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Full text of "Annales de philosophie chrétienne"

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^J^î» 


Otbliotljcque 

ÉCOLE  LIBRfc: 
S.  Joseph  de  LilU 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witii  funding  from 

Universityof  Ottawa 


littp://www.archive.org/details/annalesdephiloso25pari 


âlMAILl 


DE 


iPiniïiL(D©cDiPiniis  (DiaiBto3iBEro3, 


Ô\ 


\i\^  sÉRit.  iOM£  VI.  —  ^y  31.  18^2. 


III  SERIE. 


AVIS. 

Le  titif:  de  ce  volume  sera  donne  à  la  lin  avec  la  table  de  tous  les  at  ' 
ticles,  sans  préjudice  de  la  table  des  matières,  qui  sera  placée  à  la  fin  du 
Yolumc. 

Comme  les  Annales  sont  lues  par  beaucoup  de  personnes,  et  sont  un  li- 
vre d'usage,  nous  nous  sommes  décides  à  employer  un  papier  collé,  qui 
permetti-a  d'écrire  sur  les  marges  comme  sur  un  papier  ordinaire,  et  un 
papier  mécani'^ue  fabrique  exprès,  beaucoup  plus  fort  que  les  papiers  ordi- 
naires, comme  on  peut  le  voir  dans  ce  n";  c'est  une  augmentation  de  dé- 
pense que  nous  faisons  volontiers  pour  l'avantage  et  la  commodité  de  nos 
abonnés. 


JkMil^' 


DE 

iPiaiiiL(D§(DiPiniii3  (Einiai^a'iisMîîis» 

RECUEIL  PÉRIODIQUE, 

DESTINÉ   A  FAIRE  CONNAÎTRE   TOUT   CE   QUE  LES   SCIENCES    HUMAINES    RENFERMENT 
DE  PREUVES  ET  DE   DÉCOUTERTES   EN  FAVEUR  DU   CHRISTIANISME  ; 

par  une  ôodéié 

DE  LITTÉRATEURS  ET  DE  SAVANS,  FRANÇAIS  ET  ETRANGERS  , 

sous   LA   DIRECTION 

DE  M.  A.  BONNETTY, 

Uembie  lic  la   Société  Asiatique  de  Paiii. 

TREIZIÈME  ANNÉE. 


TOME  VI. 

(•25*    DE    I.A    COLLECTION.- 

-  PARIS, 

?lu  Ourrau  ^rô  2lnnalfô  ^f  pl)ilui3apl)if  £l)vt'ticniifj 

Rue  St.-Ginllaunie,  no  24,  Faiib.  St.-Germain. 

1842. 


TABLE    DES    ARTICLES. 


83 


TABLE  DES  ARTICLES. 

Vnii  à  la  fin  du  îoluine  la  tabl»*  «!<■»  matière».  ,i 
N*»    31  —  JUILLET. 

Comment  la  foi  à  raulheniiciié  dn  Peniatcuqae  s'est  afTaiblie  (!*'  article)  ; 
traduit  de  Paliemand  de  HBSGSTBNBEnr..  1" 

Evamen  des  accusations  portées  contre  le  Pape  Boniface  VIll  et  réfulatioo 
«les  assenions  de  Sismondi  et  d'aulres  auteurs  ^a'  art.  et  dernier).  23 

Première  élude  sur  le  raiionalisrae  contemporain  ;  1''  partie;  M.  Cousin  jugé 
par  ses  pairs  [V'  article).  —  Jugement  de  M.  Gatibn-Absoui.t.  49 

Histoire  de  la  littérature  hindoui  et  hindoustani,  par  M.  Garcin  delassy, 
tome  !•'.  —  Biographie,  par  M.  l'abbé  Bertrasd.  63 

Nécrologie  dei  auteurs  morts  pendant  l'année  18il,  avec  la  liste  de  leur» 
ouvrages,  classés  par  ordre  chronologique.  —  Suite  et  fin.  74 

HoiiveUet  et  Mélangei.  —  Décret  de  S.  E  le  cardinal-vicaire,  à  propos  de 
la  conversion  de  M.  Alphonse  Raiisbonne.  —  Nomination  de  M.  l'abb*' 
de  Luca  à  la  place  de  Camérier  secret  de  Sa  Sainteté.  —  Bref  de  Sa  Sain- 
teté Grégoire  XVI  à  M.  Artaud  de  Montor.  —  Collection  d'ouvrages 
sanscrits  à  Berlin.—  Découverte  au  Mexique  d'une  ville  encore  peuplée 
d'Indiens  ,  n'ayant  eu  aucune  communication  avec  les  Espagnols.  77 

Bibliographio.  —  Commentaire  géographique  sur  l'Exode  «tles  Nombres 

fl  par  Léon  de  Laborde;  liste  des  Cartes  ;  approbation  de  Mgr  de  Paris. 
N''  32.  —  AOUT. 

Commentaire  géographique  sur  l'Exode  el  les  Nombres  de  M.  Léon  de  La- 
borde (l't^  art.)  /  par  M.  Quatremèrb.  8S 

Les  livres  de  l'Ancien-Testaraent  contiennent-ils  des  mythes  ?  (2*  art.)  — 
Ce  que  c'est  que  les  mythes  ;  par  M.  Cauvigst.  103 

M.  Cousin  jugé  par  ses  Pairs  (2*  art.)  Suite.  '  <  21 

L'abbé  Foisset  ;  lettre  adressée  à  M.Bonneliy,  par  M.  Rossignol,  avec  un 
appendice  par  M.  Bo:<SBTTv.  133 

Dictionnaire  diplomatique  ou  cours  philologique  et  historique  d'antiqui- 
tés civiles  et  ecclésiastiques Suite  du  D.  —  Diplômes. —  Autorité  de» 

diplômes.  —  Définition  el  forme  des  diplômes;  par  M.  A.  Bosnettt.       146 

Ifouvelles  et  Mélangea.  —  Décret  du  congrès  et  du  pouvoir  exécutif  de  Bo- 
gota ,  appelant  les  Jésuites  pour  les  charger  de  continuer  les  missions. 
'     —  Progrès  et  état  du  catholicisme  au  cap  de  Bonne-Espérance.  189 

Bibliographie.  —  Annali  délie  scienze  religiose  ,  compilati  d'all'abb.  Ant. 
de  Luca.  Table  du  vol.  XIII.  —  Histoire  de  France  par  M.  Laarentie  , 
avec  une  lettre  de  Mrg.  l'archevêque  de  Paris.  —  Numismatique  des  ca- 
thédrales de  France.  — Le  comte  de  la  Ferronnays  et  Marie-Alphonse 
Raiisbonne.  —  Mes  impressions  de  quinze  jours  à  Rome.  16? 

No  33.— SEPTEMBRE. 

Allocution  de  sa  Sainteté  Notre-Seigneur  le  pape  Grégoire  XVI  au  Sacré 
Collège,  dans  le  Consistoire  secret  du  22  juillet  1842,  suivie  d'une  expo- 
sition corroborée  de  documens  sur  les  soins  incessans  de  sa  Sainteté  pour 
porter  remède  aux  maux  graves  dont  la  religion  catholique  est  affligée 
dans  les  Etats  impériaux  et  royaux  delà  Russie  et  de  la  Pologne.  (I  "  art.)  165 
Etude  des  monumens  astronomiques  dos  anciens  peuples  de  l'Egypte,  de 
l'Asie  el  de  la  Grèce,  conduisant  à  la  réfutation  scientifique  con/pléte  du 
système  de  Dupuis  (7«  ari.\  par  M.  Carteron.  ^92 


U  TARLF.    DES    ARTICLES. 

Vestiges  des  iradiiions  priiniiivei  consertées  chez  les  Latins  (1"  art.).  — 

Explication  de  régloguc  à  Pollion  de  Virgile  ;  par  Mgr  Grassellini.  20R 
Pièce  de  monnaie  du  souverain  poniife  Valentin,  et  lettre  duP.de  FERRARr.  224 
Planche.  —  Monnaie  du  pape  Valentin.  224 

Histoire  de  récooomie  politique  ,*  par  M.  le  iricomte  Aibande  Villeneuve- 

Bargemoni;  par  M.  A.   de  liEr.LEVAr..  235 

L'univers  expliqué  par  la  révélation  ;  par  L.  A.  Chaubard  ;  par  *** 
Nouvelles  el  mélanges.  —  Découverte  d'une  basilique   chrétienne  des  pre- 
miers Siècles  à  lîsoudun.  —  Description  de  la  caverne  du  Mammoat.  243 

N*»    3'l.    —   OCTOBRE. 

Allocation  de  sa  Sainteté  Notre-Seigneur  le  pape  Grégoire  XVI  au  sacré  col- 
lège, dans  le  consistoire  secret  du  22  juillet  1842.  (Suite  et  fin.)  245 

De  la  méthode  hermésienne  (1^  art.),  par  le  P.  Perosse  ,  tradott  des 
Ama/f  de  Mgr  de  Luca,  par  l'abbé  IL  275 

Vestiges  des  irudiiionà  primitives  conservées  chez  les  Latins  (2e  art.)  — 
Explication  de  l'églogue  ii  Pollion  de  Virgile  ;  par  Mgr  Grassellini.         298 

Introduction  à  la  théologie  do  l'hisloire  oh  du  progrès  dans  ses  rapports 
avec  lalihené  par  Charles  Stoffels;  par  M.  R.B.  34  3 

Nouvelles  cl  mélanges.  —  Lettre  de  M.  Eugène  Bore,  annonçant  son  retour 
en  France,  -,  Piojpt  de  resiauraiion  complète  de  Notre-Dame  de  Paris.  — ^ 
Efforts  pour  la  ron^t^rvation  des  inonumens  chrétiens.  —  Création  de  la 
charge  d'hiaioriugrapue  du  diocèse  de  Poitiers.  —  Circulaire  de  Mgr  de 
Grenoble,  pour  l'élude  et  la  classification  des  monumens  religeux.    '  317 

Bibliographie, — Histoire  de  la  conversion  des  Arméniens  au  christianisme.     324 

N°      3o.    —    NOVEMBRE. 

L'Arenl  liturgique,  par  le  R.  P.  D.  Guéranger;  par  M.  A.  Combegcille.       32a 

Archéologie  chrétienne,  ou  précis  de  l'histoire  des  monumens  religieux  au 
moyenàge,  par  M.  l'abbé  J.-J.  Bourassé.  343 

\  ocabulaire  des  mots  techniques  de  l'archéologie  chrétienne  ;  par  M.  Bou- 
rassé. 349 

Comment  la  foi  à  rantheniicilé  du  Pentateuque  s'est  affaiblie  (2*  art.),  tra- 
duit de  l'allemand,  de  Hengstenberc.  358 

Histoire  de  la  vie,  des  ouvrages  et  des  doctrines  de  Calvin,  par  M.  Audin  ; 
par  M.  H.  Gérald.  373 

Nouvelle  explication  du  mot  Symbole.  —  Lettre  de  M.  Segcier, marquis 

de  Saint-Brisson .  à  M,  le  directeur  des  Annales.  387 

Synglosse  du  nom  de  Dieu  dans  toutes  les  langues  (7*  et  dernier  art.) ,  par 
M.  l'abbé  Bertrand.  390 

.\ouvellet  et  mélanges.  —Arrivée  de  M.  Eugène  Bore  à  Paris,  llest  nommé 
chevalier  delà  milice  dorée  do  Saint-Svivestre.  —Lettre  du  cardinal 
Fransoni.  —  Bref  de  Sa  Sainteté.  "  402 

N"    3tî.  — DÉCEMBRE. 

D«  la  vie  religieuse  chez  les  Chaldéens  ;  {V'  art.)  par  M .  Eugène  Boas .  405 
Etude  des  monument  astronomiques  des  anciens  peuples  '8-  et  dernier  ar 

ticle  )  par  M.  Carteron.  423 
Preuves   de  rantheniicilé  de  Thisioire  évangéliqne,  tirées  des  actes   des 

Apôtres  el  des  épilres  (traduit  de  Tiioluck  ' .  439 
Carte  itinéraire  pour  servir  à  rintelligence  de  la  soriie  des  Israélites  de 

l'Egypte;  [larM.  dp.  Laborde.  45^ 

Lithographie.  —   Carte  itinéraire .  455 

Edition  des  œuvres  de  saint  Augustin .  463 

Compte-rendu  l\  nos  abonnés.  472 

Table  générale  des  matières,  des  auteur»  el  des  ouvrages.  478 


ANIMALES 

DE    PHILOSOPHIE   CHRÉTIENNE 


Critique  biblique. 
Comment  la  foi 

A 

L  AUTHENTICn  !i  DU  PENTAiEUQUE 

s  EST  ArFAlBLlE. 


^^rcmt^r  article. 


Dégénération  de  l'exégèse.—  Spencer.  —  Le  Clerc J.  D.  Michaèlis.— 

Progrès  du  rationalisme.  —  Mépris  de  la  trc.dition. 

Comment  se  fait-il  que  l'authenticiié  du  Peutateuque ,  consi- 
dérée comme  certaine  jusqu'au  milieu  du  dernier  siècle,  ait  eu 
depuis  cette  époque  des  attaques  si  multipliées  à  essuyer?  Com- 
ment se  fait-il  qu'elle  ait  pu  èire  contestée  avec  tant  d'assurance 
au  milieu  des  applaudissemens  d'une  foule  bruyante  de  littéra- 
teurs? et  cela  non  pas  seulement  en  France,  au  sein  de  la  cotterie 
encyclopédiste,  mais  au-delà  du  Rhin,  dansiagrave  et  savante 
Allemagne,  sur  la  terre  classique  de  l'exégèse  ?  —  Tel  est  le  pro- 


O  FOI   A  L  Al  lllJ  .^  IIC.TJ: 

blcme  que  nous  allons  i;iclici-  de  lésondie  d'api  es  les  sa  vailles 
recliei elles  tl'Ilui)g.->tenbLrg  '. 

Trois  lioninies  surtoul  oni  prépaie  le  discrédit  ou  le  Ptnla- 
teuque  est  tombé  dans  une  partie  du  monde  lettré,  je  veux  dire 
Spencer,  Le  Clerc  et  J.  iMicliaëlis.  D'autres  écrivains,  le!s  que 
Grotius  et  3Iarsham,  tout  en  prenant  la  même  direction,  ou  ne 
l'ont  pas  suivie  d'une  manière  aussi  absolue  ,  ou  se  sont  très  peu 
occupés  du  Pentateuque.  Les  traces  de  leur  influence  ,  sur  le 
point  qui,  nous  occupe,  se  perdent  donc  dans  celles  des  trois 
principaux  commentateurs  que  nous  venons  de  citer. 

§1- 

C'est  dans  son  ouvrage  De  le^ibus  hchrœorum  lilualibus,  (juc 
Spencer  a  résumé  ses  travaux  sur  le  Pentateuque.  Cet  écrivain 
avait  un  esprit  lout-à-fait  semblable  à  celui  qui  se  manifeste  de 
nos  jours  dans  les  ouvrages  du  docteur  Strauss.  Cbez  l'un  et  cbez 
l'autre  même  subtilité,  avec  un  défaut  de  profondeur  si  étonnant 
que  l'on  est  maintes  fois  tenté  de  révoquer  en  doute  leur  péné- 
tration. Des  deux  côtés,  même  froideur  glaciale  ;  on  dirait  qu'ils 
manquent  tous  deux  d'une  faculté  nécessaire  pour  comprendre 
la  religion,  ou  qu'ils  ont  eu  le  pouvoir  d'effacer  en  eux  tout  ves- 
tige de  la  connaissance  de  Dieu,  et  cela  à  tel  point  que  le  senti- 
ment des  cboses  célestes  n'apparaît  pas  même  dans  leurs  œuvres 
comme  un  éclair  fugitif,  et  ne  vient  jamais  les  faire  dévier  de  la 
route  qu'ils  ont  adoptée  ;  cbez  l'un  et  cbez  l'autre  même  clarté  , 
même  rigueur  dans  l'exposition,  qualités  qui  doivent  du  reste  se 
développer  d'autant  plus  que  l'entendement  s'isole  davantage  et 
réussit  à  absorber  plus  complétemeut  les  autres  facultés  de  l'ârae. 
Il  y  a  pourtant  une  différence  entre  eux  ,  c'est  que  le  docteur 
anglais  ne  s'attaque  qu'à  l'inspiration,  tandis  que  le  docteur  alle- 
mand nie  même  l'authenticité  des  documens  bistoriques.  Mais 
cela  lient  à  la  diversité  des  tems;  on  ne  peut  se  défendre  de  pen- 

•  V.  Ernst  Wilhelm  Hengaenbcrg,  die  uut/œnlie  des  Pcnial^utJies  , 
Erstcr  Band,  Berlin,  iSôg. 


DU   PPNTATMQUF.  'J 

ser  (pie  Spencer  serait  moins  discret  cîe  nos  jours,  et  qu'il  en 
pensait  beaucoup  plus  qu'il  n'en  disait.  Une  dernière  différence, 
celle  de  l'crudiiion,  est  encore  plus  accidentelle  et  plus  extérieure. 
La  pensée  fondamentale  du  livre  de  Spencer  montre  assez,  dès 
l'abord,  combien  il  était  peu  propre  à  l'exëgcse  des  livres  saints, 
et  comment  l'àme  de  ces  monumens  vénérables  devait  s'exlialer 
entre  ses  mains.  Il  part  de  cette  assertion,  vraie  en  général ,  mais 
poussée  par  lui  beaucoup  trop  loin,  que,  dans  la  loi  des  cérémo- 
nies mosaïques  ,  beaucoup  de  cboses  offrent  une  analogie  frap- 
pante avec  les  coutumes  religieuses  des  peuples  païens  et  des 
Egyptiens  en  particulier.  Celte  analogie  n'est  que  dans  la  foi  me, 
et  rien  n'est  plus  facile  que  de  l'expliquer,  de  la  justifier.  Il  suffit 
pour  cela  de  faire  voir  que  ,  dans  l'économie  du  Mosa'isme  un 
esprit  entièrement  nouveau  circulait  sous  cette  forme  et  la  vivi- 
fiait. ]N'est-il  pas  tout  naturel  de  cboisir,  pour  représenter  des 
choses  vraiment  saintes,  les  formes  généralement  usitées  depuis 
longtems  pour  représenter  les  choses  regardées  comme  saintes? 
Ces  formes,  en  efïet,  sont  dégagées  par  l'erreur  elle-même  du 
cortège  d'idées  profanes  qu'entraîne  avec  soi  chaque  symbole 
nouvellement  sanctifié;  c'est  pourquoi  on  n'a  point  cherclié  à 
tirer  contre  le  baptême  des  inductions  défavorables  de  l'usage 
des  ablutions,  répandu  chez  les  juifs  et  chez  tous  les  autres  peu- 
ples de  l'antiquité.  Mais  Spencer  était  incapable  de  comprendre 
le  point  essentiel,  c'est-à-dire  la  différence  do  l'esprit.  La  loi  des 
cérémonies  est  pour  lui  un  corps  sans  âme.  Il  accorde,  il  est  vrai, 
à  certains  rites  une  raison  mystique  et  typique  ;  mais  il  ne  fait  cette 
concession  que  pour  un  petit  nombre  ;  même,  à  l'en  croire,  cette 
raison  mystique  n'ist  que  subordonnée,  et  n'est  pas  le  but  prin- 
cipal*. Enfin,  dans  les  cas  où  le  sens  spirituel  est  avoué,  la  base 


'  C'e.t  au  point  que  l'équitable  et  débonnaire  Pfail,  dans  la  Disser- 
tation prcUniinaire  de  lédllioa  qu'il  a  donnée  du  livre  de*Spencer  se 

trouve  amené  à  faire  la  remarque  suivante  : Ne  vniionem 

iypicam  prnrsii^  eliminme  vidcntnr,  ili.rifSf*  Jtrc  i'idetur  niicfor. 


10  loi  A  1," AI  TlII..^Tl^nl■: 

de  rexplicaiion  est  ciutjre  prise  dans  des  moiils  tout  exlérieurs'. 
Mais  en  j^ént  r.;l  toute  tlifférence,  entre  les  iisa^jcs  des  païens  et 
ceux  des  Israélites  qui  leur  correspondent  en  apparence,  dispa- 
raît à  ses  yeux.  —  Dieu  a  pris  les  usages  païens  tels  qu'ils  exis- 
taient, et  il  les  a  donnés  ]>our  divertisscnicnl  à  ce  peuple  gros- 
sier, qui ,  sans  cela,  cùi  clieiclit'  son  plaisir  ailleurs  ;  c'est  ce  que 
notre  auteur  ne  craint  pas  de  dire  criunenl^  Pariout  il  parle  du 
rituel  mosaïque  dans  les  ternies  les  plus  mépi  is  '.ns  ;  chose  bien 
naturelle,  il  faut  en  convenir,  pour  (juiconque  n'a  pas  adressé  à 
Dieu  cette  prière  :  «  Seigneur,  niontrez-nioi  les  merveilles  de 
votre  loi,  »  et  n'a  pu  par  conséquent  cire  exaucé  I  Chose  bien  na- 
turelle ,  du  moins  ])Our  ceux  (|ui  s-  ni  trop  convaincus  de  leur 
capacité  pour  ne  ]ns  concluie  immédiatement,  quand  ils  ne 
voient  pas  une  chose,  que  cette  chose  n'existe  point  ^. 

Il  Cbl  facile  de  comprendre  comment  une  pareille  incapacité 
exégétique  devait  conduire  à  la  négation  de  l'authenticité.  Si  les 
ois  cérémonielles  de  Moïse  sont  une  fois  regardées  comme  con- 
raires  au  culte  que  l'on  doit  rendre  à  Dieu  en  esprit  et  en  vé- 
rité j  si ,  loin  d'être  une  préparation  à  ce  culte,  elles  le  cachent 
seulement  sous  un  voile  épai«,  dajis  des  formes  inconvenantes; 


'  Vero  similo  est  Deum  saciatoria  (in?edani  svnibolornm  et  lypornm 
velis  obducta  in  icgelrarlidisse  ob  moreni  affuiem  intergentiimi,  Tlgyp- 
tiornni  prsecipuè,  sapienter  usilatiim.  ]).  aii. 

»  Deus  intérim  ,  ut  superstitioni  quovis  pacto  iretur  obviam  ,  ritus 
non  paucos  niidtoruin  annorum   et  gcntiuni   usu   cohonestatos,   quos 

ineptias  nùial  esse  tolerabiles in  spcroruni  suorum  adop- 

lavit,  page  640. 

'  Voir  page  26  :  NuUa  ratio  occurrit  cur  Deus  tôt  legibns  et  ritibus 
inutilibuspopulnmjudaïcum  cnerare  etcultuni  rationalem  penè  obruere 
voluerit,  nisi  ut  gravi  illo  jugo  populum  irapediret  ne  officii  sui  can- 
cellos  transiliret,  et  ad  ritus  gtntilium  rueret.  Id  enim  confessum  et 
apertuni  est,  luijns  modi  ritus  tullum  cuni  Dei  naturâ  consensum  ba- 
buisse,  née  tanto  c«remoniarim  apparatu  opus  fuisse  ad  pietatem 
colendam . 


DU   PKNTATEUQUE.  i  1 

dès  lors  rien  n'est  plus  absurde  que  de  les  faire  dériver  de  Dieu. 
Il  est  bien  plus  naturel  de  croire  qu'elles  ont  passé  des  païens 
^ux  juifs  par  le  cours  naturel  des  clioses,  d'autant  plus  que  Dieu 
ne  parle  nullement  de  ces  prétendues  inepties^  comme  si  elles 
étaient  réellement  à  ses  yeux  des  inepties.  Il  les  place  bien  plutôt 
à  côié  de  la  loi  morale,  i!  menace,  il  ordonne  d'en  venger  très  sé- 
vèrement les  infractions.  On  doit  donc,  de  ce  point  de  vue,  l'ac- 
cuser d'une  fraude  pieuse;  et  c'est  ce  que  fait  Spencer,  en  dissi- 
mulant cette  fraude  sous  le  nom  lionnèle  de  ffUYxaTdtêatriç  (con- 
descendance) ;  il  va  même  jusqu'à  dire,  dans  un  endroit,  que 
Dieu  pourrait  bien  s'éue  moqué  de  son  peuple,  et  qu'il  lui  a  or- 
donné les  sacrifices  per  ironiam  '.  —  Les  contemporains  de  Spen- 
c^jr,  qui  ont  allaqué  sa  ibéorie ,  font  remarquer  combien  est 
basse  l'idée  de  Dieu,  qui  sert  de  fondement  à  son  hypothèse*. 
Cette  idée,  en  effet,  est  si  grossière,  que  Ton  croirait  volontiers 
qu'il  Ta  émise  lui-même  per  ironiam  ,  en  attendant  que  les  lec- 
teurs mûrs  pour  la  vérité  fussent  capables  de  la  trouver  d'eux- 
mêmes  ^  !  Cependant,  nous  n'avons  pas  de  preuves  certaines  que 
Spencer  ait  aperçu  les  conséquences  de  son  opinion:  mais  cela  est 
indifférent  pour  noire  but  ;  il  nous  suffit  de  faire  comprendre 
que  ces  conséquences  étaient  réelles,  et  qu'à  partir  de  ce  point 
de  vue  il  s'ouvrait  mille  routes  conduisant  également  à  nier 
l'authenticité  du  Pentateuque.  Par  exemple,  comment  échapper 
au  raisonnement  que  voici  :  si  telle  est  la  loi  rituelle  du  mo- 
saïsme,  Dieu  ne  peut  en  être  l'auteur-,  Moïse,  qui  la  dit  révé- 
lée, ne  saurait  être  un  envoyé  de  Dieu;  et  il  est  impossible  que 
la  providence  ait  appuyé  sa  mission  en  lui  inspirant  des  pro- 
phéties et  en  opérant  par  lui  des  miracles.  Le  Pentateuque,  qui 


'  Page  755. 

^  Voir,  par  exemple,  Wilsius,  J?g".,  p   iS'a. 

"'  Pour  éta})lir  cette  conjecture,  on  pourrait  s'appuyer  sur  des  insinua- 
tions telles  que  celles-ci  :  «  Deus  multa  in  lege  typorum  et  figura  runi 
tegumenlis  involula  tradidit,  forsan  ut  lex  mosaïca  cum  ipso  Mosis  inge- 
nio  et  educalionc  consensum  coleret.  h  page  ciio. 


12  FOI   A   i/aï  THÏ>NT1CITK 

lui  en  altiihup  un  f;rancl  nonihre ,  ne  doit  pns  être  une  histoire 
authenlique. 

De  plus,  Spencer  ne  se  contente  pas  d'ôter  à  la  loi  rituelle  sa 
significalion  la  plus  profonde  et  son  caractère  divin,  il  tache,  au- 
tant qu'il  le  peut,  d'enlever  à  la  partie  morale  de  la  législation 
mosaïque  ce  qu'elle  renferme  de  plus  sublime.  Ainsi  il  s'efforce 
de  prouver  que  le  Décalogue  n'est  pas  la  substance  même  de  la 
morale,  mais  qu'il  était  seulement  destiné  à  prévenir  l'invasion 
d'une  {grossière  idolâtrie  '. 

