à 3 jours), et nous avons dû reconnaitre que la puis- 
sance fixatrice du cerveau était invariablement la même dans 
toutes les conditions. 

La conclusion qui se dégage est donc celle que l’action du 
cerveau vis-à-vis de la toxine n’est pas du tout comparable à 
celle de l’antitoxine vraie vis-à-vis de sa toxine, et que, par con- 
séquent, dans le phénomène de Wassermann, il faut voir toute 
autre chose qu’une manifestation antitoxique, au sens propre du 
mot; on ne peut donc pas invoquer ce phénomène à l’appui de la 
théorie de M. Ehrlich. 

Nous venons de dire que lorsqu'on ajoute à un cerveau 
saturé de toxine une certaine quantité de sérum antitoxique, on 
voit aussitôt toute la toxine fixée déserter le cerveau pour venir 
se combiner avec l'antitoxine du sérum. Dans cette expérience 
nous avons employé de l’antitoxine tétanique ordinaire, c’esl- 
à-dire celle qui est fournie par le cheval. : 

On aurait pu se demander si ce fait ne conslitue pas une 
cause d'erreur, l’affinité de l’antitoxine fabriquée par Le cheval 
pour la toxine, pouvant être plus puissante que celle qui existe 
entre cette même toxine et l’antitoxine fournie par le cobaye, 
dans la supposition que c’est l’antitoxine tétanique qui est la 
substance active dans le cerveau de cobaye. 

Cerveau de cobaye. Sérum de cheval. 


(Antitoxine? de cobaye ) (Antitoxine de cheval.) 
| Toxine. 


Cette objection à pu être levée par l’expérience suivante. 

- Au lieu de nous servir de sérum antitétanique de commerce, 
nous nous sommes adressé à du sérum de lapin immunisé ! 
depuis plusieurs mois contre la toxine tétanique; en même temps, 
au lieu de prendre le cerveau du cobaye, nous avons pris celui 
de lapin. 


Cerveau de lapin. Sérum de lapin. 
(Antitoxine? de lapin.) (Antitoxine de lapin.) 
Seat 21 Toxine. Hire een | 


1. Ce lapin à été mis aimablement à notre disposition par le docteur 
Dmitrievsky. 


10 


146 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 

Avec ces trois éléments — cerveau de lapin, toxine téta- 
nique, antitoxine de lapin — nous avons refait toutes les expé- 
riences exposées plus haut : après avoir établi le pouvoir fixant 
du cerveau de lapin qui est notablement inférieur à celui de 
cobaye, nous l'avons saturé avec de la toxine, puis nous avons 
fait agir sur lui du sérum antitétanique du lapin; il va de soi 
que nous avons eu soin, après chaque opération, de débarrasser 
le cerveau par des lavages répétés, tantôt d’excès de toxine, 
tantôt d’excès d’antitoxine. La masse cérébrale ainsi obtenue 
est redevenue capable de fixer une nouvelle quantité de 
toxine, tout comme un cerveau normal de lapin. 

Il s'ensuit donc que la toxine tétanique, mise en présence de 
deux substances — vraie antitoxine de lapin, d’une part, et 
cerveau de lapin, d'autre part, — n’a pas hésité à abandonner le 
cerveau pour aller se combiner avec la vraie antitoxine. 

A cela, peut être, pourra-t-on ohjecter ceci : le sérum anti- 
étanique et la masse cérébrale peuvent bien renfermer qualita- 
üvement la même anli-(oxine, mais si ces substances agissent 
différemment dans le cas cilé, cela est dû à la dose inégale 
d’anti-toxine ajoutée ; ne savons-nous donc pas que M. Madsen 
guérit des globules rouges imprégnés de toxine tétanique en 
faisant agir sur eux de très fortes doses de sérum anti-toxique, 
alors qu'il échoue avec des doses de sérum moins fortes. 


Cette objection ne peut pas cependant être appliquée à notre D 


cas. En effet, si daus certaines conditions [a question de masse 
doit entrer en ligne de compte, l'exemple des globules tétaniques 
de M. Madsen n'offre qu'une analogie très éloignée avec celui du 
cerveau toxique. | 

Là, la toxine tétanique a à choisir entre l'antitoxine spécifique 
et un récepteur indifférent des globules rouges, ou, du moins, un 
récepteur qui n’a pas d'action neulralisante comme le cerveau, 
el sa préférence pour l’antitoxine est donc toute naturelle, sur- 
tout si on considère que les globules rouges n'avaient pas été 
longtemps en contact avec la toxinef, Il en devrait être tout 


1. L'action curative de l'antitrxine {étanique vis-a-vis des hémalies chargées 


de Loxine tétanique, ne se manifeste que lorsque le contäct entre les hématies 
et la toxine n’a pas dépassé 4 ou 2 heures; or, dans notre cas, on à beau 
laisser le cerveau et la toxine en contact pendant mème plusieurs jours, aussi- 
Lôt que l'on Y ajoute un peu de sérum antitoxique, le cerveau se dépouille com- 


plètement de sa loxine el revient au même état dans lequel il était normalement 
avant lPaddilion de Ja toxine: méme sous ce rapport, par conséquent, Îles deux 
phénomènes ne sont pus comparables. 


FIXATION DE LA TOXINE TÉTANIQUE DANS LE CERVEAU, 147 


autrement dans notre cas si le cerveau renfermait réellement 
la mêmessubstance que le sérum spécifique; la toxine une 
fois combinée avec l’antitoxine présumée du cerveau, n'aurait 
aucune raison, et surtout après plusieurs jours (3 jours) de 
contact de lâcher le cerveau pour l’antitoxine du sérum; et si 
elle le fait, comme le montre l'expérience, c’est que dans notre 
cas il s’agit non d'une action antitoxique, mais d'une simple 
fixation tout à fait comparable à celle de la ricine sur les globules 
rouges qu'on peut facilement défaire, comme la montré 
M. Rehns, par l'addition du sérum antiricinique. 

A titre de curiosité, nous pouvons ajouter que la masse céré- 
brale revient ad integrum mème après avoir subi le traitement 
ci-dessus décrit deux fois de suite : ainsi, dans une expérience, 
après avoir saturé un cerveau de cobaye de toxine et ajouté 
d’antiloxine, nous l'avons saturé une seconde fois de toxine, lavé 
et traité une seconde fois par l'antitoxine; le pouvoir fixateur de 
la masse cérébrale, bien lavée à la turbine, se montra de nou- 
veau aussi élevé (déterminé par le dosage) que celui du cerveau 
normal vis-à-vis de Ia toxine. 

De l’ensemble des faits exposés, il résulte que : 

_1° La masse cérébrale est capable de fixer plus de toxine 
tétanique qu’elle n’est capable d’en neutraliser; la substance 
fixatrice du cerveau n’est donc pas la substance antitoxique, au 
sens propre du mot; 

2° La masse cérébrale saturée de toxine télanique récupère 
toute son intégrité primitive après l'addition de la vraie anti- 
toxine, que celle-ci provienne d’un animal de même espèce ou 
d’une espèce différente; la combinaison du cerveau etde la toxine 
ne présente donc pas une stabilité comparable à celle qui existe 


entre la toxine et sa vraie antitoxine; 


3° Le phénomène observé par MM. Wassermann cet Takaki 
- doit donc être attribué à la présence dans la matière cérébrale 
. d’une substance particulière, autre que la vraie antitoxine téta- 
nique, etne peut, par conséquent, servir d'appui à la théorie des 
chaines latérales de M, Ebrlich, 
Juillet 1902. 


RECHERCHES ° 


SUR LES ‘ PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES” | 


DES CENTRES NERVEUX DE L'ANIMAL IMMUNISÉ 4 
Par M. K. DMITRIEVSKY 


(Travail du laboratoire de M. Metchuikof.) 


D’après la théorie de Ebrlich, les éléments cellulaires de lor- 
ganisme vivant possèdent des chaînes latérales dont la pro- 
priété spécifique est d'attirer les toxines et de les neutraliser. A 
la place des chaînes latérales (récepteurs) combinées avec des 
molécules de toxine et devenues ainsi incapables de remplir 
leur fonction physiologique normale, les cellules en fabriquent 
de nouvelles, et toujours en excès. Les cellules chargées d’un 
trop grand nombre de chaînes latérales s’en débarrassent en 
les rejetant dans le sang, où elles ne tardent pas à manifester. 
leur affinité chimique pour la toxine et à jouer ainsi le rôle de 
véritables antitoxines. 

D’après cette théorie, on doit admettre que l’antitoxine téta- 
nique existe dans les cellules nerveuses de l’organisme normal, 
et que l’immunisation fait apparaître dans ces cellules un 
nombre considérable de chaînes latérales qui sont rejetées 
dans le courant circulatoire. 

C'est guidés par ces considérations que Wassermann cet 
Takaki! ont fait leurs intéressantes recherches sur Ie cerveau de 
différents animaux, Ces recherches ont montré que la substance 
cérébrale de cobaye, mélangée à du poison tétanique, atténue et 
même supprime l’action nocive de ce dernier. Un c. c. d’émul- 
sion de cerveau (les auteurs trituraient dans un mortier du 
cerveau de cobaye mélangé à 10 c. c. d’eau physiologique) 
préserve la souris contre une dose dix fois mortelle. La même 
dose d’émulsion manifeste une action empêchante, lorsqu'elle est 
injectée mélangée à une dose 60 fois mortelle de poison tétanique. 


1. Berliner klin. Wochenschr. 1898, n° 1. 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 149 


L'action de la moelle épinière est plus faible. Ainsi, 1 c.c. 
d'émulsion (la moelle est triturée avec 3 ce. ce. d’eau physiolo- 
gique) ne préserve la souris que contre une dose 3 fois mortelle, 

Un animal ne périt pas à la suite de l’injection d’une dose 
3 fois mortelle de toxine tétanique, s’il a reçu la veille, à titre 
préventif, de l’émulsion de cerveau. | 

Cette propriété de neutraliser le poison, de le rendre inac- 
tif n'appartient qu'aux parties solides du cerveau. Le liquide 
de filtration du cerveau, non plus que le liquide céphalo-rachi- 
dien, n’ont aucune action sur la toxine tétanique. 

Eu se basant sur ses expériences, Wassermann a émis 
l'hypothèse que les centres nerveux des animaux normaux 
renferment une substance antitoxique, absolument semblable à 
l'antitoxine trouvée par Behring et Kitasato dans le sang 
d'animaux immunisés contre le tétanos. D’après lui, lanti- 
toxine du cerveau normal, injectée à la souris, diffuse dans 
l'organisme, où elle rencontre le poison tétanique qu’elle neu- 
tralise de la même façon que le sérum antitétanique. 

Les recherches de Wassermann et Takaki sur l’action de 
la substance cérébrale sur la toxine tétanique ont été confir- 
mées par celles de Ransom! sur les animaux vivants, 

Peu de temps après le travail de Wassermann et Takaki 


paraît le mémoire de M. le professeur Metchnikoff?. Ce savant, 


tout en confirmant ses observations sur l'action du cerveau de 
tortue et de celui de poule sur la toxine tétanique, publiées 
déjà en 1897, confirme les recherches de Wassermann et de 
Takaki, mais en faisant remarquer que l’action antitétanique 
des centres nerveux est un privilège des mammifères. La poule 
a des centres nerveux: beaucoup moins efficaces ; les tortues 
ne produisent qu’un effet très faible ; Les grenouilles ne mani- 
festent aucune action antitétanique. : 
Dans ce travail, M. Metchnikoff expose également les résul- 
tats de ses expériences sur le cerveau d’animaux immunisés. 
Après une ablation partielle du cerveau, le sang des animaux 
devient plus riche en antitoxine : le cerveau et la moelle é épinière 
ont manifesté, dans ce cas, une propriété antitoxique égale ou 
notablement plus faible que Le sang ct les autres liquides de 


1. Deutsche med. Woch. 1898, n° 5 
2. Annales de l'Instilut Pasteur, 1898, p. 91 


150 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'organisme. Les centres nerveux ont présenté un pouvoir anti- 
tétanique dix fois plus faible que le sang et l’exsudat péritonéal. 
Le foie est dix fois plus antitoxique que les centres nerveux. 

M. Marie‘ a montré, dans un travail exécuté au laboratoire 
de M. Metchnikoïl, ce fait intéressant, que laction antitoxique 
de la substance nerveuse ne.se répand pas, même à faible dis- 
tance; celte action est strictement locale. @« Il suffit d’intro- 
duire sous la face dorsale de la cuisse d'un cobaye de la sub- 
stance cérébrale en quantité suffisante pour neutraliser une 
dose plusieurs fois mortelle de la toxine tétanique, et, sousla peau 
de la face ventrale de la même cuisse, la dose mortelle de cette 
toxine, pour que le cobaye prenne le télanos mortel. » 

Plus tard, MM. Roux et Borrel* ont démontré que linjec- 
tion de toxine tétanique, même en petite quantité, dans le cer- 
veau de lapin, amène chez lui le tétanos cérébral typique 
suivi de mort. On observe ce fait aussi bien chez les animaux 
neufs que chez les animaux immuuisés. Cependant, le même 
poison, mélangé in vitro avec de la substance cérébrale, devient 
inactif. La résistance du lapin à la toxine tétanique injectée 
dans les conditions habituelles, ne tient done pas, d’après Roux 
et Borrel, à une sensibilité relative des centres nerveux, 

Daus la communication au Congrès international d'hygiène 
à Madrid, M. Metchnikoff, en se basant sur ses expériences 
personnelles ainsi que sur celles de Roux et Borrel, de Marie, 
de Knorr et d’autres, dit : « Cette série de feits prouve une loca- 
lisation étroite dans Paction de la matière cérébrale et en même 
temps démontre la grande différence entre le phénomène et 
l’action du sérum antitétanique. » 

M. Danysz* a confirmé, en 4899, le fait indiqué antéricure- 
ment par Knorr, à savoir que la substance nerveuse perd Loute 
son affinité pour la toxine, une fois émulsionnée dans l'eau 
salée à 10 0/0. Ila montré en même temps que « la toxine pri- 
mitivement fixée par la substance nerveuse redevient libre în 
vitro et in vivo. Les mélanges neutres de toxine et de subslanec 
nerveuse deviennent, avec le temps, de plus en plus toxiques, | 
tandis qu'au contraire les mélanges toxiques de toxine et d'anti- 

1. Annales de l'Institut Pasteur, 1898, t. XI, p. 91. 


2. Annales de l'Institut Pasteur, 1898, p. 225. 
3. Annales de l'Institut Pasteur, 1899, p. 156-157, 


_ cobaye en 6 à 7 jours, nous prenions d'ordinaire 0#, 02 à 0e',03 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 151 


toxine deviennent avec le temps moins toxiques, ainsi que cela 
résulte des expériences de Knorr, » 

Comme on le voit, d’après le résumé des travaux indiqués 
plus haut, on n’a encore exécuté que peu d'expériences pour la 
démonstration des propositions suivantes. 

Si les centres nerveux contiennent une antitoxine tétanique, 
et si celle-ci est rejetée dans le sang, on doit trouver : 1° que la 
substance cérébrale contient à un certain moment une quantité 
plus grande d’antitoxine que n’en renferment le sanget les autres 
organes : 2° que le cerveau des animaux immunisés est plus riche 
en antitoxine, à un certaiu moment de l’immunisation, que le 
cerveau normal. 

M. le professeur Metchn: koff nous à proposé de chercher à 
déterminer la quantité d’antitoxine dans le cerveau des animaux 
ayant subi une immunisation plus ou moins longue, et à voir si 
l’antitoxine tétanique € s’accumule » dans le cerveau des ani- 
maux immunisés. Nous avons porté nos expériences sur les 
cobayes. Nous leur injections des mélanges de la substance céré- 
brale de cobaye immunisé et du poison tétanique. 

Remarquons en passant que, d’après le conseil de M. Metch- 
nikoff, nous triturions avec une baguette de verre le cerveau 
des animaux saignés à blanc sur un tamis en toile métallique 
placé sur un verre à pied stérilisé. Nous avons opéré ainsi dans 
des conditions d’asepsie complète. 

Nous préparions à part des émulsions avec: 1°des hémisphères 
cérébraux, 2° les bases du cerveau avec le cervelet, 3° le bulbe non 
séparé de la portion supérieure de la moelle. Nous pesions sépa- 
rément toutes ces parties des centres nerveux, avant de les 
émulsionner dans de l’eau physiologique. 

Une série d'expériences préliminaires nous à convaincu que 
le cerveau des animaux normaux rend inactive une quantité à 
peu près lixe de poison tétanique, pourvu qu'on emploie la toxine 
de la même préparation et qu’on opère sur des animaux dans 
les mêmes conditions. 

Au printemps, pour neutraliser une dose de toxine tuant le 


_ des hémisphères cérébraux du cerveau normal: 0#,15 à 0:,2 de 
- la base du cerveau avec le cervelet ; 0% 2 à Où 3 di au avec 
la partie supérieure de la moelle, Ainsi, un gramme de sub- 


152 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


stance cérébrale des hémisphères neutralise une dose 40 fois 
mortelle de poison tétanique. 

Le pouvoir antitoxique de la substance cérébrale de la base 
du cerveau prise avec le cervelet, ainsi que celui du bulbe pris 
avec la partie supérieure de la moelle, est beaucoup plus faible. 

Pour immuniser les cobayes contre le tétanos, nous leur 
injections d’abord le mélange de toxine et d'iode ‘, puis de la 
toxine pure en commençant par une dose très faible (2 ou 3 fois 
moindre que la dose mortelle) pour leur éviter, autant que pos- 
sible, les phénomènes tétaniques. Cette manière de faire nous 
a donné de bons résultats. Nous avons toujours perdu nos ani- 
maux, lorsque, suivant les conseils de quelques auteurs, nous 
injections de fortes doses de toxine pure, après des injections 
préalables de mélange de toxine et d’iode. ‘ 

Nous avons également essayé d’immuniser les cobayes, mais 
sans aucun succès, en leur injectant un mélange de toxine et 
de substance cérébrale dans lequel nous augmentions petit à 
petit la dose de toxine. 

Dans nos expériences nous avons mélangé la toxine téta- 
nique avec de la substance cérébrale des cobayes 

a) ayant reçu une seule injection de poison tétanique ; 

b) dont l'immunisation datait de 1-2 mois, et 

c) que nous avions immunisés depuis 3 à 4 mois. 


PREMIÈRE SÉRIE D'EXPÉRIENCES 


Expériences praliquées avec de la substance nerveuse des animaux 
ayant reçu une seule injection de toxine télanique. 


EXPÉRIENCE I (de contrôle). 


Injection de mélange de toxine et de cerveau normal, 
1. Cobaye: 340 gr. ; injecté avec de la toxineseule ?. Mort au bout de 2 jours. 


1. Roux et Vaizcanp, Annales de l’Inst. Pasteur, 1893, n° 2. 

2. La toxine tétanique qui a servi pour nos expériences a été préparée à 
l'Institut Pasteur. Elle a été le plus souvent extrémement active, car 14/5000 de 
c. €. lue un cobaye de poids moyen en 6 à 7 jours, et 1/1000 de ce. c. en 1 jour 
1/2 à 2 jours. Comme nos expériences ont duré assez longtemps, j'ai été obligé 
d'employer des échantillons de toxine préparés à des dates différentes. Le pouvoir 
de la toxine ne pouvant pas être dans ces conditions toujours le même, nous 
avons injecté, dans chaque expérience, des cobayes témoins avee la mème dose 
de toxine qui nous à servi pour le mélange avec de la substance cérébrale nor- 
male, où bien avec de la substance cérébrale de cobaye immunisé, 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX, 153 


2. Cob. : 400 gr. ; injecté avec le mélange de toxine et de Osr,12 de 
substance cérébrale (hémisphères). Mort au bout de 4 jours. 

3. Cob. : 400 gr. ; injecté avec le mélange de toxine et de 0sr,375 de bulbe. 
Mort au bout de 4 jours. 

Dans les expériences If, IT et IV, nous injections aux cobayes de la même 
toxine et à la même dose que dans l'expérience I. 


EXPÉRIENCE Il. 


Le cerveau qui a servi à cette expérience provenait d’un cobaye auquel 
on a fait une seule injection de toxine, et qui a présenté des phénomènes 
morbides peu marqués. Le cervean a été pris 15 jours après l'injection. 

1. Cob. : 360 gr. Injecté avec le mélange de toxine et de 0sr,13 de substance 
cérébrale (hémisphères). Mort au bout de 5 jours et 10 heures. 

2, Gob. : 680 gr.; toxine et 0gr,33 de substance cérébrale. Mort au bout 
de 12 jours. 


EXPÉRIENCE IT, 


Nous avons employé pour cette expérience le cerveau d’un cobaye ayant 
recu une seule injection d'une forte dose de toxine tétanique. Le cerveau a 
élé enlevé 20 jours après l'injection de toxine. 

4. Cob. : 370 gr. : injecté avec le mélange de toxine et de 0sr,13 de substance 
cérébrale (hémisphères). Mort au bout de 5 jours. 

2. Cob. : 350 gr.; toxine et Osr,17 de substance cérébrale. Mort au bout 
de 4 jours 1/2. 


ExPÉRIENCE IV, 


Le cobaye dont le cerveau a servi pour cette expérience n'a reçu qu'une 
seule injection de toxine. Le cerveau a été enlevé 8 jours après celte 
injection. 

4. Cob. : 360 gr. A reçu en injection de la toxine avec 0gr,14 de substance 
cérébrale (hémisphères). Mort après 6 jours et 4 heures. 

2, Cob. : 340 gr. ; toxine et 0:r,35 de substance bulbaire. À vécu à peine 
4 jours. 


DEUXIÈME SÉRIE D'EXPÉRIENCES 


Ces expériences ont été pratiquées avec de la substance cérébrale prove- 
nant des animaux dont l’immunisation a duré un à deux mois. 


EXPÉRIENCE V. 


Cerveau employé provenant d'un cobaye dont l’immunisation a duré un 


- mois. Le cerveau a été enlevé 15 jours après la dernière injection detoxine. 


4. Cob. : 350 gr. A reçu de la toxine seule. Mort au bout de 2 jours 1/2. 

2. Cob. : 400 gr. ; toxine et Osr,12 de cerveau normal. Mort au bout de 
7 jours. 

3. Cob. : 400 gr.; toxine et Osr,12 de cerveau d'un cobaye immunisé, 
Mort le 8e jour. 


154 ANALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


4. Cob. : 730 gr.: toxine et Ozr,16 de cerveau d'un cobaye immunisé. 
Mort le 9e jour. 
3. Cob. : 300 gr,; toxine et 2 ec. c. de sang immunisé. Mort le 4° jour, 


EXPÉRIENCE VI. 


Le cerveau employé provenait d'un cobaye immunisé pendant un mois. 
L'animal a été sacrifié 4 jours après la dernière injection de toxine. 

1. Cob. : 460 gr. A recu de la Loxine seulement. Mort le 7e jour. 

2. Cob. : 370 gr. ; Loxine et Ogr,04 de cerveau normal (hémisphères). N'a 
présenté que des phénomènes morbides peu marqués le 4e jour et a guéri. 

3. Cob. : 360 gr.; toxine et Ogr,24 de la base du cerveau d'un cobaye nor- 
mal. À guéri après avoir présenté des sigaes peu marqués du tétanos: 

4. Cob. : 560 gr.; toxine et Or,06 de cerveau (hémisphères) de cobaye 
immunisé, À guéri après avoir présenté, le Ge jour, des phénomènes morbides. 

D. Cob. : 269 gr.; toxine et 05r,3 de la base du cerveau d'un cobaye 
immunisé, À guéri après avoir présenté des signes peu marqués du tétanos. 


EXPÉRIENCE VII. 


Le cerveau qui a servi pour cette expérience provient d’un cobaye qu'on 
a immunisé, pendant un mois et demi. L'animal a élé sacrifié 9 jours après 
la dernière injection de loxine. 

1. Cob. : 330 gr. A reçu de la toxine seule. Mort au bout de 6 jours. 

2. Cob. : 300 gr,: toxine et Ogr,022 de cerveau normal (hémisphères). A 
guéri après avoir présenté. le 3° jour après l'injection, des phénomènes 
morbides. < 

3. Cob : 300 gr. : toxine et 0:r,39 de substance bulbaire. A guéri après 
avoir présenté pendant 7 jours des phénomènes morbides peu marqués. 

4. Cob, : 430 gr.: toxine et 0gr,029 de substance cérébrale (hémisphères) 
d'un cobaye immunisé. À guéri après avoir présenté des phénomènes mor- 
bides le 3° jour! 

5. Cob. : 2990 gr. : toxine et 0sr,33 de*substance bulbaire d’un animal 
immunisé, À guéri après avoir trainé ses palles pendant 16 jours. 

6. Cobave : 380 grammes de toxineet2 ce. €. de sang d’un cobaye immu- 
nisé, Mort au bout de 9 jours. 


Expérience VIT. 


Le cerveau qui a servi pour celte expérience provient d'un cobaye qu'on 
a immuuisé pendant un mois et qu'on a sacrifié 8 jours après la dernière 
injection de toxine. 

1, Cob. : 320 gr, À recu seulement de la toxine. Est mort au bout de 
G jours 1/2. 

2. Cob, : 500 gr.; Loxine et de Osr,04 d'hémisphères cérébraux d'un animal 
neuf. À rapidement guéri, après avoir présenté des signes peu marqués du 
télanos le 5e jour. | 


3. Cob, : 250 gr.; Loxine et Ogr,12 de substance cérébrale, provenant dés 


hémisphères d'un cobaxe neuf, Se porte bien. 


D \un 


; ont 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIGUES DES CENTRES NERVEUX. 1455 


4. Cob, : 340 gr.; toxine ét Osr,38 de substance bulbaire d’un animal neuf. 
A guéri après avoir présenté des phénomènes peu marqués du tétanos le 
4e jour. 

5. Cob, : 40 gr.; toxine et 0£,04 de substance cérébrale des hémisphères 
de l'animal immupisé, Signes du télanos le 4° jour, guérison. 

6. Cob. : 290 gr.; toxine et Ozr,30 de substance bulbaire de l’animal 
immuuisé, Guérison après quelques phénomènes lélaniques. 

7. Cob. : 320 gr. : loxine et 1 c. c. de sang de l'animal immunisé. Mort au 
hont üe $S jours. 


EXPÉRIENCE" IX. 


Le cerveau employé provenait d'un cobaye immunisé pendant un mois. 
L'animal a élé sacrifié 7 jours après la dernière injection de toxine. 

4. Cob. : 350 gr. A reçu de la toxine seule. Mort au bout de 2 jours 1/2... 

2. Cob. : 330 gr. ; toxine et Ogr,066 de substance cérébrale (hémisphères) 
de l'animal neuf. Phénomènes tétaniques le 3e jour, mort le 7e jour. 

3. Cob.: 310 gr. : toxine et Ogr,066 de, substance cérébrale (hémisphères) 
de l'animal immunisé. Phénomènes tétaniques le 3e jour, mort le Te jour. 

4. Cob, : 330 gr. ; toxine et 0gr,066 de substance cérébrale (hémisphères) 
de l’animal immunisé, Mort le 11° jour. 

5. Cob. : 300 gr.; toxine et 2 c. c. de sang. Mort au bout de 4 jours. 

6. Cob. : 330 gr. ; toxine et Ogr,£ de sang. Mort au bout de 2 jours. 


+  [XPÉRIENCE NX. 


On a employé pour cette expérience le cerveau d’un animal qu'on avait 
immunisé pendant { mois 1/2. 

1. Cob. : 470 gr. ; Loxine et Ogr,12 de matière cérébrale (hémisphères) d'un 
cobaye neuf. Mort le 10e jour. 

2. Cob. : 530 gr; toxine et Osr,3 de substance cérébrale (base du cerveau) 
d'un cobaye neuf. Mort au bout de 5 j. 1/2. 

3. Cob. : 370 gr.; toxine et Ogr,35 de matière cérébrale (bases du cer- 
veau), de l'animal immunisé, Mort au bout de à jours. 


EXPERIENCE XI. 


Le cerveau qui a servi pour cette expérience, provenait d'un cobaye 
auquel on a d’abord injecté un mélange de toxine et de matière cérébrale, 
puis une forte dose de toxine seule. A la suite de cetle deuxième injection, 
l'animal a irainé une palle. Sacrifié 20 jours après la dernière injection. 

1. Cob. : 400 gr. À reçu en injection de la toxine seule. Mort au bout 
de 2 jours, 


LA 2. Cob. : 350 gr.; toxine et 9zr,16 de matière cérébrale (hémisphères) 
… d'un animal neuf, Mort au bout de 6 jours. 
=. 3. Cob.: 310 gr.; toxine et Ogr,25 de matière cérébrale (base du cerveau) 
"@ d'un cobaye neuf. Mort au bout de 4 j. 1/2. 


4. Cob. : 370 gr.; toxine et Ogr,16 de matière cérébrale (hémisphères) du 
. Lobaye immunisé, Phénomènes télaniques le 3e jour, guérison. 


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ris 
er 


156 ANNALES DE L'INSTITUT PASLEUR 


5. Cob. : 290 gr.; toxine et matière cérébrale (hémisphères) du cobaye 


immunisé. Mort le 9 jour. : 
6. Cob. : 300 gr.; toxine et 0:r,32 de substance cérébrale (base du cer- 
veau) du cobaye immunisé. Mort au bout de 5 jours. 


EXPÉRIENCE XII. 


On a employé le cerveau d’un cobaye, dont l’immunisation a duré deux 
mois et qu'on a sacrifié 3 jours après la dernière injection. , 

1. Cob. : 10 gr.; injection de toxine seule. Mort au bout de 1 j. 1/2. 

2, Cob. : 450 gr. toxine et Ogr,12 de matière cérébrale (hémisphères de 
cobaye neuf. Mort au bout de 5 jours. 

3. Cob. : 300 gr. ; toxine et Osr,12 de matière cérébrale (hémisphères) d'un 
cobaye immunisé. Mort au bout de 6 jours. 

4. Cob. : 250 gr.; toxine et Osr,16 de substance cérébrale (hémisphères) 
du cobaye immunisé. Mort au bout de 6 jours. 

>, Cob.: 400 gr.; toxine et 08r,40 de matière bulbaire de l'animal 
immunisé. Mort au bout de 4 jours. 


EXPÉRIENCE XII. 


Le cerveau employé provenait d'un cobaye dont l’immunisation a duré 
deux mois environ. 
4. Cob. : 350 gr. ; injection de toxine seule. Mort au bout de 5 jours. 


2. Cob.: 340 gr. ; toxine et Osr,08 de substance cérébrale (hémisphères) 


normale, Phénomènes morbides légers le 4° jour, guérison rapide. 

3. Cob. : 360 gr.; toxine et O0s5r,21 de substance cérébrale (base du 
cerveau). Phénomènes tétaniques marqués, guérison. 

4. Cob. : 300 gr.; toxine et 0sr,06 de substance cérébrale (hémisphères) 
du cobaye immunisé. Phénomènes tétaniques nets, guérison rapide. 

5. Cob. : 290 gr. ; toxine et 0gr,26 de substance cérébrale (base du cer- 
veau) du cobaye immunisé. Phénomènes tétaniques peu marqués. 

6. Cob. : 500 gr.; toxine et 1 c. c. de sang du cobaye immunisé. Pas de 
phénomènes morbides. 

7. Cob. : 370 gr. ; toxine et Osr,03 de sang immunisé. Maladie légère, 
guérison. | 


ExPÉRIENCE XIV. 


Le cerveau employé dans cette expérience provient d'un cobaye dont 
l'immunisation a duré deux mois. Il a été sacrifié 14 jours après la dernière 
injection de toxine. 4 


4. Cob. : 380 gr.; injection de toxine seule. Mort au bout de 2 jours. 


2. Cob. : 400 gr.; toxine et Ogr,12 de substance cérébrale (hémisphères) 
normale. Mort le 6e jour. 


3. Cob. : 440 gr.; toxine et 0gr,03 d'émulsion cérébrale (base du cer- 


veau) normale. Mort le 5e jour. 


4. Cob, : 400 gr.; toxine et Ogr,36 d'émulsion de bulbe normal. Mort le 
4e jour, 


> lo 


if 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 157 


5. Cob. : 400 gr.; toxine et Osr,12 de substance cérébrale du cobaye 
immunisé, Phénomènes morbides le 3e jour, mort au bout de 15 jours. 

6. Cob. : 425 gr.; toxine et Ogr,17 de substance cérébrale du cobaye 
immunisé, Mort le 13e jour. 

7. Cob. : 370 gr.; toxine et 0gr,455 d'émulsion de bulbe du cobaye 
immunisé. Mort au bout de 5 jours. 

8. Cob.: 480 gr.; toxine et 0gr,38 de matière cérébrale (base du cer- 
veau) de l'animal immunisé. Mort au bout de 6 jours. 

9, Cob. : 450 gr.; toxine et 0gr,05 de sang du cobaye immunisé. Phé- 
nomènes morbides le 5e jour. Mort le {1e jour. 


TROISIÈME SÉRIE D'EXPÉRIENCES 


Dans cette série, on s’est servi du cerveau d'animaux dont l’immunisa- 
tion a duré de 3 à 4 mois. 


EXPÉRIENCE XV. 

Le cobaye dont le cerveau a servi à cette expérience a élé immunisé pen- 
dant 3 mois et sacrifié 7 iours après la dernière injection de toxine. 

{. Cob. : 400 gr.; injection de toxine seule. Mort au bout de 3 j. 1/2. 

2. Cob. : 300 gr.; toxine et 0£r,066 de matière cérébrale normale (hémi- 
sphères). Mort au bout de 9 jours. 

3. Cob. : 320 gr.; toxine ‘et 0sr,033 de substance cérébrale (hémi- 
sphères) de l’animal immunisé. Phénomènes létaniques le 3° jour, guérison. 

4. Cob. : 400 gr.; toxine et Osr,066 de substance cérébrale (hémisphères) 
de l'animal immunisé. Phénomènes télaniques le 5e jour, guérison. 

5. Cob. : 560 gr. ; toxine et Osr,12 de substance cérébrale (hémisphères) 
de l’animal immunisé. Très bon état. 

6. Cob. : 510 gr. ; toxine et 0s5r,06 de sang immunisé. Aucun phénomène. 

7. Cob, : 460 gr. ; toxine et Osr,03 de sang de l'animal immunisé. Rien. 

EXPÉRIENCE XVI. 

On a employé le cerveau d'un cobaye qu’on avait immunisé pendant 3 mois 
et sacrifié 5 jours après la dernière injection de toxine. 

4. Cob. : 300 gr.; injection de toxine seule. Mort au bout de { j. 1/2. 

2. Cob. : 290 gr. ; toxine et 0sr,066 de substance cérébrale (hémisphères) 
normale. Mort au bout de 5 jours. 

3. Cob. : 290 gr.; toxine et 0gr,066 de substance cérébrale (hémisphères) 
de l'animal immunisé. Mort au bout de 9 jours. 

4. Cob. : 395 gr.; toxine et 0sr,066 de substance cérébrale du cobaye 
immunisé. Phénomènes morbides le 4e jour, guérison. 

5. Cob. : 280 gr.; toxine, Osr,066 de substance cérébrale normale et 
0:r,033 de foie normal. Mort au bout de 4 jours. 

6. Cob. : 270 gr.; toxine, 0er,066 de substance cérébrale normale, 


_Osr,033 de foie. Phénomènes morbides à peine marqués le 9% jour, guérison. 


1. Cob. : : 330 gr. ; toxine et Ozr,033 de foie de l'animal immunisé. Rien.” 
8. Cob. : 470 gr.; toxine et Ozr,0{ de sang du cobaye immunisé. Rien. 


158 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


9, Cob. : 300 gr.; toxine et 1/80 de c. c. de sang du cobaye immunisé. 

Mort au bout de © Re 
Il est intéressant de remarquer que, dans cette dernière expérience, le 
cobaye injecté avec le mélange de toxine, d'émulsion cérébrale normale et 
de foie normal, est mort avant celui qui n’a reçu que de la toxine mélangée 
seulement avec de la substance cérébrale normale, De plus, le cobaye injecté 
avec le mélange de toxine et de foie du cobaye immunisé, n’a présenté aucun 
phénomène morbide, tandis que le cobaye auquel on avait injecté de la 
toxine mélangée à de la substance cérébrale normale et du foie du cobaye 
immunisé, a présenté des phénomènes tétaniques, bien que très peu marqués. 


Expérience XVII. 


Le cerveau employé dans cette expérience provient d'un cobaye qu'on avait 
immunisé pendant 4 mois et sacrifié 10 jours après la dernière injection. 

1. Cob. : 370 gr.: injection de toxine seule. Mort au bout de 2 j. 1/2. 

2, Cob. : 300 gr.; toxine et 05,066 de substance cérébrale (bémisphères) 
normale. Phénomènes tétaniques le 3e jour, mort le 6e jour. 

3. Cob. : 269 gr. ; toxine et 0£r,066 de substance cérébale (hémisphères) 


(OI 


du cobaye immunisé. Phénomènes tétaniques le 4 jour. Mort au bout de pe 
12 res | ll 
. Cob. : 400 gr.; toxine et 0:r,033 de substance cérébrale RUEAUIE | 
re du cobaye immunisé. Guérison, 
5. Cob. : 269 gr. toxine et 08,01 de sang du cobaye imimunisé. Rien. î 
6. Cob. : 459 gr; toxine et 1/20 de c. c. de sang du cobaye immunisé. (à 
Phénomènes morbides, guérison. pl 
ExPÉRIENCE XVII. Nil 
Le cerveau qui a servi porr cetle expérience provient d’un cobaye qu'on 
avait immunisé pendant #4 m. 1/2 et qu'on a sacrifié 15 jours après la der- tn 
nière injection de toxine. dk 
1. Cob. : 360 gr.; injection de toxine seule, Mort au bout de 1 j. 1/2. 1 
2, Cob, : 420 gr. ; toxine et 04r,10 de substance cérébrale (hémisphères) 
normale. Mort au bout de 6 j. 1/2 Ju 
3. Cob. : 400 gr.; toxine et 0sr,10 de substance cérébrale (hémisphères) il 
du cobaye immunisé. Phénomènes morbides le 3e jour. Guérison rapide. Le 
4. Cob. : 430 gr.; toxine et Osr,10 de substance cérébrale (hémisphères) dk 
du cobaye immunisé, Phénomènes morbides le 6e jour, guérison. Ê 
5. Cob. : 460 gr.; toxine et 06r,05 d’émulsion de bulbe du cobaye immu- 
nisé. Mort le 9% jour. oi 
6. Cob. : 350 gr.; toxine et 08",04 d'émulsion de bulbe normal. Mort le ET 
6e jour. ë li 
7. Cob. : 300 gr.; toxine et Ogr,03 de sang de l'animal imniunisé. Pas le qu 
moindre phénomène morbide. NT 


8. Cob. : 200 gr. ; toxine et 1/80 de c. €. de sang du cobaye immunisé. 
Mort au bout de 6 jours. 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 139 


Les conclusions que nous croyons pouvoir tirer de nos expé- 
riences tiennent dans les quelques propositions suivantes : 

lo Le cerveau des animaux dont l’immunisation n’a été que 
de courte durée, et dont le sang ne possède pas un grand pouvoir 
antitétanique, ne diffère pas par sa « propriété antitélanique » 
du cerveau normal ; 

2° Le cerveau des animaux que nous avons immunisés pen- 
dant longtemps, et dont le sang contient une grande quantité 
_d’antitoxine, peut inactiver une plus grande quantité de poison 
télanique que le cerveau des animaux normaux. Cette différence 
west cependant pas considérable, car tous les animaux injectés 
avec le mélange de poison et de cerveau, d’un cobaye immunisé 
ont présenté des phénomènes neltement tétaniques; 

3° Le sang des animaux dont l'inmunisation a été longue 
contient toujours plus d’antitoxine tétanique que leur cerveau. 

Étant donné que le cerveau des animaux immunisés ne 
possède un grand « pouvoir antitétanique » que quand le sang 
de ces animaux est riche en antitoxine, étant donné aussi que 
le cerveau des animaux immunisés est Le plus souvent hyperhé- 
mié, nous supposons que le cerveau des animaux immunisés est 
capable d'inactiver une quantité de poison tétanique d'autant 
plus grande qu’il contient plus de sang riche en antitoxine. 

Pour vérifier cette hypothèse, nous avons fait l'expérience 
suivante (voir l’exp. X VD. 

Nous avons injecté à un cobaye le mélange de toxine, de 
cerveau normal (0#,066) et de foie normal (0%,033) ; à un autre 
le mélange de toxine, de substance cérébrale normale (0:,006) 
et de foie (04,033) d’un animal dont le sang possédait un grand 
pouvoir antitoxique. Un troisième cobaye a été injecté avec le 
mélange de toxine et de foie (04,033) du même animal immunisé. 
Le foie a été ajouté comme organe n’agissant pas in vitro sur 
la toxine tétanique, comme on sait, 

Cette expérience à montré que le cobaye injecté avec un 
mélange de toxine, de cerveau normal et de 0,033 du foie d’un 
animal immunisé n’a présenté que des signes à peine marqués 
du tétanos, et encore ceux-ci n’ont apparu que le 9° jour ; tandis 
que les deux cobayes injectés avec le mélange de toxine et de 
cerveau d’un animal immunisé sont devenus malades, et l’un 
d'eux est mort le 9° jour (un cobaye témoin ayant reçu en injec- 


160 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


tion le mélange de toxine et de cerveau normal est mort le 
4° jour). : 

Nous avons exécuté en outre l'expérience suivante. Nous 
nous sommes servi des hémisphères d'un animal faiblement 
immunisé et de ceux d’un autre dont le sang était très riche en 


nerveuse des hémisphères de chacun de ces animaux, après avoir 
découpé ces centres nerveux en tout petits morceaux sur un 
verre de montre et aprèsles avoir exprimés de façon à les débar- 
rasser des parties liquides (sérum). Voici les résultats de cette 
expérience. 

1. Cob. témoin : 380 gr. Injecté avec de la toxine seule. Mort le 4e jour. 

2. Cob. témoin : 310 gr. Injecté avec le mélange de toxine et de Ogr,065 
de cerveau normal. Mort au bout de 9 jours et { heure. 

3. Cob. : 320 gr. Injecté avec le mélange de toxine et de 0sr,066 de cerveau 
d’un cobaye faiblement immunisé. Mort ax bout de 8 jours et 20 heures. 

4. Cob. : 310 gr. Injecté avecle mélange de toxine et de 0gr,066 de cerveau 
d’un cobaye fortement immunisé. Mort le 41e jour. | 

5. Cob. : 460 gr. Injecté avec le mélange de toxine et de 2 cent. 1/2 de M 
sang d’un cobaye faiblement immunisé. A été bien malade, mais a guér . 

6. Cob. : 300 gr. Injecté avec le mélange de toxine et de O:r,8 de sang 
d’un animal faiblement immunisé. Mort le 6e jour. 

7. Cob. : 360 gr. Injecté avec le mélange de toxine et de Ogr,f de sang d’un 


cobaye fortement immunisé. Se porte très bien. 

8. Cob. : 350 gr. Injecté avec le mélange de toxine et de 1/80 dec. c. de 
sang d’un cobaye fortement immunisé. Est mort le 7e jour. 

En comparant cette expérience avec toutes celles menlion- 
nées plus haut, nous croyons pouvoir conclure d’une manière 
générale que le cerveau d’un animal immunisé ne possède pas 
un ( pouvoir antitoxique » plus grand que le cerveau normal, 
étant donné qu'il ne devient pas plus riche en substances neu- 
tralisant la toxine tétanique. 

Nous tenons à exprimer ici notre vive reconnaissance à M. le 
Professeur Metchnikoff, pour la bienveillance qu’il nous atémoi- 
gnée pendant notre séjour dans son laboratoire. 


Le, 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


Le Gérant : G. Masson. 


g7ne ANNÉE MARS 1903. No 3 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 


SUR LE MODE D'ACTION DES ANTITOXINES 


SUR LES TOXINES 
Par Le Dr J. BORDET 


Directeur de l'Institut antirabique et bactériologique du Brabant, à Braxelles. 


La plupart des savants qui ont étudié les antitoxines admet- 
tent aujourd’hui que ces substances modifient le poison dont 
elles sont l’antidote. En d’autres termes, ce n’est guère en lé 
rendant plus résistant que l’antitoxine protège l'organisme con- 
tre la toxine, c’est bien plus en réagissant sur cette dernière, 
<’est en annihilant, par une action directe, ses propriétés nocives. 

Cette conclusion résulte de diverses recherches bien démons- 
tratives, parmi lesquelles il faut citer notamment celles de. 
MM. Martin et Cherry. Elle s’est imposée avec force le jour 
-où il a été possible, grâce à M. Ehrlich, d'éliminer des expé- 
riences l’organisme vivant, ce réactif si iucertain, et de le rem- 
placer par des éléments cellulaires sensibles au poison. Dès 
lors, on pouvait étudier in vitro l'influence de l’antitoxine sur la 
toxine — l'élément sensible s’altérant lorsqu'on le mettait au 
contact de la toxine, demeurant au contraire intact lorsque 
celle-ci avait été au préalable neutralisée par une,dose conve- 
nable de sérum antitoxique. 

L'idée que l’antitoxine non seulement modilie la toxine, 
mais encore s’unit avec elle, est en parfaite harmonie avec les 
données relatives aux autres substances actives des sérums, et 
c'est pourquoi nous pouvons l’accepter avec une sécurité très 
suffisante. Tout se passe en effet, on le sait, comme siles agglu- 
tinines, les sensibilisatrices, l'alexine, se fixaient sur les micro- 
bes et les cellules qu'elles impressionnent; il en est de même 
des précipitines, dont l'analogie avec les agglutinines est frap- 

11 


162 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


pl 


pante, mais qui s'unissent à des subtances chimiques non orga- 
nisées, et que ce caractère permet de rapprocher, dans une cer- 
taine mesure, des antitoxines proprement dites. 

Ce fait, que l’antitoxine anoule les dangereuses propriétés de 
la toxine grâce à une combinaison directe, pouvant être con- 
sidéré comme acquis, il fallait ten‘er de préciser la réaction 
intime qui s'effectue entre ces deux substances. Certains savants. 
ont consacré beaucoup d'efforts à la solution de ce problème, 
Forcément, cette solution devait être incomplète. La nature, la 
constitution moléculaire de ces substances étant fort mysté- 
rieuses, leur composition même demeurant inconnue, les réac- 
tions qui prennent cours entre elles ne pouvaient apparaître: 
avec l’évidence, la clarté, l’élégante précision auxquelles les 
chimistes qui manient des corps bien défiuis nous ont habitués. 

Il faut donc se borner, provisoirement, à esquisser les carac- 
tères généraux de cette réaction, à décrire l'allure qu’elle affecte, 
à rechercher les règles suivant lesquelles elle s'opère. La pre- 
mière question à résoudre est évidemment celle-ci : l’antitoxine 
s'unit-elle à la toxine en proportions strictement définies, et 
constantes, à la façon dont un acide monobasique s’unit à un: 
alcali, auquel cas le produit de la neutralisation a une 
composition fixe et invariable : ou bien l’une de ces sub- 
stances peut-elle se combiner à des doses variables de l’autre ? 
Si cette seconde supposition est la vraie, on doit prévoir que les 
deux matières (toxine et antitoxine) pourront former, en s’unis- 
sant, non pas un composé toujours le même, et qui infailli- 
blement apparaîtra avec ses caractères immuables, mais un 
produit dont la composition variera suivant les proportions. 
relatives des deux substances réagissantes. En mélangeant par 
exemple volumes égaux de toxine et d’antitoxine, on obtiendra 
un Corps diférent de celui qui prendrait naissance si à un 
volume du premier liquide on ajoutait deux volumes du second, 
Suivant les doses respectives mises en jeu,.on aura des composés. 
divers ; tous seront constitués des mêmes éléments, toxine et 
antitoxine, mais se distingueront en ce que l’un de ces élémenis. 
y sera plus ou moins saturé par l’autre. Dans cette hypothèse, 
la réaction de la toxine et de l’antitoxine pourrait être rappro- 
chée, tout au moins à ce point de vue de la variabilité des pro- 
portions, de celle de l'iode sur l’amidon. On le sait, l’amidon 


TOXINES ET ANTITOXINES 163 


peut absorber des quantités variables d’iode, et se teindre cor- 
rélativement en bleu plus ou moins foncé; c'est pourquoi des 
chimistes autorisés ont rangé cette réaction dans la catégorie 
des phénomènes de teinture. Les corps qui se teignent peuvent 
fixer des quantités de couleur qui varient souvent dans de très 
larges limites. 

Arrètons-nous un instant à cette comparaison avec les phé- 
nomènes de teinture, que nous avons déjà invoquée antérieure- 
ment, — bien à tort sans doute, car elle a donné Heu, de la part 
des auteurs qui ont bien voulu lire nos mémoires précédents, à 
de véritables méprises. 

Comme nous l’avons constaté autrefoist, la quantité maxi- 
male de globules rouges qu’une dose déterminée de sérum hémo- 
Iytique approprié peut détruire, varie beaucoup suivant la ma- 
nière dont le sang est ajouté au sérum dissolvant. Si dans 
un certain volume (un €. €. par exemple) de sérum actif, on 
verse brusquement, en une seule fois, la quantité de sang dont 
on veut observer la destruction, cette quantité A pourra être 
relativement grande, et l’hémolyse sera néanmoins totale. Mais 
si l’on fractionne cette quantité A de sang en petites doses que 
l’on introduit l’une après l’autre, à des intervalles suffisamment 
espacés, dans un c. c. de sérum actif, on trouve que ce dernier 
ne détruit plus qu’un nombre d’hématies relativement faible 
(A/2 environ). Tout se passe alors comme si les premiers glo- 
bules se chargeaient tellement: des substances hémolytiques, 
qu'ils en dépouillent le liquide et n’en laissent plus pour les 
globules ajoutés ultérieurement. 

Un globule peut done absorber des doses variables de sub- 
stances actives, la dose maximale qu'il peut fixer étant nettement 
supérieure à celle qui suffit à provoquer sa désagrégation*. Cette 

4. Ces Annales, mai 1900. 

2. On le sait, l'hémolyse résulte de la collaboration de l’alexine et de la sensi- 
bilisatrice. A laquelle de ces deux substances doit-on attribuer le résultat obtenu 
dans cette expérience? En d’autres termes, laquelle jouit de la propriété d'être 
absorbée en doses variables par le globule rouge? On trouve que ce caractère 
appartient aux deux substances. Mais c’est surtout l’alexine qui le présente avec 
le plus d'évidence et de netteté; c’est à elle que revient, en conséquence, la plus 
grande part dans le phénomène. Dans un tube contenant 5/10 de c. c. d’alexine 
(sérum frais de cobaye neuf), introduisons3/10 de c. c. de sang défibriné (soigneu- 
sementlavé) delapin,et, immédiatement après,9/10 dec.c. desensibilisatrice (sérum, 
chauffé à 55°, de cobaye immunisé contre le sang de lapin); l’'hémolyse s'opère 


rapidement. 3 heures plus tard,;ajoutons encore 1/10 de e. c. desang et 3/10 de c. c. 
de sensibilisatrice, et enfin, après un nouvel intervalle d’une heure, 1/10 de sang et 


164 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


remarque nous permettait d'émettre (à titre de simple hypothèse, 
car l’expérience ci-dessus rappelée n'était que préliminaire et 
ne pouvait autoriser une conclusion sûre et définitive} l'idée que 
absorption des principes actifs du sérum par la substance 
fixatrice des globules n'obéit pas à la loi des proportions cons- 
tantes, et se rapproche plutôt de l’absorption des matières 
colorantes par les objets colorables, ceux-ci pouvant fixer des 
quantités plus ou moins grandes de ces matières. On pouvait, en 
conséquence,prévoir que l'énergie de l’absorption devait dépendre. 
dans une assez large mesure, des conditions de l'expérience 
(concentration des éléments réagissants, durée du contact, éta- 
blissemerit d’un équilibre entre la dose de substance active 
absorbée et celle restant libre, ete.), et nous avons tenté, ulté- 
rieurement, d’affermir cette notion. 

Ajoutons que cette interprétation a attiré l'attention de divers 
observateurs, lesquels ont réalisé des expériences analogues à 
celle que nous venons de rappeler; ils ont obtenu des résultats 
similaires, qui même sont plus démonstratifs, car ils sont mieux 
à l'abri des objections auxquelles notre expérience pouvait 
donner prise. Aussi considérons-nous comme fort instructives, 
à ce point de vue. les recherches de MM. Eisenberg et Volk:, à 
qui l’on doit des renseignements précis sur la réaction des 
agglutinines avec les microbes, et qui ont institué, à ce sujet, 
beaucoup d'expériences nouvelles et importantes. Ils ont vu que 
la loi des proportions définies ne régit pas l’union de l’agglu- 
tinine avec la matière microbienne agglutinable. Ils ont constaté, 
au cours de leur travail, qu'un sérum agglutinant auquel on 
ajoute une dose A d'émulsion microbienne, soit en une seule fois, 
soit par fractions successives, se comporte comme le faisait le 
sérum hémolytique dans lexpérience ci-dessus mentionnée : il 
3/10 de sensibilisatrice. Les globules introduits les derniers ect définitivement 


intacts. Préparons maintenant un mélange composé des mêmes éléments en 
inêmes proportions (5/10 d'alexine, 5/10 de sang. 45/10 de sensibilisatrice), mais 


où ces éléments sont méêlès en une seule fois. L'hémolyse s’elfectue bientôt com- 
plètement. Dans le premier mélange, les globules intacts sont fortement sensi- 
bilisés, mais l’alexine leur manque, car cette matière a éte accaparée par les 
hémalies introduites en premier lieu. En effet, addition d’un peu d’alexine les 
détruit. Il faut conclure, donc, que les stromas des premiers globules (hémolysés) 
sont fortement chargés d'alexine et ne cèdent nullement cette substance à de 


nouvelles hématies, pourtant bien sensibilisées. Le composé stroma-alexime est 
stable et ne se dissocie pas. Nous reviendrons sur ce point, à propos d'une 
expérience de M. Morgenroth. 

4. Zeitschrift für Hygiene und Infektions Aranheiten, t. XL, 1902. 


TOXINES ET ANTITOXINES 165 


agglutine moins de microbes lorsque ceux-ci sont introduits peu 
à peu. Les microbes peuvent absorber beaucoup plus d’aggluti- 
nine qu'il neleur en faut pour être agglomérés. Dès que la quantité 
d’agglutinine est un peu notable, il s'établit un équilibre entre 
la dose qui reste libre et celle absorbée par les microbes, ceux-ci 
pouvant se saturer davantage si l’agglutinine est plus concentrée, 
Nous ne pouvons es ici fe conclusions si intéressantes 
de ces savants (variations du coeflicient d'absorption suivant la 
dose d’agglutinine, rôle de la concentration relative de l’agglu- 
tinine et de la matière agglutinable, ete.) ; le fait le plus impor- 
tant, c’est que la matière agglutinable absorbe des quantités 
d'agglutinine qui varient chaque fois qu’on change les proportions 
relatives des deux substances réagissantes. * 

Il était donc assez légitime, semble-t-il, de présumer que 
la règle des proportions fixes pourrait ne pas s'appliquer stric- 
tement à ces phénomènes d'absorption, par les cellules ou les 
microbes, des principes actifs du sérum. Ici, ces proportions ont 
bien lair d’être sinon quelconques, au moins fort élastiques, 
subordonnées qu’elles sont aux conditions de l’expérience, 
variables par conséquent comme le sont ces dernières. Nous 
_sommes loin de la chimie ordinaire, de la chimie à équations et 
à équivalents! Au reste, c'était uniquement pour exprimer cette 
idée d'une manière plus frappante, que nous avons eu recours à 
la comparaison avec les phénomènes de teinture. Or, divers 
savants, discutant le rapprochement, ont supposé que nous 
méconnaissions entièrement le « caractère chimique » de ia 
combinaison qui unit les substances actives du sérum à la matière 
fixatrice propre au globule. En d’autres termes, ils nous attri- 
buent l’opinion que cette fixation dépend de causes purement 
mécaniques (adhésion superticielle, ete.), à l'exclusion de toute 
aftinité élective et spécifique *. 

I semble presque, à la lecture de cès savants, que, d’après 
nous, les globules absorberaient les matières actives des immun- 
sérums appropriés, sans aflinité spéciale, avec indifférence, 


1. Faisons-le remarquer en passant, il nous parait bien hasardé d'affirmer, 
comme ces auteurs semblent le faire, que les phénomènes de teinture ne devront 
Jamais, à aucun titre, se ranger dans le cadre de la chimie, c'est-à-dire que les 
corps colorables n’absorbent les couleurs que méc aniquement, grace à leurs pro- 
priétés physiques (texture, porosité) et jamais en raison de leur Fons 
chimique et des affinités spéciales qui dépendent de cette composition. 


166 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


comme le charbon accumule eu lui, sans prédilection spécifique, 
les gaz les plus différents! Nous ne nous sommes pas prononcé 
sur l'intimité de la réaction, mais sur l'allure qu’elle affecte. Les 
termes « causes purement mécaniques », € adhésion superfi- 
cielle » ne se trouvent pas dans notre travail. Nous n’abordons 
pas davantage la question de savoir si les phénomènes de tein- 
ture doivent être qualifiés de « physiques » ou de « chimiques ». 
Ce qui nous importe, c’est que ces réactions diffèrent de celles 
de la chimie ordinaire en ce qu'elles ne sauraient se traduire en 
équations ; les proportions suivant lesquelles les matières s’unis- 
sent varient trop suivant les conditions de l’expérience. C’est ce 
point de vue seul de la variabilité des proportions qui a motivé 
notre comparaison, et qui, d’après nous, la justifie. Les resultats 
de MM. Eisenberg et Volk, plaidant dans le même seus que les 
nôtres, viennent encore la rendre plus légitime. Mais que, dans 
le cas des sérums et des éléments sensibles, de véritables affinités 
entrent en jeu, le fait semble évident en raison du principe de 
la spécificité (sur lequel nous avons tant insisté nous-même) et 
personne ne le met en doute. Il est certain que ces éléments 
manifestentuneavidité vraimentspécifique, exclusive même, pour 
les anticorps appropriés. Mais ce n’est pas, répétons-le, une 
raison pour qu'ils absorbent ceux-ci en proportions immuables, 
ni pour que le produit naissant de cette union affecte une corm- 
position fixe et toujours identique. 


Cette digression terminée, revenons aux toxines et aux anti- 
toxines, et reprenons la question posée plus haut. La combinai- 
son de ces éléments se fait-elle en proportions fixes et constantes, 
le produit de la combinaison étant unique et invariable, ou bien 
ces proportions peuvent-elles varier entre des extrêmes assez 
éloignés, les composés qui apparaissent pouvant être divers 
suivant les conditions de l'expérience, et renfermer, pour une 
même dose d’un des éléments, des quantités variables de 
l'autre ? 

Avant de chercher une réponse, il est nécessaire de rappeler 
divers faits consignés par les expérimentateurs. On a constaté, 
tout d’abord, que, s’il faut une quantité A d’antitoxine pour neu- 
traliser complètement et exactement une quantité T de toxine, 
il faudra 2 À, 3 A... nA pour neutraliser de la même façon 2 T, 


TOXINES ET ANTITOXINES 167 


3 T... »n T. Pour ceux qui comme nous admettent que l’antitoxine 
agit directement sur la toxine et se combine avec elle, ce fait 
n’a rien d'inattendu. Au contraire, il est si naturel qu’on doit le 
considérer comme évident a priori. Mais il ne saurait, cela va 
de soi, nous apporter aucun renseignement sur le point de savoir 
si l'antitoxine et la toxine se combinent par équivalents bien 
-définis et constants ‘. 

Ua second fait, sur lequel M. Ehrlich a attiré l'attention, pré- 
sente une grande importance. La dose minimum mortelle d’une 
toxine étant au préalable exactement déterminée, supposons qu’il 
soit nécessaire d'ajouter à 100 doses mortelles de cette toxine une 
quautité À de sérum antitoxiqué, pour obtenir une mixture dont 
la toxicité soit complètement abolie. Nous admettons, bien 
entendu, que la dose A d’antitoxine est juste suffisante à pro- 
duire la neutralisation ; en d’autres termes, le liquide est inactif, 
mais ne contient pas d’autitoxine en excès. Préparons mainte- 
nant un liquide contenant encore A d’antitoxine, mais renfer- 
mant cette fois 104 doses mortelles de toxine. On doit prévoir 
que cette mixture tuera l'animal auquel on l'injecte, car il con- 
tient un excès de toxine égal à une dose mortelle. Or, il n’en 
-est rien ; l'animal n’éprouve que des troubles très légers. 

On peut même préparer des mélanges renfermant, pour A 
d’antitoxine, une quantité de toxine très notablement supérieure 
(pouvant aller parfois jusqu’à 200 doses mortelles environ) sans 
que la mixture obtenue tue les animaux, au moins dans le délai 
normal. L’injection ne provoque que des œdèmes faibles si 
l'excès de toxine est minime, plus graves si cet excès est 
notable. 

Tel est le « phénomène d'Ehrlich ». On peut dire qu'il con- 
stitue une infraction évidente à la loi des proportions fixes. 
L’explication la plus simple du phénomène est, certes, celle que 
nous faisions prévoir plus haut et d’après laquelle les substances 

1. Il serait superflu d'insister, si un bactériologiste n'avait pas affirmé récem- 
ment, dans le même ‘ordre d'idées, que l'agglutinine se combine en proportions 
-définies avec la matière agglutinable des microbes, en se fondant sur ce fait (aussi 
évident que possible & priori) que, s’il faut une dose A de sérum actif pour agglu- 
itiner bien nettement une dose B d’émulsion microbienne, il faut une dose 2 A pour 

- produire le même effet dans une dose 2 B d’émulsion! À ce compte-là, il faut 
admettre aussi qu'une couleur se combine en proportions définies à là surface 


d’un mur, puisque s’il faut A de couleur pour peindre ce mure de 10%, il en faudra 
2 À pour donner la même teinte à un mur de 20m, 


168: ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


antagonistes (toxine et antitoxine) pourraient se combiner en 
proportions variables, On peut supposer que chaque molécule 
de toxine est capable de s’adjoindre, de fixer, un nombre variable: 
de molécules du contrepoison. Admettons, par exemple, qu’une 
molécule © de toxine puisse s'unir soit à une seule, soit à, 
2,3, 4, 5 molécules A d’antitoxine. Cinq composés sout done 
possibles. Appelons-les TA‘, TA*, TA *, TA :, TA :oncomprend 
qu'ils seront d'autant moins toxiques qu'ils sont plus riches en 
antitoxine. Le premier TA" sera assez vénéneux, tout en l’étant 
moins que la toxine pure: les suivants, TA *, TA :, seront pro-- 
gressivement moins toxiques ; TA'*, TA *, qui renferment chacun 
une molécule toxique et # ou 5 molécules antitoxiques, seront 
(nous pouvons le supposer) dénués de toute activité; leur pouvoir 
nocif sera complètement aboli. 

Si nous mélangeons à un volume de toxine renfermant 
100 molécules T, un volume d’antitoxine contenant 206 molé- 
cules A, c’est le composé TA? qui se formera. L’antitoxine se 
distribuera donc également entre toutes les molécules présentes- 
pour former un composé dont la toxicité, bien que médiocre, 
n’est pas nulle. Ce composé représente la molécule toxique par-- 
tiellement saturée de molécules antitoxiques. C’est de la toxine 
qui n’est pas neutralisée, mais qui est atténuée. 

Si, au même nombre de molécules de toxine (100 T), nous. 
ajoutons cette fois 300 molécules d’antitoxine, c’est le composé- 
TA * qui apparaitra, et ainsi de suite. Toujours, et quelles que 
soient les doses, l’antitoxine se répartira également sur toutes les 
molécules toxiques. Suivant les proportions respectives, om 
obtiendra donc des composés différents. Mais un mélange déter- 
miné ne contiendra qu'un seul composé, formé de toxine dont 
l’avidité pour l’antitoxine sera plus ou moins satisfaite. Il en. 
résulte qu'on ne /rouvera point, dans de semblables mixtures, 
dela torine tout à fait libre et intacte à côté de toxine complètement. 
saturée par l’antitoxine. 

Au contraire, si la toxine et l’antitoxine s’unissaient régu- 
lièrement suivant un rapport fixe, constant, unique, on obtien- 
drait très facilement une mixture contenant à la fois de la toxine 
parfaitement intacte, nullement combinée, et de la toxine satu- 
rée : 1l suffirait d'ajouter à un certain volume de toxine une: 
quantité relativement faible d’antitoxine. 


TOXINES ET ANTITOXINES 164 


En résumé, suivant qu’on adopte l'hypothèse de la combi- 
naison en proportions immuables, ou celle de l'union d'après 
des rapports variables, on sera conduit à attribuer à un pareil 
mélange ‘ (formé de toxine et d’une dose insuffiante de contre- 
poison) deux compositions bien distinctes. Dans le premier cas, 
on admettra que le liquide renferme deux substances (toxine 
hbre et active, toxine saturée et inoffensive). Si l’on se rallie à la 
seconde supposition, on dira que la mixture ne contient qu'une 
matière (toxine incomplètement saturée, non neutralisée, mais. 
simplement atténuée). 

Mais on conçoit immédiatement qu’une non-identité dans la 
composition peut entrainer une différence marquée dans le mode 
d'action du‘mélange sur l'organisme de la cellule sensible. Sui- 
vant l’idée qu’on se fera du mode d'union des deux substances- 
antagonistes, on sera naturellement amené à prévoir aussi, pour 
le même liquide, des pouvoirs nocifs très dissemblables. On 
peut très bien concevoir qu'un liquide contenant uniquement de 
la toxine atténuée puisse être moins dangereux que celui où l’on 
trouve, à côté de toxine neutralisée, une certaine dose de 
toxine intacte. Le phénomène d’Ehrlich paraît dès lors fort 
explicable, si l’on accepte l’idée de la combinaison en proportions. 
variables. 

Ce qui précède est évidemment schématique, et le défaut des 
schémas et en général d’être trop précis. Le nôtre n’échappe pas. 
à ce reproche, est il serait déraisonnable de le prendre trop à la 
lèttre. Par exemple, il semble impliquer que l'union de la toxine 
et de l’antitoxine se fait par simple soudure moléculaire; il 
implique aussi, nécessairement, que la combinaison de nos deux 
substances obéit strictement à la loi des proportions multiples 
(la dose d’antitoxine fixée dans TA*, par exemple, étant exacte- 
ment multiple de celle fixée dans TA). On arrive à cette consé- 
quence dès que, pour faciliter l'exposé, on figure chacune des 
substances en jeu sous forme d’une particule élémentaire, d’une 
molécule, laquelle est par définition indivisible, On comprend 
que notre but n’est pas de rechercher si la toxine et l’antitoxine 


1. Faisons-le remarquer immédiatement, ce sont précisément de pareils mé- 
langes (non mortels) que l’on prépare lorsqu’ on réalise l'expérience d'Ebrlich, 
( 'est- -à-dire lorsqu'on ajoute à une dose A d’antitoxine capable de neutraliser 
complètement 100 doses mortelles, une quantité de toxine un peu trop forte 
(120 doses mortelles par exemple). 


470 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


s'unissent en soudant simplement leurs molécules ou en échan- 
geant des atomes, ni de savoir s’il s’agit ici de combinaisons en 
proportions exactement multiples ou simplement variables. De 
tels problèmes sont hors de portée actuellement, et l'expérience 
serait impuissante à les résoudre. 

Une seule notion nous importe, et le schéma nous a servi à 
l’énoncer plus commodément. Si l'hypothèse de l’union en pro- 
portions variables est exacte, les caractères essentiels de la 
réaction sont les suivants : 

1° Lorsqu’à un certain volume de toxine on mélange une 
quantité d’antitoxine qui ue suffit pas à produire une neutralisa- 
tion complète, les molécules d'antitoxine ne sont pas accaparées 
par quelques molécules de toxine, celles-ci satisfaisant entière- 
mentleurs affinités, — Les autres unités toxiquesrestant intactes. 
Bien au contraire, les molécules d’antitoxine se partagent, se 
répartissent également sur toutes les molécules toxiques pré- 
sentes, qui toutes, dès lors, sont partiellement saturéeset perdent 
corrélativement, dans une cerlaine mesure, leur toxicité pre- 
mière. On peut dire qu’il y a atténuation de la toxine, puisqu'il 
y a formation, à ses dépens, d’un complexe moins vénéneux ; 

2° Les phénomènes d’empoisonnement provoqués par ce 
complexe injecté à des animaux (ou mis en contact avec des 
cellules sensibles) pourront n’être pas identiques à ceux que 
produirait un mélange de toxine neutralisée et de toxine intacte; 

3° Entre ces deux termes extrêmes, toxine libre, toxine 
entièrement saturée et devenue inoffensive, on peut concevoir 
toutes les transitions (stades d'atténuation progressive). Chaque 
fois qu’on mélangera la toxine et l'antitoxine suivant le même 
rapport, on obtiendra le même degré d'atténuation. 

Onlesait, M. Ehrlich interprète le phénomène qu'il à décou- 
vert d’une manière tout à fait différente, Il admet que l’anti- 
toxine et la toxine se combinent suivant un rapport invariable. 
Pour expliquer l’accroc que son phénomène fait subir à cette loi 
des équivalents fixes, M. Ehrlich suppose que la composition 
d’un bouillon toxique est fort complexe : on y trouve plusieurs 

poisons. L'un, très actif, c'est la toxine proprement dite. Un 
autre, moins dangereux, est la toxone. 

La molécule de toxine, et celle de toxone, absorbent des 
quantités égales d'antitoxine. À ce point de vue, les deux sub- 


ROBE de rm de 2 rie M a ER 


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Li éd 


TOXINES ET ANTIFOXINES 171 


stances se valent. Maïs la toxine est supérieure à la loxone en ce 
qui concerne l'énergie de l’affinité; en effet, la toxine est plus 
avide d’antitoxine que ne l’est la toxone. Pour rendre un bouil- 
lon toxique absolument inoffensif, il faut y introduire une dosé 
d'antitoxine capable de neutraliser complètement et la toxine 
et la toxone. Mais si un semblable mélange est additionné d’une 
quantité supplémentaire de bouillon toxique, la nouvelle toxine, 
ajoutée de la sorte, s’emparera de l’antitoxine précédemment 
combinée à la toxone; c?lle-ci est déplacée, elle est remise en 
liberté. En d’autres termes, si dans de l’antitoxine on met quel- 
ques doses mortelles (pas trop nombreuses!) de toxine en plus 
qu'il n'en faudrait pour avoir un mélange exactement neutre, 
on obtient un liquide qui ne renferme pas de toxine libre ; on y 
trouve, il est vrai, de la toxone non combinée, mais celle-ci 
-étant relativement peu dangereuse, l'injection à l’animal est 
tolérée. 

En réalité, l'exposé qui précède est fort simplifié, car 
M. Ebrlich a dû, pour que la théorie fût entièrement conforme 
à l’expérience, attribuer au bouillon toxique une composition 
vraiment fort compliquée. L’explication est incontestablement 
ingénieuse, mais l'existence de certaines matières intervenant 
dans le phénomène {et notamment des toxones) est hypothétique 
La question reste donc ouverte. 


pk 
MODE D'ACTION DE L'ANTIALENINE SUR L'ALEXINE 


Nous aurions pu énoncer, il y a longtemps déjà, les considé- 
rations, bien élémentaires du reste, qui précèdent. En eflet, elles 
nous ont été suggérées par des expériences faites en 1900 à 
l'Institut Pasteur (service de M. le Prof. Metchnikoff), et rela- 
tives à la neutralisation de lalexine par l’antialexine, Mais il 
nous paraissait utile de compléter ces résultats déjà anciens en 
étudiant encore d’autres toxines et d’autres antitoxines. Nous 
n'avons pu jusqu'ici réaliser ce projet. Nous nous bornerons 
donc à consigner ici les faits que nous avons recueillis autrefois 
— quitte à revenir ultérieurement sur le sujet, 

Considérons donc l'influence exercée sur l’alexine contenue 
dans du sérum frais d’animal d'espèce À, par l’anti-alexine appro- 
priée, c'est-à-dire par le sérum (chauffé au préalable à 55°-56°) 


172 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


d'un animal d'espèce B, antérieurement traité par 2 ou 3 injec- 
tions de sérum frais d'espèce A. 

Ces deux sérums antagonistes étant mélangés, il nous faut 
un réactif capable de déceler si lalexine est encore active ou est 
_annihilée, Nous employons à cet effer des globules rouges bien 
sensibilisés par un sérum hémolytique spécifique, chauffé au 
préalable à 55°, On le sait, ces éléments resteront intacts si 
l’alexine est complètement neutralisée. 


L'expérience comporte naturellement un mélange de con- 


trôle. Ce témoin à la même composition que le mélange précé- 
dent, sauf que le sérum antitoxique est remplacé par du sérum 
(également chauffé à 55°) provenant d’un animal neuf d'espèce 
identique à celle qui a fourni l’antialexine. 

On le devine, nos premières expériences auront pour but de 
rechercher si nos sérums antagonistes présentent, en réagissant 
l’un sur l’autre, le « phénomène d’Ebrlich », phénomène si dif- 
ficile à concilier avec l'hypothèse de la neutralisation suivant 
des proportions fixes. 

Pour éviter, dans ces expériences et dans celles qui suivront, 


l'ingérence de graves causes d'erreur, il faut recourir à certaines. 


précautions. II faut avant tout, ne faire intervenir qu'une seule 
influence antitoxique, celle que l’on étudie et qui s’exerce sur 
l’alexine, Comme on met en jeu des globules sensibilisés, 1] faut 
donc que le sérum antialexique n’affaiblisse pas la sensibilisa- 
trice employée pour impressionner ces globules. Il faut aussi 
que les sérums neufs, chauffés à 55°, qui servent de témoins à 
l’anti-alexine et à la sensibilisatrice, ne possédent aucune pro- 
priété spéciale et puissent être considérés comme des liquides 
inertes. Bien entendu, il faut toujours contrôler l’inactivité 
absolue, au point de vue hémolvtique, des sérums qui ont été 
chauffés à 55°. En outre le réactif employé (globules rouges 
sensibilisés) ne doit être introduit dans les mélanges qu’en doses 
très minimes; cette condition doit être remplie, si l’on veut 
déceler des quantités d’alexine très petites, et qui ne pourraient 
détruire beaucoup de globules. : 


4. On le sait, pour étudier les propriétés d'un sérum antialexique, il est néces- 


saire de lechauffer au préalable à 55°. On supprime ainsi l'alexine propre à ce- 


sérum. En effet la seule alexine intervenant dans l'expérience doit être telle qu'on 
introduit sous forme de sérum frais d'animal neuf, et vis-à-vis de laquelle le 


sérum aptialexique exerce une influence neutralisante. (Voir notre article sur- 


les antitoxines des sérums hémolytiques. Ces Annales, maï 1900.) 


HÉLLSR Ie nana pANte 


TOXINES ET ANTITOXINES 173 


Pour réaliser ces diverses conditions, nous employons les 
éléments suivants. Comme alexine, on se sert de sérum de 
cobaye neuf, récemment obtenu. L'antialexine est du sérum 
(préalablement chauffé à 55°-56° pendant une 1/2-heure) de lapin 
qui a reçu deux ou trois injections de sérum frais de cobaye. On 
emploie des globules de poule (lavés au préalable à la solution 
physiologique de NaClÏ), sensibilisés par du sérum (préalable- 
ment chauffé à 55°-56°) de lapin immunisé contre les globules de 
poule. Comme sérum témoin de l’anti-alexine et de la sensibili- 
satrice. on a recours à du sérum (également chauffé à 55°-56°) 
de lapin neuf. 

En résumé, la toxine (alexine) provient du cobaye. Les autres 
sérums employés (antitoxine, sensibilisatrice et témoin) pro- 
viennent tous du lapin etn’exercent les uns sur les autres aucune 
influence. L'expérience ne peut donc être troublée par linter- 
vention de réactions accessoires. 

Bornons-nous tout d'abord à mettre en évidence lénergie 
de l’action anti-alexique. On prépare dans des tubes les mélanges 
suivants : 

a) Ce tube contient : 2/10 de c. c. d’alexine ; 3/10 de ce. c. 
d'antialexine : 

b) 2/10 de c. c. d’alexine; 3/10 de c. c. de sérum non anti- 
alexique (sérum, chauffé à 55°, de lapin neuf.) 

Une heure ou deux plus tard, on ajoute aux deux mélanges 
2/10, de c. c. de sensibilisatrice (sérum, chauffé à 55°, de lapin 
immunisé contre le sang:de’poule). On introduit ensuite, dans 
chacun des tubes, une goutte de sang de poule (lavé à la solu- 
tion physiologique). On constate que les globules s’hémolysent 
en 20 minutes dans le tube b ; l'influence alexique est supprimée 
dans le tube à; les globulesiy sont encore parfaitement intacts 
le lendemain. 

Il est facile de prouver que cette absence d'hémolyse est 
due uniquement à la neutralisation de l’alexine. La sensibilisa- 
trice (dont la dose est d’ailleurs fort considérable relativement 


à celle des globules) n’est nullement atteinte ‘. 


4. Pour s'en convaincre, il ’suffit de remplacer l’alexine de cobaye (sensible 
à l'anti-alexinel par une alexme d’animal'différent (lapin par exemple) sur laquelle 
l’anti-alexine n'a pas d'action, Préparons ainsi: 
- a) Ce mélange renferme 1/18 de c. c. de sensibilisatrice; 2 c. c. d’anti-alexine; 
c: ©. de sérum frais de lapin neuf (alexine). 


174 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Tentons maintenant de mesurer la puissance de l’anti- 
alexine. Dans ce but, nous introduirons des doses variables. 
d’alexine (comprises par exemple entre 1/20 dec. c. et1 c. c., 2) 
dans une quantité constante (3/10 de ce. c.), soit d’antialexine,! 
soit de sérum non anti-alexique (sérum chauffé à 55° de lapin 
neuf). On a ainsi: 

A) Tubes renfermant 3/10 de e. c. d’antialexine : 

a renferme 1/20 de ce. c. d’alexine; b en contient 1/10; 
c:2/40; d,3/10; 6, 4/40 57, 5/10:;:9, 6/10: h57/1052 8/40" 0/E 08 
k, 12/10, de c. c. d’alexine. 

B) Série de tubes identiques aux précédents, sauf qu’ils ren- 
ferment, au lieu d’antialexine, 3/10 de c. c. de sérum non anti- 
alexique. 

On ajoute ensuite, à chacun des tubes de ces deux séries, 
2/10 de c. c. de sensibilisatrice; enfin, une heure plus tard, on 
y introduit une goutte d’émulsion de globules de poule dans la 
solution physiologique de NaCI, — Les mélanges sont gardés 
à la température du laboratoire (18° environ). 

Dans la série des tubes qui ne contiennent pas d’antialexine, 
l'hémolyse complète s'effectue rapidement, en un quart d'heure: 
environ, dans les mélanges les plus riches en alexine, en une 
demi-heure dans le mélange le plus pauvre, c’est-à-dire dans 
celui qui contient 1/20 de ce. e. d’alexine, 2/10 de sensibilisa- 
trice, 3/10 de sérum non antialexique. En conséquence, 1/20 de 
&. c. d'alexine représente la dose minima mortelle en une demi- 
heure, et nous la choisirons comme unité. Remarquons immé- 
diatement que la dilution à laquelle cette faible dose est soumise 


b) Même composition que &, sauf que l’anti-alexine est remplacée par 2 c. €. 
de sérum de lapin neuf (chauffé à 550). 

e) 2 ce. ce. d’alexine de lapin; 2 c. c. de sérum de lapin neuf (chauffé à 55e). 
Ce mélange est done constitué comme b, sauf que la sensibilisatrice estabsente. 

Aux trois mélanges on ajoute 1 goutte de globules de poule. L'hémolyse 
s’opère très rapidement, en quelques minutes, dans @& et b. Elle n’est complète 
(bien que la dose d’alexine employée dans celte expérience soit considérable) 
qu'au bout de 5 heures dans le tube €, qui ne contient pas de sensibilisatrice. On 
voit donc que l’antialexine n’exerce aucune action sur un volume pourtant faible 
(20 fois moindre) de sensibilisatrice. On voit également que celle-ci agit avec 
beaucoup d'énergie, bien que la dose en soit assez minime, et qu’elle soit diluée: 
dans un volume relativement très grand (% ©. c.) de liquide : l'influence affai- 
blissante de la dilution est tout à fait négligeable. Dans la suite du présent 
article, nous ne décrirons pas systématiquement de telles expériènces, qui servent 
uniquement de contrôle, et dont le détail compliquerait trop l'exposé, 


TOXINES ET ANTITOXINES 473: 


(un volume est dilué dans dix volumes de sérum chauffé) ne 
l'empêche pas d’agir avec énergie. 

Considérons maintenant ie mélanges renfermant de l’anti- 
alexine, Supposons tout d’abord que nous n’examinions les 
divers tubes qu’au bout d’un temps très long, le lendemain par 
exemple, laissant ainsi aux minimes traces d’alexine qui pour- 
raient subsister à l’état libre dans certains mélanges, le temps 
d'opérer leur maximum d’action. On trouve, le Po que 
l’hémolyse est complète dans les tubes renfermant 5/10 de e. c. 
d'alexine ou davantage; elle est très évidente, mais partielle, 
dans celui qui contient 4/10 de e. c. d'alexine; elle est très 
légère, à peine perceptible, dans celui qui en renferme 3/10. 
Les mélanges contenant 2/10 de c. c (ou moins encore) 
d’alexine ne présentent aucune diffusion d’hémoglobine. 

On remarque que ces résultats plaident déjà quelque peu 
contre l'hypothèse de la combinaison en proportions bien défi- 
nies. En effet, si le tube d présente une hémolyse très légère, 
c’est qu'il contient une trace, presque négligeable, il est vrai, 
d’alexine libre ; le mélange suivant, e, qui renferme, en plus, 
deux doses d’alexine mortelles en une demi-heure, devrait pré- 
senter une hémolyse complète; or, celle-ci n’est que partielle. 
Le phénomène d'Éhrlich apparaît donc, mais il n’est pas, à la 
vérité, très accusé. Notons encore (en négligeant la très faible 
hémolyse du tube d) qu'il faut, pour que les globules soient 
définitivement protégés, employer un volume d’antialexine. 
égal à celui de l’alexine. 

Mais le résultat est bien plus intéressant si l’on observe les 
mélanges aussitôt après leur préparation, et si l’on note les 
moments auxquels l’hémolyse est devenue complete. Le phéno- 
mène d’'Ehrlich apparaît alors d’une manière très frappante. En 
effet, le mélange contenant 12/10 dec. ce. d'alexineet 3/10 de c. e 
d’antialexine doit renfermer, conformément à ce qui précède 
(et d’après l'hypothèse de la neutralisation suivant un rapport 
fixe), 3/10 d’alexine neutralisée et 9/10 d’alexine intacte. Eh 
bien, l'hémolyse complète ne s’y observe qu’au bout de 
10 minutes, délai au moins double de celui qu’exige l’hémo- 
lyse du mélange renfermant une seule dose mortelle d’alexine 
(1/20 de c. c.), sans antitoxine, Dans ce dernier, la destruction des. 
globules est achevée, alors qu'elle n'a pas commencé dans l’autre. 


176 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans les mélanges renfermant l’antialexine et des doses 
d’alexine variant de 4/10 à 9/10 de c. c., les globules se détrui- 
sent. Mais l'hémolyse apparaît successivement dans chacun 
d'eux, et tarde d'autant plus que la dose d’alexine est moins 
forte. Ainsi, après 70 minutes, l'hémolyse, totale dans le tube 
renfermant 12/10 d'alexine, est nulle dans celui qui en contient 
9/10 (tube }; elle ne s’y montre complète qu'au bont de 2 
heures 1/2; à ce moment, elle est partielle dans le tube ÿ, com- 
mence à peine dans le tube 4... et ainsi de suite. En un mot, 
le temps exigé pour la mise en liberté de lhémoglobine est très 
régulièrement d'autant plus long qu’il y a moins d’alexine. 

L'expérience montre donc qu'une quantité d’anti-alexine 
incapable de neutraliser complètement plus de 6 doses mortelles {en 
une 1/2 heure) d’alexine, exerce cependant une influence telle, 
qu'en sa présence, 2% doses mortelles déterminent l'hémolyse 
moins rapidement que ne le fait une seule dose mortelle, non impres- 
siounée par le contrepoison. 

On ne saurait admettre, en conséquence, que l’anti-alexine, 
ajoutée à uae forte dose d’alexine, neutralise complètement une 
portion de cette substance sans toucher à l'excès : les mixtures 
obtenues ne se comportent nullement comme des dilutions 
d’alexine normale. 

L'antialerine se répartit sur la totalité de l’alexine présente, con- 
formément à la notion des proportions variables longuement 
développée plus haut. L’explication émise par M. Ehrlich à 
propos de la toxine diphtérique, et fondée sur l’existence de 
toxones, ne saurait être appliquée aux résultats que nous venons 
dénoncer. Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer notam- 
ment les proportions des sérums mis en jeu, le fait que la dose 
minimale d’alexine choisie (1/20 de c. €.) est déjà fortement 
hémolysante, et cette circonstance (si conforme à l’idée de la 
répartition de l’antialexine sur toute l'alexine présente) que le 
temps exigé pour l'apparition de lhémolyse décroit régulière- 
ment, par transitions ménagées et insensibles, au fur et à mesure 
que la dose d’alexine grandit. 

Il faut conclure que, dans chacun de nos mélanges alexine- 
antialexine, ilse forme un corps nouveau, un complexe formé des 
deux substances antagonistes-(lesquelles n'existent plus à l’état 
libre), et dont la composition dépend de la proportion des deux 


TOXINES ET ANTITOXINES 177 


matières. Si l’on passe d’un mélange à un autre, le complexe 
change; il est plus ou moins toxique, car il représente de la 
toxine plus ou moins saturée d’antitoxine. L’anti-alexine atténue 
l’alexine; si la dose d’anti-alexine grandit, cette atténuation peut 
aller progressivement jusqu’à l'abolition complète du pouvoir 
toxique. 

Il résulte de l'expérience qu’il est impossible de préparer un 
mélange d’alexine et d’antialexine qui soit exactement neutre, 
c’est-à dire qui soit dénué, à la fois, de pouvoir toxique et anti- 
toxique. Bien entendu, cette notion n’est aucunement nouvelle; 
elle traduit simplement, en d’autres mots, le phénomène 
d’Ehrlich lui-même. Considérons un mélange renfermant, outre 
l’anti-alexine, une dose moyenne d’alexine (f ou g par exemple). 
Un tel mélange est toxique, car les globules finissent par s’y 
détruire. Il est antitoxique, car d’autres mélanges similaires, con- 
tenant autant d’anti-alexine, mais plus riches encore en alexine, 
n’hémolysent qu'avec un retard appréciable. Cette conséquence 
est, du reste, inséparable de l’idée de la combinaison en propor- 
tions variables, d’après laquelle on peut obtenir entre ces deux 
extrêmes, toxine active, toxine entièrement neutralisée, toute 
une série de stades d'atténuation progressive, Le liquide consi- 
déré (fou g) correspondant précisément à l’un de ces termes. 

Pour démontrer que ce liquide possède, à côté d’une réelle 
toxicité, un pouvoir anti-alexique bien net, le raisonnement 
consiste, on le remarquera, à comparer ce mélange à d’autres 
mixtures similaires, mais un peu plus riches en alexine, et qui, 
_ pourtant, n'hémolysent que lentement. Mais on pourrait désirer 
une preuve plus directe. Préparons un de ces mélanges auxquels 
nous attribuons la propriété d’être à la fois toxique et antitoxi- 
que; par exemple, mélangeons à 3/10 de c. c. d’anti-alexine 
5/10 de c. ce. d’alexine active‘. D'autre part, composons un liquide 
(mélange témoin inerte) formé de quantités correspondantes de 
sérum non anti-alexique (sérum chauffé de lapin neuf), et d’alexine 
rendue inactive par le chauffage à 55°. Deux ou trois heures plus 
tard, ajoutons aux deux mélangesun peu d’alexine active (1/10 de 
c. c.).Ondoit présumer que cette substances’atténuera nettement 
dans le premier mélange. L'expérience confirme cette prévision, 


1. Dans un tel mélange, les globules sensibilisés se détruisent après quelques 
heures. 


12 


178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


mais pas d’une manière très frappante. Si, ultérieurement, nous 
ajoutons des globules de poule seasibilisés, ces hématiesse détrui- 
sent en effet plus vite dans le second mélange (témoin) que dans 
le premier, mais la différence n’est pas considérable. Pourquoi 
ne l'est-elle pas? 

Ce premier mélange renferme, outre l’anti-alexine, une quan- 
tité totale d’alexine égale à 6/10 de e. c. Mais celle-ci a été intro- 
duite en deux fractions successives. Il y a dès lors intérêt à com- 
parer cette mixture, au point de vue dela puissance hémolytique, 
à celle, de composition identique, que l’on obtient en ajoutanten 
une seule fois les 6/10 de ce. e. d’alexine aux 3/10 de ec. ce. d’anti- 
alexine. 

Mélangeons done, à 3/10 dec. c d’anti-alexine, 5/10 d’alexine 
(liquide A) Trois heures plus tard, ajoutons encore 1/10 de c. c. 
d’alexine; en même temps, préparons un mélange B formé de 
3/10 d’anti-alexine et de 6/10 d’alexine. Ajoutons aux deux 
liquides 2/10 dec. c. de sensibilisatrice active contre les globules 
de poule; attendons encore une heure environ, et introduisons 
enfin, dans chaque tube, deux gouttes de ces hématies. L’hémo- 
lyse exige une heure dans A, une heure trois quarts dans B. Un 
sérum anti-alexique affaiblit donc moins bien l’alexine, lorsque 
celle-ci, au lieu d’être ajoutée d’un coup, est introduite par doses 
fractionnées successives. Celte expérience correspond entière- 
ment à celle que nous rappelions quelques pages plus haut, et 
dans laquelle des globules rouges sont ajoutés, soit en une, soit 
en plusieurs fois, à du sérum hémolytique. 

Quand nous mélangeous de l’alexine à de l’antialexine, 
celle-ci se répartit uniformément sur la totalité de l’alexine; 
toutes les molécules toxiques sont également modifiées (formation 
d’un complexe): la composition du liquide est dès lors homo- 
gène. Mais, si, ultérieurement, nous introduisons encore de 
l’alexine, celle-ci tend à enlever de l’antitoxine au complexe 
déjà formé, tend, en d’autres termes, à troubler la répartition 
qui s’étaitétablie. Par exemple, si le complexe primitif était TA, 
l’addition d'un T nouveau tend à donner 2 TA. Mais on conçoit 
que, TA° étant déjà constitué, les connexions entre l’alexine 
et l’anti-alexine étant établies sous cette forme, la réaction 
nouvelle (enlèvement d'anti-alexine au complexe) éprouve 
quelque difficulté à se produire, et qu'en conséquence, la dose 


TOXINES ET ANTITOXINES 179 


additionnelle d’alexine ne s’atténue pas aisément!', En d’autres 
termes, TA* ne se laisse pas arracher sans résistance une partie 
de son antitoxine. On conçoit encore que la difficulté avec 
laquelle cette réaction s’opère puisse être plus ou moins marquée 
suivant, les toxiues et les antitoxines que l’on considère, Ilest 
vraisemblable, en effet, que la stabilité du complexe (TA: par 
exemple) variera suivant les cas. Si le complexe est fortstable, 
un nouveau l, introduit ultérieurement, restera intact; ils’atté- 
nuera au contraire aisément, si le complexe perd facilement A. 

On comprend que ces divers cas puissentse présenter, et cette 
manière de voir nous paraît ne ttement confirmée par une expé- 
rience récente de M. Morgenroth*. 

Ce savant sensibilise des globules rouges bien lavés, par 
un sérum hémolytique approprié, préalablement chauffé à 55. 
Il centrifuge, décante le liquide surnageant, et enlève, par 
des lavages et centrifugations répétés, les traces du sérum actif. 
{l obtient ainsi des hématies chargées de sensibilisatrice, bai- 
gnantdans un liquide où l’on ne peut plus déceler cette substance. 
A ces hématies, il ajoute une certaine quantité de globules de 
même espèce, mais normaux, non sensibilisés, Si, immédiate- 
ment après, on ajoute de l’alexine (en quantité qui, semble-t-il, 
ne doit pas être trop forte), celle-ci ne détruit qu'une partie 
des globules ; elle atteint ceux qui sont sensibilisés et respecte 
les hématies normales. Mais, si cette addition d’alexine n’est 
effectuée qu’au bout d’un temps assez long, l’hémolyse affecte 
indistinctement tousles globules présents. M. Morgenroth conclut 
avec raison queles globules normaux, au bout d'un certain temps, 

ont puenlever une certaine dose de sensibilisatrice à ceux qui en 

étaient chargés *. IL s’est fait, en d’autres termes, une modifi- 

cation dans la répartition de la sensibilisatrice, de même que, 
- dans l’expérience précédente, il s’opérait un changement dans 
la distribution de l’anti-alexine, 


1. Au contraire, si la totalité de l’alexine avait été mélée, en une seule lois, à 
J’anti-alexine, le complexe TA se serait formé tout naturellement. 

2.Etauss',pourune même toxine etune mémeantitoxine, suivantque le complexe 
est plu. ou moins saturé, Il est probable, en effet, qu'un complexe TA se laisserait 
enlever de l’antitoxine plus aisément que ne le ferait TA2. 

Ÿ Münchener med. Wochenschrift, 1903, n° 2. 

. Comme le dit M. Morgenroth, il est bien vraisemblable que, lors du pas- 

sage ta sensibilisatrice d'une hématie à une autre, le liquide sert d’intermédiaire, 


2 


180 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


On le voit, le complexe qui naît de l’union de la sensibilisa- 
trice avec la matière fixatrice du globule (et que nous pouvons, 
pour abréger, appeler GS*) abandonne assez facilement à de 
nouveaux globules, une partie de sa sensibilisatrice, pour deve- 
nir par exemple GS. Voilà un cas où le complexe est peu stable. 
Eh bien, si l’on se rapporte à ce que nous avons dit au début de 
cet article, lorsque nous rappelions l'expérience du sérum hémo- 
lytique (addition de globules en une fois ou par doses fraction- 
nées) et que nous précisions la part qui revient à l’alexine dans 
le résultat obtenu, on déduit que le complexe « globule sensi- 
bilisé-alexine » (ou plus exactement stroma-alexine) est remar- 
quablement stable. Des hématies détruites et chargées d’alexine 
ne cèdent pas cette matière à des globules nouveaux (même for- 
tement sensibilisés). Ceci justifie les considérations précédentes 
relatives à la stabilité, variable suivant les cas, des complexes 
que l’on peut obtenir'. 


LS 
*X  * 


On le voit, nous nous rallions entièrement, dans ces consi- 
dérations, à l’hypothèse (bien corroborée par les expériences 
résumées plus haut) de la combinaison en proportions variables. 
Mais il n’est pas inutile de vérifier cette hypothèse dans ses 
conséquences les plus importantes. 

On peut évidemment, pour évaluer la toxicité de n'importe 
quelle substance vénéneuse, se placer à deux points de vue très 
différents. En premier lieu, on peut apprécier la force d’un poi- 
son en déterminant le nombre de cellules ou d’animaux qu'un” 
poids donné de cette matière est susceptible de tuer. On peut, 


1. On peut, en recourant aux phénomènes de teinture, obtenir une image du 
phénomène de M. Morgenroth, — peut-être un peu grossière, mais assez intuitive. 
Tapissons d'une feuille de papier filtre la moitié environ du fond d'un cristallisoir. 
Versons alors une solution diluée de bleu. Au bout d'un certain temps, le papier 
se charge de couleur et en dépouille presque complètement le liquide. A ce 
moment, immergeons dans le liquide déux petits morceaux de papier-filtre, de 
manière que l’un de ces morceaux (A) aille se déposer au fond du cristallisoir 
dans la partie où le verre est à nu, l’autre (B) allant au contraire recouvrir en 
partie la feuille baignée depuis longtemps et déjà teinte en bleu. (On a soin de 
ne pas appuyer B sur celle-ci). On trouve, au bout d'un certain temps, que B est 
plus coloré que A. On voit aussi que la première feuille s’est décolorée dans tous 
les points qui se sont trouvés au voisinage de B, elle présente une tache plus 
pâle qui reproduit la forme de ce fragment B. La répartition de la couleur, entre 
l’ancienne feuille et le morceau, tend à devenir homogène, comme la sensibili- 
satrice, dans l'expérience de M. Morgenroth, tend à se partager également entre 
tous les globules présents. 


TOXINES ET ANTITOXINES 181 


d'autre part, estimer l'activité d’un toxique d’après le temps que 
celui-ci met à acecomplir son œuvre. 

Considérons de l’alexine, additionnée d’une quantité faible 
d’anti-alexine. Pour préciser, supposons qu’on mélange, à 3/10 
de c. c. d’anti-alexine, 12/10 de c. c. d’alexine (sérum frais de 
cobaye). On obtient ainsi 1,5 c. c. de liquide (A), qui, d’après 
notre hypothèse, renferme uniquement de l’alexine atténuée, 
— légèrement atténuée même, puisque la dose d’anti-alexine 
mise en jeu est relativement minime. En d’autres termes, celle- 
ci n’a pas agi en neutralisant complètement une portion de 
l’alexine, l'excès de cette substance restant inaltéré. Il ne s’agit 
donc pas d’une simple diminution, en quantité, de l’alexine 
active ; le phénomène est tout autre ; la totalité de l’alexine s’est 
transformée en un complexe encore toxique, mais qui l’est 
moins, et qui présente ce caractère de n'hémolyser qu’avec une 
remarquable lenteur, même lorsque la quantité des globules sou- 
mis à son action est minime. 

Eh bien, puisque toute l’alexine présente a été transformée, 
mais qu'aucune portion n’en a été détruite à proprement parler, 
puisqu'il s’agit, non pas d’une diminution quantitative, mais 
bien d’une modification (atténuation légère) affectant qualitati- 
vement la totalité de l’alexine, on concoit qu’un tel mélange 
puisse encore, malgré la lenteur de l’hémolyse qu'il opère, être 
néanmoins capable de détruire un nombre relativement consi- 
dérable de globules rouges. 

A notre mélange A, qui contient beaucoup d'alexine (atténuée 
ilest vrai), comparons maintenant un secondliquide B, de même 
volume, mais de constitution différente. Ce second mélange, 
nous l’obteuons en ajoutant, à du sérum inactif, nullement 
antialexique (tel que du sérum chauffé à 55°, de lapin ou de 
cobaye neuf) une quantité fort petite d’alexine normale. Cette 
mixture représente donc une dilution, dans un liquide inerte, 
d'une faible dose d’alexine active. On a par exemple un mélange 
comprenant, au lieu d’antialexine, 3/10 de sérum de lapin neuf 
(préalablement chauffé), et au lieu des 12/10 de c. ce. d’alexine 
active, 1/10 de c. ce. seulement d’alexine active, et 11/10 de cette 
même alexine, mais qui a été au préalable chauffée à 55°. 

Si nous ajoutons, à ce second mélange B, une très petite 
quantité de globules de poule, fortement sensibilisés, on peut 


182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


prévoir qu'il les détruira avec une rapidité assez grande, car il 
contient de l’alexine normale, douée en conséquence de son 
énergie habituelle. Mais il contient peu d’alexine : l'hémolyse 
pourra donc faire défaut ou rester tout au moins très partielle, 
même au bout d’un temps très prolongé, si la quantité de sang 
sensibilisé introduite est considérable. 

On le devine, nos deux mélanges A et B, dont le volume est 
le même et qui tous deux sont capables de produire l’hémolyse, 
auront à priori des propriétés inverses. Si l’on évalue leur 
énergie destructive en y introduisant un nombre de globules 
sensibilisés peu élevé, 1 goutte par exemple, B paraîtra plus 
actif que A : il détruira les globules plus rapidement. Mais on 
obtiendra le résultat opposé si on apprécie leur puissance d’après 
la quantité de globules qu'ils peuvent hémolyser. En effet, si 
l’on y ajoute une forte dose de ce même sang sensibilisé (1,5 de 
ce. €. par exemple), on constatera, au bout d’un temps suffisam- 
ment prolongé (le lendemain) que ces hématies sont en grande 
majorité intactes dans B, sont toutes détruites dans A, où 
l’alexine est moins active «qualitativement », (rapidité d'action) 
mais où elle existe en quantité beaucoup plus grande. 

Ceci résulte de notre hypothèse. Or, cette prévision se 
vérifie par l'expérience. Il est dès lors lors impossible, on le 
conçoit, d'admettre qu’une dose insuffisante d’anti-alexine, 
ajoutée à un sérum alexique, transforme ce liquide en un 
mélange d’alexine parfaitement neutralisée et d’alexine intacte. 
S'il en était ainsi, le liquide obtenu représenterait simplement 
une dilution d’alexine normale dans un certain volume de 
liquide inerte, et ses caractères seraient identiques à ceux de 
notre seconde mixture B, laquelle possède précisément cette 
constitution, 

De ces expériences, portant uniquement sur l'alexine et 
l’anti-alexine, il ne serait pas légitime de tirer des conclusions 
trop générales, et l'étude attentive, au point de vue du mode de 
combinaison, de toxines et d’antitoxines nombreuses et variées, 
est nécessaire. Mais on nous permettra néanmoins de faire 
remarquer que divers faits, connus depuis longtemps, et qui. 
semblaient assez énigmatiques, deviennent tout naturels et faci- 


x TOXINES ET ANTITOXINES 183 


lement explicables si l’on adopte l’idée de l’union en proportions 
variables. Nous citerons un ou deux exemples : 

On a constaté (notamment à propos du tétanos) qu’un 
mélange de toxine et d’antitoxine, inoffensif quand on l’injecte 
à un animal d'espèce A, manifeste une toxicité évidente quand 
on l’injecte à un animal d'espèce différente B. On connaît les 
faits de ce genre, signalés notamment par M. Buchner, MM. Roux 
et Vaillard. Or ces faits, bizarres en apparence, sont les consé- 
quences presque nécessaires de l'hypothèse que nous avons 
exposée. En effet, un mélange de toxine et d’une dose d’anti- 
toxine même faible, même insuffisante à saturer complètement 
le poison, ne renferme plus du tout de toxine se trouvant encore 
dans son état primitif. Le liquide ne contient plus qu’un com- 
plexe (toxine atténuée) qui, somme toute, est un corps nouveau, 
doué de caractères propres, qui a remplacé complètement la 
toxine originelle, et qui ne se comportera pas nécessairement 
de même vis-à-vis de tous les organismes. Il est fort naturel de 
prévoir que son pouvoir toxique sera assez atténué pour ne pro- 
duire aucun trouble chez certaines espèces, d’autres espèces 
manifestant encore, à son action, une sensibilité réelle ; pour- 
quoi, en effet, réagiraient-elles toutes identiquement vis-à-vis 
de ce composé nouveau? Bien plus, on peut théoriquement pré- 
voir le cas où de la toxine, même entièrement saturée d’anti- 
toxine, pourrait encore empoisonner certaines espèces ou 
certains individus. En effet, d'après notre conception, il n'existe 
pas de différence tranchée et radicale entre l’atténuation et la 
neutralisation d’une toxine, ou, plus exactement, il n’existe pas 
de neutralisation absolue. Il existe simplement une atténuation 
qui peut étre poussée très loin, grâce à une saturation de plus 
en plus complète du poison par l’antitoxine. Pratiquement, cela 
‘équivaut très souvent à une neutralisation vraie, mais, en réalité, 
ce n’est pas la même chose. Quand on parle de neutralisation 
proprement dite, on implique que la toxine, grâce à une aboli- 
tion radicale de ce qui la rendait dangereuse: est désormais 
forcément et irrévocablement inactive vis-à-vis même d’orga- 
nismes hypersensibles. La sensibilité des organismes, en ce cas, 
est un élément qui n'intervient plus. Au contraire, cet élément 
intervient encore si l’on admet que l’apparente neutralisation 
n’est, au fond, qu’une atténuation très forte, ce qui est très 


- 


184 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, : 


atténué pour un organisme À, pouvant l'être très peu pour un 
organisme B. La conception de l’atténuation plus ou moins 
marquée garde donc toute sa relativité, évoquant constamment 
l’idée d’un rapport entre la sensibilité de l'être vivant et le 
pouvoir nocif de la substance considérée. 

On comprend dès lors qu'un complexe riche en antitoxine 
(toxine bien saturée de contre poison) et qui est inoffensif pour 
des animaux bien portants, puisse être dangereux pour des 
organismes débilités et sensibilisés par une infection antérieure 
ou un traitement vaccinal trop prolongé. Il est possible, semble- 
t-il, d'expliquer ainsi pourquoi on peut empoisonner, par la 
toxine diphtérique, des animaux fournisseurs d’un sérum anti- 
diphtérique actif. La modification de la toxine s'opère, mais 
l’animal est devenu sensible même à la toxine saturée et très 
atténuée, laquelle eût été parfaitement tolérée par des orga- 
nismes normaux. La sensibilité, vis-à-vis de toxine tétanique 
mêlée d’antitoxine!, de cobayes immunisés contre le vibrion 
cholérique (Roux et Vaillard) est vraisemblablement un autre 
exemple du même fait. 

Pour protéger contre l’alexine des globules rouges normaux, 
non sensibilisés par un immunsérum spécifique, une quantité 
relativement faible de sérum antialexique est suffisante. Ce 
dernier doit, au contraire, intervenir à grande dose si l’on veut 
mettre à l’abri de l’hémolyse des globules que cet immunsérum 
a rendus très sensibles à l’influence alexique. Le fait est facile 
à vérifier. MM. Morgenroth et Sachs * ont établi, dans le même 
ordre d'idées, qu’il faut plus d’antialexine pour protéger les 
globules, lorsque ceux-ci ont été fortement sensibilisés, que 
dans le cas où ils n’ont été impressionnés que par une faible dose 
de sensibilisatrice; en d’autres termes, le même complexe 
(alexine-antialexine) pourra se montrer inoffensif ou dangereux, 
suivant l’énergie de la sensibilisation. 

Ceci nous amène à considérer les résultats observés par les 
expérimentateurs qui ont injecté aux animaux de la toxine 
partiellement neutralisée par de l’antitoxine. La substance 
injectée dans ces conditions n’est autre, nous le savons, que de 


4. Bien entendu, ces mélanges sont, dans les expériences de ces savants, 
inactifs pour des cobayes normaux. 
2. Berliner klin. Wochenschrift, 1902, n° 35. 


EM AT dut 


TOXINES ET ANTITOXINES 185 


la toxine atténuée, pouvant être bien tolérée par certains orga- 
nismes, mais capable de déterminer, chez d’autres espèces plus 
sensibles, des troubles appréciables. Or, MM. Dreyer et Madsen, 
opérant sur la toxine diphtérique, ont constaté qu'un semblable 
mélange était complètement inactif pour le cobaye, provoquait 
au contraire des troubles assez légers (ædème, etc.), chez le 
lapin. Mais on aurait pu hausser d’un degré la toxicité d’une 
pareille mixture : il aurait suffi, en faisant varier quelque peu 
les doses respectives des deux substances antagonistes, de pré- 
parer un complexe un peu moins saturé d’antitoxine, un peu 
moins atténué. L'animal qui, dans l’essai précédent, n’éprouvait 
aucun phénomène morbide sera maintenant légèrementintoxiqué 
(œdème, etc.); celui qui se montrait déjà, dans une certaine 
mesure, sensible au mélange moins actif, présentera, cette fois, 
les symptômes d’un grave empoisonnement. Tels sont encore 
les résultats consignés par MM. Dreyer et Madsen. 

Ces savants admettent que, dans les mélanges (préparés en 
proportions convenables, la saturation n’étant pas complète), on 
ne trouve plus, en fait de substance non combinée, que de la 
toxone, c’est-à-dire un poison différent de la véritable toxine, 
et qui est moins actif. Pour nous, cette toxone représente sim- 
plement notre complexe, formé schématiquement d’une molécule 
de toxine incomplètement saturée de molécules antitoxiques. 
En effet, ce complexe possède fort naturellement les caractères 
attribués à la toxone : il est, par définition, moins vénéneux 
que la toxine libre : il est aussi moins avide d’antitoxine, ses 
affinités étant déjà partiellement satisfaites. Il se rattache évi- 
demment à la loxine par son origine et sa composition, mais 
constitue néanmoins un corps nouveau, et l’on conçoit dès lors 
que les symptômes morbides qu’il provoque ne soient pas forcé- 
ment identiques à ceux que fait naître l'injection d’un peu de 
toxine ordinaire, simplement diluée. Enfin, comme il contient le 
radical toxique, son introduction dans l'organisme peut legique- 
ment donner lieu à l’apparition, dans le sang, du pouvoir anti- 
toxique. MM. Dreyer et Madsen ont constaté, on le sait, qu’on 
peut obtenir de l’anlitoxine en injectant aux animaux ce qu’ils 
appellent la toxone . 

Ajoutons d’autre part (puisque nous mettons en doute 

1. Zeitschrift f. Hygiene, tome XXXVII, 1901. 


186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'authenticité des toxones en tant que substances distinctes et 
particulières) que nos réserves ne visent nullement les résuliats 
consignés par M. Ehrlich, et relatifs à l’affaiblissement spontané 
(sans aucune intervention d’antitoxine) que diverses toxines 
subissent quand on les conserve pendant longtemps (apparition 
des toxoïdes aux dépens de la toxine). L'influence antitoxique 
est pour les toxines un facteur d'atténuation. Mais rien ne 
s'oppose à ce qu'il en existe d’autres (oxygène, lumière, réactions 
lentes et peu définies, etc., etc.), susceptibles également de 
_ produire, sur l’activité de la toxine, des effets dépressifs simi- 
laires. 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 


Par C. LEVADITI. 


(Laboratoire de M. MetchnikofT ) 


Divers savants ont abordé récemment Ja question de l’origine 
de la cytase hémolytique des sérums. On savait, depuis les 
recherches du regretté Buchner et de ses élèves, depuis les cons- 
tatations de Denys et de l’école de Louvain, de Schattenfroh, 
Bail, Lüwit, etc., qu'il existe des relations étroites entre la 
cytase bactériolytique (alexine) et les globules blancs ; on avait 
d'autre part décelé dans les leucocytes, grâce à divers procédés 
d'extraction, certains principes microbicides ayant plus d’une 
analogie avec cette cytase. Dès lors, il était indiqué de recher- 
cher si la cytase hémolytique, à l'instar de l’alexine bactéricide, 
ne provenait pas également des globules blancs, et si les mêmes 
modes d’extraction ne permettaient pas d'isoler cette cytase, Ce 
qui venait surtout à l'appui d’une telle supposition, c’est la notion 
de l’absence de cytase circulant à l’état de liberté dans les 
humeurs des organismes vivants, notion avancée pour la pre- 
mière fois par M. Metchnikoff, et vérifiée depuis par les expé- 
riences de Gengout, Bordet* et les nôtres *. | 

M. Schattenfroh ‘ a constaté le premier que les extraits de 
leucocytes polynucléaires étaient entièrement dépourvus de pro- 
priétés hémolysantes. Il fallait donc chercher dans une autre 
direction, que l'observation faite in vivo ne tarda pas à indiquer. 
M. Metchnikoff*, danssesétudessurlarésorptiondes cellules, avait 
déjà établi que les seuls globules blancs qui interviennent d’une 
façon active, pour englober et digérer les éléments cellulaires 
d'espèce étrangère, sont les macrophages, en particulier ceux de 

+ 4, Gexçou, Ces Annales, v. XV, p. 68. 
2. J. Bonper, Annales de la Soc. roy. des sciences médic. de Bruxelles, 
vol. IV, 1895. 
3. Levanrri, Ces Annales, 1901 et 1902. 
4. SCHATTENFROH, Arch. fur Hyg. 1899, v. XXXV, p. 135, et Münch med. 


Woch. 1898. 
5. Mercanixorr, Ces Annales, 1899, p: 757. 


188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la rate et des ganglions lymphatiques. S'appuyant sur une notion 
dont la généralité n’est plus à mettre en doute, à savoir qu'entre 
la digestion qui s’opère au sein des cellules et celle qui s’accom- 
plit en dehors du protoplasma, il y a des relations étroites, ce 
savant avait supposé que la diastase qui assure à l’intérieur des 
macrophages la dissolution des hématies est à rapprocher de 
la cytase hémolytique du sérum. En soumettant cette supposi- 
tion au contrôle de l’expérience, M. Metchnikoff constate que 
émulsion de cellules puisées dans les ganglions lymphatiques et 
la rate du cobaye, organes constitués presque exclusivement 
par des macrophages, possède, à l'encontre des parenchymes 
hépatique et rénal, un fort pouvoir hémolytique. Il voit, de plus, 
qu’il suffit de soumettre cette bouillie cellulaire à l'influence 
d’une température avoisinant 56°, pour détruire complètement ce 
pouvoir hémolytique. 

Ces observations, confirmées par Klein ! et Shibayama *, ont 
été reprises par Tarasséwitch *. Nous n’insisterons pas sur le 
travail de cet auteur; le lecteur le lira avec intérêt dans ces 
Annales mêmes. Nous rappellerons, néanmoins, que Tarasséwitch 
a réussi à isoler des macrophages, au moyen de l’extraction 
prolongée par l’eau salée, des hémolysines qu’il identifie avec la 
cytase du sérum, s’appuyant surtout sur le fait que ces hémo- 
lysines sont thermolabiles *, Il a essayé également d'établir une 
séparation tranchée entre la cytase des macrophages (macro- 
cytase) et la cytase des leucocytes polynucléaires (microcytase), 
la première était exclusivement hémolytique, la seconde essen- 
tiellement bactériolytique. 

Peu de temps après la publication du travail de Tarasséwitch, 
apparaît un mémoire de MM. Korschun et Morgenroth *, où les 
auteurs établissent qu’il n’y a aucun rapport entre la macro- 
cytase et la cytase du sérum. Ils remarquent, en effet, que les 
principes hémolytiques renfermés dans les extraits d'organes 

4. Ke, Société impériale des médecins de Vienne, 20 déc. 1991 (Wien. kl. 
Woch., 1901, n° 52.) 

2. Sarsayama, Cbt. fur Bakt., 1901, n° 21, p. 760. 

3. Tarasséwiren, Ces Annales, 1902, n° 2. 

4. Suivant Tarasséwitch, le chauffage de ces hémolysines à 56° donne des 
résultats variables; par contre, les températures plus élevées (580,5; 60°; 62°), 
appliquées pendant 1 à 2 heures, réussissent à inactiver entièrement ces hémo- 


lysines. 
5. KonscauN ET MorGENroTH, Berl. kl, Woch, 1902, ne 37. 


ES A ATUNT 


7. 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 189 


(en particulier ceux de l’estomac, de l'intestin, du pancréas, des 
glandes lympathiques et de la rate) sont, à l’encontre de cette 
cytase, thermostabiles, autohemolytiques et solubles dans l'alcool Ces 
principes, d'après Korschun et Morgenroth, ont une certaine 
analogie avec les composés bactéricides également thermosta- 
biles, découverts par Conradi ‘ dans les organes en voie d’auto- 
lyse, et proviennent probablement, affirment ces auteurs sans 
toutefois en apporter la preuve, de l’autolyse des tissus étudiés. 
Citons enfin le travail de Sawtschenko *, antérieur à celui des 
auteurs allemands, et les publications récente de Donath et 
Landsteiner * et de Dümeny ‘, qui aboutissent aux mêmes con- 
clusions que le mémoire de Korschun et Morgenroth. 

C’est là l’historique concis des études concernant l’origine 
de la cytase hémolytique. On voit qu’une contradiction mani- 
feste existe entre les constatations de Tarasséwitch et celles de 
Korschun et Morgenroth, contradiction qui touche au domaine 
des faits et qui mérite d’être contrôlée. Bien entendu, la discus- 
sion porte moins sur la conception de Metchnikoff, puisque 
cette conception s’appuie essentiellement sur des observations 
faites dans l’organisme vivant, observations sur lesquelles 
aucun doute n’a été exprimé jusqu’à présent. 

Nous avons repris la question des hémolysines cellulaires, et 
nous avons porté notre attention sur les ganglions lymphatiques 
et les leucocytes polynucléaires des exsudats. Ce qui nous a le 
plus importé au cours de ce travail, ce fut d’une part la nature 
et le mécanisme de production de ces hémolysines cellulaires, et, 
d'autre part, le mode suivant lequel se comportent les deux grandes 
classes de globules blancs, les macrophages et les leucocytes polynu- 
cléaires, au point de vue hémolytique et bactériolytique. 


Méthode. — Nous avons eu soin de saigner préalablement les 
animaux, pour éviter autant que possible les causes d’erreur 
attribuables à la présence du sang dans les organes dont nous 
examinions le pouvoir hémolytique. Il va sans dire que, malgré 
toutes les précautions prises pendant l’opération, la saignée réa- 
lisée au moyen de l'ouverture des carotides était loin d’être par- 
. CoNrapr, Beitr. sur chem. Physiol, vol. I, f. 5 et 6, 1901. 

. SAWTSCHENKO, A7ch. de Podiwyssosski, vol. XIV, f, 3, p. 796. 


. DünaTH ET LANpsrEINER, Wien. kl. Rundschau, 1902, n° 40. 
. Domexy, Wien. kl, Woch., 1902, n° 40, p. 1025. 


+= O2 PO 


190 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


faite. Néanmoins, étant donné que même l'injection d’eau salée 
daaslesystème vasculaire n’aboutit pas à des résultats absolument 
rigoureux, nous nous sommes contentés de la saignée simple, et 
nous avons soumis les organes à une série de lavages avant de 
les utiliser à la préparation des extraits. 

Nous avons préparé ainsi deux ordres d'extraits : l'extrait 
rapide et l'extrait tardif. 

L’extrait rapide était obtenu en triturant sur une toile métal- 
lique des ganglions lymphatiques préalablement découpés, et en 
émulsionnant la masse cellulaire dans un volume donné d’eau 
physiologique !. Après un court séjour à la température de la 
chambre ({ à 2 heures), on décantait le liquide surnageant 
et on soumettait ce liquide à la force centrifuge. On obtenait 
ainsi un liquide transparent, dépourvu de particules solides, par- 
fois sensiblement opalescent*. 

L’extrait tardif différait du précédent par le fait qu'avant de 
centrifuger la bouillie cellulaire, on la laissait séjourner pendant 
3 ou 5 heures à 38°, et jusqu'au lendemain à 8° (glacière). 
Des modifications de nature diastasique pouvaient ainsi s’opérer 
pendaut le séjour de l'extrait à la température du thermostat, 
modifications que l’on évitait quand on préparait cet extrait sui- 
vant la méthode rapide. 

L’hémolyse a été pratiquée suivant le procédé couramment 
employé; on avait soin d’égaler le volume des mélanges en ajou- 
tant de l’eau salée à 7,5 0/0, et de faire les observations à divers 
intervalles pendant le séjour des tubes à essai tout d'abord à 38°, 
ensuite à la glacière . 

4. Parfois nous nous sommes servi de l'appareil de M. Borrel (C. À. de la Soc. 
de Biolog., 1903). 

2. Lorsque l’opalescence était trop accentue, on fillrait le liquide sur du papier 
Berzélius, préalablement mouillé, 

3. Voici les abréviations que nous avons employées pour marquer les résul- 
{ats de l'expérience : 

ce — dissolution complète. 

po— — presque complète ; 

bep = beaucoup de dissolution ; 

par = dissolut, partielle ; 

peu = peu de dissolution; 


tr = trace de dissolution ; 
0 = pas de dissolution. 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 191 


l 


SUBSTANCES HÉMOLYTIQUES THERMOSTABILES DES GANGLIONS 
LYMPHATIQUES 


Lorsqu'on met en contact des globules rouges de cobaye ou 
d'oie avec un extrait {ardif préparé à l’aide de pancréas Aselli 
de lapin, on constate qu'après un intervalle de temps qui varie 
entre 2 et 3 heures, ces globules entrent en dissolution. 
L'hémolyse est lente et ne s'achève le plus souvent que le len- 
demain. On saisit ainsi une différence frappante entre cette 
hémolyse et celle que les sérums neufs exercent sur les mêmes 
globules rouges ; dans ce dernier cas, la sortie de l’hémoglobine 
est de beaucoup plus rapide, voire mème plus complète. Cette 
différence s’accentue encore plus lorsqu'on étudie l’action dis- 
solvante exercée par ces principes sur {es globules rouges fournis 
par l’espèce animale d’où proviennent les ganglions et la cytase. 
On voit alors qu'à l'encontre de la plupart des sérums neufs 
(exception faite du sérum de chien), l'extrait tardif de ganglions 
lymphatiques dissout ces globules et jouit, par conséquent, de 
propriété iso et autohémolytiques. 

Il en est de même de l'influence exercée par le chauffage à 
diverses températures sur le pouvoir hémolytique de ces extraits 
ganglionnaires tardifs. Tandis que l’action dissolvante de la 
cytase disparaît entièrement, sauf dans de rares exceptions!, 
vers 56°, les propriétés hémolysantes des extraits des mononu- 
cléaires résistent à des températures beaucoup plus élevées; 
l’ébullition même, comme l'ont déjà vu MM. Korschun et Mor- 
genroth, ne réussit pas à anéantir ces propriétés. Les expériences 
que nous avons entreprises à ce sujet nous ont montré que, 
d'une part, le pouvoir hémolvsant de l’extrait macrophagique 
tardif ne fait que s’attéauer vers 100°, et que, d'autre part, si, 
après le chauffage, le liquide surnageant est pour ainsi dire 
dépourvu d'action hémolytique, cela tient au fait que le principe 
hémolysant est entraîné par le précipité albumineux formé à 
cette température. 

Mais les différences qui existent entre la cytase du sérum et 
les substances hémolytiques des extraits ganglionnaires, ne se 
bornent pas là. Si l’on s'adresse à certains agents qui fixent 


4, MM. Ennucn et MorGexeoTa ont décrit une cytase (complément) thermostabile. 


192 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


énergiquement cette cytase, telles les macérations d’organes (v. 
Dungern), ou la levure de bière (Ehrlich et Sachs), on voit que 
ces agents n’exercent presque aucune action sur l’hémolysine 
macrophagique. 


ExPÉRIENCE 1. — Fixation de la cylase et des hémolysines ganglionnaires 
par le foie et les cellules de levure. — On prépare, à l’aide de 5 grammes de 
foie de cobaye, une bouillie cellulaire que l’on lave plusieurs fois, et que l’on 
répartit en deux récipients «et b. On verse dans le premier de ces récipients, 
4 c. c. de sérum frais de cobaye neuf: on introduit dans le second 
une quantité égale d'un extrait tardif de ganglions de lapin. Après 
un séjour de 2 heures à 380 et de 20 heures à 80, on sépare les cellules au moyen 
de la force centrifuge. On dispose de la même manière une nouvelle expé- 
rience, où, au lieu de se servir de cellules hépatiques, on emploie une émul- 
sion épaisse de levure de bière, préalablement lavée. On essaye le pouvoir 
hémolytique des liquides obtenus, vis-à-vis des érytrocytes de cobaye. 


FIXATION PAR LE FOIE FIXATION PAR LA LEVURE 
—— r — 
Cytase. Extrait gangl. Cytase. Extrait gangl. 
—— RS — — 


Témoin. Foie. Témoin. Foie. Témoin. | Levure. Témoin. Levure. 


De plus, il est aisé de constater que les sérums normaux, 
préalablement maintenus pendant 1/2 heure à 56°, exercent, 
comme lont déjà vu MM. Korschun et Morgenroth, une 
action empêchante à l’égard de l’'hémolysine ganglionnaire, et 
cela à des doses qui restent inefficaces vis-à-vis de la cytase. 

Il résulte de l’ensemble de ces faits que l’on ne saurait 
identifier les principes hémolysants renfermés dans les extraits 
tardifs de ganglions lymphatiques avec la cytase, ces deux ordres 
de substances se comportant différemment tant au point de vue 
de leurs propriétés dissolvantes qu’à l’égard de leur résistance 
à chaleur. D'autre part, le fait que l’hémolysine ganglionnaire 
n’est pas influencée par des températures nuisibles à la plupart 
des diastases, suggère l’idée que cette hémolysine, loin d’être de 


LD eS 2 ART TRUITE OI Fee 


[PES 


7 


& 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 193 


nature enzymatique, se rapproche plutôt des corps cristalloïdes. 

MM. Korschun et Morgenroth ont déjà vu que si l’on a soin 
d'épuiser par l'alcool un extrait tardif de pancréas, on constate 
que le produit alcoolique acquiert des propriétés dissolvantes 
vis-à-vis des globules rouges ; ces auteurs ont conclu que les 
hémolysines des tissus sont solubles dans l'alcool. Nous avons 
soumis à une série d’études dirigées dans cette direction les 
principes hémolysants des extraits tardifs de ganglions lympha- 
tiques, et nous avons constaté que ces principes se dissolvent 
non seulement dans l'alcool, mais aussi dans l’éther et le chloro- 
forme. Ces études, que nous avons suivies grâce aux conseils 
bienveillants de M. G. Bertrand, nous ont amené à conclure que 
les produits hémolysants des macrophages ne sont pas de nature 
albuminoïde, mais très probablement des substances capables 
de cristalliser. Voici quelques-unes de nos expériences : 


ExPÉRIENCE II. — Passage de la substance hémolytique thermostabile des 
ganglions lymphatiques dans l'alcool faible. — 8 ec. ce. d'extrait tardif de 
ganglions lymphatiques de lapin sont traités avec 3 volumes d’alcooi 

absolu. Le précipité formé est recueilli, lavé, et suspendu dans 8 c. c. 
d’eau salée isotonique. Ce précipité se dissout incomplètement; on sépare 
la partie non dissoute, que l'on reprend avec le même volume d’eau salée ;- 
On a ainsi préparé : 

a) Une partie insoluble dans l’alcool faible, insoluble dans l’eau salée. 

b) Une partie insolube dans l’alcool faible, soluble dans l’eau salée. 

D'autre part, l’extrait alcoolique est évaporé au bain marie jusqu’à la 
dessiccation complète; on obtient Osr,1 d’une masse jaunûtre, ayant un aspect 
graisseux, que l’on suspend dans 8 c. c. d'eau salée (c). 

On apprécie le pouvoir hémolysant des liquides 4, b etc, vis-à-vis des 
érytrocytes de cobaye. k 


INSOLUBLE DANS ALCOOL 

Quantité TE  —— 
Soluble Insoluble 

de liquide. eau salée, eau salée. 


Soluble dans 


alcool. 


ExPérrence IL. — Passage de la substance hémolytique thermoslabile des 
ganglions lymphatiques dans l'alcool fort. 48 c. c. d'extrait tardif de gan- 
glions lymphatiques de lapin. macérés dans l’eau distillée. sont traités avec 


2 13 


194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


3 volumes d'alcool absolu. Le précipité recueilli après une heure de contact, 
est lavé et desséché dans le vide, il pèse Ogr, 295. On le reprend avec 24 c. c. 
d’eau salée isotonique; la dissolution, après 4 heures de séjour à 80, est 
incomplète. On sépare le résidu, que l’on suspend dans le même volame 
d’eau salée, et on laisse macérer pendant 24 heures à la glacière. On a ainsi : 
a) Partie insoluble dans l'alcool faible, soluble dans l’eau salée. 
b) — ee — —- — insoluble — —  — 

L'extrait alcoolique (alcool faible) est évaporé dans le vide; il pèse 
Ogr, 126. On le reprend avec { c. c. d'eau salée et on ajoute 19 c. c. d'alcool 
absolu. Il se forme un nouveau précipité (partie insoluble dans l'alcool fort) 
que l’on sépare et suspend dans 24 ec. c. d’eau salée. Après 2 heures de 
séjour à la glacière, la dissolution n’est pas complète. On soumet le liquide 
à la force centrifuge et or délaye le dépôt dans le volume initial de solution 
isotonique. On a ainsi préparé : 1 

c) Partie insoluble dans l'alcool fort, soluble dans l’eau salée, 
d)  — — — — — insoluble —  — _ 

D'autre part, l'extrait alcoolique (alcool fort) est évaporé dans le vide, le 
résidu pèse Ogr, 103. On reprend ce résidu avec 24 c. c. d’eau salée, et on pré- 
pare comme précédemment la partie soluble et insoluble dans l’eau salée 
(e et f). On apprécie le pouvoir hémolytique de ces liquides vis-à-vis des 
érytrocytes de cobaye. 


SOLUBLE ALCOOL FAIBLE Insol. alcool faible. 
Quantité ee = RE 5 À —— , 
de Sol. alcool fort. Insoluble alcool! fort. 
D S D. RE RE Ce Soluble Insoluble 
iquide. g RE ET 
Soluble ©! Insoluble Soluble Insoluble |. ue LATE 
eau salée. eau salée. eau salée. eau salée. Re Nm + 
< 0,25 tr € ( û û () 
z 0,5 tt © () (] 0 0 
z 0,75 tr CG (Ù (l 0 (l 
, 1,5 par c 0 () 0 (] 


Les résultats fournis par ces recherches permettent de déduire 
la conclusion suivante : 

1° Les principes hémolysants contenus dans l'extrait tardif 
des ganglions lymphatiques sont solubles dans lalcool faible et 
l'alcool fort ; 

2° Le précipité albumineux obtenu au moyen de l'alcool fort 
ne possède qu’un faible pouvoir hémolysant, ce qui peut 
s'expliquer en admettant qu’une partie des corps hémolytiques, 
soluble dans l'alcool, est entrainée mécaniquement par ce 
précipité ; 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 195 


30 Les mêmes corps hémolytiques, solubles dans l’eau au 
début de l'expérience, deviennent, une fois repris par l’alcool, 
presque insolubles dans l’eau salée isotonique. L'hémolyse que 
l’on obtient lorsqu'on fait agir l’émulsion aqueuse du résidu 
alcoolique sur les globules rouges s’opère grâce à une disso- 
ciation lente des corps hémolysants, dissociation qui a lieu à la 
température de 38°. Au fur et à mesure que cette dissociation se 
produit, ces corps sont absorbés par les érytrocytes, qui entrent 
ainsi en dissolution. 

Les expériences IV et V,-dont nous nous dispensons de 
donner les détails, montrent de plus que non seulement les 
extraits des ganglions lymphatiques, mais aussi ceux d’autres 
organes, en particulier le foie, la rate et le cerveau, renferment 
des substances hémolysantes solubles dans l’alcool. Elles font 
voir également que ces hémolysinesthermostabiles sont solubles dans 
l’éther et le chloroforme. Néanmoins, ce dernier dissolvant ne 
réussit pas à extraire entièrement ces hémolysines. Il s’opère 
dans ces conditions, une sorte de répartition, qui dépend sans 
nul doute du temps d’action et de l’intensité de l’épuisement, 

La conception suivant laquelle les substances hémolysantes 
renfermées dans les extraits tardifs des ganglions lymphatiques 
seraient de nature cristalloïde, devient ainsi fort plausible. Quelle 
peut-être la constitution chimique de ces substances? IL est diffi- 
cile de se prononcer avec certitude, étant donné que la quantité 
de résidu alcoolique dont on dispose est restreinte et que, d'autre 
part, des corps n'ayant peut-être aucun rapport avec les vrais 
principes hémolysants souillent ces extraits et rendent les ana 
lyses difficiles. . 

Néanmoins, nous avons soumis soit l’extrait alcoolique, soit. 
les produits insolubles dans le chloroforme, à une série d'essais 
préliminaires, et nous avons recherché surtout les principes 
résultant de la dissociation des matières protéiques et des 
graisses. Bon nombre d'arguments, comme on le verra au cours 
de ce mémoire, viennent à l'appui de la conception suivant 
laquelle les principes hémolytiques des extraits tardifs de gan- 
glions lymphatiques résultent de l'autolyse qui s'opère au sein 
de ces extraits, autolyse qui intéresse d’une part les matières 
protéiques, d'autre part les graisses. Par suite, 1l était indiqué 
de rechercher les réactions chimiques des solutions aqueuses des 


196 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


extraits alcooliques et de diriger l'attention particulièrement sur 
les acides amidés et les dérivés des graisses. 


REACTIONS CHIMIQUES. — 4) Extrait tardif de ganglions mésenteriques de 
lapin; partie soluble dans l'alcool fort, préalablement épuisée par l'éther. 
Réaction acide au tournesol. Absence de matières protéiques. Renferme 
des matières organiques. Laisse, après calcination, des cendres alcalines, 
qui donnent les réactions des chlorures et des sulfates. Chauffé avec de la 
soude, donne des vaperrs ammoniacales. 

b) Même extrait; partie soluble dans l'alcool fort, insoluble dans le chlo- 
roforme. Absence de matières protéiques. Réaction acide au tournesol. On 
obtient, après calcination, des cendres alcalines(K et peu de Na). Renferme des 
matières organiques et donne, avec la potasse, des vapeurs d'ammoniaque. 
Absence de savons. 

Ces essais montrent en premier lieu que les principes hémoly- 
tiques thermostabiles des ganglions lymphaitiques ne sont pas de 
nature albuminoïide, ces substances ne donnant aucune des 
réactions caractéristiques des matières protéiques. En second lieu, 
ces observations prouvent que les solutions qui renferment ces 
principes contiennent des matières organiques acides et de 
l'azote, ce qui plaide en faveur de la présence des acides amidés. 
Enfin, le fait que l’éther et le chloroforme réussissent à extraire, 
en partie du moins, ces hémolysines thermostabiles, amène à 
penser que certaines de ces hémolysines sont en rapport avec les 
graisses et leurs dérivés (acides gras et savons alcalins ‘). 

Il devient ainsi extrêmement probable qu’au cours de l’Auro- 
LYSE qui s'opère au sein des extraits macrophagiques (voir plus loin), 
il se forme d’une part des acides amidés, d'autre part des acides 
gras et des savons alcalins, corps capables d'exercer une influence 
dissolvante sur les érytrocytes. D'ailleurs les expériences que nous 
avons entreprises avec plusieurs acides amidés nous ont montré 
que certains de ces acides (acide aspartique, chlorhydrate 
d'acide glutamique) jouissent de propriétés hémolysantes, et 
que ces propriétés sont intimement liées à la fonction acide 
de ces corps. Les sels neutres de soude se montrent en effet 
indifférents à l’égard des globules rouges. De plus, la neutrali- 
sation de l'extrait alcoolique de ganglions lymphatiques, dont la 
réaction est sensiblement acide, suffit pour enlever à cet extrait 


4, Dans un travail paru pendant la rédaction de ce mémoire, MM. Kyes et 
Sachs (Zur Kenntniss der Cobragift activiren den Substanzen. Bert. kl. Woch.,1903, 
nos 2-4) attribuent également aux acides gras, dont ils ont recherché le pouvoir 
hémolytique, les propriétés dissolvantes des extraits d'organes. 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 197 


son pouvoir hémolytique. L'expérience suivante, faite à l’aide de 
la partie insoluble dans le chloroforme de l'extrait alcoolique de 
rate, aboutit à un résultat semblable. 

ExPÉRIENCE VI. — nfluence de la neutralisation sur le pouvoir hemolytique 
de l'extrait de rate. On emploie la partie insoluble dans le chloroforme de 


l'extrait alcoolique de rate de lapin. Réaction acide au tournesol; on neutra- 
lise à l’aide d’une solution déci-normale de soude. Erytrocytes de cobaye. 


Quantité 


de liquide. Réaction. Résultat. 
2,2 acide pe 
2,2 neutre 0 


Conczusrons. Les observations exposées jusqu'ici permettent de 
conclure qu'on ne saurait pas identifier les hémolysines contenues 
dans les extraits rarpirs des ganglions lymphatiques avec la cytase 
des sérums neufs, pour le motif que ces hémolysines, à l'encontre de 
cette cytase, sont thermostabiles, iso et autohémolytiques, et neutrali- 
sables par le sérum normal; de plus, elles offrent certaines propriétés 
d'adhésion et de solubilité qui les rangent parmi les corps cristalloïdes. 
D'autre part, il est probable qu'il ne s’agit pas d'une seule substance 
hémolysante, mais de plusieurs principes différant entre eux par leur 
constitution chimique, et se rapprochant, d'une part des acides 
amidés, d'autre part des graisses et de leurs dérivés, les acides gras et 
les savons”. 

Il 


FORMATION DES SUBSTANCES HÉMOLYTIQUES THERMOSTABILES 
DANS LES EXTRAITS DE GANGLIONS LYMPHATIQUES. 


Nous avons étudié dans une nouvelle série d’expériences 
l'origine des substances hémolysantes thermostabiles renfermées 


1. Nous désirons mentionner ici même qu'il nous a été possible de déceler la 
présence d'hémolysines thermostabiles dans le sérum de lapin neuf. On peut 
mettre en évidence ces substances, soit à l’aide de l'extraction par l'alcool, soit 
au moyen du chauffage à 70°, ou mieux à 100°. Ces substances existent dans le 
sérum à côté d’un principe empêchant fhermolabile, qui masque leur présence. 
En portant le sérum à ces températures, on détruit ce principe empêchant, et on 
met à jour ces corps hémolysants thermostabiles, Il va sans dire que ces corps 
n’ont aucun rapport avec la cytase, puisque, d’une part, un sérum préalablement 
inactivé à 56° {destruction de la cytase) et porté ensuite à 100°, continue à 
dissoudre les globules rouges, et que, d'autre part, ces hémolysines thermostabiles 
sont autohémolysantes. 


198 | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


dans les extraits de ganglions lymphatiques. Le fait que ces 
substances peuvent être obtenues au moyen de l'extraction par 
l'alcool nous a permis de préciser si ces hémolysines préexistent 
dans les ganglions frais, ou bien si elles se forment pendant le 
séjour de ces ganglions en dehors du corps animal. Des recher- 
ches que nous avons entreprises dans cette direction nous ont 
montré que, chez le lapin, les organes lymphatiques, examinés 
immédiatement après la saignée de l'animal, renferment déjà des 
hémolysines solubles dans l’alcool et que, au fur et à mesure 
que l’émulsion cellulaire séjourne à 38° et à la glacière, la quan- 
titéde ces hémolysines augmente sensiblement. Par contre, chez 
le cobaye, le ganglion frais ne contient que des traces de prin- 
cipes hémolysants solubles dans l’alcool; la plus grande partie 
de ces principes naissent pendant le séjour de l’émulsion en 
dehors du corps animal. 

Quel peut être le processus suivant lequel s’opère la forma- 
tion de ces hémolysines thermostabiles dans les ganglions lym- 
phatiques ? L'hypothèse qui cadre le mieux avec les faits exposés 
jusqu'ici, et qui se trouve pleinement confirmée par les obser- 
vations qui vont suivre, est celle de l’autolyse. Cette hypothèse 
- nous a été suggérée par une discussion que nous avons eue 
avec M. Delezenne au sujet de l'influence de la chaleur sur les 
propriétés hémolytiques du suc pancréatique de chien, obtenu 
au moyen de la fistule permanente ‘. Dans les expériences que 
nous faisionsindépendamment de M. Delezenne, nous constations 
que le chauffage prolongé de ce suc à 70° ne réussissait pas à 
détruire ces propriétés. Par contre, M. Delezenne voyait Le pou- 
voir hémolytique de ce suc disparaître promptement à-cette 
température. Cette contradiction dans les résultats obtenus 
n’était qu'apparente. Elle s’expliquait par le faitque M. Delezenne 
chauffait le suc pancréatique immédiatement après la prise, 
tandis que dans nos expériences, nous soumettions ce suc à 
l'influence des températures élevées après un temps variable de 
séjour à la glacière. Or, pendant ce séjour, le suc pancréatique 
s’autolyse avec une extrême intensité et, au cours de cette auto- 
lyse, il se développe des principes hémolysants qui ne sont nul- 
lement influencés par le chauffage. Si ce chauffage, appliqué 
immédiatement après le puisement du suc pancréatique, enlève 


1. Voir à ce sujet la communication récente de MM, Delezenne et Pozerski, 
C. R. Soc. de Biologie, 1903, 7 février. 


OR ER Te cu 


ass 2: 


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SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 199 


à ce suc ses propriétés hémolytiques, c’est qu'il détruit la 
diastase autolysante, dans ce cas la trypsine, et entrave ainsi la 
genèse des principes hémolysants. 

Cette interprétation s'applique également aux ganglions 
lymphatiques. On sait, en effet, depuis les recherches de Sal- 
kowski' et de ses élèves Schwiening ? et Biondi*, de Jakoby", 
de Conradi *, etc., que les divers parenchymes, en particulier le 
foie et le poumon, maintenus à 38°, dans des conditions d’a- 
sepsie rigoureuse, sont capables de s’autolyser et d’engendrer 
des principes dérivés de la digestion des matières albuminoïdes 
(acides amidés, ete.). Cette autolyse des organes s’opère grâce à 
une diastase peptonisante d’origine cellulaire, comme le mon- 


_ trent les expériences de Salkowski, où l’on voit que le chauffage 


préalable des organes à la température de 100°, température à 
laquelle cette diastase autolysante se détruit, empêche sensible- 
ment l’autolyse®. 

Nous avons soumis l'hypothèse de l’origine autolytique des 
hémolysines ganglionnaires au contrôle de l'expérience et nous 
avons cherché tout d’abord si, en portant le plus rapidement pos- 
sible l'émulsion cellulaire à une température qui détruit le diastase 
autolysante, il était possible d'entraver la formation de ces hémo- 
lysines. A priori, ces recherches doivent mieux réussir avec les 
macrophages de cobaye, puisque dans ce cas la formation des 
principes hémolysants thermostabiles a lieu surtout pendant le 
séjour des extraits en dehors du corps animal. 


Expéerence VIT. — L'éemulsion cellulaire de ganglions de cobaye, chauffee 
pendant 1 heure 1/4 à 610,5, perd ses propriélés hémolytiques. Les gan- 
glions mésentériques prélevés sur 6 cobayes, sont triturés et suspendus 
dans 30c. c. d’eau salée isotonique, On porte le plus rapidement possible une 
partie de cette émulsion cellulaire à 610,5 pendant 1 heure 1/4. On apprécie 
le pouvoir hémolytique de la bouillie cellulaire chauffée et non chauffée, vis- 
à-vis des érytrocytes d’oie. 

Le résultat est le même si le chauffage immédiat de l’ëmulsion cellulaire 
a lieu à 680 (25 m.), 700 (4/2 h.) et 700,5 (45 m.). 


. SALKONwWSKT, Zeitschr. für ke. Med. vol. xvir, 1890 (vol. supplémentaire) 

. SCHWIENING, Virch. Arch., vol. cxxxvi, p. #44, 

- Bronnr, Vérch. Arch., vol. cxurv, p. 373. 

. Jaxo8y, Zeitsehr. für physiol. Chemie, vol. xxx, 4900. 

. Coxrant, Beitr. sur chem. Physiol., vol, 1, 1902, p. 136, 

. Rappelons que Conradi a trouvé dans les extraits et organes autolysés 
des principes hémolytiques thermostabiles (Beitr. zur chem.Physiol..vol 1,1902, 


© Or #= © LO 


. p. 144). 


200 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Quantité 


d’émulsion. 


A0 QC 


ExpÉRIENcE VII. — L'extrait rapide de ganglions de cobaye, chauffé pen- 
dant À heure à 560, perd son pouvoir hémolytique. — On prépare un extrait 
rapide au moyen des ganglions mésentériques prélevés sur 8 cobayes. On 
porte le plus rapidement possible une partie de cet extrait à 560 pendant 
1 heure, et on apprécie son pouvoir hémolytique vis-à-vis des globules rouges 
de lapin. 


Quantité 


ox tante Non chauffé. Chauffé à 560, 


pa, PR 
\ 


0 
0 
0 
0 
0 
0 


Ces expériences montrent quesil’on a soin de soumettre soit l’émulsion 
cellulaire, soit l'extrait rapide de ganglions lymphatiques de cobaye à 
l'influence de la chaleur, on enlève tout pouvoir hémolytique à cette 
émulsion ou à cet extrait. Dans ce cas, la chaleur, en détruisant la 
diastase autolysante, suspend l'autolyse et empêche la genèse des dérivés 
thermostabiles doués de propriétés hémolytiques. C’est là une vérifi- 
cation absolue de l’expérience de M. Metchnikoff, dont nous 
avons parlé au commencement de ce mémoire. Il va sans dire 
que cette recherche ne réussit qu’à la condition de faire inter- 
venir la chaleur le plus rapidement possible, pour le motif que 
si on laisse s’écouler un certain intervalle entre la préparation 
de l'extrait et le chauffage, l’autolyse peut s’opérer et aboutir 
à la formation de principes hémolytiques thermostabiles. 

Nous avons précisé ce dernier point du problème, en recher- 
chant quel estle moment où l’inactivation de l’extrait ganglion- 


le 
]ls 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 2(M 


naire est encore possible. Voici quelques expériences ayant trait 
à ce sujet : 


Expérience IX. — Influence du temps sur la formation des hémolysines 
thermostabiles. a) Émulsion ganglionnaire. On prépare une émulsion cellu- 
laire à l’aide de ganglions mésentériques prélevés sur 6 cobayes. On met une 
partie de cette émulsion en contact avec 1 goutte de sang d'oie, et on mar- 
que le moment où l’hémolyse est complète. 


Ho nue Emulsion non Émulsion ch, à 
chauffée : 0,75. 6195 : 0,75 
9 h. 40 0 0 
3 h e 0 
4 h. © 0 
tie C 0 
20 h. ( (] 


Il résulte que la dissolution des globules rouges s'achève vers la 3e heure. 
Il s’agit de préciser si les principes hémolytiques qui, à ce moment, agissent 
sur ces globules, sont tnermolabiles ou thermostabiles. Pour cela, on a soin 
de mettre à 380, en même temps que les tubes de l'expérience précédente, 
ce qui restait de l’émulsion cellulaire, et de retirer une partie de cette émul- 
sion au moment où l'hémolyse était complète dans ces tubes (3° heure). On 
se débarrasse des cellules au moyen de la force centrifuge et de la filtration, 
et on répartit le liquide en deux portions « et b. On soumet b pendant une 
1/2 heure à 620 et on essaye son pouvoir hémolytique vis-à-vis des érytro- 
cytes d'oie. 


Quantité 
de liquide. 


Cette recherche montre que l’éemulsion ganglionnaire, maintenue pendant 
3 heures à 380, peut être encore inactivee. Qu'advient-il plus tard ? 

Une nouvelle portion de la même émulsion séjourne 5 heures à 380, et 
15 heures à 8°; on procède comme dans l'expérience précédente et on porte 
b pendant 1/2 heure à 620. On apprécie son pouvoir hémolytique vis-à-vis 
des globules rouges d’oie. 


202 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


Quantité 
de liquide. 


On voit qu'après cet intervalle de temps, le chauffage ne fait qu'atténuer 
légèrement le pouvoir dissolvant de l'émulsion ganglionnaire. 

b) Extrait ganglionnaire. — On prépare un extrait rapide (1/2 heure de 
séjour à la température de la chambre) à l'aide de ganglions mésentériques 
prélevés sur 10 cobayes. On répartit cet extrait en 4 portions (a, b, c et d). 
« est porté immédiatement à 550,5 pendant 1/2 heure; b, c et d restent un 
temps variable à 380 et à la glacière. Ce temps une fois écoulé, on inactive 
ces extraits à 550,5. On apprécie le pouvoir hémolylique vis-à-vis des globules 
rouges de lapins. 

À c. c. EXTRAIT — À GOUTTE SANG 


RÉSULTAT APRÈS 
TE 


1 heure. 2 heures. 3 heures. 4 heures. 
—_— ET | re sil Se 


Temps écoulé 
de l'inactivation 


jusqu'au moment 


Ch. |? ch.| Ch. Î|N .| Ch. [Nonch.| Ch. 


0 - > 0 


10 h.: ; 0 , ar ; C pe 
46 h. >: ar ë n C 


1. Cette série est restée, après l’inactivation, 10 heures à la température de la chambre, 
et a été ensuite placée à 380. 
2. Dont 10 heures à 382 et 6 heures à la température de la chambre. 


Ces expériences montrent que lorsqu'il s'agit de l'extrait rapide 
de ganglions de cobaye, extrait qui S'autolyse avec une extrême inten- 
sité, l’inactivation ne réussit qu'à la condition de faire intervenir la 
chaleur dans un délai qui ne dépasse pas 3 heures. Au delà de cette 
limite il devient impossible de détruire le pouvoir dissoloant de cet 
extrait, qui à eu aussi le temps de s'autolyser et d’engendrer des 
principes hémolytiques thermostabiles. Si, dans le cas de lémulsion 
cellulaire, ce délai est sensiblement plus long, cela tient au fait 
que, dans les liquides chargés de cellules, l’autolyse s’opère 
avec une certaine lenteur et, par suite, la formation de ces 
principes hémolytiques est plus tardive. 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 203 


Nous avons essayé d’autre part d'isoler la diastase autolysante 
au moyen de la précipitation alcoolique ou de l’extraction par 
la glycérine. 


EXPÉRIENCE X. — La dinstase autolysante des ganghons lymphatiques de 
cobaye. — On prépare un extrait rapide à l'aide de ganglions mésentériques 
prélevés sur 9 cobayes. 14 c. ce. de cet extrait sont traités avec 426 c. c. alcool 
absolu. Le précipité formé est recueilli, lavé, débarrassé de l'alcool, et 
repris par 10 c. c. d'eau salée isotonique. Après 20 heures de contact à 80, 
on recueille le liquide surnägeant 1), et on soumet une partie de ce liquide 
à 700 pendant une 1/2 heure, 

On prépare à ce moment un nouvel extrait ganglionnaire G; on porte 
une partie de cet extrait à 560 pendant 1/2 heure. L'expérience est disposée 
comme il suit (sang de lapin) : 


a) D Er G SEULS, ACTIFS ET INACTIFS (560) 


Quantité D D G G 
de liquide. actif. 700 actif. 560. 


b) D acrir + G ixactir (56°) 
D iwacrir (70°) + G iacrir (56°) 


Ainsi, la précipitation par l'alcool nous donne le moyen d'isoler, 
de l'extrait rapide de ganglions lymphatiques de cobaye, un principe 
diastasique qui ne jouit d'aucune action dissolvante vis-à-vis des 
érytrocytes de lapin, mais qui, ajouté à un extrait ganglionnaire 


204 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


préalablement inactivé, rend cet extrait hémolytique à l'égard de ces 
érytrocytes. Ce principe diastasique est thermolabile, puisque, 
porté à 70°, il perd ses propriétés réactivantes vis-à-vis des pro- 
duits ganglionnaires. 

Comment expliquer ce fait que la réunion de deux substances 
qui, prises chacune séparément, n’exercent aucune influence 
détériorante sur les globules rouges, constitue un mélange 
doué de proportions hémolysantes? Deux hypothèses s'offrent à 
l'esprit. En premier lieu on pourrait admettre qu'il s’agit ici 
d’un processus analogue à celui qui préside, suivant Bordet, à 
l’action des hémolysines spécifiques, où l’on voit la cytase et la 
sensibilisatrice, inactivées par elles-mêmes, se réunir et former 
une combinaison hémolysante. En second lieu, on pourrait sup- 
poser que la diastase ganglionnaire, mélangée à l'extrait macro- 
phagique préalablement chauffé, provoque l’autolyse de cet 
extrait et aboutit à la genèse de corps hémolysants thermosta- 
biles. Suivant la première de ces hypothèses, le mélange de 
diastase et d'extrait, considéré au moment où la dissolution des 
érytrocytes s’accomplit, doit perdre ses qualités hémolytiques 
sous l'influence de la chaleur. Par contre, d'après la seconde 
hypothèse, le chauffage appliqué au même moment ne doit 
avoir aucune prise sur le pouvoir dissolvant de ce mélange. 

Nous avons soumis ces deux hypothèses au contrôle de 
l'expérience, en procédant de la façon suivante: 


On place à 380, en même temps que les tubes de l’expérience X, un 
mélange constitué par 1 c. c. à de diastase ganglionnaire active, et 4 €. c. 
d'extrait macrophagique inaclivé. Au moment où l’hémolyse touche à sa fin 
dans les tubes témoins, on retire ce mélange et on le soumet pendant 
1/2 heure à 560. On essaye son pouvoir hémolysant à l'égard des érytrocytes 
de lapin, 

Résultat : Dissolution complète. 


Il s'ensuit que le principe qui, dans le mélange de diastase 
ganglionnaire et d'extrait macrophagique inactivé, provoque la 
dissolution de globules rouges, résiste, à l’encontre de la cytase, 
au chauffage prolongé à 56°. Ceci vérifie entièrement l'hypothèse 
suivant laquelle cette diastase agit sur l’értrait ganglionnaire à 
l'instar d'une enzyme autolysante, pour aboutir à la formation de 
corps hémolytiques thermostabiles. 

Ces expériences prouvent qu’il est possible d'isoler la dias- 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 205 


lase autolysante des ganglions lymphatiques de cobaye !, Quelle 
peut être la nature de cette diastase? On pourrait penser que 
l’enzyme autolytique ne soit autre que la cytase des sérums 
normaux, puisque d’une part, suivant les recherches de 
MM. Ebrlich et Morgenroth et de M. Bordet, cette cytase est à 
rapprocher des diastases protéolytiques *, et que, d’autre part, 
les hémolysines des sérums perdent en général leur pouvoir 
dissolvant vers 56°. Cette hypothèse doit être écartée, comme le 
montre l'expérience suivante : 

ExPÉRIENCE XI. — La diastase autolysante n'est pas la cytase. — On pre- 
pare un extrait rapide au moyen des ganglions mésentériques prélevés sur 
> cobayes, et on soumet cet extrait pendant 1/2 heure à 570. On emploie 


d'autre part la cytase renfermée dans le sérum frais de cobaye neuf. Erytro- 
cytes de lapin. 


Extrait Cytase Extrait 

ganglionnaire de ganglionnaire Résultat. 
570 cobaye. actif. 
0,1 0.1 — peu 
0, 0.1 — tr 
0,75 0.1 Je (] 
1,0 0.1 — 0 
1.5 0.1 — 0 
1.0 == Le ù 
E 0.1 — peu 
— — 1,0 © 


La mème expérience répétée en ayant soin d'augmenter la quantité de 
cytase, aboutit à des résultats semblables. 

Il nous semble que la diastase autolysante des ganglions lym- 
phatiques est sinon identique, du: moins très étroitement liée aux 
enzymes protéolytiques, et en particulier à la trypsine. On peut 
appuver la vraisemblance d’une telle conception en premier 
lieu sur le fait que la trypsine inactive ? du suc pancréatique de 
chien (fistule temporaire-sécrétine) devient hémolytique lors- 
qu'on le met en présence de l'extrait ganglionnaire, et que 
d'autre part, si on ajoute de la trypsine active (suc pancréatique 


1. Le procédé d'extraction par la glycérine donne de moins bons résultats. 

2. Suivant Nozrr (ces Annales 1901), la cytase des sérums hémolytiques ne 
jouit pas d’un vrai pouvoir protéolytique. 

3. Suivant les constatations de MM. Delezenne et Frouin (C. 2. de la Soc. de 
Biologie, 1902), et de Delezenne (C. R. de la même Société, 1903, février), le sue 
pancréatique de sécrétine et le suc pancréatique de fistule permanente obtenu 
par cathétérisme, sont dépourvus de pouvoir protéolytique et hémolytique. 


206 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


de fistule permanente) à une émulsion macrophagique, on 
exagère sensiblement la formation des principes hémolytiques 
thermostabiles !. 


CONCLUSIONS 


Les principes hémolysants thermostabiles contenus dans les extraits 
tardifs de ganglions lymphatiques résultent de l’autolyse qui s'opère 
au sein de ces extraits. Cette autolyse a lieu grâce à l'intervention 
d'une diastase élaborée par les cellules qui entrent dans la constitution 
de ces ganglions, les macrophages ow leucocytes inononucléuires, 
diastase qui est thermolabile, et que l’on doit séparer de la cytase et 
rapprocher des enzymes protéolytiques et lipolytiques. De l’action de 
celte diastase autolysante sur les albumines et sur les graisses naissent 
des produits de dissociation, acides aidés, acides gras et savons 
alcalins, auxquels on doit attribuer une partie, sinon la totalité, des 
propriétés hémolytiques thermostabiles des extraits macrophagiques. 


IT 


PRÉSENCE DE LA CYTASE HÉMOLYTIQUE DANS LES EXTRAITS DE GANGLIONS 
LYMPHATIQUES 


Les caractères essentiels de la cytase* hémolytique des 
sérums provenant d'animaux neufs peuvent être résumés de la 
manière suivante : 

En premier lieu, cette cytase est capable, suivant l’espèce 
animale qui fournit le sérum, de dissoudre les érytrocytes d’une 
espèce étrangère. En second lieu, elle réactive un immun-sérum 
hémolytique préalablement chauffé à 56°, En troisième lieu, elle 
engendre, dans des conditions déterminées, une anticytase spéci- 
fique. Enfin, portée à 56° pendant1/2 heure, elle perd, en général ?, 
son pouvoir hémolytique et réactivant. | 

Nous avons recherché, en tenant compte de ces caractères, 
si l'extrait rapide fait à l’aide de ganglions de cobaye renferme : 

1. Ces expériences ont été faites à l'aide de produits mis à notre disposition par 
M. Delezenne, Frouin et Pozerski: que ces messieurs reçoivent nos remercie- 
ments. 

2, Le terme cylase est ici employé dans le sens générique du mot, Il ne pré: 
sume rien quant à la multiplicité des cytases ou compléments -hémolytiques 
contenus dans les sérums provenant d'animaux neufs. 

3. Nous avons déjà vu que MM. Ebrlich et Morgenroth ont mentionné 
l'existence de cytases thermostabiles. 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 207 


une substance que l’on pourrait rapprocher de la cytase des 
sérums. Il est entendu que pour trancher cette question, il ne 
suffit pas d'envisager exclusivement le pouvoir hémolytique de 
ces extraits et le fait que ce pouvoir disparaît sous l'influence 
de la chaleur. Nous avons vu, en effet, que, d’une part, les 
propriétés hémolysantes des extraits macrophagiques sont dues 
en grande partie à l'intervention des principes thermostabiles 
issus de l’autolyse, et que, d’autre part, l’action nocive des hautes 
températures s'explique par l'hypothèse de la diastase autoly- 
tique. Ce qu'il faut surtout étudier, c’est l'influence réactivante 
que les extraits de ganglions lymphatiques exercent soit à 
l'égard des érytrocytes préalablement chargés de sensibilisatrice, 
soit vis-à-vis d’un immun-sérum hémolytique. 

ExPÉRreNcE XII. — Présence de la cylase hémolytique dans l'émulsion cel- 
lulaire de ganglions lymphatiques de cobaye. — On prépare une émulsion 
cellulaire à l’aide de ganglions mésentériques prélevés sur 5 cobayes. Après 
2 ‘heures de.séjour à la température de la chambre, on porte une partie de 
cette émulsion à 55° pendant 1h. 1/2. D'autre part, on sensibilise des érytro- 
cytes de lapin au moyen d'une sensibilisatrice obtenue en injectant à des 


cobayes des globules rouges de lapin (dose dissolvante pour { goutte de sang, 
en présence de 0,2 cytase de lapin — 0.1 €. c.). 


EXTRAIT ACTIF EXTRAIT 550. 
— an” "CR ee Re ÉD IEEE 
Quantité 
Glob. sensibilisés. Glob. normaux. G1. sensib.|Gl. norm. 
RIRE RE SRE ER Ant  ——  —— 


Expérience XIII. — Presence de la cytase hémolytique dans lextrail de 
ganglions lymphatiques de cobaye *. 
a) Globules rouges sensibilisés. — On prépare un extrait rapide à l’aide de 


ganglions mésentériques prélevés sur 5 cobayes ; on porte une partie de cet 
extrait à 55° pendant 1/2 heure. D'autre part, on sensibilise des globules 


1. Cette expérience réussit infiniment mieux lorsqu'on se sert d'une sensibi- 
lisatrice fournie par le cobaye, que dans le cas où l'on emploie un immun-kôrper 
provenant de lapins immunisés. 


208 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


GLOBULES SENSIB. GLOBULES SENSIB. 
A A  — 


Extrait gangl. [Extrait gangl. 


non chauffé. 560. 


b) Réactivation de la sensibilisatrice. — On emploie 2 extraits macropha- 
giques de cobaye, « et b. Le premier a été préparé immédiatement après 
l'extirpation des ganglions lymphatiques; le second a été obtenu après un 
séjour de l’émulsion cellulaire pendant 3 heures à 380. On se sert de la 
sensibilisatrice utilisée dans l'expérience XII. 


1) EXTRAIT GANGLIONNAIRE IMMÉDIAT (4) 


Extrait gangl. [Extrait gangl. Sérum RESDCTÉPERERES 


Sensibilisatrice 


TT 
actif 550. de cobaye 560.| 3 h. à 380. 20 h. à 80. 


0,1 — 0,1 — 0 0 
0,3 _ 0,1 — peu peu 
0,75 — 0,1 — bcp pe 
0,1 — — 0.1 0 0 
0,3 — 0,1 0 0 
0,75 — 0,1 (] 0 
— 0,75 0,1 — 0 0 
— 0,75 — 0,1 0 0 


L’extrait ganglionnaire tardif (b) a donné les mêmes résultats. 

Ces expériences montrent que l'extrait rapide où l’émulsion 
cellulaire des ganglions lymphatiques de cobaye hémolysent plus 
promptement les érytrocytes chargés de sensibilisatrice que les globules 
rouges dépourvus de cette sensibilisatrice, et que, d'autre part, ce pou- 
voir hémolytique est détruit par le chauffage à 56°. On voit également 
que les mêmes produits macrophagiques réactivent aisément l'immun- 
sérum fourni par les cobayes qui reçoivent en injection sous-cutanée 
des globules rouges de lapin. Ce sont là des faits qui prouvent 
suffisamment l'existence de la cytase hémolysante dans les gan- 
glions lymphatiques de cobaye. 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 209 


On pourrait pourtant objecter que le pouvoir réactivant de 
ces extraits, loin d’être attribuable à la vraie cytase, est dû en 
réalité à l'intervention desprincipes hémolytiques thermostabiles, 
d’origine autolytique. Les recherches suivantes permettent 
d’écarter entièrement cette objection. 


ExPÉRIENCE XIV. — Le pouvorr reactivant des extraits macrophagiques 
n'est pas dù à l'intervention des substances hémolytiques thermostabiles. 

a) On détermine la quantité minima de sérum de cobaye neuf, préalablement 
inactivé à 260, qui entrave l’action dissolvante exercée par 1 c. c. d'extrait 
ganglionnaire sur une goutte de sang de lapin. Le pouvoir hémolysant de 
cet extrait a été apprécié après un temps variable de séjour à 38° et 8o, 


RÉSULTAT APRÈS 


TRS | 


de séjour 1 heure. 2 heures. 3 heures. 4 heures. 


à 380et à | Extrait Extrait Extrait Extrait Extrait Extrait Extrait Extrait 
+ 0,3 + 0,3 + 0,3 — 0,3 
seul. sérum, seul. sérum. seul. sérum. seul. sérum. 


1. Dont 10 heures à 389 et 6 heures à la température de la chambre. 


Il résulte que 0,3 de cobaye neuf, préalablement inactivé à 560, neutralise 
complètement 1 c. c. d'extrait ganglionnaire, quel que soit le temps pen- 
dant lequel cet extrait a séjourné à 380 ou à la glacière. 

b) Dans la seconde partie de l'expérience on essaye le pouvoir réactivant 
du même extrait macrophagique vis-à-vis de 0,03 c.c.de sensibilisatrice hémo- 
lytique *. Mème disposition que dans la recherche précédente. On maintient 
une partie de l'extrait pendant une demi-heure à 560. 


RÉSULTAT APRÈS 
Temps 
de séjour 
de l'extrait 
à 380 et à 


210 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Il découle de cette expérience que 1 c. ce. d'extrait rapide de 
ganglions de cobaye réactive presque entièrement 0,3 ec. c. de 
sensibilisatrice. Or, à cette dose, le sérum normal, et par consé- 
quent aussi le sérum qui renferme cette sensibilisatrice, entra- 
vent complètement l’action dissolvante des hémolysines ther- 
mostabiles contenues dans 1 €. c. de cet extrait. Ceci démontre 
d’une manière non douteuse que les propriétés réactivantes de 
l'extrait rapide de macrophages sont véritablement dues à la cytase, et 
non pas aux principes hémolysants thermostabiles issus de l’autolyse. 

D'ailleurs, il suffit de comparer les résultats fournis par 
l'expérience XIV (b), à ceux qui découlentde la-recherche IX (b), 


pour se persuader qu'une opposition des plus frappantes existe _ 


entre la cytase ganglionnaire et les substances hémolytiques 
thermostabiles des extraits macrophagiques. Tandis que la pre- 
mière s’atténue sensiblement pendant son séjour à 38°, au point 
de devenir incapable de réactiver la sensibilisatrice, les secondes 
se développent de plus en plusdans ces conditions, pour atteindre 
leur maximum d’action vers la fin de l'expérience. 

On peut donc conclure de l’ensemble de ces recherches que 
les propriétés hémolytiques et réactivantes des extraits macropha- 
giques témoignent d’un processus assez complexe. D’une part, 
ces extraits sont le siège de phénomènes d'autolyse qui aboutis- 
sent à la formation d’hémolysines thermostabiles ; d’autre part, 
il apparaît clairement qu’en dehors de ces hémolysines d’origine 
autolytique, ces extraits renferment une cytase identique à celle 
du sérum, puisqu'elle est capable de réactiver une sensibilisatrice 
spécifique. Si l’on ajoute le fait que, dans des conditions détermi- 
nées’, on peut, eninjectant à deslapinsdes extraits ganglionnaires 
de cobaye,engendrer une anticytase* ,onseconvaincre plus encore 
de la présence de cette cytase dans les produits HPonPennes 

* TE 
Plusieurs recherches que nous avons entreprises dans le but 


. Le résultat fourni par nos recherches a été manifestement positif, quoique 
le nan anticytasique du sérum des animaux qui recevaient, en injection inira- 
péritonéale, desextraits ganglionnaires, fût loin d'égaler celui des vrais sérums anti- 
complémentaires. Néanmoins, ces recherches n’en sont pas moins probantes 
puisque d’autres auteurs, en particulier Wassermann (Z1f. für Hyg., 1901, juin), 
Donath et Landsteiner (W ten. kl. Woch. 1901, juillet) et Ascoli (Wunch. med. 
Woch. 1901, n°3#%), dans des expériences entreprises dans une même direction, 
A, été plus heureux que nous. 

2. L'action de cette anticytase a été éprouvée soit vis-à- vis du sérum de cobaye 
AL soit en présence d’une sensibilisatrice. 


st 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 241 


de préciser si lesextraits de ganglions lymphatiques renferment, 
en dehors de la cytase hémolytique, une alexine capable de réac- 
tiver la sensibilisatrice bactériolytique, nous ont conduit à des résul- 
tats qui méritent d’être signalés. 


ExpÉRiENcE XV. — Presence de la cytase bactériolytique dans l'extrait 
rapide de ganglions lymphatiques de cobaye. On se sert d'un extrait rapide de 
ganglions mésentériques de cobaye; une partie de cet extrait est maintenu 
pendant une demi-heure à 560. D'autre part, on emploie un immun-sérum 
anti-cholérique, fourni par un lapin auquel on a injecté plusieurs fois de 
suite des cultures tirées de Vibrio Cassino. 


Nombre 


Extrait gangl. Extrait gangl. . Cytase 
5 des colonies. 


actif. 560, de cobaye. Sensibilisatrice. 


QC 


Cr © 10: 


0. 
0, 
0 
0, 
0 
(D 
0. 
0 
0. 
0, 
0. 
Ô 


Do Us 00 00 Go 00 Go Uo US Ze V9 


lee El 
[==] 


=|l 


Cette expérience, répétée plusieurs fois, montre que l'extrait 
de macrophages renferme une cytase bactériolytique capable de réae- 
tiver l'immun-sérum anti-cholérique. Néanmoins le pouvoir réac- 
ti ant de cette cytase est sensiblement inférieur à celui que l’on 
-enregistre lorsqu'on s'adresse à une sensibilisatrice hémolytique,. 
Plus encore, il'suffitde comparer l’action bactéricide de l'extrait 
ganglionnaire seul à la bactériolyse exercée par une dilution de 
sérum frais, pour se convaincre du fait que cette action est de 
beaucoup inférieure à celle de ce sérum. Les propriétés hémoly- 
santes des macrophages, envisagées comme un résultat de l'intervention 
des principes autolytiques thermostabiles et de la cytase, sont sensi- 
blement plus accentuées que les fonctions bactériolytiques de ces 
cellules. 

_ Cette conclusion, qui découle d’un ensemble de faits observés 
an vitro, confirme pleinement les constatations de Metchnikoff et 


212 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de sesélèves concernant le rôle de ces macrophages dans le conflit 
qui a lieu entre l'organisme vivant et les éléments étrangers, 
microbes ou cellules. Il est actuellement hors de doute que 
chaque fois que l’on introduit dans un organisme quelconque des 
éléments cellulaires, érytrocvtes, spermatozoïdes ou épithéliums 
vibratiles, provenant d’une espèce étrangère, ce sont ces macro- 
phages qui se chargent de l’englobement et de la digestion de 
ces éléments. Dans un travail. publié dans ces Annales, nous 
avons eu déjà l’occasion d’insister sur ce fait; nous avons alors. 
démontré que l'injection d’une hémolysine spécifique dans la 
cavité péritonéale des cobayes exagère au plus haut point l’éry- 
trophagocytose dans la rate, et que, dans ce cas, il est possible de: 
déceler dans la circulation générale des macrophages renfermant 
quantité de globules rouges. Or, dans toutes ces expériences, et 
encore plus quand on s’adresse à des animaux normaux,le rôle joué: 
par les polynucléaires est de beaucoupinférieur à celui des macro- 
phages. Par contre, dans la lutte que l'organisme animal entre- 
prend contre les microbes pathogènes, sauf de rares exceptions. 
(tuberculose, etc.,) ce sont ces leucocytes polynucléaires qui 
entrent en ligne, pour englober ces microbes et les détruire aw 
sein de leur protoplasma. On n’est donc guère surpris quand om 
voit que dans les recherches faites in vitro, le pouvoir cytolytique 
des globules blancs mononucléaires apparaît d’une manière 
aussi frappante. 


IV 
Étude parailèle des leucocytes polynucléuires et des macrophages, a 
point de vue de leurs propriétés bactériolytiques et cytolytiques. 


Les observations exposées jusqu'ici se rapportent exclusive- 
ment aux leucocytes mononucléaires, puisqu'elles ont été 


recueillies en expérimentant sur les ganglions lymphatiques, 


source principale, sinon unique, de cesleucocytes. Ilétait indiqué. 
de rechercher quelles sont, au point de vue hémolytique et bac- 
tériolytique, les propriétés des globules blancs polynucléaires, … 
et si l’on ne pourrait pas saisir une certaine différenceentreces » 
deux ordres de leucocytes. On sait, depuis les constatations déjà 
anciennes de Shattenfroh, confirmées maintes fois depuis, que … 
les extraits de globules blancs polynucléaires sont entièrement … 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 213 


dépourvus de qualités hémolysantes. Voici une expérience qui 
vérifie pleinement cette assertion : 


ExPéRiENcE XVE — L'extrait de leucocytes polynucleaires est dépourvu de 
proprietes hemolytiques. Deux cobayes reçoivent dans la cavité péritonéale 
4c. c. d'une émulsion épaisse de levure de bière, préalablement lavée et 
maintenue pendant 3/4 d'heure à 560, On sacrifie les animaux 18 heures après 
l'injection et on recueille l'exsudat péritonéal, riche en polynucléaires. On 
-sépare les cellules au moyen de la force centrifuge, on les lave et on les sus- 
pend dans 8 e, c, d’eau salée isotonique. Après 20 heures de contact à la 
température de la chambre, on obtient un liquide clair, dont on soumet une 
partie à 56° pendant 3/4 d'heure. On essaye le pouvoir hémolytique de cet 
æxtrait vis-à-vis des érytrocytes de lapin. Cytase de cobaye. 


Æ 


Extrait actif. Extrait 560. Résultat 


L'absence de toute trace de propriété hémolytique dans les 
æxtraits de leucocytes polynucléaires peut s’expliquer de deux 
manières. D'une part, on peut supposer que ces leucocytes, 
à l'encontre des macrophages, sont dépourvus de cytase hémo- 
. Jytique; d'autre part, il est possible que les polynucléaires 
n'élaborent pas la diastase autolysante que nous avons mise en 
-évidence chez les mouonucléaires et qu'ils soient, pour cela, inca 
pables de s’autolyser et d’engendrer des produits hémolysants 
. thermostabiles. Nous avons soumis cette dernière interprétation 
_ _aucontrôlede l'expérience, et nous avons recherché silesextraits 
. de leucocytes polynucléaires renfermentun principe diastasique 
_ pouvant réactiver un extrait ganglionnaire, préalablement 

-chauffé à 56°. Voici une expérience qui a trait à cette question. 

ExPpÉRIENcE XVII, — Les leucocytes polynucléaires ne renferment pas de 
… diastase autolysante. Quatre cobayes reçoivent dans la cavité péritonéale 
+ 40 c. c. d’une émulsion d’aleurone. On sacrifie les animaux 18 heures après 
“4 l'injection et on recueille l’exsudat péritonéal, riche en polynucléaires. Les 
 Aeucocytes isolés au moyen de la force centrifuge, servent à la préparatiou 
… «d'un extrait rapide P (1 h. 1/2 de séjour à la température du laboratoire), 


214 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


D'autre part, on prépare un extrait rapide de ganglions lymphatiques- 
prélevés sur les mêmes animaux (M). On inactive une partie de cet extrait à 
56°. Erytrocytes de lapin. 


M actif. Résultat. 


Le 
ne 
SE PA 
SS0 00 


[r] 


L'extrait préparé à l'aide de leucocytes polynucléaires est donc: 
non seulement dépourvu de propriélés hémolysantes, mais encore inca- 
pable de rendre hémolytique un extrait macrophagique préalablement 
inactivé à 56°. IL y a donc là une différence frappante entre les 
microphages et les macrophages, ces derniers, comme nous 
l'avons déjà établi, possèdent une diastase autolytique qui 
réactive cet extrait macrophagique. Cette différence persiste, 
quoique à un degré plus faible, entre les propriétés bactériolytiques 
des extraits. 


ExréRENcE XVII. — Pouvoir hémolytique el bacteriolytique des extraits 
de leucocytes polynucléaires et mononucléaires. Huit cobayes reçoivent dans 
la cavité péritonéale 10 c. c. d'une émulsion épaisse de levure, préalable- 
ment lavée. On sacrifie les animaux 20 heures après l'injection et on recueille 
l’exsudat péritonéal, riche en leucocytes polynucléaires. On prépare à l’aide 
de ces leucocytes un extrait rapide D (1 h. 1/2 de contact à la température 
du laboratoire), On emploie d'autre part un extrait rapide de ganglions 
mésentériques, que l’on inactive à 560 (H). 


(4) HÉMOLYSE (ÉRYTROCYTES DE LAPIN) 


RÉSULTAT APRÈS 


nm le ne 
esse 


cs 


PR PA NOT ETS Re ee CT 2 CAM RER EE LARAE LE 2 0 


U 


: 


SUR LES HÉMOLYSINES CELLULAIRES 915 


b) BACTÉRIOLYSE 


On se sert d'une sensibilisatrice anticholérique fournie par un mouton 
qui a reçu plusieurs injections de cultures mortes et vivantes de vibrion du 
Caire, On étudie le phénomène de Pfeiffer, in vitro. On ajoute dans chaque 
tube une goutte d’une émulsion vibrionienne, pour 2 c. c. de liquide. On se 
sert comme témoin de la cytase de cobaye. 


Résultat après 4 h. 1/2 de séjour à 380. 


TT PE 


Sepsibili- 
satrice. 


Quantité 
d'extraits de 
cytase. 


P M 
CE 


» 


> gouttes peu de agel. forte pas de 
eranulations granulations 
5 gouttes | 0, transf. aggl. forte peu dé 
granulaire | gran. 
partielle 
gouttes | 0,: transf. peu | transform. 
granulaire d’amas. | granulaire 
complète | partielle 


na oran eee neue ner ee EPL PRE ET A 
5 gouttes-| 1, idem 0. agglut. ltransf. gran. 
partielle 


rte agglutination 


transf. gran. 
presque complète 


Cette expérience, confirmant les recherches précédentes, 
montre que l'extrait de globules blancs polynucléaires est entièrement 
dépourvu de propriétés dissolvantes à l'égard des globules rouges. Elle 
prouve, d'autre part, que les qualités bactériolytiques de cet extrait 
sont sensiblement plus accentuées que celles de l'extrait macrophagique: 
Cela démontre suffisamment l'opposition qu'il y a lieu d'établir 
entre les deux ordres de globules blancs étudiés, globules qui 
jouissent d’un pouvoir microbicide inégal, et qui se comportent 
si différemment au point de vue hémolytique. 

_ Mais cette opposilion entre ces deux catégories leucocytarres 
ne se borne pas là. Il nous a été, en effet, possible de constater 
que les exsudats riches en polynucléaires, loin de favoriser le pouvoir 
hémolysant des produits macrophagiques, exercent vis-à-vis de ces 
produits une action empéchante des plus manifestes. 

Expérience XIX. — Action empèchante de l'exsudat péritonéal riche en 
polynucléaires (précipité alcoolique) vis-à-vis des hémolysines thermostabiles 
des ganglions lymphatiques. Huit cobayes reçoivent dans la cavité péritonéale 


10 c. c. d’une émulsion épaisse d’aleurone. On sacrifie les animaux 18 heures 
après l'injection et on introduit dans le péritoine de chaque cobaye 2 c. c, 


216 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


d’eau salée isotonique. On recueille ainsi 48 c. c. d’exsudat riche en polynu- 
cléaires, que l’on soumet à la force centrifuge, après 2 heures de séjour à la 
température du laboratoire. On obtient 14 c. c. d'un liquide clair, que l’on 
traite avec 9 volumes d'alcool absolu. Le précipité est recueilli, débarrassé 
de l'alcool, et suspendu dans 15 c. c. d'eau salée. Après 20 heures de con- 
tact à 80, on centrifuge de nouveau, et on essaye le pouvoir empêchant de 
l'extrait ainsi préparé, vis-à-vis de l’hémolyse produite par un extrait gan- 
glionnaire rapide. 


Extrait Extrait 


ganglionnaire. |de polynucléaires. Résultat. 


. 


2 
(E 
0 
1 
4 
2 


euoure 


3 


CONCLUSIONS GÉNÉRALES 


Il résulte de l’ensemble de ces recherches que l’on ne saurait pas 
identifier, au point de vue bactériolytique et surtout hémolytique, les 
deux catégories de leucocytes étudiés. Tandis que les macrophages des 
ganglions lymphatiques, grâce à leur faculté autolytique et à la cytase 
contenue dans ces ganglions, apparaissent comme une source impor- 
tante d'hémolysines, les polynucléaires puisés dans l’exsudat périto- 
néal sont dépourvus de toute trace de propriétés hémolytiques, appré- 
ciables in vitro. 1! en est de même, quoique à un plus faible degré, 
des qualités bactéricides de ces espèces leucocytaires. Ce sont les polynu- 
cléaires qui, à ce point de vue, jouent le rôle principal, tandis que 
les macrophages, sans être exempts de principes capables de réactiver 
une sensibilisatrice bactériolytique, en sont moins riches que les 
polynucléaires. 


Ÿ 


Sur la flore microbenne thermophile 


DU CANAL INTESTINAL DE L'HOMME. 


Par Mile TSIKLINSKY 


Moscou, Institut bactériologique de l'Université. 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) 


L'étude de la flore microbienne du canal intestinal de 
l’homme a pris, dans ces derniers temps, une importance consi- 
dérable. Aussi ai-je accepté avec un vif plaisir la proposition 
qui m'a été faite par mon maître, M. Metchnikoff, qui a réveillé 
cette question d'étudier les microbes « thermophiles » du canal 
intestinal de l’homme. Cette étude se rattachait intimement à 
mes travaux précédents ‘, consacrés au phénomène de la ther- 
mobiose. 

Mes recherches se divisent en deux parties : la première 
contient les expériences faites sur le méconium et les fèces des 


- nourrissons; la seconde, les expériences qui ont été faites sur 


les fèces des adultes. 
Le premier travail important sur ce point revient à M. Esche- 


_ rich?. D'après ce savant, déjà quelques heures après la naissance 


de l’enfant, les microbes apparaissent dans son canal intesti- 
nal, introduits probablement par la bouche, ou par l'anus. 
La constitution de la flore du méconium est tout à fait acci- 
dentelle et offre un aspect très bizarre. À partir du 4° ou du 
5° jour, une flore des fèces s'établit pour rester ensuite invariable 
pendant tout le temps que l’enfant est au sein. Cette flore se 


. distingue alors par une grande uniformité et par une stabilité 


étonnantes. Deux espèces de bacilles prédominent : le bac. coli 


_ communis et le bac. lactis aérogenes : outre ces deux baailles, on 


observe généralement un petit nombre de coccus, de bacilles. 


1. Sur les mucédinées thermophiles, An. de l'Institut Pasteur, 1899, vol. 13. 

Sur les microbes thermophiles des sources thermales, An. de l'Institut Pasteur 
4899, p. 788. 

2. Escaerica, Die Darmtacterien des Sauglings, 1886. 


218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Ces bactéries, se présentent toutes, surtout le bac: 
coli communis et le bac. lactis aerogenes, comme des agents de fer- 
mentation lactique. Par contre, elles n’agissent que très faible- 
ment sur les matières albuminoïdes (caséine). 

Les recherches de M. Escherich ont été complétées par 
d’autres travaux, par le mémoire si intéressant, récemment 
publié par M. Tissier ‘. | 

Le microbe qui prédomine dans les fèces des nourrissons 
est, selon Tissier, un bacille particulier, le bac. bifidus : c’est un 
anaérobie obligatoire, et si M. Escherich n’a pas réussi à l’isoler 
en culture pure, c’est probablement par suite de l’imperfection 
des méthodes dontil s’est servi. 

À part le bac. bifidus, Tissier a isolé des fèces des nourris- 
sons les bac. coli communis, bac. lactis aerogenes et streptococcus 
intestinalis : la part que toutes ces bactéries prennent dans la 
digestion de l'enfant est insignifiante. D’après une communica- 
tion verbale, M. Tissier estime que le rôle du bac. bifidus, ainsi que- 
des trois autres espèces les plus fréquentes dans le canal intes- 
tinal des enfants, est de protéger leur organisme contre linva- 
sion des microbes étrangers nuisibles, comme, par exemple, des 
microbes de putréfaction. 

Comme matières pour mes recherches, j'ai eu à ma disposi- 
ton 20 échantillons de méconium et de fèces d'enfants (entre 
le 1** et le 8° jour après la naissance) provenant de la Maison 
d'accouchement de Moscou*. J’ai étudié 18 autres cas à Paris. 
Ces derniers 18 cas ont été observés, suivant le conseil de 
M. Metchnikoff, dans le but de savoir si la flore intestinale des. 
enfants change, ou non, sous l'influence des conditions climaté- 
riques. 

Bien que l’objet direct de mes recherches füt l'étude des 
microbes thermophiles des fèces d’enfants, j’ai néanmoins considéré 
. comme utile, pour m'orienter mieux, de commencer par l'étude 
du tableau microscopique général, que présentent les fèces. 
d'enfants. L'opinion que je me suis faite est en accord général 


4. Tissier, Pecherches sur la flore intestinale du nourrisson, 1900. 

2. Les matières pour ces recherches m'ont été obligeamment procurées par le- 
D: Vlassievsky, auquel j'adresse ici mes remerciements. 

Les enfants de Paris [âgés également de 1 à 8 jours) appartenaient à la Maison 
d'accouchement de Baudelocque. — C'est sur des enfants sains que les recher- 
ches ont été faites, dans les deux séries d'expériences. 


’ 


RUN HEEA SRE LP EME ES AE A RSR OS 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L'INTESTIN. 219 


avec les données d'Escherich et de Tissier, J’ai observé, en 
effet, l'infection du méconium 8 ou 10 heures après la nais- 
sance de l'enfant; puis l'élévation graduelle de cette infection 
les 4 premiers jours, et enfin, l'établissement de la flore uniforme 
dans les jours suivants. Dans les fèces des enfants de Moscou, 
tout aussi bien que chez les enfants de Paris, c’est invariable- 


ment le bac. bifidus qui prédomine, à un si haut degré, qu’un 


frottis de fèces depuis le 5° ou le 6° jour, jusqu'au jour où l’en- 
fant est nourri au sein, présente, pour ainsi dire, une culture 
pure de bac. bifidus. Le bac. coli communis et le bac. lactis aérogenes 
ne s observent qu’en quantité peu considérable. 

Mais c’est surtout dans les fèces des enfants de Paris que 
j'ai observé le tableau si typique, qui concorde complètement 
avec la description donnée par M. Tissier. À Moscou la concor- 
dance était moins rigoureuse; il est vrai qu'à partir du 4° ou 
du 5e jour, c’est Le b. bifidus qui prédominait : mais, à côté de ces 
cas typiques, nous avons pu en constater d’autres où, outre le 
bac. bifidus, lon observait la présence de beaucoup d’autres mi- 
crobes ; des coceus gros et petits, isolés et réunis par deux, ainsi 
que différents bacilles, ne ressemblant pas au bac. bifidus. On doit 
peut-être mettre cela au compte de la différence dans les soins 
de propreté donnés aux enfants. 

Pour ce qui est du méconium, on n’a pas pu constater liden- 
tité complète entre les tableaux microscopiques de Paris ét ceux 
de Moscou. J’ajouterai seulement que, dans la plupart des cas, 


_ conformément à la description donnée par M. Escherich, on a 


trouvé dans le méconium de l’une et de l’autre provenance le bac. 
de Bienstock, un grèle bätonnet, portant une spore ronde à l’une 
de ses extrémités et un bacille, portant une spore en son milieu. 

Cela posé, voici la méthode dont je me suis servie pour 
isoler en culture pure les microbes thermophiles, J’ensemencçais 
les matières fécales, prises aseptiquement (avec 2-3 anses de 
platine par tube) dans des tubes contenant différents milieux 
nutritifs : la gélose ordinaire, glycérinée et sucrée: le bouillon 
ordinaire et additionné de lait, le lait, la pomme de terre, le 
sérum coagulé. Dès qu’on observait une multiplication, on 
faisait des plaques de gélose, et des colonies obtenues on 
isolait des cultures pures des microbes. Afin d’être certaine de- 


la pureté des cultures, je faisais ordinairement à plusieurs- 


‘220 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


reprises des plaques de chaque espèce de colonie obtenue. 

Je tiens à noter qu’en coulant des plaques de microbes 
thermophiles, je me suis heurtée quelquefois à des difficultés 
inattendues : souvent je n’obtenais sur les plaques aucune crois- 
sance, même à une faible dilution; quelquefois, au contraire, 
j'observais une croissance uniforme confluente où il était impos- 
sible de distinguer des colonies. 

Je ne parvenais pas toujours à éviter ces derniers inconvé- 
mients, même en faisant une forte dilution et en prenant des : 
précautions contre l'influence fâcheuse de l’eau éliminée par la 
gélose, qui, en se répandant sur la surface du milieu nutritif 
pouvait favoriser le fusionnement confluant des colonies. Pour 
y remédier, après avoir ensemencé et dès que la gélose était 
prise, je retournais les plaques de telle façon que le couvercle 
fût en dessous. Il faut noter que, dans certains cas, on obtenait 
«les colonies très nettes et parfaitement séparées, bien que l’en- 
semencement en plaques ait été fait exactement de la même 
façon que dans les cas moins favorisés. 

Chaque fois, avant de faire des cultures en plaques, on 
-observait le contenu des tubes au microscope. 

On y constatait une véritable richesse de formes bactérien- 
nes ; mais nous n'insistons pas sur ces difficultés qu'ont rencon- 
trées tous ceux qui ont fait des recherches de cet ordre à propos 
des bacilles non thermophiles, 

En tout, de la matière examinée (20 ins chez les nouris- 
sons à Moscou et 18 à Paris et 8 prises chez des adultes), j'ai pu 
isoler en culture pure 20 espèces de microbes thermophiles, à 
la description desquelles je passe maintenant. 


LES MICROBES THERMOPHILES ISOLÉS DU MÉCONIUM ET DES FÈCES DES NOURRISSONS 
A MOSCOU. 
BACILLE NO À. 


Ce bacille fut isolé chez un enfant âgé de 2 jours. Il ne fut rencontré 
qu’une seule fois. 

C’est un bâtonnet immobile se disposant souvent par deux, parfois par 
4 articles et plus, aux bouts arrondis, quelquefois renflés. Ils se colorent par les 
couleurs d'aniline et par le Gram; mais ils prennent les couleurs d'une façon 
très inégale; à côté de bâtonnets fortement colorés, il y en a d’autres plus 
pâles : dans des chaines de 4 et de 6 individus, 2 sont très bien colorés et les 
autres tout à fait incolorés (fig. n° 1). On observe aussi des individus n’ayant 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L’INTESTIN. 224 


qu'aux pôles des grains colorés. Il pousse dans du bouillon sous la forme de 
petits flocons, qui dans des cultures anciennes tombent au fond du tube. Il 
forme un peu d'acide dans du bouillon sucré. Sur la gélose ordinaire il donne 
le long de la strie un enduit blanc, épais, opaque, avec des bords irréguliers 
nettement délimités ; il ne couvre jamais toute la surface de la gélose et 
forme ordinairement, à côté de la strie, plusieurs grandes colonies isolées ; 
sur la gélose sucrée, sa végétation est un peu plus faible, et le plus souvent 


“fig. 1. 


en forme de colonies isolées. Il ne pousse pas du tout sur la pomme de terre; 
ne coagule pas le lait et ne liquéfie pas la gélatine. La colonie de ce bacille 
est blanche, ronde, d’une structure ondulante; à l’examen microscopique 
“à un faible grossissement, on voit aux bords des bacilles, qui dépassent — 
- une sorte de cils. Les colonies très jeunes sont bleuâtres. L'optimum de la 
croissance est de 569 1/2 à 579; à 649, il se développe encore faiblement; 
à 670, il n'y a que des traces de croissance. C’est un aérobie et un thermo- 
-phile absolu. 
Il n’est pas pathogène, 


222 : ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


BACILLE N° 9. 


Nous l'avons rencontré une fois, dans les selles d'un enfant âgé de 
6 jours. 

C'est un bâtonnet immobile assez épais, se disposant pour la plupart du 
temps par deux, avec des bouts arrondis, parfois renflés; quelques individus 
s'étendent en longs filaments. Sur la gélose il pousse toujours sous forme de 
colonies isolées, qui, jeunes, sont bleuâtres et transparentes; dans des cul- 
tures âgées de quelques jours, elles se présentent denses et d’une couleur 
blanche. 

Ce bacille végèle faiblement dans du bouillon sans le troubler et en for- 
mant un petit dépôt au fond du tube. Dans du bouillon sucré, il donne 
une petite quantité d'acide. Sur la gélose sucrée, il croît de la même façon 
que sur la gélose ordinaire; il ne coagule pas le lait, ne liquéfie pas la géla- 
tine. Ce qu'il y a de très caractéristique chez ce bâlonnet, ce sont les colonies, 
qui ont la forme d’anneaux; elles sont rondes, avec des bords nettement 
délimités, saillants et épais. Il se colore par toutes les couleurs d’aniline, 
prend le Gram et se comporte vis-à-vis des couleurs comme le bacille 
précédent. L'optimum de croissance est à 560-570, Il pousse bien à 600: à 
620, il ne donne que des traces de croissance; à 370, il pousse aussi, mais 
très lentement : les premiers indices de croissance apparaissent au bout de 2 
à 3 jours. À cette dernière température, il forme des spores excentriquement 
disposées, et le type de cette spore est le vrai « clostridium ». 

C'est un thermophile facultatif. Il n’est pas pathogène. 


BACILLE N0 3. 


Il fut isolé d'un enfant âgé de 16 heures; rencontré deux fois dans le 
‘méconium. 

C'est un bâtonnet immobile se disposant isolément; à côté d'individus 
droits, on voit des formes recourbées (fig. n° 3), et quelquefois même très 
fortement, Les bâtonnets diffèrent entre eux, en largeur et en longueur; 
certains sont 4 à à fois plus longs que larges. 

Les spores sont disposées aux bouts. Ce bacille donne facilement des 
formes d’involution. Il se colore bien par les couleurs d'aniline et prend le 
Gram ; la manière dont il prend les couleurs est la même que chez les pré- 
cédents : à côté de bâtonnets fortement colorés, il y en a d’incolores. En 
employant la méthode de Gram, on voit beaucoup de bâtonnets qui restent 
incolores, tandis qu'ils peuvent se colorer ensuite par des couleurs ordinaires; 
par exemple, par la fuchsine aqueuse ou Ziel dilué, de sorte que, dans la 
même préparation, on voit à côté de bâlonnets bleu foncé (Gram) des 
groupes entiers de bâtonnets roses. Ce fait s'observe même dans des cultures 
4rès jeunes, âgées de 20 heures. Les colonies de ce bâtonnet sont rondes, 
homogènes, légèrement translucides, avec un centre épais et des bords à 
double contour. Il pousse un peu plus faiblement sur la gélose sucrée. Dans 
du bouillon, il forme une espèce de pellicule glaireuse ; cette pellicule tombe 
au fond du tube dans des cultures âgées de quelques jours. Dans la gélatine, 
il pousse sous forme de flocons avec une pellicule friable à la surface. IL 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L'INTESTIN. 223 


ci si 


pousse abondamment sur le sérum coagulé sans présenter aucun caractère 
typique. Sur la pomme de terre, il ne donne pas de culture, Il produit de 
l'acide dans le bouillon sucré; la réaction de l’indol donne des résultats néga- 
üifs; il ne coagule pas le lait, ne liquéfie pas la gélatine. L’optimum de crois- 
sance est à 570, A 580 et 60, il pousse bien; à 679, des traces de croissance; 
à 570, il n'accuse pas de croissance au bout de 8 jours; si on le transporte 
ensuite à sa température optimum, il se développe abondamment au bout de 
24 heures. Il n’est pas pathogène. 


BACILLE NO 4. 


Ce bacille fut isolé d'un enfant âgé de 5 jours. 
Il ne fut rencontré qu'une seule fois. 
C'est un bâtonnet épais à bords arrondis; se disposant par deux et plu- 
“sieurs individus, et presque jamais isolément. Ajoutons que les bacilles se 
disposent en rangées parallèles, et présentent généralement un tableau assez 
caractéristique (fig. no 2). Ils se colorent bien par toutes les couleurs 
-d’aniline et par le Gram; le mode de coloration est le même que chez les 
microbes précédents. On n'a pas observé de spores, [1 pousse abondamment 
sur tous les milieux nutritifs, sauf la pomme de terre. La croissance sur le 
sérum coagulé est bien caractéristique : elle prend la forme de grosses colo- 
-nies, saillantes, rappelant celles que l’on obtient par l’ensemencement des 
fausses membranes diphtériques. Dans le bouillon et sur la gélatine, il pousse 
sous forme de flocons, il produit un peu d'acide dans du bouillon sucré, ne 
forme pas d'indol, ne liquéfie pas la gélatine. Sur la gélose ordinaire il donne 
naissance à des colonies homogènes, épaisses au centre. Les colonies sur du 
sérum coagulé prennent quelquefois la forme d'un anneau, comme celles du 
bacille n° 2. L'optimum de sa croissance est 570; à 640, il donne encore une 
végétation sensible; à 669, des traces de croissance; il ne se développe pas à 
310, C’est un aérobie absolu; il n'est pas pathogène. 


e 


BACILLE N0 D. 


11 fut isolé d'un enfant âgé de # jours. et ne fut trouvé qu'une seule fois. 
C’est un court et mince bâtonnet, se disposant d'ordinaire isolément; il 
ne forme pas de spores. Il se colore bien par les couleurs d’aniline et par 
le Gram; la plupart des bâtonnets se colorent nettement et uniformément, 
mais il s'en trouve aussi qui, comme tous les bacilles des fèces, se colorent 
d'une façon inégale. Il pousse bien dans tous les milieux nutritifs, sauf la 
pomme de terre; sur la gélose, il couvre toute la surface d'un enduit bleuâtre 
et uniforme; il trouble uniformément le bouillon. Les colonies sont petites, 
rondes, translucides, avec des bords égaux et d'une structure homogène. Il 
. forme un peu d'acide dans le bouillon sucré, ne forme pas d’indol, ne liquéfie 
pas la gélatine et ne coagule pas le lait. C’est un aérobie et un thermophile 
FA absolu. L’optimum de sa croissance est à 570, il pousse bien à 659 et cultive 
FA un petit peu à 700. I! ne se développe pas à 37° ni au-dessous. Il n'est pas 
__ pathogène. 


224 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


BACILLE N0 6. 


Il fut isolé d’un enfant âgé de 3 jours. 1] fut rencontré une seule fois. 

C'est un bâtonnet assez gros, droit, rappelant d'aspect et de taille le 
bacille de Friedlander. se dispose d'habitude isolément. On ne remarque 
pas de spores. Il se colore très bien par toutes les couleurs aqueuses et par 
le Gram, de la même façon que les bacilles décrits précédemment. Il croît 
abondamment sur tous les milieux nutritifs, sauf la pomme de terre. Il 
forme sur la gélose ordinaire une couche opaque uniforme, couvrant toute 
la surface du milieu et rappelant la croissance sur la gélose du bacille n° 5. 
11 pousse aussi bien sur la gélose sucrée ; dans du bouillon, il produit un léger 
trouble et une pellicule friable sur la surface; le même genre de croissance 
s’observe sur la gélatine. Il ne pousse pas sur la pomme de terre. Les colonies 
n'offrent rien de bien caractéristique : rondes, d’une structure homogène, 
avec des bords égaux. Il ne liquéfie pas la gélatine; ne manifeste pas la réac- 
tion d'indol; il forme un peu d’acide dans du bouillon sucré. 

L'optimum de la croissance est à 570; à 640, il pousse encore bien ; à 680 ik 
donne des traces de croissance; à 370, il ne cultive pas, c’est donc un ther- 
mophile absolu. Il n’est pas pathogène. 


BACILLE N9 7. 


Ce bacille fut isolé d’un enfant âgé de8 jours; il fut retrouvé deux fois : 
chez un enfant âgé de 3 jours et chez un autre âgé de 7 jours. 

C'est un bâtonnet mobile de 1, 2 à 3 u de longueur, se disposant pour 
la plupart du temps isolément, quelquefois par groupes de deux individus, 
qui forment entre eux un angle aigu. Il manifeste une tendance à 
s'étendre en filaments, dont la longueur est égale à celle de quatre ou cinq indi- 
vidus pris ensemble. A 420 ce bâtonnet forme des spores ovales, rappelant 
beaucoup par leur aspect celles des mesentericus sur la gélose ordinaire: à 
570 ce bacille forme au bout de 20 heures un enduit uniforme et légèrement 
transparent, avec des bords trèsinégaux, couvrant toute la surface du milieu; 
cet enduit est d’une consistance visqueuse ; il adhère un peu au milieu nutri- 
tif; lorsqu'on le prélève, il s'étend en filaments visqueux. Au bout de 
48 heures, la croissance est beaucoup plus abondante et l’enduit n’est trans- 
parent que sur les bords; sa consistance est moins visqueuse. Sur la gélose 
glycérinée et sucrée, la croissance est la même que sur la gélose ordinaire, 
sur Ja pomme de terre, il donne un enduit épais, rosàtre, qui se plisse ensuite. | 
Sur la gélatine, il croit abondamment sous forme de flocons, en formant sur 
la surface une pellicule dense, et à bords irréguliers. Il trouble-légèrement 
le bouillon, forme un dépôt au fond du tube et une peilicule à la surface. 
C’est un thermophile facultatif, car il croit aussi très bien à 370 et à 240, 
C'est un aérobie facultatif, car étant ensemencé par piqûre dans la gélose 
profonde, il pousse tout le long de Ja piqüre, ainsi qu’à la surface. Il coagule 
le lait à 570 ainsi qu'à 370 ; il liquéfie la gélatine. Ilse colore bien par toutes 
les solutions aqueuses des couleurs d’aniline et par le Gram; les spores ne se 
colorent que sur les bords. On le réensemence facilement encore avec une 
culture âgée de 2 mois. Les spores résistent à un chauffage de à minutes à 


FLORE MICROBIENNE TERMOPHILE DE L'’INTESTIN. 225 


1000 à l’autoclave; l’'ensemencement de ces spores sur tous les milieux nutri- 
tifs donne une culture abondante au bout de 24 heures. Ce bacille se rattache 
évidemment au groupe des bacilles mesentericus, avec lesquels il a plusieurs 
caractères communs. Il fut observé 3 fois sur 20 cas examinés. 


En résumé : 
1° Tous les microbes isolés se présentent sous forme de 
bacilles ; 
2° La plupart d’entre eux, cinq espèces sur sept, sont des 
thermophiles obligatoires ; 
3° Toutes les espèces thermophiles obligatoires sont des aérobies 
obligatoires ; les thermophiles facultatifs sont des aérobies facul- 
tatifs ; 
4° Toutes les espèces se colorent par le Gram; toutes fixent 
les couleurs d’une façon égale ; 
5° Aucune espèce, sauf le n° 7, ne liquéfie la gélatine ; 
6° Tous produisent de l’acide dans Le bouillon sucré ; 
1° Aucun n’est pathogène. 


DESCRIPTIONS DES MICROBES THERMOPHILES ISOLÉS DU MECONIUM ET DES 
FÈCES DES NOURRISSONS A PARIS 


BACILLE N0 8. 


Ce bacille fut isolé d’un enfant âgé de 3 jours et fut ensuite retrouvé 
3 fois : chez un enfant âgé de 5 jours et dans le méconium d’un enfant de 
2 jours. 

C'est un bâtonnet immobile, assez gros, à bouts arrondis, et qui s'étend 
fréquemment en de longs filaments. Ce bacille se dispose souvent par deux 
ou par quatre individus, quelquefois plus, mais parfois aussi isolément. 
Dans des cultures âgées de 5 à 6 jours, ce bâtonnet forme de très longs fila- 
ments, qui sont quelquefois un peu recourbés; il ne forme jamais de spores 
à des températures élevées. A 570, sur la gélose ordinaire, il forme un enduit 
abondant, dans lequel on peut discerner une structure granuleuse, si la culture 
est jeune de 8 à 12 heures; les bords sont inégaux, et la culture ne couvre 
jamais toute la surface du milieu. Il n’est pas rare d'observer des colonies 
isolées à côté de la strie. Sur la gélose sucrée et glycérinée, le développement 
est le même que sur la gélose ordinaire, peut-être un peu moins abondant. 
I! est facile de le prélever de la surface de la gélose. 

Par son mode de développement, il rappelle la culture du bacille char- 
bonneux. Il trouble légèrement et uniformément le bouillon et, quand on 
agite le tube, l’aspect est celui d'une culture du bacille charbonneux 
dans le bouillon. Sur la gélatine à 570, il pousse sous forme de petits 
flocons, qui, au bout de quelques jours, se précipitent sur le fond du tube, 
laissant la gélatine transparente. I1 forme sur la pomme de terre un enduit 


15 


226 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


granuleux, luisant, de couleur jaune-pâle; la couleur de la pomme de terre, 
elle-même, ne change pas. Il se colore bien par les couleurs aqueuses d’ani- 
line et le Gram ; dans les deux cas, on observe, à côté des bâtonnets forte- 
ment colorés, des bâtonnets à peine teintés ou qui n'ont de couleur que sur 
quelques grains (fig. n0 4). En employant avec la méthode de Gram une 
coloration supplémentaire, la fuchsine aqueuse par exemple, on observe 
beaucoup de bâtonnets colorés en rouge. Ce bacille forme de grandes colo- 
nies granuleuses avec des bords inégaux:; les colonies, qui se trouvent au 
fond de la gélose, dans une culture en plaques, ont l'aspect de petits grains, 
un peu jaunâtres. L'optimum de sa croissance est à 570, mais il cultive 
aussi à 370, bien que moins abondamment ; à cette dernière température, 
il ne se forme pas en filaments, mais apparait sous forme de bâtonnets courts, 
dont plusieurs portent des spores (phot. n° 4) ovoïdes: quelques-uns ont un 
renflement au bout (à 370). A cette dernière température, il se colore beau- 
coup plus inégalement qu'à 270: il y a des bâtonnets qui n’ont qu'un seul 
grain coloré, de sorte qu'on pourrait prendre le bacille pour un coccus. À 220, 
ainsi qu'à la température de la chambre, il ne pousse pas: à 600, il pousse 
faiblement ; à 650, il ne donne pas de culture. C’est un aérobie facultatif, 
car, ensemencé dans la gélose sucrée profonde, il croît en même temps à la 
surface et dans la profondeur le long de la piqûre, quoique peu abondam- 
ment. Il ne liquéfie pas la gélatine ; il ne change pas la réaction du bouillon 
et ne forme pas d'indol; il ne modifie pas le lait. Les spores sont assez 
résistantes, car elles supportent bien un chauffage de 5 minutes à 1000 à 
l’autoclave. Il n’est pas pathogène. 


BACILLE N0 9, 


11 fut isolé des selles d’un enfant âgé de 4 jours, et fut retrouvé ensuite 
encore une fois chez un enfant âgé de 3 jours. 

C'est un bâätonnet immobile, à bouts arrondis, de 0,04 de largeur sur 
2 à du de longueur; il se dispose le plus souvent par deux articles, dans une 
direction qui n’est pas exactement parallèle; rarement il est isolé. Ce 
bacille forme de grandes colonies blanches, saillantes, très visqueuses, dont 
il est difficile de distinguer la structure. La zone périphérique de la colonie 
est bleuâtre, un peu transparente. A 570, ensemencé sur la gélose ordinaire 
ou sucrée, il couvre presque toute la surface d‘une couche homogène vis- 
queuse, à bords irréguliers. Il pousse abondamment sur la pomme de terre, 
en formant une couche visqueuse et plissée, couleur de cire. Dans du bouillon, il 
forme un léger trouble; il pousse assez abondamment dans la gélaline en la 
troublant et en la liquéfiant rapidement. Il forme à la surface une pellicule 
très plissée ; il coagule le lait et y produit un peu d’alcali. C’est un thermo- 
phile facultatif, car il pousse aussi bien à 370 et à 200. De 420 à 450, le plis- 
sement de ses cultures sur tous les milieux est le plus prononcé. A 200, il 
liquéfie aussi la gélatine, mais en partie seulement; la plus grande partie de 
la gélatine reste solide. C’est un aérobie facultatif, car à 370 il se développe 
au fond de la gélose sucrée, ensemencée en profondeur. Ensemencé de la 
même façon à 570, il ne pousse qu'à la surface. Il forme à 420 des spores 


gélos 
table 
par | 
Spore 
btor 
bords 
bkne 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L’'INTESTIN. 227 


ovales au milieu du hâtonnet. Les spores sont assez résistantes à la chaleur, 
car elles supportent un chauffage à 1000 à J’autoclave vendant 5 minutes, Il 
n’est pathogène, ni pour les souris, ni pour les cobayes. Il fut observé 2 fois 
sur 16 cas examinés. 


BACILLE NO 40. 


Il fut isolé d’un enfant âgé de 5 jours, et ensuite fut retrouvé 4 fois : 
chez un enfant âgé de 20 heures, chez un autre âgé de 7 jours et chez deux 
enfants âgés de 3 jours. 

Ce bacille est un court bâtonnet, mobile, à bouts arrondis, se disposant 
parfois par deux, mais plus souvent isolément. Il se colore bien par les cou- 
leurs d’aniline, comme les espèces précédentes : à côté d'individus fortement 
colorés, il s'en trouve d’autres, sur lesquels la couleur n’a eu que peu ou même 
pas de prise; lorsqu'on se sert de la méthode de Gram avec une couleur 
supplémentaire, beaucoup de bâtonnets prennent celle-ci. Il pousse abon- 
damment à 570 — 570,5 sur la gélose ordinaire, en couvrant {oute la surface 
d’une couche uniforme, un peu translucide sur les bords très sinueux. Cette 
dernière propriété est très prononcée dans des cultures en plaques, où les 
bords frangés d’une colonie s'étendent de tous les côtés très Join du centre, 
en couvrant une grande partie de la plaque. Sur la gélose sucrée, glycérinée, 
sa croissance est en tous points semblable à la précédente. Il trouble unifor- 
mément le bouillon et forme une pellicule friable à la surface; la pellicule 
tombe rapidement au fond du tube. Sur la pomme de terre, il forme un 
enduit graisseux d’une couleur rouge foncée; il pousse bien sur la gélatine, 
en formant des flocons et à la surface une pellicule rosâtre. Il liquéfie la 
gélatine, mais la liquéfaction n’atteint pas tout le contenu du tube, de sorte 
que la plus grande partie de la gélatine reste solide. Il clarifie le lait, dont 
la réaction devient alcaline. C’est un aérobie facultatif, car, ensemencé dans 
une couche profonde de gélose sucrée, il y pousse, ainsi qu’à la surface; 
. mais c’est à la surface qu'il pousse le plus abondamment. C’est un thermo- 
phile facultatif, car il cultive à 370 aussi bien qu'à 570; il pousse même 
à 200, mais bien lentement, A 379, l’enduit que le bacllle forme à la surface 
de la gélose est plus dense qu’à 579; il est plissé et adhère à la surface du 
milieu nutritif. L'examen microscopique d’une culture non colorée sur la 
gélose fait apparaître des corps ovales et fortement réfringents; ce sont pro- 
bablement des spores ; quelques-unes se colorent très bien et uniformément 
par les couleurs d’aniline, d’autres ne se colorent que sur les bords. Ces 
spores résistent à un chauffage de 5 minutes à 1000 à l’autoclave. A 370, ce 
bâtonnet forme de petites colonies jaunâtres avec un centre saillant et des 
bords ronds et ciliés. li n’est pas pathogène et présente une grande ressem- 
blance avec des bacilles du groupe mesentericus. 


BACILLE NO 41. 


Il fut isolé chez un enfant âgé de 2 jours. Il est complètement identique 
à l'espèce isolée à Moscou et décrite sous le nom du bacille no 7, Il fut 
observé une fois sur 16 cas examinés. 


228 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


LE STREPTOTHRIX THERMOPHILE N0 42. 


Il fut trouvé une seule fois chez un enfant âgé de 3 jours. Les filaments 
de ce champignon ont une largeur d'environ 05 et une longueur très 
grande. Ils sont droits ou sinueux, la sinuosité est quelquefois très pro- 
noncée, de sorte que les filaments ressemblent à des spirilles. Ces filaments 
ont une véritable ramification; les branches latérales sont disséminées irré- 
gulièrement et partent du filament mère à des distances les plus diverses. 
Souvent, ces branches latérales se terminent par un renflement ovoide ou 
rond, que l’on doit peut-être considérer comme des arthrospores. Les fila- 
ments et les arthrospores se colorent bien par les couleurs aqueuses d’aniline, 
ainsi que par le Gram ; souvent, quelques parties des filaments restent inco- 
lores; l’on trouve même des filaments entiers non colorés ou très faible- 
ment colorés. La colonie de ce streptothrix est composée de filaments dis- 
posés en rayon, qui partent d’un centre un peu plus compact que le reste 
de la colonie. 

Le streptothrix pousse bien et abondamment sur tous les milieux 
nutritifs ordinaires. A 570, sur la gélose ordinaire, glycérinée ou sucrée, il 
forme des colonies luisantes, confluant ensuite et couvrant toute la surface 
du milieu; elles s’y enfoncent fortement, de sorte qu’en les prélevant, on 
prend en même temps une petite quantité de gélose. Sur pomme de terre il 
se forme de grandes colonies, couvertes comme d’une couche de poudre 
blanche, formée par les spores. Les cultures très anciennes sur pomme de 
terre deviennent noires. Dans le bouillon, ce champignon croit sous forme de 
petites sphères, qui tombent ensuite au fond du tube: avec le temps, ces 
sphères se désagrègent et forment des flocons; le bouillon lui-même, reste 
complètement limpide. Quelquefois, ilse forme à la surface du bouillon des 
colonies blanches isolées, qui se fusionnent ensemble en formant une pel- 
licule assez dense. ‘La culture sur la gélatine ressemble au point de vue 
extérieur, à celle que l’on obtient dans le bouillon. La gélatine est liquéfiée 
rapidement. Le lait se peptonise et devient clair, d’une teinte jaunâtre. La 
réaction en est légèrement acide. C’est un microbe thermophile facultatif, 
car il croît très bien à 379 et à 200; c’est un aérobie strict. Il est inoffensif 
pour les animaux. 


En résumé : 

1° Tous les microbes isolés doivent être rangés parmi les 
bacilles, sauf une espèce qui est un streptothrix thermophile; 

20 Tous les bacilies, sauf le bacille 8 (3 sur 4), appartien- 
nent au groupe des mesentericus : 

3° Tous forment des spores ; 

4° Tous prennent le Gram et se colorent de la même façon 
que les microbes thermophiles isolés à Moscou; 

5° Tous sont des thermophiles et des aérobies facultatifs ; 

6° Tous, excepté le bacille 8, liquéfient la gélatine et pepto- 
nisent le lait, en produisant dans ces milieux de lalcali; 


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FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L’INTESTIN. 229 


1° Tous possèdent une assez grande stabilité, car 1ls suppor- 
tent bien le chauffage 100° à l’autoclave pendant 5 minutes ; 

8° Aucun n'est pathogène. 

Les caractères les plus importants de tous les microbes qui 
viennent d'être décrits sont résumés dans les tableaux 1 et 2. 


LES MICROBES THERMOPHILES ISOLÉS DES FÈCES DES ADULTES 


Les matières qui ont servi pour ces recherches ont été prises 
dans différentes périodes de temps sur une même personne. 
Les prises furent faites 8 fois. 

Je continue l’énumération des bacilles. 


BACILLE N0 43. 


C'est un bâtonnet immobile, assez gros, à bouts arrondis, disposé isolé- 
ment, ou par deux; il forme des spores ovales à l’une de ses extrémités; ces 
spores sont fortement réfringentes à l’état non coloré. [1 croit abondamment 
sur la gélose ordinaire et glycérinée, couvrant toute la surface du milieu 
nutritif d’une couche blanche à bords ramifiés; il n’adhère pas au milieu 
nutritif et s'en détache facilement. Il pousse un peu moins bien sur la gélose 
sucrée et très peu sur la gélatine, qu'il ne liquéfie pas. Dans du bouillon il 
croît en flocons qui, au bout de quelques jours, se précipitent au fond du 
tube. Il pousse faiblement dans le lait et sur le sérum coagulé, et pas du 
tout sur la pomme de terre; il ne coagule pas le lait. Il se colore bien par 
toutes les couleurs d’aniline, ainsi que par la méthode de Gram. Quant aux 
spores, quelques-unes d'entre elles se colorent bien comme les bacilles, d’au- 
tres n’ont que les bords colorés. Je dois noter, en général, que certains 
bâtonnets se colorent fortement et uniformément par la fuchsine et le Gram ; 
d’autres, par contre, très faiblement; quelquefois, leur pôles seuls sont 
colorés, le milieu reste incolore ; parfois on ne voit que qnelques grains colorés 
dans tout le bâtonnet. 

Ce bacille forme de grandes colonies de structure granuleuse, avec des 
bords ramifiés et un centre épaissi. L’optimum de son développement est à 
5710-58 ; il pousse encore à 670, mais très faiblement, et donne des traces 
‘de culture à 500; c’est un aérobie strict, car il ne se développe pas au fond 
de la gélose lorsqu'il est ensemencé en couche profonde. Il n’est pas patho- 
gène, car, inoculé à fortes doses à des cobayes et à des souris, sous la peau on 
dans le péritoine, il n’occasionna aucun phénomène local, ni général. Ce 
bacille fut trouvé 2 fois sur 6 examens des fèces. 


BACILLE N0 14. 


Ce bacille présente une grande ressemblance sinon une identité complète 
avec un bacille, isolé par moi des sources thermales et décrit déjà sous le 
nom de bacille n° 2 dans un article publié dans ces Annales*. 


1. Sur les microbes thermophiles des sources thermales. Annales de l'Institut 
Pasteur, vol. 13, 1899. 


230 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


C’est un court bâtonnet immobile, qui se dispose le plussouvent isolément ; 
il forme des spores à petite distance du bout, qui ont l'aspect pointu. Il 
pousse bien sur tous les milieux solides et liquides, sauf la pomme de terre. 
Il couvre d’une couche uniforme, demi-transparente et blanchâtre, la surface 
de la gélose simpleet glycérinée, en y adhérant faiblement. Il pousse 
moins bien sur la gélose sucrée. Dans le bouillon et dans la gélatine, il 
croit abondamment en formant une pellicule friable à la surface; le bouillon 
devient trouble, mais s’éclaircit dans les cultures anciennes et on observe 
alors un dépôt au fond du tube; il ne liquéfie pas la gélatine. 

Il ne donne pas la réaction d’indol, forme un peu d'acide dans du bouillon 
sucré. Ses colonies sont petites, rondes, à bords égaux,un peu bleuâtres, d’une 
structure homogène. C’est un aérobie facultatif, car il pousse, quoique très 
faiblement et lentement, dans une atmosphère d'hydrogène; il produit dans 
ce dernier cas une faible odeur de putréfaction, Il se colore bien par toutes 
les couleurs d’aniline et par la méthode de Gram; dans les spores, la péri- 
phérie seule prend la couleur. L’optimum de sa croissance est à 580-590, 
mais il pullule encore bien à 670 et 690; à 700, il se développe encore, mais 
faiblement; à 720, il ne pousse plus. Les caractères morphologiques changent 
à 690-700 : le bâtonnet ne donne plus de spores ; réensemencé à 580, il forme 
de nouveau des spores. Ce bacille croît faiblement à 45°, en donnant des 
formes d’involution et en ne formant pas des spores, Il ne pousse pas au- 
dessous de 450. 11 n'est pas pathogène pour les cobayes et les souris. Ce bacille 
fut trouvé 2 fois sur 8 cas examinés. 


BACILLE NO 45. 


