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Full text of "Annales de philosophie chrétienne"

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^. 


6tbUatl)èqiie 

ÉCOLE  LIBRE 
S.  Joseph  de  LilU 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.,org/details/annalesdepliiloso17pari 


IVlk^ll^' 


DE 


jpsiiiLDitD^miâ  imi^iâtîi^^i^ 


AVIS. 

Le  lilie  dt!  ce  volume  scia  donné  à  la  fin  du  dei nier  Numéro,  aTCc  la 
Table  de  tous  les  articles. 


EPSaNÀY,  IMPB.  DE  WARIN-THIERRl'  ET  FILS. 


mu 


«1 

DE 

RECUEIL  PERIODIQUE 

DESTINÉ  A  PAIBE  CONNAÎTRE  TOUT   CB    QUE   LES   SCIENCES  HUMAINES  BENFERMENT  DB 
PREUVES  ET  DB  DÉCODTEUTES  EN  FAVEUR  DU   CHBISTIANISME  ; 

par  nn?  S0iUU 

DE  LITTÉRATEURS  ET  DE  SAVANS  FRANÇAIS  ET  ÉTRANGEIJS  ; 


sous  Ll  DIBBCTION 


I>E  M.  A.  BOnriffSTTY, 

Membre  de  la  Société  Asiatique  de  Parié. 


NEUVIEME  ANNÉE. 


SA/, 


fj  Loiivciicj  ôcticj,  j 


M, 


> 


OME  XVII. 

3   ^..       y^./    PARIS,  ^^ 

Rue  Si, -Guillaume ,  n°  24 ,  Faub.  St.-Gcrmaip  . 


o: 


S.Sf.l 


1838. 


(Bxxâia  bu  bix-5epfimc  votnmc. 


HIWf)t»»>tllHHI»"ni'  ■ 


No  98. 

P.    95  ,  '•     7  ,  parce  que  c\st , 

p.    96,  1.  17,  était  d  Bonn, 

P.  ttO,  1.  13,  conduite  rigoureuse , 

p.  115|  1.19,  leurs  archevêques  , 

N»  100. 
P.  26i  y  note  1,1.    2  ,  philosophiques , 

No  lof. 
P.  338,  1.  13  ,  15  ,  1G,  au  lieu  d'un  C, 

P.3i9,  1.  12,(/eG. 

P.  354,  1.  dernière,  La.  42, 

p.  365  ,  no.te  2,1.    6  ,  heb.  quœst., 
P.  368,  1.  22,mSy, 

P,  392 ,  note  ,      1.8,  six  génération^ , 


I.i.-ez  ; 

c'est  donc, 
était  mort  à  Bonn, 
conduite  vigoureuse, 
leur  archevêque. 


philologiques, 

un  G. 
deC. 

Ca.  42. 
lib.  quœs. 

dix  générations. 


PRIX  DE  LA  COLLECTION  DES  ANNALES. 


Les  1 2  premiers  volumes ,  terminés  par  une  table  générale  ,  coûtent 
72  fr. ,  au  lieu  de  120  fr.,  pris  au  bureau. 

Chacun  des  volumes  suivans  8  fr.  50  ,  pris  au  bureau. 

L'abonnement  par  an  ,  20  fr. 

N.  B.  11  faut  être  abonné  pour  avoir  droit  à  la  diminution  de  prix  ex» 
primée  ci-dessqs. 


TABLE   DES   ARTICLES. 


TABLE 

DES   ARTICLES    CONTENUS    DANS    LE    DIX-SEPTIÈME   VOLUME. 

(Voir  à  la  fîn  du  voluiue  la  lable  des  matières.) 


N°  97. — Juillet. 

Sur  l'introduclion  du  Cliristianisme  dans  les  Gaules,  (1"  article)  par  M.  le 

marquis  de  Fortia  d'Urban.  7 
Dictionnaire  diplomatique,  ou  Cours  philologique  et  historique  d'antiquités 

civiles  et  ecclésiastiques  (  10'  article  ) ,  par  M.  Boxnetty.  18 

Différens  monumens  confirmant  les  récits  de  la  Bible,  par  M.  A.  Bonnettt.  35 

X^ithographie  offrant  différens  objets  relatifs  au  Déluge,  trouvés  dans  un  vase.  47 

Revue  des  tableaux  religieux  du  salon  de  1838 ,  par  *  »  *  ».  53 

Sur  un  album  de  dessins  religieux  de  M.  Hallez.  62 
Des  hospices  d'enfans  trouvés  en  Europe,  et  principalement  en  France,  par 

M.  Remacle  ;  par  M.  J.  Jacqcemet.  72 

Nécrologie  des  auteurs  morts  pendant  le  semestre.  78 

Bibliographie.  81 

N"  98. — Aorr. 

L'Hermésianisme,  son  origine,  ses  progrès ,  sa  condamnation  et  son  état  ac- 
tuel ,  par  A.  BoNJiETTY.  85 

Sur  l'introduction  du  Christianisme  dans  les  Gaules  (2«  article),  par  M.  le 
marquis  de  Fortia.  119 

Histoire  et  tableau  de  l'Univers ,  par  M.  J.  F.  Damélo  ,  par  Z.  132 

Dfi  la  cosmogonie  de  Moïse,  comparée  aux  faits  géologiques,  par  M.  Marcel 
DE  Serres  de  Montpellier;  par  M.  Flottes.  153 

Tableau  des  principales  époques  historiques,  calculées  depuis  Papparition 
de  l'homme.  158 

Modèle  d'une  statistique  des  monumens  religieux.  160 

N°  99. — Septembre. 

Notice  sur  le  livre  d'Enoch,  par  M.  Silvestre  de  Sac  y  ;  traduction  des  pre- 
miers chapitres,  par  A.  Boxxetty.  161 

Poésies  médites  de  Silvio-Pellico  ;  quelques  détails  sur  sa  vie  ;  par  M.  Ros- 
signol. 184 

Glossaire  liturgique  des  églises  grecque  et  latine  (4'  article),  par  M.  GtE- 

NEBALLT.  201 

Description  de  la  cathédrale  de  Séviile,  par  M.  le  marquis  de  Custi.ne.  215 

Des  coutumes  et  des  arts  des  anciens  Égyptiens.  224 

Des  rapports  naturels  entre  les  deux  puissances,  d'après  la  tradition  univer- 
selle, par  M.  l'abbé  Rorhbacher,  par  M.  E.  229 
Nouvelles  et  Mélanges. — Création  d'un  Évêché  à  Alger, — Rapport  du  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  sur  l'étude  de  la  théologie  en  France.  — 
État  de  l'affaire  de  M.  l'abbé  Bautain.  237 

N°  100. — Octobre. 

Doctrine  de  la  Synagogue  sur  l'invocation  des  Saints,  et  sur  la  foi  au  Ré- 
dempteur promis  (art.  3).  Moyen  de  salut  dans  l'ancienne  Synagogue, 
par  M.  Drach.  241 

Histoire  de  la  Papauté  pendant  les  16  et  17^  siècles ,  par  M.  Léopold  P.anke.  249 
Accord  de  la  religion  et  des  sciences  ;  s'il  est  vrai  que  le  Christianisme  ait  nui 


TABLE    DES   ARTICLES. 

au  (léveloipcniciU  des  connaissances  humaines,  ou  du  moins  à  certaines 
sciences  (  art.  1").  Réfutation  M.  de  Letionne,  par  C.  Achéry.  260 

Alhanase,  par  M.  Guerres,  professeur  à  l'université  de  Munich,  par  M.  Th. 
Foi5S£T.  297 

Noi  VELLES  ET  ^VÎèuANGES.  —  Proj^rès  de  l'étude  de  la  langue  chinoise.  —  Ar- 
rivée à  Puris  de  deux  corps  complets  de  caractères  chinois  mobiles. —  Pro- 
jet d'édition  de  livTcs  sacrés  chinois.  —  Découverte  de  livres  de  la  Bible, 
en  langue  égyplicnne.  —  Lecture  des  inscriptions  étrusques  avec  l'irlan- 
dais. —  Nivellement  entre  la  Méditerranée  et  l'Euphrate.  —  Géologie  de 
la  Syrie-Septentrionale.  —  Adoration  des  idoles,  imposée  dans  l'Inde  par 
la  compagnie  des  marchands  qui  y  dominent.  312 

N"  101. — Novembre. 

Voyage  en  Abyssinie  en  1835  —  1837,  dans  le  pays  des  Galla,  de  Choa  et 
d'Ifat,  précédé  d'une  excursion  dans  l'Arabie-Heureuse  et  accompagné 
d'une  carte  de  ces  diverses  contrées,  par  M.  Ed.  Gojibes  et  M.  Tamisieb, 
par  A.  BoNNETiv.  321 

Diiclionnaire  de  diplomatique  ou  cours  philologique  et  historique  d'antiqui- 
tés civiles  et  ecclésiastiques  (11<'  article) ,  par  A.  Boxxetty.  384 

J,ithographip  offrant  les  caractères  chinois  et  égyptiens,  ayant  servi  à  former 
les  G  sémitiques.  —  G  de  trente-cinq  alphabets  sémitique?.  —  G  grecs 
anciens.  —  l'ormaticn  du  C  latin  capital.  334 

Lithographie  ofirant  le  C  latin  capital  des  manuscrits.  —  C  minuscule  des 
diplômes,  etc.  340 

S'il  est  vrai  que  le  Christianisme  ait  nui  au  développement  des  connaissances 
humaines;  (2*'  article),  réfutation  des  erreurs  de  M.  Libri;  par  6.  Acuery.  347 

Apologie  de  S.  Jérôme  ou  explication  du  mot  hébreu  ALME ,  annonçant  à 
l'avance  la  virginité  delà  mère  du  Christ,  par  l'abbé  Veucellone.  361 

Œuvres  philosopliiques  de  M.  de  Riambourg ,  publiées  par  M.  Foisset.  376 

Plan  d'un  cours  d'histoire  pour  un  petit  séminaire  (P"'  article),  par  M.  Riam- 
bourg. 379 

Nouvelles  et  Mélanges.  —  Lettre  pastorale  de  Mgr.  l'évêque  de  Bayeux, 
.=ur  le  besoin  d'études  plus  fortes  pour  le  jeune  clergé.  —  Fondation  d'un 
cours  de  hauto  pliilosopiiie  du  petit  séminaire  de Sommeiweu. —  Médailles 
et  monumens  bactricns  arrivés  à  Paris.  396 

N"  102. — Décembre. 

Le  livTe  de  la  vision  d'Enoch  (2«  article),  par  J.  F.  Daniélo.  869 

S'il  est  vrai  que  le  Christianisme  ait  nui  au  développement  des  connaissances 
humaines  (3'=  article)  ;  des  bibliotlièques  du  moyen-âge.  —  1"  partie  ; 
par  C.  AcHERY.  399 

Plan  et  description  d'une  basilique  des  premiers  siècles ,  pour  servir  i  l'in- 
telligence des  auteurs  qui  traitent  de  l'art  Chrétien ,  par  J.  L.  Guene- 
bault.  419 

Gravure  offrant  le  plan  et  les  détails  d'une  basilique  chrétienne  des  prenùcrs 

siècles.  Û2l 

Compte  rendu  à  nos  abonnés  ;  de  l'innuence  des  tra  vaux  des  Annales»  ^i^S 

Table  générale  des  matières ,  des  auteurs  et  des  ouvrages.  441 


ANNALES  ' 

DE  PHILOSOPHIE  CHRETIENNE. 

Slbuiitexo   g^. 5l   «Llutffei^   l858. 

V%\V\\\V\WV>\\V\'V%%AVlWVVVV\-\V\'\\V\\'\V*V\VVWV\'V\V\VVV\^'\1rf\A\>  \>-  \\V\V\\\  V\XVV\'VV\'VW  vvvv 


SLR  L'INTRODUCTION    DU  CHRISTIANISME 

DANS  LES  GAULES. 


Mission  de  S.  Lazare,  de  sainte  Marie  Madeleine  et  de  leurs  compagnons. 
— Mission  de  saint  Trophyme  à  Arles,  et  de  saint  Eutrope  à  Orange. — 
Mission  de  saint  Pothin  et  de  saint  Ire'ne'e  à  Lyon. — Vie  de  saint  Irénée, 
évêque  de  Lyon  ,  premier  docteur  de  l'Eglise  de  France  et  martyr. 

I.  Une  tradition  reçue  en  Provence ,  où  elle  est  regardée 
comme  incontestable,  nous  dit  qu'après  que  S.  Pierre  eut  été 
mis  en  prison,  S.  Etienne  lapidé,  et  que  S.  Jacques  eut  eu  la 
tête  tranchée  (l'an  35  de  notre  ère),  d'autres  disciples  enfermés 
dans  des  barques  furent  abandonnés  à  la  merci  des  ondes;  et 
parmi  ceux-ci,  sainte  Marthe,  S.  Maxiaiin,  l'un  des  soixante  et 
dou^e  disciples,  sainte  Marie  Madeleine,  Marcelle  et  beaucoup 
d'autres.  Dieu  n'abandonna  pas  ses  fidèles  serviteurs  exposés 
aussi  inhumainement  :  ils  arrivèrent  heureusement  par  la  grâce 

'  Nous  avons  cru  rendre  service  à  nos  lecteurs  en  inse'rant  ,  sur  les 
premiers  tems  de  l'Eglise  chrétienne  de  France  ,  cet  article  que  nous  de- 
vons à  la  bienveillance  et  à  la  profonde  érudition  de  M.  le  marquis  de 
Fortia.  On  verra ,  dans  le  second  article  surtout ,  comment  le  noble  aca- 
démicien répare  des  omissions,  relève  des  inexactitudes  dans  les  Bénédic- 
tins eux-mêmes  ,  et  résout  quelques  difficultés  qui  jetaient  un  jour  dou- 
teux sur  le  berceau  du  Christianisme  dans  notre  pays.  A.  B. 


8  SUR  l'introduction  du  christianisme 

divine  à  Marseille,  où  ils  descendirent.  Ils  entrèrent  dans  la 
ville,  y  prêchèrent  hautement  l'Evangile,  et  convertirent  un 
grand  nombre  de  Gentils,  qui,  brisant  les  idoles  de  leurs  fausses 
divinités,  bâtirent  des  temples  qu'ils  consacrèrent  au  vrai  Dieu, 
créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  Lazare  fut  choisi  pour  évêque  à 
Marseille j  et  Maximin  à  Aix  '.  L'histoire  de  Lazare,  premier 
évêque  de  Marseille ,  est  adoptée  et  détaillée  dans  Vantiquité  de 
l'église  de  Marseille,  par  l'évêque  de  cette  ville,  Belzunce  '. 

Baronius  dit  en  effet  ^  que  l'an  35  de  notre  ère,  c'est-à-dire 
deux  ans  après  la  mort  de  saint  Etienne  et  de  saint  Jacques, 
Lazare,  Marie  Madeleine,  Marthe  et  leur  suivante  Marcelle  , 
poursuivis  par  une  violente  haine  des  Juifs,  non-seulement  fu- 
rent chassés  de  Jérusalem,  mais  furent  placés  avec  Maximin, 
disciple  de  Jésus-Christ ,  sur  un  navire  dépourvu  de  rames. 
Ainsi  exposés  à  un  péril  auquel  ils  semblaient  ne  pouvoir  échap- 
per, une  providence  divine  les  conduisit  à  Marseille.  Joseph 
d'Arimathie  était  avec  eux.  Ce  noble  décurion  continua  sa  na- 
vigation de  Gaule  en  Bretagne  4,  où  il  mourut  après  avoir  prê- 
ché l'Evangile. 

Ce  même  Baronius  parle  ensuite  ^  d'une  tradition  qui  faisait 
aller  Lazare  et  Marie  Madeleine  à  Ephèse  ;  mais  il  refuse  d'ad- 
mettre cette  tradition ,  comme  contraire  à  celle  qu'il  a  déjà 
reçue.  Henri  de  Sponde,  évêque  de  Pâmiez,  dans  son  abréviation 
de  Baronius  %  dit  aussi  que  l'opinion  des  Latins  doit  être  pré- 
férée à  celle  des  Grecs,  et  que  Madeleine  et  Lazare  sont  venus 
dans  les  Gaules,  où  leurs  corps  sont  encore  aujourd'hui.  Ce- 
pendant Baillet,  critique  très-éclairé,  a  fait  un  long  et  savant 
traité  où,  s'appuyant  principalement  sur  le  silence  de  Grégoire 
de  Tours  qui  ne  parle  point  de  cette  histoire,   il  rejette  la 

>  Histoire  de  l'église  d'Jvignon,  par  Nouguia:.  Avignon,  1660,  p.  3. 

»  Cet  ouvrage  a  été  imprimé  à  Marseille ,  en  171*7.  Voyez  Tillemont  , 
Mémoires  pour  servir  à  Cliistoire  ecclésiastique.  Paris  1701,  iv,  231  et  705. 

'  JnnaUs,  Anno  35,  §  5,  il  cite  Acta  Magd.  et  Sociorum. 

4  Baronius  cite  ici  une /itsfotV»  manuscrite  d'Angleterre,  conservée  à 
la  Bibliothèque  du  Vatican. 

*  Anno  44,chap.  29,  il  citeici  natation,  in  martyrol.  Rom.  die  ^^,julii. 

s  Traduite  en  français  par  Coppin.  Pari»  1655  ,  année  UL  ,  chap.  11, 
p.  99. 


1>AP(S   LES  GAULES.  9 

croyance  du  vaisseau  sans  rame  et  sans  voile,  el  dit  que  sainte 
Madeleine  est  morte  à  Eplièse  '.  Ses  argumens  sont  d'un  très- 
grand  poids,  en  sorte  que  Tillemont  ne  s'est  pas  cru  obligé  de 
les  répéter,  et  affirme*  que  sainte  Madeleine  est  morte  àEphèse. 
Cependant  Baillet  a  été  longuement  réfuté  par  Belzunce,  évéque 
de  Marseille. 

Dom  Calmet  dislingue'  Marie  Madeleine  de  Marie  de  Bé- 
tlianie  ;  cette  dernière  serait,  d'après  cette  opinion ,  la  sœur  et 
la  compagne  de  saint  Lazare,  tandis  que  l'autre  serait  morte  à 
Ephèse.  Cette  conciliation  ne  paraît  guère  admissible,  puisque 
l'opinion  qui  place  la  mort  de  sainte  Madeleine  à  Ephèse,  y  place 
aussi  celle  de  saint  Lazare. 

Sainte  Marthe,  soeur  de  Lazare  et  de  Marie  Madeleine,  était 
née  comme  eux  à  Béthanie,  et  aborda,  dit-on,  avec  eux  à  Mar- 
seille. Sa  vie  est  racontée  fort  au  long  par  l'historien  des  évêques 
et  archevêques  d'Avignon  4,  où  l'on  assure  qu'elle  porta  l'Evan- 
gile. La  cathédrale  de  cette  ville  l'honorait  comme  fondatrice, 
et  l'on  veut  qu'elle  ait  élevé  un  monastère  sur  le  rocher  où  cette 
cathédrale  est  située. 

Mission  de  saint  Trophyme  à  Arles,  et  de  saint  Eutrope  à  Orange. 

II.  Les  diptiques  de  l'Eglise  d'Arles,  çtonnés  par  le  père  Ma- 
billon  ^,  mettent  un  Denys  à  la  tête  des  évêques  de  cette  ville , 
et  saint  Trophyme  après  lui.  «Je  ne  sais,  dit  Tillemont  '^,  si  cela 

•  pourrait  s'expliquer  par  une  vie  de  saint  Régule,  d'ailleurs 
«pleine  de  fautes,  qui  porte  7  que  saint  Denis  de  Paris,  venant  de 
»  Rome,  aborda  à  Arles,  et  s'y  arrêta  quelque  tems  pour  y  prêcher 

•  la  foi,  en  sorte  qu'il  bâtit  même  une  église.  »  C'est  de  saint  De- 
nis l'aréopagite  qu'il  est  ici  question.  C'était  un  juge  d'Athènes 

>  Les  vies  des  Saints,  par  Baillet.  Paris  1739.  t.  v,  310.  22  juillet. 

•  Mémoires  pour  Chist,  ccclés.  i,  336. 

'  Histoire  des  trois  Maries.  Vo\ez  les  vies  des  Saints,  par  Godescard.  22 
juillet. 

4  Nouguier,  p.  i. 

5  Joannis  Mabillon  analectorum  toni.  ni.  Luletiae,  1685,  p.  i32. 

*  Mémoires  pour  servir  à  l'hist.  ecclés.  Paris  1701,  tom.  iv,  p.  703. 
7  Bollandus,  seu  ejus  continualores,  30  mars,  p.  82 f,  p.  3. 


10  SUR  l'introduction  du  christianisme 

qui  fut  converti  par  saint  Paul,  l'an  52  de  notre  ère.  J'ai  donné 
sa  vie  dans  les  Annales  de  Hainaut  ',  et  j'ai  prouvé  qu'il  avait  été 
évéque  d'Athènes.  Peut-être  saint  Trophynie  avait- il  été  converti 
avec  lui.  Ce  saint  ïrophyme  était  Gentil,  natif  d'Ephèse  ';  il 
suivit  saint  Paul  au  voyage  que  fit  cet  apôtre  de  Corinthe  à  Jé- 
rusalem '%  en  l'an  55,  et  il  servit  même  de  prétexte  pour  accuser 
saint  Paul  d'avoir  profané  le  temple,  en  y  faisant  entrer  des 
Gentils;  parce  que  les  Juifs,  l'ayant  vu  avec  lui  dans  la  ville, 
crurent  qu'il  était  aussi  entré  dans  le  temple.  On  croit  qu'il  fut 
évèque  à  Arles,  et  Eutrope  à  Orange  ^.  J'ai  conjecturé  que  tous 
deux  furent  envoyés  en  Provence,  l'an  58,  par  saint  Paul,  pour 
y  achever  l'organisation  de  la  religion  chrétienne,  commencée 
par  saint  Lazare  et  ses  compagnons  ;  mais  Trophyme  revint 
auprès  de  saint  Paul,  peut-être  pour  lui  rendre  compte  de  sa 
mission,  puisqu'il  accompagna  saint  Paul  en  Espagne  en  65,  et 
qull  revint  avec  cet  apôtre  en  Asie.  En  effet,  vers  l'an  64,  saint 
Paul  passant  à  Milet  y  laissa  Trophyme  qui  était  malade,  ce 
qu'il  mande  à  Timothée  %  vers  le  milieu  de  l'an  65,  et  peu  de 
tems  avant  sa  mort. 

Ces  traditions  ne  renferment  rien  d'impossible,  et  les  évêques 
de  la  province  d'Arles,  écrivant  à  saint  Léon  en  45o  '',  disent  que 
saint  Trophyme  a  été  envoyé  à  Arles  par  saint  Pierre  et  par  les 
apôtres.  Ils  ajoutent  que  la  ville  d'Arles,  ayant  reçu  par  ce  moyen 
la  foi  la  première  des  Gaules,  avait  ensuite  répandu  peu  à  peu 
sur  les  autres  parties  de  ce  pays  le  don  de  la  foi  et  de  la  religion, 
et  que  plusieurs  autres  villes  en  avaient  reçul'épiscopat,  même 
avant  celle  de  Vienne;  ils  assurent  que  c'est  une  chose  connue 
do  toutes  les  Gaules,  et  même  de  l'Eglise  romaine.  En  effet,  le 
papeZosime  avait  écrit  l'an  4^7  '>  que  saint  Trophyme,  envoyé 
à  Arles  par  le  siège  apostolique ,  avait  apporté  le  premier  dans 


'  Tome  XVI ,  p.  306  et  suiv. 

'  Actes  des  Apôtres,  chap.  xxi,  versets  28  et  29. 

3  Idem.  chap.  xx ,  verset  i,  et  chap.  xxr ,  v.  28  et  29. 

*  Histoire  de  l'église  d'Avignon,  par  Nouguier,  p.  7. 

'  Épitreà  Timothée,  ch.  iv,  verset  20. 

^  Leonis  magni  epislolœ.  Lutecicc,  1675,  cp.  ^^9.  c.  2,  p.  539. 

7  Conciliorum  posU'emaeditioper  Labbeum,Varisi67 1  ftomeir,^  p.  157  I, 


DANS    LES   GAULES.  11 

ces  provinces  le  nom  vénérable  de  la  religion  chrétienne  ',  et 
que  ce  saint  avait  été  une  source  féconde  dont  toutes  les  Gaules 
avaient  tiré  les  ruisseaux  de  la  vraie  foi  '. 

La  mission  de  saint  Lazare  est  omise  dans  ces  documens,  et 
parait  n'avoir  été  connue  que  plus  tard,  ce  qui  a  donné  lieu  de 
la  rejeter.  Grégoire  de  Tours  ne  parle  ni  de  celle-là,  ni  de  celle 
de  saint  Trophyme,  et  ce  silence  est  sans  doute  une  grande 
objection  contre  toutes  deux.  Mais  on  connaît  la  faiblesse  des 
argumens  négatifs  :  Grégoire  de  Tours  s'occupe  principalement 
des  événemens  qui  s'étaient  passés  de  son  tems,  ou  dans  le  pays 
qu'il  habitait.  A  cette  époque  les  manuscrits  étaient  rares,  et 
quoique  l'on  puisse  trouver  singulier  qu'il  n'ait  rien  dit  des  pre- 
miers tems  auxquels  le  Christianisme  a  été  introduit  en  France, 
on  ne  peut  pas  en  conclure  que  ce  que  l'on  trouve  ailleurs  sur 
ce  sujet  soit  faux.  Il  parle  très-peu  de  l'Eglise  romaine  et  de 
celle  d'Afrique,  qui  avaient  cependant  une  grande  importance 
pour  la  religion.  Il  ne  commence  notre  histoire  chrétienne  qu'à 
«aint  Pothin  et  saint  Irénée  dont  nous  allons  parler. 

Mission  de  saint  Pothin  et  de  saint  Irénée  à  Lyon. 

m.  La  religion  Juive  avait  sans  doute  pénétré  à  Lyon  lors- 
qvi'Hérode  Antipas  et  sa  femme  Hérodiade  y  furent  exilés.  Cette 
dernière  y  mourut  l'an  4o  de  notre  ère.  Ce  ne  fut  qu'un  siècle 
après,  que  saint  Pothin,  disciple  de  saint  Polycarpe,  évéque  de 
Smyrne,  conduisit  une  colonie  chrétienne  à  Lyon.  Saint  Poly- 
carpe était  né  l'an  71,  et  saint  Pothin  l'an  87  ,  seize  ans  après 
son  maître.  Ce  fut  sans  doute  de  Rome  qvie  saint  Polycarpe  l'en- 
voya lors  d'un  voyage  qu'il  fit  dans  celte  ville  l'an  160.  Pothin, 
à  l'âge  de  plus  de  quatre-vingt-dix  ans,  fit  paraître  dans  un 
corps  faible  les  senlimens  d'une  âme  vigoureuse.  Ce  fut  la  dix- 
septième  année  du  règne  de  Marc-Aurèle,  qu'il  fut  conduit  par 
des  soldats  devant  le  tribunal  du  gouverneur;  la  vue  prochaine 
du  martyre  ne  fit  que  l'encourager,'  et  le  gouverneur  lui  ayant 
demandé  quel  était  le  Dieu  des  chrétiens;  il  lui  répondit  ; 
«  Vous  le  connaîtrez ,  si  vous  en  êtes  digne.  » 

•  Mem,  p.  1567. 

»  Mémoires  pour  servir  à  l'hist,  ccclés.,  par  Tillemont.  iv,  705. 


12  SUR  l'introduction  du  christianisme 

On  le  tira  alors  de  la  salle  du  prétoire,  et  après  l'avoir  traîné 
et  battu  de  tous  côtés,  on  le  mit  en  prison,  où  il  expira  deux 
jours  après.  Quelques  jours  s'étant  écoulés  après  la  mort  de  ce 
respectable  évêque.  Mature;  Sancte ,  Blandine  et  Attale,  qui 
étaient  au  nombre  de  ses  disciples  ,  furent  condamnés  à  être 
exposés  aux  bêtes  '.  Les  deux  premiers,  après  avoir  souffert  tous 
les  tourmens  que  le  peuple  en  furie  demandait  par  divers  cris, 
et  surtout  la  cbaise  de  fer  sur  laquelle  on  les  étendait ,  con- 
sommèrent leur  martyre  par  l'épée.  Blandine  fut  attachée  à  un 
poleau  les  bras  étendus,  pour  être  dévorée  par  les  bêtes;  au- 
cvine  ne  l'ayant  touchée,  elle  fut  renvoyée  en  prison.  On  fit  faire 
à  Attale  le  tour  de  l'amphithéâtre,  avec  un  écriteau  devant  lui, 
où  était  écrit  : 

«  C'est  lechrétien  Attale.  » 

Le  peuple  demanda  sa  mort;  mais  le  gouverneur  ayant  ap- 
pris que  ce  chrétien  était  citoyen  romain ,  ordonna  qu'on  le 
remît  en  prison ,  et  écrivit  à  l'empereur ,  pour  savoir  de  quelle 
manière  il  devait  en  user  envers  lui  et  envers  tous  ceux  qu'il 
avait  fait  arrêter.  Le  rescript  de  Marc-Aurèle  arriva  bientôt,  il 
portait  que  ceux  qui  persisteraient  à  confesser  Jésus-Christ, 
seraient  punis  du  dernier  supplice  ,  mais  que  ceux  qui  le  re- 
nonceraient seraient  renvoyés  absous.  Pour  exécuter  cet  ordre, 
le  gouverneur  choisit  le  premier  jour  de  l'assemblée  des  jeux 
solennels.  Il  fit  donc  amener  les  martyrs  à  son  tribunal ,  et 
les  interrogea  de  nouveau;  ceux  qui  persistèrent  dans  leur  foi 
et  qui  se  trouvèrent  citoyens  romains,  eurent  la  tête  coupée  ; 
les  autres  furent  condamnés  à  être  exposés  aux  bêtes;  il  examina 
séparément  ceux  qui  avaient  renié  leur  religion;  mais,  contre 
son  attente,  ils  reprirent  courage,  et  confessèrent  qu'ils  étaient 
chrétiens  ;  on  les  mit  avec  les  autres  martyrs;  il  n'y  eut  qu'un 
petit  nombre  qui  n'ayant  jamais  fait  paraître  dans  leur  con- 
duite une  véritable  foi  chrétienne,  demeurèrent  séparés  de  l'E- 
glise. 

Pendant  l'interrogatoire ,  un  chrétien  nommé  Alexandre , 
Phrygien  de  nation  et  médecin  de  profession  ,  étant  près  du 
tribunal,  faisait  des  signes  de  la  tête  et  des  yeux  pour  exbor- 

.  *  Hisloire  ecclésiasllfiuc  d'Eusèbc.  livre  v,  chap,  I. 


DANS   LES  GAULES.  13 

1er  ceux  qui  avaient  nié  d'abord,  à  confesser  sans  crainte  l'exis- 
tence de  leur  foi;  on  s'en  aperçut,  et  les  gentils  indignés 
commencèrent  à  crier  contre  Alexandre  ,  et  à  l'accuser  d'être 
cause  de  ce  changement.  Le  gouverneur  lui  demanda  aussitôt 
qui  il  était,  et  Alexandre  lui  ayant  répondu  qu'il  était  chrétien, 
le  gouverneur  en  colère  le  condamna  aux  bêtes.  Alexandre 
entra  donc  le  lendemain  dans  l'arène  avec  Attale,  et  ces  deux 
athlètes,  après  avoir  épuisé  tous  les  supplices  que  la  cruauté 
des  idolâtres  pouvait  inventer,  moururent  enfin  d'un  coup  d'é- 
pée.  Les  derniers  qui  souffrirent  le  martyre,  furent  Pontique, 
jeune  homme  d'environ  quinze  ans  ,  et  Blandine  qui ,  après 
avoir  été  battue  de  verges,  déchirée  par  les  bêtes,  mise  sur  la 
chaise  de  fer,  et  enfermée  dans  un  filet  pour  être  exposée  à  un 
taureau  ,  finit  sa  vie  par  le  glaive. 

Non  contens  de  la  mort  des  martyrs,  les  gentils  déchargèrent 
leur  colère  sur  les  cadavres  de  ces  hommes  courageux;  ils  les 
laissèrent  exposés  à  l'air  pendant  six  jours,  puis  les  ayant  fait  brû- 
ler, ils  en  jetèrent  les  cendres  dans  le  Rhône,  s'imaginant  les 
priver  ainsi  de  toute  espérance  de  résurrection.  «Aboyons  mainte- 
B  nant ,  disaient- ils,  s'ils  ressusciteront  comme  ils  se  le  persua- 
•  dent,  s'il  est  au  pouvoir  de  leur  Dieu  de  les  secourir  et  de  les 
»  tirer  de  nos  mains.  » 

La  lettre  circulaire  des  évêques  de  Vienne  et  de  Lyon  •  d'où 
a  été  tiré  tout  ce  qui  vient  d'être  dit  de  ces  martyrs,  paraît  avoir 
été  écrite  dans  le  tems  que  la  persécution  durait  encore  ;  elle 
est  au  nom  des  serviteurs  de  Dieu  qui  demeuraient  à  Vienne  et 
à  Lyon,  et  adressée  aux  Frères  ou  aux  Eglises  cTAsie  et  dePkrygie; 
outre  le  détail  des  souffrances  des  martyrs  de  Lyon,  cette  lettre 
contenait  encore  des  instructions  importantes. 

Cette  persécution  ne  permet  pas  de  douter  que  Marc-Aurèle 
n'ait  laissé  agir  des  agens  indignes  de  lui,  mais  il  paraît  que 
cet  empereur  l'arrêta  bientôt,  puisqu'Irénée  n'y  fut  pas  compris 

»  Elle  a  été  conservée  par  Easèbeti  traduite  dans  la  Bibliothèque  choisie 
des  pères  de  l'Eglise,  Tpa.r  Guillon,  Paris  t82^.  iv ,  289.  On  la  retrouvera 
encore  dans  les  chefs-d'œuvre  des  pères  de  l'Eglise.  Paris,  1837,  î,  209.  Ce* 
ouvrage  donne  la  version  latine  avec  une  traduction  française. 


14  SUR  l'introduction  du  christianisme 

et  qu'il  gouverna  paisiblement  l'Eglise  de  Lyon,  ainsi  qu'on  ya 

le  voir. 

Vie  de  saint  Irénée ,  évèque  de  Lyon  ,  premier  docteur  de  l'Eglise 
chrétienne  en  France  ,  martyr. 

IV.  Saint  Irénée  vint  au  monde  au  commencement  de  l'em- 
pire d'Adrien,  vers  l'an  l'^o  de  notre  ère.  Cette  opinion  est 
fondée  sur  saint  Irénée  lui-même  qui  en  parlant  du  livre  de  l'a- 
pocalypse, dit  : 

«  Il  n'y  a  pas  long-tems  qu'il  a  paru ,  c'est  presque  de  notre 
atems,àlafin  de  l'empire  de  Domitienjwmortrangôde  notre  ère. 

Ses  parens,  qui  sans  doute  étaient  chrétiens,  le  mirent  en- 
core enfant  sous  la  conduite  de  saint  Polycarpe ,  évêque  de 
Smyrne,  qui  prenait  soin  de  toutes  les  Eglises  d'Asie,  et  qui,  étant 
né  l'an  71,  avait  ^9  ans  de  plus  que  lui,  mais  qu'il  ne  perdit  que 
l'an  166,  lorsque  lui-même  avait  déjà  46  ans.  Ce  fut  dans  une 
si  sainte  école,  qu'il  puisa  les  lumières  et  la  science  profonde 
de  la  religion,  qui  le  rendirent  dans  la  suite  \in  des  plus  grands 
évêques  de  son  siècle,  l'ornement  de  l'Eglise,  et  la  terreur  des 
hérétiques.  Aussi  lui-même  dit-il  ^  qu'il  remarquait  avec  un 
soin  extrême  tout  ce  qu'il  voyait  dans  ce  saint  vieillard,  pour 
en  faire  son  profit;  il  écoutait  ses  discours  avec  oi'dcur,  et  les 
gravait,  non  sur  des  tablettes ,  mais  dans  le  plus  profond  de 
son  cœur.  C'est  saint  Irénée  qui  nous  apprend  toutes  ces  cir- 
constances; et  il  ajoute  qu'à  force  de  repasser  dans  son  espritles 
instructions  de  son  maître,  il  les  y  grava  si  profondément  qu'elles 
lui  furent  toujours  présentes  dans  la  suite  et  même  dans  sa 
vieillesse  la  plus  avancée.  Il  se  représentait  encore  alors  fort 
distinctement  le  lieu  où  le  bienheureux  Polycarpe  avait  cou- 
tume d'enseigner  ses  disciples ,  la  manière  dont  il  y  entrait  et 
en  sortait,  son  humeur,  son  air,  sa  taille,  les  discours  qu'il 
faisait  aux  peuples,  et  les  entretiens  qu'il  avait  eus  avec  saint 
Jean  el  avec  les  autres  qui  avaient  vu  le  Seigneur. 

Saint  Jérôme  ^  dit  que  saint  Irénée  fut  aussi  disciple  de  saint 

•  Liber  Y  advcrsùs  Hœres.  cop.  30.  Dupin  s'est  donc  trompé  en  le  tai- 
sant naître  l'an  liO. 

'  Jrenœi  Epist.  ad  Flor.  dans  Eusèbc,  liv.  v,  chap.  20. 
'  Epistola  18  ad  Theodoram, 


DANS   LES   GAOLES.  i5 

Papîas,  évêque  d'Hiéraples  en  Thrygie,  qui  avait  reçu  les  ins- 
tructions de  saint  Jean  l'évangcliste  avec  saint  Polycarpe.  Papias 
composa  un  ouvrage  en  cinq  livres,  qu'il  intitula  :  «  Explica- 
tion des  discours  du  Seigneur  »  ;  il  ne  nous  reste  de  cet  ouvrage 
que  des  fragmens  qui  donnent  une  mauvaise  idée  de  sa  cri- 
tique et  de  son  goût.  Il  l'ut  auteur  de  l'opinion  des  millénaires, 
qui  prétendaient  que  Jésus-Christ  viendrait  régner  sur  la  terre 
d'une  manière  corporelle  mille  ans  avant  le  jugement  dernier, 
pour  assembler  les  élus  après  la  résurreclion  delà  ville  de  Jéru- 
salem. 

Saint  Justin  a  donné  comme  Papias  dans  l'opinion  des  millé- 
naires; il  avoue  que  plusieurs  chrétiens  la  rejetaient  et  qu'il  ne 
faisait  aucvuie  difficulté  de  communiquer  avec  eux,  soutenant 
cette  opinion  sans  quitter  l'unité  de  la  foi  catholique  '. 

Ce  que  dit  Justin  en  cet  endroit  fait  voir  qu'il  ne  regardait 
point  le  règne  de  mille  ans  comme  un  dogme  de  foi,  mais  comme 
une  opinion  ,  qui  n'était  pas  même  encore  décidée  du  tems  de 
saint  Jérôme,  puisque  ce  père  de  l'Eglise'  la  désapprouve  bien 
comme  fausse,  mais  non  comme  hérétique,  en  laissant  la  déci- 
sion au  jugement  de  Jésus-Christ,  sans  vouloir  condamner  per- 
sonne sur  ce  sujet.  Ainsi  saint  Irénée  a  pu  être  disciple  de  Papias, 
sans  se  rendre  coupable  contre  la  foi  chrétienne,  telle  qu'elle 
était  de  son  tems;  mais  il  était  bien  éloigné  du  sentiment  de 
Cérinthe  et  des  autres  hérétiques,  qui  prétendaient  que  les  plai- 
sirs de  la  Nouvelle-Jérusalem  seraient  charnels  ;  il  les  croyait 
purement  spirituels. 

On  n'a  pas  de  certitude  sur  l'occasion  à  laquelle  saint  Irénée 
vint  dans  les  Gaules  ;  mais  Grégoire  de  Tours  ■'  dit  qu'il  y  fut 
envoyé  par  saint  Polycarpe,  peut-être  l'an  160,  avec  saint  Pothin. 
Ce  fut  en  effet  saint  Pothin,  en  sa  qualité  d'évêque  de  Lyon,  qui 
l'ordonna  prêtre  de  son  église  ^;  el  il  exerçait  les  fonctions  de 
prêtre  l'an  177,  lorsqu'il  fut  choisi  par  les  martyrs  de  Lyon  pour 

'  Dialog.  cum  Ttypho.  p.  30ù. 
>  In  Jerem.  19  et  in  Ezecfi.  08. 

*  Historia  Francorum,  c.  20. 

*  Hieron^mus  de  v iris  iUiistribiis ,  cap.  35,  p.  27'J. 


16  SUR  l'introduction  du  christianisîie 

être  le  porteur  d'une  lettre  qu'ils  écrivirent  au  pape  Eleuthère. 

Saint  Jérôme  assure  positivement  qu'il  la  rendit  à  ce  pontife  *. 

Dans  celte  lettre,  après  avoir  salué  l'évêque  de  Rome  comme 
leur  père,  les  martyrs  de  Lyon  ajoutent  :  «  Nous  avons  chargé 
>  Irénée  noire  frère  et  noire  compagnon,  de  rendre  ces  lettres  à 
•  votre  paternité.  Nous  vous  supplions  de  le  considérer  comme 
»  un  homme  tout-à-fait  zélé  pour  le  Testament  de  Jésus-Christ. 
»  C'est  en  cette  qualité  que  nous  vous  le  recommandons.  Si  nous 
«avions  cru  que  le  rang  et  la  dignité  suffisent  pour  donner  la 
«justice  et  la  vertu,  nous  vous  l'aurions  recommandé  d'abord 
«comme  prêtre  de  l'Eglise;  car  il  l'est  effectivement.  » 

Le  motif  de  cette  députation  était  de  procurer  la  paix  aux 
Eglises  divisées  sur  la  question  du  jour  auquel  devait  être  célé- 
brée la  fête  de  Pâques.  On  croit  qu'il  fut  aussi  porteur  des  lettres 
que  les  mêmes  martyrs  écrivirent  auxEglises  d'Asie  et  dePhrygie, 
au  sujet  des  troubles  que  les  nouvelles  prophéties  de  Montan  y 
avaient  causés  depuis  quelque  tems. 

Saint  Irénée,  en  reiTiplissant  celle  mission,  échappa  à  la  per- 
sécution de  Lyon,  et  survécut  à  saint  Potliin  dont  la  dignité  lui 
fut  conférée  * ,  en  sorte  qu'il  fut  le  second  évêque  de  l'église  de 
Lyon.  Cette  ville  changea  bientôt  de  face  sous  la  conduite  de 
son  nouveau  pasteur,  et  Dieu  donna  tant  de  force  à  ses  prédi- 
cations, qu'en  peu  de  tems  il  la  rendit  presque  toute  chrétienne  '. 
Pour  préserver  son  peuple  des  erreurs  qui  se  répandaient  dans 
les  provinces  voisines  du  Rhône,  saint  Irénée  s'appliqua  à  eu 
faire  connaître  toute  l'absurdité  ^,  à  en  découvrir  toutes  les  con- 
tradictions, à  fournir  des  armes  pour  les  combattre,  à  confirmer 
les  néophytes,  et  à  ramener  même  les  hérétiques  dans  le  sein 
de  la  foi.  C'est  dans  ce  dessein  qu'il  composa  ses  livres  contre 
les  hérésies^  dans  lesquels  il  rapporte  en  détail  toutes  les  extra- 
vagances des  Valentiniens  et  des  autres  hérétiques  de  ces  tems-là, 
et  donne  toutes  sortes  de  moyens  pour  les  combattre.  Il  travailla 

»  In  calalog.,  chap.  xxix. 
»  Eusébe ,  livre  v,  chap.  i. 

*  Grégoire  de  Tours  ,  histoire  des  Francs,  livre  i ,  chap.  20, 
4  C'est  ce  que  lui-même  dit  dans  sa  préface  au  livre  v.  Contra  hmreseiy 
page  20  f . 


BANS   LES   r.AULES.  17 

aussi  beaucoup  pour  procurer  la  paix  entre  lesEglises  ',  au  sujet 
de  la  fête  de  Pâques;  et  fit  en  sorte,  par  ses  soins,  qu'il  fut  per- 
mis à  chacun  de  suivre  l'ancien  usage  de  son  Eglise.  C'est  ainsi, 
observe  l'historien  grec  Eusèbo  ',  qu'lttiu'e ,  remplissant  toute 
la  signification  de  son  nom  (jui ,  en  grec  ,  signifie  pacifu/uc,  se 
montra  véritablement  amateur  de  la  paix  par  la  douceur  de  ses 
mœurs,  par  la  modération  de  sa  conduite,  et  parle  mouve- 
ment qu'il  se  donna  pour  établir  un  accord  parlait  entre  toutes 
les  Eglises. 

Le  gouvernement  des  empereurs  romains  qui  s'étaient  suc- 
cédés après  la  mort  de  Marc-Aurèle,  avait  ainsi  laissé  prospérer 
le  Christianisme  dans  les  Gaules,  lorsque  l'empereur  Sévère 
qui  revenait  victorieux  de  l'Orient,  i'au  202  de  notre  ère,  mé- 
content des  Juifs  qui  s'étaient  révoltés  contre  lui  en  Palestine, 
ordonna  une  persécution  violente  contre  eux,  et  y  enveloppa  les 
Chrétiens.  Saint  Irénée ,  à  l'âge  de  quatre-vingt-deux  ans,  ne 
pouvait  échapper  à  celte  persécution  :  il  reçut  la  couronne  du 
martyre,  et  avec  lui  une  multitude  innombrable  de  son  peuple  ^. 

Le  M"  de  Fortia-u'Urban, 
De  l'acadcrnie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 

"  Anatol.  Âpud  Bucherium,  p.  ii5. 
»  Liv.  V.  chap.  2i. 

^  Gre'goire  de  Tours,  livre  r,  chap.  §7  de  CHist.  des  Francs, St.  Jérôme, 
sur  le  chap.  xsiv  d'haie. 


18  COURS   DE   PHILOLOGIE   ET   d'aRCHÉOLOGIE. 

rt'VVl/v\^\A^\^^^^^\\\\^^^^v\^\^'^^^^'»■'^/vv\^A^^^a\\^v\\va\\^/i\vvv^\vvvv\A\vvv^^v*.\AV^vv\^'t'\\^^v\\v 


'^xc^bi0^u. 


DICTIONNAIRE   DE  DIPLOMATIQUE, 

ou 

COURS  PHILOLOGIQUE  ET  HISTORIQUE 

d'.à.miquitks  civiles  et  ecclésiastiques. 

suite  et  fi>"  du  b. 

BREF.  Ce  mot,  considéré  sous  une  acception  générale,  a 
été  pris  par  divers  auteurs,  et  notamment  par  MafTei  %  pour  un 
titre,  vine  note,  un  acte  judiciaire ,  un  instrument  quelconque.  Il 
est  actuellement  restreint  à  certains  actes  émanés  des  papes. 
Rendus  par  des  princes  séculiers,  ils  étaient  appelés  préceptes  ou 
ordon7iances. 

Les  Grecs  et  les  Latins  ont  fait  un  égal  usage  de  ce  mot.  Quel- 
ques auteurs^  prétendent  que  les  Latins  ont  tiré  des  Grecs  leur 
brève f  brevetas,  brevicellam ,  pytacium,  pyctatiolum,  sclieda,  ceduta, 
etc.  La  barbarie  a  donné  naissance  à  tous  les  dérivés  et  dirai' 
nutifs  de  ces  mots,  dont  l'analogie  saute  aux  yeux,  et  dont  le 
sens  est  à  peu  près  le  même ,  excepté  que  pytacium  paraît  plus 
particulièrement  consacré  à  signifier  des  billets  ,  des  tablettes 
manuelles,  des  écriteaux. 

Originairement  les  brefs  répondaient  à  leur  nom  par  leur 
brièveté  :  mais  dans  la  suite  on  ne  prit  pas  garde  à  la  significa- 
tion du  mot ,  et  on  en  fit  de  très-longs. 

Il  n'est  pas  hors  de  propos  d'entrer  dans  quelques  détails  sur 
l'atlribution  de  ce  mot  à  différens  actes. 

'  Voir  le  O":  art.  dans  le  N»  96 ,  t.  xvx,  p.  i3G. 

»  Istor.  Diplom.  page  88  ,  89. 

'  Gloss.  med.  et  irfim.  Cracit.  cl  Gloss.  incd.  et  in/im,  Latinit. 


ÊREFS    DES   ROIS    ET    DES   PARTICULIERS.  19 

BntFs  DES  Rois  et  des  Particdlikrs.  Dans  les  anciens  tems, 
rt  presque  jusqu'à  nos  jours,  les  lettres,  jussions,  mandemens, 
billets,  tant  des  rois  que  des  particuliers,  s'appelèrent  brèves  et 
hrevicolœ. 

Dès  le  i4*  siècle,  on  appela  tout  court  brevets  les  actes  qu'on 
avait  appelés  auparavant  breveti  salvalionis  ,  brefs  de  sauveté  ; 
breveti  saki-conductûSf  brefs  de  sauf-conduit;  breveti  rictualium , 
brefs  de  victuailles,  qui  regardaient  particulièrement  les  navires 
pour  leur  sûreté  contre  les  naufrages  ou  contre  la  disette. 

Le  brève  sacramenic ,  qu'on  trouve  dans  les  capitulaires  de  Ba- 
luze  '  et  dans  Grégoire  de  Tours  S  était  l'acte  dressé  après  la 
prestation  de  serment  de  fidélité  au  roi,  et  signé  des  témoins, 
ou  lorsqu'en  justice  %  on  se  purgeait  par  serment  de  quelques 
accusations.  Le  brève  victoriale  était  l'acte  du  gain  d'\ine  cause  ; 
brève  originale,  la  première  pièce  d'une  procédure,  c'est-à-dire 
l'assignation;   brève  inquisitionis,  un  bref  d'enquête  pour  faire 
des   informations  juridiques  :  il  est  d'usage  dès  le  12*  siècle; 
brève  de  stabiliâ ,  un  bref  d'establie  ,  acte  par  lequel  les  ducs  de 
Normandie  mettaient  en  séquestre  entre  leurs  mains  un  fief  en 
litige;  brève  refutationis  •*,  un  bref  de  cession  et  de  désistement; 
brève  annuiiaiis ,  depuis  long-tems  en  usage  en  Angleterre,  est 
un  bref  d'annuité  pour  poursuivre  un  débiteur  qui  ne  paie  pas 
quelque  revenu  annuel  ;  brève  principis  revient  aux  lettres  de 
cachet,  ou  aux  comrnittimas^  ou  aux  évocations  ;  brève  de  capeilâ, 
est  un  bref  de  la  chancellerie;  brèves pro  quœstâ,  fort  à  la  mode 
aux  i3*  et  i4'  siècles,  étaient  des  pancartes  portant  permission 
de  quêter  ;  brevis  de  convenientiâ  '  était  un  accommodement,  ou 
une  transaction .  Il  serait  trop  long  de  s'appesantir  sur  les  autres 
actes  qualifiés  du  nom  de  brefs  y  comme  brèves  donationum  ^,  m- 
vestiturœ  ',  brève  païens  ,  brève  clausum,  brève  de  excomtnunicato  ca- 
piendo  on  deliberando,  etc.,  dont  la  signification  est  évidente.  On 

'Tom.  u,col.  i56.  iy2. 

>  Hisl.  page  i  I . 

''  De  Re  Diplom.suppl.  p.  80.  ' 

A  Anital.  Bened.  t.  iv,  page  701. 

*  Hist.  de  Langued.  t.  11,  col.  i32. 

^  De  Re  Diphrn.  page  8  et  20. 

7  Spicil.  t.  V.  page  376. 


20  COLKS    DE   PHILOLOGIE   LT   D  ARCHEOLOGIE. 

ne  dira  rien  non  plus  de  nombre  de  brefs  qui  n'ont  été  d'usage 
qu'en  Normandie  et  en  Angleterre,  et  qui  ne  sont  point  connus 
ailleurs. 

Eu  général  les  assignations,  citations,  décrets,  toiis  actes  par 
lesquels  on  était  appelé  en  justice,  et  les  lettres  de  chancellerie 
qui  autorisaient  à  intenter  une  action  contre  quelqu'un,  s'ap- 
pelèrent assez  communément,  les  premiers  breviajudicialia,  et 
les  autres  brevia  magistralia.  Maistousces  actes  varièrent  à  l'infini 
selon  les  différences  des  cas. 

On  peut  mettre  aussi  au  nombre  des  brefs  les  lettres  de  dé- 
fense, cedulce  inhlbitoriœ,  puisqu'elles  en  portent  le  nom;  les 
brèves  mortuorum^  dits,  antérieurement  au  ii*  siècle,  litterœ  cur- 
rentes ,  etc.,  etc.  Les  lettres  des  papes  qui  ont  porté  et  qui  por- 
tent encore  souvent  le  nom  de  brefs  ,  brevia,  breveta,  méritent 
aussi  quelque  attention. 

Brefs  des  Papes.  On  commence  au  i5'  siècle  à  découvrir  dans 
certains  rescrits  des  papes,  les  premières  traces  de  brefs  ;  leur 
forme  ne  fut  néanmoins  fixée  qu'après  le  milieu  du  i5e.  Toute 
la  différence  qu'il  y  a  entre  ces  rescrits  et  les  autres  bulles,  gît 
dans  la  suscription.  Au  lieu  de  dire,  un  tel,  serviteur  des  serviteurs 
de  Dieu,  etc.,  on  dit,  un  tel.  Pape  V,  VI,  VII,  selon  le  rang. 

Au  i5'  siècle,  le  pape  Eugène  IV  enchérit  encore  sur  ses  pré- 
décesseurs pour  préparer  les  voies  aux  brefs  proprement  dits. 
Ses  lettres  ne  portent  point  dans  leurs  dates  l'année  de  l'incar- 
nation ni  les  calendes  ;  mais  elles  sont  données  sub  annula  nostro 
secreto  ;  au  lieu  que  l'essence  du  bref  exigerait  qu'elles  fussent 
sub  annula  piscatoris.  D'ailleurs  elles  portent,  selon  la  forme  des 
brefs ,  la  date  du  jour  du  mois. 

On  fit  usage  dans  les  brefs  d'une  écriture  différente  de  celle 
des  bulles;  la  ronde  ou  française  était  affectée  aux  bulles,  l'ita- 
lique le  fut  et  l'est  encore  aux  brefs.  Les  successeurs  d'Eugène  IV, 
dans  les  brefs  qu'ils  donnèrent  sub  annula  piscatoris,  y  insérèrent 
aussi  quelquefois  l'année  de  l'incarnation  ,  ou  l'année  du  Sei- 
gneur, que  Nicolas  V  introduisit,  mais  dont  le  commencement 
n'était  pas  encore  fixé  invariablement.  Ce  même  pape  donna 
le  premier  cette  forme  que  les  brefs  ont  suivie  depuis  :  Nicolaus, 
Papa  V,  dilectis  filiis  salutem  et  apostolicam  benedictionem.. .  Datum 
Romœa  pud  S .  Petrum,  sub  annula  piscatoris,  dit  i5  aprilis  i^^B  , 


BRIGITTE.  21 

pontlfîcatûs  nostri  anno  2'.  Telle  est  la  forme  des  brefs,  qui  devînt 
de  jour  en  jour  plus  constante  et  moins  variable,  mais  k  laquelle 
Nicolas  V  lui-même  ne  fut  pas  toujours  fidèle  :  ses  successeurs 
s'y  attachèrent  tellement,  que  depuis  elle  n'éprouva  pas  de 
changement  notable,  et  elle  dure  encore. 

La  forme  différentielle  des  brefs  consiste  donc  dans  la  SU8- 
cription  qui  doit  énoncer  simplement  le  nom  du  pape  et  le  rang 
qu'il  lient  parmi  ses  prédécesseurs  de  même  nom  ;  dans  le  salut 
et  la  bénédiction  apostolique;  dans  la  date,  qui  doit  renfermer 
celle  du  lieu,  du  jour  du  mois,  selon  le  comput  commun  ,  de 
l'année  de  l'ère  clirétienne  enchiffre,etde  l'annéedu  ponlificat; 
dans  l'annonce  du  sceau  qui  doit  être  l'anneau  du  pécheur;  et 
enfin  dans  le  sceau  lui-même  qui  doit  êlre  de  cire  rouge,  mais^ 
non  pas  de  cire  d'Espagne. 

Une  singularité  du  18^  sif^cle ,  digne  de  remarque,  c'est  que 
Ton  connaît  un  bref  de  Benoît  XIV  écrit  en  français.  A  la  vérité 
il  n'est  pas  le  premier  pape  qui  dans  ses  lettres  ne  se  soit  pas 
servi  de  la  langue  latine;  car  Benoît  XIII  a  donné  quelques  res- 
crits  dans  le  goût  des  motus  proprii,  écrits  en  tout  ou  en  partie  en 
italien  ;  mais  on  n'en  avait  peut-être  jamais  vu  en  langue  étran- 
gère à  l'Italie. 

Les  brefs  revêtus  de  toutes  les  formalités  qui  les  constituent, 
tels  ,  et  particulièrement  de  la  clause  sub  anmdo  piscatoris ,  se- 
raient très-suspects  avant  Eugène  lY  ;  un  sceau  de  plomb  à  la 
manière  des  bulles  les  convaincrait  de  faux.  Au  contraire  une 
bulle  scellée  du  sceau  du  pêcheur,  sans  en  avertir,  serait  fausse 
depuis  le  milieu  du  i5*  siècle,  et  très-svispecte  avant  cette  épo- 
que. 

Il  est  essentiel  aux  brefs  d'être  scellés ,  eu  cire  rouge  ,  avec 
Tempreinte  de  l'anneau  du  pêcheur,  c'est-à-dire  que  S.  Pierre 
y  est  représenté  dans  sa  barque  en  action  de  pêcheur.  Autour 
du  sceau  est  le  nom  du  pape,  suivi  de  Papa  et  du  nombre  ordi- 
nal qui  le  caractérise,  mais  sans  chiffre  '. 

BRIGITTE  (ordre  militaire  de  Sainte),  établi  par  la  sainte 
de  ce  nom ,  princesse  de  Nericie  en  Suède,  vers  l'an  i366,  pour 

'  Voyez  Auboux,  Pratique  civiU  et  criminelle  pour  (es  cours  eectésiatliq^ 
Tome  xvii. — N"  97.  i838.  2 


22  COURS    I)E    I>HILOLOr,IE    ET    d' ARCHÉOLOGIE. 

s'opposer  par  les  armes  aux  nations  barbares  qui  sortaient  de 
la  Tartarie,  et  désolaient  le  nord  et  le  midi  de  l'Europe.  Urbain  Y 
l'approuva  sous  la  règle  de  saint  Augustin.  Mais  l'ordre  ne  sur- 
vécut "^uère  à  la  sainte,  morte  en  i'ôy'ù.  Helyot  dit  même  que  cet 
ordre  n'a  jamais  existé  que  dans  les  révélations  de  sa  fondatrice. 
La  croiiv  des  cheraliers  était  Wazur  d  huit  poirUes,  avec  une  langue  de 
feu,  qui  pendait  en  bas.  Ils  mettaient  en  outre  dans  leur  éten- 
dard ir(7«  couronnes  qui  étaient  les  anciennes  armes  des  Goths. 

BL'LLE.  Suivant  la  signification  propre  du  mot  bulle,  on  ne 
devrait  entendre  qu'un  sceau  pour  l'ordinaire  de  métal  attaché 
à  des  lettres  :  car  dans  le  droit  canon  et  même  dans  les  bulles 
ce  mot  ne  signifia  jamais  une  lettre  apostolique,  mais  le  sceau 
dont  elle  est  munie  ;  et  même  une  bulle  qui  se  qualifierait  telle 
avant  le  i5'  siècle,  ne  serait  pas  à  l'abri  du  soupçon.  Cepen- 
dant de  même  que  les  chartes  ont  été  qualifiées  5/^///a,  du  sceau 
dont  elles  portaient  l'empreinte,  de  même  certaines  épîtres 
pontificales  ont  tiré  leur  dénomination  de  la  bulle  de  plomb  qui 
y  était  pendante. 

Ce  titre  ne  fut  pas  même  réservé  aux  seules  lettres  du  Pontife 
Romain  :  il  leur  est  commun  avec  celles  des  empereurs ,  de 
certains  prélats,  et  de  quelques  conciles  œcuméniques.  Ces 
dernières  sont  revêtues  de  la  même  forme  que  les  bulles  des 
Papes  du  i^'  siècle.  Personne  n'ignore  que  cette  dénomination 
fut  donnée  à  certains  rescrils  des  empereurs  :  la  fameuse  bulLe 
(Cor  de  Charles  IV  ,  et  quelques-unes  de  même  espèce  des  Em- 
pereurs Grecs,  ne  laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  On  ne  voit 
pas  au  reste  que  l'on  se  soit  servi  du  terme  de  bulle  pour  carac- 
tériser les  chartes  des  autres  rois,  princes,  seigneurs  et  prélats 
du  commun,  quoiqu'elles  aient  été  scellées  de  sceaux  d'or, 
d'argent,  de  cuivre  ou  de  plomb,  qui ,  depuis  le  9'  siècle  jus- 
qu'au 12',  furent  de  tems  en  tems  appelés  bulla.  Cette  dénomi- 
nation du  sceau  était  même  encore  d'usage  au  i5^  siècle;  on 
en  qualifiait  quelquefois  les  sceaux  de  cire  *. 

BvLLES  coRSiDÉRÉES  COMME  SCEAUX.  —  Avaut  donc  de  considércr 
ies  bulles  comme  rescrits  ou  lettres,  il  faut,  en  suivant  leur 

>  Lfy«er,  Commtni.  de  conira-sif;.  p.  15. 


Bt'LLË.  23 

signification  propre,  les  envisager  comme  sceaux.  On  ne  sait 
pas  précisément  en  queltems  on  a  commencé  à  mettre  les  bul- 
les aux  actes  publics.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  les 
sceaux  de  plomb  ou  de  métal  sont  d'un  âge  fort  reculé.  L'An- 
tiquiié  compliquée  '■  nous  offre  celui  de  Marc-Aurèle  et  de  Lucius 
Verus  représentant  les  têtes  de  ces  deux  empereurs,  et  percé 
de  haut  en  bas  dans  Tépaisseur  pour  passer  la  cordelette  qui 
devait  l'alSacher  au  diplôme.  Heineccius  "  en  décrit  im  autre 
de  Galla  Placidia,  fille  du  grand  Théodose,  qui  a  les  mêmes 
caractères  \  Ces  deux  bulles  sont  de  plomb,  ainsi  que  celles 
des  empereurs  Trajan  et  Antonin  le  Pieux  ,  fournies  par 
Ficoroni;  ce  qui  démonirc  combien  est  fausse  l'assertion  du 
Dictionnaire  de  Trévoux  qui  prétend  4,  que  les  édits  des  empe- 
reurs n'étaient  passcellés.  Il  parait  que  cet  usage  fut  adopté  par 
les  papes,  et  même  d'assez  bonne  heure,  puisque  Ficoroni  * 
en  a  publié  deux,  l'une  du  Pape  Deusc/edit,  qui  commença  à 
gouverner  l'Eglise  Romaine  en  614,  et  l'autre  de  Fitalien  qui 
monta  sur  le  Saint-Siège  en  607;  ce  qui  attribue  aux  papes  des 
bulles  de  plomb  beaucoup  plus  anciennes  que  ne  l'ont  pensé 
plusieurs  savans.  D'où  l'on  peut  conclure  aussi  qu'elles  ne  peu- 
vent être  suspectes,  quelque  anciennes  qu'elles  soient.  L'exemple 
que  donne  Ficoroni  *,  du  pape  Deusdedit ,  détruit  entièrement 
le  système  de  Polydore  Virgile,  qui  veut  "  que  les  premiers 
papes  ,  jusqu'en  682,  aient  scellé  avec  des  anneaux  imprimés 
sur  la  cire;  il  insinue  même  qu'on  pourrait  faire  remonter  au 
moins  jusqu'à  Grégoire  le  Grand  l'usage  des  bulles  pontificales 
en  plomb. 

Les  Evêques  imitèrent  l'exemple  des  Empereurs  et  des  Pon- 
tifes Romains,  et  scellèrent  assez  souvent  leurs  actes  en  plomb  ®. 
Le  4''  canon  du  second  concile  de  Châlons-sur-Saône,   tenu 

'  Tom.  ni,  part.  2,  page  23o. 

'  De  Sigill.  tab.  i,  )i.  1. 

^  Moulinet,  cabinet  de  Sainte  Geneviève,  page  89. 

4  Tom.  IV,  col.  1556. 

5  /.  Piombi  antichif  page  71,73, 
«  Tav.  23. 

'  L.  vin,  De  Invent.  Herum. 

*  Anast.  Biblioth.  Pref.adSynod.  octavam...  Fleury,  (4'*'.  ux,  p.  i83, 


24(  COURS  DE   PHILOLOGIE   ET   D'ARCHÉOLOGIK. 

en  8i3,  en  fit  même  une  loi  aux  Evoques  pour  les  lettres  for- 
mées. Les  abbés  en  ont  pareillement  fait  usage,  quoique  très- 
rarement  '.  Les  empereurs  d'Occident,  les  empereurs  Français 
mêmes,  se  servirent  de  sceaux  de  plomb  :  mais  ils  ne  don- 
naient point  à  l'acte  la  dénomination  de  bulle  ;  on  ne  connaît 
aucun  de  nos  monarques  de  la  troisième  race  qui  en  ait  usé. 

La  figure  orbiculaire  étant  la  plus  simple,  est  aussi  la  plus  an- 
cienne qu'on  ait  donnée  aux  médailles.  Elle  a  toujours  été  plus 
particulièrement  affectée  aux  sceaux  de  métal;  et  la  plupart  des 
bulles  de  plomb  ont  conservé  cette  forme  :  quand  on  dit  la 
plupart  i  c'est  pour  ne  pas  exclure  les  ovales;  car  il  s'en  rencon- 
tre quelquefois.  Ficoroni  ^  nous  en  offre  une  de  cette  espèce 
représentant  la  tête  de  l'empereur  Alexandre  Sévère  couronnée 
de  laurier.  Il  s'en  trouve  de  carrées;  mais  elles  sont  rares. 
Heineccius  *  en  a  publié  deux  tirées  du  livre  de  Dominique 
Palatio,  De  Gestis  Pontificum  :  elles  portent  les  noms  des  papes 
Sergius  et  Etienne. 

Les  légendes  des  bulles  de  plomb  des  papes  sont  des  plus  la- 
coniques et  des  plus  simples.  Jusqu'à  Léon  IX,  élu  en  1048, 
elles  ne  portent  que  leur  nom  au  premier  côté  ,  et  le  titre  de 
pape  au  second;  il  faut  en  excepter  la  bulle  du  pape  Deusdedit, 
qui  d'un  côté  représente  le  bon  Pasteur  *;  et  Paul  I  ^,  qui  a 
introduit  les  images  de  Saint  Pierre  et  de  Saint  Paul  sur  les 
bulles  de  plomb.  Léon  IX  ne  fut  que  le  restaurateur  de  cet 
usage  en  1049  ^. 

Les  plus  anciens  monumens,  selon  Foggini  ^,  représentent 
Saint  Pierre  à  la  droite  de  Saint  Paul  :  mais  au  moyen  âge  la 
plupart  des  bulles  de  plomb,  des  monnaies,  et  des  autres 
monumens  sur  lesquels  ces  apôtres  sont  figurés  ensemble, 
placent  Saint  Paul  à  la  droite ,  et  Saint  Pierre  à  la  gauche.  La 

>  De  Be  Biplom.  page  f  53,  n.  3. 
»  I.  Piombi  antichif  Tav.  iv,  n.  12. 
»  Pag.  60. 
4  Ficoroni,  Tav.  xxni. 

6  De  Re  Diploin.  Supplem.  p.  46. 
*  Heineccius,  page  Ut2. 

7  Exercit.  zodeanti^.  fictis  pictisr/ueS.  Pétri  imagin,  page  465. 


BULLE.  25 

raison  de  celle  inversion  vient ,  ou  de  ce  que  Tarliste  ',  travail- 
lant au  type  ou  modèle  du  sceau,  aura  représenté  Saint  Pierre 
le  prenaier  et  Saint  Paul  à  sa  gauclie ,  sans  faire  attention  que 
l'empreinte  devait  nécessairement  renverser  cet  ordre,  ou  de  ce 
qu'on  aura  eu  égard  aux  spectateurs,  qui,  en  regardant  les  figu- 
res, voient  Saint  Pierre  à  leur  droite,  et  Saint  Paul  à  leur 
gauche;  c'est  le  sentiment  de  Dom  Mabillon  *,  et  de  Marca  ^; 
ou  de  ce  que  voyant  que  ces  deux  Saints  se  regardaient  en  face 
dans  l'origine,  et  qu'aucun  des  deux  par  conséquent  n'avait 
alors  la  place  d'honneur,  on  aura  insensiblement  changé  le 
profil ,  sans  faire  attention  que  la  nouvelle  position  demandait 
un  nouvel  ordre;  c'est  l'opinion  des  nouveaux  Diplomatistes  *  : 
ou  enfin  de  ce  qu'on  aura  retenu  l'usage  des  Romains,  selon 
lesquels  la  gauche  désignait  la  primauté  et  le  premier  rang  ^ 

Léon  IX  est  le  premier  qui  ait  fait  mettre,  selon  Heineccius  ^, 
des  notes  numérales  sur  les  bulles,  pour  distinguer  le  rang  que- 
tiennent  entre  eux  les  papes  qui  ont  porté  le  même  nom.  Les 
bulles  de  ses  successeurs  jusqu'à  Urbain  II  n'ont  pas  la  même 
simplicité  ni  la  même  uniformité  que  les  précédentes  ;  car  les 
papes  suivans  en  eurent  de  plusieurs  espèces.  Celle  de  Victor  II, 
siégeant  en  io55,  offre  Tempreinte  d'une  personne  à  mi-corps, 
recevant  une  clef  du  ciel;  et  au  revers,  la  ville  de  Kome  figurée, 
avec  l'exergue  Aurea  Roma.  Etienne  IX,  selon  Ciaconius  ',  est 
représenté  en  bon  Pasteur.  Alexandre II,  élu  pape  en  1061  ,  est 
gravé  au  naturel  ^  ;  il  est  le  premier  pape  qui  se  soit  fait  repré- 
senter sur  son  sceau.  Depuis  Urbain  II  s  jusqu'à  Clément  VI  j 
les  bulles  des  papes  montrent  d'un  côté  les  images  des  deux 
saints  Apôtres,  ou  leurs  noms  écrits  tout  au  long,  séparés  par 
une  croix,  et  de  l'autre  le  nom  du  pape.  Depuis  Pie  II  exclusi- 

'  Ibid,  page  /;68. 

>  De  Re  Diplom.,  page  t30. 

*  De  Primatu  Pétri,  n.  2t. 

*  Tom.  IV,  page  305. 

'  Eccard,  Comment,  de  Reb.  Franc.  Orient,  tom,  1,  page  626^ 

'  Tab.  II,  n.  3. 

7  De  Vitis  Pontif.  page  391. 

*lbid.,^.  LQl. 

»  D8jReI?(>«om.  page  129. 


26  BOVRS    DE    PHILOLOGIE    ET    d'aRCHEOLOGIE. 

vement,  les  sigles  qui,  sur  le  premier  côté ,  désignent  les  noms 
des  deux  Apôtres,  au  lieu  d'être  en  ligne  horizontale  ,  sont  pla- 
cées sur  deux  colonnes  perpendiculaires.  Enfin  les  deux  derniè- 
res lettres  inférieures  furent  retranchées  :  on  ne  les  voit  plus 
paraître  snr  le  sceau  de  Clément  II.  En  général,  après  le  12"' 
siècle  au  plus  tard  ,  il  faut  que  les  sceaux  d'un  Pape,  lorsqu'il 
était  sacré  ,  représentent  d'un  côté  les  faces  des  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul ,  séparées  par  une  grande  croix ,  et  que  le 
revers  porte  la  légende,  c'est-à-dire,  le  nom  du  pape,  .son  titre, 
sous  les  deux  lettres  PP,  et  le  chiffre  romain  qui  le  distingue 
de  ses  prédécesseurs  de  môme  nom.  Si  le  pape  n'avait  pas  en- 
core été  sacré ,  la  tête  du  sceau  sans  le  revers  suffirait.  Il  n'y 
a  que  ce  revers  qui  ait  varié  dans  la  suite.  Clément  VI  y  mit 
cinq  roses  ,  qui  étaient  les  armes  de  sa  famille.  D'où  l'on  peut 
déduire  que  les  armoiries,  depuis  le  commencement  du  i4' 
siècle,  ne  déparent  pas  les  bulles,  qui  d'ailleurs  conservent 
leurs  inscriptions  ordinaires.  Paul  II  s'y  fit  représenter  assis 
sur  un  trône.  La  plupart  de  ses  successeurs  y  mirent  leurs 
armes. 

Vers  la  fin  du  12^  siècle,  les  lacs  de  sole  qui  tenaient  la  bulle 
de  plomb  étaient  communément  mi -partis  de  rouge  et  de 
jaune.  Ces  couleurs  devinrent  assez  fixes,  mais  non  pas  sans 
exception.  Cependant  on  devrait  rejeter,  depuis  cette  époque 
une  bulle  en  f'jrme  rigoureuse,  qui  n'offrirait  pas  des  corde- 
lettes de  chanvre;  et  une  bulle  en  forme  gracieuse  ,  qui  n'en 
aurait  pas  de  soie,  ou  du  moins  de  laine.  Si  depuis  le  milieu 
du  i3'  siècle  jusqu'au  i6',  les  lacs  des  bulles  en  forme  gracieuse 
n'étaient  pas  mi-partis  de  rouge  et  de  jaune,  il  y  aurait  quelque 
sujet  de  les  suspecter. 

Les  bulles  de  plomb  empreintes  des  deux  côtés  s'appellent 
balles  entières,  ou  ^«//^5  simplement,  pour  les  distinguer  des 
demi-bulles  qui,  étant  gravées  d'un  seul  côté,  ne  représentent 
que  les  visages  des  SS.  Apôtres.  Les  bulles  imparfaites  servaient 
entre  l'élection  et  la  consécration  des  Pontifes.  Innocent  III  ', 
élu  en  119S,  et,  depuis,  Nicolas  IV  %  déclarèrent  qu'elles 
avaient  la  même  autorité  que  des  bulles  entières. 

«  Epiit.  1.  83. 

■  Ryracr.  (om.  11. 


BULLE.  27 

Avant  le  la*  siècle,  les  bulles  irétaient  poiS  frappées  d'une  ma- 
nière uniforme;  mais  depuis  cette  époque,  il  ne  faut  pas  de 
variation  sous  un  même  pape.  Cependant  quoiqu'un  même  papo 
ait  quelquefois  varié  l'empreinle  de  ses  bulles,  une  grande 
dissemblance  entre  l'empreinte  d'une  bulle  cl  les  empreintes 
d'un  grand  nombre  d'autres  bulles  du  même  pape,  serait  un 
signe  de  faux.  De  même  lorsque  la  bulle,  d'ailleurs  d'une  con- 
figuration ressemblante  aux  autres  bulles,  est  inégale,  c'est-à- 
dire  plus  enflée  en  quelques  endroits  ,  et  plus  enfoncée  en 
d'autres,  c'est  un  indice  qu'on  en  a  détaché  les  fils  pour  en 
insérer  d'autres  ;  ce  qu'il  est  aisé  de  vérifier  en  ouvrant  le  plomb. 
Il  n'en  serait  pas  de  même  si  la  bulle  était  seulement  mise  de 
travers;  il  faudrait  rejeter  l'erreur  sur  la  distraction  de  l'ouvrier. 

Belles  considérées  comme  rescbits  apostoliques.  —  Les  bulles 
improprement  prises ,  c'est-à-dire  considérées  comme  rescrits 
apostoliques,  sont  eu  général  des  lettres  du  pape  expédiées  eu 
parchemin  ,  et  scellées  en  plomb.  Cette  définition  comprend 
généralement  toutes  les  bulles  et  les  consistoriaîes,  avec  tous 
leurs  caractères  propres,  et  celles  qu'on  appelle  petites  bulles. 

On  distingue  donc  plusieurs  sortes  de  bulles;  \e^  petites^  ou 
moins  solennelles;  et  \e?,  gi'andes ^  ou  solennelles.  Les  dernières 
renferment  les  bulles  consistoriaîes ,  les  hvi\\Q%  pancartes  ,  et  les 
bulles  pritiléges. 

Petites  Billes.  —  On  peut  faire  remonter  au  7'  siècle  l'origine 
des  petites  bulles,  ainsi  que  des  grandes  scellées  en  plomb;  car 
la  même  différence  qui  s'y  trouve  au  ii<=  siècle  ,  s'y  fait  remar- 
quer au  7^.  Les  premières,  c'est-à-dire  les  petites  bulles,  ne 
montraient  que  les  moindres  dates,  sans  nom  de  notaire  ou  de 
chancelier  ;  les  grandes  réunissaient  à  la  date  du  mois  et  de 
l'indiction  celle  des  années  des  empereurs,  de  leur  consulat, 
et  quelquefois  celle  du  pontificat  des  papes;  elles  étaient  de 
plus  signées  du  notaire  et  du  chancelier. 

Depuis  le  pontificat  d'Urbain  II,  au  11'  siècle  ,  la  différence 
des  grandes  et  des  petites  bulles  devint  plus  sensible.  Celles-ci 
irannonccreut  jamaij  un  effet  immuable  exprimé  ordinaire- 
ment par  les  formules  in  perpctuum,  ad  perpctuam  rei  memor.am  , 
et  autres  semblables.  Dans  les  1  r  et  12^  siècles,  elles  n'eurent 
que  les  dates  du  lieu  et  des  caieiulcs ,  jusqu'après  Urbain  III, 


28  COURS    DE    PHILOLOGIE    ET    d'aRCHÉOLOGIE. 

que  Grégoire  VIII  ajouta  rindiclion.  Le  successeur  de  ce  dernier 
retrancha  Tindiction,  et  y  suppléa  par  l'année  de  son  pontificat. 
Il  fut  imité  par  tous  ses  successeurs;  et  de  là,iusqu'àEugèneIV, 
ces  dates  ne  souffrirent  aucune  varialion.  Ce  dernier  caractère 
distinctif  des  petites  bulles  eut  lieu  jusqu'au  14^  siècle  seule- 
ment ,  comme  on  va  le  voir  bientôt. 

On  pourrait  bien  confondre  dans  ces  mêmes  siècles  les  sim- 
ples épîtres  des  papes  avecleurs  bulles  ordinaires;  caries  clauses 
comminatoires  qu'on  voit  dans  les  premières,  et  qui  ne  se  ren- 
contrent point  dans  les  autres ,  sont  presque  la  seule  marque 
par  où  l'on  puisse  les  distinguer. 

Grandes  Bulles. — Les  grandes  bulles,  ou  bulles  solennelles, 
portent  toutes,  ou  doivent  porter  dans  la  suscriplion,  des  mar- 
ques de  leur  durée  constante  et  invariable.  Elles  doivent  annon- 
cer, par  la  formule  in  perpetunm  ,  ou  ad  pcrpeiaam  rei  memoriam  , 
ou  iamprœsentibus  quàm  futuris,  ou  autres  approchantes,  qu'elles 
ne  sont  point  limitées  à  un  certain  espace  de  tems.  C'est  Ur- 
bain n  qui  le  premier  employa  ,  dans  ces  sortes  de  bulles  ,  la 
formule  ad  perpeiuam  rei  memoriam,  au  lieu  de  celle  in  perpetuum 
usitée  jusqu'alors.  De  plus  ,  les  souscriptions  que  l'on  y  voit , 
doivent  faire  mention  du  notaire  qui  a  écrit  l'acte,  par  la  for- 
mule :  écrit  de  la  main  rfeN.,  ou  du  chancelier,  primicier,  biblio- 
thécaire, etc.,  qui  l'a  délivrée,  par  la  formule,  donné  par  les  mains 
de  N.  Cette  distinction  entre  les  grandes  bulles  et  les  petites, 
est  infaillible  pendant  les  quatorze  premiers  siècles. 

On  a  déjà  dit  qu'il  y  avait  trois  sortes  de  balles  solennelles  ; 
les  bulles  consistoriales ,  les  bulles  pancartes  ,  et  les  bulles  privilèges. 
Outre  que  ces  bulles  sont  distinguées  entre  elles  par  le  fond, 
elles  le  sont  encore  des  autres  par  plusievus  caractères  appa- 
rens. 

Bulles  CONSISTORIALES. — Les  bulles  consistoriales,  ainsi  appelées 
parce  qu'elles  étaient  données  en  plein  consistoire,  ne  regardent 
que  les  affaires,  ou  de  la  religion,  ou  du  Saint-Siège  apostolique. 
Elles  ont  cela  de  particulier,  qu'elles  ne  sont  munies  d'aucune 
signature  ,  et  qu'elles  ne  portent  presque  toutes  d'autres  dates 
que  celles  du  lieu  et  du  jour  du  mois  Cette  particularité  a  lieu 
iusque  dans  le  i4'  siècle  ;  car  alors  les  dates  de  toutes  sortes  de 
bulles  furent  presque  réduites  dans  ce  siècle  à  une  forme  uni- 


TIULLE.  29 

que,  le  lieu,  le  jour  du  mois,  et  l'année  du  pontificat.  Ainsi  ce 
ne  peut  plus  être  une  marque  distinctive  entre  les  grandes  et  les 
petites  bulles.  D'où  l'on  peut  conclure  que  le  défaut  de  signa- 
ture des  cardinaux  ,  le  défaut  des  dates  de  l'incarnation  et  de 
l'indiction  ,  des  cercles  et  des  monogrammes,  ne  suffisent  pas 
pour  rendre  suspecte  une  bulle  consistoriale  ,  qui  n'est  pas  en 
forme  de  privilège  ,  principalement  depuis  le  milieu  du  i3' 
siècle  jusqu'au  i5'.  Dans  cet  espace  de  tems,  on  fut  moins  con- 
stant pour  les  formalités  des  bulles  consistoriales  ou  solennelles. 
Mais,  dans  le  i6«  siècle,  on  multiplia  à  l'infini  les  formalités  pour 
la  publication  des  bulles  et  autres  constitutions  ;  signatures 
hors  d'oeuvre  ,  enregistrement,  certificat  des  couriers  apostoli- 
ques, ou  du  maître  des  couriers,  souscription  du  cardinal  pro- 
dataire ,  exposition  ou  lecture  de  la  pièce  en  plusieurs  lieux , 
etc.,  etc. 

Bulles  pancartes. — Les  bulles  pancartes  sont  celles  qui,  con- 
firmant quelques  donations  faites  à  des  églises,  en  rappelaient 
assez  souvent  la  qualité  et  la  quotité,  et  y  ajoutaient  quelquefois 
la  confirmation  de  toutes  les  autres  possessions,  nommées  spé- 
cifiquement, mais  en  gros.  La  plus  ancienne  bulle  pancarte 
que  l'on  connaisse,  c'est-à-dire  qui  contienne  le  recensement 
des  biens  d'une  église  ,  fut  donnée  par  Grégoire  lY,  dans  le  9^ 
siècle,  quoiqu'elles  fus«ent  en  usage  long-tems  auparavant. 

Le  caractère  distinctif  et  spécifique  de  ces  sortes  de  bulles 
purement  pancartes,  c'est  de  ne  jamais  porter  tout  à  la  fois  le 
monogramme  avec  les  signatures  et  la  date  de  l'année.  La  réu- 
nion de  ces  trois  caractères  répugne  à  ces  sortes  de  bulles , 
surtout  depuis  le  milieu  du  1 1"  siècle ,  et  les  rend  fausses  ;  ces 
caractères  pris  séparément  les  rendent  aussi  très-suspectes.  Un 
autre  caractère  qui ,  sans  être  uniquement  propre  à  ces  sortes 
de  bulles,  paraît  cependant  leur  être  essentiel ,  c'est  d'être  ter- 
minées par  un  ou  plusieurs  amen.  Le  défaut  de  cette  formule 
aux  \  1*,  12*,  i3*  et  i4*  siècles  les  rendrait  au  moins  suspectes. 

Passé  le  milieu  du  i5'  siècle,  vers  la  fin  surtout,  à  peine 
peut-on  découvrir  quelques  pancartes  revêtues  des  formalités 
qui  les  distinguent  des  autres  bulles  ;  il  en  est  de  même  des 
bulles  privilèges  dont  on  va  parler  :  d'où  il  suit  qu'après  cette 
époque,  il  ne  faut  plus  chercher  dans  les  rescrits  des  papes,  que 


30  COURS    D£    PUILOLOGIE    ET    D'aRCHÉOLOGIE. 

les  dates  du  lieu,  du  jour  du  mois,  et  du  pontificat.  Au  i4<: 
siècle  ,  ces  sortes  de  bulles  pancartes  devinrent  extrêmement 
rares;  et  depuis  on  n'en  flécouvre  plus. 

La  plupart  des  bulles  pancartes  ,  outre  la  confirmation  des 
bien»,  renfermaient  assez  souvent  certains  privilèges;  alors  elles 
portaient  les  caractères  de  bulles  privilèges. 

BcLLES  PRIVILÈGES. — Ccssortcs  de  bullcs  étaient  aiusi  nommécs, 
parce  qu'elles  accordaient  certains  droits,  certaines  immunités 
à  des  cathédrales  ou  abbayes.  Ces  bulles ,  quoique  rares,  furent 
assez  en  usage  dans  les  1 1^,  12'  siècles,  et  une  partie  du  iS^. 
Elles  sont  dans  l'ordre  des  grandes  bulles.  Leur  authenticité 
dépend,  outre  la  formule  hi  perpeluum,  de  la  salutation  du  pape 
par  le  mot  beiie  valete  ,  placé  à  la  fin  de  la  bulle  en  gros  carac- 
tères, tout  au  long  ou  en  abrégé  ;  des  souscriptions  du  pape  et 
des  cardinaux  ;  des  formules  de  dates  usitées  dans  les  grandes 
bulles;  des  signatures  de  l'écrivain  et  du  chancelier;  des  figures 
circulaires  concentriques,  des  sceaux;  etc.,  etc. 

Depuis  Nicolas  II,  au  1 1'  siècle,  lu  formule  des  dates  particu- 
lières aux  bulles  privilèges  ,  devint  presque  uniforme  ;  et  elles 
suivirent  presque  toutes  cet  ordre ,  le  lieu,  le  jour  du  mois, 
Tannée  du  Seigneur,  celle  du  pontificat  et  l'indiction. 

Ce  n'est  guère  que  depuis  Innocent  II,  avi  12'  siècle,  que  les 
signatures  des  cardinaux,  dans  les  bulles  privilèges  ,  devinrent 
d'un  usage  commun.  On  en  trouve  cependant  du  io«  qui  sont 
signées  par  des  évoques  ,  des  prêtres  ,  des  diacres  et  des  sous- 
diacres. 

Les  bvilles  privilèges  subirent  le  sort  des  bulles  pancartes  sur 
la  fin  du  i5"  siècle  ;  c'est-à-dire  qu'elles  n'eurent  plus  alors  de 
formalités  particulières  qui  les  distinguassent  des  autres  bulles; 
et,  dans  le  i4%  elles  devinrent  extrêmement  rares.  On  ne  peut 
rien  donner  de  bien  décisif  sur  ces  bulles  expédiées  dans  les  9% 
10'  siècles  ,  et  une  partie  du  1 1^  Elles  n'ont  de  fixe  que  leurs 
variations  en  tout  geiire.  Mais  on  serait  fondé  à  regarder  comme 
fausse,  quelque  originale  qu'elle  parût  d'ailleurs,  vme  bulle 
privilège  donnée  depuis  le  milieu  du  1 1*  siècle,  après  l'an  j  18S 
surtout,  jusqu'au  i/j-^  exclusivement,  et  qui  n'aurait  pas  la 
plupart  des  caractères  suivans,  ni  la  suscripfion  servus  serrorutn 
Dei }  ni  la  clause  in.  pcrpetuum,  ou  salulein  cl  apostolicavi  hcaedic- 


BLLLE.  31 

tionem,  ou  tam  prœsentibus  qudm  futuris  ;  ni  les  clauses  commina- 
toires ;  ni  la  conclusion  amen  ;  ni  la  salutation  bene  vaiete  ;  ni 
une  ou  deux  formules  de  dates,  dont  la  première  fût  de  la  façon 
d'un  notaire  régionnaire,  et  la  seconde  du  chancelier  ou  autre; 
ni  les  dates  du  lieu  ,  du  jour,  des  calendes  ,  du  pontificat ,  de 
l'indiction  et  d«;  l'incarnation  ;  ni  les  cercles  concentriques;  ni 
la  sentence  ou  devise,  etc.,  etc.  Il  faut  toujours  faire  attention 
que  toutes  les  bulles  de  concession  de  privilèges  ne  sont  point 
en  forme  de  pancartes,  et  que  c'est  des  premières  particulière- 
ment dont  on  vient  de  parler. 

Quoique  la  formule  salutem  et  apoatolicam  beiiedictionem  fût 
affectée  aux  simples  bulles,  lettres  ou  décrétales,  depuis  le  1 1' 
siècle  jusqu'au  i4%  et  que  celîe  in  perpetuum  fût  propre  aux 
bulles  pancartes  ou  privilèges,  ces  dernières  cependant  prirent 
quelquefois  la  première  formule  :  ainsi  l'on  ne  saurait  déduire 
aucun  moyen  de  faux  de  ce  changement.  Mais  depuis  le  i  l'siècle 
jusqu'au  i5%  une  bulle  du  premier  genre  qui  porterait  la  for- 
mule in  perpetuum,  paraîtrait  suspecte,  parce  que  ces  change- 
mens  n'ont  pas  été  réciproques.  Dans  le  i5'  siècle,  sous  Eugène, 
toutes  les  bulles  en  général  proprement  dites  ,  ou  scellées  en 
plomb,  eurent  une  marche  constante  dans  leurs  dates  ,  dont 
voici  l'ordre  :  le  nom  du  lieu  et  souvent  du  palais  à  l'ordinaire, 
l'année  de  l'incarnation  ,  le  jour  des  calendes  ,  et  l'année  du 
pontificat.  Cet  aiTangement  a  subsisté  sans  varialion  jusqu'à 
nous. 

Outre  ces  bulles  distinguées  par  des  formes,  des  noms  et  des 
objets  différens,  on  en  connaît  encore  une  autre  espèce  qui 
rentre  dans  la  classe  des  grandes  bulles,  et  qu'on  appelle  buUœ 
cruciatœ.  On  tire  leur  origine  de  celles  qu'Urbain  II  publia  pour 
la  première  croisade,  et  qui  portaient  sans  doute  le  signe  de  la 
croix. 

Dans  le  16°  siècle,  toutes  sortes  de  constitutions  apostoliques 
furent  réduites  à  trois,  les  bulles  proprement  dites,  las  brefs  et 
les  motus  proprii.  Aoyez  Brefs  et  Mous  propru.  Elles  sont  distin- 
guées entre  elles  par  leur  suscription  et  leurs  dates.  Les  bulles 
portent  toujours  en  tête  ,  N.  episcopus  serras  servorum  Dei ,  et 
suivent  l'ordre  des  dates  énoncé  plus  haut. 


32  COURS   DE   PHILOLfflGrE   ET   d'aRCIIEOLOGIE. 

Caractères  extrinsèques  des  bulles. 

Les  grandes  bulles ,  en  tant  que  distinguées  des  brefs  et  des 
petites  bulles  en  forme  de  motus proprii ,  ont  toujours  été  écrites 
en  langue  latine;  on  ne  connaît  pas  d'autre  idiome  employé  à 
cet  usage. 

Du  séjour  des  papes  à  Avignon  est  venu  l'usage  d'écrire  les 
bulles  de  provision  eu  caractères  gothiques  modernes.  Le  carac- 
tère lombardique  s'était  conservé  dansles  bulles  jusqu'au  milieu 
du  12e  siècle. 

Le  style  fut  extrêmement  humble  dans  les  bulles  des  g  pre* 
miers  siècles,  et  l'a  été  quelquefois  depuis.  Voyez  Plcriel,  Fils, 
Très-cher,  Poniife,  Métropolitain,  Titrj:,  Formcles,  Adresse. 

Critique  des  bulles  en  général. 

La  science  de  la  critique  des  bulles  est  une  partie  essentielle 
des  connaissances  diplomatiques.  Alexandre  III  et  Innocent  III 
ont  parlé  des  marques  auxquelles  on  pouvait  reconnaître  les 
fausses  bulles,  et  les  distinguer  des  vraies;  mais  leurs  principes, 
ou  peu  sûrs,  ou  insulBsans,  n'ont  pu  servir  de  lois  générales. 

Durand,  évéque  de  Mende  ,  et  fameux  canoniste,  a  donné 
pareillement  ses  décisions  sur  les  qualités  que  doivent  avoir  les 
bulles  j  mais  il  s'est  trop  borné ,  peut-être  sans  s'en  apercevoir, 
aux  usages  de  son  tems.  Ses  règles,  appliquées  aux  siècles  an- 
térieurs ou  postérieurs  au  sien  ,  ne  pourraient  qu'induire  en 
erreur.  En  voici  qui  sont  exemples  de  ces  défauts. 

La  chaleur  et  l'attention  avec  lesquelles  Innocent  III  et  Cé- 
leslin  III  ont  poursuivi  les  fausses  bulles,  ne  permettent  pas  de 
croire  qu'il  en  existe  encore  quelques-unes  :  la  facilité  de  re- 
connaître les  fausses  des  véritables,  avouée  par  les  papes  mêmes, 
détruit  tout  soupçon  à  cet  égard. 

Plus  les  bulles  sont  anciennes,  lorsqu'elles  n'ont  pas  été  fa- 
briquées par  des  contemporains  ,  plus  elles  donnent  matière  à 
la  critique,  et  plus  on  est  sûr  de  les  surprendre  en  défaut.  C'est 
ce  qu'il  est  aisé  de  concevoir,  à  n'envisager  seulement  que  la 
difficulté  de  rajuster  les  sceaux  et  les  fils  qui  les  attachent,  d'a- 
voir du  parchemin  du  feras,  d'imiter  l'écrituie,  le  style  et  les 
formules  d'un  siècle  éloigné. 

Toutes  les  bulles  fausses  ne  sont  pas  supposées.  Une  bulle 


BULLE.  33 

supposée  est  celle  qui  n'aurait  jamais  élé  donnée  par  aucun 
pape;  et  une  bulle  fausse  est  celle  qui  énonce  le  faux,  soit  par 
l'artifice  du  faussaire  qui  en  aurait  raclé  luie  partie  ,  soit  par 
la  mauvaise  foi  des  dépositions  de  ceux  qui  l'auront  obtenue  : 
on  en  jugera  mieux  par  le  détail  suivant. 

Ce  n'est  pas  une  règle  sûre,  pour  reconnaître  les  vraies  bulles 
de  tous  les  siècles  ,  que  les  papes  traitent  toujours  les  évéques 
de  frères,  et  qu'ils  n'emploient  jamais  le  pluriel  lorsqu'ils  adres- 
sent la  parole  à  une  seule  personne.  Celte  règle,  donnée  par 
Innocent  III,  ne  doit  être  appliquée  qu'à  lui  et  à  ses  prédéces- 
seurs immédiats. 

Des  fautes,  ou  contre  la  latinité,  ou  dans  la  citation  du  texte 
sacré,  ne  suffisent  pas  pour  prouver  la  fausseté  d'une  bulle. 

Toutes  les  bulles  qui  se  trouvent  dans  les  registres  des  papes, 
dont  elles  portent  le  nom,  ou  dans  les  collections  authentiques, 
sont  incontestables. 

On  ne  doit  pas  rejeter  une  copie  authentique,  faute  de  l'ori- 
ginal sur  lequel  on  puisse  vérifier  la  bulle, 

La  fausseté  des  dates  d'une  copie,  même  authentique,  n'em- 
porte pas  celle  de  l'original  '  ;  et  la  fausseté  d'une  seule  date  de 
l'original ,  de  l'indiction  ,  par  exemple ,  ne  doit  pas  non  plus 
l'infirmer. 

Une  bulle  ordinaire,  non  en  forme  de  privilège,  qui  réunirait 
les  dates  de  l'année,  de  l'indiction,  de  l'incarnation  et  du  pon» 
tificat,  serait  suspecte  depuis  Grégoire  VII,  très-suspecte  depuis 
trbain  II ,  et  fausse  depuis  Innocent  II  jusqu'à  Grégoire  VIII. 
Au  contraire,  les  bulles  privilèges  des  12«  et  lO"  siècles  seraient 
suspectes,  si  elles  n'offraient  point  dans  cet  ordre  les  dates  du 
lieu,  du  dataire,  du  jour  du  mois  par  les  calendes,  de  l'indic- 
tion ,  de  l'incarnation  et  du  pontificat. 

On  ne  doit  pas  conclure  qu'une  bulle  est  fausse  ou  suspecte, 
pour  être  signée  d'un  cardinal  qui  ne  se  trouve  point  dans  les 
listes  imprimées ,  parce  que  ces  listes  ne  sont  pas  toujours 
exactes. 

Une  bulle  qui  accorderait  des  droits  dont  on  serait  sûr  que 
les  papes  ne  s'attribuaient  pas  encore  la  disposition,  serait  pour 
le  moins  suspecte, 

»  Second  Mémoire  de  Soissons ,  page  J90, 206. 


34  COURS   DE   PHILOLOGIE   ET   d'aRCHÉOLOGIE. 

Il  est  encore  plusieurs  autres  règles  générales,  mais  que  Ton 
trouvera  parmi  celles  des  diplômes,  qui  peuvent  être  également 
appliquées  aux  bulles.  Foyes  Brefs,  Sceaux,  Privilèges,  Annbb, 
Dates. 

BtlXETIiV.  Voyez  cédtjle. 

Explication  des  abréviations  commençant  par  la  letti'eB,  que  l'on  trouve 
sur  les  monumens  et  les  manuscrits. 


B. — Bonu.«,  Brutns,  beuè,  Balbus. 

B.A. — Bona  aclio,  bonis  avibus,  bonis 
auguriis  ,  bonus  ,  amabilis. 

B.ABA. — Bona  aiirea. 

BB. — Bona,  Benedictio. 

B.C. — Bonoriim  concessum. 

B.D. — Bonum  dalum. 

B.E.E. — Bona  ex  edicto. 

B.F.— Bonà  fide,  bona  fortiiua  ,  bona 
fœmina  ou  fdia,  bi;neficiuni,  bonum 
factura,  benè  fecit. 
B.F.C.  ou  B.Fl.C— Bonâ  fide  con- 

tractum  ,  bona;  fidei  contracti. 
B.FL. — Bonorum  filius. 
B.F.P. — Bonae  fidei  possessor. 
B.FB.— Bona  fortuna. 
B.GR.— Bona  gralia. 
B.H. — Bonus  homo,bona  haereditaria. 
B.H.S.J. — Bona  hîc  sita  juvenis. 
B.I. — Bonum  judicium. 
B.I.I.  —Boni  jiidicii  judicium. 
B.L — Bona  lex. 
B.LB.  —  Bonorum  liberi. 
B.M. — Bonae  niemori;c,bonoemateriae, 
benè  njerentis. 


B.M. P. — Benè  merenti  posuit. 

B.MR.C. — Benè  mereat  cibum. 

B. MR. SE. H. — Benè  merentibus  serva 

hoc. 
B.N.  —  Bona  nostra. 
B>'.EM, — Bonorum  emptores. 
BN.H.I. — Bona  hîc  invenies. 
BX.M.FEC. — Benè  merenti  fecit. 
B.O. — BenèjOptimè. 
B.P. — Bonorum  possessorj  ou  posses- 

sio,ou  poteslas,  bona  possessio,  bona 

paterna.  bona  publica. 
B.PC. — Bona  pccunia. 
B.Q. — Bona  quaestio,  bona  quxsita. 
BR. — Bonoium. 
B.R. — Bonorum  rector. 
BRI. — Brilannicus. 
B.RP.N.  —  Bono  reipublicœ  natus. 
BR.SI. — Bonorum  servi. 
B.S. — Bona  sua  satisfecit. 
B.T. — Bonorum  tutor. 
B.V. — Benè  vixit. 
B.V.A. — Boni  viri  arbitratu. 
B.V.V. — Balnca,  vina,  Vinui). 

A.  B. 


ftv^a*^'^ 


DIFFEREES  SIONUMENS,  ETC.  35 


\^vv\\\^^\^v\\\^\^^v^\1^A^\v\\\\\^\\Av\^\\^\v\\\^.■.x\^\\^^^\^\^v\\\v>\^\\^^v^^\v\\^\\^\\»■>^K 


^xc^hic^U. 


DIFFÉRENS  MONIJMENS 

CONFIBMAKT  LES  nÉCXTS  DE  LA  BIBLE. 

Nous  avons  déjà  parlé  dans  plusieurs  de  nos  précédens  Numé- 
ros, des  publications  dues  au  zèle  de  IM.  l'abbé  de  Genoude. 
Parmi  ces  publications,  nous  avons  placé  en  première  ligne  la 
traduction  française  de  l'ouvrage  anglais  du  docteur  "SNiseman, 
sur  les  Rapports  des  sciences  et  laliellgionrêvélce;  nous  avons  même 
rendu  compte  d'une  manière  spéciale  du  premier  volume,  au- 
quel nous  avons  emprunté  plusieurs  dociuiiens  sur  les  diffé- 
rentes races,  et  avons  reproduit  la  planche  qui  offre  la  configu- 
ration du  crâne  de  ces  races,  d'après  les  systèmes  des  docteurs 
Camper  et  Blumenbach  '.  Le  deuxième  volume  de  cet  impor- 
tant ouvrage  a  paru  depuis  quclqiie  tems  ;  il  renferme  comme 
le  premier  six  discours ,  suite  des  six  précédens.  Le  septième  et 
le  huitième  sur  l'histoire  primitive;  le  neuvième  sur  l'archéo- 
logie; le  dixième  et  le  onzième  sur  les  études  orientales  et  la 
littérature  sacrée;  le  douzième  formant  la  conclusion  de  tout 
l'ouvrage. 

Nous  aurions  beaucoup  à  dire  sur  chacun  de  ces  discours, 
qui  offrent  le  sommaire  delà  plupart  des  questions  scientifiques, 
qui  ont  rapport  à  la  Bible.  Nous  choisissons  celui  sur  l'archéo- 
logie, parce  qu'il  nous  paraît  renfermer  différens  points  qui 
n'ont  pas  été  recueillis  dans  les  Annales,  et  parce  qu'aussi  il 
nous  fournit  occasion  de  reproduire  une  planche  que  nous  n'a- 
vons pas  donnée,  et  qui  complète  les  monumens  un  peu  im- 
portans  qui  ont  rapport  au  déluge  '.. 

'  Voir  notre  n°  86 ,  tome  w,  p.  1 1  i. 

*  Ce  volume  de  M.  ^Tisemaa  contient  trois  planches  :  la  f'^<-,  la  mé- 
daille cTJpamée:  la  2*  le  portrait  deRoboam,  que  nous  avons  déjà  publie'es 
depuis  long-tems;  et  la  3«  celle  que  nous  reproduisons  aujourd'hui.  — 
Les  deux  volumes  du  docteur  ^Viseman  se  trouvent  chez  Sapia ,  Rue  de 


36  DIFFÉRENS   MONUMENS, 

I.  Conciliation  de  deux  passages  contradictoires  en  apparence  de  la  Genèse 
et  des  ^cfes  des  apôtres. 

Saint  Etienne  nous  dit  que  le  champ  que  Jacob  acheta  des 
fils  d'Hemor,  fut  payé  en  une  somme  d'argent  '  {yi^riç,  àpyvpiov); 
la  Genèse  nous  dit  au  contraire  qu'il  fut  payé  en  cent  keschite  * 
(rrcurp).  La  Vulgale  et  la  plupart  des  anciens  interprètes  ont 
traduit  ce  mot  par  cent  moutons.  Mais  quelques-uns  s'appuyant 
sur  l'autorité  de  saint  Etienne,  et  sur  ce  que  le  même  mot 
arabe  signifie  monnaie,  veulent  rendre  ce  passage  par  cent  pièces 
chargent.  Une  chose  semblait  suivre  de  là,  c'est  que  la  monnaie 
de  cette  époque  portait  la  figure  d'un  agneau  ou  d'un  mouton  ,  et 
que  la  monnaie  en  avait  pris  le  nom.  Mais  ce  n'était  là  qu'une 
conjecture,  combattue  par  quelques  antiquaires  qui  préten- 
daient que  l'ancienne  monnaie  n'avait  point  de  marque. 

Or  la  publication  d'une  médaille,  trouvée  par  le  docteur 
Clarke  près  de  Citium,  dans  l'île  de  Chypre,  nous  adonné 
toutes  les  preuves  que  nous  pouvions  désirer.  Feu  le  savant  doc- 
teur Munter  a  présenté  à  ce  sujet,  à  l'académie  royale  de  Dane- 
marck,  une  dissertation  qui  fut  insérée  dans  les  actes  de  1822 
de  celte  académie  ';  il  y  fait  observer  que  la  médaille,  qui  est 
d'argent,  est  assurément  phénicienne,  puisqu'elle  porte  sur  le 
revers  uns  légende  en  caractères  phéniciens;  sur  le  côté  opposé 
est  la  figure  d'un  mouton  ;  et  on  ne  peut  former  aucun  doute 
quant  à  rextréme  antiquité  de  la  médaille.  Il  est  donc  très-pro- 
bable, conclut-il,  que  nous  avons  la  monnaie  même  dont  il  est 
parlé  dans  l'Ecriture.  Au  moins  nous  savons  avec  certitude  que 
les  Phéniciens  avaient  une  monnaie  portant  un  symbole  corres- 
pondant à  la  signification  du  mot  kesclita;  et  la  preuve,  qui  seule 

Sèvres f  n°  16,  prix  1i  fr.;  où  l'on  trouvera  aussi  les  autres  publications 
de  M.  l'abbé  de  Genoude,  dont  nous  donnons  la  liste  à  la  fin  de  ce  cahier, 

>  ^ctes,  ch.  vu,  V.  I  G.  Voir  les  commentateurs  sur  le  nom  d'Abraham, 
qui  a  été  mis  dans  les  actes  pour  celui  de  Jacob,  qui  est  en  effet  celui  qui 
a  acheté  le  champ  des  fils  d'Hémor. 

'  Genèse,  chap.  xxxni,  V.  19.  Jahn,  dans  son  Archeologia  Biblica,  dit 
simplement  que  le  Keschita  est  une  sorte  de  monnaie  inconnue.  M.  Cahen 
n'a  pas  osé  traduire  ce  mot,  qu'il  a  rendu  par  le  mot  hébreu  même, 
keschita  ;  ni  l'un  ni  l'autre  ne  connaissaient  sans  doute  la  médaille  dont 
nous  parlons  ici. 

'  Classif.  philosophique  et  historique. 


CONFIRMAIT    LES    RÉCIT»   DE    LA    BIBLE.  37 

manquait  pour  changer  de  fortes  conjectures  en  une  cerlitudc 
morale,  est  acquise  maintenant   ', 

II.  Sur  le  titre  de  premier  roi  des  Grecs  attribué  à  Alexandre, 
Le  premier  livre  des  Machabées  dit  en  parlant  d'Alexandre-^ 
le-Grand,  celui  qui  fut  le  premier  roi  parmi  les  Grecs  *.  Or  les  cri- 
tiques faisaient  observer  que  cette  désignation  était  fausse,  parce 
que,  avant  Alexandre,  il  y  avait  eu  plusieurs  rois  macédoniens 
qui  régnèrent  chez  les  Grecs.  On  répondait  bien  qu'Alexandre 
était  le  premier  qui  eût  établi  un  empire  portant  le  nom  de  ce 
peuple;  mais  la  numismatique  est  venue  donner  une  réponse 
plus  précise.  En  eflet ,  Erasme  Frohlich  dans  ses  excellentes 
Annales  des  rois  et  des  éténemensde  la  Syrie  ^,  où  il  a  comparé  toute 
l'histoire  biblique  avec  les  médailles  qui  nous  reslent,  a  prouvé 
d'une  manière  évidente  que  îous  les  faits  et  toutes  les  dates  s'ac- 
cordent avec  les  médailles,  et  en  particulier  pour  la  question 
qui  nous  occupe,  il  a  fait  voir  qu'Alexandre  est  le  premier  roi 
qui  ait  porté  sur  les  médailles  le  titre  de  ro/,  /Sao-Aeyç  ;  et  l'on  a 
compris  complètement  le  passage  de  l'auteur  sacré. 

III.  Solution  dune  difficulté  sur  la  mort  d'Antiochus. 
Dans  une  lettre  insérée  dans  le  chapitre  i"  du  2°  livre  des 
Machabées,  et  datée  de  l'année  188  des  Séleucides,  les  Juifs  de 
Jérusalein  écrivent  à  leurs  frères  d'Egypte,  et  y  racontent  com- 
ment Antîochus  périt  misérablement  en  Perse,  assassiné  dans 
le  temple  de  la  déesse  Nanéa,  où  les  prêtres  l'avaient  fait  entrer 
pour  y  épouser  celte  divinité.  Or  on  demande  quel  était  cet 
Antiochus?  ce  ne  pouvait  être  Antiochus  Soter ,  qui  mourut  à 
Antioche;  ni  son  successeur,  Antiochus  Thé  us ,  qui  fut  empoi- 
sonné par  Laodice;  ni  Antiochus  le  Grand,  qui  était  l'ami  des 
Juifs.  Quanlk  Antiochus  Epiphanes ,  le  même  livre  ^  nous  donne 
un  récit  tout- à-fait  différent  de  sa  mort.  Antiochus  Eupator,  son 

*  Sur  le  revers  ,  outre  la  légende  ,  est  une  couronne  de  perles.  On  serait 
tenté  de  soupçonner  qu'une  telle  circonstance  peut  expliquer  l'étrange 
traduction  des  deux  interprétations  d'Onkelos  et  de  Jérusalem  ,  qui  ren- 
dent toutes  deux  cent  keschite  par  un  cent  de  perles. 

*  Oç  ièoKTiAVJTî  TtpÛTO^  £v  ToT?  ÈXXrjm.  ch.  VI,  V,  2. 

^  Annales  compendiarii  regum  et  rerum  Syriae,  ?«  éd.  Vienne,  i7iL. 

*  IX,  5. 

Tome  XVII.— N"  97.  i85b.  5 


2g  DIFFÉRENS   MOiSliMENS 

successeur,  après  un  règne  de  deux  ans,  fut  tué  par  Démélrius, 
et  l'enfant  du  même  nom  ,  proclamé  roi  par  Tryphon ,  fut  aussi 
empoisonné  par  lui.  Il  ne  reste  d'autre  souverain  de  ce  nom 
qu'Àntioclius  Sidetès,  également  appelé  Evergète,  dont  le  règne 
est  le  seul  qui  coïncide  avec  l'époque  de  la  lettre.  Mais  une  dif- 
ficulté aussi  sérieuse,  en  apparence  du  moins,  qu'aucune  des 
précédentes,  semble  l'exclure  :  le  règne  de  ce  monarque  com- 
mença en  1  74,  et  Porphyre  et  Eusèbesont  d'accord  pour  en  fixer 
laduréeàmoinsde  neuf  ans.  Suivant  eux,  il  doit  avoir  péri  dans 
une  guerre  vers  Tan  182.  Comment  alors  les  Juifs,  en  188, 
ont-ils  pu  palier  de  sa  mort  comme  d'un  événement  récent? 
Imaginerait-on,  par  exemple,  que  de  nos  jours,  les  membres 
d'une  communauté  religieuse  quelconque,  écrivant  une  lettre 
à  leurs  frères  habitant  un  pays  très-voisin  ,  pour  leur  appren- 
dre que  le  souverain  qui  les  opprimait  est  mort ,  prissent  ce 
soin  six  ans  après  révénenienl?  La  rencontre  de  ces  deux  his- 
toriens dans  le  mèmetémojgnagc  fut  considérée  comme  décisive 
contre  Thislorien  juif,  et  Prideaux,  sans  hésiter,  adopta  leur 
opinion  comme  exacte  *. 

«Ehbicn!  Frohlicli  a  prouvé  d'une  manière  incontestable  que 
les  deux  /ùsioriens  se  irompcni.  D'abord,  il  a  produit  deux  médail- 
les portant  le  nom  d'Antiochus,  l'une  datée  de  i85,  l'autre  de 
184  ;  deux  ans,  par  conséquent,  après  le  tcms  que  ces  historiens 
fixent  comme  celui  de  sa  mort.  Sur  l'une  on  lit  : 

BÂCIAEQC.  S.^TLayjJV  T^V  :  lEP  :  ACY  ADP. 
Du  roi  Antiochus  dcTyr,  l'asile  sacré  ,  184  ^• 

»  La  discussion  sur  ces  médailles  a  continué  jusqu'à  notre  épo- 
que. Ernest  Wernsdorff  reconnaît  l'authenticité  de  la  dernière; 
il  reconnaît  qu'elle  prouve  d'une  manière  satisfaisante  qu'Antio- 
ehuîi  SicleVcs  a  vécu  au-delà  de  l'époque  qui  lui  est  assignée  par 
riustoire  profane;  et  il  semble  même  ajouter  son  propre  témoi- 
gnage à  celui  de  Frohlichjcns'exprimant  ainsi  :«Ence  quitou- 
»che  les  médailles  et  les  dates  qu'elles  portent,  je  suis  volontiers 

>  Ancien  et  noiiv.  Teslavienl  réunis  ,  tabl.  chron.  à  la  fin  du  vol.  i»  éd. 
1749. 

•  P.  2i.  Voyez  les  mcdaillcs  d.nns  la  planche,  n"''  27,  §9. 


CONFIRMANT   LES   RÉCITS   SB   LA    BIDLE.  39 

»de  son  avis,  parce  que  grâce  aux  soins  d'un  homme  Irès-habile 
»en  cette  matière,  j'ai  pu,  comme  Frohlich,  avoir  sous  les  yeux 
B  et  entre  les  mains  plusieurs  médailles  frappées  par  l'ordre  d'An- 
ntioclms  '.  «Gottlieb,  son  auxiliaire,  est  moins  trailable;  il  doute 
que  la  légende  ait  été  bien  lue,  il  suppose  que  probablement  une 
légère  altération  dans  une  lettre  aura  changé  le  nombre  181  en 
celui  de  184  *•  Mais,  quand  nous  reconnaîtrions  comme  irré- 
cusable tout  ce  qui  a  été  écrit  contre  ces  deux  médailles,  il  en 
existe  d'autres  produites  depuis  les  observations  des  deux  frères, 
qui  semblent  mettre  la  question  hors  de  doule  ;  car  Frohlich  a 
ensuite  publié  une  médaille  du  môme  roi ,  portant  la  date  de 
i85  ^;  et  Eckhel  en  a  ajouté  une  quatrième  frappée  en  186  ^. 

))M.  Tochon  rejette  les  deux  premières  médailles,  principale- 
ment celle  de  184,  par  des  motifs  autres  que  ceuxdeWernsdorfT, 
mais  qui  sont  admis  par  Eckhel.  Selon  lui,  le  A  ou  4  supposé, 
qui  est  presque  effacé,  paraît  être  un  B  ou  2 ,  d'une  forme  par- 
ticulière ^  Contre  les  deux  dernières  médailles,  il  n'allègue  que 
des  raisons  spécieuses  ;  il  fait  valoir  les  difBcultés  qu'on  rencontre 
quand  on  veut  les  considérer  comme  authentiques,  au  mépris 
dotant  d'autorités  historiques  ^  A  quelques  égards,  il  se  montre 
peu  juste  pour  Frohlich  ;  il  ne  cesse  de  soute.nir  que  le  savant 
jésuite  place  la  mort  du  roi  en  188  7;  et,  en  conséquence,  il 
demande  comment  il  se  fait  que  nous  ayons  des  médailles  de 
son  successeur,  Antiochus  Grypus,  portant  la  date  de  187  *. 
Or,  Frohlih  place  la  mort  d'Antiochus  Evergète  en  186  9.  De  la 
sorte,  comme  aucune  médaille  d'Anliochus  Grypus  ne  porte 

'  De  fontibu.t  hist.  Sj'riœ  ,  p.  13. 

9  Ubi  sup.f  sec.  xui,  p.  79.  Voy.  la  réponse,  288. 

5  Ad  numismata  regutn  veteriim  ,  etc.,  p.  69. 

*  Sylloge  numorum  veterum,  p.  8.  Doctrina  numoritni  veierum,  t(HD.iCf« 
p.  23G. 

'  Dissertation  ,  p.  22. 

^  Page  6i. 

7  Page  24,  29,  etc. 

*  «  Comment  alors  supposer  que  la  mort  d'Antiochus  Evergète  puisse 
être  arrivée  l'an  1 88  ;  elle  serait  postérieure  au  règne  de  son  fils.  »  P.  61. 

9  Aano  CLxxxvi.  Civcd  hoc  tempus  contigisse  existimo  cœdem  Antiockiyn 
Evergetis.  p.  88. 


40  BIFFF.nENS    MONUMEKS 

de  date  anlérieureàcette  dernière,  l'opinion  de  Frohlich  reçoit 
une  confirmation  qu'on  peut  appeler  négative.  Jusqu'ici  donc 
l'application  des  médailles  a  servi  à  défendre  la  chronologie  de 
riii^loirc  sacrée.» 

IV.    Médailles  sur  le  déluge. 

Ici,  le  docteur  "SYiseman  parle  d'abord  des  traditions  orien- 
tales sur  le  déluge,  qui  nous  ont  été  conservées  par  Lucien  et 
par  l'iutarque  '.  Puis  ,  il  arrive  aux  médailles  d'Apamée,  et  il  en 
fait  l'histoire  et  en  constate  l'importance.  Nous  ne  parlerons 
pas  ici  de  celte  question  ,  car  nous  l'avons  traitée  plus  au  long 
que  le  docteur  "NViseman  dans  nos  Annales  '.  Il  est  à  regretter 
même  que  le  docteur  anglais  n'ait  pas  eu  connaissance  de  notre 
travail,  il  aurait  pu  modifier  quelques  parties  du  sien.  Ainsi, 
il  aurait  pu  dire  qu'il  y  a  trois  médailles  et  non  pas  seulement 
une  dans  le  cabinet  de  Paris;  et  que  une  seule  de  ces  médailles 
porte  la  lettre  N  inscrite  sur  le  coffre;  mais  que  les  deux  autres 
offrent  sans  aucune  ambiguïté  >'0,  et  de  plus  laissent  la  place 
d'une  troisième  lettre.  Il  aurait  pu  modifier  le  dessin  de  sa  mé- 
daille d'après  le  nôtre,  qui  est  calqué  sur  l'original,  et  surtout 
laisser  sur  le  coffre  la  place  de  la  troisième  lettre  ou  de  E,  qui 
a  dû  être  primitivement  ajtrès  Vo. ,  et  former  ainsi  le  nom  du  pa- 
triarche K2E. 

En  revanche,  sur  la  forme  carrée  donnée  à  l'Arche  sur  ces 
médailles  d'Apamée,  le  savanl  docteur  a  recueilli  quelques  do- 
cumens  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  notre  article,  et  que  nous 
copions  ici. 

t  On  pourrait  objecter  qu'une  pareille  figiue  donnée  à  rarche 
s'accorde  difficilement  avec  la  description,  déjà  mentionnée, 
que  les  historiens  sacrés  ou  profanes  nous  font  du  déluge;  les 
uns  et  les  autres  supposent  que  non-seulement  Noé  et  sa  femme, 
mais  aussi  toute  sa  famille  et  un  grand  nombre  d'animaux,  ont 
été  renfermés  dans  l'arche.   De  telles  circonstances  ne  peuvent 

'  Nous  a^  ons  cité  les  traditions  conservées  par  Lucien  dans  le  tome  i , 
p.  38i  ,  le  tome  v,  p.  53  et  ix  ,  p.  295.  —  Et  celles  conservées  par  PIu- 
tarque,dans  le  tome  I,  p.  38';. 

»  Voir  l'article  sur  les  médailles  d'Apamée,  inséré  dans  le  tome  vm  , 
p.  lii ,  ft  b  gravure  représentant  les  deux  méd.Tillos  à  la  p.  liC. 


COJCFinMA.Xr    LKS    RÎK-HS    CE    LA    LIBLL.  41 

guère  être  exprimées  par  la  figure  d'un  petit  coirro  conlonaiit 
deux  individus.    Pour  lever  cette  difticuUé,  je  proposerai  une 
couiparaison  entre  les  premiers  monumens  chrétiens  et  la  re- 
présentation que  nous  offrent  les  médailles.  Personne  ne  peut 
douter  que  dans  les  monumens  chrétiens  on  n'ait  eu  en  vue  lo 
récit  de  l'Écriture.  Eh  bien!  l'arche  y  est  toujours  représentée 
comme  un  coffre  carré  flottant  sur  un  courant  d'eau;  on  n'y 
voit  que  la  personne  du  patriarche  jusqu'à  la  ceinture,  et  au- 
dessus  la  colombe  qui  lui  apporte  Ki  branche  d'olivier.  Telle 
est  la  manière  dont  le  sujet  est  représenté  sur  quatre  sarcopha- 
ges de  marbre  dans  les  dessins  d'Aringhi  ';  ainsi  on  le  trouve 
dans  la  peinture  de  la  seconde  chambre  du  cimetière  de  Cal- 
liste  «,  et  enfin  sur  une  feuille  de  métal  dont  le  sénateur  Buo- 
narrotti  nous  a  donné  le  dessin  ^  et  Ciampini  l'explication  *. 
Quelques-unes  de  ces  peintures  montrent  le  couvercle  du  coffro 
ouvert  sur  la  tête  du  patriarche  ,  ainsi  que  dans  les  médailles 
d'Apamée  ^  Dans  celles-ci  encore,  la  figure  de  >>oé  est  quelque- 
fois représentée  en  dehors  de  l'arche,  sur  la  terre  ferme,  avec 
la  colombe  symbolique,  qui  sert  à  le  désigner;  car,  parmi  les 
symboles  chréliensles  plus  communs,  Boldelti  compte  celui-ci  : 
«  Noé,  quelquefois  dans  l'arche  et  (juelquefois  eu  dehors  ,  avec 
la  colombe  ^.  »  Enfin  la  colombe  est  de  tems  en  tems  perchée 
sur  l'arche,  comme  on  le  voit  sur  la  médaille  dont  nous  don- 
nons le  dessin  ;  mais  alors  la  figure  du  patriarche  est  omise- 
Il  en  est  ainsi  sur  la  pierre  de  Foggi,  décrite  par  Mamachi  '.  » 
V,  Sur  le  litre  de  Basilicos  que  l'on  trouve  dans  saint  Jt-au, 
Saint  Jean  donne  au  père  du  jeune  homme  que  Jésus  guérit 
de  la  fièvre  sans  le  voir  et  d'une  seule  parole,  le  titre  de  ^3a7t).tV.o;, 

'  Homa  iubterranea',Txorae,  IGjI  ,  tom.  x,  p.  323,  331,  333;  tom.  n, 
page  1^3. 

«  -6.  539,  551,  566. 

3  Osservazioni  sopra  alcuni  frammenti  de  vasi  anticl'i  di  velro,  t.  i ,  6g.  t. 

^  Dissertutto  de  duobus  emblema'ibus  musœi card.  Carpinei ,  Rome,  1  7/S8, 
p.  18.  Bianchini  a  aussi  publié  d'après  un  ancien  verre  une  représenta- 
tion de  la  niènae  scène  en  miniature. 

=  Voyez  les  exemples  dans  Aringhi,  t.  n  ,  p.  67,  105,  187,315. 

*  Observations  sur  les  ci)neiiéi'es\  Rome,  1  720,  tom  i ,  p.  2:2. 
Origine  et  antiquité  des  Chrétiens,  liv,  xx,  tora..  ni;  Rome,  1731. 


42  DIFFÊRENS    MONUMIÎNS 

qtse  la  traduction  française  rend  par  seigneur  de  la  cour  ;  or ,  on 
objectait  que  ce  titre  était  totalement  inconnu  en  Palestine  '. 
Mais  voilà  que  l'exaclitude  de  cette  dénomination  vient  d'être 
démontrée  par  une  inscription  trouvée  sur  la  statue  de  Mem- 
non,  laquelle  fait  mention  d'un  Jrtemidore,  seigneur  de  la  cour 
(basilicos)  durai Ptolémée  '. 

VI.  Inscriptions  prouvant  le  grand  nombre  des  Martyrs. 

Gibbon  et  Dodwel  avaient  avancé  que  le  nombre  des  martyrs 
n'avait  pas  été  très-considérable,  et  que  l'Eglise ,  après  le  règne 
de  Domitien ,  avait  joui  d'une  tranquillité  parfaite  \  Or  ,  toutes 
ces  assertions  sont  détruites  par  les  inscriptions  recueillies  par 
Visconti  ^,  par  Aringhi  et  par  d'autres.  En  voici  une  de  ce  der- 
nier, qui  expliquera  quelles  difficultés  éprouvaient  les  chrétiens 
pour  conserver  les  corps  de  leurs  martyrs. 

«  Alexandre  n'est  pas  mort;  il  vit  au-dessus  des  étoiles,  et 
son  corps  repose  dans  cette  tombe.  Il  a  cessé  de  vivre  sous 
l'empereur  Antonin,  qui  ne  lui  paya  que  par  de  la  haine  ce  qu'il 
lui  devait  de  faveur  et  de  bonté.  Car ,  tandis  qu'il  fléchissait  les 
genoux  pour  sacrifier  au  vrai  Dieu,  il  fut  entraîné  au  supplice. 
Oh  !  malheureux  tems,  où,  au  milieu  de  nos  cérémonies  sacrées 
et  de  nos  prières,  nous  ne  pouvons  être  en  sûreté  ,  même  dans 
des  cavernes  !  Quoi  de  plus  misérable  pour  nous  que  la  vie  ? 
Mais  d'un  autre  côté,  quoi  de  plus  misérable  aussi  que  la  mort? 
Car  nous  ne  pouvons  pas  même  être  ensevelis  par  nos  amis  et 
par  nos  familles  ^  » 

>  Observationes  Uavianae  ,  p.  144. 

»  A^TEptt^w/joç  liTohiixi.o'j  ^xdilir.oz  .  Miinter,  Recueil  d'observations  re- 
ligieuses, d'après  les  marbres  grecs,  dans  les  Miscellanea  de  Copenhague, 
tomei,  1816. 

^  Décadence  et  chute  de  l'Empire  romain  ,  chap.  xvi,et  Dissertationes 
Cyprianœ,  dis   xi ,  page  57. 

*  Memorie  romane  di  antichità  ,  tome  i,  1825. 

'  Alexander  mortuus  non  est ,  etc.  ,  Ariughi ,  lioma  subterranea,  lom.  ji, 
page  685. 


co>riRMA.\T  m:s  r.Kc.iTS  ii\ù  \.\  muLii.  43 

VII.   Qui  doit  i^tre  cru  de  la  Hihle  qui  dît  qu'il  y  avait  du  viu  ca  Egypte, 
ou  d'Hérodote  qui  dit  expresse'ment  qu'il  n'y  en  avait  pas. 

•  Dans  le  siècle  dernier,  les  livres  de  Moïse  furent  souvent 
attaqués,  à  cause  des  raisins  et  des  vignes,  et  peut-être  du  vin  ' 
dont  il  y  est  fait  mention  %  comme  appartenant  au  sol  et  aux 
usages  de  l'Egypte  ^  Car  Hérodote  nous  dit  expressément  qu'en 
Egypte  il  n'y  avait  point  de  vignes  S  et  Plutarque  nous  assure 
que  les  naturels  du  pays  abhorraient  le  vin ,  le  considérant 
comme  le  sang  de  ceux  qui  s'étaient  révoltés  contre  les  Dieux  '. 
Ces  autorités  parurent  si  concluantes,  que  les  assertions  con- 
traires de  Diodore,  de  Strabon,  de  Pline  et  d'Athénée  furent 
considérées  par  le  savant  auteur  des  Commentaires  sur  les  lois  de 
Moise  comme  ne  pouvant  iîtfirmer  toutes  ensembles  le  seul 
témoignage  d'Hérodote  ^.  De  là,  il  conclut  que  le  vin  était  pres- 
crit dans  les  sacrifices  juifs  ,  à  l'effet  de  détruire  tout  préjugé 
venant  des  Egyptiens  à  l'égard  de  cette  boisson,  et  pour  détâ- 
cher encore  davantage  le  peuple  élu  de  son  affection  renaissante 
pour  ce  pays  et  pour  ses  institutions.  Plusieurs  savans  ont  par- 
tagé cette  opinion.  Le  docteur  Prichard  cite  les  oblations  de  vin 
parmi  ceux  des  rites  hébreux  qui  sont  «ou  en  rapport  d'imita- 
tion ou  en  contradiction  avec  les  lois  de  l'Egypte  7.  a  Et  comme 
ce  rite  assurément  ne  saurait  être  rangé  parmi  ceux  de  la  pre- 
mière classe,  je  suppose  que  nous  devons  considérer  le  docteur 
Prichard  comme  étant  de  la  même  opinion  (jue  Micliaëli».  Tant 
que  l'autorité  d'Hérodote  a  été  jugée  supérieure  aux  divers  té- 
moignages des  autres  écrivains ,  on  n'a  pu  opposer  que  de  faibles 
argumens  à  l'objection  fondée  sur  celte  autorité.  Aussi  nous 
voyons  les  auteurs  qui  ont  entrepris  de  la  combattre  recourir 

•Num.  20,5. 
'  Gcn.  XI ,  9;  xuii,  13. 

'  Voyez Bullet,  Réponses  criiiques;  Besançon,  IjJl'J,  tome  m,  p.  K2. 
La  bible  vengée,  de  Duclos  ;  Brescia,  1 82 1 ,  tome  ir ,  p.  2ii. 

4  Liv.  Il,  ch.  77. 

5  De  Isidcet  Osii^de  ,  p.  6. 

^  Tome,  ni,  p.  tSt  etsuiv.  Trad.  angl. 

7  Analyse  de  la  mythologie  des  Egyptiens^  p.  i4?.  Gue'uce,  Lettres  de 
quelques  Juifs;  Paris,  i82t,  tome  i,  p.  192. 


44  DIFFERENS    MOKUME^S 

k  des  conjeclurcs  puisées  dans  rinvraisemblance  d'une  telle 
supposition,  ou  imaginer  une  différence  clironologique  de  cir- 
constances et  un  changement  de  coutumes  entre  les  tems  de 
Moïse  et  ceux  d'Hérodote. 

•  Mais  les  nionumens  égyptiens  ont  décidé  la  question,  et  na- 
turellement l'ont  décidée  en  faveur  du  législateur  hébreu.  Dans 
la  grande  Description  cfEgypte ,  publiée  par  le  gouvernement 
français  après  l'expédilion  faite  dans  ce  pays,  M.  Costaz  fait  le 
tableau  délaillé  de  la  vendange  égyptienne  ,  depuis  la  taille  de 
la  vigne  jusqu'à  l'extraclion  du  vin,  en  se  réglant  sur  les  pein- 
turesqui  se  trouvent  dans  l'Hypogée,  ou  souterrains  d'Eilithyia, 
_ct  il  blâme  sévèrement  Hérodote  pour  avoir  nié  l'existence  de  la 
vigne  en  Egypte  '. 

tEn  1825,  cette  question  fut  agitée  de  nouveau:  dans  le  Joarna/ 
des  Débats^  un  critique,  rendant  compte  d'une  nouvelle  édition 
d'Horace,  en  prit  occasion  de  faire  observer  que  le  vinum  mareo- 
ticum ,  dont  il  est  parlé  dans  la  trente-septième  ode  du  premier 
livre,  ne  pouvait  être  un  vin  d'Egj^pte ,  mais  devait  provenir  d'un 
district  de  l'Épire  appelé  Maréotis.  Cet  article  parut  dans  le  jour- 
nal du  26  juin.  Le  2  et  le  6  du  mois  suivant,  Malte-Brun ,  dans 
le  même  journal,  examina  la  question  ,  principalement  en  ce 
qui  touche  le  témoignage  d'Hérodote.  Au  reste ,  dans  ses  preuves, 
il  ne  remonta  pas  plus  haut  que  les  tems  de  la  domination  ro- 
maine et  grecque.  M.  Jomard  entreprit  de  discuter  ce  point 
plus  à  fond,  et  dans  une  feuille  périodique,  plus  propre  à  de 
telles  questions  qu'un  journal  quotidien  ,  il  poussa  ses  recher- 
ches jusqu'autems  des  Pharaons.  Après  les  peintures  déjà  citées 
par  Costaz,  il  en  appelle  aux  restes  à'ainphores,  ou  vases  à  vin  , 
trouvées  dans  les  ruines  des  anciennes  villes  de  l'Egypte  ,  et  en- 
core imprégnées  du  tartre  qui  y  fut  déposé  par  le  vin  '.  C'est 
depuis  la  découverte  de  l'alphabet  hiéroglyphique  par  Champol- 
lion  qu'on  peut  regarder  la  question  comme  décidée  ;  car  il  pa- 
raît maintenant  certain  que  non-seulement  le  vin  était  connu 
en  Egypte,  mais  encore  qu'on  en  faisait  usage  dans  les  sacrifi- 
ces. Dans  la  peinture  des  offrandes,  nous  voyons  représentés  , 

»  Description  de  C Egypte ,  Anliq.  Tom.  i,  p.  62  ;  Paris,  /809. 
•  Bulletin  universel,  sccl.  7.  tome,  iv,  p.  78.. 


COMFIRMANT    LES    RÉCITS   t>E    LA    BIBLE.  45 

entre  autres  dons ,  des  flacons  remplis  d'une  couleur  rouge 
jusqu'au  goulot,  qui  est  blanc  comme  tout  vase  transparent  ; 
et  on  lit  auprès,  en  caractères  hiéroglyphiques,  le  mot  EPIIqui, 
en  cophte,  signifie  vin  '. 

»  Rosellini  a  représenté,  dans  les  planches  de  son  bel  ouvrage, 
tout  ce  qui  concerne  la  vendange  et  la  manipulation  du  vin. 
Auparavant,  il  avait  publié  à  Florence  un  bas-relief  égyptien, 
tiré  de  la  galerie  du  grand-duc  :  on  y  voyait  une  prière  en  ca- 
ractères hiéroglyphiques  adressée  comme  il  le  suppose ,  à  la 
déesse  Athyr,  et  dans  laquelle  on  la  conjurait  de  répandre  sur 
le  défunt  du  vin  ,  du  lait,  et  d'autres  substances  salutaires.  Ces 
objets  sont  représentés  par  des  vases  qui  sont  censés  les  conte- 
nir, et  leurs  noms  sont  écrits  àl'entour  en  hiéroglyphes.  Autour 
du  premier  vase,  on  voit  la  plume,  la  bouclie  et  le  carré ,  carac- 
tères phonétiques  des  lettres  EPn  »;  et  je  ferai  observer. ici  que 
le  savant  Schweigauser,  dans  ses  remarques  sur  Athénée,  pa- 
raît douter  de  l'exactitude  des  assertions  de  Casaubon,  qui  pré- 
tend que  îpTztç  était  le  mot  égyptien  signifiant  rin  ^,  qvioique  la 
justesse  de  cette  interprétation  soit  clairement  prouvée  par 
Eustathius  et  Lycophron.  S'il  eût  écrit  après  qu'on  a  eu  décou- 
vert ce  mot  exprimé  en  caractères  hiéroglyphiques,  il  aurait 
sans  doute  changé  d'opinion  ;  et,  d'un  autre  côté,  je  ne  doute 
pas  que  ChampoUion  et  Rosellini  n'eussent  appuyé  leur  inter- 
prétation du  témoignage  de  ces  deux  anciens  écrivains,  s'ils 
l'eussent  connu, 

»  Lettres  à  M.  le  duc  de  Btacas  ,  Première  lettre  ,  p.  37. 

"  D'un  bas  relief  e'gyplien  de  !a  galerie  de  Florence.  Ibid,  f  820  ,  p.  !,0  . 
^'^'ilkiIJSoa  a  aussi  lu  le  même  mot,  3'Jat.  Iiierogl.  p.  16,  noie  5. 

^  Athenœus,  Deipnosopk.  Ep.  liv.  ii,  tome  i,  p.  liS.  11  trou^e  le  mot 
ï'îitt;  dans  une  citation  de  Sapho  ,  quoique  dans  un  autre  passage  il  lise 
(liv.  X  ,  tome  iv.  p.  55)  'i'/.nr,.  Ce  savant  critique  semble  avoir  prouvé  qu  e 
le  dernier  texleest  le  plus  correct.  (Animadv.  in  Jth.  1804,  t.  v,p.  375.) 
Cependant  la  découverte,  en  caractères  hiéroglyphiques,  du  mol  égyp- 
tien donné  au  vin  par  les  anciens  écrivains  ,  ainsi  «jue  les  autres  détails 
rapportés  dans  le  texte,  doit  être  considérée  comme  un  argument  puissant 
en  faveur  du  système  phonétique» 


46  DiFFÉRENS   HOML'MEMS 

VIII.  Portrait  du  roi  Roboam  retrouvé  en  Egypte. 

M.  Wiseman  parle  ensuite  du  portrait  du  roi  Roboam  si  mira- 
culeusement retrouvé  par  M.  ChampoUion  sur  les  édifices  du 
temple  deKarnac.  Nous  ne  nous  y  arrêtons  pas,  parce  que  nous 
en  avonsparléfort  au  long  dans  deux  articles,  où  deux  fois  nous 
avons  reproduit  le  portrait  de  ce  roi  '. 

IX.  Monument  trè^s-curieux  offrant  le  souvenir  du  Déluge. 

Mais  nous  devons  nous  arrêter  à  un  monument  nouveau  qui 
rappelle  d'une  manière  frappante  le  souvenir  du  Déluge.  Aussi 
nous  allons  le  donner  ici  avec  la  gravure  qui  le  représente. 

«Dans  l'année  1696,  en  creusant  un  tombeaudansle  voisinage 
de  Rome ,  un  ouvrier  découvrit  un  vase  de  terre,  couvert  d'une 
tuile.  En  le  dérangeant,  le  couvercle  tomba  et  se  brisa.  L'ou- 
vrier fit  alors  sortir  du  vase  un  grand  nombre  de  cachets  et 
d'amiulettes  ,  figurant  soit  des  mains  Jointes,  soit  des  têtes  de 
bœufs,  soit  des  olives;  le  tout  grossièrement  taillé  en  pierre. 
Sous  cet  amas  d'amulettes  et  de  cachets,  l'ouvrier  sentit  quelque 
chose  de  dur  et  de  plat,  dans  son  impatience  de  voir  ce  que 
c'était  il  brisa  le  vase  en  deux,  et  non  content  de  cela,  il  en 
brisa  le  dessous;  après  quoi  il  fit  tomber  un  cercle  de  bronze 
qui  avait  été  adapté  avec  précision  au  bas  du  vase,  et  une  pla- 
que mince  qui  recouvrait  certainement  ce  cercle  de  bronze. 
Le  cercle  n'avait  pas  de  fond  ;  mais ,  d'après  les  filets  de  bois 
qu'on  trouva  mêlés  avec  delà  terre,  on  supposa  que,  dans  l'o- 
rigine ,  il  en  avait  eu  un  de  bois  :  en  même  tems,  un  grand 
nombre  de  petites  figures  que  je  vais  décrire  tombèrent  hors  du 
vase.  Ce  monument  curieux  vint  en  la  possession  de  l'antiquaire 
Ficoroni,  et  la  description  détaillée  en  fut  publiée  par  Eian- 
chini  l'année  suivante  ^  Une  gravure  l'accompagne  :  elle  est 
grossièrement  exécutée;  mais  il  en  existeune  édition  plus  récente 
sans  date,  et  portant  écrit  au-dessous  que  ces  objets  se  trou- 
vaient chez  l'abbé  Giovanni  Domenico  l'ennachi.  J'ai  fait  faire 
une  copie  de  cette  dernière  gravure,  sans  ra'inquiéter  de  l'im- 
perfeclion  du  dessin  dans  les  deux  qui  différent  assez  entre  eiles 

'  \'o\v  le  tome  vu,  p.  IdO  et  tome  viii ,  page  113. 

>  L'Hist,  univers,  prouvée  par  les  monmnens  ,  p.  I  78  et  suiv. 


^ 


Plttuche  55  ir.97  ïimeXVnE^/. 


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46 


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CONFIRMANT    LES   RÉCITS    DE    LA   BIBLE.  47 

pour  montrer  qu'une  parfaite  exactitiule  du  dessin  n'a  été  re- 
cherchée ni  dans  l'une  ni  dans  l'autre.  Nous  les  mettons  sous 
les  yeux  de  nos  lecteurs,  et  en  voici  l'explication. 

•  La  planche  est  divisée  en  trois  corapartimens,  le  N"  i,  sur 
la  gauche,  réprésente  le  vase  A,  fabriqué  avec  une  terre 
différente  de  la  ieira  cotta  ordinaire  ;  car  elle  était  mêlée  de 
fragmens  métalliques  et  brillans,  ainsi  que  de  morceaux  de 
marbre.  Pour  la  forme,  le  vase  ressemble  à  vm  petit  baril,  ou 
au  vase  représenté  sur  la  pompe  d'Isis  dans  le  palais  Mattei.  On 
le  voit  dans  la  planche  tel  qu'il  a  été  cassé;  la  disposition  des 
petites  figures  qu'il  contenait  est  indiquée  par  la  lettre  C  ;  à 
côté ,  la  lettre  B  désigne  le  couvercle  du  vase. 

»  Si  vous  passez  au  compartiment  iV"  2 ,  vous  voyez  la  forme 
de  la  partie  inférieure  du  vase  réduite  aux  deux  tiers  de  sa  gran- 
deur réelle.  Les  figures  qui  se  trouvent  dans  ce  compartiment 
et  le  jV*  '6  ont  été  réduites  à  peu  près  dans  la  même  propor- 
tion. D  représente  le  cercle  de  métal  qui  doublait  le  bas  da 
vase;  il  est  composé  de  petites  plaques  clouées  ensemble,  comme 
pour  imiter  une  sorte  de  charpente.  A  certains  intervalles  sont 
des  fenêtres,  ou  espèces  d'ouvertures  ,  avec  des  volets  au- 
dessus.  Il  n'y  a  point  de  porte;  mais  pour  y  suppléer,  on  voit 
une  échelle  de  bronze  E  composée  de  cinq  échelons  ,  comme 
pour  faciliter  l'entrée  par  le  haut.  La  structure  de  cette  boîte 
de  métal  semble  donc  indiquer  évidemment  le  désir  de  repré- 
senter un  bâtiment  ou  un  édifice,  probablement  en  bois,  où 
l'on  ne  devait  pas  entrer  par  le  bas.  A  certaines  distances  s'élè- 
vent, le  long  du  bord  de  ce  petit  coffre,  des  inégalités  sembla- 
bles au  parapet  d'un  créneau;  on  voit  deux  de  ces  inégalités 
dans  le  dessin  ;  il  semble  que  le  couvercle  y  était  attaché  par 
certaines  pointes  de  métal  :  à  la  lettre  F,  dans  le  compartiment 
de  gauche,  vous  pouvez  remarquer  Tune  de  ces  pointes  attachée 
au  couvercle. 

oLes  figures  consistent  en  vingt  couples  d'animaux  ',  dont 
douze  de  quadrupèdes,  six  d'oiseaux,  un  de  serpents  et  un  d'in- 
sectes. Il  y  avait  en  outre  deux  insectes  dépareillés;  les  deux  qui 

'  Bianchini,  dans  sa  description,  dit  qu'il  y  avait  dix-neuf  couples  ; 
mais  ceci  ne  s'accorde  pas  avec  l'énumcralioa  qu'il  en  donne  en  détail. 


(8  DIFFËRËiNS  monume:(s 

quaient  avaient  sans  doute  été  perdus  dans  l'excavation.  Quant 
aux  animaux,  c'étaient  un  lion  et  une  lionne,  un  couple  de 
tigres  ,  de  chevaux,  d'ànes,  de  daims,  de  bœufs  ,  de  loups,  de 
renards, de  moutons,  de  lièvres  et  deuxaulresespècesmanquant 
de  signes  caracléristiques;  il  y  avait  déplus  trente-cinq  figu- 
res humaines,  quelques-unes  isolées,  d'autres  en  groupes, 
mais  toutes  ,  à  l'exception  de  deux  ou  de  trois  ,  dans  la  posture 
de  quelqu'un  qui  cherche  à  échapper  à  une  inondation.  Toutes 
les  femmes  sont  échevelées  et  portées  sur  les  épaules  ou  sur  le 
dos  des  hommes  j  dans  cette  position,  elles  s'occupent  de  fermer 
la  bouche  et  les  narines  de  leurs  protecteurs.  Les  figures  iso- 
lées prennent  pour  elles-mêmes  un  soin  pareil;  elles  sont  re- 
présentées se  haussant  le  plus  qu'elles  peuvent,  et  sur  la  droite 
vous  voyez  un  groupe  de  trois  figures  montées  sur  un  corps,  G, 
qui  paraît  celui  d'un  noyé,  comme  si  elles  cherchaient  à  ajouter 
quelque  chose  de  plus  à  leur  hauteur  :  ces  figures  sont  toutes  d'un 
travail  exquis  et  indiquent  un  état  très-avancé  dans  les  arts,  à 
l'exceplion  de  quatre  ,  qui  semblent  avoir  été  faites  par  une 
main  grossière.  On  en  peut  dire  autant  des  animaux,  dont 
quelques  parties  brisées  ou  perdues  semblent  avoir  été  rempla- 
cées à  des  époques  plus  récentes.  Il  n'est  dit  en  aucune  page  de 
la  description  de  quelle  matière  les  figures  sont  composées  : 
si  c'est  en  bronze,  nous  pourrions  les  comparer  aux  nombreu- 
ses petites  figures  d'animaux,  toujours  par  paires,  trouvées  à 
Poinpéi,  et  dont  plusieurs  sont  exposées  au  muséum  de  Naples. 
«J'ignore  ce  qu'est  devenu  ce  monument  curieux;  je  ne  sui- 
vrai pas  son  savant  interprète  dans  les  divers  argumens  qu'il 
emploie  pour  prouver  que  c'était  un  vase  dont  on  se  servait  dans 
la  célébration  de  VHydrophoria,  ou  commémoration  du  déluge. 
Les  différentes  amulettes  sont  certainement  bien  semblables 
aux  objets  que,  selon  Clément  d'Alexandrie,  Arnobe  et  autres, 
les  païens  plaçaient  dans  leurs  corbeilles  mystiques;  mais  si 
le  vase  dont  il  est  parlé  dans  les  actes  de  l'académie  de  Cortonc 
est  bien  tel  qu'on  le  décrit,  comme  cela  est  probable  ',  le  vase 

'  Alù  délia  accademica  di  Cortona,  Roma  1"i2.  t.  i,p.  65.  Voir  aussi  la 
disserl.  du  profes.  \Viinder  de  discrimine  verborum  cistœ  et  liteilœ  dans  les 
variœ  Leeliones  Ubrovam  ali:]uotM.  T.  Cucionis  ex  eod.  Erfust.  Lips.  1827, 

p.    CLVllI. 


CONFIRMANT    LES   RÉCITS  DE   L\    BIBLE.  49 

dont  il  s'agit  ici  ne  pourrait  gvièrc  être  considéré  comme  ap- 
partenant à  celte  classe  de  monumens  commcmoratifs.  Je  dois 
ajouter  qu'on  a  trouvé  près  de  ce  dernier  vase  une  chaîne  et 
uneserrure  qui  semblent  en  avoir  fait  partie  de  façon  ou  d'autre. 

s  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  difficile  de  donner  aucune  autre  ex- 
plication de  ce  singulier  monument  que  celle  qui  doit  frapper 
l'esprit  au  premier  coup  d'oeil;  c'est  qu'il  fait  allusion  au  dé« 
luge  par  lequel  fut  détruite  la  race  humaine,  à  l'exception  de 
quelques  individus  qui,  avec  des  coviples  d'animaux,  furent 
sauvés  dans  une  espèce  d'arche  ou  de  coffre.  » 

Tel  est  l'ensemble  des  monumens  que  M.  "Wiseman  a  exami- 
nés dans  son  neuvième  discours;  on  voit  que  la  plupart  étaient 
déjà  connus  de  nos  lecteurs.  On  remarquera  même  que  nous 
avons  publié  en  particulier  sur  le  déluge,  les  monumens  et  les 
traditions  des  quatre  époques  de  la  nature  chez  les  Mexicains  ', 
et  le  grand  tableau  hiéroglyphique  de  Siguenza  sur  le  déluge 
des  Aztèques  '  que  M.  Wiseman  n'a  peut-être  pas  connus. 

Il  ne  nous  reste  plus  sur  cette  grande  question  qu'à  répondre 
à  la  demande  d'un  de  nos  abonnés,  qui  ayant  vu  dans  un  des 
articles  de  notre  journal,  que  Mabillon  avait  soutenu  devant 
la  congrégation  de  l'Index  que  le  déluge  n'avait  pas  été  uni- 
versel, nous  a  priés  de  faire  connaître  à  nos  lecteurs  les  détails 
de  ce  point  important  de  doctrine.  Nous  allons  essayer  de  le 
satisfaire. 

X.  De  l' opinion" de  MaLillon  sur  la  noa-universalité  du  Déluge. 

Notre  savant  bénédictin  fut  envoyé  en  Italie,  aux  frais  de 
Louis  XIV  ,  pour  y  visiter  les  bibliothèques  et  y  recueillir  tout 
ce  qui  lui  paraîtrait  digne  d'être  publié.  Les  savans  de  toutes  les 
villes  d'Italie,  et  en  particulier  ceux  de  la  ville  de  Rome  re- 
çurent notre  illustre  compatriote  avec  les  honneurs  et  la  défé- 
rence que  méritait  sa  réputation  répandue  dès-lors  dans  toute 
l'Europe.  Les  cardinaux  de  la  sacrée  congrégation  de  Vlndex 
voulurent  en  particulier  lui  témoigner  leur  estime  et  le  cas  qu'ils 
faisaient  de  ses  jugemens,  en  le  priant  de  prendie  part  à  leurs 
travaux,  et  de  leur  donner  son  avis  sur  le  livre  d'Isaac  Vossius, 

>  T.  IV,  p.  25. 
»  T.  XV,  p.  ^.66. 


50  DIFFKRENS   MONUMENS 

qui  avait  pour  titre  de  fJge  du  monde  et  du  Déluge  universel. 
Voici  comment  JMabillon  raconte  lui-même  ce  fait,  sous  la  date 
du  mois  de  septembre  i685. 

oSon  éminence  le  cardinal  Casanata,  au  nom  de  la  sacrée 
«congrégation  de  l'Index,  m'adresse  les  deux  livres  d'Isaac  Vos- 
wsius  sur  VAge  du  monde  et  le  Déluge  universel,  pour  que  j'expose 
«aux  cardinaux  ce  que  j'en  pense.  En  recevant  celte  lettre,  il 
»  me  vint  à  la  pensée  ce  que  disait  Cicéron  à  Trebatius  :  qu^il 
y) préférait  être  consulté  par  César  que  d'' en  être  enrichi;  quoiqu'il 
«faille  pkitôl  dire  que  c'est  une  preuve  d'estime  de  la  part  de 
»la  sacrée  Congrégation,  plus  qu'une  véritable  consultation  '.» 
Au  mois  de  janvier  de  l'année  suivante  1686,  il  revient  en- 
core en  ces  termes  sur  cette  affaire. 

«J'ai  reçu  une  lettre  delà  sacrée  congrégation  deYlndex,  pour 
»  me  prier  d'assister  à  vme  séance ,  afin  d'y  exposer  ce  que  je  pense 
»des  deux  livres  d'Isaac  Vossius,  sur  le  déluge  universel.  Déjà 

•  trois  cardinaux  ont  parié  de  cet  ouvrage;  car  il  est  d'usage 
s  dans  cette  congrégation,  que  deux  on  trois  consulteurs  nom- 
«més  pour  cela ,  selon  la  gravité  de  l'ouvrage,  donnent  d'abord 
»leur  sentiment  dans  un  écrit,  qui  est  déposé  entre  les  mains 
»du  secrétaire ,  lequel  en  fait  un  résumé  ,  qu'il  soumet  de  nou- 
»veau  aux  cardinaux,  et  sur  lequel  leurs  Eminences  se  pronon- 
))cent  définitivement.  Il  existe  un  autre  tribunal,  celui  de  la 
«sacrée  Inquisition,  auquel  on  renvoie  les  livres  qui  doivent 
«être  condamnés  comme  hérétiques,  et  devant  lequel  les  con- 
Dsulteurs  ne  donnent  pas  leur  sentiment  de  vive  voix,  mais 
»par  écrit.  » 

On  voit  que  iMabillon  néglige  de  nous  dire  ce  qui  se  passa  dans 
celte  séance;  mais  nous  l'apprenons  dans  sa  vie  écrite  par  Dom 
Ruinart ,  son  ami  et  son  compagnon  de  voyage.  Voici  comment 
il  s'exprime  : 

«Pour  lui  faire  honneur,  on  le  créa  consulleur  de  la  congré- 
«galion  de  YIndex,  et  sur  l'invitation  du  cardinal  Casanata,  il 
«assista  à  vuie  des  séances,  pour  y  dire  son  avis,  en  présence 
»de  neuf  cardinaux  et  du  maître  du  sacré  palais,  sur  le  déluge, 

•  à  l'occasion  du  livre  où  Isaac  Vossius  prétendait  qu'il  n'avait 

'  Muséum  italicum  ,  tome  i ,  p.  90. 


rONFIRMANT    LES   RÉCITS   DK   LA    LIRLE.  51 

npas  été  universel,  bien  qu'il  avouât  que  tout  le  genre  humain 
«avait  péri.  Mabillon  y  parla  avec  tant  d'érudition  et  de  clarté  , 
a  que  tous  les  auditeurs,  remplis  d'admiration  pour  lui,  se  ran- 
1  gèrent  de  son  sentiment  '.» 

Il  resterait  maintenant  à  savoir  ce  que  disait  Isoac  Vossius  sur 
le  déluge.  Voici  l'extrait  de  l'ouvrage  dont  il  s'agit  : 

«Il  n'y  a  aucun  doute  qu'il  n'y  a  eu  qu'un  déluge,  que  ce  dé- 
»luge  a  été  universel,  et  dont  le  souvenir  s'est  conservé  dans 
«toutes  les  nations.  Mais  je  ne  partage  pas  le  sentiment  de  ceux 
«qui  croient  que  tout  le  globe  en  a  été  tellement  couvert,  qu'il 
»  n'a  pas  existé  de  partie  si  petite  qu'elle  soit ,  qui  n'aif  été  inon- 
cdée.  La  terre  n'élait  pas  toute  habitée;  donc  elle  n'a  pas  du 
ïétre  toute  noyée  '.  » 

Voilà  ce  que  Mabillon  a  empêché  la  congrégation  de  VIndex 
de  condamner.  En  parcourant  l'opuscule  de  Vossius,  nous  avons 
lu  les  réponses  que  fait  ce  savant  aux  objections  qui  lui  étaient 
adressées  sur  son  opinion.  Voici  les  principales. 

On  lui  citait  surtout  le  texte  où  Moïse  dit  expressément  :  c  que 
«non  seulement  tous  les  hommes  mais  encore  tous  les  animaux 
»  avaient  péri.  »  Vossius  répond  :  oque  le  mot  jr  CaL  de  l'Ecri- 
i>  turc  se  prend  non  pas  pour  le  tout,  mais  pour  une.partie  com- 
')plète  du  tout  ;  que  d'ailleurs  ,  il  en  est  plusieurs  exemples  dans 
»  l'Ecriture;  qu'ainsi,  il  n'est  pas  vrai  de  dire  que  le  diable 
«montra  tous  les  royaumes  du  monde  à  Jésus-Christ  dans  le  de- 
ssert; qu'il  n'est  pas  vrai  de  dire  non  plus  que  le  recensement 
«ordonné  par  César  Auguste,  s'étendît  à  tout  l'univers,  comme 
»  s'exprime  la  lettre  de  l'Ecriture,  mais  seulement  à  une  grande 
»  partie.  »  D'ailleurs  Vossius  assure  que  son  sentiment  était  sou- 
tenu par  les  Juifs,  les  scholasliques,  par  Théodore  Mopsuete, 
Théodoret  et  même  par  S.  Justin.  ^  oici  les  paroles  de  ce  der- 
nier. On  lui  demandait  :  «  Si  comme  quelques-uns  le  disent,  le 
«déluge  ne  s'est  pas  étendu  à  tous  les  lieux  de  la  terre,  mais  a 
«couvert  seulement  les  parties  habitées  par  les  hommes  ,  com- 
»  ment  est-il  vrai  de  dire  que  les  eaux  surpassèrent  de  1 5  coudées 
»  les  montagnes  les  plus  élevées  ?  d  Saint  Justin  répond  : 

*  Vita  Mab'dlonii;  dans  les  vetera  analecta  in-fol.  Parisiis  1  723,  p.  151. 
»  Voir  l'opuscule  intitulé  de  Septuaginia  inierpreiibiis,  etc.  in-i",  1661 , 
page  883. 


52  DIFFÉRENS   MONUMENS,    ETC. 

•  Il  ne  paraît  pas  que  ce  fut  une  chose  assurée  que  le  déluge 
»  ne  s'est  pas  étendu  sur  tous  les  pays  de  la  terre,  à  moins  que 
«les  lieux  où  le  déluge  a  eu  lieu,  ne  fussent  plus  bas  que  les 
»  autres  ' .  » 

Voilà  tout  ce  que  nous  avons  pu  recueillir  sur  cette  question; 
nous  avons  cité  ailleurs  le  passage  de  Mgr.  Tévêque  d'Hermo- 
polis  ',  qui  s'appuie  du  senlimcnt  de  Mabillon,  qu'il  approuve 
dans  son  entier. 

A.   BONNETTT. 

*  Voici  le  texte  de  ce  passage  qui  n'est  pas  très-clair  : 
Où  5ox£tà^>i6èç  eivKirh  pÀ  èv  nocvrirôù  xôcrptM  tôv  xaTKx^uo'[AÔv  yeyovéven' 
et  fxrlri  «/3«  y.oilôrepoi  rjcav  ol  tottol  evÔk  û  xa"ra-/^y(Ti:zôç  è')-svéTO  twv 
îlotTrwv  tÔttwv  t>5?  yHz  •  Saint  Justin  grec  et  latin.  Paris,  1  7^2;  quœstiones 
et  responsa  ad  ortliodoxos.  Il  y  en  a  qui  croient  que  ce  livre  n'appartient 
pas  à  saint  Justin  ;  mais  le  P.  Labbe  a  prouvé  qu'il  a  été  seulement  in- 
terpoliez Toujours  est-il  du  5'  siècle.  Ailleurs  (Theophilus  ad  ^utliolicum). 
Saint  Justin  répète  ce  que  dit  la  Bible  du  Déluge,  sans  s'expliquer  son 
universalité;  il  rapporte  seulement  le  sentiment  de  Platon,  qui  pensait  que 
le  déluge  n'avait  pas  été  universel ,  et  que  ceux  qui  avaient  pu  gagner  les 
montagnes,  avaient  été  sauvés,  ce  qu'au  reste  S.  Justin  réprouve. /rf. 
p.  39. 

>T.  n,p.  285. 


REVUB  DES  TABLEAUX  RELIGIEUX,  ETC.  6S 

*v^^iv^vv*(VVV^v»vvv\vv»*v^%v^'VV\'VVV1^%>vv\'vv\*»vvv^'*vvvv•^^wvvv\■y\*^ 

REVUE  DES  TABLEAUX  RELIGIEUX 

DU    SALON    DE    1838. 

Monsieur  le  Directeur, 

Je  sais  que  vous  avez  beaucoup  à  vous  plaindre  de  moi  pour 
n'avoir  pas  tenu  ma  parole  en  rendant  compte  du  salon  de  1837, 
Je  pourrais  vous  en  donner  plusieurs  raisons  toutes  plus  légitimes 
les  unes  que  les  autres  ;  je  me  contente,  pour  cette  fois,  de  vous 
alléguer  seulement  ma  paresse  habituelle,  qui  frémit  toutes 
les  fois  qu'il  lui  faut  prendre  une  plume.  Vous  allez  vous  mo- 
quer de  mon  excuse,  et  alléguer  ce  que  vous  appelez  mes  écri" 
iures  journalières.  Mais  ce  n'est  pas  là  ce  que  j'appelle  écrire  : 
écrire,  selon  moi,  c'est  descendre  au-dedans  de  son  âme, 
éveiller  ses  pensées  somnolentes  et  tranquilles,  les  faire  tenir 
«ur  pied,  puis  prendre  les  plus  belles,  je  me  trompe,  les  plus 
communes  (  car,  les  plus  belles ,  le  public  ne  mérite  pas  de  les 
voir),  et  leur  dire  ;  «  Belles  âmes,  prenez  un  corps  ;  ce  corps, 
»  ornez-le  de  soie,  de  fleurs,  de  rubans  et  de  moire,  et  apparaissez 
»au  monde.  Quittez  votre  vie  spirituelle,  matérialisez- vous, 
«incarnez- vous,  et  puis  essayez  d'éveiller  les  sympathies  d'au- 
etres  pensées  vos  sœurs,  qui  ne  sont  pas  encore,  mais  qui  vous 
«attendent  pour  naître  elles-mêmes  dans  l'esprit  des  autres; 

•  qu'en  s'éveillant  ces  paresseuses  grandes  dames  soient  satis- 
»  faites  de  vous,  et,  vous  baisant  fur  la  joue,  qu'elles  vous  disent: 
»  Vous  êtes  belle ,  ô  ma  sœur  !  vous  êtes  vraie ,  vous  êtes  divine  ; 

•  vous  gagnez  mon  âme,  elle  s'identifie  à  vous;  comme  vous  je 

«pense,  et  comme  vous  je  vois —  Or  sus  donc,  vousdis-je, 

«levez-vous?» 

Mais  ô  malhçiu'!  ô  bonheur!  plutôt,  aucune  ne  se  lève; 
femmes  et  sans  vanité,  toutes  disent  :  «  Mai^  pourquoi  ngui 
ToMBavii.— N°  97.  iÔ5i5.  4 


1^  ïiEVUE   DÉS   TABLEAUX   RELIGIEUX 

»  forcer  à  sortir  de  ce  sanctuaire  où  nous  avons  reçu  le  jour? 
»  Pourquoi  nous  produire  à  ce  jour  que  vous  appelez  publicité? 
squi  nous  y  recevra  ?  qui  nous  comprendra  ?  qui  même  voudra 
•  nous  croire?  Olil  trop,  trop  sont  égoïstes  les  hommes,  trop 
«froids,  trop  matériels  pour  sympathiser  avec  nous;  nous  qui 
«nées  sans  la  terre,  ne  vivons  pas  des  choses  de  la  terre;  mais 
«filles  de  la  pure  intelligence,  comme  elle  nous  vivons  d'amour 
»et  de  science!  Oh  !  plutôt  restez  vous-même.  Ici ,  toutes  les 
«personnes  que  vous  aimez,  vous  les  trouverez,  et  vous  les 
«trouverez  aimantes  ;  car  c'est  nous  qui  conservons  aux  hommes 
«ce  qu'ils  ont  de  plus  cher, les  amis,  ceux  qu'ils  ont  perdus  par 
«la  mort,  et  ceux,  plus  malheureusement  encore,  qu'ils  ont 
éperdus  quoique  vivans.  Car  ici  seulement  réside  la  pensée  du 
«souvenir;  pensée  à  puissance  divine,  qui  fait  disparaître  le 

«tems  et  l'espace,  et  réalise  en  quelque  sorte  l'éternité » 

Kl  tandis  que  j'écoute,  séduit  par  ces  caresses,  je  caresse  à 
mon  tour;  et,  enchanté  par  l'ange  divin  du  souvenir,  j'oviblie 
l'univers.  Mais  je  vous  ai  dit  que  mes  amis  y  étaient  tous,  et  vous 
y  êtes;  votre  voix  y  retentit,  me  sommant  d'exécuter  mes  pro- 
messes. Tovit  de  bon,  je  me  mets  donc  à  l'ouvrage  '  :  voyons 
donc  ce  que  nous  aurons  à  dire  de  votre  Salon. 

Quelques  figures  convenables ,  aucune  œuvre  originale  et 
au-dessus  du  bien;  une  malheureuse  fécondité  de  tableaux  mé- 
diocres, mais  une  envie  marquée  de  bien  faire  :  tel  est  l'ensemble 
du  Salon. 

Commençons  d'abord  par  les  types  ou  figures  du  Christ. 
Celui  de  M.  Achille  Devéria  est  un  tableau  décent;  il  vaut 
j-mieuxque  bien  des  toiles  qui  se  trouvent  dans  certaines  églises; 
mais  toutes  les  figures  dont  il  est  composé ,  offrent  une  affecta- 
tion, un  maniéré,  cette  bonne  grâce  mondaine  que  nous  appelons 
coquetterie,  et  qui  n'est  pas  dli  tout  évangélique.  On  sait,  au 
.reste,  que  c'iest  là  le  défaut  de§  saints,  et  surtout  des  saintes  dont 

»  C'est  à  nous  qu'il  faut  reprocher  si  cet  article  n'a  pas  paru  il  y  a 
deux  mois,  car  il  était  prêt;  mais  les  mate'riaux  e'taient  trop  abondans,  et 
•c'est  ce  qui  a  cté  cause  .d'un  retari  ,  que  nous  prions  notre  paresseux 
Correspondant  et  nOs  abonnes  de  nous  pardonner.  (Le  Directeur.) 


I 


DU  SALON   QE    l658.  55 

M.  Devéria  a  donné  une  si  nombreuse  galerie.  Il  paraît  aussi 
qu'il  ne  sait  pas  que  le  Christ ,  tel  qu'il  l'a  rendu ,  avec  les  deux 
bras  parallèles  et  se  touchant  presque  au-dessus  de  la  tète,  n'est 
pas  le  Christ  de  l'Eglise  catholique  ;  c'est  le  Christ  janséniste  , 
étroit  dans  sa  grâce,  borné  dans  ses  libéralités,  n'étant  pas  mort 
pour  tout  le  monde,  et  rétrécissant  ses  bras  pour  ne  pas  em- 
brasser tous  les  hommes,  comme  le  fait  noire  Christ  avec  ses 
bras  étendus  et  grandement  ouverts,  ainsi  que  doit  les  avoir 
celui  qui  disait  :  «  Lorsque  je  serai  élevé  de  terre,  J'attirerai  tout 
j>d  moi.  »  D'ailleurs,  la  Vierge  qui  est  en  arrière  est  trop  belle 
dame  ,  sujette,  à  ce  qu'il  paraît,  à  des  vapeiirs  et  à  des  attaques 
de  nerfs;  et  celle  qui  est  évanouie  sur  le  devant  du  tableau,  si 
bien  bouclée  ,  parée,  agrafée,  n'est  pas  la  31adcleine  juive  qui 
aimait  Jésus  ;  mais  une  de  ces  femmes  qui,  pour  se  rendre  inté- 
ressantes, s'évanouissent  au  milieu  d'un  salon.  Quant  à  ce  per- 
sonnage qui  est  à  genoux  au  pied  de  la,  croix  j  ce  n'est  ni 
Nicodéme  ni  saint  Jean.  C'est  sans  doute  un  passant  que  IVI.  De- 
véria a  trouvé  tout  juste  pour  faire  entrer  une  figure  de  plus 
dans  sou  tableau. 

Je  ferai  presque  les  mêmes  reproches  à  la  Fuite  en  Egypte,  de 
son  frère,  M.  Eugène  Devéria.  C'est  un  assez  joli  groupe,  mais 
ce  n'est  pas  la  fuite  en  Egypte.  Le  fait  évangélique  ne  s'est  pas 
passé  ainsi.  Les  figures  sont  sans  noblesse  ;  l'habillement  n'a 
pas  cette  ampleur  qui  prête  tant  à  la  majesté.  La  Vierge  est  ime 
jeune  fille  forte,  avec  un  air  boudeur  et  affecté.  On  ne  lui  re- 
connaît pas  même  ce  reflet  céleste,  que  l'on  voit  quelquefois 
quand  une  jeune  fille  tient  l'enfant  d'une  autre  entre  ses  bras, 
et  qui  devait  être  bien  autrement  céleste  quand  c'était  la  Vierge 
par  excellence  qui  tenait,  sur  son  sein  ,  celui  qu'elle  savait  être 
son  Seigneur  et  son  Dieu.  La  figure  de  S.  Joseph  est  la  plus  con- 
venable. Mais  pourquoi  ce  petit  enfant  nu  que  l'on  a  jeté  sur  le 
bord  du  chemin  ,  et  auprès  duquel  la  sainte  famille  passe  sans 
même  y  faire  attention?  C'est  un  oubli  des  convenances,  et, 
comme  histoire,  cela  est  faux  :  le  massacre  des  innocens  n'eut 
lieu  qu'après  la  fuite  de  Jésus. 

Le  Christ  en  croix  de  M.  Mosvoisis  est  beaucoup  trop  massif; 
comme  celui  de  M.  Devéria,  il  semble  resserrer  les  bras;  cette 
femme  étendue  tout  de  travers,  n'est  ni  la  Vierse  ni  la  Made- 


56  REVUE   DES   TABLEAUX    nELIGIElX 

leine.  Je  ne  sais  vraiment  à  qui  la  comparer.  Je  dois  dire  pour- 
tant que  la  couleur  et  le  dessin  annoncent  une  main  exercée,  et 
qui  pourrait  foire  mieux  si  l'esprit  qui  la  guide  et  le  cœur  qui 
l'anime  étaient  plus  chrétiens. 

Le  Christ  mort  de  M.  Victor  Mottez  est  une  bien  médiocre 
composition  ,  qui  n'est  biblique  sous  aucun  rapport.  La  femme 
qui  tient  les  bras  ouverts  et  celle  qui  touche  les  pieds  du  Christ, 
sont  vraiment  grotesques.  On  ne  dirait  pas  que  cette  peinture 
sort  du  même  pinceau  qui  a  tracé  le  S.  Etienne  dont  nous  par- 
lerons bientôt. 

Le  Jésus-Christ  porté  au  tombeau  tXe'^l.  Chabobb  est  lourd, 
d'une  couleur  opaque  et  terreuse  ;  la  Vierge  n'a  point  de  di- 
gnité; point  de  vraie  douleur  ;  Nicodême  non  plus. 

Il  faut  en  dire  autant  du  Christ  au  sépulcre  de  31.  Hesse;  il  a 
trop  voulu  viser  à  l'effel.  Sa  Vierge  a  une  pose  théâtrale;  la 
Ma  îeleine  est  guindée,  et  elle  est  habillée  de  manière  à  ne  pou- 
voir être  placée  dans  une  église. C'est  un  tableau  d'exposition, 
et  non  de  conviction  ou  de  piété.  Les  peintres  ne  veulent  pas 
y  faire  attention,  l'Eglise  n'e.^t  ni  un  tht'àfrc,  ni  une  académie 
de  nu,  ni  une  exposition. 

La  Tentation  de  I\ être  Seigneur  de  M.  Jcles  Varnier  est  un  ta- 
bleau qui  annonce  de  bonnes  dispositions  de  dessin  et  de  cou- 
leur. Mais  le  Christ  n'a  pas  assez  de  dignité,  et  le  diable  res- 
semble plutôt  à  ce  Méphistophelès  souriant  à  la  séduction  de 
Marguerite,  qu'à  l'ange  déchu  qui  commençait  à  soupçonner 
que  cet  homme  pourrait  bien  être  le  Messie  attendu. 

Dans  VEcce  homo  de  M.  Phil.  Comairas,  la  figure  de  Jésus  a 
assez  de  dignité,  les  figures  sont  assez  bien  groupées,  mais  la 
couleur  manque  totalement  ;  Pilate  ressemble  à  un  cadavre,  et 
non  à  ces  Romains  bruns,  basanés  même  par  le  soleil  de  la 
Palestine. 

Je  ne  sais  sur  quel  modèle  ni  d'après  quelle  tradition  M .  Ferret 
a  composé  son  Jésus  en  Egypte.  C'est  sans  aucun  doute  d'après 
son  imagination,  or,  on  ne  saurait  la  dire  ni  féconde  ni  bril- 
lante; biblique,  il  ne  faut  pas  y  songer.  Représentez-vous,  sous 
un  ciel  bleu,  adossé  à  je  ne  sais  quel  édifice,  uu  homme  re- 
\êlu  d'une  lourde  et  longue  robe  blanche,  semblable  à  un  bé- 
douin méditant  de  détrousser  quelque  voyageur.  C'est  ce  qu'on 


DU    SALON    DE    l858.  87 

appelle  Jésus  rtcant  le  C/iristianisme  plus  grand  que  la  sagesse 
égyptienne  (sty\(i  du  livret).  Ln  peu  plus  loin  ,  à  la^droite ,  est 
aussi  je  ne  sais  quelle  espèce  de  pacha  ,  n'ayant  ni  l'iiabille- 
ment  ni  les  insignes  égyptiens,  et  que  le  livret  assure  être  un 
prêtre  égyptien  déchiffrant  les  Inérogly plies  ;  à  côté  est  sa  Ç\\\e.^  jeune 
imaqe  cC/sis  regardant  le  nouveau  Dieu.  Tout  cela  est  faux  et 
même  grotesque.  3i.  Ferret  ne  sais  pas  que  Jésus  n'est  resté 
que  fort  peu  de  lems  en  Egypte,  et  que  les  Egyptiens  de  ce 
tems-là  n'étaient  pas  habillés  comme  les  Bédouins  de  notre 
époque. 

Il  y  a  une  simplicité  louable  et  quelque  chose  de  calme  et 
de  divrn  dans  le  Jésus  parlant  à  la  Samaritaine,  de  M.  CnASSEtiT. 
Mais  les  figures  sont  assez  mal  dessinées^  la  Samaritaine  a  la 
taille  infiniment  trop  effilée;  les  yeux  de  Jésus-Christ  sont  aussi 
•trop  grandement  ouverts. 

Malgré  la  négligence  avec  laquelle  sont  dessinées  et  coloriées 
les  figures  du  tableau  de  M.  J.  Gcichard,  représentant  Jésus 
demandant  que  l'on  laisse  venir  d  lui  les  petits  enfans  ,  ce  petit  ta- 
bleau est  bien  groupé;  il  fait  plaisir  à  voir,  et  la  pose  de  Jésus 
est  convenable  et  digne.  J'en  dirai  à  peu  près  autant  de  celui 
de  M,  Lacaze,  représentant  le  même  sujet;  mais  il  faut  faire  de 
plus  grandes  réserves  pour  celui  de  M.  Lavergne,  qui  n'a  pas 
mis  assez  de  simplicité  et  d'abandon  dans  toutes  ses  figures. 

Il  y  a  aussi  de  bonnes  parties  dans  le  Centenier  de^M.  Misbach, 
mais  le  Christ  est  sans  dignité  et  sans  aulorit^î.  Le /f'^as  d  la 
montagne -des  Oliviers,  du  même  auteur,  est  moins  bien  encore  : 
c'est  à  peine  si  l'on  peut  croire  qu'il  s'agit  là  d'^ine  douleur 
humaine,  soulagée  par  des  amis  humains;  ce  n'est  ni  la  pose 
ni  les  traits  d'une  douleur  angélique  ou  divine. 

C'est  aussi  le  défaut  du  Jésus  guérissant  un  aveugle,  de  M.  Val- 
brun.  La  couleur  y  est  assez  bonne,  mais  Jésus  y  ressemble  plus 
à  Esculape  qu'au  médecin  spirituel  qui  guérissait  toutes  les 
blessures. 

La  Femme  adultère  de  M.  Pérignon,  doit  être  classée  encore 
parmi  les  médiocrités  sur  lesquelles  on  ne  peut  dire  ni  mal  ni 
bien.  La  composition  est  commune,  la  position  de  Jésus  mal 
choisie. 

Il  y  a  au  salon  un  assez  grand  nombre  de  Saintes  familles. 


58  REVUE  DES  TABLEAUX  HELIGIEUX 

Dans  aucune  d'elles  on  ne  trouve  cette  simplicité  pleine  de  foi, 
ce  parfum  qui  devrait  faire  respirer  les  deux ,  ce  feu  intérieur 
qui  devrait  briller  et  chaufTer  sans  apparaître  dans  une  telle 
famille,  moitié  divine,  moitié  humaine.  Je  vais  rapidement  les 
passer  en  revue. 

Celle  de  31.  Aitbiqte  est  toute  ramassée,  sans  aisance,  sans 
grâce  ;  il  faut  encourager  celle  de  M.  Chibokd;  elle  vaut  mieux 
que  son  Christ  porté  au  tombeau.  M.  Pigal  n'a  su  trouver  pour 
la  sienne  ni  grâce,  ni  douceur,  ni  sérénité,  et  si  elle  est  des- 
tinée à  une  église,  comme  le  \ivret  l'affirme,  ce  n'est  pas  un 
cadeau  fort  précieux  qu'on  lui  fera. 

On  voit  donc  que  nous  avons  eu  raison  de  dire  que  le  type 
de  Jésus  a  été  traité  en  général  d'une  manière  médiocre;  exami- 
iions  maintenant  comment  on  a  rendu  le  type  de  la  VIERGE. 
La  première  qui  se  présente  sur  le  livret  est  une  Annoncia- 
tion de  M.  AiLtys;  tout  le  tableau  manque  de  vérité;  la  Vierge 
y  paraît  trop  fertemeut  surprise,  et  l'ange  n'est  point  devant 
elle  avec  assez  de  respect;  le  geste  qu'il  fait  du  bras,  lequel 
semble  donner  un  ordre,  est  tout-à-fait  inconvenant  ;  ce  n'est 
pas  ainsi  que  Gabriel  parla  à  la  mère  de  son  Dieu.  Quand  Dieu 
lui-même  se  soumit,  pour  ainsi  dire,  à  demander  l'agrément 
de  celle  qu'il  voulait  rendre  sa  mère  ,  l'ange  dut  paraître  de- 
vant elle  avec  soumission  et  profond  respect. 

M.  Darondeap  ne  s'est  pas  mis  en  frais  d'imagination  pour 
trouver  le  portrait  de  la  Vierge  et  de  son  enfant  Jésus;  c'est  une 
bonne  femme,  une  bonne  nourrice  sans  façon  ,  assise  jambe 
sur  jambe  avec  un  enfant  bien  portani  ;  si  c'est  là  sa  femme 
et  son  enfant ,  comme  cela  est  probable  ,  je  lui  en  fais  mon 
compliment  ,  il  a  là  sous  la  main  de  beaux  modèles  pour  une 
académie. 

Sous  ce  rapport,  M.  Rieseheb  n'a  pas  eu  si  bon  goût  pour  son 
Education  de  la  Vierge  :  aune  vieille  flétrie,  âgée  au  moins  de 
80  ans,  il  a  donné  une  jeune  fille  de  5  à  6  ans,  qui  s'efforce  de 
l'embrasser;  il  fallait  prévenir  que  c'est  la  grand'mère  ou  la 
bisaïeule  de  la  Vierge /d'ailleurs,  M.  Riesener  connaît  fort  bien 
ce  qui  est  nécessaire  à  l'éducation  d'une  jeune  fille  ;  de  bons 
livres  bien  reliés  à  la  moderne,  quelques  bouquins  dans  un  coin, 
cela  donne  un  air  de  science;  de  plus,  un  globe  céleste  d'après 


DU   SALON   DE    l838.  $$ 

la  méthode  cle  Ïyeho-Brahé.  Nous  lui  conseillons  d'ouvrir  un 
pensionnat  de  jeunes  filles;  son  tableau  sevvira  d'enseigne. 

M.  Theveniu  a  voulu  représenter  le  moment  où  après  le  départ 
de  Cange,  Marie  songe  d  sa  haute  inission  ,  et  je  puis  dire  qu'il  a-; 
la  palme  sur  tous  ceux  qui  ont  représenté  la  figure  de  Marie. 
Cette  jeune  fille  habillée  de  blanc,  à  la  figure  pure  et  candide  , 
aux  yeux  baissés  et  à  la  physionomie  si  méditative,  a  bien  quel- 
que chose  de  la  divinisation  qui  dut  se  communiquer  à  la  Vierge, 
quand  elle  eut  consenti  à  devenir  la  mère  de  Dieu.  Je  ne  parles 
pas  de  quelques  incorrections  de  dessin  ,  car  j'ai  envie  de  trou- 
ver une  figure  où  je  n'aie  rien  à  dire,  et  je  choisis  celle-ci. 

Je  dois  cependant  avouer  qu'il  y  a  aussi  des  éloges  adonner  à 
la  méditation  de  la  Vierge  de  M.  Décaisse  ;  il  y  a  de  la  poésie  dans 
ces  anges ,  qui  d'un  côté  offrent  des  conceris  et  des  hommages 
à  l'enfant  Dieu,  et  de  l'autre  lui  présentent  les  instrumens  de 
la  Passion;  mais  cela  ne  vaut  pasl'^ng^e  gardien  du  même  au 
teur  ,  du  salon  de  1 856. 

Je  voudrais  pouvoir  en  dire  autant  du  tableau  où  M.  Van^ 
Eycken  a  voulu  représenter  le  Dernier  adieu  que  la  Vierge  donne 
d  son  fils  avant  de  le  confier  au  tombeau  ;  mais ,  franchement ,  la 
jQgure  du  Christ  est  trop  cadavéreuse;  ce  n'est  pas  là  ce  corps 
qui  devait  trois  jours  après  reprendre  triomphant  la  vie  ;  la 
Vierge  pleure  avec  trop  d'humanité;  ce  n'est  pas  là  la  femme 
qui  savait  bien  que  son  fils  allait  ressusciter. 

Enfin ,  M.  Lestang  a  créé  une  figure  calme  et  belle  dans  son 
Assomption  ;  mais  ce  corps  est  trop  massif;  les  deux  anges  aussi 
sont  trop  matériels,  et  puis  ils  ont  l'air  gauche,  et  semblent  ne 
pas  toucher  la  Vierge;  la  couleur  est  bonne,  et  le  dessin  aussi. 

Je  me  suis  trop  étendu  peut-être  sur  toutes  ces  toiles;  mais 
j'ai  cru  que  c'était  la  seule  manière  capable  de  donner  une 
idée  exacte  de  ce  salon  et  de  ses  tableaux  religieux.  Je  vais  pas- 
ser rapidement  sur  différentes  autres  figures  dites  bibliques.  Il 
y  a  5  à  6  Made laines ,  mais  toutes  hideuses  ou  manquées.  Celles 
de  M.  CoiGNARD,^de  M-  Rioust,  sont  des  masses  de  chair  nues, 
femmes  éhontées,  qu'on  ne  voudrait  recevoir  ni  dans  une 
église  ni  dans  un  salon.  Je  ne  parle  pas  de  celle  de  M.  Tassaert, 
qui  est  une  vraie  et  grotesque  caricature.  Je  ne  sais  pourquoi, 
au  reste,  les  peintres  se  croient  obligés  d'offrir  aux  regards,  la 


60  REVUE    DE5    TABLEAUX    RELIGIEUX 

Madelaine  toujours  à  peu  près  nue.  La  tradition  dit  que  c'est  6a 
Provence,  au  rocher  de  la  S"  Beaume  qu'elle  fit  sa  célèbre  pé- 
nitence; or.  on  peut  dire  que  rien  ne  fut  plus  nécessaire  à  la 
sainte  qu'un  vêlement;  la  température  y  est  très-froide,  et  en 
hiver  il  y  neige  et  il  y  gèle.  Je  crois  qu'il  y  a  maintenant  des 
trappistes  qui  y  ont  besoin  de  la  lourde  robe  de  laine.  A  Jéru- 
salem, les  femmes  étaient  très-modestement  vêtues;  c'est  donc 
un  anachronisme  et  une  inconvenance  de  la  peindre  nue  et 
couverte  seulement  de  ses  cheveux. 

VEnfant  prodigue  de  M.  BorLAKGEa  n'est  pas  un  tableau  bi- 
blique ;  c'est  une  scène  de  mœurs  espagnoles  ou  italiennes, 
avec  les  costumes  du  i5'  siècle. —  Les  Vertus  théologales  de 
M.  BauNE  forment  un  joli  groupe  de  trois  femmes,  bien  parées, 
bien  coquettes,  mais  ce  n'est  pas  un  tableau  religieux;  j'en 
donne  pour  preuve  la  sœur  de  charité,  qui  représente  plutôt  une 
soubrette  de  la  suite  de  Marie  d'Kcosse;  mais  j'aime  assez  son 
jipocalypse.  Le  cheval  blanc  qui  dévore  l'espace  emportant  la 
mort,  est  bien  exprimé  ;  ces  hommes  consternés,  ce  soleil  rouge, 
ces  étoiles  qui  se  détachent  du  ciel  ;  cet  ange  sonnant  de  la 
trompette  ou  répandant  la  coupe  des  vengeances  divines;  tout 
cela  donne  une  idée  passable  du  grand  tremblement  qui  saisira 
l'humanité  à  son  heure  dernière.  La  forme  du  cadre,  qui  offre 
quelques  actes  de  cette  grande  scène,  est  originale,  et  mérite 
des  éloges  à  celui  qui  l'a  sculptée. 

Le  S.  Etienne  lapidé  de  iM.  Mottez  est  le  plus  grand  tableau 
religieux  du  salon;  il  fera  quelqu'effet  dans  une  église,  et  ce- 
pendant on  ne  saurait  lui  assigner  un  vrai  caractère  biblique. 
Le  Christ,  assis  dans  sa  gloire  est  trop  massif;  la  figure  de  saint 
Etienne  est  trop  blanche  pour  un  homme  de  l'Orienl;  l'en- 
semble me  semble  mal  disposé;  la  principale  figure  est  celle, 
non  du  martyr,  mais  de  l'homme  qui  lui  lance  la  plus  grosse 
pierre,  et  puis  la  position  du  corps  du  martyr  est  forcée. 

Tenons  au  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  de  M.  Ziegleu.  C'est 
la  figure  que  l'on  a  le  plus  louée  ou  critiquée;  sans  l'approuver 
en  entier,  je  ne  serai  pas  au  nombre  de  ses  critiques.  Le  lion 
qui  est  aux  pieds  de  Daniel ,  et  que  l'ange  contient  d'un  geste  de 
commandement  ,  est  bien;  le  dessin  et  la  couleur  annoncent 
des  études  sérieuses  ;  les  traits  du  visage  de  Daniel  sont,  en  par- 


DU    SALON    DE    l838.  61 

ticulier,  fortement  sentis  et  exprimés.  Je  ne  trouve  à  dire  qu'à 
la  taille  du  prophète,  dont  le  corps  est  trop  raccourci,  à  sa  robe 
qui  n'a  rien  d'historique;  c'est  à-peu-près  celle  d'un  Franciscain. 
Daniel,  à  cette  époque,  était  un  des  trois  premiers  personnages 
de  la  cour  de  Darius  le  31ède,  la  plus  brillante  et  la  plus  magni- 
fique de  l'Orient;  rien  n'autorise  un  tel  costume. 

Les  sept  péchés  capitaïucdeyi.  Steinheil,  malgré  les  éloges  qu'ils 
ont  reçus  d'un  critique  que  j'estime  beaucoup,  M.  le  comte  de 
Montalembert,  me  semblent  inintelligibles  et  tournante  la  ca- 
ricature. Je  n'en  veux  pour  preuve  que  cet  homme  en  chemise, 
qu'on  a  mis  là  pour  représenter  V Avarice.  Il  y  avait  cent  autres 
manières  plus  nobles,  plus  bibliques  pour  représenter  ce  péché 
capital. 

J'avais  vu  dans  le  livret  l'annonce  d'un  tableau  représentant 
la  Mort  d'un  enfant,  d'après  la  jolie  romance  de  M.  Reboul.  Je 
le  cherchai  avec  empressement;  mais  quel  désappointement  1 
Figurez-vous  une  femme  à  genoux,  tenant  une  main  raide  et 
tendue  sur  le  corps  d'un  enfant,  dont  le  corps  rebondi  semble 
enflé  ou  hydropique  :  c'estla  mère.  Puis  un  ange  habillé  comme 
un  arlequin,  sans  intelligence,  tient  dans  ses  bras  un  petit  corps 
tout  rouge,  tordu,  les  jambes  retirées,  véritable  paquet;  c'est 
l'emblème  de  l'âme.  Je  détournai  la  tôte ,  et  fatigué  de  tant 
d'œuvres  sans  âme.  sans  intelligence,  sans  cœur,  siinsfoi,  sans 
amour,  je  me  mis  à  lire  l'ode  de  Reboul,  dont  j'avais  une  copie 
dans  mon  portefeuille.  Je  la  transcris  ici,  parce  qu'elle  est  fort 
belle ,  et  parce  qu'elle  dédommagera  vos  lecteu  rs  de  celte  longue 
liste  de  noms,  sèche  et  décharnée. 

MORT  DE  l'enfant. 

Un  Ange  au  radieux  visage  , 
Penché  sur  le  bord  d'un  berceau , 
Semblait  contempler  son  image 
Comme  dans  l'onde  d'un  ruisseau. 

•  Charmant  enfant  qui  me  ressemble- 

•  Disait-il ,  oh  !  viens  avec  moi  ; 

•  Viens  nous  serons  heureux  ensemble; 

•  La  terre  est  indigne  de  toi. 

•  Là  ,  jamais  entière  allégreise  ,' 

•  L'âms  y  fOuCTre  de  se»  plaisirs  ; 


6*  ALBUM  DE  DESSINS   RELICIEWK 

•  Les  cris  de  joie  ont  leur  tristesse  , 

•  Et  les  voluptés  leurs  soupirs. 

•  La  crainte  est  de  toutes  les  fête»  j 

•  Jamais  un  jour  calme  et  serein , 

•  Du  choc  ténébreux  des  tempêtes 
»  N'a  garanti  le  lendemain. 

•  Eh!  quoi,  les  chagrins,  les  alarmes 

•  Viendraient  troubler  ce  front  si  pur  ! 

•  Et  par  l'amertume  des  larmes  , 

•  Se  terniraient  ces  yeux  d'azur! 

•  Non  ,  non ,  dans  les  champs  de  l'espace 
»  Avec  moi  tu  vas  t'envoler  ; 

•  La  Providence  le  fait  grâce 

•  Des  jours  que  tu  devais  couler. 

•  Que  personne  dans  ta  demeure  , 

•  N'obscurcisse  ses  vêtemens  ; 

•  Qu'on  accueille  la  dernière  heure 
»  Aiaai  que  tes  premiers  momens. 

•  Qae  les  fronts  y  soient  sans  nuage  , 

•  Que  rien  n'y  révèle  un  tombeau  ; 

•  Quand'on  est  pur  comme  à  ton  âge , 

•  Le  dernier  jour  est  le  plus  beau!  !  !...» 

£t  secouant  ses  blanches  aileg  , 
L'Ange  à  ces  mots  prit  son  essor 

Vers  les  demeures  éternelles 

Pauvre  mère,  ton  fils  est  mort! 

idee,  scnizzi  per  varj  idillj  pittûrichl  sacri  offerti 

all'  agnello  ditino  ed  all'  immocolata  sua 

madre,  da  un  povero  figliuolo 

IN  FER  MO. 

Plaerant  Tirgineia  ocullii  tuis  liœc  infirmitatis  noslra 

Munusciila,   i  ô  lolius  eleganli»  lotlusque  «inctimoiiia  ficmina.  i 
(BImiui). 

Ainsi  vous  voyez,  M.  le  directeur,  que,  malgré  ma  paresse, 
je  me  suis  exécuté  de  bonne  grâce  ;  mais  ce  n'est  pas  tout , 
puisque  vous  avez  voulu  que  je  vous  dise  ce  que  je  pensais  du 
^alon  de  i838 ,  je  veux,  à  mon  tour,  que  vous  me  permettiez  de 
parler  du  bel  album  dont  je  viens  de  transcrire  le  titre,  et  qui 
vous  a  été  donné  par  l'auteur  lors  de  sou  départ  pour  Rome. 
Plusieurs  raisons  me  donnent  1«  droit,  je  dirai  mémo  m'impo- 


bE    M.    IIALLEZ.  GS 

«ent  le  devoir  de  parler  de  ces  dessins.  D'abord,  ils  sont  fort 
beaux  ;  ils  annoncent  un  talent  grand  déjà  par  lui-mômc,  et  qui 
ue  peut  que  mûrir  encore  soxis  le  soleil  de  l'Italie  ;  en  outre,  ils 
promettent  un  artiste  véritablement  chrétien,  qui,  comme  Fié- 
sole,  aime  d'amour  cet  agneau  divin  et  sa  7nci-e  immaculée ,  qu'il 
s'est  plu  à  reproduire  sous  toutes  les  formes.  Mais  ce  n'est  pas 
tout ,  j'ai  une  raison  toute  personnelle  qui  me  pousse  à  vous 
parler  de  ces  jolis  dessins  et  de  son  auteur. 

Les  lecteurs  des  Annales  se  souviennent  peut-être  de  quelques 
idées  que  je  vous  communiquai  pour  répondre  à  un  article 
sur  Cart  paycn ,  qu'un  auteur  anonyme,  M.  L.  H. ,  vous  avait 
envoyé,  et  que  vous  voulûtes  insérer  sous  le  titre  de  Vart  chré- 
tien et  C art  payen  '.  Quand  j'écrivais  cet  article,  je  ne  savais  pas 
que  moi,  ignorant  amateur,  je  lullais  contre  un  artiste  qui  sait 
admirablement  unir  la  pratique  à  la  théorie.  Sa  théorie  consis- 
tait à  soutenir  que  les  artistes  modernes  doivent,  s'ils  veulent 
véritablement  faire  avancer  l'art,  joindre,  à  la  mystique  du 
moyen-âge,  les  belles  formes  naturelles  de  l'art  grec.  J'étais 
jusqu'à  un  certain  point  de  son  avis;  seulement,  je  soutenais 
que  ce  n'était  pas  encorepar  la  méthode  toute  matérielle,  toute 
naturelle,  actuelle,  que  l'on  arriverait  à  ce  résultat.  M.  H  allez 
(  car  vous  m'avez  permis  ici  de  révéler  son  nom  ) ,  dans  ses  es- 
quisses, a  essayé  de  réaliser  sa  théorie.  C'est  donc  avec  une  cu- 
riosité mêlée  de  joie  que  j'ai  ouvert  votre  albiivi.  Permettez-moi 
d'abord  de  parcourir  rapidement  les  principaux  sujets  qui  le 
remplissent,  et  puis  je  reviendrai  à  formuler  mon  opinion  sur 
l'artiste. 

Il  faut  prévenir  d'abord  que  ce  ne  sont  ici  que  des  esquisses 
incomplètes  que  l'auteur  a  jetées  sur  le  papier,  et  qui  devaient 
être  accompagnées  d'épigraphes ,  de  distiques  destinés  à  en  ex- 
pliquer le  sens;  car,  comme  Girodet  et  Michel-Ange,  M.  Hallez 
est.  poète,  comme  on  va  le  voir. 

Le  premier  dessin  que  je  remarque  est  le  n°  2;  c'est  un  groupe 
représentant  la  Fierge  ^  l'enfant  Jésus  et  S. -Jean.  Du  coin  du  ta- 
bleau, un  serpent  s'élance,  dardant  son  aiguillon;  saint  Jean 
effrayé  se  réfugie  dans  le  sein  de  la  Vierge,  et  s'attache  à 

»  Voir  l'article  inséré  dans  leN»  /d  ,  t.  xni,  p.  130  et  f  i2. 


55,  ALBUM    DK    DESSINS    RfillGlEl'X 

Tenfant  Jésus,  qui  lui-même  est  entre  les  bras  de  sa  mère, 
mais  celui-ci,  armé  de  sa  croix,  se  retourne  et  repousse  le  ser- 
pent. La  Vierge,  à  genoux,  les  mains  étendues  vers  le  serpent  , 
semble  encourager  son  fils.  La  courbure  de  son  corps ,  son 
•voile ,  sa  ceinture  qui  flotte  sur  ses  épaules  sont  parfaits  ;  les 
îjras  seulement  sont  visiblement  trop  longs. 

L'auteur  y  a  mis  pour  épigraphe  ces  vers  latins  que  je  vous 
laisse  traduire  et  pour  cause  : 

His  te  crede,  puer,  serpens  dum  sibilat,  ulois, 

V'irgiD€umque  priùs,  fili,  ne  desere  portum  , 

Quàin  tandem  aethereo  potiaris  littore,  sospes  t. 

Le  n°  5  nous  oflfre  encore  un  groupe  charmaBt  ;  La  Vierge  , 
couronnée  d'étoiles ,  est  as&ise  sur  un  rocher  ;  elle  tourne  sa  télé 
à  droite  vers  saint  Jean  ,  qui  est  penché  vers  elle  et  semble  l'é- 
couter, et  de  sa  main  gauche  elle  tient  l'enfant  Jésus;  le  serpent 
profitant  de  cette  distraction,  relance  ses  plis  et  menace  l'enfant 
iésus  ;  mais  celui-ci  lève  «a  croix,  terminée  en  dard  aigu,  contre 
le  serpent  qui  recule.  Ce  groupe  est  délicieux  par  la  figure  douce, 
placide,  virginale  de  la  Vierge,  l'attention  soumise  de  saint  Jean, 
et  le  geste  ferme  et  viril  de  l'enfant  Jésus. 

Le  même  sujet  est  répété  sous  le  n"  9  ;  c'est  encore  l'enfant 
Jésus  qui  menace  le  serpent  de  sa  croix  ;  mais  le  serpent  se  tient 
au  loin  et  n'ose  approcher  ;  et  la  Vierge,  qui  le  regarde  ,  est 
tranquillement  assise ,  bien  assurée  de  sa  victoire.  Les  n"  10  et 
1 1  présentent  aussi  des  sujets  semblables ,  mais  avec  des  physio- 
nomies différentes.  L'enfant  Jésus,  ayant  une  croix  dans  une 
main,  repose  sur  le  sein  de  la  Vierge;  celle-ci  est  triste;  l'enfant 
est  rempli  de  force  et  de  confiance,  et  de  sa  main  libre,  il  ferme 
les  lèvres  de  sa  mère,  comme  pour  empêcher  les  plaintes  d'en 
sortir.  Les  deux  figures  de  la  mère  et  de  l'enfant  qui  se  regar- 
dent, sont  délicieuses. 

Dans  le  n°  1 5 ,  la  Vierge  est  seule  ;  sous  la  forme  de  l'espérance , 
elle  est  assise  sur  un  rocher  élevé,  le  visage  inspiré  et  tourné  vers 
le  ciel.  Un  peu  plus  loin  est  l'enfant  Jésus  qui,  un  genou  en  terre 
«l  à  demi  penché  sur  un  abîme,  tend  d'un  manière  gracieuse 

«  Enfant,  lorsque  tu  entendras  les  sifflemen?  du  serpent,  jette-toi  dans 
le  sein  de  cette  mère ,  et  n'abandonne  pas  ce  port  virginal ,  avant  que  tu 
•le  sois  reposé  en  iùrcté  »ur  le  rivage  du  ciel. 


DE   M.    IIALLEZ.  65 

et  son  corps  et  sa  main,  pour  recevoir  une  fleur  qu'un  oiseau 
vient  lui  apporter. 

La  fig.  16  perle  pour  épigraphe  Silenzio  e  pace  ;  ce  sont  deux 
pensées  complètes  et  délicieusement  exécutées.  La  Vierge  est  à 
genoux,  le  corps  à  moitié  ployé  en  arrière,  la  tète  penchée  sur 
le  sein,  les  deux  bras  pendants  et  distendus,  et  considérant  Ten- 
fant  Jésus,  lequel,  à  moitié  couché  sur  les  genoux  de  sa  mère, 
lève  vers  elle  un  regard  tranquille. 

Il  y  a  là  tout  u!i  poëme  de  pensées  graves  et  résignées;  je  dis 
résignées,  car  la  croix  est  devant  eux  élevée  et  décorée  d'ua 
voile  qui  s'étale  au  vent  en  oriflamme.  Rien  de  plus  riche,  de 
plus  ample ,  de  plus  abondant  que  les  draperies  qui  couvrent  la 
"Vierge;  aucune  statue  grecque,  aucune  statue  romaine  n'a  un 
pareil  luxe  de  plis  et  de  draperies. 

Dans  la  figure  n°  20,  l'on  voil  une  jolie  scène  :  ta  Vierge  et 
l'enfant  Jésus  sont  assis  sur  un  roc,  qui  s'élève  au-dessus  d'une 
nier  tranquille.  A  leurs  pieds  est  saint  Jean  qui  tire  un  filet  de  la 
mer,  et  présente  à  l'enfant  Jésus  les  poissons  qu'il  a  pris.  Au-de»- 
sous,  le  poète  a  ajouté  ces  vers  : 

Crédite  ,  pUciculi ,  piscator  amabilis,  ille  est, 
Cujus  non  fallunt,  ncc  perdunt  relia  captos  «. 

La  pose  de  la  Vierge  et  celle  du  petit  saint  Jean  sont  par- 
faites, le  torse  de  l'enfant  Jésus  ne  m3  paraît  pas  assez  bien. 
J'aurais  préféré  que  ce  fût  lui  et  non  la  Vierge  qui  tendît  la 
main  pour  recevoir  le  poisson. 

L'enfant  Jésus,  du  n°  21,  endormi  sur  te  sein  de  ta  Vierge,  la  télé 
appuyée  sur  sa  main,  el  tout  recueilli  sur  sa  mère ,  me  paraît 
bien  mieux  trouvé.  La  Vierge  le  tient  serré,  et  semble  dire,  en 
contemplant ,  ce  que  l'auteur  a  mis  pour  épigraphe  : 

Qui  creavlt  me  rcquievit  in  tabernaculo  meo  ». 

Sine  macula-,  tel  est  lé^litre  du  n"  22.  La  Vierge  est  assise  sur 
un  rocher,  sa  figure  est  effrayée  ,  sa  main  élevée  conjure  le 
danger;  car  au  pied  du  rocher  et  du  milieu  des  fleuves,  sorl 
le  dragon  vomissant  des  flammes.  Mais  sur  le  bord  du  rocher, 
d'une  main  rassurant  sa  mère ,  de  l'autre  menaçant  le  serpent 

'  Croyez-le ,  petits  poissons;  c'est  un  bien  aimable  pêcheur,  que  celui 
dont  les  filets  ne  trompent  ni  ne  perdent  le^  captifs  qu'ils  ont  pris. 
•  Celui  qui  m'a  crée'  s'est  repose'  sous  ma  tente. 