L'effet  du  livre  de  Spencer  fut  immense,  comme  le  prouvent 
les  éditions  multipliées  et  les  contrefaçons  qui  en  furent  faites  en 
Hollande  et  en  Allemagne.  Ses  adversaires  les  plus  instruits  n'a- 
percevaient pas  non  plus  le  point  véritablement  vulnérable.  Au 
lieu  de  se  livrer  à  la  recherche  approfondie  et  lumineuse  du  sens 
symbolique  et  typique  renfermé  dans  la  loi  rituelle,  et  de  mettre 
ainsi  en  relief  la  beauté  de  cette  loi ,  ils  prirent  la  peine  infruc- 
tueuse d'établir  que  les  juifs  n'avaient  point  emprunte  les  for- 
mes extérieures  de  leur  culte  aux  païens,  mais  que  c'était  pr^'ci- 
sément  l'inverse.  L'interprétation  typique  continua  d'être  regar- 
dée comme  arbitraire,  ainsi  qu'elle  l'était  déjà  depuis  longtems  , 
et  ce  dernier  fait  peut  en  partie  servir  d'excuse  à  Spencer. 

Le  Clerc  succéda  au  docteur  anglais  et  s'ap,  ropria  ses  hypo- 
thèses sans  hs  modifier,  ni  les  anoblir  en  rien'.  La  manière  su- 
perficielle de  juger  propre  aux  Arminiens  en  général  paraît  chez 
lui  pou  sée  au  dernier  degré.  Evidemment  son  point  de  vue  in- 
térieur est  le  déisuje.  Tout  ce  qui  dépasse  l'idée  abstraite  qu'il  se 
f.ïit  de  Dieu  est  accusé  d'anthropomorphisme  et  d'anthropopa- 
thisme.  A  ses  yeux  c'est  une  simple  écorce  qu'il  faut  briser.  Il  ne 
se  doute  pas  que  son  idée  abstraite  est  elle-même  l'anthropopa- 

'  Voir  paije  îS. 
Son  observation  sur  le  chapitre  wii,  v.  lo  do  la  Genèse,  à   propos 
delà  r.iiTonrisioii,  siitlif  po;ii  lo  caracté-i^er. 


OL  PENTATEUQUE.  13 

lliisnip  le  plus  grossier ,  ranlhropoiuorphisine  le  pins  absurde. 
De  la  hauteur  religieuse  où  il  se  place  dans  ses  rêveries,  il  re- 
garde en  pitié  les  saints  et  les  écrivains  sacrés  d'ici-bas.  On  le 
comprend  sans  peine,  une  pareille  tendance  doit  aboutir  à  la  né- 
jjalion  de  l'autlienticilé  d'un  livre  tel  que  le  Pentateuque,  dès  que 
ceux  qui  s'y  abandonnent  en  auront  pris  une  conscience  nette. 

De  nos  jours  on  pourrait  prendre  Gésénius  pour  Le  Clerc  res- 
suscite (Clericusredivivus).  Le  Clerc  commença  lui  même  à  sentir 
combien  l'adoption  des  faits  miraculeux  était  peu  en  harmonie 
avec  le  point  de  vue  religieux  auquel  il  s*ëtait  placé.  C'est  ce  que 
prouvent  les  efforts,  à  la  vérité  isolés,  qu'il  fit  pour  les  expliquer 
et  les  contraindre  de  rentrer  dans  le  domaine  de  la  nniure'.  Une 
condition  nécessaire  de  la  foi  aux  miracles,  c'est  de  reconnaître 
que  le  cours  ordinaire  de  la  nature  tient  ses  lois  de  Dieu;  or, 
cette  condition  faisait  défaut  chez  lui,  c'est  pour  cela  que  les  mi- 
racles apparaissent  toujours  dans  son  exégèse  comme  un  fait  sans 
cause,  comme  quelque  chose  de  bizarre,  et  prennent  une  forme 
presque  grotesque.  Tout  ce  qui  a  un  sens  profond  l'épouvante. 
Cette  frayeur  ne  saurait  s'expliquer  seulement  par  une  inapti- 
tude de  compréhension  ;  elle  a  souvent  pour  cause  évidente  la 
crainte,  s'il  reconnaissait  un  sens  pi  ofond,  d'abandonner  le  ter- 
rain d'une  explication  naturelle ,  d'accorder  ainsi  à  l'Ecriturc- 
Sainte  quelque  chose  qui  ne  peut  lui  appartenir  hors  de  l'hypo- 
thèse de  sa  sainteté.  Ainsi,  il  cherche  à  tout  prix  à  se  débarras- 
ser des  passages  qui  prouvent  qne\e  parliculansme  israélitique 
n'était  point ,  dans  son  principe,  l'opposé  de  Vuni^'crsalisine^ 
qu'il  éiait  au  contraire  sa  base  et  sa  préparation  ;  et  que,  si  la 
providence  concentrait  son  action  sur  une  sphère  restreinte,  c'é- 
tait pour  arriver  à  détruire  toutes  les  limites  ^ 


'  Voir,  par  excmi)le  son  traité  De  maris  idiimœi  Irnjecfionc,  ù  !a  suite 
d('  son  commenfaire  sur  le  Pcntateuqne. 

'  A  propos  de  ce  passnge  (xir,  5)  de  la  Genèse  :  «  Tous  les  peuples 
delà  terre  seront  bénis  en  toi,»  où  cette  tendance  à  Vunù'ersnliijue  se 
montre  claifeMiont  jusque  dans  h  vocation  particulière  dWhraliim.  \\ 


lA  FOI  A  l'authenticité 

Faul-il  admetlre  un  sens  peu  probable  au  j  oint  de  vue  pure- 
ment naturel?  Couiine  ce  sens  conduirait  noire  auteur  sur  un 
terrain  où  il  se  trouve  mal  à  son  aise,  il  ne  peut  s'y  décider,  et  il 
préfère  blesser  ^grossièrement  les  règles  du  langage.  Parfois  son 
incapacité  pour  l'exéj^èsc  tliéologitjue  est  poussée  à  un  point 
incroyable.  Ses  remarques  .sur  l'iiistoire  de  la  cliule  du  premier 
homme  fout  voir  d'une  manière  fiappante  comment  une  exégèse 
de  ce  genre  devail  préparer  tlirectement  les  espiils  à  l'interpré- 
talion  mythique  et  à  la  négation  de  l'aulhenticilé  du  Pentateu- 
que.  Celle  histoire  est  tran.Nfurmée  par  lui  en  une  caricature  ab- 
surde. Envisagée  sous  ce  faux  jour,  elle  ne  pouvait  longlcnjs  êlie 
considérée  comme  une  histoire  réelle;  après  quelques  momens 
de  réflexion  ,  sa  tléehéance  devail  être  inévitablement  pro- 
noncée'. 

propose  ce  commentaire  :  (^  Tuo  nomine  exeniplove  prolato  benediclio- 
)j  nés  apud  i)lurin)OS  orienlis  populos  concipicutur  ;  his  aut  similibns 
»  verbis  :  benedicat  tibi  Deus  ut  benedixit  Abraharao.  » 

'  Sur  le  chapitre  ir,  v.  9,  il  fait  les  observations  suivantes  :  «  Ut  arbor 
»  vitae  potest  esse  arbor  cujus  fructus  essent  à>.ï;c.T-/iv.ct  seu  raedicati  : 
^)  ilà  arbor  prudcnlice  erit  arbor  venenata,  quam  vitare  prudentium 
M  est,  et  cujus  1^  :stalo  fiucl.i  impruderis  fit  prudenlior.  Hujus  generis 
>'  plures  arbores  esse  polueruul ,  quemadmoJùm  plures  suut  mcdicu- 
»  torum  spccies.  »  —  Sur  le  chap.  iir,  v.  -; ,  il  dit  aussi  :  «  Amborum 
i)  oculi  aperlisunt;  idem,  postqui.ai  illieilum  fructum  comederuut,  ani- 
■»  madverterunt  quod  anteà  in  animum  non  revocaverant  ;  nempe  aut 
»  se  sibi  divinani  iram  conciliasse, aut  intestinorura  dolore  fruclûs  illius 
3)  usura  esse  noxiuni,  nedum  ut  ex  eo  eraelumentum  ingeus ,  utspera- 
))  verant,  ad  serediret.  »  —  Sur  le  chap.  m,  v.  24,  il  dit  :  «  H.  Grotius 
»  existimat  bîc  esse  i-»  ^là  ^jciv  et  dici  Cherub  etjlammam  gladii ,  àvTt 
»  Tcù  Cheruù,'u\  est,  Jlammans  gladius ;  flammeumque  gladium  in- 
j)  terpretatur  ignés  ex  bituminoso  Bab^ylonis  agro  accensos  per  quos 
»  solos  dabalur  aditus  in  paradisum  qui  proindè  Adamo  eo  pactô  clausus 
«  erat.  Crediderim  potius  hoc  voluisse  Mosem  :  Deum  scilicet  augelos 
»  misisse  qui  Babylonici  aut  similis  agri  bitumea  accenderent,  eoque 
i>  quasi  flammeo  gladio  ad  arccndos  bomines  uterenlu/'.  " 


DU    PENTATEUQUE.  15 

On  serait  tenté  Je  croire  que  Le  Clerc  a  voulu  tourner  l'Écri- 
ture-Sainte  en  dérision,  et  insinuer,  par  l'inveniaîre  des  absur- 
dités que  le  sens  historique  comporte,  qu'il  fallait  l'abandonner. 
Dans  tous  les  cas,  si  ce  n'a  pas  été  chez  lui  un  projet  arrêté,  c'est 
du  moins  un  sentiment  vague  de  cette  nature  qui  lui  a  dicté  ses 
paroles.  Dans  l'ouvrage  intitulé  :  Sentiniens  de  quelques  théolo- 
giens hollandais  sur  Vhistoire  critique  du  vieux  Testament^  par  Ri- 
chard-Simon (Amsterdam  1685),  il  attaque  l'authenticité  du 
Ponlateuijue  en  s'appuyant  sur  des  traces  supposées  dt^  tems 
plus  modernes  et  sur  de  prétendues  conlradicuons  historiques  ; 
et  la  rétractation  de  ces  attaques,  qu'il  a  faite  pos  éiieurement 
dans  son  Commentaire, ,  ne  laisse  pas  que  d'être  suspecte.  Quoi 
qu'il  en  soit ,  il  est  difficile  de  croire  que  les  arp,umcns  sur  les- 
quels il  s'était  basé,  aient  pu  à  eux  seuls  lui  faire  prendre  une 
détermination  aussi  hardie  à  cette  époque.  11  fallait  que  d'autres 
considérations  donnassent  de  l'importance  à  ces  motifs,  dont 
sans  cela  il  eût  facilement  reconnu  l'insuffisance.  Toujours  est-il 
certain  i|u'ii  était  absurde  de  persister  dans  une  telle  exégèse, 
lorsque  le  tcms  eut  fait  voir  ses  conséquences  ,  et  de  soutenir 
néanmoins  l'authenticité  du  Pentateuque.  On  s'étonne  donc  avec 
raison  de  voir  Roseninuller  se  poser  en  défenseur  ele  cette  au- 
thenticité, lui  qui,  dans  sa  critique,  ne  s'éleva  nullement  au-des- 
sus de  Le  Clerc,  mais  le  copia  complètement. 

Quelques  passages  du  traité  De  lingud  hœbraicd^  achèvent  de 
caractériser  notre  exégète,  dont  les  commentaires  eurent  une 
influence  aussi  étendue  que  durable.  Placé  sur  un  terrain  tout  à 
fait  païen,  il  y  regarde  les  écrivains  sacrés  du  haut  de  sa  gran- 
deur ;  leur  beauté  sublime  étant  toute  intérieure,  il  ne  la  soup- 
çonne pas,  et  ne  trouve  en  eux  aucun  mérite,  même  de  forme  ; 
encore,  s'il  eût  eu  l'imagination  et  la  sensibilité  de  Herder,  il  eût 
du  moins,  comme  ce  grand  poète,  accordé  aux  livres  inspirés 
une  place  modeste  à  côté  de  la  littérature  moderne  ;  mais  non  ', 


'  Voir  p.  7  .   «  Poëticen  pro  linguse  suae  iogenio   paulô  magis  colue- 
runt  et  plurima  in  canticis  eorum  leguntur  graviter  et  ornatè  dicta;  sed 


4  0  roi    \   I    AUTHFNTICITK 

<ît,  qu'on  le  leinarque  bien,  ses  interprétations  It'nirraires  ne 
portent  pas  seulement,  quoi  qu'il  en  dise,  sur  les  accidens  de 
la  forme  extérieure,  mais  sur  des  expressions  qui  tiennent  élrot- 
tement  à  l'essence  même  de  la  doctrine  ;  elles  montrent  combien 
il  fut  étranger  à  cette  doctrine  et  à  quel  point  elle  le  laissait 
froid. 

S  m. 

J.  David  Micliaèlis  succéda  à  Le  Clerc.  Il  nous  faut  examiner 
ici  d'une  façon  toute  particulière  son  Droit  mosaïque  ainsi  que 
ses  Ecmarques  pour  les  gens  illettrés.  Son  influence  a  été  beau- 
coup plus  grande  encore  que  celle  de  son  prédécesseur  ;l'Exégèse 
de  ce  dernier  a  été  ,  en  effet,  considérée  assez  généralement 
comme  celle  d'un  philologue  profane  qui  ne  devait  avoir  d'auto- 
rité que  dans  les  choses  de  son  ressort.  En  conséquence  TExé- 
gcse  ihéologique  jetait  sur  lui  un  regard  dédaigneux  et  poursui- 
vait sa  marche  sans  s'inquiéter.  Elle  se  montrait  cependant  inca- 
pable de  rendre  d'important  services,  et  par  cela  même  elle  n'eut 
pas  le  pouvoir  de  paralyser  l'action  religieuse  de  Le  Clerc  '.  J.-D. 


undè  mnt^is  vitleas,  quid  faccre  poluissent  si  studiiim,  quantum  apud 
alias  gonics  allatum  esf,  adhibuisscnt,  qnàni  ad  eloqucnlia?  laudcm  per- 
venissc  intelligas.  »  —  P.  S  :  «  Onincs  rhelorum  cauones,  ctiam  cos  qui 
non  ex  variante  honiinum  arhitrio  pendent,  sed  certà  et  omnibus  genîi- 

buscommniii  ratione  nituntur,  spcrnunt ;  necessuriis  carent  et 

supcrfluis  ahundnnt.  .>  —  P.  9  :  Ordinis,  temporiset  rcrum  magna  ratio 
nb  hebrœis  non  habelnr.  Sic  qiiœ  de  divisione  genlium  hahcntur,  Ge//., 
cap.  X,  dcbent,  v.  9,  c.xi,  pos'poni,  etc.—  Fugienda  est  omnis  tui  pitudo 
f arum  rcrum  ((lias  eorum  auimos  qui  audiunt,  trahit  siinliitudo.  Pcr 
hune  canonein  dicerc  non  licuisset  Deum  esse  viruui  beîlicosum,  Deum 
excitari  quasi  dormienirm,  etc. 

'  }Iengslenl)C:g  ,  dans  co  pa?sage  comme  dans  tout  le  reste  île  cette 
dissertation,  n'a  m  vue  que  son  pays,  c'est-à-dire  l'Allemagne  protes- 
tante. (  jyoîe  du  vcih'.eleur.  ) 


DU    PLMAlLLOUr.  IT 

MkIiccUs,  au  coniraire,  réussit  à  rendre  sou  Exégèse  presque  tlo- 
minaute,  eu  soite  que  les  résultais  auxquels  il  an  ive,  peuvent 
élre  considères  comme  reçus  couimunément  à  l'cpoque  de  la 
crise.  Ce  qu'on  leur  opposait  était  tourné  eu  ridicule,  el  en  grande 
partie  avec  raison,  car  rien  n'était  plus  maladroit,  plus  faible  et 
plus  suranné.  On  peut  hardiment  raffirmer,en  enlevant  aux 
écrits  bibliques  les  bases  de  raulhenticilé,  Micliaëlis  a  plus  nui  à 
cate  aullienlicité  que  ceux  qui  depuis  Tout  attaquée  ouverte- 
ment ;  et  c'est  en  vain  qu'après  avoir  détruit  la  racine  de  Tarbre, 
il  a  combattu  avec  zèle  ceux  qui  s'attaquaient  à  i'écorcc. 

Dans  son  interprétation  du  Pcntateuque,  il  prend  toujours  le 
rôle  d'un  apologiste  ;  aux  at  aques  des  déistes  anglais  et  des  athées 
français,  il  oppose  l'excellence  la  loi  mosaïque  ;  mais,  comme 
l'excellence  de  cette  loi  échappe  à  sa  vue,  il  dépouille  IMoïse  du 
mérite  réel  qui  lui  appartient,  et  lui  en  attribue  un  autre  qu'il 
n'a  jamais  ambitionné  ;  encore  ce  mérite  supposé  est-il  plus  pro- 
pre à  faire  suspecter  qu'cà  établir  son  caractère  d'envoyé  de  Dieu  I 
Si  l'on  adopte  ses  conclusions  comme  vraies,  Moïse  sera  à  peu 
près  un  homme  semblable  au  chevalier  Michaëlis.  Or,  il  nous 
paraît  souverainement  invraisemblable  qu'il  eût  été  appuvé  par 
des  miracles  et  par  des  prophéties. 

Les  maximes  politiques  de  Michaëlis  n'avaient  pas  germé  sur 
un  sol  chrétien;  il  les  avait  empruntées  à  la  politique  athée  de 
cette  époque  ;  des  écrivains  français  avaient  été  ses  maîtres.  En 
prêtant  sans  pudeur  de  tels  principes  à  Moïse,  il  le  faisait  des- 
cendre dans  une  compagnie  où  l'on  s'attendait  à  rencontrer  tout 
autre  qu'un  envoyé  de  Dieu.  L'assurance  avec  laquelle  il  parle  et 
le  service  qu'il  croit  avoir  rendu  par  là  à  la  cause  (^e  la  religion, 
sont  faits  pour  appeler  souvent  le  sourire  sur  les  lèvres.  «  Moïse, 
dit  il,  a  tellement  rendu  hommage  à  cette  maxime  :  Le,  but  sanc- 
tifie les  moyens  ,  qu'il  s'est  souvent  servi  de  la  religion  pour  ar- 
river à  ses  fins  ' .»  Par  exemple,  il  défend  de  faire  cuire  un  che- 


•  Il  s'exprime  là-dessus  ouvertement  et  d'une  manière  générale,  t.  i«', 
i5  :  (c  Je  remarque  principalement,  dit-il,  daus  la  sagesse  législative 


18  FOI  A  l'autufinticité 

vreau  dans  le  lait  de  sa  mère  ;  savez-vous  pourquoi*  C'est  qu'en 
habile  lioinmc  il  voulait  amener  son  peuple  slupide  à  cuire  ses 
jeunes  chevreaux,  non  dans  du  beurre,  ce  qui  était  de  mauvais 
goût,  mais  dans  de  l'huile,  ce  qui  était  beaucoup  plus  afjréable  I 
Il  est  aussi  défendu  dans  la  loi  de  manger  de  la  graisse  et  du  sang, 
et  cela  sous  le  prétexte  que  ces  choses  sont  réservées  pour  les 
usages  du  culte,  ce  qui  les  sanctifie  et  les  consacre  ;  mais  le  véri- 
lahlr  motif,  c'est  seulement  que  l'habitude  de  manger  des  mor- 
ceaux gras  et  l'usage  delà  graisse  bouillie,  cuite  au  four  ou  rôtie, 
sont  pernicieux  pour  un  peuple  chez  lequel  les  maladies  de  peau 
sont  endémiques,  etc.  '.  Ces  exemples  sont  à  la  vérité  les  plus 
grossiers  et  les  plus  marquans;  mais  il  ne  sont  pas  les  seuls.  Il  en 
est  un  autre  qui  se  trouve  à  toutes  les  pages  du  livre.  Michaëlis 
est  tout  à  kl  fois  l'adversaire  du  droit  divin  et  le  défenseur  du 
pouvoir  î7//mi7e  de  l'autorité  temporelle.  Celle-ci,  à  l'en  croire, 
existe  par  la  grâce  du  peuple,  et,  à  ce  titre, elle  a  le  droit  de  com- 
mander tout  à  tous,  tandis  que  le  droit  divin  est  toujours  limité 
et  renferme;  dans  un  certain  cercle.  Notre  auteur  prête  à  Moïse 
cette  opinion  empruntée  à  l'athéisme  moderne,  et  il  la  lui  prête 
dans  une  telle  étendue  que  cela  devient  absurde  et  risible. 

Partout  dans  Wichaëlis,  on  aperçoit  la  crainte  d'abandonner  le 
terrain  qui  hii  est  commun  avec  ses  adversaires,  non  pas  seule- 
ment par  la  peur  qu'ils  ne  le  suivissent  pas  plus  loin,  mais  encore 
et  par  dessus  tout,  parce  qu'il  ne  se  sent  lui-même  à  son  aise  que 
sur  ce  terrain.  Il  prépara  par  là  à  ses  adversaires  un  triomphe 
facile  sur  tous  les  points  qui  ne  peuvent  être  justifiés  qu'aux  yeux 


de  -Moise,  une  certaine  adresse  inusitée  de  nos  jours,  et  qui  peut-être 
aussi  ne  réussirait  plus.  Mainte  loi  est  observée  plus  religieusement  quand 
on  la  rattache  à  la  \Mtu  et  à  la  religion, tout  en  dissimulant  son  véritable 

but  et  quand  on  lui  donne  une  direction  ou  une  importance  morale 

Les  légers  vestiges  de  la  sagesse  législative  des  Egyptiens  qui  sont  par- 
venus jusqu'à  nous,  prouvent  que  ce  peuple  a  souvent  employé  ce 
moyen.  )• 

•  Comparez,  t.  iv,  \  174,  p.  2o5. 


DU   PENTATEUQUE.  19 

de  celui  qui  a  un  vif  sentiment  de  la  divinité.  En  parlant  du  point 
de  vue  ualiuel,  toute  sa  sagacité,  toute  sa  pénétration,  devenaient, 
àlalongue,  insuffisantes  pour  dissimuler  la  faiblesse  de  son  Exé- 
gèse ;  et,  par  les  concessions  qu'il  faisait,  en  cherchant  à  expliquer 
les  choses  surnaturelles,  il  donnait  à  croire  que  le  surnaturalisme 
ne  pouvait  se  défendre  '.  Il  combat  le  droit  divin  des  Israélites  à 
la  Palestine,  et  il  s'efforce  vainement  par  des  sophismes  travo- 
cat  de  prouver  leur  droit  humain  à  ce  territoire.  Il  ne  soupçonne 
même  pas  ce  qui  forme  l'essence  de  la  théocratie.  La  décision  par 
les  oracles,  la  présence  de  Dieu  dans  une  nuée,  etc.,  phénomènes 
extérieurs  par  lesquels  a  dû  se  manifester  le  gouvernement  divin, 
sont  presqu'entièrement  restreints  par  lui  au  tems  de  Moïse  ;  et, 
dans  l'isolement  où  il  les  place,  ils  apparaissent  d'une  façon  si 
étrange,  si  abrupte,  qu'ils  n'ont  pu  se  soutenir  contre  les  attaques 
de  l'interprétation  mythique.  A  propos  du  passage  (XIX,  6)  de 
l'Exode,  où  Israël  est  appelé  un  royaume  de  prêtres,  il  fait  cette 
remarque  :  «.Cette  raanièr.e  de  s'exprimer  paraît  avoir  été  impor 
»  tée  de  l'Egypte  oùlesprèires  avaient  de  grands  privilèges,  où  ils 
»  possédaient  des  terres  exemptes  de  tout  liibut,  et  où  ils  étaient 
»  en  outre  entretenus  aux  frais  de  l'état.  »  Comment  celui  qui  avait 
si  peu  d'idées  de  ce  qu'était  le  peuple  de  Dieu  aurait-il  pu  recon- 
naître l'essence  du  Dieu  historique,  du  Dieu  habitant  au  milieu 
de  son  peuple  ?  L'antinomie  entre  l'ancien  Testament  et  le  paga- 
nisme est  toujours  considérée  par  lui  de  la  manière  la  plus  super- 
ficielle ;  il  n'y  voit  que  l'opposition  du  monothéisme  et  du  poly- 
théisme. Le  but  final  de  la  loi  est  pour  lui  un  but  négatif,  celui 
d'empêcher  l'idolâtrie.  Il  perd  entièrement  de  vue  le  but  positif, 
celui  de  produire  une  vive  conscience  de  Dieu.  Ayant  une  idée 
aussi  peu  élevée  de  la  nature  même  de  la  religion  mosaïque,  il 
est  naturel  qu'il  ne  la  voie  pas  avec  plaisir  réclamer  des  droits. 
C'est  ainsi  qu'il  cherche  sans  cesse  à  trouver  un  but  diététique 
médical,  un  but  de  police,  ou  autre  semblable  à  toute  loi  rituelle 
incommode  ou  fatigante,  et  montr  r  que  les  Lévites,  soit  comme 


Voir  spécialement,  t.  icf  §  65* 


20  loi  A  LAtmiMicur 

iHcdctins,  soit  toniine  :iipeiilcuis  on  savaus,  avaituL  dioilàdes 
ciiiolumens  qui  sans  cela  eussent  été  beaucoup  trop  consiclérables 
pour  de  simples  ministres  de  la  religion.  Mais  voici  un  autre 
cxenip'e  qui  montre  encore  mieux  combieit  il  comprenait  ]>eu 
l'importance  de  la  religion'.  11  clicrclie  à  prouver  qu'un  grand 
nombre  de  serviceurs  d'Abraliam  avaient  dû  être  circoncis  anté- 
rieurement à  répoque  où  Dieu  prescrivit  ce  rit  au  patriarche  ;  en 
effet,  dit-il,  s'il  en  eût  été  autrement,  tout  travail  se  serait 
liouvé  interrompu  au  moins  pendant  luiit  jour>,  et  Ton  n'aurait 
pas  pu  conduire  les  troupeaux  aux  pâturages. 

Il  est  toutefois  digne  de  remarque  que  >Jicliaelis,  partant  de 
son  point  de  vue  naturalisiez  n'ait  pas  porté  la  main  sur  l'en- 
semble du  Pentateuque,  et  n'ait  essayé  d'en  donner  une  expli- 
cation naturelle  que  là  où  Le  Clerc  l'avait  devancé'.  Cela  s'ex- 
plique d'ailleurs  ficilen)eut  ,  si  l'on  réfléchit  que,  loin  d  être 
brusque,  la  transition  de  l'ancienne  croyance  à  l'explication  na- 
turelle des  miracles,  puis  à  la  négation  de  l'authenilcité ,  fut 
lente  et  presque  insensible.  Il  lui  aurait  donc  fallu  rompre  ou 
vertement  avec  l'opinion  ,  et  il  ne  le  pouvait  ni  ne  le  voulait, 
parce  qu'il  était  encore  attaché  à  la  vieille  foi,  soit  par  son  édu- 
cation, soit  peut-être  par  un  reste  de  piété,  soit  enfin  à  cause  de 
l'espsit  qui  dominait  généralement  à  l'époque  de  sa  vie  la  plus 
féconde. 

Quelque  étroite  que  soit  la  liaison  entre  cette  dégéuération  de 
l'exégèse  et  la  négation  de  l'authenticité,  il  fallut  cependant 
des  ouses  puissantes  pour  faire  passer  de  l'une  à  l'autre  dans  le 
dernier  quart  du  18^  siècle,  et  pour  rendre  ce  passage  presque 
général.  Sans  elles,  cette  fatale  conséquence  eût  été  arrêtée  par  la 
force  de  l'habitude ,  ou  bien  il  se  serait  opéré  une  réaction  dans  le 
domaine  de  l'exégèse  elle-même.  La  dégradation  progressive  de 
cette  science  indique  suffisamment  l'existense  de  ces  causes  prépa- 


'  -ippcndicc  à  la  )  cli^i'on  de  Moisc,  dans  le  journal  d'Ammon  cl  de 
Bcrthold,  t.  iv,p.  356. 