Ce bacille présente une grande ressemblance avec le bacille n9 13; il s’en 
distingue par la propriété de former de très longs filaments, quelquefois for- 
tement courbés et occupant tout le champ visuel du microscope. Les colonies 
qu'il forme sur la surface des plaques de gélose sont très caractéristiques: 
d'un centre épais sortent de tous les côtés des branches radiaires, faites. 
d'une agglomération de cristaux (fig. n° 10); elles n’adhèrent pas à la 
surface du milieu nutritif, d’où on les détache facilement. Le même bâtonnet 
sur la même plaque peut former des colonies d’un aspect différent, si les 
colonies prennent naissance à une certaine profondeur dans la gélose; la 
colonie est alors ronde, assez petite, présentant des bords inégaux et 
amincis (phot. 40). Comme le bacille no 13, le bacille no 45 pousse abon- 
damment sur tous les milieux nutritifs, sauf sur la pomme de terre; les 
caractères de ses cultures ressemblent complètement à ceux du bacille 
n° 13, avec cette réserve, qu'il présente une ramification beaucoup plus 
prononcée des bords de l’enduit formé sur la gélose; il produit des spores 
ovales à l’un de ses bouts, mais en quantité sensiblement moins abon- 
dante que le bacille no 13; tout au plus rencontre-t-on dans une pré- 
paralion quelques bacilles portant des spores, ce qui est, au contraire, le 
cas le plus fréquent pour le bacille n° 13. A tous les autres égards, ce bacille 
est identique au bacille no 13, Ce bacille a été trouvé une seule fois sur huit 
cas examinés. 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L’INTESTIN, 9231 


BACILLE N0 46. 


Le bacille no 46 est un petit bâionnet immobile, il est très souvent disposé 
par deux; il ne donne pas de spores, Il croit abondamment sur la gélose 
simple, glycérinée et sucrée, en formant une mince couche uniforme, légère- 
‘rement transparente et couvrant toute la surface du milieu. Il ne pousse 
paint sur la pomme de terre, Il pousse bien dans le bouillon, qu'il rend 
trouble, et forme une mince pellicule à la surface et un dépôt au fond. Sur 
la gélatine il pousse très abondamment, forme une pellicule à la surface, 
mais ne liquéfie pas le milieu. Il se colore bien par toutes les couleurs d'ani- 
line et par le Gram; certains bâtonnets prennent fortement la couleur, tandis 
que d’autres ne la prennent que faiblement, ou ne présentent que 2 ou 
3 grains colorés. Il forme de petites colonies rondes, transparentes et avec 
bords réguliers. L’optimum de sa croissance est à 570 ; à 700 il donne encore 
des traces de développement; il ne pousse pas au-dessous de 450; à cette 
dernière température il pousse très faiblement et donne des formes d’invo- 
lution. Il est un aérobie facultatif; car il pousse, bien que très faiblement 
dans l'hydrogène à la température optimum. Il ne change pas la réaction 
du bouillon, ne forme pas d’indol et n'est pas pathogène. Il ressemble 
beaucoup au bacille no 44, Il fut trouvé une seule fois, 


BACILLE N0 17. 


C'est ün gros bâtonnet assez grand, à bouts arrondis ; il se dispose isolé- 
ment ou réuni par deux, {l ne forme pas de spores. Il se colore bien par les 
couleurs d'aniline et prend le Gram; la façon dont il prend les couleurs est 
exactement la même que chez tous les autres bacilles intestinaux, décrits 
plus haut. Il pousse très bien sur tous les milieux nutritifs, la pomme de 
terre exceptée. Il forme sur la gélose ordinaire, glycérinée et sucrée, et sur 


. le sérum solidifié, une couche blanche, épaisse, avec bords égaux ; on le pré- 
lève facilement de la surface du milieu; il pousse souvent sous forme de 


colonies isolées. C’est danslagélatiné qu'il pousse le plus abondamment sous 
forme de flocons; il forme une pellicule épaisse et friable sur sa surface; 
dans le bouillon, il croit moins abondamment, mais présente le même aspect 
de flocons. Il donne naissance à de grosses colonies rondes, à bords arron- 
dis et ayant un centre épais. L'optimum de sa croissance est à 570; il ne 
pousse pas au-dessous de 50°; à cette dernière température, il ne donne que 
des formes d’involution. Il pousse bien à 670, à 680 il donne des traces de 
culture; à 700 il ne se développe plus. C'est un aérobie et un thermophile 
absolu. Il ne liquéfie pas la gélatine, ne forme pas d’indol; il n’est pas patho 
gène. Il ne fut trouvé qu'une seule fois. 


BACILLE N0 48. 


C’est un petit bâtonnet, qui forme des spores, rondes (phot. n° 5) à l’un 
de ses bouts, comme le bacille du tétanos; il se dispose le plus souvent isolé- 
ment, mais parfois réuni par deux. Il se colore bien par toutes les couleurs 
d’aniline et par la méthode de Gram, mais d'une façon inégale, comme les 
bacilles précédents (fig. 5). [len est de même pourles spores : certaines prennent 


232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la coloration aussi bien que les bâtonnets, mais d’autres n’ont que la péri- 
phérie colorée. Quant à ses propriétés physiologiques, ce bâtonnet présente 
une ressemblance complète avec les bacilles décrits plus haut. Il pousse bien 
sur tous les milieux nutritifs, la pomme de terre exceptée. Sur la gélose, il 
forme une couche uniforme, d'une teinte nacrée, couvrant toute la surface 
du milieu, auquel il adhère légèrement. Il trouble faiblement le bouillon, 
forme à la surface une pellicule mince, qui se désagrège facilement et laisse 
un dépôt au fond du tube. Il se comporte sur la gélatine comme dans le 
bouillon. L’optimum de sa croissance est à 570-580, mais il croit encore, 
bien que faiblement, à 680. À 690, il ne se développe plus; il ne pousse pas 
au-dessous de 500: c'est un thermophile absolu; c'est aussi un aérobie 
absolu; il ne liquéfie pas la gélatine et ne renferme pas d’autres diastases. 
Il forme un peu d'acide dans le bouillon sucré. Il n’est pas pathogène. Il fut 
trouvé 2 fois sur 8 cas examinés. 


BACILLE N0 49. 


D'après ses caractères morphologiques et biologiques, ce bacille doit être 
rangé parmi ceux du groupe des bacilles mesentericus. Il est mobile, assez 
grand et se dispose le plus souvent par deux. Il se colore bien par les Foire 
d'aniline et prend le Gram. 

Il pousse très bien sur tous les milieux nutritifs, ainsi que sur la pomme 
de terre. À 57°, et 580 il couvre toute la surface de la gélose d’ure couche 
abondante et uniforme, et se détache facilement; il pousse aussi dans l’eau, 
condensée au fond du tube, en formant à la surface une mince pellicule, qui 
monte sur les parois du tube. À 370 et 420, l’enduit que forme ce bacille dans 
le même milieu nutritif devient plissé et sec, et adhère fortement à la surface 
de la gélose; il pousse abondament sur la pomme de terre où il forme une 
couche abondante et rosätre, un peu sèche. Il trouble le bouillon et forme 
une pellicule à sa surface; au bout de quelques jours, le bouillon se clarifie 
et présente un dépôt au fond du tube; dans la gélatine, il croit en forme de 
flocons et avec une pellicule dense à la surface; cette pellicule devient plissée 
à des températures basses. Il liquéfie la gelatine et peptonise le lait; celui-ci 
s’éclaircit graduellement sous son influence, et prend une teinte jaunâtre. La 
présence de la peptone a été démontrée à l’aide de la réaction du biuret, ainsi 
que par leréactif de Millon; on avait soumis à ces deux réactifs le filtrat du lait 
modifié par le bacille, Il liquéfie faiblement le sérum solidifié, manifeste ses 
propriétés fermentatives à de hautes aussi bien qu’à de basses températures. Il 
forme de l'acide dans le bouillon sucré. Ce bacille se groupe en colonies 
bien caractéristiques; les colonies jeunes, à 370 aussi bien qu’à 570, prennent 
un aspect irrégulier, rappelant des touffes de cheveux, les colonies âgées de 
plus de 24 heures ont une forme ronde avec de bords festonnés et adhèrent 
fortement à la gélose. Ce bacille est un aérobie absolu, à des températures 
élevées, car, ensemencé sur la gélose sucrée, d’après la méthode de Libo- 
rius, il ne se développe qu'à la surface, Ensemencé par le même procédé à 370, 
il pousse faiblement le long de la strie au fond du tube. Il n’est pas patho- 
gène. Il fut retrouvé deux fois sur 8 cas examinés. 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L’INTESTIN. 233 


No 20, LE STREPTOTHRIX THERMOPHILE, 


A l'examen microscopique, il se présente sous forme de filaments spiralés, 
d’une grosseur de 0,6 y, avec une vraie ramification (fig. 7). A l'extrémité 
des filaments on observe souvent des renflements ovoïdes, peut-être des spores 
(phot. n° Il). Il se colore bien par les couleurs d’aniline, et prend le Gram. Il 
y a des filaments, qui se colorent très fortement et d'une façon uniforme; 
il yen a d'autres, qui ne présentent qu’une coloration inégale, et montrent 
seulement quelques granulations colorées. Il forme sur la gélose des colonies 
radiées, qui se couvrent, au bout de deux jours et quelquefois plus tôt, d’une 
couche de poudre blanche. fl croît abondamment sur la gélose simple, 
glycérinée et sucrée; dans le bouillon il forme des flocons comme toutes les 
espèces de ce genre en laissant le milieu limpide; sur la pomme de terre, 
la culture ressemble à une sorte de poudre blanche qui, examinée au 
microscope, présente beaucoup de corpuscules ronds, spores et courts 
filaments. Il pousse bien dans la gélatine, mais ne la liquéfie pas, n'altère 
pas le lait et ne manifeste la présence d'aucune diastase. Il forme de l’acide 
dans le bouillon sucré, L'optimum de son développement est à 570-580; 
à 660, il croit faiblement; à 670, il ne pousse point; d'autre part il ne croît pas 
au-dessous de 450, C’est un aérobie absolu, car, ensemencé sur la gélose 
sucrée, d’après la méthode de Liborius, il ne se développe qu'à la surface 
de la gélose. Il n'est pas pathogène vis-à-vis des animaux du labora- 
toire. Il ne fut retrouvé qu'une seule fois. 


En rapprochant les caractères des microbes thermophiles 
intestinaux, isolés à Paris. de ceux des bacilles obtenus à 
Moscou, nous devons noter tout d’abord que : 

1° Deux espèces parmi eux sont sans aucun doute identiques : 
le bacille n° 7 est entièrement semblable au bacille n° 11 ; de 
plus, les bacilles n°° 10° et 9 (Paris) et 19 (Moscou) ont égale- 
ment beaucoup de caractères communs avec les deux espèces 
qui viennent d’être citées. Ces cinq espèces sont très analogues, 
sinon identiques, aux bacilles du groupe des bacilles « mesente- 
ricus ». Toutes les autres bactéries isolées appartiennent à 
d’autres espèces. 

2° La flore microbienne thermophile des enfants de Paris 
est moins variée que celle des enfants de Moscou. Ainsi, dans 
les 20 cas examinés à Moscou, le méconium et les fèces des 
enfants ont donné des espèces pour la plupart différentes. Quant 
aux recherches faites à Paris, dans 18 cas nous avons pu tou- 
jours constater le développement des quatre mêmes espèces 
décrites plus haut : les bacilles n° 8, 9, 10, 11. Ce n’est que le 
streptothrix qui fut trouvé une seule fois et dans un seul cas. Il 
est à remarquer que ces quatre espèces ne se rencontraient pas 


234 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


invariablement à chaque examen des fèces, comme cela a eu lieu 
pour le bac. bifidus (3T), mais, chaque fois que l’on constatait 
une culture dans un des tubes, c'était toujours une de ces 
quatre espèces que l’on observait ; le plus souvent on trouvait les 
bacilles n° 10 et 11. Il faut noter aussi qu’en général, plusieurs 
parmi les tubes ensemencés à Paris restaient définitivement 
stériles, tandis qu’à Moscou le nombre des tubes ayant donnés 
un résultat négatif a été toujours moindre que celui de Paris. 
La flore microbienne des enfants de Moscou est peut-être en 
effet différente, mais on pourrait également admettre que la 
plus grande variété des espèces et le nombre plus élevé des 
germes constatés à Moscou ne sont dus qu’à une cause acciden- 
telle, comme, par exemple, à une moindre propreté dans les 
soins donnés aux enfants. Des recherches ultérieures pourront 
élucider cette intéressante question. 

3° Tous les microbes thermophiles isolés à Paris appartien- 

nent aux espèces de thermophiles facultatifs et aux aérobies 
 facultatifs, tandis que la plupart des microbes obtenus à Moscou 
sont des thermophiles et des aérobies obligatoires. 

Cette dernière circonstance a, selon nous, une signification 
importante, et pour la raison suivante : il est évident que les 
thermophiles et les aérobies obligatoires ne trouvent dans le 
canal intestinal de l’homme ni la température élevée qui leur 
est nécessaire, ni les conditions favorables au libre accès de 
l'oxygène. Nous devons donc choisir entre deux interprétations : 
1° ces microbes ne seraient que de passage dansle canal intesti- 
nal de l’homme ; 2° ils y trouveraient les conditions favorables, 
peut-être une symbiose, leur permettant de se développer à une 
température de 37°. Dans ce dernier car ils auraient peut-être 
un rôle important à remplir dans les processus qui s’accom- 
plissent dans le canal intestinal de l’homme. 

Un intérêt tout particulier s'attache à deux microbes décrits 
sont les n° 10 et 11 et dont le dernier est commun aux flores 
microbiennes des enfants de Moscou et de Paris. 

L'étude de ces espèces m'a amenée à conclure qu’elles sont 
presque identiques aux bacillus mesentericus vulgatus et fuscus. 
Afin de faire une comparaison immédiate entre ces deux 
espèces et les miennes, je me suis servie des cultures du 
bac. mesentericus fuscus et vulgatus de la collection de PInstitut 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L'INTESTIN. 235 


Pasteur, ainsi que de celles obtenues par M. Cohendy, pendant 
l'étude qu'il fit au laboratoire de M. Metchnikoff sur la flore 
microbienne du gros intestin de l’homme. 

En comparant les cultures que j'ai empruntées avec celles 
que j'ai isolées des fèces, j'ai pu me convaincre de leur identité, 
qui se manifeste surtout à 37°. 

Nous avons constaté en passant un fait curieux : les deux 
bacilles de M. Cohendy, ainsi que ceux de la collection de l’Ins- 
titut Pasteur, possédaient des propriétés thermophiles : ils pous- 
saienttrès bien à 57°, quoique peut-être un peu moins abondam- 
ment qu'à 31°. J'avais observé un fait analogue, il y a quelques 
années, lors de mes recherches sur les bacilles thermophiles des 
sources thermales. 

J'avais constaté alors la ressemblance entre un bacille ther- 
mophile et bac. subtilis ordinaire. Pour vérifier cette ressem- 
blance, j'ai pris du laboratoire de l'Institut bactériologique de 
Moscou une culture de bacillus subtilis, je l'ai mise à l’étude 
à 57°, et j'ai constaté son développement à cette température 
élevée. Le fait que les bactéries ordinaires possèdent des pro- 
priétés thermophiles, fait constaté plus d’une fois, ainsi que 
nous l’avons vu, confirme la supposition exprimée autrefois 
par nous que les bactéries thermophiles et les bactéries ordi- 
naires ont une origine commune : les premières auraient acquis 
leurs propriétés thermophiles par leur adaptation au milieu 
extérieur; ou encore, les microbes ordinaires auraient pour 
ancêtres les microbes thermophiles, qui se seraient adaptés gra- 
duellement à de basses températures. 


LE SORT DES MICROBES THERMOPHILES DE L'INTESTIN DE L'HOMME DANS 
LE CANAL INTESTINAL DE JEUNES LAPINS 


Pour compléter l’étude des propriétés biologiques ci-dessus 
décrites des bactéries thermophiles, peuplant avec les microbes 
ordinaires le canal intestinal de l’homme de tout âge, nous 
avons entrepris, suivant le conseil de M, Metchnikoff, l'étude 
du sort de ces bactéries dans l’organisme des lapins. Nos expé- 
riences consistaient à faire ingérer aux lapins les cultures 
thermophiles. J’espérais déterminer de cette façon le degré de 
stabilité de mes microbes vis-à-vis des sucs gastrique et intes- 
tnal du lapin. La flore microbienne intestinale des lapins 


236 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


. pendant qu’ils tettent étant très simple‘, il est particulièrement 
facile d’y constater la présence des bactéries thermophiles, 
que l’on a choisies pour leur faire ingérer. 

L'expérience fut faite sur 3 lapins âgés de 4 jours. L'un 
d'eux fut tué et servit de contrôle ; aux deux autres on fit ingérer 
une émulsion de bouillon faite avec une culture sur gélose des 
bacilles, 8, 10 et 12, et de E (streptothrix thermophile), tous, 
microbes thermophiles facultatifs. On introduisait l’émulsion une 
fois par jour à l’aide d’une pipette. A l’autopsie du lapin de con- 
trôle, on fit dans du bouillon et sur la gélose des ensemencements 
du contenu de l’estomac, des intestins grêles et du gros intestin, 
et le tout fut placé à l’étuve à 57°. On fit en outre des prépa- 
rations microscopiques du contenu de l'estomac et des intestins 
grêles, ainsi que du gros intestin. L'observation microscopique 
ne décela qu’une flore très simple, consistant en trois espèces 
bactériennes : des bâtonnets courts, très minces, peu nombreux, 
et des petits coccus, peu abondants aussi, réunis le plus souvent 
par deux. Ce qui était caractéristique et très curieux dans la 
flore de ce lapin, c’est qu’on y remarquait en même temps 
beaucoup de spirilles très grêles et ne prenant pas le Gram. Ces 
spirilles étaient en nombre beaucoup plus abondants que les 
deux autres espèces mentionnées. 

Ces spirilles furent plus tard retrouvés chez tous les 
jeunes lapins de la même nichée au nombre de six. Au bout de 
48 heures, un des deux lapins fut tué; on fit l’ensemencement 
à 57° du contenu de son estomac, de ses intestins gros et grêle; 
on fit en même temps des préparations microscopiques. On 
obtint les résultats suivants : il y eut à 57° une croissance 
abondante déjà au bout de 18 heures dans tous les tubes 
témoins ensemencés, tandis que les tubes témoins ense- 
mencés, provenant du premier lapin restèrent stériles pendant 
48 heures et ne donnèrent pas du tout de cultures, comme nous 
avons pu le constater plus tard. L'examen microscopique du 
contenu des tubes ayant donné des cultures révéla le mélange 
des deux espèces de bacilles thermophiles 8 et 10, avec lesquelles 
avaient été nourris les lapins ; seule la présence de streptothrix 


4. Ce fait est mis en évidence par les travaux de M. Metchnikoff sur le cho- 
léra ; ila été constaté de même par M. Tissier. (Mercanixorr, Annales de l'Instit. 
Pasteur. 1894, 4° Mémoire.) 


| 
A 
A 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L’INTESTIN. 237 


thermophile ne fut pas constatée. Quant aux préparations 
microscopiques, faites avec le contenu intestinal du lapin traité, 
on y découvrit une plus grande variété de formes bactériennes : 
à côté de minces bâtonnets et des coccus décrits plus haut, on 
y remarqua des bacilles qui s’en distinguaient par des dimen- 
sions plus considérables, et qui ressemblaient beaucoup aux 
bactéries thermophiles dont on nourrissail les lapins. L’expé- 
rience fut répétée encore une fois sur un autre lapin de la 
même nichée et donna les rnêmes résultats. Le second des deux 
lapins employés dans la première expérience fut tué au bout de 
96 heures, après avoir été nourri pendant tout ce temps avec des 
microbes thermophiles. L’autopsie fut pratiquée en même temps 
que des ensemencements et des préparations microscopiques. 
On obtint les cultures au bout de 18 heures et on coustata dans 
‘un des tubes une colonie de streptothrix thermophile. Ce dernier 
était donc passé intact à travers le tube digestif entier du lapin, 
ayant parfaitement conservé sa vitalité. 

En même temps que ce second lapin d'expérience (nourri de 
microbes thermophiles, pendant 96 heures), un nouveau lapin du 
même àge (n'ayant pas été nourri de microbes thermophiles) fut 
tué. Le tableau microscopique de ses fèces ne fut plus aussi simple 
que celui présenté parle premier témoin (ägé de # jours) : bien que 
les espèces prédominantes fussent toujours les mêmes, les spi- 
rilles, les petits bâtonnets grêles et les petits coccus, le nombre 
des spirilles n’était pas pourtant si grand que chez le premier, et, 
à part les espèces typiques, on observait un petit nombre d’autres 
bacilles et de coccobacilles de différentes dimensions. Le tableau 
microscopique était donc assez hétérogène, surtout.après la colo- 
ration par la méthode de Gram. Étant donné que la flore micro- 
bienne intestinale du lapin devenait plus compliquée, on devrait, 
peut-être, rapporter ce fait de l'infection ascendante des fèces à 
une contamination provenant de l'air ou d’autres sources. 
L’ensemencement à une température de 56°-57° des fèces 
d’un lapin du même âge et qui ne fut pas nourri de microbes 
thermophiles ne donna pas néanmoins de cultures, contrai- 
rement au fait constaté chez le lapin nourri avec les microbes 
thermophiles. 

Il était en outre intéressant de savoir si les microbes ther- 
mophiles, « obligatoires » conservent aussi leur vitalité dans le 


238 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


tube digestif du jeune lapin? Dans cé but, on prit une seconde 
nichée contenant également 6 lapins. On les nourrit avec les 
trois espèces de microbes thermophiles obligatoires, notamment 
les bacilles n°° 1, 8 et 15 isolés des fèces d'adultes et d'enfants 
originaires de Moscou. Deux de ces espèces formaient des 
spores et la 3° n'en donnait pas. L'expérience fut faite comme 
la précédente : on prit deux lapins âgés de 4 jours, et on nourrit 
l’un d’eux avec une émulsion des trois cultures mentionnées. 

Quelquefois, au lieu d’une émulsion en bouillon de ces cul- 
tures, on prélevait avec une pipette une couche d’une culture 
sur gélose et on l’introduisait directement dans la bouche de 
l’animal, qui léchait volontiers tout ce qui se trouvait sur la 
pipette. 

Je dois ajouter que l’ingestion dans les deux séries d’expé- 
riences des microbes thermophiles n’agissait pas défavorable- 
ment sur les lapins; ceux-ci conservaient toujours leur aspect 
habituel. 

Le second lapin servit de témoin et fut tué le premier jour 
du traitement appliqué au premier lapin. On fit des ensemen- 
cements et des préparations microscopiques du contenu de son 
tube digestif. 

Le tableau microscopique fut quelque peu différent de celui 
des lapins de la première nichée : il fut encore plus simple et 
présenta presque uniquement des bâtonnets grèles et de petits 
coccus ; les spirilles furent en très petit nombre. 

Au bout de 72 heures, on tua le premier lapin; à l’autopsie, 
on fit des ensemencements et des préparations microscopiques. 

On obünt des cultures dans tous les tubes au bout de 
18 heures; les tubes de contrôle restèrent stériles. | 

Quant au tableau microscopique fourni par les fèces de ce 
lapin, il ne se distingua pas beaucoup de celui du lapin témoin 
de 4 jours, tué au début de l'expérience; il n’y eut donc pas 
d'infection ascendante sensible, comme cela avait été le cas chez 
les individus de la première nichée. 

Nous voyons ainsi que les microbes thermophiles obliga- 
toires, qui ne poussent pas à 37° sur les milieux ordinaires, 
conservent leur vitalité dans l'organisme du lapin, dans le 
contenu de l'estomac aussi bien que dans les intestins grêles et 
gros. Ÿ conservent-ils seulement leur vitalité, ou bien sont-ils 


FLORE MICROBIENNE THERMOPHILE DE L’INTESTIN. 239 


même capables de s’y développer, — c’est ce que l'expérience, 
qui vient d’être citée, ne peut établir d’une façon précise. 

Pour serendre compte du temps que les microbes thermophiles 
peuvent passer dans le canal intestinal du lapin sans perdre leur 
vitalité, on fit l'expérience suivante : un des lapins de la seconde 
nichée a été nourri pendant 3 jours de microbes thermophiles ; 
après quoi cette ingestion fut interrompue pendant une semaine. 
Au bout de ce laps de temps, le lapin en question fut tué. On en 
fit l’autopsie: l’ensemencement du contenu du tube digestif 
donna des résultats positifs : on retrouva encore des colonies de 
microbes thermophiles bien qu’en petite quantité. 

Ces expériences sur des lapins offrent aussi, dans leur 
ensemble, un intérêt assez marqué, bien que sans rapport 
direct avec mon sujet; elles permettent, notamment, de se faire, 
jusqu'à un certain point, une idée de la flore microbienne intes- 
tinale des jeunes lapins. Dans la littérature microbiologique, il 
n'ya, sur ce sujet, que les indications données par M. Metchnikoff 
dans son travail déjà mentionné sur le choléra. 

L’autopsie de 8 lapins et les recherches microscopiques et 
bactériologiques faites sur le contenu de leurs tubes digestifs 
confirmèrent les indications de M. Metchnikoff sur la simplicité 
de la flore microbienne intestinale des jeunes lapins. Elles con- 
 cordent aussi avec les observations que M. Tissier nous a 
communiquées verbalement et qu'il a faites sur la flore micro- 
bienne intestinale d’un jeune lapin de 4 jours ; M. Tissier n’a 
constaté dans les fèces de ce dernier qu'un petit nombre de 
bâtonnets grèles et de petits coccus. Quant à mes propres expé- 
riences, l’autopsie de 8 jeunes lapins a démontré dans les fèces : 
1° la présence constante de petitsbätonnetstypiques et de petits 
coccus. Les uns comme les autres prennent le Gram et consti- 
tuent, pour ainsi dire, les espèces bactériennes obligatoires du 
canal intestinal du lapin; 2° à part ces deux espèces, d’autres 
microbes, microbes facultatifs, s’y trouvent en petit nombre et 
peuvent varier: Ainsi, dans un cas, ce sont les spirilles grêles, 
que nous avons observés, dans un autre cas de gros bâtonnets 
de différentes dimensions, bien distincts de petits bacilles 
typiques minces. 


Pour terminer le présent article, nous tâcherons de résumer 


240 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


en peu de mots nos principales conclusions. En étudiant la 
flore microbienne du canal intestinal des nourrissons et des 
personnes adultes, nous avons pu nous convaincre qu’outre 
le grand nombre des bactéries qui y poussent à la température 
intestinale habituelle, nous y observons toute une série de 
microbes thermophiles, et non seulement des thermophiles facul- 
tatifs, mais encore des thermophiles obligatoires. 

Les microbes thermophiles apparaissent dans le canal intes- 
tinal de l’homme en même temps que les bactéries ordinaires, 
c’est-à-dire dès les premières heures de sa vie extra-utérine. 

La flore thermophile des fèces des nourrissons ne se distin- 
gue pas par cette constance et cette uniformité, qui sont si 
caractéristiques de la flore normale ordinaire du canal intestinal 
de l’enfant; elle peut varier, suivant les conditions locales, clima- 
tériques, et peut-être selon d’autres circonstances analogues. 

Il est très probable que les microbes thermophiles du canal 
intestinal ne jouent pas un rôle important dans les processus 
chimiques qui s’y accomplissent et ne représentent [que des 
microbes de passage. Leur constante présence dans les fèces 
trouve peut-être son explication dans leur large propagation 
dans la nature ainsi que dans leur grande résistance, que mes 
expériences sur le sort de ces bactéries dans l’organisme du 
lapin contribuent aussi à démontrer. 

Enfin, mon travail a fourni un nouvel appui à l'hypothèse 
émise par moi il y a trois ans, à savoir que les microbes thermo- 
philes ne sont que des variétés des microbes ordinaires non 
thermophiles. | 

En terminant, je veux exprimer ma plus vive reconnaissance 
à M. Metchnikoff, qui a bien voulu me confier le sujet qui 
l'intéresse et m'aider dans ce travail par ses conseils. 

Je remercie aussi MM. les docteurs Tissier et Cohendy 
pour l'intérêt qu’ils ont témoigné à mon travail et les services 
multiples rendus pendant le cours de mes recherches. 

Je dois les photographies reproduites p. 221 à MM. les doc- 
teurs Berestnieff et Vlassilsky; je leur adresse, à cette occasion, 
tous mes remerciements. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


Le Gérant : G. Masson. 


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Anis en 


47e ANNÉE AVRIL 1903. N° 4 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 
SUR LE MAL DE CADERAS 


FLAGELLOSE PARÉSIANTE DES ÉQUIDÉS SUD-AMÉRICAINS 


Par LE Dr M. ELMASSIAN 
DIRECTEUR DE L'INSTITUT BACTÉRIOLOGIQUE DU PARAGUAY 
(Envoyé en mission par l’Institut Pasteur) 
Et LE D' KE. MIGONE, PRÉPARATEUR 
(Avec la planche VII). 


Dans une Note présentée à la Société de Biologie le 4 mai 
1901, M. Nocard disait : « A l'heure actuelle, on connaît trois 
maladies graves des animaux qui sont causées par des Trypano- 
somes : le Surra de l’Inde, le Nagara ou maladie de la tsé-tsé 
de l'Afrique australe, et la Dourine, des équidés reproducteurs, » 

Mais dès le 19 du même mois, une nouvelle maladie à 
Trypanosomes, étudiée par nous en Amérique du Sud, le-Mal de 
Caderas, venait prendre place à côté des 3 maladies citées, et 
amplifiait ainsi d’une façon notable l’aire géographique jus- 
qu’alors connue des infections flagellaires du gros bétail, La 
découverte de Theiler !, d’une affection trypanosomique, propre 
aux bovidés; celle de Dutton*, d’un Trypanosome humain, 
montrent aujourd’hui combien doit être vaste le rôle patho- 
génique des Trypanosomes dont, peut-être, nous ne connais- 
sons encore qu'une partie, 

Dans une première conférence faite à Assomption °, ‘nous 


1, A. LaverAN, Sur un nouveau Trypanosome des bovidés. C. À. Académie 
des Sciences, Tome CXXXIV, n° 9, 3 mars 1902, 

2. A. Laveran et F. Mesnir, Annales de l'Institut Pasteur, janvier 1902. — 
C. R. Acad. des Sc., 3 mars 1903. 

3. M. Ezmassrax, Mal de Caderas; Conférence faite au Conseil d'hygiène, 


Assomption, le 19 mai 1901. — Anales de la Universidad Nacional, Asuncion, 
Tomo I, Numero 1, 


16 


242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avons pour la première fois déterminé la nature trypanosomique 
du Mal de Caderas et décrit les principaux symptômes ainsi 
que les lésions les plus essentielles qui l’accompagnent, Dans 
une seconde conférence faite dans le courant de la même 
année, à Buenos-Ayres, dans la salle de la Société rurale Argen- 
tine, nous avons précisé le tableau clinique de Vaffection 
spontanée, la morphologie, l’évolution, et l’action de son para- 
site sur les diverses espèces animales; enfin nous y avons 
décrit une forme nouvelle, chronique, connue sous le nom de 
Baacy-Poy, considérée jusqu'alors comme une infection diffé- 
rente du Mal de Caderas par les éleveurs du Paraguay, 

Depuis ont paru sur le même sujet deux publications de 
O. Voges, dans lesquelles cet auteur confirme en partie nos 
observations et nos conclusions; mais il expose d’autres faits 
complètement inexacts, comme, par exemple, la sensibilité des 
volailles à l’agent infectieux du mal, la division transversale 
de ce dernier au cours de son évolution, etc., ete. 

Le travail de M. J. Zabala porte surtout sur les essais de 
reproduction expérimentale du Mal de Caderas chez un grand 
nombres d'espèces sensibles ou réfractaires, le tout accompagné 
de photographies explicatives sur les diverses positions et 
allures des animaux rendus malades. 

La récente publication de M. J. Lignières, directeur de 
l’Institut bactériologique de Buenos-Ayres, est d’une valeur 
réelle. 

On y trouve une longue série de faits expérimentaux 
concernant l’agglutination du parasite, sa vitalité, surtout dans 
le sérums d'espèces réfractaires, et enfin une minutieuse étude 
de la reproduction expérimentale de l'affection. — Cette étude, 
jointe à quelques observations sur la morphologie du parasite, 
a permis à ce savant de considérer l’entité morbide qui nous 
occupe comme différente de celles qui ont une certaine simili- 
tude avec elle: 

Nous tàcherons de résumer brièvement, dans les lignes qui 
suivent, les principales notions définitivement acquises sur 
l’histoire clinique et microbiologique du Mal de Caderas, en y 
ajoutant la description d’une nouvelle forme, spasmo-paraly- 
tique, que nous avons eu dernièrement l’occasion d'étudier au 
Paraguay. | 


SUR LE MAL DE CADERAS 243 


* 
* * 


ÉTUDE MICROBIOLOGIQUE 


La nature infectieuse et contagieuse du Mal de Caderas, 
soupçonnée depuis longtemps par les éleveurs et les savants, 
n'avait cependant pas été établie d’une façon définitive avant 
que nous abordions cette étude. Lacerda croyait avoir démontré 
que cette affection était produite chez les équidés par une moi- 
sissure existant dans les eaux d’alimentation, et qui envahirait 
l'organisme par les voies digestives, tandis que Lecler lattri- 
buait à une bactérie du type colibacillaire qu’il isola, post mortem 
de la sérosité péritonéale de chevaux ayant succombé à ce mal. 

Dans la République Argentine, dès 1897, le Mal de Caderas 
avait été l’objet d’études particulières de la part des docteurs 
Malbran et Zabala, et, à partir de 1899 seulement, du D'O. Voges, 
« sans que la nature exacte de la maladie ait pu être déter- 
minée, » (Lignières). — Nous avons été les premiers à démon- 
trer que le véritable agent pathogène est un flagellé du groupe 
des Trypanosomes, assez semblable à ceux rencontrés dans les 
différentes affections trypanosomiques des équidés; plus tard 
O0. Voges a capricieusement dénommé Trypanosoma equina le 
Trypanosome que nous avions découvert. 

Ce flagellé est effilé, long de 20 à 35 & (flagelle non compris), 
large de 2-3 y, constitué comme ses congénères par un proto- 
plasma contenant quelques granulations (chromatiques), un 
noyau ovale situé le plus souvent au milieu de son corps. Un 
filament prend naissance à une des extrémités du parasite, 
le suit parallèlement jusqu’à l’autre, où, devenant libre, il donne 
lieu à un flagelle. Entre ce dernier et le corps du parasite se 
trouve un mince ruban, ondulé et réfringent: c’est la membrane 
ondulante, Tous ces détails structuraux intimes du parasite ne 
sont visibles avec précision qu'après coloration par une des 
méthodes qui sont journellement employées à cet effet pour 
d’autres Trypanosomes. 

- Nous avons imaginé d'utiliser dans ce but un mélange de 
solutions d’hématéine et de rouge Magenta que nous préparons 
ainsi qu'il suit : 


244 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


HÉMAICANE Re re RE at O£r,50 | 

Alun ammoniacal.......... LES 5 gr, |: solution A. 
DNS RE PS LEE 0 100 ce. | 

Rouge de Magenta..." 1 gr. 

Alcool absolu Re rem 10 cr: | solution B. 
AU Rene Énromont in or RTE 100 CES 


Du sang contenant des Trypanosomes est étendu sur des lames, fixé dans 
l'alcool absolu au moins pendant 12 heures, et laissé pendant 1-3 heures 
dans un bain de bichromate de potasse à 5 0/0, Après quoi, les lames sont 
lavées soigneusement à grande eau, et colorées pendant un quart 
d'heure ou plus, s’il le faut, par le mélange de ces deux solutions (5 c. c. de 
la première et une goutte de la seconde). Il est parfois avantageux de 
soumettre successivement les lames à l'action de ces deux colorants au lieu 
de le faire simultanément, ainsi qu'il vient d’être exposé. De cette façon, on 
peut prolonger l’action de l’hématéine sans craindre une surcoloration de 
Ja part du magenta. L’adjonction de 20 à 30 grammes de glycérine pour cent de 
solution d'hématéine donne souvent, on le sait, plus de stabilité au colorant 
et plus de netteté à son pouvoir électif. Il est juste d'ajouter que la coloration 
obtenue par le procédé d'hématéine-magenta — quoique très suffisante pour 
étudier la structure et l’évolution du parasite dont nous nous occupons — n’est 
pas aussi belle que celles obtenues par les méthodes Laveran et autres. 


Le Trypanosome du Mal de Caderas coloré par notre méthode 
présente son noyau en violet, son flagelle en rouge foncé, son 
protoplasma en rouge livide, et sa membrane en rouge clair. 
Mais en outre de ces diverses parties constitutives, on observe 
encore à l’intérieur du protoplasma, près de l’extrémité obtuse 
non flagellée du parasite, un grain sphérique, parfois assez 
gros pour occuper toute la largeur du corps, qui ne fixe ni 
l’hématéine ni le magenta; c’est à peine s’il se teint légèrement 
en rose; rarement on voit à son centre un tout petit point brun. 
Cet organe peut faire défaut chez les jeunes individus, mais 
jamais chez l'adulte, où il est invariablement le point de départ 
du filament. 

Chez les Trypanosoma Evansi, Brucei et Rougeli, on constate, 
après coloration par les méthodes Laveran et Romanowsky, 
un point fortement coloré auquel aboutit toujours le filament … 
flagellaire ; ce petit organe a été nommé tour à tour micronucleus « 
(Plimmer et Bradford) et centrosome (Laveran et Mesnil). Nous 
n'avons pas encore eu entre les mains ces divers Trypanosomes … 
pour pouvoir nous rendre compte de la façon dont ils se colore- 
raient par notre méthode. Par contre, il est établi que le grain 


SUR LE MAL DE CADERAS 245 


sphérique de notre Trypanosome — que nous appellerons 
corpuscule rond, pour ne préjuger en rien de sa signification 
morphologique — est incolorable (ou invisible) par la méthode 
Laveran. C'est M. Lignières qui, le premier, a observé cette 
particularité, et il a bien voulu nous en faire part l’année dernière 
lors de notre voyage à Buenos-Ayres. Pour lui, nous disait-il, 
cela pourrait constituer un point de différenciation de notre 
Trypanosome, des autres, voisins. 

D'autre part, M. Mesnil (de l’Institut Pasteur), à qui nous 
avons envoyé des préparations non colorées du Trypanosome 
du Mal de Caderas, constatait de son côté le même phénomène 
et nous l’annonçait dans une lettre, en ajoutant que c’était là, 
pour lui, le seul point qui permettrait de distinguer morpholo- 
giquement notre Trypanosome des autres !. 

Mais ni l’un ni l’autre de ces deux savants n'insiste sur 
l'existence du « corpuscule rond », qu’il soit colorable ou non. 
On conçoit du reste qu’on n'arrive pas à le voir par la méthode 
bleu de méthylène —éosine — tannin, car, par cette méthode, le 
protoplasma du parasite est à peine coloré en bleu clair, ce qui 
ne permet pas de voir par contraste le corpuscule rond, incolo- 
rable, alors qu’on l’observe très bien par la méthode hématéine- 
magenta, et même en employant ce dernier colorant tout seul. 
Ce corpuscule est tellement gros qu'il soulève, à son niveau, les 
deux bords du parasite; par conséquent, on ne peut pas l’assi- 
miler à une zone claire ainsi qu’on l’a prétendu. Dans le sang du 
singe et au moment où il se produit une prodigieuse multipli- 
cation des Trypanosomes, l'étude de ces corpuscules est plus 
aisée. Leur nombre, à l’intérieur d’un Trypanosome, est égal à 
celui des noyaux, sauf le cas où il y a un commencement de 
division du flagelle; cela prouve que, dans l’évolution du para- 
site, la division des corpuscules peut parfois précéder la division 
des noyaux. 


4. Nous avons pu récemment, M. Laveran et moi, faire une étude morphulo- 
» gique précise du Trypanosome du Caderas, grâce à l'envoi qu'ont bien voulu nou$ 
- faire MM. Elmassian.et Lignières d'un cobaye « cadéré » qui nous a servi de 
point de départ pour infecter des mammifères variés. Nous avons constaté, sur 
préparations colorées par la méthode de Laveran, que le Trypanosome du caderas 
possède un centrosome; mais il est particulièrement difficile à voir, à cause de 
son extrême petitesse (1/3 ou 1/4 de w do diamètre) et de sa coloration ros° 
“ identique à celle du flagelle qui en part. Les centrosomes des autres Trypa- 
- nosomes se colorent en violet et sont plus gros. Nous arrivons, comme MM. El- 
massian et Lignières, à la conclusion que la structure de la partie du corps qu 
sert de base au flagelle constitue la particularité morphologique du Trypanosoma 
- equinum (voir Laverax et Meswic, C. R. Ac. Sc., 17 novembre 1902). — F, MEsNiL. 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


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SUR LE MAL DE CADERAS 247 


Le nombre des Trypanosomes dans le sang des Équidés 
atteints du Mal de Caderas est variable suivant la période de 
l'affection où on fait l’examen. En général très rares au début, 
ils deviennent nombreux à mesure que la mort se rapproche. 
Mais jamais, sauf le cas d’une infection très grave, très aiguë, 
leur présence dans cette humeur ne devient permanente. Ils y 
apparaissent lorsque la température de l'animal est au-dessus 
de 38° et ils disparaissent lorsqu'elle atteint 44°. 

Le cours d’une infection spontanée est entrecoupé de périodes 
plus ou moins longues, pendant lesquelles il est impossible de 
constater au microscope un seul parasite; cependant l’injection, 
en ce moment, de quelques gouttes de sang aux espèces récep- 
tives prouve l’état tout apparent de stérilité de cette humeur. Il 
suffit de jeter un coup d’œil sur les tracés pour se rendre exacte- 
ment compte de cette variation. 

Le Trypanosome du Mal de Caderas est mobile comme tous 
les autres. Sa mobilité présente toutefois un caractère assez 
spécial. Dans une goutte de sang chargé de ces parasites vivants 
« on le voit se déplacer tantôt en effectuant avec son corps des 
ondulations flexueuses en lanière de fouet, tantôt faisant contracter 
et distendre son corps à la façon d'un serpent; d’autres fois 
rapprocher ses deux extrémités et immédiatement s’infliger une 
brusque expansion, enfin, quoique rarement, présenter des mou- 
vements d’oscillation et de rotation rapides. Pendant tous ces 
mouvements, on voit onduler la membrane. 

Sa vitalité est, en dehors de l'organisme, en rapport inverse 
avec le degré de température. Selon M. Lignières, il peut vivre 
dans la glacière jusqu’à trois jours, en conservant sa mobilité, 
quoique très diminuée. 

La multiplication de ce Trypanosome à l’intérieur de l’écono- 
mie s'effectue par division directe et longitudinale, commençant 
indifféremment par l’un ou l’autre bout du parasite, plus sou- 
vent par son extrémité flagellaire (antérieure) que par l’autre, 
obtuse (postérieure). On étudie bien cette division chez les 
animaux qui, grâce à leur exceptionnelle sensibilité, donnent 
lieu à une prodigieuse multiplication des parasites dans leur 
système circulatoire, comme par exemple : le singe, la souris, 
le rat, Chez le premier, le Trypanosome du Mal de Caderas est 
très volumineux, plus encore chez la souris, Avant sa divi- 


248 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


sion, on le voit augmenter de largeur, son corpuscule rond et son 
filument se dédoubler sans perdre le contact entre eux. A ce 
moment, le noyau est déjà plus allongé et, plus tard, on le voit 
séparé en deux par une raie claire. Les deux noyaux s’éloignent 
l’un de l’autre et chacun d’eux se loge sur un bord du Trypano- 
some. Le dédoublement du filament parfois s’achève tardivement 
et on voit à un moment donné le protoplasma du parasite 
traversé en partie par un bout de filament dédoublé qui indique 
le sens de la division qui va se produire. Elle est quelquefois 
très capricieuse. Jamais il ne nous a été donné, au cours de ces 
études, d'observer de division transversale. M. Lignières nous 
confirme entièrement sur ce point. 

Dans une goutte de sang chargée de Trypanosomes du Mal de 
Cideras, on voit souvent au microscope deux de ces parasites 
se rapprocher par leurs bouts postérieurs, paraître se confondre 
en un seul, et un moment après se séparer pour reprendre leur 
forme antérieure. Les préparations colorées en présentent de 
nombreux exemples, où on trouve à peine une ligne de démar- 
cation entre deux individus ainsi accollés. 


* 
# * 


Erupe CLINIQUE ! : FORME COMMUNE DU MAL DE CADERAS 


Le Mal de Caderas est une maladie infectieuse qui atteint 
les équidés d’une façon générale, mais plus spécialement l’espèce 
chevaline, et qui est caractérisée dans ses signes extérieurs 
par un amaigrissement progressif, une anémie profonde, aussi 
et surtout par une parésie très prononcée du train postérieur, 
laquelle se généralisant amène finalement la mort. En considé- 
ration de ce qui précède nous l’avons dénommée flagellose paré- 
siinte des équidés. » Nous y ajouterons les mots sud-américains 
pour mieux désigner son origine. M. Lignières préfère l'appeler 
Trypanosomose des équidés sud-américains qui‘la différencie autant 
des autres affections à Trypanosomes sans cependant préciser 
mieux sa nature clinique exacte. 

En raison de fa grande réceptivité spontanée de la race che- 
valine vis-à-vis de cette injection trypanosomique, c’est cette 
race qui lui paye le plus large tribut dans nos régions. Le mulet, 


4. Pour la description clinique de cette affection, nous ferons un large 


emprunt à nos publications antérieures qui, en partie publiées en espagnol, n’ont 
pas été traduites en français, 


SUR LE MAL DE CADERAS 249 


quoique plus résistant, n'échappe pas à la maladie naturelle, 
tandis qu'il est exceptionnel de voir l’âne en être victime. Étant 
données ces considérations, l'étude du Mal de Caderas spontané 
du cheval devient d'un intérêt réel, et c’est du reste la seule qui 
soit bien connue à l’heure actuelle. Nous prendrons par consé- 
quent cette maladie spontanée comme type pour notre des- 
eriplion. 

« Le début de l'affection, chez le cheval, est insidieux; en 
dehors de l’amaigrissement qui est rapide et progressif, rien 
n'éveille l'attention. En quelques jours, la consomption de 
l'animal devient visible à l’œil, bien que le bon appétit soit con- 
servé. De temps à autre, l’animal est haletant, poussif, l’œil 
fixe, la tête baissée, semblant être en proie à une oppression. 
Si en ce moment on lui applique le thermomètre, on constate 
que sa température est très élevée 40°, 41°, même plus, signe 
unique qui, dans cette période initiale, puisse d’une façon tan- 
sible nous démontrer les troubles morbides existants. Mais cela 
dure à peine 2% heures et l’animal reprend pour ainsi dire son 
élat normal apparent. » 

« Il est difficile de déterminer, même d’une façon approxi- 
mative, cette période de début, dans les cas spontanés, jusqu’à 
l'apparition des symptômes plus significatifs. Un jour, on s’aper- 
çoit que le train postérieur est paresseux, le pas hésitant; enfin 
un léger trouble est sur le point de s'installer dans la marche 
de l'animal. Plus tard, cela S’accuse davantage; le cheval traine 
visiblement ses jambes de derrière et le bord du sabot rase le 
sol; au repos, rien ne fait penser à l’existence d’une affection 
chez la bête, si ce n’est sa maigreur excessive ; mais aussitôt 
qu’on l’excite à marcher, elle s’avance en chancelant, la croupe 
se balançant à droite et à gauche, créant ainsi le signe le plus 
essentiel qui caractérise extérieurement l’affection et auquel on 
doit la dénomination de Mal de Caderas (maladie de la croupe) 
dans le langage des éleveurs. 

« Dans une période plus avancée de l'affection, les troubles 
que nous venons de signaler s’accusent de plus en plus, il arrive 
un moment où la station debout devient impossible, Si l’animal 
se trouve dans une écurie, par sa tête et par sa croupe il cher- 
ehe un point d'appui que ses membres lui refusent; s’il est en 
plein air, ses efforts restent inutiles; en vain il écarte ses 


250 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


jambes de derrière, de devant, pour augmenter sa base de sta- 
bilité, il reste quelque temps chancelant sur ses membres et 
finit par tomber. S'il se relève, c'est pour retomber après quel- 
que temps. 

« La mort ne suit pas toujours la chute; il arrive que si 
l’on nourrit bien l'animal, la vie se prolonge encore quelques 
jours. Pour les animaux vivant en plein champ, livrés à la merci 
du hasard, l’inanition et la soif précipitent le dénouement fatal. 
Mais quelles que soient les conditions de nourriture de l’animal 
tombé, la maladie évolue et les parésies primitives finisssent 
par se généraliser; à ce moment l'animal est couché sur le côté, - 
la tête et l’encolure allongée, et reste ainsi étourdi jusqu’à ce 
que la mort arrive. De temps en temps, il fait quelques efforts 
pour relever la tête, pousse quelques gémissements, agite ses 
membres, mais fatigué, épuisé, revient à sa position antérieure. 
Bientôt apparaît l’état comateux, lequel est parfois tellement 
profond et dépressif qu’il est difficile à l'observateur de le dis- 
tinguer de l’agonie. Cela dure encore quelques heures ou deux 
à trois jours, et aboutit invariablement à la mort. Les cas de 
guérison seraient exceptionnels, et, pour notre part, il ne nous 
a pas été donné d'en constater. 

« La fièvre est un élément des plus importants du tableau 
clinique du mal. Sa courbe affecte une intermittence régulière, 
tout au moins au début, avec des rémissions matinales très 
accusées, et vers la fin, elle présente des intervalles successifs 
de paroxysme très manifestes, bien que, à cette époque, elle 
revienne rarement à la normale. Le maximum de la courbe 
peut atteindre 40°,41°, voire même 41°,8 et le minimum 35°,34°. 
D'une façon générale, la température de l’animal reste toujours 
élevée, sujette à des recrudescences périodiques, si minimes 
qu’elles soient, et la mort survient suivant les cas à n’importe 
quelle période de la courbe thermique. Il est juste de dire que 
lorsque la maladie ne revêt pas certaines formes de gravité et 
surtout si elle évolue lentement, la mort survient alors que la 
température oscille entre 38,5 et 39°. Voici quelques tracés 
thermiques dont chacun répond à un type particulier. 

« La sécrétion urinaire est presque constamment altérée et 
présente des troubles dont les plus importants sont l’albumit- 
nurie et l’hématurie. Dans les premiers jours de l’affection, les 


SUR LE MAL DE CADERAS. 254 


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urines sont chargées, fortement colorées en jaune; elles ont 
l'aspect huileux ou laïteux, et elles contiennent de l’albumine en 


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Observation 6. 


proportion variable suivant les lésions des reins toujours cons- 
tantes. L’hématurie, d'habitude très discrète acquiert, parfois des 
proportions telles que les urines paraissent du sang pur; jamais 


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252 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


il ne nous a été donné de constater la présence des parasites 
spécifiques dans les urines. En dehors de ces altérations chi- 
miques et physiques des urines, ilyen a d’autres de nature fonc- 
tionnelles, comme la pollakurie, par exemple, qui est très fré- 
quente et qui semble provoquée par une légère irritation de la 
muqueuse vésicale, ‘ 


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Observation 9. 


« La peauest parfois le siège d’une éruption légère exsudative. 
Sur l’encolure et sur la croupe, on observe alors des plaques 
isolées, d’une étendue de 3 à 4 centimètres, au niveau desquelles 
la peau est légèrement épaissie et irritée, rougeâtre, crevassée 
et traversée par des lignes hémorragiques sèches, le tout recou- 
vert le plus souvent de croutes peu épaisses et peu adhérentes. 
Les plaques sont très clairsemées de poils ou absolument nues. » 
Les coatis inoculés présentent souvent des plaques d’alopécies 
analogues. 

« Nous n’avons pas observé, ainsi qu’il arrive dans d’autres 
maladies à trypanosomes, d'œdèmes cutanés. Il y a parfois des 
infiltrations, mais ce sont de véritables transsudations sous- 
cutanées, qui sont plutôt localisées sur les membres que sur le 
tronc. Elles siègent de préférence au niveau des articulations. 
Cesinfiltrations sont passagères, fugitives et ambulatoires ; elles 
disparaissent en aussi peu de temps qu’elles ont mis pour appa- 
raître et quittent une région pour se localiser sur une autre. 


SUR LE MAL DE CADERAS 


19 


253 


Une des régions préférées de cette transsudation est la partie 
déclive de l’abdomen, la face interne des cuisses; mais, je lerépète, 
elles y sont plus rarement observées que sur les membres. » 

Pour terminer cette description résumée du Mal de Caderas 
spontané chez le cheval, dans sa forme la plus commune, il 
nous reste encore à dire quelques mots des symptômes oculaires 
qui, par leur fréquence, présentent quelque intérêt. 

Les paupières sont souvent le siège, surtout au début, d’un 
œdème assez prononcé, accompagné suivant son intensité 
de chémosis, de conjonctivite ; dans ce cas un abondant écou- 
lement muco-purulent s’échappe par les yeux. 

En outre, il n’est pas rare de constater sur la cornée des 
taches laiteuses de dimension variable, à bords irréguliers mal 
limités, localisées plutôt dans la partie inférieure de cet organe. 
Anatomiquement considérées, ces taches sont le résultat d’une 
kératite interstitielle diffuse, intéressant surtout les parties 
antérieures et superficielles de la membrane qu’elles atteignent ; 
toujours fugaces, toujours bénignes, ces altérations disparais- 
sent sans laisser de traces de leur évolution, L’hypopyon encore 
assez rare est rapidement résorbé. Et on reste étonné de voir 
ce cortège imposant de troubles oculaires apparaître et dispa- 
raître en si peu de temps (quelques jours) et présenter une 
bénignité si remarquable. 

Il y a peu de signes à noter du côté des voies respiratoires et 
digestives. Pendant seulement les quelques heures ou les 
quelques jours qui précèdent la mort, lu dyspnée apparaît intense 
et continuelle; c’est probablement à elle qu’est due l'agitation 
dont est secoué l’animal pendant toute la durée de l’agonie, 
L'état oppressif de la respiration n’est manifeste durant le cours 
de l’affection que lorsque la température dépasse 40°. 

L’appétit est conservé; la bête ne cesse de manger jusqu’au 
dernier jour de sa vie. Parfois il y a des troubles digestifs : 
irritation de la muqueuse intestinale, accompagnée d'expulsion 
par le rectum d’un liquide comme du blanc d'œuf battu ; d’autres 
fois, diarrhée persistante. Mais ce qui est plus saillant, c’est la 
paralysie progressive du sphincter anal, de la vessie, qui déter- 
mine naturellement l’incontinence des matières fécales et des 
urines. | 

Les troubles circulatoires se traduisent durant la vie par 


254 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’accélération du pouls aux moments paroxystiques de la fièvre, 
et l’anémie profonde qui fait pàlir la conjonctive, la pituitaire 
et la muqueuse buccale de Panimal. 

Quelle est la durée de cette forme naturelle du mal, de son 
incubation, de sa période paralytique? IL est difficile de répondre 
même approximativement. Le début de laffection est peu 
bruyant, elle ne se signale à lattention que par des signes peu 
saisissables (surtout pour les campagnards), tels, par exemple, 
que fièvre, trisiesse, anorexie légère, etc. On ne s’aperçoit de 
lPexistence du mal que lorsque lamaigrissement et les troubles 
locomoteurs deviennent manifestes, Mais, à cette époque, l’affec- 
tion touche presque à sa fin; partant, ilest presque impossible de 
résoudre par observation directe les questions posées. — D’après 
le dire des éleveurs et nos propres investigations, nous pouvons 
avancer, néanmoins, qu'un cheval chez lequel commencent à 
peine à se manifester des symptômes de parésie peut mourir 
entre 8 jours et un mois ou deux, exceptionnellement plus. 
Quant à la période d’incubation et à la durée totale de la maladie 
spontanée, nous préférons ne rien préciser, et, pour en donner 
une idée approximative, nous référer à la maladie expérimen- 
tale dont il sera question un peu plus loin. 


* 


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MAL DE CADERAS CHRONIQUE (OU A ÉVOLUTION LENTE) 


Dans les régions fréquemment ravagées par ce fléau, on 
parle souvent d’une affection du cheval connue sous les noms 
de Baacy-poy, Baacy-poucou, ou Pirou-poucou (expressions quarang 
qui signifient maladie, ou amaigrissement à longue durée), 
caractérisée par une émaciation progressive et profonde, don- 
nant à l’animal l’aspect d’une bête momifiée sans provoquer, 
du moins, pendant des mois, aucun trouble de Jocomotion. Les 
éleveurs la considèrent comme une entité à part, n'ayant aucun 
rapport d’origine avec la flagellose parésiante commune, Mais 
par une conception bizarre, ils arrivent tout de mème à déclarer 
qu’à la fin, une transformation se produisant, l'animal qui com- 
mence par souffrir de Baacy-poy meurt, invariablement, du Mal 
de Caderas. — Nous avons eu l’occasion d’étudier à plusieurs 
reprises cetle forme à marche prolongée et à symptômes atté- 
nués de la maladie connue, et chaque fois nous avons pu 


SUR LE MAL DE CADERAS 259 


démontrer par voie expérimentale la présence des Trypanosomes 
spécifiques dans le sang des animaux atteints. Par conséquent, 
entre ces deux affections prétendues différentes, il ne peut être 
question que de variétés cliniques. 

Le Baacy-poy peut paraître à l'état isolé, ou se montrer sur 
un plus ou moins grand nombre de bêtes pendant une épidémie 
de Mal de Caderas; mais le plus souvent il règne à l’état épidé- 
mique, c’est-à-dire que dans une région dévastée, tous les sujets 
malades se présentent sous un même aspect clinique. A tel point 
que quand on y arrivé pour se livrer à quelques études, on est 
frappé de l’homogénité des symptômes qui existent chez tous les 
infectés en général. S'il nous a été difficile d'établir, dès les 
premiers jours de la maladie, la description clinique d’un cas 
de Mal de Caderas commun, à cause des raisons exposées plus 
haut, il est encore plus difficile de le faire quand il s’agit de la 
forme Baacy-poy. 

En effet, dans cette forme, le début est plus insidieux, les 
signes extérieurs plus atténués (tout au moins au commence- 
ment) et la durée plus longue. Nous ne pouvons donc que 
résumér ici les notes prises sur les champs d’épidémies, rela- 
tives à Phistoire clinique de cette forme particulière de flagellose, 
et y ajouter le compte rendu de quelques expériences de con- 
trôle, effectuées dans le but d'éclairer le côté bactériologique 
et anatomo-pathologique de la question. Le tout, à défaut d’une 
description détaillée, pourra permettre de se faire une idée 
plus ou moins concrète du Baacy-poy sous ses différents points 
de vue. 

Lorsque cette forme chronique du mal commence à envahir 
une propriété qui contient des milliers d’équidés, on ne s’en 
aperçoit que lorsque tous sont déjà sous le coup de l'infection. 
Un beau jour, on note que l’émaciation des bêtes, qu’on suppo- 
sait se produire par une foule de circonstances, prend des 
proportions inquiétantes. Les grandes chaleurs, la sécheresse 
qu’on a pu un moment incriminer sont suivies par la pluie, par 
la saison d’hiver, sans que la moindre amélioration se produise 
dans l’état général des troupeaux; et enfin les animaux com- 
mencent à mourir les uns après les autres, après avoir titubé 
pendant quelques mois, 

La mort sera aussi fatale dans ce cas que dans la forme 


256 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


commune du mal, et toute la population équine disparaîtra, 
sans exception aucune. 

Isolons quelques chevaux malades et observons-les. D'abord 
nous trouverons que les malades, malgré leur état dépressif 
accusé, sont encore suffisamment maîtres de leur train posté- 
rieur. Leur démarche est presque normale. C’est à peine si on 
les voit légèrement tituber après plusieurs minutes de ‘trot ou 
de galop. Si on les garde au laboratoire, ils pourront y vivre 
encore des mois avant que les altérations de l’allure soient mani- 
festes. | 

De temps à autre, on notera de vastes œdèmes dans les 
parties déclives du ventre, de l’albumine et du sang dans les 
urines, et des troubles de réfraction aux yeux. 

La courbe thermique est très instructive. La température de 
l'animal oscille entre 37°,5 et 38°; rarement elle dépasse 390. Par 
conséquent, si peu accusé qu'il soit, il y a un état fébrile, avec 
paroxysmes et rémissions, qui à la fin du reste disparaissent 
complètement, pour laisser à l'animal une ligne thermique 
presque droite. 

L'examen du sang au microscope ne révèle pas la présence 
de Trypanosomes — du moins, pour notre part, jamais nous 
n’avons pu faire pareille constatation. Il nous a été cependant 
toujours facile de prouver le pouvoir infectant de cette tumeur 
par la voie d’inoculation, soit directement du cheval à cheval, 
soit à une espèce sensible quelconque. 

Les parésies, pour être tardives, n’en sont pas moins mani- 
festes, typiques. Elles sont, ici, plus prononcées, plus caracté- 
ristiques qu'ailleurs. On dirait même que ce symptôme, pour 
avoir mis plus de temps a se produire, est devenu plus complet et 
plus classique dans sa manifestation. Les parésies sont plus len- 
tement progressives, plus fines dans leurs détails, et toutes diffé- 
rentes des autres, précoces, à évolution rapide, parfois même 
frustes, ce qui du reste a amené divers auteurs à dire que les 
phénomènes paralytiques manquent souvent ou qu’ils n’appa- 
raissent que pendant quelques heures avant la mort. Rien de 
plus inexact, Dans les maladies spontanées, elles durent, nous 
l’avons dit, plusieurs jours ou plusieurs semaines, Cette diffé- 
rence d'opinion provient peut-être de ce que tous les auteurs 
qui se sont occupés du Mal de Caderas n’ont dû étudier que la 


SUR LE MAL DE CADERAS 257 


maladie expérimentale, forcément plus grave, plus rapide, où 
les parésies peuvent être à peine ébauchées, sans que cela soit 
cependant la règle. 

Les conditions pathogéniques exactes de cette forme chro- 
nique nous échappent totalement, et nous ne saurions avancer 
que la cause en soit une atténuation notable du parasite, non 
plus que des circonstances diverses, plus en rapport avec le 
mécanisme de défense du cheval, interviennent dans sa produc- 
tion. Un fait expérimental très suggestif dans cet ordre d'idées 
est le suivant: lorsqu'on injecte à un cheval sain le sang, appa- 
remment non peuplé, d’un cheval qui a le Baacy-poy en aussi 
minime quantité qu’on voudra, ce n’est pas cette dernière forme 
qu’on produira, mais bien une forme expérimentale commune, 
celle qu’on en obtient en partant d’un cas spontané aigu. 

Exactement une semaine après, les Trypanosomes apparai- 
iront dans le sang du cheval inoculé, aussi abondants, aussi 
virulents (pour les singes) que d'habitude. Il n’y a rien là qui 
puisse favoriser l'hypothèse d’une atténuation dans la patho- 
génie du Baacy-poy. 

Rapprochons un autre fait du précédent : si l’on inocule un 
cheval sain avec des Trypanosomes qui ont subi quelques pas- 
sages à travers des organismes peu sensibles à leur action, 
comme le coati, le chat, par exemple, on provoquera de la sorte 
une infection expérimentale dont le début sera peut-être à peine 
atténué; mais, dans la suite, l’atténuation s’accusant davantage, 
on aura sous les yeux tout le tableau clinique de la maladie 
chronique spontanée, c'est-à-dire la forme caractéristique des 
parésies avec maintien de la température à 38° (avec à peine une 
rémission matinale) et disparition apparente des Trypanosomes 
du sang, ce dernier restant toujours infectieux. La mort peut 
tarder dans ce cas 5-6 mois, parfois même plus. 

Quelle que soit l'interprétation de ces deux faits, nous 
croyons que dans les conditions naturelles de la pathogénie du 
Baacy-poy il y a plus d’un point encore obscur pour nous. 
Cette modalité si bizarre serait-elle due à une forme évolutive 
encore inconnue du parasite ? Ce n’est là qu’une simple suppo- 
sition. 


17 


258 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


# 
*X *% 


LÉSIONS INTERNES 

Lorsqu'on ouvre un cheval ayant succombé au Mal de Cade- 
ras, la première constatation qu’on fait, c’est l’existence d’une 
quantité plus ou moins grande, suivant la gravité des cas, d’un 
exsudat séro-fibrineux qui occupe les cavités séreuses suivantes, 
rangées par ordre de prédilection : péritoine, plèvre, péricarde 
et même synoviales articulaires (dans le cas où il existe des 
localisations exsudatives au niveau des grosses jointures). Cet 
exsudat est transparent, jaune citrin, rarement louche; il contient 
des leucocytes mono — et polynucléaires peu nombreux, jamais 
nous n’y avons noté de parasites spécifiques. Toutes ces séreuses 
sont légèrement irritées et présentent à leur surface une arbori- 
sation vasculaire peu marquée. La dilatation des petits vais- 
seaux et des capillaires paraît être un des phénomènes les plus 
constants de l’action de ces Trypanosomes ou de leurs sécrétions 
sur Je système circulatoire périphérique. 

Tous les organes internes glandulo-vasculaires comme le 
foie, la rate, le pancréas, sont fortement injectés, turgescents, 
d'aspect foncé, et laissent noter une certaine tuméfaction. Celle 
de la rate surtout est très notable. 

Le système lymphatique n’est pas moins atteint; cela se 
voit surtout au niveau des ganglions lymphatiques, engorgés, 
hypertrophiés, pulpeux, quelques-uns même rougeàtres (gan- 
glions mésentériques). Ils révèlent au microscope une dilata- 
tion vasculaire avec des Trypanosomes, si l'animal est mort en 
en présentant beaucoup dans le sang; semblables constatations 
sont faites dans la rate. 

Mais il semble que les lésions les plus saïllantes après les 
altérations diverses du sang sont celles localisées dans les reins, 
presque toujours constantes. Dans les cas graves et chroniques, 
elles sont mème de règle. L'expression générale de ces lésions 
est une hémorragie interstitielle diffuse, avec néphrite paren- 
chymateuse, aiguë ou chronique, suivant les cas. L’'hémorragie, 
parfois abondante, siège tout le long des tubes urinifères, plus 
spécialement des tubes contournés et des anses de Henle; au 
niveau des glomérules, elle est discrète, et elle n’envahit 
qu’exceptionnellement la capsules de Bowman. 

Les cellules glandulo-épithéliales sont le siège d’altérations 


SUR LE MAL DE CADERAS 259 


mécaniques dues à la compression considérable provoquée par 
les amas de sang extravasé autour des tubes. Cette compres- 
sion peut même produire sur plusieurs points, depuis le glomé- 
rule jusqu’au bassinet, l’oblitération complète de leurs lumières, 
et y arrêter le cours du liquide circulant. L'accumulation de 
l'urine en amont de ces points est la cause naturelle des dilata- 
tions qu’on y observe et des altérations irritatives des cellules 
parenchymateuses qui ne tardent pas à se produire. Tous ces 
troubles sont traduits sur les coupes par un déchiquètement des 
bords libresdes cellules parenchymateuses, ou, àcertainsendroits, 
par leur entière destruction et par une grande quantité de 
détritus cellulaires qni encombrent l’intérieur des tubes, sous 
forme d’amas de substances amorphes. Toutes ces lésions nous 
expliquent très bien l’existence durant la vie chez le malade 
d’une altération chimique et physique des urines (albumine, 
sang, cellules rénales, ete.). | 

A la section transversale des reins, on distingue facilement 
les régions où siègent de préférence les foyers hémorragiques ; 
ces régions soht en rouge foncé et se trouvent au niveau 
des pyramides de Malpighi, Ferrein, et tout le long de la voñte 
artérielle des reins. Rien à la surface de l’organe. 

Presque rien à noter comme lésions pour le système ner- 
veux ceniral. Exsudat gélatineux citrin insignifiant dans le canal 
rachidien entre dure et pie-mère, encore que peu constant. Les 
surfaces internes de ces deux enveloppes membraneuses peu- 
vent être légèrement irritées ou franchement injectées. Sur les 
masses cérébrale et médullaire, on trouve un piqueté discret, 
lequel, avec quelques caiïllots minuscules sous-arachnoïdiens, 
est la seule altération macroscopique des centres nerveux 
digne de mention. 

Les variations quantitatives et qualitatives, que le sang pré- 
sente chez les animaux atteints de l'infection que nous étudions, 
sont certainement, entre toutes, les plus intéressantes et aussi les 
plus caractéristiques. Il y a d’abord à constater la diminution 
progressive du nombre des hématies, jusqu’à la moitié ou le 
quart du type normal; il y a ensuite la perte en hémoglobine 
que subissent les globules rouges, qui deviennent d'une couleur 
_ jaune pâle. 

Ces altérations profondes de la masse sanguine se reflètent à 


_ 


260. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'extérieur de l’économie surtout par l'aspect livide dés mu- 
queuses, comme nous l’avons dit plus haut (gencives, conjonc- 
tive et pituitaire). 

Les troubies oculaires ont déjà été mentionnés; ils présen- 
ent tron peu de gravité pour pouvoir créer de lésions impor- 
tantes durables, 

Les voies respiratoires sont légèrement irritées et couvertes 
d’un peu de sécrétion muqueuse ou muco-purulente. Durant la 
vie, elle coule par les narines et fait penser à la gourme. 

L'état emphysémateux des poumons qu’on observe parfois 
sur les cadavres est, sans aucun doute, dû à la dyspnée intense 
qui règne vers la fin de la vie. 


* 
# *# 


FORME SPASMO-PARALYTIQUE DU MAL DE CADERAS 


Dernièrement, nous avons eu l’occasion d'étudier un cas de 
Mal de Caderas où une série de phénomènes nerveux, de nature 
spasmodique, ont compliqué d’une façon particulière le cadre 
clinique de cette affection. Ce qui a caractérisé surtout cette 
forme bizarre, c’est d’une part l'apparition au début de quelques 
contractions musculaires tout à fait insolites dans l'espèce : c'est 
de l’autre la coexistence, avec des Trypanosomes connus, de 
formes parasitaires d’une structure qui, de prime abord, les rap- 
proche des algues. 

Nous résumons cette observation ainsi qu'il suit ; 

Le 10 mars 1902, on trouve, près de Paraguay, à l’estancia 
de M. V. V., deux chevaux dont la maigreur, peu accusée du 
reste, fait soupconner chez eux le Mal de Caderas, déjà à cette 
époque assez répandu aux environs. Un mois après nous arri- 
vons sur les lieux pour établir un diagnostic et nous trouvons 
les animaux isolés dans un enclos. En dehors de la légère éma- 
ciation, rien ne fait supposer chez eux l’évolution d’une infec- 
tion quelconque. La température est pour l’un 37°,6 ; 370,8 pour 
l’autre, Etle sang, malgré l'examen attentif avec lequel on l’étudie 
au microscope, paraît chez l’uncomme chez l’autre dans un absolu 
état de stérilité, Rien à noter non plus dans la marche qui s’ob- 
serve normale chez tous les deux, sauf une très légère débilité 
du train postérieur, visible seulement après un galop de plu- 

sieurs minutes. 


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SUR LE MAL DE CADERAS. 261 


L'un deux est amené à l’Institut, et l’observation se conti- 
nuant, nous nous assurons enfin de la nature trypanosomique de 
l'affection, soit par voie d’inoculation, soit aussi par l'apparition 
quoique tardive, des Trypanosomes spécifiques dans le sang de 
l'animal, En effet, depuis le 10 jusqu’au 15 mars, le sang de ce 
dernier est resté dans un état apparemment non peuplé ; il l’a 
êté probablement depuis qu'il est soupçonné malade, car on ne 
peut comparer ce laps de temps relativement long avec les 
utervalles courts où le sang, dans les cas de Mal de Caderas com- 
mun, reste non peuplé. La nature faiblement infectieuse du sang 
chez cet animal est mise plus en relief par une inoculation à un 
singe. Il en est introduit 7 gouttes sous la peau d’un miriquinas 
de petite taille. Les Trypanosomes ne font leur apparition dans 
le sang chez ce dernier que 11 jours après, alors que dans 
d’autres cas c’est entre le 3° et le 4° jcur de l'inoculation. Jamais 
chez le singe la maladie expérimentale ne dure plus que 
8-10 jours ; dans le cas présent, elle a duré 16 jours. 

Pendant que le sang du cheval se montrait dépourvu de Trypa- 
nosomes, d’autres formes parasitaires, avons-nous dit, y ont été 
constatées : ce sont d'énormes cellules allongées, pointues à un 
bout, rectangulaires ou arrondies à l’autre. Colorées par l'héma- 
téine-magenta, elles se présentent sous formes de minces rubans 
auxquels on aurait effilé une extrémité. Elles mesurent à peu 
près 60 & de long et 8 à 10 x de large, La membrane est nette- 
ment dessinée, les noyaux au nombre de 5-6 sont de forme 
carrée, les uns plus petits que les autres, et ils sont en ligne à 
l'intérieur du parasite, de façon que les plus petits correspon- 
dent à son bout pointu et les plus volumineux à l’autre, large. 
Entre deux noyaux ainsi qu'entre ces derniers et la membrane, 
il reste un espace clair, étroit, à peine teinté en rouge, c’est 
le protoplasma de la cellule parasite. 

A côté de ces formes on en voit d’autres plus petites, carrées 
ou rondes, contenant un gros noyau quifixe bien l’hématéine, 
entouré d’une mince portion de protoplasma coloré en rouge par 
le magenta, La safranine, le bleu Borrel-tannin donnent une 
coloration avec mêmes détails morphologiques. 

Pour ce qui concerne l’état général de la bête, nous devons 
relater enfin les phénomènes nerveux qui se sont installés chez 
elle dès qu’elle a été dans notre laboratoire, et, chose curieuse, 


"262 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ont précédé de plusieurs jours les symptômes classiques du 
Mal de Caderas. 

Dès l’abord, elle présentait peu d’appétit. De temps à autre on 
le trouvait la bouche pleine d’écume. Cherchant à en pénétrer 
la cause, on n’a pas tardé à voir que la bête avait un léger 
trismus, ce qui l’emmpêchait de manger et de boire. Ce trismus 
n’a pas élé permanent, et grâce à cela l’animal pouvait s’ali- 
menter, quoique mal. Cependant l’amaigrissement fut rapide. 
Le 14 mars, le matin, le cheval eut une espèce d’attaque épilep- 
tiforme. Il était dans un calme apparent quand tout à coup il 
a commencé à présenter une série de contractures involontaires, 
seyant dans les muscles de la face, de la tête et de l’encolure, 
provoquant la déviation de toutes ces parties vers le flanc 
gauche. Dans cette situation il avait la tête fortement étendue 
en avant et la bouche effleurait les côtes comme s’il cherchait 
à se gratter. La face de l’animal avait complètement changé 
d'expression : la bouche pleine d’écume, les yeux saillants, les 
oreilles baissées en arrière lui donnaient l’aspect d’un fauve qui 
s'apprête à se jeter sur un agresseur qui le suit. - 

Durant l’accès, l'animal ne cessait pas de mâchonner etune 
salive épaisse et mousseuse produite par les mouvements de 
déduction des mâchoires s’échappait d’entre les lèvres. La 
langue n’était pas à l’abri des spasmes : on la voyait ramassée 
et tordue sur elle-même, et la pointe étirée se portait convulsive- 
ment du côté où convergent toutes les contractures. Les lèvres 
aussi étaient contracturées. Relevées et convulstes vers la 
commissure gauche, elles étaient le siège de mouvements inces- 
sants comme ceux exécutés pendant la préhension des aliments. 
L'ensemble de l’état spasmodique des lèvres, des mâchoires et de 
la langue était pareil aux mouvements combinés de ces organes 
dans un cas où l’animal, ayant une épine plantée dans la 
bouche, chercherait sans y parvenir à s’en débarrasser. 

Pendant toute la durée de l’attaque, les contractures de 
l’encolure de la tête et de la face persistaient, mais de temps à 
autre elles augmeñtaient d'intensité, soit alternativement, soit 
simultanément, Par exemple, à un moment donné, l'animal! 
arrivait à écarter légèrement sa tête de ses flancs, la baissait, 
la relevait, en cherchant une meilleure posture, mais soudain 
les contractures, reprenant la déviation vicieuse, se réalisaient 


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SUR LE MAL DE CADERAS 263 


à nouveau. On aurait dit qu'il y avait des accès subintrants durant 
uve seule attaque. 

Elle dure 5-10 minutes et se répète 4-5 fois en 24 heures. 
La nuit, le nombre des attaques est moindre que dans la 
journée, Pendant et après les attaques, la température de 
l'animal ne varie pas, et, en dehors du trismus qui persiste, 
tout disparaît, Pour corriger la déviation de son encolure, le 
cheval tourne souvent sur lui-même ; mais, vite pris de vertige, 
il tornbe par terre et y reste, sans perdre la connaissance, 
jusqu'à la fin de la crise. 

Cet état de choses a duré, parallèlement avec l’absence des 
Trypanosomes dans le sang, jusqu’au 25 mars, époque où ces 
* derniers ont fait leur apparition et où les phénomènes nerveux 
ont complètement cessé. A partir de ce jour, le Mal de Caderas 
évoluait chez la bête dans sa forme la plus classique; la mort 
est arrivé spontanément le 10 avril. — Jusqu'à cette date les 
formes parasitaires . curieuses dont nous avons parlé n’ont 
jamais manqué dans le sang. 

En résumé, ces phénomènes spasmodiques n’ont paru dans 
ce cas que comme des symptômes préliminaires dans la marche 
et l’évolution générale de l'affection; car au fur et à mesure que 
les manifestations paralytiques devenaient chez l'animal plus 
apparentes, les signes d’excitation cérébro-spinale allaient 
s’atténuant pour enfin complètement disparaître. 

En présence de cette modalité insolite du Mal de Caderas et de 
la coincidence des formes parasitaires non moins curieuses dans 
le sang du même malade, quelle interprétation paraît la plus 
rationnelle? Ne pourrait-on penser à la superposition, dans ce 
cas, de deux infections, l’une occasionnée par les Trypanosomes 
spécifiques ordinaires, et l'autre par les formes parasitaires 
relatées; lesquelles produiraient les symptômes surajoutés. 
Mais alors l’inoculation du sang de ce cheval à d’autres, sains, 
devait produire les mêmes infections superposées, Il n’en est 
rien, Chaque fois que nous nous sommes mis dans ces condi- 
tions d'expérience, nous n'avons pu produire que le Mal de 
Caderas, dans sa forme la plus vulgaire. Il en fut de même 
aussi chez les singes, rats, souris, etc., auxquels on avait 
inoculé du sang de cheval; excepté peut-être chez un coati 
inoculé de la même façon, qui est mort avec un léger opistho- 


264 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tonos; mais, ici même, il nous a été impossible d'établir en 
série l'infection du premier coati avec toutes ses complications 
spasmo-médullaires. De sorte qu'il est difficile de répondre 
affirmativement à la question énoncée plus haut. Reste 
l'hypothèse, toute simple, d'une nouvelle forme de Mal de 
Caderas, présentée par ce cas, une forme spasmo-paralytique 
dans laquelle les formes parasitaires n'auront aucune part 
pathogénique, mais un rôle entièrement passif; comme celui 
des filaires, par exemple, que tant de fois nous avons trouvées 
dans le sang à côté des Trypanosomes, soit chez le cheval, soit 
chez les animaux du laboratoire, sans qu'ils eussent en rien 
troublé la marche de la maladie. Nous signalons ces faits sans 
commentaires, Car nous pensons que d’autres observations et 


d'autres expériences sont nécessaires pour résoudre définitive- 
ment la question. 


ESPÈCES SENSIBLES 


En dehors des espèces spontanément atteintes, comme le 
cheval, le mulet et l’âne, bien d’autres mammifères sont récep- 
tifs, vis-à-vis du Mal de Caderas; en voici la liste, en commen- 
çant par les plus sensibles. 

Singe (Nictipiühecus felinus de Spix). — Incubation de 3 à 
5 jours; durée de l'affection, 5 à 8 jours, rarement plus. Prodi- 
gieuse multiplication des Trypanosomes dans le sang. 

Souris blanche et grise, — Aussi sensible que le singe; durée 
de l'affection, 5-8-12 jours. Multiplication énorme des Trypano- 
somes. | 


Rat blanc. — Très sensible, énorme quantité de Trypano- 
somes dans le sang. 
Carpincho (Hydrochærus capibara). — Incubation 10 jours. 


Durée de la maladie, 1 ou 2 mois, rarement plus; il présente 


des phénomènes paralytiques aux derniers moments seu- 
lement, 


Cobuye, Lapin. — Peu sensibles. Peu de Trypanosomes dans 
le sang. 
Chien. — Incubation 5-6 jours. Peu de Trypanosomes 


dans le sang, mais reproduction typique des symptômes para- 
lytiques du Mal de Caderas. 


SUR LE MAL DE CADERAS 265 


Chat. — Multiplication peu nombreuse des parasites dans le 
sang, guérison; les jeunes succombent facilement. 

Mouton, Bœuf. — Réfractaires, Pas de multiplication des 
Trypanosomes dans le sang ; toutefois ce dernier reste infec- 
tieux pour la souris pendant au moins 2 mois (Lignières), 

Porc. — Réfractaire; mais il présente le sang infectieux plu- 
sieurs semaines après l’inoculation (Lignières). 

Oiseaux. — Absolument réfractaires. 

Le 29 octobre 1902, 
Assomption (Paraguay). 

Au moment d'écrire ces dernières lignes, nous avons reçu 
par le courrier de Buenos-Ayres un gros volume intitulé : Le 
Surra américain ou Mal de Caderas, publié par F. Sivori et 
E. Lecler, dans les Anales des Ministerio de Agricultura, tomo 1, 
Num. 1. Octobre 1902. — Buenos-Ayres. 

Ces auteurs ont repris la question du Mal de Caderas et l’ont 
étudiée sous toutes ses faces. Ils arrivent, ou presque, aux con- 
clusions connues et publiées sur la question avant leur publi- 
cation. Nous y relevons seulement deux points,qui sont du reste 
les seules parties originales de cette volumineuse publication : 

1° Pour ces auteurs, le Mal de Caderas n’est que le Surra des 
Indes, importé ou étendu jusqu’à l'Amérique du Sud (on ne sait 

_çomment ; ils ne le disent pas). Cette identité est basée pour eux 
sur une analogie présumée des caractères morphologiques des 
Trypanosomes des deux affections. Ils ont eu entre les mains 
du sang de cheval nagané. Le Trypanosome de ce dernier et 
celui du Mal de Caderas ne sont pas, disent-ils, morphologique- 
ment différents. D'autre part, pour eux comme pour R. Koch, 
il y a identité entre Nagana et Surra, il y a identité aussi, par con- 
séquent, entre Surra et le Malde Caderas. Comme argumenta- 
tion, on le voit, cela laisse un peu à désirer. La tendance 
actuelle est plutôt pour une opinion contraire. M. J. Lignières a 
donné les raisons sur lesquelles est basée cette tendance; jusqu’à 
meilleure preuve du contraire, cette thèse reste la seule valable!: 


2° Pour Sivori et Lecler, le Mal de Caderas est transmis d’un 
animal à l’autre par l'intermédiaire de mouches, la mosca brava 


1. Voir à ce propos Laveran Er MEsxiz, Le Nayana et le Mal de Caderas sont 
deux entités morbides bien distinctes, Comptes Rendus Ac.d. Sciences, 17 no- 
vembre 1902, — N. D. L, R. 


266 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(S'iomoxys calcitrans L.) et le zaon. En faisant piquer tour à tour 
par ces diptères des chevaux malades et d’autres sains, ces 
auteurs sont arrivés à transmettre l'affection des premiers aux 
seconds. 

M. Lignières n’a pas vu un seul cas de contagion naturelle 
dans son laboratoire, où les chevaux en expérience et les che- 
vaux sains se trouvaient côte à côte, et où les mosca brava ne 
faisaient pas défaut. Et pourtant ces dernières recueillies sur 
les chevaux malades présentaient dans leur tube digestif des 
Trypanosomes vivants qui, injectés aux espèces sensibles, provo- 
quaient la mort. 

Nous-mêmes avons été Les premiers à signaler, depuis 1901, 
que, dans la transmission naturelle du Mal de Caderas, les 
insectes ailés ne peuvent avoir aucun-rôle actif. Nous avons déjà 
dit ailleurs que nous avons gardé pendant des mois des chevaux 
infectés et d’autres sains dans la cour de notre laboratoire, sans 
jamais être témoins d’un cas de contagion. Ce ne sont pas les 
mosca brava et les taons qui manquaient. Il y a là contradiction 
entre les observations de Sivori et Lecler d’une part, et celles de 
J. Lignières et les nôtres, d’autre part. 

Dans l’estancia : de M. V. V., près de Paraguary, on fait 
l'élevage des bovidés et des équidés. Depuis 1896, que M. V. V. 
l’a achetée, il n'y a jamais observé un cas de Mal de Caderas. 
En 1901, la maladie fait irruption dans un portrero (division de 
champs entourés par des fils de fer tendus horizontalement sur 
une hauteur de un mètre) où il y a des carpinchos à cause d’une 
petite rivière qui le traverse. En effet, au mois de janvier de 
1901, on s'aperçoit qu'une trentaine des 60 chevaux qui y sont 
enfermés sont atteints de Mal de Caderas. On sépare les malades 
et on les isole. Sur les 30 animaux sains qui restaient, 4 encore 
deviennent malades. Ces 34 malades meurent les uns après les 
autres dans un espace de temps de 6 mois. Un portrero limi- . 
trophe de celui infecté contient 300 têtes d'animaux équidés, 
lesquels ne sont séparés des infectés que par quelques lignes 
de fil télégraphique. Les animaux situés des deux côtés de cette 
barrière peuvent venir en contact. Eh bien, pas une des trois cents 
bêtes du second champ, exposées aux piqûres de mouches de toute 
espèce pendant 6 mois, n'a pris la maladie. Nous avons été sur 


1. Estancia, vaste propriété où on fait l’élevage 


SÛR LE MAL DE CADERAS 267 


les lieux et nous avons trouvé des taons, des mosca brava, des 
moustiques et d’autres insectes ailés qui piquent les chevaux au 
sang. Peut-on expliquer avec la théorie Sivori-Lecler pourquoi 
dans ce cas les mouches n’ont pu transmettre Pinfection? — 
Après la mort des chevaux malades, le Mal de Caderas disparaît 
complètement de la propriété et ne réapparaît qu’en 1902, au 
mois de février, dans un portrero situé dans un coin de l’es- 
tancia, portrero qui n’est pas limitrophe avec celui où on avait 
isolé les malades. Mais il est traversé par une rivière où abon- 
dent les carpinchos. Sur 100 chevaux enfermés là, il ne se pro- 
duit que 3 cas qu’on isole. Mais on sait bien qu'avant que les 
symptômes typiques du Mal de Caderas apparaissent, le sang 
est déjà peuplé; pourquoi done les mouches n’ont-elles pas 
infecté par leurs piqüres les animaux restants? 

Il y a même plus : lorsque le nombre d'animaux d’un lot 
n’est pas trop élevé, les éleveurs laissent les malades et les 
sains ensemble dans un portrero retiré. Il arrive quelquefois 
qu'après plusieurs mois la mortalité cesse et que quelques-uns 
d'entre eux restent indemnes. Comment ces chevaux ont-ils 
échappé à la contagion, carnous savons qu'’iln’y a pas de guérison 
pour cette affection? — Voilà des faits précis qui valent bien une 
expérience. Étant donné que les théories régnantes ne sont pas 
suffisantes à les expliquer, il en faudra chercher d’autres. 


LE BACILLUS SUBTILIS 


comme cause de la panophtalmie chez l'homme. 
par le D' W, SILBERSCHMIDT 


PRIVATDOCENT, ASSISTANT A L'INSTITUT D'HYGIÈNE A ZURICH 
(Travail du laboratoire de l’Institut d'hygiène de l'Université de Zurich.) 


Une des causes les plus fréquentes de la panophtalmie 
traumatique de nos régions est la lésion du globe oculaire, 
due à la pénétration d’un fragment de fer. L’agriculteur ou 
le vigneron travaillant la terre ressent une douleur en pio- 
chant au moment où le corps étranger (c'est le plus souvent 
un fragment métallique, plus rarement un petit morceau 
de pierre) perce l’œil pour pénétrer dans le corps vitré, et 
24 heures plus tard la panophtalmie s’est déclarée, l'œil est 
perdu. Il s’agit donc d’une affection très grave qù DIUbe oculaire 
à marche excessivement rapide. 

J'ai eu l’occasion d'examiner bactériologiquement le corps 
vitré dans deux cas de panophtalmie; les résultats obtenus me 
paraissent être d’un intérêt général. 

Le premier cas, observé en juin 1900 à la clinique privée 
de M. le D'Th. Baenziger, oculiste à Zurich, concerne un homme 
d’une trentaine d'années qui s’est blessé en travaillant la terre 
le 31 mai, vers 4 heures de l’après-midi. Le malade se présente 
le lendemain à M. le D' Baenziger; la panophtalmie était déjà 
si prononcée que tout espoir de sauver l’œil étant illusoire, 
M. Baenziger se décide à exentérer le bulbe oculaire le 1* juin 
à 9 heures du soir, soit 29 heures après l'accident. J'ai assisté à 
l'opération et j'ai pu recueillir aseptiquement par aspiration une 
partie du corps vitré, de suite après que l’œil avait été enlevé, 
Je fais sur place une série de préparations microscopiques 
directes (frottis) et des cultures. La sécrétion purulente de la 
conjonctive a aussi été examinée. 

ExaMEx BAcrÉRIOLOGIQUE. — Cultures de la conjonctive : quelques 
colonies de bacilles pseudo-diphtériques et de coccus. 


1. Ce premier cas a fait l'objet d’une communication collective avec M. le 
D: Baenziger à la réunion de la Société d'ophtalmologie à Heidelberg, en 
août 14092. {Ber icht der ophtalm. Gesellschaft. Heidelberg, 1902.) 


BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE, 269 


EXAMEN MICROSCOPIQUE DIRECT DU CORPS VITRÉ. — Grande quantité 
de gros bacilles trapus, à extrémités arrondies, isolés en courtes 
chaïnettes ou en amas irréguliers. Les bacilles ne se colorent 
pas d’une façon uniforme, quelques-uns présentent des parties 
plus claires, mais pas de spores; malgré leur pléomorphisme, ils 
paraissent appartenir à une seule espèce. Comme l'examen 
direct le faisait prévoir, les diverses cultures du corps vitré, sur 
gélatine, sur gélose, sur sérum et en bouillon ne n’ont permis 
de déceler qu'un seul- micro-organisme. Toutes les cultures du 
corps vitré ont été pures d'emblée ; il s’agit d’un bacille dont je vais 
indiquer brièvement les propriétés. 

Aspect microscopique. — Bâàtonnets de longueur variable, 
assez gros, à extrémités arrondies, nettement mobiles dans les 
cultures jeunes; les bacilles sont très souvent disposés en chaïi- 
nettes de longueur variable, les formes isolées étant générale- 
ment plus longues que les articles des chaïînettes. Le bacille se 
colore assez bien avec les couleurs d’aniline et ne se décolore 
pas d’après la méthode de Gram. La coloration n’est pas toujours 
uniforme ; on voit parfois unezone claire (capsule?), surtout dans 
les préparations provenant directement de l’animal. Les cils 
peritricha sont en assez grand nombre; j’en ai compté jusqu’à 12. 

Les spores sont nettement ovales ; elles occupent le centre 
du bacille; leur largeur ne dépasse pas celle du microbe; pas de : 
forme en clostridium. 

Cultures. — Le microbe en question pousse très bien à 
l’étuve à 35°, très bien aussi à 22° C.; il est plutôt aérobie, les 
cultures anaérobies sont maigres. Les spores apparaissent géné- 
ralement le 3° jour dans les cultures à 35°. 

Gélatine. — La gélatine est rapidement liquéfiée; l’entonnoir 
de liquéfaction, plus large à la partie supérieure, arrive jusqu’au 
bas de la piqûre; des flocons grisätres se déposent au fond du 
tube, d’autres, plus petits, restent en suspension dans le liquide, 
Dans les cultures sur plaques, les colonies jeunes sont rondes, 
bordées de courts filaments radiés, visibles seulement au 
microscope; le 2° jour, la colonie a de 1 à 2 centimètres de 
diamètre, on y distingue une partie centrale assez dense, une 
partie moyenne plus claire et la périphérie plus trouble, La 
liquéfaction est complète, même dans les plaques diluées, en 3 à 
4 jours. 


210 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Les colonies profondes permettent de reconnaître la struc- 
ture feutrée; le 1° ou le 2 jour, on distingue très nettement les 
filaments périphériques se dirigeant dans tous les sens. 

Gélose. — Les colonies superficielles isolées sont rondes et le 
plus souvent à bords irréguliers, déchiquetés. En strie, la culture 
forme une couche assez épaisse blanc grisâtre, sèche, se 
détachant facilement ; ici aussi les contours sent irréguliers et La 
culture s’étend sur toute la surface. 

Bouillon. — Le bouillon se trouble déjà au bout de 16 à 
20 heures de séjour à l’étuve; il s’éclaircit petit à petit en même 
temps que le dépôt muqueux augmente de volume ; la membrane 
superficielle est humide, très friable et tombe généralement au 
fond du tube au moindre choc. Pas de différence entre le bouillon 
sucré et le bouillon ordinaire. Je n'ai pas pu constater de 
production d’acide. 

Ponme de terre. — Couche grisätre, homogène, assez sèche, 
prenant parfois l'aspect crémeux, sans replis, sans goutte- 
lettes. 

Lait — La peptonisation est déjà apparente le 2° jour; la 
couche séreuse augmente petit à petit et, au bout d’une quinzaine 
de jours, il ne reste presque plus de caséum. 

Sérum. — Culture en barbe de plume avec Hquéfaction assez 
lente. 

Avant de nous occuper de la classification du microbe en 
question, étudions son rôle dans le corps vitré. Les expériences 
sur les animaux, faites en majeure partie en collaboration avec 
M. le D' Baenziger, ont fourni un résultat nettement positif ; 
qu'il me suffise d’en citer quelques-unes. L’œæil a toujours été 
anesthésié au moyen de quelques gouttes de cocaïne à 5 0/0. 

14 juin 1900. Lapin n° 4. — Inoculation dans Le corps vitré 
par piqüre latérale à travers la sclérotique de 1/10° e.c. envi- 
ron d’émulsion de culture sur gélose âgée de 48 heures. Le 
lendemain, panophtalmie typique : paupières tuméfiées, forte 
sécrétion purulente, chemosis de la conjonctive, protrusion du 
bulbe oculaire, trouble de la cornée, iritis. Ces symptômes 
diminuent déjà à partir du 2° jour et, 8 jours après l’inoculation, 
il ne reste, en dehors de l’abcès du corps vitré, qu'un peu 
d’'hypopyon de la chambre antérieure de l'œil. | 

1% juin 1900. Lapin n° 2. — Inoculation d’une émulsion de 


BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 274 


même culture dans la chambre antérieure de l'œil. Pas de 


panophtaimie. 

1% juin 1900. Lapin n° 6. — Témoin. Injection de bouillon 
stérile dans le corps vitré. Pas de panophtalmie, 

20 juin 4900. Lapin n° 12. — Inoculation dans le corps vitré 


de 1/10 e. c. d’émulsion de culture, sur gélose âgée de 8 jours, 
en traversant la cornée et le cristallin. Le lendemain, panoph- 
talmie. 

3 juillet 1901, Lapin n° 15. OŒEù droit. — Inoculation latérale 
directement dans le corps vitré de 1/10° c. c. d’une émulsion de 
culture sur gélose. 8 heures après l’injection, chemosis ; le lende- 
main, panophtalmie. 

Œil gauche. — Ynoculation sous-conjonctivale de 1/4 c. c. de 
la même émulsion. 8 heures après l'injection, chemosis; le 
lendemain, il ne reste plus qu’une légère hypérémie de la 
conjonctive. Le 2e jour, l'œil gauche est tout à fait normal 
d'aspect. 

3 juillet 1901. Lapin n° 17. OEil gauche. — Sclérotomie sous- 
conjonctivale dans le but d’occasionner un épanchement du corps 
vitré ; immédiatement après, injection de 2/10° c. c. d’émulsion de 
culture dans la partie prolabée du corps vitré, mais sous la 
conjonctive. L’après-midi, les paupières sont collées, chemosis. 
Le lendemain, le chemosis et la sécrétion purulente sont encore 
prononcés ; le globe de l’œ1l reste normal. 

Œul droit. — Sclérotomie sous-conjonctivale sans injection 
ultérieure. Le lapin est sacrifié Le 6 juillet; on ne constate au- 
_cune différence entre les deux yeux. 

16 juillet 1904. Lapin n° 22. OEù droit. — Tnoculation laté- 
rale directe dans le corps vitré d’une émulsion de culture âgée 
de 5 jours. 

Œil gauche. — Ynoculation de la même émulsion dans le 
corps vitré en traversant la cornée et le cristallin. 

Le lendemain, panophtalmie des deux yeux; l’animal est 
sacrifié le 18 juillet, Le corps vitré a le même aspect dans les 
deux yeux. Il renferme un pus épais, glaireux, grisâtre. 

19 juillet 1901. Lapin n° 25. OEïl droit. — Inoculation dans 
la chambre antérieure de l’œil de 2/10 €. ec. d’une culture 
en bouillon, âgée de 20 heures, provenant de l'œil du lapin 22. 

Le lendemain, pas d'injection de la conjonctive; la cornée 


272 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


est claire, l’'émulsion injectée apparaît sous forme d’un dépôt 
trouble, floconneux, dans la chambre antérieure de l'œil. 

OEil gauche. — Inoculation latérale dans le corps vitré de la 
même émulsion. Le lendemain, panophtalmie. | 

Nous avons obtenu les mêmes résultats en 1902, avec les. 
cultures de 12° génération. Nous avons inoculé en outre deux 
chiens qui, tous deux, ont présenté une panophtalmie typique 
après 24 heures. Chez le chien, la perforation du globe de l'œil 
se produit plus rapidement et plus souvent que chez le lapin. 

La description de ces quelques expériences suffit pour nous 
prouver que, chez le lapin et chez le chien, l'injection de culture | 
pure du bacille retiré de l'œil humain est suivie de panophtalmie 
si cette injection «a lieu dans le corps vitré. 6 à 8 heures 
après l'injection, l’œil est déjà enflammé, la conjonctive hyperé- 
miée, la cornée légèrement trouble ; après 18 à 24 heures, les 
paupières, fortement tuméliées, restent colléés ensemble, la 
sécrétion conjonctivale est abondante et le plus souvent puru 
lente, il y a chemosis et généralement protrusion du globe 
oculaire. La cornée et l'humeur aqueuse se troublent davantage ; 
on constate de l'iritis, et, derrière la pupille, l'abcès du corps 
vitré se trahit par un réflexe gris ou gris jannâtre. Les symptômes 
d'inflammation suraiguë ne durent que quelques jours, la ten- 
sion du globe oculaire augmentée d’abori, diminue par la suite, 
la cornée s’éclaircit quelquefois, à moins qu'elle ne se recouvre 
d’un pannus, l'iritis ne dure pas longtemps, le cristallin reste 
souvent indemne et la chambre postérieure est remplie d’un 
pus épais, visqueux, grisâtre. Plus tard, l'œil se ratatine petit à 
petit. Je ne parlerai pas des lésions de la rétine et de la cho- 
roïde. 

Il faut, pour produire chez le lapin une panophtalmie telle 
que je viens de la décrire, que la culture soit injectée dans le 
corps vitré; une très petite quantité de culture suffit. L'injection 
sous-conjonctivale n’occasionne que des symptômes de courte 
durée ; le chemosis et l'injection conjonctivale, parfois intenses, 
disparaissent après 2 jours au plus, l'œil n’en souffre pas. 
L'expérience du lapin 17 nous montre que l’injection sous- 
conjonctivale de culture dans le corps vitré prolabé par suite 
de sclérotomie ne suffit pas pour produire la panophtalmie. 
Après injection de culture dans la chambre antérieure de l'œil, 


BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMEE 273 


les symptômes locaux sont sans gravité et l’œil se rétablit rapi- 
dement. 

Avant de tirer de ces résultats des conclusions générales, je 
vais relater brièvement le 2° cas que j’ai eu l’occasion d'examiner 
grâce à M. le Professeur D' Haub, directeur de la clinique 
ophtalmologique de l'Université de Zurich. 

2e cas. Une femme d’une trentaine d'années entre à la clini- 
que ophtalmologique de l’Université, le 26 septembre 1902. 
Dans l’après-midi du 25 septembre, la malade s’était blessée à 
l'œil droit en piochant la terre. M. le professeur Haab réussit à 
retirer au moyen de son grand aimant, le fragment de fer 
qui s'était logé dans le corps vitré le 26 septembre à midi, Afin 
d'essayer d'arrêter la panophtalmie commençante, il introduit 
un bâtonnet d'iodoforme. Malgré l'extraction du corps étranger 
et malgré l’iodoforme, la panophtalmie suit son cours et, le 
27 septembre à midi, on procède à l’exentération de l'œil droit. 
Le fragment de fer avait pénétré directement dans la chambre 
postérieure de l'œil; pendant l'opération, la plaie sclérotique est 
_ béante, de sorte qu’une partie du corps vitré s'écoule. Je le 
recueille immédiatement dans deux pipettes stériles et j'en fais 
‘des préparations directes, des cultures et une injection dans l'œil 
du lapin. L’œil a été exentéré environ 44 heures après la lésion. 

Examen bactériologique du corps vitré. Examen direct. Dans les 
préparations (frottis) du corps vitré, on constate, en dehors des 
globules blancs, d'assez gros bâtonnets isolés ou par couples, à 
extrémités arrondies. Ces bacilles, semblables à ceux que nous 
avons décrits dans le premier cas, sont en plus petit nombre, on 
ne découvre pas de gros amas. Dans les diverses cultures, 
aérobies et anaérobies, il ne se développe qu'une espèce de 
bacille. Les cultures, pures d'emblée, sont très semblables à 
celles du premier cas. Afin d'éviter que, dans le cas d'infection 
mixte, une espèce bactérienne ne prenne le dessus, j’ai fait 
directement avec le corps vitré des plaques sur gélatine et j'ai 
repiqué plusieurs colonies isolées; je n’ai pas pu constater de 
différences entre ces diverses cultures. 

Aspect microscopique du bacille. Bacilles assez gros, des dimen- 
sions du Bac. subtilis ou du Bac. anthracis, à extrémités arrondies, 
__isclés, par couples et très souvent en chaînettes assez longues 
(pas aussi longues, cependant, que celles du Bac. anthracis). Les 
13 


274 “ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


bacilles, nettement mobiles dans les cultures jeunes, se celorent 
facilement et ne se décolorent pas par la méthode de Gram; ils 
forment des spores dans toutes les cultures, aussi sur gélatine 
à 22° C. | 

Cultures. Les premières cultures directes se sont mieux 
développées à la température de l’étuve à gélatine (22° C.) qu’à 
31° C. ; un tube de gélose, qui était resté stérile à 37°, donna une 
culture positive à 22°. Le nombre des colonies était plus grand 
dans les cultures sur gélatine que dans celles qui avaient 
été placées à 37° C. Dans les cultures ultérieures, à partir de 
la 3° génération, le développement a été aussi abondant à 
39-310 C. 

Gélatine. Sur plaques de gélatine, les colonies superficielles 
rondes apparaissent déjà après 24 heures; le 2° jour, la liqué- 
faction est déjà très avancée, et on ne voit plus de structure 
nette au microscope. L'examen microscopique des colonies 
jeunes dans la profondeur permet de distinguer une partie cen- 
trale plus dense et une partie périphérique diffuse, formée de 
prolongements filiformes. — Dans les tubes de gélatine, la 
liquéfaction se produit rapidement tout le long de la piqüre; 
la gélatine liquéfiée est trouble, des flocons s’amassent au fond. 
du tube, quelques-uns restent en suspension dans le liquide. 

Gélose. Les colonies superticielles isolées sont proéminentes, 
grisätres, rondes, assez nettement délimitées ; la partie centrale 
est souvent moins dense que la périphérie. La culture en strie 
n’a pas la tendance à s’étendre sur toute la surface, contraire- 
ment à ce que nous avons vu dans le premier cas. 

Bouillon. I se forme généralement à la surface du liquide 
une membrane mince, humide, tombant très facilement au fond 
du tube. Le bouillon se trouble en quelques heures ; le dépôt est 
glaireux, assez abondant. Le bouillon sucré paraît être un peu 
plus favorable que le bouillon ordinaire. 

Pomme de terre. Couche blanc grisàtre, proéminente, assez 
sèche, sans replis. 

Sérum gélatinisé. Culture assez abondante; le sérum $se 
liquéfie petit à petit. 

Lait. Le lait est coagulé et peptonisé; la peptonisation est 
plus rapide encore que pour le bacille isolé du 1° cas. 

Pnjection du corps vitré et des cultures pures dans l'œil du lapin. 


BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 275 


Les résultats des expériences sont nettement positifs. 

27 septembre 1902. Lapin 37, 0. droit. Injection latérale dans 
le corps vitré de 1/10 c. e. environ du corps vitré de la malade; 
l'inoculation a lieu 1/2 heure à peine après l’exentération de 
l'œil. Le lendemain, panophtalmie typique. L'animal est 
sacrifié 22 heures après l'injection; sur la rétine, dépôt de pus 
grisètre, typique, avec baeilles intra et extracellulaires. Le cris- 
tallin est normal d'aspect. Le corps vitré fournit une culture 
pure. 

L'œil gauche, inoculé de la même manière (le corps vitré 
était mélangé de sang), n’a pas présenté de panophtalmie. 

30 septembre 1902, Lapin 38. Injection latérale dans le corps 
vitré d'une première culture sur gélatine. Le lendemain, 
‘panophtalmie. Le lapin est tué 2 jours 1/2 après l'injection; le 
corps vitré fournit une culture pure, le sang du cœur est 
stérile, 

30 janvier 1903. Lapin 44. Injection dans le corps vitré d’une 
émulsion de culture sur gélose. Le lendemain, panophtalmie 
typique. 

Nous voyons, d’après ces expériences, que nous avons réussi 
à obtenir une panophtalmie typique chez le lapin en injectant, 
dans la chambre postérieure de l’œ1l, du corps vitré de la malade, 
une première culture et une culture ultérieure obtenue après 
un assez grand nombre de passages. Comme dans le premier 
cas, la panophtalmie est manifeste 18 à 24 heures après l’ino- 
culation. Je n'ai observé aucune différence dans la marche de 
la maladie expérimentale occasionnée par l’un ou l’autre des 
deux bacilles. 

Le résultat de examen bactériologique a été le même dans 
les 2 cas. J’ai réussi à déceler dans le corps vitré de deux malades 
atieints de panophtalmie traumatique (lésion par pénétration d'un 
fragment de fer de la pioche dans le corps vitré) un bacille à 
l'état de pureté. D’après la description que j'ai donnée plus haut, 
nous pouvons classer les deux bacilles dans Le groupe du Bacillus 
subtilis. J’ai comparé les cultures des deux espèces entre elles 
et avec les diverses cultures de notre collection de l’Institut 
d'hygiène : elles se distinguent de notre subtilis par la liquéfaction 
plus rapide de la gélatine, par l'aspect différent de plusieurs 
cultures, sur gélose et en bouillon entre autres ; elles se rappro- 


276 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


cheraient plutôt de notre culture de Bac. megatherium, qui, d'autre 
part, présente aussi quelques propriétés distinctives. Je ne 
m'arrêterai pas plus longuement à cette question : tous les 
auteurs qui ont étudié le B. subtilis et ses proches parents 
savent qu'il n’y a guère deux cultures d’origine différente entiè- 
rement identiques. C’est pour la même raison que je n’essayerai 
pas de trancher la question de l'identité des bacilles trouvés 
dans les deux cas; à côté de nombreux points de ressemblance. 
nous pourrions citer quelques différences restées constantes à 
travers plusieurs générations : le premier bacille forme sur 
gélose des colonies déchiquetées qui ont la tendance à s'étendre 
sur toute la surface de la gélose, tandis que les colonies du 
deuxième sont rondes, nettement délimitées. Cette différence et 
quelques autres suffisent-elles pour différencier les deux micro- 
bes? Je ne le crois pas. 

Avant de discuter le rôle spécifique de nos cultures, relatons 
les observations bactériologiques faites jusqu'ici dans des cas 
de panophtalnie traumatique. Un des premiers travaux qui aient 
paru sur la question est celui de M° Poplawska". Cet auteur a 
examiné histologiquement, à la clinique ophtalmologique de 
M. le professeur Haab à Zurich, une série de bulbes panophtal- 
miques, et a trouvé dans le corps vitré de six d’entre eux, prove- 
nant de lésions identiques à celle qui nous occupe, des bacilles 
assez gros, souvent en chaïinettes. À en juger par les figures 
accompagnant le travail et d’après les reproductions photogra- 
phiques que M. Haab a bien voulu me soumettre, il s’agit de 
formes mierobiennes très semblables à celles qui nous occupent. 
Il n’est pas possible de conclure à une analogie complète, vu 
que, dans ces cas, il ne s’agit que de coupes histologiques et 
non d'examens bactériologiques complets. Peu après, Haab°? 
communiquait le résultat de l’examen bactériologique d’un nou- 
veau cas de panophtalmie, dont le corps vitré aéléexaminé 4 jours 
après l'infection. Il réussit à déceler un bacille assez grand, isolé 
eten chaïîneites, poussant bien à l’étuve, mal surla gélatine. Bien 
que l’auteur n’ait pas dénommé son microorganisme et qu'il n'ait 
pas recherché les spores, nous pouvons admettre, d'après la 
description qu'il nous donne des cultures, qu’il s’agit probable- 
ment aussi d’un bacille du groupe du B, subtilis. L'injection dans 


1. Arch. {. Augenheilkunde, 1891, 22, p. 337. 
2. Fortschritlte der Medicin, 18, n° 49. 


BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 277 


l'œil dulapin occasionne une iritis avec exsudat pupillaire et avec 
infiltration du corps vitré. Haab conclut à l'identité de ce bacille 
avec ceux décrits par M. Poplawska. Sattler ‘ a trouvé, dans un 
œil exentéré 14 jours après la lésion, un bacille pyocyanique. 
Perles * décrit, dans un cas examiné le 3° jour, des bacilles de la 
grosseur du Bac. typhosus ; quelques-uns avaient une spore cen- 
trale; des cultures n’ont pas été faites. Dans un certain nombre 
d’autres cas, on a trouvé des diplocoques, des bacilles pseudo-di- 
phtériques. Dans un cas de panophtalmie post-opératoire, 
Ræmer ® a trouvé des bacilles ressemblant à certains B. subtilis 
(pas de culture). 

Dans un travail paru tout récemment, Kayser ‘ a confirmé 
les résultats que nous avions communiqués à Heidelberg; il à 
trouvé le Bac. subtilis dans le corps vitré, dans deux cas de 
panophtalmie traumatique (par fragment de pioche ou de 
pierre); dans le premier cas, opéré 2 jours après l'infection, 
la culture était pure d'emblée; dans le 2°, examiné le 8° jour, 
le subtilis était associé aux staphylococcus pyog. aureus et albus. 
L'inoculation de culture pure dans le corps vitré du lapin four- 
nit un résultat nettement positif. 

A côté de ces examens bactériologiques et cliniques, un assez 
grand nombre de recherches expérimentales ont été faites dans le 
but d’éclaireir l’étiologie de la panophtalmie. Les observations 
cliniques avaient déjà prouvé à l’évidence que, pour l'affection 
qui nous occupe, le danger ne réside pas dans la pénétration 
du fragment de fer dans l’œil : les forgerons et d’autres 
ouvriers travaillant le fer sont également sujets à des lésions 
du corps vitré, mais ne présentent qu’exceptionnellement cette 
forme grave et suraiguë de la panophtalmie. Horner, le regretté 
professeur de la clinique optalmologique de Zurich, avait 
déjà attiré l’attention sur la gravité des lésions produites spé- 
cialement par les fragments de pioche pendant le travail aux 
champs et surtout dans la vigne. Cette observation a été con- 
firmée très souvent depuis. Il était tout naturel de chercher 
à reproduire la panophtalmie avec les microbes du sol, Sattler 

1. Heidelberger ophtalmolog. Gesellschaft., 1891. 
_2. Centralbl. fur prakt. Augenheilk, 1892. 
3. Bericht der Heidelb. ophtalm. Gesellsch, 1901. 


4. Centralbl. f. Bakt, \., 33, p. 241, 4903. 
5. Congrès internat. d’ophtalmologie, 1888. 


278 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


a isolé divers microbes sporulés et a examiné leur virulence par 
injection dans l’œil du lapin; 1l n’a pas réussi à produire de 
panophtalmie avec ces bacilles. Il a vu, plus tard, que des 
microbessaphophytes, tels que le Bac. prodigiosus, pouvaient occa- 
sionner un abcès du corps vitré lorsqu'on les injecte directe- 
ment dans l'œil. Haub (L e.) n’a obtenu qu’une inflammation 
légère en injectant le Bac. inycoides. Perles! a fait une série de 
belles recherches sar la panophtalmie expérimentale ; l’inocu- 
lation du Bac. subtilis dans le corps vitré lui à fourni des 
résultats négatifs, parfois de l'iritis : le B. Friedländer et le Bac. 
lyphique seraient, d’après lui, les plus grands ennemis de lœil 
du lapin. Perles insiste sur la gravité des lésions du corps vitré 
en comparaison de celles de la chambre antérieure de l’œil. 
Lobanow (cité par Kayser) n’a pas non plus réussi à obtenir la 
panophthalmie en injectant des cultures pures de B. subtilis dans 
l'œil du lapin. 

Comme on le voit, d’après ce qui précède, le résultat des 
recherches expérimentales des divers auteurs ne nous permet 
pas de conclure au rôle pathogène du B. subtilis pour l'œil. Nous 
avons repris ces expériences; au lieu de cultures pures, 
nous avons inoculé de la terre. Le premier malade avait remis 
la pioche coupable à M. Baenziger ; nous avons raclé un peu de 
la terre desséchée qui s’y trouvait et injecté, le 21 juillet 1900, 
une émulsion de cette terre dans l’œil d’un lapin : le résultat 


fut négatif, pas de panophtalmie. Pensant que la terre avait 


été par trop desséchée, M. le D' Baenziger fit venir, l’été sui- 
vant, un échantillon de terre fraîche, recueillie dans le champ 
même où l'accident avait eu lieu, Cette fois-ci, le résultat a été 
nettement positif. 

19 juillet 1901. Lapin 24. 0. dr. Injection intra-oculaire dansle 
corps vitré, en traversant la cornée et le cristallin, d’une émul- 
sion de terre dans de l’eau salée (7 0/00): 

0. g. Injection latérale directement dans le corps vitré de la 
mème émulsion. 

Le 20 juillet au matin, Pœil droit présente une panophtal- 
mie typique; l'œil gauche, par contre, n’est que légèrement 
enflammé. 

Le lapin est sacrifié 25 heures après l’inoculation, Le corps 


1. Virchow's Archiv., 140, p. 209. 


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BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 279 


vitré de l’œil droit est trouble et renferme un pus grisâtre, il est 
tout à fait pareil à celui obtenu par injection de culture pure. 
L’'œil gauche, qui paraissait moins atteint, présente des lésions 
analogues. A l'examen microscopique du corps vitré, on est 
frappé du grand nombre de gros bacilles ressemblant à ceux que 
nous avons décrits plus haut. Les cultures sur gélose et sur géla- 
tüne m'ont permis d'isoler un bacille sporulé ; il y avait encore 
d'autres microbes, entre autres du B. coli. Les cultures du corps 
vitrée de lœil gauche renfermaient plus de B. coli ; les colonies 
de gros bacilles étaient en moins grand nombre qu'à l’œil 
droit. 

20 juillet 1901. Lapin 27 O. dr. Inoculation de 3/10 ce. c. 
d'émulsion de terre. dans la chambre antérieure de l’œil. Le 
lendemain, on aperçoit, à travers la cornée, les restes de la 
substance injectée, mais pas d’inflammation proprement dite; 
pas d'iritis. Le surlendemaip, l’œil paraît tout à fait normal. 

0. g. Injection de la même émulsion dans le corps vitré en 
traversant la cornée et le cristallin. Le lendemain, pauophthal- 
mie typique; le 5° jour, on voit deux ulcérations à la cornée. 
Le lapin est sacrifié le 23 juillet. L'examen de l’œil droit est 
négatif, l'œil est normal; les cultures de l'hunieur aqueuse 
restent stériles. L’œil gauche présente les lésions typiques : 
abcès du corps vitré, infiltration de la rétine, épaississement de 
la choroïde, le cristallin est en partie purulent. A l'examen 


. microscopique du corps vitré, les gros bacilles prédominent, il 


y à aussi quelques formes plus fines; dans les cultures, un 
bacille sporulé et du coli. J'ai isolé les deux microbes. 

Ces expériences nous prouvent qu'il est possible de provoquer 
une panophtalmie typique chez le lapin par linoculation d'une 
émulsion de terre dans le corps vitré. Les bacilles à spores que 
j'ai isolés de l’œil des lapins 24 et 27 appartiennent également 
au groupe du Bac. subtilis ; ils présentent des différences entre 
eux et se distinguent aussi par certains caractères des deux 
bacilles isolés du corps vitré de l’homme ; il n’est pas néces- 
saire de s'arrêter à ces questions.de détail. 

Par inoculation des cultures pures des baciiles 24 et 27 
dans le corps vitré du lapin, on reproduit une panophtalmie. 

Comment expliquer, après ces résultats nettement positifs, 
les nombreux échecs des auteurs cités plus haut? Les expc- 


280 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


riences que j'ai entreprises avec divers représentants du Bac. 
subtilis me permettent de répondre à cette question. Quelques 
cultures nous ont permis de reproduire une panophtalmie 
typique, d’autres pas. Les cultures de B. subtilis et de Bac. 
mesent. vulg. de notre collection de l’Institut d'hygiène, cultivées 
depuis longtemps en milieu artificiel, nous ont fourni un résul- 
tat négatif. Un autre bacille du même groupe, retiré à l'état de 
pureté du péritoine d’un lapin inoculé avec le contenu stomacal 
d’un malade de M. le D' Conrad Brunner à Münsterlingen, a 
produit une panophtalmie typique. Il en a été de même de 
deux bacilles retirés du lait; l’un provenait d’une boîte de lait 
condensé (c'était un B. mesentericus assez typique), l’autre a été 
retiré d’un flacon de lait soi-disant stérilisé. 

Que conclure de ces expériences ? 

Les deux bacilles isolés de bulbes panophtalmiques de 
l’homme peuvent être considérés comme les agents pathogènes 
de la panophtalmie; ces microbes se trouvaient l’un et l’autre 
à l’état de pureté dans le corps vitré et les cultures, injectées dans 
Vœil du lapin ou du chien, produisent une affection en tout 
semblable à la panophtalmie observée chez l'homme. 

Il n'est pas possible d'identifier les bacilles décrits par les 
auteurs précités. La plupart n'ont été observés que dans les 
coupes histologiques. Le bacille obtenu par Haab me paraît se 
rapprocher plutôt du Bacillus mesentericus ; Kayser appelle les 
deux bacilles Bac. subtilis sans en donner une description détail- 
lée. Nous avons fait remarquer que les bacilles isolés dans nos 
deux cas présentent quelques différences entre eux et se diffé- 
rencient aussi de notre culture type de B. subtilis. Les 
recherches expérimentales nous ont permis de produire une 
panophtalmie typique avec des microbes différents; un des 
bacilles isolés du corps vitré de l’œil du lapin (27), qui avait reçu 
une émulsion de terre, se distingue assez nettement des deux 
bacilles « humains ». 

Toutes ces observations me portent à admettre que divers 
représentants du groupe du Bac. subtilis sont à même d’occasionner 
une panophtalmie chez l'homme, à condition toutefois d'être intro- 
duits dans le corps vitré ; ces bacilles proviennent du sol. 

Il reste encore un grand nombre de questions à élucider sur 
l’étiologie de la panophtalmie qui nous occupe. L'une des plus 


BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 281 


importantes me paraît être la distribution géographique de cette 
affection, M. Baenziger a proposé avec raison d'établir une 
statistique internationale, La Suisse orientale et la clinique de 
Zurich paraissent spécialement favorisées, tandis que, dans 
d'autres parties de la Suisse, à Lausanne par exemple, on ne 
connaît pas cette maladie. Les deux cas publiés par Kayser de 
Fribourg-en-Brisgau prouvent cependant qu'on observe cette 
forme de panophtalmie ailleurs qu'à Zurich. 

Inutile d'ajouter que le Bac. subtilis ne doit pas être consi- 
déré comme la cause unique de la panophtalmie; les observa- 
tions ultérieures nous permettront sans doute de dire dans 
combien de cas il est largement pathogène. 


IT 


Après avoir établi Le rôle pathogène du Bacillus subtilis dans 
la panophthalmie, nous voulons nous occuper de la réaction du 
corps vitré après l'infection expérimentale. Dans le courant d’une 
inlection générale, un grand nombre de microbes pathogènes 
peuvent se localiser dans l'œil. M. le D' Sidler, à Zurich, m'a 
fait voir dernièrement de très jolies coupes d’un bulbe oculaire 
avec des streptocoques dans le corps vitré; la malade avait été 
atteinte de panophtalmie durant une fièvre puerpérale à 
laquelle elle a succombé. On peut inversement occasionner une 
infection générale en injectant des microbes virulents dans le 
corps vitré. Perles (1. c.) n’a pas réussi à obtenir de panophtalmie 
en introduisant le Bacillus anthracis ou le pneumocoque dans le 
corps vitré du lapin; les animaux mouraient très rapidement 
d'infection généralisée. J'ai pu faire la même observation avec 
une culture de streptocoque. Cette culture, étudiée par M. le 
D' Simon, tuait le lapin en 4 jours par injection sous-cutanée; 
injectée dans le corps vitré, elle produisit la mort en 24 heures. 
Dans une deuxième expérience, nous avons inoculé dans le 
corps vitré le même streptocoque mélangé au bacille obtenu de 
notre premier cas : pas de panophtalmie, mais le lapin meurt 
en 24 heures; dans le sang, culture pure de streptocoque. 

Le Bacillus subilis se comporte tout différemment ; lorsqu'on l’in- 
troduit dans le corps vitré, il reste localisé à l'œil. Dans aucun cas, 
je n'ai réussi à trouver le subtilis dans le sang ou dans les 
organes des lapins inoculés dans l'œil. Ceci nous porte à 


to 


28° ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


admettre que, pour qu'ils puissent produire la panophtalmie, les 
microbes ne doivent pas être trop virulents pour l'individu atteint. 
Nous savons que, pour ne citer que l’exemple du streptocoque, 


une Culture peu virulente injectée sous la peau ne produit qu’un 


abcès localisé, tandis qu’une culture dont la virulence est exaltée, 
injectée dans les mêmes conditions, tue l’animal par septicémie 
sans occasionner de réaction au point d’inoculation; il en est 
de même pour un grand nombre d’autres microbes. L’abcès 
du corps vitré est done comparable, jusqu’à un certain point, 
avec un abcès sous-cutané. 

La forme de panophialmie qui nous occupe est une affection très 
grave pour l'œil, parce qu’elle occasionne la perte de la vue, mais 
elle n’est pas dangereuse pour l'organisme, à moins d'infection 
secondaire, parce que l’agent étiologique, le Bacillus subtilis, n’est 
n’est pas pathogène pour les autres organes. Ceci nous explique 
pourquoi l’exentération de l’œ1l peut être exécutée à la période 
d'état de la maladie sans aucun danger. 

Comment se comporte le nes subtilis dans le corps vitré? 
La panophtalmie à subtilis est une affection bactérienne de 
courte durée. Les symptômes d'inflammation, très prononcés 
au début, disparaissent au bout de quelques jours, l’œil se 
ratatine, et la chambre postérieure de l'œil ne renferme plus 
qu’un pus tout à fait stérile. Le Bacillus subtilis disparaît rapide- 
ment de l'œil; 18 à 24 heures après l'infection, on trouve géné- 


ralement un assez grand nombre de bacilles dans le corps vitré, 


le 2° jour, les bacilles sont déjà peu nombreux et, en sacrifiant 
l’animal trois jours après l’inoculation, les cultures du corps 
vitré restent souvent stériles. 

L'examen microscopique de frottis du corps vitré nous per- 
met de nous rendre compte du mécanisme de la destruction des 
microbes. On peut observer, dans le corps vitré retiré 18 à 
24 heures après l’infection, une phagocytose très nette ; à côté de 
bacilles libres, on voit des phagocytes renfermant 2, 6, et jus- 
qu’à 10 et 12 gros bacilles. Les bacilles phagocytés ne se colo- 
rent pas tous de la même manière; quelques-uns paraissent 
déjà nettement dégénérés, tandis que d’autres présentent une 
coloration uniforme et intense. La marche clinique coïncide 
avec les résultats de l’examen bactériologique et microscopique; 
la panophtalmie expérimentale est à son apogée 24 heures 


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BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 283 


après l'infection, alors que les bacilles sont encore nombreux 
et que les phagocytes sont en pleine activité. 

La marche de l’affection chez l’homme paraît être assez sem- 
blable à celle de la panophtalmie expérimentale. Des deux 
cas que nous avons examinés, le premier a été opéré 29 heures 
après l'infection; le corps vitré renfermait un très grand 
nombre de bacilles; dans le deuxième cas, examiné après 
44 heures environ, les bacilles étaient beaucoup plus rares. 
Kayser (1. c.) a trouvé le Bacillus subtilis dans le corps vitré le 
2° jour dans son premier cas; chez son deuxième malade, il a 
trouvé le même bacille dans la conjonctive de l'œil malade à 
côté de staphylocoques, tandis que le corps vitré, examiné le 
19 jour, était stérile. Le D' Sidler a examiné très attentivement 
à la clinique ophtalmologique de Zurich trois bulbes panophtal- 
miques exentérés plusieurs jours après le début de l'affection, sans 
réussir à y déceler un seul microbe. Haab avait obtenu dans un 
cas une culture positive, le 4° jour. Il est probable que 
les diplocoques, les bacilles pseudodiphtériques et autres, 
trouvés dans des cas de panophtalmie, n'étaient pas les 
agents pathogènes, mais bien plutôt des saprophytes de la 
conjonctive, tandis que le microbe cause de la maladie avait 
disparu. Nous comprenons aussi pourquoi les bacilles décrits 
plus haut n'ont pas été observés plus souvent. 

Cette observation me parait être d'un intérêt général. La 
panophtalmie due au Bacillus subtilis est une maladie bactérienne 
localisée “à marche très rapide; l'agent pathogène ne peut étre 
décelé avec quelque chance de succès que si l'examen bactériologique 
a lieu dans les premiers jours après le début de l'affection. 

Le Bacillus subtilis a été considéré jusqu'ici comme non 
pathogène pour l’homme ; il ne peut que difficilement s’'accou- 
tumer à vivre dans le corps des animaux à sang chaud. Les 
phagocytes ont vite raison de ce microbe et, pourtant, la panoph- 
talmie est une affection très grave de l'œil. Cette gravité est 
due d’une part à la sensibilité de l'organe atteint, surtout de la 
rétine, et sans doute aussi à la structure du corps vitré; au point 
de vue bactériologique, l'affection n’est pas grave en elle-même, 


_ puisqu'elle reste localisée et puisque l'agent pathogène est rapi- 


dement détruit. 
. Un point qui mérite d’être relevé, c’est le fait que, dans nos 


284 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


deux cas, de même que dans les 2 observations rapportées par 
Kayser, le corps viré s’est montré particulièrement favorable au déve- 
loppeunent du Bac. subtilis. On devrait s'attendre, de prime abord, 
à rencontrer une flore bactérienne très riche, vu que la terre 
renferme une grande quantité de microbes; 1l n’en est rien : 
dans les 3 cas de panophtalmie où le corps vitré a été examiné 
directement, le subtilis s’y trouvait en culture pure. Le 4° cas (de 
Kayser) représente une infection mixte avec des staphylocoques, 
mais il me paraît fort probable que ces staphylocoques prove-. 
naient de la conjonctive. Il est donc permis de supposer que, 
des divers microbes qui pénètrent dans l'œil avec la parcelle de 
terre ou de pierre, le Bac. sublilis est le seul qui se multiplie. Je 
ne voudrais pas prétendre que le Bac. subtilis est la seule cause 
de la forme de panophtalmie qui nous occupe, mais, en tenant 
compte aussi des observations de Haab et de Poplatcska, nous 
pouvons admettre qu'il est très fréquemment en cause. Dans les 
cas de panophtalmie expérimentale obtenus chez le lapin par 
injection d’une émulsion de terre, les bacilles du groupe du 
subtilis étaient en très grand nombre, mais non à l’état de. 
pureté; il y avait en outre du B. coli; il est vrai que la quantité 
de terre était beaucoup plus grande que celle qui pénètre dans 
le corps vitré lors de la lésion spontanée. 

J'ai recherché le pouvoir pathogène des bacilles de la panoph- 
talmie pour les animaux de laboratoire, et j'ai essayé d'obtenir 
des produits toxiques. Une culture fraiche sur gélose ou en bouillon, 
injectée dans le péritoine d'un cobaye tue, très rapidement, en 4, 6 où 
8 heures; je ne connais pas de microbe pathogène qui agisse 
plus vite. Il faut, il est vrai, injecter une assez grande quantité de 
culture, un tube de gélose ou 6 à 8 c. c. de bouillon, pour obte- 
nir ce résultat à coup sûr; les deux bacilles isolés de l'œil 
humain et le bacille de Munsterlingen, retiré du contenu de l’es- 
tomac, se comportent de la même façon. En n’injectant que 
quelques anses de platine de culture sur gélose ou 1 à 2 c. c. de 
culture en bouillon dans le péritoine, le cobaye ne présente pas 
de symptômes morbides. En injection sous-cutanée, une dose, 
mortelle lorsqu'on l'introduit dans le péritoine, est tolérée: il se 
forme un très fort œdème, qui se termine par un abcès, mais le 
cobaye ne meurt pas. En règle générale, l’animal inoculé, qui a 
survécu 12 heures à l'injection, résiste par la suite. A l’autop- 


BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 285 


sie, on trouve dans le péritoine une assez grande quantité de 
liquide séreux, légèrement trouble; cet exsudat est toujours 
rouge lorsque la culture injectée est vivante. La séreuse est 
hypérémiée dans tout l'abdomen, mais les glandes surrénales 
ne sont pas rougies comme après injection du bacille de la 
diphtérie, Les autres organes ne présentent pas de lésions 
macroscopiques. Le liquide péritonéal renferme toujoursbe au- 
coup de bacilles bien colorés, mais peu de leucocytes. Les cul- 
tures du sang du cœur sont toujours positives, bien que les 
bacilles y soient rares; dans la rate, on ne trouve que peu de 
microbes; il s’agit donc d’une affection localisée au point d’in- 
jection, sans que cette localisation soit absolue. Dans un cas où 
un cobaye injecté sous la peau avait été sacrifié après 24 heures, 
j'ai pu constater une phagocytose très prononcée dans le tissu 
sous-cutané. 

Le Bacillus subt. de la panophtalmie est moins pathogène pour le 
lapin et pour la souris. Des lapins ont supporté 6, 8 et même 
10 c. c de culture en bouillon en injection intraveineuse; un 
lapin qui avait reçu 8 c. c. de diverses eultures est mort en 
6 heures, un autre, que j'avais inoculé plusieurs fois dans le 
but d'obtenir un sérum actif, est mort après injection intrapéri- 
tonéale d'une culture entière sur gélose. L’injection de 1 à2 c. c. 
de culture en bouillon ou en gélatine ne tue pas toujours la 
souris. 


Comment expliquer la mort si rapide à la suite d'injection 
de culture dans le péritoine du cobaye? Flugge:, qui a fait la 
même observation en injectant des bacilles peptonisants du lait, 


bacilles proches parents de ceux qui nous occupent, admet qu’il 
s’agit d’une action loxiqr e. J’ai fait une série d'expériences pour 
élucider cette question. Les cultures stérilisées à l’autoclave à 


115° sont inactives dans Le corps vitré. Je n’ai pas réussi à tuer le 


cobaye en injectant jusqu’à 10 c. c. de bouillon filtré; une 


culture filtrée dans du lait n’a pas produit de panophtalmie chez 
le lapin, pas plus que le bouillon filtré. J’ai essayé de déter- 
miner la toxicité des corps microbiens traités au formol. Des 
cultures sur gélose en flacon plat à grande surface âgées de 1 à 


1. Zeitschr. f. Hyg. XNV. 


286 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


2 jours, au moment où elles sont le plus virulentes, sont raclées 
et émulsionnées dans un peu d’eau salée à 8 0/00. L’émulsion : 
est recueillie dans un tube ordinaire ; on verse quelques gouttes 
de formaline sur le coton et on ferme au moyen d’un capuchon 
de caoutchouc. Après 2 ou 3 jours, l’émulsion est stérile; j'ai 
toujours neutralisé le formol par l’ammoniaque. Les émulsions 
traitées de la sorte pouvaient être injectées à fortes doses dans 
le péritoine des cobayes; j'ai injecté des quantités de bacilles 
correspondant à 4 ou 6 fois la dose mortelle de culture vivante 
sans que la mort s’ensuivit. 

L’autolyse, préconisée par Conradi pour la toxine du bacille 
typhique, ne m'a pas fourni de résultats plus probants. Une cul- 
ture jeune sur gélose est diluée avec un peu d’eau salée à 9 0/00 ; 
l’émulsionestlaissée pendant2 jours à l’étuve pour favoriser la dis- 
solution des microbes (la plupart restaient intacts), puis filtrée à 
la hougie. Conradi dessèche encore dans le vide; je me suis servi 
directement de liquide filtré; ce liquide, injecté dans le corps 
vitré du lapin ou dans le péritoine du cobaye, s’est montré 
inactif, tandis que le dépôt a tué le cobaye (l’exsudat n'était pas 
rouge, dans ce cas). 

Je n'ai donc pas réussi, jusqu'ici, à déceler la substance 
active, ni dans les cultures filtrées, ni dans les cultures chauf- 


fées, ni dans les cultures traitées à l’aldéhyde formique, ni dans 


celles que j'avais soumises à l’autolyse. La substance active 
paraît être liée au corps du bacille et sensible à la chaleur et aux 
agents chimiques. 

L’exsudat péritonéal des cobayes morts après une injection 
intrapéritonéale ne s’est pas montré plus virulent que les cultures. 
Des cobayes ont supporté jusqu’à 2, 5, c. c. de cet exsudat, 
frais ou filtré; inoculé dans le corps vitré du lapin, il produit la 
panophtalmie typique. 

Nous avons vu que l’exsudat péritonéal obtenu par injection 
d’une culture vivante était toujours nettement rouge. En met- 
tant des globules rouges du sang de lapin préalablement lavés 
à l’eau salée en contact avec une culture vivante, on observe une 
hémolyse typique, même lorsque le tube est conservé à la glacière. 
L'hémolyse n’a pas eu lieu avec une culture filtrée, ni avec une 
émulsion concentrée, stérilisée à l’autoclave (30 minutes à 115°.) 


A. Deutsche med. Vochenschr. 1903. No 2. 


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BACILLUS SUBTILIS ET PANOPHTALMIE 287 
En me servant, pour une plaque de Pétri, de gélose mélangée 
avec du sang de lapin, j'ai observé, lorsque les colonies sont 
isolées, une auréole décolorée autour de chaque colonie, tandis 
que la colonie paraît légèrement rosée. 


SUR UN NOUVEAU STREPTOTHRIX 


(STREPTOTHRIX POLYCHROMOGÈNE) 


Par M. H. VALLÉE D’ALFORT 


Ce nouveau chromogène, pour lequel je propose le nom de 
Streptothrix polychromogène, a été isolé en 1898 du sang d’un che- 
val mort de pasteurellose aiguë. Il s’agit donc d’un associé 
banal, dont l'étude biologique offre cependant quelque intérêt. 


I. Cuzrures. — Il est strictement aérobie ; il cultive sur les 
différents milieux en donnant toujours une culture caractéris- 
tique. 

Bouillon peptonisé. — Dès la 15° heure, le liquide se couvre 
d’un voile fragile et incolore ; vers le 3 jour, ce voile 
prend une teinte rose saumon très pâle, qui va en s’accentuant 
peu à peu. Après 8 à 15 jours, le voile se brise et tombe au fond du 
tube sous forme d’un peloton visqueux; une petite quantité du 
pigment se dissout alors dans le bouillon qui n’a jamais cessé 
d’être limpide. 

Gélose peplonisée. — Développement en 48 heures; la colora- 
tion rouge saumon, peu manifeste au début, devient évidente en 
quelques jours et gagne petit à petit en intensité. Après un mois, 
la couche microbienne présente une teinte vieux rose très riche ; 
sa surface est luisante et irrégulièrement plissée. Considérée 
isolément, la colonie présente un bouton central saillant avec une 
zone périphérique plus pâle et une auréole finement rayonnée. 

Gélatine. — La culture est obtenue après #8 heures de séjour 
à l’étuve à 18°; son aspect est identique à celui des cultures sur 
gélose: on n’observe jamais de liquéfaction du milieu. 

Pomme de terre normale. — Après 16 heures de présence à 
l’étuve la surface ensemencée prend une teinte gris resé, terne, 
qui passe au rouge jaunâtre en vieillissant ; si l’on retire le tube 
de l’étuve, alors que la culture est bien développée, la teinte 
rouge, gagnant en intensité, devient parfois d’un rouge vif pres- 
que vermillon. La pellicule microbienne est plissée, granuleuse 
verruqueuse et sèche. 


SUR UN NOUVEAU STREPTOTHRIX CHROMOGÈNE. 289 


Lait. — La culture se fait comme en bouillon et sans coagu- 
lation, l 

Quel que soit le milieu utilisé, la culture est obtenue très 
facilement à des températures comprises entre 18° à 38° et, comme 
on l’a vu, le développement en est extrêmement rapide, La cul- 
ture est possible encore à des températures de 42°, 449, 450 et 
même 47°; à ces températures, le microbe fournit tout aussi bien 
son pigment qu’à 38°. 

Culture in vivo. — La culture in vivo en sacs de collodion 
dans le péritoine du lapin est réalisable si l’on a le soin de peu 
remplir les sacs, afin qu'ils contiennent un assez grand volume 
d'air. En 48 heures, la culture obtenue est discrète et flocon- 
neuse, à peine pigmentée; après un séjour prolongé des sacs 
dans la cavité péritonéale, la pigmentation n’est pas plus riche et 
la culture est encore pauvre. 


Résistance du parasite. — La culture en bouillon résiste au 
chauffage à 60° pendant cinq minutes, mais elle est stérilisée 
par chauffage à 65° durant le même temps. Certaines formes 
paraissent plus résistantes, puisque nous avons pu chauffer un 
voile à 65° pendant 20 minutes sans altérer sa vitalité. 

Les milieux de culture soumis, aussitôt après l’ensemense- 
ment, à une large insolation restent stériles. La lumière par 
contre n’altère que lentement les cultures luxuriantes et reste 
presque sans action sur leur couleur. 

Le Strep. polychromogène conserve très longtemps sa vitalité 
dans les milieux de culture: des cultures abandonnées à la 
lumière diffuse, à la température du laboratoire, restent vivantes 
pendant plus de trois ans. 


IT: MorPxocoGie. — La coloration du Streptothrix polychromo- 
gène est facile. Le parasite se colore très bien par la méthode 
de Gram-Nicolle et retient énergiquement la couleur; le bleu 
Borrel à 1 0/0 et la thionine phéniquée sont les couleurs qui don- 
nent les résultats les meilleurs pour l’étude des filaments. 

Après 12 à 18 heures, on trouve dans le bouillon de culture de 
longs filaments assez uniformément calibrés et admirablement 
ramifiés. Parfois on observe à leur extrémité un léger renflement 
assez mal coloré. 


Dans les préparations faites après 48 heures de séjour à 
19 


290 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’étuve, on ne trouve plus, après coloration pär le Gram-Nicolle, 
que de rares filaments allongés, noyés au milieu d'innombrables 
petits segments arrondis à leurs extrémités, tous égaux entre 
eux, qui fixent la couleur avec intensité et simulentles chaînettes 
d’un gros streptocoque. En réalité, cette segmentation, qui pour- 
rait faire croire à l’existence de spores, n’est qu’apparente. Si, au 
lieu de colorer par le Gram, on utilise le bleu Borrel, on constate 
que le filament primitif n’a pas totalement disparu; il persiste 
sous forme d’une gaine qui se colore mal et renferme des masses 
qui se colorent avec autant d'intensité que le filament primitif. 

Cette condensation particulière de la substance chromatique 
ne s’effectue que dans les cultures largement aérées. Elle est 
constante dans les cultures un peu vieilles sur milieux solides ; 
dans celles-ci, c’est seulement au contact même du milieu 
nutritif que l’on retrouve encore de rares filaments unifor- 
mément colorables. Les voiles qui couvrent les bouillons, brisés 
et immergés dès la 24° heure de leur développement, fournis- 


sent indéfiniment des filaments uniformément colorables, tandis 


que ceux qui restent au contact de l’air donnent bien vite des 
condensations chromatiques. 

A côté de ces pseudo-spores, on trouve dans les cultures lar- 
gement aérées des filaments sporifères qui donnent des chai- 
nettes de spores comparables à celles de certains autres repré- 
sentants du genre Oosporu. 

Dans les cultures obtenues à des températures de 42-47, on 
ne trouve que des formes filamenteuses; les spores et pseudo- 
spores font d'ordinaire totalement défaut. 

La culture ir vivo en sacs de collodion, fournit des formes 
ramifiées plus stables et plus belles que celles des cultures in 
vitro. Dans certains cas, après 11-15 jours de séjour du sac dans 
le péritoine du lapin, les filaments présentent à leur extrémité 
terminale des renflements simulant des massues courtes. Après 
coloration au Ziehl suivie de l’action du chlorhydrate d’aniline 
et de la décoloration par l'alcool absolu, le filament faiblement 
coloré présente un renflement terminal, ovoïde, à contenu clair 
avec une paroi plus fortement colorée. Le chauffage à 75° de ces 
cultures (durant cinq minutes) suffit à les stériliser. 

Influence du milieu. — Par l'addition de 5 à 40 0/0 de glycé- 
rine aux milieux solides ou liquides, on obtient des cultures 


SUR UN NOUVEAU STREPTOTHRIX CHROMOGÈNE, 291 


absolument différentes du type décrit précédemment. La teinte 
rouge qui caractérise les cultures sur les milieux ordinaires, 
fait place à une coloration d’un beau jaune franc qui tend à deve- 
nir orangé par vieillissement. 

Les cultures sur milieux glycérinés, entretenues par repi- 
quages successifs durant plusieurs mois, reprennent, dès Le pre- 
mier réensemencement sur les milieux ordinaires, la couleur 
rouge normale. 

La culture dans un milieu artificiel à base de saccharose et de 
phosphate de potassium, à des degrés divers d’alcalinité et d’aci- 
dité, esttrès discrète et incolore. Tandis que la culture en milieux 
glycérinés ne modifie en rien la morphologie du Streptothrix, la 
culture dans ce milieu artificiel provoque des déviations énormes 
du type normal. Dans le milieu neutre, on ne trouve que des 
segments courts, presque ellipsoïdes, et des formes un peu plus 
renflées ; en milieu acidulé, le streptothrix donne des agglomé- 
rats d'éléments fusiformes dont la partie centrale seule se colore 
bien; d’autres articles simulent des spermatozoïdes à flagelle 
très court; sur un même filament on peut rencontrer des renfle- 
ments successifs ou bien un simple renflement terminal; les 
filaments sont finement striés transversalement et se colorent 
moins bien que les renflements. Tous ces détails sont bien 
mis en évidence par la coloration à la safranine anilinée. 

Pigments. — Le pigment rouge des cultures en milieux pep- 
tonisés est très légèrement soluble dans l’eau pure ou acidulée, 
peu soluble dans l'alcool, très soluble dans l’éther et le chloro- 
forme, Le chloroforme mis au contact de la culture prend une 
teinte saumonée assez intense; l’éther convient moins bien que 
le chloroforme pour l’extraction du pigment rouge; les solutions 
éthérées de ce dernier sont ambrées au lieu d’être rouges, 

Le pigment jaune des cultures sur milieux glycérinés est très 
peu soluble dans l’eau et dans l'alcool, très soluble au contraire 
dans l’éther et le chloroforme, qui prennent une belle teinte 
jaune d’or variable en intensité selon l’âge de la culture. Par 
l'évaporation de ces solutions, on obtient une masse amorphe, 
granuleuse, colorée en jaune. 


Les pigments résistent longtemps à la lumière diffuse et sont 
insensibles aux acides et aux alcalis. 


292 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


IL. Ixocuzarioxs — L’inoculationintra-veineuse ou intra-péri- 
tonéale aux divers animaux de laboratoire et aux grands ani- 
maux (cheval bœuf), de doses massives de cultures in vitro du 
St. polychromogène ne produit jamais d'accidents immédiats 
bruyants. 

Les inoculations intra-cérébrales pratiquées à doses élevées, 
même chez de jeunes animaux, l'association aux cultures de 
substances à chimiotaxie négative ne provoquent pas non plus 
l'apparition de phénomènes aigus. 

Les cultures in vivo, en sacs de collodion dans le péritoine 
du lapin, qui modifient sensiblement la morphologie du Strepto- 
thrix, ne lui impriment même pas un caractère pathogène léger. 
Malgrédes passages successifs en sacs durant plusieurs semaines, 
les cultures n’acquièrent pas la moindre virulence. 

Toxicité des cultures. — Si les cultures du Strept. poly. sont 
toujours dépourvues de virulence, leur toxicité pour le cobaye 
et le lapin est évidente. Chez les animaux inoculés avec des cul- 
tures en bouillon peptone, issues de passages en sacs de collo- 
dion, on relève un amaigrissement progressif, rapide, mortel 
dans presque la moitié des cas. Le cobaye perd, dans ces condi- 
tions, le quart, le tiers, parfois la moitié de son poids; après 
trois semaines environ, ou bien les animaux augmentent pro- 
gressivement de poids et se rétablissent complètement, ou bien 
ils succombent sans présenter de lésions apparentes. 


En résumé le Streptothrix polychromogenes, bien différencié des 
autres types du genre par le seul aspect de ses cultures, offre, 
comme autres particularités : une végétabilité remarquable, la 
propriété d’engendrer des pigments de couleur variable suivant 
le milieu, des variations morphologiques intéressantes et des 
propriétés toxiques plus nettes que celles des autres Oospora non 

‘pathogènes. | 


INSTITUT ANTIRABIQUE DE NAPLES 


dirigé par M. le professeur A. Cardarelli. 


Sur l'existence du virus rabique dans le siège de la morsure 
D'UN ENFANT MORT DE RAGE 


Par D. PACE 


PRIVAT-DOCENT DE PATHOLOGIE INTERNE 
PRÉPARATEUR À L'INSTITUT, 


La pathologie expérimentale de la rage, si riche qu'elle soit 
en découvertes faites, manque entièrement de recherches sur 
le siège de la morsure, c’est-à-dire sur l'endroit où le chien a 
déposé le virus rabique. 

Du moment que l'animal mordeur a lacéré la peau, jusqu'au 
jour où éclatent les symptômes, nous ne savons rien de la 
lésion périphérique, des modifications intimes de la plaie n1 de 
l'existence ou de l’activité du virus dans ce lieu. 

La blessure guérit, une belle cicatrice apparaît : celle-ci est 
parfois à peine manifeste, et souvent elle est entièrement oubliée 
de la personne qui la porte. 

Cependant après une période de temps variable, la maladie 
s'annonce; et le plus souvent, ce qui donne l’alarme, c’est la 
cicatrice elle-même, qui, guérie et oubliée, se réveille avec une 
série de phénomènes soit phlogistiques, soit nerveux. 

Ce sont ces phénomènes, que l’ancienne expérience a déjà 
consacrés par les paroles de CoeLius AURELIANUS : € Rræpalitur ea 
pars, quæ morsu fuerit vexata », et encore par le « {tumor renitens » 
de Horrmanx, phénomènes qui se rencontrent aussi chez les 
animaux et qui tout récemment ont été aussi expérimentale- 
ment reproduits par M. Di Marre ‘. 


4. Dr Marre, Sulla reazione delle ferite rabbiche sperimentali come segno 
premonitorio dell infezione, Rivista d’Igiene e Sanità pubblica, a. XIII, 1902. 


294 ANALES DE L'INSTITUT PASTEUR ME “EE. 


Que se passe-t-il dans l’intérieur de cette cicatrice, qui, dans 
la période prodromique de la rage, devient rouge, turgide et 
douloureuse? Quelles altérations histologiques peut-on constater 
dans la cicatrice et surtout dans les petits nerfs, qui peuvent s’y 
trouver ? 

Et le virus qu’elle a reçu, le conserve-t-elle encore tel qu'à 
l’époque de la première lésion; ou au contraire s’en est-elle 
dégagée, après lui avoir donné course le long des nerfs, pour 
rejoindre d’autres sièges, tels que les nerfs périphériques, la 
moëlle, le bulbe ? 

Voilà les demandes que je me suis proposé d'approfondir à 
l'occasion de deux individus qui étaient atteints de rage, et 
dans lesquels les cicatrices se présentaient avec tous les carac- 
tères que nous avons indiqués plus haut. Les personnes mor- 
dues étant mortes, j'ai pu me procurer les cicatrices et j'ai pu 
faire des recherches histologiques dans les deux cas, et des 
recherches expérimentales seulement dans le second. Ce n’est 
que de ces dernières que je veux parler à présent. 

Ces recherches expérimentales ont pour but de prouver la 
présence ou l’absence du virus rabique dans le siège de la mor- 
sure par rapport à la peau saine, aux nerfs, au bulbe et aux 
glandes salivaires du même individu, 

Avant tout je donnerai quelques détails sur l'individu dont 
la cicatrice fut l’objet de mes recherches. 


Antoine D. Pr, âgé de six ans, né à Corbara (Salerno), paysan. Le 
19 juillet 1902, pendant que l'enfant ramasse des noix, morsure par un chien 
dans le mollet de la jambe gauche nue, produisant 2 blessures, une petite en 
haut, qui ne saigne pas, l’autre en bas, de la longueur de 10 centimètres, 
profonde jusqu'aux muscles, saignant beaucoup. Le chien est tué et enterré. 
On lave les blessures de l'enfant fréquemment avec du sublimé. 

Après 15 jours tout est cicatrisé; les parents m'’assurent que sur le siège 
de la lésion on ne voyait qu'une bande luisante et plane, sans aucune 
croûte, sans aucun reste de sang grumelé. Le 19 août, c'est-à-dire 31 jours 
après la morsure, l'enfant accuse de la céphalalgie, une indisposition géné- 
rale; le lendemain hydrophobie, aërophobie, dysphagie. Le 21 on conduit 
l'enfant à notre Institut antirabique ; nous constatons tout le tableau de la 
rage développée et nous faisons recevoir l'enfant dans l'Hôpital des Incurabili, 
où il meurt la nuit même, 

L’autopsie est faite 48 heures après la mort, 

Je décris tout de suite les lésions que j'ai observées : 

Sur le mollet de la jambe gauche on observe 2 cicatrices. L'une supé- 


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VIRUS RABIQUE DANS LE SIÈGE DE LA MORSURE. 295 


rieure, cicatrisée, enfoncée, qui montre presque la grandeur et la forme de 
la dent perforatrice : elle est d'une couleur normale. La cicatrice inférieure a 
une direction transversale : elle est longue de 10 centimètres, large de 
7-8 millimètres, sur 4/3 de sa longueur elle est complètement cicatrisée, le 
reste ne l'est pas encore, et cetle partie est sèche, couverte d’une petite 
croûte, que l’on peut biea facilement ôter. La cicatrice tout entière est 
rouge, livide, infiltrée, adhérente aux tissus. Ayant isolé avec soin tout le 
petit nœud cicatricial des adhérences par l’aponévrose du soléum et l'ayant 
délivré de la graisse, je détache de son centre un petit segment, qui, haché 
finement et émulsionné, sert à inoculer des lapins. 

Dans le même temps et de la même manière je prépare de petits mor- 
ceaux de bulbe et de sciatique, aussi bien du côté de la lésion que du côté 
non atteint, et aussi des morceaux de peau saine et de glandes salivaires, 


J'inocule 14 lapins : 5 avec la seule cicatrice, 3 dans la 
chambre antérieure de l’œil et 2 en plaçant le matériel directe- 
ment sur le sciatique dénudé. Les 11 autres lapins sont inoculés 
avec le reste du matériel dans la chambre antérieure de l’œil et 
dans le muscle cucullaire. 

Je passe les résultats négatifs des inoculations, à cause de la 
mort accidentelle survenue aux lapins; je note seulement les 
résultats positifs des recherches. 


Matériel Manière Date de Période 
d'inoculation d’inoculation l’inoculation | d’incubation 


Bulbe œil 24 VIIT 4902] 16 jours 
N. sciatique gauche — 12 
— | 18 

— | 18 


N. sciatique droit — 
Glande sous-max. {m. cucullaire 
Peau saine œil 
( a œil 
b sciatique 
Ce sciatique 


14 
20 
23 


Cicatrice 


[11 ER 


Les lapins, qui avaient été inoculés avec le bulbe, les deux 
sciatiques, la glande sous-maxillaire et la cicatrice, tombèrent 
malades avec les signes d'affection rabique de 12 à 23 jours 
après l’inoculation et moururent avec les phénomènes classiques 
de la paralysie après 1 à 4 jours de maladie, 

Le lapin inoculé avec la peau saine fut trouvé mort le 
13° jour après l’inoculation, mais il n’avait présenté dans les 
jours précédents aucun signe d'infection rabique. 


296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Cependant, pour bien m’assurer de la virulence de la cicatrice 
en rapport avec la peau saine et le sciatique droit, c’est-à-dire 
celui du membre qui n'avait pas été mordu — car il n’y a pas 
à disputer sur la virulence du bulbe, des glandes salivaires et 
du sciatique du membre lésé, — je fis les contrôles suivants sur 
des lapins, qui étaient morts après l’inoculation du sciatique 
droit (n° IT du tableau précédent), de la cicatrice (n° VI a et b ibid.) 
et de la peau saine (n° V ibid.). 


Matériel Date Période 


de contrôle de l’inoculation d’incubation OPÉCENAUIOES 


N. sciatique 14 IX 1902 20 jours 5 X 1902 
droit — 39 
8 IX 
Cicatrice 


Cicatrice 
(sciatique 


Survit 
le 145 X 1902. 


rie | 
(œil) 
h 


Peau 
saine 


Rae ess MALE 
I ET Pi 


Les contrôles du sciatique droit, tombés malades le 20° et 
le 39° jour, moururent de rage après 1 à 2 jours. 

Parmi les contrôles de la cicatrice, 5 tombèrent malades de 
rage après 1-4 jours de maladie, le 6° contrôle vivait encore 
2 mois après l’inoculation, quand on mit fin à l'observation. 

Les 4 contrôles de la peau saine moururent tous accidentel- 
lement sans montrer jamais aucun signe de paralysie ni de 
véritable dénutrition, les 6°, 7°, 11° et 48° jours. 

Ces données prouvent clairement la virulence non seulement 
du bulbe et de la glande salivaire, mais aussi des deux sciatiques, 
soit de celui du côté de la morsure, soit de celui du membre 
non mordu. 

Et cela s’accorde bien avec les recherches de Pasteur, Bar- 
dach et Roux, déjà enregistrées dans la littérature (Zagari!, 
Marie ?). Mais cette dernière observe le plus complet silence sur 
la virulence de la peau de l’homme hydrophobe. 


. 4. ZAGarr, La Rabbia (nel Trattato italiano di Patologia e Terapia medica). 
Edit. Vallardi, Milano. 
2. MARIE AÀ., La Rage, Masson et Cie, laris. 


VIRUS RABIQUE DANS LE SIÈGE DE LA MORSURE, 297 


Les données que j'ai recueillies laissent sûrement exclure 
la présence de virus rabique dans la peau de l’hydrophobe, car 
des contrôles moururent, 2 de 6 à 7 jours, et 2 de 11 à 48 jours 
après l’inoculation, sans avoir présenté, comme nous avons déjà 
dit, des faits paralytiques ou au moins une profonde dénutrition, 
comme nous voyons qu'en produisent souvent les virus 
de rues beaucoup atténués. Mais le résultat le plus important 
qui n'admet aucun doute, et sur lequel je désire appeler l’atten- 
tin du lecteur, c'est celui qui dérive des contrôles de la cica- 
trice. 

Ce résultat justifie la conclusion que la cicatrice cutanée sur 
le lieu de la lésion de l’homme hydrophobe contient certainement du 
virus rabique. 

L'importance de ce fait est évidente. S'il était confirmé, 
comme j'espère bien qu'il le sera, par d’autres cas, surtout par 
ceux à période d’incubation très longue, il constituerait la pre- 
mière donnée positive expérimentale, nécessaire pour compren- 
dre les phénomènes réactifs du siège de la lésion dans la rage 
développée, démontrant un rapport direct entre ces phénomènes 
et l'existence du virus rabique dans la morsure. 


LA RAGE DANS L'AFRIQUE DU SUD 


Par LE Dr ADRIEN LOIR 


Le 6 septembre 1902, l’Institut Pasteur recevait une dépêche 
venant de Londres, de la Chartered, compagnie de l’Afrique du 
Sud, demandant le départimmédiat d’un expert pour la Rhodésie. 
Il s'agissait de traiter les cas de rage et de prendre les mesures 
nécessaires pour arrêter l'épidémie qui venait d’apparaître entre 
le Zambèze et le Transvaal. 

Mes maîtres voulurent bien me proposer de me charger de 
cette mission. 

Dès mon arrivée à Bulawayo, j'ai inoculé les lapins de pas 


sage avec des cerveaux conservés dans la glycérine, selon la 


méthode du docteur Roux, et, le 22 octobre, j’ai commencé les 
inoculations pasteuriennes sur les personnes mordues par des 
chiens enragés. Mon séjour en Rhodésie a duré exactement trois 
mois pendant lesquels j'ai eu à traiter onze personnes. Toutes 
étaient en bon état de santé le 10 janvier, jour où j'ai remis la 
direction de l’Institut Pasteur de la Rhodésie à mon sucesseur, 
le docteur Doydson, que je venais de mettre au courant du trai- 
tement antirabique. 

J'ai appliqué la méthode ordinaire de Pasteur, avec la modi- 
fication si commode du docteur Calmette, c’est-à-dire en n’inocu- 
lant que trois ou quatre lapins par mois, et en conservant les 
moelles atténuées dans la glycérine. J'avais usé de ce moyen à 
Tunis pendant plusieurs années. 


Au moment où je suis arrivé en Rhodésie, on mettait encore 
en doute l’existence de la rage dans le pays. Après avoir vu 
plusieurs cas d’hydrophobie chez le chien, j'ai pu, dès le 7 novem- 
bre, affirmer l'existence de la maladie, à la suite de l’observa- 
tion du cas que voici. 

1° Au commencement de septembre, un chien se jette sur un 
cheval qu’il mord. Comme à cette époque la rage était inconnue 
dans le pays, on tua le chien et on mit le cheval en observation 


TRES 


eur 


LA RAGE DANS L’AFRIQUE DU SUD 299 


pour voir ce qui allait en advenir, Le 21° jour après la morsure, le 
cheval présenta des symptômes de rage; il était si excité qu'on 
le tua le 29 septembre; avec son cerveau, le docteur Clark, de 
l'hôpital de Bulawayo, inocula dans l'œil un lapin qui me fut 
apporté au laboratoire le 20 octobre. Celui-ci était paralysé 
depuis le 19 et mourut le 22 octobre. Je fis son autopsie, et avec 
son bulbe j’inoculai un autre lapin qui fut pris de rage 15 jours 


après. Nous avons là différents cas de rage en série; les ani- 


maux meurent avec des symptômes rabiques, le cheval 21 jours 
après sa morsure, le premier lapin 22 jours après l’inoculation du 
cerveau du cheval malade, le second lapin 15 jours après l’inocu- 
lation. C’est presque une expérience de laboratoire qui démontre 
l'existence de la rage. 

2° Le 25 octobre, M. Taylor, chef commissaire des indigènes, 
me prie de venir voir son chien, un grand et superbe danois, que 
je trouve en proie à la rage la mieux caractérisée, avec l’aboie- 
ment rabique. 

On l’abattit d’un coup de fusil, le cadavre m’a été apporté au 
laboratoire. J’ai trouvé des corps étrangers dans l’estomac. Avec 
le bulbe, j'inocule un lapin qui est pris de rage paralytique le 
1 novembre. Je pourrais citer d’autres faits, je considère ceux-ci 
comme caractéristiques : la rage existe en Rhodésie. 


D'où vient-elle? On dit que les indigènes se souviennent 
d’une maladie semblable qui existait en Rhodésie il y a environ 
30 ans : puis elle aurait disparu. En 1892 et 1893, à Port- 
Elizabeth, dans la colonie du Cap, il y eut une épidémie de rage, 
importée d'Angleterre par un chien, sur lequel on remarqua les 
premiers symptômes peu après son débarquement. Le premier 
eas eut lieu en août 1892 et le dernier cas en août 1893. 

Grâce aux mesures prises (destruction des chiens errants et 
des chiens mordus, muselière imposée à tous les chiens de la 
ville pendant 7 mois environ), l’épidémie a complètementdisparu. 
On a tué 1,840 chiens. Pendant toute cette épidémie, et depuis, 
pas un cas de rage n’aurait été signalé en dehors de la ville. Ceci 
est bien extraordinaire : un chien enragé ne reste pas ainsi dans 
les lieux où il a été mordu. 

Il est donc très vraisemblable que la maladie a été répandue 
dans la contrée, aux alentours de Port-Elisabeth; et, lorsque 


300 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'épidémie s’est arrêtée dans la ville, elle a dû continuer dans la 
campagne. Elle a pu, si elle est restée bénigne, passer inaperçue. 

La population européenne est très clairsemée dans l'Afrique 
du Sud; pendant la guerre des Boërs, il a été difficile de se 
rendre compte des maladies dont souffraient les animaux, peut- 
être mème les hommes. Puis, dans beaucoup de pays chauds, 
n’a-t-on pas nié pendant longtemps l'existence de la rage : 
Palestine, Constantinople, Egypte, Tunisie et Algérie? Il y a 
je crois à cela une raison, c’est que, dans les pays chauds, si la 
rage mue n’est pas plus fréquente que dans les pays tempérés, 
la période pendant laquelle le chien est furieux paraît beaucoup 
plus courte. Tandis qu'en Europeun chiea reste furieux pendant 
3 ou 4 jours, dans les pays chauds la période de fureur me semble 
plus courte. J’ai vu à Bulawayo un chien qui, à midi, avait des 
symptômes suspects; mais, à moins d’être très exercé à recon- 
naître la maladie, on ne pouvait en soupçonner l'existence; il 
était tenu en laisse par un nègre et traversait la ville. Un peu 
après 3 heures il fut pris d’un accès de fureur, et à 6 heures du 
soir il était mort. 

J'avais déjà remarqué des faits analogues en Tunisie. On 
comprend donc comment la rage peut être méconnue pendant 
de nombreuses années, jusqu’au jour où un cas bien avéré est 
observé par une personne compétente. 

La rage en Rhodésie peut certainement venir du nord du 
Zambèze, mais elle peut aussi, je crois, avoir été apportée du 
sud; ainsi l'épidémie de Port-Elisabeth a très bien pu s'étendre 
et couver en quelque sorte pendant plusieurs années. Je sais 
bien qu’on dit avoir suivi un cas de rage depuis le Zambèze 
jusqu’à Bulawayo, mais ce cas est d’une époque où l'épidémie 
de rage semblait battre son plein. Un chien ne peut apporter 
que le germe d’une épidémie, et quand on voit celle-ci atteindre 
le chien, le chat, l’âne, le mulet, c’est qu'elle existe depuis 
assez longtemps. 

Dans tous les cas, la rage sévit depuis plus de deux ans dans 
le Barotseland, au nord du Zambèze. Sovanika, roi du Barotse- 
land, pendant le cours de 1901, a fait tuer tous les chiens de ses 
sujets. 

D'un autre côté, la rage serait inconnue dans le Congo … 
français. d 


LA RAGE DANS L’AFRIQUI DU SUD 301 


En Rhodésie, les mesures de police sanitaire prises par le 
gouvernement pour lutter contre la rage dès son apparition ont 
été calquées sur celles qui sont en vigueur dans les autres pays ; 
mais elles ont été complétées le 23 octobre 1902, par les 
mesures suivantes : 

Tout propriétaire ou gardien de chien ou d’un animal pou- 
vant avoir la rage doit, au premier signe de la maladie, détruire 
cet animal ou le mettre dans l'impossibilité de nuire. 

Tout chien doit être à la chaîne ou muselé. 

Tout chien trouvé non muselé sera détruit. 

Toute personne qui vient de tuer un animal enragé doit Le 
brüler ou l’enterrer de suite dans un lait de chaux à une profon- 
deur de # pieds. 

Une amende de 1,250 francs et 3 mois de prison avec tra- 
vaux forcés sont infligés à toutes personnes qui ne se confor- 
meraient pas à ces mesures. 

Jusqu'à ce jour on a détruit plus de 80,000 chiens : 5,000 mu- 
selières à 6 francs l’une ont été vendues par le gouvernement 
aux indigènes, qui se conforment à la loi volontiers, car ils 

comprennent l’importance de ces mesures pour lutter contre 
l'épidémie. 

Il est à prévoir que l'épidémie de rage ne tardera pas à 
diminuer; mais je crois qu'il sera bien difficile de la faire dis- 
paraitre de ce continent où il y a de nombreux fauves et où la 
population est encore très clairsemée. 

Au moment de mon départ j'ai demandé, à la requête de la 
chambre des mines, un adoucissement aux mesures édictées. 
La majeure partie des chiens errants a été tuée, si bien que les 
chiens qui sont pris à l'heure actuelle sont souvent des chiens 
de luxe, paris de chez leur maître sans muselière, ou ayant perdu 
celle qu’ils portaient ; j'ai proposé la création d’une fourrière où 
les chiens pris sur la voie publique seraient conservés pendant 
24 heures pour permettre à leur maître de venir les y chercher 
en payant une amende. C’est en effet la mesure adoptée dans 
tous les pays où la rage existe. 

__ Dans un journal de Buläwayo qui vient de m'être envoyé, 
… je lis, à la date du 31 janvier, que tout chien portant la plaque 
de la municipalité, mais trouvé sans muselière, pourra être 
rendu à son propriétaire après paiement d’une amende de 


302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


25 francs. Les chiens n'ayant pas la plaque municipale conti- 
nueront à être détruits immédiatement après leur capture. 


J'avais apporté des cerveaux de lapins de passage conservés 
dans la glycérine. J'ai toujours conservé ces flacons avec moi 
pendant ce long voyage sous les tropiques et sous l’équateur. 

Voici les résultats des premières inoculations faites sous la 
dure-mère des lapins: 


Cerveau resté 31 jours Inoculation Ils prennent la rage au 
dans glycérine. à deux lapins. bout de7 de8 jours. 
Cerveau resté 35 jours Inoculation Ils prennent la rage au 
dans glycérine. à deux lapins. bout de 10de {1 jours. 
Cerveau resté 36 jours Inoculation Ils prennent la rage au 
dans glycérine. à deux lapins. bout de 8 et {0 jours. 
Cerveau resté 45 jours Inoculation ll ne prend pas la rage 
dans glycérine. à un lapin. encore vivant au bout 


de trois mois. 

On voit que la virulence disparaît brusquement entre le 36° et 
le 45° jour. Dans tous ces cerveaux, le virus a subi une légère’ 
atténuation qui disparait dès le passage suivant. Dès le second” 
passage, la période d’incubation est de nouveau de 7 jours 
comme toujours après les inoculations avec le virus fixe. 


Voici un fait que j'ai constaté pendant mon séjour en Rho- 
désie : Une lapine est inoculée le 11 novembre avec un cerveau de 
lapin du 642° passage. Elle est prise de paralysie le 18 novembre, 
le 19 et le 20 elle est couchée, mais peut encore remuer. Ce 
même jour, à midi, elle met bas un petit bien vivant. On lui 
donne du lait, il le boit avec avidité. La lapine meurt le 23 no- 
vembre et le petit meurt # heures après sa naissance. Le 
20 novembre, avec le bulbe du petit on inocule un lapin, il est 
pris de rage le 27 novembre. Le même jour, 20 novembre, avec 
l'extrémité inférieure de là moelle du même petit, on inocule 
un autre lapin qui est pris de rage le 29 novembre. 

On voit que dans ce cas l’extrémité inférieure et l'extrémité 


supérieure de la moelle étaient virulentes, ce qui donne un nou- 


veau fait positif constatant le passage du virus rabique de la 
mère au fœtus. 


re 
EEE A 


COLORABILITÉ DES BACILLES UE KOCH 


DANS LES CRACHATS INCORPORÉS A DIVERSES SUBSTANCES 


Par Le Dr J. SABRAZÉÈS pE BoRDEaAUx. 


Lorsqu'un crachat de tuberculeux a été abandonné tel quel 
dans un flacon ou incorporé à des solutions de substances 
chimiques diverses, antiseptiques ou autres, le bacille de Koch 
y peut-il être mis en évidence, à l’aide des procédés de colora- 
tion usuels, longtemps après ? 

Nous avons vu que des crachats bacillifères laissés pendant 
plus de trois ans dans un flacon bouché au liège s’y putréfient 
et s’y fluidifient, mais pendant tout ce laps de temps contiennent 
des bacilles de Koch facilement reconnaissables. 

Dans un mouchoir où, depuis plusieurs mois, des crachats 
sont desséchés, on n’éprouve aucune difficulté à retrouver des 
bacilles de Koch sur les préparations obtenues avec le produit 
de raclage des crachats ramollis dans un peu d’eau. Mêmes 
résultats positifs sur des expectorations baignant depuis long- 
temps dans l’urine, dans un suc gastrique artificiel, dans l'alcool, 
le vinaigre, les solutions de sublimé, d'acide phénique, d'acide 
borique, de sulfate de cuivre, d’acides tannique et gallique. 

Ces constatations faites par nous depuis longtemps, et pour 
ainsi dire au jour le jour, nous ont amené à poursuivre métho- 
diquement cette étude à laquelle un de nos élèves, le D' Mathis, 
a collaboré activement. 

Nous avons homogénisé par agitation des crachats muco- 
purulents, nummulaires, de tuberculeux à la période cavitaire. 
Ces crachats, de réaction alcaline, ayant un point de congélation 
de — 0,50, contenaient plus de 20 bacilles de Koch par champ de 
vision et d’asseznombreux microbes d’association, principalement 
des streptocoques. On en mélangeait 1/4 de c.c. à 5 c.c. des 
liquides-réactifs. Au bout de 48 heures on traitait des particules 
du mélange par le procédé de coloration de Ziehl-Neelsen. 

Voici, sous forme de conclusion, les résultats de ces 
recherches : 

L'action de l'eau distillée, de l’eau bouillante, de l’eau d’ani- 


30% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


line, de l’eau oxygénée à 12 vol. ; de la solution iodo-iodurée de 
Lugol, de la glycérine, de l’alcool, de l’éther, du chloroforme, 
du xylol, de la benzine ; des acides acétique, borique et picrique 
(à saturation dans l’eau); phénique et salicylique (à saturation 
dans l'alcool); de l’ammoniaque, de la lessive de soude; du 


carbonate, du sulfite de soude, de l’iodure de potassium, des 4 


sulfates d’alumine et de cuivre, du chlorure de baryum (à satu- 
ration dans l'eau); du bichlorure et du cyanure de mercure 
(à 1/100 et à 1/1000) ; des mélanges de créoline et de liqueur de 
Van Swieten; des réactifs d'Esbach et de Flemming, ne nuit 
nullement à la coloration des bacilles de Koch par le procédé 
de Ziehl-Neelsen. 

Parmi ces substances il en est qui sont employées journelle- 
ment par les malades pour désinfecter les expectorations dans 
les crachoirs — telles l’acide acétique, l’eau d’aniline, l’alcool, 
les sels de mercure et de cuivre. Il n’est pas indifférent de 
savoir qu'elles ne gênent en rien pour la recherche des bacilles 
de Koch qui y baignent. 

Beaucoup sont d’un usage journalier dans les laboratoires 
pour la fixation, la déshydratation, l’éclaircissement des frottis 
et des coupes : tels l'alcool, l’éther, le chloroforme, le xylol, 
les acides borique, phénique, picrique, etc. : leur emploi est 
dépourvu d’inconvénients, eu égard à la coloration des bacilles 
acido-résistants, tels que le bacille de Koch. 

Par contre les acides azotique, chlorhydrique, sulfurique, 
oxalique non dilués; l'acide osmique à 1 0/0, le permanganate 
de potasse (4/100); le bichlorure d’étain et l’azotate de bismuth 
(à saturation dans l’eau); le sulfure d’ammonium, les réactifs 
de Boas et sulfomolybdique, ne permettent plus de retrouver le 
bacille de Koch dans les crachats. Cette recherche risquera fort 
de rester négative sur des lésions osseuses, de nature tubercu- 
leuse, décalcifiées par les acides forts et sur les pièces fixées 
par l’acide osmique. | 

Contrarient aussi cette recherche, mais à un degré moindre, 
l'acide chromique (2/100), le formol du commerce, l’acide sulfu- 
rique au quart (bien entendu son action s’exerçant pendant deux 
jours), l’acétate de plomb (à saturation dans l’eau), les azotates 
d'argent et de baryum (1/100), l'alcool chlorydrique (2/100), le 
chromate (4 0/0) et le bichromate de potasse (à saturation dans 


COLORABILITÉ DES BACILLES DE KOCH. 305 


l’eau, la créoline, l'essence de térébenthine ; le nitro-prussiate 
de soude et le ferricyanure de potassium (à saturation dans 
l’eau), la solution alcoolique de phtaléine du phénol, les réactifs 
acéto-picrique. de Fehling, de Kleinenberg, de Tanret, d'Uffel- 
manpn, la teinture d’iode. Ainsi l’acide chromique, les chromates 
et les bichromates, le formol, l'acide formique, l'alcool chlorhy- 
drique, le réactif de Kleinenberg, les fixateurs à teneur élevée 
en iode peuvent contrarier la recherche du bacille de Koch dans 
les préparations histologiques. 

La créoline, le lysol, si communément employées pour désin- 
fecter les crachats, nuisent aussi à cette recherche. 

Ajoutons en terminant que dans ce troisième groupe de 
substances génantes, sinon empéchantes, nous trouvons des corps 
tels que le ferricyanure de potassium et le nitroprussiate de 
soude, au contact desquels les crachats traités par le procédé de 
Ziehl-Neelsen laissent précipiter des cristaux en bâtonnets fins, 
colorés en rouge, qui simulent des bacilles de Koch. 


20 


OBSERVATIONS 


Concernant l'étude de MM. TISSIER et MARTELLY, 
intitulée : & Recherches sur la putréfaction de la viande 
de boucherie. » 


Par LE D' A. RODELLA 


Assistant à l’Institut d'hygiène de l'Université de Zurich. 


Dans leur travail publié le 25 décembre 1902 dans ces 
Annales, et intitulé « Recherches sur la putréfaction de la viande 
de boucherie », MM. Tissier et Martelly prétendent que les anaé- 
robies décrits par moitsous les n° II et IIf ne sont autre chose 
que le bacillus putrificus Bienstock et des microbes appartenant 
à la flore du méconium. 

Quoique M. Achalme ait déjà fait remarquer dans ces’ Annales 
(n° 1, 25 janvier 1903) que MM. Tissier etMartelly ont décrit sous 
le nom de Bacillus putrificus coli (Bienstock) un microbe diffé- 
rent de celui isolé par ce savant, je trouve quand mème qu'il 
est de mon devoir de faire aussi les observations ci-dessous. 

La liquéfaction de la gélatine compte parmi les caractères 
distinctifs du Bacillus putrificus. Cette qualité suffirait à elle seule 
pour distinguer de ce bacille mes bacilles no IT et III qui ne 
produisent jamais cette liquéfaction, quelle que soit la durée du 
temps employé. M. Bienstock m'a communiqué ceci person- 
nellement. Je n’ai pas besoin d’entrer ici dans des détails concer- 
nantles autres marques caractéristiques de mes deux bacilles sus- 
nommés (aspect microscopique, aucune transformation du 
lait, etc.). 

Dans un second travail * traitant le même sujet, j'ai déjà 
décrit des microbes anaérobies des selles des nourrissons qui 
n’ont rien à faire avec les espèces anaérobies connues (et parmi 
ces dernières je range certainement aussi le putrificus Bienstock). 

Les faits que je viens de constater ici ont également été con- 
firmés par M. le D' Passini à Vienne, auquel j'ai envoyé mes 
cultures. 


4. Ueber anaerobe Baklerien in normalen Säuglingsstuhle. Zeitschrift für 
Hygiene. Band XXXIX, Het. 3. 

2. Ueber die Bedentung der im Säuglingsstuhle vorkommenden Mikroorga- 
nismen mit besonderer Berückrichtigung der anaeroben Darmbakterien. Zeitschrift 
für Hygiene. Band XLI, Heft. 3. 


REVUES ET ANALYSES 


CE QUE C'EST QU'UN ALIMENT 


I 
M. ne SorTewviLe 4 GEorGes Dani. — Soutenez donc la chose! 
GEORGES Danpix. — Elle est toute soutenue: elle est vraie. 


MOLIÈRE. 


La tempête dans un verre de vin déchaïnée, en France surtout, 
par mon récit des expériences américaines sur l’alcool-aliment, montre 
que je me suis heurté à une certaine ignorance qui, naturellement, 
s’est retournée contre moi. On m'a repris sur ma façon de comprendre 
l'aliment, et accusé d’avoir oublié sur ce point les leçons reçues dans ma 
jeunesse. Ce dernier reproche est un de ceux que jesais savourer : jJesuis 
si coutumier du fait! Et puis je n’étais pas bien sûr d’avoir cru, con- 
formément à lathéorie de l’aliment de réserve, que la matière dont nous 
nous nourrissons vienne passagèrement faire parlie de nos tissus 
avant de disparaître par la respiration. Cette théorie, qui nous obligeait 
à nous respirer nous-même, et à n’utiliser notre aliment que lorsqu'il 
avait pris forme vivante, me semblait quelque chose d’énorme comme 

* conception, et je me demandais comment nous pouvions nous ressem- 
bler autant dans l’ensemble des jours de notre vie, si chaque jour ce 
qui chez nous avait charge de vie et de pensée était, dans une si forte 
proportion, formé de nos aliments de la veille ou de l’avant-veille. 


Tout en conservant tant que j'ai vécu des doutes sur cette inter- 
prétation, je me rappelais en échange fort bien comment elle était née 
et s'était peu à peu répandue. Les physiologistes d'il y a quarante ans 
étaientembarrassés pour comprendre comment se faisait la combustion 
de ces aliments. Ils en avaient d'abord placé le siège dans le poumon, 
au point de rencontre de l’air et du sang, Puis ce fut aux points où le 
sang rouge devient le sang noir; c'est là, disaient-ils, dans la profondeur 
des tissus, dans les capillaires, qu’agissent l’un sur l’autre d’un côtéles 
aliments, de l’autre côté l’oxygène amené par le sang. Mais comment 
se fait-il qu'ils ne commencent pas plus tôt, puisqu'ils sont ensemble, 
et qu’il n’y ait pas de combustion pulmonaire aussitôt qu'ils sont 
unis”? Ces physiologistes étaient, sansle savoir, victimes d’un préjugé : 
ils étaient médusés par le souvenir du feu de leur foyer, dans lequel 


308 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


nous avons en effet un combat entre deux adversaires, l’air et le bois, 
ou le charbon. Cette image simple leur semblait devoir être.celle de 
toutes les combustions, et ils étaient surpris de ne pas la retrouver 
dans le cas de la matière alimentaire. On comprend donc combien ils 
furent contents de voir disparaître ce problème lorsque Bernard vint 
leur parler du glycogène, ce corps sucré, produit par le foie aux 
dépens des aliments, et imprégnant l’organisme. Plus de mystère, 
dirent-ils; ce qui brüle dans les tissus, ce n’est pas l'aliment ingéré, 
c’est le glycogène que cet aliment a formé, et celui-ci ne brûle dans le 
muscle que parce qu’il est là, conformément à l’image classique, atten- 
dant l’oxygène qui lui manque. 

Vainement on objecta qu’il y avait aussi du glycogène dans le sang 
etque, par conséquent, le problème restait le même. On étenditla théorie 
au lieu de s'arrêter à résoudre l’objection; on montra, ce qui n’est pas 
difficile, que le glycogène des tissus pouvait aussi provenir des corps 
gras, des matières albuminoïdes. Des animaux qu’on avait ramenés, 
soit en les affamant, soit en les épuisant de travail, au minimum — 
ou même quelquefois à la disparition complète — de leur glycogène 
pouvaient reconstituer leur provision lorsqu’en supprimant le sucre de 
leur alimentation, on y introduisait des corps gras ou bien de la viande, 
et l’argument parut excellent. Après une minute de surprise, la 
chimie, consultée, vint répondre qu’elle ne contredisait rien de son 
côté, souscrivait à toutes ces transformations, et même que le pro- 
blème de faire du glycogène avec un corps quelconque avait des cen- 
taines de solutions théoriques, car on fait ce qu’on veut avec des 
formules. Bref, et sans que j'insiste, voilà le principe et le déve- 
loppement naturel d’une interprétation qui voit dans l’aliment Surtout 
l'aliment de réserve, et qui lui demande d’avoir fait partie à un titre 
quelconque des tissus de l’animal avant de disparaître. 

Cette antipathie instinctive vis-à-vis d’une théorie ainsi faite 
explique peut-être comment je me suis tenu au courant des objections 
qu'on pouvait lui faire. Pour abréger, dans cette revue où je voudrais 
faire court, je ne viserai que quelques-uns des travaux dont elle a été 
l'objet : les plus importants, à mon avis, sont ceux dans lesquels on 
a essayé de profiter de cette manière d'animalisation de la matière 
alimentaire pour essayer de la retrouver au milieu des tissus. Donnons 
à un animal une matière différente de sa matière grasse normale. 
Après l’avoir au préalable amaigri par l'abstinence ou par l'exercice, 
si cette masse de matière grasse nouvelle laisse tous les jours un peu 
de sa substance dans les tissus de l’animal, il ne semble pas douteux 
qu’en reprenant la matière grasse de l'animal après qu’il est revenu 
à la santé, et en l’analysant, nous y trouverons des dissemblances avec 
Ja matière grasse normale, Dans cette recherche, que je ne détaille pas 


REVUES ET ANALYSES 309 


autrement, on voit bien que l’animal n'aime pas à changer de 
matière grasse, et conserve obstinément la sienne, bien qu'il ne puisse 
pas empêcher d'y entrer une partie des corps gras étrangers dont il 
se nourrit. 

De même, si, au lieu de lui donner du sucre pour fabriquer du 
glycogène, on lui fournit d’une façon régulière une nourriture composée 
d’autres aliments ternaires, c’est toujours du glycogène qu'on retrouve 
dans ses tissus, et non pas, comme on aurait pu le croire, des glyco- 
gènes divers ayant conservé quelque trace de la structure des composés 
ternaires qui auraient servi à les fabriquer. Enfin, à propos des ali- 
ments quaternaires, on a vu tout récemment, sur une oie nourrie avec 
de la zéine (matière albuminoïde particulière provenant du maïs, 
qui diffère des autres en ce qu’elle est soluble dans l'alcool et ne donne 
pas de /ysine dans une destruction ménagée), la substance musculaire 
de cette oie être la substance normale de l’oie sans trace sensible 
de zéine. Quand on y songe, on ne trouve rien de surprenant à ce 
que des animaux ainsi traités mettent une pareille obstination à con- 
server leur nature; et l’on se demande avec un peu d'inquiétude ce 
qui arriverait si notre pauvre humanité changeait avec tant de facilité 
sous l'influence de l'aliment, et si les habitants des régions polaires, 
nourris d'huiles, ressembleraient encore autant qu'ils le font aux 
habitants des régions équatoriales ou tempérées. 


Non, en vérité, l'aliment ne joue pas un tel rèle dans notre exis- 
tence, et nous allons voir en effet que nous le côtoyons bien plus que 
ne le laissons se fondre en nous, 


Il 


Ici, j'ai besoin d’entrer dans quelques détails préliminaires : il a 
toujours été plus facile et plus court de démolir que de rebâtir. Je 
voudrais d’abord me demander ce que c’est qu’un aliment et comment 
il est fait. 

En nous posant cette question, nous trouvons d’abord cette har- 
monie naturelle qui fait que nous sommes bien obligés de nous con- 
tenter des aliments que les végétaux nous fabriquent. Dans le monde, 
tel qu’il est composé, la végétation, aidée de l’action solaire, fabrique 
peu à peu tout un clavier de substances, dont presque toutesles touches 
alimentent le monde animal chargé de les détruire en les ramenant à 
la forme dont ils sont partis : eau et acide carbonique. Le monde végé- 
tal fabrique, le monde animal dégrade et détruit. Dans l’ensemble, il y 
a un travail de dislocation qui double et défait le travail de construc- 
tion, et ces deux travaux sont si bien superposés que, si on connais- 
sait l’un on connaîtrait aussi l’autre. 


310 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Un végétal que nous arrachons après qu’il a passé quelque temps 
dans la terre, une salade, une betterave, par exemple, nous apporte 
un travail déjà fait, représenté par l’ensemble de ses matériaux. Ce 
qui nous frappe surtout, ce sont les éléments qui s’y sont différenciés, 
qui ont pris la forme de cellules, ou bien d'amidon, ou bien encore 
celle de sucre. Quand la plante en est là, quand nous découvrons que 
nous pouvons en tirer du sucre ou de la fécule, nous jugeons que, 
chez elle, le travail s'achève, que le moment de l’utilisation et de la 
récolte va venir. Nous remplissons nos caves ou nos greniers avec les 
caves ou les greniers que la prévoyante nature avait mullipliés sur ou 
dans le sol, et tout cela nous semble si naturel que la préparation 
silencieuse des réserves nous paraît l’acte essentiel de la culture. 

C’est que, par ignorance, nous avons élagué de notre esprit toute 
une période préliminaire, toute celle qui s’étend entre le point de 
départ, eau et acide carbonique, et les produits aussi complexes que 
le sucre, Il y a dans le végétal toute une série de corps intermédiaires 
entre le sucre et l'acide carbonique, des alcools, des aldéhydes, des 
acides fixes ou volatils, des corps gras, ete., auxquels les chimistes ont 
fait de loin en loin l’aumône d’un travail, et qu’ils ont en somme 
négligés, parce que ces corps n'étaient pas abondants. Pourquoi, après 
tout, n’étaient-ils pas de l'importance de l’amidon et du sucre? En 
réalité, les choses étaient ce qu'elles devaient être. Les matériaux 
de réserve formaient la réserve, parce que la nature leur avait 
fait une molécule résistante difficile à attaquer; c’est pour cela que, 
comme aliments, ils ne disparaissaient pas sans quelque difficulté, 
correspondant à cet embaumement protecteur, Au contraire, les corps 
intermédiaires dont nous parlions plus haut sont plus rapides dans 
leur évolution, ne font qu'apparaitre et disparaître à leurs diverses 
stations, et doivent comme conséquence être comptés comme rares, 
si rares même parfois qu'ils deviennent presque évanescents, et quil 
faut admetlre leur existence sans qu’on en découvre des quantités 
bien sensibles. C’est le cas pour l’alcool méthylique, découvert dans 
la végétation par M. Maquenne, ou pour l’alcool ordinaire, si souvent 
rencontré dans les tissus en plus petites quantités. Si on en trouve si 
peu, c’est non pas que la qualité alimentaire leur manque, mais 
qu’elle est plus développée que chez leurs congénères pius résistants. 
Leur importance ne se mesure pas à leur quantité, et nous voyonsbien 
que, du moment qu'ils apparaissent dans la vie végétative comme pro- 
duits intérimaires doués d’une certaine stébilité, ils méritent également 
d’arrêter l’attention, 

Dans cette vue rapide, je n’ai fait jusqu'ici aucune distinction 
entre les aliments azotés ou non azotés. Je me suis placé en face d’un 
végétal qui grossit, et j'ai examiné les divers corps qu’il donne, tant 


REVUES ET ANALYSES 311 


ceux qui font des apparitions et des disparitions rapides dans les 
tissus que ceux qui s'y installent pour une cerlaine période et mani- 
festent dès leur origine leur intention de durer, Ily a une partie ani- 
male dans l'aliment qui se fabrique ainsi, s'il y a une part végétale 
prédominante, et j'aurais pu me supposer de même, dès le début, en 
présence d’un animal qui grossit aux dépens de sa nourriture végé- 
tale, car, au fond, l'introduction de la matière albuminoïde ne change 
rien à notre concept, L'expérience nous révèle entre l’acide carbo- 
nique et l’eau, formes les plus brutes de la matière végétale, et l’ami- 
don ou la cellulose, toute une série de formes réalisables, de plus en 
plus complexes et de stabilités variables, qui, présentes pendant la 
construction du végétal, doivent reparaître au moment où le végétal 
digéré se disloque. Ces formes intermédiaires entre l’acide carbonique 
et le sucre ne peuvent pas être très nombreuses, car elles doivent être 
réalisées par des groupements nouveaux donnés au maximum aux 
48 atomes d’un sucre en C!?, Avec une matière albuminoïde, le 
même raisonnement nous conduit aussi à l’idée de formes nouvelles 
de construction et de digestion, réalisées par des groupements nou- 
veaux des éléments de la molécule albuminoïde, et, s’il est vrai, 
comme je crois l’avoir montré dans mes leçons de lan dernier, 
auxquelles celle-ci fait suite, que la structure de la matière albumi- 
noïde est celle d’une cellulose ou d’un sucre azotés, le nombre des 
molécules aux dépens desquelles doivent se faire des groupements 
nouveaux reste encore bien restreint. Les deux raisonnements, l’un 
relatif au sucre, l’autre aux aliments azotés, restent collés l’un sur 
l’autre sur tout le champ qui leur est commun. 

Nous pouvons donc dire, dans un cas comme dans l’autre et 
comme conclusion de tout ce qui précède, que l'aliment est l’une des 
formes de digestion que l’on relève pendant la destruction physiolo- 
gique d'un végétal ou d’un animal; la cellulose, la fécule, le sucre, 
l’alcool, l'acide lactique, la glycérine, etc., sont des aliments successifs 
qui se dégagent peu à peu du bloc alimentaire qu’on a appelé aliment 
jusqu'ici. De mêmela matière albuminoïde revêt, en se disloquant, des 
formes qui sont aussi des aliments, et dont les derniers termes peuvent 
être simples, provenant du reste de dérivations analogues à celles qui 
fonctionnent avec les aliments ternaires. Dans l’ensemble, il est trop 
clair que toute une face du problème nous a échappé jusqu'ici, que 
nous l'avons laissé à ses débuts, que nous avons eu tort de croire qu'il 
perdait tout intérêt lorsqu'il cessait de. pouvoir être suivi au micros- 
cope, et qu’à côté de ses fragments classiques, sucre, amidon, 
muscle, ete., il fallait étudier ceux dont non seulement on ignorait la 
digestion, mais auxquels on contestait leur qualité alimentaire, 


-312 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 
III 


C’est ce que sont venues nous révéler les études faites sur la nutri- 
tion des microbes. A l’origine, chacune des espèces étudiées, par exem- 
ple la levure de bière, nous apparaissait comme un végétal, digne 
d’être étudié précisément pour la bizarrerie de ses allures. La levure 
était, par exemple, l’être qui fabriquait tout l'alcool formé à la surface 
-du globe. Il a fallu lui enlever ce rôle, à mesure qu'on étudiait d’autres 
ferments; puis il a fallu en faire autant pour ce qui avait singularisé 
les autres ferments classiques, et on a si bien fait, qu'aujourd'hui, les 
microbes valent, non par ce qu’ils peuvent avoir de spécifique, .mais 
par ce qu'ils ont de commum à toutes les cellules vivantes. 

Par là, il sont rentrés dans le courant commun, avec cette spécia 
lité pourtant encore que, tout en détruisant dans l’ensemble les matières 
alimentaires comme le font les autres cellules, ilssavents’arrêteren route 
et se succéder les uns aux autres, pour accomplir ce que d’autres cellules 
peuvent faire à elles seules. C’est ainsi que la levure de bière s’arrête à 
la formation de l’alcool, que d’autres cellules transforment ensuite; 
c’est de même ainsi que le ferment lactique s’arrête à l’acide lactique, 
le ferment acétique à l’acide acétique, de sorte qu'en résumé, nous 
nous trouvons avoir pu partager en plusieurs lots le problème de la 
destruction de la molécule sucrée, en étudiant successivement la vie de 
chacun de nos microbes. De là ressort une série de notions fécondes 
que je ne peux qu’énumérer : 

19 Les microbes se trouvent ainsi jalonner un grand nombre de 
chemins ouverts à l’aliment pour passer du degré maximum de com- 
plication au degré maximum de simplicité, c'est-à-dire à l’état d'eau 
et d’acide carbonique. Mais aucune de ces routes ne comporte plus 
de quatre ou cinq stations pour les aliments ternaires. Pour les ali- 
ments quaternaires, le chiffre est un peu plus grand, et mal connu, à 
cause de notre ignorance des produits de destruction de la matière 
albuminoïde ; mais, sûrement, il n’est pas gros, pour cette raison 
d'ordre général, et applicable aussi aux substances ternaires, que la 
molécule du corps qui détruit n’est jamais compliquée, et que les 
stations qu’elle fait sur sa route sont celles où elle peut rencontrer un 
peu de stabilité, 

2° Le passage de ces groupements l’un à l’autre se fait à l'origine 
par l’action des diastases, Nous connaissons les cellulases, qui détrui- 
sent la cellule en lui enlevant sa structure; les amylases et les dextri- 
nases, qui font tomber de même au niveau des sucres les divers ami- 
dons ; la sucrase qui dédouble le saccharose en deux sucres en Cf; 1 
zymase, qui fait avec ces sucres de l'alcool et de l'acide carbonique; 
les diastases tout récemment découvertes par MM. Büchner et Meisen- 


REVUES ET ANALYSES 313 


heimer qui font, avec ces mêmes sucres, de l'acide lactique ou de l'acide 
acétique ; nous trouvons de même, dans le monde des matières albu- 
minoïdes, des diastases toutes pareilles, dont les unes, soumises à une 
révision en ce moment très attentive, ont pour objet d'enlever à ces 
substances toute trace de structure et d'en faire des liquides : ce sont 
la pepsine, la trypsine, la caséase, elc. ; à côté de celles-ci, les plus 
récentes dans la science sont les diastases qui agissent à la façon de 
la zymase en transformant l’ornythine en putrescine, la lysine en cada- 
vérine, de la tyrosine en oxyphényléthylamine, en les privant d'une 
molécule d'acide carbonique et leur faisant ainsi subir une sorte de 
fermentation alcoolique classique. Nous sentons très bien en ce moment 
que nous sommes,de ce côté de la science, au début d’une ère féconde, 
et, quand nous aurons terminé de ce côté, il nous restera à faire une 
besogne qui commence à peine : je veux dire l’étude de ces diastases 
oxydantes dont le rôle dans la digestion est dix fois supérieur à celui 
des diastases que nous venons d’énumérer. 

3° C’est que, si en théorie les bactéries anaérobies peuvent être 
mises en balance avec les aérobies, dans la pratique, ce sont les der- 
nières qui l’emportent de beaucoup, et qu'on peut même dire, en 
forçant un peu la note, qu’il n’y a pas de vie bactérienne anaérobie. 
Ce n’est qu'au contact de l'air qu’il y a multiplication active et des- 
truction de l'aliment. Au regard de cette vie aérobie, l'espèce bacté- 
rienne devient presque indifférente. Les termes auxquels elle aboutit 
sont à peu près les mêmes partout. Les acides gras, par exemple, sont 
des produits de fermentation presque universels, presque autant que 
l'acide carbonique qui les accompagne. | 

40 Il y a pour cela des raisons faciles à saisir. Comme toutes 
les cellules vivantes, celles-ci sont surtout préoccupées de se 
différencier elles-mêmes; quand l’une d’elles est ensemencée dans 
un milieu favorable, quel qu’en soit le niveau sur l’échelle de destruc- 
tion, elle se fait dans ce milieu tout ce qui lui est nécessaire. Comme 
les cellules des animaux supérieurs, elle sécrète d’abord tout ce qu'il 
lui faut ; elle se donne de la matière albuminoïde, si on ne lui en a pas 
fourni, à la condition qu'on lui donne un peu d’ammoniaque. Elle 
pourrait de même se faire de la matière ternaire si on la lui refusait, 
en satisfaisant du reste à ses autres besoins. La levure de bière se donne 
du glycogène; le vibrion du tétanos se donne sa toxine; bref, la cellule 
vivante ne songe qu’à elle, et on ne saurait trop lui en vouloir; celle 
de notre intestin se préoccupe de sa santé, pas de la nôtre; mais, 
pour les résidus de sa vie, elle s'en désintéresse non moins naturelle” 
ment, et on peut dire qu’elle est fort indifférente à la besogne de destruc- 
teur qu’elle accomplit dans le monde. 

5° Envisagé à ce point de vue, l’ensemble des vies microbiennes 


314 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


disparaît, eu faisant place à une cellule microbienne-type, laquelle à 
son tour ne diffère pas de l’ensemble des cellules du végétal ou de 
l'animal, Toutes ces cellules sont différenciées et ont chacune leur bis- 
toire, lorsqu'on envisage leur forme ou leur fonction. Quand on songe 
à leur action sur la matière alimentaire, aux résidus qu’elles laissent, 
à la facon dont elles s’en débarrassent, on s'aperçoit qu’elles obéissent 
aux mêmes lois et aux mêmes formules, qu’on peut par conséquent en 
faire abstraction, et substituer aux théories, dans lesquelles elles avaient 
une place, une autre théorie plus générale, dans laquelle on les oublie. 


IV 


Nous voici en effet en présence d’une conception dans laquelle l'ali- 
ment vaut pour nous par la quantité de chaleur qu’on peut en tirer, 
telle, parexemple, que celle qui se révèle lorsque, bràlant un gramme de 
l'aliment dans un calorimètre, on cherche le nombre d'unités de chaleur 
ou de calories que développe sa combustion. Chacune des matières 
particulières qui servent à l'alimentation : l’albumine, la caséine, le 
corps gras, la cellulose, l’amidon, l’alcool, les acides fixes, sortent de 
cette étude avec un coefficient qui définit leur valeur comparative; 
et de cette notion ressortent tout de suite quelques faits importants. 


Représentons-nous l’aliment comme une sorte de masse homogène, 
et voyonscomment nous allons en faire sortir la chaleur qu’elle contient 
et qu’elle donne en se transformant. Les premières transformations 
sont dues à des actions de diastases qui font perdre à la masse son 
homogénéité, C’est en sedédoublant, et moyennantuneadjonction d’eau, 
que la cellulose, la dextrine, l'amidon se divisent en sucres variés, et 
nous pouvons nous représenter ces segmentalions contemporaines ou 
successives comme des-coupures subies par le tronc principal qu'on 
pourrait représenter par les premières subdivisions d'un système radi- 
culaire. 

Plus loin, ces mêmes grosses racines fournissent peu à peu des 
racines secondaires qui correspondent à l'intervention d'autres dias- 
tases, la sucrase, par exemple, ou la zymase, qui, soit par le même 
mécanisme de dédoublement que les premières, soit par l'expulsion 
d’un peu d’acide carbonique, augmentent le nombre de subdivisions de 
la racine et font que le tronc principal se trouve là réduit à un certain 
nombre de rameaux. Jusqu'ici, toutes ces transformations se sont faites 
en vertu de forces intérieures: l'oxygène n’y à pas paru, et la région 
tout entière dans laquelle opèrent ces diastases représente la région 
anaérobie des phénomènes de la digestion. 

Vient alors une autre région que nous pouvons appeler « aérobie » 
pour la même raison, dans laquelle l'oxygène est mis en œuvre parles 


REVUES ET ANALYSES 315 


oxydases. Celle-ci est moins connue, Les diastases oxydantes que l’on 
commence à connaitre sont chargées surtout de l'oxydation des pro- 
duits aromatiques, et on n’en connait pas encore de bien caractérisées 
pour la combustion des matières alimentaires. Tout bien pesé, il faut 
accepter, je crois, comme très probable, l’existence de ces dernières 
diastases oxydantes, et c'est même grâce à leur présence dans les tissus 
qu'on s'explique comment le sang peut si bien convoyerensemble l’oxy- 
gène de son hémoglobine et la masse combustible des aliments sans qu’il 
y ait combustion. Contrairement à l’opinion courante, il est probable 
que l'oxygène ne suffit pas et la matière oxydable non plus. Le sang 
rouge ne devient noir que dans les tissus, là où il y a la diastase néces- 
saire pour activer l’action du phénomène, nécessaire peut-être pour 
surexciter l’action de l’hémoglobine, qui, au fond, est une diastase. 

Dans tous les cas, que l’action soit diastasique ou simplement 
d'ordre chimique, le mode de représentation que nous lui avons donné 
persiste. A châque segmentation naturelle des faisceaux radiculaires 
correspondent une transformation et une production de chaleur plus 
grande lorsque l'oxygène libre intervient, et ainsi nous arrivons à une 
sorte de chevelu dont les dernières ramifications portent toutes des 
molécules d’urée, d’eau et d'acide carbonique. C’est cetie dernière partie 
qui est la moins connue; c’est de même, en prenant les choses en sens 
inverse et en envisageant la production de l'aliment par le végétal, les 
premières parties du phénomène qui restent pour nous obscures, 
malgré les quantités de chaleur qui y sont naturellement absorbées, 

La création de l’aliment est presque complète lorsque nous commen- 
çons à l’apercevoir : par exemple, dansles premières portions de sucre 
ou d’alcoo!l méthylique. Et nous serions fort embarrassés si la micro- 
biologie n’avait répandu pour nous quelques lumières sur ces régions 
importantes et obscures. 


V 


Voilà que nous sommes arrivés cependant à voir qu’un aliment, en 
se détruisant pour servir, obéit à des lois indépendantes de la cellule 
qui l'utilise. Cela veut dire que nous faisons une théorie de l’alimen- 
tation en la raltachant à d’autres lois que celles auxquelles jusqu'ici 
nous la croyions soumise. Nous en étions restés à la Lhéorie de l'aliment 
de réserve, en rapport intime par conséquent avec les tissus. Nous 
voici en présence d’une doctrine dans laquelle cet aliment devient 
source de chaleur, et tombe au rang de combustible, pour tout direen 
un mot. Toute digestion, que ce soit celle de l'éléphant, que ce soit 
celle du microbe, a devant elle une masse de matière utilisable dont 
elle retient une partie en l’appropriant à ses besoins, et dont l’autre lui 


316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sert à faire de la chaleur et à créer le mouvement nécessaire à la vie 
d'ensemble. 

On comprend d’autant moins que la science ne se soit pas plus vite 
engagée dans ces voies qu’elle est, même dans ce moment, visiblement 
un peu embarrassée quand elle parle de la chaleur vitale. A quoi est 
due cette température à peu près constante pour chaque espèce, diffé- 
rente pourtant d’une espèce à l’autre, et qui, dans tous les cas, est, en 
apparence au moins, la meilleure pour les besoins de l'organisme? Le 
sentiment général en fait une résultante de tous les effets fonctionnels 
de l’aliment, et même, lorsque le muscle qui se contracte s’échauffe, 
on se demande si par hasard ce n’est pas le muscle qui produit la cha- 
leur? Si l’on admet, au contraire, que la production de chaleur est un 
effet primordial, qu’elle l’est parce que le besoin qu'a une cellule desa 
température normale est le plus grand de ses besoins physiologiques, 
que cettechaleur est en outreune source vive à laquelleelle puisera sans 
peine pour ses mouvements, pour son travail, voila immédiatement 
l'horizon qui s’éclaire. 

On n’a plus besoin, en effet, de chercher des mystères dans un 
muscle qui travaille. Le muscle est un appareil qui transforme natu- 
rellement de la chaleur en travail. Il représente une machine à vapeur 
quelconque, dans un atelier chauffé à la vapeur, comme l'orga- 
nisme. Il suffit de tourner une manette pour que le moteur se mette en 
mouvement, Qu'il s’échauffe lui-même pendant qu’il travaille, c’est le 
sort commun. Mais il n’y a jamais le moindre doute sur l’origine de 
sa force. Et ainsi, de ce côté, tout est parfaitement harmonisé. 

D’autres points s’éclairent d'eux-mêmes. Tant qu'on a laissé au 
mot d’«aliment » son sens étymologique, c’est-à-dire, qu’on'a cru qu'il 
passait par l'organisme avant de disparaître, on pouvait se demander 
pourquoi, pour l’homme par exemple, il y a besoin, pour nourrir un 
corps formé surtout de matières azotées, d’un excédent notable d'ali- 
ments ternaires, féculents, sucres, pour maintenir ce corps en état. 
Instinctivement, et aussi pour suivre l’expérience, on disait que c'était 
à cause; du travail qui, en effet, peut se contenter de ces aliments 
ternaires. Mais nous verrons tout à l'heure qu'on avait fortement 
exagéré le prélèvement fait par le travail, Nous sommes maintenant 
plus sûrs de notre évaluation, et cette difficulté n’existe plus. L’excé- 
dent est fait pour le chauffage de l’usine, plus exigeant comme quan- 
tité que la nourriture proprement dite de ses habitants. 

Je rencontre ici une objection qui, pour quelques esprits, 
serait presque une difficulté : on pourrait se dire qu'on peut rêver un 
état de choses mieux ordonnancé que le nôtre, dans lequel nous 
sommes obligés de faire circuler à grands frais dans le même canal 
des matériaux ayant des destinations si diverses, dont quelques-uns 


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REVUES ET ANALYSES 317 


vont devenir de la matière vivante, et dont les autres n’ont qu’une 
puissance de chauffe. Je conviens qu'il n’est pas du tout économique 
de faire brûler pour cela de la viande ou d’autres aliments chers. Il y 
a du progrès à attendre d'études faites dans cette direction. Je ne 
crois pourtant pas qu'elles aboutissent jamais à réduire un repas à 
quelques pilules.Il faudra toujours qu'il y ait un aliment complet dans le 
canal digestif,parce qu’il y a tous les jours une centaine de grammes 
de matière ayant fait partie de l'organisme, et qui doit être remplacée 
au moyen de prélévements faits en tous ses points. Il faudra en outre 
toujours que le combustible soit en quantité bien supérieure à celle 
de l’aliment. Mais rien ne nous oblige à croire que les choses se 
fassent au mieux, comme on dit à la Bourse, et l’expérience des pays 
chauds, de même que celle de l’été,nous apprend, quand on y réfléchit, 
que le soleil, lorsqu'il arrive sur le marché, est un aliment qui permet 
de modifier utilement la quantité et la qualité des autres. 


VI 

11 ne suffit pas à une doctrine d’être vraisemblable ; il faut qu’elle 
soit vraie, et obéisse à certaines lois de chiffres tirées de son prin- 
cipe. Celle-ci est plus facile à étudier qu'une autre à ce point de vue, 
puisqu'elle a cessé, en quelque sorte, d’être une loi physiologique, 
pour devenir une loi physique dans laquelle sont seules visées des 
quantités mesurables de chaleur. 

L’aliment en emporte une certaine quantité avec lui. Mesurons-la 
au moyen de cet admirable instrument de travail qui s'appelle la 
bombe calorimétrique de Berthelot. L'individu nourri vit, tra- 
vaille, accomplit toutes ses fonctions. Si nous mesurons tout ce qui 
sort de lui, (respiration, transpiration, excrétions, urine), si en 
outre nous évaluons la chaleur qu’en sa qualité de petit poêle ambu- 
lant il répand dans l’air ambiant; si, enfin, nous saisissons au pas- 
sage tout le travail qu'il fournit, en le transformant en calories au 
moyen de l’équivalent mécanique de la chaleur, toutes ces quantités 
ainsi récoltées devront composer un total égal à l’apport de chaleur 
fait par l'aliment. Si cette coïncidence se réalise à un degré de préci- 
sion comparable à celui des divers éléments du tout, nous conclurons 
non seulement que la théorie mécanique de la chaleur s’applique aux 
phénomènes qui se passent dans l'organisme, ce qui n’était guère 
douteux, mais surtout que nous connaissons bien tous les usages 
auxquels sert l’aliment. | 

Si, au contraire, nous ne trouvons pas l’emploi de toute la chaleur 
apportée, et s’il nous est impossible de trouver nulle part (engraisse- 
ment du sujet, état de fièvre, etc.) l’explication de cette différence, c'est 


318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


que l'aliment produira quelque part un effet inconnu qu’il faudra 
rechercher. 

On reconnait tout de suite ici le programme d’expériences pour la 
première fois,je ne dis pas dressé, caril est assez ancien dans la science, 
mais réalisé dans toute sa plénitude par la Commission américaine. 
J’en ai indiqué les lignes principales, je n’y reviendrai pas. Je me 
contente de dire qu’il n’existe pas dans la science, et qu’on n’y verra 
pas probablement de longtemps, un ensemble plus parfait d’un pro- 
blème poursuivi avec une entente si parfaite des moyens et du but 
Les physiologistes y verront toujours un mémorable exemple de la 
façon dont une question scientifique peut être posée et résolue. 

Quelques mots vont me suffire pour résumer les résultats. Voici un 
opérateur ayant fait dans l'appareil quatre expériences, ayant duré 
en tout treize jours, c’est-à-dire que, pendant treize jours, il a mené 
une existence pendant laquelle rien n’a pénétré en lui comme aliment 
qui n’ait étéconnu comme quantité et qualité, et qu’il n’est rien sorti 
de lui qui n'ait été noté au passage encore comme quantité et qualité, 
y compris la chaleur qu'il a laissé rayonner à l'extérieur. Par suite des 
précautions prises, cette vie en cage et cette surveillance étroite ne 
lui ont pas nui. Aucune expérience n’a été jugée bonne si, du commen- 
cement à la fin, le poids n’était resté stationnaire ou à peu près, de 
façon qu'on n'a même pas à se poser la question de savoir ce que 
l'opérateur avait perdu ou gagné, de la graisse ou du muscle, On 
voyait, au sortir de l'appareil, un homme identique à celui qui y était 
entré; et, comme celui-ci, dans ces expériences, n'avait pas travaillé, 
d’une façon visible du moins, et avait conservé le plus possible son 
énergie intellectuelle, il n’y avait avec lui qu'à faire le total de ce qui 
y était entré et de ce qui en était sorti. Eh bien, le total utilisé de sa 
masse alimentaire aurait pu donner par jour, si l’aliment avait brûlé 
dans une bombe calorimétrique, un total de 2,190 calories; le. 
total de ce qui en était sorti se trouvait être de 2,221, ce qui veut 
dire, qu'à un peu plus d’un centième près, la combustion physio- 
logique s’était faite dans l'organisme comme la combustion chimique 
dans la bombe. 

Dans cette vie tranquille, introduisons maintenant, par intervalles 
un travail qui, dans l’espèce, représentaithuit heures par jour d’éner- 
gie dépensée sur un motocycle, dans lequel toute la force versée prend 
la forme d’un courant électrique qui se dépense lui-même dans une 
lampe Edison. Cette méthode a l'avantage que toutes les résistances 
de l’appareil s'y transforment en chaleur, qui est emportée par la ven- 
tilation et vient s’y ajouter à la chaleur versée par l'opérateur lui- 
même, On peut donc mesurer la quantité totale de chaleur produite, 
par le travail et la faire entrer en compte. Voici le compte d’un autre 


Dan So TE SE SENCE EUR 


REVUES ET ANALYSES 319 


opérateur qui a fait cinq expériences, c’est-à-dire qui a passé 15 jours 
dans l’appareil. Le total de ses aliments aurait pu lui fournir en 
moyenne, par jour, 3,660 unités de chaleur; or on a trouvé 3,451 
calories comme total s’il était resté en repos, et 220 correspondant à 
son travail journalier : soit en tout 3,671 calories au lieu de 3,660 ; 
l’approximation est encore plus grande que tout à l'heure. 

On voit, en passant, combien est faible le nombre de calories 
absorbé par le travail, qui dépasse pourtant 90,000 kilogrammètres, et 
aussi combien se trompaient les physiologistes qui versaient géné- 
reusement dans la dépense de travail quelquefois 50 0/0 de la chaleur 
apportée par l'aliment. 

Dans ce cas, la dépense totale est de 220 unités sur 3,660, c'est-à- 
dire de 6 0/0 environ. On voit aussi combien il paraît improbable que 
l’utilisation de l'aliment se fasse autour du travail comme pivot. C’est 
un trop piètre élément et, évidemment, encore ici, c'est le combustible 
qui l'emporte. 


Nous pouvons enfin poser à notre appareil une dernière question 
qu'il résoudra avec la même facilité. Nous venons de voir que chacun 
de nos opérateurs avait dû se créer à lui-même, par tâtonnement, et 
par l’expérience, un régime normal qui était pour lui le régime 
hygiénique et qu'il pouvait supporter pendant des périodes assez 
longues, sans maigrir ni grossir, en restant identique à lui-même. 
On peut même dire qu’une fois ce régime acquis, l'expérience était 
terminée sans qu’il fùt nécessaire d’un appareil quelconque, puisque 
cet appareil n'avait pas d’autre but que de découvrir un accord 
matériel entre ce qui se passe dans l’organisme et ce qui se passe 
dans la nature morte. Cet accord est déjà entré dans la conscience 
générale; on a été très heureux de ie retrouver, comme une notion 
de fait, dans les nombres de M. Atwater, mais il n’eût fait question 
pour personne. Partons en effet de cette notion de régime hygiénique. 
Nous pouvons très bien lui demander quel rôle jouent les divers élé- 
ments dont il est composé, en en supprimant une certaine partie 
qu'on remplacera par une autre prise en quantité telle que le résultat 
soit le même. Remplaçons par exemple une partie de ses matériaux 
ternaires, de ses féculents, de son beurre par de l’alcuol en quantité 
telle que cet alcool y apporte la même quantité de force, la même 
quantité d'énergie calorifique que les féculents ou le beurre enlevés, 
et laisse au régime toute sa valeur hygénique : c’est dire que la 
substitution doit se faire par quantités isodynames, si les idées sur 
lesquelles nous venons d'insister sont bien les idées maîtresses du 
phénomène, L'expérience tentée a réussi tout de suite, et, comme on 
pouvait s’y attendre, la nature s’est montrée complètement indifférente 


320 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


aux changements de régime dans lesquels on avait remplacé les 
féculents et le beurre par un poids d'alcool donnant en brülant la 
même quantité de chaleur. L'expérience ayant été faite comme tout à 
l'heure, tantôt avec le régime du repos, tantôt avec le régime de 
travail, l'opérateur a vécu dans le même hygiène, s’est retrouvé avee 
son égalité de poids, pendant une expérience qui a duré dix jours au 
repos, et dix jours au travail, Au repos, ses aliments lui ont apporté 
2,191 unités de chaleur; il en a dégagé 2,221 pendant chacune de ces 
dix journées : chiffres qui sont à peu près exactement ceux de tout à 
l'heure, lorsqu'il mangeait tranquillement son beurre et ses féculents, 
remplacés par l'alcool. Dans le régime de travail, avec l'alcool comme 
boisson, les aliments lui ont apporté 3,690 calories par jour; on en a 
retrouvé 3,461, dégagées par le patient sous forme de chaleur, et 
215 calories restituées par lui en travail : ce qui donne un total de. 
3,676; les chiffres sont encore les mêmes. Donc, l'alcool est un 
aliment, | 

J’ai quelque honte d’insister. N’est-il pas clair que nous sommes 
ici sur un terrain solide, que nos idées sont nettes, que le parfait 
accord entre les prévisions et les réalités plaide pour notre cause, et 
qu’on ne peut s'expliquer comment tant d'hommes distingués, surtout 
en France, s’arc-boutaient contre des vérités si évidentes, et même se 
fâchaient contre elles? La vérité ne se fâche pas, elle : elle s’est 
amusée. Elle s’est même montrée particulièrement spirituelle dans 
l'espèce; elle a montré aux anli-alcoolistes qu’ils consommaient de 
l’alcool sans le savoir, et, cette fois encore, la démonstration a suivi 
de près l’énoncé du fait. Tout ce qui précède revenant à dire que. 
l'alcool est un stade du progrès de démolition que subit la molécule 
sucrée, il était impossible que l’alcool n’apparaisse pas pendant la 
digestion du sucre, et que par conséquent, de l’alcool ne soit forcément. 
brûlé dans la profondeur des muscles même de ceux qui le repous- 
saient le plus religieusement en nature. Ce fait, prédit par la théorie, 
est parfaitement d'accord avec l’expérience. El, tout récemment, 
MM.Stoklaza et Czerny de Prague ontdécouvert,dansles tissus vivants, 
une diastase, pareille à la zymasede Büchner, qui transforme en alcool 
ce que la digestion lui présente de sucre. Les gens audacieux, 
dont je suis, estiment que cela a été fait pour quelque chose. 


E. Ducraux, 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


Le Gérant : G. Masson. 


472 ANNÉE MAI 1903. No 5 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 


Alimentation azotée d'une algue 


LE « CYSTOCOCCUS HUMICOLA » 


Par Le D'° P.-G. CHARPENTIER 


Au cours d’une étude sur le Cystococcus humicola, j'ai rencontré 
l'histoire de ses relations avec l'azote. Ces algues, qui se cultivent 
comme les microbes, sont des êtres un peu paradoxaux, végé- 
taux supérieurs en ce qu'ils ont de la chlorophylle qui leur sert, 
végétaux inférieurs en ce qu'ils peuvent se passer de lumière, et 
vivre aux dépens d'éléments très complexes. Je voudrais dire 
ici, brièvement, ce que j'ai appris de leur relations avec l’azote. 

Il est pour les végétaux, quatre sources possibles d'azote : 
l'air, les nitrates, les sels ammoniacauxetles matières organiques. 

J’étudierai avec soin l'assimilation par le Cystococcus de l'azote 
libre, et plus succinctement celle des autres formes d’azote. 