^  ALBUM    DE   DESSINS   RELIGIEUX 

de  la  croix,  est  Jésus  avec  une  figure  calme  et  sereiae,  le  pleti 
ferme  et  le  port  assuré.  A  sa  vue  on  peut  dire  avec  le  poète  : 

Ne  timeas. ..  invenisli  gratiam...  Dominus  tecum  >. 

Le  n°  24  nous  offre  une  délicieuse  figure  de  Vierge  ;  l'enfant 
Jésus  est  assis  sur  ses  genoux ,  se  retournant  vers  sa  mère,  qui, 
tranquille ,  semble  se  nourrir  en  silence  de  son  bonheur.  Dix 
colombes,  entrelacées  gracieusement,  lui  font  une  couronne  de 
candeur  et  d'innocence. 

"Lenon  prœvalebunt,  du  n°25,  est  une  image  parfaite  de  la  force 
et  de  la  victoire.  La  Vierge  entourée  de  son  voile,  comme  d'une 
auréole,  a  sa  droite  étendue,  et,  à  ce  geste,  les  traits  de  l'ennemi 
tombent  brisés  ou  impuissans;  de  sa  gauche,  elle  menace  le 
serpent  qui  recule  dans  ses  replis.  L'Enfauî-Dieu,  debout  sur  la 
gauche,  la  main  droite  sur  sa  mère,  et  de  la  gauche  portant 
l'oriflamme  de  la  croix,  semble  le  hérault  de  la  victoire. 

La  F\.utli  céleste  du  n"  26,  avec  son  Jésus  armé  de  la  faucille, 
avec  sa  gerbe  dans  les  bras  de  la  Vierge,  sa  couronne  d'étoiles 
et  ses  riches  draperies,  est  aussi  un  bien  délicieux  dessin;  mais 
le  n°  2;;  est  sans  aucun  doute  celui  qui  mérite  la  palme  sur 
tous  les  autres;  il  porte  cette  jolie  épigraphe  : 

Virginalium  animarum  spoasus  ,  regina  ,  pationi  ; 

Jésus,  Maria,  Joseph,  Joaones,  Philomena,  Gregorlus  Nazianzenusj|. 

et  sa  composition  y  répond  parfaitement.  Deux  groupes  par- 
tagent le  tableau  ;  la  Vierge  assise  sur  le  premier  plan  , 
belle  de  majesté,  voilée  et  drapée  à  la  romaine;  auprès  d'elle 
S.  Joseph,  qui  tient  sur  ses  genoux  l'enfant  Jésus,  lequel  offre 
un  bouquet  de  lys  à  une  jeune  fille,  debout,  mais  qui  se 
penche  gracieusement  pour  le 'recevoir;  à  côté  de  la  jeune 
fille  est  S.  Jean  avec  une  belle  figure  de  jeune  homme,  et  der- 
rière une  majestueuse  tète  de  vieillaidj  celle  de  S.  Grégoire.  On 
le  voit;  tous  les  âges,  toutes  les  chastetés,  divines  et  humaines, 
sont  réunis  là,  et  forment  une  scène  parfaite,  que  le  S.  Esprit 
qui  la  couvre  de  ses  ailes,  semble  animer  de  son  amour  divin. 
Un  pareil  dessin  vaut  un  tableau  ,  et  c'est  curieux  à  voir. 

»  Ne  crains  rien...  lu  as  trouve  grâce...  le  Seigneur  est  avec  toi. 
'  L' époux ,  la  reine,  le  protecteur  des  âmes  vierges;  Jésus,  Marie, 
Joseph,  Jean,  Philoraène,  Grc'goire  de  NazianzCi, 


DE   M.    HALLE2.  67 

Ainsi  donc  que  M.  Hallezcontinue,il  est  dans  la  bonne  voie, 
et  cependant  qu'il  prenne  garde  à  une  chose;  je  conviens  que 
toutes  ses  figures  sont  d'une  mystique  rare  ;  quelques-unes  de 
ses  Vierges  pourraient  lutter  avec  celles  de  Fiesole,  et  la  naïveté 
delà  composition  rappelle  tout  ce  que  l'on  conçoit  de  plus  gra- 
cieux; mais  je  l'ai  dit,  qu'il  prenne  garde  à  une  chose,  c'est 
de  ne  pas  prendie  l'ornement  pour  la  beauté ,  et  la  beauté 
par  la  majesté  ;  surtout  qu'il  évite  cette  fausse  grandeur ,  que 
je  reprochais  aux  Grecs  et  aux  Romains  d'avoir  mis  sur  la  figure 
de  tous  leurs  grands  hommes;  ainsi,  pour  en  citer  un  exemple 
très-sensible,  je  lui  dirai  que  la  Vierge  de  ce  dernier  dessin  est 
trop  belle  et  trop  fiere  personne  ;  la  manière  surtout  dont  elle 
relève  son  voile  du  bras  droit,  nu  et  arrondi,  ne  saurait  con- 
venir à  Marie;  c'est  un  geste  de  reine,  de  déesse,  d'une  Cléo- 
pàtre,  d'une  Junon  ,  mais  non  de  Marie,  fille  de  Joachim, 
mère  de  ce  Jésus  qui  faisait  des  charrues  avec  son  père  Joseph. 
C'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  à  craindre  pour  lui;  je  veux  bien  qu'il 
dessine,  qu'il  modèle  purement  ses  figures,  puis  qu'il  les  habille 
richement  d'après  la  tradition  et  l'histoire  ;  mais  qu'il  prenne 
garde  de  les  parer.  Nos  saintes  se  sont  quelquefois  habillées 
richement,  mais  elles  n'ont  jamais  mis  de  parure,  elles  n'ont 
jamais  posé,  elles  n'ont  jamais  eu  ni  orgueil  ni  vanité.  Voilà  ce 
que  je  recommande  à  M.  Hallez,  il  me  comprendra  à  coup 
sûr;  et  maintenant  qu'il  me  permette  de  répéter  avec  lui  la 
belle  dédicace  qu'il  a  mise  en  tête  de  ses  esquisses.  Oh!  oui, 
vous  êtes  poète,  jeune  homme,  poète  de  cœur  et  de  foi  : 

A.  l'ag>eac  divin  et  a  la  mère  immaculée. 

Très-douce  Vierge ,  aurore  sans  nuage , 
Beauté  sans  ombre  ,  étoile  du  matin  , 
A  vous  remets  ma  vie  et  mon  jeune  âge; 
A  V0U1  remets  mon  cœur  et  mon  destin. 
Vous  êtes  mère;  et  moi,  foible  ,  volage, 
Bien  ai  besoin  que  me  ten^jiez  la  main  , 
Et  me  gardiez  de  tempête  et  d'orage , 
Emmi  les  rocs  qui  bordent  le  rivage  , 
Vers  où  devrai  diriger  mon  chemin. 

0  soyez-vous  ma  plus  ferme  assurance  , 
Soyez  toujours,  soyez  mon  espérance  , 
Et  jusqu'au  jour  où  verrai  le  bonheur. 


ALRUM   DB   DESSINS   RELIGIEUX 
Où  bénirai  sans  fîn  votre  assistance, 
Fonr  seule  tous  ,  prenez  naon  pauvre  coeur; 
Vous  aimera  ,  point  ne  sera  menteur; 
Gros  de  soupirs,  il  vous  quiert  souvenance. 

O  si  vouliez ,  bien  aurois  un  désir  , 
Que,  dans  ma  simple  et  tendre  confiance 
Bien  soumettrois  à  votre  bon  plaisir  : 
Tout  près  de  vous ,  chacun  jour  de  ma  vie 
Travaillerois  pour  Jésus  et  pour  vous  ; 
Le  faire  aimer  est  ma  plus  chère  envie. 
Vous  faire  aimer  est  mon  vœu  le  plus  doux. 

De  vous,  adonc  ,  dans  un  tendre  délire. 
Je  recevrois  mes  pinceaux  et  ma  lyre  ; 
Puis  sous  vos  yeux  ,  d'une  timide  main  , 
Laissant  mon  cœur  toute  l'œuvre  conduire. 
Je  tracerois  votre  portrait  divin , 
Votre  beauté  ,  votre  tant  doux  sourire  , 
Qui  fait  pAlir  les  astres  du  matin, 
Et  soumettrois  à  votre  aimabit;  empire 
Tout  esprit  droit ,  tout  caur^non  inhumain  ! 

Combien  alors,  attentifs  à  V(3S  charmes  , 
Mes  yeux  iroient  versant  de  douces  larmes; 
Et  vous,  sensible  à  ma  tendre  ferveur, 
Vous,  quelquefois,  si  mes  pinceaux  fidèles 
Avaient  su  plaire  à  votre  aimable  cœur, 
Inclineriez  vos  lèvres  niattrnelles 
Vers  un  enfant  qui  vous  aima  toujours  , 
Qui  de  vous  seule  attendit  son  secours  , 
Et  n'espéra  qu'à  l'ombre  de  vos  ailes. 

Ce  doux  projet  auquel  tant  il  aspire , 
A  mon  esprit  sourit  plein  de  douceur. 
Si  donc  vouliez....  si  daigniez  y  souscrire!... 
O  douce  mère  !  en  ce  vallon  de  pleurs , 
(Si  jeune  encor  ,  déjà  trop  le  puis  dire) 
Las  !  ai  compté  bien  des  jours  de  douleurs  ! 
Mais  si  vouliez....  si  daigniez  y  souscrire  , 
Plus  ne  verrois  que  des  jours  enchanteurs. 

Si  couleroient ,  formés  d'instans  ûatteurt , 
Les  ans  tardifs  de  mon  pèlerinage , 
Si  fournirois  ma  course  sans  orage  , 
Si  béoirois  tous  les  jours  vos  faveurs. 
Et  lorsque  enfin  finirois  mon  voyage. 
Tout  bellement  irois  à  votre  cœur. 
Où  dans  vos  bras ,  à  jamais ,  sans  nuage  , 
Verrois  briller  le  b«au  jour  du  bonheur. 


\ 


DE   M.    HALLEZ.  69 

Oh  oui,  ces  vers  sont  beaux,  sont  inspirés  par  une  âme  chré- 
tienne! et  rame  du  poète  et  de  l'artiste  est  précisément  une  de 
celles  que,  nous  tous,  nous  cherchons  dans  ce  siècle  d'isolement 
et  d'égoïsmc;  et  aussi  combien  je  désirerais  pouvoir  répondre, 
oh!  jeune  poète,  à  la  demande  que  je  sais  que  vous  avez  faite 
si  souvent ,  et  encore  dans  votre  dernière  lettre  de  Rome,  pour 
savoir  quel  est  celui  qui,  ailleurs,  a  été  votre  antagoniste,  et  qui 
ici  vient  vous  féliciter,  et  se  hasarde  môme  à  vous  donner  quel- 
ques timides  conseils;  mais  je  ne  puis;  seulement,  sachez  que 
j'accepte  votre  amitié,  et  par-dessus  les  Appennins  et  les  Alpes, 
ô  mon  frère,  je  serre  la  main  que  vous  me  tendez,  et  dans  ces 
étoiles  où  plane  votre  esprit ,  je  vous  donne  le  saint  baiser  des 
agapes,  comme  les  frères  et  les  sœurs  des  premiers  jours.  Bien 
plus,  si  dans  lux  de  ces  songes,  au  milieu  desquels  vous  ap- 
paraissent si  souvent  la  Mère  immaculée  et  le  divin  Enfant,  il  se 
présente  à  vous  quelque  figure  inconnue,  qui  sincèrement  vous 
félicite  ,  applaudit  à  vos  efforts,  vous  montre  la  route  ouverte  , 
et  relevant  votre  courage  parfois  abattu ,  vous  exhorte  à  conti- 
nuer votre  route,  c'est  moi;  soyez-en  assuré,  c'est  mon  âme, 
paresseuse,  besogneuse,  indolente,  incapable  dans  le  bien, 
mais  remplie  d'impatiens  désirs  pour  tout  ce  qui  est  bien ,  et 
s'identifiant  avec  amour  à  tout  le  progrès  qui  s'annonce,  et 
aussi  prenant  quelquefois  la  tâche  facile  de  montrer  du  doigt 
le  chemin  qui  est  à  faire ,  et  l'espace  à  parcourir. 


ToMB  xvii.—N"  97.  i838. 


>]ffj  DES   HOSPICES   D'ENFANS   TROUVÉS 

<v^'V'kt^^^^^^vv\\v\»'wtv\vv\\\vw\\v^\w^^v/\\^^^\\vv\wvwvM%\vw\\\wv\vvv\V'V^v\vvvv\\vvvvw 

DES  HOSPICES  D'EJNFANS  TROUVÉS  EN  EUROPE, 

ET  PIIINCIPALEMENT  EN  FRANCE; 

Par  M.  Rkmacle,  ouvrage  couronné  par  les  académies  du  Gard  et  de  Mâcon, 
et  par  la  société  des  établissemens  cbaritables  de  Paris  •. 


Dès  les  premiers  siècles  l'Eglise  prit  soin  des  enfans  trouve's. — Le  Frère 
Guy  au  12"=  siècle.  —  Saiut  Vincent  de  Paul.  —  Raison  en  faveur  de  la 
suppression  des  tours.  — Résumé  de  Toux  rage. 

Le  réparateur  divin  de  la  société  humaine,  en  préchant  la 
charité,  en  établissant  l'amour  pour  base  de  sa  religion,  avait 
préparé  cette  grande  révolution  des  idées  qui  amena  l'aboli- 
tion de  l'esclavage  ;  en  déclarant  que  la  femme  était  la  com- 
pagne de  l'homme,  en  élevant  le  mariage  à  la  dignité  de  sa- 
crement, il  avait  réhabilité  cette  moitié  de  l'espèce  humaine 
qui,  en  dehors  du  Christianisme,  subit  d'une  manière  si  rigou- 
reuse toutes  les  conséquences  du  châtiment  primitif:  «tu  seras 
«sous  la  puissance  de  l'homme,  et  il  aura  autorité  sur  toi  '.  » 
Lui  aussi,  il  avait  dans  son  passage  sur  la  terre,  caressé  et  béni 
les  enfans,  il  leur  avait  ouvert  ses  bras,  il  avait  dit  à  ses  dis- 
ciples qui  voulaient  les  écarter  :  o  Laissez  les  petits  enfans  venir 
à  moi»;  et  cette  parole  fécondée  par  l'inspiration  céleste  au 
cœur  de  Vincent  de  Paule,  a  fait  surgir  des  palais  destinés  à  re  - 
cueillir  l'enfance  souffrante  et  délaissée. 

Mais  ce  serait  une  erreur  que,  grâce  aux  recherches  dépo- 
sées dans  l'ouvrage  de  M.  Remacle  ,  nous  avons  hâte  de  recti- 
fier dans  les  esprits  qui  en  seraient  imbus,  de  croire  que  l'E- 

»  1  vol.  in-8o,  se  vend  à  Paris,  chez  Treutlel  etW'iirtz,  rue  de  Lille, 
no  17. 

»  Crgnèsey  cil.  m  ,  v.  16. 


EN  EUROPE   ET   PRINCIPALEMENT   EN   FRANCE.  1i 

glise  avait   attendu  seize  siècles  pour  recueillir  dans  son  sein 
ces  petits  enfans  que  son  maître  lui  avait  recommandés. 

Dès  les  premiers  siècles,  l'esprit  du  Christianisme  pénétrant 
ces  mœurs  païennes  pour  lesquelles  jusqu'à  ce  moment,  l'a- 
vortement,  l'exposition  étaient  des  actions  communes  et  toutes 
simples  ,  la  législation  commençait  à  condamner  ces  crimes; 
l'Eglise  recueillait  les  enfans  délaissés;  la  maison  où  l'on  nour- 
rissait ceux  qui  étaient  encore  à  la  mamelle,  nous  dit  Fleury , 
s'appelait  Brephotrophium  ;  sous  Justiuien ,  ces  établissemens 
prirent  un  caractère  public. 

Nous  voudrions  pouvoir  suivre  l'auteur  du  livre  sur  les  hos- 
pices (T enfans  trouves,  dans  les  détails  si  pleins  d'intérêt,  où  il 
entre  pour  représenter  d'abord  l'état  des  moeurs  de  la  Grèce  et 
de  Rome  en  ce  qui  touche  l'exposition  des  enfans,  puis  le  dé- 
veloppement successif  de  la  charité  chréiienne  qui  les  attire  à 
elle;  les  constitutions  des  princes  chrétiens,  les  avertissemens, 
les  injonctions  des  conciles,  et  les  temples  chrétiens  offrant 
bientôt  appendue  à  ses  murs  vine  crèche  de  marbre  destinée 
uniquement  à  recevoir  ces  précieux  dépôts.  On  verrait  que 
ridée  première  des  tours,  qui  préoccupe  si  vivement  les  esprits 
depuis  quelques  années,  et  qui  fournit  à  31.  Remacle  matière 
à  de  longues  et  savantes  discussions  n'est  pas  moderne  ;  cette 
circonstance  n'est  point  un  argument  que  nous  pensions  réel- 
lement faire  valoir  en  faveur  de  l'une  ou  de  l'autre  des  deux 
opinions  qui  se  combattent  sur  ce  point  ;  c'est  un  simple  fait 
que  nous  signalons  en  passant. 

L'oublieuse  histoire  laisse  quelquefois  s'effacer  de  ses  pages 
les  noms  les  plus  capables  de  les  ennoblir:  il  faut  quelque  cir- 
constance particulière  pour  les  raviver  et  les  offrir  de  nouveau 
à  l'amour  et  à  la  vénération  du  monde;  le  nom  du  frère  Guy 
devrait  désormais  se  placer  toujours  à  côté  de  celui  de  saint 
Vincent  de  Paule,  qui  l'aurait  certes  volontiers  avoué  pour  son 
modèle  dans  la  carrière  où  il  l'avait  précédé.  Au  douzième 
siècle,  cet  homme,  vrai  Vincent  de  Paule  du  moyen-âge ,  mais 
que  nous  ne  connaissons  que  par  .son  nom  et  par  ses  œuvres 
immenses,  avait  fondé  à  Montpellier,  sous  l'invocation  du 
Saint-Esprit,  un  hospice  où  il  recevait  les  enfans  exposés.  Un 
siècle  à  peine  après  la  fondation  de  leur  ordre,  les  enfans  de 


72  IrES    HOSPICES    D'ENFANS    TROUVÉS 

maître  Guy,  les  frères  hospitaliers  du  S. -Esprit,  remplissaient 
l'Europe;  l'Ilalie,  la  Sicile,  l'Allemagne,  l'Angleterre,  la 
France,  l'Espagne  avaient  vu  surgir  ces  établissemens  de  cha- 
rité ouverts  aux  enfans  exposés;  et  pendant  trois  siècles  les 
mains  de  ces  saints  religieux  recueillirent  ces  innocentes  vic- 
times. 

La  tempête  des  guerres  religieuses  du  1 6°  siècle  les  enleva 
aux  malheureux;  mais  Dieu  avait  réservé  Vincent  de  Paulepour 
recueillir  leur  héritage  et  les  faire  revivre  de  leurs  cendres. 
Combien  d'entre  nous  connaissent  le  modeste  bienfaiteur  de 
riiumanifé,  ce  frère  Guy,  que  M.  Remacle  présente  avec  tant 
de  raison  à  nos  hommages,  en  le  plaignant  de  Toubli  de  Tin- 
gratc  histoire.  Il  travailla  pour  Dieu,  le  souvenir  du  momie  lui 
importait  fort  peu  sans  doute,  mais  à  nous  il  importe  beau- 
coup. 

Quand  parut  Vincent  de  Paule,  la  législation  était  contrainte 
de  s'avouer  impuissante  pour  arrêter  les  infanticides  et  les  ex- 
positions ;  elle  ne  pouvait  suppléer  la  charité.  On  frémit  au 
récit  des  crimes  dont  les  rues  de  Paris  étaient  journellement  le 
théâtre,  et  les  enfans  délaissés  les  tristes  victimes.  On  sait  les 
miracles  de  la  charité  du  saint  apôtre ,  de  M"'  Legi  as  et  de  ces 
fdles  admirables  dont  elle  fonda  linslitution. 

La  révolution  de  90  détruisit  l'œuvre  admirable  de  S.  Vincent 
de  Paule;  elle  prétendait  la  remplacer  par  une  série  de  décrets 
et  de  lois  auxquels  manquait  tout  principe  vital.  iSapoléon  le 
comprit,  il  rappela  la  religion,  et  rendit  aux  filles  de  S.  Vincent, 
ces  enfans  d'adoption  qui  avaient  tant  souflert  de  leur  exil ,  et 
qui  les  rappelaient  de  tous  leurs  cris  de  détresse.  Le  décret  du 
19  janvier  1811  est  la  base  de  l'organisation  actuelle  des  hos- 
pices des  enfans  trouvés  ;  mais  nous  nous  arrêterons  avec  l'au- 
teur à  en  examiner  l'esprit  et  les  dispositions,  avant  de  le  suivre 
dans  l'examen  de  quelques-unes  des  questions  les  plus  impor- 
tantes sur  ce  sujet  si  digne  d'attention. 

Beaucoup  de  personnes  s'imaginent  (jue  les  tours  d'exposi- 
tion sont  une  création  de  S.  Vincent  de  Paule,  alors  qu'il  fon- 
dait SCS  hospices  d'enfans  trouvés;  c'est  là  une  erreur  grave 
que  M.  Remacle  rectifie;  mais  cette  institution,  de  quelque 
manière  qu'on  veuille  la  juger,  ne  peut  revendiquer  pour  elle; 


EN    EUROPE    CT    PRINCIPALEME^M    EX    FRANCE.  73 

"i-'autorité  de  ce  grand  nom.  Avant  q3,  les  enfans  étaient  pré- 
sentés et  admis  avec  la  loruialité  d'un  procès-verbal  constatant 
toutes  les  circo)islancts  relatives  à  leur  présentation  ;  c'est  en 
ce  point,  surtout,  que  le  régime  établi  pour  l'admission  par  le 
décret  de  1811,  dillere  de  l'^tncicn  système;  les  réglemens  mo- 
dernes ordonnent  qu'à  la  porte  a  des  hospices  d'enfans  trou- 
»vés,  sera  placé  un  tour;  celui  qui  se  détermine  ù  abandon- 
»Der  un  enfant  à  la  charité  publique,  le  dépose  dans  ce  tour 
»et  sonne;  une  sœur  hospitalière,  chargée  spécialement  de  ce 
«service  vit  nt  aussitôt,  et  ramasse  l'enfant  sans  pouvoir  même 
»  apercevoir  la  personne  qui  l'a  apporté.  » 

Depuis  l'établissement  des  tours,  le  nombre  des  enfans  dé- 
laissés a  augmenté  dans  une  progression  énorme,  ainsi  qu'on 
peut  le  voir  étai)li  par  le  calcul  de  M.  Remacle.  11  serait  peut- 
être  trop  absolu  de  conclure  de  ce  fait,  que  les  tours  favori.sent 
ce  délaissement ,  lorsque  tant  d'autres  causes  peuvent  y  avoir 
une  part  plus  ou  moins  grande,  et  que  dans  le  tableau  qui 
nous  est  otfert ,  une  proportion  croissante,  déjà  fort  sensible  , 
se  fait  remarquer  dans  les  années  antérieures  à  l'organisation 
due  au  décret  de  1 8 1 1 . 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  consciencieux  nuieur  de  l'ouvroge  que 
nous  avons  sous  les  yeux,  pénétré  du  désir  d'arriver  à  la  vérité 
sur  toutes  les  questions,  palpitantesaujourd'hui,  qui  ressortcnt 
de  celles  des  enfuis  trouvés,  ne  néglige  aucune  des  sources  où 
il  peut  espérer  de  découvrir  quelques  documens;  c'est  pour 
cela  qu'avant  d'aborder  de  face  les  diverses  propositions  qu'il  a 
le  projet  d'examiner,  il  cherche  la  solution  qu'ont  reçue  chez 
les  différentes  nations  de  l'Europe,  les  tliéoiies  dont  l'applica- 
tion y  a  été  tentée,  pour  de  là,  tirer  ensuite  des  argnmens  qui, 
ayant  leur  base  dans  des  faits,  sont  par  là  même  moins  suscep- 
tibles d'égarer  ,  si  l'on  a  surtout  soin  tle  faire  la  part  des  cir- 
constances toutes  pai  liculièrcs,  capables  d  influer  sur  les  ré- 
sultats. 

Quand  il  entre,  après  ces  données  générales,  dans  l'examen 
des  questions  d'économie  sociale  que  soulève  son  livre.  M.  Re- 
macle s'adresse  celle-ci  comme  l'une  des  plus  importantes  pa^ 
ses  conséquences  :  faut-il  supprimer  les  tours  cC exposition?  l'exis- 
tence de  ces  tours  est-elle  an  moyen  de  prévenir  les   infanticides?.... 


Jk  DES   HOSPICES   D'eNFANS   TROUVÉS 

puis,  il  s'arrête  sur  le  seuil  comine  effrayé.  On  aime  à  voir  en 
lui  cette  sorte  d'irrésolution ,  alors  même  qu'il  a  acquis  à  force 
de  travaux,  de  méditations  et  d'études,  une  conviction  entière. 
«  Comme  tous  les  hommes  qui  auront  un  avis  à  émettre  sur  ce 
«sujet,  dit-il,  nous  avons  passé  par  toutes  les  angoisses  du 
«doute  avant  de  nous  arrêter  à  une  opinion;  notre  conviction 
s  était  déjà  formée  par  une  masse  de  preuves  que  nous  nous  la 
«reprochions  encore  comme  pouvant  être  dans  l'avenir  l'occa- 
»sion  et  comme  la  cause  d'un  meurtre;  et  aujourd'hui  même, 
»en  exprimant  par  devoir  ce  que  nous  croyons  être  la  vérité, 
•  nous  ne  pouvons  pas  nous  défendre  d'une  certaine  émotion.  » 

Ces  sentimens  font  honneur  à  leur  auteur  :  plus  celui  qui  les 
exprime  donne  de  preuves  d'une  capacité  remarquable  (et  on 
ne  peut  nier  que  cet  ouvrage  ne  porte  le  signe  d'un  vrai  talent), 
plus  ils  sont  honorables...  Nous  avouons  même  que  cette  can- 
deur ,  cette  ingénuité  portent  avec  elles  la  marque  d'une 
bonne  foi  qui  provoque  l'assentiment ,  lors  même  que  la  force 
seule  des  raisons  ne  le  déterminerait  pas  entièrement;  c'est, 
pour  notre  part,  ce  que  nous  éprouvons  après  avoir  lu  ces  pages. 

M.  Remacle  établit,  par  des  raisons  puissamment  déduites, 
mais  que  nous  n'essaierons  pas  de  reproduire  ici,  dans  la  crainte 
de  les  affaiblir,  ces  trois  propositions  :  l' il  n'est  pas  vrai  que  les 
tours  d'exposition  aient  mis  un  terme  aux  infanticides;  2°  il 
n'est  pas  prouvé  qu'ils  en  aient  diminué  le  nombre;  5"  il  est 
prouvé,  au  contraire,  que  l'augmentation  ou  la  diminution  du 
nombre  des  tours,  a  été  sans  influence  sur  celui  des  infanti- 
cides. 

D'une  autre  part ,  l'auteur  résume  en  ces  termes  tous  les  in- 
convéniens  résultant  du  système  actuel  :  «  L'abus  principal , 
■  l'abus  générateur,  c'est  le  tour.  Il  nuit  à  l'enfant,  à  la  société,  à 
»la  famille  même  auteur  de  l'exposition;  il  contrarie  tous  les 
«principes,  renverse  toutes  les  notions  ,  sanctionne  tous  les 
»  désordres  ;  et  le  secret  qu'il  assure  aux  mères  coupables ,  seul 
«motif  de  son  existence,  ce  secret  pourrait  être  garanti,  dans 
»le  cas  où  il  est  réellement  nécessaire,  par  des  moyens  aussi  sûrs 
»et  moins  dangereux. 


EN    EUROPE   ET    PRINCIPALEMENT    EX   FRANCE.  T5 

•  De  cet  abafl  naît  la  progression  croissante  du  nombre  des 
»  enfans  trouvés. 

»  De  cette  progression,  l'énormilé  de  la  dépense  ;  de  Ténormité 
»  de  la  dépense,  le  peu  de  soins  apportés  à  l'éducation  des  enfans, 
»et  leur  délaissement  à  cet  âge  où  ils  auraient  le  plus  besoin  de 

•  direction. 

»De  telle  sorte  qu'il  est  possible  de  frapper  tous  les  abus  en 
»uu  seul,  et  qu'avec  les  tours  d'exposition  tombent  les  griefs 

•  principaux  de  l'économie  politique  moderne  contre  les  hos- 

•  pices  des  enfans  trouvés,  b 

Quant  au  système  d'éducation  suivi  pour  les  enfans  trouvés, 
M.  Remacle  demande  qu'il  soit  modifié  dans  tous  ses  élémens, 
afin  d'assurer  des  résultais  vraiment  désirables  pour  payer  la 
société  de  ses  sacrifices.  Nous  embrassons  avec  empressement 
ce  vœu  et  les  idées  pleines  de  justesse  développées  par  l'auteur. 
Il  veut  que  la  société  se  substitue  véritablement  à  la  famille, 
vis-à-vis  de  ces  pauvres  enfans  qu'elle  a  adoptés,  et  qui  peuvent 
dfre  avec  l'orphelin  de  l'Ecriture  sainte  :  Pater  meus  et  mater 
meadereliq aérant  me  !...  Il  veut  que  la  société  soit  vraiment  père 
et  mère ,  comme  ces  litres  lui  en  imposent  le  devoir.  Que  l'in- 
telligence de  ces  enfans  ne  s'ouvre  donc  qu'à  la  vérité  ,  leur 
coeur  qu'aux  émotions  vertueuses  ;  qu'à  l'enseignement  indus- 
triel se  joigne  surtout  l'enseignement  religieux. 

Puis  il  résume  ainsi  l'expression  de  ses  vues,  pour  l'amélio- 
ralion  de  l'institution  des  enfans  trouvés  . 

a  Admission  pour  tous  à  bureau  ouvert  et  avec  déclaration. 
»  Maisons  d'instruction  et  de  travail.  Nouvelle  répartition  des 
dépenses. 

»  Telles  sont  les  réformes  qu3  nous  proposons  à  la  législation 
i>qui  régit  les  hospices.  Elles  feront  tout  le  bien  que  des  réformes 
«de  ce  genre  puissent  faire.  Ce  sera  au  gouvernement  et  à  la 
«religion  à  faire  le  reste  :  le  premier,  en  diminuant  la  détresse 
»  des  classes  pauvres,  par  une  administration  éclairée  et  miséii- 
Bcordieuse;  la  seconde,  en  combattant  les  mauvaises  mœurs 
•  par  son  action  continue  et  toute  puissante,  et  en  propageant 
»  l'esprit  de  charité  par  ses  divins  exemples.  Il  y  aurait  erreur  et 
»  folie  à  prétendre  guérir,  par  des  moyens  purement  administra- 
it tifs,  uue  plaie  qui  est  surtout  murale.  Que  l'amour  de  l'ordre 


76  DES    HOSPICES    D'eNFAISS    TROUVÉS. 

«prenne  la  place  de  cet  esprit  de  vertige,  dont  le  moindre  danger 
«est  de  jeter  la  perturbation  dans  les  états  ;  qne  les  doctrines 
«religieuses  pénètrent  la  société  du  sommet  à  la  base  ;  que  l'ins- 

•  truclion  publique  soit  chrétienne,  et  l'on  verra  les  liens  de 

•  famille  se  resserrer,  et  avec  les  bonnes  moeurs,  viendra  l'ai- 
ssance  leur  compagne  ordinaire  ;  le  libertinage  cachera  ses 
»  désordres  avec  d'autant  plus  de  soins  qu'il  sera  plus  rare,  et 
»le  fléau  des  expositions  et  abandons  d'enfans,  qui  malheu- 
sreusement  ne  disparaît  jamais  entièrement  chez  un  peuple, 

•  n'existera  plus  que  comme  une  menace  devant  laquelle  les 

•  gouvernemens  éclairés  ne  pourront  pas  s'endormir. 

»  Ce  tems  est-il  près  de  nous  ?  nous  n'osons  l'espérer.  Ouvrier 
»  obscur  et  inconnu,  nous  apportons  notre  pierre  à  l'édifice  qui 
j)d()it  un  jour  abriter  nos  neveux,  en  laissant,  à  de  plus  habiles, 
»le  soin  de  la  mettre  en  œuvre.  Dussent  nos  efforts  être  dédai- 
»  gués,  nous  nous  en  consolerions  en  pensant  que  notre  exemple 
»au  moins  n'aura  pas  été  inutile.  » 

Est-il  nécessaire,  après  tout  ceci,  que  M.  Remacle  proteste 
de  ses  intentions,  et  de  l'esprit  qui  l'a  inspiré;  qu'il  nous  dise 
que  l'intérêt  des  pauvres  enfans  l'a  toujours  guidé,  et  que  des 
vues  si  pures  ne  sauraient  tomber  sous  le  coup  de  la  menace, 
par  laquelle  le  pape  Vigile  protégeait,  en  542,  l'hôtel-Dieu  de 
Lyon,  objet  de  sa  plus  tendre  sollicitude,  comme  vicaire  de 
celui  qui  a  dit  :  Ce  n'est  pas  la  volonté  de  mon  père,  qui  est 
dans  les  cieux,  qu'il  périsse  un  seul  de  ces  petits  enfans.... 

Non,  quel  que  soit  le  parti  qu'on  embrasse  après  avoir  assisté 
à  cette  espèce  de  lutte  que  se  livrent,  dans  l'ouvrage  dont  nous 
rendons  compte,  les  diverses  opinions  sur  la  question  des  enfans 
iroi.ivés,  on  ne  peut  se  dispenser  d'applaudir  aux  motifs  qui  ont 
inspiré  à  l'auteur  ses  éludes,  ses  recherches,  et  la  consignation, 
dans  ces  pages,  des  résultats  par  lui  obtenus. 

Le  travail  tout  entier  porte  l'empreinte  d'une  arae  essentiel- 
lement religieuse,  d'un  cœur  pénétré  de  l'amour  du  bien  ;  mais 
dont  la  sensibilité  ne  réagit  pas  comme  il  arrive  trop  souvent, 
sur  la  justesse  de  l'esprit  et  la  rectitude  du  jugement  ;  le  mérite 
d'un  style  constamment  approprié  à  la  nature  du  sujet,  grave 
et  digne  sans  être  sec  ni  raide,  animé  et  brillant  quand  les  cir- 
constances le  comporteni ,  mais  toujours  correct,  vient  servir 


EN    EUnOPE    ET    PRINCIPALEMENT    EN    FRANCE.  77 

comme  d'encadrement  et  d'ornement  au  mérite  plus  solide  du 
fond  de  rouvrage.  Des  suffrages  nombreux  sont  venus  d'ailleurs 
prévenir  notre  jugement ,  et  les  palmes  cueillies  par  l'auteur 
dans  divers  concours,  et  en  dernier  lieu  dans  celui  ouvert  par 
la  société  des  élablissemens  charitables  de  Paris,  nous  rassu- 
rent contre  le  scrupule  d'avoir  été  inlluencé  dans  ce  compte 
rendu,  par  de  vives  sympathies  et  le  souvenir  d'anciennes  rela- 
tions trop  promptement  interrompues. 

Nous  le  disons  donc  à  M.  Remacle  :  continuez  à  suivre  la 
carrière  dans  laquelle  vous  avez  débulé  avec  bonheur;  vous  y 
trouverez  encore  le  moyen  d'être  utile  à  l'humanité  et  à  votre 
pays ,  et  vous  satisferez  ainsi  au  besoin  de  votre  cœur.  Nous  le 
lui  disons  sans  flatterie  et  sans  arrière  pensée;  car  il  faut  qvi'il 
sache  bien  qu'en  cette  occasion  la  critique  n'a  sacrifié  à  l'amitié 
aucun  des  droits  de  sa  liberté  et  de  son  indépendance  ». 

JcLEs  Jacqtiemet, 
Avocat  à  la  cour  royale  de  Paris. 

'  Voir  en  outre  ce  que  nous  avons  dit  sur  cette  question  ,  en  rendant 
compte  de  l'ouvrage  de  M.  l'abbé  Guillard,  dans  le  tome  xv,  page  95. 


7S  NÉCROLOGIE. 


VWVWVWVWVWVVVV  *V\VV\AA,WVW\VVW\V\'\\VVV\V/VWAVWW\VVWWV\\W\\W\\V\VV*VWVVV*VW\V 


XiUx0i0^U  be5  Anf^txif5  m0xi$  ^pmbftnf  U  $m(siti. 


Boucheron  (lécher.  Gh.  Emm.).  16  mars.  — 64  ans. 

De  Turin ,  littérateur  ,  professseur  de  langue  latine  à  Turin,  a  laissé: 
Biographies  du  comte  Damien  Prlocca;  —  De  l'abbé  Thomas  Valpeya  Caluzo;  — 
Du  Vernazza',  —  Différentes  Z??scri/)/(ons  funéraires  publiées  à  Turin  par  le 
professeur  Vallumy  ;  —  Des  Préfaces  à  la  collection  des  Classiques  latins  de 
Pomba. 

Beaufort  d'Hautpoul  (la  comtesse  de  ).  —  -4  ans. 

Littératrioe ,  a  laissé  :  Recueil  de  poésies  ;  —  Manuel  de  littérature  ;  —  Une 
édition  des  œuvres  de  son  oncle  Marsolier  des  Vivetières. 

De  Bovet  (Mgr.  François) ,  6  avril.  —  y5  ans. 

De  Grenoble  ;  le  dernier  des  évêques  sacrés  avant  la  révolution  ;  a  été  suc- 
cessivement grand-vicaire  de  Saint-Omer  et  d'Arras  ;  prévôt  de  la  cathédrale 
de  cette  dernière  ville;  en  ijSi  abbé  de  Bonlieu;  membre  de  l'assemblée  du 
clergé  en  1780  et  1786  ;  évêqae  de  Sisteron  en  1789;  émigré  en  Suisse,  en 
Italie,  en  Allemagne,  en  Angleterre;  rentré  en  France  à  la  restauration;  ar- 
chevêque nommé  de  Toulouse  en  1817,  et  installé  par  procuration  en  1819; 
démissionnaire  de  cet  archevêché  en  1820  pour  des  raisons  de  santé;  nommé 
alors  chanoine  de  Saint-Denis.  Il  a  laissé  :  Mémoire  sur  le  concours  pour  les 
cures  dans  le  procès-verbal  de  l'assemblée  de  1785.  — Réclamation  contre  la 
suppression  de  l'évôclié  de  Sisteron  ;  lettres  du  24  novembre  et  du  12  décembre 
1790  au  chapitre  de  sa  cathédrale  ,  à  ses  curés  et  à  ses  vicaires  ;  du  i4  mars  et 
du  18  juillet  1791.  — Réflexions  sur  le  nouveau  serment  prescrit  en  France  et 
sur  les  motifs  par  lesquels  on  croit  pouvoir  le  justifier.  Ferrare  ,  >795. — Réfle- 
xions sur  un  mandement  de  J.-R.  Villeneuve ,  évêque  constitutionnel ,  aux  fi- 
dèles des  Basses- Alpes.  i/gS. — Réflexions  sur  un  prétendu  bref  du  SjuilletiygG. 
Ferrare,  1 797. — Consolations  de  la  foi  sur  les  malheurs  de  l^EgUse,  in-X2  ;  1797; 
réimprimé  â  Toulouse  en  18J9. — Instructions  sitr  les  atteintes  portées  à  la  re- 
ligion; 1798;  en  Allemagne;  réimprimées  à  Besançon  en  1819. — Signataire 
des  réclamations  des  évoques  non  démissionnaires  au  souverain  pontife. — Instruc- 
tion à  son  clergé,  1801. — Lettre  en  xSoa  pour  annoncer  qu'il  laissait  son  troupeau 
entre  les  mains  du  pape.  —  Lettres  de  démission  en  1812. —  Observations  sur  les 
différends  de  Louis  XIV avec  la  cour  de  Rome,  dans  l'Ami  de  la  religion,  N°  J^'i» 
octobre  1822. — Des  Dynasties  égyptiennes  suivant  Manelhon,  considérées  en 
clUi-mêmes  et  sous  te  rapport  delà  chronologie  et  de  l'histoire.  Paris,  1829.  —  Avi- 
gnon ,  i856.  —  Histoire  des  derniers  Pharaons  et  des  derniers  rois  de  Perse  y 
selon  Hérodote  ,  tirée  des  livres  proi'hctiquci  cl  du  livre  d'Esther.  à  vol,  in-S"  , 
Atignon ,  i836. 


WÉCR0L06IE.  79 

Caccianino  (Antoine),  février.  —  69  ans. 

De  Milan,  miithéiiiaticien ,  a  laissé  en  italien:  Exposition  d'un  principe 
géométrique  sur  le  système  différentiel.  Milan  ,  iSi5.  —  Méditation  sur  le  calcul 
différentiel .  i833.  —  Manuscrit  sur  Vimpossibililè  de  Iq  résolution  des  équations 
au-dessus  du  4*  degré, 

Caslellan  (Ant.-Laur.) ,  avril. — 66  ans. 

De  Moctpellier,  peintre  et  littérateur.  On  a  de  lui  :  Lettres  sur  l'Italie  ^  la 
Grèce,  la  Marée,  l'Ucllcspont  et  Constantinople;  long-tems  rédacteur  de  l'ar- 
ticle Beaux-arts  dans  le  Moniteur. — Collaborateur  du  Dictionnaire  des  beaux- 
arts. 

Colas  de  la  Noue  (Gustave),  ao  février.  —  26  ans. 

D'Orléans,  jeune  littérateur  plein  d'espérance  et  de  mérite,  collaborateur 
de  la  plupart  des  journaux  catholiques  de  Paris ,  auteur  d'Enosh  ,  poëme  qui 
qui  n'était  que  le  prologue  d'un  grand  poëme  biblique,  dont  il  avait  le  plan 
tout  formé  ; — De  plusieurs  articles  insérés  dans  la  Revue  européenne ,  la  France 
catholique,  Vlnivcrsilé  catholique.  Après  une  vie  remplie  de  foi,  mort  très 
chrétiennement  d'une  maladie  de  langueur,  causée  peut-être  par  l'ardeur 
d'une  imagination  toute  de  feu, 

Fabré-Palaprat  (Bernard-Raj  mond) ,  janvier. 

Du  diocèse  de  Cahors,  ordonné  prêtre  par  les  constitutionnels,  au  commen- 
cement de  la  révolution,  entré  dans  l'ordre  des  Templiers,  sacré  évêqne  sous  le 
rit  joannite  par  Arnal,  puis  sous  le  rit  romain  parl'évêque  iNIauviel,  grand-maî- 
tre de  l'ordre  en  1804,  exerça  obscurément  la  médecine  jusqu'en  1802,  où  il 
ouvrit  une  espèce  d'église  de  Templiers;  puis  il  est  rentré  dans  son  obscurité, 
et  est  mort  dans  les  Pyrénées.  On  a  prétendu  que  c'était  lui  qui  avait  sacré 
l'abbé  Chatel ,  évêque  primat  des  Gaules  ;  mais  nous  avons  entre  les  mains 
une  lettre  originale  signée  de  lui,  où  il  nie  ce  fait,  et  assure  que  M.  Chatel 
a  été  sacré  selon  le  rit  de  l'Et^Use  chrétienne  primitive  ,  par  M.  Jean  de  Juitand, 
qui  l'a  interdit  depuis  ,  pour  des  motifs  graves.  Fabré  Palaprat  a  laissé  :  le  Le- 
vitikon,  et  différentes  lettres  à  3/^r.  l'archevêque  de  Paris ,  —  aux  Etudes  re- 
ligieuses ,  à  {'Univers  ,  etc. 

Gazzera  'le  commandeur  Joseph)    le  2  avril.  —  79  ans. 

De  Mondovi,  a  laissé  :  S.  Augustin,  le  Retour  en  Afrique  ,  ou  les  Veilles 
pendant  un  trajet  d'Italie  à.  Carthage ,  traduit  de  l'italien  ;  in-S°  ;  Paris,  1826- 

Gironi  (l'abbé  Robusliano),  i*' avril.  — 6g  ans. 

Kéà  Gongangola  près  de  Milan,  bibliothécaire  de  Brera  ,  littérateur  et  anti- 
quaire :  collaborateur  de  Jules  Ferrario  dans  les  Costumes  anciens  et  mo- 
dernes,  i5  vol.  Milan,  1829. — Dclla  pinacoleca  dcl  palazzo  dellc  sclenze  e  artl 
di  Michèle  Bizi ,  1  vol.  in-fol.;  Milan,  1S12. — Le  Nozzs  dei  Greci ,  1  vol.  ini"; 
Milan.  1819. — Saggio  intorno  alla  musica  dei  Greci,  in-4°  ;  Milan  ,  1S22. — Ete- 
menli  dei  doveri  dell'uomo  ,  in-8"',  i8i5.  — Dissertation  sur  le  lériiable  auteur 
de  l'Imitation  de  J.-C.,  i834.  Directeur  de  la  Biblioteca  ilatiana. 

Grimod  de  la  Reynière  ,  décembre  18^7.  —  79  ans. 

Littérateur,  poète  ,  et  auteur  de  VAlmanach  des  gourmands  ,  iSo5.  —  Ec- 
jlexions  philosophiques  sur  le  plaisir,  — CoopéiateurduyoHrna/  de  ^cufchatcl. 


'8ô  NÉCROLOGIE. 

Konigsfelden  (François-Louis-Haller  de),  jg  avril.  —  8a  ans. 

■Historien  et  numismate  ;  auteur  de  l'histoire  de  l'Helvétie  sous  la  dominnlion 
romaine. 

Poggiû  f Jean-Antoine)  ,  i4  janvier.  —  68  ans. 

De  Verceil  en  Lombardie  ,  peintre ,  poète  et  littérateur ,  a  laissé  :  Traduc- 
tion des   vers  de  Delisle  sur  ['immorlalilé  de  t'ânte,  1S13.  —  L'Imaginasione. 

Portîceili  (Louis)  ,  00  janvier.  —  64  ans. 

De  Lenata  Pozzolo  ,  dans  le  Milanais,  professeur  d'éloquence ,  a  laissé  : 
Traité  sur  les  règles  poétiques.  —  Auteur  de  Notes  savantes  sur  te  Dante. — 
Sannazzaro  e  Lippi. 

Keuss  (Jérémie-David) ,  i5  décembre  iS.î-.  — 87  ans. 

]\é  dans  le  duché  de  Schleswig  en  Jjao,  le  doyen  des  bibliothécaires  d'Al- 
lemagne ,  a  laissé  :  Bepcrtorium  commentalionum  à  socielalibus  lilterarum 
editarum.  Gœtlingue.  iSoi  —  iSîo;20  vol.  in-4°  »  ouvrage  d'une  haute  im- 
portance.— L'Angleterre  savante  ,  de  1770  à  1790  ;  Berlin,  1791,  10  vol.  in-8"; 
continuée  ,  (ètrf.  iSo.j,  6  vol.  in-8». — Descriptions  des  manutcrits  et  livre» 
remarquables  de  l' Université  de  Tubingue ,  etc. 

Ronchetti  (l'abbé  Joseph,  février.  —  So  ans. 

De  Bergaroe,  historien  et  littérateur,  a  laissé  :  Memorio  ttoriehe  délia  elta 
<e  chiesa  licrgamcsca.  —  Il  prit  part  à  la  publication  du  Codex  diplomaticus 
de  Ch.  Lupi. 

Trouvé  (Jacques-Allianase),  26  mars. — 58  ans. 

De  Caen,  .a  laissé  :  iVo/tVc  historique  sur  t'hôlcl-Dieu  de  Cacn. —  Mémoire 
^ur  ta  population  du  Calvados.  — Manuel  des  bains  de  mer,  —  En  manuscrit. 
Essai  sur  la  jalousie  chez  les  en  fans. 

Salvoîini  (François),  février.  —  aQ.ans. 

DeFaenza,  dans  l'Etat  de  l'Eglise  ,  égyptologue  distingué  ,  qu'une  ma- 
ladie de  poitrine  compliquée  d'une  paralysie  du  côté  droit ,  qui  s'était  dé- 
clarée au  mois  d'octobre  dernier,  vient  d'enlever  à  la  science  égyptienne  ,  à 
laquelle,  presque  seul,  il  était  uniquement  consacré.  11  a  laissé  dans  sa 
courte  carrière  :  Des  principales  expressions  qui  fervent  à  la  noiulion  des  dates 
sur  les  monumens  de  l'ancienne  Egypte ,  d'après  l'inscription  de  Rosette  ;  pre- 
mière lettre  à  M.  l'abbé  Ccstanzo  Gazzera;  Paris  ,  i832.  —  2'  Lettre  sur  le 
même  sujet,  à  M.  l'abbé  Costanzo  Gazzera  ,  «iirf.,  iS55.  —  Campagne  do 
lïhamsès-lc-Crand  (Sésostris)  contre  les  Schéta  et  Icm-s  alliés  ;  manuscrit  hié- 
ratique égyptien  appartenant  à  RI.  Sallier  ,  à  Aix  en  Provence;  no/iVc  .?(/r  ce 
manuscrit  ;  Paris  ,  iu-S",  i855  ,  sur  le  Dict.  de  la  langue  copte  de  M.  Amédée 
Peyron,  dans  lejonrnalde  Clnsiruclion  publique,  tome  v.  — Spécimen  de  qutl' 
rfues  corrections  à  l'édition  de  diffcrcns  te.vtcs  hyéroglyphiques  qui  ont  paru  dans 
la  1"  livraison  de  l'outrage  ries  njonumens  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  d'après 
les  dessins  exécutés  sur  les  lieux  sous  la  direction  de  M.  Champollion  le  jeune^ 
elc,  Paris,  in-4*.  iS35.  —  Analyse  grammaticale  raisonnée  de  diffcrcns  texte» 
anciens  égyptiens;  ouvrage  dédié  à  S.  M.  le  roi  de  Sardaigne  ,  J"  vol.  conte- 
nant le  texte  hiéroglyphique  et  démotique  de  la  pkrrc  de  Rosette,  avec  1  vol. 


SIBLIOGRAAniE.  8f 

de  planches;  inachevé;  Paris ,  iii-i°,  iS5G.  —  Traduction  et  analyse  f^rammatical» 
des  inscriptions  sculptées  sur  l'obcitsquo  égyptien  de  Paris  ,  suivie  d'une  notice 
relative  à  la  lecture  des  noms  des  rois  qui  y  sont  mentionnés  ;  Paris,  in-4°  , 
avec  quatre  planches ,  i83j. 

Nous  nous  proposions  de  mettre  ici  la  nécrologie  et  la  longue 
bibliographie  de  M.  Silveslre  de  Sacy  ;  mais  nous  les  renvoyons 
au  >'uméro  prochain,  parce  que  nous  espérons  les  compléter 
par  la  communication  que  nous  a  promise  M.  le  baron  de 
Slane,  de  tous  les  ouvrages  restés  manuscrits  de  l'illustre  savant, 
manuscrits  dont  M.  de  Slane  a  été  chargé  de  faire  le  relevé. 


OiOîiijgra^^k 


DÉMONSTRATIO!V  ErClI  VRISTIQT  E  ,  où  l'on  fait  sentir  enGn  à  tous  ies- 
homTnes  la  magnificence  el  l'infaillibilité  de  l'Eglise  romaine,  parle  seul 
éclat  du  plus  piofoiid  de  ses  Mystères  ;  où  l'on  fait  voir  toutes  les  vérités,  et, 
par  con.séquf-nl,  toutes  les  sciences,  toutes  les  vertus,  toutes  les  supériori- 
tés, dans  Une;  et  où  le  plus  simple  fidèle  est  mis  à  même  de  défier  et  de 
cinfondre  le  plus  savant  incrédule  ;  par  M,  Madrolié. 

Nouvelle  édition,  double  de  la  précédente,  augmentée  d'une  Démonstra- 
tion ecclésiastique,  in-S",  cimipact,  papier  di-s  Vosges;chez  Périsse.  2  fr.  So  c, 
au  profit  d'une  œuvre  recouimanJée  par  Mgr.  l'archevêque. 

La  Démonstration  Eucharistique  est  de  l'auteur  du  Prêtre  devant  le  siècle 
(  in-8".  ;  fr.  25  c.  ),  qui  a  obtenu  un  succès  si  extraordinaire ,  et  dont  la  pre- 
mière édition  a  mérité  un  bref  de  Rome.  Composée  pour  un  prince  sur  lë 
désir  de  son  ancien  gouverneur,  déjà  connue  dans  le  monde  savant  et  hum- 
blement soumise  à  la  plus  haute  autorité,  lu  Déiuonslration  eucharistique  a  été 
imprimée  à  la  prière  et  aux  frais  d'un  célèbre  indifférent  en  matière  de 
religion  ,  qu'elle  a  ramené  et  convaincu. 

Voici  le  jugement  que  Tient  de  porter  sur  ce  remarquable  ouvrage  , 
M.  l'abbé  le  Courtier,  dont  les  Instructions  éloquentes  ont  attiré  tant  ce 
monde  dans  le  carême  aux  mis-ions  étrangères  de  Paris  : 

•  Je  vous  assure  avoir  lu  la  Démonstration  eucharistique  avec  bonheur  de  foi 
et  de  croyance.  Il  y  a  une  profondeur  de  science  et  de  vérité  saisie  par  l'ana- 
lyse qui  fait  un  grand  bien  à  un  cœur  catholique  et  qui  m'a  vivement  pénétré. 
On  ne  saurait  trop  féliciter  l'auteur  dont  les  veilles  sont  si  noblement  em- 
ployées.Il  fait  ce  que  disait  Saint-Thomas  d'Aquin  au  lit  de  la  mort  et  au  seuil 
de  la  vie  :  Ego  de  sanctissimo  corpnrc  domini  nostri  Jesu-Christi ,  niuUa  docui^ 
tnalla  tcripti,  etc.  etc.  » 


92  BIBLIOGRAPHIE. 

OUVRAGES  PUBLIÉS  PAR  M.  L'ABBE  DE  GEXOUDE, 

Se  trouvant  à  la  librairie  de  la  Gazette  de  France  ,  rue  du  Doyenné  ^  la,  et  rut  de 

Sèvres  f   18. 

I.  La  Raison  du  Christianisme,  ou  Preuves  de  la  Térité  de  la  religion,  tirées  des 
écrits  des  plus  grands  hommes  de  la  France ,  de  l'Angleterre  et  de  l'AUe- 
magae;  nouvelle  édition,  augmentée  de  plusieurs  articles  impoctans.  5  vol. 
10-4°,  sur  2  colonnes,  pris,  Ô9  fr.  'La  première  édit,  formait  12  vol.  in-S".) 

II.  Les  Pères  des  trois  premiers  siècles  de  l'Eglise.  12  vol  in-8°,  sur  beau  pa- 
pier cavalier,  prix ,  7  fr.  le  vol.  Les  trois  premiers  sont  en  vente  ;  le  qua- 
trième est  sous  presse. 

III.  La  Sainte  Bible.  5  vol.  in-8»,  prix  18  fr. 

IV.  Delà  vérité  Universelle  pour  servir  d'introduction  à  la  philosophie  du 
verbe  ,  par  M.  de  Lonrdoucix.  1  vol.  in -8",  prix,  7  fr. 

V.  Malkbranche,  publié  par  MM.  de  Genoude  et  de  Lourdoueix.  2  gros  vol. 
in-4°  ,  prix  ,  20  fr. 

V.  Discours  sur  les  rapports  entre  la  science  et  la  religion  révélée,  prononcé» 
à  Rome  par  Nicolas  Wiseman,  docteur  en  théologie,  principal  du  ccUége 
anglais  et  professeur  de  l'université  de  Rome,  pour  faire  suite  à  la  Raison 
du  Christianisme,  2  vol.  in-S",  prix  ,  i4  fr. 

ANNALI  BELLE  SCIEXZE  IIELIGIOSE  compilât!  dall'  Ab.  Ant.  de-Luca  à 
Rome  ,  via  délie  Coverlite  al  corso ,  n»  20.  i5  paoli  pour  6  mois. 

]N'°  17.  Mars  et  avril. 

I.  Huitième  conférence  de  Mgr.  Wiseman,  swr  l' Histoire  primitive. Deuxiècae 
partie  :  les  EcypriEss,  leurs  monumens  historiques  et  astronomiques. 

II.  Examen  du  célèbre  ouvrage  du  docteur  Buckland  ,  professeur  anglican  , 
intitulé  :  De  la  géologie  et  de  ta  minéralogie  considérées  dans  leurs  rapports 
avec  la  théologie  naturelle. 

Cet  ouvrage  vient  d'être  traduit  en  français,  et  nous  aurons  bientôt  occa- 
sion d'en  entretenir  nos  lecteurs  ,  quoique  nous  n'approuvions  guère  la  prin- 
cipale idée  du  docteur  anglais,  qui  est  de  prouver  qu'il  faut  piendre  à  la 
lettre  le  mot  jour  de  la  Genèse. 

III.  Examen  du  premier  mémoire  de  M.  Raoul-Rochette ,  sur  les  Antiquités 
chrétiennes. 

IV.  Des  théories  de  Fichte  sur  la  liberté  humaine,  par  L.  Bonelli,  profes- 
seur de  philosophie. 

V.  Prœlectiones  hliitoriœ  ccclesiasticœ ,  quas  in  collcgio  de  Propagande  fîdc  ha- 
buit  Joh.  B.  Palma,  sacerdos  romanus. — D.  Pauli  del  Signore  can.  Reg.  lat. 
Jnslitutioncs  historiœ  ccclesiasticœ  Novi  T.;  article  du  R.  P.  Bini,  procureur- 
général  des  bénédictins. 

Dissertation  lue  à  l'Académie  des  Arcades,  le  a3  janvier  i85S,  par  Mgr. 

Grassellini,  sur  \a  présence  des  vestiges  de  la  tradition  primitive  dans  la  poésie 

et  la  littérature  latines. 
Préface  latine  de  la  nouvelle  Grammaire  égyptienne,  du  professeur  Rosellini 


BIBLIOGRAPHIE.  83 

(Rome,  iSôj),  parle  R.  P.  Ungarelli,  assistant-gi^néral  des  cteres  régu- 
liers de  Saint-Paul. 
Bibliographie  catholique  de  l'Allemagne  ,  de  la  Belgique  et  de  la  Hollande. 

N»  18.  Mat  et  Juin. 

I.  Neuvième  conférence  de  Mgr.  Wiseman  ,  sur  V archéologie  et  les  secours 
qu'elle  fournit  aux  démonstrations  religieuses. 

Nous  offrons  à  nos  lecteurs  ,  dans  le  présent  N°,  une  analyse  et  de  longs 
extraits  de  cette  conférence. 

II.  5ur  la  théologie  naturelle  du  docteur  Chalmers ,  professeur  à  l'université 
d'Edimbourg;  article  de  M.  l'abbé  de  Luca. 

III.  Sur  l'histoire  des  pontifes  romains,  de  Ranke  ^second  article). 
(L'auteur  de  ce  travail ,  tnot  en  critiquant  sévèrement  plusieurs  parties  de 

ce  célèbre  ouvrage,  reconnait  que  sa  publication  a  rendu  un  véritable  ser- 
vice au  catholicisme.) 

IV.  Examen  des  théories  de  Scelling  et  Hegel ,  par  M.  Bonnelli. 

Suite  de  la  dissertation  de  Mgr.  Grasseliini  sur  la  présence  des  vestiges  de  la 
tradition  primitive  dans  la  poésie  et  la  littérature  latines. 

Nécrologie  de  Mgr.  de  Pradt. 

Bibliographie  catholique  de  la  France  ,  de  l'Allemagne  ,  de  l'Angleterre,  des 
Etats-Unis,  du  Portugal,  du  Brésil,  du  Pérou,  de  la  république  Argea- 
tinu ,  de  l'Austraiasie. 

K"   19.  Juillet  et  août. 

!•  X=  Conférence  de  Mgr.  Wiseman  ;  sur  ses  études  orientales-,  i"  partie  , 
sur  la  littérature  sacrée. 

II.  Sur  les  acta  hermesiana  ,  composés  par  le  docteur  Elvenich ,  pour  expli- 
quer les  écrits  d'Hermès,  et  rétablir  la  paix  entre  les  différens  partis  qui 
disputent  sur  la  doctrine,  par  le  P.  Perrone,  de  la  compagnie  de  Jésus. 

m.  Lettre  écrite  par  les  D".  Braun  et  Elvenich  à  S.E.  le  cardinal  Lambrus- 
chini,  et  réponse  de  son  Eminence. 

IV.  Documens  ,  lois  et  décrets  du  nouveau  royaume  de  la  Grèce ,  publiés 
(en  allemand)  par  G.-L.  de  Maurer ,  par  l'abbé  An.  de  Luca. 

V.  Sur  le  christianisme  progressif,  d'après  l'Encyclopédie  nouvelle,  article  ex- 
trait de  V Univers. 

ArPBnDiCE.  Décrets  de  la  congrégation  de  l'Index.  —  Séances  de  l'académie 
catholique  de  Rome.  —  Origine  juive  des  Indiens  de  l'Amérique-Septen- 
trionale. — Sur  les  poètes  latins,  chrétiens. —  Nécrologie  du  chanoine  Louis 
Nardi.  —  Bibliographie. 

\tt&  Annales  de  Rome  réjouissent  le  cœur  des  catholiques,  en  leur  appre- 
nant que  dans  les  royaumes  de  l'Amérique  si  misérablement  déchirés  ,  il 
existe  un  clergé  et  des  hommes  qui  défendent  le  pur  catholicisme.  Nous 
croyons  faire  plaisir  à  nos  lecteurs  en  leur  donnant  le  titre  de  ces  ouvrages. 

AU  BRESIL.  Réflexions  impartiales  sur  le  discours  du  trône,  et  sur  la  ré- 
ponse de  ta  chambre  législative  de  l856,  en  ce  qui  regarde  l'évêque  du  dio- 


84  BIBLIOGRAPHIE. 

cèse  de  Rio-Janeiro  élu  par  la  régence,  et  auquel  le  Saint-Siège  refuse  l'ins- 
titution canonique.  Rio-Janeiro  ,  1857  ,  in-S"  de  78  pages. 

Réponse  du  provincial  des  Franciscains  de  Blo-Janelro  sur  les  questions  qui 
sont  traitées  dans  le  mémoire  qui  lui  fut  adressé  par  le  gouvernement ,  pour  lui 
en  donner  son  opinion.  Rio-Janeiro,  in-S"  de  16  pages. 

Mémoire  sur  le  droit  de  primauté  du  souverain  pontife  romain  en  ce  qui 
concerne  la  confirmation  et  l'institution  canonique  de  tous  les  évêques; 
traduit  du  français  en  portugais.  Rio-Janciro,  iSoj,  in-S",  de  65  pages. 

Selccta  Catholica  ;  c'est  le  titre  d'un  journal  qui  a  été  fondé  au  Brésil  en 
iSSt,  pour  défendre  la  doctrine  de  l'église  catholique. 

AU  PEROU.  Essai  sur  la  primauté  du  pape,  particulièrement  en  ce  qui 
concern-e  l'insiilution  des  évêquis  ,  par  D.  Jose[)li  Ign.  Rliireno,  archidiacre 
de  la  sainte  Eglise  métropulitaine  de  Lima,  auteur  des  Lettres  péruviennes,  A 
Lima  ,  inS»  de  4^5  pages. 

Excellent  et  précieux  ouvrag?,  et  pour  la  forme  et  pour  le  fond. 

Dans  la  RÉPUBLIQUE  ABCENTiN  R.  Panégyrique  de  sainte  Catherine  de 
Sienne,  prononcé  dans  le  nxinaslère  des  Dominicains  de  Cordoue  ,  par  le 
R.  D.  ÎMichel  Cialliste  de  Corro.  Buenos  /lyres  ,   iSii^. 

L'éditeur  de  ce  panégyriqnecsl  le  P.  de  Pierre  Ignace  de  Castro-y-Barros, 
chapelain  du  susdit  niouaslère,  lequel  •  .i  eu  principalement  pour  objet  , 
»  comme  il  le  dit  lui-même  ,  de  donner  par  cette  lecture  une  haiue  mortelle 
«contre  le  monstre  du  schisme,  et  de  convaincre  chacun  de  la  nécessité  de 
l'obéissance  au  pontife  romain.  » 

COLOMES  ANGLAISES,  NOUVEAU  PAYS  DE  GALLES.  Relation 
contenant  la  lettre  pastorale  de  Mgr.  Polding  (  évèque  catholique  de  Sydney), 
et  les  résolutions  prises  parles  catholiques  du  nouveau  pays  de  Galles,  ras- 
semblés dans  l'Eglise  cathédrale  de  Sainte-Marie  à  Sydney,  le  dimanches 
juillet   i856. 

Cette  réunion  eut  principalement  pour  but  de  pourvoir  aux  moyens  d'a- 
chever la  construction  de  l'égliîC,  et  à  cet  effet,  fut  établie  une  société  que 
l'on  nomme  la  société  catholique  de  l' Auslralade  ,  chargée  spécialement  de 
pourvoir  à  tous  les  besoins  de  la  mission. 

Lettre  adressée  à  Ccditeur  du  journal  /c  Colon  par  le  R.  Jean  MacEncroe. 
Sydney  i836. —  Réponse  à  quelques  attaques  de  ce  journal  protestant. 

Les  cérémonies  de  la  bénédiction  et  de  la  pose  de  ta  première  pierre  d'une  église, 
traduites  en  anglais  du  pontifical  romain  ,  précédées  à' ane  instruction  préli- 
minaire, par  le  R.  G.-B.  Ullathorne,  vie.  général,  à  Sydney,  i656. 

Observations  sur  l'usage  et  l'abus  de  la  sainte  Ecriture  ,  comme  le  prouve 
la  discipline  et  la  pratique  des  communions  protestantes  et  catholiques  ,  par 
le  R.  G.-B.  Ullathorne  ,  vie.  gén.  Sydney,  i856. — Ecrit  dirigé  contre  la  pré- 
tention de  la  société  des  écoles  britanniques  d'introduire  dans  l'-île  la  coutume 
de  mettre  entre  les  mains  des  enfans  l'Ecriture-Sainle  sans  aucun  commen- 
taire. 


ANNALES  85 

DE  PHIIiOSOPHIX:  CHRETIENNE. 

Tlbuuiéïo  98.  —  3i  6LcÙK.  i838. 

V*VVV\\VVIVV\\\VVV'VVVV\VVV\VV\\VVVVVVVVVVVV%VVVVVVVVV\*VVV\Vvv>VVVVV\XV\VVVVVVVVVVVVVVVVWV 


L^HERMÉSIANISME, 


SON  ORIGINE  ,  SES  PROGRÈS  ,  SA  CONDAMNATION  F.T  SON  ÉTAT 
ACTUEL  EN  ALLEMAGNE. 


Hermès;  sa  vie;  ses  études.  —  Fait  prêtre.  —  Professeur  à  l'université  de 
Muusler.  — Reproches  faits  à  son  enseignement.  —  Publication  de  son 
livre.  —  Analyse  et  danger  de  son  système.  —  Progrès  de  ses  doctrines 
— Université  de  Bonn.  — Efforts  du  roi  de  Prusse  pour  se  rendre  maître 

de  l'enseignement  catholique Mort  d'Hermès. —  Continuation  de  sa 

doctrine.  —  Bref  qui  la  condamne — Résistance  des  Hermcsions. — Dé- 
tresse de  l'Eglise  d'Allemagne.  — M.  de  Drostc  élu  archevêque  de  Co- 
logne. —  Sou  zèle  pour  extirper  l'hermésianisme.  —  0[iposition  des 

professeurs  et  du  gouvernement.  —  Fermeté  de  l'archevêque. Il  est 

enlevé  cl  mis  en  prison — LesHermésicns  à  Rome.— Vains  efforts  pour 

faire  révoquer  le  bref.  —  Soumission  de  quelques  professeurs.  Etat 

actuel. 

Il  est  peu  de  nos  lec'eurs  qui  n'aient  enlendn  parler  d'Her- 
mès, et  du  relentissement  que  la  condamnation  de  sa  doctrine 
a  eu  en  Allemagne  ;  mais  peu  connaissent  ce  que  c'est  que  cette 
doctrine,  et  surtout  quelle  malheureuse  influence  elle  pouvait 
avoir  pour  la  pureté  de  la  foi.  >^ous  avons  donc  cru  faire  une 
chose  utile  ,  en  traçant  sur  des  docuraens  authentiques  ,  une 
histoire  détaillée  de  ces  erreurs.  On  verra  qu'il  en  était  peu  qui 
méritassent  plus  de  réveiller  la  sollicitude  pastorale  du  souve- 
rain pontife,  et  dont  les  conséquences  pussent  être  plus  funestes 
à  la  religion.  De  plus  ,  cette  histoire  servira  à  faire  connaître  la 
Tome  XVII. — N°  98.  i858.  6 


*S6  HISTOIRE   DE    l'HERMÉSIANISME. 

triste  état  de  l'Eglise  catholique  d'Allemagne  ,  et  ce  qu'elle  doit 
à  lin  de  ses  derniers  confesseurs,  Mgr.  Clément-Auguste  Droste 
de  Vischering,  archevêque  de  Cologne,  en  ce  moment  empri- 
sonné pour  la  défense  des  droits  de  l'Eglise. 

Détails  sur  la  vie  d'Hermès. 

George  Hermès  naquit,  en  1775,  à  Dregelwald ,  ville  de  la 
principauté  de  Munster,  en  "NYestphalie.  Dans  sa  jeunesse,  il 
fréquenta  l'école  des  pères  Franciscains,  auxquels  appartenaitle 
collège  ou  gymnase  de  Rheines,  et  il  y  demeura  7  ans,  de  l'an 
1785  jusqu'à  la  fin  de  1792.  Il  se  rendit  alors,  à  l'âge  de  17  ans. 
à  Munster  pour  y  commencer  son  cours  de  philosophie.  Il  y 
avait  alors  pour  professeurs  à  celte  université  ,  le  P  .  Ueberaasxer, 
pour  la  philosophie  théorique  ;  Kremeling^  pour  la  philosophie 
morale;  Gers^  pour  les  mathématiques;  Baltzer,  pour  la  phy- 
sique; et  Kistcmaiven,  pour  la  philologie.  En  1794?  Hermès  com- 
mença son  cours  de  tliéologie,  où  il  eut  pour  professeurs  le  P. 
For-Kevibeck,  qui  enseignait  l'introduction  à  la  théologie  et  à  la 
dogmatique;  Schnoesemberg,  qui  professait  la  tliéologie  morale 
et  quelques  points  de  la  dogmatique;  Buentgens,  qui  faisait  un 
cours  d'histoire  ecclésiastique;  Jlbers,  un  de  théologie  pasto- 
rale ;  Gorken  et  puis  Kistenrnasker  qui  enseignaient  l'exégèse. 

Vers  la  fin  de  ses  études  de  théologie ,  Hermès  ,  comme  il 
nous  l'apprend  lui-même  ',  conçut  en  son  esprit  quelques 
doutes  sur  Dieu,  la  révélation  et  la  vie  éternelle.  Il  nous  assure 
avoir  découvert  la  fausseté  de  l'argiiment  ontologique,  pour 
démontrer  l'existence  de  Dieu,  dans  les  écrits  philosophiques  et 
théologiques  de  Benoît  Siattler,  dont  la  plupart  des  œuvres  ont 
été  mises  à  Vindex  des  livres  prohibés.  Puis  il  connut ,  comme  il 
le  dit  lui-même  ,  que  les  anciens  dans  le\u'  ontologie  avaient 
tiré  leurs  conclusions  de  sources  fort  incertaines  et  fort  impures. 

C'est  dans  ces  dispositions  que  ,  dans  l'automne  de  1798,  il 
fut  nommé  professeur  au  gymnase  de  Munster,  ce  qui  ne  l'em- 
pêcha pas  de  poursuivre  ses  études  théologiques  et  philosophi- 
ques. Il  professait  ,  à  cette  époque,  une  grande  estime  pour 

'  Préface  de  «on  Introduction  phdot.oph!cjiie  ri  In  ihéolopie.  chrétienne 
eatholiçiie,  pagf  s- 


insTOiuE  DE  l'hermésiamsme.  87 

Kant ,  lequel  avait,  d'après  lui,  clairement  démontré  que  la 
métaphysique  des  anciens  manquait  d'un  fondement  solide;  et 
c'est  pour  cela  qu'il  proclamait  le  philosophe  de  Kœnisberg  le 
premier  de  ceux  qui,  en  Allemagne,  avaient  fondé  le  véritable 
esprit  du  Criticisme  philosophique.  Il  l'appelait  un  chercheur  ori~ 
ginal,  et  le  glorifiait  surtout  pour  avoir  sacrifié  toute  sa  vie  aune 
seule  idée.  Cependant  Hermès  prétendait  avoir  trouvé  l'erreur 
fondamentale  de  Kant  sur  les  formes  subjectives;  et  il  louait, 
d'autre  part,  Fichie  qui  avait,  disûit-il,  démontré  radicalement 
que  la  philosophie  de  Kant  ne  pouvait  se  soutenir.  Aussi  recomman- 
dait-il ses  écrits  à  ses  élèves,  et,  en  particulier,  celui  qui  a  pour 
titre  De  la  fin  de  f  homme .,  comme  un  vrai  modèle  de  recherche  et 
d'exposition  philosophique. 

Sur  ces  entrefaites,  le  22  décembre  de  cette  année  179B, 
Hermès  reçut  la  tonsure,  les  ordres  mineurs  et  le  sous-diaconat; 
et,  le  16  février  1799,  il  reçut  la  prêtrise  de  l'évêque  in-partibus 
alors  administrateur  et  depuis  évêque  de  Munster,  Mgr.  Gas- 
pard-Maximilien ,  baron  Drostede  Yischering,  frère  de  l'arche- 
vêque actuel  de  Cologne. 

Le  29  mars  1807,  Hermès,  âgéde33  ans,  fut  nommé  professeur 
ordinaire  de  dogmatique  à  l'université  de  Munster,  poste  qu'il 
conserva  jusqu'en  1819,011  il  passa  à  Tuniversité  de  Bonn.  Pen- 
dant son  professorat  de  Munster  il  eut  quelques  démêlés  avec 
l'archevêque  actuel  de  Cologne,  alors  administrateur  capitulaire 
de  ce  diocèse.  M.  Droste  remarquait  avec  peine,  que  dans  ses 
leçons  le  professeur  fit  usage  de  la  langue  allemande,  et  surtout 
qu'il  citât  à  ses  élèves  avec  une  prédilection  particulière  les 
écrits  de  Stattler,  suspects  à  bon  droit  ;  il  trouvait  en  outre  qu'en 
se  servant  de  la  langue  allemande,  il  altérait  le  sens  rigoureux 
des  expressions  consacrées  parmi  les  théologiens  en  pariant  des 
dogmes  et  des  mystères. 

C'est  en  sa  qualité  de  professeur  qu'Hermès  eut  alors  à  don- 
ner son  avis  sur  la  version  de  l'écriture  faite  par  Vun-Ess,et»v.r 
une  autre  question  qui  fit  plus  de  bruit ,  celle  qui  s'était  élevée 
entre  le  chapitre  de  la  cathédrale  de  Munster  ,  et  son  vicaire 
capitulaire. 

Or,  comme  la  part  que  prit  Hermès  à  cette  question  nous 
fait  connaître  ses  sentimensà  l'égard  du  S. -Siège,  et  nous  dé- 


88  HISTOIUE    LE    l'hEUMÉSIAMSME. 

couvre  la  cause  delà  faveur  dont  il  jouit  toujours  auprès  de  Mgr. 
Spicî^el,  arclievêque  de  Cologne,  il  «era  utile  de  Texposer  en 
peu  de  mots. 

Lors  de  l'invasion  de  la  AVesIphalie  par  les  Français,  Munster 
fut  incorporé  à  l'empire.  Napoléon  à  celte  époque  supprima  les 
corporations  religieuses  et  les  chapitres  de  Munster,  à  l'excep- 
tion du  chapitre  de  la  cathédrale  ,  qu'il  conserva;  seulement 
il  le  réduisit  de  5i  membres  au,  avec  là  condition  que  ce 
nombre  serait  formé  de  5  des  anciens  chanoines,  et  de  6  nou- 
veaux. A  cette  époque,  le  siège  épiscopal  était  vacant  et,  l'an- 
cienne constitution  de  l'évèché  ayant  été  abolie  ,  le  nouveau 
chapitre  ne  pouvait  élire  l'évéquc  comme  auparavant.  Napoléon 
nomma  pour  évéque,  le  ii  avril  iS;5,  le  baron  de  Spicgel , 
doyen  de  l'ancien  chapitre  ;  mais  auparavant  l'ancien  chapitre 
avait  élu  pour  administrateur  le  baron  Clément-Auguste  Droste 
de  Vischering.  Le  gouvernement  français  insistait  auprès  du 
nouveau  chapitre  poxu-  qu'il  choisît  pour  admii;i?traleur  l'évê- 
que-nommé,  baron  de  Spiegcl.  Alors  M.  Droste,  par  amour  de 
la  paix,  consentit  à  s'adjoindre  le  baron  de  Spiigel  en  qualité 
de  second  administrateur. 

Mais  sur  la  fin  de  i8i3,  Munster  tomba  an  pouvoir  du  roi  de 
Prusse')  et  peu  après  Pie  VU,  fut  rétabli  dans  ses  états.  M.  Droste 
informa  d'abord  le  S. -Siège  de  ce  qui  s'était  passé,  puis  se 
rendit  lui-même  à  Rome,  où  au  mois  de  septembre  il  fut  admis 
auprès  de  Pie  VII,  qui  le  reçut  bien,  mais  lui  fit  quelques  re- 
proches débonnaires  sur  la  concession  qu'il  avait  faite  :  a  Nous 
savons  complus,  lui  dit-il,  que  vous  avez  succombé  à  la  com- 
Dmune faiblesse,  dont  nous  sommes  entourés;  opuis  le  S. -Père 
lui  prescrivit  de  faire  une  rétraclation  publique,  et  de  repren- 
dre seul  l'administration  du  diocèse.  M.  Droste  étant  retourné 
à  Munster  en  mars  i8i5,  communiqua  à  M.  de  Spicgel  son 
acte  de  rétractation  ,  et  adressa  à  ses  diocésains  vine  circulaire 
pour  leur  apprendre  qu'il  reprenait  seul  l'administration  du 
diocèse  ;  M.  de  Spicgel  se  retira  de  l'administration,  et  tout 
semblait  sans  secousse  devoir  prendre  l'ancienne  marche,  lors- 
que s'éleva  toul-à-coup  un  nouveau  sujet  de  discorde^, 

Un  membre  du  nouveau  c  hapitro  aimonça  à  ses  collègues 
une  réiuiion  pour  le  5  iiviil  iSi5.  M.  de  Dro.«te  informe  de  cette 


HISTÛIHE  hk  l'ukrmésiajnisme.  89 

démarche ,  dressa  une  protestation  par  laquelle  il  déclarait  en 
son  nom  et  en  celui  du  doyen,  M.  de  Spiegcl,  qu'ils  ne  recon- 
naissaient pour  légitime  que  l'ancien  chapitre,  et  (|uc  par  con- 
séquent ils  rejettaient  comme  illégale  toute  détermination  prise 
par  le  nouveau.  Les  chanoines  irrités  de  cet  acte  ,  proposèrent 
quatre  questions  à  un  certain  nombre  d'ecclésiastiques,  au  nom- 
bre desquels  se  trouvait  Hermès,  pour  les  examiner  et  leur  ea 
dire  leur  avis.  Les  quatre  questions  se  réduisaient  à  savoir  si  l'é- 
leclion  faite  auparavant  par  le  nouveau  chapitre  du  baron  de 
Spiegel,  évêque  nommé  de  Napoléon  ,  poiu-  vicaire  capitulaire, 
était  légitime  ou  non.  Hermès  composa  à  cette  occasion  un 
écrit  intitulé  :  Opinion  sur  la  controverse  entre  le  chapitre  de  Muns^- 
ter,  et  le  vicaire  capilulaire ,  qu'il  fit  paraître  à  31unster,  en  i8i5. 

Dans  cet  écrit,  le  professeur  soutenait  que  le  nouveau  cha- 
pitre devait  se  regarder  comme  légitime  ,  que  l'élection  de 
l'évêque ,  nommé  vicaire  capitulaire ,  était  valable ,  et  qu'eu 
conséquence  l'acte  émané  de  la  part  de  M.  de  Droste  ,  comme 
administrateur,  était  nul.  On  voit  combien  le  professeur  se 
mettait  ici  en  opposition  avec  le  sentiment  bien  connu  et 
même  l'ordre  exprès  du  souverain  pontife  Pie  VU.  C'est  pour 
ce  fait  que  le  barou  de  Spiegel  conserva  pour  Hermès  une 
affection  particulière,  dont  il  lui  donna  d'abondantes  preuves 
lorsqu'il  fut  promu ,  en  1824  ,  à  l'archevêché  de  Cologne. 

Vers  la  fin  de  1818,  Hermès  fut  invité  à  occuper  la  chaire  de 
théologie  que  l'on  venait  de  créer  à  l'université  de  Bonn  ;  mais 
il  refusa  pour  ce  moment ,  et  préféra  garder  la  chaire  de  Muns- 
ter. C'est  en  cette  année  1819  qu'il  fit  paraître  le  premier  vo- 
lume de  l'ouvrage,  condamné  depuis,  ayant  pour  titre  : 

Introduction  d  la  théologie  chrétienne  catholique  ,  par  George 
Hermès,  professeur  de  théologie  dogmatique  à  l'université  de 
Munster;  i"  partie,  contenant  finlroduction  philosophique  '. 

Le  second  volume  parut  en  1S29  ^vec  ce  titre  :  Introduction 
à  la  théologie  chrétienne  catholique ,  par  George  Hermès,  docteur 
en  théologie  et  en  philosophie  ,  et  professeur  de  théologie  à 

*  Einleitung  in  die  ChristkutUolisc/ie  théologie,  von  Georf»  Ili-rme-i^  pro- 
fesser der  dogmalischen  théologie  au  dcr  t;iuveisil.il  zu  ^Mun-ler.  Eijler 
thojl  philosophische  cinkitung,  Munslir  ia  der  Coppemalhsclici»  liuch 
uud  Kiiul»baudluug,  1819. 


90  HISTOIRE    DE    L  HEnMÉSIAMSMK. 

l'université  de  Frédéric-Guillaume  de  Bonn,  clianoine  de  l'église 
métropolitaine  de  Cologne  ;  //'  partie ,  contenant  l'introduction 
positive  '. 

Le  troisième  volume  parut  en  i8o4  >  après  sa  mort ,  avec  ce 
titre  : 

Dogmatique  chrétienne  catholique  ,  par  G.  Hermès  ,  docteur, 
etc ,  publiée,  après  sa  mort, par  M.  J.  H.  Achterfeldt,  pro- 
fesseur ordinaire  de  théologie  à  l'université ,  et  inspecteur  de  la 
pédagogie  théologique  catholique  de  Bonn  ;  I"  partie^  Munster 
l834^ 

Nous  ferons  connaître ,  plus  tard ,  en  quels  termes  et  par 
quelles  qualifications  ces  trois  ouvrages  furent  condamnés  par 
le  Saint-Père,  mais  dès  à  présent ,  pour  que  nos  lecteurs  puis- 
sent comprendre  quelle  devait  être  l'influence  de  l'enseigne- 
ment d'Hermès,  nous  allons  dire  quelques  mots  sur  la  forme  et 
la  matière  de  ces  volumes. 

Et  d'abord  nous  devons  faire  observer,  comme  un  acte  de 
justice,  que  les  intentions  directes  d'Hermès  et  de  ses  disciples 
étaient  bonnes  et  louables  ;  ils  voulaient  défendre  la  croyance 
catholique  contre  les  attaques  et  les  reproches  de  la  nouvelle 
philosophie  allemande.  Voyant  que  la  nouvelle  terminologie 
philosophique  demandait  des  réponses  nouvelles,  de  la  part  des 
catholiques  ,  ils  essayèrent  de  créer  une  nouvelle  philosophie 
catholique,  qu'ils  crurent  appelée  à  remplacer  la  philosophie 
scholastique.  Malheureusement  ils  ne  furent  pas  assez  surleurs 
gardes,  et  ne  s'aperçurent  pas  qu'en  croyant  seulement  changer 
la  forme  et  les  termes,  ils  changeaient  aussi  le  fonds.  Ainsi,  \in 

»  Einleitung  indie  Chrislkatlioliscke  théologie  \oi\  GcorgHermcs,  doclor 
der  iheologie  und  philosophie,  professer  dcr  théologie  aader  Rhcinischen 
Friedrich  Wilhelms-Universital  Bonn,  nud  Doinkapilular  der  Melropo- 
litaukirch  zu  KoIId.  Zwciler  iheil.  Positive  Eiuleiliiug.  Ersle  ablhoiloiig. 
Munster  iii  der  Cop|ienralhsclien  Bucli-und  Kuaslliaudlung,   1S29. 

»  Christkathoiisch  Doginalik,  von  Georg  Hermès,  <luclor  der  théologie 
unJ  philosopliie,  professer  der  ihcologie  au  der  Rheiuiscliea  Friedrich 
Wilhelnas-Universilat  Bonn,  und  Donikapilular  der  Metropolilankirch  zu 
Koïln.  NaclidessenTode herausgegeben\on  Dr.  J.  H.  Achlerfeldl,  ordeall. 
professer  der  théologie  an  dcrUnivcrsilat ,  und  inspeclor  des  Kalliolisch 
theologiscben  convictoriuuis  zu  Bonn,  Erster  lUeil.  Munster,  in  der  Cop- 
penralhscheu  Buch-und  Kunsthandluug.  i854. 


iiisroinii  DE  L'iiEitMÉsiAniSHii:.  9t 

essai  infructueux  de  défense  de  la  religion,  trop  de  concessions 
accordées  à  l'autorité  temporelle  sur  l'enseignement  catholique, 
une  soumission  pas  assez  prompte,  tels  sont  les  griefs  que  nous 
croyons  pouvoir  reprocher  à  nosfrères' catholiques  des  provinces 
Rhénanes. 

Hermès  donc,  voulant  concilier  les  devoirs  de  la  foi  catho- 
lique avec  ce  qu'il  appelait  les  inlérêts  de  la  pensée  humaine, 
se  dévoua  à  créer  un  système  qui  répondît  à  la  fois  aux  exi- 
gences de  la  pensée  la  plus  sévère  et  à  celles  de  la  plus  pure 
orthodoxie,  en  créant  une  démonstration  rigoureusement  phi- 
losophique du  catholicisme.  Dans  toutes  les  philosophies,  jus- 
qu'à lui  tacitement  ou  ouvertement,  on  .supposait  toujours  que 
le  christianisme  était  une  vérité  y.  puis  on  essayait  de  l'appuyer 
par  des  démonstrations  philosophiques;  c'est  ce  qu'on  a  appelé 
du  nom  de  doute  métlwdiqite,  de  doute  négatif,  lequel  retenu  dans 
ses  bornes  n'est  pas  un  véritable  doulç.  Hermès,  au  contraire, 
fit  positivement  abstraction  de  tout  ce  qu'il  croyait ,  de  tout  ce 
qu'il  savait;,  supposa^  qu'il  "'y  avait  rien  de  certain  et  de  vrai 
dans  Je  monde  ,- non-seulement  la  religion  catholique,  mais 
encore  toute  autre  vérité  telle  que  l'existence  de  Dieu,  celle  du 
monde,  etc.,  et  c'est  ce  qu'on  appelle  le  doute  positif .  Prenant 
donc  pour  point  dé  départ  le  doute  positif,  il  entreprit  de  vaincre 
ee  doute  par  les  seules  forces  et  les  seules  lumières  de  la  pensée, 
et  de  trouver  un  premierprincipe  de  cognition  sur  lequel  ilpour- 
raitsolidement  élever  successivement  et  par  un  enseignement  ri- 
goureux, la  vérité  simple,  la  vérité  religieuse,  la  vérité  chrétienne, 
la  vérité  catholique,  de  telle  sorte  qu'il  pût  être  autorisé  à  poser 
à  tout  homme  ce  dilemne  :  ou  il  n'y  a  point  de  vérité ,  ou  la 
vérité  c'est  le  catholicisme. 

On  voit  déjà  par  quels  points  Hermès  touche  ou  se  sépare  de 
la  philosophie  de  Descartes ,  et  de  celle  qui  est  enseignée  dans 
nos  écoles. 

Ainsi  donc  dans  les  deux  premiers  ouvrages,  dont  nous  avons 
cité  le  titre,  Hermès  ne  s'occupe  pas  positivement  des  dogmes 
du  catholicisme.  H  y  traite  des  principes  généraux  de  la  con- 
naissance humaine  et  de  leur  connexion  réciproque.  Dans  i'in- 
troduction  pliilosophique ,  il  recherche  successivement  le  premier 
fondement  de  toute  connaissance,  qu'il  croit  êlie  la  pensée. 


92  HISTOIRE    DE    l'hERMÉSIANISME. 

De  là  il  déduit  le  monde  intérieur  et  extérieur,  Dieu,  ses  qua- 
lités, la  nécessité  d'une  révélation,  la  possibilité  de  la  connaître. 
Dans  rintrocluction positive,  Hermès  ,  partant  du  point  où  il  vient 
de  s'arrêter,  recherche  quelles  sont  les  sources  de  la  révélation 
divine  immédiate  ,  et  les  trouve  dans  les  livres  saints,  dans  la 
tradition  et  dans  le  ministère  apostolique  résidant  dans  rEglise. 
On  voit  que  ce  sont  à-peu-près  les  questions  traitées  dans  la 
plupart  des  livres  de  philosophie;  mais  ce  qui  était  propre  à 
Hermès  et  ce  qxii  constituait  le  fonds  de  son  système,  c'est  qu'il 
appliquait  à  chacune  des  vérités  qu'il  voulait  établir,  la  méthode 
de  démonstration  extérieure  et  intérieure,  théorique  et  pratique; 
et ,  pour  faire  mieux  comprendre  combien  cette  méthode  est 
obscure,  arbitraire,  insuflisante,  nous  allons  l'appliquer  à  un 
seul  fait,  la  résurrection  de  Jésus-Christ.  Les  Hermésiens  ad- 
mettent d'abord  le  doute  positif  sur  celte  vérité,  et  pour  en  sortir, 
ils  ont  recours  d'abord  à  la  raison  théorique. 

a  Selon  eux,  la  force  de  la  raison  théorique  consiste  en  ce  que 
»  d'abord  elle  établisse,  comme  une  chose  nécessaire  ,  une  cause  suf- 
•a  fisante  de  chaque  fait  ;  ensuite  qu'elle  ne  soit  obligée  d'établir 
•  celte  cause  lorsqu'il  lui  est  démontré  qu'j/  est  impossible  d'en 
i>  établir  aucune  autre,  de  telle  manière  qu'il  lui  faudrait  renoncer 
»  à  tout  autre  cause,  ce  qui  répugne  à  la  raison,  si  on  n'établissait 
«pas  celle-là  '.  » 

On  voit  déjà  que  pour  savoir  qu'il  est  impassible  d'établir 
aucune  autre  cause,  il  faudrait  connaître  toutes  les  forces  de  la 
nature;  alors  seulement  on  aurait  celte  connaissance  intime,  in- 
trinsèque, pleine  et  parfaite ,  et  absoluinent  requise,  d'après  Hermès. 
Aussi  les  hermésiens  avouent-ils  qu'il  arrive  peu  souvent  que 
l'on  puisse  avoir  la  démonstration  théorique  d'une  vérité ,  et 
alors,  pour  suppléer  au  défaut  de  la  raison  théorique,  ils  ont 
recours  à  la  raison  pratique,  laquelle  ne  pouvant  donner  une 
certitude  théorique  qui  rende  l'assentiment //n\</(7«f3«t7i/  néces- 
saire, donnera  une  certitude  vwrale.  Or  quelle  est  cette  certitude  ? 

'  Theoreticœ  rationis  t'/sin  co  ceruiturprim/nn  ut  anj!iscuius({ue  eveiilûs 
causam  sufflcientein  ,  nccessario  statuât,  c^e(»u/e  ul  li.inc  catisam  slaliiere 
tum  deinum  cogalur  ubi  deaionslralnm  est  non  passe  aliam  iillnni  statut, 
ita  quidciu  ut  omnis  causa  foUeada  sil,  quod  repugtjal  ralionj,  iiisi  hacc 
alla  .'tatualur.  Acta  liermesiana,  pag.  43- 


HISTOIRB    DE    [,'hERMÉSIANISME.  93 

«  La  certitude  morale  ne  peut  être  outre  que  celle  qui  naît 
*  iV lin  assentiment  moralement  nécessaire,  et  qui  lui  est  inlimcment 
unie  '. 

Eclaircissons  cela  par  un  exemple  donné  par  les  Hermésiens 
mêmes,  et  que  Ton  peut  appliquer  à  Jésus-Christ  mort. 

Supposez  un  corps  pâle,  livide,  inanimé,  même  fétide  et 
tombant  en  dissolution.  Il  faut  d'abord  avoir  un  doute  positif  si 
c'est  un  cadavre  ou  un  corps  vivant ,  pour  sortir  de  ce  doute  re- 
courons d'abord  à  la  ?'«(5o»  théorique;  elle  sera  impuissante,  parce 
que  ,  pour  savoir  que  c'est  un  vrai  cadavre,  il  faudrait  qu'elle 
connût  toutes  les  forces  de  la  nature,  et,  en  particulier,  s'il  ne 
pourrait  pas  exister  quelque  parcelle  de  vie  <lans  quelque  partie 
du  corps.  11  faut  donc  avoir  recours  à  la  raison  pratique ,  et  cher- 
cher si  elle  ne  peut  pas  nous  donner  une  certitude  morale  que  le 
corps  est  un  cadavre.  Cette  certitude,  on  la  tiouvera  dans  le 
devoir  moral  d'ensevelir  le  cadavre.  De  là  découle  naturellement 
la  nécessité  morale  d'affirmer  que  le  corps  est  mort. 

Qu'il  nous  suffise  d'avoirdonnéicicet  échantillon  du  système 
d'Hermès,  et  de  ses  abstraites  et  inadmissibles  conséquences. 
Il  est  facile  de  voir  combien  celte  méthode  devait  jeLer  le  (rou- 
ble dans  toute  l'économie  de  la  doctrine  catholique.  Quelles 
étaient  ces  conséquences;  c'est  ce  que  l'on  verra  avec  certitude 
dans  le  bref  de  condamnation,  et  dans  la  thèse  que  Mgr.  l'arche- 
vêquede  Cologne  proposa  designer  aux  Hermésiens  '.  ?ilainte- 
nant  poursuivons  l'exposé  de  la  vie  d'Hermès  et  des  progrès  de 
sa  doctrine. 

Progrès  des  doctrine?  d'Hermès.  —  Utiiversiiè  Je  Bonn. 

Peu  après  la  publication  de  la  i"  partie  de  son  ouvrage,  Her- 
mès fut  reçu  docteur  en  théologie  à  l'universilé  de  Breslau,  et 
nommé  professeur  de  théologie  à  l'université  de  Bonn.  Nous 
avons  essayé  de  faire  voir  quelle  funeste  influence  devait  avoir 
pour  la  pureté  du  dogme  les  principes  d'Hermès;  il  ne  faut  pas 
séparer  cette  tendance  des  attaques  directes  contre  la  hiérarchie 

>  Moralis  cerlitudouou  polesl  alia  es.'e  prtelerquainilla 'juée  iia>ciliii- ex 
assensione  moratitcr  tiecessai ia,  cun»  eâque  co;iucxa  elcopulala.  /</.  p.  4^, 
'  Voir  ci-après  pag.  98  et  iu5. 


94  HISTOIRE    DE   l'hERMÉSIANISME. 

ecclésiastique  qu'offrait  l'existence  même  de  l'université  de 
Bonn,  et  les  prétentions  du  gouvernement  prussien  ,  que  sou- 
tenaient imprudemment  les  professeurs  catholiques  de  théo- 
logie. Voici  en  peu  de  mots  la  gravité  de  cette  situation. 

Tenir  en  leurs  mains  la  direction  de  l'enseignement  catholi- 
que, tel  a  toujours  été  la  tendance  des  rois  prolestans,  et  malheu- 
reusement on  peut  faire  le  même  reproche  à  bon  nombre  de 
gouvernemens  qui  se  disent  catholiques;  mais  c'étaient  surtout 
le  désir  et  l'ambition  du  roi  de  Prusse,  renommé  par  son  pro- 
sélytisme religieux.  Pour  y  parvenir  plus  sûrement ,  il  créa ,  en 
1818,  une  université  à  Bonn,  où,  à  côté  d'une  faculté  de  théolo- 
gie évangétique,  il  plaça,  de  son  autoritéprivée  et  sans  aucune  in- 
tervention du  souverain  pontife,  une  faculté  de  théologie  catho- 
lique, dont  il  nomma  tous  les  professevirs,  ayant  soin  de  choisir 
ceux  qui  pourraient  le  plus  se  prêter  à  ses  desseins.  Ces  profes- 
seurs furent  Gunther,  que  l'on  fut  obligé  de  suspendre  de  ses 
fonctions;  Scholz ,  savant  helléniste,  recommandable  par  les 
voyages  qu'il  avait  faits  eu  Orient  à  la  recherche  des  nouveaux 
manuscrits  du  Nouveau-Testament,  mais  auquel  on  peut  re- 
procher vine  hardiesse  de  critique  devant  laquelle  avaient  reculé 
plusieui's  auteurs  prot'jîsl ans;  Seber,  qui  bientôt  après  se  brouilla 
avec  Hermès,  et,  ayant  été  obligé  de  quitter  Bonn,  alla  diriger 
le  collège  philosophique  de  Louvain  ,  création  protestante  du  roi 
Guillaume  ;  Ritler,  qui  s'attira  aussi  des  censures;  et  enfin 
Hermès ,  dont  ou  connaissait  l'enseignement  rationaliste  à 
Munster. 

Mais  comme  cette  institution  pouvait  paraître  un  peit  étrange 
et  alarmer  les  calholiq^ues,  le  gouvernement  prussien  résolut 
de  la  faire  approuver  solennellement  par  les  professeurs  eux- 
mêmes.  Les  ayant  donc  réunis  en  conférence,  il  leur  donna  à 
discuter  les  relations  qui  devaient  exister  entre  la  faculté  de 
théologie  et  l'Kglise.  Voici  quelles  en  furent  les  conclusions  que 
le  gouvernement  regarda  comme  l'acte  constitutif  de  la  faculté  : 

1°  Les  prolesseiu-s  8oal  élus  cl  iiistalté*  par  le  gouvernemenl  ;  l'urchc- 
*êquc  a  seulement  le  «Iroil  de  lui  adresser  des  réclamations  ,  pour  loi 
faire  couuailre  qne  lil  prol's^iciir  ne  jouit  pas  de  sa  confiance. 

a*  Adu  que  laFiicuUu  de  ll>.coiogie  ne  soil  pa»  inférieare  aux  autre»  Fa- 


niSTOIRU   DE   L*HERMÉSIAMSME.  95 

cullcs  de  l'Allemagne ,  lc«  ouvrages  qui  seront  publiés  parles  profes- 
seurs ne  seront  point  soumis  à  l,i  censure  archiépiscopale. 

3*  î?i  quelque  professeur  vient  à  être  accusé  d  licrésie,  on  établira  une 
commission  dont  les  membres  stToul  nommés  eu  nombre  égal  par  l'ar- 
cliL'véqne  et  par  l'accusé.  Le  résultat  de  leur  examen  sera  envoyé  au  gou- 
vernement, afin  qu'il  prononce  une  sentence  déliiiilive  sur  l'accusé. 

4°  L'université  est  un  établissement  du  gouTcrnemenl,  parce  que  c'est 
an  gouvernenumt  et  non  au  pnpe  qu'est  dévolu  le  droit  de  conférer  à  la 
faculté  de  théologie  lu  pouvoir  de  donner  des  grades  académiques. 

Toutes  ces  proposilions  reçurent  l'approbation  de  tous  les 
professeurs,  excepté  de  Seber,  qui  aussi  fut  obligé  de  quitter 
l'université;  bien  plus ,  elles  reçurent  une  sorte  d'approbation 
canonique,  lorsqu'en  1824  le  baron  de  Spiegelfut  fait  archevê- 
que de  Cologne.  Car  il  ne  fut  pas  plutôt  arrivé  dans  son  diocèse, 
qu'il  supprima,  probablement  d'après  les  promesses  qu'il  en 
avait  faites  au  roi,  l'enseignement  de  son  séminaire  diocésain, 
et  il  envoya  tous  ses  élèves  faire  leur  éducation  à  la  faculté  de 
théologie  de  Bonn,  avec  lés  leçons  d'Hermès  et  de  ses  collègues, 
car  depuis  le  départ  de  Seber,  Hermès  dominait  seul  dans  l'uni- 
versité, dont  toutes  les  chaires  furent  occupées  par  ses  disciples; 
aussi,  à  dater  de  ce  moment,  tous  ceux  qui  aspiraient  aux 
grades  ou  voulaient  passer  des  examens,  durent,  sous  peine  d'é- 
chouer, embrasser  ses  doctrines  et  jurer  en  ses  paroles. 

Una  autre  chose  manquait  au  roi,  à  l'archevêque,  aux  pro- 
fesseurs; jusqu'à  cette  époque  ils  n'avaient  pas  osé  conférer  les 
grades  académiques;  mais  ils  trouvèrent  bientôt  le  moyen  de 
s'attribuer  encore  ce  droit.  Pour  répondre  à  quelques  plaintes 
élevées  contre  l'enseignement  des  professeurs  ,  Mgr.  de  Spiegel 
adressa  au  pape  une  longue  apologie  de  leur  doctrine,  et  se 
rendit  garant  de  leur  orthodoxie,  et  en  particulier  de  celle 
d'Hermès;  le  S. -Père  lui  ayant  répondu  en  i852  qu'il  se  réjouis- 
sait de  cette  nouvelle,  tout  en  lui  recommandant  une  sévère 
attention  ;  l'archevêque  et  le  roi  transformèrent  cette  réponse 
en  approbation  formelle,  et  un  arrêté  du  gouvernement  dé- 
clara conférer  à  l'université  le  droit  de  nommer  des  docteurs 
en  théologie  et  en  droit  canon.  L'archevêque  ,  dans  une  circu- 
laire adressée  à  son  clergé,  se  félicita  de  cet  état  de  cho.ses  ,  et 
en  fit  part  à  ses  collègues  dans  l'épiscopat.  El  ainsi  se  trouva 


96  HISTOIRE  DE  l'hbumésiamsme. 

établi  et  scellé  l'esclavage  de  renseignement  calholique  en  Alle- 
magne. Or,  comme  d'autre  part,  dans  la  fameuse  convenliou  de 
Berlin  ,  les  évêques,  contre  le  texte  précis  du  bref  de  Pie  VIII, 
dans  la  question  des  mariages  mixtes ,  avaient  consenti  à  ce 
que  lesenfaus  issus  de  mères  catholiques  fussent  élevés  dans  le 
protestantisme ,  le  roi  de  Prusse  pouvait  se  vanter  de  posséder 
en  SCS  mains  le  sort  du  catholicisme,  qu'il  sappait  d'un  côté 
par  l'enseignement,  et  qu'il  extirpait  radicalement,  toutes  les 
années  par  coupes  réglées  ,  en  diminuant  toutes  les  années ,  le 
nombre  des  familles  catholiques. 

Cependant  Hermès,  après  avoir  établi  sa  doctrine  dans  les 
universités  de  Bonn,  de  Munster,  de  Breslau,  et  dans  presque 
toute  l'Allemagne,  peuplé  toutes  les  chaires  et  les  principales 
cures  de  ses  disciples,  comblé  de  faveur  par  son  archevêque 
qui  l'avait  créé  chanoine  de  son  église  métropolitaine  de  Co- 
logne, était  à  Bonn  le  26  mai  i85i  ,  âgé  de  cinquante-six  ans; 
mais  sa  doctrine  fut  loin  de  mourir  avec  lui  :  des  disciples  aussi 
terveus  que  le  maître  furent  chargés  de  la  propager. 
Sort  de  rHcrmciiniiiïiue  après  la  mort  d'Hermès. 

Cependant,  quelle  que  fût  l'habilité  d'Hermès  et  de  ses  dis- 
ciples pour  pallier  les  graves  défauts  de  sa  doctrine,  elle  ne 
laissa  pas  que  d'éveiller  l'attention;  déjà  les  professeurs  Rlee  et 
"W'indischmann  avaient  cru  devoir  déclarer  qu'ils  n'en  approu- 
vaient iiuilcmcnt  les  principes.  Dans  les  universités  et  dans  le 
public  les  esprits  étaient  divisés  en  deux  partis.  Les  uns  accu- 
saient Hermès  de  nouveautés  pernicieuses  menant  au  scepti- 
cisme et  au  renversement  des  principes  catholiques  ;  les  autres, 
au  contraire,  soutenaient  que  sa  doctrine  était  souverainement 
orthodoxe,  et  le  plus  ferme  soutien  de  la  vraie  foi  et  de  l'en- 
seignement catholique  contre  le  protestantisme  et  le  ratioua- 
lisme.  Comme  la  lutte  prenait  de  jour  en  joiu- plus  de  force  et 
d'exlcnsioi!.  le  bruit  en  par\int  à  Home.  Le  saint-siégc  chargea 
le  nonce  qui  résidait  eu  Bavièie  de  prendre  des  informations 
sur  cette  atfaire,  et  c'est  par  ce  rapport  que  Rome  connut  pour 
la  première  fois  les  disputes  qui  agitaient  les  diverses  provinces 
de  la  Prusse,  et  principalement  la  ^^esIphalie,  sur  la  doctrine 
d'Hermès. 

Cependant  rar(.)icvi(]ue  île   Cologne  ,  Mgr.  de  Spiegel ,  dé- 


JIISTOIRK    DR    L'hF.RMF.SIANISME.  97 

tisnclait  de  toutes  ses  forces  le  professeur,  et  assura. il  dan» 
toutes  ses  lettres  que  sa  doctrine  était  tout-à-fait  orthodoxe, 
el  que  ceux  qui  l'accusaient  ne  savaient  pas  la  comprendre. 
C'est  pourquoi  Rome  ne  crut  pas  d'abord  devoir  pousser  plus 
loin  celle  affaire. 

Mais  les  accusations  et  les  plaintes  devenant  de  jour  en  jour 
plus  nombreuses,  le  S.-Sicgc  se  décida  à  prendre  cette  affaire 
en  sérieuse  considération  ,  et  vers  la  (în  de  i853  ,  il  ordonna 
l'examen  des  écrits  du  docteiu'  Hermès.  Ce  fui  précisément  le 
moment  où  le  baron  de  Spiegel,  protecteur  d'fïermès,  des- 
cendit dans  la  tombe  avec  la  grave  responsabilité  d'avoir  livré 
à  un  Roi  protestant  le  troupeau  que  le  souverain  pasteur  des 
âmes  lui  avait  donné  à  garder  et  à  défendre. 

Or  voici  comment  fut  fait  cet  examen;  nous  allons  emprun- 
ter les  paroles  mêmes  du  bref  de  condamnation.  Après  avoir  dé- 
ploré la  funeste  multiplicité  de  ces  hommes  qui  veulent  détour- 
ner à  leur  sens  l'enseignement  catholique,  le  S. -Père  conlinue  : 

0  Or,  entre  ces  maîtres  de  l'erreur,  on  compte  généralement 
tel  constamment  en  Allemagne  George  Hermès  ,  qui  s'écartant 
»  témérairement  de  la  voie  royale,  que  la  Tradition  universelle  et 
»les  Saints-Pères  ont  tracée  en  exposant  et  en  défandant  ces 
»  vérités  de  la  foi,  la  méprisant  même  et  la  condamnant  orgueil- 
uleusement,  ovivrc  un  chemin  ténébreux  vers  toutes  sortes d'er- 
nreurs,  en  établissant  le  doute  positif ,  comme  la  base  de  toute 
»  recherche  Ihéologique  ,  et  en  posant  comme  principe  que /a 
t  raison  est  la  règle  principale  et  runiquemoycn  que  l'homme  possède  de 
D  parvenir  d  la  connaissance  des  vérités  surnaturelles.  Ces  choses  étant 
»  parvenues  à  nos  oreilles  par  les  dénonciations,  les  réclamations 
«et  les  plaintes  de  plusieurs  théologiens  d'Allemagne  et  pasteurs 
»  de  l'Eglise,  nous  avons  d'abord  eu  soin,  pour  nepoint  manquer 
»au  devoir  de  l'apostolat  qui  nous  a  été  confié  et  à  l'obligation 
«de  garder  le  dépôt  sacré  de  la  foi,  que  les  ouvrages  d'Hermès 
«fussent  envoyés  au  S. -Siège  pour  être  examinés,  ce  qui  a  été 
«fait.  » 

'  Trncbrosain  ad  crroriim  omnîgrinmi  vi;im  mo'îahn-  inDubioposilivo 
t.imqnam  Basi  omiiis  iheologicre  illq^li^it!0^isJ  cl  iii  prir.cipio  quod  sla- 
luit ,  ratioiiem  principem  7wrmavi,,  ac  unictim  médium  esse,  quo  hom» 
«issequt  possit  supernaluralium  verilatum  cognitionem. 


93  HISTOIRE    DE    L'hëRMÉSIANISME. 

Après  en  avoir  cité  le  titre  que  nous  avons  donné  précédem- 
ment, le  S. -Père  continue  •. 

«  Ces  livres  donc  ,  nous  les  avons  donnés  à  examiner  soi- 
«gneuscment  et  à  fond,  à  des  théologiens  très-versés  dans  la 

>  langue  allemande,  leur  ordonnant  d'en  extraire  les  passages  les 
splus  dignes  d'être  notés,  et  de  les  copier  même  au  besoin,  tout 
»au  long,  selon  que  l'enchaînement  du  sens  et  des  mots  sem- 
rblerait  l'exiger,  de  les  traduire  en  lalin  et  d'y  joindre  les  remar- 
s  ques  nécessaires.  Ce  travail  a  été  fail  avec  soin  et  avec  beaucoup 

d'attention,  et  ces  théologiens  se  sont  trouvés  parfaitement 

•  d'accord  avec  l'opinion  qu'on  s'était  généralement  formée  de 

•  ces  ouvrages.  De  plus  les  passages  extraits  avec  les  remarques 

•  critiques  des  susdits  théologiens  ont  été  remis  à  d'autres  doc 
nteurs  en  théologie,  pour  êlre  de  nouveau  pesés  dans  la  balance 

>  catholique,  et  tous  ces  théologiens  su  ns  exception  sont  convenus 

•  que  ces  passages  contiennent  des  doctrines  qui  ne  s'accordent 
«point  avec  les  principes  des  vérités  catholiques;  qu'il  s'y  trouve 

•  beaucoup  de  points  mal  raisonnes  ,  beaucoup  de  points  traités 
y>  d'une  manière  ambiguë ,  beaucoup  de  chotics  à  divers  sens  et  obs- 
ïtcures,  arrangées  avec  art  et  d propos,  pour  embarrasser  et  vicier  l'in- 
»  ietiigence  des  dogmes  catholiques,  et  généralement  empruntées  des 
ït  inventions  et  des  erreurs  desacatholiques.  Enfin  nous  avons  donné 
))de  nouveau  le  tout  à  discuter  et  à  examiner  à  nos  vénérables 

•  frères  les  cardinaux  de  la  sainte  Église  Romaine,  inquisiteurs 

•  généraux  pour  toute  la  chrétienté. 

»Cei\x-ci  donc  examinant  avec  soin,  comme  la  gravité  de  la 

•  chose l'exigeait,  toutes  ces  opinions  clans  leur  ensemble  et  cha- 
»  cune  d'elles  en  particulier,  ont  jugé,  après  une  discussion  mûre, 

•  qui  a  eu  lieu  dans  une  congrégation  en  notre  présence,  que 
«l'auteur  se  perdait  dans  ses  idées,  et  qu'il  avançait  dans  ses 
«ouvrages  beaucoup  de  choses  absurdes  et  étrangères  à  la  doc- 

•  trine  de  l'église  catholique,  surtout  touchant  la  nature  de  la  foi 
/)et  la  règle  d  observer  pour  les  points  d  croire  ;  touchant  les  Saintes 
1, Écritures,  la  tradition,  la.  révélation,  et  la  primauté  dans  C Eglise; 

•  touchant  les  motifs  de  crédibilité;  touchant  les  argumens  qui  ser- 
}>vent  d'ordinaire  à  prouver  et  d  confirmer  Inexistence  de  Dieu  ;  tou- 
»  chant  Vessence  de  Dieu  même,  sa  sainteté,  sa  justice,  sa  liberté,  et 
«la  fin  qu'il  ss  propose  dans  ses  œuvres,  choses  que  les  théologiens 
«appellent  ad  extra:  touchant  la  néceisite  et  la  distribution  de  la 


HISTOIRE    DE    l'hERMKSIAMSMP.  99 

Dgi'âce  et  des  dons,  la  rétribution  des  récompenses  et  Vapplication  des 
•  peines;  touchant  Yétat  de  nos  premiers  parens  ,  le  péché  originel  et 
»  lc.<  forces  de  r homme  déchu. 

dIIs  ont  jugé  que  ces  mêmes  ouvrages  doivent  être  prohibés 
»el  condamnés  comme  contenant  des  doctrines,des propositions 
«respectivement  fausses,  téméraires,  captieuses,  menant  au  scepti- 
nrisme  et  aVindi/fcrentisme  ,  erronées,  scandaleuses,  injurieuses  pour 
Tyles  écoles  catholiques,  destructives  de  la  foi  divine ,  sentant  l' hérésie , 
»ct  déjà  condamnées  en  d'autres  circonstances  par  TEgli-e...  » 

Puis  viennent  la  condamnation  de  ces  livres  et  la  défense  or- 
dinaire de  les  lire. 

Ce  décret,  daté  du  26  septembre  i855.  ne  fut  pas  envoyé  à 
Berlin,  mais  fut  adressé  directement  à  Cologne,  par  les  léga- 
tions de  Munich,  de  Lucerneet  de  Bruxelles,  et  jeta  la  conster- 
nation parmi  les  Hermésiens.L'archidiocèse,  vacant  par  la  mort 
de  iMgr.  de  Spiegel  élait  alors  administié  par  M.  de  lîusgen  , 
tout  rempli  de  bonnes  dispositions  à  l'égard  du  gouvernement 
et  des  professeurs  Hermésiens.  Ne  pouvant  garder  le  silence  sur 
luie  pièce  qui  lui  avait  été  envoyée  directement  et  qui  avait 
été  insérée  dans  la  plupart  des  journaux ,  il  publin  le  29  octo- 
bre i855,  la  circulaire  suivante,  qu'on  pourrait  appeler  plutôt 
une  protestation  contre  le  bref,  puisqu'elle  fournit  à  ses  adver- 
saires des  motifs  de  ne  pas  s'y  soumettre. 

....  Gomme  il  est  du  devoir  de  loal  catholique  de  se  foiimcUre  au  ju- 
gement du  S.-Sicge  dans  toulrs  les  qncslioiis  qui  ont  pour  objet  la 
docirine  de  l'Eglise,  nous  croyons  avoir  lieu  d'attendre  celle  soumission 
dans  le  cas  présent ,  de  chacun  des  fiJcIes  de  ce  diocèse  .  s'il  arrive  que 
la  prohibition  doKt  neus  venons  de  parler  soit  un  jour  promulguée. 

Néanmoins  il  est  à  craindre,  à  raison  de  la  diversité  d'opinions, 
qu'on  ne  dispute  pour  ri  conire,  dans  les  assemblées  cl  réunions  offi- 
cielles, ce  qui  a  rarcmenl  lien  sans  que  l'union  et  la  charité  chrélien ne  en 
souffrent  ;  pour  relie  raison  nous  imposons  à  Ions  les  ecclésiasiiques  ,  le 
plus  rigoureux  silence  sur  ce  sujet ,  et  nous  défendons  de  p.irler  de  ce» 
questions,  ou  dV  faire  aucune  allusion  dans  leurs  eshorlalions ,  sermons 
et  caihéchismcs. 

Si  des  fidèles  inquiétés  parles  imprudentes  communications  di'F']o\irn^nx 
priaient  les  curé^  de  les  in>lruire  sur  ce  point ,  ceux-ci  seront  à  même 
de  calmer  les  âmes  troublées,  en  se  conformnnt  auv  règles  de  la  pru- 
dence pastorale,  itc,  etc.... 


100  HISTOIRE    DE    L'11ER5i£sIA?C1SME. 

Ainsi,  espoir  que  les  Herraésiens  se  soumettraient,  si  le  bref 
venait  d  être  publié',  silence  imposé  aux  adversaires  d'Hermès,  car 
les  professeurs  étant  toujours  dans  leurs  chaires  ,  enseignaient 
les  mêmes  erreurs  ;  plaintes  contre  les  journaux  qui  avaient  fait 
connaître  la  condamnation  ;  voilà  de  quelle  manière  le  chef  du 
diocèse  reçut  la  condamnation  des  doctrines  hermésiennes. 

Aussi,  malgré  le  bref,  les  mêmes  erreurs  et  les  mêmes  doc- 
trines continuèrent  à  être  enseignées  dans  les  chaires  occupées 
parles  professeurs  hermésiens.  Or  ces  professeurs  embrassaient 
presque  toute  l'Allemagne. 

1  "Tous  ceux  de  Tuni  versité  de  Bon  n  ,à  l'exception  de  M ÎM .  Klee, 
Windischman  et  d'un  répélileur;  '  2"  les  directeurs  de  la  péda- 
gogie de  Bonn,  le  président,  M.  Achterfeldt ,  à  la  tête;  3°  tous 
les  répétileursou  professeurs  de  Cologne  ,  le  président  compris; 
4°  tous  les  professeurs  du  séminaire  de  Trêves;  5°  la  plus  grande 
partie  de  ceux  du  séminaire  de  i^Iunster  ;  6*  tous  ceux  de  celui 
Breslau  ;  7°  enfin  plusieurs  de  celui  de  Vienne  *,  et  en  particulier 
M.  Papst,  qui  écrivit  une  lettre  injurieuse  contre  la  bulle. 

Les  prétextes  allégués  par  les  hermésiens  étaient:  1°  que  la 
bulle  n'avait  pas  été  promulguée,  commeTavait  insinué  M.  Hus- 
gen,  et  comme  le  déclarait  expressément  M.  Achterfeldt,  pro- 
fesseur à  Bonn  ,  éditeur  de  la  troisième  partie  de  l'ouvrage  con- 
damné; 2°qu'ils  réprouvaient  les  erreurs  condamnées  par  lebref, 
mais  qu'elles  n'avaient  pas  été  soutenues  par  Hermès,  comme 
le  disait  M.  Elvenich,  professeur  à  Breslau  ,  dans  ses  actaherme- 
siana;  5"  Ils  appelaient  du  pape  mal  informé  au  pape  mieux  in- 
formé ,  comme  le  disait  M.  Biunde,  professeur  de  l'université 
de  Trêves,  dans  une  lettre  au  cardinal  Lambruschini. 

'  M.  Scholz ,  dans  un  article  inféré  dans  V^ini  de  la  Religion,  10  mai 
i838,  proteste  conlre  la  qualification  d'IIermésien ,  et  se  dit  tout-à  fait 
étranger  à  ces  discussions;  mais  toujours  a-l-ii  signé  la  Jéclaralion  des 
professeurs  sur  l'indépendance  de  l'université  à  l'égard  de  l'autorilo  spi- 
iilnolle,  et  sa  dépendance  dn  pouvoir  civil. 

»  Dans  le  Journal  théologique  de  Vienne  (faci,  6  1837)  M.  Plelz,  curé 
de  la  cour  a  réclamé  conlre  cotle  qualification,  en  son  nom  et  on  celui 
des  professeurs  de  théologie  de  l'université.  Il  parait  aussi  que  M.  l'apst 
ne  fait  pas  partie  de  l'univeisilé. 


HISTOIRE   DE    L'HSRMÉSIANISMJÎ.  101 

On  Yoit  dans  quel  triste  état  était  réduite  cette  malheureuse 
Eglise  d'Allemagne  ;  longleras  Terreur  l'avait  abreuvée  avec  l'ap- 
probation de  ses  pasteurs  immédiats  ;  la  chaire  de  Pierre  ins- 
truite si  tard,  avait  élevé  la  voix,  mais  aucun  pasteur  fidèle,  qui, 
docile  à  cette  voix,  voulût  la  communiquer  aux  pasteurs  infé- 
rieurs et  aux  fidèles.  Seulement  quelques  prêtres  isolés,  quelques 
laïques  remplis  de  zèle,  gémissaient,  se  plaignaient;  mais  leur 
voix  était  étouffée,  et  leur  zèle  enchaîné;  un  évêque  seul,  animé 
de  l'esprit  qui  avait  sou/Tlé  sur  les  apôtres,  pouvait  sauver  cette 
Eglise  en  détresse  ,  et  aussi.  Dieu  qui  ne  manque  jamais  à  sa 
promesse,  l'avait  déjà  choisi  et  désigné:  c'était  M.  Clément-Au- 
guste Baron  Droste  de  Wischering. 

Zèle  de  M.  Droste  de  "STischering,  archevêque  de  Cologne,  pour  faire 
esccutcr  le  bref  ilu  pape. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  ce  prélat,  de  la  désapprobation  dont 
il  avait  frappé  les  doctrines  naissantes  d'Hermès,  et  de  son  zèle 
pour  l'intégrité  de  la  foi  et  le  maintien  de  la  hiérarchie  ecclésias- 
tique, pendant  le  tems  qu'il  était  administrateur  de  l'évêché  de 
Munster.  Le  gouvernement  ïe  connaissait  bien,  car  déjà,  dès  le 
31  mars  1820  ,  il  reclamait  en  ces  termes  la  liberté  religieuse 
pour  les  catholiques  ,  et  en  particulier  pour  les  évêques  dans 
l'enseignement  des  séminaires  et  des  xmiversités,  dans  une  lettre 
adressée  au  gouvernement  prussien. 

Si  ou  continue  à  marcher  comme  on  l'a  fait  jusqu'à  présent,  je 

ne  saurais  m'empêcher  de  dire  que  l'Eglise  catholique  est  menacée 
des  plus  grand»  malheurs,  c'est-à-dire  du  reuTerscment  de  sa  base  et  de 
ses  fondemens.  Celle  phrase  ,  comme  la  Faculté  de  théologie  et  de  philoso- 
phie nest  point  soumise  au  vicariat  général,  et  comme  elle  a  dans  la  per- 
sonne du  président  en  chef  son  curaloriu m  officiel  et  particulier,  il  n'est  pas 
permis  de  donner  à  son  insu,  el  sans  son  consentement ,  un  ordre  immédiate- 
ment au  dqyenoumême  aux  élèves;  celle  phrase  veut  dire  en  d'autres  termes 
que  la  partie  la  plus  essentielle  du  pouvoir  ecclésiastique,  savoir,  la  sur- 
veillance de  l'enseignement  des  dogmes  el  de  la  morale  catholique,» 
passé  des  mains  de  l'évêque  entre  celles  d'un  euralorium  protestant,  et 
parla  on  a  enlevé  aux  catholiques  de  ce  diocèse  l'assurance  de  conserver  la 
pureté  de  leur  doctrine,  laquelle  assurance  l'Homme-Dieu  a  placée  dans 
l'autorité  épiscopale. 

Si  Votre  Excellence  daigne  faire  attention  à  tons  ces  points,  elle  recon- 
natlra  elle-même  l'obligation  imposée  à  un  supérieur  ecclésiastique  de 
ÏOMB  xvw.— N' 98.  i836.  7 


102  HISTOIRE  US  l'hermésianismr. 

redoubler  de  Tigilance  el  de  fermeté,  pour  conserver  la  liberté  de 
l'Église,  la  pureté  et  l'inlégrilé  de  sa  doctrine,  el  particulièrement  de 
surveiller  ceux  qui  sont  chargés  d'instruire  les  autres  par  leurs  paroles  el 
par  leurs  exemples.  Votre  Eïcelleace  ne  méconnaUra  pas,  que  c'est  par 
o'.drc  de  l'Esprit  saint  que  je  dois  reoiplir  ce  devoir,  et  que  par  consé- 
quent je  ne  puis  m'exposer  au  dauger  de  me  laisser  empêcher  de  l'ac- 
complir....^  Votre  Excellence  peut  ru  même  lems  conclure  de  ce  que  je 
viens  de  dire,  que  je  suis  obligé  ,  par  devoir  et  par  conscieuce  ,  de  faire 
exécuter  mou  ordonnance,  et  qu'il  m'est  impossible  de  révoquer  la  ré- 
ponse négative  donnée  à  quelques  théologiens  qui  voulaient  aller  faire 
leurs  études  à  Bonn.— Finalement  Votre  Excellence  sera  convaincue  par 
ce  qui  e'csl  passé  antérieurement,  que  nulle  menace  n'est  capable  de  me 
faire  abaudonner  la  route  de  mes  devoirs  ;  et  quant  aux  suites,  ce  n'est 
pas  moi  qui  en  serai  responsable,  puisque  je  ne  sais  qu'obéir  à  la  voix  du 
devoir  et  de  la  conscieuce. 

€ette  lettre  est  curieuse  en  ce  qu'elle  peut  servir  de  program- 
me à  lu  conduite  qu'a  tenue  M.  Droste  lorsqu'il  a  été  archevêque, 
en  sorte  que  l'on  peut  dire  avec  vérité ,  que  le  gouvernement 
prussien  avait  été  prévenu  de  ce  qu'il  devait  en  attendre  ;  mais 
il  comptait  trop  sur  l'infaillibilité  des  moyens  pris  pour  enchaîner 
le  catholicisme.  Pour  cette  affaire  en  particulier,  il  comptait  que 
jamais  le  bref  ne  serait  mis  à  exécution  sans  sa  permission  ,  et 
que  les  professeurs  hermésiens  mis  par  les  quatre  articles  et  par 
des  ordonnances  royales,  en  dehors  de  l'autorité  de  l'archevêque, 
seraient  toujoursmaîtres  de  se  conduire  comme  ils  le  voudraient. 
Aussi  pour  toute  précaution,  il  demanda  à  M .  Droste  qu'il  exécutât 
les  articles  dressés  par  Mgr.  Spiegel,  et  déjà  exécutés  par  les  autres 
évêques  catholiques,  articles  dressés,  était-il  dit,  en  conformité 
avec  le  bref  de  iSoodu  pape  Pie  FUI,  ce  que  M.  Droste  ne  pouvait 
refuser;  et  après  les  formalités  d'usage,  Mgr.  Droste  fut  reconnu 
et  intronisé  archevêciue  de  Cologne. 

Disons-le  à  sa  louange,  un  habile  général,  appelé  à  la  tète 
d'une  armée  ,  placée  par  l'impéritie  des  chefs  dans  une  po- 
sition presque  désespérée,  ne  mit  jamais  plus  de  vigueur  à  pro- 
fiter de  toutes  le»  ressources  qui  restaient  pour  la  délivrer,  que 
n'en  mit  Mgr.  Droste  à  briser  les  chaînes  qui  tenaient  captive 
la  malheureuse  Eglise  d'Allemagne. 

jo  Dès  son  arrivée  ,  voulant  ôter  à  la  faculté  de  théologie  de 
Bonn  l'espèce  d'autorisation  dont  elle  se  prévalait  à  cause  de 


HISTOIRE   DE   l'hBR.UÉSIANISUB.  103 

la  tolérance  du  précédent  archevêque,  il  fit  prévenir  les  pro- 
fesseurs qui  la  composaient,  qu'il  les  dispensait  d'assister  à  son 
intronisation. 

3°  Voulant  couper  au  vif  le  prétexte  allégué  par  le  vicaire  ca- 
pitulaire  pour  ne  pas  se  soumettre  au  bref,  et  en  môme  tems 
les  prétentions  du  gouvernement,  qu'aucun  ordre  du  pape  ne 
pouvait  être  valable  s'il  n'était  publié  avec  sa  permission,  Mgr. 
Droste,  sans  parler  de  publication,  supposa  le  bref  suffisam- 
ment promulgué  et  autorisé  ,  et  se  mit  à  le  faire  exécuter.  A 
la  vérité,  il  ne  pouvait  ni  destituer  les  professeurs  de  Bonn, 
ni  même  les  répétiteurs  de  son  propre  séminaire  ,  nommés  par 
le  gouvernement,  mais  il  les  atteignit  par  d'autres  moyens. 
Pour  cela , 

3"  En  renouvelant  la  permission  de  lire  les  ouvrages  défen- 
dus, ou  en  en  accordant  de  nouvelles,  il  excepta  les  écrits  d'Her- 
mès et  de  ceux  qui  soutenaient  son  système. 

4°  Il  publia  l'instruction  suivante  à  suivre  par  tous  les  con- 
fesseurs de  Bonn  et  des  environs  ; 

«  Ayant  entendu  que  quelques  confesseurs  sont  en  doute  sur  la  ré- 
ponse, lorsqu'on  leur  demande  dans  le  confessionnal  ou- ailleurs,  s'il  est 
permis  de  lire  les  écrits  de  feu  le  professeur  Hermès,  et  si  on  peut  assis- 
ter aux  leçons  dans  lesquelles  ou  aTance  des  assertions  contenues  dans 
ces  écrits,  je  vous  ordonne  de  faire  savoir  aux  confesseurs,  en  mon  nomt 
et  de  la  manière  qui  vous  semblera  la  meilleure  et  la  plus  convenable 
pour  les  circonstances  : 

»  1"  Que  personne  ne  peut  lire  les  écrits  d'Hermès,  ni  ceux  qui  oui 
paru  après  sa  mort,  ni  ceux  qui  ont  été  publiés  pour  la  défense  de  ces 
écrits,  ni  des  cahiers  manuscrits  composés  dans  le  sens  de  ces  écrits; 

»  2«  Qu'aucun  théologien  ne  peut  assister  aux  leçons  où  l'on  traite  des 
matières  d'après  les  susdits  écrits  ; 

»3°  Quant  à  la  déclaration  connue  du  Souverain  Pontife  contre  les 
écrits  d'Hermès,  je  vous  prie  de  faire  observer  à  ceux  qui  doutent,  on 
qui,  s'écartant,  d'après  la  méthode  d'Hermès,  du  droit  chemin,  tâchent 
de  cacher  leur  désobéissance,  en  alléguant  vainement  que  la  déclaration 
papale  n'a  pas  été  publiée,  et  par  conséqueut  qu'elle  n'oblige  pa*, 
1"  que  la  publication  ne  peut  avoir  d'autre  but  que  de  faire  connaître  la 
déclaration  ;  2°  qu'il  conslc  par  les  écrits  des  Herraésicns,  qu'ils  counaii» 
sent  suifisammcut  la  déclaration  ;  5"  que  si  cette  excuse  devait  être  ad- 
mise, la  puissance  civile  serait  en  état  d'empêcher  l'action  d^  centra  de 


lOi  HISTOIRE   DE    l'hERMÉSIANISME. 

l'unilé  éUbli  par  JésusCbrist  ;  ce  qui  serait  nans  doute  Irès-agréable  à 
tous  les  Hertnésicus  comme  aus  hérétiques,  qui  ne  peuvent  se  soutenir 
qu'au  moyen  de  la  puissance  civile,  laquelle  ne  peut  jamais  être  juge 
dans  des  affaires  de  ce  genre ,  et  qui ,  dès  qu'elle  s'arroge  ce  droit ,  n'est 
plus  que  parti  ou  faction. 

«Cologne,  le  la  janvier  1807. 

Clément-Auguste,  Arch.  Col.  * 

5°  Pour  mieux  assurer  rexécution  de  ces  ordres,  il  ôta  à 
tous  les  prêtres  du  décanat  de  Bonn,  le  pouvoir  d'absoudre 
ceux  qui  auraient  lu  les  écrits  d'Hermès  ou  de  ses  partisans,  et 
se  réserva  ces  cas  à  lui-même. 

G"  Les  professeurs  Hermésiens  ayant  refusé  de  souscrire  à 
5es  injonctions  ,  et  le  chef  de  la  pédagogie  ayant  prolesté,  il 
les  suspendit  du  soin  des  âmes. 

^^  Quand  le  programme  des  semestres  d'été  de  1837  f"*  sou- 
mis à  son  approbation ,  il  ne  voulut  permettre  que  les  leçons 
de  M.  Klee ,  de  M.  Walter  (jus  canonicum),  et  de  M.  Braun 
[explication  de  Justin)  y  à  condition  qu'il  se  bornerait  à  la  simple 
exposition. 

8°  Pour  être  assuré  que  ses  intentions  seraient  remplies,  il 
exigea  que  tous  les  élèves  consigneraient  par  écrit  les  leçons 
des  professeurs,  et  se  réserva  le  droit.de  les  examiner  soigneu- 
sement, et  de  plus,  il  permit  à  chacun  d'eux  de  correspondre 
directement  avec  lui  par  écrit  ou  de  vive  voix,  toutes  les  fois 
que  quelque  scrupule  pourrait  le  troubler  sur  l'orthodoxie  de  la 
doctrine. 

9*11  n'accorda  aucune  place,  aucune  faveur  quelconque  à 
tous  ceux  qui  ne  lui  donnaient  pas  des  preuves  suffisantes  de 
la  pureté  de  leur  orthodoxie.  Ne  pouvant  déplacer  M.  Husgen, 
son  grand-vicaire ,  il  ne  lui  en  laissa  que  le  titre ,  mais  il  ne  lui 
donna  rien  à  faire,  rien  à  décider;  son  avis  même  n'était  plus 
demandé. 

10'  Enfin,  pour  extirper  jusqu'à  la  racine  toutes  les  erreurs 
qui  se  trouvaient  dans  les  écrits  d'Hermès  ou  de  ses  disciples, 
il  ordonna  que  tous  les  professeurs,  tous  les  ordinans  et  les 
prêtres  chargés  du  soin  des  âmes,  signeraient  les  dix-huit  pro- 
positions suivantes  : 


BISTÔIRS   DE    u'uEKliÉSlA.MSUE.  105 

LES  DIX-HVIT  PROPOSITIONS  D0II:(ÉES  à  SIGNBK  ll'X  HSfiUÉSlBRS. 

I.  Je  crois  et  je  confesse  que  c'est  une  erreur  condamuable,  que  ;le  cher- 
cher à  établir  le  doute  positif  comme  la  base  de  toute  recherche  thcologi- 
que ,  parce  que  c'est  là  uue  voie  ténébreuse  ,  conduisant  à  toutes  sortes 
d'erreurs,  et  quis'écarte  du  chemin  royal ,  suivi  par  la  tradition  et  par  tous 
les  Saints-Pères  ,  dans  l'exposition  et  la  défense  des  vérités  do  la  foi. 

II.  Je  crois  et  je  confesse  que  c'est  une  tentative  condamuable,  que  de 
s'efforcer  de  rejeter  la  grâce  de  la  foi  ,  dans  laquelle  nous  sommes  nés 
par  la  miséricorde  de  Dieu,  de  la  rejeter,  dis-jc,  dans  le  but ,  en  partant 
du  doute  positif  ei  avec  le  secours  de  la  raison  toute  seule,  de  rechercher 
la  foi,  de  telle  manière  qu'on  puisse  tout  à-fail  la  rejeter  ,  si  la  raison  ne 
trouve  pas  la  foi  ou  la  nécessité  du  la  foi. 

III.  Je  crois  et  jecoufesse  que  la  foi  est  un  don  de  Dieu  et  une  lumière, 
dont  étant  éclairé,  l'homme  doune  un  assentiment  ferme  et  une  adhésioQ 
entière  aux  choses  qui  ont  été  divinement  révélées,  et  sont  proposées  par 
l'Eglise  à  notre  croyance. 

IV.  Je  rejette  totalement,  et  je  condamne  celte  erreur,  qui  établit  que 
la  raison  est  la  règle  principale  et  C unique  vioyen  que  l'homme  possède  , 
de  parvenir  à  la  connaissance  des  vérités  surrialureiîes. 

V.  Je  crois  et  je  confesse  que  c'est  une  opinion  erronée  qne  celle  qui 
donne  à  la  raison  humaine,  une  souveraine  autorité  pour  en^'cigner  et 

juger  les  choses  de  la  foi  ;  mais  que  c'est  plutôt  la  foi  qui  est  la  porté  de 
notre  saltit,  sans  laquelle  personne  en  cette  vie  ne  peut  trouver  Dieu  ,  ni 
l'invoquer,  ni  le  servir,  ni  lui  plaire  ,  et  que  c'est  là  surtout  le  propre  de  la 
foi ,  de  réduire  toute  inlelligence  en  servitude  pour  C obéissance  au  Clirist, 

VI.  Quant  à  ce  qui  coucerne  hs  nature  de  1 1  loi  cl  la  règle  des  choses  à 
croire,  les  saintes  écritures  ,  la  révélation  et  lenseignennent  de  l'Eglise  , 
les  motifs  de  crédibilité,  les  croyances  qui  servent  d'ordinaire  à  prouver  ei  à 
confirmer  l'existence  de  Dien,  son  essence  ,  sa  sainteté,  sa  justice,  saliberlé. 
et  la  fin  qu'il  se  propose  daus  sus  œuvres,  que  Ks  théologiens  appellent  ad 
extra  ,  la  nécessité  et  la  disîribiUion  de  sa  grâce,  la  rétiibution  des  récom- 
penses et  rapjilication  des  peines,  l'état  de  nos  premiers  parens,  le  péché 
originel  et  les  forces  de  l'homme  déchu  ,  je  m'engage  à  r.c  rien  tenir  et 
enseigner  que  ce  que  l'Eglise  tient  et  enseigne. 

VU.  Je  crois  et  je  confesse  que  tous  les  hommes  ,  par  leur  seule  géné- 
raiion  de  la  race  d  Adjui  ,  naissent  sous  le  joug  du  péché  oiJginel  ,  com- 
preuant  Coffense  et  lu  peine  du  péché  ;  et  que  ce  péclxé  ,  qui  est  un  dans  sa 
source  ,  et  qui,  étant  transmis  à  tous  par  la  génération  cl  non  par  imi- 
laliou  ,  détient  pioprc  à  chacuu  ,  tl  qu'outre  ce  péçhc  originel,  unie  à 


jl06  HISTOIRE   DE   L'hERMÉSIANISME. 

lui,  et  venant  de  lui  ,   la  concupiscence  ,  effet  du  péché  et  inclinant  au 

péché,  s'est  répandue  dans  tous  les  hommes. 

VIII.  Cependant  en  ce  qui  louche  à  la  conception  de  la  bienheurcnso 
immaculée  Vierge  Marie,  mère  de  Dieu  ,  je  me  conformerai  à  ce  qui  a  été 
établi  par  le  décret  Sanctissimus  du  pape  Grégoire  XV,  de  l'an  162a,  elpar 
la  bulle  SolUcitudo  d'Alexandre  VII,  qui  permettent  d'cusciguer  en  piiblic 
et  en  particulier,  quela  Vierge  Mariea  été  conçue  sans  la  tache  originelle  ; 
et  qui  défendent,  sous  peine  d'excommunication  encourue  par  le  seul  fait 
de  soutenir  le  sentiment  contraire,  c'esl-à-dire  d'enseigner  ou  de  prétendre 
en  public  ou  en  particulier,  que  la  bieuheurenscVicrge  Marie  a  été  conçue 
avec  le  péché  originel  ;  outre  cela  ,  je  tiendrai  ce  que  tient  l'Eglise  ,  à 
savoir,  que  la  bienheureuse  Vierge  Marie  a  été  exemple,  durant  tout  le 
tems  de  sa  vie  ,  de  tout  péché,  môme  véniel ,  et  je  promets  de  n'enseigner 
jamais  rien  ni  en  public  ni  en  particulier,  sur  ce  qui  regarde  la  perpétuelle 
TÎrginité  de  la  bieuhcnreuse  Vierge  Marie,  si  ce  n'est  que  le  Christ  Sei- 
gneur est  né  sans  aucune  diminution  de  sa  maternelle  virginité ,  et  que  Jé- 
sus-Christ est  sorti  du  sein  maternel  sans  aucun  détriment  de  sa  maternité 
virginale,  ce  qui  a  été  fait  par  la  vertu  du  S. -Esprit,  lequel  a  assisté  à  la 
conception  du  fils  et  à  l'enfantement  de  la  mère,  pour  lui  donner  la  fécon- 
dité et  lui  conserver  une  perpétuelle  virginité. 

IX.  Je  crois  et  je  confesse  que  sans  l'inspiration  prévenante  du  Saint- 
Esprit,  et  sans  son  assistance,  l'homme  ne  peut  croire,  espérer,  aimer 
ou  se  repentir,  comme  il  le  faut  pour  que  la  grâce  de  sa  justiûcatiou  lui 
soit  conférée.  Je  crois  également  cl  je  confesse,  que  la  grâce  divine  est 
donnée  par  Jésns-Christ,  non  pas  seulement  afin  que  l'homme  puisse  plui 
facilement  vivre  selon  la  justice  et  mériter  la  vie  éternelle,  comme  si  par 
le  libre  arbitre  et  sans  la  grâce  ,  il  pouvait  faire  l'un  et  l'autre  ,  quoique 
pourtant  avec  peine  et  difficulté. 

X.  Je  crois  et  je  confesse  que  chacun  reçoit  la  grâce  ,  selon  la  mesure 
que  l'Esprit  Saint  répartit  à  un  chacun,  comme  il  le  veut,  et  selon  la  pro- 
pre dif'position  et  coopération  de  chacun  ;  et  que  la  prière  non-seulement 
prépare  l'esprit  à  recevoir  les  dons  de  Dieu  ,  mais  est  le  moyen  recom- 
mandé par  le  Seigneur  Christ ,  pour  que  Dieu  soit  porté  à  accorder  ce  que 
nous  demandons,  pourvu  que  ce  que  nous  demandons  ne  soit  pas  opposé 
à  notre  salut. 

XI.  Je  crois  et  je  confesse  que  nous  sommes  justifiés  par  Injustice  de 
Dieu,  inhérente  en  nous,  laquelle  est  répandue  en  nous  par  les  mérites 
du  Christ. 

XII.  Je  condamne  et  j'anathématise  ,  comme  une  grande  erreur,  toute 
personne  qui  dit  que  les  hommes  sont  justifiés,  ou  par  la  seule  imputa- 
tion des  mérites  du  Clwisl ,  ou  par  la  seule  r«mission  des  péchés,  en  ex- 


nisTOiRi:  Dç  l'uhrmésianisme.  107 

cluanl  la  gràco  cl  1*  charité  ,  que  le  Saint-Esprit  répand  dan»  les  cœum 
et  qui  leur  est  inhérente,  ou  même  que  U  grâce  qui  nous  ju«liûe  n'est 
autre  chose  que  la  faveur  de  Dieu. 

XIII.  Je  crois  e^  je  confesse  que  la  prédcstinatioa  est  un  mystère  digne 
de  notre  admiration  et  de  notre  véuér;iliou,  qu'il  faut  croire  pieusement 
et  déTotenieut  et  non  point  pénétrer  trop  curieusement  avec  sa  raison, 
et  sur  lequel  il  ne  faut  disputer  (ju'avec  ciiconspcclion  et  devant  des  per- 
sonnes d'un  âge  mùr.  Egalement  je  crois  et  je  confesse  que  les  bienheu- 
reux doivent  leur  salut  à  la  miséricorde  de  Dieu,  et  que  pourtant  les  bonnes 
œuvres  qu'ils  ont  faites  sur  la  terre ,  par  la  grâce  de  Dieu  et  les  mérites 
de  Jésas-Chi'ist,  dont  ils  ont  été  les  membres  vivans,  ne  sont  pas  telle- 
ment les  dons  de  Dica  ,  qu'on  ne  jouisse  aussi  les  appeler  leurs  mérite»  ; 
tt  de  plus  que  les  réprouves  ne  peuvent  accuser  personne  qu'eux-mêmc» 
de  leur  perte. 

XIV.  Je  crois  et  je  confesse  que  Dieu  a  fait  toutes  choses  pour  lui- 
même,  et  l'impie  aussi  pour  le  jour  mauvais  >,  et  que  la  cause  finale  de 
notre  justification  est  la  gloire  d\i  Christ  et  la  vie  éternelle. 

XV.  Je  crois  et  je  confesse,  que  selon  l'esprit  de  l'Eglise,  la  satisfaction 
est  imposée  dans  la  confession,  non-seulement  comme  une  garde  pour 
une  vie  nouvelle,  et  comme  un  remède  pour  notre  infirmité  ,  mais  encore 
comme  une  punition  et  une  peine  pour  les  péchés  passés. 

XVI.  Je  crois  et  je  confesse  que  Dieu  punit  les  méchans  do  peines  éter- 
nelles, d'après  la  justice  que  l'on  appelle  vindicative,  a  cause  de  la  ma- 
lice interne  du  péché. 

XVII.  Je  déclare  et  je  promets  vouloir  observer  daus  le  sens  le  plus 
strict  le  décret  du  concile  de  Trente,  ayant  pour  bnt  de  réprimer  la  trop 
grande  pétulance  de  certains  esprits,  et  lequel  est  conçu  en  ces  termes  : 

«  Que  personne  se  confiant  en  son  propre  jugement   n'ait  l'.iudace   de 

•  tirer  l'écriture  sainte  à  son  sens  particulier,  ni  de  lui  donner  des  intcr- 
»  prétations  ou  contraires  à  celles  que  lui  donne  et  lui  a  données  la  sainte 

•  mère  l'Eglise  ,  à  qui  il  appartient  de  juger  du  véritable  sens  et  de  la 

•  véritable  interprétation   des  Saintes  Ecritures,  ou  opposées  aux  senti- 

•  mens  unanimes  des  Pères,  encore  que  ces  iulcrprétalious  ne  dussent  ja- 
«  mais  être  publiées.  » 

XVIII.  Je  promets  h  mon  archevêque  respect  et  obéissance,  saus  aucune 
restriction  mentale,  dans  toutes  Us  choses  qui  ont  rapport  à  la  doctrine  ou 
à  la  discipline  :  et  je  confesse  que  je  ne  puis  ni  ne  dois  appeler  du  juge- 
ment do  mon  archevêque,  à  personns  autre,  selon  l'ordre  de  la  hiérar- 
chie catholique,   si  ce  n'est  «u  papi',  chef  dt  toute  l'Eglise.  Je  coufeiss 

»  Proverbes  ,  ch.  ivi. 


108  HISTOIRE   DE   l'uERMKSIANISME. 

que  le  poulife  romaia  lient  la  primauté  d'ordre  et  de  juridiction  sur 
loate  l'Eglise  ;  qu'il  est  le  successeur  de  saint  Pierre  ,  prince  des  apôtres, 
le  véritablevicaire  du  Christ,  le  chef  de  toute  l'Eglise,  le  centre  de  l'unité, 
le  pasteur  des  pasteurs ,  le  père  et  le  docteur  de  tous  les  fidèles  du  Christ, 
et  je  tiendrai  toujours  dans  mon  esprit,  et  je  prouTerai  par  mes  paroles 
et  par  mes  œuvres  ,  que  c'est  à  lui ,  dans  la  personne  de  Pierre,  que  le 
Christ  a  donné  plein  pouvoir  de  paître  les  agneaux  et  les  brebis,  de  di- 
riger et  de  gouverner  l'Eglise  universelle;  et  dans  l'espèce  je  fais  profes- 
sion et  promesse  que  je  veux  obéir  aux  décrets  du  souverain  pontife  dans 
les  choses  de  la  foi  et  des  mœurs. 

Toutes  ces  mesures  si  vigoureuses  jetèrent  la  consternation 
parmi  les  Hermésiens,  et  déroulèrent  tous  les  plans  du  gou- 
vernement prussien.  Les  Hermésiens  cherchèrent  des  prétextes 
pour  se  soumettre,  appelèrent  de  l'autorité  de  leur  archevêque 
au  pape ,  et  toutes  les  fois  qu'ils  le  purent  à  celle  du  gouverne- 
ment; finalement  ,  écrivirent  contre  le  bref  et  surtout  contre 
les  dix-huit  articles. 

Parmi  les  opposans,  il  faut  citer  en  première  ligne  M.  Ach- 
ierfeldt ,  président  de  la  pédagogie  de  Bonn  ,  et  éditeur  du  3* 
volume  d'Hermès.  L'archevêque  l'ayant  chargé  de  veiller  à  ce 
que  les  élèves  catholiques  ne  fréquentassent  pas  les  cours  des 
professeurs  protestans,  surtout  ceux  du  droit  canon,  et  ne  se 
servissent  plus  des  livres  d'Hermès,  M.  Achterfeldt  répondit  qu'il 
n'avait  d'ordres  à  recevoir  de  lui  que  par  le  canal  du  gouver- 
nement, et  que  jusqu'alors  il  devait  les  regarder  comme  non- 
avenus;  et  M.  Braun,  qui  fit  le  voyage  de  Rome  et  qui  publia 
une  brochure  où  il  prétendait  que  ses  principes  n'étaient  autres 
que  ceux  de  Mgr.  l'évêque  de  Strasbourg,  des  jésuites  de  Rome, 
de  la  censure  de  l'épiscopat  français  contre  M.  l'abbé  de  La 
Mennais  '.  Quand  l'archevêque  refusa  d'approuver  les  cours 
Tiermésiens  de  l'université,  les  professeurs  en  appelèrent  en- 
core au  ministre  de  l'insîruclion  publique,  et  le  programme 
des  chaires  fut  publié  avec  les  cours  prohibés.  L'archevêque 
ayant  refusé  d'autoriser  la  publication  des  livres  hermésiens,  les 

*  La  doctrine  du  prétendu  Hermésianisme  sur  les  rapports  de  la  raison  et 
de  la  révélation,  approuvées,  et  les  opinions  contraires  rejelées  comme  fausses 
et  dangereuses,  par  l'evéquede  Strasbourg,  M.  Lepappe  de  Trcvern,  avec  un 
bref  de  sa  sxintclc  Grégoire  XVI. 


HISTOIRE   DE    l'iIERMÉSIANISME.  109 

professeurs  oblinrent  du  gouvernement  un  rescrit  du  i5  sep- 
tembre i836,  qui  déclarait  qu'il  n'y  avait  que  les  livres  de  prières 
et  les  catéchismes  qui  dussent  être  soutjiis  d  l'approbation  archiépisco- 
pale, et  aussitôt  ils  firent  paraître  le  Journal  hermésien,  et  M.  Hil- 
gers  son  Histoire  des  hérésies.  L'archevêque  les  menaça  des  cen- 
sures ecclésiastiques,  et  défendit  à  l'imprimeur  de  leur  prêter 
son  ministère  ;  celui-ci  obéit,  mais  les  professeurs  protestèrent  et 
trouvèrent  la  malheureuse  facilité  de  faire  approuver  leurs  écrits 
dans  le  diocèse  de  Trêves ,  où  ils  les  firent  imprimer  par  un 
protestant. 

A  Breslau,  M.  Elvenich,  docteur  en  philosophie,  professeur 
à  l'université,  et  directeur  du  gymnase  Léopoldin,  publia  un 
ouvrage  ',  où  il  se  posait  comme  conciliateur  entre  les  deux 
partis,  mais  où  il  prétendait  prouver  que  les  propositions  con- 
damnées par  le  bref,  et  dignes  en  effet  de  censure  ,  ne  cou- 
tiennentpasla  doctrine  d'Hermès.  Mais  lui-même  en  défendant 
son  maître,  émettait  des  proposilions  d'une  hardiesse  extrême, 
et  même  complètement  hétérodoxes. 

A  Trêves,  le  professeur,  M.  Biunde,  publia  diverses  brochu- 
res *,  où  il  accuse  l'archevêque  à''artifice,  met  en  doute  si  l'on 
est  obligé  d'obéir  au  S.  Siège  pour  les  livres  condamnés ,  s'appuie 
d'un  exemplernal  choisi  de  saint  Augustin,  pour  dire  que  si 
le  S.  Siège  condamnait  les  Hermésiens,  ils  ne  devaient  pas  s'en 
inquiéter  y  que  les  livres  d'Hermès  ent  été  diffames  à  Rome,  et 
que  d'ailleurs  il  n'est  pas  de  foi  que  le  S.  Père  soit  infaillible, 
même  pour  les  dogmes ,  mais  seulement  l'Eglise  universelle. 

Les  Hermésiens  publièrent  en  outre  une  foule  d'ouvrages 

*  Acta  hermesiana,  quœ  compluribus  G.  Ilermesiiiibris  à  Gregorio  XVI 
S.  P.  per  Uttcras  apostolicas  damnatis  ad  doclrinam  Hervxcsii ,  hujusque  in 
Germanid  adversariorum  accuratius  expUcandam  et  ad pacem  inler  contrarias 
parteSf  Deojuvanie  ,  reslituendam  scripsit  P.  I.  Elvenich,  phi,  doct,,  etc. 
l856. 

=  Enarratio  et  refuiatio  incriminalionum  qiiibus  et  rem  et  disciplinam 
Hermesianamnnper prosecuti sunt  Leodiensium  auctores ephcmeridum quœ ins- 
cribuntur.  Journal  hislontjuu  cl  littéraire  ;  auctore  Fr.  Xa.  Biunde,  phil. 
rlocl.  et  prof,  iii  scmiiiaiio  episcopali  Trevireusi.  Cum  docamenlis  qui- 
busdam  aulhenlicis,  Treviris,  iSôy,  in-S*  ;  et  quelques  autres  hrocliuics 
écrites  en  allcuiauds. 


110  HISTOIUB   DK    l'hERMÉSIAMSMK. 

anonymes,  dans  lesquels  ils  soutenaient  ,  que  l'EgUse  n'a  rien 
défini  sur  la  virginité  de  ta  mère  de  Dieu,  et  qu'elle  n'est  demeu- 
rée vierge  que  de  propos  et  de  volonté  ;  que  par  le  péché  originel, 
il  faut  entendre  une  situation  de  l'homme  ,  moins  avantagée  de- 
puis sa  chute  qu'auparavant  ;  ils  lui  appliquent  bien  le  mat  pé- 
ché du  .Concile  de  Trente  ,  mais  repoussent  la  culpabilité  ou  rea- 
tus peccati.  Ailleurs  ils  disent  que  le  prince  a  nécessairement  le 
droit  de  suiteillcr  et  d'inspecter  l'Eglise,  parce  que  fEtat  a  plus  A 
craindre  de  L'Eglise,  que  CEgUse  de  CEtat;  ailleurs  encore  ,  ils  pro- 
plament  que  maintenant  que  la  plénitude  scientifique  des  tems  est 
arrivée,  les  Conciles  ne  peuvent  plus  rien  pour  le  bien  de  CEglise. 

Cependant  les  Hermésiens,  ayant  vu  qu'aucune  de  leurs 
raisons  ne  produisait  d'effet,  et  pressés  par  la  conduite  rigou- 
reuse de  l'archevêque,  résolurent  d'aller  demander  justice  et  ex- 
plication à  Rome  même,  où  nous  examinerons  bientôt  ce  qu'ils 
y  firent  et  ce  qu'ils  y  gagnèrent  ;  mais  voyons  avant  ce  que  fit  le 
gouvernement  pour  neutraliser  les  mesures  de  l'archevêque. 

Il  faut  le  dire,  le  gouvernement  fut  visiblement  et  véritable- 
ment dérouté  et  vaincu;  d'abord  il  se  borna  à  soutenir,  comme 
nous  l'avons  vu,  les  Hermésiens  contre  l'archevêque;  dès  que 
la  déclaration  en  18  articles  eut  paru  ,  il  fit  demander  un  axis 
doctrinal  sur  cette  pièce  à  deux  professeurs  Hermésiens  de  Bres- 
lau,  MM.  Baizer  et  Ritter  ,  et  fit  répandre  avec  profusion  à 
Bonnet  dans  les  provinces  rhénanes,  celte  pièce  vieux  réchauffé 
des  erreurs  jansénistes;  il  laissa  circuler  d'autres  libelles  impri- 
més à  Francfort ,  et  injurieux  à  l'archevêque;  il  exempta  de  la 
censure  archiépiscopale  les  écrits  Hermésiens ,  n'eut  aucun 
égard  à  la  suppression  que  l'archevêque  avait  faite  des  cours  de 
l'université,  et  voulut  forcer  les  élèves  à  y  assister  ;  mais  tout 
cela  n'ayant  pas  produit  l'effet  qu'il  désirait,  et  d'autre  part  vou- 
lant gagner  l'archevêque  sur  la  question  des  mariages  mixtes, 
toul-à-coup  il  parut  céder.  En  conséquence,  M.  deUehfues  con- 
seiller secret  et  commissaire  royal  auprès  de  l'université  de 
Bonn,  réunit,  le  a  i  avril  iS5-,  tous  les  professeurs,  et  leur  lut 
le  rescrit  suivant  : 

•  1*  Le  bref  quicoutlamncHcrincs,  quoique  non  rommnniqné  d'iinemn- 
uière  officielle  augouvcruemcut,  a  déj  h  produit  une  si  grande  sensation  ifiiiii 


HISTOIRE    DE    l'hERMKSIANîSME.  111 

les  esprits,  ([Ue  legoiivcrucuicnt  défend  (oute  dispulcpoar  cl  coulrc  Tlcf- 
tnbs,  soit  en  chaire,  soit  dans  des  écrits,  soit  d'une  autre  manière;  a*  Le» 
«Scrits  d'Hermès  doireni  cire  abandonnés,  son  sjslêmc  ne  peut  plus  être 
enseigné,  ctc  ;  5»  En  signe  d'oboissaûce  ,  les  professeurs  sont  obligés  de 
signer  de  Itur  propre  main  la  présente  déclaration  ,  et  en  cas  île  refus  , 
ils  seront  suspendus  de  leurs  fonctions.» 

Ainsi  donc  un  des  buts  qui  étaient  dans  l'intention  de  Mgr. 
rarchevôqxie  ,  se  trouvait  déjà  atteint.  Le  bref  était  reconnu 
valable ,  même  par  le  gouvernement ,  quoique  celui-ci  n'en  eût 
pas  permis  la  publication  ,  et  le  prétexte  de  M.  Husgen  était 
abandonné  par  l'autorité  civile  elle-même.  Mais  il  y  avait  encore 
dans  l'acte  que  nous  venons  de  citer  une  prétention  à  régler 
l'enseignement  catholique  que  le  prélat  ne  pouvait  légitimement 
admettre.  D'ailleurs,  il  n'élait  que  trop  visible  que  ce  n'était  là 
qu'une  concession  forcée,  et  seulement  pour  la  forme.  Pourtant 
les  ïlermésiens  ,  rais  en  demeure  d'opter  entre  leurs  places  et 
leurs  soumissions,  signèrent  tous  au  nombre  de  six; MM.  Jch' 
terfeUlt,  Scholz,  Braun^  Vogebang ,  Hilgers  et  l-Feiler  ;  mais  ils 
savaient  bien  qu'ils  ne  risquaient  rien  ,  et  que  le  ministère  ne 
leur  ferait  pas  un  crime  de  transgresser  un  ordre  qu'il  n'avait 
donné  qu'à  contre-coeur.  C'est  ce  qui  parut  clairement  lorsqu'à 
l'ouverture  des  classes  le  président  M.  Achterfeldt,  ajant  été 
chargé  de  prescrire  les  cours  que  les  élèves  devaient  fréquen- 
ter, leur  imposa  tous  ceux  qui  avaient  été  réprouvés  par  l'ar- 
phevêque.  Mais  ici  encore  les  jeunes  gens  donnèrent  le  plus 
bel  exemple;  quoique  la  plupart  fussent  élevés  avec  le  secours 
de  bourses  données  par  le  gouvernemeiît,  ils  refusèrent  d'assister 
à  ces  leçons,  et  préférèrent  compromettre  leur  existence  pré- 
sente et  leur  avenir,  que  de  transgresser  les  ordres  de  rarche- 
yêque.  Quarante  environ  de  ces  généreux  étudians  se  laissèrent 
expulser  de  l'école  ;  les  élèves  en  théologie  firent  de  même. 
Honneur  à  ces  jeunes  chrétiens!  leur  ferniclé,  leur  courage  et 
leurfoi  ontétéd'un  grand  poids  pour  la  solution  de  la  question  , 
qui  s'agite, savoir:  qui  doit  nous  donner  l'instruction  et  la  doc- 
trine ,  du  pouvoir  spirituel  ou  du  pouvoir  temporel. 

Cependant  à  l'ouverture  des  cours  de  1837  à  i838,  la  faculté 
de  théologie  était  presque  déserte,  et  malgré  tout  ce  qu'avait  pu 
faire  le  pouvoir,  les  mesures  prises  par  l'archevêque  avaient 


112  HISTOIRE   DE   l'hERMÊSIANISME. 

produit  leur  effet.  Alors  le  gouvernement,  avant  d'avoir  recours 
à  la  violence,  lui  offrit  encore  une  espèce  de  transaction.  Dans 
ïultitnatum  qu'il  lui  signifia,  le  24  octobre  1837,  il  lui  disait  : 

•  C'csl  nvec  un  élonnement  extraordinaire  que  S.  M.  a  appris  ,  par  les 
rapports  de  M.  le  comte  de  Slolberg,  que  la  conduite  et  la  manière  d'a- 
gir de  Votre  Grandeur,  sont  aussi  contraires  aux  promesses  faites  par  elle  ' 
antérieurement ,  qu'aux  règles  prescrites  par  les  lois  actuelles  du  royaume. 
Dans  les  affaires  de  rHermésianisme ,  tous  avez  osé  adopter  plusieurs 
mesures,  au  mépris  de  la  législation  en  vigueur  et  des  formalités  prescri- 
tes; et  il  paraît  que  dans  ce  moment  vous  reconnaissez  vous-même  l'il- 
légalité et  Tinconvcnance  de  cette  conduite. 

»  Supposons  que  S.  M.   voulût  bien  fermer  les  yeux  là-dessus ,  il  est  nu 
autre  point  au  sujet  duquel  les  susdits  rapports  vous  accusent,  et  qu'on    j 
ne  peut  passer  sans  vous  donner  une  réprimande  sévère.  Non  seulement    ' 
vous  n'avez  pas  été  fidèle   à   la  promesse  que  vous  avez  faite,  «  de  faire    ' 
«exécuter  en  esprit  de  charité  et  de  paix  l'instruction  donnée  par  les  (quatre)    ] 
•  évêquesà  leurs  vicariats,  avaut  votre  élection  ;  »  mais  vous  avez  été  plus    j 
loin,  vous  avez  trompé  la  confiance  de  l'autorité  de  telle   manière,  que 
vous  ne  permettez  de  donner  la  bénédiction  nuptiale  que  dans  le  cas  où 
les  deux  époux  se  sont  engagés  formellement  cl  directement  à  élever  tous 
leurs  enfans  dans  la  foi  catholique. 

D  Si  vous  hésitez  à  donner  sur-le-champ  une  déclaration  favorable  et 
suffisante  relativement  à  ces  affaires,  et  si  vous  tardez  à  promettre  de  vou- 
loir exécuter  à  l'avenir  ladite  instruction,  on  ne  manquera  pas  de  pren- 
dre sur-le-champ  des  mesures  qui  auront  pour  suite  immédiate  de  vous 
empêcher  d'exercer  toutes  vos  fonctions  épiscopales. 

»Que  des  scrupules  de  conscience  vous  arrêtent,  on  peut  vous  le  par- 
donner; mais  ces  scruptdes  ne  sont  pas  un  motif  suffisant  pour  vous  dis- 
penser d'obéir  aux  lois  de  l'état.  Cependant  S.  31.  a  daigné  vous  permettre 
de  vous  démettre  de  l'administration  du  diocèse;  et  si  celle  proposition  est 
acceptée  j  aucune  recherche  ne  sera  faite  sur  le  passé, 

»  Enfin  on  vous  esborle  vivement  à  répondre  sans  larder  à  cette  com- 
munication, et  à  donner  à  votre  lettre  un  sens  cl  une  forme  tels  qu  elle 
puisse  être  jugée  digne  d'être  présentée  à  S.  M. 

»  Berlin,  le  24  octobre  1807.  » 

Altenstein,  Min.  des  aff.  ecclésiasi. 

Mgr.  Droste  répondit  sur-le-champ  la  lettre  suivante ,  que 
novis  transcrivons  en  entier,  parce  qu'elle  est  un  vrai  modèle  de 
fermeté,  de  retenue  et  de  dignité  épiscopale. 

•  Je  prends  la  liberté  de  rcjioudi  e  n  la  lettre  de  Votre  Esccl'cuce  eu 


HISTOIRE    DE   L'HERMÉSîàNïSMK.  il3 

date  da  a4  de  ce  mois,  que  je  ne  me  souviens  en  aucune  manière  d'atoir 
donné  lieu  de  croire  ,  que  j«  reconnaîtrais  moi-même  l'illégalilé  des  me- 
sures adoptées  par  moi  dans  les  affaires  de  rUermcsianismc.  Ces  affaires 
sont  purement  ecclésiastiques,  puisqu'il  n  j  est  question  que  de  la  doc- 
trine. 

t  Pour  ce  qui  concerne  les  mariages  mixtes ,  je  répèle  ,  et  je  le  dis  par- 
faitement daccord  avec  la  déclaration  confidentielle  que  j'ai  envoyée  à 
Voire  Excellence  ,  avant  mon  élection  : 

•  Que  dans  les  mariages  mixtes,  j'agirai  toujours  d'après  le  bref  du 
Saint-Père  et  d'après  liustruction  ilounée  de  la  part  des  (quatre)  éTê- 
qucs  aux  vicariats,  en  sorte  que  je  les  suivrai  Ions  deux  autant  que  pos- 
sible ;  mais  dans  le  cas  où  il  y  aura  de  l'opposition  entre  les  deux  pièces, 
c'est  d'après  le  bref  seul  que  j'agirai. 

•  Cependant  qu'il  me  soit  permis  de  faire  observer  que  ,  dans  la  susdite 
déclaration  ,  envoyée  à  V.  E.  avant  mon  éleclion  ,  il  n'était  point  ques- 
tion de  l'iustruclion  donnée  aux  vicariats,  et  qu'il  ne  pouvait  en  être 
question  ,  puisque  V.  E.  elle-même  n'eu  avait  pas  fait  mention.  De  plus 
je  dois  faire  remarquer  que  celte  déclaration  n'était  poinl  dictée  par  des 
scrupules  de  conscience,  mais  écrite  avec  la  pleine  conviction  qu'uu 
évéque  ne  pouvait  donner  une  déclaration  contraire  à  la  mienne. 

«Enfin  je  ne  puis  omettre  de  réclamer  pour  moi  laliberlé  de  conscience, 
et  le  pouvoir  de  conserver  les  droits  de  l'Eglise  et  le  libre  exercice  de  la 
juridiction  épiscopale.  De  plus,  je  dois  faire  observer  très-bumblcment, 
que  mon  devoir  envers  le  diocèse  et  envers  toute  l'Eglise  catholique  ,  mo 
défend  de  cesser  mes  fonctions  et  de  déposer  ma  charge. 

•  En  toute  affaire  temporelle  ,  j'obéis  à  S.  M. ,  comme  doit  le  faire  tout 
sujet  fidèle. 

«  Cologne,  le  5i  octobre  iSSy. 

Clément-Auguste,  Arcli.  de  Col.  > 

On  sait  ce  qui  s'en  suivit  :  le  20  novembre,  vers  7  heures  du 
soir,  une  cliaise  de  poste,  escortée  de  gendarmes  et  de  dragons, 
transportait  l'archevêque  de  Cologne  dans  la  forteresse  de  Min- 
den. 

Dans  le  long  mémorandum  qui  parut  le  lendemain,  le  gouver- 
nement fait  connaître  combien  les  mesures  prises  par  l'arche- 
vêque, contre  les  Hermésiens,  lui  avaient  déplu.  Tout  en  disant 
qu'il  était  disposé  à  lui  céder  sur  ce  point ,  il  lui  reproche  sa 
circulaire  aux  confesseurs,  qu'il  appelle  un  abus  du  confessionnal; 
d'avoir  mis  hors  d'activité  tous  les  fauteurs  de  l'Hermésianisme 


lii  HISTOIRE   DE   l'HERMÉSIAMSME. 

sans  l'en  prévenir  par  le  moindre  mot  ;  d'avoîr  dépeuplé  la  péda- 
gogie ,  et  par  là  d'avoir  préparé  la  ruine  des  universités  de  l'Al- 
lemagne ;  d'avoir  agi  contre  M.  Achterfeldt,  qui  ne  voulait  pas 
sortir  des  bornes  de  la  légalité;  la  nouvelle  direction  qu'il  a  donnée 
aux  études  de  son  séminaire ,  et  la  défense  faite  aux  élèves  de 
fréqxienter  l'université  contre  l^ordre  établi  par  son  prédécesseur^ 
d'un  commun  accord  avec  le  gouvernement  ;  d'avoir  fait  exécuter  les 
brefs  du  pape,  sans  en  avoir  obtenu  Cagrément  du  gouvernement  ; 
d'avoir  fait  signer  les  18  articles  qu'il  appelle  une  ordonnance  qui 
ne  peut  se  passer  de  l'approbation  du  gouvernement  }  enfui,  d'avoir 
émis  le  principe  que  des  brefs  de  nature  dogmatique  n''ont  nullement 
besoin  de  l'approbation' du  gouvernement ,  et  que  la  publication  dûment 
faite  à  Rome  suffit  pour  les  rendre  partout  obligatoires,  ce  que  M.d'Al- 
tenstein  regarde  comme  une  énorme  hérésie  politique. 

Dans  son  allocution  du  10  décembre  1857,  sur  l'enlèvement 
de  l'archevêque,  le  Saint  Père  ne  parle  pas  de  l'Hermésianisme; 
mais  le  ministre  prussien,  dans  la  réponse  qu'il  lui  fit  sous  la  for- 
me de  circulaire  adressée  à  31.  Bodchschwing  ,  revient  encore  sur 
cette  question,  et  allègue  les  mesures  de  l'archevêque  comme 
lUie  des  causes  de  son  enlèvement . 

Telles  sont  les  raisons  par  lesquelles  le  gouvernement  a  ré- 
pondu à  toutes  les  plaintes  ,  à  toutes  les  demandes  ,  à  tous  les 
droits  de  l'archevêque  et  du  Souverain  Pontife.  Nous  nous  trom- 
pons, il  en  a  fait  intervenir  une  autre  :  l'enlèvement  et  la  sé- 
questration de  l'archevêque;  l'avenir  prouvera  si  ce  moyen  lui 
était  non  pas  permis,  mais  avantageux.  Avant  de  revenir  aux 
Hermésiens,  citons-lui  le  jugement  porté  sur  sa  conduite,  par 
une  feuille  qu'il  n'accusera  pas  de  partialité  pour  l'Eglise  catho- 
lique ;  c'est  le  journal  protestant  de  Paris  ,  le  Semeur. 

La  fréqiicutation  des  facullcsde  ihéologie  est  obligatoire  en  Prusse  pour 
les  aspîrans  au  sacerdoce,  cl  c'est  le  gouvernement  qui  nomme  les  pro- 
fesseurs. 11  est  clair  que  cet  état  des  choses  ne  saurait  porter  atteinte  au 
droit  qui  appartient  à  l'Eglise  catholique  comme  à  toute  autre,  de  main- 
tenir la  pureté  de  la  doctrine  et  d'exercer  dans  ce  but  son  autorité  disci- 
plinaire. Le  pape  avait  condamné  l'Hermésianisme  ;  évidemment ,  ou  bien, 
il  n'est  pas  vrai  que  l'Eglise  catholique  ail  le  droit  d'eiisler  dans  les  états 
prussiens  ,  ou  bien,  elle  devait  pouvoir  se  servir  des  moyens  qui  lui  sont 
propres,  pour  garantir  les  fidèles  cl  particulièrement  les  futurs  ministrcf. 


niSTOins  Ds  l'ubruésianisiib.  115 

des  alleintes  à'aae  doctrine  réprooTéc  par  le  chef  qu'elle  regarde  comme 
infaillible  en  matière  de  foi.  La  question  est  de  savoir  si  M.  de  Droste  s'est 
tenu  dans  les  limites  de  son  droit,  et  nous  n'iiosilon?  pas  à  nous  prononcer 
pour  l'afErmalive  ,  en  ce  qui  touche  la  circulaire  aux  confesseurs  et  les 
18  thèses  :  des  mesures  de  ce  genre  sont  purement  spirituelles  :  elles  ren- 
trent parfaitement  dans  les  attributions  d'un  prince  de  l'Eglise  romaine,  et 
le  pouvoir  temporel  ne  saurait  vouloir  y  mettre  obstacle  sans  s'allaquer  à 
la  vie  même  de  l'autorité  qu'il  prétend  recoanaîlrc  et  proléger.,.  La  tendan» 
•ce  générale  de  l'archevêque  de  Cologne,  dans  celle  affaire  de  l'Hermésia- 
nisme,  nous  semble  daus  sa  position,  parfaitement  naturelle  et  légitime  *. 

Suivons  maintenant  le  sort  de  l'Hermésianisme  à  Rome ,  où 
il  avait  envoyé  des  défenseurs. 

Les  professeurs  Hermésicns  à  Rome. 

Les  députés  de  l'Hermésianisme  furent  MM.  Braun  de  Bonn 
et  Elvenick^de  Breslau;  arrivés  à  Rome  en  juin  1837,  i!s  furent 
bien  reçus  par  le  Saint  Père  qui  leur  dit  cependant  :  «  J'espère 
>que  vous  n'êtes  pas  venus  ici  pour  instruire  le  S. -Siège  ,  mais 
•  pour  en  recevoir  votre  instruction.»  Dans  leurs  visites  aux  diffé- 
rens  cardinaux,  ils  se  plaignirent  de  leurs  archevêques,  eurent 
quelques  conversations  avec  plusieurs  jésuites  auxquels  ils  di- 
rent :  vous  êtes  contre  les  doctrines  de  M.  Cabbé  de  La  Mennais  ,  vous 
devez  donc  être  peur  nous  ';  parlèrent  d'une  nouvelle  traduction 
d'Hermès ,  mais  qu'ils  n'avaient  pas  eu  le  tems  de  finir,  et  of- 
frirent de  proposer  une  profession  de  foi  au  Saint-Siège. 

Il  ne  fut  pas  difficile  aux  théologiens  romains,  de  s'apercevoir 
que  sous  tous  ces  prétextes  ,  ils  visaient  à  obtenir  une  nouvelle 
révision  des  doctrines  d'Hermès,  ce  qui  impliquait  que  le  bref 
de  coradamnation  était  nul.  En  effet  dans  une  lettre  au  cardinal 
Lambruschini,  du  24  juillet  iSSj,  ils  insinuèrent  l'espérance 
de  voir  modifier  le  jugement  sur  Hermès  ,  ou  au  moins  qu'on 
distinguerait  les  doctrines  d'Hermès  de  l'enseignement  de  ses 
disciples  ;  et  c'est  pour  cela  qu'ils  offraient  de  recevoir  une 
profession  de  foi.  Le  cardinal  leur  répondit  le  5  aotàt,  que  leur 
lettre  avait  profondément  affligé  Sa  Sainteté,  qu'elle  regardait 

>  Le  Semeur  du  4  avril  1808. 

»  D'autre  part  ils  reprochaient  au  P.  Pcronnc  ,  jésuite,  d'avoir  été  la 
cause  de  la  condamnation  d'Hermès,  parce  qu'il  avait  montré  dans  ses 
pralttttQnts  thtologitce  (note  p.  aSg),  le  danger  de  la  méthode  d'Hcrmè». 


116  HISTOIRE    DE    L'flERMÉSIAÎiISME. 

leur  demande  comme  une  injure,  que  la  profession  de  foi  était 
inutile ,  vu  qu'il  n'y  avait  qu'à  accepter  le  bref,  et  retourner  en 
Allemagne. 

Les  professeurs  repoussés  de  ce  côté,  tentèrent  une  autre  voie 
pour  arriver  à  leurs  fins;  ils  composèrent  un  petit  écrit  qu'ils  in- 
titulèrent 3/<;/e/e?na/fli/^cc//og^/ca,  où  ils  exposaientleur  doctrine,  et 
l'ayant  adressé  au  maître  du'  sacré  palais,  ils  lui  demandèrent 
l'autorisation  de  l'imprimer  à  Rome.  Le  24  février  i858,  on  leur 
répondit  qu'on  ne  voulait  rien  décider  sur  le  contenu  de  cet 
écrit,  et  d'aulre  part,  par  des  motifs  extérieurs  et  fondés,  on  ne 
pouvait  leur  en  permettre  l'impression.  Les  professeurs  ,  dans 
une  lettre  dereinercîmenl  adressée  le  5  mars  à  Sa  Sainteté,  vou- 
lurent faire  passer  ce  refus  comme  uiic  approbation.  Son  Ex- 
cellence le  cardinal  Lambruschini  bur  répliqua  ,  le  1 1  mars, 
qu'il  était  surpris  qu'ils  n'eussent  pas  envoyé  leur  soumission 
au  bref,  et  qu'un  refus  d'imprimer  pût  être  regardé  comme  une 
approbation.  Sur  cela  MM.^Braun  et  Elvenik  ,  envoyèrent  le  4 
avril,  une  dernière  lettre,  où  ils  découvraient  toute  leur  pensée, 
distinguaient  le  droit  qu'avait  le  pape  de  condamner  les  erreurs, 
du  fait  qu'elles  se  trouvassent  dans  les  livres  d'Hermès,  ce  qui 
était  la  pure  doctrine  janséniste  :  voici  leurs  propres  paroles  : 

«  Quant  aux  deux  propositions  condamnées  en  termes  exprès 
»  dans  le  bref,  nous  ne  les  avons  jamais  entendues  de  sa  bouche 
B  et  nous  ne  les  avons  jamais  aperçues  dans  ses  ouvrages,  malgré 
«que  nous  les  ayons  lus  plusieurs  fois  et  avec  la  plus  grande  at- 
»  tention  ;  que  si  nous  disions  une  autre  chose,  ouvertement  ou 
»  tacitement,  nous  nous  rendrions  coupables  d'un  honteux 
B  mensonge.  La  voix  de  notre  conscience  nous  avertit  de  ne  rien 
«faire  de  tel ,  et  nous  supporterons  plutôt ,  s'il  le  faut ,  toutes 
«sortes  de  peines  et  de  malheurs.» 

Le  cardinal  leur  répondit  le  surlendemain  qu'il  voyait  avec 
peine  qu'ils  étaient  entrés  tout-à-fait  dans  la  voie  de  l'erreur, 
et  qu'il  était  inutile  qu'ils  lui  écrivissent  de  nouveau  sur  cette 
affaire. 

C'est  ainsi  que  ces  Messieurs  sont  partis  de  Rome.  Nous  ne  sa- 
vons jusqu'à  quel  point  ce  voyage  leur  aura  été  profitable,  car  on 
n'a  plus  eu  de  leurs  nouvelles.  Cependant  il  paraît  que  plusieurs 
de  leurs  collègues  d'Allemagne  se  sont  décidés  à  se  soumettre. 


HISTOIRE  t>E   L'HERMÊSIANISME.  117 

Nous  allons  les  citer  sommairement ,  et  c'est  par  là  que  noui 
finirons  ce  long  article. 

Soumission  de  quelques  proFcsseur  llci-mét>lcn8. 

Quand  l'archevêque  de  Cologne  fut  arraché  à  son  diocèse , 
on  sait  que  le  chapitre  ,  usurpant  un  droit  qu'il  n'avait  pas,  se 
réunit  dès  le  lendemain  pour  nommer  un  administrateur, 
comme  si  le  siège  était  vacant.  M.  Husgen  fut  désigné;  c'était 
une  chose  arrangée  dWance  avec  le  gouvernement.  Le  nouvel 
élu,  contre  le  [droit  et  son  devoir,  changea  tout  ce  qu'avait 
iait  l'archevêque.  Les  Hermésiens  furent  rétablis  dans  leurs 
places;  la  signature  des  18  articles  abolie;  les  examinateurs, 
choisis  par  l'archevêque  pour  la  charge  des  âmes ,  supprimés  ; 
un  élève  du  séminaire  chassé  pour  avoir  conservé  une  copie 
des  18  thèses.  Cependant,  pour  la  forme,  à  rouverlure du  cours 
de  1808,  les  professeurs  de  l'université  assurèrent  qu'ils  accep- 
taient la  bulle  comme  ils  l'avaient  Ucjd  acceptée;  et  à  la  pédagogie, 
qui  se  trouvait  réduite  à  i5  élèves,  le  président,  M.  Achterfeldt, 
lut  la  déclaration  suivante  : 

«  Par  rapport  à  la  condamnation  des  écrits  d'Hermès,  nous 
•  déclarons  que  nous  nous  soumettons  à  la  décision  de  Rome, 
>  comme  nous  favons  fait  toujours,  d 

Puis  lecture  fut  faite  de  l'autorisation  de  M»  Husgen. 

«I  Puisque  vous  vous  êtes  soumis  à  la  décision  du  Saint-Siège, 
»je  vous  concède,  par  mandat  du  chapitre  métropolitain ,  la  per- 
»  mission  de  commencer  vos  leçons.  » 

Le  Saint-Père  instruit  seulement  alors  de  ce  qui  avait  été  fait, 
par  sa  lettre  du  9  mai,  permet  à  M.  Husgen  de  continuera  ad- 
ministrer comme  vicaire  de  ^archevêque  ,  mais  lui  reproche  les 
changemens  qu'il  a  faits  dans  l'administration,  et  surtout  d'avoir 
changé  les  examinateurs  nommés  par  l'archevêque ,  et  d'avoir 
donné  des  cures  à  des  hommes  suspects.  De  plus,  il  lui  impose 
l'obligation  de  lui  prouver  sa  soumission  au  décret  sur  Hermès 
et  sa  vigilance  à  le  faire  exécuter.  Nous  ne  savons  si  la  soumis- 
sion de  M.  Husgen  est  sincère,  et  s'il  obéira  à  son  chef  spirituel 
mais  quelques  universités  paraissent  l'avoir  fait. 

Dans  celle  de  Trêves,  le  1/4  juin  i838,  MM.  Biunde  et  Rosem- 
baun  ont  envoyé  à  l'administrateur  de  ce  diocèse,  M.  Gunlher, 
ToMu  x>'ii.-N°  98.  i838.  8 


il8  HISTOIRE   DE   L'HERMÉSIAWiSMÉ. 

une  lettre  dans  laquelle  ils  déclarent  que  d'après  là  lettre  du  4 
avril  du  cardinal  Lambruschini ,  comme  il  coiïstè ,  qu'après 
avoir  examiné  de  nouveau  l'affaire  (iterùm  excussâ),  la  condamna- 
tion subsiste,  ils  se  soumettent  au  jugement  du  S. -Siège  avec  l'obéis- 
sance requise. 

Celte  lettre  en  contenait  une  autre  du  8  juin,  adressée  au  S.- 
Père,  dans  laquelle  ils  lui  faisaient  connaître  qu'ils  adhéraient  à 
la  doctrine  du  Saint-Siège  ,  purement,  simplement,  sans  au- 
cune condition  et  sans  aucune  restriction  mentale,  qu'ils  n'a- 
vaient différé  cette  démarche,  que  parce  qu'il  avait  perrûis 
à  MM.  Braun  et  Elvcnik  de  demander  quelques  explications.  A 
l'ouverture  du  cours,  le  12  juillet  dernier,  M.  Biunde  a  renou- 
velé ,  en  son  nom  et  en  celui  de  ses  collègues  ,  la  déclaration 
qu'ils  regardent  l'affaire  de  iViermésianisme  comme  finie. 

M.  Gunlher  voulut  se  conformer  à  la  légalité,  et  faire  passer 
les  deux  lettres  par  l'entremise  du  gouvernement;  mais  elles  lui 
furent  renvoyées,  avec  la  réponse  que  les  lettres  étaient  inutiles. 

Tel  est  Télat  actuel  de  l'Hermésianisme,  nous  tiendrons  nos 
lecteurs  au  courant  des  actes  et  décisions  qui  pourraient  le 
concerner;  en  attendant,  on  voit  que  ce  n'est  pas  sans  raison 
que  le  Saint-Siège  Ta  proscrit  de  l'enseignement  catholique,  et 
combien  l'Église  est  redevable  au  zèle  et  à  la  fermeté  inébranlable 
de  Mgr.  Clément-Auguste  DrostedeTVischering,  archevêque  de 
Cologne,  dans  la  lutte  qu'il  a  soutenue  glorieusement  contre  les 
prétentions  de  l'autorité  temporelle.  Ce  souvenir,  l'assentiment 
des  catholiques,  l'approbation  du  chef  de  l'Eglise,  doivent  le 
consoler  dans  sa  solitude  de  la  forteresse  de  Minden. 

A.  B. 


SUR  l'introduction  du  CHRISTIAN.  DANS  LES  GALLES.       119 


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^isicxxc  wCi'sîûsft(|tt^ 


SUR  L'INTRODUCTION   DU  CHRISTIANISME 

DANS  LES  GAULES. 

Ocuxicme  ^rfiçfe  \ 

» 

Mission  (îe  S.  Denis  à  Paris. — Des  sept  évêques  envoyés  dans  les  Gaules. 
Objeclions  faites  contre  Grégoire  de  Tours,  par  D.  Pvuînart.  — De 
Trophyme,  évèque  d'Arles.  —  De  S.  Denis,  évoque  de  Paris. — Lettre 
de  S.  Cyprien  sur  l'affaire  de  Trophyme  et  de  Marcien. — Persécution 
de  Vala'riea. — Nouveaux  évêques  pour  les  Gaules. 

YI.  Après  la  mort  de  l'empereur  Sévère,  l'Eglise  de  Rome  resta 
paisible  jusqu'à  Tan  2  5o  de  notre  ère.  Cette  année, -l'empereur 
Décius,  étant  venu  à  Rome  au  commencement  de  son  règne, 
publia  contre  les  Chrétiens  un  édit  sanglant  qu'il  envoya  à  tous 
les  gouverneurs  des  provinces.  Cet  édit  fut  exécuté  à  la  rigueur. 
Tous  les  magistrats  n'étaient  occupés  qu'à  chercher  les  Chré- 
tiens et  à  les  punir.  Aux  menaces  ,  ils  joignaient  un  appareil 
épouvantable  de  toutes  sortes  de  supplices  :  des  épées,  des  feux, 
des  bêtes  cruelles,  des  chaînes  de  fer  ardent,  des  chevalets  pour 
étendre  les  corps  et  les  déchirer  avec  des  ongles  de  fer.  Chacun 
s'étudiait  à  découvrir  quelque  nouvelle  torture.  Les  uns  dénon- 
çaient, les  autres  cherchaient  ceux  qui  étaient  cachés,  d'au- 
tres s'emparaient  de  leurs  biens.  Les  supplices  étaient  longs, 
pour  tromper  la  cruelle  espérance  de  la  mort  et  tourmenter 
jusqu'à  la  fin  ;  on  voulait  ainsi  faire  manquer  le  courage  ',  si 
cela  eût  été  possible.  On  peut  se  faire  une  idée  de  ces  souf- 
frances et  delà  constance  que  témoignaient  alors  les  Chrétiens, 

'  Voir  le  U^  article,  dans  le  N°  97,  ci-dessus,  p.  7. 
'  Histoire  ecclésiastique  de  Fleury,  livre  vi,  chap.  23. 


lîO  $rR  l'introduction  du  christianisme 

en  lisant  la  belle  tragédie  de  Polyeucte  •  dont  le  martyre  eut  lieu 

à  cette  époque. 

Pendant  cette  horrible  persécution,  dont  le  pape  saint  Fa- 
bien fut  l'une  des  premières  victimes  »,  l'Eglise  chrétienne  resta 
sans  chef.  Pour  élire  à  sa  place  un  autre  évéque  de  Rome,  les 
fidèles  attendirent  que  la  rigueur  de  la  persécution  fût  apaisée;  car 
dans  ces  commencemens,  une  partie  du  clergé  de  Rome  et  des 
évêques  voisins  étaient  prisonniers,  ou  dispersés  ou  cachés.  Ainsi 
le  S. -Siège  vaqua  près  d'un  an  et  demi;  le  clergé  inférieur  prit 
soin  du  gouvernement  de  l'Eglise  ^.  Décius  aurait  plutôt  souffert 
qu'un  rival  se  révoltât  contre  lui ,  pour  lui  disputer  l'empire, 
que  de  voir  élire  un  évéque  de  Rome  qui  pût  soutenir  la  religion 
chrétienne  contre  le  dessein  que  cet  insensé  avait  de  la  ruiner  *. 

Le  clergé  de  Rome  ,  c'est-à-dire  les  prêtres  et  les  diacres , 
crurent  que,  dans  ces  fâcheuses  circonstances,  ils  devaient  né- 
cessairement charger  du  soin  de  l'Eglise  romaine  ceux  que  leur 
dignité  inférieure  mettait  moins  en  vue,  c'est-à-dire  les  diacres. 
Ils  s'en  acquittèrent  avec  toute  la  vigilance  possible,  méprisant 
les  dangors  de  la  persécution  à  laquelle  ils  s'exposaient  ,  la 
redoutant  bien  moins  que  les  supplices  élcrnela,  et  surmontant 
la  crainte  des  hommes  par  celle  de  Dieu.  Us  n'abandonnèrent 
point  leurs  frères,  et  les  exhortèrent  à  demeurer  invincibles 
dans  leur  foi,  ils  firent  même  revenir  quelques  personnes  qui 
allaient  sacrifier  aux  idoles.  Par  ce  moyen,  l'Eglise  chrétienne 
conserva  sa  force  et  son  honneur,  à  l'exception  de  quelques 
hommes  faibles  que  leur  timidité  fit  céder  à  la  crainte  du  pou- 
voir, ou  que  leur  situation  élevée  dans  la  société  exposait  da- 
vantage à  la  persécution.  Ce  sont  ceux  auxquels  on  donna  le 
nom  de  tombés  '. 

Rome  avait  alors  des  communications  faciles  avec  Carlhage. 
Saint  Cyprien ,  évéque  de  cette  ville,  envoya  un  de  ses  sous- 

'  Par  Pierre  Corneille. 

»  llist.  Ecclésiasii(jue  de  Fleurjr, liv  vi,  ch.  2i, 
5  Jdem.  ch.  57. 

'  Mémoires  pour  servira  l'Histoire  Ecclésiastique,  par  Tilleraont.  Paris, 
1701,  ni,  i28. 

»  We»n,p.  ilSSetdSy. 


D.V«S    LES   GAU'-ES.  121 

diacres  appelé  Clément  ' ,  qui  vint  à  Rome  vers  Pâques  de  l'an 
25o,  c'est-à-dire  vers  le  7  avril,  et  qui  y  représenta  ainsi  le  prélat 
le  plus  célèbre  de  cette  époque.  C'est  donc  lui  qui  présida  dans 
ces  tems  difficiles  le  clergé  de  la  capitale  du  monde  chrétien  ». 
Ce  fut  sous  celte  présidence  que  des  hommes  d'une  naissance 
distinguée,  pénétrés  d'un  grand  zèle  pour  la  religion,  se  vouèrent 
à  une  mission  apostoli(|ue.  Voyant  qu'en  Italie  la  persécution 
était  portée  à  son  comble,  que  les  Chrétiens  ne  pouvaient  jouir 
d'aucun  lepos,  qu'ils  étaient  traînés  au  supplice  aussitôt  qiie 
reconnus,  remarquant ,  comme  par  une  inspiration  de  la  grâce 
divine,  qu'il  y  avait  Lors  de  l'Italie  une  abondante  moisson  à 
recueillir,  ils  résolurent  de  fuir  la  présence  du  tyran  ,  et  d'aller 
dans  les  Gauks  pour,  ce  qu'ils  regardaient  comme  la  plus  grande 
gloire  de  Dieu,  enseigner  à  tous  l'Evangile  suivant  le  comman- 
dement de  Jésus-Christ.  Ils  étaient  bien  persuadés  que  les  per- 
sécuteurs ne  leur  manqueraient  pas  long-tems ,  et  que  la  palme 
<Ju  martyre  serait  aussi  leur  partage.  Ce  n'était  pas  la  mort 
qu'ils  voulaient  éviter;  mais  ils  espéraient  que  leur  vie  serait 
iitile  '. 

Grégoire  de  Tours  dit  formellement  '•  que  sous  le  consulat  de 
Décius  et  de  Gratus,  c'est-à-dire  l'an  aSo  de  notre  ère,  sept 
missionnaires  vinrent  de  Rome  dans  les  Gaules  pour  y  prêcher 
l'évangile  :  l'évèque  Gati'en  fut  envoyé  à  Tours,  l'évêquc  Tio-^ 
phyme  à  Arles  ,  l'évéque  Paul  à  Narbonne,  l'évêque  Saturnin  à 
Toulouse,  l'évêque  Denis  à  Paris,  l'évêque  Austvemoine  à  Cler- 
mont,  l'évêque  Martial  à  Bourges. 

Notre  ancien  historien  parle  ici  d'un  événement  Irès-impor- 
tanîpourl'histoire  ecclésiastique  de  France,  de  laquelle  il  s'oc- 
cupait principalement.  Le  fait  était  j)eu  antérieur  à  lui;  il  n'a 
pu  qu'en  être  bien  instruit,  et  l'on  voit  avec  peine  que  le  béné- 
dictin, dora  Ruinart,  sou  éditeur,  a  voulu  le  combattre.  çiGré- 

»  Histoire  ecclésiastique  de  Fleury,  liv.vi,  oh.  36. 

•  Venance  Fortunat  lui  donne  le  titre  de  Prœsul  dans  une  ode  que  j'ai 
rapportée  {Annales  du  Hainaut ,  xvi ,  i50). 

•  Jacques  de  Guise  dans  les  Annales  du  Hainaut,  t.  v,  p.  137. 

4  Hist.  des  Francs,  liv.  i,  ch.  28,  p.  61  de  l'édition  publiée  par  la  so- 
ciété de  l'Histoire  de  France. 


122  SUR  l'i.mroductiou  du  christianisme 

igoire  de  Tours,  dit-il  *,  rapporte  ce  que  lui  apprenait  une 
«tradition  vulgaire,  qui  n'est  pas  confirmée  par  les  actes  de 
«saint  Saturnin.  »  —  t  Ces  actes  '  font  connaître  l'époque  de  la 
«mission  de  l'évêque  de  Toulouse;  mais  ils  ne  contiennent  rien 
»de  relatif  aux  autres  évoques  cités  ici,  et  dont  l'arrivée  dans  les 
»  Gaules  paraît  à  dom  Ruinart  avoir  eu  lieu  en  différens  tems. 

•  Grégoire  de  Tours,  qui  les  croyait  tous  arrivés  ensemble,  a 

•  conclu  à'tort ,  toujours  selon  dom  Ruinart,  de  la  date  certaine 
«indiquée  dans  les  actes  de  saint  Saturnin  ,  la  date  de  l'arrivée 
»des  six  autres  évoques.  » 

Telle  est  l'objection  que  l'abbé  Fleury  répète  sans  la  résou- 
dre *,  et  à  laquelle  j'ai  cru  devoir  répondre.  Je  ne  crois  pas  que 
cette  discussion  puisse  paraître  trop  longue  à  ceux  qui  voudront 
bien  observer  la  difficulté  qu'il  y  avait  à  l'éclaircir.En  effet  les  trai- 
tés ne  nous  manquent  pas  sur  cette  matière  4.  J'ai  déjà  essayé 
dans  un  autre  ouvrage  d'écarter  tous  les  nuages,  et  de  venger  la 
mémoire  de  Grégoire  de  Tours,  abandonné  même  par  son 
meilleur  éditeur  -.  J'ai  résumé  cette  défense  dans  la  dernière 
édition,  qxie  la  société  de  l'Iiistoire  de  France  a  tâché  de  rendre 
supérieure  à  celle  de  domRuinart,  et  qui  est  accompagnée  d'une 
traduction  française  *.  Je  reproduis  icice  résumé  avec  quelques 
additions. 

Des  sept  évêques  envoyés  dans  les  Gaules  l'an  250. 

Le  premier  des  évêques  nommés  par  Grégoire  de  Tours  ,  est 
saint  Gatien  son  prédécesseur  ,  sur  lequel  cet  historien  ne  pou- 
vait se  tromper;  aussi  n'y  a-t-il  aucune  difficulté  à  ce  sujet,  et 
l'on  s'accorde  aie  placer  sous  l'an  200  7. 

'  Note  rapportée  à  la  page  61  de  cette  édition.  * 

3  Note  T  puisée  dans  dora  Ruinart  ,  page  3GI  du  même  volume. 
'  Histoire  ecclésiastique  ,  livre  vi ,  cliap.  L9, 

*  Voyez  dom  Denis  de  sainte  Marthe  :  Gallia  chrisliana  nova,  tome  i , 
page  520 ,  elc. 

5  Voyez  les  Annales  de  Hainaut ,  tome  xix  ,  page  i  1 1  et  suiv. 

*  Elle  est  publiée  chez  Jules  Renouard,  libraire  de  la  Société,  en  quatre 
volumes  in-8°.  On  y  trou\cra  cette  note  à  la  page  337  du  tome  iv. 

7  Voyez  la  Gallia  christiaiui ,  ainsi  que  Baillct  cl  Godeseard,  sous  le  18 
dcccmbrc. 


DANS   LES   GAULES,  iî3 

Le  second  est  Trophyme ,  évêque  d'Arles ,  sur  lequel  il  y  a  des 
difficultés  que  je  crois  avoir  surmontées  par  la  lecture  attentive 
et  la  publication  des  œuvres  d'un  écrivain  contemporain , 
certainement  très-respectable,  puisque  c'est  saint  Cyprien.  Le 
chanoine  Saxi,  qui  s'est  occupé  des  anciens  évoques  d'Arles  ', 
n'a  pas  connu  ce  Trophyme  ,  et  en  voici  la  raison  :  c'est  que 
cet  évêque  avait  été  rayé  des  diptiques.  En  efTet  saint  Cyprien 
parle  d'un  évêque,  appelé  Trophyme,  qui  avait  eu  le  malheur 
de  se  trouver  au  nombre  des  Tombés  '.  11  avait  quitté  l'Eglise 
en  offrant  de  l'encens  aux  idoles,  comme  saint  Cyprien  le  mar- 
que assez  nettement ,  et  il  avait  entraîné  avec  lui  la  plus  grande 
partie  de  son  peuple,  ce  qu'Eudémon  avait  tâché  de  faire  à 
Smyrne  dans  la  même  persécution  de  Décius,  et  ce  que  Réposte, 
évêque  d'Afrique,  avait  fait  effectivement.  Mais  l'erreur  ne  fut 
pas  longue  dans  le  diocèse  d'i\rles.  Le  peuple  et  le  clergé,  jus- 
tement mécontens  de  la  conduite  de  leur  pasteur,  lui  nommè- 
rent un  successeur,  appelé  Marcien,  inscrit  sur  la  liste  des  évo- 
ques ^  Trophyme,  rentré  en  lui-même,  avoua  sa  faute,  et 
demanda  pardon  avec  toute  l'humilité  et  toutes  les  œuvres  de 
satisfaction  et  de  pénitence  que  l'on  pouvait  désirer.  Ce  qui 
contribua  le  plus  à  le  faire  admettre  à  la  communion,  ce  fut 
que  tout  son  peuple  revint  avec  lui ,  et  ce  peuple  ne  serait  re- 
venu aussi  complètement  qu'avec  lui.  LepapeCorneille,  nommé 
enfin  le  4  jui"  25i ,  crut  que  le  retour  de  tant  de  personnes, 
était  une  assez  ample  compensation  de  la  faute  de  Trophyme, 
et  une  cause  suffisante  pour  ne  pas  suivre  rigoureusement 
l'exemple  que  lui  avaient  donné  ses  prédécesseurs  en  de  sembla- 
bles occasions.  Ainsi  après  qu'il  eut  examiné  cette  affaire  avec 
beaucoup  d'autres  évêques ,  et  peut-être  dans  le  Concile  tenu  à 
Rome  l'an  25 1 ,  il  admit  Trophyme  à  la  communion,  mais  seu- 
lement comme  laïque,  quoique  les  partisans  du  schismatique 
Novatien  prétendissent  qu'il  était  rentré  dans  la  dignité  ecclé- 
siastique 4.  Marcien  ,  qui  avait  été  substitué  à  Trophyme ,  con- 

•  Annales  de  Hainnut ,  xvi ,  i81  ,  où  je  cite  le  Poniificium  arelatense  de 
Saxi ,  Aquissextiis  ,  1620,  page  7. 

2  Mémoires  de  Tillemonl,  iir  ,  iù7, 

*  Annales  de  Hainaut,  xvn  ,97. 
4  Id.  page  76. 


1Î4  SL'R  l'introduction  bu  christianisme 

tinua  d'exercer  les  fonctions  épiscopales.  Mais  Grégoire  do 
Toura  n'en  a  pas  moins  eu  raison  de  dire  que  l'évêque  repen- 
tant vécut  dans  une  éminente  sainteté,  acquérant  des  peuples 
à  l'Eglise,  et  répandant  partout  la  foi  du  Christ.  L'exemple  d'un 
repentir  sincère  est  souvent  plus  efficace  pour  rappeler  à  la 
vertu,  qu'une  piété  soutenue  et  toujours  constante  '. 

Il  y  a  donc  eu  un  Trophyme  évéque  d'Arles,  l'an  aSo,  mais 
rien  n'empêche,  si  l'on  veut,  d'admettre  la  tradition  reçue 
dans  cette  ville  [art.  II),  que  dès  l'an  58  de  notre  ère ,  un  autre 
Trophyme,  disciple  de  saint  Paul,  ait  le  premier  porté  la  foi 
dans  ce  diocèse  '. 

Le  troisième  apôtre  des  Gaules  est  saint  Pau/,  évoque  de  Nar- 
bonne,  et  11  n'y  a  nulle  difficulté  sur  ce  sujet  '. 

Quant  au  quatrième,  qui  est  Saturnin,  évêque  de  Toulouse  , 
il  est  bien  démontré  que  sa  mission  a  eu  lieu  l'an  200 ,  et  dom 
Ruiuart  lui-même  a  imprimé  les  actes  de  son  martyre  ,  dont  il 
garantit  l'authenticité  ^.  Je  les  ai  réimprimés  d'après  lui. 