^  Par  exemple  dans  l'Exode,  cli.  mv  . 


DU  l»JM.VTLt(^LL.  21 

léesde  longue  main  dans  le  silence.  Celte  déj^radation  n'était 
point  accidentelle  ;  elle  avait  ses  racines  dans  un  esprit  nouveau 
qui  se  propageait  de  plus  en  plus  et  prenait  chaque  jour  con- 
science de  son  aven.r.  La  nt'galion  de  raulbenticité  ne  pouvait 
donc  tenir  seulement  de  ralléralion  du  sens  :  l'esprit  du  siècle 
devait  avoir  aussi  sur  elle  une  influence  diiecte. 

A  une  époque  plus  ancienne ,  on  avait  eu  un  grand  respect  pou» 
le  passé,  et,  par  cela  même,  pour  la  tradition  historique;  ce  respect 
était  en  général  une  suite  de  l'humilité.  En  attaquant  trop  vive- 
ment le  passé  ,  on  aurait  cru  détruire  les  racines  de  sa  propre 
existence.  On  ne  prétendait  pas  se  former  sans  modèle  et  unique- 
ment par  soi-même.  Mais  ici ,  comme  partout ,  l'abus  et  rexajré- 
ralion  s'étaient  attachés  à  un  bon  principe.  On  ne  manquait  pas 
d'hommes  qui  exerçaient  la  critique  historique  dans  un  esplit 
exempt  de  tout  préjugé  ;  cependant  on  avait  eu  un  respect  excessif 
pour  tout  ce  qui  se  présentait  sous  le  titre  d'histoire.  On  jefusait 
souvent  d'entrer  dans  les  voies  de  la  critique  par  une  crainte  se- 
crète du  terme  où  elles  iraient  aboutir. 

Ce  respect  pour  l'histoire  s'affaiblit  de  plus  en  plus  dans  la  se- 
comle-  moitié  du  17*-'  siècle  ,  en  Angleterre,  en  Hollande  et  en 
France  d'abord,  puis  en  Allemagne  après  l'avènement  de  Fré- 
déric II.  Dans  cette  dernière  contrée,  le  goût  de  la  négation  une 
fois  éveillé,  revêtit  une  forme  très-dargereuse.  Par  un  sentiment 
personnel  d'orgueil ,  plus  on  avait  foi  dans  sa  supériorité  sur  le 
passé,  plus  on  se  croyait  en  droit  de  traiter  cavalièrement  ses 
monumens.  Dans  tous  les  cas ,  on  croyait  n'avoir  que  peu  de 
choses  à  perdre  ,  et  l'outrecuidance  croissait  à  mesure  qu'on  par- 
venait à  détruire  quelque  édiBce  vénéré  des  anciens.  Au  bruit  des 
ruines ,  on  répondait  par  des  cris  de  triomphe.  Joignez  à  cela  que 
l'amour  allait  aussi  diminuant,  l'amour  qui  a  le  pouvoir  d'éten- 
dre, d'élargir  notre  individualité  par  l'adoption  d'individualités 
étrangères  ;  et  a^-cc  cet  amour  se  perdaient  les  forces  de  l'intelli- 
gence :  on  se  croyait  en  droit  de  rejeter  ce  que  l'on  était  incapable 
de  comprendre. 

Ce  changement  général  dans  la  disposition  des  esprits  à  l'égaid 
de    rhi-Nt<>iic    ne   doit  j.iinnis  être    perdu  de  vue  quand   on    le- 
m'  bEBfL.    lUSlL  VI.  —  !S"-11,    l'<^îi.  2 


22  FOI  A  l'aL  rUtiiNTiCllÉ  DU   Ï^EM'ATEUQL'E. 

cherche  les  causes  du  discrédit  ou  sont  tombés  les  livres  saints, 
et  spécialement  le  Peutateuque.  D'autres  Tont  déjà  fait  remar- 
quer :  tout  ce  qui  s'applique  spécialement  à  ces  livres  repose  sur 
une  idée  générale  :  par  exemple,  les  systèmes  élevés  contre  Ho- 
mère sont  un  produit  du  même  sol  sur  lequel  ont  germé  l^s 
hypothèses  dirifjëes  contre  l'Ecriture-Sainle.  C'est  ce  qu'observe 
fort  bien  Schubni  th  :  «  On  crut  pouvoir  chercher  dans  son  propre 
»  fond  tout  ce  qui  compose  et  entretient  la  vie.  La  tradition ,  où 
»  l'on  avait  été  habitué  jusqu'alors  à  puiser  conseils,  éclaircisse- 
»  mens,  éducation,  doctrine,  dut  naturellement  perdre  beau- 
»  coup  de  son  crédit  et  de  son  i importance.  Un  esprit  de  contra- 
»  diction  violent,  téméraire  jusqu'à  l'impudence  ,  s'éleva  de  plus 
»  en  plus  contre  elle;  et  cttte  même  tendance  à  l'isolement ,  qui 
»  cherche  à  se  débarrasser  d'une  contrainte  gênante  par  rapport 
«  aux  livres  saints,  s'attaqua  ensuite  à  toute  espèce  de  tradition, 
»  pour  la  mettre  entièrement  de  côté  '.  » 

{Traduit  de  l^ allemand). 


*  Idées  sur  Homère  et  sur  son  siècle ^  p.  liô. 


ACCUSATIONS  COi>ThE  COJNIKACE   VIII.  23 


Critique  IJ^^^'^fi»!"^- 
EXAMEN  DES  ACCUSATIONS 

PORTEES 

CONTRE  LE  PAPE  BOMFACE  VIII, 

LT    REFUTATION    DES    ASSERTIONS    DE    SISMONDI 
ET    d'autres     AUTEURS. 


^^cujcîcmc    avtlcU 


Conduite  publique  de  Boniface. —  Examen  de  e  que  dit  Salvandy  de  sa 
conduite  à  l'égard  de  la  famille  Colonne.  —  Cette  famille  reiuse  de  le 
reconnaître  pour  pape.  —  Leur  rébellion.  —  Siège  de  Palestrine.  — 
Calomnies  touchant  Guido —  Comment  furent  traités  les  Colonne 
après  le  siège  de  Palestrine.  —  Calomnies  contre  les  derniers  momens 
de  Boniface.  —  Leur  réfutation 

H.  «  Jusqu'ici,  nous  nous  soinuics  arrêtes  sur  le  comnicnce- 
meat  du  pontiticat  de  Boniface.  Nous  voudrions  pouvoir  pré- 
senter à  nos  lecteurs  le  corps  admirable  de  doctrines  qu'il  formula 
dans  la  basilique  de  Saint-Pierre  le  jour  de  son  couronnement. 
Mais,  comme  les  limites  ne  nous  le  permettent  pas,  nous  ren- 
voyons ceux  qui  désirent  le  connaître  à  l'ouvrage  du  savant 
continuateur  de  Baronius  '.  Nous  recommandons  encore  le  même 
ouvrage  à  ceux  qui  veulent  se  former  une  idée  exacte  des  grandes 
transactions  publiques  du  pontificat  de  Boniface.  Ils  trouveront 

'  Voir  le  i"  article  au  n"  3o,  t.  v,  p.  4o5. 
'  Raynaldus,  t.  xiii,  p.  164. 


24  JlÉKLTMIO.N    DES    ACCtSl  1  iO.NS 

dans  les  docunicns  cju'il  y  a  rassemblés  avec  soin  craniplcs 
niulériaux  pour  rccliliei"  les  vues  énonces  trop  souvent  répan- 
dues sur  sa  conduite  à  l'égard  des  autres  nations.  Ainsi  ils 
pourront  se  convaincre  que  toutes  ses  négociations,  l'exercice  de 
5on  influence  et  de  son  |)Ouvoir  curent  pour  but,  non  pas  de 
semer  la  discorde ,  d'enflammer  les  haines  ,  d'allumer  le  feu  de 
la  guerre,  mais  de  paciBer  l'Europe,  de  secourir  les  princes  et 
les  prélats  opprimés,  de  ternnner  les  diflérens  entre  les  étals.  Il 
y  avait  à  peine  quelques  jours  qu'il  était  assis  sur  la  chaire  de 
saint  Pierre,  lorsqu'il  porta  son  attention  sur  les  besoins  qui  se 
faisaient  sentir  de  toutes  parts  de  la  Suède  à  la  Sicile,  de  l'Es- 
pagne à  la  Tartarie.  La  vigueur  qu'il  déploya  dans  toutes  ses 
mesures,  ses  efforts  pour  gagner  les  hommes  par  les  voies  douces 
de  la  persuasion.,  et,  quand  elles  ne  réussissaient  pas,  parties 
moyens  énergiques  ,  apparaissent  à  chaque  page  de  son  Registre, 
et  peuvent  être  remarquées  dans  les  extraits  donnés  par  Raynaldus. 
Nous  ne  pourrions  qu'ajouter  très-peu  à  ces  matériaux^  bien  que 
notre  désir  serait  de  parler  des  faits  principaux  de  son  pontificat, 
et  notamment  de  &es  relations  avec  la  Sicile.  Mais,  ce  que  nous 
nous  sommes  proposé,  c'est  de  faire  connaître  principalement  le 
caractère  et  la  conduite  de  Boniface;  nous  devons  donc  nous  oc- 
cuper de  la  partie  de  sa  vie  cjui  a  été  plus  spécialement  dénaturée. 
Nous  voulons  parler  de  ses  contestations  avec  la  famille  des  Co- 
lonne,  de  la  prétendue  persécution  cju'il  leur  fit  subir,  de  la 
destruction  de  leurs  forteresses,  et  de  la  cité  de  Palestrine ,  l'an- 
cienne Prœneste,  dos  peines  intérieures  qui  en  furent  la  suite, 
et  de  sa  mort. 

»  jNous  commencerons  par  donner  une  analyse  concise  ,  mais 
fidèle,  de  la  manière  dont  Sismondi  rapporte  ces  démêlés,  puis 
nous  comparerons  sa  narration  avec  les  documens  contempo- 
rains. Il  nous  apprend  donc  cjue  Boniface  déploya,  surtout  dans 
celte  aftaire  ,  toute  la  violence  de  son  caractère  ;  voici  coimntnl  il 
rapporte  les  évènemens  : 

V  «  Il  y  avait  dans  le  sacré  collège  deux  cardinaux  de  l'ilhistre 
maison  des  Colonne  (Pierre  et  Jacques),  cjui  s'étaient  d'abord 
opposés  à  l'élection  de  Boniface,  puis  avaient  été  induit»  par 


rONTRF.    ROMFArF-    VIII.  'i5 

troiH]ierie  à  l'approuver.  11  clic  le  téiiîoi}»n{»f;e  Je  Ferieltittcle 
Pipiniis,  Ils  étaient  assez  puissaiis  pour  manifester  leur  mécon- 
tentement. 

2°  »'  La  haine  de  Boniface  les  port.i  probablement  à  embrasser 
le  parli  du  roi  de  Sicile  (  c'est-à-dire  du  roi  d^\ragon};  au  moins 
ce  fut  le  prétexte  dont  il  se  servit  pour  lancer  contre  eux  le  dé- 
cret violent  qui  les  dépouilla  de  leurs  chapeaux  de  cardinaux. 

Z"  »  Les  Colonne  répondirent  à  celte  bulle  violente  par  un 
manifeste  dans  lequel  ils  déclaraient  qu'ils  ne  reconnaissaient 
point  Boniface  pour  pape  ou  chef  de  l'Eglise;  que  Célestin  n'a- 
vait eu  ni  la  volonté  ni  le  droit  d'abdiquer,  et  que  l'élection 
d'un  successeur  pendant  sa  vie  était  nécessairement  nulle  et  illé- 
gitime. 

4°  »  Ce  manifeste  augmenta  la  rage  du  pape  :  il  confirma  sa 
première  sentence,  et  il  lança,  sous  forme  de  croisade,  une  dé- 
claration de  guerre  contre  les  Colonne.  On  leva  une  armée,  et, 
sous  la  direction  de  deux  légats,  quelques  villes,  qui  apparte- 
naient à  cette  famille,  furent  prises.  Toutefois,  Palestrine  re- 
poussa leurs  efforts. 

5"  »  Alors  Boniface  appela  (nous  assure-t-on)  pour  diriger  le 
siège  le  célèbre  général  Guido  de  I\Iontefeltro,  qui  était  alors 
fière  franciscain.  «  Il  lui  ordonna,  en  vertu  de  son  vœu  d'obéis- 
»  sance,  d'examiner  de  quelle  manière  la  ville  pourrait  être 
»  prise,  lui  promettant  une  absolution  plénière  pour  tout  ce 
w  qu'il  ferait  ou  conseillerait  contrairement  à  sa  conscience.  Guido 
»  céda  aux  sollicitations  de  Boniface  :  il  examina  les  fortifications 
»  de  Palestrine,  et,  voyant  qu'il  était  impossible  de  s'en  empa- 
»  rer  les  aimes  à  la  main,  il  alla  trouver  le  pape;  il  le  supplia 
'^  de  l'absoudre  encore  plus  expressément  de  tous  les  crimes  qu'il 
>»  avait  commis  ou  qu'il  pourrait  commettre  en  donnant  son 
»  avis.  Après  s'être  assuré  de  cette  absolution  :  «  Je  ne  connais 
»  qu'un  seul  moyen  ,  dit-il  :  c'est  de  promettre  beaucoup  et  d-:; 
»  tenir  peu.  »  Ouand  il  eut  conseillé  cette  conduite  perfide,  il 
»  retourna  à  son  monnstère.  » 

6°  »  Boniface,  en  conséquence,  offrit  aux  assiégés  les  termes 
les  plus  avantageux  :  il  promit  des  fave<iis  aux  Coloune  ^\  ^  sons 


26  RÉFUTATION    DKS   ACCUS AT10^S 

trois  jours,  ils  paraissaient  devant  lui.  La  ville  lut  délivrée, 
mais  aussi  le  perfide  conseil  fut  suivi. 

7°  >.  Les  Colonnn  furent  avertis  secrètement  que,  s'ils  parais- 
saient en  présence  de  Boniface,  ils  exposeraient  leur  vie,  et  ils 
se  retirèrent  à  une  (;rande  distance.  » 

Noms  (louions  qu'iine  iiisloire  quelconque  puisse  jamais  égaler 
cette  narration  sous  le  rapport  de  la  pai  ùaliié  et  des  assertions 
sans  fondement.  Nous  allons  examiner  cliaque  parlie  séparé- 
ment. 

D'abord  tout  ce  qu'il  dit  \e  l'orifjine  des  démêles  entre  Bo- 
niface et  les  Colonnesi  fc'est  ainsi  qu'on  les  appelle  ordinairement) 
est  faux.  Les  deux  cardinaux  ne  s'opposèient  pas  à  son  élection; 
ils  ne  furent  pas  induits  par  tromperie  à  voter  pour  lui.  Voici 
sur  quoi  nous  appuyons  ces  assenions. 

La  narration  de  Ferreti  est  une  fable  ;  l'inimitié  dont  il  parle 
est  une  fiction  insoutenable,  ou  plutôt  démentie  par  des  témoi- 
gnages certains.  En  effet ,  Sismondi  se  contente  d'y  faire  allusion 
en  termes  généraux  ^.  D'un  autre  côté,  les  Colonne,  dans  le  ma- 
nifeste qu'ils  puV)lièrent  et  envoyèrent  par  toute  l'Europe,  afin 
d'indiquer  les  raisons  pour  lesquelles  ils  ne  voulaient  pas  recon- 
naître l'élection  de  Boniface  et  son  dr(,it  à  ia  paj^auté,  insinuent, 
il  est  vrai,  d'une  manière  va^ue,  qu'il  eut  recours  à  des  moyens 
honteux  pour  procurer  l'abdication  de  Célestin  »,  mais  ils  ne  pa- 
raissent pas  élever  aucun  doute  sur  la  régularité  de  l'élection  de 
Boniface.  Or,  si  les  Colonne  avaient  été  trompés,  comme  le  sup- 
pose Ferreti,  n'auraient-ils  pas  fait  naître,  au  moins  aux  yeux  de 


'  Sismondi,  Hist.  desrépubL  ital.,  p.  i^6. 

'  La  manière  dont  ce  document  parle  de  ces  moyens  confirme  ce  que 
nous  avons   dit   plus  haut  relativement  aux   allégations   sur  ce  sujet. 

«  Item,  ex  eo  quod  in  renuntiatione,  ipsius  multae  fraudes  et  doli in- 

i)  tervenisse  muliipliciter  asscruniur.  »  Des  ennemis  placés  sur  les 
lieux  n'auraient-ils  pas,  s'ils  l'avaient  pu,  donné  le  fait  d'une  manière 
plus  certaine,  surtout  quand  leur  cause  le  demandait?—  ApudRaynald., 
page  217. 


CONTKE    BOMFACK    VllI.  27 

ses  ennemis,  des  doutes  sérieux  sur  la  validité  de  sa  nomination? 
Ce  silence  a  leitainement  une  grande  force.  Bonifiée,  d'un  autre 
côté,  dans  sa  réponse  aux  libelles  des  Colonne,  déclare  que  ces 
cardinaux  votèrent  pour  lui  en  suivant  la  forme  ordinaire,  c'est- 
à-dire  par  voie  de  scrutin.  ««El  ils  ne  peuvent  pas  prétendre  avoir 
»  fait  les  susdites  choses  par  crainte,  puisque  c'est  par  la  voie  du 
"  scruiin  des  cardinaux,  selon  la  coutume  de  l'Fglise  qu'ils  nous 
V  ont  choisi  et  nommé  pape,  dans  un  tems  où  ils  n  ^avaient  rien  à 
craindre  de  nous'.  »  Boniface  eùt-il  osé  avancer  en  leur  présence 
celle  assertion,  qu'ils  n'ont  jamais  contredite,  ni  alors  ni  plus  tard, 
si  son  élection  avait  été  manifestement  irrégulière;  si,  loin  d'avoir 
éié  choisi  par  leurs  suffrages,  il  s'était  nommé  pape  lui-même.  Le 
cardinal  Sté})hanésius  nous  apprend  que  Boniface  fut,  suivant  la 
coutume,  élu  pape  par  voie  de  scrutin  et  d'accession.  Le  suffrage 
de  lous  les  cardinaux  avait  été  unanime '.  Saint  An'.onin  nous 
apprend  expressément  que  les  deux  Colonne  furent  les  premiers 
à  voter  pour  Boniface  '. 

IL  L'inimitié  de  Boniface  les  porta-t-elle  à  embrasser  le  parti 
du  roi  d'Aragon?  Nous  répondons  que  Boniface  ne  fit  point  preuve 
de  cetle  inimitié.  Aussitôt  après  son  élection,  il  fut  Thôte  de  cette 
famille;  il  se  confia  sans  crainte  à  elle  dans  son  château  de  Zago- 
loro,  et,  comme  il  le  reconnaît  lui-même,  il  y  fut  traité  avec  une 
grande  bienveillance  *.  Nous  trouvons  aussi  dans  le  Registre  de 


•  «  Necpossent  supradicta  metu  proponere  se  feciss«?,qui  nos  inscruti 
»  nio,  more  memorata*  ecclesiae,  cardinalium  elegerant,  et  uominaverant 
»  eligetiduni  in  papam,  quando  de  nob-s  tinienduni  non  erat.  Bonif., 
»  BuHuy  ap.  eundem,  ad  an.  1297,  n.57.» 

*«  In  summum  pontificem  scrutinio  accessioneque  eligitnr.  »  P.  617; 
Vid.  lih.  I,  cap.  i,  De  elect.  Bonif ac,  p.  642. 

'  Chronic.  ad  an.  i'295;pais,  m,  til.^o. 

^  Et  post  eleclionem in  casfro  tune  ipsorum,  quod  Zagolorum  di- 

cilur,  (;t  quod  pcr  diclum  Jacobum  lune  temporis  lenebatur hospi- 

tati  fuerimiis  confidenter,  etc.  Bonif.,  uhi sup. 


*2S 


l'i.n  TAiir,\   [)v.«,    Acr.r!s\T(ONS 


lioniface,  conserve  tlaus  les  ai<  liives  du  Vaiican,  dos  favonrs  ac- 
roidéesà  cett»;  lamille  peiidanl  la  seconde  annredeson  ponlificat  '. 
Quelle  est  donc  la  cause  de  cctie  dissension,  et  à  quoi  doit-on  l'at- 
tribuer :'  Xous  répondons  qu'eu  doit  lui  assigner  une  double 
cause,  et  que  tout  le  tort  fut  du  coté  des  cardinaux.  Si  nous  en 
croyons  Sisniondi,  ce  différend  fut  une  affaire  de  jalousie  de  Bo- 
niface  contre  celte  noble  famille,  au  lieu  que  ce  fut  d'abord  une 
querelle  de  famille  dans  laquelle  on  appela  le  pape.  Le  cardinal 
Jacques  Colonne  avait  trois  frères  :  Malliieu,  Odon  et  Landolphe, 
qui  devaient  partager  avec  lui  les  vastes  possessions  delà  famille. 
Par  un  acte  du  28  avril  1292,  conservé  danc  les  archwes  Barhe- 
11711,  et  publié  dans  un  ouvrage  intéressant  et  important  pour  cette 
partie  de  l'histoire  %  ces  trois  frères  cédèrent  au  cardinal  Tadmi- 
nistration  et  la  possession  de  tons  les  biens,  à  condition  cependant 
qu'ils  entreraient  en  partage  du  profit  de  radminislration,  mais 
sans  lui  imposer  l'obligation  d'en  rendre  compte.  Le  caidinal 
s  approprie!  la  possession  complète  de  tous  ces  biens,  au  point  de 
laisser  ses  Ircres  dans  une  indigence  absolue  ^.  Ceux-ci  eurent 
recours  au  pape,  qui  prit  avec  justice  leur  cause  en  main,  et  le 
somma  en  vain  de  rendre  justice  à  ses  frères.  Tous  ces  faits  sont 
mentionnés  dans  la  bulle  de  déposition  portée  contre  le  cardinale- 
mais  Sismondi  n'en  paile  pas.  A  l'entendre,  on  s'imagine  qu'il 
était  le  plus  innocent  des  hommes,  et  que  Boniface  n'était  qu'un 
tvran.  lîien  loin  qu'il  ait  lutté  contre  la  famille  entière  des  Co- 
lonne, un  des  frères,  Lnndolphe.  fut  nonuné  capiinine  dans  l'ex- 
jn-diiion  de  Pairstriuc  '. 


'  /?''A''-^/.  vo:,  11,  n'' :;4i.  rji>pcii?:tt.  Ja'.o]>o  nato  nobilis  \iri  [\\.  de 
Co'iiiiiiia,  tloiico  rrvjiinKO. 

•  Ptlrim,  Mcmiii:  Pnt'/ics/inc,  Rome,  i-pj,  \ïi-.\. 

*•  Considérantes  fore  indignum.ul  quibus  de  nnà  substantià  conqie'it 
nv/uu  succesiio,  alii  aLuudjntf-r  allbiant,  a/ii  paiipertatis  incotniundi>: 
irifj^eniiscnnt,  quos  tanicn  Mes  cardinaux)  rationibus,  prccibus  sivc  ininis 
nrquivimusemolliiT.  Bonif.,  Bull  ap.  I^avn.,  an.  199;,  n.Qg. 

*  Ap    P(  ti-in\  p    J19. 


rONTHF.    ROMFArF.    NUI.  09 

La  sfroiule  cause  de  ce  iliflérend  fui  celle  quesifjnale  Si.^mondi, 
tout  en  ayant  Tair  d'en  douter,  c'est-à-dire  Taffeclion  des  Colonne 
pour  la  maison  d'Aragon,  alors  en  guérie  avec  le  pape.  Cet  his- 
torien nous  porterait  naturellement  à  croire  que  Boniface  com- 
mença tout  d'abord  par  lancer  sa  bulle  contre  les  Colonne.  Mais 
écoutons  Vautre  partie^  écoutons  le  pape  lui-même.  Il  nous  ap- 
prend que  Frédéric  d'Aragon  avait  envoyé  des  émissaires  dans 
ses  domaines  pour  lui  faire  des  ennemis  ;  qu'ils  avaient  trouvé  un 
appui  et  un  bon  accueil  dans  la  famille  des  Colonne;  qu'elle  les 
avait  même  aidés  et  assistés;  pour  lui,  suivant  les  principes  du 
Saint-Siège,  toujours  plus  porté  et  à  la  douceur  et  à  la  clémence  qu'à 
la  sévérité,  il  chercha  tantôt  à  les  gagner  en  les  traitant  avec  une 
douceur  paternelle,  tantôt  en  leur  adressant  des  paroles  de  répri- 
mande pleines  de  charité  '.  Comme  il  ne  réussissait  pas,  il  eut 
recours  aux  menaces,  leur  montrant  la  flèche  aiguisée,  avant  de 
détendre  l'arc.  Tout  fut  inutile.  Boniface  alors  demanda  que, 
comme  gage  de  leur  fidélité,  une  garnison  composée  de  ses  sol- 
dats fût  reçue  dans  leurs  forteresses  :  c'était  un  droit  que  tout 
seigneur  avait  coutume  de  réclamer  dans  le  cas  où  il  avait  des 
doutes  sur  la  fidélité  de  ses  vassaux.  Ils  refusèrent,  et  le  pape 
eut  recours  à  d'autres  moyens,  mais  non  pas  encore  immédiate^ 
ment  ^ 


'  Eos  studuit  ;  Apost.  sedis  benigna  sinceritas   nnnc  paternae  lenltatis 
«Idlcecline  alloqui,  nunc  verbis  charitaiivce  corroclionis  iiulncere,   Boni!\ 
Bull. y  ap.  Rayn,,  uhl  sup.^  n.  28. 

-Boniface  n'a  jamais  fait  allusion  à  un  outrage  que  plusieurs  écrivains 
contemporains  rapportent  lui  avoir  été  fait  par  Ktienne  Colonne,  qui  lui 
lendit  des  embûches  et  pilla  son  tiésor.  Ce  silence  peut  paraître  une 
dénégalion  sullisanle  de  ce  lait;  mais  nous  cioyons  devoir  ciler  quel- 
ques-uns des  tcnioignages  qui  l'établissent: 

iVam  et  ipse  diceb^t  quodSlepbanus  (Scianv.)  de  Columnà  suum  the- 
sauium  fucrat  depredaUis  ;  proptLT  cjuod  inter  ipsum  Bonifacium  et 
(iiclos  Columnenses  surnma  discordia  cxlitit  suscitata.  Amalaricr>s,  ilans 
H<r  ital,   yr/ //j/.,  t.  m,  p.  43j — In   Roma  fn  grandissiroa  divisione   e 


30  RÉFUTATION    DES    ACCUSATfONS 

IIÏ.  Le  document  d'où  nous  avons  extrait  ces  déclarations  pU' 

bli(|ucs  de  Boniface  est  celui  que  Sismondi  appelle  une  bulle  vio» 
lente,  à  laquelle,  nous  dit-il,  ils  répondirent  par  un  manifeste 
qui  contestait  ses  droits  à  la  |)apauté.  Là  encore  Sismondi  est 
aussi  exact  qu'à  l'ordinaire  :  le  manifeste  des  Colonne  parut 
presque  en  nièuie  tems  que  la  bulle,  et  probablement  il  eut  l'a- 
vantage d'être  publié  le  premier. 