I 


ASSIMILATION DE L'AZOTE LIBRE 


Je ne résumerai même pas les nombreux travaux et les mul- 
tiples discussions auxquelles a donné lieu la question de la 
fixation de l’azote par les végétaux, me contentant de rappeler 

) PP 
qu'elle a été résolue par laffirmative pour un certain nombre de 
microbes, et par la négative pour les plantes supérieures; en ce 

> [ 5 : 
qui concerne les algues inférieures, elle reste encore en suspens. 
Franck * admit un des premiers que certaines plantes vertes 
P 
pouvaient prendre de l'azote à l'atmosphère, mais sans apporter 
de preuves convaincantes à l’appui de cette hypothèse, 
MM. Schlæsing et Laurent*, dans leur beau travail sur la 
O ) 
fixation de l’azote par les légumineuses, ont observé que des sols 


4. Franck, Lehrb. der Bot., 1892. 
2. SCHLOESING ET LAURENT, Ann. Inst. Past., 1892, p. 63. 


322 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


qui se recouvrent de mousses et d’algues vertes inférieures 
peuvent fixer l’azote de l'air, tandis que des sols témoins, dans 
lesquels pareille végétation ne se fait pas, sont incapables d’effec- 
tuer une telle fixation; ils en ont conclu que certaines plantes 
vertes inférieures, notamment les algues, peuvent trouver dans 
l’atmosphère une partie de leur azote. Leur conclusion n’est pas 
à l'abri de toute critique, parce que leurs expériences n’ont pas 
été faites à l’abri des microbes du sol, dont on sait aujourd'hui 
que certains peuvent assimiler l’azote gazeux; rien ne prouve 
donc que dans un sol couvert d'algues et renfermant nécessai- 
rement de nombreuses bactéries, l’enrichissement en azote soit 
plutôt le fait des algues que des bactéries. Il faut de toute néces- 
sité éviter la présence de ces dernières dans les cultures. 
_ Cest ce qu'a fait M. Kossowitsch ‘ dans des expériences 
dont il s’est autorisé pour conclure que le cystococcus humicola 
cultivé en culture pure, à l’abridetout microbe, estincapabledefixer 
l’azote gazeux, ce qu’il fait au contraire très nettement quand il 
vit en symbiose avec certaines bactéries. Les chiffres obtenus 
par M. Kossowitsch, dans ses dosages d’azote, semblent pro- 
bants; je vais cependant montrer que ses expériences ne sau- 
raient entrainer la conviction et demandent à être refaites dans 
d’autres conditions ; pour cela il me faut rappeler brièvement la 
manière dont il a opéré. 

La culture était faite sur une couche mince de sable, arrosée 
avec la solution minérale suivante : 


Phhsmha te DID IASSIUE SR CS ORAN EEE DE Osr,25 

— IMONOPOLASSIQUE FRERE EE ERER Re Osr,2% 
SULTAUe AA MA CNE SUN NE EL RC ere 0,37 
Chlorure de sodium...,........ RSS AG RETENUE Osr,2 
Phpsplhate detente EM EREE ARE EE CPR PRET ET UENE traces. 
SuLlate de CalCIumMe TR RE ER eee Tee traces. 
D an APE HD Cia in SDL OS RARE 1000 grammes. 


Chaque fiole contenait en outre Uf",075 de glucose et, pour 
amorcer la culture, 2"£,5 d’azote sous forme de nitrate de potas- 
sium. Un lent courant d’air, dépouillé d’azote combiné par un 
barboteur à acide sulfurique, traversait la fiole. Au bout de 
plusieurs mois, l'azote total de la culture était dosé. Dans le cas 
où l’algue s'était seule développée en l'absence de tout microbe, 


1. Kossowirson, Bot. Zeit., 1894. 


ALIMENTATION AZOTÉE D’UNE ALGUE. 323 


M. Kossowitsch n’a jamais trouvé, à la fin de la culture, plus 
d'azote qu'il n’en avait mis au début; d’où la conclusion que le 
cystococeus n’assimile pas d'azote gazeux. 

Or, M. Kossowitsch n’a jamais pesé ses récoltes, — la culture 
sur sable lui rendait la chose presque impossible — mais les ren- 
dements que j'ai obtenus dans de nombreuses cultures en milieu 
liquide glucosé' me permettent de supposer très légitimement 
que dans les conditions où il s’est placé, le poids de la récolte a 
dùû être d'environ la moitié du poids de sucre disparu, soit 
40 milligrammes; le cystococcus renfermant 5,14 0/0 de son 
poids d'azote (nombre obtenu dans un dosage par la méthode 
de Dumas), 40 milligrammes n’en contiennent pas tout à fait 
2mer 5; le milieu nutritif contenait donc tout l'azote nécessaire à 
la plante qui pouvait prendre naissance aux dépens du glucose : 
celle-ci n'avait par suite aucun besvin d’en chercher dans 
l'atmosphère. Une fois la totalité du sucre consommé, l’algue 
pouvait, il est vrai, se développer aux dépens de lanhydride 
carbonique amené par le courant d’air, — j'ai constaté d’ailleurs 
combien est laborieuse sa multiplication dans ces conditions; — 
mais rien ne dit quelle puisse satisfaire à la fois au double 
travail de la synthèse de sa matière hydrocarbonée et de l’or- 
ganisation de l'azote gazeux; tout ce que l’on sait sur la biologie 
ds m icrobes fixateurs d'azote, Le Clostridium pasteurianum, le 
Microbe des nodosités des légumineuses, par exemple, tendrait à 
faire croire que l'organisation de l’azote libre exige une très 
srande dépense d'énergie, qui ne peut être fournie que par la 
destruction d’une grande quantité de matière organique. Il se 
pourrait donc fort bien que le cystococcus ne soit capable d’assi- 
miler l'azote gazeux que quand la dépense d'énergie pour 
l'assimilation du carbone est réduite au minimum, c’est-à-dire 
quandiltrouve dela matière organique à brülercommeun microbe. 

De plus, M. Kossowitsch, pour amorcer ses cultures, a 
employé l’azote nitrique; peut-être eût-il mieux fait d’avoir 
recours à une forme d'azote moins facilement assimilable, 
comme l'azote organique? 

Toutes ces expériences ont donc besoin d’être reprises sur 
de nouvelles bases. 


1. Ces expériences feront l'objet d’un mémoire qui va paraitre incessamment 
sur l'assimilation du carbone par le cystococcus, 


324 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


M. Bouilhac! a recherché si le Nostoc punctiforme pouvait 
prendre de l'azote à l’atmosphère ; de ses expériences il a conclu 
que le nostoc, cultivé à l’état pur (c’est-à-dire sans autre espèce 
d’algue mélangée avec lui,) ne fixait pas d’azote libre, tandis qu'il 
le pouvait en présence de certaines espèces de bactéries. Or, c’est 
parce qu'il n’a pu obtenir aucun développement de l’algue dans 
un milieu dépourvu et de toute trace de carbone combiné et de 
toute trace d'azote combiné, qu'il a cru pouvoir formuler une 
pareille conclusion. Ce que j'ai dit des expériences de M. Kos- 
sowitsch montre qu'il en avait peu le droit. 

MM. Dehérain et Demoussy* ont observé que des légumi- 
neuses peuvent se développer vigoureusement sans porter de 
nodosités sur leurs racines, mais seulement quand le sol se 
recouvre d'une couche d’algues vertes. Les microbes des nodo- 
sités n’ont évidemment pas fourni d'azote à la plante, mais rien 
ne dit que ce soit les algues plutôt que des bactéries qui aient 
pris dans l’atmosphère et mis dans le sol l'azote nécessaire aux 
légumineuses. 

Les travaux qui ont trait à la fixation de l'azote libre par les 
algues se réduisent à ceux que j’ai indiqués. Un seul comporte 
une conclusion ferme, c'est celui de M. Kossowitsch, et nous 
avons vu que ses expériences, pêchant par certains côtés, 
demandaient à être refaites. 

Voici comment j'ai opéré. 

J'ai dit que la fixation de l'azote libre par le cystococcus exi- 
geait probablement une très grande dépense d'énergie, que la 
plante ne peut se procurer que par la destruction d’une quantité 
considérable de matière organique; la combustion de cette matière 
organique ne peut s'effectuer sans la consommation de beau- 
coup d'oxygène; d’où la nécessité d’aérer les cultures le plus 
possible et par conséquent d’avoir recours à des milieux nutri- 
tüifs solides. Une autre raison plaide d’ailleurs dans le même 
sens ; en la circonstance, l'azote ne saurait être, sans un grave 
inconvénient, mesuré à la plante parcimonieusement; or la très 
faible solubilité de ce gaz dans l’eau fait qu’en vivant dans un 
milieu liquide, la plante n’en aurait guère à sa disposition. 

Pour aider à la vie des premières cellules, il faut mettre un 


4. Bouicaac, Ann. agron., t. XXIV, p. 579. 
2, DEenérain et Deuoussy, Ann. agr'on., t. XXVI, p. 169. 


si ht prie GDS Re 


DEA he SG LEA LE ere LE Me 


ALIMENTATION AZOTÉE D’UNE ALGUE. 320 


peu d’azote dans le milieu de culture. J'ai, dans ce but, fait 
choix, pour substratum nutritif, de bouillon de haricots glucosé 
et gélosé, après m'être assuré que la plante s’y développait fort 
bien ; c’est, je le rappelle, le milieu sur lequel M. Mazé ! a cul- 
tivé la bactérie des nodosités des légumineuses. 150 grammes 
de haricots sont portés à l’ébullition dans un litre d’eau ; au 
liquide filtré j'ajoute 1 0/0 de glucose et 1,5 0/0 de gélose; 
le mélange chauffé à 120°, puis filtré, est réparti dans les vases 
de culture et stérilisé à 1159. Ces vases sont des grands matras 
à fond plat et à tubulure latérale, connus sous le nom de bal- 
lons à toxine, dans lesquels on peut faire passer un courant d’air 
entrant par la tubulure supérieure et sortant par la tubulure 
latérale; chaque matras contenait 100 e. e. de gélose nutritive, 
qui, vu la très grande surface du fond, formait une couche 
extrêmement mince. 

L'air, qui arrivait sur la culture, devait évidemment être 
dépourvu de toute trace d’azote combiné ; à cet effet, il traver- 
sait un très long tampon de coton pour se débarrasser des par- 
celles de nitrates solides, qui pouvaient se trouver dans Pair du 
laboratoire ; il passait ensuite dans un barboteur à potasse con- 
centrée qui retenait les vapeurs nitreuses, puis dans un flacon 
laveur à acide sulfurique, auquel il abandonnait son ammonia- 
que, enfin, dans un flacon laveur contenant de l'eau, qui le 
saturait d'humidité ; cette eau pouvait en outre retenir les traces 
de vapeurs nitreuses qui ne se seraient pas combinées à la 
potasse. 

L'expérience étant disposée comme je viens de le dire, les 
ballons sont ensemencés, puis exposés à la lumière diffuse à une 
température oscillant entre 12° la nuit et 28° le jour. 

La culture se fait bien; au bout de 20 jours on dose l'azote 
total dans les ballons de culture et dans des ballons témoins, 
contenant la même quantité de la même gélose, mais n'ayant 
pas été ensemencés. 

Chaque ballon reçoit 25 c. ec. d'une solution aqueuse d’acide 
sulfurique à 5 0/0, puis est chauffé à 120° pendant 1/4 d'heure : 
la gélose est saccharifiée et les traces d’ammoniaque qu’elle 
peut contenir se sont combinées à l'acide. Le liquide de chaque 
ballon est alors soigneusement introduit dans un ballon à atta- 


4. MAzé, Ann. Inst. Past., 1897, p. 45. 


326 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


que de Kjeldahl: 1l y est concentré par distillation à basse tem- 
pérature, sous pression réduite, dans un courant d'air sec (la 
dessiccation de cet air est effectuée par le chlorure de calcium et 
l'acide sulfurique: le courant d’air ne peut ainsi amener aucune 
trace d’ammoniaque dans le ballon). La distillation est conti- 
nuée jusqu à ce que le contenu du ballon soit devenu absolument 
pàteux. 

Ceci fait, l'azote est dosé par la méthode de Kjeldahl. 

Voici les résultats obtenus dans une expérience : 


ArOtEtaURUebUEATer la NCUINEE RS EME EE ERA e 18ner,9 
—. à la fin — 18usr,6 


Do ROIS Et TIC DIOR AI TON 


La différence des 2 nombres est de l’ordre des erreurs 
d'expérience, on peut donc affirmer que le développement de 
la plante n’a amené aucun changement dans la teneur en azote 
du milieu. 

Cependant pour que la plante ait à coup sûr un excès de 
glucose à sa disposition, l'expérience a été recommencée, cha- 
que ballon contenant alors 2 fois plus de sucre, soit 2 0/0; le 
résultat a été le suivant : 


Awoterdurteputede laRCULIIURES SNA ARE Re 2Ousr, 9 
— à la fin — 20ner, 0 


Il n’y a donc pas eu fixation d’azote libre pendant la durée 
de la culture. 


Le cystococcus est incapable, même dans les conditions les 


plus favorables, de prendre une partie de son azote dans l’atmo- 
sphère. 


Il 


ASSIMILATION DE L’AZOTE NITRIQUE 


Je serai bref sur l'assimilation des nitrates par le cystococ- 


eus, parce que son étude ne permet de résoudre aucune question 
d'ordre général. 

Depuis les travaux de Boussingault' et de Georges Ville?, 
on sait combien l’azote mitrique est facilement assimilé par les 
végétaux à chlorophylle et combien il aide à leur développe- 


4. BoussinGaucr, Ann. de Chim. el de Phys. 3 série, t. XLNT, p. 5. 
2. Geonces Vie, Ann. de Chim. et de Phys.. 3 série, t. XLVI, p. 214, 


nr 2 atome a 


ALIMENTATION AZOTÉE D’UNE ALGUE, 327 


ment; malheureusement, on ne sait presque rien sur le méca- 
nisme de cette assimilation. Le seul fait qui semble établi d’une 
manière à peu près indiscutàble, par les travaux de Schlæ- 
sing', Laurent, Marchal et Carpiaux*, c’est que les nitrates 
peuvent, dans les tissus végétaux, être réduits en ammoniaque ; 
je dis « peuvent être réduits », parce que rien ne prouve que 
la totalité de l’azote nitrique doive subir cette transformation 
pour être assimilée. 

La lumière paraît jouer un rôle important dans cette réduc- 
tion, ainsi que le fit remarquer le premier M. Pagnoul* ; mais 
tandis que les uns, comme MM. Laurent, Marchal et Carpiaux, 
admettent que cette réaction puissese faire à l'obscurité, en niant 
toutefois avec Godlewsky que dans ces conditions l’ammoniaque 
puisse s'organiser, Les autres, comme Mazé*, regardent les deux 
, choses comme également possibles. 

Le cystococeus peut prendre son azote aux nitrates, 
Voici qui le prouve : Faisons la solution nutritive suivante : 


SUHale de MAMNMESIUNE Se AT 4 gramme. 
Phosphate bipotassique......:...,..... 2 grammes. 
Nitratende potassiuma ter 2 ren 2 — 
Nitrate de calcium........ RP CU ns Osr,05 

c SUITE NIET EUX. EE D EN ER traces 

ét GITES RER Re CN CRE LS 10 grammes. 
DÉSERT ES ASE OA MS ES 1000 — 


Après chauffage à 120°, filtration et stérilisation à 120°, ense- 


“ mençons-la; après 13 jours de séjour à l’étuve, nous pourrons 
à recueillir 396 milligrammes de plante sèche, renfermant 
; 20,3 d'azote, qui ne peuvent provenir que des nitrates intro- 
ra duits dans le milieu. 


Si les nitrates sont réduits par l’algue, ils peuvent l'être, soit 


a 

4 à l’intérieur des cellules, soit à l’extérieur; il n’y a aucun 
LA moyen de s’en assurer dans le premier cas; dans le second, au 
ñ contraire, on peut-le faire en cherchant l’ammoniaque dans le 
k. liquide de culture. C’est ce que j’ai fait. 

A Cette ammoniaque n’est certainement pas à l’état de liberté; 
Hs un liquide maintenu à l'air libre en couche mince ne saurait 


4. Scacoæsin6, C. R., t. CXXXI, p. 716. 

2. LaurenT, Marcmaz et Canpraux, Bull. de l’Acad. roy. des Se. de Belg., 3e série, 
4896, t. XXXII, p. 815. 

3. Pacwour, Ann. agron, 1879, t. V, p. 486. 

4. Goncewsxy, Auzseig. der Akadd. Wiss. in Krakau, 1897, mars. 
’ 5. Mazé. C.R., t. CXXVNIIT, p. 185. 


M 


"+ 


328 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pendant longtemps conserver de l’ammoniaque non combinéet; 
si elle existe, elle a dû entrer en combinaison avec les acides du 
milieu. Pour la caractériser avec certitude, il faut la déplacer par 
une base, puis la distiller: or, si l’on chauffe avec une base un 
liquide contenant de la matière organique, ce qui est précisé- 
ment le cas actuel, celle-ci est attaquée, et de lammoniaque 
se dégage, alors que le liquide primitif n’en renfermait pas 
trace. Avec la magnésie calcinée, préconisée par Bous- 
singault, l’attaque est faible, mais elle existe, je l’ai constatée 
moi-même, après bien d’autres; point n’est besoin de chauffer 
à 100° pour obtenir ce résultat, une température de 50° suffit. A 
la température ordinaire seulement, cette attaque ne se produit 
pas, tout au moins rapidement. 

Aussi ai-je opéré à froid. La méthode que j'ai employée con- 
siste à faire, avec la trompe à eau, le vide dans le ballon qui 
contient le liquide de culture additionné de magnésie ; au sortir 
du ballon et avant de se rendre à la trompe, les gaz extraits, 
parmi lesquels se trouve l’'ammoniaque mise en liberté, traver- 
sent un barboteur contenant le réactif de Nessler. 

Je me suis assuré, par des essais préliminaires, que cette 
méthode est très sensible, elle permet de reconnaître la pré- 
sence dans le ballon de simples traces d’un sel ammomiacal, et 
comme dans ces conditions la magnésie ne saurait attaquer la 
matière organique, elle offre une grande sécurité. 

En appliquant ce procédé de recherche à l'étude du liquide 
de culture, j'ai reconnu que le Nessler se trouble très légère- 
ment en prenant une teinte jaune extrêmement pâle, comme si 
le liquide contenait une trace d’un sel ammoniacal. 

Je crois donc que le cystococcus est capable de réduire les 
nitrates; je ne puis être plus affirmatif, ne pouvant baser mon 
opinion que sur une réaction, qui n'est pas très nette. 

D'ailleurs, l’ammoniaque, je vais le montrer, est un excellent 
aliment pour la plante; elle doit donc être consommée aussitôt 
produite, et son absence du liquide de culture ne prouve pas que 
les nitrates sont assimilés sans être réduits. ; 

La lumière n’est évidemment pas nécessaire pour que l’azote 
nitrique soit assimilé, les récoltes abondantes que j'ai obte- 


1. On sait que M. Schlæsing a fondé sur ce fait une méthode de dosage de 


l'ammoniaque en présence des matières organiques azotées. 


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ALIMENTATION AZOTÉE D'UNE ALGUE. 329 


nues à l'obscurité en sont témoins; mais ignorant si la totalité 
des nitrates doit être réduite pour être utilisée, je ne puis dire si 
cette réduction est possible ou non à l'obscurité. 

L'étude du rôle de la lumière dans l'assimilation de l’ammo- 
niaque trouvera sa place tout naturelle dans le chapitre suivant, 


II 
ASSIMILATION DE L'AZOTE AMMONIACAL 


L’azote ammoniacal est certainement consommé par les végé- 
taux ; la pratique agricole le donnait à penser depuis long- 
temps : les travaux de Müntz:, de Mazé* l'ont prouvé d’une 
manière incontestable. 

L'action sur les plantes des sels ammoniacaux n’est cepen- 
dant pas comparable à celle des nitrates, car ceux-là peuvent 
devenir toxiques dans certains cas. 

Depuis longtemps Bouchardat *, Cloëz avaient signalé le fait; 
tout récemment Mazé ‘ a fait voir que, s'il était possible de faire 
pousser du maïs dans une solution minérale contenant 2 0/00 de 
nitrate de sodium, on ne pouvait, sans préjudice pour la plante, 
remplacer le nitrate par un mème poids de sulfate d’ammonium; 
aux doses inférieures à 0,5 0/00, le sel ammoniacal est aussi bon 
aliment que le nitrate, mais aux doses supérieures il est toxique. 

Sur la première transformation que subit l’ammoniaque 


_ pour être assimilée, les opinions diffèrent. Les uns, avee Molisch, 


Kreusler, Laurent’, pensent qu’elle est assimilée directement 
sans être oxydée dans aucun cas;les autres, comme Berthelot 
et André, Heckel®, Lundstræm'’, soutiennent que les nitrates 
peuvent prendre naissance dans les tissus végétaux. 
Relativement au rôle de la lumière dans l'assimilation des 
sels ammoniacaux, les avis sont encore partagés. 
Pour MM. Pagnoul*, Müntz°, Kinoshita’°, les plantes peuvent 


 MUNrz, CG. R:,'CIX. 

. MAzé, Ann. Inst. Past., janv. 1900. 

. BoucaarDar, C. R., 1843, XVI. 

. MA%É, loc. cit. 

. LAURENT, Ann. Inst. Past., 1889, IIL. 

"HE cxEL, C.R., 1890; CX: 

. BERTHELOT et ANpRÉ, Ann. de Chim. et de Phys., 1886, VIII. 
. PaAGNOUL, loc. cit. 

. Munrz, loc. cit. 

. KnwosgirA, Centralb. fur agrik. Chem., 1896, p. 362. 


= 
© © OO -1 Où O7 & C2 ND 


330 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


faire à l'obscurité la synthèse de leurs matières protéiques aux 
dépens de lammoniaque; la lumière y aiderait beaucoup, mais 
son absence ne l’empêcherait pas absolument. Tout au contraire, 
MM. Laurent, Marchal et Carpiaux, Godlewsky se refusent à 
admettre l'assimilation de l’azote ammoniacal à l’obscurité. 

J’ai dû me demander quelles réponses permettait de faire à 
ces diverses questions l'étude du cystococeus humicola. 

Le milieu de culture que j'ai toujours employé a été, pour 
la circonstance, légèrement modifié, le nitrate devant être rem- 
placé par un sel ammoniacal:; il avait la composition suivante : 


Sulfate de magnésium................. ADO Sue De 1 gramme. 
Phosphate/bipotassique EL PET LR RER ES See 2 grammes. 
Chlorure déclin eee NP En et. LE Osr,023 

SUN AtE REMONTER ANNE RENE dar nst eee HEURE 0,5 
sulfate Herr AN LUS LULRN Re ARE TE EC ER traces. 
Glucose ..... PARA A TONI MOREL DUPrS ONE Ds LARMES ETS 10 grammes. 
Pau Rave ie VANOVA ARE ER REE Es AR ET 1000 grammes. 


Les cultures sont faites dans les fioles plates, dites boîtes à 
culture de M. Roux, contenant chacune 100 c. c. de liquide nutritif ; 
j'ai également cultivé la plante dans un liquide renfermant deux 
fois plus d’ammoniaque, soit 1 0/00 de sulfate d’ammonium au 
lieu de 0,5 0/00. 

Les cultures, dans ces milieux, débutent un peu plus tôt que 
dans ceux qui soni nitratés : elles ont au moins 24 heures 
d'avance, — ce qui s'explique bien en supposant que les nitrates 
doivent être réduits pour être assimilés. Huit jours après l’ense- 
mencement, les récoltes sont très développées, très vertes, 
aussi abondantes dans les milieux plus riches en ammoniaque 
que-dans ceux qui le sont moins. 

Au bout de 13 jours de culture, dans le liquide renfermant 
0,5 0/00 de sulfate d’ammonium, la plante est encore très 
verte; ses cellules ne contiennent aucun grain d’amidon; le 
poids de la récolte, qui est de 95 milligrammes, témoigne que 
l'azote de l’ammoniaque «a été assimilé. 

Mais la récolte est bien faible, eu égard à ce qu’elle eût été 
en présence du nitrate de potassium. 

L'examen de la marche d’une culture peut nous en donner la 
raison, J’ai étudié une récolte vieille de 13 jours, je vais en 
examiner une vieille de 19; la comparaison des deux nous 
éclaircira. 


ALIMENTATION AZOTÉE D'UNE ALGUE. 391 


La plante, qui, après 13 jours de développement, était très 
verte, se met à jaunir ensuite; en sorte que, 6 jours plus tard, 
elle a pris une couleur vert jaune qui dénote un état patholo- 
gique; ses cellules sont devenues grosses, leur paroi est mince, 
elles sont un peu jaunes (à l’examen microscopique), quelques- 
unes complètement incolores; aucune ne renferme d’amidon. Le 
poids de la récolte s'élève à 96 milligrammes, il est resté iden- 
tique à ce qu'il était 6 jours auparavant. 

A partir du 13° jour, le cystococcus ne s’est donc plus déve- 
loppé; il est même probable que cet arrêt de la culture datait 
déjà d’un ou de plusieurs jours au moment où je l’ai constaté, La 
plante se serait rapidement multipliée jusqu’à ce que le poids de 
la récolte atteigne 95 milligrammes, après quoi la division cel- 
lulaire se serait arrêtée. 

A quelle cause rattacher cette anomalie? La plante ne 
manque pas de sucre; le 13° jour il en reste encore 832 milli- 
grammes dans son milieu de culture; elle ne manque pas d’azote 
non plus; dans les milieux renfermant 1 0/00 de sulfate d’am- 
monium, au lieu de 0,5 0/00, elle se comporte de même ; enfin 
l’ammoniaque n’a exercé aucune action antiseptique, puisqu'elle 
est consommée très rapidement au début, alors qu’elle est en 
plus grande quantité dans le liquide. En somme, tout se passe 
comme si, en prenant son azote au sulfate d’ammonium, la 
plante fabriquait un produit toxique, qui empêche son dévelop- 
pement ultérieur, 

Nous avons vu, en étudiant l’assimilation de l’azote nitrique, 
qu'il est possible que les nitrates soient réduits dans les cellules. 
Ce que nous venons de voir de l’assimilation de l'azote ammo- 
niacal prouve que cette réduction ne saurait porter sur la totalité 
des nitrates, toute l’ammoniaque ainsi produite ne pouvant ètre 
utilisée. 

L'ammoniaque est absorbée en nature, sans être oxydée 
auparavant, le liquide de culture ne donnant pas la moindre colo- 
ration bleue avec le sulfate de diphénylamine. Si donc, avant 
d’être assimilée, l’'ammoniaque doit être oxydée, elle ne peut 
l'être. qu’à l’intérieur des cellules ; or, j'ai épuisé la plante par 
l’eau bouillante et reconnu que ce liquide filtré prend, avec le 


sulfate de diphénylamine, une coloration bleue très faible, mais 
très nette. 


332 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


I est par suite très probable que les cellules contiennent des 
nitrates ; il y a probabilité et non certitude, car, on le sait, 
d'autres oxydants que l’acide nitrique, tels les nitrités, peuvent 
donner une coloration bleue avec la diphénylamine ; je puis 
ajouter, d’ailleurs, que dans le cas actuel la coloration bleue ne 
serait pas due aux nitrites ; le liquide d’épuisement, ne donnant 
aucune coloration avec le réactif de Griess (acide sulfanilique et 
naphtylamine), n’en renferme pas. 

Il me semble très vraisemblable que l’algue oxyde, avant de 
l’assimiler, une partie au moins de l’ammoniaque qu’elle a 
absorbée, 

Peu importerait done que l’on offre à la plante de l'azote soit 
nitrique, soit ammoniacal, celle-ci s’arrangeant toujours pour en 
avoir à sa disposition sous les deux formes. 

Quelle est l'influence de la lumière sur Pa Don de l’am- 
moniaque? J’ai fait 2 séries de cultures ayant duré les unes 
13 jours et les autres 19, pour être renseigné : les poids des 
récoltes sont indiqués dans le tableau suivant. 


POIDS DES RÉCOLTES EN MILLIGR. 
MODE 
A ——— 
D'ÉCLAIREMENT 
au bout de 13 jours. au bout de 19 jours. 
A la lumière 95 96 
e] 0 ” ! = £ _ 
A l'obscurité 57 87 


La culture se fait un peu plus lentement à l'obscurité qu’à la 
lumière, mais elle se fait incontestablement : les cellules, dévo- 
loppées à l’obscurité, sont très riches en amidon, celles qui ont 
vu la lumière ne le sont pas: les chiffres de la seconde ligne 
sont donc en réalité un peu trop forts puisque l’amidon, 
substance non organisée, a été pesé en même temps que le 
protoplasma, mais ils indiquent le sens du phénomène : c’est 
tout ce qu'on leur demande. 

La lumière n’est pas indispensable pour que l'azote ammo- 
niacal soit assimilé, l'expérience ne me permet pas de dire plus. 


ALIMENTATION AZOTÉE D'UNE ALGUE. 333 


IV 


ASSIMILATION DE L'AZOTE ORGANIQUE 


Il est dans le sol de grandes quantités d’azote organique, que 
les infiniment petits transforment en azote ammoniacal d’abord, 
en azote mitrique ensuite. Les plantes supérieures doivent-elles 
attendre la destruction de la matière organique pour s’emparer 
de son azote, ou peuvent-elles l’assimiler alors qu’il est encore 
en combinaison avec le carbone? 

La question est assez intéressante pour mériter une étude 
approfondie, qui du reste est encore à faire; jusqu'ici elle n’a 
même pas été abordée pour ainsi dire. Ce sujet, sortant du cadre 
que je m'étais tracé, n’a été l’objet de ma part que de fort peu 
d'expériences, dont je vais donner les résultats. 

Je me suis seulement demandé si la plante pouvait assimiler 
l’azote de l’asparagine, que l’on rencontre très souvent dans les 
végétaux, et celui de la peptone, et quel rôle la lumière peut 
jouer dans cette assimilation. 

Les milieux de cultures employés ont été les suivants : 


Sulfate de magnésium. .... A gr. Sulfate-de magnésium ..... 1 gr, 
Phosphate bipotassique.... 2 gr. Phosphate bipotassique.... 2 gr. 
ASPATAPINO SE nue Asr,8 PeptonerWittesi- crie 4sr,8 

Chlorure de calcium....... Osr,1 Chlorure de calcium. ...... Osr,1 

Sulfate-ferreux:.:1. 221.721: 0c,05 SUATEAMETIEULEN NRC PE Osr,05 
Glucose rer ere 10 gr. GLUCOSE EEE rer ras 10 gr. 
ER NS ET ET 1000 gr. PAU De DE M CV es lOD0 ET 


L'asparagine et la peptone ont été dissoutes à part, et leurs 
solutions stérilisées par filtration ; celles-ci ont été ajoutées aux 
solutions minérales sucrées stérilisées à part à l’autoclave. 

Pour pouvoir comparer les cultures faites dans ces milieux 
avec celles qui eussent poussé, dans les mêmes conditions, sur un 
milieu nitraté, j'ai en même temps cultivé la plante dans le 
liquide suivant : 


Sulfate de magnésium.............. à ARS 4 gr. 
Phosphate bipotassique.,.... EURE RG ne 2 gr. 
Niirale detcalcmee" 220" HR et CEE ANSE 
Suliate ferreux enr re ts NES Osr,05 
OT Re er RENE ES Fes CRETE 40 gr. 
BTE EE en ne etes er 2e LI sise is EE 1000 gr 


Une partie des cultures était maintenue à l'obscurité, l’autre 
exposée à la lumière ; les poids des récoltes obtenues en 14 jours 
sont indiqués dans le tableau suivant : 


334 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


POIDS DES RÉCOLTES EN MILLIGR. 
SOURCE 


D'AZOTE 


Asparagine 


Peptone 


Nitrate de calcium 


Le cystococcus peut prendre de l'azote à l’asparagine et à la 
peptone, mais aucune de ces deux substances n’est une source 
d'azote comparable au nitrate de calcium : elles lui sont infé- 
rieures. 

L'azote de l’asparagine et de la peptone est certainement 
assimilé à l'obscurité. 

Dans les 6 cultures ci-dessus la plante était très verte, sauf 
dans celle faite à la lumière et en présence de peptone, où elle 
avait une couleur jaune très prononcée. 

En somme, le cystococcus peut, même à l'obscurité, assimi- 
ler l’azote des matières organiques. 


CONCLUSIONS 


L’algue ne prend pas d’azote à l’atmosphère. 
Elle assimile très facilement les nitrates à la lumière comme 
à l'obscurité, en en réduisant peut-être une partie à l’état d’am- 
moniaque. | 
Elle consomme également l’azote ammoniacal, probablement 
en l’oxydant partiellement. La lumière n’est pas indispensable 
pour cela. À 
Elle peut prendre de l’azote à des matières organiques, l’as- 
paragine et la peptone, par exemple, 


Recherches sur l'absorption de la toxine tétanique 


Par MM. V. MORAX ET A. MARIE, 
(DEUXIÈME MÉMOIRE!) 


(Travail du laboratoire de M. Roux.) 


Nous avons montré, dans un précédent mémoire, que la 
tétanine, absorbée à la périphérie des nerfs rachidiens, se 
déplace continuellement vers leur centre cellulaire, en réalisant 
ainsi un véritable courant cellulipète. 

Les résultats expérimentaux nous ont fait admettre que ce 
courant se produisait dans la substance nerveuse cylindraxile. 
Il importait de savoir si les différentes variétés de fibres ner- 
veuses présentaient, à l'égard de la tétanine, les mêmes pro- 
priétés. On sait, en effet, que les nerfs rachidiens, le sciatique 
par exemple, sur lequel portent la plupart de nos expériences, 
sont constitués par la réunion de trois types de fibres ner- 
veuses: des fibres motrices, des fibres vaso-motrices et des 
fibres sensitives. L’absorption de la tétanine se fait-elle indiffé- 
remment par ces trois types de fibres, ou bien existe-t-il une 
affinité spéciale de la toxine tétanique pour le neurone moteur 
périphérique? Voilà la question à laquelle nous avons cherché 
à répondre par l'expérience. 

On sait qu’à l'inverse des nerfs rachidiens, certains nerfs 
craniens ne contiennent qu'une des variétés de filets nerveux, 
Tout au moins la prédominance d’une des variétés de fibres est 
telle, qu'on peut considérer comme purement sensitif l’ophtal- 
mique de Willis (branche supérieure du trijumeau), comme 
purement moteur le massétérin (branche motrice du trijumeau), 
comme purement vaso-moteur le sympathique cervical. Il parais- 
sait donc indiqué de répéter l'expérience de Meyer dans le terri- 
toire innervé par ces nerfs; toutefois, letrajet compliqué de ces 
troncs nerveux et leur brièveté chez le cobaye ne permettaient pas 
d'utiliser cet animal. Nous avons été forcés d’expérimenter sur 


4 À. Mare et V. Morax. Recherches sur l’absorption de la toxine tétanique. 
Ces Annales. nov. 1902. p. 818. 


336 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


le chien, en ce qui concerne labsorption de la tétanine par les 
fibres sensitives du nerf ophtalmique de Willis. 

Exp. I.— Un chien de 1.850 grammes reçoit, ie 19 avril 4902. dans le tissu 
cellulaire sous-cutané de la région frontale gauche, une solution de 0 gr. 01 
de tétanine dans un c. c. d’eau. Le 20 avril, aucun symptôme. Le 21 avril, 
l'animal est en plein tétanos : il a de la peine à se tenir sur ses pattes et n’y 
parvient qu'en les maintenant écartées. La tête est déviée du côté droit; 
la paupière droite est fermée. On tue l'animal par asphyxie, puis on 
dissèque le nerf ophtalmique de Willis dans son trajet orbitaire, d'autant 
plus facile à suivre qu'il chemine immédiatement au-dessous du périoste 
orbitaire. Ce nerf est inséré sous la peau d'une souris qui présente, après 
24 heures, un tétanos local manifeste. 

Il ressort de cette expérience que les fibres sensitives dont 
est constitué le nerf ophtalmique de Willis ont absorbé la 
télanine ; on peut objecter, il est vrai, que l’ophtalmique de 
Willis renferme quelques fibres vaso-motrices et qu’on ne sau- 
rait, par conséquent, conclure en toute certitude à l’affinité de 
la tétanine pour les fibres sensitives. Quoi qu'il en soit, cette 
première expérience nous semblait de nature à ébranler Popi- 
nion qui paraissait la plus vraisemblable, et d’après laquelle le 
neurone périphérique moteur devait seul absorber la tétanine. 

Pour aborder le problème par une autre de ses faces, nous 
résolûmes de modifier notre mode expérimental en recherchant 
à la fois, quantitativemement et qualitativement, la tétanine 
dans les différents nerfs rachidiens, dans les racines, dans les 
nerfs craniens ou sympathiques. 

Après iajection, en un point donné d’une région musculaire, 
d’une dose plusieurs fois mortelle de tétanine, nous attendions 
la mort de l'animal pour rechercher la teneur en tétanine des 
humeurs, et d’un poids égal des différents nerfs ou racines. 
rachidiens et craniens, ainsi que du tissu nerveux central. 

L'expérience a porté tout d’abord sur une ponette, que 
M. le P' Nocard a bien voulu mettre à notre disposition, ce 
dont nous lui sommes vivement reconnaissants. 

Exp. I1,— Une ponette de 334 kilogrammes recoit, le 23 janvier 1903, 3 gr. 
de toxine tétanique dissoute dans 20 c. c. d'eau; l'injection est poussée 
dans le gastrocnémien de la jambe postérieure gauche. Le 24 janvier 1903,au 
matin, on constate déjà de la contracture locale ; le trismus et un tétanos 
généralisé lui succèdent rapidement. La mort survient dans la nuit du 24 au 
25 janvier, un peu moins de 3 jours après l'inoculation. 

L'autopsie ne put être pratiquée que le surlendemain 27 janvier, mais le 
froid rigoureux qui régnait alors rendait ce retard de peu d'importance. 


ABSORPTION DE LA TOXINE TÉTANIQUE, 337 


Grâce à M. le Pr Petit, de l'École d'Alfort, qui a bien voulu opérer l'au- 
topsie du chevai, nous avons pu prélever un très grand nombre de nerfs 
rachidiens ou craniens, ainsi que les centres médullaires et encéphaliques. Les 
nerfs étaient répartis dans des tubes stériles et étiquetés. 

Pour la moelle, nous avons pu isoler d'emblée les racines postérieures 
entre le ganglion et la pénétration dans la corne postérieure, les racines 
antérieures, les cordons blancs (faisceaux postérieurs, latéraux, antérieurs) 
dans la région lombaire et la région dorsale. Nous avons prélevé les fais- 
ceaux pyramidaux au niveau du bulbe, de la protubérance, des pédoncules 
et de la capsule interne, 

De chacun le ces nerfs ou de ces cordons blancs de la moelle, nous avons 
pesé 0 décigr. 4. Cette petite masse était divisée en deux moitiés, el chacune 
de ces parts, soit environ 0 centigr. 0, était insérée sous la peau d’une 
souris. On eut soin d’inoculer deux souris de poids différent : l'une, petite, de 
10 grammes en moyenne, et l’autre plus forte, et pesant entre 15 et 20 gr. 

Les nerfs étaient dépouillés de la graisse qui les entoure et séchés rapi- 
dement entre deux feuilles de papier-fillre stérilisé, avant d’être pesés. 

Nous avons montré, dans notre précédent mémoire, qu'il suffisait d’une 
macération d'assez courte durée dans l’eau physiologique pour que le 
nerf se dépouillât de la totalité de sa toxine. 

Aussi, pour contrôler les résultats obtenus par l’inoculation directe du tissu 
nerveux sous la peau de la souris, nous avons mis à macérer un poids donné 
des différents nerfs dans un c. c. d’eau physiologique, dont nous avons inoculé 
une dose correspondant à la macération de 0 gr. { de tissu nerveux ou 
musculaire. 

Les expériences de cette série permettront de comparer les tissus muscu- 
laires et nerveux au point de vue de leur teneur en toxine. Nous avions 
inséré du tissu musculaire de la région crurale des paltes postérieures gauche 
et droite à quatre souris, qui sont mortes d'infection au 3e jour sans avoir 
présenté de signes de tétanos. L'expérience de la macération montre que la 
quantité de tétanine contenue dans un poids correspondant de tissu muscu- 
laire est très inférieure à celle que renferment les nerfs sciatiques ou les 
nerfs craniens. 

La toxine que nous avons utilisée pour toutes ces expériences a été pré- 
parée par précipitation au sulfate d’ammoniaque d’une culture tétanique 
abondante faite en symbiose avec le subtilis. La dose mortelle pour la souris 
de 15 grammes est de 0 gr. 0000005. En supposant une diffusion égale de la 
toxine injectée dans l'organisme du cheval, 0 gr. 05. de chacun de ses tissus 
devrait contenir une dose mortelle pour la souris. 

Un simple examen du résultat ! des inoculations montre qu'il y a à ce point 


4. Nous rappelons la signification des signes conventionnels utilisés dans nos 
tableaux pour indiquer les troubles présentés par les animaux en expérience : 
O signifie pas de symptômes tétaniques. 
tétanos local léger. 
« tétanos local très accusé. 
tétanos généralisé. 
« mort. 


A 


LL 


22 


TISSUS INOCULÉS ru ANIMAL | POIDS |28129/30/31| 1 
22 | STAPS 2 He .10.4 | Souris. |11 gr.|[=|=|+ 
2 SENTE DAS LS NO AU DEN, 0.5 » 15 gr.|=|+ 
e Liq. céphal. rachidien....,..10.1 ” 12 gr. | Ol—|—=|—=I= 
Humeur aqueuse........,... 12 gr.| O| O|—|—|—= 


n 

5 Sciatique gauche............ 
£ » DT ee es rte 
8 Sciatique droit ........ .,.. 
x NerfioubitAl ee Lee Lire. 
D LP MD RSR PER ENS EN 
[A 


CREER , 
Sympathique cervical ....... 
n » 
_ Nerf massétérin............ 
& > ME ARS R NES 
5 Nerf ophtalm. de Willis .... 
5 » » » 
5 Pneumo-gastrique .......... 
z » DUMP TEEN RTL 
TANQUAIE EP ER Sel 


[7 

Ë Rac. antér. g. lombaire ..... 0.05 
Ê » EE RE 0.05 
<= | Rac. entér. dr. lombaire. ...|0.05 
à » n +, [0.05 
Ë Rac. postér. g. lombaire..... 0.05 
= » TE AR 0.05 
È Rac. postér. dr. lombaire...|0 05 
É | » » . 10.05 
BERE. 

= . pyramtdal gauche... 

7: Faisc. pyramidal droit...... 

= 4 Faisc. postér. gauche....... 

F } Faiso. antér. gauche........ 
RER  Faisce. antér. droit. Le. « 


À (ral | Ppaiscs pyramidal gauehe.. 
8, Faisc. pyramidal droit...... 
5 Faisc. postér. droit ......... 
pa Faisc. postér. gauche ....... 
ne 

| Faiac. postér. droit......... 
8 Faisc. postér. gauche... 
À yramides antér. gauche ... 


P 
Pyramides antér. droit 


Pédoncule dr. zone interne... 
Pédoncule dr. zone externe . 
Pédoncule g. zone interne. 


Re. 2 


Pédoncules 


| Pédon: -ule g. zone externe. 
L mess +] 
Capsule interne droite 

» 


Nerf optique 


Cerveau 
in 


| 
| 


.|Pas de tétanos 


.| Pas de tétanos 


13 gr. 
12 gr. 
14 gr. 


Chiot on 


I IT Æ IT + 


[A MU IT + + 


OZOPONOSEOROONOTOIO 


O:©O © OO 'O10 


» 
o1o|oj010 
Pas de tétanos 


ONONOERE 
Pas de tétanos 
» 


{ 


ie de tétanos 


ABSORPTION DE LA TOXINE TÉTANIQUE. 339 


de vue des différences considérables, déjà très manifestes. en ce qui con- 
cerne les humeurs (sang, liquide céphalo-rachidien, humeur aqueuse). 


TISSUS MACÉRÉS [rns ANIMAL POIDS o|sof 1 1 | 2 | 3 | 4 | Q | 6 qu 
SJclatique/ganche «42425 0.1 | Souris...[11 gr.|—=|+ 
SYEMPALRIQUE sr a veste Me dc see 0.1 » 145 gr.|—|=|+ 
SYpOomatiqe. 5. Me ER 0.1 » 16 gr.| O| O|[=|— 
Massétérinie nette NES ASS LUE | » 1512 OISE IE 
Lingual en: TS SRE TO CRE 0.1 » 15 gr.|—|—|=|=—=|+ 
Muscle crural gauche ................ 0.1 » 15 gr.l—|—=|=|—=|=|=|=|=|=|+ 
SCIBLIQUE UFOIL 4.752208 male es sue 0.1 » 20 EL OISE SE 
GUDINAL ATOS AR 2e ee ee TG ass 0.1 » Her VOIES 
Nerf optique.......... TANGO OPEL 1 19 gr. 


Analysons les résultats obtenus. 

Nous voyons tout d’abord que le nerf dont les fibres 
innervent la région inoculée se charge tout particulièrement 
de toxine : 0 gr. 05. du sciatique gauche a tué la souris en deux 
jours, alors qu’un poids double de sang, (0c.c.1), n’a déter- 
miné la mort qu'en trois jours. Le sciatique du côté opposé à 
l'injection, les nerfs rachidiens éloignés du point d'injection, 
renferment, à dose relativement petite, de la tétanine. La faible 
intensité de cette absorption apparaît nettement si on compare 
les souris inoculées avec les nerfs rachidiens avec celles qui ont 
reçu les nerfs sympathiques et les nerfs craniens. 

La proportion considérable de toxine contenue dans le 
sympathique cervical est un fait des plus intéressants, et qui 
nous paraît démontrer à l'évidence La part très marquée que 
prennent les neurones sympathiques à l'absorption de la 
tétanine. On peut supposer que cette absorption se fait tout 
particulièrement au niveau des parois musculaires par les 
fibres vaso-motrices, puisque le sang est toujours abondam- 
ment chargé de toxine. 

On est frappé aussi de la proportion de toxine contenue 
dans le nerf massétérin, nerf exclusivement moteur, rameau de 
la 5° paire crânienne, et qui innerve les muscles masticateurs. 
Ce pouvoir d'absorption du massétérin nous fait comprendre 
comment il peut se faire qu'un des symptômes les plus précoces 
du tétanos chez le cheval consiste précisément dans le trismus. 

On s’explique aisément qu'en puisant la tétanine dans le 


340 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sang, les fibres nerveuses, dont le pouvoir d'absorption est le 
plus intense, manifesteront les premières les symptômes qui 
attestent la souffrance des centres nerveux auxquels ces fibres 
correspondent. 

Le nerf ophtalmique de Willis, nerf presque exclusivement 
sensitif, renferme à peu près autant de toxine que le nerf massé- 
térin. Il en est de même du pneumogastrique et du lingual. 

Ea ce qui concerne le pouvoir absorbant des neurones 
sensitifs et moteurs, l’inoculation des racines rachidiennes lom- 
baires, antérieures et postérieures, nous fournit des indications 
intéressantes. Les racines postérieures droites et gauches ren- 
ferment un peu moins de toxine que les racines antérieures, 
mais la différence n’est pas considérable et elle ne nous paraît 
pas de nature à faire supposer, entre ces deux ordres de fibres, 
des propriélés d'absorption distinctes. 

De l’ensemble de l’expérience IL, il nous semble se dégager 
très nettement cette notion inattendue que les trois types de neu- 
rones périphériques, le moteur, le sensitif et le sympathique, sont éga- 
lement aptes à absorber la toxine tétanique. 

Les autres résultats obtenus par l’inoculation du système 
nerveux central sont moins intéressants pour la question 
envisagée dans ce mémoire, néanmoins nous pouvons nous 
y arrêter un instant. 

D'une manière générale, il ressort de cette expérience, 
qu’alors même qu’on inocule à la souris seulement le faisceau 
des fibres nerveuses, à l'exclusion de toute cellule des cornes 
antérieures ou postérieures (chez le cheval, la dissection des 
faisceaux blancs de la moelle est des plus faciles), on ne parvient 
pas à déceler la présence de la toxine tétanique dans le neurone 
cérébral. La très petite quantité de tétanine, trouvée dans les 
faisceaux blancs de la moelle de la région lombaire, provient, 
selon toute vraisemblance, de ce qu’à ce niveau il y avait mélange 
des fibresnerveuses du neurone périphérique, fortement chargées 
de toxine (neurones moteurs et sensitifs du sciatique), avec les 
faisceaux pyramidaux (prolongement cylindraxile des neurones 
cérébraux). On sait,,en effet, que les prolongements cylin- 
draxiles des neurones moteurs, qui vont constituer les nerfs 
rachidiens, ne quittent pas immédiatement la moelle après leur 
naissance des cellules des cornes antérieures, mais qu'ils 


ABSORPTION DE LA TOXINE TÉTANIQUE. 341 


accomplissent un court trajet vertical avant de sortir de la 
moelle, au-dessus ou au-dessous de leur point d’origine. 

Cette disposition fait qu’en prélevant des cordons blancs de 
la moelle au niveau de la région lombaire, on obtient forcément 
un mélange.de fibres chargées de toxine et de fibres faisant 
partie des neurones cérébraux. Lorsqu'on prélève hors de la 
région lombaire le faisceau pyramidal, on constate que son 
inoculation est absolument inoffensive pour la souris. Il en est 
de même des autres cordons médullaires, et les deux exceptions 
(faisceau postérieur droit de la région dorsale, et zone externe 
du pédoncule droit) nous paraissent s'expliquer par une petite 
hémorragie ayant mêlé un peu de toxine aux fibres nerveuses. 

Il semble donc ressortir de l’inoculation des centres cérébro- 
médullaires (cordons blancs) que le cylindraxe du neurone 
cérébral ne renferme pas de tétanine libre, L'absence complète 
de tétanine décelable dans Le nerf optique est une confirmation 
des plus nettes de cette déduction. On sait en effet que le 
nerf optique n’est pas, en réalité, un nerf, mais un prolonge- 
ment du cerveau. Les cylindraxes qui le constituent ne sont 
pas, à l'égard des autres nerfs craniens, des cylindraxes sensi- 
tifs ou moteurs des neurones périphériques, mais représentent 
des neurones cérébraux. Dans l’espèce, le neurone périphérique 
est tout entier contenu dans la rétine, entre l'élément percep- 
teur (cône et bâtonnet) et les ramifications de la cellule gan- 
glionnaire, cellule visuelle, dont le cylindraxe formera le nerf 
optique. Nous reviendrons sur l'interprétation de ces résultats, 
et nous ne nous y arrêtons que pour expliquer la différence 
existant entre les nerfs craniens et le nerf optique. 

A l’appui de nos déductions basées sur l'expérience IF, nous 
pouvons citer encore une autre expérience faite sur le singe. 


Exp. IT. — Un singe cercopithèque, du poids de 2 kil, 250, reçoit, le 
21 février 1903, 0 gr. 005 de toxine tétanique dans les muscles gastrocnémiens 
de ia patte postérieure droite. Il succombe au bout de 48 heures. 

A l’autopsie, faitele lendemain, on prélève des nerfs rachidiens et craniens 
pour les inoculer, à dose déterminée, à des souris. Voir le tableau, p. 342. 

Ici encore, la propriété d'absorption des fibres sympathiques apparaît 
d'autant plus nettement, que le poids du nerf sympathique cervical, avec 
son ganglion, ne réalisait que le 1[3 de la quantité de nerf sciatique ou de 
sang inoculée. 


342, ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


TISSUS INOCULÈS | PIDS AUMNÉ 2425\26/27/281112/981415 


OBSERVATIOKS 


SAR eee cieleieie tetes . 10. Souris | 25 
Sciatique droit ......:......|0. 20 


» = 15 
Sciatique gauche é 12 
Brachial droit ; 14 

» gauche : 19|— 
Sympathique cervical < a 14 
Pneumo-gastrique : 11 
Rac. rachid. lomb. post. dr.|0. 11] — 

» » » = g..]|0. 13 


Rac. rachid. lomb. antér. 
droite et gauche 


Moelle lombaire 
Moelle dorsale 


Morte d'infection. 


Morte d'infection. 


De tous ces faits, on doit conclure que l’absorption, quantita- 
tivement non qualitativement différente des trois types de neu- 
rones périphériques à l’égard de la toxine tétanique permet, 
dans une certaine mesure, d'expliquer l’ordre d'apparition des 
symptômes moteurs. C’est ainsi que chez le cheval, le trismus 
précoce pourrait s'expliquer par le fait que le nerf massétérin 
absorbe plus rapidement la toxine que les autres nerfs moteurs. 
Peut-être même la rapidité d'absorption résulte-t-elle seulement 
des dimensions de la cellule nerveuse. 

On peut supposer, en effet, que la brièveté seule du neurone 
massétérin en rend plus rapide la saturation par la toxine. La 
conséquence de cette saturation rapide, c’est que le neurone 
cérébral avec lequel s'articule le neurone massétérin sera lui- 
même plus rapidement atteint. Quoi qu'il en soit, 1l est un fait 
que ces constatations ne contribuent pas à éclaircir : nous vou- 
lons parler dela nature purement motrice des symptômes téta- 
niques. Après avoir constaté la présence de la toxine tétanique 
dans les nerfs périphériques, on pouvait supposer qu'elle était 
spécialement absorbée par le neurone périphérique moteur. Le 
fait que les différents neurones périphériques l’absorbent égale- 
ment nous semble être en faveur de l'hypothèse d’après laquelle 
la localisation toxique spécifique se produit, non dans le 
neurone périphérique, mais plus haut, dans les neurones céré- 
braux : les neurones périphériques ne constitueraient que des 
canaux par lesquels la toxine atteint les neurones cérébraux. 


CONTRIBUTION A L'ÉTUDE 
des substances actives des Sérums normaux, 


Sur la pluralité des alexines. 


Par LE Dr L. REMY. 


Tandis que Buchner (1) et Bordet (2) sont partisans de 
l’unité des alexines hémolytique et bactériolytique, Metchni- 
koff (3) admet l'existence de deux alexines : l’une hémolytique, 
l’autre bactériolytique, alors que Ehrlich et Morgenroth (4), 
Neisser (5), Wechsberg (6) défendent la pluralité des alexines 
hémolytiques et des dote bactériolytiques. 

Quels sont les faits scientifiques que l’on peut invoquer à 
l’appui de ces différentes opinions? L'expérience la plus impor- 
tante sur laquelle se basent les unicistes pour affirmer l’unité 
des alexines hémolytique et bactériolytique est la suivante : si 
à un sérum neuf non chauffé on ajoute des bactéries sensibi- 
lisées, celles-ci fixent toute la cytase que contenait le sérum, car 
celui-ci est impuissant non seulement à hémolyser des globules 
rouges sensibilisés, mais encore à réactiver un sérum bactéri- 
cide précédemment privé d’alexines. Le sérum non chauffé ne 
contenait done qu’une seule alexine, et celle-ci était à la fois 
hémolytique et bactériolytique, car, s’il y avait eu deux espèces 
d’alexines, les bactéries ajoutées d’abord n’auraient utilisé que 
l’alexine bactériolytique, et l’alexine hémolytique restant dans le 
sérum aurait alors pu réactiver un sérum hématique préalable- 
ment chauffé. Si, au lieu de bactéries sensibilisées, on introduit 
d’abord des globules rouges sensibilisés dans le sérum, celui-ci 
sera privé de toute action hémolytique et bactériolytique. I n'y 
a donc qu’une seule alexine dans le sérum, et Lee -ci est à la 
fois globulicide et bactéricide. 

La théorie de la dualité des alexines : une alexine hémoly- 
tique, une alexine bactériolytique, repose sur les faits observés 
par Metchnikoff (8) dans son travail sur la résorption des cel- 


344 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lules, à savoir : 1° que celles-ci sont presque exclusivement pha- 
gocytées par les macrophages ; 2° que seuls les extraits macro- 
phagiques : épiploon, ganglions mésentériques et rates possèdent 
des propriétés hémolytiques. 

Les recherches entreprises par Gengou (9), au laboratoire de 
Metchnikoff, sur l’origine de l’alexine des sérums normaux, ont 
montré que seuls les polynucléaires produisaient la cytase 
hémolytique, tandis que les extraits macrophagiques étaient 
dénués de tout pouvoir microbicide. Plus récemment, Tarassé- 
vitch (10), dans un travail exécuté au laboratoire de Metchnikoff 
sur les cytases, a prouvé que seuls les organes macrophagiques 
et les glandes digestives étaient doués de propriétés hémoly- 
santes, tandis que la moelle osseuse, source principale des 
microphages, était privée de substance hémolytique, mais possé- 
dait une action nettement bactéricide. Les propriétés dilré- 
rentes des organes et des extraits doivent donc être attribuées 
à la présence dans ceux-ci de cytases distinctes, l’une produite 
par les macrophages, c’est la macrocytase ou cytase hémoly- 
tique, l’autre provenant des microphages, c’est la microcytase 
ou cytase bactériolytique. 

La pluralité des alexines ou compléments a surtout été 
défendue par Ehrlich et Morgenroth (4), Neisser (5), Wechs- 
berg (6); il importe toutefois de remarquer que des expériences 
sur lesquelles ils s'appuient pour admettre l'existence de plu- 
sieurs espèces d’alexines, hémolytiques et bactériolytiques, ne 
sont pas décisives. Neisser (5) attire l’attention sur le fait que 
le sérum de lapin peut, par l’adjonction de bacilles charbonneux, 
être privé de ses propriétés bactéricides, tout en conservant son 
action hémolytique. Wechsberg (6) fait la même constatation 
pour le sérum de chèvre vis-à-vis du vibrion de Nordhafen et 
des globules rouges de cobayes. Le sérum de chèvre, par l’ad- 
jonction de sang de cobaye, perd ses propriétés hémolytiques, 
mais il conserve son action bactéricide vis-à-vis du vibrion de 
Nordhafen. 

Seulement, ces savants ont opéré avec des éléments 
normaux, et Bordet a montré que la cytase n’est pas intégrale- 
ment fixée par les éléments non sensibilisés, puisque le 
sérum, quandilse montre inactif vis-à-vis de ceux-ci, peut encore 
dissoudre des éléments sensibilisés. De ces observations, ces 


SUR LA PLURALITÉ DES ALEXINES. 345 


auteurs ne peuvent donc pas conclure d’une façon absolue à la 
pluralité des alexines. 

Cet exposé succinet montre que la question du nombre des 
alexines est loin d’être résolue à l'heure présente. La théorie 
dualiste paraît cependant être celle qui cadre le mieux avec 
certains faits nouveaux actuellement établis ; seulement, comme 
le fait judicieusement remarquer Tarassévitch (10) dans son 
mémoire sur les cytases, il manque à cette théorie la consécra- 
tion que lui apporterait la preuve de l'existence des deux 
cytases hémolytique et bactériolytique dans le même sérum 
sanguin. 

C'est cette preuve que M. Metchnikoff a bien voulu nous 
charger de rechercher lors d’un séjour de quelques mois que 
nous avons fait à l’Institut Pasteur, dans le courant de l’année 
dernière. Commencées à son laboratoire, les recherches qui font 
l’objet du présent mémoire ont été achevées à l’Institut chi- 
mique et bactériologique de l’État, à Gembloux. 

Nous prions donc M. Metchnikoff d'agréer l'expression de 
notre profonde reconnaissance non seulement pour le sujet 
qu'il a bien voulu nous confier, mais encore pour la bienveil- 
lance avec laquelle il nous a ouvert ses laboratoires, ainsi que 
pour les précieux conseils qu'il nous a donnés pendant le séjour 
que nous y avons fait. 

Pour résoudre la question qui fait l’objet de ce mémoire, 
nous nous sommes adressé au sérum de rats blancs, dont nous 
avons étudié les propriétés bactéricides et hémolytiques vis-à- 
vis des éléments normaux et sensibilisés. 

A. Propriétés bactéricides du sérum de rat blanc vis-à-vis de la 
bactéridie. Le pouvoir bactéricide du sérum de rat blanc vis à 
vis de la bactéridie fut découvert par Behring (15) en 1888, 
et invoqué par lui pour expliquer limmunité du rat à l’égard 
de la bactéridie. En 1891, Metchnikotff et Roux (16) montrèrent 
que les rats n’étaient qu’exceptionnellement réfractaires au 
charbon, alors que le sérum de tous les rats, même de ceux qui 
contractaient la maladie, possédaitdes propriétés bactéricides pour 
le bacille charbonneux; il n’y avait donc aucun rapport à éta- 
blir entre l’action bactéricide des humeurs et limmunité. 
En 1897, Sawtchenko (14) reprit l'étude des propriétés bactéri- 
cides du sérum des rats à l’égard des vaccins I et II. Il constata : 


- 


346 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


4° que l’action bactéricide était plus puissante vis-à-vis du 
vaccin I que du vaccin Il; 2° que les substances bactéricides 
résistaient à la température de 55 à 56° pendant une demi-heure, 
mais que leur action s’affaiblissait par le chauffage à 60-61° pen- 
dant une demi-heure; 3° que le sérum de rat immunisé contre 
la bactéridie n'était pas plus bactéricide que le sérum de rat 
neuf; 4° que l’on pouvait habituer la bactéridie à vivre dans le 
sérum de rat blanc. 

En 1890, Bordet (11) admet qu'il peut exister dans le sérum 
de rat des substances bactéricides autres que les alexines. 
En 1900, Danysz (12) a confirmé ce fait et a précisé le méca- 
nisme par lequel la bactéridie résistait à l’action microbicide du 
sérum de rat. En 1902, Malvoz (13) conclut qu'il y a dans le 
sérum de rat deux substances actives très différentes : une 
alexine semblable à l’alexine de sérum neuf, et une autre 
substance qui n’est peut-être pas une alexine, douée de pro- 
priétés bactéricides et résistant à 560. 

Les résultats auxquels nous sommes arrivé dans le présent 
mémoire étant en contradiction avec les conclusions des diffé- 
rents savants dont nous venons de rappeler les travaux, nous 
croyons faire œuvre utile en exposant avec quelques détails les 
expériences que nous avons entreprises sur cette question. 

Pour nos recherches, nous nous sommes servi de la bacté- 
ridie charbonneuse provenant des collections de l'Institut Pas- 
teur: Nous avons employé des cultures sur gélose âgées de 
18 à 20 heures, dont nous émulsionnions soigneusement une. 
petite quantité dans 10 c.c. d’eau physiologique. Pour chaque 
expérience, 5rats blancs étaient saignés et nous opérions avec le 
mélange des sérums. Celui-ci a été réparti dans de petits tubes 
en verre. Ces tubes étaient ensemencés avec la même anse en 
platine, et, après 18 à 20 heures de séjour à l’étuve à 37°, nous pré- 
levions de chacun d’eux une anse de liquide que nous étalions 
sur gélose inclinée: nousnotionsle développement après 24 heures 
de séjour à l’étuve, 37°. Nous avons toujours rejeté les sérums 
rouges. En appliquant ces données, nous avons entrepris de 
nombreuses expériences, parmi lesquelles nous choisissons celles 
qui permettent d'établir rapidement les conditions dans lesquelles 
il faut se placer pour obtenir des résultats semblables à ceux 
auxquels nous sommes arrivé. 


SUR LA PLURALITÉ DES ALEXINES. 347 


Il 


LE POUVOIR BACTÉRICIDE DU SÉRUM DE RAT NE SE MANIFESTE QU'A LA CON- 
DITION QUE L'ENSEMENCEMENT SOIT PRATIQUÉ AVEC DES DOSES CONVE- 
NABLES. 

Sawtchenko l’avait déjà montré pour les vaccins I et IT, 
Nous avons confirmé ce fait pour la bactéridie. Si à des tubes 
contenant 20 gouttes de sérum de rat ou d’eau physiologique, on 
ajoute une, deux ou trois anses d'une émulsion de bactéridies, 
on constatera que lorsque la quantité des germes ensemencés 
est trop forte, ceux-ci se développent dans le sérum et dans l’eau 
physiologique. Si les bactéries sont introduites en trop faible 
quantité, les cultures sont négatives, tant dans le sérum que dans 
l'eau physiologique, alors que, cependant une expérience de con- 
trôle montre qu'il y avait bien eu apport de bactéridies lors de 
l’'ensemencement. Pourquoi les bactéridies introduites dans les 
tubes de sérum de rats ou d’eau physiologique ne s’y sont-elles 
pas développées ? Sont-elles mortes parce qu’elles rencontraient 
des substances bactéricides, ou parce qu’elles ne pouvaient 
vivre faute d'éléments nutritifs? L’addition de deux gouttes de 
bouillon de bœuf à chacun des tubes de sérum et d’eau physiolo- 
gique permet de résoudre cette question. Dans les tubes de 
de rat additionné de bouillon, la bactéridie donne quand même 
une culture négative; l'absence de développement dans ce 
sérum est donc due à la présence d’une substance bactéricide. 
Dans les tubes d’eau physiologique additionnés de bouillon, on 
obtient une culture riche en bactéridies, l’absence de dévelop- 
pement en eau physiologique seule est donc imputable au man- 
que d'éléments nutritifs. 


II 


COMMENT SE COMPORTE LA SUBSTANCE BACTÉRICIDE DU SÉRUM DE RAT 
VIS-A-VIS DE LA CHALEUR ? 


L'expérience suivante répond à cette question. 


348 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


EXPÉRIENCE Î 


DÉVELOPPEMENT 

après 24 h. des tubes 

sarURs vonnne | Hdmi 

du liquide ensemencé. ensemencées. anse des tubes de la 


. colonne 1, après un 
séjour de 24 h. à 370. 


Sérum rat non chauffé, 20 g. +2 so. bouillon. 1 anse 0 
— — — — — — 2 anses - 0 
—  — — — — — 3 — 0 
Sérum rat ch. 55-56, 20 g. +2 g. bouillon. 4 anse 0 (1) 
— = = — — 2 anses —+ (2) 
de = 5 == = == 2 — + 
Sérum rat ch. 60-61°, 90 g. + 2 g. bouillon. 1 anse + 
— — — — — nr 2 anses + 
2e PTE LATE) = D sn EME na 
Eau physiolog., 20 g. + 20 g. bouillon. 1 anse + 
— — — — — 2 anses + 
ET Fu En se re UE FAV 
Eau physiolog. seule, 20 gouttes ..... er 1 anse 0 
— —— — + CU ae et Le 2 anses 100 
—- — —  — Re 3 — + 


1. 0 indique l'absence de colonies. 
2. + indique que le nombre de colonies est trop élevé pour qu’on puisse les compter. 


Elle nous apprend que, dans les mêmes conditions, le sérum 
de rat non chauffé est nettement bactéricide, tandis que chauffé 
à 55-56, il l’est peu, et que, chauffé à 60-64°, il ne l’est plus. 

Toutefois, par un ensemencement moins copieux, on peut met- 
tre en lumière les propriétés bactéricides du sérum de rat chauffé à 
55-56° ou à 60-619, pendant 35 minutes. Pour obtenir ce résultat, 
il faut ensemencer une dose de bactéridies telle que l’eau physio- 
logique, additionnée de bouillon, donne une culture abondante 
sur gélose, tandis que l’eau physiologique seule n’en donne pas. 

Conclusions : 1° le sérum de rat blanc contient une substance 
bactéricide vis-à-vis de la bactéridie charbonneuse ; 2° l'intensité 
du pouvoir bactéricide, bien qu’affaiblie par l’action des tempé- 
ratures 55-56°, 60-61°, pendant 35 minutes, se manifeste encore. 


SUR LA PLURALITÉ DES ALEXINES. 349 


I 


COMMENT SE COMPORTE LE SÉRUM DE RAT VIS-A-VIS D'ORGANISMES AUTRES 
QUE LA BACTÉRIDIE ? 


Les expériences que nous avons entreprises en ensemençant 
les bacilles coli, fluorescent non liquéfiant, mesentericus, pro- 
teus vulgaris, typhique, choléra Dantzig, nous ont permis de 
constater que le sérum de rat non chauffé est nettement bacté- 
ricide pour ces bactéries, alors que, chauffé à 55-56° pendant 
3» minutes, il constitue un excellent milieu de culture. Le détail 
de ces expériences ne présentant pas d'intérêt particulier, nous 
nous contenterons de donner l’étude des propriétés du sérum de 
rat blanc vis-à-vis du bacille typhique et du choléra Dantzig. 

Bacille typhique. — Nous avons étudié comparativement 
l’action du sérum de lapin et de rat blanc sur le bacille typhique. 
Les dilutions ont été pratiquées à l’aide d’une culture en bouil- 
on àâgée de 20-24 heures. Le nombre de bacilles contenus 
dans un anse d’ensemencement s’élevait à 70. 

Expérience IL. 


DÉVELOPPEMENT 
après 24 h. des tubes 


sarune La. 
du liquide de culture, ensemencées. anse des tubes de la 


colonne 1, après un 
séjour de 24 h. à 370. 


ed 


Sérum rat non ch., 20 g. + 2 g. bouillon. 1 anse 0 
—  — — — — — 2 anses 0 
= næ ee pt 15 2 SRE 0 

Sérum lapin non ch., 20 g. + 2 g. bouillon. 4 anse 0 
= = 22 = = _— 2 anses 0 
_—  — — _ —  — 3 — & (l 

Sérum rat chauffé, 20 g. + 2 g. bouillon. 1 anse 110 
En = 22 == — 2 anses 15) 
— — —  — —  — 3 — 950 

Sér. lapin ch.55-56°, 20 g. + 2 g. bouillon. 1 anse 


350 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Il ressort de cette expérience : 1° que les-sérums non 
chauffés de rat et de lapin sont doués de propriétés nettement 
bactéricides vis-à-vis du bacile typhique Halle; 2° que, comparé 
au sérum de lapin chauffé, le sérum de rat porté pendant 
35 minutes à la température de 55-56°, manifeste encore une 
action bactéricide, mais celle-ci est considérablement atténuée. 
Toutefois ces résultats ne s’obtiennent que si l’on opère avec du 
sérum clair et que si l’ensemencement est peu copieux. 

Bacille du choléra Dantzig. — Le bacille du choléra Dantzig 
se prête difficilement aux expériences; pour cette bactérie en 
effet, le nombre de germes ensemencés et la qualité du sérum 
employé jouent un rôle plus important que lorsqu'il s’agit du 
bacille typhique Halle et surtout de la bactéridie. Alors que le 
nombre de germes est relativement peu élevé, 50 environ par 
anse, le sérum de rat chauffé à 55 56° pendant 35 minutes est 
dépourvu de propriétés bactéricides. Lorsque le nombre de 
germes ensemencés est beaucoup plus faible, 10 environ par 
anse, l'expérience nous apprend que le sérum de rat chauffé à 
55-56° est doué de faibles propriétés bactéricides vis-à-vis du 
bacille du choléra Dantzig. 

Conclusions : 1° le sérum de rat non chauffé est bactéri- 
cide pour des organismes autres que la bactéridie charbonneuse. 
2° le sérum de rat, chauffé pendant 35 minutes à la température 
de 55-56°, manifeste encore une action bactéricide vis-à-vis de 
ces mêmes organismes, mais celle-ci est considérablement 
atténuée. 

B. Propriétés hémolytiques du sérum de rat à l'égard des globules 
non sensibilisés. — On sait que la plupart des sérums normaux 
sont doués de propriétés hémolysantes vis-à-vis des hématies 
d'espèces différentes. Après quelques essais comparatifs, nous 
avons constaté que les globules rouges de poule étaient particu- 
lièrement sensibles à l’action dissolvante du sérum de rat. 
L'expérience IIT a été effectuée avec le sérum de 6 rats, afin 
_de pouvoir comparer l’action hémolytique et bactériolytique 
de celui-ci dans des conditions identiques. 

L'étude du pouvoir hémolytique du sérum de rat vis-à-vis 
des globules rouges du sang de poule nous permet de constater : 
1o que le sérum de rat non chauffé est fortement hémolytique 
pour les fglobules rouge de poule; 2° que le sérum de rat, 


SUR LA PLURALITÉ DES ALEXINES. 391 


Expérience III. 


HÉMOLYSE 
a  — —— 
LIQUIDE OUAN DITES | APS 
employé pour l’hémolyse. de globules ajoutés. DrE à 370 J 
Sérum rat non chauffé, 20 gouttes....... 1 goutte sang. Nette, 
Sér. rat non ch., 10 g. +10 g g. eau physiol. — — 
—. — 15g g. +15 g. — = — 
— — 26. L 18 g. — — _— 
Sérum rat ee 56°, 20: gouttes. ....7, 1 goutte sang. Néant. 
GR = 56 6° Sr AS Pole die re aie ZT Fri 
—  —  — 6, RE rte 1/10 — _ 
BACTÉRIOLYSE 


mm 
DÉVELOPPEMENT 
- après 24 h. des tubes 


NOMBRE de gélose inclinée, 
du li SR ee d'anses ensemencés avec une 
q x > ensemencées. anse des tubes de la 


colonne 1, après un 
séjour de 24 h. à 37°, 


Sérum rat non chauffé, 20 g. +2 g. bouill. 1 anse 0 
TR TER == ARS AE 2 anses 0 
gps = à: 7 As SE 6 

Sérum rat ch., 55-569, 20 g. +2 9. bouillon. {anse 0 
= = — — — — 2 anses 0 
ÉCRETEN LEE fe ar 3 (0 

Sérum rat ch. 60-649, 20 g. +2 g. bouillon. 1 anse 2 
2 = mes == = = 2 anses T0 
A 2 ben LU AT see + 

Eau physiol., 20 goutt. + 2 goutt. bouillon. 1 anse + 

ee = Des LE = 2 anses - 
== = F2 2e = —— + 
Eau phypialog. seule, 20 HARIEIRE SAN: 1 anse 0 
En ER LS RE ss ee 2 anses 0 
PE = — nn LME NASA — 0 


chauffé pendant 35 minutes aux températures de 55-56° est com- 
plèlement privé de ses propriétés hémolysantes. 
Si nous comparons l’action hémolytique et l’action bactério. 


392 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lytique du sérum de rat, nous pourrons conclure que le sérum 
de rat possède unesubstance bactériolytique qui résiste à l’action 
des températures 55-56°, 60-61° et une substance hémolytique 
qui est détruite par l'action de ces températures. 

La substance hémolytique présentant les caractères des 
alexines a été considérée comme telle par tous les savants. Si 
donc nous pouvions établir que la substance bactéricide du 
sérum de rat est également une alexine, nous nous trouverions 
en présence d’un sérum dans lequel les alexines hémolytique 
et bactériolytique seraient distinctes. 

Propriétés du sérum de rat blanc vis-à-vis des éléments sensibi- 
lisés. Propriétés bactéricides. — La substance bactéricide du sérum de 
rat est une alexine. Plusieurs recherches ont été faites déjà dans 
le but de déterminer la nature de la substance bactéricide du 
sérum de rat. Les différents savants qui se sont occupés de cette 
question sont unanimes pour lui refuser la qualité d’alexine. 
Nous croyons cependant que celle-ci est une alexine, et cela 
pour les raisons suivantes : 1° le sérum de rat, chauffé à 56», 
manifeste des propriétés bactéricides non seulement à l’égard 
de la bactéridie, mais aussi envers d’autres bactéries, et son 
action microbicide est d'intensité trop variable à l’égard des 
différents organismes pour qu’on puisse l’attribuer à la présence 
d’une substance antiseptique; 2° nous avons antérieurement 
attiré l'attention sur le fait que le chauffage atténue les propriétés 
bactéricides du sérum de rat, et qu’on ne parvient plus alors à 
les mettre en évidence qu’en ensemençant des quantités moins 
fortes que pour le sérum non chauffé, et parfois même des 
doses très faibles. Le nombre de germes ensemencés joue 
donc un rôle considérable. Dans ces conditions, la perte de la 
propriété de transformer les vibrions, même sensibilisés; 
en granules n’est pas une réaction assez sensible pour qu’on 
puisse en conclure à la disparition de l’alexine dans le sérum 
de rat chauffé à 56°. Pour que l'étude du phénomène de 
Pfeiffer soit possible il faut, en effet, pouvoir opérer avec des 
doses relativement fortes de vibrions, et, s’il existe peu d’alexine 
dans le sérum, la faible quantité de granules échappe facilement 
à l'examen microscopique ; 3° enfin pour refuser à la substance 
bactéricide du sérum de rat la qualité d’alexine, il faudrait aussi 
qu'elle fut inapte à réactiver les sérums sensibilisés, et jusqu'ici 


SUR LA PLURALITÉ DES ALEXINES. 353 


aucune expérience n’a été tentée dans cette voie. Pour combler 
cette lacune, nous avons étudié ce pouvoir réactivant vis-à-vis 
des sérums sensibilisés contre le vibrion cholérique. 

Le sérum de rat chauffé peut réactiver le choléra-sérum. — 
Nous avons fait dans la cavité péritonéale d’un lapin 20 injec- 
tions de bacille du choléra Dantzig. Huit jours après la der- 
nière, nous saignons le lapin et son sérum sert à l’expérience IV. 

Dans cette expérience le sérum de lapin vacciné non 
chauffé, I, est nettement bactéricide; le sérum du même lapin 
chauffé, Il, de même que le sérum chauffé à 55-56° d’un lapin 
neuf, V, donnent une culture abondante du bacille du choléra 
Dantzig. Si à 10 gouttes de sérum, chauffé à 56° du lapin vacciné 


EXPÉRIENCE IV. 


DÉVELOPPEMENT 
ap. 24 h. des tubes 
3 NOMBRE de gélose ensemen- 
du li ASE nee d’anses cés avec une anse 
É CAE EE NACEDEE ensemencées. des tubes de la co- 


lonne 1, ap. un sé- 
jour de 24h. à 370. 


I. |Sér. lap. vacc. non ch., 20 g. +2 g. bouillon. 1 anse (] 
= — — — — — 2 anses 0 
2e LEARN SRE MEN PE RNRT ETES RE 0 
IT. |Sér. lap. vacc. ch. 55-56°, 20 g. + 2 9. bouill. | anse — 
— —  — — —  — 2 anses + 
—  —  — — —  — 3 — + 
UT. |Sér. rat ch. 55-560, 20 gout. + 2 gout. bouill. 1 anse 45 
= =, — — — — 2 anses 150 
RARE CRETE sx Ca ae 219 
LV. |Sér. lap. vace. ch., 10 g. +10 g.. sér. rat. ch. $ 
+ 2 gouttes bouillon .......... F0 SÉARE 1 anse 25 
2 Be Ex, ps LE 2 anses 50 
ZE == = => ee D 140 
LORRAINE TORRES SECTE) PERL SE on NOTE 
V./Sérum lapin neuf ch., 29 g. + 2 g. bouill. 1 anse Jr 
PI as pa 2e, = _ 2 anses ST 
an = — = 55 Fe 5 
VI. |Sér. lapin neuf ch., 10 g. +10 g. sér. rat ch. 
= 2ISOUEeS DONOR RL RE 417. 1 anse 


254 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


et du lapin neuf, on ajoute 10 gouttes de sérum de rat chauffé à 

59-06 pendant 35 minutes, le sérum chauffé du lapin vacciné 
récupère ses propriétés bactéricides, IV, alors que le sérum du 
lapin neuf reste favorable au développement du bacille du 
choléra Dantzig VI, or le sérum chauffé du lapin vacciné ne 
diffère du sérum chauffé du lapin neuf que parce qu'il contient 
la choléra-sensibilisatrice, laquelle ne peut être réactivée que par 
une alexine. 

Le sérum du rat chauffé à 55-56 contenait donc une alexine 
bactériolytique. 

Propriétés hémolytiques du sérum de rat chauffé vis-a-vis des 
hématies sensibilisées. — L'alexine qui persiste dans le sérum de rat 
chauffé à 55-56 est incapable de réactiver les hémosérums préaluble- 
ment chauffés. Nous avons poussé dans la cavité péritonéale d’une 
poule 4 injections de 5 c. c. de sang de lapin défibriné et lavé. Huit 
jours après la dernière injection nous avons étudié les proprié- 
tés réactivantes du sérum de rat vis-à-vis des hématies de lapin 
sensibilisées, et nous avons constaté que le sérum de poule 
sensibilisé contre les globules rouges de lapin est réactivé par 
le sérum de rat non chauffé, tandis qu'il reste inactif si on 
lui ajoute le même sérum de rat préalablement chauffé pendant 
3» minutes à 595-90°. : 

On sait qu’il existe parfois de légères différences individuelles 
entre le sérum des rats blancs, et que l’absence ou la présence 
d'hémoglobine dissoute influence considérablement le résultat, 

Tant pour éliminer ces deux causes d'erreur, que pour con- 
denser nos recherches sur les éléments sensibilisés, nous avons 
entrepris une dernière expérience avec Le sérum clair de 8 rats 
blancs, que nous avons fait agir sur du cholérasérum provenant 
d’un lapin qui avait reçu dans le péritoine 24 injections de 2 ce. c. 
de culture en bouillon âgée de 24 heures de choléra Dantzig, et 
sur de l’hémosérum fourni par un cobaye qui avait reçu 12 injec- 
lions intrapéritonéales de 5 c. ce. de sang défibriné et lavé. 

Les résultats sont consignés dans le tableau ci-après. 

Il résulte de cette expérience : 1° que le mélange du sérum 
de lapin vacciné chauffé, IT (qui constitue un milieu de culture 
favorable au développement.du bacille du choléra Dantzig), et du 


sérum de rat chauffé donne un liquide manifestement doué de « 
propriétés bactéricides pour cet organisme IV, Le sérum derat 


SUR LA PLURALITÉ DES ALEXINES. 355 


chauffé contient done une alexine bactériolytique qui a résisté 
à la température de 55-56 pendant 35 minutes; 2° que Le même 
sérum de rat chauffé à 55-569 pendant 35 minutes est dépourvu 
de tout pouvoir réactivant vis-à-vis des globules rouges de 
poule fortement sensibilisés. 


EXPÉRIENCE V 


BACTÉRIOLYSE 


DÉVELOPPEMENT 
ap. 24 h. des tubes 


' : NOMBRE de gélose inclinée, 
du li RENE : d'anses ensemencés avec 
MALE EN mis ete ensemencées. une anse des tubes 


de la eol.1,ap: 24h. 
de séjour à 370. 


1.|Sér. lap. vacc. non ch., 20 g. +2 g. bouill 1 anse (] 
— — — =, — — 2 anses 0 
-— — — — —  — 3 — 0 
IT.|Sér. lapin vacciné ch., 20 g. + 2 g. bouill. 1 anse 180 
ee RQUrS SNS 2 anses de 
_ ae EL ea EN ES + 


IL. |Sér. rat chauffé, 20 goutt. + 2 goutt. bouill. 1 anse 0 
— — = = — 2 anses 60 
pe 4 ra _ — 3 — 250 
[V.|Sér. lapin vace. ch., 10 g. + 10 g. sér, rat 
chauffé Rs gouttes bouillon... ......... 1 anse 0 
— — — — — 2 anses FE 


V. [Sér. lap. neuf ch., 10 g. + 10 g. sér. rat ch. 
+ 2 gouttes bouillon 


HÉMOLYSE 
NATURE Se NAPIES RÉSULTAT 
du liquide hémolytique 46 RONA Rae après 2 h. à 370. 
7 de lapin ajoutées. 
Sérum CHbaYE vacciné non chauffé, 20 gouttes. 1 goutte Nette 
— chauffé, 20 gouttes... | — Néant 
Sèr. cob. vacc. chauffé, 40 g. + 10 g. sér. rat ch. 1 — — 


22 CÉSPNRE ATOME TERESA MERE 1/10 — mé 


Lt EL EF FU RTE 07) EP PE ERA PTE ERREURS PORT LES, Les FAC RANPESSENNEEEE CES 


396 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


CONCLUSIONS GÉNÉRALES : 


1° Le sérum de rat non chauffé est bactéricide pour la plu- 
partdes bactéries ; | 

2° L'action d’une température de 55-56° pendant 35 minutes 
atténue sans les annihiler les propriétés bactéricides du sérum de 
rat vis-à-vis de la bactéridie, du bacille typhique Halle, du choléra 
Dantzig ; 

3° La substance bactéricide qui, dans le sérum de rat, résiste 
à l’action de la chaleur est une alexine ; 

4° L’alexine qui dans le sérum de rat résiste à l'action de la 
chaleur 55-56° n’est pas hémolytique, puisqu'elle est incapable de 
réactiver les hémosérums. En conséquence l’alexine qui dans 
le sérum de rat préside aux phénomènes bactériolytiques estdif- 
férente de celle quiintervient dans la dissolution des globules 
rouges. Toutefois les expériences actuelles ne permettent pas de 
conclure s’il existe dans le sérum de rat une ou plusieurs 
alexines hémolytiques et bactériolytiques. 


(Institut chimique et bactériologique de l'État, à Gembloux, 


Novembre 1902.) 


BIBLIOGRAPHIE 


1) Bucuxer, Verhand. des Congr. f. in Med. Wiesbaden, 1892, 
2) Bonper, ces Annales, 1900. 

3 Mercanixorr, ces Annales, 1899. 

4) Exrcicx et MorGeNroTH, Berl. Klin. Woch., 1899-1900-1901. 
5) Neisser, Deut. Med. Woch., 1900. 

6) WecuseerG, Wien. Klin. Woch., 1901. 

8) Mercanixorr, ces Annales, 1899. 

9) GEeNGou, ces Annales, 1901. 

10) Tarasseviren, ces Annales, 1902. 

11) Bonper, ces Annales, 1899. 

12) Daxysz, ces Annales, 1900. 

13) Mazvoz, ces Annales, 1902. 

14) SAWTCHENCKO, ces Annales, 1897. 

45) BeuriNG, Centralb. f. Klin. Med., 1888. 

46) Mercanikorr et Roux, ces Annales, 1891, 


Sur la non-existence des « neutrophiles » d'ERrlich 


dans le sang de l'homme et du singe. 
Par F. MARINO. | 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) 


L 


La méthode chromatique, morphologique et histochimique 
a permis à Ehrlich de conclure à l'existence de trois sortes de 
granulations dans les leucocytes de l’homme et du singe : 

1° Granulations éosinophiles ou oxyphiles (x d’'Ehrlich), se colo- 
rant bien par les couleurs-acides ; 

2 Granulations basophiles ou granulations métachromatiques dans 
les mastzellen (7), prenant les couleurs basiques ; 

3° Granulations neutrophiles (=), n'ayant d'affinité ni pour les 
couleurs avides ni pour les couleurs basiques, et que seuls peuvent 
colorer les mélanges neutres. 

Poussant plus loin ses recherches, et se basant toujours sur 
la classification des granulations, Ehrlich a formulé une classi - 
fication des leucocytes en leucocytes granuleux et non granu- 
leux : 

Dans le 1* groupe (leucocytes granuleux), Ehrlich range : 

1° Les leucocytes de transition ou formes de passage; 

2° Les leucocytes polynucléaires neutrophiles ; 

3° Les leucocytes polynucléaires éosinophiles ; 

4° Les mastzellen. 

Dans le 2 groupe (leucocytes non granuleux) prennent 
place : 

1° Les lymphocytes; 

2 Les gros leucocytes mononucléaires. 

L’hématologie s’est arrêtée à ces conceptions et il est cou- 
rant d'employer les termes d’éosinophiles et de neutrophiles. 

Cette- particularité, qu’on ne rencontrait de granulations 
neutrophiles que dans le sang de l’homme et du singe, 
et aussi l'intérêt qu'il pouvait y avoir à connaître la valeur 
physiologique de ces granulations nous ont décidé à faire de 
nouvelles recherches. 


398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Tout d’abord une question se pose : 

L’affinité neutrophile est-elle une propriété absolue de cer- 
taines granulations, ou bien simplement une qualité mise en 
relief par certains modes de fixation, que l’on doit employer pour 
colorer les neutrophiles ? 

Rappelons, en passant, que, par couleur neutre, on désigne 
la matière colorante qui résulte du mélange d’une couleur acide 
et d’une couleur basique. 

Quant au « triacide !» Ehrlich désigne sous ce nom une 
couleur neutre qu'il juge indispensable dans la coloration des 
granulations neutrophiles. 

Voici, d’ailleurs, en quels termes il* s'exprime à ce sujet : 

La coloration par le triacide constitue une technique très com - 
mode. Elle est très recommandable quand on veut avoir des préparations 
d'ensemble ; elle est indispensable (unentbehrlich) dans tous les cas 
où nous avons affaire à des granulations neutrophiles. 

Et plus loin *, parlant, à propos des leucocytes polynu- 
cléaires, de RARE neutrophiles, il dit : 

Le noyau se colore fortement par tout colorant nucléaire ; le proto- 
plasma possède une affinité très vive pour la plupart des substances colo- 
rantes acides, et il est caractérisé, sans aucun doute (unverkennbar) 
par la présence d'une grande quantité de granulations neutrophiles. 

Ehrlich rencontre ces mêmes granulations dans le proto- 
plasma des gros mononucléaires, des myélocytes et des petits 
pseudolymyphoc yles neutr ophiles *. 

Donc, pour lui, ces granulations très petites, des leuco- 
cytes de l’homme et du singe, se colorent exclusivement par les 
mélanges neutres, d’où le nom de granulations neutrophiles et 
celui de leucocytes mono et polynucléaires, de myélocytes et de petits 


4. La composition du triacide est la suivante : 


SOlUTIOn SALUrE El LOLAN GENRE ARENA M ST UULS CCS 
— tINdefuchsins acide. APR ARS 6 — 
Eau ’distilée. "68e NET Aer R PR PR n 15 — 
A1COQL. LUS ET ESS RP RE EN nee 15 — 
Solution saturée de vert de méthyle .. 49 R_ 
ATICOOL 2/0: ER MERRENRRES SAR RES CE SR PAR A SR AT SE 10 — 
Glycérine,, 1 nn ER RER EIRE 10 — 


2. Eunricu uNb Lazarus. Anaemie, in Nothnagel Specielle Pathologie und 


T'herapie, p. 29. 
3. Idem, p. 50. 
4, Td;,"p."02, 


ZE 


NON-EXISTENCE DES « NEUTROPHILES » D’EHRLICE. 359 


pseudolymphocytes neutrophiles, donnés aux globules blancs qui les 
contiennent. 

Nous avons répété les expériences de M. Ehrlich, et nous 
avons remarqué, en effet, qu’en suivant la technique qu'il indique, 
— fixation à 110° pendant 15-20 minutes, — on. colore à l'aide 
du triacide les certaines granulations dites neutrophiles ; mais 
nous avons vu aussi qu'en modifiant cette technique, le triacide, 
loin d’être indispensable, est inutile et peut être remplacé par 
des couleurs acides. 

Voici notre procédé : on met sur une lamelle très propre 
une goutte de sang que l’on étale en faisant glisser sur elle une 
autre lamelle. Le sang est immédiatement coloré, soit par une 
solution aqueuse de fuchsine acide à 10 0/0, soit par une solu- 
tion faible 1 0/0, soit enfin par une solution aqueuse d’éosine, 
1/100, 1/1000, 1/10,000, 1/50,000, et quelquefois même par des 
solutions beaucoup plus faibles. D'ordinaire on fait agir ces 
solutions 1 à 5 minutes, ensuite on lave les préparations et, 
après les avoir séchées, on les monte au baume. On voit ainsi, 
très nettement, les granulations décrites jusqu'à présent comme 
granulatjons neutrophiles. 

On obtient les mêmes résultats en faisant agir les solutions 
colorantes sur le sang séché à lair, pendant 1-2-3 heures, 
5-10-20 jours, ou bien sur le sang fixé 10 fois à la flamme, ou 
à 110. 

Nous ferons remarquer, à propos de la coloration du sang 
à l’état frais ou séché à l'air, que la solution aqueuse forte 
ou diluée de fuchsine colore, en même temps que les granula- 
tions, les globules rouges; l’éosine, au contraire, en solution 
aqueuse saturée ou même étendue, n'empêche pas le laquage du 
sang. | 

L'avantage de l’éosine sur la fuchsine consiste dans son 
action colorante sur les granulations, même quand elle est 
employée en solutions très faibles (1/50,000. 

Il nous semblait, après ces premiers essais, que nous étions 
à même de conclure que la fixation par la chaleur modifiait 
J’affinité acidophile, en la rendant neutrophile. 

Pour contrôler cette manière de voir, nous avons essayé de 
colorer des préparations du sang préalablement fixées à la cha- 
leur (10 fois à la flamme ou à 110°). 


360 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Nous nous sommes aperçu que, dans ces conditions, les gra- 
nulations des neutrophiles se coloraient encore. 

L'opinion de M. Ebrlich sur leur compte nous semblait donc 
erronée et l'interprétation que nous donnions de notre première 
expérience était également fausse. 

Fixées à la chaleur ou non fixées, les granulations leucocytaires, 
à l'exception des granulations basoplules, se montraient toutes acido- 
philes. 

Voici les conclusions qui découlent de nos dernières 
recherches : 

1° Il nous paraît évident june hui que les neutrophiles 
n'existent pas ; 

20 Le triacide, vis-à-vis de granulations des prétendus neu- 
trophiles, ne se montre pas une couleur neutre. 

Peut-être la basicité du vert de méthyle est-elle insuffisante 
pour saturer l'acidité des deux couleurs acides avec lesquelles 
on fait le mélange, et alors le triacide, par les groupements 
oxhydriles des deux dernières (orange et fuchsine) agit, vis-à-vis 
des granulations, comme une couleur purement acide. 

Mais, même en admettant que le triacide soit une couleur 
neutre idéale, on peut très bien admettre que certaines granu- 
lations des globules blancs, refusant les autres couleurs du 
mélange, se laissent colorer seulement par la fuchsine — phé- 
nomène très commun dans les procédés de teinture. 


* 
*x *% 


Après avoir démontré que les granulations des polynucléaires 
de l’homme et du singe étaient acidophiles, nous avons entre- 
pris une autre série de recherches, pour voir si elles étaient 
aussi basophiles. 

Grâce au même procédé, nous les avons colorées très 
facilement, en faisant agir, 15-20 minutes, 1-2 heures, sur des 
préparations de sang fixé et non fixé, une solution aqueuse 
saturée ou diluée (1/100; 1/1,000 ; 1/10,000) de bleu de méthy- 
lène. Il faut noter que si le bleu n’est pas de bonne qualité, 
les sranulations restent incolores. 

De cette façon nous nous sommes convaincu que les granu- 
lations décrites par Ehrlich comme neutrophiles sont de véritables 
granulations amphophiles, c’est-à-dire des granulations colora- 


NON-EXISTENCE DES « NEUTROPHILES » D'EHRLICH. 361 


bles soit par des couleurs acides, soit par des couleurs basiques, 
l'en est de même pour les granulations des éosinophiles. 

Étant donnée la nature de ces granulations, nous trouvons 
que l’ancienne division en éosinophiles et neutrophiles, adoptée 
par Ehrlich et par tous les hématologistes qui lont suivi, est 
impropre, et pour cette raison nous proposons de substituer aux 
noms de leucocytes éosinophile et neutrophile, ceux de leucocytes 
macro et microgranuleux, et aux noms d’éosinophilie et neutrophilie, 
ceux de macrogranulie et microgranulie. 

D’après cette classification, il est naturel de ne pas se servir 
des dénominations de «mononucléaires et de myélocytes éosinophiles 
et neutrophiles », mais d'adopter les termes de «mononucléaires et 
myélocytes macro et microgranuleux. 


* 
* * 


Ayant démontré que le triacide est inutile pour colorer les 
granulations des éosinophiles et des neutrophiles, et, d’autre 
part, étant donné que le procédé de coloration avec ce colorant 
est long et souvent ne donne pas de bons résultats, nous avons 
essayé de le remplacer par d’autres substances qui colorent rapi- 
dement tous les éléments figurés du sang, les microbes, et — 
sans les différencier — les hématozoaires. 

Dans cette nouvelle coloration, nous avons tâché de réunir 
trois avantages : 

1° Rapidité de la fixation, passage 10 fois à la flamme ou 
fixation à 110° pendant 5 à 6 minutes; 

2 Rapidité de la coloration avec une couleur acide — 
(fuchsine) : 

3° Rapidité de la coloration avec une couleur basique, — bril- 
lant-kresylblau — en dilution telle qu’elle ne puisse neutraliser la 
couleur acide, tout en pouvant colorer tous les éléments baso- 
philes. 

Voici les détails de notre méthode : 

On met 1 goutte de sang sur une lamelle bien propre, on 
l’étend par glissement d’une autre lamelle, on sèche et on passe 
10 fois à la flamme du bec Bunsen, en mettant la lamelle sur 
une lame pour ne pas brüler le sang. La lamelle est tenue sur 
la lame à l’aide d’une pince. On fait agir la solution aqueuse 
à 10 0/0 de fuchsine — versée dans un verre de montre — 


4. Marino, Comptes rendus de la Société de Biologie, 26 avril et 7 juin 1902, 


362 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


15 à 20 secondes et quelquefois 2 à 3 minutes), on lave à l’eau, 
on sèche avec du papier buvard et on fait agir ensuite le brillant 
— versé aussi dans un verre de montre — de 25 à 30 secondes; 
— on lave à l'eau, on sèche et on monte au baume. F 

On peut employer indifféremment soit une solution aqueuse 
à 1/5,000, soit une solution alcoolique à 1/200 d'alcool absolu. 
Nous préférons la première qui donne des préparations plus 
claires. À K | 

Au lieu de la solution aqueuse de brillant, on peut se 
servir aussi d'une solution 1/10,000 d’azur (Nocht), que l’on fait 
agir 5 secondes. Enfin, on peut se servir de n'importe quelle 
substance basique (bleu, vert de méthyle), pourvu qu'elles soient 
très diluées (1/2,000, 1/4,000 d’eau) et agissent très peu de 
temps 20 à 30 secondes. 

Lorsqu'on prolonge pendant 20 à 30 minutes la coloration, 
par le brillant, de préparations ayant subi préalablement une 
forte coloration par la fuchsine, on obtient aussi de très belles 
colorations doubles, dans lesquelles la teinte bleue prédomine. 

Les résultats sont supérieurs à ceux que donne, plus laborieu- 
sement, d’ailleurs, le triacide d'Ehrlich. 

Au lieu de faire la coloration du sang en deux temps, on 
peut encore se servir du mélange de fuchsine acide et de bril- 
lant dans les proportions suivantes : 


ROIS eRA GER IOE DENON RARES RER Are diet 
Brillant (solution aqueuse à 4 p. 100)...,.,......... D — 


Il faut préparer ce mélange 3-4 heures avant de s'en servir 
et le faire agir 5-10 minutes. 

Le procédé est applicable au sang, quelle quesoit l'espèce ani- 
male, supérieure ou inférieure (V. fig. 1, go), granulations d’Holo- 
theuria tubulosa) aux coupes, aux exsudats, aux frottis, ou pré- 
parations par contact (rate, ganglions, moelle des os, et autres 
organes.) | PU 


xx : 
Après avoir démontré qu’on peut colorer les granulations des 
prétendus neutrophiles, soit avec les couleurs acides, soit avec les 
couleurs basiques, nous nous sommes demandé quelle est la 
nature chimique intime de cette variété de granulations. La M 
réponse n’est pas facile. On peut penser que ces granulations 
sont peut-être constituées par des groupements moléculaires de 


NON-EXISTENCE DES « NE UTROPHILES » D'EHRLICH. 363 


nature acide et par des groupements moléculaires de nature 
basique. Les premiers, s'ils existaient, auraient de l’affinité pour 
les couleurs (basiques basophiles) et les seconds auraient de l’affi- 
nité pour les couleurs acides, (acidophiles). On peut admettre 
l'existence de ces deux espèces de groupements, sans préciser 
davantage leurs relations numériques. 

Au moment de rédiger notre mémoire, nous venons de par- 
courir un livre de C. Levaditi! (Bucarest), avec préface de 
P. Ehrlich. 

A la page 42, nous lisons: « Les granulations neutrophiles ont 
de particulier que fixées par la chaleur (AAO°) elles ne se colorent ni 
avec les pigments basiques ni avec les couleurs acides. Néanmoins, 
Marino affirme que les granulations renfermées dans les polynu- 
cléaires de l'homme retiennent, DANS CERTAINES CONDITIONS DE FIXATION, 
soit les pigments acides, soit les couleurs basiques, et que par consé- 
quent la propriété dite neutrophilie n’est pas réelle. 11 y a lieu pour- 
tant de remarquer que Marino emploie comme moyen de fixation non 
pas le chauffage à 1109, tel qu'il a servi à Ehrlich pour établir le 
caractère distinctif de ces granulations neutrophilés, mais une courte 
élévation de température. » Donc, d’après Ehrlich, pour établir le 
caractère distinctif, ou, pour mieux dire, la nature chimique 
d’un élément cellulaire, il faut le fixer à 110°. 

Les résultats des nos recherches nous empêchent de partager 
cesidées. 

D'ailleurs nous n'avons jamais dit ni écrit que les granula- 
tions renfermées dans les polynucléaires de l’homme retenaient, 
DANS CERTAINES CONDITIONS DE FIXATIONS, SOIT LES PIGMENTS ACIDES, SOIT 
LES COULEURS BASIQUES: Mais nous avons dit et répété que « LES 
GRANULATIONS DÉCRITES PAR EHRLICH COMME NEUTROPHILES RETENAIENT 
- TOUJOURS LES COULEURS DÉCRITES PAR ET LES COULEURS BASIQUES, SOIT 
COLORÉES A L'ÉTAT FRAIS, SOIT SÉCHÉES A L'AIR, SOIT FIXÉES 10 Fois 4 
LA FLAMME, SOIT FIXÉES à 1109 ». 

Nous remercions vivement notre illustre maître M. Metchnikoff 
de l'intérêt qu’il a bien voulu prendre à nos recherches. 


Paris, 6 novembre 1902. 


1. C. Levaorri, Le Leucocyte et ses granulations. C. Naud, éditeur, 1902. 


364 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


EXPLICATION DE LA PLANCHE VII 


Fi6. 1. — Sang d'homme à l’éiat frais. Coloration à l’éosine, 1/10,000, 
(Leitz 1/16. Imm. homog. oc. 3) : ma, ma, amphophiles macrogranuleux 
(éosinophiles suivant l’ancien langage d’Ebrlich); mi, mi, amphophiles 
microgranuleux (neutrophiles, suivant l'ancien langage d’Ebrlich); go, granu- 
lations d’un leucocyte d'Holothuria tubulosa. 

F1i6. 2. — Le même sang à l'état frais. Coloration au bleu de méthylène, 
1/100 : r, globule rouge; ma, ma, amphophiles macrogranuleux: mi, mi, 
amphophiles microgranuleux: m”m0, mononucléaire; ly, lymphocyte; mus. 
mastzellen. | 

Fic. 3. — Sang normal. Fixation 10 fois à la flamme; coloration de 
fuchsine et de brillant : r, globule rouge; ma, amphophile macrogranuleux ; 
mi, mi, amphophiles microgranuleux ; mo, mononucléaire. 

Fi6. 4. — Sang de lapin. Fixation 10 fois à la flamme: coloration à la 
fuchsine acide et au brillanteresylblau : », globule rouge; ma, amphophile 
macrogranuleux ; mi, mi, amphophiles microgranuleux ; m0, mononucléaire : 
ly, Iymphocyte ; b, bactéridie charbonneuse. 


LES VACCINATIONS ANTIRABIQUES 


A L'INSTITUT PASTEUR EN 1902 


Par M. EUGÈNE VIALA 


Préparateur au service antirabique. 


Il 


Pendant l’année 1902, 1,106 persounes ont subi le traitement 
antirabique à l’Institut Pasteur : 3 sont mortes de la rage; chez 
une d’entre elles, la rage s’est déclarée avant la fin du traite- 
ment ; cette personne ne sera pas comptée parmi les traitées. 

La statistique s'établit donc ainsi : 


PErTSDANES ITRILECS ee NS PR PU Mes 1.105 
MORT AN EL Re RE Men Re Ve gate 2 
MOCtaLté 10/0 RARE PNR EEE TEE 0,18 


Dans le tableau suivant, ces chiffres sont rapprochés de ceux 
fournis par les stalistiques des années précédentes. 


Années. Personnes traitées. Morts. Mortalité 0/0. 
1886. DOTE 25 - 0,94 
1887. 1.770 14 0,79 
1888. 4.622 9 0,55 
1889. 1.830 7 0,38 
1890. 1.540 5 0,32 
1891. 1.559 4 0,25 
1892. 1.790 4 0,22 
1893. 4.648 6 0.36 
1894. 1.387 F? 0,50 
1895. 4.520 5 0,33 
1896. 4.308 4 6,30 
1897. 1.521 6 0,3 
4898. 1.465 9 0.20 
1$99. 4.614 4 0,25 
1900. 1.420 4 0,35 
1901. 4.321 b) 0,38 
1902. 1.105 2 0,18 
IL 


Les personnes traitées à l’Institut Pasteur sont divisées en 
trois catégories correspondant aux tableaux suivants : 

Tableau A. — La rage de l’animal mordeur a été expérimen- 
talement constatée par le développement de la maladie chez des 
animaux mordus par lui ou inoculés avec son bulbe. 


306 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Tableau B. — La rage de l'animal mordeur a été constatée 
par examen vétérinaire. 

Tabieau C. — L'animal mordeur est suspect de rage. 

Nous donnons ci-après la’ répartition, entre ces catégories, 
des personnes traitées en 1902. 


MORSURES MORSURES MORSURES 
à la tête. aux mains. aux membres. 


TOTAUX 


A  —  ——— —_— — 
S a = = 
ss So = - 

ET ARE ed PAL: QE =; ä LA EE - 
2 2 2 £ D 2 = 5 = = 
& © = a E = E] a = =) 
a = & À = El FA = s 2 
Ex Fa Ex E = = 
Q eo) Q e] 
= — 
= = = À 


Tableau A. 
Tableau B. 
Tableau C. 


190 


0 


19201 0 0 || 682 2 | 0,99 | 331 0 0 
PA 


FT 


Au point de vue de leur nationalité, les 1,105 personnes 
traitées se répartissent de la façon suivante : 


ANEeLOETe ALERTE NE Aer PT MEN SE ES RER ere FSC FENO 
EÉSpasme Me pr M Een MOMENT SOL NE 2 
Grèce... ST AS NE fr ON ets TELE PTT 44 4 
HO LISA RE A ER LS er ER ANR TU ES RE 1 
RUSSIE, KM MR Ne ALAN SC PET SR AN RS PET AE 2 
SUISSE Let Me NRC AA AUS FAR EE TE NE d à il 


Soit 16 étrangers et 1,089 Français. 

Voici la répartition par départements des 1,089 Francais. 

Il ne faut pas oublier, dans la comparaison avec les tableaux 
antérieurs, que cinq Instituts antirabiques fonctionnent aujour- 
d’hui qui n’existaient pas autrefois. Lille, Marseille, Montpellier, 
Lyon et Bordeaux drainent les mordus des régions environ- 
nantes. 


VACCINATIONS EN 1902. 367 
AISNE E 2e NC Re ROM CORNE MARNE TT CSD: CONEMRLA DRE A AOETE 10 
ATOS RQ 17 Ille-et-Vilaine, ..... PAT QATAR PEER 15 
Aleeris Tree ANGOISSE CANONS EME ne 4  Puy-de-Dôme....., 45 
Alpes-Maritimes.... 4 Indre....... RU Lure 14 Pyrénées (Hautes-). 3 
ATABChe SERRE 1 Indre-et-Loire ..... 16 Saône-et-Loire. .... 3 
AVENANT an ASE AURA Nr . 42 Saône (Haute-)..... 8 
CRT AA NER AD: Landes nier AAASAMOIONR ETES. 3 
Calvados ess 25 Loire (Haute-).,.... 2 Savoie (Haule-) ..., 1 
CRETE ME ue 6 Loire-Inférieure..,. 23  Sévres (Deux-)..... 20 
Charente :..,...... Or AOirat rar ACER 4 Seine-et-Marne..... 5 
Charente-Inférieure 7 Loir-et-Cher ......, 4  Seine-Inférieure.... 10 
COIE LOL: AMEN GRLOTENE UE TE Er ro IN Er aSeme-et-Oise. 27. TA: 
Côtes-du-Nord ..... 36 Lot-et-Garonne... APE ELITE AN MEDAL 386 
Corrèze, .... Re DCR ALOZÈPES ES ME ER A A LS OI Tee D PAPE à 14 
Creuse..... PRE: 25 Maine-et-Loire. ,... EL MAUR AS D 4 OEM R AN 4 
Dordogne.,../:.:7. ter iManche: st re 18 Tarn-et-Garonne b) 
DORSALE PATRON EN A VER RES NA DEN Gr Vendee. AO A a 10 
A RO A CENTER SHeMaYER nero" 8" Vienne ::7..1.% AE 4 
Eure-et-Loir. ...... T  Meurthe-et-Moselle. 3 Vienne (Haute-). 19 
BNSIÈTES RER ISTÉAMEUSEZE PRES HAINOSE SEE ERA 4 
(TAB UN RER Me 19-MOorbihan see L'TAOYONITE SE EAN 1 
Garonne (Haute-)..… 4  Nièvre.:..:,....... 1 


PERSONNES PRISES DE RAGE EN COURS DE TRAITEMENT, 


Bavozs, Rosa, 2 ans, demeurant chez son père à Grazac (Tarn). 
Mordue le 33 juin, au front, plaie pénétrante oblique de 10 cen- 
timètres; paupière supérieure de l’œil gauche, une plaie péné- 
trante suppure, conjonctivite. Ces plaies n’ontpas été cautérisées. 

Mordue par un chien reconnu enragé un vétérinaire de la 
localité. 

La jeune Bayols a commencé le traitement le 24 juin, a été 
prise de rage le 7 juillet. Morte à l'hôpital Pasteur le 9 juillet. 


PERSONNES TRAITÉES, MORTES DE RAGE APRÈS LE TRAITEMENT, 


Me Dexecnau, née Leroyer, 63 ans, demeurant à Anzers. 
Mordue le 30 juillet, main gauche face dorsale 3 morsures 
profondes, main droite 4 autres morsures profondes, coude droit 
3 morsures pénétrantes, cuisse droite 4 morsures pénétrantes, 
En tout 14 morsures profondes qui ont saigné et qui ont été 
lavées seulement au phénol. 

Mordue par un chien reconnu suspect de rage par M. Dous- 
sart, vétérinaire à Angers. Un cobaye, inoculé avec le bulbe de 
ce chien le 31 juillet, a été pris de rage le 27 décembre. 

Mn Denéchau a été traitée à l’Institut Pasteur du 1° au 
20 août; les symptômes rabiques se sont manifestés chez elle 
le 30 octobre, morte le 2 novembre. 


\ 


368 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Sept autres personnes mordues gravement par le même chien 
et traitées à l’Institut Pasteur se portent bien. 

Pince, Jean-Baptiste, 51 ans, coiffeur, rue Muller, 24, à Paris. 
Mordu le 2 octobre. Index droit, 3 morsures pénétrantes ; pouce 
droit, 1 morsure pénétrante. Ces plaies qui ont saigné ont été 
lavées seulement à l’eau. 

Mordu par un chien qui a été reconnu enragé par un vétéri- 
naire. 

Pirce ne s’est présenté à l’Institut Pasteur que le 11 octo- 
bre. Traité du 11 au 28 octobre. Les premiers symptômes rabi- 
ques se sont manifestés le 8 février 1903. Mort à l'hôpital Pasteur 
le 9 février. : 

Pirce était alcoolique. 


RECTIFICATION A LA STATISTIQUE DE L'ANNÉE 1900. 


Bowex Thomas, 61 ans, charpentier, demeurant à Glan- 
Garnant, Galles du Sud, Angleterre. Mordu le 7 août, index et 
médius gauche, 5 plaies pénétrantes, par un chien reconnu 
enragé par M. Howell-Ress : les plaies ont été cautérisées au 
nitrate d'argent. 

Bowen a éte traité du 31 août au 17 septembre 1900. Mort de 
rage le 28 mai 1902. 

En tenant compte du cas de Bowen, il faut rectifier la statisti- 
que de 1900 de la façon suivante : 


Personnes railéeS Rene rame et 4,418 
MODS Re Re ee b) 
MOTIAIILE. PRESSE RCE PERTE 0,55 


et le tableau B, morsures aux mains, devient : 555 traités; 
morts 1. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


Le Gérant : G. Masson. 


{7me ANNÉE JUIN 1903. N° 6 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 


RECHERCHES 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE 


Par M. ve D: P.-G. CHARPENTIER 


INTRODUCTION 


Une cellule verte, n’est pas obligée, pour vivre et se multi- 
plier, de disloquer une molécule de matière organique plus ou 
moins complexe, comme le font les autres cellules vivantes; 
elle doit tout au contraire prendre son carbone au composé 
qui le renferme sous sa forme la plus dégradée, c’est-à-dire à 
l’anhydride carbonique. Il existe donc une différence des plus 
marquées entre la nutrition des plantes vertes et celle de 
toutes les autres, différence qui, du reste, apparaît plus 
profonde, à mesure que l’on connaît mieux le rôle du carbone 
dans les végétaux. 

Il est évident que, toutes choses égales d’ailleurs, la plante 
se développera plus ou moins vite suivant la nature de son 
aliment carboné, et cette vitesse de multiplication peut déjà 
servir à apprécier la valeur de cet aliment. C’est sur cette consi- 
dération que Raulin a fondé la méthode qu'il a suivie dans 
son travail sur l’Aspergillus niger‘: mais cette méthode, qui 


4. Rauzin, Etudes chimiques sur la végétation. Ann. des Se. nat., IST. 
24 


370 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


donne de très bons résultats quand il s’agit de Ja nutrition 
minérale, est tout à fait insuffisante dans l’étude de la nutrition 
carbonée, parce qu'elle ne tient aucun compte de la quantité 
d’aliment qu'il faut dépenser pour obtenir un poids donné du 
végétal, et le rapport du poids de plante produit au poids 
l'aliment consommé, ou le rendement, a, en l’espèce, une très 
grande importance. 

Cette notion du rendement n'étant pas encore suffisamment 
précise, je la remplacerai par une autre qui l’est beaucoup 
plus. Ce qu'il serait surtout intéressant de connaître, c'est la 
quantité de carbone qui est devenue partie intégrante des tissus, 
ou le carbone construit, eu égard à la quantité de carbone mise 
en œuvre pendant une certaine période de la vie de la plante. 
Si celle-ci avait la même composition élémentaire que son 
aliment, il est clair que le nombre mesurant le rendement 
représenterait en même temps le rapport de ces deux poids de 
carbone, et servirait par conséquent à apprécier le mode d’utili- 
sation de cet élément. Mais, en général, la composition de la 
plante et celle de son aliment sont fort différentes, si bien que 
la valeur du rendement ne permet pas de se faire une idée 
exacte de la manière dont le carbone est utilisé. On peut y 
parvenir facilement en déterminant le rapport, dont je viens de 
parler, du poids du carbone construit au poids total du carbone 
qui a pénétré dans la plante, rapport que j’appellerai coefficient 
l’utilisation du carbone. 

Le poids du carbone D qui est entré dans les cellules du 
végétal a servi à deux fins: une ‘partie Cest construite, l’autre 
a été dépensée, soit pour fournir à la plante l'énergie dont elle 
a eu besoin pour faire ses tissus, c’est E,., soit pour entretenir 
la vie des cellules déjà formées, c’est E.. En sorte qu’à chaque 
instant on peut écrire : 

D = C + Ep. + Er. 

La somme C + E, est ce que M. Duclaux: appelle la dépense 
de construction, E, étant la dépense d'entretien. E, + E, est le 
carbone excrété par la plante, que l’on peut désigner par E; 
l'égalité précédente peut donc s’écrire : 

D=C+E 
C E 
D'où : D D 
, 4. Ducraux, Trailé de microb. T, p. 197. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE, 371 


Le coefficient d'utihsation du carbone, toujours plus petit 
que l'unité, s'en écartera d'autant moins que E sera plus petit 
relativement à D, c’est-à-dire que la quantité de carbone 
excrétée sera plus faible relativement à celle mise en œuvre, 
ce qui était évident à priori. Il varie comme le rendement, en 
ayant une'signification plus précise. 

Ceci posé, il est aisé de comprendre à quel point la vie des 
plantes vertes diffère de celle de toutes les autres. 

Celles-ci prennent exclusivement leur carbone au substratum 
sur lequel elles reposent, et, si cet élément leur est offert sous la 
forme préférée, sous celle de sucre, le rendement ne dépasse 
guère 1/3 ; il faut trois parties de sucre pour faire une partie de 
plante (là au moins où des mesures exactes ont été faites, 
comme dans le cas de la levure et de quelques mucédinées!). 
Le coefficient d'utilisation du carbone est alors voisin de 0,40 ; 
environ 60 0/0 du carbone mis en œuvre ne font que traverser 
les tissus de la plante et subissent en grande partie une combus- 
tion complète, pour produire l'énergie nécessaire aux réactions 
chimiques dont le Protoplasma est le siège. La lumière joue 
d'ordinaire un rôle très effacé dans la vie de ces végétaux ; elle 
peut sans inconvénient faire défaut la plus grande partie du 
temps. J'ajoute qu'en général l’ammoniaque est une excellente 
source d'azote, sinon la meilleure. 

Il en va tout autrement pour les plantes vertes. Elles pren- 
nent normalement leur carbone dans l’atmosphère,etle coefficient 
d'utilisation du carbone a une valeur très élevée; je ne connais 
aucune expérience qui permette de le calculer exactement; une 
seule, faite par M. Th. Schlæsing ? pour établir le bilan du car- 
bone dans le développement de la Houque laineuse, donne à 
penser que ce coefficient doit être très voisin de l'unité, la presque 
totalité du carbone qui pénètre dans la plante est construite, 
ce qui se conçoit étant donnée la faible quantité d’anhydride 
carbonique qu’exhalent les plantes vertes. Celles-ci, ne pouvant 
se procurer d'énergie en brülant du carbone, s’en procurent 
autrement, elles en prennent à la lumière solaire, qui devient 


4. Ducraux, Traité de microb. T, p.196. 

2. Tu. SCHLOESING, Ann. Inst. Past.,t. VII, 1893, p. 28. 

3. Cette expérience ne permet pas une conclusion absolument rigoureuse, 
parce que la Houque a été cultivée en atmosphère confinée. Je ferai voir plus 
loin, p. 387, que la vie d’une plante verte à l'air libre ne peut être comparée à 
celle de la même plante maintenue à l'obscurité qu'avec beaucoup de réserves. 


372 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


de ce fait absolument nécessaire au fonctionnement régulier de 
leurs organes. 

Je viens de supposer, implicitement il est vrai, que les plantes 
pourvues de chlorophylle ne peuvent pas prendre de carbone 
directement aux matières organiques du sol, c’est-à-dire sans 
qu'il soit gazéifié au préalable. En est-il réellement ainsi? Il ne 
semble pas que la question ait été posée nettement avant Liebig', 
qui la résolut par la négative: Boussingault conclut dans le 
même sens, car, dit-il: « J’admets que la totalité du carbone, 
assimilé par les plantes, a le gaz carbonique pour origine, parce 
que je ne connais pas une observation assez nette et assez com- 
plète pour établir que les matières carbonées renfermées dans 
le sol, les acides bruns par exemple, leur fournissent directe- 
ment du carbone”. » Plus récemment M. Duclaux * a montré que 
ni les haricots, ni les pois ne pouvaient pendant la germination 
attaquer la caséine, le Jactose, le saccharose ou lamidon cuit. 
J. Laurent‘, au contraire, a conclu de cultures faites à la 
lumière, que le maïs peut prendre par ses racines du carbone 
au glucose et au sucre interverti, mais les expériences faites en 
présence de l’anhydride carbonique de l'air manquent de préci- 
sion, Enfin, suivant M. Mazé, le maïs peut à l'obscurité assi- 
miler de faibles quantités de glucose. En somme, dans l’état 
actuel de la science, on peut dire que si les plantes vertes pren- 
nent du carbone aux matières organiques du sol, elles ne le font 
que difficilement et pour de faibles quantités, à l’état normal 
bien entendu. 

On sait que les végétaux à chlorophylle consomment très 
aisément lazote nitrique, tandis qu'ils n'assimilent l'azote 
ammoniacal que sous certaines réserves ‘. 

Ainsi, tant au point de vue de la nature de l'aliment carboné 
et de son utilisalien, qu'à celui de la nature de l’aliment azoté 
et du rôle de la lumière, les plantes vertes diffèrent grandement 
de toutes les autres. Ce que j’ai rappelé suffit amplement à faire 
préjuger quelles dissemblances peuvent exister dans le détail 
des phénomènes vitaux. 

4. Lien, Chimie applig. à l'agricult. 
2, BoussiNGaucr, Chim. agric., t. IN. 
Ducraux, GR. 1885, CAp:466! 
. J. LAURENT, C, R., t. CXXNII, p. 786. 


* MAZÉ, CR. 1899, CXXVITI p/0485; 
6. Mazé, Ann, Inst. Past., t. XIV, 1900, p. 26. 


Cr à © 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 373 


J'ai jusqu'ici exposé les faits tels qu'on les envisage ordi- 
nairement ; celte manière de voir est-elle légitime ? la présence 
de la chlorophylle entraine--t-elle nécessairement dans la vie de 
la plante les changements que j'ai signalés? On connait déjà 
des microbes dépourvus de pigment, qui peuvent assimiler le 
carbone de l’atmosphère; existe-t-il en revanche des végétaux 
verts capables de consommer le carbone des matières organiques 
à la manière des mucédinées, sur la vie desquelles, par consé- ” 
quent, la lumière aurait peu d'influence? 

Il est évident d’ailleurs que, possédant de la chlorophylle, 
ils pourraient, convenablement éclairés, prendre aussi du car- 
bone à l’anhydride carbonique. 

En établissant l'existence de telles plantes, je me propose 
de montrer qu'une des barrières que l'esprit avait élevées, à 
bon droit semblait-il, entre deux groupes de végétaux n’a pas 
plus de raison d'être que bien d’autres, qui ont dû tour à tour 
ètre renversées. La physiologie se prête encore moins que la 
morphologie à la classification des êtres. 

On connait, il est vrai, des plantes vertes, qui, exposées à la 
lumière, sont loin de prendre tout leur carbone à l’atmosphère ; 
M. Bonnier ! a constaté que chez le gui, le thesium humifusum, 
et plusieurs genres de scrofularinées, l’assimilation chlorophyl- 
lienne est moins active qu'elle le devrait; encore très notable 
chez le gui et les melampyrums, elle est plus faible dans les 
rhinanthus et les pédicularis, pour devenir presque nulle dans 
les euphrasias; mais toutes ces plantes sont parasites et 
comme telles plus ou moins dégradées, car la fonction chloro- 
phyllienne subit chez elles le même sort que subit dans des cas 
analogues la chlorophylle elle-même, qui, par exemple, peu 
abondante dans certaines espèces derhinanthus, est absente dans 
l’orobanche. | 

Tous ces végétaux parasites ne répondent pas au but que je 
me suis proposé; en forçant un peu les choses on peut dire 
qu'une plante parasite n’est qu'un membre de son hôte et qu'il 
estimpossible de séparer leurs fonctions, encore moins de con- 
clure, des phénomènes qui s’y déroulent, ceux qui pourraientse 
passer dans une plante ordinaire. 


4. Boxxier, Comp. Rend. 1891, CXIIT, p. 1074. 


374 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ce sont des plantes normales, vivant d’une vie autonome, que 
j'ai voulu étudier. 

Dans la première partie de ce mémoire, je m’occuperai de 
la recherche et de la culture du végétal, dans la seconde de sa 
autrition carbonée, 

Je veux dire ici toute ma gratitude à mes maitres : 
M. Duclaux, qui a pris la peine de suivre pas à pas dès l’origine 
toutes mes expériences, les critiquer et m'encourager sans cesse 
de ses conseils ; M. Roux, à qui je dois toutes mes connaissances 
bactériologiques; M. G. Bonnier qui fut mon maître à la Faculté 
des Sciences et m’atoujours montré la plus grande bienveillance. 
M. Schlæsing fils a bien voulu m'initier à ses délicates méthodes 
d’études des gaz, je ne saurais l'en trop remercier; M Matru- 
chot en botanique, M. G. Bertrand en chimie m'ont bien souvent 
donné des avis fort utiles, je leur en reste bien reconnaissant. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE. 375 


PREMIÈRE PARTIE 
Généralités sur la plante. 


I 


RECHERCHE ET ISOLEMENT DE LA PLANTE 


La plante cherchée doit satisfaire aux deux desiderata sui- 
vants : 

1° IL faut pouvoir faire avec précision l’histoire de ses rela- 
tions avec son substratum et avec l’atmosphère, et pour cela 
éliminer, avec le plus grand soin, pendant la durée de l’expé- 
rience, tout phénomène latéral dont le résultat ne peut être 
exactement mesuré; l’ingérence des infiniment petits, en par- 
ticulier, doit être scrupuleusement évitée: la plante doit être 
cultivée à l'état pur, bactériologiquement parlant. 

2° Il faut que la plante contienne de la chlorophylle et néan- 
moins vive de préférence comme une mucédinée aux dépens de 
matières organiques. ; 

C’est parmi les végétaux verts les plus inférieurs, n'ayant 
pas de tissus bien différenciés, que j'avais le plus de chances de 
trouver un être chez lequel la chlorophylle ne jouerait pas un 
rôle capital ; aussi ai-je conduit mes recherches dans le groupe 
des algues qui forment une couche verte sur le terreau, l'écorce 
des arbres, m’adressant de préférence aux unicellulaires, qu’il 
est plus aisé de cultiver à l’état de pureté. 

J'ai isolé la plante comme on isole un microbe. 

La solution minérale suivante : 


Sulfate de magnésium. /......"...-..01.7"0 1 gramme. 

Phosphate bipotassique...................... 2 grammes 

Nitrate de calcium........ ASE 0 PEU QULE 2 — 

SACGRALOSC EAN EM reel eee geler 10 — 

LONGUE OR RAR RE A RAD TOME PTS ae 4.000 — 
solidifiée par la gélose, m'a servi de milieu nutritif, — il faut 


avoir soin de chauffer séparément la solution saline et une solu- 
tion de gélose pour éviter la saccharification de celle-ci et la 


376 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


perte de son pouvoir gélatinisant, que produit le chauffage à 
120° en présence du phosphate bipotassique. 

J'ai ensemencé en stries des fragments de terre, recouverts 
d’une couche très abondante d’algues vertes. Au bout de 
4 jours ont apparu de petites colonies vert émeraude, conte- 
nant à l’état pur les cellules d’une chlorophycée unicellulaire, 
que je pouvais désormais cultiver purement. 


IL 


MORPHOLOGIE DE LA PLANTE 


La plante est constituée par des cellules sphériques isolées 
les unes des autres; leur membrane est mince, le protoplasma 
granuleux, le pigment chlorophyllien n’est pas localisé dans des 
leucites de forme déterminée, il semble imprégner tout le pro- 
toplasma. 

J'ai observé quelquefois des cellules en train de bourgeonner, 
mais très exceptionnellement; en général, pour se multiplier, la 
plante procède autrement. Lorsque la cellule est suffisamment 
grosse, son protoplasma subit 3 bipartitions successives, se 
transformant ainsi en 8 sphérules ; la cellule prend alors l’as- 
pect d’une mère; puis la membrane se rompt, mettant en liberté 
les 8 petites sphères, qui vont peu à peu grossir et devenir 
elles-mêmes des cellules adultes, qui recommenceront le 
mème cycle de développement. Dans les préparations micros- 
copiques, les coques vides sont très visibles, à cause de leur 
différence de réfringence avec l’eau; elles sont des plus nettes si 
la préparation est colorée par les couleurs basiques d’aniline. 

Les cellules peuvent encore contenir, dans certaines eircons- 
lances, que je préciserai plus tard, de gros grains d’amidon. 

Cette plante, que M. Bornet a bien voulu examiner avec une 
complaisance dont jé ne saurais trop le remercier, est iden- 
tique au Cystococcus humicola de Nügeli; elle fait partie du 
groupe des Confervacées à thalle dissocié, qu’on a réunies sous 
le nom de Palmellacées. 

Beyerinck* et Kossowitch? ont déjà chacun à à leur tour cul- 


uvé cette algue à l’état de pureté. 


4° nes Bot, Zeit., 1890, 
2. Kossowircu, Bot. Zeit. 1894. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 377 


‘ 


III 
MILIEUX DE CULTURE 


Le Cystococcus pousse bien sur le milieu gélosé sur lequel 
je l’ai isolé; il forme une couche verte, très épaisse, d’aspect 
chagriné, qui à peu de tendance à s’étendre au delà de la strie 
d’ensemencement. 

Le bouillon de haricots glucosé et gélosé, tel que l’a employé 
M. Mazé !, est aussi un très bon milieu de culture pour la plante. 

Dans la plupart de mes expériences, j’ai dü, pour apprécier 
l'abondance de la culture, connaître exactement le poids de 
plante produit, et pour cela renoncer aux milieux solides, qui 
se prêtent mal à une semblable détermination, pour avoir 
recours aux milieux liquides. 

La solution indiquée page 375, convient mal pour ces cul- 
tures, elle est trop riche en calcium; celui-ci se précipite à l’état 
amorphe ou cristallisé sous l'influence de la très faible augmen- 
tation d’alcalinité que le développement de l’algue amène dans 
le milieu. Or, avant de peser la récolte, il faudrait éliminer ce 
phosphate qui est recueilli avec la plante : il est plus simple 
d'éviter sa formation en employant la solution suivante : 


SULATE TE MADITESIUMNE 4 ARE ve ee l gramme, 
PhoSphalebipotassique Eten RL 2 grammes, 
NiGratende po (assume RE RENE ME 2 — 
NRA eATeRCA IG TE USE MAIRE EC ERINNRSE Osr,05. 
Sulfate/Tecreux:. Rnb bre de PRE 6 ie traces 
Hate ep A srsreseseseresesrrerse 1000 grammes. 


à laquelle on ajoute du glucose. La réaction de ce dernier 
milieu est celle du phosphate bipotassique, c’est-à-dire neutre à 
la phtaléine et à l’orangé et légèrement alcaline à l’alizarine sul- 
foconjuguée ; aussi le chauffage à 120° a-t-il pour effet de pré- 
cipiter une partie des sels dissous, notamment le fer et le 
calcium; il en reste néanmoins suffisamment en solution pour 
satisfaire aux besoins de la plante, parce que la présence du 
sucre empêche une précipitation totale. 

Existe-t-il pour le Cystococcus un meilleur milieu de cul- 
ture que celui que je viens d'indiquer, ou celui-ci est-il pour 

4. Mazé, Annal. Inst. Past., 1897, no 1, 


373 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'alguece qu'est le milieu Raulin pour l’Aspergillus ? Il est impos- 
sible de savoir ce qu'il en est, bien que les cultures obtenues se 
développent très abondamment et rapidement ; tout ce que je puis 
dire, c’est que dans le milieu en question, la plante pousse assez 
bien pour permettre de réaliser les expériences que nécessite 
ce travail. ‘ 

Dans les milieux liquides, le Cystococeus vit sur le fond du 
vase, où il forme une couche plus ou moins dense, laissant le 
liquide surnageant absolument limpide. La récolte est d’autant 
plus abondante que l'air a un plus large accès auprès des cel- 
lules, et, par suite, que le liquide est réparti en couche plus mince 
dans les vases de culture. 

La plante se multiplie très bien à 28°, la lumière diffuse lui 
est favorable; les rayons directs du soleil, s’ils ne la tuent pas 
toujours, lui nuisent beaucoup. 


IV 


PESÉE DE LA RÉCOLTE 


Pour séparer la plante du liquide de culture, on ne peut 
guère employer la filtration sur papier; les pores du filtre 
s’obstruent très rapidement, l'opération devient interminable. Il 
est bien plus avantageux de mettre la culture dans un tube et de 
la soumettre à l’action de la force centrifuge. Quand la vitesse 
de rotation est suffisante, l'opération est achevée en quelques 
minutes, toute la plante est rassemblée au fond du tube, laissant 
le liquide tout à fait limpide et facile à décanter. 

La récolte, mise dans un verre de montre taré, est desséchée 
dans le vide sec pendant quelques heures et la dessiccation est 
achevée dans l’étuve à 105. | 

L'augmentation de poids du verre de montre donne le poids 
sec de l’algue avec toute la précision désirable. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE. 319 


DEUXIÈME PARTIE 
Assimilation du carbone. 


Pour mettre en lumière les caractères saillants de lassimila- 
tion du carbone par le Cystococcus, j’étudierai avec grand soin 
la vie de l'algue aux dépens du glucose, qui est extrêmement 
fréquent dans les tissus végétaux, et qui est d’ailleurs un excel- 
lent aliment pour toutes les plantes inférieures. Je m’occuperai 
ensuite de l'assimilation de quelques autres sucres, qui présen- 
tera des particularités intéressantes, et permettra de se faire une 
idée de la synthèse des hydrates de carbone dont la cellule est Le 
siège. 


I 


ASSIMILATION DU GLUCOSE 


Le développement rapide et abondant de la plante dans le 
milieu dont j'ai indiqué la composition page 377, fait bien pres- 
sentir qu’elle assimile le glucose, mais, comme l'accès de l’anhy- 
dride carbonique de l'air n'a pas été évité, la conclusion 
manque de rigueur, il faut recommencer l'expérience dans de 
nouvelles conditions. 

Dans une fiole plate, dite boîte à culture de M. Roux, je mets 
100 c. c. de la solution minérale indiquée page 377, additionnée 
de 1 0/0 de glucose (la couche liquide n’a pas plus de 3 à 4 milli- 
mètres d'épaisseur); après stérilisation, la fiole est ensemencée, 
puis fermée par un bouchon traversé par 2 tubes de verre; pendant 
toute la durée de la culture, qui se fait à 28°, à la lumière diffuse, 
un courant d'air complètement dépouillé d’anhydride carbonique 
passe sur la surface du liquide, entrant par l’un des tubes de 
verre et sortant par l’autre, Au bout de 11 jours la récolte est 
très abondante, son poids s’élève à 400 milligrammes, et 642 milli- 
grammes de sucre ont disparu du milieu. 

Ainsi, en même temps que ce dernier s'appauvrissait en 
sucre, la plante se multipliait très rapidement; elle a donc 
certainement consommé le glucose, dont le carbone doit se 
trouver partiellement dans les cellules". 


1. Ce résultat est en opposition avec celui énoncé par Kossowitch dans son 
mémoire sur la fixation de l'azote (Bot. Zeit. 1894); mais il confirme ceux 
obtenus 6 ans auparavant par Beverinck (Bot. Zeit., 1890). 


380 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Peut-être eût-il semblé plus naturel, au premier abord, pour 
s'assurer de l’assimilation effective du glucose, de supprimer la 
fonction chlorophyllienne en cultivant le Cystococcus à l’obseu- 
rité? Sije ne l'ai pas fait, c’est que j’ai tenu, pour établir un point 
aussi important, à mettre la plante dans les conditions de vie les 
plus normales. La lumière est aussi indispensable aux végétaux 
verts que la chaleur et l'humidité; en supprime-t-on l'accès, 
ceux-Cc1 même nourris de sucre, s’étiolent, leurs tissus se 
gorgent d’eau‘, ils perdent toute ressemblance avec des végé- 
taux normaux; la fonction chlorophyllienne est totalement suppri- 
mée, 1l est vrai, mais toutes les autres sont ralenties, la réduc- 
tion des nitrates, par exemple, est très entravée *. Une plante 
verte, maintenue à l’obscurité, est un être malade. 


Le Cystococeus obtenu dans l'expérience ei-dessus, à la 


lumière et aux dépens du glucose, est très vert; les cellules sont 
en majorité petites, leur membrane est mince; le liquide de 
culture contient beaucoup de coques vides de vieilles cellules, 

L'algue peut prendre son carbone au glucose, mais par quel 
mécanisme le fait-elle? 

Assimile-t-elle ce sucre sans l’aide de sa chlorophylle, c’est-à- 
dire en en brülant une partie pour organiser l'autre? le brûle- 
t-elle au contraire complètement pour ne prendre son carbone 
qu'à l’anhydride carbonique (la mise en marche se faisant, dans 
cette hypothèse, au moyen des matières de réserve contenues 


dans les cellules ensemencées)? ou bien la vie de la plante 


tient-elle à la fois des deux manières d’être que je viens d’indi- 
quer ? 
C’est à l'expérience à prononcer. 


Le Cystococcus peut se passer de l'aide de sa chlorophylle pour 
prendre du.carbone au glucose. 


Pour le prouver, j'ai fait 4 cultures identiques à celles de la 
page 379, mais 2 d’entre elles étaient exposées à la lumière 
diffuse et les deux autres maintenues à l'obscurité — les vases 
de culture étaient entourés de plusieurs enveloppes de papier 


noir opaque: — un courant d'air purgé d’anhydride carbonique: 


passaitconstamment sur lasurface du liquide des deux premières, 


4. Mazé, Comp. rend. 1899, e. XXNHI, p. 189. 
2. PaGNouL, Ann. agron., 1879, t. V. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 381 


précaution naturellement inutile pour les deux autres. Voici les 
résultats obtenus : 


TABLEAU I 
, 
Conditions Durée de la Poids sec de la 
d'éclairement cullure en jours récolte en mg. 
A la iumière 11 400 
A l'obscurité — 97 
A la lumière 18 578 
A l'obscurité 93 9275 


Ces chiffres montrent que le Gystococcus peut parfaitement 
se développer à l'obscurité aux dépens du sucre, c'est-à-dire 
dens des conditions où sa chlorophylle ne lui peut être d’aucun 
secours ; la multiplication est lente, il est vrai, puisqu'en 11 jours 
ilne s’est fait que 27 milligrammes de plante contre 400 produits 
à la lumière, mais le développement suit une marche régulière 
qu'attestent les 275 milligrammes de plante récoltés en 3 semaines 
à l'obscurité. Je ferai cependant remarquer que les cellules qui 
n'ont pas subi l'influence des rayons lumineux contiennent beau- 
coup de substances de réserve, qui, n'étant pas organisées, ne 
devraient pas compter dans le poids de la récolte; les chiffres 
obtenus pour les cultures faites à l'obscurité sont donc en 
réalité trop forts, mais ils indiquent le sens du phénomène, c’est 
tout ce que nous pouvons leur demander pour le moment; je 
reviendrai du reste plus loin sur cette question. 


Le Cystococcus peut, grâce à sa chlorophylle, prendre du carbone 
à l'anhydride carbonique. 

Ceci ressort de l'étude de la marche de 2 cultures faites en 
atmosphère confinée, l'une à la lumière, l'autre à l'obscurité. 

Expérience 1 (à la lumière). — Dans un ballon à fond plat, 
suffisamment résistant pour que l’on puisse y faire le vide, je 
mets 50 c. c. de liquide de culture. Après stérilisation à 120o, 
le ballon est ensemencé; il est ensuite fermé par un bouchon de 
caoutchouc traversé par l'extrémité inférieure d’un tube de verre 
dont l’autre extrémité est munie d’un bout de caoutchouc à vide 
fermé lui-même par un morceau de baguette de verre. Le bouchon 


382 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


en caoutchouc d’une part, le morceau de tube en caoutchouc de 
l’autresontchacunnoyéssousle mercure d’aprèsle procédéindiqué 
par M. Schlæsing ‘ pour éviter les fuites. Un tampon de coton 
mis dans le goulot du ballon, au-dessous du bouchon, empêche la 
pénétration “ie germes étrangers. Avant de mettre la culture 
en train il faut retirer avec la pompe à mercure un peu d'air du 
ballon, afin que la force élastique à l’intérieur soit inférieure à 
celle de l'atmosphère de 10 centimètres environ; cette diminu- 
uon de pression est indispensable pour que les joints noyés sous 
le mercure assurent efficacement l'étanchéité de l'appareil. Cette 
extraction d'air et toutes les opérations effectuées sur les gaz 
du ballon sont faites suivant le mode opératoire indiqué par 
M. Schlæsing. Le ballon est enfin mis dans une serre dont la 
température est autant que possible maintenue aux environs 
de 280. | 

Au bout de 25 jours le ballon est retiré de la serre, la récolte 
pèse 223 milligrammes, le liquide de culture ne contient plus 
trace de sucre. J’extrais complètement les gaz contenus dans le 
ballon, en le chauffant au bain-marie à 52°, et je les recueille 
dans lé volumètre Schlæsing afin d’en mesurer le volume. 

Voici les données numériques qui permettent de calculer ce 
volume : 


H, hauteur barométrique ramenée à 00...,....... 158,2 
h, différence des niveaux du mercure à 17°7 
dans les 2 branches du volumètre, 


_ramenée à 00 — 423,7 — 1,3 ..,.,..... 439mm,4 
Fo tension de la vapeur d’eau dans le gaz 
MESULE AMANDINE Re Seine SA 44, 79 
Ro EME NPA NE 431,» 2 
Ho — (ho + F,) pression ramenée à 0° ,.... A MA 321, 0 


Capacité du volumètre — 1949,5 c.c. 


D'où, en employant la formule connue, on tire le volume V 

du gaz supposé sec à 0° et sous 60 millimètres. 
V — 7i4, lc. c. 

Une analyse eudiométrique permet de connaître la compo- 
sition du mélange gazeux. 

En désignant par : 

H, la hauteur barométrique ramenée à 0°; 

h, la différence des niveaux du mercure dans les 2 branches 
de l’eudiomètre ; 

1. TH. SCHLOESING, Ann, Inst. Past., 1892. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 383 


6, la température du mercure dans les 2 branches de l’eudio- 
mètre: 

t, la température du gaz en expérience; 

F, la tension maxima de la vapeur d’eau à t°; 
le tableau suivant résume les données de l'expérience : 


TABLEAU IT 


h H—(k+F) 
ramenée à 00 ramenée à 00 


Gaz à analyser BLA £ 4,60 267,3 


après l’action 
de la potasse 


après l'addition 


d'hydrogène 


après le passage 


de J'étincelle 


Les proportions pour 100 d’anhydride carbonique et d'oxygène 
dans le mélange sont donc les suivantes : 


267,3 — 243,4 


Anhydride carbonique > 100 = 8,9 
267,3 
L 493, 1 — 346,3 
Oxygène = - —— 100 = 18,3 
Ets 3 712613 ( 


Je me suis en outre assuré, en ajoutant du gaz tonnant au 
gaz à analyser et en faisant passer l’étincelle, que le volume du 
gaz en expérience ne change pas; le mélange ne contient done 
pas de gaz combustible susceptible d’être brûlé par l'oxygène, 
et en particulier pas d'oxyde de carbone, le passage de l’étincelle 
ne déterminant pas la production d’anhydride carbonique. Le 
mélange gazeux est donc constitué exclusivement par de l’azote, 
de l'oxygène et de l’anhydride carbonique dans la proportion 
suivante : 


CO? 8,9 
O0 18,3 
Az 72,8 
100,0 


Les 774,1 e. c. de gaz extraits du ballon ont donc la composi- 
tion suivante : 


384 | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


CO? 68,9 c.c. 
0 141,7 
Az 563.5 
774.1 


Si l’on admet, ce que j’ai du reste démontré dans un précé- 
dent mémoire, que l'azote de l’atmosphère n’a pu être touché 
par la plante, et qu’il se retrouve à la fin de la culture tel qu'il 
était au début, le calcul montre que le ballon contenait, au 
moment où il a été mis dans la serre, 713,3 ce. c. de gaz supposé 
mesuré sec et sous 760 millimètres de pression. 

La plante en se développant a donc amené dans la composi- 
tion du ballon des changements que résume le tableau IT (dans 
lequel tous les nombres représentent des cent. cub.). 


TagLEau III. 


at HE Gains 
Co? 0 68, 9 
() 149, 8 1AL 7 
Az 563, 5 563, 5 
Potaus ET T4, 4 
Expérience 11 (à l'obscurité). __ Elle est conduite comme la 


précédente, mais le ballon de culture est complètement enve- 
loppé de papier noir opaque. Au bout de 33 jours j'ai obtenu une 
récolte de 124 mgs. Les gaz contenus dans le ballon en ont été 
extraits, j en ai mesuré le volume et déterminé la composition 
comme dans l’expérience précédente. Le tableau IV résume les 
changements que la culture a amenés dans l'atmosphère du 
ballon, (tous les nombres du tableau représentent des c. c.). 

Les résultats des 2 expériences sont intéressants à plus d’un 
titre. 

Tout d'abord il y a lieu d’ètre frappé d'un fait tout à fait 
imprévu que révèle l'expérience I. A l'inverse de ce que l’on 
pouvait croire, de ce qui se passe normalement chez les plantes 
vertes, le Cystococcus, vivant à la lumière, enrichit son atmos- 
phère en anhydride carbonique et non en oxygène; il est vrai 

4. P. G. CaanrexTiEen. Annales de l'Institut Pasteur, mai 1903. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE. 38 


TaBceau 1V. 


Début de Fin de =. 
la cullure . la culture Gaïns 
es | 
CO? (®) 14, 2 HAL 
(®) 166 116, 6 — 49,# 
Az 624, 8 624, 8 0 
Lofauxere 190, 8 815, 6 24, 8 


qu'il assimile alors le carbone du glucose et non celui de CO?, 
mais ceci prouve simplement qu'il se comporte en apparence 
comme une mucédinée. Je puis même ajouter qu’il ne consomme 
pas l’anhydride carbonique dès qu'il est produit, puisqu'il le 
laisse se dégager, et préfère par conséquent prendre son carbone 
au glucose plutôt qu'à ce gaz. 

La grande quantité d’anhydride carbonique dégagée dans 
l'expérience TL prouve lintensité de la respiration pendant la 
culture et correspond bien à la grande quantité de glucose con- 
sommée, soit 505 milligrammes ! (il ne faut cependant pas perdre 
de vue que dans une atmosphèreaussiriche en CO? le Cystococcus 
a pu fabriquer de l'alcool aux dépens du sucre; une partie du 
gaz carbonique recueilli pourrait donc devoir son origine à cette 
fermentation); or il est manifeste que les 8,1 c. c. d'oxygène 
qui ont disparu de l'atmosphère du ballon n’ont pu suffire à de 
semblables combustions respiratoires, ni à l'édification de 
223 mgs. de plante; il a fallu que l’oxygène soit consommé en 
beaucoup plus grande quantité; c'est du reste ce que prouve 
l'expérience If, dans laquelle ne se faisaient que 124 mgs. de 
plante tandis que 49,4 c. c. d'oxygène disparaissaient. Donc, dans 


4. On ne peut doser les sucres réducteurs dans les liquides de culture par 
simple décoloration de la liqueur de Fehling, parce qu’il est impossible de saisir 
le moment exact où tout le cuivre est précipité : aussi ai-je toujours ‘eu recours à 
la méthode de Lehmann, telle qu’elle a été modifiée par M. Maquenne. (Bull, de 
la Soc. Chim., 1898, XIX.) Je rappelle qu'elle consiste à faire bouillir avec une. 
quantité connue de liqueur de Febling une quantité de liqueurisucrée insuffisante 
pour réduire la totalité du réactif; le cuivre non précipité est dosé par l’iode qu'il 
peut mettre en liberté dans une solution d’iodure de potassium, cet iode libre 
étant lui-même dosé par l'hyposulfite de soude. 


25 


386 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


l'expérience I, la plante a certainement dégagé de l'oxygène ; 
ceci était d’ailleurs encore plus net dans une autre expérience 
tout à fait analogue, dans laquelle Le ballon renfermait à la fin de 
la culture plus d'oxygène qu'au début. 

L'algue a done, sans aucun doute, décomposé par sa fonction 
chlorophyllienne une partie de lanhydride carbonique produit 
par la respiration. 


Au point où nous en sommes arrivés, nous sommes à même 
de dire que le Cystococcus peut d’une part consommer le glu- 
cose sans l’aide de sa chlorophylle, et d’une autre prendre, grâce 
à elle, du carbone à l’anhydride carbonique. 

Le Cystococeus est donc bien la plante que je cherchais, elle 
est verte et cependant consomme le glucose comme une mucé- 
dinée ; elle peut, il est vrai, assimiler le carbone de CO*, mais cet 
aliment est loin de valoir le sucre pour elle. 

La manière dont elle sait utiliser le glucose montre avec une 
grande évidence qu’elle est intermédiaire entre les plantes 
dépourvues de chlorophylle et celles qui en possèdent, tout en 
étant plus rapprochée des premières. 

Des faits d’un autre ordre vont légitimer cette manière d’en- 
visager les choses. 


Rendement et coefficient d'utilisation du carbone. 


J'ai expliqué dans l'introduction ce qu'il fallait entendre par 
le rendement d’une culture et le coefficient d'utilisation du car- 
bone d’un aliment. Je crois cependant utile de revenir sur ces 
notions pour les considérer cette fois au point de vue de la plante 
qui nous occupe. 

Je suppose d’abord que celle-ci vive sur un substratum 
contenant du carbone, dans une atmosphère dépouillée d’anhy- 
dride carbonique avant la mise en marche de la culture — ces 
conditions sont presque exactement celles dans lesquelles je 
mettrai le Cystococcus. — J'ai montré que, pour toute plante, 
entre le carbone absorbé, le carbone construit et le carbone 
excrété, 1l y avait la relation : 


D=C+E 


Le carbone construit C, qu'il provienne directement du 
substratum, ou indirectement par décomposition de l’anhydride 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE. 387 


carbonique dû à la respiration, vient en fin de compte intégra- 
lement du carbone D. 

‘Quant au carbone excrété, sous quelle forme se trouve-t-il ? 
Existe-t-il dans le liquide de culture un ou plusieurs produits 
microbiens désormais inutiles à la plante? Ilest impossible de le 
savoir, l'examen même le plus minutieux du liquide ne le sau- 
rait révéler, les coques vides des vieilles cellules du Cystococcus 
pouvant en se macérant enrichir le liquide en carbone ; carbane 
qu'on ne devrait évidemment pas compter comme carbone 
excrété. 

Dans le doute, j'envisagerai le cas Le plus général, celui où 
le carbone excrété se trouve partie à l’état d’anhydride carbo- 
nique et par suite assimilable grâce à la chlorophylle, partie 
dans des produits organiques désormais inassimilables; en dési- 
gnant par A le premier et I le second, je puis écrire : 

‘ E—A+I 

L'égalité D—C_+LE devient alors : 

D—C+A+HTI. 

Ici les conditions de vie vont jouer un rôle très considérable, 
La plante est-elle cultivée dans un courant d’air entraînant à 
chaque instant l’anhydride carbonique produit? Le carbone A. est 
perdu pour la plante en presque totalité (est seule utilisée la 
petite fraction prise à l’anhydride carbonique avant sa sortie des 
cellules); dans ces conditions la vie du végétal se rapproche 
beaucoup de celle d’une plante sans chlorophylle. 

Si au contraire la plante se développe dans une atmosphère 
- confinée, rien n'empêche que tout le carbone A vienne petit à 
petit à faire partie intégrante de la cellule. Dans les mêmes con- 
ditions, mais en supposant la plante maintenue à l'obscurité, 
tout le carbone À + I serait évidemment inassimilable. 

. Les conditions de culture, jouant un très grand rôle dans 
l’utilisation de la matière alimentaire, influeront beaucoup sur 
la valeur du rendement et sur celle du coefficient d'utilisation du 
carbone. Celles-ci, toujours inférieures à l’unité, seront d'autant 
plus grandes que l’aération de la culture sera moins complète. 

Si donc la plante vit à l’air libre et à la lumière, le poids de 
plante produit aux dépens d’un poids donné de carbone sera 
déterminé uniquement par les conditions d’aération, le rende- 
ment et le coefficient d'utilisation du carbone ayant dans ce cas 


388 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


une valeur bien déterminée; s’il s’agit au contraire d’une culture 
en atmosphère confinée, au bout d'un temps suffisamment long 
presque tout le carbone de l'aliment fera partie des tissus de. la 
plante, le rendement et à plus forte raison le coefficient d utili- 
sation du carbone n’auront plus alors aucun sens, 

On conçoitdu reste qu'entre ces deux extrêmes tous les inter- 
médiaires puissent trouver place : je montrerai d’ailleurs que si 
une vie purement aérobie est impossible à procurer à une plante 
même verte, vivant sous une couche liquide en brülant de la 
matière organique, par contre une telle plante maintenue dans 
une atmosphère confinée peut, dans la première partie de son 
existence, être considérée comme ayant à sa disposition tout 
l'oxygèae qui lui est nécessaire. 

Le rendementd’une culture, le coefficient d'utilisation du car- 
bone d’une substanc?, n’ont, nous venons de le voir, aucune 
signification par eux-inêmes, quand il s’agit d’une plante verte; 
ils n’en prennent une que quand les conditions dans lesquelles on 
les détermine sont bien précisées; mais, même alors, ce n’est pas 
la valeur absolue des nombres qu'il faut considérer, parce qu’elle 
n’a aucun sens, mais leur valeur relative. C’est la comparaison 
des chiffres obtenus dans 2 cultures dont toutes les conditions 
sont identiques sauf une, qui peut nous apprendre quelque chose 
de nouveau. 

Pour calculer le rendement d’une culture faite sur glucose, 
je me suis placé dans les conditions suivantes : j'ai mis 100 c. c. 
de liquide nutritif dans une boîte de M. Roux; je l’ai ensemencé 
puis mis à l’étuve à la lumière diffuse et à une température 
de 28°. Dans ces conditions d’aération (déterminées par l’épais- 
seur de la couche liquide dans le vase de culture), de lumière 
et de température, j’ai au bout de 13 jours recueilli 490 milli- 
grammes de plante, tandis que 914 milligrammes de sucre 
avaient disparu. Le rendement a donc été : 

ag 
914 

Ce nombre dépasse 1/2; or, dans les cultures de levure ou 
d'aspergillus faites dans les conditions les plus favorables, le 
rendement est toujours voisin de 1/3, il est donc notablement 
plus considérable dans le cas du Cystococcus — dans certaines 
cultures 1l s’est même élevé jusqu’à 2/3. 


0,54. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 389 


Quant au coefficient d'utilisation du carbone, il est facile de le 
calculer sachant que le glucose contient 40 0/0 de son poids de 
carbone et la plante 49 0/0, ainsi que je l’ai reconnu par l’analyse 
élémentaire; ce coefficient Q a la valeur suivante : 

Q— 0,65. 


Ce nombre est notablement inférieur à l’unité; il ne faut pas 
s’en étonner, cela tient à ce que le glucose favorise beaucoup 
la multiplication du végétal. En effet, si, en consommant un 
aliment donné, le Cystococcus ne se développe pas rapidement, 
toutes les fonctions de la vie, la respiration entre autres, sont 
peu actives, l’anhydride carbonique n’étant produit que lente- 
ment peut être presque intégralement repris par la fonction 
chlorophyllienne au fur et à mesure de sa production; dans ce 
cas, tout le carbone de l’aliment se retrouve, ou à très peu près, 
dans les tissus de la plante, et le coefficient d'utilisation du car 
bone ne diffère que fort peu de l’unité. La conclusion inverse 
s'impose, si l’aliment convient bien à la vie des cellules; c’est 
ce qui se passe pour le glucose. 

Le nombre 0,65, trouvé pour le Cystococcus, est très notable- 
ment plus élevé que celuide 0,40, que j'ai indiquépage371,comme 
caractérisant les cultures des plantes sans chlorophylle, mais il 
est moindre que ceux, très voisins de l’unité, que l’on observe 
dans le développement des plantes supérieures. 

Nous sommes donc amené, à conclure encore que le Cysto- 
coccus est une plante verte qui tient le milieu entre les végétaux 
pourvus de chlorophylle et ceux qui n’en ont pas. 

J'ai montré que l’algue pouvait prendre son carbone au glu- 
cose directement en le brûlant comme une mucédinée, et indi- 
rectement en décomposant l’anhydride carbonique produitpar la 
respiration ; elle a en somme deux sources de carbone, là où une 
mucédinée n’en a qu'une. Il est donc tout naturel de voir dans 
la présence de la chlorophylle une des raisons pour lesquelles le 
rendement, le coefficient d'utilisation du carbone atteignent des 
valeurs si élevées; nous en trouverons une autre en étudiant le 
rôle de la lumière dans la vie de la plante. 


Amylogénèse, 


Les cellules développées à l’air bbre et à la lumière, traitées 


390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


par l’iode, ne présentent aucun corpuscule coloré en bleu foncé, 
elles ne contiennent donc pas d’amidon!, elles prennent cepen- 
dant une très légère teinte bleue uniforme qui parfois tire sur 
le violet. En faut-il conclure que la cellule, sans contenir d’ami- 
don concrété en grains, renferme cependant des dérivés de 
l’amidon, amidon soluble, dextrine, etc...? Je ne l’oserais pas, si 
d'autres expériences ne devaient m'en donner plus loin des 
preuves plus positives que ces légères colorations. 

Ce qu'il est permis d'affirmer, c’est que, vivant en milieu 
liquide à la lumière, aux dépens du glucose, la plante ne fabrique 
pas de grains d’amidon; ses cellules sont cependant capables 
d'en faire, tout dépend des circonstances dans lesquelles elles 
se trouvent comme nous le verrons. 


Influence de l'orygène de l'air. 


J'ai déjà dit (p.378) que, pour obtenir une récolte abondante, 
le liquide nutritif devait être en couche mince dans les vases de 
culture. Il peut au premier abord paraître surprenant que la 
question d'aération puisse jouer un rôle dans la culture d’une 
plante verte, que l’on serait en droit de supposer dégageant de 
l'oxygène à la lumière comme toutes les autres plantes chloro- 
phylliennes. Mais j'ai fait voir que le Cystococcus ne se com- 
portait pas comme une plante verte ordinaire, et,en précisant les 
rapports de l’algue avec l'atmosphère ambiante, j’apporte rai de 
nouvelles preuves à l’appui de ce que j'ai avancé. 


Pour cela le mieux est d'étudier la marche d’une eulture en 


atmosphère confinée. 

À quelque moment que j'aie arrêté une telle culture, je n’ai 
Jamais trouvé dans le mélange gazeux extrait du ballon plus de 
9 0/0 d’anhydride carbonique ; cela tient à ce que la plante ne 


pousse pas à la surface du liquide et que l’anhydride carbonique . 


est beaucoup plus soluble dans l’eau que l'oxygène. 
Dans l'expérience citée p. 381, la composition de l’atmo - 
sphère du ballon était à la fin de la culture la suivante : 


1. Pour rechercher l'amidon dans les cellules, voici la méthode que j'ai suivie : 
la préparation fixée sur lame est traitée par une solution aqueuse de chloral 
{hydrate de chloral 5, eau 2) (Detmer), qui dissout la chlorophylle : le chloral est 


ensuite enlevé par l’alcool absolu, puis celui-ci par l’eau; la préparation est alors 
traitée par la solution iodo-iodurée de Gram, puis lavée à l’eau; s’il y a surcolo- 


ration jaune des tissus, un lavage à l’alcool, suivi d’un lavage à l'eau, la fait 


disparaitre. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 394 


Co? 8,9 
(BRENT 
A7 T.S 
100.0 


Connaissant les coefficients de solubilité des 3 gaz dans l’eau, 
il est aisé d’en déduire en quelle proportion chacun d’eux est 
dissous dans le liquide de culture ; le calcul donne les nombres 
qui suivent : 


CO2 86,35 
(0) 5,85 
Az 7,8 

100,00 


Or, au début de la culture, les quantités des gaz dissous étaient 
fort différentes : 


co? 2 
O 32,5 
Az 63.5 
100,0 


Le liquide contenait alors beaucoup d’oxygène et peu d’anhy- 
dride carbonique; la plante en vivant et se multipliant l’enri- 
chit en gaz carbonique en même temps qu’elle l’appauvrit en 
oxygène. 

La plante se tient sur le fond du vase, c’est-à-dire au-dessous 
de la couche liquide, elle ne peut donc prendre d'oxygène qu'aux 
gaz dissous (l'oxygène des sels ne pouvant évidemment jouer 
qu'un rôle fort effacé), elle n’en a done que fort peu à sa dispo- 
sition à la fin de la culture. L’atmosphère du ballon ne contient 
jamais plus de 90/0 d’anhydride carbonique, parce que dans ces 
conditions l’algue ne trouve plus assez d'oxygène pour brûler le 
glucose, et doit régler la consommation du sucre sur la quantité 
de gaz qu’elle dégage par sa fonction chlorophyllienne. 

Il est donc légitime de supposer que le mode de nutrition du 
Cystococcus en atmosphère confinée subit avec le temps des 
changements profonds. 

Au début, l'oxygène étant abondant, l’algue consomme très 
activement le glucose ; sa fonction chlorophyllienne ne lui per- 
met alors de décomposer qu'une très minime fraction de l’anhy- 
dride carbonique produit, le reste se dégage et s’accumule peu 
à peu dans l’atmosphère. Le moment vient bientôt où, cette 
atmosphère renfermant 8 à 90/0 de gaz carbonique, la plante 
manque d'oxygène : elle en met alors en liberté d’une manière 


392 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


active et l’emploie à brüler Je glucose restant; pendant toute 
eette période, le taux d’anhydride carbonique se maintient à peu 
près constant dans Île ballon. Eafin le liquide ne contient plus 
de glucose, le Cystococcus n'a qu’une ressource, c’est de décom- 
poser lereste de l’anhydride carbonique qu’ila dégagé. J'ai cons- 
taté que les choses se passaient effectivement ainsi; à la fin 
d’une expérience qui a duré 7 semaines, l’atmosphère du ballon 
ne renfermait plus que 0,6 0/0 de gaz carbonique. 

L'algue se comporte donc comme une mucédinée, ou bien 
peu s’en faut, au commencement de la culture, et comme une 
plante verte à la fin ; elle passe insensiblement d’un de ces deux 
modes de vie à l'autre. L'étude de son développement en atmo- 
sphère confinée fait donc ressortir de la façon la plus nette ses 
caractères d’être de transition. 

Il est possible de concevoir maintenant quelle avidité doit 
avoir pour l'oxygène la plante nourrie de sucre ; nile glucose, 
ni les sels minéraux, ni l’eau, ne lui en peuvent fournir une 
quantité suffisante, l'atmosphère seule le peut, une expérience va 
le prouver. 

Je fais 2 cultures simultanées, chacune dans 100 c. ec. de 
liquide, l’une dans un vase à fond plat très large, où le liquide 
est en très faible épaisseur, l’autre dans un petit ballon complè- 
tement rempli: le vase à fond plat est constamment traversé par 
un lent courant d'air, dépouillé par la potasse de toute trace 
d'anhydride carbonique. Au bout de 11 jours, j'ai recueilli 
400 milligrammes de plante dans la première culture et seule- 
ment 55 dans Ja seconde. L'influence de l’aération est indénia- 
ble. 

Dans le ballon complètement rempli la culture se continue 
très lente, jusqu'à complet épuisement du sucre ; l’anhydride car- 
bonique, produit en très petite quantité à la fois, est en grande 
partie repris par la fonction chlorophyllienne, aussi le rende- 
ment est-il très bon: il peut atteindre au début 75 0/0 du poids 
du sucre disparu ; il devient par la suite de moins en moins élevé, 
parce que, comme nous le verrons plus loin, le glucose disparaît 
sous forme d'alcool et d’anhydride carbonique, tandis que le poids 
de la plante reste stationnaire. 

De tous les faits que je viens d’établir, il résulte : 

1° Que, pour obtenir une récolte abondante, il faut mettre le 


” 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE, 393 


liquide en couche mince dans le vase de culture, ainsi que je lai 
avancé p. 378. 

2° Que la plante préfère le glucose à l’anhydride carbonique 
comme source de glucose, ce qui n’est qu'une nouvelle conlir- 
mation d'une chose déjà établie, page 385. 


Influence de l'éclairement. 


1° Production de chlorophylle à l'obscurité. — Si, à beaucoup 
de points de vue, les cellules maintenues à l'obscurité diffèrent 
de celies qui ont été exposées à la lumière, elles leur ressemblent 
par leur couleur. Le Cystococcus, en effet, n’a pas besoin, 
comme les végétaux supérieurs, de radiations lumineuses pour 
faire de la chlorophylle. 

Ce fait très intéressant n’est pas neuf dans la science. Je 
rappelle d’abord, pour mémoire, que les pousses étiolées de 
conifères, de fougères, de gui, peuvent verdir dans l'obscurité 
absolue. Mais ce qui est l'exception chez les végétaux supé- 
rieurs semble être la règle chez les algues très inférieures, 

Bouilhac ‘ a montré le premier que le nostoc punctiforme, 
cultivé à: 30° dans des liquides glucosés, était capable de faire 
de la chlorophylle, quand on le maintenait à l'obscurité. 

Artari? a pu observer la même chose sur les gonidies de 
lichens (chroococcum, xanthorica). 

Radais * a cultivé à l’état de pureté la chlorella vulgaris sur 
de la pomme de terre et de l'extrait de malt gélosé, et a reconnu 
que les cultures se font aussi bien et sont aussi vertes à l’obscu- 
rité qu’à la lumière; le pigment vert est bien de la chloro- 
phylle, le spectre de sa solution alcoolique en possède les 
bandes d'absorption. 

Enfia Matruchot et Molliard‘ ont obtenu des cultures pures 
de stichococcus bacillaris, et constaté que la plante pousse verte à 
l’obscurité. 

J'ai pu observer la même chose sur le Cystococcus, mais la 
teinte verte de l’algue, développée à l'obscurité, est un peu 


1. Bouizxac, Thèse de Paris, 1898. 
Eraro et Bouicuac, Comp. rend., 1898. 

. Arxari, Bull. de la Soc. Imp. des Natur. de Moscou, 1899, n° 1, p. 3, 
Ravais, Comp. rend., 1900, CXXV, p. 795. 

. Marrucaor et Mozcrano, /ev.gén. de bot., XIV, 1902, p. 193. 


> C2 ho 


394 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


jaune et n’a pas l'intensité de coloration de la plante qui a vu la 
lumière. Il se peut que la présence de grandes quantités d’ami- 
don dans les cellules, qui n’ont pas été éclairées, fasse pa- 
raître leur couleur plus pàle; dans un cas comme dans l’autre 
le pigment est bien de la chlorophylle, je m’en suis assuré par 
l’analyse spectrale. 

Il est clair qu’à l’obscurité la chlorophylle n’est d'aucune 
utilité à la plante pour l’assimilation du carbone, elle semble 
n'être qu'un pigment dont lutilité.nous échappe, comme ceux 
qui existent dans beaucoup de microbes. La production de 
chlorophylle à l'obscurité conduit à éloigner le Cystococcus des 
plantes vertes supérieures, pour le rapprocher des mucédinées 
et autres végétaux sans chlorophylle. 

2° Abondance des récoltes. — Le Cystococcus se développe 
beaucoup plus lentement à l’obscurité qu’à la lumière: 2 cul- 
tures, faites dans des conditions identiques, mais dont l’une 
était éclairée et l’autre non, ont donné des récoltes dont les 
poids étaient entre eux comme 400 et 27. L'absence de lumière, 
qui retarde la multiplication des cellules, ne lempèche cependant 
_pas complètement, car en 33 jours, j'ai pu recueillir à l’obscu- 
rité 275 milligrammes de plante. 

3° Aspect des cellules et amylogénèse. — Les cellules, qui sont 
nées et ont grandi sans voir la lumière, n’ont pas le même 
aspect que les autres; elles sont beaucoup plus grosses et leur 
membrane est très épaisse, ce qui leur donne le facies de cel- 
lules en vie ralentie. 

De plus, et c’est là le point le plus intéressant, elles sont 
bourrées de gros grains d’amidon parfaitement visibles à un 
simple examen microscopique sans aucune coloration, et qui 
après l’action de l’iode se montrent colorés en noir. 

Le Cystococcus peut donc aux dépens du glucose fabriquer 
de l’amidon à l’abri des radiations lumineuses, j’ai montré qu’il 
ne le faisait pas quand il est éclairé. Au premier abord il 
semble done se différencier nettement des plantes supérieures, 
qui peuvent faire la synthèse de l’amidon soit à la lumière, en 
prenant du carbone à l’anhydride carbonique, soit à l’obseurité 
en consommant des hydrates de carbone variés”. | 


1. SACHS, SCHIMPER, BOKORNY. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 395 


Cette différence n’est cependant qu'apparente et ne tient 
aucunement à la nature des végétaux. 

Ce n'est pas la lumière qui empêche les cellules du Cysto- 
coccus de fabriquer des grains d’amidon, car si, dans une cul- 
ture sur gélose, on examine les cellules qui font partie de la 
couche la plus superficielle d’une épaisse strie d’ensemencement, 
on est tout surpris d'en trouver un grand nombre renfermant 
de l’amidon. Il est probable que ces cellules, qui sont les plus 
éloignées du substratum nutritif, ne reçoivent que peu de ma- 
tières alimentaires; si elles peuvent trouver du carbone dans 
l'atmosphère, elles ne sauraient y rencontrer les cendres et 
surtout l'azote, qui leur sont nécessaires ; certains éléments fai- 
sant défaut, la multiplication est retardée et le carbone, qui 
seul continue à affluer dans la plante, est alors mis en réserve. 

D'un autre côté on ne peut supposer que l’'amidon s’'aceu- 
mule dans les cellules maintenues à l'obscurité, parce que la 
plante est incapable de Putiliser sans l’aide de la lumière. Le 
12 juin, en effet, je mets en train une culture dans une étuve 
obscure; le 9 août, la récolte pèse 430 milligrammes; les cel- 
lules ont une membrane épaisse et ne contiennent que peu 
d’amidon; comme au bout de quelques jours seulement les 
cellules en sont bourrées, il faut que l’amidon disparaisse avec 
le temps, c’est-à-dire qu’il soit consommé. 

Jin somme, le Cystococcus s’est comporté comme la 
levure, dont le premier soin dès qu’elle est dans une solution 
sucrée, est de se faire dans son protoplasma une réserve de 
glycogène, qu’elle consommera en cas de disette. 

Concluons que l'apparition de l’amidon dans les cellules de 
l’algue n’est pas liée à la présence ou à l'absence des radiations 
lumineuses, mais qu’elle est le fait des autres conditions de 
culture. 

On sait que des feuilles vertes, dont les pétioles plongent 
dans des liquides contenant en solution certains hydrates de 
carbone, font à l’obscurité de l’amidon dans leurs cellules, et 
- d’aucuns, comme Sachs, veulent en inférer que tout le carbone 
pris à l'atmosphère dans le libre exercice de la fonction chloro- 
phyllienne doit passer par l’état d’amidon, avant d’être défini- 
_tivement assimilé. Il est manifeste que tel n’est pas le cas du 
Cystococcus, l’amidon n’est qu’une forme de réserve du car- 


396 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


bone, la plante peut se multiplier sans qu'il s’en produise dans 
les cellules. 

49 Rendement. — J'ai fait des cultures comparatives à la 
umière et à l’obscurité dans des boîtes de M. Roux. Comme, 
d’après ce que nous avons vu jusqu'ici, l’anhydride carbonique 
de l’atmosphère ne joue, vu sa quantité, qu’un rôle absolu- 
ment négligeable vis-à-vis de celui qui est produit par la respi- 
ration, je n'ai pas dépouillé d’anhydride carbonique l'air qui 
arrivait sur les cultures : les vases étaient simplement fermés 
par un tampon de coton. 

J'ai déjà dit que les cellules développées à l'obscurité sont 
très riches en grains d'amidon, or cet amidon n’est pas de la 
matière vivante, il n'est qu'une substance de réserve, ne diffé- 
rant du glucose ambiant que par sa plus grande condensation. 
Pour obtenir le rendement réel dans ces cultures, il faudra 
retrancher du poids de la récolte Le poids de cet amidon ; on 
connaîtra facilement celui-ci en déterminant la teneur pour 100 
en substances saccharifiables de la plante venue à la lumière et 
de celle venue à l'obscurité, en retranchant le premier nombre 
du second et en calculant la différence en amidon. Ces sacchari- 
fications ont été effectuées en chauffant la plante dans une solu- 
tion aqueuse d'acide sulfurique à 2 0/0 pendant un quart 
d'heure à 12091. 

Les résultats d’une expérience sont consignés dans le 
tableau V. 


Tagzeau V 


Numéros ” Durée Poids |Glucose|Substan- RENDEMENT 
des ex-| (Conditions de la consom-| ces sac-| Amidon _S 
périen-| d'éclairement. M Irécoltel mé enl charifia- 

en mgr. mgr. bles 0/0. apparent. réel. 


13.2 0,50 0,43 


490 | 914 TR 0,53 | 0,53 


Je ferai d’abord observer que les cellules développées à la 
lumière contiennent 44,3 0/0 de leur poids de matières réduc- 
trices. Ce nombre est très grand comparé à celui que donne la 
levure, qui, gorgée de glycogène, n’en renferme que 32,5 0/0 

41. Mazé, Ann. Inst. Past., 1902, p. 369. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE, 397 


d’après Laurent!, Les chiffres élevés trouvés pour le Cysto- 
coccus tiennent probablement à la présence dans les cellules 
d'hydrates de carbone, qui ne sont pas arrivés à l’état d’amidon, 
mais que l'acide sulfurique saccharifie. Il est aussi fort possible 
que sous l’action de l’acide, la cellulose se saccharifie partielle- 
ment, car on sait qu’ «en traitant la levure par un acide pour 
transformer le glycogène en sucre, on risque de saccharifier 
aussi les portions les plus labiles de sa paroi cellulosique, 
qui semble, du reste, procéder du glycogène par des transi- 
tons insensibles*?. » 

Quoi qu'il.en soit de l’origine des matières saccharifiables 
dans les récoltes du Cystococcus, elles existent, et j'ai dû me 
demander si, dans tous les calculs de rendement que j'ai faits, 
je n'aurais pas dû en tenir compte. Je ne le pense pas; voulant 
comparer mes résultats avec ceux obtenus par d’autres pour la 
levure et l’aspergillus, j'ai dû me mettre dans les mêmes condi- 
tions qu'eux ; or, pour calculer le rendement dans des cultures 
de levure ou d’aspergillus, on n’a jamais déduit du poids de la 
récolte le poids des matières saccharifiables, qui, au moins 
pour la levure, est considérable, d’après les expériences de 
Laurent, Je n'avais aucune raison d’agir autrement. 

Ceci dit, le tableau V permet de constater que le rendement 
réel est toujours moins élevé à l'obscurité qu’à la lumière, c’est 
donc à la lumière et selon toute probabilité à la fonction chloro- 
phyllienne qu'est due la meilleure utilisation de la matière 
alimentaire, et par suite la valeur élevée du rendement dans les 
cultures faites sur glucose. Mais dans cette question la chloro- 
phylle ne doit pas être seule mise en cause ; dans la culture 1, 
faite à l’obsecurité, le rendement réel est égal à 0,43 ; il est sensi- 
blement plus grand que celui, 0,33, obtenu dans des cultures de 
levure ou d’aspergillus effectuées dans des conditions analogues ; 
il semble donc que le protoplasma de l’algue soit organisé pour 
user avec économie des aliments : il dépenserait moins que celui 
d’une cellule de levure, par exemple, pour construire autant. 

En résumé, il faut conclure que, si d’une manière générale 
on a raison d'attribuer à la lumière un rôle capital dans la vie 
des plantes vertes, on a certainement tort de s’imaginer que 


4. LAURENT, Ann. Inst. Past., 1889, t. IIT, p. 115. 
2. Duczaux, Traité de microb., t. LIT, p. 223. 


398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


toutes les cellules chlorophylliennes en ont également besoin, 
À ce point de vue, l'étude que nous venons de faire du Cysto- 
coceus est particulièrement instructive; il n'est aucune des 
fonctions que nous avons examinées, même la production de 
chlorophylle, qui ne se puisse exercer en l’absence des rayons 
lumineux ; la plante peut dans ces conditions effectuer le eycle 
complet de son développement. 

lei encore l’algue se différencie nettement des plantes vertes 
plus élevées en organisation. 


Production d'alcool. 


J'ai dit qu'il était impossible de connaitre exactement la 
quantité de carbone excrétée dans une culture ; il est mème fort 
difficile, vu leur très faible quantité, de déterminer seulement 
la nature des produits d'excrétion ; mais il en est parmi eux un 
qui mérite de nous arrêter tout spécialement, c’est l’alcool. . 

Depuis quelque temps on envisage d’une manière toute nou- 
velle son rôle dans la vie des êtres. La découverte de son 
existence dans des cellules vertes a puissamment contribué à 
cette évolution des idées. Comme les faits qui servent de base 
aux nouvelles hypothèses sont encore peu nombreux, ceux que 
j'ai pu observer pendant le développement du Cystococcus 
auront leur intérêt. 

Avant de les exposer, je rappellerai très brièvement les 
expériences qui ont établi que l’alcool pouvait se rencontrer dans 
les tissus des plantes vertes, mes propres expériences ne fai- 
sant que confirmer les résultats déjà obtenus. 

1° Historique. — Après les grands travaux de Pasteur on 
n'imaginait pas que l'alcool pût être autre chose que le produit … 
d’un état pathologique des cellules; on croyait que toutes les ; 
fois qu’une cellule normalement aérobie se trouve pour une 
raison quelconque en anaérobiose, ne pouvant prendre d’oxy- 
gène à l'atmosphère, elle en prend au sucre en excrétant de 
l'alcool. C’est à cette conclusion que parvinrent Lechartier et 
Bellamy:, Traube?, Brefeld*, Müntz' et nombre d’autres 
savants. Cette hypothèse, faisant de l'apparition de l'alcool le 


1. Lecnanrrer et Bezzany, C. À. LXIX, 1869; LXXX, 1892; et LXXIX, 1874. 
2. Trause. Ber. der. chem. Ges. A8T4. 

3. BRerELD, Landiv. Jahrd. 1876. 

4. Munrz, Ann. de chim. et de phys. ASTG. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE. 399 


corollaire de l’asphyxie des cellules, cadrait parfaitement avec 
les faits observés chez les plantes dépourvues de chlorophylle ; 
mais, s’ileût été prouvé que des cellules vertes, maintenues à la 
lumière et par conséquent dégageant de l'oxygène, pouvaient, 
elles aussi, produire de l’alcool, il eût fallu chercher une autre 
explication du phénomène ou tout au moins . modilier. 

Or il en est réellement ainsi. 

En 1882 M. Müntz: découvrit de l'alcool dans les tissus de 
plantes vertes ayant vécu à la lumière dans une atmosphère 
d'azote. Plus récemment M. Devaux * en a trouvé dans des tiges 
et des branches de plantes ligneuses ayant vécu dans des condi- 
tions normales. Mais dans un cas comme dans l’autre on pou- 
vait se demander si la production d’alcool n'était pas la consé- 
quence d’un commencement d’asphyxie des cellules dépourvues 
de chlorophylle. 

M. Berthelot * fit faire un pas définitif à la question en éta- 
blissant l'existence de traces d'alcool dans des feuilles vertes 
dont la vie avait été des plus normales. 

Dès lors on était en droit de se demander, avec M. Duclaux, 
si cet alcool, qui prend naissance au sein des tissus les plus 
oxygénés, est réellement un produit d'élimination et s’ilne serait 
pas plutôt, comme l’amidon et les sucres, une forme transitoire 
que revêt le carbone avant d’être assimilé. 

M. Mazé', MM. Godlewsky et Folsening* ont récemment 
fourni des arguments en faveur de cette manière de voir; les 
sucres subiraient une série de dégradations successives, dont 
l’aboutissant serait l'alcool; celui-ci serait par oxydation trans- 
formé en aldéhvde, que le protoplasma utiliserait directement, 
L'alcool serait donc en somme pour la plante un aliment; con 
sommé d'ordinaire au fur et à mesure de sa production, il ne 
s’accumulerait dans les tissus que quand ceux-ci manqueraient 
d'oxygène pour le brüler. Ainsi s’expliqueraient d'une manière 
très plausible tous les faits connus jusqu'ici. 

Comment cette question de la production de l'alcool se pré- 
sente-t-elle dans le cas particulier du Cystococcus ? 

2° L'alque peut faire de l'alcool. — Je dirai tout de suite que 


. Munrz, Comp. rend., LXXX VI. 
. DEvaux, C. BR. 1899. 

. BerragLor, Z'rav. de la Stat. de Meudon, 1899. 

. Mazé, Comp. rend. juin 1899, cf Ann. de l'Inst. Past. 1902, 

. GonLewsky et FoLsexiNé, Anzseig.der. Allg. Wochenschr. in Krakau juillet 1897 


Or = Co NO 


400 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


j'en ai toujours trouvé dans toutes les cultures que j'ai exami- 
nées, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles 
avaient été faites. Mais il n'existe la plupart du temps qu’en si 
petites quantités qu’il faut le chercher avec soin pour le découvrir. 

Voici comment j'ai toujours opéré. 

Je distillais le liquide de culture: en fractionnant les produits 
volatils; à cet effet, les vapeurs traversaient le serpentin en 
verre renversé de Schlæsing ; sur ses spires supérieures j ob- 
servais les stries que forment en se condensant les liquides de 
tension superlicielle plus faible que l’eau comme l'alcool; puis 
je recueillais les’10 premiers c. c. qui passent à la distillation, 
l'expérience m'ayant appris que tout l'alcool du liquide en expé- 
rience s’y trouve concentré. Je m’assurais enfin, autant que 
faire se peut‘, par la réaction de l’iodoforme, que j'étais bien en 
présence d'alcool, la réaction de la fuschine décolorée par 
l'acide sulfureux m'ayant prouvé d'autre part que je n'avais pas 
affaire à de l’aldéhyde. 

L'alcool contenu dans les 10 ec. e. de liquide recueillis à la 
distillation était toujours dosé par la méthode de M. Nicloux*. 

3° Marche de la production de l'alcool et causes qui influent 
sur elle. — Mettons en train 3 cultures dans des boites de 
M. Roux, renfermant chacune 100 ce. e. de solution nutritive 
glucosée, et arrêtons-les à des moments différents pour peser les 
récoltes et doser l’alcool produit; dans le tableau VI sont con- 
signés les résultats que nous obtenons : 


Tagcrau VI. 


Numéros Durée Cor Rd remet Poids de la À Quantité 
d'ordre en jours. , récolle en mgr.|d’alcoolen mgr. 
1 8 air libre- GS 3.5 
2 11 id. 297 4,2 
: 3 18 Au bout de 6 jours, le 126 lé 


liquide de culture est 
mis sur une granda 
épaisseur à la tempé- 
rature du laboratoire. 


D 
1. On sait qu'il n'existe aucun procédé pour caractériser avec une certitude 
absolue de petites quantités d'alcool. 
2. Niezoux, Comp. rend. de Soc. de biolog., t. NI, 1896. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 401 


Les cultures 1 et 2 montrent que l'alcool ne s’accumule pas 
dans le liquide proportionnellement au poids de plante produit. 

La culture 3 nous apprend quelque chose de plus; pendant 
6 jours elle se fait dans les mêmes conditions que les cultures 
let 2, mais au bout de ce temps la boîte est relevée et nuse sur 
son petit côté, de manière que le liquide soit en couche épaisse 
et non plus en couche très mince, puis elle est laissée à la tem- 
pérature du laboratoire ; l’aération de la plante se fait mal à 
partir de ee moment et, comme conséquence, la teneur du milieu 
en alcool s'élève. 

Somme toute, dans une culture bien aérée, la quantité 
d'alcool n’est jamais que très faible; elle ne devient notable que 
si la plante manque d'oxygène. C’est, toute proportion gardée, 
ce qui se passe pour la levure. Je dis «toute proportion gardée », 
parce que je n’ai jamais observé avec le Cystococcus de véri- 
table fermentation, je n'ai jamais vu le moindre dégagement de 
bulles gazeuses, même dans les cas les plus favorables. 

J'ai cependant une fois trouvé beaucoup plus d'alcool, dans 
un cas où il aurait dû n’y en avoir que très peu, si la question 
d'aération était seule en jeu; 1l s’agit d’une culture faite en pré- 
sence non de 4 0/0 de sucre, mais de 1,7 0/0; j'ai au bout d'un 
mois recueilli 663 milligrammes de plante et j'ai dosé 54 milli- 
grammes d'alcool dans le milieu. Ce dernier ne renfermait pas 
assez d'azote et peut-être d'acide phosphorique pour permettre 
un plus grand développement de la plante, qui, ne pouvant se 
mulliplier, fabriquait de l’anhydride carbonique et de l'alcool 
qu'elle mettait en liberté. J’ai cité ce fait pour montrer comme 
tout s’enchaïine dans la vie d’un être et combien il est difficile 
de préciser les conditions qui régissent l'exercice d’une fonction, 

La lumière semble n’avoir aucune influence sur la quantité 
d'alcool produite. En 58 jours j’ai récolté 430 milligrammes de 
plante à l'obscurité et le liquide de culture ne contenait que 
5mer 8 d'alcool. 

4o L'alcool est-il un produit intérimaire de la combustion du 
glucose? — Si oui, il semble qu'il doive être pour la plante un 
aliment et doive plus que le glucose en accélérer le développe- 
ment, comme le sucre interverlu accélère plus que le saccharose 
celui de laspergillus. 

J'ai essayé de cultiver l’algue dans un milieu renfermant de 

. 26 


402 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'alcool absolu au lieu de glucose; j'ai toujours échoué. Si par- 
fois, dans des vases de culture maintenus très longtemps à 
l’étuve, j'ai observé un commencement de développement, 1l 
fallait l’attribuer à la présence de l’anhydride carbonique de Pair, 
dont je n'avais pas, dans ce cas particulier, évité l’accès à la 
surface du liquide; ces cultures exceptionnelles, et d’ailleurs 
très pauvres. prouveraient simplement que alcool n’est pas aux 
doses employées un antiseptique pour le Cystococcus. 

Pour être alimentaire en effet, l'alcool ne doit peut-être 
exister dans le milieu qu’en proportion infinitésimale, proportion 
que l’on dépasse toujours quand on l’ajoute artificiellement au 
liquide. 

Une expérience va du reste nous fixer : 

J'ai fait 2 séries de cultures dans les milieux suivants : 


1'e série. — Cultures en solution minérale glucosée à 1 0/00 
et alcoolisée à 1 0/00. 
2° série. — Cultures en solution minérale glucosée à 1 0/00. 


Au bout de 11 jours j'ai reconnu que les poids des récoltes 
étaient sensiblement égaux dans les 2 séries. L'alcool n’a pas 
gêné le développement de la plante, il n’a donc exercé sur elle 
aucune action antiseplique. 

L'expérience enseigne de plus que, même en présence du 
glucose, 1l n’a pas été consommé. 

IL est fort possible que, par une série de passages dans des 
milieux contenant à la fois de moins en moins de glucose et de 
plus en plus d'alcool, je sois parvenu à habituer lalgue à se 
multiplier dans des liquides ne renfermant que de l'alcool comme 
substance hydrocarbonée; mais un tel résultat eût été sans 
intérêt, 1] n’eüt pas prouvé que l'alcool est un produit intéri- 
maire de la combustion du sucre, parce que rien ne dit que je 
n'aurais pu en obtenir un semblable avec d’autres substances; 
habituer une cellule à un aliment qu’elle ne consomme pas 
d'ordinaire est un problème qui bien souvent n’est pas insoluble, 

Malgré tout, je ne crois pas devoir conclure que le carbone 
du sucre ne fait pas partie d’une molécule d'alcool avant d’être 
définitivement assimilé. Il faudrait admettre pour cela que 
l'alcool est un produit d'élimination inutilisable pour les cellules ; 
or, S1l en était ainsi, l'alcool s’accumulerait dans le milieu pro- 
porlionnellement au poids de plante, ce qui n’est pas; dans une 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’'UNE ALGUE VERTE. 403 


culture bien aérée il y en a environ 5 p. 100,000. IT doit donc 
selon toute probabilité, disparaître à mesure qu’il prend nais- 
sance et l'on ne dose jamais que l’excès de ce qui est produit, sur 
ce qui est consommé. 

L'alcool est donc vraisemblablement un des échelons de la 
série de dislocations que subit la molécule de sucre avant que 
son carbone soit construit. C’est la seule hypothèse susceptible 
d'expliquer les faits. Si l'alcool que l’on introduit artificielle- 
ment dans un milieu de culture n’est pas consommé, cela peut 
fort bien tenir à ce qu’il ne se trouve pas du tout dans les con- 
ditions de l'alcool produit au sein du protoplasina. On sait que 
le fait existe pour le glycogène, qui, créé dans la cellule de 
levure, est consommé avec une très grande facilité, tandis qu’il 
ne l’est souvent qu'avec beaucoup de peine, quand on le donne 
comme aliment à la même levure. 

5° Tout le sucre doit-il être transformé en alcool pour être asst- 
milé ? — Nous avons été conduits à admettre qu’une fraction au 
moins du sucre absorbé devait prendre la forme d’alcool pour 
être assimilée ; mais la totalité du sucre doit-elle subir cette 
transformation? 

D’après les expériences de M. Mazé!, pour que l'alcool soit 
utilisé par les cellules végétales, il faut qu’elles puissent l’oxyder 
et pour cela que l'oxygène gazeux leur parvienne très largement. 
Or il est facile de se rendre compte de l'impossibilité d’une telle 
oxydation, si l’on suppose le dédoublement par la zymase de la 
totalité du sucre; à partir d’un certain moment l’oxygène doit 
fatalement manquer. 

Étant donnée une culture faite en atmosphère confinée, il est 
aisé, connaissant le poids du sucre disparu, d’en déduire les 
poids d’alcool et d’anhydride carbonique qui ont pu prendre 
naissance ; la composition de l'atmosphère une fois déterminée, 
on est à même de calculer le poids d’oxygène dont la plante a pu 
disposer. 

Or, dans l'oxydation de l’alcool, le premier composé qui 
prend naissance, celui qui exige pour se former le moins 
d'oxygène, est l’aldéhyde. 

CH3 — CH20H + O — CH? — CHO + H20 
La formule permet de calculer le poids d'oxygène nécessaire 
4, MAZE, Ann. Inst. Past,, 1902, t. XVI. 


404 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pour transformer en aldéhyde un poids;donné d’alcool. Il est par 
conséquent facile de s’assurer si l'oxydation, ne füt-ce qu’au 
premier degré, de tout l’alcool qui a pu se produire a été possible 
ou non. 

Je ferai cependant remarquer qu’en fait les chiffres n’ont pas 
la signification mathématique qu’ils semblent posséder au pre- 
mier abord, et cela pour plusieurs raisons : 

41° Il existe dans le liquide de culture, à la fin de chaque 
“expérience, une quantité d'alcool que je n’ai pu déterminer; 
celui-ci s’est en effet vaporisé, quand j'ai extrait les gaz du 
ballon, et il était impossible de le condenser en totalité dans un 
réfrigérant même entouré de glace. Cet alcool n’a pas été oxydé; 
d’où une cause d’erreur dans l’évaluation de la quantité d’oxy- 
gène nécessaire pour l’oxydation de l'alcool; 

2° Une très légère fraction de lanhydride carbonique s’est 
combinée aux bases, qui du fait de la culture ont été mises en 
liberté dans la solution nutritive; 

3° Les matières azotées se sont oxydées. 

Ces deux dernières causes d’erreur font que l'oxygène dont 
la plante a pu disposer ne peut être, lui non plus, évalué d’une 
manière tout à fait rigoureuse. 

Malgré leur imperfection, les nombres que j'ai obtenus sont 
intéressants. 

Le tableau VIT résume les résultats de 4 expériences faites 
en atmosphère conlinée, 3 à la lumière et 1 à l'obscurité. 

La culture 4 montre qu’en l'absence de lumière 214,1 
d'oxygène sur 708,5 absorbés, soit les 3/10, ont servi à d’autres 
oxydations qu’à celles de l'alcool, à celle des matières azotées 
par exemple; je puis même aller plus loin et affirmer qu'il y a 
plus des 3/10 qui ont été utilisés de cette façon; dans le cas de 
cette culture, en effet, qui à duré 33 jours, le ballon contient 
tellement d’anhydride carbonique que la plante a dû excréter 
une notable quantité d’alcoo! dans le milieu, alcool qui, étant 
resté tel quel, n’a pas été oxydé; le poids d'oxygène exigé par 
l'oxydation de l’alcool est donc inférieur à 49",5, et par suite 
le poids d'oxygène employé à d’autres oxydations est supérieur 
à 2108 1. 

: Bien que ce qui passe dans la vie d’une plante à l'obscurité 
ne permette pas de conclure rigoureusement ce qui se passerait 


405 


ALGUE VERTE. 


t) 
4 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNI 


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406 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


. à la lumière, on peut certainement admettre que, mème dans ce 
dernier cas, une très notable fraction de l’oxygène absorbé ne 
se combine pas à l'alcool. 

Dès lors il est manifeste que dans les cultures 4 et 2, le 
Cystococus n’a pu disposer d’une quantité suffisante d'oxygène 
pour oxyder tout l’alcool produit. Cette conséquence découle 
moins nettement de l'expérience 3, mais est encore dans ce cas 
bien vraisemblable, eu égard à la faible quantité d’oxygène qui 
a pu être en excès en supposant même l'alcool seul oxydé. 

Il faut donc qu'une partie du sucre aitété assimilée sans être 
transformée en alcool. 

En résumé, selon toute probabilité, le Cystococcus consomme 
le sucre, partie en le dédoublant en alcool et anhydride carbo- 
nique et partie sans lui faire subir cette transformation, mais 
par un mécanisme encore inconnu. 

Au point de vue de la production de l'alcool, on ne peut dire 
que l’algue soit une plante de transition entre les plantes vertes 
et celles qui ne le sont pas, parce que la faculté de faire de 
l'alcool est générale chez les êtres vivants, 


Il 


ASSIMILATION DU SACCHAROSE 


Après l’étude de la consommation du glucose, se place tout 
naturellement celle du saccharose, dont il dérive généralement 
dans les tissus végétaux, et dont il dériverait même dans les 
feuilles, suivant Brown et Morris:. 

Les cultures ont été faites dans la solution minérale indiquée 
page 371, additionnée de saccharose. Il faut cependant avoir 
soin de ne pas stériliser ce milieu de culture à l’autoclave, car 
le sucre de canne chauffé à 120°, en présence de phosphate, 
s’intervertit partiellement; force est donc d’avoir recours soit à 
la stérilisation par filtration, soit à la stérilisation séparée d’une 
solution de saccharose et de la solution minérale. 

Le saccharose convient moins bien que le glucose au déve- 
loppement du Gystococeus; en 31 jours de culture je n ai 
recueilli que 203 milligrammes de plante. Les cellules étaient pour 


4. Browx et Monnis, Jor, of, Chem. Soc., 1893. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 407 


la plupart petites, leur membrane mince, elles ne contenaient 
pas d’amidon et ne prenaient pas sous l’action de liode la 
moindre coloration bleue, Il semble donc que l’algue exposée à 
la lumière ne puisse pas faire d’amidon ni rien d’analogue en 
prenant son carbone au saccharose. 

A quelque moment que l’on examine le liquide de culture, 
on le trouve sans action sur la liqueur de Fehling; le Cysto- 
coccus n’intervertit donc pas le sucre de canne en dehors de ses 
cellules. Il se comporte probablement comme la monilia candida* 
qui ne laisse pas diffuser de sucrase, mais dont le suc cellulaire 
intervertit le saccharose. En effet, outre qu’il est peu vraisem- 
blable que le saccharose soit assimilé tel quel sans subir d’inter- 
version, 1l est facile de s’assurer que dans certaines conditions 
la plante sécrète probablement de la sucrase. Si on la cultive 
dans un milieu contenant à la fois du saccharose et du glucose ; 
on constate que les deux sucres sont consommés en même temps, 
car on trouve toujours du sucre réducteur dans le milieu, tandis 
que le saccharose disparaît peu à peu. L’algue préférant de 
beaucoup le glucose au saccharose, il faut admettre, ou bien 
que ce dernier est consommé parce qu’il se trouve en présence 
de, l’autre, ou plutôt que le saccharose s’intervertit au fur et à 
mesure que la culture progresse. 

Ue fait serait en somme de même ordre que ceux qui ont 
été signalés par MM. Gayon et Dubourg * à propos de certaines 
levures qui, ne laissant diffuser leur sucrase qu’en présence du 
glucose, n'intervertissent le sucre de canne en dehors de leurs 
cellules que dans ces conditions. 

Le Cystococcus doit donc intervertir le saccharose pour le 
consommer et il doit assimiler également le dextrose et le lévu- 
lose; si en effet l’un des deux était consommé de préférence à 
l’autre, celui-ci s’accumulerait dans la cellule et y serait immo- 
bilisé dans un état insoluble, c'est-à-dire sous forme de grains 
d’amidon; or il n’en est rien. C’est ce que confirmera du reste 
l'étude de l’assimilation du sucre interverti. 

Dans les cultures sur saccharose le rendement est très élevé 
En 31 jours, j'ai recueilli 203 milligrammes de plante tandis que 
247 milligrammes de saccharose avaient disparu du milieu; le 


rendement a done été : 
1. Fiscaer et LinoxER, Ber, der deut. chem. Gesellsch, t. XXVNIIT. 4895. 
2. Gavox et DusourG, C. R. 1890. 


408 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


203 
247 

Ce nombre élevé n’a rien qui doive surprendre ; il prouve 
simplement que l’anhydride carbonique produit par la respira- 
tion, a pu être en grande partie décomposé par la fonction 
chlorophyllienne, et par suite que la culture a dû se faire lente- 
ment; nous le savons par ailleurs. 

Le calcul donne pour valeur du cofficient d'utilisation du 
carbone : 


R = 


0,824) 


DE 095: 

95 0/0 du carbone mis en œuvre sont done construits, 
5 0/0 seulement sont perdus. Ce résultat ne fait que confirmer 
ce que je viens de dire, à savoir que le saccharose est pour le 
Cystococcus moins bon aliment que le glucose, mais est bien 
plus économique que lui. 

Maintenue à l’obscurité, la culture sur saccharose ne se fait 
qu'avec une extrême lenteur; en 34 jours je n’ai recueilli que 
5 miligrammes de plante et en 53 jours 10 milligrammes. Nous 
sommes donc bien loin des cultures faites sur glucose. Les 
cellules de l’algue sont très vertes, mais, chose remarquable, 
elles ne contiennent pas d’amidon, quelques-unes cependant 
prennent une teinte bleue uniforme. 

Il me semble ditficile de conclure que le Cystococcus est 
incapable de faire la synthèse de J’amidon en partant du saccha- 
rose; il est probable qu’il ne le peut faire qu'aux dépens du 
sucre interverti; or, par suite de la lenteur de la culture, ce 
dernier ne se fait qu’en très petite quantité à la fois et doit être 
utilisé, aussitôt produit; c’est ce qui expliquerait qu'il n’y en ait 
jamais un excès susceptible d’être immobilisé à l’état insoluble. 

4. On pourrait m’objecter que, contrairement à ce que j'ai dit page 388, ce ren- 
dement n’est pas calculé dans des conditions qui permettent de le comparer à 
celui que j'ai obtenu pour le glucose, parce que la durée de la culture, de 
31 jours dans le premier cas, n’était que de 13 dans le second, et que les milieux 
renfermaient 2 0/0 de saccharose d’un côté et sculement 1 0/0 de glucose de 
l'autre. Cela est vrai; mais je ferai remarquer que plus une culture dure long- 
temps, plus la dépense d'entretien augmente, le rendement a done une tendance 
à baisser à mesure que se prolonge le séjour à l’étuve; le nombre 0,82 obtenu au 
bout de 31 jours est done plus faible que celui que j'aurais pu calculer au bout 
de 43 seulement; quant à la richesse en saccharose du liquide de culture, elle ne 
pourrait influer notablement sur la valeur du rendement que si au bout de 
31 jours la plus grande partie du sucre était consommée, or il est bien loin d'en 
être ainsi. Du reste dans une culture faite en présence de 2 0/0 de glucose, j'ai 


obtenu un rendement de 0,56 nombre tout à fait comparable à celui, 0,54 calculé 
page 558. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE. 409 


HI 
ASSIMILATION DU SUCRE INTERVERTI 


Le milieu de culture diffère un peu de celui que j'ai employé 
jusqu'ici, voici comment il a été préparé : 

J'ai interverti du saccharose en le portant à l’ébullition dans 
de l’eau acidulée par l'acide chlorhydrique ; j’ai neutralisé l'acide 
par du carbonate de calcium en excès, puis après filtration de 
l'excès de carbonate, j'ai ajouté à la solution ainsi obtenue de 
sucre interverti et de chlorure de calcium les sels minéraux 
nécessaires au développement de la plante. Le milieu avait donc 
la composition suivante : 


Sulfafe TeMAMNMESIUME 5.2 eee NOR 1 gramme. 
Phosphate bipotassique..... ei TOR IE DO 2 gramines. 
Nitrate de potassium ..... SUN NES TE se 2 — 
GhlorurerdescalciumEiE etre Re en creer Osr,03. 
Sulatemferreux. 2 "2170 En M sta traces. 
Sucre interverti . f...." Ne re dt me ne ST 10 grammes. 
DU RENE dense RS M 1000 RES 


Il a été chauffé à 120°, filtré, réparti dans les vases de cul- 
ture, et enfin stérilisé à 120°. 

Le Cystococcus s’y multiplie très rapidement, en 13 jours 
j'ai récolté 396 milligrammes de plante dans 100 c. e. de liquide. 

Le poids de la récolte est tel qu’il est évident & priori que le 
dextrose n’a pas été seul consommé, l’étude du liquide en 
donne la preuve incontestable. 

J'ai déterminé son pouvoir réducteur et son pouvoir rota- 
toire et j'ai pu ainsi calculer sa teneur en sucre interverti en 
glucose et en lévulose; voici les nombres obtenus : 


Glucose rer RS Por PE AR NE OO EE LES ROLE 105 mgr. 
EVUIOS ET RD ae Eden se Pa 62 — 
Sucre interverti....... . TE EE PR = 167 mgr. 


Le lévulose est dune consommé un peu p'us vite que le glu- 
cose, mais la plante n’a pas pour lui une préférence bien marquée, 
puisqu'elle assimile en mème temps les deux sucres. 

Dès lors, il est aisé de prévoir que le rendement doit être très 
voisin de celui obtenu dans les cultures sur glucose; c’est en 
effet ce qui arrive : 


396 
R = — — 0,55 


410 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Il en est de même du cofficient d’utiisation du carbone qui 
a pour valeur : 

Q = 0,64. 

Jusqu'ici la culture sur le sucre interverti ne diffère pas 
d’une manière sensible, de celle faite sur glucose, mais voici 
qui va les distinguer. | 

Un grand nombre de cellules, qui ont vécu aux dépens du 
sucre interverti, contiennent dés grains d’amidon bien nets; très 
probablement parce que les deux sucres affluent dans l’intérieur 
des cellules et ne sont pas consommés également vite ; celui qui 
est en excès s’immobilise sous forme d’amidon. 

De l'absence d’amidon dans les cellules nourries de saccha- 
rose, j'avais tiré cette conclusion que le Cystococcus devait assi- 
miler également le glucose et le lévulose; c’est précisément ce 
qui arrive. La plante préfère un peu le second au premier, 
mais sa préférence n'est pas assez marquée pour qu’elle prenne 
la peine d’intervertir de nouvelles quantités de saccharose avant 
de faire disparaître complètement celui des deux sucres qui lui 
convient le moins. 

A l'obscurité, le sucre interverti est assimilé beaucoup plus 
lentement qu'à la lumière, et les cellules sont très riches en ami- 
don; on devait s'y attendre. 

Le tableau VIII résume les résultats d’une expérience : 


TaBLEAU VII. 


Numéro Durée [Poids sec| Sucre interverti Substances 


Conditions 


G DPPRTAT n e 1s : sacCharifi 8 t 
de la W'étimfémentt Le € n consommé sacc harifiables des|Rendemt . 
culture Jours. mer en mgr. cellules 0/0 
= — 
obscurité. 945 5125 0,47 


——— | | ——— | —— 


lumière. 


Il est intéressant de comparer les nombres de ce tableau 
avec ceux du tableau V (p. 396). 

S'il s’agit du sucre interverti, la teneur de la plante en 
matières saccharifiables diffère beaucoup moins suivant le 
mode d’éclairement que s’il s’agit du glucose, la différence étant 
de 4 7 dans le premier cas, contre 14, 7 dans le second; rien de 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE, AAA 


surprenant à cela, puisqu’en présence du sucre interverti les cel- 
lules éclairées contiennent elles-mêmes de lamidon, 

Dans les deux tableaux, les récoltes n° 2 faites à la [lumière 
contiennent à peu de chose près la même quantité de matières 
saccharifiables, or les cellules de l’une contiennent de l’amidon 
concrété en grains, celles de l’autre prennent seulement sous 
l’action de l’iode une teinte bleue pâle uniforme; on est donc 
tout naturellement porté à croire que les substances de réserve 
de ces dernières sont peu différentes de l’amidon solide et sont 
la cause de la teinte bleue pâle que j'ai observée. Cette supposi- 
tion que j'avais déjà faite (p. 390) semble recevoir ici une base 
qui lui manquait. 

La récolte { sur sucre interverti renferme beaucoup moins 
de substances saccharifiables que la récolte 1 sur glucose; l’iné- 
gale durée des 2 cultures peut expliquer cette différence, car, 
dès que le milieu ne renferme plus de sucre, ce qui a été le cas 
de la culture sur sucre interverti, la plante attaque petit à petit 
ses réserves d’amidon et les fait disparaitre. 


IV 


ASSIMILATION DU LÉVULOSE 


Le milieu de culture qui n’a servi est de même que celui 
que j'ai employé dans l’étude du glucose et du saccharose, ces 
sucres étant remplacés par du lévulose cristallisé en proportion 
de 1 0/0. 

Le tableau IX résume les résultats obtenus dans une expé- 


rience : 
Tagseau IX 


Numéro Durée Conditions Lévulose , Pod set 
de la en consommé Rendement, 
culture. jours. 


d'éclairement. en mgr. 


Lumière. 


Obscurité. 


412 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le lévulose convient très bien au Cystococeus ; les poids des 
récoltes obtenus à la lumière sont tout à fait comparables à 
ceux recueillis sur le glucose, mais le rendement est légèrement 
plus élevé. 

Quant au coefficient d’utilisation du carbone, il est : 

DOS 

Les cellules de la plante qui ont vécu à la lumière ne con- 
tiennent pas de grains d’amidon. 

Le tableau IX montre, ce que je ‘ai déjà constaté avec les 
autres sucres, que le rendement baisse à mesure que la durée de 
la culture se prolonge. 

Les récoltes obtenues à l'obscurité, offrent cet intérêt parti- 
culier d’être plus abondantes que des récoltes de même âge, 
obtenues sur glucose ; il semble donc que le Cystococcus ait 
moins besoin de lumière pour assimiler le lévulose que pour 
assimiler le glucose. 

A l'obscurité les cellules de l’algue sont bourrées de grains 
d’amidon. 


V 


ASSIMILATION DE L'ANHYDRIDE CARBONIQUE 


J'ai déjà fait remarquer que le Cystococcus devait préférer 
comme aliment le glucose au gaz carbonique; on ne s’explique 
rait pas autrement que la plante put dégager de l’anhydride 
carbonique quand elle consomme du glucose. 

D'ailleurs, si dans la solution nutritive, employée dans tout 
le cours de ce mémoire, on supprime le sucre et qu'on laisse, 
comme unique source de carbone à la plante, l’anhydride car- 
bonique de l'air, il faut maintenir la culture pendant plusieurs 
mois à l’étuve pour obtenir une récolte non point abondante, 
mais seulement appréciable. 

On peut, il est vrai, objecter à cette expérience, qu’il y a dans 
le liquide trop peu de carbone (à cause de la faible proportion 
du gaz carbonique dans l'air) pour que la plante en trouve 
à satiété, comme c’est le cas pour les solutions sucrées. Les 
expériences en atmosphère confinée permettent de répondre 
à cette objection; nous avons vu qu’en consommant le glucose 
dans ces conditions, la plante dégage une grande quantité 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE, 413 


d'anhydride carbonique et j'ai montré que, quand il n’y à plus 
assez d'oxygène dissous dans le liquide pour la combustion du 
sucre, le Cystococcus, au lieu de prendre son carbone à l’atmos- 
phère en cessant d’assimiler le glucose, continue au contraire à 
faire disparaître celui-ci, dès que, par l’action de sa chlorophylle, 
il s’est procuré assez d'oxygène pour le faire. 

Le glucose est done un aliment qui convient toujours mieux 
à la plante que l'anhydride carbonique. 

Je n’ai pas cultivé l'algue, en atmosphère confinée, sur d’au- 
tres sucres que le glucose, mais ce que nous avons vu de leur 
assimilation fait prévoir quils ne sauraient se comporter 
autrement que lui (sauf peut-être le saccharose). 

Quand au rendement des cultures faites aux dépens du seul 
carbone de l’atmosphère, le faible poids des récoltes m'a natu- 
rellement empêché de le déterminer; mais ce calcul est pour 
ainsi dire inutile, le rendement ne peut être qu’excellent, comme 
du reste le coefficient d'utilisation du carbone. L’anhydride car- 
bonique accélère moins que les sucres le développement du 
Cystococcus et est, à ce point de vue, moins bon aliment qu'eux, 
mais ilest certainement le plus économique de tous. 

Dans les cellules, qui n’ont pu trouver de carbone que dans 
l'air, je n’ai pu déceler aucun grain d’amidon; chaque cellule 
ayant à sa disposition les sels minéraux et l'azote dont elle peut 
avoir besoin, ne met pas de carbone en réserve : dès qu’elle en 
contient un excédent, elle l'utilise en se multipliant. 


MT 
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA SYNTHÈSE DE LA MATIÈRE ORGANIQUE 
DANS LES CELLULES. 


Si j'avais pu refaire sur le Cystococcus, ayant vécu exclusi 
vement aux dépens du carbone de lair, les expériences de 
MM. Brown et Morris ! sur le Tropæolum majus, si j'avais pu 
déterminer la nature et la proportion de chacun des sucres pré- 
sents dans les cellules de l’algue, les résultats, mis en face de 
ceux que j'ai obtenus dans les chapitres précédents, eussent 
donné des indications bien précieuses sur la synthèse de la 


4. Browx et Monnis, Jorn of. Chem. Soc. 1893, 


A4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


matière organique par la plante. Malheureusement, il est im- 
possible, en nourrissant le Cystococcus avec le seul carbone 
de l’atmosphère, d'obtenir une récolte suffisante pour permettre 
une pareille étude. J'en suis donc réduit à ne faire que des 
conjectures sur les mutations du carbone dans les cellules de 
l’algue. 

La rapidité avec laquelle sont consommés le glucose et le 
lévulose fait supposer, avec beaucoup de vraisemblance, que 
ces sucres font partie de l'échelle de synthèse de la matière 
organique. Nous savons d’autre part que, vivant à la lumière, 
soit aux dépens de sucre, soit aux dépens de l’auhydride carbo- 
nique, le Cystococeus ne fabrique pas d’amidon dans ses cellules, 
à condition, bien entendu, que ni l’azote ni les sels minéraux 
ne lui fassent défaut ; le carbone assimilé ne doit donc pas faire 
forcément partie d’une molécule d’amidon dans le cours de son 
évolution. 

Le glucose et le lévulose seraient done parmi les premiers 
produits de l'assimilation chlorophyllienne; l’amidon, quand il 
s’en fait, ne serait qu’une forme de réserve de ceux-ci. 

Quant au saccharose, j'ignore s’il prend jamais naissance 
dans les cellules; sa présence est d’autant plus douteuse qu’il 
est, nous l'avons vu, assimilé avec une très grande lenteur et ne 
saurait contribuer à lamylogénèse. Il est donc difficile d'admettre 
qu'il puisse être l’origine du glucose et du lévulose dans la 
plante, comme dans les feuilles de Tropæolum; il en serait plutôt 
une forme de réserve. 


VII 


BILAN DU CARBONE 


Faire le bilan du carbone dans la culture d’un végétal, c’est 
déterminer d’une part le poids de carbone mis en œuvre pendant 
une certaine période de la vie de la plante, et de l’autre les poids 
de carbone qui se trouvent à la fin tant dans la plante que dans 
l'atmosphère et le sol, 

En se rappelant ce que j'ai dit au début de ce mémoire sur 
le rôle du carbone dans les végétaux, on comprendra de suite 
combien les nombres qui figurent dans l'établissement du bilan 
ont un sens peu précis, quand il s'agit de végétaux à chloro- 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE. HAS 


phylle. Néanmoins. si le bilan du carbone d’une expérience faite 
sons offre peu d'intérêt, la comparaison des bilans de 

2 expériences, faites simultanément, mais de durées différentes, 
est instructive. 

Dans aucun cas, je n'ai fait à EU parler un bilan : 
je n'ai pas dosé séparément Le carbone disparu du milieu, celui 
contenu dans la récolte et celui exerété dans le liquide de 
culture ou dégagé dans l'atmosphère; j'ai expliqué, page 404, 
pourquoi la présence de l’alcool m’empêchait de le faire. Mais 
connaissant trois de ces données, on peut en déduire la qua- 
trième par différence, c’est ainsi que j'ai dû opérer. 

Je ferai ainsi Le bilan du carbone dans 2 cultures faites simul- 
tanément en atmosphère confinée et à la lumière, mais arrêtées 
l’une au bout de 11 jours et l’autre au bout de 25. 

La seconde culture est celle qui fait l’objet de l'expérience 
relatée page 381. Je donne ci-dessous les données expérimen- 
tales qui se rapportent à la première. 

Au bout de 11 jours, le liquide de culture, qui renfermait 
au début 505 milligrammes de glucose, n’en contient plus 
que 260; la plante a donc consommé 245 milligrammes de sucre. 
Le poids de la récolte est de 140 milligrammes. 

L'atmosphère du ballon a été étudiée comme il est dit 
page 382 et suivantes; elle renfermait 2,1 0/0 d’anhydride carbo- 
nique et 22 0/0 d'oxygène. Le tableau X résume les change- 
ments qu'elle a subis du fait du développement de l’algue (les 
nombres y représentent des cent. cub.). 


TABLEAU X. 


Début de la Fin de la 
culture. culture, 


CO? 16,5 


Az 


Totaux... 


Je ferai remarquer en passant que l'oxygène dégagé montre 


16 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


que la fonction chlorophyllienne s'exerce dès le début de la 
culture. | 

Pour établir le bilan du carbone dans les 2 expériences, voici 
la méthode suivie : le carbone mis en œuvre se déduit du poids de 
sucre disparu; celui qui est contenu dans les lissus de la plante 
est donné par l'analyse élémentaire de celle-ci, celui de latmo- 
sphère est calculé d’après le poids d’anhydride carbonique qu’elle 
renferme; enfin le carbone du liquide de culture est obtenu par 
différence; ce dernier comprend évidemment le carbone des 
carbonates produits par la combinaison d'une très faible partie 
du gaz carbonique dégagé avec les bases mises en liberté dans 
le milieu; il comprend aussi tout naturellement le carbone de 
l'alcool, qui s’est vaporisé au moment de l'extraction par la 
pompe à mercure des gaz du ballon. 

Voici le bilan du carbone à la fin de l'expérience qui a 
duré 11 jours : 


Carbone dans la plante ...... RE RE ETS A re RÉUSA 68 mgr. 
= — l'atmosphère ere RO De ee 9 — 
== le Mquide A AMEL RE ER RE ne Ci AE 
— dit SUCLENdISDATU CRE RME REEEEET. 98 mgr. 


Le bilan du carbone dans l'expérience qui a duré 25 jours 
est le suivant : 


Carbone dans la plante.............. LE ONE We à 109 mor. 
— = LL EMOSPDhELE PS ENT Re al = 
— —1 le-liquide m2" Re ee Te 56 — 
— du sucre disparu...... RE Do idee 202 mgr. 


Je l’ai dit, c’est la comparaison des 2 bilans qui est intéres 
sante; elle permet, étant connu l’emploi des 98 premiers milli- 
grammes de carbone pris au sucre, de trouver celui des 
202 — 98 = 104 suivants; il est indiqué ci-dessous : 


Carbone dans la plante..........,..... 109 — 68 — #1 mgr. 
— — NAUNMOSPDETC ere U1. = 209) — PSE 
— —) le liquide eee rene 562 — NS — 


10 mgr. 

Dans la première période de sa vie (les 11 premiers jours), 
la plante fait surtout un travail de construction, puisqu'elle 
construit les 7/10 du carbone mis en œuvre. 

Dans les 14 jours suivants, l’algue se multiplie peu et enri- 
chit en carbone l'atmosphère et le liquide; c’est le moment où 
par sa zymase elle dédouble le sucre en alcool et anhydride 
carbonique, sans pouvoir oxyder l'alcool aussi vite qu’elle le 
produit; elle se livre alors surtout à un travail d'entretien. 


SUR LA PHYSIOLOGIE D'UNE ALGUE VERTE, A7 


Tout ceci ne fait que confirmer ce que j'ai dit de la ma’che 
de la consommation du sucre. 


CONCLUSIONS 


Le Cystococcus humicola peut être cultivé dans une solution 
minérale glucosée ; les récoltes sont assez abondantes pour qu’on 
puisse les peser. La plante, dont toutes les cellules contiennent 
de la chlorophylle, prend néanmoins son carbone au sucre. Le 
rendement de ces cultures est très élevé, il dépasse 1/2; il est dû 
à ceci, que la plante est capable, d’une part d’assimiler le glu- 
cose, comme une mucédinée, sans se servir de sa chlorophylle, 
et de l’autre de décomposer à la lumière l’anhydride carbonique 
qu'elle dégage en respirant. 

Des cultures en atmosphère confinée prouvent que, contrai- 
rement à ce qu'il était légitime d’attendre de la part d’une plante 
verte exposée à la lumière, le Cystococcus, qui prend son car- 
bone au glucose, dégage beaucoup d’anhydride carbonique ; il ne 
se met à décomposer ce gaz d’une manière énergique par sa 
chlorophylle que quand il manque d’oxygène pour brüler le 
sucre. 

Les cellules, qui ont vécu à la lumière, ne renferment pas 
de grains d’amidon, mais très probablement des corps qui en 
dérivent comme l’amidon soluble, les dextrines. 

A l'obscurité, la plante se multiplie plus lentement qu’à la 
lumière; ses cellules contiennent de la chlorophylle et sont 
remplies de gros grains d’amidon, qui disparaïîtront quand l’algue 
aura faim de carbone. Le rendement réel est plus élevé que 
celui que l’on obtiendrait dans les mêmes conditions avec une 
plante sans chlorophylle, peut-être à cause de qualités spéciales 
du protoplasma des cellules vertes du Cystococcus. 

Toutes les cultures renferment de lalcool, en très petite 
quantité, quand l’aération n’a rien laissé à désirer, mais en 
proportion plus considérable si la plante a manqué d'oxygène. 