Le  cinquième  apôtre  des  Gaules  est  saint  Denis  ,  évêque  de 
Paris,  que  les  Bénédictins  ont  voulu  confondre  avec  Denis 
l'Aréopagite,  qui  avait  souffert  le  martyre  l'an  gS  de  notre 
ère  ',  tandis  que  saint  Denis  ,  évêque  de  Paris  ,  organisa  la 
mission  de  saint  Piat  et  de  ses  compagnons  dans  le  nord  de  la 
Gaule  au  3«  siècle  de  notre  ère,  comme  Jacques  de  Guise  le 
rapporte  fort  au  long  ^.  Ces  deux  Saints  ne  doivent  donc  pas 
être  confondus ,  et  Grégoire  de  Tours  ne  peut  être  soupçonné 
d'un  pareil  anachronisme.  L'esprit  de  corps,  ordinairement  si 
aveugle,  peut  seul  faire  comprendre  ici  l'obstination  de  cet  or- 
dre d'ailleurs  si  savant.  C'est  ainsi  que  les  Carmes  voulaient 
absolument  que  le  prophète  Elle  eût  fondé  leur  ordre  sur  le 
mont  Carniel. 

Personne  n'a  osé  contredire  Grégoire  de  Tours  sur  le  tera? 

>  Id.  page  96. 

*  Id.  Tome  y  VI,  page  i66. 

'  Voyez  les  Viei  des  Saints ,  par  Godescard;  sous  le  22  mar?. 

*  yinnaUs  de  Uainauty  xvi,  424. 
»  Id.  XVI ,  320. 

•Uv,  139. 


DANS   LES   GALLES.  125 

auquel  il  place  saint  A ustremoine^  premier  évêquede  Clermont, 
où  notre  historien  était  né  '. 

Il  en  est  de  même  du  septième  et  dernier  apôtre  des  Gaule?, 
saint  Martial ,  évêque  de  Limoges  '. 

Quelle  raison  y  a-t-il  donc  de  faire  à  Grégoire  de  Tours,  le 
reproche  que  lui  adresse  dom  Ruiuart  ,  d'avoir  ignoré  une  épo- 
que de  laquelle  il  était  si  voisin?  d'avoir  mal  connu  un  événe- 
ment qui  lui  était  si  facile  d'éclaircir,  et  qui  était  son  objet 
principal  ?  d'avoir  confondu  des  noms  qui  devaient  lui  être  si 
familiers,  et  qui  devaient  être  le  sujet  de  deux  offices  difFérens 
dans  son  diocèse,  comme  ils  le  sont  encore  aujourd'hui  *,  puis- 
que l'un  est  célébré  le  3  et  l'autre  le  9  octobre?  L'existence  de 
l'Aréopagite  Denis  lui  était  enseignée  dans  les  acies  des  Apôtres 
de  la  manière  la  plus  claire.  Si  ce  Denis  était  venu  prêcher  le 
Christianisme  dans  les  Gaules,  comment  n'aurait-il  pas  fait 
mention  d'un  événement  qui,  de  son  tems,  aurait  sans  doute 
laissé  des  traces  à  Paris?  c'est  ce  qui  ne  peut  être  supposé.  Ici 
l'argument  négatif  est  en  quelque  sorte  sans  réplique,  que  les 
ténédiciins  et  les  Parisiens  se  contentent  donc  de  leur  vérita- 
ble Apôtre  dont  la  gloire  doit  leur  suffire,  et  qu'ils  ne  violent  pas 
toutes  les  lois  de  l'histoire  pour  établir  un  fait  dont  les  plus  sa- 
vans  d'entr'euxonteux-mêmes  reconnu  la  fausseté!  Mais  comme 
dom  Tassin,  dans  son  excellent  traité  de  diplomatique  ^  qui  est 
encore  aujourd'hui  classicfue  dans  son  genre ,  semble  défendre 
celte  fausse  mais  ancienne  tradition,  j'ai  cru  nécessaire  de  la 
réfuter  par  une  exposition  des  faits  entièrement  neuve.  Per- 
sonne, avantmoi,  n'y  avait  employé  les  œuvres  de  saint  Cyprien, 
auteur  contemporain,  pour  expliquer  le  moi  prœ s ul  dans  l'ode 
célèbre  de  Forluriat,  et  pour  découvrir  un  évêque  d'Arles  du 
nom  de  Trophyme  l'an  aSo.  J'ai  donc  rendu  service  à  l'histoire 

»  Voyez  les  Fies  des  Saints,  par  Baillet  ou  par  Godescard,  le  I«^  nov. 

•  Id.  Sous  le  30  juin.  Voyez  la  Gallia  christiana  nova,  tome  11,  p.  C99 
et  553.  Voyez  aussi  l'histoire  de  C Eglise  Gallicane,  par  les  pères  Lon- 
gueval,elc.  Paris,  1825  :  r.  Dissertation  préliminaire,  page  lxxvi.  Le 
père  Longueval  n'a  pu  justifier  Grégoire  de  Tours,  au  sujet  de  Tro- 
phyme ,  il  n'a  pas  consulte'  saint  Cyprien  sur  ce  sujet. 

'  Vies  des  Saints  ,  par  Godescard. 

*  iCiouveau  traité  de  diplomaûquf.  Paris,  1750,  pre'façc,  ^^^^\\; 


136  SUR  l'introduction  du  christianisme 

ecclésiastique  et  à  la  mémoire  de  notre  premier  historien,  et 
j'ai  quelque  droit  de  m'en  féliciter. 

A  la  vérité  saint  Cyprien  ne  dit  pas  formellement  quel  a  été 
l'évêché  de  Trophyme  ;  mais  ce  qui  le  fait  bien  comprendre , 
c'est  que  Marcien,  qui  a  certainement  succédé  à  cet  évéché  ', 
craignant  vraisemblablement  que  Trophyme  ne  fût  rappelé, 
embrassa  l'hérésie  de  Novatien ,  qui  ne  voulait  point  que  Pon 
pardonnât  aux  tombés.  C'est  ce  que  nous  apprenons  par  la  lettre 
suivante  que  saint  Cyprien,  évoque  de  Carthage,  écrivit  au  pape 
Etienne,  l'an  204  '. 

Cyprien  à  Etienne  son  frère  '. 
YlII.  «  Faustin,  évéque  de  Lyon ,  m'a  écrit  deux  fois,  mon  très- 
))cher  frère  ,  pourm'averlir  d'une  chose  que  je  sais  que  lui  et  nos 
»  collègues  qui  sont  dans  la  même  province  vous  ont  fait  savoir  : 
«c'est  que  Marcien, évéque  d'Arles,  s'est  joint  à  Novaticn;  il  s'est 
■  séparé  de  l'Eglise  catholique  et  de  notre  corps  pour  embrasser 
»  les  maximes  inhumaines  d^une  hérésie  orgueilleuse,  qui  ferme 
B  la  porte  de  la  clémence  et  de  la  miséricorde  de  Dieu  à  ceux  qui  y 

•  frappent  parleurs  larmes  et  leurs  gémissemens;  sans  se  mettre 
»  en  peine  de  guérir  leurs  blessures,  il  leur  ôte  toute  espérance  de 
»  pouvoir  être  admis  à  la  paix  et  à  la  communion,  les  abandonnant 
»  en  proie  à  la  rage  des  loups  et  à  celle  du  diable  *.  C'est  à  nous , 
»mon  très-cher  frère,  à  pourvoir  à  un  si  grand  mal,  à  nous  , 
»dis-je,  qui  ayant  devant  les  yeux  la  bonté  divine,  et  tenant  en 

•  main  la  balance  pour  gouverner  l'Eglise  avec  un  juste  tempé- 
»  rament,  conservons  tellement  la  vigueur  de  la  discipline  en- 
»vers  les  pécheurs  que,  pour  les  relever  de  leur  chute  et  pour 
»les  guérir,  nous  ne  leur  refusons  pas  le  pardon  qu'ils  deman- 
»deut.  C'est  pourquoi  il  faut  que  vous  écriviez  de  longues  lettres 
»à  nos  collègues  les  évoques  qui  sont  dans  les  Gaules,  afin  qu'ils 
»  ne  souffrent  plus  que  Marcien ,  qui  est  un  homme  superbe  et 

^  Abrégé  chronologique  de  '.'histoire  d'Arles,  par  Lalauzière.  Arles, 
1808,  page  35. 

»  Et  non  253  comme  ledit  Fleury,  livre  vu;  chap.  2^. Voyez  les  ^n- 
nales  de  Hainaut.  Paris  ,  1836.  xvai ,  1i8. 

»  Id,  page  U9. 

•i  Ad  luporum  rapinam  et  prœdam  diaboli. 


DANS   DES   GAULES.  127 

«présomptueux,  l'ennemi  de  la  bonlé  de  Dieu  et  du  salut  de 
«nos  frères,  insulte  davantage  à  notre  collège  ',  sous  prétexte 
»  que  nous  ne  l'avons  pas  encore  excommunié  ;  ni  qu'il  se  vante, 
»  comme  il  le  fait ,  de  s'être  séparé  de  nous  pour  suivre  Novatien. 
•  Car  il  y  along-tems  que  Novatien  lui-même  a  été  excommunié 
»et  déclaré  ennemi  de  l'Eglise  ',  de  sorte  que  nous  ayant  en- 
Bvoyé  quelques  députés  pour  être  admis  à  notre  communion, 
»  plusieurs  évêques  qui  étions  assemblés  lui  fîmes  cette  réponse, 
«que  nul  de  nous  ne  pourrait  communiquer  avec  lui  parce  qu'il 
i> s'était  retiré  de  l'Eglise,  et  qu'après  que  Corneille  avait  été  or- 
»  donné  évêque  de  Rome  par  le  jugement  de  Dieu  ,  et  par  les 
«suffrages  du  clergé  et  du  peuple,  il  avait  entrepris  d'élever  un 
s  autel  profane,  d'établir  une  chaire  adultère ,  et  d'offrir  des 
«sacrifices  sacrilèges  ^,  à  la  place  du  véritable  évêque  seul  qui 
»en  pouvait  offi'ir  de  saints  et  légitimes  ;  qu'ainsi,  pour  se  faire 
D reconnaître  et  suivre  des  conseils  plus  sages  et  plus  modérés, 
»  il  devait  faire  pénitence  et  retourner  humblement  à  l'Eglise. 

»  N'est-ce  donc  pas  une  chose  honteuse,  mon  très-cher  frère , 
»  que  Novatien  ayant  été  naguère  chassé,  rejeté  et  excommunié 
«par  les  évêques  de  toute  la  terre  '',  nous  souffrions  que  ses  par-  , 
«tisans  se  moquent  encore  de  nous,  et  se  constituent  les  juges 
»de  l'Eglise?  Envoyez  donc  des  lettres  à  la  province  et  au  peuple 
«d'Arles,  par  lesquelles  excommuniant  Marcien,  un  autre  soit 
«élu  en  sa  place;  afin  que  le  troupeau  de  Jésus-Christ,  qui  a 
«été  dissipé  et  laissé  par  lui  à  l'abandon  jusqu'à  cette  hevire,  soit 
«recueilli  et  rassemblé.  Qu'il  nous  suffise  que  plusieurs  de  nos 
«frères  soient  morts  ces  années  passées  sans  recevoir  la  paix; 
«tâchons  de  secourir  ceux  qui  restent,  qui  gémissent  jour  et 
«nuit,  qui  implorent  sans  relâche  la  miséricorde  de  Dieu  ,  et 
«demandent  notre  assistance. 

«Car  c'est  pour  cela,  mon  très-cher  frète,  que  le  corps  des 
«évêques  est  grand,  et  que  toutes  ses  parties  sont  extrêmement 
«liées  et  unies  ensemble,  afin  que  si  quelqu'un  de  notre  société 

•  Au  collège  des  évêques  qui  avaient  parilonné  à  Trophyme. 

»  Au  Concile  de  Rome,  tenu  l'an  25 1  par  le  pape  Corneille. 

'  Sacrilega...  sacrificia. 

i  Voici  un  exemple  remarquable  de  ces  mots  :  toute  (a  terre  ,  appliques 
non  à  la  terre  entière  ,  mais  à  celle  dont  la  surface  était  habitée  alors  par 
I«6  chrétiens  et  qui  n'étaient  pas  novalieus. 


128  SUR  l'introduction  du  christianiser 

•  vient  à  faire  une  hérésie  et  ravage  le  troupeau  de  Jésus-Christ, 

•  les  autres  s'empressent  de  le  secourir,  et,  comme  de  bons  et 
«charitables  pasteurs,  rassemblent  sesbrebis  dispersées, dans  une 

•  même  bergerie.  Car  ne  voyons-nous  pas  que  lorsqu'un  port  de 
«mer  est  rompu  et  dangereux  pour  les  vaisseaux,  les  navigateurs 

•  abordent  ailleurs?  et  que,  lorsqu'il  y  a  sur  vme  roule  quelque 

•  hôtellerie  pleine  de  voleurs  ,  on  l'évite  et  l'on  va  se  loger  ail- 
»  leurs?  Nous  devons  faire  la  même  chose  à  l'égard  de  nos  frères 
»  qui ,  après  avoir  évité  les  écueils  de  M  arcien ,  cherchent  le  port 

•  salutaire  de  l'Eglise.  Il  faut  les  recevoir  avec  charité  et  avec 
»)oie;  il  faut  les  retirer  dans  une  hôtellerie  semblable  à  celle 

•  de  l'évangile  ',   où  ceux  qui  ont  été  blessés  par  les  voleurs 

•  puissent  être  traités  et  assistés  comme  il  faut  par  le  maître  de 
»  l'hôtellerie.   Car  à  quoi  les   pasteurs  doivent  veiller  davan- 

•  tage ,  qu'à  guérir  et  à  conserver  les  brebis  qui  leur  ont  été 

•  confiées,  puisque  Dieu  dit  : 

«  Vous  n'avez  point  fortifié  les  brebis  faibles ,   ni  guéri  les 

•  malades;  vous  ne  pansiez  pas  les  blessées;  vous  n'avez  point 

•  relevé  celles  qui  étaient  tombées,  et  vous  n'avez  point  cherché 

•  celles  qui  s'étaient  perdues....,  et  mes  brebis  ont  été  dispersées, 

•  parce  qu'elles  n'avaient  point  de  pasteurs;  et  elles  sont  devenues 

•  la  proie  de  tout  es  les  bêtes  farouches....,  et  nul  ne  les  cherchait  ; 

•  nul,  dis-je,  n'était  qui  les  rassemblât....,  c'est  pour([uoi.... , 

•  voici  ce  que  dit  le  Seigneur  Dieu  :  —  Je  viens  moi ,  à  cespas- 

•  leurs;  je  redemanderai  mon  troupeau  à  leurs  mains,  et  j'empê- 

•  cherai  qu'ils  ne  paissent  mon  troupeau,  et  que  ces  pasteurs 

•  ne  se  paissent  eux-mêmes  ;  et  j'arracherai  mon  troupeau   à 

•  leur  bouclie,  et  désormais  il  ne  sera  plus  leur  pâture....  Je  les 

•  conduirai  moi-même  avec  discernement  '. 

•  Ainsi,  puisque  notre  Seigneur  menace  de  la  sorte  les  pas- 
»  leurs  qui  négligent  et  laissent  périr  ses  brebis,  ne  faut-il  pas, 

•  mon  très-cher  frère,  que  nous  prenions  tout  le  soin  possible 
>  pour  les  rallier  et  pour  les  guérir  ?  vu  que,  comme  Jésus-Christ, 

•  le  dit  lui-même  dans  l'Evangile  : 

•  Ce  ne  sont  pas  ceux  qui  se  portent  bien  qui  ont  besoin  de 

•  médecin  ,  mais  les  malades  '. 

"  Evangile  de  S.-Luc.  x  ,  33. 

'  Etéeh.    XXXIV,  ii, —  /6. 

»  E^angi'c  ^fi  ^•-  Maih.  ix  ,  12. 


DANS  LES  GAULES.  129 

•  Car,  quoique  nous  soyons  plusieurs  pasteurs,  nous  ne  pais- 
»  sons  tous  néanmoins  qu'un  même  troupeau;  nous  sommes 
«obligés  de  rassembler  et  de  secourir  toutes  les  brebis  que  J.-C. 
i»a  acquises  par  son  sang  et  par  sa  mort,  sans  permettre  qu'on 

•  méprise  cruellement  les  larmes  et  les  soumissions  de  nos  frè- 
»  res,  et  que  quelques-u  ns  les  foulent  aux  pieds  par  une  présomp- 
«tion  superbe,  puisqu'il  est  écrit  ; 

■  Un  homme  orgueilleux  et  présomptueux  ne  fera  jamais  rien, 
«parce  qu'il  ne  met  point  de  bornes  à  son  ambition  '. 

«Notre  Seigneur,  dans  son  évangile,  condamne  aussi  ces 
«sortes  de  personnes  ,  lorsqu'il  dit  : 

«Etcs-vous  de  ceux  qui  veulent  paraître  justes  devant  les 
«hommes?  Mais  Dieu  connaît  vos  cœurs;  car  ce  qui  est  grand 
«devant  les  hommes  est  abominable  devant  Dieu  '. 

•  Il  dit  qu'il  a  en  exécration  ceux  qui  se  complaisent  en  eux- 
«  mêmes,  et  qui  sont  superbes  et  arrogans  :  comme  donc  Mar- 
«cien  s'est  mis  de  ce  nombre-là  en  se  joignant  à  Novatien  et  en 
»  déclarant  la  guerre  à  la  clémence ,  qu'il  ne  prononce  pas  contre 
«les  autres  une  sentence  de  condamnation,  mais  que  lui-même 
»soil  condamné,  et  qu'il  ne  s'établisse  pas  juge  des  évêques 
«après  que  tous  les  évêques  l'ont  jugé;  car  il  faut  que  nous  con- 
»  servions  inviolable  la  gloire  de  nos  prédécesseurs  les  bienheu- 

•  reux  martyrs  Corneille  et  Luciiis  *,  obligation  qui  vous  regarde 
«encore  plus  que  nous  ,  mon  très-cher  frère;  vous  devez  hono- 
»  rerieur  mémoire  et  défendre  leur  conduite,  puisque  vous  leur 
«avez  succédé.  Or  ces  grands  personnages,  pleins  de  l'esprit  de 
»  Dieu  et  qui  out  glorieusement  souffert  le  martyre  ,  ont  cru 
»  qu'il  fallait  donner  la  paix  à  ceux  qui  sont  tombés;  ils  ont 
«  déclaré  par  leurs  lettres  qu'après  que  les  pécheurs  avaient  fait 
«pénitence,  il  ne  fallait  point  leur  refuser  la  communion  ;  c'est 

•  aussi  ce  que  nous  avons  tous  ordonné,  cir  nous  v.e  pouvons 
«pas  être  d'un  avis  différent  les  uns  des  autres,  puisque  nous 

>  Habacuc  f  il ,  5. 

»  Evang.'de  S.-Luc.  xvi,  15, 

•  Le  pape  Lucius,  successeur  de  saint  Corneille,  avait  reçu  la  couronne 
du  martyre  le  i  ou  le  5  de  mars  253,  après  avoir  gouverne  l'Eglise  de 
Rome  cinq  mois  cl  quelques  jours  Etienne,  son  principal  diacre  fu4,  élu 
après  lui  au  mois  de  mars  de  la  même  anne'e. 


130  SUR  l'introduction  du  chmstiamsme 

«sommes  tous  animés  d'un  même  esprit ,  et  c'est  ce  qui  fait 
»  voir  que  ce  n'est  pas  le  Saint-Esprit  qui  fait  agir  en  cette  oc- 
»  casion  ceux  dont  le  sentiment  est  contraire.  Ecrivez-nous  donc, 
Ds'il  vous  plaît,  qui  aura  été  mis  en  place  de  Marcien  ,  afin  que 
»nous  sachions  à  qui  nous  devons  écrire  et  nous  adresser. 

»Je  souhaite,  mon  très-cher  frère,  que  vous  vous  portiez 
«toujours  bien.  » 

Persécution  de  Valérien. 
IX.  Il  n'est  pas  prouvé  que  le  pape  Etienne  ait  adhéré  à  la 
demande  faite  avec  tant  d'autorité  par  saint  Cyprien  >.  Il  paraît 
au  contraire  que  Marcien  continua  de  gouverner  l'Eglise  d'Ar- 
les ,  et  Saxi  prolonge  le  pontificat  de  cet  évêque  jusqu'à  l'an 
5oo  '.  La  paix  qui  avait  régné  dans  l'Eglise  chrétienne  sous 
l'empereur  Valérien,  d'abord  favorable  à  celle  Eglise,  fut  trou- 
blée subitement  par  la  guerre  faite  aux  Chrétiens,  au  mois  de 
juillet  257.  Alors  commença  la  persécution  qui  est  comptée  pour 
la  neuvième,  en  distinguant  celle  de  Gallus  de  celle  de  Décius 
qui  est  comptée  pour  la  septième.  Celle  de  Valérien  fut  encore 
favorable  à  l'accroissement  du  Christianisme  dans  les  Gaules. 
Exercée  avec  violence  en  Italie  et  en  Afrique,  elle  ne  pénétra 
point  dans  les  Gaules ,  où  Posthume,  qui  s'y  était  rendu  indé- 
pendant, refusa  d'obéir  aux  ordres  de  Valérien.  Ce  fut  alors  que 
des  hommes  d'une  naissance  distinguée,  à  Rome,  quittèrent 
cette  capitale  pour  venir  joindre  leurs  travaux  à  ceux  de  saint 
Denis.  Saint  Luce ,  surnommé  Lucien  y  saint  Quentin  ^  sénateur, 
et  d'autres  saints  personnages  comme  Fuscien,  Victoric,  Crépin, 
Crcpinien,  Ru  fin,  Vallrc ,  Régale  et  Eugène,  voyant  que  la  per- 
sécution était  portée  à  son  comble,  que  les  Chrétiens  ne  pou- 
vaient jouir  d'aucun  repos  en  Italie,  et  qu'ils  étaient  traînés  au 
supplice  aussitôt  qu'on  les  avait  reconnus;  remarquant  enfin 
que  le  repos  dont  jouissait  la  Gaule  sous  la  domination  de  Pos- 

'  GalLia  cliristiana  nova  ,  Lutelioc  1715.  i,   522. 

'  Pontificium  arelatense,  Aquiisextiis ,  1629,  page  8;  ce  pontifical  mérite 
plus  de  confiance  que  les  prétendus  dipliques  d'Arles ,  rapporlés  parMa- 
biilon  (^Veterum  analeclorum  tomus  ni,  Luteùœ,  1682,  page  i32,  et  qui 
ne  sont  donnes  par  lui  que  comme  une  liste  infomie  dans  laquelle  Marcien 
est  enlicrcmcnt  omis.  Ils  étaient  peu  dignes  d'être  cités  par  le  père  Lon- 
gueval.  [Histoire  de  C Eglise  GalUcanc.  Paris,  1825.  i,  gS). 


DANS  LES  GAULES.  13i 

thume,  leur  permettait  d'y  venir  prêcher  le  Christianisme  ,  ils 
se  réunirent  au  nombre  de  douze,  sortirent  de  Rome,  et  vinrent 
en  grande  hâte  à  Paris  ,  où  ,  pratiquant  le  jeûne  et  la  prière,  ils 
supplièrent  Dieu  ,  père  des  lumières,  de  les  diriger  suivant  sa 
volonté,  et  de  leur  donner  la  sagesse,  afin  qu'ils  pussent  annon* 
cer  dignement  la  parole  de  Dieu,  et  publier,  dans  la  partie 
septentrionale  des  Gaules,  la  vertu  et  la  puissance  du  Christ. 
Saint  Denis  était  depuis  sept  ou  huit  ans  à  Paris,  où  une  révé- 
lation céleste  lui  avait  ordonné  de  rester  pour  enrichir  cette  ville 
et  ses  environs  de  la  parole  du  Seigneur.  Il  consacra  prêtres 
Lucien  et  Fiat ,  afin  qu'ils  travaillassent  dans  la  tâche  de  l'E- 
vangile avec  d'autant  plus  de  sainteté  et  de  vigilance  à  propager 
l'Eglise  chrétienne.  Le  saint  athlète  de  Jésus-Christ,  Quentin  , 
choisit  Amiens,  et  envoya  les  autres  prêcher,  savoir  :  Régule  à 
Senlis,  Lucien  à  Beauvais,  Crépin  et  Crépinien  à  Soissons,  Rufin 
et  Valère  à  Reims,  Fuscien  et  Victoric  à  JMoriane,  Piat  à  Tour- 
nai, et  Eugène  où  l'appellerait  le  Saint-Esprit.  Le  nombre  duo- 
dénaire  des  apôtres,  dit  Jacques  de  Guise  ',  fut  renouvelé  dans 
ces  hommes  sacrés  qui  donnèrent  à  l'Eglise  un  accroissement 
immense,  et  à  la  France  une  noblesse  avant  qu'elle  eût  pris  son 
nom. 

La  persécution  de  Valérien  consomma  donc  l'ouvrage  com- 
mencé par  celle  de  Dèce.  C'est  aux  efforts  que  firent  ces  em- 
pereurs pour  détruire  la  religion  chrétienne  que  cette  religion 
dut  son  plus  grand  accroissement  ;  car  son  établissement  dans 
les  Gaules  fut  l'appui  dont  Dieu  se  servit  dans  la  personne  de 
Constantin  pour  la  placer  dans  le  gouvernement  lui-même,  où 
elle  est  toujours  restée  depuis.  Hugues-Capct ,  le  chef  de  la  troi- 
sième race  de  nos  rois ,  n'a  pris  le  titre  de  roi  que  lorsqu'il  a  été 
proclamé  dans  un  concile.  Napoléon  ne  s'est  cru  empereur  lé- 
gitime que  lorsqu'il  a  été  couronné  par  le  pape.  Le  sceau  de  la 
religion  a  toujours  été  nécessaire  à  l'autorité  qui  ne  s'en  est 
jamais  séparée  impunément. 

Le  M"    DE    FORTIA  , 
de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Leltrcs. 

>  Histoire  de  Hainaut ,  Paris,  1829,  v.  139,  liv.  vn  ,  chap.  59. 


132  HISTOIRE  ET  TABLEAU  hE  L*UNITÉRS 

*\v%vw\v\w\\\\Mwv»v\ww\vw\\\\w\\vv^\v\\>\vv\\vv\vvvw\\ww%v\w\'\\\\\\\ivrvwV«v«\44 


iiïUîxahv(  donUm^cxam, 


HISTOIRE  ET  TABLEAU  DE  L'UNIVEBS^ 

PAR  M.  J.-F.  DAMÉLO  '. 

11  a  toujours  passé  pour  consfarit  que  rien  n'étàil  plus  pro- 
pre à  agrandir  l'esprit  de  l'homme,  à  satisfaire  ses  diverses 
facultés,  à  élever  son  âme  et  à  la  rapprocher  de  Dieu,  que  le 
spectacle  de  la  nature.  L'antiquité  païenne  l'avait  mille  fois 
reconnu  par  la  bouche  de  ses  philosophes  et  de  ses  poètes;  il 
était  réservé  au  dix-huitième  siècle  de  nier  celte  vérité  comme 
tant  d'autres  ,  et  de  souiller  l'étude  de  la  nature  comme  il  avait 
souillé  toutes  les  autres  branches  des  connaissances  humaines. 
On  n'a  point  oublié  les  efforts  qui  furent  faits  pour  mettre  les 
sciences  naturelles  en  opposition  avec  les  enseignemens  de  la 
révélation.  Les  lois  des  corps  célestes  étudiées,  de  nouveaux 
systèmes  cosmiques  inventés,  l'Orient  et  ses  tables  chronolo- 
giques, l'Egypte  et  ses  zodiaques  appelés  en  témoignage  contre 
le  récit  de  Moïse,  la  terre  fouillée  jusque  dans  ses  profondeurs, 
afin  d'en  retirer  les  preuves  d'une  antiquité  indéfinie;  nulle 
difficulté  ne  parut  insurmontable,  nulle  absurdité,  nul  men- 
songe ne  fut  capable  de  faire  reculer  l'esprit  anti-religieux  qui 
avait  tout  envahi.  C'est  ainsi  que  l'on  voyait,  par  exemple,  une 
certaine  classe  de  savans  naturalistes  trouver  assez  de  différence 
entre  les  diverses  familles  de  la  race  humaine  pour  contester  leur 
descendance  d'une  souche  commune,  tandis  que  d'autres  nota- 
blilés  scientifiques,  non  moins  célèbres,  découvraient  des  points 
de resssemblancc  tellement  frappans entre  l'hommeet  les  autres 
espèces  animales,  qu'ils  n'hésitaient  jioint  à  soutenir  l'identité 
d'origine  et  de  nature  de  tout  ce  qui  a  vie.  La  création  ,  les 

*  Paris  à  la  sociétc  de  bibliographique ,  rue  saint  Antoine ,  n<  76,  1'^ 
volume;  prix,  7  fr.  SO  c. 


PAR   M.    J.-F.    DANlÉLOv  133 

communications  de  Dieu  avec  l'homme ,  le  don  de  la  parole,  la 
déchéance  de  l'humamté  en  la  personne  de  nos  premiers  pa~ 
rens,  le  déluge,  la  fondation  primitive  des  sociétés,  tous  les  faits 
en  un  mot,  qui  sont  le  premier  fondement  de  la  religion  chré- 
tienne, furent  rangés  au  nombre  des  fables  que  de  hardis  men- 
teurs avaient  imposées  à  la  crédulité  des  peuples. 

On  s'ingénia  à  expliquer  l'univers  sans  cause  première;  on 
vit  tout  dans  la  matière  et  dans  ses  transformations.  Dieu  fut 
banni  de  l'empire  du  monde;  et,  si  la  plupart  n'osaient  point 
nier  formellement  son  existence ,  les  plus  modérés  toutefois  et, 
si  j'ose  dire,  les  plus  religieux,  s'arrangeaient  de  manière  à  se 
passer  de  lui  le  plus  possible.  Ils  reconnaissaient  de  bonne  grâce 
la  nécessité  d'un  être  suprême,  d'une  première  cause,  ou  comme 
ils  disaient  en  leur  langage  tout  matériel,  d'un  premier  moteur  ; 
mais  une  fois  la  c/u'^Hf?irtH(/e  donnée,  toute  intervention  ultérieure 
de  sa  part  devenait  chose  superflue  ;  l'action  providentielle 
tout-à-coup  paralysée  ,  perdue  par  Je  ne  sais  quels  systèmes 
de  forces  et  de  lois  absolues,  ne  laissait  plus  au  Dieu  de  la  créa- 
tion, vis-à-vis. de  son  ouvrage,  que  le  rôle  d'une  grande  inu- 
tilité. 

Cette  entreprise  sacrilège  fut  tentée  avec  tant  d'audace  ,  con- 
duite avec  tant  d'astuce  et  de  persévérance,  qu'on  sembla  crain- 
dre un  moment  que  la  science  ne  se  séparât  à  jamais  de  la  foi; 
les  sciences  naturelles  surtout  tombèrent  en  une  véritable  sus- 
picion auprès  de  quelques  esprits  bages  d'ailleurs  ,  mais  trop 
préoccupés  par  la  crainte  de  voir  s'établir  une  scission  éternelle 
entre  la  nature  et  son  auteur.  Doute  horrible  qui  brisa  plus 
d'une  àme  fidèle  ;  mais  aussi  doute  irnpie  et  injurieux,  cruelle- 
ment expié  plus  tard,  et  auquel  on  pourrait  adresser  justement 
le  reproche  du  Sauveur  des  hommes  :  foi  clianceianie ,  pourquoi 
as-iu  doute? 

Dieu  n'a  point  voulu  permettre  que  ce  poids  affreux  opprimât 
long-tems  l'intelligence  humaine.  C'est  ici  surtout  qu'il  faut 
signaler  la  mission  restauratrice  du  iq°  siècle;  car,  si  la  ten- 
dance vers  de  meilleures  voies  peut  être  ailleurs  sujette  à  con- 
testation ,  elle  est  ici  constatée  par  des  faits  si  palpables  et  si 
nombreux ,  qu'il  est  impossible  aux  pessimistes  les  plus  obstinés 
d'en  connaître  les  heureux  effets.  Ceux  de  nos  lecteurs  qui  ont 
TosiE  xvu. — N°  98.  i8j8.  9 


i^  HISTOIRE   ET    TABLEAU    DE   l'l'MVERS, 

*ti»vi  les  travaux  des  Annales  de  philosophie  chrétienne  en  seronf 
facilement  convaincus,  puisque  le  but  unique  de  ce  recueil  a 
été,  depuis  l'instant  de  sa  fondation  ,  de  leur  faire  connaître 
tout  ce  que  les  sciences  humaines  découvrent  )ourneIlcment  de 
phénoracnes  et  de  vérités  favorables  aU  Christianisme. 

Ils  ont  pu,  to«r-à-tour,  voir  les  histoires  fabuleuses  des  plus 
anciens  peuples  réduites  à  leur  juste  valeur,  par  les  travaux  de 
Klaproth,  Rémusal,  Saint-Marlin  et  d*autres  orientalistes  distin- 
gués; les  systèmes  astronomiques  échaffaudés,  à  si  grands  frais 
d'érudition,  sur  les  zodiaques  d'Egypte,  s'évanouir  devant  les  dé- 
couvertes de  Champollion  jeune,  expliqués  et  complétés  par  les 
travaux  de  M.  de  Paravey  et  de  M.  Letronne.  En  même  tems,  la 
terre  interrogée  par  l'immortel  Cuvier,  répondait  en  étalant  les 
alluvions  de  ses  fleuves,  les  dépôt  s  de  ses  neiges,  la  marche  de  ses 
sables,  les  os  de  ses  premiers  habitans,  et  faisait  lire  au  fond  de  ses 
entrailles  comme  un  infaillible  augure  de  sa  véritable  origine  et 
de  son  histoire  primitive.  Lesfailsrecueillis,  sur  tous  les  points  de 
la  terre  habitée,  par  M.  deHumboldt  et  d'autres  célèbres  voya- 
geurs, faits  complétés  et  expliqués  avec  une  profonde  érudition 
par  M.  de   Paravey,  renversaient  l'hypothèse  si  fort  répandue 
d'un  état  de  pure  nature,  et  établissaient  la  commune  descen- 
dance du  genre  humain  sur  le  rapprochement  merveilleux  des 
monumens  et  des  traditions  de  tous  les  peuples.  MM.  Balbi, 
Ampère  fils  ,  etc. ,  démontraient  la  même  vérité  par  la  res- 
semblance et  la  conformité  de    toutes  les  langues  connues; 
Blummenbach,    Lacepède,   etc.,   la   trouvaient  écrite  sur  la 
figure  humaine  au  moyen  de  l'identité   du   type   facial.    Une 
chose  qu'il  ne  faut  point  oublier,  c'est  que  toutes  ces  décou- 
vertes étaient  faites  en  général  par  des  hommes  étrangers  à  nos 
croyances,  qui  n'avaient  d'autre  but  que  de  perfectionner  la 
science  humaine,  et  n'arrivaient  à  des  conclusions  favorables 
au  dogme  chrétien  qu'en  suivant  la  marche  tracée  par  l'obser- 
\ation  des  faits  et  une  induction  rigoureuse.  Et  si  cette  dernière 
circonstance  donnait  une  valeur  de  plus  à  leur  témoignage  , 
les  noms  de  Sylvestre  de  Sacy,  de  Quatremère,  de  Séguin  de 
Saint-Pirisson,  de  Cauch}',  prouvaient  qu'aucune  des  sciences 
physiques  n'avait  à  élever  d'objections  sérieuses  contre  la  révé- 
lation, et  que  l'étendue  des  conceptions  mathématiques,  ar^ 


PAR   M.    J.-F.    DANIÉLO.  135 

cliëologîqucs,  analytiques,  pouvait  très-bien  s*anier  avec  la  sim- 
plicilé  de  la  foi. 

Ainsi  cette  opposition  menaçante  d'une  science  encore  au 
berceau,  s'est  échangée  subitement  par  la  force  des  choses,  en 
une  direction  toute  contraire  ;  il  y  a  eu  sous  ce  rapport  conrer- 
sion  réelle  et  manifeste.  Dès-lors  Tétade  de  la  nature,  qui  eût  pu 
effaroucher  certains  esprits  fidèles  et  timides ,  leur  ouvre  son 
vaste  sein  ,  non  plus  seulement  comme  un  champ  de  douces 
émotions  ou  d'investigations  animales,  mais  comme  une  mine 
inépuisable  de  preuves  et  d'admirables  développemens  des  vé- 
rités de  la  religion. 

Voilà  ce  qu'il  est  important  de  constater,  de  dire  et  de  répé- 
ter, jusqu'à  ce  que  personne  n'eu  doute  plus  à  l'avenir;  c'est  là 
ce  que  M.  Daniélo,  jeune  écrivain,  déjà  connu  dans  le  monde 
savant,  a  eu  le  courage  d'entreprendre,  en  publiant  un  ouvrage 
de  longue  haleine,  sous  le  litre  d'Histoire  et  Tableau  de  C univers. 
Ce  livre,  dont  le  premier  volume  vient  de  paraître,  fut  d'abord 
annoncé  comme  une  refonte  du  Spectacle  de  la  nature.  Regrat- 
ter, restaurer,  peindre  à  neuf  le  tableau  de  l'abbé  Pluche,  le 
mettre  surtout  au  niveau  de  la  science  et  des  découvertes  mo- 
dernes en  histoire  naturelle  ,  telle  était  d'abord  la  tâche  que 
s'imposait  M.  Daniélo  ;  mais  bientôt  les  objections  surgirent  si 
nombreuses  ,  si  graves,  que  ce  premier  plan  dut  être  rejeté 
comme  irréalisable.  Il  fallait  en  effet  tout  changer,  tout  boule- 
verser, le  fond  comme  la  forme,  les  choses  et  le  slyle,  tant  l'ou- 
vrage du  bon  et  savant  abbé  Pluche,  est  déjà  loin  ,  sinon  de  la 
vérité,  du  moins  de  la  science  ,  telle  qu'elle  se  fait  et  s'exprime 
aujourd'hui.  Force  fut  donc  de  songer  à  faire  un  travail  neuf, 
original ,  dont  les  difficultés  et  l'étendue  avaient  sans  doute  de 
quoi  effrayer,  mais  n'offraient  pas  des  difficultés  insurmontables 
pour  un  écrivain  qui  réunissait  une  science  réelle,  une  vive  ima- 
gination, aune  âme  douée  de  force  et  de  persévérance.  Vintro- 
duction  de  M.  Daniélo  prouve  qu'aucune  de  ces  difficultés  ne 
lui  a  échappé.  Ce  que  nous  en  avons  déjà  cité,  sous  le  litre  de 
Idée  de  l'ouvrage,  a  montré  sous  quelles  formes  grandioses  son 
sujet  lui  est  apparu  '. 

*  Voir  le  lome  xt,  nage  229. 


136  HISTOIRE   ET    TABLEAU   DE   l'uîîIVERS, 

On  a  dû  y  voir  la  course  immense  qu'a  entrepris  de  fournir 
l'aufeur  de  VHistoire  et  tableau  de  l'Univers.  Ce  tilre  fait  d'abord 
pressentir  un  double  but.  La  nature  sera  envisagée  sous  deux 
aspects  :  le  côté  positif,  scientifique  et  le  côté  pittoresque.  Non- 
assurément  que  ces  deux  parties  soient  distinctes  et  séparées' 
dans  l'ouvrage;  elles  sont,  au  contraire,  étroitement  unies, 
n'iront  jamais  l'une  sans  l'autre,  s'aideront  et  se  compléteront; 
répondant  ainsi  aux  deux  principales  facultés  de  l'esprit  hu- 
main qu'on  se  plaît  trop  souvent  à  isoler  en  vertu  d'une  abstrac- 
tionpurement  arbitraire,  au  lieu  de  chercher  à  les  comprendre 
et  à  les  saiisfaire  dans  leur  unité  universelle  et  indivisible. 

Maintenant  quelle  marche  prendra  M.  Daniélo  pour  remplir 
à  la  fois  cette  double  condition  ?  C'est  ce  qu'il  va  nous  dire  lui- 
même  '. 

Marche  et  méthode  de  l'auteur. 

Mais  enfin  ,  en  supposant  que  la  chose  soit  possible,  comment  fciei- 
Toas  ,  me  diia-l-oa,  pour  nous  donner  riiistoire  et  le  tableau  de  Vaaiscrs? 
pourreî-Tous  tout  voir,  savoir  tout  par  vous  même? 

Non  sans  donle ,  el  je  vous  l'ai  déjà  dit  :  mais  de  quel  historien,  de 
quel  chroniqueur,  de  quel  biographe  oseriez  vous  exiger  de  pareilles  con- 
ditions, pour  qu'il  lui  fût  permis  de  vous  parler  d'une  époque ,  d'un  fait, 
dun  homme  ,  el  pour  qu'il  eût  quelque  droit  à  voire  confiance? 

L'histoire  deviendrait  impossible  à  ce  litre  :  et  le  résultat  de  vos  trop 
sévères  exigences  serait  une  ignorance  complète. 

Que  l'on  veuille  doue  bien  ne  pas  commencer  par  être  trop  injuste  à 
mon  égard,  par  la  raison  que  ma  lâche  est  immense,  et  que  je  l'aborde 
avec  uu  courage  qui  mériterait  au  moins  de  l'indulgence. 

Quaut  à  la  manière  dont  je  m'y  suis  piis,  clic  est  bien  simple  cl  bien 
naturelle. 

La  voici  telle  que  je  l'ai  laissée  pressentir  el  môme  indiquée  déjà  plu- 
sieurs fois 

J'ai  consulté  tous  ceux  qui  ont  écrit  et  pense  avant  moi  sur  quelques- 
unes  des  parties  ou  sur  l'emsemble  de  ce  vasle  sui,et  :  j'ai  lu  ,  j'ai  extrait 
tout  ce  qu'en  disent  les  anciens  livres  sacrés  des  peuples ,  leurs  anciennes 
poésies,  leurs  anciennes  philosophics  physiques  .  si  semblables  ,  mt>me  en- 
core chez  Plalon  ,  à  leurs  poésies ,  si  semblables  elles-mômes  à  leurs  li- 
■vrc»  sacrés,  el  révélés,  selon  eux  : 

*  Tome  1,  p.  91. 


PAR   n.    J.-F.    nVMELO.  137 

Lc8  uns  il  l'Iiiilo  p;ir  Brahin.i  ; 

Los  autres  à  la  Ptrsc  par  Hom  el  Zoroaslrc  : 

Les  aulrcsà  l'F.gypte  par  Altronre  TrisiiiL^giste  ', 

Les  auhes  au  uoicl  par  Odiii  ; 

Comme  le  fu(  la  Dible  à  la  Judée  jiar  Jcliovah  lui-iuèuie. 

Après  uuc  allentive  élude  des  livres  écrit'; ,  j'ai  prêté  uue  oreille  non 
inoins  alleulivc  aux  traditions  qui  oui  eu  coiiis  daus  les  âj^es  el  doul  les 
échos  sont  parvenus  jusquà  nous. 

C'est  ainsi  (]u':ip|iuyaiit  ma  faiblesse  individuelle  sur  la  force  des  grands 
liomuu'S  el  du  genre  humain  tout  entier  ,  ainsi  (]u'aidant  mou  ignorance 
delà  science  des  siècles,  j'ai  pu  arrivera  [loser  hardiment  devant  mou 
lecteur  celle  assertion  franche  et  jiosilive,  si{ion  satisfaisante  : 

Voilà  ee  que  l'anliquilé  nous  dit  du  monde  el  de  ses  origines  ;  voilà 
ce  qu'elle  en  a  su. 

C'esl  ainsi  également,  cest  par  celte  exewrsion  eucyiIopédiq«c  au  delà 
de  notre  ère,  que  je  réveille  la  muse  antique,  et  je  ramène  le  sljle  el  la 
poésie  à  leurs  formes  natives  ,  formes  magniGques  ,  oubliées  ensuite  et 
défigurées  par  trop  d'art  ;  c'est  aiusi  c|ue  je  les  rends  à  la  simple,  mais  à  la 
grande  nalure  ; 

Aux  épopées  de  l'origine  des  choses,  de  la  lullc  des  élémeas  encore 
insoumis  ; 

Aux  concerts  à  l'harmonie,  régularisét  des  astres  dans  l-es  cieus  bnllans  ; 
Aux  grandes  et  pittoresques  vjcissitudes  desàgesel  des  saisons  de  la  terre; 

El  enûu  à  ces  hymnes  prièies,  à  ces  élaiis  primitifs  des  cicurs  vierges 
cl  reconnaissans,  l'essence  de  tout  le  reste,  qui  s'élevait  comme  un  feu 
sacré,  comme  un  saint  parfuu»  d'cimour  filial  vers  le  Dieu  qui  créa  ,  (|ui 
régit  tous  ces  cieus,  tous  ces  Olj^ujieus,  tous  ces  astres,  tous  ces  âges  et 
toutes  ces  saisons. 

Mais  avant  les  êtres  finis,  queltjue  grands  et  sublimes  qu'ils 
soient,  il  y  a  un  Etre  plus  grand  et  plus  sublime,  l'Être  infini, 
la  cause  première,  la  source  de  TElre;  Dieu,  de  qui  toutémane, 
à  qui  tout  revient,  qui  imprime  partout  son  image  à  des  degrés 
plus  ou  moins  parfaits,  qui  conserve  tout ,  et  sans  lequel  la 
nature  n'est  plus  qu'une  énigme  sans  mot ,  un  assemblage  in- 
concevable de  forces  sans  moteur,  d'elfcls  sans  cause,  de  termes 
sans  rapport,  de  moyens  sans i-ésnltat.  Avant  donc  la  création, 
le   Créateur.  M.  Daniélo  était  trop  versé  dans  la   science  des 

'  Tpt7\j.î'yi7X0Zj  trois  fois  le  plus  grand. 


138  HISTOIRE   ET    TABLEAU    DE    l'uNIVERS  , 

origines  pour  ignorer  que  c'est  toujours  par  Dieu  que  commen- 
çaient tous  les  chants  et  tous  les  recils  des  races  antiques. 

La  science  de  toute  Tantiquifé  commençait  par  Dieu. 

Dans  les  premiers  tems  de  la  pensée  bumaiuc,  jamais  nn  poêle  n'éle- 
vait la  vois  ,  jamais  ua  historien  n'entamait  son  récit  sans  commencer  par 
CCS  grandes  scènes  de  la  nature  naissante. 

De  Dieu  ,  dit  l'indien ,  est  émané  le  fleuve  antique  de  l'univers  '. 

Dieu  est  le  principe  et  la  racine  de  tout  ». 

Tout  vient  du  Créateur  ,  j  subsiste  ,  y  retourne  *. 

Dieu  fit  tout  au  commencement  4. 

C'est  lui  qui  est  la  cause  productrice  de  toute  la  nature  ;  le  maitre  de 
l'univers,  le  Dieu  des  Dieux,  le  régulateur  des  mondes  *. 

Mithras,  c'est  Dieu  même,  disent  les  Perses;  de  lui  viennent  Ormuzd 
et  Ahrimane.  La  parole  mystérieuse  dOrmuzd  est  le  fondement  de  toute 
existence  ,  la  source  de  tout  bien ,  de  tonte  vie  ^. 

De  Kneph  vieat  l'œuf  du  monde,  disent  les  Egyptiens  ,  et  de  l'œuf  du 
monde,  l'univers  7. 

Dieu  créa  le  ciel  et  la  terre  ,  disent  les  Hébreux  '. 

Ainsi  disait  aussi  Tyr,  Sidon  et  Babylone. 

Jupiter  est  le  père  de  tout  9,  dit  ensuite  Sophocle  ,  Gdèlc  écho  ,  comme 
tous  les  grecs  ses  compatriotes  ,  des  doctrines  de  l'orient. 

Jupiter  est  le  principe,  le  régulateur  de  tout'o,  avait  déjà  dit  Terpandre. 

Muses,  commencez  par  Jupiter  et  par  Jupiter  Gnissez,  disaient  aussi  de 
concert  Aratus  ,  Hésiode  et  Théocrite". 

Les  muses  chantèrent  le  premier  Etre,  dit  Pindare.cn  commençant  par 
Jupiter  ". 

>  Bhagavad  Gila,  leçon  II». 

*  Oupnekhat,  traduction  de  M.  le  comte  de  Lanjuinais,  revue  par  M.  Lan- 
glois,  tome  IV  de  ses  OEuvres  complètes ,  in  8»,  pag.  269. 

3  Idem,  ihid.,  pag.  271, 

i  Lanjuinais,  ibid.,  pag.  373. 

*  Baf^avad-Gila.,  leçon  X*. 

*  Zendavesta. 

7  Voir  Creutzer,  Symbolique  ,  Mère.  trismêgUte,  Pymander,  etc, 

8  Genèse ,  chap.  1  ,  v.  1. 

9  Attkvtwv  Zfyç  narep.  Soph.  in  Trachin. 
>o  Zsuî  TravTwv  apy^t)^  ttocvtwv  aj-vjTwp. 
'•  Ex  Ato;  apyjô^eirtx,  x«t  eiç  Aix  IrfyiTS  ,  (xo(er«(, 
"  At  Se  ■KpùrtTTO-j  p.tu  upvijffw, 
Ex  AtOî  «p;^0fxf;î<{. 


T4R    M.    J.-r.    DAMF.LO.  130 

Voici  venir  maîuli'naiil  la  Ijre  I;iline,  atis>i  fidèle  écho  de  1^  muse  grec- 
que que  cclie-ci  l'avait  été  de  la  gran<l<>  tunse  orirntalic. 

Coiiiincnçoos,  muses,  par  Jupiter .  car  de  Jupiter  tout  esl  rrmpli  ',  dit 
Virgile  ré|)etaDt  ici  les  tiois  poètes  cités  plus  haut ,  et  êurloul  Aratus  qui 
avait  dit  avaut  lui  : 

Les  cheuains.  les  hameauï  sont  pleins  de  Jupiter  ;  les  forums  des  ciléa, 
les  abîmes  et  l'éteudue  des  mers  tu  soûl  pleias  ;  ea  sout  pleius  aussi  lus 
ports  et  loulu  chose  ea  uu  mot  '. 

Si  vous  cliaiitez  les  cieai,  sécrie  Galpaniius,  commencet  par  Jupiter  '. 

C'est  par  Jupiter,  car  tout  lui  eède ,  ajoute  Ovide,  qu'il  faut  couiuieu- 
Cer  ,  ô  muse*  ,  à  élever  uos  chauls  i  .' 

Tout  ce  que  vous  voyei,  tout  ce  que  vous  rcmuei,  dit  Lucaia  dans  ua 
vers  célèbre  de  la  Pharsaic  ,  c'est  Jujiiter  '. 

Le  'out-paissant  Jupiter  ,  dil  Apulée  d'après  Orphée  ,  est  à  la  fois  le 
commeucemeot  et  la  Su  *, 

Aiusj  Ion  voit  que  par  Dieu  tout  a  comiuencé  dans  le  monde  plijsiqus 
'Comme  daus  la  pensée  humaine. 

On  sait  que  les  Védas  et  V EdJa  ,  comme  la  Bible,  ont  commencé  par 
lui  ;  que  Jub,  David  ,  Orphée  ,  Douapayua-Vyasa  y  revenaient  sans  cesse 
dans  leurs  hynimcs  ;  les  Brahmanes,  les  Mages,  Pylhagoru  et  Platon  dans 
leur  philosophie. 

Après  nous  avoir  dit  par  où  commencera  sou  ouvrage,  l'au- 
teur nous  trace  la  marche  qu'il  se  propsse  de  suivre ,  en  pre- 
nant pour  guides  les  livres  sacrés,  les  poètes  et  législateurs  des 
plus  anciens  |)euples ,  et  les  philosophes  et  savans  de  tous  les 
âges. 

DilTérentes  sources  eii  puisera  l'auteur. 

D'abord  l'idé<!  de  Dieu  ,  l'idée  triple  comme  son  essence  ,  l'idée  poéli- 
<jue  ,  philosophique  et  physique. 

Après  ce  triple  por(rait  de  Dieu  ,  les  récils  divers  de  la  création,  1»  s 
grandes  chroniques  de  la  terre  et  dv6  cieux   -.  et  puis  la  description  et  lu 

>  Ab  Jove  principlum,  «a«»3e,Juvis  oeioia  plena.  Ftr^(7e,églegue  ih,  v.  6. 

Kzt  ).ipLr./â;  ffscvrc  ,  €z  Atuç  Tttni.rjn'j.îzo'.. 
*  Ab  Jove  princjpium  si  quis  caiiat  lelhera  sumat.  Caipurniut ,  egloga  iv. 
4  Ab  Jove  mnsa  pareu* ,  cedunt  Joviiiomnia  régna, 

Garmina  nostra  move.  Ovid. 

*  Jupiter  est  quodcumque  vides  ,  quodcumque  moveris.  Lucain  ,  lib.  xci, 

*  Japjter  omnipoteas  est  primaf  et  ultinjus.  Uem  .     Orphée  dan»  Apulée- 


liO  HISTOIRE   ET    TABLEAU   DE   l'uNIVEHS, 

tableau  de  celte  même  terre  et  de  ces  aicmes  cieox,  d'après  les  mêmes  livres 
et  d'après  les  mêmes  hommes;  c'est-à-dire  d'après  les  livres  sacrés,  les 
prophètes  et  les  poètes  des  nations  antiques. 

Aux  peintures  du  globe  et  du  firmament  d'après  ces  prophclcs,  ces 
poêles  cl  ces  prêtres,  succéderont  celles  que  j'en  ferai  d'après  les  savaus 
et  leurs  découvertes. 

Ainsi ,  à  la  suite  de  Brahma  ,  si  c'est  lui  ,  comme  le  croit  l'Indien  ,  qui 
a  révélé  et  composé  les  Fédas; 

De  Vyasa  qui  les  a  réunis  et  disposés,  dit  on,  en  corps  d'ouvrages,  et 
qui  de  plus,  dilon  encore,  a  écrit  les  histoires  saintes  et  anciennes,  les 
Pouranas  et  le  grand  et  magnifique  poème  ,  le  Mahabharata  : 

De  Valmiki,  qu'on  lui  croit  antérieur,  et  qui  a  chanté  Piama  et  son 
armée  de  finges,  c'est-à-dire  probablement  ses  soldats  montagnards; 

De  Manou,  i'auleur  des  belles  lois  qui  portent  son  nom  'y 

De  Hom  et  de  Zoroastre,  dont  la  Perse  se  vantait  de  tenir  le  Zend- 
avesta,  la  parole  de  vie  ; 

De  Sanchonialbon  ,  à  qui  l'on  doit  le  fragment  de  la  cosmogonie  phé- 
nicienne, seul  débris  qui  nous  reste  de  la  grapde  histoire  de  celte  nation  ; 

De  Mercure  Trismégiste  ,  à  qui  l'Egypte  attribuait  ses  quatre  livres  sa- 
crés; comme  le  sont  les  quatre  Védas  dans  les  Indes  ; 

D'Orphée,  qui.  assure-t-OQ ,  importa  dans  la  Grèce  les  doctrines  et  la 
cosmogonie  de  l'Egypte; 

De  I'auleur  de  l'Edda,  qui  les  a  importées  aussi  dans  le  nord  et  dans 
l'ouest  de  l'Europe  ; 

D'Hésiode,  qui  a  chanté  spécialement  le  sujet  qui  nous  occupe  ; 

D'Homère,  d  Aratus,  de  Lucrèce,  de  Virgile,  d'Ovide,  d'Apulée,  de 
Manilius  et  des  autres  poêles  ou  litléraleurs  plus  modestes  qui  lui  ont 
consacré  de  belles  pages  ou  de  beaux  vers  ; 

Enfin  de  Job,  de  Daniel,  de  Moïse,  de  Mo'ïse  surtout,  que  la  chrono- 
logie connue  mut  en  tête  de  la  longue  liste  des  rois,  des  léu;islalcurs,  des 
prophètes  et  des  historiens;  Je  Moïse,  à  qui  on  a  bien  pu  emprunter  des 
idées,  des  faits,  des  inspirations,  mais  non  pas  contester  solidement  la 
priorité  en  fait  de  dale  et  d'antiquité  ; 

Oui ,  à  la  suite  de  ces  génies  fameux  ,  de  ces  astres  toujours  brillans  des 
siècles  éteints,  de  ces  dieux  de  la  terre,  marcheront  les  Thaïes,  les  Ze- 
non, les  Pythagore  ,  les  Hipparque,  lesEudoxe,  les  Ocellus-Lucanus,  les 
Timée,  les  Epicure  ,  les  Arislote,  les  Plolémée,  les  Cicéron,  les  Séuèque, 
les  Pline  et  IcsMacrobe; 

Les  Copernic,  les  Galilée,  les  Tycho  ,  les  Kepler,  les  Gassendi,  les 
Descartes  ,  les  Ncwtou  ,  les  Cassini ,  les  Ucrschell ,  les  Lalande,  les  L^voi- 
êier,  les  Buiïou ,  les  Laplace ,  les  Beraardiu  de  Saiul-Pierre  ,  les  Jussieu , 


r\n  M.  T -F.  nvNTFLO.  m 

les  Cuvicr,  les  GcofTroy-SaiiilHil;:iru  ,   les  L;imaik,rt  tous  Icnrs  savans 

ëiëv«9. 

■  'Ainsi  ,  l'on  go&tera  aux  fiiiilstle  rinspiralîon  d'ahord ,  pnisq'i'îls  sont 
les  premier*  venus  sur  celte  terra ,  et  ensuite  aux  fruits  de  l'élude  et  de  la 
réllexion. 

De  cette  manière,  assez  peu  des  traits  importans  rt  des  grands  tableaux 
de  l'univers,  en  ce  qu'il  a  de  permis  à  la  mémoire  et  d'accessible  à  l'ob- 
servation,  m'auront  échappé. 

On  pense  bien  qu'un  livre  conçu  dans  un  esprit  sincèrement 
chrétien,  comme  celui  que  nous  analysons,  ne  doit  pas  ressemr. 
bler  à  ces  ouvrages  de  science  anti-religieuse,  où  l'homme  est 
confondu  pêle-mêle  avec  les  autres  êtres  animés,  sans  autres 
distinctions  que  celles  qui  tiennent  à  son  organisation  exté- 
rieure. L'homme  ici  remonte  à  son  rang,  et  nous  apparaît 
comme  la  première  merveille,  comme  le  roi  de  la  création. 
M.  Daniélo  a  consacré  plusieurs  chapitres  de  son  Introduction  à 
donner,  d'après  les  lumières  de  la  révélation,  confirmées  par 
les  découvertes  scientifiques,  des  notions  vraies  et  positives  sur 
l'origine  de  l'espèce  Inunaine,  les  conditions  premières  de  son 
existence,  la  spiritualité  de  l'âme,  la  communication  du  lan- 
gage, l'état  de  la  société  primitive,  la  religion  naturelle,  le 
sentiment  religieux;  questions  si  souvent  débattues,  qu'une 
philosophie  menteuse  était  parvenue  à  envelopper  d'épaisses 
ténèbres,  mais  que  la  science  moderne  vient  éclairer  chaque 
jour  des  plus  vives  clartés. 

C'est  après  avoir  ainsi  fait  sa  déclaration  de  principes,  après 
avoir  pris  une  position  franche  de  chrétien  et  de  calholi(|ue, 
que  l'intrépide  écrivain  peut  se  lancer  avec  confiance  dans 
l'immense  carrière  qui  s'ouvre  devant  lui. 

Nos  lecteurs  aimeront  à  suivre  le  fil  directeur  auquel  il  se 
confie,  et  à  voir  comment  se  développe  à  ses  yeux  l'imposant 
spectacle  qu'il  entreprend  de  nous  décrire. 

Raisons  de  l'ordre  que  l'on  suivra  dans  l'ouvrage. 

Peut-être  eusse  je  dii  commencer  ce  recueil  des  récits  et  des  opinions  de 
l'antiquité  sur  la  naissance  et  les  révolutions  du  monde,  par  celui  de 
Moïse  ,  qui  aurait  servi  à  éclairer  et  à  contrôler  ?  la  fois  tous  les  autres. 

L'ordre  chronologique  semblait  d'ailleurs  l'exiger,  et  mon  iatenlion 
^tait  de  me  conformer  à  cet  ordre. 


ik&  mSTOltlE   ET   TABLEAU    DE   l'L'MYERS  , 

Mais,  comme  parfois  on  se  sert  des  cosmogonics  païennes  pour  allaquer 
«elles  de  la  Bible  ,  j'ai  voulu,  dans  la  persuasion  qu'elle  saurait  triompher 
de  cette  épreuve .  j'ai  voulu  les  faire  passer  avant  elle ,  afin  que  l'on  ne 
puisse  pas  dire  que  je  l'aie  favorisée  aux  dépens  des  autres  ,  eu  les  plaçant 
à  sa  suite  et  dans  son  ombre  ;  j'ai  mieux  aimé  pécher  même  par  l'excès 
contraire  ,  et  mettre  Moïse  h  la  suite  et  dans  l'ombre  do  la  gentilité. 

Ceux  qai  m'en  feraient  un  crime  auraient  oublié  que,  sur  le  front ,  il 
porte  les  rayons  de  l'inspiralion  qui  saveut  bien  dissiper  les  ténèbres  quel- 
que opaques  qu'elles  soient,  se  faire  jour  au  milieu  d'elles  et  frapper  tous 
les  yeux.  Moïse  n'est  point  né  dans  les  tems  de  vérité;  l'erreur,  plus  ou 
moins  profondément,  régnait  tout  autour  de  lui. 

Pourquoi  voadrait-on  le  placer  avant  l'erreur,  lui  qui  n'est  venu  que 
^oar  la  vaincre  et  la  détruire?  Quiconque  pourrait  donc  craindre  pour 
lui<  et  pour  sa  doctrine  ,  en  ce  moment,  serait  un  homme  de  peu  de  foi  , 
51  serait  peu  digne  de  naviguer  dans  la  barque  de  Pierre,  sur  l'océan  des 
tempêtes  humaines,  et  d'entrer  dans  le  repos  de  la  terre  Promise. 

Ce  sera  donc  par  l'Inde  que  je  commencerai ,  par  l'Inde  si  aueieune  eu 
elle-même^  et  pour  nous  si  nouvelle. 

Si  l'on  veut  d'autres  raisons  de  celle  préférence,  je  dirai  que  c'est  parce 
^que  les  traditions,  les  doctrines  et  les  mœurs  dont  l'Inde  conserve  encore 
aujourdhm  les  restes  ,  me  paraissent ,  comme  à  bien  d'autres,  malgré 
l'absence  de  chronologie  qui  le  prouve,  remonter  à  la  plus  haute  anti- 
quité et  toucher  même  au  premier  berceau  de  l'espèce  humaine; 

Parce  que  l'Inde  est  une  des  contrées  où  la  pensée  a  élé  poussée  plus 
loin  dans  tous  ses  développemens,  où,  par  ses  propres  forces,  l'esprit  de 
i'homme  a  su  s'élever  plus  haut ,  et  son  imagination  jeter  plus  d'éclat  : 
/oîi  les  traditions  sont  plus  riches  ,  plus  nombreuses  ;  la  littérature  plus 
universelle  et  plus  variée  ; 

Parce  que  l'Inde  est  un  réceptacle  ,  un  réservoir  commua  presque 
complet ,  de  toutes  les  merveilles  ,  de  toutes  les  vérités  ,  de  toutes  les  er- 
reurs, que  l'on  trouve  éparses  sur  le  reste  de  la  terre. 

De  l'Inde  j'irai  à  la  Chine  ,  et  dans  les  autres  principaux  pays  boud- 
.dhiques  ,  comme  chez  les  Birmans,  dans  la  Mongolie  et  le  Thibet. 

Des  montagnes  du  Thibet,  je  passerai  sur  le  plateau  élevé  ,  sur  la  terre 
fïu  feu ,  de  Sel  et  de  sable  de  la  Perse. 

De  la  Perse,  je  descendrai  aux  plaines  plus  riantes  de  Babylone,  et 
aux  côtes  de  la  Phéuici€. 

De  la  Phénicie,  je  m'en  irai  en  Egypte  par  Biblos ,  où  je  commencerai 
à  saluer  ,  pour  la  première  fois ,  un  souvenir  d'Osiris, 

De  l'Egypte  je  ferai  voile  vers  l'Asie-Miueareot  la  Grèce. 

De  la  Grèce  en  Elrurje. 


PAd    il.    J  -V.    DAMELO.  Ii3 

De  l'Elrurie  daus  le  nord  et  dans  l'ouest  de  l'Europe,  où,  dan.»  lis 
cosoiogouies  amérjciincs,  el  dansculle  de  lEdda,  je  retrouverai  les  débris 
de  presque  toutes  celles  de  lOricnt. 

Alors  enfin  j'arrivemi  à  la  coNmognnie  de  iMoise. 

A  cetle  cosmogonie  je  comparerai  (ouïes  les  autres ,  avec  leurs  accessoi- 
res, leurs  doctrines  et  leurs  Iradilioas  religieuses. 

J'y  ajouterai  tout  ce  qu'en  physique,  en  philosophie,  en  histoire,  on 
a  dit  de  plus  important  sur  ces  questions  importantes. 

On  reconnaîtra  ,  je  l'ose  espérer,  que  l'exactitude,  la  loyauté  ,  la  bonne 
foi,  auront  présidé  à  ces  rapprochcmens  comparatifs  de  symboles  hi  hosti- 
les même,  et  que  la  vérité  y  conservera  tousses  droits. 

Mais  comme  nous  rayons  déjà  vu,  à  côté  de  V histoire  mar- 
chera toujours  le  Tableau  de  C Univers;  les  recherches  de  l'éru- 
dition seront  embellies  par  les  charmes  de  la  poésie.  Quelques 
citations  achèveront  de  faire  connaître  comment  M.  Dauiélo 
considérera  la  nature  sous  ce  nouvel  aspect. 

Poésie  de  l'étude  de  la  nature. 

Le  lecteur  intelligent  et  courageux  qui  m'aura  suivi  à  travers  les  âges, 
les  cicux,  les  astres  et  les  airs;  f(ui  aura  bravé  avec  moi  les  rayonnantes  ar- 
deurs des  soleils,  pourra  trouver  aussidanssa  course  de  fraîches  feuiliées.de 
riaus  bosquets,  de  doux  ombrages,  de  verls  gazons  et  de  tendres  fleurs  ])our 
y  reposer  son  esprit  et  ses  sens.  Kous  ne  serons  pas  loujours'perdus  dans 
les  livres  sacrés,  dans  les  cosmogonios,  belles,  poétiques,  grandioses,  pom- 
peuses, mais  aussi  bien  obscures  parfois,  des  nations  qui  ne  sont  plus;  nous 
ue  serons  pas  toujours  au  vol  daus  l'espace  ,  à  la  suite  descomèles,  ni  cr- 
rans  toujours  dans  des  antres  souterrains,  à  la  recherche  des  métaux  tt  dos 
couches  primitives. 

Le  jour  viendra  où  nos  courses,  sinon  plus  inlcrcssantcs  el  plus  pill()- 
resques ,  seront  du  moins  plus  riantes  et  plus  faciles  ;  oi'i  nous  aussi  nous 
irons  sur  THymèle  éveiller  les  abeilles  ,  et  jionrsuivre  de  fleurs  en  fl'ur* 
les  papillons  dans  les  prés  ,  tandis  que  le  rossignol  déroulera  autour  de 
nous  les  grandes  harmonies  de  sa  voix  ,  et  que  le  ruisseau  triste  et  comme 
sanglotant  dans  son  cours  ,  nous  enverra  ses  eaux,  du  haut  de  la  colline, 
ou  de  l'ombre  des  bois,  en  même  tcms  que  l'aurore ,  ses  rayons ,  du  fond 
empourpré  des  cieui. 

Quand  la  matinée  s'avarH:cra,((uaudI°s  ombres  se  raccourciront,  quand 
à  la  suite  du  soleil ,  la  tem[)érature  exaltée  sera  montée  trop  haut ,  quand 
leê  rayons  blancs  et  biités  flu  grand  a«tre  ,  danseront  en  éblouissantes  ma- 
rionnelles  sur  la  plaine  ardente,  nous  ferons  comme  le  pâtre  et  son  trou- 
peau, nous  nous  réfugierons  sous  les  grands  arbres,  près  des  sources, 


lii  HISTOIRE   ET    TABLEAU   DE    l'uNIVER*, 

De  là,  aies  oîseaus  se  taisent  eu  respirant  ,  comme  nous,  le  frais  sons 
ies  feuilles  ,  nous  cutendrous  encore  la  laborieuse  abeille  bourdonner 
ddiis  les  airs,  buliner  dans  les  saules,  et  le  ruisseau  toujours  fuir  et  loii- 
joiirs  jeler  les  mêmes  sons  en  l'uyanl.... 

Voilà  une  fnible  partie  des  merveilles  que  nous  pourrons  voir  ;  voilà 
quelques-uns  des  agrémens  que  nous  pourrons  rencontrer  ,  dans  notre 
périple  universel, 

Mais  que  les  esp;ils  mous  et  gâtés,  que  les  intelligences  impuissantes  oa 
efféminées ,  auxquelles  il  ne  faut  que  des  phrases  précieuses  et  mignardts, 
des  futilités  littéraires  ,  que  ceux-là  se  contentent  de  la  pâture  assortie 
qu'on  ne  leur  jette  que  trop  al.ondamment  chaque  jour  :  qu'ils  ne  viennent 
■  point  avec  nous.  Nous  les  fatiguerions,  nous  les  ennuierious  peut-être,  et 
à  coup  sur  ils  nous  ennuieraient,  ils  nous  gcueraienl  ,  ils  nous  fatigue- 
raient. 

C'est  pour  des  esprits  curieux,  bien  constileés,  énergiques  et  forts  ; 
pour  des  intelligences  saines,  vives  ,  agiles,  et  bien  portantes  ,  que  jtj 
vais  écrire,  et  que  J3  m'engage  sur  nue  mer  que  jamais  encore  on  n'a- 
vait naviguée  tout  entière.  Que  les  compagnons  de  ma  lointaine  Iravcr.-ée 
ne  seffraicnt  pas  toutefois  de  sa  longueur:  nous  allons  à  la  conquête  de  la 
toison  d'or,  mais  nous  n'y  rencontrerons  plus  le  dragon  antique,  et  nous 
n'en  aurons  pas  moins  Orphée  cl  les  autres  dieux  de  la  lyre, à  notre  bord  , 
pour  inaugurer  le  départ  ,  pour  charmer  les  ennuis  de  la  roule  ,  pour 
nous  montrer  les  étoiles  ,  nous  calmer  les  vents  ,  nous  conjurer  les  orages 
et  nous  dévoiler  les  deslins,  JNous  aurons  aussi  dans  nos  eaux  les  dauphins 
Lrillaus  qui  jouaient  sur  les  lianes  du  vaisseau  de  Télémaque. 

Et  d'ailleurs  pourquoi  craindre?  En  nous  lançant  dans  l'amoureux  et 
vaste  sein  de  la  nature  ,  n'est-ce  pas  nous  lancer  dans  le  sein  de  noire 
mère,  et  n'y  Irouverons-nous  pas  des  charmes  et  des  douceurs  toutes  ma- 
ternelles ?  je  ne  my  étais  point  attendu  pour  mon  compte  ,  et,  comme 
tant  d'autres  ,  j'étais  à  cet  égard  .  je  l'avoue  ,  Gis  incrédule  et  ingrat. 

Je  regardais  les  exclamations  palhéliqucs  et  les  effusions  sentimentales 
des  naturalistes  à  cet  égard  comme  des  momtries  de  bons  hommes,  com- 
me du  partage  d'obligation  ,  comme  des  lieux  communs  Uaditiouaels,  où 
souvent  le  cœur  et  la  vérité  ne  sont  pour  rien,  et ,  (jui  par  conséquent,  ne 
prouvent  autre  chose  que  la  bonne  voloulé  de  ceux  qui  parlent. 

D'ailleuis  .  j'étais  alors  peu  porté  et  peu  apte  à  apprécier  le  côté  doux 
el  riaol  des  choses. 

Je  n'ai  jamais  eu  l'âme  d;ins  un  étal  aussi  amèrement  liiste  qu'au  mo- 
juent  où,  pour  la  première  l'ois,  je  vins  frapper  au  sauctuaiie  delà  aalure. 
J'y  cherchais  un  refuge. 
Contre  (piel  mal  f  11  serait  long  el  superflu  de  le  dire. 


PAR    M.    J.-V.    BANIEtO.  145' 

ïl  étaîl  de  ceux  f]ui  arrivent  d'on  ne  sait  où,  qui  s'en  vont  on  ne  sail  com- 
me ,  mais  qui  lentement  s'en  vont  ,  qui  heureusement  laissent  le  cœur 
intact,  mais  qiii  brisent  l'âme  comme  la  trombe  brise  un  mal  ,  cl  vous 
laissent  vivre  ensuite,  en  quelque  sorle  sans  vie. 

Tous  les  autres  remèdes  ou  asiles  que  j'avais  cliercliés  m'avaient  paru 
irritans,  celui-ci  me  parut  froid  et  glacial. 

Tout  y  semblait  aride  et  mort ,  tout  y  était  dans  l'ombre  ,  dans  l'ombre 
épaisse  ,  rien  n'y  brillait,  rien  ne  frappait. 

L'imagination  y  était  inerte  ,  ou  son  énergie  se  portait  ailleurs  :  les 
idées  s'enfuyaient  et  s'cloîgaaicnt  à  sa  suite  ;  les  seiis  seuls  y  restaient  , 
mais  ne  sentaient  rien. 

C'était  comme  un  évanouissement  de  toutes  les  facultés. 

Bientôt  vint  un  cauchemar  pénible,  au  milieu  duquel  brillaient  enfin 
de's  lueurs  qui  ramenèrent  le  réveil. 

Les  objets  s'éclairaient  peu  à  peu,  la  température  montait. 

La  lumière  n'était  pas  encore  vive,  ni  la  chaleur  ardente  encore;  mais 
le  froid  et  les  ténèbres  avaient  disparu  .  et  il  en  résultait  une  clarté  douce 
et  tiède  ,   une  sérénité  suave,  un  bien-être  pénétrant,  un  calme  moelleux. 

En  un  mot ,  c'était  l'atmosphère  qu  il  fallait  pour  charmer  les  sens  ,  et 
métamorphoser  les  idées  ; 

C  était  quelque  chose  d'inexplicable,  mais  de  délicieux. 

On  eût  dit  un  parfum  de  la  Thébaïde  chrétienne  ,  une  paix  quasi-cé- 
leste,  un  surnaturel  quiétisme; 

Et  cependant  ,  c'était  une  vertu  matérielle  qui  semblait  s'élever  de  la 
nature  matérielle  ,  du  souffle  de  celte  mystérieuse  Isis  ,  toujours  sous  un 
Toile  et  jamais  entièrement  révélée... 

A  celle  chaleur  si  vive ,  à  ces  expansions  d'une  âme  naïve  et 
fortement  impressionnée,  on  sent  que  l'auteur  parle  de  ce  qu'il 
aime;  on  voit  qu'il  a  voué  à  la  nature  un  amour  et  un  culte  qui 
sont  le  plus  sûr  garant  de  la  manière  dont  il  traitera  son  sujet. 
Afin  de  communiquer  son  enthousiasme  au  lecteur,  et  de  l'i- 
nilier  aux  beavités  qui  vont  lui  être  révélées,  il  se  laisse  aller  à 
soulever  quelques  coins  du  rideau,  et  trace  à  grands  traits  quel- 
ques lignes  principales  et  comme  une  ébauche  de  sa  vaste  pein- 
ture. 

Nous  citerons  quelques  idées  remarqviables  sur  l'identité  de 
la  nature  première ,  et  sur  la  substance  du  fluide  lumineux. 
De  la  substance  du  fluide  lumineux. 

C'est  peu  pour  intéresser  l'attention  que  les  premiers  détails  de  la 
science:  c'est  peu  de  palper  un  morceau  de  terre  inerte;  c'est  peu  de  voir 
uuc  roche  détachée  ,  uu  rocher  n^ême  assis  sur  sa  base  ;  c'est  peu  d'en 


146  niSTOlEE   ET   TABLEAU   DE    L  UNIVERS  , 

mesurer  les  formes  géomélriqaes;  c'est  pca  encore  de  roir  une  masse  de 
granit  à  laquelJe  se  superposent  eu  élages  des  masses  de  porphyre  ,  des 
masses  calcaires  ,  des  bancs  de  coquillages  ,  des  terrains  d'allu\ion  ,  des 
couches  de  craie  ,  de  sal>le  cl  d'argile. 

Mais  quand  on  Tieut  à  penser  que  celte  terre  ,  que  ces  rocs,  que  ces 
couches  ,  ne  devaient  élre  d'abord  ,  selon  toutes  les  apparences  ou  du 
moins  toutes  les  inductions,  que  des  volumes  de  gaz  et  de  Tapeurs  cpandus 
dans  un  espace  bien  plus  grand  que  celui  quj  le  globe  et  sou  atmosphère 
occupent  aujourd  hui  ,  et  que  pour  être  amenés  à  l'étal  où  ils  sont  ,  ils 
ont  dû  être  condensés  ,  et  rendus  solides  par  des  explosions  d'un  éclat  et 
d'une  force  dont  il  ue  nous  est  plus  donné  de  concevoir  la  violence  et 
l'cnormilé  ; 

Mais  quand  on  vient  à  penser  que  ces  masses  de  vapeurs  et  de  gaz  elles- 
mêmes  n'ont  commencé  par  n'être  qu'un  simple  fluide  lumineux  '  ;  mais 
quand  on  pense  que  ce  fluide  n'existait  point  par  masse  d'abord  ,  qu'il  a 
coniniencé  par  la  simple  uuité  de  partie  ,  par  la  molécule  ou  plutôt  1»  mo- 
nade ;  que  celle  monade  se  multipliant  par  elle-même  ,  sous  l'action  des 
lois  naturelles  ,  que  jiressail  la  main  fécondante  de  Dieu,  a  produit  tout 
ce  que  nous  voyons  ; 

Quand  on  pense  que  les  diverses  parties  de  ces  roches  ,  de  celle  terre, 
sont  liées  et  unies  ensemble  par  cette  force  de  tendance  réciproque  d'une 
molécule  vers  une  autre  molécule  cl  d'un  corps  vers  un  autre  corps  ,  qui 
domine  foute  la  nature  ,  qui  sous  le  nom  (Vattraction ,  gouverne  aux  cieux, 
dit-on ,  le  mouvement  des  astres ,  et  qui  ,  sur  terre  ainsi  que  dessous  ,  va 
fous  le  nom  d' affinité ,  chercher  au  loin  ,  comme  un  habile  archilecle  ,  et 
choisir  ,  entre  mille,  le  grain  de  matière  qu'il  faut  pour  produire  ici  celte 
roche;  ailleurs,  ce  métal  ,  celle  pierre  précieuse,  ce  diamant  t  ailleurs 
tMKoreces  plantes,  ces  fleurs  ;  dans  l'atmosphère  enfin  ,  cl  même  dans 
notre  corps,  tous  ces  phénomènes  si  divers  de  la  vie  et  de  la  mort ,  des 
orages  et  du  beau  Icms ,  de  la  tcmi'cle  et  du  calme  ; 

Oui  ,  quaud  on  pense  que  celle  énergie  mystérieuse  el  sensible,  que 
cc'te  âme  à  moitié  visible  de  la  nr.ture  a   formé  celle  roche  et  ce  métal  , 

I  L'auteur  met  ici  une  longue  note  sur  la  lumière,  que  nous  regrettons 
de  ne  pouvoir  citer;  elle  commence  par  la  phrase  suivante  qui  nous  paraît 
inexacte  dans  l'expression.  •  Je  croirais  volontiers,  qtiant  à  moi,  que  le  fluide 
■  lumineux  modifie  par  le  tems  est  le  principe  cènéraleur  de  tous  les  corps,  qu'il 

•  rst  le  premier  clerucnt  watcricl  dont   Dion  s'est  servi  pour  rrcer  la  malicre  ^ 

•  comme  il  s'est  servi  de  la  lumière  immatérielle  pour  créer  les  esprits.  »  ?(ou8 
n'él'îvon»  aucun  doute  sur  l'ortliodoxie  de  la  pensée  de  M.  Daniélo  ,  qui  s'cx- 
pliq:ie  très-clairement  ailleurs  sur  la  création.  Mais  il  nous  semble  qu'on  ne 
pi  ut  dire  que  lorsque  Dieu  crca  la  maliire  il  se  servit  d'un  premier  éUment 
matériel. 


PAR    M.    J.-r.    DANIELO.  147 

té  métal  et  celle  terre  de  la  même  matière,  de  la  même  sorte  et  par  la 
même  loi  quelle  a  formé  des  astres  j 

Alors  ni  la  roclie,  ui  le  métal,  ni  la  terre  vile  ne  noas  paraissent  plus 
«i  indiffércns  ,  si  dépourvus  d'intérêt. 

Ils  ne  sont  plus  rcgwdés  comme  un  produit  brut  da  hasard. 

On  voit  qu'un  ordre  iiitniligent ,  qu'un  doigt  qai  n'est  pas  d'ici-has ,  y 
a  présidé  ,  comme  à  tout  le  re^te  des  choses,  et  l'on  commence,  si  tou- 
tefois l'on  sait  voir  et  comprendre,  on  commence  à  se  sentir  do-jcemenl 
prendre  de  celle  incfTabJc  admiratiun  qui  ne  finira  plus,  si  la  médilaliou 
persiste,  et  qui  toujours,  si  on  le  veut,  nous  suivra  croissant  jusqu'à  ce 
que  nos  yeux  se  ferment ,  et  ne  puissent  plus  lire  dans  le  livre  toujours 
ouvert  et  toujours  mystérieux  de  cet  Immense  nnivers. 

M.  Daniélo  parcourt  ensuite  les  trois  règnes  de  la  nature  ,  les 
roches,  la  mer,  les  coquillages,  les  premiers  végétaux,  les 
plantes,  milieu  et  lieu  du  règne  minéral  et  du  règne  animal  ; 
il  arrive  enfin  à  la  création  vivante  et  animée.  Ici  ses  pinceaux 
trouvent  de  nouvelles  couleurs;  mais  c'est  surtout  en  parlant 
de  l'homme  qu'il  se  plaît  à  prodiguer  toutes  les  richesses  de  sa 
brillante  imagination. 

Sublimité  de  l'homme. 

ContinaoDS  de  monter,  et  arrivons  à  l'homme. 

L'homme  lui-même,  qu'est-il  de  si  sublime  quand  on  n'y  voit  qu'un 
bipède  ,*qu'an  mammifère^qui  se  lient  debout  sur  deux  jambes ,  qui  saisit 
avec  ses  luaius ,  qui  déchire  avec  ses  dénis  ,  qui  se  meut  el  qui  se  repose, 
qui  marche  el  qui  se  couche  ,  qui  mange  et  qui  digère  ,  qui  veille  et  qui 
dort ,  qui  vit  et  qui  meurt? 

Mais  quand  on  va  jusqu'à  bien  considérer  son  porl ,  sa  démarche  et  sa 
face  ; 

Quand  on  examine  la  richesse  et  la  variété  de  ses  organes,  l'arrange- 
ment et  les  proportions  des  membres  de  son  corps; 

Quand,  dans  ce  corps,  on  soupçonne  quelque  chose  qui  est  plus  qu'ua 
corps,  comme  dans  les  cieux  ,  on  peut  soupçonner  quelque  chose  qui 
est  pins  qu'an  soleil; 

Quand  on  se  rappelle  que  la  nature  a  travaillé,  souffert,  s'est  agitée, 
tourmentée  si  long-lcms  pour  lui;  qu'elle  a  culasse  révolutions  f ur  ré- 
Tolutions,  couches  sur  couches,  ruines  sur  ruines,  cadavres  sur  cadavres, 
afin  d'avoir  une  terre  épnrée,  végétale,  pour  avoir  des  planles;  d'avoir 
des  plantes  pour  lui  préparer  les  airs,  lui  épurer  les  cieui  ,  lui  r.iffermir 
la  terre,  la  lui  orner  el  la  lui  embellir;  d  avoir  dfs  planter  enfin,  pour 
avoir  des  animaux  ,  et  des  animaux  ,  pour  le  servir,  le  nourrir  el  II-  vêtir  ; 
Quand  on  jiense  qu'ainsi  fournie    et  parée,  elle  a  loiigtcms   tourné 


148  HISTOIRE   KT    TABLEAU    DE   L'uNIVERS, 

solitaire  dans  l'espace  et  allendu  son  naaîlre  qui  devait  la  modiûer,  l'ea- 
richir  et  leuibellir  encore; 

Quand  nn  pense  que  si  la  nature  est  le  trône  extérieur  de  la  magnifi- 
cence divine ,  l'hotnine  qui  la  domine  en  est  le  roi ,  et  s'élève  par  degrés 
au  trône  intérieur  de  la  toute-puissance;  que,  pour  adorer  le  créateur  , 
ji  commande  à  toutes  les  créatures;  que,  vassal  du  ciel,  roi  de  la  terre  , 
il  établit  entre  les  êtres  vivons  l'ordre,  la  subordination,  l'iiarmonic; 
qu'il  embellit  la  nalurcj  même  après  Dieu  ;  qu'il  la  cultive,  l'étend  et  la 
polit;  qu'il  eu  élague  le  chardon  et  la  ronce  ;  qu'il  y  multiplie  le  raisia 
et  la  rose  ; 

Quand  on  pense  que  l'homme  est  eniré  dans  un  monde  déjà  préparé  « 
déjà  peuplé  ,  déjà  habité  par  les  êtres  dont  il  avait  besoin,  comme  un  roi 
entre  à  son  avènement  dans  un  palais  resplendissant  de  richesses;  qu'il 
fallut  cependant  qu'il  fît  la  conquête  de  ces  premiers  habitans  de  soa 
e[n|)ire,  qui,  maîtres  eux-mêmes  jusqu'alors,  remplissaient,  quand  il  les 
vint  détrôner,  les  mers,  les  fleuves,  les  ruisseaux,  les  forêts  et  les  plaines; 
mais  qu'il  fut  revêtu  de  toutes  les  qualités,  de  tous  les  avantages,  de  toas 
le*  secours  uécessaires  pour  cette  grande  conquête,  c'est-à-dire  d'une  in- 
telligence ,  d'une  adresse  et  d'une  puissance  presque  divines  ;  il  faut  déjà 
reconnaître  que  l'homme  est  le  favori  de  la  naiure  ,  l'enfant  bicu-aimé 
de  ses  antiques  douleurs,  et  que  non  seulement  il  occupe  la  première 
])lace  parmi  ses  cnfans ,  qu'il  porte  la  couronne  et  tient  le  sceptre  de  sou 
règne  anifnal ,  mais  qu'il  y  est  nécessaire  ,  qu'il  y  est  en  quelque  sorte  le 
délégué  de  Dieu  ,  le  vice-roi  des  choses  et  le  second  créateur  sans  lequel 
rien  ne  prospère,  rien  ne  prend  une  pleine  et  véritable  existence,  sans 
lequel  tout  ce  qui  avait  brillé  sous  ses  mains  fécondes  ,  s'éclipse  ,  et  tout 
ce  qui  avait  grandi  s'efface,  et  retombe  comme  dans  les  limites  d'une  es- 
pèce de  chaos  rédivitoirc. 

En  effet  ,  voyez  ces  plages  désertes,  ces  tristes  contrées  où  l'homme 
n'a  jamais  résidé,  couvertes  ou  [)lutôt  hérissées  de  bois  épais  et  noirs  ; 
dans  toutes  les  parties  élevées ,  des  arbres  sans  écorce  et  sans  cime ,  cour- 
bés ,  rompus,  tombant  de  vétusté;  d'autres,  en  plus  grand  nombre,  gi- 
sant au  pied  des  premiers  ,  pour  pourrir  sur  des  monceaux  déjà  pourris, 
étouffent ,  ensevelissent  les  germes  prêts  à  édore.  La  nature  ,  qui  partout 
ailleurs  brille  par  sa  jeunesse,  paraît  ici  dans  la  décrépitude  :  la  terre  , 
surchargée  par  le  poids,  surmontée  par  les  débris  de  ses  productions, 
n'offre,  au  lieu  d'une  verdure  florissante,  qu'un  espace  encombré,  tra- 
versé de  vieux  arbres  chargés  de  plantes  parasites  ,  de  lichens ,  d'agarics  , 
fruits  impurs  de  la  corruption.  Dans  toutes  les  parties  basses  ,  des  eaux 
mortes  et  croupissantes  faute  d'être  conduites  et  dirigées;  des  terrains 
fani'oux  qui,  n'étant  ni  soliiles  ni  liquiths,  sont  inabordables  et  demeu- 
reut  é"  demcul  inutiles  aux  habitans  du  la  terre  et  des  eaux  ;  des  maté- 


PAU    M.   J.-F.    DANIELO.  liO 

câRCs  qui,  couverts  de  pianles  aquatiques  et  fétides,  ne  nourrissent  que 
des  insectes  T(^néneux  et  servent  de  repaire  aux  animaux  immondes.  Entre 
CCS  marais  infects  qui  occupent  les  lieux  bas^  et  les  forêts  décrépites  qui 
couvrent  les  terres  élevées,  s'étendent  des  espèces  de  landes,  des  savanes 
qui  n'ont  licn  de  commun  avec  nos  prairies;  les  mauvaises  herbes  y  sur* 
montent,  y  étouffent  les  bonnes:  ce  n'est  point  ce  gazon  fin  qui  semble 
former  le  duvet  de  lu  terre  ;  ce  n'est  point  cette  pelouse  émaillée  qui  an- 
nonce sa  brillante  fécondité  ;  ce  sont  des  végétaux  agrestes ,  des  berbes 
dures,  épineuses,  entrelacées  les  unes  dans  les  antres,  qui  semblent  tenir 
moins  à  la  terie  qu'elles  ne  tiennent  enlr'tlles  ,  et  qui ,  se  desséchant  et 
se  repoussant  successivement  les  unes  sur  les  autres,  forment  une  bourre 
groisière,  épaisse  de  plusieurs  pieds.  Kulle  route,  nulle  communication, 
nuls  vestiges  d'intelligence  dans  ces  lieux  sauvages;  l'homme  obligé  de 
suivre  les  sentiers  de  la  bête  farouche,  s'il  veut  les  parcourir,  est  contraint 
de  -veiller  sans  cesse  pour  éviter  d'en  devenir  la  proie.  Effraye  de  lenrs  ra- 
gissemens,  saisi  du  silence  même  de  ces  profondes  solitudes,  il  rebrousse 
chemin,  et  dit  :  La  nature  brute  est  hideuse  et  mourante:  c'est  moi,  moi 
seul  qui  peux  la  rendre  agréable  et  vivante  :  desséchons  ces  marais,  ani- 
mons ces  eaux  mortes  en  les  faisant  couler;  formons-en  des  ruisseaux  , 
des  canaux;  employons  cet  élément  actif  et  dévorant  qu'on  nous  avait 
caché,  et  que  nous  ne  devons  qu'à  nous-mêmes;  mettons  le  feu  à  cette 
bourre  superflue,  à  ces  vieilles  forêts  déjà  à  demi  consumées  ;  achevons 
de  détruire  avec  le  fer  ce  que  le  feu  n'aura  pu  consumer  :  bientôt ,  au  lien 
du  jonc,  du  ncuufar,  dont  le  crapaud  composait  son  venin,  nous  verrons 
paraître  la  renoncule  ,  le  trèfle  ,  les  berbes  douces  et  salutaires  ;  des  trou- 
peaux d'animaux  bondissans  fouleront  cette  terre  jadis  impraticable  ;  ils 
y  trouveront  une  subsistance  abondante  ,  une  pâture  toujours  renaissan- 
te :  ils  se  multiplieront  pour  se  multiplier  encore  :  servons-nous  de  ces 
nouveaux  aides  pour  achever  notre  ouvrage;  que  le  bœuf,  soumis  au  joug, 
emploie  ses  forces  et  le  poids  de  sa  masse  à  sillonner  la  terre  ;  qu'elle 
rajeunisse  par  la  culture;  uue  nature  nouvelle  va  sortir  de  nos  mains. 

Voilà  donc  l'homme  reconnu  comme  le  dernier  né  et  le  premier  favori 
de  la  nature ,  comme  limage  du  monde  ainsi  que  celle  de  Dieu ,  comme 
la  réunion  abrégée  mais  complète  de  tout  ce  qui  existe  dan<i]a  création  , 
comme  le  microscome,  le  petit  monde  en  un  mot,  et  par  conséquent  comme 
l'organisation  centrale  et  sommaire  de  toutes  les  organisations ,  comme  le 
type  et  la  réunion  de  tout  ce  qui  se  trouve  épars  dans  la  constitution  du 
reste  des  êtres  connus. 

Est-ce  là  tout?  Non,  sans  doute. 

Car  si  l'homme  n'était  qu'une  collection  inerte  de  ce  qu'il  y  de  fonda- 
mental et  d'exquis  dans  toutes  les  créatures ,  qu'un  centre  immobile  oti 
ToMExvu.— N"  98.  i838.  10 


150  HISTOIRE  El  TABLEAU  DE  L'UWIVERS, 

toat  conTergeât  sans  en  recevoir  aucon  mouTement  ;  s'il  n'était  qu'une 
image  morte  et  maette  de  ce  qai  existe ,  tout  grand  qu'il  serait ,  encore 
serait-ce  peu  de  lui. 

Mais  quand  on  remarque  que  si ,  comme  quelques-uns  le  prétendent , 
la  création  n'a  pas  été  faite  pour  lui ,  c'est  lui  du  moins  qui  a  su  s'en  em- 
parer, qui  en  jouit  presque  en  maître  absolu  ,  qui  en  use  en  franc  pro- 
priétaire; lui  qui,  toute  mx)difiée,  façonnée  qu'il  l'a  trouvée,  la  modifie, 
la  façonne ,  la  retourne  encore  chaque  jour  ;  lui  qui ,  comme  on  l'a  déjà 
tant  répété,  va  féconder  ici  des  bruyères  ,  là ,  changeant  le  désert  vide  en 
populeuses  cités  ; 

Ailleurs  domptant  les  mers  et  pliant  leurs  fiots  au  gré  de  ses  voiles  ; 

Ailleurs  gravissant  les  montagnes  ,  les  perçant  par  la  base  ,  ou  les  cou- 
pant en  deui  pour  y  placer  le  double  rail  de  son  chemin  de  fer,  sur  lequel 
sa  Toiture  à  vapeur  va  s'élancer  et  rouler  aussi  vite  que  les  sphères  dans 
l'espace; 

Aillenr«  encore  ,  pulvérisant  des  rochers  ,  les  faisant  voler  en  débris 
fumans  au-dessus  de  la  montagne  dont  ils  flanquaient  les  étages,  suspen- 
dant par  un  fil  de  larges  ponts  sur  des  abîmes ,  et  du  milieu  de  toutes  ces 
merveilles ,  devenues  vulgaires  pour  lui,  prenant  les  ailes  de  gaz  de  l'a- 
réostat ,  bien  plus  puissantes  que  celles  de  l'aigle  ou  du  condor,  et  s'élan- 
çant  dans  les  deux  ;  dans  les  cieux  dont  il  interroge  l'Immensité,  de  même 
qu'il  avait  sondé  les  entrailles  de  la  terre  et  les  creux  abîmes  des  océans  : 
dans  les  cieux  dont  il  classe  cl  compte  les  astres,  dont  il  mesure  les  soleils, 
traçant  aux  planètes  leurs  orbites,  pesant  leurs  masses,  calculant  leurs 
éclipses  ,  et  devinant  la  route  des  comètes ,  malgré  les  terreurs  et  les 
éblouissemens  de  leurs  queues  flamboyantes  ; 

Ailleurs  enfin ,  plus  hardi  encore  par  sa  pensée  de  philosophe  que 
par  ses  instrumens  et  ses  calculs  scientifiques,  s'élevant  d'un  bond  jus- 
qu'au maître  de  tout,  jusqu'à  Dieu;  lui  demandant  quelle  est  sa  nature, 
quelles  destinées  doivent  être  celles  des  âmes  ;  projetant  sur  l'éternité 
des  idées  gigantesques  ,  et  s'en  revenant  plein  de  la  certitude  de  son  im- 
mortalité. 

Oui,  disons-le  tous ,  quand  on  envisage  l'homme  de  cette  manière  ,  il 
est  difBcile  de  ne  le  pas  respecter  un  peu  ,  malgré  ses  faiblesses,  et  de 
ne  pas  s'écrier  : 

Et  cependant  l'homme  est  grandi 

Et  cependant ,  sous  un  autre  point  de  vue  ,  qu'est-ce  que 
2*homme  en  face  de  la  nature  et  du  créateur,  au  milieu  de  l'in- 
fini qui  l'entoure  de  toutes  parts  ? 

A  quoi  tient  notre  globule  terrestre  dont  nous  sommes  si  fiers ,  que 


PAK    Jf.    J.-F.    DAMÉLO.  151 

nous  IrouTons  si  grand  t-t  que  nous  n'apercevons  plus  an  milieu  de  celte 
iuéuarrable  univcisalik'  des  luondis  r 

Qu'csl-re  que  noire  vie  à  côté  de  toutes  ces  vivantes  créations  qui 
rajonncnt  là-haut,  qui  ,  sans  pâlir  jamais,  voient  passer  ici-bas  comme 
des  éphémcres  et  des  secondes,  les  générations  et  les  siècles? 

Qu'esl-ce  que  notre  esprit?  qu'csl-ce  que  rélincclle  de  notre  âme  en 
face  de  tous  ces  feux  célestes?  notre  intelligence  en  face  de  toutes  ces 
clartés?  oui  ,  qu'csl-ce  donc,  qu'est  ce  que  Ihomrae  mortel ,  infirme,  au 
bas  de  cet  univers  ,  au  fond  de  cet  océan  de  vije? 

Eh  bien  !  l'homme  c'est  l'être  qui  conçoit  cet  univers,  dans  lequel 
peut-être  il  ncst  conçu  nulle  part  qu'au  ciel  et  par  Dieu  et  ses  auges. 

—  Voilà ,  si  l'on  se  rappelle  notre  point  de  départ ,  voilà  où  nous  ont 
conduit  quelques  rapides  ob  ervalions  essayées  sur  uu  grain  de  sable  et 
sur  un  fragment  de  rocher. 

Quelque  imparfaiUs  que  soient  ces  esquisses,  qui  doivent  trouver  leur 
développement  dans  cet  ouvrage,  dont  elles  ne  sont  que  le  précis,  et,  ca 
quelque  sorte  ,  que  la  table  raisonnée,  quelque  faible  surtout  que  soit  la 
main  qui  les  a  tracées ,  elles  suiËsent  néanmoins  pour  vous  faire  voir  où 
peuvent  mener  Tobscrvatiou  et  l'examen ,  même  rapide  ,  des  moindre* 
choses  ,  et  pour  donner  une  idée  de  l'intérêt  vif  et  saisissant  qu'inspire 
l'étude  de  la  nature,  et  des  hautes  considérations  auxquelles  elle  élève 
l'esprit  après  quelques  détails  moins  excilans,  mais  néj:cssaires. 

Nous  venons, lecteur,  d'embrasser  une  vaste  carrière,  et  cependant  nous 
n'avons  fait  que  la  regarder  du  but,  que  la  voir  à  vol  d'oiseau  ;  nous  ne 
l'avons  point  parcourue.  Ce  sera  maintenant  noire  tâche. 

Craignant  que ,  dès  ce  premier  pas ,  le  coursier  ne  se  fatigue  et  que  le 
frein  ne  vienne  à  fumer  trop  chaud  dans  sa  bouche,  ôtons-le  un  instant, 
et  bien  que  1  heure  n'en  soit  pas  venue  encore  ,  reposons-nous  ici  '.  De- 
main la  journée  sera  grande,  tout  néant  que  nous  sommes,  ce  sera  par 
plus  haut  que  les  cieux ,  ce  sera  pnr  leur  gouverneur  et  leur  maître  ,  ce 
sera  par  Dieu  que  nous  prendrons  notre  course. 

Après  avoir  aiusi  largement  tracé  son  plan  dans  une  intro- 
duction qui  occupe  presque  tout  le  premier  volume,  M.  Daniélo 
entre  en  matière.  La  forme  qu'il  a  adoptée,  pour  son  ouvrage, 
est  celle  du  f//fl/o^Me  ;  forme  flexible,  élastique,  commode,  ap- 
propriée à  la  multitude  et  à  la  variété  des  sujets,  attachantj 
par  son  allure  dramatique,  la  seule  peut-être  qui  put  convenir 
aux  desseins  de  M.  Daniélo ,  puisqu'elle  seule  peut  se  plier  avec 
une  égale  facilité  aux  descriptions  brillantes  et  aux  sévères  dé- 

'  Sed  nos  immensuai  coufecimus  aequor, 
Et  jam  tempus  equûm  fumantia  tolrere  lora.    Georgiq-,  lib.  u.  ven  SSi. 


152  HISTOIRE    ET    TABLEAU    DE    L'l'NIVERS. 

monstrations,  à  l'exposition  scientifique  et  aux  élans  de  l'en- 
thousiasme, à  l'objection  et  à  la  réponse.  Les  personnages  sont 
choisis  de  manière  à  entretenir  l'intérêt,  et  offrent  une  heu- 
reuse diversité  de  langages.  Un  jeune  homme  instruit,  passionné 
pour  la  science  y  joue  le  principal  rôle. 

Adolphe,  dit  M  Daniélo,  représentera  celle  jcnnesse  anlenle,  avide, 
stadieiise.inlelligenle,  fière,  pure,  iDdépendanle.  sans  emploi sal.irié,  sans 
engagetnenl  politique,  amie  chaude  elTraic  de  la  Hherlé,  mais  noble,  mais 
décente,  mais  grave,  mais  senfée.  mais  r;iisonuable  aussi,  mais  aussi  com- 
nrenanl  loules  les  nécessités  sociales,  mais  amie  aussi  de  l'ordre,  mais  ne 
voulant  le  progrès  que  par  des  voies  naturelles,  le  bien  que  par  la  josticc  ; 
mais  vénérant  et  soutenant  les  doctrines  augustes  qui  forment  la  conscience 
des  peuples,  dirigent  leur  conduite  et  leurs  mœurs,  président  aux  desti- 
nées des  étals  de  l'humanité  tout  entière,  ainsi  que  de  l'homme  en  par- 
ticulier. 

On  voit  que  c'est  là  le  personnage  favori,  et  dans  lequel  on 
reconnaîtra  facilement  plus  d'un  trait  de  l'esprit  et  du  caractère 
de  l'auteur.  Sur  le  second  plan,  viennent  un  homme  du  monde, 
déjà  sur  l'âge  qui  apportera  les  connaissances  prises  dans  l'ha- 
bitude des  affaires  et  le  commerce  de  la  haute  société  ;  un 
prêtre  à  qui  échoit  naturellement  l'office  de  défendre  la  pure 
doctrine  chrétienne,  et  de  mettre  dans  tout  son  jour  l'admi- 
rable accord  des  données  de  la  science  avec  les  enseignemens 
de  la  foi.  Une  jeune  personne  et  une  femme  d'esprit  seront 
chargées  de  répandre  l'animation  et  la  grâce  s\ir  des  discours 
qui  pourraient  devenir  trop  sérieux,  l'une  par  sa  naïve  curiosité 
et  ses  questions  incessantes  ,  l'autre  par  de  piquantes  réflexions 
et  cet  agréable  bourdonnement  des  conversations  féminines. 

Deux  dialogues  qui  terminent  le  volume  sont  destinés  à  nous 
faire  faire  connaissance  avec  les  acteurs  et  à  disposer  la  mise 
en  scène.  Nous  attendons  M.  Daniélo  à  l'ouverture  du  second 
volume,  bien  disposés  à  le  suivre  dans  son  brillant  itinéraire 
avec  tout  l'intérêt  qui  s'attache  naturellement  au  sujet  et  à 
l'écrivain.  En  l'atlendant  nousPencom-ageons  de  tous  nos  vœux 
et  lui  ferons  une  seule  recommandation,  celle  de  se  défier  de 
sa  grande  facilité,  et  de  se  restreindre  quelquefois  dans  les  dé- 
tails d'une  œuvre  si  belle  et  si  originale. 


DE    ,      COSMOGO?(IE  DE  MOISK,  COMP.  AUX  FAITS  CÉOLOGrfQ.     15S 

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DE  LA  COSMOGONIE  DE  MOÏSE, 

COMPARÉE   AUX   FAITS   GÉOLOGIQUES  '. 

Par  Marcel  de  Serres  ,  Conseiller  et  Professeur  de  minéralogie  et  de  géologie 
à  la  Faculté  des  sciences  de  Montpellier. 


Objections  géologiques  contre  la  Bible.  —  La  science  s'est  chargée  d'y 
répondre.  —  Du  root  jour.  —  DiEFércns  sentimens  des  Pères  et  des 
Docteurs.  —  La  Genèse  est  désintéressée  dans  celte  qucsiion.  —  Ju- 
gement sur  le  livre  de  M.  Marcel  de  Serres. 

Le  but  de  la  révélation  est  essentiellement  moral  et  pratique. 
Elle  se  propose  la  régénération  de  l'humanité;  elle  nous  fait 
donc  connaître  notre  origine ,  notre  nature  ,  nos  devoirs  sur  la 
terre,  notre  destinée  après  celte  vie;  et  le  degré  de  lumière 
qu'elle  répand  sur  ces  sujets,  suffisant  sans  doute  pour  nous 
diriger ,  ne  saurait  satisfaire  notre  curiosité.  Dieu  n'a  point 
voulu  nous  expliquer  les  mystères  du  monde  physique.  Ce  sont 
des  énigmes  abandonnées  à  l'activité  de  nos  recherches  ;  c'est 
un  domaine  livré  à  l'esprit  humain  ;  il  a  le  droit  de  s'en  empa- 
rer ;  il  peut  librement  y  créer  des  hypothèses  ,  y  bâtir  des  sys- 
tèmes ,  mais  il  s'expose  à  voir  ses  hypothèses  et  ses  systèmes  , 
que  les  livres  saints  qualifient  de  disputes,  renversés  successive- 
ment les  uns  par  les  autres.  L'objet  des  sciences  naturelles  et  celui 
de  la  religion  sont  donc  tout-à-fait  différens  ;  aux  unes  appar- 
tient le  monde  physique,  à  l'autre  le  monde  moral;  elles  sont 
indépendantes  dans  leurs  sphères  respectives.  Ainsi  on  mécon- 
naît la  nalure  des  vérités  révélées;  on  demande  à  la  révélation 
ce  qu'elle  n'est  pas  destinée  à  nous  donner,  quand  on  veut  se 

>  Paris  ,  i838  ;  Lagny  frères  ,  libraires  ,  rue  Bourbon-le-Cliâteau  ,  a'  l  ; 
iu-S»  ;  prix  ,  7  fr. 


iS&  DE   LA   COSMOGONIE   DE    HOISE , 

prévaloir  de  ses  enseignemens  dans  le  dessein  de  combaltre  ou 
défaire  adopter  un  système  physique.  La  Bible  garde  le  silence 
sur  les  phénomènes  naturels  ;  si  elle  en  parle,  ce  n'est  que  pour 
établir  un  dogme  ou  pour  imposer  un  devoir,  et  elle  n'en  dit  que 
ce  qui  est  indispensable  à  ce  double  but.  D'ailleurs,  les  livres 
saints,  pour  èlre  compris  à  toutes  les  époques  et  par  tous  les 
hommes,  ne  doivent-ils  pas  être  écrits  dans  le  langage  ordi- 
naire ?  le  récit  de  l'écrivain  sacré  aurait  été  infailliblement  traité 
d'absurde ,  s'il  avait  rapporté  le  miracle  opéré  par  Josué  avec 
des  termes  d'une  précision  scientifique.  L'école  philosophique 
du  dix-huitième  siècle  ne  voulut  pas  tenir  compte  de  ces  con- 
sidérations qui  lui  furent  opposées;  elles  suffisaient  cependant 
pour  réluler  SCS  objections.  Au  reste,  la  science  elle-même  se 
chargea  de  lui  donner  des  démentis  formels, et  de  la  convaincre 
d^ignorance  et  de  mauvaise  foi.  Elle  a  fait  justice,  notamment 
des  sarcasmes  lancés  contre  Moïse,  parce  qu'il  avait  montré 
la  lumière  existant  avant  le  soleil.  Ici  une  pensée  se  présente 
nalurelltmerit  à  l'esprit;  certes,  il  fallait  que  Moïse  fût  émi- 
nemment supérieur  à  son  siècle,  puisqu'il  connaissait  une  théo- 
rie qui  n'a  été  proclamée  que  tant  d'années  après  lui.  Il  fallait 
bien  aussi  qu'il  fût  assuré  d'avoir  convaincu  les  Hébreux  de  la 
divinité  de  sa  mission,  pour  oser  leur  révéler  un  fait  qui  devait 
leur  paraître  une  absurdité. 

Les  traditions  de  l'école  yoltairienne  sont  affaiblies,  mais 
elles  n'ont  pas  entièrement  disparu;  de  nos  jours  encore,  au 
nom  de  la  science,  les  ennemis  de  nos  livres  saints  s'efforcent 
de  porter  atteinte  à  la  croyance  qui  leur  est  due,  et  c'est  prin- 
cipalement dans  les  découvertes  géologiques  qu'ils  vont  puiser 
leurs  argumens. 

La  tâche  des  défenseurs  de  la  Bible  est  facile ,  et  leur  réponse 
est  pércmptoire.  Il  est  clair  que  le  récit  de  Moïse  reste  inébran- 
lable, tant  que  les  géologues  n'ont  pas  démontré,  ou  que  Moïse 
était  obligé  de  parler  des  faits  géologiques,  ou  qu'il  a  nié  leur 
existence,  ou  bien  enfin  que  la  science  s'inscrit  en  faux  contre 
l'ordre  dans  lequel  Moïse  présente  la  formation  des  êtres.  Or  , 
les  géologues  sont  dans  Timpossibilité  de  donner  cette  démons- 
tration. 

Moïse  n'était  [)as  obligé  de  parler  des  débris  dest:réations  qui 


COMPARÉE  AUX  FAITS  GÉOLOGIQUES.  155 

ont  été  détruites,  et  que  les  géologues  trouvent  dans  les  en- 
trailles de  la  terre.  Moïse,  comme  l'observe  St.  Augustin  ',  ne 
se  proposait  pas  de  faire  des  Hébreux  un  peuple  de  physiciens  ; 
il  voulait  les  prémunir  contre  l'idolâtrie  et  le  polythéisme;  dès- 
lors,  il  suffisait  de  leur  apprendre  ou  de  leur  rappeler  que  le 
inonde  n'est  pas  éternel,  qu'en  Dieu  seul  résident  la  puissance  et 
la  fécondité  absolue  j  et  que  tout  ce  qui  existe ,  depuis  le  soleil 
jusqu'au  brin  d'berbe,  est  l'ouvrage  de  ses  mains. 

Moïse  ne  conteste  nulle  part  l'existence  des  faits  géologiques. 
On  défie  les  géologues  d'établir  le  contraire,  et  la  science,  loin 
de  combattre,  confirme  l'ordre  de  la  formation  des  êtres  con- 
staté dans  le  récit  de  la  Genèse. 

Des  amis  de  la  religion  et  de  la  science  n*ont  pas  voulu  se 
borner  à  cette  réponse  ;  ils  se  sont  efforcés  d'assigner  la  place 
qui,  dans  le  récit  de  l'écrivain  sacré,  pouvait  être  réservée  aux 
faits  géologiques.  Parmi  ces  savans,  les  uns  les  placent  dans 
la  période  indéterminée  qui  s'est  écoulée,  selon  eux,  depuis  le 
cominenccment  des  tems  ou  création  de  la  matière,  jusqu'au  pre- 
mier jour  de  la  création  de  Moïse.  Les  autres  supposent  que 
les  cinq  jours  qui  précèdent  la  formation  de  l'homme ,  rap- 
pellent l'existence  des  créations  qui  ont  été  détruites.  Dans  la 
première  hypothèse,  \emo\.  jour  employé  par  Moïse  est  pris  dan? 
le  sens  littéral  et  marque  vin  jour  de  vingt-quatre  heures;  dans 
la  seconde,  ce  mot  désigne  une  époque  d'une  longueur  indé- 
terminée. MM.  Desdouits,  Buckland  ',  etc.,  soutiennent  le  pre- 
mier système;  parmi  les  partisans  du  second  figurent  Deluc, 
Cuvier,  M.  Marcel  de  Serres,  dont  l'ouvrage  est  l'occasion  de 
cet  article. 

Les  savans  ont   droit  de  choisir  entre  ces   deux  opinions 
L'Eglise  n'a  rien  décidé  sur  cette  matière,  et  ses  docteurs  sont 
divisés.  S.Ambroise  ',  Théodoret  *,  S.  Grégoire-le-Grand  *,  ont 

'  Enchirid.,  c.  iï. 

*  La  géologie  et  la  mtWra/ogce  considérées  dans  leurs  rapports  avec  la 
lliéologie  naturelle.  M.  Jolv ,  professeur  d'histoire  naturelle  au  collège 
royal  de  Montpellier,  a  fait  paraître  un  excellent  abrégé  de  cet  ouvrage. 

^.Hexam.  1,  i,  c.  vu,  sq. 

^  Quest.  in  Gènes.  Interr.  c.  v,  sqrj. 

*  Moral,  in  Job,  1.  xmi  ,  c.  ii. 


156  DE   LA    COSMOGONIE   DE   MOÏSE, 

cru  que  les  jours  de  la  Genèse  étaient  des  jours  naturels;  mais 
Origène  ',  S.Athanase  *,  S.Augustin  %  sont  d'un  avis  contraire; 
S.Basile  penche  vers  l'opinion  de  ces  derniers  4;  l'évêque  d'Hip- 
pone  déclare  qu'il  est  tris-difficile ,  impossible  même  de  concevoir 
par  la  pensée,  et  encore  plus  d'exprimer  par  la  parole ,  la  nature  des 
des  jours  de  la  création  ^   «  Si  quelqu'un ,  dit-il ,  croit  pouvoir 

•  donner  quelque  explication  pour  la  faire  comprendre,  qu'il 

•  n'ait  pas  la  témérité  de  présenter  son  sentiment  comme  si 

•  l'on  ne  pouvait  rien  trouver  de  plus  probable  ^.  »  S.Augustin 
se  plaît  à  interpréter  dans  un  sens  allégorique  les  six  jours  dont 
parle  Moïse.  Une  fois  il  enseigne  que  Dieu  créa  le  ciel  et  la 
terre  et  tout  ce  qu'ils  renferment,  dans  l'espace  de  six  jours, 
quoiqu'il  put  tout  faire  en  un  seul  moment  7.  Mais  plus  tard  , 
dans  la  Cité  de  Dieu,  il  revient  à  l'interprétation  allégorique  ^. 
Si  le  saint  docteur  pense  que  l'on  ne  peut  connaître  ce  que 
sont  les  six  jours  de  la  création,  il  croit  que  l'on  ne  pexit  assu- 
rer ce  qu'ils  ne  sont  pas;  il  déclare  positivement  dans  le  n*  44 
du  ive  livre  de  l'ouvrage  intitulé  :  De  Genesi  ad  litteram ,  qu'il 
est  hors  de  doute  que  les  jours  de  la  création  n'étaient  pas  semblables 
aux  jours  ordinaires ,  qu'ils  en  étaient  bien  dijférens  (  ut  non  eos 
mis  similes ,  sed  muttùm  impares  miniyne  dubitemus).  L'illustre  au- 
teur de  la  Défense  du  Christianisme  n'a  pas  rendu  exactement  la 
pensée  de  S.Augustin,  lorsqu'il  a  dit  que  dans  ce  passage  le 
saint  docteur  enseignait  *  qu'il  ne  faut  pas  se  hâter  d'affirmer 

•  que  les  jours  de  la  création  fussent  semblables  à  ceux  dont 
«se  compose  la  semaine  ordinaire  9.  » 

Les  docteurs  juifs  ont  été  aussi  divisés  que  les  docteurs  chré- 
tiens :  Josèphe  adopte  le  sens  littéral'";  Philon  se  déclare  pour 

"  De  principiis,  1.  iv,  n.  »6:  centra  Celsum ,  1.  vi  ,  n.  5o,  5i 
'  Orat.  II ,  contre  Arian.,  n.  6o. 

*  De  Genesi  ad  litteram,  1.  ii,  c.  xi ,  n.  2^. 

*  In  hexavier.,  hom.  i ,  n.  6. 
5  De  civitatc  Dei ,  1.  xr ,  c.  vi. 

*  De  genesi  ad  litteram  ,  I.  iv,  n.  44- 
7  De  Catechiz,  rudibus,  c.  xvii. 

*  L.  XI,  c.  vn. 

»  Défense  du  Christianisme,  l.  n,  p.  ao4- 
^°Antiq.  judaic,  1.  i.  c.  i. 


COMPARÉE   AUX    FAITS   GÉOLOGIQUES.  l^t 

l'interprélation  allégorique  '  ;  l'évoque  d'Hermopolis  ne  se  pro- 
nonce pour  aucune  des  deux  opinions  que  nous   venons  de 
rapporter  ;  nous  imiterons  sa  sage  réserve  ;  nous  dirons  avec  le 
grand  Bossuet,  que  Dieu  a  voulu  faire  le  monde  avec  six  diffé- 
rens  progrès  qu'il  a  voulu  appeler  six  jours  \  Nous  nous  permet- 
trons seulement  d'ajouter  que  la  lecture  attentive  du  texte  sacré 
semble  porter  à  conclure  que  les  six  jours  de  la  création  sont 
le  récit  détaillé  de   la  formation   progressive  du  même  monde, 
plutôt  que  l'histoire  de  six  mondes  ditférens,  dont  cinq  auraient 
été  détruits.  M.  Victor  de  Bonald,  qui  défend  avec  sévérité  l'in- 
terprétation littérale,  et  qui  est  contraire  à  toutes  les  explica- 
tions nouvelles,  avoue  que  le  texte  sacré  ne  s'oppose  point  à  ce 
que  l'on  soutienne  que  les  mondes  dont  les  débris  sont  enfouis 
dans  la  terre  ont  été  formées  avant  l'ouvrage  des  six  jours  '.  En 
effet,   plusieurs   Pères  (  Théodoret,  S.Ambroise ,  S.Grégoire- 
le-Grand  )  et  la  plupart  des  commentateurs,  pensent  que  la 
matière  a  été  d'abord  créée,  et  qu'ensuite  elle  a  été  successive- 
ment organisée.  M.  Desdouits,  qui  s'est  prononcé  pour  l'hypo- 
thèse que  M.  de  Bonald  regarde  seulement  comme  possible,  a 
cru  trouver  dans  un  passage   de  Josèphe,que,  sinon  la  Ge- 
nèse, du  moins  Moïse  a  tranché  la  question  dans  son  sens. 
€  Au  premier  chapitre  de  son  ouvrage  des  Antiquités  judaïques, 

•  dit  M.  Desdouits,  après  avoir  cité  les  premiers  versets  de  la 
«Genèse  et  les  propres  paroles  de  Moïse,  Josèphe  ajoute  cette 
«phrase  remarquable  :  Tel  fut,  dit-il,  le  premier  jour;  mais 
«Moïse  ne  l'exprime  pas  ainsi:  il  l'appelle  seulement  un  jour 
»et  non  le  premier  jour  ;  de  quoi  je  pourrais  rendre  ici  raison, 
»  mais  je  me  réserve  de  le  faire  dans  un  ouvrage  spécial,  où  je 

•  ferai  connaître  une  foule  de  choses  intéress£^ntes.  »I1  est  clair 
«qu'il  s'agit  ici  de  son  Traité  des  traditions  judaïques....,  qui  ne 
«nous  est  pas  parvenu....  Nous  n'avons  donc  pas  la  solution 
«réelle  de  celte  énigme,  mais  le  sens  en  est  clair,  et  quelle 
«qu'ait  pu  être  la  théorie  de  Josèphe,  il  est  certain  que,  sui- 
»vant  les  traditions  juives,  Moïse  n'a  pas  voulu  appeler  premier 

*  De  mundi  opificio ,  init. 

*  5*  élévation. 

*  Moïse  et  les  géologues  ,  p.  5a. 


158  Ï>E    LA   COSMOGONIE  DE   MOÏSE 

«jour  celui  qui  nous  semble  tel  d'après  le  récit  de  la  Genèse. 

•  Donc  il  n'était  pas  réellement  le  premier  jour  de  la  création; 
*car  on  ne  peut  imaginer  aucun  motif  vraisemblable  de  la  réserve  de 
f)  Moïse  ,  51  ce  n'est  dans  cette  hypothèse  ^.  • 

Nous  ferons  remarquer  d'abord  que  les  traditions  juives  sur 
la  création  du  monde,  n'étaient  pas  aussi  uniformes  que  paraît 
le  croire  M.  Desdouits,  puisque  deux  juifs  célèbres  qui  devaient 
connaître  ces  traditions,  soutiennent  deux  opinions  contradic- 
toires sur  les  çix  jours  de  la  création.  Josèphe  pense  que  le 
monde  a  été  créé  en  six  jours  distincts.  Philon  croit  qu'il  a  été 
créé  dans  un  instant;  il  ajoute  que  cette  distinction  numérique 
de  jours  a  été  employée  par  l'écrivain  sacré  pour  marquer  l'ordre 
qui  existe  entre  les  choses  créées,  et  que  le  nombre  six  a  été 
choisi  à  cause  de  ses  propriétés  '.  Il  n'est  pas  exact  de  conclure 
que  le  premier  jour  de  la  création  ne  l'est  pas  réellement,  de 
ce  que  Moïse   ne  l'a   pas  appelé  premier  jour.  «  Unus ,  observe 

>  Duguet,  dans  le  langage  hébraïque,  est  le  même  que  primus. 

>  Una  sabbatorum,  dans  l'Evangile,  au  lieu  de  prima  sabbatorum  ^.» 

Il  n'est  pas  exact  non  plus  d'assurer  qu'on  ne  peut  imaginer 
aucun  motif  vraisemblable  de  la  réserve  de  Moïse ,  si  ce  n'est  dans 
Vhypothise  que  le  jour  qui  nous  semble  le  premier,  d'après  le  récit  de 
la  Gencse,  ne  Cest  réellement  pas.  Dans  le  commentaire  sur  la  Ge- 
nèse, de  Procope  de  Gaze,  où  l'opinion  de  Philon  est  suivie,  on 
attribue  la  réserve  de  Moïse  à  un  motif  différent  de  celui  qui, 
d'après  M.  Desdouits,  est  le  seul  qu'on  puisse  imaginer,  a  Le 
»  nombre  établit  l'ordre,  dit  Procope  ;  c'est  pour  cela  que  Moïse 
T>n'a  pas  dit  le  premier,  mais  un  jour;  puisque,  dans  les  choses 

•  qui  existent  en  même  terns,  il  n'y  a  ni  premier  ni  second.  » 

Au  reste,  on  ne  savirait  trop  le  répéter,  la  religion  est  tout-à- 
fait  désintéressée  dans  cette  discussion.  Que  les  six  jours  de  la 
création  soient  ou  ne  soient  pas  des  jours  naturels,  que  les 
mondes  des  géologues  aient  été  formés  dans  les  cinq  premiers 
jours  de  la  Genèse,  ou  bien  qu'on  les  place  dans  la  période  in- 
déterminée que  l'on  suppose  s'être  écoulée  entre  la  création  de 

'  Universilé  catholique  ^  juin,  iSSj,  p.  458,  459- 

»  Josèplic,  antiq.  judaiq.,  I.  i,o.  i.  Phil.  iib.  de  mundi  opiftcio,  [^,  a. 

'  Explication  du  livre  de  la  Genèse. 


se 


TABLEAU  DES  PRINCIPALES  ÉPOOLES  HlSTORIOl'E 

PREMIÈRE  PÉRIODE,  ou  période  ant£-dillvie>ne,  c'est-à-dire, 

DÉLUGE , 


lien; 


fi——  

d'après  LA  VCLGATE,  n\pRÈS  JOSÈPHE  D'aPRÈS  d' APRÈS  D'itS 

E  PÈRE  PETAC  ET  LECCV,  '  LES  8EPTAME.  LE  TEXTE  HiBREC.  LES  SAMi  Fi:? 

1656  1556  2256  23^8  3( , 


Moyenne  entre  les  sept  nombres  précédens 2168  ans. 


SECONDE  PERIODE,  ou  période  post-diluvienne  ou  historique, 


mpr 


PREMIÈRE  ÉPOQUE.  —  DEPUIS  LE  D|UG1 

MOMîrENS  LES  PLCS  ANCIENS  COXMS  : 

l"  Tour  de  Babel 26A7 

2"  Monumens  les  plus  anciens  de  l'Egypte ,  d'après  Champollion  le  jeune 

3°  Pyramides  d'Egypte,  d'après  Hérodote 1485 

Hommes  remarquables  de  l'antiquité  : 
l"  Abraham 1931 21 

2°  Moïse 1531  li 

Moyenne  entre  ces  qi  ut; 
3"  Engloutissement  de  Pharaon  et  de  son  armée 1491  1. 

D'après  Du  Rozoir.  D'aprè*  jgc: 

Fondation  de  Rome  avant  l'ère  chrétienne 551    , 

Celle  date,  d'apiès  Du  Kozoir  lui-même,  peui  être  cooteilé 
Naisiaoce  d'aprèi  Bollin.  Mort  d'après  Rollin.   Mort  d'après  Fustbe  et  le  Svncelle. 

Alexandre 356    321    323 


DELTUÈME  ÉPOQUE,  OU  ÈRE  CHRÉTIEÎ  2  J 


4964 4864 5564 5656 63 


RI 


^loyenne  entre  ces  huit  nombres 5293. 

ÈRE  CHRÉTIENNE 

3308 3208 3308 3308 

DATE  DE  l'apparition  DE  L'U0MMBb( 

D'ajjrés  la  Vulgale.  D'i^ràs  Jotepbe.  D'après  1rs  Seplaiité.  D'après  le  texc  Lébreu.     D'après  les 

6802  G702  7402  7'i94  Si  I 


Moyenne  entre  ces  neuf  nombres 70 


Annales  de  Phitosoplùe  clirctiennc ,  l.  xvji,  u"  98,  p.  158. 


TABI-EAV   N"   1  t. 


BCAICILÉES  DEPUIS  L'APPARIT10\  DE  L'HOMME. 


,i  tervalle  de  tems  qui  s'est  écoulé  depuis  rapparition  de  l'homme  jusqu'au  Déluge- 


D  APRES  RCFFIN. 

265G 


D  APRES 
MM.  POIRSOX  ET  CAIX. 

1656 


l'I  lllllll Il  I 


(  nprcnant  l'intervalle  de  tems  écoulé  depuis  le  déluge  jusqu'aux  tems  actuels,  ou  1838. 


[q:JGE  JUSQU'A  L'ÈRE  CHRÉTIENNE. 

D'après  le»  mndfrne». 

3409 

aann     i       D'après  la  dale  à    laquelle  MM.  Poirson  et  Caii  rapportent  la  location  de  Moïse,  ces  mo 


numens  seraient  antérieurs  à  re  lepl>laleur  de  ijS  .tus,  el  de  5859  ans  a»ant  i83 

.  ann     f      Postérieure  ,  d'après  IfS  modernes  ,  de  394  ans  à  Uoise,  et  de 

^^""     \  Si5  d'après  MU.  Poir.son  el  Cai.^. 

ArrÏTé  en  Egypte,  d'après  Cliampollion.  D'après  Lesage. 

1900 1996 

D'après  Les:ige. 

1504 1725 

,  .  _f,.       f       D'après  celte  movpniie.  Moïse  serait  antérieur  à  l838  de  Jijj   an»,  ou,  d'après  la  date 

^e  nomûres.  .  .  .     loyt\     ^  admi.e  par  MM.  Poiieou  et  Cais,  de  5565  ans  avant  la  oiême  époque  i858. 

D'après  l'annuaire 
D'à   rèsBossuel  el  M'ehelel.          D'après  T.enplel.  du  Bureau  des  Longlludes. 

..."...    754    753    752 

ou  1591  ads  aranl  i838.  ou  35^0  ans  avant  iSâS. 


3î  APRÈS  L'APPARITION  DE  L'HOMME. 

D'après  Bollin.  D'après  quelques  nioderue" 


4004 5767  ou  5864 


4963 


BIllES  LE  DELUGE. 


squ'aux  tems  actukls  ou  1838. 

D'après  l'annuaire  D'après  D'aprèj 

i^irilains.  L'^iprès  Rollln.  du  Bureau  des  Longitudes.  MU.  Poirsou  et  Ciii.       quelques  autre»  moderne». 


5842 


6550 


6801 


7605  ou  7705 


ÉPER.NAY,  IMPRIM.  DE  A.  VARIA", 


«OMPARÉE    AUX   FAITS  CÉOLOGIQES.  159 

la  matière  et  le  premier  jour  dont  parle  Moïse,  peu  importe. 
Dans  ces  diverses  hypothèses,  on  ne  peut  rien  inférer  contre  les 
livres  saints  :  leur  véracité  demeure  toujours  intacte. 

M.  Marcel  de  Serres  nous  pardonnera  les  longs  détails  dans 
lesquels  nous  sommes  entrés  :  ils  nous  ont  paru  nécessaires  pour 
bien  fixer  l'état  de  la  question.  Il  ne  nous  appartient  point 
d'apprécier  la  cosmogonie  de  Moïse  sous  le  rapport  géologique , 
mais  la  réputation  de  son  auteur  est  faite  depuis  lons-tems;  il 
occupe  un  rang  élevé  parmi  les  géologues.  M.  de  Serres,  dans 
son  ouvrage,  ne  se  présente  pas  seulement  comme  géologue  ;  il 
se  montre  encore  érudit.  Son  livre  doit  plaire  aux  hommes  in- 
struits par  les  détails  scientifiques  qu'il  renferme.  II  est  égale- 
ment propre  à  intéresser  les  gens  du  monde  par  les  agrémens 
de  l'exposition.  Il  sera  goûté  des  personnes  attachées  au  Chri- 
stianisme :  M.  de  Serres  professe  partout  un  profond  respect 
pour  la  révélation.  Le  succès  de  son  ouvrage  ne  nous  parait  pas 
douteux,  et  nous  avons  lieu  de  nous  en  féliciter.  La  cosmogonie 
de  Moise  est  un  bel  hommage  rendu  à  la  religion  ;  nous  espérons 
que  ce  sera  aussi  un  monument  érigé  par  la  science  '. 

Afin  de  donner  en  finissant  une  idée  des  travaux  et  du  système 
de  l'auteur,  nous  publions  ici  le  tableau  "  où  il  a  résumé  les 
différentes  époques  historiques,  depuis  l'apparition  de  l'homme  sur 
la  terre.  L'abbé  Flottes, 

de  la  Société  Asiatique  de  Paris. 

»  Voir  dans  le  n»  73,  t.  xni ,  p.  5i,  un  article  de  M.  Bonnelly  ,  sur 
Cinterprétation  donnée  par  les  Pères  et  les  Docteurs,  aux  différens  mots 
qu'emploie  Moïse  pour  raconter  la  création  ,  article  où  se  trouve  le  texte 
hébreu  et  la  traduction  littérale  du  chapitre  1"  de  la  Genèse. 

*  C'est  le  17*  tableau  que  nous  donnons;  le  i6«,  que  l'on  trouve  t.  xvi, 
p.  109,  contient  les  générations  d'Adam  jusqu'à  l'époque  de  Noé  et  de  ses 
petits  fds  ,  comparées  aux  premières  générations  chinoises. 


160  NOUVELLES  ET  MELANGEA. 


IbnvciCes  et  îûèiaxi^eè. 


EUROPE. 

FRAIVCE.  PARIS.  Modèle  iTune  statislltjue  des  monumcns  religieux. 
— Chaque  jour  les  éludes  historiques  et  archéologiques  font  de  nouveaux 
pi'ogrcs  dans  le  clergé  français.  M.  Souchet,  chanoine ,  s'occupe  d'un 
grand  travail  sur  la  statistique  religieuse  du  diocèse  de  Saint-Brieuc  ;  le 
plan  en  est  très-bien  conçu  :  il  serait  à  désirer  qu'il  i'ùt  adopté  dans  les 
autres  diocèses  de  la  France. — Ce  plan  consisle  ,  comme  l'a  annoncé  l'au- 
teur, dans  une  statistique  religieuse  de  chaque  paroisse  et  de  chaque  éta- 
blissement dû  à  la  religion,  à  exposer  historiquement  ce  qu'il  y  a  de  par- 
ticulier à  chaque  endroit;  à  recueillir  toutes  les  traditions  respectables. 
Voici  l'ordre  suivant  lequel  les  recherches  seront  laites  et  rapportées. 

La  statistique  religieuse  donnera  :  les  noms  de  la  paroisse,  de  son  patron, 
du  recteur  et  des  autres  prêtres  ;  des  détails  géographiques  sur  la  position, 
la  population  ,  l'étendue,  etc.  ;  les  productions  du  sol ,  l'industrie  des  ha- 
bitans,  leurs  besoins  :  elle  énumérera  les  communes  dont  la  paroisse  est 
composée,  les  variations  qu'elle  a  subies,  les  pasteurs  qui  l'ont  gouvernée, 
les  fondations  ,  constructions ,  réparations ,  embelli ssemens  qui  ont  eu 
lieu;  la  construction  de  l'église  actuelle,  en  quel  tems,  par  qui ,  aux  frais 
de  qui  elle  a  été  élevée;  des  traditions  sur  cet  article  ;  ses  beautés,  ses  défauts, 
ses  réparations  désirées  ou  effectuées  ;  ses  décorations  ;  le  nombre  d'autels 
et  à  qui  ils  sont  dédiés.  Des  détails  seront  encore  donnés  sur  le  clocher  , 
sa  hauteur,  et  sur  ce  qui  le  rend  remarquable;  sur  les  cloches,  leur 
nombre ,  les  inscriptions  qu'elles  portent ,  leur  poids  ;  sur  les  horloges  ; 
sur  les  tombeaux  remarquables ,  les  souterrains ,  le  cimetière  ,  les  parti- 
cularités qui  le  concernent,  l'ossuaire,  les  chapelles  détruites  ou  aban- 
données ,  les  chapelles  conservées  ,  leur  patron  ,  leur  culte  ,  leurs  usages, 
les  solennités  particulières,  tant  à  la  paroisse  qu'aux  chapelles,  l'origine 
et  l'autorisation  épiscopale  de  ces  cérémonies;  les  reliques  précieuses  à  la 
paroisse  on  aux  chapelles,  etc.  (Bull,  monumental ,  n»  6). 


ANNALES  ''' 

DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE. 


oybitiii/e'to  99. 30  SepteutKtc  1 838. 

V«VVWW\t\VVVVW\V\VWtV\VVV\WVV\VWI  \\VV\VV\\\.\VVWWVA,W>VVV\^\VVVV\>\lvV\\t\'W\\VVWV\\V\ 

^vc\)éoio^ic  biblique. 


NOTICE 


SUR    LE  LIVRE  d'ÉNOCH  RETROUVÉ  EN  ABYSSINIE,   ET    TRA- 
DUCTION DES  PREMIERS  CHAPITRES. 

}jrnmer  aviide. 

JNotice  sur  Enoch.  —  Ce  qu'en  disent  les  historiens  sacres,  les  Orientaux 
et  les  Pères.  —  Découverte  de  son  livre.  —  Ses  traducteurs.  —  Histo- 
rique de  sa  découverte  par  M.  de  Sacy.  —  Woide.  —  Bruce.  — ' 
Ludolph.  —  Traduction  des  premiers  chapitres. 

Nous  avons  parlé  plusieurs  fois  du  livre  d'Enoch ,  que  S. 
Judc  et  les  anciens  Pères  ont  souvent  cité ,  que  l'on  croyait 
perdu,  et  que  MM.  Bruce  et  Ruppell  ont  retrouvé  en  Abyssinie 
et  rapporté  en  Europe  ;  c'est  là  que  l'on  voit  écrit  que  les 
anges  s'unirent  aux  filles  des  hommes  et  procréèrent  des  géans. 
L'usage  qu'a  fait  M.  de  Lamartine  de  cette  fable  nous  a  rappelé 
le  là're  cVEnoch,  que  nous  allons  faire  connaître  à  nos  lecteurs. 

C'est  au  savant  et  regrettable  M.  Silvestre  de  Sacy  que  nous 
emprunterons  la  notice  du  livre ,  et  c'est  d'après  la  traduction 
latine  qu'il  a  donnée  des  premiers  chapitres  que  nous  ferons 
notre  traduction  française.  Mais  auparavant,  nous  croyons  devoir 
donner  quelques  renseignemens  sur  Enoch  lui-même. 

Enoch  ,  d'après  la  Genèse  ,  était  fils  de  Jared  et  père  de  Ma- 
thusaleni.  Il  naquit  l'an  du  monde  622  (BS^S  avant  J.-C). 
Tome  xvii.  —  N'^  UO.  1838.  11 


16^  NOTICE 

Le  texte  sacré,  après  avoir  dit  qu'à  l'âge  de  65  ans  il  engendra 
Mathusalem,  ajoate  qu'il  marcha  devant  Dieu  pendant  trois  cents 
ans;  et  puis,  sans  parler  de  sa  mort,  il  se  sert  de  cette  expres- 
sion :  il  ne  parut  plus,  parce  que  le  Seigneur  V enleva  du  monde  *. 

S.  Paul,  dans  son  épilre  aux  Hébreux,  explique  ce  passage  en 
ces  termes  :  «  C'est  par  la  foi  qu'Enoch  fut  enlevé ,  afin  qu'il  ne 
»  vît  point  la  mort  ;  et  on  ne  le  vit  plus,  parce  que  le  Seigneur 
»  le  transporta  ailleurs  2.  >.  \J Ecclésiastique  dit  qu'il  fut  trans- 
porté au  paradis  5.  S.  Jérôme  l'entend  du  ciel ,  où  il  dit  qu'il 
fut  ravi  comme  Elie  en  corps  et  en  âme  *. 

Les  Rabbins  croient  qu'Enoch  ayant  été'  transporté  au  ciel,  fut 
reçu  au  nombre  des  anges ,  et  que  c'est  lui  qui  est  connu  sous  le 
nom  de  Métatron ,  ou  de  Michel,  l'un  des  premiers  princes  du 
ciel ,  et  que  sa  fonction  est  de  tenir  note  des  mérites  et  des  pé- 
chés des  Israélites  ^. 

Eupolème ,  d'après  Alexandre  Poljlustor  ^,  dit  "  que  les 
»  Babyloniens  reconnaissent  Enoch,  et  non  les  Egyptiens,  comme 
»  premier  inventeur  de  l'astrologie  ;  qu'à  la  vérité  les  Grecs 
»  attribuaient  cette  invention  à  Atlas  ,  mais  qu'Atlas  n'est  autre 
»  chose  qu'Enoch.  » 

Etienne  le  géographe  le  iiomme  Anacus,  et  assure  qu'il  habita 
la  ville  d'Iconium  en  Phrygie.  Il  ajoute  qu'un  oracle  avait  prédit 
que  tout  le  monde  périrait  après  la  mort  ^Anacus.  Celui-ci 
étant  mort,  après  avoir  vécu  plus  de  3oo  ans,  les  habitans  en  fu- 
rent si  affligés  et  le  pleurèrent  si  long-tems ,  que  ce  deuil  était 
passé  en  proverbe ,  et  que  l'on  disait  pleurer  Anacus  pour  expri- 
mer une  grande  douleur.  Il  ajoute  qu'en  effet  le  déluge  de  Deu- 
caliou  suivit  de  près  sa  mort. 

Enoch,  que  les  historiens  musulmans  appellent  celui  que  Dieu 
a  enlevé,  a  toujours  été  en  grande  faveur  parmi  eux.  Ils  lui  attri- 

,'   *  Genèse,  oh.  v,  v.  i8  et  iç). 
•>fr*  Aux  Hébreux,  eh.  xi,  v.  5. 

'  Ch.  XLiv,  v.  i6,  d'après  la  Vulgate;  car  le  grec  ne  parle  pas  du 
paradis. 

*  Jn  ^mos,  c\i.  \ui.       .     ,, 

^  Voir  Fabricius,  Codex  âpdcrjphus  Fel.  Test. 

«  Dans  Eusèbe,  Préparai,  évang.,  l.  ïx,  cb.  17. 


SUR   LE  LIVRE  D'ÉNOCH.  163 

buent  une  foule  de  découvertes,  telles  (|ue  celles  de  récriture,  de 
la  coulure,  de  rarithinéiique  et  de  l'astrologie.  De  même  que  les 
chrétiens  d'Orient,  ils  le  confondent  assez  souvent  avec  VOrus  et 
Vllermès  des  Egyptiens.  Ils  assurent  que  ce  dernier  a  été  roi,  sa- 
crificateur et  docteur,  et  qu'il  a  ainsi  mérité  le  surnom  de  Tri' 
niégiste  (trois  fois  grand)  que  les  Grecs  lui  avaient  donné. 

Abulfarage,  dans  son  Ahrc§,é  des  Dj  naslies^  dit  qu'il  y  a  trois 
Hermès,  dont  le  premier  est  Edris  ou  Enoch. 

Une  tradition  musulmane,  rapportée  par  d'Herbelot  * ,  cite  à 
l'appui  de  cet  axiome,  la  sagesse  est  préférable  aux  richesses, 
l'exemple  d'Euocli  et  de  Coré.  Dieu  avait  accordé  au  premier  la 
science  et  au  second  d'immenses  richesses  ;  mais  l'un  fut  élevé 
au  ciel  et  l'autre  englouti  par  la  terre. 

Les  Arabes  attribuent  à  Enoch  un  livre  d'astronomie  relatif  à 
l'étoile  nommée  Sirius  par  les  Grecs  et  par  les  Latins  :  il  fait 
partie  du  cabinet  des  manuscrits  orientaux  de  la  bibliothèque 
du  roi. 

Il  est  rapporté  dans  le  Kahennan  Nameh  que  plusieurs  savans 
ayant  consulté  tous  les  livres  d'astronomie  et  d'astrologie  pour 
tirer  l'horoscope  de  Nériman,  firent  enfin  apporter  les  ouvrages 
d'Enoch  ,  non  pas  ceux  qui  lui  avaient  été  envoyés  de  Dieu  en 
qualité  de  prophète,  mais  ceux  qu'il  avait  composés  sur  les 
sciences  les  plus  secrètes.  Ces  ouvrages  d'Enoch  ont  toujours 
joui  d'une  haute  réputation  chez  les  Orientaux.  Le  plus  fameux 
de  tous  est  assurément  celui  que  les  Ethiopiens  prétendent  avoir 
conservé. 

Nos  lecteurs  savent  que  ,  d'après  M.  de  Paravcy,  les  Chinois 
ont  fait  d'Enoch  leur  roi  Kiao-nieou  ou  Ty-lay  [le  seigneur  ar- 
rivé) 2. 

Plusieurs  Pères  ont  cité  le  livre  d^ Enoch;  S.  .Tustin  ,  Athéna- 
gore,  S.  Irénée,  S.  Clément  d'Alexandrie,  Laclance,  y  ont  puisé 
la  croyance  que  les  anges  s'allièrent  aux  filles  des  hommes  et  en 
eurent  des  eufans.  TertuUien  ^  parle  de  cet  ouvrage  en  plusieurs 

'  Bibliothèque  orientale,  nu  moi  Moussa. 
'  Voirie  n»  92,  tom.  XVI,  p.  \20,et\e  tableau  m. 
"  TertuUien,  de  CulluJ'œmineo,  1.  i ,  a;  11,  10.  — De Idololal.,  ch.  iv 
et  XV.  —  ^pologei.,  ch.  xxii. 


164  NOTICE 

endroits.  Il  pensait  que  Tsoé  l'avait  conservé  dans  l'arche.  Mais 
plusieurs  autres  Pères  ,  Origène  *,  S.  Jérôme  ^  ,  S.  Augus- 
tin ^,  le  regardent  comme  apocryphe,  et  c'est  aussi  le  sentiment 
de  l'Eglise^  comme  c'était  celui  de  la  Synagogue,  qui  ne  l'avait 
pas  mis  dans  son  canon. 

Nous  avons  déjà  dit  que  ce  livre,  cru  long-tems  perdu,  avait 
été'  rapporté  par  Bruce  ,  et  plus  récemment  par  M.  Ruppell ,  de 
l'Ahyssinie.  Le  manuscrit  qui  existait  à  la  Bibliothèque  royale 
copié  d'abord  par  Woide,  y  fut  oublié  jusqu'en  1801,  où  M,  de 
Sac  y  fit  la  notice  et  la  traduction  que  nous  allons  reproduire  '♦. 
Le  docteur  Gessenius,  professeur  de  l'Université  de  Hall,  a  depuis 
pris  une  copie  du  manuscrit  de  Paris,  qu'il  se  propose  de  publier 
en  élliiopicn  et  en  latin  ;  enfin  le  docteur  Richard  Laurence,  pro- 
fesseur d  hébreu  à  l'Université  d'Oxford,  en  a  publié  une  traduc- 
tion anglaise  en  1821  ^.  Comme  nous  voulons  donner  une  idée 
suffisante  de  l'ouvrage,  et  que  nous  croyons  devoir  pour  cela,  non 
l'analyser,  mais  le  reproduire  dans  quelques-unes  de  ses  parties, 
nous  allons,  1°  citer  la  notice  que  M,  de  Sacy  a  composée  sur  le 
manuscrit  même  ;  2°  traduire  en  français  les  chapitres  qu'il  a  tra- 
duits en  latin,  et  dans  l'un  desquels  se  trouve  le  passage  de  S.  Jude. 

M.  de  Sacy  coinmence  par  parler  de  l'édition  des  lettres  de 
Michaëlis,  que  Ï\L  Buhle,  professeur  à  l'Université  de  Gcettin- 
gue,  publia  en  cette  ville  de  1794  à  1796,  et  de  la  plupart  des  sa- 
vans  avec  lesquels  il  entretenait  correspondance.  Parmi  ces  der- 
niers se  trouve  une  lettre  de  M.  Woide  ,  qui  parle  du  livre 
d'Enoch.  IM.  de  Sacy  en  prend  occasion  de  faire  connaître 
A^  oide  ,  et  de  faire  l'historique  de  la  connaissance  du  livre 
d'Enoch  en  Europe.  Voici  un  extrait  de  cet  article  : 

«Charles  Godefroy  Woide,  connu  par  ses  travaux  sur  la  langue 
et  les  livres  copies,  et  à  qui  nous  devons  l'édition  du  diclionnairc 
cl  do  In  grammaire  de  cette  langue,  publiés  à  Oxford  en  1776  et 
i^j.S,  vint  à  Paris  à  la  fin  de  1778  pour  examiner  les  manuscrits 

i  Jlomi/i.  \\\\u   In  Nti?>ter.  —  Contrit  Celstnn,  i.  v.  et  ailleurs. 
-  De  Scriiil.  ceci.  cli.  iv.  —  lu  einsl.  ad  Tiliim.  — etc. 
^  De  Cuil.  Dci,  1.  XV,  cli.  v.j.  l.  xvni,  cli.  5^. 
.,.*  ,El!c  l'ut  insérée  dans  le  Magasin  encjc'op.  ,  (i>^^  année ,  t.  i,  p.  SoQ. 
^  Nous  rcxainiuorons  d'après  M.  de  Sacy,  dans  le  second  article. 


SUR   LE  LIVRE  D'KNOCIL  I6."i 

coptes  et  surtout  les  manuscrits  en  dialecte  du  Said  ,  qui  se  trou- 
vaient dans  cette  ville.  Dans  deux  lettres  écrites  à  Micliat'lis  et 
datées  l'une  de  Paris,  le  3o  janvier  1774,  l'autre  de  Londres,  le 
8  avril  suivant,  après  son  retour  de  Paris,  il  lui  rend  compte  de 
ses  recherches  littéraires  et  des  manuscrits  qu'il  a  trouvés  tant 
dans  la  bibliothèque  du  roi  que  dans  celle  de  S.-Gcrmain-dés- 
Prés.  Je  remarque  en  passant  que  cette  dernière  était  riche  en 
manuscrits  coptes  et  en  possédait  plus  de  vingt  ,  quoique 
M.  Woide  dans  ses  lettres  n'en  cite  que  deux,  dont  l'un  contient 
Daniel  et  les  petits  Prophètes^  et  l'autre  un  Office  de  la  semaine 
sainte.  Le  voyage  de  M.  Woide  avait  encore  un  autre  objet.    ".   ' 

«Le  chevalier  Bruce,  revenu  tout  récemment  de  rAbyssihie,én 
avait  l'apporté  trois  exemplaires  du  li^>re  cC Enoch.  Il  en  avait  of- 
fert un  au  roi  de  France,  et  les  deux  autres,  destinés  pour  Sa  pa- 
trie, n'y  étaient  point  encore  parvenus.  L'empressement  des  sa- 
vans  d'Angleteri'e  pour  connaître  ce  livre  si  famêUx  dans  ranti- 
quité,  fut  vraisemblablement  un  des  motifs  qui  déterminèrent  le 
voyage  de  Woide  ;  du  moins  est-ce  ce  que  dit  le  chevalier  Bruce 
dans  la  relation  de  son  voyage.  «  Je  me  rappelle,  dit-il,  iqué  c{uand 
»  on  sut  en  Angleterre  que  j'avais  donné  ce  liv-re  à  la  biblio- 
»  thèque  du  roi  de  France,  nos  savans  compati  iotes  ne  me  don- 
»  nèrent  pas  le  tems  d'ariiver  à  Londres,  où  ils  auraient  pu  tout 
»  à  loisir  parcourir  une  autre  copie  de  ce  livre  ;  mais  le  docteur 
»  Woide  partit  pour  Paris,  nmni  de  lettres  du  secrétaire  d'état 
u  pour  lord  Slormont  ,  ambassadeur  à  la  cour  de  Frajice,  dans 
»  lesquelles  on  le  priait  d'aider  le  docteur  à  se  procurer  l'exa- 
»  men  du  présent  que  j'avais.fait  à  S.  M.  le  Roi.  M.  Woide  obtint 
»  facilement  ce  qu'il  demandait ,  et  luic  traduction  de  l'ouvrage 
»  fut  rapportée  à  Londres.  Mais  je  ne  sais  pas  pourquoi  elle  n'a 
»  point  encore  été  publiée;  j'imagine  que  la  conduite  des  géans 
»  n'a  pas  plus  contenté  le  docteur  AVoide  que  moi  ',  »  On  verra 
par  la  suite  de  cette  notice  à  quoi  M.  Bruce  fait  ici  allusion. 
M.  Bruce  se  trompe  vraisemblablement  lorsqu'il  dit  que  Woide 
remporta  en  Angleterre  une  traduction  du  livre  d'Enoch.  Il  v  a 
lieu  de  croire  qu'il  se  contenta  d'en  emporter  une  copie. 

»Dans  la  première  de  ses  lettres  à  Michaéîis,  Woide  s'exprime 

*  Voyage  en  Nubie  et  en  /îlyyssinie,  etc.  ;  par  J.  Bruce,  t.  11,  p. '/{if)'.' 


166  ij  ,  NOTICE 

ainsi  :  «  Vous  aurez  reçu  de  moi,  par  Londres,  une  petite  notice 
»  du  livre  d'Enoch.  Je  crois  que  ce  manuscrit  contient  eftective- 
>•  ment  le  livre  apocryphe  dont  les  Pères  ont  parlé.  Celse  s'est 
»  beaucoup  arrêté  sur  ce  livre  ;  et  on  trouve  dans  celui-ci  des 
»  passages  pareils  à  ceux  qu'il  alléguait.  On  y  trouve  aussi  ces 
»  mots  :  y^oici  que  le  Seigneur  inent  avec  ses  myriades  pourexer' 
»  cer  son  jugement,  etc.  Il  y  a  dans  cet  ouvrage  beaucoup  de  mots 
»  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  le  dictionnaire  de  Ludolf  :  néan- 
»  moins,  j'entends  tout  ce  qu'il  y  a  d'essentiel.  Il  faudra  que 
»  j'examine  de  plus  près  ce  livre  à  Londres.  Je  me  suis  contenté 
>  pour  le  monjent  d'en  donner  une  courte  notice  à  M.  Cappe- 
»  ronnier...  Il  présume  presque  que  quelques  étrangers  copieront 
»>  cette  notice  à  la  bibliothèque,  et  lui  donneront  plus  de  publi- 
»  cité.  Elle  a  été  faite  à  la  hâte.  » 

»  Dans  la  seconde  lettre,  Woide  donne  quelques  détails  sur  le 
matériel  du  manuscrit,  et  il  joint  à  sa  lettre  la  copie  de  la  notice 
du  liure  d'Enoch,  qu'il  avait  faite  lui-même,  et  celle  d'un  petit 
mémoire  sur  le  même  livre,  que  le  chevalier  Bruce  avait  présenté 
au  roi  avec  le  manuscrit. 

«Il  y  joint  pareillement  une  notice  des  manuscrits  coptes  et  sai- 
diques  qu'il  avait  examinés  à  Paris,  et  à  la  fin  de  cette  notice  il 
dit  :  «  ÎNI.  de  Guignes  et  Tp-bbé  BarlbekMny,  que  j'estime  tous  les 
»  deux  beaucoup,  souhaitent  que  l'on  cherche  la  liaison  qui  doit 
1»  se  trouver  entre  l'égyptien  et  l'éthiopien  :  j'y  ai  donc  donné  un 
»  coup  d'œil.  On  a  quelques  manuscrits  éthiopiens  à  la  biblio- 
>»  thèque  du  roi,  inais  plusieurs  à  celle  de  S.-Germain-des-Prés. 
»  Le  temps  ne  m'a  permis  que  d'en  copier  un  seul,  le  fameux 
»  livre  d Enoch,  doui^l.  Bruce  a  fait  présent  au  roi  de  France  *.  » 
Il  est  bien  surprenant  que  M.  Woide,  s'il  s'était  tant  soit  peu  ap- 
pliqué précédemment  à  l'étude  de  l'éthiopien  ,  n'ait  pas  ré- 
pontlu  qu'on  ne  remarquait  aucune  analogie  entre  ces  deux 
langues. 

»Dans  le  mémoire  du  cbevalier  Bruce,  je  remarque  plusieurs 
inexactitudes  que  je  passe  sous  silence,  parce  qu'on  peut  les  ré- 

'  IM.  Woide  s'exprime  de  même  dans  son  Mémoire  sur  la  Utte'rature 
copte,  inséré  dans  le  Jourtial  des  savujis  de  l'année  1774»  mois  de  juin, 
p.  54u. 


SUR   LE  LIVRE  D'ÉNOCII.  167 

former  m  consultant  la  T'ic  de  Peiresc^V Histoire  (VEUùopie  de 
LudoU  avec  le  commentaire  du  même  auteur,  les  passages  des  an- 
ciens auteurs  ecclésiastiques,  rapportés  par  Fabricius  et  d'autres 
écrivains  exacts  qui  ont  parlé  de  ce  livre.  Mais  je  remarquerai 
que  Bruce  y  suppose,  je  ne  sais  sur  quel  fondement,  que  le  livre 
(ï Enoch,  cité  dans  l'Epître  de  S.  Jude,  est  différent  de  celui  qu'il 
a  trouvé  en  Abyssinie.  Cela  est  d'autant  plus  singulier  que  l'on 
ne  trouve  rien  de  semblabk  dans  la  relation  de  son  voyage , 
dans  laquelle  il  en  parle  en  général  d'une  manière  plus  exacte. 
M.  Bruce  ajoute  que  les  Juifs  même  d'Abyssinie  regardent  ce 
livre  comme  canonique.  J'ai  peine  à  me  persuader  que  les  Juifs 
admettent  en  quelque  lieu  que  ce  soit ,  dans  le  canon  des  Ecri- 
tures, un  livre  qu'ils  ne  possèdent  point  écrit  en  hébreu.  Quoi 
qu'il  en  soit,  revenons  à  M.  Woide. 

>' La  notice  qu'il  avait  remise  au  garde  de  la  bibliothèque,  et 
dont  il  envoyait  une  co])ie  à  Michaëlis,  se  trouve  encore  aujour- 
d'hui avec  le  mémoire  du  chevalier  Bruce,  dans  notre  manuscrit 
du  livre  d'Enoch.  Je  l'avais  lue,  il  y  a  long-tems,  sans  savoir 
avec  certitude  quel  en  était  l'auteur,  attendu  qu'elle  n'est  pas 
signée,  et  elle  avait  fait  naître  en  moi  des  soupçons  qu'un  exa- 
men plus  attentif  a  changés  en  certitude — " 

M.  de  Sacy  critique  ici  quelques  passages  de  la  traduction  de 
Woide,  puis  il  continue  : 

«  Pour  ne  point  donner  à  ce  morceau  plus  d'étendue  qu'il  ne 
convient ,  je  me  bornerai  à  rappeler  que  Peiresc  ,  ayant  appris 
par  un  missionnaire  capucin,  le  P.  Gilles  de  Loche,  que  les  Abys- 
sins possédaient  un  livre  sous  le  nom  de  livre  d'Enoch  ,  et  qu'ils 
le  mettaient  dans  le  canon  des  livres  saints,  ne  négligea  rien  pour 
se  le  procurer;  qu'il  obtint  effectivement  un  livre  éthiopien 
qu'on  fit  passer  pour  être  celui  qu'il  désirait  ^;  que  Ludolf,le 
père  de  la  littérature  éthiopienne,  s'étant  d'abord  procuré  une 
copie  du  conmiencement  de  ce  livre  ,  et  ayant  ensuite  fait  le 
voyage  de  Paris  pour  le  voir  par  lui-même ,  à  une  époque  où  il 
avait  successivement  passé  de  la  bibliothèque  de  Peiresc  dans 
celle  du  cardinal  3Iazarin  et  dans  celle  du  roi,  reconnut  l'impos- 
ture, et  convainquit  tous  les  gens  de  lettres  que  ce  livre,  rempli 

*  Gassend.  vita  Peiresc.  ad  an.  i635. 


1 68  XOTICE 

«le  contes  alisurdes,  ne  portait  pas  même  le  nom  d'Érioch^et  qu'il 
contenait  les  visions  d'un  moine  nommé  ^bha  Bchnila  Micharl. 
Ludolf  poussa  cependant  les  conséquences  trop  loin ,  en  niant  ' 
l'existence  d'un  livre  d'Enoch  chez  les  Abyssins  *;  ce  qui  prouve 
seulement  que  le  moine  abyssin  Grégoire,  de  qui  il  avait  reçu 
tant  de  lumières  sur  tout  ce  qui  concerne  l'Abyssinie,  ne  lui  avait 
point  parlé  de  ce  livre,  comme  le  chevalier  Bruce  le  dit,  je  ne 
sais  sur  quel  fondement,  dans  son  mémoire  imprimé  avec  les  let- 
tres de  Woide.  Peut-être  Grégoire  ,  qui  ne  pouvait  ignorer  que 
les  Abyssins  comptaient  le  livre  d'Enoch  au  nombre  des  livres 
de  l'Ecrilure,  ne  voulut-il  pas  en  faire  l'aveu  à  Ludolf. 

»  L'opinion  de  Ludolf  devait  être  adoptée  par  tous  les  savants, 
elle  le  fut ,  et  on  ne  pensa  plus  au  livre  d'Enoch. 

»  Cependant  le  voyage  du  chevalier  Bruce  a  justifie  pleinement 
l'assertion  du  P.  Gilks  de  Loches,  qui  avait  excité  les  recherches 
de  Peiresc. 

«  A  mon  arrive'een  Abyssinie  ,  dit-il  dans  le  mémoire  déjà  cité, 
»  en  1 769,  je  trouvai  le  livre  d'Enoch  dans  le  canon  de  l'Ecriture- 
»  Sainte,  placé  immédiatement  après  le  livre  de  Job  -.  » 

»  Outre  l'exemplaire  que  nous  avons,  M.  Bruce  en  a  rapporté 

*  lUud  auteiu  prorsùs  vanum  est,  quocl  ^l^gidius  Lochensis  capucinus, 
ampl.  viro  Peireskio  de  prophetià  Enoclii  retulit,  quasi  illa  .i-'.tliiopicô 
adbuc  exstaret  in  libro  Musliafa  Jfcnoch  ,  liber  Jitioclii  dicte.  Hist. 
iethiop.  1.  lu,  c.  IV. 

-  Voici,  d'après  Bruce,  les  livres  que  1  on  trouve  encore  en  Abyssinie: 
1°  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  ,  en  livres  séparés,  que  l'on  ne 
voit  guère  réunis,  entre  lesquels  celui  qui  tient  le  premier  rang  est 
YJpocaîypse,  qu'ils  appellent  la  vision  de  Jean  Aboti  Kalnmsis,  ce  qui 
lui  semble  une  corruption  à'apocalypsis.  2"  Les  Actes  des  Apôtres,  qu'ils 
appellent  synnodos,  servant  de  loi  écrite  pour  le  pays.  5°  Le  livre  de 
Haimnnoiit  Aboti ,  collection  des  ouvrages  des  Pères  grecs  ,  traitant  ou 
expliquant  certains  articles  de  foi.  4°  Des  traductions  des  ouvrages  de 
S.  Athanase,  de  5.  Bazile,  de  S.  Jean  Cliiysoslome  et  de  S.  Cyrille. 
Il  est  à  présumer  qu'il  y  a  des  discours  ou  des  œuvres  qui  nous  sont  in- 
connus. 5"  Le  Sjnaxnr,  ou  la  Fleur  des  saints ,  en  4  énormes  volumes 
ia-fol.  Nous  recommandons  cette  indication  aux  nouveaux  bollnndistes. 
6"  V Organoji  Denghel,  ou  Instrument  musical  delà  vierge  Marie. 
^0  EnGn  le  livre  d'Enoch  ,  dont  on  parle  dans  cet  article.  Voir  Bruce, 
10m.  II,  p.  4^5.  (Note  du  direoteurV 


SUR   LE   LIVRE  D'kXOCIL  16()' 

deux  autres  ;  l'un  se  trouve  dans  le  corps  des  livres  de  l'Kcriture 
en  langue  éthiopienne  qu'il  a  porté  avec  lui  en  Angleterre;  il  suit, 
dit  M.  Bruce,  immédiatement  le  livre  de  Job,  suivant  l'ordre 
établi  par  l'église  d'Abyssinie.  Ce  voyageur  a  fait  remettre  le 
troisième  à  la  bibliothèque  d'Oxford  par  le  docteur  Douglas , 
évéque  de  Carlisle. 

»  Je  transcrirai  ici  le  jugement  que  le  chevalier  Bruce  porte  de 
ce  livre  dans  la  relation  de  son  voyage. 

«  Tout  ce  qu'il  y  a  d'important  à  dire  sur  ce  livre  d'Enoch 
»  (ce  sont  ses  propres  paroles),  c'est  que  c'est  un  livre  gr.ostique  , 
»  contenant  l'âge  des  £mims,  des  Anakims  et  des  Egrégoj-es,  qui 
»  sont  appelés  les  enfans  de  Dieu,  qui  conçurent  de  l'amour  pour 
»  les  filles  des  hommes  et  qui  en  eurent  des  fils  qui  étaient  des 

i>  géans.  Ces  géans commencèrent  à  dévorer  tous  les  animaux 

»  terrestres  ;  ensuite  ils  se  jetèrent  sur  les  oiseaux  et  les  poissons 
»  qu'ils  avalèrent  aussi.  Leur  faim  n'étant  point  satisfaite,  ils  con- 
»  sommèrent  tout  le  grain ,  toutes  les  récoltes  que  les  hommes 
»  avaient  préparées,  puis  tous  les  arbres,  tous  les  buissons;  enfin 

1'  ils  tombèrent  sur  les  hommes  eux-mêmes  pour  les  manger 

»  A  la  fin  les  hommes  se  plaignirent  à  Dieu  de  la  voracité  de  ces 
')  injustes  géans,  et  Dieu  envoya  un  déluge  qui  noya  les  géans  et 
»  les  hommes....  Je  crois  que  ceci  remplit  les  quatre  ou  cinq  pre- 
»  miers  chapitres.  Ce  n'est  pas  un  quart  de  l'ouvrage  ,  mais  nja 
»  curiosité  ne  me  conduisit  pas  plus  loin.  La  catastrophe  des 
»  géans  et  l'équité  qui  avait  accompagné  cette  catastrophe  m'a- 
»  valent  pleinement  satisfait.  » 

"Dans  son  mémoire,  il  dit  que  ce  livre^quant  à  ce  qu'il  contient, 
ressemble  fort  à  l'apocalypse  ;  qu'il  est  écrit  en  pure  langue  éthio- 
pienne ou  ghéez  ;  qu'il  ne  s'y  trouve  pas  d'un  bout  à  l'autre  un 
seul  mot  amharique  (ce  qu'il  tenait  sans  doute  de  quelque  Abys- 
sin, n'ayant  lu  lui-même  que  les  premiers  chapitres),  en  un  mot 
que  c'est  le  livre  le  plus  classique  des  Abyssins. 

"Voyons  aussi  le  jugement  que  "NVoide  a  porté  de  ce  livre,  quoi- 
qu'il n'en  ait  eu  certainement  qu'une  connaissance  bieir  iinp^r- 
faite.  ..,_^    , 

«  Les  Abyssins,  dit-il,  prennent  ce  livre  pour  un  monument 
«  antédiluvien  et  pour  canonique:  c'est  trop:  mais  il  est  très  pro- 


170  .nDo/^i 'NOTICE      I,  ^Jft 

»  bable  que  c'est  le  même  livre  d'Enoch  qui  a  été  cité  par  les 
»  Pères  de  l'Eglise  comme  un  li^re  apocryphe.  Je  n'en  puis  pas 
»  développer  toutes  les  preuves,  mais  il  suffit  d'en  alléguer  quel* 
»  ques-unes.  .  i  „^,,  ij,j,j;» 

«  Dans  le  livre  d'Enoch  que  les  Pères  connaissaient ,  il  est  dit 
»  qu'Enoch  avait  appris  des  anges  tout  ce  qu'il  savait.  Ici,  au 
»  commencement  du  premier  chapitre  ,  il  est  dit  que  les  anges 
»  ont  montre'  à  Enoch  tout  ce  qu'il  a  vu  ,  et  qu'il  a  entendu  des 
»  anges  tout  ce  qu'il  disait.  Celse  ,  en  son  tems ,  prit  occasion  du 
»  livre  d'Enoch  pour  faire  des  reproches  à  la  religion  chre'lienne  ; 
»  dans  ce  manuscrit ,  il  j  a  des  passages  et  plusieurs  visions  que 
»  l'on  ne  pourrait  justifier  qu'en  disant  ce  qu'Origène  répondait 
»  à  Celse  :  Ce  livre  n'est  pas  dans  le  canon. 

«  Il  parle  beaucoup  des  anges,  d'Uriel,  de  Gabriel  et  des  autres  : 
»  il  parle  des  divisions  des  jours  et  des  tems,  ce  qui  se  trouvait 
»  aussi  dans  le  livre  apocryphe  d'Enoch ,  que  hs  Pères  avaient. 

"  J'ignore  encore  si  tous  les  passages  que  les  Pères  ont  cités  du 
»  livre  d'Enoch  se  trouvent  dans  le  manuscrit  mot  à  mot  ;  mais 
>  on  y  trouve  une  imitation  assez  exacte  du  passage  de  l'épître  de 
"  S.  Jude.  » 

»  Les  lecteurs  ne  seront  pas  fâchés  sans  doute  que  je  leur  donne 
quelques  échantillons  de  ce  livre  fameux.  En  les  comparant  avec 
les  passages  que  les  anciens  ont  cités  du  livre  dEnoch  ,  ils  se  con- 
vaincront que  ce  livre  est  indubitablement  le  même  que  nous 
possédons  aujourd'hui ,  et  ils  jugeront  de  l'opinion  que  l'on  doit 
en  avoir.  Les  morceaux  que  je  donnerai  sont  tous  tirés  des  douze 
premiers  feuillets  du  manuscrit  :  je  les  ai  traduits,  il  y  a  plu- 
sieurs années,  et  je  n'ai  pas  eu  le  courage  de  poussi'r  plus  loin 
un  travail  aussi  dégoûtant  que  pénible  par  la  multitude  des  fautes 
dont  foiu mille  le  manuscrit.  Je  me  suis  quelquefois  aidé  des  pas- 
sages rapportés  en  grec  par  les  anciens  écrivains  ecclésiastiques, 
pour  corriger  les  fautes  du  copiste  éthiopien  ;  dans  d'autres  en- 
droits j'ai  eu  recours  à  des  conjectures.  Certains  passages  ont  été 
traduits  mot  à  mot ,  sans  qu'il  en  résulte  aucun  sens  satisfaisant  ; 
et  c'est  principalement  pour  cette  raison  et  afin  de  pouvoir  rendre 
le  texte  plus  littéralement  que  je  donne  ma  traduction  en  latin. 
Je  donne  cette  traduction  telle  qu'elle  est,  mes  autres  occupations 
ne  me  permettant  pas  en  ce  moment  de  la  pousser  plus  loin.  On 


SUR  LE  LIVRE  D'ÉNOCH.  171 

jugera  peul-ètrc,  après  avoir  lu  ces  extraits,  que  l'ouvrage  ne  vaut 
pas  la  peine  que  l'on  s'occupe  de  le  traduire.  Je  ne  pense  pas 
absolument  de  même.  L'antiquité  de  cet, ouvrage,  l'usage  qu'en 
ont  fait  des  e'crivains  respectables,  l'autorité  dont  il  a  joui,  les 
discussions  auxquelles  il  a  donné  lieu  ,  sont  un  motif  asse :■  puis- 
sant pour  que  le  public  éclairé  en  accueille  avec  reconnaissance 
une  traduction  complète,  et  même  pour  faire  désirer  l'édition  du 
texte  éthiopien  ,  accompagné  d'une  version  et  de  notes  critiques. 
Ce  n'est  qu'en  le  lisant  et  en  l'examinant  en  entier  qu'on  pourra 
former  des  conjectures  solides  sur  la  langue  clans  laquelle  il  a  été 
originairement  écrit,  sur  l'époque  à  laquelle  il  appartient ,  sur 
ses  auteurs  et  les  écrivains  plus  anciens  qu'ils  ont  copiés  ou 
imités. 

»  J'ai  lu  quelque  part,  ou  seulement  ouï  dire,  qu'il  avait  été  tra- 
duit en  Angleterre  par  M.  Wilkins,  le  même  je  pense  auquel  nous 
devons  la  traduction  du  Bhagiiat-Geeta  et  du  H eelopades ;  mais 
je  n'ai  pas  connaissance  qu'il  en  ait  été  rien  publié  et  je  ne  sais 
même  si  le  fait  est  vrai.  » 

Yoici  maintenant  la  traduction  du  texte  latin  de  M.  de  Sacy. 
On  a  vu  qu'il  s'excuse  de  ne  l'avoir  pas  traduit  en  français,  par 
la  difficulté  de  se  tenir  assez  près  du  texte  en  cette  langue.  Nous 
avons  donc  besoin  de  nous  excuser  pour  avoir  tenté  ce  que  M.  de 
Sacy  n'avait  pas  cru  devoir  faire.  Nous  avons  taché  de  traduire 
le  latin  le  plus  littéralement  po-^sible,  pour  donner  une  idée  plus 
juste  du  texte  même  *. 

*  M.  Pichart ,  de  la  société  asiatique ,  a  traduit  une  partie  de  la  tra- 
duction latine  dans  Y intioduction  du  livre  de  Z'.(4/?z///e',  traduit  de  1  hé- 
breu, d'Henoch,  rabbin  du  xn'"  siècle.  Mais  il  a  visé  plus  à  l'élégance  qu  à 
la  simple  reproduction  des  idées  et  des  mots,  et  surtout  il  n'a  traduitque 
les  traits  principaux;  notre  traduction  est  littérale  et  complète. 

(N.  du  directeur. 


172  NOTICE 

LE  LIVRE  DE  LA  VISION  D'ENOCH. 

Paroles  d'Enoch.  —  Prophétie  du  déluge.  —  Science  des  anges.  —  Com- 
plot des  anges  pour  épouser  les  fdles  des  hommes.  —  Naissance  des 
géans.  —  Les  anges  enseignent  le  mal.  —  Détresse  des  hommes.  — 
Plaintes  adressées  au  ciel.  —  Les  bons  anges  intercèdent  pour  les 
hommes.  • —  Jugement  porté  sur  les  mauvais  anges.  —  Enoch  leur  si- 
gnifie leur  jugement.  —  Us  le  supplient  d'intercéder  pour  eux.  — ■  Sa 
supplique  à  Dieu,  —  Vision  du  ciel.  —  La  prière  des  anges  est  rejetée. 
"—  L'ame  d  Abel. —  L'arbre  de  la  science  du  bien  et  du  mal.  ml 

Chap.  I"  *.  —  Livre  de  la  bénédiction  d'Énccli  ;  comment  il 
bénit  les  élus  et  les  justes  qui  seront  dans  le  jour  de  l'affliclion, 
lorsque  tout  méchant  et  tout  impie  sera  expulse.  Voici  comment 
parla  Enoch,  homme  juste,  qui  (vient)  du  Seijjnenr,  au  tems  où 
ses  yeux  furent  ouverts  ,  et  où  il  vit  la  vision  du  Saint  qui  est 
dans  le  ciel,  que  les  anges  me  montrèrent  ;  et  j'appris  d'eux  toutes 
choses;  et  je  connais  ce  que  je  vis;  et  cela  ne  doit  point  arriver 
dans  cette  génération,  à  cause  des  élus,  mais  dans  la  géné- 
ration future  des  (lionnnes)  fort  séparés  (de  Dieu). 

C'est  pour  eux  que  j'ai  parlé  avec  le  Saint  et  le  Grand  qui  sor- 
tira 2  de  son  tabernacle  ,  le  Dieu  du  monde.  Il  marchera  sur  le 
mont  Sina,  et  on  le  verra  dans  sa  tente,  et  il  sera  manifesté  par 
la  vertu  de  sa  puissance  du  haut  du  ciel.  Et  tous  les  hommes  se- 
ront frappés  d'effroi  ;  et  les  f^igilans  ^  en  seront  émus,  la  crainte 
et  l'effroi  s'empareront  d'eux  sur  toute  la  terre  ;  et  les  hautes, 
montagnes  seront  ébranlées,  les  collines  élevées  seront  abaissées, 
et  elles  se  dissoudront  '''  comme  un  rayon  de  miel  exposé  au  so- 
leil; la  terre  sera  submergée,  et  tout  ce  qui  l'habite  périra;  et  il 
y  aura  jugement  sur  tous,  et  sur  les  iustes.  , .. ., 

Quant  aux  justes,  il  leur  donnera  la  paix;  u  conservera  ses 

*  Manuscrit,  fol.  3,  recto. 

-  Mysîa  zayywalsa.  Si  on  lisait  Afysâla,  on  pourrait  traduire  pa- 
vaholam  (illam)  qund,  etc. 

^  C'est  le  nom  que  M.  de  Sacy  a  traduit  par  vigiles,  qr.i  peut  aussi 
signifier  les ei'e///eV,  les  courageux .  M.  Pichart  l'a  traduit  par  gardiens, 

*  Yj'tmaschawou.  Je  lis  jylmahawou,  que  le  sens  exige. 


SUR   LE   LIVRE  D'ENOCH.  173 

élus;  sa  clémence  s'étendra  sur  eux;  ils  seront  ;.ous  de  Dieu  ';  et 
ils  seront  dans  le  bonheur  et  la  bénédiction  ;  car  la  splendeur  de 
Dieu  reluira  sur  eux. 

Il  viendra  avec  des  myriades  de  saints  ,  pour  juger  tous  les 
hommes ,  perdre  tous  les  impies ,  et  pour  convaincre  tous  les 
(hoHunes)  de  chair  et  tous  les  pécheurs  et  les  impies,  de  toutes 
les  teuvres  d'iuiquités  qu'ils  ont  commises,  et  opérées  contre 
lui  2. 

Ch.  II,  fol.  3,  verso.  —  Tous  ceux  qui  sont  dans  les  cieux 
connaissent  les  œuvres  qui  s'y  font;  comment  les  luminaires  qui 
y  sont  attachés  ne  changent  pas  leurs  voies  ;  comment  chacun 
d'eux  se  lève  et  se  couche  régulièrement,  chacun  en  son  tems  , 
et  ne  s'écarte  en  rien  du  commandement  qui  lui  a  été  prescrit. 
Ils  voient  la  terre ,  et  ils  comprennent  les  lois  qui  la  dirigent 
et  la  dirigeront  jusqu'à  la  fin;  comment  elle  ne  change  en  rien 
sou  œuvre  devant  Dieu  ,  quand  elle  paraît  (c'est-à-dire  quand  le 
tems  de  se  montrer  est  venu  ,  à  chaque  époque  de  l'année,  à 
celle  de  la  germinaison,  de  la  floraison,  etc.);  ils  connaissent  l'été 
et  l'hiver,  et  comment  les  jours  des  eaux,  les  nuages  de  rosée  et 
les  pluies  reposent  sur  toute  la  terre  {peut-être,  réparent  toute  la 
terre). 

Ch.  VI,  fol.  4?  verso.  —  Or  il  arriva,  lorsque  les  61s  des 

i- 

>   Yyscherhou.  Ce  mot,  qui  devrait  être  écrit  par  un  saut  (s)  et  un 

harm  (h),  est  écrit  par  un  schat  (sch)  et  un  haut  (ii).  Il  y  a  de  sembla- 
bles fautes  d'orthographe  presque  à  chaque  ligne. 

-  C'est  le  f<imeux  passage  cité  clans  Y  Épure  de  S.  Jude ,  v.  i4  et  i5  : 

•tzoïYJsjit  xpiaiv  y.xrâ  Ttàvrcoy,  xkI  ÈlîAeyfKt  ttkvtk j  rov;  à.a-ëîii  c/.ù-zwJ  TTSp't  ttkvtwv  twv 
é'^yuv  à.iîSdoi.i  xjrCi-j  &Jv  vic-io/iîzv,  /.tû  Ttsp'i  Tîàv-wv  twv  tj/.lripw  wv  IAkA»;7«v  xar 
ctJzo\j,  v.jj.y.pTQj.o\  KGjÇîi,-.  Plusieurs  écrivains  anciens  et  modernes  ont  tiré, 
de  cette  citation,  des  conséquences  contre  l'authenticité  de  ÏEpitre  de 
S.  Jude.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  l'examen  de  cette  discus- 
sion. On  peut  seulement  remarquer  que  ce  reproche,  s'il  était  fondé,  se- 
rait commun  à  plusieurs  autres  lettres  des  Apôtres  ;  car  Origènc  et 
S.  Jérôme  ont  observé,  avec  raison,  que  l'on  trouve  dans  les  écrits  des 
Apôtres  i)lusieurs  passages  tirés  de  divers  livres  apocryphes.  P^oy.  J.-E. 
Grabe,  pnefat.  ad  Ics/am.  i9.  patriarch.  clans  le  Codex  pseiidcpig. 
velcr.  lest,  de  Fabricins.  Au  reste ,  on  pourrait  supposer  que  l'auteur 
du  livre  d'Enoch  aurait  emprunté  ce  passage  do  S.  Jude. 


174  NOTICE 

hommes  se  furent  rauUipliés  en  ces  jours,  qu'il  leur  naquit  des 
filles  belles  et  agréables.  Les  anges  fils  des  cieux  les  virent ,  en 
furent  épris,  et  se  dirent  entre  eux  :  «  Yenez ,  choisissons-nous 
»  des  épouses  parmi  les  filles  des  hommes,  et  engendrons  des 
»  fils.  » 

Alors  Samyasa,  qui  était  leur  prince,  leur  dit  :  «  Je  crains  que 
»»  yous  ne  vouliez  pas  accomplir  votre  projet,  et  que  je  ne  me 
»  trouve  seul  obligé  de  subir  la  peine  de  ce  péché.  >• 

Ils  lui  répondirent  :  «  Jurons  tous  ,  et  lions-nous  par  un  mu- 
»  tuel  anathème,  que  nous  accomplirons  notre  résolution.  » 

Ils  jurèrent  donc  tous  et  se  lièrent  par  un  mufuel  anathème. 
Ils  étaient  au  nombre  de  deux  cenis,  et  ils  descendirent  sur 
VArdis,  qui  est  le  sommet  du  mont  Armon.  Or  ils  l'appelèrent 
ide  ce  nom,  à  cause  du  serment  et  de  l'anathème  auquel  ils  ve- 
naient de  se  dévouer  *. 

Yoici  le  nom  des  principaux  d'entre  eux  :  Samyasa,  leur  chef, 
Ouracabarameel,  Akibeel,  Tamiel,  Ramouel^  Danyel,  Azkeel,  Sa- 
rakoujal,  Azael^  Armoris ,  Batraal,  A nanyou,^  Z awebe^Sàmsaweel, 
Irtael,  Touryel,  Yomjael,  Arazyal.  C'était  là  le  nom  des  chefs 
des  deux  cents  auges,  et  tous  les  autres  étaient  avec  eux  2. 

Ch.  VII.  —  Ils  prirent  donc  des  épouses...  Et  s'étant  appro- 
chés d'elles,  ils  leur  apprirent  la  magie  et  d'autres  sciences  se- 
crètes ,  la  manière  de  préparer  les  simples  et  de  tailler  les 
arbres. 

*  Le  nom  de  Hermon  s'écrit  en  hébreu  par  un  heth,  et  il  vient  de  la 
racine  haram  qui  signifie  dévouer,  consacrer  à  Dieu  par  une  sorte  d' ana- 
thème. Dans  réthiopien ,  la  lettre  aspirée,  qui  devrait  commencer  ce 
mot,  est  omise;  ce  qui  prouve  que  ce  livre  a  été  traduit  en  éthiopien 
d'après  un  original  grec,  et  non  sur  un  lexte  hébreu.  Dans  la  chronique 
syriaque  de  Grégoire  Bar-Hebrœus  (p.  5),  on  lit  :  Tempore  Sethiy 
quandb  filii  ejus  bealam  vitam  paradisi  recordali  sunt ,  in  montent 
Hermon  secesserunt,  et  vivebant  moribus  (et  uon  in  deserlo ,  comme  on 
lit  dans  la  traduction  imprimée)  puris  et  sanctis  à  malrimoniis  absti-^ 
nenteSy  undè  vocati  sunt  vigiles  eljilii  Dei.  Cette  tradition  semble  être 
^ue  aussi  à  Tinterprétation  du  mot  hermon,  dérivé  de  haram,  mettre 
hors  de  l'usage  commun,  consacrer.  Peut-être  haram  est-il  l'origine  du 
mot  grec  2,;/;,«cî. 

'  Dans  le  fragment  conservé  par  le  Syncelle,  ces  mots  appartiennent 
à  la  phrase  suivante  :  ovtol  /.xï  oi  Xontoï  Ttâyrs, èXxëov  écuroli  yjvxIxx;.       ' 


SUR  LE  LIVRE  D'ÉNOCH.  175 

Ces  femmes  donnèrent  le  jour  à  des  géans  dont  la  taille  était 
'de  3oo  coudées.  Ces  géans  dévorèrent  lout  le  fruit  du  travail  des 
hommes,  de  telle  sorte  que  ceux-ci  ne  trouvèrent  plus  de  nour- 
riture. Les  géans  se  tournèrent  contre  les  hommes,  ils  les  dévo- 
rèrent, ainsi  que  les  oiseaux,  les  bêtes  sauvages,  les  reptiles  et  les 
poissons,  et  finirent  par  se  dévorer  entre  eux  et  boire  leur  sang. 

Alors  la  terre  porta  plainte  contre  les  Injustes. 

Ch.  VIII.  Cependant  Azazyel,  un  des  chefs  des  anges  ,  apprit 
aux  hommes  à  forger  des  glaives,  des  poignards,  des  boucliers  et 
des  cuirasses  ;  il  leur  enseigna  le  moyen  de  voir  ce  qui  était  der- 
rière eux  (il  leur  montra  l'art  de  faire  des  miroirs)  ;  avec  son  aide 
ils  fabriquèrent  des  bracelets  et  d'autres  ornemens  ;  ils  apprirent 
à  se  servir  de  fard  pour  parer  leur  visage,  à  ajouter  de  la  grâce 
aux  sourcils,  à  faire  toutes  sortes  de  teintures,  et  à  tailler  toutes 
sortes  de  pierres  précieuses.  Alors  le  monde  fut  tout  changé,  l'im- 
piété s'accrut,  la  fornication  se  multiplia,  tous  les  hommes  s'aban- 
donnèrent à  l'erreur  et  corrompirent  leurs  voies. 

Amazarak  instruisit  les  magiciens  et  ceux  qui  préparent  les 
simples. 

Armaros  apprit  à  rompre  les  charmes  ;  Barkayal  à  observer  les 
astres  (pour  y  lire  \ diSt,\x\\)\Kohabyel  à  tracer  les  caractères  (magi- 
ques) ^;  TfimicZ  l'astronomie  ;  Asaradyel  k  oti%ç,xsQX  les  mouve- 
mens  de  la  lune  2. 

Les  hommes  voyant  leur  perte  assurée,  poussèrent  des  gémis- 
seuiens  et  leur  voix  parvint  jusqu'au  ciel. 

Ch.  ÏX.  Alors  Michael,  Gahryel ,  Rafaël ,  Souryan  et  Ouryan 
regardèrent  du  haut  du  ciel,  et  virent  des  fleuves  de  sang  qui 
coulaient  sur  la  terre,  et  toutes  les  iniquités  dont  elle  était  cou- 
Verte,  et  se  dirent  entr'eux  :  •  Les  cris  de  la  terre  sont  parvenus 
»  jusqu'à  la  porte  du  ciel,  et  maintenant,  ô  saints  des  cieux ,  les 
))  âmes  des  hommes  se  plaignent  vers  vous  ,  disant  :  Faites-nous 
>>  rendre  justice  auprès  du  Très-Haut.'*"'  '  «"i^m  ""''i  aii 

»  Oa si^na..  On  lit  dans  le  grec  :  r«  ev;/*£ia  t^»  y^,-...  t«  ar,ij.ùx.  xqX>  r,\m. 
Ceci  paraît  avoir  été  abrégé  par  le  traducteur  éthiopien. 

-  On  lit  ici  dans  le  grec  une  ou  deux  phrases  qui  semblent  néces- 
saires pour  lier  ce  qui  suit  avec  le  récit  précédent.  Mrrà  lï  tvxizu.  -/ip^civTo 
oi  yiyavcsi  mktmOUiv  tk;  av.f,/.«.i  rw  àvOpùnuv,  x«i  fifi^xuro  oi  y.vOpomoi  èXotxToîj- 

36x1  èm  TTii  yr,i... 


176  NOTICE 

Et  les  anges  dirent  au  Seigneur  leur  roi  : 

«Vous  êtes  le  Seigneur  des  seigneurs,  le  Dieu  des  dieux ,  le  Roi 
»  des  rois;  le  trône  de  votre  gloire  est  dans  toute  la  génération  du 
»  siècle,  et  votre  nom  est  haut  et  glorieux  dans  toutes  les  généra- 
»  lions  du  siècle.  Vous,  Bénit  et  Glorieux  ,  avez  fait  toute  chose, 
»  votre  pouvoir  s'étend  sur  toute  chose,  et  tout  est  ouvert  et  ma- 
»  nifeste  devant  vous  ;  vous  voyez  toute  chose,  et  rien  ne  peut  se 
»  cacher  à  vos  regards  ;  vous  avez  vu  ce  qu'a  fait  Azazyel ,  com- 
»  ment  il  a  enseigné  toute  iniquité  sur  la  terre,  et  comment  il  a 
»  mis  à  découvert  tous  les  secrets  du  monde  qui  sont  dans  les 
»  cieux.  Samyasa^  à  qui  vous  avez  donné  le  droit  de  commander 
»  à  ceux  qui  sont  avec  lui ,  leur  a  appris  le  secret  de  la  magie  ;  ils 
»  se  sont  choisi  des  femmes  parmi  les  filles  des  hommes ,  ils  se 
>'  sont  souillés  avec  elles,  et  ils  leur  ont  appris  tous  les  péchés. 
»  Ces  femmes  ont  enfanté  des  géans ,  et  c'est  par  là  que  la  terre  a 
»  été  couverte  de  sang  et  de  crimes. 

>i  Et  maintenant  voilà  que  les  âmes  de  ceux  qui  ont  péri  crient, 
»  et  leurs  plaintes  se  sont  élevées  jusqu'aux  portes  du  ciel ,  et  leurs 
»  gémissemens  redoublent,  et  ne  peuvent  cesser^,  en  vue  de  l'in- 
«  justice  qui  a  lieu  sur  la  terre.  Vous  connaissez  toutes  choses  avant 
»  qu'elles  arrivent  et  vous  ne  nous  dites  rien.  Que  faut-il  que 
»  nous  fassions  dans  celte  circonstance? 

Ch.  X.  Alors  le  Haut,  Grand  et  Saint,  parla  et  enxo^d^Arsaja- 
lalyor  au  fils  de  Lamech  (à  Noé)  avec  ces  paroles  : 

"  Dis-lui  en  mon  nom:  «Couvre  ta  tète;  »  et  alors  annonce-lui  la 
'■  fin  qui  doit  arriver.  Toute  la  terre  périra  :  les  eaux  du  déluge 
»  se  répandront  sur  toute  la  terre,  et  tout  ce  qui  est  en  elle  périra. 
»  Et  puis  annonce-lui  comment  il  pourra  se  sauver  et  commcj^t 
»  sa  race  s'établira  sur  toute  la  terre.  » 
j,^j,Le  Seigneur  dit  encore  à  Raphacl  : 

«  Attache  les  mains  et  les  pieds  à  Azaziel,  et  lance-le  dans  les 
»  ténèbres.  Ouvre  le  désert  qui  est  dans  Dondael,  jette-le  en  cet 
')  endroit  :  jette  sur  lui  des  cailloux  aigus  et  raboteux;  couvre-le 
»  de  ténèbres,  il  y  demeurera  jusqu'au  siècle  ;  cache  sa  face,  afin 

'    Dans  le  grec  on  lit  :  /.'/.i  o)  Zùvuty.i    [h  GTVJ'Ayjxhi  «OrSiv^  i^-:).9î\v  àrto  TT^jsi'j- 

r.r.u  Tijv  iri  rr.i  yf.i  yivofiivcav  y.Zi/.r.fi.o'.-zMv-  Je  crois  donc  qu'il  faut  substituer 
jwlcsl  à  poisiuil. 


SUR  Li:  LIVRE  D'É.NOClt.  177 

»  qu'il  ne  voie  pas  la  lumitre  ;  Usera  au  jour  du  grand  jugement 
»  pour  être  envoyé  dans  le  feu. 

»  Purifie  la  terre  que  les  anges  ont  corrompue  ;  annonce-lui  la 
»  vie  ;  afin  que  les  hommes  ne  périssent  pas  à  cause  des  mystères 
»  que  les  Vigilans  ont  de  voilés  '  ,  et  dont  ils  ont  instruit  leurs 
>'  fils  ;  toule  la  terre  a  été  corrompue  par  les  œuvres  de  la 
>•  science-  à^Azaziel  ;  mets  sur  son  compte  tout  ce  péché.  » 
Puis  le  Seigneur  dit  à  Gabriel  : 

«  Vas  vers  les  trompeurs  et  vers  les  réprouvés,  et  vers  les 
»  fils  de  fornication,  et  lais  disparaître  les  fils  de  fornication ,  les 
»  fils  des  vigilans  du  milieu  des  hommes.  Qu'ils  sortent  et  qu'ils 
n  combattent  les  uns  contre  les  autres  ;  qu'ils  périssent  massacrés; 
»  l'éternité  des  jours  ne  luira  point  pour  eux  ;  ils  t'adresseront 
»  leurs  prières,  mais  pour  eux  ,  on  n'accordera  pas  même  à  leurs 
»  pères ,  qui  espèrent  la  vie  éternelle  ,  au  lieu  de  la  vie  e'ter- 
»  nelle ,  chacun  5oo  ans.  » 
Puis  le  Seigneur  dit  à  Michel  : 

"  Annonce  à  Samyasa  et  à  ses  compagnons ,  qui  se  sont  unis 
»  avec  des  femmes  pour  se  plonger  avec  elles  dans  toutes  les  ira- 
»  puretés  :  lorsqu'ils  auront  vu  tous  leurs  fils  égorgés  ,  et  ceux 
"  qu'ils  aiment  dévoués  à  la  perdition  ,  attache-les  pour  70  géné- 
"  rations  sous  les  collines  de  la  terre,  jusqu'au  jour  de  leur  juge- 
»  ment  et  de  leur  perte,  jusqu'à  ce  que  le  jugement  qui  est  pour 
»  les  siècles  des  siècles  soit  consommé. 

»  En  ces  jours  ils  seront  conduits  aux  lieux  les  plus  profonds 
t>  du  feu  ,  pour  y  être  tourmentés  et  enfermés  pour  les  siècles 
»  des  siècles. 

»  Et  Samyasa  et  ses  compagnons  seront  consumés  par  le  feu  et 
»  périront  jusqu'à  la  consommation  des  générations. 

»  Fais  périr  toute  âme  livrée  à  la  joie  ,  et  tous  les  fils  des  vigi- 

1  II  y  a  dans  Télhiopien  katalou,  occiderunt.  C'est  visiblement  une 
faute,  peut-être  faut-il  lire  baha/ou,  dixcrunt.  J'ai  suivi  le  grec  où  on 
lit  ■•  îino-j. 

-  In  doclrinà  operis  ou  plutôt  in  opaibus  doclrinai ,  comme  on  lit 
dans  le  grec  :  h  -cu  ^'pyoïi  -.r,^  ÔLixi/.x/;ïy.s  k'i^xy,).. 

•*  Il  y  a  clans  le  grec  i'.cÙToi!,-. 

Tome  xvii.-N"  99.  1838.  12 


178  ISOTICE 

»»  lans  qui  ont  opprimé  les  hommes.  Que  tout  oppresseur  dis- 
»  paraisse  de  la  surface  de  la  terre,  que  toute  œuvre  mauvaise  soit 
»  détruite,  que  la  plante  de  la  justice  et  de  la  droiture  apparaisse, 
»  et  que  le  fruit  de  justice  et  de  droiture  soit  en  bénédiction. 

»  Elles  seront  plantées  dans  le  siècle  avec  délices. 

»  Et  alors  tous  les  saints  confesseront  (mon  nom)  et  ils  seront 
«  remplis  de  vie,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  engendré  mille  (fils);  et 
»  les  jours  de  leur  jeunesse  et  de  leurs  fêtes  se  passeront  en  paix. 

»  En  ces  jours  tous  les  ouvrages  de  la  terre  seront  faits  en  jus- 
»  tice  ;  elle  sera  toute  couverte  d'arbres  et  remplie  de  bénédic- 
»  tion.  Tout  arbre  de  délice  et  de  joie  sera  planté  dans  son  sein  ; 
»  la  vigne  y  sera  semée,  et  cette  vigne  produira  des  fruits  à  sa- 
»  tie'té.  Toute  semence  confiée  à  la  terre  produira  mille  mesures 
»  pour  une,  et  une  mesure  d'olives  *  produira  dix  mesures  d'huile. 

)'  Ainsi  donc  purifie  la  terre  de  toute  oppression ,  de  toute  in- 
»  justice,  de  tout  péché,  de  toute  impiété,  de  toute  souillure  ;  fais- 
«  les  disparaître  de  la  terre;  et  tous  les  hommes  seront  justes  ,  et 
)'  ils  me  reconnaîtront  pour  leur  Dieu  ,  et  béniront  mon  nom;  ils 
)«  m'adoreront  tous,  et  la  terre  sera  purifiée  de  toute  corruption  , 
»  de  tout  péché,  de  tout  châtiment,  de  toute  douleur,  et  je  ne 
n  leur  enverrai  plus  de  déluge  à  jamais  dans  toutes  les  géné- 
»  rations.  » 

Ch.  XI.  "  En  ces  jours  j'ouvrirai  les  trésors  de  bénédiction  qui 
»  sont  dans  le  ciel ,  et  je  les  répandrai  sur  la  terre  et  sur  les  œu- 
»  vres  et  sur  les  travaux  des  hommes.  La  paix  et  l'équité  seront 
».  les  compagnes  des  fils  des  honimts  dans  tous  les  jours  et  dans 
»  toutes  les  générations.   » 

Ch.  XII,  sec.  tu.  Mais  avant  toutes  ces  choses,  Enoch  avait  été 
caché  ,  et  aucun  homme  ne  savait  ce  qu'il  était  devenu  ni  où  il 
était ,  et  toute  sa  vie  s'était  passée  avec  les  saints  et  les  vigilans. 
Moi,  Enoch ,  je  bénissais  le  Seigneur,  Grand  et  Roi  du  siècle,  et  les 
Vigilans  m'appelaient  Enoch  le  scribe,  et  le  Seigneur  me  dit  : 

«  Enoch,  scribe  de  justice,  vas,  et  annonce  aux  vigilans  du 
>•  ciel  qui  l'ont  abandonné ,  ainsi  que  la  demeure  sainte  qui  est 
»  pour  les  siècles,  qui  se  sont  souillés  avec  des  femmes,  et  ont  fait 
»  comme  les  fils  des  hommes,  se  sont  choisi  des  épouses,  et  se  sont 

•  On  lit  dans  léthiopicn  elyas  }  c'est  un  mot  grec. 


SUR   LE   LIVRE   D'eNOCIL  179 

»  livrés  sur  la  terre  à  toutes  sortes  de  corruption,  que  jamais  sur 
»  la  terre  ils  n'auront  ni  paix  ,  ni  rémission  pour  leurs  pêches,  car 
»  ils  ne  se  réjouiront  point  dans  leurs  fils  ;  ils  verront  le  massacre 
»  de  tous  ceux  qui  leur  étaient  chers  ;  ils  gémiront  sur  la  perte 
»  de  leurs  fils,  ils  feront  entendre  leurs  prières,  et  on  ne  leur  ac- 
»  cordera  ni  miséricorde  ni  paix.  » 

Ch.  XIII.  Enoch  donc  dit  à  Azazyel  : 

<<  Tu  n'auras  point  de  paix  ;  un  jugement  solennel  a  été  pro- 
»  nonce  contre  toi .  il  t'enveloppera  ;  il  n'y  aura  pour  toi  ni  ré- 
»  mission,  ni  prière,  ni  miséricorde,  parce  que  lu  as  enseigné 
»  l'oppression ,  et  à  cause  de  toutes  les  œuvres  de  blasphème , 
''  d'oppression  et  de  péché  que  tu  as  enseignées  aux  hommes.  » 

Alors  me  dirigeant  vers  eux,  je  leur  dis  ces  paroles  à  tous,  et  ils 
furent  tous  saisis  de  crainte,  et  ils  me  prièrent  de  dresser  le  mé- 
morial de  leur  demande,  d'écrire  en  leur  faveur  pour  que  misé- 
ricorde leur  fût  faite,  et  de  faire  parvenir  le  mémorial  de  leur 
prière  au  Seigneur  du  ciel ,  parce  qu'il  ne  leur  était  plus  permis 
de  parler,  ni  même  de  lever  les  yeux  vers  le  ciel ,  à  cause  de  la 
confusion  qui  les  couvrait,  pour  le  péché  dont  ils  avaient  été  re- 
connus coupables. 

Alors  j'écrivis  le  mémorial  de  leur  prière  et  de  leur  supplica- 
tion ,  c'est-à-dire  la  demande  de  la  paix  et  du  repos  pour  leur 
esprit  et  pour  chacune  de  leurs  œuvres. 

Et  m'avançant,  je  m'arrèiai  auprès  des  eaux  de  Dan^  Dan  qui 
est  à  droite  du  couchant  à''/Jermon  ,  lisant  le  mémorial  de  leur 
prière,  jusqu'à  ce  que  je  m'endormis. 

Et  voilà  que  dans  mon  sommeil,  des  visions  se  présentèrent  à 
moi  :  je  tombai  (le  visage  contre  terre),  et  je  vis  la  vision  de  la 
plaie,  pour  que  je  la  racontasse  aux  fils  des  deux  ,  et  que  je  leur 
adressasse  des  paroles  de  reproche. 

M'étant  éveillé,  je  vins  à  eux  :  ils  s'étaient  tous  assemblés,  li- 
vrés à  la  plus  profonde  tristesse  et  la  face  couverte,  à  Oubilsa- 
layel ,  lieu  situé  entre  le  Liban  et  Seneser.  Je  leur  racontai  toutes 
les  visions  que  j'avais  eues,  et  tout  ce  que  j'avais  appris  dans  mon 
sommeil.  Je  commençai  donc  à  adresser  ces  paroles  de  justice  eî 
de  reproche  aux  vigilans  du  ciel. 

Ch.  XIV  «  Yoici  le  livre  des  discours  de  justice,  et  les  reproches 


180  NOTICE 

à  adresser  aux  vi^ilans  qui  appartiennent  aux  siècles ,  selon  que 
me  l'a  prescrit  le  Saint  et  le  Grand  dans  cette  vision. 

J'ai  vu  dans  mon  sommeil  que  je  parlais  en  mon  esprit  et  avec 
ma  langue  et  ma  poitrine  de  chair,  que  le  Haut  a  données  aux 
hommes  pour  qu'ils  pussent  converser  avec  lui  et  le  com- 
prendre. De  même  qu'il  a  créé  les  hommes  pour  qu'ils  com- 
prissent les  paroles  de  l'intelligence  ,  ainsi  il  m'a  donné  d'ins- 
truire et  de  blâmer  par  mes  paroles  les  Tigilans  fils  du  ciel. 

J'ai  écrit  votre  demande,  et  dans  ma  vision  il  m'a  paru  que  ce 
que  vous  demandez  ne  vous  sera  jamais  accordé  dans  les  jours  des 
siècles;  le  jugement  a  été  confirmé  sur  vous  :  votre  demande  ne 
vous  sera  pas  accordée;  dès  ce  jour,  vous  ne  monterez  plus  au 
ciel,  et  il  a  donné  ordre  à  la  terre  afin  que  vous  soyez  liés  dans  tous 
les  siècles  des  siècles. 

Mais,  auparavant,  vous  verrez  la  mort  de  vos  fils  chéris;  vous 
nepourrez  en  jouir;  ils  tomberont  devant  vous  ,  frappés  du  glaive, 
et  votre  prière  ne  servira  ni  pour  eux  ni  pour  vous  :  vos  gémis- 
scmens  et  vos  supplications  ne  seront  pas  exaucées.  Telles  sont 
les  paroles  du  livre  que  j'ai  écrit. 

Mais  voici  la  vision  qui  m'est  apparue  :  Les  nuées  me  tenaient 
embrassé ,  et  un  nuage  plus  léger  me  poussait;  le  cours  des 
étoiles  et  la  lueur  des  éclairs  me  pressaient  en  avant ,  tandis  que 
les  esprits  *  m'emportaient  dans  leur  vol ,  tout  tremblant  :  ils  me 
transportaient  en  haut  dans  le  ciel,  jusqu^au  pied  d'un  mur,  bâti 
de  pierres  de  grêle  (de  cristal) ,  et  entouré  d'une  langue  de  feu  ; 
mes  craintes  augmentèrent  ;  cependant,  je  traverse  la  langue  de 
feu  ,  et  je  m'approche  d'un  grand  palais  qui  était  bâti  de  pierres 
de  grêle  ;  les  lambris  et  le  sol  étaient  de  pierres  de  glace  aussi  ; 
le  toit  était  formé  d'cloiles  errantes  et  d'éclairs,  entre  lesquels 
on  voyait  des  chérubins  ^  de  feu  ^  ;  autour  des  murs  brillait  un 
feu  ardent,  et  la  porte  en  était  enflammée. 