ÎNIais  nous  devons  suppléer  à  une  ou  deux  omissions  impor- 
tantes de  Sismondi.  Sa  narration  porterait  naturellement  à  con- 
clure que  les  Colonne  n'imaginèrent  de  nier  le  droit  de  Boniface 
au  pontificat,  que  pour  lépondre  à  sa  bulle,  et  par  forme  de  re- 
présailles. Ov,  examinons  un  peu  la  chronologie  des  évènemens. 
Le  lecteur  doit  savoir  que  ce  document,  abrégé  par  Sismondi, 
porte  la  date  du  lOlMAI  1297.  La  déclaration  des  deux  cardinaux, 
oncle  et  neveu  ,  contre  la  valiilité  de  l'élection  de  Boniface,  avait 
déjà  acquis  avant  cette  époque,  une  telle  publicité,  que,  le  SA- 
MEDI 4  du  même  mois,  ce  dernier  envoya  Jean  de  Palestrine, un  des 
clercs  desa chambre,  vers  le  cardinal  Pierre  Colonne  pour  lui  in- 
timer l'ordre  de  comparaître  devant  lui,  parce  qu'il  désirait  luide- 
mander,  en  présence  des  autres  cardinaux,  s'il  le  reconnaissait  ou 
non  pour  ètr(^  le  pape  légitime. Les  deux  cardinaux,  au  lieu  d'obéir, 
s'enfuirent  de  Rome,  pendant  la  nuit,  avec  plusieurs  de  leur  fa- 
mille '.  Les  Colonne  eux-mêmes  reconnaissent,  dans  leur  libelle 


quislione  e  guerra  tra  papa  Bonifacio  VIII,  e  quei  délia  Colonna,  pe- 
rocchè  i  Colonnessi  rubarano  un  grandissimo  tresoro  al  detto  papo. 
Cronica  di  Bologna,  ib.,  t.  xvin,  p.  5oi.  — Eodem  anno  Colamnenses 
Romani  accesserunt  et  derobaverunt  magnum  thesaurum  auri  et  argent! 
Dno  papîE  Bonifacio.  Chronicon  Estensa,  ibid.,  t.  xv,  p.  344-  E'ie  esten 
général  très  liostile  à  Boniface.  —  IVobiles  etiam  de  Columna  inimicos 
habebat,  contra  quos  processit,  quia  Stephanus  de  Colurana  ipsius  papae 
fuerat  praedatus  thesaurum.  Georgii  Stellse  Annales  genuenses,  lib.  lî, 
Ib.f  t.  xvm,  p.  I02O. 

'  Pierre  Dupuy  ,  Histoire  particulière  du  grand  diffe'rend  entre 
Boniface  Vlll  et  Philippe  le-Bel  \  dans  de  Thou,  jéppend.,  tora.  vu, 
p.  IX  et  35. 


CONTRE  BOZSIFACE  VIII.  31 

OU  manifeste ,  qu  ce  message  leur  fut  envoyé  *.  On  ne  sait  pas  où 
ils  se  cachèrent  d'abord  ;  mais  il  est  certain  que  le  10  au  matin 
ils  se  trouvaient  à  Lungliezza,  dans  une  maison  appartenant  à  la 
famille  des  Coiui,  avec  l'écrivain  apostolique  Jean  de  Gallicano, 
deux  frères  mineurs, Déodat  Rocci  du  MontPrenestine_,le  fan)eux 
Jacopone  de  Todi  ,  qui ,  plus  tard  ,  se  fit  remarquer  par  sa 
grande  piété,  et  un  notaire  de  Paleslrine,  Dominique  Léonardi, 
à  qui  ils  firent  écrire  le  manifeste  dans  lequel  ils  déclaraient  que 
Boniface  n'était  point  pape,  manifeste  que  Sismoudl  nous  repré- 
sente comme  une  réponse  à  la  bulle  publiée  à  Rome,  à  deux 
milles  de  là,  le  même  jour,  et  probablement  sur  le  soir;  ce  libelle^ 
comme  les  contemporains  l'appellent  avec  raison,  ils  l'envoyèrent 
dans  toutes  les  directions  %  et  portèrent  l'audace  jusqu'à  l'articher 
aux  portes  et  à  le  placer  sur  l'autel  de  S  int-Picne  ^.  Est-il 
étonnant  qu'après  cet  acte  impudent,   ce  défi  porté  au  pouvoir 


•  Dicendo  vos  velle  scire  utrum  sitispapa,  prout  in  mandato  per  vos 
facto,  si  mandatum  dici  débet,  per  mag.  Joannern  de  Penestre,  clericum 
canierae,  contiiiebatm-  expresse.  Ap.  Raynald.  p.  u28. 

*  Beniaid  Guido  dit  :  a  Deinde  Domini  Jacobus  et  Petrus  de 
«  Colurapna,  patruus  et  nepos  cardinales,  videnles  contra  se  niolum  pa- 
w  para,  libellum  famosum  conficiiint  contra  ipsuni,  quod  ad  nuiltaspar- 
w  tes  dirigant,  asserentes  in  eodem  ipsum  non  esse  papam,  sed  solum- 
w  modo  Cœlcstinum.  Unde  citati  à  Bonif.  papa  non  duxerunt  comparen- 
»  dun),  et  facti  sunt  contumaces.  »  Dans  Rerum  Ital.  script.,  t.  in, 
p.  670.  Ce  passage  semble  faire  allusion  à  quelque  libelle  publié  avant 
la  sommation  faite  par  l'intermédiaire  de  Jean  de  Palestrine.  Voici  ce 
que  dit  à  ce  sujet  Amalricus  Augerius  :  «  Jacobus  patruus  et  Petrus  ejus 
»  nepos  de  doino  Colnmnensium,  tune  ecclesise  Romance  cardinales,  coa- 
»  tra  ipsum  Bonifacium  quemdam  libellum  famosum  composuerunt,  et 
w  ad  plures  et  divcrsas  partes  ipsum  transmiserunt,  et  publicari  fece- 
»  runt;  asserentes  in  ipso  libelle  dictum  Bonifacium  non  esse  papam» 
)'  sed  Cœlestinum  Papam  V,  quem  captum  ipse  detinebat,  nlbid.,  page 
435. 

^  Histoire,  etc.,  iibi  sup, ,  p.  34. 


32  in':FiJTATio\   DES  \rriîsvTio\s 

spirituel  et  temporel  «le  Boniface,  liait  ru  lecours  an\  armes,  et 
proclamé  la  guerre  contre  ce  clerfje'  contumace  et  ses  vassaux 
rebelles?  Ses  amis  re'pondirent  à  son  appel  ;  les  états  voisins  lui 
envoyèrent  des  troupes',  ou,  comme  le  peuple  de  Forli,  s'emparè- 
rent des  châteaux  qui  appartenaient  à  ses  ennemis  %  en  sorte 
qu'il  ne  leur  resta  plus  que  Palestrine. 

YI.  Cette  cité  avait  été  depuis  le  commencement  des  différens, 
la  place  forte  des  Colonne,  le  lieu  dans  lequel  ils  avaient  formé 
tous  leurs  complots ,  le  refuge  où  ils  pouvaient  se  retirer  avec 
sécurité.  —  Boniface  tourna  donc  toutes  ses  forces  contre  cette 
ville.  Nous  nVvons  aucun  commentaire  à  faire  sur  ce  point. 

Y.  Mais  nous  arrivons  à  i'ii'stoire  de  Guido  de  Monte  Tel  tro. 
D'abord,  nous  nous  permettrons  de  demander  quels  témoignages 
liistoriques  prouvent  la  perfidie  de  Guido,  dont  Sismondi  parle 
avec  ianl  d'assuraTice  f  S3i  présence  au  siège,  ou  l'avis  qu'on  lui 
fait  donner?  Il  en  cite  trois,  il  est  vrai  ;  celui  du  Dante^  de Fer- 
reti  et  de  Pipinus  ^  ennemis  mortels  du  pape.  Entre  la  narra- 
lion  des  deux  derniers,  il  y  a  des  contradictions  frappantes  ;  il  y 
en  a  une,  au  moins,  que  nous  aurons  occasion  de  faire  remar- 
quer; de  plus,  Ferjeti,  comme  l'observe  très  bien  IMuratori,  n'est, 
sur  ce  point,  ni  un  meilleur  garant  ni  un  meilleur  guide  que  le 
poète  dont  il  cite  les  propres  paroles.  De  plus,  il  a  évidemment 
compo.^é  toute  cette  narration,  au  sujet  de  Boniface,  d'api  es  des 
ouï-dire  et  des  rappoils  calomnieux,  puisqu'il  se  sert  de  ces  ex- 
pressions :  comme  Von  dit,  comme  on  le  rapporte;  c'est  la  remar- 
que que  fait  le  savant  critique  italien.  On  pourrait  peut  être  s'a- 


'  Florence,  par  exemj)li^  :  dl  commune  di  Firenze  vi  niandù  in  servi- 
»  gio  dri  papa  seiccnto  Ira  balcslrieri  e  pavcsari  croriati  con  le  sopranse- 
»  gnc  del  commune  di  Fircnze.  î)  Gios.  Villani,  ubi  siip.^  P*  37  ;  Simon 
dolla  ïosa  Cran,  sub  anno  1297.  Orvicto,  au  rapport  de  Mauenti,  et  Ma- 
telicA  tinrent  la  même  conduite.  Ap.  Pelrini,  p.  14S. 

*  Annnîes  Foî'o/ien.,  dans  I^.  T.  S.,  t.  \ii.  p.  774. 

'  Page  i4<J. 


COMilE   BOiMFACE    Vlil.  X\ 

iaïuier  en  voyant  Sismondi  reuvoyer  ,  pour  ces  auloriles,  à 
roiivrage  de  Muratori,  sans  se  donner  la  peine  d'insinuer  que  ce 
judicieux  éditeur  rejette,  dans  ces  mêmes  pages,  comme  des  fie- 
lions  et  des  calomnies  les-passa[;es  qu'il  rapporte.  A  oici  ce  qu'il 
dit  de  Ferre li  : 

««  Ce  que  Fcrretus  raconte  ici  de  Boniface  YIII  et  de  Guido , 
»  auparavant  comte  de  Montofeltro,  avait  déjà  été  publié;  enef- 
»  fet,  Dante  lavait  consigné  dans  ses  écrits  peu  d'années  avant 
»  Ferretus...  Mais  aucun  homme  de  probité  ne  voudra  ajouter  foi 
»  au  récit  de  ce  //lé/a/f...  Ferretus  a  pris  cela  des  deux  mains, 
»  dont  le  récit  du  poète  satirique  porté  qu'il  éiait  lui-même  à 
»  médire.  Quant  à  la  source  où  cet  auteur  a  puisé  toute  Tliistoire 
»  de  ce  pontife,  tissue  en  entier  de  calomnies  el  presque  d^ injures  ^ 
'»  le  lecteur  pourra  facilement  le  comprendre  par  ces  paroles  qu'il 
)>  prononce  quelquefois,  o/i  dit,  on  rrt/y/^ or fd.  En  elle t ,  ces  pa- 
»  rôles,  sans  aucun  doute  ,  indiquent  les  bruits  calomnieux  qui 
»  couraient  parmi  le  peuple,  trompé  par  ces  fameux  libelles^ 
»  comme  on  les  appelait,  composés  par  les  Colonne,  chassés  de 
»  Rome.  Au  reste,  les  écrivains  contemporains  vantent  les  gran- 
»  des  vertus  et  les  belles  actions  de  Boniface,  comme  on  peut  le 
»  voir  dans  Ilaynaldus  '.» 

Cependant  cet  auteur,  si  bien  caractérisé  par  Muratori,  est  le 

'  «  Quœ  hic  habet  Ferretus  de  Bonitacio  VIII  et  Guidone  antea  Moutis 
))  Ferelri  comité  pervulgata  jam  sunt  ;  eadeni  enim  paucis  ante  Ferretam 

»  annis  litteris  consignarat  Dantes  Aligherius Sed  probrosi  hujus 

»  facinoris  narralionijidem  adjungcre  nemo  prohus  relit Ferretus 

»  hœc  à  satyrico  poeiâ  ambabus  manibus  excepit .  quippe  et  is  ad  nia- 
M  ledicendum  pronus.  A  quo  autem  fonte  hauserit  hic  auctor  universam 
))  ejusdera  pontificis  historiara,  contwneliis  ubique  ac  pœne  maledictis 
))  contextamy  conjicere  poteris,  lector,  abillis  verbis  qua;  aliquando  in- 
termiscet,  dijudicant,  ferunt ;  ea  siquidem  procul  dubio  indlcaut 
iniqiios  rulgi  rumores  conupti  àfnmosis,  ut  aiunt,  //Z^e/Z/s Cohimnen- 
»  sium  urbe  depulsorum.  Celerum  illustres  ipsius  virtutes  et  prœclarc 
h  gesta  f narrant  coîcvi  scriplorcs  apud  Uaynaldum  quem  vide,  ^sole  a 
Ferretus,  ubi  supra,  \^.  96ç>. 


34  RÉFUTATION  DES  ACCUSATIONS 

seul  que  Sismondi  suive  implicitement,  sans  même  iusinuer  à  ses 
lecteurs  qu'il  y  a  une  autre  version. 

Maintenant ,  Guido  de  Montefeltro  put-il  aller  au  siège , 
ou  donner  le  conseil  perfide  que  "le  Dante  lui  attribue? 
Nous  voyons  de  fortes  raisons  pour  en  douter  ,  et  même 
pournier  complètement  le  fait.  Guido  de  Montefeltro,  dont  la 
postérité  ré^na  longtems  avec  honneur  en  Italie,  sous  le  nom  de 
duc  d'Urbin,  fut  célèbre  pendant  sa  vie  comme  général,  et  d'a- 
bord comme  ennemi  déclaré  de  l'Eglise.  En  1286,  il  se  réconci' 
lia  avec  le  Saint-Siège  ',  et  lui  resta  fidèle  ;  enfin,  dégoûté  du 
monde  et  de  ses  vanités,  il  demanda  la  faveur  de  changer  son 
casque  contre  le  capuchon  ,  et  son  baudrier  contre  l'humble  cor- 
don de  saint  François. 

^Le  père  Wadding  nous  a  conserve  la  lettre  adressée  par  Boni- 
face  au  provincial  des  Franciscains  de  la  Marche ,  dans  laquelle 
il  donne  son  consentement  à  ce  pieux  désir,  qu'il  regarde  comme 
venant  évidemment  de  Dieu  '.  L'acte  est  daté  d'Anagni ,  ^3  juil- 
let 1296.  Dans  le  mois  de  novembre  suivant,  il  prit  l'habit  à  An- 
cône.  Ce  changement  remarquable  dans  sa  vie  frappa  fortement 
tous  ceux  qui  en  furent  témoins  :  aussi  le  trouvons-nous  rap- 
porté dans  presque  toutes  les  chroniques  contemporaines.  Mais 
si  l'on  suppose  qu'après  quelque  tems  le  moine  se  transforma  de 
nouveau  en  soldat,  parut  encore  sur  les  champs  de  bataille,  et 
commanda  au  siège  de  Palestrine ,  est-il  probable  qu'un  événe- 
ment aussi  étrange  n'ait  pas  été  consigné  dans  l'histoire?  Cepen- 
dant on  n'en  parle  nulle  i)arl.  IVadding  observe,  avec  raison, 
que  la  simple  affirmation  faite  par  des  témoins  graves  et  com- 
pétens,  qu'il  persévéra  jusqu'à  sa  mort  dans  la  sainte  humilité  et 
la  prière  continuelle,  mérite  certainement  plus  de  confiance  que 
les  fictions  des  poètes  ^  Personne,  nous  croyons  ,  n'inclinera  à 


'  Istovia  Fiorejitina  di  Giachetto  Malespini,  cap.  ccxxviii,  dans  Rer. 
Ital.  Script.,  t.  vni,  p.  io45. 

»  Annales  Minorum,  t.  v,  éd.  i,  a.  fol.  049. 

^  At  domestici  testes,  et  serii  scriptores,  dicentes  hominem  in  sanctâ 


CONTRE  BOiMFACi;    Vilî.  03 

douter  de  la  vérité  de  cette  assertion,  appuyée  sur  le  témoignage 
do  [IVIarianus  et  de  Jacques  de  Péruge  ,  écrivains  contemporains. 
Nous  allons  présenter  quelques  extraits  de  plusieurs  auteurs  éga- 
lement contemporains ,  afin  de  donner  plus  de  force  à  cet  argu- 
ment. 

Les  annales  de  Cesène^  parlent  ainsi  de  Guido  :  «  En  1296,  et 
»  le  17  novembre,  Guido,  comte  de  Montefeltro,chef  de  guerre, 
»  entra  dans  Tordre  des  frères  Mineurs.  Dans  le  courant  de  1298, 
»  le  jour  de  la  dédicace  du  bienheureux  Michel ,  il  entra  dans  la 
»  voie  de  toute  chair  à  Ancone,  et  y  fut  enseveli  '.» 

Ricobaldus  de  Ferrare  dit  simplement:  «  Guido,  comte  de 
»  Montefeltro,  auparavant  vaillant  chef  de  guerre,  ayant  abdiqué 
>»  le  siècle,  entre  dans  l'ordre  des  Mineurs,  et  y  meurt ^"  Et  dans 
un  autre  ouvrage,  il  déclare  qu'il  vivait  encore  alors,  et  dit  :  «  En 
»  ce  tems,  Guido,  comte  de  Montefeltro,  vaillant  chef  de  guerre, 
»  ayant  déposé  les  honneurs  du  siècle,  entra  dans  l'ordre  des  Mi- 
»  neurs,  où  il  sert  maintenant  dans  le  camp  du  bienheureux  Fran- 
»  çois  '. 


religione  et  perpétua  oialione  reliques  vitœ  dies  transegissse,  et  quani 
laudabiliter  obiisse,  przefereudi  suntpœtarum  coniraentalionibus.  Ibid,, 
fol.  35 1. 

•  Millmo  ccLxxxxvi  die  xvii  novembris,  Guido,  Cornes  Mentis  Feretri, 
dux  Lellorum,  fratium  Minorura  est  religienenï  ingressus.  Currente 
Mccxcviii  die  Dedicationis  B.  Michaelis.in  civitale  Ancenœ  est  viam  uni- 
versae  carnis  ingressus  et  ibi  sepultas.  Dans  Renmi  liai,  scipl.,  t.  xiv, 
p.  114.  Ce  passage  confirme  la  date  assignée  par  AYadding,  d'après  Ru- 
beus,  à  la  mort  de  Guido. 

»  Guide  Cornes  deMontefereto,  quondam  bellorum  dux  strenuus,  ab- 
dicatosîeculo,  ordinemMinorumingreditur,  in  quoraeritur.  Compilatio 
Chronologica,  ibid.,  t.  ix,  p.  255. 

3  Hoc  tempère  Guido,  Cornes  de  Monteferetro,  dux  bellorum  strenuus, 
depositis  henoribus  sseculi,  Minerum  erdinem  ingressus  est,  ubi  hodie 
militât  in  castris  B.  Francisci.  Hist.  Jmperaiorum,  ibid.,  p.  144. 


36  r.£FLlAllO>.   DES    ACCLSAilOWS 

Les  tliroiîiques  de  Bologne  s'expriment  ainsi  sur  sonconipte  : 
M  1S90.  Le  con  le  Giiido  de  Montefeltro,  noble  et  vaillant  par 
>»  ses  faits  d'armes,.  ...  ayant  abandonné  le  monde,  entra  dans 
»  l'ordre  des  fières  Miueuis,  où  il  finit  sa  vie  '.» 

Le  silence  de  toutes  les  chroniques  sur  un  événement  aussi  ex- 
traordinaire est  certainement  un  argument  puissant  contre  les 
assertions  d'adversaires  déclarés  et  places  à  une  grande  distance 
de  la  scène.  Plusieurs  autres  considérations  concourent  encore  à 
nous  les  faire  rejeter.  INous  devons  placer  en  premier  lieu  leurs 
contradictions  sur  les  circonstances  importantes;  ainsi  Ferreli  le 
fait  aller  au  siège  de  Palestrine,  considérer  les  fortification.*,  et 
prononcer  qu'elles  sont  imprenables  ^  alors,  comme  Sismondiqui 
le  suit,  il  lui  fait  demander,  avant  de  donner  son  conseil  perfide 
Tabsolulion  de  conimelire  le  crime-.  D'un  autre  côté.  Pipinus 
nous  apprend  qu'il  refus?  positivement  de  se  rendre  à  l'appel  du 
pape,  s'excusantsur  son  grand  âge  et  sur  ises  vœux,  et  qu'il  envoya 
seulement  à  Boniface  sa  suggestion  déloyale^.  Or,  cette  opposi- 
tion sur  un  fait  ainsi  palpable  etaussi  important,  à  savoir  si  Guido 
se  rendit  au  siège  et  y  commanda,  cette  opposition  entre  les  deux 
seuls  hisioi  iens  qui  le  rapportent,  n'est-elle  pas  évidemment  fatale 
à  louie  la  naration?  Eu  second  lieu,  nous  devons  signaler  l'ab- 
sence to'.ale  de  documens  sur  ce  sujet  dans  le  registre  de  Boniface. 
Oa  comprend  sous  ce  nom  la  copie  original,  de  tous  les  docu- 
mens publiés  pendant  le  règne  d'un  pape  ;  leur  collection  sert  à 
former  le  corps  des  Archives  papales.  Celles  de  Boniface  se  com- 
posent de  plusieurs  gros  volumes  (  il  y  en  a  un  pour  chaque  an- 


•  1296.11  conte  Guido  di  Montefeltro,  nobile  eslrenuo  iu  falti  d'armic, 
abbandonato  il  niondo,  entro  neli  ordine  dei  frati  Minori,dove  fiuï  sua 
vita.  Cronica  di  Bologna;  ibfd.,  t.  xiv,  p.  299. 

*  Vbisup.,  P-970. 

'  «  Qui  cum  constantissimc  récusa ret  id  se  faclurum  ,  dicens  se 
inuudo  renuisliasbe,  tt  jani  c?sc  ;^randevuni,.  jiapa  rc?pondit,  tlt.  ■>■> 
i'>.,  p.  7i'' 


COxMiiL    BOMlACi:    Mil. 


,*■*> 
àt 


nt'e  )r  dans  lesquels  sont  écrits  jour  par  jour,  par  une  tiès-belle 
main  et  sur  papier  véliu,  les  lettres,  rcscrits  ou  décrois  qu'il  a 
publics  ;  ils  se  divisent  en  deux  classes,  et  la  seconde  classe  com- 
prend ce  que  nous  nommons  les  lettres  cnriales.  Lorsque,  lisant 
la  vie  active  de  Boniface,  nous  voyons  que,  nonobstant  son  chan- 
gement continuel  de  résidence,  tous  les  documens  y  sont  admi- 
rablement transcrits;  sans  aucune  rature,  sans  aucun  signe  de 
confusion,  nous  sommes  portes  à  nous  former  une  idée  avanta- 
(jeuse  de  l'ordre  et  de  la  régularité  de  son  administration  ecclé- 
siastique et  civile,  mais  l'absence  totale  de  tout  document  relatif 
à  un  fait  supposé  de  son  règne  équivaut  à  une  négation  de  l'exis- 
tence de  ce  fait. 

Mais  venons  au  cas  particulier  qui  nous  occupe  ;  nous  avons 
trouvé  dans  le  second  volume  de  son  registre  (ép.  63)  une  lettre 
par  laquelle  Conrad  àc'MouieitAwo^  citatur  ad  curiain^  e%t  soiw- 
rné  de  se  rendre  à  Rome  pour  affaires,  et  une  autre  dans  les  épi- 
tre  curiales  (n^  2),  par  laquelle  Guido  lui-même  reçoit  l'ordre  de 
se  rendre,  sous  un  certain  délai,  dans  la  même  ville^  afin  que  le 
pape  puisse  conférer  avec  lui  sur  des  affaires  importante»et  rela- 
tives à  la  pacification  de  l'Italie.  De  plus,  nous  avons  vu  dans  le 
registre  l'acte  qui  nomme  Landolfe  Colonne  chef  de  l'expédition 
et  un  autre  document  semblable  relatif  à  Mathieu  Colonne,  qui 
se  déclara  aussi  contre  sa  famiile'.  Or,  si  une  seconde  sommation 
a  été  faite  à  Guido,  directement  ou  par  ses  supérieurs,  est-il 
croyable  qu'il  n'existe  ni  dans  cette  collection,  ni  dans  les  autres 
parties  des  archives  papales,  aucune  trace  de  cet  ordre  qui  l'ap- 
pelait au  camp,  et  des  appointcmens  qu'il  dut  recevoir  pour  com- 
mander ou  pour  diriger  par  ses  conseils  les  opérations  du  siège  ? 
Le  fait  est  cependant  certain. 

Sans  nous  contenter  de  nos  ]>ropres  recherches,  nous  avons  eu 
recours  à  l'obligeance  et  à  l'expérience  du  préfet  des  archives  pa- 
pilcs,  et  nous  l'avons  prié  de  faire  une  perquisition  plus  exacte. 


Lib.  ni,  ep.  5'jS. 

wt*  ?tPiE.  TOME  vt.  —  rS'  31.  1842- 


38  RiiFUTATIOIN    DES    ACCUSATiOlVS 

Non  seulement  le  savant  prélat  nous  a  commnniqué  avec  une 
grande  bonté  le  résultat  de  ses  recherches,  mais  de  plus  il  l'a  fait 
connaître  au  public  dans  un  essai  qu'il  vient  de  j)ublier.  Nous 
empruntons  à  son  ouvrage  le  passage  suivant  qui  suffit  pour  le 
but  que  nous  nous  proposons  :  «  Que  dirons-nous  de  Tavis  que 
»  Ton  suppose  avoir  été  donné  par  Guidode  Montcfeltroau  même 
M  Boniface,  relativement  au  siège  de  Palestrine,  qu'il  refusa  d'en- 
M  treprendre,  vu  que  pour  le  faire  il  devait  nécessairement  com- 
»  mettre  une  faute,  dont,  au  reste,  Boniface  se  serait  montré  tout 
»  disposé  à  l'absoudre?  C'est  là  une  invention  du  Danti-,  Gibelin 
»  déclaré.  Sollicité  plusieurs  fois  par  la  même  personne  de  clier- 
»  cher  dans  les  archives  du  Vatican,  s'il  y  a  quelque  document 
M  sur  ce  sujet,  nous  affirmons  n'en  avoir  point  trouvé.  —  Preuve 
»  certaine  qu'il  n'en  existe  pas.  La  lettre,  au  moins,  par  laquelle 
w  Boniface  appelait  Guido,  aurait  dû  se  présenter  à  nos  regards  ; 
M  maisil  ne  s'en  trouve  aucune  trace  dans  le  registre  duYaficaîi''» 
Cette  absence  de  tout  document  dans  cet  enlroit  est, ce  nous  sem- 
ble un  argument  concluant  contre  ce  fait  prétendu.  Enfin  nous 
repardons  cette  narration  comme  une  fable,  et  nous  sommes  con- 
vaincus que  la  conduite  perfide  qu'elle  suppose  n'a  pas  été  suivie. 
Quant  à  la  dernière  partie  du  récit  de  Sismondi,nous  nions  que 
Boniface  ail  fait  les  propositions  dont  il  parle,  ou  que  la  ville  lui 
ait  été  remise  à  des  conditions  qu'il  viola,  ou  que  les  Colonne, 
avertis  qu'ils  exposaient  leurs  jours,  aient  réfusé  de  paraître  en  sa 
présence  et  pris  la  fuite.  Mais  avant  de  réfuter  ces  assertions, 
nous  devons  revenir  un  peu  sur  nos  pas.  Après  avoir  publié  leur 
manifeste,  Us  principaux  delà  famille  restèrent  à  Palestrilie,  et, 
le  4  septembre,  on  savait  que  les  hostilités  allaient  commencer  ; 
alors  les  autorités  municipales  de  Rome  tiyrent  dans  le  capitole 
une  assemblée  solennelle,  et  envoyèrent  une  députaiiou  à  Pales- 
trine pour  engager  les  Colonnesi  à  s'humilier  devant  le  pape,  et 
à  se  soumettre.  Ils  promirent  tout  ce  qu'on  leur  demanda,  et  des 
députés  adressés  à  Boniface  ,  qui  se  trouvait  à  Orvieio  ,  intercé- 


•  Diplomatica  pontifie ia,  Ronie,  i84i,  p.  il 


COiMHE    BO  M  l'A  Cl-:    Vili.  39 

dèrent  en  leur  faveur.  11  se  laissa  j^aqner  et  leur  assura  le  par- 
don, à  condilion  qu'ils  se  souniettraieiit,  eux  et  leurs  châ- 
teaux '.  Mais  au  lieu  d'exécuter  leur  promesse,  ils  reçurent  dans 
leur  ville  François  Crescenzi  et  ^Kicolas  Pazzi,  ennemis  mortels  du 
pape,  et  quelques  envoyés  du  roi  d'Arngon  ,  avec  lequel  il  faisait 
alors  la  guerre.  Alors,  et  seulcnu  nt  alors  ,  d'abord  le  18  novem- 
bre, et  ensuite  le  14  décembre,  il  prit  ses  dernières  mesures  pour 
la  guerre*.  Cet  acte,  ou  ce  traité  ,  ne  peut  donc  être  celui  dont 
parle  Sismondi  ;  mais  nous  avons  cru  devoir  rapporter  son  his- 
toire, afin  de  montrer  le  caractère  de  ceux  avec  lesquels  Boniface 
eut  à  lutter,  et  la  nature  de  ces  luttes. 