Le saccharose est consommé par le Cystococcus, beaucoup 
plus lentement cependant que le glucose; le rendement est très 
élevé, il atteint 0,82. Le sucre n’est pas interverti en dehors des 
cellules, à moins que le liquide de culture ne contienne déjà au 
préalable du sucre interverti; condition qui sollicite l’excrétion 


27 


+ F-HRE ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de la sucrase. Quelles que soient les conditions d’éclairement, les 
cellules ne renferment pas d’amidon. 

Le sucre interverti est un aliment qui aide beaucoup au déve- 
loppement rapide de la plaute; le lévulose est absorbé un peu 
plus vite que le glucose. A la lumière, aussi bien qu’à l'obscurité, 
les celiules fabriquent de lPamidon, probablement parce que les 
deux sucres ne sont pas assimilés aussi vite l’un que l’autre. 

Le Cystococcus prend très facilement son carbone au lévu- 
lose et l'utilise fort bien: en l'absence de lumière, ses cellules 
contiennent de l'amidon. 

Tous les sucres précités sont des sources de carbone que 
l’a'gue préfère à l’anhydride carbonique, mais ce sont des ali- 
ments moins économiques. 

L'alcool produit par la plante dans les milieux sucrés est 
vraisemblablement un produit intérimaire de la combustion du 
sucre ou, autrement dit, un aliment qui a besoin d’être oxydé 
pour être utilisé. Il semble que tout le sucre absorbé ne subisse 
pas cette transformation, et qu’une fraction puisse en être assi- 
milée, sans être dédoublée par la zymase. 

Quand la plante prend son carbone à l'atmosphère, le glucose 
et le lévulose sont probablement parmi les premiers produits de 
l'assimilation chlorophyllienne ; l’amidon n’en est qu’une forme 
de réserve. 

La comparaison des bilans de cultures, faites en milieu 
glucosé et en espace clos, prouve que, tant que le Cystococcus 
ne manque pas d'oxygène, 1l construit la plus grande partie du 
carbone mis en œuvre, pour se livrer surtout à un travail 
d'entretien, quand l'oxygène vient à lui faire défaut. 


Je viens de résumer tous les faits que j’ai pu établir concer- 
nant la vie du Cystococeus : un grand nombre prouve bien que 
celte algue est une plante de transition, qui, par ses propriétés, 
vient combler Le vide qui existe entre les plantes pourvues de 
chlorophylle et celles qui n’en ont pas. 

10 Elle peut, comme une mucédinée, consommer rapidement 
le glucose, le sucre interverti, le lévulose, le saccharose ; 

2° Dans ces cultures sur milieux sucrés, le coefficient d’utili- 
sation du carbone est plus élevé que dans des cultures ana- 
logues de mucédinées ou de levure, mais il est moins fort que 


SUR LA PHYSIOLOGIE D’UNE ALGUE VERTE. 419 


s’il s'agissait de plantes vertes prenant leur carbone à l’anhydride 
carbonique ; 

3° Dans une atmosphère confinée, la vie de l’algue se rap- 
proche beaucoup au début de la culture de celle d’une mucédinée, 
pour être à la fin identique à celle d’une plante verte; dans 
l'intervalle, sa manière d’être tient à la fois de celles de deux 
sortes de plantes ; 

4° Le Cystococcus, à l'inverse de presque toutes les plantes 
vertes, peut faire la synthèse de sa chlorophylle à l'obscurité ; 

5° Mais il ressemble à ces plantes en ce qu'il est capable de 
concréter de l’amidon en grains dans ses cellules ; 

6° J’ajouterai aussi que comme elles, il peut prendre très faci- 
lement son azote aux nitrates et sous certaines réserves à l'an 
moniaque, ainsi que je l’ai établi dans un précédent mémoire‘. 

Avant de conclure avec certitude que le Cystococcus est bien 
une plante de transition, je veux répondre à une objection qui 
vient naturellement à l’esprit. 

J'ai dit, page 372, que M. Mazé avait constaté que le maïs peut à 
l'obscurité prendre de très faibles quantités de carbone au glu- 
cose: on est donc en droit de se demander si, en suivant avec 
soin et à la lumière le développement du maïs, on n’observerait 
pas des faits identiques à ceux dont j'ai reconnu l'existence chez 
le Cystococeus, et si les phénomènes que j'ai découverts dans la 
vie de ce dernier ne seraient pas généraux dans les plantes à 
chlorophylle, mais encore inconaus chez elles parce que l'étude 
n'en a pas été faite. Il n’en est rien. En examinant, en effet, les 
nombres donnés par M. Mazé, on est frappé de voir combien est 
faible l’accroissement de poids de la plante alimentée avec du 
glucose, ce qui concorde du reste absolument avec les résultats 
obtenus par M. Duclaux pendant la germination des haricots et 
des pois. Ces nombres sont tellement inférieurs à ceux fournis 
par le Cystococcus vivant à l'obscurité qu'ils suffisent amplement 
à prouver combien cette algue est plus apte à consommer les 
hydrates de carbone, et qu’elle est bien un être à part, comme 
tout ce mémoire le démontre. 


Reste à se demander quelle est la place que paraît occuper le 
Cystococcus au point de vue phylogénique. La paléontologie 


4. P.-G. CHARPENTIER, Annales Institut Pasteur, mai 1903. 


420 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


enseigne que les plus anciennes plantes connues, celles dont on 
trouve les restes dans les premiers terrains paléozoïques, sont 
des algues vertes; les premiers représentants du règne végétal à 
la surface du globe auraient donc été des plantes vertes. Cette 
hypothèseesttrès plausible ; tousles êtres dégageant delanhydride 
carbonique, la vie fût devenue rapidement impossible sur ja 
terre, s’il n'avait existé dès l’origine des êtres pouvant verser 
constamment de l'oxygène dans l’atmosphère, c’est-à-dire des 
plantes à chlorophylle. Il n’y à du reste aucune difficulté à 
admettre que certaines d’entre elles, trouvant de grandes quan- 
tités de matière organique à consommer, aient peu à peu perdu la 
faculté d’assimiler le carbone aérien et se soient adaptées à une 
vie parasitaire sur un substratum riche en carbone combiné. 

Le Cystococcus humicola serait une plante de passage repré- 
sentant un végétal vert en train de s'adapter à une vie nouvelle, 
c2lle dont jouissent actuellement les mucédinées. 


ee mn 0 


LES 


Entomophytes ducharançon des betteraves à sucre. 


(Cleonus punctiventris.) 
PAR J  DANVSZE ET KWIZE: 


(Travail du Laboratoire de microbie agricole à l’Institut Pasteur de Paris et de la station 
d’entomologie expérimentale de la & Société des fabricants de sucre de toute la Russie » 
de Smela. (Gouvernement de Kieff.) 


Les champignons pathogènes des insectes avaient été con- 
nus et étudiés bien longtemps avant les agents des maladies 
contagieuses de l’homme et des animaux supérieurs. Les natu- 
ralistes de la fin du xvure et du commencement du xix° siècle en 
ont décrit quelques espèces, sans, toutefois, chercher à com- 
prendre leur importance et leur rôle comme agents pathogènes. 

Mais, déjà en 1836, on trouve une série de travaux de Bassi!, 
Balsamo, Barbô, Audouin *, Montagne *, Turpin‘ sur les Mus- 
cardines des vers à soie, où la nature contagieuse de la maladie 
et le rôle du champignon comme agent pathogène spécifique 
avaient été nettement reconnus. Ainsi, Audouin, Montagne et 
Turpin ont pu reproduire la maladie à volonté en transportant 
les spores du champignon (Botrytis ou Isaria) des chenilles 
muscardinées sur des chenilles saines des vers à soie et de plu- 
sieurs autres espèces d'insectes, en inoculant ces spores sous la 
peau ou simplement en mettaut des individus sains en contact 
avec les muscardines. Ils ont même essayé, quelquefois avec 
succès, de cultiver la muscardine sur des milieux nutritifs arti- 
ficiels. 

Ces travaux n’ont pourtant éveillé alors que très peu d’atten- 

1. Bassr, C. R.A836, t. II, p. 434. 

2. Aupouix, Recherches anatomiques et physiol. sur la maladie contagieuse qui 
attaque des vers à soie, et qu’on désigne sous le nom de Muscardine, C. R.,t. III 
1836) p. 82. 


3. MoxTAGNE, C. R., 1836, €. III, p. 166. 
4. Turrix, /bid., p. 170. 


422 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


tion; pendant plus de 30 ans personne n’a eu l’idée de les 
reprendre et de les pousser plus loin. 

Ce n’est, en effet, qu’en 1867, que l'on trouve une nouvelle 
étude d’une muscardinose due au Botrytis bassiana, observée par 
de Bary' sur le Bombyx Pini, insecte qui ravageait alors les 
forêts de l'Allemagne. 

De Bary a trouvé que son botrytis n’envahit et ne se déve- 
loppe bien que sur des insectes vivants, que les spores placées 
à la surface de la cuticule d’une chenille vivante ne tardent pas 
à germer, et que les filaments mycéliens traversent la cuticule 
pour se ramifier et donner des conidies dans la cavité générale 
du corps. Ces mêmes spores, ensemencées sur une chenille 
morte, ne donnaient pas de culture. 

De Bary n’a pas manqué de signaler l'importance pour l’éco- 
nomie agricole et forestière de ces champignons entomophytes 
qui, complètement inoffensifs pour les plantes et les animaux 
supérieurs, confèrent une maladie très contagieuse et toujours 
mortelle à un grand nombre d’espèces d'insectes. Mais. à cette 
époque, on ne connaissait pas encore les milieux de culture 
artificiels stériles, on ne pouvait pas obtenir des muscardines en 
cultures pures, il n’était donc guèrepossible de songer à multiplier 
ces champignons pour favoriser le développement des épidémies 
parmi les insectes et intervenir ainsi dans la défense des plantes. 

Ce fut M. Metchnikoff, alors professeur à l’Université 
d’Odessa, qui, le premier, a eu cette idée et a pu la réaliser 
en 1878. 

S'inspirant des travaux de de Bary, M. Metchnikoff s’est mis 
à la recherche d’un champignon pathogène pour le hanneton du 
blé (Anisoplia austriaca) qui faisait beaucoup de ravages en 
Russie méridionale. 

M. Metchnikoff ne tarda pas à trouver des larves atteintes 
par divers parasites et principalement par une muscardine qu'il 
appela Zsaria destructrix. 

Peu de temps après, il trouva le même champignon sur un 
autre insecte, le cleonus punctiventris, un coléoptère très nui- 
sible aux cultures des betteraves. 

M. Metchnikoif est arrivé promptement à cultiver sa mus- 


À. De Bany, Zur Kenntniss Insectentodtenden Pilze. Bot. Zeit., t. XXV, 1867, 
p. 4,9, 17 et ibid, t. XXVII, 1869, p. 582. 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 423 


cardine à l’état de pureté sur un bouillon préparé avec du moût 
de bière, et à infecter avec des spores provenant de ces cultures 
les anisoplia et les cleonus à tous les stades de leur développe- 
ment. 

La question de l’utilisation des muscardines dans la pratique 
était donc résolue en principe: en cultivant ces champignons sur 
des milieux nutritifs artificiels, on pouvait multiplier à volonté 
les foyers de contagion et arrêter le développement excessif 
des insectes; aussi l'impulsion donnée par M. Metchnikoff n’est- 
elle pas restée sans écho, 

De nombreux naturalistes et agronomes se sont mis à 
l’œuvre, pour rechercher de nouvelles espèces d’entomophytes 
pathogènes pour les insectes les plus répandus et les plus nui- 
sibles, el pour étudier les conditions de leur développement 
dans la nature et sur des milieux nutritifs artificiels. 

Ainsi, à côté de nombreux travaux sur les entomophicrées qui 
nous intéressent moins pour le moment, parce qu’on n’a pas 
encore réussi à les cultiver, nous trouvons des travaux de 
Sorokin ‘ sur un champignon pathogène pour l'Agrotis segetum 
(Sorosporella agrotidis) ; de MM. Taxter, Forber : et Snow * surun 
champignon (Sporotrichum globuliferum) pathogène pour le Blissus 
leucopterus, une petite punaise qui dévaste les champs des céréales 
aux États-Unis de l'Amérique du Nord ; de M. A. Giard‘, sur un 
parasite du Criquet pèlerin, le Lachnidium acridiorum et un 
mémoire très important sur l’Isaria densa, un ehampignon 
pathogène pour le hanneton commun. Dans ce travail, M. Giard 
étudie avec beaucoup de détails l’évolution et les conditions de 
développement de ce champignon sur les insectes contaminés 
et sur des milieux nutritifs artificiels. 

La production et l'application en grand de ces entomophytes 
et notamment de l’Oospora destructrix, Delacroix (Is. destructrix 
de Metchnikofi) de l’Isaria densa, Gd. (Botrytis tenella, Prillieux 


4. Sorokix, dararitologirche Skizzen (Centr. bl. f. Bact. 1888, p. 645). 

2. S. A. Forber, Studien of the contagions diseases of insects, (Bulletin of the 
Îllinoissetat. Labr of nat. hist., vol. II, 1886). 

3. F. H. Sxow. Contagions diseases of the Chinch Bug. 1:, 2e et 8e report 1892, 
93 et 94 (University of Kansas, Laurence). 

4. A. Grarp, Sur le champ. paras. des criquets pèlerins (Lachnidium acri- 
{diorum) C. R. T décembre 4891. 

Et l’/saria densa (Linx) Fries, champignon parasite du hanneton commun. 
Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, XXIV, 1893. 


424 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


été tentés par Krassilstchik en Russie, avec loospora contre le 
charancon des betteraves (Cleonus punstiventris) ; par Le Moult en 
France avec l’Isaria densa contre les hannetons et leurs larves, 
les redoutables « vers blancs ». et enfin par Snow en Amérique 
et Trabut en Algérie, qui ont essayé de propager les épidémies 
causées par le Sporotrichum, le premier parmi les punaises des 
blés, le second parmi les altises de la vigne. 

Tous ces premiers essais, entrepris dans des conditions 
souvent défectueuses et toujours avec des moyens trop restreints. 
n’ont pas pu donner les résultats qu’on en attendait. 

On avait bien des cultures extrêmement virulentes pour les 
insectes, des cultures qui, au laboratoire, dans les essais en 
petit, tuaient infailliblement tous les insectes contaminés, mais 
on se heurtait, pour l'application de ces champignons en grande 
culture, à des difficultés, pour le moment insurmontables. 

Les entomophytes ne se développent bien, ainsi que l’a déjà 
remarqué de Bary, que sur des microbes vivants ou sur des 
milieux nutritifs artificiels parfaitement stériles, et les méthodes 
de culture que l’on possédait alors étaient trop couteuses pour 
rendre possible leur application en grand. 

C’est ainsi, par exemple, que M. Le Moult cultivait l'isaria 
densa sur des pommes de terre coupées en morceaux cylin- 
driques de la grosseur d'un crayon et enfermés dans des tubes 
de verre. Chacun de ces tubes pouvait donner en 2 mois à peu 
près 2 à 3 grammes de culture et coûtait 1 franc. Pour pro- 
pager la contagion dans un champ envahi par des vers blancs, 
M. Le Moult conseillait d'employer 10 à 20 de ces tubes par 
hectare, de faire enterrer un fragment de culture tous les quel- 
ques mètres. 

On ne pouvait guère en mettre davantage, parce que le prix 
du traitement risquerait de dépasser la valeur de la récolte; mais 
il ne faut pas s'étonner qu’un tel traitement n’ait jamais pu 
donner des résultats appréciables. | 

Pour propager l'épidémie parmi les punaises des blés, 
M. Snow n'employait pas des cultures artificielles, mais des 
« momies ! » d'insectes contaminés par le Sporotrichum globuli- 

1. On appelle momie le corps d’un insecte tué par une muscardine. Tout l’inté- 


rieur du corps est alors rempli par le sclérote du champignon. Le cadavre devient 
dur et peut être conservé pendant très longtemps. 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 425 


ferum. Cette méthode présentait encore plus d’inconvénients que 
celle de M. Le Moult : M. Snow ne pouvait obtenir ses cullures à 
l’état de spores qu’au moment où les invasions étaient déjà 
généralisées et avaient déjà produit des dommages considérables, 
et la quantité de culture qu’il pouvait obtenir en temps utile 
était trop minime pour les vastes espaces qu'il y avait à traiter. 

On avait donc été obligé de reconnaître que, pour rendre les 
entomophytes utilisables dans la pratique, il fallait encore de 
nouvelles recherches. Il fallait établir, par une série d’expé- 
riences, les condilions dans lesquelles les cultures des ento- 
mophytes doivent être réparties dans les champs pour atteindre 
les insectes, et trouver une méthode de culture permettant de 
produire ces champignons en quantités suffisantes pour obtenir 
des résultats appréciables: il fallait, en outre, trouver un 
ensemble de circonstances permettant d'entreprendre ces recher- 
ches dans des conditions favorables et de les poursuivre pen- 
dant quelques années sans interruption. 

Nous avons trouvé cet ensemble de circonstances en Russie 
méridionale, dans une région où on cultive principalement des 
betteraves à sucre, et où ces plantations sont envahies régulière- 
ment chaque année par le charançon des betteraves, le cleonus 
puncliventris. 

Les dommages causés par cet insecte peuvent être évalués à 
quelques millions de roubles par an, et, malgré les moyens de 
défense et de destruction employés, les quantités des insectes qui 
réapparaissent chaque année ne semblent pas diminuer; bien au 
contraire, l'invasion s'étend de plus en plus sur des régions 
jusqu'alors indemnes. 

En présence de l’importance croissante de ces dommages, la 
« Société des fabricants de sucre de toute la Russie » a résolu, sur 
l'initiative de son président, le comte André Bobrinskoy, de 
soumettre la question de la défense'des betteraves à une étude 
systématique et nous a confié le soin d'organiser ces recherches. 

Nous avons commencé nos recherches en 1900, et cesont les 
principaux résultats de nos observations et expériences sur le 
rôle et l’application possibles des entomophytes, faites dans le 
courant de ces trois années. que nous résumons dans les chapitres 
qui suivent. 


426 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le char ançon de betteraves (cleonus punctiventris). 


Le cleonus punctiventris est une des plus grandes espèces du 
genre des curculionidæ. En dehors du midi de la Russie, où il 
s’est multiplié d’une façon tout à fait anormale, cet insecte n’a 
été signalé encore comine nuisible à l’agriculture qu’en Moravie 
et en Hongrie. En Russie, il a envahi jusqu’à présent les planta- 
tions des betteraves dans les gouvernements de Charkoff, de 
Kiel et de Podolie; il est encore à peu près inconnu en Volhynie 
et en Bessarabie et aussi plus à l'Est, où la culture des betteraves 
à sucre est un peu plus récente. 

Avant l'introduction de ces cultures, le cléonus était inconnu 
dans ces régions en tant qu'insecte nosible. Il vivait alors aux 
dépens de nombreuses chénopodiacées sauvages qui poussaienten 
abondance sur les vastes steppes encore incultes à cette époque. 

Dans les endroits où on a défriché les steppes pour faire 
aussitôt de la betterave, le cléonus a donc passé directement des 
chénopodiacées sauvages sur ces plantations, tandis que dans les 
régions où, comme en Podolie, on a débuté par la culture des 
céréales, il à tout d’abord presque complètement disparu, faute 
d’une nourriture appropriée. Actuellement il envahit ces régions 
de nouveau par extension, et il n’est pas douteux que, si l’on ne 
trouve pas de moyens efficaces pour s’en défendre, il finira par 
envahir toutes les régions où la culture des betteraves sera faite 
en grand d’une façon durable, et où il trouvera un ensemble de 
conditions aussi favorables que dans le bassin du Dniéper, c’est- 
à-dire un sol bien meublé, de vastes plaines peu boisées et pres- 
que complèment dépourvues d’oiseaux insectivores, des prin- 
temps et des étés relativement bien secs. et surtout un assolement 
à longues périodes. 

Les cléonus commencent à sortir de terre à l’état d’imago avec 
les premiers chauds rayons du soleil du printemps. Leur sortie 
accompagne ou précède un peu la germination et l'apparition des 
premières feuilles des betteraves, et c’est à ce moment qu'ils 
sont le plus dangereux. Un seul insecte peut dévorer en quel- 
ques minutes les deux petites feuilles qui apparaissent les 
premières et faire périr la plante; aussi, quand on trouve à ce 
moment 10 insectes par m. q. et quand on n’a pas les moyens 
de les ramasser rapidement, la récolte sera complètement perdue. 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 427 


Leur sortie de terre s'opère à peu près pendant 2 mois (avril 
et mai), et comme ils vivent pendant 1 mois à six semaines (plus 
longtemps quand il fait froid que quand il fait chaud), on en 
trouve en abondance dans les champs pendant 3 mois 1/2. 

Tous les efforts des cultivateurs tendent à préserver les 
récoltes surtout pendant les premiers 2 mois, jusqu'au moment 
où les betteraves seront assez grandes pour mieux résister elles- 
mêmes aux attaques des insectes. Pour préserver les récoites, 
on est obligé de faire ramasser les cléonus chaque jour, pendant 
à peu près 2 mois. 

L'accouplement des cléonus, suivi bientôt de la ponte des 
œufs, ne commence guère avant le 15 mai ef dure 1 mois. La 
femelle pond, en moyenne, 40 œufs qu’elle dépose un à un, sépa- 
rément, dans de petits trous qu’elle creuse avec son rostre à la 
surface du sol et qu’elle comble ensuite avec soin. 

A la fin de juin on trouve déjà des larves attachées aux 
racines des betteraves, en août des nymphes, et en septembre 
des insectes parfaits. Bien entendu, il y a pour le cléonus, comme 
pour tout autre insecte, des exceptions à cette règle générale : 
on trouve des larves et des nymphes en octobre et en avril, 1l y 
a donc des individus dont le développement peut être retardé ou 
accéléré, mais ces quelques irrégularités sont de peu d'impor- 
tance au point de vue qui nous préoccupe. 

Les cléonus peuvent se nourrir de feuilles des chénopo- 
diacées et de quelques papillonacées, mais ils manifestent tou- 
jours pour les feuilles des betteraves une prédilection très mar- 
quée. Aussitôt sortis de terre au printemps, ils s’empressent donc 
de quitter tous les autres champs pour envahir les plantations 
des betteraves ; on les voit alors cheminer à travers les champs 
et les routes pour s’y rendre. 

L'usage adopté en Russie de ne faire revenir les betteraves 
que tous les 4 ou 6 ans sur les mêmes champs, oblige les insectes 
de faire chaque année ces longs voyages, et les agriculteurs ne 
manquent pas de profiter de cette particularité pour en capturer un 
très grand nombre dans de petits fossés à parois verticales dont 
ils entourent les champs de betteraves. On en ramasse ainsi des 
centaines de quintaux chaque année dans chaque ferme. 

* Pendant les premiers 15 à 20 jours après leur sortie de terre, 
on trouve donc des cléonus un peu partout, mais ils se concen- 


128 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


trent peu à peu tous sur les champs de betteraves; quand le 
soleil commence à chauffer, ils les envahissent au vol. 

Pour déterminer les conditions d’une intervention éventuelle, 
il importe donc de noter que le cléonus vit à peu près un an, 
qu'il passe 10 mois de l’année dans la terre, de mai jusqu'en 
septembre à l'état d'œuf, de larve et de nymphe, de septembre 
jusqu’au printemps suivant à l’état d’imago et à la surface du sol 
pendant les 2 à 3 mois du printemps. 

Le cléonus cause deux sortes de dommages : il mange à l’état 
d'imago les feuilles des betteraves au printemps, et à l’état de 
larve, les racines dans le courant de l’été. Pour défendre les 
feuilles, on a la ressource de ramasser les insectes ou de les em- 
poisonner en aspergeant les feuilles avec des sels de baryum 
ou d’arsenic, et on le fait depuis longtemps déjà avec assez de 
succès, mais aucun moyen mécanique ou chimique ne peut con- 
venir pour défendre les racines contre les dommages causés par 
les larves. Or la quantité d'insectes qui échappent au ramassage 
et à l’empoisonnement, et qui peuvent pondre des œufs sur les 
champs des betteraves, est encore toujours assez considérable 
pour causer des dommages très sensibles, et donner pour l’année 
suivante une nouvelle génération de cléonus, aussi ombreuse 
et le plus souvent même plus nombreuse que celle qui la pré- 
cédée. 

Il nous a donc semblé que seuls les ennemis naturels du cléo- 
nus, les insectivores (calosoma, mermis) et les entomophytes 
peuvent intervenir ici d'une façon efficace, et comme nous 
n'avions aucun moyen de favoriser le développement des insec- 
tivores, nous avons cherché à multiplier les entomophytes sur 
des milieux artificiels et à propager l'épidémie parmi les larves 
du cléonus à l’aide de ces cultures. 


LES ÉPIDÉMIES SPONTANÉES DU CHARANCON DE LA BETTERAVE 


Avant de faire intervenir les cultures artificielles des ento- 
mophytes, il était nécessaire d’établir les conditions dans les- 
quelles se produisent les épidémies spontanées parmi les cléo- 
nus. Nous savions déjà, par les travaux de M. Metchnikoff et par 
les observations des agriculteurs locaux, que ces épidémies 
n'étaient pas rares; qu'à l'automne, au moment de la récolte et 


à 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 429 


même au printemps suivant, quand on labourait les anciens 
champs de betteraves, on trouvait toujours dans la terre des 
larves, des nymphes et même des jeunes imago « muscardinés ». 
On ne trouvait, par contre, presque jamais un imago contaminé 
au printemps à la surface du sol. 

Un essai très simple nous a montré pourtant que les insec- 
tes adultes n'étaient pas réfractaires aux maladies causées par 
divers entomophytes : il suffisait d’en introduire un certain nom- 
bre dans une assiette garnie d’un peu de terre et de les mettre en 
contact avec une culture d’oospora, d’isaria ou de sporotrichum, 
pour les voir mourir infectés au bout de 5 à 10 jours. 

En répétant l'expérience dans différentes conditions de tem- 
pérature, d'humidité et de lumière, nous avons reconnu que les 
insectes adultes pouvaient être contaminés déjàà une température 
de 159, à la condition d’être placés à l’obscurité ou à la lumière 
diffuse, tandis qu'une exposition de quelques heures par jour en 
plein soleil ernpêchait, le plus souvent, la contagion de se pro- 
duire, 

Les insectes qui sortent de terre au printemps ont souvent, 
avant d'arriver à la surface, à traverser une couche de terre très 
riche en entomophytes; un grand nombre a dû nécessairement 
venir en contact avec les spores de ces champignons et se con- 
taminer, mais, parvenus à l'air, ils échappent à l'infection grâce 
à l’action stérilisante du soleil. 

Là où la contagion naturelle restait sans effet, nous n’avions 
aucune chance de réussir avec une contagion artificielle. Les 
épidémies spontanées sont, au contraire, très fréquentes dans 
la terre et il nous a semblé qu'il suffirait de connaître les condi- 
tions dans lesquelles elle se développent d’elles-mêmes pour 
arriver sans beaucoup de peine à en favoriser la propagation au 
moyen de cultures artificielles. 

Nous avons vu que les œufs du cleonus sont pondus en mai, 
que les larves aussitôt écloses s’enfoncent dans la terre pour 
subir toutes leurs transformations ultérieures, et que les insec- 
tes parfaits, formés en septembre-octobre, restent dans la terre 
iusqu'au printemps suivant. Pour étudier le développement des 
entomophytoses, il fallait donc commencer les recherches dans la 


terre depuis le mois de juin et les poursuivre jusqu’à la fin de 
l'automne. 


430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


En creusent dans différentes parties d’un champ de bette- 
raves des trous de 1 m. q. sur 50 cm. de profondeur et en 
tamisant avec soin la terre enlevée, on peut assez exactement 
établir la quantité de larves qui ont envahi le champ et la pro- 
portion de celles qui ont succombé à l'infection. 

Dans le tableau ci-contre (n° 1), nous avons résumé les résul- 
tats de recherches exécutées de juin en septembre dans trois 
champs de betteraves d’une ferme, 


TABLEAU I. 


Dates Insectes vivants par m. c. Insectes morts infectés par m. c.. 
Nos des en moyenne. en moyenne. 
FE ne le — 2 ee 
champs. recherches. larves, nymphes. imago. larves. nymphes. imago. 
\ juin. 207 = 0) 6 —— - 
Champ \ juillet. 86 — 2 sû — — 
NOÉ } août. 12 9 — 93 44 — 
septemb. — 1 3 15 37 22 
De’207 larves qui ont envahi le champ en juin, 4 seulement ont 
échappé à l'infection et ont pu arriver au terme de leur dévelop- 
pement. 
\ juin. 282 _ 6 18 _ = 
Champ }) juillet. 35 — 1 91 — — 
No 2, août. 17 16 _— 32 66 — 
{septemb : — — 4 — 11 22 
De 282 larves en juin, 4 insectes ont survécu jusqu’en octobre. 
juin. 410 — 7 2 — — 
Champ \ juillet. 380 — — 23 — — 
N°3 août. 163 185 — 19 38 — 
lseptemb : 27 93 158 "1e 21 6) 


De 410 larves en juin, 278 insectes ont survécu jusqu’en octobre. 


Ce tableau nous montre d’abord lPénorme importance des 
épidémies spontanées produites dans certains champs par les. 
entomophytes. Dans les champs n° 1 et 2 par exemple, la des- 
truction des larves et des nymphes qui se sont développées des 
œufs pondus au printemps avait été presque complète : 
97 à 99 0/0. Tous ces insectes ont-ils disparu du fait de l’infec- 
tion? Les données du tableau ne le montrent pas nettement! 
Ainsi, sur les 203 individus disparus dans le champ n° 1, nous 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 431 


n'avons retrouvé que 152 cadavres infectés et momifiés (93 lar- 
ves, 47 nymphes et 12 imago), les 51 qui manquent ont donc pu 
succomber à d’autres causes ; mais le fait, très constant, que la 
quantité de larves momifiées trouvées en juillet est souvent supé- 
rieure à celle trouvée en août et toujours de beaucoup supé- 
rieure à celle trouvée en septembre, montre clairement que les 
momies tombent en poussière assez rapidement et ne peuvent 
plus être retrouvées. Il est done certain que la grande majorité 
de celles qui manquent à l'appel ont succombé aussi à l’acuon 
des entomophytes. 

La maladie commence donc en juin par quelques cas assez 
rares et continue à faire des victimes de plus en plus nombreuses 
jusqu'à la fin de septembre, et même jusqu’en octobre si la tem- 
pératureestassezélevée pour permettre la germination des spores. 

Comment doit-on s’expliquer cette croissance de l’épidémie ? 
On ne peut guère admettre que dans ce cas la maladie se pro- 
page par contagion entre individus sains et malades, — et cela 
pour plusieurs raisons. D'abord parce que les larves de cléonus 
sont peu mobiles et vivent séparées les unes des autres par des 
couches de terre plus ou moins épaisses, et surtout parce que les 
individus malades ne peuvent devenir contagieux que huit à dix 
jours après leur mort, quand le champignon aura produit des 
spores et des hyphasmates à la surface de leurs corps, c’est-à- 
dire au moment où les larves encore saines de la même généra- 
tion seront déjà descendues un peu plus bas dans la terre. — 
Nous savons, en effet que les œufs du cléonus sont pondus à la 
surface du sol, et que les larves qui en proviennent s’enfoncent 
jusqu’à 30 à 40 centimètres de profondeur pour se transformer 
en nymphes. Elles ne refont jamais le chemin en sens inverse. 

Enfin, les nymphes, complètement immobiles, ne peuvent 
être infectées que par les spores qu’elles trouvent sur place. 

Il faut donc admettre que la grande majorité, sinon sous les 
insectes qui périssent dans la terre dans le courant d’une saison, 
sont infectés par les spores des entomophytes qui existaient 
dans la terre au moment de l'invasion. Dans le cas particulier 
qui nous préoccupe, c'est-à-dire dansle cas de la destruction des 
eléonus vivant à l'état de larves et de nymphes dans la terre 
par les entomophytes, il n’y a donc pas d’épidémie qui commen- 
cerait en juin par quelques cas assez rares et se développerait 


4132 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ensuite d'elle-même par contagion, mais une endémie dont le 
développement dépend de la température du sol et l'intensité 
de la richesse de différents champs en entomophytes. 

Certains champs, comme par exemple les champs n° 1 et 2 
du tableau 1, deviennent inhabitables pour les cléonus et pour 
certains autres insectes qui passent quelques mois de la belle 
saison dans la terre, parce qu'ils sont tellement riches en 
entomophytes que presque tous les insectes qui y entrent à 
l'état de larves s’infectent et périssent avant l’époque où ils 
pourraient en sortir à l’état parfait. 

Il était alors intéressant d'étudier un grand nombre de 
champs au point de leur richesse en entomophytes. Nous savions 
que tous les champs de la région envahie par les cléonus 
u’étaient pas également infectés par les champignons; — dans 
le champ n° 3, par exemple, la proportion des insectes détruits 
ne dépassait pas 33 0/0 — et nous pensions qu'en tenant 
compte de la nature chimique et physique du sol et du sous-sol 
de tous les champs examinés, nous pouvions être amenés à 
trouver les causes de ces différences. 

Nous avons examiné ainsi pendant trois étés successifs 
317 champs dans 127 fermes situées dans différentes parties des 
gouvernements de Kielf et de Podolie, et nous avons pu noter 
les données suivantes : 

Dans 30 0/0 environ de tous les champs examinés, les ento- 
mophytes s'opposent victorieusement à la multiplication des 
cléonus. La proportion des insectes contaminés dépasse 95 0/0, 
la quantité d'insectes qui sortiront indemnes de ces champs 
sera donc toujours inférieure à la quantité de ceux qui y sont 
entrés. 

Dans tous les autres champs, au contraire, dans lesquels la 
proportion des insectes infectés est inférieure à 80 0/0, la 
quantité de cléonus continuera à augmenter chaque année. 

L'examen chimique et physique de la nature du sol et du 
sous-sol de tous les champs étudié, ne nous a fourni aucune 
indication intéressante sur les causes probables des différences 
constatées dans le développement des entomophytes. Les terres 
arables du bassin du Dniéper présentent une très grande uni- 
formité de composition, c’est partout du « tchernoziem » 
(terre noire très riche en humus) et les différences de perméabi- 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 433 


lité du sous-sol semblent avoir très peu d'influence sur la fré- 
quence de ces champignons. 

Ce n’est qu’en étudiant l’histoire agricole de chaque champ, 
et notamment en établissant des comparaisons entre l’ancien- 
neté de sa mise en culture pour les betteraves à sucre et la 
fréquence de ces cultures d’une part, et sa richesse en entomo- 
phytes d’autre part, que nous avons trouvé la cause probable de 
ces différences. 

Les champs däns lesquels on cultivait des betteraves 
depuis 60 ans à des intervalles de # à 5 ans étaient toujours 
très riches en entomophytes; ceux, au contraire, dans lesquels 
on semait les betteraves pour la première fois, n’en contenaient 
que très peu. Dans les premiers cas, la destruction des insectes 
était presque complète, dans les derniers elle dépassait rarement 
1 à 20/0. 

Entre ces deux extrêmes il y avait, bien entendu, tous les 
intermédiaires, mais il y avait toujours une concordance telle- 
ment nette entre l’ancienneté ou la fréquence des cultures des 
betteraves dans un champ et sa richesse en entomophytes, que 
nous avons pu dresser un tableau indiquant la richesse en ento- 
mophytes de tous les champs dont il était possible de reconsti- 
tuer l'histoire. 

L’explication de cette concordance est extrêmement simple. 
Nous avons vu plus haut que les cléonus se concentrent chaque 
printemps sur les nouvelles plantations des betteraves, et que 
c’est presque exclusivement sur ces plantations qu'ils pondent 
leurs œufs. Or, les larves de cléonus s’infectent très facilement 
et constituent pour les entomophytes un milieu de culture et de 
multiplication très favorable. Chaque retour des betteraves et 
par conséquent aussi des insectes sur le même champ y 
amenait done une nouvelle multiplication des entomophytes. 
Plus il y avait de ces retours périodiques et plus ils étaient rap- 
prochés les uns des autres, plus riche aussi devenait le champ en 
spores de nos champignons, de sorte qu'après 10 à 12 de ces 
retours à 5 ans d'intervalle, le champ devenait inhabitable pour 
les insectes. 

Comme l'intervalle de 5 ans est le plus court que l’on ait 
l'habitude de laisser dans ces régions entre deux cultures suc- 
cessives des betteraves, il faut done, quand on laisse la nature 

28 


434 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


agir toute seule, au moins 50 à 60 ans pour arriver à ce résul- 
tat. Quand les périodes d’assolement sont plus longues, et elles 
sont souvent de 6 à 40 années, alors il faut un temps beaucoup 
plus long pour y arriver, et même on risque de n’y parvenir 
jamais, parce que les spores ou plutôt les conidies des entomo- 
phytes les plus répandues et les plus virulentes ne se conservent 
pas aussi bien et aussi longtemps que les endospores de certaines 
bactéries. Elles sont détruites non seulement par le temps, par 
le manque d'aliments appropriés et par le labourage qui, en 
retournant chaque année une couche de terre d’une certaine 
épaisseur, en expose une certaine quantité à l’air et au soleil, 
mais aussi par de nombreux parasites, champignons, anguil- 
lules et acariens, qui vivent à leurs dépens. 

Ces pertes sont compensées en partie par le développement 
des entomophytes sur des larves d’autres insectes, des anisoplia, 
melolontha, agriotes, agrotis, qui vivent sur les céréales, de 
nombreuses espèces de curculionides qui vivent sur les papilio- 
nacées, de sorte que la quantité d’entomophytes qui peuplent 
tous les champs cultivés de cette région devrait augmenter avec 
le temps d’une façon très lente, mais à peu près constante, sur- 
tout dans la couche du sol qui n’est pas atteinte par les labours 
15 à 40 centimètres de profondeur), et dans laquelle les entomo- 
phytes échappent mieux à l’action stérilisante de l'air, de la 
(lumière, des variations atmosphériques et même aux atteintes 
de leurs parasites. 

Nous connaissons des fermes dont tous les champs sont 
actuellement assez riches en entomophytes pour rendre la multi- 
plication progressive des cléonus impossible. La destruction 
n'est jamais complète, mais la quantité de ceux qui échappent 
chaque année à l'infection est insuffisante pour mettre les plan- 
tations des betteraves en danger. On en trouve, au printemps, 
tout au plus 1 à 2 kilogrammes (7,000 à 15,000 individus) par 
hectare. Le développement des cléonus, des entomophytes et de 
leurs parasites est arrivé dans les champs de ces fermes à un 
état d'équilibre à peu près stable, qui ne pourra plus être troublé 
que par un changement des assolements ou des cultures. 

On n'est en effet arrivé à ce résultat que dans des fermes bien 
administrées et cultivées de la même façon depuis à peu près 
50 à 60 ans, c’est-à-dire depuis l'introduction de la culture des 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 435 


betteraves à sucre dans ces contrées. Dans les fermes, au con- 
traire, dans lesquelles il y avait des interruptions dans la culture 
des betteraves, dans lesquelles on a changé une ou plusieurs 
fois dans le même espace de temps le système d’assolement ou de 
culture, on trouve parfois des champs riches en entomophytes, 
mais on en trouve aussi où la proportion des insectes infectés 
ne dépasse pas 10 à 20 0/0. 

De l’ensemble de ces observations, on peut conclure que les 
entomophytes peuvent infecter et faire périr dans la terre, dans 
le courant d’une saison, presque toutes les larves et nymphes 
d’une génération de cléonus, qu'il faut 50 à 60 ans de culture 
régulière, dans laquelle les betteraves reviennent sur les mêmes 
champs tous les 4 ou 5 ans. pour arriver à ce résultat, et enfin 
que les maladies causées par les entomophytes ne se propagent 
pas par contagion entre individus malades et sains, mais que la 
proportion des infectés dépend de la richesse du sol en spores 
de ces champignons au moment de l'invasion des insectes. 

Ces observations nous ont permis aussi de déterminer 
d'avance la richesse d’un champ en entomophytes d’une façon 
beaucoup plus précise que nous n’aurions pu le faire au moyen 
d’un examen direct de la terre au microscope ou par des cul- 
tures, fait très important au point de vue de l’appréciation des 
résultats des expériences d'infection artificielle que nous avions 
à entreprendre. 


Les entomophytes qui infectent le charançon des belteraves. 


Nous avons trouvé jusqu’à présent 8 espèces d’entomophytes 
sur les larves, les nymphes et les imago du cleonus punctiventris. 
Quatre de ces espèces étaient déjà connues avant que nous ayons 
commencé nos recherches, ce sont : | 

L’Oospora destructrix Delacroix, découverte par M. Metch- 
mikoff, (/saria destructor) sur des larves d’anisoplia et de cléonus; 

La Sorosporella uvella. Giard, découverte par Sorokin (Soro- 
sporella agrotidis) et Krassilstchik (Tarichium uvella) ; 

L'Isaria farinosa et le Sporotrichum globuliferum, espèces 
connues et décrites depuis fort longtemps. | 

Les quatre autres espèces sont nouvelles. Deux espèces de 
Massospora, une à spores orange échinulées, l’autre à spores 
rouges cloisonnées : une ascosporée que nous appellerons — sur 


436 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


le conseil de M. Matruchot qui a bien voulu nous aider dans la elas- 
sification de tous ces champignons, — Siilbella pseudomortierella. 
et un Verticilliun à mycélium blanc et à conidies ovoïdes très 
analogues à celles de l’/saria densa. Nous l’appellerons V. Oxana. 

Trois de ces espèces, l’/saria, Le Sporotrichum et le Verticil- 
hum, infectent presque exclusivement les insectes parfaits, et, 
comme les cas de ces inféctions sont extrêmement rares et ne 
peuvent se produire que dans des conditions exceptionnelles, 
ces trois champignons présentent pour la pratique très peu d’in- 
térêt. Nous les laisserons donc provisoirement de côté. 

Les 5 autres espèces se développent exclusivement dans la 
terre et présentent aussi, au point de vue de leur fréquence et 
de leur intérêt pour l’agriculture, des différences considérables. 
Sur 100 individus morts d'infection, on trouve, en moyenne, 
60 à 70 infectés par l’Oospora, 30 à 38 0/0 par la Sorosporella et à 
peine 2 0/0 par les deux Hassospora et la Stibella ensemble. 

Au point de vue de la façon dont ils Les infectent et dont ils se 
développent dans les corps des insectes infectés, on peut diviser 
ces champignons en trois groupes, dont un sera formé par 
l'Oospora, V'Isaria, le Sporotrichum et le Verticillium, un autre par 
la Sorosporella et les deux espèces de Hassospora, le troisième par 
la Séilbeila. 


Oospora destructrix. 


Comme type de linfection du premier groupe, on peut 
prendre celle du hanneton vulgaire (Melolontha vulgaris) par 
L'Isaria densa, décrite par M. A. Giard. Pour ces quatre espèces 
d’entomophytes, l'infection se produit par la germination des 
conidies à la surface de la cuticule de l’insecte, Le ou les fila- 
ments de la conidie germée pénètrent à travers la eutieule dans 
la cavité générale du corps, s’y ramifient. et produisent de nou- 
velles conidies qui s’en détachent, sont entraînées par la eireu- 
lation et par les leucocytes dont toutes les parties du corps, 
germent à leur tour, et remplissent bientôt le corps tout entier 
d'un feutrage très dense que on a appelé sclérote. Les conidies 
sont bien englobées par les leucocytes, mais n'en continuent 
pas moins à se multiplier, 

On ne trouve plus alors à l’intérieur du corps de l’insecte que 
Le revêtement chitineux du tube digestif ; tout Le reste, tous les 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS, 437 


tissus ont été digérés et absorbés par les filaments du champi- 
genou, Le revêtement chitineux extérieur est intact au début et 
conserve la forme de l’insecte, mais bientôt, quand le selérote se 
trouve dans des conditions de température et d'humidité conve- 
nables, 1l pousse à travers la cuticule des filaments mycéliens 
qui recouvrent tout le corps d’une toison très dense, et pro- 
duisent aussitôt des conidies. 

A une température de 18 à 20° et dans une humidité conve- 
nable, tout ce processus, depuis la contagion jusqu’à la produc 
tion des conidies à la surface de la cuticule, peut durer 10 à 
15 jours. Ensuite Les filaments mycéliens s’agrègent par places 
et produisent des excroissances assez caractéristiques pour 
chaqueespèce. Le mycélium du Sporotrichum forme des massues, 
celui de l'Isaria des filaments irréguliers, celui de FOospora des 
lanières plus ou moins larges et frangées au bout, analogues à 
celles de certains lichens. Sur tous ces filaments il se forme des 
conidies en quantité de plus en plus grande aux dépens des 
réserves du sclérote enfermé dans la cuticule. En fin de compte, 
tous les filaments du mycélium agrégé en hyphasmates et 
ceux du selérote se transforment en spores, Le tout devient extrê- 
mement friable et tombe en poussière au moindre choc. 

Pour l’Oospora. qui seule de ces 4 espèces nous intéresse au 
point de vue pratique, elle forme de beaux hyphasmates, surtout 
sur les nymphes des cleonus. On trouve dans la terre ces 
nymphes momifiées, garnies de leurs hyphasmates formés dans 
le courant d’un été, encore en bon état au printemps suivant ; 
on n'en trouve plus eñ automne ; elles ne durent donc pes plus 
d’une année. 

Un selérote frais est toujours une culture absolument pure 
du champignon qui l’a formé. On n'y découvre ni microbes 
étrangers, n1 la moindre trace du tissu de l’insecte; tout, les 
albuminoïdes et les graisses, a été digéré et absorbé par les 
lilaments mycéliens. Un insecte infecté par un entomophyte 
n'est pas tué par une sécrétion toxique, mais simplement 
digéré. 

En faisant macérer dans de l’eau physiologique une culture 
d'Oospora broyée, nous avons obtenu un liquide qui digère in 
vitro la gélatine, la fibrine et le blanc d'œuf cuit, avec formation 
de peptone, et qui oxyde la tyrosine. Le mycélium d’Ospora pro- 


438 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


duit donc des diastases protéolytiques très énergiques et aussi 
de la tyrosinase. 

Culture sur des milieux nutrilifs artificiels. — Les spores 
d'Oospora, mélangées à dela terre végétale ordinaire,ne donnent 
pas de culture proprement dite. 

Elles germent comme dans l’eau, et donnent quelques coni- 
dies, mais la quantité de spores qui en résulte n’est pas plus 
grande que celle qu’on a semée. 

Elles ne se développent non plus ni sur des débris végétaux 
ou animaux, ni même sur des cadavres d'insectes. Dans les 
milieux non stériles, toutes les parcelles nutritives sont envahies 
par des microbes et des moisissures banales, qui se développent 
beaucoup plus facilement et rapidement que les entomophytes. et 
ne laissent plus de place pour ces dernières. Même quand on 
introduit dans de la terre non stérilisée une culture sur pomme 
de terre, déjà bien développée, elle est promptement envahie 
par des moisissures et des acariens, et ne tarde pas à disparaitre. 
Par contre, sur des milieux nutritifs stériles, et notamment sur 
pomme de terre, l’Oospora donne des cultures aussi rapidement 
et aussi abondantes que quand elle se développe sur des 
insectes vivants. 

A une température de 22° à 25°, on obtient sur pomme de 
terre des cultures bien sporulées en 15 à 20 jours. Placée dans 
du terreau stérilisé, modérément humide, une telle culture 
continue à se développer comme un selérote placé dans les 
mêmes conditions, et donne en 2 à 3 mois une récolte de conidies 
beaucoup plus riche que si on avait laissé la culture continuer 
à se développer à l'air, dans un tube de verre ou dans une 
chambre humide. 


Sorosporella uvellx. 


Les entomophytes du deuxième groupe, formé par la Soros- 
porella et les deux espèces de Massospora, se développent d'une 
tout autre façon dans le corps des insectes qu'ils ont infectés. 
Une larve ou une nymphe de cleonus, tuée par un de ces cham- 
pignons, se présente sous forme d’un sac rempli de granules 
rouges et jaunes. L’enveloppe de ce sac, la cuticule chitineuse 
transparente, garde bien la forme de l’insecte, mais elle devient 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 439 


vite très fragile: quand op la déchire, les granules s’en échap- 
pent en poussière. Ces granules sont formées par des spores 
agglomérées sans trace de filaments mycéliens. Les spores sont 
rondes, beaucoup plus volumineuses que celles de l'Oospora et 
des Isariées, et pourvues d’une enveloppe beaucoup plus épaisse. 

C’est dans cet état que l’on trouve des larves et des nymphes 
des cleonus infectées par la Sorosporella dans la terre, en avût et 
en septembre. dans les champs de betteraves, et c’est encore dans 
le même état qu’on les retrouve l’année suivante au printemps 
et en été. De quelle façon se fait l'infection, comment se déve- 
loppe le champignon une fois qu’il a pénétré dans le corps de 
l’insecte? Nous n'avons pas pu l’observer directement jusqu’à 
présent, parce que nous n'avons pas réussi à contaminer les 
insectes avec les spores contenues dans les sacs. Pourtant, nous 
avons obtenu des cultures de Sorosporella sur pomme de terre, 
et nous avons constaté que ces spores se multiplient par divi- 
sion en deux à l’intérieur de leurs enveloppes. Quand la division 
est bien accomplie, la coque extérieure éclate. et les deux jeunes 
cellules qui en sortent, pourvues d’enveloppes minces, conti- 
nuent de suite à se subdiviser en deux ou en quatre, tant qu’elles 
trouvent des matières nutritives à leur portée. Quand le milieu 
est épuisé ou devient inutilisable par suite de sa dessiccation, 
toutes ces jeunes cellules se recouvrent de l’épaisse coque carac- 
téristique et deviennent des spores identiques à la spore initiale. 

C'est de cette façon que, selon toute probabilité, les choses 
doivent se passer dans la cavité générale d’un insecte contaminé. 
Les spores se multiplient tant qu’elles trouvent du liquide et des 
tissus de l’organisme pour se nourrir. Quand tout est épuisé, 
quand les cellules remplissent complètement la cuticule de 
l'insecte, la multiplication s’arrête, toutes les cellules se trans- 
forment en spores à parois épaisses qui ne se développeront plus 
tant qu’elles resteront enfermées dans la cuticule. Nous ne savons 
pas encore quel sera le développement ultérieur de ces spores 
quand elles se trouveront disséminées dans la terre par suite de 
la destruction de la cuticule. Sur pomme de terre ou sur gélose, 
quand on maintient le milieu suffisamment longtemps à un degré 
d'humidité convenable, un certain nombre de jeunes cellules pro- 
duisent des filaments mycéliens. Le mycélium apparaît plus 
rapidement (au bout de 15 à 20 jours), à une température 


410 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de 20 à 24°, qu'à la température de l'étuve à 35° (30 à 40 jours). 

À cet état, la Sorosporella n'est pas plus contagieuse qu'à 
l'état de spores. 

C’est tout ce que nous avons pu observer jusqu’à présent sur 
le développement de la Sorosporellu. Des essais de culture et 
des expériences en cours nous en apprendront peut-être davan- 
tage dans le courant de cette année ou l’année prochaine, parce 
que l’évolution de ce champignon semble être relativement très 
lente — et le fait que les deux états de développement que nous 
connaissons déjà ne sont pas contagieux, tardis qu'il y a toujours 
un nombre considérable d’insectes contaminés dans la terre, 
nous fait supposer que ces recherches nous réservent des trou- 
vailles intéressantes. 

Les deux Massopora n’ont voulu pousser jusqu'à présent 
sur aucun milieu nutritif artificiel. 

Au point de vue du rôle que la Sorosporella peut jouer concur- 
remment avec l’Oospora, dans la lutte avec le cleonus, ilest impor- 
tant de noter que les cas d'infection par la Sorosporella devien- 
nent avec le temps de plus en plus fréquents. Ainsi, d’après les 
souvenirs de M. Metchnikeff, qui avait étudié les entomophytes 
de ces régions en 1880-83, on ne trouvait alors qu’un cas 
d'infection par la Sorosporella pour 1,000 d'Oospora. Aujour- 
d’hui, cette proportion est de 1 à 3 en moyenne, et il y a des 
régions où la sorosporellose est déjà plus fréquente que l’oospo- 
rose. La résistance beaucoup plus grande des spores de la 
Sorosporella, et peut-être aussi la lenteur de son évolution nous 
expliquent très bien ce phénomène, etil est certain que, si rien ne 
vient troubler l’état de choses qui s'établit naturellement, la 
Sorosporella finira peut-être par prendre le dessus sur l’Oospora. 
et deviendra probablement un ennemi plus redoutable pour le 
cleonus que ne l’est actuellement cette dernière. 


Stlbella pseudomortierellu. 


Les cas d'infection produits par cette espèce sont encore 
extrêmement rares. 

Nousl'avonstrouvé dans la proportion de 1 cas pour 1,000 pro- 
duits par tous les autres entomophytes ensemble, 

Elle est pourtant bien intéressante et peut devenir bien 


F Las 
‘ 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 441 


importante, parce qu’elle produit des asques à l'extérieur du 
sclérote très dur et très résistant. et à l'extérieur de la cuticule 
de l'insecte momilié des conidies très contagieuses. 

La Stilbella se laisse assez facilement cultiver sur pomme de 
terre, mais se développe lentement et donne des cultures assez 
maigres, Jusqu'à présent, nous n'avons pas encore pu obtenir 
des asques sur des milieux artificiels. 

Tant qu'on n'aura pas trouvé des milieux de culture dans 
lesquels ce champignon pourra donner plus rapidement des 
cultures abondantes, on ne pourra guère s’en servir dans la 
pratique. 


ESSAIS D'APPLICATION EN GRAND DES CULTURES ARTIFICIELLES D'OOSPORA 
A LA DESTRUCTION DES CLEONUS 


De tous les entomophytes du charançon des betteraves, c'est 
l'espèce découverte par M. Metchmikoff, l’Oospora destructrix qui 
semblait devoir donner dans la pratique, le plus facilement, les 
résultats les plus appréciables, parce que, étant presque partout 
plus fréquente, elle semblait trouver dans la nature des condi- 


tions plus favorables à son développement que tous les autres 


entomophytes que nous venons de passer en revue, et aussi 
parce qu’elle pouvait donner, en culture artificielle, rapidement 
une récolte de beaucoup la plus abondante. 

Tous nos essais en grand n'avaient donc été faites jusqu’à 
présent qu'avec des cultures d’oospora. 

D’après ce que nous avons vu plus haut sur les conditions 
d'infection du cleonus dans la nature, on ne peut atteindre ces 
insectes à l’aide des cultures d’entomophytes qu'au moment où 
ils se trouvent dans la terre des champs de betteraves à l'état : 
de larves et de nymphes. Nous avons vu aussi qu'il ne fallait 
pas compter beaucoup sur la propagation de la maladie par conta- 
gion entré individus sains et malades. Pour obtenir un elfet 
appréciable, il était donc nécessaire d'introduire dans la terre 
une quantité suffisante de cultures pathogènes pour que la majo- 
rité de larves et de nymphes puissent les rencontrer et s’infecter. 
Nous pensions que cétte quantité ne pourrait par être EU 
à quelques kilogrammes par hectare. 

Pour produire des cultures d’Oospora en grandes quantités, 


442 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


nous avons pensé à utiliser tout d’abord les grandes quantités 
de cleonus que l’on ramasse au printemps. On en ramasse plu- 
sieurs mètres cubes dans chaque ferme, et il nous semblait facile 
de contaminer ces masses d'insectes à l’état vivant et de les 
mélanger ensuite avec de la terre pour provoquer le développe- 
ment des sclérotes et des hyphasmates. 

En procédant ainsi, nous espérions pouvoir produire de 
grandes quantités de cultures d’Oospora d’une façon relative- 
ment très simple en économisant les frais et les nombreuses 
manipulations que nécessite la stérilisation des milieux de cul- 
ture. Ce procédé avait aussi le grand avantage d’être à la por- 


Fig. 1. 


tée de tous les agriculteurs et, s'il avait réussi, il aurait pu 
donner rapidement d'excellents résultats. 

Malheureusement, notre espoir avait été vite déçu. 

L'infection en masse des cleonus a très bien réussi, mais, 
quand on a mélangé les cadavres des insectes avec de la terre, 
il s’est développé sur ces cadavres une telle quantité d’acariens, 
si friands de nos cultures d’Oospora. que les conidies qui 
commençaient à se former et les sclérotes ont complètement 
disparu en quelques semaines. 

Nous avons bien vite acquis la certitude que ces acariens ne 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 443 


provenaient pas seulement de la terre, mais des’ cleonus eux- 
mêmes qu'ils infectaient en parasites pendant la vie de ces 
derniers ; ils se multipliaient avec une rapidité étonnante sur 
leurs cadavres. La stérilisation de la terre n'aurait donc pas pu 
remédier à cet inconvénient, et nous avons été obligés d'aban- 
donner provisoirement ce système de culture pour des cultures 


Fig. 2. 


sur des milieux nutritifs artificiels stérilisés, et notamment pour 
_des cultures sur pomme de terre. 

Un appareil très simple nous a permis d’en produire beau- 
coup d’une façon relativement très économique. 

Comme le montre la figure 1, cet appareil se compose d’une 
boîte en fer-blanc ou en tôle de zine, à l’intérieur de laquelle on 
place une étagère garnie de plaques de verre. Sur ces plaques 
on dispose des pommes de terre coupées en petits morceaux. La 
boîte, garnie de coton aux jointures, est stérilisée à Pautoclave. 
Après stérilisation, on ensemence l’Oospora sur les pommes de 
terre en insufflant des spores dans l’appareil par les ouvertures 
d avec la pipette fig. 2, dont le renflement (b) avait été préalable- 
ment à moitié rempli de spores par aspiration. 

Après 15 à 20 jours à une température de 20° à 25°, quand 
l’oospora a déjà formé des conidies, on détache les cultures des 
plaques de verre et on les place dans des caisses en bois sur 
plusieurs couches superposées, en séparant chaque couche de 
culture par une couche de terreau stérilisé avec du sulfure de 
carbone. Placée dans ces conditions, l’Oospora continue à se 
développer et, au bout de 4 à 5 mois, on obtient une terre très 
riche en spores. 

Le prix de revient de cette terre chargée de spores est de 


444 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


2 francs le kilogr. environ, et nous pensons que si on la distribue 
à raison de 10 kilogr. par hectare, on obtiendra déjà des résul- 
tats très appréciables. 

On peut s’en rendre compte par l expérience dont les résul- 
tats sont résumés dans le tableau IT. 

Cette première expérience en grand avait été faite l'antiée 
dernière (1902) dans le domaine de Sencla (Russie, gouv. de 


TaBLeau IT. 


Quantité Numéro Larves he idee Insectes | Insectes insectes 
de muscar- de Ja vivantes rer parfaits vivants contaminés 
dine. prise. du cleonus. VENDEE vivants . en tout. |par oospora 
2 7 7 7 21 2 
Parcelle no i| 5 4 15 1% 3 U 
non 4 5 12 9 26 l 
traitée. 0 2 8 11 21 0 
2 42 22 36 ) 
Parcelle n°2 I (l 18 10 28 l 
avec D ù (] 2% 32 y 
À kil. 3 2 T 9 18 
d’oospora | 4 3 (l 15 97 3 
par hect. 5 1 n 12 17 3 
Parcelle n°8 é : _ 
avec | < 1 15 € = R? 
2: 3 f 15 IK 32 l 
CAM QUE û 
ar hect | 4 2 4 6 12 ? 
FRE 5 E 9 Ê 12 Û 
A2 29 "] 
Parcelle n° 4 L où È 15 E a 
2 ( 14 ba 67 ) 
avec à 
3 kil ÿ { à 5 F. : 
ps 4 (0) 4 4 2 
par hect. | 5 b 1e 29 39 l 
+ — où 
Parcelle n° 5 Û 1 15 7 13 20 
) 1 (n] 15 > A1 
avec È 1Ë 96 y 
5 kigr. D ) 1 15 22 S 
par hect l LU 0 4 28 32 2 
î Ù 0 ji 17 24 22 
1 4 2 1% 
arelle n° l 0 11 11 22 
ME > [ 10 19 29 14 
10 il 5 (] 6 35 AI 20 
LE 1 A + 239 mn 
: t. l f 1 13 20 3° : 
par hec ÿ 0 5 97 30 3 


DESTRUCTION DES CLEONUS PUNCTIVENTRIS. 4. 


S 
# 
Qre 


Kiefl) appartenant à M. le comte Léon Bobrinskoy, qui a bien 
voulu nous prêter son concours le plus empressé. 
Nous avons traité : 
o 4 hectares d’un champ de betteraves avec 1 kilog. de culture par hectare. 
2 4 hectares avec 2 kilog. de culture par hectare. 


RE MR US ee Æ 6 
9 


40 2 — — — = == 


ne] 
So Ai ture MR 46 3 e Le 


La parcelle témoin (non traitée) était de 7 hectares. 

Nous avons choisi pour cette expérience un champ qui, 
d'après nos prévisions, devait être naturellement encore très 
pauvre en entomophytes, c’est-à-dire un champ qui ne devait 
recevoir des betteraves que pour la 2° fois. 

La culture avait été distribuée à l’aide d’un semoir combiné 
en même temps que les graines de betteraves; elle se trouvait 
donc localisée dans des sillons espacés de 45 cent. l’un de 
l’autre. 

Nos prévisions se sont trouvées assez bien réalisées, Dans la 
parcelle non traitée, l'infection spontanée n’a atteint que 2 0/0. 
Dans les parcelles traitées, la proportion des insectes infectés 
allait en augmentant assez régulièrement avec la quantité de 
culture distribuée. Dans certaines parties du champ, la propor- 
tion des infectés était de 50 0/0. 

Nous aurions certainement obtenu des différences beaucoup 
plus sensibles entre les différentes parcelles si, au lieu de semer 
l’oospora en sillons avec les graines, nous l’avions distribuée à 
la volée au moment des labours. 

C’est de cette façon que nous avons procédé au printemps de 
cette année en distribuant environ 10 kilog de cultures d’oos- 
pora par hectare sur la moitié d’un champ de betteraves de 
47 hectares. 

Les résultats de cet essai ne seront appréciables qu’en 
octobre. 

Mais, en admettant qu'une introduction dans la terre de 
10 kilogr. de nos cultures par hectare n’augmentera pas plus de 
30 0/0 la proportion des insectes contaminés, le traitement serait 
déjà très profitable, non seulement par ses résultats immédiats 
en détruisant un certain nombre de larves qui vivent aux dépens 
des racines, mais surtout parce qu’il enrichit le champ en 


446 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


entomophytes autant que 5 ou 6 passages de betteraves. 

L'introduction dans la terre d’une quantité convenable de 
cultures artificielles d’oospora produira donc dans un champ le 
même effet que 25 à 30 années de culture. 

La généralisation de ce procédé dans toute la région envahie 
actuellement par les cleonus amènerait certainement une dimi- 
nution notable de la quantité de ces insectes dans l’espace de 
5 à 6 ans, c’est-à-aire quand tous les champs destinés à la cul- 
ture des betteraves auraient reçu le traitement que nous venons 
d'indiquer, 


ERRATA 


Dans l’article de M. Marino, intitulé : « Non-existence des neutrophiles 
d'Ehrlich » et inséré dans ce volume, faire les corrections suivantes : 

Page 357, ligne 9, lire acides au lieu de avides. 

Page 359, ligne 6, supprimer certaines. 

Page 362, ligne 30, lire d’Aolothuria au lieu d'Æolotheuria. 

Page 363, ligne 3, lire pour les couleurs basiques (basophiles), au lieu de pour 
les couleurs (basiques basophiles). 

Page 363, ligne 30, lire re/enaient toujours les couleurs acides au Heu de rete. 
naient toujours les couleurs décrites par. 


CRACHOIR STÉRILISABLE A FERMETURE AUTOMATIQUE 


Par M. ALEXANDRE FOURNIER. 


Aide à l'Institut Pasteur. 


Les hygiénistes qui se sont occupés de la propagation de la 
tuberculose par les crachats ont toujours cherché un système de 
crachoir facilement stérilisable. La solution du problème, sim- 


ple au premier abord, devenait très difficile dans son applica- 
tion; le système adopté devait non seulement être irréprochable 
au point de vue hygiénique, mais étant mis à l’usage du public, 
il devait se présenter d’une façon agréable à la vue, 


# 


118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


La première idée fut d'employer un récipient à double fond 
dans lequel les crachats venaient se perdre au milieu d'un 
liquide antiseptique. 

D’autres constructeurs adoptèrent un couverele articulé avec 
le corps du crachoir, au moyen d’une charnière. Ces deux sys- 
tèmes se sont montré défectueux dans leur usage. 

Nous venons de construire un modèle, qui sous le rapport 
hygiénique et esthétique paraît ne rien laisser à désirer. L’appa- 
reil se compose d’une cuvette À en faience émaillée. Ce récipient 
est soutenu dans une monture M, en acier nickelé, supportée 
par une colonne C, en même métal. La cuvette est fermée par 
un couvercle métallique B, pouvant s'ouvrir au moyen d’un 
mécanisme simple actionné par une pédale P. 

Quand on fait une légère pression avec le pied, sur la pédale P, 
celle-ci actionne un levier L qui soulève une tige { dissimulée 
dans la colonne C. Cette tige { porte à son extrémité la pièce T, 
qui soutient le couvercle B. 

À la base de la pièce T se trouve une roue dentée p qui 
engrène avec une crémaillère fixe c, lorsque la tige { arrive 
au haut de sa course. La roue dentée tourne alors autour de son 
axe et la pièce T est rejetée.sur le côté de l'appareil, entrainant 
avec elle le couvercle, ainsi que le montre la figure. À ce moment 
la cuvette est complètement découverte, le couvercle B étant 
tout à fait séparé du corps du crachoir. 

Lorsqu'on fait cesser la pression sur la pédale P, le ressort R 
repousse la pièce T vers sa position primitive, tandis que le res- 
sort r, dissimulé dans la colonne CO, attire la tige { vers le sol ; le 
couvercle reprend alors sa première position et le crachoir se 
trouve complètement fermé, 

Le nettoyage et la désinfection du erachoir se font très faci- 
lement : deux poignées E placées des deux côtés de la cuvette 
permettent de l'enlever aisément de sa monture métallique. Le 
couverele B peut être lui-même désarticulé, grâce à la vis V, afin 
d’être nettoyé et stérilisé. 

Cet appareil paraît résoudre le problème, en répondant à 
toutes ses données hygiéniques et esthétiques. 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


47me ANNÉE JUILLET 1903 N° 6 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 
QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE ROLE DES ANIBOLTTES 


dans le coelome d’un annélide, 
Par Micuez SIEDLECKI, pe CRACOVIE 


Au cours de nos recherches sur les parasites d’un annélide 
marin, Polymnia nebulosa Mont., provenant de Naples et de 
Trieste, nous avons eu l’occasion d'étudier les amibocytes de la 
cavité générale de ce ver; pendant notre séjour à la station 
zoologique de Wimereux, nous avons contrôlé nos recherches 
antérieures et nous avons établi expérimentalement quelques 
particularités du rôle des cellules en question dans l’organisme 
de l’annélide. 

Nos observations ont été faites sur le vivant et sur les pré- 
parations fixées et colorées : frottis faits avec le liquide cælo- 
mique étalé sur lamelles, coupes à travers le corps des Polymnies, 
ou bien à travers le liquide coelomique retiré de la cavité géné 
rale et fixé à part. Comme fixateurs, nous avons employé 
surtout les liquides de Flemming, d'Hermann et la solution 
concentrée de sublimé à laquelle on ajoute 1 0/0 d'acide acétique. 
Nous avons coloré les préparations avec l’hémalun de Mayer, 
l’hématoxyline au fer, le mélange d'Ehrlich-Biondi ou la safra- 
nine !. 

Il 

Onsait queles amibocytes qui flottent librement dans la cavité 
du corpsdesannélidesse présentent, à l’état de repos, sous l'aspect : 
de cellules fusiformes un peu aplaties. Le fait a été bien observé 


déjà par Aäükenthal* et, depuis, par plusieurs auteurs. Chez la 


4. Les particularités des méthodes dont nous nous sommes servi seront indi- 
quées dans notre travail définitif sur les parasites des Polymnies. 

2, Kuxexruaz W. Uecber, die lymphoïden Zellen der Anneliden, Jen. Zeitschr. 
f. Naturic., t. XVIII. 


29 


450 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Polymnie, la longueur des amibocytes à l’état fusiforme est 
de 20 à 30 y, leur largeur est de 6 y environ. A la surface de leur 
corps, on voit une fine striation longitudinale qui semble être 
seulement un effet de plissement de la surface. Leur protoplasme 
est très transparent et il forme deux couches assez distinctes 
(fig. 1); une, plus dense et plus granulée, qui occupe le centre 
de l’amibocyte, une autre très transparente, qui forme sa surface 
(fig. 1). Les deux couches sont très bien comparables à l'endo- 
plasme et l’ectoplasme des amibes. Le noyau est bien visible à 
l'état frais; il apparaît comme une tache claire au centre de 
l’endoplasme. Sur les préparations fixées (fig. 4 et 8), les stades 
fusiformes se conservent très bien, à condition que le liquide 
coelomique ait été fixé très rapidement. Les deux couches du 
protoplasme ne sont pourtant pas aussi bien visibles qu’à l’état 
frais. 

Le protoplasme semble être formé d’un réseau de fibrilles 
très fines, et seulement un peu plus compact au centre de la 
cellule qu’à la surface. Aux nœuds du réseau, on reconnaît les 
petits grains plasmiques. Sur les préparations colorées à l’héma- 
toxyline au fer, nous avons vu souvent près du noyau un ou 
deux petits grains, ayant l’aspect des centrosomes (fig. 3); 
mais, Comme nous n'avons jamais observé de radiations plasmi- 
ques autour de ces grains, il est possible que ce soient des 
formations accidentelles ressemblant seulement aux centro- 
somes. Le noyau (fig. 3, 4, 11, 18) fixé et coloré montre un 
réseau chromatique bien distinct; le nucléole n’est pas toujours 
visible ; souvent un gros grain de chromatine situé au milieu du 
noyau prend laspect d’un vrai nucléole. 

Chez la Polymnie, ainsi que chez les autres annélides, les 
stades fusiformes des amibocytes ne sont visibles que seulement 
quelques instants après qu’on a retiré le liquide cœlomique du 
corps de l’animal., Placés sur une lame porte-objet, ils changent 
leur forme en quelques minutes, parfois même au bout de 
quelques secondes. Ils s’accollent à la surface de la lame, se 
raccourcissent et s’aplatissent en même temps, et commencent 
à pousser des pseudopodes aux deux extrémités allongées. Les 
pseudopodes sont formés seulement d'ectoplasme, qui paraît 
tout à fait homogène et hyalin; ils poussent lentement de la 
surface de la cellule, prennent l’aspect digitiforme, se cour- 


ROLE DES AMIBOCYTES DANS LE COELOME D'UN ANNÉLIDE, 451 


bent et recourbent lentement. Parfois deux prolongements 
situés l’un près de l’autre se touchent et se confondent pour 
en former un plus gros et plus aplati. Sur la fig. 2, nous avons 
dessiné les stades successifs du mouvement à des inter- 
valles de 1 1/2 à 2 minutes. Deckhuysen !, qui a observé les 
mouvements semblables des amibocytes des Arénicoles, propose 
pour ce mode de mouvement le nom de « ptéropodose », à cause 
de la forme un peu aplatie des pseudopodes (Pteropodien). Sur les 
préparations fixées, ces prolongements amiboïdes prennent un 
aspect filiforme, à cause d’une contraction légère due à l’action 
des réactifs (fig. 3, 4, 12). 

On trouve aussi dans la cavité du corps des annélides les 
stades amiboïdes à côté des fusiformes ; amiboïdes sont toujours 
les cellules qui touchent un corps étranger dans la cavité du 
Corps. 

Le changement de forme des amibocytes est, chez la Polym- 
nie, le plus souvent accompagné de l’agglutination de ces cel- 
lules ; ce phénomène conduit à la formation d’amas à apparence 
granuleuse, de la surface desquels partent de longs pseudo- 
podes. 

Une coupe (fig. 5) à travers un amas pareil nous montre que 
les cellules conservent leur individualité ets’unissent seulement 
par leurs prolongements. Le rapprochement des amibocytes 
conduit ici à la formation d’amas comparables aux réunions 
plastogamiques des Rhizopodes (R. Hertwig*, Rhumbler *). Les 
cellules agglutinées ne sont pas destinées à mourir, comme le 
croit Deckhussen . 

Elles vivent dans les préparations fraîches aussi long- 
temps que les cellules libres, et semblent conserver toutes 
leurs qualités; comme nous le verrons plus loin, elles peu- 
vent même accomplir ainsi réunies quelques fonctions 
vitales, surtout la nutrition. 

Le phénomène de l’agglutination qui était observé par plu- 
sieurs auteurs sur les amibocytes des divers animaux (Kü/en- 


4. Deckauysex M. C., Ueber die Thrombocyten (Blutplättchen). Anat. Anz. XIX. 

2, R.Herrwic., Ueber Microgromia socialis, eine Colonienbildende Monothalamie. 
Arch, f. mikr. Anat. T. X, Suppl. 

3. Rauwezer L., Zell-leib-Schalen und Kernverschmelzungen bei den Rhizo- 
poden. Biol. Centralblt.,t. XNIIT. 

4. DECKHUYSEN, L/. c. 


452 [ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


thal1, Cuénot?, Deckhuysen, Geddes *, Schneider ‘ et beaucoup 
d’autres *) est, à notre avis, provoqué en première ligne par la 
viscosité de la surface des amibocytes. On pourrait supposer 
qu'il existe aussi une sorte de « cytotropisme » (W. Roux, 
Rhumbler) qui provoque le rapprochement des cellules, mais les 
preuves indiscutables de l'existence d’un tropisme pareil nous 
manquent. La viscosité est, au contraire, très facile à constater; 
on voit que les amibocytes s’accolent très facilement à des 
objets étrangers; à leur surface, se fixent aussi très facilement 
les grains de carmin injecté dans le coelome (fig. 6). Le fait 
qu’ils ne s’accolent pas aux autres cellules (par exemple aux 
œufs) qui se trouvent souvent dans la cavité générale du corps 
des Polÿmnies, s’explique facilement par la différence des 
tensions de la surface des amibocytes et des autres cellules; cette 
différence doit être minimale entre les amibocytes mêmes, et 
c'est grâce à cette circonstance que les amibocytes peuvent par- 
fois se confondre complètement. 


Il 


Il est bien connu depuis longtemps que les amibocytes ont la 
propriété d’englober divers corps étrangers qui se trouvent dans 
le coelome. Chez la Polymnie, les phénomènes de la phagocytose 
présentent quelques particularités bien intéressantes, qui jettent 
une lumière sur leur rôle dans l’érganisme de ces vers. 

Comme tous les phagocytes, les amibocytes des Polymnies 
sont capables d’englober les poudres inertes, p. e. le carmin, 
qu’on injecte dans la cavité générale des animaux; il nous a été 
possible d'observer de visu ce phénomène. Nous avons injecté 
du carmin broyé avec de l’eau physiologique sous la peau de la 
Polymnie, tout en faisant attention de ne blesser ni l'intestin ni 
le vaisseau dorsal de l’animal, et, 5 minutes après, nous avons 

1. KukENTHAL, L. ce. 

2. Cuéxor L., a) Etude physiologique sur les Orthoptères. Arch. de Biol. 
T. XIV. 0) Etudes sur le sang et les glandes lymphatiques dans la série animale, 
Arch. Zool. exp. et gén. (2 série) T. IX. c) Les globules sanguins et les organes 
lymphoïdes des invertébrés. Arch. d'An. micr. T. I. 

3. GEnpEs P., On the coalescence of ameboid cells into plasmodia and on the 
so called coagulation of invertebrate fluids. Proc. roy. Soc. London, 1880. 

k. SCHNEIDER G., Uber phagocytäreorgane und Chloragogenzellen der Oligo- 
chaeten. Zeitschr. f. wiss. Zoologie. T. LXI. 


5. Voir la revue par J. CANrAGuzÈNE dans l'Année biologique. T. Il, 1896 (avec 
préface de E. Mercaxixorr). 


ROLE DES AMIBOCYTES DANS LE COELOME D'UN ANNÉLIDE. 453 


retiré une goutte du liquide coelomique pour l’observer à l’état 
frais, On voit bien que le carmin s’accole d’abord à la surface 
des amibocytes, puis il est entouré par les prolongements, et 
transporté dans l'intérieur de la cellule. 

Il se trouve d’abord dans l’ectoplasme (fig. 7 et 10), mais 
bientôt il est transporté dans l’endoplasme et placé près du 
noyau (fig. 8 et 9). Les cellules englobent souvent une telle 
quantité de carmin, qu’elles se remplissent complètement avec 
(fig. 9). On peut très facilement retrouver tous les stades de 
l’'englobement sur les frottis faits avec le liquide coelomique 
retiré d'une Polymnie injectée avec du carmin. 

Les boules de carmin trop grandes pour être englobées par 
un phagocyte (fig. 13) sont entourées d’un très grand nombre 
d'amibocytes qui s’appliquent à leur surface l’un à côté de l’autre 
et peuvent même confondre leurs bords. La grosse boule de 
carmin semble alors être plongée dans une masse plasmique 
granuleuse, de la surface de laquelle sortent les pseudopodes 
hyalins ; il est très difficile de retrouver çà et là les contours des 
amibocytes accolés. Cette union, qui a pour but l’englobement 
d’un corps de dimensions considérables, peut être comparée avec 
la formation des agglomérations de Rhizopodes que Lang appelle 
«€ Fressgesellschaft ». Les cas d’une union pareille ont été 
observés aussi par G. Schneider sur les amibocytes des Perichaeta 
auxquels on a injecté du sang de souris; cet auteur pense pour- 
tant qu’il n’y a pas fusion des amibocytes entourant un gros 
morceau de sang coagulé. La voracité des amibocytes de la 
Polymnie est telle que ce ne sont pas seulement les individus à 
protoplasme vide qui se remplissent avec du carmin, mais aussi 
les cellules déjà bourrées d’autres inclusions (fig. 10). 

Grâce à cette voracité, les amibocytes jouent un rôle impor- 
tant dans la lutte de l'organisme contre les parasites et dans 
certains phénomènes de développement des produits sexués. 


IT 


Dans le corps de la Polymnie, vivent plusieurs parasites ; 
nous avons!{, dans nos communications antérieures, signalé déjà 
lexistence d’un infusoire cœlomique, Herpetophrya astoma, et 


1. M. Sæprecxi, a) Herpetophrya astoma n. g. n. sp., infusoire parasite des 
Polymnies, Bull. intern. de l'Ac. des Sc. de Cracovie, 1902. b) Cycle évolutif de 
Caryotropha Mesnili, coccidie nouvelle des Polymnies. Zbidem. 


454 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


d’une coccidie vivant aussi dans la cavité générale : Caryotropha 
Mesnili. Ajoutons encore que, dans l'intestin de la polymnie, 
vivent deux grégarines : une appartenant au genre Doliocystis, 
l’autre au genre Selenidium !. Cette dernière se trouve très rare- 
ment aussi dans le coelome de l’annédide. De tous ces parasites, 
seule la coccidie est soumise aux attaques des phagocytes. 
L'infusoire et la grégarine échappent à la voracité de ces cel- 
lules, grâce à leurs mouvements vigoureux et rapides; c’est un 
fait de même ordre que celui signalé par Léger? pour le Litho- 
eystis Schneideri. 

La coccidie des Polymnies se développe, comme nous l'avons 
déjà décrit ailleurs, dans les spermatogonies de cet annélide. 
Elle provoque, pendant son accroissement, une hypertrophie 
considérable des cellules hôtes ; elle peut atteindre une grandeur 
remarquable et se reproduire d’une façon asexuée, toujours 
enfermée dans le protoplasme de la cellule hypertrophiée. Or, 
dans ces stades de sa vie intracellulaire, Caryotropha mesnili 
n’est jamais touchée par les phagocytes. Il en est de même des 
cellules infectées. C’est d’ailleurs facile à comprendre : l’hyper- 
trophie des cellules se produit par suite d’une surexcitation de 
leurs fonctions vitales; les cellules hypertrophiées doivent alors 
être encore plus réfractaires à l’action des phagocytes que les 
intactes, et c’est pour cela qu’elles protègent si bien les para- 
sites. Mais, à un moment donné, certains exemplaires de Caryo- 
tropha se transforment en individus femelles ou Macrogamètes et 
ils quittent les cellules hôtes pour accomplir l’acte de la copula- 
tion dans la cavité du corps de l’annélide. Dès ces stades, com- 
mencent les attaques des phagocytes. Les coccidies, maintenant 
au stade d’ookystes pourvus d’une membrane épaisse, sont 
entourées de tous les côtés par les amibocytes. Ces derniers 
s'appliquent fortement à la surface des parasites et s’y apla- 
tissent ; les phagocytes voisins se touchent, s’unissent avec leurs 
prolongements amiboïdes et forment ensemble une couche épi- 
thélioïde. Sur la première couche, s’en déposent bientôt plusieurs 
autres, ct les prolongements des cellules superposées se mêlent 


1. Cette grégarine a une forme très particulière : sa surface est marquée 
suivant sa longueur avec des sillons très profoncs, de sorte que, sur une coupe 
transversale, la grégarine se présente sous la forme d’une étoile à 7 rayons. 
Nous proposons pour cette forme le nom de Selenidium costaturm. ; 

2. LéGer L., Contribution à la connaissance des Sporozoaires parasites des 
Echinodermes, Bull. sc. de la France et de la Belg. T. XXX. 


ROLE DES AMIBOCYTES DANS LE COELOME D'UN ANNÉLIDE. 455 


(fig. 14) et se confondent; enfin, le kyste du parasite se trouve 
enfermé dans un amas d’amibocytes liés si fortement entre eux 
qu’on pourrait même parler d'un syncytium. Nous nous trouvons 
alors en présence d’une réaction cellulaire absolument semblable 
à celle qui se produit autour des grands corps inertes, p. e. 
autour des grosses boules formées de grains de carmin; il ya 
ici une union plastogamique de plusieurs cellules pour englober 
un corps trop gros pour une seule. A la formation d’un syncytium 
pareil, prennent part tous les amibocytes qui se trouvent au 
voisinage de la coccidie; même ceux qui ont déjà englobé autre 
chose s’attachent à la surface des plasmodes autour des ookystes. 

Malgré leurs membranes épaisses et résistantes, les ookystes 
peuvent être détruits par les phagocytes. On rencontre souvent 
dans la cavité du corps des Polymnies des agglomérations de 
phagocytes qui entourent les ookystes en voie de destruction ou 
bien les sporocystes. 

Nous avons représenté (fig. 15) une coupe à travers une 
agglomération pareille. La disposition des phagocytes montre 
ls qu'il s’agit ici des restes d’un ookyste détruit. Une couche 
des amibocytes aplatis et épithélioïdes, se colorant un peu plus 
fortement que le reste, permet encore de reconnaître les limites 
de la membrane de l’ookyste récemment disparue. Au centre, 
on voit un syncytium formé de phagocytes qui ont pénétré dans 
l'intérieur de l'ookyste où sont plongés deux sporocystes déjà 
mutilés et ayant leur membrane plissée, mais renfermant encore 
quelques sporozuïtes pas mûrs; un morceau de la membrane du 
troisième sporocyste se trouve à côté. Quelques phagocytes 
accolés aux sporocystes commencent à détruire ces derniers. 

On peut s'expliquer une réaction si énergique des amibocytes 
envers les kystes des coccidies par deux raisons : 1° les ookystes 
se comportent comme les corps étrangers dans le coelome, et 
2° on peut penser qu'il se produit des substances quelconques 
dans les ookystes qui agissent par chimiotaxie sur les phagocytes 
et les attirent. 

La destruction des kystes coccidiens par les phagocytes 
présente un cas de la défense de l’organisme contre le parasite ; 
les avantages que l’organisme tire d’une défense si effective sont 
évidents : 16 nombre des parasites est ue or : possibilité 
d’une infection est moindre 


456 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il est nécessaire d’ajouter que tous les kystes de Caryotropha 
qui se trouvent libres dans le coelome des Polymnies sont 
assaillis par les amibocytes. C’est un cas extrêmement rare de 
rencontrer un kyste un peu avancé en développement tout à fait 
libre dans le liquide coelomique. Ce sont seulement les stades 
les plus jeunes des ookystes qu’on trouve parfois dépourvus de 
la couche des phagocytes; ce sont peut-être des individus qui 
n’ontpas encore été attaqués, simplement parce qu'ils se trouvent 
libres depuis peu de temps dans la cavité générale. 

Les individus entourés au commencement de leur développe- 
ment se portent très bien. Il peut même arriver que les sporo- 
zoïtes dans les sporocystes se développent presque complètement 
et tout à fait normalement, malgré que les ookystes sont plongés 
dans un syncytium phagocytaire. Mais enfin, beaucoup des 
kystes qui étaient complètement sains au moment où ils sont 
tombés dans le coelome sont détruits par les phagocytes. Nous 
croyons donc, contrairement à l’opinion de Cuénot, que les pha- 
gocytes jouent un rôle très important dans la lutte de l’organisme 
contre les parasites. 


Des faits analogues à ce que nous venons de décrire chez la 
coccidie des Polymnies ont déjà été vus quelquefois sur les 
kystes grégariniens. Ainsi, Cuénot ‘, sur les kystes du Diplocystis 
des grillons, a vu la formation d’une couche ressemblant à 
« une sorte de tissu conjonctif résultant de la transformation 
des phagocytes ». Il a reconnu aussi de nombreux kystes 
détruits dans l’intérieur des masses des phagocytes. Dans son 
travail plus récent ?, le même auteur pense pourtant que l’action 
des phagocytes se borne à la destruction des grégarines déjà 
mortes ou bien des kystes seulement; les formes végétatives 
vigoureuses des grégarines, d’après Cuénot, ne sont pas atta- 
quées par les amibocytes. Léger *, qui a très bien étudié le déve- 
loppement de Lühocystis Schneideri, a constaté aussi que les 
formes mobiles de cette grégarine ne sont pas attaquées par les 
phagocytes, tandis que des plasmodes épais se forment autour 
des kystes. Mais Léger, avec raison, attribue cette action diffé- 
rente des amibocytes vis-à-vis des divers stades de la même 


4. Cuénor L., L. c. 


2. Cuénor L., Recherches sur l’évolution ct la conjugaison des grégarines 
Arch. de Biol. T. XVII, 
3. LÉGER L., d. c. 


é 


| 4 


ROLE DES AMIBOCYTES DANS LE COELOME D'UN ANNÉLIDE. 457 


grégarine à la mobilité des uns et à l’inertie des autres; le cas 
de Cuénot pourrait s'expliquer peut-être par la même raison, 
ainsi que les faits décrits par Labbé et Racovitza'. Au contraire, 
Caullery et Mesnil® ont constaté une lutte qui s'établit entre une 
grégarine coelomique de Dodecaceria concharum, Gonospora lon- 
gissima, à divers stades de son développement, et les phagocy - 
tes. Ceux-ci attaquent la grégarine aussi bien à son état végé- 
tatif qu’à l’état de kyste, et la détruisent souvent. La défense 
de l'organisme par les phagocytes est très effective ; les gréga- 
rines, enveloppées dans une couche épaisse d’amibocytes, sont 
dissoutes et digérées ; leur noyau même, qui d’ailleurs persiste 
le plus longtemps, finit par être détruit. Caullery et Mesnil ont 
également montré que la pénétration et la croissance du para- 
site dans le coelome de l’annélide coïncide avec la période 
d’affaiblissement de l’appareil phagocytaire, (dont les cellules 
sont bourrées de granulations de réserves); mais, aussitôt que 
les réserves ont disparu, les phagocytes reprennent leurs 
propriétés phagocytaires et un grand nombre de grégarines sont 
détruites. Il faut ajouter que Gonospora, à son état végétatif, 
n’est que peu mobile; cela nous explique pourquoi les amibo- 
cytes ne sont pas chassés de sa surface. Les faits constatés par 
Léger, Caullery et Mesnil et nos observations sur la coccidie 
des Polymnies nous permettent de croire qu'il n’y a pas de 
chimiotaxie négative des phagocytes vis-à-vis des grégarines, 
contrairement à l'opinion de Cuénot, lequel prétend qu'elle est 
une « loi générale» pour la forme végétative des grégarines coe- 
lomiques. 


IV 


Les phénomènes les plus curieux de phagocytose que nous 
ayons observés dans la cavité générale des annélides se pré- 
sentent chez les mâles dont les produits génitaux sont en plein 
développement. 

Chez la Polymnie, le développement des spermatozoïdes se 
fait de la façon suivante : les spermatides entourent comme 


4, Laësé et Racovirza. Pterospora maldaneorum n. sp., grégarine nouvelle 
parasite des Maldaniens. Bull. Soc. zool. France. T. XXII. 

2. Cauzzery et Mesniz, Les formes épitoques et l’évolution des Cirratuliens, 
Annales de l'Univ. de Lyon. T. XXXIX, 1898, 


458 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


une couche épithéliale un gros cytophore sphérique ; l’ensemble 
constitue une sorte de morula, qui flotte dans le liquide coelo- 
mique. La cellule centrale possède un grand corps plasmique, 
dans lequel on peut reconnaître un noyau très lâche et se colo- 
rant très faiblement. A la fin de la spermatogénèse, il est sou- 
vent impossible de discerner bien le noyau du cytophore. A ce 
stade, les spermatozoïdes sont attachés par leurs têtes à la cellule 
centrale et leurs parties plasmiques sont hérissées, comme une 
chevelure, autour dela boule plasmique du cytophore.Finalement, 
ils se détachent et flottent dans la cavité générale ; les cyto- 
phores restent libres à côté. 

Il arrive souvent que les spermatides se détachent trop tôt 
du cytophore. Incapables d'évoluer librement, ils deviennent 
aussitôt la proie des phagocytes. On les voit englobés (fig. 16 
à 18) (par une ou par plusieurs) dansles vacuoles des amibocytes où 
elles subissent la digestion. Parfois on peut reconnaître encore 
(fig. 17) dans le noyau des cellules englobés le réseau caracté- 
ristique; mais, lentement, tout devient compact, le noyau 
prend l'aspect d’un gros grain chromatique et, à cet état, 1l 
résiste assez longtemps à la digestion. La phagocytose, dans ce 
cas, débarrasse l’organisme de ces cellules inutilisables. 

Les spermatozoïdes qui, avant d’être évacués, flottent libre- 
ment dans la cavité du corps, ne sont pas à l'abri des attaques 
des phagocytes. On rencontre souvent (fig. 19 et 20) les ami- 
bocytes avec des spermatozoïdes englobés, placés dans l’intérieur 
de petites vacuoles claires. Il est très facile de reconnaître les 
spermatozoïdes englobés à leur forme caractéristique qu’ils con- 
servent (fig. 19) assez longtemps; même la partie plasmique et 
la queue sont souvent bien visibles. Au fur et à mesure de la 
digestion, les parties protoplasmiques des spermatozoïdes dispa- 
raissent les premières; la tête se conserve plus longtemps, mais 
elle perd lentement sa forme allongée (fig. 20 et 21) et se 
transforme en un gros grain chromatique. 

Un phagocyte englobe souvent un très grand nombre de 
spermatozoïdes ; après leur digestion partielle, il apparaît comme 
bourré de granules formés de chromatine (fig. 21). Ces ami- 
bocytes, qui ont englobé une très grande quantité de spermato- 
zoïdes, ont souvent un plus grand noyau (fig. 20 et 21) et un 
corps plasmique plus volumineux que les vides; leur structure 


ROLE DES AMIBOCYTES DANS LE COELOME D'UN ANNÉLIDE. 459 


interne reste pourtant complètement normale. Il est possible 
que cet accroissement soit en rapport avec une nutrition plus 
énergique. 

La phagocytose des spermatozoïdes peut avoir, à notre avis, 
une grande signification dans la vie des Polymnies. Il est évi- 
-dent que les spermatozoïdes les moins vigoureux et, par consé- 
quent, les moins mobiles et les moins résistants, sont les plus 
faciles à englober. Les phagocytes font alors un triage parmi les 
produits génitaux et laissent intacts seulement les plus sains et 
les plus forts; ces derniers ont alors le plus de chances d’être 
évacués et de servir pour la fécondation. 

On sait qu'après l'évacuation d’un grand nombre de sper- 
matozoïdes, ilreste toujours un excès, non utilisé, dans lecoelome 
de l’annélide; or, l’organisme se débarrasse de cet excès au 
moyen des phagocytes. Le fait qu'après la période de Ja 
maturité sexuelle, on ne retrouve pas du tout de produits géni- 
taux mâles dans le coelome s’explique alors facilement par la 
phagocytose des spermatozoïdes. 

La phagocytose des spermatozoïdes a été déjà observée par 
A. Schneider‘, qui a noté la présence de phagocytes ayant la 
propriété de détruire les spermatozoïdes et les œufs dans les 
testicules etles ovaires de Nephelis Aulostomum et Hirudo. D’après 
les observations de Schneider, les phagocytes entourent les 
spermatoblastes à divers stades de leur développement, provo- 
quent leur décomposition en plusieurs parties, et englobent les 
morceaux détachés. On les voit, bourrés de spermatoblastes 
surtout dans la partie du Vas deferens située immédiatement en 
avant du pénis dans ce dernier, les phagocytes ne se trouvent 
plus. Dans ce cas, il s’agit de phénomènes très semblables à ceux 
que nous avons observés chez la Polymnie. Mais, d’après 
Schneider, c’est la phagocytose qui provoque la destruction des 
produits génitaux ; au contraire, chez la Polymnie, le rôle des 
phagocytes consiste surtout à débarrasser l'organisme des pro- 
duits génitaux les moins vigoureux ou bien inutilisables. 

Les deux cas ont ceci de commun qu'’ils’agit de la spermato- 
phagie chez l'individu même qui a fournit les spermatozoïdes. Au 


4. A. ScaneibEer, Ueber die Aufloesung der Eier und Spermatozoen in den 
Geschlectsorganen. Zoo!. Ans. T. III, 1880. 


460 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


contraire, Kowalevsky ! a constaté la phagocytose des sperma- 
tozoïdes introduits pendant la fécondation dans le coelome d’un 
autre individu, Dans ce cas, les amibocytes n’interviennent que 
très rarement; ce sont les néphridies qui jouent le rôle d'organes 
phagocytaires. Il est évident que les faits de cet ordre, signalés 
aussi par Brandes® et Brumpt*, ne sont pas directement compa- 
rables à la spermatophagie constatée chez la Polymnie. 


Nous avons dit plus haut qu'après le développement des sper- 
matozoïdes, les masses plasmiques centrales, les cytophores, aux- 
quels ils étaient attachés, restent libres dans la cavité du corps 
de la Polymnie. Ces restes plasmiques sont phagocytés à feur 
tour. Les phagocytes s'appliquent à leur surface, s’y aplatissent, 
etenfinlesentourentavecleur protoplasme(fig.22);souvent,unou 
plusieurs spermatozoïdes, non encore détachés de la surface de 
la masse plasmique, sont englobés avec elle (fig. 22 et 25). 

Un cytophore représente un volume assez considérable ‘en 
comparaison du phagocyte; par conséquent, ce dernier forme 
souvent seulement une couche très mince autour du cytophore 
(fig. 22). Une fois plongé dans le corps du phagocyte, le cyto- 
phore commence à subir la digestion. Il se trouve placé dans 
une vacuole claire où son volume diminue lentement; son con- 
tour devient un peu irrégulier, souvent il se désagrège en quel- 
ques morceaux et sa colorabilité augmente au fur et à mesure 
de la digestion. Le phagocyte qui contient un cytophore (fig. 23) 
augmente généralement rapidement de volume, par suite pro- 
bablement d'une nutrition très énergique. Cette augmentation de 
volume rend possible aux phagocytes d’englober plusieurs cyto- 
phores (fig. 24) successivement ; sur des préparations conte- 
nant des phagocytes entiers et sur des coupes en série, nous 
avons compté jusqu’à 7 cylophores à des degrés divers de 
digestion, dans un même phagocyte très distendu. Il arrive 
aussi fréquemment que plusieurs phagocytes s'unissent pour 
englober quelques cytophores (fig. 25). 

1. KowaLevsky À., Phénomènes de la fécondation chez l’Aaementeria costata. 
C. R. Acad. Sciences Paris, t. CXXELX, 1899, p. 261, et Mém. Acad. Sciences 
Saint-Pélersbourg., Te série, t. XI, 4901. = 

2. Branpes G., Die Begattung von Nephelis, Æall. Zeitschr. fur Naturwis. 
T. LXXII, 1899. 


3. Bruwpr, De la fécondation par voie hypodermique chez les Hirudinées. 
Comp. rend. de la Soc. de Biol., 1900. 


ROLE DES AMIBOCYTES DANS LE COELOME D'UN ANNÉLIDE. 461 


Durant tous ces phénomènes, les noyaux des phagocytes sont 
rejetés vers la surface ou bien serrés si fortement entre les 
grands corps englobés, qu’ils se déforment, tout en conservant 
leur structure (fig. 22, 25). 

On rencontre dans le protoplasma des phagocytes qui ont 
englobé des cytophores, une quantité des granulations diverses 
(fig. 24). Le nombre de ces granules est très considérable, sur- 
tout chez les individus dans lesquels Les vacuoles contiennent 
des restes de cytophores presque entièrement digérés. Deux 
sortes de grains sont faciles à distinguer; les uns sont incolores 
et ressemblent aux granules protoplasmiques; les autres, jau- 
nâtres, brunissant fortement sous l’action de l’acide osmique, 
sont formés d’une matière grasse. Les deux sortes représentent 
probablement les produits de la digestion des cytophores dans 
les phagocytes. 


La phagocytose des cytophores présente un grand avantage 
pour l'organisme de la Polymnie. Il est évident que la forma- 
tion des spermatozoïdes sur les cytophores se fait avec une 
dépense énorme de matière. A notre avis, la phagocytose 
règle et modère ces dépenses; les substances qui forment les 
cytophores ne sont pas perdues pour l’annélide, alors qu'elles 
sont englobées ; au contraire, elles restent dans l’organisme en 
se transformant, Grâce aux réactions phagocytaires, les pertes 
matérielles de l’organisme, pendant la spermatogénèse, sont 
réduites au minimum, La phagocytose est en ce cas une fonc- 
tion régulatrice d’une très haute importance, 


EXPLICATION DES PLANCHES VIII ET IX 


Les figures 1, 2, 6 à 10 et 13 sont dessinées d’après le vivant, les autres 
d'après des préparations fixées. A l'exception des fig. 44 et 15, toutes les 
autres ont été dessinées à un grossissement de 750 diamètres. 

Fig. 1. Amibocyte fusiforme, section optique. 

Fig. 2. Huit stades successifs d’un amibocyte en mouvement, dessinés à 
des intervalles de 2 minutes. : 

Fig. 3. Trois amibocytes fixés au sublimé, colorés à l'hématoxyline au fer. 
Dans deux, on voit un grain noir ressemblant à un centrosome, 

Fig. 4. Trois amibocytes fixés au liquide d'Hermann, col. safranine. 


462 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Fig. 5. Coupe à travers une agglomération d’amibocytes. Dans trois cel- 
lules, on voit les cytophores englobés. Fix. au Flemming, col. safranine. 

Fig. 6. Amibocyte vivant, avec grains de carmin à la surface. 

Fig. 7-9. Englobement du carmin par les amibocytes. 

Fig. 10. Amibocyte bourré de vacuoles et contenant un grain de carmin: 

Fig. 11. Amibocyte fusiforme avec carmin. Frottis fixé au sublimé 
12 heures après l'injection du carmin dans le coelome; hématoxyline. 

Fig. 12. Amibocyte avec carmin, fixé 12 heures après l'injection. Sublimé, 
hématoxyline. 

Fig. 13. Une grosse boule de carmin entourée d’amibocytes. 

Fig. 14. Un kyste de Caryotropha mesnili entouré d’amibocytes. Liquide 
d’Hermann, safranine. Grossissement 520. 

Fig. 15. Une agglomération d’amibocytes entourant un kyste détruit de 
Caryotropha mesnili. * Limites de l'ookyste marqués par une couche 
d’amibocytes plus foncés. + Un amibocyte ayant englobé plusieurs sperma- 
tides. Liquide de Hermann, safranine. Grossissement 520. 

Fig. 16. Amibocyte avec une spermatide englo bée. Sublimé, hématoxy- 
line. 

Fig. 17. Amibocyte avec 5 spermatides englobées, dont le réseau chroma- 
tique conserve encore la structure caractéristique. Coloration comme 16. 

Fig. 18. Trois amibocytes; dans l’un, quelques spermatides en voie de 
digestion. Liquide de Hermann; safranine. 

Fig. 19. Amibocyte avec 3 spermatozoïdes englobés. Les parties plasmiques 
des spermatozoïdes sont encore bien conservées. Sublimé; hémalun. 

Fig. 20. Un grand amibocyte avec plusieurs spermatozoïdes en partie 
digérés. Sublimé, hémalun. 

Fig. 21. Deux amibocytes avec gros grains de chromatine, représentant 
les têtes transformées des spermatozoïdes. Sublimé, hémalun. 

Fig.22. Amibocyte avec un cytophore englobé. Sur le cytophore, une tête 
de spermatozoide accolée. Liqueur de Hermann, safranine. 

Fig. 23. Un très grand amibocyte avec un cytophore. Sublimé, hémalun. 

Fig. 24, Amibocyte avec trois cytophores digérés et très nombreuses gra- 
nulations dans le protoplasme. Liquide de Hermann, safranine. 

Fig. 25. Deux amibocytes unis, avec trois cytophores et une spermatide 
englobés. * Un cytophore avec des restes de spermatozoïdes. Un noyau 
déformé par suite de la pression. Liqueur de Hermann, safranine. 


CONTRIBUTION A L'ÉTIOLOGIE DE LA DYSENTERIE 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE 


Par MM. 
L. VAILLARD ET CH. DOPTER 


médecin principal de l’armée médecin-major de 2e classe, 


La dysenterie compte parmi les maladies les plus fréquentes 
et parfois les plus meurtrières de l’espèce humaine. Commune 
dans les pays tempérés, où elle se manifeste par des épidé- 
mies remarquablement saisonnières, invariablement attachée 
aux armées en campagne au point de devenir le constant fléau 
de toutes les guerres continentales, elle acquiert plus d’impor- 
tance encore dans les contrées chaudes du globe et, avec la 
malaria, constitue la maladie dominante de ces régions. Un 
grand intérêt s’attache donc au progrès de nos connaissances 
sur une affection si répandue. 


I 


On a pensé pendant longtemps que la dysenterie n’était pas 
de nature univoque dans toute l’étendue de son aire géogra- 
phique; aussi distinguait-on à ce point de vue la dysenterie tro- 
picale de celle des pays tempérés. Après les travaux de L, Colin, 
de Kelsch et Kiener, il apparut que la dysenterie se traduisait en 
tout lieu par des lésions, une évolution clinique, des conditions 
éuologiques semblables, et, en France du moins, on se prit à 
considérer comme absolue l’unité de ses manifestations sous 
les diverses latitudes. Aujourd’hui cette croyance unitaire fléchit 
partout, et la maladie tend à se démembrer en espèces distinctes 
par leur cause pathogène et les altérations qui les caractérisent. 

Deux formes nettement tranchées se dégagent jusqu'ici. 

La première appartient d’une manière plus spéciale aux 
pays chauds; elle y est endémique, s’observe à toutes les 
périodes de l’année et donne fréquemment lieu à la suppura - 


464 ANNALES DE L'INSTITUT PASLEUR 


tion du foie, Son évolution clinique est irrégulière, entrecoupée 
d’accalmies et d’exacerbations, souvent prolongée ou chroni- 
que. Ses lésions, bien décrites par Councilmann et Lafleur, Kruse 
et Pasquale, Harris, se résument essentiellement en une tumé- 
faction des diverses tuniques du gros intestin, avec foyers de 
nécrose étendus d'emblée à toute l’épaisseur de la muqueuse, 
abcès folliculaires, ulcères déchiquetés et profonds à bords sur- 
plombants. C’est à propos d’une telle forme observée en Égypte 
que Koch (1883), puis Kartulis (1886) ont mentionné l’exis- 
tence dans l'intestin et le foie abcédé des amibes spéciales 
décrites par Lüsch en 1875; l’un et l’autre n’hésitèrent pas à 
considérer ces amibes comme la cause efficiente de la maladie. 
Cette conception parait aujourd’hui bien justifiée ; déjà étayée 
par les travaux successifs de Osler, Councilmann et Lafleur, 
Kruse et Pasquale, Marchoux,; etc., elle trouve une nouvelle con- 
firmation dans les recherches de Strong et Musgrave: à Manille, 
et celles de Jurgens? sur la dysenterie des soldats allemands 
rapatriés de Chine. Il en ressort en effet que, partout où on 
l’observe, cette dysenterie s’individualise par la présence d’ami- 
bes spéciales dans les déjections fraîches des malades et les 
lésions intestinales de ceux qui succombent ; le pus et la paroi 
des abcès du foie les contiennent également. L’inoculation au 
chat (voie rectale) des selles dysentériques ou du pus hépatique 
renfermant les protozoaires détermine une maladie mortelle, 
semblable par ses symptômes et ses lésions à celle de l'homme. 
Les selles empruntées à d’autres formes de dysenterie ne mon- 
trent jamais les mêmes amibes, et leur injection dans le rectum 
du chat reste toujours sans effet. IL semble donc bien que la 
dysenterie exotique, si fréquemment accompagnée d’hépatite 
suppurée, soit imputable à l’action d’amibes particulières qui se 
localisent surtout dans le gros intestin, mais peuvent aussi 
gagner le foie et en provoquer la suppuration. C’est la dysenterie 
amibienne. 

A côté de cette forme, une autre commence à s’édifier qui 
se distingue de la précédente par ses caractères épidémiologi- 
ques, cliniques, anatomiques et surtout la nature de sa cause : 

4. SrronG et MuscRave, Report of the etiology of the dysenteries of Manila ; 


lieport of the surgeon-general of the army, Washington, 1900. 


2. JURGENS, Veroffentlichungen aus dem Gebiete des Militar-Sanitatswesens. 
Heft XX, 1902. 


NERO SO CE # re 4 de pe 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE, 465 


elle est l'apanage des pays européens ou, plus exactement, des 
régions lempérées, sans toutefois faire défaut dans les zones 
chaudes et tropicales. Exceptionnellement sporadique, cette 
dysenterie se traduit par des épidémies dont l'extension et la 
gravité sont souvent redoutables. Dans l'immense majorité des 
cas, son règne coïncide strictement avec la période la plus 
chaude de l’année: c’est de juillet à la fin septembre que les 
épidémies commencent et achèvent leur évolution. La maladie 
est transmissible, parfois même très contagieuse. Le début en 
est généralement brusque, la marche aiguë, rapide, courte et 
régulière ; la guérison ou la mort surviennent d'habitude en 
l’espace de deux septénaires; parfois cependant les atteintes 
sont trainantes et peuvent durer des mois. Les lésions qui lui 
sont propres s'étendent de l’anus au cœcum et jusqu’à la portion 
terminale de l’iléon, intéressant surtout la muqueuse propre- 
ment dite. Elles se caractérisent par la tuméfaction œdémateuse 
et hypérémique de cette membrane, qui revêt l’apparence d’un 
velours mamelonné, de coloration rouge sombre, par l’hypersé- 
crétion catarrhale des glandes de Lieberkuhn et des foyers de 
nécrose superficielle ; cette nécrose débute par l’épithélium de 
revêtement, gagne ensuite de proche en proche, donnant lieu à 
des taches jaunâtres ou grisätres légèrement déprimées. L’éli- 
mination des eschares laisse des exulcérations ou des pertes de 
substance, à fond et à bords plats, de contours irréguliers qui 
n’atteignent presque jamais la muscularis mucosæ. C’est le type 
de l’inflammation diphtéroïde des Allemands. Une telle dysen- 
terie ne s'accompagne jamais d’abcès du foie. Les selles muco- 
sanglantes ne renferment pas les amibes précédemment signa- 
lées, et leur inoculation dans le rectum des chats ne provoque 
aucune réaction appréciable. 

L’étiologie de cette dysenterie a donné lieu à des travaux 
nombreux. La plupart visent des bactéries certainement étran- 
gères au développement de la maladie. Mais les recherches de 
ces dernières années ont appelé l’attention sur un bacille parti- 
culier, que beaucoup considèrent déjà comme la véritable cause 
de la dysenterie épidémique; celle-ci deviendrait dès lors, par 
opposition à la forme précédente, une dysenterie bacillaire. 

C’est exclusivement à cette dysenterie épidémique, bacillaire 
que s’adressent les développements qui vont suivre, | 
30 


466 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il 


L'agent pathogène de cette dysenterie a été vu pour la pre- 
mière fois par Chantemesse et Widal qui, dans une courte note 
présentée à l’Académie de médecine en 1888 ‘, ont sommaire- 
ment défini ses caractères à l’aide des moyens dont la science 
disposait à cette époque, et fait ressortir son action pathogène 
sur les animaux. Il y a lieu de croire que, ultérieurement, Kruse 
et Pasquale? (1894), Celli et Fiocca * (1895) ont rencontré le 
même microbe; du moins signalent-ils dans les selles l'existence 
commune d’un bacille ressemblant à celui de la fièvre typhoïde. 
Mais c'est à Shiga‘ (1898) que revient le mérite d’avoir bien 
différencié le bacille particulier qu'il trouvait dans la dysenterie 
épidémique du Japon, et fourniune première preuve de sa spéci- 
ficité en démontrant l’agglutination de ses cultures par le seul 
sérum sanguin des sujets affectés de la maladie. Ses expériences 
sur les animaux (souris, cobayes, lapins, chats, chiens) n’ont 
pu reproduire les symptômes et les altérations intestinales de 
la dysenterie humaine; tout au plus Shiga obtenait-il du 
catarrhe, de l’hypérémie et des hémorragies circonscrites de la 
muqueuse. C’est donc en se basant sur la présence constante 
du bacille chez les dysentériques, son absence dans les déjec- 
tions des autres malades, son agglutination par le sérum des 
sujets atteints ou récemment affectés, qu'il a cru pouvoir le 
considérer comme la cause probable de la dysenterie épidémique, 
celle du moins qui règne au Japon. 

Le bacille dysentérique décrit par Shiga est un bâtonnet 
court, à bouts arrondis, à peine mobile, dépourvu de spores, 
non colorable par la méthode de Gram. Il se développe sur la 
gélatine sans la liquéfier : ses colonies d’abord punctiformes, 
légèrement jaunes et granulées, s’élargissent ensuite en prenant 
un aspect folié, etmontrent alors un centre foncé avec une péri- 
phérie claire, translucide ; inoculé par piqüre, il forme un cordon 
blanchâtre le long de la strie d’inoculation. En gélose, les colo- 


4. Caanremesse et Wipaz, Sur le microbe de la dysenterie, Bulletin de l'Acad. 


de Méd., 1888. 
2. Kause et Pasouace, Unters. über Dys. Zeitsch, f. Hyg., 1894. 
3. CeLLt et Fiocca, Ann. dell Inst d'igiena Sper. di Roma, 1895. 
4. S1GA, Centr. f. Bakt., 1898, Ueber den Erreger der Dysent. in Japon. 


s 
ê 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 467 


nies offrent un aspect humide, blanc bleuâtre, un peu foncé au 
centre, transparent à la périphérie. Sur pomme de terre il donne 
un glacis luisant, à peine visible, qui s’épaissit un peu et se 
fonce par la suite. Il ne coagule pas le lait, communique au 
lait tournesolé une légère teinte rougeàtre dans les premières 
24 heures, ne fait pas fermenter les sucres et ne produit jamais 
d'indol. Par l’ensemble de ses caractères, ce bacille, ainsi que 
P& fait remarquer Shiga, se rapproche donc du bacille typhique. 

Deux ans plus tard (1900), Kruse ‘ décrit minutieusement un 
bacille semblable dans une épidémie dysentérique qui sévissait 
en Westphalie rhénane; comme Shiga, il s’appuie sur l’aggluti- 
nation de ce bacille par le sérum des dysentériques, et seulement 
par ce sérum, pour en admettre la spécificité. Kruse établissait 
ainsi que la dysenterie allemande se superpose à la dysenterie 
japonaise. 

Dès ce moment, les recherches confirmatives se multiplient, 
Flexner ? aux Philippines, puis à Porto-Rico, isole de certains 
dysentériques un bacille qui, sauf des variantes sans importance, | 
s’identifie avec eelui de Shiga. 

Strong et Musgrave *, dans une excellente étude sur la dysen- 
terie des troupes américaines à Manille, établissent la coexistence 
de deux formes bien distinctes de la maladie. L'une, endémique, 
souvent accompagnée d’abcès du foie, se lie à la présence 
d'amibes spéciales dans le gros intestin et les selles : on n’y 
trouve pas le bacille de Shiga et le sang des malades n’agglu- 
tine pas les cultures de ce dernier; elle peut être reproduite 
expérimentalement chez le chat par l'injection rectale des selles 
à amibes. L'autre, épidémique, saisonnière, ne déterminant 
jamais de suppuration hépatique, se caractérise par la présence 
constante dans les selles et les parois intestinales d’un bacille 
spécial que le sérum des malades agglutine. Cette dysenterie 
paraît la plus fréquente ‘. La description du bacille qui la pro- 
voque ne laisse aucun doute sur sa ressemblance avec celui de 

4, Kause, Die Ruhrgefahr in Deutschland in besondere un rheinisch-Westfi- 
lischen Industriebezirk, Centr. f. allg. Gesundheitspflege, 1900; Uber die Ruhr als 
Volkskrankheit und ihren Erreger. Deutsch. Med. Woch., 1900; etc. 

2. FcexNer, The etiology of tropical dysentery, Centr. ee Bakt. 1900. 

3. SrronG et MusGRavE, Loco citato. 

4. .… Sur 1,328 cas de dysenterie reçus en 10 mois à l'Hôpital de Réserve no 1, 


561 appartenaient à la forme amibienne et 766 à la forme bacillaire, que les 
auteurs désignent aussi sous le nom de dysenterie aiguë ou subaiguë spécifique. 


468 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Shiga et Kruse; il ne se rencontre que chez les dysentériques et 
jamais chez d’autres sujets. Strong et Musgrave n’aboutissent 
pas à reproduire la maladie chez les animaux par l’ingestion ou 
l’inoculation rectale des cultures pures. Il en fut autrement 
chez l'homme. Ces médecins font absorber à un Indien condamné 
à mort, d’abord du bicarbonate de soude, puis une culture en 
bouillon âgée de 2 jours. Trente-six heures après apparaissent des 
selles diarrhéiques, muqueuses, striées de sang qui deviennent de 
plus en plus fréquentes (31 en 24 heures) et uniquement consti- 
tuées par des masses de mucus sanglant; la culture y décèle 
facilement le bacille ingéré. En même temps survenait une 
fièvre modérée et une sensibilité assez vive de l'abdomen. Le 
sujet se rétablit rapidement avant son exécution; il ne semble 
pas que l’autopsie en ait été faite. Cette dysenterie expérimen- 
tale de l’homme serait un argument décisif en faveur de la 
spécificité du bacille ingéré, si elle n’avait été obtenue dans un 
milieu et à un moment où régnait la dysenterie épidémique; 
elle n’en a pas moins une grande valeur. 

Drigalski: rencontre le bacille de Shiga, Kruse et Flexner 
dans l'épidémie de dysenterie survenue en 1901 parmi les 
troupes de la garde prussienne campées à Doberitz, et dans une 
manifestation moins importante qui atteignait à la même époque 
le 7€ corps d'armée. Ce bacille est constant, en quantité prédo- 
minante, dans les selles des cas récents, et ne se trouve jamais 
chez les sujets sains; il est agglutiné exclusivement par le sang 
des malades. Bien que les résultats expérimentaux sur l'animal 
ne soient point décisifs, l’auteur admet cependant comme 
fondée l'opinion de Shiga sur l’action spécifique de ce bacille. 

Pfuhl* isole un microbe identique dans la petite épidémie de 
Alexandrowo et chez des soldats du corps expéditionnaire de 
Chine qui, déjà atteints de dysenterie en extrême Orient, avaient 
présenté une récidive après le rapatriement; ilétudie minutieu- 
sement l’action agglutinante du sérum des malades et en fixe 
la valeur diagnostique. C’est encore le même bacille que Mul- 
jér ‘ rencontre dans l'épidémie de Südsteiermark. 


{. Dricarsxi, Veroffentlichungen aus dem Gebiete des Militar Sanitäts 
Wesens, 1902. 

2, Pruuz, /dem. 

3. Muuier, Ueber den Bakteriologischen Befund bei einer Dysenterie epi- 


demie in Südsteiermark, Centr. f. Bakt., 1902. 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE, 469 


Weder et Duval! recueillent dans plusieurs épidémies du 
nord-ouest des États-Unis des bacilles analogues à ceux que 
Flexner avait isolés à Manille ou à Porto-Rico, réagissant exacte- 
ment comme ceux de Shiga, Strong et Flexner à l'égard du 
sérum des malades ou d’un animal immunisé. 

À Moscou (1902) Rosenthal* étudie 85 cas de dysenterie et 
trouve toujours dans les selles un bacille identique à celui de 
Shiga et Kruse, exclusivement agglutiné par le sérum des 
dysentériques. 

Enfin, dans un récent mémoire sur « l’abcès du foie tropical 
ou amæbien, et ses rapports avec la dysenterie à amibes », Léo- 
nard Rogers*® signale incidemment qu’il a isolé le bacille de 
Shiga en quelques cas de dysenterie catarrhale, et que les cul- 
tures de ce bacille étaient agglutinées par le sérum des malades ; 
cette dysenterie bacillaire (catarrhale ou membraneuse) serait 
même, d’après l’auteur, la forme ordinaire de l’Inde. 

De la mention succincte de toutes ces recherches, il ressort 
donc que dans les régions les plus différentes du globe, tropi- 
cales ou tempérées, règne communément une dysenterie carac- 
térisée par un bacille spécial, à peu près identique en tout lieu; 
sa constance dans les déjections et son agglutination exclusive 
par le sérum des malades le font considérer comme la cause 
probable de cette dysenterie. 

Les auteurs qui ont étudié la maladie en France depuis la 
communication de Chantemesse et Widal ne font aucune men- 
tion d’un semblable organisme. Les uns (Arnaud, Courtet et 
Loir, Comte), attribuent au coli-bacille le pouvoir de produire 
les symptômes et les lésions de la dysenterie. D’autres (Bertrand 
et Baucher, Laveran) imputent la dysenterie saisonnière des 
pays tempérés aux microbes commensaux de l'intestin deve- 
nus pathogènes sous l’influeñce d’une exaltation de virulence 
ou d’une altération préalable de la muqueuse qui les supporte. 
H. Roger‘ décrit dans la dysenterie parisienne une bactérie 
très mobile, liquéfiant la gélatine et coagulant le lait, qu'il 


1. Weper et Duva, The etiology of acute dysent. in the United-Stats, Cent. f. 
Bakt., 1902. 

2. RosenrHaL, Zur Aetiologie der Dysent., Deutsch. med. Woch., 1993. 

3. LEONARD RoGers, Journal of tropic. medic., février 1903. 

4. H. Rocer, Recherches sur l’entérite dysentériforme, Presse médicale 1900 ; 
Le Coli-bacille de la dysenterie, Presse midicale 1900. 


470 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


obtient chez le lapin après injection intra-veineuse de la culture 
totale des selles dysentériques. Par le même procédé de 
recherches, il extrait de selles dysentériques envoyées de Bre- 
tagne un coli-bacille semblable à celui que Lemoine ‘ avait déjà 
signalé en 1899 dans la dysenterie épidémique de Paris. Pour 
Moreul et Rieux * la dysenterie épidémique du Finistère et 
d’autres lieux serait due à un bacille très mobile, coagulant le 
lait, faisant fermenter les sucres, ne produisant que peu ou point 
d’indol, identique au précédent. Enfin, Lesage * a découvert 
dans la dysenterie coioniale observée à Toulon un microcoque 
ou streptocoque, le plus souvent en diplocoque à grains égaux 
ou inégaux, et, dans ce dernier cas, prenant l'aspect d’un ballon 
muni de sa nacelle. Mais, de ces différents microbes, aucun n’a 
fait encore la preuve de sa spécificité. 

De cette diversité des résultats obtenus en France, faudrait-il 
donc conclure que la dysenterie épidémique de notre pays n’est 
pas de même essence que celle des autres régions? Il n’en est 
rien, comme le démontrent nos recherches bactériologiques et 
expérimentales à l’occasion de l'épidémie qui a sévi sur une 
partie de la garnison de Vincennes au cours de l’été 1902. 


IT 


LE BACILLE DYSENTÉRIQUE DE L'ÉPIDÉMIE DE VINCENNES 


L’épidémie de Vincennes a donné lieu à 130 atteintes éche- 
lonnées du 16 juillet au 24 septembre, et à deux décès. Les 
recherches bactériologiques n’ont pu porter sur tous les malades, 
mais pour {ous les cas typiques et d’invasion récente où l’exa- 
men des selles muco-sanglantes a été pratiqué dans de bonnes 
conditions, les cultures sur plaques de gélose ont permis d'isoler 
un bacille identique à celui que Shiga, Kruse, Flexner, Strong, 
Drigalski, Rosenthal, etc., ont rencontré et décrit. 

Ce bacille est extrêmement abondant, mais non à l’état de 
pureté, dansles glaires sanguinolentes ; il y est toujours mélangé 
à diverses bactéries parmi lesquelles domine le coli-bacille. 
Plus l'affection est récente et de caractère accusé, plus aussi est 


4. LEMOINE, Société de biologie, 1899. 


2. MoreuL et Rieux, Unité pathogé nique de la dysenterie, Revue de Méd.,1902. 
3. LEsAGE, Presse médicale, 1901. 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. AT 


grande la proportion de ce bacille spécial; au fur et à mesure 
que les symptômes intestinaux s’amendent, que les selles 
perdent l’état glaireux pour devenir fécaloïdes (c’est l’indice 
habituel de la guérison prochaine), il devient rare, difficile à 
déceler et ne tarde pas à disparaître. Il persiste pendant toute la 
durée de la maladie et n’a pas été rencontré après la guérison. 
Les selles très récemment émises conviennent le mieux à la 
recherche ; après quelques heures il s’est produit une végéta- 
tion intensive du coli-bacille qui met souvent obstacle à un 
examen facile et fructueux. 

Isolement. — L'examen microscopique des selles est peu 
applicable à la recherche du bacille dysentérique; ses caractères 
morphologiques ne permettent pas en effet de le différencier 
avec uné certitude suffisante. Mais il est facile de l’isoler au 
moyen des cultures sur plaque de gélose, Au début, nous avons 
utilisé la gélose phéniquée, additionnée de lactose et de tour- 
nesol; la gélose ordinaire donnant des résultats sensiblement 
identiques a été seule employée par la suite. 

Un flocon glaireux ou muco-sanglant est lavé à l’eau stérile, 
puis agité ou dilacéré dans une petite quantité de bouillon. 
L’ensemencement est fait soit en incorporant une oudeux gouttes 
de ce liquide à de la gélose ramollie, puis coulée en boîte de 
Petri, soit en promenant à la surface de la gélose déjà figée une 
tige de verre ou un pinceau trempés dans la semence. Les 
plaques sont placées à l’étuve à 37°. L’isolement repose sur cette 
particularité que les colonies du bacille dysentérique sont tou- 
jours plus lentes à se développer, plus claires et moins luxu- 
riantes que celles du coli-bacille auxquelles elles se mélangent. 
Aussi importe-t-il d'examiner les plaques dans les 24 heures 
qui suivent l’ensemencement. On marque alors au crayon gras 
les colonies superficielles qui ont déjà apparu; presque toutes 
appartiennent au coli-bacille, Les plaques sont remises à l’étuve 
et examinées après un délai de 12 à 24 heures. Beaucoup de 
colonies nouvelles ont apparu ; le coli-bacille peut bien en cons- 
tituer quelques-unes, mais la plupart sont généralement formées 
par le bacille cherché. L’attention doit donc aller aux colonies 
tardives, petites, pelliculaires, translucides et à reflets irisés ; 
sous le microscope elles sont finement granuleuses, à contours 
réguliers, un peu foncées au centre, claires et transparentes sur 


472 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


les bords : c’est ainsi en effet qu’apparaissent à leur début les 
colonies dysentériques. Après 24 ou 36 heures, elles commencent 
à s’étaler, s’épaississent, s’opacifient légèrement et deviennent 
blanchâtres sans tout perdre de leur transparence initiale, Leurs 
contours restent encore arrondis à l’œil nu, mais au microscope 
ils sont déchiquetés, le centre est sombre, très granuleux, d’une 
coloration brun jaunâtre qui se dégrade progressivement pour 
s’éteindre dans une zone périphérique claire et transparente. 
Ultérieurement, la colonie prend un aspect blanc crémeux et 
une forme qui cessent d’être un guide de quelque valeur, Cer- 
taines colonies de coli-bacille ressemblent tellement à celles du 
bacille dysentérique, et inversement, que la diagnose ne doit pas 
être basée sur ces seuls éléments; néanmoins, c’est parmi les 
colonies désignées ci-dessus qu’il convient de prélever pour les 
repiquages en divers milieux. | 


Morphologie. — Cultures. 


Le bacille dysentérique est un bâtonnet mince, court, de 1 à 
34, un peu plus épais que le bacille typhique, arrondi à ses 
extrémités, immobile, dépourvu de cils‘, ne formant jamais de 
spores, facilement colorable par les solutions d’aniline, mais ne 
se teignant pas par la méthode de Gram; les formes d’involution 
sont communes et parfois les cellules bactériennes ne retiennent 


1. Les bacilles dysentériques suspendus dans un liquide sont animés d'assez 
vives oscillations qui peuvent en imposer pour des mouvements propres. Shiga 
leur a primitivement attribué une légère mobilité et a cru constater une fois 
Pexistence d'un cil, Flexner présente son bacille comme doué de mouvements et 
quelquefois de cils. Weder et Duval décrivent au microbe qu’ils ont isolé une 
capsule inconstante et des cils nombreux mesurant 8 à 10 fois la longueur du 
bâtonnet; d'après ces auteurs, le même appareil cilié appartiendrait aux bacilles 
de Shiga, Flexner, Strong, Kruse, bien que tous soient immobiles. Schumann 
(cité par Shiga) aurait trouvé des cils chez plusieurs espèces, y compris celle de 
Kruse. Mais les affirmations contraires ne manquent pas. Shiga vient de recon- 
naître la possibilité d’une erreur d'observation au sujet des cils. La commission 
réunie par Koch pour étudier l'épidémie de Dôberitz n’a pu confirmer l'existence 
des cils chez les différents bacilles examinés, et attribue leur constatation à une 
faute de technique. Strong décrit le bacille de Manille comme dépourvu de cils. 
Lentz (Dysenterie, in Traité de Kolle et Wassermann) affirme que par une bonne 
technique il est impossible de reconnaitre des cils au bacille dysentérique. 
MM. Borrel et Nicole ont bien voulu examiner à ce point de vue différents types 
isolés soit par nous à Vincennes, soit par Shiga, Kruse, Pfuhl, Flexner, Chante- 
messe, Weder et Duval, et ne sont jamais parvenus à constater l'existence de 
cils. Il est probable qu'une faute de technique ou une erreur d'observation a dû 
conduire à l’opinion contraire. 


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LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 473 


la coloration qu’au niveau des pôles. Il se développe sur tous les 
milieux usités, surtout à la température de 37°, et mieux au 
contact de l’air que dans le vide. 

Bouillon, — En bouillon peptone il détermine un trouble 
rapide, uniforme, sans voile à la surface, et donnant par l’agita- 
tion des ondes moirées. Vers le 2° jour, un dépôt glutineux 
commence à se former, s’accentuant par la suite à mesure que 
les couches supérieures du liquide s’éclaircissent. Le milieu pré- 
sente une très légère acidité. Dans le filtrat des cultures en 
bouillon Martin, M. Blanc: a constaté l’existence d’acides acé- 
tique, succinique, et d’une faible proportion de bases volatiles 
décelables par la réaction des carbylamines, L’évaporation à 
basse température laisse un résidu liquide d’une odeur puissante 
rappelant celle du bacille pyocyanique, et vaguement celle de 
l’aubépine. Les cultures en masse, surtout sur gélose, donnent 
plutôt une odeur fade, spermatique. Il n’y a formation d’indol et 
de scatol ni dans le bouillon ni dans l’eau peptonée. 

Le bacille ne fait pas fermenter les sucres et ne donne jamais 
lieu à développement de gaz dans le bouillon lactosé ou glucosé 
et carbonaté. 

Gélatine. — I] ne liquéfie pas la gélatine et forme, en surface 
inclinée, une membrane mince, pelliculaire, opaline, débordant 
un peu la strie d’inoculation, presque identique à celle du bac. 
typhique. Les colonies séparées prennent en ce milieu un aspect 
fort analogue à celles de ce dernier ; elles sont minces, translu- 
cides, à bords découpés, traversées par des sillons semblables aux 
nervures des feuilles de vigne. 

Gélose. — Sur gélose inclinée la culture est mince, humide, glu- 
tineuse, d’un blanc opalin, translucide, à peine saillante, à bords 
légèrement découpés. L’ensemencement par piqüre profonde en 
gélose sucrée ne donne pas lieu à la production de bulles de gaz, 
Les colonies développées en gélose lactosée et tournesolée ne 
modifient pas la teinte bleue du milieu, tandis quele coli-bacille en 
détermine rapidement le virage au rouge; aussi Drigalski 
recommande-t-il ce moyen pour l'isolement facile du bac. dysen- 
térique. La gélose au rouge neutre ne présente habituellement 
aucune décoloration appréciable; celle qui se produit parfois est 
légère, partielle, exactement semblable à celle que l’on peut 


1. Recherche faite à l’Institut de chimie biologique de l’Institut Pasteur. 


474 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


observer avec le bacille typhique. Dans les mêmes conditions le 
coli-bacille détermine au contraire une décoloration rapide et 
complète !. 

Pomme de terre. — La culture sur pomme de terre présente 
à son début l’aspect d’une glaçure humide, brillante, très mince, 
peu visible, identique à celle du bac. typhique; elle s’épaissit un 
peu et blanchit par la suite. Quelques échantillons donnent une 
culture qui, tout en conservant le caractère de glaçure humide, 
se colore légèrement en blanc grisâtre ou jaunûtre. 

Lait. — Le développement dans le lait stérilisé produit une 
très faible acidité, mais jamais de coagulation; quelquefois 
cependant, vers le dixième jour, le liquide semble moins fluide 
et prend une légère consistance qui disparaît par une simple 
agitation. La teinte du lait tournesolé n’est pas modifiée, ou bien 
il se produit un faible virage n’excédant pas celui que le bac. 
typhique détermine dans les mêmes conditions. 

La culture sur sérum coagulé est blanc jaunâtre, sans carac- 
tère spécial. 

En résumé, le bac. dysentérique ne produit jamais d’indol, 
reste sans action sur les sucres et ne coagule pas le lait, ce qui 
le sépare nettement du coli-bacille; par ces caractères et les 
modes de cultureilse rapproche dubac. typhique, dontledistingue 
aisément l'absence de cils et de motilité. 

Vütalité du bacille. — La vitalité des cultures n’est guère pro- 
tongée; après un mois et demi à deux mois, il est difficile et 
le plus souvent impossible de les revivifier. Ne formant pas de 
spores, le bac. dysentérique (du moins celui que l’on entretient 
dans les laboratoires) résiste peu aux causes de destruction. Un 
chauffage à 58° pendant une heure suffit à le tuer; il survit à 
peine 20 à 25 jours à la dessiccation ; l'alcool, l’éther, le chloro- 
forme agissant en tubes scellés le détruisent en quelques heures, 
surtout à la température de 37°*°. Il est vraisemblable que le 

1. Dans l’ens mencement profond en gélose mannite-tournesol, lebac. dysenté- 
rique réduit la couleur des couches i. férieures sans changer celle des couches 
supérieures. En signalant cette particularité, O. Lentz la considère comme carac- 
téristique et suffisante pour distinguer le bac. dysentérique des bacilles typhique 
et coli, qui développent de l'acidité en ce milieu et le rougissent après 24 ou 
48 heures. (0. Lenrz. Art. Dysenterie, Traité de bact. de Kouce et WASSERMANN.) 

2. D'après O. Lentz : 

L'eau phéniquée à 0, 50 0/0 le détruirait en 6 heures; 
à 1 00 — — en 30 minutes, 


= — à 5 0/0 — — en quelques instants; 
Le sublimé à 1/20.000 _— — en quelques instants. 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 475 


bac. dysentérique doit rencontrer dans la nature des conditions 
particulières de résistance, car dans les régions tempérées où la 
maladie est endémique, comme en Bretagne, on la voit se repro- 
duire annuellement au cours de l'été, après une intermission 
complète pendant les saisons intermédiaires 1. 

Les attributs ci-dessus appartiennent invariablement à tous 
leséchantillonsde bacilles isolés pendant l'épidémie de Vincennes; 
à part quelques variantes sans importance, ils se sont montrés 
superposables à ceux que présentaient dans des cultures paral- 
lèles les bacilles recueillis en différents pays par Shiga, Kruse, 
Flexner, Pfuhl et Chantemesse. L'identité se complète par 
l'épreuve de l’agglutination. 


Agglutination du bacille dysentérique. 


L'existence d’une agglutinine spécifique dans le sang des 
sujets atteints ou convalescents de dysenterie est bien établie 
depuis le travail de Shiga; elle constitue un argument impor- 
tant en faveur de la spécificité du bacille isolé. Les observations 
que nous avons pu faire à son sujet en confirment toute la 
valeur, 

A. — La culture de chacun des bacilles recueillis pendant 
l'épidémie de Vincennes a été agglutinée non seulement par le 
sérum du malade qui avait fourni le bacille, mais encore par le 
sérum des autressujets atteints au coursde l'épidémie, etaussi celui 
de dysentériques observés aumêème momenten d’autres régions de 
France ?. Les mêmes cultures n’ont jamais été actionnées par le 
sérum de sujets sains, de sujets aiteints de fièvre typhoïde ou 
d’affections diverses. Si l’on accorde à la propriété agglutinante 
d'un sérum le caractère de spécificité absolue qui ressort de tous 
les faits connus, il découlera de cette constatation : 1° que les 
épidémies observées sur plusieurs points de France pendant 
l'été 1902 étaient de nature identique et dues à l'intervention 
du mème microbe; 2° que la séro-réaction peut être rationnel- 

4. Selon O. Lentz, les bacilles peuvent conserver leur vitalité pendant plu- 
sieurs mois s'ils sont à l'abri de la lumière directe, de la dessiccation, de la des- 
truction par d’autres bactéries, comme par exemple, dans la terre humide de 
jardin ou dans de la toile de lin humide, desséchée seulement à la surface. 

2, Un sérum n'était déclaré agglutinant que s’il agissait à la dilution minimale 


de 1/20:; au-dessous de ce titre, pour éviter toute cause d'erreur, la réaction 
n'était pas considérée comme décisive. 


476 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lement appliquée à la diagnose de la dysenterie saisonnière. 

B. — La propriété agglutinante du sérum se montre cons- 
tante dans les atteintes graves, sévères ou moyennes, d’autant 
plus accusée que la maladie est plus intense, mais peut faire 
défaut dans les formes légères ou fugaces, marquées par une 
simple diarrhée un peu glaireuse. Elle apparaît en général à la 
fin du premier septénaire, du 7° au 12° jour, persiste pendant 
toute la maladie et survit un certain temps à la guérison. Les 
circonstances de l’observation ne nous ont pas permis d'établir 
la limite ordinaire de sa durée. Parfois l’agglutinine disparaît 
rapidement; le plus habituellement elle se retrouve, même à un 
taux élevé, durant 15 à 25 jours après la guérison. Le sérum 
d’un sujet guéri depuis trois mois d’une atteinte grave n’était 
plus agglutinant'. Une séro-réaction positive permet donc le 
diagnostic rétrospectif d’une affection récemment guérie et dont 
il importe de fixer la nature. 

C. — Le pouvoir agglutinant des sérums examinés a varié 
depuis 1/20° jusqu'à 1/300° Un sérum agglutinant exer- 
çait la même action sur tous les bacilles recueillis pendant 
l'épidémie de Vincennes, ou isolés ailleurs par Shiga, Kruse, 
Flexner, Pfuhl, Chantemesse. Mais la proposition n'est vraie, 
au sens absolu, que pour les sérums fortset moyennement actifs, 
lesquels agglutinent invariablement tous les spécimens du 
bacille dysentérique; ceux dont le pouvoir est au minimum, 
égal ou à peine supérieur à 1/20° (cas bénins), sont parfois 
inactifs sur certaines cultures. En outre, un sérum fort peut 
n'être pas actif aux mêmes doses sur des bacilles de prove- 
nance différente : il les agglutine à des titres inégaux, depuis 
1/300 jusqu’à 1/80; le fait n’a rien de spécial au bacille dysen- 
térique. 

Le sérum d’une chèvre immunisée par les cultures d’un 
bacille dysentérique agglutinait sans exception tous les autres 
échantillons, nostras ou étrangers. Cette agglutination cons- 
tante de tous les bacilles examinés par le sérum de l’homme 
malade ou d’un animal immunisé doit être retenue comme une 
nouvelle preuve de l'identité des bacilles recueillis dans les 


1. D'après Strong et Musgrave, l’agglutinine peut apparaitre dès le 3° jour, 
elle est spécialement active vers le 5° et le 6° jour, persiste parfois pendant des 
mois, mais disparait généralement plus tôt; dans un cas elle a persisté pendant 
six mois. 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 477 


diverses manifestations de la dysenterie épidémique en Europe, 
au Japon, aux États-Unis, aux Philippines :, 

D. — Le sérum des dysentériques n’agglutine jamais le 
bacille typhique. Il demeure inactif sur de nombreux spécimens 
de bactérium coli, mais non sur tous : assez fréquemment on le 
voit actionner, même à des titres élevés (1/600, 1/800), certai- 
nes variétés de coli-bacille ; d’après Strong et Musgrave l’agglu- 
tination atteindrait principalement les espèces douées d’un faible 
pouvoir fermentatif sur les sucres. Le fait n’a rien d’insolite et 
ne prête à aucune ambiguité. Il est, en effet, notoire que le coli- 
bacille peut être agglutiné par n'importe quel sérum humain, 
et celui des dysentériques ne fait pas exception. On conçoit 
d'autre part qu’une affection ulcérative du gros intestin ouvre 
facilement la porte à une infection coli-bacillaire venant s’ajou- 
ter à la première en cause. 

E. — £a culture des bacilles dysentériques de Vincennes, 
comme celle des bacilles de Shiga, Kruse, Flexner et Pfuhl, n’a 
pas été agglutinée par le sérum de malades atteints de diarrhée 
de Cochinchine et de 14 sujets affectés d’une dysenterie chro- 
nique contractée en Extrême-Orient. Ce résultat, rapproché des 
précédents, fournit un appui à la conception actuelle qui attri- 
bue une nature et une origine distinctes à la dysenterie dite tro- 
picale. Cependant, dans un ras de cette espèce, le sérum du 
malade a agglutiné au 1/20° trois échantillons de bac. dysen- 
térique sur 11 examinés. Pareille constatation a été déjà faite à 
Manille par Strong et Musgrave qui, dans trois cas de dysen- 
terie amibienne, ont trouvé un sérum agglutinant le bac, dysen- 
térique ; 1ls supposent, et l'hypothèse est au moins vraisem- 
blable, que cette circonstance doit traduire une double infection 
par l’amibe et le bac. dysentérique. On admettra sans peine que, 
dans les lieux et les temps où les deux formes de la maladie 
règnent de concert, il puisse se produire des contagions réci- 
proques. 


1. Le sérum anti-dysenterique de Moreul et Rieux qui nous a été remis par 
M. Chantemesse n’a jamais agglutiné nos bacilles dysentériques. 

Ee bacille donné par ces auteurs comme la  ause de la dysenterie bretonne est 
très fréquemment, mais non toujours, agglutiné par le sérum de dysentériques 
(15 fois sur 20). Mais il est aussi actionné par le sérum des dysenteries tropi- 
cales (10 fois sur 17), des typhoïdiques (2 fois sur 3), ou de malades atteints 
d’affections les plus diverses (10 fois sur 17 cas). A ce point de vueil se comporte 
exactement comme le coli-bacille. 


478 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


IV 


RÉCHERCHES EXPÉRIMENTALES 


Si la constance d'un même microbe dans les selles dysenté- 
riques et le fait de son agglutination exclusive par le sérum des 
malades constituent des arguments de haute valeur pour sa 
spécificité pathogène, la preuve décisive n’en peut être fournie 
que par la réalisation expérimentale de l'affection au moyen 
des cultures pures. 

L'épreuve a été faite sur l’homme par Strong et Musgrave, 
mais sa signification, pour si grande qu'elle soit, n’en est pas 
moins passible de certaines objections:. 

L’expérimentation sur les animaux de laboratoire n’a donné 
entre les mains de Shiga, Strong, Drigalski, Conradi, Rosen - 
thal, etc., que des résultats d’un intérêt relatif; ils établissent 
que de nombreuses espèces animales sont sensibles à l’action 
du bac. dysentérique, mais non qu’une maladie semblable à 
celle de l’homme soit réalisable. L’infection par la voie rectale 
ou gastrique a déterminé passagèrement chez le chien, le chat, 
le singe, des selles diarrhéiques, parfois muqueuses, une seule 
fois striées de sang (singe), et, à l’autopsie, de l’hyperémie et 
quelques points hémorragiques dans les régions supérieures 
de l'intestin grêle. L’infection par les voies sanguine, intra- 
péritonéale ou sous-cutanée a été suivie de la mort des cobayes, 
lapins, chiens et chats, avec de la diarrhée et de la paralysie des 
pattes postérieures ; à l’autopsie, on rencontrait du liquide dans 
l'intestin grêle, du mucus sanglant dans le colon et un œdème 
hyperémique de la muqueuse. Mais la dysenterie humaine se 
traduit par d’autres symptômes et d’autres lésions qui n’ont pas 
été reproduits ; et c’est précisément l’indécision de ces résultats 
expérimentaux qui a laissé quelques doutes sur la spécificité 
du bacille décrit. 

Nos recherches établissent que l’on peut, à l’aide des cultures 
pures, provoquer chez diverses espèces animales les symptômes 
et les lésions caractéristiques de la dysenterie épidémique de 
l'homme. 

Nombreuses sont les espèces animales sensibles à l’action 


1. Il faut encore citer les trois cas'd’inoculation accidentelle par les cultures 
observées l’un par Flexner et les deux autres par Kruse; ce sont évidemment des 
faits dont on doit tenir compte. 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 479 


du bac, dysenterique. Le cheval réagit vivement à l'inoculation 
sous-cutanée et peut être tué par une faible dose, La chèvre, 
beaucoup plus résistante, succombe à des injections répétées, 
Mais ces animaux constituent un matériel bien coûteux pour 
se prêter aux recherches. La souris, le rat, le cobaye périssent 
trop rapidement après l'infection péritonéale pour faciliter 
l’expérimentation ; ils meurent alors avec une péritonite exsuda- 
tive et des lésions de l'intestin grêle semblables à celles que 
provoque le bact. coli ou le bacille typhique. Le porcelet et le 
chien, en raison de leur résistance relative, et aussi le lapin 
malgré sa sensibilité plus marquée, représentent les animaux de 
choix; c’est sur eux que l’on obtient des lésions typiques. 

Les modes d'infection ont été très variés. 

L'ingestion prolongée et copieuse n'a rien donné chez le 
chien et le chat, mème en la faisant précéder d’une irritation 
du tube digestif au moyen de l’huile de croton. L'introduction 
directe de grandes quantités de cultures dans l'intestin grêle du 
chien (après laparotomie) n’a produit aucun effet appréciable, 

L’inoculation intra-veineuse tue les animaux (lapin, chien, 
porcelet) en quelques heures, sans permettre aux lésions de 
s'établir. 

L'injection de faibles doses dans le foie, la vésicule biliaire 
ou l’appendice vermiforme du lapin tue cet animal en 5, 6 ou 
1 jours, avec de la paralysie du train postérieur et un œdème 
souvent hyperémique de la muqueuse du gros intestin. 

L'infection par la voie sous-cutanée nous a paru préférable, 
elle est aussi plus facile et donne des résultats suffisamment 
caractéristiques; c’est donc à elle que nous avons eu surtout 
recours. 

Lapin. — L’inoculation sous cutanée détermine une élévation 
thermique (39°5 - 40°) avec abattement marqué, de la 
diarrhée muqueuse, une paralysie du train postérieur, quelque- 
fois des quatre membres ; puis l’hypothermie s'établit et pro- 
gresse jusqu’à la mort, qui survient du 4° au 6° jour. Un liquide 
diarrhéique remplit l’intestin grêle; le colon est tapissé de 
glaires souvent sanglantes. Presque tout l'intestin paraît altéré, 
parfois même l’estomac, mais les lésions principales siègent 
dans le colon au voisinage du cæcum. Elles consistent soit en 
un ædème pâle, gélatineux, avec épaississement considérable 


480 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de la muqueuse, soit. le plus souvent, en une tuméfaction 
ædémateuse avec hypérémie très vive et suffusions hémorra- 
giques, localisées ou diffuses, donnant à la muqueuse l'aspect 
d’un velours rouge sombre. Sur les replis de la membrane se 
détachent parfois (pl. 10 et 11,fig. 1) des petits foyers de nécrose 
superficielle sous la forme de taches lenticulaires, grisätres ou 
jaunâtres, et des ulcérations punctiformes à fond hémorragique. 
Le contenu de ce segment est constitué par des glaires épaisses, 
sanglantes, identiques aux selles dysentériques de l’homme et 
contenant le bacille dysentérique. Les prises faites dans l’épais- 
seur de la muqueuse donnent le même bacille à l’état de pureté. 
Ce sont bien là dans leur essence les lésions typiques de la 
dysenterie humaine, etlasuperpositon devient encore plus parfaite 
à l'examen histologique. 

Chien. — L'inoculation intra-veineuse peut le tuer en 
quelques heures sans autre lésion qu'une légère hypérémie de 
l'intestin. Par l'inoculation sous-cutanée, surtout chez le chien 
jeune ou débilité par un artifice, on obtient l’image vraie de la 
dysenterie avec ses besoins douloureux et fréquents, ses selles 
caractéristiques et ses lésions spéciales. La dose inoculée doit 
être assez copieuse : la culture de 1 ou 2 tubes de gélose suivant 
la virulence du bacille. Presque aussitôt après l’inoculation 
la température s'élève de 1°-1°5. Au point infecté se forme un 
œdème dur, étalé, contenant un liquide hématique sans globules 
rouges visibles, et riche en bacilles. Puis l'animal perd l'appétit, 
devient triste, reste couché dans sa cage qu'il refuse de quitter, 
et paraît souffrir ; parfois il gémit et semble torturé par des 
besoins répétés. Les selles sont tantôt dures, d'apparence fécale, 
noires, constituées par des matières ovillées que coife un 
mucus concret et strié de sang ; tantôt molles, mais visqueuses 


et cohérentes, semblables aux rachats rouillés de la pneumo- 


nie ; tantôt plus fluides et s’étalant en nappes de mucus mélangé 
de sang : alors on voit l’animal rejeter au cours de la journée 
des placards glaireux et sanglants, identiques à ceux de la dysen- 
terie grave de l’homme, et que lesquels la culture décèle l’exis- 
tence presque pure du bacille spécifique. L’amaigrisstement est 
rapide. Après une courte période de fièvre modérée, l’hypo- 
thermie s’établit, et l’animal meurt du 3° au 6° jour avec une 
température de 34°, 320, 


Ph pd RÉ sl MN LD dre 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 481 


Les lésions macroscopiques sont celles de la dysenterie 
humaine, et, comme dans cette dernière, se cantonnent sur la 
portion inférieure du gros intestin, le rectum en particulier. 
Ces segments sont épaissis, recouverts d’un mucus visqueux et 
sanglant. La muqueuse en est tuméfiée, œdémateuse, très hyper- 
émique, comparable encore à un velours rouge sombre, marbré 
de suffusions hémorragiques. On y trouve, clairsemés ou con- 
fluents, des foyers de nécrose superficielle sous la forme de 
taches jaunâtres ou grisâtres, d'aspect sec et écailleux, et quel- 
quefois aussi de petites ulcérations peu profondes, à bords 
irréguliers et taillés à pic, résultant de l'élimination des points 
sphacélés. (PI. X, fig. 3.) Ce sont bien là encore les lésions 
de la dysenterie épidémique. | 

L'intestin grêle n’est pas exempt d’altérations : hypérémie 
légère, tuméfaction de la muqueuse, ecchymoses discrètes, 
quelquefois de véritables exulcérations dans la portion termi- 
nale, On peut aussi rencontrer dans l’estomac la même hyperé- 
mie avec suffusions sanguines et petits îlots de sphacèle. 

Les ganglions mésentériques sont augmentés de volume et 
hémorragiés. Les autres viscères ne présentent pas de lésions 
appréciables à l'œil nu. 

Les prises faites dans les régions altérées de la muqueuse 
donnent des cultures pures du bac. dysentérique. 

Porcelet. — Le porcelet, sur lequel nous avons pu expérimen- 
ter, grâce à l’obligeance de M. Nocard, est aussi sensible que le 
chien à l’action du bac. dysentérique. L’infection intraveineuse 
le tue en quelques heures sans autres désordres appréciables 
qu'une rougeur framboisée de tout le tégument externe et la 
congestion viscérale. 

Après l’inoculation sous-cutanée, la température s'élève de 
Lo, et il se forme au point infecté une tuméfaction œdémateuse 
avec teinte ecchymotique de la peau qui la recouvre. Puis la 
fièvre tombe, l’animal perd l'appétit, apparaît manifestement 
souffrant, reste blotti dans son box, maigrit; il rejette des 
excréments secs, coiffés d’un mucus concret. Une paralysie 
rapidement progressive envahit le train postérieur, puis les 
quatre membres. Bientôt l’hypothermie s'établit, abaissant la 
température jusqu’à 34°. Un des porcelets ainsi inoculés s’est 
rétabli après une longue période de maladie, L'autre a succombé 

31 


482 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


le onzième jour avec des lésions sur tout le tractus intestinal. 
L'iléon était épaissi, œdémateux, très hyperémié, tapissé de 
glaires visqueuses. Mais c’est dans le gros intestin, et particu- 
lièrement au niveau du cæcum, que siégeaient les altérations 
les plus accusées : l’organe était quadruplé d'épaisseur, infiltré, 
extrèmement hyperémié; sur la teinte rouge sombre de la 
muqueuse se détachaient des taches jaunes ou grisàtres de 
nécrose superficielle. Le foie, congestionné et parsemé de 
plaques ocreuses, présentait les caractères du foie infectieux. 
Les reins étaient atteints de néphrite diffuse; l'urine prise dans 
la vessie donnait une forte proportion d’albumine. Enfin il 
existait une péricardite totale avec symphyse récente el foyers 
sous-jacents de myocardite. Rate normale. 

Si, dans ce cas, la nature des selles n’a pas été exactement 
celle de la dysenterie humaine, du moins les lésions intestinales 
et viscérales en ont-elles fourni la reproduction exacte. 

Chez les trois espèces animales, les résultats expérimentaux 
sont donc conformes. Après une culture préalable au point ino- 
culé, le microbe que conduit une affinité vraiment élective 
envahit la muqueuse intestinale, surtout celle du colon, et s’y 
localise en déterminant des altérations toujours semblables, 
C’est un fait remarquable de voir une bactérie pathogène intro- 
duite sous la peau se diriger aussi invariablement vers un 
viscère unique, l'intestin, se cantonner pour ainsi dire dans 
une de ses tuniques, la muqueuse, et, sans toucher le plus sou- 
vent les autres organes, appesantir en ce point tous ses elfets. 


Lésions histologiques de la dysenterie expérimentale. 


La similitude des altérations macroscopiques avec celles de 
la dysenterie épidémique se poursuit à l’examen histologique. 

Chez l’homme, les lésions intéressent essentiellement la 
muqueuse proprement dite et la partie contiguë de la celluleuse. 
Elles se résument dans le processus suivant : desquamation du 
revêtement épithélial, hypersécrétion des glandes tubulaires; — 
épaississement du tissu adénoïde par infiltration de plasma, de 
leucocytes et de globules rouges ; — hypérémie considérable des 
vaisseaux, altération de leur paroi, extravasations sanguines 
dans le tissu inter et sous-glandulaire de la muqueuse et la por- 
tion supérieure de la celluleuse ; — élargissement et encombre- 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 183 


ment des fentes lymphatiques par des cellules d'apparence épi- 
thélioïde, œdème de la celluleuse; — îlots de nécrose qui 
d’abord pelliculaires et superficiels, gagnent en profondeur ct 
peuvent atteindre jusqu’à la base des glandes; ulcères à bords 
réguliers résultant de l'élimination des parties nécrosées. 

Toutes ces altérations se retrouvent dans la dysenterie expé- 
rimentale du lapin, du chien, du pore avec une netteté et une 
précision qui ne laissent aucun doute sur l'identité du processus 
dans les deux cas (PL. XL, fig. 1 et 2. PL. XIE, fig. 2. PI. XIIL, fig. 1). 
Ici comme là, ce sont les mêmes lésions de catarrhe, la même 
hypérémie excessive avecinfiltration œdémateuse et leucocytaire 
de la muqueuse, l'énorme tuméfaction du tissu adénoïde, les 
altérations constantes des vaisseaux dont les parois vitreuses et 
uniformément colorées traduisent la nécrose de coagulation, 
qui les frappe à un degré peu habituel dans la dysenterie de 
l’homme. Des extravasations sanguines diffusent dans toutes 
les parties de la muqueuse, en disloquent les éléments et les 
bouleversent au point de les rendre méconnaissables. Les 
lymphatiques sont élargis et distendus par un liquide riche 
en cellules volumineuses. Des îlots de nécrose parsèment les 
replis de la muqueuse. Les uns, superficiels, n’intéressent que 
l'épithélium de revêtement, sa membrane basale et lorifice 
des glandes. D’autres, plus profonds, atteignent à différentes 
hauteurs les parties sous jacentes, tissu adénoïde el tubes glan- 
dulaires ; ils peuvent aller jusqu'aux culs-de-sac lieberkuhniens 
et intéresser mème la wmuscularis mucosæ : tous sont bordés par 
une zone d'infiltration leucocytaire. Enfin, des ulcères vérita- 
bles font suite à la chute des eschares. Il serait réellement 
impossible, au point de vue anatomo-pathologique, de différen- 
cier la dysenterie humaine de la dysenterie expérimentale (PI. XT, 
fe L'EXIL Gr 1). 


Répartition du bac. dysentérique dans l'intestin et les autres organes. 


Ces désordres anatomiques sont commandés par la multipli- 
cation du bac. dysentérique dans la muqueuse intestinale; il y est, 
en effet, abondamment réparti. A la surface, surtout aux points 
nécrosés, le bacille est mélangé aux multiples espèces de la 
flore locale et souvent difficile à reconnaître. Mais dans les 
parties sous-jacentes il se trouve en culture pure, aggloméré en 


484 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


îlots ou dispersé dans les mailles œdématiées du tissu adénoïde, 
dans les tubes lieberkuhniens dont la cavité en est parfois 
encombrée, entre les cellules glandulaires qu'il entoure et dis- 
joint de la paroi (PI. XIIL fig. 2 et 3). Sa répartition n’est pas 
uniforme. Si on le rencontre partout dans la muqueuse, il est 
surtout abondant là où la nécrose est le plus marquée et les 
lésions vasculaires sont particulièrement accusées, comme s’il y 
avait une relation directe entre le processus de nécrose et la pul- 
lulation du bac. dysentérique; en ces points il forme des amas ou 
des traînées confluentes qui, sur les coupes colorées à la thio- 
nine, tranchent vivement par l'intensité de la teinte. Autour de 
ces îlots microbiens il existe d'habitude un afflux de leucocytes, 
dont l’état granuleux et le noyau incolore trahissent la grave 
altération. En règle presque générale, ces bacilles abondent sur- 
tout dans la partie moyenne de la muqueuse ; ils diminuent à 
mesure qu'on s'approche de la muscularis mucosæw, et se montrent 
rares dans la couche vasculaire et la celluleuse. 

Telle est aussi l’exacte répartition du bac. dysentérique dans 
l'intestin de l'homme d’après la description de Strong et les faits 
que nous avons eus sous les yeux à propos de l'épidémie de 
Vincennes. On conçoit dès lors que la nécrose et l’ulcération de la 
muqueuse déversent incessamment dans les déjections, et au 
dehors par les selles, l'agent de la contagion. 

Le bac, dysentérique se trouve-t-il ailleurs que dans l’épais- 
seur des tuniques intestinales ? 

Nos recherches chez l’homme n’ont pu porter que sur le 
vivant et le sang de la circulation générale : jamais le bac. 
dysentérique n’y a été rencontré, Shiga l’a trouvé dans les gan- 
glions mésentériques, mais point dans la rate, le foie, l'urine. 

Chez les animaux d’expérience qui ont succombé à l'infection 
sous-cutanée, le bacille s’est montré constant au foyer de l’inocu- 
lation. Particulièrement chez le chien et le porc, il se produit 
toujours en ce point une lésion locale très accusée, une tumé- 
faction cedémateuse remplié d’une sérosité hématique où le 
bacille fourmille ; lorsque la survie a été un peu longue, cette 
lésion aboutit à la formation d'une poche à parois lardacées et 
jaunâtres, renfermant une substance caséiforme dans laquelle le 
bacille se rencontre encore. Dans les ganglions mésentériques 
correspondant aux segments les plus altérés de l’intestin, le 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 485 


bacille a été trouvé, par la culture, environ 1 fois sur 2. Il est 
exceptionnel de le déceler dans la rate (2 fois sur 23), dans le 
foie (4 fois sur 25); on ne le rencontre pas dans le sang du cœur. 

Ces résultats conformes à ceux de Shiga, Kruse, etc., établis- 
sent que le bacille ne se généralise pas; la dysenterie n’est donc 
pas une maladie septicémique, mais une affection dont le 
microbe se cantonne à peu près exclusivement dans la muqueuse 


intestinale et les ganglions lymphatiques correspondants. 


Action des cultures tuées. 


Les cultures tuées ne sont pas inoffensives. Drigalski et 
Conradi ! ont constaté que l'injection intra veineuse ou sous- 
cutanée de bacilles tués par le chloroforme détermine chez 
le lapin la diarrhée et la mort, avec des lésions intestinales 
allant jusqu’à l’ulcération; si l’inoculation est faite sous la 
peau, il se forme en ce point une infiltration notable et parfois 
un abcès lorsque la survie a été assez longue. 

Les mêmes résultats s’obtiennent avec les cultures tuées par 
le chauffage à 58°, 67° pendant une heure, et même 85° pen- 
dant 30 minutes. Bien que la température de 58° suffise à détruire 
le bacille dysentérique, les cultures précédentes n’en restent 
pas moins nocives quand elles sont inoculées aux lapins dans 
les veines, le péritoine ou sous la peau. Suivant la dose injectée, 
les animaux peuvent succomber en moins de 24 heures (injection 
veineuse), en 2, 3 ou 8 jours (injection péritonéale ou sous- 
cutanée); dans ce dernier cas, ils présentent avant de mourir de 
la diarrhée glaireuse, une paralysie du train postérieur et de 
l'hypothermie progressive, exactement comme les animaux 
infectés avec les cultures vivantes. Après linoculation péri- 
tonéale, la séreuse est vivement enflammée, remplie d’un liquide 
visqueux, filant, grumeleux. A l'injection sous-cutanée succède 
une tuméfaction localisée; le gros intestin renferme un liquide 
glaireux, abondant; la muqueuse est épaissie, œdémateuse, 
d'un rouge sombre semé d’extravasats sanguins. 

Ces résultats qui reproduisent, au degré près, les suites de 
l'infection par le bacille vivant, conduisent à penser que la 
nocuité des cultures mortes doit avoir pour cause une substance 


4. Dricacskr, Verüffentlichungen aus dem Gebiete des Militär-Sanitäts- 
wesens, H. XX, 4902. É 


486 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


toxique retenue à l’intérieur des cellules microbiennes et libérée 
dans l'organisme. Cette toxine peut être mise en évidence, 


Toxine dysentérique. 


Le bacille dysentérique ne paraît pas sécréter de loxine 
soluble, du moins n’en existe-t-il pas en quantité appréciable 
dans les divers milieux liquides où il a cultivé. On peut injecter 
dans le péritoine des lapins 20, 30 et même 50 e. c. du filtrat 
sur porcelaine de cultures en bouillon peptone âgées de 5 jours, 
sans déterminer d'autre effet qu'un amaigrissement passager. 
Mais le sang de ces animaux acquiert la propriété agglutinante, 
et cette propriété augmente à mesure que les injections sont 
renouvelées. | 

Si on ne connaît pas jusqu'ici la toxine soluble, du moins 
peut-on, par la macération aqueuse des corps microbiens tués, 
extraire une substance toxique produisant les mêmes eflets que 
linoculation des bacilles eux-mêmes. Ce fait, déja mentionné 
par Drigalski et Conradi, permet d'étudier les propriétés essen- 
üelles du poison dysentérique. Les cultures sur gélose en large 
surface (fioles plates) fournissent, après raclage au pinceau, une 
abondante provision de microbes. Ceux-ei sont tués par le chlo- 
roforme ou le chauffage à 58°, puis additionnés d’eau stérile et 
abandonnés en vase clos, à la température de 37°, pendant 20, 
30 ou 40 jours. Par la sédimentation lente, l'épaisse émulsion 
se clarifie et la décantation donne un liquide limpide, absolu- 
ment privé de bacilles, et dont la toxicité, variable selon les 
cultures, est relativement grande. L’injection de 1 ce c., 3/4 de 
c. ©., 1/2 c. c. de ce liquide, dans la veine auriculaire d'un 
fort lapin, le tue en 18 ou 24 heures. A l'inoculation succède 
une ascension thermique de 1° à 10,5, parfois de la diarrhée 
muqueuse, et la mort survient en hypothermie., La muqueuse 
ne présente souvent aucune modification appréciable; parfois 
elle est hyperémiée et œdémateuse. 

L'inoculation sous-cutanée à la dose de 1,5 ce. c.,2 ce. ce. donne 
des résultats plus intéressants. La survie des lapins est toujours 
plus longue : ils meurent en hypothermie du 5° au 11° jour, après 
avoir présenté de la diarrhée et de la parésie des membres. Le 
gros Intestin est alors le siège des altérations caractéristiques 
que provoque l’inoculation des microbes vivants ou morts. Son 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 487 


contenu est souvent formé de glaires sanglantes ; sa muqueuse 
est œdématiée, d’un rouge vifou sombre, avec des ecchymoses, 
des hémorragies diffuses et des points de nécrose superficielle 
sur le sommet des replis. Parfois les ganglions mésentériques 
sont gros et rouges, et le foie est parsemé de plaques ocreuses. 
Les altérations histologiques que présente la muqueuse intesti- 
nale sont exactement semblables à celles qui s'observent après 
l’inoculation des cultures vivantes (pl. X, fig. 4). 

Chez le chien, l’inoculation sous-cutanée du maceratum 
détermine, comme chez le lapin, une ascension thermique 
de 2° à 20,5, etune véritable dysenterie clinique avec des selles 
liquides et muco-sanglantes; mais l'animal ne meurt pas après 
avoir reçu 5 €. ©., 10 c. ce. du liquide toxique. 

La toxine dysentérique est peu sensible à l’action de la 
chaleur. Le chauffage en vase clos à 60°, 70°, et même 75° pen- 
dant 1 heure ne diminue presque rien de son activité. La tempé- 
rature de 75° à 80° appliquée durant le même temps l’affaiblit 
notablement, mais ne la détruit pas : un liquide dont 1 c. c. injecté 
dans la veine tue le lapin en quelques heures ne le tue plus, 
après ce chauffage, qu’en 3, 8 ou 11 jours à la dose de 4 c. e. Sile 
chauffage a été poussé jusqu’à 81°, la toxine se montre sans 
action, même à dose élevée. 

La toxine extraite des corps microbiens détermine donc les 
mêmes effets locaux et généraux que le bacille dysentérique 
vivant. Injectée sous la peau, cette toxine manifeste une affinité 
élective pour la muqueuse intestinale, surtout celle du gros 
intestin; elle y localise son action et provoque l’hypersécrétion 
glandulaire, les lésions vasculaires, l'ædème phlegmasique, Ja 
nécrose épithéliale et les points de sphacèle qui caractérisent 
les lésions dysentériques. En cela Le poison se rapproche singu- 
lièrement des toxines végétales, l’abrine et la ricine, qui, par 
une même affinité élective, se fixent sur la muqueuse intesti- 
nale pour y provoquer des lésions analogues. Mais le poison 
dysentérique exerce en outre une action quasi constante sur le 
système nerveux, laquelle se traduit par la paralysie des membres 
ct l'hypothermie terminales. C’est donc la toxine sécrétée au cours 
de la multiplication des bacilles spécifiques dans la muqueuse 
intestinale qui engendre les lésions anatomiques et les symp- 
tômes généraux propres à la dysenterie. Celle-ci devient dès 


488 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lors une maladie d'intoxication à siège intestinal, comme le 
choléra, | 

Tous les résultats expérimentaux relatés ci-dessus, qu'ils 
soient produits par les microbes vivants, les microbes morts ou 
la toxine, s’obstiennent indifféremment avec les divers échantil- 
lons de bacilles soumis à notre étude, bacilles provenant de 
Shiga, Kruse, Flexner, Pfuhl, Chantemesse, ou isolés pendant 
l'épidémie de Vincennes. Cette uniformité de leur action est une 
nouvelle preuve de l'identité complète des bacilles dysentéri- 
ques rencontrés dans les différents pays. 


Immunisation des animaux. 


L'immunisation des petits animaux de laboratoire n’est pas 
une pratique aisée en raison de leur grande sensibilité à l’action 
du bacille vivant ou mort et de sa toxine: presque tous finissent 
par périr, soit d'accidents rapides, soit de cachexie. Leur immu- 
nisation n’offrirait d’ailleurs qu’un intérêt théorique. 

L'’immunisation des grands animaux, comme la chèvre et le 
cheval, présente plus d'importance parce qu’elle permet de viser 
l'obtention d’un sérum utilisable pour l’homme; elle n’en a pas 
moins ses difficultés, car le cheval est également très sensible 
au bac. dysentérique et la mort rapide peut être la conséquence 
d'une inoculation discrète. Toutefois cette immunisation est 
possible; elle est déjà réalisée en plusieurs laboratoires, et il 
demeure acquis que le sérum des animaux préparés possède des 
propriétés préventives certaines. Les travaux de Shiga' au 
Japon, de Kruse* en Allemagne, de Frédéric Gay * aux États- 
Unis, comme aussi les résultats que nous avons constatés chez 
l'animal, autoriseut à penser que la sérothérapie deviendra sans 
doute applicable à la prévention et au traitement de la dysenterie 
épidémique. 

CONCLUSIONS 


Des déveioppements qui précèdent il est permis de tirer les 
conclusions suivantes : 


4° Dans les selles muco-sanglantes de la dysenterie épidé- 


1. SuiGA, loco cit. (Deutsch. med. Woch., 1901, XX VIT.) 

2. Kause, Die Blutserumtherapie bei der Dys., Deuts. med. Woch., 1903. 

3. F. Gay, Vaccination et sérothérapie contre le bac. dys.. Bulletin medic. 
of University of Pensylvanie, 1902, 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 489 


mique de France on trouve un bacille absolument identique au 
bacille dit de Shiga. Il est exclusivement agglutiné par le sang 
des sujets atteints de cette forme de dysenterie; le sang des 
sujets affectés de la dysenterie dite tropicale ne l’agglutine pas ; 

2° Par l’inoculation sous-cutanée de ce bacille ou de la toxine 
qu'il contient, on détermine chez certaines espèces animales les 
symptômes etsurtout les lésions caractéristiques de la dysenterie 
épidémique ; 

3° Le bacille découvert et sommairement décrit en 1888 par 
Chantemesse et Widal, différencié ultérieurement par Shiga, doit 
ètre considéré comme la cause spécifique de la dysenterie épidé- 
mique des pays tempérés, et d’une dysenterie de même nature 
existant aussi dans les pays chauds (Porto-Rico, Philippines, 
Indes anglaises). 

Existe-t-il encore d’autres formes de dysenterie bacillaire, et 
le démembrement de l’ancienne unité doit-il être poursuivi ? 

Kruse a décrit dans la dysenterie des asiles d’aliénés un 
bacille exactement semblable au précédent, agglutinable par le 
sang des malades, mais non par le sérum d’un animal immunisé 
contre le véritable bacille dysentérique. De ce fait, il conclut 
à l'existence d’affections évoluant à la manière de la dysenterie 
vraie et dont la cause serait un bacille « pseudo-dysentérique » ; 
par la suite il aurait isolé dix nouvelles espèces de « pseudo- 
dysentériques ». Les recherches de Weder et Duval aux États- 
Unis ne sont pas favorables à cette thèse : dans les épidé- 
mies d’hospices, d'institutions, de maisons d’aliénés, ces auteurs 
ont rencontré un bacille identique à celui des épidémies 
ordinaires, se comporlant à l'égard des sérums spécifiques 
exactement comme ce dernier et d’autres échantillons types. 

Duval et Bassett ‘, dans 42 cas de diarrhée infantile, auraient 

isolé un bacille identique à celui de Shiga, Flexner, Kruse, 
Strong et semblablement agglutinable par le sérum des malades ; 
pour eux, la diarrhée estivale des enfants serait produite par 
l'agent pathogène de la dysenterie des adultes. Ce point 
demande confirmation. 

Rien n'établit que les bactéries décrites par H. Roger, Moreul 
et Rieux dans la dysenterie nostras, par Lesage et Metin dans les 


1. The etiology of the Summer diarrheas of infants, Centr. f. Bakt.. 1903, 


490 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dysenteries coloniales, correspondent à des formes différenciées 
de la maladie; les documents fournis par ces auteurs sont encore 
trop insuffisants pour permettre un jugement. 

Enfin plusieurs observations ont mis en lumière le rôle du 
Balantidium coli, infusoire cilié de lintestin du pore, dans Ja 
pathogenèse de certaines colites catarrhales et ulcéreuses 
évoluant sous une apparence dysentériforme; celte question est 
encore à l'étude. 

Ne retenant que les faits aujourd’hui bien établis, il faut se 
borner à reconnaître que l’ancienne conception unitaire de la 
dysenterie cesse de répondre à la réalité; il y a non pas une 
dysenterie, mais des dysenteries. Jusqu'à plus ample informé, on 
doit admettre, à côté de la forme amibienne dont l'existence ne 
semble plus contestable, une deuxième forme bien individua- 
lisée par sa cause bacillaire, son évolution clinique, ses carac- 
tères épidémiologiques. Cette dysenterie bacillaire est plus 
commune que la dysenterie amibienne, même dans les pays 
chauds; elle paraît régner seule dans nos régions tempérées. 
Les conditions de son étiologie ne sont pas encore exactement 
connues. On sait que, une fois développée, la maladie est facile- 
ment transmissible d'une manière directe ou indirecte, parfois 
même très contagieuse dans les milieux ruraux et les armées 
en campagne; mais on ignore comment naissent les cas initiaux 
et ceux qui ne relèvent pas de la contagion. L'usage de certaines 
eaux de boisson a été de Lout temps incriminé en raison de faits 
dont l’importance ne saurait être méconnue. C’est aussi l’infec- 
tion par l’eau de boisson que Strong et Musgrave considèrent 
comme la cause probable de la dysenterie à Manille. et Duprey ! 
a donné le nom de « Water-borne disease » à l'épidémie qui 
é:lata en 1904 dans l'île de Grenade. Cette opinion suppose la 
présence éventuelle du bacille spécifique dans les eaux utilisées 
pour l'alimentation, ce qui peut être établi par les procédés 
actuels de recherches. 

Schmiedicke aurait rencontré le bacille dysentérique dans 
un puits du casino des officiers au camp de Dôüberitz où sévis- 
sait une épidémie; mais ce puits ne servait pas au personnel du 
camp. Drigalski estime que sa contamination a pu être effectuée 
par les fèces ou les linges de la famille de l’économe qui avait 


1. Durney, The journal of tropiral medecine, 1902, 


LA DYSENTERIE ÉPIDÉMIQUE. 491 


compté des malades probablement atteints de dysenterie. Le fait 
n'en est pas moins intéressant au point de vue de la prophylaxie. 
Il'est à prévoir que la connaissance de la cause dysentérique 
permettra désormais d'aborder avec fruit l'étude étiologique de 
l'affection. 


EXPLICATION DES PLANCHES X A XIIT. 


PLaxcne X. — Fig. 1: Lapin: colon descendant; hyperémie hémorragique de 

la muqueuse avec foyers confluents de nécrose (2). k 
Fig. 2. — Lapin : gros intestin : b, replis tuméfiés ; a, foyers de nécrose. 
FiG. 3. — Chien; rectum ; a, foyers confluents de nécrose. 


Fic. 4. — Zésions provoquées par la toxine. Lapin ; gros intestin. À, muqueuse : 
V, vaisseaux dilatés et gorgés de sang; E, glandes de Lieberkuhn ; O, tissu adé- 
noïde œdématié et infiltr® de leucocytes; B, lymphatiques; ec, celluleuse hémor- 
ragiée ; D, musculeuse. 


PLancuEe XI. — Fic. 1. Dysenterie du Chien : coupe au niveau d'un ulcère ; a, 
muqueuse ulcérée ; musculeuse de la muqueuse envahie par l'ulcère; ce, celluleuse, 
altérations vasculaires, foyers hémorragiques. 

Fic. 2. — Lapin : gros intestin. M, muqueuse desquamée de son revêtement 
épithélial et dont le tissu adénoïde est envahi par une nappe hémorragique. 


PLaxcme XII. — Fi. 1. Dysenterie humaine ; coupe d'un ulcère. 

FiGure 2. — Lapin gros intestin ; coupe au niveau d'un ilot de sphacèle, M, 
muqueuse ; F, musculeuse; c, celluleuse ; v, vaisseaux; $, partie nécrosée ; T, 
glande de Lieberkuhn. 


PLANCHE XIII. — ic. 1, Chien; gros intestin. M. muqueuse; a, surface né- 
crosée ; d, tissu adénoïde œdématié ; b, cul de sac glandulaire dilaté montrant les 
altéralions de l’epithélium; V, vaisseaux dilatés ; F, musculeuse ; ce, celluleuse. 

Fic 2. — Lapin; muqueuse du gros intestin.a, surface de la muqueuse sphacé- 
lée envahie par des bactéries,mélangées au bac. dysentérique ; b, partie sous-jacente 
montrant les ilots et les trainées du bac. dysentérique à l'état de pureté. 

Fi 3. —WMime coupe. a, bac dysentériques dans des portions de tubes glandu- 
laires. 


ÉTUDES SUR LES MICROBES NITRIFICATEURS 


Par MM. 
E. BOULLANGER ET L. MASSOL 


Chef de laboratoire à l'Institut Pasteur de Lille. Préparateur à l’Institut Pasteur de Lille. 


Les remarquables travaux de Winogradsky ‘ sur les orga- 
nismes de la nitrification ont fait connaitre les importantes fonc- 
tions physiologiques de ces microbes. Les recherches effectuées 
dans la voie si magistralement tracée par ce savant ont été 
cependant peu nombreuses. En effet, par suite des difficultés 
assez grandes qu'on rencontre dans l’isolement et la culture des 
microbes nitrifiants, certains auteurs furent conduits à des 
résultats erronés, et les conclusions de Winogradsky furent 
d’abord fortement contestées, notamment en Allemagne par 
Stutzer, Burri et Hartleb ?. Nous savons aujourd'hu: que les 
erreurs commises par ces expérimentateurs n’oni eu pour cause 
que la présence de microbes étrangers dans les cultures qu'ils 
considéraient comme pures, et que la théorie donnée par 
Winogradsky est bien la seule qui permette l'étude des pro- 
priétés physiologiques des organismes nitrificateurs,. 

Nous possédons déjà, par les travaux de Winogradsky ?, 
Oméliansky*, Godlewski ‘,un grand nombre de renseignements 
très précieux sur les caractères des ferments nitreux et du 
ferment nitrique, et ces recherches présentent aujourd'hui un 
intérêt d'autant plus considérable qu'une des plus importantes 
questions de l'hygiène moderne, celle de l’épuration des eaux 
résiduaires, repose en grande partie sur les fonctions vitales de 
ces organismes. C’est comme contribution à cette étude que 
nous apportons, dans le présent travail, les résultats de nos pre- 
mières expériences sur les ferments nitrificateurs purs isolés de 
terres diverses et de lits bactériens d'épuration en activité. 


. Annales de l'Institut Pasteur, années 4890 et 1894. 

. Centralblatt fur Bakteriologie, années 1895-1898. 

. Archives des Sciences biologiques de Saint-Pétersbourg. T. VIT. 1899. 
. Angeiger der Akad. d. Wissens, in Krakau. Juin 1865. 


& CO 19 


MICROBES NITRIFICATEURS. 493 


Les méthodes que nous avons suivies pour l'isolement des 
organismes de la nitrification sont celles qui découlent des 
travaux de Winogradsky et qui ont été décrites il y a quelques 
années par $on collaborateur Oméliansky 1. Il est inutite de 
reproduire iei ce que chacun pourra trouver dans le mémoire 
original de cet auteur, mais, comme la question présente une 
grande importance pour ceux qui veulent entreprendre des 
études sur les microbes nitrificateurs, nous indiquerons les 
observations que nous avons faites au cours de l'isolement des 
ferments, les difficultés que nous avons rencontrées dans l’ap- 
plication des méthodes, et les moyens de les éviter. 

Pour isoler les ferments nitrificateurs, il faut commencer 
par provoquer une nitrification active avec la terre ou les 
fragments de lits bactériens qui doivent servir de souche, Cette 
nitrification est quelquefois longue à se déclarer, surtout avec 
certaines terres. Nous avons employé une méthode qui permet 
de hâter beaucoup le départ du phénomène, Elle consiste à 
remplir à moitié des fioles coniques d'Erlenmeyer de 250 c. c. 
avec des scories cassées en petits morceaux. Pour les ferments 
nitreux, on ajoute alors 50 ec. c. du liquide de culture suivant, 
dont la composition est due à Oméliansky: 


Sulfaterd'ammoniaque tte. t Marre 2 grammes. 
Chlorure de sodium......... LAS PRES Sn DNA Sade 
Plosimie tde”potasse..s..2 un. Le. 1 gramme. 
SULFATER E MARÉES Re ACC re 0,5 
SULTATEMEREEURR RER EE NI re tee 0,4 

Ba DIS UNE ET AE Pen te HE TE 1,000 grammes. 


Ce liquide vient baigner partiellement les fragments de 
scories. On stérilise, puis on ajoute environ 0 #', 5 de carbonate 
de magnésie sous forme d’un lait stérile, et on ensemence avec 
une petite quantité de la terre d’expérience ou avec quelques 
morceaux de scories prélevés sur les lits bactériens en activité. 

Pour le ferment nitrique, on procède exactement de la même 
manière, mais en employant comme liquide de culture la solution 
nitritée d'Onféliansky, dont nous rappelons la composition : 

4. Archices des Sciences biologiques de Saint-Pétersbourg, T. VII, 1899, 
p-. 291. 


494 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Nitrite de :SOUUE 4: 2 PP RUE NS Re Le gramme. 


1 
Carbonate-desoude cale) Me Pr Re eee 1 — 
Do 


sex 


(] 
DU LA Or LEFIBUX er eee Ce ET CEE 0, 4 
0. 3 


Sulfate de magnésir.............. ARE ARR CE 
HÉUMLSL IIS 65-56 7888 10 CT ER ERA RER .. 1,000 grammes, 


On stérilise et on ensemence comme précédemment. Dans 
ces conditions, surtout si on a soin d’agiter les fioles trois ou 
quatre fois par jour pour mouiller les scories qui sont hors du 
liquide, la nitrification se déclare rapidement et devient aussitôt 
très intense. 

En possession de ce liquide en pleine nitrification, on doit 
alors procéder, par les méthodes indiquées par Oméliansky, à 
des passages successifs dans les milieux précédents, de manière 
à éliminer le plus possible Les microbes étrangers, et à obtenir 
une culture purifiée qui servira à l'isolement. Nous avons con- 
staté qu'on a intérêt à pousser assez loin ces passages, car la 
séparation ultérieure des ferments nitrificateurs est d’autant 
plus facile que la culture employée est déjà plus pure. 

La préparation de la silice gélatineuse, qui sert pour l'iso- 
lement du ferment nitreux, demande quelques précautions 
spéciales. On prépare d’abord la solution de silice, d’après les 
principes donnés par Oméliansky, en versant lentement dans 
125 ce. c. d'acide chlorhydrique à 13° B. un volume égal d’une 
solution à 8° B. de silicate de potasse ou de soude bien pur. 
On soumet alors le mélange à la dialyse. 

La principale difficulté qu’on rencontre dans cette prépara- 
tion est la coagulation prématurée de la silice, quelquefois dans 
le dialyseur, et plus souvent au moment de la stérilisation 
à 120°, Nous avons eu au début d'assez nombreux accidents de 
celte nature, et nous avons dü légèremeut modifier notre tech- 
nique pour les éviter. Les principaux facteurs qui influent sur 
le phénomène sont: la nature du parchemin, la quantité de 
l'eau employée pour la dialyse, la rapidité plus ou moins 
grande de cette dialyse, et le choix du moment où on opère 
la stérilisation. 

Il faut d’abord avoir soin d'employer pour la dialyse un 
parchemin dont l'étanchéité a été bien éprouvée, si on veut 
maintenir la solution de silice au degré de concentration utile. 


MICROBES NITRIFICATEURS. 495 


Quand on emploie pour eet usage du parchemin animal, il est 
nécessaire de plonger au préalable le dialyseur monté dans de 
l'acide chlorhydrique étendu, et de laver ensuite à plusieurs 
reprises avec de l’eau distillée. Ces parchemins sont en effet 
presque toujours chargés de chaux. et, si, on n'a pas le soin 
d'éliminer d’abord cette base par un traitement à l'acide chlor- 
hydrique, il arrive souvent que la présence des sels de chaux 
dans la liqueur silicique occasionne des coagulations. 

La nature de l’eau employée pour la dialyse intervient aussi. 
On peut parfaitement dialyser dans l’eau du robinet pendant les 
24 premières heures, quand cette eau est assez pauvre en sels, 
Mais, quand l’eau dont on dispose est très calcaire, comme c’est 
le cas à Lille, il est préférable de dialyser à l’eau distillée : on 
évite ainsi bien des mécomptes. 

La vitesse de la dialyse influe aussi beaucoup sur la stabilité 
du produit. L’acide chlorhydrique dialyse plus vite que le chlo- 
rure de potassium formé, et il importe de ne pas enlever trop 
rapidement cet excès d'acide chlorhydrique qui empêche au 
début l’action nuisible de la grande quantité de chlorure présent 
dass le liquide. Il faut donc avoir soin de retarder au commen- 
cement la dialyse de l’acide chlorhydrique en soumettant le dia- 
lyseur à un courant d’eau très lent, pendant les 20 premières 
heures. Quand la proportion de chlorure de potassium est deve- 
nue faible, on doit alors augmenter la vitesse du courant d’eau 
pour ne pas prolonger trop longtemps la dialyse. 

Eofin, il faut bien choisir le moment propice pour la stérui- 
salion. Le liquide ne doit plus donner qu’une réaction impercep- 
tible à l’azotate d'argent. Cependant, ce caractère ne fournit pas 
des renseignements bien précis et il vaut mieux procéder à des 
essais de stérilisation à intervalles réguliers. Si on stérilise trop 
tôt, la petite quantité de sels encore présente détermine Ja 
coagulation à l’autoclave ; si on stérilise trop tard, on prolonge 
trop longtemps la dialyse de ce produit instable et on risque 
d’avoir des échecs. Pour éviter cet inconvénient, il suffit de pré- 
lever, toutes les 3 heures, après 48 heures, 5 c. c. de la solu- 
tion silicique et de la stériliser 40 minutes à 120°. On constate 
ainsi généralement qu'après 48 heures le produit ne supporte 
pas encore la stérilisation, tandis qu’au bout de 52-56 heures, 
la coagulation n’est plus à craindre, Le liquide devient de nou- 


496 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


veau plus sensible si l’on allonge la durée de la dialyse. Lemoment 
auquel la stérilisation s’effectue le mieux est assez variable, et 
les essais de chauffage à l’autoclave rendent sous ce rapport de 
grands services. 

En prenant les précautions que nous venons d'indiquer, on 
arrive à préparer, sans difficultés et à-coup sûr, une solution 
de silice qui supporte parfaitement la stérilisation à 120° pendant 
10 minutes. Par addition des solutions salines indiquées par 
Oméliansky, cette silice fait prise en un temps a varie entre 
15 et 45 minutes. 

Pour la culture du ferment nitreux sur cette silice, nous 
avons utilisé les excellents préceptes d'Oméliansky, qui permet- 
tent d'arriver très sûrement au but. Avant que la gélatinisation 
de la silice soit effectuée, on ensemence avec une anse de pla- 
tine trempée dans la culture purifiée de ferment nitreux, on agite 
et on verse dans des boîtes de Pétri flambées où le milieu fait 
prise. Il est bon de placer les plaques sur un banc de verre dans 
des cristallisoirs flambés, contenant un peu d’eau stérile, pour 
éviter la dessiccation de la silice pendantla culture, qui demande 
parfois un temps assez long. On pique les colonies formées avec 
un fil de verre, dont on casse la pointe dans des matras contenant 
25 c. c. du liquide nutritif pour les ferments nitreux, liquide dont 
nous avons donné la composition plus haut. Au bout de quelques 
jours la nitrification se déclare; il ne reste plus qu’à vérifier au 
microscope l’homogénéité de la culture et à procéder à l'épreuve 
de l’ensemencement dans le bouillon. Les tubes de bouillon 
doivent rester indéfiniment stériles. 

L’isolement du ferment nitrique est beaucoup plus aisé, 
L'emploi de la gélose nitritée, préconisée par Winogradsky! 
permet d'arriver rapidement au but. Le contrôle de la pureté 
doit être fait au microscope et au bouillon, dans lequel aucun 
développement ne doit se produire. 

Nous avons ainsi isolé par ces méthodes deux ferments 
nitreux purs, l’un provenant d’une terre de Java, qui nous a été 
obligeamment envoyée par M. le D' Deutmann, de Batavia, et 
l’autre d’un lit bactérien d'épuration en activité ; et deux ferments 
nitriques purs, l’un d’une terre de bruyère, et l’autre d'un lit 
bactérien. 

1. Centralblatt fur Bakteriologie. T. IH, p. 425. 1896. 


MICROBES NITRIFIGATEURS. 497 


Il 


Les deux ferments nitreux que nous avons étudiés se res- 
semblent beaucoup au point de vue morphologique : ce sont de 
belles bactéries ovales, ciliées, se présentant le plus souvent sous 
formes zoogléiques englobées dans les masses de carbonate de 
magnésie. Le ferment de lit bactérien nous a semblé cependant 
plus petit; il est également moins actif. Les deux ferments 
nitriques ne présentent pas non plus de différences de structure ; 
ce sont bien les bactéries très petites, décrites par Winogradsky, 
formant sous le microscope des amas plus ou moins denses. 

La grande fragilité de ces ferments nitrificateurs, déjà signa- 
ée par Winogradsky et Oméliansky, rend les expériences assez 
délicates. On a parfois des irrégularités inexplicables dans le 
développement des microbes, principalement pour le ferment 
nitreux, et la période appelée par Winogradsky période d’ineu- 
bation, qui s’écoule entre l’ensemencement et l’apparition de la 
réaction nitreuse, varie dans des limites assez considérables. 
Aussi est-il nécessaire d'apporter le plus grand soin au choix de 
la semence, et d'employer toujours, pour les ensemencements 
d’une même expérience, des doses égales d’une même culture, 
rendue aussi homogène que possible. Nous avons employé 
ordinairement, pour le ferment nitreux, dans les essais qui vont 
suivre, 0,5 c. c. de semence par 20 c. c. de milieu de culture. 
Cette dose assez forte a l'avantage de réduire la durée de la 
période d’incubation et de rendre exceptionnelles les irrégula- 

rités dans le développement des microbes et dans la durée de la 
nitrification. Ces irrégularités n’existent pas avec le ferment 
nitrique, et trois gouttes d’une semence jeune suffisent par assu- 
rer des nitrifications régulières et tout à fait comparables. 

Pour apprécier la marche de la nitrification, nous avons 
recherché l’ammoniaque au moyen du réactif de Nessler, les 
nitrites avec le réactif de Trommsdorff (iod-amylique), les 
nitrates avéc le sulfate de diphénylamine. Il importe toutefois 
de remarquer que les nitrites donnent avec ce dernier réactif la 
coloration bleue comme les nitrates, et quand on veut rechercher 
les nitrates dans les solutions nitritées, il est nécessaire de 
détruire au préalable les nitrites par ébullition avec un peu de 


32 


498 | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sulfate de protoxyde de fer, qui les décompose en dégageant du 
bioxyde d'azote. On fait alors agir le sulfate de diphénylamine. 

Nous passons maintenantauxdiverses expériences entreprises 
sur les ferments nitrificateurs. 

Résistance à la chaleur. — Nous avons recherché quelle était 
l’action de la chaleur sur ces organismes. Pour éviter une trop 
longue période d’incubation de la culture après chauffage, il faut 
ensemencer assez fortement. Pour cela, nous avons enfermé les 
microbes dans de longs tubes très fins, plusieurs fois contournés 
-en S, et renfermant environ 1 c. c. de culture. Ces tubes ont été 
,plongés, pendant un temps rigoureusement déterminé, dans un 
grand bain-marie contenant 12 litres d’eau à la température 
voulue. Après chauffage, on a refroidi brusquement et ense- 
mencé la culture dans 25 c. c. de milieu ammoniacal ou nitrité, 
suivant la nature du microbe, et les cultures qui après deux mois 
de séjour à l’étuve à 30°, n’ont donné aucune trace de nitrifica- 
tion, ont été considérées comme mortes. Voici nos résultats : 


Températures. Durée du chauffage. Ferments nitreux, Ferments nitriques 
350 5 minutes. — Æ 
409 — + —- 
450 = 0 se 
500 — 0 + 
556 — (0) (9) 
60 — (9) (9) 


—+, développement; O, mort. 

On voit donc que nos deux ferments nitreux sont très sen- 
sibles à l’action de la chaleur, puisque ils meurent après cinq 
minutes à 45°. Les deux ferments nitriques sont plus résistants 
et ne sont détruits qu'aux environs de 55°. 

Température optima de culture. — Pour nous rendre compte 
de la température la plus favorable pour le développement de 
ces organismes, nous avons procédé à une série de cultures aux 
températures de 20°, 30°, 37° et 45°, 20 c. c. de solution 
ammoniacale ou nitritée ont été ensemencés avec les ferments 
nitreux de Java et de Lit bactérien, et avec les ferments nitriques 
de Lit bactérien et de Bruyère. Le tableau suivant indique la 
durée de la nitrification aux diverses températures : 


FERMENTS NITREUX FERMENTS NITRIQUES 
Températures. a ———, a  —————*, 
Java. Lit bactérien. Bruyère. Lit bactérien. 
200 371 jours. 40 jours. 20 jours. 27 jours. 
30° 24 — 25 — A1 — A1 — 
310 20 — 24 — 8 — 8 — 


450 Pas de nitrification. 


MICROBES NITRIFICATEURS, 499 


La température la plus favorable paraît donc être celle de 
37° pour les ferments nitreux comme pour les ferments nitriques. 
A 20° l’action est beaucoup plus lente; elle est nulle à 45°, 

Anftueñce de divers supports. — Nous avons déjà signalé, à 
propos de l'isolement des microbes, l'influence favorisante des 
scories sur la nitrification. Pour étudier cette action sur le fer- 
ment nitreux, nous avons placé dans des fioles coniques d’un 
litre 400 ec. c. de solution minérale d’Oméliansky sans ammo- 
niaque. Certains flacons ont alors été remplis à moitié avec des 
scories, d’autres n’ont reçu aucune addition. Après stérilisation, 
on a ajouté l’ammoniaque sous forme d’une solution de sulfate 
d'ammoniaque à 10 0/0. Ceite précaution est nécessaire pour 
ne pas avoir de déperdition d’ammoniaque pendant le chauffage 
à l’autoclave. Le liquide arrivait environ à mi-hauteur de la 
couche de scories dans les flacons. On a ensemencé les deux 
ferments nitreux Java et Lit bactérien; de temps à autre, on 
agitait les matras pour mouiller les scories situées hors du 
liquide. Voici les résultats obtenus : 


Ferment nitreux. Durée de la nitrification, 
Ti { Sans scories (milieu liquide)......... 29 jours. 
° WAVE CAS COLIES TE TAN ce Nr dE SIA 20u— 
bactérie +) Sans scories (milieu liquide)......... 47 jours. 


AVE ELSEOTIES EMA NE RÉ er OL 


On voit que la présence des scories réduit environ d’un tiers 
la durée du phénomène. 

En présence de ces résultats, nous avons étudié l'influence 
de divers supports sur les ferments nitreux et nitriques. Le mode 
opératoire a été le même que précédemment, mais nous n’avons 
employé cette fois que 50 c. c. de liquide ammoniacal ou nitrité. 
Nos essais ont porté sur les scories, la porcelaine poreuse, la 
ponce, la brique et le sable. Voici nos résultats : 


DURÉE DE LA NITRIFICATION 


Supports. A 
Ferment nitreux Java. Ferment nitrique Bruyère: 
RUN EE APRES M TE PR 18 jours. 8 jours. 
Porcelaine poreuse......... Do — TRARAE 
PONCOE RES RARE see 8 23 — 43 — 
BAUER ER. 284 EC 
MDI POELE RER near 34 © — 42 — 
Témoin (sans support) ..... 28. — 142 — 


- Nous voyons que les scories constituent, pour le ferment 
nitreux comme pour le ferment nitrique, le support le plus favo- 


00 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


rable. Le ferment nitreux est particulièrement aidé par la pré- 
sence de certaines substances telles que la porcelaine poreu se 
et la ponce. Le fait d'exposer le liquide nitrifiable au contact 
de l’air sous la très large surface offerte par les aspérités-des 
scories et de la ponce augmente l’activité du ferment nitreux et 
la vitesse de la nitrification. Le ferment nitrique est moins sen- 
sible à ces influences : à part les scories dont l’action est indis- 
cutable, les autres substances paraissent indifférentes, sinon 
nuisibles, Il faut remarquer également que le sable paraît peu 
favorable à la fermentation nitreuse; nous avons pu à plusieurs 
reprises nous convaincre que les matras contenant du sable 
nitrifiaient moins vite l’ammoniaque que les autres matras. 

Un excellent procédé de culture pour le ferment nitreu x 
consiste à le cultiver sur scories en tonneaux roulants, comme 
on cultive le ferment acétique sur les copeaux dans les acétifi - 
cateurs rotatifs du procédé Luxembourgeois pour la fabrication 
du vinaigre. On remplit complètement de scories de petits ton - 
neaux en verre d'environ deux litres, on ajoute une certaine 
proportion de milieu à nitrifier, proportion qui doit au plus 
attéindre le tiers de la capacité du fût, on stérilise et on ense- 
mence. On fait alors passer par la tubulure centrale un courant 
d’air stérile très lent, et toutes les trois ou six heures on pro- 
cède à une révolution du tonneau pour imbiber les scories et 
activer le phénomène. Dans ces nütrificateurs rolatifs, le phéno- 
mène est très rapide, et, en ajoutant progressivement de nou- 
velles doses d’ammoniaque au fur et à mesure de sa disparition, 
on arrive à nitrifier des quantités considérables, Voici par 
exemple le résultat d'une expérience de cette nature : 


Durée de la nitrification. Nitrite formé. 
Mileudidnde trie: d4 jours. 7 gr. 8 par litre. 
Tonneau roulant avec scories, 4 — 40 — 9 _— 


Nous voyons qu’on peut obtenir par ce mode de culture une 
production de nitrites déjà assez élevée. Nous allons retrouver 
ces faits en étudiant l'influence de la concentration saline sur 
les microbes. 


III 


Influence de la concentration saline sur les ferments nitrific a- 
teurs. — Il est particulièrement intéressant, pour l'étude des 


MICROBES NITRIFICATEURS. s01 


fonctions physiologiques des ferments nitrificateurs, de con- 
naître l'influence de la proportion de sel oxydable (sulfate d’am- 
moniaque ou nitrite de soude) sur la marche de la nitrification, 
et l'action du produit oxydé (nitrite ou nitrate), formé par les 
microbes, 

Dans ce but, nous avons cherché à résoudre les questions 
suivantes : 

1° Quelle est l’action de la concentration du milieu en sul- 
fate d’ammoniaque sur la fermentation Zi, et en nitrite de 
soude sur la fermentation nitrique ? 

2° Quelle est l'influence du nitrite de soude formé sur le 
ferment nitreux, et du nitrate de soude sur le ferment nitrique? 

3° Les nitrates produits par le ferment nitrique exercent-ils 
une action sur La marche du ferment nitreux? 

Méthodes de dosage. — Pour faire ces expériences, 1l est 
nécessaire d’avoir une méthode de dosage très précise des 
nitrites, des nitrates et de ces deux sels réunis. Les procédés 
colorimétriques ne sont pas susceptibles d'une assez grande 
exactitude. Nous devons à l'extrême obligeance de M. Muntz 
une méthode très élégante de dosage qui permet d'apprécier 
avec une grande exactitude des quantités très petites de nitrites 
ou de nitrates, ou des mélanges de ces deux sels. Comme cette 
méthode de M. Muntz n’a pas été publiée, nous en donnerons la 
description ici, car elle est susceptible de rendre de très grands 
services à ceux qui s'occupent de nitrification. 

Les dosages se font d’après le principe de la méthode de 
Schlæsing, qui consiste à transformer les nitrates en bioxyde 
d'azote qu’on recueille et qu'on mesure sur le mercure. Pour 
doser les nitrites, on se base sur ce fait que ces sels, chauftés 
avec du sulfate ferreux, se décomposent intégralement en don- 
nant du bioxyde d’azote. Dans ces conditions, les nitrates se 
sont pas attaqués. Si on additionne alors le liquide d’acide chlor- 
hydrique quand les nitrites sont détruits, les nitrates sont 
décomposés à leur tour, et tout l’azote qu'ils contiennent se 
dégage à l’état de bioxyde d'azote. Il suffit donc, en pratique, d’in- 
troduire d’abord dans le ballon du sulfate ferreux au contact de : 
la liqueur dans laquelle on veut doser les nitrites; on chauffe, 
et on recueille le bioxyde d’azote dans une première cloche. 
Cette réaction s’achève très rapidement. Quand le dégagement 


502 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de gaz a cessé, on change de cloche et on fait arriver de l’acide 
chlorhydrique au contact du liquide. Les nitrates sont décom- 
posés à leur tour, et on recueille le bioxyde d’azote dans la 
deuxième cloche. On obtient ainsi séparément, mais dans une 
même opération, le bioxyde d’azote correspondant aux nitrites 
et aux nitrates, et on en déduit la proportion de ces sels 
présente dans la liqueur, 


L'appareil qui sert pour ces dosages est l’appareil de Schlæ- 
sing légèrement modifié, et se trouve représenté ci-contre : 

Le petitballon B dans lequel s’effectuentles réactions contient 
seulement environ 30 à 35 c. c. La tubulure supérieure sert au 
dégagement des gaz et est reliée au tube abducteur qui s'ouvre 
sous la cuve à mercure. Au centre du ballon se trouve une 
deuxième tubulure, qui porte un tube vertical assez fin. Ce tube 
se bifurque bientôt en donnant deux branches : l’une est reliée 
par un fort caoutchouc muni d’une pince à un très petit enton- 
noir qui sert à l'introduction des liquides; l’autre est reliée à un 
appareilcontinu R P, producteur d’acidecarbonique. Le chauffage 
s'opère en plongeant le petit ballon dans un bain de paraffine 
ou d’alliage de Wood maintenu à la température voulue par une 
lampe à alcool. Ce mode de chauffage est très pratique, car il 


MICROBES NITRIFICATEURS. D08 


empêche la surchauffe et les absorptions qui arrivent parfois 
avec le chauffage direct par la lampe à alcool. En outre, le 
support du bain d’alliage porte un manche en bois pour abaisser 
ou élever facilement ce bain ; on peut ainsi produire à volonté 
dans l’appareil de légères dépressions qui permettent d'introduire 
sans difficulté les liquides par le petit entonnoir pendant 
l'opération. 

Voici comment s'exécute l'analyse. Il faut d’abord amener 
le liquide au point de concentration voulu. Quand il s’agit de 
doser seulement les nitrites, il n’est pas nécessaire de beaucoup 
concentrer, la réaction se produisant très bien en milieu étendu, 
Ce fait a une certaine importance, car certains nitrites, comme le 
nitrite de magnésium, sont très instables, et leurs solutions se 
décomposent déjà partiellement à 100°. Pour les nitrates, il est 
nécessaire de concentrer de manière à avoir, sous un volume de 
quelques centimètres cubes, 10 à 20 milligrammes de nitrate, 
La liqueur d’essai est introduite par le petit entonnoir dans le 
ballon. On lave l’entonnoir à plusieurs reprises avec quelques 
gouttes d’eau distillée, puis on chasse l’air de l’appareil en fai- 
sant arriver un courant de gaz carbonique. Cette opération 
effectuée, on place sur le tube abducteur, qui plonge dans la 
cuve à mercure, une cloche de 25 c. c. graduée au 1/10, dans 
laquelle on à introduit 3 à 4 c. c. d’une solution de potasse à 
39-409 Baumé. On s’assure qu’il n’y a plus d’air dans l'appareil 
en faisant passer encore deux ou trois bulles de gaz carbonique, 
qui doivent être entièrement absorbées par la potasse. On fait 
alors entrer dans l’appareil par le petit entonnoir, en produisant 
une légère dépression, 1 à 2 c. c. d’une solution saturée de 
sulfate ferreux. On lave à plusieurs reprises et on chauffe le 
bain d’alliage, Le bioxyde d’azote sé dégage. Quand le dégage- 
ment gazeux paraît terminé, on fait passer bulle à bulle, sans 
arrêter l’ébullition, un courant de gaz carbonique pour balayer 
l'appareil et entraîner tout le bioxyde d'azote. On enlève cctte 
première cloche. 

On place alors sur le tube abducteur une deuxième cloche, 
puis, en abaïssant un peu le bain d’alliage, on crée une légère 
dépression et on fait arriver par le petit entonnoir 2 à 3 c. c. 
d’acide chlorhydrique. On plonge de nouveau le ballon dans le 
bain d’alliage, et le bioxyde d’azote des nitrates se dégage à son 


d04 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tour. L'appareil est balaäyé à la fin comme Nes 0 par 
un courant de gaz carbonique. 
On obtient ainsi deux cloches de gaz qu’on plonge dans une 
petite cuve à mercure profonde pour les mettre en équilibre de 
température avec le mercure qui les entoure, et pour permettre 
à la potasse d'achever d’absorber l’acide carbonique. On amène 
alors le mercure au même niveau dans les cloches et dans la 
cuvette, afin de n’avoir comme contre-pression que la colonne 
dé potasse. On note le volume du gaz, la température, la 
hauteur de la colonne de potasse et la pression barométrique. 
Pour les calculs, on admet que la tension de vapeur de la 
solution de potasse est sensiblement égale aux deux tiers de 
la tension de la vapeur d'eau à la même température, et que 
sa densité est dix fois moindre que celle du mercure, c’est-à- 
dire qu'une colonne de 4 centimètres de potasse correspond à 
une colonne de mercure de 4 millimètres. IL suffit alors de 
ramener les volumes gazeux à 0° et 760% et on en déduit de 
nitrite et le nitrate correspondants ‘. 
- Toutes les analyses exécutées dans ce travail l'ont été par 
cette méthode de M. Muntz, à qui nous sommes heureux de 
pouvoir exprimer ici tous nos remerciements. 


EXPÉRIENCES SUR LES FERMENTS NITREUX 


Influence de la concentration en ammoniaque. — Pour étudier 
l'action de la concentration du milieu en ammoniaque sur la 
fermentation nitreuse, nous avons préparé les solutions miné- 
rales nutritives ordinaires dans lesquelles nous avons ajouté 
des proportions variables de sulfate d’ammoniaque. Chaque 


4. Voici un exemple de calculs : 


Pour le nitrite. €. c. 2,55 
Volume dersaziobtenu-2#" "CE Tee Pole tale ES 9 6 
; 9 
Température fier. Pete I RE DEAN e Ce se ENT 21° 
Pression H corrigée etréduite a 00.24%" PRÉ RNRe dome mm. 763,8 
Pour le nitrite. — 42 
Hauteur À de la colonne de potasse... $ à : _ 
Pour le nitrate. — 53 
Pression du gaz dans F cloche ee Pour le nitrite: — 747,3 
Le) , 
2 e 
H — ñ h — 3 ft Pour le nitrate. — 746,2 
(f, tension de la vapeur d’eau à la température f.) 
TEE ee Pour le nitrite. €. c. 2,33 
Volume du gaz réduit à 0° et 760 mm. } : ; 
1 3 t Pour le nitrate. — 8,75 


Nitrite de soude. -mg. 7,18 


Sels correspondants Nitrate desoude. mg. 33,24. 


MICROBES NITRIFICATEURS, 005 


matras a reçu 20 c. c. de milieu de culture et, après stérilisa- 
tion, nous avons additionné ce milieu de la quantité de carbo- 
nate de magnésie correspondant à la dose d’ammoniaque pré- 
sente. L'expérience a porté sur les deux ferments Java et Lit 
bactérien, L’ensemencement a eu lieu le 15 novembre, et on 
a relevé les réactions au Trommsdorif et au Nessler aux diverses 
époques. E ee 

. Le 13 janvier, soit environ 2 mois après, constatant que la 
réaction au Nessler était toujours aussi intense dans les milieux 
qui contiennent plus de 6 grammes par litre de sulfate d’ammo- 
niaque, nous avons sacrifié les cultures et nous avons soumis 
les liquides à l’analyse pour voir quelle avait été la production 
de nitrite dans les milieux riches en sulfate d’ammoniaque. Les 
résultats obtenus ont été les suivants : 


SULFATE NITRITE DE MAGNÉSIE FORMÉ EN GR. PAR LITRE 


D'AMMONIAQUE EN EE 2 
grammes par litre. FERMENT JAVA . FERMENT LIT BACTÉRIEN 


6,48 É » 
6.61 4.86 
8,54 9,61 
1,99 traces 
traces traces 
traces traces 


Ces résultats nous permettent de tirer les conclusions sui- 
vantes : le ferment nitreux s’arrête quand la concentration en 
sulfate d’ammoniaque dépasse 50 grammes par litre. Il existe 
d’ailleurs sous ce rapport des différecnes entre les divers fer- 
ments. Avec le ferment Java, il y a encore nitrification jusqu'à 
50 grammes par litre; avec Le ferment Lit bactérien, la nitrifica- 
tion s’arrête lorsque la proportion de sulfate d’ammoniaque 
atteint 30 grammes par litre. 

Influence du nitrite formé. — Pour voir quelle est l'influence 
du nitrite formé sur la fermentation nitreuse, nous avons dû 
nous mettre à l'abri de l’action nocive des doses trop fortes 
d’ammoniaque. A cet effet, nous avons cultivé les ferments 
nitreux dans le milieu normal à 2 0/00 de sulfate d’ammoniaque, 
et, chaque fois que la réaction ammoniacale disparaissait, nous 
rajoutions une dose d’ammoniaque équivalente à celle qui avait 


506 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


disparu, ainsi que la dose de base carbonatée correspondante, 
Nous avons pu produire ainsi une accumulation de nitrite assez 
considérable, tout en ne nitrifiant que des solutions ammonia- 
cales étendues, Les essais ont été effectués sur 100 c, c. de 
milieu minéral contenant 2 grammes par litre de sulfate d’am- 
moniaque, Les doses successives d’ammoniaque étaient ajoutées 
sous forme de 1 c, c. d’une solution de sulfate d’ammoniaque 
à 20 0/0 stérilisée, dès que la réaction au Nessler avait disparu, 
A chaque dose d’ammoniaque, on ajoutait 4 c. c, d’un lait à 
10 0/0 de carbonate de magnésie stérilisé. Nous avons expéri- 
menté sur les deux ferments Java et Lit bactérien; l’'ensemence- 


ment a eu lieu le 6 décembre, et les résultats obtenus ont été les 
suivants : 


DATES DES DIVERSES DOSES AJOUTÉES 


FERMENTS = — © 


6 déc. [23 déc.| 2janv.|7 janv.|{2janv.16janv.| 2 févr.| 4 mars |16 avril 
7l 


Litbactérien.| 6 déc. [20 déc.|29 déc. |7 janv.|1#janv.| 2févr.23mars| » ) 


Le 19 mars, voyant la nitrification se ralentir, nous avons 
rajouté la dose de sels nutritifs contenue dans le milieu primitif, 
pour être certains que l’arrêt ne tenait pas au manque des élé- 
ments minéraux indispensables. Cette addition n’a eu aucun 
résultat. 

Nous voyons donc que la nitrification a marché régulière- 
ment, avec le ferment Java jusqu’à la 6° dose d’ammoniaque, 
ce qui correspond à la nitrification de 10 grammes de sulfate 
d’ammoniaque par litre. A partir de ce moment, le phénomène 
s’est beaucoup ralenti, il a déjà fallu 17 jours pour nitrifier 
complètement la 6° dose; la 7° dose a demandé 1 mois, la 
8° dose 1 mois et demi, la 9° dose n’a plus nitrifié. 

Pour le ferment Lit bactérien, l’action est la même, mais ce 
ferment est décidément plus sensible aux concentrations fortes, 
comme nous l’avons déjà vu dans l'expérience précédente : il est 
gêné par le nitrite formé à partir de la 5° dose d'ammoniaque, 
et il s'arrête à la 7° dose. 

Pour nous rendre compte des concentrations en nitrite qui 
correspondent à ces actions nuisibles, nous avons procédé au 


MICROBES NITRIFICATEURS. 507 


dosage des nitrites dans les matras, avant l’addition de la 9° dose 
pour le ferment Java, et avant l’addition de la 7° dose pour le 
ferment Lit bactérien, Nous avons obtenu les chiffres suivants : 


Ferment. Nitrite de magnésie présent en gr. par litre 
VAT EN MNT 0 re ra Mi Ets CS 14,31 
Hihhactérnient es re ce -rue 13,42 


Il importe de remarquer que ces chiffres ne peuvent pas cor- 
respondre exactement aux doses d’ammoniaque introduites, Il 
aurait fallu pour cela tenir compte de la concentration et des 
variations de volume à la suite des additions d’ammoniaque, ce 
que nous avons jugé inutile, car notre but n’était pas ici de 
déterminer la quantité de nitrite qui se forme pour une quantité 
donnée de sulfate d’ammoniaque, mais bien la quantité de nitrite 
capable de gêner et d’arrèter une fermentation nitreuse. On 
voit par ce qui précède qu’à partir de 8 à 10 grammes de nitrite 
de magnésie par litre, le ferment nitreux semble gêné, et son 
action est paralysée quand la proportion de nitrite formé atteint 
13 à 15 grammes par litre. Cependant, le ferment n’est pas atteint 
dans sa vitalité, car, en diluant de moitié le liquide de culture 
après arrêt de la nitrification, nous avons constaté un nouveau 
départ et une nitrification complète de l’ammoniaque présente. 

Nous avons également fait ces expériences en nous servant 
de carbonate de chaux, au lieu de carbonate de magnésie comme 
base carbonatée. Les nitrifications ont été moins loin, comme 
l'indique le tableau suivant : 


DATES DES DIVERSES DOSES AJOUTÉES 


FERMENTS —— © mpmpapaLpLuLpLu 
10 90 30 40 50 6o 
JAVA ner 6 déc. 20 déc. 2 janv. | 16 janv. | 30 janv. | 9 mars. 
Lit bactérien..| 6 déc. 23 déc. | 20 Janv. 7 févr. 4 mars. » 


La nitrification paraît donc plus gênée par le nitrite de chaux 
que par le nitrite de magnésie, puisqu’à la 6° dose d’ammoniaque 
pour le ferment de Java, et à la 5° dose pour le ferment de Lit 
bactérien, la nitrification a cessé de progresser. En diluant de 
moitié ces cultures, le phénomène a repris son cours normal. 

Nous avons alors voulu voir si, en cultivant nos ferments 
en nitrificateurs rotatifs, comme nous l'avons indiqué plus haut, 


508 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


aous n’arriverions pas à repousser plus loin cette dose à laquelle 
lenitrite formé devient nuisible. Nous avons placé dans de petits 
‘tonneaux en verre de deux litres, remplis de scories calcinées 
stérilisées, 700 c. c. de liquide minéral stérile à 2 grammes par 
litre de sulfate d’ammoniaque, et nous avons ensemencé avec 
les ferments Java et Lit bactérien. On faisait subir aux tonneaux 
deux révolutions complètes par jour, et la masse des scories 
étaittraversée par un courant d’air trèslent. Chaque fois que l’on 
constatait dans la prise d'essai la disparition de l’ammoniaque, 
on äjoutait une nouvelle dose égale à la précédente et la dose 
de carbonate de magnésie correspondante. Voici les résultats 
obtenus : 


DATES DES DIVERSES DOSES AJOUTÉES 


À| FERMENTS —— —— 


Litbactérien.|24janv.| 2 févr. [11 févr.|16 févr.|20 févr.|27 févr.|13 mars|23 mars|13 avril 
Java: .rce 2%janv.| févr. [11 févre.|16 févr.|20 févr.|27 févr.| 4mars|13 mars|13 avril 


“Le 22 mai, la réaction au Nessler était encore intense dans 
lës deux tonneaux : la nitrification était arrêtée, Le dosage du 
nitrite de magnésie dans le milieu du ferment Lit bactérien a 
‘donné 15£,15 par litre. 

‘Nous arrivons donc ici aux mêmes conclusions que dans les 
expériences précédentes, mais il fautremarquer que la nitrifica- 
tion a été beaucoup plus rapide dans ces petits tonneaux roulants 
que dans les fioles coniques, Au moment où le phénomène était 
très actif, les ferments ont nitrifié en 4 jours 1f',4 de sulfate 
d'ammoniaque. 

Influence de l'addition de divers nitrites. — Les expériences que 
n ous venons d'exposer montrent qu'au delà de 15 grammes par 
litre, les nitrites de magnésie ou de chaux formés deviennent 
nettement nuisibles à la fermentation nitreuse. Ce qui se passe 
est tout différent quand on ajoute, avant le départ de la fermen- 
tation nitreuse, une certaine dose de nitrite. À 20 c. ce. de milieu 
normal à 2 grammes par litre de sulfate d'ammoniaqué, nous 
avons ajouté des doses croissantes de divers nitrites, en solutions 
titrées stérilisées à froid à la bougie Chamberland, pour éviter 
toute décomposition à l’autoelave, Nous avons essayé les nitrites 


MICROBES NITRIFICATEURS, 509 


de potasse, de soude, de chaux et de magnésie. La durée de la 
nitrification avec les doses variables de ces divers nitrites est 
indiquée par le tableau suivant : 


DURÉE DE LA NITRIFICATION 


a  — 


NITRITE DE SOUDE NITRITE DE POTASSE NITRITE DE CHAUX NITRITE DE MAGNÉSIE 


A RS 


Doses de nitrite en grammes 
par litre 


Ja:a. Lit bact. Java, Lit, bact. Java. Java. 
1 [45 jours.| 3 mois. | 2 mois. [2 m. 1/2. 21 jours. 16 jours. 
3 | 2 mors. — — 3 mois. 22 jours. — 
4 = == — — — — 
8 — [3 m.1/2. — : [3 m. 17/2. — = 
10 — — — — — 21 jours, 


Durée de la nitrification des témoins sans addition de nitrites Rat à jours, 

Nous constatons qu'une très faible quantité de nitrite dé; 
soude ou de potasse, ajoutée avant le départ de la fermentation 
nitreuse, gène considérablement le développement du ferment ; 
puisqu’à la dose de 2 grammes par litre, la nitrification d’une 
même quantité d’ammoniaque demande pour le ferment Java 
2 mois au lieu de 7 jours. Le ferment Lit bactérien est encore 
plus sensible. Ajoutons que nous avons préparé nous-mêmes 
ces nitrites à l’état pur, qu’ils nitrifient parfaitement par le fer- 
ment nitrique et qu'il ne peut pas s’agir de la présence d’une 
impureté antiseptique pour le microbe. Les nitrites de chaux: et 
de magnésie, ajoutés avant l’ensemencement, gènent beaucoup 
moins que les nitrites de potasse et de soude, puisque le retard 
dans la nitrification n’est que de 14 jours pour le nitrite de chaux 
et de 9 jours pour le nitrite de magnésie, Il y a cependant une 
légère action nocive. 

Influence de l'addition de divers nitrates. — En présence de ce s 
résultats, nous avons voulu nous rendre compte si l’addition 
de nitrates produisait sur la fermentation nitreuse des actions 
analogues à celles que donnent les nitrites. Nous avons addi- 
tionné le milieu minéral à 2 grammes par litre de sulfate d’am- 
moniaque de doses variables de divers nitrates (potasse, soude, 
magnésie, chaux), Les durées observées pour la nitrification 
d’une même dose d’ammoniaque ont été les suivantes ; 


510 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


DURÉE DE LA NITRIFICAYION 
CC 
NITRATE DE SOUDE NITRATE DE POTASSE NITRATE DE CHAUX NITRATE DE MAGNÉSIE 
TT TL EE 
Java. Lit bact. Java. Lit bact. Java. Lit bac'. Java. Lit bact. 


19 jours.|2 m. 1/2.119 jours.| 2 mois. |19 jours.| 2 mois. 
80 jours.|3 mois. |19 jours.| 2 mois. |19 jours.| 2 mois. 
pas finie.|pas finie.|19 jours.| 2 mois. |19 jours.| 2 mois. 

— — pas finie.|pas finie.|pas finie.|pas finie. 