J'entrai  dans  cette  demeure  ,  qui  était  brûlante  comme  le  feu 
et  froide  comme  la  glace  ;  on  n'y  peut  goûter  aucune  douceur 
ni  aucune  vie.  La  crainte  s'empara  de  moi;  ému  et  tremblant, 
je  tombai  la  face  contre  terre. 

'  C'est-à-dire  venti  vehcmentcs,  c'est  un  hébraïsme. 

2  II  y  a  dans  le  texte  kiroubel. 

*  Il  y  a  ici  quorum  cœlum  erai  agua,  que  nous  avons  passé. 


SLR    LF.    LIVRE   d'kNOCH.  181 

Je  vis  alors  en  vision  un  palais  beaucoup  plus  vaste,  tloni 
toutes  les  portes  étaient  ouvertes  devant  inoi ,  et  qui  était  bâti 
au  milieu  d'une  flamme  vibiante.  Tout  s'y  trouvait  en  abon- 
dance, gloire,  magnificence,  grandeur,  à  un  point  qu'il  est 
impossible  de  dire.  Le  sol  est  de  feu;  les  e'ioiles  et  les  éclairs 
l'entourent ,  et  le  toit  est  aussi  de  feu. 

Au  milieu  ,  je  vis  un  trône  élevé  ,  semblable  aux  charbons 
ardents  ,  et  plus  éclatant  que  le  soleil.  On  entendait  les  voix  des 
chérubins  ,  et  des  fleuves  de  flamme  s'échappaient  de  ce  trône  , 
sur  lequel  les  regards  ne  peuvent  se  fixer. 

Le  Grand  y  siégeait  dans  sa  gloire;  son  manteau  brillait  plus 
que  le  soleil,  et  était  plus  blanc  que  la  neige,  et  aucun  ange  ne 
pouvait  entrer  et  arrêter  ses  yeux  sur  sa  face,  la  face  du  Magni- 
fique et  du  Reiiipli  de  gloire.  Aucun  œil  charnel  ne  pouvait  le 
voir.  Des  fournaises  de  feu  empêchaient  qu'on  n'approchât  du 
lieu  où  le  Grand  se  tenait  sur  son  trône,  ayant  un  feu  allumé 
devant  lui  ;  aucun  de  ceux  qui  étaient  autour  de  lui,  ne  pouvaient 
l'approcher;  des  myriades  de  myriades  (d'anges)  étaient  devant 

lui Les  saints  qui  l'entouraient,  ne   s'éloignaient  ni  le  jour 

ni  la  nuit. 

Il  me  fut  donné  de  m'approcher  jusqu'à  lui  ,  la  face  couverte 
d'un  voile  ,  et  tremblant  de  frayeur. 

Le  Seigneur  m'appela  et  me  dit  :  »  Approche,  Enoch,  et  sois 
»  attentif  à  ma  voix.  »  Et  il  m'enleva  et  me  fit  arriver  jusqu'à  sa 
porte  :  mon  visage  était  détourné  vers  la  terre. 

Cn.XV.Etm'adressantlaparole,  il  me  dit:  «Ecoute,  ne  crains 
»  rien  ,  Enoch  ,  homme  juste ,  et  scribe  de  justice  ;  approche  avec 
»  confiance  ,  et  sois  attentif  à  ma  voix.  Tas  et  dis  aux  vigilans 
»  qui  t'ont  envoyé,  pour  intercéder  pour  eux:  c'était  à  vous  à 
»  prier  pour  les  hommes  ,  et  non  aux  hommes  à  prier  pour  vous. 
»  Pourquoi  avez-vous  abandonné  le  Ciel  élevé  et  saint,  qui  est 
»  depuis  les  siècles ,  et  pourquoi  vous  étes-vous  souillés  avec  les 
"femmes  ,  filles  des  hommes?  pourquoi  avez-vous  pris  des 
»  épouses,  comme  le  fout  les  fils  de  la  terre,  pour  en  avoir  des 
»  fils  qui  sont  devenus  des  géans? 

«\ous,  spirituels,  saints,  vivant  de  la  vie  des  siècles,  vous 
»  vous  êtes  souillés  avec  les  femmes ,  et  vous  avez  commis  les 
>•  mêmes  souillures  ,  les  mêmes  crimes  que  les  hommes ,  qui  sont 


]  82  NOTICE 

»  chair  et  sang.  Eux  ,  sont  mortels,  et  c'est  pour  cela  que  je  leur 
»  ai  donné  des  femmes,  afin  qu'ils  en  aient  des  enlans,  sur  toute 
n  la  terre.  Mais  vous,  vous  avez  été  créés  dès  le  commencement, 
»  spirituels ,  vivant  de  la  vie  des  siècles ,  et  ne  devant  jamais 
»  mourir!  C'est  pourquoi  je  ne  vous  ai  point  donné  d'épouses, 
»  puisque  vous  étiez  spirituels  ,  et  habitant  le  ciel. 

»  Maintenant  les  géans  qui  sont  nés  de  l'esprit  et  de  la  chair , 
n  seront  appelés  les  maut'ais  esprits  sur  la  terre,  et  ils  y  feront 
»  leur  séjour.  Les  mauvais  esprits  sont  sortis  de  leur  chair;  ils  ont 
>»  été  créés  d'en  haut  ;  leur  commencement  et  leur  source  vien- 
»>  nent  des  saints  vigilans. 

»  Ils  seront  l'esprit  mauvais  sur  la  terre  ,  et  on  les  appellera  les 
»  esprits  des  mauvais  ;  les  esprits  du  ciel  habiteront  le  ciel;  les 
»  esprits  de  la  terre,  qui  ont  pris  naissance  sur  la  terre  ,  y  ha- 
»  biteront. 

)•  Les  esprits  des  géans  seront  comme  des  nuées,  quiopprime- 
»  ront ,  corrompront ,  tomberont ,  combattront ,  briseront  tout 
»  sur  la  terre,  et  la  couvriront  de  deuil.  Ils  ne  pourront  manger 
»  du  froment,  et  ils  auront  soif;  ils  se  tiendront  cachés,  et  les 
»  esprits  ne  s'élèveront  pas  *  contre  les  fils  des  hommes  et  contre 
»  les  femmes ,  parce  qu'ils  viennent  (d'eux)  2. 

Ch.XVI.  5  «  Us  périront  tous  jusqu'au  jour  du  grand  juge- 
»  ment  qui  sera  consommé  sur  les  vigilans  et  les  impies.  Main- 
»  tenant  va  dire  aux  vigilans  qui  t'ont  envoyé  pour  intercéder 
»  pour  eux,  créés  depuis  le  commencement  : 

«  Yous  avez  été  dans  le  ciel,  mais  ses  secrets  ne  vous  seront 
»  plus  dévoilés  ;  vous  avez  connu  de  vils  mystères  ,  et  dans  la  per- 
»  versité  de  votre  cœur,  vous  l'avez  révélé  aux  femmes  ,  et  c'est 
»>  par  ces  mystères  que  les  hommes  et  les  femmes  ont  commis 
»  toutes  sortes  de  maux  sur  la  terre.  —  Dis-leur  :  c'est  pour  cela 
»  qu'il  n'y  aura  pas  de  paix  pour  vous.  » 

*  Cette  négation  est  vraisemblablement  de  trop.  Elle  ne  se  lit  point 
dans  le  grec.  En  général,  la  fin  de  ce  chapitre  et  le  chapitre  suivant  sont 
remplis  de  fautes  et  peu  intelligibles. 

*  Je  supplée  ces  mots  d'après  le  grec  :  in  i^  aÙTwv  è^sXr,).i)ôxtst.  Mais  le 
traducterr  éthiopien  a  lié  le  mot  venerunt  avec  les  mois  à  dielnis,  comme 
le  prouve  la  division  du  chapitre. 

^  Je  passe  ici  une  on  deux  lignes  dont  on  ne  peut  tirer  aucun  sens. 


SUR    LE    LIVRE  D'ÉNOCH.  183 

Sect.  V,  CH.  XII  ou  plutôt  XXII !  Je  vis  les    àines    des    fils 

des  hommes  qui  étaient  morts  ,  et  leur  voix  arrivait  jusqu'au  ciel 
en  forme  de  plainte.  Alors  m'acin^ssant  à  l'ange  Raphaël,  qui  était 
avec  moi,  je  lui  dis  :  «  Quelle  est  cette  âme  dont  j'entends  la 
voix  et  qui  se  plaint?  »  —  Il  me. répondit  :  «  c'est  Tàme  qui  sor- 
»  tit  à!Abel  quand  son  frère  Coin,  le  tua  ,  et  elle  se  plaint  de  lui 
»  jusqu'à  ce  que  sa  race  soit  effacée  de  la  terre ,  et  périsse  du 
»  milieu  des  hommes....» 

Ch.  XVII.  ou  plutôt  XXXI.  Après  cela  je  tournai  mes  yeux  vers 
l'aquilon,  et  je  les  fixai  sur  les  montagnes.  Je  vis  sept  monis 
couverts  de  nard  ,  de  purs  aromates^  d'arbres  odoriférans  ,  de 
cinnamomon  et  de  papyrus.  De  là,  je  regardai  par-dessus  les 
sommités  des  monts  qui  sont  au  loin  vers  l'orient,  et  je  passai 
au-dessus  de  la  mer  Erythrée  ^ ,  fort  loin  au-delà  ,  et  je  dépassai 
l'ange  Zetiel  -^  j'arrivai  dans  le  jardin  de  la  Justice,  et  je  distinguai 
dans  les  forêts  qui  y  étaient  plantées  de  grands  et  beaux  arbres  , 
admirables  à  la  vue  ,  et  dont  le  parfum  d'agréable  odeur  se  ré- 
pandait au  loin. 

Il  y  avait  Varbre  de  la  science,  dont  le  fruit  donne  une  grande 
science  à  celui  qui  le  mange.  Cet  arbre  est  semblable  à  une  fève 
grecque(/rtia  Grœcœ)  ^,  et  son  fruit,  excellent  au  goût,  ressemble 
à  une  grappe  de  vigne.  Le  parfum  qui  sortait  de  cet  arbre  se  ré- 
pandait au  loin  ,  et  je  m'écriai  :  «  Oh  !  le  bel  arbre  ,  et  combien 
sa  vue  est  agréable  I  »  L'ange  Raphaël  qui  était  avec  moi  ,  me 
«  dit:  C'est  l'arbre  de  la  science,  dont  voulurent  manger  ton 
«  vieux  père  et  ta  mère  {'hébraïque  ^  ,  qui  t'ont  précédé.  Ils 
«connurent  la  science  ;  leurs  yeux  furent  ouverts,  ils  surent 
«  qu'ils  étaient  nus  ;  et  ils  furent  chassés  du  jardin.  » 

C'est  ici  que  finit  la  traduction  de  M.  de  Sacy.  Nous  formons 
des  vœux  pour  que  quelques-uns  de  nos  savans  ,  sachant  le 
Ghéez,  et  aidés  des  traductions  qui  existent,  traduisent  tout  l'ou- 
vrage en  français.  A.  Bo>'NETTy. 

*  Il  y  a  dans  le  texte  Erjtri. 

-  Le  mot  employé  ici  répond  dans  la  version  éthiopienne  du  N.  T.  en 
S.  Luc,  ch.  XV,  v.  16,  au  mot  grec  riv  y.=yy.-:lu-/.  Ludolf  dit  que  les  Ethio- 
piens entendent  par  là  une  sorte  de  tamarin.  V.  le  Dict.  e'th.  de  Ludolf, 
édit.  de  Londres,  1661,  col.  28  et  435. 

Cette  expression,  dit  IM.  de  Sacy,  présente  un  anachronisme  remar- 
quable. M.  Laurence  l'a  traduite  par  i^em-e. 


184  POKSIES   INKDITES 


V\.Vv\'\VVV»\VvV\WV\fc%^VV\VVVvVV*(^^VVXVVV\VVVVVvV*tVVVt\VvVVVVVwVVV\^'V**V\\i\\VVVVVV*\^  '^V«  AV. 


Cittnnturf  Conlcmporainr. 


POESIES  INEDITES 

DE  SILVIO  PELLICO  ;  QUELQUES  DETAILS  SUR  SA  VIE  ». 

Trêve  de  Chinois  et  d'archéologie,  monsieur  le  Directeur;  voici 
venir  le  poète  de  Saluce  avec  sa  lyre  chérie ,  que  couronnent  la 
Foi,  l'Espérance  et  la  Charité;  c'est  le  pocte  que  nous  appelons 
de  nos  vœux  ,  parce  que  ses  vers  ne  sont  pas  tristes  et  pleureurs 
comme  l'ame  égarée ,  brusques  et  sauvages  comme  le  doute  , 
payens  ou  creux  comme  tout  ce  qui  nous  environne.  Ce  ne  sont 
pas  des  formes  orientales  qu'il  nous  apporte,  àes  feuilles  que 
Y  automne  enlève  ;  que  sais-je?  des  chants  vagues  Comme  le  souffle 
du  crépuscule  ,  mais  des  pages  de  poésie  historique,  proclamant 
la  vertu,  flagellant  le  vice;  des  sentimens  religieux  et  purement 
catholiques  ,  d'ardentes  prières  que  chanterait  le  lévite  aux  pieds 
des  autels ,  de  douces  et  simples  paroles  qui  élèvent  l'ame  vers  la 
beauté  éternelle,  de  graves  enseignemens  surtout,  parce  que  le 
vrai  poète  est  aussi  un  envoyé  de  Dieu  pour  annoncer  aux 
hommes  les  paroles  de  la  vie. 

En  dehors  du  cercle  au  sein  duquel  repose  l'idée  ,  il  n'y  a  plus 
que  la  phrase,  des  oripeaux,  d;;  spirituels  mannequins,  le  men- 
songe et  la  faiblesse.  Celui-ci  fait  entendre  un  ramage  qui  cha- 
touille l'oreille  et  D'y  arrête  sans  arriver  à  l'ùme  ;  celui-là  s'agite 
dans  les  airs  en  tous  sens,  comme  un  pauvre  oiseau  dont  on 
aurait  crevé  les  yeux;  l'un  rase  l'infime  région  et  s'efforce  de  me 
montrer  sa  joie  dans  la  boue  et  la  fureur;  l'autre  gazouille  dans 
sa  volière,  pleure  ,  rit ,  soupire  du  matin  jusqu'au  soir  sans  trop 
savoir  pourquoi  ;  mais  les  uns  et  les  autres  sont  des  âmes  en  peine 
ou  des  esprits  vains,  des  imaginations  ravies  dans  des  chimères 

*  Poésie  inédite.  A  Pari;;,  cliez  Bamliy,  lilirniie.  fort  vol.  in-Jî.  Prix  5  fr. 


DE  SILVIO  PELI.ICO.  185 

fantastiques,  ou  perdues  dans  les  profanes  endroits  de  la  vie  |'osi- 
live.  A  quelques  belles  exceptions  près  ,  nos  poètes  n'ont  plus  de 
mission  ,  ils  ont  les  ailes  clouées  aux  flancs ,  ils  parlent  d'eux 
seuls  et  pour  eux  seuls  ,  comme  l'e'goismc;  aussi  les  hommes  ne 
répètent-ils  plus  les  chants  des  poêles  ;  ils  les  laissent  dire  et 
passent ,  parce  qu'ils  veulent  étancher  leur  soif ,  et  que  la  poésie 
de  ces  hommes  est  une  solitude  aride  et  brûlante. 

Silvio  Pellito  parle  aussi  de  lui-même  ;  partout  on  le  retrouve 
dans  les  deux  volumes  qu'il  vient  de  publier  ;  il  avoue  même 
dans  sa  préface  qu'il  n'a  pu  faire  autrement:  non  ho  sapiito.  — 
Ses  prisons  le  mettent  partout  en  scène.  Mais  ce  n'est  pas  pour 
lui  qu'il  écrit ,  il  ne  s'arrête  pas  au  moi  pour  le  caresser,  ou  le 
plaindre  ou  l'exalter  ;  il  a  des  intentions  plus  pures  et  plus 
nobles.  La  vanité  de  parler  de  lui-même  ne  lui  a  pas  fait  écrire 
ses  immortels  Mémoires  ,  et  ce  n'est  pas  la  gloire  du  poète  qu'il 
a  cherchée  en  donnant  à  sa  patrie  et  au  monde  ses  Poésies  inédites. 
C'est  un  voyageur  qui  revient  d'un  pays  malheureux  ,  il  a  par- 
couru les  déserts,  il  a  bu  dans  le  torrent,  il  a  vu  la  mort  et 
toutes  ses  douleurs;  et  quand  il  en  parle  ,  c'est  pour  consoler 
ceux  qui  souffrent,  c'est  pour  apporter  sur  nos  blessures  le 
baume  qui  l'a  sauvé;  son  cœur,  loin  de  retomber  sur  lui-même, 
rayonne  en  tous  sens  et  embrasse  tous  les  hommes.  Oh  I  qu'il 
nous  dise  long-tems  encore  ce  qu'il  a  vu  et  senti ,  et  ses  tris- 
tesses et  ses  joies,  et  toute  sa  vie!  Il  a  le  droit  de  parler  aux 
hommes  et  de  leur  donner  de  graves  enseignemens  ;  son  lan- 
gage a  la  douceur  du  miel ,  sa  pensée  est  large  et  profonde ,  et  il 
a  beaucoup  souffert  dans  le  corps  et  dans  l'esprit  :  si  les  souftVances 
donnent  à  l'homme  de  la  valeur,  elles  augmentent  aussi  son  au- 
torité. 

Il  y  eut  un  jour  entre  Dieu  et  le  poète  un  sublime  entretien  : 

Perché  data  mhai  questa  ineffabile 
Sete  di  canlo? 

Perché  poni  tu  in  me  questi  palpiti  , 
Ricchi  d'amer?  ' 

*  Pourquoi  m'as-tu  donné  cette  ineff;;ble 
Soif  de  chant? 

Pourquoi  as-tu  mis  en  moi  ces  transports, 
Riches  d'amour? 


186  POESIES  INÉDITES 

Et  Dieu  lui  répondit  : 

Perche  vago  del  bello  più  sancto, 
A  tal  bello  tu  spinga  altri  cor  *. 

Le  poète  a  reçu  sa  mission  dans  ces  paroles  ;  mais  il  s'épou- 
vante : 
>i  - 

10  t'ammiro,  ed  abi  !  quelle  mi  mancano 
Yoci  stupende, 

Cbe  dir  ponno  quai  movi  nell'  anima 
Aiti  désir  ^. 

Et  Dieu  lui  répond  : 

11  Vangel  che  repisce  ed  accende  , 
Par  d'ingenuo  fanciuUo  il  sospir.  .  .  . 
Del  Vangel  l'amantissimo  spirto 

Luce  sia  a  tua  ragione,  a'tuoi  canti,  etc.  ^. 

Et  le  poète  rassure'  marche  avec  une  sublime  simplicité  dans 
le  chemin  que  le  doigt  de  Dieu  lui  indique,  et  ses  chants  re- 
lèvent l'àme  abattue  ,  donnent  au  cœur  de  nobles  désirs  et  pla- 
cent l'esprit  dans  le  paradis  terrestre  qui  nous  est  ouvert ,  dans 
la  paix  et  les  délices  de  la  foi.  Pour  Silvio  Pellico  ,  la  poe'sie  est 
donc  autre  cliose  qu'un  sifflement  de  serin,  des  plus  agréables,  si 
vous  voulez  ,  mais  que  le  vent  emporte  ;  il  ne  veut  pas  qu'après 
l'avoir  entendUj  l'on  puisse  dire  :  D'où  viens-jePqu'ai-je  entendu? 
il  me  semble  que  j'ai  fait  un  rèvel —  C'est  l'effet  que  produit 
cette  volée  de  poètes  croissant  et  se  multipliant  pour  la  plus  belle 
glorification  de  la  forme.  Au  son  de  leur  lyre,  les  fibres  se  dé- 

*  Pour  que,  épris  du  beau  le  plus  saint, 
Tu  excites  vers  ce  beau  le  cœur  des  autres. 

»  Je  t'admire,  mais  hélas  !  elles  me  manquent 
Ces  voix  puissantes , 

Qui  peuvent  dire  quels  naissent  dans  ràrae  , 
De  sublimes  désirs. 

2  L'Évangile  qui  ravit  et  embrase, 

Semble  le  soupir  d'un  enfant  ingénu — 

Que  l'esprit  d'amour  de  l'Evangile, 

Soit  la  lumière  de  ta  raison,  de  tes  chants,  etc. 

[Ilpoeta,Tp.  I  55.) 


DE  SILVIO   PELLICO.  1B7 

tendent  ou  se  crispent,  ou  bien  l'on  demande  des  couronnes,  des 
parfums  ,  on  chante  et  puis  l'on  s'endort.  Est-ce  donc  là  le  but  de 
la  poésie?  Cette  fille  du  ciel  aurait-elle  pour  mission  de  nous 
bercer  ici-bas  dans  des  plaisirs  d'une  heure?  IVa-t-ellc  pas 
d'autres  inspirations  à  souffler  à  l'homme  ?  Il  n'y  a  de  poète  que 
celui  qui  aime  ,  croit  et  espère  ,  parce  que  l'âme  et  la  charité 
ôtées,  il  n'y  a  plus  de  Dieu  dans  la  poitrine. 

De  quoi  se  composent  donc  les  deux  volumes  des  Poésies  iné- 
dues?  L'un  renferme  sept  ranliche ,  récits  poétiques,  petits 
poèmes  dont  les  analogues  n'existent  pas  en  France  et  dont  le 
nom  ne  peut  pas  même  se  traduire  dans  notre  langue  ;  l'autre 
contient  quarante  or/es,  dans  lesquelles  le  poète  a  versé  tout  ce 
qu'il  avait  d'amour.  Les  Mémoires  racontent  sa  vie  de  prisonnier, 
les  dernières  poésies  quelques  événemens  de  sa  vie  antérieure , 
ses  impressions  actuelles,  et  comprennent,  ce  me  semble  ,  deux 
ou  trois  pièces  qui  ont  été  composées  dans  la  geôle  du  Spielberg. 

Silvio  Pellico  avait  eu  l'intention  de  faire  un  roman  dans  lequel 
un  vieux  troubadour  de  Saiuce  devait  réciter  de  tems  en  tems 
des  cantiche  ,  probablement  liées  à  l'action  principale  comme  les 
admirables  chœurs  de  Manzoni  tiennent  au  fond  de  ses  deux 
tragédies.  Mais  il  abandonna  son  projet ,  en  conservant  toutefois 
le  troubadour  dont  nous  avons  déjà  entendu  quelques  touchantes 
histoires.  Les  cantiche  dont  nous  parlons  aujourd'hui  sont  encore 
du  même  genre  et  ont  toutes  un  but  moral ,  le  progrès  des  ver- 
tus publiques  et  privées  ;  car  »  la  poésie  et  la  littérature  ,  en  gé- 
»néral,  n'ont  aucune  valeur  ,  dit  quelque  part  Silvio  Pellico, 
»  si  elles  ne  cherchent  point  à  réveiller  des  sentimens  de  no- 
»  blesse  et  d'amour,  et  à  détourner  les  hommes  des  turpitudes 
»  de  l'incrédulité  et  de  l'égoïsme. 

A  l'une  de  ces  cantiche,  Aroldo  et  Clara  ,  se  rattache  une  parti- 
cularité honorable  pour  Silvio  Pellico  et  Alexandre  Yolta  ;  el 
cette  particularité  même,  en  nous  faisant  mieux  connaître  la 
beauté  de  leur  âme  ,  nous  donne  une  leçon  véritablement  chré- 
tienne. L'auteur  composa  cette  canticaàans  des  jours  de  douleur 
et  de  colère  ,  pour  ployer  son  âme  à  la  douceur  et  suivre  le 
conseil  de  Volta  qui ,  pour  le  détourner  d'écrire  des  satires,  lui 
avait  dit  un  jour  :  —  «  La  poésie  furieuse  n'a  jamais  rendu  per- 
')  sonne  meilleur  ;  si  vous  vous  sentez  porté  à  verser  votre  colère 


188  POESIES  lA'ÉDITES 

»  sur  le  papier  ,  tremblez  de  devenir  mauvais.  11  faudrait  alors 
)i  chercher  à  vous  calmer  ,  en  exerçant  votre  verve  sur  quelque 
»  grand  exemple  de  charité  et  d'indulgence.  »  Sans  ces  deux 
circonstances,  peut-être  n'aurions-nous  pas  la  caniica  de  Clara  et 
Aroldo  ,  e'pisode  touchant  des  factions  italiennes  du  moyen-âge. 

On  vient  d'apprendre  à  un  baron  Saluçois  ,  vieux  et  aveugle, 
que  son  fils  a  été  fait  prisonnier  par  Tennemi  de  sa  patrie  ,  Man- 
fredo ,  le  destructeur  de  Saluce ,  le  tyran  de  la  province ,  le  bar- 
bare usurpateur  de  la  couronne.  Aïoldo  prend  de  l'or  pour  ra- 
cheter son  fils  ;  sa  fille  ne  veut  pas  se  séparer  de  son  vieux  père 
aveugle.  Mais  des  bandes  parcouraient  le  pays  en  tous  sens  ;  les 
nobles  voyageurs  sont  pris,  dépouille's  de  leur  tre'sor,  et  leurs 
fidèles  serviteurs  égorgés  dans  une  lutte.  Les  brigands  traînent 
avec  eux  pendant  un  jour  entier  le  vieillard  et  la  jeune  fille  ,  qui 
s'échappent  cependant  à  la  faveur  de  la  nuit.  Aroldo  a  résolu  de 
continuer  son  voyage,  dans  l'espérance  de  gagner  par  ses  pro- 
messes le  sauvage  Manfredo.  Le  vieux  guerrier  s'appuie  sur  le 
bras  de  sa  fille;  ils  errent  pendant  la  nuit;  la  lune  les  éclaire, 
et  leur  montre  les  villages  déserts  et  les  ruines  des  châteaux.  A 
l'aube  se  montre  le  camp  de  l'usurpateur;  ils  s'avancent;  Clara 
voit  deux  mâts  se  dresser  dans  la  campagne  ;  elle  frémit,  car 
elle  sait  que  les  barbares  soldats  de  Manfredo  attachent  leurs 
prisonniers  à  des  arbres  et  les  tuent  à  coups  de  flèches.  —  La 
jeune  fille  s'est  évanouie  à  la  vue  dos  flèches  qui  volent ,  et  le 
A'ieujfc  baron  aveugle ,  pour  éviter  des  chevaux  qu'il  entendait 
courir  devant  lui,  s'écarte  et  s'arrête ,  sans  le  savoir,  au  pied  de 
l'arbre  fatal.  Il  est  entouré  de  soldats  ,  il  reconnait  la  voix  de 
Manfredo  et  lui  demande  son  fils.  —  «  Il  n'est  plus  tems  ,  lui 
»  dit  le  farouche  capitaine  ;  mais  on  va  détacher  le  corps  de  ton 
»  fils  suspendu  sur  ta  tête,  et  te  le  rendre;  les  corbeaux  ne  le 
»  mangeront  pas.  »  —  Le  barbare  soldat  pique  des  deux  et  dis- 
paraît avec  sa  troupe. 

Plus  tard  3Tanfredo  blessé,  fugitif,  vient  frapper  à  une  porte 
qu'il  ne  reconnaissait  plus  :  c'était  celle  d'Aioldo.  Clara  recule 
d'horreur  ;  mais  elle  voit  l'image  de  Jésus  mourant  sur  la  croix  ; 
elle  pense  à  son  frère  et  se  dit  à  elle-même  : 


DE  SILVIO  PELLICO.  189 

Foi-sc  qiicst'  alto  or  chiedi.  Ah,  virUi  somma 
E  il  perdoiiar  '  I 

Elle  n'ose  averlirsonpère,  dontl'àme  est  encore  toute  brûlante. 
Cependant  Manfredo  a  reconnu  le  toit  du  baron  ,  il  se  trouble. 
—  «  Il  veut  fuir!  »  s'e'crie  un  serviteur.  —  «  Qu'on  selle  mon 
cheval  I  »  dit  la  jeune  fille.  Elle  ouvre  en  même  tems  un  vieux 
meuble  ,  prend  un  des  manteaux  de  son  père ,  de  l'or,  et  vient 
dire  à  l'assassin  de  son  frère  :  —  •<  Prends  ,  seigneur  I  c'est  ainsi 
»  que  se  venge  Aroldo  :  un  cheval  est  à  tes  ordres  ;  si  tu  en  as  la 
«force,  sauve-loi,  et  que  le  ciel  t'accompagne  I  »  3Ianfredo 
pleure  et  disparaît. 

A  cette  nouvelle  le  vieux  guerrier  entre  en  fureur;  mais  bien- 
tôt sa  fille  le  calme,  et  le  vieillard  lui  dit  : 

—  Oh  mia  Ggliuola  ! 
Tibenedico;  saatamente  oprasti"  1 

Tel  est  le  canevas  de  la  belle  caniica  de  Clara  et  d'Aroldo,  dans 
laquelle  l'histoire  et  la  poésie  se  donnent  la  main  pour  nous  dire 
avec  saint  Paul  :  «  Si  voire  ennemi  a  faim,  donnez-lui  à  man- 
«  ger;  s'il  a  soif ,  donnez-lui  à  boire. ^'>  Et  tout  cela  est  dit  avec 
un  talent  de  narration  que  n'avaient  pas,  à  ce  deyré,  ce  me 
semble,  ni  Foscnlo,  ni  3Ionti  ;  avec  une  àme  pleine  de  sensibilité 
et  d'amour,  qui  connaît  l'humanité  autant  qu'elle  la  respecte. 

Le  volume  des  cantiche  se  termine  par  un  grand  nom  ,  celui  de 
Dante,  que  les  hommes  qui  n'ont  pas  le  christianisme  de  Rome 
voudraient  nous  enlever  ,  que  la  philosophie  accapare  et  traîne 
sous  ses  enseignes  ,  que  les  petits  esprits  regardent  en  tremblant; 
Dante  ,  qui  mourut  dans  l'exil  en  embrassant  la  croix  ;  le  grand 
homme  de  Florence  ,  qu'une  timidité  ignorante  et  de  mesquines 
considérations  viennent  de  faire  interdire  de  la  Toscane  et  chas- 
ser encore  une  fois  de  son  ingrate  patrie.  Puissent  les  rapports 
qui  m'ont  été  faits  n'être  pas  exacts  I  A  Florence  ,  on  doit  savoir 

'  Peut-être  demande-t-il  mainlenaut  celte  action  ! 

La  vertu  suprême,  c'est  de  pardonner!...  {Aroldo  e  Clara,  p.  4i5  ) 

-  O  ma  fille!  je  te  bénis,  tu  as  agi  saintement  !  {Id,  p.  4 18.) 

^  Sed  si  esucrit  ininiicus  luus,   ciba  illum\  si  sitit,  poiicm  da  ilti, 
Ep.  ad  Bom.,  c\i.  xii,v.  20. 


190  POESIES  INEDITES 

la  langue  d'Aligliieri ,  il  est  vrai  ;  mais  ce  qu'on  ignore  peut-être  , 
c'est  le  moyen-âge,  c'est  la  nature  d'un  génie  de  feu  qui  aime 
la  vertu ,  sa  foi  et  son  pays  au  milieu  des  vices  et  des  persécu- 
tions. Ehl  voudriez-vous  qu'un  esprit  d'homme,  un  coursier  fou- 
gueux, traversât  ,  connue  un  élie  vulgaire  et  insensible  ,  le  cahos 
bouillonnant  de  son  siècle  ?  On  feint  d'ignorer  que  la  divine  co- 
médie est  la  vigoureuse  empreinte  du  moyen-âge ,  une  statue 
moulée  sur  l'original  et  qui  en  porte  en  haut  relief  les  vices  et  les 
vertus ,  la  simplicité  et  les  fureurs  ,  l'allure  indépendante  et  toute 
la  foi.  Genève  et  Londres  ont  senti  cette  conséquence  en  faisant 
l'apothéose  du  poète.  Jeunes  hommes  ,  lisez  la  poésie  de  Dante 
avec  la  candeur  qui  vous  caractérise  ;  partout  vous  trouverez  dans 
les  traces  du  génie  et  du  penseur  celles  de  l'ennemi  de  l'hérésie, 
et  la  foi  du  catholicisme.  Quand  vous  verrez  quelques  monstruo- 
sités entées  sur  le  vers  dantesque,  ne  vous  épouvantez  pas: 
tournez  les  yeux  vers  la  haute  cathédrale  gothique  ;  elle  a  sur  ses 
parois  extérieures  des  sphinx  et  des  griffons  ,  des  animaux  ima- 
ginaires aux  formes  salanlqnes  et  bizarrement  contournées  ;  mais 
n'est-elle  pas  catholique,  et  le  temple  du  Dieu  vivant  est-il  phi- 
losophe? La  croix  domine  les  deux  immortels  monumens,  celui 
qu'on  nomme  église  ,  et  celui  qu'on  appelle  dii'inacomedia. 

Aussi  ,  Silvio  Pellico ,  cette  âme  candide  dont  il  faut  prendre 
au  sérieux  tous  les  vers,  le  prisonnier  poète,  qui  apprenait  par 
cœur  dans  ses  cachots  les  /erze//j  du  poète  exilé  qui  les  inventa, 
Pellico  Ti  a  jamais  compris  ce  qui,  dans  les  œuvres  de  Dante, a 
pu  engager  les  ennemis  de  la  religion  catholique  à  en  faire  un  de 
leurs  corvphées  :  non  ho  mai  capito  ;  et  il  a  chanté  dans  une  de 
ses  cantiche  la  mort  catholique  du  poète  de  Florence.  Dans  l'im- 
possibilité d'entrer  dans  les  détails  de  cette  pièce  empreinte  de 
l'énergie  de  son  héros  ',  voici  seulement  quelques  vers  qui 
doivent  demeurer  dans  les  Annales  : 

Ed  assorto 

We'  pensieri  santissimi  ei  giacea, 

Munito  già  del  Dio  che  aile  fedeli 

Aime  è  quaggiù  ineffabile  alimento. 

'  Un  jeune  homme,  déjà  connu  de  la  plupart  do  nos  lectenrs,  s  occupe 
d'un  travail  sur  Dante.  Nous  pouvons  sans  indiscrétion  leur  dire  qu'il  sera 
igné  de  Deux  chanceliers  d'Angleterre. 


DE  SiLVIO  PELLICO.  lÔl 

Et  encore  : 

Esparve 
Il  foco  onde  suffuse  eran  le  gote, 
E  i  Canchi  pii'i  nol  ressero,  e  la  sacra 
Testa  cercô  dell'  origlier  l'appoggio, 
E  la  palpante  man  tieraula  corse 
Al  crocefisso,  e  lo  porto  aile  labbra  *. 

Je  quitte  à  regret  le  volume  des  cantiche;  car  il  y  a  de  belles 
figures  :  le  vénérable  abbé  de  Slaffarde,  la  douce  Rafaella  Hil- 
degardc,  qui  fut  honorée  des  suffrages  de  Monti  et  de  \orô.  Byron; 
mais  il  me  tarde  de  vous  parler  des  odes  que,  pour  mon  compte , 
je  préfère  à  tout  le  reste.  Non  pas  que  je  veuille  établir  un  pa- 
rallèle entre  le  commencement  et  la  fin  des  Poésies  inédites  ;  mais 
dans  les  odes,  je  suis  plus  près  de  Silvio  ;  je  l'entends,  je  le  vois, 
il  me  touche  et  me  guérit. 

Je  con)mencerai  par  vous  faire  un  reproche,  Monsieur  le  di- 
recteur. En  1 833,  un  de  vos  rédacteurs  disait  2  que  les  premières 
années  du  poète  de  Salluce  s'écoulèrent  paisibles  et  heureuses  , 
et  qu'elles  furent  stériles.  Non,  il  n'en  fut  pas  ainsi ,  vient  nous 
dire  Silvio  Pellico;  elles  se  passèrent  dans  les  pleui's  et  la  tris- 
tesse ;  il  fut  malheureux,  et  cette  souffrance  qu'il  nous  révèle  me 
fait  plaisir,  parce  que  la  paix  dont  vous  me  parliez  attaquait  mes 
persuasions  ;  c'était  une  anomalie  que  je  ne  m'expliquais  que  par 
beaucoup  d'ignorance  ,  ce  que  je  ne  pouvais  trouver  dans  les  ou- 
vrages de  Silvio;  vous  n'en  serez  pas  fâché  vous-même,  j'en 
suis  svir;  nous  savons  tous  que  la  paix  et  le  bonheur  n'habitent 
que  dans  la  foi 5  que  le  doute  est  un  élément  de  destruction  qui 

'  Il  restait  absorbé 
Dans  les  plus  saintes  pensées. 
Déjà  muni  du  Dieu  qui 

Des  âmes  fidèles  est  ici-bas  l'inefiaMe  aliment... 
Le  feu  répandu  sur  les  joues  disparut 
Et  les  flancs  ne  le  rendirent  plus  ;  la  tête  sacrée 

Chercha  l'appui  de  l'oreiller,  la  main  tremblante  s  avança  rapidement 
Vers  le  crucifix  et  le  porta  à  ses  lèvres. 

{La  morte  di  Dante ,  p.  448 ,  453.) 

*  Voir  l'article  sur  les  mie  priggioniy  danS  lé  n"  4 1»  t.  vu,  p.  375. 


19-2  POESIES   INEDITES 

ronge  incessamment  ;  c'est  le  vautour  que  la  Providence  pose  sur 
la  poitrine  de  l'homnie  ,  quand  il  ne  croit  pas.  Son  enfance  elle- 
même  fut  triste  et  maladive  ;  la  mort  mit  la  main  sur  la  tète  de 
Sihio  pour  l'enlever  ,  et  elle  le  laissa  par  mépris.  Quand  il  put 
se  tenir  debout ,  faible  toujours ,  il  ne  jouait  pas  avec  les  joyeux 
enfans  de  son  âge  ;  il  se  retirait  pour  cacher  ses  larmes  ,  et  ceux 
qui  le  voyaient  l'accusaient  de  folie  :  mi  dicean  pazzo.  Il  ne  trou- 
vait de  soulagement  à  ses  douleurs  que  sous  les  voûtes  de  l'église 
de  Saluce  ou  de  Pignerol  , 

, Ov  io 

Riposai  le  mie  iuferme  ossa  crescenti  I 
Là,  nelle  vespertine  ombre,  al  cliiarore 
Délia  lampada  sauta,  io  colla  madré 
Ed  col  fratel  pregava  la  pietosa 
Degli  Angioli  Regina  e  degU  afflitti, 
Ed  in  secreto  a  lei  mi  cordogliava 
De'  malefici  inûussi,  onde  a'  miei  nerbi 
Strazlo  era  dato,  ed  al  mlo  cor  tristezza, 
Ed  aita  io  chiedeale,  ovver  la  tomba  *. 

Plus  lard,  il  reçoit  en  viatique,  au  milieu  de  sa  famille  en 
pleurs  ,  la  sainte  Eucharistie  ,  le  Dieu  qui  vient  à  nous  pour  nous 
consoler  et  nous  accompagner,  lorsque  tous  les  secours  de  la  terre 
sont  inutiles ,  et  que  tout  nous  abandonne  en  présence  de  la  mort  : 

E  quai  fu  Io  splendor  d'un  allro  giorno  ! 
Il  giorno  in  oui  di  se  nutrimmi  Iddio? 
Ah  !  non  in  tempio  di  gran  pompa  adorno 
Trarre  aller  mi  fu  dato  al  festin  pio  : 
Genitori  e  fratei  piangeanmi  intorno, 

' Où  je 

Reposai  mes  membres  infirmes. 

Là,  dans  les  ombres  du  soir,  à  la  clarté 

De  la  lampe  sainte,  avec  ma  mère 

Et  avec  mon  frère,  je  priais  la  compatissante 

Reine  des  Anges  et  des  affligés, 

Et,  en  secret,  je  me  plaignais  à  elle 

Des  malfaisantes  influences  qui  à  mes  nerfs 

Donnaient  la  souflVance  et  à  mon  cœur  la  tristesse, 

Et  je  lui  demandais  du  secours  ,  ou  la  tombe.  (  Le  chicsCy  p.  3o.) 


DK   SILVIO    PKI.LICO.  lOli 

E  vennc  il  Pan  céleste  al  Ictto  mio  ! 
E  l'accolsi  agognando  inclila  sorte 
Dopo  la  sovrastante  ora  di  morte  ..  '. 

Silvio,  déjà  jeune  hoinnie ,  arrive  ù  Lyon  avec  son  cœur  de 
jeune  fille  ;  et  c'est  ici  que  commencent  les  grandes  douleurs  de 
sa  vie  :  un  prêtre  apostat ,  un  Tscariote  de  la  révolution  ,  séduisit 
cette  belle  àme,  ébranla  cette  foi  d'ange  qui  lui  avait  l'ail  dire  à 
Saluce  avec  tant  de  joie  :  —  lo  son  crisliano  !  —  Non  pas  que 
l'enfant  de  Salace  ait  subitement  rejeté'  sa  belle  couronne,  qu'il 
se  soit  attaché  à  la  robe  du  moine  renégat ,  vieux  et  impie  •  non 
pas  qu'il  se  soit  donné  à  sa  philosophie,  corps  et  âme:  mais  il 
respirait  l'atmosphère  du  dix-huitième  siècle,  en  France,  et  il  en 
souffrait.  Quand  il  quitta  sa  mère ,  il  avait  la  paix  de  la  foi  ;  son 
siècle  et  le  Judas  de  Lyon  soufflèrent  l'orage  dans  son  esprit  et 
dans  son  cœur. 

Lunghe  non  far  ira  noi  le  avvicendato 

Confidenze  ed  indagini,  e  m'invase 

Giusto  corruccio,  et  da  celui  mi  sveisi  : 

Ma  le  illudenti  sue  dottrine,  a  guisa 

Di  succhiante  invisibile  vampiro, 

Slavan  su  me,  riedean  cacciate,  e  furmi 

A  tutti  i  giovenili  auni  tormento  -. 
Il  n'était  donc  pas  heureux.  C'est  dans  la  foi ,  dans  la  foi  pro- 
digieuse du  catholicisme,  que  l'âme  boit  la  vie  et  trouve  les  éle- 
mens  du  bonheur.  Par  delà   cette  atmosphère  divine,   il  n'y   a 

*  Egale  fut  la  splendeur  d'un  autre  jour, 

Le  jour  où  Dieu  me  nourrit  de  1  ui-mcme  ! 

Ah!  il  ne  me  fut  ])as  donné  d'aller  dans  le  temple 

Resplendissant  de  ses  pompes,  prendre  part  au  banquet  sacré; 

Les  auteurs  de  mes  jours ,  et  mes  frères  m'environnaient  en  versant 

Et  le  Pain  céleste  vint  à  mon  lit  !  [  des  larmes  • 

Je  le  reçus,  aspirant  avec  ardeur  au  sort  glorieux 

Après  f  heure  suprême  de  la  mort...  {Id.  p.  56) 

Les  conlidences  et  les  questions  réciproques 
rs'e  furent  pas  longues  entre  nous  ;  un  juste  courroux 
S'empara  de  moi,  et  je  m'éloignai  de  lui  ; 
Wais  ses  funestes  doctrines,  semblables 
A  un  vampire  invisible  qui  succe  notre  sang  , 

S'attachaient  à  moi  ;  elles  se  riaient  de  mes  efforts  pour  les  chasser, 
Et  elles  furent  le  tourment  de  toutes  les  années  de  ma  jeunesse.  {Id.) 

Tome  xvii.  —  N»  99.  1838.  1.3 


194  POÉSIES  INEDITES 

qu'une  douloureuse  spirale  qui  mène  d'abîme  en  abîme  jusqu'à 
la  dernière  de  toutes  les  souffrances.  DL-niandez  à  la  jeunesse  pro- 
testante et  non  calbolique  de  nos  jours  ;  l'une  et  l'autx'e  lèvent  les 
mains  vers  la  croix  sous  laquelle  l'intelligence  grandit  et  le  cœur  se 
dilate.  Et  ce  n'est  pas  seulement  rinleliigence  et  le  cœur  des  bom- 
mes  qui  ont  reçu  toute  l'é  iucation  du  siècle  :  je  connais  des  villa- 
geois sans  lettres  que  la  fidélité  à  la  religion  a  élevés  à  une  hau- 
teur vraiment  extraordinaire.  Il  y  a  cbez  eux  une  force  d'âme 
qui  étonne  ;  leur  esprit  voit  loin  ,  et  leur  cœur  élevé  à  l'école  du 
Christ  sait  mieux  ce  que  c'est  que  la  vie  et  ses  sacrifices  que  les 
hauts  personnages  qui  la  prennent  en  dédain.  Or  c'est  l'Evangile 
et  la  Foi  cjui  pi-oduisent  ces  merveilles.  Otez-les  du  milieu  d'eux, 
ils  seront,  comme  leurs  voisins  qui  se  multiplient,  présomptueux, 
égoïstes,  intolérans  ,  disposés  à  étendre  leurs  mains  avides  vers 
la  propriété  étrangère,  ils  seront  cruels  et  dévorés  par  leurs 
passions  auxquelles  ils  sacrifient  franchement  et  sans  remords  ; 
ils  seront  Vhomme  animal  dans  toute  l'étendue  de  sa  signification. 

Non,  Silvio  n'était  pas  heureux  ,  et  il  no  pouvait  pas  l'être  , 
parce  que  la  foi  nous  est  donnée  autant  pour  l'aire  la  paix  en  nous 
que  pour  nous  apprendre  notre  faiblesse  et  la  grandeur  de  Dieu. 
La  pensée ,  quand  elle  n'est  pas  ancrée  dans  le  Ciel  d'où  elle 
comprend  les  choses  d'ici-bas,  la  pensée,  c'est  la  folle  du  logis 
qui  Irouble  la  paix  que  Dieu  avait  faite  en  nous.  La  foi  étant  ce 
qui  nous  rapproche  le  plus  de  Dieu,  noire  centre  à  tous,  elle  est 
la  condition  essentielle  du  bonbeur,  V/ogha  de  la  philosophie 
indienne,  lequel  délivre  l'âme  des  angoisses,  de  l'isolement  et 
des  travaux  de  la  vie.  David  sentait  profondément  ce  qu'il  disait, 
en  s'écriant  :  —  «  Auprès  de  vous ,  Seigneur,  est  la  fontaine  de 
»  vie  ,  et  c'est  dans  votre  lumière  que  nous  verrons  la  lumière*». 

Je  voudrais  maintenant  pouvoir  vous  citer  toute  l'admirable 
prière  que  Silvio  adresse  à  Dieu  : 


Et  anima  mea  illi  Tirit. 
Ps.    XXI. 


D'uopo  ho  d'amarti,  etd'uopo  ho  che  tu  m'ami, 
O  tu  che  per  aniar  mi  desti  un  cuore  ! 
Son  mal  ferrai  quaggiù  tutti  i  legami. 
Tu  sei  solo  immutabile,  o  Signore!... 
Amar  vogl'io,  di  qiïeU'  araor  che  avvanjpa 

^  Âiuiil  i'-  fous  \'ii(t\  et  in  luminr  lu  >  vidclnmiK  lumrit  VyA\.  xxwi,  lo) 


DE  SILVIO  PELLICO.  195 

In  te,  e  no'  tuoi  più  nobili  vienfi, 

Di  queir  anior  che  ila'  rei  lacci  scampa, 

Di  qucir  amor  che  regge  infra  i  tornienti, 

Di  queir  amor  clic  alT  universo  è  lampa 

Nella  chicsa  infallil)il  de'  rodenti, 

Di  queir  amor  si  pio,  si  ver,  si  forte , 

Cho  abbella  eviia,  e  gioie,  csirazi,  e  morte  '  ! 

Il  ne  faut  donc  pas  ilire  que  les  premières  années  de  la  vie  Je 
Silvio  furent  stc'riles -^  la  (rislesse  et  les  dcchiremens  de  son  âme 
sont  une  grande  leçon  que  les  individus  donnent  d'abord  ,  et  que 
les  sociétés  répètent  ensuite  :  ce  sont  les  signes  précurseurs  de  l'a- 
vénement  de  Jésus-Christ. 

Gardons-nous  pourtant  de  croire  qu'avant  les  douleurs  de  ses 
Prisons,  il  fut  un  de  ces  philosophes  qui  renversent  la  croix  et  se 
liguent  pour  déchirer  l'humanité;  on  a  confondu  trop  souvent  le 
poète  de  Saluce  avec  ces  larrons  qui  vaillent  sur  les  avenues  des 
capitales  et  de  Rome  surtout,  pour  fondre,  comme  un  vautour, 
sur  le  chef  de  la  religion  et  les  couronnes  terrestres.  Silvio  mau- 
dit et  a  maudi  toujours  ces  carbonari  dans  les  loges  desquels  on  a 
souvent  placé  sa  belle  âme.  Il  a  toujours  aimé  la  Croix ,  la  religion 
et  ses  cérémonies  ;  il  a  toujours  vénéré  les  esprits  religieux  ;  il 
revenait  sans  cesse  s'agenouiller  au  pied  de  l'autel  ;  et  il  s'y  rap- 
pelait son  ancienne  ferveur,  la  paix  de  son  âme  et  les  conseils 
maternels*  et  il  [ileurait ,  et  il  priait: 

Sempre  la  croce  occultamente  amai 

Ed  il  maggior  mio  gaudio  era  allorquando 

In  una  chiesa  io  stava 

•  J'ai  besoin  de  t'aimer  et  j'ai  besoin  que  tu  m'aimes, 
O  toi  qui  pour  aimer  me  donnas  un  cœur  ! 
Tous  les  liens  sont  mal  fermes  ici-bas, 
Toi  seul  es  immuable,  ô  Seigneur! 

Je  veux  aimer  de  cet  amour  qui  brûle 

En  toi,  et  dans  les  plus  nobles  créatures, 

De  cet  amour  qui  délivre  des  liens  coupables, 

De  cet  amour  qui  soutient  dans  les  tourmens. 

De  cet  amour  qui  de  l'univers  est  le  flambeau, 

D.ins  l'Église  infaillible  des  rachetés, 

Cet  amour,  si  saint,  si  vrai,  si  puissant. 

Qui  embellitel  la  vicetlainip.ptlasouffr.'ince  et  la  nw\'\.{ADio.  p. 7,9.) 


196  POÉSIES  I]\EDITHS 

lo  dentio  al  corportava  TEvangelo, 

îsè  bestemmie  contresso  unqr.a  avvcntai  *. 
Lisez  toute  la  pièce  intitulée  :  La  Croix  -;  entendez  tout  ce  qui 
retentissait  au  fond  du  rœur  de  Silvio  ;  voyez-le  rejetant  les 
livres  impies ,  fuyant  les  sociétés  irréligieuses  et  allant  chercher 
un  asile  sous  les  arches  grandioses  de  la  vieille  basilique  de  Lyon  ; 
vovez-le  ,  les  deux  genoux  en  terre  ,  sur  la  place  publique ,  au 
moment  où  les  églises,  rendues  au  culte,  versaient  pour  la  pre- 
mière fois  dans  les  rues  de  la  ville  les  flots  des  fidèles  dans  de 
longues  processions  : 

Stava  fra  i  mille 

Cola  prostrato  un  giovine  infelicc, 

Ch'empio  non  era  stalo ^ 

Voyez-le  monter  l'escalier  du  dôme  de  Milan  ,  incliner  sa  tête 
devant  la  Vierge,  puis  descendre  dans  la  chapelle  de  Saint- 
Charles,  et  prier  son  ame  bienheur-euse.  Est-ce  ainsi  que  l'on  est 
impie?  Les  fumées  du  doute,  l'orgueil  delà  jeunesse,  les  faits  de 
l'époque  ,  le  bruit  qui  retentissait  dans  le  monde  et  ces  vapeurs 
infernales  qui  tuaient  les  esprits,  atteignirent  S,  Pellico  ;  lui 
nuage  monta  devant  ses  yeux,  comme  devant  ceux  de  la  plupart 
de  nos  pères;  il  se  sentait  poussé,  entraîné  sur  la  pente  où  glissè- 
rent et  se  perdirent  tant  d'hommes^  mais  il  ne  tomba  pas  dans 
le  gouffre,  il  cria  sur  le  bord,  et  s'y  attacha  en  appelant  le  Dieu 
de  sa  mère  ;  il  souffrait  du  siècle,  mais  le  siècle  ne  put  l'asphyxier. 
Quand  les  serres  impériales  l'emportèrent  sur  un  rocher  de  la 
Moravie,  elles  l'ôtèrent  du  milieu  de  l'atmosphère  ténébreuse, 
bruyante  et  empestée;  et,  rendu  à  lui-même,  malgré  les  dou- 
leurs il  vit  la  lumière  dans  toute  sa  pureté,  et  la  paix  entra  dans 
son  cœur,  et  il  vécut. 

»  Toujours  j'aimai  en  secret  la  croix, 
Et  ma  plus  grande  joie  était  alors  que 
Je  me  trouvais  clans  une  église.  .  .  . 
Je  portais  dans  mon  cœur  l'Evangile, 

Et  jamais  je  ne  proférai  contre  lui  de  l)laspIièmes,(Z;fl  Croce,  p.  3o.) 
2  INous  lavons  déjà  publiée  en  italien  et  en  fran«;ais  dans  notre  n"  -p, 
tcm.  XIII,  p.  62. 

'"  Là,  au  milieu  de  la  foule, 

Se  tenait  prosterné  un  malheureux  jeune  liouimc 

Qui  n'avait  ji-mais  été  impie.  {Le  proccssioin  ,  p.  di  ) 


DE  SILVIO  PELLICO.  197 

Dans  les  Poésies  inédites  ,  on  voii  surgir  de  tenis  en  temsun 
autre  poète  qui  fut  comme  Silvio ,  et  plus  que  lui,  enveloppé 
dans  les  liens  puissans  de  son  siècle.  Il  avait  l'àme  fière  comme 
son  épèe.  Foscolo,  lui,  ne  fut  |  as  ôlè  du  milieu  de  la  puissance 
philosophique  et  anti-relij^ieuse  ,  il  demeura  non-seulement  sous 
l'influence  dont  il  était  victime,  mais  il  se  jeta  tout  meurtri  entre 
les  bras  des  prolestans  anglais  ,  dont  les  doctrines  achevèrent  de 
le  tuer.  Il  y  aurait  ici  de  profondes  réflexions  à  inscrire  pour 
l'apologie  des  doctrines  religieuses  ;  mais  nous  ne  ferons  qu'une 
seule  question  :  —  Lequel  est  le  plus  courageux  de  Jacopo  Ortis 
qui  se  suicide  sous  le  toit  de  l'hospitalité,  ou  du  prisonnier  du 
Spielberg ,  qui  triomphe  des  maux  et  vil  dans  les  cachots  en  bé- 
nissant l'humanité  ?  Le  héros  n'est  pas  du  côté  de  la  philosophie  ; 
l'un  n'est  plus,  l'autre  existe  encore  faisant  le  bien  et  le  chan- 
tant sur  la  lyre  divine,  que  Dieu  lui  a  conservée  par  les  douLurs, 
comme  il  le  dit  lui-même  : 

Facedi  poesia!  senza  iinachiesa, 
]No,  non  saresti  in  me  rimasta  accesa  M 

Foscolo,  comme  l'ami  qui  le  pleure  et  prie  pour  lui ,  Foscolo, 

tout  philosophe  qu'il  était  dans  ses  livres  et  ses  discours  publics  , 
gardait  au  fond  de  son  cœur  une  pensée  secrète  qui  jaillissait  par- 
fois dans  les  confidences  de  l'amiiié,  et  celte  pensée  était  reli- 
gieuse Nous  la  recueillons  ;  les  Annales  doivent  la  mettre  à  côté 
de  celle  de  J.  J.  Piousseau ,  répondant  :  «  Tant  pis  »  à  ce  père 
qui  se  vantait  d'avoir  imité  Emile;  —  à  côté  de  celle  de  lord 
Byron  ,  faisant  élever  sa  fille  dans  la  religion  catholique;  —  à  côté 
de  tous  les  aveux  spontanés  des  philosophes  qui  nous  disent  ainsi 
que  leurs  persuasions  sont  factices  et  leur  tranquillité  mensongère. 
Un  jour  Sdvio  se  promenait  au  bois  avec  Borsieri  ;  Foscolo, 
qui  en  avait  cherché  la  solitude  pour  faire  une  lecture,  les  aperçut 
et  courut  à  eux  en  criant  :  —  «  Yoici  le  livre  des  vériiés  éiei- 
nelles  I  »  _  C'était  V Évangile!  —  »  Bùse-lel  continua  Foscolo, 
il  contient  les  enseignemens  d'un  Dieu!  -  »  Aussi  admiiail-il 
franchement  le  bel  ensemble  de  la  religion,  l'antique  siège  de 
saint  Pierre,  les  saints  qui  ont  brillé  parmi  les  hommes,  Manzoni, 

'  Flambeau  de  poésie  !  sans  une  église, 
Non,  ta  ne  serais  point  resté  allumé  en  moi. 

-  Poésie  inédite,  p.  i53. 


198  POÉSIES  INÉDITES 

qui  les  regardait  comme  tles  modèles,  Manzoni  dont   il  prenait 
la  tendre  piélé  sous  sa  nrotcciion  rentre  les  sarcasmes  de  l'impie. 
Une  autre  fois,  Foscolo  disait  à  Giovio,  son  vénérable  ami  :  — 
«  Et  inoi  aussi  j'ai  goûté  des  jours  heureux  sur  la  terie  ,  lorsque 
»  mon   âme  encore  brûlante  d'amour  voyait  ce  Dieu  qui  brille 
»  à  tes  jeux.  »  Et  il  soupirait  tristement ,  et  il  ajoutait  avec  une 
douleur  profonde  :  «  Je  n'ose  espérer  d'atteindre  jamais  le  rivage 
»  de  cet  iaimense  Océan  ;  niais  ce  qu'il  y  a  de  certain  ,  c'est  que 
»  je  n'ai  plus  de  repos,  depuis  que  le  doute  m'a  fait  violence.  Je 
»  désire  avoir  un  jour  la  tranquille  certitude  dont  tu  jouis  ; 
>'  j'honore  et  j'aime   le   mystère   de   la  croix.  »   Plusieurs  fois 
S.  Pellico  le  vit  en  secret  gémir  ;  ses  larmes  coulaient  au  souve- 
nir de  ses  années  chrétiennes  :  «  Je  suis  frappé,  s'écria-t-il ,  par 
»  un  Dieu  terrible  que  je  ne  voudrais  pas  offenser  cl  que  j'offense 
»  cerlainemeni  !  »  —  Il  reconnaissait  dans  la  Bible  des  traces  di- 
vines et  avouait  que  dans  ses  heures  de  tristesse  il  n'y  avait  que 
ce  grand  livre  qui  pût  consoler  son  cœur  ,  et  il  le  baisait.  Un  jeune 
homme  venait-il,  les  lettres  de  Jacopo  Orlis  à  la  main  ,  lui  conter 
ses  folles  amours  et  lui  demander  le  poignard  de  Werther:  — 
"  tu  es  un  lâche,  lui  disait-il,  va,  reprends  courage  sous  le  fardeau 
»  de  la  douleur;   tu  dois  vivre.  »  Foscolo  avait  le  sentiment  de 
l'immortalité  :  — No,  quest' aima  forte ,  disait-il,  Mai  non  potrà 
vil  posto  esser  di  morte!  Il  faut  lire  tout  ce  que  Sdvio  PelUco  nous 
a  laissé  sur  son  malheureux  ami  ;  ce  sont,  à  mon  sens  ,  de  pré- 
cieux documens^    car  quoi  de   plus  énergique  pour  nos   petits 
philosophes  que  des  paroh  s,  des  larmes  des  faits  émanant  d'un 
de  leurs  mahris,  d'un  homme  qu'ils  prônent   et   portent  aux 
cieux  I  Ils  ne  savent  pas  quM  aimait  la  croix,  l'Evangile,  la  bible, 
les  saints,  les  éghses,  la  prière  du  soir,  les  vêpres  de  la  Vierge,  et 
qu'il  y  pleurait. 

E  r  aniato  mio  Foscolo  infelice, 
Sebben  lui  fede  ancor  non  consolasse, 
Talor  volea  con  iiinile  ccrvice 
Mescersi  alf  aime  per  cordoglio  lasse, 
Che  la  bel  la  de'  cieli  f  mperadi  ice 
Imploravan  chc  a  lor  grazia  impetrasse; 
E  quando  al  tempio  a  sera  ei  lui  seguiva, 
Indi  commosso  e  [)ensieiOso  usciva. 
Oh  quante  volte  iiisiein  quella  scalea 
Ascendemmo  del  duomo  ÏDCsservati  ! 


1 

i 


DE   SfLVIO    PELLTCO.  199 

Quante  volte  inquogli  archi  ei  mi  trai-a, 
E  là  susurravam  detti  pacati 
Sul  benelicio  d'ogni  eccelsa  idca, 
Sui  vantag'i  dcU'  are  ail' nom  recati, 
Sulla  GlosoCa  maravigliosa 
Che  délia  Chiesa  in  ogui  rito  è  ascosa  •• 

Les  Annales  ont  donné  quelque  part  la  profession  de  foi  du 
grand  physicien  Alexandre  Volta  ^.  Je  voudrais  qu'd  me  fût 
possible  de  vous  la  transcrire  ici  telle  que  Silvio  Pellico  la  re- 
cueillit des  lèvres  de  cet  homme  illustre,  qui  ne  craignait  pas  son 
siècle  ni  ses  sarcasmes ,  qui  s'huuàli.iil  dans  la  foule  et  adorait  la 
croix  ,  sa  seule  espérance,  qui  lisait  dans  l'Evangile  comme  dans 
le  grand  livre  de  la  création,  et  qui  disait  au  jeune  Silvio  :  «  Ose 
»  résister  aux  audaiieux  qui  dans  l'orgueil  de  leur  réputation 
»  croient  la  religion  chose  vile!  En  vain  se  parent-ils  des  dehors 
»  de  la  science  ,  d'une  scieuce  qu'ils  croient  plus  grande  (pe  les 
"  lumières  des  autels  ;  et  moi  aussi,  j'ai  étudié;  je  les  ai  suivis 
»  pas  à  pas  dans  leurs  excursions....;  »  mais  il  faudrait  copier 
tous  les  beaux  terzelti  que  lui  consacre  S.  Pellico  ;  il  est  tems  de 
nous  arrêter.  Cependant  pour  qu'on  ne  nous  accuse  pas  de  n'a- 
voir donné  que  de  la  phdosophie  en  annonçant  des  poésies  iné- 
dites, voici  un  acte  de  foi  du  prisonnier  après  avoir  reçu  la  com- 

*  Et  mon  cher  et  infortuné  Foscolo  , 

Quoique  la  foi  ne  l'eût  pas  encore  consolé, 

Quelquefois  voulait,  avec  un  front  humilié. 

Se  mêler  aux  âmes  accablées  par  la  douleur, 

Qui  imploraient  la  belle  souveraine  des  cieux 

Pour  qu'elle  intercédât  en  leur  faveur; 

Et  quand  au  temple  le  soir  il  me  suivait. 

Il  en  sortait  ému  et  pensif. 

Oh  !  que  de  fois  ensemble  ces  marches 

Du  dôme  nous  montâtues  inaperçus? 

Que  de  fois  il  m  entraîna  sous  ces  voûtes, 

Et  là,  nous  murmurions  calmes  paroles 

Sur  le  bienfait  de  toute  idée  élevée, 

Sur  les  avantages  de  l'autel  accordés  à  l'homme. 

Sur  la  merveilleuse  philosophie 

Qui  dans  chaque  rite  de  l'Église  est  cachée  !  (  Le  Chiese,  p.  4i) 

'  Voir  le  n"  76,  t.  xiii,  p.  Soy. 


200  POESIES    INÉDITES   DE   Sir.VIO   TELUCO. 

inunion  ;  je  ne  vous  le  traduirai  pas  ;  t'est  quelque  cliose  de  trop 

simple  et  de  trop  beau  tout  à  la  fois. 

Anio,  G  sevra  il  cor  mio  palpitô  il  core 
Del  inio  Diletlo,  ed  era  —  ali  !  la  treruanle 
Liiigua  osa  diilo  appena  —  era  il  Signorel 

Il  Signer  chedi  gloria  sfavillante 
Régna  ne'  cieli,  e  sua  delizia  è  pure 
Il  picciol  uenie  in  questa  valle  errante  ! 

Ed  attonite  il  mirano  le  pure 
Intelligenze  scendere  ammantato 
A  questo  erede  di  colpe  e  sciagure, 

Ed  il  povero  verme  lacerato 
Sanar  colle  sue  mani,  e  a  tutti  i  niondi 
Ridir  sua  gioia,  se  da  taie  è  amato. 

le  le  vidi  pcr  baratri  prefondi 
JMovermi  inconlro,  c  gridar  dolcemente  : 
«  Perché  cotante  al  mie  desïe  t'ascondi  ?  » 

E  più  e  più  appressaMisi,  c  rideute 
Più  e  più  del  suo  vise  era  il  fulgere 
E  n'arsi  ed  arcleronne  eternamente. 

Anm,  e  sevra  il  cor  raie  palpito  il  core 
Del  mie  Dilette,  ed  era  —  ah  si  !  il  proclamo 
Air  universe  in  faccia  —  era  il  Signore! 
le  le  vidi,  il  cenobbi,  ei  m'ama,  io  l'ame*  ! 

Rossignol. 
'  J'aime,  et  sur  mon  cœnr  a  palpité  le  cœur 
De  mon  Bien-Aimé,  et  c'était —  ah  1  la  langue 
Tremblante  ose  le  dire  à  peine  ■ — c  était  le  Seigneur  ! 
Le  Seigneur  resplendissant  de  gloire, 
Qui  régne  dans  les  cieiix,  et  cependant  fait  la  félicité 
De  !  homme  chélif  errant  dans  celte  vallée  de  nusère  ! 
Et  renq'ilies  d'éîonncmcut  les  pures 
Intelligences  le  centempient  descendre  voHé 
Vers  cet  héritier  du  péché  et  du  malheur. 
Et  vers  ce  pauvre  vermisseau  déchiré, 
Poui-  le  guérir  de  ses  mains;  et  vers  tous  les  mondes 
Pour  rendre  la  joie,  il  se  donne  avec  son  ameiu". 
Je  le  vis  dans  les  goullVes  ])rofonds. 
Venir  vers  moi ,  en  s'ecriant  dune  voix  douce  : 
«  Pourquoi  te  cacher  ainsi  à  mon  désir?  » 
Et  plus  il  s'approchait,  jtlns  riante 
De  son  visage  était  la  splendeur; 
J'en  hri'dai  et  j'en  brûlerai  éternellement. 
J'aime,  et  sur  mon  cœur  a  jialpité  le  cœur 
De  mon  Bien-Aimé,  et  c  était' —  ah!  oui,  je  le  proclanie 
A  la  face  de  l'univers  —  c  était  le  Seigneur! 
Je  le  vis,  je  le  connus,  il  m'aima,  je  l'aime  !  [Dioamore,  p.  lo.  ) 


GLOSSAIRE  LITURGIQUE.  201 


**.\\v^w^  vvi^'^^^\^\\*vv*w^\v^vx^ \\^ v\,%v\^'\'*  \\lVv^\^^v^A^%f^*^A,^^^^AlV^ vv>\\^\\xx\*  w\>vv\\\\V'V\'V\% 


'2{vc\]cûiù^\c  Cljrftifiinc  *. 


GLOSSAIRE   LITURGIQUE 

DES  ÉGLISES  GRECQUE  ET  LATINE. 

Ctitatrihuf  ^Hriicle'. 


IDIOMÈLEvS  (les),  nom  donné  aux  cantiques  propres  ou  parti- 
culiers à  une  fêle,  de  totov  et  de  'J-r)-^^-  On  en  allrihue  chez  les 
Grecs  l'invention  à  un  archevêque  de  Candie,  nommé  com- 
munément André  de  Crète  ou  le  Jérosolymitain  ^  parce  qu'il  se 
relira  dans  un  couvent  de  Jérusalem,  où  il  a  composé  plusieurs 
ouvrages  vers  le  8*^  siècle  ^. 

INIîICTlO  ,  indiction,  terme  de  chronolofjie  ecclésiastique,  em- 
prunté par  l'Eglise  aux  usages  romains.  \oir  ce  mot  dans  le  Dic- 
tion, de  Diplomalique  que  nous  publions. 

IASTRL3ÎENTA  CHRISTI  ou  Fesiuin  instrinnentorum  Christi ; 
c'est  ainsi  qu'on  désigne  dans  les  anciennes  liturgies  la  fête  de  l'in- 
vention ou  conunéuioraticn  des  divers  instrun^.ens  de  la  passion, 
tels  que  la  croix  ,  la  sainte  couronne  d'épines,  les  doux,  etc.' 

L'Eglise  n'a  conservé  de  ces  solennités  que  celles  de  Vini>ention 
de  la  sainte  croix  et  de  la  couronne  d'épines  parce  cjue  depuis  long- 
teins  elle  ne  regarde  que  ces  deux  objets  conur.e  aulhcnlique- 
ment  reconnus;  les  autres  sont  laissés  à  la  pieté  des  fidèles.  Nous 
nous  étonnons  que  l'historien  de  la  Ste-Cliapelle,  Morand,  ait 
publié  dans  son  ouvrage  un   inventaire  de  reliques  qui  ne  peu- 

'  Vo'r  le  3'  article,  K»  gi,  tome  .\vi,  p.  ag 

-  Combcfis,  edil.  Andreœ  crelcis.  —  Allatius  ,  in  Dissertât.  î^in  lib- 
Liturg.  grcec.  dit:  idionielon  seu  prosomion,  est  canticum  vagum... 

'  ^  oir  au  sujet  de  ces  fêtes  et  des  choses  pieuses  qui  en  sont  l'objet  le 
Traite  des  fêtes  mobiles,  toni.  i,  p.  488. 


202  GLOSSAIRE   LITURGIQUE, 

vent  que  prêter  au  ridicule,  en  donnant  à  croire  aux  esprits 
prévenus  que  l'Eglise  reçoit  comme  de  vraies  reliques,  certains 
objets  que  la  crédulité  a  pu  seule  faire  recueillii.  Encore  une 
fois  l'Eglise  ne  reconnaît  comme  authentiques  ,  que  les  reliqui  s 
dont  elle  a  consacré  les  fêtes,  et  nous  ne  voyons  de  ce  nombre  que 
la  croix  et  la  sainte  couronne  d'épines  ,  tout  le  reste  elle  l'aban- 
donne aux  idées  des  particuliers. 


JEUDI  I\  ALBIS  ,  ou  le  Jeudi  blanc,  le  grand  Jeudi  ou  enfin 
le  Jeudi  saint,  nommé  ainsi  à  cause  des  pains  blancs  qui  se  distri- 
buaient aux  pauvres ,  dans  tous  les  couvens,  les  communautés  , 
les  chapitres  de  ihinoines  ,  li  s  maisons  é[>iscopales,  et  générale- 
ment partout  où  le  christianisme  avait  établi 'des  maisons  régu- 
lières. Nous  ne  saurions  passer  sous  silence  les  aumônes  abon- 
dantes et  presque  quotidiennes  qui  sortaient  de  ces  asiles  de  la 
retraite  pour  soulager  la  misère  des  peuples.  Là  tout  était  ou- 
blié :  le  monde  et  ses  joies  fausses,  les  honneurs  et  l'ambition  , 
tout  ,  excepté  la  charité. 


KALE\D.E  ou  DIES  KALEXDARLM,  le  Jour  des  Calendes. 
C'est  ainsi  que  les  Romains  nommaient  le  premier  jour  du  mois. 
Ce  mot  vient  du  latin  calarc  ',  parce  que  le  jour  des  calendes  le 
pontife  publiait  à  haute  voix  le  jour  de  la  nouvelle  lune  et  aussi 
des  fêles  qui  devaient  être  observées  dans  le  courant  du  mois*. 
On  peut  encore  le  tirer  du  mot  grec  /.otHoi  appeler,  lequel  est  venu 
probablement  lui-même  de  l'hébreu  SlH  koul,  voix  ,  d'où  l'arabe 
/iâ/a,  parler, 

La  vulgate  se  sert  quelquefois  du  mot  calendes  pour  désigner 
le  premier  jour  du  mois  judaique.  Mais  ce  terme  n'était  pas  usité 
chez  les  Hébreux.  Ils  appelaient  le  i*"'  de  leur  mois  ï?in  liedxch  , 
c'est-à-dire  renout'ellement  ;  ce  que  les  Grecs  ont  aussi  appelé 
vouijLEvia  ,  nouveau  mois. 

Les  premiers   chrétiens  conservèrent  la  manière  de  compter 

*  Voir  le  Z>/c.  latin  de  Robert  Etienne  ,  au  mot  Kalendœ. 

*  Macrobe,  L.  I.  ch.  i5  et  i6. 


LECTIONARIUM   EPISTOLARUM.  203 

des  Romains  ;  seulement  ils  substituèrent  les  lettres  nommées 
depuis  (foininicaies  au\  \cUves  niindinalcs '^ .  Nous  avons  déjà  dit 
qu'à  la  chancellerie  romaine,  les  bulles  sont  toujours  datées  par 
les  Kalendes,  au  lieu  que  pour  les  brefs,  on  se  sert  de  la  sup- 
putation usitée  dans  le  civil  2. 

KALEXDARUM  FESTUM.  On  donnait  ce  nom  à  1'.  spèce 
d'orgie  qui  fut  si  long-tems  en  vogue  au  moven-àge, plus  connue 
sous  le  nom  àefëte  des  fous  ou  faluorum  '. 


L.WATORILM,  lavatoire.  C'était  une  pierre  longue  de  7  à  8 
pieds  ,  creuse  environ  de  6  à  7  pouces  de  profondeur,  avec  un 
oreillir  de  pierre  d'une  même  pièce  que  l'auge,  et  percée  d'un 
trou  du  côlé  des  pieds.  Elle  servait  à  laver  les  corps  morts  dans 
quelques  couvents  et  dans  quelques  cathédrales,  à  Cluny  ,  à 
Lyon  ,  à  Rouen  ,  aux  Chartreux  ,  à  Giteaux  ,  dans  les  diocèses  de 
Rayonne  et  d'Avranches  '*. 

LECTÏOMARILM  EPISTOLARUM  3,  ou  le  Ihire  des  épitres 
qui  se  lit  avant  l'évangile,  et  même  les  leçons  des  prophètes  ,  etc. 

*  On  nommait  chez  les  Romains  iiundinœ  les  lieux  où  se  rassemblait  le 
peuple  pour  les  jours  de  marchés,  et  les  jours  de  marchés  étaient,  comme 
on  sait,  indiqués  par  des  tableaux  dont  les  lettres  ou  signes  se  nommaient 
pour  cette  raison  lillerœ  nundinales .  Les  chrétiens  ne  pouvant  tout 
changer  à  la  fois  et  cherchant  à  utiliser  des  désignations  établies ,  se  les 
approprièrent  enn  y  faisant  souvent  que  quelques  changemens  conformes 
à  leurs  usages.  Voir  aussi  \ Histoire  du  calendrier,  par  Court  de  Ge- 
belio,  —  et  Scaliger  de  emendatione  temporum. 

*  Voir  l'article  Bulle,  dans  le  N"  97,  ci-dessus  p.  3i. 
"  Voir  ce   mot  dans  les  Annales,  lom.  xvi    p.  54- 

■*  On  peut  voir  un  lavalorium  gravé  dans  les  Voyages  liturgiques  du 
sieur  de  Moléon,  p.  146,  i  vol.  in-t»". 

^  Comme  monument  calligraphique,  l'on  cite  le  leciionariutn  qui  existe 
à  la  bibliothèque  de  Cologne,  dont  l'écriture  est  du  x"  siècle.  On  le  doit 
aux  soins  de  1  évéque  Evcrgerius,  qui  vivait  entre  9^5  et  997.  Voir  ce 
qu  en  dit  Gercken  ^  t.  ni,  p.  3 10,  et  Jansen.  ii,  20.  Les  lettres  du  ma- 
nuscrit sont  majuscules  ,  vertes  et  rouges  alternativement.  Jansen  , 
loc.  cit. 


204  GLOSSAIRE   LITURGIQUE. 

L'usage  de  celte  lecture  remonte  aux  tems  apostoliques  ;  ces 
livres  étaient  spécialement  deslinés  aux  diacres,  sous-diaoros  et 
lecteurs.  Il  y  avait  une  sacristie  tout  exprès  pour  leur  conserva- 
tion. Hic  poterit  residens  sacris  intendere  libris,  dit  S  t. -Paulin 
dans  sa.  lettre  à  Sévère.  St.  Ambroise,dans  sa  lettre  4''  fait  mention 
d'un  lectionnaire  de  l'évangile ,  qui  était  enfermé  dans  une 
chasse  ornée  d'or  ^. 

LETAIVI.^  ou  LITAXI/E5  souvent  confondues  avec  les  ro- 
gations par  beaucoup  d'auteurs,  parce  qu'où  clianle  les  litanies 
aux  processions  de  celte  fêle.  Pour  distinguer  les  lilanies  du 
jour  de  Saint-Marc,  qui  tombe  le  aS  avril ,  des  lilanies  des  roga- 
tionSj  on  a  nommé  les  premières  lilaniœ  majores  ou  litaniœ  roma- 
7iff,  parce  qu'elles  ont  été  instituées  à  Rome  par  saint  Grégoire  le 
Grand  ;  les  secondes  lilaniœ  gallicanœ ,  parce  qu'elles  ont  été  in- 
sliluées  en  France  par  saint  Mamert,  évèque  de  Vienne  en  Dau- 
pliiné,  d'où  elles  ont  passé  dans  les  autres  églises  de  France, 
avant  d'être  reçues  dans  les  pays  étrangers  et  surtout  dans  l'église 
de  Rome. 

LETTRES  DOIIIMCALES.  C'est  la  lettre  écrite  en  encre 
rouge  qui,  sur  les  anciens  abnanachs  ou  calendriers,  indique  le 
dimanche.  Ces  lettres  doivent  leur  origine  à  celles  dont  se  ser- 
vaient les  Romains  et  qu'ils  nommaient  les  nundinales  ou  des 
jours  de  marchés  {locus  mercali).  C'S  lettres  romaines  furent  in- 
troduites dans  le  calendrier  chrétien  des  les  premieis  siècles.  C'est 
le  classement    et  l'ordre   de    ces  lettres  qui  forment  la  durée  du 

cvcle  ."^olaire. 

•/ 

Bede  nomme  la  réunion  et  combinaison  de  ces  lettres  latercu- 
liiin  septizonii...  ^ 

LETTRES  FORMÉES.  Les  auteurs  ecclésiastiques  sont  fort  par- 
tagés sur  l'origine  et  l'auteur  de  ces  kMtres.  Quelques-uns  ^  pré- 
tendent que  le  concile  de  Nicée  a  fait  un  décret  par  lequel  il 
détermina  la  manière  certaine  et  mii'orme  de  dresser  les  lettres 

*  LUurg.  sacrée  de  Bocquillot,  in-8",  209. 

-  Vid.  Canones  isago^icos  Scaligeri,  p.  18  r. 

'  Cujacius ,  Savaro ,  Priorius  in  LiUer.  Canon  ,  Labbe,  Schotlus,  elc. 


LUCKKJNAUIUM.  205 

de  ce  nom  *.  C'était  une  sorte  de  lettres  myslérieuses  en  usage 
parmi  les  chrétiens  pour  se  reconnaître  au  milieu  des  hére'tiques, 
et  suitout  pendant  les  tenis  de  persécution.  Saint  Basile  eu 
parle  comme  d'un  usage  déjà  ancien  ^.  Celles  qu'on  attribue  à 
saint  Aiticus  ,  évèque  de  Constantinoplc  en  4o4  ,  diffèrent  de 
celles  dont  parle  saint  Basile.  Quelques  auteurs  ecclésiastiques 
suspectent  l'authenticité  de  ces  pièces  5. 

LIBELLI.  Voir  Tabidœ  votwœ. 

LICELLUM  PEiXITliNTIyE.  On  trouve  cette  expression  citée 
plusieurs  fois  dans  la  Vie  des  Papes  et  entr'aulres  dans  celles  de 
Félix  II, de  S.  Gélase  etd'Iîormisdas,du  catalogue  du  pape  Libère. 
Ducange,  qui  la  cite,  ne  l'explique  pas.  D'après  quelques  annota- 
teurs on  voit  que  c'était  un  billet  que  donnaient  ou  recevaient 
ceux  qui  avaient  apostasie  dans  la  persécution  et  que  l'on  nom- 
mait lapsi  •  la  présentation  de  cet  écrit  était  exiyée  pour  obte- 
nir leur  réconciliation  avec  l'Eglise. 

LIMÎNA  MARTYRIS  ou  aiAUTYRUM  ,  nom  donne  à  quelques 
églises  et  surtout  à  celles  qui  étaient  consacrées  sous  le  vocable 
de  quelques  martyrs.  Divers  auteurs  ecclésiastique  donnent  ce 
nom  n  des  églises  dédiées  à  saint  Etienne  ^. 

Les  portes  (le  l'église  étaient  quelquefois  uommées  llmina 
7nrt/-/jr«?/i  lorsqu'elles  étaient  ornées  de  reliques.  Un  capitulaire 
de  Charlemagne  fait  mention  de  ce  pieux  usage  :  de  otrio  ccclesiœ 
cujus porta  rcliqiiiis  saiicloruin  consecrata est^c\.c.  •''.  Ce  seul  exemple 
pourrait  suffire  à  nous  faire  comprendre  la  vivacité  et  la  gran- 
deur de  la  foi  qui  dislinjjue  ces  tems  que  nous  qualifions  si  légè- 
rement de  siècles  de  barbarie. 

LLCERNARILM  ou  LLCERNALIS  UORA,  nommé  chez  les 
Grecs  lÀXuyviov.  C'était  dans  les  anciennes  liturgies  le  nom  de  la 

*  Quelques  auteurs  ,  tels  que  Sirmond  et  Godefroy  ,  pensent  qu'elles 
étaient  appelées  lettres  formées,  à  sigilli  forma  qiia  mwiitbantur,  ainsi 
qu'on  le  trouve  expliqué  dans  les  manuscrits  du  Vatican...  quœ  formatant 
epistol.  sigi/laiam  interprelantur. 

^  Epist.  177. 

^  Voir  à  ce  sujet  Y  Histoire  des  canons  du  concile  de  Nice'e,  p.  286, 
t\.\ Histoire  des  conciles  généraux,  in-4'',  4  ou  6  vol.,  Amsterdam. 

•*  Thomassin  [Traité  des  fêtes),  p.  270. 

^  Lib.  IV,  cap.  14. 


206  GLOSSAIRE  LITURGIQUE, 

partie  des  vêpres  du  Jeudi  saint  qui  contient  la  be'nëdiction  du 
feu  ou  de  la  lumière  qui,  dans  l'office  actuel ,  se  fait  le  Samedi 
saint.  Le  bréviaire  mozarabique  attribué  à  S.  Isidore  et  rapporté 
par  Garsias  ',  contient  une  description  très  détaillée  de  cette  cé- 
rémonie et  des  prières  qui  s'y  recitaient.  Elherius  et  Beatus  écri- 
vant contre  Elipand ,  archevêque  de  Tolède  ,  vers  le  VIII"  siècle, 
en  parlent  au-si,  ainsi  que  le  concile  de  Mérida,  en  666-  Une 
hymne  de  Prudence,  à  ce  sujet,  commence  ainsi  :  0  res  digna, 
Deus,  quam  tibiroscidœnoctis.  etc.  Anne  Comnene  2  et  Pachiniere  ' 
en  font  mention  tomme  d'un  usage  pratiqué  dans  l'église  grecque 
à  leur  époque,  au  xiv«  siècle. 

M 

MAUTYRïARII ,  nom  donné  dans  les  anciens  liturgistes  aux 
gardiens  ou  préposés  d'une  église  et  spécialement  du  lieu  où  re- 
posent les  reliques  des  martyrs,  comme  cryptes,  confessions^  ca- 
tacombes *. 

MAUTYRlOiV  ou  MARTYR^  nom  donné  aux  oratoires,  aux 
chapelles  élevées  sur  les  tombeaux  des  martyrs,  dans  les  premiers 

siècles  de  l'Eglise  ,  ainsi  que  le  prouvent  quelques  passages  de 
S.  Jérôme.  Ce  nom  est  donné  quelquefois  au  saint  sépulcre  et 
se  confond  avec  celui  di'anastasis.  Valois  a  fait  un  traité  fort 
savant  sur  cette  matière,  sur  laquelle  il  donne  des  détails  très  mi- 
nutieux. Nous  ne  pouvons  ici  qu'indiquer  l'auteur  et  l'ouvrage 
à  la  curiosité  des  lecteurs  ^. 

M\i!\TYRILM,  autrement  nommé  co«/eww,  nom  donné  par 
divers  liturgistes  à  la  partie  de  l'autel  et  surtout  du  maître-autel 

'  Jurisconsulto  du  xiii*  siècle,  dans  son  Commentarium  in  décrétai. 
—  Voir  aussi  Binghani,  de  Originibus  ecclesiasticis,  I.  ii,  iv  et  v,  5oi, 
qui  cite  un  concile  de  Laodicée,  où  il  est  question  de  l'office  dit  lucer- 
narium. 

2  In  Alexiadem,  p.  342. 

5  Lib.  X,  p.  25. 

*  Binghani,  Origin.  eccL,  t.  8,  p.  q68,  cite  ce  mot  et  en  donne  la  dé-, 
finition. 

'  Voir  aussi  XHiero-Lexicon  de  Macri ,  cl  Eusèbc  ,  Histor.  eccles. 
p.  3o5. 


MATHEMA.  207 

d'une  église  où  reposaient  les  reliques  des  martyrs.  Un  des  plus 
beaux  nionumens  de  ce  genre  est  la  confessio  de  S.  Jean  de 
Latran^  et  celle  de  S.  Pierre  de  Rome,  que  tout  le  monde  con- 
naît; ce  célèbre  monument  est  gravé  dans  une  foule  d'ouvra- 
ges. On  trouve  dans  les  anciens  rituels,  et  surtout  dans  le  céré- 
monial romain  et  dans  Eusèbe ,  des  détails  très  curieux  sur  les 
cérémonies  pratiquées  j)Our  la  déposition  des  reliques  des  martyrs 
sous  les  autels,  et  leur  enchâssement  dans  les  autels  (Voir  Tahulœ 
itinerariœ) .  Dans  quelques  églises,  le  martrrium  est  placé  dans 
les  constructions  souterraines,  et  c'est  ce  qu'on  nomme  alors 
cryptes.  Celles  de  S.  Médard  de  Soissons,  en  France,  étaient  cé- 
lèbres. Les  églises  d'Angleterre  en  offrent  aussi  de  très  belles  pu- 
bliées dans  diverses  collections.  On  peut  avoir  une  idée  exacte  de 
ces  sortes  de  constiuctions  par  celle  de  l'église  de  3Iodène  .  pu- 
bliée par  d'Agiucourt  2,  celle  de  l'église  cathédrale  de  Milan  5, 
celle  de  l'église  d'Andlau  (Bas-Rhin)*,  celle  de  S.  Iréuée,  dans 
l'église  S.  Jtan  de  Lyon  ^. 

MAUSACDE  ,  nom  barbare  de  la  fête  V A nnonciation  dans  quel- 
ques anciens  auteurs  français,  parce  qu'elle  tombe  au  mois  de 
mars. 

MATflEMA ,  nom  donné  au  symbole  dans  les  anciens  historiens 
de  l'église  grecque  (d'un  mot  qui  signifie  lectio)  et  que  les  caté- 
chumènes devaient  réciter  par  cœur. Leontius  deByzance  cite  cette 
expression  comme  existant  dans  les  canons  d'un  concile  de  Chal- 
cédoine  (art.  YI).  Quelques  auteurs  pensent  que  ce  mot  peut 
s'entendre  de  quelques  leçons  des  écritures;  Sed  de  lectione 
symboli  inlelligamus ,  dit  Bingham.  Yalois  le  prouve  par  deux 
leçons  manuscrites®. 

*  D'Agincourt,  sect.  Sculpture,  pi.  xxsvi. 

*  PI.  70,  n^  40  de  son  Hist.  de  l'art  au  moyen-âge,  section  Archi- 
tecture. 

'  Ib.,  pi.  4i>  n°  10. 

*  Antiquités  de  l'Alsace,  pi.  8. 
^  Antiquités  de  Lyon,  etc. 

*  Voir  aussi  !  historien  Socrale,  lib.  in,  cap.  26,  ainsi  qu'Ufseriiis  in 
Symbolis,  p.  20,  et  une  loi  du  code  Justinien  ^tit.  de  Summa  Triait,  et 

fide  cath.),  et  une  lettre  de  cet  empereur  au  patriarche  Epiphanes. 


208  GLOSSAIRE  LITURGIQUE. 

M.VTRICULA  ,  nom  d'un  livre  clans  lequel  on  inscrivait  les 
noms  des  clercs,  des  lecteurs,  des  chanoines,  des  ecclésiastiques 
des  divers  degrés^;  on  le  nommait  aussi  album  suivant  Sidoine 
Apollinaire  2.  S.  Augustin  ^  le  nomme  tahulam  clericnnnn ;  on  en 
rayait  ceux  qui  se  rendaient  indignes  de  leur  ministère,  car  le 
même  saint  dit  :  deleho  euni  île  tabula  clericorum. 

MEDIANE  (la),  ou  le  dimanche  de  la  médiane,  était  chez  les 
Grecs  le  5"  du  carcnie  et  même  la  semaine  de  ce  dimanche  ^  il  cor- 
lesoondait,  à  ce  qu'on  croit,  à  ce  que  nous  appelons  maintenant 
la  Mi-Caréme.  Dès  le  V*  siècle,  le  samedi  de  cette  semaine  était 
consacré  aux  ordinations  dans  l'église  romaine,  comme  il  paraît 
par  une  lettre  du  pape  Gélase  T',  et  cet  usage  subsistait  encore  au 
IX"  siècle,  puisque  Suger,  dans  la  P^ic  de  Louis-le-Gros,  dit  qu'il 
fut  fait  prêtre  le  samedi  de  la  médiane  *. 

MEMORI.-E.  On  désigne  souvent  par  ce  nom,  dans  les  pre- 
miers siècles  de  l'Eglise  ,  des  oratoires  élevés  eu  l'honneur  de 
cjuelques  martyrs  ^. 

MENÉES  (les).  L'on  nomme  ainsi  chez  les  Grecs  ce  que  l'on 
nomme  cl;ez  les  Latins,  les  bréviaires,  les  sacramenlaires,  les  anti' 
■phonies.  On  reproche  aux  auteurs  des  Menées  à.\so\r  recueilli  les 
abréf'és  de  la  vie  des  saints  d'après  des  sources  peu  exactes.  Les 
actes  originaux  y  sont  corrompus  et  l'on  ne  peut  se  fiera  eux  lors- 
qu'il n'existe  pas  ailleurs  de  pièces  authentiques  qui  confirment 
leurs  récits  ;  on  distingue  les  grands  et  les  pedls  menées.  Les  grands 
ont  été  imprimés  à  Venise  en  iSsS  et  i639,  6  vol.  in-fol.,  sous  le 
titre  de  yiridarium  sanclorumex  menœis.  Le  cardinal  Sirlet  a  laissé 
en  manuscrit  un  Ménologe  grec,  extrait  des  Menées.  Ce  travail  a 
fait  faire  des  méprises  à  Baronius,  qui  s'est  trop  fié  à  la  compilation 

'  Concil.  Agathens.,  cap.  ii,  p.  i583.  Mescriptiin  matriculâ  graduum 
suorum  dignitatem  suscipiant. 

-  Lib.  VI,  epist.  8. 

^  Homel.  5o  de  Divers.,  tom.  x,  p.  025. 

*  Mabillon,  Comment,  in  ord.  Roman,  et  musceum  Italie.,  prœf.  u"  a, 
Ducange,  Glossar.,  verb.  Mediana. 

'  S.  Augustin,  de  civit.  Dei,  liv.  22,  cnp.  8,  et  le  Traite  des  fêtes , 
p.  290,  en  font  mention  en  parlant  du  culte  rendu  à  S.  Etienne  premier 
martvr. 


MKNSIS  PURGAÏORIUS.  'IW 

de  son  collègue  '.  Jean  de  Damas,  qui  vivait  au  Vlll"  sièi-lu',  passe 
pour  le  premier  qui  ait  éciit  des  abrégés  de  la  vie  des  saints  chez 
les  Grecs  '^.  On  a  lieu  de  douter  même  si  du  tems  de  Simon  le 
Métaphraste,  qui  mourut  dans  le  X'"  siècle,  les  Rlénologes  qui 
sont  plus  anciens  existaient  primitivement  dans  la  forme  où  nous 
les  voyons. 

MENOLOGILM.  Nous  avons  dit  déjà  quelques  mots  à  ce  sujet 
au  tome  XI,  p.  52  ,  mais  nous  n'en  parlions  alors  que  comme  mo- 
nument de  la  calligraphie  grecque.  Comme  livre  de  liturgie,  l'on 
en  attribue  l'origine  à  l'empereur  Basile  ,  que  les  uns  nomment 
Basile  I"  le  Macédonien ,  mort  en  886 ,  auteur  de  quelques  ou- 
vrables politiques.  D'autres ,  et  avec  plus  de  raison  ,  disent  que 
c'est  Basile  le  Jeune,  dit  le  Porphyrogénète,  mort  en  loao.  Les 
BoUandistes  disent  que  ce  recueil  est  fait  d'après  de  mauvaises 
sources  :  Néron  y  est  désigné  sous  le  nom  de  Saint  César,  ce  qui 
peut  faire  juger  du  reste.  Les  actes  originaux  y  sont  de'naturcs  ^. 
Dire  qu'elle  fut  composée  après  le  schisme  de  l'église  grecque, 
c'est  donner  la  valeur  de  cette  liturgie. 

MENSIS  EXIEXS  ,  STAIVS  ,  RESTAIS  ,  les  quinze  derniers 
jours  du  mois.  On  comptait  ceux-ci  en  rétrogradant  ;  ainsi  on  di- 
sait :  Âclum  terlia  die  exeunte,  ostante,  stante,  restante  mense  sep- 
tembris,  ou  bien  ,  actiim  icrtia  die  exitûs  mensis  seplembris,  pour 
marquer  le  27  septembre,  en  commençant  à  compter  par  la  fin  de 
ce  mois  et  en  rétrogradant,  un  le  3o,  deux  le  29,  trois  le  27,  quatre 
le  26,  etc.  On  voit  grand  nombre  d'exemples  de  cette  manière  de 
compter  dans  le  Glossaire  de  Ducange,  et  elle  doit  être  remar- 
quée pour  ne  pas  s'y  tromper  4. 

MExXSIS  PURGATORIUS,  nom  du  mois  de  février  dans  quel- 
ques liturgies ,  à  cause  de  la  fêle  dite  de  la  purification  de  la 
S'*.  Vierge,  célébrée  le  2  de  ce  mois.  Quelques  auteurs  expliquent 
cette  désignation  en  disant  que  ce  mois  se  nommait  ainsi  parce 

*  Papebroch  et  Henschenius  sur  les  Annales  de  Baro?iiiis.  Jannin" 
in  Fit.  sanct.,  tom.  i,  Meus,  jun.,  p.  385. 

®  Allatius  de  libror.  eccles.  grœcor.  dissert,  i,  p.  84- 

^'lillemont,  Mémoires  eccles.  1,  p.  6o3,  m  ,  p.  3g5.  L'abbé  Uf^bclli  , 

Italia  sacra,  traduction  latine  de  Pierre  Arcadius  ;  Génébrard  ,  sur  la 

Vie  des  saints. 

*  Extrait  de  l'art  de  vérifier  les  dates. 

Tome  xvii.  — N^QO.  1838.  H 


210  GLOSSAIRE  LITURGIQUE. 

que  les  Romains  avaient  coutume,  à  cette  époque,  d'offrir  pour  les 
morts  des  sacrifices  d'expiation  qu'ils  appelaient  yèèrua  d'un  vieux 
mot  sabin  qui  veut  dire  purgamentum  ;  et  les  chrétiens ,  tout  en 
conservant  les  désignations  consacrées,  trouvèrent  moyen,  en 
instituant  cette  fête  à  cette  époque ,  de  sanctifier  une  dénomina- 
tion dont  l'origine  était  toute  païenne  *. 

MENSIS  lATRA^îS  ou  inlruîens.  On  désigne  ainsi,  dans  d'an- 
ciens calendriers,  les  16  premiers  jours  des  mois  qui  ontSi  jours, 
et  les  i5  premiers  des  mois  qui  ont  3o  jours.  Les  jours  se  comp- 
taient par  un,  deux,  trois,  en  y  ajoutant  le  mot  intrans..,.;  ainsi, 
par  exemple,  die  XIV  maio  inirante  pour  le  i4  de  mai. 

MKSO-NESTIME ,  mot  composé  de  fxéaoi;  médius,  et  de  Nr,ffT£ta 
jejunium.  Le  calendrier  des  fêtes  chrétiennes,  dressé  par  les  au- 
teurs de  VAn  de  vérifier  les  dates,  l'indique  ainsi  et  dit  qu'il 
est  employé  dans  les  liturgies  grecques  pour  signifier  le  jeudi  de 
la  Mi-Careme.  On  trouve  ce  mot  cité  dans  une  constitution  de 
l'empereur  Manuel-Comnène ,  au  XIP  siècle  ,  qui  ordonne  de 
célébrer  la  Meso-Nestime  sur  le  même  pied  que  la  Pentecôte  et 
l'Ascension.  Cette  constitution  est  rapportée  par  Balsamon  (Théo- 
dore), garde  des  chartes  de  l'église  de  Constaatinople,  dans  le 
Nonio-canon  de  Photius  2. 

3IE>0-PE\TEC0STES  ou  la  Mj'-Pentecoste  chez  les  Grecs.  On 
pense  que  ce  fut  vers  le  X"  siècle,  au  concile  d'Ligelheim  tenu  en 
948,  que  la  fête  de  la  Pentecôte  a  été  réduite  à  moitié  pour  les 
jours  d'office  La  fête  du  mercredi ,  long-lenis  chômée,  fut  re- 
trancbée  en  i5'24  par  Etienne  Poncher,  archevêque  de  Sens.  Le 
cardinal  Gallon  essaya,  sous  Philippe-Auguste,  de  retrancher 
celle  du  mardi ,  mais  elle  fut  rétablie  malgré  l'ordonnance  du 
parlement  et  chômée  de  nouveau  en  1675. 

METATOIlILItf.  Les  écrivains  ecclésiastiques  ne  sont  pas 
d'accord  sur  la  véritable  signification  de  ce  mot.  Théodore 
Anagnosies ,  ou  le  Lecteur,  qui  vivait  au  YP  siècle  3,  a  beau- 
coup   écrit   à   ce    sujet ,  mais    ne  dit  rien  de  satisfaisant.   Jac- 

•  Traite' des  fêtes  de  Thoniassin,  p.  agj. 

*  Pag  81,  édit.  d'Oxford,  in-fol.  16-7.  —  Theophilact.  archiepis. 
Bulgar.  Lilurg.  prœsanct.,  verbo  MEiONUSTiMOi: 

»  On  a  de  cet  écrivain,  oublié  par  Fleury,  deux  livres  d'histoire  ecclé- 


MISSA  OU  MISSIO.  211 

ques  Goar ,  dans  ses  annotations  sur  VEuchologe ,  croit  que 
c'esl  un  lieu  où  venaient  se  reposer  non  loin  de  l'autel  et  se 
rafraîchir  les  chantres  ,  qui  à  cette  époque  étaient  une  dignité. 
Ducange  pense  que  c'était  un  lieu  de  repos  ,  une  espèce  de 
station  ou  auberge  où  l'on  recevait  les  pèlerins ,  mais  sur  la  voie 
publique.  Grégoire  de  Tours  veut  que  l'on  entende  par  là  un 
lieu  où  les  clercs  pouvaient  se  livrer  à  quelques  exercices  de 
récréation  *.  Anastase  le  bibliothécaire  dit  que  c'était  un  lieu 
de  repos  où  les  papes  venaient  se  délasser  après  les  offices  (pro 
quiète);  il  pense  même  que  ce  pouvait  être  comme  un  ora- 
toire particulier.  Grégoire  IV  fit  faire  quelques  peintures  dans 
celui  qui  lui  servait  près  de  sa  chapelle.  Enfin  Bingham  pense 
que  c'était  une  espèce  de  vestiaire  destiné  aux  diacres  2. 

MISSA  ou  MISSIO  :  c'est  la  liturgie  par  excellt  née.  Tous  nos 
lecteurs  savent  ce  que  c'est  que  la  messe,  mais  quelques-uns  igno- 
rent peut-être  les  sentimens  des  divers  auteurs  sur  l'étymologie 
de  ce  mot ,  et  combien  de  noms  cette  auguste  institution  a  portés 
dans  les  premiers  siècles.  L'Eglise,  avant  de  se  fixer,  en  a  donné 
plusieurs  soit  pour  bien  expliquer  tout  ce  que  renferme  ce  mys- 
tère ,  soit  pour  en  cacher  le  vrai  nom  aux  persécuteurs.  On  l'a 
nommée  liturgie  ,  sjnaxe  ou  la  collecte ,  les  solennels  ,  le  service  , 
Voblation  ,  les  mystères  ,  la  supplication,  etc.  ^,  et  enfiti  juissa;  les 
auteurs  sacrés  sont  loin  d'être  d'accord  sur  sa  véritable  significa- 
tion. Fit  missa  CQ,techumenis  manebunt  Jiàeles  ,  dit  S.  Augustin*, 
ainsi  qu'Isidore  de  Séville,  vers  le  V  IIP  siècle...  Floius  de  l>yon, 
Rémi  d'Auxerre  ,  au  IX'' siècle ,  sont  de  ce  sentiment.  Cassien, 
qui  écrivait  vers  le  V*"  siècle  ,  dit  que  le  mot  missa  fut  donné 
aussi  bien  aux  offices  du  jour  que  de  la  nuit ,  mais  que  vers  l'an 
5oo  l'on  se  servit  de  missarum  solemnia  pour  exprimer  le  saint  sa- 
crifice. S.  Césaire  d'Arles  dit:  tune  fiunl  missœ...  quando  corpus 
et  s  an  guis  Domini  ojferuntur^;  quelques  autres  cités  par  Baronius, 

siastique  intitulés  Collectanea  historiée  eccles.  On  en  garde  le  manuscrit 
à  Venise,  à  la  bibliothèque  S.  Marc,  suivant  Possevin  et  Moreri. 

*  Lib.  V,  hist.  cap.  y. 

*  Origin.  ecclesiast.  ni,  266  et  suiv. 

*  Casalius  les  cite  tous  p.  79  ^e  Ritibus  christianorum. 

*  Sermon  49. 
■'  Sermon  8 1 . 


212  GLOSSAIRE    LITURGIQUE, 

(anno  34,)  veulent  que  missa  vienue  de  transmissa  ,  parce  que  le 
peuple  met  le  piètre  en  sa  place  pour  présenter  ses  prières  à  Dieu, 
ou  de  ce  que  le  prêtre  présente,  offre  et  envoie  pour  ainsi  dire 
à  Dieu  les  prières  du  peuple,  orationem  populi  sacerdos  transmu- 
tât ad  Deum...  Bona,  d'après  Etienne  d'Autun,  et  quelques  savans 
hébraïsans  tels  que  Munster,  Reuschlin  et  Génébrard,  voulurent 
trouver  l'origine  du  nom  de  la  messe  dans  celui  de  missach,  qui, 
dans  le  Deutéronome,  veut  dire  ablation  volontaire  ,  et  cherchè- 
rent à  établir  que  c'était  le  motif  qui  avait  déterminé  les  premiers 
chrétiens  à  choisir  ce  mot  ;  mais  il  ne  se  trouve  dans  aucun  des 
écrits  qui  soient  sûrement  des  trois  premiers  siècles.  L'explication 
donnée  par  S.  Augustin  et  S.  Isidore  a  prévalu  depuis  long-tems, 
et  il  serait  difficile,  dit  le  père  Lebrun  *,  de  trouver  un  mot  qui 
marquât  plus  sagement  ce  que  l'Eglise  voulait  faire  entendre  en 
l'adoptant ,  à  savoir  qu'elle  ne  pouvait  admettre  au  saint  sacri- 
fice ,  au  moment  de  la  consécration,  que  ceux  qui  avaient  con- 
servé ou  du  moins  étaient  censés  avoir  conservé  la  grâce  de  leur 
baptême.   Les  catéchumènes  qui  ne  l'avaient  pas  encore  reçu  et 
les  pécheurs  publics  ou  reconnus  par  l'Église  devaient  donc  être 
renvoyés;  aussi  le  diacre  criait-il  alors  sancta  sanctis,  et  la  missio 
ou  renvoi  avait  alors  lieu  -. 

Ce  n'est  que  depuis  environ  l'an  1200  que  l'on  a  commencé  à 
distinguer  les  messes  en  solennelles  ou  grand'-messes  et  en  messes 
basses  ou  privées,  suivant  qu'on  les  célébrait  dans  une  grande  église 
ou  dans  un  oratoire.  Cependant  un  concile  de  Yaison  tenu  en  op.g 
ordonne  que  le  sanctns  sera  chanté  aux  messes  des  morts  aussi 
bien  qu'aux  messes  publiques  ^. 

3I\ST.VGOG!E  ,  ou  actcun  secrète ,  ou  encore  introduction  au 
sacré  mystère.  On  donnait  ce  nom  aux  cinq  livres  des  Catéchèses 

*  Explication  littérale,  historique  et  dogmatique  des  prières  et  des  cé- 
rémonies de  la  messe,  suivant  les  anciens  auteurs  et  les  monumens  sa- 
crés, etc.  1  vol.  in-8°,  Paris,  1786.  Voir  aussi  Gavantus,  Bona  et  autres. 

*  Voir  aussi  sur  les  noms  donnés  au  saint  sacrifice  les  Annales  t.  xiv, 
p.  i85,  note  5. 

^  Claude  d'Espence,  de  missa  puhlica  et  privata;  Lotichius,  de  missa 
publica  proroganda  (i556).  Ce  savant  fut  quelque  tems  séduit  par  les 
erreurs  de  Luther,  mais  il  l'abandonna  aussitôt  qu'il  fui  mieux  instruit 
des  intentions  de  ce  novateur. 


XATATORIA.  213 

de  S.  Cyrille  de  Jérusalem ,  dans  lesquels  il  traite  de  la  grandeur 
du  sacrifice  de  la  messe.  On  le  trouve  aussi  employé  par  S.  Jean 
Damascène  sous  le  nom  d'orotio  pro  dejunctis. 

N 

NARTIIEX,  nom  du  vestibule  des  anciennes  basiliques  que 
l'on  trouve  ainsi  désigné  dans  quelques  auteurs.  Eusèbe  le  cite 
dans  sa  description  de  l'e'glise  bâtie  par  S.  Paulin  *. 

IVATAL  (le)  des  saints,  ou  \e  jour  de  la  mort  des  saints,  et  prin- 
cipalement des  martyrs,  regardé  par  l'Église  conpme  le  véritable 
jour  de  la  naissance  des  bienheureux.  Pro  natalis  annuâ  dœ  faci- 
mus,  dit  Terlullien-.  S.  Paulin  de  Noie,  dans  son  i3«  poème  des 
Natales  de  S.  Félix,  publiées  à  Milan  en  1701,  dit  : 

Et  merilo  sanctis  iste  natalis  dies...." 

Benedictus  iste  sit  natalis  et  niihi , 

Quo  mihi  patronus  natus  in  cœlestibus. 

S.  Eucher  de  Lyon  et  S.  Césaire  d'Arles,  disent  aussi  (  home- 
lie  5o):  Beatorum  martyrum  pnssiones  natales  vocamus  dies...  ^ 

NATALICE  (le).  On  trouve  dans  un  concile  de  Laodicée  tenu 
sous  l'empereur  Constance,  un  canon  qui  défend  de  célébrer  les 
natalices  ou  jours  de  la  naissance  ,  au  tems  du  carême.  Ce  fut  à 
l'occasion  de  son  natalice  que  S.  Augustin  composa  son  livre  de 
la  Vie  heureuse.  On  trouve  dans  l'ancien  sacranientaire  romain 
attribué  au  pape  Gélase,  une  messe  pour  la  célébration  du  nata- 
lice *.  Les  anciens  calendriers  font  aussi  mention  du  natalice  de 
Ste  Agnès.  Le  sacranientaire  de  S.  Grégoire,  publié  par  Ménard, 
marque  le  jour  de  cette  fête  ;  mais  l'Eglise  l'a  remplacée  par  celle 
de  son  martyre,  qui  du  reste  est  regardée,  comme  nous  l'avons 
dit  y  comme  le  jour  de  la  véritable  naissance  d'un  saint  ^. 

NATATORIA ,  nom   donné  par  divers  lilurgisies  aux  espèces 

*  Lib.  X,  cap.  i4,  in  vit.  Constantin.,  lib.  m,  cap.  55. 

*  De  Coron,  martyr. 

^  Voir  sur    cette  matière  Front,  natii:  fest.-Marshain.-Censorin  , 

cap.  !ii.  --  M.  de  Roa  de  die  natal. ^  liv.  i,  cap.  i3. 

"  Thomassin,  Traite  des  fêles,  et  le  Codex  sacramentor.  t.  i,  p.  225, 
^  Voir,  outre  les  ouvrages  cites,  le  discours  sur  la  vie  des  saints  par 

Baillet,  in-8°. 


214  GLOSSAIRE  LITURGIQUE, 

de  bassins  ou  piscines  plftcés  près  des  anciennes  églises,  et  qui  ser- 
vaient aux  usages  des  fidèlfs  ou  des  ecclésiastiques  '.  Procope  et 
Théophanes,  tous  deux  historiens  ecclésiastiques,  en  parlent  dans 
la  Vie  de  Tijéodore  le  Jeune,  mais  sans  préciser  l'usage  de  ces 
bassins.  Suidas  veut  que  ce  soit  la  table  même  de  coranmnion  ou 
V autel,  mais  il  est  évident  que  ce  critique  a  été  dans  l'erreur. 
Binpjliam,  dans  ses  Origines  ecclesiasticœ  ,  est  entré  dans  des  dé- 
tails très  curieux  ,  mais  sans  décider  la  question.  Enfin  quelques 
auteurs,  tels  que  Zenon  dans  ses  Miscellanea,  veulent  que  le  na- 
tatorium  ou  nalatoria  soit  les  fonds  de  baptême  :  In  natalorio 
sancti  martrris  Barlace. 

NOTITI.'Ë  iXCLESI^.  On  nomme  ainsi  des  états,  des  catalo- 
gues sur  lesquels  étaient  inscrits  les  grandes  dignités  de  l'église, 
les  patriarcliais,  les  évècliés,  archevêchés,  etc.  Le  premier  ou- 
vrage de  ce  genre  que  l'on  connaisse  est  de  Leonclavius,  connu 
sous  le  nom  de  Léon  dit  te  Sage,  qui  écrivait  au  XVP  siècle  ^  sa 
notice  se  trouve  d  >ns  son  traité  de  Jure  Grceco-Romano  -.  L'on 
cite  après,  celui  de  Charles  de  S.  Paul  dans  sa  Géographie  sacrée, 
niais  il  n'est  fait  que  pour  les  six  premiers  siècles.  Jacques  Gonr 
a  ajouté  des  supplémens  d'après  les  propres  paroles  de  Charles 
de  S.  Paul.  Ce  travail  a  été  publié  par  Codin  dans  son  traité 
De  officiis  Conslantinopol.  5,  qui  fait  partie  des  auteurs  de  la  By- 
zantine. Enfin  Schelestrate  a  publié  de  nouveau  ce  travail  avec 
des  notes  et  des  augmentations  dans  sa  Dissertation  sur  le  concile 
cC A ntioche  *. 

NULLATEXSES.  On  désigne  sous  ce  nom  ,  dans  les  écrivains 
ecclésiastiques,  les  prélats  qui  n'ont  pas  de  siège  où  ils  exercent , 
quel  qu'en  soit  le  motif,  ce  qui  est  très  lare  ,  remarque  Bingham, 
dans  la  primitive  église  ^.  C'est  sans  doute  ce  que  l'on  nomme 
dans  l'église  actuelle  \es  ê\è.(\WQsinpartibus.  Guenebadlt. 

*  Sidonius  ApoUinaris,  lib.  2,  epist.  2. 
«Tom.  iT,  88. 

^P.  337(1648). 

*  Tom.  IV,  cap.  i5,  p.  435.  —  Bingham  a  donné  ces  dilTérentes  no- 
tices ecclésiasliqncs  tom.  m  de  ses  Origines  ecclesiasticœ  ,  p.  566  à  689. 

^  Origin.  eccl.  n,  170. 


' 


DESCRIPTION  DE  LA  CATHEDRALE  DE  SEVILLE.         215 

*«^VV>WVV\^«fV\%VV\VVV^VVvVVV\^VVVVVVVVWVVVVVVV*V«rtrVVV*^'*VV%VV*WV*V\*\\V*VV./vvVV^ 


ticvne  iJe  liur^s  nouu^ausr. 


DESCRIPTION 
DE  LA  CATHÉDRALE  DE  SÉVILLE. 


Séville.  — .  La  cathédrale.  —  Description  de  l'intérieur  et  de  la  nef.  —  Le 
sentiment  religieux  seul  peut  accomplir  de  telles  entreprises.  —  Le 
culte  religieux.  —  Hiérarchie  ecclésiastique  conservée  dans  le  cha- 
pitre de  Sésille.  —  L'archevêque,  les  chanoines.  —  Frais  du  culte. 

—  Rapport  de  ce  temple  avec  celui  des  Juifs.  — •  Chapelles  latérales. 

—  Chapelle  des  rois.  —  Tombeau  de  Christophe  Colomb.  —  Bi- 
bliothèque de  livres  de  plain-chant.  —  Magnificence  des  miniatures. 
— '  Impossibilité  de  tout  décrire.  —  Magnificence  des  couvcns.  —  Mo- 
nastère de  S. -Paul.  —^  D'où  est  venue  à  l'homrae  l'idée  de  la  vie  mo- 
nastique. —  But  et  signification  d'une  institution  si  contraire  aux  lois 
communes. 

Au  moment  où  Li  malheureuse  Espagne  ,  déchirée  par  les  dis- 
cordes civiles,  voit  disparaître  chaque  jour,  mutilés  sous  le  mar- 
teau de  ses  démolisseurs,  ou  enlevés  par  l'or  de  l'étranger,  ou  , 
ce  qui  est  plus  pénible  ,  mis  à  l'encan  par  un  gouvernement 
sans  religion  et  sans  argent,  la  plupart  des  chefs-d'œuvre  qu'avait 
enfantés  en  si  grand  nombre  la  foi  de  ses  pères ,  il  n'est  pas  sans 
intérêt  et  sans  utilité  de  connaître  quelques-uns  de  ces  chefs- 
d'œuvre,  et  surtout  de  voir  comment  les  cérémonies  du  culte 
sont  pratiquées ,  et  comment  les  populations  y  participent.  C'est 
pourquoi  nous  espérons  que  nos  lecteurs  liront  avec  plaisir  les 
deux  extraies  suivans  d'un  voyage  *  que  vient  de  faire  paraître 
M.  le  marquis  de  Custine. 

«  La  cathédrale  de  Séville  est  dans  le  style  des  derniers  édi- 

•  L'Espagne  sous  Ferdinand  VII,  4  vol.  in-S".  A  Paris,  chez  1 -s  n..ir- 
chands  de  nouveautés;  prix  20  fr. 


216  DESCRIPTION 

fices  gothiques.  L'extérieur  de  l'église  n'a  rien  d'extraordinaire  , 
si  ce  n'est  vu  de  loin,  du  milieu  de  la  promenade  plantée  sur  le 
bord  du  Guadalquivir;  les  innombrables  pyramides  qui  domi- 
nent les  toits  et  terminent  les  pignons  de  cette  cathédrale,  res- 
semblent à  une  forêt  de  pins  plantée  sur  une  chaîne  de  collines 
aux  cimes  aiguës.  Ce  n'est  peut-être  pas  très  beau  comme  art  : 
c'est  étonnant,  c'est  imposant.  Mais  l'intérieur  de  ce  monument, 
qu'on  peut  appeler  moderne ,  puisqu'il  n'a  été  terminé  qu'au 
quinzième  siècle,  me  paraît  un  prodige.  L'édifice  entier  est  dû  au 
chapitre  de  Séville,  espèce  d'état-major  ecclésiastique  aussi  riche 
que  puissant. 

»  A  la  fin  du  moyen-âge ,  ces  chanoines  souvei'ains  voulurent 
créer  un  monument  sans  pareil,  sans  modèle  ;  ils  réussirent,  et, 
de  plus ,  ils  ont  fait  un  chef-d'œuvre.  On  travailla  pendant  plu- 
sieurs règnes  ;  au  bout  de  quatre-vingt-dix  ans  l'Espagne  et  le 
monde  eurent  un  édifice  aussi  étonnant  que  Saint-Pierre  de 
Rome,  plus  pur  de  style  que  le  dôme  de  Milan,  plus  complet  que 
la  cathédrale  de  Cologne. 

»  L'intérieur  de  cette  église  est  composé  de  cinq  nefs  du  plus 
beau  gothique.  Celle  du  milieu  est  d'une  épouvantable  élévation. 
On  est  sous  une  montagne  creuse.  Tout  ce  qui  décore ,  on  peut 
même  dire  ce  qui  obstrue  ce  temple,  produit  sur  ITuTie  une  im- 
pression irrésistible  de  respect  et  de  recueillement.  Après  tant 
d'années  de  voyages,  tant  d'habitude  de  la  surprise  ,  je  ne  me  se- 
rais pas  cru  susceptible  d'une  émotion  aussi  vive  que  celle  que 
j'ai  éprouvée  en  entrant  sous  cette  voûte  vraiment  chrétienne, 
quoique  assez  moderne.  Figurez-vous  une  vallée  renversée ,  et 
dont  la  profondeur  forme  une  nef  soutenue  par  les  troncs  des 
vieux  arbres  qui  seraient  restés  debout  pendant  ce  bouleverse- 
ment des  lois  de  la  nature.  Là  tout  est  grand,  sévère,  étonnant, 
sublime,  comme  le  Dieu  qu'on  adore. 

»  C'est  surtout  dans  ce  sanctuaire  qu'on  reconnaît  combien  la 
créature  profite  de  ce  qu'elle  doit  au  Créateur  :  Dieu  n'a  nul  be- 
soin des  chefs-d'œuvre  de  )ios  arts.  Mais  l'homme  a  besoin  de  la 
foi  pour  faire  des  prodiges,  ses  efforts  manifestent  la  ferveur  de 
son  amour  pour  son  maître  ;  en  produisant  ce  que  le  monde  ap- 
pellera une  merveille,  il  rend  à  Dieu  une  partie  de  ce  qu'il  lui 
doit  ;  il  tire  lui  abîme  de  pierres  des  entrailles  de  la  terre  ;  il  dé- 


DE   LA  CATHÉDRALE   DE   SÉVILLE.  217 

pense  sa  vie,  son  génie,  ses  richesses,  mais  rien  ne  lui  coûte  ;  ce 
n'est  pas  pour  lui  qu'il  travaille  !  !  Qu'importe  le  tems  qu'on 
met  à  semer  quand  c'est  dans  l'éternilé  qu'on  moissonnera? 

»  Sans  cette  idée  vivifiante  du  souverain  Seigneur  qui  dispense 
la  vie  aux  âmes ,  selon  la  mesure  de  leurs  désirs  et  de  leurs 
œuvres,  l'homme  ,  fier  de  se  reposer  sur  lui-même,  ne  s'élèverait 
jamais  au-dessus  du  rang  du  plus  ingénieux  des  animaux.  L'ar- 
chitecte qui  ne  bâtit  pas  pour  le  ciel  n'est  guère  supérieur  au 
castor,  à  la  fourmi  ;  et  je  connais  tel  nid  d'oiseau  qui  le  dispute  en 
corn  fort  à  nos  cases  les  mieux  ornées. 

»  L'homme  n'a  pas  toujours  eu  besoin  d'être  chrétien  pour  de- 
venir sublime,  mais  dès  qu'il  s'est  élevé  au-dessus  de  l'abeille,  il 
a  toujours  été  religieux. 

»  Les  païens  avaient  pour  la  nature  plus  de  vénération  que 
notre  mesqume  philosophie  ,  perdue  dans  le  doute  où  elle  se 
complaît,  ne  nous  permet  d'exprimer  de  respect  envers  le  roi  de 
cette  nature.  Hâtons-nous  de  souffler  sur  les  misérables  essais  du 
scepticisme  dont  notre  tems  est  encore  trop  fier;  chassons, 
chassons  devant  nous  les  œuvres  de  la  destruction;  éloignons  l'es- 
piit  qui  lue,  appelons  l'esprit  qui  vivifie  1 1 1  Nous  som"mes  à  la  fin 
des  démolitions,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  expulser  les  démolis- 
seurs pour  faire  place  à  l'architecte  qui  viendra  bâtir  un  nouveau 
temple  en  l'honneur  de  l'antique  Dieu  de  nos  pères  :  car  ce  Dieu 
ne  change  pas  comme  les  murs  de  l'église,  comme  les  décorations 
de  l'autel. 

»  J'ai  cru  sentir  que  l'esprit  divin  habite  la  cathédrale  de  Sé- 
ville.  Nulle  part,  pas  même  à  Rome,  le  culte  catholique  ne  m'a 
paru  aussi  majestueux  que  dans  ce  sanctuaire  vraiment  chrétien. 
J'y  suis  entré  pour  la  première  fois  un  dimanche.  Un  régiment 
tout  entier  assistait  à  la  messe,  et  ce  grand  nombre  d'hommes  se 
perdait  comme  un  cortège  de  fourmis  sous  les  voûtes  surnatu- 
relles. Une  partie  de  la  population  de  Séville  disparaissait  égale- 
ment dans  ce  gigantesque  monument  de  la  piété  chrétienne...  Là, 
rien  n'est  proportionné  aux  habitudes  ,  aux  besoins  de  la  terre  ; 
la  seule  pensée  du  ciel  explique  une  création  si  extraordinaire  ; 
l'idée  de  l'immensité  vient  de  Dieu  ;  l'art  humain  à  lui  seul  ne 
s'élèverait  pas  jusque  là. 

»  Le  prêtre  qui  ofticiait,  assisté  des  diacres  et  des  sous-diacres, 


218  DESCRIPTION 

était  devant  le  maîlre-autel,  comme  pose'  sur  le  haut  d'une  mon- 
tagne, et  quand  il  s'agenouillait,  il  se  perdait  presque  entière- 
ment dans  robscurité  sublime  du  tabernacle.  Cette  partie  de 
l'église  est  reculée  et  fort  élevée  ;  on  n'y  parvient  qu'en  montant 
un  grand  nombre  de  degrés.  L'imagination  espagnole  a  rendu  le 
culte  catholique  aussi  pittoresque  qu'il  était  saint.  Les  prières  de 
ce  vieillard  presque  invisible,  et  les  voix  de  ses  jeunes  acolytes, 
me  paraissaient  tomber  du  ciel  sur  la  tète  des  fidèles,  séparés  du 
sanctuaire  par  un  perron  énorme,  par  un  jubé  et  par  une  forte  et 
haute  grille  de  fer  doré  d'un  travail  massif,  mais  très  beau. 

»  Dans  les  principales  églises  d'Espagne  ,  j'ai  toujours  trouvé 
que  le  chœur  n'était  pas  confondu,  comme  chez  nous,  avec  la 
nef;  le  prêtre  officiant  reste  sur  un  pallier  soutenu  par  de  nom- 
breuses marches  ;  cette  espèce  de  montagne  sainte ,  bâtie  sous 
des  voûtes,  produit  un  effet  pittoresque  (|ui  rappelle  les  pompes 
de  la  nature,  et  ce  souvenir  du  monde  extérieur  ajoute  à  la  so- 
lennité des  cérémonies  du  culte  le  plus  intérieur,  le  plus  mys- 
tique, le  plus  spirituel,  le  plus  surnaturel  :  du  cuite  catholique  , 
culte  qui  ne  vit  que  de  symboles.  Il  me  semble  que  dans  la  ca- 
thédrale de  Séville  l'office  divin  produit  sur  l'âme  une  impres- 
sion analogue  à  celle  des  vers  d'Aihalie ,  pourvu  qu'ils  soient  lus 
et  ne  soient  pas  joués. . .  Si  les  traditions  du  rite  catholique,  étaient 
oubliées  du  reste  de  la  terre,  on  les  retrouverait  en  vigueur  dans 
ce  pays  des  cérémonies... 

»  L'archevêque  de  Séville  a  environ  huit  cent  mille  livres  de 
rente  :  ce  siège  fut  érigé  du  tems  des  Goths.  La  cathédrale  a 
quatre  cent  vingt  pieds  de  longueur,  sa  largeur  est  de  deux  cent 
soixante-trois,  et  la  hauteur  de  la  nef  principale  est  hors  de  toute 
proportion  avec  ce  qu'on  voit  ailleurs.  Quatre-vingts  fenêtres 
d'une  prodigieuse  élévation  éclairent  l'édifice  entier.  Ces  fenêtres 
sont  en  vitraux  coloriés,  d'un  prix  inestimable,  puisqu'ils  ont  été 
peints  par  Arnold  de  Flandre. 

»  On  dit  cinq  cents  messes  par  jour  aux  quatre-vingt-deux  au- 
tels que  contient  cette  église  ;  ce  qu'on  y  consomme  de  cire,  de 
vin,  d'huile  est  fabuleux;  un  clergé  considérable,  assisté  de 
beaucoup  de  personnes  subalternes ,  est  employé  au  service  de 
Dieu  dans  cette  république  religieuse.  Jamais  je  n'ai  senti  si 
clairement  que  des  pierres  posées  les  unes  sur  les  autres  pou- 


DE  LA.  CA.THÉDRALE  DE  SÉVILLE.  219 

valent  former  pour  l'iiomnie  une  jiatrie...  On  compte  parmi  la 
nation  de  lévites  attachés  à  ce  temple  merveilleux,  onze  digni- 
taires portant  la  mitre  ,  quarante  chanoines  suj)érieurs  ,  vingt 
autres  chanoines  d'un  rang  inférieur,  vinj;t  chanoines  et  trois  as- 
sistans,  deux  bedeaux,  un  maître  des  cérémonies,  un  aide,  trois 
sous«aides,  trente-six  enfans  de  chœur  et  leurs  recteurs,  sous- 
recteurs  ,  ainsi  que  leurs  maîtres  de  chapelle,  dix-neuf  chape- 
lains, quatre  curés,  cjuatre  confesseurs,  vingt-trois  musiciens  et 
quatre  surnuméraires  :  d'après  tout  cela,  ne  vous  étonnez  pas  si 
la  messe  m'a  paru  pompeuse.  C'est  un  peuple  entier  qui  sert  Dieu 
dans  cette  enceinte  vraiment  digne  de  devenir  le  sanctuaire  de 
l'esprit  créateur;  il  faut  joindre  à  la  liste  que  je  viens  de  vous 
donner,  une  légion  de  prêtres  séculiers,  qui,  chaque  jour,  disent 
la  messe  à  quelque  autel  de  l'église  méiropolitaine  ;  je  vous  le  ré" 
pèle,  rien  ne  m'a  rappelé  Aih'tlie,  le  temple  de  Salomon  et  la  li- 
béralité des  Juifs  enveis  leur  Dieu,  comme  cette  ville  sainte  qu'on 
appelle  l'église  de  Séville...  Ce  n'est  que  là  que  j'ai  compris  toute 
l'étendue  de  la  puissance  catholique  :  ce  monument,  et  le  troi- 
sième livre  de  V Imitation  de  Jtsus-Chi'ist,  embrassent  à  eux  seuls 
toutes  les  destinées  du  genre  humain.  Le  livre  indique  la  voie 
aux  âmes  j)rivilégiées  ;  le  tenqjle  ouvre  un  passage  à  la-foule.  Ne 
vous  inquiétez  de  rien,  ne  regrettez  rien,  ne  pleurtz  sur  rien,  le 
remède  existe,  et  Dieu  ne  tardera  pas  à  manifester  de  nouveau  la 
su)>ériorité  de  son  esprit  sur  la  sagesse  du  monde  :  la  religion  est 
toujours  vivante,  et  elle  a  toujours  la  puissance  des  miracles  !  Tel 
est  mon  espoir  quand  je  parcours  la  cathédrale  de  Séville;  c'est 
comme  si  je  lisais  un  chant  des  Martyrs...  ' 

»  L'orgue  de  Séville  est  un  des  plus  fameux,  des  plus  grands 
et  des  plus  sonores  de  l'Europe  ;  il  a  des  soufflets  qui  ressemblent 
à  des  machines  à  vapeur. 

«  Outre  les  cinq  nefs  dont  j'ai  parlé,  une  multitude  de  cha- 
pelles ont  été  accolées  intérieurement  aux  murs  de  l'édifice.  Ces 
retraites  pieuses  sont  comme  autant  de  petites  églises  renfermées 
dans  l'enceinte  principale.  Le  dimanche  au  matin  ,  elles  étaient 
remplies  de  groupes  de   femmes  prosternées  sur   le   pavé  ;  ces 

*  Ce  chapitre  est  adressé  par  l'auteur  à  M.  de  Chateaubriand  (Note 
duD.). 


220  DESCRIPTION 

femmes  répondaient  par  leurs  pi  ières  aux  voix  d'une  phalange 
sacrée,  d'une  armée  de  lévites  occupés  à  sanctifier  leurs  enfans  \à^^' 
spirituels  ;  la  double  population  chrétienne  des  prêtres  et  des 
disciples  ne  se  laissait  pas  un  moment  distraire  de  ses  pieuses 
fondions  par  notre  présence. 

»  La  chapelle  des  rois  renferme  plusieurs  tombeaux  remarqua- 
bles, entre  autres  celui  de  Ferdinand  III,  dit  le  Saint,  qui  reprit 
Séville  contre  les  Maures  en  1248,  l'année  même  de  la  mort  de 
saint  Louis.  L'Espagne  et  la  France  avaient  l'une  et  l'autre  ,  à 
cette  époque,  un  roi  qui  fut  canonisé.  J'ai  visite  aussi  le  tombeau 
d'Alphonse  X  ,  surnommé  le  Sage,  fils  de  saint  Ferdinand.  Près 
delà  se  trouve  celui  de  Christophe  Colomb,  avec  cette  inscription 
unique  dans  l'histoire  des  mausolées  et  des  épitaphes  : 

A  Castilla  y  a  Léon  , 
Mundo  nuevo  dio  Colon. 

y/  la  Caslille  et  à  Léon,  Colomb  donna  un  monde  noiit'eau. 

»  Le  fils  de  ce  grand  homme  est  enterré  sous  une  des  chapelles 
latérales  de  l'église.  La  pensée  qui  a  conçu  celte  cathédrale  ne 
peut  tarir,  elle  nous  promet  bien  d'autres  merveilles.  On  croit  à 
tout  ce  qu'il  y  a  de  surnaturel  devant  un  édifice  qui  est  comme 
un  monde  placé  entre  la  terre  et  le  ciel.  Les  noms  les  plus  glo- 
rieux de  l'histoire  sont  gravés  sur  le  parvis  de  celte  cathédrale, 
qu'on  devrait  surnommer  le  panthéon  de  la  chevalerie.  Il  est  im- 
possible à  la  première  vue  de  se  faire  l'idée  de  tout  ce  que  ren- 
ferme ce  dépùt  des  arts  et  des  grandeurs  de  l'Espagne  entière.  Ja- 
mais je  n'ai  passé  sous  de  plus  nobles  murailles.  » 

L'auteur,  dans  le  chapitre  suivant,  termine  ainsi  la  description 
de  ce  merveilleux  monument. 

«  On  n'a  jamais  fini  de  voir  la  cathédrale  de  Séville;  c'est  un 
royaume  tout  entier  avec  son  gouvernement ,  avec  son  peuple  ; 
on  y  trouve  jusqu'à  des  chancelleries,  espèces  de  palais  habités 
par  une  foule  de  commis  en  costume  de  chanoines.  Ces  employés 
sont  chargés  de  tenir  les  registres  des  diverses  comptabilités  né- 
cessaires à  la  direction  de  l'église.  Il  y  a  des  salles  retirées  oik 
l'étranger  pénètie  par  hasard  ,  car  dans  ce  labyrinthe  sacré ,  on 
ne  trouve  de  guide  sûr  que  soi-même  ;  on  arrive  à  ces  salles  en 
traversaut  les  chapelles  latérales  et  les  innombrables  sacristies  at- 


DE   LA   CATHEDRALli   DE   SÉMLLE.  2ÎI 

nantes  au  corps  principal  de  l'édifice  ;  là,  ou  découvre  comme 

i.de'pôt  des  ouvrages  d'un  art  merveilleux,  ou  tout  au  moins  des 

:hesses  extraordinaires  ;  c'est  un  luxe  de  boiseries,  d'étoffes, 

est  une  profusion  d'objets  précieux  ;  là  ,  tout  vous  parait  digne 

attirer  votre  attention,  jusqu'aux  portes  des  armoires,  qui  ren- 

;rinent  des  trésors  et  qui  sont  elles-mêmes  des  chefs-d'œuvre, 

it  parla  rareté  de  la  matière,  soit  par  la  finesse  du  travail. 

»  Les  crédences  qu'on  a  ouvertes  devant  moi  contenaient,  entre 

lires  choses  de   prix  ,  des  saints  d'argent  xnassif,   un  soleil  de 

jinze  pieds  de  diamètre ,  un  cierge  de  trois  pieds  de  circonfé- 

;nce,  des  tabernacles  d'argent  de  douze  à  quinze  pieds  de  haut; 

îfin,  des  monceaux  d'étoffes  brodées  en  or,  des  tapisseries  ,  des 

écorations,  des  brocards  d'or  et  d'argent.  Ne  croyez-vous  pas 

re  un  conte  de  fée?  Etourdi  de  tant  de  magnificence,  on  sort 

'une  salle  pour  passer  dans  des  galeries  brillantes  de  dorures, 

t  dont  les  voûtes  sont  ciselées  avec  un  soin  merveilleux.  On  est 

bloui  de  l'éclat  des  marbres  ,  des  peintures  ;  on  se  fait  ouvrir 

ne   bibliothèque  remplie  de  livres  de  plain-chanl,  tous  d'un 

:avail  précieux,  et  dont  quelques-uns  sont  d'une  haute  anti- 

uite'.  Ils  contiennent  des  miniatures  sur  parchemin  ,  dont  cha- 

une  me'riterait  à  elle  seule  un  quart  d'heure  d'examen  ;  mais 

es  rayons  entiers  sont  remplis  de  ces  livres  ,  remarquables  par 

.'ur  ancienneté  et  parla  beauté  des  peintures  qu'ils  renferment. 

/oilà  de  quoi  de'courager  la  curiosité  la  plus  robuste.  Quelque 

iclif  qu'il  puisse  être,  le  voyageur,  étonné  de  tant  de  richesse, 

'effraie  de  sa  charge  et  sent  l'insuffisance  de  son  zèle,  pour  faire 

le  fût-ce  que  l'inventaire  des  raretés  qu'on  lui  montre.  Il  erre  à 

'aventure,  il  parcourt  d'un  œil  inquiet  le  vaste  champ  ouvert  à 

;es  recherches,  il  s'effraie  do  sa  tâche,  il  se  dépite  contre  sa  fai- 

Dlesse,  contre  la  brièveté  de  la  journée,  contre  le  désordre  de  ses 

dées,  contre  la  confusion  de  ses  souvenirs. 

»  Nous  avons  fini  notre  course  par  une  station  dans  l'église  de 
saint-Paul,  qui  appartient  aux  dominicains.  Elle  renferme  de 
belles  peintures  à  fresque;  on  n'a  pu  me  nommer  l'auteur  de  ces 
tableaux.  Le  couvent  est  un  vaste  monument;  il  y  a  un  beau 
jardin  qui  l'environne  ;  et  ce  couvent ,  tout  magnifique  qu'il  m'a 
paru  ,  n'est  pourtant  pas  un  des  plus  fameux  monastères  de  Se- 


222  DESCRIPTION 

ville.  La  ville  en  contient,  je  crois,  quatre-vingts,  dont  un  grand    L^^ 

nombre  sont  plus  opulens  que  celui-ci.  .  LquÎo 

»  La  personne  à  laquelle  j'avais  été  recommandé  et  qui  me  ser-  .^ 
vait  de  guide  dans  Séville,  se  récriait  sur  le  malheur  de  voir  tant   Xeser 
de  richesses  enfouies  chez  des  hommes  inutiles  à  la  société.  J'ai 
laissé  passer  sans  réponse  les  exclamations  du  philantrope  anda- 
loux.  Je  ne  parle  pas  assez  bien  l'espagnol  pour  attaquer  la  manie 
de  mon  siècle  jusque  dans  cette  langue. 

»  Mais  je  me  disais  tout  bas  :  est-ce  donc  ne  rien  faire  pour  les 
hommes  que  de  leur  conserver  les  modèles  et  le  sentiment  du 
beau  idéal,  le  goût  du  grand  dans  les  arts?  Puis  si  l'on  s'élève 
au-dessus  de  ces  considérations  secondaires  ,  combien  ne  s'éton- 
ncra-t-on  pas  de  voir  tant  d'esprits  à  vues  courtes  condamner 
d'un  trait  de  plume  des  instituiions  inhérentes  au  système  de  ci- 
vilisation qui  a  fait  le  monde  moderne?  Le  sacrifice  de  la  vie  sen- 
suelle est  une  idée  qui  paraît  sans  application  possible  :  avoir 
conçu  cette  pensée  était  un  effort  d'imagination  ,  l'avoir  réalisée 
par  toute  la  terie  me  semble  un  prodige  de  volonté.  Des  hommes 
dont  l'existence  entière  se  recueille  au  profit  d'une  seule  vérité  , 
méritent  du  moins  d'être  entendus  avant  qu'on  les  condamne; 
et  quels  sont  les  juges  de  ces  martyrs  de  la  méditation  et  du  re- 
cueillement? Leurs  juges  sont  des  hommes  dont  le  moindre  tort 
est  de  gaspiller  leur  tems  ,  leur  force,  et  de  donner  à  leur  égoïsme 
mondain  un  masque  de  philosophie.  Hommes  des  sens  ,  homnies 
de  l'argent,  hommes  de  chiffres  qui  ne  jugent  de  ce  qui  est  utile 
que  d'après  le  calcul  de  la  production  matérielle  appliqué  à  la 
société  qu'ils  dissèquent  toute  vivante,  comme  on  laboure  une 
terre  pour  la  mettre  en  rapport  :  ils  ne  pensent  pas  que  la  vraie 
association  humaine  est  esprit  et  corps  ,  et  que  par  une  loi  de  la 
nature,  l'esprit  se  dégrade  aussitôt  qu'on  l'emploie  uniquement  à 
poursuivre  un  but  fini.  Si  vous  n'imitez  plus  les  moines,  respe  tez- 
les  conmie  les  plus  graves  logiciens  de  la  terre.  L'esprit  vaut 
mieux  que  la  matière,  disent-ils,  ne  vivons  que  pour  l'esprit.  —  .^ 
C'est  un  but  (jue  vous  ne  pourrez  atteindre,  leur  répond  le  monde, 
parce  que  vous  êtes  des  hommes.  —  Si  Dieu  le  veut ,  nous  serons 
des  anges,  répliquent  les  pauvres  moines,  et  leur  vie  humble  et 
subUme  est  quelquefois  la  preuve  de  leur  croyance,  la  justifica- 


DE  L\  CATHÉDRALE  DE   SÉVILLE.  223 

ion.  de  leur  espérance.  La  règle  qu'ils  s'imposent  est  instituée 
ur  favoriser  le  triomphe  des  idées  sur  les  choses;  essayer  de  se 
onformerà  cette  règle,  c'est  déjà  rendre  hommage  à  ce  qu'il  y  a 
e  plus  élevé  dans  la  nature  de  l'homme;  réussir  dans  cet  essai, 
e  serait  devenir  égal  aux  êtres  surnaturels;  ce  serait  prouver  ce 
:jue  le  monde  nie  depuis  que  le  monde  existe.  Ce  n'est  point  par 
ies  paroles,  c'est  "par  des  actes  qu'on  décide  les  questions  discu- 
ées  et  non  résolues. 

"La  vie  monacale  est  une  exception;  mais  par  là  même,  elle  est 
a  seule  qui  convienne  à  certains  caractères  poussés  hors  des  li- 
îiites  du  monde  par  un  besoin  de  retraite  impossible  à  salis-  . 
"aire  dans  la  société  du  grand  nombre.  Cette  vie  d'exception , 
-endue  possible  à  force  de  prières,  prouve  sans  réplique  la  toute- 
Duissance  de  l'esprit.  L'homme  peut  être  heureux  sans  rien  ac- 
:order  aux  appétits  du  corps  ;  il  ne  peut  l'être  en  leur  cédant  fout  : 
voilà  ce  qu'on  dit  même  dans  le  monde,  quand  on  est  raisonnable 
2t  un  peu  philosophe;  mais  nul  ne  pourrait  croire  à  l'application 
possible  de  ces  spéculations  de  la  sagesse  ,  si  nous  n'avions  sous 
les  yeux  l'exemple  des  premiers  chrétiens  renouvelé  par  leurs 
rigides  successeurs,  ies  moines.  Le  moindre  inconvénient  des 
passions,  c'est  le  mécoutt  ntement  qu'elles  laissent  dans  l'âme  qui 
leur  a  demandé  la  félicité.  Voilà  ce  que  nous  disent  les  moralistes 
sans  nous  le  prouver,  et  ce  que  les  moines  nous  prouvent  sans 
nous  le  dire. 

I     »Je  sais  qu'en  Espagne  on  abuse  des  vertus  religieuses,  qui  de- 

"viennent  un  masque  à  l'usage  des  ambitieux  ,  comme  parmi  nous 

on  abuse  des  talens  qui  passent  aujourd'hui  pour  sacrés,   parce 

que  les  sociétés  même  les  plus  impies  ne  peuvent  subsister  sans 

une  ombre  de  religion  :  l'homme  qui  n'adore  pas  ne  vit  qu'à 

demi.  Si  donc,  dans  un  moment  de  délire,  il  s'efforce  d'humilier 

la  divinité  par  ses  blasphèmes,  il  déifie  en  même   tems  l'huma- 

nilé  par  un  genre  de  superstition  qui  survit  à  toute  religion,  parce 

que  cette  superstition   est  fondée  sur  l'orgueil  et  sur  l'égoïsme  : 

tant  il  est  vrai  que  le  culte  des  passions  hérite  de  tout  ce  qu'on 

i  Ole  au  culte  des  sacrifices  I  » 

I  Marqitis  de  Custine. 


224  DES  COUTUMES  ET  DES  ARTS 


DES  COUTUMES  ET  DES  ARTS 
CHEZ  LES  ANCIENS  ÉGYPTIENS. 


Croj'ances  égyptiennes.—  Immortalité  de  lame.  —  Arts  domestiques. 
-^  Arts  d'agrémens.  — Musique.  • —  Banquets.  —Jeu  des  femmes. — 
Combats  de  taureaux . 

Le?lnoaumens  de  l'Egypte,  avec  les  sculptures  et  les  peintures 
qu'ils  renferment,  se  présentent  sous  un  triple  point  de  vue.  On 
peut  les  conside'rer  comme  ouvrages  d'art ,  comme  documens 
historiques  ou  comme  témoignages ,  pour  confirmer  ou  réfuter 
les  notions  que  nous  fournissent  sans  les  prouver,  les  Hébreux,  les 
Grecs  ou  les  Romains,  ou  finalement  comme  des  moyens  de  dé- 
terminer l'état  de  la  civilisation  à  l'époque  de  l'érection  de  ces 
Dionumens.  Sous  le  premier  rapport,  il  y  a  peu  de  chose  à  dire  ; 
le  caractère  de  l'art  égyptien  était  véritablemeiat  stéréotypé  ,  car 
il  était  sujet  au  contrôle  de  la  caste  sacerdotale,  et  toute  dévia- 
lion  des  formes  établies  était  prohibée.  Sous  le  point  de  vue  his- 
torique, ces  monumens  présentent  nécessairement  de  grandes  la- 
cunes, car  tous  les  rois  n'aimaient  pas  à  bâtir  ;  leur  valeur  histo- 
rique est  cependant  considérable  comme  explication  subsidiaire 
des  docilmens  écrits  ;  et  notamment  le  Pentateuque  en  reçoit 
des  éclaircissemeus  qui  dissipent  merveilleusement  l'obscurité  de 
certains  passages. 

Quanta  l'état  de  la  civilisation,  des  découvertes  récentes  nous 
ont  fourni  les  moyens  de  déterminer  l'état  social  de  l'ancienne 
Egypte  ;  nous  avons  des  peintures  de  leur  vie  publique  et  de 
leurs  mœurs  domestiques;  ces  peuples  nous  ont  légué  tous  les 
détails  de  leur  manière  de  vivre  depuis  le  conseil  du  roi  jus- 
qu'au berceau  de  l'enfant,  non  point  décrit  en  termes  vagues, 


CHEZ   LES  ANCIEINS  ÉGYPTIENS.  225 

mais  leur  pensée  a^'ant  pris  corps  parles  formes  de  la  peinture  et 
de  la  sculpture,  n'exigeant  aucune  étude  préliminaire  pour  être 
comprises,  ni  une  science  bien  profonde  pour  être  interprétées. 

Il  y  a  peu  de  nations  dont  les  formes  extérieures  de  la  civili- 
sation aient  aussi  clairement  révélé  l'opinion  intime  sur  laquelle 
elles  étaient  basées,  comme  les  anciens  Egyptiens.  Il  est  impos- 
sible de  contempler  tpielque  grande  collection  de  leurs  anti- 
quités, sans  apercevoir  que  la  pensée  la  plus  influente,  dans  leurs 
opinions  religieuses  et  sociales,  était  la  croyance  d'une  continua- 
lion  de  l'être  après  la  mort  *.  Mais  cette  croyance  était  grossière 
et  sensuelle  :  c'est  pourquoi  ils  mettaient  tant  d'importance  à  la 
conservation  des  corps.  L'ancienne  Egypte  comme  la  Chine  mo- 
derne était  spécialement  gouvernée  par  le  bruon.  Les  Musulmans 
qui  connaissent  bien  son  efficacité  ont  un  proverbe  favori  :  «  Le 
»  bâton  est  descendu  du  ciel,  c'est  un  bienfait  de  Dieu.  »  Les 
maîtres  de  l'Egypte,  dans  tous  les  siècles,  se  sont  évertués  à  faire 
jouir  les  peuples  de  ce  bienfait.  Ammien  Marcellin  dit  que,  de 
son  tems,  on  se  faisait  un  point  d'honneur  de  supporter  la  bas- 
tonnade pour  éluder  le  paiement  des  impôts.  La  même  chose  a 
encore  lieu  de  nos  jours. 

M,  Wilkinson,  qui  a  passé  plusieurs  années  dans  les  tombeaux 
de  Thèbes  et  de  Memphis  pour  dessiner  les  peintures  cju'ils  ren- 
ferment, nous  a  transmis  de  curieux  détails  sur  les  arts  de  l'épo- 
que la  plus  reculée.  Ainsi,  dans  le  tombeau  de  Thothmosis  III, 
contemporain  de  iMoise ,  et  probablement  le  Pharaon  de  l'Ecri- 
ture, on  voit  un  cordonnier  armé  de  l'alcne  et  du  tranchet  de  la 
même  forme  que  ceux  dont  nous  nous  servons,  et  faisant  usage 
du  tire-pied  retenu  par  son  orteil.  Dans  le  même  tableau,  on  voit 
un  ébéniste  incrustant  un  morceau  de  bois  rouge  dans  une  plan- 
che de  sycomore  jaune  ;  à  côté  de  lui  est  un  petit  coffre  mar- 
queté de  bois  de  diverses  couleurs.  Un  autre  ouvrier  prépare  de 
la  colle  que  son  camarade  applique  à  deux  pièces  de  bois  pour 
les  léunir,  et  cette  peinture  a  au  moins  3,3oo  ans  I  L'habileté  des 
Egyptiens  pour  allier  et  travailler  les  métaux  est  suffisamment 
prouvée  par  les  nombreuses  pièces  dont  fourmillent  les  musées 

'  Nous  avons  décrit  dans  le  tome  v  des  Annales  ,  page  260,  une  pein- 
ture égyptienne  qui  atteste  celte  croyance. 

Tome  xvii.  ~  N"  99.  ih38.  15 


226  DES  COUTUMES  ET  DES  ARTS 

de  l'Europe.  Ils  avaient  surtout  le  secret  de  donner  aux  lames  de 
bronze  un  certain  degré  d'élasticité,  comme  on  peut  le  voir  dans 
le  poignard  du  musée  de  Berlin,  ce  qui  probablement  dépendait 
de  la  manière  de  forger  le  métal,  et  dans  les  justes  proportions 
de  l'alliage.  Certaines  habitudes  parmi  les  liommes  de  la  même 
profession  se  retrouvent  quelquefois  dans  des  contrées  très  éloi- 
gnées ;  et  dans  les  tableaux  en  question,  on  voit  souvent  le  scribe 
avec  sa  plume  de  roseau  derrière  l'oreille  pendant  qu^il  parle  à 
quelqu'un,  comme  nous  le  voyons  tous  les  jours  dans  nos  mai- 
sons de  commerce. 

Le  soufflet ,  comme  on  l'emploie  encore  dans  quelques  pro- 
vinces du  Midi,  était  connu  des  Egyptiens.  C'est  un  sac  de  cuir 
avec  une  douille,  sur  lequel  un  homme  presse  avec  le  pied  ;  une 
ficelle  qu'il  tient  à  la  main  sert  à  relever  la  peau  pour  faire  ren- 
ti-er  l'air.  Dans  la  tombe  d'Amunoph  II,  i45o  ans  avant  J.-C, 
on  voit  un  Égyptien  cjui  se  sert  d'un  siphon  pour  vider  un  vase 
qu'on  ne  peut  pas  remuer.  Il  n'est  pas  improbable  que  cette  in- 
vention soit  due  à  la  nécessité  de  laisser  déposer  l'eau  bourbeuse 
du  Nil. 

D'après  la  fréquente  répétition  de  banquets  et  de  festins  que 
l'on  voit  sur  les  monumens,  il  est  évident  que  les  Egyptiens 
étaient  un  peuple  très  sociable  ;  ils  n'ont  rien  négligé  de  ce  qui 
pouvait  provoquer  ou  augmenter  la  gaîté  •  la  musique,  les  cban- 
sons,  la  danse  et  même  des  sauteurs.  Des  jeux  de  hasard  occu- 
paient le  tems  entre  l'arrivée  des  conviés  et  le  commencement 
de  la  fête.  Les  personnes  de  haut  rang  venaient  en  palanquin  et 
en  charriots,  et  escortées  par  une  nombreuse  suite  ;  on  voit  même 
des  coureurs,  comme  c'était  encore  la  mode  chez  nous  dans  le 
dernier  siècle.  Dans  la  première  pièce  on  trouvait  de  l'eau  pour 
se  laver  les  mains  et  les  pieds  ;  l'absence  de  gants  et  les  sandales 
ouvertes  rendaient  cette  pratique  générale  parmi  les  anciens. 
Dans  quelques  occasions  on  offrait  des  vêtemens  aux  convives,  et 
négliger  de  s'en  revêtir  était  manquer  de  respect  au  maître  de  la 
maison.  Ceci  explique  une  des  paraboles  de  Jésus,  qu'un  convive 
fut  ignominieusement  expulsé  parce  qu'il  n'était  pas  revêtu  de 
l'habit  de  fête,  circonstance  qui  a  tant  excité  les  clameurs  des 
philosophes  du  xviiic  siècle,  parce  qu'ils  ii^^noraicnt  cette  particu- 
larité des  babils  fournis  aux  convives  par  le  maître  du  festin. 


CHEZ  LES  ANCIENS  EGYPTIENS.  227 

Ensuite  on  répandait  des  parfums  précieux  sur  les  invités,  cou- 
tume que  les  Juifs  avaient  empruntée  des  Egyptiens,  et  qui  se 
pratiquait  encore  en  Palestine  du  tems  de  N.  S.  ^.  Les  repro- 
ches que  le  prophète  Amos  *  adresse  aux  Juifs  sur  leur  luxe  de 
table  ne  sont  que  la  description  d'un  banquet  égyptien. 

Une  troupe  de  danseurs  de  profession  se  composait  d'hommes 
et  de  femmes  ;  les  hommes  faisaient  aussi  des  tours  de  force,  des 
sauts  périlleux,  ou  marchaient  la  tête  en  bas,  etc.  Parmi  les  jeux, 
on  voit  le  jeu  d'échecs  et  la  mora  des  Italiens.  Plusieurs  des  pein- 
tres égyptiens  montrent  beaucoup  de  talent  pour  la  caricature. 
Il  y  a  un  tableau,  au  Muséum  britannique  ,  où  des  dames,  dans 
une  réunion,  sont  représentées  disputant  sur  la  beauté  de  leurs 
boucles  d'oreilles  et  l'arrangement  des  tresses  de  leurs  cheve- 
lures avec  une  vivacité,  un  esprit  de  rivalité  tout-à-fait  caracté- 
ristiques. Dans  une  ou  deux  occasions  l'artiste,  peu  galant,  a 
peint  des  dames  que  le  plaisir  de  boire  avait  entraînées  trop  loin, 
et  qui  ne  peuvent  plus  dissimuler  leur  indiscrétion. 

Les  dames  jouaient  à  la  balle  ;  elles  étaient  assises  sur  le  dos  de 
celles  qui  avaient  manqué,  et  lorsqu'une  joueuse  manquait  à  son 
tour,  elle  servait  de  siège  à  une  nouvelle.  Cette  manière  était 
connue  des  Grecques,  qui  appelaient  les  vaincues  des  ânes ,  parce 
qu'elles  étaient  obligées  d'obéir  à  celles  qui  avaient  gagné.  Les 
escamoteurs  se  trouvent  aussi  dans  les  fêtes  ;  le  professeur  Ro- 
selliui  a  publié  une  gravure  dans  laquelle  on  voit  quatre  coupes 
renversées,  et  sous  une  d'elles  une  balle  est  cacbée  par  le  char- 
latan, dont  le  coup  d'œil  rusé,  et  le  regard  plein  d'intelligence 
malicieuse,  le  rendraient  digue  de  figurer  parmi  les  plus  habiles 
de  nos  jours;  on  y  voit  même  le  niais  qui  se  présente  pour  devi- 
ner sous  quelle  coupe  est  la  balle.  Il  serait  difficile  de  trouver 
dans  nos  tems  modernes  quelque  coutume  ou  quelque  amuse- 
ment qui  ne  se  retrouveraient  pas  chez  les  Egyptiens  du  tems 
des  Pharaons.  Amsi  on  voit  un  singe,  un  petit  chien  ou  une 
gazelle  près  de  la  maîtresse  de  la  maison,  tandis  que  les  convives 
viennent  la  saluer  à  mesure  qu'ils  arrivent  ;  les  jouets  d'enfant 
sont  aussi  variés  que  chez  nous,  même  y  compris  les  poitsas]  les 

'  S.  Mail.,  wvi,  ver.  (5,  7. 
"-VI,  4,6. 


228  DES  COUTUMES  ET  DES  ARTS  ,  ETC. 

nains,  que  nous  avons  vus  à  la  cour  de  nos  rois  il  y  a  deux  siècles, 
étaient  aussi  à  la  cour  des  grands  enEgypte,et  quelquefois  aussi  par 
superslilion  ils  prenaient  auprès  ti'eux  des  créatures  difforjues, 
ou  qui  avaient  quelque  ressemblance  avec  l'aspect  d'un  de  leurs 
•principaux  dieux ,  Phtah-Sokary-Osiris^  la  divinité  informe  de 
Mempliis.  Il  est  assez  singulier  que  les  Egyptiens  aient  eu,  il  y  a 
35oo  ans,  les  mêmes  goûts  qu'on  a  revus  depuis  à  Rome  et  dans 
l'Europe  moderne. 

Les  combats  de  taureaux  n'étaient  pas  oubliés  ,  et  les  torréa- 
dores  étaient  plus  intrépides  que  ceux  d'Espagne,  car  ils  atta- 
quaient l'animal  n'ayant  qu'une  main  de  libre,  et  se  faisaient  lier 
l'autre  pour  montrer  leur  courage  et  leur  dextérité.  L'espace  ne 
nous  permet  pas  de  présenter  tous  les  rapprotliemens  que  les 
coutumes  de  ces  anciens  peuples  ofTicnt  avec  les  nôtres,  et  sur- 
tout avec  celles  du  peuple  Juif,  dont  les  livres  sacrés  se  trouvent 
ainsi  expliqués  de  la  manière  la  plus  évidente  ;  car  la  véracité  his- 
torique de  Moïse  ne  peut  plus,  d'après  cela,  donner  lieu  au  plus 
léger  doute.  Mais  nous  trouverons  encore  de  nouveaux  docu- 
mens  dans  le  grand  ouvraj^e  que  prépare  le  jirofesseur  Roscllini, 
le  digne  successeur  de  Champollion. 

J.-G. 


DESRAPPORTS  NATURELS  ENTRE  LES  DEUX  PUISSANCES.    229 

^«*wVlV^^\vv^Vlv>wvwvv\v^\xw^A\v^^»^\v^\\^\v^,\vvw^vv  A^^\vv^^^\\v\^vv^v\v^^^vv^v^v^v\^\vv^ 


ijiôtoirc  ccdfôiaôtiquc. 


DES  RAPPORTS  NATURELS  ENTRE  LES  DEUX 
PUISSANCES, 

d'aPHÈS    la    tradition    UMVEnSELLE,    PAR    M.   l'aBBE    BOHRBACHER  , 
DE  LA  société'  ASIATIQUE  DE  PARIS,    ETC.,  ETC.   ' 

Difficulté  de  la  que^tio^.  —  Raisons  de  l'opposition  entre  les  deux  puis- 
sacces.  — Anal\se  du  livre.' —  Droits  de  l'Église.  — •  Son  action  sur  les 
peuples.  — Conclusion. 


Un  des  plus  grands  cliâtimens  infligés  à  la  raison  humaine  est 
l'iropossibilité  où  elle  se  trouve  de  délier  seule  les. questions  les 
plus  importantes  à  l'existence  morale  des  sociétés.  Dieu ,  en  re'- 
pandant  la  lumière  de  la  révélation  sur  tout  ce  qui  touche  im- 
médiatement au  bonheur  éternel  de  l'homme  ,  a  voulu  couvrir 
d'ombres  et  de  ténèbres  mille  problèmes  que  s'eflbrce  vaine- 
ment de  lésoudre  notre  insatiable  curiosité.  Quelquefois,  il  est 
vrai,  le  jour  se  fait ,  et  les  nuages  se  dissipent.  Alors  la  vérité 
fille  du  tems  se  montre  ;  mais  ces  manifestations  ,  qui  ont  lieu  à 
certaines  époques  marquées  par  la  Providence  ,  sont  le  prix  de 
combats  longs  et  coûteux.  Il  faut  en  quelque  sorte  que  l'erreur, 
par  ses  envahissemens,  oblige  Dieu  à  l'éblouir  par  un  des  rayons 
de  l'éternelle  lumière. 

Parmi  les  points  contestés  jusqu'à  ce  jour, et  qui  ont  occasionné 
le  plus  de  recherches,  soulevé  le  plus  de  querelles,  ou  doit  mettre 
en  première  ligne  l'appréciation  des  rapports  qui  subsistent  entre 
les  deux  puissances.  Toutefois,  tant  de  déplorables  bouleverse- 
mens  politiques  s'étaient  mêlés  aux  luttes  des  théologiens  et  des 
légistes,  de  la  cour  de  Rome   et  des  pailemens  ,  que  la  ques- 

*  2  vol.  in-8°,  prix  12  fr.  A  Besançon,  chez  Outhevin-Calcndrc,  édi- 
teur, et  à  Paris,  même  maison,  rue  Gît-le-Cœur  n"  4- 


230  DE^   Ri^PPQRTS    ÎSATURELS 

tiou  semblait  impossible  à  résoudre.  Cependant ,  c'est  ce  qu'a 
voulu  tenter  l'auteur  du  traité  que  nous  analysons  en  ce  mo- 
ment :  pour  notre  part,  nous  refusons  d'entrer  dans  le  fond  de 
la  question  ;  nous  n'examinerons  pas  même  s'il  était  bien  oppor- 
tun de  discuter  en  ce  moment  les  droits  respectifs  des  deux*  puis- 
sances. INous  nous  borneions  à  analjser  l'ouvrage  de  manière  à 
donner  le  désir  de  le  lire,  toutes  les  fois  que  l'on  voudra  connaître 
les  principaux  faits  de  celte  grande  lutte. 

Il  est  cependant  nécessaire  d'expliquer  pourquoi  les  limites 
qui  devraient  déterminer  les  rapports  des  deux  puissances  n'ont 
pas  encore  été  posées,  et  ne  le  seront  peut-être  jamais. 

Nous  indiquerons  deux  causes  principales  :  la  première  résulte 
de  la  nécessité  même  de  ces  rapports ,  la  seconde  des  variations 
que  subit  sans  cesse  l'un  des  deux  élémens  que  l'on  veut  mettre 
en  contact. 

En  effet,  si  l'houjme  pouvait  vivre  à  la  fois  dans  deux  mondes 
divers,  on  conçoit  que  brisant  tous  les  liens  qui  unissent  la  reli- 
gion et  l'élat,  on  fit  de  lui  deux  êtres  à  part,  et  conduits  par  des 
principes  entièrement  opposés  sans  que  son  intelligence  fût  cho- 
quée des  perpétuelles  contradictions,  conséquence  de  principes 
contraires. Mais  il  faut  qu'il  soit  chrétien, turc,  juif,déiste  ou  athée, 
en  même  tems  que  citoyen;  que  dans  le  même  individu  l'élé- 
ment religieux  se  combine  sur  une  foule  de  points  avec  l'élément 
social.  D'autre  part ,  l'influence  des  doctrines  religieuses  sur  les 
sociétés  est  un  fait  trop  évident  pour  que  l'on  songe  à  le  mettre 
en  discussion.  Mais  si  les  doctrines  ont  de  l'influence  ,  ceux  qui 
les  propagent  en  acquièrent  par  elles  comme  ils  leur  en  don- 
nent à  leur  tour.  Un  simple  moine  avec  la  doctrine  du  libre  exa- 
men mettra  le  feu  aux  quatre  coins  de  l'Europe,  tandis  qu'un 
monarque  voluptueux  et  cruel  jouera  la  foi  de  tout  son  peuple 
contre  une  princesse  à  renvoyer  chez  elle,  et  la  tête  d'une  de  ses 
maîtresses.  Si  des  doctrines  absurdes  soutenues  par  des  batail- 
lons, si  des  hommes  sans  force  par  eux-mêmes,  mais  soutenus  par 
la  popularité  de  leurs  enseignemens ,  ont  amené  les  plus  éton- 
nans  résultats,  comprend-on  l'influence  que  peut  acquérir  sur  les 
sociétés  une  doctrine  qui,  malgré  six  mille  ans  d'épreuves,  plonge 
encore  ses  racines  aux  sources  mêmes  de  tous  les  mystères  de  la 
nature,  de  la  science  et  de  la  société,  et  présente  aux  hommes  ses 


ENTRE   LES    DF.UX    PUISSANCES.  'IM 

branches  séculaires  chargées  des  fruits  les  plus  variés?  Comprend- 
on  quelle  puissance  cette  doctrine  prêtera  à  ceux  qui  sont  cliargés 
de  la  distribuer  aux  intelligences  quand  ses  dépositaires  forment 
à  leur  tour  un  corps  hiérarchiquement  constitue,  où  par  les  com- 
binaisons les  plus  merveilleuses  de  la  liberté  et  de  l'obéissance 
chaque  membre  peut  a! river  à  son  légitime  développement, 
tandis  que  le  tout  lié  par  une  chaîne  divine  présente  aux  mêmes 
hommes  tout  ce  que  donne  de  plus  éclatant  le  génie,  le  dévoue- 
ment, la  science  et  la  charité?  Or,  ce  corps,  c'est  le  clergé  catho- 
lique, dont  le  chef,  dépositaire  de  la  puissance  spirituelle,  dit 
aux  hommes  du  pouvoir  temporel  :  Pouvez-vous  vivre  sans  au- 
cune vérité?  Non,  répondent  ceux-ci.  Eh  bien,  poursuit-il,  re- 
jetez-nous ,  si  vous  le  pouvez ,  et  avant  un  demi  siècle  la  notion 
même  du  vrai  sera  eftacée  du  souvenir  de  vos  sujets. 

Un  état  ne  peut  vivre  sans  morale,  mais  la  morale  n'est  que  la 
conséquence  de  la  doctrine  ,  et  ceux  qui  donnent  les  fruits  de 
l'arbie  de  la  science  donnent  par  cela  même  et  nécessairement 
les  fruits  de  l'arbre  de  vie.  La  connexion  se  fait  ici  encore  plus 
sentir  quand  on  considère  le  corps  chargé  d'enseigner,  chargé  en 
même  tems  d'expliquer  les  conséquences  pratiques  des  prin- 
cipes qu'il  enseigne;  dès  lors  il  s'empare,  quoiqu'on  fasse,  et  de 
la  pensée  et  de  l'action  des  membres  de  la  société;  et  l'on  pré- 
tendra qu'il  n'a  aucune  influence  sur  son  ensemble  ! 

Remarquez  enfin  que  le  pouvoir  temporel  lui-même  repose  sur 
la  notion  des  droits  et  des  devoirs,  idée  toute  intellectuelle; 
qu'il  va  donc  prendre  racine  dans  le  monde  des  intelligences  ; 
que  dès  lors  ,  quels  que  soient  les  rapports  qui  l'uniront  avec  le 
pouvoir  qui  régit  les  intelligences,  il  faut  nécessairement  que  ces 
rapports  subsistent. 

On  ne  peut  donc  évidemment  supposer  un  état  dans  lequel 
aucun  point  de  contact  n'aurait  lieu  entre  les  deux  puissances  , 
où  comme  dans  un  divorce  légal  chacun  se  retirerait  de  son 
côté  emportant  ce  qui  lui  appartient.  La  vérité,  la  pensée  ne  se 
divisent  pas  quand  une  fois  elles  ont  été  mises  en  commun,  il  faut 
que  de  part  et  d'autre  il  en  reste  toujours  quelque  chose. 

Mais  comment  fixer  des  rapports  permanens  entre  le  pouvoir 
elles  sociétés,  dont  les  perpétuelles  fluctuations  indiquent  trop 
et  l'instabilité  des- vagues  qui  les  supportent  et  les  tempêtes  qui 


232  DES   RAPPORTS    NATURELS 

les  submergent?  Au  commencement,  l'Eglise  ne  put  manifester 
son  pouvoir  envers  une  société  païenne  ;  au  moyen-àge,  quand 
les  lois  se  furent  imprégnées  de  cbiistianisnie,  la  puissance  spi- 
rituelle fit  sentir  son  action.  jMais  aujourd'hui ,  que  sont  les  so- 
ciétés? Qui  pourrait  me  réciter  leur  symbole? 

Ainsi ,  nécessité  des  rapports  entre  les  deux  puissances,  impossi- 
bilité de  les  fixer  d'une  manière  précise^  voilà  ce  qui  nous  est  bien 
évident.  Mais  si  nous  ne  pouvons  savoir  ce  qui  devrait  être,  il 
peut  être  curieux  de  recbercber  ce  qui  a  été.  Tel  est  le  but  que 
se  propose  l'auteur,  M.  Rohrbaclier,  et  ce  n'a  été  ni  l'érudition  , 
ni  la  puissance  tlu  raisonnement,  qui  lui  ont  manqué  pour  l'at- 
teindre. 

Jetant  un  coup  d'œil  sur  le  monde  ancien,  l'auteur  commence 
par  faire  observer  que  partout  la  relijOjion  est  non-seulement  la 
base,  mais  encore  le  lieu  de  la  société  ;  que  partout  les  législa- 
teurs ont  donné  à  leurs  institutions  une  sanction  divine  ,  et  que 
les  lois  étaient  en  cjuclque  soite  un  corollaire  de  la  doctrine  re- 
ligieuse. 

La  philosophie  antique  ,  appelée  en  témoignage  ,  confirme  le 
même  fait,  et  laisse  entrevoir  dans  l'avenir  l'attente  d'un  état  so- 
cial plus  parfait,  établi  par  un  messager  ilivin. 

Là  où  l'élément  théocratique  a  prévalu  ,  c'est  assurément  chez 
les  Hébreux;  mais  cjuelle  influence  n'exercèrent-iis  pas  en  Egypte, 
où  ils  laissèrent  de  si  profonds  souvenirs  ;  en  Asie ,  où  les  popu- 
lations se  mêlèrent  avec  eux,  eoit  dans  la  guerre,  soit  par  le  com- 
merce; en  Grèce,  où  les  Spartiates  se  reconnaissaient  issus  d'A- 
braham •  en  Italie  même,  chez  les  Sabins,  colonie  de  Spartiates I 

L'action  théocratique  étant  incontestablement  reconnue  comme 
un  fait  dans  l'antiquité,  l'auteur  pose  les  principes  suivans,  cju'il 
confirme  par  des  textes  de  l'Ecriture. 

Dieu  seul  est  proprement  souverain. 

Le  fds  de  Dieu  fait  homme,  le  Christ  ou  Messie  a  été  investi 
par  son  Père  de  celle  puissance  souveraine. 

Parmi  les  hommes  il  n'y  a  de  puissance  ou  de  tiroit  de  com- 
mander, si  ce  n'est  de  Dieu  ou  par  son  Verbe. 

La  puissance  est  de  Dieu  ,  mais  non  pas  toujours  l'homme  q'ii 
l'exerce  et  l'usage  qu'U  en  fait. 

Et  la  souvcra!ncl(= ,  et  le  souvi  rain  ,  et  l'usage  qu'il  fait  de  sa 


ENTRE  LES    DEUX  PUISSANCES.  233 

puissance,  et  les  hommes  sur  lesquels  il  l'exerce  sont  également 
subordonnés  à  la  loi  de  Dieu. 

Dieu  ayant  créé  le  monde,  lui  donne  des  lois  c(ui  sont  le  reflet 
de  la  loi  éternelle,  qui  est  son  verbe  et  sa  sagesse,  et  que  doit  re- 
produire jusqu'à  un  certain  degré  la  loi  d'un  état  sous  peine  de 
perdre  les  conditions  de  la  vie  f|ui  lui  est  propre.  Et  dans  ce  sens, 
toute  loi  politique  n'est  que  l'écoulement  d'une  loi  divine  supé- 
rieure ;  et,  comme  dans  certains  cas  la  loi  politique  est  obscure, 
on  ne  peut  l'expliquer  que  par  la  loi  divine  ;  mais  le  dépôt  de 
celte  loi  divine  a  été  confié  à  l'Eglise,  qui  est  en  même  tems 
chargée  de  l'interpréter  ;  car  c'est  au  chef  de  l'Eglise  qu'il  a  été 
dit  :  Tout  ce  que  tu  lieras  sur  la  terre  sera  lié  dans  le  ciel ,  et  tout 
ce  que  tu  délieras  sur  la  terre  sera  délié  au  ciel. 

Donc  l'Eglise  a  le  droit  de  montrer  aux  hommes  ce  qui  est  vrai 
et  ce  qui  est  faux,  ce  qui  est  bon  et  ce  c[ui  est  mauvais  dans  les 
ordres  des  princes  ;  donc  la  sanction  la  plus  forte  des  lois  sociales 
c'est  la  sanction  de  l'Eglise.  Dès  lors  point  de  milieu ,  ou  la  so- 
ciété temporelle  est  nulle  de  droit,  ou  bien  elle  est  subordonnée 
à  l'Église. 

Ce  que  l'âme  est  au  corps ,  l'Eglise  l'est  à  l'état  ;  c'est  ce  qu'en- 
seignent d'une  voix  unanime  tous  les  Pères  de  la  primitive  Eglise, 
tous  les  théologiens  du  moyen-age,  tous  les  papes,  depuis  Gclase 
jusqu'à  Pie  YII. 

Le  pouvoir  de  l'Eglise  est  le  même  que  celui  de  J.-C;  mais  ce 
pouvoir,  toujours  le  même  en  soi,  se  manifeste  diversement,  selon 
les  époques  :  le  grain  de  sénevé  n'est  pas  encore  l'arbre,  le  gland 
n'est  pas  le  chêne.  Lorsque  dans  le  monde  il  n'y  avait  encore  que 
des  individus  chrétiens,  PEglise  ne  pouvait  commander  à  une 
société  païenne.  Plus  tard,  quand  les  é;ats  sortis  de  la  barbarie 
se  furent  placés  sous  l'influence  de  la  croix  ,  l'action  de  l'Eglise 
se  fit  sentir  sur  les  sociétés  d'une  manière  forte^  puissante  et  sa- 
lutaire «  Ni  l'enfance,  ni  l'adolescence  de  l'Eglise  ne  sont  la  mc- 
»  sure  de  sa  virilité.  Les  protestans  reprochent  à  l'Eglise  virile 
»  comme  des  abus  tout  ce  qu'ils  ne  lui  ont  pas  vu  faire  naissante  ; 
»  les  gallicans,  tout  ce  qu'ils  ne  lui  voient  pas  faire  adolescente  ; 
»  c'est  blâmer  un  homme  fait  de  ne  plus  mettre  ses  liabits  de 
''\  douze  ans,  ou  même  de  n'être  plus  au  maillot,  » 


234  DES    RAPPORTS    NATURELS 

Il  nous  est  impossible  de  suivie  pas  à  pas  Tauteur  dans  la  car- 
rière qui  s'ouvre  devant  lui.  S'euiparant  de  l'histoire  de  l'Eglise, 
il  attaque  toutes  les  objections  faites  contre  le  pouvoir  des  papes  ; 
examine  tous  les  faits  qui  ont  pu  contribuer  au  développement 
de  leur  puissance;  accuse  à  son  tour  d'ignorance  ceux  qui  avaient 
présenté  la  puissance  papale  bâtie  sur  l'ignorance  et  les  ténèbres  ; 
dévoile  les  effets  de  cette  puissance  sur  l'Europe,  sur  la  formation 
des  états,  sur  la  force  des  lois,  sur  le  bonheur  des  peuples  ;  venge, 
à  l'aide  des  auteurs  protestans  eux-mêmes,  la  mémoire  de  S.  Gré- 
goire \II;  jette  un  jour  tout  nouveau  sur  lés  démêlés  de  Phi- 
lippe-le-Bel  et  de  Boniface  ^  III  ;  présente  le  protestantisme 
comme  une  conséquence  rigoureuse  de  l'insubordination  envers 
le  pouvoir  pontifical  ;  arrive  à  la  controverse  des  quatre  articles 
et  se  prend  corps  à  corps  avec  Bossuet.  L'adversaire  était  redou- 
table. A  qui  des  deux  appartient  la  victoire?  Comme  pour  la  plu- 
part du  tems  celui  à  qui  elle  doit  finir  par  rester  est  désigné  d'a- 
vance dans  l'esprit  de  l'impartial  lecteur,  nous  nous  abstiendrons 
d'émettre  une  opinion  qui  ne  pourrait  être  c[ue  très-personnelle  : 
nous  renvoyons  à  l'ouvrage. 

L'auteur  termine  par  un  coup-d'œil  général  sur  les  conséquen- 
ces politiques  que  ,  selon  lui ,  le  pbilosophisme  moderne  a  tire'es 
des  principes  gallicans  :  il  y  voit  la  cause  de  tant  de  subversions 
récentes  ;  et  tant  de  catastrophes  sociales  sont  à  ses  yeux  une  nou- 
velle preuve  de  la  nécessité  d'un  pouvoir  modérateur  placé  au- 
dessus  des  constitutions  purement  humaines. 

Parlerons-nous  de  la  forme  de  l'ouvrage?  Nous  eussions  désiré 
quelquefois  que  l'auteur  se  fût  souvenu  que  son  manuscrit 
datait  de  neuf  ans,  peut-être  etit-il  rett  anche  quelques  passages 
un  peu  trop  durs.  Ainsi ,  après  avoir  cité  un  grand  nombre  de 
théologiens ,  même  français ,  qui  ont  considéré  comme  suspects 
d'hérésie  ceux  qui  ne  croyaient  pas  au  pouvoir  indirect  des  papes 
sur  le  temporel  des  rois .,  il  ajoute  :  «  Que  les  gallicans  de  nos 
»  jours  ne  sachent  pas  cela ,  et  qu'en  conséquence  ils  disent  des 
»  injures  à  un  écrivain  pour  avoir  prétendu  ,  non  pas  encore 
»  comme  les  anciens  évèqucs  de  Meaux  et  d'Autuu  ,  que  les  gal- 
»  licans  doivent  être  appelés  hérétiques,  mais  seulement  que  leurs 
»  principes,  suivis  dans  la  rigueur  des  conséquences,  mènent  à 
»  l'hérésie  :  cela  se  conçoit.   Depuis  assez  longtems  une  des  li- 


ENTRE   LES  DEUX   PUISSANCES.  235 

»  berté$  gallicanes  a  réglé  ,  à  ce  qu'il  paraît ,  que  le  savant  lios- 
M  suet  est  chargé  d'avoir  de  la  science  et  le  judicieux  Fleury  est 
»  chargé  d'avoir  du  jugement  pour  tout  le  monde  ,  et  que  par 
»  conséquent  nul  n'est  obligé  d'en  avoir  pour  lui-même.  IMais 
»  que  le  grand  Bossuet,  le  plus  savant  de  nos  évèques  gallicans, 
»)  ne  sache  pas  ou  feigne  de  ne  pas  savoir  ce  qui  se  trouve  dans 
»  les  docteurs  les  plus  célèbres  de  l'Ecole;  qu'il  ne  sache  pas  ce 
»  que  dit  un  de  ses  prédécesseurs  dans  le  siège  de  Meaux  ;  qu'il 
»  ne  sache  pas  l'ancienne  doctrine  de  sa  propre  église  ,  voilà  ce 
>»  qui  est  plus  difficile  à  concevoir.  Pour  moi  j'aime  à  sup[)Oser 
>♦  que  la  défense  de  la  déclaration  n'est  pas  sortie  de  sa  main  ,  ou 
>»  du  moins  qu'elle  ne  serait  pas  sortie  telle  que  nous  l'avons.  » 

Cette  forme  nous  paraît  trop  acerbe.  Que  tout  ce  que  dit  l'au- 
teur soit  vrai,  ce  n'est  pas  là  la  question  ;  mais  encore  faut-il  sa- 
voir que  la  vérité  n'entre  jamais  par  force. 

Et  maintenant  si  nous  cherchons  à  apprécier  la  nature  de  l'ac- 
tion de  l'Eglise  pendant  dix-huit  siècles,  nous  nous  verrons  ame- 
nés à  ces  deux  grands  faits  :  le  premier,  que  l'Eglise  possédant  le 
pouvoir  le  plus  parfait,  le  plus  haut  et  le  plus  fort,  doit  nécessai- 
rement être  l'amie  des  puissances  ;  mais  que  commandant  avant 
tout  aux  intelligences  et  l'intelligence  ne  subsistant  pas  sans  la 
liberté,  l'Eglise  tend  également  sans  cesse  à  affranchir  les  peu- 
ples en  les  appelant  au  triomphe  de  l'esprit  sur  la  matière,  de 
l'âme,  sur  les  passions  qui  asservissent  les  sociétés  comme  les  in- 
dividus. A  elle  donc  est  confiée  essentiellement  la  conservation 
des  deux  éléinens  sociaux  :  le  pouvoir  et  la  liberté.  Que  si  on  la 
voit ,  au  milieu  des  fluctuations  politiques,  paraître  favoriser  tan- 
tôt les  gouvernemens,  tantôt  les  peuples,  qu'on  y  fasse  attention, 
elle  vient  toujours  en  aide  au  plus  faible,  à  l'opprimé.  Dès  lors 
elle  combat  toujours  les  passions,  et  voilà  pourquoi  les  passions 
entravées  par  elle  l'ont  méconnue,  voilà  l'explication  de  son  im- 
popularité, alors  qu'elle  sauvait  les  états  comme  malgré  eux  ; 
voilà  pourq\ioi  quand  le  tems  ramène  le  calme  et  l'impartialité, 
on  lui  rend  une  justice  tardive  sur  son  action  dans  les  siècles  pas- 
sés. Pour  elle,  ce  ne  sont  pas  les  applaudissemens  des  hommes 
qu'elle  veut,  c'est  leur  bonheur.  Voyant  la  balance  des  destinées 
sociales  entraînée  tantôt  vers  le  despotisme  et  tantôt  vers  l'anar- 
chie, elle  pose  son  puissant  contre-poids  dans  le  bassin  le  plus 


236    DES  RAPPORTS  NATURELS  ENTRE  LES  DEUX  PUISSANCES, 
léser ,   et  rétablit  ainsi  les  notions  éternelles  du  droit  et  des 
devoirs. 

L'auteur  nous  a  dit  ce  qu'elle  a  fait  pour  le  passe'  ;  mais  quelle 
sera  son  action  dans  l'avenir?  Le  tenis  refuse  de  soulever  ses 
voiles.  Ce  que  nous  savons,  c'est  que  le  Christ  a  recommandé  à 
son  troupeau  de  ne  craindre  jamais,  quelque  petit  qu'il  fût,  parce 
que  la  main  de  Dieu  sera  toujours  sur  lui. 

E. 


ERRATA. 


Nous  ne  voulons  pas  dilTéri  r  d'insérer  la  note  suivante  qui  a  été  ou- 
bliée dans  le  Numéro  précédent,  à  la  fin  de  l'article  sur  rilermésianisrae. 

Nous  nous  sommes  aidés  ,  pour  la  composition  de  cet  article  ,  i»  d'un 
excellent  article  sur  les  acta  Jiermesiana ,  composé  par  IVI.  Pt-rrone,  jé- 
suite de  Rome,  et  inséré  dans  le  N"  19  des  Annali  délie  scienze  rcli- 
(fiose  de  Rome;  2°  de  plusieurs  articles  insérés  dans  \c  Journal  historique 
(le  Liège;  5°  des  différcns  journaux  qui  eut  publié  des  articles  on  dos 
pièces  authentiques  sur  l'Hermésianisme. 

Corrigez  :  page  9G,  1    16,  e'tail  à  Bonn,  lisez  :  était  mort  à  Bonn. 


NOUVELLES  ET  MÉLA.NGES.  237 

w^A'v^\^^'Vv^xv\vv\^^^^vvvvvv\xvvvv^^^vvv\^'vvvv^^/\vvv^f\vvvvvvvv^vvvvvvvvvvv\^'V^'\■v\\vvv^A/>  v\wv 

EUROPE. 

FR.ANCE,  Paris.  Crc'alinn  d'un  e\>ëclié  à  Alger.  —  Enfin  voilà  que  la 
rclii,Mon  catholique  vase  poser  encore  d'une  manière  stable  sur  la  côte 
d'Afrique.  Par  une  bulle  datée  du  4,  avant  les  ides  d'août  (le  lo  août), 
le  Saint-Père  a  érigé  Alger  en  siège  épiscopal,  qui  comprendra  sous  sa 
juridiction  toute  l'ancienne  Piégence  de  ce  nom.  Nous  croyons  devoir  con- 
signer ici  la  partie  suivante  de  cette  balle,  qui  présente  une  anal^'se  suc- 
cincte des  différens  états  où  s'est  trouvée  la  religion  à  Alger. 

«Julia  Cœsarea,  vulgairement  appelée  Alger,  que  les  uns  supposent 
avoir  été  l'ancienne  Ruscurium,  d'autres  Icosium,  doit  être  considérée 
comme  la  plus  importante  des  villes  d'Afrique  ,  soit  par  l'antiquité  de 
son  origine  ,  soit  par  ses  richesses  et  le  nombre  de  ses  habitans.  Cette 
ville  célèbre  ,  qui  a  donné  son  nom  à  tout  l'empire  d'Alger  ,  a  étendu 
sa  domination  sur  de  très-vastes  pays  formés  de  l'ancienne  Numidie  et 
Mauritanie.  Mais  plus  la  puissance  d'Alger  sous  les  Sarrasins  et  les  Turcs 
étendait  sou  empire,  plus  était  dure  et  déplorable,  dans  ces  contrées,  la 
condition  des  chrétiens.  Bien  qu'en  effet  les  pontifes  romains  ,  dont  la 
suprême  puissance  et  la  paternelle  sollicitude  pour  toutes  les  Églises  ne 
sont  circonscrites  par  aucune  limite,  aient  consacré  les  soins  les  plus 
assidus  aux  chrétiens  établis  dans  ces  contrées  et  se  soient  appliqués  à  ra- 
mener vers  la  vérité  et  la  lumière  de  l'Eglise  catholique  ceux  qui  mar- 
chaient dans  les  ténèbres  et  dans  l'ombre  de  la  mort,  on  peut  néanmoins 
aisément  comprendre  combien  d'obstacles  arrêtaient  le  sacré  ministère 
sous  le  gouvernement  farouche  et  superstitieux  des  infidèles,  et  quels 
faibles  fruits  pouvaient  recueillir  de  leurs  travaux  les  prêtres  de  l'Évan- 
gile envoj'cs  dans  ces  lieux  par  notre  congrégation  de  la  Propctgandc. 

»  Mais  enfin  a  brillé  cet  heureux  jour,  objet  des  vœux  de  tous  les 
gens  de  bien  ,  où  les  troupes  intrépides  de  la  France  ont  soumis  Alger 
à  leur  puissance  ,  où  la  religion  catholique  a  paru  remporter  le  plus 
brillant  triomphe  sur  les  ennemis  du  nom  chrétien.  La  face  des  choses  a 
été  tout-à-fait  changée.  Il  a  été  permis  de  prêcher  le  Christ  crucifié  ; 
un  libre  et  sûr  accès  a  été  ouvert  aux  ouvriers  de  l'Évangile  ;  il  a  été 
donné  à  chacun  d'avouer  la  religion  chrétienne  et  de  la  professer  libre- 
ment en  présence  de  tous.  Et  pour  augmenter  et  combler  la  joie  dç  notre 
âme,  un  grand  temple  d'Alger  ,  qui  pendant  long-tems  avait  vu  célé- 
brer les  l'itcs  profanes  et  monstrueux  de  l'Alcorau,  purifié  parles  saintes 


à3^  NOUVELLES  ET  MELANGES. 

cérémonies  de  l'Église,  consacré  par  le  signe  salutaire  de  notre  religion 
et  par  l'image  de  la  Vierge ,  mère  de  Dieu  ,  exposée  à  la  vénération  des 
fidèles,  est  réservé  désormais  à  leurs  réunions  s^icrées. 

»  Secondant  ainsi  avec  un  grand  empressement  les  vœux  et  les  de- 
mandes déjà  énoncées  du  roi  très-chrétien  des  Français,  ayant  concerté 
avec  lui  toutes  choses  ,  et  après  une  mûre  délibération  ,  pour  la  gloire 
de  Dieu  et  de  Jésus-Christ,  son  Fils,  notre  Sauveur  ,  dont ,  malgré  notre 
indignité^  nous  tenons  la  place  sur  la  terre,  pour  l'exaltation  de  l'Eglise 
militante  ,  de  notre  certaine  science,  de  notre  propre  mouvement,  dans 
la  plénitude  de  notre  pouvoir  apostolique  ,  nous  exemptons  et  délivrons 
à  perpétuité  de  la  juridiction  ordinaire  de  tout  pouvoir  ecclésiastique 
supérieur  Julia  Cœsarea  et  tout  le  territoire  dont  se  composait  autrefois 
l'État  appelé  vulgairement  iîegeHce  d'Alger,  ainsi  que  toutes  les  églises 
particulières  ,  les  couvens  de  religieux  et  les  pieuses  congrégations,  s'il 
en  existe  quelques-unes,  tous  les  habitans  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  , 
tant  clercs  que  laïques,  enfin  les  prêtres  de  tout  grade,  ordre,  état  et 
condition. 

Suit  la  création  de  l'évêché  d'Alger,  qui  est  rendu  suffragant  de  l'ar- 
chevéché  d'Aix. 

—  M.  l'abbé  Dupuch,  chanoine  de  Bordeaux,  a  été  nommé  premier 
évêque  d'Alger. 

—  Rapport  du  ministre  de  l'instruction  publique  sur  te'tude  de  la 
théologie  en  France.  Dans  ce  rapport,  qui  a  paru  dans  le  Moniteur  du 
3o  août  derniei-,  M.  Salvandy  expose  que  par  le  décret'du  17  mars  1808, 
qui  organise  1  Université,  dans  chaque  académie,  fut  créée  une  faculté  de 
théologie,  dont  les  professeurs  devaient  être  nommés  au  concours,  mais 
que  Cl  tte  clause  ne  put  être  remplie  parce  qu'il  n'y  avait  alors  ni  con- 
currens  ni  juges,  et  qu'on  en  ajourna  l'exécution  au  i"  janvier  18 15. 
Mais  alors  le  même  inconvénient  se  représenta  j  car  il  n'y  avait  encore 
ni  concurrens  ni  juges.  «  Les  vingt  dernières  années,  continue  le  mi- 
»  nistre  ,  loin  de  changer  cette  situation  ,  l'ont  aggravée  en  laissant 
»  presque  entièrement  périr  les  facultés.  Los  difficultés  sont  donc  aussi 
»  réelles  et  de  même  nature  qu'en  180^^.  Nulle  faculté  n'est  pourvue  de 
»  tous  ses  professeurs,  et  les  professeurs  peuvent  seuls  ,  aux  termes  des 
»  décrets,  former  un  jury  de  concours.  De  plus,  les  concurrens  doivent 
»  être  docteurs,  et  se  présenter  au  nombre  de  trois.  Or  à  peine  existe- 
«  t-il  trois  docteurs  dans  le  royaume,  et  il  importe  d'autant  plus  de 
»  sortir  de  cet  état  de  choses  ,  qu'une  ardeur  récente  ,  mais  réelle,  et 
»  qu'on  ne  peut  trop  encourager,  se  manifeste  dans  le  clergé  pour  obte- 
w  nir  ses  grades  ,  et  il  n'y  a  pas  d'autorité  instituée  pour  les  conférer.  « 

Le  moyen  que  M.  le  Minisire  suggère  pour  sortir  de  cet  état,  est 
d  ajourner  le  concours  jusqu'en  i83o,  et  de  continm-r  à  nommer  lui- 


NOUVELLES  ET  MELANGES.  SSg 

même  les  professeurs.  En  outre,  une  chaire  nouvelle,  de  droit  ecclésias- 
tique,  est  créée  dans  chacune  des  facultés,  qui  déjà  avaient  des  chaires 
de  doçme,  de  morale,  d'écriture  sainte,  d'histoire,  de  discipline  ecclé- 
siastique, d'hébreu  et  d'éloquence  sacrée.  Cette  chaire  de  droit  ecclé- 
siastique aura  pour  ohjet  «  le  droit  commun  de  l'Église  et  le  droit  spé- 
V  cial  qui  sans  préjudice  de  l'unité  de  l'Eglise  cathoHque  régit  les  églises 
»  de  France,  d'Allemagne,  et  des  autres  nations  chrétiennes.  » 

Nous  formons  les  vœux  les  pkis  ardens  et  les  plus  sincères  pour  le  réta- 
blissement des  bonnes  et  fortes  études  théologiques  en  France,  mais  nous 
doutons  que  l'Université  puisse  jamais  satisfaire  en  cela  les  désirs  des  ca- 
tholiques. <(  Je  suis  assez  heureux,  dit  M.  le  Ministre  ,  pour  pouvoir  dé- 
w  claj'er  qu'aujourd'hui  1  épiscopat  s'unit  d'intention  aux  vœux  si  sou- 
»  vent  exprimés  au  sein  des  grands  pouvoirs  de  l'état.  Les  chefs  du  sa- 
))  cerdoce  savent  et  proclament  que  les  bonnes  et  fortes  études  lui  sont 
n  nécessaires  pour  remplir  toute  sa  mission.»  Ceci  est  vrai,  mais  nous 
doutons  de  ce  que  le  M.  ministre  ajoute,  que  les  chefs  du  sacerdoce  savent 
et  \M-oc\siment  que  l'Université,  par  la  surveillance  qu'elle  exerce,  comme 
par  les  grades  qu'elle  confère,  peut  seule  rendre  de  l'éclat  et  de  l'autorité 
au  haut  enseignement  ecclésiastique.  Nous  doutons  que  les  évèques  qui 
proclament  cela  soient  nombreux.  L'enseignement  théologique  ne  doit 
être  donné  que  par  les  évèques  et  les  pasteurs  catholiques,  ne  peut  être 
surveillé  que  par  eux.  Quoi  qu'il  en  soit ,  nous  répétons  encore  que  nous 
formons  des  vœux  pour  voir  créer  en  France  des  facultés  de  hautes  études 
théologiques ,  mais  ces  facultés  ne  doivent  ressembler  ni  à  celles  de  l'uni- 
versité actuelle,  ni  en  bien  des  points  à  celles  de  l'université  ancienne. 

—  Etat  de  l'affaire  de  M.  Vahhé  Bautain.  jN'os  lecteurs  se  souviennent 
peut-être  de  la  lettre  que  M.  l'abbé  Bautain  adressa  à  Mgf  l'évëque  de 
Strasbourg  (tome  xv,  p.  354),  et  comme  cette  réponse  ne  fut  pas  jugée 
suffisante,  de  la  promesse  que  nous  fîmes  de  les  tenir  au  courant  de  cette 
affaire,  lorsqu'il  paraîtrait  quelque  chose  d'authentique  sur  cette  ques- 
tion. jNous  allons  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  une  série  de  faits 
que  nous  puisons  dans  une  lettre  de  M.  Bautain,  datée  de  Strasbourg ,  le 
5  août  dernier. 

MM.  Bautain  et  de  Bonnechose  ayant  appris  en  février  dernier  qu  on 
travaillait  à  faire  mettre  à  l  index ,  à  Rome,  leur  ouvrage  intitulé  Philo- 
sophie du  christianisme,  se  décidèrent  à  se  rendre  dans  cette  ville.  Là  ils 
déférèrent  au  jugement  du  Saiot-Siége  tout  ce  qu'ils  avaient  écrit.  Ce  fut 
Son  Exe  le  cardinal  Mezzofanti  qui  fut  désigné  pour  examinateur.  Mais 
une  maladie  et  d'autres  causes  ayant  fait  traîner  cetexamen  en  longueur, 
ces  messieurs  signèrent  le  ly  mai  une  déclaration  par  laquelle  ils  s'enga- 
gèrent d'avance  à  adhérer  au  jugement  du  souverain  pontife  quel  qu'il 


240  NOUVELLES  ET  MÉLANGES. 

fût,  à  faire  loul  ce  qu'il  ordonnerait  à  ce  sujet  ;  et ,  en  attendant  à  ne 
rien  enseigner  de  vive  voix  on  par  écrit  qui  semblât  s'éloigner  de  la  doc- 
trine des  auteurs  approuvés,  ou  avoir  l'apparence  d'une  nouveauté 
dangereuse. 

Sa  Sainteté  Grégoire  XVI  a  reçu  avec  joie  cette  déclaration,  leur  a 
donné  une  lettre  confidentielle  pour  leur  ménager  un  accueil  favorable  de 
la  part  de  leur  évcque,  et  de  plus  une  attestation  qui  prouve  qu'ils  sont 
en  union  avec  le  Saint-Siège,  et  qu'ils  ont  mérité  sa  satisfaction  parleur 
soumission  fdiale.  Aussi,  arrivés  à  Strasbourg,  ils  ont  été  accueillis  avec 
bonté  par  leur  évêque.  —  L'on  ne  peut  que  louer  la  conduite  de  MM.  Bau- 
tainetde  Bonnecb.ose;  ils  ont  fait  ce  que  permettait  monseigneur  l'arche- 
vêque de  Cologne  à  ses  prêtres  dans  le  xviii<^  article  de  la  déclaration  qu'il 
exigeait  d'eux  (V.le  no  97  ci-dessus,  p.  i07),àiavoir  qu'ils  n'appelleraietit 
du  jugement  de  leur  évêque  à  personne  autre  quau  chef  de  toute 
V  Eglise. 


6ibliocjrapl)if. 


Nous  croyons  devoir  particulièrement  recommander  à  nos  lec- 
teurs la  iraduciion  de  l'HISTOIRE  DU  PAPE  INNOCENT  III , 
publiée  par  J>I.  Alex,  de  Saint-Cheron.  Cette  traduction  a  le  grand 
avantage  d'être  la  seule  complète  ,  enrichie  de  notes  ,  de  rectifi- 
cations ,  de  communiications  inédites,  fournies  par  l'auteur.  L'in- 
troduction de  ]M.  de  Saint-Cheron  est  un  curieux  résumé  de 
toutes  les  opinions  exprimées  ,  depuis  trois  siècles,  sur  Inno- 
cent III,  par  les  principaux  historiens  de  la  France,  de  l'Aile-- 
magne  et  de  l'Angleterre.  Une  biographie  de  l'auteur,  dont  ce- 
lui-ci a  garanti  l'exactitude  ,  mérite  d'être  lue  avec  attention. 

Enfin,  ce  qui  est  plus  important  encore,  M.  de  Saint-Cheron 
a  reçu  de  M.  Hurler  une  lettre  par  lequelle  celui-ci  déclare  pu- 
bliquement, qu'après  avoir  collationné  celte  traduction  sur  Vovi- 
ginal ,  il  l'a  iroiifce  de  la  plus  rigoureuse  fidélité^  et  quelle  a  vaincu 
avec  habileté  toutes  les  difficultés  du  texte.  M.  Hurler  ajoute  que 
V  édition  française  de  M.  de  Saint-Cheron  ,  est  supérieure  même  à 
Védition  allemande  ,  grâce  aux  rectifications  et  communications 
inédites  qu^il  a  données.  En  conséquence  ,  31.  Hurtcr  n  approuve 
cl  ne  reconnaît  que  la  traduction  publiée  par  M.  de  Saint-Chéron  , 
cl  proleste  contre  toute  autre  qui  ne  peut  être  présentée  avec  les 
mcincs  garanties  d'exactitude  ,  cl  comme  étant  aussi  complète. 

BI.  de  Saint-Cheron  a  public,  en  tête  de  son  second  volume,  le 
texte  de  cette  lettre  ,  à  laquelle  se  trouve  jointe  la  légalisation  , 
revêtue  du  sceau  de  la  chancellerie  d'état  du  canton  de  Schal- 
fouse. 


ANNALES  ^* 

BE  PHILOSOPHIE  CHRETIENNE. 

STbuHiéxo   100. 5  1  0ctoÉxc>  1  8  3  8. 

^rWVWW'V  iV\\XV'WiV\\VVVi\V\\\VV\\VV\%VW\%\\\\\\\V\\\V\,%A,Vvv\VV\\VV\VV\\VV\^V\\%VV\\«V\^V 


DOCTRINE  DE  LA  SYNAGOGUE, 

SUR  l'invocation  des  saims,  et  sur  la  foi  au  rédempteur 

PROMIS. 


CHAPITRE  IL  —  MOYEN  de  salut  dans  l'ancienne  synagogue. 

Foi  aa  Messie  à  venir.  —  La  circoncision  n'a  jamais  élé  le  remède  da 
péché  originel.  —  Sentimcns  îles  Pères  à  ce  sujet. —  Opinion  de  quel- 
ques rabbins. — Effet  rétroactif  du  mérite  des  souffrances  du  Messie. 

Beau  dialogue  entre  le  Messie  et  le  Père. 

Dans  le  précédent  chapitre  ',  nons  avons  exposé  tout  ce  que 
nous  avons  pu  recueillir  des  traditions  de  la  synagogue  au  sujet 
du  péché  originel  Mais  qviel  remède  la  fille  de  Sion  connaissait- 
elle  alors  à  une  plaie  si  grande,  ivimense  comme  la  mer  '  ? 

Je  l'ai  déjà  dit.  Si  l'Eglise  nous  apprend  que  les  fidèles  de 
l'Ancien-Testamcnt  se  sauvaient  par  leur  foi  vive  dans  le  Messie 
à  venir,  nous  voyons  également,  par  les  traditions  hébraïques, 
que  la  Synagogue  a  toujours  reconnu  la  rétroactivité  du  mérite 
des  souffrances  volontaires  du  Christ  '%  en  faveur  de  tous  les' hommes  de- 
puis Adam,  sans  excepter  les  enfans,  fussent-ils  nés  avant  terme.  Car 
la  synagogue  n'a  jamais  mis  en  question  le  salut  des  enfans.  Et 

•  Voir  le  2«  article  dans  le  N°  gi,  t.  xvi,  p.  7. 

'  Lament.  n,  i5. 

''  Oblatus  est  quia  ipse  volait,  haïe.  Lni,  7. 

Tome  xvii. — 1S°  100.  i85S.  16 


3i2  MOYEN    DE   SALUT 

il  est  bon  de  faire  remarquei-  que  pour  la  foi  dans  le  Messie  à 
venir,  il  suffisait  qu'elle  fût  implicite. 

Anciennement  la  synagogue,  de  même  qu'à  présent  l'Eglise, 
était  une  mère  pleine  de  sollicitude.  C'était  elle  qui,  en  qualité 
de  iuLrice ,  si  je  puis  m'cxprimer  ainsi,  suppléait  à  la  faiblesse 
des  petits  enfans  ',  afin  qu'ils  ne  fussent  pas  repoussés  du  sein 
d'Abraham.  Depuis  que  V ea-pectation  da  Messie,  c'est-à-dire  la  foi 
dans  le  Sauveur  futur,  a  été  remplacée  par  un  sacrement  for- 
mel, le  baptême,  et  la  synagogue  par  l'Eglise,  celle-ci  a  pareil- 
lement pris  sous  sa  tutelle  les  petits  enfans.  Il  est  vrai  que  le 
baptême  peut  les  justifier  par  sa  propre  vertu  sans  leur  concoui's, 
ou,  comme  dit  le  saint  concile  de  Trente,  ex  opère  operato;  mais 
il  est  vrai  aussi  que  comme  ce  sacrement  nous  rend  membres 
de  l'Eglise,  celle-ci  a  le  droit  de  prescrire  des  conditions  à  ceux 
qui  se  présentent  pour  entrer  dans  sa  communion.  En  effet,  elle 
exige  du  récipiendaire  ces  engagemens  solennels  que  nous  appelons 
les  vœux  on  promesses  du  baptême.  Or  que  fait  cette  tendre  mère 
quand  il  s'agit  de  purifier  de  la  iaclie  originelle  un  de  ces  petits, 
que  le  Sauveur  aime  tant  à  rapprocher  de  son  divin  cœur  '  ? 
Elle  donne  à  l'enfant  des  parrains  qui  le  représentent ,  et  font 
en  son  nom  des  promesses  qui  devieiment  obligatoires  pour  lui. 