La  ville  de  Palestrine  fut  aussi  vigoureusement  attaquée  que 
défendue,  !a  question  est  de  savoir  si  elle  fut  à  la  fin  livrée  à 
des  conditions  qui  ne  furent  point  tenues.  Non,  répondons-nous 
sans  hésiter,  et  nous  en  avons  des  preuves  qui  sont,  à  nos  yeux, 
concluantes.  En  1311,  Clément  \  ,  étant  à  Avignon,  permit  qu'un 
procès  fut  intente  à  la  mémoire  de  îîouiface,  par  Philippe,  roi  de 
Fraiice,  Nogarel,  les  Colonne  et  ses  autres  ennemis.  Les  prélimi- 
naires ne  monti  aient  pas  en  lui  le  désir  d'élre  favorable  à  son 


'  Après  avoir  rapporté  la  conduite  des  députc's,  d'abord  à  l'égard  des 
Colonne,  puis  à  son  égard,  il  ajoute  :  «  ÏNos  igitur  illius  vices  gérantes, 
»  qai  raortem  noafecit,nec  delectatur  in  pcrditioneni  virorum,  et  filios.., 
«  buiuiliier  rcvertentes  suaque  recognoscentes  peccata  ad  pœnitentiam 
»  libenter  admittit,  prsefatis  schismaticis,  hostibns  atque  rcbellibus... 
»  (  suivent  les  conditions.)  greniium  non  clautîemus  quln  eos  totaliter 
»  redcuntes,  sic  misericorditer  et  bénigne  tractenius.  Quod  sit  gratum 
)>  Deo,  honorabile  nobis  et  Ecclesiaî,  et  ex  nostris,  et  ipsiusEcclesiae  acti- 
»  bus,  exemplum  laudabile  posteris  relinquamus.  »  Ap.  Petrini,  ex  ^r- 
chiv.  S.  An^eli,  p.  420.  Combien  ces  expressions  de  Boniface  et  son  por- 
trait tracé  par  nos  historiens  modernes  nous  donnent  une  idée  diffé- 
rente de  son  caractère!  Qui  peut  en  lisant  ces  paroles  s'empêcher  de 
croire  qu'il  aurait  agi  envers  eux  avec  une  grande  bonté  i 

^  Voir  Petrini,  p.  147 


40  IIKFL  1   •  J  10-\     UJ:^>    ACCLSAliU.NS 

prtult'cfssciir.  Ou  voll ,  tlaiis  h  Ijiillc  publu'e  à  ce  sujet,  un  rlu^jc 
])Ouî]>eux  du  roi,  qu'il  déclare  conipletcmciil  tlé^a^é  de  tout  Uio- 
til  condamnable,  tandis  qu'il  ordonne  de  iclrancliei  de  son  liC' 
gistre  toutes  Us  lettres  et  tous  les  décrets  portés  contre  la  France. 
(]et  ordre  fut  exécuté  ,  comme  rallesteut  les  volumes;  mais  heu- 
reusement des  copies  se  trouvaient  entre  les  mains  des  amis  de  iJo- 
uiface.  Pleine  liberté  fut  accordée  à  quiconque  la  désira,  d'inten- 
ter des  accusations  contre  lui.  Les  Colonne  lui  reprochèrent  le 
crime  que  lui  impute  Sismondi ,  c'est-à-dire  d'avoir  re«;u  la  sou- 
mission de  leur  ville  et  de  leurs  forteresses,  à  condition  «  per 
huilas  et  solennes  personas  >^  (en  présence  des  ambassadeurs  ou 
des  députés  de  Rome)  •  que  sa  bannière  serait  seulement  arborée 
sur  leurs  murs,  mais  que,  pour  eux  .  ils  en  conserveraient  la 
possession.  iVous  pouvons  apporter  deux  réponses  à  cette  accusa- 
tion ;  l'une  est  plus  courte ,  nous  la  renvoyons  à  la  fin  ^  ;  l'autre  , 
plus  détaillée,  a  été  mise  au  jour  parle  cardinal  François  Cajetan, 
qui  la  lira  des  mémoires  renfermés  dans  les  archives  du  Vatican. 
Voici  les  points  principaux  de  ces  réponses,  que  nous  coriobore- 
rons  par  d'autres  ar^jumens. 

i"  D'abord  il  est  clair  qu'un  traité  semblable  n'a  pas  été  con- 
clu avec  les  Colonne,  puisqu'ils  allèrent  eux-mêmes  se  jeter  aux 
genoux  du  pape  et  lui  demander  grâce.  Sismondi  veut  nous  faire 
croire  qu'avertis  du  danger  auquel  ils  exposaient  leur  vie,  s'ils  se 
rendaient  auprès  du  pape  ,  ils  prirent  la  fuite  et  ne  reparurent 
pas  devant  lui.  Mais  le  cardinal  Cajetan  prouve  qu'ils  se  rendi- 
rent de  Palestrine  à  llieti  vêtus  de  noir,  la  corde  au  cou,  et  se 
prosternèrent  devant  lui,  l'un  d'eux  s'écriant  :  «  J'ai  péché,  mon 
»  père,  contre  le  ciel  et  contre  vous,  et  je  ne  suis  plus  digne 
M  d'être  appelé  votre  61s...,  et  vous  nous  avez  punis  à  cause 
V  de  nos  péchés.  »  Pour  attester  la  vérité  de  ce  récit ,  qui  est  en 
contradiction  si  manifeste  avec  celui  de  notre  historien.  Cajelan 
en  appelle  aux  cardinaux  et  aux  prélats  alors  présens,  et  au 
prince  de  Tarente,  qui  était  sur  les  lieux,  et  qui  n'hésite  pas  à  la 


Ap.  Pfelrini,  p.  45'' 


liON'riK    PfOMFAr.R    VIN.  VI 

ioconiK)Uie  '.  Craïul  nombre  dcMt'inoignajjes  conlinuciu  encore 
cette  narration.  Pipiiius  la  rapporte  à  sa  inanièie.  Il  dit  que  les 
Colonne  parurent  devant  le  pape  vêtus  de  noir  et  la  corde  au 
cou,  et  que  le  pape  «  voyant  avec  peine  leurs  larmes,  leurs  con- 
»  tcssions  et  leurs  j)rières,  comme  un  aspic  sourd,  n'eut  aucune 
H  compassion  d'eux  ^.  »  Mais  le  cardinal  Cajetan  et  d'aulres  en- 
core réfutent  celte  assertion.  Une  Chronique  (V Oivieto  dit  qu'ils 
furent  reçus  «  par  la  cour  romaine  avec  une  grande  joie  -.  »>  — 
Villani.  qui  prétend  que  la  ville  lut  prise  et  détruite  par  trahi- 
SOM,  ajoute  que  <  les  Collonesi ,  cleics  et  laïques  ,  se  rendirent  à 
.)  Kieti,  et  se  jttèient  aux  genoux  du  pape  jjour  lui  demander  par- 
M  don;  qu'il  h  leur  accorda,  et  le\a  V excoinmunicaiion parlée  coH' 
w  ire  eux  \»  —  Paolino  di  Piero  ,  ennemi  de  Boniface,  dit  qu'ils 
allèrent  solliciter  leur  grâce  ,  «  que  le  pape  la  leur  accorda  avec 
»  douceur  et  avtc  bonté  { graciosamenle  e  ni  huon  aria)^  et  leur 
»  donna  l'absolution  de  l'excommunication  portée  contre  eux  ; 
))  alors ,  la  ville  de  Palestrine  fut  détruite^  conformément  au 
D  traité  •*.  » 

S*'  Quand  ils  se  rendirent  à  Rieti,  la  ville  était  déjà  au  pouvoir 
du  pape  ,  son  général  en  avait  pris  possession.  Est-il  probable 
que  le  pape  voulut  alors  se  contenter  de  planter  sa  bannière  sur 
sesmuis,  ou  entrer  en  acconnnodemcnt  avecdes  rebelles  soumi^? 

3"  Le  i ardinal  nie  que  des  bulles  scmblaljles  à  celles  dont  ou 
parle  existent  ou  puissent  être  produites. 

4°  Il  prouve  qu'aucun  ambassadeur  ,  aucun  médiateur  ,  n'a* 
valent  été  présens  ;  que  les  Colonne  avaient  eux-mêmes  amené  , 
afin  d'interce'der  pour  eux,  ceux  qu'ds  représentent  comme  tels. 

.'>''  Il  montre  condjien  est  fausse  l'assertion  que  le  pape,  après 


*  Pc  tri  ni,  nbi  sup. 

'   l  bi  Siq}.,  p.  70  ". 

'  A  p.  P(  t.,  p.  !\22. 

^  l.hi  sup\  p.  3(j. 

'  t'ny/iicdi  dans  15.  I-.  S-,*,  u.  p.  'j7i. 


4*2  r>KFiiTMi()\    nr.s    Ar.f;U'>ATK)\s 

leur  avoir  accorde  le  partie n  ,   et  avoir  imposé  une  pénitence  A 
Etienne  Colonne,  envoya  des  cavaliers  pour  le  tuer. 

Tels  sont  lesaifnnncns  en  faveur  de  Boniface.  Il  est  inutile  de 
répéter  que  l'Iiisiorien  des  Républiques  itaVennes  n'a  pas  jugé  à 
propos  de  faire  mention  de  ces  documens  ,  ni  mèine  d'insinuer 
qu'ils  existent.  îMais  la  cause  de  Boniface  fut  solennellement  exa- 
minée et  juf^ée  dans  le  concile  général  de  Vienne,  convoqué  et 
tenu  eu^l3r2  en  grande  partie  dans  ce  seiil  but,  et  ces  documens 
sont  extraits  des  pièces  de  son  procès  :  c'est  ainsi  qu'elles  sont 
appelées  dans  les  archives  du  Vatican.  La  décision  du  concile  lui 
fut  entièrement  favoî-able  ;  sa  mémoire  fut  veni^ée  des  imputa- 
tions flétrissantes  en  présence  de  ses  ennemis  ecclésiastiques  et 
civils.  On  l'accusa  d'hérésie,  de  sortilège  ,  à'idolàlrie  et  d'incré- 
dulité. Pour  preuves  d'idolâtrie,  on  allégua  qu'il  avait  gravé  son 
portrait  sur  quelques-uns  des  présens  qu'il  avait  faits  aux  églises  : 
il  voulait  donc,  disait-on,  être  aloré.  Il  ne  croyait  pas  à  la  pré- 
sence réelle,  car  il  tournait  le  dos  à  un  autel  quand  il  célébrait  le 
saint  sacrifice.  Pour  toute  réponse,  on  se  contenta  de  rappeler 
les  larmes  abondantes  qu'il  répandait  en  célébrant  les  divins  mys- 
tères, et  les  présens  magnifiques  qu'il  fit  à  plusieurs  autels  '. 

Nous  devons  mainienant  nous  hàier  de  pailer  de  ?.es  derniers 
âUomens,  sujet  non  moins  défiguré  que  la  première  partie  de  i^a 
vie  publique.  H  est  un  point  sur  lequel  tous  les  historiens  s'ac- 
cordent, il  est  vrai,  à  lui  r.ndie  justice,  c'est  la  grandeur  d'âme  , 
l'intrépidité  qu'd  montra  quand  il  fut  pris  par  ses  ennemis.  Guil- 
laume de  Nogaretavec  des  soldats  français, ei  Sciarra  Colonne  qui, 
avec  sa  famille,  avait  depuis  longtems  oublié  le  pardon  de  Rieti, 
accompagné  d'une  bande  de  ses  partisans,  entrèrent  par  trahison 
dans  Anagni ,  la  ville  favorite  de  Boniface.  Ils  parcoururent  les 
rues  en  criant  :  «  Longue  vie  au  roi  de  France,  mort  à  Boniface!» 
Le  peuple  glacé  d'effroi  ne  leur  opposa  aucune  résistance,  et  les 
deux  bandes,  après  avoir  forcé  les  portes  du  palais,  entrèrent  sé- 


Raynald.,  Ex  Procès  su,  p.  55o,  ad  anj  i5i2. 


CONTRE    BOMFACE    VIII.  43 

parement ,  et  par  des  voies  difTérentes  ,  dans  rappartement  où  se 
trouvait  le  pape.  Boniface  ,  sur  ces  entrefaites  ,  s'était  revêtu  de 
ses  habits  pontificaux  :  assis  sur  son  trône  (ou,  comme  le  rap- 
porte Ssmondi,  prosterné  devant  l'autel;,  un  crucifix  à  la  main  ' , 
ce  vénérable  vieillard  attendit  avec  calme  ses  ennemis.  L'impé- 
tueux Sciarra,  à  la  tète  de  sa  bcinde,  l'épée  à  la  main,  et  ne  respi- 
rant que  vengeance,  se  précipita  vers^'appartement  de  Boniface, 
mais  il  s'arrêta  irrésolu  et  tioublé  en  présence  de  son  suzerain. 
Guillaume  de  Nogaret  le  suivait  avec  les  siens,  et,  moins  confus  , 
il  letnen  iça  insolemment  de  le  traînera  Lyon,  et  de  l'y  faire  dé- 
poser dans  un  concile  général.  Boniface  répondit  avec  un  calme 
et  une  digniié  qui  humilièrent  l'audacieux  Français,  et  rabattirent 
son  arrogance.  «  Yoici  ma  tète,  voici  mon  cou  ;  catholique,  pape 
»  légitime  et  vicaire  de  J.C.,  je  supporterai  avec  patience  d'être 
M  condamné  et  déposé  par  des  hérétiques  2.  Je  désire  mourir  pour 
»  la  foi  du  Christ  et  pour  son  Eglise  ^.  »  Cette  scène  qui,  à  notre 
grand  étonnement,  n'a  pas  encore  exercé  le  pinceau  de  l'artiste  , 
présente  plus  que  tout  autre  fait  historique  le  triomphe  du  n)oral 
sur  la  force  brutale,  la  fascination  exercée  sur  la  passion  et  sur 
l'injustice,  sur  un  esprit  qui  a  la  conscience  de  sa  dignité,  et  la 
laisse  percer  au  dehors.  Dante,  lui-même,  ne  peut  s'empêcher  de 
contempler  Boniface  avec  admiration,  et,  tout  indigné  contre  ses 
ennemis,  il  s'écrie  : 

Veggio  in  Aîagna  entrar  lo  liordaliso 
E  nel  Vicariosuo  Cristo  essercatto. 
Veggiolo  un'  altra  voUa  esserderiso; 


Voir  la  narraliiii  de  Villani,  cap.  lxhi,  p.  ii6.  Pipinus  nous  ap- 
prend qu'il  tenait  une  portion  de  la  vraie  croix,  et  qu'il  s'écria  comme 
saint  Thomas  Becket  ;  aAperite  mihi  portas  camerw,  quia  volo  pati 
mart3'rium  pro  ecclesiiî  Dei.  p.  740. 

*  Le  père  de  Nogaret  avait  été  puni  comme  fauteur  de  l'hérésie. 

'Onleprouva  dan?  son  procès.  Voir  Rnynaldus.  Ubi  snp. — RuhœuF, 
p.  -Jiiî. 


V^  J{|'F(  TATiaX    1)19    \rft('SVTIO\S 

Veggio  riimovcilar  Taceloe'!  tele 
E  Ira  vivi  ladroiii  essere  anciso  '. 

Après  trois  jours  Je  captivité,  le  peuple  sortit  de  sa  léthargie  et 
le  délivra  ;  il  tut  conduit  à  Rome,  où  il  mourut  trente  jours  après 
son  arrivée.  Que  sa  mort  ait  été  accéléiée  par  les  souffrances  de 
sa  captivité,  il  n'y  a  là  )iei\  d'étonnant ,  si  l'on  considère  qu'il 
était  arrivé  à  l'âge  avance  de  quatre-vingt-six  ans,  et  que  son  es- 
prit sensible  et  élevé  dut  être  puissamment  afïecté  de  Tingrati- 
tude  de  ses  sujets,  et  des  insultes  qu'il  eut  à  soullVir.  Mais  uu 
semblable  événement  ne  pouvait  contribuer  qu'à  inspirer  la  pi- 
tié ;  il  était  expédient  que  les  sympatbies  excitées  par  son  arres- 
tation fussent  effacées  par  un  spectacle  d'un  autre  genre.  Sis- 
uiondi,  qui  prend  toujours  Ferretus  pour  guide,  nous  apprend 
que  Boniface,  emprisonné  dans  ses  appartemens  par  le  cardinal , 
tomba  dans  une  passion  violente ,  renvoya  son  fidèle  serviteur 
Jean  Cjmpano  ,  ferma  à  clef  la  porte  de  sa  chambre  ,  et  après 
rtvoir  rongé  son  bùton,  il  se  frappa  la  tète  contre  le  mur,  de  ma- 
nière que  ses  cheveux  blancs  étaient  tout  souillés  de  sang  :  enfin, 
il  s'étouffa  sous  la  couverture  de  son  lit  ^ 

jNous  supposons  que  Si^mondi  a  eu  lionte  de  suivre  entièrement 
Ferrcti;  voilà  pourquoi  il  ne  dit  pas  qu'il  broya  son  bâton  tout 
entier  ,  quoiqu'il  fût  assez  long ,  (  "  batulum  satis  procerum  den- 
tibus  conterit,  »  et  encore  :  «  baculo  ininiiiatim  Irilo  »};  qu'il  ap- 
pela lieelzebub,  quoiqu'il  n'y  eût  personne  dans  sa  chambre  qui 
pùl  rentcndrc,  et  qu'il  ctiit  possélé  du  démon  '.  En  France,  en 


•  Je  vois  dans  Al..i;iia(  Ânogni)  entrer  la  ilvur  de  lis, 
Va  le  Christ  ciiplif  dans  la  personne  de  son  vicaire. 
Je  le  vois  une  seconde  fois  deve«ni  un  objet  de(léri>i<»n. 
.le  vois  renouveler  pour  lui  le  vinaigre  et  le  liel. 
Je  le  vois  enlin  niorl  au  milieu  de  larrons  vlvans. 

Pitr^,.  ranto  >.\^  v,  8f>  cp. 

*  Si^m,,  p.  i3o. 

*  L'hi  <!i/j).,  p.  1008. 


1809,  on  eut  douté  Je  ces  détails;  il  a  donc  jag<^  piiulëiU  de  les 
omettre,  se  contentant  d'emprunter  à  la  narration  de  Ferreti  ce 
qui  était  nécessaire  pour  faire  un  roman  :  car  son  récit  est  un  ro- 
man depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin.  Au  bas  de  la  page 
citée  parSismondi,  Muratori  déclare  formellement  que  tout  ce 
récit  est  un  mensonge  impudent  ,  «  indignum  mendacium  »};  il  in- 
dique les  sources  où  l'on  peut  trouver  une  réfutalioa  complète  de 
ces  assertions.  INIais  faire  mourir  Boniface  dans  son  lit,  cbrétien- 
nement  et  après  avoir  reçu  les  sacremens,  c'eût  été  plus  naturel, 
et  il  n'y  eût  pas  eu  prise  pour  le  mélodrame  dans  lequel  Sisniomli 
transformait  son  histoire.  Toutefois,  si  cette  mort  était  moins 
tragique,  elle  était  auss  ,  ce  nous  semble,  plus  consolante.  On 
prouva,  dans  son  procès,  qu'étendu  sur  son  lit  et  accablé  par  le 
mal,  «  il  récita,  à  la  manière  des  autres  souverains  pontifes,  et  en 
»  présence  de  huit  cardinaux,  tous  les  articles  de  foi  ;  des  letires 
V  de  notre  frère,  le  cardinal  Gcntili,  attestent  ce  fait  ';  »  et  de 
plus,  on  d't  «  qu'il  déclara,  en  présence  de  plusieurs  cardinaux  et 
M  d'autres  personnes  distinguées,  qu'il  avait  toujours  professé  la 
"  foicalholifjue,  et  qu'il  désirait  mourir  dans  le  sein  de  l'Eglise ''.•• 
Nous  voyons  le  même  fait  rappoité  par  le  cardinal  Siéplianésius, 
témoin  oculaire,  qui  nous  assure  que  sa  mort  fut  très-douce; 
"  —  tandis  qu'il  rend  au  Christ  sa  belle  à'.ne,  et  qu'il  ne  connaît 
»  pas  la  colère  du  juge,  mais  la  douce  et  tranquille  vertu  du  père, 
»  comme  il  est  permis  de  le  croire  \  » 

Assurément,  pour  Thonneur  de  l'humanité,  on  eût  dû  au  moins 
indiquer  ces  témoignages  authentiques.  Mais  que  dire  de  l'asser- 
tion qu'il  se  frappa  la  Icte  contre  les  murs,  et  de  .^es  yetix  hagards 


Proc^f,  p.  3;. 
Ji^ii/. ,  p.  1 3 1 . 

^ '<  Chrislo  dnm  reddilur  alnuui 

Spiritus,  et  divi  ûcscit  jam  jadicis  iraiu  ; 

^  ed  mitera  placidamque  palris,  ceu  credere  fas  est,  ^ 

r^canoniz.  Cœlest.x  lib.  i,  cap.  m,  R.  [.  S,, 
t.  III,  p.  6ot>. 


4()  RKFUTATIOX  DES  ACCUSATIONS 

qui,  à  sa  mort,  eftrayèreut  les  personnes  présentes,  si  nous  en 
croyons  Ferreli,  qui  ajoute  que  son  corps  fut  jeté  dans  la  terre, 
surcliarjïé  d'un  couvercle  de  marbre  ?  Que  dire  de  ses  mains  et  de 
ses  doip,tsdpcirM  es  de  ses  propres  dents,  ainsi  que  d'autres  le  racon- 
tent '?  Il  |>lut  à  la  diviiie  Providence  de  réfuter  ces  calomnies 
d'une  manière  éclatanie,  en  1605,  trois  cents  ans,  jour  pour  jour, 
après  sa  mort.  Il  fut  nécessaire  de  démolir,  dans  la  basilique  du 
Vatican,  la  chapelle  que  Boniface  avait  fait  construire  pour  sa  sé- 
pulture :  sou  corps  fut  alors  exhumé.  Soncercueil  (c'était  un  sai- 
copha[;e,  ([uoi  qu'en  dise  Ferreti),  ayant  été  ouvert ,  son  corps 
futreiiouv.'  entier  et  presque  sans  corruption;  une  douce  ex- 
pression respir  iit  encore  dans  ses  traits,  et  il  était  si  bien  conservé, 
que  l'oii  i^ouvait  encore  distinp,uer  les  veines  les  plus  déliées. 
Des  med:cins  l'exnminèrent  soigneusemenf ,  et  un  notaire  dressa 
un  procès-verbal  auihentique  de  l'état  dans  lequel  on  l'avait 
trouvé,  et  des  superbes  habits  pontificaux  qui  le  recouvraient.  On 
trouve,  à  ce  sujet,  de  ])lus  grands  détails  dans  Rubœns  ^.  Or,  il 
est  certain  que  la  nature  ne  guérit  ni  ne  cicatrise  les  blessures 
une  fois  qu'où  est  mort  ;  et  cependant  on  ne  trouva  pas  sur  sa  tête 
la  moindre  trace  de  ces  blessures  ;  la  peau  était  inlacte  ;  quant  aux 
mains,  que  l'on  pi  étend  avoir  été  rongées,  «.lies  étaient  si  parfaites, 
«  qu'elles  remplirent  d'admiialion  tous  ceux  qui  les  virent.  » 

Il  est  teuis  de  terminer.  Nous  e^^  avons  assez  dit,  ce  nous  sem- 
ble, pour  préumnii-  les  lecteurs  contre  les  assertions  tranchantes 
des  historiens  sur  des  matières  semblables.  Toutefois,  que  l'on 
nous  permette  encore  une  ou  deux  remarques.  Quoique  le  carac- 
tère de  Boniface  fût,  pans  aucun  doute,  austère  et  inflexible,  il  n'y 
a  aucune  preuve  qu'il  ait  été  cruel  ou  porté  à  la  vengeance. 
Quand  il  envoya  Jean  de  Palestrine  vers  le  cardinal  Colonne  ,  il 
pouvait  facilement  envoyer  une  compagnie  de  ses  gardes,  qui 
l'auraient  traîné  devant  lui.  Quand  les  Colonne  parurent  en  sa 


•  «  Mori,  secondochè  per  più  si  disse,   di  rabbia ,   e  mamcandosi  le 
mani.  »  —  Paoli  di  Piero,  Ubi  sup.,  p.  65. 
"  P.  3aî. 


CONTRK    BOMFACr.    VI 11.  /|T 

présence,  à  R'iéti,  ils  étaient  entièrement  en  son  pouvoir;  cepen- 
dant il  ne  leur  fit  aucun  mal.  Ce  fait  ne  lenverse-l-il  pas  les  insi- 
nuations de  Sismondi,  qui  l'accuse  d'avoir  cherché  à  les  tuer?  De 
plus,  i.\  oublia  les  torts  de  Guido  de  3Iontefe!tro  et  de  Rugp,ieri 
d'Oria,  autre  tnnemi  mortel  de  l'Eglise  '.  Quand,  après  avoir  été 
délivré,  il  renua  dans  Rome,  au  milieu  d'un  liiotnphe.  sans 
exemple  jusqu'alors,  le  cardinal  Stéphanésius  nous  apprend  que  le 
peuple  saisi?:  un  de  ses  principaux  ennemis  (Muratori  suppose  que 
cet  ennemi  éts\it  Sciarra  Colonne  ou  Nogaret},  et  le  traîsia  devant 
lui  :  il  pouvait  facilement  s'en  défaire  ;  cependant  il  lui  pardonna 
et  le  renvoya  '.  De  même,  quant  frère  Jacopone  tomba  entre  ses 
mains,  il  le  traita  avec  douceur,  et  se  contenta  de  l'enfermer, 
tandis  que  d'autres  auraient  jugé  qu'il  avait  mérité  la  mon  par 
sa  conduite  ^  Ces  exemples  de  clémence  et  de  bonté,  auxquels 
nous  pourrions  en  ajouter  d'autres,  doivent  contribuer  puissam- 
ment à  faire  apprécier  le  caractère  de  Boniface. 