30 jours.|pas finie. 
pas finie. — 


Sur | Doses en gr. par litre. 


©t 
= 


ne 
Durée de la nitrification des témoins sans addition de nitrate | are : JOUESS 


— 


Nous voyons que le nitrate de soude, ajouté avant l’ense- 
mencement, retarde déjà de 11 jours Le ferment Java à la dose 
de 1 gramme par litre. A la dose de 5 grammes par litre et aux 
doses supérieures, la nitrification se manifeste un peu, car on 
a une réaction sensible au Trommsdorff, mais trois mois après 
l’ensemencement, il y a encore beaucoup d’ammoniaque. Le fer- 
ment Lit bactérien est beaucoup plus sensible, et la dose de 
{ gramme par litre de nitrate de soude a suffi pour gêner sa 
multiplication. 

Le nitrate de potasse gène moins que le nitrate de soude. 
Pour le ferment Java, la dose de 1 gramme par litre est indiffé- 
rente, celle de5 grammes par litre retarde un peu le phénomène ; 
au delà de 10 grammes par litre, la nitrification devient intermi- 
nable. Le ferment Lit bactérien présente toujours sa sensibi- 
lité plus grande; cependant, il est moins gêné par le nitrate de 
potasse que par le nitrate de. soude, puisqu'il termine sa nitri- 
fication en 3 mois dans Le milieu à 5 grammes par litre de nitrate 
de potasse. Au delà de cette dose, la nitrification est faible, et 
il reste toujours de l’ammoniaque. 

Le nitrate de chaux ne gène le ferment Java qu ‘aux concen- 
trations fortes, au delà de 10 grammes par litre. Au-dessous de 
ce chiffre, la durée de la nitrification est [a même que dans le 
témoin. Il en est de même pour le nitrate de magnésie. Le fer- 
ment Lit bactérien est toujours plus gèné que le ferment Java. 
Cependant, il nitrifie complètement l’ammoniaque en présence 
de 10 grammes par litre de ces nitrates, mais avec un retard 
d'environ 20 jours sur le témoin. 

Il résulte de ces diverses expériences que les nitrates de 


MICROBES NITRIFICATEURS. 511 


soude et de potasse présents dans les liquides peuvent gèner 
notablement le développement des ferments nitreux même à 
une concentration assez faible (1 à 5 gr. par litre). Les nitrates 
de chaux ou de magnésie ne gênent que peu ou pas du tout, 
excepté aux concentrations fortes (plus de 10 gr. par litre). 


EXPÉRIENCES SUR LES FERMENTS NITRIQUES 


Influence de la concentration en nitrite de soude. — 20 c. c. 
de milieu minéral sont additionnés de doses de nitrite de soude 
variant de 1 gramme par litre à 100 grammes par litre. 
L’ensemencement a eu lieu le 9 novembre avec le ferment 
nitrique Bruyère : on a noté chaque jour la réaction au Tromms- 
dorf jusqu'à transformation complète du nitrite. Le tableau 


suivant donne les réactions observées aux diverses époques. 


NITRITE DE 


SOUDE 


PER Le =" ee 0 2 Le 


en gr. par litre, 9 novembre. 17 novembre. | 21 novembre. | 7 décembre. 29 janvier. 


" +, réaction intense au Trommsdorff; O, réaction nulle. 


Nous constatons que la nitrification a été complète dans les 
milieux qui contiennent jusqu’à 10 grammes par litre de nitrite 
de soude. Elle a duré 9 jours pour le liquide à 1 0/00, 13 jours 
pour le liquide à 2 0/00, 29 jours pour le liquide à 5 0/00, 
82 jours pour le liquide à 10 0/00. On constate que déjà pour 
une proportion de 10 grammes par litre de nitrite de soude, la 
nitrification se ralentit. 

Les milieux renfermant respectivement 20 grammes et 
100 grammes de nitrite de soude par litre donnaient encore 
1 mois après une réaction intense au Trommsdorff. L'analyse 
a permis de reconnaître qu'il ne s'était formé que des traces de 
nitrates. Il n’y a donc pas de nitratation en présence d’une dose 
de 20 grammes par litre de nitrite. Nous n’avons pas pu arriver 
à produire la nitrification dans ce milieu, même en accoutumant 


512 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


le microbe par cultures successives dans des milieux de plus 
en plus concentrés en nitrite. Nous voyons donc que le ferment 
nitrique est très sensible à la dose de nitrite présente, et qu'il 
présente sous ce rapport une sensibilité beaucoup plus grande 
que le ferment nitreux vis-à-vis de FPammoniaque. Nous avons 
vu en effet la nitritation se produire avec le ferment nitreux 
dans des concentrations de sulfate d’ammoniaque de 56 grammes 
par litre. 

Influence du nitrate formé. — Pour faire cette recherche, 
nous avons suivi le même mode opératoire que pour l’étude de 
l'influence du nitrite formé sur le ferment nitreux. Pour nous 
mettre à l’abri de l'influence nocive du nitrite, nous avons ense- 
mencé les ferments nitriques dans le milieu minéral ordinaire à 
1 gramme par litre de nitrite de soude, et, dès que la nitrification 
était complète, nous rajoutions une dose de nitrite équivalente 
à celle qui avait nitrifié. Nous avons ainsi pu produire une 
forte accumulation de nitrate dans le milieu de culture, tout en 
n’opérant que sur des solutions nitritées étendues. Les addi- 
tions de nitrite se faisaient au moyen d’un volume donné d’une 


DATES DES DIVERSES DOSES AJOUTÉES : 


FERMENTS 10 20 30 40 50 60 To 


—_——————_—— 


Bruyère. ....| 20 oct. | 4er nov. | 9 nov. | 17 nov. | 25 nov. | 29 nov. | 2 déc. 
Lit bactérien.| 20 oct. | 4er nov. | 9 nov. | 17 nov. | 25 nov. | 29 nov. | 2 déc. 


FERMENTS 80 9o 100 


22 déc. 
22 déc. 


Bruyère . ....}) 5 déc. | 11 déc. | 15 déc. 


26 déc. | 29 déc. | 2 janv. 
Lit bactérien./ 5 déc. | 11 déc. | 15 déc. 


26 aëc. | 29 déc. | 2 janv. 


16 févr. | 20 févr. | 25 févr. 
26 janv. | 30 janv.| 5 févr. 


FERMENTS 220 230 240 250 


260 


Bruyère. ....) 7 janv. | 22 janv. | 28 janv. 
" 
4 


J 
Lit bactérien.} 7 janv. | 11 janv. |16 Janv. 


28. mars. 


Bruyère. met 5 mars. [12 mars.|17 mars.}21 mars. 
Lit bactérien.\ S févr. |14 févr. |20 févr. | 5 mars. » 


FERMENTS 150 160 170 180 190 200 240 


MICROBES NITRIFICATEURS. 013 


x 


solution de nitrite de soude à 10 0/0 stérilisée. Nous avons 
expérimenté avec les ferments Bruyère et Lit bactérien. L’ense- 
mencement a eu lieu le 20 octobre et le tableau ci-joint résume 
la marche des deux ferments. 

Nous voyons que l'oxydation du nitrite s’est poursuivie 
régulièrement et avec une grande activité jusqu'à l'addition de 
la 26° dose de nitrite de soude pour le ferment Bruyère. A ce 
moment, qui correspond à l'oxydation de 26 grammes de nitrite 
par litre, la production de nitrates s’est complètement arrêtée. 
Les résultats ont été analogues avec le ferment Lit bactérien, 
dont la marche a été encore plus régulière : elle s’est brusque- 
ment interrompue à la vingt-cinquième dose de nitrite. 

Pour nous rendre compte de la concentration en nitrate qui 
correspond à cet arrêt, nous avons procédé à l'analyse et nous 
avons obtenu les chiffres suivants : 


Ferment. Nitrate formé en gr. par litre 
BLUVÉRe EEE 7er RTS ici E TETE 25,51 
Fatsbaciénienee=" Pr ASE PS DO IR The .. o 24,84 


Dans cette expérience, comme dans celle qui se rapporte à 
l’action du nitrite de soude formé sur le ferment nitreux, les 
chiffres obtenus pour le nitrate ne peuvent correspondre exacte- 
ment aux doses de nitrite ajoutées, car nous n’avons pas tenu 
compte de la concentration et des légers changements de volume 
dus à l'addition des doses successives de nitrite, notre but étant 
simplement de déterminer la proportion de nitrate nuisible au 
ferment nitrique. Nous voyons que cette proportion est de 
25 grammes par litre environ. 

Ilest curieux de constater qu'à l'inverse des autres espèces 
microbiennes, le ferment nitrique est plus gèné par la concen- 
tration du produit auquel il s’attaque (uitrite) que par la concen- 
tration du produit qu'il forme (nitrate). En effet, le nitrite à Ja 
dose de 10 grammes par litre arrèle la marche du ferment, 
même soumis à l’accoutumance, tandis que le nitrate formé ne 
l’arrête qu’à la dose de 25 grammes par litre. 

Influence de l'addition de divers nitrates. — Nous avons voulu 
voir si l'addition de doses variables de nitrates dans le milieu 
avant l’ensemensement du ferment nitrique produit une action 
nocive analogue à celle du nitrite de soude sur le nitreux. 
20 ce. ce. de milieu minéral à 1 gramme par litre de nitrite de 

33 


514 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


soude ont reçu des doses croissantes de 1 à 100 grammes par 
litre de divers nitrates (potasse, soude, chaux, magnésie). On 
a ensemencé les deux ferments Bruyère et Lit bactérien, et noté 
la durée de la nitrification. Voici les résultats obtenus : 


DURÉE DE LA NITRIFICATION : 


z£2<| Nitrate de soude. Nitrate de potasse. Nitrate de chaux. Nitrate de magnésie. 
Z = Te te CL EC ee 
Ée = Bruyère. | Lit. bact. | Bruyère. | Lit. bact. | Bruyère. | Lit bact. | Bruyère. | Lit bact. 

4 |7 jours.| 8 jours.| 7 jours.| 8 jours.| 7 jours.| 7 jours. 

1e] HE ON RS Te ER) Te 

VO) PR CCR Er 8. — 4 = |: — 

5] EN ETES re 8 — |7T — |7T — - 

40 [8 — 4 — |7 — |8 — M0 — |7 — — ie 

20 |2 mois. | 2 mois.13 — |13 — l|incompl.lincompl.(12 — 1|12 — 
100 fincompl.|incompl.incompl.[incompl. — —  lincompl.[incompl. 


Bruyère er. 7 jours. 


Témoins sans addition de nitrates: durée de la nitrification ! tatoo ere 


Nous constatons que le phénomène observé avec les nitrites 
de soude et de potasse sur les ferments nitreux ne se produit 
pas ici. Le nitrate de soude ne commence à être nuisible qu'au 
delà de 40 grammes par litre environ. Cependant, les milieux 
qui contiennent 20 grammes par litre de ce sel ont nitrifié com- 
plètement au bout de deux mois. Le nitrate de potasse gène 
moins; la nitrification est à peine retardée de quelques jours 
par une dose de 20 grammes par litre. Le nitrate dé chaux est 
beaucoup plus nuisible; au delà de 10 grammes par litre, la for- 
mation de nitrates s'arrête. Le nitrate de magnésie n’a aucune 
action tant que la concentration ne dépasse pas 20 gr. par litre. 

Des expériences complémentaires nous ont montré que le 
nitrate de soude gêne le développement du ferment nitrique à la 
dose de 20 gr. par litre, les nitrates de potasse et de magnésie 
à la dose de 25 gr. le nitrate de chaux à la dose de 12 grammes. 


CONCLUSIONS 


En résumé, nous arrivons aux conclusions suivantes : 

1° Les ferments nitreux sont tués par un chauffage de 5 mi- 
nutes à 45°, les ferments nitriques par un chauffage de même 
durée à 55° ; 

20 La température optimum de culture pour les ferments 
nitreux et nitriques est de 37° ; 


MICROBES NITRIFICATEURS. 515 


3° La marche de la nitrification est considérablement accé- 
lérée par la culture des ferments nitrificateurs sur scories, sur- 
tout quand celles-ci sont placées dans de petits tonneaux aux- 
quels on fait subir de temps à autre une révolution ; 

4° La production de nitrites est arrêtée quand on cultive les 
ferments nitreux dans des liquides contenant 30 à 50 grammes 
par litre de sulfate d’ammoniaque ; 

5° La marche du ferment nitreux se trouve ralentie quand il 
a produit 8 à 10 grammes de nitrite de magnésie par litre; 
quand cette proportion atteint 13 à 15 grammes, la nitrification 
s'arrête ; 

6° La présence de nitrites de potasse ou de soude dans les 
milieux où on ensemence le ferment nitreux gêne considéra- 
blement la multiplication de ce ferment, et allonge la durée de 
la nitrification. Les nitrites de chaux et de magnésie produisent 
une action analogue, mais beaucoup moins accusée ; 

1° La présence de nitrates de soude ou de potasse dans les 
milieux où on a ensemencé le ferment nitreux gêne même à 
des doses faibles (1 à 5 grammes par litre) le développement de 
ce ferment. Les nitrates de chaux et de magnésie ne gênent 
qu'aux concentrations fortes (1 0/0 au moins). 

8° La transformation des nitrites en nitrates par le ferment 
nitrique devient d'autant plus difficile que la concentration du 
milieu en nitrite est plus forte. Quand la proportion de nitrite 
atteint 20 grammes par litre, il n’y a plus de nitratation ; 

9° La marche du ferment nitrique est arrêtée par le nitrate 
de soude produit, quand sa proportion atteint environ 25 grammes 
par litre ; 

10° La présence de nitrates de potasse, de soude ou de 
magnésie dans les liquides où on ensemence le ferment nitrique 
ne gêne pas son développement tant que la proportion de ces 
sels n’atteint pas 20 ou 25 grammes par litre. Le nitrate de chaux 
ralentit la nitratation à la dose de 12 grammes par litre. 

Nous continuons actuellement ces recherches par l’étude de 
la nitrification des divers sels ammoniacaux et des divers 
nitrites. Ce sera l’objet d’un prochain mémoire. 


Sur l'existence de l'arsenic dans l'œuf des oiseaux, 


Par M. GABRIEL BERTRAND 


À la suite de mes recherches sur l'arsenic normal de l'orga- 
nisme !, j'ai cru logique d'admettre que ce métalloïde est, ainsi 
que le carbone, le soufre et le phosphore, un élément constant 
de la cellule vivante, qu’au lieu d’être localisé dans quelques 
organes, comme pensait l'avoir établi M. Armand Gautier ?, il 
existe au contraire, dans tous les tissus. Si cette conclusion est 
exacte, si, bien mieux, l’arsenic est un élément physiologique, 
c'est-à-dire nécessaire à l'existence, il doit y en avoir dans l’or- 
ganisme à toutes les périodes de la vie, dans les cellules embryon- 
naires comme chez l'adulte, On doit, dès lors en rencontrer dans 
l'œuf des oiseaux, là où l'embryon est obligé d'accomplir tout 
son développement sans pouvoir tirer du milieu extérieur la 
plus petite partie de l’arsenic dont il a bosoin. Cette manière 
de voir n'a conduit à rechercher l’arsenic tout d’abord dans 
l'œuf de la poule, et je puis donner aujourd'hui les résultats 
positifs auxquels je suis parvenu. 

J'ai fait trois séries d'expériences : la première. en quelque 
sorte préliminaire, sur des œufs trouvés dans le commerce et dont 
l’origine était, par suite. indécise ; les deux autres, au contraire, 
sur des œufs de poules élevées à Paris, dans un espace clos. et 
nourries, depuis la génération précédente, avec des grains de 
froment, de sarrasin et des débris de légumes. 

Dans chaque série d'expériences, on séparait les œufs, lavés 
extérieurement, en quatre parties : les coquilles, les membranes 
coquillières, les blancs et les jaunes. Dans une portion aliquote 
de chacune de ces parties, on dosait la matière sèche, par dessic- 
cation à + 110°; dans une seconde, on opérait la recherche et 
le dosage de l’arsenic, suivant la méthode que j'ai déjà eu loc- 
casion de décrire *. 

Les réactifs utilisés étaient extrêmement purs, puisqu'on n’a 

1. Annales de l'Institut Pasteur, t. XVI, p. 553-5614 (1902) et t. XVI, 
p. 1-10 (1903). 
2. Voir Comples rendus. Acad. des Sciences, t. CXXXV, p. 812 (1903). 


3. Ann. de l'Inst. Pasteur, t. XNIT, p. 1-10 (1903) et mieux encore: Ann. de 
Chim. et de Phys. 7e série, t. XX VII, p. 242-275 (1903). 


] 


ARSENIC DANS L’OEUF DES OISEAUX. 017 


pu déceler lrace du métalloïde dans 300 grammes d’acide nitrique 
évaporés. par portions, en présence de 20 grammes d’acide sul- 
furique ‘. 

Comme, d'autre part, on prenait seulement 5 à 30 grammes 
d'acide nitrique et 2 à 8 grammes d'acide sulfurique* dans 
chaque altaque (correspondant à deux ou trois œufs), on voit que 
l’arsenic trouvé n’a pas dû être introduit par les réactifs. 

Suivant une observation que j'ai faite autre part *, on ne 
peut obtenir tout l’arsenic de la matière organique dans une 
seule attaque. à moins d'employer une assez forte quantité de 
réactifs. Au point de vue de la certitude qualitative, — et, pour 
le moment, c’est le principal auquel je me place, — il est préfé- 
rable d'opérer par altaques successives, en prenant chaque fois 


une dose limitée d'acides. 


Après la première attaque, le résidu ulmique insoluble resté 
sur le filtre, et dans lequel une partie du métalluide cherché est 
quelquefois retenue avec force, est soumis à l’action d’une nou- 
velle quantité de réactifs, égale à la première ; il diminue à peine 
de poids, peut retenir encore une proportion sensible d’arsenie, 
et souvent, doit être attaqué une troisième et même une qua- 
trièmie fois. La séparation de l’arsenic devient alors assez 
longue ; par compensation, elle présente, touchant l’origine du 
métalloïde, un degré de certitude qu’on ne saurait atteindre 
autrement. 

Si. en effet, l’arsenic provient seulement des réactifs, on 
doit en trouver une quantité constante après chacune des 
attaques, toutes les conditions (poids d’acides, nature du ré- 
sidu, etc.) restant à peu près invariables. Si, au contraire, l’ar- 
senic est fourni par la matière organique, on a des chances, étant 
donnée l’action énergique des réactifs, d’en obtenir des quantités 
rapidement décroissantes,le résidu insoluble n'étant bientôt 
plus formé que de matières ulmiques tout à fait débarrassées du 
métalloïde. 

Comme il est facile de l’imaginer, on ne peut s’attendre à 


1. Les procédés de purification des réactifs sont décrits dans l: mémoire des 
Ann de Phys. et de Chim. 

2. Sauf avec les coquilles, à cause de la nécessité de transformer toute la chaux 
en sulfate. 

3. Loc. cil. ° 


518 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


une très grande approximation, lorsqu'il s’agit d'évaluer des 
quantités aussi pelites que des millièmes de milligramme ; 
néanmoins, on reconnaitra très bien, dans les tableaux qui 
suivent, l'allure nettement décroissante du poids d’arsenic obtenu 
dans les attaques suêcessives d’une même partie de l’œuf de 
poule. Le phénomène est surtout évident dans le cas des 
coquilles, où, d’après quelques essais particuliers, l’arsenic 
semble contenu sous la forme d'arséniate de calcium. Il est peu 
sensible, par contre, dans le cas des jaunes, parce que la 
richesse de celle partie de l’œuf en matières grasses rend les 
attaques à la fois difficiles et irrégulières. 


PREMIÈRE SÉRIE D EXPÉRIENCES 


Sur le mélange de dix œufs, de petite taille, achetés à Paris : 


Poids total des jaunes. .... .. 158 grammes. Matière riche. 41,2 0/0 
— —HNIancs ee 242 - — 12,5 0/0 
— - — membr.coquill. 140 — —— 40,0 0/0 

—— — coquilles....... 46 — — 95,8 0/0 


On a recherché l’arsenie, d’une part, sur des quantités de 
jaune et de blanc correspondant à trois œufs; d’autre part, 
sur la totalité des membranes coquillères et des coquilles. 


Quantités employées. 


Jaunes er 41 gr.(soit23 gr. demat.sèch.\Æ 23gr. de mél.acide+ 5 gr. SO*H2 
Blancs tree 72—(— 9— ]+ 12 — — + i— — 
Membr.coquill. 4 j+ 5— — + 2— — 
Coquilles...... { 11 - | +110 — — +96— — 


JAUNES eee HPATAQUE ER RER 2,0 
RER Tu 20 = Et e Lo 4:5 
ASE 3. net Re cu SU 
Blancs ere IP ONEET A ee 0,5 
PEER SL HN eee. 040 0trace tréstarble). 
Pellitules PRE OR RATE 2,0. 
Coquiiles ..... RE UE DS OS PO PAGE 
or 2e nt CIS IN OS 0,5 


DEUXIÈME SÉRIE D'EXPÉRIENCES 


Sur trois œufs d’origine connue, provenant de poules éle- 
vées à Paris dans les conditions indiquées plus haut (ponte 
d'hiver), 


ARSENIC DANS L'OEUF DES OISEAUX. 219 


Les attaques ont porté seulement sur deux œufs, un tiers 
servant au dosage de la matière sèche. 

Dans cette série d'expériences, on a pris, pour toutes les 
attaques des quantités égales de réactifs, soit 33 grammes du 
mélange acide et 5 grammes d’acide sulfurique, excepté toute- 
fois pour la première attaque des coquilles, pour laquelle on a 
ajouté en plus 8 grammes d'acide sulfurique. 


l’oïds des jaunes:..:.... ,... di grammes. Matière sèche. 49,1 0/0 
A ADIANCS EEE: de 60 — —— 11,6 0/0 
—  membr.coquill...... Aer,57 — 22,8 0/0 
= (COŒUIIES ee 12 grammes. — 95;7 0/0 

Arsenic obtenu en millièmes de milligramme. 
JAUNES En AU fre attaque..... back Re BAR CEA ES 
TS OCT PE 2e RL Se Do Oo one A 2 0) 
Blancs ren RER PSC AE EE ENS NES Re 0,5 
FR ue TR TEL MS rer ee ete oo LIEU) 
Membr. coquill ...... AR NN ne Sie ane sta aa 0) 
COQUE SR EE PR re en ie Nes 2,0 
Æ DA ERA ER ART SDS. TUE 


TROISIÈME SÉRIE D'EXPÉRIENCES 


Sur trois œufs des mêmes poules que dans la seconde série 
(ponte de printemps), en se servant des mêmes quantités de 
réactifs. Les attaques ont eu lieu aussi sur deux œufs. 


Poids des jaunes... ....... 516 Matière soche::.50.2% 50,52 0/0 
PA Erete 104.2 TOR ren 12,48 0/0 
-— membr. coquill .... 4,6 TRS RATES TER 25,00 6/0 
— Cul EEE TN Ce ..… 93,88 0/0 


Arsenic obtenu en millièmes de muligramme. 


JAUNES ML RENE TE ral tAqQUes se LENS RE Re se eee 2,0 
ASS SE 2e Le Ne le PU Le D 
REC ere De NE ER RL, 

BEM SERRE RS RE ll D ne CON CRD 2,0 

CESR EE M ni se RU ASS PS 5: = 14,5 

MeEMONCOMUI Eee mel CRE Cr PDP URSS PB Ce EC 

Coquilles re RE TO I RE ARS ANR LE 3 3,0 

Es Du 5 7, CAPES TAN CENTS A 0,5 


De l’ensemble de toutes ces expériences on peut conclure 
que toutes les parties de l’œuf de poule contiennent des quan- 
tités appréciables d’arsenic; toutefois, c’est le jaune qui, de 
beaucoup, est le plus riche : sur 1/200 de milligramme trouvé, en 
moyenne, dans un seul œuf, depuis la moitié jusqu'aux deux 
tiers appartiennent au jaune. 


520 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le blanc est au contraire le plus pauvre. 

Enfin, malgré son faible poids, la membrane coquillière ren- 
ferme à peu près autant et quelquefois plus d’arsenic que le 
blanc. C'est-à-dire que cette substance, de nature kératinique, 
est relativement très riche en métalloïde. Avec certains œufs, il 
m'a suffi d'attaquer 0,15 de membrane coquillière sèche, 
correspondant à un seul œuf, pour obtenir un bel anneau arse- 
nical. 

J'ai répété ces expériences sur l’œuf de l’oie et sur l’œuf de 
la cane. 

Comme on peut en juger par les tablaux ci-dessous, le mode 
de répartition de l’arsenic dans ces œufs est le même que dans 
l'œuf de la poule. Seule, la richesse en métalloïde varie nota- 
blement. Un œuf d’oie, pesant 150 grammes, ne contient pas 
plus d’arsenic qu’un œuf de poule. soit 1/200 de milligramme : 
l'œuf de la cane est beaucoup plus pauvre; avec un poids moyen 
de 75 grammes, il ne fournit que 1/500 de milligramme du métal- 
loïde, 

Arsenic de l'œuf d'oie, en millièmes de milligramme. 

On a opéré sur un seul œuf, 


Jaune (poidsfrais 57 grammes.) {re atlaque..... ...... 0,0 
rt { ee === — \ 2e ES MON CLOSE 0,5 
Blanc ( —= 12 —- ARS A ET ER A LA) 
a { = = = JE ARS ER RENE 0.5 
Coquiile | — 21 — ES MAR 1,0 


Arsenic de l'œuf de care, en millièmes de milligramme. 
: On a opéré sur deux œufs. 


Jaunes (poids frais 66 grammes.) Are attaque... ........ 1,5 
= — = ME ADS RL EE RE ES 280 05 
Blancs (| — 66 — EE CAMERA Le So pu 
= { == ER PÉRASTAN EE TRAMRR EE E set 0,5 
Coquilles { — 14 -- AT EE tee 2e UT) 


Tous ces résultats, différents de ceux qui ont été publiés 
antérieurement !, n’ont pu être obtenus qu’en raison de l’extraor- 
dinaire sensibilité de ma méthode de recherche. Ils confirment 
l'existence et le rôle probable de l’arsenic dans toutes les cellules 
vivantes, et autorisent à tirer, en toute certitude. les conséquences 


qui découlent de cette importante observation. 
4. Comptes rendus Ac. Sc., t. III, p. 289 (1900). 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


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ANNALES DE L'INSTITUT 


Edmond NOCARD 


170e ANNÉE AOÛT 1903 N° 8 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


EDMOND NOCARD 


——"<©- 


L'Institut Pasteur vient de faire encore une grande 
perte. Ed. Nocard est mort. Pour les lecteurs des Annales, 
ce nom rappelle toute une longue série de travaux mar- 
quant dans lascience. Pour ceux qui connaissaient l’homme 
et l'ont vu à l’œuvre, ils ont une sensation plus pénétrante, 
c’est que voilà une force éteinte sur laquelle 1ls comptaient, 
et avec tant d’espérances! Combien de fois, en face de 
quelque point délicat de leurs recherches, n’auront-ils pas 
à se dire : Ah! si Nocard était encore là. 

C'est qu’il avait le don d'éclairer et d'animer tout ce 
qu'il touchait. Il mettait un peu de sa vie forte dans cha- 
cune de ses œuvres. On le vit bien dès qu'il entra, conduit 
par son ami E. Roux, dans le laboratoire de Pasteur, où 
il apportait la seule chose qui y manquàt alors, la vétéri- 
naire. Ce beau garçon, tout jeune, ne se contentait pas 
d’avoir appris: il savait, de cettesciencerare quine demande 
qu’à se renouveler, et pour laquelle le mouvement est un 
besoin. C'est l'éloge de l’enseignement vétérinaire d’avoir 
toujours compté et créé des esprits pareils, par la vertu 
toute-puissante de ce qu'il contient d’expérimental. 

A l'Institut Pasteur, Nocard se trouvait dans son élé- 
ment. Il y était heureux. Les idées n’y restaient pas en 
chômage. Avec sa promptitude et sa finesse à comprendre, 
avec son habileté comme technicien, il était un colla- 
borateur précieux. Il était quelque chose de plus, il était 


022 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


un conseiller, et cela par une qualité précieuse, son bon sens aigu 
et dominateur, On croira peut-être que je lui mesure l’éloge, en 
mettant en avant chez lui cette faculté. Je n’en connais pas de plus 
exceptiannelle. Savoir conserver son sang-fro'd de chercheur 
au milieu des faits révolutionnaires qui vous assaillent, rester 
quasi d’instinct sur la véritable voie, qui n’est peut-être pas 
toujours la plus courte, mais la plus sûre, y tenir en complet 
équilibre toutes ses facultés, de façon à profiter des bonnes 
chances et à pallier les mauvaises, donner ainsi l'impression 
d’un esprit sûr et maître de lui, c’est être de premier ordre, 
parce qu’on répand ainsi autour de soi la foi, Pasteur a bénéficié 
d’avoir rencontré Nocard, comme Nocard de l’avoir connu. 

Ce sont les mêmes qualités que nous avons vu briller jusqu'à 
la fin chez notre ami, mort à la fleur de son talent. Elles se 
résument pour nous dans cette réalité charmante de Nocard 
prenant la parole pour une discussion entre égaux, dans un 
congrès scientifique ou dans une des nombreuses Commissions 
dont il faisait partie. Ne parlant que lorsqu'il avait quelque chose 
à dire, le faisant alors avec un air de bonne humeur d'accord avec 
la courtoisie constante du geste et du discours, c’était à peine si 
son œii malicieux indiquait de temps en temps une critique, car 
il discutait surtout avec des faits. Mais ceux-là, il y en avait 
toujours tant, et ils s’arrangeaient spontanément en si bel 
ordre qu'il donnait toujours l’impression d’avoir raison. Si bien 
qu'il profitait de la marche donnée à la discussion pour s’effacer, 
et lorsqu'on lui faisait compliment du résultat : « Les faits par- 
laient si haut, » disait-il modestement. Ils parlaient bien quand 
c'était par sa bouche. 

Et voilà pourquoi nous nous disions si souvent, à l’Institut 
Pasteur, que Nocard était irremplaçable, 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE 


Par E. DUCLAUX 


PRÉLIMINAIRES 


L'hygiène des eaux potables a perdu, dans ces dernières 
années, un peu de sa primitive intrausigeance, Quand Pasteur 
et Joubert eurent déconvert qu'il y avait des sources sans 
germes microbiens, on pensa tout naturellement qu'il ne fallait 
en avoir que de pareilles, et on ne recula que devant l’impos- 
sibilité d'en trouver. Aujourd'hui, la source pure n’est plus 
qu'un idéal dont on cherche à se rapprocher; on admet qu’une 
eau peut être bonne, et pourtant contenir des germes : il suffit 
qu’elle n’en contienne pas de dangereux, et la liste de ces der- 
niers n’est pas longue, attendu qu'elle se réduit en ce moment 
au bacille typhique. Comme ce bacille ne provient jamais que 
de l'intestin d’un typhique, et qu'à moins d’épidémie, les typhi- 
ques ne sont jamais nombreux, on peut se proposer de les 
empêcher d’infecter les eaux potables par leurs déjections, et 
j'ai proposé à la Ville de Paris, qui a un très large réseau de 
sources, un système de surveillance qu’elle a très bien organisé, 
et qui assure assez bien ce résultat, depuis deux ans qu’il fonc- 
tionne, Le service de la prophylaxie n’est done pas désarmé, et 
toute ville qui a ou aura quelque inquiétude au sujet de son 
système artériel d'eaux potables pourra vivre dans une sécurité 
relative, si elle établit une surveillance des typhoïques sur toute 
la surface qui alimente ses sources. 

Mais quelle est cette surface? Où tombent ces eaux, qui, 
arrivées au sol à peu près pures, s’y chargent de germes banaux ou 
dangereux, dont elles ne se débarrassent ensuite qu’au prix d’une 
filtration qu’elles ne subissent pas toujours au degré qu’il fau- 
drait? Quand elles sortent du sol, sous forme de sources, fortes 
ou faibles, ces eaux sont devenues limpides, d'ordinaire. Mais la 
limpidité ne traduit pas la pureté. Elles sortent fraiches quand 


D24 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


elles ont pris la température du sol qu’elles ont traversé. Mais la 
fraicheur est une protection bien faible. L'erreur de Belgrand, 
auteur du très remarquable système d’adduction des eaux de la 
Ville de Paris, a été de croire que ces deux caractères suffisaient. 
Il a manqué à Belgrand de convuaître les microbes, et de croire en 
eux. Ils ontouvertdevantlesingénieursune série de problèmes, et, 
depuis lors, on a dû se préoccuper, non pas de la partie artérielle 
de la canalisation, faite de main de maître, mais de sa partie 
veineuse. Comment se forment, à l’intérieur du sol, ces sources 
qu’on a captées et envoyées à Paris? Quelles sont les surfaces et 
les épaisseurs de terrains qu’elles ont lavées avant de redeveuir 
visibles et saisissables? Et, pour tout dire en un mot, quelle est 
l'hydrographie souterraine de la région où s’alimentent nos 
sources. Il existe une hydrographie extérieure, qui nous dit où 
vont les sources, les rivières et les fleuves. Mais existe-t-1l une 
délimitation de courants correspondante au moment où le trajet 
de l’eau est invisible, entre la surface du sol sur laquelle tombe 
uniformément la pluie, et la source qui, par essence, est rare ? 
Voilà la question. Rien que la facon de la poser indique bien 
qu’elle n’est pas résolue. Mais nous sommes avisés aussi qu'elle 
est très urgente à bien résoudre. 

Les premières études faites par la Ville de: Paris, du côté 
veineux de la question, lui ont apporté certaines surprises. 
Elle n'avait aucune idée du champ immense que couvrait sa 
région des sources, et qui est devenu celui sur lequel il faut éten- 
dre la surveillance médicale dont j'ai parlé plus haut. De ce 
côté la ville n'a pas eu de chance : elle pouvait mieux tomber, 
Mais elle est riche et se tirera d’affaire. Quand les recherches 
auront abouti, la solution s’appliquera à beaucoup d'autres pays, 
de même constitution géologique. Mais il n’est pas douteux 
qu'elles ne seront pas générales. IL faudra les recommencer 
quand on rencontrera d’autres conditions, car chaque pays a 
son hydrographie souterraine, et un pays de granit ne s'organise 
pas, sous ce point de vue, comme un terrain calcaire. | 

C'est pour cela que j'ai commencé en 1894, avant que la 
question fût ouverte pour Paris, une série d’études de cet ordre 
portant sur un département, celui du Cantal, où j'avais organisé 
pour cela l'emploi de mes vacances. Le Cantal est un pays 
volcanique d’une construction très simple, quand on se borne aux 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 329 


traits principaux. Il me paraissait et s’est montré du reste fait 
pour cette ordre d'études. J’y ai installé, à frais communs avec le 
Ministère de l'Agriculture, un petit laboratoire, qui n’a plus 
d'existence officielle depuis 2 ans. C’est ce qui a été fait dans ce 
laboratoire que je voudrais dire brièvement : c’est un commen- 
cement de l'histoire d’un pays au point de vue de sa circulation 
souterraine. Nous verrons que c’est aussi l’histoire de son déve- 
loppement el de sa vie. 


I. TorocrApuie. 


Le Cantal est une roue sans jantes, placée au milieu d'une 
assiette à soupe. Du moyeu, placé au centre, partent dans toutes 
les directions des coulées montagneuses qui se transforment 
en collines à mesure qu’elles s'étendent dans la plaine, et entre 
lesquelles une quinzaine de vallées rayonnantes envoient leurs 
eaux vers tous les points de l'horizon. Les rivières, assez recti- 
lignes tant qu’elles ont pour guides les rayons de la roue, ren- 
contrent ensuite les escarpements des bords de l'assiette, et ne 
les franchissent qu’au prix d’efforts qui les tordentetles dévient. 
Elles ont été obligées de se creuser, pour sortir, des gorges tour- 
mentées et profondes, avantdese jeter dans desfleuves plus vieux: 
la Dordogne, le Lot, l'Allier, qui leur rendentleur cours régulier. 
Le département du Cantal contient toute leur histoire volcanique. 

Cette histoire est celle de l'implantation d’un pâté monta- 
gneux sur une vaste surface faite surtout de schisies cristallins, 
gneiss, micaschistes, traversés par des épanchements de granites 
et de porphyres. Au milieu de l'assiette, les mers oligocènes et 
miocènes remplissaient déjà une vaste dépression où elles dépo- 
saient du calcaire. Ce sont les couches les plus profondes du sol 
du Cantal qui soient datées. On les trouve en abondance dans le 
bassin d’Aurillac, et, par places, mais probablement déplacées 
par soulèvement, dans les autres arrondissements, de sorte qu'on 
a le droit de se les représenter comme formant le socle du massif 
volcanique qui s’est édifié peu à peu sur elles, 

Les premières éruptions du Cantal ont été, Rames la 
montré, des basalles miocènes, Ge savant a découvert en 1873, 
au puy Courny, près d’Aurillac, des couches de ce basalte pla- 


026 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


cées entre deux formations sédimentaires classées, par leurs 
fossiles, comme étant des calcaires oligocènes et des sables 
miocènes. Le niveau du socle sur ce point est aujourd'hui de 
650 mètres environ, Comme le Plomb du Cantal s'élève à 
1,850 mètres environ, c’est de 1,200 mètres que le plus haut piton 
volcanique d'aujourd'hui domine sa base, et comme sûrement 
ce massif a été découronné, et dominerait, s’il était intact, de 
3 ou 400 mètres au moins sa hauteur actuelle, on voit la puis- 
sance de la couche qui s’est étalée sur ces couches de début du 
puy Courny. 

C'est ici que l'intérêt commence pour nous, témoins de 
l’existence d’un volcan mort et héritiers de la façon dont il 
s’est produit. Cette façon est celle de tous les volcans: un cra- 
tère autour duquel s'accumulent les déjections, et dont la hau- 
teur augmente. De la bouche d’éjection sortent des cendres, des 
pierres, des scories pâteuses et se solidifiant en route, de véri- 
tables coulées de laves qui parcourent plusieurs kilomètres en 
suivant les lignes de plus grande pente telles que les offre à ce 
moment le volcan en voie d’édification, et tout cela se groupe, 
s'élage, en conservant à l’ensemble une forme conique. Dans 
le Cantal, tout a fini par une ou plusieurs coulées de basalte, 
revêtant le volcan d’une sorte de manteau. Puis, quand le volcan 
faiblit ou s'éteint, c’est la période de destruction qui commence 
de suite. La construction a été trop brutale pour être solide. Les 
agents atmosphériques, et de préférence les eaux, se mettent à 
l’œuvre. Ce sont des agents égalitaires, et il suffit de leur ratissage 
permanent pour produire les plus grands effets mécaniques. 

Le Cantal est un volcan en voie de dégradation. L'ancien 
cratère est entraîné par l’eau ou éboulé sur les pentes. A sa place 
et à celle des matériaux égueulés par les dernières convulsions, 
nous avons en ce moment un débris de cratère formé d’une 
enceinte en entonnoir, d'environ 8 kilomètres de diamètre, avec 
le Plomb du Cantal et le puy Mary comme extrémités diamé- 
trales, et le puy de Griou comme point central. L’enceinte est 
encore complète, sauf sur deux points où elle a été forcée et 
détruite par l’action des eaux qui, tombées dans cet entonnoir 
de 50 ou 60 kilomètres carrés de surface, voulaient sortir, et 
l'ont fait par les vallées de ce qui est aujourd’hui la Cère et la 
Jordanne, Voilà pour le moyeu central de notre roue. Quant 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 527 


aux vallées courant entre les rais, on devine ce qu’elles pouvaient 
ètre, en ces temps reculés, avec un massif plus élevé et plus 
puissant que maintenant, car le volcan du Cantal formait groupe 
avec les volcans voisins de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. 
C'étaient de véritables fleuves-torrents qui les remplissaient. 

La dégradation semble avoir au moins progressé très vite. 
Le sol a été le plus attaqué, naturellement, sur les surfaces qui 
se défendaient le moins. Celles qui étaient les mieux protégées 
étaient celles que recouvraient les grandes nappes basaltiques 
venues des sommets. Ces coulées étaient homogènes et résis- 
tantes. De plus, au moment où le volcan s’est éteint, elles étaient 
dans des plaines de la surface d’alors. qu’elles avaient remplies 
de leurs masses fluides, ou bien dans des ravines, ou dans des 
dépressions où coulait souvent un petit cours d’eau. Ce sont 
ces fonds qui ont été préservés contre les érosions plus que ne 
l'ont été les hauteurs voisines. Celles-ci sont alors devenues à 
leur tour des fonds de vallées, corrodées par les pluies ou les 
phénomènes glaciaires, d’abord dans du terrain volcanique, puis 
dans le terrain calcaire sous-jacent, et c’est ainsi qu’on a pu 
retrouver sur les pentes du puy Courny les traces d’un contact 
et même d’un enchevêtrement entre deux couches, l’une de la 
mer, l’autre d’un volcan, et qui à ce moment étaient toutes deux 
en place. Les basaltes qui étaient autrefois dans des vallons sont 
aujourd’hui sur les montagnes. Les derniers sortis portent le 
nom de basalte des plateaux, et le relief du Cantal à l'époque 
actuelle est l’image négative du relief au moment où les derniers 
basaltes ont paru. Ce qui était vallée alors est aujourd’hui mon- 
tagne, et les reliefs de l’ancien volcan sont occupés aujourd’hui 
par nos vallées. 

En résumé, voici la situation actuelle : sur une grande partie 
du volcan, base de calcaire miocène. Sur cette base, et, là où elle 
n'existe pas, sur le terrain primaire lui-même, basaltes miocènes 
dont nous ne savons pas encore l’importance, attendu qu’on ne 
les voit que par tranches, aux limites du terrain volcanique, qui 
les a presque tout entiers recouverts; entre ces basaltes et les 
basaltes des plateaux qui recouvrent aujourd'hui les cimes, et 
qui forment une cuirasse protectrice pour les terrains qu'ils 
recouvrent, un énorme gâteau volcanique qui peut atteindre, 
au centre, 1,000 mètres ou 1,200 mètres d'épaisseur. Les basaltes, 


28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


si puissants qu'ils aient été pour façonner le relief actuel, et bien 
que leurs escarpements soient majestueux parfois, n’en sont pas 
moins, comme masse, un vernis sur une pomme. C'est la masse 
intermédiaire qui compte, et que nous avons surtout à étudier. 
Il est bien entendu que cette masse n’est pas homogène. 
Diverses éruptions y ont accumulé et superposé leurs produits. 
Il y a eu souvent, cntre deux éruptions successives, assez de 
temps pour que la terre ait pu se refroidir et se refaire une 
végétation, qu'une nouvelle éruption est venue brüler et ense- 
velir. Les différences d’un point à l’autre sautent aux yeux dès 
qu'on regarde; ainsi on distingue que tout est pénétré 
de filons de matières plus rares, phonolites, labradorites, 
qui-à la diversité dans la nature viennent ajouter la diversité 
dans la structure, et amènent la plupart des accidents de terrain, 
de ce qu’on pourrait appeler les incidents de surface. Les géolo- 
gues s'occupent en ce moment de débrouiller cet enchevêtre- 
ment : nous sommes obligés de les laisser à leur œuvre. Nous 
n’en sommes pas en effet arrivés au détail, en ce qui concerne 
les effets de cette structure générale sur les eaux. Nous admet- 
trons, comme fait général, ce qui résulte de l'observation d’un 
certain nombre de faits particuliers, aussi grand que possible. 


Il 
PÉNÉTRATION DE L'EAU 


Voici donc l’eau de pluie tombant sur les plateaux et y ren- 
contrant d’abord les nappes de basalte. C’est une roche compacte 
et qui ne s'imprègne pas: elle est naturellement débitée en 
colonnes hexagonales par des fentes perpendiculaires à la sur- 
face de refroidissement, et assez larges pour livrer passage aux 
pluies. Même lorsque la nappe basaltique n’est pas nue et qu’elle 
a laissé s'implanter une petite couche de terre, il n’y à pas de 
ruissellement. Mais l’eau qui à traversé rencontre bientôt le 
fond du vallon dans lequel le basalte a coulé autrefois. Elle y 
coule à son tour, parce que rien n’a changé pour elle dans les 
conditions d'autrefois. Il y a seulement une couche perméable 
de plus. Chaque coulée basaltique est donc une sorte de pont en 
long posé sur ‘un ancien ruisseau, qui reparait au point où la 
coulée cesse; c’est le-fait si fréquent dans les basaltes des pla- 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 529 


teaux du Puy-de-Dôme, où chaque coulée abrite un ruisseau, 
venant au bas de la coulée, à flanc de coteau par conséquent, 
former une ou plusieurs belles sources qui alimentent un village 
ou une ville. Clermont est dons ce cas pour les eaux de Royat. 
Ees exemples sont plus rares et moins nets dans le Cantal, où 
les coulées sont plus anciennes et plus dégradées superdficielle- 
ment. Mais nous y trouverons des sources de fin de coulée qui 
n'ont pas d'autre origine, 

Prenons maintenant les eaux qui ont traversé ce premier 
obstacle et qui se sont infiltrées sous les basaltes, où bien qui 
sont tombées directement sur les flaues et les éboulis du pla- 
teau. Elles tombent en prise dans cette masse puissante de 
déjections volcaniques dont j'ai dit plus haut que nous allions 
supposer l'homogénéité. Rien ne jure pourtant plus avec ce mot 
que l'aspect de la roche, formée de fragments compacts de 
diverse nature, empâtés dans une masse évidemment moins 
résistante, qui fait ciment. L'hétérozénéité estmème telle qu’on se 
demande comment cette boue volcanique a pu être assez fluide 
pour couler aussi loin qu’elle l’a fait, car on compte de ces coulées 
qui ont plus de 20 kilomètres. L'étonnement augmente encore 
quand on songe que les roches qui entrent dans ce conglomérat 
ont l’air d’avoir été prises sur place par leur ciment, et entraînées 
comme les pierres des moraines glaciaires, avec cette différence 
que c'est le glacier tout entier et dans toute son épaisseur qui 
entraine les blocs. Il y a toute une étude à faire de ce côté. Müis, 
pour le moment, nous nous trouvons en face d’un mortier à gros 
blocs. Eh bien, au point de vue de la pénétration de l’eau, c’est 
celte hétérogénéité qui leur donne l'homogénéité dont nous avons 
besoin, parce que ce mortier est partout pénétrable par l'eau. 
On le reconnait sur toutes les surfaces mises à nu, surtout lorsque 
le vent, la pluie et la gelée peuvent entrer en jeu. Le mortier 
s’effrite, les blocs se mettent en relief, ne tombent que lorsque 
tout s’est délité autour d'eux. Et voilà comme s’alimente le cou- 
rant de chute le long des pentes, constamment occupé à changer 
Ja physionomie du sol. 

La végétation n’est pas un abri suffisant contre ces dégrada- 
tions. Les agents atmosphériques mobilisent aussi les matériaux 
du ciment, y dissolvent et en emportent de faibles quantités 
d'éléments fertilisants, acide phospliorique. potasse, soude, 


D30 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


chaux, et laissent en place de l'argile. Ce qu’elles entraînent 
est pondéralement très peu par rapport à ce qu’elles prennent, 
etle massif est loin d’être aussi facile à attaquer qu'un massif 
calcaire. Il ne s’y creuse pas de canaux, ni même de rivières 
souterraines. Mais il n'en devient pas moins d'année en année 
plus comparable à une immense éponge, dans laquelle se fait un 
réservoir d’eau plus ou moins puissant, que les pluies et sur- 
tout les neiges de l'hiver alimentent, par en haut, pendant qu’il 
se vide plus bas par les sources. Le procès de pénétration et de 
la filtration se fait donc toujours de la même façon. Partout la 
paroi filtrante est insoluble, et ne cède à l’eau qu’une minime 
portion de sa substance. Nous avions donc raison de parler 
d'homogénéité. Mais elle ne va pas plus loin, et maintenant que 
nous avons établi une notion d'ensemble, nous pouvons y intro- 
duire la diversité qui nous donne l'accident. 

L'accident ou l'incident est qu’il n’y a pas de ruissellement 
le long des pentes, comme dans un plateau qui -serait formé 
d’un filtre homogène de 1,000 mètres d'épaisseur, se ressuyant 
en vertu des lois de la pesanteur. Il y a, réparties çà et là, des 
multitudes de sources. Lorsqu'on creuse en cherchant à en 
suivre une, on voit qu'elle se ramilie dans un sol ameubli, 
humide, avec des noyaux d'argile qui, n’ayant presque rien perdu 
de leur substance, sont restés à la place qu'ils occupaient 
dans le ciment, et la remplissent bien, même en foisonnant. En 
poussant un peu plus loin, on trouve des portions sèches, 
presque normales, mais où se revèlent des cassures dans la 
roche, des fentes dans lesquelles circule un mince filet. Bref, 
on voit qu'ici, comme en pays calcaire, mais avec des canaux 
plus étroits, une source est un confluent de sourcettes, glissant 
dans une région où la circulation de l’eau était pour une raison 
quelconque plus facile qu'ailleurs ; assise dans ces conditions, une 
source promet de vivre et travaille même a S'augmenter. Leur stabi- 
lité dans le Cantal est en effet très remarquable, Nombreuses 
sont celles qui se sont visiblement enfoncées dans le sol, à force 
d'éliminer les matériaux qu’elles trouvaient au-dessus de leur 
orifice d'écoulement, 

Ces orifices ne sont pourtant pas disséminés au hasard, et 
chacun à évidemment sa raison d’être. Pour les uns, les plus 
hauts, les plus voisins de la surface du plateau, on peut pour- 


u 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 531 


suivre sur le sol leurs lois de formation. Une dépression se des- 
sine, par exemple, avec son tapis d'herbe et de terre végétale 
dans lequel il est tout à fait impossible de saisir un ruisselle- 
ment. Toute la pluie et toute la neige de l'hiver sont bues, Cela 
fait, en acceptant le chiffre de 1",098, relevé par M. Ch. Puecb, 
comme hauteur moyenne des pluies à Aurillac, plus de 
10,000 mètres cubes par hectare, de quoi alimenter une source 
versant d'une façon continue environ un tiers de litre par seconde. 
On peut faire leur part à l’évaporation et à la pénétration dans un 
sol résistant ; on voit combien il faut peu de surface pour faire 
une source. Aussi ne faut-il pas s'étonner de trouver pour ainsi 
dire à chaque pas une source quand on se promène sur le Can- 
tal, si haut qu'on monte. Cette abondance des eaux se mani- 
feste du reste d'autre façon : on trouve des vacheries partout, 
et partout où il y a une vacherie, il y a une source. 

Voilà pour celles qui proviennent de ressuiements de sur- 
face. Celles-ci s’alimentent et circulent à peu de profondeur. Le 
moindre accident de terrain, naturel ou provoqué, leur donne 
naissance, naturellement dans la partie déclive du terrain. Elles 
ne s’éteignent pas toutes en été, puisque c’est au moment de 
l’alpage des troupeaux qu'elles sont utiles. Leur température 
n’est jamais très haute, et elles sont habituellement, en été, au 
voisinage de 5 à 6°. 

Quelquefois même, la source ne débite pas tout ce qui tombe, 
et on observe à toute hauteur des prés mouilleux ou même des 
tourbières, qui témoignent combien dans certains cas est insuffi- 


sante la pénétration de la masse volcanique. 


Pour les eaux qui l'ont pénétrée, il est plus difficile de savoir 
ce qui les détermine à sortir. IlLest clair que, si tout y était homo- 
gène, elles y couleraient perpendiculairement, ou à peu près. 
Mais les conditions de la nature sont toujours l’accident. Nous 
avons des couches superposées qui à l’origine ont coulé sur des 
moules coniques, c’est-à-dire ont une pente variable en chaque 
point comme grandeur et comme direction, qui ont été soule- 
vées depuis leur dépôt, par des filons et des failles. Chaque 
accident est interprété à part par les pluies. Parmi ceux qui l'ont 
été le plus nettement, je citerai ceux qui sont dus aux longs inter- 
valles écoulés entre deux éruptions, soit que le sol aiteu le temps 
de se couvrir d’un tapis de végétation, soit qu’il ait reçu sur une 


532 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


coulée encore à vif, mais un peu refroidie, le nouveau courant 
de lave. La soudure n’a évidemment pas été intime et a laissé 
une couche de plus facile pénétration, par où se sont dirigées de 
préférence les sources. [y a dans le Cantal des lignes de sources 
analogues à celles que Belgrand à signalées dans la vallée de 
la Seine, et produites à peu près par les mêmes raisons. Elles sont 
seulement dessinées non pas par une couche imperméable qui 
vient affleurer à fleur de coteau, mais par une ligne de plus 
facile circulation entre deux coulées successives. 

Nous pouvons même prévoir la plus importante de ces 
lignes de contact, C’est à la surface de séparation des pre- 
mières couches du sol volcanique et du calcaire miocène sur 
lequel elles ont coulé. Cette surface est souvent peu nette, elle 
est faite, dans les environs d'Aurillac, de sables quartzeux par- 
fois très blanes et de couches de cailloux roulés de la grosseur 
‘du poing. sans trace d'éléments basaltiques. À ce même niveau, 
on trouve aussi, par places, des nappes de basalle miocène qui 
ont rempli les vallées, et continuent à y convoyer des eaux qui 
font naître des sources. Mais quels que soient les accidents inté- 
rieurs qui peuvent les commander, ces sources correspondent 
toujours à Ja surface de contact de deux terrains différents, un 
calcaire au bas, des terrains volcaniques au-dessus, et nous 
dévons nous attendre à une abondante et copieuse ligne de 
sources au niveau du contact de la masse volcanique et de son 
socle. 

Telle est cette série qui, tout le long de la vallée de la Cère, 
se développe à flanc de coteaux, depuis le pas de la Cère, qui 
marque à peu près sa limite nord,et qui passe par Salvagnac. Dais- 
set, Comblat-le-Pont, Olmet, Aris, Marfons, Maruéjouls, en con- 
servant à peu près son horizontalité, pendant qu’au-dessous d’elle 
la vallée se creuse. 11 y a là, sur un parcours d’une dizaine de 
kilomètres, une quinzaine de très belles sources dont les eaux 
servent à l'irrigation des prairies, et donnent à la vallée son 
aspect verdoyant. Les bois qui couvrent jusqu’au sommet les 
portions non irrigables contribuent à assurer cet aspect, et pour 
le voyageur qui remonte la vallée en regardant par la portière, 
la structure du pays se traduit d’une façon très claire : il y a au 
sommet des contreforts une ligne qui dévale peu à peu en pente 
douce vers la plaine et qui n’a pas d'arbres parce qu’elle n’a pas 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. D33 


assez de sol et que ses bords sont taillés à pie. C’est la couche 
des basalles pliocènes ou basaltes des plateaux. Au-dessous une 
ligne de forêls, correspondant à l'épaisseur totale des coulées 
de roches acides, poreuses, et réduites, en fait d’eau, à ce 
qui suffit aux forêts pour vivre, les pluies d'hiver. Sitôt qu’on 
arrive, Ou à peu près, au niveau qu'atteint dans la vallée le 
socle volcanique dont nous avons parlé, le Cantal agricole repa- 
rait, avec des prairies qui, limitées au départ, au voisinage de la 
rivière, ont l'air d'envahir peu à peu le coteau, parce que la na- 
ture et le travail de l’homme ont permis de retrouver et d’utili- 
ser, à un niveau supérieur à celui de la plaine actuelle, les 
immenses quantités d’eau emmagasinées chaque année par les 
matériaux de l'ancien volcan. | 

Je dois dire qu'ici tous les géologues ne me suivent plus, et 
contestent l'idée de donner un socle commun au Cantal, 
c'est-à-dire à attribuer une telle importance à des couches qui 
n'apparaissent neltement que dans l'arrondissement d'Aurillac, 
et qui, déjà, dans l'arrondissement de Murat, sont à un niveau 
de 100 mètres plus élevé, ce qui, il fautle dire, n’est pas favorable 
à l'idée d'en faire des dépôts contemporains. Mais à Murat, 
on est au centre du volcan, et les dénivellations y sont très natu- 
relles ; de plus, on retrouve dans la vallée profonde de la Cère 
les calcaires oligocènes jusqu'à Thiézac. Il y en a, en place, 
sur la rive gauche, jusqu’à Vic, plus ou moins masqués par la 
végétation, par des éboulis, même par des alluvions quater- 
naires, qui remontent jusqu'au Pas de Cère. On les retrouvera 
ailleurs quand on voudra les chercher. Ce n’est pas du reste 
ici le lieu de discuter la question. Nous ne l'avons indiquée qu'en 
passant, pour marquer sa place dans l’idée générale que nous 
voulons nous faire du Cantal. Nous passons maintenant au détail 
de notre étude. 


HI 
EAU DU LABORATOIRE D’OLMET 
J'ai cité Olmet comme l’un des villages qui sont venus s’as- 
seoir au bord d’une source sur le cordon qui limite, sur la carte 
géologique, les tufs et brèches andésitiques, et les alluvions 
quaternaires et récentes. Pour moi, c’est la trace à fleur de sol 
du plateau calcaire qui porte le volcan. Trois grandes sources 


934 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


apparaissent à Olmet. La plus grande alimente le village 
Une autre arrose une grande propriété. La troisième dessert 
le laboratoire; j’ai pris celle-ci à sa sortie du sol et l’ai conduite 
part des tuyaux de fonte jusqu'à son orifice, à une distance 
d'environ 300 mètres. Elle circule donc pendant quelques mi- 
nutesàune petite profondeur dans lesol. Le passage par une sorte 
de château d’eau la retient encore quelque temps, si bien qu’elle 
arrive au laboratoire à une température qui dépasse de 1° à 
2° la température initiale; au regard de captation, cette tempé- 
rature subit des fluctuations qui ne sont pas en accord avec les 
saisons, bien qu’elles en dépendent. C’est en hiver, en janvier 
ou février, que l'alimentation au départ se fait avec des eaux de 
neige, et à 0° par conséquent. Ces eaux se réchauflent en 
descendant et refroidissent en même temps le sol qu’elles tra- 
versent. On comprend qu'il s’établisse ainsi un certain équilibre 
mobile, variable d’un point à l’autre. 

Les eaux parties de Ü, sortent avec ce que tout le sol leur 
a donné de chaleur dans le trajet qu’elles y ont fait : c’est 
tantôt plus, tantôt moins. Ce sol en cède d'autant plus que les 
eaux qui l’'empruntent sont plus abondantes. Mais comme la 
source de chaleur est limitée, le réchauffement n’est pas propor- 
tionnel à la quantité d’eau qui le sollicite. Toutes choses 
égales d’ailleurs, l’eau est donc moins chaude quand elle est 
abondante. Nous retrouverons celte question de température de 
l’eau quand nous lui demanderons sa valeur séméïologique : 
contentons-nous pour le moment de ne pas nous étonner de 
trouver à l’eau d’Olmet une température variable de 80,1 à 11°. 
C’est en somme une très belle constance de température, qui en 
fait une délicieuse boisson d'été. 

A raison de ses origines, M. Schlæsing père a désiré con- 
naître sa richesse en nitrates. Il y a trouvé 2"#r,79 d’acide azo- 
tique sur 5 litres, soit par litre 0,56 milligrammes. La matière 
azotée empruntée au moment du passage dans le sol a eu le 

.temps de se nitrifier. À l’évapcration, le résidu de 1 litre est à 
peine coloré; cependant quand pour le dosage de l'acide nitrique 
on a réduit 5 litres de cette eau à quelques centimètres cubes, 
on obtient un précipité de silice coloré en jaune par de la 
matière humique. Le liquide résiduel filtré est également jaune. 
M. Schlæsing remarque qu'il retrouve la même coloration quand 


FN DENT TA 


RE 2 CR RTE IE 


res ANSE [Es 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. D39 


il évapore les eaux de la Dhuis et surtout de l’Avre. L'eau de la 
Vanne n’en donne jamais. 

M. Schlæsing a aussi fait de l’eau d’Olmet une analyse élémen- 
taire que je suis heureux de posséder, parce qu'elle émane de 
lui d’abord, puis parce qu’elle donne des nombres que je n’ai pas 
jugé utile de rechercher à nouveau. Voici la fiche de ce savant: 


Eau d'Olmet. 1litre évaporé à sec: résidu................... 15 mgr. 
Après lavage à l'acide nitrique faible, le résidu, consistant en 
SCO OVER ER RE te du dose et ae AE 41.8 
Cette SIlICe A CalCINRTAUETOUEE MNT MAR EMEA ere Li ces 33.8 
Dansleliquideacide,ondose: Potasse.. 5.1 
Outer EU 
CS SOIT Vera 
Magnésie. 3,7 
Il y a des traces d'acide sulfurique et de chlore. 
La somme des corps dosés est donc: Silice + hydrate......... 41.8 
AICAMERR ARE LR tres 24.0 
TORRES ERA SRE RER ES 65.8 
A quoi il faudrait ajouter, pour les acides SO3, HCI, AzOÿ, env. 2 
Ce qui ne laisse pour les corps non dosés (surtout CO?) que: ... 75.0)- 


moins.... 67.5) 
Les bases dosées correspondent à une quantité de CO? beaucoup plus grande, 
mais il faut se rappeler que pendant l'évaporation la silice chasse la majeure par- 
tie de l'acide carbonique. 
Pour le but que j'avais à atteindre, je n'avais pas besoin de 
recommencer des analyses aussi complètes. Il m'était intéressant 
de savoir que l’eau contenait, et en quelques proportions, de la 
potasse, de la soude et de la magnésie, empruntées à la roche 
qui devient de l'argile. Mais deux autres éléments avaient pour 
moi beaucoup plus d'importance. 
La chaux est rare dans les pierres volcaniques, ou bien elle 
y existe sous des formes très résistantes; elle est rare aussi dans 
les eaux qui en découlent. Nous en avons trouvé 14 milligrammes 
par litre dans l’analyse de M. Schloesing. On est averti, par 
divers symptômes, qu’elle manque un peu à l’agriculture, et on 
voit bien qu’elle manque aussi aux habitants. Ceux qui ont à 
leur disposition une eau calcaire et une autre qui ne l’est pas, 
font très bien la différence. L'étude des quantités de chaux et 
celle de leurs variations prenait donc de l'importance. On pouvait 
dire d’une eau qui ne contenait que 10 à 20 milligrammes de 
chaux par litre qu’elle n’avait pas rencontré sur son chemin de 
massif calcarifère, etsi cette eau était certainement, comme le sont 
celles du Cantal, de l’eau de profondeur venant d’une certaine 
distance dans le sol, on pouvait être sûr que dans ces fonds 


936 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


jnsondables il n’y avait pas de calcaire. Si ce fait se reprodui- 
sait régulièrement un grand nombre de fois, dans les essais faits, 
sa signification générale n'apparaissait pas douteuse. Le fond du 
massif aquitère ressemblait à la surface. Si, au contraire, l’eau 
était calcaire, même lorsqu'elle venait sourdre au milieu d’éboulis 
‘et de détritus formés au détriment de sols volcaniques, on 
pouvait assurer qu'elle avait trouvé des couches oligocènes ou 
miocènes calcaires. Sa valeur séméiologique n'était pas douteuse, 
et elle prenait un niveau géologique. 

La richesse en chlorures alcalins, évaluée en chlorure de 
sodium, avait un autre caractère, non moins intéressant. La 
pauvreté en sel des roches volcaniques est incroyable. Elles en 
ont pourtant contenu au moment de l'éruption ; du moins, à notre 
époque il n'y a pas de phénomène éruptif sans vapeurs et 
dépôts de sel marin. Mais les couches anciennes ont été lavées 
à fond, et les eaux qui les parcourent aujourd'hui n’en enlèvent 
que des traces de chlore. C’est ce qu’on voit partout. Quandon 
observe une augmentation insolite en sel marin, il faut ouvrir 
l'œil, et on s'aperçoit alors, d'ordinaire, que l’eau en question 
n'est pas hors de toute suspicion, qu'elle a reçu les écoule- 
ments d’un fumier, les imprégnations d’une étable, les fuites 
d’une fosse d’aisances, car il n'y a aucune raison qui amène le 
sel marin à remonter le long des pentes, autre que les besoins 
des hommes et des animaux. L'étude du sel marin présente 
donc, pour un pays comme celui-ci, une valeur hygiénique 
incontestable. 

Je pourrais en dire autant d’un troisième élément, l'acide 
phosphorique. Il y a de l’apatite dans les basaltes, en quantité 
suffisante pour expliquer l’exportation sans retour qui se fait 
tous les ans de cet élément normal du lait, sous forme de fro- 
mages. La quantité qui passe par l’eau n’est pas grande. Dans 
une recherche faite sur 50 litres de l’eau d’'Olmet, j'ai trouvé 
4 dixièmes de milligrammes de PhO° par litre. Mais si l’eau a 
passé au contact des déjections humaines ou des fumiers, la 
quantité augmente et devient sensible dans 1 litre de liquide, 
On peut donc faire de ce côté un autre diagnostic qui ne double 
pas l’autre, et qui le complète. Je n'ai guère fait cette étude 
que lorsque la contamination dépassait la mesure, et elle a tou- 
jours réussi. 


et 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE, 037 


En résumé, je pouvais, pour cette recherche qui exigeait un 
grand nombre d'analyses d’eau, me borner à l'étude du résidu 
par litre, de la chaux, du chlorure de sodium. Bornée à cela, 
l’analyse devenait facile et courte. 

L'acte le plus long, l’évaporation, qui s’est toujours faite 
au bain-marie, dans des capsules de platine de 50 c. e. envi- 
ron, a porté sur des quantités d’eau toujours voisines de 
1 litre. On pesait lorsque la capsule ne variait plus de poids. 
Les quantités de sel présentes étaient généralement trop faibles 
pour que sa présence fut gènante. 

Redissous dans un peu d’eau, le dépôt était, dans la capsule 
même, traité par une solution normale de nitrate d'argent, après 
qu'on avait ajouté une goutte d’une solution étendue de chromate 
jaune de potassium. On dosait ainsi le sel marin. 

On évaporait ensuite à nouveau, avec quelques gouttes d’une 
solution étendue d’acide nitrique, etquand on n’avait plus qu’un 
résidu sec, on le chauffait quelques instants au-dessous du 
rouge; on reprenait par l'eau, et dans le liquide filtré, on 
faisait un dosage de chaux par la méthode ordinaire, en la pré- 
cipitant par l’oxalate d’ammoniaque. Je n'insiste pas, et je passe 
de suite aux diverses questions posées dans ce qui précède, 


CONSTANCE DE COMPOSITION 


La première question que nous avons à nous poser est de 
savoir quel fonds nous devons faire sur la composition de l’eau 
d’une source. S'il y a quelque part dans la nature un complexe 
pour lequel on soit autorisé à croire qu il sera toujours le même, 
il est certain que c’est pour de l’eau traversant depuis un temps 
immémorial le même terrain sur une grande épaisseur, La 
pensée qu'il y a une certaine stabilité dans ce régime est 
générale. Partout on a fait des analyses, par unités, d’eaux de 
sources, de rivières, de fleuves, avec la pensée que la composi- 
tion trouvée représentait toute autre chose qu’un état momen- 
tané, relatif au jour de la prise d'essai, et peut-être changé le 
lendemain. Voyonscommentcetteidées’accordeavecles faits, J’ai 
fait, depuis 1894, 17 analyses de l’eau du laboratoire. Or, voici 
les résultats. Je les présenterai toujours de la même facon. 
Chaque échantillon a son numéro d'ordre, sa température au 


39 


d38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


moment de la prise à l’orifice dans la cour, les poids en milli- 
grammes par litre du résidu, de la chaux et du chlorure de 
sodium. L’altitude est de 700 mètres environ. 


Nos d'ordre, Dates. Tempre. Résidu. Chaux. Sel marin. 
1 4. VII. 94 9,5 8 11 2,0 
2 10.1V.95 8,1 71 4? 2,0 
3... 6: NIE9 9,7 75 42 3,0 
% 25. VII.95 10,0 86 11 2,0 
5 9. VIIL.95 10,2 84 8 2.0 
6 24.1X .95 9,5 82 14 2,0 
7 3.IV.96 ie 76: A4 2.0 
8 21:1V:96 7,6 66 16 3,0 
9 91. VIIL.96 — 76 14 3,( 

10 15.1X.96 10,1 83 8 2,0 
14 27. XIE. 96 — T4 12 3,0 
12 14,1X..94 959 90 14 2,5 
13 3.X.97 — 14 4% 3,0 
14 G.IX.98 10,3 87 14 3,0 
15 18,X.98 10,1 80 46 3,0 
16 8.X.99 10,8 86 11 3.0 
17 2, VIL.03 11,0 86 9 2,0 


Lorsqu'on envisage, dans leur ensemble et en les comparant, 
les chiffres de ce tableau, il est impossible de n’y pas voir que 
toutes ces eaux se ressemblent beaucoup; mais on voit non 
moins nettement qu’elles sont bien dissemblables pour des eaux 
d’une même source formées dans les mêmes conditions. Je 
n’insiste pas pour le moment sur leurs différences de tempéra- 
ture, sur lesquelles nous reviendrons, et qui sont, ici, influen- 
cées par des conditions d'aménagement. Mais les quantités de 
résidu sont variables; son poids à l’état sec augmente dans le 
régime d'été, diminue dans le régime d'hiver. Son maximum, 90, 
et son minimum, 66, sont entre eux comme 14 et 10. Pour la 
chaux, la quantité varie aussi, suivant un rythme qui n’est pas 
facile à apercevoir, mais avec des oscillations encore plus mar- 
quées ; avec le maximum de 17 et le minimum de 8, la variation 
est du simple au double, Si, au lieu de s’opérer sur des poids de 
quelques milligrammes, elles se faisaient sur des poids de quel- 
ques décigrammes, comme cela arrive pour quelques eaux 
potables, il serait difficile de contester à un chimiste que ce 
sont des eaux différentes. 


PP” 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 239 


Je ne dis rien du sel marin, où la variation est minime et la 
constance grande, Je ne ferai observer en terminant que ceci : 
c’est que les trois substances étudiées ont chacune leur loi 
d'augmentation et de diminution suivant la saison. Les varia- 
tions des chiffres sont discordantes, au lieu d’être concordantes 
comme on pourrait le croire actuellement, puisqu'elles sont for- 
mées dans les mêmes conditions. 

En résumé, tout se passe comme si chacune des substances 
dissoutes avait sa loi de passage, et comme si l’eau que nous 
récoltons était formée de plusieurs autres, entrant en propor- 
tions différentes dans le mélange. Et du moment qu'on a été 
amené à cette idée, on en vient tout de suite à penser qu'il doit 
en être ainsi, parce que les chemins parcourus à l’intérieur du 
sol ne sont pas les mêmes. Il y a toujours des eaux de surface, 
même sur les pentes, et des eaux de profondeur, qui, naturel- 
lement, sont plus ou moins chargées ; natureilement aussi, ces 
eaux ne se mélangent pas en proportion constante. En été, par 
exemple, les pluiessont rares, et presque toutestdel’eaude fond ; 
en hiver, c’est l'inverse. Les variations de température ont les 
mêmes origines, qu'il faut combiner avec l'influence de la sai- 
son. Bref, on voit qu’alors même qu'on a fait ce qu'on a pu pour 
avoir une eau de source homogène, on n'arrive jamais à avoir 
autre chose qu’un mélange de plusieurs eaux, et que, dans la 
réalité, si lhomogénéité se fait, c’est à l’aide du mélange de 
quantités innombrables de filets non identiques. 

C’est le même mécanisme qui permet de parler de l’homo- 


r° 


généité d’une nation. 


\ 


(A suivre.) 


Recherches sur la Fermentation du lait, 


Par MM. 
HENRY TISSIER ET PASCAL GASCHING 


aucien interne des Hopitaux. licencié-ès-Sciences naturelles. 


(Travail du laboratoire du Professeur Metchnikof ) 


L'un de nous a étudié, en collaboration avec M. Martelly, la 
putréfaction de la viande de boucherie ‘, substance solide, com- 
posée en majeure partie de matières albuminoïdes et d'une 
quantité relativement faible d'hydrates de carbone, où le pro- 
cessus de destruction est tout entier commandé par des bactéries 
anaérobies protéolytiques. Nous devons maintenant étudier les 
mêmes phénomènes dans un milieu liquide comme le lait, où 
les matières protéiques sont en solution ou en suspension, où 
les substances hydrocarbonées sont en quantité beaucoup plus 
grande, et chercher si, dans ce milieu si différent, la destruc- 
tion des divers éléments obéit aux mêmes lois générales. 

Nous devons dire de suite que ces deux séries de travaux 
n’ont été entreprises qu’en vue de faciliter les recherches actuel- 
lement en cours sur la flore intestinale, et faire mieux comprendre 
son rôle physiologique et pathologique. Aussi, avons-nous laissé 
de côté lesétudes chimiques un peu délicates, que nous n’avions, 
du reste, ni les moyens ni la compétence nécessaire pour entre- 
prendre. Nous nous sommes boraés à déterminer les caractères 
morphologiques et les principales propriétés chimiques des 
espèces isolées. 

Nous appellerons fermentation du lait la destruction com- 
plète de tous ses éléments, sucre, beurre, caséine; elle se 
rapproche de ce que nous avons appelé putréfaction de la 
viande, en ce que la dislocationdeses matières albuminoïdes s’ac- 
compagne du dédoublement de ses matières hydrocarbonées. 

Il est peu de questions qui aient été aussi étudiées que celle des 
altérations spontanées du lait. Il en est peu qui soient pour le 
moment plus confuses. On a Re sans trop se préoccuper des 
doubles emplois, au moins 2 ou 300 espèces de microbes dont 
il faudra un jour faire le Des En pour savoir ce que la 


1. Tissier et ManTELLv, ces Annales, t. XNI (1902). 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT. 541 


science peut tirer de cet énorme amas de documents. Ce n'est 
pas trop de la vie d’une seule personne, et ce travail, surtout 
chimique, est pour le moment hors de portée. En attendant, 
nous avons pensé qu'il était utile de résumer ce qui peut en 
sortir comme idées générales, en nous plaçant au point de vue 
suivant : quels sont, en pratique, les microbes qui envahissent 
le lait le plus facilement et le plus communément, et dans quel 
ordre se produit la destruction de ses divers éléments, albumi- 
noïdes, corps gras et sucrés, quand le lait se gâte, et entre dans 
la voie de décomposition totale, celle que Liebig avait appelée 
Verwezung. 

Nous avons pris pour nos recherches tantôt du lait commer- 
cial acheté dans des crémeries de quartiers différents, tantôt du 
lait recueilli chez des nourrisseurs de Paris ou chez des fer- 
miers de départements limitrophes. C’est ainsi que nous avons 
examiné des laits provenant de Cuts (Oise), de la ferme d’Arcy, 
des fournisseurs de l’Assistance publique, des asiles de la Seine, 
de laiteries ordinaires de Grenelle, de Vaugirard, du quartier des 
Invalides. D’autres ont été pris chez des nourrisseurs de Mont- 
rouge, de Grenelle, etc. Nous avons même eu à examiner du 
lait stérilisé coagulé artificiellement avec de la crème d'Isigay. 
Les uns avaient été recueillis l’été, en juin, août, septembre, les 
autres en automne, en hiver. Ils ont tous été conservés à la 
température du laboratoire, soit dans leurs flacons de vente 
dont le bouchon était remplacé par de l’ouate stérilisée, soit 
dans des ballons d'expérience. Ils élaient examinés aussilôt 
leur arrivée au laboratoire, puis tous les 8 ou 15 jours, pendant 
8 à 10 mois, de façon à suivre toutes les modifications qui peu- 
vent se produire. Dans certains cas même, des examens ont été 
quotidiens pendant les premiers mois. 

. Pour lesisolements, nous nous sommes servis de la méthode 
de Veillon, qui est simple et commode, et qui nous a toujours 
donné de bons résultats. Nous avons simplement diminué la 
quantité de glucose dans la fabrication de la gélose. Nous nous 
servions de milieux contenant 10 0/00 de sucre au lieu de 
15 qui est la quantité prescrite. 

Nous avons de cette façon isolé environ 13 espèces qui sont 
pour la plupart connues. Nous ne donnerons une description 
détaillée que pour les bactéries que nous n'avons pu identifier. 


Or 
PSS 
[RS 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


DESCRIPTION DES MICRO-ORGANISMES 


Entérocoque. (Escherich ‘, Grotenfeld, Hirsch?, Libmann *, 
Thiercelin ‘.) — C’est unsaprophyte banal, qui a été décrit pour la 
première fois par Escherich en 1886. Un peu plus tard, Groten- 
feld isole du lait une espèce très voisine, le streptococcus acidi 
lictici. En 1895, Tavel et Eguet, de Cerenville, trouvent dans cer- 
taines diarrhées un streptocoque dont Ja description se rap- 
proche beaucoup de celle du micrococcus ovalis d'Escherich. C'est 
cette même espèce que Booker, Hirsch, Libmann décrivent dans 
certaines entérites et dans le lait qui avait servi à l’alimentation 
des nourrissons. En 1889, Thiercelin l’étudie dans les selles 
pathologiques et lui donne le nom d’entérocoque. L'un de nous », 
en étudiant la flore intestinale, normale et pathologique, des 
nourrissons, est amené à comparer les streptocoques d'Hirsch 
et Libmann avec l’entérocoque de Thiercelin; il montre qu'il 
est possible d'établir entre ces deux variétés quelques différences 
morphologiques. Depuis, il a pu voir que ces différences tiennent 
surtout à la provenance de l’échantillon examiné. Chez l'enfant 
nourri au biberon, cette espèce est plus vivace et possède des 
propriétés fermentatives plus grandes, tenant surtout au milieu 
plus favorable que chez l’enfant au sein, où les déchets nutritifs 
sont moins abondants. Le streptocoque intestinal et l’entéro- 
coque sont donc deux espèces identiques. 

Ses propriétés chimiques ont été bien étudiées par Coyon *. 
Rappelons qu'il n’attaque pas l’amidon, mais la dextrine, la 
lactose, le glucose et très faiblement la glycérine. Il donne, 
dans son attaque des sucres, de l’acide lactique que nous avons 
vu être de l'acide inactif, de l'acide acétique, formique et valé- 
rianique (2 d'acide acétique pour un d’acide valérianique). 
Il donne des traces d'alcool. 

Les cultures s'arrêtent avec une acidité variant entre 2 et 
2,45 0/00 en SO‘. 

Nous avons pu voir qu'il attaque plus rapidement et d’une 
façon plus complète le glucose que le lactose. Dans un milieu 
eh Escaericx, Beitrage für Kenntniss der Darmbakterien, Stuttgart, 1886. 

2. Hinsca, Centralbl. f. Bakt. B. XXII, p. 369 (1897). 
3. LiBmanx, Centralbl. f. Bakt. B. XXII, p. 376 (1897). 
4. TaierceuIx, Soc. de biologie, 15 avril 1599. 


5. H, Trssrer, Flore intestinale normale et pathologique des nourrissons. 7'hèse 
de Paris, 1900. 


6. Coyon, Flore microbienne de l'estomac. Thèse de Paris, 1900. 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT, 043 


contenant 15 0/00 de dextrose, on ne trouve plus après 8 jours 
de culture que des traces de sucre réducteur. On peut par contre 
retrouver dans le lait ensemencé, au bout du même lapsde temps, 
de 38 à 40 0/00 de lactose, 

I! n’agit pas sur les substances protéiques. Coyon signale 
cependant une faible action sur la caséine. 

Il dédouble activement les protéoses en donnant des acides 
gras volatils et de l’ammoniaque. 

Dans les milieux mixtes (peptonisés et sucrés), il agit simul- 
tanément sur les deux substances. 

Cette espèce est très fréquente dans le lait où elle a été déjà 
rencontrée par de nombreux auteurs. Nous l'avons isolée 8 fois 
sur 10, surtout au début, avant la coagulation ou quelques jours 
après. Elle semble disparaître par la suite. Nous devons ajouter 
que c’est probablement ce streptocoque que W. Conn et 
W. Esten : ont retrouvé d’une façon constante dans le lait dans 
les 48 premières heures après la traite. 

Staphylocoques. — Nous en avons isolé deux variétés : le s{a- 
phylococcus albus et le staph. citreus. Elles semblent n’exister que 
rarement dans le lait. Nous ne les avons rencontrées qu’une 
fois et avant la coagulation. 

La variété staph. albus avait les mêmes propriétés morpho- 
logiques et chimiques que celles de la race isolée dans la putré- 
faction de la viande. Son acidité d'arrêt était d'environ 1,47 
0/00 en SO‘H?. La variété citreus nous a paru bien moins active. 

Rappelons seulement que ce sont des ferments mixtes, agis- 
sant à la fois sur les sucres etles substances protéiques, qui jouent 
un rôle important au début de l’altération du lait. 

Bact. coli (variété commune). — Cette espèce. sans être 
aussi fréquente que le voulait Rowland, est cependant beaucoup 
moins rare que la précédente. Elle existe dans la moitié des cas 
environ et au début, dans les premières heures après la traite. 
Plus tard, il est difficile de l’isoler. 

Nous savons que c’est un ferment aclif des hydrates de car- 
bone, sans action sur les albumines non hydratées. Dans les 
milieux mixtes, l’un de nous a vu avec M, Martelly que l’action 
fermentative ne se concentre pas sur la substance qui se trouve 
en plus grande quantité. L'attaque est simultanée. Quelle que soit 

1. W. Coxx et W. M. Esten, Aevue générale du lait. 1902. 


D 44 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


la quantité de sucre, il y a toujours action sur la peptone, et, 
quelle que soit la quantité de peptone, il y a toujours action sur 
le sucre. Il se produit simplement une déviation dans le type 
habituel de fermentation. 

Bacillus fœcalis alcaligenes (Petruschky). — Nous avons 
également isolé une bactérie dont les principaux caractères se 
rapprochent de ceux du bacille de Petruschky ‘. On la trouve 
dans la plupart des laits altérés et à toutes les phases de la 
putréfaction. Elle est cependant plus abondante dans les périodes 
terminales, alors que le milieu est redevenu alcalin. C’est une 
espèce banale de l'intestin de l'homme et des animaux adultes. 

Nous avons pu voir que son action sur les sucres est abso- 
lument nulle. Elle ne touche ni l’amidon, ni le lactose, ni le glu- 
cose. On retrouve intactes ces substances dans les milieux de 
culture, ce qui la distingue facilement du bacille typhique, qui 
est faiblement ferment du glucose. 

Elle n’agit pas sur les albumines naturelles, mais dédouble 
activement les protéoses en donnant du carbonate d’ammoniaque 
et de l’ammoniaque. 

Elle joue un rôle important dans la putréfaction du lait, 
gräce à sa faculté de vivre en milieu très alcalin. Elle complète 
la destruction de la caséine, lorsque celle-ci est peptonisée et 
transformée en substance visqueuse filante amère. 

Bacillus acidi paralactici. — Kosaï identifie les bacilles de 
Weigmann, Leichmanvn, Gunter et Thierfelder, avec lespèce 
qu'il trouve constamment dans le lait acide, et il la différencie du 
bacille de Hueppe, aérobie sporulé donnant d’abondantes cul- 
tures sur pomme de terre et sur gélose. Nons avons également 
trouvé dans toutes nos observations.une bactérie répondant à la 
description. 

Nous signalerons seulement sa résistance singulière à l'acidité 
des milieux. Il pousse en effet dans du lait coagulé spontané- 
ment et stérilisé, ayant une acidité de 2,45 p. 1,000 en SO‘H°. Ii 
attaque très vivement les sucres en donnant surtout de l'acide 
lactique droit. Ainsi, dans un milieu contenant 15 p. 1,000 de 
dextrose, 1l fait disparaitre toute trace de sucre réducteur, et 
l'acidité totale = 3,43 p. 1,000 en SO‘H?. Dans le lait, la culture 
ne s'arrête qu'avec une acidité égalant 5,39. Il reste environ 30 

1. Perruscaky, Centra'bl. f. Bakt. B. XIX, p. 187. 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT. D49 


à 35 p. 1,000 de lactose, Il doit dédoubler ce sucre et sécrèter 
une lactase, car il permet à des espèces n’attaquant que le glu- 
cose de vivre dans le lait et de produire leur fermentation spéciale 
quand elles sont en symbiose avec lui. Par contre, il ne touche 
aux matières albuminoïdes que lorsqu'elles ont subi déjà une 
preunière hydralation, Il donne alors des composés ammoniacaux 
et de l’ammoniaque, 

Dans les milieux mixtes, il attaque simultanément les pro- 
téoses et les sucres. 

Nous verrons, en comparant son action avec celles des autres 
espèces, que Kosaï a raison de le considérer comme l’agent le 
plus important de la fermentation lactique dans le lait. 

On trouve, dans le tube digestif de l'homme et des animaux, 
des espèces assez voisines, comme le B. acidophilus de Moro , et 
le B. erilis, décrit par l’un de nous. Cette dernière bactérie s’en 
distingue par son absence de culture sur gélatine et sur pomme 
de terre, et par ses propriétés de fermentation bien moins 
importantes. Quant au bacille acidophilus, ses cultures ont des 
caractères absolument différents. 

Proteus vulgaris, proteus Zenckeri (Hauser*). — Ils sont rela- 
tivement rares dans le lait. Nous ne les avons isolés qu’une fois 
dans des échantillons obtenus pendant l'été. 

Leurs différentes propriétés sont bien connues, nous n'avons 
pas à y revenir. Disons simplement que la race de Proteus vul- 
garis isolée se rapprochait de celle que nous avons trouvée dans 
la putréfaction des viandes, Elle n’avait qu’une action insigni- 
fiante sur les sucres. 

Bacilles subtilis et mesentericus. — Nous réunissons dans un 
même groupe ces deux grandes variétés de bactéries si com- 
munes. Elles ont, il est vrai, des caractères différentiels appré- 
ciables, mais beaucoup de leurs propriétés morphologiques et 
chimiques autorisent ce rapprochement. Elles sont connues 
depuis fort longtemps et ont été signalées dans le lait par de 
nombreux observateurs, Benecke”, Lüfler, Konig, Spicker- 
mann, Tilmann, Barthel, etc. Nous les avons rencontrées cons- 
tamment alors même que les isolements nous montraient la 


1 Mono, Wien. Alin. Wochens., n° 5 (1900). 
2. Hauser, Ueber die Faulnissbakt. Leipzig (1885). 
3. BENECKE, Centralbl, f. Bakt. Bd II, n° 18 (1887). 


346 ‘ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


présence d’anaérobies protéolytiques puissants. On les trouve 
surtout au début de l’altération du lait avant la coagulation. 

Nous devons dire que nous n’avons identifié nos bactéries 
isolées avec le subtilis, ou le mesentericus, qu'après les avoir 
minutieusement comparées avec les échantillons conservés dans 
les collections de l’Institut Pasteur. 

Nous savons, depuis les travaux de Péré', qu’elles brülent 
les corps tertaires sans causer jamais de fermentation acide, Elles 
agissent plus facilement sur le glucose que sur le lactose. 

Elles attaquent les substances protéiques et transforment la 
caséine en une matière visqueuse, colloïde, amère. Leur action 
diastasique est arrêtée par une acidité de 1,75 à 2 p. 1,000 en 
SO*‘H*. 

Ces espèces peuvent donc jouer un grand rôle dans la fer- 
mentation du lait. 

Bacillus lactopropylbutyricus non liquefaciens (espèce nou- 
velle). — Nous avons trouvé, dans les laits que nous avons eu 
à examiner, une variété de bacille butyrique anaérobie. Nous 
en donnerons une description un peu détaillée, car elle ne nous 
semble pas avoir été décrite jusqu'ici. 

Ce bacille est extrêmement fréquent dans le lait sucré et 
nous l’avons rencontré dars presque tous nos cas. Les divers 
échantillons isolés avaient des propriétés analogues. 

Il se distingue très facilement des autres micro-organismes 
de la putréfaction du lait, C’est un gros bacille, épais, trapu, 
plus gros que le B. perfringens, présentant souvent dans son 
milieu une portion renflée dans laquelle brille un corpuscule 
clair réfringent. 

On trouve également, à côté de cette dernière forme, des 
éléments plus courts, ayant l’aspect de bâtonnets à bouts carrés, 
se disposant en courtes chaines de 3 à 4 éléments. Dans les 
milieux solides, les formes bacillaires sont plus longues, la plu- 
part du temps isolées. 

Il se colore bien par les méthodes ordinaires et reste coloré 
par la méthode de Gram. Comme le fait se produit si souvent, 
les éléments de vitalité moindre se décolorent par place et même 
complètement. Il donne des spores, surtout dans les milieux 
dépourvus de sucre. Ces spores sont arrondies, légèrement 

1. Péré, Ann. de l'Inst. Pasteur, t. X, p. #47 (1896). 


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RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT, 047 


ovalaires, se forment tantôt au centre du bâtonnet, tantôt à une 
de ses extrémités. À aucun moment de son développement, 
mème pendant la sporulation, on n’observe de coloration par 
l'iode. 

Il'est très mobile. | 

Sa vitalité est considérable, grâce à ces spores qui supportent 
facilement la température de l’ébullition pendant deux minutes. 
Elles sont tuées au bout de cinq minutes. C’est un anaérobie strict, 
poussant à 20 et à 37°. 

Dans la gélose profonde sucrée, au bout de 24 heures, on 
voit apparaître des colonies régulières, lenticulaires, à bords 
nets. Quand elles sont bien séparées, elles peuvent atteindre 
2 à 3 mm. de diamètre. Le milieu devient rapidement acide et 
se disloque complètement du fait de la production abondante du 
gaz. La culture s'arrête d'ordinaire au bout de 4 jours. La date 
d'apparition des colonies est naturellement en rapport avec la 
vitalité du bacille. C’est ainsi qu'on peut, dans certains cas, voir 
les colonies n’apparaître que versle septième jour. A 20°, elles 
se montrent encore du troisième au quatrième jour, quand le 
bacille est bien vivace. 

Dans la gélose ordinaire, le développement est précaire. 

Dans la gélatine sucrée, les colonies ont la même forme; le 
milieu se fragmente, mais il n’est jamais liquéfié. 

Le bouillon ordinaire se trouble légèrement au bout de 2 à 
3 jours. Au fond du tube, il s2 forme un fin dépôt pulvérulent. 
Dans le bouillon glucosé, le développement est abondant. Il 
s’accompagne d'une forte production de gaz, qui fait mousser le 
liquide et peut même causer l’explosion du ballon. Le milieu 
devient très trouble et il se forme un dépôt abondant, épais. Il 
en est de même pour le bouillon contenant du saccharose. Avec 
de la glycérine, le développement est moins abondant. Il est 
insignifiant dans les milieux lactosés. 

Si l’on ajoute à ces liquides peptonisés, sucrés ou non, des 
cubes de blanc d’œuf cuit, le développement se fait d’une façon 
identique, mais jamais l’albumine n’est attaquée, même si l’on a 
soin d'ajouter du carbonate de chaux en excès, 

L’amidon cuit, dans les mêmes conditions, ne présente 
aucune modification apparente. 

Dans le lait stérilisé, il ne se produit jamais de coagulation. 


D48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


La caséine garde toujours le même aspect, mème en présence 
du carbonate de chaux. Mais, si l’on ajoute du glucose ou du 
saccharose dans le lait, le milieu devient rapidement mousseux. 
La caséine se précipite sous forme d’un coagulum dense, rétractée 
laissant exsuder un sérum clair. L’adjonction de carbonate de 
chaux n'empêche pas cette précipitation, car le milieu est encore 
très acide. 

Si nous prenons maintenant un lait spontanément coagulé, 
stérilisé, et qu’on y ensemence ce bacille, on voit le sérum se 
troubler rapidement et, comme dans le bouillon glucosé, la pro- 
duction énorme de gaz peut causer l'éclatement du ballon. Le 
coagulum reste intact. Si, au lieu de ce lait, nous prenons du 
petit-lait ayant subi la fermentation lactique et stérilisé, nous 
voyons se produire les mêmes phénomènes. 

Ce bacille ne pousse pas dans le milieu d'Utschinsky-Frankel, 
pas plus que dans le milieu de Pasteur contenant du lactate de 
chaux’. Nous avons composé divers liquides, acides ou non, 
contenantde l’acide lactique, des lactates(lactates d’ammoniaque, 
de chaux, ete.) et peptonisés. Nous n'avons pas obtenu de déve- 
loppement bien appréciable. 

Il pousse cependant dans l'urine ordinaire en troublant légè- 
rement le milieu. 

Étudions maintenant ses propriétés chimiques. 

Ce bacille n’attaque pas l'amidon. I ne possède également 
aucune action appréciable sur le lactose. Nous avons vu en effet 
que dans le lait stérilisé, il ne se faisait aucune coagulation. 
L'analyse chimique montre que le lactose est en même quantité 
que dans les tubes témoins. Il n’est véritablement attaqué que 
lorsqu'il a été dédoublé par l’action d’autres bactéries, comme 
le fait se produit pour le lait caillé spontanément ou le petit-lait 
sûri, stérilisés à 120°, Par contre il attaque vivement le saccha- 
rose en produisant des acides gras volatils (butyrique et pro- 
pionique) el de l'acide lactique. Il fait disparaître environ 25 0/0 
de ce sucre après 8 jours de culture. 

Il attaque surtout le glucose. 

L’acidité totale du milieu égale 3 à 4 0/00 en SO‘H. Il existe 
2,30 environ d'acides volatils pour 1,13 d’acides fixes. L'emploi 
de la méthode de M. Duclaux montre que les acides volatils sont 


1. Pasreun, Comptes Rendus de l' Acad. des Sciences, 1861. 


she er dues 


ÉULHRRRUTE TA LU 2 a 


SE IE 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU FAIT. 549 


en majorité des acides butyrique et propioniqu’, soil en parties 
égales, soit entre 1 et 2 d'acide butyrique pour 1 d'acide propio- 
nique. 

Les acides fixes sont composés surtout d'acide luet'que actif 
et d’une petite quantité d'acide droit. 

Eu outre, les premières parties du liquide distiilé ne donnent 
pas la réaction de l'aldéhyle. Avec l'iode et la potasse elles 
donnent une légère odeur d'iodoforme, ce qui nous autorise à 
dire qu'il ne donne avec le glucose que des traces d'alcool. 

Ce bacille n’attaque pas le lactate de chaux, le lactate d’am- 
moniaque, elc., pas plus que lacide lactique. 

Ce bacille attaque encore la glycérine. Au bout de 8 jours de 
eulture, ilena fait disparaître près de 80 0/0. Il ne produit pas 
d'acide avec ce dernier corps. 

Les matières albuminoïdes naturelles, les protéïides, les al- 
Bumoïdes ne sont pas dédoublées. Elles ne sont altaquées que 
lorsqu'elles ont subi une première hydratation. Avecles protéoses, 
ee bacille donne du carbonate d’ammoniaque, de lammoniaque, 
ete. et des traces d’indol. 

Il attaque, quoique plus faiblement, les dérivés ultimes des 
subtances protéiques, comme lurée. 

Ainsi, en résumé, ce bacille n'attaque pas l'amidon e: le lactose, 
mais attaque le saccharose et les hexoses en donnant de l'acide 
butyrique, propionique, lactique. À cause de ses principales 
propriétés chimiques, nous lui avons donné le nom de B. 
lactopropylbutyricus non liquefaciens. 

Ce B. lactopropylbutyricus, dont la description ne concorde 
avec celle d'aucun autre bacille butyrique, doit être placé dans 
le dernier groupe immédiatement après le bacille de Fitz, qui, il 
est vrai, datant de l'époque où on ne faisait pas de cultures sur 
milieu solide, est assez mal défini. 

Bacillus putrificus coli (Bienstock'). — On le trouve rarement 
dans le lait frais, où il se développe du reste mal, comme les 
autres anaérobies, à cause de l’aération du liquile. Ilest à 
remarquer que, lorsqu'il est obtenu de laits vieux de 2 à 3 mois, 
à à en grande partie perdu de son activité ordinaire, du fait 
de son séjour prolongé en milieu acide. On peut lui faire 


1, Frexsroox, Ann. de l’Inst Pasteur, 1900-1901, 


D90 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


récupérer par passages successifs en milieux alcalins ou neutres. 
Nous Pavons isolé d'échantillons recueillis l'été. 

Sa description, dans le mémoire de MM. Tissier et Martelly, 
a donné lieu à des observations parues dans ces Annales‘. Nous 
devons donc donner quelques renseignements complémentaires 
sur les propriétés morphologiques et chimiques de cette espèce. 

Tout d’abord, le bacille trouvé dans la putréfaction de la viande 
el décrit par ces auteurs sous le nom de B. putrificus est bien le même 
que celui de Bienstock. MM. Tissier et Martelly ne l’avaient du 
reste identifié qu’aprèsavoir montré leurseultures à M. Bienstock ; 
depuis, ils ont fait parvenir à nouveau à ce savant des échantil- 
lons de ce putrificus et du B. bifermentans, et M. Bienstock n’a 
pu que confirmer sa première opinion. 

Au sujet de ces propriétés chimiques, nous devons également 
répéter que ce bacille ne fait fermenter le glucose que d'une façon 
insignifiunte. Les milieur qui en contiennent ne sont jamais nettement 
acides. S1 lon dose, en effet, dans des milieux glucosés, la 
quantité d'acide produite par une des races les plus actives, on 
trouve des chiffres oscillant entre 1 et 1,47 0/00 en SO‘H:, 
dose insuffisante pour arrêter sa diastase trypsique. I peptonise et 
détruit parfaitement, en milieux glucosés, non seulement la 
viande et la fibrine, maïs aussi le blanc d'œuf cuit. Nous avons 
encore répété ces expériences, elles ont été toutes concluantes. 

Si nous voulons nous rendre compte de la marche de cette 
acidité dans un milieu mixte, contenant 50 grammes de viande et 
20 grammes de glucose pour 1,000, nous obtenons les chiffres 
suivants : acidité au bout de 6 jours à 37° — 1,47, de 
12 jours — 1,47, de 24 jours — 0,98, de 30 jours — 0,49, de 
45 jours — 0. Au bout de deux mois, la viande a complètement 
disparu et la réaction du milieu est alcaline. 

Il ne fait donc pas fermenter activement le sucre. Il le brûle, 
comme le subhlis, le mesentericus, il le fait disparaître des cul- 
tures entre 15 et 20 jours. Le vibrion septique possède exacte- 
ment la même action, il donne même une acidité plus élevée, 
1,715 0/00 en SO‘H® dans des milieux identiques, et il attaque 
pourtant nettement, dans les milieux sucrés, la matière 
albuminoïde. 


1. ACHALME, Observations sur le mémoire de MM. Tissier et Martelly, 1903, 
Ann. de l'Inst. Pasteur. 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT. Do1 


Le bacille du tétanos, lui, ne donne jamais d'acides, mais il 
brûle également le glucose. Au bout de 20 jours il n’en reste que 
4 grammes au lieu de 15 0/00. Ces bactéries, B. putrificus et 
vibrion septique servent done de termes de passage entre ce 
bacille du tetanos et les ferments protéolytiques mixtes qui, eux, 
donnent toujours une fermentation acide véritable, empêchant 
l'action de leur diastase trypsique. 

Nous avons voulu voir à quoi tenaient ces résultats si diffé- 
rents de ceux de M. Achalme, et nous avons pu nous rendre 
compte, avec notre technique pourtant insuffisante, que les 
cultures de ce putrificus, provenant des collections de l’Institut 
Pasteur, etayantservi aux expériences de cet auteur, contenaient, 
à côté de cette dernière bactérie, quelques colonies d’une espèce 
analogue au B. bifermentans. 

Levure du lactose. — Nous avons trouvé dans un cas une espèce 
de ce genre attaquant le lactose, le glucose, etc., en donnant de 
grandes quantité d'alcool éthylique et une petite quantité d'acide, 
atteignant au total 0,98 0/000 en SO‘H:. 

Elle agissait également, comme la plupart des espèces du 
mêmegenresur les substances protéiques et peptonisuit la caséine, 
Nous n’en avons pas poursuivi l'étude. 

Oidium lactis. — Iest très fréquent dans le lait. Il existe dans 
où de nos observations sur 10. Grâce à ses propriétés chimiques 
complexes, attaque des sucres, des acides, des albumines, il joue 
un rôle essentiel dans la fermentation du lait, comme nousle ver- 
rons plus loin. 

Rhizopus nigricans. — Ce champignon est moins fréquent que 
l'espèce précédente, mais il est également appelé à jouer un rôle 
important, son action étant comparable à celle de l’oïdium. 


GROUPEMENT DES BACTÉRIES DE LA FERMENTATION DU LAIT ; LEUR 
ACTION COMPARÉE 


Dans la putréfaction de la viande de boucherie, les bactéries 
isolées peuvent, schématiquement, se grouper en deux grandes 
catégories : 

Les ferments mixtes, d’une part, qui attaquent simultanément 
les albuminoïdes et les hydrates de carbone en produisant des 
acides. [ls se subdivisent en protéolytiques mixtes et en peptoly- 
tiques mirtes. 


D92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Les ferments simples, dautre part, qui localisent leur action 
sur la matière protéique et qui se subdivisent également en pro- 
téolytiques simples et peptolytiques simples. 

Il existe en outre dans la viande des espèces essentielles, 
constantes, appartenant à ces deux catégories qui, dans certains 
cas, peuvent se nuire, mais qui, dans les conditions normales, 
amènent une rapide putréfaction. 

Nous allons voir maintenant que dans le lait il existe aussi des 
espèces constantes, ferments simples et ferments mixtes, mais que l’ac- 
tion de ces derniers est, à un moment donné, nettement empéchante 
pour les autres. 

En résumant nos observations, nous trouvons : 


Obs. I. — Ectérocoque. — B. coli. — Bac, acidipara- 

lacHO = BAC ID LEMICUS MER OR RER Re CR Re Rhizopus. 
Obs. IT. — Entérocoque.— B. coli. — Bac. acidiparalact, 

— Mésent. fuscus. — Bac. lactopropyibutyricus......... Oïdium lactis, 
Obs. III. — Entérocoque. — B. coli. — Bac. acidipara- 

Jact. — Subtilis. — Bac. fœcalis alcalig. — Bac. lactopro- 

DYIDUL RSS TRE AT RE ÉAe E r ENES IS Ci Protaus Zenkeri, 
Obs. IV. — Entérocoque. — Bac acidipararalact, — 

Staphyl, albus. — Subtilis. — Bac. fœcalis. — Bac. lacto- 

PrApyibDul RE re RE TS SALES SET 0 Oïdium lactis, 
Obs. V. — Dean es — Bac. acidiparalact. — 

Mesent. ruber. — Bac. lactopropylbut. — Bac. fæcalis... Rhizopus. 
Obs. VI. — Entérocoque. — Bac. coli. — Bac. acidipa- 

ralact, — Mesent. ruber. — Bac. lactopropylbut........,. ....,........., 
OPSENTE LE Per ee Bac. acidiparalact. — Bac. 

putrificus. — Proteus vulgaris. — Bac. fœcalis.....,..., Oïdium lactis, 
Obs. VIII. — Entérocoque. — Bac. acidiparalact. — 

Subtilis (?) — Bac. fœcalis, — Bac. lactopropylbut. — 

Levure ss FRS APR MER ee ARC RIRE RSR Oïdium laelis, 
Obs. IX. — Entérocoque., — Bac. acidiparalact, — Mes. 

rubers=SStaphyl ADS ESS EN SLR ER ee Oïdium lactis, 
Obs. X, — Entérocoque. — B. coli. — Bac. acidipa- 


ralact. — Subtilis. — Bac. fœcalis. — Bac. lactopropylbut. Oïdium lactis. 


Ainsi, il y a donc un certain nombre de bactéries constantes : 
entérocoque, B. coli, Buc. acidiparalactici, subtilis-mesentericus, 
Bac, fœcalis alcaligenes et Bac. lactopropylbutyricus, et un cham- 
pignon également presque constant : oïdium lactis. 

Nous voyons également que ces bactéries peuv ent se grouper 
d’après leurs caractères chimiques en : 


LA 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT. 953 


1° Ferments mirtes. — Protéolytiques mixtes : staphylocoques 
et peptolytiques mixtes : entérocoque, Bac. acidiparalactici, Buc. 
lactopropylbutyricus, B. coli ; 

2 Ferments simples. — Protéolytiques simples : subtilis, mesen- 
tericus, Bac. putrificus, proteus vulgaris, et peptolytiques simples : 
proteus Zenkeri, B. fwcalis alcaligenes. 

Cherchons maintenant à déterminer comment toutes ces 
espèces, bactéries et champignons, combinent leur action pour 
amener la destruction de tous les éléments contenus dans le lait. 

Étudions d’abord l’action des ferments mirtes. 

Nous savons qu’ils peuvent produire de l'acide lactique et de 
‘acide butyrique. 

La fermentation lactique est certainement la plus importante. 
Nous avons, dans la plupart des cas, isolé 3 espèces susceptibles 
de la produire : l’entérocoque, le B. coli, le B. acidiparalactici. 

L’entérocoque produit de l'acide lactique inactif, mais il donne 
encore de l’acide acétique. formique, valérianique. Son action 
fermentative s'arrête avec une acidité de 2 à 2,45 0/000 
en SO‘H°. 

Le B. coli, un peu plus rare que l'espèce précédente, donne 
aussi de l'acide lactique, mais de l'acide gauche. Son action 
s'arrête avec une acidité variant entre 0,65 et 2 0/000. Ce ne 
sont done pas de véritables ferments lactiques. 

Le bacillus acidiparalactici est autrement plus actif. 11 donne 
presque exclusivement de l’acide droit. Il est beaucoup plus résis- 
tant. Son action ne s'arrête que lorsque le milieu possède une 
réaction équivalente à 4 à 6 0/000 de SO'H?, 

Réunissons maintenant ces 3 espèces dans le lait stérilisé. Il 
se produit d’abord un développement égal, puis l'examen micro 
scopique nous montre que la première espèce arrèlée sera le 
B. coli, puis ensuite l’entérocoque, et enfin en dernier lieulebacille 
paralactique, alors que l'acidité totale atteindra un chiffre 3 fois 
plus fort que celui atteint isolément par chacune des 2 premières 
bactéries. Ce bacille supplée donc aux deux autres et continue leur 
action. L'analyse chimique nous montre que les acides produits 
au début, dans cette symbiose, sont indifléremment des acides 
fixes et des acides volatils, mais au bout de peu de temps l'acide 
lactique droit est en quantité dominante. Comme c’est précisé- 
ment celui que produit le bacille paralactique, on voit que Kosaï 

36 


D) 4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avait raison de le considérer comme l’espèce la plus active et la 
plus importante. 

La fermentation butyrique semble, par contre, d’après nos 
observations, causée par une seule espèce : le bacillus lactopro- 
pylbulyricus non liquefaciens. {est impossible de l'obtenir avec du 
lait ordinaire stérilisé. Elle ne se produit que lorsqu'on ajoute 
au milieu du saccharose, du glucose, ou un sucre analogue. 
Mais on peut l’obtenir avec du lait caillé stérilisé ou du petit-lait 
acide également stérile. 

Ainsi, cette fermentation butyrique, dans le lait, ne peut se 
produire qu'aux dépens d’un glucose. Pour se faire aux dépens 
du lactose, il faudra qu’il y ait eu un dédoublement dû aux fer- 
ments lactiques. Elle nous apparaît donc comme étant sous la 
dépendance de ces dernières bactéries. Elle commence après la 
fermentation lactique. se produit en même temps qu’elle,mais finit 
avant elle, puisque une acidité de # 0/000 arrête l’action du 
bacille lactopropylbutyrique. 

Étudions maintenant l’action des ferments simples. 

Nous avons isolé des aérobies stricts, comme le subtilis, ou 
faiblement anaérobies facultatifs, comme le esentericus, et enfin, 
plus rarement, dans des échantillons d'été, Le proteus vulgaris et 
le B. putrificus de Bienstock, toutes protéolytiques simples. 

Les deux premières se développent bien dans le lait stérilisé, 
Elles brülent une faible quantité de lactose. Elles précipitent la 
caséine au moyen d'une présure, puis la peptonisent du fait d’une 
diastase trypsique. Elles produisent ainsi des caséoses, des amines, 
de la tyrosine, de la leucine, des acides gras, des composés 
ammoniacaux. La caséine se trouve ainsi transformée en une 
substance muqueuse, visqueuse, amère, ne dégageant aucune 
odeur désagréable, Ces bactéries sont aussi capables de détruire 
de la viande de boucherie sans produire aucune fétidité. | 

Le B. putrificus a une action’ tout autre. Il ne touche pas 
plus au lactose, mais il disloque rapidement la molécule de caséine 
en donnant les mêmes produits qu'avec la viande. Il précipite 
d’abord la caséine, probablement par le fait d’une présure, puis 
la fait disparaître en donnant des caséoses, des amines, de la 
leucine, de la tyrosine, des acides butyrique, acétique, valéria- 
nique, etc., en dégageant une odeur très fétide rappelant celle du 
fromage de Münster. 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT, 555 


Les peptolytiques simples, comme le B. fæculis alcaligenes et le 
proteus Zenkeri, joints à ces cultures, compléteront l’action de ces 
protéolytiques en agissant sur les dérivés ultimes des substances 
albuminoïdes du lait. 

Réunissons maintenant dans une même culture les ferments 
mixtes et les ferments purs. Au début, il y a attaque simultanée 
du sucre et de l’atbumine, se traduisant d’une part par la présence 
d'acides fixes, et d’autre part par la présence de protéoses et 
d'ammoniaque, mais rapidement, au bout de 8 à 10 jours, toute 
fermentation s'arrête. Le milieu se conservera ainsi pendant des 
mois. 

Les ferments mixtes ont paralysé l'action des ferments sim- 
pies du fait des acides qu’ils ont produits en dédoublant le sucre, 
et ces acides ne tarderont pas à les arrèter à leur tour. Le lait 
alors ne se gâtera plus, conservant une certaine quantité de 
lactose et la plus grande partie de sa caséine, 

Si cette acidité se prolonge, si elle n’est pas neutralisée rapi- 
dement, l’activité fermentative de ces diverses espèces semble 
s’amoindrir. Ainsi le bacille putrificus, isolé d’un lait acide 
depuis 2 à 3 mois, a perdu en grande quantité son pouvoir pro- 
téolytique pourtant si puissant, 

Ainsi, d’après ce que nous venons de dire, les bactéries sont 
impuissantes à parfaire à elles seules la transformation du lait dans 
les conditions habituelles, Il faut l'intervention d'espèces d’un 
ordre plus élevé, susceptibles de détruire les acides, de brüler 
le lactose, de dédoubler la caséine. Les champignons peuvent 
remplir ce triple but. C’est pourquoi, constamment, nous avons 
trouvé certaines variétés: l’oidium lactis, le rhizopus nigricans. 
Leur présence n’est pas fortuite, elle est essentielle. [ls se déve- 
loppent bien dans ce milieu acide. Ils neutralisent le liquide, et 
favorisent ainsi les pullulations momentanément arrêtées, 


MARCHE D'UNE FERMENTATION SPONTANÉE DU LAIT 


Nous venons de voir comment ces diverses bactéries se 
eroupent pour produire les trois grandes fermentations du lait, 
Nous devons maintenant indiquer dans quel ordre elles appa- 
raissent dans la fermentation spontanée, ou du moins comment 
elles sont apparues dans les cas que nous avons observés. 


556 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


Tout d’abord, comme l'ont déjà vu de nombreux auteurs, 
le lait contient, à sa sortie de la laiterie, tous les germes nécessaires à 
sa complète putréfaction, germes qui ne se multiplieront que lors- 
que le milieu leur est devenu favorable. 

Un peu après la traite. en effet, la réaction se modifie. Elle 
devient légèrement acide, parfois même légèrement alcaline 
(Freudenreich‘). L'analyse indique déjà de très faibles traces de 
peptone et d'ammoniaque. Le lactose diminue légèrement. Le 
poids d’extractifs. déduction faite du sucre, est insignifiant. Il y 
a donc eu action certaine sur les albumines et sur le lactose. 
C'est ce que démontre l'examen bactériologique. L'espèce la 
plus nombreuse, celle qui pullule d'abord, est bien, comme 
l'ont indiqué W. Conn et W. H. Esten, ce petit streptocoque 
que nous avons identifié à l'extérocoque. 

Après lui vient le H. coli. À côté de ces deux espèces domi- 
nantes, les isolements montrent quelques rares colonies des 
diverses espèces que nous avons signalées plus haut. 

Ainsi, dans le lait comestible, il s’est déjà produit des modifi- 
cations du fait de l’action simultanée des ferments mirtes et des fer- 
ments purs. 

Au bout de 2 à 4 jours en moyenne, plus rapidement en été, 
le lait se coagule. Le eaillot est d’abord mou. gélatineux, laisse 
exsuder un sérum qui filtre louche. La caséine et la matère 
grasse ont très légèrement diminué. La peptone etl'ammoniaque 
sont plus facilement décelables à l'analyse. Le poids d’extrac- 
tifs augmente peu. Le lactose par contre diminue. La réaction du 
lait est alors nettement acide. L’acidité totale oscille entre 1,47 et 
2 p. 14,000 en 50H 

Il y a peu d'acide lactique, qui est inactif. 

La méthode de M. Duclaux décèle un mélange d’acide acéti- 
que et un autre acide très voiatil, valérianique où butyrique. 

Or, à cette époque, les isolements montrent que l'espèce domi- 
nante est l'entérocoque, qui donne avec le lactose de l’acide inactif, 
des acides acétique et valérianique. Nous pouvons donc 
admettre que la coagulation spontanée du lait est en grande partie 
le fait de cette espèce. 

Mais est-ce au moyen d’une présure ou par simple acidifica- 
tion? Cette bactérie, cultivée dans du lait contenant un excès de 

1. Freunexreicy, Revue du lait, n° 16,30 mai (1903). 


vas 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAINT. 097 


carbonate de chaux, ne le coagulait pas, mais la faible acidité 
(1,47 à 2p. 1,000) produite par cet entérocoque suffit à expliquer 
la coagulation, 

Trois à quatre jours après la coagulation spontanée, le 
caillot se modifie, Il est dense, rétracté, le sérum exsudé filtre 
plus clair, est plus abondant. Le lactose a encore diminué. Il 
est de 20 à 30 p. 1,000. L'acidité totale augmente encore 
(2,70 à 4 p.1,000). L'acideest en majorité de l'acide lactique droit. 
L'examen bactériologique montre qu'une autre espèce est devenue 
dominante et s'est substituée à l'entérocoque, c’est le bacille acidipara- 
lactici. L’explication de ce fait réside dans la réaction du milieu. 
Le B. coli, l'entérocoque sont arrêtés par cet excès d’acide. Seul 
des ferments lactiques, le bacille paralactique peut résister, se 
développer et jouer alors le premier rôle, Les ferments protéo- 
lytiques : subtilis, mesentericus, putrificus subiront eux aussi 
l’action empèchante de l'acide. Leur diastase trypsique ne peut 
plus agir sur la caséine. Ils tendent à disparaître et donnent des 
spores. 

A ce moment, les champignons commencent à se développer, 
ils trouvent un milieu favorable. L’oïdium lactis, le rhizopusnigri- 
cans commencent à former sur la crème une mince couche duve- 
tée. Ils attaquent les acides. Cette action neutralisante ne peut 
donc que favoriser encore l’action du paralactique, mais elle 
n'est pas encore suffisante pour permettre la reprise de l’action 
des protéolytiques arrêtés. 

Vers le 8° ou 10° jour après la coagulation, l’analyse montre 
que les acides volatils augmentent à nouveau. Ce sont alors des 
acides butyrique et propionique. À côté du paralactique on voit se 
développer le Bac. lactopropylbutyricus. 

Son développement tardif ne peut s'expliquer que par ce que 
cet anaérobie a non seulement besoin d’un liquide désaéré et 
maintenu à l’abride l'oxygène par la couche de moisissure, mais 
aussi d’un sucre analogue au glucose ou au galactose. Les cham- 
pignons et le ferment paralactique remplissent cette double 
condition. 

L'action de ce butyrique vient s'ajouter à celle du paralacti- 
que et l’acidité totale augmente brusquement. Elle atteint vers le 
14e au 15° jour 5, 6 et même 7 p. 1,000. Le lactose disparaît rapi- 
dement. L'action de ces deux ferments mixtes s’arrête à son tour, 


DD8 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


Au bout d’un mois, cette acidité commence à baisser. La 
surface du lait est toujours couverte d’une couche épaisse 
de moisissures. Il est encore acide au bout de deux mois 
(2 gr. 64 0/00 en SO:H°?). Les matières albuminoïdes diminuent, 
les protéoses, l'ammoniaque augmentent avec le poids d'extractifs 
lorsque la réaction deviendra inférieure à 2 0/000. Les examens 
bactériologiques montrent alors que les ferments lactique et 
butyrique ne sont plus l’espèce dominante. À côté d'eux se 
développent des cocco-bacilles décolorés par le Gram, Bac. 
fœcalis alcaligenes, ou d’autres bacilles comme le proteus Zenkeri. 
L'oidium lactis ou le rhizopus nigricans, jouant alors le rôle de 
protéolytiques, détruisent la caséine et tendent à neutraliser de 
plus en plus le milieu. 

Au bout de 3 mois, la caséine est transformée en une 
masse visqueuse coulante, très légèrement fétide, le sérum se 
colore en jaune brun. La couche de moisissure se désagrège, 
tombe petit à petit au fond du vase. Les ferments simples 
pullulent à leur tour et, parmi eux, les bactéries peptolytiques. 

Au bout de 10 mois. il ne reste qu’un dépôt filant jaunâtre, 
fétide. La lactalbumine et la lactoglobuline ont disparu, ainsi 
que les peptones. Le poids d’extractifs diminue également, 
indice que les produits de désintégration sont attaqués à leur 
tour. L'analyse chimique nous montre encore de la leucine, de 
la tyrosine, des acides gras, volatils, de l’ammoniaque. ete. Les 
bactéries peptolytiques achèvent donc de détruire les dérivés 
ultimes des matières albuminoïdes. 

Telle est la forme la plus habituelle de la fermentation du 
lait. Il peut évidemment s’en produire d’autres, suivant la 
variété de moisissure et suivant la nature aérobie ou anaérobie 
des ferments protéolytiques. Mais, en général, les champignons 
impriment à la marche générale un caractère plus marqué que 
les bactéries. Nous avons bien noté avec le Bac. putrificus une 
odeur plus fétide et peut-être une désintégration plus rapide de 
la caséine, et ces différences sont, surtout dans les échantillons 
d'été, assez importantes. Elles sont cependant plus marquées 
quand on empêche ou ralentit le développement des moisis- 
sures, Leur rôle est si important que l’on peut de ce fait ralentir 
ou arrêter le processus de destruction. 

En résumé, nous voyons qu’on peut considérer deux phases : 


a. 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT, 399 


1° Phase des ferments mirtes, causant une fermentation acide 
complexe, puis une fermentation lactique et enfin use fermen 
tation lactique, propionique et butyrique. 

Les ferments simples agissent simultanément jusqu’à la 
coagulation du lait. 

Les champignons détruisent les acides produits et attaquent la 
caséine. 

2° Phase des ferments simples qui achèvent l'attaque de l’albu- 
mine et de ses dérivés ultimes. 

Done, si, dans ses lignes générales, la putréfaction du lait 
se rapproche de celle de la viande, il est évident que, dans le 
détail, 1l existe de grosses différences dont les principales 
portent sur la longue durée, la fétidité moindre, la présence 
constante et essentielle de moisissures, ete. 

Elles sont probablement dues à la quantité et à la nature du 
sucre du lait qui exige, pour sa destruction, la présence de 
ferments très actifs dont les déchets empècheront ou gèneront la 
destruction de la caséine et à la nature de cette albumine en 
solution ou en suspension dans un liquide aéré (Marshall). 
Cet ensemble de circonstances rend nécessaire la présence des 
moisissures et empèche l’action des protéolytiques et surtout 
des anaérobies, qui, lorsque le miheu leur sera redevenu favo- 
rable, auront, en grande partie, perdu leur activité première. 


ROLE PATHOGÉNIQUE DES MICROBES DE LA PUTRÉFACTION HABITUELLE 


Nous devons nous demander maintenant si ces bactéries 
putréfiantes banales peuvent causer chez l’homme, du fait de 
leur ingestion, des troubles digestifs quelconques. La question 
est surtout importante pour le lait, aliment quotidien, employé 
surtout pour les nourrissons et les enfants en bas âge. 

On a du reste depuis fort longtemps incriminé ces microbes, 
causant son altération dans la genèse d’un certain nombre de 
maladies et notamment les gastro-entérites des nourrissons. 
Nous savons que, pour ces dernières, il n'existe que deux 
srandes causes : les intoxications et les infections ectogènes. On 
doit laisser de côté, jusqu'à nouvel ordre, les anciennes infec- 
tions endogènes qui ne seraient causées que par des saprophytes 


4. MarsHALL, L’aération du lait, Revue générale du lait, 1902. Centralblatt f, 
Bakt. IL Abth., IX, p. 313. 


560  - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de l'intestin normal, devenus subitement virulents sous l’in- 
fluence de causes extérieures. 

On a cherché à expliquer les gastro-entérites infectieuses par 
la pénétralion dans l’organisme des bactéries de la putréfaction 
- habituelle du lait, On a incriminé soit des espèces banales : 
Bact. lactis aerogenes, B. coli, streptocoque du lait, Bac. subtihs. 
Bac, mesentericus, ete., soit des espèces plus rarescommele proteus 
vulgaris, Bac. pyocyaniques, etc., en se basant sur leur viru- 
lence étudiée par la méthode des injections sous-cutanées ou 
intraveineuses. 

Pour les gastro-entérites toxiques, on a invoqué la présence de 
substances toxiques de provenance microbienne, isolées soit du 
lait, comme le tyrotoxicon produit par une espèce butyrique 
(Vaughan) ou la spasmotoxine (Brieger), soit de la viande pourrie 
comme certaines bases toxiques plomaïnes (Selmi, Gauthier). 
Nous devons donc chercher si, sans préparation aucune du 
terrain, on peut produire des troubles digestifs chez l'homme 
ou chez les animaux, par la simple ingestion de ces microbes, 
soit isolés, soit réunis avec tous leurs produits de culture 
dans ua lait ou une viande pourrie. 

Nous avons pris, comme sujet d’expérience, des hommes 
adultes normaux et des chiens. Pour étudier les mêmes effets 
chez de jeunes sujets nous avons pris de jeunes chats ou de 
jeunes chiens dont nous connaissions la flore intestinale, 

1. — EXPÉRIENCES FAITES AVEC DES CULTURES PURES RÉCENTES. Le 
bacille lactopropylbutyrique a été donné, plusieurs jours de suite, 
à cinq jeunes chats dont les uns étaient laissés à la mère, les 
autres nourris au lait stérilisé. Ils étaient tous d'âge différent 
et de portée différente. Nous n'avons obtenu aucun trouble 
digestif ni aucune modification de la flore intestinale, appréciable 
à l'examen microscopique. 

L’entérocoque, le Bac. fœcalis alcaligenes nous ont donné des 
résultats identiques. Seule une culture de Bac. mesentericus 
parmi toutes les espèces du lait a produit, chez un jeune chat de 
7 jours à la mère, une baisse de poids, et chez un autre animal 
de 12 jours, nourri au lait stérilisé, une diarrhée légère. 

Les microbes de la putréfaction de la viande de boucherie 
n’ont, dans des conditions identiques, produit aucun trouble 
digestif appréciable. 


ERP LT TE DL 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT. 561 


IT. — ExPÉRIEXCES FAITES AVEC DU LAIT OU DE LA VIANDE POURRIE, 
c'est-à-dire contenant toutes les espèces avec leurs produits de culture. 
Le lait acide, ayant subi la fermentation lactique et butyrique, 
n’est d'ordinaire nullement nuisible pourlesanimaux enlactation, 
soit à la mère, soit au lait stérilisé. Nous avons fait, à ce sujet, 
de nombreuses expériences, et nous n'avons noté qu'une légère 
diarrhée chez un jeune chien nourri au lait stérilisé d’une façon 
insuffrsante. 

Chez un enfant de #4 mois alimenté au sein, mais dans des 
conditions de nutrition également défavorables par suite d’acci- 
dents survenus à la mère, l’ingestion de 5 grammes de crème 
acide a causé une diarrhée peu grave, accompagnée d'une 
baisse de poids. Les selles n’ont repris leur aspect microsco- 
pique normal qu'au bout de huit jours. 

Chez l'adulte, àla dose d’un litre de petit-lait acide par jour, 
nous n'avons obtenu aucun trouble appréciable au bout de 
8 jours. M. Metchnikoff' a vu au contraire que, dans certaines 
conditions, il pouvait avoir une influence favorable. 

Le lait redevenu neutre ou alcalin, ayant subi une fermen- 
lation avancée, ne semble pas causer de véritables troubles 
digestifs. Nous avons donné à de jeunes animaux des doses 
répélées pendant 8 jours, nous les avons même nourris exclusi- 
vement pendant 48 heures avec ce liquide sans résultats notables. 
Au bout d’un certain temps, nous avons constaté des vomisse- 
ments, une répugnance insurmontable, mais ui diarrhée, ni 
constipation, ni modification microscopique de la flore intesti- 
nale. 

Nous avons refait ces expériences, en nous servant de viande 
en complète putréfaction, chez des animaux nourris à la mère ou 
au lait stérilisé, ou chez des animaux adultes. Les résultats ont 
été les mêmes. Chez 2 hommes adultes normaux, âgés l’un de 
36 ans et l’autre de 34, qui ont bien voulu se prêter à nos expé- 
riences, 1l ne s’est également produit aucune baisse de poids, 
aucun malaise, aucun trouble digestif quelconque. 

Ainsi, en résume, les bactéries ordinaires de la putréfaction 
du lait ou de la viande, en cultures pures et récentes, ne causent 
aucun trouble immédiat grave quand elles sont ingérées par des 
sujets normaux et bien portants. Ces résultats n'ont rien d’éton- 


*, Mercaxixorr, Etudes sur la nature humaine. Paris, 1908. 


262 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


nant. si l’on veut bien se rendre compte que tout lait ou toute. 


viande commerciale, crue, qui sont de consommation courante, 
contiennent toutes les espèces de la putréfaction. Les produits 
complexes des cultures anciennes ne présentent pas un plus 
grand danger dans des conditions identiques. Elles ne sont nui- 
sibles que lorsque le sujet qui les ingère est soumis à une ali- 
mentation insuffisante, défectueuse, et possèle une résistance 


moindre, en un mot quand il existe des causes prédisposantes. Ces 


faits semblent en contradiction avec les cas indubitables d’em- 


poisonnement par des aliments altérés ; mais, dans ces cas, la. 


cause pathogène est alors due non pas aux microbes banals de 


la putréfaction, mais à l'intervention de microbes spéciaux 


comme le bacille de Van Ermenghen. Du reste, dans beaucoup 
de ces observations, les alinents incriminés n’avaient nullement 
l'aspect de matière en putréfaction. 

CONCLUSIONS 

Toutes les espèces causant la putréfaction habituelle du lait, 
c’est-à-dire la destruction complète de tous ses éléments, sont 
contenues dans le lait à sa sortie de la laiterie. 

Dans les échantillons que nous avons examinés, il existe des 
micro-organismes constants, bactéries et champignons. 

Les bictéries se divisent en 2 groupes : 

1° Des ferments mixtes, protéolytiques mixtes : staphylocoques 
assez rares et peptolytiques mixtes : entérocoque, B. coli, Bac. 
acidiparæactici, Bac. lactopropylbutyricus ; 

2 Des ferments simples, protéolytiques simples : mesentericus, 
subtilis, Bac. putrificus, proteus vulgaris, et peptolytiques simples : 
Proteus Zenkeri, Bac. fwcalis alcaligenes. 

Les champignons sont : l’oidium lactis, le rhizopus nigricans 
et, dans un cas, une levure du lactose. 

Dans le lait stérilisé, les ferments mixtes donnent lieu à 2 fer- 
mentations principales : la fermentation lactique du fait de trois 
espèces : l’entérocoque et le B. coli, peu actifs, et le bacillus 
acidiparalactici possédant une résistance plus grande et un pou- 
voir ferment plus grand. Il donne surtout de l'acide lactique 
droit. 

La fermentation butyrique du fait d’une seule espèce, le Bac. 
lactopropylbutyrique. Elle ne se produit pas aux dépens de l'acide 


PT TT 7 0 Ce ES RES 


RECHERCHES SUR LA FERMENTATION DU LAIT. 563 


lactique ou des lactates, mais aux dépens d’un sucre analogue au 
glucose, provenant du dédoublement du lactose par les bactéries 
précédentes. Elle se trouve donc ainsi indirectement sous la 
dépendance de la fermentation lactique. 

Les ferments simples peptonisent et détruisent la caséine, mais 
en symbiose avec les ferments mixtes, ils sont rapidement 
arrêtés par la réaction acide du milieu. Ces bactéries sont donc 
impuissantes à parfaire à elles seules la putréfaction du lait, 
L'intervention d'organismes à fonctions plus élevées comme 
l’oïdium lactis et le rhizopus nigricans devient nécessaire. 

La marche d'une putréfaction nous a paru toujours la même. 

Les ferments mixtes se développent rapidement, aidés par 
l’action simultanée des ferments simples. 

L’entérocoque est d’abord l'espèce dominante produisant de 
l'acide lactique inactif, de l'acide valérianique et surtout de 
l'acide acétique. Le B. coli vient ensuite, donnant de l'acide lacti- 
que gauche. Ils donnent ensemble une acidité de 1,47 à 2 p.1/000 
(en SO‘H°) qui arrête l’action des protéolytiques et amène la coa- 
gulation du lait. 

Le bacille acidiparalactici continue la destruction du lactose. 
et donne lieu à la véritable fermentation lactique en donnant 
surtout de l'acide lactique droit. 

Le bacille lactopropylbatyrique se développe alors, le milieu 
lui étant devenu favorable, et produit de l'acide lactique inactif 
et surtout de l'acide propionique et butyrique jusqu'à ce qu'une 
acidité totale de # à 6 p. 1/000 (en SO‘H°) arrête toute action bac- 
térienne. 

-L'oïdinm lactis et le rhizopus nigricans interviennent, et, 
brülant les acides et le lactose restant, et détruisant ensuite la 
caséine, favorisent la pullulation des espèces momentanément 
arrêtées. 

Les ferments simples peuvent alors achever l'attaque de la 
caséine et de ses dérivés ultimes. 

Les bactéries de la putréfaction ne causent de troubles diges- 
üifs, du fait de leur ingestion chez l’homme ou les animaux, que 
si le milieu leur est favorable, si le terrain leur est préparé, s’il 
existe, en un mot, des causes prédisposantes. 

Les accidents de botulisme sont dus à des espèces spéciales, 
différentes des espèces habituelles de la putréfaction. 


LA GAROTILHA 


Par E. MARCHOUX Er A. SALIMBENI 


Il 


Sous le nom de Garotilha, on cennaît au Brésil une mala- 
die qui sévit sur les bovidés, et qui est caractérisée par l’engor- 
gement des ganglions cervicaux, avec infiltration œdémateuse 
du cou. Cette maladie presque toujours mortelle évolue en 3 ou 
4 jours. Parfois elle revêt un caractère de gravité exceptionnelle, 
et l’animal meurt presque foudroyé. Dans ce cas, les bouviers 
lui donnent le nom de peste. Très rarement on rencontre des 
animaux qui guérissent. 


Il 


Les bœufs destinés à la consommation de la ville de Rio de 
Janeiro sont achetés dans l'intérieur par les entrepreneurs 
d’abattage qui les réunissent en troupeaux considérables dans 
les plaines de Santa-Cruz. Celles-ci sont situées à 2 heures de 
chemin de fer de la capitale, autour de la petite ville du même 
nom, dans laquelle se trouvent les abattoirs municipaux. 

Ce nombreux approvisionnement est nécessité par le fait 
que les animaux, provenant de régions très éloignées par 
groupes de 500, 600 têtes et plus, arrivent fatigués de ce long 
voyage par des routes poussiéreuses, et ontbesoin de se reposer 
et de se remettre en chair avant d’être abaltus. 

Pendant les quelques semaines qu’ils passent dans les pâtu- 
rages de Santa Cruz, il y en a toujours un certain nombre qui 
meurent. Dans les périodes de sécheresse, ce nombre peut être 
quotidiennement très élevé, de façon à constituer une véritable 
épizoolie. 

Souvent les gardiens trouvent, le matin, mortes dans les 
champs, des bêtes dont ils n’avaient pas constaté la maladie, 
Les cadavres leur sont signalés de loin par les vols de vau- 
tours qui tourbillonnent au-dessus. Dès qu’ils en ont reconnu la 
présence, il les font enlever par des voitures qui les portent au 
fondoir. 


LA GAROTILHA. 96 


IL arrive souvent qu'on ne constate la maladie qu'à l’aba- 
tage, par cet œdème particulier de la région cervicale. 


III 


Cette affection a préoccupé depuis longtemps les autorités 
municipales et les entrepreneurs d’abattage. Déjà M. le profes- 
seur Chapot-Prévost avait constaté la présence de la bactéri- 
die charbonneuse dans la Garotilha. Après lui, MM. Gomez et 
Terni ont vérifié l'exactitude de cette découverte. Nous ne 
croyons pas, d’ailleurs, que ces divers rapports aient été 
publiés. 

Nous en ignorions l'existence lorsque, dans une conversa- 
tion particulière avec un des entrepreneurs d’abattage, cette 
maladie nous ayant été présentée sous un jour assez singulier, 
nous avons accepté l’invitation qui nous était faite d’aller voir 
de près les animaux malades. 

Le premier bœuf que nous ayons vu étail mort pendant la 
nuit sur le päturage. 

L'autopsie en est faite sur place. La région cervicale paraît 
tuméfiée, A l'ouverture de la peau, il s’écoule un liquide jaune 
citron, transparent, Le tissu cellulairé sous-cutané est œdéma- 
té, rempli de sérosité. Ce liquide séreux devient sanguinolent 
quand on approche de la couche inférieure, qui contient une 
tumeur volumineuse, noire, chargée de sang. A la coupe, on 
s'aperçoit qu'elle est constituée par un amas ganglionnaire, où 
les ganglions sont unis entre eux par du tissu congestionné. On 
ne pourrait pas mieux comparer l’aspect de ces ganglions qu’à 
celui d’un bubon pesteux. Quelques-uns sont ramollis, pleins 
de sang ; d’autres contiennent des foyers hémorragiques nom- 
breux qui les font paraître marbrés. Les ganglions sous- 
glossiens et rétro-pharyngiens ne forment presque qu’un seul 
paquet. 

L'æœdème gélatineux s’infiltre dans le tissu cellulaire inter- 
musculaire, et forme une espèce d’œædème déelive qui arrive 
jusqu’au poitrail. 

Les ganglions de l’aisselle et de l’aine ne sont pas volumi- 
neux. Les vaisseaux sous-cutanés sont remplis, comme injectés. 

Le sang du cœur est noir et poisseux. Tous les organes 


566 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


présentent de la congestion, notamment le foie et la rate qui 
est énorme, noire et friable. 

A l’abattoir, nous avons trouvé un second bœuf qui avait été 
apporté des champs au fondoir. Les résultats de l’autopsie ont 
été les mêmes. 

Enfin, nous avons vu mourir sous nos yeux un animal 
frappé de cette forme qualifiée de peste par les bouviers. 
Quoique chez celui-ci la tuméfaction cervicale ne fût pas appa- 
rente, nous avons néanmoins rencontré à l’autopsie les mêmes 
lésions que chez les deux autres, à cette différence qu’elles étaient 
peut-être plus caractéristiques encore. 

Le liquide de lædème, le suc ganglionnaire, le sang du 
cœur, la pulpe de rate et celle du foie, examinés en préparations 
colorées, nous ont permis de constater chez les trois bœufs la 
présence de la bactéridie charbonneuse. Les mêmes pulpes 
d'organes et les mêmes liquides ensemencés sur gélose et en 
bouillon de bœuf peptonisé ont donné des cultures, pures pour 
la plupart, de bacillus anthracis. 

La garotilha et la peste des bouviers sont donc une même 
maladie, et celle-ci n’est autre que la fièvre charbonneuse. 


IV: 


Comment se fait l'infection des animaux ? La présence cons- 
tante de l'infiltration charbonneuse des ganglions sous-glossiens 
et rétro-pharyngiens porte à penser que le virus pénètre par la 
bouche. L'absence de lésions aussi caractéristiques dans, les 
autres parties du corps, le peu de volume des'ganglions mésen- 
tériques en particulier, nous poussent à admettre cette opinion, 
qu'appuient, d’ailleurs, certaines expériences de Pasteur. Elle 
est encore appuyée par les cas de guérison, nombreux au dire 
des bouviers, qui se produisent après traitement, quand la mala- 
die est observée assez tôt. 

Dès qu'un animal est triste et se sépare des autres, quand 
il reste autour de l’abreuvoir, on le lasse, on le couche et, si 
à la palpation on trouve une tuméfaction de la région cervicale, 
on traverse la peau du cou avec un fer rouge. La majorité des 
bêtes ainsi traitées, guériraient. Nous avons eu l’occasion d'en 
voir quelques-unes dans les champs, encore un peu maigres, 


Ph RS PONS de A LE 2 95 


LA GAROTILHA. 967 


mais en voie de guérison. S'il est possible de guérir le charbon 
par ce moyen, il faut bien admettre qu'il reste primitivement 
localisé dans les ganglions cervicaux. 

L'infection par la bouche, quoiqu’on n'y rencontre pas de 
lésions apparentes, est bien facile à expliquer. Les pâturages 
dans lesquels paissent les animaux sont loin d'être de première 
qualité. L’herbe la plus commune, et la seule qui résiste à la 
sécheresse, est une herbe à feuilles larges, dures et tranchantes 
sur les bords. L’organe de préhension du bœuf étant la langue, i] 
est supposable que les animaux se font assez facilement de 
petites coupures peu profondes, mais qui suflisent à ouvrir une 
porte d'entrée sur l'organisme. Il est naturel, en ce cas, que la 
sécheresse augmente le nombre des cas. 


V 


Dans ces champs si voisins du fondoir que les bêtes mortes y 
sont de suite transportées, comment se fait l'infection du sol? 

Il est évident que l’urine et les déjections des animaux 
malades y répandent un grand nombre de germes. Mais ce 
mode de souillure n’est pas le seul: ce n’est peut-être même pas 
le plus important. 

Dès qu'une bête malade se couche, les vautours arrivent en 
foule et font cercle autour d'elle, approchant de plus en plus à 
mesure que les mouvements agoniques diminuent. Aussitôt que 
l'animal ne remue plus, ils se précipitent à la curée. 

En arrivant sur le pâturage le matin, nous avons assisté au 
plus curieux des spectacles. Une nuée d’urubus se disputaient 
autour du cadavre, et ne fuvaient même pas à notre arrivée. Les 
uns s’attaquaient aux yeux, d’autres à la langue. Un de ces 
rapaces, plongeant la tête et le cou par l’anus, allait jusque 
dans l’abdomen chercher des morceaux d'organes. Plusieurs 
autres, autour de lui, attendaient pour prendre sa place qu'il ait 
retiré sa tête pour EE 

Ils ne s’enfuirent qu'à regret à notre approche, sans s'éloigner 
beaucoup. Les yeux, la en avaient disparu. À l’ouverture du 
cadavre, nous avons constaté que la vessie et une grande partie 
de l'intestin manquaient déjà, et cependant le corps était encore 
chaud. La peau n’était pas entamée, mais elle n’eût pas tardé à 


268 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'être si l'animal était resté plus longtemps. Les urubus sont si 
nombreux et si voraces qu'au dire des bouviers, en moins d’une 
journée ils réduisent un bœuf à l’état de squelette. Au fondoir ils 
surveillent le dépeçage et profitent de la moindre inattention des 
ouvriers pour venir enlever des lambeaux de chair. Du reste 
on leur jette souvent la rate. Une rate de bœuf pesant plus de 
20 kilos disparaît en quelques secondes, absorbée par la nuée 
d'oiseaux qui se précipitent dessus en masse compacte. L’audace 
de ces rapaces est d'autant plus grande qu’ils sont, au Brésil, pro- 
tégés par une ordonnance préfectorale qui défend de les tuer. 

Nous nous sommes demandés si ces vautours qui avalent 
tant de bactéridies, n'étaient pas capables de disséminer les spores 
charbonneuses avec leurs déjections. 

A un urubu, gardé au laboratoire, nous avons fait manger un 
cobaye charbonneux. Les matières fécales recueillies dans les 
48 heures qui ont suivi le repas, délayées dans l’eau stérile et 
chauffées pendant 10 minutes à 90°, ont été ensemencées sur 
sélose. Très peu de microbes ont résisté à ce chauffage. Sur la 
gélose, nous avons obtenu des colonies séparées, parmi lesquelles 
un grand nombre de colonies pures de charbon. Une d’entre elles 
ensemencée en bouillon et inoculée à un cobaye (1/4 c.c.) l’a fait 
mourir en 48 heures avecles signes caractéristiques de l’infection 
charbonreuse. 

Quand on songe que les vautours de Santa-Cruz et ceux de 
Rio ne forment qu'une seule et grande compagnie qui se ras- 
semble presque tous les soirs, à une certaine saison de l’année, 
pour gagner les montagnes; quand on songe au vol puissant 
de ces rapaces qui peuvent se déplacer de plus de 90 kilomètres 
en une journée, on comprend facilement le rôle considérable 
qu'ils jouent dans la dispersion des spores. C’est à cause d'eux 
que l’on trouve du charbon dans toutes les plaines qui avoisi- 
nent la baie de Rio, et dans lesquelles le bétail est cependant assez 


rare. 
CONCLUSIONS 


La Garotilha est une infection charbonneuse. 
Les vautours sont les principaux agents de dispersion de la 
maladie. 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


2 AR OMEGA A OUTRE her à ie 7 Label ro Pa tr 


17me ANNÉE SEPTEMBRE 1903 No 9 


ANNALES 


DE 


PLN SERRE PA SIBEUR 


LA SPIRILLOSE DES POULES 


Par LES D's E. MARCHOUX ET A. SALIMBENI 


Il 


Dans la ville de Rio de Janeiro et dans les environs, il y a 
sur les poules, dont l'élevage est très répandu, une maladie qui 
sévit avec une extrême violence !. Il n’est pas rare de voir dis- 
paraître en quelques jours tout un poulailler se composant quel- 
quefois de plus de 100 poules. Les animaux de race sont plus 
fréquemment et plus sévèrement atteints que ceux des espèces 
communes. 

Avant tout autre symptôme, la poule malade présente de la 
diarrhée, puis elle laisse la nourriture, reste somnolente, les 
plumes hérissées, la crête pâle. Elle ne perche plus. Quand l'état 
s’aggrave, ellese couche; la tête, qu’elle n’a plusla force de relever 
ou de cacher sous l'aile, repose sur le sol. Enfin, la mort survient 
brusquement dans un spasme. 

Quelquefois la maladie prend la forme chronique, et l’animal, 
après un semblant de retour à la santé, redevient triste et reste 
couché sur le sol, avec de la paralysie des pattes. 

Quelques jours plus tard la paralysie gagne les ailes, la 
poule maigrit considérablement et meurt cachectique en 8 ou 
15 jours. 

D'autre fois la poule guérit complètement après la première 

4. Nous devons à l’obligeance de M. le Dr Ferrari, médecin adjoint à l'hôpital 
Saint-Sébastien, d'avoir pu nous procurer des animaux malades. Nous tenons à le 
remercier ici de son aimable entremise, en même temps que de sa complaisance à 
nous fournir tous les renseignements dont nous avons eu besoin. 


: 37 


570 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


période, plus rarement la guérison se produit après une atteinte 
de paralysie. 

La température suit une marche caractéristique. Dès le début 
de la maladie, le thermomètre indique 42°-43°. Pendant toute la 
durée de la première période, c’est-à-dire pendant 4 ou 5 jours, 
la température reste élevée, puis elle baisse au-dessous de 44°, 
pour revenir bientôt à la normale si la poule guérit. Elle reste 
basse si l'animal se cachectise. La mort survient en hypothermie. 

Quand on fait l’autopsie d’une poule morte dans la période 
aiguë, on constate que la rate a triplé de volume. Le foie, for- 
tement augmenté, présente de la dégénérescence graisseuse 
plus ou moins accentuée; parfois on observe de petits foyers de 
nécrose de place en place. Les autres organes ne paraissent pas 
sérieusement lésés. Le péricarde contient souvent un caillot de 
fibrine. Le sang du cœur reste fluide, couleur lie de vin. 

Si on examine pendant la première période le sang d’une 
poule atteinte de cette maladie, on y trouve des spirilles en 
quantité plus ou moins grande, suivant l’état de la bête malade. 
Ensemencés sur les milieux ordinaires de laboratoire, Le sang et 
la pulpe des divers organes ne donnent lieu à aucune culture. 

Quand, à une poule saine, on injecte sous la peau quelques 
gouttes de sang d'une poule malade, au moment où celui-ci ren- 
ferme des spirilles, on reproduit, chez l'animal inoculé, la même 
maladie avec tous ses caractères. Dans son sang, on retrouve le 
mème spirille. 

La maladie est donc une spirillose. 


Il 


On connaît déjà deux maladies causées par des spirilles, la 
fièvre récurrente de l’homme, produite par le spirille d'Ober- 
meyer, et la spirillose des oies découverte par Sakharoffr. D’après 
les recherches de Sakharoff, de Gabritchewsky et de Cantacuzène, 
la spirillose des oies n’est pas transmissible à la poule. Canta- 
cuzène n’a réussi à infecter que de jeunes poussins, qui sont 
morts avec un nombre considérable de spirilles dans le sang. 

Quand on injecte du sang chargé de spirilles, soit sous la 


1. Au moment où ce mémoire fut écrit (janvier 1903), nous n'en co:.naissions 
que deux, Depuis, M. Laveran en a signalé une troisième qui sévit sur les bovidés. 
Sur la Spirillose des bovidés. C. R. 1903, n° 16. 20 avril, p. 939. 


* 


LA SPIRILLOSE DES POULES. 071 


peau, soit dans les muscles ou dans le péritoine d'une poule 
saine, voici quel est le tableau de la maladie. 

Déjà quelques heures après l’inoculation, la température 
dépasse 42°, Le lendemain, l'animal a de la diarrhée, il est triste 
et ne mange pas : la température avoisine ou dépasse 43°. Au 
bout de 24 heures, on constate déjà dans le sang la présence de 
spinilles en petit nombre. Il n’y a aucune réaction au point 
d'inoculation. 

La température reste au voisinage de 43° pendant encore 3 
ou 4 jours, puis elle tombe au-dessous de 41° et quelquefois de 40. 

Les spirilles ont été constamment en augmentant, Leur 
nombre peut arriver à être considérable. La température a déjà 
baissé quand la quantité de parasites est arrivée à son maximum. 

D'abord isolés, ils se réunissent ensuite en petits amas assez 
lâches, qu’on trouve disséminés dans toute la préparation. Ces 
petits amas se réunissent ensuite en groupes très serrés et très 
volumineux, qui sont rejetés par Le frottis à l'extrémité de la 
lame de sang. 

Tant que les spirilles sont isolés, ils sont très mobiles, rigides 
et s’avancent rapidement en tournant autour de leur axe, avec 
un mouvement en tire-bouchon. Dès qu’ils commencent à for- 
mer des amas, leur mouvement de progression est plus lent; 
ils s'infléchissent à droite et à gauche comme une lanière de 
fouet; ils se recroquevillent, se retournent sur eux-mêmes de 
façon à prendre des formes en 0 ou en 8 de chiffres. Puis ils 
s’enlacent, s’enchevêtrent les uns dans les autres, et n’ont plus 
que des mouvements lents et peu énergiques. 

La crise apparaît peu de temps après que les gros amas se 
sont formés. Dans les formes aiguës, elle précède de très peu la 
mort qui survient mème quelquefois au moment des gros amas. 

Si l’animal doit guérir, l’état général s’améliore : le poids, qui 
depuis le début de la maladie a baissé très rapidement, s’arrête 
dans sa descente; la température se relève et la santé parfaite 
ne tarde pas à revenir. Cependant ce n’est qu’au bout de 12 à 
15 jours que la poule a repris son poids primitif. 

Quand la maladie prend la forme chronique, le poids con- 
tinue à baisser, la température reste au-dessous de la normale, 
la paralysie survient et bientôt la mort. Cette période peut 
durer de 12 à 15 jours. 


à172 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


À l’autopsie, on trouve tous les organes atrophiés, même le 
foie et la rate. 

Si l'animal paralysé guérit, la santé revient très lentement et 
péniblement. 

Presque jamais nous n'avons trouvé une jeune poule abso- 
ument réfractaire, 


III 


Quand les poules meurent dans un poulailler de cette spiril- 
lose, les autres volatiles qui vivent avec elles ne sont pas 
épargnés, 

Nous avons pu nous assurer que les jeunes poussins pren- 
nent très facilement la maladie par inoculation. Les phénomènes 
sont les mêmes que chez les jeunes poulets ou chez les poules 
adultes. 

Cependant l’état général semble meilleur; jusqu'au jour 
de la mort le poussin répond à l'appel de sa mère et vient 
picorer la nourriture qu’elle lui offre. 

L’oie est très sensible au spirille de la poule. Elle meurt en 
5 ou 6 jours avec tous les signes d’une infection grave. Les 
spirilles sont très nombreux dans son sang. 

Le canard et la pintade prennent aussi la spirillose. 

Le pigeon, par inoculation de sang infecté, présente pendant 
quelque temps une petite élévation de température et un peu 
de tristesse, mais on ne trouve jamais de spirilles dans son 
sang. 

La tourterelle et le moineau prennent cependant très facile- 
ment la spirillose et en meurent. 

Le cobaye paraît insensible à l’inoculation de sang de poule 
infectée, quelle que soit la quantité injectée. Quelquefois 
cependant, il se forme une eschare au point de l'injection. 

Nous avons essayé d’infecter, avec le spirille de la poule, le 
singe de l’ancien continent, qui prend le spirille de la fièvre 
récurrente. 

Deux singes infectés se sont montrés réfractaires. L’un 
d'eux cependant a présenté au point d’inoculation un volumi- 
neux œdème qui a persisté pendant 2 jours, mais dans lequel 
nous n'avons jamais {rouvé de spirilles. 


lue run dt out à sf 


LA SPIRILLOSE DES POULES. d13 
IV 


Par inoculation de sang infecté à une poule neuve, on pro- 
voque toujours la maladie et le développement de nombreux 
spirilles dans son sang, Le sérum fraïchement recueilli jouit de 
la même propriété. 

Dans ce sérum les spirilles s’agglutinent très rapidement ; 
dès qu'il est séparé du caillot, il renferme déjà de gros grumeaux. 
Au bout de 24 heures tous les spirilles sont réunis au fond du 
tube, mais on perçoit très nettement des mouvements chez 
ceux qui sont à la périphérie des amas. À ce moment le sérum 
est encore capable de transmettre la spirillose. 

Au bout de 48 heures, tout mouvement a cessé et le sérum 
n'est plus pathogène. Mais si quelques jours plus tard on essaye 
d'infecter avec du sang frais la poule qui a reçu ce sérum de 
48 heures, on constate qu’elle est devenue réfractaire. 

Après 4 jours de conservation au laboratoire, le sérum pos- 
sède le même pouvoir immunisant. Il en est de même lorsqu’au 
lieu de le garder à la température de la chambre, on l’a main- 
tenu pendant le même temps à l’étuve à 37°. 

Mais si au lieu d’être soumis à cette température de 37°, le 
sérum frais et chargé de spirilles est porté à 55°, on constate 
qu'un chauffage de 5 minutes dans de petites ampoules suffit à 
détruire son pouvoir infectant. 

La poule qui a reçu ce sérum chauffé non seulement ne 
contracte pas la spirillose, mais quelques jours plus tard elle se 
montre réfractaire à une inoculation virulente qui tue la poule 
témoin. 

Un chauffage de 10 minutes donne les mêmes résultats. Mais 
lorsque cette température de 55° est maintenue pendant 
20 minutes, on constate que le sérum a perdu son poyvoir vacci- 
nant. 

La poule qui le reçoit, quand on l’inocule quelques jours 
plus tard, prend la spirillose en même temps que le témoin et 
d’une manière aussi grave. 

Le sérum conservéde 48 heures à 4 jours, le sérum chauffé à 55° 
de 5 à 10 minutes possèdent donc des propriétés vaccinantes.Ce 
pouvoir est-il dû à une atténuation du microbe qui, lorsqu'il est 
tué par un chauffage de 20 minutes à 55°, perdrait ses facultés ? 
Ou bien existe-t-il dans le sérum des substances toxiques, que 


D 74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


détruit une température de 55° maintenu pendant 20 minutes? 

Pour élucider cette question, nous avons institué les expé- 
riences suivantes : 

Des spirilles conservés 3 jours au laboratoire sont séparés 
du sérum qui les contient, lavés à l’eau physiologique stérile et 
injectés. La poule qui les reçoit, inoculée quelques jours plus 
tard avec du sang virulent, ne prend pas la maladie, 

D'autre part, nous avons saigné une poule enpleine infection. 
Nous avons séparé le sérum qui renfermait de nombreux 
spirilles, nous l’avons étendu de 9 fois son volume d’eau physio- 
logique stérile, et nous avons fait passer le tout au filtre Berke- 
feld. Le liquide filtré était clair, limpide, et il était impossible 
d'y rencontrer le moindre spirille malgré des examens répétés. 

Disons de suite qu’une poule témoin, qui avait reçu 5 ec. c. 
du mélange avant filtration, a pris la spirillose dans le temps 
ordinaire etest morte en 7 jours. 

Celle qui a reçu 20 c. c. du filtrat non seulement n’a présenté 
aucun symptôme de maladie, mais encore elle s’est montrée 
réfractaire à une injection virulente faite 17 jours après. 

Lorsque le filtrat a été chauffé pendant 1/4 d'heure à 
55°, la poule injectée ne présente pas de spirilles dans le sang 
quand on l’inocule ‘ensuite avec du sang virulent. Elle meurt 
cependant cachectique en une quinzaine de jours. 

Ainsi donc l'immunité des poules qui ont reçu le sérum 
conservé ou le sérum chauffé est due à des causes multiples. 
Sans doute les microbes atténués jouent un grand rôle, mais les 
substances répandues dans le sérum ont une action qui est loin 
d’être négligeable. Si un chauffage de 5 minutesà55°, si le main- 
tien du sérum à la température de la chambre pendant48 heures 
suffisent à tuer les microbes, ce que nous n’avons pu encore 
déterminer, les substances dissoutes sont peut-être les seules 
à intervenir dans la vaccination. Nous voyons, en effet, qu'un 
chauffage de ces substances à 55° pendant 1/4 d'heure, s'il 
ne suffit pas à les détruire, les altère néanmoins beaucoup. Dans 
un second mémoire, nous nous proposons de reprendre ces im- 
portantes questions, pour essayer de‘les élucider complètement. 


y 


Après la crise, les spirilles disparaissent de la cireulation et 


LA SPIRILLOSE DES POULES. 578 


ne s’y montrent plus. Jamais nous n'avons observé un nouvel 
accès. La poule peut se cachectiser et mourir sans que les spi- 
rilles reparaissent dans le sang. 

Une poule guérie possède une immunité absolue et cette 
immunité s'établit de très bonne heure. Même par inoculation 
au moment de la crise, la poule se montre réfractaire à toute 
nouvelle infection. 

Comment s'établit cette crise, quel est son mécanisme biolo- 
gique et celui de l’immunité qui s'ensuit, ce sont là autant de 
questions que le manque de temps nous à empêché de résoudre 
et que nous comptons reprendre plus tard. 

Néanmoins nous avons pu nous assurer que le sérum des 
poules immunisées, même quand elles n'avaient recu qu'une 
inoculation virulente, possédait des propriétés préventives. 

2 c. c. de sérum d’une poule guérie de la spirillose depuis 
1 mois, donnés 48 heures avant l'injection virulente à un poulet 
de 550 grammes, le protègent absolument. Il n’y a eu ni élévation 
de température ni baisse de poids. 14 jours plus tard, ce 
même poulet, qui pesait alors 600 grammes, est inoculé de nou- 
veau avec quelques gouttes de sang infecté. Le lendemain, la 
température monte à 43°, mais le surlendemain tout est rentré 
dans l’ordre. Le poids, après avoir fléchi jusqu’à 560 grammes, 
est au bout de9 jours à 575 grammes eten voie de progression. 

Ainsi non seulement une injection préventive de sérum de 
poule immunisée est capable de protéger contre une injection 
virulente qui tue le témoin, mais encore l’animal est vacciné 
contre une nouvelle injection. 

Une 2° expérience faite dans les mêmes conditions, nous a 
donné les mêmes résultats. 

Quand on fait un mélange à parties égales du sérum de poule 
immunisée et de sérum ehargé de spirilles, et qu'on l’injecte, 
après 5 minutes de contact la prévention est complète. Cependant 
une de nos poules, sans jamais avoir de spirilles dans le sang, a 
eu une température élevée pendant quelques jours. Son poids a 
baissé graduellement et continuellement, puis elle à fini par 
mourir cachectique. 

Le témoin était mort en 5 jours. 

Les autres ont résisté, non seulement à l’inoculation du 
mélange sans présenter de phénomènes morbides, mais encore 


D 76 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


elles se sont montrées réfractaires à une nouvelle inoculation 
virulente. 

Si le sérum de poule immunisée à un pouvoir nettement 
préventif, il ne présente pas la moindre action thérapeutique, au 
moins dans les conditions où nous nous sommes placés. 

Les poules qui nous ont fourni le sérum, n'avaient pas 
été chargées; elles avaient reçu seulement 2 injections de quel- 
ques gouttes de sang virulent. Leur sérum donné 24 heures après 
le sang infecté, au moment où les spirilles commençaient à appa- 
raître dans la circulation, n’a pas empêché le nombre des para- 
sites de croître et n’a eu aucune action sur la marche de la 
maladie qui a évolué comme chez le témoin. 


VI 


Le sérum des poules immunisées a sur les spirilles un pou- 
voir agglutinant et immobilisant, comme le montrent les 2 expé- 
riences suivantes. 

A la poule 39 qui a beaucoup de spirilles très mobiles, nous 
retirons 10 c. c. de sang que nous laissons coaguler. Le sérum 
recueilli renferme des grumeaux et des spirilles mobiles et isolés. 
Nous laissons déposer les grumeaux et nous nous servons du 
sérum qui surnage. 

L'expérience a été faite en goutte pendante. Les résultats en 
sont consignés dans le tableau suivant : 

La poule 8 qui a fourni une partie du sérum agglutinant 
a résisté à 1 injection virulente. La poule 12 qui a donné l’au- 
tre partie a reçu 2 injections. 


Résultat x ; : Fan 
4h. après mélange. Sérum 39. Sérum 8. Sérum 12. Eau phy. |äistilée 
D ———— PET + DS A TE EE | 
Comme au moment 
de la prise. D 
Jmmobilisation 
complète. SF + 
Id. + 
Comme au moment «à 
de la prise. ie 
Id. —- de 


Le signe + indique la nature des liquides employés. 


… 


LA SPIRILLOSE DES POULES. 377 


Avec le sérum de la poule 41, nous avons renouvelé ces 
essais dans les même conditions. Les résultats en sont consignés 
dans le tableau suivant. 

L'expérience est faite en tubes. 


Résultat Sang + F LS u s 6 or _ Eau 
4h. après mélange. | de fibrine. | Sérum ALP SERIE SEE nP/f2" D ERUSNRTS distillée. 
EE — ———— "2 
Sp. mobiles + 
ou isolés. 
Age. en gros amas 
inmobiles. + de 
Id. —- +- 
Mobiles et isolés. _ +- 
Id. — — 
Id. — _ 
Immobilisation “e 
et agglutination. 
Id. + 
| 20 Fa 
Mobiles et isolés. + — 


Les sérums ont été mélangés à parties égales, de mème qu’on 
a toujours employé la même quantité d’eau physiologique et 
d’eau distillée que de sérum. 

Avec les sérums dont nous disposions, et qui ne peuvent être 
considérés comme doués de propriétés puissantes, nous n’avons 
observé, en dehors de l’immobilisation et de l’agglutination, 
aucun phénomène de dissolution ou de transformation en 
granules. 


VII 


Comment se fait l'infection naturelle chez les poules et com- 
ment la maladie peut-elle se répandre si vite dans tout un pou- 
lailler ? IL était intéressant de rechercher si un parasite des ani- 
maux de basse-cour, hôte intermédiaire du spirille, n’était pas 
capable de conserver et de transmettre les germes. Grâce à 
l’obligeance de M. le docteur Ferrari, nous avons pu visiter un 
cerlain nombre de poulaillers infectés. Dans tous nous avons 
trouvé, cachés sous les bois ou dissimulés dans l’interstice 


D78 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


des planches, des acariens de là famille des Argas. Ces acariens 
piquent les poules, etles spirilles se conservent vivants dansleur 
estomac pendant très longtemps. 

Pour vérifier si ces acariens sont capables de transmettre la 
maladie, nous avons fait l'expérience suivante. 

Dans un seau en verre, recouvert de toile métallique, nous 
avons mis une poule n° { avec des argas infectés, protégés par 
un disque de bois percé de trous. 

Dans un deuxième seau, nous avons placé une poule neuve 
n° 2, une poule infectée et des argas non infectés. 

Dans une caisse en bois, dont une paroi était en toile de lai- 
ton très fine, ont été mises une poule infectée et une poule n° 3. 

La poule n° 1 a été infectée en 9 jours. La poule 2 n'a pas 
été malade, la poule 3 esttombée malade en 4 jours. 

Ces ul nous ont beaucoup surpris, mais à l’analyse 
nous en avons reconnu la signification. 

La poule infectée qui vivait avec la poule 3 restait avec elle 
nuit et jour. Dans cette étroite captivité, la poule malade était 
devenue la victime de la poule saine. Elle avait les plumes arra- 
chées et portait de nombreuses plaies saignantes sur le dos et 
sur les ailes. Nous avons pensé que la DE saine avait pu S'in- 
fecter par le tube digestif. 

D'autre part, nous avons vérifié que la poule 2, qui s'était 
trouvée à la fois dans les conditions de la poule 1 et dans celles 
de la poule 3 sans prendre la maladie, avait l’immunité. Une 
injection sous-cutanée d’une forte dose de sang infecté ne l'a pas 
rendue malade. 

Nous avons donc modifié les conditions d'expériences de la 
façon suivante : 

1° Une poule neuve n° 4 a été placée dans le seau 1 avec 
des argas infectés, pendant la nuit seulement. De plus, pour éviter 
toute contamination par le tube digestif, si elle mangeait des 
argas, elle a été munie d’une muselière en fil de fer qui l’'empè- | 
chait totalement d'ouvrir le bec. Pendant le jour elle était isolée 
dans une cage séparée ; 

2° Une poule neuve n° 5 a été mise, muselée, dans le seau 2 
avec des argas non infectés et une poule malade. Comme la 
poule n° 4, elle ne restait dans le cristallisoir que la nuit, et était 
isolée dans une cage séparée pendant le jour : 


ART AT TE RE 


Lane 


LA SPIRILLOSE DES POULES, 919 


3° Dans une caisse en bois, séparée en 2 compartiments par 
une toile métallique à larges mailles, nous avons mis d’un côté 
une poule neuve n° 6, de l’autre une poule infectée ; 

4° À une poule neuve n° 7, nous avons fait manger du coton 
imbibé de sang infecté ; 

5° Une poule neuve n° 8 a mangé des déjections fraiches 
d’une poule malade. 

Les résultats ont été les suivants : 

La poule 4 et la poule 5 ont pris la spirillose en 7 jours. La 
poule 7 l’a prise en 4 jours, la poule 8 en 5 jours. La poule 6 
n’a pas été malade en 15 jours; cependant elle était sensible, 
puisqu'une injection virulente l’a rendue malade en 2 jours. 

Cette expérience a été renouvelée plusieurs fois avec le même 
résultat. 

Les argas sont donc bien capables de transmettre la spirillose, 
et ce sont eux qui dans l'infection naturelle la transmettent 
toujours, car on ne peut supposer que des spirilles qui se con- 
servent si peu de temps, en dehors de l’organisme, soient faci- 
lement transmis avec les déjections des poules malades. 

D'autre part, dans un poulailler de dimensions assez grandes, 
les poules malades peuvent s’isoler sans être les victimes des 
poules saines, 

Peudant combien de temps les argas sont-ils capables de 
conserver leur pouvoir infectant ? C’est une question qu’il nous 
est encore impossible de trancher. nous pouvons seulement dire 
qu'une série d'argas a pu infecter une poule neuve 5 mois après 
avoir piqué une poule malade. L'avenir nous permettra de dire 
s'ils sont capables de conserver les spirilles ou leurs germes 
pendant plus de temps encore. 

Nous avons pu nous assurer qu'ils transmettent la spirillose 
plus sûrement et plus sévèrement que l’inoculation artificielle. 
Cesacariens, en effet, peuvent infecter le pigeon que nous n'avons 
pu rendre malade par inoculation. Deux pigeons exposés à leur 
piqüre ont ainsi présenté des spirilles dans le sang au bout de 
7 jours et sont morts des suites de la maladie. 

Depuis longtemps on pense que la punaise transmet la fièvre 
récurrente; on sait, en effet, que le spirille d'Obermeyer se 
conserve pendant plus de 100 jours dans le tube digestif de cet 
insecte. Il serait intéressant de vérifier si dans les pays où 


580 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


existe l’Argas Persicus, cet acarien, qui passe pour être si dan- 
gereux quand il pique les enfants et les étrangers, n’est pas, lui 
aussi, un agent de transport pour la fièvre récurrente. 


CONCLUSIONS 


1° La maladie que nous avons observée à Rio de Janeiro sur 
les poules est causée par un spirille: 

20 La maladie est transmissible par inoculation de sang 
infecté ; 

3° Elle l’est aussi par le tube digestif quand on fait manger 
du sang chargé de spirilles ou des déjections de poules malades; 

4° Dans l'infection naturelle, ce sont les argas qui transmet- 
tent la maladie. Ils conservent le virus ; 

5° En dehors del'organisme, dans le sang, Le suc des organes 
et les déjections, les spirilles ont perdu toute virulence au bout 
de 48 heures; 

6° La vaccination, toujours, à coup sûr, conférée par une 
première atteinte, peut être obtenue par injection de sang et de 
sérum virulent conservés de 48 heures à 4 jours ou chauffés 
à 550 de 5 à 10 minutes, par le sérum de poule malade, frai- 
chement recueilli et filtré sur Berkefeld ; 

7° Le sérum des animaux guéris d’une première atteinte 
possède des propriétés nettement préventives ; 

8° In vitro, le même sérum a une action agglutinante et 
immobilisante très marquée. 


Les RE Di es 


…. 


Enploi de La bombe calrimétrique de M. Berthelot 


pour démonrer l'existence de l'arsenic dans l'organisme, 


Par M. GABRIEL BERTRAND. 


Dans un mémoire paru 1l y a peu de temps!, j'ai réussi à ex- 
pliquer les contradictions qui se sont élevées entre les chimistes, 
nombreux et habiles, qui se sont occupés de la question de l’ar- 
senic normal, et j'ai montré que, jusque-là, aucune de leurs 
expériences, du moins sous la forme où elles ont été publiées, 
ne fournissait de preuves définitives, ni de l’absence, ni de 
l'existence de ce métalloïde chez les animaux et les plantes. 

Les quantités d’arsenic qui existent à l’état normal dans les 
tissus sont, en général, trop petites pour qu’on ait pu les décou- 
vrir avec les méthodes alors en usage. Par contre, on ne con- 
naissait pas les procédés de purification des réactifs que j'ai 
ndiqués, et,inconsciemment, on introduisait toujours des traces 
d’arsenic au cours des expériences. 

Si on opérait, par exemple, sur un organe facile à détruire, 
muscle, foie, sang, etc., on employait peu de réactifs et l’arsenic 
introduit, joint à l’arsenic normal, pouvait être en quantité 
trop faible pour êtrereconnaissable : on concluaitalors à l'absence 
de l’arsenic. Si au contraire, on examinait un organe résistant 
beaucoup à la destruction, tel que la glande thyroïde, on était 
oblisé de prendre une plus forte quantité de réactifs ; l'impureté 
s'accumulait dans le résidu de l'attaque, et il arrivait un moment 
où, le degré de sensibilité de la méthode de recherche étant 
atteint, on voyait apparaître de l’arsenic. Celui-ci était déclaré 
normal, bien qu’il ne représentàt, en général, qu’une partie du 
métalloïde apporté par les réactifs. 

Naturellement, plus la destruction avait été difficile, plus on 
trouvait de métalloïde; les résultats quantitatifs eux-mêmes 
dépendaientheaucoup plus des conditions expérimentales que de 
l'existence possible de l’arsenic dans les tissus examinés, 

1. Sur la recherche et sur la preuve de l'existence de l’arsenic chez les animaux, 
Annales de chimie et de physique, T°scrie, t. XXVIIT, p. 242-275, 1905, 


582 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


C'est en perfectionnant la méthode classique de Marsh, au 
point de pouvoir déceler aisément un demi-millième de milhi- 
gramme d'arsenic, et en trouvant des procédés de purification 
des réactifs qui permissent d'utiliser, avec certitude, une 
méthode aussi sensible, que j'ai rendu possible une bonne 
démonstration de l'existence normale de l’arsenic dans l’orga- 
nisme. 

D'assez nombreuses expériences, sur des matériaux bien 
choisis, m'ont alors obligé d’admettre que larsenic 
existe vraiment à l’état normal chez les animaux et les 
plantes, et qu'il se rencontre, sans doute au même titre que 
l’azote, le soufre et la phosphore, dans tous les tissus de l’orga- 
nisme!’. D’après ces expériences, les poils, les ongles, les cor- 
nes et, en général, les tissus kératiniques sont les plus riches 
de tous; la glande thyroïde, contrairement aux résultats obtenus 
par M. Arm. Gautier, est parmi les plus pauvres. 

Néanmoins, j'ai cru nécessaire de trouver une méthode de 
démonstration plus précise encore que celle dont je me suis 
servi. Or, toutes les difficultés actuelles résident dans la des- 
truction, d'ailleurs incomplète, des matières organiques, des- 
truction qui entraîne l'emploi de quantités notables d'acides 
sulfurique et nitrique, puis de gaz sulfureux, d'hydrogène sul- 
furé,d’ammoniaque, sans compter l'usage d'objets en verre, de 
papier à filtrer, etc. J'ai pensé qu’on arriverait peut-être au but 
désiré en brülant, d’une manière intégrale, la substance orga- 
nique sèche dans un vase clos, tout en platine, en présence 
d'oxygène pur. 

M. Berthelot avait déjà proposé, et mis en pratique, l'emploi 
de sa bombe calorimétrique pour le dosage des divers corps 
simples contenus dans les composés organiques *, et M. A. Va- 
leur avait utilisé cette méthode, légèrement modifiée, pour la 
détermination quantitative du chlore, du brome et de l’iode dans 
les mêmes composés *. 

J'ai essayé si des organes secs, d’origine animale ou végétale 
subiraient, malgré leur structure et leur richesse en sels alca- 
lins, une combustion aussi complète que des composés organi- 


A. Bulletin de la Soc. chim. 3° série, p.1233-1236 (1902), ct Annales de l'Inst. 
Pasteur, t. XVII, p. 1-10 (1903). 

2. Comnies rendus, Ac. d. Sc., t. CXXIX, p. 1002-1005, 1899. 

3. Comptes rendus, Ac. d. Sc., t. CXXIX, p. 1265-1266, 1899, 


CAR te 


CLR TT UE 


NOUVEAU MOYEN DE DÉCELER L’ARSENIC. D83 


ques définis, et si, après cette combustion, on retrouverait les 
traces d’arsenic qui pouvaient y être contenues. Le succès de 
mes expériences a été si complet’ que je considère aujourd’hui 
l'emploi de la bombe de M. Berthelot comme absolument indiqué 
dans tous les cas où il s’agira de la recherche et du dosage de 
très petites quantités d’un élément quelconque contenu dans un 
organe. 

L’allumage de la substance ne peut être fait à l’aide du fil de 
fer, à cause de l’arsenic qui est toujours présent dans ce métal. 
Il faut employer un fil de platine, fil dans la boucle duquel on 
place, suivant un artifice déjà indiqué par M. Berthelot, une 
petite mèche de fulmicoton. Mais ici, une précaution s'impose: 
celle d'employer du fulmicoton préparé avec des acides absolu- 
ment purs. Le fulmicoton ordinaire renferme des traces appré- 
ciables d’arsenic. 

La capsule, dans laquelle je place la substance divisée en 
petits morceaux et desséchée, est assez grande et tout à fait 
plate; son diamètre atteint 40 millimètres et sa profondeur seu- 
lement 5 millimètres. 

La pression de l’oxygène, préparé par électrolyse de l’eau 
en présence de soude, n’a pas besoin d’être aussi grande que 
dans les déterminations calorimétriques. Peu importe, en effet, 
qu'il reste une certaine quantité d'oxyde de carbone dans la 
bombe : il suffit que la matière organique disparaisse entière- 
ment à l’état gazeux. 

Après la combustion et le refroidissement, on attend encore 
quelques minutes, afin que les dernières particules, solides ou 
liquides, en suspension dans l'atmosphère de la bombe soient 
tout à fait déposées. S'il est nécessaire, on accumule dans la 
bombe le produit de plusieurs combustions. 

Lorsque celles-ci sont terminées, on transvase le contenu de 
la bombe dans une capsule de porcelaine, en se servant d’une 
pipette. On rince avec un peu d’eau, qu’on joint au liquide priuci- 
pal, eton évapore à sec au bain-marie, pour chasser l’acide azo- 
tique dû à la combustion partielle de l’azote ?. Le liquide contenu 

1. Ces expériences ont été exécutées dans le laboratoire de chimie agricole 
de Meudon, grâce à l’obligeance de M. Berthelot. 


2. Les tissus organiques renfermant des chlorures, il se fait un peu d’eau 


régale : si on évaporait dans une capsule de platine, celle-ci serait attaquée. 
Pour la même raison, on peut craindre la perte d’une petite partie de l’arsenic 


D84 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dans la bombe est toujours acide, même quand on opère sur 
des tissus qui, brûlés à l'air, donneraient des cendres fortement 
alcalines, par exemple le blanc d'œuf. Il s’ensuit que le résidu 
de l’évaporation contient généralement des nitrates. On le 
reprend par quelques gouttes d'acide sulfurique pur; on évapore 
de nouveau, avec précaution, jusqu’à production de fumées 
blanches; enfin, après refroidissement, on ajoute un peu d’eau 
distillée et on introduit directement la solution dans l'appareil de 
Marsb. 

Après chaque opération, la bombe est lavée à l'acide azotique 
chaud, puis à l’eau distillée. 

Dans les expériences que j’ai faites, je me suis toujours 
assuré, avant d'examiner une nouvelle substance, de la propreté 
absolue de la bombe, en effectuant une combustion d’essai avec 
du camphre. Je dois dire qu'aucune de ces combustions d’essai 
n'a jamais donné la plus petite trace d’arsenic. 

Voici maintemant le détail d’une série caractéristique de ces 
expériences. 

A. Expériences de contrôle. 


1° Camphre. On brûle, en 3 fois, sous 30 atmosphères 
d'oxygène, un poids total de 3‘",70 de camphre ; 

2° Saccharose. On brûle, en 2 fois, sous 30 atmosphères de 
pression, 3,04 de saccharose cristallisé dans l'alcool. 

Résultat : Absence complète d’arsenie ; 

3° Sucre ordinaire. On brûle, en 2 fois, sous 30 atmosphères, 
2er,50 de sucre ordinaire du commerce. 

Résultat : trace arsenicale à peine visible, seulement sur un 
fond noir. 

B. Limite de sensibilité. 


1° On brüle en une seule fois, sous 30 atmosphères, 15,05 
de saccharose pur, additionné de 0", 001 d’arsenic. On avait 


à l'état de chlorure, au cours de l’évaporation. Si on voulait faire un dosage 
précis, il faudrait donc, au lieu d’évaporer, traiter la solution acide par l'hydrogène 
sulfuré. Pour le moment, je préfère suivre une technique plus simple, car jai 
surtout en vue une démonstration d’ordre qualitatif. Les résultats qu’elle donne 
ne sont que plus probants. 

4, Avec les modifications que je lui ai fait subir, la méthode de Marsh donne 
un anneau, et un anneau très net, avec un demi-millième de milligramme d’arsenic; 
mais ce n’est pas là sa limite de sensibilité : on perçoit encore un enduit faible, 
grisâtre, plus visible sur un fond noir que sur un fond blanc, avec des quantités 
moindres, peut-être {je de millième de milligramme. 


RES 
Ë 


NOUVEAU MOYEN DE DÉCELER L’ARSENIC 83 


préparé une solution d’arséniate de sodium dont 2 goultes, 
versées avec une pipette contrôlée à la balance, contenaient 
exactement le poids de métalloïde indiqué. Ces 2 gouttes 
avaient été évaporées, l’une après l’autre, sur le bloc de sucre. 

Résultat : anneau très net, voisin d’un 1/1000° de ‘milli- 
gramme ; 

2° On brüle un bloc de camphre pesant 1#,28, dans use 
cupule dans laquelle on a évaporé 1 goutte de la solution titrée 
d'arséniate de sodium correspondant à 0#,0005 d’arsenic. Pres- 
sion : 30 atmosphères. 

Résultat : anneau net voisin de 1/2 millième de milli- 
gramme. 

Ainsi, on ne trouve pas trace d’arsenic quand on brüle une 
substance organique pure; on peut retrouver nettement une 
quantité d’arsenic aussi petite que 1/2 millième de milli- 
gramme, quand on l’ajoute préalablement à cette même matière 
urganiquet. 

C. Arsenic normal. 

1° Écaille de tortue de mer. La mème qui a servi dans mes 
recherches antérieures. Elle provenait d’un animal capturé au 
cours d’une croisière scientifique organisée par S. A.S. le 
prince de Monaco, et présentait, au point de vue qui nous occupe, 
toutes les garanties”. 

On a brülé, en trois fois, 5,29 de cette écaille. Pression de 
l'oxygène : 30 atmosphères. 

Résultat : anneau très net, d'environ 0"2,0015; 

2 Éponge. Provenait aussi de la même croisière. On en à 
brûlé, en trois fois, 4%,80. Même pression de l’oxygène. 

Résultat : anneau très net, d'environ 0®£",0015 ; 

3° Peau de germon. Toujours de la même origine. Le poids de 
matière brûlée, en trois fois, a atteint 6 grammes; 

Résultat : Bel anneau de 0"#",002 environ; 

4° Blanc d'œuf. Les œufs avaient été achetés à Paris et 
les blancs séchés à froid, dans le vide, sur l'acide sulfurique. 
On a fait deux expériences : la première, sur 4#,97, en trois 
combustions, er la seconde, sur 5,18. aussi en trois com- 


bustions. 


4. La bombe en platine donne seule des résultats exacts; avec les bombts 
émaillées, on introduit toujours des traces d’arsenic, 
2. Voir le mémoire des Ann. de l’Inst. Pasteur, t. XVI, p, 1-10, 1905, 


38 


286 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Résultats : La première expérience a donné un anneau 
faible, mais très net, de 0®:,0065 environ; on n’a rien obtenu 
dans la seconde. 

5° Glande thyroïde. Une glande thyroïde, provenant d’une 
génisse de 48 mois élevée à l’École d’Alfort dans des conditions 
de garantie complète !et pesant 1,79 après dessiccation, a été 
brûlée, en une seule fois, sous 25 atmosphères de pression. 

Résultat : trace arsenicale presque invisible, perceptible 
seulement sur un fond noir. 

Ainsi, après destruction à la bombe, et grâce à la méthode 
extraordinairement sensible de recherches que j'ai décrite, 
quelques grammes de tissu animal suffisent à donner des an- 
neaux d’arsenic très nets. Les tissus de nature kératinique, 
comme l’écaille de tortue, l’éponge* ou la peau de germon 
donnent facilement des résultats mesurables : les autres, comme 
le blanc d’œuf et la glande thyroïde, donnent les anneaux les 
plus faibles. 

Ces résultats, d’une méthode très simple et très précise, véri- 
fient ceux que j'avais déjà publiés et lèvent tous les doutes con- 
cernant l’existence normale de l’arsenic dans l’organisme. 

1. La même génisse dans les organes (foie, peau, cornes, poils, ongles) de 
laquelle j'avais déjà reconnu lexistence de larsenic, Ann. Inst. Pasteur. 
t: XVI, p. 553-561, 1902. 


2. La recherche de lParsenic dans l'écaille de tortue et dans l'éponge a été faite 
deux fois avec des résultats identiques, 


SUR LA PRODUCTION DE LA MANNITE 


par les ferments des maladies des vins, 


Par MM. P. MAZÉ et A. PERRIER. 


Les vins, on le sait, sont suceptibles d’être envahis par un 
srand nombre de ferments de maladies. C’est le sort réservé, 
le plus souvent, aux vins médiocres, ou bien à ceux qui ont 
subi une fermentation défectueuse, Les espèces bactériennes 
capables de se développer dans ces vins sont très faciles à 
obtenir à l’état de pureté; ce sont pour la plupart des bactéries 
communes apportées par la terre qui souille les raisins, ou 
répandues à la surface des récipients mal nettoyés dans lesquels 
on recoit le vin. 

Les produits de bons crus, capables, en apparence, de se 
conserver longtemps, ne sont pas toujours, non plus, à l’abri 
des invasions microbiennes. Ils peuvent « tourner » comme les 
vins médiocres, ou bien prendre de « l’amertume » après un 
certain nombre d'années de bouteille. 

Les ferments qui provoquent l'altération de ces vins ont 
fait l’objet d'un grand nombre d’études; ils ont été très bien 
observés et décrits par Pasteur; mais jusqu'ici on ne les a pas 
cultivés à l’état de pureté. 

L'un de nous a eu l’occasion, grâce à l’obligeance de 
M. Viala, notre ancien maître à l'Institut agronomique, de 
cultiver et d'isoler les microbes des vins tournés, amers et 
ilants. 

Tous présentent, Je les milieux artificiels, des caractères 
qui rappellent assez exactement ceux qu Hs possèdent dans les 
Vins. 

Tous, aussi, produisent de la mannite en présence de lévu- 
lose ; un seul, un coccus à grains inégaux réunis le plus sou- 
vent en groupe de deux ou de quatre, isolé d’un vin de Cham- 
pagne, ne donne pas naissance à ce composé. 

La propriété si répandue dans ce groupe de microbes, de 


588 ANNALES DE L'INSTITUT PASLEUR 


produire de la mannite, nous a conduits à étudier sa formation. 

Nous nous sommes servis, dans toutes les expériences que 
nous allons décrire, de bouillon de haricots sucré: tous ces fer- 
ments se développent très bien dans ce milieu, qui a d’ailleurs 
servi à les isoler. Coinme espèce microbienne, nous avons 
accordé la préférence à un ferment isolé d’un vin tourné, qui 
s’est montré supérieur aux autres comme producteur de man- 
nite. Chaque culture comprenait 1200 c.c. de bouillon neutre et 
sans carbonate de calcium, placés dans des ballons de 2 à 3 litres, 
capables de résister au vide; les ballons étaient munis de tubes 
manométriques capillaires de 1 mètre de hauteur, adaptés par un 
bouchon en caoutchouc à un petit réservoir en verre plein de 
mercure ; celui-ci était muni d’un tube latéral recourbé en tube 
de dégagement, de façon à permettre au besoin de recueillir les 
gaz sous le mercure. 

Tous les joints étaient noyés sous le mercure. 

Chaque culture recevait 2 c.c. de semence, empruntée à une 
culture en pleine activité ; on faisait alors le vide aussi complet 
que possible, à la température de 30°, par la pompe à mercure, 
et on exposait les ballons à la température de 30° pendant 
toute la durée de l'expérience. 

Le bouillon de haricots renferme normalement un peu de 
sucre ; la semence en apporte également de petites quantités ; 
on en à tenu compte dans le bilan du sucre. 

Le tableau I donne les résultats de 2 cultures, faites 
simultanément avec le même bouillon ; l'une avait reçu 3 0/0 de 
glucose, l’autre 2,5 0/0 de lévulose. 

TABLEAU I. 


Résultats rapportés à 


Résultats enregistrés 
Fe 100 gr. de sucre disparu. 


— - EE — 
Glucose. Lévulose. Glucose, Lévulose, 

gr. gr. gr. gr. 

DUCTE JISPAPU 7,316 24,109 100, 100, 
Acide carbonique... 1,887 2,856 25,800 10,727 
Alcool éthylique...... 1.450 0,719 49,820 2,902 
Acide acétique........ 0.605 3.271 8.268 13,210 
Acide lactique... 2,944 4,063. 40,250 14,410 
Mamie, SANTO » 13.680 0,000 55,252 
Poids des microbes... 0,462 0,495 6,315 2,001 

Durée des cultures... 22 jours. 16 jours. 

mnt | 


Totaux... 100,453 100,502 


MANNITE DANS LES VINS. 89 


Les chiffres inscrits dans ce tableau prouvent que l'on se 
trouve en présence de trois fermentations: une fermentation 
alcoolique, une fermentation acétique et une fermentation lac- 
tique; un quatrième produit apparait en présence de lévulose, 
c'est la mannite. 

On aurait pu s'attendre à voir figurer parmi eux la glycérine 
et l'acide succinique, qui sont les compagnons habituels de 
l'alcool ; mais nous n’avons pu réussir à les caractériser d’une 
façon indiscutable, bien que nous ayons multiplié les procédés 
d'analyse et les opérations, que l’on a fait porter jusque sur 
500 c. e. de liquide de culture. D'ailleurs, si on considère les deux 
dernières colonnes du tableau, on voit que l’on retrouve tout le 
sucre disparu ; ce n’est pas une preuve qu’il n'y ait pas de 
slycérine et d'acide succinique: c’est un argument sérieux qui 
permet d'affirmer qu'il n’y en a que des traces tout au plus. 

Les produits des fermentations, augmentés du poids des 
microbes, se totalisent avec un léger excédent sur le sucre trans- 
formé. Cela s'explique tout naturellement si l’on veut bien se 
rappeler que la part des matières azotées dans l’alimentation 
du ferment est loin d’être négligeable. 

Tous ces composés, à part la mannite, sont faciles à caracté- 
riser et à doser d’une façon suffisamment précise, car l'absence 
de réaction initiale et l’omission de carbonate de calcium, 
conditions voulues, éloignent complètement toutes substances 
étrangères aux transformation dues au microbe. 

L’acide carbonique a été mesuré dans un volumètre Schlæsing 
de 1949,5 ©. c. de capacité à 15°; c’est le seul produit gazeux 
mis en liberté par la culture. L’extraction a été faite au moyen 
de la pompe à mercure. 

Cette opération, quand elle est poussée aussi loin que pos- 
sible, provoque une distillation qui entraîne les composés 
volatils, On les recueille par un lavage, à l’eau distillée, de la 
canalisation en verre sur le parcours de laquelle se produit la 
condensation. On distille avec cette eau les tampons de coton 
humectés, et le liquide recueilli est réuni à celui de la culture, 
qu'on ramène à un volume fixe : 1,250 €. c. 

L'alcool à été évalué au moyen du compte-gouttes Duclaux. 
Pour cela, on distillait 300 à 500 ce. c. de liquide de culture dans 
un réfrigérant ascendant de Schlæsing, après neutralisation 


590 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


préalable, et on recueillait 25 ou 50 e. c. de liquide, en s’assu- 
rant, par la réaction du bichromate de potassium, qu’il ne pas- 
sait plus d'alcool à la fin de la distillation. On avait ainsi une 
liqueur alcoolique dont la richesse dépassait toujours 1 0/0 d’al- 
cool en volume, susceptible par conséquent d’être dosée avec 
une approximation suflisante au compte-gouttes. 

L’acide acétique se déterminait par le procédé des distilla- 
tions fractionnées; on a constaté qu’il était toujours pur de tout 
mélange avec d’autres acides volatils ; pour se mettre à l’abri des 
perturbations introduites, surtout dans la 10° prise, par la pré- 
sence d’une quantité sensible d'extraits. on distillait d’abord 
220 c. c., préalablement privés d'alcool, à 160 c. c., dans un 
ballon de 500 e. c.,et sur les 160 c. c. recueillis, on prélevait 
110 c. c. qu’on redistillait dans un ballon de 250 c. c.; on obte- 
nait ainsi des chiffres qui présentaient une concordance très 
satisfaisante avec ceux qui correspondent à l’acide acétique. 

L'absence d'acide succinique ayant été constatée, toute l’aci- 
dité fixe est due à l’acide lactique, caractérisé par la forme des 
cristaux de lactate de zinc et par la production d’aldéhyde en 
présence de bioxyde de plomb (réaction de Denigès). 

La mannite a été dosée par le procédé Müller, après élimi- 
nation préalable du sucre restant, par fermentation et défécation 
au sous-acétate de plomb, suivie d’un traitement à l'hydrogène 
sulfuré. 

L’anhydride carbonique provient de la fermentation alcoo- 
lique; si on calcule le rapport _. , on trouve 0,76, chiffre infé- 
rieur à 1,04 prévu par la théorie; il y a done une autre 
source de gaz carbonique, ou bien de Palcool a disparu dans des 
transformations ultérieures. 

L'’acide lactique est fourni év demment par la diastase 
lactique récemment mise en évidence par MM. Buchner et 
Meisenheimer; il se forme aux dépens du sucre suivant 
l'équation (1) : 


C6H1206 = 3C#H603 (4). 
On peut également assigner à l’acide acétique une origine 
diastasique; cette diastase, connue seulement par son mode 


d'action, produirait la dislocation suivante de la molécule de 
sucre (2) : 
CSH1206 = 3C2H402 (2). 
Mais on sait que l’acide acétique des fermentations se produit 


MANNITE DANS LES VINS. 91 


suivant un autre processus en présence de l'air; 1l dérive de 
l'alcool par voie d’oxydation, conformément à la réaction repré- 
sentée par l’équaiiou (3) : 

C2H60 + 02 = C2H40? + H20 (3). 


Il n’est pas douteux, cependant, que cette interprétation doit 
être écartée, puisque le ferment ne dispose pas d’oxygène libre; 
mais en raison mème du déficit d'alcool signalé plus haut, ce 
processus mérite d’être examiné attentivement, sous réserve d’une 
adaptation aux conditions de l'expérience, 

Les ferments anaérobies empruntent généralement à l’eau 
l'oxygène dont ils ont besoin, indépendamment de celui que leur 
apportent les autres substances alimentaires qui leur sont offertes. 

L'équation (4) est donc vraisemblable : 

C2H60 + H20 = C2H402 + 2H2 (4). 

Ou bien encore celle-ci : 

L CSHL205 + 220 — 2C2H402 + 4H2 + 2C0? (5). 

Mais 1] n’y a pas d'hydrogène libre dans les produits gazeux 
de la fermentation; nous allons voir cet hydrogène se fixer sur 
le lévulose pour former la mannite. 

La formation de ce corps est accompagnée de variations im- 
portantes dans l’alcool et l'acide acétique, si on met les quantités 
obtenues en regard de celles qui ont été fournies par le milieu 
glucosé. D'un autre côté, l'excédent d’anhydrique carbonique 
sur l'alcool est tellement élevé qu’il faut admettre une transfor- 
mation active de l'alcool à mesure qu'ilse produit. Sinous repre- 
nons l'équation (#) et si nous admettons que l'hydrogène libéré se 
porte sur le lévulose pour en faire de la mannite, nous aurons 
immédiatement l’origine des modifications introduites dans la 
fermentation par la présence du lévulose. L’équation (4) ainsi 
remaniée devient : 

C2H60 + 2C6H206  H20 = C?H402 + 2C5H406 (6). 

Il n'y a plus dans ces conditions d'hydrogène libre; voyons 
done, si les faits justifient cette interprétation. 

Comme on le voit. elle conduit à regarder la mannite comme 
le produit d’une réaction dont le but serait surtout de former de 
l'acide acélique aux dépens de l’alcool; nous pouvons donc en 
vertu de celte équation, et connaissant la quantité de mannite 
fournie par la culture. déterminer la quantité d'alcool primiti- 


D92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


vement formée, et aussi l’acide acétique dérivantdu suere suivant 
l'équation (2). Nous obtiendrons ainsi des chiffres qui, rapportés 
au sucre consommé déduction faite de la mannite, nous four- 
niront des résultats comparables à ceux que nous avons obte- 
nus avec le glucose, si toutefois l'équation (6) traduit fidèlement 
les faits. 

Il s’est formé 13,680 grammes de mannite; on en déduit, 
par le calcul, que 1,7304*. d'alcool ont été oxydés pour 
produire 2,257#, d'acide acétique; le ferment a done fourni 
en tout 1,7304 + 0,7185 — 2,449 #. d'alcool ; 3,2708 — 2.267 
=1,0138 #. d'acide acétique se sont formés directement par 
dislocation du lévulose suivant l'équation (2), comme on le 
verra plus loin. 

En rectifiant de cette manière les chiffres de la colonne 2, 
tableau |, on obtient les résultats suivants : 


TagLeau Il. 
Sucre consominé : 24,7589 — 13,6500 — 11.07S9 grammes. 
COTE TATÉ APPEL RENE APTE 2,855 — 
ADO IEEE RO ARUE RE re EE 2 44) — 
AGICLE ALCDLL QUE» RAT EE ee CEE 1.0135 — 
ACTE ACQUÉREURS En k,063 _ 
POSTES NICOLE RER EM ER EEE 0,495 — 


Pour faciliter les comparaisons, il suffit de ramener à 100 de 
sucre disparu les chiffres précédents et de placer en regard les 
chiffres fournis par la culture en milieu glucosé, tableau IH. 


TagLeau III. 


Glucose. Lévulose. 
SUCLCACONEDININE RE ee CE EU TRS 100 400 
COTETTOC ATEN PARA SRE 25,80) 25,178 
AICOOLMSTR r RP GRTE AN Pat ee 0 Dr 19,520 99 10% 
ACTE ACC TUE SERRES TER re EPA E 8.268 9,150 
AIGLE Ma CHITE ET EEE NN PANNE 40,250 36,672 
POTAS TES MNELO DCS ARE ren 6,315 4,472 


On voit ainsi que les chiffres ne sont pas identiques; mais ils 
sont de mêmeordre de grandeur et seconfondent, en somme,dans 
la limite des variations dues à la différence de durée des cultures. 
Cette concordance justifie l'équation (6) et confirme l'opinion 
formulée au sujet de la manaite, à savoir qu'elle constitue une 
substance accessoire dans une action microbienne dont le terme 
principal est l’acide acétique. Il y a donc là un mode de formalion 
de l'acide acétique par voie d’oxydation en vie anaérobie, qui 


MANNITE DANS LES VINS. 593 


est lié à la présence du lévulose libre, et la fermentation traduite 
par l'équation {5) correspond à une propriété physiologique du 
microbe qui ne se manifeste pas en présence du glucose. 


Nous avons cultivé notre ferment en présence de sucre Imter- 
verti à la concentration de 5 0/0. Voici les résultats observés. 


TaBLeau IV. 


Culture n° 1. Culture n° 2. 
Durée de l'expérience 2: +. 135 jours. 18 jours. 
COMACTAMMENM Le AL Ne 3,980 gramines. 3,106 grammes. 
ATOON RARES D SR v Let 1.635 — 1,465 — 
AGITEr ACC TUE 2,815 — 3.990 — 
ACIAEMACTIQUEMEL EURE 3.053 — 3,706 = 
MONDES ARE RER CR PAL 8,446 — 9,766 — 
Poids des microbes.....1..... 0,911 — 1.007 — 


Ce que nous avons dit précédemmentnousdispense ici de tout 
commentaire ; la mannite se formé en abondance, en raison de 
la présence de lévulose libre: son apparition se signale encore 
par des variations dans les rapports de l’anhvydride carbonique, 
de l’alcoolet de lacide acétique ; ces résultats ne présentent rien 
d'imprévu. 

Le mécanisme de la formation de la mannite, tel que nous 
l'avons admis, diffère de celui qui a été établi par M. Monoyer' et 
par MM. Gayon et Dubourg”*. 

Ces savants ont admis en effet, que l’oxygène de l’eau brûle 
une molécule de sucre, pendant que l'hydrogène libéré forme de 
la mannite aux dépens du lévulose conformément à l’équation : 


13 C£H1205  GH20 — 12 CHH1406 + 6 CO? (7). 

L'équation (6) ne se prête pas à une comparaison immédiate 
avec cette formule; mais on peut la transformer en remontant 
de l'alcool au sucre etla mettre sur la forme : 


5 C6H206 + 2 H20 — 2 C2Hi02 + 4 CEHIO6 H 2 CO. 
En multipliant les deux membres par 3 nous obtenons l'équa- 
tion (8) plus facile à comparer à(7). 
15 CSH1206 6 H20 = 6 C0? + 12 CSHL406 + 6 CG? (8). 


L. Cité par M. OEchsner de Conink, Chimie organique. 
2, Ces. Annales,:t. XN, p. 527. 


294 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 
En retranchant de (8) l'égalité suivante 
2 CSH1206— 6 C2H4O2. 


On retombe sur (7). 

Une identification faite de cette manière entraine comme 
conséquence une modification des propriétés physiologiques 
que le ferment manifeste en présence du glucose. 

La décomposition de ce sucre fournit beaucoup d'alcool et 
peu d'acide acétique; avec le lévulose, c'est au contraire l'alcool 
qui est rare et l’acide acétique abondant; nous avons montré 
l’origine de cette contradiction apparente, et nous avons admis 
que le lévulose se disloque comme le glucose, en fournissant les 
mêmes produits et dans les mêmes proportions : ou, en d’autres 
termes, dans un même milieu, que ce soit en présence de glu- 
cose ou de lévulose, les quantités de diastases capables de s’atta- 
quer directement aux sucres, mesurées par leur activités, sont les 
mêmes; si une nouvelle transformation se produit dans les 
milieux additionnés de lévulose, c'est parce que ce sucre se prête 
plus facilement à l’hydrogénation que le glucose. 

L’acide acétique qui a sa place dans l’équation (8) a d’abord 
passé par le stade alcool; cette conclusion seule est justifiée par 
les faits, et l'identification de (7) et (8) n'est pas possible. 

Considérée au point de vue thermochimique, c’est l’'équa- 
tion (8) qui dégage le plus de chaleur; elle est par conséquent 
plus facilement réalisable ; elle est accompagnée d’une produc- 
ton de + 87%1,3, tandis que (7) absorbe + 101,5, 

On ne peut relever entre elles d’autres différences, car l’une 
et l’autre donnent naissance, pour une même quantité de mannite 
formée, à un même volume d’anhydride carbonique. 

Ce qui a conduit MM. Gayon et Dubourg à adopter la for- 
mule (7), c’est l’absence d'alcool dans leurs cultures à la fin de 
l'expérience. 

L’anhydride carbonique ne pouvait done pas être attribué à 
la fermentation alcoolique, et l'équation (7) en indiquait l’origine 
en même temps qu'elle permettait d'en prévoir le volume. Il y 
avait ainsi, comme le font remarquer MM. Gayon et Dubourg, 
substitution complète de la mannite à l'alcool, et partant, modi- 
fication profonde dans les propriétés du ferment. 

Une démarcation aussi nette entre deux ferments (celui de 


MANNITE DANS LES VINS. 299 


M. Gayonet ceiuidela tourne), qui présentent dans les milieux glu- 
cosés un parallélisme remarquable, n’est peut-être qu'apparente. 
Puisque l'alcool, terme de transition, manque dans les cultures 
faites dans le bouillon Liebig ou l’eau de levure additionnés de 
lévulose, ilsuffit de le mettre en évidence dans un bouillon mieux 
approprié pour supprimer l'obstacle qui s’oppose à leur identifi- 
cation physiologique. On peut concevoir, en effet, que l’alcoo!l 
produit se transforme intégralement en acide acétique, si les 
transformations exprimées dans léquation (8) ne sont limitées 
que par la production d'alcool, sous l'influence de la zymase. 

Nous avons donc été conduits à comparer entre eux le bouil- 
lon Liebig, l'eau de levure, et le bouillon de haricots, additionnés 
de la même quantité de sucre, au point de vue du développement 
de nos ferments ; nous avons ainsi constaté que non seulement 
toute notre collection de microbes témoigne une préférence mar- 
quée pour le bouillon de haricots, mais que le ferment de M. Gayon 
lui-même suit la même règle". 

Nous avons alors cultivé ce dernier dans les mêmes condi- 
tions que notre ferment des vins tournés; le milieu qui nous 
a servi est celui qui nous à fourni les résultats consignés au 
tableau T. Il provenait de la même préparation; il a été employé 
sous le même volume, stérilisé en même temps à l’autoclave 
ensemencé et placé en même temps à l’étuve à 30°. 

Les résultats obtenus sont réunis dans le tableau (V). 

TABLEAU V. 


k EM Résultats rapportés 
Résultats enregistrés. 
à 100 gr. dé sucre disparu, 


= D CE D TN 
Glucose 3 0/0. Lévulose 2,5 p. 0/0. Glucose. Lévulose 

gr. gr. gr. gr. 

Sucre disparu. .....… 15,110 24,379 400, 100, 
COZdégasé. "2... 3,463 2,831 26,4145 11.637 
AC OISE AE ne 3,172 0,597 24,2967 2,448 
Acide acétique........ 0,331 2,909 20172 14,932 
Acide lactique.....,... 3,539 2,964 44,2477 42-455 
LÉO SEE SE 0,000 14,880 » 61,147 
Poids des microbes... 0 ,3675 0,405 2,8032 1,661 

Durée de l'expérience. 6 jours. > jours. 

Hofaneeee 100, 1893 100,973 
1. Le ferment mannitique faisait déjà partie de notre collection; il avait été 


. isolé d’un vin blanc; mais il s’est montré moins vigoureux que celui de Gayon, 
que nous devons à l'obligeance de M. le Dr Binot, de l’Institut Pasteur; c'est avec 
ce dernier que nous avons réalisé les cultures dont nous donnons les résultats. 


395 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


L'examen de ce tableau montre que le ferment mannitique, 
cultivé en présence de lévulose dans du bouillon de haricots, pro- 
duit de l'alcool, comme le ferment de la tourne. 

L'alcool obtenu provient du lévulose, car les 1200 c. e. de 
bouillon ne renfermaient que 0,178 de sucre en dehors du 
lévulose introduit; 0,077 provenaient de la semence et 0,101 
avaient été apportés directement par le milieu. 

Dès lors, tous les produits du tableau V se prêtent aux 
mêmes interprétations que ceux du tableau [: nous ne les repro- 
dairons pas ici ; nous nous contenterons de modifier Les chiffres 
de la colonne #, en recherchant par le calcul les quantités de 
preduits formés, abstraction faite des transformations qui sont 
exprimées par l'équation (6). 

Nous avons indiqué p. 591 le procédé qui permet de faire ces 
modifications ; nous rapportons les résultats à 100 de sucre con- 
sommé, déduction faite de la mannite, et nous reproduisons, 
pour faciliter la comparaison, les chiffres fournis par la culture 
en milieu glucosé. 

Voici ce que l’on obtient : 


TaBLEau VI. 


Glucose. Lévulose. 
SuUCre CONSOMMÉ... ..... 100. grammes. 100. orammies. 
CDR DC APE DEEE DOSCIN RE 
AUCOO IPS AMENER ET. 2k,2067 — 26.183 — 
ACTE ACCUS DATE = 1,063 — 
ACITRHACUIQUE SEE CR EE k4,2477 — 91,200 — 
Poids des microbes ....... 2,8032 = 4,263 e— 


Ces chiffres sont encore de même ordre de grandeur; de 
plus, ils reproduisent assez exactement, en valeur absolue. ceux 
du tableau II. | 

Nous retrouvons en outre une particularité que nous n'avions 
pas encore signalée; la proportion d'acide acétique croît en pré- 
sence de lévulose; l'acide lactique décroit ; ce fait, sensible déjà 
dans le tableau IT, s’accentue dans le tableau VE 

Ce résultat s'explique si l’on considère que c’est l’acidité du 
milieu qui arrête le développement de la culture et les actions 
diastasiques, En présence du lévulose, il y a deux sources d'acide 
acétique dont lune, liée à la production de mannite, est relati- 
vement très active. Il en résulte que l’acidité totale qui doit 
s'élever au même taux, quel que soit le sucre offert, comprendra 


MANNITE DANS LES VINS. 597 


d'autant plus d'acide acétique et, partant, d'autant moins d'acide 
lactique que fa proportion de mannite par rapport au sucre dis- 
paru sera plus grande. 

Ainsi, la parenté physiologique du ferment de M. Gayon et 
du ferment de la tourne s'affirme jusque dans les moindres 
détails. Elle £e maintient naturellement dans les cultures faites 
en présence du sucre ivterverti. 

Les résultats consignés au tableau VIT, comparés à ceux du 
tableau IV, ne laissent aucun doute à cet égard, Le milieu de 
culture renfermait 5 0/0 de sucre interverli. 


Tagzeau VIL. 


Culture n° 1. Culture n° 2, 
(CORRE PR AR EEE > 2.204 grammes. 3,91) grammes. 
AGO O RRQ te 4,096 — 2,109 — 
ACNACTCEUTULEE PE De: 1,250 - 1.741 _ 
ACLACMACUQUE APE EE EE 4,046 — 5,250 — 
MONNIER M RER 4,120 — 6,020 == 
Poids des microbes....,..... 0,596 — 0,768 —— 
Durée des cultures.....1.... 4 jours 5 jours. 


On pourra peut-être distinguer ces deux microbes au point 
de vue physiologique, en les faisant agir sur des aliments variés ; 
le seul caractère distinctif que nous ayons enregistré. c’est la 
rapidité plus ou moins grande avec laquelle il se multiplient ; 
le ferment maunnitique est très vigoureux ; en quelques jours 
à 30° il a accompli un travail que Le ferment de la tourne ne 
réalise qu'au bout d’un temps 2 ou 3 fois plus long. 

A côté de cette différence, il y ea a une autre non moins nette, 
qui relève de leur aspect et de leur forme. En culture jeune, 
le ferment de la tourne est un bätonnet de longueur variable, 
absolument identique à celui qui a été dessiné par Pasteur: en 
vieillissant, les longs filaments sinueux augmentent beaucoup, 
surtout si la culture est anaérobie. Le ferment de M. Gayonest. 
un gros bacille, court, disposé en chaîne plus ou moins longue ; 
les éléments deviennent indépendants en vieillissant, Tous deux 
prennent le Gram.. 


RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS 


Le ferment des vins tournés étudié dans ce travail présente 
les mêmes propriétés physiologiques que le ferment mannitique 
de M. Gayon. 


98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


I sécrète de la zymase, une diastaselactique, et probablement 
une troisième diastase capable de dédoubler le sucre en trois 
molécules d'acide acétique. 

En présence de lévulose libre, il forme de la mannite: ce 
produit résulte d’une décomposition de l’eau dont les éléments 
se fixent d’une part sur l'alcool pour donner de l’acide acétique. 
et d'autre part sur le lévulose qui se transforme en mapnite. 

Voilà les différentes transformations que le ferment de la 
tourne fait subir au glucose et au lévalose ou à leurs dérivés 
immédiats; il y en a d’autres, mais elles sont beaucoup moins 
importantes que les précédentes en quantité, et elles n’influent 
pas d’une manière sensible sur la résultante des fermentations. 

La décomposition de l’eau subordonnée à la présence du 
lévulose place ce ferment, avec celui de M. Gayon, dans un 
groupe à part qui ne tardera pas sans doute à compter d’autres 
représentants; nous pouvons même affirmer dès maintenant que 
les ferments de la « graisse » et de l’amer en feront partie. 

Beaucoup de bactéries, en particulier les ferments buty- 
riques, produisént de l'hydrogène; mais le gaz mis en liberté 
en présence de lévulose ne transforme pas celui-ci en mannite; 
il est vrai que ces mêmes ferments peuvent décomposer la 
manoite; l'excédent d'hydrogène libre devrait cependant 
hydrogéner le lévulose, si bien qu’à un moment donné on pour- 
rait obtenir un mélange de mannite et de lévulose au cours de 
la fermentation. 

Nous avons cultivé un amylobacter dans une solulion de 
sucre interverti à 10 0/0 en présence de carbonate de chaux, 
dans le but de vérifier ce fait; nous n'avons jamais réussi à 
caractériser la présence de la mannite. Il y a donc chez les 
microbes une organisation qui permet la localisation des actions 
diastasiques; ils peuvent ainsi réaliser, parmi les réactions que 
la chimie prévoit, celles qui leur conviennent, et leur imprimer 
une direction déterminée, En un mot, la cellule vivante se 
présente comme un laboratoire organisé où les réactions chi- 
miques, quoique se produisant simultanément, sont indépen- 
dantes les unes des autres. 

Cette notion n’est pas neuve; mais il est bon de la rappeler 
en présence d'exemples aussi frappants que celui-ci, 


Contribution clinique à la Sérothérapie 


DENAIN: 


Par A. DUPRAT, 


Docteur en Médecine de l’Université de Paris, 


Il est trop tôt pour présenter au public médical une des- 
cription d'ensemble sur l'épidémie de peste qui règne ici, au 
Brésil, dans la ville de Rio Grande (do Sul) depuis le mois de 
décembre 1902. 

La peste, à l'heure actuelle, faisant des apparitions un peu 
partout, il m'a semblé qu’il serait d’un certain intérêt pratique 
de faire connaître les résultats que nous tirons ici d’un nouveau 
traitement de la peste, le seul d’ailleurs véritablement efficace. 
Ils se sont d'autant plus imposés à notre conviction, qu'ils se 
rapportent tous à des cas dont la gravité ne laissait aucun 
doute sur le dénouement à attendre, avec toute autre médication. 

Au début de l'épidémie qui nous occupe, les doses de sérum 
employées étaient de 60 c. c., 80 c. c., répétées ou non toutes 
les 12 ou 24 heures, suivant les circonstances. Chez les enfants, 
on employait le sérum à des doses moindres. 

Soit dans les cas suivis de décès, soit dans les cas suivis de 
guérison, l’action du sérum ne me paraissait pas suffisante, 
c'est-à-dire que les modifications apportées à l'intensité de l’in- 
fection, ou encore, au cours de la maladie, n'étaient pas de 
nature à rassurer le praticien. 

Comme :il n'existe pas d’autre traitement pour le typhus 
levantin, je tue suis proposé d'examiner si les faits que j'obser- 
vais dépendaient, ou non, des doses employées. 

Appelé en consultation auprès d'un jeune homme de 
15 ans, atteint de peste depuis 5 jours, et dont l’état était des 
plus graves, j'ai conseillé les hautes doses de sérum, en injec- 
tions sous-cutanées. Ce malade présentait plusieurs bubons; un 
à l’angle de la mâchoire, l’autre à l’aisselle gauche, et un troi- 
sième à la région inguinale droite : tous tuméfiés et douloureux, 
Le soir où nous vimes le malade, nous lui avons fait la première 
injection : sa température était de 40° : pouls 140, mou, dépres- 
sible; respiration 50 ; catarrhe bronchique, douleur intercostale 


600 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


à la base du poumon gauche, du côté externe. Langue sèche, 
rétractée, diarrhée jaunâtre, selles fréquentes, soit lejour, soit la 
nuit. Subdélire, surtout nocturne. 

Nous avons débuté par une injection de sérum Roux-Yersin 
de 180 c. c. ; 12 heures après, nouvelle injection de 120 €. c. 
et une troisième de 80 c. c. à la même distance, A partir de ce 
moment, l'infection étant dominée, nous espaçons les injections, 
qui ne sont plus que de 80 c. ce. et 60 c. c. Le malade guérit, 
ayant reçu 520 ec. c. en 5 injections, en 3 jours. Les 
bubons n'ont pas suppuré. 

Encouragés par ce résultat, le D' Euclides Miro Alves et moi, 
nous avons adopté comme règle de conduite l'emploi de 
très hautes doses de sérum. 

Chez un enfant de dix ans. nous avons fait une première 
injection de 100 c. ce, suivie d’une de 120 c. e. 12 jours après, et 
à la même distance, une autre de 80 c. c.; pour terminer, 
24 heures après, une autre de 60 ce. e. Soit, en tout, 360 c. c. 
en 48 heures. 

A la première visite, le petit malade avait une température 
de 39°8, pouls 130, dépressible, respiration fréquente, état 
d'abattement extrème. Il répondait difficilement aux questions 
que nous lui adressions. Quand il parlait, c'était pour pronon- 
cer des phrases incohérentes. De temps à autre, il était pris 
d’agitation, en proie à des hallucinations. Bubon inguinal 
gauche très douloureux, Ce malade guérit sans suppuration du 
bubon. À la convalescence il présenta un œdème des bourses. 

Le sérum provoqua chez lui des douleurs articulaires géné- 
ralisées, avec légère élévation de la température; le tout se 
dissipa en 4 jours. 

Chez un jeune soldat dont la maladie remontait déjà à 
24 heures, nous avons fait avec le D' Miro Alves une première 
injection de 300 c. €. suivie 12 heures après, d’une seconde de 
120 c. c., 24 heures après laquelle nous en fimes une autre à la 
même dose, soit 540 c. c. en 3 injections et en 4 jours. 

Ce malade guérit avec suppuration du bubon inguinal droit. 
apparue chez lui le deuxième jour de la maladie. 

Quand nous entreprimes le traitement de ce malade, son état 
était tel que le lendemain il n’avait pas conscience de l’injec-— 
tion que nous lui avions faite la veille, 


SÉROTHÉRAPIE DE LA PESTE. 601 


Le D' Ph. Caldas a soigné une enfant de neuf mois, avec des 
injections sous-cutanées, à la dose de 65 c. e. en 2 jours 1/2. 

Chez une dame de 65 ans avec bubon axillaire gauche, ce 
praticien à débuté par une injection sous-cutanée de 180 €. €, 
suivie, 12 heures après, d’une autre de 200 c. c. La malade a 
guéri. 

Chez une enfant de deux ans, présentant un bubon cervical 
droit, le D' Marciano Espindola, débuta par une injection 
de 100 c.c. qui a suffi pour assurer la guérison du petit malade, 
Ce même médecin, assisté du D' Ph. Caldas, a soigné un 
peintre, dont la maladie remontait déjà à trois jours, en débu- 
tant par une injection de 180 c. c. suivie, douze heures après, 
d'une autre de même dose ; douze heures après, le malade reçut 
une autre injection de 200 c. c. puis, douze heures après, une 
autre de 120 c. c. et enfin une dernière de 100 c. e. vingt-quatre 
heures après. Soit en tout 780 c. c. en 5 injections en 60 heures. 
L'état de ce malade était des plus graves. Qu'il me suffise de 
signaler, entre autres symptômes alarmants, celui de faire ses 
besoins dans son lit. Son bubon siégeait à la région inguinale 
gauche, et était en voie de suppuration quand nous vimes le 
malade, 

Appelé auprès d'un enfant de cinq ans, avec bubon cervical 
gauche, le D' J. Damascena de Miranda, assisté du D' Miro 
Alves, a commencé le traitement par une injection sous- 
cutanée de 100 e. c. suivie, douze heures après, d’une autre de 
50 c. c., lesquelles ont sufli pour amener la guérison. Le bubon 
n'a pas suppuré. 

Chez un de ses malades, plongé dans un profond abattement 
au point de ne pas répondre aux questions qu’on lui adres- 
sait, (température 39°.2, pouls 88) le D' Lopes Rodrigues 
débuta par une injection sous-cutanée de 200 €. c., suivie le 
lendemain d’une autre de 120 c. c. 

A la seconde visite. le malade s’est montré très étonné du trai- 
tement qu'on allait lui faire subir, et c’est seulement à ce moment 
qu'il apprit qu'ilavait déjà été injecté la veille, Ce malade n’a pas 
présenté de bubon, à proprement parler. Vers le sixième jour de 
maladie ilaccusa de vives douleursausiège d'élection des bubons, 
où on ne constatait qu'unlégerinfarctus ganglionnaire. L’observa- 
tion de ce malade est intéressante au point de vue des accidents 

39 


602 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sérothérapiques. qui ont consisté enune sorte de synovite généra- 
lisée, avec de vives douleurs et une immobilité absolue. La tem- 
pérature est montée au-dessus de 39°. Pour terminer je citerai 
le cas d’une de mes malades âgée de 50 ans, chez laquelle j'ai 
fait pour débuter une injection de 200 c. e., renforcée douze 
heures après par une autre de 60 c.c. L'état de la malade m'ins- 
pirant encore quelques inquiétudes. je lui fis de nouveau douze 
heures après une autre injection de 120 c. c. Cette malade gué- 
rit, son bubon inguinal gauche n’a pas suppuré. 

La plupart des malades ont présenté à peu près les mêmes 
symptômes. La maladie s’est déclarée le plus souvent la ruit, ou 
bien le matin, au lever. Frisson intense, céphalée violente, vo- 
missement alimentaire bilieux, accompagné d’angoisse épigas- 
trique ; langue chargée. large, rouge sur les bords. 

Chez quelques malades, on a noté, dès le début, de la diarrhée 
bilieuse, dans quelques cas, noirâtre, chez d’autres rachialgie 
intense, courbature généralisée. Yeux hagards, brillants, con- 
jonctives injectées, température le plus souvent au-dessus de 
40°. Pouls fréquent, plein et vibrant au début, mou, dépressi- 
ble, filiforme par la suite; rarement irrégulier ou intermittent. 
Tonalité du choc cardiaque amoindrie. Urine le plus souvent 
abondante, dans quelques rares cas, franchement albumineuse. 
Foie et rate augmentés de volume, surtout cette dernière. Dans 
quelques cas, peu nombreux, légère teinte sub-ictérique de la 
conjonetive. 

Chez le plus grand nombre des malades, à la période d’inva- 
sion, On remarquait une hyperesthésie marquée du revêtement 
cutané. Chez un petit nombre, par contre, l’insensibilité était telle 
que le malade se laissait piquer sans réagir. 

Réflexes patellaires le plus souvent absents. délire loquace et 
actif, subdélire. Bubon précoce ou tardif, sans rapport avec la 
gravité de la maladie, ne fourrissant par suite aucun élément 
de pronostic. Chez la plupart des malades, les bubons se sont 
résorbés, 

La suppuralion n’est survenue que dans un nombre restreint 
de cas. Le siège des bubons n’a présenté aucun rapport avec la 
gravité de l’infection. Par contre, leur multiplicité a été notée 
dans les cas les plus graves. La durée de la maladie a été, en 
moyenne, de sept jours, Quelques malades ne sont entrés en 


SÉROTHÉRAPIE DE LA PESTE, 603 


convalescence qu'une vingtaine de jours après le début du mal. 
Chez la plupart, la convalescence a coïncidé avec une diminution 
de la fréquence du pouls, qui ne battait plus que 60 à 64 fois par 
minute. Nulle part il n’y a eu de charbons pesteux. 