Quant  à  la  circoncision^  elle  n'a  jamais  été  considérée  dans  la 
synagogue  comme  un  moyen  de  délivrer  les  hommes  de  la  souil- 
lure et  du  venin  de  Cancien  serpent  \   Elle  était  simplement  un 

^  On  trouve  également  dans  les  Docteurs  d*,-  Tl^glise  un  indice  du  celle 
manière  de  suppléera  l'incapacllé  du  premier  âge.  —  S.  Grégoire  k- 
Grand  dit  :  a  Quod  vero  apud  nos  valel  aqua  Ëaplismalis,  hoc  egit  apud 
veteres,  \e\  pro  parvulis  sjla  fides,  vcl,  clc.  a  Moral.  1.  iv,  p.  102,  t.  1.  des 
Bénéd.  —  S.  Thomas  :  Sota  ftdes  parvtilos  justificabat ,  et  non  circumci- 
sio.  Sum.ô,  p.  q.  70,  art.  4»  ^d  1.  — 11  es!  clair  que  des  personnes  en  ii'^e 
«le  raison  devaient  prêter  leur  loi  vive  à  ces  parvuli. 

»  Sinite  parvulos  veiîirc  ad  me,  et  ne  prohibueritis  illos.  S.  Math,  x, 

a. 

3  Voyez  Genèse  xvn,  2,  4»  7<  9»  lo.  1 1,  i3,  i4- — Le  grand  Docteur  des 
Nations,  avec  sa  loo-ique  lou jours  si  serrée,  prouve  |)arfHiten»eut  que  la 
circoncision  était  un  si'nple  signe  et  non  le  moyen  de  justification.  Abra- 
ham encore  incirconcis  était  déjà  justifié  {Gen.  xv,  6.)  Et  qu'esl-ce  qui  lui 
valut  sa  justification  ?  Sa  foi  vive.  «  Credidil  Abraham  Deo  et  rtputatum  est 


DANS   l'ancienne   SYNAGOGUE.  243 

signe  de  l'alliance  de  Dieu  avec  la  postérité  Isaacîte  d'Abraliam. 
Car,  s'il  en  était  autrement,  comment  auraient  été  justifiés 

illi  adjustitiam.  »  C'est  ce  qui  fait  dire  à  S.  Paul  dans  la  suile  de  ce  beau 
chapitre  :  Crtrf  flom.,  ch.  IV,  V,  5,  lo)  «  Qaomodo  ergo  ropulata  est  (se. 

•  fides  Abrahte  ad  juslitiam)?  iu  circumcisioue,  an  in  praepulio  ?  Non  in 

•  circumcisionc ,  sed  in  praepulio.  El  signura  accepit  ciicuracisionis,  sig» 

•  naciitum  jlstiti.ï  fidei  quas  est  in  praepulio.  i 

S.  Jérôme  {in  Jer.  ix ,  25.)  sVxprime  ain^i  :  o  Non  gloriarî  débet 
»  Juda  80  quod  prœpulium  non  habeat,  sed  ex  lege  Dei  circumcisus  sit. 
»Nec  prodest  circumcisio,  quœ  in  signam  data  est.» — Le  même  sainl  Doc- 
tenr,  qu'on  ne  saurait  Irop  ciler  à  cause  de  son  excellent  jugement  et  de 
sa  profonde  crudiliou,  s'exprime  de  la  manière  suivante  dans  son  corn- 
mentaire  sur  CEpilrc  aux  Calâtes,  m,  7.  oVii Iules  Abraham  in  quibus 
tante  circumcisioiicm  Dco  placuit,  diligcns  leclor  «nuracra,  etquoscum- 

•  que  ia  simili  opère  rcpercris,  dicilo  filios  esse  Abraham  jastificati  in 

•  praepnlio,  qui  circcmcisioacm  non  ob  meritum  operum,  sed  in  signum 
afidet  prioris  accîpit.  » 

El  S.  ïhoma?,cel  Hercule  du  10'  siècle,  si  puissant  en  Dieu  par  ses  écrits, 
s'exprime  dans  le  même  sens.  «Circumcisio^  sicut  et  alla  sacrzmonla  Ve- 

•  leris  ]egis,erat  solum  signmn  fidei justificationis.  o(5«»i.  q.  62.  a.  6.  ad 
5.)  «  Circumcisio  ex  opère  operalo  non  ijabcl  virtulem  effectivam,  neque 

•  quantum  ad  rcmolioncm  culpae,  neque  quantum  ad  operalionem  jusli- 
■  liœ,  sed  eral  solum  injustiliœ  signum.' {Com.  in  ep.  ad  R.  c,  iv,  Icctio.  2.) 
Ajoukz  le  passage  du  Sainl ,  que  j'ai  cilé  dans  la  note  1  de  la  page  pré- 
côdcule. 

Je  pourrais  encore  citer  à  rajipui  de  celle  doctrine  un  grand  nombre 
de  Pères  latins  et  grecs  qui  ne  voient  dans  la  circoncision  qu'un  signe  dis- 
tinctif  du  peuple  Hébreu ,  figurant  le  sacrement  de  baptême,  mais  ne  lui 
attribuent  aucune  vertu  surnaturelle  pour  la  sanclification  ou  la  purifi- 
cation de  l'àme.  S.  Justin  mailyr  [dial,  cum  Trypii.),  S.  Irétiée  ("1,  iv, 
c.  3.),  S.  Jean  Clirys.  (ni  Gcn.  Iwm.  09.  et  in  E/ji'sf,  et/ Uo?n.), S.  Epipliane, 
{Jiœres  00.),  S.  Jean  de  Damas  {de  FiJe  Ortliod.  1.  iv,  e.  aS),  Terlullicn 
qui  dit  {cont.  Jud.)   :  c  Accepit  (se.  Abraham)  quidem  circumcisioncm  , 

•  sed  quae  esset  in  signum  illius  lemporisnon  in  salutis  prarogativam»,  et 
tant  d'autres  dont  je  pourrais  grossir  ma  liste.  EnGn  le  Concile  de  Flo- 
rence en  parlant  dcssacremens  du  l'ancienne  loi  (in  Decr.  Eug.  ad  Arm.) 
dit  Expressément  1  «Haec  cnim  non  causabant  graliam,  sed  solum  pcr  pas- 

•  sioncm  Christi  dandam  figurabant.  » 

St.  Augustin  fut  le  premier  à  relever  les  effets  de  la  circoncision,  et  à 
enseigner  qu'elle  repietlail  le  péché  originel,  et  conférait  la  grâce  justi- 


2i4  VOY^y    DE   SALUT 

Abel  le  juste  ',  Hénoch^  et  tant  d'autres  morts  avant  son  institu- 
tion '  ?  Et  Dieu  n'aurait  point  pourvu  au  salut  des  milliers 
d'Hébreux  qui,  nés  après  la  sortie  d'Egypte,  moururent  avant  la 
circoncision  générale  de  Galgala  '. 

Quelques  rabbins  modernes,  en  très-petit  nombre,  ont  voulu 
soutenir  l'opinion  contraire,  car  quelle  est  l'opinion,  pour  extra- 
vagante qu'elle  soit,  qui  ne  trouve  pas  quelques  fauteurs?  Mais 
leur  sentiment  a  été  hautement  réprouvé  par  la  raison  que  tout 
un  sexe  serait  resté  sous  le  poids  du  premier  péché;  cependant, 
ainsi  que  nous  verrons  plus  bas,  la  synagogue  n'a  pas  moins  de 
confiance  en  ses  saintes  qu'en  ses  saints  ,  et  ne  refuse  pas  ses 
prières  aux  âmes  des  personnes  du  sexe  mortes  dans  sa  com- 
munion *. 

Tous  les  monumens  de  l'ancienne  synagogue  attestent  que 

fiante.  *  Certè,  dit-il ,  anliquus  popiilus  Dei  circumcisionem  pro  haptismo 
habebat  [C-  Epist,  Petit,  1.  ii.  c.  7a.  lom.  9.  p.  689  ries  Bi-néd.^ .  Et  ail- 
leurs: •  J;im  circumci«us  erat  (se.  David)  qiiod  paires  uoslii  pro  baptismo 
•  habebant.    Sermo  55 1.  e.  v.  lom.  5.  p.  i562  des  Bénéd)  » 

Mais  je  ferai  observer  d'abord  que  eoinrnc  je  ne  di^^sertc  que  d'après 
rancienne  tradition  de  la  synagogue,  donl  rtnseignf.-meut  resta  fîsé  dans 
la  première  moitié  du  second  siècle  du  Cliristiauisiue  ,  faute  de  docteurs 
accrédités  (Q'DT^D)  <  nous  nous  trouvons  à  uce  époque  ou  les  Pères  de 
l'Eglise  regardaient  la  circoncision  avec  assez  d'indifférence.  Eslias,  (sur 
YEp.  aux  Rom.  iv,  ti.)  après  avoir  rapporlé  de  solides  raisons,  et  de 
nombreuses  et  graves  auloiités  coulre  lo|  inion  de  S.  Augustin  ,  ajoute  : 
«  Kec  facile  qurnipiam  reperias  Augiistiuo  priorem  ,  (|ui  in  siguaculo  cir 
ecumcisionis  virl'ilem  agnotcal  animas  à  peccalo  mundandi.  •  Eusaitc  , 
le  raisonnement  sur  lequil  s'appuie  S.  Augustin,  porte  entièremcut  à 
faux  .  ainsi  qu'on  peut  le  voir  développé  au  long  d.ms  la  dissci talion  sur 
les  effets  de  la  circoncision  ,  insérée  dans  le  t.  sv  de  mon  édition  delà  Bible 
de  Vence  ,  et  tome  vi  des  disserlalions  dans  la  Iraduclion  italienne  de 
Milan. 

>  S.  Mallh.  wuï ,  55.  A  sanguine  A\n]  justi.  Nous  avons  vu  dans  le 
précèdent  article,  t.  xvi ,  p.  22,  que  les  rabbins  mettent  Abel  du  côté 
pur  et  saint. 

'  Elle  fut  instituée  dans  la  gg  innée  d'Abraham.  Geii.  xvn,  24. 

*  Jos.  T,  2  seqq. 

*  Wons  en  parlerons  dans  la  section  iv,  où  nous  Iraîterons  des  pritret 
pour  Us  morts. 


DANS    L'ANClKiNNE    ST.NACOODK.  2'|.5 

les  Hébreux  ne  voyaient  de  remède  conlre  la  souUlare  du  serpent 
que  dans  le  Messie. 

La  paraphrase  syro-jérusalémite  de  Jonathan  ben-Iïuziel,  qui 
est  ordinairement  le  fidMc  écho  de  l'antique  tradition  .',  rend 
ainsi  le  verset  i5  du  ch.  m  de  la  Genhe ,  où  le  Seigneur  pro- 
nonce la  sentence  du  serpent  : 

«  Et  je  mettrai  une  inimitié  entre  toi  et  la  femme  ,  entre  la 
«postérité  de  ta  génilure  et  les  enfans  de  sa  race...  [Mais  à  la  vé- 
»rité  à  eux  sera  un  remède,  et  à  toi  ne  sera  pas  un  remède  ;  et 
»  dans  un  tems  à  venir  %  eux  feront  l'écrasement  *  (t'écraseront), 
»d  la  fin  dans  les  jours  du  Roi-Messie  4.  » 

>  Il  faut  dire  cependant  que,  malheureuscmeut ,  Jéjà  dans  celle  para- 
phrase la  Iradilion  se  Irouve  enlreniêlëc  de  quelques  rêveries  rabbiiiiques. 
Mais  on  y  distingue  facilement  ce  qni  est  altéré  par  l'alliage  des  docteurs 
pharisiens. 

»  Le  texte  porte  :  faturi  sunt  ut... 

'  Dans  la  polyglotte  de  Wallon  nrW^V  12]}D'1  {^^'"crc  contriiionem) 
est  traduit  fautivement  :  medicinam  adhibebunt.  Le  terme  elialdaïque 
KDVîJÏ?  n'a  jamais  signifié  7-eijic'(^c.  Voyez  le  Metiirglieman  ,  lexicon  elial- 
daïque, de  Elie  Hallévi ,  arl.  ft'jj;.  La  même  version  rend  K3p'iJ3  [in  fine , 
in  extremifate]  par  calcaneo.  Celte  erreur  est  d'autant  moins  excusable  que 
la  variante  du  thargum  jérusalémile ,  placée  en  regard,  ex[)Iique  le  sens 
de  ce  terme  ;  N'QV  2pV  t\^D2  H2pV2  (ii2pV2  qnod  est,  ùi  fine  exU-emi- 
tatis  diei'um.)  Il  est  rare  qu  en  ouvr.mt  celle  polyglotte  on  ne  tombe  pas 
sur  quelque  faute  grossière.  Mais  la  plus  curieuse  que  j'aie  encore  ren- 
contrée ,  c't.sl  Ge»èse^v,  4,  xvii ,  6.  où  lauleur  de  la  version  latine  du 
texte  syriaque  fait  sortir  Isaac  du  dos  dAbraham  ,  comme  il  fiiit  sortir  des 
rois  par  la  même  voie. 

Filius  tuus  qui  cgrcdiLlur  e  dorso  tiio. 
El  rogcs  e  dorso  lue  protlibunt. 

Le  traducteur  ignorant  le  mot  syriaque,  a  prubablemcul  cherché  dans 
le  lexicon  le  mot  qui  signifie  :  Dorstim,  Lumbus.  En  écolier  Irès-mala- 
droif,  il  s'en  est  tenu  à  la  première  explication  ,  s.jns  peut-être  même  re- 
garder la  seconde.  Et  maintenant,  Prottslaiis!  turguez-vous  de  votre 
supériorité  dans  les  langues  orientales  1 

•  "Nn:3  n'»ynT  î>31  ■]:2  n^yiî  p3  «jnnx  p3i  i^i  ""r^yns  inan  * 
^^nv^)\y  -layoS  p:>N  pTnyï  ^DH.  nih'  n^  ']h^  idx  k.t  ;ir\\  d"i3 


fii6  MOYEr*    DE    SALUT 

Dans  mes  deux  dernières  lettres  aux  Israélites  '  ,  j*ai  rapporté 
plusieurs  aulorités  qui  prouvent  que  d'après  la  croyance  de  la 
synagogue  ,  dans  les  tems  les  plus  reculés  ,  la  cessation  de  la 
souillure  ,  ou  tache  originelle  ,  ne  devait  avoir  lieu  qu'à  l'avè- 
nement  du  Messie;  ce  qui  veut  dire  que  le  Christ  du  Seigneur 
devait  extirper  ce  venin  '. 

Maintenant,  pour  ce  qui  regarde  l'effet  rétroactif  du  mérite 
inHni  des  souffrances  du  fils  de  David,  interrogeons  les  anciens,  et 
ils  nous  diront  '. 

Médrasch-Yalkul  *,  traitant  du  chap.  LX  d'Isaïe,  s'exprime 
ainsi  : 

«Satan  dit  devant  le  Très-Saint  (béni  soit-il),  Maître  de 

•  l'univers,  à  qui  est  cette  clarté  qui  se  trouve  sur  ton  trône 
«glorieux?  —  Dieu  lui  répondit  :  A  celui  qui  un  jour  te  fera  re- 
»  tourner  en  arrière  et  couvrira  ta  face  de  confusion. — Il  (Satan) 
»lui  dit  :  Maître  de  l'univers,  fais-le  moi  voir.  —  Dieu  lui  ré- 

•  pondit  :  \ienset  vois-le.  —  Aussitôt  qu'il  le  vit,  il  fut  secoué 

•  d'un  grand  tremblement,  et  il  tomba  sur  sa  face  en  prononçant 
»ces  mots  :  Certainement  ceci  est  le  Messie  qui  un  jour  me  pré- 

•  cipitera  dans  la  géhenne  avec  toutes  les  nations  infidèles  ! 

•  Alors  le  Très-Saint  (béni  soit-il),  commença  à  faire  ses  con- 

•  ditions  avec  le  3Iessie,  lui  disant  :  Ceux  qui  sont  réfugiés  auprès 
tde  toi  *,  leurs  péchés  te  soumettront  un  jour  à  un  joug  de  fer 

•  et  te  feront  devenir  comme  un  veau  dont  les  yeux  se  ternissent, 

•  et  ils  seront  cause  qu'on  t'oppressera  l'âme  par  ce  joug  ;  et 

•  par  suite  des  péchés  de  ceux-ci  ta  langue  un  jour  restera  atta- 

•  chée  à  ton  palais  ^  Consens-tu  à  cela? 

«Alors  le  Messie  dit  devant  le  Très-Saint  (béni  soit-il)  .  Maître 
»de  l'univers,  peut-être  ce  tourment  durera-t-il  plusieurs  au- 

'  Voyez  surloat,  deuat.  lettre,  page  5,  iiole  b. 

»  Oii  peut  ajoutera  ces  aulorilésle  grand  Yalkul-Réubêni  io\.  16, col.  1. 

'  Deut,,  XXXII,  7. 

4  Seconde  partie,  n.  SSg. 

*  Ceci  désigne  visiblement  les  Palriarriies  et  autres  Justes  de  l'ancien 
testament. 

^  Ps.  XXI,  (heb.  XXII.)  16.  Et  lingua  mea  adhœsit  faucibus  mois.  Le 
Médrasch-Yalkut  déclare  quelques  lignes  plus  bas  que  ce  psaume  décrit 
i4S  souffrances  du  Messie. 


DANS  l'ancienne  synagogue.  247 

»nées  ?  —  Le  Très-Saint  (béni  soit-il),  Ini  répondit  ;  Par  ta  vie 

•  et  par  la  vie  de  ta  têle,  j'ai  prononcé  sur  toi  une  semaine  '.  Si 

•  ton  àiTie  s'en  afïlige  ,  je  les  '  rcjcUc  des  ce  moment.  —  Et  il  dit 
j)  devant  lui  :  Maîlre  de  l'univers ,  c'est  avec  la  joie  de  mon  cœur 
»et  avec  l'allégresse  de  mon  ccenr  que  j'accepte  lont,  à  condi- 
»tion  que  pas  un  seul  d'Israël  ne  se  perdra  '\  Et  non-seulement 

•  les  vivans  devront  ôlre  sauvés  dans  mes  jours,  mais  aussi  ceux 
nqui  seront  déposés  dans  la  terre.  Et  non-seulement  les  morts 
«seront  sauvés  dans  mes  jours  ',  mais  aussi  tous  ceux  qui  sont 
«morts  depuis  les  jours  d'Adam,  le  premier  homme.  Et  non-seu- 
»  lement  ceux-ci,  mais  aussi  les  avortons  seront  sauvés  dans  mes 

•  jours.  Voilà  ce  à  quoi  je  consens,  voilà  ce  que  j'accepte.  » 

0  Les  docteurs  enseignent  :  la  semaine  ^  de  l'avènement  du 
fils  de  David  ^,  on  apportera  des  poutres  de  fer  et  on  les  lui 
chargera  sur  le  cou  jusqu'à  ce  que  sa  taille  se  pliera  en  deux,  et 
il  jettera  des  cris,  et  il  pleurera  si  fort  que  sa  voix  montera  jus- 
qu'au ciel  ".  Il  dira  devant  Dieu  :  c  Maître  de  l'univers,  jusqu'où 
»y  pourront  tenir  mes  membres?  Ne  suis- je  pas  de  chair  et  de 
Dsang  ^  ? 

«C'est  cette  heure-là  qui  faisait  pleurer  David,  et  lui  arrachait 
cette  plainte  3  :  o  Ma  vigueur  s'est  desséchée  comme  un  vieux 
»  tesson,  a 

«  A  ce  moment,  le  Très-Saint  (béni  soit-il)   lui  répond  : 

'  Daniel,  ix,  v.  deruicr. 

'  Ceux  que  ta  dois  sauver. 

'  Il  est  lijrn  cutcndiî  qi  c  dnns  ro  nonihrc  ne  pruveiil  pas  éîrc  compris 
cctix  qui  repoussent  voIout;iir(--uieiil  le  bénéliee  do  i;i  Rédemption.  •  Qiios 
adodisli  mihi ,  dit  le  Messie  à  son  Père  ,  cnstoJiui  ;  et  nemo  ex  ilLis  pcriit, 
«nisi  filins  perditionis.  5.  Jean,  xvii  ;  2.  -.Judas  él^il  devecin  fils  de  la  per- 
dition, non  ex  defecln  cu?lodic«  Chn«ll  ,  sid  ex  propriâ  inaliiià  snft, 
comme  dit  Lyr.nn. 

*  Ceux  dont  les  resles  subsisteront  encore. 

'  Voy.  plus  liaut  ,  note  i, 

6  Du  Messie. 

7  Jésus  aulcm  ilerum  damans  voci  tncpu'i.  Matli.  xxvu.  5o. 

8  Deusmeus,  Deus  meus,  ul  quid  doreliquisli  me. 

9  Ps.,  xxn,  i6,  iieb. 


348  MOYEX  DE  SALUT  DANS  l' ANCIENNE  SYNAGOGUE. 

Ephraïm,  mon  Messie  de  justice  ' ,  déjà  depuis  les  six  jours  de 
la  création  tu  t'es  soumis  à  cette  condition  ».  » 

Le  Chev.  Dragh. 

Bibliothécaire  de  la  Propagande  à  Rome. 

»  J'ai  déjà  fait  voir  dan»  la  piemière  note  de  ma  deuxième  lettre  aux 
Israélites,  p.  a58  el  suiv.,  que  les  anciennes  traditions,  les  paraphrases 
chaldaïques.  le  talmud  ,  et  les  différeus  médraschim  ,  nomment  uii  seul 
et  même  Messie  ,  tantôt  fils  de  David,  tautôl  fils  de  Joseph.  Nous  en  voyons 
encore  un  exemple  dans  le  présent  passage.  Ce  sont  les  rabhins  qui  , 
pour  échapper  aux  argumens  prcssans  des  chrétiens,  ont  imaginé  deux 
Messies  différcns  sous  ces  deux  noms.  Voyez  la  note  entière  de  mou  dit 
ouvrage. 

t>iDj  r-\nn  î::iï?  nx  dVij;  Sï?  um  n"2pn  'jîjS  ji:ï?  nox  » 
r-\ï;i33  -|a>SDnSi  ^nnnnS  Tny  ?«<inu?  >oh  S"n  >oS  -(Sï?  iMjn 
n^iï?  p»Di  ims  nxn  nu  V'n  >V  'inam  Dh^v  ^v  1313t  Vu  a»j3 
>h  S'sn^  n>iiyï?  n»ï;a  inT  >nt3  -idk  vûû  Sy  Sa:!  ^jrjif:  iniK 
iSbn  V'N  loy  njDO  «in  ^nn  unpn  S>nnn  a^nun  moiNn  SdSi 
^mN  a>'»î?ii?i  'm2  Siyn  iD»:DnV  o'Tny  on'm^ij;  ihim  Q>'(^2y•o 
"iVn  Sï?  Dn>m3'ii;3i  Siya  "]nn  nx  ppa^yoi  v:>i;  ihdï?  nîrt  SjyD 
nna  ï?npn  'jaS  n»ï?o  ion  "J33  ijiït  i^na  pmnS  piï?b  -»ny 
T'n  n"2pn  b"N  an  mm  m:ï?  ^yy  i.mN  nou?  aSiy  Su  i:im  Kin 
noK  VvyDyo  pmD  'as  n3i*y  iTuaa  ax  l'Vy  >mT:  yi3ï?  t»:;nt  »m 
D"y  >hy  SnpD  >3x  'aS  nnaï?m  >ib  nV:n  CD^iy  bw  i:in  v^aS 
o»ï13:ï;  oms  c]n  xSk  iy\t;i>  iiba  a'»n  xSi  Snt^^'q  ma  lax»  nSu; 
mo'D  ino'^  a»jia  anix  î)N  nSn  'a»3  ^v^v  12^2  D>na  «bi  naya 
'\2  >D>2  lyïJV  D»Sa3  .^N  nha  nnSn  iSn  nHi  vu?Dy  ly  pusin  oik 
r-»i"np  pN>30  13  K3  m  pï;  yuï?  nos  Vapo  ♦:{<  pa  r-iïn  >:n 
riDim  pyiy  ><im  inaip  -{aD:u?  ly  tikiï  Sy  ib  a>:m:i  St-i3  Sï; 
noa  'HD  Nn>  noD  aSiy  Su  uim  vjab  -iqn  anoS  ibip  nSiyi 
Sy  ':n  Q*n  nua  kS  nn'n  nh»  no3i  'naï;:  ^<n»  hddt  'nn  xn» 
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niSTOinC    DB    L\    PAPALTÉ.  24d 


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£){^i0lxc. 


HISTOIRE  DE  LA  PAPAUTE, 

PENDANT    LES   XVI    ET    XYII*    SIÈCLES; 

Par  AL  Léopold  Rax^e,  Professeur  à  l'Université  de  Berlin,  traduite  de  l'alle- 
mand,  par  ^I.  J.  B.  Haiber,  publiée  et  précédée  d'une  introduction,  par 
M.  Alexandre  de  SU-Chéron. 


Importance  de  l'histoire  de  la  Papauté  de  Rante.  — Cause  de  l'influence 

politique  delà  Papauté Cause  de  la  reforme.  — Sou  origine  doit  être 

recherchée  dans  lesenseigneraens  de  l'Ecole.  —  Jugement  sur  l'ouvrage 
deRanke.  —  De  son  catholicisme.  —  Conseils  aux  tiaducteurs  catho- 
liques. 

Ceci  est  tout  simplement  un  épisode  d'un  grand  ouv.rage  entre- 
pris par  M.  LéopoldRanke,  sous  le  titre  suivant  :  Les  Princes  et  les 
Peuples  de  C Europe  méridionale,  au  16'  et  au  i'^"  sit'cle.  Un  épisode 
en  quatre  volumes!  On  peut  se  figurer  d'après  cela  toute  l'ira- 
portance  de  l'ouvrage  lui-même.  Il  est  vrai  que  sans  l'épisode 
l'ouvrage  ne  pourrait  exister.  Le  fait  dominant  de  l'histoire 
européenne,  au  16^  siècle,  c'est  la  réforme.  C'est  dans  cet  évé- 
nement capital,  c'est  dans  la  lutte  du  pouvoir  spirituel  et  des 
nouvelles  doctrines,  qu'il  faut  chercher,  pendant  cette  période 
si  bien  remplie,  le  germe  des  événemens  politiques,  dont  l'in- 
fluence a  remué  l'Europe  tout  entière,  xiinsi  point  d'histoire 
possible  à  cette  époque  si  la  papauté  n'y  trouve  une  large 
place;  et  en  remontant  l'échelle  des  siècles,  nous  trouverions 
qu'il  en  a  toujours  été  de  même  depuis  l'instant  où,  dans  le 
vaste  naufrage  de  l'empire  d'Occident,  la  barque  de  Pierre  fut 
reçue  au  milieu  des  conquérans  barbares  qui  aidèrent  ainsi  à  la 
régénération  du  monde.  Dès  ce  moment,  l'Eglise  joua  le  prin- 

ï  Paris,  Debecourt,  18j8  ,  4  vol.  in  S",  prix,  28  f i . 


250  HISTOIRE    DE    LA    PAPAUTÉ, 

cipal  rôle  dans  l'histoire,  et  nous  osons  dire  que  ce  ne  fut  au  dé- 
triment ni  des  rois  ni  des'peuples  !  Le  siège  de  Rome  fut  comme 
un  centre  lumineux  d'oïi  s'élancèrent,  comme  autant  de  rayons 
fertiles  et  générateurs,  une  foule  d'apôtres,  qui  portèrent  le 
flambeau  de  l'évang'le  et  de  la  civilisation  de  la  Tamise  au  Da- 
nube, et  des  rives  du  Tage  aux  bords  de  la  Baltique.  Aussi  quel 
grand  et  bel  ouvrage  qu'une  bonne  histoire  générale  de  la  pa- 
pauté! Ce  serait  une  histoire  universelle  de  l'Europe  pendant 
dix-huit  siècles  ,  avec  de  curieuses  et  intéressantes  digressions 
dans  les  annales  des  autres  parties  du  globe.  Ce  bel  édifice  ne 
devait  pas  être  construit  d'un  seul  jet.  Des  savans  de  tous  les 
pays  semblent  s'être  partagé  la  besogne  ,  et,  il  faut  le  dire  à 
notre  confusion,  la  France  parait  décidée  à  se  laisser  enlever 
par  des  nations  voisines  toute  la  gloire  de  ce  beau  monument. 
C'est  à  des  étrangers,  à  des  protesîans,  que  nous  devons  encore 
lesmeillcurs  ouvrages  publiés  sur  la  papauté  :  YHistoire  de  latie  et 
(lupontificatdeLéonX,pa.i\\^i\\[am  Roscoe  ;  la  vie  de  Grégoire  VU, 
par  M.  Voigt  ;  VHistoire  d'Innocent  III  et  de  ses  contemporains,  par 
M.  Hurter;  etc.,  etc. 

Le  livre  de  M.  Ranke  est  à  coup  sûr  un  des  plus  atlachans  et 
des  plus  instructifs  qui  aient  encore  é!é  publiés  sur  cette  belle 
partie  des  annales  de  l'humanité.  L'auteur  ne  s'est  pas  contenté 
des  matériaux  que  la  presse  avait  mis  jusqu'à  ce  jour  à  la 
portée  de  tous;  il  a  fo\iillé  les  archives  inexplorées  de  Berlin, 
de  Tienne  et  de  Venise.  De  là  il  est  parti  pour  Rome;  il  a  voulu 
étudier,  sur  le  théâtre  même  de  son  ancienne  splendeur,  celle 
puissance  jadis  si  formidable  et  si  vaste,  réduite  maintenant  à 
n'être  plus  que  l'ombre  de  ce  qu'elle  a  été.  Les  portes  du  Va- 
tican ne  se  sont  pas  ouvertes  devant  le  docte  professeur;  mais 
il  a  obtenu  l'accès  de  ces  riches  archives  privées,  où  la  haule 
ariHtocratie  romaine  conserve  les  souvenirs  de  tous  les  événe- 
mens  dans  lesquels  ses  membres  ont  autrefois  joué  leur  rôle. 
Cent  soixante-cinq  manuscrits,  dont  on  peut  voir  la  désignation 
à  la  fin  du  quatrième  volume,  ont  fourni  à  M.  Ranke  une  foule 
de  détails  jusqu'alors  inconnus,  sur  la  période  qu'embrasse  son 
histoire.  C'est  surtout  le  secours  de  ces  riches  matériaux  qui 
l'a  déterminé  à  faire,  d'un  épisode  de  son  grand  travail,  un 
ouvrage   complet  par  lui-même,   et    capable  h    lui  seul   de 


PAn    M.    LEOPOI.n    nANKE.  251 

fonder,  s'il  en  était  besoin,  la  gloire  scientifique  et  littéraire  de 
l'auteur. 

M.  Ranke  ne  veut,  dit-il  ',  s'occuper  que  du  pouroir  temporel 
de  la  papauté  et  de  son  développement  :  les  faits  ecclésiastiques 
et  purement  canoniques  ne  sont  rien  pour  lui,  la  puissance  pa- 
pale n'exerçant  plus  aucune  influence  sur  les  destinées  spiri- 
tuelles des  hommes  du  nord,  pour  qui  surtout  Jl.  llanke  écrit 
son  livre.  En  ceci,  l'historien  s'est  fait  illusion  à  lui-même,  s'il 
a  cru  de  prime-abord  scinder  la  puissance  papale  en  deux  par- 
tics  distinctes,  s'occuper  de  l'une  exclusivement  à  l'autre,  mener 
à  bout  son  enticprise  en  ne  tenant  perpétuellement  compte  que 
d'une  seule  donnée,  et  en  ne  considérant  les  questions  que  sous 
une  seule  face.  Aussi  qu'on  ne  se  laisse  point  prendre  à  cette 
trompeuse  annonce.  Les  chapitres  ,  consacés  uniquement  à 
l'administration  temporelle  du  pouvoir  papal,  sontexlrêmement 
rares  dans  l'ouvrage.  Partout  l'autorité  spirituelle  se  montre 
tellement  liée  à  la  puissance  temporelle,  que  l'auteur  a  dû  re- 
noncer à  les  diviser.  Bien  plus  ,  la  plupart  des  péripéties,  qui 
jettent  un  si  grand  intérêt  dans  l'histoire  politique  des  i6'  et 
jj*  siècles,  ont  leur  ressort  caché  dans  les  intérêts  spirituels  de 
l'époque.  Ce  qui  rend  si  attachante  la  lecture  du  livre  de 
M.  Ranke,  c'est  peut-être  cette  sagacité  avec  laquelle  il  démêle 
dans  la  lutte  prolongée  de  deux  principes  religieux,  le  secret 
des  révolutions  qui,  pendant  deux  siècles,  ont  mis  en  mouve- 
ment presque  tous  les  états  européens.  Du  reste,  il  ne  faut  pas 
croire  que,  en  zélé  protestant,  51.  Ranke  fasse  peser  sur  l'Eglise 
romaine  toute  la  responsabilité  des  troubles  religieux;  rare- 
ment l'espiit  de  parti  le  fait  transiger  avec  la  justice  et  la  vérité. 
S'il  se  trompe,  c'est  de  bonne  foi  ;  et  même  lorsqu'il  accuse,  il 
règne  dans  ses  paroles  une  mesure  et  un  sentiment  de  conve- 
nance qui,  même  de  nos  jours  ,  pourraient  servir  de  modèle. 

On  n'attend  pas  de  nous  sans  doute  une  analyse  détaillée  de 
l'ouvrage  de  M.  Ranke  ;  une  semblable  t.àclie  cxigcra'it  de  longs 
et  nombreux  articles.  D'abord  ,  il  faudrait  esquisser  l'état  de 
l'Eglise  au  commencement  du  16'  siècle.  A  cette  époque  oq 
avait  reconnu  ,  un  orateur  avait  même  annoncé  au  concile  de 

»  Tom.  î,  p,  If . 


252  HISTOIRE    DE    lA    PAPAUTÉ, 

Bâle  cette  maxime ,  que  la  vertu  sans  le  pouvoir  est  ridicule  , 
que  le  pape  romain,  sans  le  patrimoine  de  l'Eglise,  ne  repré- 
sentait qu'un  serviteur  des  rois  et  des  princes.  Le  même  orateur 
trouvait  bon  qu'un  pape  eût  une  famille  puissante  capable  de 
lui  prêter  main-forte  contre  les  tyrans.  Une  doctrine  aussi  nou- 
velle ,  émise  en  plein  concile,  n'était  pas,  on  le  pense  bien  , 
l'expression  d'une  simple  opinion  individuelle.  C'était  la  mani- 
festation d'une  idée  qui  commençait  à  se  traduire  en  faits  po- 
sitifs. Les  états  turopéens  cherchaient,  sans  aucun  motif  de 
justice  ,  à  dépouiller  le  pape  de  ses  possessions.  Le  souverain 
pontife  dut  se  souvenir  qu'il  était  non-seulement  évéque,  mais 
encore  prince  temporel;  il  était  donc  tout  simple  qu'il  cher- 
chât xin  appui  dans  les  membres  laïques  de  sa  famille.  De  là 
cette  direction  de  l'activité  papale  qu'on  a  désignée  sous  le  nom 
de  népotisme,  et  qui ,  fondée  par  Sixte  lY,  fut  développée  avec 
énergie  et  bonheur  par  Alexandre  VI,  et  produisit,  sous  Jules  II, 
des  résultats  tout-à-fait  inattendus.  Malheureusement  ce  rôle 
nouveau  fit  trop  souvent  oublier  aux  souverains  pontifes  leur 
caractère  principal,  et  la  religion  eut  beaucoup  à  souffrir  de 
son  alliance  avec  des  intérêts  terrestres.  Quand  la  dignité  su- 
prême eut  pris  une  physionomie  temporelle,  les  autres  dignités 
ecclésiastiques  ne  tardèrent  pas  à  subir  une  semblable  méta- 
morphose ,  et  les  bénéfices  ,  regardés  comme  de  simples  pro- 
priétés, devinrent  presque  un  objet  de  trafic  et  de  revenu. 
Bientôt  la  puissance  des  dogmes  elle-même,  la  foi,  cette  grande 
base  de  la  religion  chrétienne,  fut  violemment  ébranlée,  au 
milieu  de  l'admiration  fanatique  dont  l'Italie  fut  tout  d'un  coup 
saisie  pour  l'antiquité  païenne ,  sous  le  rogne  brillant  de  Léon  X, 
et  il  se  répandit,  dans  les  écoles  chrétiennes  et  même  à  Rome, 
un  scepticisme  dont  l'inducnce  ne  tarda  pas  à  se  faire  sentir 
au  dehors. 

Au  milieu  de  cette  déplorable  désorganisation  ,  quelques 
germes  de  réforme  s'étaient  développés  avec  assez  de  vigueur 
au  sein  de  la  communauté  catholique  ;  mais  le  besoin  d'une 
régénération  spirituelle  n'avait  pas  encore  frappé  tous  les  yeux, 
que  déjà  un  hardi  novateur  avait  jeté,  en  dehors  de  l'Eglise,  les 
bases  de  celle  régénération.  A  dater  de  ce  moment,  l'histoire 
peut  se  diviser  en  deux  périodes  principales  se  raltaclianl  à  deux 


PAR  M.    LKOPOLD    BANKE.  ZbS 

grandes  idées ,  qnî  ont  successivement  dirigé  la  politique  de» 
papes  :  d'abord,  tentative  de  réconciliation  avec  la  réforme, 
liisîoire  du  concile  de  Trente  ;  plus  tard ,  lutte  avec  la  réforme, 
histoire  de  la  fondation  et  des  déve'.oppcmens  de  la  société  de 
Jésus.  Autour  de  ces  deu\  grands  faits  vicniicp.t  se  grouper  une 
foule  d'événemens  secondaires,  qui  amènent  souvent  les  con- 
trastes les  plus  frappans,  les  péripéties  les  plus  inattendues.  Par 
exemple,  la  direction  de  Pactivilé  des  papes  ne  s'est  point  tour- 
née brusquement  de  l'une  à  l'autre  des  deux  idées  capitales  que 
nous  avons  indi(|uées  plus  haut. Ilj-aeu, entre  les  deux  systèmes, 
une  époque  de  transition  remplie  par  des  faits  d'un  autre  ordre. 

A  la  mort  de  Jules  III,  toute  réconciliation  avec  les  réformés 
était  reconnue  impossible  :  le  concile  n'avait  eu  aucun  résultat; 
lesprotestans,  relevés  de  leurs  défaites  antérieiires,  étaient  plus 
forts  que  jamais.  I.e  parti  religieux,  défenseur  de  la  rigidité  des 
mœurs,  prévalut  dans  l'élection  du  nouveau  pape,  et  Marcel  II, 
homme,  dit  M.  Ranke,  d'une  activité  et  d'une  vertu  irrépro- 
chables, fut  porté  au  trône  pontifical. 

On  -ne  peut  prévoir  ce  qui  serait  advenu  .  si  ce  prélat  aux 
mœurs  au>tères  avait  conservé  plus  long-tems  la  tiare;  mais  il 
mourut  au  bout  de  21  jours,  et  fut  remplacé  par  le  fameux 
CaralTa,  le  fondateur  des  Théatins  et  de  l'inquisition,  vieillard 
ambitieux,  ardent,  inflexible,  dont  la  téle,dit  Muratori,  était, 
en  raccourci,  une  image  du  Vésuve  '.  Il  fut  redevable  de  son 
élection  à  la  vie  exemplaire  qu'il  avait  menée  jusqu'alors,  à  son 
immense  savoir,  au  zèle  avec  lequel  il  avait  défendu  la  pureté 
du  dogme  au  sein  du  concile.  Un  homme  de  ce  caractère  de- 
vait poursuivre  ardemment  le  projet  de  combattre  par  une  ré- 
génération légale  au  sein  de  l'Eglise,  la  réforme  arbitraire  qui  se 
développait  au  dehors.  Il  se  mit  donc  à  l'œuvre  avec  un  zèle 
qui  faisait  présager  des  résultats  prochains  ;  mais  sa  haine 
violente  pour  l'Espagne  vint  bientôt  changer  le  cours  de  ses 
idées,  et  reporter  vers  un  but  d'indépendance  politique  la  dévo- 
rante activité  de  son  esprit. 

Le  premier  résultat  de  ce  revirement  fut  un  retour  décidé  au 
népotisme  contre  lequel  Paul  IV,  étant  encore  simple  cardinal, 
s'était  vivement  prononcé,  et  que  son  prédécesseur,  Marcel  II, 

'  Il  prit  le  nom  de  Paul  IV, 


2^$  HISTOIRE   DE   LA    PAPAUTÉ  , 

semblait  avoir  enlièrement  détruit  en  défendant  même  à  ses 
neveux  de  venir  à  Rome.  La  direction  des  affaires  temporelles 
fut  entièrement  abandonnée  à  Charles  Caraffa,  neveu  du  pape, 
et  la  guerre  commença  contre  l'empereur;  mais  quelle  guerre  ! 
D'un  côté,  le  duc  d'Albe,  en  bon  catholique,  combattait  le  pape 
avec  une  sorte  de  respect,  ménageait  Rome  qu'il  aurait  pu 
prendre  sans  beaucoup  de  tlifficulté,  et  ne  visait  qu'à  désarmer 
le  souverain  pontife.  D'un  autre  côté,  Paul  IV,  après  un  triste 
essai  de  la  valeur  dc>  soldats  romains ,  avait  eu  recours  à  Pierre 
Strozzi,  qui  lui  amena  les  troupes  avec  lesquelles  il  avait  ravagé 
la  Toscane  pendant  la  guerre  de  Sienne,  troupes  prcsqu'entiè- 
rement  composées  de  profcstans  allemands.  S'il  est  un  fait  qui 
prouve  combien  les  Imîncs  personnelles  de  Paul  IV  avaient 
changé  les  tendances  do  la  papauté  ,  c'est  à  coup  sûr  cette 
triste  campagne  qui  ne  devait  avoir  aucun  résultat.  Le  pape, 
en  hostilité  ouverte  avec  une  armée  catholique,  soutenu  par 
des  troupes  protestantes,  et  même,  il  faut  bien  le  dire,  sollici- 
tant du  Grand-Seigneur  une  diversion  dans  la  Sicile,  tout  cela 
dénote  évidemment  une  lutte  purement  politique  dans  laquelle 
les  intérêts  religieux  ne  jouent  absolument  aucun  rôle.  Paul  IV 
laissa  venir  les  choses  jusqu'à  la  dernière  extrémité;  il  ne  voulut 
se  prêter  à  la  paix  que  lorsqu'il  vit  ses  projets  entièrement 
ruinés,  ses  alliés  battus,  son  étal  envalii,  sa  capitale  sérieuse- 
ment menacée. 

Mais  alors  sa  politique  piit  une  nouvelle  direction.  La  néces- 
sité de  se  soumettre  à  l'Espagne  fit  décliner  rapidement  le 
crédit  des  neveux  dont  oii  n'avait  plus  besoin.  Les  anciens 
projets  de  réforme  religieuse  furent  repris  avec  ardeur,  et  dès 
cet  instant  la  papauté  se  lança  franchement  dans  cette  carrière 
delutlepermanente  avec  les  réformes  calviniste  et  luthérienne, 
lutte  où  le  zèle  ardent  des  jésuites,  la  rigidité  de  Pie  V,  et  le 
génie  despotique  de  Sixte  V,  valurent  à  l'Eglise  romaine  de  si 
grands  et  de  si  beaux  triomphes. 

La  méthode  de  M.  IVanke  consis'.e  dans  l'ubscrvation  exacte 
des  faits,  dans  l'appréciation  impartiale  et  le  développement 
logique  de  leurs  conséqucners.  On  sera  peut-être  bien  aise  do 
savoir  comment  ce  judicieux  auteur  a  compris  et  exposé  les 
causes  de  la  réforme.  H  faudrait  être  aujourd'hui  bien  ignorant  ^ 


PAR    M.    LÉOPOI.D    R.VNKr.  25$ 

en  histoire  pour  admettre,  comme  cause  dcterniînante ,  une 
ridicule  jalousie  contre  l'ordre  de  saint  Dominique  chargé  de 
prêcher  les  indulgences,  au  détriment  des  moines  Augustins 
dont  Luther  faisait  partie.  Et  cependant  on  ne  peut  nier  que 
la  publication  des  indulgences  ne  soit  entrée,  sinon  comme  un 
motif  vrai,  du  moins  comme  un  prétexte  plausible  dans  la  for- 
mation et  le  développement  des  doctrines  de  Luther.  Mais  la 
cause  première  de  cette  émancipation  intellectuelle,  il  faut  la 
chercher,  comme  l'a  très-bien  prouvéM.  Guizot,  dans  ce  besoin 
d'indépendance  qui  depuis  deux  siècles  tourmentait  intérieu- 
rement la  raison  humaine.  Ce  germe  d'insubordination  fut 
puissamment  fomenté  en  Europe  par  la  renaissance  des  lettres, 
et  il  est  curieux  de  suivre,  avec  ^lli^lorien  de  Berlin,  les  effets 
divers  que  produisit,  des  deux  cotés  des  Alpes,  ce  rcitour  subit 
à  l'étude  de  l'aiiliquité. 

Les  Italiens. passionnés  siutout  pour  les  beautés  de  la  forme, 
imitèrent  d'abord  les  auteurs  anciens  ,  et  s'élevèrent  ensuite 
jusqu'à  la  création  d'une  littérature  nationale;  ce  fut  une  ré- 
génération purement  liiléraire.  S'ils  empruntèrent  aux  i)hilo- 
sophes  de  la  Gièce  et  de  Rome  l'indépendance  de  leurs  pensées  . 
ils  ne  franchirent  point  de  ce  côté  ie.s  limites  d'une  simple 
théorie;  façonnés  depuis  iong-tcms  au  joug  salutaire  de  l'auto- 
rité ecclésiastique,  ils  voile  rent  un  sccp[ieismedé.''Ordonné,sous 
le  masque  d'une  orthodoxie  d'habikidc. 

En  Allemagne,  il  en  fut  autrement  :  la  nature  même  des 
esprits  les  poussa  vers  des  conséquences  tout-à-fait  diff^Mcntcs. 
Ils  s'adonnèrent  à  l'élude  de  la  littérature  antique,  mais  seu- 
lement pour  mieux  pénétrer  dans  les  profondeurs  de  la  philoso- 
phie des  anciens.  Livrés  avec  ardeur  aux  méditations  religieuses, 
ils  y  apportèrent  ces  idées  d'indépendance  qu'ils  puisaient  aux 
sources  de  la  sagesse  profane.  Le  fiein  de  l'autorité  devint  im- 
puissant contre  les  écarts  d'une  logique  inflexible.  La  souverai- 
neté de  la  raison  humaine  fut  proclamée,  et  le  pouvoir  spirituel, 
auquel  on  reprochait  des  torts  réels  ou  prétendus,  mais  en  tout 
cas  fort  excusables,  perdit  toute  espèce  de  crédit. 

Certes,  nous  ne  prétendons  pas  que  M.  Ranke,  dans  i'appré- 
•ciation  d'un  fait  aussi  capital,  soit  parvenu  à  se  dépouiller  en- 
tièrement de  toute  prévention.  Ce  serait  un  vrai  miiacle  qu'un 


256  HISTOIRE  I)B   LA    PAPAUTÉ, 

lecteur  de  bon  sens  n'oserait  exiger  comme  condition  essentielle 
d'une  bonne  histoire  ;  mais  nous  le  répétons ,  l'historien  alle- 
mand se  laisse  rarement  entraîner  par  ses  préjugés  religieux.  Il 
tient  ordinairement  la  balance  d'une  main  impartiale,  et  même, 
lorsque  la  force  de  ses  convictions  l'entraîne  à  des  accusations 
bien  ou  mal  fondées^  il  garde  toujours  envers  l'Fglise  romaine 
et  ses  chefs  spirituels  une  sage  mesure  dont  nous  devons  lui 
exprimer  toute  notre  reconnaissance. 

Est-ce  à  dire  pour  cela  que  M.  Ranke  ait  des  tendances  ca- 
tholiques, et  sommes-nous  fondés  à  voir  dans  son  livre  une 
victoire  remportée  parla  vraie  religion,  sur  les  doctrines  dissi- 
dentes? Non-seulement  nous  ne  pensons  pas  ainsi,  mais  nous 
osons  blâmer  sévèrement  ces  insinuations  hasardées  dont 
l'influence  n'a  pas  atteint  seulement  M.  Ranke,  mais  encore 
tous  les  écrivains  protestans  qui  ont  traité  le  Catholicisme  avec 
tout  le  respect  dû  aune  institution  divine.  Quoi!  parce  que  des 
historiens  allemands,  des  écrivains  pleins  de  réserve  et  de  gra- 
vité n'afTectent  pas  envers  notre  sainte  religion,  le  mépris  in- 
sultant d'une  cynique  philosophie;  parce  qu'ils  dédaignent  les 
armes  grossières  dont  ne  rougissaient  pas  de  faire  usage  les  incré- 
dules du  i8'  siècle,  est-ce  à  dire  pour  cela  qu'ils  ont  reconnu 
leurs  erreurs,  et  qu'un  méticuleux  respect  humain  les  retient 
seul  hors  de  la  bonne  voie?  non  c'est  trop  présumer  de  leur 
sagesse  et  mal  reconnaître  la  nature  du  Catholicisme.  Disons 
plutôt  à  la  gloire  de  notre  religion,  que  pour  en  sentir  la  beauté 
il  n'est  pas  nécessaire  d'être  né  dans  son  sein,  et  que  sa  gran- 
deur toute  divine  en  impose  même  à  ceux  qui  n'y  croient  pas. 

Acceptons  donc  pour  ce  qu'on  nous  les  donne,  les  livres  de 
MM.  Ranke,  Yoigt ,  Hurler  et  autres,  et  n'y  cherchons  pas 
des  intentions  cachées  qui  existent  peut-être,  mais  que  dans 
tous  les  cas  ce  n'est  point  à  nous  de  signaler.  Il  faut  les  laisser 
mûrir  en  silence  et  ne  point  en  faire  un  trophée  gênant  pour 
l'auteur,  et  pouvant  par  conséquent  empêcher  la  réalisation 
des  espérances  qu'il  a  pu  faire  concevoir. 

Nous  avons  ici  à  dire  un  mol  sur  un  reproche  fait  à  la  traduc- 
tion de  M.  de  S.  Chéron  ;  quelques  journaux,  et  M.  Ranke  lui- 
même,  l'ont  accusée  de  n'être  pas  fiJèle,  et  ont  fait  beaucoup 
de  bruit  comme  si  elle  avait  changé  complètement  le  sens  de 


PAR   SI.    LÉOPOLD   RANKK.  2W 

l'ouvrage  primitif.  Certes,  nous  ne  voulons  pas  excuser  une 
traduction  infidèle,  et  en  rendant  compte  de  la  traduction  de 
Grégoire  VII,  les  Annales,  avant  même  qu'il  fût  question  de  la 
traduction  de  l'histoire  de  la  papauté ,  ont  reproché  à  M.  Jager , 
d'avoir  changé  quclqiicfois  le  sens  de  l'auleur;  mais  il  ne  faut 
pas  cependant  laisser  croire  que  l'ouvrage  de  Ranke  a  été  défi- 
guré :  avec  une  bonne  foi  qu'il  faut  louer,  M.  de  S.  Chéron  est 
convenu  du  fait,  et  a  joint  à  son  édition  un  appendice  où  il  rec- 
tifie les  erreurs  qui  étaient  échappées  à  la  plume  de  M.  Haiber 
le  traducteur.  Les  voici  : 

Au  lieu  de  :  Luther  arriva  à  la  fatale  doctrine  de  réconciliation 
par  le  Christ,  appuyant  sa  dangereuse  erreur  de  paroles  de 
l'Ecriture-Sainte,  bien  mal  comprises  par  lui,  et  trop  vivement 
adoptées  par  les  mauvaises  passions,  T.  i ,  p.  249.  Lisez  :  Luther 
arriva  à  la  doctrine  de  la  réconciliation  par  le  Christ  sans  les 
œuvres;  c'est  de  ce  point  de  vue  qu'il  comprit  d'abord  l'écri- 
ture sur  laquelle  il  s'appuyait  avec  force. 

Au  lieu  de  :  quelle  admirable  opposition,  lisez  :  quelle  oppo- 
sition   (  id.  p  262  ). 

Au  lieu  de  :  le  pape  temporisait  toujours  et  avec  raison,  lisez^ 
le  pape  temporisait  toujours  (id.  268}. 

Après  ces  mots  nouvel  ordre  de  choses,  ajoutez  et  dont  la  pro- 
duction blesse  notre  manière  de  voir  (t.  ii,  p.  54o). 

Nous  le  répétons,  nous  n'approuvons  pas  ces  additions  ni 
ces  retranchemens,  mais  il  serait  injuste  de  vouloir  en  prendre 
occasion  d'accuser  tout  l'ouvrage  de  mauvaise  foi.  En  atten- 
dant, nous  recommandons  de  nouveau  aux  traducteurs  catho- 
liques d'être  très-rigides  sur  ce  point  ;  il  faut  absolument  que 
nous  sachions  quel  est  la  propre  pensée  et  le  vrai  jugement  de 
l'auteur  protestant,  afin  que  nous  puissions  nous  servir  avec 
confiance  et  avec  profit  de  son  autorité.  Un  seul  djoit  re>!e 
aux  traducteurs  catholiques,  c'est  de  rectifier  dans  les  notes  les 
erreurs  de  l'original. 

Le  besoin  de  pareilles  notes  se  fait  particulièrement  sentir 
dans  la  traduction  du  livre  de  M.  Uanke,  et  ici  noii^  aurions 
quelques  reproches  à  adresser  à  ?J.  de  S.  Chéron,  qui  était  très- 
capable  de  les  donner.  On  ne  peut  trop  s'étonn«r  d'y  lire,  sans 
Tome  xvii.~N"  100.  i838.  17 


358  HISTOIRE   DE    LA   PAPAtTÉ^ 

aucun  avertissement  ni  commentaire,  le  pompeux  éloge  du 
protestantisme ,  qui  termine  le  premier  livre  du  professeur 
allemand  ;  éloge  dans  lequel  on  attribue  à  l'Allemagne  le  mé- 
rite immortel  d'avoir  rétabli  le  Christianisme  dans  5a  forme  la  plus 
pure  depuis  les  premiers  siècles,  et  d'avoir  découvert  de  nou- 
veau la  vraie  religion  *.  Ailleurs  ce  sont  des  accusations  contre 
le  clergé  romain  qu'on  reproduit  sans  même  prendre  la  peine 
de  remarquer  qu'elles  ne  sont  appuj'ées  sur  aucune  preuve  ». 
Plus  loin,  l'écrivain  protei^tant  dénaturant  le  sens  d'une  cons- 
titution des  Jésuites,  eu  tire  une  conséquence  si  extraordi- 
naire qu'il  termine  sa  note  erronée  en  s'écriant  :  on  en  croit  à 
reine  ses  yeux  quand  on  lit  de  pareilles  choses  !  et  le  traducteur 
nav-Liit  d'abord  fait  aucune  remarque  sur  ce  passage,  qui  est 
expliqué  et  réfuté  seulement  dans  l'appendice  publié  après 
coup! 

C'est  avec  regret  que  nous  avons  vu  aussi  un  ouvrage  sj  in- 
téressant, si  instructif,  écrit  dans  un  style  qui  révèle  chez  M. 
Haiber  \ui  homme  malheureusement  trop  étranger  aux  formes 
et  aux  règles  grammaticales  de  notre  langue.  Nous  n'insiste- 
rons pas  sur  les  noms  propres  méconnaissables,  tels  que  Li- 
vius  ^  f  Thuanus,  sous  lesquels,  en  France,  peu  d'hommes  du 
monde  reconnaîtront  certainement  Tite-Live  et  de  Thou.  jSous 
passerons  si  l'on  veut  sur  les  épithètes  barbares  comme  la  puis- 
sance borgienne  pour  la  puissance  des  Borgia;  mais  nous  ne 
pouvons  ne  pas  signaler  l'emploi  de  certaines  constructions  qui 
peuvent  être  dans  le  génie  du  langage  allemand ,  mais  qui  ré- 
pugnent invinciblement  à  nos  formes- grammaticales.  Ainsi  nous 
trouvons  :  Je  ne  puis  pas  me  persuader  que  jamais  le  concile  aurait  eu 
lieu  sous  lui.  —  Toute  grande  pensée,  si  elle  ne  réussit  pas  ,  elle  peut 
lie  plus  vivre. —  On  ne  peut  nier  que  les  villes  lui  facilitaient  grande- 
ment  cette  extension  cC autorité,  etc.;  ajoutez  à  cette  négligence  de 
style -une  grande  incorrection,  surtout  dans  la  reproduction 
des  textes  latins,  italiens  et  espagnols  cités  en  note  par  l'auteur; 

>  Toru.  i,p.  176- 
»  W.  p.  1 1 1  . 

'  Celui-ci  d'autant  moins  excusable  qu'il  est  dans  le  texte  français  et 
non  dans  unç  note. 


PAR    H.    LÉOPOLD    RA^KB.  259 

mais  ici  le  traducteur  peut  donner  pour  excuse  que  Ranke  lui- 
même  a  cilé  et  copié  ses  textes  avec  une  extrême  négligence. 

Si  le  zèle  de  MM.  Haiber  et  de  Saint-Chéron  avait  dû  se 
borner  à  la  traduction  de  l'Histoire  de  la  papauté,  nous  nous 
serions  abstenu  de  ces  observations.  MaisVHistoired''IrinocentIII, 
qui  vient  de  paraître  sous  leur  nom  ,  nous  prouve  qu'ils  ne  s'ar- 
rêteront dans  cette  belle  et  louable  carrière,  que  lorsque  les 
bons  livres  à  traduire  manqueront  entièrement  à  leur  activité; 
dès-lors  nous  avons  dû  leur  signaler  quelques  défauts  qui  dé- 
parent trop  leur  dernier  ouvrage,  pour  qu'ils  ne  se  fassent  pas 
vuie  loi  de  les  éviter  soigneusement  dans  leurs  futures  publica- 
tions. 

H.  G. 


SMk)  SI  LE  eHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCrEKCES. 


*^A,^*'^A^■^Av^AAAA**^»»A»A^A^A**^*^^»*'^AA^A*^^*l«^A<'^AA^^^«\»^^A^\A;^^»»v»a>vw^»»l>v^af\^>^\^ 


^çforb  be  (a  UeCigiiJn  d  bcs  Bcimces, 


S'IL    EST   VRAI   QUE   LE    CHRISTIANISME   AIT   NUI   AU 
DÉVELOPPEiMENT  DES  CONNAISSANCES  HUMAINES, 

ou    DU    MOINS    A    CERTAINES    SCIENCES. 


premier  3tficf^» 

De  l'histoire  des  sciences  mathémaliques  en  Italie,  de  M.  Libri.  —  De  la 
cosmographie  de  M.  Letronne.  —  Du  sens  litle'rai  de  la  Bible.  —  Le» 
Saints  Pères  ont-ils  puise  leurs  opinions  cosmographiques  dans  la  Ge- 
nèse? —  De  la  structure  du  firmament.  —  De  la  plura'ité  des  cieux. 
—  De  la  configuration  de  la  terre  el  des  cieux.  —  Les  erreurs  côsmo- 
graphiques  des  Pères  ne  peuvent  être  altribue'es  à  la  Bible.  —  Con- 
tradictions de  INI.  Letronne,  —  Les  Pères  n'ont  point  de  cosmographie 
propre.  —  Conclusion. 

En  lisant  le  mois  passé  l'ouviage  que  iM.  Libri  vient  de  faire 
paraître  sous  le  litre  d'Histoire  des  sciences  mathématiques  en  11  alie , 
et  où  la  religion  est  considérée  généralement  par  l'auteur, comme 
fatale  aux  études,  j'ai  trouvé  dès  les  premières' pages ,  le  titre 
d'un  mémoire  publié  par  M.  Letronne,  sur  la  Cosmographie  des 
pères  de  l'Eglise.  J'avouerai  ingénuement  qu'assez  peu  curieux  de 
journaux  ,  j'avais  à  peine  entendu  parler  dans  le  lems  de  ce 
procès  intenté  aux  premiers  docteurs  chrétiens;  et  supposant 
qu'il  ne  s'agissait  là  que  d'une  de»  échappées  théologiques  de 
nos  cours  supérieurs,  j'avais  alors  laissé  passer  la  nouvelle  sans 
plws  m'en  soucier.  Mais  trouvant  dans  un  ouvrage  grave,  tel  que 
celui  de  M.  Libri,  qu'on  y  rciiVoyait  comme  à  la  chose  jugée,  et 
que  la  pièce  en  question  existait  dans  la  Reiucdesdeux  mondes  (i  5 
mars  i854),  je  cédai  à  la  curiosité  de  connaître  cet  article  indiqué 
comme  irls-iniéressant  par  mon  auteur.  Passant  donc  pourlemo- 
msutdu  membre  de  l'académie  des  sciences  à  l'académicien  de» 


hèFUTATIOX    DE    W.    LETROiirXB.  261 

ÎTiscrîptions,  je  me  mis  à  lire  la  Revue  des  deux  mondes.  J'eus  lieu 
de  reconnaître  tout  d'abord  ,  aux  nombreuses  citations  d'au- 
teurs ecclésiastiques  et  d'écrivains  allemands,  que  le  directeur 
delà  bibliothèque  du  roi  n'avait  point  dérogé,  et  qu'on  avait  fait 
aux  Saints-Pères,  l'honneur  de  les  enterrer  avec  queUpe  appa- 
reil. Toutefois  ayant  bien,  moi  aussi,  une  certaine  teinture 
de  ces  auteurs,  «t  de  plusieurs  moyens  appelés  en  aide  par  c© 
savant  antiquaire,  je  ne  me  tins  point  pour  dit  tout  ce  qu'a- 
▼ait  dit  l'auteur  aux  abonnés  de  la  Revue.  Seulement  mon  exa- 
men de  l'Histoire  des  sciences  mathématiques  en  Italie  se  trouvait 
ajourné  par  cet  examen  nouveau  ,  et  je  savais  d'ailleurs  qu'il 
avait  été  répondu  à  M.  Letronne  ,  par  M.  l'abbé  Delalle.  Aussi 
n'aurais-je  pas  manqué  de  revenir  à  M.  Libri.sison  collègue 
de  l'institut  n'eût  été  présenté  par  lui  comme  un  important  au- 
xiliaire, dont  l'appréciation,  par  conséquent  ,  ne  me  flétournait 
point  de  mon  but;  et  s'il  ne  m'eût  paru  qu'on  pouvait  dire  quel- 
que chose  après  les  lettres  du  théologien  qui  avait  remarqué 
l'article  de  la  Rexue  dès  son  apparition. 

Celui-ci  ,  en  homme  entendu  ,  avait  compris  que  le  titre 
donné  par  M.  Letronne  à  son  article,  ne  désignait  pas  précisé- 
ment le  but  de  l'écrivain,  mais  que  l'attaque  couvrait  une  feinta 
plus  ou  moins  reconnue  par  l'auteur  ;  qu'au  fond,  c'était  la  Ge- 
nèse qu'on  attaquait  sous  le  nom  des  Pères,  puisqu'après  avoir 
bien  poussé  ceux-ci,  on  leur  tend  définitivemant  la  main  ,  en 
disant  qu'ils  étaient  franchement  plus  à  plaindre  qu'à  censurer, 
n'ayant  fait  réellement  que  de  commenter  Moïse  et  l'interpréter 
du  mieux  qu'ils  le  pouvaient  en  leur  dme  et  conscience.  Ré- 
pondant donc  à  l'intention  beaucoup  plus  qu'aux  paroles  de  l'a- 
cadémicien ,  .M.  Delalle  s'occupait  surtout  à  venger  l'Ecrilura 
Sainte  '.  Mais,  tout  en  reconnaissant  la  sagacité  de  cette  polé- 
mique, un  certain  faible  pour  l'érudition  ,  ne  me  permettait 
pas  de  voir  sans  quelque  cliagrin ,  tant  de  citations  et  de  noies 
bibliographiques  franchies  comme  d'un  pas  dans  la  réponse  , 
de  manière  à  faire  croire  que  51.  Letronne  y  avait  perdu  sou  la- 

'  Aussi,  laissant  le  mot  de  cosmographie  employé  par  ^L  Letronne, 
la  réponse  annonce  par  sontitrc  qu'elle  estsurteat  dirigé*  vers  la  eoêmo^ 
gonie  ,  ce  qui  n'est  poiat  mon  Imt. 


2C2  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  8CIE?(CES. 

tin  (  pour  ne  rien  dire  du  grec  et  de  l'allemand  ) .  Or ,  quel  ama- 
teur de  recherches,  n'éprouverait  pas  un  certain  dépit  à  voir  les 
recherches, même  d'un  adversaire,  écartées  presque  sans  coup 
férir,  fût-ce  du  meilleur  droit  du  monde  '  ? 

C'est  ce  qui  m'a  fait  commencer  ma  réponse  à  M.  Libri  par 
une  discussion  du  témoignage  qu'il  invoque,  afin  de  laisser  aux 
laïques  qui  se  donneront  la  distraction  de  Iraiter  des  matières 
de  théologie  (  bien  que  M.  Guizot  ne  le  leur  conseille  point,  ni 
moi  non  plas,àvrai  dire  ),  la  consolation  de  penser  qu'il  pourra 
leur  être  répondu  précisément  sur  le  terrain  où  ils  ont  eu  la 
complaisance  de  s'engager.  Aussi  répondant  encore  plus  aux  pa- 
roles du  savant  antiquaire,  qu'à  ses  vues,  je  m'attacherai  à  peu 
près  uniquement  à  ce  qu'il  y  avait  de  positif,  comme  on  dit , 
dans  son  article.  Après  quoi,  j'en  viendrai  à  l'Histoire  des  sciences 
mathématiques  en  Italie,  si  rien  n'y  met  obstacle. 

Voici,  ou  je  me  trompe  fort,  le  fond  de  l'article  publié  dans  la 
Revue  ;  et  pour  qu'on  puisse  me  rectifier  ovi  me  suivre,  je  noterai 
les  pages  où  se  trovivent  les  assertions  que  j'extrais. 

«  Les  Saints-Pères  n'ont  voulu  admettre  dans  l'exposition  des 
«passages  de  l'Ecriture  qui  ont  rapport  à  la  cosmologie,  que  Tin- 
» terprétation  littérale;  si  bien  que  toute  interprétation  prise 
»  d'un  autre  point  de  vue ,  était  dissimulée  plus  ou  moins  par  ses 
sauteurs,  et  écartée  parles  théologiens  '.» 

€  Celle  interprétation  emporte  nécessairement  des  consé- 
•  quences  absurdes  •'.  » 

«Cette  interprétation  néanmoins  est  la  seule  orthodoxe',  en 
»ce  sens  du  moins,  que  seule  elle  répond  à  la  doctrine  de  l'ins- 

»  Pendant  que  j'écrivais  ceci ,  on  m'a  fait  connaître  une  autre  réponse, 
insérée  par  M.  Foisseldans  les  annales  de  Philosophie  chrétienne.  T.  VJii, 
p.  210  ;  article  écrit  avec  beaucoup  de  ir.esiire  et  de  sens,  mais  auquel  il 
m'a  semblé  qu'on  pou\ait  ajouter  quelque  chose  sur  la  question  princi- 
pale et  sur  la  manière  dont  elle  avait  été  traitée  par  la  lîevtie,  attendu  que 
M.  Foisset  se  place  surtout  au  point  de  vue  historique ,  qui  ne  lui  per- 
mettait point  ces  détails.  Cet  article  servira  donc  de  complément  à  celui 
qui  a  déjà  été  inséré  dans  les  AnnaUs. 

»  P.  602-605.  612,  616,  etc. 

•  P.  602-605,  611,  631,  etc. 


RÉFUTATION  DE  SI.  LETRONIXE.  263 

»piralion  absolue  fie  iMoïse  >.  Mais  auloiul,  on  ne  peut  voir  dans 
»la  cosmologie  de  rEcrilurc,  sous  peine  d'absurdité,  que  l'expres- 
»sion  d'idées  populaires  '.nD'où  il  résulte,  je  crois,  en  bonne  for- 
me, qu'il  n'y  aurait  d'interprétation  orthodoxe  delà  cosmologie 
biblique,  qu'une  interprétation  absurde  ;  mais  il  n'importe. 
«Les  pères  étaient  sous  l'empire  des  opinions  cosmologique» 

•  popidaires,  et  des  doctrines  adoptées  par  les  écoles  pbilosophi- 
»  qnes  de  la  Grï'cc  ^.  » 

«Cosmasa  consiruit  le  monde  d'une  façon  fort  divertissante  4, 
»et  ce  système  est  une  conséquence  de  plusieurs  textes  de  la 

•  Bible  °.  » 

Le  reste  appartient  de  près  ou  do  loin  à  ces  divers  chefs,  quo 
je  traiterai  sans  trop  de  méthode,  pour  ne  pas  affecter  un  appa- 
reil didactique. 

Je  demanderai  d'abord  ce  que  c'est  que  C interprétation  littérale 
ou  verbale  d'un  texte.  Y  a-t-il,  peut-il  y  avoir  une  explication 
littérale  absolue  d'un  texte  donné  ?  Je  ne  dirai  rien  de  nouveau 
si  j'affirme  qu'au  moins  souvent  la  chose  est  inadmissible,  dès 
qu'il  s'agit  d'un  texte  écrit  loin  de  nous,  soit  dans  l'espace,  soit 
dans  le  tems  ^. 

Quel  homme  ayant  une  idée  de  l'herméneutique,  ^'imaginera 
qu'il  suffise  d'avoir  un  texte  sous  les  yeux  pour  en  déterminer 
le  sens  assuré,  au  moyen  du  seul  texte?  Tout  ce  que  nous  ap- 
prenons dans  une  expression  quelconque,  ne  se  dévoile  à  notre 
intelligence  qu'en  vertu  même  des  connaissances  antérieures 
que  nous  apportons  à  l'examen  ;  en  sorte  que  la  probabilité  do 
comprendre  un  passage  est  en  raison  de  ce  que  nous  saviona 
déjà  sur  l'objet  dont  il  y  est  traité,  et  de  l'analogie  de  l'emploi 
qu'y  reçoivent  les  expressions  avec  celui  qui  leur  est  attribué 
dans  des  passages  connus.  Si  l'objet  est  inconnu  et  étrange,  si 

'P.  603,  60i. 
>P.  60i,  605. 

^P.  605,-607,612,613,  6Î7,  619,620,  628,631. 
<  606,— 6tt  et  au-delà. 
«P.  611,  etc. 

*  Voyez  V.  9.  Fûlleborn,  Encytl.  philolog.,  •deHt.  KaaU'H»».,  p.  US , 
«le. 


264  SI  LE  CHRISTIANISME  A  MI  AUX  SCIEXCES. 

le  discours,  avec  cela,  se  met  peu  en  peine  du  développement 
des  idées  et  de  la  propriété  stricte  des  expressions  ,  l'interprèle 
n'a  point  de  prise,  le  texte  est  entre  ses  mains  une  énigme. 
Nous  le  voyons  même  dans  les  auteurs  grecs  ou  latins  qui  nous 
sont  les  plus  familiers,  et  où  quantité  de  passages  échappent 
aux  plus  habiles  '.  On  les  tortiu-e  parfois,  on  a  recours  à  des 
leçons  plus  ou  moins  forcées  jusqu'à  l'instant  ou  la  découverte 
d'un  monument  qui  les  éclaire ,  vient  faire  voir  aux  érudits 
qu'il  n'y  avait  nul  cliangement  à  y  inlroduire,  et  qu'il  n'y  man- 
quait jusque  là  qu'une  chose  seulement,  la  connaissance  du 
fait  aême,  pour  le  pouvoir  lire  dans  son  exposition.  Que  de 
textes  des  écrivains  les  plus  étudiés  ont  reçu  et  reçoivent  cha- 
que jour  une  interprétai  ion  nouvelle  par  les  progrès  de  l'archéo- 
logie, sans  que  le  texle  lui-même  ail  reçu  ou  perdu  une  lettre! 
Ceux  qui  avaient  voulu  traduire,  et  ceux  qui  avaient  condamné 
les  copistes  ou  l'auteur  avai.t  l'élude  ou  l'apparition  des  monu- 
mens,  s'étaient  trop  pressés,  et  les  versions  antérieures,  pour 
littérales  qu'elles  se  prétendissent ,  et  peut-être  à  cause  de  cela 
même,  se  sont  trouvées  fausses  par  défaut  de  connaissances  sub- 
sidiaires ».  Cependant  l'auteur  attendait  en  paix  que  le  pro- 
grès de  l'étude  vînt  confondre  ses  obscurs  blasphémateurs  ^. 
Et  jus(jue  là,  ou  était  la  version  littérale?  Il  n'y  en  avait  point, 

»  Fûlleborn ,  op.  cil. ,  p.  57,  Ceux  qui  ne  sont  point  étrangers  aux 
éludes  jthilosofihiques  de  l'Ailemagne  ,  ou  même  qui  ont  eu  sous  les  yeux* 
un  catalogue  de  dissertations  publiées  en  ce  pays  ,  savent  combien  de  dé- 
bals s'y  cievcnt  pour  deux  ou  trois  mots  d'un  classique. 

»  Cela  est  si  \rai,  que  dans  tout  nomeau  projet  d'explication  pour 
un  texte,  c'est  la  gramuiaire  qui  joue  le  moindre  rôie;  on  en  appelle 
toujours,  et  presque  uui(]ueinent, 3iU\  lumières  acquises  d'ailleurs  sur  le 
fait  qu'on  propose  d'y  lire. 

'  La  chose  est  trop  fréquente  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'en  citer  des 
exemples.  Ce  n'est  pas  d'ailleurs  à  un  archéologue  qu'il  faut  prou^er  de 
pareils  faits;  M.  Lclronne  cioirail  à  boa  droit  que  je  me  mot|ue,  si  jo  le 
renvoyais  à  ce  qu'il  ne  peut  ignorer  ;  aux  ouvrages  dos  llcyne  ,  des  ]5œt- 
tiger,  des  Boeldi ,  etc.  ,  pour  ne  parler  que  des  travaux  récens,  et  des 
allemands  que  mon  auteur  paraît  affectionner.  Autrement  il  faudrait  faire 
la  liste  de  presque  tout  ce  qu'il  y  a  jamais  eu  de  philologuci  habiles  cl  d« 
•cboliastes  distingués. 


RÉFUTATION  DK  M.  LETROMSE.  265 

par  ce  que  sans  le  conlexle  cl  le  sens  du  texte  entier,  les  mots 
ont  quantité  de  valeurs  possibles  et  pas  une  réelle. 

Mais  malheureusement  pour  beaucoup  d'hommes  instruits  , 
ce  qui  est  palpable  dans  un  «uteur  classique  ne  l'est  plus  dans 
le  grand  livre  du  chrétien  ;  et  tel  qui  écrirait  des  pages  sur  une 
ligne  de  Cornélius  Ncpos,  ou  au  moins  d'Hérodote  ',  a  son  pari i 
pris  antérieurement  à  toute  étude  sur  des  chapitres  entiers  de 
Moïse. 

Où  est  le  seits  littéral  du  début  de  la  Genèse,  et  qui  peut  se 
flatter  de  le  voir?  L'Église,  qui  certes  s'en  occupe  depuis  long- 
tems  avec  quelque  sérieux,  ne  nous  a  point  fixés  là-dessus, 
nous  autres;  et  la  Revue  des  deux  mondes  prétend  en  déterminer 
le  sens  orthodoxe!  Les  saints  Pères,  quels  hommes!  n'auraient 
fait  que  tâtonner  dans  une  pareille  question ,  et  c'est  Heyne 
ou  M.  Pott  •,  qui  viennent  en  lever  définitiveiTient  le  voile!  C'est 
à  la  fois  bien  du  respect  pour  les  docteurs  de  Goctiingue  ou 
d'ilclmstadt,  et  bien  peu  pour  le  maître  du  peuple  de  Dieu.  Or 
que  Pott  ait  tranché  la  question  dans  un  opuscule  du  siècle 
dernier,  je  l'admire  plus  que  je  ne  m'y  rends.  Prenons  de  là 
néanmoins  l'occasion  de  faire  savoir  à  nos  professeurs  que  tout 
le  monde  ne  plie  point  pour  avoir  entendu  citer  un  nom  alle- 
mand, pas  plus  dans  un  article  de  Revue  ,  qu'en  Sorbonne  ou 
au  collège  de  France  '.   Autrement  j'aurais  eu  bientôt  fini  de 

>  Par  exemple  INL  Lctronne  ,  dans  le  XII«  tome  des  Mémoires  de  CAca^ 
imie ,  entre  autres. 

^  Article  de  la  Revue,  p.  G05. 

'  Par  exemple  cette  année  à  la  faculté  des  lettres,  on  s'appuyait  encore 
d'un  nom  allemand  pour  exjjliqucr  le  sacrifice  d'Abraham  d'une  manière 
tout-à-fait  rnj'ltuijue ,  c'est-à-dire  illusoire.  Riais  si  les  noms  allemands 
ont  un  si  grand  poids,  on  pouvait  en  citer  un  autre  beaucoup  plus  ri- 
cent  à  l'appui  du  contraire.  Voyez  une  dissertation  publiée  à  Trêves  cette 
annceci  même,  je  crois  ,  où  l'interprétation  préconisée  en  Sorbonne  est 
formellement  réfutée.  Je  sais  b'en  qu'à  la  manière  dont  s'élaborent  au- 
jourdhui  beaucoup  des  ouvrages  scientifiques  français,  ceux  qui  en 
connaissent  le  mystère  peu\  ent  être  tentés  de  chercher  hoi's  de  chez  eux 
des  garanties  d'érudition  véritable  et  des  conclusions  toutes  formulées. 
Mais  je  sais  aussi  que  plusieurs  travaux  d'outre-Rhin  ressemblent  aux 
nètres,  et  que  plus  d'une  réputation  germanique  i>Cî(1r.iit  aussi  à  èlr? 


266  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

nommer  Botsacc ,  Krag,  "Werchau,  Engeslroem,  Rambach  , 
Kirchmaier,  Sennert,  Kromayer,  Gramme,  Meisner,  Rotten- 
bcck,  "NVeissenbach,  etc,  etc.,  auxquels  la  cosmologie  biblique 
n'a  pas  semblé  inextricable.  Mais  enfin,  ce  qu'il  y  a  de  vrais 
savans  (et  je  ne  dispute  point  du  tout  à  l'Allemagne  sa  véritable 
gloire  en  ce  genre)  ne  peuvent  méconnaître  que  le  poids  de 
leur  nom  équivaut  dans  une  quesliot?  au  poids  de  leurs  raisons, 
ni  plus  ni  moins;  et  qu'une  fois  la  raison  trouvée,  ce  qui  n'ap- 
partient pas  à  tout  le  monde,  l'appréciation  de  cette  raison  ap- 
partient à  tout  homme  de  sens. 

Quoi  qu'il  en  soit  ,  quel  est  donc  le  sens  littéral  du  début  de 
la  Gc?!èj'e  ?  pourrait  me  demander  M.  Letronne.  Et  qui  m'empê- 
cherait de  répondre  sans  la  moindre  hétéi'odoxie  ,  que  jusqu'à 
présent  il  n'y  en  a  pas  ?  que  nous  attendons  pour  interpréter  le 
texte  que  les  abords  en  aient  été  déblajés.  Et  par  qui  déblayés  ? 
De  la  main  de  M.  Letronne  si  vous  voulez,  et  par  tout  autre  sa- 
vant, mais  savant  vérital)le  ,  non  pas  seulement  archéologue, 
mais  naturaliste  ,  physicien  ,  géologue  ;  nous  les  appelons,  nous 
les  invitons,  nous  leur  disons  comme  autrefois  l'Ecriture  : 
assemblez-vous ,  éverîaez-voas  et  faites-vous  battre  '.  Compulsez, 
analysez  ,  comparez  ,  même  plus  sérieusement  que  vous  ne 
faites  jusfiu'ici ,  c'est  nous  qui  vous  en  prions;  et  quand  vous 
aurez  chacun  dans  votre  sphère  poussé  vos  théories,  les  uns 
jusqu'à  l'absurde,  les  autres  jusqu'à  l'évidence,  un  théologien 
qui  ne  vous  vaudra  pas,  ni  en  archéologie,  ni  en  sciences 
naturelles,  ni  en  ])hysique  générale,  viendra,  la  Bible  en 
main,  expliquer  au  plus  simple,  la  profondeur  et  la  haute 
portée  de  ce  que  vous  jugiez  pitoyable,  de  ce  que  vous  déclariez 
enfanté  par  l'ignorance  populaire  d'une  nation  à  peine  civilisée  *. 
Quand  les  neptuniens  et  les  vulcanisles  auront  terminé  leurs 
déhals  ;  quand  le  soulèvement  des  montagnes  aura  été  jugé  sans 
appel;  quand  on  saura  si  M.  Poisson  a  dit  vrai  en  terminant 
l'atmosphère  par  une  couche  d'eau  qui  lui  serve  de  limite,  etc., 

soatlée.  Ceci  soit  dit  seulement  en  passant;  clans  l'occasion  je  pourrais  en 
donner  des  prcu\cs. 

•  Congregamiui ,.  .  et  vincimiai  ; . .  .  confortamini ,  et  vincimini;  ac- 
ciiiyilc  ^()S,  cl  \inciniiui.  Isaie  ,  vni.  '). 

»  Article  d«  la  /<t(t'(t«,  p.  GO.'i. 


KÉFUTATION  DE  M.  LETRONNE.  267 

te;  nous  arriverons  avec  des  textes  clairs  comme  le  jour,  pour 
lontrcr  au  monde,  non  pas  que  nous  savions  tout  cela  ,  mais 
ue  tout  cela  était  déposé  sous  le  sceau,  entre  nos  mains,  pour 
pprcndre  par  un  rao\'en  nouveau  à  rincrédulilé  des  derniers 
ges ,  que  Dieu  est  le  maître  des  sciences  '.  Nous  expliquerons  en 
uvrant  la  Genèse  ,  sur  les  monceaux  de  vos  volumes  réduits  dé- 
ormais  à  leur  juste  valeur  ,  l'éniijme  divine  du  passé;  comme 
î  missionnaire  assis  sur  les  ruines  de  Tj'r  ,  contemplait  dans 
saïe  la  ponctualité  de  cette  histoire  de  l'avenir.  Voilà  sur  quoi 
DUS  comptons,  ce  dont  nous  nous  flattons;  et  ce  qui  fait  que 
eus  vous  pressons  de  pousser  vigoureusement  vos  travaux  pré- 
aratoires,  car  ils  ne  sont  que  cela.  Kons  savons  déjà  quel  ver- 
Bt  de  Moïse  ou  des  Saints  Pères  il  nous  faudrait  prendre  ^  pour 
ustifier  la  foi  en  adaptant  vos  sciences  à  la  parole  qui  ne  pas- 
era  pas  ;  si  ce  n'était  là  faire  trop  d'honneur  à  des  sciences  d'un 
)ur, à  des  connaissances  qui  ne  sont  que  des  hypothèses,  lors- 
u'elles  ne  sont  pas  des  assertions  plus  ou  moins  gratuites.  ' 

Cependant, s'il  était  vrai  qu'aujourd'iiui  même  le  sens  littéral 
es  premiers  chapitres  de  la  Genlse  ,  pût  bien  n'être  pas  assi- 
nable  encore  ,  comment  se  ferait-il  que  les  Saints  Pères  eus-^ 
ent  précisé  ce  sens  ?  C'est  ce  dont  il  s'agit,  et  ce  que  nous  al- 
)ns  voir.  Y  a-t-il  une  doctrine  cosmologique  commune,  sinon 
la  totalité,  du  moins  à  la  généralité  des  Saints  Pères  ?  on  doit 
oir  que  cette  question  revient  fout-à-fait  à  cette  autre  :  y  a-t-il 
ne  interprétation  de  la  cosmologie  biblique  qui  ait  reçu  la 
inction  d'orthodoxie  ?  par  décision  ou  par  consentement  com- 
îun  ,  il  n'importe.  Car  on  imagine  aisément  que  les  Pères  de 
Eglise  tenaient  à  l'orthodoxie  et  à  l'Ecriture  Sainte  avant 
3ut.  M.  Letronne  répond  à  cette  question  affirmativement,  et 

»  IRcg.  11.  3.  —  Ps.  93  ,  10. 

*  Quelofu'un  veut-il  ,  par  manièi'e  de  distraction ,  savoir  à  qui  l'on 
ourra  ,  dans  uue  nouvelle  e'dition  de  Dutems  (  Origine  des  découvertes  at- 
ibuées  aux  modernes)  faire  honneur  de  la  théorie  des  soulèvemens?  Je 
propose  Rupert,  uu  abbé  du  12^  siècle  (m  Gènes,  i.  3i,  etc.)  ou  au 
loins  Cornélius  Vandensteen ,  célèbre  commentateur  de  la  Bible  au 
G»  siècle.  «Tertio  mundi  die  fecit  Deus  ten'am  partim  subsidere  ,  par- 
tim  assurgere  ;  unde  facli  sunt  montes  cl  valles.  »  El  ils  avaient  vu 
;ladansla  Cenèsg  et  dans  les  Psaumes.  Ps,  103. — Gen,  i. 


H 


268  SI  LE  CHRISTIAMSME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

moi  négativement.  Reste  à  peser  les  preuves  :  voici  les  miennes 
Et  comme  tout  le  monde  ne  peut  pas  avoir  entre  les  mains  la 
Revue  des  deux  mondes,  j'en  citerai  souvent  les  expressions. 

Structure  du  firmament. 

Selon  M.  Leironne  ,   «  le  plus  grand  nombre  des  Pères  crut 
«que  les  eaux  célestes  étaient  soutenues  par  le  firmament  ,  qvii 
•  avait  des  porles  et  des  fenêtres,  car  c'est  ainsi  que  l'on  intcr- 
»  préla  les  termes  de  cataractes  ou  de  fenêtres  du  ciel,  qui  se  trou 
»  vent  dans  la  Genhe.it 

Ce  n'est  pas  qu'il  soit  précisément  question  de  fenêtres  du  ciel 
dans  la  Genèse  ,  ni  même  à  ma  connaissance  dans  aucun  livre 
de  l'Ecriture  Sainte  '  ;  mais  enfin  comme  les  psaumes  parlent 
des  portes  du  ciel  ,  on  a  pu  se  croire  autorisé  à  en  compléter 
l'arcliifccture  par  induction.  Quant  à  l'opinion  indiquée  comme 
appartenant  au  plus  grand  nombre  des  Pères,  il  serait  absolu- 
ment possible  que  l'idée  en  eût  été  puisée  par  le  critique,  chez 
saint  Basile,  à  la  manière  dont  les  théologiens  novices  prennent 
quelquefois  dans  la  Somme  de  saint  Thomas,  les  objections  pour 
la  doctrine  elle-même  ;  car  saint-Basile  rapporte  à  la  vérité  cette 
description  d'un  ciel  percé  à  jour  2,  mais  il  termine  parla  traiter 
d'en fanti liasse  et  de  s'implicitc  ^  T:ixr.StY.Yi-...  y.al  «tzIyi^  Stavoixi;.  Du 
moins  saiiit  Chrysostome  ne  connaissait  point  cette  doctrine 
pour  orthodoxe  et  obligatoire,  lorsqu'il  affirmait^  que  per- 
sonne ne  saurait  décider  si  le  mqt  ciel,  dans  la  Genèse,  indique 
une  voûte  solide  ,  ou  des  nuages  épais ,  ou  un  air  plus  dense  que 
le  nôtre  ;  cl  IVancliement,  un  peu  pins  de  lecture  des  Pères,  eût 
montré  qu'ils  nefaçonnaientpointle  firmament  en  une  manière 
de  toit  à  lucarnes,  puisque  les  uns  ^  en  font  une  sorte  de  sphère 
enflammée  ,  d'autres  ^  une  voûte  aérienne  purement  et  simple- 

'  On  a  déji  fait  remarquer  (  Annales  de  pltilos.  clirét.  t.  vni.  p.  218) 
pour  lin  autre  texte,  que  M.  Leironne,  qui  a  certainement  lu  avant  de 
citer,  par:at  a\oir  l'ail  usage  d'un  exemplaire  de  la  Bible  qui  est  peu 
connu. 

^  Basil.  Hexaem.  3. 

^  Chrysost.  in  denes.  /win.  .'. .  —  De  inconipr.  Dei  nattirn.  2. 

4  Greg.  Nyss.  Ile.racm.  —  Augus!.  De  Gcnes.  ad  litt.  lib,  2.  cap.  3. 

'  Ajubr.  Uêxaoïi. — Hasil.  IWxnein. 


(lef 
la? 


nui 


RÉFUTATION  DK  H.  LETHONNE.  Î69 

lent  :  à  l'appvii  tic  quoi  saint  Aaibroisc  S  Olympiodorc  ',  saint 
asile  V^t  d'aulrcs encore,  citent  Isaïc  :  funnavit  caltnn  sicut  fu- 
lum,  ce  qui  n'est  point  la  leçon  de  la  Vulgate,  mais  ce  qui  ne 
rouve  pas  moins  leur  manière  de  penser,  U'aulre.s  ^ ,  n'y  voient 
u'unc  zone  de  nuages,  ^aint  Augustin  '  pernicl  de  n'y  recon- 
dîlre  que  la  région  supérieure  aux  tempêtes;  auquel  cas,  son 
cm  fiimameniuni  lui  serait  donné  par  opposition  aux  a-gitalions 
e  la  région  inférieure  ;  et  il  loue  '  l'idée  de  ceux  qui  n'enlen- 
aient  par  ciel ,  rien  autre  chose  que  les  nues  et  l'air  qui  les 
upporie;  tout  comme,  c'est  lui  qui  parle,  nous  disons  les  oi- 
eaux  du  ciel  pour  les  oiseaux  de  l'air, 

Henri  de  Malines  7,  élève  d'Albert-le-grand,  Guillaume  d'Au- 
ergne,  et  le  cardinal  Pierre  d'Ailly  ^  après  eux,   expliquent 

s  cataractes  du  ciel  ,  si  lourdement  interprétées  ici,  par  l'iu- 
luencc  de  certaines  constellations  sur  les  pluies.  Et  S.  Cliysos- 
ome  9  avait  dit  positivement  que  les  cataractes  du  ciel  ne  sont 
[u'une  expression  figurée  ;  Saint  Thomas  qui  n'était  pas  un 
liéologien  du  tiers  parti,  à  coup  sur,  et  qui  n'entendait  point 
aîlierie  sur  les  sentimens  de  la  majorité  des  Pères  ou  sur  l'in- 
erprétation  orthodoxe  de  la  Bible,  décharge  de  tout  scrupule 
lelui  pour  qui  le  firmament  ne  serait  que  la  partie  de  l'atmos- 
hère occupée  par  les  nuages'",  ouencore  tout  l'espace  compris 
intre  la  terre  et  les  astres  ". 

*  Arabr.  Ihxacm.  1  6.  —  Joann.  Damasc.  Otiltod.  fui  lib.  2.  cap.  G. 
—  Severianus  de  Gabala.  de  Créât.  2.  —  etc. ,  etc. 

'  Olymp.  ap.  Nicetam,  Cuttna  in  Job.  ad  cap.  38. 
'  Basil.  Heraern.  3  et  6.  —  Kilar.  in  p».  135. 

*  Théodore t  in  Gènes.  Quœst.  H.  H.  — Anastas.  sinaït.  Hexaem.  — 
iyrill.  hierosol.  Catech.  9. 

*  Aiigust.  lib.  Jmperf.  de  Gènes,  cap.  8. 

*  August.  Gènes,  ad  lilt.  lib.  2.  cap.  i:  — Id.  01  ps.  lOl.  serm.  2- 

7  Comment.  Abulmasar. 

8  Petr.  de  Al'.iac.  passim.  Vide  Sixt.  seneas.  Bibl.  t.  2. 

9  Chrysost    in  Gènes,  hom.  25. 

*°S.  Thom.  Quœst.  68,  a.  1.  «  Potesl  intelligi  per  firmamcntum...  iila 
pars  aeris  in  quà  condensantur  nubes  ...  secundum  banc  opinionem 
nihil  sequitur  repuguans  cuicumque  opinioni.  »  It.  a.  2. 

»'  S.  Thomas.  Quœst  68.  a.  1,  2.  et  qujest.  70.  a.  1. 


S70  SI  LE  CHRISTIAiXISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

S.  Augustin  ',  s.  Chrysostome  encore  ' ,  et  après  lui  Miche 
Glycas  ^  et  Bède  ^ ,  doutent  s'il  faut  voir  dans  la  création  du  fir 
marnent  autre  chose  que  le  rassemblement  des  vapeurs.  S.Ba-lP^* 
sile  '  et  Olympiodore  ^,  dont  il  a  déjà  été  dit  un  mot,  confon 
dent  le  firmament  avec  l'air  ;  et  de  fait,  l'Ecriture  ne  parle-t-elle 
pas  delà  route  de  faigle  dans  le  ciel,  etc.,  aussi-bien  que  des  oi 
seaux  du  ciel.  S.Ambroise  ^  fait  venir  le  nom  du  firmament ,  de 
ce  que  Dieu  l'a  établi,  quel  qu'il  soit,  d'une  manière  durable  ; 
en  sorte  qu'il  ne  tient  pas  à  lui  que  vous  n'y  voyez  une  loi  du 
inonde  et  rien  de  plus.  Car  ,  lorsqu'il  explique  à  sa  manière  , 
comment  les  eaux  peuvent  être  tenues  en  suspens  sur  le  firma- 
ment, il  termine  ainsi  ^  :  «Ce  que  j'en  dis,  n'est  que  pour 
»  montrer  qu'à  ce  qu'on  nous  oppose  nous  avons  des  hypothèses 
ï  tout  aussi  probables  à  opposer  nous-mêmes,  etc.  9»  Et  il  a  si  peu 
besoin  d'un  toit  qui  divise  les  eaux  supérieures  d'avec  celles  de  la 
terre,  que  pour  expliquer  leur  suspension  ,  il  se  contenterait  vo- 
lontiers d'un  ordre  de  Dieu  comme  celui  qui  sépara  les  eaux  du 
Jourdain  devant  le  peuple  Hébreu.  S.Jean  de  Damas'°  cile 
quatre  ou  cinq  opinions  sur  la  nature  du  firmament,  sans  se| 


'  August.  Conf.  lib.  13.  cap.  32.  clc. 
ï  Chrvsost.  in  Cenea.  liom.  '.. 
'"  Glyc.  Annal,  in  pvincipio. 

*  Bed.  Hexaein. 
'  Basil.  Hom.  3. 
^  Olymp.  op.  cit.  loc.  cit. 
7  Ambr.  Hexaem.  —  Sevenanns  de  Gabala  parle  à  peu  près  de  inérae.j 

De  créât,  or.  3. 

•  Anibr.  ibid. 
9  'Ajoutons   ces  autres  paroles  plus  générales  de  S.  Augustin ,  pour 

ceux  qui  croiraient  que  S.  Aaibroise  a  eu  peu  d'imitateurs  dans  ce#  con- 
cessions :  «  Libri  Gcneseos  mullipllciter  quantum  potui  enucieavi  pro- 
»  lulique  sententias ,  de  vcrbis  ad  exercilationem  nostram  obscure  po- 
»  sitis  ;  non  aliquid'unum  temerè  affirmans  cum  prœjudicio  alterius  ex- 
»  positionis  fortassè  melioris  ,  ut  pro  suo  modulo  eligat  <piisrpie  quod 
»  capere  possil  :  ubi  autem  inlelligere  non  potesl .  scripturœ  Dei  del 
»  honorera,  sibi  timorem.  »  Aug.  de  Gènes,  ad.  litt.  lib.  1.  cap.  20.  Et 
cela  n'est  rien  pourtant ,  au  prix  de  ce  qu'il  dit  sur  l'interpvclaticn  de 
l'Ecriture  dans  le  livre  De  doctrinâ  chrislianà. 
>»  Damasc.  Ortliod,  fid.  u.  6. 


RÉFUTATION  DR  M.  LETRONNE.  271 

prononcer  ni  pour  ni  contre  aucune  d'elles;  persuadé  sans 
doute,  comme  S.Chrysoslome  ',  qu'il  était  téméraire  de  vouloir 
préciser  ce  que  l'Ecriture  entendait  par  là. 

Rupert  '  proposant  son  explication  du  mol  finnamentum , 
oppose  la  densité  des  nuages  à  la  subtilité  de  l'air.  D'autres 
pensent  que  ce  pourrait  bien  n'être  qu'une  désignation  de  l'at- 
mosphère elle-même,  par  opposition  aux  régions  élhérées; 
mais  que  de  fois  a-t-il  été  répété  par  les  écrivains  ecclésias- 
tiques, que  le  mot  hébreu  rendu  j)ar  firvianientum  ou  c-rroîwy.c:, 
correspond  à  expansion  et  non  à  solidité. 

C'est  gssez  de  témoignages,  ce  semble,  pour  une  seule  ques- 
tion; et  je  ne  m'arrête  que  pour  n'avoir  pas  l'air  de  les  entas- 
ser. On  peut  voir  du  reste,  entre  autres,  S.Euclier  (in  Gènes.), 
S. Jérôme  (passim).  El  cependant  je  n'ai  rien  dit  de  ceux  qui  se 
fondant  sur  plusieurs  textes,  et  particulièrement  d'après  ce 
passage  de  l'Apocalypse  ^  :  •  les  grandes  eaux,  ce  sont  des  peu- 
»ples  nombreux,  »  ont  vu  dans  les  eaux  supérieures  la  multi- 
tude des  anges  '*.  Or,  quand  saint  Augustin  (jui  a  cru  pou- 
voir le  dire  après  d'autres,  semble  revenir  sur  ce  qu'il  avait 
avancé  à  ce  sujet,  il  dit  ,uni({uemeiit  ^  que  la  chose  est  fort 
obscure.  Du  reste,  il  reconnaît  fort  bien  le  droit  d'entendre  ce 
texte  autrement  que  lui,  et  approuve  ,  comme  nous  l'avons 
indiqué,  rinterprétatiiiu  de  ceux  pour  qui  le  firmatnent  cou- 
vert par  les  eavix  n'est  que  les  nuages  llultant  dans  l'air  ^. 

Que  veut  donc  dire  M.  Letronne,  lorsque,  décrivant  son  toit 
percé  de  fenêtres,  il  affirme  si  nettement  que  cette  disposition  fut 
regardée  conune  lacondition  indispensable  de  toute  cosmologie  prétendue 
orthodoxe?  llnedissimule  pasà  la  vérité,  un  passage  de  Bergier  ", 
où  ce  théologien  déclare  aux  incrédules  que  l'idée  de  transfor- 
mer le  ciel  en  une  voûte  solide,  recouverte  d'une  couche  d'eau, 

'   Chrys.  in  Gènes,  hom,  L. 

»   Rupert.  in  Gènes,  i.  22,  —  Greg.  nyss.  tlexaem. 
3   Jpoc.X\ni. 

»  August.  Confess.  xiii.  15  et  32.  —  Origène  cité  par  S,  Ep'phanc, 
et  par  S.  Ambr.  Hexaem  S,  Greg.  nyss.  Hexaem.  etc.,  etc. 
*  August.  Retract,  ii.  6.  «  Res  in  abdito  estvalde.  » 
^  August.  ,  Gènes,  ad  litt.  ii,  L. 
7  Diet.  d«  iliéologie.  ,  art.  ciel  et  enu« ,  cité  par  la  Revue. 


I 


272  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

et  percée  de  trous,  est  uneinvention  qui  leur  appartient,  et  non 
pas  à  Moïse;  mais  Bergier  plaisante  évidemment,  aussi  ne  fait 
on  mention  de  celte  réponse  du  savant  théologien,  que  pour!  \( 
y  ajouter  avec  une  assurance  piquante  ,  que  le  docteur  de  Sor- 
bonne  r anse  d'an  tvcdt  de  plume ,  sans  y  songer ,  presque  tous  les 
Pères  de  l'Eglise  parmi  les  incrédules.  Un  sorboniste  relevé  en  fait 
de  patristique  par  un  archéologue  du  19'  siècle!  il  faut  conve- 
nir que  la  mystification  est  divertissante. 

Pluralité  des  cieiis. 

«  L'idée  d'un  double  ciel  qui  divise  le  monde  en  deux  com- 
ipartimens,  »  dit  notre  auteur,  «  n'est  que  la  conséquence  de 
«plusieurs  textes  de  la  liible  entendus  à  la  lettre La  plu- 
spart  des  docteurs  chrétiens  expliquant  littéralement  les  ex- 
»  pressions  de  cieux,  de  ciel  des  citux,  dans  plusieurs  passages 
•  des  livres  saints....  crurent  à  l'existeiicc  de  plusieurs  cieux.  » 
Et  ailleurs  :  «  La  division  du  monde  en  deux  coniparlimeiis 
»  ou  deux  étages,...  paraît  '  avoir  é!é  adoptée  assez  générale- 
»ment.  »  A  quoi  on  ;ijui!le  que  les  Pères  ne  se  sont  pas  bornés 
au  nombre  de  deux;  ce  qui  pourrait  déjà  faire  préjuger,  à  celui 
dont  le  parti  ne  serait  pas  piis  d'avance,  que  la  Bible  n'était 
pas  pour  les  écrivains  ecclésiasli([ucs ,  l'unique  source  du  sys- 
tème cosmographique,  nircsponsable  par  conséquent  de  toutes 
leurs  doctrines  cosmologiqucs.  D'autant  que  M.  Letronne  nous 
fait  voir  peu  après,  que  la  pluralité  des  cieux  et  leur  distribu- 
tion est  due  à  Philolaûs.  Ajoutez  que  (toujours,  d'après  M.  Le- 
tronne )  le  sens  littéral  paraîtrait  n'avoir  été  obligatoire  que 
dans  les  livres  de  l'Ancien-Teslament ,  puisque  le  troisième 
ciel  dont  parle  S.Paul,  ne  contraint  point  S. Augustin  '  à  ad- 
metlreun  troisième  compartiment.  S.  Augustin  cependant  avait 

»  Paratf;  quelle  modestie  après  taut  de  recherches  !  mais  aussi  (quelle 
condescendance  après  une  aifirmalion  pure  et  simple!  Toutefois  j'oserai 
dire ,  et  mes  lecteurs  diront ,  je  pense ,  avec  moi ,  que  cela  liC  parait  pas, 
au  moins,  comme  conséquence  de  l'Ecriture. 

*  Saint  Augustin  cite  dans  ce  même  article  de  la  Revue  ,  et  à  r c  pro- 
pos ,  p.  6I/i.  Les  héncdiclins  font  la  même  remai'que  pour  saint  Chry- 
sostomc,  in  Gènes,  hjm.  U. 


RÉFUTATION  DE  11.  LETRONNE.  273 

M  cité  '  comme  un  rigide  partisan  de  rinlcrprétation  littérale 
en  dépit  de  la  raison.  3Iais  en  admettant  même  trois  cieux, 
les  saints  Pères  eussent  marché  à  la  suite  de  Pythagore  •  au- 
tant que  sur  les  pas  de  Moïse. 

Du  reste,  les  Saints  Pères  %  et  S.  Jérôme  par  exemple,  sa- 
vaient fort  bien  que  le  mot  hébreu  qui  désigne  le  ciel  ou  les 
cicux,  si  l'on  veut,  n'a  point  de  singulier,  et  peut  signifier  entre 
autics  choses  :  tes  eaux  supérieures ,  comme  qui  dirait  la  région 
des  nuages.  Mais  il  y  a  mieux,  c'est  que  l'idée  d'un  double  ciel 
est  exclue  en  propres  termes  par  S.Chrysostome  "  et  par  saint 
Grégoire  de  TSysse ',  lequel  même  regarde  le  firmament  (le 
plafond  de  31.  Letronne  ^  J  comme  étant  tout  uniment  une  dé- 
signation du  point  où  la  matière  atteignant  son  plus  haut 
point  de  rarél'aclion  ,  cesse  d'occuper  l*espace,  et  il  qualifie 
toute  autre  opinion  de  philosophie  étrangère  7.  De  même,  pour 
Procope  de  Gaza  '.  S.Chrysostome  est  si  loin  de  lire  dans  l'E- 
criture la  pluralité  des  cieux  ,  qu'il  reproche  '  à  ceux  qui  l'af- 
firment, de  construire  le  monde  à  leur  fantaisie.  Selon  S.Justin 
martyr  '°,  «  Moïse  ne  parle  ni  d'un,  ni  de  deux,  ni  de  plusieurs  cieux.% 

Je  suis  bien  trompé  si  ces  manières  de  s'exprimer  de-la  pari  de 
S.  Chiysostome,  de  S.  Grégoire  de  Nysse,  etc.,  ne  prouvent  pas 
à  elles  seules  que  la  pluralité  des  cieux  n'était  point  enseignée 
par  la  plupart  des  docteurs  chrétiens.  D'ailleurs,  à  défaut  même 
delà  valeur  que  j'attribue  à  ces  témoignages,  on  comprend 
aisément  que  tous  ceux  dont  j'ai  rapporté  la  façon  de  penser 
au  .'iujet  du  firmament,  ne  réclament  point  le  plafond  que  leur 
construit  M.  Letronne,  et  ne  tiendraient  tout  au  plus  qu'à  un 
toit,  c'est-à-dire,  pas  plus  d'un  ciel,  pour  mettre  les  choses  au 

»  Art.  de  la  Bévue,  p.  60i  ,  605.  lien  sera  parlé  plus  bas. 
«Photius,  Bt6<.  C.  2i9. 

*  S.  Chrysost.  in  Cènes.  Iiom.  4-  — Thcodoret,  in  Gémi,  quceit.  11. 
4  Chrysost.  in  Gènes.  L. 

*  Greg.  Nyss.  Contra  Eunomium, or.  12,  etc.,  etc. 
«Pag.  615. 

7  Greg.  Nyss.  Hexaem. 

*  Procop.  Gaz ,  in  Gene$. 
•9  Chrysost.  in  Cènes.  3. 

^'^Juslin,  Quœst.  ad  orihodoxos.  qn.  i?. 

ToMKXvu.— N*  100.  i858  it 


J74  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NCI  AUX  SCIENCES. 

pire  '.  Quant  à  ceux  qui  auraient  enseigné  la  pluralité  des  cieux, 
S.Grégoire  de  Nysse  *  et  d'autres  avec  lui,  les  expliquent  d'une 
manière  qui  n'est  point  ridicule  du  tout,  en  disant  que  le  mot 
ciel,  dans  l'Ecriture ,  indique  une  région  dislincle  (  et  non  pas 
un  plancher  ),  c'est-à-dire,  le  théâtre  d'un  ordre  de  faits  phy- 
siques spéciavix,  eu  sorte  que  les  cieux  distincts  seraient  autant 
de  sections  idéales  du  monde,  correspondant  chacune  à  des 
séries  de  phénomènes  sai  gcneris. 

Pour  établir  ce  qu'il  attribue  à  la  plupart  des  Pères,  au  sujet 
de  la  pluralité  des  cieux,  l'article  de  la  Revue  citait  Raban 
Maur  et  le  vénérable  Bède,  lesquels  ne  reparaissent  plus  après 
cette  mise  en  cause.  Mais  puisque  Bède  trouvait  piace  dans  cet 
exposé  de  la  cosmologie  orthodoxe,  pourquoi  ne  lui  accorder 
qu'une  place  si  étroite,  el  ne  parler  nullement  de  son  véritable 
mérite  scientifique  ?  Il  n'eût  pas  été  hors  de  propos,  dans  l'ana- 
lyse de  la  cosmographie  adoptée  par  les  docteurs  chrétiens,  de 
nous  apprendre,  que  selon  les  élémens  de  philosophie  qui  por- 
tent le  nom  de  Bède ,  le  passage  de  la  Genèse  où  il  est  queslion 
des  eaux  que  Dieu  suspend  au-dessus  de  la  terre,  est  expliqué 
par  l'évaporation  qui  forme  les  nuages  dans  l'atmosphère;  que 
le  docteur  de  la  Grande-Bretagne  enseignait  la  sphéricité  delà 
terre,  et  paraît  avoir  soupçonné  l'influence  de  la  lune  sur  les 
marées^.  Si  je  signale  cette  omission,  c'est  que  le  choix  des 

'  Comme  ceux  qui  n'oùt  point  vu  l'article  de  M.  Letroime  imagine- 
raient dilticilement  ce  que  vient  faire  ici  un  plafond,  quoique  nous  ayons 
TU  déjà  établir  un  toit  d  lucarnes,  je  leur  rapporterai  l'exposé,  alU-ibué 
aux  Pères  dans  le  n°  de  la  Bévue  que  j'examine.  «  Severianus  de  Cabala 

»>  (nous  verrons  plus  tard  ce  que  c'était  que  ce  saint  père) compare  le 

ynnonde  à  une  maison  d  double  étage,  dont  la  terre  serait  le  rez-de-chaussée  •, 
»le  ciel  inférieur....  le  plafond  et  le  ciel  supérieur  le  toit.  Revue,  pag.  615. 
Cela  étant,  qui  oserait  se  plaindre  de  ce  qu'on  a  percé  des  fenêtres  dans 
ce  toit?  Aussi  bien  on  les  retrouverait  peuf-ètre  dans  quelque  docteur 
aussi  imposant  que  Severianus. 

*  Greg.  Nyss.  Hexaem. 

'  Lingard.  Antiquilies  of  tlie  Jngto^Saxon  cluirch.  Chapl.  ?ff";J^'mc 
rnieux  renvoyer  à  l'édition  anglaise,  ayant  remarqué  plus  d'une  fois 
quelques  suppressions  et  des  inexactitudes  dans  la  traduction  française. 
Voici  le  passage  de  Bède  sur  les  marées  ;  Tamcjuam  lunoe  quibusdam  aspi- 
rationibufi  inviius  protrahalur  (Oceanus) ,  et  iterum  ejusdem  vi  cessante  in 
propriam  mensuram  refundutur. 


RÉFUTATION  DE  M.  LKTRONNE.  275 

passages  empruntés  aux  Pères  •,  par  M.  Letronne,  me  paraît 
fait  à  charge,  sans  mention  de  ce  qui  pourrait  être  à  décharge; 
d'où  il  résulte  une  espèce  de  factum  contre  les  Pères,  bien  plus 
qu'un  tableau  de  leurs  opinions  cosmograpbiqucs. 

III.  Configuration  de  la  terre  et  du  ciel. 

Ce  que  j'ai  dit  de  Bcde,  et  le  plan  du  monde  attribué  aux 
Saints  Pères,  me  conduit  à  l'idée  que  les  docteurs  ecclésiasti- 
ques ont  adoptée  sur  la  forme  de  la  terre  et  des  cieux.  La  con- 
nexion de  ces  opinions  ne  permet  pas  qu'on  les  sépare:  si  pour 
ces  écrivains  le  ciel  était  un  toit,  et  la  terre  un  rez-de-chaussée, 
le  ciel  n'avait  à  faire  que  de  le  couvrir  et  à  représenter  tout-à- 
fait  une  toîlui'e.  En  effet ,  «  ils  concevaient  les  deux  comme  deshémis- 
»p/ihres  concentriques  qui  venaient  s''appuyer  sur  la  terre.  »  La  note 
ici  nous  cite  pour  autorité  «  les  Manichéenst  (sic).  Je  ne  crois  pas 
que  M.  Letronne  compte  les  Manichéens  parmi  les  Saints  Pères. 
Que  veut  donc  dire  celte  note  ?  Pour  moi  j'avoue  qu'elle  m'a 
confondu.  Mais  nous  pourrons  reparler  des  autorités  invoquées 
par  notre  auteur.  Ce  qu'il  y  a  de  clair,  au  moins  dans  le  texte, 
c'est  que  les  Pères  n'ont  point  voulu  d'un  ciel  qui  fût  autre  chose 
qu'un  hémisphère,  ou  quelque  chose  comme  cela.  Quant  à  la 
terre  ,  c'est  une  base,  un  plan;  hors  de  là  point  de  salut.  Je 
n'attribue  point  à  l'écrivain  ce  qu'il  n'a  pas  dit;  voici  ses  paroles: 
iiCes  étranges  hypothèses  se  réunissaient  toutes  dans  ^exclusion  for^ 
■tt  vielle  de  la  rondeur  de  la  terre.  Saint  Augustin,  Lactance,  saint 
•D  Basile,  saint  Ambroise.,  saint  Justin  martyr  ^  saint  Jean-Chrysos' 
»  tome  ,  saint  Ccsaire  ,  Procope  de  Gaza  ,  Scverianus  de  Gabala,  Dio- 
»  dore  de  Tharse  ,  etc.,  ne  permettent  pas  que  le  vrai  chrétien  conserve 
»ld-dessus  le  moindre  doute. r> 

Mais  saint  Jean  de  Damas  le  permet  >  et  avec  lui  bon  nombre 
d'autres  encore.  Et  quand  saint  Augustin  semble  repousser  cette 
doctrine,   il  déclare  qu'à  son  avis  ',  l'Ecrilure  ne  se  prononce 

'  En  les  tenant  tous  pour  ^alal)!es;  car  je  ne  me  suis  point  occupé  à 
les  rechercher  ,  de  peur  de  paraître  disputer  sur  drs  mots. 

»  Il  appelle  le  ciel  en  toutes  lettres  une  Siiliére.  De  orihodox.  fui.  ii.  6,  et- 
plus  bas  :  Sphéroïde;  plus  bas  encore  :  de  figure  sphérique.  Et  il  rapporte 
tout  cela  comme  doctrine  reçue  ;  tandis  qu'au  sujet  des  partisans  de  l'hé- 
œisphéricilé ,  il  a  dit  :   d^ autres  ont  imaginé  que  le  ciel  n  était  quung  voûte, 

?  August.  Ggnes.  ad  litt.  ii.  'è.  le  chapitre  tout  entier. 


875  SI  Li.  eHRiatiASiSME  à.  nui  aux  seicNccf. 

point  là-dessus.  Où  donc  aurait-il  pris  Tidée  d'exiger  une  pra-^ 
fession  de  foi  à  ee  sujet  ?  Saint  Jérôme  taxe  d'ineptie  '  l'inter- 
prétation de  ceux  qui  prétendent  fonder  sur  l'Ecriture  Sainte 
l'hémisphéricité  du  ciel,  en  le  réduisant  à  n'êlre  qu'une  voûte 
(le  toit  soi-disant  orthodoxe)  do  la  partie  que  nous  habitons. 
Saint  Jean  de  Damas,  comme  je  l'ai  fait  remarquer,  parait  faire 
très-peu  de  cas  de  la  doctrine  orthodoxe  dans  son  livre  de  la  foi 
orthodoxe.  Saint  Ambroise  n'est  pas  aussi  exclusif  qu'on  le  dit; 
ilse  contente  de  citer  quelques  textes  de  l'Ecriture,  et  ajoute  que 
le  reste  n'a  que  faire  dans  l'enseignement  ecclésiastique.  Saint 
Justin  *  donne  de  son  opinion  do  fort  mauvaises  raisons,  où 
l'Ecriture  n'entre  pour  rien  absolument.  St. Basile  '  fuit  allusion 
au  système  de  Plolémée  sans  Tanathématiser  aucunement;  si 
bien  qu'il  y  accommode  l'interprétation  d'un  passage  de  la  Bible. 
Et  puis  fiez-vous  aux  citations  !  S.  Anseime  4  dit  en  propres  ter- 
mes qiie  le  ciel  est  sphérique;  et  s'il  eût  voulu  s'appuyer  pour 
cela  sur  les  Pères  et  les  docteurs  qui  l'avaient  précédé,  il  eût 
pu  citer  saint  Clément  pape  ^,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint 
Hilaire  *,  saint  Ambroise  "  qu'on  nous  oppose,  saint  Jérôme'  , 
saint  Augustin  9  qu'on  nous  représentait  encore  comme  in- 
traitable en  ce  point;  Bède",  etc.,  etc.  Je  crois  que  cela  peut 
suffire  ". 

Riccioli,  auquel  on  ne  ccntcstera  pas,  certes,  une  connais- 

*  Hierouyni.  i>i  hal.  lib.  xi,  cap.  Lo. 

•  Justin  Quœst.  58.  ad  OrlUodox. 

♦  Basil.  Comment,  in  Isai.  13. 
i  Anselm.  de  in),  Tilund. 

*  Clem.  Rom.  Reeognit, 
'  Hilar.  in  ps.  135. 

7  Ambros.  in  ps.  113.  12. 

'  Hieronym.  In  hai,  libr.  xi,  cap.  ^o. —  In  epist.  ad  Eplies.  lib.  2  cap. 
S.  etc. 

♦  August.  inps.  103.  — i?e  Gènes,  ad  lilt.  lib.r,  cap.  20.  —  lib.  2, cap.  9. 
w>  Bed»  De  Créai,  6  dicr.  —De  nalurà  rcrum.  —  De  temporam  ratione. 

«  Orbem  terra  dicinius,  non  quod  absolu  le  orbis  sit  forma  ia  tanta  mon" 
»iium  carïiporumquetlisparilale;  seil  cujiis  amplexus,si  cuncla  lincarura 
^  comprcbeudanlur  amJjilu  ,  ûgui'ara  absolut!  orbis  eifkiat.  »  Ap.  Lia- 
gard,  loc.  cit. 

11  Je  trouverais  peut-être  bien  à  citer  S.  Ccsaire,  indique  comme 
fonncUement  contraire ,  mais  je  n'ai  poial  sca  œurrcs  sous  la  maia. 


nÉFUTATION  DE  M.  LETRONNE,  S77 

«ance  très-pa^sable  de  la  cosmographie  des  Pères,  n'y  avait 
point  trovivé  de  consentement  unanime  sur  l'excluHon  formelle 
de  la  rondeur  de  la  terre;  car  voici  ce  qu'il  en  rapporte  "  :  »  L» 
tnombre  des  Pires  qui  ont  admis  la  spliériciié  du  ciel  et  de  la  terre^ 
a  est  de  beaucoup  le  plus  grand.  oEf,  sur  l'existence  des  antipodes, 
il  ajoute  plus  bas  que  les  Saints  Pères  ne  sont  point  d'accord 
pnur  la  nier  *,  et  que  ceux  ([ui  la  '.lient,  n'em[)runtcnt  point  à 
l'Écriture  leurs  moyens  de  preuve  '";  Draconlius  *,poèle  clirétien 
du  je  siècle  ,  qui  se  proposait  pour  thème  de  ses  vers  le  récit  de 
la  création  dans  la  Genèse  ,  croyait-il  la  terre  plate,  quand  il  a 
écrit  : 

Eriiilur  terra 

»  Et  solidaule  Globo,  gravior  per  iuane  pependit.  » 

Or  l'ouvrage  de  ce  poète,  loin  d'encourir  l'animadversion des 
théologiens  ,  fut  publié  par  un  évêque  de  Tolède. 

Je  pense  avoir  traité  les  principaux  griefs  cosmographiques 
de  M.  Letronne  contre  les  Pères.  Pour  la  forme  un  peu  légère 
de  son  relevé  ,  elle  ne  fait  pas  plus  l'objet  de  ma  critique  que, 
par  exemple,  la  discus-^ion  sur  hi  localité  occupée  par  les  anges  ; 
attendu  qu'aucun  cosmologisîe  ne  sera  gêné,  je  crois,  pour  leur 
placement,  et  que,  d'après  le  savant  académicien  ',  ce  qu'il  en 
rapporte  n'est  autorisé  par  aucun  texte  de  l'Ecriture.  L'unique 
chose  qui  importe  désornjais  à  la  question  ,  c'est  de  savoir  jus- 
qu'à quel  point  les  erreurs  plus  ou  moins  nombreuses  des  Pères 
sur  la  cosmographie,  peuvent  les  charger  en  tant  que  docteurs 
ccciésiasliques.  M.  Letronne  l'a  bien  senti  quand  il  s'est  tant 
efforcé  de  ramener  leurs  erreurs  à  n'être  qu'une  interprétation 
de  l'Ecriture.  C'est  que  dans  le  fait  parler  d'une  cosmog'raphie 
des  docteurs  chrétiens,  sans  le  soin  de  montrer  que  leur  doc- 
trine physique  ait  été  la  conséquence  de  leur  doctrine  religieuse, 
serait  tout  aussi  ridicule  que  le  projet  d'incriminer,  par  exem- 

»  RiccioL  Jlmagest.  libr.  ix.  sfcî.  i.  cap.  33.  ss.  7 .  «  Mullo  plures  sunt 
»  patres  qui  cœli  ac  terrœ  rolunditatem  agnoverunl.  u 

»   Voyez,  V.  g.  Greg.  Nyss.  m  Canlic.  or.  10. 

'  Voyez  aussi  la  lettre  de  S.  Clément,  publié*  à  Rom9  en  1S32,  par 
l'abbé  Graziani ,  note  1 2  f . 

*  Dracont.  Hcxaemêron  cd.  CarpsoT. 

*  ArticU  d«  1%  B«yu»y  p.  619. 


278  SI  LE  CHRISTIANISME  X  NUI  AUX  SCIENCES. 

pie,  le  corps  des  médecins  pour  les  bévues  historiques  ou  phi- 
lologiques échappées  à  ceux  de  leurs  confrères  qui  se  sont 
occupés  d'histoire  ou  de  philologie  ».  Notre  auteur  n'est  point 
si  mal  avisé  ;  il  va  droit  au  fond,  et  son  but  est  bien  ce  qu'il 
devait  être  pour  sauver  son  titre  du  ridicule  ou  de  la  niaiserie, 
savoir  :  de  montrer  que  les  erreurs  des  Ihéol-igieiis  en  cosmo- 
graphie sont  nées  de  la  théologie.  Seulement  qu'il  se  soit 
proposé  de  le  prouver  et  qu'il  l'ail  prouvé  réellement,  ce  sont 
deux  choses  ,  et  nous  allons  chercher  s'il  a  réussi.  Discussion 
dont  il  pourrait  bien  arriver  pour  conséquence  qu'au  lieu  qu'il 
fallût  interdire  la  cosmologie  aux  théologiens,  il  fallût  plutôt 
interdire  la  théologie  aux  antitjuaires. 

Supposons  que  je  n'aie  rien  prouvé  jusqu'à  présent  contre 
M.  Letronne,  il  en  résulterait  tout  au  plus  que  la  majorité  des 
SS.  Pères  s'est  tristement  égarée  dans  les  questions  de  cosmo- 
logie. Je  n'en  conviens  pas  ,  comme  on  le  voit,  et  je  ne  pense 
pas  qu'il  n'y  ait  pas  lieu  d'en  douter  pour  le  moins,  après  ce 
que  j'en  ai  dit.  Mais,  enlln,  admettons  qu'il  n'y  ait  rien  de  fait, 
s'ensuivrait-il  quelque  chose  contre  la  théologie  ou  l'oitliodoxie 
telles  qu'ils  l'entendaient  ''  ?  je  n'en  crois  rien.  Comment  cela  ? 
M.  Letronne  ne  dit-ii  pas  que  tous  ces  bizarres  systèmes  avaient 
leur  source  dans  l'opiniâtreté  à  suivre  Moïse?  oTout  cela  lirait 
»sa  force  principale  de  l'autorité  des  SS.  Pères,  qui  se  persua- 
sdèrent  que  la  seule  cosmographie  possible  était  celle  qu'ils 
«trouvaient  exposée  dans  la  Bible...  »  «  Il  faut  convenir  que  si 
îles  phénomènes  naturels  n'étaient  pas  là  pour  contredire  le 

*  Figurez-vous  l'effet  que  produirait  un  article  intitule  :  sur  les  cpi- 
nions  philologiques ,  ou  historiques  des  médecins;  philosophiques,  à  la 
bonne  heure!  parce  que  les  recherches  médicales  peuvent  donner  occa- 
sion de  raisonner,  et  parlant,  de  déraisonner  sur  la  philosophie.  INIais 
tout  ce  qui  n'est  point  lié  aux  études  de  la  profession  ,  ne  peut  retomber 
que  sur  l'individu  qui  s'y  fourvoie ,  et  non  sur  la  profession  qu'il  exerce. 
Je  ne  me  suis  étendu  sur  celle  remarque  que  pour  faire  comprendre 
comment  un  tahleau  qui  semblait  n'appartenir  qu'à  l'hisloire  littéraire  , 
est  nécessairement  devenu  une  question  d  exégèse  ,  sans  qu'il  faille  ,  pour 
s'en  rendre  coraple ,  sujjposer  dans  son  auteur  un  parti  pris  d'hostilité 
contre  l'Eglise.  Les  questions  ont  une  force  logique  qui  leur  est  intriu- 
«èque,et  qui  conduit  les  hommes,  fût-ce  à  leur  insu. 

*  Et  je  déclare  que  je  tiens  beaucoup  à  l'entendre  comme  eux. 


RÉPUTATION  DK  M.  LETROrVNE.  '  17^ 

•  texte.,  l'explication  que  les  Pères  donnent  de  fa  Bible,  et 
»les  conséquences  qu'ils  en  tirent,  seraient  également  incoO'- 
ïtestables,  etc.,  etc  '.  » 

Je  conviens  que  la  Revue  dit  cela,  mais  elle  dit  aussi  le  con- 
traire. J'ai  même  à  choisir  entre  plusieurs  réponses  qu'elle 
m'offre.  Commençant  donc  par  profiler  du  secours  qu^elle  me 
prêle,  j'indi(iuerai  d'abord  quelques-unes  seulement  des  réfu- 
tations qu'elle  me  fournit. 

1°  Les  Pères  établissaient  absolument  la  non-sphéricité  de  la 
terre  ".  —  D'autres  pourtant  (quoiqu'on  ait  dit  que  *  Us  hjpot fuses 
»se  réunissaient  toutes  dmio  C exclusion  formelU  de  la  rondeur  de  la 
»  terre  »  )  souffraient  que  la  terre  fût  ronde,  pourvu  qu'il  n'y  eût 
point  d'antipodes  ^.  —  Selon  quelques-uns,  «  la  forme  de  Tunivers 
»doii  être  celle  d'une  grande  caisse  une  fois  plus  lonqae  que  large  *.  » 
«  Une  sorte  de  grand  coffre  oblong  •.  »  —  Selon  d'autres,  c'était 
a  celle  d''un  oeuf  coupé  par  moitié ,  perpendiculairement  d  son  grand 
»aœe  ^,  »  etc.,  etc. 

Tout  cela  découle-t-il  de  Hnlerprétation  littérale,  et  Moïse 
doit-ilêtre  chargé  de  ces  cosmologies  si  discordantes  ?  Notez  que 
je  m'en  réfère  uniquement  ici  à  mon  auteur  ;  car  si  je  voulais 
tenir  compte  de  ce  que  j'ai  rapporté,  il  en  résulterait  que  (tou- 
jours d'après  Moïse,  puisque  les  SS.  Pères  n'ont  eu  garde  de 
s'en  départir,  nous  dit -on)  la  terre  est  une  sphère,  et  elle  est  \n\ 
plan;  les  cicux  sont  solides,  et  Jls  ne  le  sont  point  ;  ils  sont  au 
nombre  de  neuf,  et  il  n'y  en  a  que  trois,  ou.même  deux,  et  en- 
fin jusqu'à  un  seul,  etc. 

»  Pag.  60i.  —  »  Pag.  604.— »,Pag.  602. 

4  Vous  remarquerez  que  ,  d'après  la  Revae  (p.  60i  )  ,  ou  ne  gouffrait 
pas  que  le  fidèle  se  permît  de  soupçonner  que  la  terre  put  être  sphe'rique; 
et  que  {ibid)  a  prendre  la  Bible  pour  autorité  ,  il  n'était  pas  possible  de 
rien  répliquer  dans  le  fait.  Cependant  remarquez  encore  ceci  (  p.  626  )  : 
Ceux  des  cliréliens  qui  persistoÂent  à  croire  que  l'écriture  n  était  point  con" 
traire  au  système  de  Ptolémée ,  expliquaient  avec  facilité  dans  leur  sens  les 
ttxtes  de  l'écriture,...  Ils  y  voyaient  la  suspensioti  de  la  ten-e...  c'est-à-dire, 
C  immobilité  d'une  sphère  également  sollicitée  de  toutes  parts.  J'ai  pu,  comra« 
on  voit,  mécontenter  d'une  vingtaine  de  textes,  puisque  M.  Letronn* 
est  si  traitable. 

«Pag.  608.  —  «  Pag.  60?.  —  7  Pag.  625. 


V. 


S80  SI  LZ  CHRISTIANISME  A  NUI  ACX  SCIENCES, 

II*  et  m*.  Quantités  d'opinions  cosmologiqnes  des  Pères 
avaient  leur  source  dans  rinterprétatiou  allégorique,  et  toutes 
étaient  d'ailleurs  d'origine  grecque,  sans  en  excepter  une  seule. 
Je  rapporterai  quelques-unes  des  phrases  de  ÎM.  Letronne,  pour 

ne  pas  êlre    incroyable «Ces  auteurs  ne   le  cédaient  pas 

nbcaucoup  sur  llirlitle  des  allégories  à  d'aulres  docteurs   qui 
»en  avaiei.t  pui>é  le  goût  chez  les  Alexandrins  '.  »  —  Plusieurs 

•  Pères  refu.ièrcnt  de  s'attacher  à   la  lettre  de   ces  textes'.» 
» —  «  (>et»e  manie  d'interprétaliou  symbolique  gagna  les^théo- 

ïlogiens  du  moyen-âge  %  etc »  'Voilà  pour   l'interprétation 

allégorique  ;  voici  maiiitenant   d'autres  passages  qu'il   s'agirait 
de  concilier  avec   ceux  -là.  «  Les  Pères,  forcés  tout  à  la  fois 

•  par  le  sens  de  certain  des  mot«,  et  l'ascendant  d'une  convîc- 

•  tion   profonde ,  croyaient   ne   pouvoir   hésiter  sur  les   consé- 

•  quences   de  l'interprélation  littérale;  ils  fermaient   les  yeux 

•  sur  leur  absurdilé;  ce  qui  é;ait  écrit  devait  êlre  vrai;  tant    pis 

•  pour  la  raison    huniaine  ^.  »  —  «  Saint  Augustin  *  ne  se  dis- 

•  siaiul'jit   pas    combien    cette  disposition    était  contraire   aux 

•  plus  simples   notions  du   bon   sous,   mais  comme  elle  était 

•  appuyée  par  des  textes  dont  le  sens  littéral  lui  paraissait   le 

•  seul  admissible,  etc....;  car,  ajou!e-t-il,  toute  la   capacité  de 

•  l'esprit  humain   doit  cédera  l'autorité  de  l'Ecriture.  Ce  seul 

•  mot  explique  et  cxciihc  tant  d'aberrations  n,  etc.,  etc. 

Le  nioj'-en  d'arranger  tout  cela,  il  faut  opter  entre  des  impu- 
tations contradictoires;  si  la  majoiité  des  théologiens  s'en  tint 
toujours  a  rinterprélalion  littérale  (  ce  que  je  n'examine  point, 
mais  ce  que  l'on  afûrme  ") ,  faut-il  les  faire  responsables  d'une 

»  Pag.  609.  —  t  Pag.  616.  —  '  Pag.  600.  —  »  Pag.  605. 

»  Il  faut  avouer  que  >L  Letronne  joue  de  malheur  dans  ses  citations. 
Leurré  ici  par  une  petite  phrase,  il  s'empare  de  S.  Augustin  ;  et  c'était 
précise'meut  S.  Augustin  dont  il  ne  fallait  pas  prononcer  le  nom  dans 
cette  cause  malencontreuse.  Car  est-il  si  mince  commençant  en  théologie 
qui  ne  sache  qu'un  texte  de  l'écriture  devient  entre  les  mains  de  ce  doc- 
teur, ce  qu'on  n'eût  jamais  songe  à  y  voir.  S. Augustin  transformé  en 
un  rigide  partisan  de  l'inlcrprélalion  littérale!  vraiment,  on  ne  pouvait 
pas  mieux  tomber  pour  nous  fiiirc  voir  ce  qu'est  un  savant  quand  il  sort 
de  sa  sphère. 

»  Pag.  618.  —  4  P.  602  ,  003  ,  60i  ,  60.Ï  ,  etc. 


RiÎFUTATIOrx-  DF.  M.   LïïTRONXE.  281 

cosmograpliic  basée  sur  rinterprctation  allégorique  à  laquelle 
on  consacre  une  si  granilc  partie  de  l'arîicle  ?  que  si  l'interpré- 
tation allégorique  a  dominé  ",  ou  au  moins  si  c'est  elle  qui  a 
causé  les  plus  grandes  absin-dilé.s  ou  des  aijsurdilésquelconrjucs, 
faut-il  s'en  prendre  à  la  Bible  de  ce  qu'ont  dit  ceux  qui  s'en 
écartaient  à  leur  gré  ? 

IV'.  Même  difficulté  pour  accorder  ce  que  l'on  avance  sur 
les  sources  où  étaient  puisées  les  idées  cosmologiques  des  théo- 
logiens. Dans  les  premières  pages,  la  faute  en  étriit  au  parti 
pris  de  trouver  la  science  toute  faite  dans  la  Genèse;  puis, 
comme  pour  enlever  aux  Pères  de  l'Eglise  le  mérite  de  l'inven- 
tion ,  on  montre  leur  cosmographie  en  entier  dans  les  ensei- 
gnemens  des  Aieilles  écoles  grecques.  Le  lecîeur  dira  si  j'y  mets 
du  mien.  <?  Il  fut  un  tems où  foutes  les  sciences  devaient 

•  prendre  leur  origine  dans  la  Bible.  C'était  la  base  unique  sur 
«laquelle  on  leur  pcrmeltjit  de  s'élever....  Les  sciences  avaient 

"•leur  point  de  d{!part  fixé  et  déterminé,  et  l'on  traçait  autour 
»de  chacune  d'elles  un  ccicled'où  il  leur  était  interdit  de  sortir, 

•  sous   peine  de   tomber  à  l'instant  sous  la  redoutable  censure 

•  des  théologiens,  qui  avaient  toujours  au  service  deleur  opi- 
»nion,  bonne    ou    mauvaise ,  trois    argumens  irrésistibles,  la 

•  persécution,  la  prison  ou  le  bûcher.  Ces  obstacles  que  l'es- 
»prit  scientifique  rencontra  dans  tout  le  moyen-àge,  et  qui 
«retardèrent  si  long  tems  les  progrès  des  sciences  il'observalion, 

•  tiraient  leur  force  principale  de  l'autorité  des  SS.  Pères.  Ceux- 
»ci  s'étaient  persuadés  que  la  seule  cosmographie  possible  élait 

•  celle  qu'ils  trouvaient  exposée  dans  la  Bible,  et  que  ..  toutes 

•  les  paroles  de  Moïse,  inspirées  par  l'Esprit  divin,  devaieit 
»  offrir  le  refiet  de  rélernelle  sagesse  ».  •  —  «  Ce  n'es!  vraiment 
')qu'à  l'aide  des  intcrpiélations  les  plus  forcées  qu'on  peut  voir 

•  dans  le   texlc  de  la  Bible  autre  ciiose  que  ce  qu'y  ont    vu  les 

•  Pères  \  »  etc.  J'ai  déjà  rapporté  précédemment,  et  j'aurais  pu 

>  Ai7  fond  ,  il  nVst  pas  douteux  que  les  SS.  Pères  et  les  interprètes  or- 
thodoxes de  la  Bible  s'accordent  généralement  à  préférer  rinterprélatioa 
la  plus  simple  ,  mais  à  condition  qu'il  n'y  ait  point  de  raison  pour  s'en 
départir ,  et  que  le  texte  offre  réellement  un  sens  clair.  Esl-cc  ie  cas  poul- 
ie premier  chapitre  de  la  Genèse? 

»Pag.  60».  602.-3  Pag.  60'.. 


282  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

ajouter  encore  plusieurs  passages  qui  répètent  la  môme  asser 
tion  avec  un  ton  d'affirmation  que  l'on  appréciera  quand  o 
aura  vu  la  contre-partie  dans  l'auteur  lui-même. 

«  Les  Pères  étaient  presque  à  leur  insu  ^  sous  l'influence  de.' 
«opinions  populaires  qui  dominaient  encore  les  esprits  mêra< 
»  assez  éclairés,  et  de  celles  qui  avciicnt  été  soutenues  dans  le 

«écoles  philosophiques  des  païens La  plus  étrange  de  leur 

«explications  (de  la  Bible)  a  sa  racine  dans  quelque  opinion  di 
•  ces  philosophes  païens  dont  ils  méprisaient  beaucoup  la  mo 
«raie,  mais  dont  ils  estimaient  fort  le  savoir,  et  qu'ils  a'nnaien 
t  toujours  à  citer  à  l'appui  de  leurs  propres  opinions.  C'est  ains 
«que  les  idé.îs  cosmographiques  auxquelles  l'autorité  des  SS 
«Pères  donna  tant  de  crédit,  i emontcnt  presque  toutes  aux  école 
^■philosophiques  de  la  Grèce  ^.n  —  «  Les  argvimens  de  Cosma 
«datent  de  loin,  et  en  toiit  tems  ils  ont  été  trouvés  fort  bonî 
»  Plutarque  les  met  déjà  dans  la  bouche  d'un  de  ses  iuterlocu 
«leurs  ,  grand  ennemi  de  la  sphéricité  de  la  terre  et  des  anti 
«podes^.  »  —  «  Il  est  curieux  de  voir  après  tant  de  siècles 
«reparaître  une  des  notions  favorites  de  la  cosmographie  d( 
«poètes  Grecs  4.  s —  En  foi  de  quoi  sont  appelés  pour  témoins 
Pisandre  ,  Mimnerme  ,  Eschyle,  Antimaque,  Phérécyde  ^. - 
a  La  théorie  de  Cosmas,  qui  nous  paraît  si  extravagante,  tii 
«encore  sjn  origine  de  la  philosophie  grecque:  il  s'appuie  lu 
«môme  de  l'autoî-ilé  de  Xéuophane  et  d'Ephore —  11  pouvait 
«ajouior  Anaximène  ^  «On  peut  voir  encore  p. 63i  entre  autre 

Tout  cela  est-il  clair?  mais  aussi  tout  cela  est-il  associabk 
Ici  donc  encore  ,  choisissons  entre  des  assertions  opposées.  ] 
faute  en  esl-elle  aux  inlcrprétatior.s  soit  littérales,  soit  allégoi 
quesPQue  nous  importent  alors  Plotin,  Plutarque,  Philolaù 

>  P)cs7Hc,  n'est  pas  le  mot;  car  à  quelques  lignes  de  là,  M.  Lelron 
TOUS  dira  que  c'clait  comme  un  plan  adopté,  une  espèce  de  tactique  ce 
venue  ,  que  de  s'appuyer  sur  la  science  païenne. 

»  Pag.  (ÎO.^  et  61)6.  —  '  Pag.  607.  -  *  Pag.  6?". 

'  Bevuc,  iliid.—  II  faut  avoir  de  l'érudition  de  reste  pour  la  prodigi 
à  propos  de  Cosmas  cl  de  ses  consorts  ;  mais  il  paraît  qu'il  était  impos 
blc  aux  plus  tristes  écrivains  des  premier»  siècles  de  l'Eglise,  d'imagin 
ime  niaiserie. 

«Tas.  628. 


J 


HÉFUTATION  DE  M.  LETRONNE.  283 

Homère, Parménide,  etc.,  elc.?Ces  cosmograpliies,  au  contraire, 
jeréclameiW-ellesdespliilosophes  grecs  de  l'antiquité  ?  Ne  vous 
n  prenez  dont  point  à  la  Bible  et  aux  partisans  du  sens  verbal  ou 
symbolique.  Mieux  eût  valu  un  peu  moins  d'érudition  et  un 
peu  plus  d'ensemble,  ou  au  moins  de  IVanchise;  car  querésul- 
•^sjt-il  de  toutes  ces  citations  réunies  par  M.  Lelronne?  Que  les 
'^doclevirs  chrétiens  n'étaient  point'au  niveau  de  la  science  telle 
'%u'elle  existait  de  leur  lems?  mais  on  dit  que  leurs  opinions 
^'  cosmographiques  étaient  celles  d'hommes  même  assez  éclairés 
"^d'alors,  chose  en  vérité  fort  pardonnable;  et  qu'ils  s'appuyaient 
"^Itoujours  du  savoir  païen.  —  Que  s'ensuit-il  donc  ?  que  les  Pères 
Sjde  l'Eglise  n'ont  point  été  coperiiiciens?  on  nous  l'eût  persuadé 
^'  à  moins  de  frais.  —  Que  le  système  co^mographique  de  Ptolé- 
méc  même  ,  a  trouvé  chez  eux  peu  de  faveur  ?  quand  cela  serait, 
celu  constituerait-il  contre  eux  une  charge  bien  grave?  Je  ne 
H  pense  pas  que  pour  avoir  adopté  les  doctrines  du  cosmologiste 
alexandrin  les  docteurs  ecclésiastiques  s'en  fussent  mieux  trou- 
vés au  19'  siècle.  Si  cela  pouvait  du  reste  leur  être  de  quelque 
avantage,  nous  rappellerions  à  31.  Lelronne  ses  propres  paro- 
les • ,  que  «  des   Docteurs    recommandables  par  leur  savoir  osèrent 
»  prendre  ouvertement  Ladéfensedes  idées  grecques  ,  et  se  proposèrent  de 
Ttproaxer  que  rien  dans  la  Sainte-Ecriture  ne  s'oppose  réellement  au 
9  systane  de  Ptolémée  ^.  »  Il  pouvait  ajouter  que  Synesius  appelle 
l'éj^ole  d'Alexandrie  une  ccole  divine. 

Mais  on  songeait  à  conclure  de  tout  cela  ce  que  ne  disait  pas 
précisément  le  titre,  savoir  que  toutes  les  erreurs  cosmologi- 
ques lionnies  ici,  élaienl  puisées  dans  le  texte  de  l'Écriture.  Ce 
but  indiqué  simplement  çà  et  là  dans  le  courant  de  l'article, 
se  montre  enfin  nettement  dans  un  appendice  qu'on  a  eu  la 
bonne  idée  de  désigner  par  le  titre  :  Conclusion ,  en  grandes 
lettres.  Le  lecteur  dira  s'il  eût  imaginé,  sans  cette  ressource 
typographique,  que  ce  fût  là  une  conclusion  de  ce  qui  avait 
été  dit;  abstraction  faite  même  des  passages  par  où  je  me  suis 

»  Pag.  603. 

»  Pourquoi  tant  de  sobriété  tout-à-coup  dans  l'érudition,  dès  que  les 
citations  ne  conduiraient  plus  qu'à  montrer  la  science  des  docteurs  chre'- 
tiens  égale  pour  le  moins  à  celle  de  leur  lems? 


ni 


284  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES, 

permis  de  reprendre  en  sous-œuvre  l'érudition  de  mon  auteur  m 
o  Telles  sont  les  principales  idéescosmograpliiquesque  les  Père; 
»de  l'Eglise  ont  tirées  de  l'interpréfalion  liltérale  de  la  Bible. i 
Ce  qu'il  fallait  dkmoîîtrkr.  Ce  n'est  pas  qu'on  ne  nous  ait  di 
dans  leménie  page  qu'il  los  avaient  tirées  de  Xénophane ,  d'E 
pliore  ,  et  autres;  niaisciirin  telle  est  la  conclusion  ,  ce  n'est  pa 
moi  qui  lui  ai  donné  ce  nom.  ]\i  l'on  ajoute  :  «  La  terre  plaie 
»le  ciel  formant  une  voûte  solide  au-dessus  de  laquelle  est  1; 
«couche  des  eaux  oélesles  %  voil'i  les  notions  fondamentales  di 
j>  la  cosmologie  biblique,  et  celles  que  les  Saints-Pères  vont  vvies 
«parce  qu'elles  y  sont  réellement  '...  Tous  ces  vieux  préjugés 
«tous  ces  vains  syslèmes....  reparurent  avec  bien  plus  de  force 
»à  l'abri  de  l'autorité  des  Saints-Pères;  ils  firent  une  nouvell 
»  invasion  ,  et  se  répandirent  partout  à  la  suite  du  christianisme 
•  ils  r('gnè:cnt  pendan!  tout  le  mo\'en-àge,  etc.» 

Le  moycn-àge,  ici  conilamné  en  masse  sans  avoir  été  ouï 
et  englobé  dans  la  cause  d'autruî  comme  par  complicité,  nou 
l'abandonnons  poiu- le  moment  à  son  malheureux  sort,  afin  d 
ne  point  quitter  la  question  ,  qui  est  la  cosmologie  des  Pères 
Pourtant  nous  pensons  avoir  plus  cité  de  témoignages  contr 
ce  que  dit  .M.  Leironne  sur  celte  époque,  qu'il  n'en  a  lui-mém 
iippnrté  pour  appuyer  son  accusation  '.  Mais  ne  nous  écarton 
point. 

Définitivement,  y  Pi-t-il  une  cosmologie  des  Pères,  et  un 
cosmologie  dont  1 1  Cible  soit  responsable  ?  Et  s'il  y  en  a  une 
€sl-cîic  absurde  ?  Voilà  sur  quoi  on  eût  aimé  à  trouver  des  dé 

*  Si  Ton  voulait  absiliimeat  voir  dans  la  Genèse  d'autres  eaux  cc'lcslc 
que  lcsj;magcs ,  les  cosmoîogislcs  actuels  seraient  autorisés  à  se  disponst 
<Ie  ve'rili'-r  leur  cxislenre  aujourd  hui.  Voir  S.  Augustin  ,  De  Gcucsi  ,  c, 
Un.  III.  1,  d'après  !a  9,'  épitre  de  S.Pierre,  m.  5  ,  6. 

»  C'est  toujours  Vinlcyprclution  littérale,  quand  mcme;  il  y  a  là  idée  fp 
évidemment. 

^  M.  i.elronuc  qui  porte  tant  d'intérêt  à  l'introduction  des  scienci 
phvsi(iues  et  mathématique.';  d'Alexruidrie,  dans  l'Eglise,  eût  vu  Ptoléméi 
parcxemple,  en  possessinu  dans  quantité  d  écoles  au  moyen-âge.  Contci 
tons-nous  de  lui  rappeler  rou\ragc  de  Théodore,  grand  sacellaire  et  ar 
«hidiacre  dcConsl.inlinop'c  au  li«  siècle,  lequel  ^ante  si  fort  Ptolcmé* 
Tkcon  et  Pappuj.  Voir  l'abriciui ,  Uibt.  Grirca,  éd.  Harlc».  t.  x. 


RÉFUTATION  DK  M.  LETROINWfi.  â&5 

ils  plus  concluans.  Occupons-nous-en  donc  sans  RLI^elronne, 
uisqu'il  csl  si  malaisé  de  décider  quelque  cho!se  avec  les  nialé- 
aux  qu'il  nous  a  choisis. 

Je  crois  avoir  montré  que  l'unanimité  des  Pires,  en  fait  de 

osmologie  ,    n'est  pas  bien   établie  ,    priiiripalcnicnl   en  fait 

'absurdités.  M.  Letroniie,  après  s'être  chargé  de  montrer  que 

^es  absurdités  ont  été  prises* ailleurs  que  dans  la  Bible,  a  fait 

lus  encore  pour  avancer  ma  tâche,  en  choisissant  (et  il  lefolLiit 

ici»)  SCS  plus  absurdes  cosmologislcs  parmi   les  plus  insigni- 

ans  des  écrivains  ecclésiastiques.  Car,  de  bonne  foi,  que  sont 

osmas  iridicopleustes  ,  Sévérianus  de  Gabala  ,  Théodore  de 

lopsueste,  Diodore  de  Tai  se  ?  Et  quel  théologien  a  jamais  songé 

jurer  par  ces  noms-là  ?  Ce  sont  cependant  là  les  hommes  dont 

ll*a  cosn»ologie  est  présentée  comme  type,  et  développée  avec 

n  détail  dont  la  dillusion  tranche  sur  le  reste  de  l'article  d'une 

uanière  choq-janlc. 

Cosmas,  un  marchand  devetm  moine,  qui  se  donne  lui-même 

iil^our  illétré,  dont  Phofius  même  a  ignoré  le  nom,  et  qui  ne  nous 

st  peut-être  connu  que  par  une  espèce  de  sobri(piet  ';  dont  le 

ivre,  d'après  Photius  %  annoncerait  par  la  forme  un  homme  ati~ 

^^essoiis  du  vulgaire ,  et  par  le  fonds  un  faiseur  de  contes. 

Sévérianus  de  Gabala,  orateur  assez  habile,  mais  à  qui  sa 
Jalousie  et  son  inimitié  contre  saint  Chrysoslome  n'ont  pas 
procuré  vm  rang  fort  avantageux,  ni  un  suffrage  bien  influent 
iparmi  les  SS.  Pères.  Interprète  d'ailieurs  de  la  Genèse,  qui 
s'annonce  lui-même  ^  comme  visant  à  dire  des  choses  nouvelles 
et  différentes  de  ce  qu'ont  dit  les  Pères  ;  hardiesse  dont  il  a  bien 
quelque  peine  à  s'excuser;  mais  enfin  il  passe  outre,  en  priant 
ses  auditeurs,  quels  juges!  d'examiner  le  mérite  et  non  l'âge 
de  sa  doctrine. 

Théodore  de  Mopsueslc,  homme  d'iuie  orthodoxie  pour  le 
moins  problématique,  et  dont  plusieurs  ouvrages  montrent  que 
ses  idées  propres  étaient  souvent  l'unique  guide  qu'il  suivait 
dans  l'interprétation  de  l'Ecriture. 

'  Fabricii  Bibiioth,  Grcrea,  éd.  lîarles.  t.  iv.  c.  25. 

»  Photius,  Bibi.  c.  3G. 

*  Severian.  D«  Creaiione,  or.  t. 


286  SI  LE  CHRISTIAMSME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

Diodore  de  Tarse,  désigné,  par  saint  Cyrille  et  par  Photius  "^ 
comme  le  précurseur  de  Nestorius,  et  qui  paraît  avoir  poussé 
la  passion  de  l'interprétai  ion  littérale  jusqu'à  nier  les  prophéties 
de  l'Ancien-Testament  sur  J.-C,  ce  qui  n'était  pas  fait  pour  lui 
mériter  une  place  parmi  les  interprètes  orthodoxes  ^  ;  et  quand 
Photius  parle  de  ce  Diodore  qui  veut  établir  sa  cosmographie 
sur  TEcriture,  il  dit  qu'il  n'est  ni  clair  ni  exact  ^ ,  que  ses  cita- 
tions n'ont  nulle  valeur  ";  qu'il  est  aussi  pauvre  parla  logique 
que  pieux  par  les  intentions  \ 

Voilà  ,  voilà  les  Dieux  !  et  nous  les  adorons  ! 

Non,  ce  n'est  point  là  du  tout  ce  que  nous  appelons  les  SS. 
Pères.  Libre  à  qui  voudra  de  décrier  ces  hommes  à  son  aise  ;  nous 
ne  tenons  nullement  à  leur  réputation,  et  nous  ne  verrons  même 
pas,  sans  quelque  plaisir,  ruiner  le  crédit  de  pareils  docteurs. 
Aussi  ne  prendrai- je  même  pas  la  peine  de  vérifier  s'ils  ont  dit 
tout  de  bon  ce  qu'on  leiu*  attribue. 

Cependant  pourquoi  ne  ciferait-on  pas  ces  aulevirs,  tout  in- 
signifians  qu'ils  sont  par  eux-mêmes,  si  leur  doctrine  physique 
a  été  jugée  admissible,  ou  s'ils  n'étaient  en  cela  qu'organes  des 
idées  communes  ?  Passe,  s'il  en  était  ainsi,  mais  il  en  va  tout 
autrement.  Cosmas  ne  s'appuie  assurément  pas  de  l'enseigne- 
ment commun,  quand  il  nous  annonce,  avec  une  emphase 
pleine  de  bonhommie,  qu'il  est  redevable  de  sa  science  aux 
leçons  du  grand  Patrice,  chaldéen,  (|ui promenait  cette  doctrine 
par  le  monde  ^,  Sans  cet  aveu  désintéressé,  Cosmas  courait 
risque  de  passer  pour  l'inventeur  de  la  pieuse  doctrine,  tant  elle 
était  peu  comme  ;  mais  il  s'en  défend  avec  modestie  ',  ce  qui 
montre  qu'au  6'  siècle  la  topographie  chrétienne  était  encore  ime 
merveille  dont  lui,  Cosmas,  était  un  des  dépositaires  privilégiés. 

«  Pholius,  Bibl.  c.  102. 

'  L'interprétation  ortliodoxe  ,  la  cosmologie  cri fiodoxe  sont  du  style  de 
M.  Letronne,  qui  a  par  momens  un  langage  extraordinai rement  c'difiant; 
comme  quand  il  parle  de  Van  de  grâce  1 820.  Je  lui  devais  ce  témoignage. 

*  Pholius,  Biblioth.  c.  223,  au  début  de  son  analyse. 
4  Photius.  toc.  cit.  n^libr.  m. 

*  Photius.  ib.  à  la  fin  du  même  paragraphe. 

6  C'est  encore  M.  I.elronne  qui  se  charge  de  nous  citer  cela  ,  p.  Ct  1. 

7  Toujours  l'obligeant  M.  Letronne  ,  ibid. 


RÉFUTATIOiV  DK  M.  LETRONNE.  287 

Pour  Diodore  de  Tarse,  on  souligne  ce  qu'en  dit  Photius  ', 
que  SCS  idées  «  ont  bien  quelque  connexion  avec  les  livres 
1  saints»  :  mais  on  ne  souligne  pas  cette  autre  phrase  qui  suit: 
u  on  lui  accordera  difficilement  qu'il  ait  fait  preuve  de  sens 
«dans  sa  prétention  de  s'attribuer  l'appui  de  TEcriturc  •  »  ;  ni 
cette  autre  expression,  «qu'il  se  figure  avoir  l'Ecriture  pour 
•  lui.  » 

Les  idées  attribuées  à  ces  écrivains  et  à  Sévérianus  de  Ga- 
bala,  ainsi  qu'à  Théodore  de  Moj)Sueste,  sur  la  forme  du  monde 
et  le  mouvement  des  astres,  sont  désignées  par  Philoponus  ' 
comme  opinions  de  certaines  gens  ,  prétentions  de  quelques  auteurs  ; 
expressions  qui  sont  loin  de  les  signaler  comme  un  enseigne- 
inent  commun. 

Que  si  l'on  demande  comment  il  se  faisait  que  l'Ecriture  fût 
alléguée  par  ces  songe-creux  et  même  par  des  hommes  moins 
nuls,  pour  des  systèmes  de  même  force,  nous  demanderons  à 
notre  tour  comment  il  se  fait  que  chaque  jour  dans  les  tribu- 
naux ou  dans  les  chambres  législatives,  ou  dans  les  écrits  po- 
litiques, le  code  et  la  charte  soient  allégués  dans  des  sens  tout 
opposés.  Ne  sait-on  pas  (jne,  quand  un  suffrage  est  important, 
c'est  à  qui  se  le  revendiquera?  L'Ecriture  étant  une  autorité  si  im- 
posante dans  des  lems  où  la  foi  était  forte  et  générale ,  chacun 
prétendait  y  rattacher  ses  doctrines,  et  les  y  adaptait  de  son 
mieux  pour  les  ériger  par  la  s'il  se  pouvait  en  vérités  incontes- 
tables. La  Bible,  avec  Virgile,  Homère  et  la  Mythologie,  n'é- 
taient-elles point  les  pièces  généalogiques  du  moyen-âge,  soit 
pour  les  nations  ,  soit  pour  les  familles  ^  ?  Et  l'on  ne  copiait 
assurément  point  ces  systèmes  dans  ces  sources  ,  pour  les  y 
avoir  réellement  trouvés,  mais  on  les  y  rattacliait  pour  donner 
crédita  ses   inventions ,  ou  bien  on  les  y  voyait  parce  qu'on 

»  Article  de  la  Revue,  p.  62^. 

«  Photius,  Bi'Awth.  c.  223.  ad  libr.  3  et  8. 

3  Encore  l'article  [de  la  Revue,  p.  625  ,627.  Car  c'est  plaisir  de  ren- 
contrer un  ad\  ersaire  aussi  franc. 

4  Voyez  par  exemple  Samuel  de  Bochat  :  Méni,  sur  l'Itisl.  ancienne  de  la 
Suisse.  —  Fcrrario  :  Sloria  de"  romanzi. —  Le  haron  de  Picden  :  Tableaux 
généalogiques  de  Cempirc  britannique. — La  série  des  rois  primitifs  d'Espa- 
gne chejt  les  chroniqueurs  insérés  dans  VHispania  illustrala  ,  etc. 


SI  LE  CHRlSTIA^"ISiiE  A  M'I  AUX  SCIENCES. 

avait  pris  le  parti  de  les  y  voir.  Tout  comme  tant  de  docteurs 
luthériens  et  calvinistes  ont  lu  et  lisent  peut-être  encore  dans 
la  Bible  que  Rome  ciirétienne  est  la  grande  prostituée,  la  Ba- 
bylone  anathémalisée  par  l'Esprit  saint,  et  même  qu'elle  crou- 
lerait à  telles  et  t-lles  années  bien  précises,  qui  ont  passé 
depuis  sans  encombre  '.  Toutes  choses  qui,  pour  être  tirées 
soi-disant  de  l'Ecritnre-Saiîite,  ne  laissent  pas  moins  le  texte 
sacré  fort  innocent  de  ce  (ju'on  lui  prête. 

Les  véritables  Saints-Pères  et  Docteurs  de  l'Eglise,  et  mr^me 
lesEcrivainscccIésiasti(|uesdistingnés,  quine  méritent  pou'Iant 
pointd'êlre  comptésdiuis  les  deux  preuîières  classes,  cesgrands 
hommes,  dis-je  ,  s'y  prennent  ditréremment.  Ils  avaient  pré- 
venu ce  que  M.  Letronne  dit  de  vrai  et  de  juste  dans  la  Revue  ; 
et,  plus  étudiés  ou  nucux  compris  ,  ils  lui  eussent  épargné  par 
leurs  avis  ce  qu'il  dit  de  faux  et  de  hasardé. 

Ainsi  Théodoret  =  .iiî  quelque  part  :«  Je  n'affirme  point,  et 
»il  serait  téméraire  d'aûirnjcr,  quand  l'Ecriture  n'offre  point  un 
«sens  clair.  Que  qu<  fju'un  dise,  s'il  veut,  le  contraire  de  ce 
»que  j'expose,  je  ne  saiiiais  le  condamner.  » 

Ainsi  l'hotius  ^  vante  surtout  Théodoret  pour  n'avoir  point 
tranché  les  questions  qui  étaient  douteuses.  Ailleuis  il  nous 
averlit  *  que  Moïse  avait  une  mission  plus  haute  que  celle  d'en- 
seigner aux  hommes  les  sciences  physiques;  ce  qui  ne  veut 
point  dire  qu'il  leur  ait  fait  des  contes  sur  ce  sujet  ,  mais  ce  qui 
montre  que  Photi';s  ne  se  tenait  pas  pour  enfermé,  quant  à  ces 
sciences  ,  dans  un  cercle  tracé  par  la  Genèse. 

Ainsi  les  Saints  Pères  proprement  dits,  et  les  Docteurs,  ne 

'  Par  exemple  l'opiscule  inlituld  :  Bonne  ruina  finalis  A,  D.  I6G6, 
mundique  finis  sab  i5""'  posl  annum;  sive  Itltcrœ  ad  angles  liomœ  versanîes 
datœ ,  quiius...  Babyloiiis  in  apocnljpsi  nomine  Romain  ponlificiam  désigna- 
ri,  papamque  romanuin  ipsissinium  esse  anticUristum  scripluris  pra:dictuin,et 
Besliam  derelinq itère  et  Bahjlone,  urbe  nempe  Româ,  anno  jam  dicto 
MDCLXFI,  eoccidio  et  incendia  delendà  atquc  fundilus  eierlendà,  confesliin 
exire  odinonenlur.  Londres  1665,  ia-Lo,  avec  une  érudition  patrislique  et 
biblique  quasi  cyclopc'enne. 

'  Theodorel.  in  Gcncs.  Qiicest.  k. 

»  Photius.  Bibliolh.  c.  S03. 

UMiolius.  Bibl.  c.  222.  §.  19.  "" 


RÉFUTATION  DB  M.  LBTRONNE.  289 

sont  point  ei  décisifs  sur  l'Ecriture,  qu'on  voudrait  nous  lefaîre 
croire.  J'ai  montre  qu'ils  interprétaient  la  Genèse  avec  une 
grande  lalilude  ;  on  peut  s'en  assurer  davantage  dans  les  ouvra- 
ges qui  réunissent  sur  divers  points  leurs  différentes  manières 
de  voir  '.  Or  cette  latitude  qu'ils  se  donnaient,  ils  la  laissaient 
aux  autres.  Je  pourrais  donner  en  preuve  de  cette  largeur  d'i- 
dées, des  textes  même  d'où  M.  Letronne  conclut  tout  le  con- 
traire i  par  exemple  celui  de  saint  Augustin  par  où  mon  auteur 
termine  une  tirade  si  tranchante  contre  l'étroitesse  de  l'inter- 
prétation lil^rale  ^  chez  les  Pères.  «  Ils  fermaient  les  yeux  sur 
«l'absurdité  des  conséquences;  ...  tant  pis  pour  la  raison  hu- 
umaine....  car,  comme  dit  saint  Augustin  :  Major  est  scripturce 
i»aucioritas  quam  omnis  hamanl  ingenii  capacitas.B  Un  peu  moins 
d'empressement  eût  permis  de  lire  le  passage  entier,  que  je  ré- 
tablis, et  où  saint  Augustin  exige  tout  simplement  que  parmi 
toutes  les  hypothèses  laissées  à  la  raison  ,  chacun  conserve  au 
fond  du  cœur  la  soumission  convenable  pour  le  véritable  sens 
de  l'Ecriture,  tout  en  se  donnant  libre  carrière  tant  que  l'auto- 
rité n'a  point  pi-ononcé.  Il  s'agissait  là  des  opinions  si  divergen- 
tes sur  la  façon  d'entendre  les  eaux  supérieures.  Le  Saint  en 
propose  et  en  loue  même  plusieurs  toutes  différentes;  après 
quoi  il  termine  par  ces  mots  :«  Quoi  qu'il  en  soit,  et  de  quel- 
»  que  manière  qu'on  veuille  entendre  ces  mots  ,  il  existe  une 
»  réalité  correspondante  à  l'expression.  L'Ecriture,  garant  plus 
«solide  que  toutes  nos  imaginations,  est  là  pour  nous  en  répon- 
«dre  ^l» 

Si  quelqu'un  doutait  encore  du  véritable  sens  de  ce  passage, 
il  s'en  convaincra  par  d'autres  du  même  docteur  dont  je  choi- 
sirai exprès  les  témoignages  préférablement  à  d'autres,  pour 

'  Conf.  V.  g.  Suicer.  Tliesaur,  ccclesiastic.  —  Pelau ,  Tanner,  Molina 
de  op.  6.  dier. 

'  Articledelaiicwae.p.  603.— 605. 

3  August.  De  Gènes,  ad  litt.  ii.  5.  «  Quoquo  modo  auiem  et  qualeslibet 
aquœ  ibi  sint ,  esse  eas  minime  dubitemus  ;  major  est  quippc  scripturae 
hujus  auctorilas  ,  qiiam  omnis  humani  ingenii  capacitas.  »  On  se  l'ap- 
pellera que  ces  eaux  supe'ricurejj  avaient  donné  lieu  à  des  hypothèses  bien 
distantes  les  unes  des  autres,  depuis  les  nuages  et  les  couches  d'eau  ,  jus- 
qu'aux anges. 

Tome  XVII. — N°  loo.  i838.  iq 


èéfO  SI    LE   CHRISTIÀNISSIE   A    NCl    AUX    SCIENCES. 

faire  voir  ce  qu'était  rinflexibilité  de  celui  que  nous  cite  M.  Le- 
Ironne  comme  lé  plus  intraitable  des  Pères  sur  le  sens  verbal. 

«  imaginer ,  dit  M.  Lelronne ,  que  Moïse  a  pu  n'être  pas  ins- 
spiré  en  tout  ce  qu'il  a  écrit;  distinguer,  comme  l'ont  fait  quel- 
»  ques  modernes,  ce  qui  est  de  loi  et  ce  qui  est  de  science ,  c'est 
j)là  ce  qui  ne  vint  pas  et  ne  pouvait  venir  dans  la  pensée  des 
»t*ères...»  Les  Saints  Pères,  il  est  vrai  ne  paraissent  pas  avoir 
imaginé  que  Moïse  ne  fût  point  inspiré  en  tout  ce  qu'il  a  écrit; 
mais  distinguer  dans  rÉcriture-Sainte  ce  qui  est  de  foi  et  ce  gai 
est  de  science,  ils  l'ont  fait,  ainsi  qu'an  peut  le  voir  dans  saint  Au- 
gustin :  0  Dieu  en  parlant  aux  hommes,  proportionne  ses  paro- 
dies à  leur  intelligence  '.  »  —  «  Disons  en  deux  mots,  pour  ce 
«qui  est  de  la  configuration  du  ciel,  que  les  auteurs  sacrés,  tout 
Dcn  la  connaissant  fort  bien,  inspirés  qu'ils  étaient  par  l'Esprit 
))de  Dieu  ,  n'ont  point  voulu  enseigner  aux  hommes  ce  qui  ne 
»  pouvait  procurer  en  rien  leur  salut  '.  »  C'était  s'exprimer,  non 
seulement  comme  Ïycho-Braché  ',  mais  même  comme  Rep- 
pler  ^.  Cette  idée,  au  fond  ,  n'est  pas  une  merveille  parmi  les 
anciens  Docteurs.  Saint  Augustin  dit  encore  ^  :  «  Il  n'est  point 
»dit  dans  l'Evangile  :  Je  vous  envoie  l'Esprit-Saint  pour  vous 
«enseigner  le  cours  des  astres  ;  c'était  des  chrétiens  qu'il  s'agis- 
»sait  de  faire  ,  non  des  cosmologistes.  » 

Voici  qui  est  encore  plus  formel,  ce  me  semble,  et  c'est  tou- 
jours S.Augustin.  Qu'on  dise  s'il  faisait  abstraction  de  la  science, 
même  profane,  même  païenne,  pour  l'interprétation  de  l'E- 
criture, lorsqu'il  blâme   si  hautement  ceux  qui  prétendent 

»  Augusl.  m  Gènes,  i.  39.  Rïere  humano  in  scriplnris  Dens  ad  homi- 
nes  loquitur. 

'  Aiigust  De  Gènes,  ad  litt.  u.  9.  »  Breviter  dicendum  est  de  figura 
»  cœli,  hoc  scisse  auclorcs  nostros  rjuod  veritas  habel;  sed  spiritum  Dei 
»  qui  per  îpsos  loquebatur,  noluisseisla  docere  bomines,  nullius  saluti 
»  profutura.  » 

'  Tycho.  apud  Riecioli.  Almagest.  lib.  ix.  sect.  i.  §.  10. 

4  Keppler.  not.  ad  cap.  1.  Mysterii  cosmograpkici, — et  Epitome  asironO' 
nniœ. 

*  August.  conira  Fclic.  'Manich.  i.  ÏO.  «Non  legîtuf  in  evangelio  Do- 
»  nainum  dixisse  :  rnitlo  vobis  pavacletum  qui  vos  doceat  de  cursu  soli* 
»  et  lunse  ;  christianos  enim  volebat  facere ,  non  mathematicos.  » 


RéFUTATIO?(    DE   M.    LF.TRONNE.  291 

trouver  dans  les  livres  saints  un  sens  certain  (  comme  celui  de 
M.  Letronne),  contraire  aux  démonstrations  scientifiques,  pré- 
cisément en  fait  de  cosmographie  et  de  connaissances  phy- 
siques '.  <  Souvent  des  hommes  non  chrétiens  doivent  à  l'ex- 
npérience  et  à  des  études  solides,  la  connaissance  incontestable 
«des  faits  physiques;  et  c'est  chose  déplorable,  qu'entendant 
»  là-dessus  déraisonner  des  chrétiens  qui  prétendent  s'appuyer 
»de  l'Ecrilure  dans  leurs  assertions,  ils  prennent  en  pitié,  non 
»  pas  seulement  les  fidèles  ,  ce  qui  serait  tolérable,  mais  l'Ecri- 
»ture- Sainte,  au  détriment  de  leurs  dmes,  dont  l'intérêt  nous 
«est  cher.  Comment,  en  effet,  assurés  qu'ils  sont  des  résultats 
ode  leurs  ob^ervalions,  se  soumettraient-ils  pour  les  vérités 
»  éternelles  à  un  livre  qu'ils  jugent  en  défaut  dans  ce  qui  est 

'  Augiist.  De  Gènes,  ad  litt.  i.  19.  «  Plerumque'accidit  ut  aliquid  de 
»  terra ,  de  cœlo ,  de  ceeteris  hujus  modi  démentis  ,  de  motu  et  coda  er- 
»  sioDC,  vcl  etiam  magnilutidine  et  intervaUis  siderum,  de  cerlis  defecti- 
»  bus  solis  et  lunse  ,  de  circuitibiis  annorum  et  lemporum,  de  naturis 
»  aDinialiuTn,  fruclicum,  lapidura,  atque  hujnsmodi  caeterîs,  etiam  non 
»  christianus  ita  noverit,  ut  cerlissimà  ratione  vel  experieatià  tencat. 
«Turpeautem  est  nimis  et  perniciosnm ,  ac  maxime  cavendura  ,  ut 
»  christianum  de  his  rébus  quasi  secundum  christianas  litteras  loquen- 
»  tem,  ila  delirare  quilibel  intidelis  audiat,  ut  loto  cœlo  errare  conspi- 
»  ciens,  risum  tenere  vixpossit.  Et  non  tara  molestum  quod  errans  homo 
»  deridelur  ,  sed  quod  auctores  nostri  ab  iis  <jui  forî's  sunt  talia  sensisse 
»  creduntur  ;  et  cum  magno  eorum  exitio  de  quorum  salute  satagimus, 
»  tamquam  indocti  reprehenduntur  atque  rcspuuntur.  Quum  enim 
»  quemqaam  de  numéro  christianoTum  in  eà  requam  oplime  norunt  er- 
»  rare  deprehenderint,  et  vanam  sententiam  suam  de  nostris  libris  asse- 
»  rere  ,  quo  pacto  illis  libris  credituri  sunt  de  re^urreclione  mortuorum 
»  et  de  spe  vitœ  aeternse  regnoque  cœlorum  !  quando  de  iis  rébus  quas 
t>  jam  experiri ,  vel  indubitatis  numeris  percipere  potuerunt ,  fallaciter 
»  putaverint  esse  conscriptos.  Quid  enim  molestiae  trislitiœque  ingérant 
n  prudentibus  fratribus  temerarii  prsesumtores ,  satis  dici  non  potest; 
»  quum  si  quando  de  pravà  et  falsâ  opinione  suà  reprehendi  etcon^inci 
»  t ae péri n t  ab  iis  qui  nostrorum  librorum  auctoritate  non  tenentur,  ad 
j»  detendendum  id  quod  levjssimà  temeritate  et  apertissimà  falsitate  dixe- 
»  runt,  eosdem  libros  sanctos  unde  id  probent  proferre  conantur ,  etc.  » 
Je  suis  honteux  de  citer  quelques  lambeaux  d'un  si  grand  auteur  ponr 
lui  reveadiquer  une  doctrine  dont  toutes  ses  pages  sont  empreintes. 


292  SI    LE   CHRISTIANISME    A   NUI    AUX    SCIENCES. 

»de  leur  ressort  à  eux!  ToiU  ce  qu'il  y  a  de  sage  parmi  nous, 
«gémit  plus  amcremenl  qu'on  ne  saurait  dire,  sur  la  présomp- 
))  tiou  de  ceux  qui  compromettent  ainsi  les  intérêts  de  notre 
«foi,  en  attribuant  aux  auteurs  sacrés,  par  une  témérité  cou- 
»pab!e,  ce  qu'il  leur  a  plu  y  lire,  ou  ce  qu'ils  y  cherchent 
«pour  couvrir  des  assertions  has*ardées.  » 

Née  de  cette  école  si  large,  la  théologie  du  moyen-âge  n'avait 
point  forligué,  quand  elle  disait  au  i5^  siècle,  parla  bouche 
de  S.Thomas  '  :  «  Celui  qui  interprète  ces  sortes  de  passages 
•  dans  l'Ecriture,  doit  bien  se  rappeler,  d'abord  la  véracité  du 
«texte,  que  rien  se  saurait  ébranler,  puis  que  le  sens  qu'il 
»  renferme  ne  saurait  être  en  contradiction  avec  une  certitude 
«obtenue  par  d'autres  voies  que  celle  de  l'interprétation.  Car  y 
»le  cas  échéant,  s'obstiner  à  une  exi>lication  différente,  serait 
»enlêlement  et  manque  de  respect  pour  l'écrivain  inspiré.  »  Et 
Melchior  Cano,vin  dominicain  espagnol  du  16'  siècle,est  bien  plus 
explicite  encore  quand  il  formule  ce  principe  avec  tant  de  net- 
teté °  :  Tous  les  sahiis  ensemble  ne  seraient  point  reccvables  dans  les 
questions  qui  n'appaHiennent  point  à  la  foi.  En  quoi  on  peut  voir 
si  la  condarïmation  de  Galilée,  dont  parle  M.  Lctronne,  l'eût 
beaucoup  embarrassé  '. 

*  S.  Thomas.  Qu.  68.  a.  1.  «lu  hujusmodi  quœstionrLus  Juosuntob- 
»  servanda.  Primo  quiilem  ut  verilas  scripturée  inconcussè  teneatur. 
»  Secundo ,  quam  scriptura  divina  multipliciter  expont  possit,  quod 
»  nulli  expositioni  aliquis  ita  pi'jecisè  inhîereat ,  ut  si  certà  ratioae  cons- 
»  lilerit  hoc  esse  falsum  quod  aliquis  sensum  scripturse  esse  credebat ,  id 
»  nihilominus  asserere  prœsnmat;  ne  scriptura  ex  hoc  ab  infîdelibus 
»  derideatur  ,  et  ne  eis  via  credendi  prohlbeatur.  «  Ce  u'est  là  que  la  doc- 
trine exprimée  cent  fois  par  S.  Augustin.  Couf.  August.  episl.  U3.  ad 
MarceUin.—Jmpcrf.  de  Gènes.  8.-  De  Gcnes.  ad  litt.  1.  8,  19.  20.  et  n.  9. 
Ce  dernier  chapitre  suffirait  à  lui  tout  seul. 

»  Canus.  L.  Th.  \u.  cap.  3.  concl.  i,  «  Omnium  cliam  sanctorum 
»  auctorilas  in  co  génère  ([uocsiionum  quas  ad  fidem  diximus  minime  per- 
»  tinere,  fidcm  non  facit.  » 

•'  Gassendi ,  huit  ans  après  le  décret  de  l'inquisition  que  nous  rappelle 
M.  Letronnc,  appelle  la  doctrine  des  inquisiteurs  une  opinion  {placitum) 
tout  uniment; et  ajoute  eu  propi-es  termes,  tout  en  professant  son  respect 
pour  ce  qu'elle  exprime  ,  <[u'il  ne  la  lient  nullement  pour  article  de  foi, 
te  n'a  pas  ouï  dire  qu'on  ait  jamais  prétendu  la  qualifier  ainsi  dans  l'E- 


KÉFUTATIOX  DE  M.  LETRONMt.  393 

Mais  enfin,  qne  répondre  aux  quelques  textes  des  véritables 
SS.  Pères  qui  resteraient  Intaets  dans  l'article  de  la  Revue? 
INous  répondrons  que  nous  les  admellons  sans  clierehcr  à  les 
vérifier  trop  minutieusement,  et  que  nous  les  recueillons  même 
soigneusement ,  comme  un  témoignage  de  l'esprit  qui  a  guidé 
CCS  grands  maîtres  et  qui  doit  nous  guider  nous-mêmes.  ^  oici 
en  (|uoi  :  cV>;t  qu'ils  nous  apprennent  que  l'élément  de  liberté 
représenté  par  un  grand  nombre  des  premiers  docteurs  • ,  n'a 
jamais  été  poussé  jusqu'à  se  jouer  du  texte  sacré.  Toujours  a 
prévalu  l'élément  principal,  cckii  de  la  foi  et  de  la  soumission 
profonde  k  la  parole  divine  qui  ne  saurait  errer.  Respect  que 
quelques-uns  ont  pu  porter  jusqu'à  l'excès,  en  croyant  pouvoir 
construire  la  science  de  la  matière,  la  science  de  curiosité, 
svu-  ce  qui  était  destiné  à  fonder  la  science  intellectuelle  et  mo- 
rale par  excellence,  la  science  de  devoir;  mais  respect  dont 
nous  prions  Dieu  de  nous  taire  les  héritiers,  en  nous  rappelant 
que  la  condescendance  pour  l'aveuglement  de  cœur  où  vivent 
bien  des  hommes  à  esprit  éclairé,  ne  doit  jamais  aller  jusqu'à 
iious  faire  souscrire  aucune  altération,  aucune  modification, 
aucune  composition  dans  le  texte  inspiré.  Souveno-ns-nous  que 
tout  ce  qui  ressemble  à  de  tels  accommodemens,  ne  doit  être 
entrepris  qu'aux  risques  et  périls  de  celui  qui  condescend  à  ces 
éclaircissemciis  ,  sqns  qu'il  puisse  rien  eu   résulter  contre  la 

qMsc  {Epistf  ad  Petr.  Put,apud  RiccioU  :  Almagest  lib.  ix.  sect.  i,  cap, 
38^.  Quoi  qu'il  en  soit  du  reste,  de  Galilée,  puisju'on  !e  faisait  apparaî- 
tre ici,  on  ue  devait  pas  franchir  si  rapidement  l'espace  qui  le  séparait 
des  Pères  et  du  moyen-âge  ;  il  ne  fallait  pas  dissimuler  ,  ou  Lien  il  aurait 
été  op[o.lun  de  savoir  (jue  Copcroic  était  chanoine,  qu'il  a\ait  dédié  son 
ouvrage  au  pape  Paul  III,  et  l'avait  publié  surtout  d'après  les  instances  du 
cardinal  de  Sclionberg  et  de  rarche\  èque  de  Cuira  ;  que  ses  doctrines 
Irouvcrcnt  des  partisans  parmi  lesthiologiens  (par  exemple  Didacus  Stu- 
nica,  Fosçarini  et  Clavins  même,  (pioiqu'en  mo'.s  un  peu  couverts) ,  en 
même  lems  que  des  adversaires  parmi  les  sav.ins;  enfui,  que  l'inquisition 
elle-même,  qui  s'effraya  plus  lard  du  ton  alfu'matit"  de  Galilée ,  n'avait 
marqué  pour  l'ou\rage  de  Copernic  ([ue  des  suppressions  extrêmement 
légères,  auxquelles  ou  ne  se  fût  assurément  pas  borné  si  on  l'eût  consi- 
déré comme  une  doctrine  vraiment  théologique. 

*-  On  sait  que  nul  Père  ne  représente  à  lui  seul  la  doctrine  de  l'E^liskO; 
-c'est  leur  nombre  et  leur  accord  qui  est  quelque  chose. 


S94  SI   LE   CHRISTIANISME   A   KUI    AUX   SCIENCES.  | 

Genèse  elle-même,  que  nul  n'a  le  droit  de  livrer  au  bras  sécu- 
culier  '.  Engageons  d'abord  les  géologues  et  autres  savans  qui 

»  Sans  vouloir ,  ni  relever  toutes  les  inexactitudes  de  M.  Letronne  ,  ni 
pre'juger  sur  les  re'sultats  de  la  science  qui  n'est  pas  faite  encore,   ni 
adopter  exclusivement  aucune  interpre'tation  du  premier  chapitre  de  la 
Genèse  y  je  ne  puis  m'empêcher  de  signaler  l'intrépidité  d'assertion  a\ec 
laquelle  l'article  de  la  Bévue  se  prononce  sur  la  manière  d'entendre  les 
jours  de  la  création,  n  Ce  n'est  vraiment ,  nous  dit  il ,  qu'en  changearit 
»  le  sens  naturel  des  mots,  en  bouleversant  la  suite  des  idées,  que  les  géo- 
»  logues  bibliques  ,  depuis  Burnet  et  Wisthon  jusqu'à  Kirwan  et  Deluc, 
»  ont  pu  réussir  à  faire  accorder  la  Genèse  avec  leurs  idées.  Telle  est  par 
»  exemple  leur  explication  du  mot  jour  dans  le  récit  de  la  création.  Selon 
»  eux  ,  ce  n'est  pas  un  espace  de  vingt-quatre  heures ,  c'est  un  intervalle 
»  de  tems  indéterminé.,..  Mais  c'est  acheter  bien  cher  l'avantage  de  faire 
»  de  Moïse  un  géologue,  car  cette  fameuse  interprétation,  contraire  à 
»  l'ensemble  du  texte,  le  rend  complètement  inintelligible......  Elle  ne 

y  donne  à  Moïse  l'apparence  du  savoir  géologique,  qu'en  lui  ôtant  jusqu'à 
i>  l'ombre  du  sens  commun  {sic).  Ce  récit  demeure  véritablement  inexpli- 
*  cable  lorsqu'on  part  du  point  de  vue  scientifique,  etc.  »  p.  60i. 

Burnet  et  Wisthon  n'avaient  que  faire  avec  les  Pères  de  l'Eglise,  et 
ne  sont  point  considérés  du  tout  comme  interprètes  orthodoxes.  Aussi 
leur  apparition  ne  saurait-elle  s'expliquer  que  par  l'idée  qui  perçait  dans 
tout  cet  article  ,  celle  d'opposer  à  l'Ecriture  sainte  une  fin  de  non  recevoir 
dans  toute  question  scientifique.  Mais  puisqu'il  s'agit  de  la  cosmographie 
des  Pères ,  et  par  incidence  de  leur  cosmogonie ,  les  études  faites  par 
M.  Letronne  sur  cette  partie ,  auraient  dû  lui  faire  découvrir  qtfe  l'idée 
d'une  semblable  explication  remonte  plus  haut  que  Burnet  et  \Tisthon. 
Car  il  ne  peut  manquer  de  l'avoir  aperçue  dans  S.  Athanase  (  or.  contr. 
j4rianos ,  3),  dans  Photius  (Bibtioth.  c.  222.  §.  26  j  ,  dans  S.  Augustin 
(De  civit.  Dei,  xi.  30.  —  Imperf.  de  Gcnesi.  7.  9.  —  De  Gènes,  ad  Utt.  iv. 
22,  etc.  )  dans  Prccope  (  in  Gènes.  ) ,  etc.  Comme  aussi  dans  Philon  (  de 
viundi  opificio.  éd.  Pfeiffer,  J785,  p.  Ui.—Allegor.  i.  ibid.  p.  122,  12i), 
pour  ne  rien  dire  d'Origène. 

Voilà  pour  la  question  d'érudition  ;  quant  à  celle  de  la  cosmogonie  bi- 
blique, qui,  si  elle  était  justiciable  d'un  tribunal  humain,  ressortirait 
bien  plutôt  à  l'académie  des  sciences  qu'à  celle  des  inscriptions,  je  me 
contenterai  de  citer  à  M.  Letronne  deux  hommes  qui  devaient  s'y  con- 
naître :  le  religieux  et  savant  André-Marie  Ampère ,  qui  se  plaisait  à 
faire  remarquer  l'accord  de  la  science  avec  la  Genèse;  et  le  célèbre  Geor- 
ges Cuvier,  qui  pour  s'être  parfois  affranchi  du  joug  de  l'Ecriture  ,  n'en 


RÉFUTATION    LE    M.    LETRONNE,  ^^ 

«e  portent  pour  tels,  à  s'entendre  entre  eux  avant  d'appeler  la 
Genèse  à  leur  tribunal,  et  tenons-nous-en  à  ce  fait,  que  plu- 
sieurs d'entre  eux  expriment  parfois  avec  un  air  de  candeur 
dont  Je  ue  veux  point  percer  l'écorce ,  savoir  :  qu'une  vérité 
ne  saurait  nuire  à  la  vérité.  Lo  vérité,  nous  l'avons,  nous, 
dans  ri£criture;que  ces  messieurs  clierchent  la  portion  de  vérité 
qui  appartient  à  leurs  études,  et  quand  ils  auront  bien  trouvé  , 
ils  aduiirerout  combien  était  avisé  notre  acquiescement  pai^ 
sible  aux  oracles  éternels.  C'est  l'homme  qui  court  après  la  for- 
tune, et  l'homme  qui  l'attend  dans  son  lit. 

Terminons  :  il  résultera  je  pense,  de  tout  ceci  : 

1"  Que  les  erreurs  cosmographiques  attribué*»  aux  Pères, 
n'étaient  pas  aussi  générales  qu'on  le  dit. 

2*  Que  le  fussent-elles  autant,  et  plus  encore,  l'Ecriture 
Sainte  n'a  rien  à  souffrir  de  ce  qu'il  y  aurait  d'erroné  dans  les 
opinions  cosmographiques  enseignées  par  plusieurs  d'entre  eux. 
J'aurais  pu  montrer  que  les  SS.  Pères  au  contraire,  doivent  à 
l'Ecriture  des  aperçus  extraordinaires,  cosmologiquement  par- 
lant ;  mais  ce  n'est  pas  le  lieu,  et  notre  science  n'est  pas  assez 
avancée  pour  rendre  ce  triomphe  suffisamment  éclatant. 

5*  Que  l'Ecriture  Sainte  reste  intacte  au  milieu  des  ténèbi'es 
quelconques  des  premiers  siècles  de  l'Eglise  et  des  lumières 
quelconques  du  nôtre. 

4°  Que  les  plus  habiles  gens  peuvent  s'égarer  beaucoup  quand 
ils  veulent  traiter  eu  passant  ce  qui  mériie  et  exige  des  études 
sérieuses. 

Celle  dernière  conclusion  a  |)lus  d'élendue  que  les  autres, 
au  moins  pour  la  pratique  ;  et  celui  qui  voudrait  l'appliquer  à 

a  pas  moius  écrit  ceci  entre  autres  choses  :  3Joise  nous  a  laissé  une  cos- 
mogonie doni  i'exaclilude  se  vérifie  chaque  jour  d'une  manière  admirable. 
(  Disc,  sur  les  rcvol.  du  globe  ).  Or  j'a\oue  que  je  ne  suis  pas  assez  au 
fait  des  progrès  de  la  science,  pour  m'expîicjucr  commuent  elle  aurait  si 
fort  débordé  Cuvier  depuis  lors  ,  qu'il  ait  pu  être  mis  au  vieux  papier 
dés  le  15  mars  i83i.  INIais  S.  Augustin  nous  avait  prévenu  d'avance  de 
ces  différences  produites  par  la  lecaire  des  livres  saints  ,  quand  il  écri^  ait 
(^Pe  Cènes,  ad  li(t.\.  3,)  que  «l'Ecriture  a  des  profondeurs  qui  se 
»  jouent  des  esprits  dédaigneux  ,  en  même  tems  qu'une  hauteur  qui  coa- 
»  quicrt  les  âmes  élevées.  » 


296  SI   LE   CHRISTIANISME   A   NUI   AUX    SCIENCES. 

tous  les  écarts  théologiques  de  ceux  qui  occupent  nos  chaires 
publiques  à  titre  d'enseignement  profane,  trouveraient  peut- 
être  tant  de  faits  à  glaner  en  ce  genre ,  qu'ils  renonceraient 
bientôt  à  en  faire  le  relevé.  C'est  là  sans  doute  ce  qui  a  fait 
qu'on  s'en  occupât  si  peu  jusqu'à  présent.  Cependant,  ne  fût- 
ce  que  pour  empêcher  la  prescription,  il  pourrait  n'être  pas 
inutile  d'en  signaler  une  çà  et  là.  Aussi  ne  veux-je  point  répon- 
dre que  moi  ou  d'autres  n'en  prennent  la  peine  quelque  jour  , 
ou  du  moins  quelquefois  en  passant.  Cela  pourra  former  une 
série  d'articles  qu'on  intitulerait,  à  l'imitation  de  M.  Letronne  : 
De  quelques  opinions  théologlqueSy  etc. y  des  hommes  chargés  W enseigner 
la  jeunesse  de  France  au  igl*  siicle. 

£.  ACHERI. 


ATHANASE,    PAR    I.    GOERRCS.  307 

lA\V\\XVlV\V\\V\XX\Vwl\\\VV\\\VV\*V1\V\\\V\*-»-vw\\\V\\\\V\\V\\\V4\VV\\VV\\\V\\\VV\VVV\VV\V\V 


^^fj^airs  t>«  (50i0i^ni, 


ATHANASE, 

PAR  J.    GOERRES  ,    PROFESSEUR    A    l'uNIVERSITÉ    DE    MLNICU.  •. 

But  de  l'écrit.  —  Les  mariages  mixtes.  —  Bref  de  Pie  VIII.  — Empiéte- 
ment du  roi  de  Prusse.  —  Faiblesse  des  e'vêqucs.  —  Convention  de 
Berlin.  —  Cle'ment-Auguste,  archevêque  de  Cologne.  —  Explication 
de  sa  conduite.  —  Service  qu'il  a  rendu  à  l'Eglise.  —  Conclusion. 

«  L'arrestation  de  l'archevêque  de  Cologne  n'a  nullement 
surpris  ceux  qui.  sans  se  laisser  abuser  par  une  apparente  tran- 
quillité, ont  depuis  vingt  ans  suivi  la  marche  des  choses  au-delà 
du  Rhin;  mais  l'explosion  a  été  si  subite  qu'elle  a  paru  plus 
qu'étrange  à  ceux  qui  ne  s'y  attendaient  pas,  et- qu'elle  a, 
comme  de  raison,  fixé  à  l'instant  l'attention  de  tout  le  monde 
catholique. 

»  Le  premier  prélat  de  la  Basse-Allemagne ,  selon  l'ancienne 
hiérarchie  ecclésiastique,  homme  connu  d'ailleurs  comme  un 
prêtre  pieux ,  consciencieux ,  iiTéprochable ,  est  tout-à-coup  , 
mèche  allumée ,  arrêté  au  milieu  de  son  palais  archiépiscopal  et 
conduit  au  loin  dans  une  citadelle  ;  ses  papieâ-s  sont  mis  sous  le 
scellé ,  et  de  grièves  accusations  publiées  contre  lui  à  la  face  de 
l'Allemagne.  C'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour  justifier  la  vive  sym- 
pathie du  parti  religieux  que  frappent  ces  mesures.  Pareille  à 
l'éclair,  cette  sympathie  a  éclaté  dans  toutes  les  directions. 
C'est  donc  là  une  affaire  grave,  qui  commande  une  parole  gra- 
ve, et  nous  vovxlons  que  telle  soit  la  nôtre  dans  ces  feuilles. 

»  Cet  écrit  ne  cherche  pas  àsoulever  des  passions,  son  seul  but 
est  d'examiner  consciencieusement  et  d  fond  tout  ce  qui  s'est 

»  Traduit  de  l'allemand  d'après  la  3'  édition ,  par  M.  Albert  de  Rcsse- 
gner;  vol,  in-8°,  prix  ,  2  fr.  50  c;  à  Paris  ,  chez  Debécourlt 


,298  ATIIANASE,   PAR    3.    COEftRBS. 

passé.  L'anteur  veut  le  droit'ct  la  justice,  sjans  pourtant  manquer 
à  aucune  convenance.  Nulle  part  il  ne  peut  blesser  par  la  forme  , 
bien  qu'il  puisse  le  faille  en  Prusse  par  le  fond;  mais  il  n'était 
pas  au  pouvoir  de  l'auteur  que  des  faits  accomplis  ne  fussent  pas 
accomplis.  Cette  brochure  ne  passionnera  donc  personne ,  car 
la  vérité  ne  passionne  pas  ;  tout  au  contraire ,  elle  calme  ,  parce 
qu'en  donnant  droit  à  qui  a  droit ,  elle  accoi'de  un  commence- 
ment de  satisfaction.  Ce  qui  irrite  et  passionne,  c'est  l'opinià- 
trelé  dans  le  mal,  c'est  cet  endurcissement  dans  l'injustice  qui, 
cherche  de  tous  côtés  quelque  palliatif  sophistique  pour  refuser 
satisfaction ,  et  par  là  enflamme  ei)  le  blessant  de  plus  en  plus 
le  sentiment  du  droit.  » 

A  ces  austères  paroles ,  le  lecteur  a  déjà,  senti  qu'il  ne  s'agit 
point  ici  d'une  production  subalterne. 

Gœrres  s'empare  de  l'appel  fait  à  l'opinion  par  le  gouverne^ 
ment  prussien.  Il  voit  là  une  provocation  directe  aux  catholi- 
ques de  descendre  à  leur  tour  dans  la  lice ,  et  il  va  au  fait  sans 
plus  tarder. 

Dès  le  pontificat  de  Léon  XII,  les  évêques  de  la  Prusse-Rhé- 
nane (Cologne,  Trêves,  Munster  et  Paderborn)  sollicitèrent  de 
Rome,  à  la  demande  instante  du  roi,  une  décision  plus  douce 
sur  la  question  des  mariages  mixtes.  On  sait  avec  quelle  douleur 
l'Eglise  a  toujours  vu  ces  sortes  d'union ,  dont  la  conséquence 
immédiate  est  d'affaiblir  le  sentiment  catholique  en  celui  des 
époux  qui  est  né  dans  l'orthodoxie,  avec  péril  imminent  d'ÏE»- 
différence  ou  môme  d'apostasie  viltérieure.  Dans  sa  condescen- 
dance maternelle,  l'Eglise  n'a  point  cru  devoir  toutefois  piohi- 
ber  ces  mariages  d'une  manière  absolue;  mais  elle  ne  les  tolère 
qu'autant  que,  par  des  promesses  catégoriques,  elle  est  assurée 
(autant  qu'elle  peut  l'être)  de  l'éducation  catholique  des  enfans. 
Or,  sans  égard  pour  la  foi  religieuse  des  cinq  douzièmes  de  ses 
sujets,  il  a  plu  au  contraire  au  roi  de  Prusse,  de  statuer  que  les 
enfans  seraient  toujours  élevés  dans  la  religion  du  père,  et  que  tout 
engagement  eu  sens  inverse  était  nul  devant  la  loi  civile.  C'était 
porter  à  la  commiuiion  calholique  en  Prusse,  le  coup  le  plus 
habile  et  le  plus  sur;  il  siiilisait  au  roi  de  disposer  des  emplois  à 
e:çercer  dans  les  provinces  catholiques  en  faveur  de  pi-olestaus 
la  plupart  célibataiies ,  pour  multiplier  avec  le  tcms  les  alUuuoc* 


ATHANVSE,    PAR   J.    COERRRS.  299 

mixtes,  et  par  conséquent  aecroîlrc  la  population  et  l'influence 
protestante.  Tel  fut  en  etret  le  plan  de  la  politique  prussienne 
sur  les  bords  du  Rhin  comme  sur  ceux  de  l'Oder  et  de  la  Yistiile, 
Les  garnisons  placées  dans  les  villes  catholiques  furent  invaria- 
blement sous  les  ordres  d'ofûciers  protestans.  Les  fonctionnaires 
de  l'ordre  civil  étaient  presque  tous  choisis  sous  la  même  inspi- 
ration, et  le  petit  nombre  de  catholiques  qui  avaient  trouvé 
grâce  devant  l'ilotisme  infligé  ia  petto  à  leurs  coreligionnaires  se 
trouvaient  plus  généralement  relégués  au  milieu  dépopulations 
toutes  protestantes.  Jamais  la  haine  de  la  vraie  religion  ne  fut 
plus  froide,  plus  savante,  plus  avisée.  La  sagesse  du  goviverncr 
ment  prussien  (cette  phrase  était  devenue  proverbiale)  laissait 
bien  loin  derrière  elle  la  sagesse  du  Pharaon  dont  parle  l'Exode  : 
opprimamus  Israël  sapientcr  '  . 

La  mort  enipêcha  Léon  XII  de  répondre  aux  quatre  évêques. 
Mais  Pie  YTII,  son  successeur,  vivement  sollicité  par  le  résident 
prussien,  donna,  le  21  mars  i85o,  un  bref  par  lequel,  poussant 
la  condescendance  aux  dernières  limites,  il  tolérait  jusqu'à  un 
certain  point  les  mariages  mixtes  en  toute  hypothèse  ,  allant  même 
jusqu'à  suspendre  implicitement  en  leur  faveur  un  canon  d'un 
Concile  général  (le  Concile  de  Trente),  qui  déclai'e  nul  le  ma- 
riage contracté  hors  de  la  présence  du  curé  catholique.  Le  pon- 
tife déclarait  ces  unions  coupables,  mais  valides;  seulement  il 
refusait  au  conjoint  rebelle  à  l'Eglise  la  bénédiction  qu'elle  ac- 
corde au  conjoint  Adèle  à  ses  lois;  il  prescrivait  même  l'assis- 
tance passive  du  prêtre  à  de  tels  mariages,  toutes  les  fois  qu'elle 
serait  réclamée,  mais  en  interdisant  à  ce  témoin  passif  tout  ce 
qui  pourrait  être  interprété  comme  une  approbation  quelconque 
d'une  alliance  accomplie  au  mépris  de  la  loi  catholique. 

Chose  prodigieuse  !  ces  concessions  ne  satisfirent  pas  le  roi 
de  Prusse.  Il  ne  permit  point  la  publication  du  bref.  Lien  plus, 
il  conçut  la  pensée  d'en  fausser  l'application  ,  à  Ciasu  du  Pape  et 
des  populations  tout  ensemble.  Ce  n'était  pas  assez  que  le  prêtre 
catholique  assistât  à  des  apostasies  matrimoniales,  il  fallait  qu'il 
étendit  la  main  pour  les  bénir,  qu'il  concourût  ouvertement 
ainsi  à  séduire  les  peuples ,  à  persuader  aux  familles  que  l'Eglise 

'  Ëxod.  I.  10. 


300  ATHANASE,    PAR  J.    GOERRES. 

voit  (lu  même  œil  le  mariage  qui  doit  lui  donnei'  des  enfaus  de 
plus  et  celui  qui  ne  peut  devenir  fécond  que  pour  l'erreur. 

Pour  consommer  cette  énormité,  que  fallait-il  au  roi?  Quatre 
hommes  d'un  caractère  faible  ayant  sur  le  front  l'auréole  épisco- 
pale.  Sa  politique  y  avait  pourvu  depuis  long-tems. 

C'est  trop  souvent  le  crime  des  gouvernemens  qui  ont  l'ini- 
tiative ou  le  veto  sur  le  choiv  des  évéques ,  de  ne  considéi-er 
celte  dignité  toute  spirituelle  que  sous  un  point  de  vue  égoïste 
et  misérable,  sous  le  point  de  vue  du  parti  que  le  pouvoir  civil 
en  pourra  tirer  dans  telle  ou  telle  circonstance.  Ainsi,  quand  le 
gouvernement  est  habile,  comme  ils  disent  (en  Prusse,  par 
exemple),  il  ne  laissera  tomber  la  mitre  que  sur  des  prêtres 
d'une  vie  régulière,  mais  à  condition  d'exploiter  cette  régularité 
de  mœurs  et  de  s'en  faire  un  instrument  pour  tromper  la  vigi- 
lance du  S.  Siège  et  suspendre  la  confiance  des  peuples.  L'esprit 
de  l'Eglise  est  d'appeler  partout  le  plus  digne  ;  la  pente  du  pou- 
voir civil  est  en  général  d'inaugurer  le  plus  commode.  Aux 
hommes  capables,  les  gouvernemens  préfèrent  volontiers  les 
hommes  traitablcs,  surtout  quand  il  s'agit  de  l'épiscopat,  de 
toutes  les  dignités  la  plus  indépendante  en  soi,  puisqu'elle  se 
meut  dans  une  sphère  supérieure,  dans  une  sphère  toute  mo- 
rale où  la  force  matérielle  n'a  point  de  prise, 

Emu  d'une  terreur  secrète  par  la  conscience  intime  de  cette 
indépendance  de  l'épiscopat  catholique,  le  gouvernement  prus- 
sien avait  rempli  les  quatre  sièges  dont  se  compose  la  province 
ecclésiastique  du  Rhin  par  des  hommes  de  sang  noble,  tous  ou 
la  plupart  du  moins  irréprochables,  mais,  par-dessus  tout, 
hommes  pacifiques,  faciles  à  gagner  par  un  vain  simulacre  de 
concorde ,  plus  faciles  à  effrayer  par  la  menace  de  maux  près  de 
fondre  sur  l'Eglise,  Deux  ans  avaient  sufli  pour  renouveler  en^ 
iièrement  le  personnel  des  évèchés  rhénans,  et  les  secours  pé- 
cuniaires accordés  pour  des  reconstructions  d'églises,  joints  à 
d'autres  faveurs  purement  extérieures,  contribuaient  à  endor- 
mir de  plus  en  plus  la  vigilance  épiscopale  sur  les  arrière-pen- 
sées du  gouvernement  prussien. 