De  plus,  nous  n'avons  pas  trouvé  dans  les  écrits  de  ses  ennemis, 
même  les  plus  hostiles,  la  plus  légère  insinuation  contre  sa  con- 
duite sous  le  rapport  des  mœurs,  ce  qui  prouve  beaucoup  en  sa 
faveur,  si  l'on  se  rappelle  qu'il  a  été  attaqué  avec  plus  de  fureur 
qu'aucun  autre  des  souverains  pontilés.  L'accusation  d'avarice,  si 
souvent  portée  contre  lui,  tombe  devant  la  libéi alité  qu'il  déploya 
dans  les  dotations  ecclésiastiques,  et  les  présens  qu'il  lit  aux 
Eglises,  et  spécialement  à  celle  de  Saint-Pierre.  Sa  justice  parait 
avoir  été  universellement  reconnue.    Hallam  atteste  l'équité  de 


'  Quesli  Ruggieri  dell'  Oria  era  molto  stato  gran  nemicodeîla  Chiesà  e 
de!  re  Carlo,  al  quale  a  prego  délia  reina  e  di  don  Jacomo,  Bonfazio  che 
allora  era  papa,  hcnignamente  a  graziosamente  perdonô.  Paolino  di 
Piero.  p.  5o. 

»  Ubi  Slip.,  p.  439- 

^  Voir  l'histoire  admirable  de  ce  saint  homme  (quoiqu'il  eut  été  égaré 
par  un  zèle  malentendu)  dans  le  iC^  vol.  du  délicieux  ouvrage  de  Digby 
{Mores  Catholici) ,  \i.  407- Les  pages  précédentes  sont  consacrées  à 
Guido  dcMontefeltro. 


^8  Arr.i;fi\T»o.\sr.oNT.nF.   BOMFvr.K  \in. 

soa  jui^emcnl  eiUrc  rAnf»,1cteirc  el  la  France  '.  Il  réconcilia  les 
républiques  de  Gènes  et  de  Venise  ;  et  toutes  ses  né|;ocialioiis 
tendaient  conslamnient  à  rétablir  la  paix  entre  les  puissances. 
Ses  déniarclies,  n/ênie  les  plus  éner^jiqnes,  n'avaient  pas  d  autre 
bat.  Florence,  au  rapport  <le  Dino  Compaj",ni,  le  chargea  de  pro- 
noncer quelle  compensation  elle  devait  à  Giano  délia  lîella  '.  Les 
liabilans  de  Bologne,  ainsi  que  nous  l'apprend  Matliieu  de  Grif- 
lonibus,  lui  envoyèrent  trois  ambassadeurs,  et  il  fut  choisi  pour 
arbitre  enireeux,  Ferrare  et  Modène  ^  Vellelri  le  nomma  po- 
destat, ou  son  {gouverneur  principal.  Pise ,  par  un  mouvement 
spontané,  lui  confia  le  gouvernement  de  sa  républit^ue,  et  lui 
paya  un  tribut  annuel  ;  et  quand  il  lui  envoya  un  gouverneur,  il 
lui  fit  promettre  par  seiiuent  d'observer  ses  hji^,  tt  d'employer 
l'argent  qu'il  toucherait  pour  la  défense  de  l'étal  '.  Enfin,  Flo- 
rence, Orvieto,  Bologne,  lui  firent  élever  à  grands  fais  des  sta- 
tues pour  lui  témoigner  leur  reconnaissance  et  leur  admiration  '. 
Nous  ne  parlerons  pas  de  ses  talens  littéraires;  personne  ne  les  lui 
a  contestés,  et  le  sixième  livre  ô.es  Décrétalcs  les  préconisera  aussi 
longtems  que  subsistera  PEgUse  de  J.-C,  qui  a  des  promesses 
d'immorlalité, 

Tjie  Di'nL)>  rîEuiEvv,  V.  XT,  n.  \Mi,  p.  !j!\\-'j\ç^. 


■  Europe  irt  the  Middl^  ^ges;  nbi  su  p. 

'  Cronica^  lib.  i,  dan?;  R.  I.  S.,  t.  ix,  p.  478. 

'  Mcnioriale  JJislon'cum.  Ilnd.,  t.  xviii,  p.  i5l. 

*  Rul).,  vx  Arcliiv.  S.  Aiig.^^.  90. 

''  «  Diclo  anno  (i?>oi;  statua  sive  imago  Papae  Honifacii  viir,  pnsita 
fuit  in  paiatio  Hindi.  ')  Croiiica  di  /Jologna  ddu'^  B.  I.  S.,  loin,  xvni, 
pj»i^e:,o',. 


i;  VIi(j.\\Ll5Mt    CO-ML.MIUIIAI.N.  /jO 

UalioiuUiôiuc  contemporain. 

PREMIÈRE  ETIDE;  M.  COUSIN. 

r  PARTJE;  M.  COtSIN  JUGE  PAR  SES  PAIRS. 


O:: 


9v"vcmtci'    article 


Jugement  de  M.  Gatien-Arnout. 

De  la  inélljoile  eccicctiquc. — Ses  défauls.  —  Exposition  du  svslcinc 
otilologique  de  M.  Cousin.  Panlliéisme.  —  Fatalisme.  —  Coniu.ent 
M.  Cousin  entend  nos  mystères.  —  Pvésullat  de  son  enseignement. 


Après  avoir  été  successivement  disciple  de  Condillac  ,  de 
M.  Laiomignière,  de  M.  Royer-Collnid ,  des  Ecossais,  de  Kant, 
de  Platon  et  de  Proclus  ,  M.  Cousin,  méditant  sur  ces  variations 
de  son  esprit,  pensi  qu'elles  venaient  de  ce  que  tous  les  systèmes 
sont  en  partie  vrais  et  en  pariie  faux.  Il  prononça  dès  lors  le  mot 
d'EclecLisnie^  comme  il  le  raconte  lui-mèine. 

Eclectisme  signifie  choix.  En  llièse  f>énérale ,  choisir  suppose 
cinq  choses;  savoir  :  que  l'objet  cherché  est  au  nombre  des  objets 
actuellement  existans;que  ces  objets  sont  à  notre  disposition; 
que  nous  savonà  quel  objet  nous  cherchons;  que  nous  savons 
comment  il  faut  le  chercher;  que  nous  savons  enfin  à  quels  si- 
p,nes  le  reconnaître.  Dans  l'ordre  particulier  de  la  philosophie, 
l'Eclectisme  suppose,  1**  que  la  vérité  philosophique  est  au  nom- 
bre des  opinions  émises  jusqu'à  ce  jour;  2°  que  ces  opinions  nous 
sont  toutes  connues;  3"  que  nous  savons  bicu  quel  est  l'objet  do 


50  KATIO.NALISME     COiN'J  K.MPORAIN  ; 

la  philosophie;  -4°  que  nous  savons  quelle  est  la  nié(h(ije  pliilo- 
sopliique;  5°  enfin,  que  nous  savons  à  quel  signe  se  reconnaît  la 
vérité  philosophique. 

Oi,  premièrement,  si  M.  Cousin  a  affirme  que  la  véiité  philoso- 
phique est  au  nombre  des  opinions  émises  jusqu'à  ce  jour,  il  ne 
l'a  nullement  prouvé  ;  car  sa  théorie  de  Terreur,  qui  lui  sert  de 
première  preuve  à  rmon\  outre  qu'elle  n'est  pas  la  vraie  théorie 
de  Terreur,  ne  prouve  pas  ^  car  son  tableau  historique  des  opi- 
nions passées,  qui  est  sa  seconde  preuve  à  posteriori,  outre  qu'il 
est  très  incomplet  est  souvent  infidèle  ;  ne  prouve  pas,  car  son  ta- 
bleau du  présent,  dans  lequel  il  montre  les  peuples  d'Europe  s'ac- 
cordant  pour  chercher  à  concilier  tous  les  élémens  du  passé  dans 
un  système  de  politique  pondérée,  mêlée  d'anarchie,  d'aristocra- 
tie et  de  démocratie  ,  qui  est  sa  troisième  preuve,  ne  prouve  pas. 

Secondement,  M.  Cousin  a  dit  lui-même  plusieurs  fois  qu'il  ne 
connaissait  pas  les  opinions  de  l'Orient,  antérieures  aux  tems  de 
la  Grèce.  Les  premiers  tems  de  la  Grèce  ne  sont  guère  moins  in- 
connus. On  discute  tous  les  jours  sur  les  véritables  opinions  de 
Platon  et  d'Arisiote.  Tous  les  sophistes  donnent  lieu  à  autant  de 
discussions  qu'ils  en  soutenaient  eux-mêmes  autrefois.  Les  Ale- 
xandrins, les  Pères  de  l'Église,  les  Scholastiques,  sont  souvent 
cités  ',  mais  qui  les  Ut?  Quand  on  veut  dire  avec  vérité  ce  que  l'on 
a  sérieusement  pensé,  l'on  est  forcé  de  proclamer  qu'une  grande 
partie  des  opinions  philosophiques  est  une  vaste  inconnue. 

Troisièmement,  il  n'est  pas  très  facile  de  savoir  quel  est  l'objet 
même  de  la  philosophie,  tel  que  M.  Cousin  le  donne  à  concevoir 
en  ses  derniers  ouvrages.  «  Car,  selon  lui,  les  idées  sont  les  seuls 
»  objets  pi  opres  de  la  philosophie,  et  les  idées  sont  la  pensée  sous 
»  sa  forme  naturelle,  la  forme  adéquate  de  la  pensée,  la  pensée 
»  elle-même  se  comprenant  et  se  connaissant  ;  les  idées  n'ont 
»  qu'un  seul  caractère,  c'est  d'être  intelligibles,  et  elles  sont  seu- 
«  les  intelligibles-,  elles  ne  représentent  rien,  absolument  rien 
»  qu'elles-mêmes,  et  seules  elles  existent  :  les  idées  sont  Dieu;  et 
)»  la  philosophie  est  le  culte  des  idées  seules,  et  elle  est  essentiel- 
»  lement  identique  à  la  religion.» 

Quatrièmement,  iM .  Cousin  ne  dit  que  quelques  mots  sur  la  ma- 


M.  COUSIN.  51 

iiièie  (1  oludier  l'histoire  deîaphilosopliie.  En  revanche,  il  s'étend 
longuement  sur  la  méthode  à  suivre  pour  découvrir  en  soi  et  par 
soi  la  vérité  philosophique. 

Cinquièmement,  enfin  M.  Cousin  ne  dit  nulle  part  à  quel  signe 
on  peut  reconnaître  la  vérité  philosophique,  parmi  les  opinions 
mêlées  de  vrai  et  de  faux. 

Donc,  trois  conséquences  suivent  de  là  :  —  Li  première  ,  c'est 
que  M.  Cousin  n'a  pas  démontré  la  vérité  du  principe  fondamen- 
tal de  l'Eclectisme.  Soumis  à  l'analyse,  ce  principe  paraît  vrai  seu- 
lement dans  ce  sens  :  que  l'homme  n'adopte  aucune  erreur  qui 
n'ait  quelque  affinité  avec  la  vérité.  Il  est  faux  dans  les  autres 
sens. — La  seconde  conséquence  est  que  M.  Cousin  n'a  pas  pu 
appliquer  son  principe  d'Eclectisme  :  car  il  avoue  li'avoir  étudié 
qu'une  partie  de  l'histoire  de  la  philosophie,  et  peut-être  que, 
quelquefois,  même  celle-là,  il  l'a  étudiée  dans  un  esprit  un  peu 
systématique  :  son  siège  était  fait.  —  La  troisième  conséquence 
est  que  M.  Cousin  n'a  pas  voulu  appliquer  son  principe  d'Eclec- 
tisme. Cela  est  démontré  par  l'analyse  de  la  méihode  recomman- 
dée par  M.  Cousin,  par  l'indication  de  la  marJie  qu'il  suit  habi- 
tuellement, et  surtout  par  l'exposé  du  système  qu'il  a  enseigné  eu 
dernier  lieu. 

Ce  dernier  système  de  M.  Cousin  est  d'une  incontestable 
beauté  comme  œuvre  d'art  et  de  construction  logique.  En  voici  la 
charpente  '  : 

Exposision  méthodique  du  système  de  M.  Cousin. 


Définitions,  La  substftnce  est  ce  qui  ne  suppose  rien  au-delà 
de  soi  relativement  à  l'existence  ,  ou  ce  qui  est  en  soi  et  par  soi, 

•  Les  quelques  remarques  dont  j'accompagne  ici  l'exposition  méthodi- 
que du  système  de  M.  Cousin  ne  sont  pas  toutes  les  objections  qu'on 
peut  lui  faire  :  mais  elles  sont  fondamentales.  On  fera  bien  cependant 
de  lire  l'exposition  du  système  il'un  seul  trait  et  de  ne  s'occu|>er  de  cep 
remarques  qu'à  une  seconde  lecture. 


52  l'.AiiuAALi.sjii:  cu-^TEMi»ouAL\  ; 

suivant  l'étymologie,  ens  in  se  cl  pjr  se  suhsislens  (  suhituns^  suh- 
stanlia  '  ). 

Ce  qui  ne  suppose  rien  au-delà  de  soi,  relativement  à  l'exis- 
tence, est  dit  absolu  ou  iniini. 

^éxiume.  Deux  absolus  ou  infinis  sont  absurdes. 

Sj  lloglsinc.  La  substance  est  absolue  ou  infinie ,  suivant  la  défi- 
nition. 

Or,  l'absolu  ou  l'infini  est  un,  suivant  l'axiome.  Donc,  la  sub- 
stance est  une,  ou  il  n'y  a  qu  une  seule  substance  -. 

Scholie.  Substance  et  être  sont  deux  ternies  synonymes. 


Il 


Dé/initions.  Dieu  est  l'êire,  comme  l'a  si  bien  dit  3roise  :  je  suis 
celui  qui  suis,  c'est-à-dire  l'être  en  soi  et  par  soi  absolu. 

L'absolu  ou  infini  est  dit  nécessaire. 

Axiome.  Modus  essendi  sequilur  esse.  L'être  a  ses  modes  ,  qui 
sont  de  même  nature  que  lui. 

Sjllogisme.  Dieu  est  l'être  nécessaire,  suivant  la  définition. 

Or,  l'être  nécessaire  a  des  modes  nécessaires,  suivant  raxiomc. 

Donc  Dieu  a  des  modes  nccessaircs\ 


'  Eîi  définissant  ainsi  la  substance,  M.  Cousin  a  donné  à  ce  mot  un 
sensdiderent  de  celui  qu'on  lui  donne  ordinairement;  il  en  avait  le 
droit.  Mais  dans  la  suite  il  sen  est  servi  dans  le  sens  ordinaire;  il 
ne  le  devait  pas.  Gylle  duplicité  de  sens  pmir  le  même  mot  engendre 
Tune  de  ses  erreurs  fondamentales,  le  panthéisme. 

'  Cette  doctrine  n'est  autre  que  le  panihcismc  de  Spinosa.  De  pluail 
est  à  remarquer  que  le  priucijie  logique  de  la  doctrine  de  Spinosa  fut 
aussi  une  définition  de  la  substance,  que  M.  Cousin  i\a  guère  fait  que 
répéter. 

3  M.  Cousin  tombe  encore,  au  sujet  du  mot  nécessaire,  dans  la  même 
faute  qu'il  a  comn)ibC  sur  le  mol  Aubsi:iNC€.  Celte  seconde  faulc  amène 
sa  seconde  erreur  fondamcntab  ,  \ii  faudisnic  uruVciscî. 


M.    C0L51^.  Oo 


111. 


Définition.  Les  modes  de  Dieu  sont  des  idées. 

Or,  1"  cil  tant  qu'être  infini  et  un,  Dieu  a  nécessaireineiU  l'idée 
d'unité  et  d'iuûni. 

2**  Dieu  n'a  pas  celte  idée  sans  le  savoir  ;  mais  il  sait  Jiécessai- 
rement  son  mode  comme  il  se  sait  lui-même.  En  tant  qu'èire  sa- 
chant en  mèmetems  qu'être  su,  Dieu  est  deux.  La  dualité  est  va- 
riété. Le  divers  est  fini.  L'idée  de  variété  et  de  fini  est  la  second 
idée  de  Dieu. 

3°  Ces  deux  idées  n'existent  pas  en  Dieu  sans  lien  ni  union  ; 
mais  un  intime  rapport  les  unit  nécessairement,  procédant  dc; 
rune  et  de  l'autre,  et  coéxislant  à  toutes  deux.  L'idée  de  ce  rap 
port  de  rimlté  à  la  variété  et  de  l'infini  au  fini  est  la  troisième 
idée  de  Dieu. 

El  ces  trois  idées  sont  les  trois  modes  nécessaires  de  l'être  né- 
cessaire, absolu,  infini,  qui  est  l'être  en  soi  et  par  soi,  ou  l'unique 
substance.  Pour  désigner  ces  idées  à  ceux  qui  écoutent,  on  est 
obligé  de  les  nommer  l'une  après  l'autre ,  successivement  ;  mais, 
en  réalité  ,  il  n'y  a  point  de  succession  entre  elles  ;  elles  existent 
simultanément;  et  tout  ensemble,  Dieu  est  unité,  variété  et  rap- 
port de  Vanité  à  la  variété  ;  ensemble,  il  est  infini,  Jîni  et  rapport 
du  fini  à  V  infini;  unité  qui  se  développe  eniriplicité,  et  triplicité  nui 
se  résout  en  unité;  unité  de  triplicité  qui  est  seule  réelle  ;  mais  qui 
périrait  tout  entière,  sans  une  seule  de  ses  trois  idées.  Car  ces  trois 
idées  sont  les  modes  de  Dieu,  nécessaires  comme  lui,  ayant  tous 
même  valeur  et  constituant  ensemble  une  unité  indécomposable. 
Tel  est  Dieu,  et  ce  Dieu  n'est  pas  autre  que  le  Dieu  de  Platon,  le 
Dieu  de  l'orthodoxie  chrétienne  ,  le  Dieu  que  prêche  le  caté- 
chisme aux  plus  pauvres  d'esprit  et  aux  plus  petits  d'entre  les  en- 
fans  ^ . 


'  Sur  loiil  ceci ,  voici  trois  remarques  : 

1'  Ilyadabord  un  sophisme  peu  contestuhle.   3f,  Cousin  dit  :  Les 
idées  bOiil  les  modes  de  Dieu,  concedo.   Ur  les  idées  d'inliiii,.  de  liui.  cl 
•II'  iÛ.IE.    lOME  VI.  —  ÎN  "  ol.  1812.  4 


54  RATIONALISME  COJNTEMPOUAIIV  ; 

IV. 

Définitions.  Le  phénomène  est  ce  qui  suppose  quelque  chose 
au-delà  de  soi,  relativement  à  l'existence  ,  en  quoi  et  par  quoi  il 
est'. 

La  cause  est  ce  qui  fait  que  le  phénomène  existe. 

Scholie.  Ce  qui  fait  que  le  phénomène  existe  est  la  même  chose 
que  ce  que  le  phénomène  suppose  au-delà  de  soi,  lelativetncnt  à 
l'existence.  Ces  deux  propositions  sont  synonymes. 

Phénomène  et  etfet  sont  aussi  deux  termes  synonymes. 


de  rapport  du  fini  à  Tinfini  sont  en  Dieu, cowce^o.  Donc  Dieu  est  infini, 
fini,  et  rapport  du  fini  à  l'infini,  nego.  C'est  comme  si  je  disais  :  les  idées 
sont  les  modes  de  l'esprit  humain  :  or,  les  idées  de  Dieu,  du  monde  et 
du  rapport  du  monde  à  Dieu  sont  dans  l'esprit  humain.  Donc  l'esprit 
humain  est  Dieu,  le  monde  et  le  rapport  du  monde  à  Dieu.  Mais  cette 
dernière  proposition  n'est  nullement  incluse  dans  les  prémisses.  La 
conclusion  légitime  est  seulement  que  les  idées  de  Dieu,  du  monde  et 
du  rapport  de  Dieu  au  monde  sont  dans  l'esprit  humain. 

2"  Dieu  à  la  fois  infini,  fini  et  rapport  du  fini  à  1  infiai,  ett  un  assem- 
blage de  mots  dont  les  idées  répugnent  à  se  concilier.  —  D'un  autre  côté, 
le  Dieu  à  la  fois  infini,  fini  et  rapport  de  l'infini  au  fini  ne  peut  guère 
être  que  l'univers  dont  il  ne  se  distingue  pas.  Un  Dieu  qui  n'est  pas 
distinct  de  l'univers  ressemble  fort  à  la  négation  de  Dieu ,  comme  un 
esprit  qui  n'est  pas  distinct  des  organes  lessemble  fort  à  la  négation  de 
l'esprit.  Le  panthéisme  de  M.  Cousin  est  au  moins  frère  de  l'athéisme. 

"5"  Quoiqu'on  puisse  faire  voir  beaucoup  de  choses  dans  Platon  et  sur- 
tout dans  un  mystère,  il  est  cependant  permis  de  douter  que  la  Trinité, 
selon  M.  Cousin,  puisse  jamais  être  montrée  ni  dans  la  prétendue  tri- 
nité  platoniciene,  ni  dans  la  Trinité  catholic|iie, 

*  Cette  définition  du  phénomène,  par  ^I.  Cousin,  doune  lieu  à  la  même 
remarque  que  la  définition  de  la  substance,  ainsi  que  l'usage  qu'il  fait 
ensuite  de  ce  mot.  Ces  deux  fautes  n'en  fout  qu'viue  et  engendrent  la 
même  erreur,  le  panthéisme. 


M.  COUSIN. 


55 


axiome.  Tout  phénomène  suppose  au-delà  de  soi  la  subslance. 

Corollaire.  La  substauce  est  cause. 

S^T  llogisme.  Les  objets  dont  Fenseuible  esl  le  monde,  et  ceux 
dont  Tensenible  fsl  l'iiuiiianilé,  sont  ries  phénomènes,  suivant  la 
définition  :  car  chacun  d'eux  suppose  quelque  chose  au-delà  de 
soi,  relativement  à  l'existence. 

Or,  les  phénomènes  se  rapporientà  la  substmce  et  à  la  cause 
qui  est  Dieu,  suivant  l'axiome  et  ce  qui  précède.  Donc,  le  monde 
et  l'humanité  sont  les  phénomènes  de  Dieu. 

V. 

L'apparition  des  phénomènes  de  Dieu  est  la  création. 
Les  phénomènes  de  Dieu  ont  le  même  caractère  que  lui. 
C'est  pourquoi  la  création  est  nécessaire,  absolue  et  infinie*. 

VL 

La  création  ,  manifestation  de  Dieu,  le  manifeste  nécessaire- 
ment tel  qu'il  est  avec  ses  idées  ou  ses  modes. 

C'est  pourquoi ,  1"  le  monde  en  général,  première  partie  de  la 
création,  est  nécessairement  un.  L'idée  d'un  et  d'infini ,  qui  est 
un  mode  nécessaire  de  Dieu,  est  aussi  un  mode  nécessaire  du 
monde. 

^°  Le  monde  e>t  nécessairement  divers.  L'idée  de  variété  et 
d'infini,  qui  est  un  mode  nécessaire  de  Dieu,  est  aussi  un  mode 
nécessaire  du  monde. 

3°  Le  monde  est  nécessairement  alliance  d'unité  et  de  variété 
(un  et  divers,  iini-i^ers). 

L'idée  du  rapport  dt;  la  variété  à  l'unité  et  du  fini  à  l'infini,  qui 


*  Les  idées  de  création  et  à'irifini  sont  contiadicloires.  Une  créature 
infinie  ne  serait  pas  une  créature;  un  infini  créé  ne  serait  pas  un  infini. 
Le  panthéisme  supprime  de  tait  la  création.  M.  Cousin  a  supprimé  la 
chose,  tout  en  laissant  le  mot. 


56 

est  un  mode  nécessaire  de  Dieu ,  est  aussi  un  mode  nccessaiie  du 
monde. 

Cette  unité,  cetle  variété,  et  ce  rapport  de  Tunilé  à  la  variélc  , 
est  la  vie  du  monde,  sa  durée,  son  harmonie  et  sa  beauté  :  c'est 
aussi  ce  qui  fait  le  caractère  bienfaisant  de  ses  lois. 

De  même  dans  l'asuonomie^  h  physique  et  la  mécanique,  il  y 
a  nécessairement  : 

1*  Loi  d'attraction  :  c'est  l'idée  d'unité  et  d'infini; 

2°  Loi  d'expansion  :  c'est  l'idée  de  variété  et  de  fini  ; 

3^  Rapport  de  l'attraciion  à  l'expansion  :  c'est  l'idée  du  rapport 
de  l'unité  à  la  variété,  et  de  l'infini  au  fini. 

De  même  dans  la  chimie  et  la  physiologie  végétale  et  animale  , 
il  y  a  nécessairement  : 

1o  Loi  de  cohésion  et  d'assimilation  :  c'est  l'idée  d'unité  et 
d'infini  ; 

2o  Loi  d'incohésioti  et  de  dissiinilation  :  c'est  l'idée  de  va- 
riété  et  de  fini  ; 

3°  Rapport  de  la  cohésion  et  de  Tassimilation  à  leurs  con- 
traires :  c'est  l'idée  du  rapport  de  l'unité  à  la  variété,  et  du  fini  à 
l'infini. 

De  même,  enfin,  dans  la  simple  géographie  ,  il  y  a  nécessaire- 
ment :*  —  1°  De  f;randesmers,  de  grands  fleuves,  et  des  plaines 
immenses  :  unité  et  infini  ;  —  2*  de  petites  mers,  des  ruisseaux  , 
des  collines  et  des  vallées  :  variété  et  fini;  —  3°  Le  rapport  de 
toutes  ces  clioses  :  rapport  de  l'unité  à  la  variété,  et  de  l'infini 
au  fini. 

Tel  est  le  monde,  manifestation  nécessaire  de  Dieu,  don»  il 
représente  nécessairement  les  modes  ou  les  idées  '. 

•  Presque  tout  ceci  est  plein  d'esprit;  mais  ce  n'est  qu'un  jeu  d'ima- 
gination; des  idées  flottantes  avec  des  mots  dorés.  Sans  doute  les  grands 
faits  naturels,  cités  par  M.  Cousin,  sont  vrais  ;  mais  s'il  demandait  sé- 
rieusement à  un  physicien  ce  qu'il  pense  de  sa  raison  de  la  loi  d'attrac- 
lion  des  corps,  ou  à  un  chimiste  ce  qu'il  pense  de  sa  raison  de  la  loi  de 
coheaioM,  f|tie  rc]iondraiail  ces  bavans.' 


AI.  COUSIN .  57 

VIT. 

Il  n'en  est  pas  autrement  tle  rimmanilc  ,  seconde  partie  de  h 
création. 

C^est  pourquoi ,  1^  la  vie  de  riiumanite'  s'écoule  nécessaire- 
TTient  suivant  des  lois  immuables  et  générales  :  c'est  l'idée  d'unité 
et  d'infini. 

2»  Les  lois  se  développent  nécessairement  en  faits  changeans  et 
particuliers  :  c'est  l'idée  de  variété  et  de  fini. 

3°  Les  faits  se  rapportent  nécessairement  aux  lois  :  c'est  l'idée 
du  rapport  de  l'unité  à  la  variété,  et  de  l'infini  au  fini. 