Les phlyctènes et les pétéchies ont été notées quelquefois ; 
dans un cas, on à vu un œdème aigu de la face, du cou 
et du bras du même côté. Tels sont les traits généraux cliniques 
de l'histoire de nos malades. C’est aujourd'hui un principe élé- 
mentaire que, dans le traitement de la peste, on doit avoir recours 
aux injections massives, de préférence aux petites injections 
souvent répétées. 

Comme le font justement remarquer Agote et Medina, on 
n'est pas encore précisément fixé sur ce que l’on doit entendre 
par injections massives ; car le quantum conseillé par les diffé- 
rents auteurs qui se sont occupés de la peste, varie de 40 €. €. 
(Calmette et Salimbeni) à 100 c. e. (Zabolotny) par injection. 

C'est à propos de l'épidémie de la ville de Porto, que Cal- 
mette et Salimbeni ont introduit dans le traitement de la peste 
la méthodedes injections intra-veineuses de sérum. En employant 
cette méthode, soit seule, soit combinée avec les injections sous- 
cutanées, ils sont arrivés à n’avoir qu’une mortalité de 14,7 0/0. 

Le docteur Pena (de Buenos-Ayres), en employant exclusive- 
ment la méthode des injections intra-veineuses, aux doses de 
60 ce. c. et 40 c. c., espacées de 12 ou de 24 heures, a obtenu le 
taux de 19, 9 0/0 de mortalité. 

Nous n'avons pas eu l’occasion d’appliquer cette méthode. 
Elle nécessite une technique et des précautions spéciales qui ne 
sont pas compatibles avec toutes les circonstances avec lesquelles 
le praticien peut se rencontrer. 

Dans son rapport à l’Académie de médecine de Paris sur 
l'épidémie de peste de la Réunion en 1901, le docteur Vassal 
fait mention de l'emploi de 440 c. c. de sérum chez une enfant 
de dix ans. Malgré ces faits, nous ne sachons pas que l'on ait 
encore érigé en méthode, le traitement de la peste par les hautes 
doses de sérum Roux-Yersin employées systématiquement. 

La statistique que voici comprend 45 cas. La mortalité 


générale a été de 20 0/0. 


rs 
ot 


Malade (rates NM Ne BR Te 
Nombre de décèg:. 2... dE AT CPE LR 


604 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Mortalité, SERIE ETS ROSE ER A TEE PR A SEE 20 0/0 
INJECTIONS INITIALES INFÉRIEURES A 100 €. c. 

Maladés: ITS RE RE PR RP RE PE 46 

Nombre dé: détés Re 2e PRESENT NE ET 5) 

MOr AIT ECS ER A Tee PE EAU 31.25 0/0 
INJEUTIONS INITIALES SUPÉRIEURES À 109 €. €, 

MAlaides AAC SR SORTE R NE 29 

Nombre de dés NN ER TE DO PAIN Re 4 

MOTEUR TE D Re CROP SRE EE 13.178 0 0 


En la décomposant en deux séries, nous avons une mortalité 
de 31,25 0/0 pour les cas traités par des injections inférieures à 
100 c. c. et une mortalité de 13, 78 0/0 pour les cas traités par 
les hautes doses de sérum d'emblée, Ce chiffre est à notre con- 
naissance le plus favorable que l’on ait atteint, dans les ditfé- 
rentes épidémies de peste de ces derniers temps. Il est vrai que. 
la première fois que le sérum Roux-VYersin a été appliqué, 
Yersin a eu une mortalité de 2 cas sur 26 malades traités, 
vais il n’a plus retrouvé un semblable résultat. Nous sommes 
convaincus que des injeclions sous-culanées initiales à des 
doses supérieures à 300 c. c. rendront de précieux services, 
dans plus d’un cas; nous nous proposons d’en observer les 
résultats aussitôt que l’occasion se présentera. Ce qui est acquis, 
c’est que ces grandes injections rendent réellement de signalés 
services, et ne sont suivies d'aucun inconvénient, général ou 
local, pour les malades, soit actuels, soit éloigués. 

Ilest même vrai de dire que les quelques accidents, impu- 
tables à la sérothérapie, qu'il nous a été donné d’observer, ont 
plutôt coïneidé avec les petites injections. A l'exemple de Denis 
et Tartakowky, nous avons fait les grandes injections dans le 
triangle de Scarpa, chez des malades présentant déjà des bubons 
dans cette région. Nous avons observé à notre tour que, dans 
ces conditions, l’action du sérum était plus marquée. Nous ne 
pouvons cependant présenter aucune conclusion définitive, étant 
donné le nombre restreint des cas de ce genre que nous 
avons vus. 

Au moyen des grandes injections sous-cutanées de sérum 
Roux-Yersin, employées dès la période d’invasion, on devient 
tout de suite maître de la situation, et le malade guérit rapide- 
ment; ou bien la maladie prend des allures d’une infection 
bénigne, facile à combattre par les moyens ordinaires. 

Les petites injections n’exercent pas d’aclion décisive sur les 


SÉROTHÉRAPIE DE LA PESTE, 605 


accidents primitifs, Comme on l’a fait, je crois, déjà remarquer, 
elles prolongent la durée de la maladie, 

Le groupe de malades soignés par les grandes injections 
sous-cutanées iniliales, comprend un ensemble de 29 cas avec 
4 décès (13, 78 0/0). 

Parmi les décès, trois se rapportent à des individus recueillis 
au Lazaret, à une période avancée de la maladie, qui remontait 
déjà de 5 à 7 jours. Le quatrième décès est celui d’un soldat 
qui mourut environ 8 heures après la première injection, 

Le fait suivant est encore à enregistrer à l’actif des avan- 
tages de la sérothérapie. 

Tandis que, dans l’entourage des malades atteints de peste, 
non traités par la sérothérapie, les cas de contagion sont fré- 
quents, nous n’en avons pas observé parmi ceux qui accom- 
pagnatent les malades traités par le sérum. 

Au Lazaret, où tous les malades sont soignés par la sérothé- 
rapie. quoique le personnel n’ait pas été immunisé, soit par la 
vacecine, soit par le sérum, on n’a eu à déplorer chez lui aucun 
cas de peste, tandis que le soldat qui était chargé de conduire 
ses camarades a fini par tomber malade, 


De l’ensemble des faits que nous avons observés, nous 
croyons pouvoir déjà tirer les conclusions suivantes : 

1° Le sérum Roux-Yersin est réellement efficace contre la 
peste, et constitue le traitement de choix; 

2° Les doses à employer dépendent, non pas de l’àge du 
sujet, mais de son degré d'infection ; 

3° Pour arriver à des résultats réellement utiles, il faut 
débuter par de très hautes doses, et ne pas hésiter à les répéter 
toutes les 12 heures, tant qu’un changement notable dans l'état 
général du malade n’est pas venu indiquer que l’on est maître 
de l'infection primitive ; 

4° La voie sous-cutanée est suffisante par elle-même, à con- 
dition que l’on débute par une injection de 200 ou 300 ce. ce. et 
même plus. 

Le sérum que nous employons est préparé à l’Institut séro- 
thérapique de Rio de Janeiro, 


Rio Grande (do Sul), 18 mai 1903. 


Les Vaccinations antirabiqnes à l'institut Pasteur de Lille. 


Par LE D' VANSTEENBERGHE, CHEF DE LABORATOIRE 


Depuis la fondation de l’Institut Pasteur de Lille, en février 
1895, jusqu’au 31 décembre 1902, 1,807 personnes ont subi le 
traitement préventif de la rage. 

De ces 1,807 personnes, 457 avaient été mordues par des ani- 
maux dont la rage a été expérimentalement constatée à l’'Ins- 
titut (catégorie A). DRE 

184 nous apportaient des certificats de vétérinaires ayant 
constaté la rage chez l’animal vivant ou après aulopsie (caté- 
gorie B). 

566 enfin avaient été mordues par des chiens fortement sus- 
pects de rage, ou qui n’ont pas été retrouvés. 

La mortalité totale a été pendant cette période de 7 années, 
de 4 personnes, soit 0,22 0/0. 

La méthode de traitement a toujours été la mème depuis le 
début. 

Nous employons le procédé de conservation des moelles rabi- 
ques dansla glycérine, procédé indiqué depuis longtemps déjà par 
M. le professeur Calmette et expérimenté par lui à Saïgon. 

Cette méthode, qui nous a donné, comme on l’a vu plus haut, 
les meilleurs résultats,est extrêmement commode dans la pra- 
tique, très économique,et répond par suite à toutesles exigences 
d’Instituts ayant à traiter un petit nombre de personne mordues. 

Il suffit en effet, pour se procurer toute la série des moelles 
atténuées, de faire des passages de virus fixe tous les 10 jours. 

Les moelles desséchées dans les flacons à potasse sont con- 
servées à l’étuve à température constante, comme d'habitude. 

A partir de la #8° heure d’étuve, on coupe des fragments de 
moelle sèche (2 ou 3 morceaux de 5 centimètres de long environ) 
que l’on immerge aussitôt dans de petits flacons bouchés à l'éméri 
et renfermant de la glycérine stérilisée. 

La virulence de ces fragments se conserve pendant un mois à 
peu près. 


INSTITUT PASTEUR DE LILLE. 607 


On fait tous les jours une opération identique jusqu’au 
14° jour de dessiccation, et la série des moelles atténuées ainsi 
conservées en glycérine peut être utilisée pendant 25 à 30 jours. 

Au début du traitement,on utilise les moelles de 14 à 3 jours 
de dessiccation. ayant séjourné de 20 à 25 jours en glycérine. 

Enfin, les 4 derniers jours, on inocule des moelles n'ayant été 
immergées dans la glycérine que 5 à 10 jours. 

Pour l’inoculation, on prend un petit tronçon de moelle de 
3 à 5 millimètres de long; on essuie soigneusement l’excès de 
glycérine avec un papier à filtre stérilisé. 

Le morceau ainsi débarrassé de glycérine se triture facile- 
ment et s'émulsionne très bien dans 5 ce. d’eau salée physiolo- 
gique. 

Ces injections sont parfaitement supportées par les malades. 
On a vu au début les résultats généraux. Les tableaux suivants 
donnent tous les renseignements statistiques détaillés. 

Le nombre des personnes traitées varie considérablement 


d'une année à l'autre. 
En 1895 nous avons traité 109 personnes. 


1896 — 207 — 
1897 — 954 — 
ISOS — 238 — 
1S99 — 438 — 
1900 — 952 — 
1901 — 191 — 
1902 — 118 — 
De ces 1807 personnes, 1008 étaient originaires du département du Nord. 
363 — — du Pas-de-Calais, 
419 — de la Belgique. 
Fi == — de l'Aisne. 
3 — — de la Somme. 
Der 2 — de l'Oise. 
1 — — dela Seine-Inférieure. 
1 = = de la Seine-et-Marne. 
I —Æ = de la Dordogne. 


La gravité des morsures est établie pour les 3 catégories A, B 
et C, dans le tableau suivant : 


A B C Total. 

Morsures à la tête. 58 71 46 175 
— aux mains. 263 422 276 961 

— aux membres. 136 291 244 671 
Total. 457 784 -566 1$07 


Chiens ris tree --Loe pete pe 1688 


608 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 
CHASSE Este re TO CL TS CS M NET Re D à PA 
ChEVAUX LR NE RE PR SN 2 
AMÉS Re  RPR ee e D E E T EERAe ER : 2 
Chévre. SPRINT AR de 1 
Renne, Enr MR Mein or M Se es Î 


Enfin, 2 personnes ont été traitées après avoir eu des écor- 
chures aux mains en contact avec la salive d’un homme mort 
de rage aiguë. 

Nous n’avions pas observé de relation entre les saisons et le 
nombre des individus mordus. En faisant le total par mois 
des personnes traitées pendant ces 7 dernières années,nous trou- 


VOns : & 
JOTNTIE PAS SN RS EEE de Pt ee ER poele 
F'ÉVRICL SE RAT PR ee RE DEEE LOT Re 111 
MAS FE RER OR RE ET ME TE UE Re De QE 14% 
ART RARE RUE prie SR É RES. PMP UNE Le ITU 149 
NAN ART RER DANSE PR AE AMAR CRE PC ER EE RTE 33 
ME A ER EE DRE Pr Ne A me DE PO NE LS dt 173 
JUL GRR ER PE ER PE EE tee Re ee D NET NN te 169 
PO LD RO RALL SNS AO AE AR On Di MO Oo 159 
SODICMDTE ART LR eee tie TE le 411 
OCTODIE RS RE PSE AR RE PE 196 
NOVÉNMDTE RE A A RE RE Pen ee cn NE 148 
Décembre Re EN A SR Re ete 173 


L'INSTITUT PASTEUR DE PERNAMBUCU 


Par M. Le D' OCTAVIO DE FREITAS 


© ———— 


L'Institut Pasteur de Pernambuco a été solennellement 
inauguré le 31 janvier 1899 par la Junta da S. Casa de Miseri- 
cordia du Recipe, pieuse institution qui a dans cette grande ville 
accaparé presque tout le service de l’Assistance publique. 

L'Institut a été organisé et dirigé jusqu'au mois de mars 1901 
par mon dévoué prédécesseur, le docteur Rodolpho Galväo. Il 
est situé dans un quartier central, rue Hospicio, n° 5. 

Le traitement habituel se fait pendant 16 jours et suivant 
cette formule, qui est une petite variante de celle adoptée à 
Paris : 


Honda traitements RE la moelle. Quantité 
| desséchée. de l’émulsion. 
| 
\ L£ jours. \ = | 
1 l 12 ê l 5 Cet 
\ 12. » \ 
9 » ) 
£ A1 l | 
é 10  » \ à | 
3 l (Q) » | Sa 
\ Ê » { € 
A Ô » 
4 | SONT | s | 
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12 ah 
13 3 » ne 
14 3 o. 2 
3 » 
15 JE 2: 
416 | pe | 3 D 


Le service médical est fait par un médecin directeur et deux 
autres auxiliaires. 


Les premières personnes mordues par des animaux enragés 


610 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ou suspects, traitées en notre Institut, y ont été admises deux 
semaines après son installation, le 16 février 1899. 

Depuis ce jour jusqu’au 30 juin 1903, pendant quatre 
années ct demie, cet établissement a été fréquenté par 589 per- 
sonnes groupées d’après les années, Les mois et les sexes, de la 
façon suivante : 


1899 1900 1901 1902 1903 Somme 

| — , | a A | 2 | TL 

h f h f h f h f h Î h f  % 

Janvier. ) » » » 4 zx |-49 | 42 4 D TE RS ES 
Février. 4 I 2 3 5 1 11545 8 5 LOU EAANIEES 

| Mars 16 { 1 » | 40 Aa M LUE > | 46 1 | 59 | 40 | -69 
Mai. 3 Il 2 1 4 4 | 16 6 | 14 4 | 39 | 46 | 55 

| Juin. 2 9 6 » il » 14 { 14 (one) ET 9 46 
Juillet. in OA ET À 146 | -6 | 27.4 NS PS0 45 1043 
Août. 6 2 5 4 | 40 3 | 43 AN 8 MON EG 

| Septembre. 8 6 | 446 4 ù DANS TEA CE 
Octobre. D A » SN ON | ro) n { 1) 7 7 
Novembre. 8 4 2 » | 49 8 A en en RO A Sn Er Ca 
Décembre, » » 3 » | 31 23 ) 1 = | — | 39 | 94 (op) 
Total... 60 | 31 | 30 | 12 | 440 | -614 | 130 | 50 | 59 | 16 | 419 | L 70| 589 


Toutes ces personnes cependant ne furent pas soumises au 
traitement antirabique. 

53 d'entre elles furent renvoyées sans traitement, soit parce 
que la dent d: l'animal mordeur n’+vait pas entamé les tissus, 
soit parce que l’animal qui avait mordu ne présentait aucun 
symptôme de la maladie. 

Parmi ceux qui suivirent le traitement, 10 le suspendirent 
après avoir vérifié que l'animal mis en observation n'était pas 
malade, 40 quittèrent l’Institut sans aucun motif au bout de 
3-4 jours. 

Déduisant ceux-là, il reste 486 personnes qui suivirent le 
traitement complet. 

On voit par le tableau ci-dessus que la fréquentation de 
notre Institut augmente d’année en année. 

Une telle augmentation s’explique parce que avec le temps, 
l'établissement est plus connu, et il y vient des patients non seu- 
lement de Pernambuco et des municipes de l’intérieur, mais 
aussi des autres États. 


Ms EE RTE EN Stat ge as im é ! | NE PCR ENS OR EUR TRE 


sa RE hd A SN PR pu 


ESC 


INSTITUT PASTEUR DE PERNAMBUCO. 611 


Notre Iostitut est forcément appelé à rendre de grands ser- 
vices aux États du Nord, vu que dans tout le Brésil il n'existe que 
lui et celui de Rio-de-Janeiro. 

Voici la statistique des mordus d’après le lieu où ils furent 
blessés, 


1899 1900 1904 1902 1903 TOTAL 
Parà. » ) l » » il 
Maranhäo. » » » il D ] 
Cearà. 1 ) 1 il » 3 
Parahyba. I k l 4 » 13 
PERNAMBUCO. 78 31 177 157 67 511 
Alagoas. D l ! » 3 5 
Bahia, ! l » » » C 


Je dois faire remarquer qu'une grande quantité de chiens 
vagabonds infestent notre capitale et disséminent partout la 
rage. 

Ea effet, parmi les 536 personnes qui suivirent le traitement 
préventif dans l’Institut, 241 furent contaminées dans la ville 
du Recipe (capitale), ou soit 46,8 0/0. 

Le plus grand nombres des morsures ont été faites par des 
chiens (86, 1 0/0 des cas), comme on pourra le voir par le tableau 


comparatif : 
1899 | 1900 1901 1902 1903 Somme. 


Chien. 63 38 165 143 D3 461 
Chat. 17 3 14 21 16 71 
Singe. » » I » » l 
Homme. l Ù 1 ; 1 3 


Il est donc urgent de prendre des mesures de police sanitaire 
tendant à restreindre ce nombre considérable de chiens vaga- 


612 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


bonds, telles que l'inscription sur un registre, la mise à mort 
des chiens errants conduits en la fourrière et non réclamés après 
un certain temps de la réclamation d’une réparation pécuniaire 
aux propriétaires dont les chiens ont causé quelque dommage, 

Nous avons classé les personnes traitées en trois catégories, 
comme cela se fait à Paris : 

Série A, La rage de l'animal a été vérifiée expérimentalement 
par le développement de la maladie chez les animaux mordus 
par lui ou inoculés avec son bulbe ; 

Série B. La rage a été vérifiée par l'examen vétérinaire. 

Série C. L'animal est suspect de rage. 

Dans des autres centres. où les moyens d'investigation sont 
plus faciles et la culture scientifique plus perfectionnée, les deux 
premières séries comprennentun plus grand nombre d'individus, 
vu que l’animal qui a mordu est mis en observation, examiné 
par des vétérinaires, et que son bulbe est inoculé pour démontrer 
le diagnostic de rage. 

Une croyance populaire très répandue chez nous admet que 
l'individu mordu par un chien ou un autre animal peut être 
contaminé dès que la rage éclate chez l'animal mordeur, alors 
même que celui-ci aurait été bien portant au moment de la mor- 
sure. Cette croyance erronée faitique souvent la personne qui est 
mordue sacrifie immédiatement l'animal ; elle est ainsi persuadée 
qu’elle ne court plus aucun danger si l’animal mordeur devient 
enragé dans la suite. 

Il en résulte que la série des individus mordus par des ani- 
maux suspects est très nombreuse. Ainsi, sur 486 personnes qui 
ont suivi jusqu’à la fin le traitement préventif de la rage : 

118 appartenaient à la série A. 
12 = x 
196 — 7e 
Une des personnes de la série À avait été mordue dans la capi- 
tale de l'Etat du Para par un chien, en même temps que deux 
autres qui ne voulurent pas suivre le traitement anti-rabique. 
Celles-ci moururent de la rage, tandis que la personne traitée 
est bien portante encore aujourd'hui, plus de deux ans après la 
morsure. 

Sur 486 personnes soignées jusqu'aujourd'hui, il y à eu 

1 décès, celui d’un enfant de 9 ans, habitant rue Direita n° 75, 


INSTITUT PASTEUR DE PERNAMBUCO. 613 


paroisse Saint-Antoine, Cet enfant fut mordu le 2 mars de 
cette année, par un chien suspect appartenant à la tante de la 
victime, et qui. tout de suite après la morsure, fut sacrifié sans 
que la maladie de Fanimal füt vérifiée. 

Trois jours après il fut soumis au traitement antirabique. 
La blessure avait été faite sur partie découverte, elle avait 
saigné et n'avait pas été cautérisée. 

Deux mois après le 27 mai, je fus appelé pour examiner 
l'enfant, qui présentait des symptômes évidents de la rage. 
Deux jours après, ce malheureux enfant mourait. 

On voit donc que le pourcentage de la mortalité observé dans 
notre Institut est de 0,2 0/0. 

Des 486 personnes qui suivirent le traitement complet, 
263 présentaient des blessures sur des parties découvertes (16 à 
la tête, joues, lèvres et nez; 171 aux mains, 24 aux pieds 
déchaussés et 52 aux jambes nues), 223 autres avaient été mor- 
dues à travers les chaussures ou les vêtements (pieds, 43; 
jambes, 76: cuisses, 28; tronc. 20; bras,36 ; et avant-bras, 40). 

La croyance populaire à vulgarisé l'usage de l'ail pilé, pour les 
morsures de chics hydrophobes ou suspects. C’est à ce remède 
que recoururent la plus grande partie des individus mordus. Le 
résultat le plus évident de cette pratique fut une inflammation 
intense des blessures. 

Dans 62 cas, la cautérisation fut faite avec : 


CO D St na Me ed 21 
DUT RACONTER TRE A etes tale cor eo 2 
AGITÉ DIEM PRE the ne out ee ee 15 

5 DAME Ze re RON  O  uee 3 
NICE RAATES MERE ec ee M rene» Muoe lee S 
AO AMTES cr etaient F 
OUR nn St S tel NN EU scene eunsis es edfe le 6 


Le bon résultat obtenu par notre Institut est düû en grande 
partie à ce que les personnes mordues se présentent aussitôt 
après avoir été mordues, pour être soignées. 

Ainsi commencèrent le traitement dans la 


ALES OMANNEMS I ans er san is e e  CIES 39% 
2e pas NS ais un ol dela aie res MERE SPA 68 
3° ES pe de Na ere heleuesatete GES 014 Sn DR US TSI 25 
4e — 19 


cols se € 018, »/ 579 s a sien see dose) se os vtr else 


Juillet 1903. 


Conpte reudu statistique de l'Enstitnt Pasteur de Kharkof 
Pour une période de 10 ans (1892-1901. 
Par S. KOTZEVALOFF 


Sous-directeur de la station bactériologique de la Société médicale de Kharkoff. 


L'Institut Pasteur de Kharkoff, fondé en 1887 par la Société 
médicale de cette ville, dessert actuellement les gouvernements 
de Kharkoff, de Koursk, de Ekaterinoslav, de Stavropol, le ter- 
ritoire des Cosaques du Don, les territoires de Terek et de Kou- 
ban et une partie des gouvernements de Poltava, de la Tauride, 
d’Orel et de Voronège. 

Les vaccinations se font, dans cet Institut, deux fois par 
jour et durent de 7 à 14 jours, suivant la gravité des blessures. 
Dans les cas les plus graves, on prescrit un second traitement 
qui commence un mois après la fin du premier et dure 5 jours. 

Pendant la période considérée (1892-1901), le nombre de 
personnes, mordues par différents animaux supposés enragés, 
qui ont suivi un traitement à l’Institut a été de 9,390. De ce 
nombre, 1.202 ont été mordues par des animaux dont la rage a 
été prouvée par l’inoculation de leurs cerveaux à des lapins: 
1.221, par des animaux reconnus enragés par des vétérinaires ; 
6,146, par des animaux qui, d'après les descriptions données des 
symptômes qu'ils présentaient de leur vivant, pouvaient être 
considérées, avec toute probabilité. comme atteintes de rage; 
enfin 321, par des animaux sur la maladie desquels on n'a pu 
avoir aucuns renseignements. De plus, ont suivi un traitement à 
l’Institut 350 personnes qui, sans avoir été mordues, s’élaient 
trouvées, d'une façon quelconque, en contact avec des animaux 
suspects. Le chiffre total des personues vaccinées s’élève donc 
à 9.740. Dans ce nombre, nous trouvons 6.039 hommes et 
3.101 femmes. Les personnes ayant suivi un second traitement 
sont au nombre de 436. 

La maladie a eu une issue mortelle dans 109 cas seulement, 
c’est-à-dire dans 1,16 0/0 de cas. Si nous en déduisons les per- 
sonnes mortes pendant le traitement ou dans les 15 jours qui 
l’ont suivi, nous obtenons le chiffre de 56 personnes, c’est-à-dire 
0,59 0/0 de cas. En considérant le chiffre des malades et des 
morts, d’abord dans la première, ensuite dans la seconde période 
de 5 ans, nous trouvons que, pendant la première (1892-1896), 
le nombre des malades a été de 2,805, dont 40 seulement, c’est- 
à-dire de 1,43 0/0 sont morts; le chiffre des morts dans la 


4 INSTITUT PASTEUR DE KHARKOFF. 615 


première quinzaine qui a suivi le traitement a été de 21, c'est- 
à-dire 0,75 0/0. Dans la seconde période (1897-1901), le nombre 
des personnes traitées à l’Institut a été de 6.585; parmi elles, 
59, c'est-à-dire 0,89 0/0 seulement, sont mortes; le chiffre des 
malades morts dans la première quinzaine après la fin du traite- 
ment a été de 25, c’est-à-dire des 0,38 0/0. 

Les tables suivantes indiquent l'espèce animale par laquelle 
ils ont été mordus et la place de la blessure; elles montrent en 
mème temps Je 0/0 de la mortalité pour chaque catégorie. Cette 
mortalité a été calculée de deux façons : d’abord en considérant 
le chiffre total des cas mortels dans une des catégories indiquées, 
ensuite en ne considérant que les cas qui se sont produits dans 
la première quinzaine après la fin du traitement. 


= ? D « 
Tagce TI. — L'EsPèse ANIMALE. 
rs MORTS PENDANT 
L'ESPÈCE NOMBRE LEE la {re quinzaine après le 
des personnes total des morts. traitement. 
animale. = à + 
soignées Nombre 0/0 Nombre. 0/0 
Chien ester 8430 11 0,91 42 0,49 
(BEN RC CE C 556 0 0 0 0 
£ OUPS Eee tes 193 32 16,58 14 7,25 
É 
: Bœuf et vache ... 90 Ô 0 0 Ü 
- 
2 | 
? l'Chevali 2x 55 (! () ti (l | 
- PARCS Re 26 (l (] 0 (0 
3 
D 
2. e 
À Hommes Ce pre 2% 0 0 (0 (l 
£: | 
2 | 
e | 
Z È | 
EE Brebis = 2102 9 0 (] () 0 | 
< PORTA PEL 4 (] (] (l 0 
: 
, Chacal, singe, rat, SR LE 
: JS x OIS. 
; DORE RER Re 9390 109 1,46 56 0,59 
£ 


616 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Tage Il. — L’EnproïT DE LA BLESSURE. 


: : . MORTS PENDANT 

En NOMBRE ù È 
ENDROIT SHDRENE la 11e quinzaine après le 
des personnes total des morts. traitement. 


soignées. a a D. 
Nombre. Nombre. 0/0 


Meinbres supér. »301 


Membres infér. 2601 


| 


IMMéte ebivisacerte 


9390 


Les tables ci-dessus montrent que les morsures faites par 
le loup fournissent un 0/0 de mortalité très considérable. A 
l'exception du loup et du chien, aucun autre animal n’a fait de 
morsures ayant occasionné la mort. Nous voyons ensuite que 
les morsures faites à la tête et au visage donne un 0/0 considé- 
rable de mortalité; celles faites aux membres supérieurs 
viennent ensuite, tandis que celles des membres inférieurs 
donnent un 0,0 insignifiant. Enfin, parmi les personnes mordues 
sur les autres parties du corps, aucune n'a succombé. 

Dans les 98 cas mortels dans lesquels on a pu connaître le 
jour de l'accident, la période d’incubation a duré de 13 à 341 jours 
(dans un cas). 

La table suivante donne une idée du rapport qui existe entre 
la durée de la période d’incubation et l'endroit de la blessure : 


MORTS |. MORTS MORTS MORTS MORTS 
ENDROIT CHIFFRE dans la Afreldans la 2e PNA 
Et quinzaine quinzaine durant le durant Je après 
de du 1er mois.|du 41% mois. 2e mois. 3° mois. 3 mois. 
des “EDS s : 
la blessure. RE = = Le ri FRS ARE j Te he cl) 
© [Nombre | 0/0 |Nombre.| 0/0 | Nombre. | 0/0 Nonbr.| 0/0 von. 0/0 
Téte etvisage.| 67 6 IS 0530 0 105 0135280 1 1,491 7 |10,44 
Membres.:...| 31 (0 (l S DES PGI ALIM RS MCE 


Le Gérant : G. Massox. 


Sceaux. — Imprimerie Charaire. 


17me ANNÉE OCTOBRE 1903 N° 10 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


Sur résorpton phagocy taire des ovuLes Cez Les TILONS 


Par CH. PÉREZ 


La prépondérance de l’englobement phagocytaire sur la dis- 
solution humorale est un fait aujourd’hui établi, en ce qui con- 
cerne la résorption des microbes par les organismes réfractaires 
ou immunisés. Il en est de même pour la résorption des 
cellules d'organismes supérieurs introduites par injection 
expérimentale dans le milieu intérieur d’un animal. Mais en ce 
qui concerne, au contraire, le processus par lequel un organisme 
résorbe in situ ses propres cellules, la question est encore 
vivement discutée. Pour n’en citer qu'un exemple, des travaux 
récents relatifs à la métamorphose des Insectes n’ont pas été 
sans jeter, aux yeux de beaucoup de naturalistes, quelque dis- 
crédit sur les interprétations phagocytaires données par les 
travaux de Kowarevsky et de Van REes. On ne peut guère se 
proposer d'étudier d’une manière systématique les résorptions 
sporadiques d'individus cellulaires qui, çà et là, à un moment 
ou à l’autre, peuvent se produire dans les tissus d’un organisme 
au cours de sa vie. On est forcé de se restreindre aux cas où, 
dans un temps relativement court et dans une même région 
localisée le l'organisme, un grand nombre de cellules analogues 
subissent une atrophie simultanée, Du moins ne me paraît-il pas 
hors de propos de revenir sur des faits de cet ordre, même déjà 
connus, ne fût-ce que pour préciser d'avantage les détails du 
processus atrophique. 

Dans une revue critique très suggestive (Année Biologique 
pour 1897), Mercuxixorr a montréla large extension que paraissait 

40 


618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avoir dans ces atrophies un processus de digestion intracellulaire, 
les macrophages se substituant peu à peu. sous forme de tissu 
conjonctif, aux cellules différenciées des organes qu’ils ont 
phagocytés. L'illustration la plus typique de cette thèse paraît 
être fournie par la résorplion des ovules chez les Vertébrés. 
De nombreux mémoires out paru sur ce sujet; mais si la ques- 
tion est tranchée en gros, il n’est peut être pas inutile d’en 
examiner à nouveau quelques détails. 

Mes recherches ont porté sur les Amphibiens urodèles, aux- 
quels Ruce (1889) a déjà consacré un mémoire assez étendu. 
Plusieurs observateurs, tout dernièrement encore Dueuissox 
(1903), ont signalé, chez ces animaux et chez d’autres Vertébrés, 
une dégénérescence «( normale », c'est-à-dire une résorption 
sporadique, plus ou moins accusée, des ovules, chez des indi- 
vidus sacrifiés peu après la capture, et supposés par conséquent 
avoir été saisis dans leurs conditions normales. On doit penser 
toutefois que cette atrophie des ovules est souvent sous la 
dépendance immédiate de conditions de nutrition générale ; les 
observations ont plus d’une fois porté sur des animaux élevés 
au laboratoire, dans des conditions peut-être défavorables et 
assurément peu naturelles; tel était sans doute le cas du 
Lepidosiren examiné par Bebbarp (1886) :, Chez le moineau, vox 
Bruxx (1882) a signale un retour périodique annuel des phéno- 
mènes atrophiques des ovules, coïncidant avec les semaines 
d’incubation et de nourrissage des jeunes. Mixcazzini (1893) a 
constaté des atrophies particulièrement nombreuses chez des 
Amphibiens et des Reptiles longtemps conservés en captivité. 
Enfin M. Duguissox a bien voulu me communiquer que la dégéné- 
rescence « normale » s’observe surtout chez les Urodèles au 
moment où ces animaux quittent les mares, après la ponte : or 
la période de vie aquatique est à la fois la période d'activité 
génitale et la période d’abondante alimentation ; le retour à terre 
marque le début du jeûne pendant l’estivation, puis l’hivernage. 
C’est précisément par l'influence du jeûne expérimental que j'ai 
obtenu chez les tritons la résorption des ovules, avec une inten- 

4. La véritable signification du processus atrophique à d'ailleurs échappé à 
BEppaRD, qui à Cru à une naissance des ovules par fusion de plusieurs cellules. 
Beaucoup d'auteurs ont d’ailleurs méconnu le rôle des phagocytes dont ils 


observaient l'immigration dans les ovules, et les ont interprétés comme des 
cellules claborant les réserves vitellines, 


bn se D id. à 0 acrtegär am 


RÉSORPTION DES OVULES CHEZ LES TRITONS. 619 


sité et une extension tout à fait remarquables du processus 
atrophique. 

# la fin du mois de décembre dernier et dans les premiers 
jours de janvier, des tritons marbrés Molge marmorata 
| Duméril et Bibron |, furent recueillis dans une mare des environs 
de Bordeaux, en pleine période génitale : les mâles avec leur 
crète dorsale bien accusée, les femelles avec un abdomen dont 
la distension annonçait une ponte prochaine. Ces femelles furent 
soumises en aquarium à un jeûne complet, et sacriliées succes- 
sivement après 4 à 7 mois de ce traitement. Des observations 
analogues ont été faites sur des tritons palmés, Molge palmata 
|[Dug!. 


A la simple dissection, les ovaires des femelles soumises au 
jeûne présentent au premier abord un aspect caractéristique. 
Chez les tritons marbrés, à côté de petits ovules d’un blane 
hyalin, qui ont l'apparence et, comme on le verra plus loin, la 
structure des jeunes ovules normaux, on voit en abondance des 
ovules, ayant à peu près la taille d’ovules mûrs, mais reconnais- 
sables à une vive teinte jaune orangé, rappelant tout à fait celle 
des corps jaunes adipeux de la même espèce. 

Chez une femelle témoin, alimentée, les ovules sur le point 
d’être pondus sont d'un blanc verdâtre très pâle. L'irrigation 


<apillaire de l’ovaire normal est peu perceptible à l'œil nu, à 


cause de la ténuité et de l’espacement des dernières ramifi- 
cations vasculaires, Au contraire, dans les ovaires atrophiés, les 
ovules orangés sont enveloppés dans les mailles serrées d’un 
réseau capillaire hyperhémié tout à fait apparent. Chez les 
tritons palmés, on constate une pareille congestion des capil- 
laires ; mais les ovules atrophiés, au lieu d’une teinte orangée, 
présentent un obscurcissement progressif par l’accumulation 
d’un pigment brun très foncé. L'étude microscopique donnera 
l'explication de ces particularités. 

La structure des ovules en voie de croissance normale est 
classique, et je ne crois pas utile d’y insister ici. La figure inter- 
calée dans le texte (fig. A) suffit à rappeler l’aspect de la péri- 
phérie d’un vvule mûr, prêt à être pondu : en dehors de la zona 
radiata superficielle et de la membrane vitelline, on voit le folli- 
cule mince tendu sur l’ovule turgide, avec ses noyaux aplatis 


620 ANNALES DE L'INSTITUT PASLEUR 


tangentiellement par l'effet de cette tension. De rares capillaires 
superficiels sont eux-mêmes fort déprimés, et leur lumière se 
présente comme une fente étroite tangentielle. 

Dans les ovules en résorption, le noyau ne tarde pas à dispa- 
raître par karyolyse. Je laisserai de côté ce processus, que je 
n’ai pas étudié, me bornant à constater avec Ruce que, si la dis- 
parition du noyau est précoce, elle est cependant postérieure au 
début des phénomènes dont la périphérie de l'ovule est le siège, 
et qui amènent la résorption du vitellus. Je n'ai rien observé 


> Ç 


RCE HA 
SE 
Fig. A. 


dans les phénomènes nucléaires qui rappelât la ( dégénérescence 
par fragmentation », analogue à la segmentation, que Hex- 
NeGuy (1894) a décrite dans l’atrésie des follicules de Graaf chez 
les Mammifères. 

La résorption des ovules débute parl’hypertrophie des cellules 
folliculaires. Au lieu de rester aplaties à la surface de l’ovule, 
elles acquièrent dans le sens radial une épaisseur notable, leurs 
noyaux prennent une forme ovoïde, et on peut en trouver un 
certain nombre en voie de division indirecte. La membrane 
vitelline disparaît ainsi que la zona radiata ; chacune des cellules 
folliculaires fait saillie comme une papille vers l’intérieur de 
l’ovule et leur ensemble forme une assise épithéliale d’allure 
glandulaire. Je n’ai pas à insister sur le détail de ce processus, 
qui a déjà été déerit par Rucr; la fig. L., pl. XIV, est suffisamment 
explicite à cet égard. Je me borne à préciser le rôle phagocy- 
taire des cellules du follicule : il est rendu tout à fait manifeste 
grâce à cette particularité que l’ovule, au voisinage de sa matu- 
rité, a son protoplasme bourré, avec une densité extrème, de corps 
figurés, à forme et à réactions colorantes bien caractéristiques : 
ce sont les tablettes vitellines. Or, on voit ces dernières englo- 
bées à dose massive par les cellules folliculaires, dont elles rem- 


RÉSORPTION DES OVULES CHEZ LES TRITONS, 621 


plissent au moins toute la partie profonde, accumulées d’une 
manière tout aussi dense que dans le cytoplasme ovulaire lui- 
mèême.Lorsquel’inelusion etles coupessont tout particulièrement 
réussies, 1l est presque impossible de discerner la limite profonde 
des phagocytes folliculaires au milieu du semis compact des 
granules vitellins, qui s'étend depuis les régions profondes de 
l’ovule jusqu’au niveau des noyaux du follicule. Mais en général 
une plasmolyse irrégulière fait apparaître un petit méat de 
décollement entre l’assise des phagocytes et la périphérie même 
de l’ovule. (PI. XIV, fig. 1.) 

Les granules vitellins englobés sont digérés à l’intérieur des 
phagocytes folliculaires, et la graisse est le plus manifeste des 
produits transitoires de leur transformation. Cette graisse, en 
gouttes réfringentes, occupe surtout la partie périphérique des 
phagocytes, celle qui touche au revêtement péritonéal. Si quel- 
ques-unes de ces gouttes sont à peu près incolores, la plupart 
sont, au contraire, chez le triton marbré, teintées de jaunes 
variés; et le plus souvent, ce sont les plus petites qui sont du 


jaune orangé le plus vif, comme si un lipochrome dissous se 


concentrait dans la goutte, au fur et à mesure que le dissolvant 
gras est lui-même peu à peu résorbé. Ce sont ces gouttelettes 
qui donnent aux ovules en résorption leur teinte caractéristique. 
Entre les gouttelettes grasses, les trabécules protoplasmiques 
sont incolores. Chez le triton palmé, il y a formation beaucoup 
plus accusée d’un pigment brun plus foncé, et qui, au lieu de se 
dissoudre dans la graisse, se dépose en fins granules dans les 
travées protoplasmiques. (PI. XIV, fig. 4, 5, 6.) 

On peut suivre également sur les coupes l’hypertrophie des 
capillaires, qui constituent d’abord un réseau saillant à la surface 
de l’ovule, et bourgeonnent ensuite des diverticules qui s’insi- 
nuent dans la profondeur de l’ovule en même temps que l’assise 
folliculaire elle-même. Duguissox (1903) émet l'opinion que le 
pigment accumulé dans les phagocytes pourrait être dérivé de 
l’hémoglobine d’hématies entrainées ainsi jusque dans la profon- 
deur de l’ovule. L'interprétation me semble sujette à caution, 
car le processus d'hypertrophie vasculaire étant le même chez 
toutes les espèces de Batraciens, la formation de pigment est au 
contraire très variable de l’une à l’autre, et nulle chez le triton 
marbré. Chez certaines espèces de Bairaciens, dont les œufs 


622 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pondus ont au moins un hémisphère très pigmenté, une partie 
du pigment des phagocytes doit avoir été englobé directement 
sous cette forme, au début de la résorption. Ultérieurement, on 
peut supposer que Le pigment est un produit de déchet résultant 
de la digestion des substances de l’ovule, sans rapport forcé de 
dérivation avec l’hémoglobine ; son apparition correspond à une 
propriété physiologique générale de l'animal : telle espèce 
fabrique du pigment dans ses cellules : telle autre n’en fabrique 
pas :. 

Qu'il y ait ou non formation de pigment, la graisse est, 
dans tous les cas, un des produits principaux résultant de la 
digestion des tablettes vitellines à l’intérieur des phagocytes 
folliculaires, et l'accumulation des gouttelettes grasses à l’inté- 
rieur de ces cellules les distend bientôt jusqu’à une taille consi- 
dérable (60 w de diamètre). Dans les cas que j'ai examinés, la 
résorption des ovules, avec transformation du vitellus en graisse, 
se produit, pour la grande majorité d’entre eux, exclusivement 
à leur périphérie et progressivement. Au fur et à mesure de 
lenglobement et de la digestion du vitellus, la couche des pha- 
gocytes folliculaires qui cernent l’ovule se resserre ; il en résulte 
immédiatement que ces cellules, ayant à se répartir sur une 
moindre surface, chevauchent de plus en plus les unes sur les 
autres, et s’empilent en plusieurs épaisseurs (fig. B du texte). 
C’est le moment où s’accuse au maximum la pénétration profonde 
des bourgeons vasculaires. 

La partie centrale, non encore englobée, de l’ooplasme se 
réduit progressivement et finit par disparaître, L'’ovule n’est 
plus alors représenté que par un amas globuleux, encore peu 
cohérent, de phagocytes bourrés de graisse, et contenant encore, 
surtout dans la région centrale, quelques globules vitellins, 
qui ont été les derniers à être englobés et que la digestion n'a 
pas encore transformés. Ceux-ci sont digérés à leur tour, tou- 
jours par le même processus : l’amas des phagocytes ne con- 
tient plus alors que des gouttelettesgrasses (pl. XIV, fig. 2). Celles- 
ci se résorbent à leur tour, et, au fur et à mesure que les pha- 
gocytes diminuent de volume par cette résorption, leurs rapports 
deviennent plus intimes, plus cohérents; entre eux apparaissent 


1. La formation de pigment brun est en particulier très accusée chez la rai- 
nette, Æyla arborea, L. 


{ 
à 
Pl 
à] 
1 
0 
# 
» 


f, 


RÉSORPTION DES OVULES CHEZ LES TRITONS. 623 


quelques fibrilles, et bientôt ils constituent un petit noyau de 
tissu conjonctif (pl. XIV, fig. 3). Les bourgeons capillaires hyper- 
trophiés subissent une régression concomitante, si bien qu'après 
la résorption complète de la graisse, le petit massif conjonetif, 


Fig. B. 


à noyaux serrés entre des mailles de fibrilles, qui représente la 
trace d’un ovule résorbé, ne manifeste plus en rien une irriga- 
tion sanguine exagérée. 

Les figures 4 à 6 de la planche XIV, relatives au triton palmé, 
représentent trois stades successifs de latrophie d’un ovule dans 
le cas où la résorption est accompagnée de la formation d’un 
pigment insoluble dans la graisse. Au fur et à mesure que la 
graisse elle-même se résorbe. et que les mailles du cytoplasme 
se resserrent, les granules pigmentaires se tassent et se confon- 
dent, si bien que les ovules sont finalement remplacés par des 
massifs conjonctifs, extrèmement obscurs, reconnaissables à 
l'œil nu dès la dissection. 

Il est digne de remarque que les ovules très jeunes ne sont 
pas résorbés, et se présentent avec leur aspect parfaitement 
normal chez des femelles soumises à un jeûne complet depuis 
sept mois; ce sont les ovules prêts à être pondus, c’est-à-dire 
les cellules les plus strictement spécialisées qui sont les pre- 
mières atteintes par l’atrophie. Mais des ovules peuvent aussi, 
être résorbés, qui étaient en voie de croissance sans avoir 
atteint toute leur taille, et dont le cytoplasme n'était pas encore 
chargé des tablettes vitellines elliptiques qui caractérisent les 
ovules au voisinage de la maturité. Dans ce cas, la résorption 
des petits granules de l’ooplasme donne naissance à la formation 
dans les phagocytes de sphérules éosinophiles plus ou moins 
volumineuses. C’est là un détail dans les manifestations figurées 


624 ANNALES DE L’INSTISOÜT PASTEUR 


des phénomènes de digestion intracellulaire qui nous occupent; 
il ne me semble point y avoir lieu d'y voir avec Duguissox un 
mode spécial d’atrophie. J’ajouterai que je n’ai trouvé dans 
mes préparations aucun exemple d’un autre mode, annoncé par 
cet auteur, de dégénérescence des ovules par confluence des 
globules vitellins en masses volumineuses, et auquel les pha- 
gocytes n'auraient aucune part, au moins au début. Je n'ai pu 
observer au contraire que des résorptions phagocytaires, se 
produisant, comme on a vu, de proche en proche à la péri- 
phérie de l’ovule, seit encore se produisant simultanément dans 


toute sa masse, par immigration de phagocytes dans sa pro- 


fondeur. C’est ce dernier cas qui va nous occuper main- 
tenant. 

A un stade très précoce de la résorption d’un ovule, quel- 
ques cellules folliculaires peuvent se détacher de lassise péri- 
phérique, et s’insinuer dans le eytoplasme ovulaire. IT n’est 
guère tout d’abord possible d’apercevoir que leurs noyaux, qui 
semblent perdus au milieu des granules vitellins, laminés 
entre eux de manière à prendre des formes rameuses, étoilées, 
extrèmement irrégulières. La limite du protoplasme du phago- 
cyte est fort difficilement discernable; elle ne le devient qu’un 
peu plus tard, lorsque le phagocyte, ayant englobé un nombre 
considérable de granules, a repris une forme globuleuse et s’est 
en quelque sorte ramassé sur lui-même (pl. XIV, fig. 7). Ces phé- 
nomènes sont assez analogues à ceux que j'ai signalés dans la 
résorption phagocytaire des cellules adipeuses chez les fourmis 
(Cu. Pérez, 1902, p. 278, et pl. XI. fig. 14 et 15). 

À l'intérieur de ces phagocytes libres, comme à l’intérieur 
des phagocytes relativement fixes de l’assise périphérique, la 
digestion du vitellus donne naissance à de la graisse; mais cette 
dernière se présente généralement sous forme de gouitelettes 
très petites et très nombreuses, qui, après fixation aux liqueurs 
osmiques, obscurcissent complètement la cellule, et cachent 
sénéralement le noyau (pl. XIV, fig. 8). Au contraire, après fixa- 
tion au sublimé par exemple, on peut voir facilement le noyau 
au milieu des tablettes vitellines englobées ( fig. 9), ou au centre 
d'un réticulum protoplasmique rendu apparent par la disso- 
lution de la graisse (fig. 10). Le noyau est généralement alors 
moins irrégulier qu'au début de l'immigration, et peut même 


£ 
& 


RÉSORPTION DES OVULES CHEZ LES TRITONS. 625 


avoir tout à fait repris au repos sa forme globuleuse : on en 
observe un certain nombre en voie de division indirecte. 

C'est à ce moment, où les progrès de la résorption ont fait 
en quelque sorte apparaître des jours dans la dense accumula- 
tion des granules vitellins, et où les phagocytes immigrés 
commencent à se montrer mieux circonscrits et mieux indivi- 
dualisés, que l’on peut les reconnaitre sans le moindre doute 
pour des cellules folliculaires mobilisées. C’est du moins le cas 
pour la plupart d’entre eux. Mais on constate aussi que l’hyper- 
trophie signalée plus haut des capillaires sanguins est accom- 
pagnée d’une diapédèse très notable de leucocytes, dont les 
uns, reconnaissables pour des éosinophiles, ne fonctionnent 
point comme phagocytes (pl. XIV, fig. 11), tandis que d’autres, 
dont le noyau est généralement plus multilobé, englobent des 
granules vitellins, et les digèrent avec formation de graisse 
(fig. 12). I faut toutefois remarquer que cette phagocytose leu- 
cocytaire, qui n'intervient qu'en seconde instance, a un rôle 
bien moins important que la phagocytose par les cellules fixes 
ou libérées du follicule. Dans le cas, déjà examiné, où la 
résorption de l’ovule aboutit à la constitution d’un petit massif 
conjonctif, on peut retrouver dans ce massif un certain nombre 
de noyaux, reconnaissables pour des noyaux de leucocytes, et 
qui appartiennent sans doute à quelques-uns de ces phagocytes, 
essentiellement migrateurs, qui se seraient fixés au milieu des 
anciennes cellules folliculaires. 

J'ai décrit successivement, dans ce qui précède, la résorption 
des ovules par le follicule périphérique, et par les cellules 
dissociées de ce follicule. Mais il faut bien concevoir que ce ne 
sont point là deux cas irréductiblement distincts; er fait, on 
observe tous les degrés dans la participation au processus atro- 
phique des phagocytes libérés et des cellules restées en place 
du follicule. j 

Il me reste à décrire un cas relativement exceptionnel, et 
qui se présente d'une manière sporadique pour quelques ovules, 
chez tous les individus examinés de triton marbré. Tandis que, 
pour la très grande majorité des ovules, la résorption aboutit à 
la constitution d’un petit noyau conjonctif, pour quelques-uns, 
elle aboutit au contraire à la formation d’un kyste aqueux volu- 
mineux, pouvant atteindre jusqu’à 3 millimètres de diamètre, et 


626 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dépassant en tout cas d’une manière assez sensible le volume 
normal des ovules prêts à être pondus. Si je n’ai pu déterminer 
la raison de cette particularité, j'ai du moins observé les diffé- 
rents stades de la formation de ces kystes, et il est facile de 
décrire en quelques mots ce processus. 

Il débute par l'immigration profonde de phagocytes, telle 
qu'elle vient d’être caractérisée : une majorité d'éléments folli- 
culaires, une minorité de leucocytes. Mais au lieu que les cel- 
lules folliculaires restées en place empiètent de plus en plus sur 
l’ovule, elles vont cesser bientôt leur rôle phagocytaire et se 
borner à digérer les globules vitellins qu’elles ont englobés tout 
au début; ce sont au contraire les phagocytes libres, immigrés 
dans la masse de l’ovule, qui vont presque à eux seuls le résor- 
ber complètement. Tout d’abord leurs noyaux sont laminés, 
comme on l’a vu, entre les granules vitellins ; puis à mesure que 
la résorption progresse, des vides apparaissent qui permettent 
de mieux voir les limites des phagocytes bourrés; ces vides 
sont occupés par un liquide parfaitement hyalin, qui ne donne 
naissance, dans les matériaux fixés, à aucun coagulum. A un 
moment où la résorption est déjà assez avancée, on peut remar- 
quer que les globules vitellins non encore englobés flottent irré- 
gulièrement éparpillés dans le liquide hyalin qui remplit l'ovule, 
et qu'ils sont au contraire agglomérés en atmosphère extrême- 
ment dense tout autour des phagocytes; ceux-ci bien manifes- 
tement les captent en grand nombre et simultanément par 
toute leur surface {fig. G du texte), et rappellent tout à fait, après 
l’englobement, l'aspect des phagocytes bourrés d’inclusions, tels 
qu'on peut les observer par exemple dans la métamorphose des 
Insectes (Kürnchenkugeln. sphères de ‘granules des auteurs). La 
digestion des inelusions à l’intérieur de ces cellules donne nais- 
sance, comme on l’a vu, à de très petites gouttelettes grasses. 

Au fur et à mesure que la digestion du vitellus s'opère par 
l’action des phagocytes immigrés, l’assise folliculaire achève 
elle-même de digérer les tablettes vitellines qu’elle avait englo- 
bées. Ses cellules, bourrées de volumineuses inclusions grasses, 
font d’abord saillie comme des papilles vers l’intérieur de la 
cavité qui à remplacé l’ovule (pl. XIV, fig. 13). Ultérieurement, 
la graisse est elle-même résorbée : ses gouttelettes diminuent de 
volume et de nombre, en même temps qu’augmente la quantité 


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RÉSORPTION DES OVULES CHEZ LES TRITONS. 627 


de liquide sécrété dans la cavité de l’ovule; lassise folliculaire 
se distend de plus en plus. ses cellules s’aplatissent en surface, 
et les gouttelettes grasses s’y orientent en une seule assise tan- 
gentielle (fig. 14 et 15). Au terme de cette évolution, l’assise 
folliculaire dont toutes les inclusions grasses ont achevé de dis- 
paraître, et dont les cellules étalées ont de plus en plus dimi- 
nué d'épaisseur dans le sens radial, ne forme plus qu'une 


mince pellicule tendue, limitant une sorte de phlyctène de 
liquide parfaitement hyalin. Dans ce liquide, flottent des phago- 
cytes, encore bourrés d’inclusions grasses colorées, et généra- 
lement agglomérés d’une manière lâche en un seul massif 
(fig. D, du texte). 

Il peut arriver qu’un certain nombre de phagocytes immi- 
grés subissent une dégénérescence chromatolytique (pl. XIV, 
fig. 16); mais il m’a paru que c'était là un fait exceptionnel. Le 
rôle de ces cellules ne se borne pas, comme ledit, sans beaucoup, 


628 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de précision Rucr, à liquéfier le vitellus, puis à disparaitre elles- 
mêmes. Le plusgénéralement, lesphagocytes gardent,jusqu'après 
digestion complète de leurs inclusions, un noyau parfaitement 
normal, et ils persistent, comme on l’a vu, flottant dans le liquide 


Fig. D. 


d’un kyste ou sous forme d'éléments constituants d’un petit 
massif conjonctif. 

Eafin, je crois avoir à peine besoin de relever l'opinion 
erronée de RuGe (1889, p. 519, 522) d’après laquelle la pénétra- 
tion même des granules vitellins jusqu’au voisinage du noyau 
des cellules folliculaires serait un premier indice de la dégéné- 
rescence de ces éléments : leur membrane, atteinte dans son 
intégrité, ne serait plus seulement perméable aux liquides, mais 
se laisserait encore traverser par des éléments figurés assez 
volumineux. Il s’agit au contraire bien évidemment ici d’un 
englobement amæboïde des tablettes vitellines par des cellules 
folliculaires vivantes, en parfait état d’intégrité, et fonctionnant 
comme des phagocytes tout à fait caractérisés. 


En résumé, le jeûne forcé est un moyen particulièrement 
commode de provoquer chez les Batraciens une importante 
résorplion des ovules en voie de maturation. Tandis que les 
ovules très jeunes restent inaltérés, les ovules suffisamment 
évolués sont phagocytés par lés cellules de leur follicule, 
auxquelles se joignent quelques leucocytes. Ce processus cons- 
titue un exemple particulièrement net de l’atrophie des cellules 
d’une catégorie spécialisée dans un organisme, et de leur 


RÉSORPTION DES OVULES CHEZ LES TRITONS. 629 


remplacement phagocytaire par des cellules conjonctives indif- 
férenciées. Les phagocytes sonticiles cellules par l'intermédiaire 
desquelles les ovules sont normalement nourris: ilest intéressant 
de voir se renverser des rôles que l’on pourrait croire inélucta- 
blement prédéterminés dans l'organisme. Une autre circonstance 
mérile aussi d'être noiée dans celte résorption. Généralement, 
c’est dans une même cellule que. par deux processus inverses, 
une substance de réserve s’élabore et s’accumule, puis est 
ultérieurement digérée pour être remise en circulation, Dans le 
cas actuel, au contraire, le cytoplasme ovulaire, où se sont 
élaborées les réserves vitellines, se montre ensuite incapable de 
les liquéfier à nouveau. Ce sont des cellules étrangères qui 
interviennent pour les englober et les digérer, et le processus 
n'est pas sans analogie avec la digestion intracellulaire des 
réserves vitellines dans le développement embryonnaire des 
Batraciens. 


INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 


BepparD F. E., The ovarian ovum of Lepidosiren (Protopterus). Zool. 
Anzeiger, 1880. 

Vox Bruxx A., Die Rückbildung nicht ausgestossener Eierstockseier bei 
den Vogeln. — Beilräge sur Anatomie und Embryologie als Festgabe für 
Jakob Henle, Bonn, 1882. 

Duguissox, Dégénérescence normale des ovules non pondus, €. R. Ac. 
Sc., Paris, 1903. 

HexxeGuyY L. F., Recherches sur l’atrésie des follicules de Graaf, 
Journal de l'Anat. et de la Physiol., 1894. 

MercaxiKorr E., Revue de quelques travaux sur la dégénérescence séniie, 
Ann. Biolog. pour 1897. 

MinGazzint P., Corpi lutei veri e falsi dei Rettili, Ricerche falte nel Labor . 
di Anat. normale d. R. Universita di Roma, HI, 2, 1893. 

PÉREz CH., Contribution à l'étude des métamorphoses, Bullelin scient. 
France et Belgique, 37, 1902. 

PEREz C., Sur la résorption phagocytaire des ovules par les cellules 
folliculaires sous l'influence du jeûne, chez le triton, Réunion biol. de 
Bordeaux, 1903. 

RuGe G., Vorgange am Eifollikel der Wirbelthiere, Morph. Jahrbuch, 
15, 1889. 


LÉGENDE DES FIGURES DANS LE TEXTE 


Fig. A. — Région périphérique d’un ovule mûr normal. 
Fig. B. — Stade avancé de la résorption d’un ovule. 
Fig. C. — Début de la formation d’un kyste; les cellules folliculaires 


libérées captent par toute leur surface des globules vitellins. 


630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Fig. D. — Stade avancé de la formation d’un kyste; un amas de phago- 
cytes flotte dans le liquide. 


EXPLICATION DE LA PLANCHE XIV 
Grossissement commun à tontes les figures = 350. 


Fig. 4. — Molge marmorala. Mypertrophie des cellules folliculaires et 
début de la résorption du vitellus à la périphérie d'un ovule. Sublimé. 
Carmin chlorhydrique ; picro-indigo carmin. 

Fig. 2 et 3. — Deux stades successifs de l’évolution du massif conjonctif 
qui remplace un ovule atrophié; résorption progressive de la graisse et 
apparition des fibrilles conjonctives. Liquide platino-osmique de Borrel, 
rouge magenta, picro-indigo carmin. 

Fig. 4, 5 et 6. — M. palinala. Trois stades successifs de la résorption 
d'un ovule et de la condensation du pigment dans les cellules du massif 


conjonctif, Sublimé. 


Fig. 7. — M. marmorata. Phagocytes folliculaires immigrés dans le 
vitellus. Sublimé. 

Fig. 8. — Phagocytes bourrés de gouttelettes grasses résultant de la 
digestion des globules vitellins. Liq. de Borrel. - 

Fig. 9 et 10. — Phagocytes folliculaires à divers stades de la digestion; 
Sublime. 

Fig. 11. — Leucocyte éosinophile. 

Fig. 12, = Leucocytes polynucleaires participant à la phagocytose. 

Fig. 13, 14 et 15. — Trois stades successifs de l'évolution du follicule 


. dans le cas où un ovule est remplacé par un kyste aqueux : résorplion pro- 
gressive de la graisse et distension en surface des cellules folliculaires. Liq. 


de Borrel. 
Fig. 16. —Phagocytes folliculaires dont le noyau à subi là chromatolyse. 


LEVURE DE BIÈRE ET SUPPURATION 


PREMIER MÉMOIRE 


Par M. EDMOND SERGENT 


La levure de bière, prise par ingestion, est utilisée depuis 
longtemps, par les empiriques de certaines contrées, contre 
diverses maladies cutanées. Son emploi dans la pratique médi- 
cale s’est beaucoup répandu en France, depuis la communica- 
tion de Brocq'. 

L'effet thérapeutique de la levure de bière sur les lésions 
suppuratives de la peau est indiscutable, mais sous les réserves 
suivantes : 1) Elle ne constitue pas un remède héroïque ; seules, 
les suppurations légères, n’intéressant que l’épiderme ou une 
faible partie du derme, sont influencées par son administration. 
Le furoncle représente le type des petits abcès que modifie heu- 
reusement le traitement par la levure de bière. Or le furoncle 
est par lui-même une lésion infime, en dehors des cas où il devient 
grave parce qu'il traduit un mauvais état général, comme dans 
le diabète, ou parce que sa situation sur les lèvres ou les narines 
peut faire craindre une embolie microbienne cérébrale. Le trou- 
ble apporté dans la santé générale de l’homme par un furoncle 
n’est pas en rapport avec l’allération anatomique, et résulte 
de la sensibilité aigüe qu'ont acquise nos nerfs cutanés. Les 
suppurations abondantes ne semblent pas être influencées par 
l’administration de la levure. 2) Toutes les personnes ne sont 
pas également sensibles à l’action de la levure, Chez un grand 
nombre de malades, celle-ci n'apporte aucune modification dans 
l’évolution des furoncles. | 

Pour étudier expérimentalement l’action de la levure sur les 
suppurations, nous avons dirigé d’abord nos recherches sur l'effet 
de la levure sur les animaux infectés par le staphylocoque doré, 
microbe habituel du pus des furoncles. Il fallait d’abord obtenir 
chez lesanimaux d'expérience unelésion comparable au furoncle 
de l’homme, L’inoculation sous-cutanée chez le lapin d’une cul- 


1. Presse médicale. La Levure de bière dans la furonculose, 28 janv. 1899, 
n° 8, p. 4. 


632 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ture de staphylocoque donne un énorme abeès, qui s'ouvre lar- 
gement, occasionnant un grand délabrement des tissus. et 
les animaux meurentcachectiques au boutde quelques semaines. 
L'inoculation sous-cutanée de staphylocoque chez le lapin 
est trop sévère pour servir à l’expérimentation ; car la levure, 
chez le lapin comme chez l’homme, n’est pas un médicament 
héroïque, de même qu’elle n'agit pas avec une efficacité 
égale chez tous les individus. 

Le mode d’inoculation que nous avons adopté consiste à 
frictionner la peau d’un lapin avec une culture de staphyloco- 
que. Nous choisissons un lapin à peau fine et non bourrée : les 
lapins tout noirs ou tout blancs conviennent habituellement *. 
Nous rasons ou épilons une partie du dos du lapin, nous lais- 
sons tomber sur la peau nue quelques gouttes d’une culture en 
bouillon de staphylocoque, que nous étalons avec une lame porte- 
objet flambée. Cette lame érode légèrement les strates super- 
ficiels de l’épiderme: elle ne doit pas atteindre les vaisseaux du 
derme, car s’il y a du sang extravasé à la surface de Îa peau, 
l’inoculation n’a aucune suite. 

Deux jours après la friction, on voit apparaître sur la peau 
de l’animal un grand nombre (40 à 100) de petites bulles 
purulentes grosses comme une tête d’épingle. Le 3° jour, 
les builes se sont développées et sont auréolées de rouge. Le 
4° jour, elles commencent à sécher, et le 5 ou le 6° jour, la 
desquamation est complète. 

Nous avons déterminé ensuite le mode d'administration de. 
la levure. Il était tout indiqué de la donner aux animaux d’expé- 
rience per buccam. Déjà Mac Nair Scott avait employé ce pro- 
cédé, mais avec un insuccès complet, dù certainement à ce qu'il 
donnait trop peu de levure à ses lapins (1 à 3 grammes par 
jour) *. 

1. Lorsque la peau des lapins est revêtue, au-dessous des poils, d’un duvet fin 
(bourre), cette peau esttrès épaisse; les staphylocoques y cultivent d’une façon 
bien plus intense que sur une peau simplément couverte de poils, et l’action du 
traitement par la levure est nulle. On peut considérer que les staphylocoques 
cultivent dans les couches cornées de cette peau épaisse comme en dehors de 
l'organisme. 

2. Nous nous sommes servi d’un staphylocoque virulent, provenant de la col- 
lection de M. Binot. 

3. R. J. Mac Nam Scorr. Notiz über eine Experimentaluntersuchung über die 


gegenseitige Wirkung zwischen Staphylococcus aureus und Hefe, Centralbl. f. 
Bakt., t. XXVIIL, pp. 420-421, nos 44-15, 15 octobre 1900. 


LEVURE DE BIÈRE ET SUPPURATION. 633 


La quantité optima que nous avons employée était de 20 à 
30 €. c. pro die d’une suspension épaisse de levure’. Nous 
n'avons pas utilisé la sonde œsophagienne. La levure était 
donnée aux lapins avec une seringue de 10 c. c., dont l’extré- 
mité était introduite dans la bouche, par l’espace libre laissé 
entre les incisives et les molaires par l'absence de canine chez 
les rongeurs. On évite facilement d'envoyer des levures dans le 
larynx. Des doses pius fortes amènent du ballonnement du 
ventre et de la diarrhée, et chez les lapins ainsi affaiblis, l’action 
de la levure sur le staphylocoque est nulle. 

Pour se mettre dans les mêmes conditions que dans la pra- 
tique humaine, la levure fut, en premier lieu, donnée curative- 
ment. On commençait à l’administrer aussitôt que les bulles 
purulentes apparaissaient, c’est-à-dire le 2° jour après la 
friction avec la culture de staphylocoque. Dès le lendemain, 
les bulles purulentes du lapin traité commençaient à sécher, 
tandis que c'était le moment où celles du lapin témoin étaient le 
plus grosses. Le 4° jour après la friction, les bulles du traité se 
desquamaient, tandis que celles du témoin commençaient à 
peine à se flétrir. 

Les résultats sont encore meilleurs si l’on donne la levure 
préventivement. Il suffit de commencer le traitement 24 heures 
avant la friction, et de le continuer tous les jours. On ne voit 
alors se produire que quelques petites bulles, qui sèchent en 
quelques heures, tandis que les témoins n’ont jamais n:oins 
d'une quarantaine de bulles, évoluant en 2 à 3 jours. 

L'action de la levure est très fugace. Ainsi, on peut faire 
prendre de la levure à un lapin pendant 8 ou même 15 jours, si 
on suspend ce traitement 24 heures avant la friction, l’éruption 
n’est aucunement modifiée. Pour être efficace, le traitement doit 
ètre continu. 

Les différents modes d’inoculation de la levure dans le corps 
des lapins ne nous ont pas paru praticables. Les levures ino- 
culées dans les veines tuent presque toujours le lapin subite- 
ment, D'autre part, nous n’avons jamais vu se résorber les 
levures inoculées dans le péritoine ou sous la peau. Ramon 
Turro, Tarruella et Alvaro Presta, qui inoculent 10 c. c. de 


1. Nous nous sommes servi d'une levure de bière pure, fournie obligeamment 
par M. Fernbach, et surtout de la levure de boulangerie que l’on trouve dans le 
commerce en pains comprim!s, où elle est presque pure. 

41 


63% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


levures sous la peau de lapins, d’ailleurs sans résultat clinique 
appréciable, ne disent pas exactement ce que deviennent ces 
levures !. Dans nos expériences, les levures inoculées sous la 
peau de lapins, loin de se résorber, donnaient lieu à la produc- 
tion de tumeurs bosselées, grossissant sans cesse. Au bout de 
quelques mois, une de ces tumeurs est devenue plus grosse que 
la tête du lapin. 

Si l’on ouvre une de ces tumeurs, on trouve, enkystée dans 
une sorte de membrane pyogénique, une masse caséeuse blanche 
semblable à du mastic, composée de levures non altérées, aux- 
quelles sont mêlées presque toujours des bactéries mobiles, 
venues très probablement de l'intestin de l'animal par les vais- 
seanx. Cette non-résorption des levures injectées en certaine 
quantité dans le péritoine ou sous la peau de lapins a d’ailleurs 
été déjà signalée (Hédon *). 

Le sérum de ces lapins porteurs de grosses tumeurs à levures 
s’est montré fortement agglutinant pour une culture de staphy- 
locoques, tandis que le sérum de lapin neuf est très faiblement 
agelutinant pour ces microbes. Le sérum des lapins porteurs de 
tumeurs à levures n’est pas bactéricide pour les staphylocoques. 

Nous avons essayé d'extraire de la levure le principe qui 
agit contre le staphylocoque dans les expériences précédentes. 
Le procédé d'extraction le plus simple, la macération dans l’eau, 
nous à réussi. Nous tuons les levures par un séjour de 
24 heures dans de l'alcool absolu, nous enlevons l'alcool par la fil- 
tration sur un essorateur, puis en mettant la levure à sécher à 
l’étuve à 37°, entre deux feuilles de papier stérile. La levure 
sèche est mise à macérer pendant deux jours dans deux par- 
ties d'eau de conduite stérilisée. L'eau de macération est filtrée 
sur l’essorateur, puis sur bougie Chamberland; on obtient un 
filtrat citrin, à odeur et à saveur végétales. 

Dans les expériences que nous avons faites jusqu'ici, nous 
avons administré cet extrait de levure aux lapins seulement per 


4. Ramon Turro, J. TarruELLA, ALvaro Presra, La levadura de cerveza en las 
estafilococias y estreplococias experimentales : Gacela medica catalana, mars 
4903, 7 p. Reproduit dans GCentralbl. f. Bakler., I, Origin., t. XXXIV, n° 1, 
pp. 22-25. 


2. Hépox, Serum agolutinant des levures. Soc. Biologie, 9 mars 1901, p. 256. 


LEVURE DE BIÈRE ET SUPPURATION. GR5 


buccam, à la dose de 50 à 80 ec. e. qui ne leur cause aucun trouble. 
Les résultats ont été exactement les mêmes que ceux qui avaient 
été obtenus avec la levure en nature, que nous rapportons plus 
haut. 

Il faut ajouter que cet extrait de levure, donné à plusieurs 
personnes souffrant de faroncles, x agi exactement comme la 
levure en nature : le symptôme douleur a disparu le premier, 
puis les ganglions ont diminué de volume, se sont résorbés ; les 
furoncles déjà ouverts se sont vidés très vite, ceux qui étaient 
à la période inflammatoire ont avorté, en laissant comme trace 
une rougeur non douloureuse qui a persisté quelques jours. 
Comme la levure en nature, l'extrait de levure a échoué com- 
plètement chez quelques personnes. 

L'intérêt de l'emploi, chez l'homme, d'un extrait aseptique 
de levure nous paraït résider en son innocuité certaine. 

Ne peut-on pas craindre, en effet, l’ingestion de levures 
vivantes, comme le sont même les levures sèches, en poudre, du 
commerce ? Les observations de maladies humaines dues à des 
levures deviennent de plus en plus nombreuses. Les levures 
qui ont servi à San Felice pour produire des tumeurs mali- 
gnes avaient été prises par lui sur la peau de fruits comestibles. 
Il n’est peut-être pas iadifférent d'introduire dans notre iutestin 
des quantités énormes de levures vivantes, dont le nombre n’est 
pas à comparer avec celui des quelques levures que nous absor- 
bons avec le vin ou la bière. 


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES 
Su liocuation de La sys an singe (bomet chinois). 


PAR'LE D' CG. NICOLLE, 


Directeur de l'Institut Pasteur de Tunis. 


———— 


Dans la communication présentée par eux à l’Académie de 
médecine * sur l’inoculation du virus syphilitique aux singes 
anthropoïdes, MM. Metehnikoff et Roux ont fait allusion à des 
expériences de même ordre que j'ai pratiquées antérieurement 
sur des singes appartenant à une espèce moins voisine de 
l'homme, 

Ces recherches, que je pensais poursuivre, sont restées jus- 
qu'à présent inédites, comme le sont restées également les 
recherches antérieures de mon frère, le D' Maurice Nicolle, sur 
le même sujet Aujourd'hui que les travaux de mes deux maîtres 
ont fait de l’inoculation de la syphilis aux animaux une question 
toute d'actualité, je erois qu'il n’est pas sans intérêt de publier 
les résultats auxquels je suis parvenu. 

Mes expériences ont été pratiquées dans mon laboratoire de 
Rouen ; le virus syphilitique qui a été utilisé pour les inocula- 
tions provenait du service que je dirigeais alors à l'Hospice 
général de cette ville. J'ai été très utilement aidé dans mon tra- 
vail par mon ami et collègue le D' Derocque, qui a bien voulu 
mettre à ma disposition son habileté chirurgicale et prélever 
chez mes malades le matériel nécessaire aux inoculations. Je le 
remercie de son concours qui a été, dans l’espèce, une collabo- 
ration véritable. 

Mes expériences sont au nombre de trois. Entre les diverses 
espèces de singe de petite taille sur lesquelles je pouvais opérer, 
j'ai donné la préférence au bonnet chinois. Cette espèce s'était 
montrée, entre mes mains, la plus sensible à l’inoculation d’une 
autre maladie vénérienne, regardée, elle aussi, comme spéciale 
à l'homme, le chancre mou :. 

ExPÉRIENCE 1. — M... Louis, 19 ans, entré dans le service le à septem- 
bre 1900, pour chancre iuduré du prépuce datant de trois semaines, avec 
adénopathie primitive inguinale gauche. 

4. Bulletin de l’Académie de Médecine, séance du 28 juillet 4903, p. 101. 


2, Soc. de Biologie, séance du 7 octobre 1899; Presse médicale, n° du # no- 
vembre 1899, p. 265. 


Lo 


INOCULATION DE LA SYPHILIS AU SINGE. 637 


Le T seplembre, à 9 heures 1/2 du matin, excision du chancre pur le 
Dr P. Derocque. Le même jour à 10 heures 1/2, un singe bonnet-chinois 
femelle est inoculé par frottis de ce chancre sur la région frontale, préalable- 
ment scarifiée, 

Leslésions d’inoculation sontentièrement disparues au bout de trois jours. 

Le 22 seplembre, après une incubation de A5 jours, apparaissent sur la 
région inoculée six à huil papules, de couleur rouge-sombre, ayant les 
dimensions de deux têtes d’épingle, légèrement saillantes. La peau est très 
légèrement indurée à leur niveau. Aucune hypertrophie des ganglions lÿm- 
phatiques correspondants. 

Le 25 septembre, les papules sont devenues un peu plus grosses, leur 
sommet présente une excoriation très superficielle. 

Le 27 septembre, toute trace d’excoriation a disparu, il se produit une 
légère desquamation au niveau des papules. 

Le 30 septembre, Disparition complète des lésions, il ne reste plus d’appré- 
ciable que la desquamation. La quérison des accidents $’est faite en 10 jours. 

Le singe observé pendant un an environ n’a présenté ultérieurement 
aucun autre symptôme. 

EXPÉRIENCE Il. — D... Gabriel, 22 ans, entré dans le service le 21 décem- 
bre 1901, pour chancre induré du prépuce remontant à 15 jours, avec 
adénopathie inguinale gauche énorme datant de 5 jours. 

Le 24 décembre, à 9 heures 3/4 du matin, le Dr Derocque pratique l’exci- 
sion du chancre et enlève également les gangliors inguinaux. Le même 
jour, à 11 heures, inoculation d’un singe bonnet chinois mâle en trois 
régions : 

19 Dans le tissu cellulaire du prépuce. Deux inoculations sont faites, 
l’une à gauche, l’autre à droite, avec 1 c. c. de bouillon dans lequel ont été 
broyés des débris de chancre et d’un ganglion; 

20 A la région frontale gauche. La peau _ rasée avec un rasoir dur et 
frottée ensuite à plusieurs reprises avec un fragment de ganglion; 

3° A la région frontale droite. La peau est scarifiée et frottée ensuite 
avec des débris du chancre et d’un ganglion. 

La réparation des lésions d'inoculation s’est faite rapidement. En 3 jours, 
la peau du front reprend son aspect ordinaire. Le prépuce quis’élait d'abord 
ædématié redevient normal en 5 à 6 jours. Le 4er janvier, il ne reste plus 
trace des lésions opératoires. 

Le 12 janvier, après une incubation de 19 jours, paraissent simultanément 
les accidents suivants : 

10 Au niveau du prépuce. Dans l’évaisseur du tissu cellulaire et du côté 
gauche seulement, se montre un noyau dur, élastique, du volume et de la 
forme d’une petite lentille, indolore, ne s’accompagnant d’aucun changement 
de coloration des téguments. Les ganglions de laine du côté droit sont mani- 
festement augimentes de volume. ceux du côté gauche le sont un peu moins, leur 
pression paraît indolore ; 

20 Sur la région frontale gauche sont apparues 5 papules saïllantes, ayant 
exactement les dimensions et l'aspect notés dans la précédente observation. 
A leur niveau, la peau est légèrement indurée ; 


638 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR, 


30 Sur la région frontale droite, #ne papule unique, semblable, mais de 
dimensions doubles. Aucune hypertrophie des ganglions correspondants. 

Les jours suivants, même état. 

Le 16 janvier. Les vapules frontales et le noyau du prépuce sont en voie 
de disparition. 

Le 4er fevrier. Disparition complète de ces lésions; il ne reste plus qu'une 
desquamation légère de la région frontale. La quérison des accidents s'est 
faite en 20 jours. 

Le singe observé pendant 6 mois environ n'a présenté aucun autre 
symptôme. 


ExPÉRIENCE IT. — V... Albert, 33 ans, entré dans le service le 4 juin 1902 
pour deux chancres indurés du prépuce datant de 8 jours; le coit infectant 
remonte à 15 jours, il n'existe pas encore d'adénopathie primitive (celle-ci 
s’est montrée le 15 juin ; le 30 est apparue la roséole). 

Le 7 juin. à 9 heures 1/2 du matin, le D: P. Derocque pratique l’excision 
du chancre. Le même jour à 19 heures 1/2, inoculation d'un singe bonnet 
chinois mâle. La peau du front est rasée avec un rasoir dur et l'inoculation 
est faite par frottis du chancre sur la peau, encore rouge du feu du rasoir !, 
En outre, un fragment du chancre est frotté pendant quelques instants à la 
surface de la conjonctive palpébrale de l'œil gauche. 

Le lendemain même, il n'existe plus de traces des lésions d'inoculation. 

Le 22 juin, après une incubation de 15 jours, apparition sur la région 
frontale d'un groupe de 6 à 8 papules de très petites dimensions ; elles crois- 
sent pendant deux jours. Rien du côté de la conjonctive. 

Le 25 juin, elles atteignent leurs dimensions maxima et se srésentent 
alors sous forme d'éléments saillants, du volume de trois à quatre têtes 
d'épingle, à sommet couvert d’une petite squame. La peau est manifestement 
indurée à leur niveau. Aucune hypertrophie des ganglions lymphatiques 
correspondants. Les lésions ont été photographiées le jour même par notre 
collègue le Dr de Batz. 

Le 30 juin, les papules sont en voie de disparition; la desquamation est 
plus marquée. 

Le 15 juillet, il ne reste plus que queiques squamessur la région frontale. 
La guérison des accidents s'est faite en 23 jours. 

Le singe n’a présenté ultérieurement aucun autre symptôme Il est mort 
d'une suppuration non tuberculeuse de la région sous-maxillaire le fer sep- 
tembre. A l’autopsie, rien de spécial; la rate est un peu hypertrophiée et 
ferme. À noter que Les poils n'ont pas repousse sur la région frontale. 


4. Je crois, en ce qui concerne le virus syphilitique, l'inoculation épidermique, 
ou en tout cas très superficielle, préférable à l’inoculation par scaritication. Les 
lésions les plus manitestes obtenues dans mes expérienees ont eu pour siège les 
régions préalablement rasées. N'y a-tl pas lica, d’ailleurs, de se rapprocher, 
dans l'expérimentation, des conditions dans lesquelles se fait l’infeetion naturelle ; 
or chez l'homme la porte d'entrée du virus est, dans la grande majorité des cas, 
une érosion si superficielle qu'elle est méconnue. 

L'inoculation épidermique à encore pour elle cet avantage de réduire, au 
minimum, le traumatisme opératoire. 


INOCULATION DE LA SYPHILIS AU SINGE. 639 


En résumé, chez ces trois singes, l’inoculation de produits 
syphilitiques (chancres ou ganglions) a déterminé l’apparition 
locale d'éléments papulosquameux, et dans un cas seulement 
{obs. Il) d’un noyau sous-cutané induré, accompagné d’une 
hypertrophie des ganglions correspondants. Ces accidents ont 
eu une évolution rapide (10 à 23 jours) ne laissant rien après 
eux, sauf dans un cas (obs. IT) où une alopécie persistante à 
été notée. Chez aucun de ces trois singes, il n’a été observé 
d'accidents ultérieurs, analogues ou non aux symptômes de la 
période secondaire de la syphilis. 

Ces lésions pourraient passer pour banales, si elles s'étaient 
montrées immédiatement à la suite de l'inoculation. Ce qui leur 
donne une signification réelle c’est qu'elles ont paru après une 
période d'incubation de 15 à 19 jours, se montrant en cela analo- 
oues à l'accident primitif de la syphilis chez l’homme. 

Au moment où elles ont débuté, toute trace des lésions d’ino- 
culation était entièrement disparue. Il n’y a donc pas lieu de 
rattacher leur apparition au traumatisme opératoire. D'ailleurs, 
à la même époque, j'ai inoculé à quatre singes de même espèce, 
dans les mêmes régions, et avec une technique identique, des 
produits provenant de mollusceum contagiosum de l’homme ; 
l’inoculation de ces produits a été négative et chez aucun des 
animaux inoculés je n'ai vu apparaître, soit de suite, soit ulté- 
rieurement, la moindre lésion locale. 

Il y a évidemment loin des accidents passagers présentés par 
ces animaux d'expérience à l’évolution de linfection syphilitique 
chez l’homme. Je ne crois pas que cette différence autorise à 
nier la nature syphilitique des accidents observés. Je pense, au 
contraire, que le bonnet chinois doit être considéré comme 
n'étant pas absolument réfractaire à l’inoculation du virus 
syphilitique, et j'estime qu'il y aurait lieu de le conserver 
comme animal d'expérience pour l'étude de la syphilis. 

La faible réceptivité-qu'il présente pourrait, sans doute, être 
artificiellement augmentée ; d’autre part il est possible qu’après 
plusieurs passages par les singes anthropoïdes le virus syphili- 
tique devienne plus actif pour le bonnet-chinois. Si cette hypo- 
thèse se trouvait réalisée, l’étude expérimentale de la syphilis 


en deviendrait plus facile. 
Tunis, {er octobre 1903. 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE 


PAR E--DUCLAUX 


(Suite. V. p. 523.) 


IV 
ÉTUDES DES EAUX VOISINES D'OLMET 


Pour relier les eaux de mon laboratoire à celles de la région, 
j'ai commencé par celles qui viennent sourdre à Olmet et dans 
le voisinage. J’ai dit qu'il y avait, à Olmet même, plusieurs 
sources dans la propriété. L'une d'elles, dite de la ferme, qui 
s’y abreuve et y lave son linge, jaillit à une hauteur d'environ 
694 mètres. Elle est assez abondante, régulière, fraîche l'été et 
chaude l'hiver, comme du reste toutes celles que nous allons 
passer en revue. Une autre, plus abondante encore, sourd dans 
un pli de terrain, à 705 mètres, dans une sorte de bassin naturel 
où viennent aboutir quelques autres sourcettes. Celle que j'ai 
recueillie s’élève du fond d’une sorte de bassin artificiel. C’est 
la source du village d’Olmet. Une autre eau a été amenée dans 
la cour d’une propriété voisine par le propriétaire, M. Guibal, 
et y débouche par un orifice placé à 703 mètres. Le point de 
départ n’est pas beaucoup plus élevé. A ces eaux, dont les origines 
ne sont pas à plus de 100 mètres de la source du laboratoire, j'ai 
ajouté leseaux d’Aris, fontaine pérenneettrèsancienne,quicompte 
dans les souvenirs du pays. Elle apparaît sur le flanc du chemin 
public, sous forme d’un filet peu abondant, mais variant peu de 
débit. à 1 kilomètre environ d'Olmet, à une hauteur de 700 mè- 
tres. De l’autre côté d’Olmet, à cette même distance d'environ 
1 kilomètre, j’ai étudié aussi la source de Comblat-le-Pont, 
célèbre par son abondance. C’est la plus grosse du pays, elle a 
servi à alimenter un moulin : aujourd’hui elle sert à l'irrigation. 
L'orifice, qui semble avoir été déplacé par un éboulement, est à 
la cote de 697 mètres. 

Pour toutes ces eaux, voisines, comme on le voit, du niveau 
100 mètres, qui est le niveau d’Olmet, on a fait un certain nombre 
d'analyses dont voici les résultats, présentés dans la même forme 
que plus haut. 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 


Nos d'ordre. Origine. 


18 Eau di la ferme 
49 —— 
2() = 


22 Eau du village 
23 -— 
A œe 


26 — 


27 Source Guibal 
28 ni 
29 #E 


30 — 


Î Source d’Aris 


LS 9 MO 


A 3 


39 Source de Comblat 
40 —— 


EE OL 
REX a] 
— — 


1 


Dates. 


9,.1V.96 
13.1X.96 

8.X.99 

1.VIHIL.03 


9.1V.96 
13.1X.96 
25.1X.96 

8.X.99 

1. VILL.03 


5.1V.96 
13.1X.96 

8.X.99 

4.VIIL.03 


10. VIIL.95 
10.X.95 
40:1X.96 
29.XIL.96 
14.1X.97 
18.1X.98 

S,X-99 

1. VIIL.03 


13.1X.94 
1HSEN2 95 
28.1X.95 
1.1V.96 
2.X.96 
29.XIT.96 
18.X.98 
3.X.99 
L.VIIL.05 


TFemp'e. 


8.3 
9,8 


Résidu. 


11 
82 
16 
19 
97 
69 
80 
10 


.Chaux. 
16 
49 


641 
Sel marin, 


3,0: 
3.0 
3.0 
2,0 
2,0 
3.0 
2,0 


Étudions d’abord en gros l’ensemble des résultats. On voit 
reparaître le caractère des eaux du laboratoire. Aucune de ces 
sources n’a présenté deux fois de suite la même composition. 
Chacune a donc son individualité, et rien n’est moins en accord 
que la série de ces chiffres avec l’idée de voir dans ces sources 
la manifestation d’un même courant souterrain, qui reparaîtrait 
au jour quand il en trouve l’occasion. Il est certain que nous ne 
sommes pas ici dans le cas de ces rivières souterraines comme 


642 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


on en a trouvé dans d’autres régions, et comme on peut en 
soupconner au-dessous des coulées de basalte. Le sol ici est 
compact, et chaque source à son lit, qui diffère de celui de la 
source voisine en ce qu'il est plus ou moins étendu, et aussi fait 
d’un terrain différent. 

L’étendue se révèle en gros par le volume de la source : la 
différence de nature par les différences de composition des eaux. 
Le bassin de la source de Comblat, qui vaut plusieurs centaines 
de fois la source d’Aris, est sûrement plus grand. Mais cette 
différence ne se traduit pas par une augmentation d'homogénéité, 
comme on pourrait le croire. Le rapport entre le maximum et le 
minimum est, en ce qui concerne le résidu, de 1.4 pour les deux 
sources; en ce qui concerne la chaux, il est de 2 pour Aris, de 
4 pour Comblat, c’est-à-dire que c'est la source la plus abondante 
qui subit le plus de variations. D'un autre côté. chaque source a 
son caractère. La source de Comblat est, par exemple, moins 
chargée de sels que la source d’Aris ou celle de la ferme. Il faut 
donc se représenter chaque source se formant à part, et appor- 
tant à l'extérieur à la fois les caractères généraux du terrain 
dont elle sort, et les différences particulières du coin de terre où 
elle se prépare. 


Température des sources. 


Elle se personnilie par un autre élément : sa température. 
On s’est toujours préoccupé de cet élément et, depuis qu'on a 
appris àle mesurer avec précision, on sait que la température 
d’une source est à peu près la température moyenne de la région 
où elle sourd. Il y a quelques raisons d'accepter cette donnée, 
et ces raisons sont surtout bonnes pour un pays comme celui 
que nous étudions, où il n’y a pas de grands courants souterrains 
apportant de grandes sources de chaleur et de froid. La source 
s’alimente sur place, avec des filets d’eau qui ont au moins. 
pénétré jusqu’à la couche où ne se manifestent plus les tempéra- 
tures journalières, saisonnières et annuelles, et où les thermo- 
mètres marquent un point constant qui est par définition la 
température moyenne du sol. L'expérience montre que cette tem- 
pérature du sol est très voisine de la température moyenne de 
l’air, telle que la relève une série suffisante d'observations, 
faites avec un bon thermomètre bien placé, etil est connu et 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 643 


accepté que lorsqu'on n’a pas le loisir de faire de longues études, 
on peut se contenter de plonger un thermomètre dans l'eau 
d'une source pour connaître la température moyenne du lieu. 

Les chiffres mentionnés dans le tableau montrent qu’on serait 
bien embarrassé si on les prenait au pied de la lettre. Ils ne sont 
d'abord constants pour aucune source, et pour queiques-unes les 
variations sont très sensibles. Cette remarque n’est pas encore 
faite pour nous désarconner. Notre raisonnement n’est bon que 
si toutes les molécules d’eau de la source ont pénétré jusqu'à la 
couche de température constante du sol, et coulent avec une 
vitesse suffisante pour ne pas l’avoir perdue en arrivant à l'air. 
Tel n’est que rarement le cas. Il y a presque partout, se mélan- 
geant aux eaux profondes, des eaux superficielles qui apportent 
l'écho des variations iournalières. Dans les pays à sol poreux 
ou demi-poreux comme le Cantal, la végétation et la couche 
meuble qui la porte constituent une sorte d’éponge en nappe, 
dont les irrigations retiennent la provision d’eau, et qui se 
ressuient dans les sources. Parfois ces sources sont captées, 
c’est-à-dire qu'elles ont été amenées dans leur position actuelle 
dans des conduites superficielles, qui les mettent longuement en 
rapport avec la température ambiante, et il faut tenir compte 
de toutes ces causes d’erreur, en interprétant le chiffre que 
nous fournit aveuglément le thermomètre. 

Faisons à ce point de vue la critique des diverses sources 
étudiées jusqu'ici. La source du laboratoire vient de 200 mètres, 
au travers de tuyaux de fonte, immergés à petite profondeur 
dans une prairie irrigable, et, malgré son abondance, elle peut 
subir pendant son trajet des variations de température pouvant 
atteindre 2 degrés. La source de la ferme est placée dans une 
situation si incommode qu’elle doit être naturelle. Mais une 
rigole d'irrigation la domine à quelques mètres et amène de l’eau 
deux jours par semaine. Cette eau peut arriver à la source, sans 
que j'aie pu m'en convaincre. La source du village d’Olmet 
sourd au pied d’un coteau irrigable, et, bien qu'elle soit très 
abondante, elle peut subir de ce fait des variations de tempéra- 
ture, La source Guibal, médiocre comme volume, traverse des 
tuyaux de poterie, que coupe l’eau du village sitôt qu'elle est 
employée aux irrigations. Pour toutes ces sources, la comparai- 
son des observations d'hiver (2, 18, 22, 27) avec celles d’été de 


644 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la même année (5, 19, 23, 28), montre une différence qui est 
trop grande pour que nous puissions parler de température 
constante. Il faut conclure que ce sont des exceptions et qu’on 
aurait eu tort d'appliquer la règle usuelle. 

La source d’Aris vaut beaucoup mieux. Il est curieux de voir 
se maintenir ainsi la température d’un aussi mince filet d’eau. 
C'est qu'ici l'émergence est naturelle, et n’est pas dominée 
par une autre source ni menacée par des irrigations. Elle est 
seulement sous le coup desinfiltrations d’une grange à quelques 
mètres, et c’est ce dont avertit le chiffre relatif au chlorure de 
sodium, un peu plus grand que pour les sources voisines. Mais 
nous reviendrons sur ce point. Concluons pour le moment que, 
mème pour cette source, la température moyenne ne serait 
connue qu’à un demi-degré près. 

La source qui se présente dans les meilleures conditions 
apparentes pour l'étude est celle de Comblat-le-Pont, la plus 
volumineuse en mème temps etlaplus naturelle. Pour celle-ci, il y 
aune température moyenne, qui est de 8,6, que le thermomètre 
relève presque constamment à 0°,1 près. Cette température est 
inférieure de 1° à celle d’Aris, et, si on veut choisir entre ces 
deux sources celle qui donne le vrai chiffre, on n’a d’autres 
raisons que des raisons de sentiment, qui sont ce qu'il y a au 
monde de moins scientifique. Coneluons que la recherche de la 
température moyenne par les sources ne mérite qu'une confiance 
très limitée. Chaque source conserve sous ce point de vue sa 
petite personnalité. 


V 
ÉTUDE DES EAUX DU NIVEAU D'OLMET 


Nous pouvons résumer sous une forme un peu schématique 
ce que nous venons d'apprendre en disant que toutes les sources 
que nous avons étudiées font partie d’use même famille, et, 
comme dans l’humanité, sans être différentes, ne sont pourtant 
pas identiques. Ceci nous pousse à rechercher si on retrouverait 
la même parenté entre les eaux de sources qui apparaissent sur 
le flanc gauche de la vallée de la Cère, au niveau de celles 
d'Olmet, et que nous avons déjà été conduits à envisager comme 
tributaires de la surface de séparation des couches calcaires et 
des terrains volcaniques. J’ai étudié pour cela toutes celles qui 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 645 


avaient quelque importance, et je présente de la même façon 
les résultats de l'analyse. Je suis parti de Comblat en remon- 
tant la vallée. 

A chaquesource correspond le chiffrede son altitude, mesurée 
par le baromètre ou relevée sur les cartes de l'État-major. 


Nos d'ordre. Origine. Alt. Dates. Tempre. Résidu. Chaux. Sel marin. 
48  Daysset(lrax) 686 16G.IX.94 9,8 88 9 320 
49 — —= 1.1X.95 9,8 +. 89 10 3.0 
50 _ —_ 14.1X.97 9.4 88 9 3.0 
j1 — _ DOAVATIE O3 MA 01S 11 7 3.0 
52. Maisonneuve 700 40.IX.95 9,0 88 7 2.0 
D9 — — 30.11.96 8.9 86 10 2.0 
D4 — — 15.1X.96 8.9 94 8 2.0 
DD a — _ 14.1X.97 9.0 90 9 2.0 
50 Salvaroque 100 15.1X.96 9.6 6 D 2,0 
51» ‘Pré Tournier , 700 : 14.I1X.96 8.8 61 5 2.0 
DS — — 2.1V.97 8.0 64 D 3.0 
59 Grand Hotel (Vic) 700?  4.V.98 ? 87 9 3.0 
60 Nalvagnac (Pré) 680". 21.1X.94 8,4 TAPLATS 2,0 
61 — — 30.11.96 ? 70 5 2.0 
D3 — — 16.1X.96 9.0 S0- 10 2.0 
6% — — 10.1X.99 S.4 80 10 10) 


65 Trémoulet 740 130:1X:96 CADRE 15 (20m |) 2,5 
L2 


Remarques. — 48 à 51. Fontaine-lavoir du village : réunion de 2 sources. 
captées à environ 200 mètres —52 à 55. sort naturellement du pied d’un escar- 
pement boisé.— 56. Fontaine-lavoir. — 57 et 38. Achetées par la Cie d'Orléans 
avec les autres sources du pré, et réunies après les travaux dans le n° 59, où 
l'influence de la chaux du réservoir est peut-être sensible. — 60 à 64. Belle 
source jaillissant au milieu d’un pré qu’elle arrose, sert ensuite à nourrir les 
fontaines du village. — 65. En face du passage à niveau du chemin de fer. 


On ne peut pousser plus loin les recherches en remontant la 
vallée. Trémoulet domine la coulée qui donne naissance au Pas 
de la Cère et qui en relève le lit de 40 mètres, laissant à moitié 
hauteur ce niveau de 700 mètres d’altitude. Au delà, il est 
sous le sol. Mais on peut le trouver en aval, et, en continuant 
à suivre sur la carte géologique la même ligne que tout à l'heure, 
de séparation des tufs d’andésite et des alluvions et moraines 
quaternaires et récentes, on trouve les villages ou propriétés 
suivantes, tous accolés à des sources puissantes. 


646 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Elles font suite en descendant à celles d'Aris. 


Nos Origine. Alt. Dates. Fempre. Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre — — — marin. 


66 Clavières (route) 680 23.VILO3 11.0 420 43 3,5 


67 Clavières (wrang) 680 13.1X.96 HO AU TG ENS 
68 La Gentie 690 20.IX.0t LUI EAU 4.0 
69 Marfons 690 1.1X.94 HOT AUDE NIET ESS 
10 — — 2.1X:96 EE 00 ALIAS 
71 Maruéjouls (place) 730  20.1X.94 POMÉRMU EI IMeS 
72  Maruéjouls (pré) 730.  1.IX.96 9,97 MA AT 0 
13 Esmons (route) 660 ; 024. VENL-96: 410,0 " 118 2798/0149 

Remarques. — Le château de Clavières et ces villages ont de très belles 


eaux qui toutes, malheureusement, sont voisines de couches marneuses, ce 
qui amène des éboulements de terrain où même de maisons. Nous nous 
sommes rapprochés en effet, en allant en aval, de la fin de la coulée, Les 
eaux de Maruéjouls, qui jaïllissent au sommet d’un mamelon, doivent peut- 
être à cette circonstance leur niveau élevé et leur abond nce. La source de 
Marfons est aussi très forte. À Esmons, on est en plein calcaire, et je ne 
sais d’où est partie la source conduite sur la route. 


Si nous collationoons maintenant tous ces résultats, nous 
voyons ceci : 

10 Tout le long dela vallée les niveaux des sources sont très 
voisins de 700 mètres. Pour celles qui tombent un peu en des- 
sous (48, 49, 50, 51, 66, 67, 73), il y a trace de travaux d’amenée 
qui les font dériver de quelques mètres plus haut. 11 y a donc là 
ce que Belgrand appelait un cordon de sources ; 

2° Toutes les eaux qui paraissent sortir de cette règle du 
niveau commun ont une température qui est aussi en discor- 
dance avec la loi des températures moyennes. Presque toutes 
les sources du dernier tableau sont dans ce cas. On est done 
averti du déplacement de lorilice par deux discordances uni- 
voques : la source est trop bas et a trop chaud. Il en reste que 
la température monte quand l'altitude de la source diminue, et 
par ce côté, nous donnons la main à une loi naturelle. Mais il 
ne faudrait pas voir ici l'effet de cette loi, n1 attribuer les 2° de 
température constatés en plus dans le n° 68 que dans les n° 70 
et 71, à ce qu'il y a 40 mètres de différence d'altitude. Il est trop 
clair que la décroissance ne se fait pas avec une pareille vitesse. 
Nous rencontrons encore ici la personnalité des sources ; 

3° Comme pour les eaux des environs immédiats d'Olmet, 
la variation des résidus est beaucoup plus grande que celle de 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 647 


la chaux et du sel marin. J'ai constaté à plusieurs reprises que le 
résidu était formé à peu près exclusivement de silice. J'avais 
cru pouvoir attribuer ses variations à la présence de quantités 
variables de matières organiques. Il n’y en à jamais que très 
peu quand il y en a; c’est la silice qui comble tous les vides; 
quelquefois, il y en avait assez pour louchir l'eau d’une façon 
perceptible à l'œil (65,73). D'ordinaire l'émulsion dela partie non 
combinée de cette silice était assez fine pour que la transparence 
ne laissàt rien à désirer ; 

4° D'un bout à l’autre de la vallée, sur une longueur de 
10 kilomètres, la seule sur laquelle aient porté ces études, ces 
sources sont celles du niveau de séparation du calcaire et 
des couches volcaniques. Les cartes géologiques ne montrent 
pas partout les calcaires. Dans celle de M. Boule, on ne voit 
guère que l’îlot que j'ai signalé à Olmet, et les couches d’Esmons, 
en relation avec l'étalement que le terrain subit aux environs 
d’Aurillac. Mais on le retrouve quand on cherche, tout le long 
du niveau des sources. Le grand éboulement qui a déplacé les 
eaux de Comblat s’est fait sur un fond régulier de marne. La 
propriété de Clavières glisse, elle aussi, sur des marnes en 
nappes; le village de Marfons est en voie de démolition perma- 
nente, assis qu'il est sur des couches qui, un peu plus haut, 
soutiennent, comme à Clavières, de larges pièces d’eau. Partout, 
en résumé, on est averti de la présence du calcaire aquitanien 
au niveau des sources. Il est presque partout caché sous les 
éboulis, mais il est là, et 11 commande l’agriculture : 

5° Bien qu’elles aient été retenues par ce terrain et aient par 
conséquent coulé plus ou moins longtemps sur ces roches cal- 
caires, les eaux de ces sources ne contiennent pas beaucoup 
de chaux. Elles ne dépassent guère 20 milligrammes par litre. 
Ce n’est qu’en arrivant à Esmons (13), à la fin de la série, que 
la richesse en chaux augmente. Mais cette question en introduit 
une autre : comment se fait l'enrichissement d’une eau? Celles-ei 
viennent sourdre à un niveau assez constant de 700 mètres. Il y 
en à beaucoup plus haut : il y en a plus bas. En quoi diffèrent- 
elles les unes des autres? Cela est important à savoir, car si, par 
hasard, toutes ces sources se ressemblaient autant que celles du 
niveau de 100 mètres, les conclusions à tirer de ce que nous 
venons d'apprendre seraient tout autres. 


648 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 
VI 
EAUX DU MASSIF 


Le massif montagneux d’où sortent les eaux est un des 
rayons de la roue dont nous parlions en débutant, un secteur 
compris entre la vallée de la Cère et la vallée du Goul qui, très 
rapprochées au départ, s’écartent ensuite en se dirigeant l’une 
vers le S.-0., et l’autre vers le S.-S.-0: 11 y a, dans ce massif, de 
l’eau et par suite des prairies à tous les étages, plus abondantes 
peut-être qu'ailleurs, à raison de l’exposition géaérale au S.-0, 
et de l'obstacle placé en travers des vents pluvieux. Si pour étu- 
dier la localisation des sources, nous commençons par la portion 
de Ja vallée de la Cère que nous connaissons le mieux, nous 
n'avons qu’à nous reporter au tableau que j’ai tracé du contre- 
fort qui, d’Aurillac à Thiézac, domine la voie ferrée (V. p. 525). 

Le socle calcaire * qui, dans ma pensée, s'étend sous tout le 
massif, et qu'on retrouve dans la vallée du Goul à Cros de 
Ronesque, Raulhac et Jou-sous-Monjou, à peine soulevée et en 
contact avec les micaschites, est de l’autre côté, au niveau 
d'Olmet, de 100 mètres au-dessus de la voie, et se retrouve à son 
niveau, ou à peu près, au Pas de la Cère ou à Trémoulet. Ce 
socle est par excellence la région des prairies arrosées, par la 
rivière dans le fond, par les sources sur les pentes. Au-dessus de 
cette région, et des terrasses à faible pente qu'elle porte, en com- 
mence une autre plus confuse, formée des produits éruptifs 
superposés ou juxtaposés des convulsions de la vie volcanique. 
C’est ici que se placerait, si elle était faite, l’histoire du volcan. 
Les matières qui remplissaient ce qui est aujourd’hui les vallées 
étaient les mêmes que celles que l’on trouve aujourd’hui dans 
les massifs: comme dans une statue, les vides étaient formés 
des mêmes matières que les pleins. 

Le volcan s'était pas sculpté. Il faut se Le représenter en gros 
comme le moule en creux du volcan actuel, les points les plus 
élevés de l’un correspondant aux plus bas de l’autre, des monta- 
gnes à la place des vallées, des vallées à la place de nos mon- 
tagnes. 

Autant qu'on peut juger de cette ancienne structure par ce 
qu'il en existe encore, ces alternatives de bombements ou de 


1. Le Cantal miocène, par M. Boure. Bulletin de la carte géologique, t. NW, 
1896-1897. 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 649 


vallées ont pu être nombreuses et se succéder sur un même 
point. Les coulées des matières liquides ou semi-liquides, de 
même que les matériaux entraînés par les eaux météoriques, 
allaient toujours combler les fonds, Ce qui est voisin aujourd’hui 
ne l’a donc pas toujours été. Les arbres et les débris végétaux 
qu'on trouve calcinés ou noircis n’ont pas sûrement poussé où 
on les trouve. Cela ne rend pas le procès facile à débrouiller. 
Nous sommes, naturellement, poussés à donner de l'importance 
à la dernière convulsion, celle après laquelle le volcan étant 
Mort, c’est-à-dire n’augmentant plus d'épaisseur, ses flancs ont 
été livrés, sans compensation, aux agents destructeurs de la 
nature. Je ne dis même pas que le moment ait été le même sur 
les diverses faces du volcan. 

Dans la vallée de la Cère, cette dernière convulsion a été le 
rejet de cette immense couche de basalte des plateaux qui 
domine la vallée. Sur les tranches que nous avons aujourd’hui 
sous les yeux, il y en a quelquefois plus d’une. Ces couches ont 
coulé alors dans une vallée qui occupait une situation intermé- 
diaire entre la vallée du Goul et celle de la Cère. Ainsi cou- 
verte d'une couche régulière et continue de matériaux 
très résistants, cette vallée s’est conservée au même 
niveau pendant que les contreforts qui la bordaient ont été 
emportés par les agents atmosphériques et, en particulier, par les 
glaciers dont on trouve la marque à toutes les hauteurs, dans les 
vallées qui les remplacent maintenant. Ces vallées se sont creu- 
sées d’abord dans le terrain volcanique, puis dans les terrains 
tertiaires, au fur et à mesure qu’elles les rencontraient, ou bien 
encore dans les terrains primitifs à peine plus résistants. 

Nous en sommes là, car l'histoire n’est pas finie. Mais, 
comme pour les humains, ce n’est pas une raison pour se dis- 
penser de pousser aussi loin que possible cette histoire du 
passé. 

Nous pouvons heureusement ici abandonner la question 
géologique pour revenir à nos eaux, et étudier l'influence du 
relief actuel pour déterminer la distribution des pluies et des 
sources. Nous trouvons, à la partie supérieure, ce qui reste de 
cette nappe de basalte qui avait autrefois couvert le fond d’une 
vallée, et qui limite une première nappe d’eaux, qui sont les 
eaux de surface. 

42 


650 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


A partir de cette ligne de faite, et sur une épaisseur d’à peu 
près cent mètres sur une longueur d’environ 20 kilomètres, on 
voit une croupe en dos d'âne, qui est couverte de bois sur ses 
pentes, et éveille l’idée d’une coulée unique. Les eaux qui sont 
tombées sur ces pentes et qui n’ont pas été prises par le ruissel- 
lement et les ravins, augmentent le volume total des eaux qui 
descendent par imbibition, et contribue à l’alimentalion de tous 
les biefs inférieurs. A la base de cette croupe, et lui servant de 
support, apparaît une première terrasse, où les eaux sont assez 
abondantes et où reparaît la prairie. Vient ensuite toute une 
succession de terrasses qui se superposent, en se débordant les 
unes les autres, jusqu’à celle qui repose sur le socle calcaire 
dont nous avons parlé. Les terrasses se succèdent les unes aux 
autres, grossièrement arrangées sur deux ou trois étages, qui 
restent parallèles et se suivent le long de la vallée, en traduisant 
sans doute, par cet aspect, les dimensions successives de puis- 
sance du cours d’eau qui la remplissait, et qui, fleuve puissant 
autrefois, à fini par être la petite rivière d'aujourd'hui. L'épais- 
seur moyenne de ce terrain, aux environs d'Olmet, depuis 
la première terrasse jusqu'au niveau du socle calcaire dont 
nous avons parlé, est d'environ 200 mètres. Les eaux y sont 
inégalement réparties en sources généralement médiocres au 
pied desquelles s’assoient des hameaux; des céréales y repa- 
raissent sur tous les points où il n’y a pas d’eau, ou bien la terre 
reste inculte lorsqu'elle est trop inabordable. 

Nous donnerons à toutes ces eaux le nom commun d'eaux de 
terrasses, à la fois dans la vallée de la Cère comme dans tous 
les cas où nous les rencontrerons, et la question est pour nous 
d'indiquer leurs différences de composition à mesure qu’elles se 
rapprochent du niveau de 700 mètres. 


Eaux de surface. 


L'étude de ces eaux est intéressante parce que c'est au fond 
l'étude des conditions d'alimentation des vacheries à la mon- 
tagne, c'est-à-dire dans les pâturages d'été. Quelle est la richesse 
en chaux, silice, et chlorure de sodium, des eaux dont elles 
s’abreuvent, et comment se forment ces sources? Nous avons vu 
que les basaltes qui recouvrent toute la coulée ont massé dans 
d'anciens vallons. Le sol de ces vallons reçoit les eaux qui ont 


TT En ARE -à ri 


A 


y 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE, 651 


traversé la couche fissurée qui les surmonte, et rien n'est moins 
surprenant que de trouver au bas actuel de la coulée toutes 
ces eaux se rassemblant soit dans des prés mouilleux, soit dans 
des régions tourbeuses, ou bien formant de véritables sources. 

La mise en valeur de ces régions s’est faite en juxtaposant 
autant que possible une source et un buron, c’est-à-dire la maison 
où loge le vacher et où se font les fromages. Quand la source 
était toute faite, on faisait un abreuvoir. Là où elle devait venir 
de loin, on faisait une saignée et un drainage. 
= J'ai trouvé, au voisinage d'Olmet, une représentation quasi 
schématique des conditions diverses dans lesquelles se trouve 
généralement résolu le problème de l’eau sur le Cantal. Une 
vacherie, située sur la carte à une hauteur de 1,042 mètres, sous 
le nom de vacherie de Capelle, s’alimente avec une eau de 
source, qu'elle a amenée au buron d’une distance de 250 à 
300 mètres. Elle arrive ainsi au sommet d’une croupe d’où elle 
est conduite sur les pentes. Une autre vacherie, à la distance de 
600 mètres environ, a rencontré dans le vallon qui la sépare de 
la première une source volumineuse, beaucoup trop volumi- 
neuse pour qu'on puisse l’attribuer au récolement des eaux qui 
sont tombées sur le haut du vallon, qui n’a pas un kilomètre 
carré (voir p.531). Il faut lui attribuer une origine plus lointaine, 
et considérer cette source comme une source de fin de coulée. 
Enfin, à environ 1 kilomètre de distance de ces deux sources, 
lune ayant un court trajet superficiel, l’autre jaillissant à envi- 
ron 50 mètres de son très ancien orifice, on trouve l’abouche- 
ment d’une ancienne saignée, amenant surtout, autant qu’on 
peut le voir, des eaux franchement superficielles, abondantes 
après les pluies, se réduisant à un mince filet pendant la saison 
sèche, mais suffisantes pourtant pour abreuver une grande 
vacherie quand elles se trouvent sur son parcours. Celle-ci n’a 
pas là de buron. Il est juxtaposé à une autre source, 

A ces différences dans l’origine des eaux correspondent des 
variations dans la température, qu’il m’a paru intéressant de 
relever, pour les comparer à ce que nous avons vu avec les 
sources profondes. Voici quelques chiffres pour les trois espèces 
d’eau. 


652 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Eau de Source Drainage 
Capelle. du basalte. — 
19.1X.94 9,6 7.6 11.2 
28.1X.94 9,6 THAT — 
2.1V.95 »,9 6,9 8.1 
24.1X.95 40,2 1,4 11,0 
2.1V.96 6,8 1,2 D,4 
3.1X.96. 9,4 7.6 44,2 
15.X.96 ou 1,4 10.6 
28.1X.97 9 1,2 14.8 
15-1V°:98 6,8 AA 6.0 
15.VIIL.03 ST 1.6 11,0 


Nous n'avons ici que des températures de printemps, d'été 
ou d'automne. On voit tout de suite cependant combien la tem- 
pérature dans la source qui a coulé sous le basalte est plus cons- 
tante que dans les autres. Elle est sûrement plus rapprochée de 
la température moyenne de la région. Celle de l’eau de Capelle 
est plus quelconque, et en rapport avec la nature des eaux, 
moitié parcours souterrain, moitié parcours près de la surface. 
Enfin, l’eau de la dernière source est tout simplement un drai- 
nage, avec ses irrégularités de débit et ses variations de tempé- 
rature. En résumé, l'emploi du thermomètre permet de suite le 
classement de ces sources, et il faut en conclure que dans un pays 
qu'on connaît un peu, la température d’une source renseigne sur 
son histoire. 

Voyons maintenant comment ces différents parcours influent 
sur la composition. Dans le tableau suivant, j'ai réuni ces trois 
types d’eau à d’autres eaux de surface, provenant de drainages. 


Nos Origine. Alt. Dates. Tempre.  Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. = — — — = — marin. 
14 Capelle (burn) 1042  19.1X.94 9,6 30 4 2,0 
b — — 24.1X.94 10,0 94 3 2,0 
76 — — 2,1V.96 6.8 29 3 2,0 
gi — —- 3.1X.96 9,4 30 4 — 
T8 — — 9.1X :99 10.2 30 6 2,0 
79 — _ 16. VIILO05 8,17 29 — 2,0 
80 Capelle [basalt) 1022  19.1X.94 1 35 3 2,0 
81 — — 24.1X .95 7,4 3 5) 3,0 
82 -- — 2.1V,96 D,0 29 b) 3,0 
83 — — 3.1X.96 7,6 34 D — 
84 — — 92424709 7,8 26 4 3.0 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 653 


85 Capelle (drainage) 1030 2.1V.96 5,4 29 3 2,0 
86 — —- 3.1X.96 11,2 90 5 -— 
87  Capelle(t. mouilleux) 1050 12.1V.96 1,0 42 6 2,0 
88  NtClément (drainage) 1021  28.IX.95 12,0 50 10 25 
89  Curebourse (drainage) 1000  15.IX.01 14.0 69 11 3,9 

= — 15. VIIL03 10,4 66 12 3,9 
O1 Les Huttes (source) — 6. VIIL.97 14,7 47 5 2) 
92 Les Huttes (ricole) 1000 15.1X.01 11 SARA 12 3,0 


Pour toutes les eaux, qui sont en écoulement au voisinage 
de la surface, on voit combien le résidu est faible, et surtout la 
teneur en chaux. Dans ce terrain exclusivement basaltique, les 
silicates solubles sont rares et la chaux manque presque abso- 
lument. La dernière eau (92) est une eau d'irrigation dans 
laquelle la silice est en suspension et se coagule de suite à la 
surface, quand on évapore. 

Voilà la composition d’une eau au départ, au moment où elle 
débute. Il est curieux qu’elle contient déjà ce qu’elle contiendra 
jamais de sel marin, à moins de circonstances exceptionnelles. 
Ceci nous confirme dans la pensée que le sel n’est pas emprunté 
au terrain ou qu'il ne lui est pris que pour une faible partie, 
et qu'il provient de celui que les hommes et les animaux dissé- 
minent constamment autour d'eux, ou au sel atmosphérique, 
à celui qui sale les pluies. Passé une certaine épaisseur, il ny en 
a pas dans le sol, à moins de circonstances dont nous trouve- 
rons un exemple. 


Eaux des terrasses, 


J'ai étudié de la même façon les eaux de terrasses comprises 
entre les basaltes et le niveau de 700 mètres. La plus nette de ces 
terrasses est celle qui porte l'énorme coulée qui flanque la vallée 
d’un bout à l’autre. C’est à elle qu’appartiennent les eaux de 
Vixouge. Il y a un grand nombre de sources pareilles, formant 
une frange continue aux pieds des bois, qui en ce point-là 
couronnent la vallée. Plus loin, en remontant la vallée, cette 
première terrasse est moins visible, à cause de l'allure tour- 
mentée du sol. Les diverses eaux qu’on trouvera dans ce tableau 
sont prises un peu au hasard, en tenant compte seulement de leur 
altitude. Ce sont partout des sources. On a négligé les eaux 


654 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


d'irrigation, qui se font surtout à l’aide de l’eau des ravins. 
Comme, dans le haut de la vallée, la couche de 700 mètres 
n'existe plus, noyée qu’elle est en apparence sous une inondation 
de lave, ce n’est qu’à partir de Vic que nous la retrouverons. 


Nos Origine. Alt. Dates. Temp'e. Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. = == = = = — marin. 
93  Vixouge (abreuvoir) 820  30,1X.96 11.6 83 128:D 
94 — — 44,1X.97 11,4 132 A2 EH 
95 _ — 18.X.98 9,9- 400. 17:30 
96  Vixouge {chatear]) 825  18.X.98 11,0 95 5 A5%5°0 
rl _ — 105" 2#12;2 93: 49-249 
98  Salvagnac (soro) 530  16.IX.96 8.0 70 6222:0 
99 La Goutte 807 6.X.96 8.0 76 6 3,0 
100 Les Griffaudes 910 6.X,96 8,8 49 6:,::2/0 


Sauf que les eaux de Vixouge se sont enrichies d’une manière 
anormale en chaux et en sel marin, comme presque toutes celles 
qui portent un village au voisinage des sources, on voit que tout 
se passe ici comme au niveau supérieur, La chaux n'est pas 
devenue plus abondante à travers un sol qui n’en contient 
pas d’une façon sensible, et il n'est pas étonnant que toutes ces 
eaux viennent se relier par des transitions avec celles du niveau 
de 700 mètres, qui en diffèrent surtout en ce qu’elles sont plus 
abondantes, ayant rencontré une couche marneuse qui les 
empêche de descendre plus bas. 


Eaux au-dessous de La couche de T00 mètres. 


Ce qui est intéressant, c’est de chercher comment ces eaux 
traversent les couches calcaires qu'elles rencontrent à ce niveau. 
Je parle non de celles qui les traversent à proprement parler, car 
elles sont très épaisses, mais de celles qui se trouvent rejetées 
par côté et y réapparaissent comme sources à un niveau plus ou 
moins inférieur. Cherchons quelle est la composition des eaux 
au-dessous de 700 mètres. 

Ici nous sommes forcés de mettre un peu d’indécision dans 
-nos termes. Cette couche calcaire n’a pas un niveau très régu- 
lier; comme elle forme terrasse sur une pente et terrasse sup- 
portant une forte poussée, elle a subi des éboulements tels que 
l'éboulement formidable qui a fait descendre de 70 mètres les 


CP 


à sise 1-4 Luis 


AU ER TRE DR EU LU CEE 


PART ee 


s'y 
SE ul eh ai À 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 655 


sources de Comblat-le-Pont, ou encore ceux de Clavières et 
Marfons. Il faut donc donner de l’élasticité à l’expression niveau 
de 700 mètres. Comme, d’un autre côté, ce niveau s'enfonce sous 
le sol à la hauteur du Pas de la Cère, et n’est pas à 75 mètres du 
niveau de la rivière, en face de Maruéjouls, où il commence à 
être au-dessus du sol, la surface sur laquelle doivent s'étendre 
nos investigations n’est pas grande. Enfin, la région à étudier 
est couverte d’éboulis au milieu desquels la recherche de l'ori- 
gine de l’eau est souvent fort difficile. 

Je n’ai trouvé dans cet espace qu’une seule véritable source, 
caractérisée par la constance de température et la régularité de 
son débit, c’est celle de Comblat. Les autres font des réappari- 
tions après irrigation de sources plus élevées. Il y en a qui sont 
restées en terrain volcanique, les autres ont pénétré les calcaires. 
Les localités sont prises en descendant la vallée. À la suite, je 
place naturellement les analyses de l’eau de Cère qui nous don- 
neront la synthèse de tous les phénomènes longuement analysés 
pour cette petite région du Cantal. 


Nos Origine. Alt. Date. Tempre, Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. == — = = — == marin, 
101 Salvagnac{rillage) 654  24.1X.95 8,7 SOA OESS:0 
102 — —  A16.IX.96 8.9 1022807190 
4103  Vic(rute delagarw) 660 241-089 1201088 0: 0 
10%  Comblat (petites) 65% 2:X:06 1072/24193%..997. 24,0 
105 — —  10.IX.99 102 AGO CAES 3.0 
106 — — 4.VIIL.03 LOS AAT LS2ELXA,0 
107  Olmet (réapp.) 680  25.IX.95 14,0 SN 107: 22,0 
108 Lalo 630 3:X-99 SLR TS 50 
109- — 20.1X.01 12 More CRE 0 
110 Canteloup 630 10.VIIL.96 SU RS 10 EL) — 
411 — = 20.[X.01 12:8110271604408%"15:5 
412  Arpajon(s.Appert) 628 3.X.99 OA 396: 2100 
113 Arpajon (fontain)  — 13.1X.00 18,0 D4 6 5,0 


On voit qu'à mesure qu'on pénètre sur le pays calcaire, la 
chaux atteint des proportions que nons ne connaissions pas 
jusqu'ici. 

La première source d’Arpajon est une cressonnière ; 
seconde est l’eau de la commune qu’on m’a donnée comme pro- 


656 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


venant d’une colline calcaire. Il est visible qu’elle est puisée 
plus haut qu’on ne croit, et est une fontaine des régions volca- 
niques, En somme, toute eau dont la teneur en chaux dépasse 
20 ou 25 mgr. par litre n’a pas léché la couche calcaire sur tout 
le long parcours que nous avons étudié. 

Voici maintenant des analyses de la Cère prise au même 
point : 


Nos Origine. Alt. Dates. Tempre. Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. — — — — — a marin, 
414  Cère, Comblat 630 _13.1V.95 — 34 6 25 
415 — — IN 95 19,8 14 8 2,0 
116 — — D.1V.96 9,4 AT gl 3,9 
117 — — 2.1X.96 8,9 DS D 9,0 
118 — — 1.YH1.03 12,0 D8 6 3,9 


On voit qu'en résumé on peut dire, comme synthèse géné- 
rale de tout ce qui précède, que la rivière emporte très peu de 
chaux de la traversée, par le dehors et par les profondeurs, de 
la partie volcanique du département. 


VII 
EAUX DES AUTRES MASSIFS 


Nous avons maintenant à faire de la même façon l’étudedes 
autres massifs montagneux rayonnantautour du cratère central 
dansla masse volcanique du Cantal. Comme nous allons voir qu'ils 
sont presque tous bâtis sur le même plan que celui que nous 
venons d'apprendre à connaître, nous pourrons abréger beau- 
coup, et nous borner pour ainsi dire à faire passer sous les 
yeux du lecteur les pièces du procès, sans insister sur les con- 
clusions qui en sortent. | 

Nous divisons nos eaux en eaux supérieures au niveau de 
100 mètres, classées suivant leurs altitudes décroissantes ; en 
eaux du niveau de 700 mètres partout où nous pourrons le ren- 
contrer; en eaux inférieures, que nous suivons, le cas échéant 
en pays calcaire et Pays gneissique. Je commence uaturelle- 
ment par celui que j'ai le mieux étudié. 


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1 


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CE 


ÉTUDES D'HYDROGRAFHIE SOUTERRAINE. 657 
Massif Cère-Jordanne. 


Ce massif comprend la rive droite de la Cère et la rive 
gauche de la Jordanne J’énumère d’abord les localités de la 
vallée de Cère où j'ai fait des prises d’eau. 


@. VALLÉE DE LA CÈRE : AU-DESSUS DE 100 MÈTRES 
Nos Origine. Alt. Dates. Tempre. Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. — — == — et — = 
119 Combelles 1050 1.X.96 11,4 34 3 2,0 
120 Les Blattes 1000 7.X.96 11.6 A 2 7,0 
121 Entremonts 950 1.X.96 4150 32 9 2 
122 La Pause 950 8.X.96 10,8 48 3 20) 
193 La Rive 930  11.1X.96 15,0 47 5 2,5 
124 Salilhes 880 8.X.96 10,6: 4100 101140 
125 Onsat 877  10.X.96 49,2 DA _ 4,0 
126 Muret 890 8.X.96 4274 38 4 2,0 
127  Thiézac (font. 807 19.1X.95 13,8 10 yl 2,0 
128 — — SA VIE 96 VAS 62 5 2/0 
129  Thiézac (rare) 800 31.VIII.96 7.0 Aù 12 3,5 
130  Malbert (route) 807 295 VIIE03 9,0 84 D .0 
41 Cabanusse HaO AA EX OS 8.0 5 Er 2,0 
132 — — 17.1X.96 1,8 52 8 2,0 
133 Meymac 149:2-18-1X605 9,8 FE 7 D 
D. VALLÉE DE LA CÈRE : AU-DESSOUS DE 700 MÈTRES 

154 Vic (ch. d'eau) 700 1:1X.03 1979 84 15 2,0 
435 — — 1.1X.03 16,2 45 3 15 
136 Vic (fontaines) 680  19.IX.95 12,0 89 19 4,5 
137 — — 91. VIII.96 11,8 12 13 2,0 
138 Comblat (ferme) 610, 41x05 STE TOË 13 3.0 
139 Cabanes 660  21.I1X.95 +10 136 3 51 »,0 
140 = —_ 17.1X.96 41,6. 159 28 3,0 
141 Polminhac 650 91.1X,95 11.6 126 23 3,0 
142 — — 17.1X.96 AAA SG 16 4,0 
Observations. — 119 à 122. Sources des propriétés. — 193, 195, 129. Drai- 


nages, — 124. Source du village, passant sous une écurie à quelques mètres, 
— 127. Fontaine du village. — 131 et 132. La plus constante de Cabanusse, 
bâtie sur des éboulis — 134. Source — 135. Eau de l’Iraliot. 

Il-est curieux de voir la netteté avec laquelle le niveau de 
100 mètres apparaît dans le tableau. Toutes les eaux récoltées 
au-dessus ont une teneur en chaux inférieure à 104 par litre. 
Seule celle de Salilhes fait exception, mais la source est au 


658 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


milieu du village, et passe sous une étable où elle récolte aussi 
ses 14 milligrammes de sel marin. Aux sources captées par la 
ville de Vic, on est en plein niveau de 700 mètres et la chaux 
reparaît. Le château d’eau a ses souterrains dans le calcaire. 
À partirce moment, toutes les eaux sont plus riches en chaux. 


D. VALLÉE DE LA JORDANNE : AU-DESSUS DE 700 MÈTRES. 

Je me suis borné, pour le haut de cette vallée, à l'étude du 
fond et des sources qui s’y réunissent : je ne ferai done pas la 
séparation des deux versants, Ici, comme dans la vallée de 
Cère, c'est le versant exposé au nord qui est le plus arrosé. 


Nos Origine. Alt. Dates, Tempre. Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. — = — — = — marin. 
143 Le Mas Soubro 917 25. VIIT.96 8.7 56 3 4 
143 — — 2.1X.98 — 66 11 4 
445 Mandailles 900 25.VIIL.96 9.8 D) D 2 
146 — — 2.1X.98 9,7 D9 8 2 
4147 St-Cirgues 180 25. VIIL.96 10,0 38 2 2 
148 — —— 2,1X.98 1150 86 44 10 
149 Lascelle 760 25.VII1.96 129 DO ENS 2 
450 -- _ 2 IX.98 — 2) 7 4 
4151 Mousset 700 25 VA À Li ESS] 6 es 9,4 60 4 3 
4152 — — 2,.1X.98 9,4 90 7 3 
Observations. — 143, 144, 148. Voisine d'habitations. — 145, 146, 147, 


151, 452. Fontaine des villages. — 149, 150. Eaux d'irrigation. 

A Mousset, je rencontre un groupe de sources, apparaissant toutes au voisi- 
nage du niveau 700, que la ville d'Aurillac surveille depuis longtemps pour son 
alimentation. Tant que la question a été en suspens, je n’ai pas voulu entrer 
dans le débat par des analyses. Je n'y interviendrai pas encore aujourd’hui. 
J'aurais pourtant été très heureux de montrer quelle est, dans cette vallée, 
la fécondité de ce niveau qui ramène à la surface des eaux tombées sur 
l'énorme contrefort du plateau du Coyan. Il me suffit pour le moment de 
dire qu’elles occupent toutes le fond de la vallée, sur une longueur d’un peu 
plus de 7 kilomètres, de Velzic à Saint-Simon, et peuvent débiter à elles 
toutes de 30 à 40 mètres cubes par seconde. Voici leurs allitudes d’après les 
documents publiés ?, 


Source du 9° kil. 693 Saphary 108 
Mousset 701 Lours et Chandelon 708 
Fracort 701 La Force 708 
Vergne noire 102 Granier 700 
Emprades 701-710 Lassale 690 
Daubet 610 Daubet 695 


4. Ville d’Aurillac : question des eaux. Aurillac, 1903. 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 659 
D. VALLÉE DE LA JORDANNE : AU-DESSOUS DE 700 MÈTRES. 

Ici, comme dans la vallée de la Cère, les eaux reparues 
par les sources sont immédiatement prises par l'irrigation et ali- 
mentent de belles propriétés placées à flanc de coteau. Voici 
l’analyse de quelques-unes de ces eaux : 


Nos Origine. Alt. Dates. Tempre.  Résidu. Chaux. Sel. 
d'ordre. — — _ — —— — marin 
153 Maurou 655 VAN 95 8,2 15 D RS 4 À 
154 — — 10.1X.96 12,2 160 1 3.0 
155 Fabrègues 65 26.VIII.96 12,0 149 52 40 
156 Noalhac 660 26. VIIL.96. 12,8 100 5) 2,0 
157 Cantuel 653 26. VIIL.96 9.3 293 SOA 
158 Le Buis 635 25.VIIL.96 10,4 Se Ab DL OR LE 
459 Aurillac [Pt rouce) 622 AV 97 8.4 PAS SRE 3 Eee el) 
160 — _—— 6. VIIL.97 —— 312 14229 00 
161 — —— 22.VIIL.98 16,4 312 98 3,0 
162 Tourde (enclos)  — 22, VIII,98 = AD SUD 27200 
1463 Las Canaux 610 27. VIIT.97 15.6 301 LOTO SU 
164 — — — 16.4 399 19524690 
Observations. — 153, 154. Sources de la ville d'Aurillae. — 155. Source 
derrière la ferme, — 156, Source amenée de 400 mètres devant le chà- 
teau. — 157. Fontaine au-dessous de la ferme, — 158. Source en aval 
d’un jardin, — 159 à 162, Sources au bas d’un coteau inhabité. — 163: 


164. Très ancienne Source en pays calcaire. 


Le passage à l’eau calcaire, une fois le niveau de 700 mètres 
dépassé, se fait comme dans la vallée de Cère. Tout nous con- 
duit à penser que ces nappes calcaires sont continues au-des- 
sous des couches volcaniques, entre la Cère et la Jordanne, et 
y créent un niveau d'eaux, qui sortent par où elles peuvent, 
quand ce niveau revient au jour. Voyons maintenant si nous 
pourrions trouver cette même structure en allant plus loin, 
dans la vallée secondaire de la rivière d’Authre. 


VALLÉE DE L'AUTHRE 


Ici mes investigations ont été moins nombreuses. Mais nous 
allons pourtant retrouver ce niveau de 700 mètres. Il est surtout 
bien évident à Marmanhac, célèbre par l'abondance de ses 
eaux autour de ses deux châteaux de la Voulte et de Sé- 
dages, où 1l y a au moins une douzaine de sources très 
abondantes, placées au même niveau. 


660 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Voiciles sources que j'ai étudiées, dans l’ordre de leur altitude : 


Nos Origine. Alt. Dates. Tempre. Résidu, Chaux. Sel 
d'ordre. — — — — — — marin. 
465 Prades (Delsol) 837 6.1X.96 13,9 48 4  — 
166 — Faubladier) 825 6.IX.96 9,8 71 A1  — 
167 — (Puits) — 12.1X.99 13,0 83 10228 
168 Fau 130: . 25: VIIL 95 16,5 181 65% 
169 Marmanhac 690 926. VIIL.95 9,6 81 112% 
170 — — 6.1X.96 DT 98 14  — 
171 — — 12.1X.99 9,8 88 152 
172 Marmanhac (will. 690  26.VIIL. 95 10,2 109 205 
11 — — 6.1X.96 97 115 18  — 
174 — —— 12.1X.99 9.8 128 DE 
175 La Bessouille 690 926.VIIL.95 10.4 43 223: VE 
176 Le Mercadier 635  12.IX.99 12,0 206 DES 
1 Jussac. 650 74212699 14.6 269 1AELS 

Observations. — 167. Puits de service du jardin, pas loin de la fosse, 
— 168. Source voisine d’un pacage. — 169 à 171. Source de Fontrilles ou 
du Bout-du-Lieu. — 172 à 174. Source en contre-bas de la route. 


Nous retrouvons ici l’image exacte des deux vallées précé- 
dentes, Le soubassement calcaire persiste donc entre la vallée 
de la Jordanne et celle de l’Authre. 


VALLÉES DE LA DOIRE, DE LA BERTRANDE, DE L'ASPRE ET DE LA MARONNE 


La recherche est rendue ici plus difficile par les allures tour- 
mentées du sol, et l'entrée en scène de terrains nouveaux. Du 
côté du volcan, le niveau de 700 mètres est englouti par les 
coulées, De l’autre il vient buter contre un sol qui n'est plus 
volcanique. La zone sur laquelle on peut le rencontrer est donc 
très étroite. Cette zone mériterait certainement d’être mieux 
étudiée que je n’ai pu le faire. Je me suis contenté de tourner 
autour du plateau, en faisant des prises d’eau dont je comparais 
la composition avec l’altitude, en cherchant si la relation était 
celle que je connaissais déjà. Voici quelques chiffres qui le 
montrent : 


Nos Origine Alt, Dates Temp'e. Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. — = == — — — marin 
178 Pentes du puy Mary 19902-29707 6,8 40 4 2 
179 Col. de Néronne 1300  28.VIIL.96 8.4 34 4 2 


180 — — 27. VIIT.-97 1,0 2 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 661 


181 Salers 920: 28.VIIL.96 : 11,3 45 ARE 
182 — — A0:NTEKO 74116 AD PASS 
483  St-Cernin (Cheny) 825  28.VIII.56 8,4 64 Si? 
184 St-Martin 676  28.VIII.96 14,3 rh) D 2 
185 —- — DOVE OT AO CPR MAOE"- 02 2 
186 Fontanges 674 30. VIIL.97 9,6 AIS. 3 
187 La Pierre (lerme) 672. 30. VIHI.97 - - 10,6 AE LE OR 
188 La Pierre (chat.) 672 30.VIIT.97 11,4 02 ARS 
189  Palémont (ch. 2-90 VIE OT A7 OR EASE ME 


Le niveau de 700 mètres a été dépassé deux fois : une pre- 
_mière, à Saint-Martin-Valmeroux ; une seconde fois à Fontanges, 
où les eaux sont abondantes comme à Marmanhac, et où nous 
retrouvons la série des beaux chäteaux qui s’asseyent au bord 
des sources. 

Malheureusement, la recherche devient de plus en plus diffi- 
cile si on continue à tourner autour du centre, parce que, dans 
toute la moitié nord du Cantal, le pays reste haut pour se fondre 
avec le massif montagneux du Mont-Dore, qui est volcanique 
aussi : le niveau de 700 mètres est enfoui sous le sol. Sur tout 
le quadrant compris entre les vallées du Mars, orientée 
nord-ouest, et celle de l’Alagnon orientée vers le nord-est, j'ai 
dû me borner à une exploration très rapide, dont voici les 
résultats. J'ai séparé le bassin de la Dordogne et celui de l’AI- 
lier. Ce sont à peu près les arrondissements de Mauriac et de 
Murat. 


BASSIN DE LA DORDOGNE 


Nos Origine. Alt. Dates. Temp'e. Résidu. Chaux. Sel 
d'ordre. — — — —= — — marin. 
190  SourcedesFées 1197 4.1X.00 5.0 80 21185 
191 Montée du Pavin 1102 4.1X.00 > 174 9,35 
192 Prentegarde 11450 31. VIII,97 9,8 60 9 79/0 
193 Ségur 1083 + 34.NIIL 9721920 DÉS ES NAS 
194 Lavigerie 4060: 29,NIIT.97: 54220 DRM "A0 
195 Dienne 1058: 928. VIIL.96 1H MT CS CAO 
196 — — 29.VIIL.96 41,4 10e — 
197  Église-Neuve - 1000-  Æ4.IX:1.97 - 7,07 42. 5 1,5 
198 Sarron 970 4.1X.00 16,4 2% He 19: 0) 
199 Trizac 930 2.IX.98 — 817 14 8,0 
200  Riom-es-Mont. 84) 2.1X.98 — TA". 3,0 


662 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 
201 Coindre 800 2:1X.98 11 10: : 19%.4,0 
202 — — 2.1X.98 11,6 3 9EO:0 
203 Moussages 800 9.1X.98 11.6 68 11 3.0 
204 St Amandin 7180 2.1X 98 — 39 87356 
205 Roche des f. Monnay. 110 ,2.IX.98 20 19: AO 
206 Mauriac 698 2,1X.98 12,4 JB AA KE 
207 Condat 691 2.1X.98 12,0 A9 A4 3:50 
208 — — 4.1X.00 15,0 47 16 1858 
Observations. — 190. Source qui alimente le lac Pavin. — 191. Source 
ferrugineuse en montant au lac. — 192-200. Fontaines des localités. — 201 
et 202. Deux sources, avant et après le village. — 203, 204. Fontaines. — 


205. Sur la route de Bort à Condat. — 206. Fontaine de la petite place. — 
207, 208. Fontaines avec longue canalisation, venant du versant en face. 


Nous n’avons pas rencontré le niveau de 700 mètres, mais 
nous en avons approché à Mauriac, où l’eau présente les carac- 
tères que nous avons déjà eu à relever plusieurs fois, toujours 
avec les eaux qui ont léché les couches argileuses et ont un 
léger louche d'argile, On retrouve d’ailleurs les couches 
miocènes à Salins, à Drugeac (M. Boule), à des hauteurs très 
voisines de 700 mètres. Nous n'avons donc pas perdu de vue Île 
fanion; seulement il s'enfonce sous terre, et ne reparaît que 
lorsque Le sol s’abaisse à son niveau. 

A l’autre extrémité du plateau, à Condat, nous retrouvons 
bien le niveau hypsométrique de 700 mètres, mais nous ne 
sommes plus dans les mêmes conditions. Il n’y a plus de plateau 
calcaire. On voit apparaître à sa place une puissante épaule de 
terrain primitif, qui formait évidemment la rive de la mer ou 
des grands étangs miocènes et oligocènes, relevée qu’elle était 
déjà à son niveau actuel à des hauteurs de 1,000 et 1,100 mètres. 
Elle apparaît partout dans la plaine, en partie recouverte par 
des coulées provenant du Cantal, du Puy-de-Dôme, en partie 
nue et remaniée par les accidents de surface. Ces gneiss ne 
sont pas très différents, au point de vue de leur résistance aux 
remaniements, de ce que sont les couches volcaniques, dont ils 
épousent souvent les courbes. Ils le sont en général plus que 
les couches calcaires. On comprend donc que le volcan ait été 
moins arrasé et l'ait été plus régulièrement que du côté ouest. 
Nous allons retrouver cette épaule dans l’arrondissement de 
Murat et la vallée de l’Alagaon. 


4 
| 
à 
À 
r 
: 


té. dal bites on 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE, 663 
BASSIN DE L ARAGON 


Les localités sont ici rangées dans l’ordre des altitudes à 
partir du fond de la vallée, à la station du Lioran. 


Nos Origine Alt. Dates. Tempre. Résidu. Chaux. Sel 


d'ordre. — — — — — — marin, 
209 Source de hotel 11520095 VIIL:05 ot 43 3: 1,5 
210 Gare 1152 3.1X.95 1504 36 4 — 


211  Chefde district 1152 6.1X.99 13,0 510 47: 2,0 
212 Chalinargues 1077 3.1X.95 100 LE TS A5 0 


213 — 1075 3.1X.95 9022743740 180 
214 Rancilhac 1070 3.1X:95 PAM 101270 
215 Mouret 1047 3.1X.95 402 81 Co PRE À, 
216 Farges 1042 3.1X.95 FA SOS Dee 2 
217 La Bourgeade 980 - 31.X.97 7,0 38 DIE 
218 Allanche 940% 1 91:X195 15.0 90:15:20 
219 Murat (fontaines) F5 FRE A DELL 13,0 OT 10%." 8:5 
220 — — 29 VITRO AUUMES 90 JE 9,0 
291 Murat (gare) — 3.1X.95 14,0 jl 5 ) 
222 S'e-Anastasie 900 3.1X.85 12018048 » 
223 Barr. de Marret 800 3.1X.95 LED » 
224 Neussargues 800 3.1X.95 18 0-APATUAS » 
Observations. — 209 à 211. Sources autour de la station. — 212 et 213. 
Les deux sources du village, contaminées toutes deux. — 214. Source du 
ravin entre Rancilhac et Mouret, — 215. Source venant des bois de la Pina- 
telle, — 216, Source en face du lavoir, — 217 à 224, Source des localités, 


Dans ce bassin où le terrain primitif et le terrain volcanique 
couvrent en quelque sorte en damier la carte géologique, leurs 
influences sur les eaux se superposent, et ne sont pas faciles à 
débrouiller. Nous les retrouverons plus nettes dans les secteurs 
qui nous restent à parcourir. Comme nous visons, pour le 
moment, à isoler l’action du terrain volcanique, nous pouvons 
nous arrêter un instant pour coilationner les notions déjà 
réunies à son sujet, et en faire une sorte de synthèse provisoire. 

Nous restons fidèles à l’ensemble des faits connus en nous 
représentant le Cantal conformément à la figure suivante, 
comme un immense gâteau volcanique sorti par un orifice d’éjec- 
tion, placé au milieu du cirque de hauteurs, dont le puy de 
Griou occupe aujourd’hui le centre. L'emplacement du cratère 


664 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


était occupé à ce moment par les dépôts, de fond ou de rivages, 
d’une mer tertiaire, qui en ce point, n’était pas très étendue 
du côté de l'Est, et y était bornée par un rivage de Gneiss et de 
Micaschistes, qui est celui contre lequel nous sommes venus 
nous buter tout à l'heure, et qu'on voit encore à nu, partout où il 
n'a pas été recouvert par les éruptions. Jai, sur la figure, laissé 
entre l’orifice et le rivage une masse calcaire, pour tenir compte 


Puy de (riou 


\ 
lerraun calcaire Lelrain volcan que 


Coupe schématique du Cantal, par Aurillac et le puy de Griou. 
P q » P pu: 


de ce qu'il y a, à Dienne, à Laveissière, et probablement al- 
leurs, des lambeaux calcaires rejetés du côté de l'Est, par les 
explosions. Mais cela n’a pas beaucoup d'importance. L’impor- 
tant est que le massif Est et le massif Ouest ne sont pas iden- 
tiques. Dans le massif Est, le terrain volcanique perméable 
recouvre directement le terrain primitif, presque aussi per- 
méable. Dans le massif Ouest, le terrain volcanique s’est édifié 
sur une couche imperméable qui forme plateau intérieur, et 
dirige suivant ses lignes de plus grande pente, vers ces bords 
extérieurs, et le long de ses vallées profondes, toutes les eaux 
que le volcan reçoit au-dessus de lui. Voilà ce que nous ont 
appris les grands coups de sonde donnés à l’aide de notre 
analyse d'eaux. Ce n'est pas le moment d'entrer dans le détail 
de toutes les conséquences de cette structure intérieure du volcan. 
Nous la retrouverons dans la suite de nos études. 


Le Gerant.: G. Missox. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


47me ANNÉE NOVEMBRE 1903 N° 11 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 
P'AMETÉNEE JAUNE 


Rapport de la mission française 


Composée de MM. MARCHOUX, SALIMBENI er SIMOND. 
(Planche XV.) 


La dernière épidémie de fièvre jaune au Sénégal, en 
avril 1900, a de nouveau attiré l’attention sur cette maladie dont 
l'apparition cause tant de trouble dans le commerce de cette 
colonie. Quelques mois plus tard, en février 1901, la Commis- 
sion militaire américaine de la Havane faisait connaître que 
le virus de la fièvre amarile existe dans le sang des malades, et 
qu'il est transmis à l’homme sain par l'intermédiaire d’un mous- 
tique particulier. Il était de la plus haute importance de vérifier 
ces données nouvelles, car si elles étaient confirmées, la défense 
contre la fièvre jaune devait être orientée tout autrement qu'on 
ne l’avait fait jusqu’à présent. 

Aussi, les pouvoirs publics, le service de santé des Colonies, 
les représentants du Sénégal et les négociants notables de cette 
colonie se trouvèrent-ils d’accord pour demander l’envoi à Rio- 
de-Janeiro d’une mission française pour l’étude de la fièvre 
jaune, 

Cette mission fut instituée sur la proposition de M, Decrais, 
ministre des Colonies, par une loi du 12 juillet 19011; elle était 
placée sous la direction scientifique de l’Institut Pasteur. Les 
Chambres votèrent les crédits nécessaires pour 1901 ; la mission 
fut ensuite entretenue gräce aux subventions du ministère des 
Colonies et des budgets coloniaux. 

4. M. Bienvenu Martin, rapporteur à la Chambre des députés ; M. Charles 
Dupuy, rapporteur au Sénat. 


43 


666 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


A son arrivée à Rio-de-Janeiro (nov. 1901), la mission fut 
reçue avec le plus grand empressement par les pouvoirs publics 
du Brésil, qui mirent à sa disposition des locaux fort bien amé- 
nagés pour un laboratoire et lui donnèrent toutes les facilités 
pour ses travaux. ; 

En présentant le mémoire qui résume les recherches de 
MM. Marchoux, Salimbeni et Simond, nous tenons à exprimer 
notre reconnaissance au gouvernement brésilien, aux directeurs 
de la Santé de Rio-de-Janeiro, au directeur et au personnel de 
l'hôpital Säo-Sebastiäo, et à tout le corps médical brésilien pour 
l'accueil cordial qu’ils ont fait à la mission française et l’aide 
efficace qu'ils lui ont donnée. 

D' Roux. 


I 


Connue depuis la découverte de l’Amérique, puisque l’équi- 
page de la 2° caravelle de Christophe Colomb en fut atteint, la 
fièvre jaune a été l’objet d'observations nombreuses faites au 
cours d’épidémies, souvent très graves, survenues surtout sur les 
deux rives de l’océan Atlantique. Nous n’avons pas l'intention 
de passer en revue toute la littérature qui s’y rapporte et qu’on 
trouvera dans le traité de géographie médicale de Hirsch!, dans 
letraité de Berenger-Feraud ? et aussi dans l'excellente monogra- 
phie de MM. Azevedo Sodre et Miguel Coutho 3. 

Jusqu'en 1881, époque où Finlay ‘ pour la première fois émit 
l'hypothèse que le moustique était l'agent de transport de la 
maladie, on n'avait sur l’étiologie de cette redoutable affection 
que des opinions vagues. On savait néanmoins déjà, par des 
faits bien observés, que la fièvre jaune se contractait la nuit et 
qu'on s’en préservait en s’éloignant le soir des foyers de conta- 
mination. Mais il faut arriver jusqu’au mémoire publié en 1901 ° 


1. AuGuste Hirsen, Æandbuch der historisch-geographischen pathologie. 
Stuttgart, 1881. 

2. BERENGER-FerauDp, Traité théorique et clinique de la fièvre jaune. Paris, 1891, 

3. AzEREDO SoorEe et Miçuez Courno, Gelbfieber. Collection Nothnagel, 1901. 

4. CarLos FinLay, Série d'articles publiés dans Cronica Medico-quirurgica 
«de la Habana et Anales de la Academia de sciencias medicas de la Habana, 
1881-1884. 

5. l'he eliology of th yellow fever, a preliminary note. Warruer REeEp, 


CanROLL, AGRAMONTE et Lazear, Procedings of the twenty Éigth annual meeting 
held at Indianapolis, 22-26 octobre 1900. 


LA FIÈVRE JAUNE. 667 


par la Commission américaine de Cuba, pour avoir des données 
étiologiques précises. 

Nous ne reviendrons pas longuement sur les travaux main- 
tenant si connus de MM, Reed, Carroll et Agramonte. 

Nous savons qu'ils ont constaté que le virus circulait avec le 
sang. Ils ont vérifié que des moustiques (Si. fasciata), infectés 
depuis au moins-12 jours, étaient capables de donner par leur 
piqûre la maladie à une personne sensible. Après avoir établi 
ce mode d'infection, ils ont démontré par des expériences de 
laboratoire, vérifiées ensuite dans une grande expérience 
portant sur toute la ville de la Havanet, qu'il n’y en avait 
pas d’autres. Ils ont encore prouvé que le germe de la maladie, 
impossible à trouver par examen direct aussi bien dans le sang 
des malades que dans l’organisme des moustiques infectés, 
traverse la bougie Berkefeld quand on étend du sérum fraïs de 
malade de son volume d’eau distillée. Il résulte encore de leurs 
expériences que non seulement ce germe est très pelit, mais 
encore qu'il est très fragile, puisqu'un chauffage de 10 minutes à 
55° suffit à rendre inoffensif 1,5 c. c. de sang virulent. 

Depuis ces expériences, d’autres confirmatives ont été faites 
par Juan Guitéras à la Havane”, par Ribas et Lutz à Säo Paulo*, 
et dernièrement par la commission américaine envoyée à la 
Vera-Cruz *. 


The etiology of yellow fever, an additional note, W. Rep, CARROLL et AGRA- 
Monte, Journal american medical Association, 15 février 1901. Note lue au 
Congrès de la Havane, 4-7 février 1901. 

Experimental yellow fever, from the Transactions of the Association of 
american Physicians, t. XVI, 1901. 

The eticlogy of yellow-.fever, a supplemental note, Rev et Carrozr, lu au 
3e Congrès annuel de the Society of American Bacteriologists, Chicago HI. 
31 décembre 1901, and January 1902. 

The prevention of yellow fever, Reep et Carroz, Medical Record 
26 octobre 1901. 

1. Cette dernière expérience à été réalisée d’une: manière remarquable par 
M. W.CrawroRD GorGas, The work ofthe sanatory department of Havana, with spe- 
cial reference to the repression of yellow fever. Medical Record, septembre 1901. 
Results obtained en Havana from the destruction of the Stegomya fasciata 
infected by yellow fever. The propagation of yellow fever. Sanitary depart- 
ment Havana, Cuba, 16 février 1902 Report of vital statistics of the city of 
Havana (1900-1901), janvier 1902. 

2. Experimental yellow fever at the inoculation station of the sanitary 
department of Havana with a view to producing immunisation, by Joux J, Gui- 
TERAS, Te Departamento de Sanidad-Habana-Cuba et American medecine 1, 
p. 109, 1901. 

3. L. P. BARRETO, À. DE Barros, À. G. S, RobrIGUEZz, Experiencias realisadas 
no hospital de Isolamento, Revista medica de Sao Paulo, t. Vif, n° 4, 28 février 4903. 


L 


4. Parker, Bever et Porier, À Sfudy of the yellow fever; Institut, Bulletin 
a° 13, mars 1903 : 


L 


668 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il 

Dans les cas très légers, qui souvent passent inaperçus, la 
fièvre jaune ne diffère pas sensiblement d’un accès de fièvre 
paludéenne un peu long. Elle débute par de la céphalalgie, de la 
courbature, des vomissements alimentaires accompagnant une 
brusque élévation de température. Ces phénomènes sont d’au- 
tant plus accusés que les cas sont plus graves. 

On trouve de l’albumine dans l'urine dèsle 1° jour dans les 
formes graves ; le 2° ou le 3° dans les cas moyens; dans les cas 
légers, on n’en rencontre généralement pas. La quantité d’albu- 
mine présente marque assez bien la gravité de la maladie. 

La température, après avoir atteint 39 ou 40° dès les premiers 
moments, descend un peu le matin du 2° jour, pour remonter 
à 39 ou 40° pendant les 2 jours qui suivent. La fièvre d’invasion 
est à peu près la même dans tous les cas; la remontée varie 
avec la gravité de l’atteinte. Elle dépasse rarement 40°. Si la 
lièvre jaune est légère, elle n’atteint même pas 39. 

Au 4° jour la température baisse, et tout est fini, si la fièvre 
est bénigne; dans ce cas, l’urine à ce moment renferme souvent 
une assez forte proportion d’urates. Au 4° jour, commencent 
les symptômes inquiétants si la maladie est grave, La tempé- 
rature tombe d'autant plus brusquement et d’autant plus bas que 
le cas est plus grave. 

Dans les formes dites foudroyantes, le malade succombe 
brusquement peu de temps après cette chute. En général, après 
un moment d'amélioration apparente, la deuxième période, 
accompagnée ou non de fièvre, commence avec son cortège 
d’hémorragies et de vomissements noirs. Les gencives et la 
langue sont saignantes, les épistaxis peuvent être très abon- 
dantes. Le malade vomit du sang en partie digéré et présente 
des selles mélaniques. Les urines toujours albumineuses dimi- 
nuent de quantité ou se suppriment. L'abdomen est très doulou- 
reux ; la moindre pression, exercée surtout dans la région sous- 
ombilicale, provoque des cris plaintifs. Le malade est ictérique 
et le devient de plus en plus. La pression sanguine tombe, la 
circulation se ralentit, la peau se refroidit et devient violacée, 
le malade meurt en hypothermie. 

Quelquefois et jusqu’à la fin, tout peut rétrocéder et le 
malade guérir après une longue convalescence. 


APE APN 


LA FIÈVRE JAUNE. 669 


Il 


La division de la fièvre en deux périodes est donc très 
légitime déjà au point de vue clinique; nous verrons plus tard 
qu’au point de vue de linfection, elle ne l'est pas moins, 

La première, qui dure 3 jours, est la période congestive dans 
* laquelle les capillaires dilatés et gorgés de sang provoquent 
tous les phénomènes objectifs, face vultueuse, injection des 
conjonctives, céphalalgie, rachialgie, douleurs sciatiques. Le 
cœur bat vite et fort. La pression sanguine est au-dessus de la 
normale; elle atteint 20, 23, 25 et même 28 centimètres de 
mercure. Mais elle ne tarde pas à tomber pour arriver à 12, 10, 
8 et même 6 centimètres au commencement de la deuxième 
période. 

Celle-ci est une période d’insuffisance circulatoire, dans 
laquelle l’organisme se trouve en état d'équilibre instable à la 
merci d’une infection secondaire ou même d'une variation 
atmosphérique un peu brusque. 

L’autopsie nous éclaire sur les conditions qui diminuent sa 
résistance. À l’ouverture du corps, un phénomène nous frappe 
avant tout autre. C’est la teinte jaune du foie. Cette lésion est 
tellement constante qu’elle peut suffire, avec la couleur ictérique 
et les taches livides de la peau, à permettre un diagnostic post 
inortem. 

Macroscopiquement, la lésion de dégénérescence graisseuse 
du foie est la seule qui apparaisse nettement. A la coupe, ce foie 
dégénéré ne donne plus de sang, les capillaires semblent 
vides. 

A l’examen microscopique, on constate une dégénérescence 
graisseuse en masse des cellules du foie qui sont augmentées 
de volume au point d’obturer les capillaires sanguins. Cette 
lésion de dégénérescence graisseuse, qui peut s'étendre à toutes 
les cellules épithéliales et notamment aux cellules des épithéliums 
glandulaires, explique très bien les phénomènes objectifs de la 
deuxième période. Non seulement le foie ne fonctionne plus, 
mais il est devenu comme une barrière interposée sur la circu- 
lation porte. C’est parce que le foie ne fonctionne plus que 


670 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’hémoglobine n’est plus éliminée sous forme de pigments 
biliaires et qu’elle se fixe plus ou moins altérée dans les tissus. 
C’est la suppression de la circulation porte qui amène ces dou- 
leurs abdominales si vives, le ralentissement de la circulation, 
le refroidissement, les hémorragies intestinales, gastriques et 
même celles de la bouche et du nez; elle est aussi une cause de 
l’anurie qui est précoce quand les lésions sont considérables. 
C'est l’ensemble de ces phénomènes qui rend les malades si 
aptes aux infections secondaires et si sensibles au refroidisse- 
ment de l'atmosphère. 


III 


Au début de nos recherches, nous connaissions déjà le 
premier mémoire de MM. Reed, Carroll, et Agramonte; nous 
savions que le virus de la fièvre jaune existant dans la cireula- 
tion y était pris par le St. fasciata, qui, au bout de 12 jours, 
était capable de l’inoculer par sa piqûre. Nous savions, en 
outre, que la contamination par les objets souillés de vomisse- 
ments noirs et autres déjections de malades n’avait pas été 
possible. 

La similitude étiologiqüe entre la fièvre jaune et le palu- 
disme devait nous conduire naturellement à rechercher dans le 
sang des malades et dans le moustique infecté, l'agent causal 
de la fièvre jaune. Ces recherches, soigneusement poursuivies 
sans résultat, nous avaient conduits à admettre, déjà avant la 
publication des expériences faites à Cuba avec le sérum viru- 
lent filtré, que le microbe de la fièvre jaune devait appartenir à 
cette catégorie de germes dits invisibles dont on connaît mainte- 
pant un certain nombre, 

Toutes nos tentatives pour infecter les animaux de labora- 
toire.les plus divers, et même cinq espèces de singes, dont trois 
de l’ancien continent et deux du nouveau, sont demeurées 
infructueuses, 

Il ne nous restait donc pas d’autre ressource que d'employer 
la. méthode si brillamment inaugurée par les Américains et 
continuée avec non moins de succès au Brésil même, c’est-à- 
dire l’expérimentation sur l'homme, 


VA TIM 


LA FIÈVRE JAUNE. 611 


Toutes ces expériences ont été faites avec le concours et la 
collaboration de MM. Oswald Cruz, directeur de la Santé 
publique au Brésil; Carlos Seidl, directeur de lhôpital Säo 
Sebastiäo; Leäo de Aquino, Antonino Ferrari et Zéphirin Mei- 
relles, médecins des hôpitaux. 

L’expérimentation sur l’homme ne nous paraissait légitime 
que si elle devait conduire à des résultats nouveaux et impor- 
tants. Aussi nous a-t-1il semblé inutile de répéter des expériences 
aussi démonstratives que celles de Cuba et de Säo Paulo. Nous 
avons borné notre vérification à trois expériences qui nous ont 
servi de point de départ pour les autres. 

Les hommes qui se sont soumis à nos expériences ont été 
prévenus devant témoins des risques qu’ils couraient, et ils 
ont tous accepté librement de se prêter à nos essais. Tous 
étaient émigrants nouvellement arrivés au Brésil. Nous les 
avons éloignés de suite du foyer de contagion et installés à 
Pétropolis, où ils ont subi une quarantaine d’observation 
de 8 jours. 

N° 1. — Un d’entre eux a reçu 1 c. c. de sérum pré- 
levé 5 heures auparavant sur un cas bénin de fièvre jaune 
au 3° jour de la maladie. 5 jours et 5 heures plus tard, il est pris 
de fièvre. Sa maladie a évolué comme un cas de fièvre jaune bénin. 

Il est donc bien exact que le virus circule avec le sang, le 
3° jour de la maladie, 

N° 2. — Un deuxième homme a été piqué par 2 moustiques 
infectés depuis 46 jours, sur un cas grave au 2° jour de la 
maladie. Il a été pris de fièvre 3 jours et 18 heures après. La 
maladie a évolué comme une fièvre jaune grave. Deux moustiques 
suffisent done à donner une fièvre jaune sévère. Quelle est la 
raison de cette gravité? IL faut l’attribuer, croyons-nous, à ce 
que les moustiques, infectés depuis un temps très long, avaient 
été, en outre, gardés dans des conditions de température (27-28°) 
propres à favoriser leur infection, Dans les expériences de Säo 
Paulo et dans la 1r° série de celles de Cuba, les moustiquesemployés 
étaient infectés seulement depuis 15-24 jours et gardés à la 
température du laboratoire, qui pouvait être plus ou moins 
favorable, Notre opinion trouve un appui dans la 2 série 
d'expériences de Reed, Carroll et Agramonte, où les moustiques 
infectés depuis plus longtemps ont donné naissance à des cas 


672 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


plus graves, et aussi dans les expériences de Guiteras qui ont 
été suivies de 3 décès produits par des moustiques gardés 
19-24 jours à une température de 27-28. 

Enlin, nous avons gardé pendant 14 jours nos hommes dans 
des pièces où avaient été disséminés les vêtements de notre 
premier cas. Aucun d'eux n’a été atteint. Cependant, comme 
nous le verrons dans la suite, la sensibilité de beaucoup d’entre 
eux a été vérifiée par une atteinte expérimentale ultérieure. 

Ces trois points vérifiés, nous pouvions en toute sécurité 
entreprendre nos essais de vaccination. 

Nous savions déjà par les expériences de Cuba que le sérum 
virulent chauffé 10 minutes à 55° était inoffensif, Nous nous 
sommes demandés si ce sérum chauffé n’était pas doué 2 pro- 
priétés immunisantes. 

N°3. — À un homme de bonne volonté, nous avons succes- 
sivement injecté 5 c. c. de sérum chauffé 20 minutes à 55°; 
5 jours plus tard, 10 c. c. de sérum chauffé 10 minutes à 55°, 
et enfin 7 jours après, 1 c. c. de sang d’un cas grave au 35° jour. 
Il a été pris de fièvre jaune 12 jours et 2 heures plus tard, mais 
cette fièvre jaune a été remarquablement bénigne. 

De cette expérience, nous pouvons conclure que 10 e. ec. de 
sérum virulent chauffé 10 minutes à 55° peuvent être injectés 
sans danger. En outre, étant donnée la légèreté de l’atteinte, 
qui, si elle n’eût été provoquée expérimentalement, n’aurait 
sûrement pas été diagnostiquée, on peut penser que l'injection 
préventive a une action efficace. 

Il fallait voir si du virus chauffé moins longtemps à cette 
température de 55° n’était pas doué de propriétés plus actives. 

N° 4 et 5. — Deux hommes ont reçu aux mêmes dates 
successivement 5 ©. ©. de sérum chauffé 20 minutes à 55°; 
7 jours plus tard, 10 c: c. de sérum chauffé 10 minutes à 55°; 
puis, 8 jours après, 1 c. c. de sérum maintenu 5 minutes 
550. Ainsi PrÉparés, nos deux hommes ont été gardés 12 jours 
pour vérifier qu’un chauffage de 5 minutes suffit à rendre inof- 
fensif du sérum virulent, Cette constatation faite, l’un de ces 
hommes a reçu sous la peau 14 c. c. de sérum virulent, l’autre 
0 c.c. 1 du même sérum provenant d’un cas mortel au com- 
mencement du 3° jour. 


Dans notre expérience préliminaire, aussi bien que dans les 


APTE moe 0 se UNIES 


nr CU RENE 


LA FIÈVRE JAUNE. 673 


expériences de Cuba, il est remarquable que des quantités rela- 
tivement considérables de virus n’aient donné naissance qu’à 
des cas bénins. On pourrait se demander si cette bénignité 
n'était pas due à des matières bactéricides ou préventives qui, 
déjà élaborées, circulaient avec le virus et étaient injectées 
avec lui. S'il en était ainsi, 0 c, c. 1 de sérum virulent pou- 
vait provoquer une afteinte plus grave que 1 c. c. C’est le 
contraire qui a eu lieu. Celui qui avait reçu 1 c. c, de sérum 
virulent a eu une fièvre jaune qui s’est liquidée au bout de 
8 jours et 5 heures par 14 heures de fièvre. Le n° 5, l’homme 
au 1/10 de c. c.. n’a rien eu, et son immunité était grande, 
puisque, dans la suite, il s’est montré réfractaire à de nouveaux 
essais d'infection. 

Les qualités préventives du sérum virulent chauffé sont donc 
plus manifestes quand ce chauffage ne dure que 5 minutes. 

Le temps très court pendant lequel le sérum est maintenu à 
550 semble suffire à tuer les germes, car l'injection ne donne 
lieu à aucune réaction, ce qui se produirait sans doute si le virus 
n'était qu'atténué. Cependant, on pouvait croire que les injec- 
tions préalables de sérum chauflé plus longtemps avaient pré- 
paré l’organisme et empêché cette réaction de se produire. Il 
n'en est rien, Car uu homme (n° 6) inoculé pour la première 
fois avec la même quantité (1 c. c.) de sérum provenant d’un cas 
-bénin au 1® jour de la maladie et chauffé 5 minutes à 55° n’a 
présenté aucune variation de température. 

Si notre expérience nous a montré les qualités du sérum 
chauffé, elle ne nous a pas éclairé sur la présence des substances 
préventives qui pourraient se trouver dans le sang des malades. 
Il nous fallait chercher un autre moyen d'information. Nous 
savons que les microbes, dits invisibles, sont des germes qui 
traversent les bougies filtrantes. Ils les traversent d'autant plus 
facilement que le grain est moins serré et que les matières 
albuminoïdes dans lesquelles ils sont contenus, sont plus diluées. 
Partant de ce principe et sachant que le microbe de la fièvre 
jaune traverse les filtres siliceux quand on dilue le sérum de son 
volume d’eau distillée ou d’eau physiologique, nous avons opéré 
une filtration rapide sur bougie de porcelaine Chamberland; 
marque F., sans diluer le sérum. 

Bien entendu, l'étanchéité de nos bougies a été vérifiée. Elles 


674 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


n’ont pas laissé passer un très fin coccus que nous avons employé 
comme tesl. 

Par cette opération nous espérions retenir le microbe et ne 
laisser passer que les anticorps. Le résultat de l'expérience n'a 
pas répondu à nos espérances. Il nous a paru au contraire que 
le filtre laisse passer le microbe plus facilement que les anti- 
corps. Le sérum qui provenait d’un cas léger a donné naissance 
à un cas plus grave que celui qui avait été provoqué par le 
sérum non filtré. 

Cette expérience, renouvelée 2 fois, a donné 2 fois le même 
résultat. L’un des cas (a° 7) s’est produit 5 jours et 18 heures 
après l’injection de 1 c. c. du sérum filtré d’un cas grave au 
commencement du 3° jour de la maladie; l’autre (no 8) est 
survenu 12 jours et 18 heures après l’injection de 1 c. c. du 
sérum filtré d’un cas grave au 2° jour. 

Cette incubation de plus de 12 jours que nous avions déjà 
constatée n’est donc pas absolument rare. Nous avons eu l’occa- 
sion de voir que l'infection naturelle peut aussi présenter une 
incubation aussi longue. | 

Puisque le microbe traverse la bougie de porcelaine F, nous 
avons essayé de l'arrêter avec la bougie beaucoup plus fine, mar- 
que B. L’injection du sérum d’un cas grave au commencement 
du 2° jour filtré sur cette dernière n'a donné aucune réaction. 
Mais malheureusement nous n'avons pas pu vérifier la sensi- 
bilité de notre sujet n° 9. 

N'ayant pas réussi à séparer les anticorps des microbes, 
nous avons cherché à n’employer qu’une quantité minimale des 
uns et des autres. Sur une écorchure de la peau produite par 
un grattage qui enlevait l’épiderme sur 1 centimètre carré de 


4. Il nous suffira de rapporter deux cas de ce genre. 

L'un s'est produit chez un jeune homme de 18 ans que nous avons pu observer. 
Ce jeune homme, domestique d’un médecin, a été pris de fièvre jaune 10 jours 
après être arrivé à Pétropolis, ville indemne, et être parti de Rio-de-Janeiro point 
où il s'était infecté. Il y avait 12 jours qu'il avait quitté la maison dans laquelle 
une servante du même médecin avait été atteinte de fièvre jaune, Il est mort 
avee vomissements noirs. Le 2e est le cas d’une fillette de 12 ans que son pèiv 
avait envoyée à Pétropolis 10 jours auparavant pour la mettre à labri cle la 
fièvre jaune qui venait de frapper sa femme et ses 3 autres enfants. Elle est 
morte avec les symptômes caractéristiques de la maladie. 

Enfin, à bord d'un bateau des Messageries maritimes revenant en Europe, 
qui avait pris des passagers à Rio-de-Janeiro, il s'est déclaré parmi ces derniers 
un cas isolé de fièvre jaune entre Dakar et Lisbonne, c'est-à-dire du 9° au 14° jour. 


LA FIÈVRE JAUNE. 673 


surface environ, nous avons déposé une grosse goutte de 
sérum virulent que nous avons laissé sécher. Cette inoculation 
n'a donné lieu à aucune maladie chez les sujets n° 10 et 11. 
Une pareille porte d'entrée n’est donc pas suffisante pour 
donner une maladie atténuée; nous n’avons malheureusement 
pas pu vérifier si elle donnait l’immunité,. 

Nous avons alors songé à donner une goutte de sérum sous 
la peau. Une goutte formant une quantité très variable, nous 
nous sommes arrêtés à cette quantité de 1/10 c. c. que nous 
avions déjà inoculée. 

Pour plus de sécurité, nous avons tout d’abord fait l’expé- 
rience sur un homme n° 12, auquel un séjour déjà long à Rio, 
sans maladie caractérisée au moins d’après lui, avait cependant 
pu donner une immunité relative. Cet homme u’a rien présenté 
à la suite de cette injection. î 

Nous avons alors répété la même opération chez un émi- 
srant récemment arrivé, n° 13. Ce dernier a pris au bout de 
4 jours et 18 heures une fièvre jaune moyenne. 1/10 de centi- 
mètre cube de sérum provenant d’un cas bénin à la fin du 1° jour 
de la maladie, est donc une dose suffisante pour donner la 
maladie avec un caractère qui ne permet pas de préjuger de sa 
constante bénignité. 

Il était dès lors prudent de renoncer à chercher de ce côté 
un mode de vaccination et il était préférable de revenir en 
arrière. Le traitement du virus par la chaleur nous ayant donné 
des résultats encourageants, il fallait voir si d’autres moyens 
d'atténuation ou de destruction n'étaient pas applicables. Quelle 
pouvait être l’action du vieillissement sur le virus? 

Après avoir gardé dans un tube à essais, bouché au coton, 
du sérum virulent d’un cas grave au 1°" jour, à la température du 
laboratoire, 24-30°, et à l'obscurité pendant #8 heures, nous en 
avons inoculé 1/10 c. c., dose suffisante, comme nous savons, 
pour donner la maladie. 

Notre homme n° 14 est resté en bonne santé. Piqué ensuite 
par 2 moustiques infectés depuis 40 jours qui, 6 jours plus tard, 
ont donné la fièvre jaune, iln’a rien eu. Nous le supposions donc 
immunisé, Cependant une injection de 1 c. c. de sérum virulent 
provenant d'un cas grave au 2° jour, donné plus tard, a provoqué 
chez lui au bout de 2 jours 21 heures une maladie assez grave. 


676 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Puisque cet homme était sensible, nous pouvons donc 
induire de ces expériences que la piqûre de moustiques infectés 
ne donne pas fatalement la fièvre jaune; que cette piqüre, 
quand elle est restée sans résultat, ne protège pas contre une 
infection ultérieure. Enfin,elle nous montre que 48 heures sulfi- 
sent à tuer le microbe de la fièvre jaune dans les conditions où 
nous l’avons conservé. 

Au lieu de garder le virus dans le sérum, voyons ce qu’il 
devient quand nous le maintenons en tubes à essais dans le 
sang défibriné sous huile de vaseline, à l’obscurité et à la tem- 
pérature du laboratoire 24-300. 

À un homme de bonne volonté,n° 15, nous avons commencé 
par donner du sang vieilli, dans ces conditions, pendant un 
mois. Cette injection n’a été suivie d'aucun effet. Une deuxième de 
à c.c, également donnée 5 jours plus tard avec du sang vieux 
de 15 jours n’a pas donné plus de résultat. Unetroisièmeinjection 
de 5 c. c. de sang de 5 jours provenant d’un cas mortel au 
2° jour, faite 5 jours après la deuxième, a été suivie, 2 jours et 
20 heures plus tard, d’une atteinte très bénigne de fièvre jaune. 

Il y avait donc, dans nos liquides, du virus vivant; mais 
atténué ou mélangé à des substances préventives. Mais quelle 
était injection qui avait provoqué la maladie? pendant com- 
bien de temps ce virus qui ne vit pas 48 heures dansles condi- 
tions de la première expérience se conserve-t-il dans les condi- 
tions de la deuxième? 

Pour le savoir, nous avons inoculé 2 individus, no$ 16 et 
17, l’un avec 5 c. c. de sang vieux de 1 mois, l’autre avec la 
même quantité de sang vieux de 12 jours. En 15 jours ni l’un ni 
l’autre n’ont été malades. Le deuxième, n° 17, a, en outre, reçu 
du sang de 8 jours sans plus de résultat. Cependant il était sen- 
sible puisque 16 jours plus tard il a été piqué par trois 
moustiques ‘ qui lui ont donné, au bout de 3 jours et 22 heures, 
une fièvre jaune extraordinairement bénigne 

Nous pouvons donc dire que le virus se conserve dans le 
sang défibriné et dans les conditions indiquées plus haut, au 
moins 5 jours, mais qu'au boutde 8 jours il a cessé d’être actif. 
Nous devons ajouter que cette expérience confirme la première 


1. Le premier de ces moustiques avait été infecté 23 jours auparavant sur un 
cas bénin au 3° jour de la maladie; le 2, 17 jours auparavant sur un cas léger au 
3° jour; le 3°, 30 jours auparavant sur un cas grave du 2e jour. 


LA FIÈVRE JAUNE. 677 


en ce qui concerne les substances immunisantes contenues dans 
les mêmes liquides. 

Tout le sang défibriné qui a servi à nos expériences, comme 
d’ailleurs le sérum virulent que nous avons employé, a été 
recueilli pendant les 3 premiers jours de la maladie, époque 
à laquelle notre expérience préliminaire nous avait indiqué que 
le virus cireulait avec le sang. Mais il était important de savoir 
combien de temps le microbe se conserve dans le sang chez le 
jauneux, pendant combien de temps, en somme, un malade est 
capable d’infecter les moustiques. 

Un homme,n° 18, a reçu 6 c. ce. d’un sérum de malade au 
8° jour d'une fièvre jaune grave, étendu de 5 fois son volume 
d’eau physiologique et filtré au Berkefeld. Il n’a pas été malade. 

Cette filtration, qui n’était pas de nature à arrêterles germes 
de fièvre jaune, avait pour but de débarrasser le sérum des 
microbes d'infection secondaire, s’il s’en était trouvé. 

De même 3 hommes ont reçu du sérum du 4° jour de la 
maladie provenant l’un d’un malade avec fièvre élevée (40°) et 
hémorragies, l’autre d’un malade en hypothermie avec glossor- 
rhagie commencçante et qui est mort dans la suite; le troisième 
d’un malade avec fièvre légère (38°,4). Le premier de ces sérums 
avait été filtré au Chamberland F et nous savons que cette opé- 
ration n'arrête pas le microbe, le second, étendu de 4 fois son 
volume d’eau physiologique, avait été passé sur Berkefeld, le 
troisième n'avait pas été filtré du tout. Le premier homme, n° 19, 
avait reçu 4 1/2 c. c. de sérum, le deuxième, n° 20, 14 c. c., le 
troisième, n° 21, 1/2 c. c. Aucun d’eux n’a été malade, 

La sensibilité de deux de ces hommes n’a pu être vérifiée, 
mais le n° 20 a pris ultérieurement la fièvre jaune 5 jours et 
22 heures après avoir été piqué par 3 moustiques infectés !. 

I n’y a donc plus de microbes dans le sang à partir du 
4° jour de la maladie. 

Une disparition si brusque de microbes si nombreux ne doit 
pas se produire sans qu’il reste dans le sérum des anticorps 
actifs. C’est ce que nous a permis de vérifier l’expérience 
suivante, 

Un homme n° 22 a reçu préventivement 30 c. c. d’un sérum 


1. Le 1er et le 2e de ces moustiques avaient été infectés 21 jours auparavant sur 
un cas bénin au 8e jour; le 3°, 27 jours auparavant sur un cas grave au 2e jour. 


678 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de malade grave au 8° jour, filtré au Berkefeld après avoir été 
étendue de 5 fois son volume d’eau. Cette filtration avait pour 
but d'éliminer les microbes d'infection secondaire. 6 jours 
plus tard, il a reçu encore 20 c. c. du même sérum non filtré. 
Le lendemain il a été piqué par un moustique infecté ! et 8 jours 
plus tard par un autre, sans résultat. 17 jours après cette 
piqüre, il est piqué à nouveau par 4 moustiques infectés. 
7 jours et 5 heures après, il prend la fièvre. Celle-ci a été très 
bénigne. 

Le sérum préventif avait donc probablement protégé 
cet homme contre les deux premières tentatives d'infection. 
26 jours après l'injection, l’action du sérum élait encore suffi- 
sante pour atténuer la gravité de la maladie. 

Nous disons que le sérum s’est montré probablement préventif 
contre les premières piqüres, parce que nous n’avons pas de 
moyens de vérifier qu’un moustique est infecté le jour où on le 
fait piquer, et parce que d’autre part nous savons que la piqûre 
d’un moustique infecté peut rester sans effet. 

Aussi avons-nous fait avec le sérum virulent une expérience 
parallèle. 

Un homme de bonne volonté, n° 23, a reçu 20 c. c. du même 
sérum que le précédent provenant d’un malade au 8° jour. Le 
même jour on lui a injecté 1/2 c. c. de sérum virulent prove- 
nant d’un cas benin au commencement du 3° jour. Cette injec- 
tion n’a été suivie d'aucun résultat. | 

Enfin, un 3° individu, n° 24, a été piqué sans résultat par 
deux moustiques infectés ? après avoir reçu 15 c. c. de sérum de 
convalescent. 

Le sérum de convalescent et même celui d’un malade au 
8° jour jouissent donc de propriétés nettement préventives. 

Ces propriétés préventives se manifestent encore d’une façon 
peut-être plus nette dans l'expérience suivante. 

Deux hommes, n° 25 et 26, ont reçu, le même jour, 1 €. c. 
de sérum virulent provenant d’un cas grave au 2° jour de la 


4. Celui-ci avait infecté 44 jours auparavant sur un cas bénin au 2 jour de la 
maladie. Celui qui a été employé ensuite avait piqué, 14 jours avant, un cas léger 
au 1°" jour. Les 4 derniers ont été infectés, l’un 31 jours avant sur un cas léger au 
4x jour, les 3 autres, 26 jours auparavant sur un cas léger au 3: jour. 

2. Ces deux moustiques avaient piqué un cas grave au 2: jour, 23 jours aupa- 
avant. È 


LA FIÈVRE JAUNE. 679 


maladie et en même temps que le n° 14. Au moment où ce der- 
nier a été pris de fièvre jaune, c’est-à-dire 3 jours et 2 heures 
plus tard, les deux autres ont reçu 20 c. c. de sérum de conva- 
lescent. Ni l’un ni l’autre n’a été atteint. 

Le sérum de convalescent est aussi doué de propriétés théra- 
peutiques, comme nous avons pu nous en rendre compte dans 
11 expériences faites à l'hôpital. Ces essais de traitement ont 
été suivis de 7 succès et de # insuccès ; mais il convient de dire 
pour la défense de cette statistique peu démonstrative qu'il ne 
faut pas s'attendre à des résultats bien meilleurs dans les condi- 
tions où nous avons opéré. En effet, nous avons pris les conva- 
lescents tout venant, sans faire d’essai préalable sur la valeur 
préventive de leur sérum. Or, chez l’homme comme chez le 
cheval, il doit se trouver des sujets qui donnent des sérums 
plus ou moins bons et même des sérums inactifs. Mais, dans 
deux cas notamment, nous avons pu voir se produire une amé- 
lioration si subite et si imprévue, que nous sommes prêts à 
reconnaître une valeur curative à certains sérums. 

Toutes nos expériences ont été faites sans témoins et il ne 
faut pas nous en blâmer, car, à notre avis, on ne peut pas se per- 
mettre de faire des témoins quand ce sont des hommes qui 
sont en expérience. Mais nous nous sommes en général efforcés 
de n’obtenir qu’une immunité relative, dans les essais de vacei- 
nation que nous avons faits, pour pouvoir établir que les hommes 
traités étaient bien réellement sensibles. Mais pour opérer 
ainsi, il fallait s'assurer que l’immunité acquise par une première 
atteinte était assez longue et assez solide pour éviter toute 
réaction à la suite d’une injection virulente. En d’autres termes, 
il était indispensable de fixer que la bénigaité de l'atteinte des 
hommes en expérience n'était pas due à une fièvre jaune anté- 
rieure. 

Nous avons, à cet effet, inoculé à un homme, n° 27, qui, 
8 mois auparavant, avait eu une fièvre jaune authentique, 1 c. c. 
de sérum virulent provenant d’un cas moyen au commencement 
du 2° jour de la maladie. Cette injection n’a provoqué aucune 
réaction. 

Nous sommes donc autorisés à regarder comme valables les 
conclusions que nous avons tirées de nos expériences. 

On nous pardonnera de les avoir généralisées malgré le 


680 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


petit nombre de celles-ci, étant donné qu’elles ont été faites 
sur l’homme. 


IV 


On sait, depuis les expériences de Reed, Carroll, Agramonte 
et Lazear, que la fièvre jaune est inoculée à l’homme par la 
piqüre du Stegomya fasciata. 

Cette confirmation expérimentale de la doctrine déjà ancienne 
du D: Finlay dirige dans une voie nouvelle les efforts tentés en 
vain jusque-là, pour lutter contre la fièvre jaune dans les pays 
où elle sévit. 

A Rio-de-Janeiro nous avons institué une série de recherches 
et d'expériences ayant pour objet de déterminer : 

Si le stegomya est dans la nature l’agent de transmission et 
s’il est seul ; 

Quelles sont les conditions qui tavorisent l’apparition, la 
multiplication et la disparition de ce moustique; 

Quelles conditions sont nécessaires pour qu’il puisse s’infecter 
et transmettre la maladie; 

Par quels moyens l’homme peut se protéger contre le mous- 
tique infecté. 


Moœurs du Stegomya fasciata. 


Le St. fasciataestassez connu depuislesrecherches des médecins 
américains pour que nous puissions nous dispenser d’en donner 
une description détaillée. C’est un moustique d’un genre extrè- 
mement voisin du Culex dont il a été séparé par Théobald, peut- 
étre d' Lorna) 

Parmi les 16 espèces que compte le genre Stegomya, le : 
St. fasciata est de beaucoup le plus répandu dans les contrées 
chaudes du globe. La zone où on le rencontre est comprise 
entre 40° de latitude nord et 40° de latitude sud. Ce moustique 


x 


mesure # à 5 millimètres de longueur, il est brun foncé, presque 


4. En effet, le seul caractère invoqué pour différencier les deux genres consiste 
en la présence, sur toute la tête et sur le scutellum des Stegomya, d’écailles plates 
et larges qui ne se rencontrent pas sur le seutellum et n'existent que sur les côtés 
de la tête chez le culex, Un autre caractère différentiel invoqué est le fait que 
les stegomya pondent des œufs isolés, tandis que les œufs de culex sont soudés 
en une petite masse ayant l’apparence d’un rayon de miel; comme diverses 
espèces de culex pondent leurs œufs isolément à la façon des stegomya, ce carac- 
tère ne saurait être retenu. 


4 ET, Sr ou v en "+ 


LA FIÈVRE JAUNE. 681 


noir (le mâle en particulier), avec des zébrures et des points 
blancs argentés sur tout le corps, Si on l’examine par sa face 
dorsale en le disposant de manière que sa tête soit tournée vers 
soi, on remarque que les zébrures blanches du thorax et de la 
tète dessinent très élégamment une lyre à deux cordes, dont le 
pied est à la tête de l’insecte. Ce dessin typique permet de 
reconnaître au premier coup d'œil le Sf. fasciata et de le distin- 
guer de tous les autres culicides. | 

Les mœurs du St. fasciata diffèrent à beaucoup d’égards de 
celles de la plupart des moustiques. L’un des traits les plus 
saillants de l'espèce est son extrême sensibilité aux différences 
de température. Pour peu qu'on l’observe, on est frappé du 
contraste entre sa grande activité lorsque le thermomètre indi- 
que environ 28°, point où il manifeste son maximum d'énergie, 
et son inactivité à des températures de quelques degrés au- 
dessus ou au-dessous de ce point. Il meurt au delà de 39°. Si le 
thermomètre s’abaisse au-dessous de 15° à 16°, il devient pares- 
seux et cesse de s’alimenter. Vers 12° à 14°, il est engourdi, vole 
avec difficulté et ne setient plus solidement sur ses pattes. C’est 
done un moustique essentiellement thermophile qui, dans tous 
les actes de sa vie, est impressionné par l’état thermique de 
l’atmosphère. 

Nous avons multiplié les expériences pour étudier l’action 
de la température sur tous les stades de son existence et sur les 
actes qui se rapportent à sa multiplication, l’accouplement, la 
succion du sang, la ponte, l’évolution des larves et la métamor- 
phose en insecte parfait. 

Accouplement. — Deux fois seulement nous avons eu l’occa- 
sion d'observer l’accouplement : il a lieu presque toujours dans 
la nuit et à l’obscurité, d’où la rareté des observations de ce 
genre. D'après les deux cas où il s’est effectué sous nos yeux, 
voici comment il s'opère : le mäle saisit la femelle au vol, se 
place contre elle ventre à ventre. se maintient dans cette posi- 
tion au moyen de ses pattes accrochées au thorax de sa com- 
pagne et en fixant ses crochets au voisinage de la vulve. Le 
contact à duré dans un cas une minute environ, dans l’autre à 
peine une demi-minute. Pendant cette durée, les deux individus 
continuaient de voler, 

Aussitôt après la dernière métamorphose. en sortant de la 

4% 


82 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pupe, le male et la femelle sont prêts pour l’accouplement sans 
qu’il leur soit nécessaire de s’alimenter d’abord. C’est normale- 
ment le premier acte qu’ils accomplissent une fois passés à l’état 
d'insectes parfaits. 

Si, pendant la nuit qui suit la métamorphose, on place sous 
une même moustiquaire des mâles et des femelles et qu'on les 
sépare le lendemain, on constate qu'un nombre plus ou moins 
considérable de femelles ont été fécondées suivant que la tem- 
pérature était plus ou moins chaude au moment où elles ont été 
en contact avec les mâles. 

Lorsque la température est élevée, c’est-à-dire dépasse 25v, 
il est exceptionnel que des femelles aient échappé à l’accouple 
ment : on en a la preuve en ce que toutes pondent au bout de 
quelques jours. Si la température est entre 20 et 25°, la fécon- 
dation est encore la règle et la proportion de femelles inca- 
pables de pondre est très faible. Mais lorsque la température 
s'abaisse au-dessous de 20°, la proportion des femelles non 
fécondées devient de plus en plus considérable. 

L'expérience suivante met en évidence cette influence de la 
température sur l’accouplement: 

Sur un lot de 20 St. fasciuta femelles sorties des pupes le 
même jour, 10 ont été placées sous une moustiquaire dans 
notre laboratoire à Rio, en compagnie de 17 mâles. Les 10 
autres ont été transportés à Pétropolis isolées dans des tubes et 
réunies le soir sous une moustiquaire avec 17 mâles. Le 
lendemain toutes ces femelles ont été séparées des mâles, iso- 
lées dans des tubes de verre et mises à piquer sur l’homme. A 
Rio, la température du laboratoire au moment où ces femelles 
ont été réunies avec des mâles était de 29°, et la température 
moyenne de cette nuit a été de 27°. A Pétropolis, la tempéra- 
ture de la nuit de l’accouplement a été de 19° jusqu'à 2 heures 
du matin et s’est abaissée à 16 vers 5 heures, soit une tempé- 
rature moyenne de 17°. 

Toutes les femelles mises en expérience à Rio ont fait leur 
ponte au bout de quelques jours. Des 10 femelles mises en expé- 
rience à Pétropolis et ramenées le jour suivant à Rio, # seu- 
lement ont pondu. Par conséquent 6 d’entre elles n'avaient 
pas été fécondées. Dans d’autres expériences du même genre 
les proportions ont varié, mais d’une façon générale entre 1°et 


LA FIÈVRE JAUNE. 683 


20° la proportion de femelles non fécondées a été en rapport 
avec l’abaissement de la température. 

L'accouplement est donc favorisé par une température éle- 
vée, c’est entre 25 et 30° qu'il s'opère dans les meilleures con- 
ditions. 

Piqûres. — Le St. fasciata est un des moustiques les plus 
gènants pour l’homme à cause de ses piqûres. Le mâle, bien que 
sa trompe soit pourvue de stylets, ne pique jamais; seule la 
femelle est capable de piquer les animaux. Elle le fait de jour 
et de nuit dans des conditions que nous examinerons plus loin. 

Très peu après sa métamorphose, une femelle est suscep- 
tible de piquer. En général, c’est au bout de 24 heures qu’elle 
y consent facilement. Dans la nature, il est rare qu'elle n’ait 
pas été accouplée au préalable et la fécondation paraît stimu- 
ler son besoin de sang. Néanmoins les femelles vierges sont 
aptes à piquer, comme le montre cette expérience : 

Un lot de huit femelles métamorphosées du même jour 
entre 1 et 3 heures du soir ont été aussitôt isolées. 

Ces huit femelles vierges ont refusé de piquer le même soir 
à 9 heures. 

Toutes ont également refusé le lendemain à 10 heures du 
matin et à 2 heures du soir. 2 ont piqué le surlendemain à 
10 heures du matin. Les 6 qui avaient refusé le matin ont piqué 
le même jour à 9 heures du soir, 54 heures après la métamor- 
phose. 

Les femelles accouplées sont généralement plus empressées 
à piquer. Comme pour beaucoup d’autres espèces, l’ingestion de 
sang est indispensable pour que les œufs arrivent à se dévelop- 
per. C’est donc une condition essentielle de la reproduction, Si 
une femelle à sucé du sang soit avant, soit après l’accouplement, 
elle pondra régulièrement au bout de quelques jours. Si au 
contraire, elle est empêchée de piquer, la ponte ne peut avoir 
lieu. Pour que la ponte soit possible, il importe peu que le 
sang ait été ingéré fort avant ou après l’accouplement : une 
femelle accouplée sans avoir ingéré de sang et nourrie avec 
des substances sucrées demeure inféconde tant qu’elle est sou- 
mise à ce régime; mais si, au bout d’un certain temps, de 15 ou 
20 jours par exemple, on la fait piquer, elle pondra ses œufs 
après un intervalle de quelques jours, sensiblement égal à celui 


684 ANNALES DÉ L'INSTITUT PASTEUR. 


qui se serait écoulé entre la piqûre et la ponte si elle avait piqué 
aussitôt après la fécondation. 

L'expérience suivante le démontre : 

Un lot de 10 Si. fasciata femelles ayant subi la métamor- 
phose dans le courant d’un même jour a été placé dans une 
moustiquaire en compagnie de 15 mâles. 

48 heures après, 3 de ces femelles ont été retirées de la 
moustiquaire, placées dans des tubes de verre, et on les a 
fait piquer sur l'homme. 

Ces 3 femelles ont pondu, l’une après #4 jours, les 2 autres 
après 6 jours. 

Les 7 autres, nourries avec du miel, sont demeurées en 
compagnie des mäles pendant 11 jours sans qu'aucune ponte 
ait eu lieu. Au 11° jour, 6 femelles ont été isolées dans 
des tubes de verre et 1 laissée avec les mâles. Ni celle-ci ni 
les autres n’ont pondu dans les 7 jours qui ont suivi. À ce 
moment, c’est-à-dire au 18° jour de l'expérience, la femelle 
demeurée avec les mâles et 2 des 6 femelles isolées ont été 
mises à piquer sur l’homme. 

Ces 3 femelles ont pondu 5 jours après la piqüre, tandis 
que les # qui n'avaient pas piqué sont demeurées infécondes et 
ont terminé leur existence sans avoir pondu. 

Les mêmes phénomènes s’observent si, au lieu de sang 
humain, le Stegomya absorbe celui d’un autre animal à sang 
chaud ; mais il est à considérer que ce moustique pique de pré- 
férence l’homme et manifeste une répulsion plus ou moins 
grande pour n'importe quel autre animal. 

Ceci dit concernant le rôle de la succion du sang dans la 
reproduction, nous devons examiner l'influence de la tempéra- 
ture sur l'aptitude plus ou moins grande à piquer du Si. fas- 
cal. 

Si dans les #8 heures qui suivent sa naissance on prend une 
femelle qui a été accouplée, mais n’a pas encore piqué, et qu’on 
la place dans une chambre où un sujet est exposé à sa piqüre, 
on observe : He 

Qu'entre les températures de 26 à 35°, à toute heure de la 
journée, mais surtout à partir de 11 heures du matin, le mous- 
tique se précipite sur l’homme et Le pique avec avidité; 

Qu'entre les températures de 19 à 25°, il manifeste une 


, 


LOUBRAME VE EURE 
durcit dès 


LA FIÈVRE JAUNE, 685 


ardeur beaucoup moins vive et ne s’empresse plus de la même 
manière d'attaquer sa victime. Souvent il s’immobilise sur les 
parois de la pièce, sans paraitre songer à piquer ; 

Qu’entre les températures de 1# à 18°, non seulement, lors- 
qu'il est ainsi en liberté, il ne cherche point à piquer, mais 
même que si on le met en contact avec l’homme en lPintrodui- 
sant dans un tube de verre qu'oû applique sur la peau, il 
refuse de piquer. Lorsqu'il le fait, c’est au bout d’un temps 
assez prolongé pour que la température du tube se soit élevée 
au contact de la main qui la maintient. 

C’est ainsi qu'un lot de 12 moustiques, placés dans des 
tubes de verre et appliqués sur le bras par une température 
ambiante de 14°, sont restés 15 minutes au contact de la peau 
sans vouloir piquer. 

La même expérience faite à 17° a donné le mème résultat. 

A la température de 18°, 9 de ces mêmes moustiques ont 
piqué, les uns au bout de 5, d’autres au bout de 7 et d’autres au 
bout de 8 minutes. 

Nous ne croyons pas que, dans la nature, le St. fasciata 
livré à lui-même, dans une atmosphère de 17° et au-dessous, 
cherche jamais à piquer. On constate qu'il pique assez volon- 
tiers entre 22 et 25°. La température de 27 à 30° est celle qui 
lui convient le mieux. 

Ponte. — Après s'être repue de sang, la femelle fé:ondée du 
St. fasciata recherche le voisinage de l’eau pour effectuer sa 
ponte et, le moment venu, elle se pose soit au bord et plus sou- 
vent sur la surface même de la petite nappe d'eau qu’elle a 
choisie. La ponte s’effectue en général pendant la nuit, néan- 
moins nous avons vu nombre de femelles en captivité pondre 
durant la journée. Cette ponte dure plusieurs heures. Les œufs 
sont déposés isolément à la surface de l’eau et restent en géné- 
ral groupés. Ils flottent tant que l’eau n’est pas agitée, toute- 
fois ils peuvent être très facilement submergés et leur éclosion 
s’en trouve ordinairement retardée ; 1l arrive même qu'une par- 
tie des œufs submergés ne peuvent éclore, surtout si la tempé- 
rature de l’eau est peu élevée. Une femelle pond ordinairement 
de 70 à 80 œufs; nous avons observé des pontes de 95 et plus. 
Certaines femelles de petite taille, qui ont été insuffisamment 
nourries à l’état larvaire ou dont l’évolution à cette-période à 


686 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


été lente, pondent un nombre d’œufs plus faible. 50 à 60, quel- 
quefois moins. 

Selon la température régnante la ponte est hâtée ou ralentie. 
Nous avons observé que la température de 27 à 28° pendant la 
nuit, avec un maximum de 29 à 300 dans la journée était la plus 
favorable pour hàter la ponte. Dans ces conditions, elle a lieu 
souvent 48 heures après la piqûre, presque toujours le 3° jour, 
quelquefois le 4°. 

Si les températures nocturnes sont en moyenne de 25° à 27%, 
la ponte a lieu du 4° au 5° jour. 

Sielles se maintiennent entre 20° et 25°, la ponte à lieu le 
plus souvent au 6° jour, quelquefois au 7° ou au 8°. 

Si elles se maintiennent au-dessous de 20° avec un maximum 
diurne de 22° à 23°, la ponte peut être retardée jusqu’à 26 et 
27 jours; parfois même elle ne s’accomplit pas. Il est à remar- 
quer que c’est la température nocturne qui agit surtout pour 
hâter ou ralentir la ponte. De même aussi, c’est la température 
nocturne qui exerce la plus grande influence sur l’accomplisse- 
ment des fonctions dela Sf. fasciata. C’est qu’en effet, à part le 
besoin de piquer qui tourmente les jeunes femelles pendant la 
journée, c’est surtout à la faveur de l’obsecurité et pendant la 
nuit que s’accomplissent les fonctions les plus importantes de 
l'existence de cette espèce. 

Éclosion. — Plus encore que la ponte, l’éclosion estinfluencée 
par la température. Dans des conditions favorables, l'œuf éelôt 
au bout d’un laps de temps très court, souvent au 2° ou au 
3° jour après la ponte. Ces conditions favorables sont, comme 
pour l’accouplement et la ponte, une température moyenne 
de 27° à 29°, La température optima pour tous les actes de la vie 
de ce moustique est, d’après nos observations, 28°. 

Si les œufs sont maintenus à une température de 25° à 26°, 
l’éclosion a encore lieu rapidement, du 4° au 5° jour en moyenne. 
S'ils sont maintenus à une température de 20° à 25°, l’éclosion 
commence parfois vers les 5°, 6° ou 7° jour, mais elle ne s'opère 
plus avec la même régularité, Alors qu’à des températures plus 
élevées la totalité ou la presque totalité des œufs éclosent à la 
fois, ou tout au moins dans l’espace de quelques heures, l’éclo- 
sion au-dessous de 25° est en général partielle; on voit appa- 
raître quelques larves, mais une partie des œufs, souvent la 


LA FIÈVRE JAUNE. 687 


presque totalité, restent fermés, attendant pour s'ouvrir un 
relèvement de la température. Ils peuvent demeurer ainsi 
immobilisés pendant plus d’un mois et fréquemment pendant 
cet intervalle cessent de flotter, pour couler à fond. 

Une température d’au moins 20° est nécessaire pour que 
l'œuf puisse éclore, toutefois il peut supporter sans souffrir des 
températures beaucoup plus basses, y compris celle de 0°. Mais 
si le refroidissement ne tue pas l’œuf d’ordinaire, du moins il a 
un retentissement défavorable sur toute l’évolution du mous- 
tique. Dans la nature, il suffit que la température du milieu 
s’abaisse à 20° pendant une nuit pour que l’éclosion et l’évolu- 
tion des larves soient troublées et retardées. Les œufs qu’on 
laisse à une température basse, de 0 à 20°, se conservent ainsi 
fort longtemps, et si on les reporte ensuite à une temptrature 
convenable ils peuvent éclore. Néanmoins si l’expérience se 
continue pendant plusieurs mois, il y a un déchet considérable, 
Dans une expérience de ce genre prolongée 70 jours avec 
des températures noctures de 10° à 20°, à peine 1/20 des 
œufs reportés à une température favorable à l’éclosion ont 
donné des larves. Nous croyons par suite que tous les œufs 
soumis au refroidissement doivent périr au bout d’une période 
de plusieurs mois. L’immersion prolongée des œufs à tempé- 
rature basse nous a paru une condition défavorable à leur 
longue conservation, soit que les œufs soient attaqués par les 
microbes développés dans l’eau, soit que leur coque se laisse 
à la longue ramollir et pénétrer par l’eau !. 

La conservation de l’œuf est mieux assurée s’il subit la 
dessiccation que s’il reste immergé. Nousavons, au lendemain de 
la ponte, retiré des œufs de l’eau pour les mettre à sec dans un 
tube de verre. Après les avoir gardés durant 42 jours à une 
température qui empêchait l’éclosion, ils ont été remis dans 
l'eau et exposés à une température d'environ 27°. Une partie 
sont éclos 5 jours plus tard, d’autres après le 6° et le 7° jour; 
toutefois plus de la moitié avaient péri. D’autres observateurs 

1. Les œufs morts à la suite de l'immersion prolongée ne restent pas intacts 
ordinairement. Très souvent ils s’ouvrent, maisnon plus par le même mécanisme 
que l'œuf qui éclôt. La coque de l'œuf qui éclôt subit une scission transversale 
du côté de sa grosse extrémité, presque au 174 de sa longueur, formant ainsi une 
calotte qui se rabat à la facon du couvercle d’une boîte ou se détache en totalité, 


pour donner issue à la jeune larve. L’œuf mort au contraire se fend dans !e sens 
de la longueur et il se détache une lanière longitudinale de la coque. 


688 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ont constaté que la dessication pouvait être prolongée 3 mois 
sans ainener la mort des œufs. 

Évolution.des larves. — L'évolution de la larve du Stegomya 
a une durée variable, suivant les conditions plus ou moins 
favorables dans lesquelles s’est opérée l’incubation de l’œuf, 
suivant la richesse alimentaire de l’eau où elle s’élève et surtout 
suivant la température à laquelle elle est soumise. C’est dans 
les eaux croupissantes ou tout au moins non courantes que le 
St. fasciuta à l'habitude de déposer sa progéniture. Hôte des 
habitations humaines, il choisit de préférence les dépôts d’eau 
qui se rencontrent à l'intérieur et au voisinage des maisons, les 
caisses à eau, les gouttières, les vases à fleurs, les carafes, les 
alcarazas, les égouts d’évier, les baquets, les bassins d'arrosage 
et de lavage, les vieilles boîtes à conserves et les tessons de 
vaisselle abandonnés dans les cours. Ses larves en effet, suscep- 
tibles de se développer dans l’eau claire, ne craignent pas les 
eaux sales. Les eaux renfermant des débris alimentaires, des 
matières amylacées ou des matières grasses leur conviennent 
parfaitement; la Commission américaine à Cuba a constaté que 
la souillure de l’eau par des matières fécales favorise leur déve- 
loppement. Il nous paru que l’eau de pluie, probablement à 
raison des microbes qui y pullulent, leur était, plus que l’eau de 
source, un milieu favorable. Au laboratoire elles sont faciles à 
élever dans l'eau où l’on a placé quelques graines féculentes, 
srains de maïs, de blé, ete. 

Elles se plaisent moins dans les eaux vaseuses et dans celles 
où ont macéré en abondance des feuilles mortes et des débris 
de bois. Les différences qui existent dans la durée d’évolution 
des larves placées en ces divers milieux ne sont pas d'ordinaire 
extrèmement marquées. C’est plutôt la vigueur et le volume de 
l’insecte parfait qui sont en rapport avec la richesse et l’adap- 
tation alimentaires du milieu où il a vécu son stade larvaire. 

Il existe au contraire un rapport étroit entre la température 
à laquelle se fait l'élevage et la rapidité d’accroissement des 
larves. A Rio, pendant la saison la plus favorable, celle où les 
températures nocturnes sont en moyenne de 26° à 27° et les 
températures diurnes de 28° à 31°, nous avons vu les larves de 
St. fasciata arriver au stade de pupe 7 jours après l’éclosion et 
au stade parfait le 9° jour; toutefois, la plupart des larves de la 


LA FIÈVRE JAUNE. 689 


mème ponte n'ont formé les insectes parfaits qu’au 10° jour. 
Pour que l’évolution s’accomplisse avec cette rapidité, 1l est 
nécessaire que l'œuf ait comme la larve rencontré une tempé- 
rature favorable et que son incubation ait été rapide. La Com- 
mission américaine a constaté que l’évolution du stegomya à 
Cuba, depuis la ponte jusqu'à l’état parfait, demandait en 
moyenne 15 à 18 jours. Nous avons vérifié qu’elle s’effectuait à 
Rio-de-Janeiro dans un laps de temps analogue pendant la saï- 
son la plus chaude seulement, saison qui dure de janvier à 
mai. Elle est plus longue, dans les conditions naturelles, pendant 
les autres périodes de l’année. 

Enfin, avec des températures noctures inférieures à 22°, nous 
avons vu à Pétropolis les larves mettre 40 à 60 jours, à compter 
de l’éclosion, pour se transformer en pupes, et demeurer à cet 
état 3 à » jours avant de devenir insectes parfaits. D’ordinaire 
ce stade de pupe dure 30 à 50 heures. 

Leslarves ne périssent pas à des températures voisines de (, 
mais elles s’accroissent très lentement et mettent un temps 
indéterminé à atteindre l’état parfait. 

En terminant cette brève étude des larves de Steyomya, nous 
devons signaler que leur développement est possible dans l’eau 
saumâtre et que l’eau de savon est un des milieux qui leur sont 
le plus nuisibles, 

Nous avons constaté expérimentalement que les larves: 
placées dans l’eau de mer périssent rapidement. Mais il n’en est 
pas de mème si l’eau de mer est étendue d’eau douce. 

Une femelle placée dans un tube contenant de l’eau saumâtre 
composée de 5/6 d’eau douce et de 1/6 d’eau de mer a pondu 
ses œufs dans les conditions normales. Ces œufs ont éclos au 
bout de # jours. Les jeunes larves transportées dans un vase 
contenant la même eau se sont développées, eLes ont atteint le 
stade de pupe au 11° jour et ie stade parfait au 13° jour. {l en a 
été de même pour des larves placées dans une eau saumûtre : 
artificielle contenant 1/5 d’eau de mer pour 4/5 d’eau 
douce. Deux jeunes larves placées dans une eau saumâtre 
contenant 1/3 d’eau de mer sont mortes au bout de quelques 
heures. 

En ce qui concerne l’action de l’eau de savon, nous avons 
observé que des larves de n’importe quel âge, placées dans une 


690 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


eau contenant en dissolution 1/1000 de son poids de savon de 
Marseille, meurent en 5 minutes. 

Dans les solutions à 1/5,000 et 1/10,000, elles résistent plus 
longtemps, mais ne se développent pas et finissent par périr. 

Dans les solutions à 1/200,000 et 1/250,000, elles résistent 
et se développent normalement. 

Il ne faudrait pas en conclure que les eaux des bassins et des 
baquets qui ont servi au lavage du linge ne puissent permettre 
le développement des stegomya dans les lavoirs. En effet, si 
cette eau reste aurepos pendant quelques jours le taux de l’alea- 
linité baisse, et elle finit par ne plus pouvoir nuire à l’évolution 
des larves. 

État parfait. — Nous avons déjà signalé l'influence que la 
température exerce sur l’activité du St. fasciata à l’état aïlé; 1l 
nous reste à exposer quelques particularités de ses mœurs à ce 
stade. 

Ce moustique, tout d’abord, est en quelque sorte un mous- 
tique domestique. Autant il abonde dans le voisinage et à l'inté- 
rieur de maisons, autant il est rare dans les endroits inhabités. 
Obligées de pondre sur l’eau, les femelles vont chercher le plus 
souvent hors de l'habitation ce milieu indispensable à leur pro- 
géniture, mais c’est à l'intérieur qu’elles se tiennent à l'ordinaire. 
Cela s'explique non seulement par la nécessité où elles sont de 
se repaître de sang et leur préférence marquée pour le sang 
humain, mais aussi par leur sensibilité extrême au refroissement 
qui les incite à chercher un abri contre l’abaissement de la tem- 
pérature. 

Les mâles se rencontrent aussi en abondance dans les mai- 
sons. Bien qu'ils paraissent obligés plus que les femelles de 
chercher au dehors, dans les feuillages, leur pâture, nous 
croyons qu'ils trouvent fréquemment à l’intérieur des habita- 
tions, sur les vêtements,les murs humides, les garde-manger et 
les détritus d’aliments de quoi se nourrir. 

Ea raison de leur présence dansles locaux habités et de leur 
ardeur à piquer lorsque latempérature le leur permet,les femelles 
de cette espèce sont, avons-nous dit, des hôtes extrêmement 
fächeux pourl’homme. Et celaàtoute heure, mais principalement 
à partir des heures les plus chaudes de la journée et jusqu’au 
milieu de la nuit. C’est,suivant les cas, vers 10 ou 11 heures du 


LA FIÈVRE JAUNE. 691 


matin ou midi que les femelles commencent à manifester leur 
activité à satisfaire leur appétit. Par des températures appro- 
chant de 30° elles se jettent voracement sur les parties décou- 
vertes du corps, la figure et les mains, comme il est rare de le 
voir faire à des moustiques d’autres espèces. Une fois repues, 
elles ont le corps alourdi, le vol pénible, elles recherchent alors 
des coins obscurs où elles vont s’immobiliser pour accomplir 
leur digestion qui dure environ 60 heures, 3 à 4 jours se pas- 
sent avant qu’elles soient reprises du désir de piquer. 

Divers auteurs ont considéré le Sf. fasciatdà comme un mous- 
tique essentiellement diurne qui ne piquerait jamais ou presque 
jamais la nuit. C’est là une erreur qu’il est indispensable de 
détruire. 

Ce moustique s’attaque à l’homme après la chute du 
jour, dans la nuitet le matin avant lelever du soleil: nousl’avons 
éprouvé personnellement. Il est extrêmement facile de s’en 
rendre compte si l’on examine le matin de bonne heure la mous- 
tiquaire d’un lit occupé par un malade, dans une salle où les 
Stegomya ont accès. Pour peu que cette moustiquaire ne ferme pas 
hermétiquement, on y trouve au matin des femelles gorgées de 
sang qui y ont pénétré et ont piqué pendant la nuit. Leur capture 
est alors très facile. C’est là un moyen que nous avons employé 
très fréquemment pour nous procurer des moustiques ayant piqué 
sur des malades atteints de fièvre jaune. 

Nous nous sommes demandé si, à toutes les périodes de son 
existence, le St. fasciata femelle présentait la même aptitude à 
piquer indifféremment de jour ou de nuit. Si l’on considère ce 
moustique en captivité,on constate qu'au bout de 24 à 36 heures 
après la fécondation, il manifeste le maximum d’ardeur à la 
piqûre, que postérieurement à son premier repas de sang il con- 
tinue à accepter de piquer à une heure quelconque de la journée, 
à condition que la digestion du repas antérieur soit complète- 
ment achevée. Toutefois il n'apporte plus de voracité à satisfaire 
son appétit. ILest souvent nécessaire de le maintenir longtemps 
au contact de la peau pour le décider à y planter son stylet.Cette 
paresse à piquerestsurtout marquée lorsqu'il est âgé de quelques 
semaines. Très fréquemment on n'obtient pas alors le résultat 
cherché, surtout si,au lieu de maintenir le moustique au contact 
de la peau dans un tube de ‘verre, on le laisse libre sous une 


692 ANNALES BE L'INSTITUT PASTEUR 


petite moustiquaire dans laquelle on introduit la main du sujet 
exposé à la piqûre. 

Au contraire,si au lieu d’opérer de jour, on réalise cette expé- 
rience dans la nuit et à l’obscurité, les moustiques qui, dans le 
jour, s'étaient montrés paresseux à piquer le font avec empres- 
sement. 

Ces observations nous ont conduits à penser que dans la 
nature le moustique pouvait ne pas se comporter au point de 
vue de la piqüre exactement comme en captivité. En vue denous 
en assurer nous avons, à toute heure du jour eten un grand nombre 
de maisons différentes,capturé des femelles qui se préparaient à 
piquer. Le procédé pour opérer cette capture consistait à rester 
immobile dans une pièce et à emprisonner dans un tube de verre 
chaque moustique qui se posait sur la peau avant de lui laisser 
le temps d'y planter ses stylets. Nous nous sommes ainsi procuré 
dans le courant de deux annéesun nombre très considérable de 
St. fasciata femelles en condition de piquer au cours de la journée. 
L'examen de chacun de ces individus nous a montré tout d’abord 
qu'ils étaient jeunes, c’est-à-dire fraïchement sortis des pupes. 
En effet, tous avaient leur revêtement d’écailles en parfait état, 
avec les taches et Les zébrures claires absolument intactes. Or 
lorsque dans la nature un Stegomya a dépassé le 15° jour de son 
existence d’insecte parfait, il est fort rare que sa parure écail- 
leuse ne soit pas détériorée ; le dessin de lyre qui orne son 
thorax est presque toujours moins net.des points blancs de l’abdo- 
men ou d’autres parties du corps ont été endommagés, et l’on 
reconnait à la loupe des parties où les écailles ont plus ou moins 
disparu. 

_ En second lieu nous avons constaté que ces femelles achar- 
nées à piquer de jour avaient été accouplées, maïs n'avaient 
jamais encore absorbé du sang. En effet toutes celies capturées 
dans les conditions que nous avons dites, que nous avons con- 
ser vées isolées en tubes de verre en les nourrissantavec des ali- 
ments sucrés, sont demeurées indéfiniment sans pondre. Toute- 
fois ces femelles étaient fécondées au préalable, car lorsque nous 
les avons fait piquer, soit aussitôt après leur capture, soitquelques 
jours plus tard, elles ont opéré leur ponte de 3 à 6 jours après 
la piqûre. La multiplicité des observations que nous avons faites 
sur ce sujet nous ont amené à conclure : 


LA FIÈVRE JAUNE. 693 


Que le Si. fasciata qui pique dans la journée est l’insecte 
femelle jeune qui a quitté l’état de pupe depuis 2 à 4 jours seule- 
ment, qui a subi dans cet intervalle la fécondation, mais qui n’a 
pas encore eu l’occasion de piquer l’homme. ; 

Que les femelles repues de sang une première fois et libres 
dans les habitations cessent de poursuivre l’homme pendant la 
journée. Elles deviennent des moustiques nocturnes qui vivent 
dans les coins sombres pendant la durée du jour et ne donnent 
plus la chasse à l’homme qu’une fois l'obscurité venue dans la 
maison. 

Comme pour tout ce qui concerne les mœurs et habitudes des 
espèces animales, nous ne prétendons pas que cette règle soit 
absolue au point de ne souffrir aucune exception. Mais en admet- 
tant que les insectes qui nous occupent, livrés à eux-mêmes, 
puissent, étant affamés ou pour une raison différente, rechercher 
une proie pendant la journée alors qu'ils n’en sont pas à attendre 
leur premier repas de sang, nous ne pensons pas que ce fait se 
produise lorsqu'ils ont un certain âge, lorsque, par exemple, ils 
ont dépassé la deuxième semaine de leur existence d’insecte 
parfait. 

Nous avons essayé de déterminer la durée de l’existence du 
St. fasciaia à l'état parfait. L'élevage de ce moustique est assez 
facile, il suffit de le maintenir àune température qui lui convienne 
dans une atmosphèrehumide, car il meurt rapidement placé dans 
l'air sec, et de l’alimenter avec des matières sucrées. En conser- 
vant des individus en captivité, on voit qu’il leur est facile d’at- 
teindre l’âge de 2 mois. A partir du 40° jour, la mortalité 
devient grande, quel que soit le mode d’alimentation employé. 
Cette mortalité est plus grande parmi les mâles que parmi les 
femelles. Les individus qui ont atteint dans notre laboratoire la 
plus grande longévité ont vécu 89, 90, 93, 97, 105 et 106 jours. 
Tous ceux-ci étaient des femelles qui avaient piqué l’homme au 
début de leur existence et avaient été par la suite nourries avec 
du miel. Nous n'avons jamais pu conserver des mâles plus de 
»0 Jours. 

Nous ne croyons pas que dans la nature on puisse observer 
fréquemment des cas de longévité aussi considérable que ceux 
que nous avons cités. Le Sf. fasciata est un être fragile. Sa con- 
servation dans la nature nécessite un assez grand nombre de con- 


694% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ditions favorables, parmi lesquelles, en premier lieu, un abri, 
une atmosphère humide et chaude etunealimentation appropriée. 
Les abaissements de température accompagnés de pluie et 
d'orage le font disparaître avec rapidité. Robuste et agile dans 
les premiers jours qui suivent sa naissance, il perd, au bout d’un 
certain temps, beaucoup de sa vigueur. Il est certain que lors- 
qu'avec l’âge, il s’est dépouillé d’une partie de ses écailles, ilest 
beaucoup plus exposé à toutes les causes d’affaiblissement et de 
destruction. 

Il ne nous paraît donc pas qu’à l’état libre il puisse vivre 
aussi longtemps qu’en captivité. 

Nous n’avons envisagé, dans ce qui précède, l'influence de 
la température sur les fonctions du St. fasciata que dans les 
limites entre lesquelles oscille le thermomètre sous les climats 
de Rio de Janeiro et de Pétropolis. 

L'action des températures supérieures a été étudiée au moyen 
de l’étuve. Nous avons constaté ainsi qu’au-dessus de 34° le déve- 
loppement des œufs et des larves était retardé, que l’éclosion 
s’opérait d’une manière irrégulière, qu’au delà de 36° la femelle 
effectue difficilement sa ponte et que les œufs éclosent très 
rarement. Enfin, si l’on maintient le moustique à une tempé- 
rature supérieure à 39°, 1l ne tarde pas à mourir. 

Nous avons effectué diverses expériences en vue de vérilier 
si le St. fasciata pique indifféremment l'homme à quelque race 
qu’il appartienne. Il en ressort que ce moustique, livré à lui- 
même. pique facilement le nègreet le Peau-Rouge, mais qu'il a 
une prédilection marquée pour la race blanche. En eflet, si l’on 
fait piquer des moustiques neufs et de même âge par une 
température identique sur des individus de race noire, de race 
peau-rouge et de race blanche, on constate que, dans la géné- 
ralité des cas, c’est sur le blanc qu'ils piquent le plus vite. Le 
peau rouge est aussi attaqué rapidement. Vis-à-vis du nègre, 
le Stegomya manifeste quelque répugnance; presque jamais il 
ne se décide à piquer immédiatement et souvent un contact de 
10 à 15 minutes est nécessaire pour arriver au résultat. Parmi 
les individus de race blanche, le Stegomya manifeste également 
des préférences : il s'attaque beaucoup plus avidement aux 
individus jeunes, vigoureux, qui ont la peau fine et le teint 
coloré, qu'aux individus anémiés ou âgés. Ce n’est là toutefois 


LA FIÈVRE JAUNE. 695 


qu'une question de degré car, lorsqu'il est affamé, ce moustique 
accepte la proie qui lui est offerte. 