Dix  années  s'étaient  écoulées  dans  ce  calme  trompeur,  lors- 
que le  19  juin  1854,  le  roi  de  Prusse  en  personne,  le  défunt 
archevêque  de  Cologne  (comte  de  Spiegel) ,  un  des  cvêqucs  7ioirs 


ATHANASn,    PAR   J.   C.OEnnES.  301 

de  Napoléon,  et  !M.  Bunsen,  ambassadeur  de  Prusse  à  Rome, 
sans  consulter  aucun  évéquo,  arrêtèrent  une  convention  pour 
terminer  au  gré  du  roi  l'affaire  des  mariages  mixtes.  Celte  con- 
vention ccrles  était  rédii^ée  par  le  machiavélisme  le  plus  subtil. 
Non  content  d'en  avoir  imposé  au  S.  Siège  en  déclarant  que  sa 
cour  était  satisfaite  du  bref  de  Pie  YIII,  M.  Bunsen  s'emparait 
de  quelques  expressions  de  ce  bref,  les  isolait  avec  soin  du  corps 
de  l'acte  pontifical,  et  les  tournait  si  bien  contre  l'esprit  général 
de  cet  acte,  que,  dans  la  pratique,  le  cas  auquel  l'assistance  pas- 
sive du  prêtre  était  prescrite  devait  paraître  un  cas  vraiment 
chimérique,  de  telle  sorte  que  la  bénédiction  de  l'Eglise  ne  de- 
vait manquer,  de  fait,  à  aucun  mariage,  quelle  que  dût  être 
l'éducation  des  enfans  ù  naître.  Cette  convention  demeura  un 
secret  d'état;  on  ignore  même  jusqu'à  quel  point  elle  fut  connue 
des  ministres  du  roi.  M.  de  Spiegel  se  chargea  d'obtenir  l'adhé- 
sion de  ses  collègues  dans  l'épiscopal.  Il  vit  successivement  et 
séparément  chacun  d'eux,  sans  leur  donner  le  tems  d'en  réflé- 
chir et  d'en  conférer,  obtint  leurs  signatures  une  à  une  ,  et  leur 
fit  adopter  une  instruction  qui,  sous  prétexte  d'interpréter  le 
bref  (dont  le  texte  n'était  nullement  rendu  public)  ,  en  paraly- 
sait tout-à-fait  l'exécution  sur  les  points  les  plus  essentiels. 

Tout  allait  bien  jusque-là  pour  la  politique  prussienne.  Mais, 
quelques  vingt  mois  après,  la  convention  du  ig  juin  i854  com- 
mence à  transpirer.  Le  chef  suprême  de  l'Eglise  demande  des 
explications.  M.  Bunsen  nie  elfrontément  que  la  convention 
existe.  Le  Saint-Siège  insiste  ;  le  gouvernement  prussien,  fort 
de  la  faiblesse  des  évêques  et  de  la  fausse  position  qu'ils  se  sont 
faite,  obtient  de  trois  d'enfr'eux  l'attestation  que  cette  conven- 
tion n'existe  pas.  Un  des  trois,  toutefois,  se  rétracte  sur  son  lit 
de  mort;  le  lo  novembre  i836,  l'èvêque  de  Trêves  adresse  à 
Rome  l'original  de  la  transaction  conclue  à  Berlin  par  l'arche- 
vêque Spiegel. 

Par  un  aveuglement  providentiel  du  gouvernement  prussien, 
M.  de  Spiegel,  mort  dans  rintervalle,  avait  eu  pour  successeur 
à  Cologne  un  évèque  digne  des  plus  hauts  siècles  de  l'Lglise. 
C'est  celui  que  Gœrres  et  toute  l'Allemagne  ont  salué  du  nom 
d'  -/i/mnasf, Clément-Auguste  de  Droste,  de  Yischering.  Issu  d'une 
des  plus  nobles  familles  catholiques  de  la  AVesfphalie,  le  plus 


303  ATIÎANASE,    PAR   J.    GOEPvRES. 

jeune  des  frères  Drosle  avait  administré  sous  Napoléon,  comme 
vicaire-général  capitulairc,  le  diocèse  de  Munster.  Eloigné  de  ce 
poste  ,  à  raison  de  son  attachement  à  Pie  \  II  captif,  il  y  fut 
naliu-ellement  rappelé  en  1814,  et  réclama,  en  cette  qualité, 
contre  l'inslitulion  d'un  consistoire  mixte  cliargé  de  surveiller 
le  culte  et  l'instruetion  publiqiie  dans  cette  province,  contre  la 
déclaration  royale  relative  aux  mariages  mixtes,  contre  la  créa- 
tion de  l'université  de  Bonn ,  la  plus  perfide  de  toutes  les  combi- 
naisons imaginées  par  le  ministère  prussien  pour  inoculer  sans 
bruit  le  protestantisme  à  l'élite  de  chaque  génération.  Un  évêqiie 
fut  nommé  à  Munster,  en  1821.  A  partir  de  cette  époque,  Clé- 
ment-Auguste se  retira  des  affaires,  fonda  un  hôpital,  et  ne 
chercha  plus  qu'à  s'enfoncer  chaque  jour  plus  avant  dans  une 
retraite  sanctifiée  par  toutes  les  vertus  sacerdotales.  Sa  profonde 
obscurité  désarma  insensiblement  les  préventions  du  roi  de 
Prusse.  Le  monarque  avait  eu  bon  marché ,  à  ce  qu'il  croyait 
d'ailleurs,  du  frère  aîné  de  Clément- Auguste ,  illustré  comme 
ce  dernier  par  sa  résistance  à  Napoléon ,  enlacé  depuis  des 
pièges  diplomaliques  de  l'archevêque  Spiegel ,  dont  il  s'est  no- 
blement dégagé  par  une  manifestation  récente.  Tout  était  con- 
sommé, si  le  moderne  Athanase  consentait,  lui  aussi,  à  couvrir 
du  manteau  archiépiscopal  et  de  tout  l'éclat  de  ses  vertus  privt'es 
le  travail  souterrain  de  la  sape  luthérienne.  Ln  si  éblouissant 
espoir  fit  pleine  illusion  à  la  clairvoyance  vantée  du  ministre  de 
l'instruction  publique  et  des  cultes,  M.  d'Altenstein  :  infatuaiuvi 
est  consilium  Aclùiopliel.  Cet  homme  public  se  persviada  que  le 
laps  de  lems,  la  contagion  de  l'exemple,  l'alfaiblissement  de 
l'âge,  avaient  modifié  les  convictions  de  Clément- Auguste. 
Désigné  aux  suffrages  du  chapitre  de  Cologne  comme  le  candidat  ' 
du  gouvernement ,  celui-ci  fut  élu  archevêque  et  préconisé  à 
Rome  le  i"  février  i850. 

Là  se  présente  une  accusation  grave,  qui  balance  encore  dans 
beaucoup  d'esprits  le  senliment  d'indignation  que  ne  pouvait 
manquer  de  soulever  la  violence  faite  en  dernier  lieu  à  l'arche- 
véquc.  M.  d'Altenstein  accuse  le  prélat  d'avoir,  avant  son  élec- 
tion, accepté  par  écrit  la  convention  conclue  par  M.  de  Spiegel, 
et  d'avoir  ensuite  violé  sa  parole  en  résolvant  en  secret,  dans  un 
sens  coniraire  à  cette  convention  et  aux  lois  du  royaume,  toutes 


ATIIANASE,    PAR   J.    COF.WnCS.  3Ô3 

les  questions  que  laisaiciit  naître  les  mariages  mixtes,  tmit  en 
confirmant,  par  sa  correspondance,  le  {i,oiivcrnement  dans  la 
pensée  que  lui  Clément-Auguste  se  considérait  comme  lié  par 
la  promesse  à  laquelle  il  avait  dû  sa  promotion  à  l'archiépisco- 
pat.  Laissons  la  réponse  à  Gœrres. 

«  Sur  ces  entrefaites,  l'archevêque  de  Cologne  (comte  de 
Spiegel)  fut  appelé  devant  le  tribunal  de  Dieu,  et  il  fallut  lui 
trouver  un  successeur.  Mais,  si  ce  successeur  ne  suivait  pas  la 
même  ligne  que  son  devancier,  toute  la  peine,  tous  les  ?oins 
qu'on  avait  pris  étaient  en  pure  perte.  Non-seulement  l'arche- 
vêché reprenait  ranciennc  observance  sur  les  mariages  mixtes, 
mais  encore  il  la  communiquait,  par  le  droit  de  censure,  aux 
trois  autres  diocèses  de  la  province  du  Rhin.  Il  fallait  donc 
s'assurer  à  l'avance  des  sentimcns  du  candidat,  et  faire  de  l'ac- 
ceptation la  condition  de  son  investiture.  On  avait  jeté  les  yieux 
sur  le  baron  de  Droste  \ischering;  il  dut  subir  l'épreuve.  En 
conséquence ,  le  ministre  lui  fit  demander  par  une  tierce  per- 
sonne s'il  serait  disposé  et  décidé ,  non-seulement  à  ne  pas  atta- 
quer, mais  encore  à  maintenir  et  à  exécuter,  suivant  l'esprit  de 
conciliation  qui  l'avait  dictée,  la  convention  conclue  le  19  juin 
1854  et  conforme  au  bref  du  pape.  On  suppose  donc  qu'il  connaît 
déjà  cette  convention  ;  et  ,  comme  c'est  une  interpellation 
verbale  qu'on  lui  adresse ,  c'est  une  déclaration  verbale  aussi 
qu'on  lui  demande,  et  non  une  réponse  écrite,  comme  on  l'a 
exigée  des  autres  évêques.  On  ne  veut  lui  imposer  aucune  obli- 
gation légale,  car  on  sait  qu'elle  serait  nulle  dans  tous  les  cas  ; 
on  ne  sollicite  de  lui  qu'un  engagement  moral. 

»  Le  baron  de  Droste  répond  que  depuis  long-tcms  il  désii-e 
qu'on  puisse  trouver  un  moyen  d'accommodement,  dans  celle 
question  diflicile  ;  qu'il  apprend  avec  joie  que  son  désir  est  rem- 
pli ;  qu'il  se  gardera  bien  de  ne  pas  maintenir  cet  accord  <ju'on 
lui  annonce  avoir  été  conclu  conformément  au  bref  et  déjà  en 
exécution  dans  les  quatre  diocèses,  et  qu'il  l'exécutera  lui-même 
en  esprit  de  ci.arité  et  de  paix.  —  C'est  sur  cette  réponse  que  se 
fonde  l'accusation  de  parjure  ;  sur  cette  réponse  seulement,  car 
nous  ne  sachions  pas  qu'il  se  soit  rien  passé  de  plus  entre  les 
parties. 

»  Si  l'archevêque  a  comni  toute  la  transaction  de  1 854  ■<  et 


304  ATHANASE,    PAR    J.    GOERRES. 

toutes  les  conséquences  qu'on  en  a  déduites;  si  elle  était  réelle- 
ment, et  dans  cette  intention,  exécutée  dans  les  quatre  diocèses» 
et  particulièrement  dans  celui  auquel  il  appartenait;  s'il  a  jugé 
d'abord  qu'elle  était  conciliable  avec  les  devoirs  que  lui  imposait 
l'épiscopaî  ;  si,  par  suite  de  cette  conviction  (fondée  sur  un 
examen  profond  ou  non,  il  n'importe),  il  a  fait  la  déclaration 
dont  il  s'agit  dans  le  sens  que  le  gouvernement  lui  prête,  alors, 
sans  contredit ,  il  a,  en  le  faisant ,  contracté  une  obligation  mo- 
rale dont  il  devait  s'acquitter,  mais  jusqu'à  quand!  Jusqu'à  ce 
qvi'un  autre  examen  plus  profond  encore  de  l'état  de  la  question 
provoquât  lui  combat  dans  sa  conscience.  Il  eût  été ,  sous  ce 
rapport ,  dans  le  même  cas  que  les  autres  évêques,  s" étant  engagé 
comme  eux  à  une  chose  que  son  devoir  Lai  défendait  d'accomplir,  et 
l'évcque  de  Trêves  lui  avait  montré  la  route  à  suivre  :  confesser 
son  erreur  et  se  soumettre  à  la  censure  du  Chef  de  l'Eglise. 

»Mais  si  au  contraire  il  n'a  pas  connu  ces  transactions,  s'il 
ne  les  a  acceptées  que  sur  la  parole  qu'on  lui  donnait  qu'elles 
avaient  été  dressées  conformément  au  bref  du  pape  ;  si  dans  le 
diocèse  auquel  il  appartenait  elles  n'étaient  point  passées  en 
pratique  de  manière  à  ce  qu'il  pût  se  convaincre  du  contraire, 
alors  il  n'a  pas  reçu  sa  charge  à  une  condition  inadmissible;  et 
comme  il  ne  pouvait  ainsi  être  tenu  à  l'accomplissement  d'un 
accord  incompatible  avec  le  bref,  il  ne  devait  pas  non  plus  par 
ces  motifs  se  démettre  de  la  dignité  dont  il  était  revêtu. 

»0n  a  pu  d^abord  hésiter  entre  ces  deux  suppositions;  mais 
l'exposé  oiliciel  du  gouvernement  prussien  a  démontré  claire- 
ment que  la  seconde  était  la  vérité.  Cet  exposé  accorde  en  eflet 
que  rarclicvêque  n'a  connu  ni  convention  ni  instruction  ;  seu- 
lement il  repioche  au  prélat  de  n'avoir  pas  interpellé  le  gou- 
vernement siu"  la  teneur  de  ces  actes.  Mais  il  s'agit  ici  d'une 
transaction  d'un  sujet  avec  son  roi.  L'archevêque  connaissait  le 
bref;  on  lui  fait  savoir  que  le  gouvernement  et  les  évêques  ont 
l'ail  lui  arrangement  amiable  sur  son  exécution;  il  doit  naturel- 
lement prési'.mer  que  tout  a  été  réglé  avec  bonne  foi  et  loyauté, 
en  se  conformant ,  ccnnme  on  l'allirmait,  à  l'esprit  et  à  la  lettre 
du  bref.  Supposer  le  contraire,  eût  été  également  injurieux  pour  le 
roi  et  pour  les  évêques  ,  et  le  baron  de  Drostc  ne  pouvait  guère  se 
hasarder  à  exprimer  un  tel  soxipeon.  Si  donc  il  consentait  à 


ATDANASE,  PAU   J.    COERRES.  303 

observer  tout  ce  qui  a  été  conclu  conformément  au  ùref^  il  se  plaçait 
par  là  sur  un  tenain  parfaitement  sûr;  car  il  obtenait  ainsi  la 
garantie  formelle  que  le  gouvernement  n'exigerait  rien  de  lui 
qui  n'y  fût  conforme,  et  cette  garantie  lui  suffisait.  » 

Bien  loin  clone  que  l'Athanase  allemand  ait  manqué  de  sincé- 
rité envers  le  ministère  prussien,  c'est  M.  d'Altenstein  au  contraire 
qui  a  joué  au  plus  fin  avec  Clément-Auguste;  car  si  l'archevêque 
ne  voulait  rien  du  gouvernement,  le  gouverncnemcnt  voulait 
quelque  chose  de  l'archevêque.  Celait  donc  de  la  part  d'un 
ministère  loyal  une  précaution  nécessaire  que  de  communiquer 
tous  les  documens  de  l'afFaii-e  à  M.  de  Droste,  afin  que  les  devoirs 
qu'on  voidait  lui  imposer  fussent  claii-ement  établis.  Mais  loin 
de  là ,  le  gouvernement  a  voulu  tendre  lui  piège  au  baron  de 
Droste  ,  le  placer  à  son  insu  dans  une  situation  équivoque  et 
fausse.  C'est  au  ministre  à  s'imputer  de  n'avoir  point  posé  la 
question  plus  franchement;  il  est  juste  qu'il  porte  la  peine  de  sa 
réticence  calculée.  C'est  vme  des  règles  générales  du  droit  :  in 
sti/mlatiombus ,  verba  contra  stipalatorem  interpretenda  sunt.  Et  ail- 
leurs :  vetcribus  plaçait  pactionem  obscuram  tel  ambiguam  iis  nocere 
in  quorum  pal cstate  fuit  legcm  aperliàs  conscrihere  '. 

o  Qviant  à  l'appel  du  ministre  à  la  pratique  des  diocèses  ,  il 
n'est  pas  valable  non  plus;  car,  poursuit  G œrres  (et  nous  insis- 
tons sur  l'avitorité  d'un  tel  témoignage  )  ,  celte  pratique  n  avait 
encore,  en  ArccxE  façon,  été  reçue,  a  cette  ipoqi'E,dans  te  diocèse 
du  signataire.  En  effet,  les  auteurs  de  la  transaction  n'avaieuL; 
aucune  hâte  d'exposer  à  la  clarté  du  jour  ce  qui  avait  été  ourdi 
dans  le  mystère  ,  pour  ne  s'infiltrer  qu'insensiblement  dans  la 
pratique.  Aussi,  n'est-ce  que  peu-à-pcu,  et  par  fragmens  qu'on 
l'a  publié,  et  ne  l'a-t-on  communiqué  au  clergé  qiie  sous  la 
condition  expresse  de  n'en  point  donner  connaissance  aux 
laïques.  A  cette  époque  encore  ,  la  chose  était  donc  secrète  à 
Munster  comme  dans  les  autres  diocèses,  et  l'archevêque  a 
protesté  à  plusieurs  reprises  qu'elle  avait  été  également  secrète 
pour  lui.  Il  faut  ajouter  foi  à  un  homme  véridique.  jusqu'à  ce 
que  des  preuves  évidentes  nous  aient  donné  le  droit  de  lui  reti- 
rer notre  confiance. — Nous  savons  de  plus,  de  bonne  part,  que  ce 

•  L.  39.  ff.  depactis. 

TouExvu. — ÎS"  100.  i858.  20 


306  ATHANA8E,    PAR    J.    GOERRES. 

«'est  qu'après  son  arrivée  à  Cologne,  que  Clément-Auguste  a 
été,  par  son  chapelain  Michaëlis,  instruit  de  la  teneur  de  la 
transaction,  et  que,  le  premier  mouvement  de  stupéfaction 
passé ,  son  premier  moi  a  été  une  exclamation  de  douleur  de  ce  que 
son  frère  avait  donné  son  assentiment  à  une  telle  convention.  —  Clé- 
ment-Aviguste,  d'ailleurs,  menait  à  Munster  une  vie  si  retirée, 
si  notoirement  éloignée  de  toutes  les  affaires  ,  qu'il  n'avait  pas 
été  difficile  de  kù  cacher  tout  ce  qui  s'était  passé  en  i854-  E" 
toute  simplicité  de  cœur,  il  a  donc  pu,  il  a  dû  même  faire  en 
i8o5  la  déclaration  que  sollicitait  de  lui  le  ministère  prxxssien. 
C'est  ainsi  que  la  Providence  confond  la  prudence  des  hommes 
quand  elle  la  rencontre  sur  leurs  chemins  tortueux.  » 

Franchement,  nous  ne  voyons  pas  ce  que  laisse  à  désirer 
vme  justification  aussi  complète.  M.  d'Altcnstcin  a-t-il  donc  au 
reste  oublié  l'axiome  le  plus  élémentaire  du  droit  :  nemo  tenctur 
paeiis  inhoncsiis?  L'archevêque  eùt-il  promis,  il  ne  serait  point 
tenu.  S.Thomas  de  Cantorbéry  avait  juré  les  fameux  articles 
de  Clarendon  ;  dès  qu'il  sut  que  le  pape  les  réprouvait ,  il  cessa 
de  se  croire  lié  par  un  serment  contraire  à  son  devoir  d'évêque 
,  et  de  chrétien. Le  19'  siècle,  par  la  voix  de  MM.  Augustin  Thierry 
et  Mfchelet,  ne  l'a-t-il  point  relevé  de  ce  serment  injuste  ?  ne 
l'a-t-il point  loué  de  sa  résistance  intrépide  à  l'oppression  nor- 
mande?—  Mais  pourquoi  raisonner  dans  une  supposition  dé- 
mentie pas  les  faits  ?  Plus  encore  que  le  saint  martyr  de 
Cantorbéry,  le  confesseur  de  Cologne  n'a  rien  promis  qu'il  n'ait 
pti  tenir  et  qu'il  n'ait  tenu.  Disons-le  avec  Gœrres,  a  la  con- 
wduite  de  Clément- Axiguste  a  été  d'un  homme  d'honneur,  et, 
«comme  elle  est  sans  tache,  elle  doit  être  aussi  sans  reproche.  » 
«Puis,  ajoute  excellemment  le  professeur  de  Munich,  ce  n'est 
ici  que  la  question  secondaire. 

»  Choisi  comme  instrument  par  le  Très-Haut ,  qui  s'est  si 
bien  servi  de  lui  pour  rendre  sa  cause  victorieuse ,  il  eût  été 
douloureux  que  Clément- Auguste  eût  trempé  seulement  du 
bout  du  doigt  dans  cette  dégoûtante  affaire.  Mais  que  firait  cela 
encore  à  ta  (luestion  principale?  Celle  question  ne  vil  pas,  ne 
meurt  pas  avec  la  personnalité  de  tel  ou  tel  archevêque.  An 
fond,  il  imporle  peu  que  celui  de  Cologne  ail  résisté  ou  suc- 
combé à  la  Unlalion  :  la  question  principale,  en  effet,,  est  celle- 


ATHANARB,    PAR   J.    GOERRES-  307 

ci  :  D'où  peut  venir  le  droit  h  un  gouvernement  protestant  de 
pénétrer  dans  le  domaine  de  la  liberté  solennellement  garantie 
à  une  autre  communion  ,  pour  présenter  aux  évéques,  avant 
leur  entrée  en  charge,  une  tentation  semblable  ?  D'où  lui  vient 
le  droit  de  leur  imposer  comme  condition  de  leur  dignité  un 
engagement  pareil,  et  partant  une  faute  si  flagrante?  Est-ce 
donc  respecter  la  religion  que  d'entreprendre  ainsi  d'obliger 
ses  dignitaires  à  des  capitulations  aussi  subversives  de  l'ortho- 
doxie et  de  la  discipline,  et  dont  le  refus  doit  inévitablement 
les  brouiller  avec  le  gouvernement,  l'acceptation ,  avec  leur 
conscience?  Est -il  concevable  qu'un  gouvernement  chrétien 
suive  luie  conduite  qui  exclut  nécessairement  tous  les  prêtres 
vi-aiment  religieux  et  consciencieux  des  dignités  supérieures, 
qu'il  jette  comme  une  proie  aux  gens  sans  conscience  et  aux 
hypocrites  ? 

En  effet,  si  M.  d'Altensteinnesefût  pas  publiquement  vanté  de 
ces  marchés,  de  ces  achats  de  consciences,  le  croirait-on?  Et 
qu'est-ce  donc  que  la  raison  d'Etat,  si  elle  peut  à  ce  point  per- 
vertir ou  oblitérer  le  sens  moral  en  des  hommes  estimables  par 
ailleurs,  et  qui  ne  croient  par  là  que  servir  honorablement  leur 
prince  et  la  communion  dominante  ? 

«  Si  l'on  souffrait  cette  pernicieuse  influence,  s'écrie  Gœrres, 
combien  d'années  encore  la  pro\-ince  ecclésiastique  rhénane 
poxirrait-elle  y  résister?  Ces  hommes  iniquement  enti'és  en  pos- 
session de  leur  charge,  se  verront  conti-aints  de  la, remplir  plus 
iniquement  encore,  et  après  avoir  fait  valoir  et  augmenté  ce 
fonds  d'iniquité,  ils  le  transmettront  à  leur  successeur,  qui  à 
son  tovir  l'augmentera  et  le  fera  valoir  pendant  sa  gestion.  Au- 
jourd'hui ce  sont  les  mariages  mixtes  pour  lesquels  on  veut 
extorquer  à  l'Eglise  une  sanction  de  telle  ou  telle  sorte  ;  ce 
point  une  fois  gagné  et  passé  dans  la  pratique,  on  ne  tarderait 
pas,  certes,  à  aller  plus  loin. On  n'a  déjà  pas  craint  de  nous  dire 
que  le  repos  et  l'ordre  de  l'Etat,  la  sûreté  du  trône  ne  doivent 
pas  être  abandonnés  au  caprice  du  premier  fanatique  qui  vou- 
dra s'emparer  du  confessionnal.  On  reconnaît  ainsi  clairement 
de  quel  côté'sera  dirigée  la  prochaine  attaque.  Passant  ainsi  de 
sacrement  en  sacrement,  de  dogme  en  dogme,  d'une  instiîu- 
lion  religieuse  à  une  autrC;  on  verra  se  consommer  rapidement 


308  ATHANASE,    PAR    î.    COERRES. 

l'œuvre  de  destruction. 'C'est  là  le  jugement  que  porte  le  peirpîé^ 
et  que  peut-on  lui  répondre  en  présence  des  faits? 

»  3Iais  ce  n'est  pas  encore  là  le  dernier  anneau  de  cette  longue 
chaîne  d'iniquités. 

»  L'archevê([ue  ,  à  qui  la  main  secoiuable  de  la  Pi'ovidence  a 
fait  traverser  la  tentation,  sans  quU  Cait  seulement  a/ercue,  l'ar- 
chevêque entre  dans  l'exeiTice  des  fonctions  de  sa  charge  ;  il 
apprend  bientôt  ce  qui    s'est  passé,  et   après  avoir  long-tems 
combattu  avec  lui-même ,  il  prend  pour  règle  de  conduite,  non 
pas  les  parties  de  la  transaction  qvii  ne  sont  point  conformes  au 
bref,  mais  seulement  celles  qui  sont  en  harmonie  avec  cet  acte, 
mettant  de  côté  tout  le  reste,  comme  contraire  à  sa  conscience- 
—  Cela  déplut;  on  s'en  plaignit  amèrement.  Des  négociations 
s'engagent,  et  ici  les  fils  du  nœud  s'embrouillent  aussi  mer- 
veilleusement, aussi  providentiellement   qu'ils  s'étaient   noués 
d'abord.  —  Vovis  avez  violé  votre  parole,  lui  dit-on.  —  Je  n'ai 
rien  promis,  répond-il;  je  ne  pouvais  rien  promettre  que  de  me 
conformer  à  ce  que  le  chef  suprême  de  l'Eglise  a  permis  et  dé- 
fendu ^.  —  Au  lieu  de  trouver  dans  le  ton  et  dans  la  teneur  de 
ces  paroles  l'empreinte  d'une  conviction  calme,  tranquille,  sûre 
d'elle-même,  on  n'y   voit  que  le   faux-fuyant  d'un  caractère 
malveillant,  fourbe  et  perfide,  qui,  maintenant  qu'il  faut  ac- 
complir ses  promesses,  cherche  à  force  de  ruses  et  de  détours 
à  se  soustraire  à  ses  obligations.   Oubliant   quelle  réputation, 
quelle  célébrité  même  lui  ont  acquises  sa  conduite  et  sa  vie  ^ 
on  se  tient  pour  dupé  par  sa  dissimulation  et  par  sa  malice,  et 
l'irritation  qu'éveille  cette  pensée,  rend  impossible  tout  examcu 
calme  et  réfléchi.  En  vain  le  prélat  rappellei'a-t-il  que  déjà  un 
des  évêques  signataires  de  la   convention  de  i854  a  quitté  ce 
monde,  en  proie  aux  amers  reproches  de  sa  conscience;  en  vain 
réclamera-t-il  pour  lui  et  pour  l'Eglise  la  liberté  de  conscience 
solennellement  garantie  :  on  lui  répondra  :  «  nous  respectons 
i^tes  sci-upules,  mais  ils  ne  peuvent  en  aucun  cas  te  dispenser 
»  d'obéir  aux  lois.  » 

»11  est  impossible  que  ceux  qui  ont  prononcé  ces  paroles  en 
aieiît  bien  compris  toute  l'atrocité.  Non-seulement  ils  élèvent 

»  Voir  la  lettre  de  reproche  de  M.  d'Altenstein  cl  la  ferme  réponse  de 
l'archcvi-que ,  dans  notre  N°  98,  ci-dessus,  p.  112. 


ATU.VNASE,    1V\R   J.    GOEURES.  309 

une  loi  conventionnelle  faite  pour  les  hommes ,  au-Hessus  de 
cette  loi  éternelle  et  innée  que  Dievi  lui-même  a  gravée  dans 
nos  âmes  [non  scripia  ,  sed  naia  lex.  Cicér.  )  ,  comme  au-dessus 
de  celle  que  la  parole  divine  nous  dicte;  mais  encore  à  une  loi 
toute  partiale,  à  une  loi  qui  est  contre  le  droit ,  qui  viole  toute 
espèce  de  droits ,  moralement  nulle  par  conséquent ,  nulle 
quant  à  la  forme,  nulle  qtiant  au  fonds,  nulle  devant  le  droit 
et  devant  Dieu,  ils  donnent  une  force  obligatoire  absolue, 
exigeant  une  soumission  aveugle  delà  conscience  qui  se  révolte 
dans  ce  qu'elle  a  de  plus  intime  et  de  plus  sacré.  Ah  !  si  une 
pareille  tyrannie  doit  triompher,  si,  pesant  déjà  sur  le  monde  d'au- 
jourd'hui comme  un  cauchemar  effroyable,  qui,  à  chaque  mou- 
vement extérieur  que  nous  essayons  de  faire,  nous  arrête,  nous 
presse,  nous  oppresse,  nous  tenaille,  nous  étreint,  cette  bureau- 
cratie prétendeucore  pénétrer  dans  le  sanctuaire  de  notre  foi  poiu" 
y  trancher  du  maître ,  là  aussi,  avec  sa  force  brutale, ....  alors 
sans  doute  les  choses  en  viendront  à  un  état  désespéré ,  et  cette 
attaque  insensée ,  dirigée  contre  les  fondemens  les  plus  profonds 
delà  nature  morale^  provoquera  et  justifiera  la  plus  vive  des 
réactions 

»En  présence  de  pareils  principes,  l'archevêque  ne  voulait, 
ni  ne  pouvait  céder.  Aussi  la  catastrophe  ne  pouvait-elle  long- 
tems  se  faire  attendre.  La  ruse  étant  à  bout  de  voie ,  la  violence 
est  venue.  Ici  encore  on  a  fait  une  fausse  application  de  cet 
axiome  de  géométrie  ,  la  ligne  droite  est  le  plus  court  chemin 
d'un  point  à  un  autre.  Or,  dans  les  choses  morales,  la  voie  la  plus 
courte,  ce  nest  pas  toujours  la  ligne  droite  ;  mais  c'est  la  ligne  dî; 
DROiT.  C'est  au  reste  un  spectacle  qui  se  reproduit  sans  cesse 
dans  toute  l'histoire.  Quand  les  hommes  ont  épuisé  toutes  les 
courbes  possibles  pour  atteindre  un  but  coupable  ,  ils  tentent 
enfin  ce  dernier  élan  en  ligne  droite ,  qui  met  tin  pour  cette  fois 
à  tous  leurs  efforts.  » 

En  effet  l'enlèvement  de  l'archevêq^ie  Clément-Auguste  a  été 
le  salut  de  l'Eglise  dans  toute  l'Allemagne.  On  connaît  l'éloquen- 
te et  majestueuse  pi'otestation  de  Grégoire  XYI  contre  cette 
inexcusable  brutalité  ».  Des  queslionneiu-s  ne  manqueront  point 

»  Elle  a  été  insérée  dans  noire  N"^  92  ,  t.  xvr ,  p.  i  39. 


310  ATHANASE,    PAR   J.    GOERRES. 

pour  demander  à  quoi  bon  ce  manifeste.  —  A  quoi  bon  ?  Eh  ! 
quand  la  voix  du  vicaire  de  Jésus-Christ  aurait  dû  se  perdre  en 
vains  sons  dans  les  airs ,  il  eût  été  digne  encore  du  représentant 
de  celui  qui  juge  les  justices  de  se  tenir  debout  en  face  de  la  ty- 
rannie triomphante  et  de  l'appeler  tout  haut  par  son  nom.  Mais 
les  accens  du  Chef  de  l'Eglise  n'ont  point  été  sans  retentissement 
et  sans  puissance.  Que  dis-je  ?  Il  a  suffi  de  ces  quelques  paroles 
échappées  des  lèvres  d'un  vieillard,  pour  éveiller  toute  l'Alle- 
luagne  comme  en  sursaut.  In  seul  évêque  était  resté  ferme  et 
pur  dans  toute  la  monarchie  prussienne ,  et  à  l'heure  où  j'écris, 
un  seul  au  contraire  n'a  pas  rejeté  loin  de  lui  la  chaîne  dorée 
qui  lui  liait  les  mains.  Toutes  les  populations  catholiques  se 
sont  émues;  à  Cologne,  le  jeudi  saint,  les  fidèles  tombaient  à 
genoux  par  centaines  en  passant  devant  le  palais  désert  de  l'ar- 
chevêque.  Le  roi  de  Prusse  lui-même  s'est  troublé  et  s'est  hâté 
de  protester  qu'il  n'entendait  nullement  imposer  au  clergé  la 
bénédiction  des  mariages  mixtes.  Athanase  est  captif  encore 
sans  doute,  peut-être  moiura-t-il  dans  ses  fers,  qu'importe  ?  Il 
y  aura  un  martyr  de  plus  dans  le  ciel.  Et  sur  la  terre,  la  foi  que 
ce  martyr  a  confessée,  les  principes  pour  lesquels  il  a  souffert, 
auront  triomphé  par  sa  prison  même.  Ceux  qui  ne  voient  que  le 
côté  matériel  des  choses  ne  comprendront  rien  à  nos  paroles; 
Mais  ceux  qui  vont  au  fond  des  faits  savent  que  dès  à- présent  le 
principe  est  sauf,  rindépendance  religieuse  de  l'épiscopat  en 
Prusse  assurée  povir  long-tems,  et  la  victoire  rempQrtée  en  plein  par 
l'Eglise.  Ils  saventque  l'Eglise  n'apas  la  prétention  derégnersur 
des  bayonncttes ,  mais  sm'  des  consciences.  Partout  donc  où  les 
consciences  se  déclarent  pour  elle ,  il  est  bien  clair  que  l'Eglise 
a  vaincu  ;  car  ce  sont  là  ses  champs  de  bataille  à  elle,  je  devrais 
dire  ses  champs  de  victoire.  —  Est-il  vrai,  oui  ou  non  ,  qu'il  no 
se  fasse  plus  de  mariages  mixtes  sur  les  bords  du  llhin  ?  Est-il 
vrai,  oui  ou  non  ,  que  le  cabinet  prussien  ait  ostensibleiuent  re- 
culé sur  cette  question  ?  Est-il  vrai  qu'il  ait  moralement  perdu 
un  terrain  immense,  et  que  les  catholiques  l'aient  gagné;  que  la 
popularité,  la  force  morale  aient  en  grande  partie  passé  du  côté 
de  ces  derniers?  En  eût-il  été  ainsi,  je  le  demande,  si  le  Pape 
s'était  tû  ?  la  question  est  là,  il  faut  répondre. 

Assurément  tout  n'est  pas  fait  encore,  la  lutte  sera  longue 


ATIIANASE,    PAR   J.    COERRES.  311 

sans  doute  et  mêlée  de  tristes  vieissitudes.  Ce  n'est  point  en  vain 
que  l'Eglise  ici-bas  s'est  elle-même  appelée  du  nom  de  militan- 
te. Mais  elle  a  des  promesses  qui  ne  passeront  pas;  elle  sait  qui 
est  avec  elle  jusqu'à  la  consommation  des  siècles ,  et  c'est  à  ses 
enfans  qu'il  a  été  dit  :  confidite,  ego  vicl  mundum. 

En  attendant,  remercions  Dieu  du  Chef,  du  Pèi'c  qu'il  nous 
a  donné.  Remercions-le  de  ce  qu'il  a  en  même  lems  suscité  dans 
la  Prusse  rhénane  un  homme  digne  d'adresser  à  Frédéric-Guil- 
laume III  les  paroles  de  S.  Basile-le-Grand  à  l'empereur  Valons: 
numqudm  forsan  in  Episcopum  incidistil  Remercions-le  d'avoir 
permis  que ,  sur  tous  les  points  de  l'Europe ,  des  voix  puissantes 
s'élevassent  powr  venger  l'attentat  commis  en  la  personne  de 
Clément-Auguste ,  contre  ce  que  Tacite  appelait  si  bien  la  cons- 
cience du  genre  humain. 

Entre  tous  ces  ehampions'd'une  noble  cause,  nul  n'a  mieux 
mérité  que  Gœrresdeladignité  humaine  et  de  la  Religion.  Atlia- 
nase  est  un  opuscule  de  peu  d'étendue ,  mais  l'auteur  a  su  y  jeter 
des  considérations  de  la  plus  haute  portée  sur  la  nature  de  l'ac- 
tion du  christianisme  dans  le  monde,  sur  l'union  de  l'Eglise  et 
de  l'Etat  au  moyen-âge  et  depuis ,  sur  le  système  qui  veut  la  sé- 
paration de  ces  deux  choses,  sur  l'état  intérieur  de  la  société 
allemande  et  sur  les  partis  qui  s'agitent  dans  son  sein.  Nous  au- 
rions souhaité  dans  le  traducteur  une  plume  plus  ferme  et  plus 
exercée ,  dans  l'auteur  un  tour  de  pensée  moins  profondément 
germanique.  Mais  Aihanaae  n'en  est  pas  moins  le  livre  le 
plus  instructif,  le  plus  éloquent  et  le  pkis  complet  qui  soit  sor- 
ti de  la  guerre  si  glorieusement  soutenue  par  l'Eglise  par  de-là 
le  Rhin  \ 

Th.  Foisset, 
Juge  an  tribunal  de  Bcaunc  (Côte-d'Oi) 
Docteur  en  Droit. 

»  Voir  dans  l'article  sur  V Histoire  de  CHermésianisme ,  inséré  dans  le 
N*»  98  ci-dessus ,  p.  85,  le  complément  de  la  vie  de  l'archevêque  de  Co- 
logne et  des  services  qu'il  a  rendus  à  l'Eglise. 


312 


NOUVELLES   ET    MELANGES. 
»  ^^  ^^  ^^  ^S>  3  ^E*  <^^  <^  ^^  ^^  ^B>- <£»  ! 


H0uvf((i'$  d  il\iU\\^c$. 


EUROPE. 

FRANCE.  PARIS.  • —  Progrés  de  l'étude  de  la  langue  chinoise.  — 
Arrivée  d  Paris  de  deux  corps  complets  de  caractères  chinois  mobiles. — Pro- 
jet d'édition  des  livres  sacrés  chinois.  —  Daus  la  séance  du  16  du  mois 
de  juillet,  M.  Julien,  professeur  de  chinoisj  a  fait  part  à  l'Académie  de 
l'arrivée  ea  France  de  deux  corps  de  types  mobiles  do  caractères  chinois, 
au  nombre  de  85  mille. 

Voici,  sur  ces  caractères,  quelques  détails  authentiques  qui  n'ont  été 
donnés  par  aucun  autre  journal. 

La  principale  difficulté  qui  s'oppose  à  l'étude  de  la  langue  chinoise  , 
provient,  non  pas  tant  de  la  difficulté  d'apprendre  la  langue  elle-même, 
que  de  celle  de  se  procurer  des  livres  élémentaires.  D'abord  ces  livres 
sonlenbien  petit  nombre,  et  puis  ils  sont  ici  d'un  prix  Irès-élevé  ethorsde 
la  portée  des  éludians.  La  cherté  de  ces  ouvrages  est  causée  par  le  manque 
de  caracleresnecessAirespourlesimprimer.il  n'existait  enFrance,  à  l'im- 
primerie royale,  que  deux  corps  en  bois  qui  ont  servi  à  imprimer  le  grand 
Dictionnaire  chinois,  dit  de  M.  de  Guignes;  or  ces  caractères  sont  trop 
gros  et  ne  pouvaient  servir  pour  la  publication  d'ouvrages  élémenlaircs. 

11  est  vrai  qu'un  habile  graveur,  M.  Marcellin-Legrand ,  avait  depuis 
plusieurs  années  commencé  à  graver  un  corps  de  caractères  chinois  , 
dont  nos  lecteurs  connaissent  les  beaux  échantillons  que  nous  avons 
souvent  donnes  dans  nos  Annales  ;  mais  il  y  avait  encore  ici  plusieurs 
difficultés  ;  d'abord  ,  toutes  les  lois  que  l'on  avait  besoin  d'un  caractère, 
il  fallait  le  faire  graver ,  ces  caractères  coûtaient  très-cher.  Il  fallait 
encore  un  long  espace  de  lems  avant  que  l'on  en  eût  assez  pour  im- 
primer un  ouvrage  de  longue  haleine  ;  et  puis,  comme  il  u'y  avait 
qu'un  seul  corps,  on  ne  pouvait  assez  faire  la  différence  du  texte  et 
des  notes. 

M.  Jidien  ,  voyant  toutes  ces  difficultés,  et  désirant  doter  la  France 
d'une  imprimerie  chinoise  qui  n'existe  on  aucun  autre  pays,  imagina  de 
faire  graver  à  ses  frais  en  Chine  même  deux  corps  complets  de  carac- 
tères. Mais  ici  noiivcUe  difficulté  :  les  Chinois  ne  se  scrveul  pas  de  carac 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  313 

tores  mobiles  comme  uous  ;  ils  gravcul  loules  les  pages  Jo  leurs  livres  sur 
des  jîlanches  de  bois,  cl  en  lireut  des  exemplaires  à-peu-près  comme  nous 
faisons  pour  nos  gravures,  ou  nos  volumes  slLiéolypés ,  cl  ensuite  il  csl 
défendu  par  le  gouvernement  chinois  de  graver  des  caraclères  mobiles 
jiour  les  Européens:  mais  celle  dilïicnllé  ne  larrêfa  pas  ,  parce  qu'il  sa- 
vait qu'il  aurait,  pour  le  seconder,  d'habiles  et  de  zélés  auxiliaires. 

En  effet ,  il  fit  part  de  son  projet  à  M.  Voisin  ,  directeur  au  séminaire 
des  missions  étrangères,  et  le  pria  d'écrire  à  ses  confrères  de  la  Chine 
pour  les  engager  à  prendre  tous  les  moyens  pour  procurer  à  la  France 
ces  caraclères,  si  la  chose  était  possible. 

Celle  proposition  a  été  acceptée  avec  Tempressemenl  que  mettent  ces 
honorables  prêtres  à  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  la  gloire  de  la  France, 
cl  au  progrès  dos  sciences  ,  qu'ils  savent  faire  tourner  à  la  gloire  et  au 
progrès  du  christianisme.  Les  instructions  de  M.  Julien  ont  été  envoyée» 
à  M.  Legrégeois,  procureur  des  missions  élrangèresà  Macao.  M.  Le  Gré- 
geois chargea  alors  de  ce  soin  un  Français  qui  habile  le  Su-tcliiten  , 
M.  Jac.  Léonard  Perrochol,  sacré  à  Paris  évêque  de  Maxula  el  coadjuteur 
du  Su-tchuen.  C'est  ce  saint  prêtre  qui ,  au  milieu  des  soins  qu'il  donne 
aux  Chrétiens  qui  sont  dispersés  dans  son  vasle  diocèse  ,  a  trouvé  le 
moyen  do  faire  graver  les  85,ooo  caractères  qu'on  lui  demandait ,  de  les 
dérober  à  la  surveillance  des  agens  du  gouvernement,  de  les  souffraire, 
ce  qui  était  bien  plus  difficile ,  à  la  vue  des  nombreuse  ligues  de  douane 
qu'il  a  fallu  traverser,  et  de  les  faire  arriver  à  Macao  ,  d'où  ils  ont  été 
adressés  en  France  par  Bordeaux. 

Le  prix  des  85,ooo  caraclères,  qui  en  France  auraient  coûté  près  de 
3o,ooo  francs  ne  s'est  élevé  qu'à  une  somme  minime. 

M.  Julien  s'est  empressé  de  les  céder  au  prix  coûtant  à  l'Imprimerie 
Royale,  où  l'on  s'occupe  en  ce  moment  à  les  mettre  en  ordre,  et  à 
les  disposer  à  entrer  en  service.  Pour  cela  voici  ce  que  l'on  fait. 

Ces  caractères  sont  en  bois;  on  commence  par  les  tremper  dans  un 
enduit  chimique  qui  les  préserve  de  l'aclion  immédiate  de  la  chaleur, 
puis  on  les  enfonce  dan?  du  plomb  préparé  cl  fondu  exprès,  où  chaque 
type  laisse  son  empreinte  exacte;  celle  empreinte  sert  de  matrice  pour 
fondre  le  nombre  de  types  qui  est  nécessaire  ,  comme  on  le  fait  pour  lus 
types  ordinaires.  Nous  espérons  pouvoir  un  jour  en  offrir  des  modèles  à 
nos  abonnés. 

Maintenant  voici  l'usage  que  M.  Julien  se  propose  de  faire  de  ces  ty- 
pes. D'abord  il  a  l'intention  de  publier  un  Dictionnaire  plus  usuel ,  plus 
commode,  plus  complet,  que  celui  de  M.  de  Guignes.  2°  Une  Gram- 
maire plus  accessible  que  celle  de  M.  Abel  Remusat ,  ou  plutôt  du  Père 
Prémare.  3'  Il  donnera  successivement  une  Iraducliun  de  tous  les  livres 


314  NOUVELLES  ET  MÉLANGES. 

classiques -et  canoniques  chinois.  Ces  livres,  pour  la  commodité  dcsélu- 
diaos,  seront  accompagnés  des  textes;  peur  cela  c'est  en  chinois  encore 
qu'il  fera  faire  une  édition  de  ces  textes,  lesquels  arrivés  à  Paris,  cou- 
leront moins  cher  que  les  volumes  français,  et  correspondront  page  par 
page  à  la  traduction  française.  Cette  traduction  sera  faite  d'après  un 
procédé  tout  nouveau.  Il  y  aura,  i°  la  traduction  de  chaque  caractère 
chinois  sans  liaison  ,  ni  lems ,  ni  cas ,  etc.  ,  comme  est  le  chinois  même. 
2"  Une  traduction  avec  les  liaisons  de  la  syntaxe  française  ,  accompagnée 
des  commentaires  qui  autorisent  ces  liaisons.  On  comprend  combien  une 
pareille  méthode  sera  utile  h  ceux  qui  étudient  la  langue  ,  et  qui  veulent 
s'en  former  une  idée.  Alors  seulement  nous  connaîtrons  aa  juste  le  sens 
des  livres  chinois. 

C'est  par  le  Chi-king  que  M.  Julien  commencera  cette  publication. 
Kous  ne  doutons  nullement  qua  le  gouvernement  ne  lui  fournisse  les 
moyens  de  la  mettre  à  cxécntion  ,  mais  ce  que  nous  demandons  surtout  , 
c'est  que  ce  soit  une  édition  in  8"  d  bon  viarchê ,  et  non  point  un  format 
in-4°  ou  in  fol.  ,  comme  sont  faites  la  plupart  des  éditions  des  ouvrages 
orientaux,  qui  ainsi  restent  hors  delà  portée  des  bourses  ordinaires,  et 
6ont  ensevelis  dans  les  bibliothèques. 

Puisque  nous  avons  parlé  du  zèle  de  nos  missionnaires  pour  le  pro- 
grès des  sciences,  qu'il  nous  soit  permis  de  mentionner  ici  le  projet 
qu'ils  ont  formé  d'établir  dans  leur  maison  de  Paris  nu  musée  chinois  et 
indien,  et  ce  projet  a  déjà  reçu  un  commencement  d'exécution.  Pour  la 
Chine  on  voit  un  grand  nombre  de  livres  imprimés  et  manuscrits.  Nous  y 
avons  déjà  vu  des  habillcmens  complets  civils  rapportés  par  M.  Voisin; 
puis  quelques  objets  de  co«tnmes  de  femmes,  entre  autres  des  souliers  où 
entrerait  à  peine  une  main  fermée,  des  étoffes,  deux  grandes  pièces  de  toile 
damianthe,  un  fam-fajn  magnifique,  un  grand  bouclier  en  o.Mcr,  un  sa- 
bre à  double  lame,  etc.  Pour  lliule,  des  livres,  des  objets  dhabillemcnl, 
quelques-uns  de  ces  souliers  en  bois  qui  se  portent  au  moyen  d'une  che- 
nille entre  quatre  doigts  du  pied,  etc. 

Nous  espérons  que  le  gouvernement  trouvera  quelque  moyen  pour 
reconnaître  le  service  que  les  missionnaires  ont  rendu  a  la  science.  Voici 
d'ailleurs  une  occasion  bien  propice.  Nous  savons  qu'ils  sont  persécutés 
à  IVIacao  par  le  gouvernement  portugais ,  qui  veut  leur  faire  quitter  cette 
ville.  Que  notre  gouvernement  n'oublie  pas  de  les  appuyer  auprès  de  son 
alliée  et  de  sa  protégée  la  reine  du  Portugal. 

Découverte  de  livres  de  la  Bible  en  langue  égyptienne.  —  «M.  le  docteur 
Dujardin  ,  envoyé  en  Egypte  par  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique 
pour  recueillir  des  manuscrits  cophtcs ,  a  écrit  du  Caire  ,   en  date  du  3 


NOUVELLES   ET    MÉLANGES.  315 

uillel,  ponr  annoncer  les  résultais  qu'il  ayait  oblcnus  déjà,  en  moins 
l'un  mois  de  séjour  dans  celte  ville.  Il  avait  recueilli  chez  divers  particu- 
iors  une  trentaine  de  mjnuscrits  manquant  tous  à  la  bibliolhèque  royale, 
il  dont  quelques-uns  sont  en  dialedoracmpliiliquc  cl  les  autres  en  dialecte 
aîdique.  Parmi  ces  manuscrils,  dont  les  copies  vont  être  envoyées  aa 
ninislre,  se  trouvent:  \c  prophète  Isaie  ,  le  prophète  Jéréuile  (y  compris 
es  Lamentations),  Baruch  et  la  lettre  aux  Juifs  emmenés  captifs  à  Dabylo- 
le,  le  livre  de  Job,  les  quatorze  premiers  chapiUes  des  Proverbes ,  et  des 
ragraens  des  livres  des  Rois  ,  de  la  Sagesse  de  Salomon  ,  de  l'Ecclésiaste , 
itc. ,  en  dialecte  rnemphitique. 

•  Les  manuscrits  en  dialeclc  saïdique  ont  été  découverts  par  hasard  dans 

ine  liasse  de  vieux  parchemins.  Ce  sont  les  deux  premiers  livres  des  Rois, 

me  partie  des  Psaumes,  de  Jérémie ,  des  Evangiles  de  saint  Marc  et  de 

ainl  Luc  j  VEpilre  aux  Calâtes ,   les  ^ctes  de  saint  André ,  de  sîiint  Geor- 

'es,   de  s»\a\.  Ptelème ,  la  Vie  de  sainte  II ilaric ,  fille  de  l'empereur  Zé- 

lon  ,  le  Panégyrique  des  quarante  martyrs,  des  fragmens  de  saint  AthU' 

ase,  de  saint  Jean-Chrysostome  ,  de  saint  Basile ,  etc. 

»M.  Dujardin  était  occupé  à  copier  ces  manuscrils  chez  les  Cordeliers 

u  couvent  de  Terre-Sainle ,  quand  a  eu  lieu  l'incendie  terrible  qui  a  dé- 

oré  4^7   maisons  autour  du  couvent,  resté  seul  debout  au  milieu  des 

aine«.  Il  espère  augmenter  encore  considérablement ,  pendant  son  sé- 

)ur  en  Egypte,  la  masse  des  matériaux  qu'on  possédait  déjà  pour  arriver 

la  connaissance  parfaite  de  la  langue  égyptienne.  » 

C'est  là  ce  que  des  journaux  ont  raconté  ;  nous  avon?,  nous,  à  ajouler 
ne  bien  triste  nouvelle  ;  c'est  que  ÀM.  Dujardin  vient  de  mourir  au  Caire 
1  milieu  de  ses  travaux  ,  après  quelques  jours  de  maladie. 

IRLAIVDE.  DUBLiX.  Lecture  des  inscriptions  étrusques  des  tables 
tgubicnncs  avec  le  secours  de  la  langue  irlandaise. — Découverte  des  Iles 
ritanniqucs  par  les  Etrusques,  —  Usage  de  la  boussole  avarit  la  fondation  de 
orne. — A  Gubbio,  ville  e'piscopale  des  États  du  Pape,  on  conserve  des 
scriptions  connues  dans  le  monde  savant  sous  le  nom  d inscriptions  eu- 
tbiennes;  elles  sont  gravc'cs  sur  sept  tables  de  bronze  découvertes  en  ex- 
vant  les  cryptes  d'un  ancien  temple  en  1  d^^ .  Cinq  de  ecs  inscriptions  sont 
rites  dans  l'ancien  caractère  étrusque,  écrites  de  droite  à  gauche ,  comme 
lèbrcu  et  les  autres  langues  se'mitiques;  deux  autres,  la  6^  et  la  7^  sont 
avécs  en  langue  étrusque  ,  avec  le  caractère  qu'on  appelle  maintenant  ro- 
tin ,  et  écrites  de  gauche  à  droite.  Deux  autres  tables  ,  trouvées  en  même 
ns,  furent  envoyées  à  Venise  en  1505  ,  mais  n'en  sont  plus  revenues. 
jDans  la  séance  de  V Académie  royale  irlandaise  du  22  janvier  dernier  , 
r  William  Betham  a  lu  une  note  dans  le  but  de  prouver  que  l'ancienne 
iigue  étrusque  était  identique  a\  ec  V ibernoceltique ,  et  que  la  langue  irlan- 


816  NOLVELLES  ET  MELANGES. 

dai se  teWe  qu'on  la  parle  aujoui'd'hui  dans  le  pays,  offre  le  vrai  movcn 
d'interpréter  ces  inscriptions,  qui  ont  rendu  vains  les  efforts  de  tant  de 
savans.  L'auteur  a  lu  à  l'Académie  sa  traduction  des  6^  et  7e  tables ,  qu'il 
a  choisies  comme  contenant  les  matières  les  plus  intéressantes.  C'est  un 
récit  de  la  découverte  des  Iles  Britanni([ues  par  les  anciens  Étrusques  ,  et 
de  l'usage  de  l'aiguille  aimantée  dans  la  navigation.  La  6"  table  est  un 
vrai  prospectus  ,  et  qui  pourrait  servir  de  modèle  à  nos  fondateurs  de 
modernes  colonies;  elle  commence  par  une  invitation  aux  gens  de  se  par- 
tager ou  d'affermer  les  terres  de  l'ouest ,  où  il  y  a  trois  îles  d'un  sol  riche 
et  productif,  avec  des  bœufs  et  des  moutons  en  abondance,  et  de  grands 
daims  noirs. 

Le  pays  contient  des  mines  avec  de  jolis  cours  d'eau  ,  et  tout  ce  qui  peut 
rendre  une  résidence  agréable.  On  y  lit  ensuite  :  «que  les  navires  qui 
■  avaient  été  préparés  pour  transporter  les  colons ,  avaient  des  magasins 
»  de  vivres  et  des  provisions  en  abondance  pour  le  voyage ,  et  de  Ceau  dans 
t>  des  peaux  (des  outres)  pour  l'usage  journalier  ;  que  la  science  et  l'habileté 
»  nautique  des  capitaines  et  des  équipages  gai-antissait  le  succès  de  la  na- 
»  vigation ,  et  qu'on  pouvait  en  toute  sûreté  et  avec  toute  confiance  s'aven 
»  turer  sur  le  désert  inconnu  de  la  mer.  » 

Puis  on  décrit  le  misérable  système  de  la  navigation  le  long  des  côtes 
qui  confinait  le  navigateur  au  rivage ,  parmi  les  bas-fonds  ,  les  rochers 
les  ressacs  et  d'autres  dangers  imminens. 

Tous  ces  accidens  étaient  évités  par  la  découverte  du  petit  pointeu 
(piAC  lu)  ,  par  le  moyen  duqiiel  on  pouvait  traverser  d'un  côté  à  l'autre 
en  suivant  toujours  le  même  trajet,  établi  d'une  manière  certaine;  et  I 
haute  mer  que  le  marin  contemplait  avec  épouvante  ,  quand  il  perdait  ] 
côte  de  vue ,  pouvait  cire  maintenant  traversée  avec  certitude  en  évitai 
tous  les  dangers.  «La  mer  est  devenue  la  plaine  du  commerce ,  un  nob 
«espace,  un  facile  espace,  un  espace  raccourci ,  un  espace  que  l'on  pai 
«court,  le  propre  espace  de  l'homme,  le  moyen  du  progrès  du  con 
«raerce  ,  le  trésor  de  l'homme  ,  la  source  de  l'augmentation  de  la  richcss 
«  La  navin^ation  est  devenue  sûre  et  agréable  au  moyen  des  vivres  emm 
»  gasinés  et  du  petit  pointeur.  » 

Ce  passage  est  répété  plusieurs  fois  dans  l'inscription.  Le  petit  poiniel 
et  les  vivres  conservés  sont  indiqués  comme  les  moyens  par  lesquels  oi 
découvert  les  trois  îles  de  l'ouest.  Les  événemens  des  premiers  voya{ 
sont  décrits  avec  beaucoup  d'emphas<^  :  dans  une  occasion,  il  paraît  q 
les  navires  avaient  été  tellement  au  nord  ,  que  l'eau  avait  gelé  dans 
outres,  qui  s'éUiient  rompues,  ils  arrivèrent  sur  un  poinlqu'iis  croyaii 
être  la  terre;  mais  après  examen  ,  ils  virent,  à  leur  grande  consternatû 
que   r'ciail    seulement  de  la   glace.  Ils  continuèrent    leur    route  d; 


NOUVELLES    ET    MELANGES.  3J7 

l'anxiclc,  se  gaulant  sur  le  soleil  clans  le  jour,  et  par  les  sept  (la  grande 
Ourse)  pendant  la  nuil.  Enfin  ils  arrivèrent  aux  trois  îles,  sur  la  pre- 
mière desquelles  ils  virent  des  moulons. 

Le  passage  qui  termine  l'inscription  de  la  7<^  table  rappelle  aux  Pliéni- 
ciens  (car  Lien  que  ces  peuples  résidassent  certainement  en  Italie  ,  on  les 
appelait  partout  Pum)  que  les  îles  que  l'on  venait  de  découvrir  ,  pou- 
V  aient  former  un  beau  pays  pour  le  commerce,  protégé  par  la  mer  contre 
toute  agression  hostile,  et  pourrait  par  la  suite  devenir  un  asile,  en  cas 
que  leur  propre  pays  fiïf  envahi  et  conquis  par  un  ennemi  ;  ils  pourraient 
alors  se  retirer  dans  leurs  na\  ires  et  aller  rejoindre  leurs  amis  déjà  éta- 
blis dans  la  colonie.  Dans  le  dernier  paragraphe  nous  voyons  que  l'ins- 
cription a  été  écrite  trois  cents  ans  après  le  grand  bruit  souterrain  et  la 
commotion  qui  l'accompagna  '^tremblement  de  terre). 

ASIE. 

Nivellement  entre  la  Méditerranée  et  C  Euphrale.  Géologie  de  la  Syrie 
septentrionale. — Les  travaux  pour  la  navigation  do  l'Euphrate  se  conti- 
nuent. Voici  une  des  études  qui  ont  été  faites  pendant  l'expédition  du  co- 
lonel Chesney  dont  nous  avons  déjà  parlé.  Pendant  que  ce  voyageur 
descendait  le  fleure,  ^L  Thompson  entreprit  un  niveileuTent  du  pays 
situé  entre  la  Méditerranée  et  ce  lleu\  e  à  travers  la  Syrie  septentrionale  , 
dans  le  but  de  connaître  la  possibilité  d'établir  une  ligne  de  communi- 
cation par  des  routes,  des  canaux  ou  des  chemins  de  fer.  Le  principal 
résultat  de  ce  grand  tra\  ail  a  été  de  déterminer  que  le  lit  de  l'Euphrate 
est  élevé  de  628  pieds  anglais  (191"'  i)  au-dessus  du  niveau  de  la  Médi- 
terranée. 

Tout  le  pays  sur  lequel  la  ligne  de  nivellement  a  été  menée  peut  se  di- 
viser naturellement  en  quatre  régions  caractérisées  chacune  par  son  élé- 
vation  relative,  par  sa  sti'ucture  géologique ,  par  sa  végétation  et  par  les 
mœurs  de  ses  habitans. 

La  première  région,  en  partant  de  l'Euphrate,  présente  un  terrain  de 
ci^aie  supérieure  qui  atteint  une  élévation  de  1300  pieds  (395  mètres)  et 
n'est  que  faiblement  ondulé.  Le  sol  en  est  léger ,  un  peu  pierreux  ,  peu 
profond  et  très-fertile  en  grains  et  en  coton  ,  les  hauteurs  sont  habitées 
par  des  Turcomans  sédentaires  et  par  des  Arabes  qui  sont  une  race  mixte 
deFellahs.  Les  grandes  plaiacs  de  cette  région  sont  parsemées  dans  toutes 
les  directions  de  monticules  nombreux  d'une  forme  plus  ou  moins  circu- 
laire, en  partie  naturels,  en  partie  artificiels.  Un  village  se  trouve  au 
pied  de  la  plupart  de  ces  monticules. 

La  seconde  région  comprend  le  pays  du  calcaire  à  ostracitcs  et  des  ro- 


318  NOUVELLES  ET  MELANGES. 

ches  fchlspathiqnes  cl  pyroxcniques  dans  la  vallée  de  Gl'uideries ,  ayant 
une  élévation  moyenne  de  i50  pieds.  Ce  district  est  extrêmement  fertile, 
et,  pour  la  plus  grande  partie,  habité  par  des  Kurdes  cultivateurs. 

La  troisième  région  est  la  plaine  lacustre  de  Kouk ,  élevée  d'environ 
305  pieds  au-dessus  de  la  Méditerranée,  et  couverte  en  majeure  partie  de 
plantes  graminées  servant  de  nourriture  aux  troupeaux  des  Turcomans 
pasteurs  et  nomades. 

La  quatrième  région  ,  formée  par  la  vallée  d'Antioche ,  est  rocheuse  , 
irrégulière  et  d'une  hauteur  qui  varie  de  220  à  iiO  pieds  Elle  comprend 
aussi  les  plaines  alluviales  de  l'Oronte  qui  s'abaissent  graduellement  jus- 
qu'au niveau  de  la  Méditerranée.  Cette  région  est  cou\  erte  de  broussailles 
et  d'arbustes  toujours  verts ,  et  habitée  par  quelques  familles  de  Syriens 
qui,  dans  ces  solitudes  pittoresques .  suivent  une  idigion  mixte. 

— Adoration  des  idoles  imposée  dans  L'Inde  par  la  cvmpagnie  de  marchands 
qui  y  domine.  Voici  ce  que  nous  lisons  dans  un  journal  anglais  ,  le  Times. 
Il  paraît  que  les  directeurs  de  la  compagnie  des  Indes-Orientales  mon- 
trent des  prétentions  lout-à-fait  extraordinaires  à  dominer  les  consciences 
de  leurs  subordonnés ,  si  l'on  en  j  uge  par  la  letli-e  suivante  adressée  par 
Robert  Nelson ,  à  la  date  du  19  mars  tS3S,  au  secrétaire  de  la  cour  des 
directeurs. 

«Les  instructions  de  Notre  Seigneur  J.-C.  portent  que  je  dois  me  tenir 
«éloigné  du  culte  des  idoles  et  m'abslenir  de  tout  acte  d'idolâtrie.  La 
«compagnie  des  Indes-Orientales  exig^au  contraire  que  j'adore  les  idoles 
»  et  que  je  m'associe  à  leur  culle.  Les  commandemcns  de  ces  deux  maîtres 
«sont  eu  opposition  directe  ;  et  j'ai  à  choisir  enîre  les  deux,  ne  pouvant 
»>  faire  acte  d'obéissance  à  chacun  d'eux  simultanément.  Comme  je  pré- 
j»  fère  suivre  les  préceptes  de  Notre  Seigneur  J.-C. ,  je  renonce  à  servir 
ula  compagnie  des  Indes- Orienlafes.  Ainsi  veuillez  me  faire  rayer  de  La 
»liste  des  fonctionnaires  civils  de  l'établissement  de  Madras;  je  renonce 
M  à  tous  les  privilèges  attachés  à  ces  fonctions.  » 

Il  est  remarquable  que  les  directeurs  ont  mis  une  opiniâtreté  sans 
excmp'e  à  vouloir  perpétuer  les  abus.  Le  sacrifice  affreux  des  suttees  au- 
rait continue  d'être  en  vigtieur  sans  les  réclamations  des  propriétaires, 
quiontenfin  arraché  l'abolition  de  celle  odieuse  pratique  aux  répugnances 
des  directeurs  de  la  compagnie. 


;;>ô®^« 


KIBLIOCRAIIIE.  319 


Oi(5Cîi5(}va,p§K, 


ÉTl  DES  MORALES  ET  REUGIEISES;  SOl'VEMRS   ET   MEDITATIONS, 

avec  cette  épigraphe  :  Dieu  a  moi))s  d'égard  à  ce  que  l'on  fait  ,  qu'an  désir 
et  à  l'amour  avec  lesquels  on  le  fail.[  luiilalion).  Un  volume  in  8°  ,  à  Paris  , 
cliez  Débécourt  li braire;  prix,  5  fr. 

Voici  un  de  ces  lirres,  si  rares  aujourd'hui,  d'une  lecture  agréable  et  utile 
en  même  tems.  On  y  trouve  réunies  sur  la  plupart  d.js  positions  de  la  vie, 
une  suite  de  pensées  justes,  religieuses  et  délicates.  Voici  quelques  extraits 
du  chapitre  VI ,  sur  l'amitié  et  l'amour.  II  n'est  pas  besoin  de  dire  que  l'an- 
leiir  est  une  femme. 

«11  n'est  pas  mal  que  deux  amis  aient  des  caractères  un  peu  différcns  ;le 
même  courant  ne  les  empoite  pas.  Placés  à  quelque  distance,  l'un  saisit  ce 
qui  échappe  à  l'autre  ;  on  aperçoit  mieux  ses  délauts  réciproques  ,  et  l'on  est 
plus  apte  à  se  servir  mutuellement. 

Quand  les  amis  cessent  de  s'entendre,  l'orgueil  en  est  presque  toujours  la 
cause  ;  c'est  encore  la  tour  de  Babel. 

Les  grands  et  les  riches  sont  condamnés  à  ne  voir  souvent  autour  d'eux  que 
des  amis  de  leur  fortune  ,  des  courtisans  de  leur  grandeur.  Quelquefois 
pourtant  ils  peuvent  renconti'er  ,  des  amis  véritables  ,  qui  bravent  la  prospé- 
rité apparente,  pour  se  dévouer  aux  misères  cachées  sous  la  pourpre  ,  qui 
consentent  à  être  confondus  dans  l'opinion  publique  avec  les  faux  amis.  C'est 
là  une  des  sublimités  de  l'amitié. 

N'attendez  pas  que  votre  ami  dise  :  je  m'en  vais  ;  prévenez  plutôt  son  désir, 
dites-lui  :  il  est  tcms  de  vous  en  aller.  N'attendez  pas  non  plus  qu'il  vous 
dise  :  partez;  dites  :  je  pars. 

Que  l'amitié  et  l'amour  se  montrent  parés  de  tons  les  charmes  les  plus  purs, 
force  sera  toujours  de  donner  la  préférence  à  l'amitié.  L'amour  aussi  bien  que 
l'espérance  finit  par  s'éteindre  à  une  époque  plus  ou  moins  rapprochée.  L'a- 
mitié subsiste  dans  tous  les  âges  de  la  vie  ,  comme  la  charité  survivra  même 
par  de  là  les  tems. 

Apprécier  dans  une  âme  ce  qu'elle  a  de  beau  ,  de  grand ,  d'aimabie ,  sans 
retour  sur  le  bien  que  nous  pouvons  en  retirer,  voilà  le  véritable  amour. 
Aimer  de  la  sorte  c'est  nobless;;  et  désintéressement. 

Les  sacrifices  et  la  contrainte  sont  des  gages  de  durée  pour  l'amour,  qui 
se  fortifie  par  la  contrainte  et  s'ennoblit  par  les  sacrifices. 

Le  respect ,  considéré  souvent  comme  le  frein  de  l'amour,  en  est  aussi 
l'auxiliaire  ;  par  lui  le  sentiment  conserve  ce  qu'il  y  a  de  plus  pur  et  de  plus 
délicieux. 

Si  l'amour  ne  finit  point  par  se  transformer  en  une  amitié  délicieuse,  ce 
n'était  point  un  amour  véritable. 

Aux  élans  vifs  et  impétueux  de  l'amour  ,  substituer  l'allure  sage  de  l'ami- 
tié, tâche  noble  et  même  facile  pour  In  femme,  si  elle  est  tout  à-la-fois  ver- 
tueuse et  spirituelle.  Hélas!  la  vanité  y  vient  trop  souvent  mettre  obstacle. 

L'amour  ennoblirait  l'esclavage  si  l'on  pouvait,  si  l'on  savait  surtout  bien 
choisir  son  maître  ;  mais  hélas  !  il  en  est  rarement  ainsi. 

De  tous  les  sentimens,  le  plus  jiarfait  et  le  plus  doux  c'est  celui  qui  tient 
tout  àla-fois  de  l'amour  et  de  l'amitié  :  enthousiasme  et  solidité,  préoccupa- 
tion et  sagesse,  vivacité  et  constance  :  voilà  le  beau  idéal  d'une  afTeclion 
humaine.  Femme  chrétienne  ,  c'est  ù  vous  qu'il  appartient  de  le  réaliser  ;  de 
tels  prodiges  vous  sont  réservés. 


320  BIBLIOGRAPHIE. 

Quand  on  aime  fortement,  on  songe  peu  à  plaire.  Le  cœur  d'une  femme 
coquette  est  comme  frappé  d'interdit  ;  il  est  inhabile  à  aimer. 

Liiomme  délicat  ne  devrait  pas  révéler  son  amour  à  celle  t^ui  l'inspire  ; 
Teut-il  que  son  sourire  ne  brille  plus  qu'à  travers  les  pleurs?  oui....  il  le 
veut.  . .  et  trop  souvent  elle  le  lui  pardonne.  ■> 

CliUOMQlE  D'El.\S!Dr.r.\   {-^otre-Daïue  des  Ermites  ,    canton    de  Scb- 
witz  en  Suisse},  par  Joseph  Régnier,  ouvrage  publié  par  les  ordres  deMon- 
seigneur  doin  Célestin  I,  abbé  actuellement  régnant,  et  revêtu  de  l'appro- 
bation de  Monseigneur  l'evèque  de  Largren.  Vol.  iu-S°  ,  à  Paris. 
La  lettre  suivante  du  vénérable  abbé  d'Einsidlen  ,  fera  connaître  et  le  but 
de  l'ouvrage  et  les  moyens  employés  par  l'auteur  pour  le  remplir  parfaitement. 
0  Le  besoin  d'une  aouveilti  notice  /■istoriqiie  sur  Notie-Dame  des  Ermites, 
déjà  senti  depuis  bien  des  années,  n'avait  jusqu'ici  engendré  que  des  vœux  sté- 
riles. En  vain  d'illustres  voyageurs  et  de  pieux  pèlerin»  français  nous  deman- 
daient-ils un  récit  plus  étendu  sur  le  célèbre  sanctuaire  de  la  mère  de  Dieu.  Un 
petit  résumé  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  la  fondation  et  la  conserva- 
tion du  monastère  et  quelques  détails  îiès  imparfaits  sur  le  pèlerinage,  étaient 
tout  ce   qu'on  pouvait  leur  offrir  pour  satisfaire^leur  pieuse  curiosité;  il  n'exis- 
tait plus  des  anciennes  cliioniques  que  de   rares   exemplaires  :  ces  ouvrages, 
d'ailleurs  précieux  par  les  documens  liistoriques  ,  ne  pouvaient  plus  conve- 
nir à  notre  époque  par  leurs  furm(;s  et  leur  style.  Il  fallait  qu'une  plume  exer- 
cée en  retouchât  l'ensemble   et  les  détails ,  et  yen    ajoutât   d'autres    pour 
sortir  ce    genre  d'ouvrage  ,  en  même  tenis  historique   et  tbéologique  ,  de  la 
défaveur  où  sont   tombes,  par  la  faute  des  auteurs  ,  les  livres  communs  de 
dévotion. 

•  Un  jeime  catholique  de  France,  M.  Joseph  Régnier  ,  ayant  bien  voulu 
s'imposer  celte  tâche,  et  se  disant  mênje  t"ort  honoré  d'avoir  à  secouer  la  pous- 
sière des  œuvres  publiées  à  la  louange  delà  Vierge  sainte,  nous  l'avons  autorisé 
de  tout  notre  pouvoir,  et  nous  l'avons  fait  avec  autant  plus  d'empressement 
que  nous  connaissions  déjà  de  lui  un  livre  sur  cette  ville  de  Rome  ,  vers  la- 
quelle se  portent  nos  affections  et  nos  respects.  En  conséquence  nous  avons 
ouvert  h  l'auteur  de  la  nouvelle  chronique  d'EinsidUn  nos  bibliothèques  tt 
archives,  lui  avons  fait  donner  par  nos  capitulaires  tous  les  renseignemens 
qu'il  pouvait  exiger.  Espérant  que  ses  efforts  ne  seront  pas  sans  succès,  et  que 
bien  (les  personnes  en  seront  édiliées  ,  nous  laissons  aux  autorités  ecclésia^ti- 
queslesoiu  d'approuver  ou  de  desapprouver  selon  l'Esprit  Saint  qui  les  anime. 
En  foi  de  quoi  nous  avons  délivré  la  présente  autorisation. 
De  notre  abbaïe  d'Einsidlen  ,  août,  iSô6. 

CÉLESTIN,  abbé. 
Nous  n'ajouterons  qu'une  chose,  c'est  que  M.  Josepii  Régnier  a  été  dou- 
blement fidèle  au  mandement  :  il  a  fait  à  la  fois  une  bonne  action  et  un  bon 
livre;  un  de  ces  livres  ,  rares ,  vogtvit  sur  la  mer  profonde  de  la  littérature  ,  et 
qui  joignent  tout  l'intérêt  du  roman  à  toute  la  dignité  de  l'histoire.  JN'ous  le 
recomioandons  à  tous  les  amis  des  bonnes  et  belles  lettres,  et  surtout  à  tous 
les  amis  de  la  religion. 

EI.iXiK  Ii!STOKl<)l  E  de  >  aint-Bernard,  présenté  à  l'Académie   des   Jeux 
floraux,  (concours  de  iS3jj   par  M.  Dessalte-Régis,  à  Paris  ,  chez  Ebrard  , 
libraire  éditeur  ,  rue  des  Maihurins  ,  n"  j4- »  l'STij.  Brochuie  de6o  pages. 
A  part  quelque  passages  sur  les  croisades  et  les  mœurs  du  clergé  ,  c-'eit  un 
ouvrage  louable  que  celui  de  M.  Dessalle-Régis. Il  y  a  des  recherches,  du  dis- 
cernement dans  le  choix  des  autorités  et  de  la  profondeur  dans  le  jugement. 
L'auteur  s'il  continue  ses  travaux  historiques  appai  tiendra  à  cette  école  qui  eu 
Fiance  travaille  à  reformer  les  jugemeus  poités  par  le  philosophismc  contre 
l'Eglise  catholique. 


ANNALES  '^' 

DE  philosophie:  chriïtieinne. 

^uuiixo  101. 5o  T&o<'eiiiBxc  l838. 

1\%\\>\\\\\'VVV\XV^\\*V  .V\V\V\V\\\V\\\\V\\\\V\V/\\V\\"V\VV\VVV\\VV\\»  V^  WWW^WVV'VW  WW^WV 


11 


cvû^n. 


VOYAGE  EN   ABYSSINIE 

EN  1835-1837  .,  DANS  LE  PAYS  DES  GAI.LAS  ,  DE  CIIOA  ET  d'iFAT, 

Précédé  d'une  excursion  dans  T Arabie-Heureuse,  et  accompagné  d'une  carte  da 
ces  diverses  contrées;  par  M.  Ed,  Combes  et  i\/,  Tahisieu  '. 


Origine  ilu  nom  Je  TAbyssinie. — Célébration  de  la  PAqno,  —  Coslnme 
des  jeunes  lillcs. — Un  tneurlrier. — Cour  dn  roi  Oubi. — Cosluincs  et 
coutumes  des  Abyssiniens. — Axonm  et  ses  inonumens.  —  Fuite.  — Juifs 
Abyssiniens.  —  CheCdes  Gallas. — Danger  de  mori  — Arrivée  dan  s  le  pays 
de  Choa. 

En  faisant  i'iiisloirc  du  Saint-Simonisme,  nous  avons  raconté 
comment  riuelques-iius  de  res  généreux  jeunes  gens,  qui  s'é- 
taient épris  d'un  bel  amour  pour  l'apostolat ,  voyant  leur  œuvre 
stérile  et  incomprise  en  France,  passèrent  en  Eg}'pte  pour  v 
liouvcr  la /Vmme  libre  .  celle  MERE,  qui  devait  donner  une  ré- 
vélation nouvelle.  Nous  avons  dit  aussi  comment,  après  y  avoir 
fait  quelques  travaux  sur  le  Nil  ou  dans  le  désert,  la  plupart 
revinrent  en  France,  où  ils  ont  repris  une  conduite  et  des 
idées  un  peu  plus  sages  «.  Deux  de  ces  apôtres,  MM    Combes  et 

'  4  ^ol-  ÏQ  8»,  avec  caries  ;  prix,  52  fr. ,  et  56  fr.  par  la  posle.  A  Paris, 
cliez  ilcsessart ,  éditeur;  rue  dos  Beaux-Arls,  no  i5. 

>  Voir  le  dernier  article  sur  le  Saiut-Simonisme ,  t.  xu,  p.  85.  —  Nous 
donnerons  à  nos  lecteurs,  h  celle  occasion,  des  uouTcl!es  du  célèbre /jeVe 
Enfantin,  cl  nous  leur  apprendrons  qu'il  est  en  re  moment  maitrs  de 
poste  sur  la  roule  de  Lyon. 

Tome  XVII.-— iS°  101.  i858.  ai 


332  YOTAGiE    EN    ABYSSIMEJ 

Tamisier,  ayant  à  peine  un  peu  plus  de  vingt  ans,  conçurent 
le  piojcl  aventureux  d'aller  visiter  l'Abyssinie,  et  en  effet  ils 
«.Tit  mis  ce  projet  à  exécution;  et  ils  viennent  de  nous  donner 
le  îésiiitat  de  leur  voyage  en  quatre  beaux  vol.  in-S".  Quoique 
leur  jeunesse,  ie  peu  de  secours  qu'ils  onl  pu  relircr  de  leur 
propre  science,  les  idées  qui  duminaienî  alors  leur  intelligence, 
les  aient  emptVJiés  de  rcnili  e  leur  voyai^e  aussi  utile  qu'il  eût  pu 
l'èlre,  cependani  il  sera  inléressanl,  nous  eu  sommes  assurés, 
pour  nos  lecteurs,  de  suivre  dans  l'Elliiopieles  pas  de  nos  aven- 
tureux jeunes  gens. 

L'Abyssinie  est  cette  contrée  de  l'Afrique  située  au  midi  de 
Ja  îvubie,  le  long  des  côîes  de  la  mer  llonge,  peu[)lée  d'abord 
par  les  fils  de  Cusch,  fds  de  Cluim;  ses  premiers  liabitaiïs  furent 
des  trcglof/ites ,  c'est-à-dire  habitant  des  cavernes  creusées  dans 
les  flancs  des  montagnes  ;  des  Juifs  vinrent  s'y  fixer  du  tems 
de  Xabuehodonosor  ;  puis  des  Eg}'jitiens,  des  Ethiopiens,  des 
Arabes  s'é'ant  répandus  dans  ces  contrées  en  fuyant  l'aridité 
des  sables  et  des  déserts  de  la  Nubie,  les  Orientaux  donnèrent 
à  cette  contrée  le  nom  de  Habesch,  c''cst-èi  dire  peuple  mélangé, 
d'où  nous  avons  fait  le  nom  (W'^byssinie,  que  ces  peuples  au 
reste  repoussent;  ils  se  nomment  eux-mêmes  Amharites  o\\  Ti- 
gireiis  ,  d'après  leurs  provinces,  ou  plus  généralement  Casclitans, 
c'est-à-dire  chrétiens  ;  dans  leurs  livres  ils  sont  appelles  Ethio- 
piens; mot  dont  se  sert  Homère,  les  Romaiîjs  les  nommèrent 
^aumiies,  du  nom  de  leur  capitale. 

Leurs  annales  remontent  jusqu'à  Maqueda^^  qui  est  celte 
reine  de  Saba  (jui  vint  à  Jérusalem  pour  admirer  la  puissance 
et  la  gloire  de  Salomon.  Elle  en  eut  un  fils  uominé  Menilck ,  qui 
fut  leur  premier  roi  après  Maqueda,  et  dont  M.  Bruce  nous  a 
donné  l'histoire. 

iSous  avons  déjà  longuement  parlé  de  l'histoire  ancienne  de 
ce  pays,  de  ses  croyances,  de  la  colonie  juive  qui  y  pénétra  à  la 
suite  de  l'invasion  de  Nabuchodonosor  en  Judée,  des  bibles 
liebraïipies  que  l'on  y  a  trouvées;  enfin  de  foutes  les  traditions 
bibliques  ou  évangéliques  qui  y  ont  été  conservées  *;  aujour- 

•  Nommée  aussi  Belkis  par  les  écrivains  arabes. 

ï  Voir  les  t.  iv  ,  p.  119,  t.  vi,  p,  2G1,  el  le  t.  lï,  p.  45  des  Annales . 


PAR  MM.  ED.  COMBES  ET  TAMISIER.  S2$ 

d'huî  nous  allons  suivre  rapidement  les  deux  voyageurs  français, 
ciler  quelques-unes  des  pittoresques  descriptions  qu'ils  ont 
faites  de  ce  curieux  pays,  et  quelques-unes  des  esquisses  qu'ils 
ont  tracées  des  mœurs  aciuelles  des  habitants. 

C'est  un  singulier  spectacle  que  celui  de  deux  jeunes  gens, 
à  peine  âgés  de  21  ans,  qui,  sans  être  poussés  par  l'amour  du 
gain,  ou  le  zèle  religieux,  forment  le  projet  de  pénétrer  dans  le 
sein  de  l'Afrique,  et  de  visiter  des  peuples  sauvages  et  inhospi- 
taliers, poussés  parle  seul  désir  d'augmenter  la  masse  des  con- 
naissances acqiu'ses,  et  par  cette  curiosité  et  cette  inquiétude 
insatiable  de  l'esprit  oui  tourmente  la  génération  actuelle! 
honneur  à  eux  !  car  c'est  à  eux  que  nous  devons  déjà  beaucoup, 
et  que  nous  devrons  avant  peu  d'années  encore  davantage. 

MM.  Combes  et  Tamisier  nous  transportciit  au  commence- 
ment de  leur  voyage,  à  JJjedda  ou  Jedcla  dansFArabie-Heureuse, 
où  ils  étaient  arrivés  en  janvier  i835. 

A  l'occasion  du  Ramadan  ou  carême  des  Musulmans  ,  ils 
eurent  lieu  de  remarquer  que  la  proximité  de  la  ville  sacrée  ou 
de  la  Mecke,  n'a  pu  soustraire  la  religion  musulmane  à  cette 
dissolution  qui  la  menace  de  toutes  parts.  Le  voisinage  des 
Européens,  et  surtout  les  fréquens  rapports  avec  les  Anglais, 
effacent  tous  les  jours  les  vieilles  mœurs  et  les  vieux  préjugés 
des  Turcs.  Maintenant  les  Européens  chréticiis  peuvent  sortir 
sans  courir  aucun  risque?  ils  peuvent  même  pénétrer  jusqu'à 
la  Mccke,  sans  être  obligés,  comme  Burckhard,  de  se  déguiser 
en  Musulmans ,  et  on  les  voit  ayant  chez  eux  des  femmes  mu- 
sulmanes sans  courir  l'alternative  de  se  faire  circoncire  ou  de 
subir  le  supplice  du  pal. 

Munis  d'un  firman  de  Méhemet-AU,  pacha  d'Ei;ypte,  les  voya- 
geurs partirent  de  Djedda,  le  11  février,  visitèrent  le  littoral 
de  r  Yemen  jusqu'à  Moka  ou  ils  s'embarquèrent,  et  arrivèrent  le 
4  avril  à  Massaouah  ou  Port  des  Pasteurs,  petite  île  dans  la  mer 
Kouge,  en  face  (VJrkeko,  village  d'Abyssinie,  qui  n'est  séparé 
de  Massaouah  que  par  un  canal  d'à-peu-près  une  lieue  de 
large. 

JbdouUah-Jga,  gouverneur  par  intérim  de  Massaouah  ,  reçut 
avec  vénération  le  firman  du  vice-roi  d'Egypte,  promit  de  pro- 


52'l  VOYAGE  EX  abyssime: 

téger  les  voyageurs,  qui  font  observer  que  Bruce  et  Sait  avaient 
trop  gâté  ces  gouverneurs  par  les  riches  présens  qu'ils  leur  firent. 
Maintenant  il  suffît,  pour  les  rendre  trailablcs ,  de  leur  faire 
voir  qu'un  n'a  pas  besoin  d'eux.  C'est  ce  que  firent  nos  voya- 
geurs à  Massaouah  et  à  Arkeko  ,  où  ils  curent  un  peu  plus  â 
lutter  pour  se  tirer  des  mains  rapaces  du  naîb ,  et  d'où  ils  parti- 
rent le  17,  au  matin,  fournis  de  mules  et  de  chameaux,  et 
n'ayant  pour  tout  instrument  qu'une  boussole  et  une  montre. 
Le  pays  qu'ils  allaient  parcourir  était  la  province  du  Tigré, 
pays  de  vallées  et  de  hautes  montagnes  d'un  accès  difQcile, 
d'une  physionomie  pittoresque  et  d'une  végétation  vive  et  luxu- 
riante. C'est  au  milieu  d'une  de  ces  vallées,  nommée  Manta- 
Sagla  (ou  des  Deux-Arbres),  qu'ils  célébrèrent,  à  la  manière 
du  pays,  la  Pâque  de  cette  année  i835.  Voici  les  cérémonies 
pratiquées  par  les  Abyssiniens  chrétiens  et  par  les  Musulman? 
qui  étaient  à  leur  suite  : 

Désirant  en  cet  endroit  célébrer  la  Pâque  que  les  fidèles  d'Abyssinic 
aUendui"  lït  avec  impatience,  nous  livràrues  l'un  de  nos  moutons  aux 
musulmans  et  l'autre  aux  chrétiens,  et  nous  nous  réservâmes  une  !é;^ère 
portion  de  chacune  des  viclimes.  On  procéda  sur-le-champ  au  sacrifice  ; 
les  Djusulmans  lournèrenl  la  lêle  de  l'animal  vers  la  Meckc,  les  chrétiens 
■vers  Jérusalem;  les  deux  bouchers  firent  une  courte  prière,  et  les  mou- 
lons furent  immolés  :  on  les  dépouilla  anssilôl  ;  ou  dressa  les  bûchers 
que  l'on  couvrit  de  pierres  plates,  la  flamme  s'éleva  ,  et,  lorsque  le  bois 
fut  consumé,  on  plaça  la  chair  des  viclimts  sur  ces  pierres  rougics, 
qu'on  avait  soigneusement  balayées ,  et  dans  un  instant  la  viande  fut  rô- 
tie :  les  chrétiens  d'un  côlé ,  et  les  musulmans  de  l'autre  ,  se  rassasièrent 
en  manifestant  une  joie  qui  prouvait  que  ni  les  uns  ni  les  autres  n'étaient 
guère  habitués  à  de  semblables  festins.  Nous  mangeâmes  les  premiers,  et 
l'on  nous  donna  une  singulière  représentation.  La  superstition  de  ce 
qu'on  appelle  le  mauvais  œil  est  universellement  répandue  eu  Orient  : 
tout  le  tems  de  notre  repas,  deux  Abyssiniens  déployèrent  devaut  nous 
une  toile  en  guise  de  rideau,  afin,  disaient-ils,  de  nous  préserver  de  tout 
regard  salaniqu?  ;  et,  malgré  nos  rires  et  nos  plaisauteries ,  ils  ne  vou- 
lurent l'enlever  que  lorsque  nous  eûmes  fini  de  manger  •. 

Arrivés  peu  après  au  joli  village  cVHalaïy  ils  y  sont  reçus 
patriarchalement  pour  le  choum  ou  chef,  dont  les  filles  leur  ver- 

l  Tome  I.  p.  \k\' 


PAR  MM.  ED.  COMBES  ET  TAMISIEH.  125 

strent  de  l'eau  sur  les  mains;  ils  prennent  de  là  occasion  de 
décrire  leur  coslume ,  que  voici  : 

Leur  costume,  que  nous  pûmes  alors  examiner  à  notre  aise,  nous  fi  dppa 
«ingulièremeiit  :  elles  portaient  un  tablier  court  en  cuir  de  bœut  à  peu 
près  semblable  à  celui  de  nos  sajieurs:  sur  leurs  épaules  était  jetée  aïec 
négligence,  mais  avec  grâce,  une  peau  dt;  uioulun  noire,  ornée  de  co- 
quillages blancs:  elles  étaient  parées  de  bracelets  en  verroterie  blanche, 
et  un  collier  à  plusieurs  tours  de  même  couleur  entourait  leur  cou  noir. 
Leur  chevelure  était  douce  et  leur  physionomie  agréable  :  lorsque,  pour 
les  remercier  de  leurs  bous  offices,  nous  voulûmes  leur  sourire,  elles  re- 
culèrent effrayées  et  n'osèrent  plus  se  rnpprochor  '. 

A  Emni-Harmas  (la  Pierre-de-l'Eléphant) ,  ils  firent  la  ren- 
contre de  WSl.  Isemberg  et  Gobât  ^  missionnaires  protestans  qui 
leur  rendirent  toutes  sortes  de  services,  et  qui  voyageaient  avec 
leurs  femmes,  dont  l'une,  madame  Gobât,  Suissesse  d'origine, 
avait  dans  ses  meubles  un  fort  joli  piano  qu'elle  faisait  réson- 
ner au  milieu  de  ces  montagnes  pour  en  adoucir  les  habitans 
et  charmer  les  fatigues  apostoliques  de  son  époux. 

Le  2  mai,  les  voyageurs  arrivèrent  à  Adoua,  ca-pitale  de  la 
province,  ville  de  j,ooo  habitans  ,  où  ils  visitèrent  trois  églises 
dédiées  hMariam  (Marie),  à  l'archange  Gabriel  et  à  Medinaalem 
(Magdeleine).  Celle-ci,  bâtie  par  Saba-Gadis,  dernier  roi  du 
Tigré,  n'est  pas  achevée;  cellede  Godas  Michacl  (S.  Michel),  bâtie 
non  loin  d' Adoua,  est  ornée  en  dedans  de  fresques  grossières 
qu'ils  ne  décrivent  pas.  Ils  y  trouvèrent  trois  blancs,  un  armé- 
nien, Joanncs^  armurier,  qui  espérait  y  faire  fortune;  Bethléem, 
natif  de  Tiflis ,  bon  homme  venu  riche  de  Java,  avec  l'intention 
de  se  faire  ordonner  prêtre  à  Jérusalem,  et  qui,  marié  aune 
grisctle  d'Adoua,  y  avait  mangé  toute  sa  fortune  ;  enfin  Gor- 
^oWos,  cosmopolite  ruiné,  rêvant  de  venir  à  Paris  établir  un 
commerce  de  peaux  de  tigres. 

Dejay  (le  général)  Oubi ,  roi  du  Tigré,  n'était  pas  alors  ù 
Adoua  ;  il  était  à  Faarsara,  occupé  de  poursuivre  les  fils  de  l'an- 
cien roi  Saba  Gadis,  qui  s'y  défendaient  dans  des  rochers  inac- 
cessibles et  ravageaient  le  pays.  Les  voyageurs  voulurent  aller  lui 
vjndre  visite;  ils  se  réunirent  donc  à  une  troupe  de  soldats  qui, 

'  Toiu'.  I ,  p.  157. 


326  VOYAGE   EN   ABYSSINIE; 

pêle-mêle  avec  leurs  femmes,  couraient,  pillaient  et  brûlaient 
le  pays.  Comme  ils  étaient  campés  à  lalia,  ils  y  furent  frappés 
d'une  singulière  coutume  concernant  les  meurtriers. 

Pendant  que  nous  élicns  campés  dans  ce  Heu,  nn  Tigrécn  cnoîiaîné 
et  conduit  par  un  soUl;it  vint  [ncndier  à  leiilréc  de  noire  lenle  :  étonnés 
d'une  semblable  bizarrerie,  nous  en  demandâmes  lexplicalion,  et  no>is 
apprîmes  que  le  prisonnier  mendiant  aTail  assassiné  le  frère  du  soldat 
qui  raccompagnait;  et,  comme  il  ne  se  trouvait  pas  assez  riche  pour 
payer  le  pris  du  sang  qu'il  avait  répandu  ,  il  était  à  la  disposilion  des 
parcns  de  la  Tictime  ,  qui  le  faisaient  aller  de  porte  en  porle  pour  solli— 
ciier  la  pitié  des  gens  qui,  dans  ces  circonstances,  s-i  monircnl  toujours 
généreux.  Tout  ce  que  le  meurlrier  amassait  dans  ses  courses  a|)pailen.iit 
à  la  famille  du  mort,  ^\.\\  devait  perdre  ses  droits  sur  l'assassin,  dès  que 
celui-ci  aurait  payé  la  somme  exigée  en  jiareil  cas.  Nous  lui  donnâmes 
une  toile  d'Adoua  ,  et  il  se  relira  satisfait;  On  nous  dit ,  en  même  lems , 
qne  les  homicides  qui  avaient  le  lems  de  se  réfugier  dans  cis  asiles  in- 
violables répandus  en  Abyssinie,  se  liâtaienl  de  sonner  la  cloobe  dès([;i  ils 
étaient  sauvés,  pour  annoncer  qu'ils  étaient  entrés  dans  ces  lieux  sacrés, 
comme  meurtriers  et  non  comme  voleurs.  Ils  s'appliquent  eux-inêmes  1» 
peine  d'un»"  réclusion  perpétnelle.  elles  prêtres  sont  cliargés  de  jiourvoir 
à  la  nourtiture  des  assassins  qui  n'ont  pas  de  familfe.  L'église  d'Axoum  1 1 
celle  de  la  Madeleine,  à  Adoua,  sont  des  refuges  pour  les  coujiables'  . 

Le  i5,  enfin,  ils  arrivèrent  au  village  de  Farsara^  aux  alen- 
tours duquel  le  roi  du  Samen,  Oubi,  avait  dressé  les  tentes  de  son 
camp.  On  sera  curieux  sans  doute  de  connaître  la  cour  de  ce 
successeur  du  fils  de  Saiomou. 

Le  jour  de  notre  arrivée  à  Farsara,  nous  filmes  présentés  à  Oubi  :  il 
était  sous  unt  grande  tente  tlivisée  en  deux  compaiiimens  dont  l'un  ser- 
vait de  chambre  à  coucher  et  l'autre  de  salie  de  réception.  Le  prince,  ù 
demi  renversé  sur  un  sarir  recouvert  d'un  tapis  de  s-ilin  ,  reposait  sa  tête 
sur  un  énorme  coussin  d'une  éloITe  d'un  ronge  écltlaut.  Ses  pieds  r-lom- 
baient  sur  les  genoux  de  run  de  ses  ministres  assis  sur  les  joncs  (|ui  la^ 
pissaient  le  sol.  Dcnièro  lui ,  à  lun  des  bamboiis  qui  soulciiaieni  sa  ten- 
te, on  remarquait  un  gracieux  faisceau  couq)Osé  île  sa  belle  lance,  de 
son  sabre,  de  cette  peau  de  moiilon  que  portent  tous  les  soldats  abyssin 
uieus  ,  et  de  son  bouclier  orné  ,  par  dessus,  de  plaques  d'argent  et  dou- 
blé ,  en  dedans,  de  velours  rouge.  Quelques  pers«)iinages  importans  for- 
maient uû  groupe  séparé,  cl  quelques  jeunes  garçons,  dont  l'emplai  est 

»  Tome  1 ,  p    ai 5. 


PAR  MM.  El).  COÎIBES  ET  TAlllSH.n.  327 

analogue  à  celui  des  pages  des  cours  d'Europe,  claie»!  ranges  près  du 
siège  du  roi ,  prêts  à  obéir  à  ses  moindres  volonlis. 

La  phvsioiiOiTiie  d'Onbi  n'a  ili:  lype  abyssinien  f|nc  sn  roi-.le  chevelure; 
il  rcs>en)l)lt'  parfaiicment  à  un  citéiit  ar;il)e  :  son  aspect  plirsicpic  est  ra- 
bougri ,  el  sa  figure  annonce  un  profond  cl  rusé  poliliqne.  Il  nous  reçu* 
avec  les  plus  grands  égards;  il  se  souleva  des  que  nous  pjirfinies,  et  nous 
présî^nta  sa  main  ;  il  nous  fil  asseoira  ses  côlés  ,  et,  après  avoir  échansc 
qael'iucs  paroles  de  politesse,  nons  lui  offrîmes  noire  tente  qu'on  déploya 
au.>Sflôt  devant  lui  .  et  il  l'accepta  avec  une  joie  qu'il  ne  piil  dissimuler: 
il  causa  famllièremonl  avec  nous  jusqu'à  l'Iienre  du  dîner;  lorsqu'on  ser- 
vit, nou«  nous  levâmes  pour  nons  retirer,  m.'iis  il  ne  voulut  pas  v  con- 
sentir, el  nous  fit  même  promettre  de  venir  Ions  les  jonrs  mHngerà  sa 
table.  Kous  nous  assîmes  à  une  placi;  d'iiùnncur  ;  on  inlrodiiisil  pirisieurs 
grands  personnages  ,  et  nous  fûmes  bien  agréablement  surpris  en  vov.int 
paraître  les  princesses  suivies  de  quelques  courtisanes  dune  beauté  mer- 
veilleuse: nous  admirâmes  la  majesté  de  leur  purt  et  ii  finesse  de  leur 
physionomie;  nous  avions  vu  de  jolies  femmes  depuis  noire  entrée  en 
Abyssiuie,  mais  celles-ci  étaient  belles.  Lear  costume  se  composait  dune 
clnmise  de  toile  de  coton  brodée  en  soie  au  collet  et  au  bas  des  manches 
et  (.lune  grande  toile  blanche,  avec  une  bordure  ronge,  qui  les  enve- 
loppait enlièremcnt.  Elles  portaient  des  bracelets  eu  aro-eut,  avaieiit  aux 
jambes  de  grands  anneaux  du  même  mêlai,  cl  leurs  mains  étaient  ornées 
de  bi.gues  qui  ne  dépassaient  pas  la  seconde  phalange  des  doigts;  avant 
d'entrer,  elles  déposèrent  leurs  souliers  à  la  porte.  Oubi  était  lui-même 
nn-pitds;  son  coslumc  ne  se  composait  que  d'un  caleçon  très-court, 
d'une  ceinture  d'une  longueur  démesurée  et  d'une  toile  Irès-fine  sortie 
des  ateliers  de  Gondar.  Il  ne  portail  rien  à  la  tête.  Les  courtisanes  étaient 
accompagnées  de  leurs  soubrettes  qui  se  tiorenl  debout  derrière  elle? 
lont  le  lems  du  repas. 

Dès  que  tous  ceux  qui  devaient  [>arliciper  au  festin  furent  introduits 
et  que  chacun  cul  pris  sa  place  ,  ou  apporta  le  pain  dans  de  grandes  cor- 
beilles ;  on  servit  plusii'urs  plats  composés  de  farine  de  fèves  ou  de  pois 
cliîches  et  de  pimens  brovés  ou  délayé*  dans  de  l'eau  ;  ce  mels,  qu'on  ap- 
pel.lit  chearo  ,  et  que  les  .Abyssinieos  trouvaient  délicieux  ,  nous  bridait 
le  palais  de  la  bouche.  Bienlôl  on  nous  arma  de  grauds  couteaux  et  on 
nous  présenta  une  énorme  portion  de  boeuf  cru  que  nous  mangeâmes 
comme  les  autres  tt  qui  nous  parut  bien  mi'illeur  que  nous  ne  l'avious 
supposé  d'abord.  Oubi,  qui  savait  que  les  Européens  ne  mangent  pas 
de  broundou  ,  avait  eu  l'allerilson  de  nous  faire  présenter  des  côtelettes 
noircies  à  nue  flamme  ardente  et  qu'on  disait  êlre  rôties  ;  il  avait  sans 
cesse  les  jeni  sur  nous  1 1  nous  es'ilail  souvent  à  manger  :  il  nous  prépara 


32S  VOYAGE   EN    ABVSSIME  ; 

lui-même  quelques  bouchées  qu'il  nous  ofl'rit  Je  sa  propre  main;  c'était, 
nous  dil-oi»  ,  uue  laveur  insigne.  La  table  était  servie  par  les  principaux 
courtisans. 

Quand  tout  le  monde  fut  rassasié  ,  ou  enleva  les  débris,  et  alors  seu- 
lement on  jcommeuça  à  ])oire.  L'hydromel ,  le  vin  et  l'e.iu  de-vie  furcul 
généreusement  distribué».  A  l'exception  des  prêtres  qui  se  servaient  Je 
grandes  corues  dans  la  forme  de  nos  verres  oroinuircs  ,  tous  les  convives 
buvaient  dans  des  breuUis  au  ventre  arrondi  et  au  long  cou.  Nous  étions 
arrivés  fatigués,  poudreux  ,  et  nous  nous  étions  immédiatement  présen- 
tés chez  le  roi  ;  nous  avions  besoin  de  repos  et  nous  nous  retirâmes  d'as- 
sez bonne  heure.  Oubi  nous  répéta  qu'il  comptait  nous  voir  tous  les 
jours,  et  il  chargea,  en  outre,  un  de  ses  hommes  de  nous  envoyer, 
chaque  malin,  dix  pains  et  deux  chèvres  ou  un  bœuf;  ses  ordres  furent 
ponctuellement  exécutés  '  . 

Bien  accueillis  par  le  roi  Oubi,  MM.  Combes  et  Tamisier 
vécurent  au  milieu  de  son  camp ,  prirent  part  à  ses  festins  de 
chair  crue;  puis,  lorsque  le  prince  vint  prendre  ses  quartiers 
d'hiver,  ils  se  décidèrent  à  l'accompagner  à  Adoua.  C'est  ici 
qu'ils  donnent  encore  quelques  détails  sur  le  costume  et  les 
usages  abyssiniens. 

Avant  de  revenir  sur  nos  pas,  nous  allons  parler  encore  du  costume 
des  Abyssiniens  et  de  quelques  usages  de  leur  pnys  :  le  vêtement  des 
hommes  se  compose  d'un  caleçon  collant  qui  ne  dépasse  janiais  le  ge- 
nou; d'une  ceinture  et  dune  toile  dont  ils  se  drapent  à  la  ronuiine  et  qui 
diffère  do  Gnesse  et  de  beauté  ,  selon  l'importance  ou  la  fortune  des  indi- 
vidus. II  est  ,  en  Abyssiuie,  trois  classes  dhoinmes  :  les  soklats  ,  les  agri- 
culteurs et  les  commcrçans  ;  leur  co^lume  est  le  même;  les  gens  de 
guerre  seulement  jettent  sur  leurs  épaules  la  peau  de  mouton  dont  nous 
avons  parlé.  Les  grandes  dames,  les  mustdmaus  et  quehjues  prêtres 
portent  des  souliers  ,  le  reste  de  la  populaliois  va  nu-pieds  ;  tout  le  monde 
a  la  lêle  découverte,  excepté  les  musulmans  et  hs  piètres  chrétiens  ,  qui 
s'affublent  d'un  turban  d'un  goût  ridicule  ;  la  toile  dis  moines  est  ordi- 
nairement jaune,  et  ils  ajoutent  uue  tunique  au  costume  déjà  décrit  : 
une  toile  et  une  chemise  composent  le  vêtement  des  femmes  :  en  voyage, 
les  dames  de  condition  portent  un  long  caleçon  avec  des  broderies  eu 
soie  rouge  cl  bleue.  Celles  qui  sont  obligées  d'alkr  à  pieJ  fout  de  leurs 
loiles  une  espèce  de  jujiou  court  à  plis  llottans  et  lelenu  à  la  taille  par 
une  ceinture  blanche.  Les  princesses  et  quelques  courtisanes  se  couvrent 
de  manteaux  de  drap  ornés  de  riches  broderies  ;  ils  ont  la  forme  des  ca- 

>  Tome  1,  p.  234. 


PAU  MM.  ED.  COMBES   ET  TAMISIKP..  329 

pes  dont  nos  prêtres  se  revêlent  dans  les  graïuhs  cérémonies.  Lorsque 
ces  femmes  sont  obligées  de  paraître  en  public,  elles  sont  voilées  jus- 
qu'aux yeus  et  elles  ont  le  front  ceint  d'une  bandelette  en  dentelle;  elles 
ne  se  caelient  ainsi  que  dans  la  crainte  du  mauvais  ail.  Pour  rendre  leurs 
cheveux  plus  moelleux  ,  les  hommes  et  Us  finîmes  se  couvrent  la  tête  de 
beurre  frais ,  ils  en  répandent  aussi  sur  leur  corps  pour  adoucir  la  peaa 
et  l'empêcher  de  se  rider  :  quand  la  civilisation  aura  pénétré  dans  ces 
contrées  lointaines,  ou  y  fera  une  immense  consomuialion  de  pomma- 
des et  d  Imites  |>arfumées. 

Les  Abyssiniens  prisent  beaucoup,  et  pctils  et  grands  se  mouchent 
avec  les  doigts  :  les  dames  se  servent  (|ue!quefois  des  toiles  de  leurs  sou- 
brettes ou  de  leurs  domesliques  comme  de  mouchoir,  et  ceux-ci,  loin 
d'en  être  fâchés,  en  paraissent  au  contraire  très-fl:illc's.  On  fume  le  ma- 
tetclia.,  espèce  de  narghilé  grossier  qu'on  trouve  aussi  dans  l'Arabie.  Le 
toumbac  d  Abyssinie  est  excessivement  fort.  Les  |)rinces  demandaient 
souvenl  du  tabac  à  noire  interprète,  qui  en  réclamait  d'eux  à  son  tour 
lorsqu'il  les  voyait  priser  ou  fumer. 

Lorsqu'on  reçoit  une  personne,  on  est  libre  de  la  congédier  sous  un 
prétexte  quelconque,  sans  qu'elle  ait  le  droit  de  s'en  formaliser,  et  ce 
n'est  pas  une  raison  pour  lempêclier  de  revenir.  Les  visiteurs  ne  se  re- 
tirent jamais  sans  en  avoir  demandé  la  permission,  (pi'on  leur  accorde 
toujours  sans  cherclier  à  les  retenir.  Lorsqu'un  inférieur  se  présente 
devant  son  su|>érieur,  il  découvre  ses  épaules  en  signe  de  respect.  Les 
Abyssiniens  qui  se  revoient  après  une  absence  se  baisent  à  la  bouche,  La 
coutume  si  répandue  et  si  anciesine  de  saluer  quand  on  élernue  se  retrou- 
ve encore  chez  ce  peuple.  Lorsque  les  Abys^i:ùens  voiis  demandent  une 
grâce,  une  faveur,  ou  vous  font  une  invilation  ,  c'e>t  toujours  au  nom 
de  Marie  ;  ce  mol  est  continuellement  dans  leur  bouche. 

Les  Abyssiniens  disent  que  la  r.ice  blanche  est  supérieure  à  la  race 
noire  :  les  chefs  eux-mêmes  croient  que  leur  couleur  est  celle  des  escla- 
ves. «  Nous  sommes  noires,  »  nous  répétaient  souvent  les  femmes;  «que 
votre  peau  blanche  est  belle!»  El  assis  un  jour  à  côlc  de  nous,  dans  la 
tente  d'Oubi ,  le  grand-piêlre  de  Scmen  nous  disait  :  «  Nous  autres,  Afri- 
»  cains,  nous  sommes  pélris  de  terre  :  mais  vous,  blancs,  vous  êtes  formés 
•  d'une  matière  parliculière;  où  trouver  un  limon  assez  pur  pour  faire  uuo 
»  aussi  belle  chair.  » 

Il  a  déjà  été  question  de  la  superstition  du  mauvais  œil;  mais  nous 
ajouterons  que  nulle  part  elle  ne  nous  a  paru  si  exagérée  que  dans  le 
camp  d'Oubi.  Comme  on  suppose  que  c'est  surtout  lorsqu'on  agit  qu'on 
attire  les  regards  de  ceux  qui  nous  entourent,  le  prince  ne  pouvait  pa» 
faire  un  mouvement  qu'où  ne  s'cn)pres^àt  de  le  cacher  à  tous  les  yeux; 


3S0  YOYAGE   El»    ABYSSiîdE; 

qu'il  bût,  qu'il  mangeât ,  on  seulemeni  qu'il  crachât,  on  l'enveloppait 
aussitôt  d  un  voile  ,  et  le  gombo  lui-même  ,  dans  lequel  ou  puisait  son 
lijdromel,  clait  couveit  dune  loile,  commesi  quelquemalin  regard  eût  été 
capable  d'empoisonner  cette  boisson. 

Les  Abyssiniens  aiment  beaucoup  les  choses  iriilautcs.  leurs  plats  sont 
toujours  poivrés  et  épic'js,  et  ils  ne  mangent  rien  de  f.jdc  ni  de  dons;  ce 
goût  s'explique  facilement  dans  un  pays  chaud  ,  où  le  corps.  alT.iihli  par 
les  transpirations  conlinuellts ,  a  besoin  d'une  nouriilure  cxcilanlc  pour 
no  pas  trop  perdre  de  sa  viguiur  '. 

C'est  le  1 1  juin,  qu'ils  arrivèrent  à  Acloiia  avec  le  roi  Oubi ,. 
au  milieu  d'une  armée  dont  les  soldats  mourant  de  faim 
criaient  Sghio  (Dieu);  ils  y  allèrent  \isiter  la  ville  d'Axiim,  si 
célèbre  dans  les  annales  abyssiniennes,  et  dont  ils  font  une 
description  qui  nous  parait  beaucoup  trop  courte,  mais  sur  la- 
quelle, il  est  vrai,  il  y  avait  peu  à  dire  après  les  pages  de  Bruce 
et  de  Sait  '.  Voici  au  reste  dans  quel  état  elle  se  trouve  d'après 
nos  voyageurs. 

Axoum  est  la  plus  jolie  ville  du  Tigré  :  son  enceinte  sacrée  est  déli- 
cieuse de  fraîcheur  et  d'ombre;  au  centre  s'élève  son  église,  la  plus 
remarquable  de  l'Abjssinie.  rpioiqu'elîe  soit  même  inféiicure  à  nos  gre- 
niers ordinaires.  La  descri|Uiou  qu'eu  a  donnée  Sait  dans  sa  relation  est 
fort  exagérée ,  et  Bruce  nous  a  paru  beaucoup  plus  exact.  Cet  édibce  est 
dominé  par  dénormrs  sabiues  et  de  grands  oliviers,  3ssembla;^c  le  plu'* 
heureux  que  la  nature  ait  pu  fournir  au  christianisme  :  toute  lenceinlCi 
est  couverte  de  ces  arbres  qui  soiiliennent  des  treilles.  Les  maisons; 
d'Axoum  ont  la  forme  d'un  cylindre  surmonté  d'un  cône  ;  celte  ville 
couchée  au  pied  d'une  montagne  qui  l'abrite,  semble  se  reposer  dans  cil, 
calme  profond,  dejîtiis  que  les  rois  ont  cessé  d'en  faire  leur  capilale.  A 
Test  de  I  église,  on  aperçoit  ,  auprès  d'un  arbre  immense  et  bien  veit,  un 
obélisque  élancé  et  hardi,  haut  squelette  coiitraslanl  admirablement  avec 
la  fraîcheur  de  cet  arbre  nnssif.  Quelcpics  piliers  ,  qui  n'ont  rien  dinlé- 
r(S>ant,  et  deux  autres  obélisques  pareils  à  celui  qui  se  lient  cncotc  de- 
bout, gisent  brisés  sur  le  sol.  C'est  tout  ce  qu'Axoum  po«-sède  encore  de 
remarquable  comme  antiquités.  Les  tables  et  les  débiis  du  trône  dort 
patient  les  autres  voyageurs  n'offrent  rien  do  curieux.  La  plupart  des 
maisons  renferment  des  puits. 

Nous  reçûmes  dans  cette  ville  une  hospitalité  brillante,  que  nous  ne 
dûmes  peut-être  qu'au  voisinage  du  prince,  dont  on  nous  disait  les  amis, 

»  Tome  1 ,  p.  240. 

»  Voir  ce  qu'en  oui  dit  ces  voyageurs  daus  notre  tome  vi. 


PAR  MM.  El).  COMP.ES  ET  TAMISIER.  331 

Noos  fumes  sonvcul  viiiilf's  par  dts  prêtres  ilonl  riguor.TdCe  cl  rorgucil 
nous  (lûiincrcnl  une  liisic  iiiée  du  clcrg<^  îibyssniicii.  Leur  supérieur,  qui 
avait  la  prétention  de  descendre  de  l'rn  des  principaux  Israélites  qui  ac- 
co'npagncreiil  Rléiiilck  à  son  retour  de  Jérusalem,  ne  jiislifiait,  en  au- 
cune manière,  son  titre  île  chef  dont  il  f  lisait  paraJe.  Pour  utiliser  noire 
séjour  .i  Axoura  ,  nous  arcaMâines  dr;  questions  toules  les  personnes  qui 
nous  approcLtîrenI  :  les  [)rèlres  nous  parlèrent  heam'oup  de  leur  sémi- 
naire, qui  renferiîie  une  ciiiquant.iine  de  jeunes  gens  do  !:i  ville  et  des 
environs,  et  dont  les  él^jdes  consistent  à  apprendre  à  lire  les  livres  saints 
qu'ils  possèdent  en  langue  élliiopiquc.  Tons  ces  enfans  sont  destinés  aa 
sacerdoce  ou  à  d'autres  fonctions  subaliernes,  mais  d'église  :  on  nous 
vanta  beaucoup  l'importance  <Ie  ce  collège;  mais  ceux  qui  le  dirigeaient 
nous  parurent  si  incapables,  que  nous  ne  pûmes  en  concevoir  une  haute 
opinion.  Ce  que  nous  recueillîmes  Je  plus  précieux  à  Axoum  fui  les  ren- 
BcJgucmcns  historiques  que  nous  donna  un  deftéra  '  qui  ne  nous  quittait 
presque  jamais:  i!  possédait  une  grande  quanlilé  de  manuscrits,  cl  con- 
naissait tiMites  les  Ir.idilions  de  son  pays  :  il  se  montra  avec  nous  d'une 
complaisance  et  d'un  désintéressement  rarts,ct  c'est  à  lui  que  nous  devons, 
en  grande  pai  lie  ,  ce  que  nous  avons  écrit  sur  1  histoire  d'Ethiopie  -. 

Mais  le  roi  Oubi  avait  formé  le  projet  (le  retenir  pjès  de  lui 
les  deux  jeunes  français;  aussi  fallut-il  avoir  recours  à  la  ruse 
pour  lui  éclïapper.  Après  avoir  feint  d'être  malades,  le  3o  juin, 
ils  partent  lout-à-coup,  suivis  d'un  interprète  et  de  deux  domes- 
tiques, et  ont  le  bonheur  démettre  le  Tarazc  (ancien  Aslaboras, 
aujourd'hui  le  Tannack  -  Abhal  ou  Pclii-Mil)  entre  eux  et  le 
roi  du  Samen.  De  la  vallée  du  Tacazé ,  avec  des  fortunes  di- 
verses, ils  suivent  une  compagnie  de  soldats  indisciplinés  qui 
se  retirent  par  bandes,  volant  et  pillant  les  malheureux  habi- 
tans.  Ayant  rencontré  dans  ces  montagnes  quelques  jeunes 
filles  gallas esclaves,  ils  s'aperçoivent  qu'ils  excitent  leur  frayeur 
d'une  manière  extraordinaire  ;  et  comme  ils  en  demandent  la 
raison,  ils  en  reçoivent  l'agréable  réponse  que  ces  peuples  regar- 
dent les  blancs  comme  des  anthropoplurges  qui  se  nourrissent 
de  la  chair  des  jeunes  filles.  C'est  là  qu'ils  retrouvèrent  ces 
felas/ins  ou  fatlacitas  dont  nous  avons  parlé  dans  les  Jnnales 
(tomes  iv  et  vi)  comme  possédant  des  Bibles  du  tems  de  Salo- 
mon.  Voici  leur  état  actuel  d'après  nos  voyageurs. 

*  Le  mot  {lefléra  correspond  au  mah(em  arabe. 
'  Tome  I ,  p.  aGj. 


232  VOYAGE  EN  abysskme; 

La  plupart  des  montagnes  da  Sémea  étaient  autrefois  habitées,  en 
grande  partie,  par  des  Juifs,  que  les  Abyssiniens  ^ppcWcnl  Fallacha; 
niais  leur  nombre  diminue  tous  les  jours,  et,  selon  toutes  probabilités, 
ils  ne  tarderont  pas  à  disparaître  entièrement  en  se  cou  fondant  foit  avec 
les  cLréliens ,  soit  avec  les  mu'sulnians,  qui  tous  les  jours  en  attirent 
quelques-uns  dans  leurs  rangs.  Quoique  dans  leurs  actions,  les  Abyssi- 
niens fassent  preuve  d'une  lolcrancc  admirable  ,  ils  haïssent  les  Juifs  par 
habitude  ;  et  ces  derniers,  en  butte  à  dus  tracasseries  continuelles  ,  sont 
assez  disposés  à  abandonner  leur  foi  ,  dont  rien  n'alimente  la  ferveur, 
et  à  s'affilier  aux  croyances  encore  vivanles  dnns  le  p<'iy^.  Si  presque  tous 
les  musulmans  sont  commerçans ,  les  Faliachas  exercent  le  monopole  de 
1  industrie:  ils  sont  agriculteurs,  charpentiers,  tisserands,  maçons  ,  po- 
tiers et  forgerons,  et  les  ouvrages  qui  sortent  de  leurs  mains  sont,  en 
général,  supérieurs  à  ceux  que  confectionnent  les  autres  Abyssiniens  : 
ce  peuple  superstitieux,  qui  ne  peut  concevoir  qu'une  race  que  Dieu  re- 
pousse se  montre  si  habile  ,  n'explique  sa  supériorilé  qu'en  l'accusant  d« 
sorcellerie.  Tant  que  les  Juifs  ont  été  asseï  puissans  et  assez  nombreux 
pour  former  entre  eux  des  corporations ,  ils  ont  vécu  isolés  des  autres 
habitans ,  et  leurs  villages  étaient  toujours  situés  sur  des  hauteurs  et  éloi- 
gnés des  roules  ordinaires,  pour  éviter,  autant  que  possible,  d'entrer 
eu  communication  avec  personne  '. 

Le  22  sept,  nos  voyageurs  échappent  par  la  fuite  au  Ras  Ail,  et 
seuls,  sans  domestique,  sans  interprète,  n'ayant  qu'une  mule 
pour  porter  leurs  bagages,  ils  se  disposent  à  entrer  dans  le 
royaume  de  Choa;  mais  avant  d'y  arriver  il  fallait  passer  par  le 
pays  des  terribles  Gallas.  Arrivés  à  Gouël,  le  roi  Hassan  Doullo 
les  fait  arrêter  et  leur  reproche  d'être  des  idolâtres,  c'est-à-dire 
de  ne  pas  croire  au  Dieu  de  Mahomet;  ils  répondent  qu'ils 
croient  à  Dieu  et  à  son  Prophète,  qui  a  donné  la  connaissante 
de  Dieu  aux  nations  plongées  dans  l'idolâtrie.  Mais  le  roi  qui 
espérait  retirer  d'eux  une  riclie  rançon  ,  les  dépouille  de  tout 
ce  qu'ils  possèdent  et  les  fait  enfermer  dans  une  cabane.  Bien- 
tôt ils  apprennent  qu'ils  sont  condamnés  à  mort ,  et  il  paraît 
qu'ils  auraient  subi  leur  triste  sort,  si  la  reine  Zaliab,  jeune 
femme  de  i5  ans,  n'avait  intercédé  pour  eux  cl  ne  les  avait 
lait  mettre  en  liberté. 

Partis  de  Gouël  sans  armes,  sans  effets,  mais  ayant  encore 
conserve  parbonheur  leur  montre  cl  leur  boussole,  ils  airiveul 

>  Tomci ,  p.  ô/ig. 


PAR  MM.  ED.  COMBES  KT  TAMîSlER.  333 

à  Déil  OÙ  ils  trouvent  Abbié,  dernier  chef  des  Gallas,  dont 
voici  le  portrait  : 

Ln  physionomie  de  ce  chef,  tout  son  aspect  plivsiquc,  san?  doute  en 
rapport  avec  son  moral,  u'élaient  pas  faits  pouriiispirer  la  couGancc.Son 
•visage élail  empreint  de  celte  férocité  ualurelie  qui  devait  caiaclcrifcr  le» 
hommes  de  l'époque  primitive  :  les  tresses  de  sa  chevelure  crépue  se  re- 
dressaieut  sur  sa  tête ,  comme  les  scrpens  de  la  Gorgone  :  l'expreision  de 
son  œil  était  farouche  ;  le  son  de  sa  voix  était  pras  et  sombre  ,  son  corps 
él.'it  pesant  et  compacte.  Il  était  assis  fur  une  grande  peau  de  bœuf,  à 
l'ombre  dune  verte  mimosa  ,  qui  s'élevait  vers  le  centre  d'une  cour  spa- 
cieuse. Près  de  lui  on  remarquait  sci  deux  eiifans,  espèce  de  jeunes 
monstres  (jue  le  [icre  caressait  et  5einl)lait  couviir  de  cet  amour  protec- 
teur de  l'ours  pour  ses  petits.  Une  haie  de  guerriers  moius  sévères  que 
lui  l'entourait:  ils  se  tenaient  debout,  armés  de  leurs  lances  et  de  leurs 
boucliers  :  c'était  un  spectacle  digne  du  piaccan  d  un  artiste.  Jamais  ta- 
bleau n'avait  si  vivement  frappé  notre  imagination  ;  il  nous  semblait  que 
nous  assistions  à  l'une  de  ces  assemblées  do  sauvages  tenant  conseil  pour 
décider  du  supplice  de  quelques  malheureuses  rictimes.  Placé,  parle 
hasard  de  la  naissance,  à  la  frontière  des  Gallas,  .\bbié  nous  parut  digne 
d'être  leur  geôlier  '. 

Après  avoir  passé  par  la  province  de  Guéché  où  ils  trouvèrent 
des  chrétiens,  charmés  en  les  recevant  de  xoirdes  hommes  de  Jé- 
rusalem ,  ils  anivèrentà  Dher,  chez  les  Chao,  où  ils  trouvèrent 
Sammcu-iSougyus ,  vaillant  guerrier,  la  terreur  des  Gallas,  qui 
reçut  nos  voyageurs  avec  toute  l'effusion  de  l'hospitalité  antique, 
leur  donna  des  habits  et  les  protégea  de  tout  son  pouvoir. 

Le  28  novembre,  ils  quittent  Dher  pour  aller  visiter  le  roi 
Sahlé-Sellassi,  tenant  sa  cour  à  Angolala,  dans  le  royaume 
d'Ifat.  Sur  leur  route  ils  font  rencontre  d'un  prêtre,  dont  la 
conversation  leur  donna  une  bonne  idée  de  l'intelligence  du 
clergé  de  Choa.  Enfin  le  1"  novembre  ils  arrivent  au  château 
d'Angolala ,  après  avoir  traversé  un  pays  bien  cultivé,  au  mi- 
lieu d'une  population  qu'ils  décrivent.  Ici  finit  le  a«  volume 
du  voyage  de  MM.  Combes  et  ïamisier.  Nous  les  retrouve- 
rons aux  deux  volumes  suivans,  dans  lesquels  ils  font  l'histoire 
de  l'Abyssinie  ,  et  tracent  plus  en  détail  Tétat  des  moeurs 
et  de  la  religion  en  ce  pays.  A.  li. 

'  Tome  n  .  p.  278. 


334  COURS  DE  raiLOLOGiE  ET  d'archéologie. 


i 


Qixç^hicfjK 


DICTIONNAIRE   DE  DIPLOMATIQUE,! 

ou 
COURS  PHILOLOGIQUE  ET  HISTORIQUE 

d'antiquités  civiles  et  ecclésiastiques. 

DU    C. 

En  commençant  à  parler  de  la  lettre  C ,  la  première  clios 
que  nous  ferons  observer  c'est  le  changement  qu'a  subi  l'alphi 
bet  Icilin  :  tandis  que  tous  les  alphabets  sémitiques  et  le  gre 
ont  pour  5'  lettre  le  G,  le  latin  met  à  celte  place  le  C  et  rer 
voie  le  G  à  la  7'  place,  après  la  lettre  F.  Nous  expliquerons  l'c 
rigine  et  les  causes  de  ce  changement ,  mais  auparavant 
comme  nous  l'avons  fait  pour  les  A  et  pour  les  B,  examinoi 
Jusqu'à  quel  point  il  est  probable  que  la  5'  lettre  sémitique  tii 
son  origine  des  écritures  hiéroglyphiques,  c'est-à-dire  du  ch 
nois  et  de  l'égyptien. 

Origine  chinoise  el  égyptienne  du  G  et  du  C  sémitiques  (PI.  VII), 
La  S''  hciue,  exprinféeen  lettres  sémitiques  et  grecques  par 
G,  comprend,  chez  les  Chinois,  de  5  à  5  heures  du  malin  ( 
nos  heures,  et  est  représentée  par  le  caractère  1  de  la  plaTiche\l 
et  par  les  variétés  2,  3,4-  Ce  caractère  se  prononce  yn  ou  / 
en  chinois,  iiy  en  japonais  qui  ont  lu  de  gauche  à  droit 
gand  ou  dan  en  cochinchinois.  Il  signifie  rtf/t^/^r,  prier,  assembl 
ce  qui  avait  lieu  au  lever  du  jour.  On  voit ,  en  effet  que  le  c 
ractère  est  composé  du  grand  comble  ou  toit  représentant  le  ci, 
et  par  extension  Dieu;  il  signifie  de  plus  vase  et  trépied  y  dont  1 

>  Voir  le  10»  art.  dans  le  97,  ci-dessus,  p.  18. 


f 

i 

tll 

k 
itii 


PlimcKeVlI./'^;/ 


Origuve  Chinoise  et  Egyptiexne  des  O  et  des  C  SEivaTiçiTS 


Z/  Zf  ■  Jff-  ^         3Z      33     J'f       SJ        J(f  37  3é    39 


Gde  tol's  les  Alphabets  Semitiçites  . 

1  11  111  IV  V  VI-      vil  Vlg         IX       X      ^   XI 

xu  xm  XIV      XV  XVI     xvn  xvin    xix  xx  xxi      xxn  xxm 


,     XXIV      XXV  XXVI  xxvn     xxvm   xxix 

Xxxiv    xrxv  •  ^ 


cbi 


«1 


G  Grecs  Anciens 

YvVYVyV^t:T>T>Cr    ^^ 


Formation DTJ  C  Latin,  Capital  Minuscule  et  Cïjrsif 

i        i       i      4       6        e      1       é        9       io        -11      n 


C  Latin  Capital  des  Inscriptions 


DU  G  F.T  DU    C  StMITIQUES.  335 

se  servait  pour  brûler  de  rciiccns  el  faire  des  sacrifices.  Il  prend 
sa  place  sous  la  clef  des  voûtes.  Or,  bien  que  sa  forme  iModerne 
n'offre  qu'imparfaifcment  la  forme  de  ces  divers  objets,  on  la 
retrouve  plus  dislinclemcnt  dans  les  formes  antiques  de  Tseu^ 
goey  et  de  Moiisson,  notamment  dans  les  figures  5  ,  G,  7,  8,  9. 

11  n'est  [)as  besoit»  de  faire  remarquer  que  le  son  de  ing  In  sé- 
viiliquement ,  c'est-à-dire  à  rebonrs,  a  pu  donner  naissance  au 
son  du  g ,  ainsi  (jue  le  son  gond  des  cochincliinois. 

Quant  à  la  forme,  il  est  bien  évident  que  les  figures  1,0,^ 
ont  pu  donner  naissance  aux  nombreux  caractères  sémitiques 
exprimant  le  G  ,  et  qui  tous  sont  formés  par  une  ligne  droite  , 
recourbcc par  le  liaat ,  notamment  le  G  des  alphabets  I ,  II,  IV, 
IX,  Xîil,  XIV,  XY,  XVI,  XXXIV  et  XXXV  de  la  pianchc  que 
nous  donnons  ici,  et  dont  nous  citons  plus  particulièrement, 
pour  exemple  les  fig.  12,  i3,  i4  et  i5.  Nous  retrouverons  en 
outre  le  ioit^  ou  comble,  ou  ciel  dans  l'hébreu  des  médailles, 
fig.  20  ,  et  dans  le  grec  ancien,  fig.  17  et  18,  dans  Tétrusque, 
19,  et  dans  notre  C,  21.  De  plus  nous  retrouvons  encore  le  iré] 
pied  dans  le  clialdaïque,  fig.  21  et  lij,  et  dans  le  runique  24  » 
qui  ont  pu  être  formés  par  les  figures  chinoises  7,  8  et  9.  Enfin 
nous  voyons  la  croix  simple  et  double  des  formes  chinoises  6 
et  7 ,  dans  les  alphabets  sémiti  jue.s  XXII  et  XXVII. 

Quant  à  la  signification ,  nous  trouvons  celle  de  voûte,  de 
pointe  ,  de  dos ,  de  bosse^,  de  gliibbe,  dans  les  mots  hébreux aa  gab 
ou  ghib  ;  el  même  celle  de  vase  et  gobelet,  dans  ''^2.Z,gabali  et  gkibha; 
le  nom  de  la  o'  lettre,  ghimel,  signifie  chameau îi  cause  de  la  bosse 
de  son  dos. 

En  outre,  comme  le  caractère  chinois,  la  lettre  hébraïque 
a  ,  signifie  5  ou  la  5°  place. 

Quant  à  Vegy/dien,  nous  trouvons  d'abord  que  le  G  y  est  re- 
présenté comme  en  chinois  par  desraîcsou  des  trépieds,  fig.  20, 
2G ,  18  ,  29  el  00  ',  et  de  plus  par  des  va^es  ou  trépieds  avec 
un  comble,  toit  ou  couverture ,  comme  dans  la  fig.  26,  qu'il  est 
diûicile  de  ne  pas  trouver  ressemblant  aux  figures  chinoises  10 
et  11,  et  en  particulier  pour  la  forme  égyptienne  27,  que  l'on 

»  Voir  l'Analyse  gramvimaticale  raisounéc  de  diffJrcns  textes  anciens 
égyptiens,  par  F.  Salvolini,  alphabets  u"'^  226,  227,  67,  8i,  69  et  le 
vase  fig.   U  i . 


336  COURS   DÉ   PHILOLOGIE   ET   d'aRCITÉOLOCLT:/ 

croirait  copiée  de  la  figure   ii  ,  qui,  comme  l'égyptien,  res- 
semble à  une  sorte  de  nœud  ou  plutôt  de  trépied. 

Quant  à  la  ressemblance  de  l'égyptien  et  de  l'hébreu,  M.  Sal- 
volini  fait  observer  avec  raison  que  la  forme  5o  ou  le  vase  de- 
venu en  hiératique  3 ,  a  formé  le  nestorien  32  et  le  hiérosolyrni- 
iain  33.  De  plus  ,  nous  retrouvons  encore  ici  dans  l'égyptien, 
pour  signifier  le  G,  la  ligne  droite  recourbée  par  le  haut,  dans  le 
pédum,  ou  sceptre,  ou  crosse  fig.  34.  H  y  a  encore  d'autres  formes 
dont  nous  parlerons  à  l'H  aspirée,  au  Iv  et  au  Q,  toutes  lettres 
du  même  organe ,  de  la  même  valeur ,  et  qui  souvent  ont 
été  prises  les  unes  pour  les  autres.  Nous  nous  bornons  ici  à  les 
signaler  dans  les  fig.  35,  56,07,  ^^  ^t  39,  que  tout  le  monde 
reconnaîtra  pour  des  K. 

D'après  toutes  ces  similitudes  de  forme,  de  son  et  de  signi- 
fication, il  nous  paraît  difficile  de  nier  l'étroite  liaison  qui  lie 
les  langues  anciennes,  et  leur  filiation  de  l'une  à  l'autre. 
Changement  du  G  en  C  dans  le  Latin. 

Puisque  les  Latins  tirent  leur  alphabet  et  leur  langue  du 
grec  ,  la  troisième  lettre  de  levu'  alphabet  a  du  être  primitive- 
ment un  G.  Or,  c'est  ce  que  nous  apprennent  les  débris  de 
l'ancienne  langue  latine,  et  les  auteui's  qui  se  sont  occupés  de 
l'origine  des  lettres  latines. 

En  effet,  dans  les  fragmens  des  lois  de  Numa,  conservés  par 
Festus,  nous  voyons  qu'on  écrivait  Cenua  pour  Genua  et  T«w- 
citor  pour  Tangilor  ;  et  dans  l'inscription  de  la  colonne  rostrale 
élevée  à  Duillius  Nepos,  l'an  494  ^^  Rome,  nous  trouvons  en- 
core exfociont  pour  effugiunt.  Cette  similitude  de  prononciation 
du  C  et  du  G  s'est  conservée  dans  la  langue  latine  formée,  où 
l'on  écrivait  et  l'on  prononçait  Gncius  pour  Cneius,  Gaius  pour 
Caius ,  dans  les  composés  de  centum  ,  où  l'on  trouve  vigesimus 
pour  vicesimus,  etc.  %  et  dans  les  composés  de  quelques  verbes 
comme  ago ,  qui  fait  à  son  prétérit  actus  (pour  agtus,)  rego  qui 
fait  rexi  (pour  rcgsi).  D'ailleurs  les  auteurs  latins  nous  le  disent 
expressément  :  Ausonne  s'exprime  ainsi  : 
"'■'         Preraluit  postquam  Gamma ,  vice  functâ  prias  C. 

>  Festus,  au  mol  Erciius  el  Schœl.  Hisi.  de  la  Litt.  lat,,  tome  i,  p.  43. 

^  Ausonner/«  iWhrù.  — Pîeriiis,  hierogtj.,  lir.  vu,  ch.  a3.— Vo,5siu«, 
<f«  Graium. 


G   DES   ALPHABETS   SÉMITIQUES.  337 

Festusdit  plus  explicitement  :  G  olun  qaod  nunc  C ;  et  Qiiin- 
tilicn  avertit  que  conwie  il  n'y  avait  pas  anciennement  de  C  ni  de 
T,  ils  étaient  adoucie  en  G  et  en  D  '. 

Plutarquedit  que  ce  fut  Spurius  Carvilius  qui,  après  la  pre- 
mière guerre  punitjue  fut  invenleur  de  la  forme  actuelle 
du  G  latin  ,  et  probablement  lui  assigna  l»  place  qu'il 
occtipe  en  ce  moment,  dans  l'alphabet,  tandis  qii^anparavant 
il  était  confondu  avec  le  G  ^;  mais  nous  renvoyons  au  Ci  cl  au  K 
pour  d'autres  détails  ^. 

G  des  alphabets  des  langues  sémiti(|ues  ,   d'après  la  dîvisicn  du  tableau 
ethno(rraph{(/ue  de  Balbi. 

I.  LANGUE  hébraïque,  divisée 

En  hébreu  ancien  ou  hébreu  par,  lequel  comprend  : 

Le  I"  alphabet ,  le  samaritain  ^. 

Les"  id.        liuhlié  par  Edouard  Dernnr((. 

Le  III'  par  VEncyclopédie. 

LeIV%  celui  des  î;ià/at7/f5,  donné  par  M.  Mionnet. 

Le  Y*^ ,  publié  par  Duret. 

Le  Vî%  l'alphabet  ({''Abraham. 

Le  ¥11%  l'aphabet  de  Salomon. 

Le  VIII*,  à'' Apollonius  de  Thyanc. 
2»  En  chaldéeu  ou  liebreu  carré,  lequel  comprend  : 

Le  IX*,  celui  qui  est  usité  aujourd'hui  dans  les  livres  im- 
primés. 

Le  X%  dl[  judaiqac. 

'  Quiutilien  :  et  cum  C  ac  similiter  T  non  valuerunt ,  in  G  ac  D  mol- 
liuntur.  ^  oir  Fictorinas  an  liv.  i*"'  de  orthograp. 

'  Voir  sur  tous  les  changemens  subis  parles  lettres  grecques  et  latines; 
un  excellent  ouvrage  de  INI.  l'abbé  Bondit,  intitulé  :  Introduction  d  la  lan- 
gue latine  au  moyen  de  l'étude  de  ses  racines  et  de  ses  rapports  avec  le  fran- 
çais ,  in-8o,  p.  'i38.  Paris  ,  chez  Hachette  et  Chamerot  :  prix,  6  francs. 

2  Voir,  de  plus  ,  ci-après,  comment  dom  de  Vaines  explique  la  forma- 
tion du  C  latin. 

4  Nous  ne  croyons  pas  devoir  répéter  ici  quels  sont  les  ouvrages  ou 
les  auteurs  qui  nous  ont  fourni  ces  divers  alphabets  ;  ceux  qui  ^oud^ont 
les  connaître,  pourront  recourir  à  l'arlicle  où  nous  avens  traité  des  A  , 
t.  xir,  p.  273. 

Tome  xvm.— N°  loi.  i838.  aa 


338  COURS  DE   PHILOLOGIE   ET   D*ARCnÉOLOGlE. 

Le  XI%  usité  en  Perse  et  en  Médie. 

Le  XIP,  usité  en  Babylonie. 
3°  En  hébreu  rabblniqae ,  lequel  comprend  : 

Le  XÏÏI°  le  chaldéen  cursif. 
Une  deuxième  division  de  la  langue  hébraïque  comprend  lephé' 
niclen  qui  est  écrit  avec  les  Irois  alphabets  suivans  : 

Le  XIV",  d'après  Edouard  Bernard. 

Le  XV%  d'après  le  même  auteur,  et  qui  ressemble  toul-à- 
fait  au  lliuus  ou  crochet  égyptien. 

Le  XV%  ù'd^rh^iV Encyclopédie. 
Une  troisième  division  comprend  la  langue  pan/^uc,  karchédo- 
nique  ou  carlhaginoise  ,  laquelle  était  écrite  avec 

Le  XV1I%  d'après  Hamaker ,  n'a  point  encore  de  G. 

LeXVIlI%  dit  Zeugitain. 

Le  XIX»,  dit  Melitain,  n'a  point  encore  de  C. 

Le  XX«  n'a  point  encore  de  C. 
II.  La  langue  SYRIAQUE  ou  ARAMÉEXNE  ,  laquelle  com- 
prend : 

Le  XXr,  VEsiranghelo. 

Le  XXI r.  le  Nf-storien. 

Le  XXîIP,  le  Syriaque  ordinaire  ^  dit  aussi  Marouile. 

Le  XX1V%  le  Syrien  des  chrétiens  de  saint  Thomas. 

Le  XXV*,  le  Palmyrénien. 

Le  XXVI*,  le  Sabécn,  Mendalte  ou  Mendéen. 

Le  XXVIIe  et  le  XXVII1%  dits  Maronites. 

Le  XXIX'  le  Syriaque  majuscule  ,  et  cursif. 

III.  La  langue  IMÉDIQUE,  laquelle  était  écrite  avec 
Le  XXX*,  le  Peldii^  lequel  est  dérivé, 
DuXXXI%leZcm/. 

IV.  La  langue  ARABIQUE,  laquelle  est  écrite  avec 

Le  XXXIP,  dit  Y  Arabe  littéral,  et 
Le  XXXII1%  dit  le  Couphique. 

V.  La  langue  ABYSSINIQIJE  ouETHïOPIQUE,  laquelle  com- 
prend, 

1°  V A .Tumiie  ou  Gheez  ancien;  2°  le  Tigré  ou  Gheez  moderne} 
Z'VAhmarique ,  lesquelles  langues  s'écrivent  toutes  avec 

Le  XXXÏV*  alphabet,  VAbyssinique,  Ethiopiqu*  ,  Gheez. 
Enfm  vient  le  Copte,  que  Balbi  uc  fait  pas  entrer  dans  le» 


DD   C   LATIN   CAPITAL.  339 

laivgues  sémitiques,  mais  qui  cependant  doit  y  trouver  place, 
et  qui  est  écrit  avec 

Le  XXXV,  alphabet,  le  Copte. 

G  grecs  anciens. 
Nous  ferons  peu  de  remarques  sur  les  G  grecs  anciens.  Il  suf- 
fit, en  effet,  de  jeter  les  yeux  sur  les  différentes  séries  de  G 
sémitiques  pour  voir  que  les  G  grecs  sonl,  ou  exactement  sem- 
blables, eu  seulement  retournés.  La  ressemblance  des  G  latins 
et  des  G  grecs  est  également  frappante. 

Quant  à  leur  âge,  les  G  composant  la  divisioim"  I,  compren- 
nent les  tems  les  plus  anciens  de  la  Grèce  jusqu'à  Alexandre; 
le  n°  2,  ceux  depuis  Alexandre  jusqu'à  Constantin;  le  n"  5, 
depuis  Constantin  jusqu'à  la  ruine  de  Constantinople  ;  le  4" 
quelques  G  curi?ifs  d'une  charte  du  6'  siècle  ,  ce  qui  prouve 
qu'ils  remontent  au-delà. 

Formation  rlu  C  lalin  capital ,  minuscule  cl  cursif.  Planche  VIL 

Presque  toutes  les  plus  anciennes  écritures  de  l'Europe,  dit 
Dum  de  Vaines,  ont  un  troisième  élément  qui  approche  du 
Gamma  des  Grecs,  fîg.  i,  et  du  C  carré,  fig.  2,  ou  rond,  fig.  3, 
des  Latins. 

Le  C  carré,  fig.  2  ,  bien  plus  rare  que  l'autre  ,  se  voit  cepen- 
dant plusieurs  fois  avant  et  surtout  depuis  l'ère  chrétienne  :  on 
le  trouve  souvent  aux  G*  et  7*  siècles  sur  les  médailles  de  nos 
I\ois  '.  Vers  le  11*  siècle,  il  était  assez  fréquent  dans  les  ins- 
criptions, mais  plus  élancé. 

L'usage  de  retrancher  le  bout  des  lettres  majuscules,  comme 
on  l'a  observé  à  l'article  B,  fit  du  c  naturel  un  c  fermé  comme 
un  q ,  mais  sans  queue,  fig.^,  et  qu'on  appelle  C  gothique  des 
bas  tems;  cela  forma  ,  depuis,  le  C  double  en  arrondissant 
le  haut  et  le  bas  de  Ja  figure  à  la  jonction  des  deux  carac- 
tères, fig.  5  et  6. 

Le  C  majuscule  cl  minuscule  brisé  à  deux  traits,  fig.  7,  fut 
reçu  très-favorablement  aux  6'  et  jr«  siècles.  De  cette  brisure 
vint,  dans  le  même  tems,  le  C  fig.  8 ,  qui  n'est  pas  rare  dans  les 
monumens  lapidaires  de  ces  mêmes  siècles ,  et  qui  se  rencontre 
même  dans  certains  manuscrits.  De  ce  dernier,  dont  la  forme 

■  Le  Blanc  ,  Traili  des  Mtnnaits  ,  p.  44t  '^> 


346  corts  r»E  p»ilolo«ie  et  d'archéologie. 

approchait  beaucoup  d'un  double  G,  vint  réellement  un  G 
composé  de  deux  l'un  sur  l'autre,  fig.  9,  dans  le  goût  de  nos 
grands  E  cursifs.  Il  fut  très-ordinaire  dans  les  écritures  cursives 
romaines,  franco-galliques  et  carolines,  quelquefois  dans  la 
cursive  visigolhique  ,  mais  jamais  dans  la  saxonne.  Le  G  de 
cette  dernière  forme  varia  dans  ses  grandeurs  ;  au  j'  siècle  il 
s'éleva  quelquefois  au-dessus  de  la  ligne;  au  8%  cette  élévation 
devint  fréquente  et  ordinaire  au  9».  Quoique  fort  haute,  elle 
n'égala  pourtant  jamais  celle  des  lettres  à  montans,  dont  nous 
avons  parlé  à  l'article  B. 

G  tninuscule. 

Le  c  miniiscule  des  manuscrits  de  plus  de  mille  ans  ,  res- 
semble assez  à  Ve  de  notre  italique  ,  à  cela  près  que  l'extré- 
mité supérieure  eu  rentrant  dans  la  panse  ne  la  touche  pas 
tout-à-fait  :  il  fut  très-arrondi  en  proportion  de  sa  petitesse; 
mais  son  élévation  successive  lui  fit  perdre  de  sa  rondeur.  Au 
12*  siècle  sa  liauteur  est  très-sensible,  après  il  commença  à 
se  hérisser  de  pointes  et  d'angles  qui  nous  annoncent  le  rè- 
gne du   gothique. 

Le  c  minuscule  dont  îa  tête  est  relevée  pas  un  trait  courbe, 
fig.  10,  parait,  surtout  au  9'  siècle  ,  dans  nombre  de  manus- 
crits. Le  petit  c  de  même  forme,  fig.  11,  employé  dans  les 
chartes  ne  devient  un  peu  constant  qu'aux  12e  et  1 5*  siècles. 

c  c'irsif. 

Les  c  cursifs  ont  d'autres  caractères.  Ceux  de  la  romaine 
du  6"  siècle  sont  parfaitement  arrondis  par  le  haut  et  par  le 
dos  qu'ils  ont  un  peu  allongé.  Le  c  cursif  est  antérieur  au 
i5«  siècle,  lorsque,  composé  de  deux  pièces,  il  ressemble  à- 
peu-près  à  nos  x  dont  la  partie  gauche  inférieure  manque,  et 
dont  la  partie  gauche  supérieure  est  liée  avec  la  lettre  priicé - 
dente,  comme  la /Z^.  12. 

Le  c  cursif  en  forme  d'f,  tel  qu'on  le  voit  fig,  9,  est  Méro- 
vingien :  il  est  la  base  d'une  infinité  de  variantes,  dont  il  est 
cependant  aisé  de  voir  l'origine.  Les  figaresid,  i4»  i5,  iG,  17, 
18  et  ig,  qu'on  peut  voir  également  dans  la  planche  de  l'E  ,  en 
descendent  assez  naturellement  :  tel  fut  l'état  du  c  cursif 
Franco-Gallique.  Sous  la  seconde   race  les  cursifs  parurent 


c  crnsiF.  3'i  l 

moins  iiiconslans  dans  leurs  figures  :  sur  un  simple  petit  c 
s'en  élevait  un  oblongsans  rondeur  inférieure,  qui  rcsscmbl;iit 
quclqjiefois  à  une  l  fermée  par  le  liant,  figures  20,  21  et  11. 
Voilà  l'idée  des  c  cursifs  sous  Charlemaa^ne.  Sous  Louis-lc-Dé- 
bonnaire  et  sous  Chorles-le-(;hauve ,  ils  iie  difl'érèrent  pas  de 
beancoup.  Sous  le  roi  Eudes,  dans  le  teuis  de  l'étriture  allon- 
gée ,  la  partie  inférieure  fut  deux  fois  aussi  haute  que  la  supé- 
rieure. Ce  n'est  qu'en  1108  que  le  c  surmonté  d'une  espèce 
d'e  tronqué,  fig.  23,  semble  disparaître. 

L'UG  boucle  ou  frisure  au  haut  du  c,  de  Te,  de  Ts  et  de  1'/", 
caractérisent  très-bien  le  10°  siècle,  même  la  fin  du  g^  Celle 
forme  s'abolit  au  11%  excepté  en  Allemagne  où  on  la  con- 
serva jusqu'au  douzième. 

Le  petit  c  purement  minuscule  s'établit  dans  la  cursive  au 
9"=  siècle  ;  il  s'y  multiplia  dans  le  io«  :  il  s'écrasa  un  peu,  et  dès 
93 1  il  prenait  même  en  Allemagne  la  figure  d'un  r  minuscule, 

fis-  24. 

En  général  le  c  ancien  éprouva  en  France  des  variations 
continuelles  :  celui  de  l'écriture  allongée  y  fut  encore  plus  su- 
jet. Vers  le  milieu  ilu  1 1'  siècle  le  petit  c  chassait  des  diplômes 
le  c  cursif  pour  se  mettre  à  la  place.  Plus  de  trente  ans  avant 
la  fin  de  ce  siècle,  à  peine  restait-il  quelque  trace  de  l'ancien 
E  bouclé,  fig.  25,  si  l'on  en  excepte  la  liaison  du  c  et  du  t, 
fig.  26.  Il  est  fort  douteux  que  le  i  2*  siècle  puisse  fournir  quel- 
que exemple  du  C  antique.  En  Allemagne  il  n'était  déjà  plus 
connu  à  la  fin  du  10*  et  au  commencement  du  1 1%  ou  dès  Tau 
luôo  ,  même  dans  Técriture  allongée. 

Jusque  vers  le  milieu  du  12^  siècle,  le  c,  quel  qu'il  pût 
être,  était  toujours  tremblant  dans  l'écriture  allongée  :  dans  ce 
siècle  les  traits  gothiques  el  bizarres  pour  former  le  c  se  mul- 
liplièrenl  en  France. 

Il  n'est  pas  hors  de  propos  d'observer  que  le  c  et  le  t  des 
chartes  et  des  manuscrits  se  confondirent  depuis  le  i'6*  siècle. 

A  la  tête  des  diplômes  des  empereurs  d'Allemagne  du  moyen 
âge  ,  on  trouve  un  grand  C  majuscule  ;  cette  lettre ,  qui  a  été 
énigmatique  pour  bien  des  auteurs  qui  n'ont  pas  réussi  dans 
leurs  conjectures,  est  un  reste  de  l'invocation  en  sigles  I.  C.X. 
in  Christi  nomine.  Le  monograijime  de  cette  invocafion'sé  rap- 


342  COURS   DE   PHILOLOGIE    ET    ©'ARCHÉOLOGIE. 

procha  toujours  de  plus  en  plus,  dès  les  commenceraens,  de 
la  figure  du  C.  Sous  les  Othons  celte  figure  dominait  ;  et  sous 
le  troisième  empereur  de  ce  nom  on  n*y  aperçoit  plus  que  ce 
C  :  celle  forme  était  ordinaire  au  12*  siècle,  mais  au  i5«  oa 
commença  à  l'omettre. 

ExpUcatioa  du  C  capital  latin  des  iascriptions. 

La  !'•  division  du  C  capital,  inscrit  sur  les  matières  dures, 
contient  les  C  qui  forment  un  angle  dans  leur  contour,  et  qui 
sont  semblables  tantôt  au  r  grec,  tantôt  à  L  latine,  et  tantôt 
à  un  angle  ouvert  du  côté  droit.  Ils  sont  tous  fort  anciens,  ex- 
cepté les  trois  derniers  de  la  i'*et  de  la  5*  subdivision. 

La  II*  est  composée  de  G  plus  ou  moins  carrés  ,  dont  les  figu- 
res appartiennent  presquetoutes  au  moyen-àge ,  quelques-unes 
à  la  haute  antiquité,  comme  plusieurs  de  la  2"  subdivision  ;  et 
quelques  autres  aux  bas  tems  comme  la  dernière  de  la  6*. 

La  III^  division  renferme  des  G  diversement  arrondis.  Les  1", 
2%  5*,  4* subdivisions  conviennent  assez  aux  premiers  siècles, 
quelquefois  au  moyen-àge,  et  rarement  au  bas  tcms.  La  5'  dé- 
signe une  grande  antiquité,  lorsque  quelques-unes  de  ces 
figures  reparaissent  constamment.  La  G^  et  la  7»  indiquenl  les 
quatre  premiers  siècles. 

La  l\^  division,  uniquement  consacrée  au  gothique,  ne  s'é- 
lève pas  au-dessus  du  12^  siècle,  et  descend  presque  jusqu'au 
nôtre. 

Du  C  capital  des  manuscrits,  du  C  minuscule  et  du  C  cursif. 
Planche  VllI. 

Pour  abréger,  et  pour  ne  pas  nous  répéter  inulilemenl,  nous 
devons  renvoyer,  pour  l'explication  de  celle  planche  ,  d'abord, 
à  ce  que  nous  venons  de  dire,  de  la  formation  duC  tatin  capital, 
minuscule  et  cursif,  et  ensuite  aux  longs  détails  que  nous  avons 
donnés  pour  l'explication  de  la  planche  VI,  celle  duB  '.  Toutes 
les  divisions,  toutes  les  dénominations  y  sont  expliquées  ct- 
classées. 

»  Voir  le  N°  94  ,  tome  xvi ,  p.  2iO. 


?]anc\ve\'\îl/' y^i' 


C  Latin,  Capital  DE  s  Maîcuscrits 
11 


c  Minuscule  Lati\ 


c/  Carlm^in^î^X^Ê'^Z'^r  CCtC^^^^i^à^CG  tC^C<''CtÇ: 


ijctliXJLC  <^^^^rtctTrf  crrcrrcccco'itcxjcc^é: 


c  CURSIF  DES  DlPLOiMES 


iincê''''ej&cr^r  "^^'fl^c^'Vcrcrrra  {J^M^af^g 

^C^^^ÇCC^^^t  vert  x{^Dcla(r^rela^^^C  ""^CS^Z  '\'  C 


CABALE.  SZlS 

CAABAH,  nom  arabe,  signifiant  un  dais,  un  toit  ou  maison 
carrée;  c'est  le  nom  assigné  au  temple  de  la  Mecque,  qui  est 
regardé  comme  le  toit  ou  la  viaison  par  excellence.  On  retrouve 
ici  le  grand  comble  ou  toit^  par  lequel  les  Chinois  expriment 
Dieu  :  voir,  ci-dessus,  la  formation  de  la  ici  Ire  G. 

CABALE  vient  de  l'hébrey  "!'::]:•»  qui  signifie  réception  par  tradi- 
tion. Ainsi,  d'après  son  nom,  la  cabale  serait  le  recueil  des  tradi- 
tions juives  antiques,  conservé  de  père  en  fils  et  de  génération 
en  génération,  depuis  iMoyse  et  même  depuis  Adam  ,  auxqijels 
ils  croient  que  Dieu  donna  non-seulement  la  loi.  mais  encore 
l'explication  de  cette  loi.  Ce  serait  une  espèce  de  théologie  se- 
crète ,  transmise  de  bouche  en  bouche,  enseignant  à  découvrir 
dans  l'Ecriture- Sainte  des  sens  mystiques  et  allégoriques.  C'est 
de  là  que  sont  venus  les  Rabbins  cahalistcs,  qui  définissent  ainsi 
la  cabale:*  Vue  science  qui  élève  à  la  contemplation  des  choses 
»  célestes,  et  au  commerce  avec  les  esprits  bienheureux  ;  elle 
«fait  cor.naître  les  vertus  et  les  attributs  de  la  Divinité,  les  or- 
»dres  et  les  fonctions  des  anges,  le  nombre  des  sphères,  les  pro- 
»  propriétés  des  autres,  la  proportion  des  élémens;  les  vertus  des 
s  plantes  et  des  pierres,  les  sympathies,  l'instinct  des  animaux, 
•  les  pensées  les  plus  secrètes  des  hommes.  » 

Il  y  a  trois  parties  dans  la  cabale,  la  i'"  appelée  Beresith  est 
la  science  des  vertus  occultes  que  le  monde  renferme.  La 
2%  nommée  Mercana,  est  la  science  des  choses  surnaturelles. 
La  3*,  tout-à-fait  superstitieuse  et  méprisée  des  Juis  mêmes,  con- 
siste à  faire  des  conjurations  ou  à  porter  des  amulettes  pour  se 
préserver  de  tout  malheur. 

Cincpiante  entrées  différentes,  d'après  les  Rabbins,  condui- 
sent à  la  connaissance  générale  des  mystères;  c'est  ce  qui  s'ap- 
pelle les  5o  portas  de  l'intelligence  '.  Dieu  en  fit  connaître  49  a 
iMoyse;  celui-ci  renferma  toute  cette  doclrifie,  toute  l'étendue 
de  la  science  que  Dieu  lui  avait  donnée,  dans  les  cinq  livres 
du  Fentateuque;  elle  y  est  contenue,  ou  dans  le  sens  littéral, 
ou  dans  le  .«-ens  allégori(jue ,  ou  dans  la  valeur  et  la  combinai- 
son arithmétiques  des  lettres,  dans  les  figures  géométriques  des 
caractères,  dans  les  cor.sonnances  harmoniques  des  sous.  C'est 

'  Reuch!ia,^«  arU  Cabiiisticâ  ,  qu'il  dédia  au  pape  Léon  X. 


34i  COURS   DE   PHILOLOGIE   ET    d'aRCUÉOLOGIE. 

à  l'y  découvrir  que  travaillent  tous  ceux  qui  se  sont  occupés 
de  la  cabale.  On  comprend  par  ce  court  exposé  que  s'il  est 
5o  portes  ouvertes  à  l'intelligence ,  le  nombre  de  celles  qui  sont 
ouvertes  à  l'erreur  doit  être  infini. 

On  trouve  des  vestiges  écrits  de  la  cabale  dans  le  Thalmud , 
compilé  vers  le  6"^  siècle,  et  plus  particulièrement  dans  les 
écrits  du  rabbin  Hai-Guon,  mort  l'an  1057;  mais  celte  science 
remonte  bien  plus  haut. 

Quelques  savans  même  chrétiens  se  sont  occupés  de  la  ca- 
bale, et  ont  voulu  lui  assigner  une  place  dans  les  études  sérieu- 
ses. Le  fameux  Pic  de  la  Mirandole  a  composé  un  livre  tout  ex- 
près pour  en  faire  sentir  l'importance  '. 

Il  y  dit  sérieusement  que  celui  qui  connaît  la  vertu  du 
nombre  10,  et  la  nature  du  premier  nombre  «phérique,  qui  est 
5,  aura  le  secret  des  5o  portes  d'intelligence,  du  grand  jubilé 
de  5o  ans  des  Juifs,  de  la  millième  génération  de  l'apocalypse 
et  du  règne  de  tous  les  siècles  dont  il  est  parlé  dans  l'Evangile.  îl 
enseignait  en  outre  que  pour  son  compte,  il  y  avait  ti-ouve  toute 
la  doctrine  de  Moyse,  la  religion  chrétienne,  les  mystères  de  la 
Trinité  et  de  la  Rédemption,  les  hiérarchies  des  Anges,  la 
chute  des  Démons,  les  peines  de  l'Enfer,  etc.  Toutes  ces  asser- 
tions forment  les  72  dernières  propositions  des  goo  qu'il  soutint 
à  Rome,  avec  l'admiration  générale,  à  l'âge  de  24  ans. 

L'abbé  Bergier  croit  que  la  cabale  n'a  commencé  que  vers 
le  10'  siècle  ';  mais  il  est  dans  l'erreur.  La  science  de  la  ca- 
bale ,  surtout  dans  les  deux  premières  parties ,  est  très-an- 
cîenne;  elle  se  lie  avec  la  doctrine  astrologique  des  Chaldéens, 
«ivec  la  vertu  des  nombres  et  des  élémcns  ,  que  l'on  trovive  dans 
les  plus  anciens  livres  chinois  ,  avec  la  philosophie  des  nom- 
bres de  Pythagore  et  de  Platon.  Il  nous  paraît  prouvé,  en  effet, 
que  les  anciens  avaient  attaché  des  vérités  fort  importantes  aux 
nombres  et  aux  élémens  ;  mais  la  tradition  et  l'explication  de 
ces  vérités  se  sont  altérées  et  perdues.  Aucun  critérium,  aucune 
règle  sûre  n'existe  plus  pour  les  retrouver.  Il  serait  cependant 
à  souhaiter  qu'un  homme  d'un  sens  droit  et  d'un  esprit  positif  et 

»  Il  est  intitulé  :  Porta  lucis. 

*  Dans  son  dict,  de  Théologie  ,  au  mot  Cabale, 


CABALE.  345 

non  systémaliquc,  voulût  remuer  cette  masse  de  conceptions 
plus  ou  moins  hétërocliles  et  les  comparer  ensemble.  Nous 
sommes  assurés  qu'il  sortirait  de  cet  examen  une  connaissance 
curieuse  et  nouvelle  des  doctrines  métaphysiques,  physiques 
et  psychologiques  des  anciens  peuples. 

Parmi  les  modernes,  Lcibnilz,  Malebranche  se  sont  occu- 
pés de  la  science  des  nombres  ;  plus  récemment  encore, 
MM.  d'Etchegoyen  et  de  Lourdoueix  '  ont  recherché  et  trouvé 
quelques-uns  de  ces  rapports  qui  forment  la  grande  harmonie 
de  toute  la  création.  iMais  ces  travaux  ont  été  laits  en  dehors 
des  traditions  juives  ou  grecques,  et  rentrent  dans  la  classe  des 
conceptions  philosophiques. 

Nous  terminerons  cet  article  par  ce  que  dit  de  la  cabale, 
M.  Caheu  ,  traducteur  moderne  de  la  bible.  On  sait  que 
M.  Cahen  est  rationaliste  et  ne  croit  pas  aux  traditions  révélées; 
on  verra  cependant  qu'il  ne  nie  pas  la  réalité  des  traditions 
précieuses  qui  se  trouvent  renfermées  dans  l'antique  recueil 
des  traditions  juives. 

«  La  Cabala/i,  tradition  mystique  du  Judaïsme,  renferme  des 
mystères  identiques  pour  le  fond  à  ceux  du  Christianisme,  et 
en  différant  par  l'énoncé.  Ainsi  Clwmme  antérieur  (r"2~p)  des 
cabalistes  n'est  évidemment  autre  que  le  Logos  ,  le  yerbe 
incarné  de  TEvangile ,  qui  porte  le  nom  de  St.  Jean.  Ce  qu'on 
lit  dans  le  verset  3  du  chapitre  i"  du  même  Evangile,  se  lit 
également,  mais  en  d'autres  termes,  dans  le  Zoar,  nouveau 
testament  de  cabalistes.  Des  théologiens  ont  entrepris  de  nous 
convertir  en  démontrant  par  le  Zoar  les  mystères  chrétiens;  le 
moyen  est  excellent  auprès  des  Juifs  qui  admettent  le  Zoar.  Il 
est  même  à  remarquer  que  la  secte  cabalisti(|ue  ,  qui  a  fait 
tant  de  bruit  au  dix-septième  siècle,  et  avait  pour  chef  le  célè- 
bre SabtaiSevi{^2':i  'nziL'),  a  disparu  et  s'est  fundue  presque  tota- 
lement dans  le  Christianisme.  Toutefois,  il  serait  possible  que 
la  secte  toujours  subsistante  et  si  nombreuse  des  ChaiidinCpo- 

»  DerUn/te,  ou  aperçus  philosophiques  sur  l'idenlitc  des  principes 
de  mathématiques,  de  la  gramm.  ge'nérale  et  de  la  religion  chéticnne. 
2  vol.  in-8o,  Paris,  Debéconrl;  prix  :  12  fr. 

'  De  la  Vérité  universelle ,  pour  servir  d'introduction  â  la  pitilosopltie  du 
Verbe,  \  vol.  in-S",  Paris,  chez  Sapia  )  prix,  7  IV.  50  c. 


SftS  COURS  DB  PHILOLOGIB   ET   d' ARCHÉOLOGIE. 

tonais  (D^TDn)  fût  une  branche  des  Sabtaiens.  La  Cabalah  a 
exercé  une  influence  puissante  et  funeste  sur  la  vie  du  Juif, 
depuis  son  entrée  dans  le  monde  jusqu'à  la  dernière  pelletée 
de  terre  qui  ferme  son  tombeau.  Nos  momeries  les  plus  ab- 
surdes ,  nos  superstitions  les  plus  honleuses  sont  uniquement 
fondées  sur  des  pratiques  cabalisliqvies,  en  opposition  même 
avec  le  vrai  esprit  du  ThalmucL  Car,  quoique  cette  collection 
renferme  des  idées  et  des  faits  mystiques,  on  ne  les  rencontre 
que  dans  la  partie  dile  Hagadtha  [Hm2r\)^  peu  estimée  et  décriée 
en  plusieurs  endroits  du  Thalinud  même,  ce  qui  rend  probable 
l'opinion  que  cette  partie  a  été  ajoutée  plus  tard  et  subreptice- 
ment. Elle  ne  se  rattache  d'ailleurs  directement  nia  la  Mischnah 
nia  la  Guemarah  '.  > 

CALATRAVA  (ordre  militaire  de).  Un  de  ceux  qui,  au 
moyen-âge,  défendirent  le  Christianisme  et  la  civilisation  con- 
tre les  conquêtes  du  Mahomélisme.  La  ville  de  Calatrava,  prise 
sur  les  Maures  en  1147  avait  été  donnée  aux  Templiers  pour  la 
garder;  ceux-ci  désespérant  de  la  conserver  la  rendirent  au  roi 
Sanche  III.  Alors  un  religieux  de  Cîteaux  D.  Didace  Yelasquez 
la  fit  demander  par  son  abbé  D.  Raimond,  qui  passe  pour 
l'instituteur  de  l'ordre.  D.  Sanche  accéda  à  sa  demande  en 
1 1 58.  Le  nouvel  oVdre  fut  d'abord  composé  de  frères  convers 
de  Cîteaux;  mais,  à  la  mort  de  l'instituteur,  en  1  i65,  les  che- 
valiers, tout  en  restant  soumis  à  Cîteaux,  ne  voulurent  plus  de 
moines  parmi  eux  Les  chevaliers  de  Calatrava  rendirent  de 
gr.mds  services  et  se  distinguèrent  dans  un  grand  nombre  de 
combats  et  de  sièges  jusqu'à  la  malheureuse  bataille  d'Alarcos, 
en  1 193 ,  où  ils  restèrent  presque  tous  sur  le  champ  de  bataille. 
Leur  ville  mrme  fut  prise.  Le  siège  fut  transplanté  alors  à  Cir- 
vclos,  et  en  1198  à  Salvafierra,  puis  à  Quirita,  puis  retourna 
à  Calatrava  en  12 13. — Le  grand-maître  de  Calatrava  était  très- 
puissant  en  Espagne;  c'est  ce  qui  donna  de  l'ombrage  au  roi 
Ferdinand  et  à  la  reine  Isabelle,  qui,  en  i486,  firent  signifier 
aux  chevaliers,  qui  allaient  élire  un  grand-maître,  une  bulle 
d'Innocent  VIII,  qui  déclarait  se  réserver  cette  nomination. 

A.    BONNETTY. 

»  La  Biblt ,  trad.  nouv.  par  S.  Cahcn ,  t.  ix ,  liai»  ,  p.  70. 


SI   LS   CH&ISTIAMSVE   X   NUI    AUX    SC1E:«CES.  3^7 


;2lfC(Jrv>  bc  U  Ufd'^îVn  cî  t>f5  Sciences, 


S'IL   EST   VRAI    QUE    LE    CHUTSTIAMSME  AIT  yVl   AU 
DÉ^ELOPPEMEiNT  DES  CONNAISSANCES  HUMAINES. 


iDcttxicme   3v(îc(e. 

BÉFUTATION    DES   ERREURS    DE    M,    I.IBIlI. 

Motifs  qui  ont  déterminé  la  priorité  donnée  au  sujet  du  \^^  article.  — ■ 
M.  Libri  :  qualités  qui  distinguent  son  ou\rage.  —  Préjugés  qui  dépa- 
rent et  faussent  souvent  ses  travaux  historiques.  —  Opinion  du  jour- 
nal de  V I nslriiclion  publique  sur  son  Histoire  des  Sciences  malhéinaliques 
etc.  —  Espèce  d'exaraen  ({u'on  se  propose  d'en  faire  ici. —  Extraits  du 
premier  volume.  —  Passages  sur  le  nioyen-àge  en  parficulier. —  Mor- 
ceaux qui  semblaient  promettre  une  appréciation  plus  juste  et  plus  gé- 
néreuse. —  Un  mot  sur  les  bibliothèques  ecclésiastiques  des  premiers 
siècles.  —  Projet  d'une  notice  sur  les  bibliothèques  du  moyon-àge. 

I.  En  commençant  la  critique  de  M.  Libri  par  celle  d'un  opus- 
cule de  M.  Letronne,  je  crois  m'être  conformé  à  l'ordre  deslems 
et  à  celuides  idées,  aussibien  qu'à  la  mareliesuiviepar  M.  Libri, 
qui  invoque  le  témoignage  de  son  savant  collègue  dès  les  premiè- 
res pages  de  son  Histoire.  Je  ne  pouvais  d'ailletirs,  avec  le  but  que 
je  me  propose,  laisser  passer  une  accusation  d'ignorance  portée 
si  affirmativement  contre  les  docteurs  des  premiers  siècles  chré- 
tiens; Leibnilz  n'était  pas  plus  endurant  à  ce  sujet,  lui  qui 
écrivait  à  un  autre  protestant  '  :t  Je  suis.  Monsieur,  de  la  partie 
savec  vous,  contre  ceux  qui  s'émancipent  de  maltraiter  les 

•  Pères  en  toute  occasion Le  mépris  des  Pères ,   poussé  à 

■  outrance,  rejaillit  sur  la  religion  chrétienne,  et  si  elle  n'a 

»Voir  dans  le  N"  précédent,  l'article  intitulé  Uéfulalion  de  M.  le- 
tronne, p. 260. 

»  Lettre  à  Veyuière  de  Lacroze.  Op.,  t.  v,  p.  i81. 


3^8  SI  LE  ÊHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

«jamais  eu  de  propagateurs  vérilablement  pieux  et  éclairés, 
«quelle  opinion  en  doit-on  avoir?  » 

II.  Venons-en  à  l'ouvrage  qui  est  l'objet  direct   de   ces  arti- 
cles. Et  comme  il  pourra  nous  occuper  quelque  tems,  des  éclair- 
cissemens  une  fois  donnés  sur  la  nature  et  l'esprit  de  ce  livre, 
ne  seront  point  de  trop.  UHisioire  des  sciences  mathématiques  en 
Italie  s'ouvre  par  un  discours  où  l'auteur  se  propose  une  œu- 
vre assez  distincte  de  l'ouvrage  lui-même.  Là,  traçant  d'abord 
le  tableau  des  époques  principales  qui  dominent  l'histoire  litté- 
raire de  tous  les  peuples,  sous  le  rapport  des  sciences  physiques 
et  mathématiques,  il  élève  comme  le  portique  du  temple  qu'il 
a  voué  au  mérite  scientifique  de  sa  patrie;  et  l'érudition   ré- 
pandue par  lui  sur  ce  sujet,  suppose  ,  j'aime  à  le  dire,  des  étu- 
des plus  sérieuses  qu'on  n'a  coutume  d'en  faire  aujourd'hui. 
Aussi  notre  écrivain  ne  se  reclame-t-il  que  fort  peu  du  19^  siècle: 
l'avertissement  qui  précède  le  premier  tome,  annonce  un  hom- 
me qui  ne  s'enthousiasme   que  tout  juste  pour  la  civilisation 
actuelle  dont  on  fait  parfois  tant  de  bruit  ,  et  qui  ne  craint  pas 
de  porter  le  doigt  sur  plusieurs  plaies  de  notre  état  social.  La 
dessus  il  exprime  çà  et  là  une  indignation  généreuse  à  laquelle 
jem'associede  grand  cœur;  mais  je  ne  saurais  adhérer  de  même 
à  certaines  autres  idées  qu'il  expose  du  reste  sans  fard,  bien 
diderent  de  certains  esprits  cauteleux  dont  le  mauvais  vouloir 
contre  la  religion ,  revêt,  par  respect  pour  une  certaine  opi- 
nion publique,  toute  faible  qu'elle  est  en  ce  point,  les  formes 
qu'eût  pu  leur  inspirer  le  régne  absolu  de  Tinquisition  ,  si  une 
inquisition  eût  laissé  à  de  pareils  hommes  un  penser  indépen- 
dant. Ames  du  tiers  parti  qu'appréciait  ainsi  la  grande  âme  du 
Daute  »  : 

Qu«l  cattivo  coro 

Dcgli  angeli  che  non  furon  ribelli 

Ne  pur  fedeli  a  Dio  ma  per  se  foro. 
Quant  à  M.  Libri,  il  n'en  est  point  aux  cxpédiens  pour  mor- 
dre dans  l'ombre,  et  certes,  s'il  est  un  défaut  qu'on  puisse  lui 
reprocher,  ce  n'est  pas  d'avoir  manqué  de  franchise.  Il  se  pose 
à  découvert  comme  tenant  les  chrétiens  (  c'est  la  désignation  , 

>  Infcrno.  m. 


RÉFUTATION  DE  M.  LIBRI.  349 

égalcmeut  très-nette,  qu'il  substitue  aux  vieilles  expressions  de 
cour  de  Rome  ,  papes  ,  clergé  ,  ou  encore  hiérarchie  ,  comme 
diraient  les  Allemands)  pour  une  race  funeste,  ennemie  née 
de  tous  les  progrès  intellectuels  '.  Et  comme  il  ne  paraît  pas 
homme  à  se  plier,  du  moins  sciemment,  à  des  opinions  d'em- 
prunt ,  il  expose  ses  idées  avec  la  verve  d'une  conviction  vive 
et  profonde. 

III.  Tout  ce  que  le  journal  de  l'Instruction  publique  trouve  à 
redire  en  cela  ,  c'est  un  peu  de  dureté  pour  le  Catholicisme  , 
reproche  même  V''  "^  serait  applicable  qu'au  cas  où  on  juge- 
rait l'ouvrage  du  point  de  vue  français.  Cela  veut  dire,  comme 
on  l'explique  en  etTet  ,  que  l'auteur,  né  dans  une  contrée  où 
les  esprits  en  sont  encore  aux  opinions  qui  nous  dominaient  en 
89  ,  ne  peut  pas  apprécier  les  résultats  des  institutions  chrétien- 
nes avec  la  modération  qu'y  apporte  un  français  de  i858. 

Que  la  France  actuelle  apprécie  à  leur  juste  valeur  les  œuvres 
du  Christianisme,  ce  n'est  pas  mon  affaire,  mais  pour  ce  qui 
est  du  jugement  porté  sur  l'historien  àù?isciences  mathématiques  en 
Italie,  il  est  à  la  fois  faux,  lorsqu'on  ajoute  que  son  hostilité  con- 
tre C Eglise  est  le  plus  souvent  justifiée  par  les  faits;  et  peu  honora- 
ble à  M.  Libri,  quand  on  nous  le  représente  comme  un  homme 
qui  n'avait  qu'à  naître  quelques  six  degrés  plus  à  l'ouest,  sous 
le  même  parallèle,  pour  penser  tout  autrement  qu'il  ne  le  fait. 
II  est  à  déplorer  que  des  hommes  faits  pour  rendre  contagieuse, 
en  quelque  sorte  ,  la  manière  de  voir  qu'ils  ont  une  fois  adop- 
tée, en  prennent  une  fausse  sur  les  objets  les  plus  importans  à 
l'humanité;  mais  quand  de  tels  hommes  s'égarent  par  le  cœur, 
il  ne  faut  point  énerver  les  âmes  déjà  trop  incapables  d'efforts,  en 
leur  offrant  cet  exemple  comme  une  preuve  de  l'empire,  si  exa- 
géré des  tems  et  des  lieux  ,  excuse  des  lâches  et  refuge  de 
ceux  qui  ont  peur  de  prendre  leur  point  de  départ  dans  la  cons- 
cience. Il  ne  faut  point  non  plus  conniver  à  l'insouciance  des 

'  Celle  façon  de  penser  avait  déjà  été  indiquée  au  public  par  M.  Libri 
dans  un  mémoire  lu  depuis  iong-lems  à  l'hisliUit,  et  inséré  dans  les  an- 
nales de  physique  et  de  chimie  ,  au  sujet  de  la  dispersion  des  académiciens 
del  Cimenta.  Voir  dans  les  Annalts  de  philosophie  chrétienne ,  t.  x  ,  p.  17. 
la  réfulatioH  qu'en  a  faite  nn  savant  compatriote  de  M.  Libri ,  le  P.  OU- 
Tieri  de  Rome.  oerm  aa  3Ï.  ' 


350  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  ACX  SCIENCES. 

esprits  pour  des  sujets  les  plus  relevés ,  en  leur  donnant  à  croire 
que  la  mode  d'un  pays  ou  d'un  siècle  peut  excuser  l'erreur  en 
ce  genre;  il  faut ,  s'adressant  franchement  à  celui  qui  s'égare 
ainsi  de  la  vraie  roule  au  détriment  des  autres  ,  lui  montrer 
qu'il  se  fourvoie,  et  que  son  amour  pour  le  vrai  doit  avant  tout 
s'éprendre  du  vrai  social,  du  vrai  utile  à  la  vie  morale  de  l'hom- 
me et  des  nations.  L'écrivain  que  je  critique  ici,  n'est  pas  ,  je 
pense  ,  jaloux  d'une  flatterie  ni  d'une  excuse  ,  et  je  m'assure 
qu'une  réfutation  aussi  positive  que  son  attaque  lui  plaira  plus 
que  des  critiques  doucereuses. 

IV.  Toutefois  comme  il  n'est  point  ici  question  de  personnes, 
mais  défaits,  je  ferai  le  plus  souvent  abstraction  de  l'auteur, 
pour  nera'oecuper  que  de  ce  qu'il  avance, et  traitant  bien  plus  ses 
erreurs  que  son  livre  ,  je  lui  associerai  parfois  d'autres  écrivains 
qui  partagent  sa  manière  de  voir, et  je  montrerai  qu'ils  se  trom- 
pent les  uns  et  les  autres;  trop  heureux  d'éviter  en  des  discus- 
sions si  sérieuses  l'apparence  même  d'une  polémique  person- 
nelle. Je  déclare  avant  tout,  sans  aucune  affectation  de  modes- 
tie, que  je  suis  loin  de  me  croire  comparable  à  M.  Libri  pour 
l'érudition  :  je  me  permettrai  plus  tard  ,  peut-être,  de  discuter 
la  valeur  de  quelques-unes  de  ses  assertions  relatives  exclusive- 
ment àl'histoire  littéraire,  mais  je  ne  me  propose  actuellement 
que  de  traiter  la  question  religieuse.  Et  imitant  mon  auteur,  qui 
ne  résume  l'expression  de  son  animosité  vigoureuse  en  traits 
fortement  accentués  et  soutenus  ,  qu'après  quelques  attaques 
isolées  ,  je  m'attacherai  à  repousser  les  inculpations  partielles, 
pour  n'arriver  au  corps  de  la  place,  qu'après  avoir  désemparé 
les  ouvrages  avancés  Donnons  d'abord  une  idée  de  la  nature 
de  ces  charges  et  la  manière  dont  elles  sont  arliculées  «. 

Y.  «  Il  ne  faut  pas  voir  dans  le  Christianisme  un  fait  isolé, 
>ni  la  puissance  d'un  seul  homme.  Ce  fut  peut-être  une  grande 
»  nécessité;  déjà  dutems  de  la  république,  Rome  avait  été  ébran- 
>  lée  par  les  associations  religieuses  *.  Plus  lard,  lorsque  des  mons- 

>  Vlii$toire  des  Sciences  malliémaliquesen  Italie,  n'étant  encore  qu'à  son 
second  volume ,  je  me  bornerai  à-peu-près  au  Dicours  préliminaire  qui 
fait  la  matière  du  premier. 

*  Je  ne  pense  pas  que  ce  ^oit  Catilina  ou  Spartacus  ,  ni  même  le» 


RÉFUTATION  DE  W.  LIBRI.  351 

•  fres  couronnés  eurent  répandu  la  désolation  et  l'effroi  da 
»Tage  à  l'Euphrate,  on  embrassa  avidement  une  religion  d'éga- 
»lilé  qui  promettait  le  paradis  aux  malheureux  et  menaçait  les 
B Césars.  D'autres  sectes  tentèrent  en  vain  de  lutter  contrôle 
wChrisliaiiisrae  ;  ce  n'élait  ni  la  subtilité  grecque  ,  ni  les  tours 
«d'Apollonius  de  Thyatie,  (jui devaient  accomplir  la  grande  ré- 

•  volution.  Il  n'élait  donné  qu'à  des  hommes  non  corrompus, 
»  accoutumés  par  tiadition  au  martyre,  doués  d'une   immense 

•  énergie  et  d'iuie imagination  puissante,  de  pouvoir  sorlir  d'une 

•  écurie  de  Nazarelli  ",  pour  aller  s'asseoir  sur  le  trône  impérial, 

•  Cette  religion  qui  devait  remuer  si  fortement  le  monde,  fut, 

•  dès  l'origine  ,  ennemie  de  la  science La  lecture  même  des 

•  anciens  auteurs  fui  défendueaux  chrétiens:  elle  ne  fut  permise 
r qu'à  ceux  qui  voulaient  combattre  le   paganisme,  et  à  ceux 

•  qui  cherchaient  (chose  inconcevable!)  dans  les  écrivains  grecs 
«et  romains,  des  prédictions  de  l'arrivée  du  Messie.  Aussi  dans 

•  les  premiers  siècles  de  l'Eglise,  on  ne  rencontre  pas  un  seul 

•  chrétien  qui  ait  laissé  un  nom  dans  les  sciences  ».  » 

C'est  ici  que  vient  la  citation  de  M.  Lelronnc,  que  nous 
avons  examinée  dans  le  numéro  précédent.  M.  Libri  conti- 
nue: 

«  Sans  l'arrivée  des  barbares,  on  ne  saurait  concevoir  com- 

•  ment  l'Europe  serait  sortie  de  l'état  d'abrutissement  oii  l'a- 

•  vait  plongée  la  corruption  des  mœurs,  une  ignoble  tyran- 
anie  ,  et  l'action    d'une  religion  qui  absorbait  toutes  les  forces 

•  sociales.  La  nullité  des  Bysanlins  qui,  sans  avoir  STibi  aucune 
«invasion, et  malgré  les  trésors  littéraires  hérités  de  leurs  pères, 

meurtriers  de  Ce'sar  pas  plus  que  les  partisans  de  Marins  et  de  Sylla  oa 
des  triumvirs  ,  qui  aient  clc  des  mystiques, 

'  Je  ne  partage  point  la  pensée  de  ceux  qui  verraient  ici  un  refour  au 
style  voltairien  pour  ridiculiser  le  berceau  du  Christianisme.  M.  Libri 
me  paraît  trop  grave  pour  avoir  songe  à  s'armer  d  aussi  pau\rcs  moyens: 
mais  il  est  italien  ,  et  dans  sa  langue  raalernelle  le  mot  slalla  signifie 
également  étable  et  écurie.  Quant  k  Nazareth  ,  c'est  J5e//t/eem  qu'il  fallait 
dire  :  nouvelle  preuve  entre  mille  que  les  hommes  les  plus  instruits  se 
donnent  la  liberté'  de  traiter  de  la  religion  sans  avoir  pris  la  peine  d'en 
connaître  les  enseigaemens  les  plus  communs. 

•  P.  65-67. 


352  SI  LE  CIiniSTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

s  dégénérèrent  sans  cesse  sous  l'influence  du  Christianisme  * , 
«nous  fait  prévoir  quel  aurait  été  le  sort  de  l'occident,  si  la  sau- 
»vage  énergie  de  ses  nouveaux  conquérans,  n'y  eût  pas  retrem- 
wpé  le  sang  corrompu  des  Romains....  Rome  n'attira  plus  l'ani- 
wbition  des  savans,  et,  livrée  à  la  toute-puissance  ecclésiastique, 
selle  vit  disparaître  peu  à  peu  ce  qu'on  appelait  les  lettres pro- 
ï) fanes.  Une  religion  qui,  étant  encore  au  berceau,  avait  auto- 
»risé  un  autodafé  littéraire  ^ ,  et  qui  admettait  le  dogme  de  la 
»  dégénération  morale  de  l'homme,  ne  devait  ni  croire  aux  pro- 
j>grès  de  l'esprit  humain,  ni  les  encourager,  elle  devait  au  con- 
«  traire  craindre  les  idées  nouvelles.  D'ailleurs,  les  persécutions 
«dont  les  chrétiens  avaient  élé  si  longtems  l'objet,  l'intolérance 
umême  de  Julien  qui  leur  défendit  l'élude  des  lettres,  devait  les 
«portera  haïr  également  les  payens  et  leurs  écrits.  Les  succes- 
•  seursdugrandapostal  se  chargèrent  d'assouvir  cette  haine...  ^)> 

«  En  occident,  les  guerres  civiles Enfin  les  canons   de 

iTEglise  qui  défendaient  la  lecture  des  livres  payens;  toutes 
»  ces  causes  réunies  préparèrent  les  ténèbres  dans  lesquelles 
sse  trouvait  plongée  l'Italie  lorsqu'arrivèrent  les  Goîhs  ,  qui  , 
»  selon  l'expression  d'un  illustre  historien  (Gibbon)  ,   furent 

»  M.  Libri  ignore  peut-être  que  Jésus -Christ  a  dit  :  qui  non  est  mecum 
contra  me  est  ;  et  comme  les  Byzantins  furent  le  plus  souvent  séparés  de 
l'église  de  J.-C,  il  n'y  avait  point  lieu  à  les  citer  pour  modèles  de  l'in- 
fluence du  Christianisme.  Voici  comme  l'entendait  St.  Jérôme  écrivant 
au  pape  St.  Damase  :  «  Quicumque  Iccum  non  colligit,  spargit  :  hoc 
«est  qui  Christi  non  est,  anlicliiisti  est.  » 

»  On  cite  ici  le  fait  rapporté  dans  les  Actes  des  J  pâtres,  XIX.  19,  où  , 
du  reste,  il  n'est  point  dit  du  tout  que  St.  Paul  ait  conseillé  l'autodafé 
en  question  ,  mais  où  la  conduite  de  ceux  qui  vinrent  brûler  publique- 
ment leurs  livres  est  rapportée  comme  l'effel  spontané  d'une  ferveur  sou- 
daine. Ajoutez  que  selon  des  auteurs  très-graves  ,  indiqués  par  M.  Libri 
lui-même  ,  le  texte  parle  de  livres  sur  la  magie ,  et  que  notre  auteur  qui 
s'oppose  ici  (j).  269)  à  cequ'on  les  brûle,  avait  indiqué  plus  haut  (p.  G5) 
l'étude  de  la  magie  comme  funeste  au  i-ccherrhes  scientifiques  dont  il  fait 
l'histoire.  En  sorte  que  V autodafé  littéraire  d'Éphèsc  eût  été  précisément 
un  avantage  pour  les  sciences  physiques. 

2  P.  67-69. 


RÉFUTATION   DES    ERREURS  I)E  Sf.    LIBRI.  853 

»  moins  nuisibles  aux  lettres  que  ne  le  fut  l'établissement  du 
»  Chrislianisme  ',  netc,  etc. 

VI. «  Après  la  mort  de  Cliarlcniar;ne...,  les  écoles  furent  fer- 
omées  ou  négligées;  on  oublia  les  sciences  et  la  philosophie  des 
»  anciens  sans  y  rien  substituer.  L'ignorance  dans  les  arts  fut  ex- 
«trênie:  les  livres  devinrent  déplus  en  plus  rares;  on  laissa  périr 
«les  plus  imporlans  sans  les  copier  ,  et  on  ne  s'attacha  qu'à  la 
«conservation  des  ouvrages  ascétiques  comme  le  prouvent  *les 
•  manuscrits  de  cetle  époque  qui  nous  sont  restés.  Un  problème 
»  remarquable,  et  qui  mériterait  toute  l'attention  des  historiens, 
»  c'est  celui  derechercherpourquoiles plusépaisses ténèbres  n'ar- 
»  rivèrent  pas  en  Europe  avec  la  grande  invasion  des  barbares, 
»el  pourquoi  elles  n'en  furent  pas  la  suite  immédiate.  Ce  fut 
Dseulement  après  que  Charlemagne  eut  dompté  les  Saxons,  re- 
D poussé  les  Mores  d'Espagne,  rendu  l'éclat  à  l'Eglise,  et  rétabli 
«l'empire  d'occident,  que  l'Europe  tomba  dans  le  dernier  degré 
))de  l'abrutissement  ^.  Cette  question  est  trop  vaste  pour  que 
«nous  puissions  la  traiter  ici  ;  mais  on  doit  remarquer  qu'après 
»  Charlemagne,  l'ignorance  augmenta  avec  l'agrandissement  de 
nia  féodalité  et  du  pouvoir  des  pontifes...  ^.  » 

a Les  successeurs  de  Charlemagne  essayèrent  de  relever 

»le  royaume  d'Italie;  mais  comment  rendre  l'unité  à  cette  ag- 
«glomération  de  Francs,  d'Allemands, de  Goths,  de  Lombards, 
3  de  Grecs  et  de  Sarrasins,  agités  à  la  fois  par  les  discordes  civi- 
»les  et  par  l'ambition  papale  ?  Pendant  que  les  débris  de  tous 
»ces  peuples  se  déchiraient  entre  eux,  les  prêtres,  voulant  que 
«toutes  les  facultés  de  l'homme  fussent  exclusivement  appliquées 
B  au  triomphe  de  l'Eglise,  s'opposaient  au  libre  développement  de 
»  l'intelligence.  On  sait  que  Gui  d'Arrezzofut  récompensé  par  une 

,  P.  71-73.  Voyez  encore,  par  ex.  p.   186,  187. 

'  J'espère  montrer  qu'ils  prouvent  tout  le  contraire. 

5  Ici  l'auteur  rael  une  note  qui  semble  prouver  que  l'abrutissement  ne 
fut  point  complet  du  tout.  Je  le  reconnais  là  seulement;  il  était  haineux 
dans  le  texte,  mais  le  savant  se  fait  jour  dans  la  note  à  tra^ers  ses  pro- 
pres préjugés. 

4P.  90-91. 

Tome  xvu. — N"  loi.  j838.  23 


3j4  Sr  LE  CURISTfANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES, 

«persécution,  de  la  découverte  qui  fait  la  base  delà  musique  mo- 
«derne  '.  En  ouvrant  les  Annales  ecclésiastiques,  on  y  voit  les 
«maux  qu'eurent  à  souffrir  les  Virgilistes  ',  accusés  surtout  d'ê- 
»tre  trop  enthousiastes  du  grand  poète,  qui  plus  d'unefois  porta 
smallieurà  ses  admirateurs.  Il  y  avait  sans  doute  au  fond  du 
»  cloître  des  hommes  qui  se  vouaient  à  l'étude;  mais  leur  talent, 
«consacré  à  des  controverses   religieuses  et   à  la  lecture  des 

•  Pères  de  l'Eglise  ,  était  perdu  pour  les  sciences.  On  formait 

>  Ceux  qui  savent  cela  ne  seront  pas  sans  doute  restés  en  chemin  ,  et 
passant  outre  ,  ils  n'auront  pas  manqué  d'apprendre  aussi  que  ,  pour 
quelques  querelles  de  couvent,  où  il  .'e  pourrait  bien  que  sa  sagacité  mu- 
sicale ne  l'eût  pas  dispensé  de  certains  travers  de  caractère  ,  Gui  reçut 
en  dédommagement  les  bonnes  grâces  du  Pape ,  à  l'aide  de  quoi  il  rentra 
en  bonne  intelligence  avee  sa  communauté. 

>  Si  vous  ouvrez  les  Annales  eccièsiastic/ues  à  l'endroit  indiqué  (Baro- 
nius  éd.  de  Lucques,  t.  xvi ,  p.  aOO,  ad  ann.  1000),  vous  trouverez  ceci 
(extrait  des  chroniques  de  Giaber)  :  «  Quidam  ^'ilgardus  dictus ,  studio 
»artis  grammaticEc  magis  assiduus  quara  IVequens  ,  sicul  Italis  mos  sem- 

*  per  fuit  artes  négligera  esteras ,  illam  scclari  ;  is ,  quum  es  scientià  suœ 
oartis  cœpisset  intlatus  superbià  slultior  apparei'e  ,  quàdàm  oocte  as- 
»sumpsêre  deemones  poetarum  spccics,  Virgilii  et  Horatir  atque  Juve- 
»  nalis  :  appareutesque  illi ,  fallaces  rclulerunt  grates  quoniara  suorum 
«  dicta  voluminum  chariùs  amplectens  exercerai  ...  promiser unt  ei  insu- 
»  per  suae  gloriae  poslmodum  fore  participera.  Hisquc  daemonum  fallaciis 
»depravatus  ,  cœpit  multa  turgidè  dacere  fîdei  sacrœ  contraria,  dictaque 
V poetarum  per  omnia  esse  credenda  asserebat.  Ad  ultimum  vero  hereti- 
«cus  est  repertus,  atque  à  ponlifice  ipsius  urbis  (Ravennse)  Pelro  dam- 
«natus.  »  D'où  il  consle  qu'un  pauvre  grammairien  à  qui  l'opiniâ- 
treté de  l'étude  avait  brouillé  la  cervelle,  se  fit  condamner  pour  avoir 
prétendu  trouver  des  articles  de  loi  dans  les  paroles  de  ^  irgile,  d'Horace 
et  de  Juvénal.  Y  a-t-il  là  rien  de  concluant  sur  les  rigueurs  de  l'Eglise 
contre  les  classiques?  Encore  ne  dit-on  pas  s'il  fut  condamné  à  autre 
chose  qu'aux  PetitesMaisoos 

Il  est  vrai  qu'on  a  condamné  au  moyen-àge  la  manie  de  tirer  la  bonne 
aventure  dans  Virgile  cl  dans  Homère ^  coutume  fort  ancienne,  du 
reste,  et  antérieure  au  Christianisme;  mais  on  ne  fil  pas  plus  d'honneur 
à  la  Bible,  puisque  les  conciles  réprouvèrent  également  la  pratique 
de  chercher  des  pronostics  dans  l'Écriture-Sainte.  Con.  Agat.  An  506. 
Ea.  iâ. 


RÉFUTATION    DIS    ERREURS   DE    M.    LIBRI.  355 

0  des  bibliothèques,  il  est  vrai,  mais  elles  se  composaient  presque 
n uniquement  'de  livres  ascrtiques  »,  «  etc.,  etc. 

"MI.  Vous  croiriez  parfois,  en  lisant  ces  tirades,  avoir  rencon- 
tré une  de  ce?  plumes  subjngu<^es  par  des  opinions  d'école  qu'on 
adopte  toutes  faites,  pour  ne  se  charger  que  d'y  mettre  la  forme. 
Que  vous  dirai-je  ?  j'ai  lu  l'ouvrage  de  M.  Libri,  et  j'admire 
comment  il  a  pu  se  faire  qu'un  homme  vraiment  instruit,  ou'un 
homme  d'un  caractère  indépendant  ,  qu'un  homme  à  pc.jsécs 
nobles,  ait  été  fasciné  à  ce  point ,  et  comme  érudit,  et  comme 
penseur  ,  et  comme  appréciateur  des  grandes  choses,  iiuriez- 
vous  eu  la  pensée  de  reconnaître  dans  ces  saillies  d'humeur, 
l'âme  qui  a  dicté  le  morceau  suivant,  par  exemple?  «  Si  j'ai  su 
»  rendre  dans  cet  ouvrage  les  impressions  que  j'ai  éprouvées,  ou 
»  sentira  que  rien  n'est  plus  injuste  que  ce  mépris  que  l'on  af- 
ofecte  pour  la  science  imparfaite  de  nos  aïeux.  Sans  leurs  es- 
»sais  nous  serions  encore  dansl'ignorance  ;  et  peut-être  ce  savoir 
»dont  nous  sommes  si  fiers,  est- il  destiné  à  exciter  bientôt  uu 

•  sourire  de  pitié  chez  une  postérité  injuste  à  son  tour.  Ni  les 
»  hommes,  ni  les  nations  ne  sauraient  mépriser  leur  propre  en- 

'  A  cet  endroit  une  note  affirme  que,  sauf  quelques  rares  exceptions, 
les  bibliothèques  monastiques  du  moyen-àge  ne  contenaient  ([ue  des  ou- 
vrages de  di'votion.  Je  puis  dire  par  anticipation  que  mes  recherches  à 
ce  sujet  ne  m'ont  pas  conduit  aux  mêmes  résultats.  Les  lecteurs  en  juge- 
ront quand  nous  en  serons  ^euus  à  cet  endroit.  Coiitentons-nous  pour 
le  moment  d'indiquer  ce  qu'en  ont  pensé  des  hommes  non  supecis.  Lei- 
bnitz  e'crit  à  INIagliahecchi  (tome  v,  ép.  1  i)  sur  le  sentiment  de  l'abbé  de 
ïlancé,  qui  prétendait  interdire  l'étude  aux  moines:   «  Si  ea  iuvaluisset 

•  opinio  nuUam  hodie  eruditionem  haheremus.  Constat  enim  libros  et  lit^ 
B  teras  wonasteriorum  ope  fuisse  conservatas. ..  Corbeia  ad  ^  isurgim  nobis 
»  \icina,  monachisdoclnna  non  minus  quam  pietate prastantibus  fidei  lumea 
opertotum  septenlrionera  sparsit.  »  Seloa  JNL  EUendorf,  sortede  catho- 
lique-prussien comme  il  y  a  des  catholiques-français  (die  Karolinç^er  und 
die  Hiérarchie  titrer  Zeit ,  t.  i  ,  c.  i),  «  Sans  le  clergé,  et  spécialement 
wsans  les  moines,  nous  n'aurions  conservé  ni  les  Pères  de  l'Église,  ni  les 
«  classiques  :  il  ont  d^ ailleurs  fait  de  grandes  choses  pour  les  sciences  ,  »  etc. 
Voir  Hurter  :  Kirchliche  Zustande  zu  Pabst  Innocent  des  dritten  Zeilen  , 
lome  I, livre  21,  chap.  7.  Passim. — Henry,  history  ofgreat  Britain  (pas- 
stm),  écrivain  que  Hume  n'aurait  pas  àû  faire  oublier,  dit  Heeren. 

'  P.  156,160. 


356  SI  LE  CHRISfl.VMSMli;  A  NLI  AUX  SCIENCES. 

»l"auce,  et  iifaut  que  les  plus  puissantes  et  les  plus  glorieuses  n'ou" 
eblient  pas  qu'elles  auront  aussi  leur  vieillesse.  Tous  les  siècles 
»comme  tous  les  peuples,  contribuent  aux  destinées  de  l'hunaa- 
»nité  :  il  y  en  a  eu  de  plus  obscurs,  de  plus  malheureux,  mais 
«c'est  un  motif  pour  les  plaindre,  et  non  pas  pour  les  mépriser. 

)>Et  d'ailleurs,  sommes-nous  sûrs  de  valoir  en  tout  mieux  que 
«nos  ancêtres  ?  on  le  proclame  sans  cesse  ,  mais  moi  je  n'ose- 
»rais  pas  l'affirmer.  Tout  ce  qui  est  nouveau  n'est  pas  un  per- 
»  fectionncmeut  :  souvent  ce  n'est  qu'un  retour  vers  les  choses 
Ddéjà  oubliées  ;  et  puis  à  présent,  nous  changeons  si  vite  en  tout, 
«nous  passons  si  brusquement  d'une  extrémité  à  l'autre,  que  par 
»  cette  continuelle  mobilité,  nous  donnons  un  démenti  continuel 
B  à  nos  prétentions.  Que  dirait-on  si  l'on  voyait  les  géomètres  , 
«les  astronomes,  changer  sans  cesse  toutes  leurs  méthodes,  tous 
«leurs  systèmes,  et  parcourir  rapidement  le  cercle  des  opinions 
j>les  plus  opposées  ?  on  dirait  sans  doute  que  les  sciences  qu'ils 
»  cultivent  sont  dans  l'enfance.  Que  faut-il  donc  penser  de  ces 
«peuples  qui  se  proclament  maîtres  en  science  sociale  ,  et  qui 
B changent  à  chaque  instant  de  constitution  et  de  tendance  po- 
«litique?  on  flatte  les  nations  et  les  siècles;  mais  malheureuse- 
Bmeutl'homme  semble  avoir  toujours  eu  les  défauts  inséparables 
»  d'une  grande  et  rude  énergie,  ou  les  qualités  qui  accompagnent 
ndes  mœurs  plus  douces,  il  est  vrai .  mais  plus  molles —  D'ail- 
»  leurs  ,  dans  des  circoastances  analogues  ,  les  mêmes  causes 
«produisent  encore  les  mêmes  résultats.  Nous  avons  vu,  dans 
»le  siècle  des  lum'ùres  ,  au  centre  des  villes  les  plus  policées ,  le 
•  peuple  se  ruer  (comme  au  m^yen-àge)  sur  les  passans,  et 
«les  déchirer  en  lambeaux  ,  leur  attribuant  l'apparition  d'une 
«terrible  épidémie...  Dans  un  autre  continent,  des  nations  qui 
«prétendent  servir  de  modèle  à  la  vieille  Europe,  traitent  leurs 
«semblables  comme  des  bestiaux,  et  transforment  en  système, 
»la  destruction  graduelle  des  anciens  maîtres  du  sol.  N'insultons 
«donc  pas  à  la  mémoire  de  nos  ayeux!  » 

)>....  L'iiistoire  diraun  jour  qu'au  foyer  de  la  civilisation  ,  aux 
«portes  de  nos  capitales,  on  nous  enjoignait  insolemment  d'em- 
j> porter  d'un  cimetière  les  ossemens  de  nos  pères  pour  abréger 
»le  chemin  auxcharreltcs  des  rouliers.  Elle  dira  aussi  que  dans 
«celte  Italie  qui  se  repose  si  volontiers  sur  d'anciens  lauriers. 


rxÉFUTATFON    DES   EP.nilLT.S    DK    M.    LIERI.  357 

•  et  qu'on  accuse  d'être  la  terre  des  morts,  les  hommes  les  plus 
«illustre}»  atJendent  encore  une  pierre  tumulaire,  tandis  qu'il  y 
»a  des  villes  opulentes  où  les  médailles  et  les  statues  sont  pro- 
»  diyiiécs  aux  chanteurs  et  aux  danseurs.  Elle  dira  suitout  qu'a- 
ïiprtsune  lulle  qui  a  soulevé  tous  les  peuples  de  l'Europe  ,  les 

•  champs  où  gisaient  nos  soldais  fuient  livrés  à  des  compagnies 
»qui  transformèrent  en  engrais  animal  les  restes  de  ces  vaillante? 
B  cohorles...  Le  cœur  bondit  au  souvenir  de  ces  profanations  ! 
»  Voilà  où  nous  mène  le  principe  exagéré  de  l'utilité.  Quelques 
népis  sacrilèges  l'emportent  sur  le  respect  que  l'on  doit  aux  tré- 
»  passés;  et  l'on  compte  pour  rien  l'exemple  et  rinlluencc  des 
»  honneurs  rendus  à  la  mémoire  des  grands  citoyens.  Je  l'ai 
«déjà  dit:  trop  souvent  l'homme  n'est  considéré  que  comme  un 
B  animal  de  rapport.  Ce  principe  peut  être  favorable  à  la  pro- 

•  duction  dans  les  manufactures  ;  mais  si  on  l'adopte,  il  ne 
«faudra  plus  demander  ni  grandes  pensées,  ni  grands  senti- 
«mcns,  ni  grandes  actions  à  ceux  que  l'on  traite  comme  des 
«brutes  >",  etc.,  etc.  » 

Mil.  Jî'iis  je  ne  me  suis  point  donné  pour  tâche  de  faire 
l'éloge  de  31.  Libri  ;  loin  de  là,  et  si  je  fais  la  part  de  l'éloge, 
c'est  pour  ne  point  comprendre  tout  son  ouvrage  dans  un  mô- 
me blâme,  ou  plutôt,  car  je  ne  sais  point  flatter,  pour  prier  qu'on 
m'explique  comment  il  peut  arriver  qu'à  une  allure  «i  franclie 
en  face  des  travers  de  notre  époque  ,  il  associe  une  souplesse  si 
docile  aux  préjugés  atrabilaires  du  siècle  passé  ;  comment ,  si 
respectueux  pour  nos  pères,  il  les  repousse  et  les  méconnaît  dès 
(ju'il  les  trouve  disciples  de  Jésus-Christ.  Quoiqu'il  en  soif,  ve- 
nons-en à  l'appréciation  des  griefs  qu'il  proclaîne  si  aigrement, 
ctpournepoint  paraître  éviter îesengagemens  sérieux, commen- 
çons par  tine  des  charges  les  plus  chaleureusement  articulées. 
Les  autres  trouveront  leur  place  successivement  ,  clûl-îl  en 
résulter  une  série  d'articles. 