Ainsi  l'humanité  a  traversé  deux  civilisations  :  elle  vit  la  troi- 
sième. 

lo  La  première  civilisation  a  été  celle  de  l'immobile  Orient  : 
idée  d'unité  et  d'infini  ; 

2^  La  seconde  a  été  celle'de  la  mobile  Grèce  :  idée  de  variété  et 
de  fini. 

3°  La  troisième  est  la  civilisation  moderne  ,  idée  du  rapport 
de  l'infini  au  fini.  —  Par  une  suite  nécessaire  ,  la  première  de  ces 
civilisations  s'est  écoulée  aux  lieux  qui  représentent  eux-mêmes 
l'idée  d'un  et  d'infini;  la  seconde  dans  ceux  qui  représentent  l'i- 
dée de  variété  et  de  fini  ;  la  troisième  a  son  siège  principal  dans 
la  terre  de  France,  mélange  d'unité  et  de  variété,  qui  repre'sente 
l'idée  du  rapport  de  l'infini  au  fini. 

Ainsi,  au  sein  de  l'humanité,  les  peuples, 

1°  Tantôt  vivent  sous  un  ordre  despotique  :  unité  et  infini  ; 

2"  Tantôt  sont  emportés  au  sonfîle  d'une  liberté  anarchique  : 
variété  et  fini  ; 

3°  Ou  bien  s'arrêtent  dans  un  évat  qui  concilie  la  liberté  et 
l'ordre  :  rapport  de  l'unité  et  de  l'infini  à  la  variété  et  au  fini,  etc.  \ 

'  Plusieurs  des  faits  humanitaires  et  sociaux  cités  ici  ne  sont  pas  vrais  : 
d'autres  ne  le  sont  qu'avec  des  restrictions.  Mais  quand  même  ils  le  se- 
raient tous,  complètement,  L^  raison  qu'en  donne  INI.  Cousin  n'en  est  pa 
moins  imaginaire  que  dans  le  cas  précédent. 


58  R  vTioN  \[,isMr:  contrmpor  \in  ; 

Ainsi,  au  sein  des  peuples,  ceux  f|u'oii  appelle  les  grands 
hommes 

1°  sont  les  représenlans  du  peuple  :  unité  et  infini; 

2°  sont  eux-mêmes  individus:  variété  et  fini  ; 

3°  sont  à  la  fois  représentons  du  peuple  et  individus  :  rapport 
de  l'unité  à  la  vaiicté.  ~  «<  Le  grand  homme  est  peuple  et  lui 
»  tout  ensemble  ;  il  est  l'identité  de  la  généralité  et  de  l'indivi- 
»  dualité  dans  une  mesure  telle  que  la  généralité  n'étouffe  pas 
»  l'individualité,  et  qu'en  même  tems  l'individualité  ne  détruit 
»  pas  la  généralité  en  lui  donnant  une  force  nouvelle.  Il  n'est  pas 
»  seulement  un  individu  ,  mais  il  se  rapporte  à  une  idée  générale 
»  qu'il  détermine  et  réalise....  Le  grand  homme  est  l'harmonie 
»  delà  particularité  et  de  la  ge'néralité  ;  il  n'est  grand  homme  qu'à 
»  ce  prix,  à  cette  double  condition  de  représenter  l'esprit  général 
»  de  son  peuple,  et  de  le  représenter  sous  la  forme  de  la  réalité  , 
»  de  telle  sorte  que  la  généralité  n'accable  pas  la  particularité  ,  et 
»  que  la  particularité  ne  dissolve  pas  la  généralité  ;  que  la  parti- 
»  cularité  et  la  généralité,  l'infini  et  le  fini,  se  fondent  dans  cette 
»  vraie  grandeur  humaine.  >» 

Ainsi,  tous  les  individus,  grands  ou  petits,  ont  nécessairement 
trois  facultés  : 

1°  La  raison,  dont  le  caractère  est  l'universalité  et  l'absolu: 
unité  et  infini  ; 

2°  La  sensibilité,  dont  le  caractère  est  l'opposé  :  variété  et  fini; 

3°  La  liberté  dont  l'office  est  de  concilier  la  raison  et  la  sensi- 
bilité: rapport  du  fini  à  l'infini  '. 

Ainsi,  dans  la  sensibihté,  il  y  a  nécessairement  : 

1°  L'égoïsme,  qui  est  puissance  de  concentration  :  unité  et 
infini  ; 

2°  La  sympathie,  qui  est  puissance  d'expansion  :  variété'  et 
fini; 


•  Cette  théorie  des  facultés  de  l'esprit,  extrêmement  vague  et  géné- 
rale, n'a  vraiment  pas  de  valeur  scientifique.  Elle  ne  s'adapte  aux  faits 
qu'en  se  torturant  et  en  les  torturant  eux-mêmes. 


M.  COUSl.N.  59 

3°  L'alliance  de  IVgoïsnie  et  de  la  sympathie  :  rapport  de  l'u- 
nité à  la  variété. 

Ainsi,  dans  la  raison,  il  y  a  nécessairement  : 

!•  La  spontanéité',  qui  voit  l'objet  entier  d'une  vue  totale  ou 
synthétique  :  unité  et  infini  ; 

2°  La  réflexion,  qui  le  voit  partiellement  en  détail  ou  analyti- 
quement;  variélé  et  fini  ; 

3°  L'alliance  de  la  spontanéité  et  de  la  réflexion  rapport  de 
l'infini  au  fini. —  La  spontanéité  est  révélation  primitive,  foi, 
religion,  poésie  et  inspiralioa  ;  la  réflexion  est  examen  de  la  ré- 
vélation, science,  philosophie,  prose  et  méditation;  la  troisième 
est  alliance  de  l'inspiration  et  de  la  méditation,  de  la  révélation 
et  de  l'examen,  de  la  science  et  de  la  foi,  de  la  religion  et  de  la 
philosophie,  de  la  poésie  et  de  la  prose. 

Ainsi,  parmi  les  systèmes  philosophiques  nés  de  la  raison,  il  y 
a  nécessairement  : 

1°  L'idéalisme,  qui  ne  voit  que  l'esprit  simple  et  un  :  unité  et 
infini  ; 

2°  Le  matérialisme,  qui  ne  voit  que  la  matière  multiple  et  plu- 
rielle :  variété  et  fini  ; 

3"  La  conciliation  du  matérialisme  et  de  l'idéalisme  :  rapport 
du  fini  et  de  l'infini. 

Ainsi  enfin  les  lois  de  la  raison,  ses  élémens  ou  ses  idées  sont 
nécessairement  : 

1°  L'un  et  l'infini; 

2^  Le  varié  et  le  fini; 

3°  Le  rapport  de  l'un  au  varié,  de  l'infini  au  fini  ;  et  toutes  les 
connaissances  ou  sciences  humaines  ne  sont  que  le  développe- 
ment nécessaire  de  ces  idées,  de  ces  élémens  et  de  ces  lois  ^.  Car 


'  Si  on  reste  dans  le  vrai,  cela  veut  dire  seulement  que  les  objets 
perçus  par  nous  sont  finis;  que  chacun  d'eux  nous  suggère  l'idée  de  quel- 
que chose  d'infmi,  et  que  nous  concevons  les  objets  finis  comme  exi 
stant  dans  l'infini  et  par  l'infini  ;  mais  qu'il  y  a  loin  de  ces  propositions  à 


(»()  i:a  rir>\\î.i<;>ir  roNTrMprmAiN  : 

\a  riil'.nn  qu'on  opprlle  lninuliie  on  do  l'iioinme  ne  |.rm  pn^. 
»  ue  ilisiinclo  de  l.i  raison  qiron  appelle  divine  ou  de  Dieu.  Elle 
lui  est  nécessairement  identique,  et  elle  n'est  humaine  que  par 
cela  seulement  qu'elle  fait  son  apparition  dans  l'iiommo,  phéno- 
mène nécessaiie  de  Dieu. 


YIII. 


L'apparition  de  Dieu  dans  l'homme,  par  sa  raison,  Xoyoç,  ou  son 
verbe  ,  est  l'objet  du  dorjme  de  Dieu  fait  homme,  ou  de  La  raison 
incarnée,  ou  du  Verbe  fait  chair.  Cette  incarnation  est  nécessaire, 
perpétuelle,  universelle  ou  catholique;  elle  a  toujours  eu  lieu 
dans  le  passé,  en  chaque  homme,  à  chaque  instant  delà  vie 
(le  chaque  homme  ;  elle  a  de  même  toujours  lieu  dans  le  présent, 
elle  aura  de  même  toujours  lieu  dans  l'avenir.  Tous  les  hommes 
sont  frères  du  Christ,  c'est-à-dire  que  ce  que  le  catéchisme  ensei- 
f^ne  de  lui  seul  est  rigoureusement  vrai  de  chacun  d'eux. 

Sans  l'apparition  du  Verbe  divin  dans  la  chair  humaine,  ou 
«sans  l'incarnation  de  la  divinité  dans  l'humanilé,  celle-ci  serait 
vile,  petite,  dégradation  et  néant.  Mais  le  verbe  s'inearnant  en 
elle  l'anoblit,  l'agrandit  ,  la  relève  et  la  rachète.  Ce  rachat  est 
l'objet  du  dogme  de  la  rédemption,  identique  à  l'incarnation, 
comme  elle  nécessaire,  perpétuelle,  universelle  ou  catholique. 

Et  ce  Verbe  rédempteur  et  incarné,  à  la  fois  Dieu  et  homme, 
substance  divine  dans  une  forme  humaine  ,  cire  infini  ,  éternel, 
immense  ,  dans  un  phénomène  fini ,  passager  et  local,  est  aussi  le 
médiateur  nécessaire  entre  l'homme  et  Dieu.  Nul  ne  peut  aller  à 
Dieu  que  par  le  Christ:  c'est-à  dire  que  chaque  honmie  se  rat- 
tache \\   Dieu  pnr  la  raison ^  qui  est  le  /.oyo:  ou  le  verbe.  Mais  le 


celles  qui  font  les  sciences  humaines!...  et  comme  elles  ne  les  aident 
guère!...  Elles  sont  daillours  le  principal  fondement  du  svstrme  de 
M.  Consin. 


M.   COUSIN".  61 

vevhp  ('t.iit  bien  avant  qu'Abraham  (ni  né,  Pt  11  continuo  d'èlrr 
avec  chaque  homme  jusqu'à  la  fin  des  siècles;  car  le  verbe  est 
riionune  même,  et  l'homme  et  le  verbe  sont  Dieu. 

Tel  est  le  système  de  M.  Cousin,  dont  la  beauté,  comme  œuvre 
dWt,  est  incontestable. 

^  III.  Mais,  comme  œuvre  de  science,  à  combien  d'objections  ce 
système  ne  donne-t-il  pas  prise?  Elles  sont  telles  qu'il  ne  peut 
p,uère  être  soutenu  dans  aucune  de  ses  parties. 

Cependant,  en  exposant  ce  système,  et  généralement  par  son 
enseignement,  M.  Cousin  a  rendu  de  grands  services  à  la  science. 
Les  principaux  sont  :  V  D'avoir  mis  en  honneur  l'étude  de  l'his- 
toire de  la  philosophie  ;  2»  d'avoir  agrandi  le  cercle  de  la  philoso- 
phie, qu'on  étouffait  jusque  dans  les  limites  de  la  psychologie; 
3"  d'avoir  complété  l'affranchissement  de  la  philosophie  elle- 
même,  qu'on  garrottait  encore  trop  dans  les  langes.  Voilà  le  bien. 
—  Voici  le  mal  : 

Un  grand  mal  intellectuel,  fait  par  iM.  Cousin,  a  été,  sans  con- 
tredit, de  fortifier,  dans  la  jeunesse  qui  l'écoutait  ou  le  lisait,  la 
tendance  cotnmune  aujourd'hui  à  se  contenter  de  grands  mots 
fju'on  ne  comprend  pas,  à  ne  parler  que  par  formulas  ou  prin- 
cipes absolus,  et  à  préférer  en  tout  ces  aperçus  vagueset  généraux, 
qui  ne  sont  pas  sans  beauté,  mais  beauté  stérile,  et  qui  cache  trop 
souvent  une  ignorance  réelle  sous  un  faux  semblant  de  science, 
haillons  de  misère  sous  les  oripeaux  dorés  du  charlatan.  C'est  le 
costume  du  Louvre  et  l'habit  à  la  mode,  je  le  sais  trop,  par  expé- 
rience aussi  peut-être.  M.  Cousin  ,  qui  avait  si  bien  tout  ce  qu'il 
fallait  pour  lutter  avaniageusetnent  contre  ce  despotisme  ,  a 
courbé  la  lèle^  il  a  sacrifié  à  la  mode,  et,  en  lui  sacrifiant,  dans  sa 
haute  position,  il  a  augmenté  la  réputation  du  faux  dieu  ,  et 
rendu  plus  difficile  d'abattre  son  idole.  Que  le  vrai  Dieu  lui  par- 
donne! 

Les  résultats  de  son  enseignement  ont  encore  été  funestes  à  la 
morale  par  quelque  point.  Sa  doctrine  du  panthéisme  fataliste  et 
optimiste  ne  tend  à  rien  moins  qu'à  tuer  la  vertu  dans  son  prin- 
cipe, qui  est  la  croyance  aux  devoirs  de  lutter  contre  le  malheur  et 
le  mal.  C'est  dans  cette  lutte,  noblement  soutenue,  que  consiste  la 


62  RATIONALISME    CONTEMPORAIN. 

beauté  du  caractère  ;  trop  de  gens  ont  cru  apprendre  de  M.  Cou- 
sin à  la  regarder  comme  une  chimère  et  une  niaiserie  :  ils  agissent 
en  conséquence. 

Enfin  ,  sous  le  point  de  vue  religieux,  il  n'est  parvenu  qu'à 
faire  des  athées,  parlant  mal  clirëlien ,  et  parodiant  le  catholi- 
cisme. Beaucoup  de  ceux  qui  avaient  été  ses  disciples  se  sont  faits 
Saint-Simoniens. 

GATIEN  ARINOUT, 
Professeur  de  philosophie  à  la  Faculté  de  Toulouse. 

Extrait  du  livre  de  M.  Gatien  Arnout,  intitulé:  Doctrine  /philoso- 
phique, etc. 


LITTÉRATURE  HfNDOUl.  63 

«\\>v\'»\\Mv\% w \\> \>% v-^/vw^ www» vv\v\^/v%A v\^\\\'v\\\\\ w% WA  'vv■»^A/^^^^^\^^l^■\^,'v\'\\^w\<^^'»'\^^ 

Cittcrature  nri^ntalr. 
Histoire 

DE  LA 

LITTÉRATURE  HINDOUI  ET  HINDOUSTANI, 

Par  m.  GARCIN  DE  TASSY. 


TOME  I.  BIOGRAPHIE  ET  BIBLIOGRAPHIE  '. 

Beautés  de  cette  langue.  —  Extraits  faisant  connaître  les  sectes  religieu- 
ses. —  Sectes  reconnaissant  l'unité  de  Dieu.  —  Secte  des  Kabîr;  — 
des  Sikhs  ;  —  des  Dâdù  ;  —  des  Birbhan  ou  des  Sâdh.  —  Les  12  com- 
mandemens;  sectes  sceptiques.  —  Vie  de  la  Yierge  par  un  auteur 
hindoustaai.  TTT 

Parmi  le  grand  nombre  de  langues  parlées  dans  les  cinq  par- 
ties du  monde,  et  qui  semblent  isoler  les  différens  peuples  en 
empêchant  les  communications  faciles,  il  en  est  quelques-unes 
qui,  propagées  par  la  conquête,  la  religion  ,  la  science  ou  le 
commerce,  dominent  des  espaces  de  terrain  considérables  et  ser- 
vent de  lien  commun  qui  rattache  plusieurs  de  ces  nations  et  fa- 
cilite les  transactions  mutuelles.  Tel  est  le  latin  pour  tous  les 
peuples  de  l'Europe  et  pour  l'univers  catholique ,  l'arabe  pour 
la  plus  grande  partie  de  l'Asie  et  de  l'Afrique  et  pour  tous  les 
peuples  qui  professent  l'islamisme ,  le  malai  pour  les  îles  du 


•  Grand  in-8°.  Paris ,  chez  Benjamin  Duprat ,  rue  du  cloître  saint 
Benoît,  7;  Constant  Potelet,  rue  Hautefeuille  ,  4i  et  Y«  Dondey-Dupré, 
rue  Vivienne,  2.  —  Londres  ,  chezW.  Allen  et  compagnie,  Leadenhall- 
Street,  7. 


tVi  HïîiTOHir  Dr.  lA  TiTiin  VT(  m- 

{;ran<l  océan;  te]  est  riiinJoustaui  pour  la  prcs(iM'ile  eii-ilerà 
du  (/an^je,  où  règne  du  reste  un  assez  grand  nombre  d'idiomes 
plus  ou  moins  homogènes. 

Cependant,  il  est  peut-être  encore  en  France  des  amis  de  la  lit- 
térature qui  ignorent  qu'il  existe  au-delà  du  Sindh  une  langue 
riche  et  harmonieuse  dans  laquelle  se  sont  exprimés  et  s'expri- 
ment encore  une  foule  d'auteurs  de  tous  genres  :  poètes,  prosa- 
teurs, historiens,  philosophes,  théologiens,  dont  plusieurs  méri- 
teraient d'être  plus  connus  en  Europe  j  langue  com))arativement 
moderne,  il  est  vrai ,  car  elle  s'est  formée  précisément  à  la  même 
époque  où  les  langues  de  notre  Occident  s'élaboraient  sur  les  dé' 
bris  du  latin,  du  celte  et  du  tudesque  ,  mais  qui ,  plus  tôt  que  le 
français,  a  su  s'émanciper  et  sortir  des  langes  de  l'enfance  Quel- 
ques voyageurs  ignorans  ou  maussades  l'avaient  taxre  de  jargon 
en  la  confondant  avec  le  patois  informe  articulé  dans  les  ports  de 
mer,  ou  en  lui  reprochant  sa  triple  et  quadruple  origine,  sans 
réfléchir  que  le  sanscrit,  le  persan  et  l'arabe,  qui  lui  ont  donné 
naissance,  sont  précisément  les  trois  langues  les  plus  belles,  les 
plus  riches  et  les  plus  harmonieuses  de  toute  l'Asie. 

IMais  cette  langue  s'est  vengée  de  ce  reproche  outrageant  en 
continuant  de  produire  des  œuvres  remarquables  en  tous  genres; 
l'Europe  l'en  a  vengée  aussi  en  cultivant  sa  littérature,  en  tradui- 
sant SOS  auteurs  ,  en  l'enseignant  publiquement.  Si  l'Angleterre 
n'est  pas  venue  la  première  à  son  secours,  elle  a  plus  fait  pour 
elle  que  les  autres  peuples,  car  la  nature  de  ses  relations  dans  les 
In  les  lui  en  rendait  la  connaissance  nécessaire  ;  les  travaux  de 
John  Fer^usson,  du  capitaine  Taylor,  du  capitaine  Roebuck,  du 
docteur  Gilchrist,  et  du  laborieux  Shakespear  :  ce  dernier  prépare 
en  ce  moment  à  Londres  la  quatrième  édition  de  son  savant  et 
volumineux  dictionnaire. 

Or,  pendant  que  cette  littérature  est  si  florissante  en  Angleterre 
et  dans  ses  possessions  indiennes  ,  c'est  à  peine  si  l'on  en  con- 
naissait le  nom  en  France  ,  il  y  a  quelques  années.  Si  l'on  réfle'- 
chit  cependant  aux  anciennes  relations  des  Français  dans  l'Hin- 
doustan,  aux  établissemens  qu'ils  y  ont  encore  ,11  y  a  lieu  de 
s'étonner  qu'on  se  soit  si  peu  occupé  d'une  langue  dont  la  con- 


Ill-NIJULI   LT   lILMJOLsTAINl.  65 

iiiissaiice  iio  pourrait  qu'influer  avantageuseiiioiit  sur  la  diplo- 
matie et  lecoiiîinerce.  Ajoutons  que  l'iiindoustani  étaiu  répandu 
dans  presque  toute  cette  vaste  péninsule,  il  ne  doit  pas  être  indif- 
férent à  la  religion  d'y  initier  les  apôtres  qu'elle  envoie  dans  ces 
populeuses  contrées  :  et  c'est  la  France  qui  fournit  la  plus  grande 
partie  des  missionnaires  catholiques  dans  l'Inde. 

Mais  cette  lacune  a  été  comblée  il  y  a  quelques  années  ;  le  gou- 
vernement a  senti  la  nécessité  de  faciliter  aux  Français  les 
moyens  d'apprendre  cette  langue,  et  il  a  érigé  une  chaire  d^hin- 
douslani  à  la  Bibliothèque  royale,  à  côté  des  autres  pour  les  lan- 
gues orientales.  L'enseignement  en  a  été  confié  à  M.  Garcia  de 
Tassy,  qui ,  depuis  1828,  le  professe  avec  autant  de  science  que 
de  dévouement.  Jaloux  de  remplir  consciencieusenienl  les  devoirs 
de  sa  charge,  il  a  consacré  une  partie  de  sa  fortune  à  éditer  les 
ouvrages  les  plus  nécessaires  pour  initier  ses  élèves  à  une  parfaite 
connaissance  de  cette  langue  '. 

L'  Histoire  de  la  littérature  hitidoui  et  hindoustani  donne  le  dé- 
menti le  plus  formel  à  ceux  qui  ont  prétendu  que  ces  langues  ne 
valaient  pas  la  peine  d'être  étudiées;  car  on  peut  considérer  cet 
ouvrage  comme  une  vaste  et  brillante  galerie,  où  plus  de  sept 
cent   cinquante  écrivains  viennent  lour-à-tour  poser  devanî  le 


'  Les  ouvrages  publiés  par  M.  G.  de  Tassy,  pour  riiiadouslani  seule- 
ment,  sont  :  \°  Rudimcns  de  la  langue  hindoustani^  in-4,  182g;  2" 
jippendicf.  au  même  ouvrage,  contenant  entre  autres  des  lettres  hin- 
doustani originales,  accompagnées  d'une  traduction  et  de  fac-similé , 
i855.  5*^  Les  OEui'res  de  JFall^  poète  du  Décan.  Te\{c ,  fac-sirnile ,  tra- 
duction et  notes;  in-4  »  '854  ;  4*"  I-es  Aventures  de  Kdmrûp.  Texte  et 
traduction,  in-8,  i854  et  55;  5^  Manuel  de  t auditeur  du  cours  d  hin- 
doustani, on  ihèmes  gradués,  accompagnés  d'un  vocabulaire  français- 
hindoustani ,  et  du  corrigé,  in-8  ,  iS56  ;  6°  Histoire  de  la  littératuie,  etc. 
On  peut  y  ajouter  :  Mémoire  sur  les  particularités  de  la  religion  mu- 
sulmane dans-  rjnde,el  un  grand  nombre  d'articles  insérés  dans  le 
Journal  amitif/uc  el  dans  d'autres  recueils  ùcicutiiiquc^. 


GG  HISTOIRE  DE  LA  LITTERATURE 

lecteur,  historiens,  philosophes,  ascètes,  théologiens^  poètes,  im- 
provisateurs, satyriques,  romanciers,  grammairiens.  Au  simple 
énoncé  de  ces  différens  genres,  on  serait  tenté  de  croire  que  la 
plupart  ne  rentrent  pas  dans  le  cadre  des  Annales  ;  on  se  trom- 
perait :  rOrierit  est  essentiellement  religieux  ;  là  Dieu  est  dans 
tout,  et  il  est  bien  peu  de  livres  qui  n'offrent  quelque  chose  pour 
la  nourriture  de  l'âme.  Les   romans  eux-mêmes  sont  théoso- 
phiques;  les  Orientaux  ne  les  considèrent  pas  seulement  comme 
des  récits  destinés  seulement  à  récréer  l'esprit,  mais  comme  des 
paraboles  instructives  propres  à  former  le  cœur  et  à  élever  Tâme  : 
aussi  le  lecteur  européen  qui  les  parcourt  pour  la  pi  emière  fois 
voit-il  avecéionnement  la  narration  interrompue  de  tems  à  au- 
tre par  l'auteur  pour  faire  des  événemens  qu'on  vient  de  lire  une 
application  à  la  vie  intérieure.  Mais  ce  sont  les  poètes,  surtout, 
qui  se  plaisent  à  rappeler  et  à  célébrer  Dieu  dans  leurs  vers.  On 
serait  dans  une  étrange  erreur  si  l'on  s'imaginait  que  tel  poète 
arabe,  persan  ou  hindoustani ,  a  célébré  dans  un  gazai  ou  une 
qacida  le  vin,   l'amour  ou  la  beauté  ;  ce  sont,  en  y  ajoutant  le 
mythe  incesssamment  renouvelé  du  rossignol  et  de  la  rose,  au- 
tant d'allégories  dans  lesquelles  le  poète  timoré,  craignant,  pour 
ainsi  dire,  de  profaner  le  nom  de  Dieu  en  le  prodiguant  dans  ses 
chants,    enveloppe  des  idées  dont  le  sens  n'échappe  point  au 
lecteur  asiatique.  Nous  avons  aussi,  nous  autres,  un  exemple  cé- 
lèbre de   genre,  exemple  venu  pareillement  de  l'Orient,  c'est  le 
Cantique  de  Salomon ,  oeuvre  toute  spirituelle  et  toute  chaste  , 
blasphémée  par  quelques  impies  de  notre  Europe,  mais  sur  la- 
quelle les  Orientaux  n'ont  jamais  pris  le  change. 

Quelques-uns,  cependant,  parlent  sans  jQgure  :  ainsi,  pour  ne 
citer  que  des  poètes  pris  dans  l'ouvrage  de  M.  G.  de  Tassy,  c'est 
Jawdnde  DeJdi,  qui  s'écrie  en  s'adressant  à  Dieu,  dans  un  élan 
digne  d'un  Chrétien  :«  0  beauté  aussi  brillante  que  l'éclair  I 
»  montre  sans  retard  ton  éclat;  pourquoi  te  caches- tu?»  C'est 
Jahdnddr  Schdh^  prince  royal ,  qui  exhale  ses  gémissemens  dans 
un  style  biblique  :  <'  Ne  m'interrogez  pas  sur  ce  que  nous  faisons 
»  en  passant  dans  le  monde  ,  le  désir  de  le  posséder  nous  con- 
w  sume,  et  nous  mourons  souvent  au  milieu  de  notre  course. 


HINDOUI  ET  HliNDOUSTANI,  67 

»  Nous  restons  une  nuit  seulement  dans  cette  maison  de  deuil, 
»  et,  comme  la  bougie,  nous  nous  consumons  en  brûlant.  Ja- 
»  hândàr  I  nous  nous  sommes  attachés  aux  idoles  de  chair  ;  mais, 
»  Dieu  aidant,  nous  approchons  de  notre  éternelle  demeure  (  où 
»  nous  jouirons  d'un  objet  plus  digne  de  nous.)  »  CVst  Raunac 
qui  soupire  dans  le  même  style  v  «  Je  n'ai  pas  la  force  d'élever 
»  mon  désir  au-delà.  En  pleurant  j'ai  perdu,  comme  le  papillon, 
>>  ma  vie  dans  le  chagrin  :  hélas  I  ô  bougie  du  matin  !  je  n'ai  pas 
»  la  force  de  faire  différemment.  Comment  serai-je  découragé  par 
»  l'effet  de  l'épreuve  que  tu  me  fais  subir  ?  je  n'ai  pas  de  moi- 
»  même  la  force  delà  supporter;  mais  si  tu  me  fais  miséricorde, 
»  ô  mon  Dieu  I  cela  me  suffit.  »  Guldm-i-Muhammad  Dost,  s'a- 
dressant  au  Seigneur  dans  une  ode  mystique,  exprime  cette 
belle  sentence  :  «  Celui  qui  n'a  pas  ton  amour  dans  le  cœur  est 
»  infidèle.  A  quoi  sert  la  langue  si  on  ne  l'emploie  à  s'entretenir 
M  avec  toi  ?  » 

Mais  ce  qui  doit  surtout  intéresser  les  lecteurs  des  Annales,  ce 
sont  les  divers  systèmes  religieux  des  novateurs  qui  surgissent 
dans  rinde  de  tems  à  autre,  et  qui,  la  plupart,  ont  une  tendance 
marquée  à  se  rapprocher  de  la  vérité.  Nous  trouvons,  à  ce  sujet, 
des  documens  fort  curieux  dans  l'ouvrage  qui  nous  occupe  :  on 
nous  saura  gré  de  les  passer  en  revue. 