Les faits que nous venons d'exposer concernant les mœurs 
du St. fasciata donnent le moyen de se rendre compte des con- 
ditions climatériques que doit présenter unerégion pour permettre 
l'existence et la multiplication de cette espèce, Comme on la 
vu, tout climat chaud et humide, dont la température se main- 
tient en certaines saisons entre 25° et 35°, lui convient particu- 
lièrement. Si la température vient à s’abaisser pendant la nuit 
entre 22° et 25°, celle de la journée demeurant supérieure à ce 
chiffre, il se multiplie encore, mais plus faiblement. Lorsque 
l’abaissement pendant une période prolongée, de 6 à 7 mois par 
exemple, est tel que la température moyenne de la nuit soit 
inférieure à 22°, on assiste à la disparition de l’espèce, Il importe 
de noter que par ce chiffre de 22° il ne faut pas entendre le 
minimum thermométrique nocturne, qui pourra fort bien être 
inférieur à la température moyenne de la nuit. En effet, si le 
thermomètre indique des minima de 22° à une saison donnée, 
ces minima représentent un abaissement momentané et de 
courte durée, tandis que la température qui a régné pendant 
la plus grande partie de la nuit sera de plusieurs degrés supé- 
rieure à ce chiffre minimum. Nous insistons sur ce point, car 
pour que les actes fonctionnels du Sf. fasciata soient ralentis au 
point de compromettre sa multiplication, il ne suffit pas qu’il soit 
exposé pendant quelques instants à une basse température; en 
ce cas 1l éprouve un engourdissement passager après lequel, la 
température s’élevant, il reprend toute son activité. De plus le 
moment des minima nocturnes est rarement assez prolongé 
pour que la température intérieure de l’habitation ait le temps 
de s’abaisser au même chiffre. Par conséquent le St. fasciata 
réfugié à l’intérieur de cette habitation ne sera jamais soumis à 
une température aussi basse que celle indiquée par les chiffres 
minima qui figurent dans les observations météréologiques d’une 
région. Il faut compter aussi que l’instinct de ces moustiques 
les pousse à rechercher dans une habitation les endroits les 
plus chauds pour y passer la nuit, les chambres à. coucher et 
les cuisines. Et ceci nous donne l'explication d’un fait qui a été 
signalé un grand nombre de fois, c’est qu’en temps d'épidémie 
de fièvre jaune, soit à terre, soit à bord des nävires, les cuisi- 


696 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


niers, les mécaniciens, les chauffeurs, les boulangers et toutes 
les personnes qui passent la soirée ou la nuit entière dans les 
cuisines, les boulangeries, ou les chambres de machines, sont 
particulièrement exposées à contracter la fièvre jaune. 

Pour qu’une contrée soit inhospitalière au Sf. fasciata, 1] faut 
donc que son climat possède une saison fraîche prolongée de 
façon que non seulement les adultes, mais les larves aussi et les 
œufs soient détruits. Les adultes, lorsque la température 
devient inférieure à 22°, disparaissenttrès vite; cela tient surtout 
à ce qu'ils perdent vers 17° ou 18° environ la facilité de piquer et 
de s’alimenter. Il n’en est pas ainsi pour les larves qui, nous 
l'avons vu, supportent longtemps sans en souffrir beaucoup des 
températures de 12°. Toutefois, par des températures infé- 
rieures à 22°, ces larves n'arrivent pas à maturité, elles ne se 
métamorphosent pas ou très difficilement en insectes parfaits, 
et les insectes parfaits, nés dans ces conditions, sont ordinaire- 
ment chétifs et de petite taille. Il est nécessaire que la tempé- 
rature soit supérieure à 22° pour l’accomplissement normal 
de cette métamorphose, Dans le cas contraire, l’état larvaire se 
prolonge pendant un temps que nous n’avons pu déterminer 
avec précision. Nous avons fait ces expériences à Pétropolis 
en saison fraîche; or, des relèvements momentanés de la tem- 
pérature qui se produisaient à des intervalles peu éloignés ont 
permis à nos larves de se métamorphoser au bout d’un temps 
variable, La plus longue durée de ce stade que nous ayons 
observée a été de 65 jours. 

Si l'on considère que la résistance au refroidissement est 
encore plus grande pour les œufs que pour les larves, puisque 
ceux-ci peuvent, s'ils sont desséchés, passer plusieurs mois sans 
perdre leur vitalité et éclore une fois remis dans l’eau, on voit 
que si la saison fraiche n’est pas de longue durée l'espèce peut 
se conserver. Néanmoins, l’expérience démontre que dans la 
nature la résistance du Sf. fasciata est beaucoup moindre que 
dans le laboratoire où il est mis en observation. C’est ainsi qu’à 
Pétropolis on peut conserver l’espèce en captivité durant la sai- 
son fraiche, tandis que les individus mis en liberté sont incapa 
bles de faire souche. 

Ea résumé, il résulte de nos observations qu’un climat où les 
températures nocturnes moyennes sont supérieures à 22° et les 


LA FIÈVRE JAUNE. 697 


tempéralures diurnes supérieures à 250 suffit au S/. fasciata et 
que ce moustique ne peut exister sous un climat où les moyen- 
nes nocturnes sont inférieures à 22° quand même les tempéra- 
tures diurnes dépasseraient 25°. 

Ces considérations sur la biologie du St. fasciata étaient 
indispensables pour étudier le mécanisme de la propagation de 
la fièvre jaune et fixer les règles de la prophylaxie. 


Y 


La province de Rio-de-Janeiro est une contrée particuliè- 
rement favorable à l'étude des rapports qui existent entre le 
développement de la fièvre jaune et le St. fasciata. La plaine 
mamelonnée qui s'étend autour de la baie de Rio en un vastefer 
à cheval d'environ 40 kilomètres de diamètre, est environnée par 
une ceinture de montagnes dont l'altitude varie de 400 à 600 mè- 
trespour les chainons isoléssitués au sud, et de 1,000 à 2,000 mè- 
tres pour la grande chaine située au nord et à. l’ouest de la 
baie. 

Rio occupe dans la plaine contre les montagnes du sud de 
la baie une vaste étendue, et, à des altitudes très diverses, existe 
un nombre considérable de faubourgs disséminés à des distances 
plus ou moins grandes de la capitale; les plus intéressantes pour 
nous de ces agglomérations sont Sainte-Thérèse et Tijuca à 
200 mètres, la station de Meio da Serra à 350 mètres, Paneiras 
à 400 mètres, Pétropolis à 800 mètres, Fribourg et Therésopolis 
à 900 mètres environ”. 

Les climats varient en ces divers points selon leur altitude. 
Ils ont ce caractère commun que l’année est divisée en deux 
saisons : une saison chaude et pluvieuse qui s'étend de novem- 
bre à mai, et une saison fraîche avec des pluies peu fréquentes 
de mai à novembre. À Rio les minima thermométriques, pen- 
dant la saison chaude, se maintiennent entre 24° et 260. Excep- 
tionnellement on observe 2° à 3° au-dessus ou au-dessous. En 
même temps les maxima oscillent à l'ordinaire de 26° à 310, 
rarement inférieurs à 25° ou supérieurs à 32°, En janvier, février, 


1. La ville proprement dite se développe sur une longueur d’environ 10 kilo- 
mètres, elle est prolongée par une suite ininterrompue de faubourgs, le long 
du chemin de fer de Rio à Saint-Paul, jusqu'à 59 kilomètres de distance. 


45 


698 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Mars et avril, s’observent les périodes les plus chaudes, inter- 
rompues par de courtes périodes lempérées. Les fortes pluies 
qui, dans la saison chaude, se succèdent à Rio avec une fré- 
quence plus ou moins grande, déterminent presque toujours un 
abaissement de température considérable, et le thermomètre 
peut occasionnellement descendre jusqu’à 18° et même 17° dans 
la nuit. 

Durant la saison fraiche, les températures minima oscillent 
entre 19° et 24°. Rarement elles atteignent 26° ou 27°; rarement 
aussi elles sont inférieures à 18°. Pour les températures diurnes, 
la différence avec l’autre saison est moins marquée que pour 
celles de la nuit : les maxima restent entre 26° et 30°; ils peu- 
vent atteindre jusqu'à 55° quand il y a des périodes un peu 
longues de sécheresse, et s’abaisser à 24° ou 23° lorsqu'il a plu. 

Pendant les deux saisons l'atmosphère à Rio est humide, 
toutefois l'humidité est beaucoup moindre de juin à octobre que 
durant le reste de l’année. Il en est de mème pour la région 
montagneuse. | 

Si on s'élève de 200 à 300 mètres au-dessus de la plaine de 
Rio, on rencontre un climat qui diffère très peu de celui de cette 
capitale, en ce qui concerne les températures diurnes, davan- 
tage en ce qui concerne les températures nocturnes. 

Les journées à Sainte-Thérèse, à Tijuca, à Meio da-Serra 
sont presque aussi pénibles qu'à Rio, mais la fraicheur des 
nuits est beaucoup plus accentuée. On peut estimer qu'en 
moyenne les températures nocturnes y sont de 2° ou 3° infé- 
rieures à celles de Rio ; vers 400 mètres, à Paneiras, par exem- 
ple, cette différence est beaucoup plus accentuée encore. 

Les points plus élevés de la chaîne de montagnes où se ren- 
contrent des agglomérations d'habitants jouissent d’un climat 
beaucoup plus tempéré. À Pétropolis par exemple, situé à une 
altitude de 800 mètres environ, la chaleur n’est jamais intense 
dans la journée et les nuits restent fraîches toute l’année durant 
Il résulte des observations météorologiques que nous y avons 
faites de 1901 à 1903 que les maxima aux mois les plus chauds 
de l’année ne dépassent 28° que tout à fait exceptionnellement. 
Les températures moyennes diurnes, de janvier à avril, sont 
approximativement de 24e. En même temps les minima varient 
de 44° à 209 et la température nocturne moyenne est de 20° 


LA FIÈVRE JAUNE. 699 


environ, Les pluies sont très abondantes et l'atmosphère à peu 
près saturée d'humidité au cours de cette période, 

La saison fraiche commence généralement à la fin d'avril et 
se fait sentir jusqu’à novembre. Elle est peu pluvieuse. Durant 
six mois environ les températures maxima se maintiennent d’or- 
dinaire entre 16° et 24°, la moyenne étant de 21°, et Les tempé- 
ratures minima entre 8° et 15°, On observe très rarement des 
minima de 7° et 6°, 

Ces données succintes suflisent pour prévoir la distribution 
du St. fasciata dans la région: à Rio de Janeiro il existe à toute 
époque de l’année. Très abondant au cours de la saison chaude 
il se raréfie surtout pendant les mois d’août, septembre et octo- 
bre au point qu'il est quelquefois difficile de s’en procurer à 
certains moments de cette période. Si l’on s'élève à 200 mètres 
au moins, à Tijuca par exemple. on le voit apparaître tardive- 
ment à la fin de décembre ou en janvier seulement. Il y pullule 
jusqu’au mois de juin ou de juillet suivant que la saison fraîche 
s'établit plus ou moins prématurément, puis se raréfie et dispa- 
rait complètement d’août à la fin de l’année. Il en est de même 
à Sainte-Thérèse, Nous avons constaté dans ces localités, au 
mois de juillet 1902, une disparition très brusque et très géné- 
rale des larves et des adultes, survenue après un abaissement de 
quelques degrés de la température nocturne pendant que dans la 
plaine, où cet abaissement avait été moins marqué, on continuait 
à trouver des larves en abondance, 

Aux environs de 400 mètres d'altitude, on peut trouver le 
St. fasciata de janvier à mai. Mais il est nécessaire pour 
cela que la saison soit particulièrement chaude. C’est ainsi 
qu'en 1902 il nous a été impossible de récolter aucun échantillon 
de l'espèce à Meio da-Serra au mois de mars ; l’année suivante 
au contraire, nous avons observé quelques Stegomya vers la 
même époque. D'après nos renseignements les années où ils 
peuvent s'élever à cette altitude autour de Rio sont exception- 
nelles,. 

Nous n'avons jamais pu rencontrer le St. fasciatu aux envi- 
rons de Rio dans des localités situées au-dessus de 400 mètres. 
A Pétropolis en particulier il n'existe pas. Nous l’avons établi 
par des observations et des recherches poursuivies d’une façon 
ininterrompue pendant 18 mois, Comme nous l'avons exposé, 


700 ANNALES, DE L'INSTITUT PASTEUR 


c'est au refroidissement nocturne qu'est due l'incapacité, pour 
cette espèce, de vivre et de multiplier à Pétropolis hors de la 
captivité. On ne saurait accuser la difficulté d'accès de Pétropo- 
lis d’être la raison de son abserce : journellement en effet, sur- 
tout en saison chaude, des Sf. fasciala sont amenés à Pétropolis 
de Rio ou des autres localités de la plaine par le chemin de fer, 
et maintes fois nous avons pu en capturer des exemplaires dans 
les wagons. Par conséquent l'importation de ce moustique à 
Pétropolis est un fait fréquent. D’autre part, l’altitude et la pres- 
sion atmosphérique ne sont pour rien dans la difficulté qu'il 
éprouve à s'établir en dés régions montagneuses’. La preuve en 
est qu'en diverses localités telles que Saint-Paul et Ribeiraô 
Preto, situées à une altitude sensiblement égale à celle de Pétro- 
polis, Le Si. fasciata se rencontre presque régulièrement chaque 
année pendant les mois les plus chauds. C’est que ces localités 
jouissent de températures nocturnes plus élevées qu’à Pétropolis 
à cette époque. 

Lorsque arrive la saison chaude, le St. fusciata se dissémine de 
proche en proche, autour des foyers où 1l subsiste toute l’année, 
et s'élève au fur et à mesure qu'il trouve aux diverses altitudes 
des températures nocturnes favorables à son tempérament. 
C’est ce que nous avons constaté pour Sainte-Thérèse et la 
Tijuca au mois de janvier; nous avons étudié également ce phé- 
nomène dans la vallée de la Piabanha, petite rivière qui s'écoule 
vers l’est de Pétropolis et,néeà plus de 800 mètres, s’abaisse pro- 
gressivement jusqu à 200 mètres sur un parcours de 60 kilome- 
tres environ. Cette vallée est fertile et par suite très peuplée. 
Dans les années ordinaires, le Sf. fasciata ne s’y rencontre 
pas d’une façon régulière et n’y vit que dans les parties les plus 
basses jusqu’à 200 ou 300 mètres d'altitude. Or pendant la 
saison chaude de 1902-1903, ce moustique a abondé dans la 
partie inférieure de cette vallée à Entrerios. De là il est remonté 
le long de la rivière jusqu'à Aréal, à une altitude de 400 mètres 
où il a pullulé à partir du mois de janvier. Au-dessus de ce 
point il s’est peut-être manifesté dans quelques villages, mais 
peu abondamment ; nous n’avons pu le découvrir dans la même 

4. 11 se peut qu'à des altitudes supérieures à 800 metres le vol du Sr. jasciata 


soit gèné comme l'aurait expérimenté Finlay. Nous n’avons pas observé ce phé- 
nomène chez les Stegomya élevés à Pétropolis à 830 mètres d'altitude. 


LA FIÈVRE JAUNE. 701 


vallée, à Itaïpava à 600 mètres d'altitude, ni à Cascatinha, village, 
élevé d'environ 700 mètres, assez voisin de Pétropolis. 

L'année 1903 à été une année extrèmement favorable au 
St. fasciata dans les provinces de Rio-de-Janeiro et de Saint-Paul, 
en raison de la moindre fréquence des pluies pendant la saison 
chaude. L’abondance des pluies est en effet une condition défa- 
vorable à l'espèce, surtout en raison du refroidissement nocturne 
qui les accompagne. Aussi a-t-on pu observer le St. fasciate en 
de nombreux points où il est inconnu dans les années moyennes 
et à des altitudes très considérables. 

Par conséquent le fait de sa non-existence à Pétropolis, que 
nous avons établi, n'implique pas qu'il ne puisse à un moment 
donné s’y multiplier. Il suffirait pour cela d’une année où les 
températures nocturnes se maintiendraient à quelques degrés 
plus haut qu’à l'ordinaire pour qu'il püt s’y acclimater. Ce que 
nous savons de la variabilité des saisons sous cette latitude, 
suivant les années, permet d'envisager cette hypothèse comme 
susceptible de se réaliser dans l'avenir. 

Il existe une concordance remarquable entre le développe- 
ment des épidémies de fièvre jaune dans la région que nous 
venons d'étudier et le développement du St. fasciata 

_ À Rio où ce moustique subsiste toute l’année, très abondant 
pendant les mois chauds et plus rare en saison fraîche, la fièvre 
jaune sévit également toute l’année. Elle manifeste une grande 
rigueur pendant les mois où les Sf. fasciata abondent, et prend 
le caractère sporadique lorsque les Siegomya se raréfient. A 
Sainte-Thérèse et à Tijuca la fièvre jaune se manifeste à peu 
près chaque année, toujours à l’époque où les Stegomya y sont 
le plus communs. Comme eux, elle apparaît plus tardivement 
qu’à Rio-de-Janeiro et, comme eux, elle disparaît complètement 
pendant toute la saison d'hiver. 

Dans la vallée de la Piabanha dont nous avons parlé, la fièvre 
jaune, qui n'avait pas fait d'apparitions depuis fort longtemps, y 
a suivi le St. fasciata en 1903. Elle a débuté à Entrerios à 
la fin de 1902 et, de là, s’est étendue à Aréal au mois de jan- 
vier 1903. Au-dessus d’Aréal, il ne s’est pas produit un seul cas. 

Enfin, dans les localités où le Stegomya n’existe pas, à Thé- 
résopolis et à Pétropolis, pour ne citer que les plus importantes, 
la fièvre jaune n’existe pas non plus. 


702 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ces observations confirment d’une manière saisissante l’ex- 
périence réalisée pour la première fois à Cuba par la Commis- 
sion américaine de la transmission de la fièvre jaune par le 
St. fasciata, Elles permettent en outre d'affirmer que les autres 
moustiques ne jouent aucun rôle dans celte transmission, Il 
existe à Rio un assez grand nombre d’espèces en dehors du 
St. fasciata, qui est la plus commune, Parmi celles qui peuvent 
être rencontrées au voisinage des habitations, nous pouvons 
citer : Culer fatigans, Culex cingulatus, Culex tæniorhynchus, 
Janintosoma Lutz, Psorophora ciliata, Anopheles argyrotarsis. Or 
les périodes où l’on peut observer ces diverses espèces en quel- 
que abondance ne coïncident nullement avec les périodes de la 
fièvre jaune et surtoutavec la marche de l'épidémie. 

C’est ainsi que le Culex fatigans abonde aussi bien pendant 
la saison fraiche que pendant la saison chaude, que le C. cingu- 
latus se rencontre de préférence d'août à novembre, il nous a 
paru qu'il en était de même de l’Anopheles argyrotarsis. Le Culex 
Læniorhynchuss est montré assez abondant au mois de février 1903 ; 
à partir de ce mois il nous a été impossible de le retrouver, bien 
que la fièvre jaune eût continué de sévir jusqu'en juillet. La 
plupart de ces espèces, moins sensibles aux différences de tem- 
pérature que le Stegomya, existent dans les localités où les épi- 
démies de fièvre jaune sont inconnues. Le Culex fatigans par 
exemple est un moustique extrêmement répandu à Pétropolis. 
On y trouve quelques autres espèces, mais celle-ci est la seule 
commune dans la ville et familière des habitations :. Si elle était 
susceptible de transmettre la fièvre jaune, cette maladie se déve- 
lopperait épidémiquement chaque année à Pétropolis comme à 
Rio. 

La situation de Pétropolis au point de vue de la fièvre 
jaune mérite de nous arrêter. Cette ville, située à 43 kilomètres 
de Rio environ, à une altitude de 830 mètres, est la station où 
les habitants fortunés de la capitale ainsi que les étrangers qui 
ont à Rio leurs affaires, viennent fuir la chaleur et la fièvre 
jaune de décembre à juillet. Un chemin de fer reliant les deux 
villes permet de vaquer anx affaires à Rio pendant la journée, 

1. Ce moustique est bien le Culex fatigans d'après M. le docteur Lutz. Tou- 
tefois, contrairement aux habitudes que les auteurs prètent à cette espèce, ül vit 


au voisinage et à l'intérieur des maisons à Pétropolis. La femelle recherche 
avidement le sang humain pendant la nuit. 


LA FIÈVRE JAUNE. 703 


et de passer les nuits à Pétropolis; il existe done un mouve- 
ment de va-et-vient journalier très intense qui correspond 
exactement à la période d’épidémie de fièvre jaune à Rio. Grâce 
à ce mouvement la fièvre jaune a toutes les facilités de se 
transporter à Pétropolis. Elle y arrive assez fréquemment, mais 
les cas que l'on observe à Petropolis sont tous des cas importés, la 
maladie ayant été contractée à Rio en général. De mémoire d'homme 
un cas de fièvre jaune importé à Pétropolis n'a donné naissance à un 
autre cas sur place. De mémoire d'honune un individu habitant 
Pétropolis n'a jamais contracté la fièvre jaune s'il n'est pas sorti de 
cette localité pour fréquenter un foyer épidémique. La cohabitation 
avec des malades à Pétropolis n'& jamais suffi à transmettre la 
maladie. 

Si la fièvre jaune perd ainsi, à Pétropolis, d’une façon 
absolue, son caractère contagieux, c’est à n’en pas douter parce 
que l’agent de transmission fait défaut. 

Le Culex fatigans n'est donc pas cette intermédiaire. Or, il 
est le seul moustique de toutes les espèces de Ïa région de 
Rio qui, en raison de sa persistance pendant toute l’année, de 
sa prédilection pour le sang humain, de sa fréquentation des 
habitations, pourrait-être incriminé de jouer un rôle analogue à 
celui du Stegomya dans la transmission de la fièvre jaune. S'il 
avait ce rôle dans les épidémies de Rio-de-Janeiro, il en serait 
de même à Pétropolis où, quand un cas de fièvre jaune se 
manifeste, toujours importé comme nous l’avons dit, aucune 
précaution n’est prise autour des malades, n1 dans les hôtels, ni 
dans les domiciles privés, ni à Fhôpital, pour le mettre hors des 
atteintes du Culex fatigans. Et c’est un fait indiscutable, nous 
le répétons, que pas une fois un cas de fièvre jaune importé n’a 
fait souche à Pétropolis. 

Il eût suffi de faire ici l'enquête à laquelle nous nous sommes 
livrés pour établir depuis longtemps que le contact du malade, 
la cohabitation, les excrétions, les linges souillés par les vomis- 
sements noirs ou le sang des hémorragies étaient incapables 
de transmettre la fièvre jaune. L'étude des cas de fièvre jaune 
à Pétropolis en fournit une preuve si longtemps et si souvent 
renouvelée, qu’elle acquiert une importance aussi décisive que 
les expériences faites sur ce point à la Havane par les médecins 
américains et par nous au Brésil, expériences qui ont consisté 


704 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


à exposer des sujets sensibles à la fièvre jaune au contact 
prolongé des malades et des objets de literie ayant servi à ces 
derniers, mais en le préservant de la piqüre des St. fasciata. 

Un autre point, d’un haut intérêt pour la prophylaxie, qui 
ressort de nos observations à Pétropolis, c’est que la trans- 
mission de la fièvre jaune a lieu la nuit et ne s'opère jamais, 
ou du moins très exceptionnellement, pendant que la soleil est 
sur l'horizon : parmi les habitants de Pétropolis, pour la plu- 
part étrangers et par suite sensibles à la fièvre jaune, qui, au 
nombre de plusieurs centaines, se rendent quotidiennement à 
Rio où ils arrivent vers 9 heures du matin et qui en repartent 
à 4 heures du soir pour passer la nuit à Pétropolis, on n’a 
jamais relevé de cas certain de contagion, même quand des 
épidémies graves sévissent dans la capitale et quand les S/. /us- 
ciata y abondent le plus. Au contraire. parmi ceux qui ne 
remontent pas régulièrement à Pétropolis chaque soir, les cas de 
contagion sont relativement fréquents. Il suffit d’une nuit 
passée à Rio pour y être exposé. La présence dans le foyer 
amaril après le coucher du soleil paraît donc être une condition 
nécessaire pour contracter la fièvre jaune. Nous avons eu 
connaissance d’un seul cas où un individu habitant Pétropolis 
aurait éprouvé la maladie sans avoir couché à Rio dans la 
quinzaine qui a précédé l'atteinte : ce cas ne saurait être pris en 
considération parce qu'il n’est pas certain que l'individu ait été 
réellement atteint de la fièvre jaune. 

Le fait que la transmission de la fièvre jaune a lieu de nuit 
est en apparente contradiction avec la théorie qui attribue au 
St. fasciata le rôle de propagateur unique de cette affection. 
En effet, non seulement ce moustique est connu pour piquer 
l’homme dans la journée aussi_bien que la nuit, mais encore 
les expériences fondamentales qui ont permis d'établir son 
rôle semblent démontrer qu’il le remplit aussi bien de jour que 
de nuit. C’est en général dans la journée que des médecins 
américains à Cuba, des médecins brésiliens à Saint-Paul, et nous- 
mêmes à Rio-de-Janeiro, avons exposé à la piqüre du Sf. 
fasciata des sujets auxquels cette piqüre a communiqué la 
fievre jaune. 

Nous avons exposé, à propos des mœurs du S/. fasciata 
comment nous avons été amené à reconnaître que la femelle de 


LA FIÈVRE JAUNE. 105 


cette espèce est tourmentée de jour et de nuit par le besoin de 
piquer l’homme lorsqu'elle est jeune et fraîchement fécondée ; 
qu'après avoir satisfait sa soif de sang pendant les premiers 


jours de son existence d’insecte parfait, elle perd son activité 


diurne et préfère la tranquillité et l'obscurité de la nuit pour 
altaquer à nouveau l'homme lorsqu'elle en éprouve la nécessité ; 
qu'enfin, maintenue captive, elle consent en général à piquer à 
n'importe quelle heure du jour, pourvu qu’elle ait été soumise 
à un jeüne suffisamment prolongé. Comme la femelle qui a 
piqué un malade atteint de fièvre jaune est susceptible de trans- 
mettre la maladie seulement après un intervalle minimum de 
12 jours, ainsi que l'expérience la démontré, on s'explique 
très bien, élant donné les mœurs de l’insecte, que dans la 
nature la transmission s'effectue ordinairement la nuit. Peut- 
être mème cette règle est-elle absolue. 
. Il résulte des données fournies par l’observation et lexpé- 
rience : 

1° Que la fièvre jaune ne se transmet dans la nature m1 par 
le contact direct avec le malade, ni par le contact avec les 
objets à son usage, ni par ses excrélions; 

2° Que la transmission s’effectue par la piqüre des mous- 
tiques et que la seule espèce dangereuse, au moins dans la 
région où nous avons opéré nos recherches est le Sf. fasciata ; 

3° Que cette transmission n’a pas lieu en plein jour pendant 
que le soleil est sur l'horizon. 

Ces données doivent servir de base à la prophylaxie. 


VI 


L'agent de transmission étant connu, il est évident que la 
première et la plus importante des mesures Dre 
consiste dans sa destruction. 

Le St. fasciata, nous l'avons vu, loin d’être un hôte 
des bois ou des marécages comme la plupart des culicides, 
recherche dans les habitations à la fois un refuge contre le 
refroidissement nocturne, et la nourriture qu'il préfère. Cette 
particularité fait qu’on peut poursuivre la destruction dans un 
foyer de fièvre jaune plus facilement et avec plus de succès que 
pour aucune autre espèce peut-être. Pour réaliser cette destruc- 


706 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tion il est nécessaire d'organiser d’une manière systématique 
et continue la chasse aux larves et aux insectes parfaits. 

C'est en s’attaquant aux larves qu'on obtient les résultats 
les plus importants. Cette chasse exige une grande minutie : 
tout ce qui, dans une maison et à son voisinage, est suscep- 
tible de constituer un dépôt d’eau stagnante, doit être l'objet 
d'une surveillance constante. Les bassins, les étangs, les flaques 
persistant après les pluies, les installations pour l’arrosage, les 
lavoirs, les caniveaux, les gouttières et, à lintérieur des 
habitations, les récipients à eau potable ou non, les installations 
de bains et de douches, les réservoirs de distribution d’eau. 
les caisses à eau pour la chasse des cabinets d’aisance, sont 
autant de nids à Stegomya d’où :l faut les déloger. En ce qui 
concerne les bassins, les étangs et tous les dépôts d’eau un peu 
considérables, l’expérience a montré que le procédé le plus 
efficace de destruction des larves qui y vivent consiste à ré- 
pandre à leur surface une petite quantité de pétrole. Ce moyen 
est excellent sans doute, mais nous ne saurions assez insister 
sur l'avantage qu'il y a à faire disparaître du voisinage des 
maisons tous ceux de ces dépôts d’eau qui n’ont pas une utilité 
absolue. Les bassins d'agrément, qui ornent si fréquemment 
les cours et jardins des habitations tropicales, procurent très 
peu de fraicheur et, en échange de cette avantage discutable, ont 
l'inconvénient non seulement de servir à l’élevage des larves 
de moustiques, mais encore d'attirer les adultes et d'entretenir 
beaucoup d'humidité sous ces climats où l'atmosphère est déjà 
humide à lexcès. Ils doivent disparaître de toute habitation 
hygiénique. 

Pour les arbres et la verdure, si l’on ne peut conseiller 
leur suppression dans les villes des pays chauds, du moïos, en 
raison de leur propriété d'attirer les insectes et les moustiques 
en particulier, ils doivent être écartés des murs de maisons. 

C'est l'architecture même de l'habitation qui doit assurer la 
protection nécessaire contre la chaleur et les rayons du soleil, 
Des vérandas et une orientation rationnelle des ouvertures 
remplacent avec avantage les massifs de feuillage habituellement 
entretenus à une trop grande proximité!, Les bassins et tous 


4. On sait par les recherches de Lutz qu'un grand nombre de végétaux dont 
les feuilles conservent de l’eau de pluie peuvent servir à la multiplication des 


moustiques. 


LA FIÈVRE JAUNE. 107 
les récipients nécessités par le lavage du linge doivent être 
régulièrement vidés et maintenus secs en dehors des moments 
où ils servent; de même pour les bassins et ustensiles d’arro- 
sage. Ceux qu'il n’est pas possible de remplir et de vider à 
volonté, ainsi que les puits et les citernes, doivent être pourvus 
d'une porte ou couvercle à fermeture hermétique, à panneaux 
pleins ou garnis de toile métallique. Les gouttières des toitures 
retiennent très fréquemment une certaine quantité d’eau de 
pluie; pour en assurer le parfait écoulement, on doit leur donner 
une pente suffisante et maintenir constamment libres les tuyaux 
de descente qu'obturent facilement les détritus végétaux. Par 
une bonne construction et une pente rapide, on doit également 
empêcher toutes Les collections d'eaux ménagères dans les cani- 
veaux, les égouts d’évier ettoutes les voies d'écoulement des eaux 
usagées. Enfin on doit supprimer les vases ornementaux qui 
décorent si fréquemment les façades des maisons. 

A l'intérieur des maisons, les caisses à eau sont particuliè- 
rement recherchées par les Stegomya pour v effectuer la ponte. 
Le fonctionnement de ces réservoirs exigeant qu’ils aient des 
ouvertures pour l'entrée de l'air, il faut que ces ouvertures 
soient garnies de toile métallique, de manière à en fermer l'accès 
aux moustiques. De plus, ces ouvertures doivent être bien en 
vue autant que possible, afin que, si la toile métallique vient à 
se détériorer, par la rouille, par exemple, il soit facile de s'en 
apercevoir et d'y remédier. Les salles de bains, les cabinets 
d'aisance, les cuisines, les offices nécessitent une surveillance 
attentive au point de vue des eaux qui peuvent séjourner dans 
des récipients qu’on aurait oublié de vider. 

Ces mesures concernant les larves ne sauraient, on le 
conçoit, avoir d'efficacité qu'’appliquées simultanément sur toute 
l'étendue du territoire qui constitue un foyer amaril. On ne doit 
pas oublier, si ce territoire est au bord de la mer, que les larves 
de Stegomya peuvent se développer dans les eaux saumâtres. 

La destruction des insectes parfaits présente moins de chances 
de succès par le fait qu’on peut les atteindre seulement de l’in- 
térieur des habitations. Elle n’en a pas moins une grosse impor- 
tance puisque c’est dans les habitations que se tiennent à l’ordi- 
naire les femelles infectées, c’est-à-dire les moustiques immé- 
diatement dangereux. Les gaz asphyxiants tels que l’acide sulfu- 


708 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


reux, à 8 grammes par mètre cube, sont les meilleurs agents de 
destruction quand leur application est possible ; les inconvénients 
qu'ils entraînent obligent le plus souvent à recourir aux fumées 
qui engourdissent les moustiques. Celle produite par la com- 
bustion de la poudre de pyrèthre est particulièrement à recom- 
mander. Exposés à cette fumée, les moustiques tombent à terre. 
Comme ils sont en général seulement engourdis et peuvent se 
relever et reprendre leur vol au bout de quelques heures, il est 
indispensable de faire suivre l'application de la fumée par un soi- 
gneux balayage du parquet et la combustion des balayures. Nous 
avons constaté expérimentalement que les moustiques gorgés de 
sang sont moins sensibles à la fumée que ceux qui sont à jeun; 
il est utile d’en tenir compte. Au point de vue de la quantité de 
pyrèthre à employer, elle varie selon qu'il s’agit ou non de pièces 
parfaitement closes. Dans une pièce étanche, il suffit de brüler 
2 grammes de cette poudre par mètre cube; pour amener la 
mort des moustiques, si la pièce a des ouvertures qui ne peuvent 
être parfaitement obturées, on doit en employer une quantité 
beaucoup plus considérable, 

Dans un foyer de fièvre jaune, on ne saurait se confier d’une 
manière exclusive à ces mesures et se borner là. La destruction 
des Stegomya, sur un territoire étendu, si parfaitement organisé 
que soit le service chargé de la réaliser, offre des difficultés 
trop grandes pour qu’on puisse l’espérer complète et absolue. II 
est indispensable, par suite, de modifier l'installation des habita- 
tions de facon à les rendre inaccessibles aux moustiques. Ce 
but peut être atteint par l’adaptation aux fenêtres et, en général, 
à toutes les ouvertures, de cadres garnis soit de toile métallique, 
soit de toile ou tulle à moustiquaire. C'est là un procédé fort en 
usage en beaucoup de régions pour se préserver des moustiques 
et dont les résultats sont excellents. Les mailles des tissus 
employés ne doivent pas dépasser 1 mm. 1/2 de diamètre. Les 
habitudes du Stegomya de pénétrer dans les maisons pendant la 
journée obligent à appliquer ce mode de fermeture d’une façon 
permanente et non à partir du coucher du soleil seulement, 
comme on Je fait en certains pays pour se protéger contre 
d'autres espèces. Comme complément à ces dispositions, chaque 
lit doit être garni d'une moustiquaire bien faite. Il suffit d’exa- 
miner les divers genres de moustiquaires en usage dans nos 


té 9 


LA FIÈVRE JAUNE. 709 


colonies pour se rendre compte que le plus grand embarras 
qu’elles causent au moustique est non d’y entrer, mais d'en 
sortir. Nous entendons par une moustiquaire bien faute celle 
qui ne présente pas d'ouvertures latérales, dont ie fond, tendu 
au-dessus du Jit, à une hauteur d'homme au maximum, a des 
dimensions égales à celles du lit, dont les bords ne flottent pas 
autour du bois de lit, mais entourent le matelas sous lequel ils 
sont repliés. 

Bien que ces mesures paraissent d'application très simple, 
on doit compter avec la difficulté de modilier les habitudes d’une 
population au point d'obtenir leur adoption générale et rigou- 
reuse. Nous estimons qu’une maison fermée aux moustiques par 
les moyens que nous venons d'indiquer offre à ses habitants une 
sécurité à peu près complète contre la fièvre jaune, même en 
période d'épidémie. Ceux-ci, d’ailleurs, peuvent impunément 
vaquer à leurs occupations au dehors pendant la journée. Il ne 
devient imprudent de séjourner à l'extérieur de Phabitation qu’à, 
partir de la nuit. Encore n’est-il pas absolument certain qu’un 
Stegomya infecté pique l'homme en mouvement au dehors. 

Ces dispositions, qui peuvent suflire à préserver les bien 
portants, doivent être appliquées avec la plus grande rigueur aux 
malades atteints de fièvre jaune. Il s’agit en ce cas d'éviter que 
les moustiques puissent s’infecter en les piquant, et nous répé- 
tons que Le Stegomya femelle, dans les premiers jours de sa vie, 
s'attaque à l’homme de jour et de nuit. Donc la protection du 
malade contre les piqûres doit s'exercer d’une manière constante 
à partir du début de sa maladie. C’est surtout à ce moment que 
son sang peut infecter le moustique. L'expérience nous a prouvé, 
en effet, que le microbe de la fièvre jaune existe dans le sang 
pendant les 3 premiers jours de la maladie. Dans nos expériences, 
le sang obtenu au 4° jour ne s’est pas montré viralent, On peut 
s'expliquer par là que les moustiques ne puissent s’infecter ni en 
absorbant le sang provenant des hémorrhagies des muqueuses, 
lesquelles se produisent d’ordinaire vers le 4° ou le 5e jour, ni 
en piquant des cadavres, ce qui peut s’observer. 

En raison de l'importance qui s'attache à soustraire d’une 
manière absolue tout malade aux piqûres de moustiques en vue 
d'empêcher la propagation de la fièvre jaune, il nous paraît indis- 
pensable de compléter les dispositions indiquées plus haut par 


710 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


une autre plus efficace encore. Elle consiste à enfermer le lit du 

malade dans une cage de toile métallique ou de tissu à mousti- 

quaire, assez vaste pour qu’on puisse circuler autour de lui. On 
pénètre dans cette cage par un tambour muni de deux portes, 

qui évite, d’une manière aussi parfaite que possible, l’intro- 

duction des St. fasciata. 


VII 


Jusqu'ici nous avons envisagé les moyens à mettre en œuvre 
pour lutter contre la fièvre jaune dans une région où cette 
maladie règne, Les connaissances récemment acquises doivent 
évidemment entraîner des modifications aussi radicales dans les 
mesures prophylactiques destinées à empècher l'introduction de 
la maladie dans une région indemne. 

Tout d’abord ces connaissances permettent d'établir d'avance 
si un pays donné remplit les conditions de réceptivité pour 
des épidémies amariles, et s’il y a lieu, par suite, de se 
préoccuper d'empêcher ces épidémies. Il suffit de l'existence du 
SL. fasciala dans une région pour qu'elle réalise ces conditions 
de réceptivité. D’autre part, si pendant une partie de l’année le 
climat d’une région est tel que les moyennes nocturnes de la 
température ne soient pas inférieures à 22°, cetle région est 
susceptible de convenir au développement du Sf. fasciata S'il 
vient à y être introduit. Elle peut, par conséquent, être visitée 
par la fièvre jaune. C’est donc une règle que dans toute contrée 
possédant cette espèce de moustique, ou présentanten certaines 
saisons les conditions de température qui peuvent lui convenir 
et que nous avons précisées, on doit se tenir en garde contre 
l'introduction de la fièvre jaune. 

En vue de l’éviter, il est nécessaire de surveiller les prove- 
nances des pays où elle sévit. Mais ce n’est plus contre les mar- 
chandises, de quelque nature qu'elles soient, que des précau- 
tions doivent être édictées. L'introduction des marchandises ne 
présente à aucun moment nul danger. C’estle moustique et l’homme 
seuls qui doivent être visés, 

On tiendra compte, en ce qui concerne l’homme, que l'incu- 
bation de la fièvre jaune, qui dépasse rarement 5 jours, peut se 
prolonger en certains cas jusqu’à 10 et même 13 jours. Nous 


Cia 


ON PR 


Le, 


LA FIÈVRE JAUNE. | 711 


avons élabli ce fait par des observations et des expériences qui 
sont exposées dans un autre chapitre. En conséquence, l'homme 
qui, provenant d'un foyer de fièvre jaune en activité, arrive dans 
une région où le S£. fasciata existe doit être tenu en suspicion 
pendant une durée de 13 jours à compter du moment où il a 
quitté le foyer. Z4 est tout à fait inutile de lui infliger une quaran- 
laine si le Stegomya n'existe pas à ce moment dans le pays, puisque 
lu transmission ne peut avoir lieu que par cet intermédiaire. 

Un navire provenant d’un port où sévit la fièvre jaune, qui 
touche un pays oùle Stegomya n'existe pas. mais où les conditions 
climatériques pourraient lui permettre de se développer, doit être 
maintenu au large jusqu’à ce qu'on se soit assuré qu'il.est 
exempt de moustiques de cette espèce. Il doit être suspecté par- 
ticulièrement d'en contenir s’il a un chargement de sucre, 
excellente condition pour la conservation des moustiques dans 
les cales. Au cas où des Stegomya s'y rencontrent, il ne doit lui 
ètre permis d'approcher la terre qu'après avoir opéré à bord 
leur destruction complète, ce qui est réalisable au moyen de 
l'acide sulfureux. Les passagers, avant cette opération, peuvent 
sans inconvénient être transbordés et débarqués. Il n’est pas 
utile de prendre à leur égard des mesures de désinfection ou de 
quarantaine du moment où le pays ne possède pas l’agent de 
la transmission, Si le navire est reconnu exempt de moustiques 
dangereux, on peut l'admettre sans crainte et sans autre pré- 
caution au déchargement soit à quai, soit dans des conditions 
quelconques. 

Les mesures à adopter vis-à-vis des passagers d'un navire 
suspect qui abordent dans un pays pourvu du S. fasciala varient 
avec la durée du voyage accompli par le navire et le fait qu'il 
s’est ou non manifesté, pendant la traversée, des cas douteux ou 
certains de fièvre jaune. À cet égard, on devra considérer 
comme suspects d'être la fièvre jaune tous les cas de maladie 
fébrile, même très légers, développés pendant la traversée. On 
ne fera d'exception que lorsque le médecin du bord pourra, par 
un diagnostic très précis, dissiper toute espèce de doute sur la 
nature de ces affections. Nous avons effectivement constaté que 
des cas légers de fièvre jaune sont journellement confondus 
avec des embarras gastriques ou avec des accès paludéens ou 
avec des atteintes de grippe, par les médecins même les plus 


712 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


familiarisés avec la fièvre jaune. Dans ces cas légers, le diagnos- 
tic de fièvre jaune est souvent impossible à établir. 

La mise en quarantaine, dans un lazaret, des passagers pro- 
venant d'un pays ou d’un navire suspects n'offre de sécurité 
que si l'accès de ce lazaret est défendu aux Sfegomya par les 
moyens que nous avons spécifiés à propos de la protection des 
habitations, des personnes saines et des malades, dans un foyer 
de fièvre jaune. Nous préférons à cette mesure généralement 
onéreuse, vexatoire et mal exécutée, celle qui consisterait à 
obliger les personnes en suspicion à se présenter journellement 
à un agent de la Santé chargé de noter matin et soir leur 
température et leur état général. Au premier symptôme 
anormal l'individu serait dirigé sur une ambulance et placé hors 
des atteintes des moustiques, exactement comme s’il avait d’une 
manière certaine la fièvre jaune. Cette mise en observation 
cesserait au treizième jour, à compter du moment où les personnes 
qui y seraient assujetties avaient quitté le navire ou le pays 
infesté d’amarilisme. 

Nous ne saurions entrer ici dans le détail de tous les cas 
qui peuvent exercer la sagacité des hygiénistes. Bornons-nous 
à dire qu’en toute circonstance où il est appelé à défendre un 
pays indemne contre l'introduction de la fièvre jaune, le médecin 
chargé du service sanitaire doit se souvenir : 

1° Que l'existence du St. fasciata dans le pays estla condition 
du développement d’une épidémie amarile ; 

20 Que dans une région où elle est inconnue, cette espèce 
peut ou non, selon des conditions climatériques faciles à déter- 
miner, sy multiplier si elle y est importée; 

30 Que là où cette espèce est présente, une surveillance 
rigoureuse doit être exercée vis-à-vis des personnes en prove- 
nance d’un heu contaminé ; 

4° Que si chez un individu mis en observation se manifeste 
à un moment une élévation de température, cet individu doit 
être immédiatement isolé non des hommes, mais des moustiques: 

50 Que les désinfections d'effets usagés, de marchandises ou 
de tous autres objets ne sont d’aucune nécessité. 


LA FIÈVRE JAUNE. 743 


VIII 


Parasitologie du Stegomya fasciata. 


Le St. fasciata est, parmi les culicides, un des plus suscep- 
tibles d’être infectés par des parasites variés. 

Nous avons observé chez ce moustique des levures, des 
champignons, une grégarine, des microsporidies. 

Levures et champignons. — Chez la plupart des Sregomya 
disséqués à une période un peu avancée de leur existence, le 
tube digestif ettrès souvent les sacs à air contiennent des levures. 
Elles abondent particulièrement chez les individus nourris avec 
des fruits ou des matières sucrées telles que le miel, et diffèrent 
ordinairement selon la nature de l’alimentation de l’insecte. 
Elles forment parfois, dans le grand sac à air particulièrement, 
des masses sphéroïdes ou de forme irrégulière qui pourraient 
prêter à confusion avec des stades de sporozoaires. 

Divers champignons, tels que des mucor, se rencontrent à 
certaines périodes avec une grande fréquence, non seulement 
dans le tube digestif et ses annexes, mais aussi dans le cælome. 
Ils peuvent envahir toutes les parties du corps du Stegomya et 
amener sa mort, ce qui ne s'observe pas pour les levures. 

Nous nous bornons à signaler l’existence des parasites de 
celte catégorie. Il est absolument certain qu'ils n’ont aucun 
rapport avec l'aptitude du Sf. fasciata à transmettre la fièvre 
jaune ; leur description détaillée ne saurait donc avoir sa place 
dans ce mémoire. | 

Grégarine. — Très fréquemment, en disséquant des Sf. fasciata 
adultes, on trouve leurs tubes de Malpighi bourrés de sporocystes 
d'une grégarine dont on ne rencontre jamais le stade mobile, ni 
dans le tube digestif, ni dans les autres organes et tissus de 
l'insecte parfait. 

Notre attention a été appelée sur ce parasite d’une façon 
particulière, attendu que les faits connus au début de nos 
recherches, concernant la transmission de la fièvre jaune, 
faisaient prévoir que l’agent de la maladie pouvait être un sporo- 
zoaire. | 

Il résulte de notre étude que les sporocystes développés dans 
les canaux de Malpighi d’un St. fasciaia sont répandus düns le 

46 


714 _ ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


milieu extérieur, soit expulsés avec les fœces pendant la vie, soit 
par suite de la désagrégation du cadavre de l’insecte. Entraînées 
par l’eau, ces spores se conservent pendant une durée dont nous 
n’avons pu déterminer les limites, mais que nous avons cons- 
taté pouvoir dépasser un mois. 

Les larves de St. fascuata écloses dans une eau contenant ces 
spores les avalent comme elles font de matières alimentaires 
quelconques. Chaque spore éclôt dans le tube digestif; les 
-sporozoïtes mobiles sortis du sporocyste pénètrent dans les 
parois, et vont se fixer chacun dans une cellule soit du tissu 
du tube digestif, soit même du tissu adipeux sous-cutané de la 
larve. 

Arrivé dans sa cellule hôte, le sporozoïte s’arrondit et subit 
son évolution complète à l’intérieur de cette cellule. Le terme 
de cette évolution est une grégarine dépourvue d’épimérite et de 
protomérite, en forme de poire et mesurant 15 à 30 y tant qu'elle 
reste enfermée et immobile dans la cellule hôte. Si le volume 
du parasite ou une cause quelconque fait éclater la cellule à ce 
moment, la grégarine commence aussitôt à se mouvoir avec 
activité. On la rencontre à la phase libre soit dans le cœlome, 
soit dans le tube digestif. Elle mesure alors 25 à 50 y. 

C’est durant la dernière période de l’existence de la larve et 
surtout au début du stade de pupe du moustique que la conjugai- 
son des parasites s’accomplit. Pendant le stade de pupe, en 
même temps que se constitue le tube digestif complexe de l’in- 
secte parfait, nos grégarines mobiles passent dans ce tube 
digestif et pénètrent dans les canaux de Malpighi où elles s’immo- 
bilisent et commencent à sporuler. La sporulation s’effectue 
très rapidement; elle est en général complète au moment où, la 
métamorphose terminée, le stegomya ailé s'échappe de la pupe. 

Il suffit de cette courte description pour montrer qu'un tel 
parasite ne saurait avoir aucune relation de cause à effet avec la 
lièvre jaune. À aucun moment d’ailleurs, le stegomya porteur de 
sporocystes n'est capable de rejeter ces spores par sa trompe et 
de les inoculer à un animal par piqûre. 


Microsporidies. — Les, microsporidies que nous avons ren- 
contrées chez le Sf. fasciata offrent plus d'intérêt que le parasite 
que nous venons de décrire parce que, à certains stades, elles 


LA FIÈVRE JAUNE. 715 


peuvent arriver dans la trompe et, au cours d’une piqüre, passer 
de la trompe du stegomya dansles tissus de l’animal piqué. De 
plus, il est parfois difficile de se rendre compte que l'infection 
chez un moustique qui a piqué un malade de fièvre jaune est 
antérieure à la piqüre et n’a pas été déterminée par la succion 
du sang. Enfin, la récente publication par les médecins du 
« Yellow fever Institute » (Bull. n° 13, mars 1903), de la décou- 
verte d’un sporozoaire qui existerait régulièrement chez Îles 
St. fasciata intectés avec le sang des malades de fièvre jaune, et 
chez ceux-ci seulement, l’analogie que nous trouvons entre 
certains stades du parasite décrit et dessiné par eux et celui 
que nous avons étudié nous obligent à donner une description 
complète de cette myxosporidie. 
Parasite du genre Nosemu rencontré chez le Stegomya fascial«. 

Ce parasite existe soit chez la larve, soit chez l’insecte par- 
fait; c'est chez ce dernier surtout que nous avons eu l’occasion 
de l’observer fréquemment et de l’étudier. Sur 300 Sr. fusciata 
femelles que nous avons disséqués de janvier à juin 1902, nous 
l'avons rencontré 40 fois. Il est apparu en février et nous avons 
cessé de le rencontrer à partir de juin. 

Au contraire, pendant les 6 premiers mois de l’année 1903, 
ce parasite s’est montré extrêmement rare. Nous l'avons observé 
3 fois seulement chez l’insecte parfait, sur plus de 200 individus 
que nous avons disséqués et examinés. 

Il est assez rare de voir ce sporozoaire chez Île moustique 
qui en est infecté, dans les premiers jours qui suivent la méta- 
morphose, non qu'il n'existe pas à cette période, mais parce que 
le plus fréquemment il existe en nombre trop faible pour attirer 
l'attention, à moins que l’on ne soit prévenu et qu'on le recherche 
avec beaucoup de soin. 

Si quelques jours après la métamorphose on dissèque le 
moustique parasité, on observe des corpuscules semblables la 
plupart du temps à la spore du Nosema lophii. Ces corpuscules 
siègent en certains points du tube digestif, tantôt dans l'estomac, 
plus souvent dans l’œæsophage au-dessous du sphincter qui le 
termine, ou dans les sacs aériens qui s'ouvrent immédiatement 
au-dessus du sphincter intestinal. Lorsque linfection est 
très avancée, le parasite abonde aussi dans le cœlome, autour 
du tube digestif, au voisinage des tubes de Malpighi, dans les 


716 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ovaires, entre les muscles du thorax, dans le gros ganglion ner- 
veux de la tête autour des glandes salvaires et jusque dans la 
trompe, soit dans la lumière du canal aspirateur, soit entre les 
pièces qui constituent ce canal. 

. Les corpuscules, que nous désignerons dorénavant sous le 
nom de spores, sont parfois isolés, mais Le plus ordinairement on 
les trouve groupés en masses plus ou moins sphériques. Leur 
forme est généralement celle d’un rein plus ou moins allongé et 
plus ou moins régulier. Fréquemment une extrémité est plus 
effilée que l’autre, ce qui leur donne l'aspect d’une virgule; fré- 
quemment aussi au lieu d’être nettement rénifurmes, ils sont 
ovoïdes ou sphéroïdes. 

La coloration de ces spores varie : tantôt elles sont absolu- 
ment incolores et se distinguent grâce à leur réfringence parti- 
culière, tantôt elles sont d’une couleur brune plus ou moins 
intense, pouvant aller du marron clair au marron très foncé. 
Nous devons décrire séparément les spores incolores et les 
spores brunes. 


Spores incolores. — La spore incolore est un corps en géné- 
ral réniforme dont la longueur égale en moyenne 2 fois Île 
diamètre transverse, et peut atteindre 3 et 4 fois ce dia- 
mètre. Les extrémités ou pôles peuvent être parfaitement sem- 
blables, néanmoins on observe souvent qu’un pôle est plus 
effilé que l’autre, surtout chez les spores qui atteignent une lon- 
gueur un peu considérable. Cette spore est immobile et rigide, 
pourvue d’une membrane transparente assez épaisse dont on 
peut distinguer souvent le double contour. Elle est remplie par 
un protoplasma transparent, homogène, dans lequel on ne dis- 
tingue pas de noyau à l’état frais. Tout près de l’un des pôles on 
observe d'ordinaire une petite aire réfringente circulaire ou ovale, 
à contour net qui, au premier abord, pourrait être prise pour un 
noyau. L’examen montre que ce point réfringent est situé non 
dans la profondeur, mais à la surface du corps et affecte la 
membrane seule. C’est, nous a-t-il paru, une ouverture ou un 
amincissement de la membrane. Lorsque la spore a des pôles 
inégaux, l'aire réfringente, ou pore, siège au voisinage du pôle 
le plus volumineux. Parfois on observe deux pores semblables 
ou de dimensions inégales placées symétriquement, chacun 


LA FIÈVRE JAUNE. 717 


au voisinage d'un pôle et sur la même face de la spore. 

Ces spores se colorent avec plus ou moins de difficulté sui- 
vant la fixation employée. Traitées par le liquide de Flemming, 
elles prennent le colorant et la membrane se colore très forte- 
ment à la façon de la chitine ou de la cellulose. Loin de faciliter 
l'étude, les colorations que nous avons obtenues la rendent plus 
difficile, attendu qu’on ne peut distinguer à travers la membrane 
fortement colorée aucun détail de structure intérieure. Aussi 
avons-nous surtout étudié le parasite à l’état frais. 

Les spores incolores mesurent #4 à 7 x de longueur et 2 à 3 » 
de largeur. 


Spores brunes. — Dans les amas de spores incolores, on voit 

souvent des spores colorées en brun de ton chocolat ou un peu 
plus clair. Ces spores peuvent aussi se rencontrer isolément ; 
enfin on voit des amas composés exclusivement de spores brunes. 
Leur constitution est sensiblement la même que celle des spores 
claires, toutefois leur forme est moins régulière. Elles peuvent 
affecter une forme ovoïde ou plus ou moins sphérique. La mem- 
brane d’enveloppe est en général plus épaisse que celie des spores 
incolores. Elle est plus ou moins transparente et peut acquérir 
la coloration brune qui est, au début de la formation de la spore, 
hmitée au protoplasma. C’est en effet le contenu protoplasmique 
qui présente tout d’abord cette coloration et permet, avant 
inème que la spore ait atteint son complet développement, de la 
distinguer des spores incolores qui l’entourent. Plus tard la mem- 
brane se colore à son tour mais non d’une facon aussi intense 
que le contenu, si ce n’est exceptionnellement. Elle peut aussi 
demeurer incolore. 
Évolution du parasite. — La spore, qu’elle persiste à faire 
partie d'un amas ou qu’elle soit transportée en un point de l’or- 
ganisme, entraînée par les liquides qui circulent dans les lacunes 
ou peut-être aussi par les phagocytes, de manière à se trouver 
isolée en ce point, ne tarde pas à subir une évolution. Cette 
évolution diffère entièrement pour les spores incolores et pour 
les spores brunes. 


Évolution de la spore mcolore. — L'évolution de cette spore est 
surtout facile à suivre dans le sac aérien : lorsqu'un moustique 


718 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


est très parasité, on trouve en effet dans le grand sac à air qui 
est replié sous l'abdomen des parasites à tous les stades et il 
est possible d'établir par l'observation la succession de ces 
divers stades. Si nous considérons une spore réniforme incolore, 
isolée en un point à l'intérieur du sac aérien, par exemple, cette 
spore à un moment donné va s’accroîlre, <e gonfler, devenir 
plus ou moins régulièrement ovoïde, ou parfois s’allonger 
jusqu’à atteindre deux fois et plus sa longueur primitive. En 
même temps l'aire réfringente s'agrandit tantôt en conservant sa 
forme circulaire, tantôt en affectant celle d’un ovale. Souvent il 
s’en forme une seconde au voisinage du pôle opposé de la spore. 
La membrane tout d’abord paraît conserver son épaisseur, bien- 
tôt elle devient plus pâle et plus mince. Enfin, elle disparaît 
par une sorte de liquéfaction et l’on se trouve en présence d’un 
petit corps protoplasmique, normalement sphérique, d'aspect un 
peu trouble, semé de fines granulations en plus ou moins grande 
abondance, mais jamais granuleux à la facon de certains stades 
d'accroissement des coccidies. Cette masse peut être homogène, 
mais on voit souvent apparaître à sonintérieur une ou plusieurs 
aires réfringentes, dépourvues de granulations. Son contour est 
parfaitement délimité sans qu'on y distingue aucune apparence 
de membrane d’enveloppe. 

Le plasmode ainsi constitué s’accroît dans des proportions 
variables et peut atteindre un volume considérable, jusqu’à 20 et 
30 # de diamètre. Très souvent il ne dépasse pas 8 à 15 y. 

Si l’on suit les différentes phases de l'accroissement du plas- 
mode à partir du moment où la membrane a disparu, on voit que 
les granulations disséminées d’abord sans ordre représentent 
après un certain temps un réseau extrêmement délicat qui divise 
le parasite en un grand nombre de logettes, à peine délimitées, 
à l’intérieur desquelles le plasma n’est nullement granuleux. 
Cette apparence ne se produit pas régulièrement et l’on peut 
observer des plasmodes déjà volumineux qui ont, comme au 
début de leur accroissement, des granulations disséminées sans 
ordre et en médiocre abondance dans leur masse. Arrivé à un 
certain degré d’accroissement, le plasmode est mür pour la spo- 
rulation: on voit alors se délimiter à son intérieur de petites 
portions du plasma qui bientôt acquièrent un contour précis et 
finalement présentent l'aspect de la spore que nous avons décrite. 


LA FIÈVRE JAUNE. 719 


Tout d’abord le corps ainsi formé semble dépourvu de mem- 
brane, puis celle-ci se manifeste; difficile à distinguer au début, 
elle est, au terme de l’évolution, épaissie et pourvue, dans un 
grand nombre de cas, de l’aire réfringente juxtapolaire. 

Suivant les cas, une portion plus ou moins considérable du 
plasma granuleux n’est pas utilisée et reste sous forme de reli- 
quat; d'autrefois, toute la masse est entièrement transformée en 
spore. Contrairement à ce qui se passe dans l’évolution d’un 
stade de coccidie, le reliquat n’affecte nullement une situation 
spéciale dans le corps sporulé; il est ou périphérique ou cons- 
titué par des portions de plasma demeurées entre les spores. Le 
plasmode se comporte en un mot à la façon d'un plasmode de 
myxosporidie, dans le cas ou il ne se résout pas entièrement en 
spores. Une fois la sporulation achevée, le reliquat, s’il existe, 
disparaît après un certain temps par un mécanisme que nous 
n'avons pu déterminer. Le sporoblaste se trouve alors remplacé 
par un amas de spores parfaitement libres et indépendantes les 
unes des autres, et susceptibles d’être déplacées. 

Quelque soit le point où s’effectue l’évolution du plasmode, 
celui-ci n’est jamais entièrement libre, il est soudé au moins par 
une de ses faces à l’organe sur lequel ou à l’intérieur duquel il se 
développe. À aucun moment il n’est doué de mouvements actifs 
ni susceptible de se déplacer. 

Nous avons dit plus haut que la forme normale du plasmode 
est celle d’une sphère. C’est en effet le cas ordinaire, surtout à 
l'état très jeune; mais en raison de sa consistance molle, ce corps 
se moule sur les surfaces avec lesquelles il est en contact, ce 
qui l’amène à représenter tantôt un ovoïde, tantôt un hémisphère, 
tantôt une forme différente. De plus, l'absence de membrane 
d'enveloppe facilite la soudure des plasmodes que le hasard a 
fait pousser côte à côte, comme il est très commun. En ce cas, 
au nombre de 2, 3 ou davantage ils se fusionnent pour consti- 
tuer une masse unique volumineuse, irrégulière et bosselée. 
De là une nouvelle cause des grandes différences qu’on observe 
dans le volume des plasmodes et des amas de spores qui leur 
succèdent. 

Après que les spores sont devenues indépendantes les unes 
des autres par disparition de la gangue plasmodique aux dépens 
de laquelle elles se sont formées, elles ne restent pas indéfini- 


720 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ment agglomérées. L’amas est tout d’abord désagrégé par les 
contractions des tissus, puis soit poussées par ces contractions, 
soit appréhendées par des cellules mobiles, soit déplacées par 
des courants liquides, les spores sont ensuite disséminées dans 
le corps de l’insecte. Cette dissémination est plus ou moins 
complète et dans bien des cas une grande partie de l’amas 
demeure à l'endroit où il s’est développé pendant que quelques 
spores seulement sont transportées en d’autres points où elles 
donneront naissance à de nouveaux foyers d'infection. 

Chez un moustique jeune, il est exceptionnel de rencontrer 
une infection généralisée. Au contraire, si l’on dissèque les indi- 
vidus infectés 8 ou 15 jours après la métamorphose, le parasite 
peut se rencontrer à la fois dans le tube digestif, dans le cœlome 
et dans les organes céphaliques, thoraciques et abdominaux". 
Pour expliquer cette généralisation de l'infection, on doit 
admettre ou que des spores existaient à la fois dans le cœælome 
et dans le tube digestif avant la métamorphose, ou que le parasite 
a traversé à un moment donné le tube digestif pour passer dans 
les autres organes. Les deux explications nous ont paru éga- 
lement fondées : le premier procédé ne saurait être mis en doute, 
car chez la pupe et chez la larve nous avons rencontré des spores 
et des plasmodes dans le cœlome et dans le tube digestif. 
Quant au passage du parasite à travers les tissus, il est possible, 
bien qu’à aucun moment de son évolution il n’existe de stade 
mobile à proprement parler, Voici, d’après nos observations quel 
est le mécanisme de ce passage : lorsqu'une spore commence à 
évoluer comme nous l’avons décrit, en un point de la surface 
libre du canal digestif où elle était arrêtée, le plasmode jeune 
peut s’insinuer entre les cellules auxquelles il était accolé et se 
trouve après un certain temps complètement emprisonné au- 
dessous de la mince tunique qui remplace une muqueuse intes- 
tinale, Si, au lieu de s’arrêter à cette première couche, ils’insinue 
plus avant dans l'épaisseur de la paroi, il arrive à se loger 
entre la couche la plus externe du tube et les couches moyennes. 
Fréquemment on observe des plasmodes situés ainsi. Autour 
d’eux la tunique externe est soulevée et constitue une mince 
membrane d’enveloppe. Au fur et à mesure de l’accroissement, 
cette tunique se distend davantage et le parasite toujours protégé 


4 Nous ne l’avons jamais observé dans les canaux de Malpighi, 


LA FIÈVRE JAUNE. 721 


par elle, représente une hernie de plus en plus volumineuse. 
Enfin, ayant atteint le terme de son développement, il rompt son 
enveloppe intestinale et les spores tombent dans le cœlome. 
Lorsque au lieu d’une seule spore, ilen existait un certain nombre 
qui se sont plasmodifiées au même point de la lumière intestinale, 
les plasmodes qui envahissent ensemble le tissu étouffent les 
cellules, et à un moment donné la paroi du tube digestif est altérée 
sur toute son épaisseur. 

Certains points du canal alimentaire sont particulièrement 
susceptibles de favoriser ce mode de pénétration du plasmode. 
La portion rétrécie située en arrière du sphincter intestinal est 
dans ce cas, c’est le lieu d'élection pour l’envahissement des 
tissus. Au contraire, les plasmodes qui se développent dans les 
sacs aériens restent soudés à la face interne de la fine membrane 
qui constitue ce sac, selon que les spores y sont arrivées par le 
cœlome ou par la lumière intestinale: ils ne paraissent pas pou- 
voir la traverser probablement parce que les cellules minces et 
larges qui le forment sont intimement soudées entre elles et ne 
présentent aucun interstice permettant au plasmode d’y insinuer 
des prolongements. Il n’en est pas ainsi pour les grosses cellules 
de l'intestin antérieur, qui sont peu adhérentes entre elles et 
faciles à se laisser écarter. 

Nous navons jamais vu le parasite pénétrer à l’intérieur des 
cellules, il est tantôt libre dans Les cavités du corps, tantôt intra- 
üssulaire, jamais intra-cellulaire. Nous avons observé en parti- 
culier que lorsque l’ovaire est envahi, les plasmodes s'insinuent 
entre les ovules, mais ne les pénètrent pas même lorsque l'organe 
est envahi au point que les ovules sont comme écrasés entre les 
plasmodes. 

Comme on l’a vu, un plasmode peut donner naissance à un 
très grand nombre de spores, depuis 5 ou 6 jusqu à 50 et au 
delà. Chaque spore incolore issue de ce stade étant susceptible 
de recommencer le même cycle à la façon d’un mérozoite de coc- 
cidie, on conçoit quelle puissance de multiplication endogène 
possède le parasite. 

Le lieu d'élection pour l’évolution des spores incolores et du 
plasmode paraît être le sac à air. On peut néanmoins rencontrer 
des plasmodes en abondance en tout autre point du corps. 

Évolution de la Spore brune. — Les amas qui viennent d'êlre 


722 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


décrits comprennent, la plupart du temps, seulement des spores 
incolores. Chez quelques-uns cependant on peut trouver, parmi 
les spores incolores, des spores de coloration brune. Elles sont 
relativement rares dans les amas observés chez le moustique 
jeune; mais si l'on dissèque des stegomya infectés depuis long- 
temps, elles sont plus fréquentes et paraissent le devenir davan- 
tage à mesure que l’insecte vieillit. On peut à certains moments 
rencontrer des amas exclusivement composés de ces spores 
brunes. 

Le sort de celles-ci est fort différent de celui des spores inco- 
lores dontelles tirent leur origine. Comme elles et par les mêmes 
moyens, elles sont disséminées dans le corps de l'hôte ; comme 
elles également, elles peuvent évoluer dans le tube digestif et Les 
autres organes du S/. fasciata. Mais leur évolution n'est 
plus du tout comparable. Tandis que celle de la spore incolore 
rappelle d’assez près la schizogonie des coccidies, les stades qui 
dérivent de la spore brune s’éloignent de tous les stades connus 
jusqu'ici chez les sporozoaires, pour se rapprocher du développe- 
ment de végétaux inférieurs pourvus d’un mycélium. 

Le premier phénomène de cette évolution est le gonflement 
et la déformation de la spore qui devient un sphéroïde plus ou 
moins régulier. La membrane s’épaissit généralement en même 
temps que de petites zones claires se dessinent à l’intérieur du 
plasma. Celui-ci devient plus foncé, puis se condense à l'un des 
pôles de manière à laisser vide et transparente la partie opposée 
de la spore. Bientôt Le pôle vers lequel s’est massé le plasma 
émet un bourgeon. C’est ce plasma qui a traversé la coque et qui 
s’allonge en un filament par un phénomène tout à fait analogue à 
celui qui se produit pour la germination d’une spore de moisis- 
sure. 

L'accroissement continue et un peu plus tard on voit à la 
base du filament un petit renflement qui représente la petite 
masse protoplasmique de laquelle il est issu et qui se trouvait : 
prinitivement incluse dans la spore. A côté de ce renflement 
subsiste souvent la coque vide qu'il a abandonnée. Cette coque, à 
ce qu'il nous a paru, ne persiste pas toujours à la base du 
lilament. Nous croyons que lorsqu'elle disparaît c’est parce que 
sa substance à été utilisée pour l'accroissement de ce stade qu’on 
peut désigner sous le nom de stade mycélien. 


LA FIÈVRE JAUNE. 723 


Le filament progresse et s’allonge pendant un certain temps. 
Il peut atteindre une assez grande longueur, d’ailleurs fort varia- 
ble et mesurer de 50 à 100 y, quelquefois plus. Presque 
jamais il ne pousse en ligne droite, mais s’infléchit, se coude ou 
s’entorlille en s’enchevêtrant avec ceux poussés à son voisinage. 
Sa forme est extrêmement irrégulière, tantôt 1l conserve sur 
toute sa longueur le mème diamètre qui peut être égal ou infé- 
rieur au diamètre de la spore d’où il sort: tantôt il peut se renfler 
surune certaine étendue pour s’effiler ensuite et parfois serenfle 
de nouveau. Ordinairement il est simple, mais on peutle voir se 
ramifier ; il émet alors une, rarement deux branches qui ne four- 
nisssent pas de ramifications secondaires. Toujours il affecte un 
aspect capricieux, tourmenté, noueux, qui rappelle de fort près 
celui de certaines racines d'arbres. Sa coloration est semblable 
à celle de la spore qui lui a donné naissance, brun allant de la 
teinte simplement ambrée au marron le plus foncé. Cette colo- 
ration ne présente aucune homogénéité chez un même individu, 
certaines parties sont foncées, d'autres plus claires sans aucune 
règle. 

La constitution du parasite au stade filamenteux paraît se 
rapprocher beaucoup de celle de la spore brune, c’est une gaine 
rigide renfermant un filament axile de protoplasma plus foncé 
que la gaine. 

Pendant la première période du développement, le filament 
protoplasmique semble assez homogène, mais plus tardilse mani- 
feste en divers points des condensations de sa substance qui 
torment de pelits renflements d’un brun plus foncé: autour de 
ces nœuds, la gaine est également renflée. Lorsque les nœuds 
se sont multipliés, le parasite apparaît transformé en un cha- 
pelet dont les grains sont irrégulièrement répartis sur la lon- 
gueur et de grosseur très souvent inégale. Au degré le plus 
avaucé les grains sont séparés par des espaces clairs où la gaine 
paraît vide de protoplasma. 

Le développement du stade filamenteux semble s’arrêter là, 
au moins dans le corps de l'hôte. Il ne nous a pas été possible 
de le suivre plus loin Quant à son interprétation, nous ne pou 
vons Jusqu'ici qu'émettre des hypothèses. La plus vraisembla- 
ble à notre avis est qu’il s’agit d’un stade de dégénérescence de 
la spore incolore sous l'influence de sécrétions des tissus aux 


124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


dépens desquels se développe le plasimode. Ce serait un phéno- 
mène comparable, quoique plus complexe, à la formation des 
spores noires du parasite de la malaria, dans l'estomac de 
l’anophelès. Nous pensons qu’on doit écarter l'hypothèse d’un 
stade de résistance inconnu chezles autres microsporidies et que 
la spore qui assure la conservation de l’espèce dans le milieu 
extérieur est la spore incolore qui produit également la multi- 
plication endogène. 

Tandis que le stade plasmodien affectionne plus particuliè- 
rement les sacs à air qui, au nombre de trois viennent s’aboucher 
avec le tube digestifau-dessus du sphincter intestinal, le stade fila- 
menteux se rencontre d’une façon régulière et presque exclusive 
au niveau de l’intestin antérieur, au-dessous du même sphincter, 
Il est rare qu'on le rencontre au voisinage de l'intestin moyen ou 
dans d’autres régions du corps, nous ne l’avons jamais observé 
dans les sacs à air. Par contre, au lieu d'élection que nous venons 
d'indiquer, l’évolution des spores brunes s’elfectue avec une 
remarqaable intensité. Il semble aussi que les plasmodes nés en 
ce point de spores incolores aient une tendance prononcée à four- 
nir exclusivement des spores brunes qui évoluent sur place. Le 
tissu de cette portion du tube digestif est alors envahi dans toute 
son épaisseur par cette végétation parasitaire qui, en outre, 
tapisse les parois à l’intérieur et à l’extérieur. Les filaments 
s’enchevêtrent les uns avec les autres d’une manière inextricable 
au point de constituer un véritable feutrage. Sous l'influence 
de l’irritation produite par le parasite le tissu envahi s’hypertro- 
phie; il se fait une multiplication énergique des cellules dela paroi 
intestinale et de véritables tumeurs se forment, constituées 
en partie par les parasites, en parti par l’épaississement du 
tissu atteint. Ces tumeurs ont une teinte brunâtre; en outre des 
filaments parasitaires elles contiennent des spores et des débris 
de spores. De plus, on y voit en quantité plus ou moins grande 
de petits grains bruns, de grosseur inégale, disséminés sans 
ordre. Nous présumons que ces corpuscules proviennent de 
filaments mycéliens dont la gaine s’est désagrégée. 

Nous avons décrit l’évolution des spores incolores et des 
spores brunes comme obéissant à des règles parfaitement fixes. 
Nous n'avons pas la certitude toutefois que la spore incolore 
soit, dans tous les cas et d’une manière absolue destinée à former 


LA FIEVRE JAUNE. 729 


un plasmode. Certaines observations nous font supposer qu'elle 
pourrait parfois se transformer en spore brune et fournir un 
stade filamenteux. Les faits observés ne sont pas assez précis 
pour qu'on puisse l’affirmer. 

La présence de spores brunes dans les amas de spores inco- 
lores à la période où les unes et les autres commencent à peine 
à dégager leur contour dans le plasmode, la coexistence des 
stades mycéliens et des stades plasmodiens chez les segomya 
infectées, toutes les fois qu’on les dissèque à une période un 
peu avancée de leur existence, ne nous permettent aucun doute 
concernant leur parenté; les faits montrent bien qu'il s’agit 
d'un seul et même parasite. 

Parasite chez la larve. — Chez la larve, nous avons observé 
seulement le stade plasmodien et les spores incolores. Bien 
que nous avons disséqué beaucoup moins de larves que d'insectes 
adultes et rencontré peu fréquemment des larves parasitées, 
nous admettons que le stade filamenteux ne doit pas se pro- 
duire à cette phase de l'existence du moustique. 

Le parasite se voit chez la larve soit dans le tube digestif, 
soit dans le cœlome et les tissus de la partie postérieure du corps 
soit dans les papilles anales. 

Nous n'avons pas pu suivre aussi complètement l’évolution 
d’une spore dans le tube digestif des larves que dans celui des 
insectes parfaits, nous l’avons observé d’une façon plus complète 
dans les ampoules ou papilles qui, au nombre de #, entou- 
rent l’anus de la larve. C’est évidemment du tube digestif que le 
parasite passe dans ces papilles qui communiquent avec le 
rectum. C’est aussi du tube digestif qu’il doit pénétrer dans le 
cælome, sans doute par le mécanisme que nous avons indiqué 
pour lui permettre de traverser l’œsophage chez un insecte 
adulte. 

Quoi qu’il en soit, le développement du plasmode et la mul- 
tiplication des spores ne paraît nullement différer qu'on l'ob- 
serve chez le moustique adulte ou à l’état larvaire, si ce n’est 
que le stade mycélien ne se produit pas dans les tissus de la 
larve. 

De ce qui précède on peut déduire qu’il existe dans le milieu 
extérieur une forme de résistance représentée par les spores 
incolores peut être modifiées en vue de leur conservation, que 


726 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


cette forme de résistance absorbée par une larve de moustique 
se développe dans le tube digestif et y produit des stades de 
multiplication endogène qui sont les plasmodes, que ces plas- 
modes peuvent envahir la profondeur des tissus avant la méta- 
morphose de l’insecte, qu'après cette métamorphose le parasite 
continue à multiplier activement, qu'il produit en certains points 
du corps des stades spéciaux, les stades filamenteux, qui sont 
probablement des formes dégénérées du parasite; que dans la 
plupart des tissus il produit des spores de multiplication endo- 
gène qui sont capables, modifiées ou non, de constituer la 
forme de résistance dans le milieu extérieur, 

Nous avons décrit la forme la plus commune de Nosema que 
nous avons rencontrée. 

Cette forme n’est pas la seule de ce genre qui parasite le 
St. fasciata. Très fréquemment en elfet on observe chez lui des 
corps sporulés dont les spores sont piriformes et non rénifor mes. 
Elles sont de dimension sensiblement égale à celle des dernières 
tantôt brunes, tantôt incolores et évoluent de la même manière 
à tous les stades. À en juger par le développement entièrement 
parallèle des deux formes de spores et en considérant que les 
deux formes peuvent coexister chez un même hôte, on pourrait 
penser qu'il s’agit d’un seul et même parasite, Néanmoins, 
comme la coexistence des spores piriformes et réniforme, chez 
un même individu, n’est pas un fait commun, comme d'autre 
part chaque corps sporulé ne contient jamais que des spores 
d'une même forme, nous estimons qu'il s'agit bien de deux 
variétés ou espèces de parasites et non d'une seule, 

Ces deux parasites n’ont aucune relation de cause à effet avec 
la fièvre jaune. Pendant l’année 1902, nous avons rencontré fré- 
quemment, parmi les Sf. fasciata que nous avions infectés en 
leur faisant piquer des jauneux, des individus porteurs des 
plasmodes et des spores de Nosema. Pour nous assurer que dans 
ces cas le parasite ne provenait pas du sang du malade, nous 
avons fait l'expérience suivante : 

À une période où les stegomya de provenances diverses 
se montraient assez fréquemment parasités par des Nosema, 
nous avons recueilli un lot de larves rencontrées dans un réei- 
pient laissé en plein air sous une gouttière et contenant de l’eau 
écoulée de la toiture lors d’une pluie récente, Ces larves nous 


LA FIEVRE JAUNE. 727 


ont fourni 1% femelles que nous avons isolées et que nous 
désignerons par la lettre A. D'autre part, ayant remarqué que 
les œufs pondus dans notre laboratoire donnaient naissance à 
des moustiques qui n'étaient jamais parasités, nous avons mis à 
part un lot de 6 femelles, que nous appellerons femelles B, 
nées d'œufs pondus dans notre laboratoire et dont les larves 
avaient été élevées dans un bocal à l’abri des poussières, Ces 
femelles B avaient subi la métamorphose à peu près en même 
temps que les femelles A, 

Nous avons fait piquer un mälade au 2° jour de maladie par 
les 6 femelles B et par 6 des femelles A. Les 8 moustiques A res- 
tant ont été gardés comme témoins sans piquer. 

Six jours après, nous avons commencé la dissection de tous 
ces stegomya. Les dissections et les examens microscopiques 
ont été terminés au bout de 7 jours. Le résultat a été le 
suivant : 

Sur 5 stegomya f. À ayant piqué (le 6° individu est mort 
spontanément et n’a pu être examiné), 2 avaient le parasite et 
3 étaient indemnes ; 

Sur 8 stegomya f. À n'ayant pas piqué, 2 avaient le parasite ; 

Sur 6 stegomya f. B ayant piqué, aucun n’était parasité, 

Postérieurement à cette expérience, nous avons observé 
nombre de stegomya parasités qui n'avaient jamais piqué de 
malades et qui avaient été nourris soit avec du miel, soit par 
piqüre sur des individus bien portants. 

Parker, Beyer et Pothier ont observé dans l'estomac du 
steyomya infecté des corpuscules dont ils donnent une figure 
(Bullet. n° 13 mars 1903, fig. 15). Ces corpuscules fusiformes, 
considérés par eux comme des sporozoaires, ressemblent éton- 
namment à des levures qui se développent en abondance chez le 
stegomyanourride bananes ou de miel. [ls admettent que ces corps 
se conjuguent et passent dans le sac à air où ils les retrouvent 
sous forme de zygotes. « Le zygote, disent-ils, a plus ou moins 
l'apparence d'une masse albuminoïde, mais sa nature exacte et 
son origine demeurent encore inexpliquées. Dans cette masse, 
plus particulièrement à la périphérie, on observe les stades du 
développement du parasite. Au dernier stade il est augmenté de 
volume; son noyau a subi la fragmentation (fig. 16). Les gra- 
nules chromatiques qui résultent de cette division s’accroissent 


728 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ensuite rapidement, deviennent bien définis et forment des corps 
plus ou moins régulièrement ovales allongés, les sporoblastes. » 
Cette partie de la description du parasite, appelé par ces auteurs 
Myxococcidium Stegomyw, et les figures 20, 21, 23 et 24 qui 
s’y rapportent nous permettent de croire que Parker, Beyer et 
Pothier ont eu sous les yeux, dans les coupes du sac à air de 
stegomya, les plasmodes de Nosema que nous avons décrits plus 
haut. Leurs figures 25 et 26 manifestent également ane grande 
analogie avec les amas de spores de cette pébrine. 

L'identification de ces deux parasites, si elle arrive à être 
établie d’une façon précise, ôtera à nos collègues américains 
l'illusion qu'ils ont eu affaire à l’agent de la fièvre jaune. Cette 
opinion, qu'ils émettent d’ailleurs sous toutes réserves, nous 
surprend d'autant moins que nous avons été tentés de commettre 
la même erreur les premières fois que nous avons observé ce 
sporozoaire. 

Des expériences nombreuses ont été nécessaires pour nous 
convaincre que les insectes parasités n'avaient pas puisé dans le 
sang des malades piqués par eux le germe du parasite. 


Pendant que nous nous rendions à Rio-de-Janeiro, a paru, 
dans le Bulletin médical n° 81, 12 octobre 1901, un excellent tra- 
vail de M. Hilario de Gouvea, sur « Les moustiques et la Fièvre 
jaune ». Cette étude sur l’épidémiologie amarilique, dans la 
capitale du Brésil, nous à rendu de grands services. Aussi 


tenons-nous à la signaler tout particulièrement. 


CONCLUSIONS 


1° Le sérum d’un malade au 3° jour de la maladie est viru- 
lent ; 

2° Au 4° jour de la maladie, le sang de l’amarilique ne 
contient plus de virus, même quand la fièvre est élevée ; 

3° 1/10 de c.c. de sérum virulent injecté sous la peau suffit 
à donner la fièvre jaune ; | 

4° Le virus de la fièvre jaune déposé sur une écorchure de la 
peau, faite en enlevant l'épiderme, ne donne pas la maladie ; 


LA FIÈVRE JAUNE. 729 


° Dans le sérum de malade, le virus de la fièvre jaune tra- 
verse la bougie Chamberland F sans dilution; 

6° Dans les mêmes conditions, il ne paraît pas traverser la 
bougie B ; 

7° Le sérum virulent, conservé à l’air à une température de 
24-300, est inactif au bout de 48 heures; 

8° Dans le sang défibriné gardé sous huile de vaseline à une 
température de 24-30°, le microbe de la fièvre jaune est encore 
vivant au bout de 5 jours ; 

9° Au bout de 8 jours, le sang défibriné maintenu dans les 
mêmes conditions ne renferme plus de virus actif ; 

10° Le sérum virulent devient inoffensif après un chauffage 
de 5 à 55°; 

11o Une injection préventive de sérum chauffé 5 à 55°, 
donne une immunité relative qui, suivie de l’inoculation d’une 
très petite quantité de virus, peut devenir complète ; 

120 L’injection de sang défibriné, conservé au laboratoire 
sous huile de vaseline pendant 8 jours au moins, donne une 
immunité relative; 

13° Le sérum de convalescent est doué de propriétés nette- 
ment préventives ; 

44° L’immunité conférée par le sérum de convalescent est 
encore appréciable au bout de 26 jours ; 

15° Le sérum de convalescent paraît jouir de propriétés thé- 
rapeutiques; 

16° Ainsi que l'ont prouvé Reed, Carroll et Agramonte, la 
fièvre jaune est produite par la piqûre du Sfegomya fasciata ; 

17° Pour pouvoir déterminer la maladie chez l’homme, ce 
moustique doit s'être infecté, au préalable, en absorbant du sang 
d’un malade atteint de fièvre jaune pendant les 3 premiers jours 
de la maladie ; 

18° Le moustiqueinfecté n’estdangereux qu’aprèsunintervalle 
d'au moins 12 jours écoulés depuis qu'ila ingéré du sang virulent ; 

19° La piqûre de deux moustiques infectés peut donner une 
maladie grave ; | 

20° Le moustique paraît d'autant plus dangereux qu’il pique 
plus tard après le moment où il s’est infecté ; 

21° La piqûre de moustiques infectés ne donne pas fatale- 
ment la fièvre jaune ; 

47 


730 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


22° Quand elle est restée sans effet la piqûre de moustiques 
infectés ne donne pas limmunité contre une injection viru- 
lente ; 

23° Dans la région de Rio-de-Janeiro comme à Cuba aucun 
autre culicide que le Stegomya fasciata ne concourt à la trans- 
mission de la fièvre jaune ; 

240 Le contact avec un malade, ses effets ou ses excrétions 
est incapable de produire la fièvre jaune ; 

25° En dehors de la piqüre du Stegomya infecté, le seul 
moyen connu de déterminerla maladie, est l’injection, dans les 
tissus d’un individu sensible de sang provenant d’un malade 
et recueilli pendant les 3 premiers jours de la maladie ; 

26° La fièvre jaune ne peut affecter un caractère contagieux 
que dans les régions qui possédent le Stegomya fasciata ; 

27° La prophylaxie de la fièvre jaune repose tout entière sur 
les mesures à prendre pour empêcher le Sfegomya fasciata de 
piquer l’homme malade et l’homme sain ; 

28° Il faut tenir compte de ce fait que la période d’incubation 
de la fièvre jaune peut se prolonger jusqu'à 13 jours ; 

299 Le Stegomya fasciata est fréquemment parasité par des 
champignons, par des levureset par des sporozoaires. Aucun des 
parasites de ce genre rencontrés jusqu'ici n’a de rapport avec la 
fièvre jaune ; 

30° Pas plus dans le moustique que dans le sang, nous 
n'avons réussi jusqu'à présent à mettre en one l’agent de 
la fièvre jaune. 


EXPLICATION DES FIGURES 


(Planche XV.) 


Fig. 1. — Spore réniforme incolore de Nosema Stegomye ; 

Fig. 2. — Spore réniforme brune ; 

Fig. 3. — Spore piriforme incolore; 

Fig. 4. — Spore piriforme brune; 

Fig. 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12. — Divers stades de l’évolution de la spore 
incolore pour constituer un plasmode ; 

Fig. 13. — Plasmode dans lequel commencent à se former des spores ; 


LA FIÈVRE JAUNE. 731 


Fig. 14. — Plasmode sporulé, les spores encore jeunes ne sont pas 
pourvues de la petite aire réfringente qu’elles présentent à maturité ; 
Fig. 15. — Amas de spores mûres dans un sac à air; 


Fig. 16. — Plasmode sporulé sur la paroi cœlomique de l'intestin 
faisant hernie dans le cœlome ; 
Fig. 17, — Plasmode, amas de spores et spores libres dans une papille 


anale de la larve de Stegomya fasciata : 

Fig. 18. — Spores réniformes brunes au moment de développer leur 
filament ; 

Fig. 19, 20. — Apparition des filaments ; 

Fig. 21. — Filament ramifié provénant d’une spore brune; 

Fig. 22. — Filament moniliforme provenant d'une spore brune; 

Fig. 23, 24, 25, — Développement du filament chez la spore piriforme 
brune ; 

Fig. 26. — Plasmode contenant des spores brunes et des filaments, 
développé sur la paroi cœlomique de l'intestin ; 

Fig. 27. — Levures communes dans le tube digestif du Stegomya fasciata 
nourri de fruits, 

Fig. 28. — Coupe semi-schématique sagittale d’un Stegomya fasciata. 

A. — Muscle du labrum. — B, B', B’, B’, B”, muscles du pharynx. — 
C. — Muscle du labium, — D. Muscle du réceptacle salivaire. — E. — Muscle 
sagittal du thorax. 

F. F'. — Ganglion céphalique. — F’. Prolongement nerveux du ganglion 
céphalique dans le labium. — G. Ganglion thoracique. — G’, Bandelette 
thoraco-céphalique. 

H. — Pharynx ascendants. — H’ Pharynx horizontal. — I. — (OEsophage. 
— J.— Intestin antérieur. — J' Intestin moyen. — J' Intestin postérieur, — 
K K’ Rectum. 
= L.— Glande salivaire. — L’ Conduit salivaire. — L’ Receptacle salivaire, 

M. — Sac à air. 

N. — Canaux de Malpighi. 

O. — Ovaire. — P. Oviducte. — Q. Receptacle seminal. 


R. — Plasmode de nosema qui se sont développés dans l'épaisseur du 
ganglion nerveux abdominal, étouffant toutes les cellules nerveuses. 
R. — Plasmode de nosema, développé sur la paroi du sac à air. — 


R’. Plasmode de nosema développé sur le paroi œsophagienne. 
S.— Levures répandues dans le sac à air, 
T. — Pseudo-navicelles de grégarine, 
U. — Tissu conjonctif. 
. Fig. 23. — Coupe de la figure 28, suivant la portion « b. Pot l'expli- 
cation se rapporter aux indications de la figure précédente. 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE 
Sérothérapie et séroclavelisation. 


Par A. BORREL. 


En France, dans le Nord, l'Est, l'Ouest, le Plateau central, la 
clavelée est une maladie relativement rare : des foyers épidémi- 
ques limités sont signalés tous les ans, mais dans ces régions la 
maladie est toujours importée et ne s’installe pas, les épidémies 
dues presque toujours à l’introduction de moutons algériens sont 
facilement combattues sur place et ne s’étendent jamais beau- 
coup : le cantonnement des troupeaux atteints est une mesure 
très efficace lorsque la déclaration est faite à temps au service 
sanitaire et la clavelée a rarement fait de grands ravages, bien 
que la mortalité sur les troupeaux infectés soit considérable et 
atteigne quelquefois 50 à 60 0/0 de l'effectif. 

Il en est tout autrement dans le midi de la France, dans les 
Bouches-du-Rhône, le Var, les Basses-Alpes, etc. : la clavelée 
existe là de temps immémorial. Elle est endémique d’ailleurs 
dans toute la région méditéranéenne : Espagne, Italie, Tunisie, 
Algérie. En France, dans la Crau et la Camargue, elle est régu- 
lièrement entretenue tous les ans par les arrivages de mou- 
tons algériens, qui viennent passer l'été sur la terre française, 
et remplacer les moutons indigènes partis dans les Alpes en 
transhumance, à la recherche d’un climat moins torride et d’une 
nourriture qui leur suffise. 

Dans ces régions l'élevage du mouton se fait en grand; il 
y a plus de 300,000 moutons sur le territoire de la commune 
d'Arles ; les troupeaux de 3,000, 4,000 bêtes ne sont pas rares. 

Le fond du troupeau est constitué par des brebis gardées 
pour la reproduction jusqu'à l’âge de sept et huit ans; les 
agneaux sont vendus chaque année aux foires du printemps. 

En octobre, novembre, décembre, naissent les agneaux! 
ceux-ci sont élevés jusqu’à l’âge de #4 et 5 mois, puis ils 
subissent des sorts variés; un certain nombre de femelles sont 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 733 


conservées pour remplacer chaque année les vieilles brebis 
dont les dents ont fini par s’user à tondre l'herbe rare et suc- 
culente qui pousse sous les cailloux de la Crau. Les agneaux 
mâles sont châtrés pour la plupart et vendus aux grandes foires 
du 3 mai et du 20 mai à Arles ; les bergers des départements 
voisins viennent s’y approvisionner, renouveler leurs troupeaux, 
acheter les agneaux qu'ils vendront plus tard sur les marchés 
des grandes villes, Lyon, Marseille ou Paris. 

Un certain nombre d'agneau x mâles sont triés chaque année 
et gardés comme béliers. 

Au mois de juin, les béliers reproducteurs sont mis en contact 
avec les brebis et le troupeau part en montagne: l’herbe manque 
en Crau ou en Camargue pour les métis arlésiens. La trans- 
humance se fait surtout par voie ferrée ; il est rare maintenant 
de voir le long des routes poussiéréuses le pittoresque défilé des 
troupeaux d'autrefois. 

Certains propriétaires, plus favorisés au point de vue des her- 
bages, estivent, leur troupeau passe tout l’été dans le midi; 
ils « font » des agneaux toute l’année, utilisent le lait des brebis 
pour la fabrication des fromages, et vendent aux mois de juillet, 
août, de jeunes agneaux aux bouchers de la région. 

Été comme hiver, la clavelée sévit toujours et partout dans 
la Camargue et la Crau. La diffusion de la maladie est due sur- 
tout à ce que les Bergeries, laissées vides au mois de juin par la 
transhumance, se garnissent de moutons algériens qui savent 
trouver de quoi manger, et engraissent là où les moutons indi- 
gènes mouraient de faim. 

Ceux-ci redescendent des Alpes au mois d'octobre et rempla- 
cent, dans les bergeries, les algériens qui sont livrés à la consom- 
mation; ils y trouvent presque toujours le germe récent de la 
clavelée algérienne. 

La clavelée est le constant souci du berger. Depuis la dis- 
parition du charbon, gràce aux vaccinations pastoriennes, il 
est bien certain que la clavelée est la maladie qui occasionne le 
plus de pertes et d’ennuis aux éleveurs de la race ovine. 

Entre la clavelée et le berger, la lutte est de tous les instants. 
Au prix de grands efforts, le berger arrive quelquefois à couper 
la maladie, en « levant » tous les jours les bêtes malades et qui 
montrent les premiers débuts de l’éruption, mais souvent ce n’est 


134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


que partie remise; une « lunée », deux « lunées » passent, 
la maladie n’a pas lâché prise et la lutte doit recommencer: 
on en cite qui ont lutté plus d’une année: tous les jours, 
tous les deux jours, il faut « tomber » les brebis pour les exami- 
ner minutieusement, et malheur au propriétaire dont le berger 
laissera passer une bête malade, une éruption méconnue, des 
pustules trop discrètes, un chancre d’inoculation non diagnos- 
tiqué ; la source d'infection restera et le troupeau tout entier 
prendra la maladie, 

Il serait donc très important et très avantageux, pour les 
éleveurs du midi de la France, d’avoir une méthode de vaccina- 
tion qui les mette à l’abri de surprises trop désagréables, qui leur 
permette de se livrer à la culture du mouton sans avoir à redou- 
ter la clavelée, sans être exposés à manquer lenrs marchés, ou à 
supporter, de par la loi sanitaire, de grandes responsabilités, 
ou à rester cantonnés sur place dans des moments où la nourri- 
ture manque, et lors que la transhumance s'impose. 

On a essayé de lutter par des lois sanitaires: on a exigé, 
pour la transhumance, des certilicats de vétérinaires autorisant 
le transport des seuls animaux sains; mais que de difficultés 
dans la pratique, que de moyens de tourner la loi et de laisser 
le danger passer! 

L'expérience est faite : la clavelée sévit toujours plus fort ; 
le seul remède est évidemment dans la vaccination du troupeau 
total, faite une fois pour toutes, dans la vaccination des nourries 
annuelles, devenue obligatoire chaque année de telle date à telle 
date, et le cantonnement pendant les périodes de clavelisation. 

Cette vaccination est possible, elle peut être rendue peu 
dangereuse par l'emploi adjuvant du sérum anticlaveleux, et les 
dangers de dissémination seront réduits au minimum lorsque 
chaque propriétaire, d'ici deux ou trois ans, aura été vacciné 
chez lui. Un cantonnement efficace se fera de lui-même par la 
police réciproque des bergers. Inutile de vacciner les troupeaux 
non encore atteints ; 1l vaudra beaucoup mieux attendre l’éclo- 
sion de la clavelée dans le troupeau, et vacciner à ce moment, 
suivre pas à pas la maladie et éteindre ainsi chaque nouveau 
foyer ; le troupeau principal étant vacciné, chaque propriétaire, 
à partir de ce moment, fera vacciner chaque année les agneaux 
nouveau-nés. 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 735 


Pour l'Algérie, la question de la clavelée se présente sous 
un tout autre jour; on peut dire que tous les moutons algériens 
ont été, sont ou seront claveleux; mais chez eux, la maladie 
passe généralement inaperçue, quelques rares boutons rapide- 
ment flétris apparaissent sur le museau, aux aines, aux aisselles ; 
l'animal ne cesse pas de manger, les pertes sont insignifiantes 
sur les animaux adultes; les agneaux jeunes seuls sont beau- 
coup plus sensibles. 

Malheureusement ce virus claveleux, si peu offensif pour les 
moutons algériens, infecte le troupeau français, beaucoup plus 
sensible, et cause des pertes énormeslorsqu'il est porté en France. 
Le début des épidémies en France est toujours marqué par 
l'introduction de moutons algériens; j’ai pu moi-même souvent 
vérifier le fait, à Caudry (Nord), à Honnécourt (Pas-de-Calais), 
à Ardes (Puy-de-Dôme), etc., etc. Il est bien certain aussi que la 
clavelée est surtout entretenue dans le midi de la France parles 
arrivages annuels des moutons africains. 

Des mesures de protection ont dû forcément être prises vis- 
à-vis des moutons algériens et Nocard a fait accepter l’idée de 
la clavelisation totale du troupeau algérien : ne doivent entrer 
en France que des moutons algériens préalablement clavelisés et 
dûment guéris. 

Le projet de Nocard est actuellement en voie d'exécution, 
et je montrerai dans le cours de ce mémoire qu'il est de réalisa- 
tion facile, qu'il doit être peu onéreux, et sera chose faite 
lorsque les importateurs de moutons algériens comprendront 
leur véritable intérêt. 


Marche de la maladie dans un troupeau infecté. 


La clavelée ou variole ovine est une maladie du mouton qui 
ressemble beaucoup à la variole humaine : elle est caractérisée 
par le développement de pustules sur toute la surface cutanée. 

L'observation la plus vulgaire a montré de tout temps que 
l'épidémie claveleuse dans un troupeau va par poussées suc- 
cessives, à des intervalles presque réguliers connus sous le nom 
de « lunées ». Ces périodes sont réglées non pas par la lune, 
mais par l’évolution même de la maladie, depuis le moment où 
l'animal s’infecte jusqu’au moment où il devient surtout dange- 
reux pour ses voisins, c'est-à-dire aux stades de sécrétion et de 


136 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


desquamation des pustules d’inoculation ou de généralisation ; 
cet intervalle est de 20 à 25 jours. 

Quand un animal devient claveleux, il a toujours, au point 
où se fait l'infection première, une réaction locale considérable, 
un vrai chancre d’inoculation. Cette lésion peut ètre visible et 
située sur le tégument externe, ou passer inaperçue parce qu’elle 
intéresse les premières voies digestives ou respiratoires. 

Souvent la maladie débute par une très grosse pustule sur 
une patte, sur le flanc, sur le museau, qui signale la porte d'entrée 
du virus; l’animal s’est clavelisé lui-même : le virus répandu 
sur le sol, sur les mangeoires, sur une claie, contre le mur, a 
pénétré par quelque excoriation:; il y a une véritable inoculation 
qui donne lieu au développement de la pustule, puis d’une plaie 
chancreuse recouverte d’une croûte noirâtre d'aspect gangré- 
neuse; il est rare que les animaux porteurs de pareilles pustules 
meurent, la maladie est presque toujours bénigne, les pustules 
de généralisation sont rares et discrètes. 

Mais ordinairement, le mode d'infection est tout autre, le 
chancre d’inoculation n’est pas visible, la lésion est profonde, 
due à l’ingestion de fourrages virulents ou à l’absorption de 
poussières claveleuses; Les premiers débuts de la maladie sont 
marqués par un abattement de l’animal qui ne mange plus, suit 
difficilement le troupeau; la température est élevée, le museau 
est enflé, les muqueuses rouges et bientôt une éruption géné- 
ralisée grave apparaît, mais il faut bien savoir que lorsque 
l’éruption apparaît, la maladie est déjà ancienne, linfection 
remonte à 8 jours au moins. Souventtoute cette première période 
passe inaperçue, 

La mort peut survenir rapidement dès le 9° ou le 10° jour, au 
moment où le processus de généralisation s'établit, lorsque le 
museau devient enflé, rouge, et ce sont Ià les cas les plus 
graves; mais le maximum de mortalité paraît être vers le 15° ou 
le 16° jour de l'infection, dans la semaine qui suit l'apparition 
des pustules de généralisation, lorsque celles-e1 sont larges, 
étalées, hémorragiques, confluentes ; les cas bénins sont marqués 
par des éruptions discrètes de pustules petites, rapidement des- 
séchées. L'aspect de l’animal permet d’ailleurs de porter des 
pronostics faciles et les bergers ne s’y trompent guère. 

Un certain nombre d'animaux meurent plus tard à la suite 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 737 


d'infections secondaires, de complications pulmonaires; d’autres 
deviennent cachectiques à la longue et finissent par mourir 
après 30 et 40 jours. Toutes les bêtes atteintes gravement et 
qui se rétablissent sont dépréciées pour longtemps. 

La mortalité varie beaucoup suivant les saisons et suivant 
les races ; dans certaines épidémies, sur des troupeaux de même 
race et à un même moment de l’année, on observe des taux de 
mortalité très différents. 

On doit souvent incriminer des infections secondaires qui 
aggravent les pertes. 

Les précautions, les soins que les bergers prennent de leurs 
animaux ont une grande importance au point de vue des résul- 
tats. Ceux qui connaissent bien la maladie et qui séparent quoti- 
diennement les bêtes atteintes subissent des pertes légères, ils 
évitent de laisser dans le troupeau les brebis infectées ou qui 
portent des chancres d’inoculation purulents, gangréneux, 
fétides ; ces pustules fétides répandent dans les bergeries des 
particules virulentes avec de multiples microbes qui aggravent 
beaucoup le processus claveleux, de telle sorte qu’on peut voir 
dans une même région, sur des animaux de même race et à la 
même époque de l’année, des mortalités qui varient de 2 à 
3 0/0 jusqu’à 50 et 60 0/0, suivant les soins donnés au troupeau 
par un berger plus ou moins compétent. 

En Camargue et en Crau, d’une façon générale, les bergers 
connaissent bien la clavelée et savent isoler leurs malades; 
cependant les mortalités de 20, 30 0/0 ne sont pas rares sur les 
métis arlésiens; j'ai pu constater jusqu'à 50 0/0 chez les adultes, 
et les agneaux jeunes meurent dans des proportions encore plus 
grandes. 

Clavelisation. 

Pour combattre cette maladie, les méthodes de vaccination 
ont été variées à l'infini et non sans raison. Lorsqu'un troupeau 
est pris sérieusement, lorsque la clavelée n’a pas été « coupée » 
au début, lorsque le propriétaire est débordé, une clavelisation 
même mauvaise vaut mieux que la maladie elle-même: les 
méthodes les plus simples ont souvent donné de bons résultats. 

Quelquefois le berger clavelise lui-même à la pointe du cou- 
teau, en prélevant le virus sur une bète malade choisie comme 
porte-vaccin; d’autres souillent avec du pus claveleux des fils 


138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de laine et les placent en séton sous la peau de l’animal à 
claveliser. 

Mais ainsi on opère à l’aveugle; sur un même animal porte- 
vaccin les pustules peuvent contenir des microbes variés, et les 
résultats d’une même celavelisation faite avec des pustules 
diverses sont très différents ; souvent de graves mécomptes sur- 
viennent, et la méthode ne doit pas être bonne puisqu'elle est 
rarement employée. 

On a cherché des procédés meilleurs : on a voulu employer 
des virus atténués, mais les conditions de cette atténuation 
doivent avoir été mal étudiées, elles ne sont pas suffisamment 
établies pour baser sur l’atténuation de virus une méthode 
générale et qui mette à l'abri ou d’accidents trop nombreux, ou 
de manque total de pustules vaceinales. Rien n’est moins 
démontré que cette atténuation, et il n'existe pas, comme 
pour le virus charbonneux, de méthode fixe et constante d’atté- 
nuation ou d’affaiblissement; il n’existe pas de race de virus 
claveleux atténué et fixe : le virus pris sur des pustules de pas- 
sage ou sur des pustules flétries, ou vieilli en ampoule, ou 
affaibli sous une influence quelconque (oxygène, chaleur, 
glycérine, antiseptiques) se montre tantôt inactif, tantôt trop 
virulent. 

Or il est de première importance que tous les animaux en 
état de réceptivité présentent une pustule locale au point d'ino- 
culation. 

En effet, si après 15 ou 20 jours, à la suite d’une mauvaise 
clavelisation, 50 0/0 des animaux ont des pustules et quelques 
autres ne montrent rien, ces derniers sont exposés à une con- 
tamination ultérieure. Il est d’autre part tout à fait inutile d’ino- 
euler plus de claveau qu'il n’est nécessaire, et d'augmenter par 
là soit les dimensions de la pustule, soit les chances de géné- 
ralisation. 

Avec l’inoculation du claveau seul, par les procédés jusqu'ici 
usités, il est impossible de régler avec certitude ces conditions 
de la clavelisation ; de plus le claveau, récolté par les procédés 
ordinaires, a le très gros inconvénient de n'être pas homogène, 
puisque la récolte est faite sur des pustules diverses et nom- 
breuses qui peuvent être souillées par des microbes variés et 
non définis. 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE, 739 


Il ne faut pas se dissimuler que la question n’est pas simple ; 

Il a fallu étudier une à une chacune des conditions : 

1° L’obtention et la récolte d’un claveau aussi homogène 
que possible, ne contenant pas, comme microbes d’impureté, 
des germes dangereux; 

20 La conservation du claveau récolté ; 

3 La détermination des doses à employer suivant l’âge des 
animaux et les races à claveliser, par inoculation intra-dermique 
en mélange avec du sérum spécifique ; 

4 Le choix du lieu d’inoculation, le plus favorable et le 
plus commode dans la pratique. 


1° Récolte du claveau. 


J’aimontré dans un travail antérieur‘ que la clavelée est due 
à quelque microbe encore inconnu, mais assez petit pour passer 
à travers des filtres qui retiennent l'immense majorité des 
microbes ordinaires. Par ce procédé de filtration, 1l a été 
facile d'obtenir un virus pur, débarrassé des microbes d'impu- 
reté qui souillent le claveau ordinaire récolté sur des pustules 
quelconques. 

Avec le virus pur, dilué dans l’eau physiologique, on a pu 
faire des inoculations profondes ; le microbe de la clavelée se 
développe non seulement au niveau de l’ectoderme, mais aussi 
dans les organes profonds; il donne en particulier dans le tissu 
cellulaire sous-cutané une culture abondante qui se traduit par 
la formation d’un tissu œdématié, dense, infiltré de sérosité. 

J'ai déjà décrit le procédé employé pour inoculer sur uue 
très grande étendue la paroi abdominale d’une brebis et 
obtenir. une très grande pustule qui donne en une fois une 
énorme quantité de virus très actif. 

Les tissus de cette pustule qui atteind 800 centimètres carrés 
de surface sont broyés dans un appareil spécial * et mis en sus- 
pension dans de l’eau physiologique stérile. 

La récolte est faite au 8° jour. 

Le claveau qui doit servir à la clavelisation est préparé de 
la façon suivante : 

Les tissus œdématiés de la pustule sont récoltés avec les 


4. Annales de.l'Institut Pasteur, fév. 1903, 
2. Comptes rendus de la Soc. de Biol., 20 décembre 1902. 


140 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


précautions d’asepsie ordinaire; on en obtient sur une seule 
brebis trois à quatre cents grammes; ces tissus sont découpés 
en fragments de 1 c. ce. environ et introduits dans le 
broyeur déjà décrit; le broyage est commencé sans addition 
d’eau physiologique, de sorte qu'il coule d’abord, par expression, 
une assez grande quantité de liquide claveleux pur, 100 c.c. 
en moyenne; on continue ensuite le broyage en frac- 
tionnant et en ajoutant chaque fois de nouvelles quantités 
d’eau physiologique ; le jus claveleux recueilli d’abord, dilué à 
1 litre dans les premières portions du liquide passé dans le broyeur 
constitue notre claveau. — Les ampoules de virus destinées à la 
clavelisation sont faites uniquement avec ce mélange. 

Il reste encore beaucoup de virus dansle broyeur, on ajoute 
de nouvelles quantités d’eau, et on continue le broyage pour 
mettre en suspension tous les tissus virulents dans 2 ou 
3 litres de liquide. — Tout le virus ainsi récolté et le claveau non 
utilisé en ampoules, sert à l’immunisation des animaux qui 
fournissent le sérum. 


20 Conservation du claveau. 


On sait que le virus claveleux se conserve très bien en 
ampoule close, à basse température et à l’abri de la lumière ; il 
est très sensible à l’action de la chaleur ; même à l’abri de l'air 
il est tué en peu de temps à 45°; il disparaît en 48 heures à 
une température de 37°. 

Tout semble se passer comme si dans le claveau, à côté du virus, 
il y avait des substances nuisibles pour le microbe, et dont l'action 
serait d'autant plus rapide que la température est plus élevée. 

A 0° et au-dessous, la conservation du claveau est très longue. 

Le virus claveleux récolté par le procédé que j'ai indiqué 
peut être considéré comme pur; souvent j'ai ensemencé 
au moment de la récolte, 1 c.e. sans obtenir le moindre 
développement microbien. — Mais il est bien certain que 
toujours quelques microbes d’impureté sont introduits par les 
manipulations, et ces microbes donneraient des cultures abon- 
dantes, aérobies, puis anaérobies, si le claveau n’était pas con- 
servé à très basse température en ampoules closes. 

Il y a donc tout avantage à conserver au laboratoire central, 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 744 


dans une bonne glacière, les tubes clos qui constituent la pro- 
vision du claveau. 

La glycérine ne peut être employée comme agent de conser- 
vation de longue durée; à 30, 40, 50 0/0 elle atténue rapidement 
et fait bientôt disparaître toute virulence. 

La glycérine peut seulement servir pour empêcher le déve- 
loppement des microbes d’impureté, lorsque le virus doit être 
sorti de la glacière du laboratoire et expédié. 

Il sera tout à fait pratique de glycériner à 30 0/0 les ampoules 
de virus qui doivent voyager, à condition que ces ampoules soient 
utilisées dans les huit jours qui suivent le moment de l’expédition : 
pendant le voyage. le virus sera toujours maintenu à une tem- 
pérature aussi basse que possible. 

L'expérience de toute une année et des clavelisations nom- 
breuses faites en toute saison démontrent qu’on peut compter 
sur une bonne conservation du claveau dans ces conditions, et 
que, pendant un mois au moins, le claveau récolté pourra être 
utilisé dans la pratique de la clavelisation. 

Malgré tout, il faut bien savoir que le claveau sorti de l’orga- 
nisme du mouton va tout de suite en s’atténuant, et que le cla- 
veau employé après un mois de conservation devra être tenu 
pour moins actif que le claveau récemment recueilli. Pour nos 
races françaises, plus sensibles, 1l faudra employer du virus plus 
ancien et moins actif que pour les moutons algériens, diminuer 
ou augmenter les doses suivant Les cas. 

Cette clavelisation peut être faite de deux façons, soit par 
inoculation superficielle à la lancette, par scarification ou par 
piqûre, soit à la seringue, par inoculation intradermique, en 
se servant dans le premier cas, de claveau non dilué, et dans le 
deuxième cas de dilutions plus ou moins étendues. En France, 
beaucoup d’expérimentateurs ont essayé la clavelisation par les 
méthodes les plus diverses ; j’ai fait moi-même quelques expé- 
riences avec l’inoculation de claveau pur, dilué simplement dans 
de l’eau physiologique, et j'ai dû reconnaître que sur nos races 
françaises, il était impossible de claveliser avec certitude, à 
l'abri de tout accident de généralisation, si on ne faisait pas 
intervenir un nouveau facteur : le sérum anticlaveleux. 


142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


39 Production du sérum anticlaveleux. 


Il est possible d'obtenir un sérum spécifique actif, en inocu- 
lant à des moutons guéris de la clavelée des quantités de plus 
en plus considérables de virus claveleux. 

J'ai donné, dans ces Annales, les détails de la préparation du 
sérum, et des expériences de laboratoire faites sur des moutons 
de la région parisienne ont montré que par l’inoculation de 
20-30 c. c. de sérum, 24 heures avant l’inoculation du virus, on 
pouvait empêcher le développement de la maladie et même de 
la pustule d’inoculation. 

Les témoins inoculés avec la mème dose de virus présentent 
une énorme pustule d’inoculation et des accidents de générali- 
sation souvent mortels. 

Des expériences de laboratoire ont montré aussi une action 
très évidente du sérum sur le virus inoculé après mélange ?n 
vitro. 

Suivant les quantités de sérum employées, on peut avoir un 
moindre développement de la pustule, un retard dans la période 
d’incubation, l’absence d’accidents de généralisation ou même 
de toute réaction locale au point d’inoculation. 

En partant de ces données expérimentales, j’ai résolu d'étu- 
dier dans la pratique un procédé de clavelisation basé sur 
l'emploi simultané du virus et du sérum anticlaveleux. 


Expériences de séro-clavelisation à Arles. 


Les expériences que je vais maintenant rapporter en détail 
ont été faites dans la Camargue et la Crau, sur des animaux dits 
métis arlésiens, avec le concours de MM. Arnaud, Brun, Gombert, 
vétérinaires à Arles; M. Sicard, vétérinaire à Saint-Rémy. Je 
suis heureux de pouvoir les remercier du concours très ami- 
cal qu’ils ont bien voulu me prêter. 

Mon intention était d’abord d'utiliser pour la pratique de la 
clavelisation, dans ces régions où la clavelée sévit d’une façon 
permanente, des mélanges de virus et de sérum en proportions 
telles que les pustules obtenues soient de petites dimensrons, 
rapidement guéries et sans danger aucun de généralisation 
grave,enn’employant que de petites quantités desérum.Cerésultat 
idéal peut être obtenu facilement au laboratoire sur des individus 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 743 


isolés, de mème âge, très sensibles, issus de parents indemnes 
de clavelée; mais dans les conditions de la grande pratique, dans 
un pays où la clavelée sévit tous les ans, où il s’agit de vacciner 
dans un même troupeau des animaux d’âges très différents, il est 
arrivé que des mélanges de virus et de sérum parfaitement 
homogènes donnaient les résultats les plus divers sur les ani- 
maux d’un même troupeau, bien que tous les animaux fussent 
inoculés à la seringue et avec les mêmes doses : un certain 
nombre avaient de trop grosses pustules, d’autres des pustules 
moyennesoupetites,etbeaucoup n'avaient aucuneréactionlocale: 
par conséquent pas d'immunité. Les résultats obtenus d’abord, 
trop inconstants, et qui pêchaient surtout par défaut de pustules, 
n’ont pas permis, en France du moins, de baser sur ce principe 
une méthode générale de clavelisation ; pour être sûr d’obtenir 
100 0/0 de pustules, il a fallu ou diminuer la dose de sérum ou 
augmenter la quantité de virus dans des proportions telles 
qu'une certitude manquait. 

Une première expérience d'orientation fut faite, fin mars 1902, 
au mas de Pillet, sur un troupeau appartenant à MM. Peÿre 
frères ; étaient présents : M. Martel, alors inspecteur du service 
sanitaire au ministère de l’Agriculture, et M. Arnaud, vétérinaire 
à Arles. 

Pour bien se rendre compte de l’action du sérum en mélange, 
on opéra sur un lot de 60 animaux : 30 brebis et 30 agneaux. 

15 brebis, 15 agneaux reçurent une dilution de virus clave- 
leux conservé au laboratoire depuis ua mois, et dilué au moment 
de l’inoculation dans des quantités variables d’eau physiologique. 

15 brebis, 15 agneaux reçurent le même virus dilué dans 
du sérum spécifique dans les mêmes proportions. 

L'inoculation fut faite à la seringue, toujours à la dose de 
1/10 de centimètre cube à la face interne des cuisses. On ino- 
cula parallèlement des dilutions au 1/20, au 1/100, au 1/500, au 
1/1000. 

Avec la dilution dans l'eau, tous les animaux inoculés, sauf 
2 agneaux, eurent des pustules; il y eut 50 0/0 de généralisa- 
tion; 2 brebis moururent, l’une inoculée au 1/20, l’autre ino- 
culée au 1/1000, 

Avec la dilution dans le sérum, Vinoculation au 1/10600 donna 
0 pustule; l’inoculation au 1/500 donna sur les agneaux 1 pus- 


744 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


tule sur 6; sur les brebis 3 pustules sur 6; au 1/100 et au 
4/20, il y eut des pustules sur tous les animaux, dans aucun cas 
il n’y eut de généralisation. 

Cette expérience prouva une action évidente du sérum en 
mélange, inoculé à la dose de 1/10 de centimètre cube : une 
dilution du virus au 1/500 dans le sérum pouvait donc être ino- 
culée à la seringue sans danger; c’est ce qui fut confirmé 
45 jours plus tard sur 400 bêtes : 200 brebis, 200 agneaux. 

L'inoculation du même virus, plus âgé de 15 jours, dilué au 
1/500 dans le sérum, fut pratiquée à la dose de 1/10 de centi- 
mètre cube sur le thorax, 

Huit jours après, le troupeau fut examiné en détail; résultat : 

45 0/0 de pustules sur les brebis; 

5 0/0 de pustules sur les agneaux; 

Aucune généralisation. 

La dose inoculée était insuffisante. 

Le même jour, on fit aux manquants une nouvelle inocula- 
tion de virus de 1 mois dilué au 1/250 ; résultat 8 jours après : 

60 0/0 de pustules sur les brebis; 

5 0/0 de pustules sur les agneaux ; 

Pas de généralisation. 

La dose inoculée était encore insuffisante; la résistance des 
agneaux vis-à-vis de l’inoculation du mélange virus-sérum était 
surtout remarquable, et ce résultat s’esttoujours confirmé par la 
suite. Pour la troisième fois, les animaux qui n'avaient pas eu de 
pustules furent réinoculés avec une dilution au 1/100 et reçurent 
en même temps, en un autre point, 5 ©. c. de sérum pour 
éviter les chances de contamination possibles si le résultat de 
l’inoculation virulente était encore négatif : toutes les brebis 
eurent des pustules, et environ 60 0/0 des agneaux. 

Ceci peut être donné comme un type d'expérience d’orien- 
tation, mais non comme un type de bonne clavelisation; une 
méthode qui demande, pour être à l’abri de tout accident de 
généralisation claveleuse, 2, 3, 4 inoculations successives à 
8 jours d'intervalle, serait tout à fait impraticable. 

Pour un premier essai sur les moutons de la race arlésienne, 
je tenais surtout à ne pas avoir d’accident de elavelisation, et 
j'avais commencé par des doses très faibles, me réservant 
d'augmenter progressivement ces doses. 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 745 


Je dois surtout remercier les frères Peyre de la confiance 
qu'ils m'ont témoignée en me laissant opérer sur une partie de 
leur troupeau. 

Dans ce même mas et pendant toute la durée de l'expérience, 
200 agneaux, qui avaient reçu préventivement 10 c. c. de sérum, 
restèrent et sont restés indemnes de clavelée. 

De nouveaux essais de séro-clavelisation furent faits ulté- 
rieurement sur d’autres troupeaux claveleux. 

Au grand Manusclat, en Camargue, la clavelée sévissait sur 
un troupeau appartenant à M. Bertrand : 600 brebis, 400 agneaux. 

Une nouvelle expérience d'orientation fut faite d’abord sur 
60 agneaux et 20 brebis, pour déterminer l’action de doses plus 
fortes de virus, et aussi l’action de virus plus ou moins vieux 
Un certain nombre d'animaux furent inoculés sur le thorax. un 
certain nombre à la queue *. 


1° 15 agneaux reçurent à la queue du virus de 1 mois en dilution dans 
l’eau ; 

2° 45 agneaux + à brebis reçurent à la queue du virus de 1 mois en 
dilution dans le sérum; 

3 45 agneaux + à brebis reçurent sur le thorax du virus de 4 mois en 
dilution dans le sérum; 

4° 45 agneaux + 5 brebis reçurent à la queue du virus de 5 jours en 
dilution dans le sérum : 

> 5 brebis reçurent sur le thorax du virus de 5 jours en dilution dans 
le sérum. 


Le lot n° 1 donna 100 0/0 de pustules et quelques accidents de générali- 
sation peu graves. 

Le lot n° 2 donna 100 0/0 de pustules sans généralisation. 

Le lot n° 3 donna 75 0/0 de pustules chez les agneaux, 100 0/0 sur les 
brebis. 

Le lot n° # donna 100 0/0 sans généralisation, 

Le lot n° 5 donna 100 0/0 avec grosses pustules et quelques pustules de 


généralisation sans gravité, 

Cette expérience mit encore en évidence la résistance beau- 
coup plus grande des agneaux; elle montra surtout les avantages 
de l’inoculation à la queue (lorsque celle-ci n’a pas été coupée), 
au point de vue des suites de la clavelisation. 

Les pustules sur le thorax, dont quelques-unes étaient assez 
développées, furent longues à cicatriser (35 et 40 jours), tandis 
que les animaux inoculés à la queue furent rapidement guéris 
par l’amputation de la queue au 18° jour. 


1. Une ampoule. de claveau de 4 €. c. est mélangée à 9 c. c. de sérum, ef 
chaque animal reçoit 1/10 c. c. du mélange, Soit 1/10 c. c. de sérum contenant 
1/100 de centimètre cube de virus. 


48 


746 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


A un autre point de vue, cette inoculation doit encore être 
préférée, puisque le même virus inoculé à la même dose donne 
100 0/0 lorsque l'inoculation est faite à la queue et 75 0/0 
lorsque l’inoculation est faite sur le thorax. 

Le 15 mai, le troupeau tout entier fut elavelisé 


1° 200 agneaux inoculés à la queue avec du virus de 5 jours dilué au 1/100 
dans le sérum et à la dose de 1/10 de c. c. du mélange.; 


2 450 agneaux inoculés à la queue avec le même mélange reçurent en 
plus 2 c. c 5 de sérum au flanc ; 

3° 400 brebis inoculées à la queue avec du virus de 3 semaines dilué au 
1/200 dans le sérum et à la dose de 1/10 de centimètre cube du mélange: 

4 60 brebis inoculées à la queue avec du virus de 5 jours dilué au 1/100 
dans le sérum et à la dose de 1/10 de centimètre cube du mélange. 

50 140 brebis inoculées sur le thorax avec du virus de S jours dilué au 
1/10 dans le sérum et à la dose de 1/10 de centimètre cube du mélange, 


Résultats : Le lot n° 4 cut 100 0/0 de pustules. et présenta au 9° jour 
un certain nombre de généralisations qui nécessitèrent l’inoculation 
de 5 ou 10 €. c. de sérum; la dose était trop forte. Grâce au sérum 
inoculé au 9 jour, il n’y eut aucun accident. , 

Le lot n° 2 donna 100 0/0 de pustules sans généralisation, grâce au sé- 
rum inoculé en même temps que le virus; les dimensions des pustules 
étaient plus petites que celles du lot n° 1. 

Le lot n° 3 montra 95 0/0 de pustules sans généralisation. 

Le lot n° 4 eut 100 0/0 de pustules avec 6 généralisations sérieuses, 
pas de mortalité grâce à l’inoculation de 10 c. e. de sérum au 9: jour. 

Le lot n° 5 eut 90 0/0 de pustules avec 8 généralisations dont 2 mortelles, 
malgré l’inoculation de sérum au 9° jour, 

Cette expérience fut très instructive, parce qu’elle me montra 
le danger possible de l’inoculation des mélanges virus-sérum 
seuls; les résultats en ont été corroborés par ceux d’une expé- 
rience faite parallèlement, au mas de Servane et au mas de 
Paillan chez M. Lafond, sur un nombre égal d’animaux inoculés 
sur le thorax, avec les mêmes doses du même virus. 

Le 3 mai, au mas de Servane comme au Manusclat, une 
expérience d'orientation fut faite, et 143 brebis grasses, donc 
très sensibles, avaient été inoculées au flanc avec du virus de 
1 mois dilué au 1/100 dans le sérum, le résultat 8 jours après 
fut : 

50 0/0 de pustules. Pas de généralisation. 

Le 13 mai, les brebis qui n'avaient pas eu de pustules furent 
réinoculées avec du virus de 5 jours à 1/75 dans le sérum. 

Le même jour, le troupeau principal au mas de Paillan fut 
aussi clavelisé, — Ce troupeau comprenait #80 brebis et 


140 agneaux; plus de 80 brebis ou agneaux avaient déjà été 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 747 


reconnus atteints de clavelée et éliminés du troupeau, 20 étaient 
déjà morts. 

Les brebis furent inoculées sur le thorax, avec du virus de 
3 semaines dilué au 1/75 dans le sérum à la dose de 1/10 de centi- 
mètre cube du mélange. 

Les agneaux considérés comme plus résistants reçurent les 
mêmes doses d’un virus de 5 jours sur le thorax. 

A Servanne, sur les brebis, au mas de Paillan sur les agneaux, 
tous animaux inoculés avec du virus de 5 jours, les pustules com- 
mencèrent à paraître dès le commencement du 3° jour; la dose 
était évidemment trop forte : étant donnée la courte période 
d'incubation, des aceidents sérieux étaient à prévoir; tous ces 
animaux reçurent au 4° jour 5 c. c. de sérum, 

Le résultat de l’inoculation du sérum fut excellent et déjà 
vers le 8° jour on put constater que les pustules étaient flétries, 
nodulaires, en voie de guérison; en effet, ces animaux furent plus 
rapidement guéris que les brebis ayant reçu du virus de 
3 semaines et qui avaient été laissées sans inoculation adjuvante 
de sérum. Grâce au sérum, la vaccination du DAET se trouva 
réalisée dans d’ excellentes conditions et il n’y eut pas un seul 
accident de généralisation. 

A partir de ce moment, et en présence des résultats concor- 
dants obtenus au Grand Manusclat en Camargue et au mas de 
Paillan en Crau, il fut évident pour moi qu’on ne pouvait compter, 
en France, sur l’inoculation de mélanges virus-sérum pour la 
clavelisation certaine des troupeaux infectés : suivant les cas, 
l’âge du virus, la sensibilité variable des animaux, on pouvait 
être exposé à des accidents de clavelisation ou à des insuccès 
trop nombreux. 

Or, en clavelée, les insuccès de vaccination sont à redouter 
autant que les généralisations après vaccination; toutes les expé- 
riences que j’ai faites démontrent que l’immunité n’est acquise 
qu’à la suite du développement de la pustule; des contamina- 
tions vers le 15°, 20° jour seraient certaines dans un troupeau 
où 50,60 0/0 seulement des animaux clavelisés auraient présenté 
des pustules à la suite de l’inoculation du mélange virus-sérum. 

Ces contaminations ne sont plus à redouter si la elavelisation 
se fait avec une inoculation adjuvante de sérum, à la dose de 
5 c. c. en moyenne. Fe 


7148 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


Le sérum n’a que des avantages et un seul inconvénient : 
celui d'élever dans des proportions notables le prix de claveli- 
sation. 

1° Avec le sérum, sur les races ovines du midi de la France, 
on peut augmenter les doses du virus inoculé en mélange avec 
le sérum; on pourra même faire des inoculations à la ot. 
avec du virus pur, sans être exposé à des accidents de généra- 
lisation grave ; | 

2° Les contaminations dans le troupeau infecté ne sont plus 
à redouter; à partir du moment de l’inoculation, les animaux 
encore indemnes ou en incubation de maladie seront sûrement 
protégés ; or en France la clavelisation se fera toujours dans des 
troupeaux déjà infectés; l’inoculation du mélange virus-sérum 
ou du virus seul n’empêcherait nullement le développement de 
la maladie sur les animaux en imminence de clavelée, ou la con- 
tagion pendant les 4 ou 5 jours qui précèdent le développement 
de la pustule de vaccination; de ce chef, le propriétaire du 
troupeau pourrait subir des pertes sérieuses qu'il évitera avec 
l'inoculation du sérum : tel est le cas par exemple très bien mis 
en évidence par la vaccination du troupeau de M. Durieux, au 
petit mas Thibert. Sur 200 brebis constituant le troupeau, 
45 étaient claveleuses ou en incubation de clavelée au moment 
de la vaccination: grâce au sérum inoculé, il y a eu seulement 
2 morts sur ces 45 bêtes, tandis qu'avant l’inoculation du sérum 
3 brebis sur # étaient déjà mortes. 

On ne saurait trop insister sur la nécessité du sérum; en | der- 
nière analyse, le proprétaire du troupeau y trouvera toujours 
grand bénéfice puisque la vaccination est faite une fois pour 
toutes et que l’immunité obtenue par linoculation virulente, pra- 
tiquée en même temps que l’inoculation du sérum, dure toute la 
vie de l’animal, à de rares exceptions près. 

Cette méthode a été appliquée déjà sur un grand nombre 
d'animaux et a donné d’excellents résultats. 

— Au mas de Paillan, le 21 mai, 75 béliers à queue longue 
furent inoculés à la queue avec du virus de 45 jours dilué dans 
le sérum au 1/100, à la dose de 1/10 de centimètre cube du 
mélange ; ils reçurent en même temps 5 c. c. de sérum : résultat 
100 0/0 de pustules uniques sans généralisation. 

Au 17° jour, les queues furent coupées et les animaux guéris 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 749 


plus rapidement que ceux du troupeau principal du même mas 
inoculés au flanc. 

— Le 3 juillet, au mas de Pernes, chez M. Richelme, 900 bre- 
bis, 200 agneaux furent inoculés à la queue avec une dilution de 
virus de 1 mois dans le sérum au 1/100 ; 150 brebis à queue courte 
furent inoculées sur le thorax. Tous ces animaux reçurent au 
flanc 4e. ce. de sérum: le virus avait 1 mois de date, il y eut seu- 
lement 90 0/0 de pustules (les animaux inoculés au flanc avaient 
surtout fourni les manquants). 

30 brebis furent trouvées claveleuses au moment de l’inocu- 
lation, et un certain nombre étaient certainement enincubation 
de maladie. 

La mortalité par clavelée fut nulle: 10 animaux moururent 
d'infection septique, aux dires du propriétaire, à la suite de la 
section de la queue, pendant les chaleurs du mois de juillet en 
Crau. 

— Le3 juillet, au mas de Reillon, le troupeau de M. Eynaud, 
(850 brebis) était atteint par la clavelée; sur 40 brebis déjà 
malades, 16 étaient mortes. 

La clavelisation fut faite sur le thorax avec virus de 8 jours 
au 1/100 dans le sérum, et on donna 5 ce. c. de sérum au flanc. 

Résultat 95 0/0 de pustules; un certain nombre de pustules 
étaient relativement grosses, enflammées soit par les mouches, 
soit par le fumier de la bergerie où le propriétaire avait laissé 
ses animaux, malgré la recommandation contraire; # brebis 
présentèrent des accidents septiques graves et moururent tardi- 
vement. | 

Il ne fut remarqué aucune généralisation claveleuse. 

— Le 5 juillet, à la Mérindole, chez M. Cornille, un troupeau 
de 210 brebis grasses était infecté de clavelée; la mortalité était 
considérabble, Sur 20 malades, 11 brebis étaient déjà mortes. 

La clavelisation fut faite avec le concours de M. Brun. 
10 brebis furent trouvées malades, au début de l’éruption; le 
résultat fut excellent, il n’y eut plus un seul cas nouveau de 
clavelée et les brebis malades au moment de l’inoculation gué- 
rirent rapidement. 

Dans ce même troupeau, se trouvaient 40 agneaux jeunes, 
de 1 à 15 jours, tétant les mères clavelisées; ces agneaux 
devaient être rapidement livrés à la boucherie, ils ne furent pas 


750 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


clavelisés, mais recurent 10 c. c. de sérum anti-claveleux. — 
Tous restèrent pendant 40 jours en contact avec les mères 
malades : aucun ne prit la clavelée; on sait combien les jeunes 
agneaux sont sensibles à l'infection naturelle, et que sur eux la 
mortalité est très considérable : 80. 90 0/0. 

— Le 13 juillet, au petit mas Thibert, chez M. Durieux, un 
troupeau de 200 brebis et 90 agneaux jeunes, étaitatteint par le 
clavelée. Ç 

Sur 3 bêtes malades avant l’inoculation, 2 étaient mortes. 
Au moment de la clavelisation, 15 brebis furent trouvées 
malades, au début de l’éruption claveleuse. Ces brebis reçurent 
10 c. c. de sérum. Le restant du troupeau reçut 5 c. ce. et fut 
inoculé sur le thorax avec du virus de 2 jours au 1/75 dans le 
sérum. Beaucoup de brebis (90) étaient sur le point de mettre 
bas. Les agneaux jeunes furent traités préventivement avec 
10 c. c. de sérum. 

Huit jours après, le troupeau fut revu, les pustules étaient 
grosses; 30 brebis n'avaient pas de pustule de clavelisation, et 
montraient pourtant des pustules discrètes de généralisation à la 
période de sécrétion. Ces 30 brebis étaient donc déjà en incu- 
bation de maladie Le jour de l’inoculation. 

Il y avait donc 45 bêtes en danger, au moment de l’inter- 
vention, et pourtant, grâce aux à ©. c. de sérum, il y eut seu- 
lement 2 nouvelles morts. 

De même les 90 agneaux qui avaient reçu 10 c. e. de sérum 
et n'avaient pas été clavelisées sont restés, comme à la Me- 
rindole, en contact avec les mères claveleuses pendant plus de 
10 jours; aucun cas de clavelée n’estsurvenu jusqu’au moment 
où ces agneaux ont été livrés à la boucherie. 

Il n’est survenu aucun cas de généralisation chez les brebis 
pleines, bien que l’état gravide soit considéré comme une cause 
d’aggravation du processus claveleux; au 10 août, le troupeau 
était complètement guéri. 

Toutes les inoculations et les expériences que je viens de 
rapporter ontété faites par moi-même, et j'ai chaque fois examiné 
les animaux un par un, pour contrôler les résultats de la clave- 
lisation, Depuis, et en employant la même méthode, les vétéri- 
naires d'Arles ont fait de nombreuses vaccinations. 

Le 22 juillet. un troupeau de 75 bêtes fut vacciné par 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 751 


M. Brun avec le même procédé, et dans le courant du mois 
d'août, de nouvelles clavelisations ont été faites par M. Arnaud, 
par M. Brun, par M. Gombert, vétérinaites à Arles, par 
M. Picard, vétérinaire à Saint-Rémy, au mas de Capelle (150 bre- 
bis), au mas de Sourdun (130 brebis), au mas de Mourgues 
(120 brebis), au petit mas de Fontvielle (130 brebis), à Mou- 
riès chez M. Chauvet (150 brebis), [à Maussane (100 brebis), 
etc., etc. 

Dans le courant de l’année, depuis le mois de mars, les 
expériences ont porté sur plus de 10,000 animaux, et la mor- 
talité du fait de la clavelisation a été nulle. 

De tous ces essais, faits dans les conditions les plus diverses, 
avec des virus d'âge différent, conservés à des températures 
variables, avec glycérine et sans glycérine, inoculés avec des 
doses variables de sérum et en des points variés du corps du 
mouton, on peut tirer les conclusions suivantes : 

Le virus claveleux, préparé par la méthode ci-dessus exposée, 
conservé à la glacière, reste assez constant pendant 1 mois au 
moins, Il peut être expédié après addition de glycérine, à con- 
dition d’être utilisé dans les 8 jours. 

L'inoculation du virus claveleux dilué dans l’eau, sans 
sérum, faite à la seringue, doit être considérée comme dan- 
gereuse. 

L'inoculation de virus claveleux dilué dans le sérum, et ino- 
culé à la dose de 1/10 de centimètre cube, ne met pas à l'abri de 
tout accident, si on emploie un virus jeune ou une quantité de 
virus assez grande pour obtenir à coup sûr 100 0/0 de pustules. 

Les agneaux sont beaucoup plus résistants que les adultes 
à l’inoculation de mélange virus-sérum. 

L’inoculation à l'extrémité de la queue sera toujours pra- 
tiquée sur les agneaux à queue longue, et sur les adultes qui 
n’auront pas déjà subi l’amputation de la queue. 

Cette inoculation se fait très simplement lorsque le berger a 
préalablement coupé la laine; la pustule développée est très 
visible, et la section de la queue après développement de la pus- 
tule permet une guérison très rapide de l’animal. 

Sur les animaux à queue coupée, pour linoculation à la 
seringue du mélange virus-sérum, il faut choisir de préférence 
la région costale, en arrière du point où frotte le membre anté- 


to 


13 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 
rieur, à la limite de la région où la peau est fine et glabre 

Cette inoculation doit être très superficielle et donner une 
petite cloque superficielle; on évite ainsi le développement de 
trop grosses pustules susceptibles de s’infecter ultérieurement. 

L'inoculation à la cuisse n’offre aucun avantage. 

L'inoculation à l'oreille n’est pas pratique lorsqu'on emploie 
pour la clavelisation des dilutions de virus dans le sérum, ino- 
culées à la seringue. 

Pour obtenir d’encore meilleurs résultats, au point de vue 
des suites de la clavelisation, je me propose de faire des essais 
d’inoculation à l'oreille, avec le virus non dilué inoculé par de 
multiples pointes fixées autour de lorifice de l'aiguille de la 
seringue qui contient le virus. 

Dans tout les cas, et quel que soit le procédé d’inoculation 
utilisé, la clavelisation ne sera faite qu'avec une inoculation 
adjuvante de sérum (5 c. c. en moyenne), sur les animaux de 


race française, dans les pays où cette clavelisation est néces- 
saire. 


SÉROTHERAPIE ANTI-CLAVELEUSE 


Les expériences de sérothérapie claveleuse que je vais main- 
tenant rapporter prouvent que la clavelisation sera tout à fait 
inutile dans les régions où cette maladie ne constitue qu'un 
accident passager. 

Le sérum, employé seul, suffira pour enrayer le développe- 
ment de foyers claveleux et pour traiter efficacement les trou- 
peaux infectés, de façon à éteindre la maladie. Le traitement 
par le sérum sera toujours beaucoup plus facile et mieux accepté 
que la clavelisation : de nombreuses expériences faites en diverses 
régions de la France, dans le courant de l’année 1902-1903, ont 
montré que l’immunité ainsi obtenue était d'assez longue durée 
pour n’avoir pas à craindre de retour offensif de la maladie: les 
troupeaux traités sont restés définitivement indemnes. 

La première expérience de sérothérapie anticlaveleuse fut 
faite à Caudry, dans le département du Nord, avec le concours 
de M. Eloire, vétérinaire; j'ai rapporté cette RPARPEOE en 
détail dans un mémoire antérieur. 

Au 10 octobre 1902, le troupeau claveleux formé de 
50 moutons était parqué en plein champ: 8 animaux étaient 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 753 


déjà morts, 5 étaient guéris, 17 étaient en incubation de maladie 
ou au début de l’éruption, 17 paraissaient sains. 

On inocula une dose énorme de sérum, 40 ce. c. par tête. 

Le résultat fut parfait, puisque il ne mourut qu'un seul 
animal, le lendemain de l’inoculation ; chez tous les autres, la 
maladie fut enrayée ou empêchée. 

La deuxième expérience fut faite, le 1° novembre 1902, 
chez M. Anselin, avec le concours de M, Stourb, vétérinaire 
départemental, et M. Mignot, vétérinaire traitant. 

Les animaux, au nombre de 154, se répartissaient ainsi : 

36 brebis mortes: 

20 en période du pustulation (4 brebis souchées):; 

62 sains ou au début de la maladie; 

36 en voie de guérison avec pustules sèches. 

Tous les animaux, sauf 27 déja manifestement guéris, 
reçoivent 20c. c. de sérum. 

Le résultat fut encore excellent puisqu’aucune brebis n’a 
succombé, et les malades se sont rapidement rétablies,. 

— Au mois dejanvier 1903, à Anzat-le-Luguet, dansle village 
de Reyrolles (Haute-Loire), un foyer claveleux fut signalé au 
service sanitaire. 

Le village est situé à 1,100 mètres d'altitude, et la neige 
couvrait le sol. 

Le premier troupeau atteint et traité comprenait 22 brebis 
et 13 agneaux. 

Toutes les brebis étaient malades et 4 agneaux sur 12. 

Les brebis reçurent 20 c. c. de sérum, les agneaux 5 c. c 

8 brebis trop gravement atteintes moururent malgré le sérum, 
ainsi que 3 agneaux; les agneaux non malades au moment de 
l'inoculation restèrent indemnes, l'un d’eux têta successivement 
3 mères claveleuses. 

— Le deuxième troupeau de Revyvolles, traité plus tardive- 
ment le 30 janvier, comprenait 58 moutons et 20 agneaux. 

A cette date, M. Pitiot ne put inoculer que les 20agneaux et 
3 brebis à la dose de # c. c. pour les agneaux, de 20 c.c. pour 
les brebis. 

Le 7 février les brebis purent être inoculées, elles étaient 
divisées en 2 lots, l’un de ces lots était resté isolé et paraissait 
indemne (16 brebis), l’autre lot était en pleine clavelée : sur 39, 


754 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


6 seulement furent trouvées indemnes: toutes les brebis reçurent 
10 c. c. de sérum. 

Résultat : 8 morts sur les brebis. Les 16 brebis inoculées 
préventivement sont restées indemnes; 

3 agneaux malades au moment de l’inoculation et n’ayant 
reçu que # c. c. de sérum sont morts; les autres, malgré la 
faible dose de sérum, sont restés indemnes. 

Dans le même village, tous les moutons furent inoculés avec 
10 ou 20 c. c. de sérum, il y avait 239 brebis et 82 agneaux; 
malgré la contagion facile par le voisinage des bergeries et les 
relations des propriétaires, tous ces animaux sontrestésindemnes ; 
au 27 février, le foyer pouvait être considéré comme éteint. 

La mortalité globale dans le village de Reyrolles, traité par 
le sérum, a été de 27 animaux sur 475, soit 5 0/0. 

— Au même moment, sur des troupeaux voisinsnontraités, 
la mortalité était énorme. 252 moutons sur 487 mouraient à 
Plauzat, 47 0/0: 23 moutons sur 37 à Dauzat-sur-Vodable, 
60 0/0 ; il faut savoir que la clavelée, en hiver, à 1,100 mètres 
d'altitude, est particulièrement meurtrière. 

Au mois de mars 1903, un nouveau foyer claveleux fut signalé 
en Auvergne, à Moriat. Je me rendis sur les lieux avec M. Mar- 
tel, inspecteur au ministère, et M. Pitiot, vétérinaire départe- 
mental. 

2 troupeaux communaux etaient atteints par la clavelée, les 
intéressés n’ont déclaré la maladie qu'après avoir eu connais- 
sance des bons résultats obtenus à Reyvolles. 

Le 21 février, au moment de l’intervention du service sani- 
taire, les malades avérés étaient au nombre de 52, sur un total 
de 583 moutons. Il y avait eu 9 morts. 

1% troupeau : 219 adultes, 131 agneaux, 350 têtes. 

2° troupeau : 137 adultes, 92 agneaux, 229 têtes. 

Le 3 mars on comptait 19 morts ; 16 dans le troupeau n° 1, 
3 dans le troupeau n° 2. 

Le 6 mars, 30 morts, — 92 malades. 

L'inoculation du sérum à la dose de 6-7 c. c. fut pratiquée 
le 6 mars sur le troupeau n° 1 (malades et non malades). 

La mortalité totale, malgré le haut degré d'infection du trou- 
peau, n’a été que de 12 0/0. 

Sur le troupeau n°2, les résultats ont été encore meilleurs, 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 755 


parce qu'il était moins infecté au moment de l'intervention. 

Sur 239 bêtes, il y avait 4 morts, 19 malades. 

Cinq cas de mort ont eu fFieu dans la semaine qui a suivi 
l'application du sérum. 

A partir de ce moment la maladie a été arrêtée, 

. La mortalité a été de 2,85 0/0. 

La mortalité pour le village de Moriat a été de 8,8 0/0 ; dans 
les villages voisins, elle a été de 45 et 50 0/0. Le foyer a été 
définitivement éteint. 

J'ai eu l’occasion de faire, à Arles, un certain nombre d’ino- 
culations de sérum seul, à la dose de 5 ou 10 c. c. pour le traite- 
ment ou la prévention de la clavelée dans les troupeaux 
infectés. 

Je signalerai comme particulièrement démonstratives les 
expériences faites sur les agneaux nouveau-nés restés en con- 
tact avec les mères claveleuses. Après l'injection de 10 €. c. de 
sérum, ces animaux très sensibles ont pu rester avec la mère 
infectée et échapper à la contagion jusqu’au moment où ils ont 
été livrés à la boucherie, vers le quarantième ou cinquantième 
jour. 

À la Mérindole, chez M. Cornille, 40 agneaux ont été ainsi 
traités. 

Au petit mas Thibert, 90 agneaux ont été dans des conditions 
identiques. 

— Comme expérience de sérothérapie préventive, je citerai le 
traitement du troupeau de M. Roudier, au mas du Juge, en 
Camargue; vu avec M. Arnaud. 

Le troupeau était formé de 500 têtes : 350 brebis, 150 agneaux ; 
la clavelée avait commencé depuis 15 jours, 4 bêtes étaient 
malades, 1 agneau mort. 

Tout le troupeau fut inoculé le 12 juillet avec 5 ce. c. de 
sérum, et il ne survint plus un seul cas de clavelée; le troupeau 
put passer l'inspection sanitaire et partir en montagne dès le 
vingtième jour. 

À la même époque la clavelée sévissait sur le troupeau de 
M. Rigaud en Camargue : sur 800 brebis, 450 avaient déjà eu la 
clavelée et le troupeau était formé de 2 lots, d’une part les 
brebis malades, d'autre part les brebis encore indemnes. 

Le lot indemne reçut du sérum à raison de 40 €. ce. par 


756 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tête ; depuis :l ne s’est plus produit un seul cas de clavelée. 

La question la plus intéressante et qu'il est encore impos- 
stble de trancher est la suivante : Quelle est la durée de l’im- 
munité conférée par le sérum anticlaveleux ? 

Une expérience de laboratoire permet de conclure qu’elle est 
au moins de 40 jours. et les expériences faites dans les condi- 
tions de la pratique répondent avec certitude que cette durée 
est suffisante pour n’avoir pas à craindre, dans les 2 ou 3 mois, 
un retour offensif de la maladie en cours. 

Il sera intéressant de voir par la suite comment se compor- 
tent les animaux simplement traités par le sérum, vis-à-vis de 
nouvelles réinfections tardives du troupeau après 3 mois, 6 mois, 
! an. Notre conclusion de cette étude sérothérapique sera la 
suivante ; 

Le sérum anticlaveleux, à la dose de 5 ou 10 c. c., suffit pour 
éteindre un foyer claveleux en cours ; il doit être employé seul 
dans les pays où la clavelée n’est pas endémique et constitue 
seulement un accident épidémique. 

En -France, le département des Bouches-du-Rhône et les 
départements limitrophes seuls font exception, et la elavelisation 
peut y rendre de réels services. 

En Algérie, la question est d’un ordre tout différent, la cla- 
velée est une maladie sans importance au point de vue algérien : 
elle sévit toujours et partout sans que les propriétaires des 
troupeaux s'en inquiètent; les animaux porteurs de lésions 
claveleuses insignifiantes ne sont même pas malades et ne ces- 
sent pas de manger; la mortalité est presque nulle sur les 
adultes, les pertes sont appréciables seulement sur les agneaux 
très jeunes, et ceux-ci retireraient grand bénéfice de l'injection 
de sérum anticlaveleux. 

Chez les adultes, il n’y aurait pas à intervenir si les mou- 
tons algériens restaient en Algérie et étaient consommés sur 
place. Mais ce n’est pas le cas, la colonie envoie chaque année 
à la métropole des milliers d’animaux; il n’est pas juste que les 
éleveurs français subissent des pertes considérables du fait de 
la contagion par le virus algérien apporté chaque année avec les 
moutons africains. On s’est. avec juste raison, préoccupé en 
France de cette situation, et Nocard à proposé la clavelisation 
totale du troupeau algérien ou tunisien. 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 751 


Si les éleveurs algériens veulent introduire leurs animaux 
en France et les vendre, ils doivent accepter cette mesure de 
prophylaxie, qui est de toute justice. Tous les animaux algériens 
destinés à l'importation en France devront être préalablement 
clavelisés et guéris, si on veut en finir une fois pour toutes avec 
une maladie très meurtrière pour le troupeau français. 

La clavelisation peut se faire sur les moutons africains 
sans avoir à redouter des pertes sérieuses, à cause de la résis- 
tance bien connue des animaux de cette race ; une longue expé- 
rience a montré qu'avec le virus bien préparé, les accidents sont 
insignifiants ; j'ai fait moi-même quelques expériences sur des 
moutons algériens, importés en Camargue, non clavelisés et 
j'ai constaté qu'avec des doses fortes de virus-sérum (dilution 
au 1/20-1/50) l’inoculation de 1/10 de centimètre cube du 
mélange donnait des pustules nodulaires beaucoup plus rapide- 
ment guéries que les pustules obtenues sur les métis arlésiens 
avec des doses beaucoup plus faibles. 

Quelques expériences préliminaires fixeront rapidement sur 
les doses de virus à employer, et s’il se trouve des espèces par- 
ticulièrement sensibles, on diminuera la dose de virus ou aug- 
mentera la quantité de sérum inoculé. Il sera d’ailleurs tou- 
jours possible d'intervenir avec le sérum, vers le huitième ou le 
neuvième jour, si, sur quelques individus, la clavelisation se 
présentait avec des tendances fâächeuses. 

Cette clavelisation sera peu onéreuse, le prix de revient du 
virus claveau est insignifiant, puisque avec la méthode que j’ai 
indiquée, une seule brebis peut fournir de quoi vacciner plus 
de 200,000 animaux. 

La clavelisation pourra être faite par des clavelisateurs atti- 
trés qui acquerront rapidement une très grande expérience et 
éviteront ainsi des accidents possibles. 

Le succès de la clavelisation pourra être constaté par des 
marqueurs officiels dûment assermentés qui suivront les clave- 
lisateurs à 8 jours, 15 jours ou 3 semaines d'intervalle; eux 
seuls détiendront la marque et l’imposeront uniquement aux 
animaux porteurs de pustules. 

Seuls, les animaux marqués officiellement pourront être 
embarqués et expédiés en France. Il est bien entendu que la 
pustule de clavelisation devra être parfaitement guérie au 


158 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


moment de l’embarquement des animaux, pour qu’on ne soit 
pas exposé à voir ce que j'ai vu, de mes yeux, cet été : arriver 
dans le midi de la France des animaux qui avaient été bien 
clavelisés, mais qui portaient encore à l'oreille les croûtes cla- 
veleuses de l’inoculation. 

La question est plutôt d'ordre administratif que d'ordre 
scientifique ; elle paraït d’une solution facile, si le Gouvernement 
général la prend en main. 

Les conclusions de ce mémoire qui pourrait être intitulé : De 
la lutte contre la clavelée en France, seront les suivantes : 

En Algérie, clavelisation obligatoire de tous les animaux 
destinés à l’exportation,avec marque visible et officielle garan- 
tissant la clavelisation antérieure, datant de 2 mois ou au mini- 
mum de 50 jours. 

Ainsi on évitera les réinfections annuelles des bergeries 
françaises. 

En France, dans les régions où sévit la cnelee d’une façon 
endémique, et où les ar de réinfection sont nombreuses, 
on traitera les troupeaux en cours d'infection, on combinera la 
clavelisation avec le traitement sérothérapique ; les animaux 
seront cantonnés jusqu’à guérison complète. 

Dans le pays où la Le est une maladie accidentelle, on 
se contentera du traitement sérothérapique. 

Si les déclarations sont faites à temps aux services compé- 
tents et si le sérum est employé au début des épidémies, les 
pertes par clavelée seront toujours peu élevées. 

Comme addendum à ce travail, je dois donner les StraCe 
tions nécessaires aux vétérinaires traitants pour l'emploi du 
sérum anti-claveleux ou la pratique de la séroclavelisation. 


SÉROTHÉRAPIE DE LA CLAVELÉE 


Instruction pour l'emploi du sérum anticlaveleux. — Le sérum 
anticlaveleux est fourni par des moutons fortement immunisés 
contre le virus claveleux. 

On le délivre en flacons de 20 et 100 c. c. Il conserve long- 
temps ses propriétés si on le maintient à l’abri de la chaleur et 
de la lumière (à la cave). | 

Avant d'utiliser le sérum, il faut s'assurer qu'il est resté 
limpide; quelquefois le sérum de mouton est opalescent, il peut 


DR ET ENT D 


CORRE: 


AND 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 79 


y avoir un léger dépôt au fond du flacon, mais ce dépôt n'’in- 
dique pas une altération. 

Le sérum altéré devient laiteux et peut avoir mauvaise 
odeur : dans ce cas, il ne doit jamais être employé. 

La technique de l’inoculation et les précautions à prendre 
sont les mêmes que pour toutes les inoculations hypodermiques, 

Emploi d'une seringue préalablement stérilisée, — Plonger la 
seringue et l'aiguille dans de l’eau que l’on fait bouillir pen- 
dant 1/4 d'heure, 

Inoculation dans le tissu cellulaire sous-cutané, de préfé- 
rence au niveau de l’aisselle, sur les parois costales, dans les 
régions à peau fine et propre. 

Ouvrir les flacons avec précaution, éviter la souillure du 
sérum. Lorsque la seringue est à recharger, immerger seule- 
ment l’extrémité de l'aiguille, etc., etc., toutes précautions 
d’aseptie aussi rigoureuse que possible dans les conditions de 
la pratique. 

Les flacons de sérum ne doivent être ouverts qu’au moment 
de l'emploi. Tout flacon débouché doit être immédiatement uti- 
lisé (le jour même). 

Traitement d'un troupeau claveleux. — Dans un troupeau 
claveleux, les animaux peuvent être divisés en 3 groupes : 

1° Les animaux déjà malades, avec éruption ; 

20 Les animaux en incubation de maladie ; 

3° Les animaux indemnes. 

Le sérum sera utile aux animaux à toutes les périodes de la 
maladie. Les animaux indemnes au moment de l’inoculation 
ne prendront pas la maladie ou auront une clavelée légère. 

Les animaux en incubation de maladie auront une clavelée 
moins grave. 

Les animaux inoculés au début de la maladie retireront 
aussi grand bénéfice du sérum, la mortalité sera abaissée et la 
convalescence des animaux qui résisteront considérablement 
diminuée. 

Les animaux à museau enflé, bouffi, rouge, ceux à éruption 
confluente seront surtout difficiles à guérir, et le pronostic res- 
tera toujours grave. 

Il est inutile de donner du sérum aux brebis déjà en voie de 
guérison, période des pustules sèches à croûtes noire. 


160 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


L'action du sérum sera rendue évidente par la comparaison 
des mortalités avant le sérum et après le sérum sur les ani- 
maux déjà malades et sur les animaux encore indemnes au 
moment de l'inoculation. 

Le bénéfice sera d'autant plus grand que la quantité du sérum 
inoculé sera plus considérable. 

10 c. c. en moyenne (par bête) donneront toujours un 
excellent résultat dans le traitement d’un troupeau claveleux. 

Suivant l’état du troupeau, le plus ou moins grand nombre 
de cas déjà constatés, on donnera plus ou moins du sérum. 

10 €. c. dans le cas d’un troupeau où il y aura beaucoup de 
malades. 

5 c..c. si lu maladie est au début et si on a seulement constate 
deux ou trois cas. 

Toujours les malades recevront au moins 10 c. c. 

A titre préventif, dans un troupeau non encore claveleux, mais 
très exposé à la contagion, 3 c. c. suffiront. 


SÉRO-CLAVELISATION 


Dans certaines régions, la clavelée est endémique; les pro- 
priétaires risquent tous les ans de voir réapparaître la maladie 
parce que les troupeaux sont très rapprochés, les chances de 
réinfection nombreuses ; c’est le cas dans le département des 
Bouches-du-Rhône, à Arles, à Salon, par exemple. Il ne faudra 
pas se contenter de l'emploi du sérum à la dose de 5 ou 10 c. c., 
doses qui suffisent pour éteindre la maladie actuelle, mais qui 
ne sauraient suffire pour créer une immunité de plusieurs mois, 
et à plus forte raison de plusieurs années. 

Il faudra combiner la clavelisation du troupeau avec le trai- 
tement sérothérapique. 


Inoculation du sérum. 


L'inoculation du sérum à la dose de 5 c. c. sera toujours 
nécessaire (en France, du moins) d’abord pour éviter des acci- 
dents de généralisation grave, toujours possibles: nécessaire 
aussi (puisque la clavelisation ne se fera que sur des troupeaux 
déjà infectés) pour enrayer la maladie chez les animaux en 
incubation ou pour le traitement des malades. Cette inoculation 


ÉTUDES SUR LA CLAVELÉE. 161 


du sérum sera faite avec une seringue stérilisable et préalable- 
ment bouillie. 

Elle peut être pratiquée soit quelques jours avant la claveli- 
sation, soit en même temps et au même moment, soit quelques 
jours après la clavelisation (1, 2 ou 3 jours). 

IL est simplement plus commode et plus rapide de la faire 
en même temps que l’inoculation virulente, à quelque distance 
du point d’inoculation du virus. 


Clavelisation. 


L'Institut Pasteur fournit du virus claveleux contenu dans 
des ampoules à bouts effilés et fermées à la lampe. Chaque 
ampoule contient cent doses. Avant l’emploi, l’ampoule sera 
soigneusement agitée. 

L’inoculation de ce virus doit être faite après dilution dans 
du sérum anticlaveleux. 

Pour faire cette dilution, 1l est expédié, avec l’ampoule de 
claveau, un tube en verre recourbé {tube à vaccin charbonneux), 
slérilisé et jaugé à°10 c. ec. On introduit dans le tube 10 €. e, 
de sérum, puis on brise avec une pince les extrémités de l’am- 
poule qui contient le virus et on mélange ce virus au sérum. Le 
mélange est soigneusement agité. 

La dose à inoculer par animal est de 1/10 de centimètre 
cube ; une seringue stérilisable à aiguille courte et forte sert à 
faire l'inoculation. 

Lieu de l’inoculation. — L'inoculation sera faite de préférence 
à l'extrême bout de la queue, dans le capuchon terminal, lorsque 
la queue est longue et n’a pas été coupée; l'aiguille sera franche- 
ment plantée dans les tissus eton aura bien soin que le liquide 
pénètre et reste au point d’inoculation. L’inoculation à la queue 
n'a que des avantages. 

Si la queue a été coupée, on fera l’inoculation virulente sur 
la paroi thoracique où la peau est fine et glabre, en arrière du 
point où frotte le membre supérieur, à la limite de la région 
laineuse. L’aiguille sera dirigée parallèlement à la surface, très 
peu enfoncée, de façon à obtenir au point d'inoculation une 
petite cloque superficielle. 


49 


762 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


REVUE DU TROUPEAU SÉRO-CLAVELISÉ 

8 ou 9 jours après l’inoculation, le troupeau sera revu; le 
berger aura fait le triage des vaccinés avec succès et sans succès. 

Au flanc, les pustules sont facilement visibles, elles sont de 
dimensions variables; quelquefois on constatera de simples 
nodules durs, sous-cutanés, qui suffisent à assurer l’immunité. 

A la queue, le succès sera marqué par le gonflement de la 
région, l'aspect violacé de la peau autour de la piqüre. 

S'il y a des manquants, ces animaux seront réinoculés avec 
du virus redemandé à l’Institut Pasteur et, cette fois-ci, dilué 
non pas dans le sérum, mais dans l’eau stérile envoyée dans le 
tube à dilution. 

S'i y a au 9° jour des pustules énormes, flasques, envahis- 
santes, ou des boutons de généralisation sérieuse, il sera bon 
de donner éncore 5 c. c. de sérum ou même 10, si la générali- 
sation est tout à fait sérieuse. Mais le cas se présentera rarement, 

Ultérieurement, les pustules développéesauflane guériront peu 
à peu, au plus en 55 ou 40 jours. A partir du 15°, lorsque la croûte 
de la pustule tombera, on évitera de trop faire marcher les ani- 
maux, on entreliendra de la litière propre et fine, sans toutefois 
curer la bergerieetmettre en suspension des poussières suspectes. 

S'1l y a des pustules qui s’infectent, on les soignera spécia- 
lement, les animaux seront séparés du troupeau, mis au repos, 
et la plaie sera badigeonnée avec de la teinture d’iode. 

Dans le cas d’inoculation à la queue, l'avantage est grand 
et le traitement ultérieur beaucoup plus simple, il suffit de sec- 
tionner la queue à quelques centimètres au-dessus de la pus- 
tule, avec les précautions de propreté ordinaire; cette section de 
la queue peut être faite sans inconvénient à partir du 15° jour. 
Dans le cas où quelques pustules à la queue seraient enflammées 
et si la queue devenait enflée sur une certaine longueur, il fau- 
drait laisser les animaux au repos, badigeonner à la teinture 
d'iode et ne pas couper ces queues infectées. 

Cette méthode de séro-clavelisation, employée déjà sur plus 
de 10,000 animaux à Arles, a donné d'excellents résultats, 

Mortalité parsnlyelée CESSER RER D 

— par accidents septicémiques tardifs.. 2 0/00. 

Ces accidents seront facilement évités, si les précautions de 

propreté ci-dessus indiquées sont bien observées. 


Formation des gites à larves À “AnOpAelES 


en Algérie. 


Par Les D'S Epmoxp Er Kriexxe SERGENT. 


L’extermination des Anopheles, qui constitue, avec la défense 
mécanique des portes et des fenêtres et la désinfection du sang 
des paludéens par la quinine, un des modes de la prophylaxie du 
paludisme, nécessite, pour un pays donné, la connaissance 
précise et complète des collections d’eaux où vont pondre les 
femelles et où s'élèvent leurs larves. 


Ayant visité à plusieurs reprises, et à tour de rôle, un certain 
nombre de localités palustres de l'Algérie, depuis le mois de 
mars jusqu'au moment de la pullulation des Anopheles et de 
l’éclosion des premiers cas de paludisme, nous avons pu ainsi 
nous rendre compte des conditions spéciales de la formation des 
gites à larves d’Anopheles en Algérie. 

L'Algérie, comme on le sait, est traversée de l’est à l’ouest 
par une chaîne de montagnes, parallèle à la mer, l'Atlas qui, au 
nord, descend rapidement jusqu’au rivage. Ce versant septen- 
trional, coupé de ravins et D, de massifs montagneux, cons- 
titue le Tell, qui couvre 1# millions d’ Héctaret. Quelques 
grandes plaines s’étalent au Ses de ces contreforts escarpés : 
la Mitidja, la plaine du Chéliff, la plaine de Bône. Au sud, au 
contraire, l'Atlas se continue sans grands accidents de terrain 
avec les Hauts-Plateaux, surface de 11 millions d'hectares, à qui 
une altitude moyenne de plusieurs centaines de mètres et 
l’immensité d'espaces plats et dénudés donnent un climat assez 
rude, Les Hauts-Plateaux finissent où commence le Sahara 
sablonneux. Le Tell et les Hauts-Plateaux, qui constituent 
l'Algérie proprement dite, sont donc . régions tout à fait 
FAR Re L 

Dans le Tell, nous avons étudié plusieurs localités très palus- 
tres.: dans la-plainé de la Mitidja et dans le Sahel (chaîne: de 


764 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


collines qui sépare cette plaine de la mer), nous avons exploré 
Maison-Carrée, Oued-Smar, Maison-Blanche, la Rhégaïa, l’Alma, 
Gué-de-Constantine, Birtouta, Marengo, Montebello, Chéragas ; 
dans le massif montagneux de la Kabylie, les gares de Thiers, 
Aomar-Dra-el-Mizan, Mirabeau, Ighzer-Amokran, Takrits-Sed- 
douk:; dans le Tell Constantinois, Condé-Smendou. Dans les 
Hauts-Plateaux du département de Constantine, nous avons fait 
les mêmes recherches aux Ouled-Rhamoun, au Khroubs et à 
Oued-Athménia. 

Dans ces diverses localités, nous avons suivi pas à pas l’his- 
toire de la formation des gîtes à larves d’Anopheles. De nos 
constatations, se dégagent les conclusions suivantes : 

En Algérie, les larves d’Anopheles se développent : 

1° Dans les marelles qui restent dans le lit desséché des 
oueds ; 

20 Dans les sources servant à l'alimentation des indigènes; 

30 Dans les canaux, ou réservoirs artiäciels, mal entretenus ; 

4° Dans les oueds à bords herbeux et à faible courant. 


I. — Collections d'eau formées dans le lit desséché des oueds. Le 
cours des oueds algériens est tout à fait inconstant (Oued Soum- 
mam, Oued Djemaa, Oued Isser, Oued Bougdoura, Oued Bou- 
douaou, Oued Harrach). Dans un lit de sable ou de galets d’une 
largeur qui atteint parfois plusieurs centaines de mètres, le 
cours d'eau très réduit, qui subsiste en été (quand :il subsiste), 
n’occupe pas invariablement chaque année la même place. Tantôt 
d’un côté, tantôt de l’autre de son lit, il laisse à sec une grande 
étendue de terrain, jamais la même chaque année. Les flaques 
d’eau, qui y persistent, sont très variables comme étendue, 
comme durée et comme position. Elles sont en général peu 
profondes et disparaissent dans le mois d’août. Mais elles ont, 
depuis les premières chaleurs, donné naissance à des myriades 
d’Anopheles qui détermineront l'éclosion des premiers cas de 
paludisme du mois de juillet. D’autres mares persistent tout l’été 
parce qu’elles sont entretenues par de petites sources à faible 
débit qui sourdent entre les galets (Oued Djemaa, près de la 
gare d’Aomar-Dra-el-Mizan; Ighzer Tazdéi, près de la gare de 
Takrits-Seddouk), ou qui sortent du sable fin (Oued Soummam, 


FORMATION DES GITES ALARVES D’ANOPHELES, 765 


près d'Ighzer-Amokran, Oued Harrach au Gué-de-Constantine). 
D'autres mares persistent une bonne partie de l’été parce qu’elles 
sont contenues dans une cuvette de même niveau que l’oued 
qui coule, très réduit, à côté (Oued Boudouaou, près de la gare 
de l'Alma), ou lorsque l’oued est complètement à sec, parce 
qu'elles sont situées sur une couche d'argile imperméable 
(Oued Chaaba, près de la gare d’Aomar-Dra-el-Mizan ; Oued 
Delfa, près de la station de l’Oued Smar). Ces mares formées 
dans les lits des oueds ont une eau ordinairement assez pure : 
une végétation spéciale y croît (spirogyres), précédant la pullu- 
lation des Anopheles. 

IL. — Dans les sources qui servent à l'alimentation des indigènes, 
les Anopheles pondent de bonne heure, dès le mois d’avril 
(Thiers, Ighzer-Amokran) ou de mai (Chabet-es-Céid, près de 
Condé-Smendou). Ces sources ne recoivent aucun soin des 
indigènes; toujours des mares de déversement séjournent en 
contre-bas et servent d’asile à des larves de Culicides (Mirabeau, 
gare des Ouled-Rhamoun, Chabet-es-Céid, Thiers). Mais la 
source elle-même est le gîte primitif des larves. Une végétation 
abondante croîtsurses bords (capillaires, etc.). De larges pierres, 
placées aux alentours, permettent d’y accéder sans mettre les 
pieds dans la vase. Généralement ces pierres n’ont pas été pla- 
cées par les indigènes insouciants, mais datent des Romains, et 
l’on voit parfois à leur surface un creux formé depuis des siècles 
par la cruche qu'on y pose. Ainsi, en pays arabe, la source sans 
laquelle ne saurait exister une agglomération humaine est en 
même temps la cause indirecte d’insalubrité de la région, en 
servant de réceptacle aux larves d’Anopheles. 

IIT. — Mais dans les localités que nous avons visitées, ce 
sont surtout les canaux et les réservoirs d’eau de toutes sortes que 
l'homme a construits, et qu’il a mal entretenus ensuite, qui 
fournissent les Anopheles. 

Ce sont d'abord les barrages (Chéragas, la Rhégaïa). Leurs 
bords sont couverts de végétation aquatique donnant asile à des 
multitudes de larves d'Anopheles. Ce sont aussi les canaux dits 
d'irrigation (à V'Alina, Oued Smar, Maison-Blanche, aux Ouled- 
Rhamoun, au Val d'Or, près de l’Oued-Athméma, à 1 Oued 
Terro, près de la gare de Birtouta). Ces canaux proviennent 
soit de barrages, soit de rivières; ils sont à courant très faible 


766 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ou nul. Ce sont souvent des lits artificiels aménagés pour des 
rivières qu'on a détournées de leur lit (Oued Terro, Oued Smar). 
À la gare des Ouled-Rhamoun, les gîtes exclusifs des larves 
d’Anopheles sont de petits canaux de détournement parallèles à de 
grands canaux d'irrigation à courant très rapide, Ces canaux de 
détournement servent à l'irrigation des prairies et des luzer- 
nières voisines. L'eau qui y séjourne dans l’intervalle de chaque 
irrigation provient d’infiltrations du grand canal voisin. Ces 
infiltrations sont causées par l’obturation incomplète, avec de la 
terre grossièrement tassée, des ouvertures créées dans la sépa- 
ration entre les deux canaux au moment de l'irrigation. A la 
gare des Ouled-Rhamoun, ces petits canaux constituent les 
seules collections d’eau qui fournissent les Anopheles de la région, 
très nombreux dans toutes les habitations des employés de la 
gare. 

Des trous d’eau, repaires de larves d’Anopheles, sont amé- 
nagés artificiellement autour des briqueteries. A Maison-Carrée, 
les mares creusées de main d'homme pour extraire la terre 
glaise fourmillent de larves d’Anopheles. L’insalubrité de la gare 
de Birtouta n’est due qu’à la présence de mares à eau constante 
situées à 170 mètres des habitations et qui ont été creusées 
anciennement dans le but d'extraire aussi de la terre glaise. 

Enfin, des bassins où on laisse croître une végétation luxu- 
riante, comme au jardin d’'Essai, au Hamma près d’Alger, 
servent d'asile aux larves. En contre-bas du village de Thiers, 
un abreuvoir abandonné dans l’eau duquel eroissent à l’aise les 
spirogyres, sert de repaire aux larves des Anopheles qui infestent 
le village. 

IV: — Oueds à bords herbeux, à faible courant. Les Anopheles 
peuvent choisir comme lieu de ponte les bords des oueds, garnis 
d'herbes qui ralentissent le cours de l’eau. Dans l’Oued Bou- 
douaou (à l’Alma), lOued Harrach (au Gué-de-Constantine), 
dans l’Oued Boutrik (àl'Oued-Smar), nous avons souventrecueilli 
des larves d’'Anopheles. Mais lorsque le courant de l’oued est 
rapide, même en plein été (Oued Soummam, Oued Boumerzouk 
à la gare des Ouled-Rhamoun), et dépourvu d'herbes, jamais on 
n’y rencontre de larves d’Anopheles. 


FORMATION DES GITES A LARVES D'ANOPHELES. 167 


Distance à laquelle peuvent voler les  Anopheles de leur lieu 
d'éclosion. 

La distance séparant les mares à Anopheles des habitations 
dans lesquelles se rendent ces insectes une fois adultes est, en 
général, de 100 à 300 mètres. Il peut se trouver que cette dis- 
tance soit plus courte : Oued Rhégaïa passe tout près du village 
même de la Rhégaïa. Certaines maisonnettes de la gare des 
Ouled-Rhamoun ne sont qu'à 40 mètres du canal 'infesté de 
iarves. L’abreuvoir qui fournit les Anopheles du village de Thiers 
est à quelques mètres seulement des premières maisons. Sur le 
bord des oueds, on voit quelquefois des fermes imprudemment 
situées à 5 ou 6 mètres du lit où se forment les mares. 

A la gare d’'Ighzer-Amokran, nous avons pu observer que 
les Anopheles recueillis dans les chambres de cette gare prove- 
naient de mares situées à un kilomètre. Cette gare est absolu- 
ment isolée au milieu de la vallée de la Soummam : en juin, de 
nombreux adultes mâles et femelles d’Anopheles se trouvaient 
dans les habitations. Les environs de cette localité avaient été 


soigneusement examinés en avril et en mai; aucune mare, 


aucüne eau stagnante n'existait autour de la gare dans un rayon 
inférieur à 1,000 mètres, sauf la citerne de la gare, attenante 
aux habitations et où jamais nous ne recueillimes aucune larve. 
A un kilomètre à l’est, se trouvaient des mares, dans le lit dé 
l’Oued Soummam, mares renfermant des larves d’Anopheles. Le 
19 juin seulement, les Anopheles adultes firent leur apparition 
dans les chambres de la gare, Ils provenaient sûrement de ces 
mares distantes d’un kilomètre. Il était à remarquer que ces 
insectes ne paraissaient pas avoir souffert d’un si long trajet, 
leurs ailes et leurs différents appendices étaient intacts, comme 
chez les insectes venant d’éclore. 


M 


Les dates d'apparition des prenrières jeunes larves d’Anopheles 
varient selon les différents climats : 

Sur le littoral, au jardin d’Essai près d'Alger, nous avons pu 
recueillir deslarves d’Anopheles tout l'hiver. Le climat humide et 
la température égale du bord de la mer permettent aux Culicides 
d’hiverner à l’état larvaire. 

Dans la plaine de la Mitidja, les premières jeunes larves appa- 


768 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


raissent dès le commencement de mai (Maison-Blanche, Marengo, 
Alma), en mars à la Rhégaïa, 

Dans certaines localités de la Kabylie (Mirabeau, Takrits- 
Seddouk), les larves ne sont apparues qu’en juin. Dans 2 sources 
de la Kabylie (à Thiers et à Ighzer-Amokran), les larves se 
montrent dès le mois d'avril. | 

Sur les Hauts-Plateaux, l'apparition des larves se fait au mois 
de mai (Oued Athménia), ou seulement en juillet (canaux voisins 
de la gare des Ouled-Rahmoun). Dans cette dernière localité, 
nous visitèmes attentivement,en avril, mai, juin, toutes les col- 
lection d’eau avoisinant la gare, dans un rayon supérieur à un 
kilomètre. Nous ne pümes recueillir aucune larve d’Anopheles. Le 
3 juillet, de nombreux adultes femelles furent pris dans les 
chambres de la gare. C'étaient les femelles hivernantes qui. pour 
pondre, venaient se repaître de sang ‘. Aucune larve n'existait 
alors dans le voisinage. Ce ne fut que le 17 juillet que de très 
jeuneslarves(3 millimètres delongueur) furent capturées dansun 
petit canal voisin, lequel avait été examiné avec soin à toutes les 
visites précédentes, sans succès. 

* 


ET 
DA 
2) 


2 
2 


Les moyens de S'opposer à la présence etau développement des larves 
d’Anopheles, dans les différentes sortes de gîtes que nous avons 
étudiés, différeront naturellement selon la nature de ces gîtes : 

1° Les collections d’eau formées dans le lit desséché des 
oueds seront comblées; comme elles n’ont pas en général une 
très grande étendue, ce procédé sera facile et peu coûteux. Il 
faudra faire une surveillance exacte du lit de l’oued tout l’été. 
Lorsque ces mares sont entretenues par des sources, le comble- 
ment n’est pas praticable, il faudra verser du pétrole à leur sur- 
face : 

20 Les sources servant à l'alimentation seront captées, recou- 
vertes en maçonnerie eton empêcherale développement de toute 
végétation aquatique : 

3° Les barrages seront débarrassés plusieurs fois par an des 

herbes qui croissent sur leurs bords, et seront pétrolés tous 
les 15 jours pendant la saison dangereuse. On pourrait y élever 
des poissons rouges destructeurs de larves, ce qui n’empêcherait 


1. On sait que les Anopheles femelles ont besoin de sucer du sang pour que 
leurs organes génitaux internes fonctionnent, 


FORMATION DES GITES A LARVES D’ANOPHELES. 169 


pas de verser du pétrole à leur surface, ce dernier ne causant 
aucun dommage au poisson. 

Les canaux dits d'irrigation seront récurés de la même façon 
et pétrolés. Il serait bon de leur faire un lit en maçonnerie, sur 
lequel la végétation aurait moins de facilité pour croître. Dans 
certains canaux des plaines ou des Hauts-Plateaux, dont l’eauest 
presque stagnante, des poissons rouges seraient d’une certaine 
utilité, 

Les mares des briqueteries seront comblées ou nettoyées. 
Dans le cas de réservoirs mal entretenus, comme l’abreuvoir 
signalé au village de Thiers, l'autorité communale n’a qu’à 
ordonner des soins élémentaires de nettoyage; 

4° Les bords herbeux des oueds algériens pourraient être 
endigués. En Sologne,dansle Loiret,une des causes ayant progres- 
sivement amélioré l’état d'insalubrité du pays est l'endiguement 
des rivières, Mais en Algérie, où les cours d’eau sont des torrents 
en hiver, comment proposer ces endiguements ? Quand il s’agit 
d’un lit comme celui de la Soummam, qui atteint 1 kilomètre de 
largeur en certains endroits, on ne peut songer à entreprendre 
ces travaux. Mais, dans certaines conditions, des travaux de 
ce genre seraient d'une utilité considérable, L'Oued Isser, 
près de Thiers, augmente tous les ans la largeur de son 
lit, laissant chaque été à découvert une zone dangereuse 
chaque fois plus grande. En quelques années, cet oued a forcé 
la route carrossable, primitivement parallèle à son cours, à faire 
un détour pour éviter son action destructive (entre Thiers et la 
gare de Dra-el-Mizan). Des vignobles, des plantations d’orangers 
ont été rongés. On voit, dans lelit même de l’oued, des orangers 
et des plants devigne quel’impétuosité du torrent a fait descendre 
du talus bordant son cours. En creusant à l’oued Isser, en ce 
point, un nouveau lit endigué, loin du village, en l’empêchant de 
décrire des courbes, ou améliorerait certainement les conditions 
hygiéniques dela région. Ilyaainsiun grand nombre delocalités, 
où la régularisation du régime des oueds se trouverait servir les 
intérêts économiques en même temps que la prophylaxie du 
paludisme. 

On voit qu’en résumé la suppression des larves d’Anopheles est 
praticable sur bien des points en Algérie. Elle doit naturellement 
constituer le procédé de choix, dans cette région. 


REVUES ET ANALYSES 


L'ALCOOL & SES DROITS NATURELS 


I. — L'ALCOOL. 


Préambule 


Je voudrais parler un peu de l’alcool, et le faire sans déclamation. 
Je voudrais dire ses droits, ceux qu'il tient de son existence, de 
sa nature et de ses propriétés. Je voudrais parler aussi de la façon 
dont on les respecte, ou plutôt dont on les méconnaît. Tout cela, s’il se 
peut, sans me brouiller avec personne. Cela m'est possible : je crois 
que je peux promettre de ne pas me fâcher. De plus, je suis seul; je n’ai 
autour de moi ni publie, ni école, ni disciples. Mes convictions théori- 
ques sur la question sont tranquilles et perdent à se mélanger de pas- 
sion. Je proteste d’un autre côté queje ne fais aucun commerce de vin 
ou d’eau-de-vie, que je n’ai nulle part une parcelle de vigne. Je ne suis 
ni un buveur ni un abstinent. Il n'y à donc, dans mon cas, rien qui 
incite, et qui m'oblige à être autre chose que clair; heureux si j'y 
réussis. 

Ma besogne ne sera pourtant pas très facile, si j'en juge par les 
quelques douzaines d’aimables horions que j'ai déjà récoltés depuis 
que je suis entré dans ce champ bien gardé. Si je ne suis pas pas- 
sionné, j'ai affaire à un public qui l’est d'ordinaire. Je ne parle pas 
seulement de ceux qui trouvent toujours la place bonne pour y loger 
un sermon, et qui ratiocinent. Je parle aussi de ceux qui raisonnent 
juste jusqu’au moment où ils découvrent que leur raisonnement va 
droit contre leurs intérêts ou leurs passions, ce qui les fâche, Il y en a 
à tous les étages. Voici l’État, par exemple. Il dresse bien l'oreille et s’in- 
quiète lorsqu'on lui parle des dangers de l’alcoo!, de la dégénérescence 
de la race, de folie, de tuberculose. Mais proposez-lui de renoncer à 


4, Extrait du Sziécle et des Annales de l'Institut Pasteur, novembre 1905. 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 771 


l'impôt qu'il tire de ce poison, et vous le verrez réfléchir. Le Parlemen 
apporte de son côté, toutes les fois qu'il discute ce sujet, les convictions 
du vent qui souffle, et ilen fait une salade admirable. C’est lui qui a 
créé l'alcool de la nature et celui de l’industrie, l'alcool du Nord et 
celui du Midi, du grand et du petit bouilleur de cru, du riche et du 
pauvre. Le publie, lui, se garde bien de laisser ses représentants en 
reste d’incohérence. Comme il n’a de responsabilité que vis-à-vis de 
lui-même, il fait ce qu’il veut, ou bien ce qu'il peut. Il ne se préoccupe 
guère de mettre sa conduite en rapport avec ses principes, car, au 
fond, il ne sait pas s’il a des principes. Mais il veut qu’on les respecte. 
Des ligues, qui pontifient, se créent pour cela. Il aime les boissons 
alcooliques; la preuve en est qu’il continue à les payer aux prix extra- 
vagants que leur fait l'impôt, Mais, malgré les prèches et les pontifes, 
cet amour ne l’a heureusement pas encore rendu intolérant, et, quand 
on est buveur, on a plus de chances de dîner en paix à côté d’un absti- 
nent qu'avec un ennemi des juifs ou des congrégations. 


Tous ces gens-là ne savent past Tâchons de leur dire des choses qu'ils 
comprennent, et où ils sentent cette part de vérité qui s'impose à tous, 
Un homme averti en vaut deux, dit le proverbe. Il en vaut encore bien 
plus quand c’est lui qui s’avertit lui-même. Mais comme la question 
de l’alcoo!l n’est pas neuve, et a été beaucoup discutée, elle s'est beau- 
coup compliquée. Nous allons l’examiner sous ses différentes faces, et 
pour cela reprendre les choses de loin. | 


I. — RÉHABILITATION DE L'ALCOOL. 
L'alcool est un aliment. 


Je commencerai mon exposé en disant que l’alcool doit désormais 
ètre regardé comme un aliment, au même titre que l’amidon, la graisse 
et le beurre, Je ne saurais cacher le plaisir que j'ai à pouvoir parler 
ainsi. L’alcool a eu si longtemps une réputation douteuse. On lui savait 
bien gré du genre de plaisir qu’il donnait. Des centaines de poètes bibe- 
ronnants, faisant rimer Vénus et Bacchus, célébraient bien ses mérites, 
Mais il y avait toujours quelque chose d'équivoque dans les hommages 
qu'on lui rendait, et encore aujourd’hui ceux qui avouent le vin 
n’avouent pas aussi facilement l’eau-de-vie, On dirait qu’il s’agit d’un 
commencement d’attentat à quelqu'un ou à quelque chose. Maintenant, 
pourtant, l’alcool peut s’avancer fièrement et dire : « Je ne suis pas 
seulement agréable : je suis utile. Utile dulci! Je suis peut-être l’ali- 


172 REVUES ET ANALYSES. 


ment qui possède au plus haut degré ce double caractère. Rendez- 
moi le rang et la considération dont vous m'avez injustement privé 
jusqu'ici ! » 

Cette révolution de palais date de l’époque où MM. Atwater et 
Benedict se sont demandé sérieusement ce que c'était que l'alcool. Ils 
n’ont pas perdu leur temps en raisons démonstratives. Ils ont dit : 
l'alcool est un aliment, parce qu’il remplace très bien, dans la nour- 
riture, des aliments authentiques, tels que le beurre ou l'amidon. Bien 
entendu, il ne faut pasaller chercher la viande commeterme de compa- 
raison : la chair contient de l’azote. Mais la graisse n’en contient pas. 
Prenons donc trois jeunes gens bien portants ; habituons-les à un 
régime dans lequel entrent des aliments variés, à des doses telles que 
ce régime soit hygiénique, que le sujet n’engraisse ni ne maigrisse 
pendant la durée de l’expérience, qui est de plusieurs jours. À ce 
moment, supprimons dans ce régime le beurre et la graisse : rempla- 
çons-les par de l’alcool, venant du vin ou de l’eau de-vie. Si cette 
substitution est faite de façon que la quantité d'alcool introduite 
dégage, dans un fourneau ou dans une lampe, autant de chaleur que 
le beurre ou l’huile supprimés, le sujet s’en apercevra bien à la saveur 
de ses aliments; mais son régime continuera à être hygiénique, et son 
poids restera stationnaire aussi longtemps qu’on le voudra. Il engrais- 
sera si on lui donne plus d’alcool que n’en comporte le barème; il 
pourra maigrir si on lui en donne moins. Bref, l’alcool se comportera 
avec lui comme un aliment non azoté quelconque, et la conclusion de 
l'expérience est d'autant plus amusante dans son imprévu que sur les 
trois sujets de M. Atwater, il y en avait deux qui, abstinents, ne con- 
naissaient l’alcool que par les livres. 


Je ne suis pas dans le secret des dieux ; mais je me figure volon- 
tiers que cette constatation a dû surprendre quelques-uns de ceux qui 
avaient déployé tant de talent pour la faire. MM. Atwater et Benedict 
travaillaient d’accord avec une Commission de savants et de personnes 
influentes, qui n’auraient pas été américaine si lesquestions d’alcoolisme 
avaient été absentes des préoccupations de tous. Si par hasard on 
allait trouver que cet alcool, condamné pour tant de crimes, était aussi 
condamné par la science et n’était pas un aliment! Mais malgré cette 
préoccupation, dans la commission, le mot d’ordre était resté viril : 
« Cherchons la vérité. » Et on avait, en effet, cherché de façon telle, 
que cette enquête est une des plus belles œuvres du siècle. Quand il a 
fallu en publier les résultats, on ne peut pas dire que M. Atwater ait 
écrit un mot pour en atténuer ou en masquer la véritable signification 
scientifique. On sent pourtant qu'il a rencontré de la résistance, qu'il a 
düsubir souvent, dansdes conférences, la cross-examination de quelque 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 173 


farouche buveur d’eau, qu'il était, lui aussi, préoccupé de l’alcoolisme, 
et qu'il lui à fallu un certain courage, à lui et à sa commission, pour 
venir dire que tout l'argent attiré et dépensé dans cette sorte de croi- 
sade avait abouti à la victoire de l'ennemi. 


Pourquoi l’alcool est un aliment. 


Si net que soit ce triomphe expérimental, je ne voudrais déjà plus 
m'en contenter. Il ne suffit pas d'apprendre, il faut aussi comprendre. 
Que vient faire, dans ce qu'on pourrait appeler la règle d'Atwater, 
cette condition de quantités égales de chaleur dégagées par les quan- 
tités de divers aliments qui sont équivalentes? On comprend bien 
qu’elle soit faile pour régler l'appétit d’une machine à vapeur, et 
qu'une locomotive soit également satisfaite lorsqu'on lui sert des quan- 
tités de bois, ou de pétrole, ou d’alcool dégageant dans le même temps 
la même quantité de chaleur dans le foyer. Mais nous sommes un peu 
atteints dans notre dignité quand nous voyons que l’alcoolse comporte 
dans notre estomac comme dans un fourneau d'automobile, Nous vou- 
drions bien savoir pourquoi. Et il est certain que cette connaissance 
donnerait une assiette solide à toutes les déductions, encore un peu 
confuses, que nous avons à tirer de nos études sur l’alcool, Essayons 
de montrer que ce n’est pas un simple hasard qui l’a fait apparaître 
au rang des aliments, avec les caractères qu'il présente, qu'il y est à 
une place qu'aucun autre aliment ne peut prendre, et que, par suite, 
l'alcool n’est pas un aventurier, un rastaquouère cherchant fortune. 
C’est un des enfants de la famille, quelque chose comme le fils aîné. 
Mais la chose est délicate, et nous ferons bien d’insister. 


Quand nous songeons à notre alimentation, à notre ventre, nous 
sommes les rois de la nature. Nous comptons avec elle comme si nous 
en avions fait le tour, avec pleine liberté dans notre choix d'aliments, 
laissant à nos organes le soin de se débrouiller au milieu de ce qu’on 
leur présente. La vérité est que, là comme partout, nous marchons 
guidés par des lisières et maintenus par la loi profonde des choses. 

C'est une loi du monde que nous habitons, que la nourriture est 
faite par le soleil. Avec sa chaleur, avec les éléments de l’eau et de 
l'acide carbonique de l’air, les plantes éditfient un peu de matière orga- 
nique variée, qui, d'abord très simple de structure, soluble dans l’eau, 
se complique peu à peu, par apport d'éléments nouveaux, à la façon 
d’une dragée qui grossit. Apport de matière, apport de chaleur. Ils se 
font toute l’année sur la plante, sans que nous y fassions grande atten- 
tion. Nous n’avons conscience de ce travail que lorsqu'il s'achève, 


774 REVUES ET ANALYSES. 


lorsque la floraison est terminée, et que la plante, qui a presque ter- 
miné sa croissance, commence à songer à l’an prochain en mûrissant 
ses fruits et ses graines. C’est alors que nous intervenons d'ordinaire, 
et que nous confisquons ces provisions pour nous. 

Nous nous en croyons les maîtres : nous subissons, au contraire, les 
arrêts de leur destinée. C’est, en effet, encore une loi de notre monde 
que ces denrées, que nous avons récoltées ou moissonnées, ont été 
bâties sur un type commun, et faites des mêmes éléments diversement 
arrangés. Il y a partout, de la cellulose, de l’amidon, du sucre, du glu- 
ten, de la caséine, et quand on y regarde de près, on constate que ces 
aliments parfaits sont presque une seule et même chose. Ils sont tous 
des sucres diversement déguisés. La nature s’est visiblement donné de 
la peine pour varier ses formes sous l’unité du fond, Elle a, par 
exemple, délicieusement joué avec l'azote, pour faire ses matières 
albuminoïdes, fondement essentiel de la vie. On est tout surpris de 
voir, quand on les étudie, que si ces corps contiennent dans leur 
molécule des éléments d’un autre type que le sucre, ce n’est qu’en fai- 
bles quantités, et que le plan général n’en est jamais masqué. Bref, 
les choses sont faites et bien faites pour nous-faire illusion, mais nous 
ne sommes que des mangeurs de sucre. 

Cette loi imprévue de notre alimentation nous en découvre à son 
son tour une autre. D'aussi vieux mangeurs de sucre, sous ses diverses 
formes, doivent être devenus du sucre, sous ses diverses formes. 
Notre sang et nos muscles sont du sucre. Notre cerveau, chargé de 
l’administration de nos idées, est du sucre. Nous ne savons pas, bien 
entendu, ce qui résulte de cela, Nous nous représentons volontiers que 
nous serions autres, de forme et de fonction, si nous étions bâtis sur 
un autre type, par exemple sur celui de la benzine ou de l’acide phé- 
nique. Mais on voit jusqu'où s'étend l’autorité de ces lois de nutrition. 
Nous n’en avons pas fini. 

Ce sucre et les diverses formes élémentaires que nous avons énu- 
mérées ne sont peut-être pas des formes parfaites. Il faudrait avoir 
du fétichisme envers cet être inexistant, la nature, pour le croire. 
Elles sont seulement les formesles plus perfectionnées, les plus com. 
plexes que le végétal ait pu réaliser dans ses opérations de construc- 
tion. Ce sont les plus beaux et les meilleurs produits du chantier ouver 
chez tout être vivant, Mais il y en a d’autres, chez l’animal comme 
chez le végétal, Il y a ceux qui ne sont pas terminés et qui élaient en 
voie d'achèvement quand on a saisi le chantier. Il y a aussi ceux qui 
ont dépassé le maximum et qui commencent à descendre, parce que la 
plante vit d’eux, par conséquent les consomnie, et qu’on ne peut vrai- 
ment pas l'empêcher de toucher à ce qu’elle a fait de meilleur pour 
les autres. La gourmandise est une qualité des plantes. À côté de ses 


es 


Lot 


Eros 


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24.0 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 175 


sucres, la plante fournira donc au consommateur des produits en train 
de devenir des sucres, et d’autres corps en voie de retour vers les maté- 
riaux initiaux de toute construction, l'eau et l’acide carbonique. Il y 
aura des substances non encore édifiées, et d’autres en voie de destruc- 
tion, Or, une molécule de sucre pèse 180, Elle est faite de carbone, 
d'hydrogène et d'oxygène. Quand elle veut l’édifier ou la détruire, la 
nature ne peut pas faire ce qu’elle veut et opérer par infiniment petits. 
Ses moellons de carbone pèsent 12, ceux d'hydrogène 1, ceux d'oxygène 
16. Généralement elle ne les ajoute pas ou ne les retranche pas un à 
un. Elle opère par groupes de deux ou trois, et cela gène encore son 
travail d’architecte ou favorise son travail de démolisseur, Bref, on 
comprend que ces molécules incomplètes ou décomplétées de sucre 
soient peu nombreuses, qu’elles soient les mêmes pour la construction 
et la destruction, et qu'à la proposition simplicative : « C’est partout 
du sucre », nous puissions joindre celle-ci : « Ce sont toujours les 
mêmes produits peu nombreux de simplification du sucre. » 

Ce qu'il y a d’amusant, quand on a chaussé une idée juste, c’est la 
facilité avec laquelle on marche. Notre raisonnement s'applique évi- 
demment aux microbes, qui sont d’aussi admirables destructeurs de 
matières que les végétaux supérieurs en sont les merveilleux cons- 
tructeurs. Les produits de digestion sont donc aussi des produits de fer- 
mentation. Voilà, résumés en dix mots, vingt ans d’effort et de travail. 
Pasteur y est tout entier, et nous retrouvons ici, droit sur ses jambes, 
et un peu ironique, l’alcool quise dresse à son rang, juste à côté du 
sucre. L'alcool est un produit de la digestion des sucres, et n’est pas 
sûr de n’en pas consommer celui qui n’en boit pas, La nature semble 
nous poursuivre avec lui dans sa course vers l’amidon et les sucres, 
et dans la dégradation de ces produits. Elle nous crie : « Si tu n’en 
veux pas pour l'aller, tu en trouveras au retour. » Mais nous ne vou- 
lions pas la comprendre. Nous vivons pourtant de cette vérité ! 


Pourquoi l’alcool est un bon aliment 


Nous aurons tout à l'heure l’occasion de dire à l’alcool quelques 
vérités moins à son avantage. Reconnaissons pour le moment que 
notre enquête, impartiale parce que scientifique. a {ourné jusqu'ici en 
sa faveur. Il est impossible de lui dénier une part de la considération 
légilime que nous accordons à notre pain quotidien. Mais, comme 
tout à l'heure, je prétends encore à mieux pour lui. Je prétends que 
du moment où il est aliment, matière d’un travail de digestion, il n’y. 
en a pas en mesure de lui disputer le premier rang, comme puissance 
nutritive, et qu’il dépasse même les sucres sous ce rapport. 


776 REVUES ET ANALYSES. 


Pour nous en convaincre, étudionsla plus connue de ces séries de 
produits alimentaires que les plantes fabriquent, soit pour nourrir les 
autres, soit pour se nourrir elles-mêmes, avec une abondance et une 
régularité qui sont le privilège des usines bien engrenées. En tête de 
la série, nous trouvons d’abord :a substance que la nature a élevée 
au plus haut degré d'organisation : c’est la cellulose, depuis celle du 
bois à brûler jusqu’à celle de la salade, qui forme en quelque sorte le 
squelette de la plante. Puis vient la fécule ou l'amidon, dont le carac- 
tère nutritif est déjà plus apparent, De l’amidon, le brasseur tire d’abord 
de la dextrine, puis des sucres divers, maltose et glucose. Ceux-ci à 
leur tour fournissent de l’alcool. Au delà, la série se poursuit, plus 
confuse, avec des corps dont la molécule se simplifie de plus en plus, 
comme les acides fixes et volatils, les aldéhydes, jusqu’à ce qu’on 
retrouve le point de départ, l’eau et l’acide carbonique. 

C'est le même chemin que la plante parcourt en sens inverse 
quand elle construit. Elle accumule dans ces produits de plus en plus 
de chaleur solaire en commençant par les aldéhydes, en finissant par 
la cellulose du bois, qui contient le plus de soleil, et devient un moyen 
de chauffage. De même à chacun des autres produits correspondent 
des quantités de chaleur graduellement croissantes. Il suffit, pour 
retrouver ces chaleurs de combustion, d'en brûler un certain poids 
dans un fourneau quelconque. Dans le cas des aliments, l’organisme 
est ce fourneau, et c’est là la démonstration faite par Atwater que la 
valeur d’un aliment se chiffre par sa valeur de combustion. 

Arrivés à cette conclusion, nous pouvons nous demander quelles 
sont les transformations digestives les plus puissantes, celles qui 
fournissent le plus de chaleur. On voit tout de suite ceci. La digestion 
commence par des actes très peu calorifiques. La dégradation qui 
passe par les termes amidon, dextrine, et même sucre, est à peine 
apparente au point de vue thermique, et les chimistes ne seront pas 
surpris d'apprendre ce fait, car ils savent que toutes ces transforma- 
tions se réalisent par l’adjonction de quelques molécules d’eau, sans 
intervention d'oxygène. La production de chaleur et la perte calori- 
fique ne sont un peu sensibles que dans l'acte suivant, Ja transforma- 
tion du sucre en alcool et en acide carbonique. Ici il y a eu com- 
bustion, comme l’a dit Lavoisier, d’une partie du sucre aux dépens 
de l’autre, Finalement, toutes les transformations que nous venons 
de passer en revue ne dégagent que le dixième de la chaleur totale 
enfermée chez l’aliment, les neuf autres dixièmes restant précieuse- 
ment en réserve pour la combustion de l’alcool et des autres produits 
plus rares, qui conduisent à l’acide carbonique. Il n'est pas douteux 
que toute cette pyrotechnie de la digestion ne se tire autour de l’alcool 
comme pièce de bouquet, œuvre essentielle d’une opération dans 


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L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 117 


laquelle les physiologistes la dédaignaient et ne lui laissaient aucune 
place. 

C'est qu'ici l'oxygène est entré comme acteur. Tandis que, tout à 
l'heure, les agents de transformation de la matière alimentaire, les 
liquides digestifs, étaient surtout sécrétés dans le canal intestinal, où 
ils opéraient à l’abri de Pair, ceux qui interviennent maintenant, à 
partir de celui qui dédouble le sucre, fonctionnent en présence de l'air 
contenu dans le sang et les tissus. La digestion ne se fait plus dans le 
canal digestif, elle se fait partout. La pièce a changé de théâtre, et 
peut se jouer à la fois sur tous les points du corps. Les acteurs n’ont 
pas besoin de se presser, ils sont plus nombreux, et la quantité totale 
de matière mise en mouvement augmente. Et c’est ainsi que l’un aidant 
l'autre, sans qu'il y ait nulle part, dans les intestins ou les tissus, 
d'élévation de température bien sensible qui témoigne d’un déséqui- 
libre, les choses vont pendant des années. C’est la régularité des bonnes 
montres, qui marchent avec le repas d’un tour de clef par jour. 

Et le côté piquant de la chose, c’est que nous ne savons tout cela 
que depuis hier ou avant-hier. Nous avons fait des livres dans lesquels 
il était parlé de la construction de l'aliment par la plante, de la des- 
truction de l’aliment par les microbes ou les animaux, des théories de 
la digestion, et tout ce qu'il y a d’essentiel dans la digestion nous 
avait échappé. Nous ne connaissions guère que le dixième des trans- 
formations qui y prennent place, celles qui roulent autour de l’appa- 
rition ou des disparitions de la cellulose, de l’amidon, des sucres. Nous 
ignorions presque toute l’histoire de l'alcool, et nous parlions! Cette 
idée peut amuser. Il ne faut pourtant en tirer que ceci : Continuons 
à chercher, puisque ça nous réussit. 


L’'ALCOOLISME 


Pourquoi l’aleool est un très bon aliment 


Je m2 suis jusqu'ici bien plus préoccupé de la place qu'il faut don- 
ner à l’alcool parmi nos aliments physiologiques que je ne l’ai étudié 
en lui-même. Mais je serais bien étonné si mon lecteur rapportait de 
ce qu’il vient d'apprendre une autre impression que celle-ci, c’est que 
l'alcool est fait pour lui ou lui pour l'alcool, ce qui est au fond la 
même chose. Je ne crie pas haro sur le sucre, le pain, la viande, je 
ne suis pas ingrat: je dis seulement qu'à côté de la viande, il y a : 
du bouillon, et que l’alcool est une sorte de bouillon préparé avec 

d0 


118 REVUES ET ANALYSES. 


une dilection évidente. Le sucre met presque de l’empressement à 
fermenter, et le premier vin a été fait par une génération. tout 
aussi spontanée que ceux qui lui ont succédé. De la levure y a apparu, 
y apportant la cause dela dislocation du sucre. De plus, la matière 
qui fabrique l'alcool et le verse dans nos tissus a de la peine à en faire 
autant que lestissus en demandent. Enfin, et c’est surtout sur ce point 
que je voudrais insister, si le sucre est un aliment supérieur à l’ami- 
don, l’alcool est supérieur au sucre. 

Pourquoi supérieur ? Rassurez-vous ! je ne vais pas réveiller un 
débat sur une question de goût. Nous nous sommes trop bien trouvés 
jusqu'ici d’avoir, dans notre exposé, écarté les prédilections indivi- 
duelles. Je dis que l'alcool est préférable au sucre, parce que sous le 
même poids il contient plus d’aliment. 

Quand un poids de 100 grammes de sucre fermente, il donne envi- 
ron 50 grammes d’alcoo!l et 50 grammes d’acide carbonique (arrondis- 
sous les chiffres !),L’acide va dans l'air ; il est perdu pour nous. Tout 
ce qu’il faut remarquer chez lui est qu'en s’en allant il n'emporte pas 
de force, Il ne peut pas fournir de chaleur, il est brûlé, il n’a aucune 
qualité d’aliment. C’est du poids mort. L'alcool en est débarrassé, et 
vaut davantage, puisqu'il contient, sous un poids plus faible, la tota- 
lité de la chaleur ou de la valeur alimentaire du sucre dont il provient. 
Disons que,comme matière alimentaire, l’alcool vaut environ deux fois 
son poids de sucre, La bonne volonté de la nature envers ce protégé 
est évidente et apparaît surtout quand on sait qu’elle en a fait l’ali- 
ment qui contient le plus de puissance sous le moins de masse. 
L’aldéhyde et l’acide acétique, qui le suivent dans la série chimique, 
lui sont très inférieurs au point de vue calorique et sont de médio- 
cres aliments, de sorte qu’on pourrait dire, en forçant un peu, que 
l’alcool est la seule forme alimentaire non azotée voulue parla nature. 

Au reste, voici le moment où les qualités qu’il acquiert ont été 
remarquées par l’homme, qui tout naturellement en a abusé et en a 
fait des défauts. Les boissons alcooliques sont facilement absorbées 
par l’estomac. Il en résulte une petite excitation qui est aimable et 
invite à renouveler. Allons-nous en vouloir à la nature qui a rendu 
agréable ce qui est utile? Si on continue, on est averti par de nombreux 
symptômes, sur lesquels personne ne se méprend, qu’il faut prendre 
garde, car on n’accusera pas la nalure de n’avoir pas mis de garde- 
fous le long des pentes dangereuses. Elle vous dit, par toutes ses voix, 
que si elle aime l’alcool, elle veut qu’il soit toujours amené avec lenteur 
au contact des cellules. 

Si on méprise ses avis, ce sont les désordres de l’ivrognerie et de 
l'alcoolisme. J’en ai vu des milliers de tableaux. Je n’en tracerai pas un 
de plus. 


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L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS, 179 


Je prie qu’on eroie que ce n’est pas par indifférence. J’ai écrit sur 
ce point, dans mon Hygiène sociale, un chapitre auquel je n'ai rien à 
ajouter. Je crois encore que le penchant naturel de l'homme pour 
l'alcool est un des plus dangereux et des plus urgents à combattre. 
Seulement, je suis stupéfait des moyens employés pour en triompher. 

Tout ce qu'on a ditet écrit sur ce sujet ade vagues aspects de prône 
philosophique ou religieux, caractérisé, comme le sont presque tous 
les sermons,par l’impersonnalité et l'indifférence. On est condamné à 
se répéter. De raisons, je ne trouve et, en effet, ne peux trouver que 
celle-ci : c’est que l'homme est un être faible, et malheureux, et 
crédule, qu’il faut l’aimer, et le plaindre, et le protéger, Mais faut-il 
l'aimer et le plaindre assez pour lui raconter les bourdes qu'on lui 
débite sur l'alcool? Pensez-vous qu'il soit indigne de la vérité ? Disons- 
la, au contraire, disons-la le plus possible, et surtout le plus claire- 
rement possible. Nous verrons où la foule ira, malgré les prêches offi- 
ciels et officieux. 

Nous avons dit : l'alcool est bon, et nous l’avons prouvé. Nous 
avons dit ensuite : l'alcool est très bon, et nous avons donnénosraisons. 
Nousdisonsmaintenantl'alcool est trop bon, et de cefaitil aappeléautour 
de lui le travail de l’homme. La bonne nature nous avait laissés à la 
boisson alcoolique étendue, et on s’enivrait. Témoin Noé. Voilà que 
l'art prestigieux de Nicolas Flamel et de Raymond Lulle s’en mêle 
et nous avons l'alcool, En ajoutant à l’alcool qu'on distille des plan- 
tes à essences odoriférantes, on a les liqueurs, les élixirs et tout l’arse- 
nal de l’alcoolisme. Je laisse de côté, pour le moment, comme ne se 
rapportant à notre sujet, toutes les industries variées ayant l’alcool 
pour base. Je me place seulement en présence des liqueurs, et je me 
dis : vaut-il mieux qu’elles existent, avec tousleurs défauts, ou qu’elles 
n'existent pas ? 

Car leurs farouches contempteurs sont des iconoclastes.Bons pères, 
bons époux, bons citoyens (meilleurs, en moyenne, sûrement, que la 
moyenne des hommes), ils sont volontiers intransigeants sur ce point. 
Pas de vin, disent-ils ; l’eau vaut mieux. Pas d’alcools, ils sont tous 
dangereux. Pas de boissons à essences, elles sont meurtrières. Puis- 
sions-nous voir toutes les usines et les magasins de ces produits flamher 
dans des punchs gigantesques ! 


Nous seuls en être cause, et mourir de plaisir! 


C’est bien beau dans Corneille. Ça l’est moins quand on n’a en face 
-de soi que son encrier. 

Ce qu'il y a de curieux, c'est que les médecins sont les plus com- 
batifs. Ils ont failli faire réussir une conspiration contre le vin, en le 
proscrivant au chevet du malade, puis dans le ménage de l’homme bien 


780 REVUES ET ANALYSES. 


portant. Ils semblent s'être très vite aperçus qu'ils n’avaient aucune 
raison pour cela, et renoncent gentiment à cette croisade un peu 
étourdie. Mais ils se tiennent ferme sur leurs fameux principes 
à propos des autres boissons. Voyons où s'arrêtent leurs droits de 


conseillers maïtres. 


Croisades du Passé. 


Il n’est pas facile à un laïque de discuter avec un médecin. C’est 
comme avec un député qui vous répond : Ca, c’est de la politique. Il 
faut s’incliner. Je m'inclinerai donc. Quand on me dira : C’est un 
typhoïque, c’est un alcoolique, je dirai aussi, c’est un typhoïque, c’est 
un alcoolique. Si on me dit d’une cirrhose hypertrophique du foie 
qu'elle est d’origine alcoolique, je ne le croirai qu’à moitié, parce que 
s'il y en a qui affirment, il y en a qui nient, et un plus grand nombre 
qui ne nient ou n’affirment. Ce sont des médecins : ils ont le droit de 
parler. Moi, je n’ai que celui de me taire. Mais si on vient me dire : 
la statistique nous apprend que les alcooliques sont très nombreux 
parmi les malheureux qui succombent à des morsures rabiques; 
comme ils ne sont pas alcooliques depuis qu’ils ont été mordus, l’alcoo- 
lisme prédispose à mourir de la rage. Ici, mon droit reparaït, et je 
fuirai volontiers cette sorte de raisonnement ; je vois trop mal la rela- 
tion entre la prémisse et les conséquences. 

Je dois avouer que je ne l’attribue à aucun médecin. Mais tousn'’en 
font-ils pas un de pareil avec la tuberculose ? Qu'est ce, sauf parler à 
l'imagination pour l’effaroucher, que de dire : l'alcoolisme et la tuber- 
culose s’accompagnent et vont de pair, quand on sait que tous les cas 
d'alcoolisme du monde ne pourraient donner un bacille tuberculeux, 
et qu’il n’y a aucun rapport entre les maladies. Dites, si vous voulez, 
et alors je vous donnerai complètement raison, qu'un alcoolique, 
plongé dans un milieu ouvert à la tuberculose, deviendra plus facile- 
ment tuberculeux, parce qu’il est affaibli, ne se soigne pas et n’a quel- 
quefois pas d’argent pour le faire. Dites encore, parce que c’estencore 
vrai, qu'un poitrinaire, emprunté à un milieu de contagion alcoolique, 
deviendra plus aisément le buveur invétéré que vous nous dépeignez. 
Ajoutez, car c’est encore vrai, qu'ilen est de même pour la syphilis, 
les maladies des fumeurs d’opium, et, en général, pour toutes les 
maladies quitendent à emporter leur homme. Et alors, nousnous enten- 
drons, et nous dirons que l'alcoolisme est une déchéance nouvelle, qui 
superpose ses effets à ceux des autres, et qui doit être traitée pour 
elle-même, etsans tenir compte de toute la rhétorique déposée à ses pieds. 

Ce qui nous reste à savoir à son sujet, ce n’est pas la littérature, 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 781 


pas même la littérature médicale qui nous le dira. C’est l’histoire de 
l’enivrement, faite en partant de la notion d’aliment, et non pas de 
poison, comme on l’a fait jusqu'ici. Pour tous les autres aliments, 
l'excès est suivi de ja fatigue des organes, parfois même de quelques 
désordres sans gravité. Tout ce que nous avons appris sur ce point 
accuse chaque jour davantage la réalité de cette notion, d’après 
laquelle toute digestion, soit par la faute de l’organisme, soit surlout 
par la faute des microbes du canal intestinal, est une partie à jouer, 
quelquefois difficile, Mais d'ordinaire les aliments passent bien, et 
l'alcool aussi, I6rsqu'il n’est pas trop abondant. Comme règle que j'ai 
trouvée juste toutes les fois que je lai cherché, tout homme qui sent 
le vin ou l'alcool une heure au plus après qu’il a bu, boit trop; il fera 
bien de se surveiller, 

Mais comment se fait-il que toutes les cellules auxquelles touche 
l'alcool, lorsqu'il dépasse la mesure, arrivent à s’accoutumer à son 
contact, et en demandent des doses croissantes? A quoi correspond 
cette accoutumance fâcheuse pour un aliment tel que lui ? Est-ce un 
commencement de déchéance ? Voilà des questions physiologiques, 
ou même pathologiques, d'un autre intérêt pour le traitement de 
l'alcoolisme que celle de ses relations avec la tuberculose et la syphilis. 
Après quoi je dirai encore que tout cela n'est encore rien, et qu'il 
faudra bien s'occuper du problème moral, qui est au fond de la 
question. 

Ici ce ne sont plus les médecins qui sont en scène : c'est nous- 
mêmes. Il y a longtemps en effet que ce problème de l’alcoolisme 
nouspréoccupe tous, et nous avons traduit notre effort de façons 
diverses. Les pouvoirs publics sont même intervenus. 

« Qu’à cela ne tienne! a dit d’abord Etat. Nous allons mettre deux 
lignes de plus dans un programme d’études primaires déjà chargé, et 
nous prierons nos instituteurs de les développer avec tout ce qu'ils 
pourront y mettre d'âme. Nous allons de même, au moyen d’un article 
nouveau, demander à nos professeurs de philosophie, de philosopher, 
c’est-à-dire de faire là-dessus un petit développement éloquent. En 
plus, nous demanderons aux candidats bacheliers ce qu’il pensent de 
l'alcool, et vous verrez quelle unanimité! Avec cela, et les ligues anti- 
alcooliques, si raisonnables, que je vais essayer de faire prospérer, 
moi État, par les moyens qui me sont propres : décorations et prix, 
nous allons créer un grand mouvement dont vous verrez la puissance. » 

Je plaisante, et en demande pardon à qui de droit, spécialement à 
ceux qui se sont jetés dans la tourmente, et parmi lesquels il y a tant 
de belles et bonnes âmes qu’on a toujours chagrin à contrister, Mais, 
quelque regret que j'y aie, je crois devoir leur dire pourquoi ils 
doivent échouer. Amicus Plato, sed magis amica veritas. 


182 REVUES ET ANALYSES. 


Croisades de l’avenir. 


C'est que la question a changé de face le jour où l'alcool nous est 
apparu comme un aliment ordinaire, ayant ses qualités et ses défauts. 
Il est quelqu'un. On n’a plus le droit de le traiter uniquement comme 
un agent de plaisir. Du moment qu’il est utile, il représente une part 
de la fortune du pays, non la moindre, car il y a plus de deux 
millions d'hectares de sol français plantés et replantés en vignes 
et ils nourrissent plusieurs millions d'habitants. Je ne parle pas 
du cidre, ni de la bière, ni des planteurs de betteraves, dont l'alcool 
est particulièrement maudit, tellement que c’est parfois autour 
de lui seul que se fait la campagne. Qu’arriverait-il si elle aboutissait ? 
A-t-on le droit d'encourager des prédicants dont le succès serait si 
funeste, et au milieu de leur courage à recommander aux autres des 
pratiques qu’ils n’ont pas toujours, que d’autres fois ils s'imposent (car 
il y en a de tous), n’ont-ils jamais pensé qu'il pouvait sortir un peu de 
mal du bien qu’ils veulent faire ? 

Vraiment, j'ai quelque regret à parler ainsi aux braves gens des 
ligues antialcooliques, car ce sont tous de braves gens. Emus par ce 
qu'ils ont pris pour un intérêt public, mis en présence des périls de 
l'alcoolisme, ils se sont imposé des devoirs, des devoirs humbles, 
mais journaliers, et impliquant une continue possession de soi-même. 
Et de cela il faut les louer hautement, car c’est partout chose rare. Ils 
se sont dit : « Tàchons que nos amis ne s’habituent pas à l'alcool. On 
se libère plus facilement d’un pli qu’on n’a pas pris, » et ce sentiment 
d’affectueuse solidarité est des plus respectables. Plaise à Dieu que 
notre vie sociale s’imbibe de plus en plus de sentiments tout pareils! 
« Prenez garde, leur dirai-je à mon tour, de réussir trop bien, et de 
n'arriver qu'à découvrir Pierre pour couvrir Paul. Vous n'avez au 
fond rien à dire contre l’alcoo!, et rien, dans votre pauvre façon de 
concevoir la vérité, ne vous autorise à aborder le rôle de Providence, 
surtout quand c’est pour dire que c’est l’alcool qui a tort, et qu'il faut 
le supprimer avec ceux quile produisent. » 

Si, en restant fidèles à cet ensemble d'idées, nous nous tournons du 
côté de l'État, nous anrons peut-être quelque chose à ajouter. Son 
enseignement antialcoolique officiel a été une erreur, parce qu'il 
n'avait pas de base scientifique, et que nulle part le mensonge banal 
des programmes n’était plus évident. Nous sommes élevés comme s’il 
n'y avait que des mots ét pas de faits. Or, ici, c'était un enseigne- 
ment de mots trahis par les faits. L'État se montrait propriétaire de 
convictions qu’interprétaient sans doute très bien ses professeurs de 


ru 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 783 


divers ordres, mais qu'interprétaient tout autrement ses collecteurs 
d'impôts, bien plus attentifs à l'extension de la fabrication «et de la 
vente qu’à toute autre considération ; c'était là le fait qui ridiculisait 
les tirades, 

Cet enseignement en l’air ne me semble plus possible. Mais il y en 
a peut-être un autre qui pourrait parler ainsi : 


L'alcool est un aliment. Il l’est comme le sucre, à un niveau plus 
élevé que lui, à un niveau tel qu’une partie d’alcool représente deux 
parties de sucre. C’est un aliment très perfectionné par les lois natu- 
relles qui le fournissent. Le goût que l'homme a toujours montré pour 
lui, et qui plaide en sa faveur, a fait qu’on a cherché à le perfec- 
tionner davantage. A peu près inoffensif et généreux dans le vin, il a 
fini par être, dans les liqueurs et les alcools d’industrie, d’abord exci- 
tant, puis dangereux. I! avertit lui-même du péril croissant ; il com- 
mence par enivrer l'homme et finit par l’abêtir, Un sommeil de brute 
termine la scène. 

Il est bon de ne jamais aller jusque-là. Quand, au contraire, on 
recommence et qu’on prend une habitude, c’est une véritable maladie 
qui commence ; maladie de la volonté d’abord, maladie des organes 
ensuite, qui se superpose aux autres maladies dont l’alcoolique peut 
être atteint. La tuberculose, les maladies du système nerveux, la folie 
sont les plus fréquentes. 

L'existence de ces dangers n’empêche pas l’usage de l’alcool. Il est 
déraisonnable de se tenir dans la zone dangereuse ; il est raisonnable 
de se tenir dans la zone où l'alcool est un bienfait. Quand on se rap- 
porte au vin pour se faire un type de la première zone, aux alcools 
impurs comme type de la seconde, la marge est assez grande pour 
qu’on ne puisse se tromper, et accuser la nature de nous tendre des 
pièges. Pratiquement, la zone inoffensive est celle dans laquelle toute 
trace d'odeur alcoolique a disparu de la respiration du buveur une 
heure après le repas. Cette zone correspond environ, pour l’homme 
moyen, à un litre de vin par jour, ou bien à la quantité correspon- 
dante d’eau-de-vie. 

Une autre règle rend service : Méme dans les limites indiquées, usez, 
mais n'abusez pas. 


Voilà ce qu'on pourrait appeler la partie scientifique de l’enseigne- 
ment que l'Etat pourra donner où il voudra. Elle ne prête pas à rire : 
elle se tient. Elle a un autre avantage, L'Etat pourra y souder le secret 
de son intervention. Il est accepté que l’alcool, devenant une denrée 
utile, ne peut pas se passer du concours de l'Etat dans son commerce. 
Peut-être serait-il possible d'élever un doute sur la légitimité de cette 


184 REVUES ET ANALYSES. 


conclusion. Mais l’État n’en a aucun. En ce moment ilrêvesur l'alcool. 
Il se demande même s’il ne serait pas utile d’en être le seul proprié- 
taire. S'il y parvient, il sera dans une situation réjouissante, au cas où 


il poursuivrait encore l’enseignement qu’il donne aujourd’hui. Si Pal- 


cool est cette vilaine chose qu’on nous dépeint, quelle autre conclu- 
sion d’une conférence que celle-ci : foin de l’alcool et sus au mono- 
pole! L'État ne peut laisser durer cette contradiction entre ce qu'il dit 
et ce qu'il fait. 