Parmi  les  chrctlens,  les  moines  surtout,  et  en  général  tout  le 
moyen-âge,  avaient  comme  conspiré  l'annihilation  des  cliefs- 
d'œuvre  de  l'esprit  humain;  et  tout  ce  qui  tenait  à  l'Eglise  pro- 
céda d'une  manière  continue  à  celle  œuvre  jusqu'au  14'  siècle, 
menaçant  les  classiques  d'une  destruction  totale;  fails  que  l'on 

'  P.  xjxjxxij.  Cfr,,  p.  6'  ;  xvj.  etc. 


358  SI  LE  CHRISTIAMSME  A  KLI  AUX  SCIENCES. 

lie  saurait  nier  ,  attestés  qu'ils  sont  par  d'irréfragables  témoi- 
gnages ,. — Sans  nier  ni  prétendre  infirmer  ces  témoignages,  je 
me  permettrai  denier  les  faits  qu'on  y  veut  trouver,  et  je  recule 
si  peu  devant  les  auteurs  invoqués  en  cet  endroit  particulière- 
ment, que  je  me  propose  bien  de  puiser  la  réfutation  aux  mêmes 
sources.  Disons  un  mot  d'abord  sur  le  soin  qu'on  prit  dans 
lEglise,  dès  l'origine,  pour  former  des  bibliotlièques. 

Les  plus  anciens  monumens  de  l'histoire  ecclésiastique  '  , 
parlent  déjà  de  bibliothèques  et  de  livres  d'étude  réunis  aux  égli- 
ses. Ces  collections  renfermaient ,  d'abord,  nécessairement  les 
cm/5  ccclésiasticjues  eX  liturgiques  ,  tels  que  matricules ,  actes  des 
viartyrs,  diptyques ,  lectionnaires,  etc.  Puis  les  teœtes  et  versions 
de  fEcriture-Sainte ,  les  constitutions  ecclésiastiques ,  homélies  ,  ca- 
iécheses ,  etc.  Eusèbe  et  St.  Jérôme  qui  avaient  consulté  entre 
autres  les  bibliothèques  de  Jérusalem  et  de  Césarée  ,  nous  ap- 
prennent qu'il  5' en  avait  de  fort  importantes.  Ces  témoignages 
qui  ne  remontent  guère  plus  haut  que  le  o'  siècle,  se  mulli- 
plient  à  mesure  que  la  paix  accordée  aux  fidèles  permit  à  l'E- 
glise de  remplir  librement  sa  mission.  A  Rome  ,  à  Constaiiti- 
nople,  à  Alexandrie  ,  des  bàtimens  considérables  près  des  ba- 
siliques furent  coi:sacrées  à  cet  visage;  celle  de  sainte  Sophie  à 
Constanlinople,  fondée  par  Conslanlin,  et  augmentée  de  beau- 
coup parThéodoseie  jeune,  renfermait  quelque  cent  mille  volu- 
mes qui  furent  brûlés  dans  une  sédition  '".  A  Rome,  S.  Grégoire, 
consulté  parEulogius,  évèque  d'Alexandrie  ^ ,  lui  répond  que 
l'ouvrage  demandé  par  lui  ne  se  trouvait  ni  dans  les  archives  de 

»  P.  160,  161,  etc. 

3  EusÈcE, ///st.  eccL  \i.  20. — viii.  2.  — HrEno>"yM.  adv.  Rufin,  lib.  .^, 
Cfr.  Scholi.i.  Ed.  Erasm.  Francof.  et  Lips.  16iii,  tom.  x,  p.  90).  It.  ca- 
lalog.  Script,  ecdcs.  {Orig.  —  Pawpliil.,  etc.)  —  Augustin  de  Ilœrcs. 
80  ,  etc.,  etc.  Voir  aussi  !e  mot  bibliolhccaire  dans  le  Dictionnaire  diplo- 
matique (le  uos  Annales  ,  t.  xvf. 

^  Cfr.  Augiisli ,  Sicgel ,  manuels  J' Archéologie  ecclésiastique.  —  Hospi- 
KIAKUS,  de  (emplis  Cparliculièremcat ,  de  origine  et  progressa  bibliothcea- 
7-HrH_).  KoMEiER  ,  (le  bihlïothccis. — RiNGiiAM  ,  de  ecclesiarum  scholis  et 
bibliolhccis,  ftom.  m.)  —  Ceueim,  disscrtatio  de  archiviis  ,  sive  tabula- 
riis  veterum  christianorum. — Goetz,  de  charte  phylacibus  vctcris  Eccle- 
siae  (Inter  MisccU.  Hist.  crit.) — Ebcrt.  Encyclop.  d'Ersch  et  Gruher. 

4  Gregor.  Ep.  vjii.  20. 


nÉFUTATJON    DES    KUREliRS    DE  JU.    LiliUl.  359 

TEglise  Romaine  (bibliothèque  de  Lalran  ) ,  ni  clans  les  autres 
coUoclions  delà  ville.  L'Eglise  de  Lolrau  avait  une  bibliot!ît;(jue 
double,  Icndt^e  au  5'  siècle,  par  le  Pape  Ililaire  ',  et  il  était  assez 
ordinaire  que  les  Eglises  eussent  deux  bibliothèques  '  ;  l'une  in- 
térieure consacréeaux  livrcsccclésiasli(jnes  ou  ascétiques,  etau:t 
archives;  l'autre  extérieure  ,  où  se  plaçaient  les  ouvrages  d'étu- 
des profanes  et  (lephilosopliie.  Je  ne  saurais  nj'ex[t]i;jucr  que  par 
cette  dislinctioiJ  de  bibliothèques  sacrées  et  profanes,  comment 
un  homme  aussi  habile  que  M.  Libri  ,  peut  avoir  cru  que  les 
catalogues  des  bibliothèques  du  moyen-âge  annonçassent  des 
collections  presque  exclusivement  ascétiques. 

S.  ramphilc  avait  réuni  à  Césarée  près  de  trente  mille  volu- 
mes, selon  le  récit  de  saint  Isidore  ^,  e(  les  écrits  de  saint  Isidore 
lui-même,  qui  rappellent  l'érudition  d'uiî  Varron,  montrent  qu'il 
avait  pu  disposer  de  bibliothèques  vraiment  remarquables.  En 
Angleterre,  les  évèchés  fondés  au  7'  siècle  (Cantorbéry  surtout), 
devinrent  par  leurs  monasicres  épiscopaux  [cha^xiies  ^  séminaires 
ou  maîtrises  ,  etc.)  de  véritables  centres  littéraires  ,  en  même 
tems  que  des  chaires  apostoliques  '*. 

Dans  l'empire  d'Orient,  quand  Léon  l'Arménien  voulut  tenter 
la  voie  scientifique,  contre  la  doctrine  catholique  sur  les  sain- 
tes images  ,  qui  avait  résisté  à  la  violence  de  ses  prédécesseurs, 
ce  fut  dans  les  Eglises  et  les  monastères  qu'il  envoya  faire  des  re- 
cherches 5  pour  réunir  dans  les  auteurs  ecclésiasliqxies  des  docu- 
mens  dont  l'hérésie  pût  tirer  [)arti  contre  renseignement  or- 
thodoxe. (V   r-i  1  f 

Le  lieu  où  se  déposaient  les  livres  des  Eglises  faisait  partie 
des  bûlimon^  annexés  à  la  basilique  elle-même,  et  désignés  sous 
le  nom  général  de  sacrarium  ,  paxtoplwrla  ,  diaconlcum ,  etc.  La  bi- 

*  Anastas.  in  vita  Hilarii.  Cfr.  CanceUieri,  de  Sccrctariis  :  Disqui- 
silio  cle  Bibliothec. 

"  Filloison,  Prolcgomena  ad  Honierum ,  p.  xl;  ap.  Heeren  ,  Gcs  h. 
der  Lilleralur.  1.  69,  83.  Canceu-ieri ,  op.  c,  syiifagm.,  p.  3  ,  ch.  â.— 
Petit-Radel,  Liblioth.,  p.  3i. 

3  IsiDou.  Origin,  vi.  65,  ap.  Heeren,  op.  c. 

*  Heeren  ,  op,  c.  i.  65  II  cite  Henry,  Hisiury  of  Grcat  'ir-tan.  1.  2, 
p.  135,  etc.  I5i,  320,  etc. 

*  Heeren  ,  op.  c.  1.  79. 


360  Sr  LE  CllRISTIAMSME  A  NCI  AUX  SCIENCES. 

bliothèque  en  particulier  est  communément  indiquée  par  quel- 
qu'une des  expressions  suivantes  ;  sccretarium  ,  chartilogium  , 
chartophylacium ,  cliarlarium,  chartularium  ,  armarium,  archivium, 
ou  archivum,  tabularium,  taOlinum,  scrlniam,  Ubrarium  ,  gramma- 
iophylacium,  etc  '. 

Je  traiterai,  Dieu  aidant,des  bibliothèques  du  moyen-âge, dans 
la  continuation  la  plus  prochaine  de  ces  articles  ;  mais  sans 
prétendre  donner  sur  ce  sujet  autre  chose  qu'une  ébauche.  Un 
semblable  travail  exécuté  tout  de  bon  ,  serait  assurément  un 
important  service  rendu  à  l'histoire  littéraire;  mais  pour  cela  , 
il  faudrait  un  loisir  et  djs  moyens  d'étude  que  je  ne  puis  avoir 
à  ma  disposition  '.  En  attendant  qu'un  savant  laborieux  s'im- 
pose cette  utile  mais  pénible  tâche,  ce  serait  chose  curieuse  que 
de  réunir  comme  par  manière  de  programme  ,  les  matériaux 
bibliographiques  dont  il  importerait  de  s'entourer  pour  l'entre- 
prendre avec  quelque  chance  de  succès.  J'essaierai  peut-être  de  le 
faire  au  moins  sur  quelques  parties;  mais  celui  qui , pourvu  des 
connaissances  suffisantes  pour  tracer  la  route  dans  son  entier, 
ferait  part  au  public  de  ces  indications  préparatoires  ,  aurait  la 
consolation  peut  être  d'avoir  frayé  le  chemin  à  un  ouvrage 
dont  les  résultats  ne  sauraient  manquer  d'être  glorieux  pour 
l'Eglise. 

C.    ACHERY. 

^  Cfr.  Cancelieri.  Op.  c.  Syntagm.,  p.  3,  ch.  i  et  p.  i  ch.  fO. 

'  Les  Annales  de  philosophie  chrétienne  ont  semé  déjà  dans  leur  collec- 
tion d'intéressans  détails  sur  ce  sujet  (voir  la  table  générale  des  douze  pre- 
miers volumes,  à  la  fia  du  xu')  surtout  en  1830  (t.  i,  p.  96  ,  etc.)  Maia 
les  auteurs  de  ces  divers  articles  n'ayant  point  en  tète  des  adversaires 
aussi  e'rudits  et  d'une  hostilité  aussi  prononcée  que  M.  Libri,  n'ont  pas  pu 
se  croire  obligés  à  un  svslème  d'apologie  complet.  La  mienne,  sans  l'être 
entièrement,  présentera  ,  si  j'ai  rempli  mon  dessein,  un  front  plus 
étendu.  La  circonstance  l'exigeait ,  et  je  tâcherai  d'y  satisfaire. 


1^-8^^^ 


APOLOGIE   DE   ST.    JÉnOME.  361 


vwVv\vvwiV\\vvv\\vv\^V\\\v\\^vv^\vv\vv\^v\  vvwvwvwwwwvv.  vwvww  vvvvvwvvwvv\vtv\\v 


ÇÇiCcf^^ic  6ir^Ci(|tt?, 


APOLOGIE  DE  SAINT  JÉRÔME  , 

ou  EXPLICATION  DU  MOT  HÉBREU  ALME,  A^■^•o^•çA^•T  A  l'ava>'Ce 

LA  VIRGIMTÉ  DE  LA  MÈRE  DU  CHRIST. 


Importance  de  la  question.  —  Texte  de  saint  Jérôme.  —  Passages  de 
l'Ecriture  où  ce  mot  est  cité.  —  Discussion  du  texte  d'Isaïe.  —  Des 
Pro\crbes.  —  Autorité  de  saint  Jérôme.  —  De  RosenmuUer.  —  Com- 
paraison avec  les  langues  sémitiques.  —  Tradition  dans  l'Eglise  et  dans 
la  Genlilité, 

L'article  que  nous  insérons  ici  a  été  publié  en  latin  dans  les 
Annales  des  Sciences  religieuses  de  Rome,  recueil  précieux,  au- 
quel nous  avons  emprunté  plusieurs  articles,  et  qui  lui-même 
veut  bien  aussi  citer  quelquefois  les  travaux  de  nos  Annales 
avec  des  éloges  dont  nous  sommes  fiers  et  que  nous  nous  fe- 
rons un  devoir  de  justifier  de  mieux  en  mieux  chaque  jour  '. 
Cette  dissertation  est  d'un  jeune  ecclésiastique  de  Turin , 
l'abbé  Vercellone ,  qui  l'avait  lue  à  Rome  en  iSj/ji  dans  une  réu- 
nion de  V^cdiàérnie  jeromienne  '.  Nous  l'avons  analysée  en  quel- 
ques endroits  qui  nous  ont  paru  un  peu  longs. 

«  Cet  essai  a  pour  but  de  défendre  une  opinion  importante  de 
St.  Jérôme  contre  l'interprétation  des  Juifs  ,  des  nouveaux 
liébraïsans  et  des  Sociniens,  interprétation  qu'ont  adoptée  en 
Allemagne  les  savans  que  l'on  nomme  philo-biblistes.  En  détrui- 
sant la  doctrine  de  St.  Jérôme,  ils  tendent  à  ruiner  dans  ses 
fondemens  le  dogme  catholique.  Les  difficultés  qu'ils  soulèvent 

'  Voira  la  bibliographie  la  table  des  matières,  delà  dernière  livraison, 
qui  reproduit  l'article  sur  la  géologie  publié  dans  notre  N»  d'août  der- 
nier. —  Cet  article-ci  est  extrait  du  n*'  8  des  Annali,  septembre  1836. 

=  L'ouvrage  a  été  public  à  part  à  Turin  en  1 836. 


362  APOLOGIE    DE    ST.    JEROME. 

ne  sont  pas  nées  pour  la  première  fois  sous  leur  plume;  mais 
présentées  avec  un  art  nouveau  ,  ces  questions  exigent  de  nou- 
velles réponses;  et  nous  défendons  avec  le  sentiment  du  saint 
docteur,  celui  ds  l'Eglise  universelle  atteinte  dans  ses  croyan- 
ces les  plus  élevées. 

Les  langues  orientales  me  seront  d'un  grand  secours  dans 
cette  discussion,  et  je  saisis  celte  occasion  d'exprimer  ma  re- 
connaissance à  notre  Président,  lorsque  je  dois  à  sa  pieuse  muni- 
ficence d'avoir  pu  acquérir  quelques  notions  de  la  langue  sainte. 

Toici  les  paroles  de  St.  Jérôme  à  ce  sujet  :  «  Le  mot  hébreu 
»  ALME  (n^Sy)  ne  se  dit  jamais  que  d'une  vierge  :  il  signifie  une 
»  jeune  fille  vierge  qui  se  lient  cachée  '■  » 

Cette  assertion  est  très-remarquable,  en  ce  que,  si  elle  est 
reconniie  vraie  ,  il  demeure  constant  qu'Isaïe  a  prophéîisé  (jue 
le  Christ  devait  naître  d'une  Vierge  pure  et  immaculée;  si  elle 
est  fausse,  l'autorité  de  l'Evangile  se  trouve  ébronlée  et  le 
dogme  catholique  gravement  altéré. 

Pour  établir,  autant  qu'il  est  en  moi,  cette  vérité,  je  vais 
parler,  i°  de  l'emploi  de  ce  mot,  2°  de  son  origine.  5°  enfin  de 
l'interprétation  des  anciens;  c'est  là,  en  effet,  d'après  tous  les 
philologues,  la  seule  voie  à  suivre  pour  découvrir  la  vraie  si- 
gnification d'un  mot. 

L  Emploi  dans  l'écriture  du  mot  HQ />?• 
Cette  expression  se  trouve  employée  seulement  sept  foi'^  dans 
les  écritures,  et  toujours  dans  le  sens  que  lui  a  donné  saint  Jé- 
rôme. Aussi  ce  grand  docteur  s'écrie  avec  assurance  :  «  Que 
»  l'on  me  cite  un  endroit  où  ce  nom  soit  donné  à  une  femme 
«mariée,  et  je  reconnaîtrai  mon  erreur!  '  »  Les  faits  viennent 
à  l'appui  de  son  assertion.  1°  Ce  nom  est  donné  à  la  jeune 
vierge  Rebecca ,  dont  rÉcritnre  atteste  qu'elle  était ,  à  cause  de 
sa  grande  chasteté,  inconnue  à  tout  homme  ^.  Ce  mot  est  em^ 

*  Hebraïcum  t\ul]}  nunquain  nist  de  virgine  scribitur,  Quœst.  Uebr 
iaGen.  xxiv,  i3;  significat  caim  Ptiellam  virginenif  absconditam,  lib.  i, 
adv.  Jo^in.;  —  Lib.  adv.  com.  in  Isalam.  Ilelvid.  vn,  Ht. 

'  Ostendent  iiiihi  ubi  hoc  vcrbo  appcllcntur  et  nuptx  ,  et  impcril  am 
con&lcbor. 

-  Jncognita  viro  ,  Cciu,  xxiv,  1G. 


EXPLICATION    DU  MOT  VIERGE  EN  HÉSHEU.  363 

ployé  en  parlant  de  la  jeune  fille,  sœur  de  Moyse,  enfant, 
lorsqu'elle  dcmeuroit  encore  auprès  de  ses  parens  '.Ce  mot  se 
trouve  répélé  deux  l'ois  dans  le  Cantique  des  cantiques,  savoir, 
dans  le  chap.  i^'",  vers.  3  ,  à  propos  des  jeunes  filles  qui,  selon 
l\isagc  antique,  aecompognaientlVpou'^c,  et  dans  le  chap.  vi, 
vers.  8,  où  trois  classes  de  femmes  sont  clairement  distinguées, 
les  femmes  mariées,  les  concubines  et  les  vierges. 

Le  même  mot  se  lit  dans  le  psaume  lxviii",  v.  2(>,  où  il  ne  peut 
s'entendre  que  des  jeunes  fdles  chastes  et  pud.viucs  ;  il  s'agit, 
en  effet,  dans  ce  passage,  des  jeunes  filles  qui,  selon  la  cou- 
tume des  Juifs,  jouaient  du  tympanon  dans  les  jours  de  solen- 
nités. Enfin  pour  la  6^  et  y'  fois,  on  le  rencontre  dans  haie, 
chap.  vu,  V.  i4?  et  dans  les  Proverbes,  eh.  xxx,  v.  19,  où  nos 
adversaires  élèvent  les  doutes  les  plus  graves  sur  le  sens  qui 
doit  y  être  attribué  à  cette  expression.  De  leur  opinion  admise, 
il  résulterait  la  ruine  d'une  vérité  consacrée  par  rassentimenl 
de  l'Église. 

Ce  que  doit  signifier  le  mot  r\X2hv  ALSIE  dans  le  passage 
d'Isaïe  nous  est  clairement  démontré  partouie  la  suite  et  l'en- 
chaînement de  son  discours,  ainsi  que  par  le  but  qu'il  se  pro- 
pose; le  sens  que  nous  adoptons,  bien  loin  de  répugner  au 
texte,  s'y  accorde  parfaileuîent.  Le  prophète  promet  à  Achaz, 
qui  redoute  la  chute  de  Jérusalem  et  de  son  trône,  une  déli- 
vrance assurée,  et,  pour  rendre  plus  dignes  de  foi  ses  paroles, 
il  lui  fera  voir  tel  miracle  qu'il  souhaitera.  Celui-ci  refusant 
par  hypocrisie  et  ensemble  par  l'effet  d'une  mauvaise  vo- 
lonté, le  prophète  s'adresse  à  la  maison  de  David  et  lui  donne 
pour  gage  de  sa  promesse  le  prodige  de  la  conception  et  de 
l'enfantement  d'une  Vierge  restée  pure  et  intègre. 

Aussi,  afin  de  conserver  toute  sou  importance  ^lu  signe  mira- 
culeux  que  le  prophète  a<înonce  d'un  ton  si  solennel ,  sommes- 
nous  conduits  à  y  recannaitre  la  naissance  de  cet  Emmanuel 
qui  devait  un  jour  sortir  d'une  Vierge  pure  et  étrangère  au  lit 
nu[)lial.  Car  alors  le  prophète  rompt  son  discours  au  roi  Achaz 
et  parle  pour  la  race  de  David,  à  laquelle  il  impostait  tant 
alors  de  connaître  l'événement   qu'il  va  annctuer.    11    serait 

'  Exod.  II,  8. 


36i  APOLOGIE    DE  ST.    JÉRÔME. 

trop  long  de  citer  ici  les  prédictions  des  autres  prophètes  on  le 
même  prodige  est  prévu  et  exprimé,  quoiqu'avec  moins  de 
clarté  et  de  précision.  Celles  ci  éclaircissent  le  passage  d'Isaïe 
et  en  reçoivent  elles-mêmes  une  nouvelle  lumière.  Ainsi 
tontes  les  ressources  de  l'exégèse  concourent  à  nous  démon- 
trer qu'Isaïe  s'est  servi  du  mot  ndl'J  dans  le  même  sens  que 
l'Ecriture  l'emploie  dans  les  autres  endroits  précédentiment 
indiqués.  Ceci  nous  suffit,  sans  entrer  nous-mêmes  dans  une 
explication  plus  étendue. 

Il  reste  à  examiner  le  passage  des  Proverbes,  cli.  xxx,  19,  où 
Salomondit  :  «Trois  choses  sont  difficiles  pour  moi,  et  une  qua- 
«trièmeque  j'ignore  entièrement  :  la  voie  de  l'aigle  dans  le 
«ciel;  la  voie  de  la  couleuvre  sur  la  pierre;  la  voie   du  navire 
«surles  mers,  et  la  voie  de  l'homme  dans  son  adolescence.'  »Le 
texte  hébreu,  au  lieu  de  in  adolescentiâ,  porte  rîDSîfl  in  rirgine 
adolescentatâ.  Cette  parabole  de  Salomon  présente  une  grande 
difficulté  aux  commentateurs  de  la  Bible.   Mais  comme  un 
passage  obscur  doit  s'expliquer  par  un  plus  clair,  sans  réci- 
procité, assurément  on  ne  peut  rien  conclure  contre  nous  de 
cet  exemple  unique,  qui  ne  peut,  en  aucune  façon,  tourner  à 
l'avantage  de  l'opinion  contraire.  Car  le  sens  le  plus  générale- 
ment admis  est  :  «  il  est  plus  difficile  encore  de  connaître  si 
une  fdle  réputée   vierge   no^Ti?  ou   récluse,  est  en  effet  sous- 
traite à  l'atteinte  des  hommes.  »  Pour  exprimer  cette  idée ,  l'é- 
crivain sacré  s'est  servi  du  mot  ï^îJlV  qui  exprime  à  la  fois  l'âge 
et  la  condition  d'une  vierge.   Plusieurs  ont  pensé,  dit  Sixt. 
Amama  '  qu'il  s'agit  en  cet  endroit  d'une  femme  dissolue  qui 
voudrait  passer  pour  vierge;  et  l'on  trouve  en  effet  fréquem- 
ment dans  l'Écriture  des  noms  qui  se  rapportent  à  l'apparence 
d'un  objet  ou  à  l'idée  que  l'on  peut  s'en  former.   D'anciens 
commentateurs  ont  donné  à  viamviri  un  sens  analogue  à  l'union 
des  sexes.  La  version  des  Septante,  la  version  Syriaque  et   la 

»  Tria  sunt  difP.cilia  mihi,  et  quartiim  penilus  igaoro  :  viam  aquilae  in 
cœlo  ,  viam  coliibri  super  petram,  viam  navis  in  medio  mari ,  et  viam 
\iri  in  adolescentiâ. 

>  lu  antibarb.  adhunc  1. 


EXPLICATION  DU  MOT  VIERGE  EN  HEBREU.  365 

Vulgate,  ou  traduction  de  St.  Jérôme,  ont  lu  in  adolescenilâ ,  et 
ont  dû  regarder  comme  fautive  la  leçon  du  mot  rirgine.  11  y  a 
aussi  des  interprètes,  même  d'une  certaine  autorité,  qui  voient 
dans  ce  passage  une  prophétie  de  l'enfantement  virginal  de 
Marie.  Je  ne  chercherai  pas  ici  à  approfondir  cette  question; 
peut-être  je  pourrai  un  jour,  dans  une  autre  dissertation,  ré- 
pandre quelque  lumière  sur  cette  parabole  de  Salomon  ; 
quel  que  sens  qu'on  lui  donne,  le  mot  qui  nous  occupe  aura 
toujours  la  même  signification  que  dans  les  autres  passagesde 
l'Écriture.  "Winer  lui-même  n'a  osé  le  nier  '. 

Je  conclus  avec  S.  Jérôme  «  que  le  mot  no /iT  ALME  ne  s'em- 
•  ploie  jamais  qu'eu  parlant  d'une  vierge;  que  les  Juifs  montrent 
«dans  les  Ecritures,  ce  mot  signifumt  seulementyeHne /?//eet  non 
t  jeune  vierge,  et  nous  leur  accorderons  que  cette  prédiction  d'I- 
saïe:  «  voici  qu'une  vierge  coticevrael  en fantei'a  »  ne  doit  pas  s'enten- 
dre d'une  vierge  récluse,  mais  d'une  jeune  fille  déjà  mariée  *. 
Aussi  RosenmùUer  dil-il  avec  raison  :  le  sens  dans  lequel  le 
motri'^X*  est  constamment  employé  ,  montre  évidemment  qu'il 
ne  signifie  jamais  une  fille  mariée  '.  On  ne  doit  "pas  même 
entendre  seulement  une  jeune  fille  non  mariée,  «  car  cette 
»  expression  ,  dit  saint  Jérôme  ,  me  semble  plus  relevée  et  plus 

•  glorieuse  que  le  simple  mot  de  vierge;  car,  selon  l'apôtre,  on 

•  peut  être  vierge  de  corps  et  non  d'esprit.  Tandis  que  le  mot 
»  ALIViE  (cachée),  qui  est  la  perfection  de  la  virginité,  comprend 
«en  même  tems  vierge  et  cachée  4.  »  Et  danslei"iivrecontreJovi- 
nien:  «  que  signifie  le  mot  ri'ZTJ'  ?une  vierge  cachée,  absconditaniy 

»  Voir  son  à  Lexicon  liebr.  ce  mot. 

'  Verbum  X\DTJ  numquan  nisi  de  virgii\e  scribitur. .;  ostendantigitur 
Judxi  in  scripturis  alicubi  positum  Uul'J  ubi  adotescentulam  tanlum 
et  non  virginem  sonel  :  et  concedimus  eis  ,  illud  quod  in  Isaïa  apud  nos 
dicilur  :  Ecce  virgo  concipiet  et  pariet ,  non  abscondilam  ^i^ginem  sed 
adolescentulam  significare  jani  unptam.  héb.  quœst.  Iieb.  in  Gen. 

'^  Scliolies  sur  Isaie,  1.  c.  Ex  solo  usu  loquendi  evideulissimè  constat 
no  7y   nunquam  de  nuptà  dici. 

*  Nam  nO/i?  raajoris  mihi  viJetur  laudis  esse,  quam  vivgo.  Virgo 
qulppe,ju\ta  apostolum,  polcst  esse  corpore  et  non  spiiilu,  abscondila 
\ero  quae  est  f'£7x«v  Airginitalis  habct,  ut  et  virgo  sit  et  abscondita.  (/w. 
cit.) 


366  APOLOGIE   DE   ST.    JÉRÔME. 

n c'est-à-dire,  non  seulement  une  vierge  ,  mais  une  vierge  en 
n  perfection  ;  car  toute  vierge  n'est  pas  caclîée  et  à  l'abri  de  tout 
«regard  des  hommes.»  11  s'exprime  de  même  dans  le  livre  lu,  des 
commentaires  sur  Isaie,  \ii  ,  i^  j  et  il  ajoute:»  r\'2^'J  signifie  une 
•  vierge  qui  est  jeune  et  dans  l'âge  de  radolcscence  '.  » 
II.  Origine  du  met  naSy  ALME. 
Ceci  suffirait  pour  établir  sur  une  base  incontestable  ,  l'opi- 
nion de  saint  Jc'^rôrae  ;  mais  pour  lever  tous  les  doutes  ,  recher- 
chons l'origine  de  ce  mot,  elsoumettoJis-le  à  l'analyse:  l'exemple 
de  Rosenmùller  nous  encourage  à  poursuivre  cet  examen  ;  et 
rét5'moiogie  du  mot  va  nous  découvrir  son  sens  intime  ,  sa 
vraie  signification  que  dénaturent  à  présent  les  novateurs.  On 
sait  que  r.*2V.r  vient  de  la  racine  L:S";or,  si  nous  parvenons 
à  bien  préciser  le  sens  du  mot  radical ,  nous  en  tirerons  avec 
certitude  celui  du  dérivé,  car  dans  la  langue  iiébraïque  les  déri- 
vés d'un  verbe  conservent  une  significaîion  analogue  à  leur  ra- 
dical. !^X'  est  employé  par  les  Chaldécns  en  kal ,  et  par  les  Hé- 
breux seulement  en  niphal;i\  signifie  toujours  et  uniquement  il 
fut  couvert  ou  caché  ,  ou  enterré^  et  en  liiplul,  il  a  couvert^  caché  ou 
enterré;  il  se  trouve  quelquefois  en  hitpahcl,  et  signifie  il  se  cacha, 
il  se  couvrit.  Je  ne  m'arrête  pas  sur  ce  point ,  puis(jue  nos  adver- 
saires conviennent  que  ce  mot  ne  se  rencontre  jamais  dans 
l'Ecriture,  si  ce  n'est  dans  ce  sens  ;  et  que  dirai-jc  de  ces  nou- 
veaux interprètes  qui  veulent  ajouter  au  mot  hébreu  l'acception 
impudique  de  l'arabe  *U,  pour  appuyer  leur  opinion  erronée; 

allégation  foute  gratuite,  puisque  l'on  ne  trouve  pas  dans 
l'Ecriture  un  seul  exemple  à  l'appui. 

Je  remarquerai  cependant  que  d'après  les  dictionnaires 
de  Goilus  et  de  Casîel  ,  l'hébreu  u7>7  ALAM  répond  plutôt  à 
l'arabe  *ii  qu'à  i'cxprcssion  jLi ,  et  pour  la  forme  et  pour    la 

signification,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  bas.  Au  reste,  nous 
pensons  qu'en  ce  cas,  comme  cela  se  voit  souvent,  le  mot  arabe 
ne  répond  pas  exactement  à  la  racine  hébraïque;  puis  il  n'a  ja- 
mais été  d'une  saine  critique  de  chercher  la  signification  ou  l'é- 

'  Dicilur  ea  quac  non  solum  \  irgo  est .  sed  virgo  jiinioris  aetatis  ,  et  in 
.nanis  adolesccnlia;  ;  polcst  enim  fieri  ut  virgo  sit  vctula  ,  i.sta  auteni  virgo 
erat  in  annis  puellaribus. 


EXPLICATION  BU  MOT  VIERGE  EN  HÉBREU.  367 

tymologie  d'un  mot  séniilique ,  dansîes  dialectes  dérivés,  îoutes 
les  fois  que  la  langue  mère  fournil  celte  étymologie  avec  certi- 
tude et  clarté.  «  Il  faut  se  garder  de  chercher  aux  mots  dont  la 
«signification  est  sûre  quelque  sens  puisé  dans  les  dialectes, 
a  dit  Akermann  ';  »  c'est  aussi  le  sentiment  de  Gaspard  Un- 
terkircher,  dans  son  Herméneutique  de  la  Bible.  Ceux  là  donc  ne 
méritent  point  d'atlenlion  ,  qui,  en  s'écartant  de  ce  principe, 
cherchent  dans  les  langues  dérivées  des  preuves  pour  élaj'crune 
grossière  erreur  ,  et  il  ne  faut  pas  dire  que  l'hébreu  conserve 
dans  les  mots  dérivés  une  significalion  qui  s'accorde  avec  l'ara- 
be; ce  serait  un  préjugé  mal  fondé  ,  comme  nous  le  verrons 
bicnlôt ,  et  quand  cela  serait  vrai  en  partie  ,  il  ne  s'ensuivrait 
pas  que  la  signification  primitive  du  mot,  fut  celle  que'lui  at- 
tribuent nos  adversaires. 

Venons  aux  mots  qui,  dérivés  de  lamêmeracine,  ont  tousia 
même  signification.  D'abord  les  Hébreux  en  dérivent  le  mot  DiVJ 
AOtJLAlM,  qui  signifie/cmscac/ie,  on  inconnu,  c'est-à-dire  un  tems 
très-éloigné  du  tems  présent;  d'où  siècle,  éternité.  Comme  ici  les 
langiies  de  la  même  famille  ,  savoir:  le  chaldéen,  le  syriaque, 
le  samaritain,  l'éthiopien  et  le  persan,  offrent  une  déduction 
analogue,  ainsi  qu'on  \a\ovt  à?Li\?,\e.  dictionnaire  àe\a  Polyglotte  Ag 
Wallon;  qu'il  en  est  de  même  de  la  langue  rabbinique,  selon 
letémoignage  deBuxtorf;  on  en  tire  une  preuve  irrécusable  pour 
confirmer  la  signification  attribuée  à  la  racine  hébraïque.  Je 
ferai  observer  eu  passant,  ce  qui  n'a,  je  crois,  été  observé  par 
aucun  aviteur,  que  telle  a  été  proprement  la  signification  primi- 
tive du  mot  dont  il  s'agit,  puisqu'il  est  le  seul  où  les  dialectes 
qui  ont  de  l'affinité  s'accordent  unanimement  avec  l'hébreu; 
surtout  la  racine  éthiopienne  ou  abyssinienne  qui  signifie  ater- 
narit.  Il  me  semble  que  celles  qu'on  retrouve  dans  le  chaldéen 
elle  syriaque,  ont  pu  eu  découlera  savoir  :  roboravit,  adolevit ; 
mais  le  samaritain  a  formé  ccrnivit  de  l'hébreu  latitavit.  Quant 
à  la  racine  arabe  Us  qui  signifie  scivit.  cognovit  ;  elle  se  dit  ,  il 

me  semble,  par  antiphrase  et  par  cuphonisme.  On  en  voit  des 

•  Cavencliim  est,  ne  vocibus  quarum  cerla  est  significalio  qua;ranUir 
notioncs  ex  dialectis.  hdrod.  in  .'iOr.  \' .  F. 


368  APOLOGIE    DE   ST.    JEROME. 

exemples  analogues  dans  l'opuscule  de  Rannius  de  vocaùulorum 
Er^antiosemia  ;  cela  résulte  évidemment  des  autres  dialecles  et 
des  noms  dérivés  qui  s'accordent  de  nouveau  avec  l'hébreu  : 
ceci  soit  dit,  non  pour  infirmer  ,  mais  pour  confirmer  l'accep- 
tion énoncée  pins  haut. 

L'autre  racine  arabe  Js>  ne  contredit  nullement  le  sens 
donné  au  mot  hébreu;  car  elle  signifie  proprement  l'état  de 
l'adolescence  et  ses  effets.  J'admets  volontiers  que  l'hébreu  a  ce 
sens  dans  le  mot  en  question,  sans  toutefois  exclure  les  autres 
acceptions  qu'il  ofiVe  constamment  ainsi  que  je  l'ai  démontré. 

De  la  même  source,  c'est-à-dire  du  verbe  qV^  vient  le  nom 
masculin  obi?  qui  signifie  sans  nul  doute  un  adolescent  non  marié 
qui  ne  sort  pas  encore  de  la  maison,  puer  uni  cœlibem,  qui  n'a  pas 
contracté  d'union ,  vivant  encore  dans  le  secret  de  la  vie  privée ,  qui 
enfin  ne  s'est  pas  encore  révélé  au  dehors  par  des  actes  virils, 
ainsi  que  tous  le  reconnaissent  d'après  Buxtorf;  signification 
en  parfaite  harmonie  avec  les  expressions  analogues  arabe, 
chaldaïque,  samaritaine,  syriaque,  enfin  rendue  pleinement 
évidente  par  l'emploi  constant  de  ce  mot  dans  les  Ecritures. 

Du  nom  masculin  se  forme  par  l'addition  de  la  lettre  n 
finale,  le  féminin  qui  est  celui  que  nous  éludions;  ce  qu'a  ex- 
pliqué assez  bien  Rabbi  Rimclii  par  niSy  ou  nabpj,  c'est-à- 
dire  celata,  abscondita.  Car  la  signification  d'un  mot  au  masculin 
se  reproduit  exactement  au  féminin  selon  la  logique  grammati- 
cale. Le  premier  exprime  liors  l'état  de  mariage,  extra  conjugium; 
donc  le  second  le  signifie  également.  Ainsi  le  mot  HQ  .y  se  rap- 
porte évidemment  à  Cage,  mais  encore  plus  spécialement  à 
l'état  de  la  ftmme ,  et  il  exprima  virtuellement  une  vierge  vivant 
dans  la  solitude,  ■/.5<T«x).ê'.'7-ov  -/.xl  xTzoy.ovoov,  inclusam,  conclusam,  en- 
close, enfermée,  c'est-à-dire  qui  n'a  pas  encore  paru  en  public,  qui 
n'a  jamais  paru  aux  yeux  des  hommes,  qui  est  non-seulement 
chaste  de  corps ,  mais  encore  est  entourée  de  mystère  et  vit 
dans  une  parfaite  pureté,  qui,  séparée  de  la  société  des  hommes 
est  gardée  par  ses  parens  avec  sollicitude  ,  ainsi  que  l'explique 
S.  Jérôme.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  (jue  le  mot  qui  signifie 
vierge  indique  aussi  \c  jeune  âge.  Chez  les  Hébreux ,  les  jeunes 
filles  étaient  les  seules  non-mariées,  leur  âge  devant  les  sous- 
traire encore  à  la  loi  du  mariage,  de  sorte  que  ,  comme  le  re- 


EXPLICATION   DU   MOT   VIERGE  EN   HÉBREU.  369 

marque  St.  Jérôme  •  dans  rEcriture  ces  noms  :  paella,  adolescent 
tula  niyj  s'entendent  toujours  d'une  vierge  n  nD^  '•  Puis  enfin 
les  Latins  eux-mêmes  donnaient  ce  nom  de  vierge  aux  filles  à 
la  fleur  de  Tài^e,  ainsi  que  l'observe  Isidore  ^  et  les  Allemands 
disent  aussi  Jiingfraa,  c'est-à-dire,  Juvenis-fimina.  Joignez  à  ce 
témoignage  l'autorité  d'un  dialecte  :  dans  la  langue  punique 
qui,  selon  St.  Jérôme,  était  dérivée  de  l'hébreu,  une  vierge  élait 
nommée  Aima  ^,  et  il  ajoute  (\\\Alma,  eu  latin,  s'emploie  pour 
Sancia  et  Virgo.  Je  rappelle  aussi  l'opinion  de  Martorelli  ',  qui 
pense  que  le  grec  «.jx\'j.ot.  a  la  même  origine;  de  sorte  que  par 
quelque  vue  mystérieuse  de  la  Providence,  la  pureté  virginale 
de  la  mère  du  Rédempteur  se  trouverait  ainsi  exprimée  par  le 
concert  de  toutes  les  langues. 

Je  pourrais  parler  aussi  de  cet  instrument  de  musique  des 
hébreux  ,  appelé  m^/y  ALMOUTH  qui  tire  son  nom  de  notre 
mot  nD*7y,  On  l'appelait  ainsi  parce  que  les  vierges  seules  s'en 
servaient  ou  parce  que,  selon  une  autre  opinion,  il  rendait  un 
son  qui  ressemblait  à  la  voix  des  jeunes  filles;  comme  les  La- 
tins avaient  les  Tibiœ  puclla(oriœ,  et  les  Grecs  leurs  «v).oi  -aoOs^jioi. 
On  peut  consulter  à  ce  sujet  les  Acta  erudUorum  publiés  à 
Leipsig. 

Les  Hébreux  dérivent  aussi  du  mot  qui  nous  occupe  les  mots 
Q'mSy  et  noSyn-  Le  premier  signifie  la  Virginité  au  propre  ou 
au  figuré,  en  désignant  cette  époque  de  l'âge  qui  est  encore 
cachée,  occulta,  abscondita,  telle  qu'est  l'enfance.  Le  second  si- 
gnifie aussi  ce  qui  est  secret,  secretum,  arcanum ;  en  dehors  de 
ces  significations  de  la  racine  Qi'j,  nos  adversaires  en  cherchent 
vainement  d'autres  dans  les  Ecritures. 

Celte  signification  la  plus  exacte  du  mot  n.tD/y.  non-seule- 
ment se  déduit  avec  rectitude  et  correspond  au  terme  primitif, 
mais  se  trouve  corroborée  de  quantité  de  ternies  accessoires 
que  je  vais  indiquer  rapidement.  Ainsi  les  Juifs  appelaient  les 

'  Comment,  sur  Isale,  1.  c. 

'  Voir  la  Genèse,  34,  12;  Deutéronom.  25,  2.^;  Bois,  i.  3. 

^  Dans  son  Etymolo-gicon  ,  livre  xi,  chap.  2. 

*  Propriè  virgo  aima  appeliatur  (Jer.  lieu  cite). 

5  De  tliecà  calamarià. 

ToMixvii. — N'  joi.  i838  a4 


370  APOLOGIE    DE    ST.    lÉROME, 

vierges  occidlœ  du  verbe  occuUare,  parce  qu'elles  él aient  soi- 
gneusement retenues  à  nntérieur,  dans  la  demeure  des  parcns, 
où  elles  étaient  soustraites  aux  regards  des  jeunes  gens  de  l'au- 
tre sexe,  soit  que  Tàge  le  plus  tendre  dût  être  consacrt^  aux 
soins  de  leur  éducalion ,  ou  que  les  lois  de  la  pudeur  ei  de  la 
décence  ne  perml6S*nt  pas  qu'elles  parussent  en  publiiï.  «  Les 
«anciens,  dit  Huct  ',  avaient  grand  soin  de  retenir  dins  l'in- 
stérieur  ies  eni'ans  et  les  jeunes  gens;  ils  redoublaient  de  sur- 
»veiliance  pour  les  jeunes  filles  dont  l'approche  était  interdite 
»à  tous  les  hommes.  » 

Le  savant  évéque  d'Avranches,  ainsi  que  Saubert,  Grotius 
et  Gasaubon,  prouvent  cette  coutume  par  une  fovile  d'exemples 
et  de  traits  empruntés  à  l'Histoire  Sainte  et  à  l'histoire  des 
nations.  Car  ce  n'était  pas  seulement  chez  les  Juifs,  mais  clicz 
les  Grecs,  les  Bomains  et  les  autres  naîions  civilisées  que  les 
vierges  étaient  renfermées  dans  des  habitations  séparées,  que 
lefi  Hébreux  et  les  Arabes  nomment  pQ"lK  APiMOL'N,  conclave 
tirginum,  les-  Grecs  7rao6£vevp«75c  ( cellœ  virginales).  C'était  la 
partie  la  pins  secrète  du  gjnécée.  C'est  de  là  que  les  Grecs 
appelèrent  otviovpoL  et  les  Latins  Domisedœ  ou  Casariœ  les 
jeunes  filles  qui  y  vivaient  renfermées.  De  là  aussi  celte  épi- 
thète  de  y.K-ar'AcKj-Bt  ou  c.-oy.p-jmoi  constamment  donnée  chez 
les  Grecs  aux  Vierges  sages,  qui  exprime  très-bien  le  sens 
de  notre  mot  hébreu.  Les  Grecs  teur  donnaient  aussi  le  nom 
de  6a.\«u.zvou.tvxi  .  in  thatamis  eclucatce,  comme  ayant  été  élevées 
dans  l'appartement  de  levus  parens.  Les  Latins  ,  comme 
l'observe  Huet%  appelaient  la  jeune  fille  qui  garde  la  mai- 
son et  les  pénates ,  5/ o-nafam,  c'esl-à- dire  caduc,  enclose,  ren- 
fermée, et  en  quelque  sorle  scellée.  Le  Thargiim  clialdéen  ex- 
prime par  une  périphrase  le  mot  hébreu  rtJlî  (ZOUNE),  5cor- 
tum  :  sa  circonlocution  Î41D  71p33  signiGe  précisément  se 
produisant  au  dehors  ^,  par  opposition  à  l'état  de  solitude  et  de 
réclusion  ordinaire  aux  vierges.  11  serait  superflu  d'ajouter  à 
toutes  les  preuves  (fue  tant  de  savans  ont  recueillies;  je  ne  puis 

»  Démonstr.  Evangél.  prop.  nt ,  chap.  9. 
»  Démonstr.  Eva.igél.  prop.  ix,  chap.  9. 
3  Genea.  xxxiv,  31 . 


EXPLICATION   nu    MOT    VIERGE   EN    HEBREU.  371 

toutefois  quitter  ce  sr.jot  sans  tirer  quelques  conclusions  nsul- 
taut  de  l'analogie  de  la  lancfue.  On  a  souvent  recherché  la 
raison  étymologique  du  mol  hébreu  77iy  AOULL  qui  signifie 
l'âge  de  fcnfancc;  mais  peut-être  ne  l'a-t-on  pas  encore  trouvée  : 
elle  me  semble  en  effet  ne  se  retrouver  que  dans  la  racine  du 

dialecte  éthiopien  (JuLi.  qui  signifie  //  sépara;  or  un  enfant,  puer, 
se  diten  hébreu  77iy,  p:irce  qu'il  était  renfermé  dansla  maison 
paternelle  ou  dans  le  gynécée.  De  même,  les  Hébreux  appellent 
une  vierge  nSin3  BETHOULE,  mot  dont  on  ne  trouve  point 
l'étymologie  dans  la  langue  sainte.  Mais  elle  s'est  conservée 
dans  le  syriaque  elle  dialecte  arabe  J^,  //  sépara,  segregavit;  une 
vierge  est  caractérisée  en  ce  qu'elle  est  tenue  à  l'écart,  scgre- 
gala,  de  toute  société  des  hommes.  Ces  remarques  jettent  un 
nouveau  jour  sur  le  génie  et  le  sens  du  mot  hébreu  nQ7>,  tel 
que  j'ai  cherché  à  l'établir. 

On  pevit  enfin  ajouter  que  ce  mot  ne  s'emploie  que  pour  les 
seules  n'cr^e,s, par  opposition  à  l'état  et  à  la  condition  àc^  femmes 
mariées;  car  il  faut  donner  attention  à  cette  simplicité  propre  à 
la  langue  hébraïque  d'exprimer  les  idées  opposées  par  les  mots 
opposés.  Ainsi,  pour  exemple,  du  verbe 'CT,  ZaKoR  (il se  souvint) 
recordaias  est ,  est  venu  le  nom  de  D^13~  ZaRoRIM  ,  les  mâles; 
par  contre,  selon  Buxtorf,  le  nom  de  la  femme  n^w:  TSuCIilM 
a  eu  pour  radical  "1"  KuCHE  oblilus  est,  {il  oublia).  De  même  , 
de  la  racine  T»S  AOUR,  lucescere,  clm^escere ,  est  dérivé  le  nom 
qui  signifie  l'intelligence  ,  la  connaissance;  tandis  que  le  mot 
"wH  HESCHK  ,  obscuratus,  obtencbratus  esl^  a  fourni,  selon 
AYiner  (lex.  heb.)  le  nom  de  l'ignorance.  Ainsi  pour  revenir  à 
notrecxpression,  il  existe  une  belle  antithèse  entre  r\D^'J  ALME, 
virgo  abscondita  ou  autrement  non  cognita  ,  et  nyp:  NOL  DAE , 
nom  de  la  femme,  muUer  cognita  viro.  De  même  que  l'état  opposé 
à  la  virginité  est  rendu  par  les  mots  qui  signifient  connaissance 
et  révélation  ,  la  virginité  est  parfaitement  désignée  par  le  mot 
contraire.  Si  ensuite  nous  considérons  cette  locution  souvent 
reproduite  dans  l'Ecriture  pour  désigner  une  femme  après  son 
union  avec  l'homme  ,  cognita,  l'on  comprend  pourquoi  le  nom 
qui  signifie  abscondita,  est  dérivé  du  verbe  qui  affirme  l'opposi- 
tion à  la  clarté  cl  à  la  manifestation  ;  il  se  trouve  ainsi  appro- 


372  APOLOf.ir.   DE   ST.    jérome. 

prié  à  la  notion  des  vierges  encloses  ,  selon  la  coutame  hé- 
braïque, et  non  connues  des  hommes.  Car  l'union  des  deux  sexes 
est  chastement  exprimée  par  le  verbe  nbj  GHiLE,  revelavit; 
et  pour  exprimer  non  cognosci  rira ,  la  Bible  se  sert  du  verbe 
abscondi  i;  ainsi  celles  dont  la  pudeur  était  restée  intacte  étaient 
parfaitement  appelées  par  les  Hébreux,  riloSy  ALMOUTH, 
absconditœ.  De  là  vient  que  cette  phrase  erat  ou  non  erat  cognita 
viro  est  rendue  par  la  Vulgafe  d'une  façon  plus  simple  et  plus 
claire  '.  Marie,  en  s'adrcssant  à  l'ange,  se  sert  d'une  expression 
semblable  :  virum  non  cognosco  ,  c'est-à-dire  virgo  abscondita 
sum  ;  ce  qui  se  disait  en  hébreu  :  noSy  >JN  '.  En  effet  ,  la 
langue  sainte,  comme  l'observe  Maimonide,  n'a  point  de  mots 
pour  exprimer  une  chose  ou  une  action  déshonnête.  C'est 
pourquoi  saint  Paul  dit  aux  Ephésiens  ( v.  5),  «Qu'on  n'en- 
»  tende  pas  même  parler  parmi  vous  de  fornications  ,  ni 
«de  quelque  impureté  que  ce  soit...,  comme  il  convient  à  des 
saints  *.  »  Ce  qui  a  donné  occasion  de  dire  :  la  langue  hébraïque 
qui  exprime  les  choses  obscènes  par  des  |mots  chastes,  mérite 
bien  d'être  nommée  la  langue  sainte.  Enfin  les  écrivains  grecs 
et  romains  eux-mêmes  emploient  souvent  celte  façon  déparier 
figurée.  Yous  en  rencontrez  des  exemples  dans  Horace  ,  César, 
Plutarque ,  Catulle  ,  Jamblique,  Justin  ,  Ovide  ,  Ménandre  et 
autres  qui  ont  quelquefois  voulu  exprimer  sous  un  voile  chaste, 
une  chose  déshonnête;  aussi  saint  Jérôme  a-t-il  eu  raison  dédire, 
selon  l'idiome  de  la  langue  hébraïque,  «  celle  qui  est  cocliée  est 
^essentiellement  vierge  ^  » 

Quelques  auteurs  docnent  une  autre  origine  à  cette  expres- 
sion qui,  selon  eux,  ferait  allusion  à  une  coutume  des  orien- 
taux opposée  à  celle  des  R  omains  eux-mêmes. Chez  les  premiers, 

'  On  trouve  dans  \aPlidoi  gie  Sacrée  de  Salomon  Glassius,  publiée  par 
Dalh  ,  plusieurs  exemples  qui  prouvent  que  des  adverbes  de  négation 
joints  à  ua  verbe,  s'emploient  pour  affirmer  le  contraire  avec  plus  de 
force. 

»  Nom.  3f  ,  18  ;  Jug.  21,12.  Levit.  21 ,  3. 

3  Luc  1  ,  U. 

*  Fornicatio  et  immunditia  nec  nominenlur  in  vobis,  sicut  decet sauctos. 

^  » Qnae  abscondita  est,  juxta  idioma  lioguse  hebraicœ  ,  conse(][ueuter 
»el  virgo  est.»  Lib.  quœst.  lab.  1.  c. 


ÏXPLICATION    DU   MOT   VIERGE    EN    HÉRHEl.  37j 

les  vierges  se  couvraient  d'un  voile  ;  de  là  les  Ilt^broiix  les  au- 
raient nommées  ^]^D1V  ubsconditas  ,  c'est-à-dire  voilées. 

En  résumé  ,  si  le  mot  riDvj;  ALiME  ,  ne  signifiait  pas  vierge 
parfaite  ,  selon  l'opinion  de  saint  Jérôme,  la  langue  hébraïque 
manquerait  d'un  terme  exact  pou»-  exprimer  la  virginité  ,  ce  qui 
ne  se  peut  présumer  dans  la  langue  sainte.  Elle  a  ,  il  est  vrai, 
«nS?3  INAllE;  mais  ce  mot  désigne  une  jevme  fille,  puella,  vierge 
ou  ayant  perdu  la  virginité  ;  il  indique  l'âge  ,  nullement  les 
mœurs.  11  en  est  de  même  du  mot  rnV  IL  DE,  L'hébreu  a  aussi 
nSin3  BeTHOULE,  mol  qui  s'emploie  pour  désigner  une  vierge; 
mais  il  n'a  point  la  signification  de  HD/'J  ALiME  ,  pviisqu'il  n'ex- 
prime pas  à  la  fois  la  virginité  et  la  jeunesse,  et  qu'il  ne  désigne 
que  l'état  extérieur  du  corps:  on  sait  qu'il  se  dit  quelquefois 
d'une  femme  qui  a  vécu  avec  un  homme  ou  d'une  veuve  '.Lors- 
qu'il s'agit  des  vierges  dans  les  Ecritures  ,  ces  différens  mots 
sont  employés  chacun  dans  leur  acception  ,  pour  caractériser 
avec  justesse  et  précision,  comme  dans  la  Gen.,  xxiv,  iG,  où  après 
CCS  mots  n"1i?J  et  n 71713»  on  lit  de  plus  et  vir  non  cognovit  eam  ; 
comme  si  ces  mots  ne  donnaient  pas  une  notion'assez  expresse 
de  la  virginité  de  celle  dont  il  est  parlé;  de  même  dans  le  iéri- 
tique  XXI,  5  ;  les  juges  xxi ,  I2,  et  ailleurs;  tandis  que  notre  mot 
ne  se  voit  nulle  part  accompagné  d'une  pareille  piirase,  possé- 
dant ce  sens  complet  en  lui-même.  Ainsi  l'unique  terme  par 
lequel  la  langue  hébraïque  désigne  la  virginité  dans  l'adoles- 
cence, dans  une  acception  exacte  et  précise,  est  notre  mot  nûSjJ. 
Voilà  pourquoi  Isaïe  ,  par  une  prévoyance  de  l'Esprit-Saint  , 
s'est  servi  de  ce  terme,  de  préférence  à  tout  autre,  dans  sa  ce» 
lèbre  prophétie.  L'usage  constant  et  avéré  de  la  langue  hé- 
braïque, l'analogie  des  dialectes  issus  de  cette  langue,  la  force 
intrinsèque,  l'origine  et  l'acceplion  de  ce  mot,  attestées  par  la 
coutume  antique  et  rendue  évidente  par  l'examen  des  mois  qui 
expriment  un  état  opposé,  tout  concourt  à  justifier  l'opinion  de 
saint  Jérôme. 

On  peut  corroborer  encore  cette  opinion  en  rappelant  l'assen- 
timent que  lui  ont  donné  les  plus  savans  hommes  des  siècles 

t 
*  Voir  Joe/,  i,  S;  on  pourrait  y  ajoiifer  Dcuiéron.  xxii  ,   19  ;  Eiéchiei 
xxm  )  3 ,  8. 


olU  APOLOGIE    DE    ST.    JÉHOME. 

passés  et  la  sanction  de  plusieurs  conciles  œucuméniqiies.  On 
pourrait  citer  Celse,  Luther,  Calvin  et  Mahomet  lui-même,  qui, 
en  abandonnant  la  foi  de  leurs  pères  et  en  devenant  ses  ennemis, 
ont  cependant,  ou  passé  sous  silence,  ou  défendu  ouvertement 
celle  croyance.  Ou  sait  d'ailleurs,  etGasp.  Unterkircher  l'a  fait 
valoir  avec  force  contre  les  prolestans  ',  on  sait  quelle  autorité 
obtient  ce  qu'on  appelle  l'analogie  de  la  fvi  dans  l'interprétation'dcs 
Ecritures  saintes.  Je  pourrais  citer  contre  la  nouvelle  opinion  le 
sentiment  des  théologiens  proteslans  les  plus  érudits  des  iC"  et 
17e  siècles.  Je  pourrais  arguer  contre  le  senlimeiit  de  la  nation 
juive,  du  concert  unanime  de  leurs  anciens  qui,  sur  l'endroit 
cité  d'isaïe ,  ont  cru  généralement  qu'un  Dieu  Sauveur,  Deas 
camp  devait  naître  d'une  Vierge,  de  sorte  que  celle  opinion  se 
trouvait  répandue  même  chez  les  autres  nations  ^. 

PiCvenons  à  l'autorité  des  Septante,  que  l'on  ne  peut  accuser 
sur  ce  point  de  préjugé  ou  de  zèle  partial.  Leur  version  a  été 
composée  bien  des  siècles  avant  que  cette  question  n'ait  été 
soulevée.  Dans  cet  endroit  d'isaïe,  si  maltraité,  les  Septante 
ont  traduit  TTxpOs-joz-  Ceux  qui,  ainsi  que  Tryphon,  rejettent 
cette  version,  ne  méritent  pas  notre  attention,  et  Justin  les  a 
blâmés  avec  justice,  comme  des  hommes  qui  s'efTorcent  de  pcr- 
verlir  les  choses  consacrées  par  leur  antiquité  et  un  mérite 
universellement  reconnu.  Interrogeons  l'évangéliste  St.  Ma- 
thieu, qu'au  moins  nul  homme  de  bon  sens  n'a  pensé  à  rejeter 
en  celte  matière;  parcourons  les  plus  anciennes  versions: 
quand  le  mot  HQ/y  se  rencontre  dans  l'hébreu,  nous  le  voyons 
traduit  par  NJIO'^j;  mot  qui,  dans  la  langue  chaldaïque,  si- 
gnifie une  jeune  vierge, /.'Hf.'/a  virgo;  mêmes  preuvi:s  dans  la 
version  syriaque  et  arabe,  et  je  pourrais  ajouter  à  ces  témoi- 
gnages ceux  des  pîvîs  ancieuiies  traductions  qui  aient  été  faites 
dans  un  si  grand  nombre  de  langues.  Tant  de  preuves  doivent 
bien  être  accueillies  cantre  celte  interprélalion  judaïque.       i>-î 

Toutefois  quand  nous  prétendons  que  le  mot  ilDTj  signifie- 

I  Herméneutique  BiH.  partie  1  ,  à  la  fin.  'V  *"'*£f>l' 

»  Voyez  S.  Jérôme  contre  Jovinien  ,  liv,  i,  cli.  26,  et  Huet  a  démon- 
tre aussi  ce  point  avec  sou  talent  ordinaire.  Demonstr.  Eviingcl.  prop.  1*, 
c.  IX,  s.  4ct(/"tcs/.  Alnct.  îib.  u.  c.  15. 


EXPLICATION    DU    MOT   VIERGE    KN    1|LCP.;:U,  375 

une  vierge  intègre,  nous  ne  contestons  pas  à  ce  terme  son 
nuire  acception  de  jeune  fille  vîy.vjç,  adolesccutula,  mais  nous 
considérons  racceplion  de  paella  abscondila,  comme  une  signi- 
fication dérivée  de  l'usage,  dans  son  principe,  et  reconnue 
constamment  par  tous  les  interprètes  comme  offrant  le  sens  de 
virgo.  Enfin,  il  nous  est  permis  de  ne  pas  adopter  ce  vîKvt^  ,  qui 
n'od're  qu'une  acception  incomplète  et  qui  peut  s'entendre 
également  d'une  jeune  fille  pure  ou  ayant  perdu  la  virginité. 

ÎSous  ne  poursuivrons  pas  l'opinion  ridicule  de  ceux  qui 
prétendent  qu'Isaïe  n'a  parlé  en  cet  endroit  du  Christ  que 
par  allégorie;  nous  conviendrons  qu'il  n'y  est  point  ques- 
tion de  lui,  s'ils  peuvent  citer  ime  femme  devenue  mère  en 
conservant  sa  virginité,  autre  que  la  Bienheureuse  Marie.  Avissi 
csî-il  plus  sage  de  se  confier  à  l'autorité  universelle  el  de  re- 
connaître la  vérité  dans  l'opinion  de  St.  Jérôme,  corroborée 
des  suffrages  de  tant  de  savans  hommes.  Et  c»mme  le  dit  lui- 
même  ce  saint  docteur,  dans  ses  reproches  ai-.x  Juifs  '  :  «  En 
»  voyant  cet  assentiment  du  monde  entier,  les  démons  eox- 
B  mêmes  devraient  croire  que  le  Fils  de  Dieu  est  né  de  la  Vierge 
»  Marie.  » 

L'abbé  YERCELLO^E. 

Nous  ajouterons  à  cette  dissertation  que  les  Annales  ont  déjà 
recueilli  de  nombreuses  traditions  cor.servéeschez  tous  les  peu- 
ples sur  une  femme-vierge  qui  devait  enfanter  le  Libérateur  des 
nations.  Voir  les  écrivains  profanes  cités  dans  le  tome  vu ,  page 
io5;  de  plus,  les  Traditions  Druidiques,  p,  1 1^  et  ov.^,  et  en 
particulier  les  Traditions  Chinoises  ,  tome  xiv,  p.  203. 

^  Livre  II ,  contre  Rufm ,  nnni.  i.  Toto  credente  jani  roundo  piilo 
tjuod  et  dœmones  contiteantur  Filiam  Dci  aalum  de  Maria  Yirgiae. 


376  PLAN  d'un  cours  d'histoire 

\^^vv\^v^\\v^\^vvv^\\^v^^\vv\\v^vvvw\\vv^w\\vwvw\\v\\v^,v\wvwvv\w\^\w^\vv^vvv\vvv»v» 

ŒUVRES  PHILOSOPHIQUES 

DE  M.  LE  PRÉSIDENT  RIAMBOURG; 

Publiées  par  MM.  Thomas  Foisset  et  l'abbé  S.  Foisset ,  anciea  supérieur  de 
séminaire. 


Plan  d'études  historiques  pour  une  maison  d'éducation. 

Il  n'est  pas  un  des  lecteurs  des  Annales  qui  ne  connaisse 
M.  Riambourg,  qui  ne  se  souvienne  des  articles  si  remarquables 
qu'il  nous  a  fournis,  et  qui  n'ait  regretté  que  la  mort  soit 
venue  le  surprendre  au  moment  môme  où  il  travaillait  à  com- 
pléter les  travaux  qu'ils  avait  commencés  sur  les  traditions 
chinoises.  Lorsque  dans  ce  journal  nous  lui  payâmes  dans  une 
notice  très-courte  un  juste  tribut  d'hommage  et  de  reconnais- 
sance, nous  formâmes  le  voeu  de  voir  tous  ses  écrits,  épars  dans 
divers  recueils,  ou  inédits  encore,  et  restés  en  portefeuille,  réunis 
dans  un  ensemble  complet;  bien  assurés  que  tous  les  amis  des 
bonnes  doctrines  religieuses,  philosophiques  et  littéraires,  se- 
raient jaloux  de  les  posséder  dans  leur  bibliothèque.  Notre  vœu 
vient  d'être  réalisé  :  deux  hommes  de  science  etdefoi,  MM.  Fois- 
set frères,  amis  de  M.  Riambourg,  liéritiers  de  ses  manuscrits, 
ont  coordonné  ,  annoté  et  édité  tout  ce  que  Al.  Riambourg  a 
écrit,  et  c'est  cette  édition  que  nous  venons  annoncer  ici. 

Avec  un  homme  tel  que  M.  Riambourg,  la  lâche  d'un  cri- 
tique est  très-facile.  11  n'y  a  pas  de  meilleure  manière  de  le 
louer  que  de  citer  ses  travaux:  c'est  ce  que  nous  allons  faire  , 
d'abord  ;  mais  comme  plusieurs  de  ces  travaux  ont  été  insérés 
déjà  dans  notre  recueil ,  après  en  avoir  sommairement  exposé 
le  litre,  nous  citerons  en  entier  un  travail  inédit  que  M.  Riam- 
bourg avait  préparé  sous  le  titre  de  Plan  d'un  cours  tCHistoire 


POUR    UN   PETIT   SÉMINAIRE.  S77 

pour  un  petit  séminaire.  Nous  sommes  assurés  que  les  nombreux 
professeurs  d'établissemens  ecclésiastiques  ot  laïques  qui  reçoi- 
vent notre  journal,  liront  avec  fruit  un  semblable  travail.  L'é- 
tude de  l'histoire  nous  paraît  en  effet  l'objet  le  plus  essentiel 
et  le  plus  important  de  l'éducation  actuelle»  soit  cléricale,  soit 
laïque.  C'est  là  qu'est  notre  force  et  aussi  notre  vie  ;  et  à  ce 
sujet  qu'il  nous  soit  permis  de  nous  étonner  que  dans  quelques 
élablissemens  ecclésiastiques,  cette  étude  soit  mise  au-dessous 
de  celle  des  sciences  physiques  et  matlié7natiques.  C'est  une  grande 
erreur.  Loin  de  nous  de  vouloir  ralentir  le  zèle  et  l'ardeur  que 
manifeste  pour  la  science  la  portion  la  plus  élevée  et  la  plus 
instruite  du  clergé;  mais  il  ne  faudrait  pas  que  ce  zèle  et  cette 
ardeur  tournassent  en  curiosité  et  en  amusement. 

Ce  que  nous  avons  de  plus  cher  et  de  plus  précieux,  notre 
religion,  notre  foi,  nous  viennent  par  tradition.  Dieu  en  nous 
créant,  en  nous  rachetant,  nous  a  donné  des  enseignemens 
et  des  préceptes,  que  notre  intelligence  doit  croire  et  notre  vo- 
lonté pratiquer.  Tout  cela,  confié  à  nos  pères,  a  dû  être  trans- 
mis de  main  en  main  à  leurs  descendans.  Obscurcies,  égarées 
dans  leur  course  parmi  les  nations,  conservées  avec  intégrité 
dans  le  peuple  fidèle,  transmises  à  l'Eglise,  c'est  sous  la  conduite 
de  cette  dernière  que  nous  devons  travailler  à  connaître  le  plus 
que  nous  pourrons  de  ces  divines  paroles,  étudier  leur  diffusion 
sur  la  terre,  l'influence  qu'elles  y  ont  exercée,  la  vie  qu'elles 
ont  répandue  partout.  Voilà  pourquoi  l'étude  de  l'histoire  sera 
toujours  la  plus  nécessaire,  la  plus  utile;  voilà  pourquoi  elle 
entre  pour  une  si  grande  part  dans  les  travaux  des  Annales. 

Donnons  d'abord  l'indication  des  travaux  qui  remplissent  les 
trois  volumes  que  nous  annonçons. 

Le  !"■  volume  s'ouvre  par  une  vie  de  M.  Riambourg ,  par 
M.  Th.  Foisset  :  c'est  celle  qui  a  été  insérée  dans  le  tome  xu  de 
nos  Annales,  sauf  quelques  additions  et  quelques  changemeus. 

Puis  vient  une  Introduction  générale,  où  les  éditeurs  résument 
très-bien  quelle  était  la  pensée  et  quel  était  le  but  de  M.  Riam- 
bourg.  Tous  ses  travaux,  qu'il  a  laissés  imparfaits,  se  résument 
dans  ces  trois  propositions  :  la  religion  chrétienne  est  possible,  elle 
est  probable,  elle  est  prouKcc.  C'est  pussi  d'après  cette  pensée  que 


378  PLAN  d'un  cours  d'histoire 

les  éditeurs  ont  classé  les  matières  qui  entrent  dans  ces  vo- 
lumes. 

Le  premier  ouvrage  est  Vécole  fVJthhus  -  c'était  dans  l'idée 
de  l'auteur  un  chapitre  d'une  vastiè  (encyclopédie  des  philoso- 
plries  et  des  religions,  qu'iî  vovdait  examiner  et  mettre  en  face 
dt;  christianismie.  Elle  se  compose  de  trois  parties,  le  prologue , 
le  dialogue  et  Vepilogue  ;  dans  le  dialogue  sont  exposées  avec  jus- 
tesse et  clarté  les  difréreiit<  s  opinions  des  philosophes  grecs  sur 
les  grandes  questions  religieuses  qui  ont  toujours  agité  le 
monde.  Dans  le  prologue  et  dans  Vépilogue,  l'auteur  compare  ces 
opinions  avec  les  croyances  chrétiennes,  et  en  faitressortir  l'in- 
suCQsance  et  le  vide. 

Sous  le  titr  3  à^école  de  Paris  viennent  ensuite  différentes  dis- 
sertations que  M.  Riambourg  avait  insérées  dans  différens 
journaux  de  pi-ovince  et  de  Paris,  tels  que  le  Provincial  de  Di- 
jon ,  le  Correspondant  de  Paris,  et  où  il  réfutait  svicccssive- 
mcnt  MM.  Jouffroy,  Cousin,  Royer-Collard,  Daaiiron,  le  Globe. 
-Il  y  traite  successivement  de  Véclecticme,  de  V école  écossaise  et  de 
Y  école  progressive  ou  saint-simonie  une  '. 

Dans  le  2'  volume  on  trouve  des  mélanges  de  philosophie 
chrétienne  :  ils  comprennent,  i"  le  problême  insoluble  sur  l'ef- 
fort de  l'esprit  humain  de  conserver  la  croyance  de  Dieu,  tout 
en  éliminant  les  mystères  »,  a"  faut-il  s''étonner  qu^il  y  ait  des 
mystères  '"?  5*  De  la  certitude,  à  propos  du  système  de  M.  de  La  Men- 
nais.  4°  Esquisse  d'un  cours  de  philosophie  chrétienn^e  inséré  dans 
nos  Annales,  tome  xi.  5"  Du  Livré  d'instruction  morale  et  reli- 
gieuse par  M.  Cousin,  inséré  dans  nos  Annales ,  tome  ix.  6°  Un 
chapitre  de  l'Apocalypse  commenté  par  M.  Victor  Cousin, 
extrait  du  Correspondant,  i85i.  7"  Théorie  nouvelle  sur  C histoire  , 
dirigée  contre  les  prétentions  de  quelques  historiens  modernes 
de  faire  de  l'histoire  d  priori,  insérée  dans  wo^  Annales,  tom.  vu. 

Sous  le  titre  de  Fragmens  on  lit  ensuite  ,  1°  plan  cf  histoire  pour 
U7i  petit  séminaire ,  dont  nous  insérons  ici  la  première  partie. 
2°  Quelques  idées  générales  sur  le  beau,  et  le  goût. 

»  Gazelle  de  Bourgogne  de  1 832. 

'  Extrait  du  recueil  de  l'Académie  de  Dijon  ,  1826. 

^   Idem,  1827. 

4  Lu  à  l'Acadcmie  de  Dijon  en  iSiZ. 


POUR    UN    PETIT   SÉMINAIRE.  S79 

Le  5*  volume  s'ouvre  par  riniporlant  ouvrage  intitulé  : 
Rationalisme  et  tradition,  dont  les  Annain  ont  rciulu  compte 
dans  le  tome  x,  et  dont  elles  ont  cité  la  conclusion  en  forme  d'a- 
nalyse, par  M.  Riambourg,  dans  le  tome  ix. 

a°  Traditions  chinoises  rapproclices  des  traditions  bibliques,  insé- 
rées d'abord  dans  les  tomes  xu  et  xiu  de  nos  Annales. 

5"  Traditions  Scandinaves  rapproclices  des  traditions  bibliques^  que 
nos  lecteurs  retrouveront  dans  notre  tome  x.  ^nccn». 

4"  Enfin,  pour  conclusion,  on  lit  un  article  intitulé  :  de  ta 
direction  d  donner  à  la  polémique  chrétiejuie,  insî^ré  dans  ïUniversîté 
catholique. 

Le  volume  est  terminé  par  une  table  des  maiicres  bien  faite, 
attention  qu'il  faut  louer  dans  les  éditeurs,  à  cause  des  secours^ 
qu'offrent  ces  sortes  de  tables  pour  l'étude  et  pour  les  recherches. 

Voici  maintenant  le  programme  d\\n  cours  d'éludé  pour  un 
petit  séminaire,  telles  que  les  entendait  M.  Fiiambourg  ;^nous  y 
ajouterons  quelques  remarques;  et  pour  la  commodité  "de  nos 
lecteurs,  nous  aurons  soin  de  rappeler  les  volumes  des  Annales 
où  sont  cités  la  plupart  des  documens  que  M.  Riaaâbourg  re- 
commande à  l'attention  des  élèves  et  des  professeurs  *. 

PLAN  D'UN  COURS  D'IîlSTOlEE 

POUR  UN  PETIT  SÉMINAIRE.  ' 
'if{ 

«  La  pensée  de  comprendre  au  nombre  des  études  qu'on  siiit'au 
petit  séminaire ,  celle  de  l'histoire,  est  sous  tous  les  points  de 
vue  saine  et  juste  '. 

'  Cet  article  sera  le  complément  de  ceux  qui  ont  été  publiés  clans  les 
Annales  par  M.  l'abbé  Foisset,  sous  le  litre  de  i'Ê(/«ca/(t>H  cléricale.  Obser- 
vations préliminaires, t.  II,  p,  233,  ui.3S8,iv,  68.  Plan  sommaire  et  générai 
d'études  pour  un  petit  séminaire,  p.  432.  Etude  classique  des  Pères,  ^.  453. 
Ces  articlesonl  été  reproduits  par  M,  Foisset,  en  partie  dans  un  journal 
;^ant  pour  titre  le  Correspondant  des  Ecoles  Catholiques ,  lequel  a  cessé  de 
paraître.  Nous  avons  protitJ  des  nou'.  elles  indications  qui  v  sont  données. 

*  Nous  prions  le  kricur  de  ne  pas  perdre  de  v  ne  que  M.  lUambourg  tra- 
çait ce  plan  d'étude  il  y  a  sept  ou  huit  ans.  —S.  F. 


380  PLAN    D'UN   COURS   Ï>'hISTOIRE 

Il  est  toujours  entré  dans  les  principes  d'une  bonne  éducation 
de  mettre  la  jeunesse  sur  la  voie  des  traditions  historiques,  et 
aujourd'hui  plus  que  jamais  ,  il  est  important  de  tourner  ses 
regards  vers  les  traditions  du  premier  âge  ;  car  c'est  désormais 
sur  ce  terrain  ,  vu  le  discrédit  dans  lequel  les  théories  d  priori 
tombent ,  que  les  grandes  discussions  s'établissent.  Un  jeune 
homme  qui  sortirait  du  petit  séminaire  sans  être  pourvu  suffi- 
samment de  connaissances  historiques,  n'entendrait  plus  rien 
à  tout  ce  qui  se  dit  et  s'écrit  présentement  '. 

On  ne  peut  donc  qu'applaudir  au  projet  que  Monseigneur  a 
manifesté  de  donner  à  l'étude  de  l'histoire  dans  son  petit  sémi- 
naire, une  extension  qui  soit  en  rapport  avec  les  besoins  de  l'é- 
poque. 

Mais  dans  l'exécution  de  ce  plan ,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  : 

1°  Que  se  sont  des  enfans  et  non  pas  des  hommes  faits  qu'on 
initie  à  la  science  historique. 

2°  Que  ces  mêmes  enfans  ont  d'autres  éludes  à  suivre  qui  ne 
doivent  pas  souffrir  de  la  concurrence  de  ce  nouveau  travail. 

Sous  ce  double  rapport  il  me  paraît  convenable  de  ne  pas 
entreprendre  pendant  le  cours  des  études  au  petit  séminaire, 
d'arriver  jusqu'à  la  philosophie  de  l'histoire.  L'esprit  des  jeunes 
élèves  n'est  point  assez  fort  pour  concevoir  et  saisir  un  système 
historique;  d'ailleurs  ce  système,  comme  ils  n'ont  pas  assez  de 
données  pour  en  faire  eux-mêmes  la  critique,  serait  accepté  par 
eux  de  confiance;  et  plus  tard  ,  il  serait  abandonné  légèrement 
et  échangé  facilement  contre  un  autre  qui  leur  semblerait  plus 
spécieux,  quand  la  parole  du  maître  aurait  à  leurs  yeux  perdu 
son  autorité. 

Ces  systèmes  aujourd'hui  abondent  ,  et  pour  celui  qui  n'a 
pas  un  bon  fonds  de  connaissances  historiques ,  il  est  difficile 
de  distinguer  où  est  le  vrai. 

Au  lieu  donc  de  préoccuper  l'esprit  des  jeunes  élèves  de  tel 
ou  tel  système  historique  ,  il  me  semble  qu'il  est  bien  mieux 
qu'on  les  mette  à  même  de  les  juger  tous  d'après  une  règle  qui 

'  Voir  dans  les  Ânnala  .,  tome  xn ,  p.  360,  un  excellent  article  de 
M.  Laurenlie,  sur  l'utiHlc  et  le  progrès  des  éludes  historiques. 


POUB  UN    PETIT   SÉMINAIRE.  381 

ne  peut  pas  tromper,  c'est-à-dire  d'après  la  réalité  et  l'ensemble 
des  faits. 

Ainsi ,  il  importe  que  leur  mémoire  soit  bien  assurée  sur  les 
laits,  qu'ils  en  connaissent  l'ensemble  et  la  suite;  en  sorte  que 
sur  ces  différens  points  on  ne  puisse  leur  l'aire^illusion. 

Il  ne  faut  pas  imaginer  toutefois  de  donner  aux  études  histo- 
riques du  petit  séminaire  nn  trop  grand  développement  ;  l'es- 
prit des  enfans  s'embarrasserait,  le  tems  d'ailleurs  manquerait. 

Les  faits  saillans  de  l'histoire  développés  suffisamment  pour 
laisser  trace  ,  les  époques  bien  précisées,  les  lieux  indiqués  et 
reconnus  sur  la  carte  à  mesure  que  les  événemens  se  déroulent; 
voilà  à  quoi  il  faut  s'attacher  principalement. 

J'approuve  donc  l'usage  des  extraits  historiques  pour  former 
les  jeunes  élèves  à  recevoir  les  premiers  rudimens  de  la  science, 
et  de  tous  ces  extraits  ,  c'est  à  ceux  du  Père  Loriquet  que  je 
donnerais  la  préférence  '. 

J'indiquerai  tout-à- l'heure  la  manière  dont  je  désirerais  que 
l'on  en  fît  usage. 

Mais  auparavant  je  dois  vous  prévenir  que  bien  que  je  re- 
pousse l'idée  de  systématiser  l'histoire  dans  renseignement 
qu'on  suivra  au  petit  séminaire,  je  n'enlends  pas  exclure  par  là 
une  instruction  solide  et  forte;  car  je  désirerais  au  contraire  que 
les  élèves  en  sortant  de  la  maison  ,  après  avoir  fait  leur  rétho- 
rique,  fussent  tellement  affermis  sur  les  points  fondamentaux 
de  la  science  historique,  que  tous  les  paradoxes  et  les  menson- 

»  Ces  abrégés,  désignés  par  A.  M.  D.  G.,  plus  courts  et  plus  clairs  que 
la  plupart  des  Précis  publiés  plus  tard  par  des  professeurs  de  l'Université, 
ont  le  mérite  incontestable,  tout  imparfaits  qu'ils  soient,  de  s'apprendre 
avec  facilité.  Nous  avons  dû  respecter  les  indications  de  M.  Riambourg  : 
toutefois  nous  recammanderons  pour  l'histoire  sainte,  celle  de  M.  l'abbé 
Didon  ;  pour  l'histoire  ancienne  ,  l'abi-égé  récemment  publié  par  M.  Le- 
franc;  pour  l'histoire  romaine  et  celle  des  empereurs  les  Cahiers  de  M. 
Edouard  Dumont;  et  pour  le  moyen-âge  le  Précis  de  M.  Lefranc  on  les 
Cahiers  de  Casimir  Gaillardin ,  ainsi  que  le  Manuel  que  publie  présentement 
'M..Moëller ,  professeur  de  l'université  catholique  de  Louvaîn.— S.  Foissef. 

Il  faut  y  ajouter  un  excellent  ouvrage  de  M.  de  saint  Félix,  intitulé: 
Précis  de  Chistçire  des  peuples  anciens,  3  \  ni,  à  Pétris,  chez  Le\  rault ,  1 858. 


582  PLAX  d'un  cours  d'histoire 

ges  de  l'école  vollairienne  el  de  toutes  celles  que  le  même  es- 
prit dirige,  ne  fussent  pas  capables  de  les  ébranler. 

Mais  ce  n'est  pas  de  prime-abord  qu'on  peut  espérer  de  les 
amener  là;  et  ce  n'est  à  vrai  dire  que  dans  la  dernière  année 
de  leurs  études  classiques  ,  qu'ils  seront  mis  en  possession  des 
connaissances  qui  leur  serviront  d'anlidote  pendant  tout  le 
ceursde  leur  vie  ,  contre  les  doctrines  fausses  qu'on  voudrait 
appuyer  sur  l'iiisloire. 

Aussi  les  fonctions  du  professeur  d'histoire,  que  je  suppose 
devoir  être  un  homme  intelligent  et  laborieux,  se  réduiraient 
suivant  moi,  au  cours  de  l'année  correspondant  à  la  rhétori- 
que :  de  cette  manière  ,  toute  son  atîenliou  se  concentrerait 
sur  le  travail  important  qui  serait  le  complément  des  études 
historiques.  Non-seulement  je  raffrancliirais  de  toute  coopé- 
ration aux  études  étrangères  à  l'histoire  ,  mais  je  voudrais  en 
outre  qu'il  n'eût  point  à  s'occuper  des  premiers  rudimens  de 
cette  science  et  qu'il  ne  fût  mis  en  rapport  qu'avec  les  élèves 
de  la  rhétorique  ,  occupé  lui-même  sans  cesse  du  soin  de  per- 
fectionner l'enseignement  qu'il  serait  chargé  de  leur  donner. 

D'après  cela  ,  voici  comment  je  distribuerais  pour  les  élèves 
el  les  maîtres,  les  études  et  l'enseignement  de  l'iiistoire. 

ES   SEPTIÈME. 

Les  enfans  apprendront  par  cœur  le  Traité  par  demandes  et 
par  réponses,  ayant  pour  titre  Histoire  sainte. 

ES  SIXIÈME. 

Le  Traité  rédigé  dans  la  même  forme,  intitulé  Histoire  ecclé- 
siastique. 

EN  CINQUIÈME. 

Les  enfans  apprendront  encore  par  cœur  l'Extrait  de  l'if/V- 

ioire  ancienne. 

EN   QUATRIÈME. 

L'Extrait  de  V Histoire  romaine. 

Tous  ces  petits  trailésdu  Père  Loriquct  étant  peu  volumineux, 
pourront  être  appris  par  cœur  ,  sans  que  la  mémoire  des  en- 
fans soit  surchargée.  Le  professeur  pourra  d'aillcius  ,  par  des 
explications  données  verbalement,  étendre  le  texte. 


POUR    UN    PETIT   SEMINAIRE.  383 

EN  TROISIEME. 

L'enseignement  de  riiistôire  qni  portera  sur  nos  propres  an- 
nales, prendra  une  autre  forme.  L'élèVC  ne  doit  plus  apprendre 
par  cœur,  mais  il  doit  élrc  en  élal  de  rendre  des  événemens 
consignés  dans  l'Extrait  de  Vlilsiûire  de  France  un  compte  salis- 
laisant  ;  le  professeur  ensuite  étendra  par  des  explications  la 
partie  de  l'Extrait  sur  laquelle  les  élèves  auront  dû  se  préparer; 
à  la  leçon  suivante,  chacun  des  élèves  donnera  sa  composition 
([iii  résumera  ^Extrait  et  les  explications  données. 

EN   SECONDE. 

Wémc  exercice  que  l'année  précédente. 

C/'est  pendant  le  cours  de  ces  deux  années,  que  l'Histoire  de 
France  passera  sous  les  yeux  des  élèves.  L'étude  en  sera  divisée 
en  deux  parties  :  la  première,  dont  les  jeunes  gens  qui  sont  en 
troisième  s'occuperont,  sera  conduite  depuis  le  commencement 
de  la  monarchie  jusqu'à  la  dernière  croisade  ,  c'est-à-dire  jus- 
qu'à la  mort  de  gaint  Louis  ;  la  seconde ,  depuis  la  mort  de  saint 
Louis  jusqu'à  l'année  1800. 

Les  élèves  de  troisième  et  de  seconde  suivront  toujours  les 
abrégés  historiques  du  Père  Lori(}uet  ,  mais  les  professeurs  de 
ces  deux  classes,  pour  les  explications  à  donner,  auront  à  con- 
sulter quelques  ouvrages  où  la  matière  est  plus  étendue. 

Ainsi  jusqu'à  Charlemagne  ils  pourront  se  servir  utilement  " 
des  Annales  du  moyen-âge ,  par  M.  Frantln  ;  pour  la  seconde  race  * 
et  la  troisième  jusqu'à  Henri  IV,  de  V histoire  de  France  du  Pire 
Daniel  ;  pour  Henri  IV,  de  V histoire  que  Pérèfixe  a  donnée  de 
son  règne;  pour  Louis  XIIÎ,  du  Pcre  Griffet ,  mais  en  le  par- 
covu-ant  seulement;  pour  Louis  XIV,  dvi  Siècle  de  Louis  XIV, pur 
Voltaire  ;  en  le  lisant  avec  précaution;  pour  Louis  XV,  de  La- 
cretcllc  ,  pour  la  révolution  française  ,  du  même,  sans  adopter 
aveuglément  sesjugcmens  '.  Ces  désignations,  au  surplus,  sont 

'  Nous  recommanderoDS  encore,  pour  le  xi"  siècle,  Vhistoire  du  pape 
Grégoire  VII ,  traduite  de  l'allemand  de  Voigt,  par  M.  l'abbé  J.^gcr  (2 
in-30,  1817)  ";  pour  l'époijue  des  croisades,   Vhistoire  de  M.  ]\Uchaud\f 

"  Voir  les  Annales,  t.  xv,  p.  288  cl  xu  ,  p.  1  72. 


384  PLAN  d'un  cours  d'histoire 

celles  qui  me  viennent  à  l'esprit  présentement.  Si  les  profes- 
seurs chargés  de  cette  partie  de  l'enseignement  ont  quelques 
auteurs  plus  recommanJables  à  substituer  à  ceux  que  je  viens 
de  nommer,  ils  feront  bien  d'en  faire  usage. 

Jusqu'ici  les  jeunes  gens  n'ont  reçu  l'instruction  historique 
que  du  professeur  chargé  de  leur  enseigner  en  même  tems  le 
grec  et  le  lalin  ,  mais  eu  rhétorique  ils  passent  sous  la  direction 
du  professeur  chargé  spécialement  de  leur  donner  des  idées 
plus  étendues  sur  la  matière  et  de  les  prémunir  contre  les  doc- 
trines qui  tendraient  à  fausser  l'histoire.  De  ce  moment  l'ensei- 
gnement prend  un  haut  caractère;  c'est  une  histoire  universelle 
assise  sur  des  fondemens  solides,  dont  ils  doivent  en  quittant 
l'établissement ,  emporter  l'idée  et  recevoir  l'impression  ,  de 
telle  sorte  qu'en  supposant  même  en  eux  l'affaiblissement  mo- 
mentané de  la  foi,  cette  impression  soit  ineffaçable.  Ici  je  n'ai 

pour  la  longue  période  des  guerres  de  l'Angleterre  contre  la  France  et 
pour  le  règne  si  important  de  Louis  XI  ,  M.  de  Barante ,  hist.  des  ducs  de 
Bourgogne  ;  pour  Charles  YIII ,  la  brillante  Monographie  de  M.  le  Comte 
Philippe  de  Ségur  ;  pour  Louis  XII ,  le  travail  de  M.  Rœderer  ;  pour  Fran- 
çois I,  V histoire  de  Charles-Quint ,  par  Robcrlson  ;  pour  les  guerres  de 
religion,  M.  Capefigue  (  histoire  de  la  réforme  ,  de  la  ligue  et  du  régne  de 
Henri  JV^  8  vol.  in-b°);  pour  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  les  rapides  compi- 
lations du  même  écrivain ,  où  sont  enregistrés  nombre  de  faits  curieux 
et  peu  connus.  Ces  travaux  di\  ers  ne  font  pas  tous  autorité  au  même  de- 
gré ;  mais  le  bon  esprit  des  professeurs,  hommes  de  foi  et  hommes  desens, 
leur  fera  démêler  sans  effort  ce  qui  peut  manquer  à  chacun  de  ces  histo- 
riens. MM.  Thierry,  Michclet  »,  Guizot,  ont  publié  sur  V histoire  de  France 
des  livres  fort  remarquables  ,  mais  ,  dans  les  deux  premiers  surtout ,  le 
vrai  et  le  faux  y  sont  mêlés  avec  un  talent  tel  que  l'accès  de  leurs  ouvra- 
ges n'est  pas  sans  danger  pour  quiconque  n'y  serait  pas  préparé  par  de 
fortes  études  préliminaires. — S.  F. 

ï  Nous  ajouterons  à  cetlelisle,  pour  le  ^^°  siècle,  V histoire d* InnocentUl , 
par  Hurter,  traduite  par  M.  de  Saint-Cheron  ("3  vol.  in-8o,  1838)  ,  dont 
nous  avons  rendu  compte,  tom.  xvi ,  p.  278  ,  ^  f  i,  et  V histoire  de  la  pa- 
pauté pendant  les  1  G«  eM  7=  siècles  ,  de  Ranke ,  (i  vol.  in-S",  1 838),  dont 
nous  avons  rendu  compte .  tom.  xvii ,  p.  S/iO.  A.  B. 

=  Les  Annales  ont  analysé  Vhistoire  de  France,  de  M.  Michelct,  dans  les 
tomes  IX,  X  et  xr. 


POUR   UN    PETIT   SÉMINAIRE.  885 

plus  de  guide  à  suivre  et  je  suis  obligé  de  tracer  moi-même  un 
plan  ;  car  l'excellent  discours  deBossuetne  peut  pas  mêle  four- 
nir tel  que  je  le  conçois. 

L'enseignement  reçu  par  les  élèves  n'a  porté  jusqu'à  présent 
que  sur  des  histoires  particulières  et  délacliées. 
C'est  l'ensemble  qu'il  faut  embrasser  maintenant, 
C'est  l'histoire  universelle  à  tracer, 

C'est  l'histoire  du  genre  humain  à  faire,  en  la  considérant 
parliculièrement  sous  son  aspect  moral. 

Il  faut  la  prendre  à  son  origine, 
Il  faut  la  conduire  jusqu'aujourd'hui. 
Pour  peu  qu'on  remonte,  on  trouve  bien  des  difficultés. 
C'est  déjà  une  grande  affaire^  même  pour  les  siècles  qui  ne 
sont  pas  très-éloîgnôs  de  nous  ,  que  de  concilier  les  historiens, 
et  de  faire  accorder  les  dates. 

Que  sera-ce  donc  pour  les  tems  où  l'histoire  n'était  point 
écrite  ? 

Car  il  fut  un  tems  où  les  souvenirs  historiques  étaient  con- 
fiés à  la  mémoire  seulement ,  où  les  événemens  principaux  n'é- 
taient constatés  que  par  des  monumens. 

Il  y  a  des  nations,  on  pourrait  citer  les  nations  Celtiques, 
par  exemple,  qui  n'ont  jamais  eu  d'autre  mode  de  transmission 
que  la  parole. 

Les  traditions  primitives,  de  même  que  les  grands  trails  de 
leur  histoire  particulière  étaient  conservés  dans  des  hymnes  sa- 
crés qui  se  transmettaient  seulement  dans  la  classe  sacerdotale. 
Maisles  nations  civilisées  ont  pris  soin  de  fixer  leurs  traditions. 
Elles  ont  d'abord  employé  l'écriture  symbolique  qui  peignait 
sous  différens  emblèmes  les  choses  elles-mêmes  et  les  idées. 
Les  Chinois  en  sont  encore  là  '. 
Ensuite  on  a  représenté  la  parole 
En  se  servant  de  l'écriture  symbolique, 
Les  monumens  égyptiens  en  font  foi. 
Grâce  au  découvertes  de  M.  Champollion, 
La  chose  est  constatée. 
Enfin  l'écriture  ordinaire  a  remplacé  l'écriture  symbolique  '. 

»  Sur  Vécriiure  de»  Chinois  ,  voir  Annales  vil,  Ail  ,  xii,  137. 
a  Sur  Yieriture  symbolique  des  Egyptiens  et  sur  les  travaux  de  Cham- 
ToME  XVII. — N"  101»  ilJ38.  25 


386  PLAN  d'un  cours  d'histoire 

les  premiers  livres  qui  oui  été  écrits ,  ce  sont  les  livres  sacrés. 
On  y  trouvait  confondus  avec  l'histoire  des  tems  primilifs, 
Les  principes  de  la  religion,  de  la  morale  ,  de  la  législation. 
C'est  qu'en  effet  ces  principes  ne  sont  eux-naêmes  que  des  tra- 
ditions. 

Plus  tard, 

L'histoire  s'est  séparée  de  la  religion. 

Les  peuples  ont  eu  leun  annales . 

Qui  voudrait  s'en  tenir  à  ces  dernières,  en  partant  du  point 

où  elles  commencent  à  avoir  de  la  certitude  et  de  la  suite,  ne 

remonterait  pas  bien  haut. 

M  .  Rlaproth ,  dans  un  ouvrage  très-estimé  qui  a  paru  depuis 
peu  {Jsia  Polyglotta),  a  essaj'é  de  fixer  pour  l'Asie  les  diverses 
époques  auxquelles  les  annales  des  peuples  de  cette  contrée 
ont  acquis  une  certitude  historique  •. 

Voici  le  résultat  de  ses  savantes  recherches  : 

Chinois ,  Q"    siècle  avant  J.-C. 

Japonais,  7'    siècle  id. 

Géorgiens,  5°    siècle  id. 

Arméniens,  2'     siècle  id. 

Tibétains,  1"  siècle  depuis  J.-C. 

Persans,  5'    siècle  id. 

Arabes  ,  5'     siècle  id. 

Indous  et  Mongols,  12°  siècle  ,  id. 
M.  Rlaproth  n'a  pas  étendu  aux  peuples  d'Occident  son  tra- 
vail ;  mais  s'il  l'eût  fait,  à  coup  sûr  il  n'eût  point  accordé  l'a- 
vantage sur  les  Chinois,  ni  aux  Grecs,  ni  aux  lîomains,  qui 
sont  les  seuls  qui  puissent  présenter  des  annales,  pour  les  tems 
antérieurs  à  l'ère  chrétienne. 

Les  Romains  partaient  de  la  fondation  de  Rome  (8'  siècle 

avant  J.-C.J* 

Chez  les  Grecs,  les  tems  historiques  ne  pouvaient,  d'après 
Varron,  partir  que  de  Tère  des  Olympiades  776  ans  avant  J-C). 

pollion,  \oir  Annales,  v.  185, 11,  i22,  1,  i2,  m,  U8.  Voir  en  outre  \'al~ 
phabet  Egyptien  hiéroglyphique  et  démotique  ,  tome  11,  pag.  i30. 

»  Les  Jnnales  ont  pubUé  le  Iravail  entier  de  M.  KJaprolk  dans  le  tome 
lY,  pas.  loi. 


POUR   UN   PETIT  SÉMlSAinR.  387 

C'est  une  queslion  de  savoir  si  les  Fgyplicns  avaient,  dans 
les  Jems  anciens,  d'antres  annales  hisîoriques  que  ics  hiéro- 
glyphes inscrits  sur  les  monumens  publics.  Cette  question  est 
résolue  négativement  par  M.  Cuvicr  dans  son  discours  sur  (a 
théorie  de  la  terre  ^  servant  d'introduction  aux  recherches  sur  les 
ossemens  fossiles  ". 

Il  pense  aussi  que  les  Perses  et  les  Chaldéens  en  manquaient. 
Dans  tous  les  cas,  leurs  annales  ne  sont  pas  venues  jusqu'à 
nous. 

Si  l'on  dépasse  les  limites  de  l'histoire  certaine  pour  les  peu- 
ples que  nous  venons  d'indiquer  ,  on  entre  dans  un  système  de 
traditions  on  il  n'y  a  plus  rien  de  suivi. 

Quelques  faits  saillans  seulement  se  détachent. 
En  avançant  toujours. 
On  ne  trouve  plus  que  des  fables. 
Par  delà,  c'est  une  espèce  de  chaos. 
Mais  il  est  un  peuple  dont  riiistoire  remonte  par  un  fil  con- 
tinu jusqu'à  la  création  du  premier  homme. 

C'est  une  suite  de  faits  qui  se  lient, 
De  générations  qui  se  succèdent. 
C'est  l'histoire  de  l'humanité, 
A  partir  de  son  origine  , 
Jusqu'au  siècle  d'Auguste. 
Elle  est  nourrie  de  détails. 
Purgée  de  toute  extravagance  monstrueuse. 
On   conçoit  très-bien  que  nous  voulons  parler  de  l'histoire 
des  Hébreux. 

File  est  écrite  en  prose. 
Ce  qui  est  particulier  pour  les  tems  antérieurs  à  Cyrus. 
Il  serait  difficile  de  faire  une  distinction  dans  cette  histoire, 
entre  l'histoire  certaine  et  riii:5t<iire  incertaine. 

D'un  bout  à  l'autre  elle  est  vraisemblable, 
D'un  bout  à  l'autre  elle  est  vraie. 
A  partir  du  1 5"  siècle,  les  annales  du  peuple  Juif  ont  été  écrites 
par  des  auteurs  contemporains. 

>  Ce  beau  discours  de  M.Cuvier  a  e'té  inscre'en  eutier  dans  le*  JnnaUs, 
t.],  .^77,11,  35,  lu,  1G8,   282. 
'  Ibid. 


58S  PLAN  d'un  colrs  d'histoire 

Le  fil  esl  bien  suivi, 
Les  faits  très-distincts; 
L'ne  foule  de  détails  se  groupent  à  l'entour  : 
Il  n'y  a  que  très-peu  de  difficulté  pour  la  chronologie. 
L'histoire  antérieure  qui  n'appartient  plus  au  peuple  Juif, 
Mais  qui  est  bien  plutôt  l'histoire  de  l'humanité, 
Se  trouve  consignée  dans  le  Pentateuque,  le  livre  sacré  des 
Hébreux. 

C'est  Moïse  qui  l'a  rédigé  •. 
Il  a  commencé  de  l'écrire  après  sa  sortie  d'Egypte  (1491  a"* 
avant  J.-C). 

Pour  la  partie  historique  , 
Il  aura  été  guidé  parla  tradition  , 
Ou  bien  il  aura  suivi  d'anciens  mémoires. 
Ce  livre  non-seulement  raconte  l'histoire  de  l'homme; 
Mais  en  outre  il  décrit  la  création. 

ISous  pourrions  comparer  ici 
La  cosmogonie  de  Moïse, 
Avec  celles  qui  ont  eu  cours  chez  les  peuples  de  l'antiquité. 
D'un  côté  se  serait  un  tableau  qui  se  déroule  magnifiquement; 
De  l'autre  un  assemblage  monstrueux  '. 

Nous  ferions  intervenir  la  science  humaine  qui  reconnaît  de 
nos  jours  que  le  fluide  de  la  lumière  et  les  astres  sont  distincts  , 
pour  démontrer  que  Moïse  n'a  rien  dit  qui  ne  fût  exact,  quand  il 
fait  créer  la  lumièreavant  les  astres  destinésà  la  mettre  en  action'. 
D'un  autre  côté  la  géologie  viendrait  nous  prêter  son  secours 
pour  constater  que  la  création  a  été  successive  ,  marquée  par 
des  époques  bien  distinctes,  et  s'est  faite  dans  l'ordre  que  la  Ge- 
nèse indique  [Discours  de  M.  Cuvier  déjà  cité  ^). 

»  M.  Cuvier  n'hésite  point  à  le  reconnaître.  M.  Charles  Lenormant  à 
fait  le  même  aveu  dans  son  cours  récent  fait  à  la  Faculté  des  lettres  de 
Paris,  et  qui  a  e'té  publié  celte  année  même  (1837  »).  — L'érudition  Alle- 
mande l'a  également  proclamé  de  nos  jours  (Voir  r/usfotVe  universelle  de 
l'antiquité  de  Schlosser. ) — S.  F. 

'  Hist.  universelle  àes  Anglais:  Introduction. 

3  Cette  question  est  traitée  dans  les  Annales,  t.  i,  37i,  v.  i05.  — Voir 
encore  x,  1 25. 

4  Nous  avons  inséré  dans  les  Annales ,  les  principaux  travaux  géologi- 

«  Les  Annales  ont  inséré  la  partie  la  plus  essentielle  de  ce  cours  dans  le 
t.  xni,  p.  50. — Voir  également  la  dissertation  de  Janssens  sur  lé  inéine 
4ujct,t,  v,  30^4,  370. 


POUR    L.>-    PETIT   SÊMINVIRC.  389 

Mais  nouis  ne  devons  pas  perdre  de  vue  que  nous  devons  nous 
renfermer  dans  les  limites  de  l'histoire. 

Or,  en  considérant  le  Pentateuque  comme  un  simple  monu- 
ment historique, 

Mettant  de  côté  son  caractère  délivre  divinement  inspiré. 

C'est  un  monument  infmiment  respectable  ; 

Il  est  en  tout  supérieur  aux  monumens  du  même  genre  que 
présentent  quelques  autres  nations. 

Car  ily  a  d'autres  livres  sacrés, 

Et  les  auteurs  de  ces  livres  ont  essayé  de  remonter  à  l'origine 
première. 

Le  Zend-avesta  ',  les  Védas  " ,  les  Ring  *,  l'Edda  ^,  le  livre  de 
Lao-Tseu  %  le  Coran  ^ 

ques  de  Cinior.  de  Deluc  ,  d'André  de  Gy  fie  P.  Chrvsologue).  Voh'  les 
tomes  1 ,  II,  m ,  iv  ,  et  l'article  géologie  à  la  table  générale  des  f  -2  premiers 
volumes. 

'  Nous  avons  parlé  du  Zend-'avesla  et  des  iraJitious  des  Perses  dans  les 
tomes  II  ,  IV,  xif. 

'  Sur  ks  Fedas  et  sur  la  religion  et  les  Iradilionsnes  Imlotts  .  \oic  :Jeur 
antiquité  jugée  par  Cuvier,  i,  386.  Leurs  libres,  leurs  traditions  ,  d'a- 
près la  Société  asiatique  de  Calcutta,  n.  50.  Leurs  déluges,  ib.,  215. 
Leurs  diffdrens  systèmes  philosophiques,  par  M.  Cypiien  Robert,  ^08  , 
Jii.  81,  IV.  218,  289.  Examen  de  leur  astronomie,  par  Cuvier^  17i,  iv. 
i5.  Quelques-uns  de  leurs  zodiaques  comparés  et  expliqués,  vn  ,  ii9. 
Unité  de  Dieu,  trouvée  dans  les  Vedas  par  le  brahme  P.am-Mohun-Rov, 
IX,  i22.  Extrait  des  lois  de  Manou  sur  la  Création ,  xu  ,  53. 

'  Les  Annales  ont  recueilli  tout  ce  qu'il  y  avait  de  remarf[uahle  dans  les 
Kings,  dans  les  articles  snr  les  CItinois.  N'oir  dans  la  table  générale  les 
mois  Chinois,  Confiicius,elc.,et  principalement  les  articles  de  >L  Riam- 
l.ourg  sur  les  traditions  climoises  mises  en  rapport  avec  celles  de  la  Bible  , 
tome  XII  ;  les  travaux  si  importaus  de  M.  de  Para\ey  sur  les  zodiaqu.cs 
chinois  et  sur  leur  histoire  ,  iv  ,  su  ,  xvi  ,  etc.,  et  enfin  les  articles  où  esl 
analysé  l'ouvrage  du  P.Fremare,  intitulé  :  Choix  de  qmlques  vestiges  des 
principaux  dogmes  chrétiens ,  relrouucs  dans  les  anciens  livres  chinois ,  xv, 

XM  ,  XVII. 

4  Les  Annales  ont  cité  fort  au  long  Tes  traditions  conservées  dans  V  Edda 
dans  les  articles  ayant  pour  titre  :  Truditions  et  Mythologie  du  iSonl,  tv. 
1'j3.  VEdda  :  les  traditions  Scandinaves  mises  en  rappoit  acte  les  Iradilioni 
6(6/<</«fs,  par  ^L  Riamhourg,  X  ,  117,267. 

'  Elles  ont  analysé  le  l'vre  de  L-io-tseu  dans  les  articles  :  vie  et  opinions 
de  Lao-tseu  ,  par  Ahel  Remusat ,  iv,  168.  Traditions  chinoises  comparées 
aux  traditions  bibliques,  par  ^î.  Riambourg,  xii,  2i:6, 

6  Elles  ont  analysé  le  Coran  oans  l'article  :  histoire  et  exposition  de  la 
foi  musulmane ,  çav  yi   Eug.  I^ore  ,  xn,321. 


390  PLAN    D'tiN    COURS    D'hISTOIUE 

Il  faut  écarter  d'abord  les  trois  derniers  '. 
Comparaison  des  trois  premiers  avec  le  Pentatenque. 
Pourles  caractères  extrinsèqueSjlePentateuque  est  supérieur: 
Pour  les  caractères  intrinsèques,  il  est  éminemment  au-des- 
sus  . 

Ain^i  le  même  livre  que  le  chrétien  reçoit  avec  la  soumission 
qui  est  due  à  la  divine  parole  écrite,  est  placé  d'autre  part  au- 
dessus  de  tous  les  monumens  historiques  des  premiers  tems  par 
une  critique  judicieuse, 

Comme  étant  le  plus  ancien  , 
Comme  étant  le  plus  authentique , 
Comme  éîant  le  seul  qui  supporte  rexamcn. 
Que  nous  dit  ce  livre  ? 
Tous  les  hommes  sont  frères , 
Ils  sont  tous  issus  d'un  seul  couple. 
Les  destinées  de  l'humanité  étaient  grandes. 
Roi  sur  la  terre , 
Ayant  l'empire  sur  tout  ce  qui  a  vie, 
Revêtu  de  l'immortalité  , 
L'homme  aurait  vécu  dans  l'innocence  et  la  paix. 
Il  en  a  été  ainsi  d'abord. 
Dans  l'innocence,  vie  heureuse. 
Plus  tard,  infraction  à  la  loi  de  Dieu  ; 
Ses  suites,  — mort,  — souffrance,  —  désordre. 
L'état  actuel  des  choses  vient  à  l'appui  de  cette  tradition. 
Contrariétés  dans  la  nature  » 
Contradictions  dans  l'homme  : 
L'ordre  actuel  inexplicable,  si  l'on  n'admet  pas  que  l'horamo 
est  déchu  \ 

Le  genre  humain  se  multiplie. 

Longue  vie  des  premiers  hommes. 

Race  de  Seth. 

Race  de  Gain. 

Mélange  des  deux  races. 

Les  géants,  —  êtres  puissans,  —  audacieux,  — malfaisans . 

>  Voir  au  tomeiu.  Rationalisme  et  Tradition,  I"  partie. 

»  Id  ,  ibid, 

'  Voir  les  Pensées  de  Passai,  c'dilion  de  M.  Frantip. 


POUR  UN  PETIT  S^MIMAIRE.  391 

Les  hommes  se  pervertissent  entièrement.  ,,1 

La  terre  est  couverte  de  crimes;  .^,\)  r,y,;. 

Déluge  universel.  ig 

La  race  humaine  éteinte, 
A  l'exception  de  Noé  et  de  ses  enfans. 
Il  est  resté  des  vestiges  dans  les  fables  du  paganisme  de  ces 
faits  de  l'histoire  primitive. 

Le  genre  humain  issu  d'un  seul  couple. 
Age  d'or. 
Infraction  et  malheur  à  la  suite. 
Puis  en  tête  de  toutes  les  traditions 
Des  hommes  extraordinaires, 
A  formes  gigantesques , 
Qui  vivent  des  siècles  , 
Méchans  et  psrvers  ordinairement. 
Mais  le  fait  historique  qui  a  laissé  dans  les  annales  des  an- 
ciens peuples  la  trace  la  plus  profonde, 
C'est  le  déluge. 
Les  circonstances  mêmes,  quoique  altérées,  ont  Jaissé  leur 
empreinte. 

Le  tems  même  se  rapporte. 
Le  synchronisme  des  quatre  grands  déluges  des  Chinois,  des 
Indiens,  des  Mexicains,  des  Juifs  peut  s'établir;  et  M.  Cuvier, 
si  compétent  en  celte  matière,  l'a  constaté  d'une  manière  in- 
contestable '. 

*  Les  Annales  oût  donné  sur  le  déluge  les  documens  les  plus  corapltts 
<jue  l'on  puisse  trouver  dans  la  science  actuelle ,  l'extrait  du  Discours 
sur  les  révolutions  de  la  surface  du  globe  et  sur  les  cliangemens  quelles  ont 
produit  dans  le  régne  animal,  par  INI.  le  bar.  Cua  ier,  i,  377,  et  t.  li  y  p.  55; 
et,  déplus,  sa  dissertation  sur  le  déluge  de  Deucalionetd^Ogygés ,  t.  v,  p. 
46,  où  ce  célèbre  géologue  prouve,  par  l'élat  actuel  de  la  terre  et  par  lessyn- 
chronismes  de  la  chronologie,  que  le  déluge  a  réellement  existé.  Un  travail 
de  la  Société  asiatique  de  Calcutta  qui  prouve  que  les  livres  indiens  en  par- 
lent dans  des  termes  semblables  à  ceux  de  la  Bible ,  u  ,  57.  Les  souvenirs 
qui  en  restent  chez  les  Chinois  et  les  Indiens,  2f5.  En  Arménie  et  aa 
Tibet,  par  Klaproth,  216.  Pour  la  partie  géologique,  eWes  ont  cité  on  ana- 
lysé les  dissertations  de  Cuvier,  de  Deluc,  d'André  de  Gy  (le  P.  Chryso-< 
logue)  dans  les  volumes  1 ,  II ,  m,  iv,  v.  Enfin  quant  aux  monumens 


392  PLAN   I>'UN   COURS  Ï)'h1STÔIRE 

Dans  le  dernier  siècle  on  a  fait  des  objections  : 
Avec  des  raisonnemens  on  a  heurté  de  front  cette  tradition 
générale  ; 

Tout  cela  dans  le  seul  but  de  contredire  la  Genèse. 

Dans  le  nombre  de  ces  objections , 

Il  en  est  de  si  misérables  , 

De  si  minutieuses  et  de  si  futiles, 

Qu'il  ne  faut  pas  s'y  arrêter. 

Il  en  est  d'autres  qn'il  faut  examiner. 

1°  A  en  croire  la  Genèse, 
Tous  les  hommes  seraient  issus  de  Noé. 
Mais  les  Nègres  ? 
Mais  les  Américains? 
On  ne  met  plus  en  doute  que  les  Nègres  ne  soient  delà  même 
race  que  les  blancs. 

Le  climat  seul  fait  la  différence  >. 
On  fait  tous  les  jours  des  découvertes  qui  amènent  à  consla~ 
ter  la  fraternité  des  habitans  du  nouveau  monde  avec  ceux  de 
l'ancien  *. 

curieux  qui  nous  en  restent ,  elles  ont  reproduit ,  1°  les  deux  médailles 
dites  cCApamée  ,  Mil  f  1i6;  2°  les  quatre  e'poques  ou  bouleversemens  de 
la  nature  conservées  dans  les  traditions  des  Aztèques,  x  ,  50,  3°  Monu- 
ment hiéroglyphique  rappelant  le  souvenir  du  déluge  universel  et  de  la 
dispersion  des  peuples,  conservé  au  Mexique  ,  planche  demi-in-folio,  xv, 
iiL7 .  ^'Différens  objets  trouvés  dans  un  vase,  et  ayant  rapport  au  déluge, 
xvn,p.  46.  5°  Concordance  des  traditions  des  différens  peuples  du  moude 
sur  le  déluge  et  sur  les  six  générations  qui  l'ont  précédé  ,  par  M.  Bon- 
netty  ,  xni,  107.  Identité  du  déluge  d'Yao  et  de  celui  de  la  Bible  ,  ou  le 
patriarche  Noé  retrouvé  dans  l'empereur  chinois  Ti-ko ,  par  M.  le  chev. 
de  Paravey,  xv,  380,  xvj,  115. 

•  Le  Annales  ont  éclairci  longuement  cette  question  en  citant  les  tra- 
vaux de  Leibnitz,  Linné,  Bnft'on,  Kant,  Ilunter,  Zimmermann  ,  Mei- 
ners ,  Klugel,  Virey  ,  Blummembach  ,  dans  les  tomes  ni ,  v,  ix  ,  xir,  xv. 
Elles  ont  donné  en  particulier  comme  monumens  à  l'appui  les  portraits  êtes 
cinq  principales  variations  de  l'espèce  humaine,  la  (.aucasienne  ,  la  Mon- 
gole, l'Ethiopienne,  l' Américaine,  et  la  Malaie ,  tom.  ix  ,  p.  4i8  ,  et  les 
figwes  servant  à  faire  connaître  l'angle  facial  de  Camper,  et  celle  de  la 
configuration  des  crânes  de  Blummembach  ,  xv,  120. 

^  Les  Annales  sont  le  premier  journal  qui  ait  laitseatir  l'importance  que 


POUR  WS*   PETIT   SÉMINAIRE.  393 

L'Amériqwe  septentrionale  du  côté  de  l'est 
Tient  au  Groenland. 
Par  ce  point  elle  est  très-rapprocliée  de  l'Europe. 
Du  côté  de  l'ouest  elle  est  très-voisine  de  l'Asie. 
Elle  n'en  est  séparée  que  par  le  détroit  de  Berhing, 
Qui  n'a  pas  vingt  lieues  de  largeur  '. 

Ainsi  l'Amérique  était  accessible  aux  hommes  du  nord  de 
l'Europe , 

Aux  hommes  du  nord  de  l'Asie. 
Bien  des  circonstances  d'ailleurs  démontrent  qu'elle  a  été  a- 
bordée  au  centre  par  des  Asiatiques  et  même  par  des  Européens, 
avant  Colomb  '. 

Il"  Mais  l'époque  assignée  pour  le  déluge  est  trop  récente. 

Avant  que  d'examiner  cette  objection 

Il  importe  de  fixer  la  date  que  la  Genèse  donne  au  déluge. 

Ici  se  présente  une  difficulté  : 
Texte  hébreu. — Texte  Samaritain. — Version  des  Septante. 
Exacte  conformité  des  trois  textes  par  rapport 
Aux  faits, 

pouvaient  avoir  pour  la  religion  les  de'couvcrtes  récenles  faites  en  Ame'- 
rique.  C'est  aussi  dans  leurs  colonnes  que  l'ou  trou\era  réunis  les  plus 
anciens  docuraens  sur  cette  importante  question.  A  oir  en  particulier, 
L  mémoires  de  M.  Maltebrun  sur  les  antiquités  améiicainesj  tom,  i  et  ii. 
La  plupart  des  travaux  de  M.  de  Humboldl  ,  dans  les  tom.  ii  ,  ui ,  iv,  vu, 
IX,  xr,  XII. 

On  peut  voir  dans  les  Annales  de  philosophie  chrétienne  (t.  iv,  etsq.), 
les  identités  nombreuses  que  -M.  de  îiumboldt  a  signalées  entre  les  tradi- 
tions religieuses  de  l'ancien  monde  et  celles  de  Toltèques  des  Tlastaltèques 
et  même  des  Péruviens. — Six  des  signes  du  zodiaque  des  Mandchoux  se 
retrouvent  dans  le  zodiaque  mexicain. — Niebiihr  est  frappé  de  la  confor- 
mité du  cycle  séculaire  des  Etrusques  a^ec  celui  des  anciens  Aztèques, 
dont  l'almanach,  dit-il ,  était  pour  l'usage  civil ,  le  plus  parfait  qui  ait  été 
employé  avant  le  calandrier  grégorien. — Th.  F. 

Voir  le  troisième  voyage  de  Cook. — A  ce  double  itinéraire  des  pre- 
mières colonies  américaines,  nous  pouvons  ajouter  l'Océanieetses  innom- 
brables archipels.  Ainsi  ce  monde  éteint  que  nous  appelons  le  nouveau  monde 
se  rattache  â  l'ancien  par  mille  endroits. — S.  F. 

•  Voir  deux  preuves  de  ce  fait  dans  les  t.  xti,  315  etxwr,  7  7  ^ies  Jnnales. 


i^^,  PLAN   d'un  cours  D'uISTOIRE 

Aux  dogmes, 
A  la  morale. 
Ils  diffèrent  seulement  par  rapport  à  la  chronologie  des  pre- 
miers âges. 

On  doit  être  peu  élonné  de  cette  dissemblance 

Pour  des  tems  aussi  anciens. 
Quand  les  autres  peuples  n'avaient  que  des  fables  et  point 
de  chronologie. 

Qui  ne  serait  au  contraire  tenté  d'admirer  la  concordance  sur 
tout  le  reste, 

Quand  on  considère  que  le  Samaritain  et  l'Hébreu, 
Depuis  près  de  trois  mille  ans,  marchent  séparément; 
Et  qu'étant  confiés  depuis  lors  à  des  sectes  opposées. 
Ils  présentent  cependant  les  mêmes  faits. 
Les  mêmes  dogmes, 
La  même  morale? 
Rapprochement  des  trois  textes  par  rapport  aux  deux  pre- 
miers âges. 

La  durée  du  premier  âge  qui  s'arrête  au  déluge,  est: 

De  i656  (texte  Hébreu). 
De  i5o7(  texte  Samaritain). 
De  2262  (version  des  Septante). 
La  dernière  du  second  âge  qui  s'arrête  à  la  vocation  d'Abra- 
ham ,  est  : 

De    427  ans  (texte  Hébreu). 
De  1077  (texte  Samaritain). 
De  1207  (version  des  Septante  '). 
11  y  a  beaucoup  desavans  qui  croient  devoir  préférer  la  chro- 
nologie du  Pcntateuque  Samaritain. 

Dans  l'usage  ordinaire, 

Sans  rejeter  les  autres  textes, 

L'Eglise  catholique  se  sert  de  l'Hébreu. 

Au  surplus  ,  quel  que  soit  ]e  parti  qu'on  adopte,  le  récit  de 

Bloïse  ne  peut  être  entamé  par  la  seconde  objection. 

Notre  monde  n'est  point  ancien. 

*  Iliit.  universelle  des  Anglais,  liv.  1,  ch.  I  et  2. 


POtR   IN    PETIT   SÉMINAIRE.  395 

Preuves  physiques  de  la  uouveaulé  de  l'état  actuel  du  conti- 
nent ». 

Preuves  historiques  du  même  fait  *. 
L'antiquité  de  certains  peuples  est  fabuleuse  *. 
Le  Zodiaque  de  Dendérah  est  récent  *, 

Le  déluge  est  un  fait  inconlestable. 
L'époque  assignée  par  la  Genèse, 
Est  à  l'abri  d'une  critique  importante. 
Ce  sont  là  des  points  que  la  science  se  charge  elle-même  d'éta- 
blir, indépendamment  de  l'autorité  de  la  révélation. 

RlAMBOrUG. 

»  Discours  de  !\I.  Cuvier  ,  cité  en  entier  dans  les  Annales,  t.  ir ,  ni. 

»  Jbid. 

3  Ibid. 

*  Annales  de  pliil.  chrét.,  t.  iv,  39;  vin,  117. — Les /^nna^es ont édaîrci 
à  fond  la  question  de  l'antiquité  des  zodiaques  en  publiant  sur  cette  ma- 
tière les  travaux  de  IM.  Cuvier,  tom.  i ,  ni,  iv,  vu  ;  de  Delambre  ,  iv  ;  de 
M.  de  Paravey,  iv  ,  v ,  vit.  Elles  ont  donné  comme  monument  la  figure 
du  Zodiaque  de  Dendérah  ,  tom.  vu ,  p.  80. 


396  NOUVELLES  ET  UELANOES. 


Xi0tivdU$  (t  fHv'fan^ci. 


EUROPE. 

FRAIVCE.  —  BAYEUX.  Lettre  pastorale  de  MgrCévêque  de  Bayeuts 
sur  le  besoin  d'études  plus  fortes  pour  le  Jeune  clergé.  Fondation  d!un  cours  de 
haute  philosophie  au  petit  séminaire  de  Sommervieu.  —  Cette  lettre  datée 
du  9  octobre  a  été  lue  au  prône  dans  toutes  les  églises  du  diocèse  le  jour 
de  la  Toussaint.  Nous  nous  faisons  un  plaisiret  un  devoir  d'eu  publier  Icx- 
trait  suivant  : 

«Jusqu'à  présent,  les  vides  du  sanctuaire  ne  permettaient  guère  do 
songer  à  ces  utiles  projets  déjà  heureusement  exécutés  dans  plusieurs 
diocèses  de  France,  avec  l'applaudissement  et  le  concours  de  tous  les 
hommes  vraiment  religieux  ;  il  fallait  avant  tout  pourvoir  aux  besoins  les 
plus  pressans.  Mais  aujourd  hui  que  le  nombre  des  prêtres  se  trouve  à 
peu  près  suffisant,  nous  pouvons  sans  inconvénient  prolonger  les  études 
de  nos  jeunes  lévites ,  et  ne  les  admettre  aux  saints  ordres  qu'après  des 
travaux  qui  leur  assurent  des  connaissances  plus  étendues  et  plus  appro- 
fondies. 

«Enhardi  parles  vœux  que  nous  ont  manifestés  les  personnes  les  plus 
éclairées,  tant  parmi  le  clergé  que  parmi  les  fidèles  de  notre  diocèse  ; 
encouragé  par  les  offrandes  de  quelques  mains  généreuses,  nous  avons 
cru  ,  de  l'avis  unanime  de  nos  digues  conseillers,  pouvoir  fonder  à  Som- 
mervieu un  cours  de  haute  philosophie  qui  prolongeât  celui  qu'on  suit 
dans  les  petits  séminaires ,  et  préparât  plus  directement  les  élèves  aux 
sciences  ihéologiques.  Gel  établissement,  nous  l'avonsdéj^  commencé  avec 
l'agrément  du  gouvernement,  et  nous  nous  proposons  de  le  conliuuor. 
Mais  pour  approprier  à  l'usage  auquel  nous  le  destinons,  les  l'âlimens 
déjà  construits,  pour  en  élever  quelques  autres  Joui  la  uécessilc  est  évi- 
demment reconnue,  nous  avons  besoin  du  concours  de  voire  générosité; 
et  c'est  avec  une  entière  confiance  que  nous  venons  aujourd'hui  le  sol- 
liciter. 

•  Nous  n'ignorons  pas  les  nombreux  sacrifices  que  vous  faites  chaque 
année  pour  entretenir  nos  petits  séminaires,  sans  lesquels  le  sacerdoce 
serait  bientôt  anéanti,  parce  que  sans  eux  il  ne  pourrait  se  perpétuer; 
et  nous  saisissons  avec  empressement  celle  occasion  de  vous  en  lémoi- 
gner  notre  reconaaissance.  Eh  bien!  c'est  sur  cette  même  charité  que 
nous  nons  appuyons;  c'est  sur  votre  zèle  à  soutenir  les  petits  séminaires 


NOUVELLES  ET  MELANGES.  397 

que  nous  fondons  nos  espc'-ranccs  pour  rciablisscmcnt  de  Sommervicu. 
Oui,  gént^reux  bienfaiteurs  des  pelils  séminaires,  tocs  voudrez  nous  ai- 
der à  achever  un  établissement  qui  va  en  devenir  le  complément  indis- 
pensable ,  parce  qu'il  est  destiné  à  rendre  les  éludes  sacerdotales  plus 
profondes  et  plus  miillipliéos ,  en  mettant  les  élèves  sortis  des  pelils  sémi- 
naires à  même  déludier  plus  long-tems  les  sciences  malliémaliques  et 
naturelles,  de  se  perfectionner  surtout  dans  cette  philosophie  toute 
chrétienne  qui  leur  fournira  des  armes  pour  combattre  ces  vains  systè- 
mes qu'on  voudrait  substituer  aux  inébranlables  vérités  de  noire  sainte 
religion.  » 

Le  prélat  recommande  de  la  manière  la  plus  pressante  cette  œuvre  à 
la  prévoyance  et  à  la  charité  de  ses  diocésains.  Les  aumônes  seront  re- 
mises aux  curés  qui  les  transmettront  à  l'éïêché.      {Ami  de  la  Religion^. 

PARIS.  —  Médailles  et  moninnens  bactriens  arrivés  à  Paris. — Le  gé- 
néral  Court ,  français  d'origine,  chargé  de  la  direction  de  l'artillerie 
dans  les  armées  du  roi  de  Lahore,  s'occupe  depuis  plusieurs  années,  avec 
une  louable  persévérance,  de  recueillir  tous  les  objets  d'art  qui  se  ren- 
contrent dans  ces  contrées  lointaines  et  si  peu  connues. 

Dans  l'une  des  fouilles  entreprises  par  les  ordres  du  général  Court,  oa 
a  découvert  un  tombeau  qui  renfermait  quelques  objets  duce  haute 
antiquité. 

Une  partie  de  la  pierre  de  grès  qui  fermait  ce  tombeau,  et  sur  laquelle 
étaient  gravés  des  caractères  bactriens  inconnus,  a  été  transportée  à  Pa- 
ris, Dans  ce  tombeau  se  trouvait  :  une  boite  en  bronze,  fermée  par  un 
couvercle  du  même  métal.  Dans  celte  boîte,  autour  de  laquelle  étaient 
disposées  circulairement  plusieurs  médailles,  on  en  trouva  une  seconde 
eu  argent  dont  il  ne  restait  que  des  fragmens  ;  elle  élail  entourée  de  sept 
médailles  romaines  consulaires  et  impériales  également  en  argent.  Celte 
seconde  boîte  en  contenait  une  dernière  en  or  de  la  dimension  d'une  pe- 
tite montre.  Dans  la  boîte  d'or,  se  trouvaient  quelques  perles  et  de  petites 
médailles  en  or,  au  type  baclricn,  d'une  conservation  parfaite. 

Au  moment  de  l'ouverture  ,  ces  divers  objets  étaient  plongés  dans  une 
pâte  liquide  qui  s'est  complètement  desséchée  au  contact  de  l'air. 

Ces  objets  d'art  sont  du  reste  indépendans  de  la  riche  collection  nu- 
niismaliq'ie  confiée  par  le  général  Court  à  son  ami ,  et  composée  de  qua- 
tre à  cinq  cent  médailles  diverses.  C'est  un  événement  pour  le  monde 
savant  que  l'arrivée  de  ce  monument  liisloriquc,  soumis  en  ce  moment  à 
M.  le  ministre  de  l'instruction  publique,  qui  a  provoqué  un  rappoit  pour 
constater  l'importance  de  cette  grande  collection  destinée  à  enrichir  la 
Bibliothèque  royale.  On  doit  savoir  gré  au  gcaéral  Court  d'avoir  réserve 


398  NOt'VELLES   ET   MELANGES. 

pour  la  France  ces  auliquités  que  l'Anglolerre  fait  rccLercLer  partout 
avec  laut  de  soins  et  de  dépenses. 

La  coIlectioQ  comprend  :  i°  des  médailles  d'Aleiandre-le-Grand  ;  20 
des  rois  connus  delà  Bactriane  Eulhydème;  3°  des  rois  Indo-Scjles* 
4"  des  médailles  incertaines  de  la  Ba'^t.-iane  ;  5"  des  médailles  indiennes  ; 
6°  des  rois  Parles  Arsacides  ;  7°  des  rois  Perses  Sassanides  ;  8*  des  mé- 
dailles impériales  romaines  ;  9*  euCu  des  monnaies  arabes,  persannes  et 
îndiennnes. 


iBiKii^^ra^^k 


ANXAU  DELTESC1E\ZE  RELU.IOSE  compilali  dall  ab.  AuL  deLuca; 
à  Piome  ,  via  délie  convcrlile  al  Corso  u"  20.  —  i3  paoli  pour  six  mois, 

N"  21.  Novembre  et  décembre. 

I.  XII«  conférence  de  Mgr.  Wiseman  sur  l'union  de  la  science  avec  la 
religion  révélée.  Conclusion. 

II.  Règles  pour  Ic.^  élèves  du  séminaire  de  Farfa  ,  publiées  par  S.  Êm. 
le  cardinal  L.  Lambruscliiui.  —  Règles  de  civililé  et  de  bonne  conduite 
parle  même.  —  OEuïres  Spirituelles,  du  même. 

III.  Sur  11  s  prœlectiones  tlieologicce  du  P.  Jean  Péronne,  de  la  société  de 
Jésus,  par  G.  Rresthi. 

IV.  Sur  la  vie  de  Grégoire  VU  ,  par  M.  Vidaillan. 

(Excellente  réfutalion  de  celle  compilation  indigeste  et  déclamatoire.) 

V.  De  la  coï^mogoiiie  de  Moyse ,  comparée  ani  faits  géologiques,  par 
M.  M.irceldc  Serres.  Arlicle  de  M.  l'abbé  Flottes. 

(C'est  h  traduction  de  l'article  que  nous  avons  inséré  dans  le  n»  98  des 
Annales,  ci-des<us  ,  p.  i58). 

Appendice.  Allocution  prononcée  par  Noire  Saint-Père  le  Pape  dans 
le  cousisloire  secret  du  i3  septembre  dernier.  —  Analyse  des  séances  de 
l'académie  catholique  de  Rome.  — Nécrologies  de  M.  Sylvestre  de  Sacy. 
Du  professeur  Moeliler.  —  Du  chanoine  Louis  Wagner.  —  Du  cha- 
noine Brokmanu.  —  Bibliographie  de  l'Italie,  de  la  France,  etc. 
\OY AGE  AÉRIEN    (IcJié   aus  jeunes  étudians  ;  un   petit  volume   În-12. 

Chez  Gaume  fiàres  ,  rue  du  l'ol-de-lcr-St.  Sulpice  .  n"  5  ,  à  Paris. 

Ou  fait  beaucoup  de  livres  en  France,  beaucoup  trop  assurément,  et 
cependant  ou  se  plaint  d'en  manquer  pour  certaines  classes  de  lecteurs  , 
comme  seraient  les  eufans  par  exemple.  C'est  que  satisfaire  à  toutes  les 
conditions  nécesssaires  dans  un  ouvrage  destiné  à  cet  âge,  est  une  chose 
rare,  est  un  genre  de  niénte  auquel  bien  peu  d'auteuis  peuvent  attein- 
dre, quoique  les  esprits  superficiels  s'imaginent  que  rien  u'cst  plus  aisé 
que  de  faire  des  histoires  aus  eufans. 

Celle  difficulté  nous  pareil  vaincue  dans  un  petit  livre  qui  nous  sur- 
vient du  fond  d'un  de  nos  départemens  de  l'ouest.  Son  auteur,  homme 
estimabit  qui  sacrifia  à  de  respectables  scrupules  des  fyuctioas  de  magis— 


BIBLIOGRAPHIE.  S99 

trature  qail  remplissait  dans  une  Tille  importante,  n'a  pas  cra  déro- 
ger en  se  dévouant  à  cet'e  espèce  de  sacerdoce  que  revêt  tout  homme  qai 
se  dévoue  à  l'éducation  des  enfans. 

Sou  petil  livre  réveille  une  partie  dis  merveilles  de  la  [gracieuse  féerie 
qui  berça  noire  enfance;  ce  n'est  rien  moins  qu'un  voyage  «d/vVn.  Enlen- 
dei-vous  bien,  eulaus,  un  voyage  aérien  avec  tous  ses  accideus,  toutes 
les  aventures  qui  peuvent  se  rencontrer  en  pareille  proujcuade?  Ou  se 
rajipclle  cpie  notre  aimable  Fénelon  a  fait  aussi  voyai^cr  à  travers  les  airs 
ses  jeunes  lecleurs  :  mais  son  voyage  à  l'ile  des  plaisirs  n'est  tout  entier 
qu'un  badinage  le  plus  frais,  le  plus  riant,  tel  que  pouvait  l'écrire  aa 
surplus  l'auteur  de  Téléinaque  et  A' Aristonons,  avec  cette  plume  magique 
qui  laissait  des  fleurs  partout  où  elle  passait  :  mais  dans  le  voyacre  aérien 
dont  nous  parlons,  il  y  a  près  de  la  féerie  et  de  la  fielioti  qui  doivent  at- 
tacber  le  jeune  lecteur,  la  morale  religieuse  et  chrelienue  qui  doit  l'ia- 
struire.  L'opuscule  est  en  résumé  le  mot  d'Horace  qui  est  d'ailleurs  l'épi- 
graphe du  livre  delectando pariterque  monendo:  c'est  ce  mut  catholicisé  par 
M.  Revel  dans  une  gracieuse  application.  Seulement  nous  reprocherons 
à  l'auteur  un  peu  trop  d'admiration  pour  M.  de  Lamarliue,  si  sa  jusliS- 
cation  ne  se  trouvait  dans  la  date  même  de  l'ouvrage;  il  fjt  composé  à 
une  époque  où  la  chute  d'un  ange  n'était  pas  encore  venue  aiDiger  la  re- 
ligion el  la  morale;  le  poète  des  méditations  et  des  harmonies  n'av.iit  point 
encore  failli  de  celle  chute  scandaleuse  que  Jocelyn  et  quelques  lignes  du 
voyage  en  or/enf  pouvaient  malheureusen)ent  faire  pressentir.  Nous  en- 
gageons  l'auteur  du  voyage  aérien  à  modilier  quelque  chose  à  cet  é'^ard 
dans  la  nouvelleéditiou  qu'il  nous  donnera  sans  doute  ;  nous  l'engaceous 
à  persévérer  dans  cet  amour  de  l'enfance,  qui  reçoit  de  lui  des  leçons 
aussi  pures  que  gracieuses;  il  aura  bien  mérité  de  la  religion  et  de  la 
société.  J. 

LE  JAnDl\  DES  RACINES  ALLE.^ANDES,  mises  en  vers  français,  par 

M.  Ch.  Nicolas,  professeur  à  Nancy. 

On  s'est  demandé  plus  d'une  fuis  pourquoi  la  langue  française  est  gé- 
uéralemenl  connue  et  pailée  daus  les  classes  un  peu  élevées  de  l'Allema- 
gne »  taudis  que  rallemanJ  est  presque  ignoré  dans  toute  l  étendue  de 
notre  territoire.  Aujourd'hui  que  l'élude  des  langues  vivanles  est  obli<Ta- 
loire  pour  les  élèves  de  nos  collèges,  il  n'est  peut  être  pas  inoppurtua 
d'agiter  la  même  question.  Prétendre  trouver  la  soluliou  du  problème 
daus  la  différence  des  caractères  naliouaux  ,  ce  serait  tomber  dans  une 
erreur  grave  et  décourageaule.  Le  fait  doit  s'expliquer  par  la  nalure  même 
de  cet  idiome,  dont  la  moindre  difficulté  résulte  de  sa  construction  ,  et 
qui,  daus  son  caraclère  tout  homogène  ,  entièrement  différent  des  lan- 
gues uéolaljues  ,  présente  avec  autant  d'acceptions  particulières  une  mul- 
titude d'expressions  composées.  Cette  considération  ne  permet  point  de 
douter  que  la  counai?sance  des  ujols  allemands  soit  eslrêmemenl  difficile 
Jt  actiuérir,  el  il  n'y  a  pas  lieu  d  être  étonné  qus  les  uns  n'osent  aborder 
une  telle  difficulté,  et  que  les  autres  cèdent  au  découragement  après  de 
longs  el  pénibles  efforts. 

Ou  saura  donc  gréa  M.  Ch.  Nicolas ,  professeur  à  Nancy,  d'avoir  cher- 
chéa  simplifier  une  étude  si  ardue,  en  appliquant  à  la  langue  allemande  la 
méthode  ingénieuse  qui  a  si  puissamment  contribué  aux  progrès  des  études 
grecques.  Mais  là  ne  s'est  point  boruée  sa  lâche ,  le  Jardin  des  racines  ai- 


400  BIBLIOGRAPHIE. 

lemandeSf  fruit  de  huit  années  de  travaux  consciencieux  ,  n'est  pas  scn!e- 
meut  une  nomenclature  des  radicaux  mis  en  vers  français,  c'est,  si  l'on 
peut  s'exprimer  ainsi,  la  langue  tout  entière  géucralisée  :  au  système  de 
la  déclinaison  dont  son  ouvrage  est  précédé,  se  trouvent  jointes  des  rè- 
gles complètes  sur  la  dérivation  et  la  composition:  de  sorte  que  de  la 
connaissance  d'un  noœbre  assez  limité  d  expressions  simples  rendues 
faciles  par  le  rhythme,  on  arrive  naturellement  à  celles  de  tous  les  mots 
qui  en  sont  formés. 

Parmi  les  modifications  utiles  que  notre  auteur  a  apportées  dans  le  plan 
tracé  par  Laucelot ,  il  en  est  une  surtout  dont  on  m:  saurait  méconnaître 
la  haute  importance  :  c'est  un  moyen  mnémotechnique  propre  à  faciliter 
l'élude  jusqu'aujourd'hui  si  ingrate  du  genre  d(;s  substantifs  allemands. 
Ce  moyen  qui  tient  à  la  coutexture  du  vers,  est  tel  qu'il  est  impossible  à 
l'étudiant  d'apprendre  la  signification  d'uu  nom  sans  en  connaître  en  même 
temps  le  genre. 

L'auteur  n'a  pas  seulement  travaillé  pour  les  élèves  :  l'homme  instruit 
lui-même  ne  dédaignera  pas  de  consulter  les  notes  savantes  dont  l'ou- 
vrage est  enrichi,  et  les  explications  étymologiques  qu'il  y  trouvera  res- 
serrées dans  un  cadre  fort  étroit,  pourront  lui  épargner  de  longues  et 
laborieuses  recherches. 

M.  Charles  JNicolas,  disons-le  enfin,  a  rendu  un  service  signalé  à  la 
science  ;  il  a  surtout  bien  mérité  des  élèves  qui,  se  trouvant  dans  l'alter- 
native d'apprendre  l'anglais  ou  l'allemand  ,  se  sont  déterminés  pour  l'i- 
diome de  nos  voisins  d'outre-Rhin  ;  et  si  nos  |iiévisions  ne  nous  (rompent 
pas,  son  livre,  destiné  à  populariser  en  France  la  langue  allemande,  aura 
dans  peu  rempli  cette  importante  mission. 

RÉrLEXIONS   SUR  LV    CHUTE    DE  M.  L'ABBÉ   DE  LA    MEN9JAIS,   par 
M.  l'abbé    Gerbct,  vol.   in-S"  ;  au  bureau  des  Annales  :  prix  4    f""»  ^^ 
4  fr.  5o  par  la  poste. 
Kous  rendrons  compte  dans  le  prochain  N°  de  ce  volume  qui  est  tout- 

à-fail  de  circonstance. 

LETTRES  A  UN  CURÉ  SUR  L'ÉDUCATION  DU  PEUPLE,  par  M.  Laa- 
rcntie ,  ancien  inspecteur-général  des  études  ;  i  vol.  in-S",  prix  :  i  fr. 
Soc.  Cher.  Lagny  frères,  librairis,  rue  Bourbon-le-Cbateau  ,  n"  i. 
Le  livre  que  nous  annonçons  aujourd'hui  est  le  complément  de  conx 
que  l'auteur  a  déjà  pidiliés  sous  les  titres  de  Lettres  à  un  fère  sur  Cédu- 
calion  de  son  fils,  et  Leltres  à  une  mère  sur  Véducation  de  sa  fille,  ouvrages 
dont  nous  avons  rnulu  compte  fort  au  long  dans  nos  Annales  (tomes  I, 
page  299,  xiit ,  page  oyp).  Dans  cette  nouvelle  production  ,  M.  Lauren- 
tie  traite  eu  maître  de  cette  matière  si  délicate  ri  si  défigurée  parles  pas- 
sions anii-religieuscs  et  anti-monarchiques,  Céducation  du  peuple.  Mais 
M.  Laurentie  a  examiné  la  qui^stion  avec  les  lumières  que  fournit  le 
christianisme,  et  avec  ce  secours  on  ne  court  pas  risque  s'égarer.  Que 
tons  les  curés,  que  toutes  les  |iersonnes  qui  ont  à  cœur  de  renouveler  la 
société  et  de  l'asseoir  sur  ses  véritables  bases,  lisent  donc  ces  lettres;i\s  y 
verront  comment  on  peut  en  même  tems  être  sincère  ami  du  peuple  sans 
être  révolulionaairc,  et  sincère  ami  de  l'ordre  et  de  l'Eglise  sans  cesser 
d'être  dévoué  à  la  partie  souffrante  et  malheureuse  de  I^umanité. 


ANNALES  ''' 

DE  PHILOSOPHIE  CHRETIENNE. 


Tîf>uiMéio  1  02. 5  1  CDecemuxc  1  858. 


A\^^^AV\v4*av^%vi^^v*,vvvvvit-v^vv\'\^vvv\v\a\^ax*v/vv\^\Aavvl\vvx\A'V\vvvvvv^*vvvvvv\%vvvM^vv^ 


^tc^eo^if  fîiOCt((nc. 


LE  LIVRE  DE  LA  VISION  D'ElNOGH. 


Dans  notre  premier  article  ',  après  avoir  donné  une  notice 
sur  ce  livre  d'après  M.  de  Sacy,  et  avoir  exposé  comment  il 
avait  été  retrouvé  en  Abyssinic,  nous  avons  publié  la  traduction 
des  premiers  cliapitres  d'après  la  traduction  latine  de  M.  de  Sacy; 
mais  en  même  tems  nous  avons  annoncé  qu'une  traduction 
complète  de  tout  l'ouvrage  avait  été  publiée  il  y  a  quelques 
années  en  anglais  par  M.  Laurence,  et  nous  avons  promis  de 
faire  connaître  cette  traduction.  Notre  ami  et  collaborateur, 
M.  Daniélo,  a  bien  voulu  se  charger  de  tenir  cette  promesse  en 
traduisant  de  l'anglais  la  fin  du  livre  d'Enoch.  C'est  ce  travail 
que  nous  donnons  ici. 

Considérations  préliminaires  sur  la  mention  qui  y  est  faite  des  personaes 
de  la  Trinité.  —  Comparaison  avec  la  cabale  et  les  doctrines  indien- 
nes. — Vision  d'Enoch;  le  Jugement  et  le  Châtiment  des  méchans. — Sé- 
jour des  anges  et  des  âmes. — Secrets  des  cieux  et  de  l'univers. — Chan- 
gemens  de  la  lune  et  des  cieux.  —  L'ancien  des  joui-s  et  le  fils  de 
l'homme.  —  La  fontaine  de  justice.  —  La  vallée  et  les  anges  du  châ- 
timent. —  Le  déluge,  — Repentir  de  l'ancien  des  jours.  — Des  saints  et 
des  élus,  —  Les  anges  mesurent  la  terre.  —  Enlèvement  du  prophète. 
—Séjour  des  aacêtres,  des  esprits  et  de  la  dinni té.— Comparaison  avec 

»  Voirie  1*'  artich  dans  le  n»  99  ci-dessus,  page  16t. 

ToMBxvu. — W  103.  i838  26 


370  LE    LIVRE    DE   LA   VISION    d'eNOCH. 

les  traditions  indiennes.  —Prière  d'Enoch.  —  Marche  du  soleil ,  delà 
luoe  ,  etc. — Système  astronomique  du  monde  anté-denuvien.  —  Vision 
de  la  destruction  du  monde. — Division  du  lems  par  semaines.  —  Allu- 
sion à  la  venue  du  Christ  et  à  son  Eglise. — I.es  cieux  nouveaux. — Ré- 
cit de  la  naissance  de  Noé. — Prodiges  qui  l'accompagnent. — Vision  du 
de'Inge. — La  science  per%erse  des  hommes  en  fut  cause. 

Le  livre  d'Enoch  traduit  par  Laurence  contient  environ  200 
pages  in-8".  Après  avoir  lu  le  travail  qui  a  déjà  été  inséré  dans 
les  Annales  et  celui  que  nous  publions  ici,  le  public  pourra  se 
flatter  de  le  connaître  en  entier,  car  nous  en  mettrons  la  pres- 
que totalité  ou  du  moins  les  passages  les  plus  curieux  et  les  plus 
imporlans  à  la  portée  du  lecteur  français;  quant  aux  passages 
que  nous  omettons,  ils  sont  en  petit  nombre  et  peu  intéressans  : 
cependant  nous  en  donnons  encore  un  précis  et  un  résumé 
fidèles.  Ainsi,  après  nous  avoir  lu,  on  pourra  reconnaître  que 
l'on  vient  d'acquérir  quelques  idées,  quelques  connaissances 
nouvelles  sur  les  antiquités  religieuses  et  humaines  ,  sur  les 
choses  (les  tems  primitifs  et  sur  les  traditions  du  genre  humain. 

J'ai  lu  ce  livre,  pour  mon  compte,  avec  une  atlention  toute 
particulière,  espérant  y  trouver  des  rapports  avec  les  autres 
livres  sacrés  de  la  Judée,  de  l'Egypte  ,  de  la  Perse  et  de  l'Inde. 
Ce  n'est  pas  que  mon  espoir  ait  été  entièrement  rempli,  mais 
il  n'a  pas  été  entièrement  trompé  non  plus.  Pour  ce  qui  est 
d'abord  des  rapports  du  livre  d'Enoch  avec  ceux  des  Juifs,  j'y 
ai  trouvé  un  ton,  une  doctrine,  un  style  même  très-ressem- 
blans  et  des  passages  entiers  presque  identiques.  Celle  traduc- 
tion en  donnera  la  preuve,  et  j'aïu-ai  soin  d'appeler  par  des 
notes  l'attention  du  lecteur  sur  les  ressemblances.  Quant  aux 
rapports  du  livre  d'Enoch  avec  les  livres  des  nations  payennes, 
ils  sont  moins  grands  et  moins  nombreux. 

Cependant  j'aurai  encore  occasion  d'en  faire  remarquer 
quelques-uns  au  lecteur,  et  ils  seront  peut-être  assez  frappans. 

On  trouvera  dans  le  livre  d'Enoch  des  allusions  claires  et 
fréquentes  au  Fils  de  C homme,  à  !'£/«,  c'est-à-dire  au  Messie, 
comme  on  le  verra  ci-après  dans  les  chap.  45,  [\Q,  48  et  5 1 .  Dans 
ces  deux  passages,  comme  le  dit  très-bien  Laurence,  la  prée- 
xistence du  iMessie  est  déclarée  en  termes  qui  n'admettent  pas 


LE  LIVRE  DE  LA  YISION   D'E^ÎOCH.  371 

l'ombre  la  plus  légère  d'ambiguïté  '.  On  peut  aussi  remarquer 
que  cette  préexistence  attribuée  au  Messie  est  une  préexistence 
divine.  «   Car,  dit  Enoch,  avant  toutes  les  choses  son    nom 
«était  invoqué  en  la  présence  du   Seigneur  des  Esprils ,  etc.  » 
Ce  n'est  pas  seulement  au   Messie  qu'Enoch  l'ait   ainsi    al- 
lusion, mais  encore  à  une  autre pcrsoniîe  divine  ou  pouvoir  divin. 
Celte  autre  personne    ou  pouvoir   divin,  Énocli    la  joint  au 
Messie  sous   la   dénomination  de  seigneurs  :  ces  seigneurs  qui 
passent  pour  avoir  été  ceux  qui  planaient  sur  les  eaux,  c'est-à- 
dire,  selon  M.  Laurence  ,  sur  la  masse  liquide  de  la  matière  in- 
forme aux  premiers  lems  de  la  création  ».  Ce  passage,  selon  Lau- 
rence, peut  être  un  commentaire  sur  le  récit  de  la  création  par 
Moyse,  tout  aussi  bien  que  ce  qu'Enoch  dit  ailleurs  du  fils  de 
l'homme  en  peut  être  un  sur  ce  qu'en  dit  aussi  Daniel.  Ainsi, 
ajoute  Laurence,  nous  n'avons  pas  seulement  ici  la  déclaration 
d'une  pluralité ,  mais  d'une  triniié  de  personnes  en  Dieu  sous  la 
dénomination  suprême  de  Seigneurs  ".  Deux  d'entre  ces  person- 
nes, appelées,    l'une  rElu  et   l'autre  le  Pouvoir^  sont   repré- 
sentées comme  n'étant  pas  moins  occupées  que- le  Dieu  su- 
prême, le  Seigneur  des  esprits  lui-même,  dans  le  grand  œuvre 
de  la  formation  du  monde,  et  l'on  pourrait  ajouter  qu'une  classe 
d'Anges  leur  est  donnée  pour  aide  et  compagnie  comme  aux 
agens  immédiats  de  la  Création  *.  Cet  argument  qui  prouve 
qu'avant  la  naissance  du  Christ  les  Juifs  croyaient  à  la  dcclrine 
de  la  Trinité,   continue  Laurence,   me  paraît  beaucoup  plus 
important  et   plus  concluant  que  celui  qui  a  été  si  souvent  et 
avec  si  peu  d'avantage  ,  selon   moi,  déduit    des  anciens  prin- 
cipes philosophiques  de  l'ancienne    cabale.    La   philosopliie 
cabalistique   a,   je  le  sais,  ^esuziluth  ou  émanations  de  la  Divi- 

•  Admits  not  the  slightest  shade  of  ambiguily.  Laurence  prétimlnary 
Dissertation  ,  p.  XLU. 

*  Areslated  to  ha^e  been  on  the  water  that  is ,  as  I  conceive ,  ovcr  the 
fluid  mass  of  uuformed  matterat  the  period  of  création.  Idtbid.  P.  xLni. 

'  Hère  then  \ve  hâve  nor  mercly  the  déclaration  of  a  piuraiitv,  buj 
that  is  a  précise  and  distinct  trinity  of  persons  under  the  suprême  ap- 
pellation of  lords,  idtbid.  p.  xliv. 

4  Are  represenled  as  not  byengaged  ihan  the  lords  of  spirits  himself  ia 
the  formation  of  the  world.  idibid. 


372  LE  LIVRE   DE   LA  VISION    d'ëNOCH. 

nité  ;  mais  ces  émanations  ou  aziluth ,  j'en  suis  convaincu  mal- 
gré la  persuasion  de  plusieurs  chrétiens ,  n'ont  jamais  été  regar- 
dées par  les  Juifs  eux-mêmes  comme  des  persomines  distinctes  y 
mais  comme  des  forces,  comme  des  énergies  (^Sacti  chez  les 
Hindous)  distinctes  en  la  Divinité.  Du  reste  ,  si  l'argument 
tiré  de  ces  aziluth  ou  éTnanations  a  quelque  valeur,  il  prouve 
plus  que  ceux  qui  le  soutiennent  ne  désirent  ;  car  il  ne  va  à  rien 
moins  qu'à  démontrer  que  les  Juifs  croyaient  à  dix  et  non  à 
<m,$  émanations  personnelles  de  la  Divinité  ;  car  dix  est  le  nom- 
bre de  tes  Séphiroth,  c'est-à-dire  de  ces  émanations  ". 

L'imagination  est  toujours  prête  à  découvrir  des  ressem- 
blances où  il  n'en  existe  réellement  point.  Mais  un  raisonne- 
ment sobre  ne  peut  cefte»  jamais  approuver  l'effort  indiscret  qui 

»  Les  Hiadous  qui  professent  aussi  la  doctrine  des  e'manations  appellent 
ces  émanations  ou  ces  énergies ,  les  Sacti  ou  \  ertus  ,  forces  de  la  Divinité. 
Il  est  remarquable  que  la  doctrine  cabalistique  admette  dix  séphiroth  ou 
émanations  de  ce  genre ,  tandis  que  l'Inde  admet  aussi  dix  avatars  prin- 
cipaux ,  qui  ne  sont  autre  chose  que  des  descentes  ou  des  émanations  de  la 
Divinité  sous  le  nom  de  Vicbnou;  les  trois  premières  et  principales  éma- 
nations de  la  Divinité  dans  l'Inde  s'appellent  trimourti,  ce  qui  signiBetrotj 
parties,  trois  puissances  ,  trois  formes.  Mais  ceux  qui  trouvent,  dit  Lau- 
rence, la  doctrinede  la  Trinité-Chrétienne  dans  les  séphiroth  oixémanations 
de  la  cabale,  la  renferment  dans  les  trois  premières  de  ces  émanations,  ne  pre- 
nant pas  garde  que  toutes  les  dix  sont  regardées  par  les  cabalistes  comme 
des  émanations  ài\ines ,  et  composent  l'idée  multiple  de  Dieu,  manifestée 
à  nos  yeux  dans  ses  œuvres.  Avant  que  la  plus  grande  cause  de  toutes  les 
causes ,  que  le  plus  secret  des  êtres  secrets  eût  créé  le  monde ,  avant  qu'il 
eût  produit  les  objets  de  la  connaissance  par  son  intellect ,  avant  qu'il  eût 
produit  les  formes,  il  était  lui-même  ,  disent -ils  ,  seul,  sans  figure  et  sans 
ressemblance.  Mais  quand  la  création  commença,  son  existence  ne  se  pou- 
vant démontrer  que  par  ses  énergies,  alors  de  l'immensité  de  sa  propre 
essence  sortit  la  première  des  divines  séphiroth  ou  énumérations  des  éner- 
gies divines,  communiquant  par  divers  degrés  et  par  un  incessant 
efûuve  de  la  Divinité  avec  les  neuf  autres  qui,  combinées  ensemble,  nous 
développent  la  décuple  idée  de  Dieu.  Cependant  la  même  union  est  suppo- 
sée exister  entre  toutes  les  dix  ,  aussi  bien  qu'entre  les  trois  premières  ou 
entre  les  sept  dernières ,  toutes  étant  considérées  comme  séparées  dans  les 
modifications  que  l'action  leur  imprime  ,  mais  comnce  inséparables  dans 
leur  nature. 


LE    LIVRE   DE    LA    VISION    d'bNOCH.  373 

tendrait  à  représenter  la  vérité  chrétienne  comme  engagée  dans 
le  fouillis  impur  de  la  cabale  judaïque;  ce  singulier,  et  pour 
ceux  qui  n'en  pénètrent  que  la  surface  extérieure,  ce  fasciua- 
teur  système  de  subtilités  allégoriques ,  a  sans  doute  son  côté 
brillant  aussi  bien  que  son  côté  ténébreux,  ses  véritables  aussi 
bien  que  ses  fausses  allusions;  mais  au  lieu  de  vouloir  grouper 
sous  l'étendard  de  l'Ecriture  ses  crevises  combinaisons,  je  suis 
persuadé  que  l'on  se  tromperait  beaucoup  moins  en  les  rap- 
portant à  l'ancienne  philosophie  qui  a  dominé  dans  l'Orient, 
d'où  elles  semblent  être  originellement  sorties ,  et  dont  elles 
sont  inséparables  comme  l'ombre  l'est  du  corps'. 

Cependant  le  passage  en  question  n*est  sujet  à  aucune  ob- 
jection de  ce  genre  :  il  n'y  a  rien  ici  de  cabalistique,  il  n'y  a 
point  d'allégorie,  mais  une  pleine  et  claire,  quoique  légère 
allusion  à  une  doctrine,  celle  de  la  croyance  à  la  Trinité  divine 
qui,  si  elle  n'avait  point  fait  partie  de  la  croyance  populaire  de 
ce  tems,  eût  été  inintelligible.  On  y  compte  trois  Seigneurs  ; 
le  Seigneur  des  Esprits,  le  Seigneur  ïElu  et  le  Seigneur  pou- 
voir ».  Les  deux  derniers  sont,  aussi  bien  que  le  premier,  repré- 
sentés comme  Créateurs  ;  cette  énuméralion  de  trois  Créateurs 
implique  évidemment  la  connaissance  de  trois  personnes, 
participant  à  la  Divinité  par  leur  pouvoir  et  leur  nom  ^.  Telle 
nous  paraît  donc  avoir  été  la  doctrine  des  Juifs  sur  la  nature 

'  Je  suis  entièrement  de  l'avis  de  sir  Laurence  en  ce  point ,  et  je  puis 
dire  que  les  tloctriaes  de  la  cabale  ont  'e  plus  grand  rapport  avec  celles 
de  l'Inde.  Les  Brahmanes  comprennent  Dieu  par  ses  émanations  dans  l'u- 
nivers, comme  dans  la  note  ci-dessus  nous  venons  de  voir  la  cabale  le 
comprendre  et  l'cxyliquer ,  tandis  que  les  doctrines  de  Moïse  et  des  pro- 
phètes sont  plus  pures  et  pjus  simples,  li  s'y  lrou^  c  bien  aussi  quelques 
rapports  très-frappans  entre  leurs  doctrines  et  celics  de  "Inde  ,  de  la  ca- 
bale et  de  toute  la  philosophie  orientale  en  un  mot;  il  est  même  impossi- 
ble qu'il  n'y  en  ait  pas,  puisque  les  unes  sont  l'aitération  des  autres,  mais 
il  y  en  a  peu.  On  voit  que  l'on  y  a  mêlé  un  autre  système  intellectuel  , 
une  autre  famille  de  pensées. 

»  Three  lords  are  enuracrated  ,  the  Lord  ofspirits ,  the  Ixjrd  the  Elec. 
tone, et  the  Lord  the  other  Poncr.  Ici.  p.  xtvi. 

'  Evidently  implies  the  aknowledgmend  of  t'nree  d'stinct  persons  par^ 
licipating  in  the  name ,  and  in  the  power  of  ihe  godhead.  Idibid. 


374  LE    LIVRE    DE    LA   VISION    d'eKOCH. 

divine  antérieurement  à  la  naissance  et  à  la  promulgation  du 
Christianisme. 

■  Ajoutons  au  raisonnement  de  M.  Laurence,  dit  le  docte 
Silvestre  de  Sacy,  qu'on  ne  saurait  supposer  que  les  passages 
qu'il  cile  du  livre  d'Enoch  à  l'appui  de  son  opinion  y  aient  été 
introduits  par  les  Chrétiens.  Si  ces  textes  avaient  élé  des  inter- 
polations faites  au  profit  du  Christianisme,  les  auteurs  de  ces 
interpolations  se  lussent  expliqués  d'une  manière  plus  claire 
et  avec  plus  de  développement.  » 

Mais  il  en  est  tems,  reprenons  le  texte  d'Enoch,  et  conti- 
nuons chapitre  par  chapitre  la  traduction  commencée  dans  le 
premier  article.  Voici  comment  le  prophète  continue  à  parler  : 
Le  livre  de  la  vision  d'Enoch. 

Chap.  XXXII.  0  De  là  je  me  transportai  vers  les  extrémités  de  la 
terre,  et  je  vis  de  grandes  bêtes  différant  les  unes  des  autres, 
et  des  oiseaux  de  formes,  de  chants  et  de  plumages  divers. 

»A  l'Orient  de  ces  bêtes,  j'aperçus  les  extrémités  de  la  terre 
où  cessait  le  ciel  '.Ses  portes  étaient  ouvertes,  et  j'en  vis  sortir 
les  étoiles  célestes;  je  les  comptai  à  mesure  qu'elles  sortaient  de 
ces  portes,  et  je  pris  note  de  chacune  d'elles  à  mesure  qu'elles 
passaient  devant  moi.  Je  pris  note  de  leurs  noms,  de  leur  tems 
et  de  leurs  saisons  à  mesure  que  l'ange  Uriel,  qui  était  avec 
moi,  me  les  montrait;  il  me  les  montra  toutes,  et  prit  note 
d'elles  toutes;  il  m'écrivit  aussi  leurs  noms,  leurs  révolutions 
et  leurs  opérations. 

Chapitre  xxxiii.  »  De  là  je  m'avançai  vers  le  Nord  jus- 
qu'aux extrémités  de  la  terre,  et  à  l'extrémité  de  la  terre  je  vis 
une  grande  et  glorieuse  merveille;  j'y  vis  les  portes  célestes 
s'ouvrant  dans  les  cieux  ;  elles  étaient  séparées  et  au  nombre  de 
trois  :  les  vents  du  nord  sortaient  par  elles  soufflant  le  froid,  la 
glace,  les  frimats  ,  la  neige  ,  la  rosée  et  la  pluie.  De  l'une  de 
ces  portes,  ils  soufflaient  avec  douceur;  mais  des  deux  autres  , 
c'était  avec  violence.» 

Dans  les  x\xiv',  xxxv*  et  xxxvi*  C  hap. ,  le  prophète  porte  les  yeux 
vers  l'Ouest  et  le  Sud  où  il  voit  comme  ailleurs  des  portes  ouvertes 
dans  les  cieux,  et  des  pluies,  desvents,  desétoiles  qui  y  passent. 

*  Where  heaven  ceased.  ch.  33  ,  p,  2. 


LE    LIVRE    I>E    LA   VISION    d'eNOCH.  375 

Avec  le  commencement  (le  la  sixième  section,  Cu.  xxxvii, 
commence  une  nouvelle  série  de  visions,  qui  ne  paraît  se  termi- 
ner qu'avec  la  fin  de  la  douzième  section.  Cette  nouvelle  série 
de  visions  commence  ainsi  :  •  Voici  la  sccomle  vision  de  sa- 
gesse que  vit  Enoch  fils  de  Jared ,  fils  de  Malaléel ,  fils  de  Canau 
(Caïnan).fils  d'Enos.filsde  Seth  ,  fils  d'Adam.  C'est  ici  le  com- 
mencement delà  parole  de  sagesse  que  j'ai  reçue  pour  la  déclarer 
et  l'enseigner  à  ceux  qui  habitent  sur  la  terre.  Écoute  depuis  le 
commenceraentetcomprendsjusqu'àlafin  les  saintes  choses  que 
je  profère  en  la  présence  du  Seigneur  des  Esjuits.  Ceux  qui  nous 
ont  précédés  ont  trouvé  bon  de  parler;  nous  donc  qui  venons 
après  eux  ne  celons  pas  le  commencement  de  la  sagesse.  Jus- 
qu'à l'époque  actuelle,  personne  n'a  été  gratifié  devant  le  Sei- 
gneur des  Esprits  de  ce  que  j'ai  reçu  d'une  sagesse  proportion- 
née à  la  capacité  de  mon  intelligence  et  au  bon  plaisir  du 
Seigneur  des  Esprits  :  ce  que  j'ai  reçu  en  don  de  lui  est  une 
portion  de  la  vie  éternelle,  et  était  compris  daiîs  cent  trois  pa- 
raboles que  j'ai  rapportées  aux  habitans  du  monde  '.» 

Cbapitre  xxxvin'. —  Ce  cli;ipilre  contient  In  pi-emière  des 
cent  trois,  ou  plutôt  comme  l'a  dit  M.  de  Sacy,  des  trois  para- 
boles. —  «  Quand  l'assemblée  des  Justes  aura  lieu,  s'écrie  le 
prophète,  quand  les  pécheurs  seront  démasqués ,  mieux  aurait 
valu  pour  ceux-ci  n'être  pas  nés.  Alors,  dit  il,  les  secrets  des 
Justes  seront  aussi  révélés,  alors  les  pécheurs  seront  jugés  et  les 
impies  châtiés  en  la  présence  des  Elus  et  des  Jr.stcs.  De  ce  mo- 
ment, ceux  qui  possèdent  la  terre  cesseront  d'être  pnissans  et 
superbes;  ils  ne  pourront  môme  supporter  la  vue  des  Saints. 

>  Le  nombre  de  cent  trois  paraboles ,  dit  M,  de  Sacy  ,  me  semble  uue 
faute  dans  le  manuîcrît,  et  je  suis  tenté  de  croire  que  l'auteur  a^aiI  dit 
trois  paraboles  ;  en  effet  on  ne  trou\e  dans  ce  long  morceau  surcharg:;  d  q 
fastidieuses  répétitions ,  que  trois  paraboles  :  la  preraiiTC  comprend  les 
chapitres  38-i4,  c'est-à-dire  tout  le  reste  de  la  sixième  section;  la  deuxième 
commence  a^ec  le  chapitre  ''i5  et  occupe  toute  la  septième  et  l.i  huitième 
secdon  ;  enlîn  la  troisième  commence  a^ec  la  nemièrus  section  et  finit 
avec  la  onzième.  La  douzième  section  qui,  est  assez  courte,  forme  la  cou- 
clusion  de  ce  long  morceau.  Elle  a  pour  objet  l'enlèvement  d'Enoch  au 
séjour  qu'habite  la  Divinité,  et  sa  présentation  devant  la  divine  majesté. 


J76  LE  LIVRE   DE    Ll  VISION    d'eNOCH. 

Les  rois  ne  seront  pas  encore  détruits,  il  est  vrai,  mais  mis 
entre  les  mains  des  Justes  et  des  Saints. 

Chapitre  XXXIX.  »  En  ces  jours-là  la  race  des  Élus  et  des  Saints 
descendra  des  cieux  supérieurs,  et  leur  semence  alors  sera  avec 
les  enfans  des  hommes.  Enoch  reçut  les  livres  de  l'indignation 

et  de  la  colère,  les  livres  du  trouble  et  de  l'agitation Un 

nuage  m'entoura  et  le  vent  m'éleva  au-dessus  de  la  surface  de 
la  terre  et  me  plaça  à  l'extrémité  des  cieux.  Là  je  vis  une  autre 
vision.  Je  vis  le  lieu  d'habitation  et  de  repos  des  Saints.  Oui, 
j'y  vis  leur  habitation  avec  les  Anges,  et  leur  repos  avec  les  Jus- 
tes. Ils  intercédaient,  suppliaient  et  priaient  pour  les  fils  des 
hommes,  tandis  que  la  justice  coulait  vers  eux  comme  un 
fleuve,  et  que  la  miséricorde  était  répandue  sur  la  terre 
comme  la  rosée;  et  il  en  sera  ainsi  pour  eux  à  jamais.  Au 
même  instant  mes  yeux  virent  l'habitation  des  Élus,  de  la  vé- 
rité, de  la  foi  et  de  la  droiture.  Innombrable  était  le  nombre 
des  Élus  en  la  présence  éternelle  de  Dieu.  Je  vis  leur  demeure 
sous  les  ailes  du  Dieu  des  Esprits  :  tous  les  Saints  et  les  Élus 
chantaient  devant  lui  comme  des  étincelles  de  feu.  Leurs  bou- 
ches étaient  remplies  de  bénédictions  et  leurs  lèvres  glorifiaient 
le  nom  du  Seigneur  des  Esprits.  J'étais  désireux  de  demevu-er 
là,  et  mon  âme  soupira  après  ce  séjour;  car  c'était  là  mon 
ancien  héritage.  Long-tems  mes  yeux  restèrent  en  contempla- 
tion de  ce  lieu  ;  je  bénis  Dieu  et  je  dis  :  Béni  soit-il  depuis  Je 
commencement  jusqu'à  la  fin.  Dans  le  principe,  et  avant  que 
le  monde  fût,  la  science  était,  et  elle  n'aura  jamais  de  fin. 
Qu'est-ce  que  le  monde?  De  toutes  les  générations,  celles-là  te 
béniront  qui  ne  dorment  point  dans  la~  poussière ,  mais  qui  se 
tiennent  debout  devant  ta  gloire,  te  bénissant,  te  glorifiant, 
t'exaltant  et  disant  le  Saint,  le  Saint  Seigneur  des  Esprits  rem- 
plit d'Esprits  le  monde  entier.  Là  mes  yeux  virent  tous  ceux 
qui  se  tenaient  sans  sommeil  devant  lui  en  lui  disant  :  Béni 
sois-tu  et  béni  le  nom  du  Seigneur  pour  toujours;  alors  ma 
position  changea  jusqu'à  ce  que  tout  disparut  à  ma  vue. 

Chapitre  xl. »Je  vis  des  mille  et  des  mille,  des  myriades  et 
des  myriades,  et  un  nombre  infini  de  gens  qui  se  tenaient  de- 
bout devant  le  Seigneur  des  Esprits  ,  et  sur  les  quatre  côtés  j'en 
yis  d'autres  à  côté  de  ceux  qui  se  tenaient  devant  lui  ;  je  sus 


LE   LIVRE   DE   LA   VISION    D*ENOCH.  377 

même  leur  nom  parce  que  l'Ange  qui  marchait  avec  moi  me 
les  apprit,  en  me  découvrant  toutes  les  choses  secrètes,  alors 
i'enfendis  les  voix  de  ceux  qui  étaient  sur  les  quatre  côtés, 
exaltant  le  Seigneur  de  gloire.  La  troisième  voix  ,  je  l'enlcndis 
solliciter  et  prier  poiir  ceux  qui  habitent  sur  la  terre  ;  elle  sup- 
pliait le  Seigneur  des  Esprits.  La  quatrième  voix  que  j'entendis 
chassait  les  anges  impies  et  les  empêchait  d'entrer  devant  la 
présence  du  Seigneur  des  Esprits  pour  porter  des  accusations 
contre  les  peuples  de  la  terre. 

•  Après  cela  je  mandai  àl'Ange  de  paix  qui  marchait  avecmoi 
de  m'expliquer  tout  ce  qui  était  caché.  Je  lui  dis  :  Qui  sont 
ceux  que  j'ai  vus  sur  les  quatre  côtés,  dont  j*ai  entendu  et  copié 
les  paroles. 

»I1  me  répondit  :  iLe  premier,  c'est  le  miséricordieux,  le  pa- 
»  tient  et  le  saint  Michael  ;  le  second,  celui  qui  préside  à  toutes 
«les  souffrances  et  à  toutes  les  afflictions  des  fils  des  hommes, 
>  c'est  le  saint  Raphaël;  le  troisième,  celui  qui  préside  à  tout  ce 
«qui  est  puissant,  c'est  Gabriel;  et  le  quatrième  qui  préside  au 
»  repentir,  à  l'espérance  de  ceux  qui  doivent  hériter  de  la  vie 
B éternelle,  c'est  Phanael.  «Tels  sont  les  quatre  Anges  du  Dieu 
Très-Haut,  telles  sont  leurs  quatre  voix  que  j'entendis  alors. 

Chapitee  xli.  »  Après  cela  je  vis  les  secrets  des  cieux  et  du 
Paradis  selon  ses  divisions,  je  vis  le  secret  des  actions  des  hom- 
mes tandis  qu'elles  pesaient  dans  la  balance.  Je  vis  les  habita- 
tions des  Elus  et  les  habitations  des  Saints;  je  vis  aussi  tous  les 
pécheurs  qui  nièrent  le  Seigneur  de  gloire  et  que  l'on  chassait, 
que  l'on  poussait  hors  de  ce  lieu  oii  ils  se  tenaient  auparavant. 
Et  pourtant  aucun  châtiment  ne  leur  advint  de  la  part  du  Sei- 
gneur des  Esprits,  Là  aussi  mes  yeux  virent  les  secrets  de  l'é- 
clair et  de  la  foudre  ,  les  secrets  des  vents  et  la  manière  dont  ils 
sont  distribués  quand  ils  soufflent  sur  la  terre  ;  je  vis  les  secrets 
des  vents,  de  la  ro.-ée  et  des  nues  ;  je  vis  le  lieu  par  où  ils  sor- 
tent et  par  où  ils  reviennent  saturés  de  la  poussière  de  la  terre. 
Là  je  vis  le  réceptacle  des  bois  d'où  sortaient  les  vents  ;  j'y  vis 
le  réceptacle  de  la  neige ,  des  nuées  et  même  de  ce  nuage  qui 
enveloppait  la  terre  entière  avant  la  création  du  monde.  Je  vis 
aussi  le  réceptacle  de  la  lune,  d'où  toutes  les  lunes  sortaient, 
où  elles  allaient  dans  leur  marche   glorieuse;  je  vis  commeut 


378  LE    LIVRE    DE    LA    VISION    d'eNOCH. 

l'une  devenait  plus  brillante  qu'une  autre.  Je  marquai  leur 
marche  brillante,  leur  marche  invariable,  leur  marche  isolée 
et  toujours  la  même;  leur  exactitude  à  tenir  le  serment  de 
fidélité  mutuelle  qu'elles  s'étaient  jurées;  leur  sortie  avant  le 
soleil  et  leur  ferme  direction  dans  le  sentier  qui  leur  avait  été 
tracé,  direction  qu'elles  suivaient  par  obéissance  au  comman- 
dement des  esprits.  Puissant  est  son  nom  pour  toujours  et 
toujours. 

»  J'aperçus  en  même  tems  la  route  cachée  et  visible  de  la 
lune.  La  voie  brillante  de  la  lune  est  pour  les  Justes;  mais  la 
voie  ténébreuse  est  pour  les  pécheurs.  L'Ange  lui-même  n'y 
peut  rien  changer,car  le  Juge  voit  tout  et  juge  tout  en  sa  présence. 

Chapitre  xlii.  La  sagesse  n'a  point  trouvé  de  lieu  ou  elle  piit 
habiter; sa  demeure  est  par  conséquent  dans  le  ciel;  cependant 
la  sagesse  vint  pour  habiter  avec  les  enfans  des  hommes  ,  mais 
elle  n'y  trouva  point  d'habitation.  Alors  la  sagesse  resta  à  sa 
place  et  s'établit  au  milieu  des  Anges.  Mais  l'iniquité  vint  après 
la  retraite  de  la  sagesse  et  sans  le  vouloir,  en  quelque  sorte 
elle  trouva  une  demeui-e  parmi  les  hommes  comme  la  pluie 
dans  le  désert  et  dans  un  sol  embrasé. 

Chapitre  xliu.  »  Je  vis  une  autre  splendeur  et  les  étoiles  des 
cieux;  je  vis  que  le  Seigneur  les  appelait  toutes  par  leurs  noms 
respectifs  et  qu'elles  entendaient  cet  a[)pel.  Je  vis  que  dans  de 
justes  balances  il  pesait  leur  lumière  avec  l'amplitiule  de  leur 
orbite,  le  jour  de  leur  apparition  et  de  levir  révolution.  La 
splendeur  produisait  la  splendeur,  et  leurs  révolutions  égalaient 
le  nombre  des  Anges  et  des  Fidèles.  Alors  je  questionnai  l'Ange 
qui  marchait  avec  moi,  et  il  m'expliqua  les  choses  secrètes;  il 
me  dit  quels  étaient  leurs  noms  ;  il  me  répondit  :  «  Le  Seigneur 
»t'en  a  montré  la  ressemblance,  ce  sont  les  noms  des  Justes 
•  qui  demeurent  sur  la  terre  et  qui  croient  au  nom  du  Seigneur 
»des  Esprits  pour  toujours  et  toujours.  » 

Section  vii%  chapitre  xlv.  Voici  la  seconde  de  ces  trois  para- 
boles dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

«Parabole  seconde,  concernant  ceux  qui  nient  le  nom  de 
l'habitation  des  Saints  et  du  Seigneur  des  Esprits  :  ils  ne  mon- 
teront point  dans  les  cieux  et  ils  ne  viendront  pas  sur  la  terre. 
Us  seront  au  nombre  des  pécheurs  qui  nient  le  nom  du  Sei- 


LE    LlVnS   DE    LA    VISION    D'ENOCH.  379 

gneur  des  Esprits  et  qui  sont  par  conséquent  réservés  pour  le 
jour  de  la  punition  et  de  l'affliction.  ■  En  ce  jour,  les  Élus  seront 

•  assis  sur  un  trône  de  gloire  et  choisiront  leurs  conditions  et 

•  leurs  habitations  innombrables  (tandis  que  leur  esprit  serafor- 

•  tifié  en  eux-mêmes  à  la  vue  de  mon  Élu).  Oui,  ils  choisiront 

•  ces  demeures  pour  ceux  qui  ont  eu  recours  à  la  protection  de 

•  mon  nom  saint  et  glorieux  :  ce  jour-là  je  ferai  à  mon  Elu  habi- 
»ter  parmi  eux  :  je  changerai  la  face  des  cieux  ;  je  le  bénirai  et 

•  rillumincrai  pour  toujours;  je  changerai  aussi  la  face  de  la  terre 

•  et  j'y  ferai  habiter,  ceux  que  j'aurai  élus;   mais  ceux  qui  ont 

•  commis  le  crime    et  l'iniquité   n'y  hahiteront  pas,  car  j'ai 

•  compté  leurs  jours    Je  comblerai  mes  Justes  de  paix  en  les 

•  plaçant  devant  moi;  mais  la  condamnation  des  pécheurs  suî- 

•  vra  de  près,  afin  que  je  puisse  les  faire  disparaître  de  la  face 
»  de  la  terre. » 

Chapitre  xlvi.  I,à  je  vis  l'Ancien  des  jours  dont  la  tête  était 
comme  une  laine  blanclie,  et  un  autre  avec  lui  dont  le  main- 
tien ressemblait  à  celui  de  l'homme.  Son  mainlien  était  plein 
de  grâce  comme  celui  d'un  des  saints  Anges.  Alors -je  m'infor- 
mai à  un  des  Anges  qui  venait  avec  moi,  et  qui  me  montrait 
toutes  les  choses  secrètes  concernant  le  Fils  de  l'Homme,  qui 
il  était,  d'où  il  était,  et  pourquoi  il  acconjpagnail  TAncien  des 
jours.  Il  répondit  et  me  dit  :  «  celui-la  est  le  Fils  de  l'Homme, 
«auquel  appartient  la  justice,  avec  lequel  elle  a  demeuré,  et  il 

•  révélera  tous  les  trésors  de  ce  qui  esl  caché,  car  le  Seigneur  des 
»  Esprits  l'a  choisi  et  sa  part  a  surpassé  tout  devant  le  Seigneur 

•  des  Esprits  dans  ime  éternelle  justice.  Ce  Fils  de  l'Homme  que 

•  tu  vois  fera  lever  les  rois  et  les  grands  de  leur  couche,  et  les 
«puissans  de  leurs  trônes  :  il  lâchera  les  rênes  aux  puissans  et 
«mettra  en  pièces  les  dents  des  pécheurs.  Il  précipitera  les  rois 

•  de  leur  empire  et  de  leurs  trônes,  parce  qu'ils  ne  l'auront  ni 
»  exailé,  ni  loué,  parce  qu'ils  ne  se  seront  point  hiuiiiliés  de- 
wvant  celui  par  qui  leur  empire  leur  avait  été  donné.  Il  jet- 

•  tera  bas  la  superbe  des  grands  et  les  remplira  de  confusion. 
»  Les  ténèbres  seront  leur  habitation  et  les  vers  seront  leurs  lits, 

•  et  de  ce  lit  ils  n'oseront  plus  se  relever  parce  qu'ils  n'ont  point 
»  célébré  le  nom  du  Seigneur  des  Esprits.  —  Ils  condamneront 

•  les  étoiles  des  cieux,  ils  lèveront  leurs  mains  contre  le  Très- 


380  LE    LIVRE    DE    LA   VISION    d'eNOCH. 

•  Haut  ;  ils  fouleront  et  habiteront  la  terre,  praitquant  touled  les 
»  œuvres  d'iniquité.  Ils  placeront  leurs  forces  dans  leurs  richesses 
»et  leur  foi  dans  les  dieux  qu'ils  ont  formés  de  leurs  propres 
»  mains.  Ils  nieront  l'existence  du  Seigneur  des  Esprits,  et  ils  le 
«chasseront  du  temple  où  ils  se  rassemblent.  Et  avec  lui  seront 

•  les  fidèles,  ceux  qui  souffrent  en  sou  nom,  au  nom  du  Sei- 
Bgneur  des  Esprits.  » 

Chapitre  xlvii.  o  Ce  jour-là  la  prière  du  Saint  et  du  Juste,  elle 
sang  de  l'homme  de  bien  monteront  de  la  terre  jusqu'en  la 
présence  du  Seigneur  des  Esprits  :  ce  jour-là  aussi  s'assemble- 
ront les  Saints  qui  demeurent  au-dessus  des  cieux,  et  d'une 
voix,  d'une  prière  unies,  ils  supplieront,  loueront  et  béniront 
le  nom  du  Seigneur  des  Esprits  à  cause  du  sang  du  Juste  qui  a 
été  répandu,  afin  que  la  prière  des  Justes  ne  soit  point  inter- 
rompue devant  le  Seigneur  des  Esprits,  afin  qu'il  exécute  le 
jugement  en  leur  faveur  et  que  sa  patience  ne  dure  pas  toujours. 

»  Alors  je  vis  l'Ancien  des  jours  assis  sur  son  trône  de  gloire , 
le  livre  de  vie  ouvert  devant  lui,  et  toutes  les  puissances  qui  sont 
au-dessus  des  cieux  se  tenaient  autour  de  lui  et  devant  lui. 
Alors  le  cœur  des  Saints  fut  rempli  de  joie  parce  que  la  con- 
sommation de  la  justice  était  arrivée,  les  svipplications  dos 
saints  entendues  et  le  sang  des  Justes  apprécié  par  le  Seigneur. 

Chapitre  XLVi  II.»  Dans  le  même  lieu  je  vis  unefoutaine  de  justice 
entourée  de  source  de  sagesse  et  ne  tarissant  jamais  :  tous  ceux 
qui  avaient  soif  y  burent  et  furent  remplis  de  sagesse,  ayant  leur 
habitation  avec  les  justes,  les  élus  elles  saints.  A  la  même  heure, 
je  vis  le  Fils  de  l'homme  invoqué  des  esprits  :  et  son  nom  était 
en  présence  de  l'ancien  des  jours,  avant  que  le  soleil  et  les 
astres  fussent  créés  :  avant  que  les  étoiles  du  ciel  fussent  for- 
mées, son  nom  était  invoqué  en  la  présence  du  Seigneur  des 
Esprits.  Usera  un  appui  pour  le  saint  et  le  juste,  et  cet  appui 
ne  lui  manquera  point;  et  il  sera  la  lumière  des  nations.  Usera 
l'espérance  de  ceux  dont  les  cœurs  sont  troublés  :  tous  ceux  qui 
demeurent  sur  la  terre  tomberont  devant  lui  et  l'adoreront ,  ils 
le  béniront  et  le  glorifieront  et  chanteront  de.*»  louanges  au 
nom  du  Seigneur  des  Esprits.  Ainsi  l'Élu  et  le  Caché  existaient 
en  sa  présence  avant  <jue  le  monde  fût  créé,  cl  il  existera  tou- 
jours. Il  existait  et  il  révéla  aux  saints  et  aux  justes  la  sagesse 


LE   LIVRE   DE   LA   VISION    D'ENÔLfi.  881 

du  Seigneur  des  Esprits;  il  a  conservé  aux  justes  leur  part  par- 
ce qu'ils  ont  haï  et  rejeté  le  inonde  d'iniquité  et  qu'ils  ont  détesté 
toutes  ses  œuvres  et  ses  voies  au  nom  du  Seigneur  des  Esprits. 
Aussi  sera-ce  en  son  nom  qu'ils  seront  préservés ,  et  sa  volonté 
sera  leur  vie.  En  ce  jour  les  rois  et  les  puissans  de  la  terre  qui 
ont  gagné  le  mon.le  par  les  œuvres  de  leurs  mains,  deviendront 
humbles,  car  d^ns  ces  jours  d'angoisse  et  de  trouble  leur  âme 
ne  sera  point  sauvée  et  ils  deviendront  les  sujets  de  ceux  que 
j'aurai  choisis  ;  je  les  jeterai  au  feu  comme  une  paille  et  dans 
l'eau  comme  du  plomb.  Ainsi  brûleront-iis  en  présence  des 
justes,  ainsi  s'abîmeront-ils  en  présence  des  saints:  mais  au 
jour  de  leur  trouble  le  monde  obtiendra  ia  tranquillité.  Ils  tom- 
beront (n  la  présence  du  Seigneur,  et  ne  se  relèveront  plus; 
il  n'y  aura  personne  pour  les  arracher  de  leurs  mains  et  pour  les 
enlever  ,  car  ils  ont  nié  le  Seigneur  des  Esprits  et  sou  Messie. 
Le  nom  du  Seigneur  sera  béni. 

Chapitre  xlviu  bis.  »  Sa  sagesse  se  répand  comme  l'onde  et  la 
gloire  ne  tombe  point  devant  lui,  car  il  est  puissant  dans  tous 
les  secrets  de  droiture;  mais  l'iniquité  passe  comme  une  ombre 
et  ne  possède  aucun  séjour  fixe  :  car  l'Elu  se  tient  devant  le 
Seigneur  des  Esprits  ,  et  sa  gloire  est  éternelle,  et  son  pouvoir 
dure  de  génération  en  génération.  Avec  lui  demeure  l'esprit  de 
la  sagesse  intellectuelle,  l'esprit  d'instruciiou  et  de  puissance 
et  l'esprit  de  ceux  qui  dorment  dans  la  justice. 

Le  XLix' CHAPITRE  contient  quelques  détails  sur  le  sort  des  bons 
et  des  méchans  ;  le  chapitre  i,'  n'est  que  la  suite  de  ces  mêmes 
détails;  au  chapitre  li'  le  prophète  revient  sur  les  secrets  des 
cieux  et  de  ia  terre  ;  il  y  ajoute  cette  curieuse  particularité  que 
nous  notons  avec  d'autant  plus  de  soin  qu'elle  a  des  rapports 
frappans  avec  le  mont  Mérou  des  Indiens  >. 

»  Je  vis,  dit-il,  une  montagne  de  1er,  une  monîague  de  cuivre 
et  une  montagne  d'or,  une  montagne  de  métal  fluide  et  une  mou- 

»  Cependant  il  faut  se  garder  de  croire  que  ces  montagnes  soient  la 
même  chose  que  le  Méiou.  Toute  la  resscmblauce  <juil  y  a  ,  c'est  que  le 
Me'rou  a  quatre  côtés  qui  sont,  Tua  de  fer,  l'autre  de  cuivre,  l'autre 
d'argent  et  l'autre  d'or  :  mais  tous  ces  métaux  ne  sont  (jue  les  côtés  d'une 
même  monlagne,  ils  forment  ici  autant  de  montagnes  diverses. 


382  LE   LIVRE    DE    LA   VISION   d'eNOCH. 

tagne  de  plomb.  Et  je  demandai  à  l'ange  qui  m'accompagnait, 
quelles  sont  ces  choses  que  je  vois  en  secret?  Il  dit  :  Ch.  li. 
«Toutes  ces  choses  que  tu  vois  sont  pour  la  domination  du  Mes- 
»  sic,  afin  qu'il  puisse  commander  et  se  montrer  puissant  sur  la 
»  terre.  »  Et  cet  Ange  de  paix  me  répondit  disant  :  «  Attends  un 
«instant  et  tu  comprendras  ,  et  toutes  ces  cîioses  secrètes  qu'a 
«décrétées  le  Seigneur  des  esprits  te  seront  révélées.  Ces  monta- 
Bgnes  que  lu  as  vues,  cetle  montagne  de  fer,  cette  montagne  de 
«cuivre,  cette  montagne  d'argent,  cette  montagne  d'or,  cette 
«montagne  de  métal  fluide  et  cette  montagne  de  plomb,  toutes 
»ces  montagnes  seront  en  face  de  l'Elu,  comme  un  rayon  de  cire 
«devant  le  feu  ;  et.  comme  l'eau  qui  descend  d'en  haut  sur  ces 
«montagnes,  elles  s'abaisseront  devant  ses  pieds.  En  ces  jours, 
«les hommes  ne  pourront  être  sauvés  ni  par  l'or,  ni  par  l'argent; 
«ilsn'auront  ni  fer  pour  la  guerre,  ni  une  cotte  de  mailles  pour 
«leur  poitrine.  Toutes  ces  choses  seront  rejetées  et  périront, 
«quand  l'Elu  paraîtra  en  présence  du  Seigneur  des  esprits,  » 

Chapitre  lu.  Ici  mes  yeux  virent  une  profonde  vallée  dont 
l'entrée  était  aride;  tous  ceux  qui  vivent  sur  la  terre,  sur  la 
mer  et  dans  les  îles  y  apporteront  des  dons,  des  présens,  des 
offrandes,  et  la  vallée  ne  sera  point  remplie.  Je  vis  les  anges  du 
châtiment  qui  y  demeuraient  et  préparaient  tous  les  instru- 
mens  de  Satan.  Alors  je  demandai  à  l'Ange  de  paix  qui  marchait 
avec  moi  pour  qui  étaient  préparés  ces  iustrumens?  Il  dit  :  «On 
«les  prépare  pour  les  rois  et  les  puissans  de  la  terre,  afin  qu'ils 
«puissent  périr  par  eux.  » 

CnAPiTBELiii.  Alors  je  me  tournai  d'im  autre  côté  de  la  terre, 
oii  je  vis  une  vallée  profonde  et  brûlante  de  feu.  Et  là  mes  yeux 
virent  les  inslrumens  qui  se  fabriquaient,  des  chaînes  de  fer 
sans  pesanteur.  Alors  je  ni'enquis  de  l'Ange  de  paix  qui  m'ac- 
compagnait pour  qui  étaient  ces  fers  et  ces  instrumens  prépa- 
rés? Il  répondit  :  a  C'est  pour  l'armée  d'Azazael,  afin  qu'elle  soit 
«livrée  et  condamnée  à  la  dernière  punition,  et  que  leurs  anges 
«puissent  être  écrasés  sous  des  monceaux  de  pierres,  comme  le 
»  Seigneur  des  Esprits  l'a  commandé.  M  ichacl  et  Gabriel, Raphaël 
»  et  Phanuel  verront  redoubler  leurs  forces  en  ce  jour,  et  ils  jet- 
»  teront  tous  les  coupables  dans  une  fournaise  de  feu,  afin  que  le 
«Seigneur  des  Esprits  soil  vengé  de  leurs  crimes,  parce  qu'ils 


LE  LIVRE   DE   LA   VISION   D'eNOCH.  383 

•  filaient  devenus  les  ministres  de  Satan  et  avaient  séduit  les 
■  habif  ans  de  la  terre. 

i»En  ces  jours,  le  châtiment  sortira  du  Seigneur  des  Esprits,  et 
»  les  réceptacles  des  eaux  qui  sont  au-dessus  des  cieux  seront  ou- 
i  verts,  ainsi  que  les  lontaines  qui  sont  sous  les  cieux  et  sous  la 
»terrc<  Toutes  les  eaux  qui  sont  dans  les  cieux  et  au-dessus  se 
«mêleront  onsembie.  L'eau  qui  est  au-dessus  des  cieux  sera  Ta- 
Bgent  ou  le  uiàle,  celle  qui  est  sous  la  terre  sera  la  femelle  ou  le 
«récipient  ;  et  tous  ceux  qui  demeurent  sur  la  terre  et  sous  les 

•  extrémités  des  cieux  seront  détruits.  Par  ce  moyen  ,  ils  com- 
»  prendront  l'iniquité  qu'ils  ont  commise  sur  la  terre;  et,  par 
»ce  moyen,  ils  périront. 

Chapitre  liv.  Après  cela,  l'Ar.cien  des  jours  se  repentit  et  dit  : 
«En  vain  ai-je  détruit  les  habilans  de  la  terre;  »et  il  jura  par  son 
grand  nom,  disant  :  «  Dorénavant  je  n'agirai  plus  ainsi  avec  tous 
»ceux  qui  habitent  sur  la  terre  ;  mais  je  placerai  un  signe  dans 
»les  cieux,  et  il  sera  pour  toujours  un  fidèle  témoin  entre  eux  et 

•  moi,  aussi  long-tems  que  dureront  les  jours  du  ciel  et  de  la 
pierre  '.  » 

Dans  le  Chapitre  lv^,  il  parle  des  chariots  remplis  d'hommes 
qui  viennent  à  grand  bnsit  des  quatre  points  cardinaux. 

Sectiok  neuvième.  Chapitre  lvi.  Ici  commence  la  troisième 
parabole,  concernant  les  saints  et  les  élus. 

dLcs  saints  vivront  dans  la  lumière  du  soleil,  et  les  élus  dans 
la  lumière  d'une  vie  éternelle,  vie  dont  les  jours  ne  fmissent 
jamais.  Ainsi,  les  ténèbres  étant  détruites  et  le  jour  brillant  tou- 
jours, les  saints  n'auront  pas  à  compter  le  tems,  et  la  lumière 
ira  toujours  croissant  devant  le  6'eigneur. 

Dans  le  Chapitre  lvu  ,  le  Proplièle  revient  sur  les  secrets  de 
la  foudre  ,  dont  il  nous  a  déjà  parlé.  Dans  le  Chapitre  lviii,  il 
parie  de  la  force  ,  de  l'esprit  des  élémens  et  <ies  divers  météores. 
Dans  le  lix%  il  peint  un  ébranlement  si  grand  dans  le  ci^l  et 
une  si  grande  agitation  parmi  les  anges,  qu'il  en  tomba  lui- 
même  sur  la  face.  Dans  le  lx%  il  voit  les  anges  armés  de  longues 

'  Il  est  supertlti,  je  pense, de  faire  ressortir  lasimilitude  qui  existe  entre 
ce  passage  et  celui  du  is*  ch  \.  1 3  de  la  Genèse  ,  où  Dieu  dit  :  je  placerai 
mon  aie  dans  les  nues. 


S8i  LE   LIVRE   DE    LA   VISION    d'bNOCH. 

cordes,  et  s'envolant  vers  le  nord  pour  mesurer  la  terre.  Dans 
le  1X1%  il  fait  entendre  les  menaces  et  fait  le  tableau  de  la  gloire 
des  justes.  Dans  le  lxii*,  les  menaces  contre  les  rois  continuent. 
Dans  les  aulres,  il  n'y  a  rien  de  frappant  ;  et ,  dans  le  lxviii%  il 
parle  d'inventions  diverses,  mais  d'une  manière  vague  et  qui 
n'apprend  rien.  Dans  la  Section  xu  ,  Chapitre  lxix,  il  nous  peint 
son  enlèvement  de  la  terre  ,  parmi  les  anges  et  au  ciel  des 
cieux.  Après  cela  il  prédit  l'arrivt^e  future  du  Messie  : 

«Le  nom  du  Fils  de  l'homme  vivant  avec  le  Seigneur  des  Es- 
prls  fut  exalté  par  les  hahitans  de  la  terre  :  il  fut  exalté  dans 
les  chariots  de  l'Esprit  et  ce  nom  vint  au  milieu  d'eux  (  des 
hommes  )  ;  mais  moi  depuis  ce  tems  je  ne  fus  plus  au  milieu 
d'eux,  je  fus  assis  au  milieu  de  deux  esprits  ,  entre  le  septen- 
trion et  l'occident  '  où  les  anges  recevaient  leurs  mesures  pour 
mesurer  une  place  pour  moi ,  pour  les  élus  et  pour  les  justes. 
Là,  je  vis  les  pères  des  premiers  hommes  et  les  saints  qui  de- 
meurent pour  toujours  en  ces  lieux. 

Cha PITRE  Lxx.i»  Après  cela  montant  dans  les  cieux, mon  esprit 
fut  caché,  je  vis  les  fds  des  saints  anges  marchant  sur  un  feu 
flamboyant  ,  dont  les  vètemens  et  la  robe  étaient  blancs  ,  et 
dont  le  corps  était  transparent  comme  du  cristal.  Je  vis  deux 

»  Voilà  encore  un  trait  qui  a  du  rapport  avec  la  doctrine  indienne. 
Dans  l'Inde  aussi,  comme  on  le  ^erra  dans  le  3*  volume  de  V histoire  et 
tableau  physiques  de  C  Univers,  à  l'article  des  Pouranas ,  on  place  toujours 
le  sie'ge  de  la  Divinité  sur  la  grande  montagne,  le  Mérou,  du  côté  du 
Nord.  Nous  y  verrons  que  le  prophète  Daniel  connaissait  aussi  celte  don. 
née  et  y  fait  aussi  allusion  en  parlant  de  la  montagne  du  Seigneur.  C'é- 
tait aussi  dans  le  Nord,  c'était  entre  le  nord  et  Vouest,  c'était  auprès  de 
l'Etoile  polaire,  c'était  dans  la  constellation  de  la  grande  ourse  (qu'à 
causedeses  septctoiles  dont  chacune  représentait  pour  eux,  des  patriarches 
ou  Ricins,  ilsappelaicnt  iaiseptarcliie),  quelesHindousplaçaientlesPèrcsdu 
genre  humain  qui  étaient  les  richis  eux-mêmes,  jadis  vivant  sur  la  terre, 
maintenant  contemplateurs  silencieux  et  brillant  dans  le  ciel  aux  pieds 
du  trône  du  grand  Dieu ,  mais  n'étant  pas  encore  indifférens  aux  choses 
de  la  terre  peuplée  par  leurs  entans;  et  y  cxtrrant  même  encore  une 
direction  on  du  moins  une  influence  puissante.  C'est  pour  cela  que  dans 
;eur  conversation  et  dans  leurs  livres,  les  Brahmanes  vous  disent  sans 
cesse  qu'ils  viennent  du  Nord. 


I.E   LIVnE  DE   LA   VISION   i>*ÉNor.n.  385 

rivières  de  feux  brillantes  eommc  riij'acinllic;  alors  je  tombai 
sur  la  face  devant  le  Seigneur  des  rsprils,  et  Micliaël,  l'un  des 
Archange,*;,  me  prit  par  la  maiu  droite,  me  releva,  et  me  trans- 
porta où  «e  trouvaient  tous  les  secrets  de  la  miséricorde  et  de 
la  justice  ;  il  me  montra  toutes  les  choses  cachées  des  extrémités 
du  ciel,  tous  les  réceptacles  des  étoiles,  toutes  leurs  splendeurs, 
et  d'où  elles  venaient  devant  la  face  du  Saint.  Et  il  cacha  l'es- 
prit d'Enoch  lions  le  ciel  des  cieux.  lia,  je  vis  au  milieu  de  cette 
lumière  un  édifice  bâti  de  pierres  de  glace  ,  je  vis  vibrer  les  lan, 
gués  d'un  feu  vivani  ;  mon  esprit  vit  autour  de  cette  habitition 
flami)oyanle ,  et  à  l'une  de  ses  extrémités,  des  rivières  rem- 
plies d'un  feu  vivant  qui  l'entourait  ;  alors  les  séraphins,  les 
chérubins  et  les  ophanims  entourèrent  le  Seigneur:  ce  sont  eux 
qui  jamais  ne  dorment,  mais  qvii  veilleiu  nu  pied  de  sa  gloire  : 
et  je  vis  des  anges  innombrables  ,  des  mille  de  mille  ,  des  my- 
riades de  myriades  qui  entouraient  celte  habitation.  .Michael, 
Raphaël,  Cabriel.  l'hanuel  et  les  autres  anges  ([ui  étaient  dans 
les  cieux  supérieurs,  en  sorîaient  et  y  rentraient  sans  cesse  ;  avec 
eux  était  l'Ancien  des  jour-;  dont  la  tète  élnit  blanche  et  pure 
comme  de  la  laine  :  sa  robeéiait  iudescrîplil»le.  Alors  tombant 
sur  la  face,  je  sentisse  dissoudre  mon  eorji'^  et  se  changer  mon 
esprit  ;  je  m'écriai  d'une  voix  haute  et  d'une  intention  pui.ssante: 
bénédiction,  gloire  et  louange.  Ces  bénédictions  qui  sortaient  de 
ma  bouche  furent  agréés  de  l'Ancien  des  jours.  11  vint  à  moi 
avec  un  de  ses  anges,  et  un  de  ses  anges  me  dit  :  «  tu  es  de  la  race 
«des  hommes,  tu  es  né  pour  la  justice  et  la  justice  s'est  repo'^ée 
»en  toi;  la  justice  de  l'Ancien  des  jours  ne  t'oubliera  point.  » 

Les  sections  i5,  i4«  '5,  ou  du  moins  ime  partie  de  celte  der- 
nière jusqu'à  la  fin  du  chapitre,  coiitiennenl  : 

Un  traité  de  la  marche  du  .soleil  et  de  la  lune,  de  la  division 
du  tems  en  années,  en  mois  et  en  jours  :  il  contient  aussi  un 
traité  sur  la  lumière  du  soleil  et  de  la  lune,  traité  rempli  d'ab- 
snrdiiés,  et  de  la  plus  grossière  ignorance,  selon  M.  de  Sacy. 
Nous  croyons  M.  de  Sacy  trop  sévère  en  ce  point  :  ce  traité 
commence  ainsi  : 

«Le livre  des  révolutions  des  luminaires  suivant  leurs  diverses 
classes,  leurs  pouvoirs  respectifs,  leurs  périodes,  leur  nom, 
les  places  où  ils  coramenoent  leur  cours,  toutes  clioses  que  m'a 

TOMB  XYII  N"   102.    l83Ô.  2-- 


Î86  LE    LIVBE    DE    LA    VISION    î>'e?îOCH. 

expliquées  Uricl  le  saint  ange  qui  les  conduit  ^  et  qui  était  avec 
moi  ;  exposition  complète  de  tout  ce  qui  les  conrerne  confor- 
mément à  chaque  année  du  monde  et  pour  toujours  jusqu'à  ce 

que  sait   effectué  un    nouvel   ouvrage  qui  sera  éternel  ' 

('/est  le  vent  qui  pou?5sc  le  char  du  soleil  où  il  monte.  Le  soleil 
se  couche  dans  les  cieiix  et  il  retourne  à  l'ouest  parle  nord  *.  Le 
prophète  montre  ensuite  le  passage  du  soleil  par  chacun  des 
signes  du  zodiafjue  qu'il  appelle  des  portes.  Ce  qui  est  dit  dans 
Te  traité  relativement  au  plus  court  et  au  plus  long  jour  de 
l'année,  a  servi  à  M.  Laurence pourindiquerapproximativement 
à  quelle  latitude  vivait  l'auteur  de  ce  livre.  Quelques  assertions 
singulières  qui  méritaient  peut-être  un  examen  plus  sérieux,  dit 
M.  de  Sacy,-  m'ont  frappé.  Je  ne  citerai  que  ce  passage  duquel 
il  résulte  qpe  l'auteur  fait  l'année  solaire  de  564  jours,  et  qu'il 
semble  connaître  des  périodes  de  5,  de  5  et  de  8  ans. 