Il redevient logique avec les idées nouvelles. L'alcool est bon et 
mauvais, utile et nuisible, aliment ou poison, et voilà justifiée l'inter- 
vention du gouvernement quand on le manipule et quand on ledébite. 
Nous avons pris notre parti à son sujet, et savons bien quil est et 
qu'il restera matière à impôt; mais nous n'aurions rien à dire si cet 
impôt tient compte de toutes ses qualités ou de ses vices. C’est seule- 
ment alors qu'il sera légitime, en obéissant à la logique de son 
origine. 

On voit ici apparaître une deuxième question que nous n’avons 


pas encore abordée, c’est la loi de l’impôt. Nous allons entreprendre 
son étude, 


LES VINS 


Leur histoire philosophique 


Jusqu'ici, je n'ai parlé de l'alcool que comme du composé chi- 
mique qui caractérise les boissons alcooliques, et leur donne ce qu’elles 
peuvent avoir de qualités, suivant les uns, de défauts suivant les 
autres. Je ne me suis pas préoccupé de l’alcool comme matière de com- 
merce ni comme matière d'impôt. Que vaut-il, financièrement, par 
comparaison avec ceux des aliments de son espèce dont la valeur est 
acceptée de tous, la graisse, le beurre, le sucre, l’amidon? Et que 
vaut-il au regard de l'impôt ? Peut-on continuer à le charger, sous 
prétexte qu’il donne l'argent dont on a besoin, et qui rentre pour 
ainsi dire tout seul, grâce à la puissante administration des contribu- 
tions indirectes ? Doit-on ne lui tenir aucun compte de ses qualités 
alimentaires, et faut-il le traiter en paria, par rapport, par exemple, 
avec le sucre et le beurre? D’une manière plus générale, quels sont ses 
défauts et ses qualités au point de vue de l'impôt? Est-il de ces 
denrées qui en portent facilement le poids, ou bien de celles qui 
fléchissent, ou bien encore qui y échappent avec allégresse, 


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L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 183 


tant la chose est simple et parfois élégante, comme un ressort qui se 
détend ? | 

Voilà quelques-unes des questions que nous sommes conduits à 
nous poser. Je dis quelques-unes, parce que si on voulait entrer dans 
le fourré de la législation relative aux alcools, nous n’en sortirions 
pas. J’ai perdu un mois à étudier cette législation. Pour le moment, 
je la crois folle. Mais comme je ne veux me brouiller avec per- 
sonne, je me hâte de dire que je serais très heureux de me tromper. 
Contentons-nous de plaindre ceux qui l’appliquent, et qui passent leur 
vie à tenir compte des distinctions infinies, des si, des car et des mais 
de l’administration. Maintenant surtout que voilà l’alcool industriel 
qui entre en régie (et je suis heureux de penser que je n’ai rien à en 
dire : je ne parle pas de l'alcool aliment des automobiles) avec ce nou- 
veau client qui a provoqué la naissance d’un second client nouveau, 
l'alcool dénaturé, les problèmes que se posent les employés sont 
presque des problèmes scientifiques, et on envisage sans peine une 
situation dans laquelle des multitudes de chimistes du commerce ou 
de l’industrie passeraient leur temps à coller les chimistes de la Régie, 
à charge de revanche, Bel emploi des forces humaines | 

Forcés de nous borner, nous nous en tiendrons aux questions capi- 
tales que nous venons de noter. J'espère que personne ne niera leur 
importance ; j'espère qu'aucun de ceux qui m'ont fait l'honneur de me 
suivre jusqu'ici n’hésitera sur le sens général de ma solution, c’est 
qu'il y a à prendre au sujet de l’alcool presque exactement le contre- 
pied de ce qu’on a fait jusqu’ei. Je dirais volontiers, si l’extrème 
concision ne nuisait pas toujours à l'absolue justesse, que le mot 
d'ordre de notre effort doit être la suppression de l'Administration des 
contributions indirectes et de ses préoccupations d'aujourd'hui. Il va 
sans dire que ce que je souhaite est bien plus un changement dans 
l'esprit qu'un changement dans les hommes. 

Ici, je sens bien que, malgré toute ma prudence, je vais effarou- 
cher certaines personnes en posant ainsi la question. Qu'on me per- 
mette de rappeler ceci : Il y a eu une époque où une contribution 
indirecte, celle du sel, pesait sur la conscience publique autant et plus 
que celle de l’alcoo!l aujourd’hui. L'État en avait même le monopole, 
et il en était arrivé jusqu'à fixer la ration de chaque consommateur. 
Le sel était surveillé jalousement au départ, accompagné enroute par 
la gabelle armée, etles rencontres avec les faux sauniers n'étaient pas 
rares. Alors, comme aujourd'hui, tous les employés agissaient dans 
la plénitude de leur droit, mais la mesure était devenue comble. Cette 
administration tracassière et parfois meurtrière a disparu. Ceux de 
ma génération en ont vu les derniers fantômes, et elle a fini vilainement, 
petitement. Elle est morte de son monopole, dans l'impossibilité d'y 


186 REVUES ET ANALYSES. 


renoncer, car elle y trouvait de l'argent, et dans l'impossibilité de le 


gérer, car comment le faire vivre sans rationner arbitrairement bêtes 
et gens. Disons même, car cela est plus vrai et plus haut, qu'elle a 
succombé en présence des progrès de la raison humaine, guidée par 
les encyclopédistes, et qu’elle a été, sans le vouloir, avec l'essai du 
trust des blés d'alors, un des facteurs de l’état d’esprit révolutionnaire. 
Si je démontre que l’alcool est encore plus indiscipliné que le sel, qu'il 
estau moins aussi utile et agréable, et qu'il reste soumis aux mêmes 
lois absurdes et aux mêmes vexations arbitraires que le sel il y a cent 
ans, ceux qui s’effarouchent à l’idée d’une administration qui change 
de doctrine préfèrent-ils cette autre idée d’une administration qu'on 
jette à terre parce qu’elle n’a pas su se rénover, ou d’un parlement 
qui s'effondre, parce qu’il a perdu le sens des aiguillages. Ce n’est 
pas que ceux d’alors avaient mauvaise volonté : c’est qu’ils ne savaient 
pas. Voilà ce que montre à merveille une petite histoire philoso- 
phique du vin, la meilleure des boissons alcooliques. 

Le vin ne vaut pas seulement par son alcool, dont il contient une 
moyenne de 8 à 10 0/0 en volume. Il y a d’autres éléments utiles : la 
glycérine, 3 à 4 grammes par litre, qui est brülée, par conséquent 
sert; de l'acide tartrique, aliment très utile et assez rare, qui existe à 
l’état de crème de tartre; d’autres acides fixes et volatils, en faible 
quantité; un peu de matière extractive, mal connue. Je fais abstrac- 
tion de tous ces éléments, et ne compte que l’alcool. Un litre de vin à 
10 degrés contient 80 grammes d'alcool. D'après ce que nous avons vu, 
4 parties d’alcool ont à peu près la même puissance calorifique et 
nutritive que 8 parties de sucre. Le chiffre exact est 7. Cela nous fait 
140 grammes de sucre pour l’équivalent, au point de vue alimentaire, 
des 80 grammes d’alcool contenus dans notre litre de vin à 10 degrés. 
Ce n’est pas se montrer excessif que d'évaluer à 40 centimes le prix de 
ce vin. C’est à peu près le prix d'achat de cette année pour les adjudi- 
cations de l’Assistance publique. Pour obtenir la même quantité de 
force, nous avons donc à dépenser, dans un cas, quarante centimes de 
vin, et dans un autre, dix centimes de sucre. La disproportion est évi- 
dente. 

Cherchons un terme de comparaison dans une autre direction, par 
exemple du côté des corps gras. Ici le beurre ou l'huile donnent, à 
poids égal, plus de chaleur que l’alcool, et pour remplacer les 80 gram- 
mes de cette substance contenus dans un litre de vin à 40 centimes, il 
nous faut seulement 60 grammes de corps gras, les trois quarts. En 
les empruntant au beurre à 4 francs le kilo, c’est O0 fr. 25. En les pre- 
nant à l'huile à 4 franc le litre, cela fait un peu plus de 5 centimes. 

La disproportion serait encore plus marquée si nous avions com- 
paré avec les féculents, bien que ce soit ici l'inverse de ce qui se pro- 


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L'ALCOOT, ET SES DROITS NATURELS. 787 


duit avec les corps gras, et qu’il faille, comme pour les sucres, envi- 
ron 7 de féculents pour remplacer 4 d'alcool. On retrouve les prix 
trouvés pour l’huile : 5 centimes environ. 

J'ai l'air de me tenir dans le monde des babioles, et je concède 
volontiers que le bourgeois ignore ou dédaigne ces questions. Mais la 
paysanne ou la femme de l’ouvrier, qui achète au jour le jour son 
sucre et son vin, puise dans ses débours perpétuels un sentiment très 
net non seulement du prix des choses, mais encore de leur valeuripro- 
portionnelle. Elle évalue les économies qu’elle fait par suite des dimi- 
nutions detaxe, qu'elle appelle, sans y songer, des diminutions de droits, 
et desréflexions qu’elle a pu faire, tant à proposdes vins qu'à propos des 
Sucres, la République a bénéficié plus qu’on ne pense. Mais elle n’en 
reste pas moins attentive à l'emploi qu’elle peut faire de ces économies. 
Va-t-elle acheter un litre de vin, ou se donner pour le même prix 
600 grammes de sucre, de quoi sucrer 60 fois son café? 

C’est là qu’elle est bonne à regarder. Pas d’alcool, du sucre, Im 
crient aux oreilles les tempérants! Il y a de ce côté des économies de 
bourse et des économies de santé! Pas d'alcool ni de sucre, des 
pommes de terre, encore plus économiques, crie d’un autre côté par- 
fois la nécessité. Un peu de tout cela, dit la ménagère sensée ; mais 
c'est égal, proportionnellement, le vin est bien cher! Comment fai- 
sait-on, il n’y a pas longtemps, lorsqu'il était grevé de droits égaux à 
la moitié et plus de sa valeur? 

Car notre histoire est philosophique, c’est-à-dire abrégée et rapide. 
Nous n’en sommes pas moins arrivés aux impôts de consommation 
et c’est ici qu'après avoir rencontré d’abord des lois naturelles, nous 
allons en trouver qui ne le sont pas. 


Histoire des réalités. 


L’invasion du phylloxera a clos, vers 1870, l’âge d’or du vin et de 
la vigne. La prospérité était presque inouïe à ce moment. La vigne 
avait recouvert à peu près tout le terrain qu'elle peut occuper en 
France, et ses produits pénétraient partout, emportés par une sorte de 
ferveur générale, à laquelle les médecins ne marchandaient pas encore 
leurs encouragements. Les chimistes seuls, quand ils n’appartenaient 
pas aux régions vinicoles, commençaient à être un peu inquiets. Ils 
trouvaient que les vigneronstraitaient un peu le monde en pays con- 
quis. Non seulement ces négociants coupaient, dédoublaient, sucraient, 
vinaient leurs produits, et considéraient toutes ces pratiques comme 
parfaitement licites dès qu’elles leur étaient utiles, maisils faisaient de 


7188 REVUES ET ANALYSES. 


la chimie un peu douteuse : ils corrigeaient leurs vins avec de la 
potasse ou de l'acide tartrique, leur donnaient de la couleur et les 
empéchaient de se gäter avec du plâtre, et puis les déplâtraient avec 
des sels de baryte, qui sont vénéneux. L’un d’eux, s'étant bien trouvé 
de mettre dans sa cuve de l’acide sulfurique quand sa vendange était 
sale, avait réclamé hautement, dans un Congrès international de viti- 
culture, à Montpellier, le droit d'employer cette denrée. Bref, tout le 
monde se croyait tout permis pour corriger les imperfections du vin, 
c’est-à-dire les remplacer par d’autres, invisibles ou moins visibles. 

Cette inquiétante cuisine resta longtemps mal connue, et n’appa- 
rut que le jour où, le phylloxera ayant amené à 27 ou 28 millions 
d’hectolitres, de 1879 à 1892, la production vinicole qui avait atteint, 
en 1875, 85 millions d’hectolitres, il fallut bien faire sortir de quelque 
part le vin qui étaitencore demandé. Le commerce perdit alors tout 
scrupule. Comment oublier ces vins de sucre et d'alcool de betteraves, 
ou de raisins secs, et ces coupages avec tout ce qui pouvait humaine- 
ment porter le nom de vin, etc. ? Ah! vraiment, nous avons bu à ce 
moment, sous prétexte de vins, des liquides bien étranges. Et tout cela 
au milieu des plaintes des producteurs, qui protestaient que ces pra- 
tiques étaient pour notre bien et qu'il leur fallait la protection de 
l'État pour leur faciliter leur tâche. Qu’on se rappelle les franchises 
demandées pour le sucre ajouté à la vendange, l’histoire des vins d’Es- 
pagne, les raisins secs frappés de droits pour protéger contre eux les 
raisins frais ! 

Les intéressés se plaignaient encore quand on s’aperçut tout à coup 
que le public se désintéressait de la question. ( Quoi? C’est tout cela, 
le vin? Nous n’en voulons plus! Ils doivent avoir raison, les médecins 
qui le condamnent au nom de l'hygiène, et aussi par voie d'extension 
ceux qui en privent leurs malades. » El c’est ainsi qu'une doctrine, si 
mal fondée scientifiquement qu'elle a battu en retraite à la première 
objection, s'est installée victorieusement dans l’esprit public. Si bien 
que lorsque, en 1901 et 1902, la production revint à ses anciens 
niveaux de 57 et 67 millions d’hectolitres, il n’y eut pas d'acheteurs, 
et les prix tombèrent à 5, 4, 3 et 2 francs l’hectolitre. 

Franchement, c’est trop bête! Ces populations laborieuses, pro 
priétaires d’un sol et d’un climat exceptionnels pour la vigne, et qui 
souffrent, les voici qui, poussées surtout par l’ignorance des choses, 
en arrivent à se déchirer elles-mêmes et à se gâter l’avenir. Elles 
avaient une clientèle qui est perdue, par leur faute, et qu'il faut se 
refaire dans un public prévenu. Cela n’est pas impossible, car la cause 
est bonne. Mais il est temps d’y songer. 

La première amorce d’un mouvement de revirement en faveur des 
vins s’est faite au lendemain de la loi qui a supprimé, ou à peu près, 


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L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 189 


les taxes de consommation de cette boisson. Il faut hautement se féli- 
citer de celte loi. D'abord elle a, dans quelque mesure, fait au vin des 
excuses officielles, et a argué de sa valeur hygiénique pour justifier le 
traitement de faveur qu’on lui faisait. C’est en quelque sorte promettre 
qne si ses producteurs renoncent à leurs anciennes pratiques abusives, 
pour revenir aux lois d’airain du commerce, on ne leur dira plus 
sérieusement qu'ils sont des empoisonneurs. 

Mais il a manqué quelque chose à cette manifestation : de la con- 
viction. Venue après tant de mesures législatives auxquels manquait 
le doigté, elle a eu l'aspect d’une annonce de rabaisfaite par une grande 
maison qui, ne vendant pas, rabat ses prix. J'aurais voulu quelque 
chose de plus crâne. J'aurais voulu que la France, pays priviligié au 
point de vue de la _vigne et de ses produits, dise ceci, qui était la 
vérité : « Au premier jour où, grâce à l’énergie et au crédit de mes 
vignerons, J'ai pu reconstituer ou à peu près mes anciennes produc- 
tions, j'ai tenu à les présenter au public débarrassées de tout ce qui 
peut gêner leur diffusion et leur vente. Voilà ma façon d'État de com- 
prendre l’hygiène du vin! Voilà ma façon de Nation de comprendre 
ma présence dans le monde. » Un pareil début eût été digne du sujet, 
et peut être eût-il donné quelque éclat à la rentrée du vin dans ses 
Élats. 

Après quoi, je me serais remis à travailler, car il est bien clair que 
nous ne pouvons en rester là. Nous ne pouvons oublier le cri de tout 
à l'heure : cet alcool du vin est bien cher! Et, d’un autre côté, il ne 
semble pis qu’une diminution soit possible. Les tentatives faites au 
moment de la prospérité montrent bien qu’il n'y a pas de place chez 
nous pour une augmentation du territoire de culture de la vigne. Cer- 
taines régions qui en avaient essayé y ont renoncé depuis, en face de 
l'instabilité des climats, que la plante traduisait par des irrégularités 
de récolte. Peut-être, même, a-t-on abusé un peu de la patience de la 
vigne et de la nôtre sous ce point de vue ; on se contente, avec le 
raisin, de conditions de maturation inacceptables pour d’autres 
cultures, en se disant qu'après tout la vigne et le vin se tirent tou- 
jours d'affaire... 

Il ne faut pas compter non plus sur de notables augmentations de 
rendement. La vigne a toujours été cullivée avec amour, et le vigne- 
ron à soin qu'elle n’ait jamais le droit de se plaindre. Nous ne dépas- 
serons guère nos rendements actuels, près de 70 millions d'hectolitres 
pour près de 35 millions de Français, 2 hectolitres par homme et par 
an, alors que nous avons vu la dose de 1 litre par jour, soit de près 
de 4 hectolitres par an, être encore très hygiénique. La demande pro- 
met de dépasser toujours l’offre, surtout lorsque les préjugés actuels 
auront disparu et que la sotte guerre qu’on fait au vin comptera, avec 


190 REVUES ET ANALYSES. 


le phylloxera, comme la seconde plaie de la vigne en France à la fin 
du xix° siècle. 

Seulement, pour que cette campagne aboutisse, il faut la faire avec 
une préoccupation nouvelle. Le vin sera toujours une boisson de luxe 
parson prix, qui letiendra toujours au-dessus de sa valeur comme alcool. 
L'acheteur aura toujours le sentiment, et, quand il le voudra, par les 
chiffres, la preuve que le vin lui fait payer cher ce qu’il lui donne, et e 
ne trouve pas que cela soit mauvais, l’idée d’un peu de luxe rattachte 
à cette boisson. Mais je voudrais aussi que le producteur ne tiràt pas 
tout de suite de cette vérité la conclusion suivante : « Je vends de la 
marchandise de luxe, je peux augmenter mes prix. » 

Il ne faut pas recommencer labsurde commerce qui vient de finir. 
Il a été une campagne d’appétits : nous faisons unecam agne d'hygiène. 
Tout ce que j'ai dit ne vaut quelque chose que sit e vin continue à 
être la boisson honnête et franche que tout le monde connait. Je n’ai 
pas à signaler les fautes d'orthographe qu'on peut faire quand on le 
fabrique, ni à distinguer celles qui sont permises de celles qui re le 
sont pas. Je dis seulement qu’on ne doit commeltre que celles qui 
peuvent être inscrites sur la facture et entrer dans la discussion du 
prix. C’est un régime de bonne foi qui commence, et non un régime 
de dol. Nous ne voulons pas acheter, sous le-nom de vin, des produits 
chimiques. Nous ne voulons pas payer, à cinq ou six fois sa valeur, 
l’alcool que nous y rencontrons, surtout quand il vient du privilège 
des bouilleurs de cru, et que nous pouvons le trouver beaucoup moins 
cher en le prenant dans le commerce. Ki tout cela doit recommencer, 
nous vous laisserons consommer votre produit, et Justice sera faite, 
car dans le procès, nous tenons cette fois le bon bout. Nous savons 
calculer. Le vin est entré dans un barème, et nous connaissons le point 
où il reste hygiénique pour le corps et cesse de l’être pour la bourse. 


LES LIQUEURS 
Histoire passionnelle. 


En laissant pour le moment de côté d’autres boissons alcooliques 
moins importantes, comme les bières et les cidres, nous nous trou- 
vons en présence de l'innombrable et remuante tribu de ce que le 
public appelle volontiers les alcools, et qui comprend les eaux-de-vie 
el les liqueurs à essences. Ceserait le cas de dire qu'ici le terrain est 
brûlant, car c’est lui qui porte la responsabilité de l’alcoolisme. C’est 
une raison de plus d’en parler avec tranquillité : cela nous est d’au- 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 751 


tant plus facile que pour nous une bouteille de liqueur représente 
une force, et qu'on ne se fâche pas avec des forces. On les étudie. 

Appliquons à celle-ci notre programme d'examen. Séparons d’a- 
bord avec elle l’action de la nature et l’action des hommes, le prix de 
la denrée telle que la nature nous le fait, et le prix artificiel créé par 
l'impôt. Nous avons pu ne pas faire cette distinction pour le vin, qui 
est assez cher pour qu'on puisse négliger les faibles droits dont il s’ac- 
compagne d'ordinaire. Cela est nécessaire avec un liquide pour lequel 
l'impôt est de 5 à 10 fois la valeur vénale. A peine fabriqué, un hec- 
tolitre d'alcool doit à l'Etat une somme de 220 francs, dont la percep- 
tion constitue du reste un problème sérieux, résolu seulement d’une 
façon théorique. 

A combien le trouve-t-on chez le producteur, et quel serait son 
prix s'il n’y avait pas d'impôt? Naturellement, le prix est variable 
suivant les provenances. Pour prendre un prix moyen, nous accepte- 
rons celui de lPalcool au moment où les distilleries commencent à s’ar- 
rêter chaque année, parce qu'elles fabriqueraient à perte. Ce cours, qui 
est facile à relever sur les publications de la Bourse du commerce, 
est d'environ 35 francs pour l’hectolitre à 90°. En prenant 40 francs 
pour l’hectolitre à 100°, nous aurons un chiffre suffisamment exact, 
et qui nous sera commode, car c’est le chiffre que nous avons accepté 
pour l’hectolitre de vin à 100. Ce vin contient à l’hectolitre dix fois 
moins d'alcool pur. Il est payé le même prix. Donc si, comme tout 
l'annonce, la valeur physiologique ou mécanique de lalcool de bette 
rave est la même que ceile de l’alcool de vin, la force est dix foi° 
moins chère avéc le premier, Ce qu’on demande à une bouteille de vin 
à 40 centimes peut s’obtenir avec moins de cinq centimes d’eau-de-vie. 
Horreur! s’écrira-t on, pouvoir s'enivrer pour un sou, s’il n’y avait pas 
de droits ! Mon Dieu oui, répondrai-je: c’est fâcheux. mais c’est comme 
cela. 

Et je crois, en effet, qu’un jour viendra où il n’en coûtera presque 
rien de boire trop, commeil n’en coûte presque rien de s’empoisonner 
avec du tabac ; car au fond, si on réfléchit, c’est la même chose, sauf 
qu'on sait que Palcool est utile, tandis qu’on n’a pas encore réussi à 
trouver le principe nulritif de la fumée de tabac. 

Quoi qu’il en soit, on devine la supériorité d’une marchandise 
qui se présente sur le marché dans ces conditions d’économie. Cela 
et sa mauvaise réputation ont même fait qu’on lui en a su mauvais 
gré. Tout le monde s’est dit qu’il n’y avait pas à se gêner avec elle. 
Vite, un impôt! Et c’est ainsi qu'a commencé un combat un peu 
comique entre cet alcool qui ne voulait pas mourir, les fanatiques qui 
voulaient le tuer, et l'Etat qui, laissant les uns crier et les autres boire, 
ne songeait qu’à ses rentrées. Le combat n'est pas fini. L'’intéressant 


192 REVUES ET ANALYSES. 


serait de savoir qui l’emportera. Je crois que c’est l’alcool, et je vou- 
drais en dire les raisons. 


Raisons de l’alcool. 


En présence de ses vigoureux adversaires, l’alcool, dès qu'il s’est 
mis en défense, a facilement gagné les premièrés manches. « Nous 
nous défions de vous, lui disait-on, mais nous nous défions encore plus 
de la bande d’alcools et d'huiles essentielles qui vous accompagnent: 


et dont vous ne réussissez pas à vous débarrasser, car nous savons 


qu'il y en a dans les alcools les plus purs, etmême nous avons appris 
en 1891, que des alcools de vin étaient venus s’en purifier, sans trop 
bien y réussir, dans les grandes usines à rectification des alcools 
de betterave. Nous nous défions encore plus de vous, ajoutait-on, 
quand, devenus plus audacieux et presque arrogants, vous vous faites 
gloire de ces liqueurs où vous ajoutez, aux impuretés naturelles de 
l'alcool, d’autres que vous fabriquez vous-mêmes, et qui n’en valent 
pas mieux. Or, ces matières, nous les avons étudiées, et nous savons 
que ce sont des poisons... Oui, des poisons! et la preuve est qu’en les 
séparant de votre absinthe, les injectant par gouttes à des chiens, je 
puis les faire mourir de suite, avec des contorsions variées qui rap- 
pellent celles de l'ivresse. » 

« Messieurs, pourrait répondre l'alcool, personne n’en est plus 
désolé que moi, et personne ne plaint davantage ces malheureuses 
bêtes, victimes des produits que je convoie; elles ne méritaient pas de 
mourir, car le raisonnement auquel on les a sacrifiées ne vaut pas 
grand’chose. Appliquez-le à la pharmacie, pour voir: faut-il renoncer 
aux médicaments parce qu'ils sont tous des toxiques, pris à 
dose assez élevée? Appliquez-le à la cuisine, et proposez au physiolo- 
giste le plus déterminé de lui injecter dans les veines la dose de 
vinaigre qu'il consomme hygiéniquement dans sa salade, et vous verrez 
avec quelle prudence il se tiendra hors de portée de votre seringue. 
Or, l'acide acétique, c’est mon cousin. Nous sommes deux aliments, 
et c’est chez lui que la digestion entre quand elle sort de chez moi. 
Bons princes tous deux, nous devenons terribles lorsque nous chan- 
geons de voie pour nous mettre en rapport avec l’organisme. À chacun 
son chemin, telle est notre maxime, qui est, au reste, celle de tous les 
aliments. Mais pourquoi diable vous en prendre à nous quand c'est 
vous qui péchez par ignorance ou par imprudence !.… 

« Remarquez que nous ne vous prenons pas en traitres. Tout est 
organisé chez nous comme si l’homme était un être insouciant et 


RER TE A et eur  ONRAN CUS LE à 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 193 


borné, qui a besoin d'être averti à tout instant qu'il est sur la bonne 
voie. Le pain, la pomme de terre sont très peu dangereux, ils sont aussi 
peu savoureux: la viande, le bouillon avertissent au passage l’organe 
du goût qu’il faut un peu de surveillance. L’eau-de-vie, le thé, le café. 
sont dangereux dans le degré où ils flattent le palais, et l’alcoo!l à peu 
près pur, qui est le plus inoffensif des alcools, est fade à ne pas pou- 
voir être consommé seul, tandis queles autres alcools tirent en entrant 
toutes les ficelles gustatives. Le portier, je veux dire l’homme, est ainsi 
averti par des bouquets de saveurs variées qui sont le fondement de sa 
vie, puisque ce sont elles qui lui ont appris à choisir ses aliments, à 
les améliorer, à rechercher les uns et à éviter les autres. Mais, encore 
une fois, en quoi sommes-nous responsables de ce que l'homme se per- 
vertit parfois le goût ? La perversion implique une habitude. Pourquoi 
s'est-il laissé prendre une habitude? » 

« Permettez-nous donc de nous laver les mains de tous ces 
reproches, Comme toutes les forces de la nature, l’électricité, par 
exemple, nous sommes parfois un danger, mais il faut, ou nous laisser; 
ou nous prendre tels que nous sommes, avec nos défauts et nos qua- 
lités. Or, je vous défie de vous passer de nous.» 


Raisons de l’hygiéniste. 


Peut-être est-il fâcheux que la défense de l'alcool n'ait pas pris 
plus tôt, dès qu’elle en a eu le droit, ce ton un peu cassant. Peut-être 
aurait-elle évité aux hygiénistes quelques écoles, je dis à ceux d’entre 
eux qui, sans boire, sont intempérants. Leur mot d'ordre est :« Sup- 
primons ce qui gêne! En attendant d’avoir supprimé l'alcool, enlevons- 
lui au moins ce qu'il contient de plus nuisible, ces alcools supérieurs, 
ces aldéhydes, ces huiles essentielles, et fabriquous pour le publie un 
alcool nouveau, que nous pouvons appeler hygiénique, pour le distin- 
guer du premier, et qui le sera, au moins pour le Trésor; la question 
de l'alcoolisme n'est qu’une question de rectification, et nous l’aurons 
résolue d’une façon fort simple. » Là-dessus, divers pays se sont donné 
le luxe d’unelégislation spéciale. 

Malheureusement, le consommateur s’est obstiné à préférer l’alcool 
avec les saveurs qu’il connaissait, et il a fallu les lui rendre, au 
risque de les voir qualifiées d’impuretés. Lorsqu'il en est débarrassé, 
l'alcool, nous l’avons dit, n’a que la force et pas de parfum. Il est fade, 
il trompe son monde. Le public a réclamé son alcool odorant, son 
fusel, et la tentative a avorté. 

« S'il est si difficile d'enlever à l’alcoo! ce qui nous gêne, nous 

51 


19% REVUES ET ANALYSES. 


pourrons au moins, s’est-on dit, empêcher qu’on lui ajoute de nouvelles 
horreurs, et nous avons précisément devant nous, dans cet ordre 
d'idées, une corporation qui semble avoir pris à tâche de donner à 
l'alcool impurifié les formes les plus séduisantes possible. Nous recon- 
naissons que quelques-unes ne sont pas sans valeur. Mais celles à 
sont chères, et nous ne redoutons pas leur ivresse, qui aura toujours 
quelque chose de discret et de distingué. Que dire en échange de celle 
qui se verse tous les jours à grands flots sous nos yeux, celle des apé- 
ritifs! Ne serait-ce pas un bien pour tous si on pouvait gèner ou inter- 
rompre ce commerce, où même celui qui y gagne ne peut toucher ses 
bénéfices sans quelque remords? Vite une nouvelle loi. » C’est ici que 
les difficultés commencent. 

Une bonne tradition de nos pays civilisés veut que la loi soit 
écrite : c’est le commencement de la sagesse. Cela ne suffit pas pour 
faire de bonnes lois. Mais on ne saurait croire combien il est profi- 
-table d’avoir à mettre, en noir sur blanc, certaines pensées des 
hommes. Quand on a dit à nos réformateurs: « Voyons, voulez-vous 
supprimer la chartreuse, le kummel, le curaçao, l’anisette? — Peut- 
être ferions-nous bien, ont-ils répondu, mais ce n’est pas la peine d’es- 
sayer, aucun député ne voterait cela. — Alors c’est l’absinthe et ses suc- 
cédanés que vous poursuivez ? — Oui, mais nous ne voulons pas le 
dire. Nous nous défions trop ici des députés et des électeurs. — Alors! 
que faire? — Eh bien, mettez qu’il y aura deux catégories d’essences ; 
jes unes permises, les autres prohibées. Pour nous éviter les ennuis et 
les difficultés des dosages, la prohibition sera absolue pour celles qui 
seront défendues; les fabricants travailleront er liberté avec les 
autres. — Et où sera l’absinthe dans cette série de préparations nou- 
velles ? — Nulle part, nous l’espérons bien, car si elle existait encore 
ce ne serait pas la peine d’avoir fait campagne. La tuer sans le dire, 
pour ses méfaits, c’est le fin du fin. — Et qui prendra les responsa- 
bilités, et qui fera la séparation des bons et des méchants, dans cette 
théorie d’essences? — Eh bien, n’avez-vous pas l'Académie de méde- 
cine?» 


Et l’Académie fut consultée. Et elle le fut sans joie. Bien qu’elle 
soit, par ses statuts, obligée de répondre aux questions du gouverne- 
ment quand il est embarrassé, tout le monde, interrogateurs et 
interrogés, vit bien qu'il y avait anguille sous roche, et la 
question fut de répondre sans se compromettre. C’est l’affaire des 
‘commissions, et le vieux mécanisme fonctionna une fois de plus à la 
façon ordinaire. À mon avis, les corps savants ont tort quand ils se 
défilent. Il fallait tirer son chapeau, et dire : « Monsieur le ministre, 
vous me demandezs'il y a de bonnes essences et s’il y en a de mau- 


- 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 195 


vaises. À mon grand regret, je ne sais pas ce que c'est qu’une essence : 
ce n’est pas un corps défini. Sur la même planteil varie avec la saison, 
et à plus forte raison d’une année à l’autre, Une essence n’est jamais 
semblable à elle-même, Dès lors, comment pourrais-je répondre à vos 
questions? Il faudra repasser dans cinquante ans pour savoir où sont 
les bonnes et les mauvaises, si on continue à travailler, et il faudra 
un siècle, peut-être même davantage, si vous voulez obtenir de nous 
ce que le public, tantôt railleur, tantôt sérieux, vous prie de nous de- 
mander; une formule d’absinthe sans absinthe. Nous vous verdirons de 
l'orgeat, si vous voulez, mais soyez sùr que le public trouvera des dif- 
férences. » 


Raisons de l’industriel. 


Voilà ce que l’Académie de médecine eùt pu répondre au Pouvoir, 
en restant vraie et correcte. Mais la question ne recevra pas sa réponse 
tant que les fabricants de liqueurs n’interviendront pas pour parler 
lelangage qui leurconvient. «Jusqu'ici, pourraient ilsdire, nous avons 
comparu comme des accusés dans le procès de l'alcoolisme. C'est à 
peu près aussi raisonnable et aussi juste que si on en voulait à l’im- 
primerie de faire de mauvais livres. On n’a aucun droit de nous traiter 
ainsi. Nous reconnaissons la grandeur du mal, son ubiquité et ses me- 
naces. Nous appelons de tous nos vœux les mesures destinées à le 
combattre, et on le: verra, aussitôt que ces mesures ne seront plus 
uniquement dirigées contre nous par la préoccupation de nous trouver 
coupables, 

« Qu'on nous asseye de préférence aux bancs des témoins. Nous 
avons, sur tous les points, plus d'expérience que personne, même que 
l'Académie de médecine, qui n'a aucune qualité pour composer des 
liqueurs. Nous, nous sommes des pharmaciens. Tout notre art est de 
l’art pharmaceutique, celui qui s’occupait de la préparation des élixirs, 
eaux de mélisse, vins fortifiants, vins médicinaux, Nous avons, il est 
vrai, largement développé cette branche de leur industrie, aidés par 
le goût public, qui est au moins pour moitié dans tout commerce qui 
s'étend. Mais nous sommes restés leurs confrères. La preuve est qu’ils 
nous imitent de leur mieux quand ils le peuvent. La preuve aussi, c’est 
que dans ceux des Etats d'Amérique qui ont prohibé l'alcool, les 
pharmaciens ont seuls la permission d’en vendre sous couleur médicale. 
Nous-mêmes, quand l'alcool, carburé ou non, aura pénétré dans l'in- 
dustrie, nous aurons comme confrères ceux qui débiteront les mé- 
langes nombreux qui seront en usage, Nous serons tous les adminis- 
trateurs compétents de la force-alcool, et nous serons tous surpris si 
on consulte des médecins sur le chauffage des bicycleties, » 


196 REVUES ET ANALYSES. 


« Vous venez d’avoir un Congrès des études économiques sur les 
emplois industriels de l'alcool, conduit par son président avec un 
grand accent de sincérité et de liberté dans la bonne humeur. Etes- 
vous mécontents de l'esprit que vous y avez trouvé et de ce que vous 
y avez appris? Vous avez en ce moment en fonction une grande com- 
mission extraparlementaire, divisée en trois sous-commissions moins 
nombreuses et mieux spécialisées, où les diverses industries de l’alcool 
aliment sont représentées : vous verrez ce qui en sortira si vous savez 
vous y prendre. Mais ce qu'il faut y introduire tout d’abord, c’est ce qui 
a paru y manquer jusqu'ici: c'est la confiance les uns dans les autres, 
c'est le sentiment qu'on est en présence du fair play, dans lequel 
tous les intérêts se débattent au grand jour. En un mot, c’est la sincé- 
rité. » 

Je sais bien que je vais faire crier en parlant ainsi. Mais cela m'est 
un peu égal. J'ai vu. Chacun, après avoir dit son opinion, pense au 
péril caché d’avoir parlé s’il a dit ce qu’il pense, à celui de n'avoir 
rien dit s’il a gardé le silence, et comme au-dessus des débats plane, 
d'ordinaire, silencieusement la volonté du ministre des Finances ou de 
l'Administration, la grosse préoccupation est de découvrir à quelles 
sources profondes va s’abreuver la loi dont on pâtira demain. 

On comprendra que les distillateurs et les fabricants de liqueurs, 
qui se présentent à ces grandes assises avec le poids de la réprobation 
officielle soulevée contre eux à propos de l’alcoolisme, aient été un peu 
inquiets, malgré le bon accueil que leur faisait le public. Je leur aurais 
voulu plus de tranquillité et plus d'assurance scientifique. 

« Voyons, Messieurs, aurais-je voulu leur entendre dire, comme 
conclusion du petit discours que j'ai commencé pour eux, de quoi 
s'agit-il? De conserver, sous forme de recettes, la grande industrie que 
nous représentons, en diminuant le plus possible les risques qu’elle fait 
courir, nous ne le nions pas, au consommateur. Convenez d’abord avec 
nous, car c’est ici une simple question d’arithmétique, que, même dans 
nos liqueurs, la plus grande source de péril est dans l’alcool, et nous 
aurons faitun pas, car cela prouvera que le point capital, essentiel, pour 
- nous, est l’emploi des essences, ou plutôt des végétaux qui en fournis- 
sent. Vous ne vous y êtes pas trompés, et dans ces projets de modifi- 
cation que vous nous réservez, vous vous êtes bornés à demander une 
réglementation de l'emploi de ces éléments essentiels de la fabrication. 
Mais vous vous êtes heurtés à l’ignorance où vous êtes, et nous aussi, 
au sujet de ces produits. On aurait pu croire que cela vous aurait con- 
duits à de la prudence. Mais voilà, Administration, vous n'avez pas 
de méfiance : vous parlez alors même que vous ignorez, et chacune 
de vos paroles compte, » 

« Comme je n'ignore pas que je parle devant vous, que j’accuse, 


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L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 197 


laissez-moi passer en Belgique, pour continuer. Là aussi, il y a un gou- 
vernement et une opinion publique ayant la hantise de l'alcoolisme, et 
un arrêté vient d’être pris, sur les avis du Conseil supérieur d'hygiène 
publique, pour ne tolérer dans les boissons spiritueuses que les subs- 
tances les moins dangereuses pour la santé publique et pour en limiter 
strictement la proportion. Nos voisins ont borné leur horizon pour y 
être mieux les maîtres, et, pourtant, tout le monde a l'air d’être mécon- 
tent de cet arrêté, qui est peut-être entré dans la bonne voie, mais qui, 
en confiant à une balance le soin de juger si une liqueur est bonne ou 
mauvaise, a placé à la base de l'arrêté un joli paradoxe. L’administra- 
tion belge a aussi parlé sans savoir, Son critère eùt peut-être suffi, si la 
substance qu’elle appelle dangereuse eût été unique, faite, par exemple, 
d'alcool amylique. Bien qu’il y en ait plusieurs, de ces alcools, on aurait 
pu voir si la dose était réglementaire. Mais comment faire lorsque, par 
définition, ces impuretés sont mulliples et inconnues, et d’actions très 
inégales? Eh bien! dans nctre opinion, une administration se coule 
quand elle aboutit à de pareils impairs. C'est l'arbitraire, et c'est nous 
qui payons. » 

« Personne n’a le droit de nous demander de nous associer à cette 
œuvre, Mais si un Conseil supérieur d'hygiène, restant dans les mêmes 
voies, nous conviait à la recherche du moyen, non pas de supprimer les 
boissons alcooliques (cela, nous sommes bien tranquilles, n’arrivera 
jamais), mais d’en diminer les dangers, comme ce serait les rendre plus 
attrayantes, nous serions bien sots de lui marchander notre concours, 
Il y a sûrement beaucoup à trouver dans cette voie, où nous avons de 
l'expérience... Combien nous gagnerions peut-être à remplacer la 
balance des Belges par un conseil plus physiologique, par des animaux 
d'expérience nous avertissant, même au prix de quelques épreuves, de 
celles de nos liqueurs qui doivent être réformées! Mais qu'y a-t-il dans 
tout cela? Des recherches à faire, et le renoncement absolu à parle 
avant de savoir. Eh bien! Administration, voulez-vous que nous com 
mencions de suite? 


LES DROITS 


Raisons du fraudeur. 


Dans les courts développements qui précèdent, je n’ai pas laissé 
pénétrer le côté fiscal de la question. J’ai dit qu'heureusement il 
n'existait pas, ou à peine, pour les vins, qui circulent en franchise pres- 
que absolue de droits, Mais j’ai évoqué le souvenir des 220 francs que 


doit payer tout hectolitre d'alcool qui a subi l'épreuve de la vente. J'ai 


signalé l’énormité de ce chiffre, comparé au prix réel de la marchan- 


198 REVUES ET ANALYSES. 


dise. Il n’étonne guère plus personne. Le contribuable s’habitue à le 
payer, théoriquement au moins, comme l’Administration à le recueillir. 
Elle est faite pour ramasser cet impôt, et le ramasserait presque aussi 
tranquillement si on le doublait ou le triplait. [l.n°y a de comparable 
que la tranquillité du percepteur, en face de la marée montante des 
impôts directs. 

Pourtant, de divers côtés, se manifeste un sentiment de lassitade et 
de plénitude. Je ne parle pas seulement du côté commercial de la situa- 
tion. Depuis que l’alcoolmeten mouvement desigros capitaux, il a cessé 
d'être une denrée de marché, il est devenu une marchandise de bourse 
sur laquelle on joue et on débat des intérêts qui n’ont rien à faire avec 
l'agriculture, l’industrie et l'hygiène. Cet inconvénient de l’agio existe 
aussi pour les blés, pour les sucres. Mais, pour les alcools, l'impôt 
dépasse dix fois la valeur vénale. Chacun, dans une transaction, vise 
la part considérable qui va s’en aller à l'État, et chacun tâche d’en 
garder un morceau. La fraude est organisée contre ces droits; elle se 
fait dans des conditions qui en font des nazardes au nez de l’adminis- 
tration, quand ce ne sont pas des luttes à main armée; l’État est natu- 
rellement mécontent. De Son côté, la partie qui paye s’exaspère contre 
celle qui fraude, et s’il y a quelque part une image de désordre. dans 
un état policé, c’est dans la perception des droits sur l’alcool d’au- 
jourd’hui. J’ai déjà prononcé à ce sujet le mot de gabelle, je le répète 
ici avec conviction, parce que je le trouve juste et qu’il fait réfléchir. 

Comme toujours, ce désordre est l’aboutissant d’une série de fai- 
blesses et d’oublis des principes. Y a-t-il quelque chose de plus extraor- 
dinaire que le régime des bouilleurs de cru? Quand il s’est agi de per- 
cevoir l'impôt de 220 francs par hectolitre sur l'alcool, il s’est trouvé 
beaucoup de gens préférant ne pas le payer, et arguant de leur droit 
de propriété sur lPaleoo! provenant des fruits poussés sur leursterres. 
Il y a eu autour de cet argument des luttes épiques, analogues à celles 
qu'avait soulevées l’établissement de l'impôt sur les vins, mais bien 
plus intenses, et qui durent encore. 

La chose est pourtant bien simple. Il fallait dire : « Je respecte vos 
droits de propriétaire sur votrealcool, comme jeles respecte vis-à-vis de 
votre fourrage, de vos blés et de vos vins. Vous avez la liberté de les 
consommer sans rien dire à personne. Vos marchés sont privés, ou à 
peu près, et vous auriez la même liberté pour l'alcool, si Je n'étais pas 
intervenu, moi État, pour décider, au nom de l'intérêt public, qu’un 
droit sera perçu à mon profit, au moment de la vente. C’est un impôt 
que Je prélève, absurde, coûteux, qui n’a plus d’excuses s’il n’est 
pas perçu sur tout le monde, et si vous, propriétaire producteur, vous 
ne me restituez pas les 220 francs par hectolitre qu’a dù vous donner 
le client non producteur, je suis lésé. Si vous ne me rendez rien, il y a 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 199 


un voleur des deniers publics, et c’est vous. Si vous laissez par 
convention une part de ce bénéfice dans la poche de votre client; 
il y à deux voleurs, dont le second n’a même plus à arguer du droit de 
propriétaire. En réalité, il n’y a de droits nulle part, il n’y a que des 
appétits. Vous êtes des associés qui détournent à leur profit les deniers 
de l'Etat, Et vous êtes nombreux à faire ce commerce ou à en bénéficier : 
plus d’un million de vendeurs, plus d’un million d’acheteurs et leurs 
familles, Si bien que les autres les jalousent ; et qu'à côté des 5 ou 6 mil- 
lions de Français qui gagnent à vivre sur les marges du code, et quine 
payent pas leurs contributions ou les payent avec de largent pris à 
l’État, vous avez une autre couche qui les dénonce, et une troisième 
qui s'élève contre un état social dans lequel un cinquième de la nation 
arrive à s'exonérer d’un impôt que paye le reste. Sommes-nous loin de 
la gabelle? Et peut-on s'étonner de trouver un peu en décomposition 
non seulement les finances, mais aussi l'esprit public d’un pays dans 
lequel des mœurs aussi coupables 1rouvent au Parlement des défenseurs 
attitrés? Que répondrez-vous aux socialistes? Et aux anarchistes? » 


Raisons de l’administration. 


Il serait facile de citer de nombreux exemples de ces faiblesses légis- 
latives qui sont devenues coupables. Mais la législation de l'alcool souffre 
plus profondément: elle périt de ce qu'elleest une législation deraccroc, 
faite d'articles qu'on a rajustés bout à bout, au fur et à mesure des 
besoins,sans que personne semble avoir pensé un instant qu'une loi sur 
l'alcool ne pouvait pas être faite comme une loi sur les portes et fenêtres, 
Il y à des lois naturelles, plus fortes que les parlements. On peut nepas 
les connaître, et c'est souvent le cas, On peut les transgresser. Mais, 
quand on n'est pas d'accord avec elles, elles se vengent, comme elles 
le feraient d’un garçon jardinier qui planteraitses arbres la tête en bas. 
C'est ce qui est arrivé à propos de l'alcool. Voyons comment la nature 
s'y est prise pour donner des leçons aux législateurs audacieux qui, 
eux aussi, délibèrent sans connaître. 

Nos sénateurs et députés ont méconnu les propriétés de l'alcool, et 
l'ont traité comme la première substance venue. D'abord ils ontignoré 
(mais on ne peut pas leur en vouloir beaucoup, car la connaissance en 
est toute récente), ils ont ignoré, dis-je, sa valeur comme force. Si au 
point de vue physiologique cette force en fait un aliment, on ne voit 
pas en quoi il est logique de le traiter autrement que le blé, le sucre ou 
la betterave. 

Si j'envisage maintenant cette force au point de vue mécanique, où 
l'alcool a pour concurrents la houille, le pétrole et les huiles, on pouvait 


800 REVUES ET ANALYSES, 


se demander, sans être trop en avant de son siècle, si un impôt de 
220 francs était un trait de génie. Ici, comme les législateurs savaient, il 
y avait responsabilité, et les lois naturelles ont commencé à prendre 
leurrevanche, Gouvernementetadministration s’occupent en cemoment 
à rechercher commenton pourrait décharger l’alcool-forcesans déchar- 
ger lalcool-aliment, et comme c'est le même corps qui est l’un et 
l’autre, ce n’est pas commode. Il a fallu résoudre un gros problème 
pour carburer l'alcool, et l'Administration poursuit de ses soupçons et 
accable de papiers multicolores tout être qui demande à gâter son 
alcool en le transformant en alcool d'automobile. Quant à la licence de 
vendre au public cet alcool dénaturé, elle rappelle celle qui autrefois 
permettait d’être pharmacien : on prévoit qu'il faudra bientôt des 
examens, et les alcools de chauffage promettent d’être des produits 
assez compliqués pour mériter, surtout avec une administration tou- 
jours un peu tracassière, un brevet de chimiste à leurs marchands. Un 
épicier ne suffit plus. 

Ce n'est pas tout. La nature s’est évidemment employée à faire de 
l'alcool un produit commun : l’administration méconnait cette loi et 
s'attache à le rendre rare par son prix. Donc, elle « de la peine : c’est la 
revanche du dédain qu’elle a eu pour la loi naturelle. 

Théoriquement, elle est heureuse, car sa matière imposable est 
partout. Partout où il y a du sucre, il y a de l'alcool. Il y a vingt-cinq 
ans, On comptait 87,000 bouilleurs de cru, il y en a maintenant 13 fois 
autant : 1,136,000, eton ne les connaît pas tous. Cela fait une moyenne 
de 50,000 citoyens par an qui ont senti le désir de connaître les sen- 
timents avec lesquelsle bouilleur déguste son alcool, et, par parenthèse, 
on s'étonne de voir grandir l'alcoolisme, lorsqu'il y a tous les ans 
00,000 buveurs nouveaux, buvant gratuitement et joyeusement à la 
santé de ceux qui payent. Il n’y a aucune raison pour que cette progres- 
sion cesse, la qualité de propriétaire, exigée par la loi, se trouvan 
acquise sinon légalement, du moins pratiquement, par un achat desucre 
hez l’épicier, Et on voit le moment où, en France, sera bouilleur de 
cru qui voudra,en conformité stricte avec le règlement relatif à la pro- 
vennace des jus sucrés, en désaccord complet avec la loi fiscale et la 
Jjustice.On ne peut pas envier ces nouveaux fraudeurs pour la qualité de 
l’eau-de-vie qu’ils boivent. Ces opérations, en petit, donnent presque 
toujours des produits mal rectifiés, et à peine buvables. Mais compter 
pour cela qu'ils ne seront pas bus, c’est compter sans les illusions et 
la petite vanité du propriétaire. Rien de dangereux au contraire dans 
une cave comme ces produits qui ne sont ni bon nimauvais, etqui vont 
partout. Voilà les facteurs puissants de l’alcoolisme: ilsrégalent l’homme 
la femme, et vont, au lieu de sucre et de confitures, sur les tartines de 
l'enfant. Mais allez donc les prendre ! 


L'ALCOOL ET $ES DROITS NATURELS. 801 


C'est ce jour-là que je vois l'Administration bien embarrassée. Elle 
verra combien sontabsurdes les impôts disproportionnés sur les denrées 
communes, en particulier sur une substance aussi parfaite dans son 
genre que l'alcool. Ces impôts, il faut les réduire le plus possible, pour 
ne pas les voir se réduire eux-mêmes, parce que le public s'insurge et 
ne paye plus. 


Monopole, 


Le sentiment qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume de 
Danemark est tel, à propos de l’alcool, que tout le monde a ouvert 
l'oreille dès qu’on a parlé de réforme et de monopole. L'État a semblé 
le seul capable de se tirer des difficultés de la situation qu'il s’est faite, 
et chacun avait son rêve, le mot de monopole permettant tout. (Il est 
impossible, disaient les gens réfléchis, de songer à uu remaniement quel- 
conque, sans que, tout de suite, saute aux yeux l’absurdité du système 
d'impôts sur l'alcool. On a commencé par atteindre chez lui la boisson 
préférée de l'homme : on a continué tant que l'impôt n’a pas fléchi, par 
suite de l’exagération. On a découvert ensuite que l'alcool avait une 
puissance calorifique, pour laquelle il entrait en concurrence avec le 
charbon et le pétrole, et on s’est senti obligé de le ménager comme pro- 
venant du sol national. Il a fallu alors au moins deux tarifs pour la 
même substance. Voilà que les savants, que Dieu confonde, découvrent 
en outre qu'il y a de l’alcool-aliment, nourriture à bon marché, et qui 
mérite à ce titre un traitement de faveur, qu’on se gardait de faire au 
gérant de l'alcoolisme. Enfin, comme composé chimique, l'alcool a des 
propriétés précieuses pour certaines industries, pharmacie, parfumerie, 
vernis, produits chimiques, et qui, faute de pouvoir s’en servir en 
France où il est trop cher, vont s’implanter en Angleterre ou en Alle- 
magne. Voilà dix, vingt usages nouveaux auquels aucun industriel ne 
peut songer avant d’avoir fait sa petite paix avec l'administration des 
contributions indirectes, qui ne consent pas facilement à voir dans 
l'alcool autre chose que la marchandise de luxe qu'elle a créée. C’est 
absolument comme si, un impôt étant mis sur le pain quotidien de l'in- 
dustrie, l’acide sulfurique, on le taxait suivant l'emploi en réclamant 
proportionnellement plus de droits aux industries qui en consomment 
davantage. Il est impossible que le côté extravagant de cette conception 
et de cet impôt ne frappe pas tout le monde, et qu'on n'y touche passi 
on touche à quelque chose, » Voilà un raisonnement rempli de sens 
commun, Mais, pratiquement, à quoi aboutissait-il? à la diminution 
desdroits? à l'augmentation? à une péréquation? Personne ne le savait. 
En altendant, le motde monopole, quicouvrait tout, était sympathique. 

Ceux qui avaient l'obligation d'y regarder de plus près, parce qu’ils 


802 REVUES EA ANALYSES, 


avaient dans l'affaire des intérêts parfois très gros, raisornaient de 
facons diverses. Le cri général était à peu près celui-ci : « Qnel bon- 
heur si, sous prétexte de monopole, l’État voulait bien se charger de 
la partie difficile de notre travail sans que nous y perdions ! TU est cer- 
tain qu’il s’en acquitterait mieux que personne, et nous serions bien 
plus tranquilles. Croyez bien queles bouilleurs de cru n’ont aucune joie 
à frauder l'Etat, et qu'ils seraient au contraire très heureux de le 
trouver comme acheteur, lorsqu'ils ont quelque chose à vendre. Croyez 
aussi que les distillateurs, une fois libéralement expropriés de leurs 
usines, suivraient avec intérêt les efforts de: l'État pour réduire les 
impuretés au minimum tolérable, Si le monopole nous vaut cela, 
vive le monopole!» 

« Mais qu’allons-nous devenir dans ce tohu-bohu, nous, disaient de 
leur côté les employés de cet immense labeur ? Nous voyons bien que, 
avant d’avoir fini son rêve de monopole, le pays abdique la moitié de 
son œuvre. Il renonce à être producteur d’alcool, c’est-à-dire agricui- 
teur, vigneron, brasseur, et, d’une manière générale, les ouvriers 
agricoles peuvent être tranquilles, ils ne changeront pas de maître. 
Mais nous, employés, contre-maitres et ouvriers des industries, qu’al- 
lons-nous devenir si, comme cela est probable, l'État se désintéresse 
de nous, Et puis, quand l’alcool ayant reçu ses diverses formes com- 
merciales, il faudra aller au client, où prendra-t-on les débitants ? Il y 
en a 411,000 en ce moment. Ce sont d’énergiques partisans du mono- 
pole, si l’État les conserve et en fait des employés ; ce sont des gens 
furieux s’il les met de côté. » 


Possibilités et impossibilités. 


Voilà, n'est-ce pas? une inquiétude qui se comprend et des ques- 
tions qu’on a le droit de se poser. Je n’ai pas encore tout dit. Je parlais 
tout à l’heure de ces lois faites à l’aveuglette, sans étudier les proprié- 
tés particulières des substances qu’elle ont à régenter. Nous en con- 
naissons déjà quelques exemples. Toute tentative de monopole me 
semble faite pour en révéler un nouveau. Il n'y & pas de monopole pos- 
sible lorsque la matière à monopoliser est en quantité illimitée. Prenez 
comme exemple l'oxygène de l'air. Il n’y a pas de denrée plus utile et 
d’un usage plus général. Vous l’avez frappé de l'impôt autant que vous 
l’avez pu, par la cote personnelle, qui vous permet de le respirer, par 
l'impôt des portes et fenêtres, qui lui permet d’entrer chez vous, par 
d’autres impôts directs avec lesquels vous avez assumé la charge de le” 
rendre salubre.. Vous ne pouvez pas le monopoliser. Lorsque vous 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 803 


aurez monopolisé l'alcool, si vous le revendez au prix coûtant, per- 
sonne ne fera d’objections, ni de contrebande ; vous risquez même de 
vous faire de chauds partisans. Mais si vos bénéfices dépassent ceux 
que.peut se promettre l'industriel à faire le mème travail que vous, 
surtout une industrie condamnée par la force des choses à être mo- 
deste, vous verrez reparaître de l’alcool qui n’aura pas passé par le 
monopole, et je vous défie bien d'éviter cette fraude, même avec vos 
bandes irremplaçables et vos bouteilles merveilleuses qui ne peuvent 
se remplir qu'une fois. Comme j'ai l’âme généreuse, j'y ajoutera 
autant d'employés nouveaux que l'administration des contributions 
indirectes pourra raisonnablement nous demander, 

Voilà l’inconvénient d’être dans un pays où poussent tant de 
matières alcoolisables. En Allemagne, où l’on va quelquefois chercher 
des exemples, on ne transforme guère que la pomme de terre et la 
betterave, et il a suffi d’une sorte de syndicat, où sont entrés à peu 
près 4,000 distillateurs ou grands propriétaires, pour constituer le 
monopole. J'ai dit plus haut que nous avions en France plus d'un 
million de bouilleurs de cru. Cela fait une différence. 

De plus, chez nous, la Régie a conduit ces derniers à faire trop 
d'alcool, comme elle avait conduit d’autres industriels à faire trop de 
sucre. C'est Elle, surtout, c’est-à-dire son manque de gouvernement, 
qu'il faut accuser, si nos agriculteurs sont entrés si facilement dans 
des voies desquelles il faut sortir aujourd’hui, on ne sait encore au 
prix de quelles souffrances. 

En ce moment, en moyenne, le quart de la production en alcool est 
de trop. Ces excédents attirent sans cesse l’attention sur eux. C’est à 
eux, au moins autant qu'aux opérations de bourse, qu'est due cette 
instabilité du prix de l'alcool, si redoutable pour l’industrie tout 
entière. [ls ont naturellement pesé sur toute la conception du mono- 
pole. Les uns ont demandé que tous les producteurs de phlegmes 
dénaturentobligatoirement un cinquième deleur production : charmante 
facon d'agir que de commencer par gâter une denrée pour qu'elle soit 
plus vendable. D’autres sont venus et ont dit : « Ne vous inquiétez 
pas! Je vous achète les trois quarts de votre production à un prix, fixé 
par la loi, assez haut pour que le prix de ces trois quarts représente le 
prix de revient de toute la production. Le dernier quart vous restera 
gratuitement et vous en ferez ce que vous voudrez, » Moi, j interviens 
avec une solution plus pratique. 

Je propose de brûler tous les ans, le jour de la fête nationale, tous 
ces excédents dans le cratère d’un ancien volcan, et je demande que 
ce soit le Pariou en face de Clermont. Ce sera au moins un beau feu 
d'artifice ! 


Jai l'air de rire. Je suis très sérieux. Je défie qu’on trouve. une 


804 REVUES ET ANALYSES. 


manière de se débarrasser des excédents qui soit plus nette et plus sûre; 
ce sera l’équivalent des vingt jours de vente au rabais dans les grands 
magasins : cela les nettoie, jusqu’à l’année prochaine. C'est que je sais 
bien avec quelle rapidité les matières laissées gratuitement aux fabri- 
cants vont remonter à la surface, pour venir faire concurrence à la 
même matière, vendue par le même fabricant, et qui aura bénéficié 
du prix de monopole. Et voilà, dirai-je, ce que produisent des lois 
bourrées de fictions et d’impossibilités, comme on nous en fait tant 
aujourd’hui, avec tant de bonne volonté. Si la loi du monopole doit 
en être encore une, je me prononce nettement : pas de monopole. 


CONCLUSIONS 


Suppression de la Régie 


Je crois que je peux dire nettement la conclusion unique à laquelle 
conduisent les diverses pages de celivre : c’est la suppression graduelle 
des droits sur l'alcool, appuyée, comme première contre-partie écono- 
mique, sur la suppression de l’administration des contributions indi- 
rectes. Nous venons de voir combien il estindispensable de changer de 
système dans notre facon de comprendre et de gérer nos intérêts de ce 
côté. Nous faisons partout fausse route. Ce sera dire hautement et net- 
tement qu'on s’oriente autrement pour l'avenir. 

Je prie qu’on ne me croie aucune haine ni aucune rancune contre 
l'administration. Je suis convaincu, au contraire, qu’elle a toujours 
bien régi ce qu'elle croyait notre intérêt, et interprété avec scru- 
pule l'esprit et la lettre des lois. Mais si l’alcool a désormais franchise 
de courir, ses menins ordinaires deviennent inutiles, et je demande 
qu’on le dise. La fin des indirectes serait la fin d’un système, 

Ilest clair qu’on y mettrait de la mansuétude. Il n’y a que les 
révolutions qui exigent des changements complets de personnel, et il 
ne faudrait précisément pas de révolution, mais une administration 
qui, doucement, pacifiquement, deviendrait différente de traditions et 
de doctrines. Tel un train parti de Paris, y revient avec les mêmes 
wagons, mais d’autres denrées; elle pourrait aiguiller tout de suite. 
Son premier acte serait de donner la volée à tous ces alcools qu’elle 
retient captifs, et qu’elle n'ose pas délivrer, parce que, dans sa pensée, 
l'alcool n’est pas de l'alcool, c'est une matière qui doit à l’État 
220 francs l’hectolitre. Cette dette l'hypnotise. Elle suit activement 
l'alcool! libéré; elle poursuit avec une sorte de mauvaise humeur celui 
auquel il faut bien accorder ce qu’elle appelle un traitement de faveur. 
Quant à celui qui se dérobe avec ruses, et qu'elle atteint, c’est avec le 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 805 


sentiment de Saussure, racontant sa première ascension au Mont-Blanc, 
« j'en foulai le sommet avec une colère satisfaite ». Il n'avait guère 
pensé qu'à ce moment depuis qu'il vivait. 

L'administration des impôts logiques, que je rève, la Logie, non 
plus la Régie, se délivrera donc, et nous délivrera aussi, de ces cauche- 
mars, en disant d’abord à tousles alcools, consommés comme chauffage, 
éclairage et force motrice : « Passez : ce n’est plus une faveur que l'on 
vous fait, c’est une justice qu'on vous rend. Paix aux honnêtes 
commerçants qui vous additionnaient de méthylène, de benzine, de 
pétrole, d’acétone, de bases pyridiques, etc. Paix aux dénatureurs de 
l’alcool, Nous la leur donnons pour qu'ils nous la donnent à leur tour. 
Rendons-leur la justice de dire qu’ils faisaient très bien de la mauvaise 
besogne, qui nous donnait beaucoup de peine. Peu nous importe 
désormais, nous ne nous en mêlons plus. Le seul impôt qui puisse 
les atteindre est de l’ordre de ceux qui frappent le charbon et le 
pétrole, et sera perçu comme eux. » Et voilà une première bastille 
renversée. 

Ce sera dans les mêmes sentiments que se fera, je pense, la 
séparation avec les bouilleurs de cru. Tout le monde à sa tâche allégée. 
Comme l'attrait des 220 francs d'impôt était certainement pour 
beaucoup dans l'augmentation de l'alcool de cette provenance, il est à 
prévoir que devant la menace de voir diminuer d’abord, puis finir 
la prime, les bouilleurs pourront se donner du loisir. L'adminis- 
tration de son côté n’aura plus la préoccupation du coulage et de la 
fraude : ce sera la trêve de Dieu. Une grande cause de dissensions 
intestines aura disparu du pays, et cet avantage de voir éteinte sans 
secousse une question irritante et insoluble est tel, qu'il vaut à lui 
seul le changement de système. Si les bouilleurs de cru se prétendaient 
lésés, il faudrait leur rappeler que leur besogne depuis dix ans a été 
illogique, illégale, et dangereuse, puisqu'elle a abouti à l’impasse dans 
laquelle nous nous débattons. 

Mais laissons tout cela et placons-nous devant les faits. En fait, 
l'alcool des bouilleurs de cru ne peut-être séparé de l'alcool industriel, 
qui lui-même se confond, au point de vue fiscal, avec l’alcool de vin. 
A eux tous, c’est là la grande masse, celle qui rapporte, celle que le 
ministre des Finances ne perd pas des yeux. Comme la maladie du 
budget est aussi une maladie sociale, nous avons à nous demander ce 
qui est préférable : mourir de pléthore d'alcool ou d’épuisement finan- 
cier. La réforme peut-elle se suffire à elle-même à ce point de vue? 
Laisse-t-elle un déficit et de combien ? 


806 REVUES ET ANALYSES. 


Libération de l’alcool. 


Je dois avouer que j'ai été incapable de faire le petit calcul donnant 
un commencement de réponse à la question, J'aime à croire que les 
documents pouvant me le fournir sont publiés. On publie tant de 
tableaux de chiffres : les miens doivent en être; je n’ai pas réussi à 
les débrouiller. Je ne puis même pas dire à combien s’élève la prin- 
cipale économie que je fais, ce que coûte la partie du service des 
contributions indirectes qui s'occupe des alcools, et qui, dans ma 
pensée, n'y fait que du mal. 

Je ne peux pas le dire, et là-dessus j'entends des gens qui crient : 
Qu'est-ce que c’est que cet olibrius, et que vient-il faire chez nous? 
Là-dessus, je réponds : « Vous seriez plus heureux que sages si, après 
les vingt aus de mauvaise politique que vous venez de nous faire, lors- 
que vous avez abouti à nous faire produire trop de sucre et trop 
d'alcool, lorsque vous avez créé les deux impasses qui se sont remplies 
l’une l’autre, car l'alcool de l’une est la mélasse de l’autre, si quelqu'un 
venait de vous dire : voici le moyen de sortir de vos embarras. Vous 
seriez plus heureux que sages si vous pouviez vous dire : nous avons 
manqué de prudence et d’esprit politique, mais ça ne fait rien, voilà 
un remède qui va opérer cito, tuto, el jucunde, pour nous débarrasser 
de notre engorgement. Eh bien, non, il n’en va pas ainsi. On a toujours 
de la peine à se tirer d’un mauvais pas, et si je suis intervenu, malgré 
mon incompétence, c'est qu’il m'a paru que je pouvais vous rendre 
le service, non pas de vous apporter de solution du problème, c'est 
au-dessus de mes forces, mais de vous montrer où il y en avait une. 
Je vous ai dit : vous vous êtes trompés par ignorance; voici un lot de 
vérités qui se tiennent, se commandent les unes aux autres. Prenez la 
logique qui s’y révèle comme base de votre réforme. Je la crois digne 
de présider, non seulement à la réfection de votre système d'impôts sur 
l'alcool, mais à la création d’une administration des impôts logiques, 
faite pour apparaître en France, et qui ne se bornera pas à l'alcool. 
Pratiquement, vous rencontrerez des difficultés, soyez en sûrs, mais on 
est armé contre elles quand on à un but et un programme. 

Je ne vous dis pas ce que tout cela va vous coûter. Je ne le dis pas 
parce que je ne le sais pas. Mais il est facile de le savoir. Nommez une 
Commission, une Commission peu nombreuse et qui travaille. En tête, 
quelqu'un qui ait pris goût au projet. Pas moi, bien entendu ! je suis 
trop vieux et trop incompétent, et je ne veux pas entrer dans une 
affaire sur laquelle je n’écrirai, je pense, plus un mot de ma vie, Mais 
il faut quelqu'un qui s’attache à ce projet avec la pensée de le faire 
sien, car le président de cette Commission aura plus de peine que 


: 
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CS 
Ta 


L'ALCOOL ET SES DROITS NATURELS. 807 


personne. À côté de lui, seulement quatre ou cinq inspecteurs des 
finances, gens habitués à réfléchir sur des documents précis, qui, sans 
être d'aucune administration, sont de toutes, ont par là une compétence 
générale savent lire les fictions au travers des réalités, et les réalités 
au travers des fictions, Ce sont les philosophes de notre système 
gouvernemental. Surtout qu’on ne pense pas à leur adjoindre des 
gens du métier, qui ne représentent d’ordinaire que des conventions. 
Avec ces cinq ou six personnes, c’est assez pour le but à atteindre : 
découvrir dans les papiers officiels ce qu’il arrive d’argent provenant 
des diverses espèces d’alcools et constituer ainsi l'Avoër de la situation 
actuelle ; faire son Doit avec tous les déboursés que comporte la réalisa- 
tion de cet Avoir, Ceci sera, j'imagine, la po tion la plus facile de 
l'œuvre. 
Il y en à une autre. Dans tout impôt, disait Bastiat, il faut compter 
ce qu'on voit etce qu'on ne voit pas. C’est ce qu’on ne voit pas qui, à 
propos de l’alcool, est le plus intéressant. Dans la colonne du Doit il y 
.a toutes les industries qui ont été chassées de France par l’exagération 
de nos droits, et toutes celles qui continuent à fonctionner chez nous, 
mais qui sont gènées dans leur expansion en France et à l'étranger par 
- l'impôt qu’elles ont payé. Les renseignements sur ce point ne doivent 
- point manquer. Les industries obligées de rester en France savent 
sûrement, à peu de chose près, ce que font d’affaires les maisons 
rivales et ce qu’elles gagneraient le jour où elles s’installeraient en 
France, n’ayant à payer que ce qu’on paye à l'étranger, Peut-être y 
aurait-il sur ces renseignements quelque ventilation à faire, mais des 
inspecteurs de finances sont en très bonne position pour cela. Ils pour- 
raient citer, en outre, pour mémoire, s’ils le veulent, la paralysie par- 
tielle ou totale qui saisit tous nos industriels à la pensée qu’ils vont 
avoir affaire à la Régie. Ce n’est pasla moindre pièce à consulter quand 
on veut se faire une idée de l’atonie générale de l’industrie française. 
Que ces messieurs, après avoir recueilli tous ces documents, veuil- 
lent bien les résumer dans deux pages d’un Grand-Livre, et on verra. 
Je ne dis pas qu’on verra tout de suite que la réforme est mûre : 
tout ne s'écrit pas dans deux colonnes de chiffres. Notre tableau n’est 
pascomplet, car nous n’yavons pasfaitfigurer nichiffréles inconvénients 
et même les dangers de la situation actuelle. Nous avons suffisamment 
visé ce point, qui est surtout de l’ordre politique, et sur lequel je 
n’ai pas à insister. N'oublions pas que tout récemment le parti des 
bouilleurs de cru est devenu un parti dans l’État. Mais nous aurons 
une base pour discuter, et porter la question ainsi éclairée à la grande 
commission extraparlementaire de l'alcool, Celle-ci, avec toutes ses 
compétences spéciales, dira son mot qui sera le dernier. Le gouverne- 
ment agira ensuite. 


808 REVUES ET ANALYSES, 


Je lui ferai observer en terminant que, s’il veut, mais s’il veut bien, 
il a tout les atouts en main pour bien jouer la grosse partie qui se 
prépare. Sans attendre le rapport de sa commission des Inspecteurs 
des Finances, il peut, je crois, prévoir une économie de cinquante mil- 
lions, assez pour gager tout de suite la libération de l’alcool-force, sur 
laquelle l'opinion publique est déjà faite et le parlement prêt à transi- 
ger. Offrez, comme prime, la disparition de la Régie, dont le travail 
sera semsiblement diminué dès le commencement de la réforme, si 
celle-ci se fait large, point regardante, et témoigne ainsi de l'apparition 
d’un esprit nouveau. Que l’on sente surtout que c’est le commencement 
d’une œuvre logique et scientifique, que vous mettrez, si vous voulez, 
dix ans à accomplir, mais que tout le monde comprendra dès l'abord, 
et vous verrez la Joie des intéressés, beaucoup plus nombreux que vous 
ne le pensez vous-même. Ainsi votre réforme des alcools entrera noble- 
ment dans cette série de réformes qui ont eu pour objet la libération 
du pain, du vin, du sucre. Ce jour-là l'alcool sera remonté à sa place 
au point de vue de l'impôt, car il est bien réellement l’aliment de tous, 


J'ai fini, et je sens que j'aurais encore beaucoup à dire. C’est le 
propre des questions bien prises qu'elles s’allongent sous les doigts. 
J'ai voulu ne parier que de l’alcool-aliment. J'aurais pu enfiler le cha- 
pitre de l’alcool-force, sur lequel je compte pour faire éclater le cercle 
de fer de nos idées étroites sur l’alcool. J'aurais pu y ajouter ou plutôt 
ycommencer la question de l’alcool-nourriture desanimaux dela ferme, 
qui promet un nouveau débouché pour tous nos excédents d’alcool et 
rendra très évidemment inutile l’administration des contributions 
indirectes. J'aurais voulu aborder, autrement qu’en lui fournissant un 
programme d’enseignement, la question de l’alcoolisme, si différente 
de la question de l’alcool, et qui est sociale. Mais j'ai, je crois, heurté 
beaucoup de préjugés et soulevé assez de colères. Ce sera pour une 
autre fois. 

E. Ducraux. 


Le Gérant : G. Massox. 


Sceaux. — Imprimerie Charaire. 


17me ANNÉE DÉCEMBRE 1903 N° 42 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 


Etudes expérimentales sur la Syphilis 


Par 
EL. METCHNIKOFF Er EM. ROUX 


PREMIER MÉMOIRE 
(Avec les planches XVI et XVII). 


Dans l’état actuel de nos connaissances et de no$ mœurs, la 
syphilis est pour l’homme un véritable fléau contre lequel il 
serait fort utile de trouver de nouvelles armes, 

Or, jusqu'à présent on ignore la nature de l'agent de cette 
maladie, et on manque de notions suffisamment précises sur un 
grand nombre de questions touchant à la pathogénie et à 
limmunité de la syphilis. 

Autrefois, lorsqu'on ignorait certaines conséquences tardives 
et très funestes de la syphilis, et lorsqu'on pensait que cette 
maladie était sûrement curable par les méthodes classiques, on 
l’inoculait souvent à des êtres humains dans le but d’éclaircir 
certains points de son histoire. A présent, ces inoculations ne 
sont plus possibles, tellement leur danger est évident. Aussi 
a-t-on cherché quelque espèce animale sensible au virus syphi- 
litique. 

Il existe toute une littérature sur les tentatives faites pour 
communiquer la syphilis à des vertébrés de différentes classes. 
On a inoculé le virus syphilitique à des animaux à sang froid, 
tels que grenouilles et salamandres (Brieger et Uhlenhut), ainsi 
qu'à différentes espèces d'oiseaux et surtout aux mammifères. 
Dans la très grande majorité des cas, les résultats ont été 

D2 


810 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


infructueux. On trouve pourtant de temps en temps l'annonce 
que des animaux d'expérience ont contracté des lésions syphi- 
litiques plus ou moins nettes. Auzias-Turenne‘ affirme avoir 
obtenu, en 1866, des papules syphilitiques et des plaques 
muqueuses chez un chat. Une année plus tard, en 1867, Legros 
et Lancereaux ont décrit des lésions syphilitiques chez un cobaye 
inoculé avec un fragment de chancre induré *. 

Parmi les mammifères in'érieurs, l'espèce porcine a surtout 
servi à des expériences nombreuses d'inoculation du virus 
syphilitique. D’après nos renseignements, c’est Martineau”. 
qui, le premier. a attribué au cochon la propriété de contracter 
la syphilis expérimentale. Après avoir inoculé à un jeune porc 
du pus, provenant d’un chancre syphilitique, il a observé le 
développement d’une induration parcheminée au point d’inocu- 
lation, suivie de l'apparition de papules nombreuses sur les diffé- 
rentes parties du corps. 

Plus tard, Adrian ‘, ainsi que Hügel et Holzhauser ‘, ont 
publié des résultats positifs de transmission du virus syphilitique 
à des cochons qui contractèrent des exanthèmes, présentant des 
caractères de papules spécifiques. Neisser °, à Breslau, a voulu se 
renseigner par des expériences personnelles sur la valeur de ces 
affirmations. Sur 18 cochons inoculés dans des conditions très 
diverses, il n’a obtenu qu’une seule fois un exanthème circiné 
qui présentait une analogie avec des accidents syphihtiques 
secondaires, mais qui, au point de vue histologique, en différait 
notablement. 

Les tentatives sur les mammifères les plus divers n’ayant 
pas donné de résultats constants ni satisfaisants, on s’est mis à 
inoculer le virus syphilitique à des singes, à cause de leur 
affinité zoologique avec l’espèce humaine. Sans parler des expé- 
riences faites à l’époque où on ne savait pas encore suffisamment 
distinguer le chancre syphilitique du chanere simple, nous 
résumerons en quelques lignes les recherches plus récentes, 
exécutées sur des singes. 


A notre connaissance c’est Klebs qui, le premier, inocula 


1. £a Syphilisation. 1878, p. 422. 

2. Cité dans le Dictionnaire encyclop. d. sciences médic., 1884, t. XIV, p. 498. 
. Jbid., p. 499. 

. Archiv. f. Dermalologie u. Syphilis, t. XLNIT, p. 163, 
Oil, XI, 1900 p. 225: 

. Ibid, t. LIX, 1902. 

. Archiv. für experimentelle Pathologie, 1879, €. X., p. 161. 


© 


IS QE oo 


ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA SYPHILIS 811 


dans la peau d'une guenon des fragments de chanere syphili- 
tique. et qui observa, six semaines plus tard. une éruption 
papuleuse sur plusieurs parties du corps. Quelques années après 
Klebs, Martineau et Hamonic' inoculèrent en 1882 un « singe 
macaque » qui présenta, quatre semaines après l’inoculation, 
deux chancres indurés sur le prépuce, et chez lequel les deux 
expérimentateurs ont décrit l’apparition consécutive de syphi- 
lides. de l’adénopathie, d’ulcérations de la voûte palatine et du 
voile de palais. 

Malgré les résultats positifs, annoncés par les auteurs que 
nous venons de nommer, leurs travaux n'ont pas eu de suite, 
Cela provient peut-être de ce qu'ils n’ont pas indiqué d’une 
façon précise quelle espèce de singes ils ont employé dans leurs 
expériences. Il existe un très grand nombre d'espèces de macaques 
qui se comportent différemment vis-à-vis du virus syphilitique, 
de sorte que la simple désignation « singe macaque » reste 
absolument insuffisante. Aussi, plusieurs observateurs, ayant 
inoculé à des singes des produits syphilitiques, n’ont obtenu que 
des résultats nuls ou insignifiants. Ainsi, Sperk* a inoculé en 
1886 et en 1888 en tout 46 singes de différentes espèces, et sur 
ce grand nombre d'expériences, il n’a réussi que très peu de fois. 
Un «singe macaque mâle », après avoir été inoculé par scarifi- 
cation au prépuce avec le produit d’une papule syphilitique, 
présenta 21 jours après une érosion qui se transforma en un 
ulcère, semblable au chancre induré. Un mois plus tard, il se 
produisit une éruption de boutons. Avec l’uléère de ce singe, 
Sperk a obtenu chez un autre macaque mâle une ulcération 
chancriforme qui n’a guéri qu'après environ trois mois. Chez un 
troisième macaque, inoculé avec l’ulcère du second, il se déve- 
loppa 14 jours plus tard une papule ulcérée qui ne se cicatrisa 
que 52 jours après son apparition. 

A l& mème époque, Mossé *, à Montpellier, inocula une jeune 
guenon avec les produits d’un chancre syphilitique et d’une 
plaque muqueuse. Le résultat a été négatif. Beaucoup d’autres 
chercheurs n’ont pas été plus heureux et. en présence de leur 
échec, ils n’ont même pas cru utile de publier leurs tentatives. 


1. Bulletin de l'Acad. de méd., 1882, p. 1007: Soc. med, d. Hôpitaux, 1883 ; 
Revue clinique d'Andrologie et de Gynécologie, 1993, p. 225. | 

2. Œuvres complètes, t. I, Paris, 1896, p. 614-616. 

3. Gazelte hebdomad. d. sciences méd. de Montpellier, 1887. 


812 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ainsi, ce n’est que tout récemment que les docteurs Krishaber, 
A. Fournier et Barthélemy t ont fait savoir qu’en 1882 ils avaient 
pratiqué un grand nombre d’inoculations de produitssyphilitiques 
à des macaques, sajous, cynocéphales, ouistitis et autres singes. 

« Quant aux résultats que nous ont fournis ces diverses 
expériences, — disent les observateurs cités, — ils se résument 
en ce seul mot : rien » (p. 216). Nous avons eu connaissance 
d’autres expériences, sur des singes, exécutées dans des 
laboratoires de Paris, de Breslau et de Saint-Pétersbourg, et qui 
n'ont pas eu plus de succès. 

Après un si grand nombre de résultats négatifs, nous devons 
mentionner les expériences de Maurice Nicolle, faites en 1893 à 
l'Institut Pasteur. Entre les mains de ce savant, certains singes 
se sont montrés absolument réfractaires à la syphilis: mais 
une espèce de macaque a contracté, à la suite de il’inoculation 
du virus à l’arcade sourcilière, des papules caractéristiques. Ces 
expériences, dont M. Nicolle nous a fait la démonstration à 
l’époque, n’ont pas été publiées. Mais plus récemment le docteur 
Ch. Nicolle les a reprises, et a établi que l'espèce de macaques 
qui présente une certaine sensibilité pour le virus syphilitique 
est le Bonnet chinois (Macacus sinicus), dont trois individus ont 
été inoculés avec succès. Ils ont présenté au point d'introduction 
du virus, dans l’espace de 15 à 19 jours après l’inoculation, des 
papules squameuses qui ont guéri rapidement (de 10 à 23 jours). 
Une fois seulement il s’est produit un noyau sous-cutané induré, 
accompagné d’adénopathie. Mais chez aucun des trois singes il 
n'a été observé d'accidents ultérieurs, correspondant aux 
symptômes secondaires de la syphilis. 

Tout récemment Hamonic*? a communiqué à l’Académie de 
médecine une expérience, dans laquelle un macaque japonais 
(%. cynomolqus) a présenté des ulcérations indurées accompa- 
gnées d’adénopathie,ulcérations qui, 9 jours Re Se 
ont commencé à guérir. 

On peut conclure de toutes ces données qu’en général les 
singes possèdent une immunité naturelle vis-à-vis de la syphilis, 
mais que cependant, chez quelques espèces, peuventse produire 


1. La Syphilis, 1903, t. I, p. 209. 
2. Revue cl. d'Androl.etde Gynécol. 1903, p. 326. 


ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA SYPHILIS 813 


certaines manifestations syphilitiques, beaucoup moins pronon- 
cées toutefois que chez l'homme. 

Nous-mêmes, nous avons inoculé plusieurs macaques bonnets 
chinois(Macacus sinicus) avec du virus syphilitique, et nous avons 
pu confirmer les faits observés par MM. Nicolle. Environ 20 jours 
après l'inoculation à la peau, il se développe des papules au 
point d'introduction du virus ; elles sont entourées d’œdème et 
se couvrent de croûtes qui tombent au bout de quelques temps. 
Les ganglions Iymphatiques du voisinage ne sont pas perçus à 
la palpation, ou bien donnent la sensation de petites glandes pas 
plus grosses que des graines de millet. La courte durée de 
l'accident primaire, ainsi que l'absence de manifestations 
secondaires, indique une faible sensibilité du bonnet chinois 
pour la syphilis. Un certain nombre de ces singes se montrent 
même complètement réfractaires au virus. Ainsi, sur 5 bonnets 
chinois que nous avons inoculés, 2 seulement ont présenté 
les accidents décrits, tandis que les 3 autres n’ont rien montré 
du tout. 

Un jeune mandrill mâle (Cynocephalusmormon),que nousavons 
inoculé avec de la sérosité provenant d’un chancre syphilitique, 
s’est également montré réfractaire pendant les 2 mois qu'a duré 
l'expérience. 

Dans l’ordre des primates, à côté des macaques et des 
cynocéphales, il existe tout un groupe de singes anthropoïdes. 
Nous avons supposé que ces derniers, à cause de leur affinité 
beaucoup plus grande avec l'espèce humaine, seraient plus 
sensibles au virus syphilitique. 

L'anatomie comparée nous apprend que sous tous les 
rapports les singes anthropoïdes se rapprochent plus de l’homme 
que des singes proprements dits. Ce résultat, formulé surtout par 
Huxley, a été dans ces derniers temps confirmé par Grünbaum 
et Nuttall, à la suite de leurs recherehes sur les propriétés 
hémolytiques, agglutinatives et précipitantes des sérums. Ils ont 
établi que le sérum des animaux, préparés avec du sang 
humain, manifeste vis-à-vis du sang et du sérum d'homme les 
mêmes propriétés que vis-à-vis du sang et du sérum des singes 
anthropoïdes (chimpanzé, gorille, orang-outan). 

Partant de ces données, nous avons cherché à donner aux 
singes anthropoïdes des maladies infectieuses propres à l'espèce 


814 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


humaine. Jusqu'à présent nous n'avons pu nous procurer que 
des chimpanzés (Troglodytes niger et Tr. calvus), auxquels nous 
avons inoculé du viras syphilitique. 

Notre première expérience a été faite sur un chimpanzé 
femelle, âgée de deux ans environ. Nous lui avons inoculé 
d'abord, par scarification épidermique, au prépuce clitoridien, 
un peu de sérosité, prise sur un chancre induré d'homme. Cette 
lésion, datant d’un mois, était déjà en voie de guérison et pré- 
sentait l’aspect cartilagineux d’un chanere du sillon balano- 
préputial. L’individu qui nous avait fourni le virus était atteint 
d’adénopathie sous-maxillaire et était porteur d’une roséole très 
nette. Il n'avait subi aucun traitement interne, mais appliquait 
localement de l’eau oxygénée. 

Dans la même séance, notre chimpanzé reçut une seconde 
inoculation surlerebord sourcilier du côté droit, au moyen d’un 
peu de sérosité retirée d’une plaque muqueuse chez un individu 
porteur d’une cicatrice récente d’un chancre induré dela verge, 
et atteint depuis 3 semaines de 3 ulcérations syphilitiques du 
même organe. Ce malade n'avait pas plus que le premier subi 
de traitement général, mais il lavait les parties malades avec de 
l’eau boriquée. 

Ces deux inoculations ayant été faites avec un virus ‘de 
syphilis déjà avancée, dont les lésions avait été traitées par des 
antiseptiques, nous avons cru utile de soumettre notre chimpanzé 
5 jours plus tard à une troisième inoculation. Cette fois nous nous 
sommes servi du raclage d’un chancre induré de la verge, âgé 
seulement de 3 jours et n'ayant subi aucun traitement. L'inocu- 
lation fut pratiquée dans le pli du prépuce clitoridien du côté 
gauche. 

Les petites portes d'entrée du virus se sont fermées au bout 
de peu de temps, sans donner lieu à aucune lésion. Les 3 pre- 
mières semaines après l’inoculation se sont passées sans le 
moindre accident, et ce n’est que le 26° jour après l’introduction 
du virus que nous avons aperçu, du eôté droit du prépuce clito- 
ridien, à l'endroit de la première inoculation, une petite vésicule 
ovale, transparente, entourée d’une zone rougeàtre qui ne tran- 
chait pas brusquement sur les parties voisines. Bientôt la vésicule 
s'est aplatie, s’est transformée en une érosion enfoncée au 
milieu d’un tissu qui tous les jours devenait de plus en plus 


ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA SYPHILIS 845 


induré. Le fond du chancre se présentait sous forme d’une 
plaque arrondie de couleur d’ocre (fig. 4, pl. xvi); mais, au bout 
de peu de temps, l'érosion s'était couverte d’une fausse mem- 
brane grise avec des contours très marqués. 

Il a été bien constaté qu'au moment de l'inoculation le chim- 
panzé ne présentait pas de ganglions lymphatiques tant soit peu 
marqués. Mais, au début de la lésion locale, on pouvait sentir 
des petits ganglions aux aines des deux côtés. Quelques jours 
plus tard on percevait une hypertrophie très marquée de ces 
ganglions du côté droit correspondant au chancre. On pouvait 
distinguer nettement un paquet, composé de quatre ganglions. 
De même que les trois ganglions de l’aine gauche, plus petits, ils 
n'étaientaucunement douloureux, lorsqu'on les touchait ou qu’on 
les pressait même fortement. 

Vers cette époque, c'est-à-dire 20 jours après l'apparition de 
la vésicule initiale du prépuce, nous avons montré notre chim- 
panzé à l'Académie de médecine, afin que les membres de cette 
Compagnie pussent vérifier le résultat de notre première expé- 
rience !. Tous les membres présents qui ont examiné l’animal 
ont constaté le caractère syphilitique de la lésion, et des spécia- 
listes, parmi lesquels nous citerons M. le professeur A. Fournier, 
MM. du Castel, Hallopeau, Marc Sée, ont fait le diagnostic de 
chancre induré. 

Le lendemain de la séance, M. Méheux, photographe spécia- 
Uste bien connu, a pris la photographie de l’accident primaire 
que nous avons fait reproduire sur la planche XVI. Le chancre 
se trouvait alors en pleine évolution. 

Juste un mois après l'apparition du chancre, c’est-à-dire 
56 jours après la première inoculation, nous avons pu remar- 
quer sur la peau blanche de notre animal quelques papules, 
disséminées sur les faces ventrale et dorsale, ainsi que sur les 
cuisses. Au début nous n’avons pu trouver que # papules, mais 
leur nombre s’est accru jusqu'à 15 les jours suivants. 

Ces papules présentaient les caractères de papules squam- 
meuses, sèches. Elles étaient rondes, de grandeur un peu diffé- 
rente, et laissaient distinguer une zone périphérique rouge et une 
partie centrale sous forme de croûte. Il suffisait de gratter un 


4. Bulletin de l’Académie de médecine, 1903, 28 juillet. 


816 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


peu la surface, pour provoquer le suintement d’une sérosité 
rose et légèrement louche. 

Avec le temps ces papules accusèrent de plus en plus leur 
analogie avec les productions analogues chez l’homme syphili- 
tique. Entre la zone périphérique et la croûte s'était déve- 
loppé un anneau plus étroit, formé de petites squames blan- 
châtres, et constituant ce que l’on désigne sous le nom de 
« collerette de Biett ». 

Vingt jours après l'apparition des premières syphilides, les 
signes caractéristiques de ces papules étaient très manifestes, et 
c'est alors qu'ont été prises par M. Méheux les photographies 
reproduites sur les figures 4 et 5 de la planche XVIL A ce 
moment le chancre, bien qu’encore conservé, présentait des 
signes incontestables de guérison. Les tissus environnants sont 
devenus moins hypérémiés et plus flasques; la partie centrale 
s’est transformée en une croûte sèche et dure. 

La période de réparation du chancre a commencé quelques 
temps après que les ‘accidents étaient le plus développés. La 
zone périphérique de rouge est devenue pâle et de plus en plus 
imprégnée de pigment noir ou brun foncé. L'induration des 
papules a disparu complètement, et ces syphilides se plissaient 
facilement lorsqu'on les touchait. 

Dans la cavité buccale on pouvait distinguer des ulcérations . 
variées, mais il a été impossible de les rattacher d'une façon 
certaine à la syphilis. Chez les chimpanzés en captivité, il se 
développe le plus souvent une gingivite opiniâtre, et c’est pour 
cela qu’on n'ose pas attribuer aux lésions buccales le caractère 
spécifique. Par contre, l’adénopathie généralisée, développée 
chez notre animal, pouvait être avec plus de droit considérée 
comme une manifestation syphilitique. En dehors des ganglions 
des aines déjà mentionnés, il a été possible de suivre l’hyper- 
trophie des ganglions des aisselles. En outre, pendant la 
période du développement des accidents secondaires, la rate a 
présenté une augmentation de volume et s’est montrée dure à 
la palpation. 

Environ trois mois après le début de l’expérience, notre 
chimpanzé a commencé à manifester des symptômes de 
malaise. On le trouvait souvent couché dans sa cage. L’animal 
mangeait et buvait avec moins d'appétit et maigrissait à vue 


ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA SYPHILIS 817 


d'œil. Cet état a duré pendant une quinzaine de jours avec des 
hauts et des bas successifs, mais finalement la santé s'est 
altérée d’une façon très grave. Le singe restait couché toute la 
journée, ne prenait presque aucun aliment et s’affaiblissait de 
plus en plus. Les derniers jours il toussait un peu, mais ne se 
plaignait point. 

Soixante-dix-neuf jours après le début du chancere et 49 jours 
après l’apparition des premières syphilides, notre animal à 
été trouvé mort. Son cadavre ne pesait que 4,600 grammes. 
A l’autopsie, on a trouvé les ganglions des aines augmentés de 
volume, ceux du côté droit étaient beaucoup plus gros que 
ceux de l’aine gauche, La rate, qui pesait 40 grammes, était 
visiblement hypertrophiée et dure : elle était de couleur rouge 
foncé et présentait un grand nombre de corps de Malpighi très 
distincts. Le foie était volumineux (275 grammes), pâle, de 
couleur jaunâtre. Sa surface montrait plusieurs bosselures. 
Les reins, anémiés, avaient une couche corticale très dévelop- 
pée. Le poumon gauche était faiblement œdémateux et un peu 
congestionné. Dans la cavité buccale, on apercevait autour 
des dents de la mâchoire supérieure quelques plaques de 
nécrose. L’épiglotte était hypérémiée et l'entrée du larynx d’un 
rouge intense, 

Le sang du cœur, le foie, la rate et le poumon, ensemencés 
sur des milieux de culture, ont donné le lendemain une abon- 
dante récolte de pneumocoques soit isolés, soit en petites 
chaînettes. Il faut donc admettre que le chimpanzé est mort 
d’une pneumococcie généralisée, dont la porte d’entrée s’est 
faite par les ulcérations de la bouche. 

Cette fin prématurée de notre animal a interrompu l’expé- 
rience, qui a donné tout de même quelques résultats dignes 
d'intérêt. Elle a montré que le chimpanzé est de beaucoup plus 
sensible au virus syphilitique que les singes proprement dits, et 
que chez lui lasyphilis évolue d’une façon comparable à la syphilis 
de l’homme. En outre de l’accident primitif, long à guérir, il se 
développe chez le chimpanzé des manifestations syphilitiques 
secondaires, sous forme de syphilides papulo-squameuses, 
D'un autre côté, cette première expérience a prouvé que le 
chancre induré d’homme, quoique étanten voie de guérison et âgé 
d’un mois, renferme encore assez de virus actif pour provoquer 


818 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la syphilis chez le chimpanzé. En troisième lieu, il découle de 
notre expérience que l’immunité vis-à-vis de l’accident primitif 
s'établit avec une grande rapidité, Des trois inoculations 
successives, il n’y a que la première qui ait donné un résultat 
positif. La seconde inoculation, pratiquée 5 jours après la 
première, avec un virus probablement plus fort, n’a été suivie 
d’aucune manifestation, On peut en conclure que cette immu- 
nité est déjà acquise en peu de jours. 

Dans le but d’établir si la syphilis du chimpanzé était 
capable de se transmettre à d’autres individus du même genre, 
nous avons inoculé à un chimpanzé mäle (Troglodytes calvus) des 
produits syphilitiques du premier animal. 45 jours après 
l'apparition du chancre induré chez celui-ci, c’est-à-dire à une 
période où cette lésion syphilitique était en voie de gué- 
rison manifeste, nous avons prélevé un peu de sérosité 
que nous avons inoculée à la verge de notre second animal. 
Comme dans la première expérience, l’inoculation a été 
tout à fait superlicielle et pratiquée avec le scarificateur de 
Vidal. 

Nous avons pensé qu'un chancre aussi avancé dans son 
évolutionet prêt à guérir pouvait peut-être avoir déjà perdu de sa 
virulence, Pour cette raison, nous avons en même temps inoculé 
un peu de raclage, prélevé à une syphilide papuleuse du 
premier chimpanzé, à la cuisse gauche de notre second animal 
d'experience. 

Les premiers jours après ces deux inoculations, on n’ob- 
serva rien de particulier, les petites lésions occasionnées par 
le scarificateur s'étant fermées au bout de peu de temps. Mais 
8 jours après, nous avons constaté à la cuisse gauche deux petites 
ulcérations passagères, Après quoi, pendant toute une période 
consécutive, nous ne pouvions apercevoir aucun symptôme 
morbide, Ce n’est que 35 jours après l’inoculation qu’est apparue 
du côté gauche de la verge une petite érosion superficielle. Elle 
avait la largeur d’une petite lentille et ne présentait ni rougeur 
ni induration, Mais les jours suivants la lésion a progressé nota- 
blement. Elle est devenue plus grande et s’est allongée. Au 
même moment, il se développa sur la cuisse inoculée une seconde 
érosion, entourée d’un tissu légèrement induré. Les ganglions 
lymphatiques étaient palpables dans les deux aines.” 


Le M 


ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA SYPHILIS 819 


Les jours suivants, la lésion de la verge a fait des progrès 
considérables. En même temps l'accident primaire de la cuisse 
s'est ulcéré dans sa partie centrale ; la rougeur et l'induration 
sont devenues très prononcées et le tout a pris l'aspect caractéris- 
tique d’un chancre superficiel de la peau. Les ganglions de l’aine 
du côté correspondant aux lésions de la verge et de la cuisse se 
sont notablement hypertrophiés; on pouvait y distinguer 
nettement deux ganglions mobiles, indolores et durs. 

Un mois après son apparition, le chancre de la cuisse a com- 
mencé à rétrograder, tandis que celui de la verge a continué à 
progresser. Les ganglions lymphatiques de l'aine gauche ont 
pendant ce temps encore augmenté de volume. Cette hypertrophie 
cependant ne s’est pas maintenue et dans la suite les ganglions 
ont sensiblement diminué de grosseur. Environ 6 semaines après 
son apparition, le chancre de la cuisse a commencé à guérir, celui 
de la verge est au contraire resté sans changement jusqu’à 
la mort de l’animal, survenue 45 jours après le début des mani- 
festations syphilitiques. 

Les deux dernières semaines de sa vie, le chimpanzé souffrait 
de rhume et toussait fréquemment. L’appétit et les forces dimi- 
nuèrent progressivement et l'animal finit par succomber. Sur le 
cadavre on pouvait apercevoir à la verge le chancre induré très 
typique. Les restes du chancre de la cuisse se sont montrés 
entourés d’une zone large pigmentée et renfermant au centre une 
squame sèche, dure et épaisse. Il n’a été possible de constater 
aucun accident secondaire. A l’autopsie, la rate a été trouvée 
adhérente au péritoine; le foie et les reins étaient pàles, de 
couleur jaunätre. L’estomac et liléon accusaient quelques 
légères ulcérations. Les poumons n’ont présenté rien d’anormal. 
Le sang du cœur, ensemencé sur gélose, a donné une culture 
très abondante d’un petit coecobacille qui ne prend pas le Gram 
et qui présente une certaine ressemblance avec le coccobacille 
de Pfeiffer, isolé des cas d’influenza. Mais les deux microbes 
ne sont pas identiques, car celui du chimpanzé pousse bien sur 
gélose ordinaire, non additionnée de sang. 

L'expérience que nous venons de relater nous à fourni une 
nouvelle preuve de la sensibilité du chimpanzé pour le virus 
syphilitique. Elle nous a montré en outre que la syphilis est 
capable de se transmettre d’un chimpanzé à l’autre et que le 


820 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


virus du chancre est aussi capable de provoquer l'accident 
primaire que celui d’une syphilide papulo-squameuse. Mais 
tandis que le virus du chimpanzé a développé le chancre chez un 
second individu du même genre, il est resté sans effet sur un 
jeune mandrill. De même, le raclage du chancre de la cuisse de 
notre second chimpanzé, inoculé à la région sourcilière d’un 
Macacus sinicus, n’a rien produit. Ce fait indique peut-être une 
certaine atténuation du virus syphilitique après son passage à 
travers l’organisme du chimpanzé. Ce résultat devra être con- 
trôlé par des recherches ultérieures que nous sommes en train 
de poursuivre. 


Les faits que nous avons pu établir dans ce mémoire décou- 
lent de nos recherches qui ne sont qu'à leur début, ils montrent 
néanmoins qu'une contribution utile à l’étude de la syphilis peut 
être fournie par l’expérimentation sur les animaux, et notam- 
ment sur les singes anthropoïdes. Chez ces derniers, l’évolution 
de la maladie présente en effet la plus grande analogie avec la 
syphilis humaine. 

Les recherches dont nous avons esquissé une première partie 
n'ont pu être exécutées que grâce à de nombreux concours. 
Aussi nous exprimons notre reconnaissance aux syphiligraphes 
qui ont voulu à plusieurs reprises examiner nos animaux, notam- 
ment à MM. le professeur A. Fournier, du Castel, Hallopeau et 
Danlos. Nous remercions également MM. les docteurs Salmon 
et Queyrat, qui nous ont fourni le matériel nécessaire pour les 
inoculations, et qui nous ont aidé dans l’examen de nos animaux 
d'expérience. Nous devons aussi nos remerciements à l’Institut 
de France et au Quatorzième Congrès international de Médecine 
à Madrid pour les prix (Osiris et de Moscou) qu’ils nous ont 
accordés, et qui nous ont permis d'entreprendre ces expériences 
très coûteuses, ainsi qu’à la direction du Jardin des Plantes de 
Paris et à M. Gazengel, pour le don du chimpanzé mâle, dont 
nous avons relaté l’histoire. 


ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA SYPHILIS 821 


EXPLICATION DES FIGURES 


Planche XVI. Fig. 1. Partie postérieure du corps du chimpanzé femelle, 
avec le chancre induré de la vulve. 21e jour après l'apparition. On voit 
bien la proéminence de la peau de l’aine droite qui recouvre le paquet gan- 
glionnaire. 


Planche XVII, Fig. 2. Lésion primaire, prise le 8° jour après le début. 

Fig. 3. La mêine, avec le clitoris écarté. 

Fig. 4 Lésion primaire en voie de guérison, ainsi que deux syphilides 
papulo-squammeuses. 


Fig. à. Une syphilide papulo-squammeuse de la partie dorsale du chim- 
panzé. 


RECHERCHES SUR LA COAGULATION DU SANG 


Par Les D's Juces BORDET Er Ocrave GENGOU 


(DEUXIÈME MÉMOIRE) 


(Travail de l'Institut Pasteur de Bruxelles.) 


Nous avons attiré l’attention, dans un travail antérieur ', 
sur une propriété intéressante du plasma obtenu par la méthode 
des tubes paraffinés. Le point de départ de ces recherches était 
l'observation bien connue de Freund, d’après laquelle le sang 
recueilli, au sortir du vaisseau, dans un vase dont les parois 
sont enduites d'huile ou de vaseline, ne se coagule qu'avec une 
extrème lenteur. Dans le but d'obtenir du plasma, nous tentà- 
mes tout d’abord de centrifuger, sans qu'il se coagulât, du sang 
contenu dans un tube intérieurement vaseliné. Mais la vaseline 
étant trop molle, se détachait du verre sous l’action de la force 
centrifuge. Nous eûmes recours alors à des tubes dont les parois 
intérieures étaient recouvertes d’une couche de paraffine solide. 
Dans ces conditions il nous fut facile d'obtenir, par centrifuga- 
tion et décantation, du plasma bien débarrassé d'éléments 
cellulaires, et qui ne se coagulait qu'avec une lenteur tout à fait 
inusitée (parfois au bout de 4 à 5 heures, parfois seulement au 
bout de 24 à 30 heures), Mais il était indispensable, pour 
conserver à l'état liquide ce plasma limpide et privé de cellules; 
de ne point lui faire subir d'autre contact que celui de la paraffine. 
Nous constatämes en effet, qu'un tel plasma, susceptible de 
rester liquide pendant un temps fort prolongé à condition d'être 
maintenu en tube paraffiné, se coagulait très rapidement lors- 
qu'on le transvasait dans un tube non paraffiné ou qu'on le 
versait sur une plaque de verre; on observait alors que la 

1. Recherches sur la coagulation du sang. Ces Annales, 1901. Les expériences 
relatées dans le présent mémoire ont fait l'objet d’une note transmise récemment 
à l’Académie royale de médecine de Belgique. 


Lie 


COAGULATION DU SANG. 823 


surface du verre se tapissait rapidement d’une couche de 
fibrine, d’abord très mince, adhérant à la paroi, et qui peu à peu 
s'épaississait, la coagulation se propageant à toute la masse du 
plasma. 

Comme il s'agissait de plasma ne contenant en suspension 
aucune espèce d’élément cellulaire, notre conclusion fut non 
seulement que le contact avec un corps tel que le verre accélère 
la coagulation du sang (ce qu’on savait depuis longtemps), mais 
encore que cette influence favorisante peut s'exercer sur les 
substances inorganisées du plasma, dans des conditions où 
toute participation d’une sensibilité ou irritabilité cellulaire 
est formellement exclue. Il s’agit ici d’un phénomène non pas 
biologique, mais physico-chimique; l'influence qui intervient 
est vraisemblablement l'adhésion moléculaire, la paraffine se 
distinguant du verre en ce qu'elle n’est pas mouillée par le 
plasma. 

Si l’on verse du plasma dans un verre de montre enduit de 
paraffine, on remarque que les poussières de Pair (débris 
d'étoffe, poils de laine, ete.) tombant sur la surface du liquide 
s’entourent bientôt d’une zone de coagulation, qu'il est facile 
de déceler au moyen de petits tubes capillaires dont on met 
l'orifice en contact avec la surface du plasma. Si l’on fait tou- 
cher par l'extrémité du capillaire un point très voisin de celui 
où flotte depuis quelque temps une poussière, on s'aperçoit que 
le plasma ne s'élève pas dans le tube, tandis qu'en d’autres 
endroits de semblables tubes capillaires se remplissent dès 
qu'ils piquent le liquide. Comme celui du verre ou des pous- 
sières, le contact du platine favorise la coagulation. 

Tels sont les faits relatifs au rôle du contact dans la coagu- 
lation, que nous avons exposés dans notre précédent mémoire. 
Il nous à paru opportun de les soumettre: à une étude plus 
approfondie, qui fait l’objet du présent article. 


$ [. ROLE DU CONTACT DANS LA PRODUCTION DU FIBRIN-FERMENT. 


Nous ne nous proposons point d'aborder ici la question de 
l'origine cellulaire des substances actives qui président à la 
coagulation, qui, en d’autres termes, font passer Le fibrinogène 
à l’état de fibrine solide. Nous considérerons exclusivement 


824 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR 


des plasmas limpides, débarrassés par une centrifugation pro- 
longée, de tout élément cellulaire. 

On sait que le sang circulant ne renferme pas le principe 
coagulant actif (Schiff). Le sang qui jaillit du vaisseau n’en 
contient pas dans les premiers instants. Mais bientôt ce prin- 
cipe apparaît, provoque la coagulation, et se retrouve dans le 
sérum exsudé du caillot. M. Arthus a étudié très soigneusement 
la marche de la production in vitro, du fibrin-ferment dans le 
sang que l’on vient d'extraire. 

On sait aussi qu’on peut obtenir des plasmas incoagulables 
spontanément, et qui ne contiennent pas de fibrin-ferment. Tel 
est le plasma oxalaté obtenu d’abord ar MM. Arthus et Pagès. 
Si ce plasma contenait du fibrin- Fes il se transformerait 
en caillot ; en effet Pekelharing a montré que du plasma oxalaté 
coagule par l'addition de sérum provenant d’une coagulation nor- 
maie antérieure, même si se sérum a été, avant d'être mélangé 
au plasma, additionné d’oxalate !. Il en résulte non seulement que 
le plasma oxalaté ne contient pas le principe coagulant dont le 
sérum est abondamment pourvu (fibrin-ferment), mais encore 
que la présence d’oxalate n'empêche pas ce ferment de transfor- 
mer le fibrinogène en fibrine. 

Mais le plasma oxalaté, mème complètement privé de cellules, 
présente ce caractère, signalé par Arthus et Pagès, de se coaguler 
rapidement quand on yintroduit un sel soluble de calcium en 
quantité légèrement supérieure à celle qui suffit à précipiter 
complètement l’oxalate. Le sérum qui s’exsude du caillot formé 
contient du fibrin-ferment, car, additionné d'oxalate en excès, 
il provoque la coagulation du plasma oxalaté. L'addition de sel 
calcique au plasma oxalaté y fait donc apparaitre le fibrin-fer- 
ment; on est bien forcé d'admettre, naturellement, que celui-ci 
se forme aux dépens d'une matière préexistante, génératrice 
du fibrin-ferment, et qui a été dénommée proferment, On est 
donc autorisé à dire que le plasma oxalaté renferme du pro- 
ferment; celui-ci exige, pour se transformer en ferment actif, 
l'addition de sels de chaux ; dès que le ferment est produit, la 
présence de chaux n’est plus indispensable à la coagulation. 


1. Rappelons que l'oxalate alcalin s'emploie dans ces expériences à dose de 
4 0/00 environ. 


COAGULATION DU SANG. 825 


L'opinion généralement acceptée est que le pouvoir anticoa- 
gulant des oxalates est dû uniquement à ce que ces sels 
insolubilisent le calcaire, la présence du calcium soluble étant 
une condition nécessaire à la production même du ferment 
coagulant aux dépens du proferment. 

Toutes ces notions, on le sait, résultent surtout des remar- 
quables travaux de Arthus et Pagès, Pekelharing, Hammarsten. 

Nous emploierons donc le langage généralement usité, et 
nous dirons qu’un liquide renferme du fibrin-ferment lorsque, 
additionné d’oxalate, il est capable de coaguler le plasma 
oxalaté. Nous dirons qu’il renferme du proferment lorsque du 
fibrin-ferment peut y prendre naissance dès qu’on fait intervenir 
certaines influences. 

Pour ce qui concerne le rôle du contact, nous devions 
évidemment nous poser la question suivante : Pourquoi le 
plasma limpide, que l’on obtient en centrifugeant du sang de 
lapin recueilli directement au sortir du vaisseau dans des 
tubes paraffinés, pourquoi ce plasma privé de cellules et qui 
reste longtemps liquide dans les tubes paraffinés, se coagule- 
t-il si vite en présence de corps mouillables tels que le verre? Que 
fait le contact du verre? Accélère-t-il la production du fibrin- 
ferment, ou bien favorise-t-il l’activité coagulante de ce dernier ? 
En d’autres termes, dans le plasma liquide maintenu en tube 
paraffiné, l’absence de coagulation est-elle due à ce que le 
fibrin-ferment ne se produit pas (c’est-à-dire à ce que le profer- 
ment ne se transforme pas en ferment actif), ou bien à ce que 
ce principe apparaissant, son influence est paralysée pour une 
raison quelconque ? 

A vrai dire, il n’était pas commode, pour résoudre ce pro- 
blème, de recourir à la technique mentionnée plus haut, et qui 
consiste à recueillir directement le sang de lapin, au sortir de 
l'artère, dans des vases paraffinés, en évitant tout contact 
autre que celui de la paraffine, Cette technique est d'exécution 
assez difficile; en outre, Le plasma qu'on peut obtenir ainsi finit 
toujours par se coaguler au bout d’un certain nombre d'heures, 
fort sujet à varier, du reste, de telle sorte qu’on n’a guère le 
temps d'utiliser un même plasma pour plusieurs expériences. 
Il fallait donc procéder autrement; aussi avons-nous eu recours 


bE) 


826 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


à un plasma dont nous avons attentivement étudié les pro- 
priétés et qui est le plasma chloruré sodique. 

Préparation et caractères du plasma salé. — On le sait, 
Hewson, Denis, Schmidt, ont montré que le sang ne se 
coagule pas lorsqu'on le recueille, au sortir du vaisseau, dans 
unesolution de NaC] suffisamment concentrée pour que la teneur 
du sang en sel s'élève à 5 0/0 environ‘. Par centrifugation, 
on obtient du plasma qui conservé tel quel, reste indéfiniment 
liquide, mais qui se coagule bientôt si on l'additionne d’eau 
distillée en quantité assez grande pour abaisser la teneur 
saline à 1 0/0 environ, la teneur en chlorure redevenant alors 
assez voisine de celle qu'on observe dans le sang normal. 

Nous basant sur ces données, nous préparions généralement 
notre plasma salé en recueillant 15 ce. ce. de sang dans un tube 
à saigner contenant déjà 5 ec. c. de solution aqueuse de NaCI à 
20 0/0. Le sang salé était soumis à une centrifugation prolongée 
et l’on obtenait un plasma entièrement débarrassé des globules 
rouges ou blancs et des plaquettes. Si, à une partie de ce plasma 
décanté, on ajoutait 4 parties d'eau distillée, la coagulation 
s’opérait au bout d’un temps qui variait suivant les échantillons, 
mais qui en général était environ d’une demi-heure à trois 
quarts d'heure. | 

Ce plasma salé à 5 0/0 se conserve très longtemps sans 
que ses propriétés se modifient. Gardé pendant une semaine ou 
deux, il coagule encore par addition d’eau distillée, avec la 
même facilité qu'au début. Avec une petite provision d’un tel 
plasma, on peut donc faire un grand nombre d’expériences. 
Et si, lorsqu'on le dilue d’eau distillée, il ne se prend en masse 
qu’au bout d’une demi-heure environ (laps de temps qui peut 
paraître un peu long) cela tient à la dilution des substances 
actives. En effet, on observe que du sang normalexige un temps 
assez long pour se coaguler si, au sortir du vaisseau, on le 
dilue dans # ou 5 parties de solution de NaCI à 1 0/0 ; cet effet 
retardateur de la dilution est d’ailleurs fort naturel°. 

Le plasma salé à 5 0/0, qui se coagule en une demi-heure 

1. Cette quantité de sel est notablement supérieure à celle qui suffit à empêcher 
la coagulation, Pour obtenir un plasma incoagulable, on peut n’ajouter au sang 
que 2 0/0 de NaCl environ. 4 

2. Dans un travail qui vient d'être publié (Bulletin de la Sociélé de Biologie, 


20 novembre 1903), M. Stodel observe également l'influence retardatrice de la 
dilution sur la coagulation du sang. 


COAGULATION DU SANG. 897 


environ lorsqu'on l’additionne de #4 parties d’eau distillée, donne 
un caillot dont s'échappe bientôt un sérum richeenfibrin-ferment, 
En effet, ce sérum, oxalaté à 1 0/00, provoque la coagulation du 
plasma oxalaté, lequel, nous venons de le rappeler, est un 
excellent réactif dénotant la présence du fibrin-ferment. — Mais 
le plasma salé originel, avant d’être dilué par de l’eau distillée, 
ne renfermait pas de fibrin-ferment ; on peut s’en assurer en 
faisant intervenir les oxalates alcalins. Tandis que le plasma 
salé se coagule si on le dilue dans la quantité voulue, 4 parties 
d’eau distillée, il reste indéfinimentliquide lorsqu'on l’additionne 
d'une quantité identique d’eau distillée contenant de l’oxalate 
sodique. Le plasma dilué oxalaté ainsi obtenu, incoagulable 
spontanément, reprend toute son aptitude à la coagulation 
lorsqu'on lui restitue ultérieurement un sel calcique soluble 
en léger excès, de manière à éliminer l'oxalate. — Il en résulte 
que si le plasma salé à 5 0/0 ne renferme pas de fibrin-ferment, 
il en renferme la substance mère. La transformation de ce 
proferment en ferment actif s'opère quand on dilue le plasma 
salé dans de l’eau distillée pure ; mais elle ne peut s’effectuer 
si l’on se sert d’eau distillée additionnée au préalable d’oxalate, 
On obtient ainsi du plasma dilué oxalaté incoagulable’. 

Lorsqu'on dilue le plasma salé dans l’eau distillée, au bout 
de combien de temps lefibrin-ferment commence-t-il à apparaître 
dans le liquide ? 

Une expérience très simple permet de répondre à cette 
question. Il suflit de diluer du plasma salé dans la quantité 
voulue d’eau distillée, et de rechercher au bout de combien de 
temps l'addition d’oxalate empêche encore la coagulation. On 
mélange 2 c. c. de plasma salé à 8 c. e. d’eau distillée ; immé- 
diatement après, on verse dans divers tubes 9/10 de ce, c. du 
liquide obtenu. L'un des tubes est conservé sans aucuneaddition 
ultérieure ; les autres reçoivent, au bout de temps variables 
(2, 10, 20, 30, 35 minutes), 1/10 de c. «. de solution d’oxalate 
sodique à 1 0/0. On constate ainsi que le plasma dilué non 


4. Ce plasma interviendra fréquemment dans les expériences qui vont suivre, 
Pour le préparer, nous ajoutons à { partie de plasma salé à 5 0/0, 4 parties 
d'eau distillée, renfermant de l’oxalate neutre de soude en quantité telle 
(que la teneur du mélange en ce sel soit égale à 1 0/00. A vrai dire, une dose 
notablement plus faible de l'agent décalcifiant peut déjà prévenir la coagulation; 
il suffit, pour que celle-ci n’apparaisse point, que le mélange du plasma salé 
avec l’eau distillée additionnée d’oxalate contienne 0,3 0/00 environ de ce sel, 


828 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


additionné d’oxalate se coagule au bout de 40 minutes; la 
coagulation est à peine retardée dans le tube oxalaté 35 minutes 
après que le plasma dilué a été préparé. Mais les liquides 
oxalatés au bout de 2, 10, 20, 30 minutes restent indéfiniment 
liquides. Notons que le plasma oxalaté après 35 minutes préseu- 
tait, au moment où le sel décalcifiant a été introduit, un léger 
début de coagulation, affectant la portion de plasma en contact 
avec la paroi, et dont l’oxalate, intervenant fort tardivement, 
n’a puenrayer la propagation à la masse entière du liquide. 

Il faut conclure de cette expérience que la production du 
fibrin-ferment dans le plasma salé, dilué par l’eau distillée, 
exige un temps assez prolongé, puisqu'on peut, en introduisant 
de l’oxalate au bout de 30 minutes, empêcher la coagulation d’un 
plasma qui, abandonné à lui-même, se serait coagulé au bout 
de 40 minutes. D'autre part, dès que le ferment apparaît, la 
solidification du plasma s’opère rapidement. Ceci est du reste 
en parfaite harmonie avec le fait suivant : si, à du plasma 
dilué qu’on vient de préparer (et qui ne se serait coagulé qu’au 
bout d’une demi-heure au moins), on ajoute un peu de sérum 
(1/10 environ) provenant d’une coagulation antérieure d’un 
plasma de même constitution, la prise en caillot s’effectue en 
quelques minutes. 

Il était nécessaire d’avoir ces données préliminaires pré- 
sentes à l’esprit, pour pouvoir aborder facilement l'étude de 
l'influence exercée sur le plasma dilué par le contact de corps 


solides mouillables, tels que le verre. 
La 


Commençons par observer comment débute et se propage 
la coagulation du plasma dilué conservé dans un vase de verre 
et qu’on a soin de ne pas agiter. Comme nous l'avons dit plus 
haut, le plasma ne manifeste aucun changement pendant une 
demi-heure ea moyenne. Mais un peu plus tard, on s'aperçoit 
que le plasma commence à devenir gélatineux au voisinage 
immédiat de la paroi; c'est même à l’endroit précis où le con- 
tact du verre doit influencer le plus activement le liquide, c’est- 
à-dire au niveau du ménisque concave limitant, contre la paroi, 
la surface du plasma, que la coagulation apparaît en tout pre- 
mier lieu; à ce niveau, en effet, où le plasma s'élève en couche 
mince, un volume de plasma relativement faible adhère à une 


CCR En Rd 5 Dé: 


Re > - 


DS 


ë 


COAGULATION DU SANG. 829 


étendue de paroi relativement grande, Peu après, l'intérieur 
du verre se tapisse entièrement de fibrine coagulée. Si, à ce 
moment, on renverse le vase, la plus grande partie du plasma, 
restée liquide, s'écoule, et l’on constate que la paroi est doublée 
d'un véritable sac gélatineux qui s’est moulé sur elle. 

C'est donc contre la paroi que la coagulation débute, Le sac 
de fibrine formé s'épaissit graduellement, avec une certaine 
lenteur, et la solidification se propage ainsi jusqu’au centre de 
la masse de plasma. 

Mais si la coagulation ne se propage pas très rapidement, de 
la paroi au centre, lorsque le vase est maintenu immobile, il 
n’en est plus de même quand le plasma est agité. Si, au 
moment où là coagulation vient d’apparaître contre la paroi, 
nous détachons au moyen d’une baguette de verre la portion 
solidifiée, et nous agitons le liquide, celui-ci se transforme 
rapidement en un bloc solide. Les choses se passent donc alors 
comme si nous mélangions du fibrin-ferment au plasma; il 
semble en d’autres termes que la portion de plasma qui a res- 
senti le contact du verre est devenue le siège de la production 
d’une certaine quantité de principe coagulant, qui provoque la 
prise en caillot totale dès qu'on le mélange intimement à la 
masse tout entière. Or, il est facile de démontrer qu'il y a là 
plus qu'une apparence : le contact du verre joue en effet un 
rôle actif dans la production même du fibrin-ferment, 

Préparons, dans un verre à pied dont les parois intérieures 
sont recouvertes d’une couche de paraffine, un certain volume 
de plasma dilué, en mélangeant une partie de plasma salé 
avec 4 parties d’eau distillée, Immédiatement après, versons la 
moitié environ du plasma dans un verre à pied enduit de 
paraffine, l’autre moitié dans un verre de mème forme, mais 
non paraffiné, On constate dans cet essai, de la manière -la 
plus frappante, la propriété que possède le plasma de se main- 
tenir très longtemps liquide lorsqu'il ne subit d’autre contact 
que celui de la paraffine. Dans ces conditions, la coagulation 
toujours très retardée exige souvent plusieurs heures (parfois 
mème 1 ou 2 jours), tandis qu’au contact du verre, elle s’opère 
en 30 ou #5 minutes, 

A vrai dire, certains échantillons de paraffine donnent à ce 


830 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


point de vue des résultats beaucoup meilleurs que d’autres. 
Pour que la paraffine agisse bien, il est nécessaire qu’elle ne se 
laisse aucunement mouiller par le plasma, et que celui-ci puisse 
rouler sur elle, sans adhérence, comme le mercure sur le verre. 
On doit remarquer à ce propos quele plasma mouille les objets 
beaucoup plus facilement que ne le fait l’eau pure: ainsi de 
nombreuses substances sur lesquelles l’eau glisse sans s'y 
attacher sont mouillées par le plasma ; tels sont certains échan- 
tüillons de paraffine, et l’on trouve alers que ceux-ci ne con- 
viennent pas pour l'expérience que nous venons de décrire. Il 
est bon de mélanger par fusion la paraffine solide à une quan- 
tité assez forte (2 à 3 volumes) de paraffine ou vaseline liquide. 
On obtient ainsi une matière assez molle, onctueuse, qui pos- 
sède à un haut degré les qualités requises. 

Au reste, lorsqu’en vase paraffiné le plasma finit par se 
coaguler, on constate toujours que le processus commence par 
la paroi. La différence entre le contact du verre et celui de la 
paraffine n’est donc que relative ; en d’autres termes, la paraf- 
fine ne possède pas d’une manière tout à fait complète les qua- 
lités que nous exigeons d'elle; on pourrait dire que son contact 
est « perçu par le liquide », mais beaucoup moins que celui du 
verre. 

Le fait qu'un plasma dilué récemment préparé est conservé en 
vase paraffiné ne contrarie-t-1l en rien l'influence du fibrin- 
ferment ? Il est aisé de voir que l'addition de fibrin-ferment 
(sérum provenant d’une coagulation antérieure) provoque la 
coagulation très rapide du plasma contenu en vase paraffiné. 
Au point de vue de l'action du ferment, la ‘paraffine ne joue 
aucun rôle. 

Il faut donc admettre que c’est la production de ce principe 
coagulant qui fait défaut dans le plasma dilué conservé en 
paraffine. On peut d’ailleurs le démontrer par une expérience 
directe, en faisant intervenir, comme réactif du fibrin-fer- 
ment, le plasma dilué oxalaté. Ce dernier, on le sait, ne se 
coagule que par addition de fibrin-ferment, lequel peut du 
reste être lui-même oxalaté, 

Répétons l’expérience précédente, qui consistait à répartir des 
quantités à peu près égales de plasma dilué (qu'on vient de prépa- 
rer), dans deux verres à pied, l’un de ceux-c1 étant garni intérieu- 


COAGULATION DU SANG. 831 


rement d'une couche de paraffine, Attendons que, dans le verre 
non paraffiné, le revêtement de coagulum tapissant la paroi ait 
nettement apparu. À ce moment, introduisons dans ce plasma, 
dont la masse centrale est encore liquide, une baguette de 
verre, et agitons. On défibrine ainsi rapidement le plasma, 
toute la fibrine venant se coller à la baguette. Pour que tout 
soit comparable, imprimons, en même temps, les mêmes mou- 
vements au plasma contenu en vase paraffiné (et qui ne pré- 
sente aucune trace de coagulation), mais en nous servant cette 
lois d’une baguette de verre enduite de paraffine. 

Dès que, dans le verre non paraffiné, la totalité du fibrmo- 
gène s'est séparée à l’état de fibrine concrète, prélevons de 
chacun des deux liquides 9/10 de e. c. que nous transportons 
dans deux tubes A et B contenant déjà 1/10 de ce. c. de solu- 
tion d’oxalate sodique à 1 0/0. Nos deux liquides (dont l’un, A, 
est devenu du sérum, dont l’autre. B, est encore du plasma) 
sont donc oxalatés à 1 0/00. Attendons quelques minutes, puis 
ajoutons à chacun des deux tubes 1 €. c. de plasma dilué oxalaté 
à 1 0/00. Le contenu du tube A se sohdifie au bout de quelques 
minutes, celui du tube B reste indéfiniment liquide. 

Le contact avec un corps étranger tel que le verre, dont un 
caractère frappant esi d'être mouillable, favorise done activement 
la production du fibrin-ferment aux dépens du proferment. Cette 
influence s'observe en dehors de toute intervention d'éléments fiqurés. 

L'influence coagulante exercée sur le sang par le contact des 
corps étrangers, et que les expérimentateurs ont si fréquem- 
ment observée, peut donc s'expliquer sans qu’on soit forcé 
d'invoquer l’'irritabilité cellulaire. 

La tension superficielle peut, lorsqu'on multiplie les surfaces 
où elle s’exerce, agir à la façon d'un contact. Diluons du plasma 
salé avec la quantité voulue d'eau distillée, Dès que le mélange 
est obtenu, agitons pendant quelques instants ce plasma dilué 
de façon à y provoquer la formation de bulles qui donnent, à la 
surface du liquide, une mousse persistante, On constate que 
dans ces conditions la coagulation est très nettement accélérée 
et qu elle débute par les bulles; la mousse devient en quelque 
sorte solide, se transformant en une gelée spongieuse, et bien- 
tôt la coagulation se propage au liquide sous-jacent. 


832 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


$ IL. ROLE DES SELS DE CHAUX DANS LA PRODUCTION DU FIBRIN-FERMENT. 


On admet généralement (à vrai dire, cette opinion n’est pas 
encore unanimement acceptée) que le pouvoir anticoagulant 
des oxalates est dû à ce que ceux-ci précipitent les sels cal- 
ciques indispensables à la transformation du proferment en 
fibrin-ferment actif (Pekelharing). Ce qui interviendrait, ce ne 
serait donc pas une influence antagoniste appartenanten propre 
aux oxalates, ce serait simplement l’élimination de la chaux. 
Cette interprétation compte déjà, à son actif, des expériences 
démonstratives ‘, et cela nous dispensera de nous étendre lon- 
guement sur ce sujet. 

Nous nous bornerons à signaler une expérience très simple, 
dans laquelle on ne fait intervenir aucune autre substance que 
le plasma, l’oxalate et l’eau, et qui, nous semble-t-il, corrobore 
d'une manière très positive l’idée de la nécessité des sels cal- 
ciques pour la production du fibrin-ferment. Elle est fondée sur 
ce fait que la réaction entre les sels de chaux et l’oxalate s’ef- 
fectue rapidement dans les liqueurs concentrées, s'opère au 
contraire lentement et incomplètement lorsque celles-ci sont 
fortement diluées. 

Pour pouvoir se coaguler, notre plasma salé à 5 0/0 exige 
l'addition d’eau distillée, Mais si nous désirons lui faire perdre 
son aptitude à la coagulation en y ajoutant environ 1 0/00 d’oxa- 
late sodique*, la dose voulue de ce sel peut être introduite soit 
avant, soit après la dilution par l’eau distillée. Or, on obtient 
des résultats très différents suivant le moment auquel on fait 
intervenir l'agent décalcifiant. 

A 5c. ce. de plasma salé, ajoutons 1 c. c. de solution physio- 
logique contenant 0, 75 0/0 de NaCl et dans laquelle on a fait 
dissoudre 0, 5 0/0 d'oxalate sodique. Il se produit rapidement 
un trouble intense d'oxalate calcique. Introduisons alors dans 
le mélange 20 c. c. d'eau distillée; malgré cette dilution, le 
trouble dû à l’oxalate calcique se perçoit encore très visiblement. 


1. Par exemple, si lon prépare du sang oxalaté a 1 0/00, et qu'on y ajoute 


ensuite 2 0/00 de chlorure de magnésium, on constate que le liquide se coagule 
par addition de traces de sels calciques, insuffisantes à précipiter l'exès d’oxa- 
late; cela tient à ce que, en présence de chlorure de magnésium, des traces de 
sels de chaux ne précipitent point l'oxalate. Cette expérience est due à Arthus. 
2, Environ 4 0/00 par rapport au volume du plasma salé, et non pas relative- 


ment au volume total (plasma salé + eau distillée). 


_ 


COAGULATION DU SANG. 833 


D'autre part, à 5 ce. c. de plasma salé, ajoutons d'abord 
20 c. ce. d’eau distillée; puis, immédiatement après, 4 c. c. de la 
solution d’oxalate. Le liquide reste limpide ; il faut en conclure 
que grâce à la dilution, la précipitation de la chaux par l’oxa- 
late ne peut s’opérer. | 

Or, le premier mélange ne se coagule jamais. Dans le second, 
la coagulation s'effectue au bout d’un temps un peu plus long 
que si Fon n'avait pas ajouté d’oxalate, mais le retard n’est 
pas considérable. Et pourtant, des deux liquides, c’est celui où 
la coagulation s’opère qui contient le plus d’oxalate, puisque 
dans ce liquide il ne s’est point fait de précipitation de l’oxa- 
late par la chaux. L’oxalate ne gène donc point la coagulation 
si l'on s'arrange pour qu'il n’insolubilise pas les sels calciques. 
Il est presque superflu d'ajouter que le premier mélange, qui 
conserve tel quel, se maintient liquide, se coagule par addition 
d'une trace de chlorure calcique. D’autre part, on peut naturel- 
lement précipiter par l’oxalate la chaux du plasma, même après 
avoir dilué ce dernier dans l’eau distillée, et obtenir ainsi le 
plasma dilué oxalaté incoagulable employé dans certaines 
expériences citées plus haut‘. Mais il faut alors introduire une 
dose d'oxalate plus élevée, capable de précipiter les sels cal- 
ciques au bout d’un temps assez court. 


[. Rappelons que ce plasma contenait de l’oxalate à dose de 1 0/00 par rapport 
au volume total (plasma salé + eau distillée). 


Le gassaue du Virus rabique à travers les tres 


Par Le D' REMLINGER 


Directeur de l’Institut impérial de bactériologie, à Constantinople. 


Il est classique de dire que le virus rabique est retenu par 
les filtres et d’en conclure que l'agent pathogène de la rage 
doit être un agent figuré. L'accord cesse lorsqu'il s’agit d’éta- 
blr quel est cet agent : bacilles de Bruschettinr, Saecharo- 
myces de Lévy, protozoaires de Negri, de Guarnieri, ete. 
pour ne citer que les plus récents. En effet, Nocard en 1880, 
Paul Bert en 1882 font passer à travers du plâtre de la salive 
d'animaux enragés et constatent l’innocuité du filtrat. En 1889, 
de Blasi et Russo-Travali filtrent à travers la bougie Chamber- 
land des émulsions de cerveau de lapin ayant succombé au virus 
fixe. En les inoculant ensuite à des chiens à doses élevées, ils 
voient ces animaux succomber au milieu de phénomènes cachec- 
tiques et paralytiques rappelant beaucoup larage, mais le bulbe 
inoculé se montre inactif, et les auteurs expliquent par l’exis- 
tence d’une toxine rabique les phénomèues observés. C'est 
également à cette conclusion que se range Babès à la suite 
d'expériences analogues entreprises avec les bougies Chamber- 
land, Kitasato etd'Arsonval. Tout récemment, Guarniericonstate 
l'innocuité des filtrats Chamberland et Kitasato, et tire de [à un 
argument en faveur de la nature pathogène de son sporozoaire. 
L'opinion. on le voit, est unanime : Le virus rabique ne traverse 
pas les filtres. Le but du présent travail est précisément de 
démontrer l’inexactitude de cette proposition, et d'établir qu'au 
rebours de l'opinion classique le virus rabique traverse les 
filtres. où du moins certains filtres. Nous examinerons ensuite 
quelles conclusions on peut tirer de ce fait au point de vue de la 
nature de l’agent pathogène de la rage. 


I 


L'INOCULATION SOUS-DURE-MÉRIENNE DU VIRUS RABIQUE FILTRÉ DONNE LA 


RAGE AU LAPIN. 
Le virus rabique, filtré à travers les bougies Chamberland 


B ou F, s’est toujours montré inactif, ainsi que le fait avait été 
bien vu avant nous. Nous n'avons même jamais observé avec 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE A TRAVERS LES FILTRES 835 


cette bougie les phénomènes cachectiques et paralytiques signa- 
lés par de Blasi et Russo-Tavali, Il est vrai que nous inoculions 
de petites quantités de virus sous la dure-mère du lapin et non, 
comme ces auteurs, des doses massives sous la peau du chien. 
Cette dernière façon de procéder est évidemment plus favorable 
à l'observation des phénomènes d'origine toxinique... Nous 
nous sommes donc servi exclusivement de bougies Berkefeld, 
filtres siliceux en terre. d’infusoires, comme chacun sait. Ces 
bougies constituent 3 cribles différents. Suivant qu’elles sont 
très perméables à l’eau, moyennement ou peu perméables, on 
les désigne par les lettres V (abréviation pour Viel, «qui donne 
beaucoup d'eau ») N (normal) et W (abréviation pour Wenig, 
« qui donne peu d’eau »). Pour chacune de ces trois perméa- 
bilités, il existe des dimensions différentes, numérotées de 1 à16, 
Nous avons fait exclusivement usage de bougies cylindriques 
mesurant > centimètres de long sur 2 centimètres 1/2 de large, 
Les bougies N et W se comportent vis-à-vis du virus rabique 
comme les bougies Chamberland. Elles ne se laissent pas tra- 
verser. À moins d'indication spéciale, c’est toujours de la bougie 
V qu’il s'agira dans ce qui va suivre. Stérilisée à l’autoclave par 
un séjour de 20 minutes à 115°, puis mise en rapport avec la 
trompe, cette bougie, tout au moins dans la majorité des cas, ne 
laisse passer aucun microbe. Mais il faut pour cela : 

1° Que la filtration soit rapide, extemporanée en quelque 
sorte; ; | 

2° Que la bougie soit neuve. 

En cas de filtration prolongée, la bougie V devient un filtre 
imparfait, De même une bougie qui, ayant servi une première 
fois, a dû ensuite être régénérée, court le risque de laisser passer 
des germes. D'où l'obligation d'employer à chaque nouvelle 
expérience une bougie neuve. 

Comme test, nous avons fait usage de l’eau de conduite du 
laboratoire. Cette même eau, riche en microbes variés et parti- 
culièrement en vibrions très fins et très mobiles, avait déjà servi 
à M. M. Nicolle au cours de ses remarquables recherches sur la 
filtration du virus pestique. Elle à été signalée par lui comme 
un indicateur excellent. Après chaque expérience, le filtrat 
était ensemencé, à des doses variant de quelques gouttes à plu- 
sieurscentimètrescubes, dans 12 tubes de bouillon, dont 6 étaient 


836 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


mis à l’étuve à 37° et 6 autres laissés à la température de la 
chambre. Il va de soi qu’il sera tenu compte exclusivement des 
expériences où, 15 jours après l’ensemencement, aucun de ces 
12 tubes ne s'était troublé. Par surcroît de précautions, comme 
nous opérions sur le lapin, éminemment réceptif au très petit 
microorganisme qu'est la pasteurellose aviaire, l’émulsion à 
filtrer était additionnée chaque fois de quatre à cinq cultures en 
bouillon de choléra des poules virulent.… 

Toutes les expériences ont été faites avec le virus fixe, avec 
le cerveau des lapins dont la moelle était utilisée d'autre part 
pour le traitement antirabique.. Systématiquement au début 
des recherches, par la suite chaque fois que se présentait la 
moindre anomalie, le diagnostic de rage était assuré par des 
passages sous-dure-mériens. C’est dans ces conditions, à labri, 
semble-t-il, des causes d'erreur qu'ont été obtenus les résultats 
suivants : 


Expérience I *. — Le 16 avril 4903, le cerveau d’un lapin ayant succombé 
au virus fixe est trituré à l’aide d’une baguette de verre, et converti en une 
pulpe fine à laquelle on incorpore peu à peu 200 grammes d’eau de conduite. 
On ajoute 4 tubes de bouillon d’une culture virulente de choléra des poules, 
et on filtre par aspiration àtravers Berkefeld V. Lefiltrat est ensemencé dans 
12 tubes de bouillon et, d'autre part, inoculé à la dose de 1/8 à 1/4 de cen- 
timètre cube sous la dure mère de 11 lapins. 

2 lapins meurent accidentellement : le premier le 20, le deuxième le 
23 avril. Les préparations et ensemencements pratiqués avec le sang du 
cœur, les pulpes hépatique et splénique ne dénotent la présence d'aucun mi- 
croorganisme. En particulier, aucune pasteurellose. 

Le 26 avril (10e jour) un 3e lapin présente un commencement de para- 
lysie des membres antérieurs. Le 27, rage paralytique classique. Mort dans 
la nuit du 27 au 28. On fait un passage avec le bulbe. Le lapinpris le 10e jour 
succombe le 42, et la rage est ensuite transmise régulièrement de lapin à 
lapin à l’aide de ce virus. Le 4er mai (15e jour), un 4€ lapin présente des phé- 
nomènes paralytiques ne différant en rien de ceux de la rage ordinaire. Il 
meurt le surlendemain. Le bulbe sert à faire un paseage chez 2 lapins. Ceux-ci 
sont pris le 12 mai (9e jour) et succombent le 14. Un nouveau passage fournit 
un résultat identique. | 

7 lapins sont demeurés indemnes. 

Les ensemencements sont restés stériles aussi bien à 370 qu'à 220. 

Expérience IL. — Le 12 mai 1903, le cerveau d’un lapin ayant succombé 


1. Cette expcrienceet les deux suivantes ont fait l'objet decommunications à la 
Société de biologie aux séances du 43 juin et du 41 juillet 1903. Les filtrations ont 
été faites avec l’aide du Dr Riffat-Bey, que nous remercions de son ulile concours. 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE A TRAVERS LES FILTRES 837 


au virus fixe est pilé dans un mortier et converti en une pulpe extrêmement 
fine. On lui incorpore très lentement 200 grammes d’eau de conduite, et on 
obtient de la sorte une émulsion plus ténue et plus homogène que dans l’ex- 
périence précédente, On ajoute 4 tubes de bouillon d'une culture virulente de 
choléra des poules, et on filtre à travers Berkefeld V. Le filtrat est inoculé 
après trépanation sous la dure-mère de 10 lapins, mais cette fois à la dose de 
1/4à1/2 ce. c. 

Aucun lapin ne succombe accidentellemént ou du fait du choléra des 
poules. 

Un 1er lapin présente le 29 mai (11e jour) une paralysie classique, et meurt 
le 31, Passage chez 2 lapins. Ceux-ci pris le 8 juin (8e jour) succombent 
le 10. 

Un 2e et un 3e lapin, pris le 30 mai (12e jour), meurent le {er juin. [ci 
encore les passages viennent confirmer le diagnostic de rage. 

Enfin, un 4 lapin pris le 30 mai comme les 2 précédents, meurt comme 
eux le {er juin. Les symptômes étant identiques, on juge inutile de faire un 
passage. 

6 lapins sont demeurés indemnes. Les ensemencements du fiitrat à 37° ou 
à 220 sont demeurés stériles. 

Expérience IT. — Le 11 juin, le cerveau d’un lapin ayant succombé au 
virus fixe est pilé au mortier et converti en une pulpe très fine. Cette pulpe 
est incorporée peu à peu à 300 grammes d'eau de conduite. On ajoute 4 tubes 
de bouillon d’une culture virulente de cholérà des poules. Le tout est filtré au 
travers d’une bougie Berkefeld V, neuve et stérilisée à l’autoclave. La filtra- 
tion est opérée rapidement par aspiration à la trompe, et le filtrat (stérile 
d’après les ensemencements) est inoculé à la dose de1/2 à 1c, c. sous la dure- 
mère de 8 lapins. | 

Le 20 juin, { de ces lapins présente de l’anorexie et de la tristesse. 
Le 21, commencement de paralysie des membres postérieurs. Le 22, la rage 
paralytique est classique. Mort le 23 (12e jour). Le bulbe est inoculé sous la 
dure-mère de 3 lapins. Tous succombent à la rage dans les délais habituels, 

Le 22 juin, début de la paralysie chez un 2e lapin. Mort le 24 (13e jour). 
Ilest fait 2 passages. L'un et l’autre confirment le diagnostic de rage. 

Le 21 juin (10e iour).un 3e lapin montre de la tristesse, de la somnolence, 
de l'anorexie, et on croit qu'il va prendre la rage. De fait, le lendemain, il 
présente un commencement de paralysie des membres antérieurs. Il est 
trouvé mort le 23 au matin. L'autopsie est immédiatement pratiquée, Néan- 
moins, les organes et en particulier le système nerveux sont déjà dans un 
état de décomposition avancée. Leslapinsinoculés par voiesous dure mérienne 
succombent prématurément à une infection des méninges parle staphylocoque 
el le coli-bacille. 2 lapins inoculéssous la peau avec5 c. c. d’émulsion chacun 
n'ont présenté aucune modification pathologique. Nous nous expliquerons 
dans un instant sur l'interprétation dont paraissent justiciables ces phéno- 
mènes. 


La relation d'expériences plus nombreuses serait sansintérêt. 
Toutes se trouvent en quelque sorte calquées sur les précédentes. 


838 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(a) 


Dans les 3 faits relatés, sur 29 lapins inoculés, 3 ne doivent pas 
entrer en ligne de compte, 8 ont pris la rage (30,76 0/0), 18 sont 
demeurés indemnes (69,23 0/0). Cette proportion de 30 0/0 se 
retrouve à peu près identique dans la majorité des expériences. 
Mais de mème que nous avons insisté sur les précautions qu'il 
convient de prendre pour ne retenir que les faits bien légitimes 
de passage du virus à travers la bougie (bougie neuve — filtra- 
tion extemporanée — usage comme test d’eau de conduite 
et de culture de choléra des poules), de même nous devons indi- 
quer les conditions qu'il est nécessaire de remplir si on veut 
observer ce passage mème : 

1° Il faut opérer sur un cerveau de lapin entier qu’on trilu- 
rera dans un mortier à l’aide d’un pilon, de façon à convertir la 
substance nerveuse en une pulpe extrêmement fine. A cette pulpe 
on incorporera très lentement, goutte à goutte pour ainsi dire, 
de 300 à 400 grammes d’eau de conduite. Cette façon de procéder 
est indispensable pour l’obtention d’une émulsion homogène, 
bien exempte de grumeaux. 

2° Le filtrat doit être inoculé sous la dure-mère du lapin à 
raison non pas de quelques gouttes, mais de 1/2 à 1 c. c. par 
tête d'animal. L'injection étant poussée lentement, progressi- 
vement, il ne s’ensuit de troubles d’aucune sorte. 

3° Il est nécessaire d'opérer chaque fois sur un nombre assez 
élevé de lapins, une dizaine, par exemple'. 

La proportion des animaux qui prennent la rage dans ces 
conditions se rapproche le plus souvent de 30 0/0. Mais il faut 
noter qu'il existe parfois, d’une bougie V à une autre, des varia- 
tions de porosité assez considérables, et qu'en rapport avec ces 
variations, on peut observer un chiffre d’atteintes, beaucoup 
moindres comme aussi bien plus élevé. Les expériences sui- 
vantes en font foi : 


Experience I. — Le 5 septembre, un cerveau de lapin est converti en une 
pulpe fine, et incorporé à 300 grammes d’eau de conduite. L’émulsion filtrée 
à travers Berkfeeld V est inoculée à la dose de 1/2 à 1 c. €. sous la dure- 
mère de 10 lapins. Le 17 septembre (12° jour), l’un de ces animaux com- 


1. Tous nos lapins étaient du poids de 1,500 grammes ou à peu près. Pour 


aller vite, lorsqu'on doit inoculer un grand nombre d'animaux, on peut se servir 
de jeunes lapins, chez lesquels la fontanelle antérieure n’est pas encore ossifiée. 
L'aiguille de la seringue pénètre directement sous la dure-mère, sans le secours de 


trépan, de foret d'aucune sorte, et les inoculations se fontavec une grande rapidité. 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE A TRAVERS LES FILTRES 839 


mence à présenter les symptômes de la rage paralytique. Il meurt Je 18, 
9 lapins sont demeurés indemnes. Proportion des atteintes : 10/100. 
Expérience I. — Le 22 août, un cerveau de lapin est converti en une 
pulpe fine à laquelle on incorpore 300 grammes d’eau de conduite. On filtre 
à travers Berkefeld V et on inocule le filtrat à la dase de 1,2 à 1 c. c. sous 
la dure-mère de 19 lapins. 12 tubes de bouillon copieusement ensemencés 
demeurent stériles, les uns à la température de l’étuve, les autres à celle du 
laboratoire. ? lapins contractent la rage le 2 septembre et meurent le 4. 
3 autres pris le 3 meurent le 5. 5 lapins (exactement la moitié) sont restés 
indemnes. Proportion des atteintes : 50,100. 
-_ Experience IT. — Le 3 août, à l’occasion d'une expérience de centrifu- 
gation dont il est parlé plus loin, 30 lapins reçoivent sous la dure-mère de 
1/2 à { ce. ce. de virus rabique filtré. Ensemencements demeures stériles à 370 
et à 2%, Da 14 au 17 août, 23 lapins ont succombé à la rage. 2 seulement 
sont demeurés indemnes. Des passages ont été faits avec le bulbe de 2 animaux 
pris les premiers (au 10e jour, mort au 12) et des 2 pris les derniers (au 
12e jour, mort au 14). Rage classique dans l’un et dans l’autre cas. Propor- 
tion des atteintes : 93 0/0. É 


Sans qu'aucune faute de technique doive être incriminée, on 
peut donc, avec Berkefeld V, voir succomber la moitié et plus 
des animaux inoculés. 

De ce fait, il faut rapprocher le suivant, que la bougie V ne 
donne pas exactement la limite de perméabilité des filtres Ber- 
kefield au virus rabique. La maison Berkefield a bien voulu nous 
livrer des bougies à perméabilité intermédiaire à V et à N. Nous 
les désignerons par les lettres V'et V’. Or, nous avons constaté 
que le virus était arrêté par V”, mais traversait V. 

Le 9 juillet, un cerveau de lapin est incorporé à 300 c. ce. 
d’eau distillée. On filtre à travers Berkefeld V'et on inocule à la 
dose de 1/2 à 1 c. c. sous la dure-mère de 10 lapins. Résultat 
des ensemencements : négatif. Le 20 juillet (11° jour), 2 lapins 
présentent les premières manifestations de la rage et succombent 
le surlendemain. Leur bulbe sert à faire des passages dans le 
cerveau d’autres lapins. Résultat positif. 8 animaux sont 
demeurés indemnes. 

La même expérience est répétée dans des conditions iden- 
tiques avec V’. Aucun des 10 lapins inoculés n’a contracté la 
maladie. 

Nous nous sommes demandé si, en diluant un cerveau 
entier dans 300 c. c. d’eau, nous ne filtrions pas à travers la 
bougie une émulsion trop épaisse, susceptible de colmater les 


840 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


parois et de s'opposer, au bout de peu de temps, au passage du 
virus. On sait que le degré de la dilution a une influence marquée 
sur le passage à travers les filtres des virus de la péri-pneumonie, 
de la Horse-Sickness..., etc. 

Nous n’avons rien observé d’analogue avec le virus rabique. 
Avec la bougie V, la proportion des animaux atteints n’a pas 
varié sensiblement suivant l’étendue de la dilution. et, de même, 
nous ne sommes jamais parvenu, en diluant l’émulsion, à faire 
traverser au virus rabique les bougies Berkefeld N ou Chamber- 
land F. Il est probable qu’un moyen efficace de triompher de la 
résistance de la bougie N à se laisser traverser par le virus 
rabique eût été d’user ses parois de façon à en diminuer l’épais- 
seur, Toutefois, nous n'avons pas répété cette expérience 
réalisée, comme on sait, par M. Nicolle avec le virus pestique. 
De même, le virus claveleux ne passe jamais à la bougie Cham- 
berland F. Il passe, par contre, presque toujours aux bougies 
F*, F5... F'° débitant 4, 5... 10 fois plus que les bougies F 
(Borrel). Le virus rabique se comporte très probablement de 
façon analogue. Mais nous n’avons pas été à même de le vérifier. 

Une particularité constante dans la transmission de la rage 
à l’aide de virus filtré, c’est le prolongement de la période d’in- 
cubation. Chez les lapins de passage, c'est toujours du 8° au 
10€ jour que les premiers symptômes de la maladie font leur appa- 
rition, La mort survient du 9° au 12°, Chez les lapins inoculés avec 
le virus filtré, on n’observe jamais de période d'incubation infé- 
rieure à 10 jours. La grande majorité des animaux est prise 
le 11°, quelques-uns le 12° jour. Nous avons observé une incu- 
bation de 13 jours et une autre de 14, La mort survient en général 
du 12° au 14° jour. On le voit, la durée de la maladie est la 
même, qu'ils’agisse de virusfixe ou de virus filtré, La duréede l’in- 
cubation diffère seule. Cette prolongation estévidemment en rap- 
port avec le petit nombre de germes inoculés sous la dure-mère 
avec le filtrat. Dèsle 1° passage, l’incubation revient à la normale: 
8 à 10 jours. Il est intéressant de faire remarquer que le même 
allongement de l’incubation s'observe chez les individus inoculés 
avec du sérum filtré d’amarillique. Cette incubation futde 10 jours 
dans une expérience de Parker, Beyer et Pothier, et,très proba- 
blement, de 8 (au lieu de 2 à 5) dans un cas de Reed et Caroll!. 

4. Voyez Bulletin de l'Institut Pasteur, 1903, ne 15, page 588. 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE A TRAVERS LES FILTRES 8:11 


Il nous reste à dire un mot des faits suivants, Nous les avons 
observés 5 fois seulement sur un total de plus de 200 inocu- 
lations sous-dure-mériennes de virus filtré, mais ils se sont tou- 
jours présentes si parfaitement identiques à eux-mêmes que la 
possibilité d’un hasard ou d’une coïncidence s’en trouve exclue. 
Le lapin qui a reçu sous la dure-mère du virus filtré à travers 
Berkefeld V ne présente, pendant 10 jours, aucune modification 
pathologique. Le 10° ou le 11° jour, il montre de la tristesse, de 
la somnolence, de l'anorexie, et onu croit qu’il va prendre la 
rage. De fait, le lendemain, un commencement de paralysie des 
membres antérieurs ou postérieurs vient confirmer ce diagnostic, 
Cependant, alors que la durée moyenne de la rage expérimen- 
tale est de 2 jours, quelques heures après l’apparition de cette 
paralysie, l'animal se couche sur le côté et 1l ne tarde pas à 
succomber. L’autopsie, immédiatement pratiquée, révèle déjà 
un commencement de ramollissement du système nerveux, et les 
ensemencements pratiqués avec le cerveau, le sang du cœur, la 
pulpe splénique et hépatique dénotent un envahissement hâtif 
par des microbes d'infection agonique, le staphylocoque et le 
coli-bacille en particulier. Les lapins inoculés sous la dure-mère 
avec une émulsion du bulbe, succombent le lendemain ou le 
surlendemain au milieu de phénomènes méningitiques. Ceux 
qui ont été inoculés sous la peau avec des doses considérables : 
5 à 10 c. c. d’émulsion nerveuse, ne présentent de réaction locale 
ni générale d'aucune sorte, et demeurent tout à fait indemnes. 

Dans l'appréciation de ces faits, il paraît juste de tenir compte 
des particularités suivantes : 


a) Is se produisent constamment après une période d’incu- 
bation identique à celle de la rage ; 

b) Leur physionomie clinique rappelle beaucoup cette 
affection ; 

c) Dans la même série d'expériences, d’autres animaux pré- 
sentent une rage véritable, ainsi que les passages en font foi. 

Sans doute, chez le lapin, la rage expérimentale ne déroule 
pas nécessairement son cortège classique. La mort peut se pro- 
duire après une courte période de paralysie; elle peut même 
survenir subitement. Néanmoins, devant la constance des résul- 
tats expérimentaux négatifs, il paraît impossible d'attribuer à la 
rage même les symptômes qui viennent d’être décrits. Il semble 

D4 


842 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


plus logique de les attribuer à la toxine rabique qui, exception- 
nellement, pourrait traverser Berkefeld V, indépendamment du 
virus, et qui jouirait de la propriété de favoriser l’envahissement 
de l'organisme par les microbes agoniques. Contre cette hypo- 
thèse, nous devons cependant ajouter que nous n'avons jamais 
observé de phénomènes analogues, soit chez les lapins inoculés 
sous la dure-mère avec des filtrats Berkefeld N, W ou Cham- 
berland F, soit chez les animaux ayant reçu sous la peau des 
doses massives de filtrat V, N ou W au cours des expériences 
qu'il nous reste à relater. 


IL 
L'INOCULATION SOUS-CUTANÉE DE VIRUS FILTRÉ IMMUNISE LE LAPIN CONTRE 
LA RAGE 


Le lapin est beaucoup moins réceptif à la rage par la voie 
sous-cutanée que par la voie sous dure-mérienne. Si on lui 
injecte sous la peau une petite quantité de virus, il ne contracte 
pas la maladie, et il acquiert de ce fait un certain degré de résis- 
tance qui pourra devenir une immunité complète, si les inocula- 
tions sont répétées à doses croissantes, convenablement choisies 
et espacées. De même, si, à doses croissantes, on injecte sous la 
peau d’un lapin du virus filtré à travers Berkefeld V, l'animal 
ne prend qu’exceptionnellement la rage. Nous avons observé le 
fait une seule fois, Encore était-ce au début de nos expériences, 
alors que nous n'avions pas acquis dans le maniement des doses 
une habileté suffisante. Au fur et à mesure que les quantités ino- 
culées augmentent, l'animal acquiert vis-à-vis du virus rabique 
une plus grande résistance. Lorsque la dose totale injectée sous 
la peau approche de 500 e. c.,1l est complètement immunisé!, et 
supporte sans la moindre réaction l'épreuve sévère de l’inocula- 
üon sous-dure-mérienne avec le virus fixe. 

Expérience. Un 4er lapin reçoit sous la peau, du 21 mars au 46avril1903, 
65c. ce. de virus fillré à travers Berkefeld V, Le 18 avril il est trépané et 
inoculé sous la dure-mêère avec le virus fixe. Les premiers symptômes de Ja 
rage font leur apparition le 26 (au 8e jour) et la mort survient le 29(1{e jour). 
Un lapin témoin est pris et meurt dans les mêmes conditions. 


4. Poids de tous les lapins dont il est quesion dans ce paragraphe: 


1,500 gramimnes. 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE A TRAVERS LES FILTRES 84 


Un 2e lapin a reçu sous la peau, du 9 avril au # mai, 140 c. c. de virus 
filtré, Le 7 mai, inoculalion sous-dure-mérienne. Le 16 mai au soir (9e jour) on 
note un commencement de paralysie du train postérieur. Le lendemain, l'état 
de l'animal est stationnaire: la paralysie ne semble pas avoir progressé. Le 
48 mai, la paralysie s'accuse davantage. Amaïgrissement considérable. Le 419, 
le lapin est couché sur le côté. Mort le 20, au 13e jour, après 5 jours de 
maladie — Deux témoins ont été pris l’un le 15, Fautre le 16 mai, et sont 
morts le {er le 17, le 2e le 48 (10e et 11e jour). 

Un 3e lapin a reçu dans les mêmes conditions du 9 avril au 10 mai, 200 c. c. 
de virus filtré. Il est trépané le 14. Le 26 mai (12 jours après l'inocula- 
tion), l'animal est très bien portant et on se demande s’il ne résistera pas 
(un témoin pris le 23 était mort le 25) lorsque le 27, on s'aperçoit d’un début 
d'amaurose. L'animal continue à s’alimenter. Le 28 (14° jour) il est tout à 
fait aveugle et on nole un commencement de paralysie des membres posté- 
rieurs. Le 29, la rage paralytique parait manifeste. Mort le 30 (16e jour). A 
l'autopsie, émaciation considérable, mais aucune lésion d’organe. Un lapin 
inoculé sous la dure-mère avec une émulsion du bulbe ne prend pas la rage. 
Un mois plus tard, ce même animal était trépané à nouveau avee du virus 
fixe et succombait cette fois dans les délais ordinaires. Il était donc récep- 
tif. 

Un 4e lapin reçoit sous la peau, du 21 mars au 6 juin 1903, 500 c. c. de 
virus rabique filtré à travers Berkefeld V. La progression a été la suivante: 

12-mars, 10 c. e:; 28-mars, 10 c. c, ; 4 avril, 4e. e.;. 16.avril, 20 c..e.;: 
20 avril, 20 c. c.; 30 avril, 40 c. c. ; 4 mai, 40 c. c.: 10 mai, 60c. c. ; 16 mai. 
65 c. c.; 21 mai, 70 c. c.; 30 mai, 70 ce. c.; 6 jum, 80 c. c. Total : 500 c. cc. 

Le 12 juin, il est trépané avec du virus fixe. Alors que deux témoins 
succombent dans les délais classiques, il ne présente aucun symptôme patho- 
logique. Une 2e trépanation est également demeurée sans résultat. 


- j # 

Il est donc possible — à laide d’injeetions sous-cutanées de 
virus filtré à travers Berkefeld V — d’immuniser complètement 
le lapin vis-à-vis de l'injection intra-cérébrale de virus fixe. 
Ce fait constituera une nouvelle preuve de la traversée de la 
bougie V par le virus rabique, s’il est démontré que cette 
immunité n’est due ni à des cadavres microbiens, ni à une 
toxine, Or, cette démonstration résulte des deux constatations 
suivantes : | 

1° L'injection sous-culanée de virus filtré à travers Berke- 


L 


feld W ne confère aux lapins aucune immunité; 


1. Nous avons eu l'occasion d'observer récemment un lapin complètement 
réfractaire à la rage. Cet animal — acheté quelques jours auparavant au marché 
de Stamboul — est trépané le 22 février pourles besoins de l'Institut antirabique, 
et ne présente consécutivement aucun symptôme morbide. Il est préparé à nou 
veau le 14 avril. Même absence de réaction. 3° trépanation (cette fois extrémement 
sévère) le 9 mai. Toujours pas de réaction. 


844 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


2 La stérilisation par l’éther fait perdre au virus filtré à 
travers V ses propriétés immunisantes. 

1° L'injection sous-cutanée de virus filtré à travers Berkefeld W 
ne confère aux lapins aucune immunité. 


Expérience I. — Du 2 juillet au 14 septembre, 2 lapins reçoivent sous la 
peau chacun 500 c. ec. de virus rabique filtré à travers la bougie Berkefeld W. 
Le 17 septembre, ces animaux sont trépanés à l’aide de virus fixe. L’un 
d'eux est pris le 26 septembre et meurt le 27 (10e jour). Le second, pris le 27, 
meurt le 28 (11e jour). 

Le 17 septembre également, on trépane avec le même virus et dans dcs 
conditions identiques un lapin qui, du 27 juin au 15 septembre, avait reçu 
sous la peau 500 c. c. de virus rabique filtré à travers Berkefeld V. Cet ani- 
mal n’a présenté aucun symptôme pathologique. 

Experience II. — Du 2 juillet au 24 septembre, un lapin reçoit sous la 
peau 700 c. c. de virus rabique filtré à travers Berkefeld W. 

Du 27 juin au 24 septembre, un second lapin reçoit sous la peau 500 c. c. 
de virus filtré à travers Berkefeld V. Ces animaux sont trépanés à l’aide du 
virus fixe le 26 septembre. Le premier présente à la date du 5 octobre 
(9e jour) les symptômes caractéristiques de la rage paralytique et succombe 
le surlendemain. Le second (500 c. c. de virus V) n’a montré du 8e au 
12e jour après l'inoculation aucun phénomène pathologique. Il est encore 
actuellement vivant et bien portant. 


20 La stérilisation par l'éther fait perdre au virus filtré à travers 
la bougie V ses propriétés immunisantes. 


Expérience I. — Un cerveau de lapin ayant succombé au virus fixe est 
converti dans un mortier en une pulpe très fine et incorporé à 300 c, c. 
d’eau de conduite. L’émulsion obtenue est filtrée à travers Berkefeld V. Le 
fillrat, versé dans un flacon stérile, est additionné d’un égale quantité d'éther 
sulfurique, et on laisse 24 heures en présence en ayant soin d'agiter de 
temps en temps. Au bout de 24 heures, l’éther est évaporé au moyen d’une 
eloche à vide, et le filtrat injecté à doses progressivement croissantes sous la 
peau de deux lapins. Du 11 août au 24 septembre, ces 2 animaux reçoi- 
vent de la sorte 500 c. c. de virus filtré à travers V, puis traité par l’éther. 
La progression a été la suivante : 

11 août, 15 c. ec. ; 19 août, 40 c. c. ; 27 août, 40 c. c.; 3 septembre, 80 c. c.; 
7 septembre, 100 ec. c.; 17 septembre, 120 c. c.: 24 septembre, 105 c. c. 
Total : 500. | 

Le 26 septembre, trépanation avec le virus fixe. Un 3e lapin ayant reçu 
dans le même espace de temps 500 c. c. de virus filtré à travers V, mais non 
stérilisé, sert de témoin. Cet animal n'a présenté aucun symptôme de rage, 
Les deux autres ont été pris le 4 octobre (8° jour) et sont morts le 6. 


Il résulte de ces expériences une nouvelle preuve du passage 
du virus à travers la bougie V. Le virus filtré immunise le 


nan te dors Lee Ta OS 6 4 Le so 2 


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27 gr ond 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE A TRAVERS LES FILTRES 845 


lapin contre la rage, Or, cette immunisation n’est le fait ni de 
cadavres microbiens ni de toxine, puisqu'elle ne se produit ni 
avec le filtrat W, ni avec le virus stérilisé par l’éther. Il reste 
qu'elle soit causée par le virus rabique lui-même. Donc ce virus 
traverse V. C'est la corroboration des faits produits dans la 
première partie de ce travail. 


1 


L'AGENT PATHOGÈNE DE LA RAGE EST UN ORGANISME ULTRA—MICROSCOPIQUE 


Des faits que nous venons de relater, quelles déductions peut- 
on tirer au point de vue de la nature du virus rabique ? S'il est 
démontré que ce virus traverse la bougie Berkefeld dans des 
conditions où elle retient les autres microorganismes, il s'ensuit 
que l’agent pathogène de la rage ne saurait être un microbe 
qui, de dimensions analogues à celles des microbes pathogènes 
ordinaires, se déroberait à l’investigation... grâce à des réac- 
tions spéciales vis-à-vis des matières colorantes, par exemple. 
Il semble dès lors que les seules hypothèses à discuter se 
réduisent à trois : 

a) L'agent pathogène de la rage est un sporozoaire visible; 

b) Le virus rabique est un contagium vivum  fluidum 
(Beijerinck); 

c) La rage est causée par un organisme ultra-microscopique. 

a) À priori, l'hypothèse d’un sporozoaire visible paraît peu 
compatible avec la constatation du passage d’un virus à travers 
une bougie filtrante. Cependant M. Bosc ! a émis l'opinion que 
les parasites de la clavelée « dont les formes de division visibles 
peuvent ne mesurer que 1/24*, doivent à leur structure 
plasmodiale de pouvoir s’étirer à travers les pores des bougies 
comme à la filière » et par conséquent de passer à travers les 
filtres, Il ne semble pas que, tout au moins pour la rage, 
cette hypothèse soit admissible. En effet, si le virus rabique 

1. Bosc, Épithélioma claveleux du poumon. Société de Biologie, séance du 
2 mai 1903, page 537. 


2. On sait qu'avec les meilleurs instruments, nous ne pouvons distinguer un 
corpuscule de moins de 0u,1. 


846 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


filtré doit ses propriétés à un parasite de 0,5 de diamètre, ce 
parasite centrifugera facilement, et les inoculations comparées 
avec le culot et le filtrat superficiel donneront des résultats très 
différents. Or il n’en est rien, comme le montrent les expé- 
riences suivantes. 


Expérience I. — Le 13 juillet, un cerveau de lapin est réduit en pulpe 
et incorporé à 400 c. c. d’eau de conduite. On filtre à travers Berkefeld V 
et une partie de ce filtrat est centrifugée pendant 1 heure à l’aide de 
l'appareil de Kraüs. 7 lapins reçoivent sous la dure-mère du virus non cen- 
trifugé, 7 autres reçoivent la partie supérieure du filtrat contenu dans Îles 
godets et 7 autres la partie inférieure, la partie moyenne du liquide ayant 
été rejetée. Les lapins du 2e groupe sont tous demeurés indemnes. Dans 
chacune des 2 autres séries, { animal a contracté la rage. Il est à noter 
que les 2 lapins inoculés avec les dernières gouttes des godets à centri- 
fugation ont échappé à la maladie, 

Expérience IL. — Le 3 août, un cerveau de lapin est incorporé de même 
à 300 c. c. d'eau distillée et l’émulsion est filtrée à travers Berkefeld V. Une 
partie du filtrat est centrifugée pendant 1 heure 1/4 à l'appareil de Kraüs, 
puis 30 lapins sont inoculés sous la dure-mère, 10 avec du virus non centri- 
fugé, 10 avec le virus centrifugé superficiel, 10 avec le virus centrifugé pro- 
fond. Tous ces animaux — à l'exception de 2 appartenant au 2e groupe — 
ont succombé à la rage. Les ensemencements pratiqués avec le virus filtré 
sont demeurés stériles aussi bien à 370 qu’à 220, La proportion extrêmement 
élevée des animaux qui ont succombé au cours de cetle expérience doit être 
attribuée vraisemblablement à une perméabilité fortuitement plus considé- 
rable de la bougie. 

Experience IL. — Même expérience le 5 septembre. Centrifugation pen- 
dant 1 heure 1,4 à l’aide de l’appareil de Kraüs. Trépanation de 24 lapins. 
Des 8 inoculés avec le virus non centrifugé, 1 a pris la rage. Dans Île 
groupe des animaux ayant reçu le virus centrifugé profond, 2 animaux 
ont contracté la maladie. Des 2 lapins trépanés avec les dernières gouttes 
restant dans les godets de centrifugation, l’un a pris la rage et l’autre est 
demeuré indemne. Enfin les 8 lapins trépanés avee le virus centrifugé super- 
liciel ont tous résisté. 

Expérience IV. — Même expérience le 19 septembre. Centrifugation pen- 
dant 4 heure 1/4 à l’aide de l'appareil de Kraüs. Trépanation de 21 lapins. 
Aucun des 7 lapins inoculés avec la partie superficielle du virus centrifugé 
n’a pris la rage. Chacun des 2 autres groupes a présenté une atteinte 
L'animal qui a reçu sous la dure-mère les dernières gouttes des ? godels à 
résisté, 


Ces expériences semblent montrer que la centrifugation a une 
certaine action sur le virus rabique. Trois fois sur quatre, — 
trois fois sur trois même si nous négligeons l'expérience II gre- 
vée d’une cause d'erreur, — nous voyons la partie superficielle 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE À TRAVERS LES FILTRES 847 


du virus centrifugé devenir complètement inactive, ce qui prouve 
que la rage est bien causée par un agent figuré et non par un 
contage liquide vivant. Cependant, pour si nets qu'ils soient, les 
effets de la centrifugation ne sont que moyennement intenses. 
Dans l'expérience Il, nous voyons le liquide superficiel être 
encore virulent après { heure 1/4 de centrifugation. Les lapins 
inoculés avec le virus profond n'ont présenté qu'une fois sur 
quatre une mortalité supérieure à celle des lapins qui avaient 
reçu le virus non centrifugé. Enfin les animaux inoculés avec 
les dernières gouttes des godets échappent d'ordinaire à l’infec- 
tion. II ne semble pas que les choses se passeraient ainsi si le 
parasite de la rage était un sporozoaire de 0 y 5 de diamètre, ayant 
traversé la bougie à la faveur d’un étirement spécial de son pro- 
toplasma. La constatation d’une action évidente — quoique peu 
marquée — de la centrifugation est au contraire en faveur de la 
nature ultra-microscopique du virus rabique. On conçoit en effet 
qu'un organisme ayant traversé la bougie à la faveur de ses 
très petites dimensions centrifugera, mais centrifugera imparfai- 
tement, tout au moins avec un appareil élémentaire tel que celui 
dont nous disposions. Il est très probable qu'un centrifugeur 
électrique permettrait d'obtenir avec le virüs rabique une cen- 
trifugation aussi intense que celle qu’un appareil ordinaire donne 
avec une culture de choléra des poules, par exemple... 

b) On sait que Beijerinck, ayant filtré sur porcelaine des 
feuilles de tabac atteintes de « mosaïque », parvint à reproduir. 
Ja maladie avec le suc filtre aussi facilement qu'avec le suc non 
liltré *. Il en conclut que la mosaïque était due à un contage 
fluide vivant traversant le filtre comme une substance dissoute, et 
l'expérience suivante lui parut en faveur de cette hypothèse. Des 
feuilles malades sont triturées et déposées à la surface d'une 
couche de gélose ; après quelques jours, la couche superficielle 
est enlevée; la couche profonde mise à nu contient le virus, puis- 
qu’elle transmet la maladie à des plantes saines. Quoi qu'il en 
soit de la valeur de cette expérience, ou du moius des conelu- 
sions qu'en lire l’auteur ?, il nous a paru intéressant de la repro- 
duire avec le virus rabique de la façon suivante : 


1. E. Roux, Sur les microbes dits invisibles, Bulletin de l'Institut Pas- 
teur 1905, nes 1 et 2. 
2. E. Roux, Loc. cit. 


818 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Autour de tubes à essai renfermant de 2 à 3 travers de doigt 
de gélatine droite, on fait à l’aide du couteau à verre un trait 
circulaire à 1/2 centimètre au-dessous du niveau supérieur 
du milieu nutritif, de façon à rendre ultérieurement facile et 
rapide la section du tube en cet endroit. Par-dessus la gélatine, 
on introduit 1 à 2 c.c. d’une émulsion de virus fixe bien asepti- 
que, et on laisse quelques jours en contact à la température de la 
chambre, Au bout de 2 à 6 jours, l’émulsion est aspirée sol- 
gneusement à l’aide d'une pipette, et le tube est sectionné au 
niveau du trait marqué au couteau, Au moyen d’un fil de pla- 
tine chauffé, le cylindre de gélatine est alors divisé en 3 disques : 
1 disque supérieur qui, souillé par l’émulsion, est rejeté: 1 dis- 
que inférieur adhérent au tube à essai et rejeté également, 
enfin 1 disque intermédiaire, soigneusement préservé au cours 
des opérations précédentes, de toute contamination par le virus. 
Ce dernier disque est recueilli dans un verre flambé, liquéfié 
rapidement à l'étuve à 37° et injecté, après trépanation, sous la 
dure-mère d’un lapin. Sur 6 animaux inoculés, aucun n’a pré- 
senté ni rage ni phénomène pathologique d'aucune sorte, Le 
virus rabique n’a donc pas diffusé dans la masse de la gélatine 
à la façon d’une substance soluble. Il n’est donc pas dû à un 
contagium vivum  fluidum, pour employer l'expression de 
Beijerinck. Du reste, le fait que le virus rabique est complète- 
ment arrêté par les bougies Berkefeld N et Chamberland F était 
déjà bien peu en faveur de cette hypothèse. Les expériences de 
centrifugation relatées plus haut lui sont complètement opposées. 

c). I reste que la rage soit causée, comme la fièvre aphteuse, 
la péripneumonie, la peste bovine, la fièvre jaune, par un orga- 
nisme ultra-microscopique. C’est de beaucoup l'hypothèse la plus 
- vraisemblable, et c’est à elle que nous nous arrêterons. Que pou- 
vons-nous supposer des caractères de cet organisme ? 

Il importe tout d’abord de faire remarquer qu'organisme 
ultra-microscopique ne veut pas nécessairement dire : bactérie, 
puisque le WMicromonas Mesnili de Borrel, qui est à la limite de la 
visibilité, traverse les filtres; puisque Finlay a émis l'hypothèse 
que la cause de la fièvre jaune résidait dans un hématozoaire 
ultra-microscopique. I est toutefois plus probable que l’agent 
pathogène de la rage n’est pas un protozoaire, mais un microbe 
voisin du microbe de la péripneumonie de Roux et Nocard, Ce 


| 
| 


PASSAGE DU VIRUS RABIQUE A TRAVERS LES FILTRES 849 


dernier microorganisme traverse Chamberland F.L’agent patho- 
gène de la rage est de dimensions plus considérables puisqu'il 
est arrêté par elle. Cependant le microbe de Roux et Nocard est 
— quoique très imparfailement — visible au microscope, et le 
microbe de la rage est invisible aussi bien dans le filtrat que 
dans toutes les autres conditions. Il y a là une contradiction dont 
il faut sans doute demander l'explication à ce fait que le virus 
péripneumonique est « mobile » (Roux et Nocard), « très 
mobile » (Cotton et Mouton), tandis que le virus rabique serait 
immobile ou tout au moins très peu mobile. Ce défaut de mobi- 
lité entrainerait pour l'agent pathogène de la rage une difficulté 
plus grande à la fois de passage à travers les bougies et de visi- 
bilité au microscope. Comme dimensions et comme immobilité, 
le virus rabique paraît se rapprocher du virus aphteux qui tra- 
verse Chamberland F et non B, et surtout du virus claveleux qui, 
retenu par F, passe à travers F‘ et F°. Il paraît agir dans l’or- 
ganisme infecté non seulement par sa multiplication, mais 
encore par la toxine qu'il secrète (de Blasi et Russo-Travali, 
Babès). Nous nous proposons de revenir sur ce point. Enfin lin- 
fluence que paraît avoir sur la filtration du virus la très fine trilu- 
ration du système nerveux est un argument en faveur du siège 
intra-cellulaire du microorganisme. 

IL nous reste à souhaiter que des perfectionnements à la 
méthode de MM. Siedentopf et Zsigmondy permettent bientôt 
d'établir si ces hypothèses sont fondées on non. 

En terminant, il nous plaît de faire remarquer que si le pas- 
sage du virus rabique à travers la bougie Berkefeld est, comme 
nous le croyons, de nature à faire admettre les dimensions 
ultra-microscopiques du parasite de la rage, ce n’est que la 
confirmation d’une idée émise dès 1881 par M. Pasteur. 


Constantinople, le 12 octobre 1903. 


ANAÉROBIES ET SYMBIOSE 


Par LE D' BIENSTOCK, pe MULHOUSE (ALSACE). 


Ces questions, touchées par Pasteur pour la première fois il 
y a quarante ans, après avoir été négligées pendant très long- 
temps, ont été reprises dans ces dernières années, dans bien des 
travaux nouveaux. La symbiose naturelle des anaérobies de la 
putréfaction avec les aérobies, et leur travail commun pour 
dissoudre la matière organique morte et la rendre utilisable 
de nouveau, ont été expliqués par Pasteur, en disant que l’action 
des anaérobies n’est possible que quand les bactéries aérobies 
leur ont procuré le terrain nécessaire à leur développement, par 
l'absorption de l'oxygène existant et par l’éloignement de l’oxy- 
gène nouveau. 
De nombreux savants ont cherché depuis quelques années 
à vérifier la justesse de l'hypothèse de Pasteur. Kedrowsky !, 
par exemple, altribue le phénomène à une substance de 
nature indéterminée produite par les aérobies, un « ferment », 
dont 1l cherche à démontrer la présence par l'expérience sui- 
vante : il tue, par le chloroforme, de la sarcine cultivée sur de 
la gélose inclinée, et ensemence sur ces cultures mortes, du 
clostridium butyricum où du bacille du tétanos ; il obtient un 
développement de ces anaérobies. Mais si le bouillon est débar- 
rassé de ses cultures aérobies par filtration, après avoir été pré- 
cipité par l'alcool, il ne se produit pas de développement d’anaé- 
robies. Scholz* et Matzuschita * ont recommencé sans succès 
ces essais de Kedrowsky, et sont revenus à l'hypothèse de 
Pasteur. Il y a quelques mois, v. Oettingen ‘ a donné une nou- 
velle explication de ce fait, par une expérience qu'il appelle : 
« Symbiose séparée. » Pour simplifier les choses, il ne travaille 
qu'avec le bacille du tétanos et le Staphylococcus aureus. Dans 
deux tubes communiquants il ensemence, d’un côté le baaille 
1. Kenrowskv, Zeitschrift f. Hygiene, B. XX, 1895. 
2. Scnozz, Zeitschrift f. Hygiene, B. XX NII, 1898. 


3. Marzuscuira, Zeitschrift [. Hygiene, B. XLII, 1902. 
4. V. OETTINGEN, Zeitschrift f. Hygiene B. XLII, 903 


DRE eh RE NL 


s'abdefhe= 


ANAEROBIES ET SYMBIOSE 851 


du tétanos, de l’autre le Staphylococcus aureus et 11 ferme. Le 
tube du Siaphylococcus se peuple très abondamment, et bien 
qu'il absorbe l'oxygène, le bacille du tétanos n'arrive pas à se 
développer. Au contraire, s’il introduit de l'hydrogène dans les 
tubes, ou s’il verse un peu de bouillon du staphylococcus dans 
l’autre tube, il obtient aussitôt la culture du tétanos. 

M. v. Oettingen imite aussi les expériences de Kedrowsky. Il 
tue le Staphylococcus par la lumière du soleil, par la chaleur 
de 55°, par le chloroforme, par la lumière diffuse du jour, puis 
il verse le bouillon des Staphylococcus dans le tube du tétanos, 
sans que ceux-ci se développent. En centrifugeant longtemps les 
tubes du Staphylococcus, il obtient des couches supérieures, 
elaires et stériles, qui devraient contenir le ferment de 
Kedrowsky. Il verse ces couches supérieures dans le tube du 
tétanos; le résultat reste néanmoins négatif. S'il se produisait, 
ce qui est rare, un développement du tétanos, c’est qu’il s'était 
glissé des Staphylococcus dans le bouillon. 

M. v. Oettingen en conclut que ni l'hypothèse de Pasteur, 
ni celle de Kedrowsky ne pouvait exqliquer le phénomène. Il 
voit l’agent essentiel dans l’aérobie vivante. L'imparfaite puis- 
sance d’oxydation de l’anaérobie trouve à tout moment dans 
l’aérobie un coopérateur énergique, qui consomme avidement 
l'oxygène. Ce ne sont pas les aérobies qui produisent, comme 
le suppose Kedrowsky, le ferment que le filtre arrête, ce sont 
les aérobies elles-mêmes, qui sont le ferment organisé et retenu 
par le filtre; v. Oettingen conclut de ses essais que tout espoir a 
disparu à jamais d'obtenir un terrain de culture sur lequel 
puissent se développer les microorganismes anaérobies en cul- 
tures pures à l’air. 

Mes recherches récentes me permettent de croire que cette 
opinion de v. Oettingen est excessive. Cette question de la 
symbiose entre les anaérobies de la putréfaction et les aérobies 
m'occupe depuis des années. Depuis que j'ai étudié ‘ en 1899, 
à l'occasion de mes travaux sur le B. putrificus, son action sur 
les substances albuminoïdes en culture mixte avec les bactéries 
aérobies, je n’ai plus perdu de vue cette question. Pendant 
toutes ces dernières années j’ai fait travailler mon Putrifieus 
symbiotiquement avec un très grand nombre de bactéries 
aérobies, dont je ne veux citer que les suivantes : 


832 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Proteus vulgaris, Proteus mirabilis, Proteus Zenkeri, B. fluo 
rescens liquefaciens et putidus ; B. pyogænes fœtidus, B. urew, 
B. subtilis, B. mesentericus vulgatus et niger, B. radiol, les diffé- 
rents Tyrothrix, B. pyocyaneus, B. butyricus Hueppe, B. coli, B. lac- 
tis aerogenes, -B. du lait bleu, B. du lait rouge, B. denitrificans, B. 
typhi, B. paratyphi, B. de la diphtérie, pneumobacille de Fried- 
lander ; 

B. du rouget de pore, B. de la peste porcine, B. de la pneu- 
mo-entérite du porc, B. du choléra des poules, Vibrio cholere, 
Spirillum Finicler, Spirillum tyrogenum Deneke, Vibrio phosphorescens, 
Micrococcus tetragenus, Staphylococcus albus, aureus citreus, et 
divers streptocoques, etc. 

Je procédais ordinairement de la manière suivante : je sté- 
rilisais des flocons de fibrine, bien lavée et blanche, dans le 
liquide d'Uschinsky, et j'y ensemençais des aérobies. Après 
quelques jours j'ajoutais le Putrificus. J'avais cbservé qu'il y a, 
parmi les aérobies, des espèces à l'aide desquelles le dévelop- 
pement de l’anaérobie et la putréfaction de la fibrine se pro- 
duisent rapidement, et d’autres ne nuisant pas au développement 
du Putrificus, mais entravant son activité putréfiante. 

J’étendis aussi mes essais à d’autres anaérobies, au vibrion 
septique, au bac, du tétanos, au B. du charbon symptomatique, 
au B. botulinus, au B. cadaveris sporogenes de Klein, au B. ente- 
ridis sporogenes, aux 3 B. de Rodella isolés de l'intestin des 
nourrissons, au B. bifidus de Tissier, au B. bifermentans de 
Tissier ; de sorte que j'ai pour ainsi dire travaillé avec la plu- 
part des espèces anaérobies bien caractérisées. J'ai cherché le 
ferment de Kedrowsky dans toutes les cultures aérobies citées 
plus haut. Ces travaux durent naturellement des années, chez un 
médecin pratiquant, forcé de les interrompre à tout instant. 

J'ai passé les diverses cultures en bouillon à travers le 
filtre. Je les ai détruites de différentes façons. Mes résultats ont 
été tout aussi négatifs que ceux des autres chercheurs. Je ne vis 
se produire la putréfaction que dans un travail commun du 
Putrificus et des aérobies vivantes. 

Je ne découvris qu’une exception, et, sous de certaines con- 
dilions, celle du B. pyocyaneus de Gessard. 

Si de la fibrine est infectée par le Pyocyaneus dans le hquide 


1. Annales de l’Institut Pasteur, 1590 et 1904. 


REP NET UT TR UP UE be do À 2 


ANAÉROBIES ET SYMBIOSE 853 


d'Uschinsky-Fraeukel, auquel on a ajouté 1 à 2 0/0 de sucre, il se 
montre après quelques jours un changement dans la contexture 
et dans la consistance de la fibrine, Elle perd sa couleur blanche, 
se gonfle, devient brunâtre, un peu vitreuse. Auparavant serrée 
et solide, elle est à présent flasque, et se laisse facilement 
couper par le fil de platine, ce qui n’était pas possible avant 
l’'ensemencement,. 

C’est le moment propice pour expérimenter, Si l’on tue 
maintenant le Pyocyaneus en le portant à 100°, et que l’on ense- 
mence le tube avec le Putrificus, il se produit, après 1, 2 à 3 jours, 
sans qu'aucune des condilions anaérobies ait été créée, le dévc- 
loppement de celte anaérobie absolue, qui se fait aussitôt 
remarquer par l'apparition de grandes bulles de gaz putrides, 
On ne remarque tout d’abord au microscope que de rares 
bâtonnets longs et grêles du Putrificus. Bientôt ils augmentent 
en nombre, et les jours suivants on voit déjà beaucoup de 
baguettes de tambour caractéristiques. Les petits bâtonnets du 
Pyocyaneus mort ne prennent pas la coloration aussi bien que les 
formes du Putrificus; ils deviennent, de jour en jour, plus 
difficiles à colorer, ne forment bientôt plus qu'une masse 
diffuse, presque incolore; finalement, ils ont complètement 
disparu, et l’on a au microscope l'image d’une culture pure du 
Putrificus. 

Naturellement, je me suis entouré dans toutes c°s expé- 
riences de toutes les mesures nécessaires de contrôle, Je me suis 
dit d’abord que la cuisson de la culture du Pyocyaneus présentait 
déjà par elle-même des conditions anaérobies suffisantes pour 
pouvoir permettre le développement du Putrificus. H est connu 
qu'il peut se produire parfois une croissance d’anaérobies dans 
du bouillon ensemencé aussitôt après la cuisson. De toute façon, 
cela se produit assez rarement, mème après un ensemencement 
copieux. Pour éviter cette incertitude d’interprétalicn, je n’ai 
inoculé le Putrificus que 15 jours après avoir tué le Pyocyaneus. 

Dans les cas où j’inoculais peu de temps après la stérilisation, 
je tirais, en les infectant, les flocons de fibrine un moment 
du liquide avec le fil de platine, pour faire pénétrer de l'air 
dans le bouillon. 

J'ai aussi exclu la possibilité que le sucre ajouté püt être la 
cause adjuvante du développement de l’anaérobie. 


834 ANNALES DE L’'INSTFEUT PASTEUR. 


Le Putrificus ne se développait jamais dans le milieu nutritif, 
préparé et inoculé sous les mêmes conditions, mais sans être 
précédé de l’action des Pyocyaneus. 

Je contrôlais ces essais de la manière suivante : après avoir 
tué la culture du Pyocyaneus sur fibrine, j'en ensemencçais sur de 
la gélose inclinée et sur du bouillon; je recommençais après 
l’ensemencement du Putrificus, et, aussitôt que les premières 
bulles de gaz putrides s’élevaient, j'inoculais à l'air sur de la 
fibrine dans de la solution d’Uschinsky, avec et sans sucre, qui, 
naturellement, devait rester inaltérée et claire, et à la fin de la 
putréfaction, je faisais une culture en piqüre pour être sûr que 
l’anaérobie existait encore en culture pure, sans avoir été con- 
taminée par des aérobies accidentelles. 

IL faut aussi remarquer ce qui suit : pour cet essai, il faut 
toujours infecter un grand nombre de tubes avec le Pyocyaneus. 
Quoique tous les tubes soient tenus sous les mêmes conditions, 
et que leur infection provienne de la même culture du Pyocya- 
neus, l’altération de la fibrine ne se produit pas de manière 
égale dans tous Les tubes. Je n’ai pu savoir pourquoi. De même, 
on sait que la formation de la couleur du Pyocyaneus n’est pas 
toujours égale dans les mêmes conditions. Dans à peu près la 
moitié des tubes, la contexture ferme de la fibrine ne se mo- 
difie pas, malgré le développement du Pyocyaneus. Ces tubes 
sont inutilisables pour les essais avec les anaérobies. On n’y peut 
obtenir la croissance des anaérobies après la stérilisation du 
Pyocyaneus. D'un autre côté, il faut la présence de la fibrine 
pour la réussite de l'essai. Si la fibrine, altérée par le Pyocyaneus 
est retenue par le filtre après la destruction de l’aérobie, et 
que le liquide seul soit infecté, le Putrificus, ne se développe 
pas. 

J'ai obtenu le même développement de l’anaérobie sans 
conditions anaérobies de la manière suivante : j'infectais du 
liquide d’'ascite stérile avec le Pyocyaneus, et après 4 ou 6 se- 
maines d'étude, je le distribuais dans des tubes et le stérilisais. 
Si l’on ensemence le Putrificus dans le liquide se trouvant au- 
dessus de l’albumine coagulée, il se développe, et l’albumine 
se putrélie rapidement. 

Si l’on répète cette expérience sans avoir semé d’abord 
le Pyocyaneus où une aérobie autre que le Pyocyaneus, toute 


PAPE TE 


nid 


ANAEROBIES ET SYMBIOSE Ch) 


croissance du Pultrificus est exclue. Si l’on infecte le liquide 
sans le coagulum, le Putrificus ne se développe également pas. 
Ainsi, dans cet essai comme dans celui avec la fibrine, la pré- 
sence de l’albumine coagulée est nécessaire pour la réussite de 
l'expérience. 

Je répétai ces essais avec d’autres anaérobies. Ils ont 
réussi avec un putrificus de Tissier, avec le B. cadaveris 
sporogenes de Klein, le B. d’œdème malin, le B. du charbon 
symptomatique, le B. botulinus, avec le B. III de Rodella, qui 
ressemble au vibrion septique. Ils n’ont pas réussi avec le B. du 
tétanos, le B. enteritidis sporogenes K lein, le Bifidus de Tissier, le 
Bifermentans de Tissier, le Perfringens, les B. IT et I de Rodella. 

Si l’on compare le premier groupe de ces bactéries au second, 
on voit qu'il s’agit, dans le premier groupe, d’anaérobies qui 
décomposent l’albumine exactement comme le Putrificus et 
avec les mêmes produits de dislocation, tandis que les bac- 
téries du second groupe, au moins dans les races qui sont à 
ma disposition, n’exercent pas d'action putréfiante. 

__ Peut-être faut-il y chercher l'explication de [a non-réussite 
des expériences citées plus haut. 

La question, touchée au commencement de ce travail, n’est 
certainement pas encore résolue, mais a au moins avancé un 
peu par mes recherches récentes. 

On sait depuis longtemps que des bactéries anaérobies obli- 
gées peuvent-être cultivées à l'air, dans un terrain de culture 
liquide, et qu'elles ne sont même pas entravées dans leur 
développement par le passage lent et continu de l'oxygène, si 
elles agissent symbiotiquement avec n'importe quelle sorte 
d’aérobie, mais vivante. 

D'un autre côté on voit par mes expériences qu'une espèce 
déterminée et ubiquitaire livre des produits qui rendent inutile, 
pour les anaérobies putréfiantes, la symbiose avec des aérobies. 

Parlà l'hypothèse de Pasteur, que les anaérobies de la putré- 
faction ne peuvent commencer leur œuvre dans la nature que 
quand elles se trouvent accompagnées d’aérobies, consommant 
l'oxygène ennemi, perd tant soit peu de sa valeur, 

Des travaux ultérieurs auront à rechercher quelle est la 
substance qui rend possible aux anaérobies leur vie à l'air 
sans symbiose avec des aérobies. 


856 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Quelques coïncidences vous rappellent la Pyocyanase d'Em- 
merich et de Loew. ; 

La pyocyanase dissout la fibrine. Nous n'avons vu se pro- 
duire les faits décrits que quand la fibrine commence à se dis- 
soudre dans la culture liquide du Pyocyaneus. La pyocyanase 
est très résistante à la chaleur, une cuisson même de plusieurs 
heures ne diminue pas son activité. Nous avons également vu 
que, malgré la stérilisation répétée du Pyocyaneus, la substance 
qui fournissait le terrain propre au développement des anaé- 
robies n'était pas détruite. 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE 


Par E. DUCLAUX 
(Suite. V. p. 523 et 640.) 


VIII 


TERRAINS PRIMITIFS ET VOLCANIQUES 


Ea continuant autour du Cantal ie tour que nous avons 
commencé, nous rencontrons un secteur que je tiens à séparer 
du reste : c’est celui qui va de la vallée de l’Alagnon à celle du 
Goul, en traversant celle de l’Epie, et qui embrasse la partie 
la mieux caractérisée, la Planèze. Sa moitié Est, qui va de 
l’Alagnon à l’Epie, est cet éclat de vitre triangulaire, portant 
le Plomb du Cantal à son angle supérieur, et qui s'étend en 
pente douce jusqu'à Saint-Flour comme capitale et jusqu'aux 
limites du département. C'était, au temps de Dufrénoy et Elie 
de Beaumont, la démonstration classique de ce que pouvait être 
un cratère de soulèvement, un solide coup de coude appliqué 
au centre de la vitre qu'était la masse volcanique, car dans 
cette théorie singulière la matière avait précédé la forme et 
préexistait au soulèvement. Il ne faut pas dire trop de mal de 
cette doctrine, que la science a trop abandonnée après l’avoir 
trop prônée, car nous la retrouvons, très réduite, il est vrai, 
dans les dislocations qu’a subies notre toit intérieur de dépôts 
calcaires. Avant ou pendant la durée du volcan, les grands 
fragments de cette nappe, pour lesquels le mot d’éclats de vitre 
semble mieux fait que pour les masses volcaniques, se sont 
brisés et diversement inclinés. IL est sûr que dans les vallées 
du Goul, de la Cère, de la Jordanne, de l’Authre, pour ne parler 
que de celles que je connais bien, il y a beaucoup plus de 
sources, et plus abondantes, sur le flanc nord que sur le flane 
sud de la vallée, et que par conséquent la conche profonde ne 
se soit un peu inclinée dans le sens par où les eaux s’écoulent 
de préférence. IL serait même intéressant de rechercher, par 
une étude plus précise des niveaux, si ce dénivellement par 

DD 


858 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR, 


bascule, d’un côté qui s’abaisse pendant que l’autre s'élève, ne 
daterait pas du moment où le cratère s’est ouvert, et s'il n'y 
avait pas là les germes du creusement et de l'existence des 
vallées actuelles. Le facies général du Cantal daterait dans ce 
cas du coup de coude qui l’a créé. 

Le même coup y a déposé aussi kes germes de son histoire 
agricole future. Les prairies (je parle des prairies naturelles 
avec irrigation) commencent au toit de 700 mètres, là où il 
exis'e. Plus bas, elles sont plus arrosées que si le toit intérieur 
n'existait pas. Plus haut, sur tous les flancs du Cantal, elles ne 
bénéficient de sa présence que parcé que l'atmosphère est plus 
humide. Mais elles donnentune idée assez juste de ce que serait 
le Cantal si le coup qui l’a créé, au lieu de porter sur un des 
bords du plateau calcaire, avait porté en plein gneiss. Le Planèze 
est l’image exacte de ce que serait le Cantal sans calcairé. Sur 
les hauteurs, au voisinage du Plomb, ce sont les mêmes pâätu- 
rages, la même montagne que partout, un peu moins humide que 
plus à l'Ouest, à cause de la direction des vents pluvieux. Plus 
bas, jusqu’à la hauteur de 1000 mètres, c’est la montagne, c’est- 
à- dire la prairie sans coupes, qui est le mode d’exploitation de 
beaucoup le plus général. Au-dessous, c’estla cullure qui peut se 
passer d’eau en été, les céréales; aux hauteurs où partout dans 
le Cantal la prairie domine, en Planèze ce sont les moissons, que 
le terrain soit du gneiss ou de la lave. 

C'est que, très différents de nature, ces terrains se ressem- 


blent au point de vue agricole. Ils sont tous deux très perméables : 


pour la pluie. Quand, partant de Saint-Flour, placé à la base 
de l'éclat de vitre dont je parlais tout à l'heure, on se dirige 
vers Chaudesaigues, la route borde longtemps la ligne de sépa- 
tion d’une couche de basalte des plateaux et du terrain primitif. 
Cette ligne marque visiblement, sur la: carte géologique, la 
cassure inférieure de l'éclat triangulaire dont le sommet porte 
le Cantal. Maïs rien n'avertit le voyageur. Les deux terrains 
se fondent l’un dans l’autre, et leurs contours aussi. L'eau est 
aussi rare d’un côté que de lautre. Il n'y a quasi pas de ruissel- 


1. Les cartes de létat:major sont insuffisantes, Il faudrait opérer avec les 
minutes, qui sont au 1/20.000. Ayant demandé officiellement le tirage d’une 
épreuve pour le Cantal, qu’on donne aux officiers, on m'a répondu en me par- 
lant de la défense nationale: je n'étais pas assez pervers pour la ‘compromettre 
en cherchant les origines lointaines du Cantal, et je n'ai pas insisté. 


PE 7 A" 


PR ASE 2 0e, 


ÉTUDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE, _ 859 


lement, la pluie et la neige sont absorbées sur place. Les habita- 
tions, rares, recherchent la ligne de contact des deux sols, 
parce que c’est là qu'elles rencontrent de préférence les eaux 
qui ayant coulé sous la couche de laves, rencontrent l’ancien 
sol gneissique, et forment des sources à leur réapparition. Bou- 
zentes, les Ternes, Sériers, Lavastrie, Cordesse, Oradour, 
Pierrefort sont ainsi rangés le long de cette ligne de contact de 
deux terrains, devenue, par des conditions naturelles, la ligne 
de restitution à un bief inférieur des eaux tombées d’un 
niveau supérieur. C'est, si on veut, quelque chose d'analogueau 
niveau de 700 mètres que nous avons rencontré sur l’autre 
versant, mais sans sa régularité ni sa puissance. 

On pourrait relever les mêmes faits dans tous les pendentifs 
en basalte des plateaux, appliqués sur les flancs de la montagne. 
Je n’insiste pas, cet ordre d'idées ne nous intéresse que par ses 
connexions avec la composition des eaux. Si je montre en effet 
que les eaux qu'on rencontre en pays de gneiss ont à peu près 
la même composition que dans le terrain volcanique, on com- 
prendra qu'avec la même origine, la même quantité et à peu 
près les mêmes qualités, elles ne peuvent pas s'inscrire dans 
le facies agricole. Je citerai un seul exemple, dans lequel on 
passe du terrain volcanique au terrain de micaschistes et de 
gneiss. Je pars de Saint-Flour, assis au bord d’une terrasse de 
basalte, pour arriver d’abord à Cordesse, placé sur l’autre bord 
de la coulée, puis à Chaudesaigues, de l’autre côté de la Truyère, 
rivière dont la vallée occupe le fond de toute la partie gneis- 
sique du département. 


Nos d'ordre: Origine. Alt, Dates. Tempre. Résidu: Chaux. Sel marin: 
295 Saint-Flour 883  24.IX.99 46,0 : 224 14 8.0 
226 Le Pirou 880  24.1X.99 17,0 52 9 120 
227 La Gazelle — 24.1X.99 13,9 44 2 2:0 
228 Bouzentès 995 . 25.1X.99 105 SO TERR D,0 


2929 Les Ternes 994  25.1X.99 FO PETITS 2,0 
23 Peyrelade 1,008  25.IX.99 14,1 96:13. 6,0 
231 Cordesse 910 25.1X.99 9,8 9% : 43 5,0 
232 Pont de Laneau 648  25.IX.99 11.6 50 5 4,0 
233 Chaudesaigues 670 26.IX.99 13,2 45 7 6,0 
234 Truyère 100 ‘ 24.IX.99 15,0 23 5 ( 
235 R. de Bournoncles — 24.1X.99 12,9 28 3 4,0 


860 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Observations. — 225, eaux de Saint-Flour. — 226, petite source à gauche 
de la route en allant au Pirou, — 227, source de M. de Vaissière, amenée 
de 2,500 mètres. — 228, 229, 251, source des localités. — 230, puits à fleur 
de sol, — 232, source de l'auberge, — 233, source du Lys. — 234, 235, ri- 
vières au pont de Garabit, 

Si on laisse de côté les n° 225 et 227, sources venues de 
loin, on voit que les sources du gneiss ont même composition 
que les eaux des terrains volcaniques, avec des chiffres sensible- 
ment plus faibles. L'étude des deux dernières rivières, qui toutes 
les deux ont coulé sur du gneiss, montre que les choses se 
passent comme dans la vallée de la Cère. L'eau est encore moins 
chargée que les eaux de sources. Il faut en effet tenir compte 
avec elles des eaux de pluie qui n’ont rien dissous sur leur pas- 


sage. 


Il est facile de résumer ce que nous venons d’apprendre au 
sujetdes mouvements del’eau dansleterrain volcanique du Cantal. 
Dès que les pluies sont tombées, elles pénètrent; il y a peu du 
ruissellement. La nourriture des rivières se fait surtout par les 
sources. Dans ces sources, il vient à la fois de l’eau superficielle, 
qui a séjourné et circulé dans les couches meubles voisines de 
la surface et dans le tapis de végétation qui leur sert de couvert, 
et les eaux plus profondes qui entrent dans la roche perméable 
et y commencent un voyage qui peut durer longtemps, des mois 
et peut-être des années. Pendantce contactde durée très variable, 
les éléments du sol se dissolvent; mais comme ils sont très 
résistants, l’eau en entraîne peu et n’agrandit pas beaucoup les 
espaces dans lesquels elle circule. Par suite, les sources sont 
stables et conservent leur pouvoir filtrant. Comme il reste de 
l’argile à la place des portions les plus attaquables de la roche, 
et que les mouvements de l’eau sont lents, il n’y a pas de 
nettoyage des surfaces filtrantes, et pourtant celles-ci ne s’en- 
crassent pas. 

Ilest probable, mais il y a matière sur ce point à un travail 
que j'ai à peine ébauché, que les quelques germes qu'on ren- 
contre dans les sources viennent des parties superficielles, et 
non des parties profondes des eaux qui viennent s’y réunir. 
Quoi qu'il en soit, le pays a ceci de bon au sujet de la collecte et 
de l’origine des eaux, c’est qu’on sait toujours d’où vient tout 
filet d'eaux qu’on cherche à utiliser. Du moins n’ai-je jamais 


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STCDES D'HYDROGRAPHIE SOUTERRAINE. 861 


éprouvé d’embarras à ce sujet : quand l'analyse me signalait 
un excès de calcaire, de sel marin, de matière organique, je 
trouvais toujours à petite distance, en amont, de quoi expliquer 
l'irrégularité. Les lignes de plus grande pente sont celles d’un 
cône circulaire dont l’axe est plus ou moins vertical. 

Les choses se passeraient suivant ce schéma sur toute la 
surface de la masse volcanique si ce terrain n'avait pas de base, 
c’est-à-dire ne reposait pas sur un terrain différent. Sur la moitié 
ouest, c'est la couche calcaire que nous avons appelée niveau 
de 700 mètres, et qui, imperméable ou peu perméable, arrête, 
divise les sources qui viennent affleurer dans l'épaisseur des 
massifs, eten fait des sources plus abondantes venant jaillir 
dans des points privilégiés, et donnant à certaines vallées leur 
parure et leur richesse. Sur la moitié regardant vers l’orient 
est la lèvre surélevée de la fente qui a vomi le volcan, et celle- 
ci empêche, dans une mesure plus faible que la couche de 700 mè- 
tres, la descente des pluies tombées sur les basaltes qui lui 
servent de revêtement, et amène la guirlande de sources 
auxquelles sont suspendus les villages de la Planèze, comme 
Olmet et les villages voisins le sont à la frange de calcaire qui 
apparaît dans la vallée de la Cère. 


TABLE DES MATIÈRES 


Nouvellesrecherchessur l’arsenic de l'organisme. Présence 
de ce métalloïde dansla série animale, par M. G. BEr- 


Quelques nouvelles races de levure de lactose, par M.'Mazk. 
Influence de la configuration stéréochimique des glucosi- 
des sur l’activité des diastases hydrolytiques, par M.H. 
RON RS RE SAR UL SUR LR OURS ERRES 
Étude sur l'hémolyse, par le D'H. Lanpau ............. 
Observations sur les moustiques des environs d’Alger, par 
MM. En. Sercenr et Er. SERGENT... ................ 
Résumé du rapport sur la campagne antipaludique orga- 
nisée en 4902 à la gare de l’Alma (Est-Algérien), par 
MM. En. SERGENT ét ET. SERGENT... .................. 
Méthode d’hydrolyse des protoplasmides, par M. Érarn... 
Observations à propos du mémoire de MM. Tissier et 
Martelly, par NL. AGHaLME.. 1... in ne. 
Épithélioses infectieuses et épithéliomas, par M. le D'Bor- 


Étude ho de la clavelée, par M. le D' Bonrez.. 
De la fixation de la toxine tétanique par le cerveau, par 
M Be RS A RS 7 PAU REX 
Recherches sur les propriétés antitétaniques des centres 
nerveux de l'animal immunisé, par M. D. Diurrriewsky. 
Sur le mode d'action des antitoxines sur les toxines, ‘par 
MES PE Bonn RENNES ne er 
Sur les hémolysines cellulaires, par M. C. Levapiri. ..... 
Sur la flore microbienne thermophile du canal intestinal 
de-lhomme, par M'° Tsmunsey.. :..::..,.,..1:1,.., 
Sur le Mal de Caderas, ou flagellose parésiante des équidés 
sud-américains, par MM. les D'S Ecwassian et M1Gone. . 
Le Bacillus subtilis comme cause de la panophtalmie chez 
l’homme, par le D''SicserscHMDT. .................. 
Sur un nouveau streptotbrix.chromogène, par M. Vactée. 
Sur l'existence du virus rabique dans le siège de la mo-- 


a! 
{ 


} — 
FT 


Pages, 


268 
288 


864 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


sure d’un enfant mort de la rage, par M. le D' Pace... 
La rage dans l’Afrique du Sud, par M. le D' A. Loir ..... 
Colorabilité des bacilles de Koch dans les crachats incor- 
porés à diverses substances, par M. le D" SaBrazès . 
Observations concernant une étude de MM. les D'S Tissier 
et Manrerey;-par. M 1e D'RODELLA 220 
Ce que c’est qu’un aliment, par M. Duczaux............ 
Alimentation azotée d’une algue, le cystococcus humicola, 
par M,'le DEP:-G- CHARPENTIER: 225 0200 CE 2 
Recherches sur l’absorption de la toxine tétanique, par 
MM. V. Morax et A. Mans (2e mémoire).....…....... 
Contribution à l’étude des substances actives des sérums 
nouveaux; sur la pluralité des alexines, par M. le D' 


Sur la non-existence des neutrophiles d'Ebrlich dans le 
sang de l’homme et du singe, par M. le D' Mano... 
Les vaccinations antirabiques à l’Institut Pasteur en 1902, 
par NC NAT RP OR RAR SU RO EE PE 
Recherches sur la physiologie d’une algue verte, par M. le 
DEP. CE CHARPENTIER A RAT RER eee 
Les entomophytes du charançon des betteraves à sucre, par 
MNT DANTSZ et RE NVIZE ES RS RE Re 
Crachoir stérilisable à fermeture automatique, par M. A. 
FOURNIER A2 4 0000 SSSR ER SR RE ER 
Quelques observations sur le rôle des amibocytes dans le 
coelome d’un annélide, par MM. Siencecki ........... 
La dysenterie épidémique, par MM. VazLarD et Doprer... 
Etudes sur les microbes nitrificateurs, par MM. BouLaxGer 


GtMASSOE ST. Te ET PR RE de 
Sur l'existence de l’arsenic dans l'œuf des poules, par M. G. 
BERTRAND 2 en ue nie NT Se NET 
EDMOND NOCARD: RS en Re RER . 


Études d’hydrographie souterraine, par M. E. Ducraux.….… 
Recherches sur la fermentation du lait, par MM. Tissier 
CL GASCHINGE En AT MR ER a eine 
La garotilha, par MM, Mancaoux et SALIMBENI. ........... 
La spirillose des poules, par MM. les D'° E. Marcuoux et 
AE SALIMBENL nn ee 


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TABLE DES MATIÈRES. 


Emploi de la bombe calorimétrique de-M. Berthelot pour 
démontrer l'existence de l’arsenic dans l'organisme, par 
NÉS GRR BERTRAND ER RE RO Ar RE UE NME 
Sur la production de la mannite par les ferments des ma- 
ladies des vins, par MM. P. Mazé et À, PERRIER... .., 
Contribution clinique à la sérothérapie de la peste, par 
LEE PRE UE RP DO RS ES PU TE 
Les vaccinations antirabiques à l'Institut Pasteur de Lille, 
Da MES DEN ENSRÉENBERGHE +... CPU UT ON. 
L'Institut Pasteur de Pernambuco, par M. le D' A. Fre- 
ne AE VO Site SN 
L'Institut Pasteur de Kharkoff, par M. le D'KorzevaLorr.. 
Sur la résorption phagocytairedes ovules chezles Tritons, 
DOME CRC ER A LESC RENE NE REN ER RE ne Re 
Levure de bière et suppuration (1° mémoire), par M. Ep- 
MONDASERGENEES OS Un tiens 1 Pie on ce annee 
Recherches expérimentées sur l'inoculation de la syphilis 
au singe (bonnet chinois), par M. le D' C. Nicouse.. ... 
Études d'hydrographie souteraine, par M. DucLaux.. ..... 
La fièvre jaune; rapport de la mission française, compo - 
sée de MM. MarcHoux, SALIMBENI et SIMOND ........... 
Études sur la clavelée, par M. le D'Borrez.......,.,.... 
Formation des gîtes à larves d’Anopheles, par MM. les Dr 
ÉRSCDERS SERGENT Sn ere CR 
L'alcool et ses droits naturels, revue critique, par M. Du- 
CHADR See Stan ee eo Die Se dE oo nee MS SE à 
Études expérimentales sur la syphilis, par MM. E. Mrr- 
CHNIROMRSO IE HORRER 2 Sr ES ti satire DNA re 
Recherches sur la coagulation du sang, par MM. J. Bor- 
DER S ÉTENGOR ES Mn re EN PE Re a NE te 
Le passage du virus rabique à travers les filtres, par M. le 
DRREMENCERES A En LR NUE. 7 M ARE 
Anaérobies et symbiose, par M. le D' Brexsrock,.,.,,... 
Études d’hydrographie souterraine, par M. Ducraux, ..,, 
ESS AE MAUBTORS dem D NL et Se CEA 


—- —. 


80 


Pages, 


TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS 


BÉSREDIEA SE EUR TE 


RIENSTOCE Pre re 


Borper. . 


BORA ER RES Dibiu res 


BouLaxGer et MAssoz. . 
CHARPENTIER. . . 
Danysz et Wise. 
DIMITRIEWSKI. , . 
DoptTer. 
DucLaux. 


FourNIER. 


É OR ERENE 


MARCHOUX, SALIMBENI 
DIMONDe ALT on vue 
MARTIN EST A EEE dat 
MARINE 2 Er NT 
NÉLRSEREVE EN E NESITEC  epe 


MAS OPERA ETES 


— et PERRIER. .., 
Mercaxixorr et Roux 
MIGONE . 
Morax et MARIE... . 


Nicoëre (Che): 2e. 


Nocanrp. 


DOBRAM ere RCE 
Ezmassrax et MIGONE. . . 

BIPARDE PE ve RP ts ire 
RTE SE RCD SN ot A 
GASCHINER A SAN N EE, 
CENGOUME NC Le ES 
BANRUES PET Ne En 
PANDA ES ST 


CCE Co 


MarcHOUx et SALIMBENI. . . 


Observations à propos d'un mémoire. . . 
Arsenic dans la série animale . 
Sa recherche dans l’œuf des poules. 
Sarecherche par la bombe calorimétrique. 
Fixation de la toxine télanique par le cer- 
RUE restent de Pet D RCE 
Anaérobies el .symbiose : , 4. 54 4, 
Antioxines et TOxINES Re st 
Coaenlafion dusang: He RES re 
Épithélioses infectieuses et épithéliomas. 
Étude expérimentale de la clavelée. 
Études, sur la.clavelée. +... 4. …, 


area ne 


Physiologie du Cystococcus humicolu. …, 
Charençon des betteraves. . : . .…. . . .. 
Centres nerveux de l'animal immunisé. 
Voir VAILLARD. 

Études d'hydrographie souterraine 523,640, 
Sérothéraphie de la peste... , . .. .. 
SuLJemal'de Caderas.ceu.r EN Ee 
Métnode d'analyse des proloplasmides., . 
Crachoir stérilisable. 
Institut Pasteur de Pernambucq, . . . .. 
Voir TissiEr. 

Voir BorDET. 


NPD ere tente, ere 


Étude sur l’hémolyse. , , . .. A 
Action des antitoxines sur les ee ne 
La rage dans l'Afrique du Sud., , .... 
Ed Saro tripes ARS ARTE NE Se ns 
Spirilose-desspoulesne 7... Meme es 
Ba TÉVPEAAUNE ALES EEE 


Voir Morax, 

Non-existence des neutrophiles d'Ehrlich. 
Voir TissiEr. 

Voir BOULANGER. 

Nouvelles races de levure de lactose... , 
Production! dé .mantite. CSN. 
SpS du singes ee 
Voir. ELMASSIAN, =— 

Absorption de la toxine ee TRE 
Inoculation de la syphilis au singe . 
Notice. 


868 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


BRAGR. 2. 1.00 MT Virus rabique au siège de la morsure. . . 
DRE ve 22 he Le Résorption des ovules dans les tritons . . 
PERRIER: ce CRC Voir Maé. ; 
PORPEVIN LP ER RRS ER Stéréochimie des diastases. ... . . . . . . 
REMY. EUR NE RTL EN SEnE Pluralité des alexines . . . . . RE con x 
RENLINGER ES 2 EN UE Filtration du virus rabique . . . . . . .. 
RODEDEN RS RENE NA Observations au sujet d’un mémoire. . . . 
ROURE PR MEET NIE NCRe Voir METCHNIKOFF. 
S'ABRAZES Se in ATARI Colorabilité des bacilles de Koch. . . . . . 
SERGENT (Er. et Eo.). . . . Moustiques aux environs d'Alger. . . .. 

— — .... Campagne antipaludique à l'Alma.. . .. 

_ — .... Formation des gites d’anopheles. . . . . 
SERGENTA(ED.) MN. LUE 2e Levure de bière et suppuration. . . . .. 
SIÉDLECRIS ete ee Amibocytes dans Le cælome d’un annélide. 
SIDBEASCHMID ES ed ate nee de Bacillus subtilis et panophtalmie. . . .. 
TissiEr et GASCHING. . . . . Fermentationdu ait sise , 
D STRLINSR eee See Flore thermophile du canal intestinal. . 
VarzzarD et Dopter. . . . Dysenterie épidémique . . . . . : . . . 
NÉN DT MR ÉSD  ERne c Nouveau streptothrix chromogène.. . .. 
VANSTERBERGHE. . . . . . . Vaccinations antirabiques à l’Institut Pas- 

teurde He: TEE CIRE 
VADAURE Rats mnt eee Vaccinations antirabiques de 1902. . .. 
VASE ME LT M AUS Voir Daxysz. 
REVUES ET ANALYSES 

DOÜCLADXS ere ee. Ce que c’est qu'un aliment. . . ...... : 

RARE EE EN EE US LE L'alcool et ses droits naturels: …. : 


TABLE DES PLANCHES 


Pr INA VIT: Mémoire de M. Borrez. 

Pc. VIT. — de MM. Ecmassran et MIGNONE. 

PL. NT: — de M. Mario. 

Pc. VIII et IX. — de M. SIEDSSEELI. 

PL eX Ma oXTITS — de MM. Varcrarp et DoPTer. 

BILAN" — de M. PEREZ. 

PL, XV (double). — de MM. MarcHOUx, SALIMBENI et SIMOND. 
Pc. XVI et XVII. — de MM. Mercanxorr et Roux. 


Le Gérant : G. Masson. 


. 


Sceaux, — Imprimerie Charaire. 


Vol.XVIL.PL.[. 


Annales de l'Institut Pasteur 


(Mem.Borrel) 


V'Roussel Zth. 


D'Borrel, del 


Tmp.L, Lafontaine, Paris. 


Annales de l'Institut Pasteur Vol. XVIT._PIIL. 


(Mem.Borrel.) 


D} Borrel, del. V.Roussel, lith. 


Imp.L.Lafontaine, Paris. 


: Annales de l'Institut Pasteur Vol. XVII. PL.IIL. 


{(Mém. Borrel) 


DBorcel. del. | l'heure 


/mp.1. Lafontaine, Paris. 


Annales de l'Institut Pasteur Vol. XVI. PLV 


( Mém. Borrel.) 


27 Porrel, del. ; V Roussel lith. 


: 1mp.L.Lafontaine Paris. 


. DR Les Ah She PQ ne US RE RE Lo em RE de et UE ‘1e nd dd pie en dt 2 ed gs 7 gt 5 RS 


Annales de l'Institut Pasteur Vol.XVIL PI V. 
(Mém. Borrel.) 


D” Borrel, del.  VRoussel Litk. 


Imp.1. Lafontaine, Paris. 


V Roussel, lith. 


Vol. XVIL PI VE. 
(Mem.Borrel.) 


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/mp.Llafontaine, Paris. 


Annales de l'Institut Pasteur 


D” Borrel, del. 


Vol.XVIL.PI.VIE. 
(Mém.Elmassian ) 
(Mem. Marino } 


D'Marino, del. V.Roussel, litñ. 


. Zmp.Ll Lafontame, Fais 


Vol.XVIT. PI.VT 


{(Mem. Siedleckt) 


fontaine, Paris. 


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Annales de l'Institut Pasteur 


Împ.L Lafontaine, Paris 


Vol. XVIT. PLX 


( Mem.Vaillard & Dopter) 


V Roussel, lith. 


Annales de l'Institut Pasteur . 


DT Dopter, del. 


Imp.L. Lafontaine, Paris. 


. 


Vol. XVII PI XI. 


(Mem Vaillard Dopter) 


VRoussel, th. 


Annales de l'Insutul Pasteur Vol. XVII PI XIL 


(Mem.Vaillard & Dopter) 


DT Dopt : 
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Împ. Lafontaine, Paris 


Annales de l'Institut Pasteur Vol. XVIL PL XII. 


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(MémVaïlard & Dopter) 


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Znp.L. Lafontaine, Paris. 


Annales de l'Institut Pasteur: Vol.XVIL PI.XIV. 


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(Mém.Ch. Pérez) 


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ANNALES 
- DE L'INSTITUT PASTEUR 


(JOURNAL DE MICROBIOLOGIE) 


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F-à FONDÉES SOUS LE PATRONAGE DE M. PASTEUR 
Ci ET PUBLIÉES 

ë É PAR 

1 M. E DUCLAUX 

Re MEMBRE DE L'INSTITUT 

ee PROFESSEUR À LA SORBONNE 

. 4 DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR 


Assisté d’un Comité de rédaction composé de 


4 MM. D: CALMETTE (A.), directeur de l’Institut Pasteur de Lille ; 
CHAMBERLAND, chef de service à l'Institut Pasteur ; 

% D' GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine; 

4 D: LAVERAN, membre de l’Institut de France ; 
METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ; 

Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur; 

D: VAILLARD, médecin principal de l’armée. 


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3 TOME DIX-SEPTIÈME 
“à | 1903 


AVEC DIX-NEUF PLANCHES 


PARIS 
MASSON ET Ci, ÉDITEURS 
LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE 
120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 


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