8  La  lune,  dit-il,  ramène  toutes  les  années  exactement,  en 
sorte  que  leur  station  n'avance  ni  ne  retarde  d'un  seul  jour, 
mais  que  le  changement  d'année  a  lieu  avec  une  exacte  pré- 
cision en  564  jours.  En  trois  ans  il  y  a  1092  jours,  en  cinq  ans, 
1820  jours;  et  en  huit  ans  2,912  jours;  en  cinq  ans  elle  a  cin- 
quante jours  de  moins  que  le  soleil,  car  en  ajoutant  aux  1062 
jours  (ceux  de  deux  années)  cela  fait  en  cinq  ans  1770  jours; 
les  jours  de  la  lune  en  huit  ans  montent  à  2852  jours,  car  en 
huit  ans  elle  a  quatre-vingts  jours  de  moins  que  le  soleil, 
et  ces  quatre-vingts  jours  sont  la  quantité  dont  les  années 
de  la  lune  sont  diminuées  en  huit  ans.  Alors  l'année  de- 
vient vraiment  complète  conformément  à  la  station  des  lunes 
et  à  la  station  du  soleil  qui  se  lève  dans  les  différentes  portes 
du  ciel,  qui  s'y  lève  et  s'y  couche  pendant  trente  jours  :  ce 
sont  là  les  conducteurs  des  chefs  de  mille  qui  président  à 
toutes  les  choses  créées  et  à  toutes  les  étoiles,  avec  les  quatre 
jours  qui  sont  ajoutés  et  ne  quittent  jamais  la  place  qui  leur 
est  assignée  conformément  à  la  supputation  complète  de  l'an- 
née. Ces  quatre-là  servent  quatre  jours  qui  ne  sont  point  com- 
pris dans  la  supputation  de  l'année.  » 

Au  milieu  de  tout  ce  verbiage  ,  ajoute  M.  de  Sacy ,  on  voit 

»  Until  a  new  work  shall  bc  eCFected ,  wich  will  be  «ternal. 
^  Telle  est  aussi  la  marche  du  soleil  selon  les  Hindous. 


LE   LIVRE   DE    LA   VISION   I>'eNOCW.  387 

que  l'auleur  ne  compte  que  dix  jours  i)leîns  cl  sans  aucune  frac- 
tion pour  l'excès  de  l'année  solaire  sur  l'année  lunaire,  qu'il 
fait  tous  les  mois  de  l'année  solaire  de  trente  jours,  et  qu'aux 
douze  mois  de  trente  jours  il  ajoute  quatre  jours  complémen- 
taires, qui,  dans  son  système,  paraissent  être  ceux  des  équi- 
noxes  et  des  solstices.  Je  ne  sais,  en  réfléchissant  sur  de  pareilles 
absurdités,  si  on  ne  sera  pas  porté  à  penser  que  ce  qu'il  dit  de  la 
durée  du  jour  le  plus  long  et  du  jour  le  plus  court  de  l'année, 
ne  peut  guère  servir  d'argument  pour  reconnaître  approxima- 
tivement, comme  l'a  fait  M.  Laurence,  la  contrée  où  ce  livre  a 
été  écrit;  et  ce  qui  détruit  encore,  ce  me  seiuhle ,  la  confiance 
que  l'on  pourrait  mettre  dans  cette  donnée,  c'est  que  l'auteur 
suppose  que  les  jours  et  les  nuits  croissent  ou  décroissent  pen- 
dant chaque  mois  solaire  d'une  dix-huitième  partie,  précisé- 
ment de  vingt-quatre  heures.  Je  ne  vois  qu'un  seul  moyen  de 
pallier  toutes  ces  absurdités;  c'est  de  supposer  que  l'auteur  ex- 
pose un  système  purement  imaginaire,  qui  a  dû  exister  avant 
q\ie  l'ordre  de  la  nature  eût  été  altéré  à  répcquc  du  déluge 
universel.  On  pourrait  fonder  cette  conjecture  sur  le  chapitre 
79  ,  dans  lequel  l'ange  Uriel  dit  à  Enocli  : 

«Je  t'ai ,  ô  Enocli  ,  montré  et  révélé  toutes  choses;  tu  as  vu 
le  soleil ,  la  lune,  et  ceux  qui  conduisent  les  astres  du  ciel, 
et  qui  causent  le  retour  périodique  de  toutes  leurs  opérations, 
des  saisons  et  de  leur  arrivée.  Dans  les  jours  des  pi-chcurs  les 
années  seront  raccourcies  ',  la  lune  changera  ses  lois  et  ne  se 
montrera  pas  à  l'époque  convenable.  »  Je  dois  avouer  cependant 
que  cette  solution  me  paraît  plus  ingénieuse  que  solide,  et  je 
reviens  à  l'analyse  du  livre  d'Enoch,  à  ces  condudeurs  des  jours 
et  des  nuits  ,  à  la  lune  et  au  soleil ,  à  tous  les  ministres  du  ciel 
qui  font  leurs  circuits  avec  les  charriots  du  ciel,  que  l'ange 
Uriel  montra  à  notre  prophète. 

Ainsi  continue  Enoch  :  «  Uriel  me  montra  douze  portes  ou- 
vertes pour  la  circulation  du  sol,  il  dans  les  cieux  ,  par  où  sor- 
taient les  rayons  du  soleil.  C'est  de  ces  portes  que  vient  la 

'  Il  faut  bien  remarquer  ce  passage  :  les  années  ont  été  raccourcie»  en 
effet,  le  malheur  est  qu'on  n'en  sache  pas  la  proportion.  (3n  serait  tenté 
de  croire  qu'elle  est  immense,  comme  on  pourra  le  voir  plvis  bas  à  pro- 
pos de  la  naissance  de  Noé. 


388  LE    LIVRE   DE    LA    VISION    D*ENOCH. 

chaleur  sur  la  terre  ,  quand  elles  sont  ouvertes  dans  leurs  sai- 
sons respectives;  elles  sont  pour  les  vents  et  l'esprit  de  la  ro- 
sée lorsque  dans  leur  saison  elles  sont  ouvertes  dans  les  cieux 
à  ses  extrémités.  Je  vis  donc  douze  portes  dans  le  ciel ,  vers  les 
extrémités  de  la  terre,  à  travers  lesquelles  le  soleil,  la  lune,  les 
étoiles,  et  tous  les  ouvrages  du  ciel  pa>!sent  à  leur  lever  et  à 
leur  coucher.  A  une  certaine  saison,  l'une  de  ces  fenêtres  de- 
vient extrêmement  cliaude.  Telles  aussi  sont  les  portes  d'où 
les  étoiles  sortent  selon  l'ordre  qu'elles  reçoivent ,  et  dans  les- 
quelles elles  so  couchent  selon  leur  nombre.  Je  vis  aussi  les 
chariots  du  ciel  roulant  sur  le  monde  au-dessus  des  portes 
sous  lesquelles  tournent  les  étoiles  qui  ne  se  couchent  jamais. 
Une  d'elles  est  plus  grande  que  toutes  les  autres,  et  die  tourne 
autour  du  monde  entier. 

StCTiON  15%  CHAPITRE  LXKv%  »  Et  à  l'cxtrémité  de  la  terre,  je 
vis  douze  portes  ouvertes  pour  tous  les  vents  qui  sortent  de  là 
pour  souiller  sur  la  terre.  Trois  de  ces  portes  sont  ouvertes  au 
fond  du  ciel ,  trois  dans  l'ouest,  trois  à  la  droite,  trois  à  la 
gauche  du  ciel.  Les  trois  premières  sont  celles  qui  sont  vers 
l'est,  il  en  est  trois  aussi  vers  le  nord,  il  en  est  trois  qui  sont 
sur  la  gauche  vers  le  sud  et  trois  dans  l'ouest.  De  quatre  d'en- 
tr'cUes  sortent  les  vents  de  bénédictions  et  de  santé;  des  huit 
autres  procèdent  les  vents  de  punition  quand  ils  sont  envoyés 
pour  détruire  la  terre  et  le  ciel  qui  est  au-dessus  d'elle,  tous 
ses  habitans  et  tout  ce  qui  vit  dans  les  eaux  ou  sur  la  terre 
sèche. 

»  Le  premier  de  ces  vents  vient  de  la  porte  appelée  Voricntate, 
à  travers  la  première  porte  qui  est  dans  l'est  et  qui  incline  vers 
le  sud  ;  de  cette  porte  sort  la  destiuctiou,  la  sécheresse,  la  cha- 
leur et  la  perdition.  De  la  seconde  porte,  de  celle  du  milieu 
procède  l'équité;  de  cette  porte  sortent  là  pluie,  l'abondance, 
la  santé  et  la  rosée  ;  et  de  la  troisième  porte  vers  le  nord  sortent 
le  froid  et  la  sécheresse.  Après  cela  viennent  les  vents  du  sud  à 
travers  les  trois  principales  portes;  à  travers  la  première  de 
ces  portes  tournée  au  sud,  passe  un  vent  chaud;  mais  de  la 
porte  du  milieu  sort  une  odeur  agréable,  la  rosée,  la  pluie,  la 
santé  et  la  vie.  De  la  troisième  porte  regardan  t  vers  le  sud  , 
sortent  la  rosée,  la  pluie,  la  bénédiction  et  la  destruction.  Après 


LE    LIVUK    HK    LA    VIStON    d'kNOCW.  389 

cela  viennent  les  vents  du  nord  que  l'on  appelle  la  mer;  ils 
sortent  de  trois  portes  :  la  première  est  celle  qui  est  à  l'est , 
inclinant  ou  regardant  vers  le  sud;  de  celte  porte  sortent  la 
rosée  et  la  pluie,  la  bénédidion  et  la  destruction,  de.  (]e  que 
l'avais  à  dire  sur  les  douze  portes  du  ciel  est  fini;  je  t'en  ex- 
plique les  usages  et  les  lois,  6  mon  fils  Mathusala  ! 

CuAPiTBB  Lxxvi.  Lc  prcmicr  vent  est  appelé  Voriental ,  parce 
qu'il  est  le  premier;  le  second  est  appelé  le  méridional  parce 
qu'il  est  très-haut,  et  y  descend  fréquemment,  Vocciclenial  a  le 
nom  de  diminution,  parce  que  c'est  à  l'occident  que  diminuent, 
descendent  et  disparaissent  tous  les  luminaires;  le  quatrième 
vent  qui  est  appelé  le  nord,  est  divisé  en  trois  parties  dont  une 
est  pour  riialjitalion  de  l'iiomme  ,  l'autre  pour  les  mers,  les 
vallées,  les  bois  ,  les  rivières,  les  lieux  ombragés  et  la  neige; 
la  troisième  partie  contient  le  paradis.  Je  vis  sept  hautes  mon- 
tagnes ,  plus  hautes  que  toutes  les  montagnes  de  la  terre  d'où 
vietit  la  gelée  ,  tandis  que  les  années  passent  et  s'en  vont.  Je  vis 
sept  fleuves  plus  grands  que  tous  les  fleuves,  dont  l'un  prend 
sa  course  de  l'ouest  :  ses  eaux  débouchent  dans  une  grande 
mer.  Deux  autres  viennent  du  nord  vers  la  mer,  leurs  eaux 
marchant  à  l'est  vers  la  mer  Erythrée  :  quant  aux  quatre  autres 
deux  se  déchargent  encore  dans  la  mer  Krythrée,  et  deux  au- 
tres dans  nue  grande  mer  ,  où,  dit-on,  il  y  a  un  désert.  Je  vis 
avissi  sept  grandes  îles  sur  la  mer  et  sur  la  terre,  et  sept  dans  la 
grande  mer  '. 

Dans  le  Lxxvii' chapitre,  viennent  les  noms  divers  du  soleil  et 
delà  lune.  Pendant  son  déclin,  nous  dit-il, la  lumière  delalune 
diminue  le  premier  joiu-  d'un  quatorzième;  le  second  d'un  trei- 
zième ;  le  troisième  d'un  douzième  ;  le  quatrième  d'un  onzième; 
le  cinquième  d'un  dixième;  le  sixième  d'un  neuvième  ;  le  sep- 
tième d'un  huitième  ;  le  huitième  d'un  septièmes  ;  le  neuvième 
d'un  sixième  ;  le  dixième  d'un  cinquième  ,  le  onzième  d'un 
q«art;  le  douzième  d'un  tiers;  le  treizième  d'un  second  tiers  ; 
le  quatorzième  de  la  septième  partie  ;  et  le  quinzième  tout  ce 
qui  reste  de  lumière  est  consommé. 

Dans  le  lxxvih'  chapitre  viennent  quelques  observations  que 
continue  le  Lxxix''sur  cet  exposé  du  système  du  monde.  Ce  sont 

1  Les  Hindous  partagent  aussi  l*  globe  en  sejil  iie*  ou  douipas. 


390  LE    LIVRE    DE    LA    VISION    D'iilHOCH. 

ensuite  des  considérations  morales  et  des  menaces  contre  les 
médians. 

Dans  le  lxxx*  chapitre,  l'ange  dit  à  Enock:  regarde  dansle  livre 
qne  le  ciel  fait  descendre  comme  une  pluie  sur  les  yeux;  j'y  re- 
gardai, je  connus  tout, toutes  les  œuvres  de  l'homme, et  rendis 
grâce  au  Seigneur  des  mondes.  Le  même  sujet  continue  jusqu'à 
la  section  16',  chapitre  txxxii'. 

Là,  Enoch  raconte  à  son  fils  Maihusala  une  vision  puissanle 
qu'il  eut  pendant  un  songe,  vision  où  il  vit  le  ciel  se  découvrir 
et  se  déchirer  comme  une  tente  qu'on  emporte  :  la  terre  absor- 
bée par  un  grand  abîme  ,  et  des  montagnes  suspendues  sur  des 
montagnes,  des  collines  s'écroulaient  sur  des  colh'nes,  de  hauts 
arbres  étaien'4  rasés  à  leiu-  tronc,  ils  tombaient  ou  étaient  lancés 
dans  l'abîme.  Lorsque  je  sortis  de  la  prière  qui  suivit  mon  rêve 
et  que  je  regardai  au  ciel,  je  vis  le  soleil  monter  dans  l'orient, 
la  lune  descendre  dans  l'occident  ,  quelques  étoiles  éparses,  et 
toutes  les  choses  que  Dieu  connaît  depuis  le  commencement: 
alors  je  bénis  le  Seigneur  parce  qu'il  a  envoyé  le  soleil  des  cham- 
bres de  l'orient,  le  soleil  qui  s'éJovant  et  montant  en  face  du  ciel, 
s'élance  au-dessus  et  poursuit  la  course  qui  lui  a  été  marquée. 
Ce  Lxxxni*  chapitre  n'est  guère  qu'une  prière  et  quelques  ma- 
lédictions. 

Dans  les  lxxxiv — lxxxviii'  chapitres,  Enoch  rend  compte  d'un 
nouveau  songe,  où  lui  apparaît  d'abord  une  vache  et  ensuite 
plusieurs  animaux  divers.  C'est,  dit-on,  l'hisloirecmblématique 
du  monde,  depuis  Caïn  jusqu'à  Hérode. 

Le  xc'chapifre  renferme  les  conseils  du  prophète  à  sesenfnns. 

La  19"  et  dernière  section,  chapitre  xci" ,  commence  ainsi  ^ 

«Voici  ce  qui  a  été  écrit  par  Enoch  ».  Et  après  «5uel((ues  ob- 
servations viennent  ces  mots  :  «  après  cela  ,  Enoch  lisant  dans, 
lui  livre  commença  à  |)arler  ainsi  ». 

Il  est  remar<piable  que  dans  ce  morceau  qui  est  une  ju-édic- 
lion  abrégée  de  tt»is!  ce  qui  doit  arriver  depuis  En«)ch  jusqu'à 
la  fin  du  monde  et  rétablissement  du  règne  parfait  de  la  justice^ 
toute  la  durée  «les  lims  est  divisée  en  semaines,  ce  qui ,  selon 
M.  de  Sacy,  est  incontestablement  imité  de  Daniel  ,  sans  que 
l'on  doive  supposer  |»our cela, avec  M.  Laurence, que  rauteur,en 
divisant  toute  la  durée  des  tems  en  semaines,  ait  entendu  par 
là  des  périodes  de  sept  cents  anS;,  ou  en  géuéral  des  périodes 


LE    L1VK£    DE    LA    VISION    d'eNOCH.  S91 

"égales  entre  elles,  et  d'une  longueur  déterminée.  Mais  je  ne 
vois  pas  ,  quant  à  moi ,  que  la  division  des  teni^n  en  semaines , 
soit  une  preuve  de  rimitation  de  Daniel  :  c'en  est  une  probabi- 
lité, il  est  vrai  ,  mais  non  une  preuve  pi>sîlive;  car  Daniel  ne 
doit  point  être  l'inventeur  de  cette  manière  de  com{>ter;  elle 
existaitâvant  lui.  puisqu'il  l'a  emplnyée  et  s'est  fait  comprendre. 
Et  pourquoi  donc  Enocli  n'aurait-il  pas  pu  s'en  servir  aussi 
auparavant  ?  et  pourcjuoi  ne  pourrait-un  pas  dire  que  c'est 
Daniel  qui  a  imité  ^noeli,  tout  aussi  bien  que  c'est  Enoch  qui 
a  imité  Daniel  ? 

Enoch  dit  dans  ce  clia|)itrc,  qu'il  est  né  le  septième  jour  de 
la  première  semaine  ;  le  déluge  arrivera  dans  la  seconde  se- 
maine, l'élection  d'Abraham  dans  la  troisième.  La  deslruclioH 
du  temple  et  la  captivité  de  Babjlone  aj)partiennent  à  la  sixième; 
la  destruction  de  toute  iniquité  et  le  rèi^ne  de  la  justice  sont  les 
caractères  de  la  neuvième;  et  le  jugement  général  suivi  de  l'ap- 
parition d'un  ciel  nouveau  ,  est  fixé  an  septième  jour  de  la  di- 
xième semaine.  Voici  le  texte  d'un  des  passages  de  ce  chapitre  : 
«Après  cela  dans  la  sepliènie  semaine,  il  s'élèvera  une  généra- 
tion perverse,  ses  œuvres  seront  en  grand  nombre,  et  toutes 
ses  œuvres  seront  perverses.  Durant  la  fin  de  cette  semaine,  l'Elu, 
le  Juste  choisi  de  l^i  plante  de  l'éternelle  justice,  sera  récom- 
pensé et  il  leur  sera  donné  une  septuple  instruction  concernant 
les  parties  de  la  création.  Ensuite  il  y  aura  une  autre  semaine, 
la  huitième  semaine  de  justice,  à  laquelle  sera  donné  le  glaive 
pour  exécuter  le  jugement  et  la  justice  ,  contre  tous  les  oppres- 
seurs. Les  pécheurs  seront  livrés  entre  les  mains  des  justes,  qui 
pendant  la  fin  de  celte  semaine ,  acquerront  des  habitations 
par  un  eliet  de  leur  justice,  et  la  maison  du  grand  roi  sera 
construite  et  élevée  poin-  toujours.  » 

Ou  je  me  trompe  bien  ,  dit  i>l.  de  Sacy,  ou  cette  génération 
perverse  ce  sont  les  Juifs.  L'Elu ,  le  rejeton  de  la  tige  de  l'éter- 
nelle justice,  est  Jésus-Christ,  récompensé  par  sa  résurrection 
et  sa  glorification,  de  ses  souflrances  et  de  sa  mort.  Le  glaive 
indique  la  destruction  de  Jérusalem  et  la  venseance  divine 
exercée  sur  la  nation  juive.  Enfin  l'Église  chiéticnne  est  la 
maison  du  grand  Roi  élevée  pour  ilurer  éternellement.  Si  l'on 
n'admettait  pas  cette  explication  ,  l'iilu  pourrait  être  Judas 
Macliabée,  et  la  maison  du  grand   i;oi   le   dernier   temide   ic- 


392  LE    LIVRE    DE    LA    VISION    c'tîKXlH. 

construit  par  Hérode-le-Grand.  Pour  moi  J'avoue  que  la  pre- 
mière explication  me  plaît  d'avantage.  Voici  comment  le  poète 
termine  ce  chapitre  remarquable. 

«  Après  cela,  après  le  septième  jour  de  la  septième  semaine 
il  y  aura  un  jugement  éternel  cpii  sera  exécuté  sur  les  vigilans, 
et  un  vaste  ciel  éternel  se  formera  au  milieu  des  Anges.  Le  ciel 
ancien  s'en  ira  et  dis()araîtra  :  un  ciel  nouveau  viendra  prendre 
sa  place,  et  toutes  les  puissances  célestes  brilleront  pour  jamais 
d'une  septuple  splendeur.  Après  cela  «ussi  il  y  aura  plusieurs 
semaines  qui  seront  éternelles  dons  la  droiture  et  dans  la 
bonté.  Jamais  même  un  seul  pécheur  n'y  sera  nommé.  Quel 
est  celui  des  enfans  des  hommes  qui  est  capable  d'entendre 
sans  émotion  la  voix  du  Très- Haut  ?  Qui  est  capable  de  sonder 
ses  f.ensées,  de  contempler  toutes  le.-»  œuvres  des  cieux  et  d'en 
comprendre  toutes  les  actions.  L'homme  peut  voir  le  mouve- 
ment et  la  vie  du  ciel;  mais  il  ne  peut  en  voir  l'esprit  ;  il  pourra 
en  converser  mais  non  y  monter.  Il  pourra  voir  tous  les  liens 
des  choses  et  méditer  sur  ces  liens,  mais  il  ne  pourra  rien  faire 
qui  leur  ressemble.  Datons  les  hommes,  lequel  est  capable  de 
comprendre  la  longueur  et  la  largeur  de  la  terrei*  Par  qui  a  été 
vue  la  dimension  de  toutes  les  choses  ?  Est-il  un  homme  qui 
soit  capable  de  comprendre  l'étendue  des  cieux  ?  Quelle  en  est 
l'élévation  et  quel  en  est  le  support?  Combien  est  grand  le 
nombre  des  étoiles,  et  quel  est  le  lieu  où  tous  les  luminaire» 
restent  en  repos  ?  » 

Si  M.  de  Sacy  a  vu  dans  le  calcul  des  teins  par  semaines  une 
imitation  de  Daniel ,  il  avirait  pu  voir  aussi  une  imitation  de 
Job  dans  ce  que  nous  venons  de  citer  :  c'est  ainsi,  en  effet, 
c'est  par  ces  mêmes  questions  sur  la  grandeur  de  la  terre  et  des 
cieux  que  Dieu  harcèle  l'homme  dans  le  poème  sublime  de  cet 
illustre  pénilent.  Quant  à  moi  qui  ne  suis  point  sûr  (|ue  Job  et 
Daniel  soient  plus  anciens  que  le  livre  d'Enoch ,  je  m'abstiens 
dédire quiaété  imitéou  aimité.Lneaulre  chcse  à  remar'|uer  ici 
c'est  que  ces  cieux  nouveaux  qui  apparaissent  si  brillans  après 
les  aniiqucs  cieux  effacés,  ont  le  plus  grand  rapport  avec  les 
idées  chrétiennes  et  même  avec  celles  des  Hindous  '  qui  pié- 

*  Nous  attendons ,  sclou  ses  [)roraesses ,  des  nouveaux  cieux  et  une  terre 
nouvelle,  où  habile  la  justice.  St.  Pierre,  ch.  iir,  v.  13.  \'oir  aussi  Isiûl', 
th.  Lxv,  v.  Î7,  et  /Ipoc  ,  ch.  xxi,  v,  1. 


LE    I.IVKE    DE    LA    VISION    D'UNOCH.  S9S 

tendent  que  lorsqu'un  ciel  et  un  monde  ont  lait  leur  leins, 
ces  cieux  et  ces  mondes  se  dissolvent  pour  faire  place  à  un 
autre  ciel  et  à  un  autre  monde  plus  brillans.  Les  dieux  ont  une 
fin  et  se  renouvellent  à  ces  grandes  ép0(jues  chez  les  Hindous, 
et  ici  nous  voyons  également  le»  pouvoirs  célestes  renouvelés 
briller  d'une  septuple  splendeur.  La  vache  joue  aust.i  vin  grand 
rôle  dans  les  mystères  et  la  foi  des  Hindous,  et  nous  la  voyous 
figurer  en  tête  du  principal  songe  d'Enoch  ,  de  sa  ijuissantt 
vinion  comme  il  le  dit  lui-même.  Cependant  je  dois  avertir  que 
la  vache  n'est  point  ici  posée  comme  elle  l'est  dans  les  écritures 
de  l'Inde  ;  il  est  vrai  aussi  que  les  di>;solutions  des  mondes  ou 
les  pralayas  sont  un  peu  autrement  décrites  ';  mais  s'il  y  a  des 
différences  il  y  a  aussi  des  ressemblances  assez  grandes  pour 
faire  voir  que  ces  idées  partent  d'un  même  fond,  et  que  ce  fond 
a  été  la  base  de  toutes  les  idées  humaines  et  des  systèmes  des 
doctrines  de  tous  les  peuples. 

Les  Chapitres  xcui  et  suivans  ,  jusqu'au  civ*  inclusivement, 
font  la  suite  de  ce  qu'Enoch  lit  dans  un  livre  ;  ce  sont  des 
exhortations  aux  justes  et  des  menaces  auxpécheurg  :  les  mêmes 
idées  y  reviennent  sans  cesse,  et  souvent  presque  dans  les  mê- 
mes termes. 

Le  Chapitre  cv  contient  le  récit  du  mariage  de  Lamech,  fils 
de  Mathusala,  de  la  naissance  de  Noé  et  des  prodiges  qui  l'ac- 
compagnèrent. Enoch,  consulté  par  Mathusala,  explique  ces 
prodiges,  ordonne  de  donner  à  l'enfant  le  nom  de  Noé,  et  prédit 
le  déluge  et  la  corruption  du  genre  hiunain,  qui  sera  encore 
plus  grande  après  le  déluge  qu'auparavant.  Citons  quelques 
passages  du  texte  de  ce  chapitre. 

a  JMon  fils  Mathusala,  dit  Enoch,  prit  une  femme  poiu'  son 
fils  Lamech;  elle  devint  grosse  et  fut  bientôt  mère  d'un  enfant 
dont  la  chair  était  blanche  comme  la  neige  ,  rouge  comme  la 
rose,  dont  la  chevelure  était  blanche  et  longue  comme  de  la 
laine,  et  dont  les  yeux  étaient  si  beaux  que ,  lorsqu'il  les  ouvrit , 
il  illumina  toute  la  maison  comme  le  soleil  :  toute  la  maison 
resplendit  de  lumière;  et,  quand  on  le  prit  des  bras  de  Tuc- 
coucheuse,  il  ouvrit  aussi  la  bouche  et  parla  au  Seigneur  de  la 

'  Voir  pour  ces  descriptions  et  pour  l'exposé  du  système  indien  d'après 
les  textes  originaux  et  les  livres  sanscrits,  les  2'  et  3c  \uliimes  de  Vhistotre 
el  tableau  pfijsirjius  de  CUiticcrs. 


194  LE    LIVRE    DE    LA    VISION   d'eNOCH. 

justice.  Alors  Lamech  son  père  fut  effrayé  de  cet  eufant  et, 
prenant  la  fuite,  s'en  vint  auprès  de  son  propre  père  Malhusala, 
et  îui  dit  :  «  J'ai  enj^endré  un  fils  qui  ne  ressemble  point  aux 
«autres  enfans.  Il  n'est  pas  humain  ;  il  ressemble  à  la  race  des 
«anges  du  ciel  ;  il  est  d'une  nature  diiférente  de  la  nôtre,  el  ne 
«nous  res.s:;mble  pas.  Ses  yeux  sont  brillans  comme  les  rayons 
«dusolejl  ;  son  extérieur  est  glorieux,  et  il  ne  semble  pas  être  de 
>rna  nature,  mais  de  celle  des  anges. ^J'en  suis  effrayé,  à  moins 
»que  quelque  chose  de  miraculeux  ne  soit  arrivé  en  ce  jour.  Et 
«maintenant,  mon  père,  je  vous  prie  d'aller  aussi  trouver  Enoch 
«votre  père,  et  de  lui  apprendre  ce  (jui  vient  d'arriver,  car  il  de- 
»  meure  avec  les  anges.  » — En  entendant  ces  paroles  de  son  fils, 
Malhusala  vint  à  moi,  Enoch,  aux  extrémités  de  la  terre  ;  car  il 
avait  été  informé  que  j'étais  là,  et  il  m'appela  en  criant.  J'enten- 
dis sa  voix  et  je  vins  à  lui,  disant  :  «Regarde,  mon  fils,  me  voici  ! 
«Pourquoi  es-tu  venu  vers  moi?» Il  réponditetdit  >C'està  cause 
«d'un  grand  événement ,  à  cause  d'un  prodige  difûcile  à  com- 
»  prendre  que  jesuis  venu  près  de  vous,  et  maintenant,  mon  père, 
»  écoutez-moi.  A  mon  fils  Lamech  est  né  un  fils  qui  ne  lui  res- 
«semble  pas,  et  dont  la  nature  n'est  point  comme  la  nature  ds 
«l'homme.  Il  est  d'une  couleur  plus  blanche  que  la  neige  et 
«plus  rouge  que  la  rose;  la  chevelure  de  sa  tête  est  plus  bianelM; 
»que  la  laine  blanche  ';  ses  yeux  sont  comme  les  rayons  du  so- 
«leil,  et,  quand  il  lésa  ouverts,  il  a  illuminé  toute  la  maison  ;  et 
»  même,  lorsqu'on  le  prit  des  mains  de  l'accoucheuse,  il  a  ouvei  t 
»la  bouche  et  béni  le  Seigneur  du  ciel  Son  père  Lamech  a  eu 
«peur  et  s'est  sauvé  près  de  moi,  croyant  que  son  fils  n'était 
«point  de  sa  nature,  mais  qu'il  ressemblait  aux  anges  des  cieux, 
«et  voici  que  je  suis  venu  près  de  vous,  afin  que  vous  me  puissiez 
«dire  la  vérité  sur  ceci.  » 

Alors  Enoch  répondit  et  dit:  «Le  Seigneur  fera  une  chose 
«nouvelle  sur  la  terre  ;  c'est  ce  que  j'ai  déjà  expliqué  et  vu  en 
«vision, je  l'ai  fait  voirdans  les  générations  de  Jared,  mon  père; 
«ceux  qui  étaient  des  cieux  méprisèrent  la  parole  du  Seigneur, 
«voilà  qu'ils  ont  commis  des  crimes,  oublié  leur  caste  et  se  sont 
«mêlés  aux  femmes  de»  hommes,  ont  péché  avec  elles,  se  sont 

'  Ce  passage  est  curieux  en  ce  qu'il  prouve  d'abonl  la  prcéminciicoquc 
U'I»  Aby&$inicus  nègres  accordent  à  la  race  de  coultur  blanche  ,  sentiment 


LB    MVRE    DE    LA    VISION    û'EÎ^OCn.  195 

»mariësavec  elles  et  en  ont  eu  des  enfans  '.Une  grande dcslruC' 
I)  lion  doit  donc  fondre  sur  la  terre;  un  déluge,  une  grande  des- 
«truction  aura  lieu  dans  un  an  *.  L'enfant  qui  vous  est  né  survivra 
•  sur  la  terre,  et  ses  Irois  fils  seront  sauvés  avec  lui;  quiud  tout 
»lc  genre  humain  qui  est  sur  la  terre  aura  péri,  lui  il  serasau» 
»  vé,  et  sa  postérité  engendrera  sur  la  terre  des  géans,  non  spi- 
sritiicls  mais  charnels.  Informe  donc  Laniech  maintenant  que 
»le  fils  qu'il  a  eu  est  bien  véritablement  son  fils;  il  l'appellera 
j)Noé,  car  il  vous  seraunsarruvinf  à  tous  ;  lui  et  ses  enfans  seront 
»  sauvés  de  la  corruption  qui  aura  lieu  dans  le  monde,  de  tous 
»les  péchés  et  de  toutes  les  iniquilés  qui  seront  consommés  du- 
»rant  sa  vie.  Après  cela  il  y  aura  encore  une  plus  grande  impiété 
»  que  celle  qui  avait  eu  lieu  auparavant,  car  je  connais  les  mys- 
stères  futurs;  le  Seigneur  lui-même  me  les  a  découvertset  ex- 
wpliqués,  et  je  les  ai  lus  dans  les  tablettes  des  cieux.  J'y  vis  écrit 
»que  les  générations  après  les  générations  transgresseraient  les 
«lois  divines,  jusqu'à  ce  qu'une  race  vertueuse  arrive,  jusqu'à 
»ce  que  la  transgression  et  le  crime  disparaissent  de  dessus  la 
«terre,  et  que  la  bonté  l'y  remplace.  » 

qui  s'est  encore  conservé  vivant  dans  ce  pays,  comme  l'ont  remarqué 
MM.  Combes  et  Tamisier,  voir  le  dernier  N"'  des  Annales,  ci-dessus, 
page  329,  et  en  second  lieu  à  cause  de  celte  chevelure  blanche  que  l'on 
donne  ici  à  Noc.  Est-ce  que  l'auteur  du  livre  d'Enoch  aurait  e'té  frappé  de 
la  chevelure  blanche  que  portent  les  Albinos?  ou  bien  ces  cheveux  blancs 
ne  sont-ils  qu'un  mythe  pour  marquer  la  sagesse  précoce  du  second  père 
du  genre  humain? 

'  On  sait  que  l'on  n'est  pas  fixe  sur  le  sens  qu'il  faut  attacher  au 
mot  ange  dans  ce  passage.  On  ignore  si  par  là  il  s'agit  des  anges  ve'ri- 
tables ,  tels  que  les  entendent  les  Chrétiens  ou  bien  les  grands  de  la 
terre.  D'après  ce  passage  d'FInoch,  ce  seraient  les  grands  el  non-seule- 
ment les  grands,  mais  surtout  la  classe  ou  la  casle  des  prêtres  et  des 
saints;  casle  correspoudan  te  dans  l'Ethiopie,  en  la  langue  et  sans  doute 
selon  les  mœurs  de  laquelle  est  écrit  ce  livre,  à  la  caste  des  Brahmanes 
dans  les  Indes,  et  à  celle  des  Lévites  en  Judée,  caste  à  laquelle,  en  sa  qua- 
lité de  pure,  de  surhumaine,  d'angcliipie  en  quelque  sorte  cl  de  ruiasi- 
divine,  il  était  si  scvi-ieineot  défendu  de  se  mésallier,  c'est  à-dire,  de 
s'unir  a^  ec  les  impurs  et  les  profanes  des  autres  pays  et  des  autres  castes- 

'  On  voit  d'après  ce  passage  quelle  immense  étendue  il  faut  donner  à 
Vanne'e  antique ,  puisque  Noé  avait  beaucoup  plus  de  cent  ans  quand  ad~ 


Î96  LE    LIVRE    DE    LA    VISIO?*    d'eNOCH. 

Voici  maintenant  la  vi.sion  qu'eut  Noé  du  déluge  : 
•  En  ces  jours,  Noé  vil  (juc  la  terre  était  inclinée,  et  (jue  la 
destruction  approchait;  alors  il  leva  le  pied  et  vint  au  bout  de 
la  terre,  à  l'iiabilalion  de  son  grand-père  Enoch;  il  cria  par 
trois  fois  d'une  voix  torto,  écoule-moi  ,  écoute-naoi,  écoute- 
moi,  et  lui  dit  :  apprends-uioi  ce  qui  se  passe  hur  la  terre,  car 
la  terre  travaille  et  se  trouve  fortement  ébranlée;  siirement  je 
périrai  avec  elle.  Il  y  eut  ensuite  une  grande  perturbation  sur 
la  terre,  et  une  voix  se  fit  entendre  des  cieux.  Je  tombai  sur 
ma  face  quand  Enoch,  mon  grand  père  parut  devant  moi.  — 
Pourquoi  as-tu  crié  vers  moi  d'une  voix  si  forte  et  si  lamen- 
table?— -Un  ordre  est  sorti  du  Seigneur  pour  la  destruction  do 
ceux  qui  demeurent  sur  la  terre,  car  ils  ont  connu  tous  les  se- 
crets des  anges ,  toute  la  puissance  secrète  et  oppressive  des  dé- 
mons, et  toute  la  puissance  de  ceux  qui  commettent  la  sorcel- 
lerie aussi  bien  que  ceux  qui  font  des  images  par  toute  la  terre. 
Ils  savent  comment  l'argent  se  forme  dans  la  poussière  de  la 
terre,  et  comment  le  liquide  métallique  existe  sur  la  terre;  car 
le  plomb  et  l'étain  ne  sont  point  formés  de  la  terre  ,  comme 
première  source  de  leur  production.  Il  est  un  ange  qui  se  tient 
debout  sur  elle,  et  cet  ange  s'efforce  d'y  dominer.  Alors  mon 
grand-père  me  levant  dans  ses  mains  me  dit  :  «  J'ai  consulté  le 

•  Seigneur  sur  cette  perturbation  de  la  terre,  et  il  m'a  dit  qu'à 
«cause  de  leur  impiété  leur  jugement  est  consommé.  Ceux  qui 
»ont  découvert  les  secrets  de  la  nature,  ce  sont  ceux  qui  ont  été 
«jugés;  mais  ce  n'est  pas  toi,  ô  mon  fils  !  Lui,  le  Saint,  placera 

•  ton  nom  parmi  les  justes,  et  il  le  préservera  de  ceux  (jui  de- 

•  meurent  sur  la  terre.  Il  établira  la  race  dans  la  justice,  avec 

•  puissance  et  grande  gloire,  et  de  la  race  sortiront  des  hommes 

•  justes  sans  nombre  et  sans  fin.  d  Après  cela,  il  me  montra  les 
anges  de  la  punition  qui  étaient  préparés  à  venir  et  ouvrir  èous 

vînt  le  déluge ,  ce  qui  n'empêche  pas  notre  auteur  de  dire  au  moment  de 
la  naissance  de  ce  même  Noé,  que  ce  déluge  arrivera  dans  un  an.  On  a 
dit  (jue  par  un  an  d'alors  on  entendait  cent  ans  d'aujourd'hui.  Mais  on  se 
trompe  s'il  faut  en  juger  par  te  passage  ,  car  Noé  ,  avons-notis  dit,  avait 
plus  de  cent  ans  d'aiiiourd'hui  ,  c'est-à  dire,  plus  d'un  rt/i d'alors,  (junnd 
le  Déluge  arri\a.  Ou  ^uil  (jurlic  dilTôrcucc  ceci  jcUcrail  dans  la  chronolo- 
gie de  ranli<i«ilc,  si  clic  lifail  rd'ailc  d'apris  ces  bases. 


Llî   LIVRE    DE    LA   VISION    n'KKOCn.  597 

la  terre  toutes  les  puissanles  eaux,  afin  quVIles  puissent  ficrvir 
au  jugement  et  à  la  destruction  de  Ions  ceux  qui  demeurent  sur 
la  terre.  Et  le  Seigneur  ordonna  aux  anges  devenir,  mais  non 
pas  pour  prendre  les  hommes  sous  leur  protection  et  pour  les 
préserver,  car  ces  anges  présidaient  aux  grandes  eaux.  Alors  je 
quittai  la  présence  d'Enoch.  » 

Voilà  comment  finit  le  fameux  livre  d'Knoch. 

Une  chose  remarcjuable  dans  celte  explication  qu'Enoch 
donne  à  Noé  de  son  rêve,  c'est  la  cause  qu'il  assigne  au  déluge. 
La  cause  généralement  connue  et  généralement  signalée  jus- 
qu'ici, c'était  la  corruption;  mais  à  la  corruption  Enoch  ajoute 
la  science,  et  il  met  cette  dernière  cause  en  premier  lieu.  Celle 
race  lunnaine  a  péri  sous  les  eaux,  parce  qu'elle  savait  com- 
ment tout  se  formait  de  la  poudre  de  la  terre,  comment  le  fluide 
métallique  y  restait,  parce  qu'elle  savait  le  secret  des  choses,  et 
voulait  même  élever  sa  science  jusqii'aux  astres  et  à  Dieu.  C'est 
de  là  sans  doute,  c'est  de  ce  passage  du  livre  d'Iinoch.  très-connu 
dans  l'antiquité  et  égaré  depuis,  qu'est  venue  cette  rumeur  de 
la  haute  science  de  nos  pères  aniédiluviens;  comme  c'est  d'un 
autre  passage  du  livre  du  même  prophète  que  nous  est  venue 
celle  de  l'union  criminelle  des  anges  avec  les  femmes  des  hom- 
mes. Dieu  ,  dit-on  ,  se  repentit  d'avoir  submergé  le  monde  et 
détruit  les  hommes.  On  eu  comprend  la  raison  si,  comme  nous 
le  dit  Enoch  lui-même,  les  races  qui  devaient  suivre  cette  ca- 
tastrophe devaient  être  encore  plus  corrompues  que  celles  qui 
l'avaient  précédée.  Et  en  eflet  je  crois  bien  que,  sous  ce  rapport, 
nous  ne  sommes  pas  bien  loin  de  la  méchanceté  de  nos  antiques 
aïeux,  toutgéans  qu'ils  étaient  et  toute  séculaire  que  fut  leurvic. 
Nous  nous  croyons  très-savans  aussi  ;  nous  croyons  aussi  savoir  le 
secret  des  choses  et  de  Dieu;  mais,  quelles  que  soient  nos  pré- 
tentions à  cet  égard  ,  je  ne  crois  pas,  pour  mon  compte  ,  que 
nous  en  sachions  encore  assez  pour  alarmer  le  ciel  et  pour 
mériter  d'être  exterminés  de  nouveau. 

0  A  tout  prendre,  nous  dirons  avec  sir  Laurence,  cm  fini,^- 
sant,  si  l'on  critique  ce  livre  singulier,  comme  rempli  dans 
quelques-unes  de  ses  parties  de  fables  et  de  fictions ,  il  convient 
de  se  souvenir  toutefois  que  les  fables  et  les  fictions  peuvent 
quelquefois  offrir  en  même  tcms  et  de  l'amusement  et  de  i'in- 


S^8  LE    LIVRE    DE   LA    VISION    I)*ENOCH. 

slrnclion,  et  qu'elles  ue  soûl  dangereuses  et  condamnables  que 
lorsqu'on  les  fait  tourner  au  profit  du  vice  et  de  rincrédulitë. 
Nous  ne  devons  pas  non  plus  perdre  de  vue  que  plusieurs  de  ces 
fables,  qui  sont  l'objet  de  noire  censure,  et  peut-être  même  la 
plus  grande  partie,  étaient  fondées  sur  une  tradition  nationale 
<pie,  toute  autre  considération  à  part,  son  antiquité  seule  avait 
rendue  respeciaide.  Que  cet  auteur  ail  été  inspiré,  ce  sera  à 
peine  aujourd'iiui  l'objet  d*uue  question;  mais,  de  ce  que  son 
ouvrage  est  apocryphe,  il  ne  s'ensuit  pas  nécessairement  qu'on 
doive  le  flétrir  d'une  honteuse  condamnation.  Incapable  de 
jamais  devenir  une  règle  de  foi ,  il  peut  néanmoins  contenir 
beaucoup  de  vérités  morales  et  religieuses ,  et  l'on  peut  avec 
justice  le  considérer  comme  un  exposé  fidèle  de  la  doctrine  des 
tems  où  il  a  été  composé.  11  ne  faut  pas  sans  doute  tout  passer 
à  l'antiquité  ;  mais,  si  l'on  prend  la  peine  de  lire  ce  monument 
d'un  âge  reculé  et  d'une  contrée  éloignée  de  nous,  on  y  trouvera 
au  milieu  de  beaucoup  de  choses  condamnables  plus  de  choses 
encore  à  approuver,  à  moins  d'être  difficile  à  l'excès.  Si  quel- 
quefois on  fronce  le  sourcil,  plus  souvent  encore  on  sera  lente 
de  sourire  ;  on  se  sentira  même  plus  d'une  fois  entraîné  à  ad- 
mirer, dans  cet  écrivain,  une  vivacité  d'imagination  qui  le 
transporte  au-dclù  des  limites  enflammées  du  monde  ,  et  dé- 
ploie devant  lui  tous  les  secrets  de  la  création,  les  splendeurs 
du  ciel  et  les  terreurs  de  l'enfer,  le  séjour  des  âmes  séparées  des 
corps  qu'elles  ont  animés ,  les  myriades  d'habilans  dont  se 
peuple  la  voûte  céleste,  les  chérubins,  les  séraphins,  les  opha- 
nims  (c'est-à-dire  les  roues  vivantes  du  char  de  l'Eternel) ,  qui 
entourent  le  trône  éblouissant  et  célèbrent  le  saint  nom  du 
souverain  Seigneur  des  (sprits,  du  l'ère  tout-puissant,  du  Père 
tout-puissant  des  anges  et  des  hommes,  d 

M.  de  Sacy  n'est  point  en  ceci  de  l'opinion  de  M.  Laurence  ; 
mais,  malgré  tout  noire  respect  pour  lui,  nous  ne  pouvons  pas 
être  non  plus  de  la  sienne.  S'il  y  a  de  l'obscur  et  de  l'absurde ,  il 
y  a  aussi  de  la  curiosité,  il  y  a  de  l'intérêt  et  du  beau  dans  le 
livre  d'Enoch.  Du  reste  ,  le  lecteur  jugera  ;  les  pièces  sont 
maintenant  sous  ses  yeux. 

J.-F.  Daniélo. 


Sr    LE   CnniSTIANISHE    A   NUI   AUX    SCÏENCES.  303 

W\VV\-V%\\\\V\\\\\\\VVV\V\\V\'%\V\>M\'V\\V«'W\\VMAV>A\VVV\\\MnA%MM/VM\'V«VVVVV»V'Vl\\V\A/W\V\V\ 

Qiçi0x\)  bc  (a  ïlf(i^i(jn  et  bc5  Sciences. 


S'IL   EST   VRAT    Q^E    LE    CHRISTIAÎ4TSME  AIT  NUI   AU 
DÉVELOI'l'EIMENT  DES  CONNAISSANCES  UCMAINES. 


^xoièimc  ^rficCc  *. 

DES    BIBLIOTHÈQUES    DU    MOYKN-AGE. — 1"    PARTIE. 

Les  Eglises  et  les  monastères  eurent  des  bibliothèques  rasseinble'es  avec 
une  sollicitude  extrèine. — Ces  bibliothèques  furent  souvent  très-aonsi- 
de'rables  pour  leur  leras.  —  La  formation  des  bibliothèques  n'était  pas 
un  luxe  arbitraire,  mais  une  sorte  de  ne'cessité  qui  permet  d'e'tendre 
par  analogie  les  faits  positifs,  et  qui  s'oppose  par  conséquent  aux  con- 
clusions générale?  qu'on  voudrait  inférer  des  faits  négatifs. — Indica- 
tion de  quelijuesunes  des  bibliothèques  les  plus  remarquables. 

IX.  La  religion,  quels  que  fussent  les  enseigncmens  qu'on 
lui  attribuât ,  a  toujours  paru  dans  le  fait,  la  gardienne  née 
des  connaissances  humaines.  On  sait  que  riiisloire  des  civilisa- 
tions nous  montre  d'abord  le  corps  des  piètres,  dépositaire 
de  la  science";  Vûge  sax'erdotal ,  Vcpoquc  religieuse  est  son  âge 
antique  et  primitif,  comme  l'a  fait  remarquer  Cuvier,  si  je  ne 
me  trompe.  Aussi,  soit  que  les  plus  hautes  occupations  de  l'es- 
prit humain  dans  les  choses  profanes  semblassent  par  leur  élé- 
vation même  devoir  occuper  un  rang  voisin  des  vérités  célestes, 
qui  d'ailleurs  ont  l'imprescriptible  droit  de  les  contrôler  pour 

»  Voir  le  2'  article  dans  le  N°  précédent  ci-dessus,  page  ùM . 

'  Hérodote  consulta  surtout  les  prêtres;  et  l'on  sait  que  son  récit  ac- 
quiert chaque  jour  une  nou^elle  valeur,  à  mesure  que  les  progrès  des 
connaissances  nous  permettent  de  l'entendre.  Car  ,  qu'on  me  laisse  rap- 
peler encore  ce  que  je  disais  dans  le  premier  de  ces  articles  (  page  26i  ), 
les  faits  expliquent  les  textes  bien  plus  que  les  textes  n'apprennent  les 
iaits. 


400  SI  LE  CHRISTIAMISME  A  NUI  AUX  SCIEÎCCES.    = 

ainsi  dire,  el  de  leur  servir  comme  de  garde-foti  ';  soit,  si  l'on 
5'  vent  quelque  chose  de  plus  matériel,  qu'on  ait  tout  simple- 
ment cherché  à  donner  aux  monumens  de  la  science  les  plus 
grandes  garanties  de  durée  et  d'assurance  contre  les  accidens  , 
les  dépôts  scientifiques  et  les  documens  d'un  intérêt  général  * , 
ont  communément  cherché  l'asile  du  sancluaire.  Celait  dans 
les  bàtimensdes  temples  que  les  nations  d'autreiojs  %  mais  par- 
ticulièrement les  rois  d'Egypte  el  les  empereurs  romains  avaient 
rassemblé  des  archives ,  formé  des  bibliothèques  el  des  lieux 
d'étude  pour  les  savans. 

Sans  entrer  dans  aucune  des  considérations  philosophiques 
qui  devraient  faire  juger,  antérieurement  à  tout  témoignage  , 
que  la  religion  véritable  dans  son  plein  développement,  la  re- 
ligion de  Jésus-Christ,  ne  pouvait  manquer  de  projeter  un 
éclatant  reflet  sur  toutes  les  études  dignes  d'occuper  l'intelli- 
gence, montrons  que  toujours  le  Christianisme  a  répandu 
parmi  les  hommes  une  lumière  aussi  intense  que  le  compor- 
taient les  circonstances  données.  Ici,  pour  nous  borner  à  des 
faits  palpables,  bien  qu'ils  aient  été  niés  ,  arrêtons-nous  à  faire 
voir  que  le  clergé  (c'est-à-dire  l'action  ecclésiastique  en  quel- 
que sorte  personnifiée)  a  toujours^dans^  les  âges  les  plus  téné- 

'  Je  me  permets  d'emprunter  cette  expression  à  un  homme  célèbre 
dont  le  nom  surprendrait  ici  peut-être  ,  si  je  disais  l'avoir  entendu  décla- 
rer que  VEgUse  est  le  garde- fou  de  la  philosophie. 

'  C'était  là  sans  doute  ce  qui  engageait  Juslinien  (Nov.  S,  cap.  mç 
'Kv.ou'^oOcirj-nç, — Nov.  7i.c.  iv  ,  v.  2)  à  exiger  qu'un  exemplaire  de  ses 
lois  fût  conservé  dans  le  trésor  de  l'Eglise,  avec  les  vases  sacrés,  ou  du 

moins  parmi  les  meubles  pi'écieux  des  basiliques  (ev  ~olç  apyjtoi^ îv 

Tw  evwyst  tiu.-nuorf'j/M/.y.îût. 

'  Sous  Auguste,  le  temple  d'Apollon  Palatin,  et  sous  ses  successeurs 
le  temple  de  la  Paix  ,  le  Capitole.  Déjà  auparavant,  Asinius  Pollion  avait 
placé  sa  bibliothèque  dans  les  bâtimens  du  temple  de  la  Liberté.  A 
Alexandrie ,  le  Serapeum  ;  à  Antioche  ,  le  temple  de  Trajan  ;  etc.  "^"^ojez 
d'autres  exemples  dani  l'ouvrage  de  Petit  Radel ,  intitulé  Recherches  sur 
les  bibliothèques,  p.  2,  i,  etc.  —  11.  Girolamo  Fabri ,  Sacre  memoric  di  lia- 
venna  antica  (Venise  166'».  L") ,  p.  10.  —  Mabillon  ,  De  re  Piplomaîicâ.  i. 
—  Fontanini  ,  Findiciœ,  i. 


DES   BIBLIOTHÈQUES   DIT  HOTEK    AGE.  601 

breux,  rassemblé  avec  soin,  et  recueilli  avec  une  infatigable 
persévérance  les  instrumens  de  la  science,  les  livres. 

Les  moines,  en  particulier,  n'avaient  pas  attendu  pour  s'a- 
donner à  l'étude  et  réunir  des  collections  d'ouvrages,  que  la 
science,  chassée  de  la  société,  cherchât  son  dernier  abri  dans 
l'enceinte  des  monastères.  La  règle  de  St.  Pacôme  (5' siècle) 
entre  dans  de  curieux  détails  »  sur  la  distribution  des  livres 
entre  les  solitaires,  sur  leur  classement  dans  la  bibliothèque, 
sur  le  soin  qu'en  devaient  prendre  les  lecteurs  '  etc.;  et,  ce  qui 
parait  supposer  une  quantité  considérable  de  livres,  il  veut  que 
deux  religieux  soient  chargés  de  la  bibliothèque.  On  ne  le  trou- 
vera pas  étrange  ,  bi  l'on  songe  que  chaque  solitaire  devait  avoir 
son  livre  de  lecture,  d'après  la  règle,  et  que  les  monastères  de 
St.  Pâcôme  étaient  ordinairement  formés  de  3o  ou  40  maisons 
habitées  chacune  par  une  quarantaine  au  moins  de  religieux  '. 

Et  cependant  les  solitaires  d'alors  n'avaient  nullement  pour 
objet  de  cultiver  leur  esprit  par  ces  études  que  recommandè- 
rent dans  la  suite  les  fondateurs  de  plusieurs  ordres  :  unique- 
ment occupés  de  leur  sanctification  propre,  et  rarement  élevés 
à  la  prêtrise,  ils  pouvaient  passer  leur  vie  dans  une  sainte  sim- 
plicité, où  la  prière  et  le  travail  des  mains  remplissaient  leurs 
journées  et  leurs   vies  4  .   Mais  l'étude   de  la  vie  chrétienne 

'  Cfr.  Mabîllon,  Etudes  monasti<}ues,U^  partie,  ch.  6.  Comme  je  n'au- 
rai à  citer  que  la  première  partie  de  cet  ouvrage,  je  m'abstiendrai  d'ea 
répeter  riiidication  désormais. 

*  Par  exemple,  la  recommandation  de  ne  pas  les  laisser  ouverts  ea 
quittant  sa  cellule. 

'  Mabillon,  1.  c. 

4  Grand  nombre  des  premiers  moines  d'Orient  étaient  des  hommes 
simples  et  sans  lettres ,  dont  la  rudesse  et  le  fanatisme  parfois  ne  fait 
rien  du  tout  à  la  profession  monastique  en  elle-même.  Mais  quant  à 
l'emploi  que  Heeren,  entre  autres  {op.  cl.  i,  31  ]  fait  de  son  érudition 
pour  montrer,  par  le  témoignage  deLibanius  (pro  tempUs),  que  ces  moi- 
nes étaient  des  oisifs  de  profession  et  des  emportés,  c'est  ce  qui  approche 
du  comique  ,  ou  plutôt  c'est  ce  qui  le  dépasse.  Comment  donc  ?  est-ce 
que  les  recherches  des  Bénédictins  de  Saint-Maur,  par  exemple  el  les 
plus  grossières  déclamations  des  Protestaus  contre  l'état  monastique 
u'out  pas  été  contemporaines  r  Plaisante  manière  d'écrire  l'histoire  que 
ToMB  xvu. — N*  10a.  i858.  38 


402  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

toute  restreiiUe  qu'on  la  suppose  ,  et  le  soin  de  se  perfeclionnei 
soi-même,  pour  exclusif  qu'il  fût ,  ne  pouvait  être  séparé  de  la 
lecture  des  livres  saints,  et  des  modèles  laissés  par  les  premiers 
héros  du  Christianisme  '.  L'étude  des  maîtres  de  la  perfection, 
des  saints  Pères,  s'y  joignait  naturelleujent,  et  l'on  voit  qu'à 
réduire  cts  bibliothèques  au  pur  nécessaire,  on  n'en  a  pas 
moins  un  résultat  vraiment  remarquable,  ne  fût-ce  que  pour 
la  quantilé.  Si  vous  faites  réflexion,  en  outre,  que  malgré  cet 
état  (le  ciioses  ordinaire,  il  s'en  fallait  bien  que  tous  les  moines 
de  ce  lems  fisseuî  profession  d'ignorance  S  vous  imaginerez 
aisément  que  les  écrits  rassemblés  parles  cénobites  d'alors  pou- 
vaient se  recommander  par  (juciqu'autre  titre  encore  que  par 
celui  du  nombre. 

Quant  aux  Eglises  et  au  clergé  séculier,  dont  il  a  été  dit  un 
mot  *  précédemment ,  certaines  circonstances  y  nécessitaient 
et  y  facilitèrent  la  formation   des  bibliothèques.    C'était  par 

de  puiser  ses  titres  dans  les  plus  décidés  calomniateurs  !  Mais  c'est  une  loi 
de  notre  nature  et  un  arrêt  de  la  PrG^  itloiice ,  que  les  hommes  les  plus 
savans  et  les  plus  distingues  du  reste,  deviennent  comme  par  enchante- 
ment les  hommes  les  plus  communs  cl  les  plus  petits  ,  quand  ils  tombent 
sous  l'empire  dt's  préjugés,  et  surtout  des  préjuges  anti-chrétiens. 

»  S.  Augusijn  raconte  que  des  courtisans  entrant  près  de  Trêves,  chez 
des  solitaires,  y  rencontrèrent  la  vie  de  S.  Antoine  {Conf.  1.  vin,  cap. 
vi).  Je  parlerai  plus  au  long  (N"  xi)  de  cette  espèce  d'exigence  de  la  pro- 
fession religieuse. 

»  Outre  qu'on  vit  plus  d'une  fois  des  hommes  illustres  et  habiles  em- 
brasser,  comme  S.  Arsène  par  exemple,  la  vie  cénobitique,  l'histoire 
littéraire  a  conservé  le  nom  et  les  travaux  de  plusieurs  solitaires  :  ainsi 
Anianus  ou  Annianus  ,  moine  d'Egypte ,  imagina  vers  la  tin  du  L^  siècle 
ou  au  commencement  du  5» ,  un  cycle  semblable  à  celui  qui  prit  depuis 
le  nom  de  ^  iclor  d'Aquitaine.  Cfr.  Ideler ,  d.  Handbuch ,  chronologie. 
t.  n,p.  iôl,  i5  3et27f>.  —  Syncelle ,  Chron  .p.  35 .  Pour  ce  qui  est  des 
sciences  plus  spécialement  ecclésiastiques,  il  peut  suGGre  en  ce  moment 
de  rappeler  Isidore  de  Péluse ,  et  avant  lui  les  deux  Macaires  contempo- 
rains de  S.  Antoine.  D'ailleurs,  bien  que  la  cléricature  ne  fût  point  né- 
cessairement unie  à  l'état  monastique,  il  est  certain  qu'un  grand  nombre 
d'évèques  distingués  furent  dès  lors  choisis  parmi  les  moines.  Cfr.  Ful- 
gentii ,  viia    cap.  xiv.  —  Mabillon  .  op.  c.  cap.  xv. 

^  A  la  fin  du  second  article ,  dans  le  N"  de  novembre. 


DES   BIBLIOTHÈQUES   DU    MOYEN- .VGE.  ÛOS 

exemple  la  réunion  des  prêtres  de  la  cathédrale  en  une  même 
communauté  sous  la  conduite  de  l'évêque  '  ;  mais  surtout  les 
écoles,  ordinairement  dépendantes  des  églises  *  non-seulement 
épiscopales,  mais  d'un  ordre  inférieur.  Il  serait  hors  de  propos 
de  s'étendre  ici  sur  l'origine  ancienne  et  l'universalité  de  ces 
deux  instilulious,  qu'il  suffise  de  les  avoir  rappelées  avec  une 
indication  sommaire  des  monumcns  qui  nous  les  attestent. 

Mais  ce  qui  aurait  pu  n'être  d'abord  que  le  moyen  d'une 
pieuse  occupation ,  devint  une  nécessité  lorsqu'après  l'invasion 
des  barbares  ,  les  églises  et  les  cloîtres  se  trouvèrent  devenus  le 
seul  refuge  des  ouvrages  de  l'antiquité  sacrée  et  profane.  Le 
grand  Cassiodore  (6*  siècle)  malgré  tous  les  soins  qu'il  se  don- 
nait pour  civiliser  les  coofjuérans  de  l'Italie,  avait  bien  com- 
pris que  là  seulement  étail  la  semence  -Vune  vie  nouvelle  pour 
la  société,  et  tout  en  intéressant  les  princes  gotlis  pour  les  res- 
tes de  la  civilisation  romaine ,  c'était  à  des  solitaires  qu'il  re- 
mettait le  dépôt  de  la  science  mourante  3;  c'était  à  préparer 
minutieusement  dans  l'ombi'e  et  le  siler.ce  des  monastères,  ces 
démiurges   du   monde  moderne,    qu'il  consacrait  les  derniers 

»  Les  communautés  de  chanoines  dans  l'Eglise  latine  [  monastères 
épiscopaux)  remontent  pour  le  moins  au  i«  siècle.  On  les  trouve  sous 
S.  Eusèbe  de  Vercell  (368-370'j ,  sous  S.  Martin  de  Toui-s  (  37  l-iOO) ,  et 
à  Hippone ,  sous  S.  Augustin.  Au  moyen-àge  ,  leur  (organisation  lut  ré— 
gle'e  par  Chrodegand  ,  évèque  de  Metz  (  760-769) ,  mais  cette  iuslilûtion 
ne  paraît  pas  avoir  jamais  cessé  entièrement ,  depuis  les  exemples  donnés 
par  le  ^t^  siècle  (Cfr.  Lingard  Antiqult.  '/f  ilie  anglo-saxon  Cliurch.  ch. 
Qetpassim).  Et  Ruhkopf  ainsi  que  Heeren  ,  conviennent  que  la  désué- 
tude de  la  ^  ie  commune  parmi  les  chanoines  vers  le  1  !«  siècle  ,  eut  une 
influence  extrêmement  lâcheuse  pour  les  études.  Cfr.  Nardi ,  Da  Parro- 
chi,  passirn.  -  Thomassiu.  -  Binterim.  -  Ferraris.  -  Durr.  etc. 

>  L'histoire  des  écoles  ecclésiastiques  et  des  écoles  cléricales  surtout,  n'a 
pas  été  traitée ,  que  je  sache,  d'une  manière  complète,  quoiqu'il  existe 
des  ouvrages  utiles  sur  ce  sujet.  Cf.  Thomassin. -Theioer.  -  Joly. - 
Launoi.-  Nardi.-  Piuhkopf. -  Lingard.-  Meiners.  -  Thiersch.  -Savi- 
gny ,  etc.,  passirn .  Mieux  vaut  indiquer  cette  question  importante  que  «Je 
la  traiter  superficiellement. 

^  Cassiodor.  de  musicâ,  dernières  lignes.  —  De  institut,  du  in.  scrip- 
iuarum,  prœf. ,  —  Prœf.  ad.  libr.  de  oriliograph.  etc. 


ZiO^  SI  L6  ABRISTIâNISME  à  NUI  AUX  SCIENCES. 

efforts  d'une  main  accoutumée  au  gouvernail  de  TÉtat,  et  d'une 
activité  que  n'avait  pu  décourager  la  chute  de  l'Empire.  En 
même  tems,  les  évêques  travaillaient  au  même  but  par  de* 
moyens  tout  semblables  •;  l'unique  testament  de  St.  Augustin 
(43o)  fut  de  recommander  à  ses  prêtres  le  •  soin  des  livres  qu'il 
leur  avait  rassemblés  à  Hippone;  et  St.  Grégoire-le-Grand  ne 
croyait  point  dérober  à  l'Église  des  momens  trop  précieux,  ni 
compromettre  en  rien  la  dignité  du  vicaire  de  Jésus-Christ,  en 
s'entremettaut  auprès  d'un  officier  public  '  pour  faire  restituer 
à  un  monastère  des  livres  qui  en  avaient  été  détournés  (SgS)» 
Aussi  voit-on  les  missionnaires  envoyés  par  cet  homme  de  Dieu 
dans  la  Grande-Bretagne,  porter  aux  Anglais  le  flambeau  de  la 
science  en  même  tems  que  celui  de  l'Evangile.  D'anciens  do- 
cumens  donnent  le  détail  des  ouvrages  que  l'Angleterre  tenait 
de  ses  Apôtres;  et  ceux  qui  ne  savent  pas,  ou  ne  veulent  pas 
croire  que  le  Christianisme  marche  toujours  accompagné  de& 
lumières  même  profanes,  ne  verront  point  peut-être  sans  quel- 
que surprise  que  l'un  de  ces  livres  fût  un  Homère  ^  dont  le 
manuscrit  était  d'une  beauié  extrêmement  remarquable  *. 

X.  Héritiers  de  Tesprit  qui  avait  animé  ces  propagateurs  de 
la  foi ,  leurs  disciples  continuèrent  à  suivre  la  voie  frayée  par 
eux.  Saint  Benoit  Biscop  (v.  674)'  qu»  avait  été  sur  le  continent 
étudier  au  sein  des  anciens  ctottres  le  véritable  esprit  monas- 
tique *,  fonda  avec  Tabbaye  de  Weremouth ,  en  Northumber- 
land ,  une  sorte  d'établissement  modèle  pour  la  civilisation  de 
sa  patrie,  dans  les  arts  et  dans  les  sciences  ^  eu  même  tems  que 

Cfr.  vita  Fulgentic,  c.  viji ,  xiv  ,  xix,  xx  ,  xxvir* 
»   Possid.  in  vit.  S.  Âugustini,  lib.  viii .  cap.  xi.  Off.  t.  xi,.  col.  491. 
'  Gregpr.  m.  Ep.  x,  U  (éd.  venet.  1768-76.  in-^o),  alia»  15, 
4  Lingard,  Antiquiiies  ,  ch.  x.  —  Godwin.  D«  prœsul,  AngUœ  (1743)» 
page  41. 

*  On  peut  déjà  présumer  par  ce  trait  et  par  plusieurs  autres  qui  se 
rencontreront  dans  cet  article  ,  que  les  bibliothèques  ecclésiastiques  ne 
renfermaient  pas  seulement  des  livres  de  liturgie  ou  de  dévotion.  Une 
autre  partie  de  ce  travail  sera  exclusivement  consacrée  à  ce  point,  oa 
n'en  trouvera  d'exemples  ici ,  que  ceux  qui  se  présenteront  d'eux-mêmes» 

*  Lingard,  op.  c.  ch.  iv. 

'  Cfr.  Biogr.  univ.  art.  Benoit  (Bennet)  Biscop. 


DES   BrBLIOTIlÈQUES    DU    MOYEN-AGE.  ^05 

dans  la  piété.  Ces  mêmes  vues  lui  firent  enlreprendre  cinq 
voyages  outre-mer,  avec  des  recherches  infatigables  pour  for- 
mer à  son  monastère  une  bibliothèque  énorme  en  ces  tems-là, 
et  dont  il  s'occupait  avec  une  sollicitude  touchante  sur  son  lit 
<le  mort ,  rendant  ses  disciples  responsables  devant  Dieu  des 
perles  qu'elle  pourrait  éprouver  par  leur  négligence  '.  Céolfrîd, 
successeur  de  saint  Benoît  Biscop  dans  le  gouvernement  des 
abbayes  de  Jarrow  (ou  Gyrve)  et  de  "Weremouth ,  prît  encore  à 
tâche  d'augmenter  la  bibliollvèque  commencée  par  ce  saint  qui 
avait  été  son  maître,  et  dont  il  avait  partagé  les  voyages  et  les 
recherches  sur  le  continent  *.  Alcuin  nous  montre  ,  dans  son 
maître  Ecbert  %  le  même  zèle  des  expéditions  scientifiques  et 
des  recherches  littéraires  4  : 

«  Non  semel  externas  peregrino  tramite  terras 
»  Jam  peragravit  ovans,  sophiae  ductus  amore^ 

•  Si  quid  forl€  novi  librorum  aut  studiorum 

»  Quod  sccum  ferret,  terns  reperiret  in  illis.» 
Aussi  l'espèce  de  catalogue  de  la  bibliothèque  d'Yorck  qu'il 
décrit  en  vers,  annonce-t-il  une  collection  assurément  extraor- 
dinaire pour  le  8*  siècle  ^.  Le  même  Alcuin ,  écrivant   aux 

•  Lïngard,  ch.  x. — Mabillon,  op.  c.  vi.  et  Ann.  ^ened.  t.  i.  —  Heeren, 
Geschtclite  der  class,  Litieratur  im  mitlelaUer.  i.  65. — Bede  parlant  de  son 
quatrième  voyage  :  «  Eum  inHumerabilem  librorum  omnis  generis  co- 
•  piam  apportasse.» 

•  D.  CeiUier,  t.  xvii ,  ch.  xûti.  N«  tO. 

'  Alcuin.  De  Pontif.  eborac.  v.  1i53,  sq. 

*  Ecbert,  frère  d'uu  roi  saxon,  avait  e'té  e'ievé  par  le  vénérable  Bède  , 
et  devint  archevêque  d'York. 

*  Voici  ces  vers  d' Alcuin,  qui  pouvait  parler  de  cette  bibliothèque, 
pour  en  avoir  été  le  gardien  : 

»  Illic  invenies  veterum  vestigia  patrum  , 

•  Quidquid  habet  pro  se  lalio  Romanus  in  orbe  , 
»  Grœcia  vel  quidquid  transmisit  clara  Latinis  ; 

»  Hebraicus  vel  quod  populus  bibit  irabrp  superno  : 

»  Africa  lucifluo  vel  quidquid  lumine  sparsit. 

»  Quod  pater  HieronjmuSf  quod  sensit  Hitarius  ,  atqire 

y>  Ambrosius  praesul ,  simul  Augustinua  ,  et  ipse 

»  Sanctus  Aihanasius  ;  quod  Orosias  edit  avilus  , 

»  Quidquid  Gregorius  summus  docet ,  et  Z.f«  papa; 


UQ6  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

moines  de  Jarrow  »,  pour  les  exciter  à  ne  point  dégénérer  de  ia 
science  et  de  la  vertu  qui  avaient  distingué  leurs  prédécesseurs, 
leur  rappelle  surtout  la  bibliothèque  formée  par  ces  pieux  cé- 
nobites, comme  un  éclatant  témoignage  de  ce  qu'avaient  été 
leurs  études. 

Il  ne  faut  donc  point  s'étonner  si,  un  siècle  et  demi  seule- 
ment après  la  conversion  de  l'Angleterre,  cette  île  fut  le  foyer 
auquel  recourut  '  surtout  Charlemagne,  pour  rallumer  dans  ses 
provinces  les  sciences  qui  menaçaient  de  s'y  éteindre.  C'était 
vers  l'Angleterre  encore  que  se  tournaient  parfois  les  regards 
de  l'abbé  de  Ferrières  (Servatus  Lupus,  g*  siècle),  ce  zélateur 
des  lettres;  et,  pour  être  plus  à  portée  d'en  recevoir  les  livres 
qu'il  y  demandait  ^,  il  se  servait  de  son  monastère  de  Saint- 
Josse-sur-mer  comme  d'un  entrepôt.  Dans  une  de  ses  deman- 
des, il  emploie,  pour  réussir  auprès  de  l'abbé  d'Yorck  (Allsig), 

»Basiliua  quidquid ,  Fulgentius  atque  coruscant. 
»  Cassiodorus  item  ,  Clirjsostomtis  atque  Johannes  ; 
»  Quidquid  et  Altilielmus  docuit ,  quid  Beda  magister , 
»Quae  Victorinus  scripsêre  ,  i?oe<A(MS,  atque 
»  Historié!  vetcres,  Pompeius,  PUnius,  ipse 
»  Acer  Aristoteles,  rhelorquoqne  Tullius  ingens  : 
»Quid  quoque  Sedulius  y  vel  quid  cauit  ipse  Jiivencus, 
y>  Alevinas  ^  et  Clemens,  Prosper  ^  Paulinus  ,  Aralor  , 
»  Quid  Forlunatus  ,  vel  quid  Lactantius  edunt, 
»  Quae  Muro  Virgilius ,  Sta'ius,  Luc  mus,  et  auctor 
j»  Artis  gramnialicie  ,  vel  quid  scripsêre  inagislri  : 
»  Quid  Probus  atque  Phocas  ,  Donatus,  Priscianusve , 
^ServiuSf  Etiticius  ,  Pompeius,  Comminianus. 
»Invenies  alios  perplures  ,  lector,  ibidem 
»  Egregios  studiis ,  arle  et  scrmone  magistros 
»  Pluriraa  qui  claro  scripsêre  \olumina  sensu  : 
»Nomina  sed  quorum  praesenti  in  carminé  scribi 
•  Longius  est  visum  quam  pletri  postulet  usus.  » 

De  Puulif.  et  sanctis  eborac.  Ecctcs.  v.  1535  ,  sq. 
-  Alcuin.  ep.  13  (edil.  Froben). 

•  Alcuin,  (éd.  Froben)  ep.  38. 

*  Lupus  Ferrar.  Ep.  62,  1i. 

»  Ou  Alcimus,  Cfr.  Freben.  ad.  h.  1. 


DES   BIBLIOTHÈQUES    DU    MOYEN- AGB.  407 

des  expressions  qui  moutrcul  combien  il  avait  à  cœur  dYtre 
exaucé.  Il  s'agissait  cuire  autres  ouvrages,  de  ceuxdeQuintilien 
qu'il  n'avait  pu  réussir  à  compléter  Jusque  1.^;  et,  craignant 
peut-être  que  les  hasards  du  trajet  ne  fissent  balancer  son  ami, 
il  finit  sa  lettre  en  ces  termes  :  o  Quod  si  omnes  non  potueritis, 
»at  aliquos  ne  graveinini  destinare,  receptiiri  à  Deo  prsemium 
pimplctae  caritatis,  à  nobis  autem  quaracumque  possibilcm , 
■  duntaxat  cesseritis,  vicem  tanti  laboris.  Valele.  nosque  mox 
»ut  se  opportunitas  obtulerit,  exoptabili  respouso  lœtificate.  » 

Les  rechcrclies  empressées  des  moines  anglais  tournèrent,  il 
est  vrai,  au  détriment  des  lettres,  comme  Ta  lait  remarquer 
Heeren  ',  parce  que  les  manuscrits  rassemblés  de  tout  le  con- 
tinent semblèrent  n'avoir  été  portés  dans  leur  île  que  pour 
préparer  à  la  barbarie  danoise  une  satisfaction  semblable  au 
plaisir  que  souhaitait  Caligula  ,  quand  il  eu;  voulu  trancher 
d'un  seul  coup  le  fil  de  toutes  les  vies.  Mais,  outre  qu'une  pa- 
reille prévision  n'avait  guère  pari  aux  pensées  de  ces  hommes 
si  pleins  d'avenir,  ils  ne  s'abîmèrcut  qu'après  nous  avoir  arra- 
chés nous  même?  au  naufrage;  et  l'Angleterre  de  saint  Augustin 
et  de  Bède  mit  à  couvert  les  germes  de  civilisation  recueillis 
par  elle,  en  nous  donnant  Alcuin  et  saint  Boniface;  car  je  ne 
parle  point  de  Columbkill  et  des  moines  irlandais,  autre  jet  de 
la  sève  chrétienne  ,  qui  partout  eût  réalisé  les  mêmes  prodiges, 
si  partout  elle  eût  trouvée  le  champ  libre.  3iais  je  n'ai  sur  cette 
partie  de  mou  sujet  que  des  notions  trop  imparfaites,  et  il  peut 
suffire,  ce  semble ,  pour  en  juger  avantageusement,  de  voir  ce 
que  furent  à  Bobbio,  à  Lux<uil  et  à  Saint-Cail,  les  disciples 
formés  par  cet  enfant  de  l'ile  des  saints  '. 

XI.  Quantité  de  détail  qui  pourraient  être  rapportés  ici, 
trouveront  place  plus  naturellement  dans  la  suite  de  ces  re- 
cherches :  quelques  traits  sulïiront  actuellement,  d'autant  (|ue 

'  Op.  c. 

»  On  sait  que  l'Irlande,  l'aîuee  de  l'Angleterre  dans  la  foi  ,  ëtail  des 
le  6*  siècle  (moins  de  cent  ans  après  sa  conversion)  renommée  pour  ses 
écoles  monastiques  et  épiscopales. — Cfr.  \^  are,  De  scriploribus  Hibemice, 
1.  1 ,  c.  1 4.  et  1.  u,  c.  2. —  Thom.  Moore ,  histoire  de  l'Irlande ,  tome  i.  — 
Rehm,  Handbuck  d.  Gesch.  d,  Miltelalters,  t.  i^' ,  p.  346. 


â08  SI  LE  CHRISTIANISME  A  NUI  AUX  SCIENCES. 

(et  il  importe  de  le  remarquer)  ce  zèle  dont  nous  trouvons  tant 
d'exemples  ne  saurait  être  regardé  comme  le  goût  particulier 
de  quelques  prélats  ou  abbés  qui  se  distinguassent  ainsi  de  la 
foule.  Il  appartenait  aux  principes  mêmes  qui  devaient  les 
mouvoir,  et  loin  que  la  conduite  de  ceux-ci  puisse  être  prise 
pour  une  exception  ,  c'était  l'indiflférence  et  l'incurie  qui  déro- 
geaient: en  sorte  que  cette  insouciance  ne  pouvait  avoir  lieu 
sans  qu'on  eût  oublié  les  modèles ,  les  leçons  et  l'esprit  qui  de- 
vaient servir  de  guide.  Un  siège  épiscopal  ne  se  fondait  pi>int 
sans  qu'auprès  de  lui  ne  fût  jetée  à  la  fois  la  semence  d'une  in- 
stitution littéraire  et  scientifique.  St.  Anscbaire  (9*  siècle) 
déposait  à  Hambourg  une  bibliothèque  ■  apportée  de  Corvey  •, 
en  même  tems  qu'il  y  élevait  sa  catliédrale  ;  ces  deux  établis- 
semens  furent  l'un  et  l'autre  détruits  par  les  Normands. Quand 
l'empereur  Henri  II  fonde  la  cathédrale  deBamberg(i  i*  siècle). 
il  prend  soin  d'y  commencer  une  bibliothèque  '  également. 
Une  des  plus  anciennes  et  des  plus  riches  de  l'Allemagne  rhé- 
nane était  celle  de  Cologne,  fondée  surtout  par  les  soins  de 
l'archevêque  Hildebald  ^  au  8'  siècle.  Celle  de  Fulde  *  dont  les 
précieuses  collections  ont  disparu  comme  par  enchantement, 
remontait  au  tems  des  Carlovingiens,  et  possédait  encore  au 
16»  siècle  des  manuscrits  de  794  ^.  Quand  l'église  métropoli- 
taine de  Milan  fut  la  proie  de  flammes  en  1075  ,  on  eut  à  y  re- 
gretter entre  autres  désastres  la  perte  de  la  bibliothèque  7  ;  et 

»  Mabillon,  Annal.  Bened.  t.  vi. —  f^ita  Anscharii,  c.  G.  ap.  Klemm, 
zur  Geschichte  der  sammlungen  fur  voissenchafl  und  kunst ,  m  Deutschland. 
2«édit.  (Zerbst,  1838). 

»  Corwey,Coraei [Corheiaà  Visurgim,  ou  Saxoaica),  la  nouvelle  Corbie. 

*  Kleium.  op.  c. 

4  Cfr.  Hartzheim,  Catalogua  historicus  criticus  codicum  macr.  bihliothe' 
cœ  metropolitanœ  Coloniensis.  Cologne,  175!?.  fi°. — Gercken ,  Reisen 
durli  Schwaben,  etc.  t.  m.  ap.  Klemm.  op,  c. 

»  Cfr.  Schannat,  Iliit.  FulJ. 

^rEbert,  art.  Bibliothèques  dans  VEncycl.  d'Ersch  et  Gruber. 

7Tiraboscbi,  Sloria  délia  litteratura  italiana.  1.  iv,  c.  1.  J'avouerai 
toutefois  que  je  n'en  ai  pas  trouvé  un  mot  dans  Arnulphus  ,  qu'il  donne 
comme  l'un  de s«s  garans.  Quaùt  aux  autres  ^citations  qu'il  indique,  je 
n'ai  pasjpu  les  vérifier. 


DES   BIBLIOTHÈQUES   DU    MOYEN-AGK.  609 

nous  avons  encore  le  catalogue  des  livres  qne  possédait  en  i  x35 
la  cathédrale  de  Trévise  '.  L'incendie  des  bibliothèques  épisco- 
pales  de  Paderborn  en  ioo6,  et  d'Hildesheim  en  ioi3,fnt 
d'autant  plus  fâcheux  que  ces  églises  avaient  eu  des  écoles  et 
desévêques  célèbres  par  leur  zèle  pour  les  lettres  ». 

Quant  aux  monastères,  celui  qui  n'aurait  pas  possédé  une 
bibliothèque,  eût  été  une  espèce  de  monstruosité  dont  ces  tems 
d'ignorance  avaient  à  peine  l'idée.  Aussi  Baldric  de  Bourgueil 
(il*  siècle)  invitant  Godefroi  de  Loudun  à  prendre  l'habit  mo- 
nastique, lui  représente  3  qu'il  y  pourrait  satisfaire  amplement 
son  goût  pour  l'étude  par  la  quantité  de  livres  qu'il  aurait  à  sa 
disposition.  Un  abbé  de  Beaugency,  au  12*  siècle,  s'exprimant 
d'une  manière  générale  à  ce  sujet  %  pense  qu'un  arsenal  n'est 
pas  plus  nécessaire  à  des  gens  de  guerre,  que  ne  l'est  à  des  re- 
ligieux une  bibliothèque.  Expression  qvii  paraît  avoir  été 
comme  proverbiale  parmi  les  moines  d'alors ,  car  les  écrivains 
semblent  y  faire  allusion  plus  d'une  fois  à  de  grandes  distances 
de  tems  et  de  lieu.  Ainsi,  dans  la  vie  de  St.  Bernward,  évêque 
d'Hildesheim  ^ ,  l'historien  déplore  en  ces  termes  les  ravages 
d'un  incendie  qui  savait  dévoré  les  livres  rassemblés  par  les  soins 
du  saint  prélat  :  «  Perpetuô  est  lugendum  quod  inexplicabilis 

•  librorum  copia  ibi  periit,  nosque  spiritaalium  armorum  inermes 

•  reliquit.B  C'était  l'esprit  des  Pères  de  l'Église  et  des  maîtres  de 
la  vie  monastique;  Évagre  (ou  Ruffîn)  dès  le  4'  siècle,  rap- 
portait d'eux  cette  maxime  *  :  «  Conversalionem  monachi  cus- 

•  todit  scientia;  qui  autem  ab  ea  discedit,  incidit  in  latrones.s 

»  Cfr.  Tiraboschi ,  1.  c. 

»  Chronic.  staindelii.  —  Hceren,  op.  c.  n,  9,  25. 

•  Ann.  Bened.  t.  iv,  p.  1i7.  ap.  Lebœuf.  Dissertations  iur  l'histoire  de 
Paris,  t.  2e. 

4  Dans  la  correspondance  du  chanoine  Gaufrid  ou  GeofiProî.  Ep.  fS. 
ap.  Martène,  Thésaurus  anecdot.  t.  i.  col.  51 1.  •  Claustrura  sine  armario 
«  (bibliothèque)  quasi  castrum  sine  armameotario ,  etc.  >• 

*  Tanemarus ,  ap.  Heeren  ,  op.  c.  n  ,  9. 

«Evagrii  Codex  regiilarum.  a^.  MnhWiou  ,  Etudes  monasti(/ues ,  thap. 
vin.  Cfr.  Holsten.   Cod.  regul.  3fonast. 


410  SI    LE   CHRISTIANISME   A   NUI    AUX   SCIENCES. 

Sï.  Jérôme  >  faisait  la  même  recommandation  aux  solitaires  : 
«  Ama  scientias  scripturarum  et  vilia  carnis  facile  superabis.  » 
Les  mêmes  maximes  se  retrouvent  d'âge  en  âge  dans  les  écri- 
vains qui  ont  traité  des  obligations  de  la  profession  religieuse, 
depuis  les  Pères  du  désert  jusqu'à  ce  prieur  delà  chartreuse  de 
Pruel  (  près  de  Ratisbone  )  ,  qui,  rédigeant  (  à  la  fin  du  16'  ou 
au  commencement  du  ly'  siècle  )  pour  ses  frères,  un  manuel 
de  leurs  devoirs,  formule  ainsi  la  même  prescription  '  :  «  Ho- 

•  nesla  lilterarum  studia  nunquam  deponas.  Obmutescit  enim 

•  animus,  indeque  studium  pietalis  languescit.  Intellectuenim 
>malè  feriato,  voluntas  sanè  quid  appetet?»  Et  il  ajoute  en 
développant  cet  axiome  :  «  Docemur  mentem  erudire,  ne  otio 
»aut  sensualitatibus  oppressa  obtundatur.  Ignorautia  ubique 
mullorum  malorum  est  mater.  » 

Dans  le  fait,  le  sort  des  livres  fut  communément  le  même 
que  celui  de  la  règle;  l'assiduité  à  la  lecture  et  l'ardeur  pour  le 
travail,  même  de  l'esprit,  y  marchèrent  toujours  de  pair  avec 
la  ferveur  de  la  discipline  religieuse,  faiblissant,  s'éteiguant  et 
se  rallumant  avec  elle  comme  par  une  société  naturelle  et  insé- 
parable. Le  Dante,  ce  grand  peintre,  l'avait  bien  saisi ,  et  dans 
son  magnifique  chant  du  Paradis  si  peu  apprécié  du  vukaire 
des  amateurs,  il  trace  en  quelques  mots,  avec  sa  grande  ma- 
nière, la  décadence  des  études  jointe  à  celle  de  la  régularité  \ 

« E  la  rcgola  mia 

»  Rimasa  è  giù  per  danao  de  le  carte.  » 

»  Hieronym.  Ep.  ad  Ruslicum. 

*  Matthias  Mittner,  Encliirldion  eartusianorum.  Jphor.  i9.  fl/).B.  Pez, 
Bibiiothec.  ascetic.  t.  v.  Celle  collection,  trop  peu  connue  ,  renferme  des 
opuscules  extrêmement  curieux  ,  à  mon  avis  ,  quoique  peu  propres  à 
intéresser  bien  des  lecteurs  ,  à  cause  de  leur  tendance  ascétique.  Mais 
tandis  qu'on  exhume  à  grand  bruit  de  tristes  rapsodies  du  moyen-àge, 
j'admire  qu'un  homme  sérieux  n'ait  point  signalé  ce  recueil  comme  Mé' 
moires  de  la  vie  intime  citez  nos  Pères  ;  sujet  qui  mérite  bien  quelque  inté- 
rêt aussi.  Je  me  contenterai  d'y  faire  remarquer  un  petit  traité  de  Nico- 
las de  Strasbourg  (15^  siècle)  ,  qui  a  plus  de  rapport  à  mon  sujet.  Il  y 
indique  la  manière  de  sanctifier  les  études  de  mathématiques  ,  d'astrono- 
mie, de  littérature ,  etc.  ;  t.  3,  particulièrement  ch.  xi. 

*  Dante,  Paradiso  ^  xxu,  74. 


DES  BIBLIOTHÈQUES   DU    MOYEN-AftE  llli 

Ne  soyez  donc  point  surpris  si  les  règles  monastiques  des- 
cendent parfois  jusqu'à  une  sorte  de  minutie  sur  le  soin  qu'il 
faut  prendre  de  la  bibliothèque.  Le  coutumier  de  Citeaux,  ré- 
glant l'ordre  à  suivre  pour  le  tems  de  la  lecture,  s'exprime 
ainsi*  :  o  Quod  si  (juis  nccesse  habuerit  divertere  alicubi,  li- 
obrum  suum  in  armario  reponat;  aut  si  in  sede  suà  eum  di- 
smittere  voluerit,  faciat  signum  iratri  juxtà  «cdenti,  ut  illum 
Dcustodiat.»  La  règle  de  St.  Isidore  •  voulait  que  les  livres  fus- 
sent rendus  tous  les  soirs  :  o  Omnes  codices  cuslos  sacrarii  ' 
«liabeat  deputatos,  à  quo  singulos  singuli  fratres  accipient, 
squos  prudenter  lectos  vel  habitos,  semper  post  vesperam  red- 
s  dent.  Prima  auteuî  hora  codices  singulis  dicbus  petantur, 
»  etc  ''.»  Celle  des  Chartreux  (Statala  Guigonis)  au  sujet  de  l'a- 
meublement de  chaque  cellule  :  «  Adhuc  cliam  libros  ad 
nlcgendum  de  armario  accipit  duos,  quibus  omnem  dili- 
«gentiam  curamque  adhibere  jubelur,  ne  fumo,  ne  pul- 
»  vere,  vel  aliâ  quâlibet  sorde  maculentur  ;  libros  qiiippe  tamquam 
»  animarum  nostrarum  cibum  cautissbnc  cuslodiri  ,  et  studiosis- 
tsirne  voLumus  fieri  ^ ,  etc.»  Pandes  qui  rappellent  la'manière 
dont  Ilariulph  termine  le  catalogue  des  livres  «le  St.  Riquier  « 

au  11"  siècle.  « Omnes  igilur  codices  in  commune  faciunt 

nnumerum  cet  et  vi.  Ita  videlicet  ut  non  numerenlur  libri 
Bsigillatim,  sed  codices,  quia  in  uno  codice  diversi  libri  mul- 
«tulies....  habentur;  quos  si  numeraremus  quingentorum  co- 
"piam  superarent.  Uœc  ergo  dixiticc  clauHrales ^  licc  sunt  opulentiœ 
cœiestis  vitœ,  dulcedine  animam  saginantes,  per  quas  in  ceniulensibas  i 

'  Ap.  Marlenc ,  Antiqui  monaclioi  iim  i-itus.  1.  x.  c.  7.  n°  10. 
^  Ap.  Martene  ,  1.  c. 

5  On  verra  plus  tard  (N°  li)  pourquoi  !e  bibliothécaire  est  designé 
par  les  expressions  :  armarius  ,  custos  sacrarii ,  c'est-à-dire  .  chargé  du 
trésor  de  l'Eglise,  oa  de  la  Sacristie. 

4  Ap.  Martèae,  1.  c. 
^  Ap.  Martene.  1.  c. 

6  Spicilegium  de  d'Achery  (éd.  iQ-4°)  t.  i. 

7  Centula  est  le  nom  du  lieu  où  avait  été  fondé  le  monastère  de  Saint- 
lliquier.On  a  prétendu  trouver  l'origine  de  ce  nom  dans  la  multitude  des 
tours  qui  flanquaient  les  murailles  de  l'abbaye,  et  dont  un  bon  nombre 
subsiste  encore.  «Turribus  à  Cenium  Centula.  dicta  fuit.  « 


£|12  SI    LE    CHRISTUniSME    A   NUI    AUX   SCIENCES. 

•  imputa  est  salubris  itla  sentenlia  :  Ama  scientiam  seripturarum  ^ 
»et  viiia  non  amâèis  '.  » 

Ces  vicissitudes  des  bibliothèques  monastiques  ,  liées  à  celles 
de  l'esprit  religieux,  nous  sont  attestées  par  l'histoire,  bien  que 
les  chroniqueurs  n'en  aient  point  fait  ordinairement  la  remar- 
que expresse.Maisïrithème,  bon  juge  en  cette  matière,  ne  man- 
que pas  de  lefaire  observer  *  :  «Mortuo"W'illichone...non  fuit  qui 

•  monaslicae  institulionis  integritalem  curarel,  caeperuntque  mo- 
■  nachi  post  divisionem  generalem  ,  quilibet  etiam  pro  se  habere 
ttperculium...    Bibliothecam  à  principio  fundationis  monasterii 

•  satis  locupletem  variisque  voluminibus  refertam  turpiter  dex- 
«truxerunt ,  vendentes  preliosa  volumina  pro  vili  pretio,ut 
»suis  comcssalionibus  et  voluptatibus  satisfacere  possent.  >  Ici 
c'est  avec  l'esprit  de  pauvreté  '  que  se  dissipe  la  collection  des 
livres  du  monastère  ;  ailleurs  c'est  bien  un  autre  dégât,  quand  la 
règle  est tout-à-fail  bannie.  C'est  encore Trithème  *,  parlantde 
l'abbaye  d'Irsauge  (Hirschau)  envahie  par  les  séculiers  (i  i*  siè- 
cle) :  «Monasterium...,  monachis  vaccuum...  proslibulura  me- 
»  relricum  faclum  est.  Interea  si  quid  remansit  quod  Cornes  '  et 
scaeteri  fures  non  rapuerunt ,  cierici....  ita    paulalim  cousu- 

'  On  voit  par  ces  derniers  mots  que  les  moines  du  moyen-âge ,  avaient 
pris  pour  eux  l'avis  donné  par  S.  Jérôme  aux  solitaires  de  son  teras. 

»  Trithem.  ,  Chron.  spanhemense ,  ad  A.  1337. 

»  Ce  doit  èlre  chose  singulière  pour  ceux  qui ,  privé»  de  foi  ,  ne  se  font 
point  d'idéedefétat  religitnix,  de  voir  que  les  communautés  les  plus  réglées 
aient  communément  allié  la  pratique  d'une  pauvi-eté  étroite  relativement 
aux  aises  de  la  ^  io  ,  avec  une  sorte  de  profusion  pour  les  livres.  L'abbé 
Guibert,  contemporain  des  premiers  disciples  de  S.  Bruno  (I1«  siècle) , 
exprimait  aussi  son  admiration  à  ce  sujet  :  iQuum  in  omuimodà  pauper- 
»  tate  se  déprimant,  ditissimam  tamen  Hbliothecam  coaggerant  :  quo 
»  enim  minus  panis  hujus  copia  materialis  exubérant ,  tanlo  magis  illi 
•  qui  non  périt,  sed  in  aelernum  permanet  cibo  operosè  insudant.»  Gm- 
bertus.  De  vtta  sud.  1.  i.  c.  10. 

*  Trithem.  Chron.  Hirsaug.  ad  A.  1002. 

*  Un  seigneur  s'était  d'abord  emparé  du  monastère  ,  comme  il  arriva 
si  souvent  à  cette  époque;  puis  des  ecclésiastiques  séculiers  y  remplacè- 
rent les  moines  expulsés  par  la  violence  et  les  mauvais  traitemens  ;  en 
sorte  que  l'abbaye  dexinl  le  théâtre  de  desordres  malheureusement  trop 
fréquens  durant  ce  siècle  parmi  le  clergé. 


DES  BIBUOTnÈQUES  DU   MOTEN-AGE.  415 

»iUentes  in  nîhilum  redegerunt ,  ut  ncc  (ibris  ,  quorum  ingens  co- 
mpia  ibi  collecta  fuerat,per  diligentiam  veterum  monacliorum...  parcere 
«potuissent.  Nam  quum  illo  teinporc,  qiiando  împrimendi  libres 

•  scientia  necdum  fuit  in  usu  ,  volumina  cariore  vcnderentur 
tprefio,  indocli   nebulones    pretiosi>simum  illum  thesaurum 

•  bibliolliecae  in  paucis  annis  lam  turpiler  vendeiido  et  consu- 
»mendo  dislraxerunt  ,  ut  nec  unum  cjuidem  codicem  alicujus 
»ponderi»el  pretii  reliqnissent.  • 

On  voit  (jue  selan  le  pieux  et  savaui  Trilhème  ,  on  pouvait 
en  quelque  sorte  juger  dans  un  monastère,  la  vie  religieuse  de 
ceux  qui  l'habitaient  par  l'état  de  la  bihliolhèque,  ou  du  moins 
par  l'estime  qu'on  y  faisait  des  livres.  Pour  lui ,  quant  après 
avoir  quitté  sa  première  abbnye  ,  il  énumère  à  ses  anciens  re- 
ligieux les  titres  qu'il  croit  avoir  à  leur  reconnaissance  ,  il  in- 
siste principalement  '  sur  l'augmenlation  de  leur  bibliothèque 
procurée  par  ses  soins  (fin  du  i  5'  siècle);  «  Nemo  vestrùm  inve- 
»nit  me  otiosum,  nemo  vidit  vel  auilivit...  vagis  discursibus  vel 
«spatiationibus. .,  inutiliter  occupatum In  testimonium  stu- 

•  diorum  nostrorum  voco  ciloque  bibliothecam  illam  solemnem  quâm 
»meis  laboribus,  studio  et  impensis  comportavi,  non  sine  vigi- 
«lantià  et  fatigatione  continua  voliiminum,  in  omni  varietate 

•  studiorum  non  modicam  muliiliidinem  corigregans...,  quorum 

•  nnmerus  omnium  duo  millia  exccdit.» 

Dans  une  autre  lettre  ',  il  considère  le  sacrifice  auquel  il  lui  a 

'  Trithemii  Epist.  1.  n.  Ep.  2*.  Sa  lettre  est  datée  de  Wurzbourg 
en  1506. 

«  Trithemii  Ep. ,  lib.  ii,  ep.  3.  «  Scio  quidem  non  paucos  mirari  qood 
■  ahbaliam  diniisi  spanhemensem  quam  libris  et  structuris  offecipulcher- 

•  rimam.usque  adeo  ut  in  tolàGermanià  nunquam  rcperialurbibliotheca 

•  in  quâ  tôt  habeantur  in  omni  scienlià  scripfiirarum  nova  simul  et  anti- 

•  qua  volumina  pretiosa  atque  rarissiraa  .  non  solam  latina  ,  sed  hebraica 

•  quoque  et  graeca ,  charactere  scripta  \etustissimo.  Nam  ut  vidisti ,  plus 

•  quam  duo  voltnnintnn  mill.ia  ex  dioersis  muudi  regnis  tara  et  anlinuissiuba 

•  comportavi ,  quae  omnia  ,  cum  sedificiis  el  rébus  variis  ,  amore  pacis  di- 

•  misi.Si  quis  •  x  eorum  amissionedolor  anitnum  pulsare  caepisset,  mortis 

•  mihi  sirailitiidinem  formavi.quà  non  soliim  oblivionem  iibrorum,  «««« 
nquibus  aliquando  vivere  non  />o/«<,  sedetiam  conlemptum,  utdixerim  ita, 

•  mihimetipsi  persuasi.  Magno  ,fiJleor,hib(iotliecœrfiioiidum  tenebar  amore 

•  et  cunctis  mundi  opibut  Libros  meos  anteferebam  :  std  postea  quam  rerun^ 

•  mutationem  perpendi  adesse  mearum,  onuiia  qnae  prius  ama\eram  stcr- 


Zjlii  SI    LE    CIIRISTIANISIIE   A   NUI    AUX  SeiENCES. 

fallu  se  résoudre  en  quittant  avec  Sponlieim,  sa  chère  biblio- 
thèque, comme  la  plus  amère  privation  qu'il  ait  eu  à  subir  pen- 
dant toute  sa  vie.  Et  ce  n'était  point  une  singularité:  St.  Nil  le 
le  jeune  (  10'  siècle),  apprenant  la  dévastation  de  son  monastère 
de  Rossano  ,  par  les  Sarrasins,  fut  si  profondément  affligé  de 
la  destruction  de  ses  livres  ',  qu'il  se  relira  à  Rome,  fuyant  les 
lieux  où  ce  douloureux  souvenir  semblait  devoir  le  poursuivre 
sans  cesse  On  voit  en  cITet  la  première  pensée  des  religieux  se 
porter  sur  cet  objet,  lorsqu'un  danger  sérieux  menaçait  leurs 
monastères.  En  883  ',  dans  un  incendie  qui  fit  perdre  aux  moi- 
nes de  Fleury  tout  ce  qu'ils  avaient  de  mobilier,  ce  fut  à  sauver 
les  livres  qu'ils  s'attachèrent  de  préférence.  Au  lo' siècle, l'abbé 
de  saint  Gall  fuyant  devant  les  Madjars,  voulut  qu'avant  tout 
on  dérobât  les  livres  aux  dévastations  de  ces  farouches  conqué- 
rans  ',elles  fil  transporter  dausles  montagnes.  Les  Bénédictins 
du  mont  (lassin,  obligés  dès  le  premier  siècle  de  leur  existence , 
(vers  58o  ou  586),  d'abandonner  leur  monastère  à  la  fureur  des 
Lombards,  sauvent  leurs  livres  4,  avec  les  monumens  de  leur 
règle.  C'était  là  le  trésor  des  abbayes;  et  saint  Fulrad ,  abbé 
de  Saint  Denis,  n"en  juge  pas  autrement,  lorsque,  dans  la  liste 
de  ce  qu'il  laissait  à  sa  mort  (8'  siècle),  il  place  les  livres  immé- 
diatement après  l'or  et  l'argent  ^. 

«coris  aestimatione  contempsi,  animoque  imperavi  mconihilpraeter  seîp- 
»  sum  deinceps  suum  credere,  el  quae  in  morte  necessario  esset  relicturus, 
«multo  magis  vi\ens  in  carne  disceret  non  amare ,  etc.  »  Je  me  suis 
étendu  à  dessein  sur  Tritheine,  parce  qu'il  appartient  à  un  tems  (fin  du 
1  S'  siècle  et  commencement  du  I  i)<î)  que  l'on  considère  volontiers  comme 
ayant  été  ,  sans  contredit,  l'âge  de  l'ignorance  la  plus  épaisse  pour  les 
monastères.  Clr.  Blurae,  lier  Ilalicum,  t,  i^r  (licrlin  I82i),  Einleitung 

>  Cfr.  Rodotà.  Del  rito  greco  tn  Itatia,  I.  u  ,  c.  6,  n°  7. 

>  JctaSS.  Beneiitctin.  Saec.  iv,  part.  2,  pag.  iO'J.  ap.  Petit-Radel,  op. 
c.  p.  80.  La  date  pourrait  bien  n'être  pas  exacte.  Voyez  l'opuscule  inti- 
tulé :  Souvenirs  liistonqucs  sur  Cancienne  abbaje  de  Saint-Benott-sur-Locre, 
par  L.-A.  Marcbaud.  Orléans,  J838,  ia-8°. 

3  Bruschius.  Hi$t.  Boliemic.  ap.  Petit-Radel,  op.  c.  p.  86. 

4  Paul.  Diacon.  De  gestis  Longobardorum  ,  lib.  iv,  c.  Î8,  ap.  Muralori, 
J\er.  halic.  script,  t.  i. 

*  Aurura  ,  argenlum  ,  codices,  aeramen delegavi.   Acta  SS.   Ben. 

S«ec.  m,  part.  2,,  pag    3i2. 


DES   BIBLIOTHÈQUES   DU    MOYEN-AGE.  1x15 

Plus  indépentlans  que  les  abbés,  et  pouvant  diposer  librement 
de  leurs  livres,  de  saints  évèques  voulaient  les  conserver  auprès 
d'eux  eu  voyageant.  Je  n'en  choisirai  d'exemples  que  parmi  ceux 
qui  ayant  été  religieux,  ou  du  moins  formés  dans  les  cloîlies,  y 
avaient  puisé  cet  amour  de  l'étude;  l'hisloire  de  S.  îlurkard,  évc- 
que  de "Wuizbourg racontant  sou  abdication  (en  751  ),  ajoute  *: 
«  Assumptis  sex  lanlum  exomni  multitudine  discipulorum  suo- 
»ruminonac!iis,  navim  conscendit  '  ,co(Iices  eliara  quos  vel  ipso 
Hconscripserat ,  vel  undecumque  conquisicrat,  secum  deportari 
efecit.»  Saint  Boniface  ne  portait  avec  lui  que  des  livres  et  des 
reliques  *  ;  aussi  le  rcprésente-t-on  souvent  avec  un  livre  tra- 
versé d'un  glaive,  parce  qu'il  opposa  aux  coups  de  ses  meur- 
triers un  évangile  qu'il  tenait  à  la  main  ,  lorsqu'il  se  jetèrent 
sur  lui  *.  Saint  Brunon  ,  archevêque  de  Cologne  (mort  en  960), 
fils  de  Henri  1"  l'Oiseleur,  et  qui  avait  reçu  les  leçons  du  savant 
Rathérius  de  Vérone,  ancien  moine  de  Lobes  *,  faisait  transpor- 
ter ses  livres  à  sa  suite,  durant  ses  nombreux  voyages,  afin  de 
n'en  être  jamais  séparé;  et  comme  on  pourrait  croire  que  c'é- 
taient seulement  des  ouvrages  de  piélé  ,  il  n'est  pas"inutile  de 
faire  remarquer,  avec  les  historiens  de  sa  \ie,  qu'il  faisait  vo- 
lontiers sa  lecture  de  Piaule  et  de  Térence  ^. 

XII.  Je  voudrais  pouvoir  indiquer  ici ,  au  moins  sommaire- 
ment les  bibliolhèques  les  plus  remarquables  du  moyen-âge. 
Dans  l'impossibilité  de  le  faire  d'une  manière  complète,  je  ren- 
verrai aux  indications  qui  se  trouveront  disséminées  çà  et  là 
dans  les  articles  suivans,  el  me  contenterai  d'en  nommer  pour 
le  moment  un  certain  nombre. 

Leiand,  bibliothécaire  de  Henri  VIII,  et  qui  avait  mis  à  profit 

'  Lecolnte,  Annal,  ecciesiaslici  Fravcorum,  t.  v,  ad  A.  75  f,  a"  58. 
.  *  Il  s'embarquait  sur  le  Mein  ,  pour  se  retirer  à  lîuhenbourg. 
-  \TillebaId  ,  In  ej.  vitd.  — Cfr.  Schaunat,  Vindcinlœ  litterariœ    t.  i. 

*  Othlon,  ib.  —  ^cta  sanctorunijunii,  i.  1, 

*  Les  e'tudes  llorissaient  à  Lobes  (ou  LaubeJ  au  commencement  du  10= 
siècle. 

«  D.  Ceillicr,  t.  xix,  ch.  xlv,  n"  f  el  i.  Quoique  M.  Graesse  (Lehrbuch 
einer  lilleraergeschichle....  2*  vol  Dresde  1638.)  attribue  aux  docteurs 
du  moyen-âge  la  proscription  de  ïérence  ;  mais  nous  aurons  occasion 
d'en  parler. 


Û16  SI    LE   CHRISTIANISME   A   WUI    AUX   SCIENCES 

pour  son  maître  la  dépouille  des  maisons  religieuses,  et  au- 
tres témoins  oculaires,  racontent  ,  que  l'on  comptait  1,700 
manuscrits  à  Péterborough  ;  que  la  bibliothèque  des  moines  gris 
(Franciscains,  je  pense)  d  Londres,  avait  12g  pieds  de  long  sur 
5i  de  large,  et  était  très-bien  fournie  {JVell  filled  with  books); 
qu'à  TVells  ,  la  salle  occupée  par  les  livres  ,  avait  25  fenêtres  de 
de  chaque  côté.  Selon  Iiigulph  ",  dans  un  siècle  appelé  commu- 
nément le  siècle  de  fer  ou  de  plomb  (en  109»),  on  perdit  700 
volumes  quand  la  biî)liothèque  de  CroyiandïuX  brûlée.  Et  ce- 
pendant il  semble  qu'au  12*  siècle,  on  en  avait  rassemblé  de 
nouveau  goo  autres  ^  En  Piémont  l'abbaye  de  la  Novalaise,  s'il 
fallait  s'en  rapporter  au  témoignage  d'un  de  ses  moines  * ,  au- 
rait possédé  au  10'  siècle  6,666  volumes.  Il  est  vrai  que  ces 
quatre  fois  six  ont  quelque  chose  de  bien  symétrique  qui  pourra 
paraître  tant  soit  peu  suspect,  chez  un  chroniqueur  connu  pour 
son  emphase.  Libre  donc  au  lecteur  de  réduire  ce  chiffre,  je 
ne  m'y  oppose  point;  déduction  faite  ,  il  demeurera  ,  je  pense , 
un  nombre  encore  passable,  Mais  pour  ne  plus  paraître  adopter 
des  exagérations  de  chroniques,  contentons-nous  de  rappeler 
les  abbayes  de  saint  Riquier  (^\)\xis  de  5oo  volumes  au  1 1"  siècle), 
et  de  Sponheim  (plus  de  2,000  au  i5»  siècle),  elc,  et  passons  en 
revue  sans  autre  détail,  les  bibliothèques  dont  la  réputation  in- 
contestable est  attestée  par  les  monumens  s. 

En  France  :  saint  Bénigne  de  Dijon  ,  saint  Berlin  (à  S.  Omer), 
Grande  Chartreuse,  Citeaux  ,  Cluny,  Corbie,  Fleury  (  S.  Be- 
sur- Loire),  saint  Germain-d'Auxerre,  saint  Germain-des-Prés 
à  Paris,  Lérins,  Luxeuil,  Marmoutier(  près  de  Tours),  Murbach 
en  Alsace,  saint  Rcmi  de  Rheims,  Sénones,  saint  Vanne  de 

*  Alban  Butler,  Vie  des  ancient  Pères ,  etc.  Note  à  la  Tie  de  saint  Au- 
gustin (26  mai) ,  ou  il  cite  ses  autorités.  L'édition  que  j'ai  sous  les  yeux 
est  celle  d'Edimbourg,  1 798. 

*  Ibid. 

*  Heeren,  op.  c.  1.  n,  39. 

*  Cfr.  Eugenii  de  Levis,  Anecdola  sacra.  Turin,  1789,  in  L*,  Praef. 
xxviij, 

*  On  trouvera  une  liste  beaucoup  plus  considérable  dans  Ziegelbauer, 
Hi$t.  Utterar.  ord.  S.  Dened.  t.  i ,  quoiqu'il  se  borne  aux  monastères  de 
bénédictins. 


DES   BIBLIOTHÈQUES   DU   MOYEN-AGF,.  fil 7 

Verdun  ,  saint  Viclor  de  Paris,  saintVincent  de  Besançon,  saint 
Vincent  de  Laon,etc. 

Espagne:  Alvelda  (près  deLo^rono),  saint  lîenoît  de  Sahagnn, 
saint  Paul  de  Barcelone,  saint  Vincent  d'Ovij-do,  etc. 

En  Portugal  :  Alcobaça,  etc. 

Ilalie  :  Bobbio,  Mont-Cassin,  Grolta  ferrata,  sainte  Marie  de 
Florence,  Polirone  (dans  le  Aianlouan),  Poniposa  (près  de  Ra- 
vcnne)  ,  etc. 

Angleterre  :  saint  Alban,  Cantorbéry,  Chestcr,  Rainsey  (dans 
le  Hnulini^tonshire),  elc. 

Pour  l'Ecosse  et  l'Irlande,  comme  pour  la  Suède,  le  Dane- 
mark, la  Pologne,  la  Hongrie  et  les  pays  slaves,  les  docuniens 
ne  se  sont  point  rencontrés  sous  lua  main. 

Boliême  :  Brzeunow,  Poslelpford  (ou  Poslelberg),  Prague  (les 
Prémontrés  et  la  cathédrale),  etc. 

Suisse  :  Einsiedeln  (Notre-Dame  dcseimites)  saint  Gall,  Mûri 
(ou  Mouri) ,  Pfeffers,  etc. 

Allemagne  :  \°  Bibliothèques  de  chapitres  :  Rreslau,  Cologne, 
Francforl-sur-le-Wein  ,  Gandersheim,  Hambourg,-  Mayence, 
Munster,  Ratisbonne,  etc.  ^"  Dibliot/icqaes  monastiques  (ou  de 
communautés  religieuses)  :  saint  Alban  de  Mayence,  Nieder- 
altaich,  Ober-allaieh ,  Benediet-Beuern,  Bergen  (près  de  Mag- 
debourg) ,  saint  Biaise  (dans  la  Ibrôt  noirel.  Chartreuse  de 
Buxheim(en  Souabe),  saint  Emmeramn  de  Ratisbonne,  Fulde, 
Gottweih,  S.  Jacques  de  Mayence,  Michelsberg  (près  de  Ban- 
berg),  Moelk,  Oltobeuern,  Tegernsce,  saint  Ulrich  et  sainte 
Affre  d'Augsbourg,  ^Veingarlen,  etc.,  etc.,  ete  *. 

Je  ne  parlerai  guère  que  de  l'Occident,  soit  parce  que  les  reli- 
gieux de  l'empire  grec,  ayant ,  après  quelques  luHes  ,  passé  à 
l'ennemi,  n'ont  point  encouru  comme  les  moines  latins,  l'ani- 
madversion  de  la  raison  (comme  parlait  Voliaire):  les  religieux 
catholiques  étant,  comme  il  convenait,  ceux  qui  ont  eu  à  por- 
ter le  principal  poids  de  la  colère  des  novateurs;  soit  surtout  à 
cause  du  silence  des  monumeus  historiques  '.  Disons  au  moins, 

»  Voir  Klcmm  ,  op.  c. 

^  Heeren  (op.  i  et  xi  passim)  se  pl.Ti'nt  à  plusieurs  reprises  des  ge'méra- 
litdsdont  se  contentent  le  plus  souvent  les  e'crivains  iiatiouauxderhistoire 
ToMEXvu. — N°  102.  i838.  39 


7jl8  SI    LÉ    CaniSTlAMSME    A    ^L•|     KV\    SCIENCES. 

que  les  bibUoShèqucs  monastiques  les  plus  célt-bres  du  bas  em- 
pire, paraissent  avoir  élé  celles  de  l'Archipel,  durant  le  9*  siè- 
cle ;  à  Andrcs  ,  à  Pai/nnos  ,  à  Lisbos  ',  soustraites  pcut-êîre  par 
leur  isolement  auxiir.eurs  des  préfets  iouncclastesduS'siècle  >; 
et  sur  le  continent ,  dans  les  mona.stères  d'jmont  Àthcs  ,  où  les 
religieux  de  diverses  langues  c^mmencèrentà  s'établir  en  grand 
nombre  durant  les  (j'  et  10"  s-iècies. 

La  continuation  de  cet  article  exposera  les  moyens  auxquels 
on  eut  recours  pour  rassembler  des  collections  de  livres  dans 
ces  tems  difficiles.  Après  quoi ,  nous  verrons  de  quels  ouvrages 
se  composaient  ces  collections,  cl  s'il  est  vrai  que  l'érudition  et 
la  science  prolanesen  fussent  bannies,  ou  n'y  fussent  admises 
que  par  une  sorte  de  rare  exception. 

C.   A  CHER Y. 

Ittéi'aire  byzantine;  et  ,  sur  un  pareil  objet,  i!  serait  téméraire  de  vouloir 
ralïiner  là  où  un  houirae  aussi  habile  conlesse  sou  igaorauce.  C'est  sur- 
tout au  sujet  des  bibliothèques  que  ces  auteurs  suppritaent  opiniâtrement 
les  détails;  mais  le  même  sa%ant  lait  remarquer  ,  en  outre,  que  les  mo- 
nastères d'Orient,  et  surtout  ceux  de  Constanlinople ,  paraissent  avoir 
été  fort  inférieurs  pour  l'élude  à  ceux  d'Occident.  Op.  c.  n ,  29. 

'  Heerea,op.  c    1,  83. 

»  Sur  le  vandalisme  de  Constantin  Copronyme  et  de  ses  préfets.  Voir 
Theophan,  p.  371,  373  ,  375  ,  etc.  —  Cedren.  p.  45i  ,  i66.  En  citant  les 
auteurs  byzantins ,  c'est  ordinairement  à  l'édition  de  Paris  que  j'ai  re- 
cours. 


PLAN  ET  DESCRIPTION  D^UNE  BASILIQUE.  419 

\\\VVV\VVVVVV\\\V\>V\\'V>\VVVV\VVVVVV%'VVVV\VVVVVVVVV\\\V\V'VVV\-V\V\\VV\WV\\V\V\V\\\VVV\VWW 


:3iït  arijvaicn. 


PLAN  ET  DESCRIPTION  D'UNE  BASILIQUE 

DES    PUETîHEBS    SIÈCLES, 
Pour  servir  à  l'inlelligence  des  ailleurs  qui  traitent  de  l'art  clirétien. 

■-a^S<s^g» 

Nous  avons  déjà  parlé  des  Bnsiliqaes  •,  et  dit  que  ce  mot  si- 
gniHait  chez  les  Grecs  et  les  Romains  de  grands  édifices,  où  l'on 
traitait  des  affaires  de  la  nalion,  et  ou  siégeait  le  chef  delà  jus- 
tice qui  en  grec  se  nommait  Baaàsuç.  (lonslantin  ayant  donné 
plusieurs  des  ces  édifices  aux  chréliens,  pour  leur  servir  de  lieu 
de  réunion,  l'ancien  nom  leur  resta  *.  La  vaste  étendue  de  ces 
bàtimens  convenait  en  effet  bien  mieux  aux  assemblées  des 
chrétiens,  que  la  forme  exrguë  de  la  plupart  des  temples  payens, 
dont  peu  de  personnes  remplissaient  l'espace  ,  et  dont  l'idole  , 
comme  le  dit  spirituellemcut  un  auteur  moderne,  disparaissait 
souvent  dans  la  fumée  d'un  grain  d'encens  ^. 

On  parle  beaucoup  aujourd'hui  de  l'art  chrétien,  et  l'on  re- 
cherche avec  curiosité  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  en  faire 
connaître  l'origine  et  les  diiférLUtes  destinées;  on  parle  donc 
biensouvent  de  Basiliques  et  d'Eglises  ;  on  lit  les  auteurs  qui  en 
ont  conservé  le  souvenir;  on  compare  entre  elles  les  descrip- 
tions laissées  par  Euscbe,  par  S.  Paulin,  par  Anaslase;  mais 
faute  d'un  plan,  qui  en  mette  les  parties  sous  les  yeux,  on  ne 
saurait  s'en  former  une  idée  juste  ;  bien  plus  nous  osons  dire 
qu'on   ne  peut  se  former  absolument    aucune  idée  de  quel- 

■  Voir  le  n°  9i,  tome  xvi ,  pag.  253. 

»  On  sait  que  ce  prince  donna  même  un  de  ses  palais ,  situe'  sur  le  mont 
Cœlius,  pour  en  faire  la  première  église  ;  malheureusement  il  n'en  existe 
plus  depuis  long-tems  aucune  trace. 

3  Des  temples  anciens  et  modernes  ,  par  L.  May.,  î  vol.  in-S",  p.  17. 


Z|2l)  PLAN  ET   DESCniPTION  d'lNE  BASILIQUE. 

(|ue*-unc.s  des  pailu's  de  ces  édifices,  puisque  les  termes  mêmes, 
dont  se  sont  servis  les  anciens,  pour  les  exprimer,  ou  les 
ficcrirc,  manquent  dans  la  plupart  de  nos  dctionnaires.  C'est 
ainsi  qu'on  chercherait  vainement  dans  Henri  Etienne  y  oudans 
nos  dictionnaires  clussirjucs  Grecs  ou  /^fl//ns,  plusieurs  des  termes 
qui  désigjicut  quelques-unes  des  parties  des  anciennes  églises. 

Nous  avons  donc  cru  faire  une  chose  agréable  et  utile  aux 
lecteurs  des  Annales,  en  faisan!  graver  une  planche  qui  mît 
sous  leurs  yeux  les  différentes  divisions  de  l'ancienne  basi- 
lique chrétienne;  et  afin  que  cette  explication  fût  plus  claire 
et  plus  facile  à  saisir,  non-seulement  nous  allons  donner  ici 
l'explication  des  différens  noms  des  divisions  de  ces  édifices  pri- 
mitifs, mais  nous  avons  fait  graver  ces  noms  dans  le  plan 
même,  afin  que  la  destination  de  chacune  des  parties  s'aper- 
çoive de  prime- abord  et  sans  le  secours  d'aucune  explication. 

Pour  atteindre  le  but  que  nous  nous  proposions,  nous  avons 
parcouru  les  ditférens  ouvrages  qui  on  été  publiés  sur  cette 
matière;  Ciampini  S  Alemanus  »,  d'Agincourt  ',  etc.,  mais  nous 
n'en  avons  trouvé  aucun  qui  donnât  un  plan  qui  fît  aussi  bien 
comprendre  cette  question  ,  que  celui  que  nous  trouvons  dans 
le  traité  de  Godefroy  Voigt  sur  les  anciens  autels  des  chrétiens  4. 
C'est  celui  que  nous  offrons  ici  à  nos  lecteurs. 

'  Veiera  monimenta De  œdificiis  sacria  à  Constantino  constructis. 

*  De  parietinis  Lateranensibus  restitutis. 

*  Histoire  de  Cart  ^  t.  i  et  ii ,  plan  i, 8,  H,  16,  17. 

*  L'ou^rage  de  Voigt  est  intitulé  Golhof.  Voigti  tliysiasterriotogia,  sive 
de  altaribus  veterum  christiatwrum  liber  posthumus editus  à  J.  Al- 
berto Fabricio,  etc.,  in-S'Haraburgi  1 709. — Voigt  était  recteur  dcl' école 
de  saint  Jean  ,  à  Hambourg  ,  et  son  li\  re  est  peu  connu. — Il  cite  Hospi- 
nianus  de  origine  templurum,  — Joa.-Hildebraudus,  Enchiridion  de  sacris 
publicis  primœ  et  primitivœ  eccUsiœ.  —  Gui!.  Beveregius  de  templis  grœcorum 
auquel  il  a  emprunté  le  plan  que  nous  donnons  ici. 


! 


lun 


w»/<âr^ï'rr't'*j 


A22  PLAN  ET  DESCRIPTION  D'uNE  TiASILIQUE 

Basilique  ancienne  et  ses  diverses  parties. 

Les  églises  les  plus  anciennes  étaient  divisées,  comme  on 
le  voit  dans  le  plan  joint  à  cet  article,  en  quatre  parties  prin- 
cipales, qui  étaient  : 

I.  Le  UpaiTÛlKiov  ,  ou  atrium ,  ou  portique. 
II.  Le  NajoSïiÇ  ,  on  Vesiibulum-,  ou  vestibule. 

III.  Le  Nkoi;,  ou  Ecclesia,  OU  nef. 

IV.  Le  Byj/AK  ,  ou  Sacrariuniy  ou  Sanctuaire. 

I.  La  première  partie  de  la  basilique  était  le  nPonVAAiON,  que 
les  Latins  ont  appelé  ATRIUM,  ou  arca,  ou  catacumba,  on  para- 
disus  ;  c'est  ce  que  nous  appelons  péristyle,  ou  PORTIQUE,  ou 
porche  '. 

C'était  un  endroit  carré  ou  oblong,  comme  on  le  voit  ici, 
formé  de  colonnes,  couvert,  et  ouvert  primitivement,  puis 
fermé  de  tapisseries  très-riches  '.  Quand  on  eut  cessé  d'ensevelir 
dans  les  catacombes,  c'est  là  que  furent  enterrés  les  chrétiens; 
et  alors  on  y  mit  une  inscription  qui  portait  :  KotpiïjTrîptov,  ctcme- 
terium  ,  cimetière,  lieu  de  repos. 

C'était  encore  là  que  se  tenaient  les  pénitens  publics,  revêtus 
d'habits  de  deuil,  la  tète  couverte  de  cendres,  prosternés,  pleu- 
rant, et  priant  ceux  qui  entraient  dans  l'église  d'intercéder  pour 
eux  auprès  de  Dieu.  Aussi  nomma-t-on  ce  lieu  orao-t;  tûv  tt^oh- 
xîiatovTwv  ,  Statio  lugentium ,  la  place  des  pleurons  ^  ? 

II.  Venait  ensuite  la  seconde  partie,  ou  plutôt  la  première 
partie  de  l'église  proprement  dite,  appelée  NAPGIIz:,  ou  ttjoovko-, 
Vestibulum,  vestibule,  ou  avant-nef,  à  laquelle  on  parvenait  par 
une  grande  porte,  ^.tyoÙMi  -nvlai.  Dans  le  narthcx  ou  avant- 
nef,  partie  la  plus  humble  de  ['rglise,  se  tenaient  d'un  côté  , 
à   gauche,   les  possédés,  o>.  ^^-luoc^oiiévoi,   hiemantes '',   ou    ener- 

»  Voir  ce  qu'en  disent  saint  Paulin,  saint  Jérôme,  Prudence,  Vl^epist. 
ad  Heliodorum.  In  epiphanla.  —  Ilj'tnn.  ad  S.  Laurenttiim. 

»  Voir  son  traité  sur  tes  porches  des  églises.  — Vour  le  droit  d'asile,  voir 
le  code  théodosien  ,  liv.  ix  ,  45. 
■     ^  Voir  Sirmond  de  penitentià  pubUcâ.  ; 

4  Quelques  auteurs  ont  traduit  /ji^iK^oii-évoi  par   hibernantes  ;    celte 


DES  PREMIERS  SifcCLES.  423 

gumeni,  et  les  lépreux^  oi  Xsz^ooi  ,  leprosi  ;  à  droile,  les  cal/iécU' 
m^ncs,  o't.  y.v.--nyovj.vjoi. .  catecitumeni  ;  au-dessus  d'(Mi\.  et  plus  près 
de  la  2*  parlie  de  l'ri^lise  ou  de  la  net',  étaient  les  écoutans  ou 
auditeurs,  ol  ùxpoMy.évoi.,  atidicntes ,  c'esl-à-diic .  t  )u^  ceux  qui 
pouvaient  enfendie  révanj:;ilo  et  les  éj)iti(;s,  mais  qui  n'a- 
vaient pas  le  droit  d'assister  au  saint  Sacrifiée.  Près  de  là,  et  sur 
la  droile,  était  le  baptisirre ,  CjKxnTiaTr,pi.ov  ou  7.o').'Jif.SriOp« ,  où  l'on 
administrait  le  sacrement  du  baplème. 

Pendant  le  moyen-âge  on  donna  de  grandes  dimensions  et  de 
grands  développemens  au  Uoplislère;  aussi  fut-il  iong-tems  sé- 
paré de  l'église ,  pourtant  toujours  auprès  d'elle,  et  ibrma-t-il 
comme  une  espèce  d'église  à  part.  Nous  citerons  comme  mo- 
dèles de  ces  deux  disposiii!)us,  celui  dePisc,  placé  hors  de 
l'église,  et  celui  de  S.  Marc  do  Venise,  situé  dans  sou  enceinte 
et  admirableuicnt  décoré. 

III.  Du  Narthcx  ou  avant-nef,  on  passait  à  la  troisième  partie 
de  la  basilique,  appelée  NAOS  ou  £xx),r/(7ta  ,  en  grec,  et  en  latiu 
ECCLE.SIA,  lUtrcna,  grcmium,  tesltido,  navis y  et  en  français,  nef 
et  vaisseau  '. 

Le  Naos  éJaiî  divisé  en  trois  parties.  Celle  du  milieu,  propre, 
ment  appelée  naos,  et  à  droite  et  à  gauche  ,  deux  nefs ,  ou  ba;.- 
câiés,  ou  galeries,  appelées  etiÇo/oc,  portiques,  ou  ylizal,  places,  ou 
^spoi  ,  cotés. 

Trois  portes  conduisaient  du  narihex  dans  le  naos  ,  celle  du 
milieu,  appelée  ûpaîut  u-jlxi,  spe.ciosœ  portœ ,  les  belles  portes  ,ser- 
vaient  pour  les  processions  et  pour  les  personnes  qui  entraient 
dans  la  nef;  la  porte  de  droile  coiîduisail  au  portique  de  droile, 

expression  est  bien  la  traduclion  litlriraîe  rlti  grec,  mais  nous  doutons 
qu'elle  soit  suffisammcni  intel!ig"b!r.  le  mot  grec,  tiré  d'une  racine 
qui  signifie  hiver  et  tempête,  a  reçu  luic  extension  de  ce  dernier  seus ,  et 
signifie  tourmenté,  par  conséquent /)05.stf(/t;.  Le  mol  liihc<-iiaitles,  liivernuDt , 
nous  paraît  destiné  à  indiquer  ce  dernier  sens. — Sur  îes  énergiim^-nes 
et  les  exorcismes  dont  ils  étaient  l'objet,  voir  Durandus  rationaic  divhw- 
rum  cfpeiorum. 

'  Sur  la  forme  mystique  donnée  aux  églises,  voir  Raronius  de  myslicQ 
rexpcctu  veterum  cliristianorum  in  cotidendis,  templis  ad  ann.  3 1  d.  — Iloswci- 
dus  rtf/  PauUnum,  p  862.— Et Michciet,  Histoire  de  France,  t.  n,  dernier 
chapitre. 


k2h  PLAN  ET  DESCRIPTION  d'l'NE  BASILIQUE 

destiné  aux  hommes,  et  la  porte  de  gauche  au  portique  degauche, 
où  se  réunissaient  les  femmes.  Ces  deux  bas-côtés,  destinés  , 
comme  on  le  voit,  au  peuple,  étaient  quelquefois  plus  élevés 
et  quelquefois  plus  abaissés  que  la  nef  du  milieu,  qui  ainsi 
servait  comme  de  lieu  de  Scène  au  spectacle  religieux  des  cé- 
rémonies, des  processions  et  des  prédications,  que  le  peuple 
contemplait  et  entendait  pieusement  des  deux  côtés. 

A  l'entrée  du  naos  se  trouvait  d'abord  la  place  des  prosternés^ 
prostrati,  oî  LiCTOCTtcrrûvre-  ,  c'est-à-dire,  de  ceux  qui,  après  avoir 
accompli  les  pénitences  publiques,  étaient  admis  dans  l'intérieur 
de  l'église,  mais  ne  participaient  pas  encore  aux  saints  mys- 
tères. 

En  avançant  et  à  peu  près  au  milieu  du  naos,  se  trouvait 
l'Ap-ocov,  Suggestus ,  on  jubé ,  ou  pupitres.  Autour  d'eux  et  sous 
les  yeux  du  peuple  siégeaient  les  lévites  et  les  trois  chœurs  de 
chant,  composés  i°  de  l'orchestre  et  des  psalmistes,  2°  de» 
sous-diacres  chantant  l'épilre  ,  5°  des  diacres  pouvant  seuls  lire 
l'évangile,  les  lettres  et  les  édiis  des  évêques.  Os  ambous 
étaieiït  ordinairement  des  chaires  de  marbre  octogones  ou  car- 
rées, ornées  de  sculptures  ou  de  mosaïques.  On  en  voit  encore 
à  Rome,  dans  les  églises  de  San  Clémente,  de  San  Lorenzo  et 
de  Suîicta  Maria  in  cosmcdin.  11  serait  difiicile  de  préciser  à  quelle 
époque  l'ambon  fut  placé,  comme  on  le  voit  ici,  à  l'entrée  du 
naos.  Dans  l'église  S.  Clément  de  Rome,  qui  date  du  4*  siècle, 
l'ambon  se  trouve  dans  le  sanctuaire  ';  dans  l'église  de  Saint 
Michel  de  Pavie,  on  le  voit  au  milieu  de  la  nef*;  mais  dans  les 
églises  des  i3'  et  14*'  siècles  l'ambon  est  placé  à  l'entrée  du 
chœur.  Plusieurs  auteurs  ont  écrit  de  gros  volumes  pour  ex- 
pliquer ces  différences.  Qu'il  ne  us  sr.ffisc  de  faire  remarquer 
que  dans  les  églises,  comme  celle  que  nous  examinons  ici, 
où  il  y  avait  différentes  parties  séparées,  il  a  fallu  nécessaire- 
ment que  le  chœur  et  la  tribune  où  l'on  chantait  les  psaumes 
elles  épities,  fussent  placés  de  manière  que  ceux  qui  étaient 
dans  le  narthex  ou  avant-nef  pussent  les  entendre.  D'ailleurs  il 
paraît  qu'il  y  a  toujours  eu  un  chœur  séparé  plus  rapproché  du 

*  D'Agincourt ,  architeeturc  ,  tome  1  et  u  ,  pi.  xn  ,  n^  t. 
'  Ibid,  p.  XX  ,  a"*  6  à  15. 


DES  PREMIERS  SIÈCLES.  625 

sanctuaire,  deslîné  à  aider  les  offîcians  qui  étaient  dans  le  Bêma; 
c'e-.t  ce  que  nous  remarquerons  bientôt  sur  ce  plan.  On  n'a 
donc  pas  fait  assez  d'atîention  aux  destinations  et  à  l'usage  de 
ces  différentes  tribunes  de  l'église  chrétienne,  lorsqu'on  en  a 
parlé. 

Il  faut  ajouter  que  quelques  fidèles  privilégiés  ,  et  ceux  des 
pénilens  qui  étaient  arrivés  au  4'  degré  ,  se  tenaient  aussi  aux 
environs  de  Tambon. 

Au-dessus  de  l'anibon  était  la  place  occupée  par  les  moines, 
les  solitaires  et  les  enfans  ;  et  ainsi  se  trouvaient  réunis  au  même 
lieu,  et  par  une  pensée  digne  de  la  haute  philosophie  ciiré- 
tienne,  les  deux  extrémités  de  la  vie  humaine,  l'enfance  et  la 
vieillesse,  le  commencement  et  la  perfection  des  vertus  chré- 
tiennes. 

Plus  haut,  près  du  sanctuaire ,  était  la  place  du  chef  de  l'état 
et  de  sa  famille  '  ;  au  côté  opposé,  mais  à  la  même  hauteur,  se 
tenaient  les  chantres  et  les  lecteurs,  ordinairement  nommt-s 
clerici  minores ,  nécessaires  pour  soutenir  et  prolonger  les  chants 
intérieurs  du  Sanctuaire,  et  dont  la  plate  nécessitait  un  pu- 
pitre ou  un  ambon  diflerent  de  ceux  qui  étaient  à  l'usage  des 
fidèles. 

IV.  Enfin  venait  la  quatrième  partie  de  la  basilique  ,  la  par- 
tie la  plus  sainte  et  la  plus  vénérée ,  celle  où  il  n'était  pas  per- 
mis aux  laïques  de  pénétrer ,  et  que  l'on  appelait  BILMA  ou  h- 
puz£îo-j ,  à-li-  ,  Sanctaarimn  ,  le  Sancluaire ,  VAbsiile.  Elle  était  sé- 
parée du  naos  par  des  grilles  ou  des  treillis  en  fer  ou  en  bois, 
■/.OL") -/.ùl^i  ou  v.t^ -//'.îc-  ,  cancelli  ;  on  y  entiait  par  la  porte  Sainte 
â}  ICI  zjvlxi ,  qui  n'était  ouverte  qu'aux  ministres  de  l'église. 

Le  Berna,  ou  lieu  élevé,  ou  lieu  Sacré,  se  divisait  lui-même 
en  trois  parties.  Dans  celle  du  milieu  ,  proprement  dite  Sa- 
crée ou  Sanctuaire  ,  était  l'autel,  la  table  sainte  ,  «7  i«  çcarTÉ^K, 
qui  durant  les  premiers  siècles  était  le  swil  qui  fût  destiné  aux 
saints  mystères.  C'est  pour  cela  qu'il  est  nommé  par  l'apôtre 
S.  Jude  cœlestis  mensa,  par  S.  Grégoire  de  Nysse  inensa  sancta, 
par  d'autres  pères  ,  mensa  îrirstica  ,   thronus  Dei ,  requies  et  offî- 

*  Cette  indication  importante  ne  se  trouve  p.ns  sur  lo  plan  d'une  hjsi- 
lique  publié  par  Spsnheim ,  Hist.  EccL,  p,  861. 


û26  PLA^  ET  DEscniPTiON  d'une  basilique 

cina  sacrifiai  ^  tahernaculum  glorice.  C'était  mie  table  oblongiie 
élevée  sur  quatre  pieds  '  et  toujours  en  pierre  ,  en  souvenir  de 
ce  texte  de  l'Evangile,  et  sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon  église  ; 
ce  qui ,  au  reste,  se  pratique  encore  aujourd'hui,  car,  bien 
que  les  autels  soient  de  bois  ou  de  marbre  et  plus  ou  moins 
magnifiqueiuent  ortié.s,  la  consécration  et  le  sacrifice  se  font 
toujours  sur  une  pierre  carrée  que  Ton  nomme  la  pierre  consacrée. 

Ces  autels  étaient  ou  portatifs,  ou  solidement  attachés  aux 
sol,  il  n'y  avait  pas  de  degrés,  comme  sur  nos  autels  pour  por- 
ter des  chandeliers;  souvent  il  y  avait  un  dôme,  soutenu  par 
des  colonnes,  ou  un  riche  baldaquin. 

Derrière  l'autel,  faisant  face  aux  grandes  portes,  et  domi- 
nant ainsi  toute  l'église,  se  trouvait  le  siège  de  Cetêque^  ôoôvoç 
tcrtc-'/ocTov ,  élevé  de  trois  degrés  au-dessus  du  sol;  à  droite  et  à 
gauche  de  Tévêque  étaient  les  sièges,  ou  stalles  des  archiprèlres 
et  des  prêtres  officiant  à  l'autel.  Car  les  autres  prêtres  ainsi  que 
les  fidèles  se  tenaient  debout.  Peu  à  peu  on  permit  l'usage 
de  s'appuyer  sur  des  bàlons  que  l'on  appelait  pour  cela  miseri- 
cordiœ;  ce  n'est  que  vers  le  12'  siècle,  que  les  »Sfa//e5  à  l'usage 
des  prêtres  et  les  bancs  à  l'usage  des  laïques  se  sont  introduits 
dans  les  églises.  Celte  forme  du  siège  épiscopal  se  trouve  en- 
core partout,  chez  les  Grecs  et  les  Russes,  et  à  Rome  à  san  Pe- 
tro  in  viacœii  et  à  san  Slcphano  Piotondo.  L'espace  en  hémicycle 
où  se  trouvait  le  trône  et  les  slalles  s'appelait  presbyterium,  par- 
ce que  c'était  là  que  se  tenaient  les  prêtres  assislans 

A  droite  et  à  gauche  du  Bêma  ,  se  ti'ouvaient  deux  chambres 
ou  dépendances  à  l'usage  du  clergé,  et  des  chargés  de  rodicc 
divin  ;  celle  de  droite.  Atxxovc/.ov ,  la  Dlaconie,  était  celle  où 
les  diacres  déposaient  et  gardaient  les  ornemens  et  les  vases 
sacrés  ;  c'est  ce  que  nous  appelons  maintenant  la  sacristie. 
A  gauche  était  le  upoOiTi^  ,  sccreiarium ,  ou  préparatoire  ,  où 
étaient  préparées  et  conservées,  les  provisions  de  pain  et  de  vin 
nécessaires  au  sacrifice  et  à  la  communion  des  fidèles. 

Ces  deux  dépendances  ont  été  aussi  nommées  tô  çt-^o^jùXa/ctov  ; 
c'étaient   de  vastes  bàtimens,  destinés   aux  étrangers,  comme 

'  Sur  la  forme  et  la  inaticre  des  anciens  autels,  voir  Fabricius,  Biiliot. 
anùquaria  ,  p.  420.  —  Thicrs  ,  sur  le»  autels  ,  p.  7  7,  88. 


DES  PREMIERS  SIÈCLES.  ^27 

l'indique  leur  nom,  sorte  de  grande  hôJeilcrie.  pour  les  prêtres 
qui  voyageaient.  C'est  là  même  que  se  sont  Icnus  quelques 
conciles  '. 

Telles  étaient  les  principales  parties  de  l'ancienne  basiliqtie 
chrétienne.  No\is  espérons  que  ces  explications  et  le  plan  que 
nous  y  avons  joint,  serviront  à  fixer  les  idées  de  nos  lecteurs 
sur  cette  matière,  et  à  leur  donner  une  !ntell!i;once  facile  des 
passages  des  auteurs  anciens  et  modernes  qui  parlent  des  anti- 
quités chrétiennes  '. 

J.-L.  Gi"E>"EBirr.T. 

'  VoirMacrî  et  du  CangP,  aumot  secrelarlum. — Spanhcim  inliist.  ecel. 
t.  i;p.  862, 

•  On  peut  encore  consulter  le  plan  d'une  basilique  que  Spanheim'a 
donne'  dans  son  Hlst.  Eccles,,  p.  811  ;  il  est  conforme  à  celui-ci ,  à  la  ré-» 
serve  qu'il  ne  parle  ni  de  la  place  réservée  au  prince,  ui  de  celle  où  se 
tenaient  les  chantres  près  du  sanctuaire. 


K^S4^-; 


ft28  COMPTE -RENWJ, 


(î^mpfc-vcnbn. 


A  NOS  ABONiNÉS. 

De  riuflucnce  des  Jra\aus  (les  Annales. 

Arrivés  aujourd'hui  à  la  fin  du  dix-septième  volume,  c'est-à- 
dire  à  huit  ans  et  demi  d'existence  ,  ce  qui  ne  s'était  pas  en- 
core vu  pour  un  journal  scicnlKujue  religieux,  nous  avons  cru 
qu'il  serait  agréable  à  nos  lecteurs  de  jeter  un  coup  d'œil  en 
arrière,  et  d'examiner  quelle  a  pu  être  l'influence  des  travaux 
des  rédacteurs  des  Annales  sur  l'état  actuel  de  la  science  et  sur 
ce  qu'on  appelle  le  mouvement  des  esprits. 

Et  d'abord,  loin  de  nous  de  vouloir  prétendre  que  c'est  à  nos 
travaux  que  sont  dus  les  changemens  heureux  qui  se  sont  ma- 
nifestés dans  les  livres,  dans  la  science,  et  jusqu'à  un  certain 
point  dans  les  esprits.  >on,  mais  il  nous  sera  permis  de  liirc 
que,  lorsqu'on  i85o,  sous  le  bruit  du  canon  de  Juillet,  nous  écri- 
vions  notre  prospectus  et  annoncions  la  conversion  qui  s'était 
faite  dans  les  hautes  sciences,  alors,  aucun  journal,  aucun  or- 
gane religieux  n'avait  énoncé  aussi  positivement  ce  fait,  et 
n'avait  dit  que  le  changciwent  qui  s'était  opéré  dan.<  les  sommités 
scientifiques  descendrait  nécessairement  et  serait  mis  poiu*  ainsi 
dire  en  circulation.  Depuis,  tous  les  journaux,  même  les  jour- 
naux dits  libéraux  et  opposés  au  christianisme,  ont  reconnu 
cette  amélioration  qni  s'est  faite  dans  les  esprits,  dans  les  scien- 
ces et  dans  les  livres.  Les  journaux  religieux  ont  pris  acte  de 
ces  aveux  ;  et  si  quelques-uns  ont  nié  la  réalité  de  la  conver- 
sion des  individus,  aucun  cependant  n'a  méconnu  que  dans  la 
plupart  des  sciences  modernes  ,  l'on  ne  découvre  des  preuves 
nouvelles  cl  nombreuses  delà  vérité  des  récits  de  la  Bible  et  de-; 
services  immenses  que  le  catholicisme  a  rendus  à  l'humanili 
et  à  la  civilisation. 

Et  ici,  qu'il  nous  soit  permis  de  constater  que  c'est  dans  nos 


A    KOS    ABOMSÉS.  k29 

Annales  que  l'on  trouve  recueillies  toutes  ces  preuves,  et  qu'ainsi 
avec  peu  de  frais  et  peu  de  peine  on  peut  se  rendre  propres  les 
travaux  de  tous  nos  grands  hommes  En  confirmation  de  ce 
que  nous  avançons  ici,  examinons  rapidement  quelques-uns 
des  ouvrages  qui  ont  été  composés  avec  les  matériaux  qu'elles 
ont  recueillis  dans  leurs  pages. 

Le  premier  en  date  est  le  Christ  devant  le  siècle,  par  M.  Ro- 
selly  de  Lorgnes;  l'auteur  a  bien  voulu  nous  dire  lui-même 
que  c'est  avec  le  secours  des  Annales  qu'il  a  lait  son  livre, 
comme  il  le  reconnaît  avec  beaucoup  de  bienveillance.  C'est 
aussi  les  Annales  qu'il  met  entre  les  mains  du  prêlre  qui  dé- 
fend la  cause  de  la  religion,  dans  son  autre  ouvrage  :  CÈcokj 
le  Presbytère  et  la  Mairie,  ouvrage  dont  nous  nous  reprochons 
de  n'avoir  pas  encore  parlé  comme  il  le  mérite,  en  notant  toute» 
fois  quelques  passages  qui  ont  encouru  avec  raison  la  désap- 
probation de  quelques-uns  des  membres  les  plus  distingues 
du  clergé,  et  qu'aussi  nous  signalerons  à  l'auteur. 

Nos  idées  et  quelques-uns  de  nos  travaux  ont  été  aussi  réali- 
sés dans  l'ouvrage  de  M.  de  Saint  Félix  intitulé  Précis  de  Chis- 
toire  des  peuples  anciens,  dans  les  chapitres  sur  la  Géologie  de  la. 
Genèse^  le  Monde  primitif  et  le  Déluge;  sur  la  Race  humaine ^ 
sur  la  Religion  des  anciens  peuples  -et  sur  les  Langues  anciennes. 
M.  de  Saint  Félix  «désire,  dit-il,  nous  exprimer  sa  gratitude 
•  pour  les  renseignemens  précieux  qu'il  a  recueillis  dans  les  An- 
vnales.  »Nous  ne  pouvons  nous-mème  qu'applaudir  à  l'excellent 
livre  de  M.  de  Saint  Félix  ;  nous  nous  reprochons  de  n'avoir 
pas  consacré  à  une  œuvre  aussi  consciencieuse,  un  article  dé- 
taillé; nous  y  reviendrons,  et  nous  lui  témoignerons  notre  re- 
connaissince  en  lui  empruntant  un  de  ses  chapitres  pour  que 
nos  lecteurs  soient  à  même  de  connaître  le  livre  et  l'auteur. 

Après  l'ouvrage  de  M.  de  Saint  Félix  ,  nous  nommons  avec 
plaisir  VHistoirc  du  J7onde,  que  viennent  de  publier  deux  jeunes 
frères,  MM.  Charles  et  Henri  de  Riancey.  Dans  cet  ouvrage, 
ces  jeunes  écrivains  ont  fait  ce  que  les  Annales  ont  souvent 
appelé  de  leurs  vœux,  ils  ont  raconté  l'histoire  du  monde,  en 
rappelant  à  côté  de  chaque  événement,  de  chaque  époque  de 
de  l'histoire  de  l'humanité  les  traditions  qui  y  ont  quelque  rap- 
port. Ainsi,  ils  suivent  pas  à  pas  la  Gencse^  et  au  milieu  de  leur 


iiSO  COMPTE-RENDU. 

récit  ils  intercallent  les  témoignages  historiques,  les  traditions, 
les  monunieiis,  les  légendes  même,  qui  en  rappellent  le  sou- 
venir. Ainsi,  pour  le  déluge,  ils  parlent  des  médailles  d'Apamée, 
des  traditions  Chnldéennes,  Indiennes,  Grecques  et  Mexicai- 
nes. Nous  regrettons  pour  ces  deruièrcs  qu'ils  aient  passé  sous 
silence  le  Grand  tableau  des  M'u^raLions  aztèques ,  que  nous  avons 
publié  et  qu'ils  n'aient  pas  nommé  de  Coxcox  qui  est  le  nom 
le  plus  connu  du  Noé  mexicain,  qui,  au  reste,  s'appelle  aussi 
Teo  CipaclU^  au  lieu  de  parler  de  Tepzi  ou  plutôt  Tezpi,  comme 
l'écrit  Al.  de  Humboldt:  mais  nous  les  louerons  sans  restriction 
pour  avoir  les  premiers  fait  usage  des  travaux  publiés  dans  les 
Annales  par  M.  de  Paravey,  sur  l'histoire  de  la  Chine,  et  sur 
les  premiers  empereurs  qui  sont  à  la  tète  de  cette  histoire.  MM. 
de  Uiancey  en  ont  parlé  d'une  manière  Irès-convenable,  et 
nous  nous  proposons  de  citer  ce  passage  dans  le  compte  que 
nous  rendrons  de  leur  ouvrage. 

Nous  retrouvons  encore  nos  principes  et  nos  vues  avec  de 
longues  pages  tirées  des  Annales  dans  un  ouvrage  fort  bien 
fait,  intitulé  les  Destinées  du  Christianisme,  dû  à  la  plume  et  au 
zèle  de  M.  l'abbé  Tolge,  professeur  de  Dogme  à  la  faculté  de 
théologie  d'Aix. 

Nous  ne  saurions  oublier  rexcellent  opuscule  que  M.  Guer- 
rier de  Dumast  a  composé  pour  l'inauguration  à  Nancy  de  la 
Société  Foi  et  Lumière»;  on  ne  pourrait  en  moins  de  paroles 
comprendre  plus  défaits;  on  ne  pourrait  surtout  mieux  fondre 
en  un  seul  corps  la  masse  de  preuves  que  la  science  fournit  à 
la  religion.  Nous  avons  k  le  remercier  en  particulier  de  la 
part  qu'il  fait  aux  travaux  àc^  Annales.  Mais  nous  reviendrons 
sur  un  opuscule  si  substantiel. 

Apres  ces  ouvrages,  qu'il  nous  soit  permis  de  citer  quelques- 
uns  des  articles  de  nos  Annales  <jui  ont  été  reproduits  dans 
d'autres  journaux;  et  d'abord,  nos  articles  sur  les  Saint-Simo- 
uiens  ont  été  reproduits  en  partie  dans  VHistoire  de  l'Eglise  de 
M.  Hcnrion  ,  et  dans  un  article  inséré  dans  la  Rtvue  de  Dublin, 
et  tout  récemment  dans  icPragmalogia  CuitoUca  dont  nous  allons 
parler. 

Notre  article  sur  ï liermésianisme  ,  inséré  dans  le  présent  vo- 
lume ,  a  été  réimprimé  à  Metz  par  les  directeurs  de  la  Gazette  de 


A    NOS    ABONNÉS  ^31 

Met: ,  et  distribué  à  plus  de  huit  mille  exemplaires,  dans  les 
villes  liniitroplics  du  illiiu  et  dans  les  provinces  rhénanes.  La 
Prapiialogia  de  Luqnes  ,  journal  italien  ,  l'a  reproduit  aussi. 

Enfin  nous  devons  dire  encore  que  dans  un  grand  nombre 
de  séminaires  et  de  maisons  d'éducation,  on  se  sert  des  travaux 
des  Annales  pour  corroborer  et  détendre  les  principes  de  notre 
foi.  Que  l'on  nous  pardonne  d'ajouter  que  le  vénérable  M.Gar-- 
nier,  supérieur  du  séminaire  de  St.  Sulpice,  a  bien  voulu  nous 
citer  dans  sa  docle  chaire;  ceci  est  peut-être  une  indiscrétion  ; 
mais  c'est  qu'en  eiret  c'est  un  fait  qui  honore  trop  nos  travaux 
et  les  rédacleurs  des  Annales  pour  que  nous  le  passions  sous 
silence.  D'ailleurs  ce  sera  une  réponse  au  supérieur  du  sémi- 

'iiaire  d'un  évêché  très-voisin  de  la  capitale,  qui,  après  avoir 
reçu  les  Annales  pendant  iS  mois,  nous  a  fait  dire  qu'il  n'enten- 
dait pas  être  abonné.  11  est  vrai  que  le  docte  supérieur  noua 
avertissait  en  même  tems  qu'il  n'avait  pas  lu  un  seul  de  nos 
cahiers,  et  nous  le  croyons  sans  aucune  peine. 

Parmi  les  œuvres  qui  réjouissent  la  religion,  et  qui  doivent 
donner  de  la  confiance  et  de  la  force  à  ceux  qui  1»  défendent, 

a  faut  mettre  en  première  ligne  la  Société  Catholique  pour  Cal- 
liance  de  la  Foi  it  des  Lumières  ,  fondée  à  Nancy  et  autorisée  du 
gouvernement,  sous  ce  titre,  le  i3  juillet  de  cette  année  i858. 
Or  le  but  et  le  plan  de  celte  société  est  précisément  celui  des 
Annales,  comme  veulent  bien  le  reconnaître  les  fondateurs  mê- 
mes qui,  dans  une  brochure  toute  scintillante  de  foi,  d'érudi- 
tion et  de  talent ,  exposent  la  raison  de  leur  œuvre  et  du  titre 
qu'ils  lui  ont  donné.  Ceci  ne  doit  pas  passer  inaperçu.  Des 
hommes  du  monde,  qui  publiquement  se  réunissent  dans  une 

"des  principales  villes  du  royaume,  dont  la  répulation  n'est  pas 
d'être  très-facile  ou  trop  portée  pour  le  clergé ,  qui  se  réunissent 

"pourtant,  eux,  hommes  du  monde,  occupant  un  rang  très-élevé 
dans  la  société  et  remplissant  différentes  fondions  sociales, 
pour  proclamer  à  haute  voix  le  projet  de  prouver  ,  envers  et 
contre  tous,  que  la  foi  est  unie  aux  lumières  ou  plutôt  que  les  lu- 
mières conduisent  à  la  foi;  ce  fait,  disons-nous,  est  d'ui.e  portée 
immense.  Nous  reviendrons  sur  cette  brochure  courte  de  pages, 
mais  pleine  de  faits,  et  faisant  tourner  à  la  {;ra tique  les  docu- 
mens  et  les  principes  que  nous  avons  semés  dans  les  Annales. 


632  COMPTK-RENDU. 

Houneur  aux  fondateurs  d'une  telle  société  ,  et  surtout  à  son 
digne  président,  AI.  Guerrier  de  Dumast  !  Ils  en  trouveront  leur 
récompense  dausle  bien  qu'ils  feront,  et  surtout  dans  l'exemple 
qu'ils  donnent,  et  qui,  nous  l'espérons,  sera  imité  dans  notre 
France. 

Influence  des  Annales  à  l'e'trangcr. 

Après  avoir  parlé  de  l'influence  des  Annales  eu  France  ,  nous 
croyons  que  nos  amis  aimeront  à  voir  comment  elles  sont  ac- 
cueillies à  l'étranger.  Et  d'abord,  quant  aux  personnes,  nous 
dirons  que  tout  récemment  encore,  elles  viennent  d'avoir  pour 
abonnés,  h.  Koxne,  son  Excellence  rexérendissime  Mgr.  CadoUni, 
secrétaire  actuel  delà  Propagande,  et  qui  était  depuis  long- 
tems  notre  abonné,  lorsqu'il  occupait  le  siège  de  l'archevêché 
<le  Spolète;  puis  le  R.  P.  Root/iaam,  général  des  Jésuites. 

Mais  il  faut  surtout  parler  des  journaux  qui  ,  lus  avec  avidité 
à  l'étranger,  y  sont  les  véritables  propagateurs  des  découvertes 
et  des  travaux  scientifiques. 

Parmi  les  journaux  scientifiques  qui  tiennent  le  premier 
rang ,  il  faut  compter  les  Annales  des  sciences  religieuses  de  Rome , 
fondées  et  dirigées  par  le  savant  abbé  .^/nf.  de  Luca,  membre 
de  la  congrégation  de  VIndex.  Nous  ne  nous  étendrons  pas  sur 
leur  mérite,  d'autant  plus  que  nous  en  avons  déjà  parlé  à  nos 
abonnés;  et  d'ailleurs,  nous  leur  avons  fait  si  souvent  des  em- 
prunts, notamment,  dans  le  dernier  numéro ,  l'article  sur  le  mot 
aime,  que  nos  abonnés  ont  été  à  même  de  juger  de  leur  mérite. 
Dans  l'année  elles  ont  ci  é  de  nous  : 

De  la  prétendue  origine  indienne  attribuée  au  Christianisme ,  de 
RI.  Bonnetty ,  et  la  cosmogonie  de  Moise  comparée  aux  faits  géolo- 
giques ^  par  M.  labbé  Flottes. 

L'exemple  donné  à  Rome,  par  M.  l'abbé  de  Luca,a  eu  de  l'é- 
cho en  Italie.  A  Luques,  il  vient  aussi  de  s'établir  un  journal 
scientifique  s'occupant  presque  des  mêmes  questions  que  les 
Annales  de  pliilusop':ie ,  et  rédigé  dans  le  même  esprit.  Il  est  in- 
titulé :  Pragmalogia  Cuttolica  ,  giornale  storico  e  scientifico ,  pa- 
raissant en  un  cahier  in-8"  de  cinq  feuilles  d'impression  ;  dans 
les  six  numéros  que  nous  avons  reçus,  nous  trouvons  que  le 
savant  abbé  Berloto—i.  directeur  de  la  Pragmalogia.  a  emprun- 


A   NOS   ABONNÉS.  635 

ié  à  nos  Annales,  i°  Y  histoire  du  Saint-Simonisme  ;  a°  Vhisloirede 
'  l' Hermès ianisme  ;  3°  V article    sur  la  découverte  d'une  histoire  des 
Arabes,  par  Ibn  Rhaldun  ;  4"  de  la  rose  de  Jéricho. 

De  la  part  que  prend  le  cierge  à  la  rédaction  des  journaux  sciealifiquea 
en  France  et  en  Italie. 

Et  puisque  nous  venons  de  nommer  quelques-uns  des  jour- 
naux scientifiques  qui  sont  consacrés  à  la  défense  de  la  foi 
catholique,  il  ne  sera  pas  hors  de  propos  de  donner  ici  quelques 
détails  sur  la  part  que  prend  le  clergé  en  France  et  en  Italie  à 
la  rédaction  de  ces  journaux.  Ce  travail  a  entore  deux  buts, 
ie  premier  de  justifier  les  ecclésiastiques  qui  consacrent  leur 
plume  à  ces  travaux;  le  second,  d'en  encourager  quelques 
autres  qui  semblent  dédaigner  cette  lice,  comme  indigne  de 
la  gravité  d'un  prêtre.  Les  noms  et  la  qualité  des  rédacteurs 
que  nous  allons  citer  démontreront  l'erreur  de  ces  derniers. 

Les  deux  principaux  journaux  scientifiques  consacrés  à  la 
défense  de  la  religion  en  Italie,  sont  ceux  que  nous  venons 
de  nommer.  Les  Annali  délie  scienze  religiose  de  Rome,  ont  été 
fondées  par  le  directeur  actuel,  M.  l'abbé  Ànt.  de  Luca,  sous  la 
protection  de  S.  Em.  le  cardinal  "NVeld.  Elles  se  continuent 
maintenant  sous  celle  de  S.  E.  le  cardinal  Lembrusc/Uni,  secré- 
taire d'état  de  sa  Sainteté. 

Nous  voyons  d'abord  au  nombre  des  principaux  rédacteurs, 
des  personnages  qui  sont  à  la  tête  des  différenles  congrégations 
religieuses,  i"  Le  R.  P.  Rosani,  général  des  clercs  réguliers  des 
écoles  pies.  —  2°  Le  R.  P.  Bini,  procureur  général  des  R.  P.  Bé- 
nédictins du  Mont-Cassin. — 3°  Le  P.  Ungarelli,  assistant  général 
de  la  congrégation  des  clercs  régviliers  de  Sahit-Paul  et  profes- 
seur émérile  de  théologie ,  l'un  des  glus  savans  orientalistes  de 
Rome. — 4°  Le  P.  Lojacono,  procureur  général  des  Théatins, — 
Trois  membres  de  la  compagnie  de  Jésus,  qui  sont  :  5"  Le  P.  Per- 
rone  ,  professeur  de  théologie  au  collège  romain,  auteur  d'une 
théologie  réimprimée  récemment  en  Belgique,  et  que  nous  nous 
étonnons  de  ne  pas  voir  connue  en  France. — 6"  Le  V.Pianciani, 
professeur  de  physique  et  de  chimie  au  collège  romain,  et  l'un 
des  quarante  de  la  société  italienne  des  sciences. — 7°,LeP.  Se«chi, 
gardien  du  musée  Kircheiren,  et  l'un  des  plus  habiles  hellénistes 
Tome  XVII. — iN"  iob.  i838  3o 


hZU  COMPTE-RENDU 

de  ce  tems.— Et  en  oulre  parmi  le  clergé  séculier,  8°  M.  l'abbé 
Baroia,  professeur  de  philosophie  au  collège  urbain  de  la  Pro- 
pagande. —  9°  L'abbé  Bonelli,  professeur  de  philosophie. —  lo" 
L'abbé  Breschi,  docteur  eu  théologie.  —  i  i°  L'abbé  Mazio,  doc- 
teur en  philosophie,  en  droit  canon  et  civil.  —  12°  L'abbé 
Theiner,  également  docteur  en  philosophie,  en  droit  canon  et 
civil.  —  Enfin  iJ°  Mgr.  Jl^iseman,  recteur  du  collège  anglais  et 
professeur  de  langues  orientales  à  l'université  de  Rome.  —  Et 
14°  M.  Cw/^erj,  recteur  du  collège  irlandais  et  professeur  d'écriture 
sainte  au  collège  urbain  de  la  Propagande. 

Le    second    journal    scientifique  ,   la    Progvialogia   caiiolica 
de   Luques ,    a  été  fondé   et   est  dirigé   par   M.   le   chanoine 
Paul-Joseph  5cr<o/orri ,    maître   en  théologie.    Les   principaux 
rédacteurs  sont  :    1°  Mgr.  J.-B.  Barletton-i ,  curé  de  la  cathé- 
drale de  Luques  ;  —  2°  M.   Jules  Beninsegni  ,   vicaire-général 
de  Ravennes  ,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'univer- 
sité de  Pise;  —  5°  Const.  Bianuccl,  bénéficiaire  à  la  cathédrale 
et  chapelain  honoraire  de  S.  A.  Roy.  le  duc  de  Luques;  —  4** 
le  doct.  T.  Bini,  gardien  de  la  bibliothèque  publique  et  profes- 
seur de  philosophie  au  séminaire  archiépiscopal  ;  —  5°  le  R. 
docteur  Léon  Cardella^  chanoine  de  la  cathédrale;  —  6°  le  P. 
Joach.  Llucli  cU  3Ianresa,  carme,  professeur  de  philosophie  ; —  ;* 
le  P.  Louis  Marlia^  doct.  et  chan.  théologal  de  la  calh.,  profess. 
de  théologie  dogmatique  à  l'archevêché;  — 8°  S.  Ex.  le  mar. 
Ant.  Mazzarùsa,  conseiller  d'état  et  directeur  de  l'instruction 
publique; —  9°  M.  Pardi ,  avocat  du  diocèse;  —  io°  le  Rev» 
Tierre  Pera,  bibli.  de  S.A.R.  et  chanoine  de  la  cathédrale;  et 
enfin  les  professeurs  du  lycée  royal  dont  les  noms  suivent  :  11* 
"Barth.  Bacci;  —  12"  Bctloîti,  professeur  Je  ihèol.  morale;  —  i5° 
Michel  Bertini ,  clerc  régulier  de  la  mère  de  Dieu ,  professeur 
d'hydraulique  ;  — 14°  Mgr.  Paul  DinelU,  professeur  de  dogme; — 
1 5°  Louis  Fwnaciari,  profcs.  émèritc; — 1  G"  Laurent  Tomei,  profes, 
de  métaphysique  ;  et  parmi  les  rédacteurs  étrangers  :  —  ly"  M. 
Vabbé  Ant.  de  Luca,  direct,  des  Annales  des  sciences  h.  Rome,  et 
dont  le  nom,  parmi  les  collaborateurs  de  ce  journal,  prouve 
qu'il  n'y  a  en  Italie  aucune  de  ces  jalousies  de  publication  que 
l'on  ne  rencontre  que  trop  souvent  en  France  ; —  18°  le  D.  délia 
Bianc/iina,  directeur  du  Catholique  de  Lugano;  — 19°  le  savant 


A    NOS   AïîONNÉS.  AS5 

obbé  lios77tini-Serbali  h  Domodossola  ;  — eo"  le  R.  Cl.  Saimielli, 
prof.  dV'ciihire  sainte  à  l'université  de  Pise;— arle  d.  Ranieii 
SOragia,  prof,  de  théol.  dogmat.  à  l'université  de  Pise  ;  — enfin 
22"  iMgr.  jSicol.  Jl'iseman,  recteur  du  collège  anglais  et  profes- 
seur de  langues  orientales  à  l'université  de  Rome. 

On  voit  par  les  noms  que  nous  venons  de  transcrfre  qui  sont 
ceux  qui  s'occupent  du  progrès  des  sciences ,  et  qui  se  roeltesiit 
à  la  tête  des  publications  religieuses  en  Italie.  Voilà  ce  que  nous 
désirerions  voir  en  France;  et  malheureusement  il  nous  serait 
bien  difficile  de  compter  vin  égal  nombre  de  personnes  qui 
s'occupent  avec  quebjue  attention  des  publications  religieuses 
scientifiques.  Voici,  en  eftet,  quels  sont  les  noms  des  membres 
du  clergé  qui,  à  notre  connaissance,  écrivent  dans  ce  moment 
dans  les  feuilles  scientifiques  religieuses. 

Kous  le  répétons  ,  nous  ne  voulons  parler  ni  des  ouvrag*  s 
publiés  à  part,  ni  des  journaux  politiques,  quotidiens  ou  lidj- 
domadaires;mais  seulementdes  journauxqui,  publiés  njensuel- 
lement,  comportent  de  longs  articles,  et  des  travaux  d'érudition 
et  de  science.  En  commençant  par  les  Annales  de  philosophie ,  à 
•cause  de  leur  priorité  de  date,  on  sait  que  leuï  directeur  est  un 
laïque.  Les  ecclésiasliques  qui ,  depuis  leur  création  ,  ont  pris 
une  part  active  à  leur  rédaction  sont  :  Mgr.  l'ércfjue  du  Mans  , 
lorsqu'il  n'était  encore  que  supérieur  de  séminaire,  dont  nous 
avons  publié  trois  ou  quatre  lettres  sur  l'enseignement  des  sé- 
minaires; 'Sl.Yabbé  Poisset;  M.  Vabbé  Sionnet ,  dont  nous  avons 
inséré  plusieurs  articles,  qui  font  connaître  en  lui  le  plus  savant 
orientaliste  que  possède  le  clergé;  M.  Vabbé  Affrc^  clianoine  et 
vicaire- général  de  l'église  de  Paris,  lequel  a  inséré  un  seul  ar- 
ticle qui  n'est  pas  signé;  M.  Vabbé  Flottes,  professeur  de  phi- 
losophie au  collège  de  Montpellier,  pour  un  article;  M.  Vabbé 
■d'Alzon,  chanoine  honoraire  de  Nîmes,  pour  un  article  non 
signé.  Nous  avons  publié  un  article  de  M.  Vabbé  Gerbct,  m,ais  il 
avait  élé  extrait  du  Livre  des  Saintes  ;  un  aussi  de  M.  Vabbé 
Doney  ,  mais  extrait  de  la  Revue  d^s  deux  Bourgognes .  31.  Vabbé 
Rhorbac/ier ,  directeur  du  séminaire  de  Nancy,  nous  a  fourni 
quelques  articles  non  signés;  M.  Vabbé  Blassoi,  de  Pouzauges , 
pour  un  seul  article;  enfin  M.  Vabbé  Dedoue ,  secrétaire  actu,cl 
de  l'administration  capilulairc  de  Tévêché  de  Digne,  qui  nous 


1 

/t36  COMPTE-RENI>U. 

ft  adressé  un  seul  arliclc.  Parmi  les  étrangers  ,  nous  avons  à 
citer  RI.  Vabbé  Arri  ^  de  l'académie  des  sciences  de  Turin,  et 
le  R.  P.  Olivieri,  commissaire  du  Saint-Oûicc  et  général  des 
Dominicains  à  Rome. 

Onelques  personnes  croyaient  que  M.  l'abbé  Bautain  avait 
été  rédacteur  des  Annales.  Nous  ne  pouvons  revendiquer  cet 
honneur  ;  on  y  a  parlé  de  quclipies  ouvrages  de  M.  Bautain,  on 
a  cilé  de  lii  récemment  une  lettre  déjà  imprimée  à  part ,  mais 
il- lie  nous  a  jamais  favorisé  de  ses  travaux.  Les  journaux  où  il  a 
écrit,  sont  :  le  Correspondant,  la  Uevue  Européenne  qui  ne  parais- 
sent plus,  et  l'Univers  Religieux,  journal  quotidien. 

V UniversUé  Catholique,  fondée  par  MAI.  les  abbés  Gerbet,  de 
Salinis  et  de  Scorbiac  et  dirigée  en  commun  par  les  mêmes  per- 
sonnes, qui  se  sont  adjoint,  Tannée  dernière,  iM.  Bonnetty,  signa- 
taire de  cet  article,  compte  aussi  peu  de  rédacteurs  ecclésias- 
lifiucs.  En  dehors  des  directeurs  du  journal,  dont  les  Cours 
forment  la  partie  la  plus  brillante  et  la  plus  recherchée  de  ce 
recueil,  il  n'y  a  que  M.  l'abbé  de  Genoude  qvii  y  ail  inséré  de  loin 
en  loin  quelques  articles;  tous  les  avitres  sont  des  laïques. 

Il  se  publie  en  province  quelques  journaux  scientifiques,  où 
nous  avons  vu  avec  plaisir  figurer  le  nom  et  les  articles  de 
quelques  prêtres  instruits  :  ce  sont  les  Annales  Religieuses  et  Lit- 
téraires d'Aix,  qui  comptent  au  nombre  de  leurs  rédacteurs, 
M.  l'abbé  Polge.,  professeur  de  dogme  à  la  faculté  de  théologie 
d'Aix;  M.  l'abbé  Bonnevil le  ,  y'^ol'csseixr  de  droit  canon  à  la 
même  facullé  ;  M.  l'abbé  Kspieua'  ;  M.  l'abbé  Sibour,  chanoine  et 
vicaire-général  de  l'évèché  défîmes;  M.  l'abbé  Sibour,  cha- 
noine, professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  la  même  facullé. 
Ces  articles  sont  bien  pensés,  bien  é<;rils,  et  sont  conformes  à 
nos  Annales  et  aux  besoins  du  siècle,  tout-à-fait  dignes  d'ecclé- 
siastiques distingués.  Nous  mentionnerons  encoie  M.  l'abbé 
P.  C  quoiqu'il  ne  se  soit  pas  nommé,  mais  seulement  pour 
lui  dire,  (ju'il  faut  laisser  aux  profcsseui-s  émériles  ou  non  émé- 
rites  de  l'univer.silé  le  soin  de  relever  les  défauts  ou  de  faire 
ressortir  les  beautés  de  la  r%  2'  cl  5''  période  du  Thc'âlre  Latin. 
Il  est  encore  un  journal,  la  Revue  du  Nord  ,  recueil  pliiloso- 
p!ii(iue,  historique  e(  lilléiairc,  qui  paraît  à  Lille,  lequel  est  ré- 
digé dans  le  même  esprit  et  dans  le  même  but  que  nos  AnnaUs; 


A    NOS    ABONNÉS.  &37 

ses  articles  sont  profonds,  écrits  avec  verve,  foi  et  science,  mais 
nous  ne  pouvons  dire  s'il  est  quelque  ecclésiastique  qui  se  ca- 
.che  sous  les  initiales   qui  signent  la  plupart  des  articles. 

De  ces  documens,  il  résulte  qu'en  France  ce  sont  les  laïques 
qui  s'occupent  spécialement  de  soutenir  la  polémique  scientifi- 
que contre  les  incrédules  et  les  philosophes  ;  et  le  clergé  qui  les 
laisse  faire  est  bien,  peut-être,  fondé  en  raison;  car  de  cette 
manière  si  dans  cette  guerre  active  il  s'échappe  quelque  pa- 
role moins  juste  et  moins  précise  qu'il  ne  convient,  elle  est 
sans  conséquence  ;  et  d'ailleurs,  il  entre  peut-être  dans  les  vues 
de  la  providence  que  ce  soit  des  laïques  qui  réconcilient  les 
prêtres  avec  cette  génération,  bien  imbue  encore  de  ces  préjugés 
qui  faisaient  crier  à  ses  pères  :  d  bas  ta  calotte,  d  bas  les  prêtres. 

Des  travaux  des  Annales. 

Quoique  cet  article  soit  déjà  bien  long,  qu'il  nous  soit  permis 
de  dire  quelques  mots  des  travaux  publiés  dans  ce  volume  et 
de  ceux  que  nous  projetons  pour  le  volume  suivant;  Les  arti- 
cles de  M.  Àc/iery  SUT  M.  Letronne ,  ont  été  jugés  victorieux 
par  plusieurs  confrères  de  l'illustre  académicien  ;  ils  nous  ont 
attiré  de  nombreuses  lettres  de  félicitation.  L'essai  sur  les  Bi- 
bliothlques  du  moyen  âge  inséré  dans  le  présent  cahier,  travail  en- 
tièrement neuf,  est  destiné  à  changer  les  idées  du  monde  savant 
et  à  venger  l'Église,  du  reproche  d'ignorance ,  même  pour  une 
époque  où  on  était  presque  convenu  de  passer  condamnation 
sur  ce  point.  Nous  pouvons  annoncer  que  le  zèle  de  ce  savant 
Pseudonyme  n'est  pas  refroidi,  et  qu'il  nous  prépare  une  longue 
suite  d'articles  qui  se  succéderont  sans  interruption.  Le  prochain 
cahier  contiendra  sur  le  Pant/iè'sme ,  une  des  questions  les  plus 
difTiciles  de  la  philosophie  et  de  la  théologie  ,  une  dissertation , 
destinée  à  éclaircir  cette  matière  et  à  faire  autorité ,  car  nous 
prévenons  qu'elle  a  été  envoyée  manuscrite  à  Rome  ,  et  qu'elle 
porte  l'approbation  de  deux  théologiens  romains. 

La  Traduction  du  livre  d'Enoch  est  un  service  renilu  à  ceux 
qui  aiment  à  suivre  et  à  recueillir  les  traditions  éparses  du  genre 
Iiumain.  Les  théologiens  y  puiseront  _surtout  une  curieuse 
preuve  de  la  croyance  de   la  Trinité  répandue   chez  les  juif- 


438  CQSIPTE-RENDU 

avant  la  venue  du  Messie.  Quelque  peu  authentique  que  soil  ce 
livre ,  c'est  une  bonne  fortune  pour  les  annales,  que  d'avoir  pu 
remettre  en  lumière  \\n  ouvrage  regardé  authentique  par  un 
grand  nombre  de  pères,  etq«e  l'on  croyait  perdu  pour  toujours. 

Quant  à  nos  travaux  futurs,  nous  continuerons  d'abord 
ceux  qui  sont  coipmencés ,  en  particulier  la  traduction  du  livre 
du  P.  Prémarc  ,  qui  nous  découvre,  pour  la  première  fois, 
quelques-unes  des  traditions  chinoises  inexplorées  jusqu'ici.  M.  de 
Paraveynous  annonce  aussi  la  communication  de  quelques-uns 
de  se»  travaux  si  curieux,  sujets  à  contestation  sans  doute,  mais 
dignes  de  toute  l'attention  des  savans.  Et  qu'il  nous  soit  permis 
à  cette  occasion  de  dire  ici  ce  que  nous  a  appris,  il  y  a  peu  de 
jours,  M.  Julien,  professeur  de  chinois,  qu'un  prêtre  jouissant 
d'un  rang  élevé  dans  la  hiérarchie  ecclésiastique  ,  est  venu  à 
Paris  tout  exprès  pour  apprendre  le  chinois  ,  afin  de  pouvoir 
vérifier,  par  lui-même,  si  les  étonnantes  découvertes  de  M.  de 
Paravey  sont  fondées  en  raison. 

Quant  à  notre  Cours  d''arrkcologie  ci  de  philologie  ^  nous  rappe- 
lons que  noas  touchons  à  la  lettre  i?,  où,  au  mot  Ecriture,  nous 
donnerons  une  dizaine  de  planches ,  offrant  des  modèles  des 
écritures  de  *ous  les  tems. 

Kous  continuerons  encore  la  rcclicrche  des  traditions,  en 
analysant  les Livirs  apocryphes  de  C Ancien-Testament^  connus  sous 
le  nom  de  Livre  d'Adam ,  à'Eve,  de  Caln,  de  Seth^  de  Noé^  etc., 
ouvrages  que  nous  sommes  très-éloignés  de  regarder  comme 
authentiques,  mais  qui,  discutés  seidement  jusqu'ici  sous  le 
rapport  de  l'authenticité,  et  dédaignés  avec  raison  à  ce  titre  , 
n'ont  jamais  été  examinés  sous  le  rapport  des  traditions  (ju'ils 
l'enferment ,  et  qvii  sont  ce  qui  nous  reste  de  plus  curieux  sur 
l'ancien  monde  après  la  Bible;  traditions  qu'il  est  indispensable 
de  comparer  avec  les  livres  sacrés  des  peuples  de  l'Orient ,  (pii 
ne  sont  aussi  que  le  recueil  d'autres  traditions  plus  ou  moins 
altérées,  et  nous  ne  saurions  les  passer  sous  silence.  Elles  en- 
trent de  droit  dans  le  cadre  et  le  plan  desAnnates  ,  qui  doivent 
renfermer  toutes  les  traditions  du  genre  humain.  Ce  travail 
semble  réservé  à. ce  siècle  qui  a  fait  tant  de  progrès  dans  l'étude 
des  langues. 

M.  Etienne  Quafrcmère  nous  a  promis  aussi  une  Disserlalion 


A    NOS    AIîOMNKS.  ^39 

sur  rOp/iir,  où  les  floltcs  de  Salomon  allaient  clicrchcr  leur  or. 
Elle  aurait  clé  insc-ri'c  dans  ce  cahier,  mais,  lorsque  ce  célèbre 
orientaliste  l'a  relue  pour  nous  la  remelire,  il  Ta  trouvée,  nous 
a-t-il  dit ,  trop  iaiparfaile,  et  il  va  la  remanier  et  la  compléter 
pour  les  Annales. 

En  finissant,  qu'il  nous  soit  permis  de  remercier  nos  abonnés 
du  concours  fidèle  et  constant  qu'il  nous  ont  accordé.  Nous  le 
disons  ici,  sans  flatterie,  mais  comme  l'expression  sincère  de 
la  vérité  :  si  les  Annales  ont  fait  quelque  bien,  si  ce  recueil  doit 
rester  comme  une  espèce  d'arsenal  où  l'on  pourra  trouver  réu- 
nies les  armes  les  plus  modernes  pour  la  défense  de  notre  foi, 
c'est  à  nos  abonnés  que  revient  une  grande  partie  du  mérite. 
Car  nous  l'avons  dit  souvent,  les  Annales  n'ont  eu  ni  prolecteurs 
influens  ,  ni  actionnaires  qui  aient  fourni  de  l'argent  pour  les 
Soutenir;  ce  sont  les  abonnés  qui  les  ont  soviteiuies,  et  qui  les 
soutiennent  encore.  Voici,  selon  notre  coutume,  le  nombre  de 
ces  abonnés  classés  par  département. 

ABONNÉS  DES  ANNALES  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE. 

Au5l    DÉCEMBRE    l858. 


Aiit, 

Aisne. 

Allier. 

AI(.es(B.  ). 

Alpo,  (II.). 

Anicciie, 

Ardennes. 

Arrii-ge. 

Aub(^ 

Aude. 

A  ve^  roii, 

B  •Ju-Rliùiie. 

CaUadus. 

Caillai. 

Cliaienle. 

Cliaieule-IuKliei 

Clier. 

Corrôze, 

Corse. 

C.ile  d'Or. 

C.lcs  du-Xord. 

Dordogiie. 

noui.s. 

Drùnie. 

Euro. 

Kure-el-Loir. 

Fiiiislère. 

Gard. 

Garoune(U.-). 

Gers. 

Gironde. 

Hérault. 

IIJec(.Villaiiie. 

Totut. 


5 

nepotl. 

iSo 

r.Lporl. 

3C.^ 

1 

Ii.dre. 

0 

r.hune. 

Il 

o 

liiilie-cl-Loire. 

7 

Sanne  (  Il  .  ). 

4 

•9 

Ifère. 

6 

Sa.M.e  el.I.oire. 

8 

4 

Jura. 

8 

Sarihe. 

13 

Landes. 

1 

Seine. 

8o 

3 

Loir  elCIier. 

6 

Sei'ie. Inférieure. 

C 

t 

Loire. 

9 

Seiiic-el-.Manie. 

4 

4 

Loire  (II.-). 

4 

Seine  el-Oise. 

lo 

7 

Loire-Infirieure. 

10 

Sé>res  (  Deus  ). 

4 

S 

Loiret. 

>o 

Somme. 

7 

l6 

Loi. 

1 

Tarn. 

7 

lî 

L..t  el  Garonne. 

I 

Tarn-el  Garonne. 

5 

4 

Lnzcre. 

1 

Var. 

an 

5 

Maine  .l-Loire. 

8 

Vaiicluse. 

5 

A 

Manche. 

4 

Vendée. 

8 

1 

Maine. 

5 

Vienne. 

|8 

a 

Marne  (II..) 

4 

Vienne  (II.-). 

8 

I 

MDVenne. 

11 

Vosges. 

n 

9 

Meuillie. 

iC 

Yonne. 

1 

7 

Meuse. 

n 

Anslclerie. 

î 

i 

Morbiliai». 

6 

Anlriclie. 

7 

o 

Moselle. 

7 

Belgique. 

8 

a 

Nièvre. 

2 

Elalsde-l'Eglise. 

>4 

6 

Noid. 

)S 

P.dogue. 

3 

l3 

Oise. 

4 

Prusse. 

3 

X 

Orne. 

9 

Russie. 

4 

o 

Pasde  Calaî.s. 

8 

Savoie. 

>7 

10 

Pu.vdeDOnie. 

4 

Suisse. 

S 

8 

l'vrénées  fK.-) 

7 

Canada. 

4 

S 

l'j  renées  (  11.- ) 

1 

Cavcnne. 

a 

3 

P\réiiées-Orieiilales. 

1 

Eials  Unis. 

7 

21 

lîliin(R.-) 
lll.iu(U.-).            

7 

Chine. 

'' 

3 

Total  général. 

CC5 

iSn 

T'ilul. 

Oiii 

440  COMPTE-RENnU  A  NOS  ABONNÉS. 

On  le  voit  ce  nombre  ,  est  bien  modeste.  Nous  ferons  même 
observer  que  nous  avons  perdu  un  seul  abonné  sur  le  tableau 
précédent,  et  pourtant,  grâce  au  désintéressement  des  rédac- 
teurs et  à  une  administration  strictement  réglée,  le  journal  se 
soutient  et  se  soutiendra  encore.  Que  nos  abonnés  en  soient 
assurés,  les  Annales  ont  encore  une  longue  vie;  car  leur  tâche 
n'est  pas  encore  achevée,  et  ni  abonnés,  ni  rédacteurs  ne  se 
reposeront  qu'ils  n'aient  vu  le  triomphe  complet  de  leur  cause. 

Le  Directeur  et  seul  propriétaire , 

A.  BOSNETTY, 
De  la  Société  asiatique  de  Paris. 

N.B.  La  Nccrolof^ie  du2«  semestre  de  1838  paraîtra  dans  le  prochaiaNv 


TABLE  DES  MAT.,  DES  AUTEURS  ET  DES  OUVR. 


4/ll 


TABLE   GÉNÉRALE 

DES  MATIÈRES,  DES  AUTEURS  ET  DES  OUVRAGES. 


Voir  page  3  Id  Table  des  ailicle». 


A. 


Abbayes.  —  Leurs  bibliothèques  dès  les 
premiers  siècles.  399. 

Abréviations,  commençant  par  la  lettre 
B.  34. 

Abyssinie  (Voyage  en).  321. 

Achéry  (M.  C.}.  —  Réfutalion  des  asser- 
tions de  M.  Letronne ,  au  sujet  du 
prétendu  système  des  Pères  sur  la  cos- 
mologie. 260.  —  Réfutation  des  as- 
sertions de  M.  Libri  ,  touchant  l'ac- 
cusation intentée  au  Christianisme  de 
•  nuire  au  développement  des  connais- 
sances humaines.  2'  article ,  347.  3'^ 
article,  notions  sur  les  bibliothèques 
des  églises  et  des  monastères.        399. 

Album  religieux  de  M.  Haliez.  62. 

Alexandre-le-Grand.  —  Du  titre  du  pre- 
mier roi  des  Grecs,  qui  lui  est  donné 
par  le  livre  des  Macchabés.  37. 

Alger.  —  Bulle  pour  la  création  d'un 
évéché.  237. 

Annali  délie  scienze  religiose,  de  Rome. 

—  Art.  empruntés.  —  Ses  rédacteurs. 

Zl33. 

Anliochus  Sidètes. — Epoque  de  sa  mort 

37. 

Atlianase ,  ou  relation  de  l'afTaire  de- 
rarche\êque  de  Cologne,  par  J.  Goër- 
res.  297. 

Augustin  (Saint)  soutient  le  premier  que 
la  circoncision  remet  le  péché  origi- 
nel. 243. 

Axum. — Description  de  celte  ville.  330, 

B. 

Bactiiaue  Monument  et  médailles  delà). 

397. 

Basile  (Saint).  —  Sur  le  ciel.  268. 

Ba-ili(iue  des  premiers  siècles. — Son  plan 
et  description  de  ses  parties.  419.A20 

Baulain  (M.  l'abbé).  —  Etat  de  son  af- 
faire à  Rome.  239.  436 

Bible. —  Ses  récits  confirmés  de  nouveau 
par  divers  mouumcns.  3ô, 


Bible  en  langue  égyptienne,  découverte 
au  Caire.  314. 

Bibliothèques  des  couvens. — S'il  est  vrai 
qu'elles  ne  renfermaient  que  des  livres 
de  dévotion.  355.  —  Recherches  sur 
l'evistence  des  plus  anciennes,  ei  au- 
teurs qui  en  ont  écrit.  358.  —  Noms 
latins  donnés  aux  bibliothèques  an- 
ciennes. 360.  — Recherches  critiques 
sur  les  bibliothèques  des  églises  et  des 
monastères  au  n'.oyen-ùge.  39D. 

Bonnetty  (M.).  —  Cours  philologique  cl 
historique  d'antiquités  civiles  et  ec- 
clésiastiques. lO"^  article,  18.  11^  art. 
334.  —  Analyse  de  plusieurs  monu- 
mens  confirmant  la  vérité  du  déluge, 
35.  —  Sur  le  livre  d'Enoch.  161.  — 
Traduction  de  quelques  chapitres  de 
ce  livre.  172.  —  Compte-rendu  aux 
abonnés.  428. 

Boussole.  —  Connue  des  Etrusques.  316. 

Bovet  (Mgr.  François).  —  Notice  de  ses 
ouvrages.  7?, 

Bref.  —  Ce  que  c'est  en  diplomatique. 
18.  — Des  rois.  19.  — Des  papes.  20. 
—  Exemple  d'un  bref  en  français.  21* 

Brigitte  (Ordre  militaire  de  sainte-).  21. 

Bulle. —  Ses  dill'éreutes  espèces.        22. 

C 

c.  —  Origine  et  forme  variée  de  cette 
lettre  tirée  des  écritures  Chinoises  et 
égyptiennes.  334.  —  Minuscule  et 
cursif.  339. — Capital  des  inscriptions. 
342.  —  Et  les  planches  VII.    VIII. 

Caabah.  —  Signification  de  ce  mot.  343. 

Cabale.  —  Ce  ([ue  c'est.  343. 

Calatrava.  —  (Ordre  militaire  de).  346. 

Cathédrale. —  (Description  d'mie)  Voir 
Sévilleet  Basilique. 

Chinois.  —  Progrès  de  leur  langue  et 
foute  de  deux  corps  complets  de  carac- 
tères chinois  mobiles.  312. 

Christianisme.  —  S'il  est  vrai  qu'il  nuise 
au  développement  des  sciences.  1'^  ar- 
ticle —  260,  RéfutiUiou  de  celte  siu- 


h'-l^  TABLE    DES   MATtÈRES, 

giiliôre  assertion ,  dans  le  livre  de 
M.  Libri.  2'  urLide.  347.  —  S'  article. 
399. — Voir  BibliotUùqnes  et  Letroniie. 

Christiauisnie. — Son  introduction  dans 
les  Gaules  7.  HT, 

Circoncision  (  la  ).  —  N'a  jamais  été  le 
rcaùde  du  péché  Originel.  242. 

Cologne.  —  Relation  de  la  persécution 
dirigée  contre  l'arcbevèque  de  cette 
ville.  113.  297. 

Cosmas.  —  Pris  pour  un  père  de  l'E- 
glise ,  par  .M.  Lctrcnne.  285. 

Cosmogonie.  —  Caractère  de  celle  éta- 
blie par  Aloïse.  i5S. 

Cosmographie.  —  S'il  est  vrai  que  les 
Pères  aient  eu  à  ce  sujet  quelque  svs 
tème  qui  leur  soit  propre.  288.  —  El 
leurs  erreurs  sur  cette  matière  n'in- 
firment en  rien  les  testes  de  l'écriture. 
Voir  Pères. 

Cosmologie  (  la  ).  —  Basée  sur  la  Genèse 
n'ajamais  été  l'objet  d'aucune  sanction 
ou  condamnation  de  la  part  de  l'Eglise. 
267.  —  Peut-on  dire  qu'il  y  ait  une 
Cosmologie  biLlique?  268. 

Cusline  (M.  le  marquis  de). — Descrip- 
tion de  la  cathédrale  de  Séville.     215. 

Cyprien  (  St.  ).  —  Lettre  de  ce  Père  au 
Pape  Etieune,  touchant  les   Tombes. 

126. 


D 

Daniélo  ("M.).  —  Examen  de  son  tableau 
de  runi\ei-s.  132. — Examen  et  ana- 
lyse du  livre  de  la  vision  d'Enoch. 
369. 

Dante.  —  Preuves  incontestables  de  sa 
mort  chrétienne.  190. 

Déluge. — Piouvé  par  divers  monumens 
trouvLS  dans  un  colîre  avec  figures 
de  ces  monumens.  46.  • —  Opinion  de 
Mabi'lon  sur  la  non-univei-salité.     49 

Denis  (  Saint  ). — Evèque  de  Paris  est-il 
le  même  que  Denis  l'aréopagite  ?  124. 

Dictionnaire  de  diplomatique,  par  M. 
lîonnclty.  —  JO'  art.  18, 11^  art.  334. 

Drack.  —  Sur  les  moyens  de  salut  dans 
l'ancienne  Synagogue.  24J 

Droste  de  ^Vi^.chcring  Archevêque  de 
Cologne. — Son  zèle  contre  l'hermésia- 
nisuie.  101.  —  Sa  lettre  au  ministre 
prussien.  112. — Sou  arrestation.  113. 

E 

Ecoles  ecclésiastiques   et    cléricales. — 

Leur  histoire   est  encore  incomplète. 

403. 

Eglises.  —  Preuves  qu'elles  possédèrent 


de  belles  bibliothèques.  402.  —  Noms 
des  plus  célèbres.  416. 

Egyptiens.  —  Recherches  sur  les  coutu- 
mes ,  les  usages  ,  les  jeux  et  les  arts 
chez  ce  peuple.  224. 

Enoch.  — Recherches  sur  le  livre  intitulé 
Fiston  d^Encch  ,  retrouvé  en  Abyssi- 
nic.  161. — Analyse  et  traduction  de 
ce  livie.  "  172.  369. 

Epoques  historiques.— Tableau  synopti- 
que. 158. 

Euphrale. — Travaux  pour  la  navigation 
sur  ce  fleu^  e.  317. 

Eutiope  (Su). — Sa  mission  à  Orange  9. 
F 

Flottes  (M.  l'abbé). —Sur  la  cosmogo- 
nie de  -Moïse,  comparée  aux  faits  géo- 
logiques. 153. 

Eoissft  (Th.). — Examen  de  l'ouvrage 
de  l'Athanase  de  Gœrres.  297. 

Fortia  d  Urban  (M.  de). — Sur  l'époque 
de  l'introduction  du  Christianisme 
dans  les  Gaules.  7. 119. 

G 

Genèse.- Passage  de  ce  livre  conOrmé 
par  une  monnaie  ancienne.  36. — Dif- 
ficulté d'entendre  le  vrai  sens  littéral 
de  son  début ,  et  si  l'on  peut  dire  qu'il 
soit  réellement  fisé.  265.  266. 

Genoude  (^L  l'abbé  de). — Liste  de  ses 
diverses  publications.  35.  82. 

Géologie  (  la  )  d'accord  avec  la  Bible. 
^Voir  cosmogonie  et  Moïse. 

Glossaire  liturgique  des  Eglises  grecque 
et  latine  ,  4''  article.  201. 

Grégoire  de  Tours  j^istifié  contre  les  Bé- 
nédictin» au  sujetdeS.Trophyme.12  2. 

Guénebauit  (M.).  —Glossaire  litui-gique, 
— Voir  glossaire.  —Recherches  sur  la 
forme  des  aucieunes  Eglises.         419» 

U 

Hallez.  —Son  album  religieux.  62. 

Ilecren.  -  Injustice  de  cet  écrivain  contre 
les  moines  d'Orient.         401  (note  4). 

Hermès.  —Voir  Hermésianisme. 

Hermésianisme  (1').  —  Histoire  de  son 
origine ,  de  sa  coiulamnation  et  de  sou 
étal  actuel  en  Allemagne.  85. 

Hérodote.— Rectifié  par  la  Bible.      43. 

Histoire  (cours  d')  à  l'usage  d'un  petit 
séminaire.  379.— Et  choix  d'une  suite 
d'ouvrages  appropriés  à  toutes  les 
branches  de  l'histoire.  38;5. 

Homère.-Manuscrit  d'une  grande  bcAulé 
appartenant  à  unmonas  1ère.        404. 


DES    AUTEURS   ET    DES   OLVJlAGES. 


m 


Hospices  des  cnfans  trouvés» — Leur  or- 
ganisation eslducauChristianisnie.70. 


Iles  Britanniques.  —  Leur  découverte 
par  les  Etrusques.  315. 

Inscriptions  prouvant  la  mullilude  des 
martyrs.  /y2. 

Interprétation  littérale  ou  verbale  d'un 
Texte.  263. 

Invocation  des Saints'docirine  sur  r).2Zi  1 

Irénée  (St.)  apôtre  de  Lyon.  14. 

Irlande.— Célébrité  de  ses  écoles  monas- 
tiques dis  le  6«  siècle.  407. 

Isidore  (St.)  de  Séville. — Ce  que  prou- 
vent ses  ouvrages.  359. 

J 

Jacquemet  (Jules). —  Examen  de  l'ou- 
vrage de  M.  Remacle  sur  les  hospices 
d'enfans  trouvés.  70. 

Jérôme  (SU  ). — Sur  la  circoncision  qui 
était  un  signe  et  non  un  moyeu  de 
justification.  243.  — Défense  de  l'expli- 
cation qu'il  a  donnée  du  mot  hébreu 
aime  (vierge).  361. 

L 

Lazare  (St.  ).  —  Apôtre  et  1"  Evêquc 
de  Marseille.  8. 

Lettre  pastorale  de  l'Evêque  de  Bayent. 
Sur  le  besoin  d'études  nécessaires  au 
clergé.  396. 

Letronne  (  M.  ).  —  Sa  cosmographie 
des  Pères  n'est  qu'une  attaque  dégui- 
sée contre  la  Bible.  261.  —  Fait  dire 
à  la  Genèse  ce  qu'elle  n'a  jamais  dit 
268.  —  Met  sur  le  compte  des  Pères 
de  1  Eglise  les  idées  des  anciennes  éco- 
les grecques  et  d'écrivains  de  peu  de 
valeur,  275. — Sa  méprise  au  sujet  des 
Pères.  285.  288 

Libri  (  M.  ).  —  Réfutation  de  ses  asser 
lions  sur  l'inRuence  du  christianisme 
sur  les  sciences.  260.  347.  399 

Lithographies.  — Bifférens  objets  relatifs 
au  déluge,  trouvés  dans  un  vase.  46. 
—  Caractères  chinois  et  égyptiens 
ayant  servi  à  former  les  G  sémitiques  ; 
G  de  35  alphabets  sJmiliques  ;  G  grec 
ancien  ;  formaliou  du  C  latin  capital. 
334.  — C  latin  capital  des  manuscrits; 
C  minuscule  du  diplôme.  342.  — 
Plan  d'une  basilique  chrétienne  des 
premiei^  âges.  421. 

Loriquet  (Père). — Mérite  de  ses  abré- 
géj  d'études  et  d'histoire.  381. 


M 


Mabillon.  —  Exposition  de  son  opinion 
sur  la  non-universalité  du  déluge.  49. 

Machabécs.  —  Deux  passages  dece  livre 
confirmés  par  les  médailles.  37. 

Manuscrits  égyptiens  de  la  Bible.  'Voir 
Bible. 

Marcel  de  Serres  (M.).  —  Son  ouvrage 
sur  la  cosmogonie  de  Moïse.         153. 

Médailles  servant  à  prouver  la  vérité  des 
laits  de  la  Bible.  36,  —  Relatives  au 
Déluge.  40é 

Meurtriers.  —  Usage  singulier  à  leur 
égard.  326. 

Moïse,  sa  cosmogonie  comparée  aux 
faits  géologiques.  153. 

Monastères.  —  Beauté  de  leurs  biblio- 
thèques. Voir  abbayes. 

Monumens  religieux  (statistique  des). 
par  l'abbé  Souchet.  I60. 

Nécrologie  de  1838.  7g^ 

Xotre-Dame-dcs-Ermites.  — Notice  histo- 
rique sur  ce  pèlerinage.  320, 

P. 

Papauté  (histoire  de  la).'  —  par  M.  Léo- 
pold  Ranke.  249.  —  Reproches  faits  à 
cet  ouvrage.  256. 

Pères  de  l'Eglise.  —  Idées  confuses  de 
M.  Letronne  à  leur  sujet.  275.  —  Si 
l'on  peut  dire  qu'ils  aient  puisé  leuis 
opinions  particulières  sur  la  cosmo- 
graphie, dans  les  textes  de  l'Ecriture? 
279.  —  S'il  est  vrai  que  les  Pères 
aient  eu  un  système  quelconque  de 
cosmographie  qui  leur  soit  propre. 
295.  —  M.  Letronne  donne  la  quali- 
fication de  Pères  de  l'Eglise  à  divers 
personnages  qui  n'ont  rien  de  com- 
mun avec  eux.  285, 

Perrone  (M.  l'abbé).  —  Sur  l'hermésia- 
nisme.  1 15.  —  Note  sur  son  article  des 
ac(a  hcrmesiana.  236. 

Pluralité  des  Cieux.  —  Ce  qu'il  en  faut 
penser.  272.  -—  Et  s'il  est  vrai  que 
Moïse  adopte  cette  assertion.        27?, 

Potliin  (S.).  —  Sa  mission  à  Lyon.     11. 

Puissances  temporelles  et  spirituelles  ;  de 

de  leurs  rapports  d'après  la  tradition 

universelle,  par  l'abbé   Rohrbacher. 

—  Examen  de  cet  ouvrage.  229. 

II. 

Régnier   (  M.   Joseph  ).    —  Chronique 
d'Einhsidlen.  320, 


Uh!i 


ÏABLE    DES   MATIÈRES. 


Remacle  (M.).  —  Son  ouvrage  sur  les 
hospices.  Voir  hospices. 

Revue  des  deux  monrfcs.—  Assertions  de 
ce  journal  louchant  la  Genèse.  262. 
—  Touchant  la  cosmologie  de  quel- 
ques Pères.  268. 

Riambouig  (M.  ).  —  Publication  de  ses 
oeuvres  philosophiques.  376.  —  Plan 
d'études  historiques  pour  un  petit  sé- 
minaire. 380. 
S. 

Sacy  fM.  de).  —  Traduction  du  livre 
d'Enoch»  —  Fragmens.         172.  369. 

Salut  (des  moyens  de).  — Chez  les  Juifs. 

2/il. 

Salvolini.  — Notice  de  ses  ouvrages.   80. 

Severianus  de  Gabala.  —  Méprise  de 

M.  Letronne  au  sujet  de  cet  écrivain. 

285. 

SéAille  (cathédrale  de). — Sa  description. 
215.  —  Orgue.  219.  —  Tombeaux. 
220.  ' — Crédences.  221. — Manuscrits. 
ib. 

Silvio-Pellico.  —  Poésies  inédites  et  dé- 
tails sur  sa  vie.  184. 

Souchet  (  Tabbé).  —  Statistique  des  mo- 
numens  religieux.  1 60. 

Synagogue  (doctrine  de  la).  ■ —  Sur  Tin- 
vocation  des  Saints  et  sur  la  foi  du 
Rédempteur  promis.  2^1. 

T. 

Tableau  des  principales  époques  histo- 
riques calculées  depuis  l'apparition 
de  l'homme.  158. 

Tableaux  religieux  du  salon  1838.  — 
Examen  critique  de  leur  style,  esprit, 
etc.  53. 


Tables  eugubiennes. — Ce  que  c'est.  S15«" 

Théodore  de  Mopsueste.  —  Pris  pour  un 
Père  de  l'Eglise  par  M.  Letronne,  et 
ce  qui  en  est  résulté.  285. 

Théodoret.  —  Réserve  de  ce  Père  dans 
les  questions  douteuses,  288. 

Théologie.— Rapport  de  M.  Salvandi  sur 
son  étude.  238. 

Thomas  (saint)  pense  que  la  circoncision 
était  un  signe  et  non  pas  un  moyen 
de  justification.  243. — Sur  l'interpré-" 
talion  de  l'Ecriture.  292* 

Trophyme  —  Sa  mission  à  Arles.  9.  — 
Sa  chute  et  sa  pénitence.  123.  —  S'il 
y  en  a  deux.  124* 

u. 

Univers  (  études  et  tableau  de  ). — Voir 
Daniéio. 

V. 

Vase  avec  des  peintures  relatives  au 
déluge.  —  Planche  et  explication  de 
ce  curieux  monument.  46. 

Vercellone  (M.  l'abbé). — Son  explication 
du  mot  Aime.  361. 

Viiginilé  de  la  mère  de  Jésus-Christ,  si 
on  doit  en  trouver  l'annonce  dans  un 
mot  hébreu.  361. 

Vision  d'Enoch.  — V.  Enoch. 

Voigt.  —  Plan  d'une  basilique  des  pre- 
miers siècles.  419. 

Vossius  (Isaac).  — Son  opinion  sur  l'uni- 
versalité du  déluge.  61. 

VV. 

Wiseman  (M.). — Ses  travaux  scientifi- 
ques sur  l'histoire,  l'archéalogie,  la 
littérature  sacrée.  25.82. 


FIN   DE   LA   TABLE   DU   DIX-SEPTIÈME   VOLUMR. 


I