Le  premier  en  date  est  Kahîr,  qui  ,  vers  la  fin  du  15^  ou  au 
commencement  du  16'  siècle,  de  simple  tisserand  devint  le  chef 
d'une  secte  connue  sous  le  nom  de  Kahir-Panthî.  «  Tous  ses  ou- 
»  vrages,  dit  M.  G.  de  Tassy,  respirent  la  croyance  ferme  eu  l'u- 
»  nité  de  Dieu  et  l'horreur  de  ridolâlrie.  Il  les  a  adressés  aux 
»  Hindous  aussi  bien  qu'aux  Musulmans.  Il  y  tourne  en  ridicule 
»  les  Pandit  et  les  Sâstra  ,  aussi  bien  que  les  MuUâ  et  le  Coran... 
>»  Il  prêcha  une  réforme  complète,  et  son  zèle  ne  fut  pas  sans 
«succès,  puisque,  dans  les  provinces  du  Bengale  ,  du  Bihâr, 
»  d'Aoude  et  de  Malwa,  on  trouve  encore  un  grand  nombre  de 
»  Kabîr-Panthî,  remarquables  par  la  simphcité  de  leurs  mœurs 
>»  et  par  leur  bonne  conduite.  » 

Adnak-Schdh  florissait  à  peu  près  dans  le  même  tems  ,  et  a 
donné  naissance  à  la  fameuse  secte  des  Sikhs.  Il  a  développé 


(38  niSlOIlŒ  DE  L\   LlTTlînATLr.i: 

son  système  dans  un  ouvioge  nomuié  Graiilli ,  ou  le  LivTd  par 
excellence  ;  on  y  trouve  bien  des  choses  empruntées  aux  doc- 
irinos  de  Rabîr.  «  Ce  livre  enseigne  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu  tout- 
»  puissant  et  présent  partout,  qui  remplit  tout  l'espace  et  pé- 
»  nèlre  toute  la  matière  ,  et  qu'on  doit  l'adorer  et  l'invoquer  ; 
»  qu'il  V  aura  un  jour  de  rétribution,  où  la  vertu  sera  récom- 
»  pensée  et  le  vice  puni.  iSon-seulement  jVanak  y  commande  la 
»  tolérance  universelle,  mais  encore  il  défend  de  disputer  avec 
»  ceux  d'une  autre  croyance.  Il  défend  aussi  le  meurtre,  le  vol  et 
»  les  autres  mauvaises  actions  ;  il  recommande  la  pratique  de 
»  toutes  les  vertus,  et  principalement  une  philanthropie  univer- 
>.  selle,  et  l'hospitalité  envers  les  étrangers  et  les  voyageurs,  m 

Vient  ensuite  Dadii^  de  la  classe  des  cardeurs  de  laine;  il  en- 
sei'^na  à  la  tin  du  16'  siècle  ;  ses  écrits  ont  beaucoup  de  ressem- 
blance avec  ceux  de  Kabîr,  auxquels  il  tit  pareillement  des  em- 
prunts, ^"ous  reproduisons  ici  quelques  passages  extraits  par 
31.  G.  de  Tassy  du  chapitre  sur  la  Fui,  du  livre  des  Dddd-Panlîii. 

a  Que  la  foi  en  Dieu  caractérise  toutes  vos  pensées,  vos  paroles, 
»  vos  actionj.  Celui  qui  sert  Dieu  ne  place  sa  confiance  en  rien 

»  autre. 

.1  Si  le  souvenir  de  Dieu  était  dans  vos  cœurs,  vous  seriez  capa- 
»  pables  d'accomplir  des  choses  qui,  sans  cela,  seraient  imprati- 
»  cables  ;  mais  ils  sont  en  bien  petit  nombre  ceux  qui  recher- 
»  client  la  voie  qui  conduit  à  Dieu 

»  0  insensés  I  Dieu  n'est  pas  loin  de  vous;  il  en  est  proche. 
»  Vous  êtes  ignorans  ,  maiîi  il  connaît  toutes  choses,  et  il  distri- 
"  bue  ses  dons  à  son  gré 

»  Prenez  telle  nourriture  et  tel  vêtement  qu'il  plaira  à  Dieu  de 
>•  vous  départir.  Vous  n'avez  besoin  de  rien  autre.  Contentez- 
>»  vous  du  morceau  de  pain  que  Dieu  vous  accorde 

).  Méditez  sur  la  nature  de  vos  corps,  qui  ressemblent  à  des  va- 
»  ses  de  terre,  et  mettez  en  dehors  tout  ce  qui  ne  se  rapporte  pas 
«  à  Dieu. 

»  Tout  ce  qui  est  la  volonté  de  Dieu  arrivera  assurément;  en 
'•  conséquence  ne  détruisez  pas  votre  vie  par  l'anxicté,  mais  at- 
''  tendez. 


UliNDLUl   ET    Hl-NDOUSTA.M.  G9 

»  Quel  espoir  peuvent  avoir  ceux  qui  abaudonueiit  Dieu , 
))  quand  même  ils  parcourraient  toute  la  terre  ?  0  insensé  I  les 
»  hommes  justes,  qui  ont  médité  sur  ce  sujet,  vous  disent  d^aban- 
»  donner  tout  excepté    Dieu,  puisque  tout  est  afïïiclion. 

»  Crois  en  la  vérité  ,  fixe  ton  cœur  en  Dieu,  et  Immilie-toi, 
»  comme  si  tu  étais  mort... 

)^  Pour  ceux  qui  aiment  Dieu,  toutes  les  choses  sont  exlrème- 
»  ment  douces  ;  jamais  ils  ne  les  trouveront  amères,  quand  même 
»  elles  seraient  pleines  de  poison  ;  Lien  au  contraire,  ils  les  ac- 
>'  ceptent  comme  si  c'était  de  l'ambroisie.  Si  on  supporte  Tad- 
»  versité  pour  Dieu ,  c'est  bien  ;  mais  il  est  inutile  de  faire  du 
»  mal  au  corps...'. 

»  L'esprit  qui  n'a  pas  la  foi  est  léger  et  volage ,  parce  que  , 
i>  n'e'tantfixéparaucunecertitudCjilchanged'une  chose  à  l'autre... 

»  Ne  condamne  rien  de  ce  que  le  Créateur  a  fait  :  ceux-là  sont 
»  ses  saints  serviteurs  qui  sont  satisfaits  de  lui... 

»»  Dadû  dit  :  Dieu  est  mon  gain,  il  est  ma  nourriture  et  mou 
»  soutien.  Par  sa  subsistance  spirituelle  tous  mes  membres  ont 
»  été  nourris...  Il  est  mon  gouverneur,  mon  corps  et  mon  âme. 
»  Dieu  prend  soin  de  ses  créatures  ,  comme  une  mère  de  son 
»  enfant...  0  Dieu  I  tu  es  la  vérité;  accorde-moi  le  contentement 
w  l'amour  ,  la  dévotion  et  la  foi.  Ton  serviteur  Dâdû  te  demande 
»  la  vraie  patience,  et  vient  se  consacrer  à  toi.  » 

Birhhdn^  reconnu  comme  le  fondateur  de  la  secte  des  Sddk 
ou  des  Puritains,  répandit  sa  doctrine  vers  le  milieu  du  l/"  siècle; 
elle  a  été  réduite  en  douze  commandemens,  que  nous  reprodui- 
sons ici  :  on  remarquera  l'identé  de  plusieurs  d'entre  eux  avec 
ledécalogue  des  Juifs  et  des  Chrétiens,  d'où  ils  sont  tirés. 

«<  1.  Ne  reconnaissez  qu'un  Dieu  qui  vous  a  créé  et  qui  peut 
»  vous  anéantir,  auquel  aucun  être  n'est  supérieur,  et  que  seul, 
n  par  conséquent,  vous  devez  adorer.  Il  ne  faut  donc  rendre  au- 
»  cun  culte  ni  à  la  terre ,  ni  à  la  pierre,  ni  au  métal,  ni  au  bois, 

•  Parées  dernières  paroles,  les  i?rt^M-^a«<Ai'coadamnent  les  rigueurs 
souvent  excessives  et  meurtrières  que  les  ascètes  des  religions  brahma- 
niqueet  bouddhique  infligent  à  leurs  corps. 

m''  SÉRIE,  TOME  VI  —  N^  .31 .  184-2.  5 


70  HISTOIRE  DE    LA    LlTTÉllATl'KE 

»  ni  aux  arbres,  ui  enfin  à  aucune  cliose  créée.  Il  n'y  a  qu'un 

»  Seigneur  et  le  Verbe  du  Seigneur.  Celui  qui  aime  le  mensonge  et 
»  pratique  la  fausseté,  celui  qui  commet  le  crime  tombe  en  enfer. 

)»  2.  Soyez  humble  et  modeste.  JNe  placez  pas  vos  affections  en 
»  ce  monde.  Attacbez-vous  fidèlement  au  symbole  de  la  foi; 
»  évitez  d'avoir  des  rapports  avec  ceux  qui  ne  sont  pas  de  votre 
»  religion  ;  ne  mangez  pas  le  pain  de  l'étranger. 

»  3.  Ne  mentez  jamais.  Ne  parlez  jamais  mal  en  aucun  tems, 
»  ni  d'aucune  chose  ;  de  la  terre  et  de  l'eau  ,  des  arbres  et  des 
»  animaux.  Employez  votre  langue  à  la  louange  de  Dieu.  Ne 
»  volez  jamais  ni  richesses,  ni  terre, ni  animaux  ,  ni  leur  pâture. 
»  Respectez  la  propriété  d'autrui ,  et  soyez  content  de  ce  que 
»  vous  possédez.  Ne  pensez  jamais  au  mal.  Que  vos  yeux  ne  se 
»  fixent  pas  sur  des  objets  indécens  en  fait  d'hommes,  de  fem- 
»  mes,  de  danses,  de  spectacles. 

»  4.  N'écoutez  pas  de  mauvais  discours  ,  ni  lien  autre,  si  ce 
»  n'est  les  louanges  du  Créateur.  N'écoutez  ni  contes ,  ni  bavar- 
»dages,  ni  calomnie,  ni  musique^  ni  chant ,  excepté  celui  des 
»  hymnes. 

»  5.  Ne  désirez  jamais  rien,  ui  pour  votre  corps,  ni  en  fait  de 
•  richesses.  Ne  prenez  pas  celles  d'un  autre.  Dieu  donne  toutes 
0  choses;  vous  recevrez  en  proportion  de  votre  confiance  en  lui. 

>»  6.  Lorsqu'on  vous  demande  qui  vous  êtes,  déclarez  que  vous 
»  êtes  Sddh  ;  ne  parlez  pas  des  castes  ;  ne  vous  engagez  pas  dans 
»  des  controverses.  Soyez  ferme  dans  votre  foi,  et  ne  mettez  pas 
»  votre  espérance  dans  l'homme. 

')  7.  Portez  des  vêtemens  blancs  ,  n'employez  ni  fard ,  ni  col- 
»  lyre,  ni  opiat ,  ni  menhdi;  ne  vous  faites  aucune  marque  sur  le 
»  corps,  ni  aucun  signe  dislinctif  des  sectes  sur  le  front;  ne  por- 
»  tez  pas  de  chapelet,  ni  de  rosaire,  ni  de  joyaux. 

»  8.  Ne  mangez  ni  ne  buvez  jamais  aucune  substance  eni- 
»>  vrante,  ne  inàthez  pas  de  buiel,  ne  respirez  pas  de  parfums,  ne 
»  fumez  pas  de  tabac,  ne  mâchez  ni  ne  sentez  de  l'opium  ;  ne  te- 
»  nez  pas  vos  mains  levées,  et  n'inclinez  pas  votre  tète  devant^des 
>»  idoles  ou  des  hommes. 

»  9.    Ne  commettez  point  d'homicide  ;  ne  faites    violence  à 


HINDOU l    ET    HINDOUSTANI.  Kh 

V  personne  ;  ne  donnez  point  de  témoignage  capable  de  faire  con- 
"  damner  un  accusé;  ne  prenez  rien  par  force 

»  iO.  Qu'un  homme  n'ait  qu'une  femme,  et  une  femme  un 
w  seul  mari;  que  la  femme  obéisse  à  l'homme. 

M  11.  Ne  prenez  pas  le  costume  d'un  mendiant  ;  ne  sollicitez 
»  pas  d'aumônes,  et  n'acceptez  pas  de  présens.  Ne  craignez  pas  la 
»  nécromancie  et  n'y  ayez  pas  recours.  Connaissez  avant  d'avoir 
»  confiance.  Les  assemblées  des  gens  pieux  sont  les  seuls  lieux  de 
»  pèlerinage.  Saluez  ceux  d'entre  eux  que  vous  rencontrerez. 

»  12.  Que  les  Sddh  ne  soient  pas  superstitieux  quant  aux  jours, 
»  aux  lunaisons,  aux  cris  et  aux  figures  des  oiseaux  et  des  qua- 
»  drupèdes.  Qu'ils  ne  cherchent  que  la  volonté  de  Dieu.  » 

»  Nous  voyons,  par  ce  qui  précède  ,  continue  M.  G.  de  Tassy, 
que  les  Sddh,  qu'on  peut  nommer  les  unitaires  indiens,  n'adorent 
que  le  Créateur  seul.  Ils  le  nomment  ^ilkara^  ou  l'auteur  de  la 
vertu,  et  Satndniy  c'est-à-dire  le  vrai  Nom.  A  cause  de  cette  der- 
nière expression ,  qu'ils  appliquent  à  la  divinité,  on  les  nomme 
quelquefois  Satndmi  j  mais  cette  dénomination  s'applique  spé-^ 
cialement  à  une  autre  secte.  Leur^culie  est  extrêmement  simple. 
Ils  rejettent  toute  espèce  d'idolâtrie.  Ils  ne  vénèrent  pas  le  Gange 
plus  que  les  autres  rivières.  Toute  espèce  d'ornemens  leur  est 
défendue.  Ils  ne  saluent  pas  et  ne  prêtent  pas  serment.  Ils  se  pri- 
vent de  tous  les  usages  du  luxe,  tels  que  tabac,  bétel,  opium  et 

vin.  Ils  n'assistent  jamais  aux  spectacles  des  bayadères Les 

villes  où  il  y  a  le  plus  de  Sddh  sont  Dehli,  Agra,  Zaïpur,  Farru- 
khâbâd.  Us  tiennent  une  grande  réunion  annuelle  dans  l'une  de 
ces  villes.  » 

L'unité  de  Dieu  a  encore  été  enseignée  entre  autres  par  Bdbd' 
Ldl,  et  par  Rdm  Mohan  Rdé,  mort  il  y  a  peu  d'années  à  Londres, 
et  dont  les  travaux  et  la  croyance  sont  déjà  connus  de  nos  lec- 
teurs ^ 

Nous  aurions  à  enregistrer  ici  un  grand  nombre  d^autres  ré- 
formateurs indiens,  si  le  plan  de  l'auteur  n'eût  été  de  donner  la 
biographie  de  ceux-là  seuls,  qui  ont  écrit  en  hindoui  ou  en  hin- 
doustaui. 

'  Voir  Annales,  t.  vu,  p.  363;  t.  ix,  p.  421,  «t  t.  xvm^  p.  42. 


i'i  liiaruiKI-    DE    J^A.    iMiTLKAlUlU: 

\  côic  tle  ces  hoinines,  dont  les  systèmes  peuvent  avoir  ies  plus 
heureuses  influences  en  faveur  de  la  véiilc,  nous  voyons  dans  le 
même  ouvrage  un  Bakhtawar  professer  de  désolantes  doctrines 
et  trouver  plus  facile  de  vivre  dans  le  pyrrlionisme  que  de  cher- 
cher à  connaîue  l)ieu  et  l'homme. 

Un  sceptique  d'un  autre  genre  est  Adharn^  qui  a  composé  une 
espèce  de  Vie  des  saints,  dans  laquelle  il  a  introduit  indifférem- 
ment les  dévots  personnages  des  religions  chrétienne,  hindoue  et 
musulmane.  On  y  remarque  entre  autre  la  vie  de  la  sainte  Vierge  ; 
dans  un  manuscrit  du  British  muséum,  la  mère  de  Dieu  est  re- 
présentée dans  un  dessin,  avec  son  fils,  de  la  même  manière  que 
nos  peintres  et  nos  dessinateurs  la  reproduisent.  Les  vers  qui  ac- 
compagnent ce  dessin  rappellent  la  légende  du  Coran  sur  la  nais- 
sance de  Jésus  ;  ils  sont  trop  curieux  pour  que  nous  les  omettions. 

«  Ceci  nous  représente  la  nohle  Marie  lorsque,  après  avoir  mis 
w  au  monde  Jésus  le  Messie,  être  parfait ,  qui  fut  engendré  sans 
«  père,  les  gens  de  sa  famille  étant  venus  la  trouver,  lui  dirent  : 
c  Est-ce  toi  qui  as  mis  au  monde  cet  enfant?  Si  tu  nous  fais  cou- 
»  naitre  la  vérité,  c'est  bien  ;  sinon  n'oublie  pas  que  nous  som- 
ï)  mes  disposés  à  punir  de  mort  le  mensonge.  »  Ayant  entendu 
>»  ces  mots,  elle  dit  sans  émotion  :  «  Gens  de -Nazareth,  pourquoi 
»  m'interrogcz-vous?  Cet  enfant  est  né  de  moi_,  sans  que  j'aie 

»  commis  une  faute »  Comme  néanmoins  on  la  tourmentait 

»  encore ,  elle  ajouta  :  ^  Demandez  à  cet  enfant  lui-même  com- 
»  ment  a  eu  lieu  sa  naissance,  car,  pour  moi,  je  n'en  sais  absolu- 
»  ment  rien  ;  j'en  jure  par  Dieu.  »  Alors  ses  compatriotes  s'a- 
n  dressèrent  à  l'enfant  :  «  Raconte-nous  toi-même,  lui  dirent-ils, 
»  ce  qui  s'est  passé.  »  Jésus  répondit  :  «  Je  suis  prophète,  je  vous 
B  apporte  les  ordres  de  Dieu;  je  suis  le  souffle  du  Très-Haut; 
V  je  suis  l'illustre  Messie.  Ma  mère  est  Marie,  et  mon  père,  c'est 
ft  Dieu.  »  Les  habitans  de  Nazareth  ayant  entendu  ce  discours, 
»>  dirent  à  Jésus  :  «  Fais  un  miracle  pour  que  nous  croyons  à  la 
<'  vérité  de  ce  que  tu  nous  annonces.»)  — a  Eh  bien  I  dit  Jésus,  par 
>t  la  grâce  de  Dieu,  je  ressusciterai  les  morts,  je  rendrai  la  clarté 
»  aux  veux  des  aveugles,  et  la  santé  aux  corps  des  lépreux.  >  Ses 
>  compatriote.%  désireux  d'éprouver  la  vérité  de  cette  assertion, 


ilI.NDOCI    ET    «INDOtSTAM.  73 

»  demandèrent  qu'on  apportât  des  cadavres.  Effectivement,  on  eu 
>•  transporta  un  grand  nondjre  dans  leur  bière,  et  on  les  plaça  de- 
M  vant  Jésus.  11  ne  les  eut  pas  plus  tôt  vus,  que  s'adressant  à  chacun 
»  d'eux  en  particulier,  il  lui  dit  :  «»  Lève-toi,  Dieu  te  le  permet  î» 
»  Alors  tous  ces  cadavres  furent  rendus  à  la  vie.  Tel  fat  l'oidre 
»  de  Dieu.  De  leur  coté,  des  aveugles  accoururent,  dans  l'espoir 
»  de  la  guérisou.  Eu  effet ,  ils  recouvrèrent  tous  la  santé  au  nom 
»  du  Toul-Puissant.  Alors  les  gens  de  ^Nazareth  reconnurent  que 
>»  Jésus  était  vraiment  un  prophète  ;  ils  crurent  et  embrassé- 
»  rent  la  religion  qu'il  annonçait.  Mais  l'enfjnt  alla  se  placer  de 
M  nouveau  entre  les  bras  de  sa  mère ,  qui  l'abreuva  de  son  lait 
»  pur.  Plus  tard,  sa  propre  nation  le  persécuta  ;mais  il  est  inu- 
»  lile  d'entrer  dans  aucun  détail  là-dessus.  A  la  fin,  le  prophète 
>  Jésus  s'étant  délivré  des  mains  du  peuple,  monta  au  ciel,  où  il 
'»  vit  éternellement.  » 

Parmi  les  poètes  hindoustanis ,  nous  avons  remarqué  un  mu- 
sulman converti  au  christianisme  (peut-être  dans  une  secte  pro- 
testante), auteur  d'une  traduction  en  vers  des  dix  connnande- 
mens  de  Dieu  ;  il  se  nomme  Faiz-i-Macîh^  ou  Grâce  du  Christ. 
On  trouve  aussi  dans  cette  langue  un  certain  nombre  de  livres  à 
Tusage  des  chrétiens,  tels  que  catéchismes,  hymnes  ,  traductions 
delà  Bible,  et  surtout  du  nouveau  Testament,  instructions, 
prières,  etc.;  mais  la  plupart  ont  été  publiés  par  les  sociétés  pro- 
testantes. 

Tels  sont  en  partie  les  curieux  renseignemens  que  Ton  trouve 
dans  ce  recueil ,  digne  à  tous  égards  de  trouver  place  dans  une 
bibliodjèque  d'élite  :  aussi  a-til  mérité  d'être  publié  à  l'imprime- 
rie royale  de  France,  sous  les  auspices  de  la  Société  asiatique  de 
Londres.  Le  premier  volume  que  nous  annonçons  forme  à  lui 
senl  un  tout  complet;  mais  il  sera  dans  peu  suivi  d'un  second,  qui 
contiendra  des  extraits  et  des  analyses  des  ouvrages  hindoustanis 
les  plus  remarquables.  Ainsi  rédigée,  cette  œuvre  offre  un  modèle 
que  nous  désirons  voir  suivi  pour  les  autres  littératures  étrangè- 
res; ce  serait,  en  nous  les  rendant  familières,  un  service  inappré- 
ciable rendu  aux  sciences  et  aux  lettres.         L'abbé  BERTRAND, 

de  la  Société  asiatique  de  Paris. 


74  NÉCROLOGIE. 


nécrologU  îr^s  auteurs  morts  pendant  Tannée  i84i, 

AVEC  LA  LISTE  DE  LEURS  OUVRAGES ,  CLASSÉS  PAR  ORDRE 
CHRONOLOGIQUE. 

Suile  ào.  raitide  iaséié  au  n"  30,  t.  t,  p.  l^&Z.) 

Oudol(Char.-Ffan,)...-£6  ans. 

ConvenliouneL  A  laissé  :  Opinion  sur  le  procès  de  Louis  XVl,  M'i^.— Collabora- 
teur de  Carabacérès  au  Code  français, 

Paget  (FélixAméd.),  28  juillet.— "7  ans. 

Né  à  Pierre  CSaÔDe-et-Loire),le  20  fer.  1805,  docteur  en  médecine,  écrivain  fou- 
riérisie,  collaborateur  assidu  du  Phalanstère  et  de  la  Pbalanee.  A  laiié  :  Introduc- 
tion àrélude  de  la  science  sociale,  contenant  un  abrégé  de  la  théorie  sociétaire, 
précédé  d'un  coup  ù'œil  général  sur  l'éîat  de  la  science  sociale  et  sur  le  système 
de  Fourier,  d'Owcn  et  de  l'école  StSimonienne,  in-12,  1859^  deuxième  édi- 
tion, i84i.  Voir  la  liste  de  ses  articles  dans  la  Phalange,  dans  le  n°  i6,  1842,  do 
ce  journal. 

Picot  (Michel-Pierre-Joseph),  14  novembre.  —  72  ans. 

JHé  à  >'euYille-aux-Qoi5  (Loiret)  le  24  mars  1770,  tonsuré  à  Caen  le  10  juin 
1785,  entré  au  grand  séminaire  d'Orléans  en  1785,  professeur  au  petit  séminaire 
diocésain  de  Mung-sur-Loire  :  refuse  le  serment ,  dépose  l'habit  ecclésiastique 
en  179Ô;  est  l'objet  d'un  mandai  d'arrêt  pour  n'aNoir  pas  satisfait  à  la  levée  dçs 
jeunes  gens  de  18  à  23  ans;  inscrit  dans  la  marine,  embarqué  à  Brest  comme 
matelot  puis  iustituieur  des  matelot*, puis  commis  extraordinaire  du  bureau  de  la 
marine  à  Brest,  enfin  licencié  en  1797  ;  —  iusiiluteur  du  fils  de  M.  de  Cbamval- 
lins,  en  juin  1797,  où  il  demeura  9  ans;j)uis  précepteur  des  eufans  du  prince  de 
Beauvau  en  1806  pour  quelques  mois;  publie  la  1'^  édition  des  Mémoires  pour 
servir  à  l'histoire  ecclésiastique  du  IS*"  siècle ,  2  vol.;  1806,  sans  nom  d'auteur. 
(Ces  mémoires  furent  L'ilaqués  en  1811  par  le  livre  inlituîé  :  La  vérité  et  Vinno- 
cence  remuées  contre  les  erreurs  cl  les  impostures  d'un  livre  intitulé  ;  Mémoires, 
etc.,  par  L.  B.  L.,  ancien  professeur  de  théologie  (le  P.  Lambert,  dominicain);  — 
et  par  La  vérité  de  l'histoire  ecclésiastique,  rétablie  par  des  monuinens  authen- 
tiques contre  le  système  d'un  livre,  etc.;  par  un  ancien  magistrat,  M.  Siluy,  tous 
deux  fougueux  jansénislei);—  collabore  nn  Journal  des  curés,  de  1806  à  1807; — 
avec  M.  de  Boulogne  aux  Mélanges  de  philosophie  ,  d^histoire  ,  de  morale  et  de 
littérature,  de  1806  à  1807;  —  et  à  dater  du  l"  mars  1808,  en  devient  le  seul  ré- 
dacteur, et  le  dirige  pendant  trois  ans ,  jusqu'en  1811,  où  la  police  supprima  les 
Mélanyes  ;  publie  une  Notice  sur  la  vie  et  les  écrits  de  M.  Emery,  i811  ;  collabore 
à  la  Pioyraphie  universelle  de  Michaud,  depuis  le  tome  xi,  en  1814,  jusques  et 
y  compris  le  h^  volume  du  supplément  oublié  en  1853  ;  il  y  insère  les  articles  Vi- 
■  derot,  de  Boulogne.  Grégoire,  Tabbé  Lcgris  Durai,  Maury,  cardinal  de  Lati',  etc.; 
publie  ['Ami  de  la  religion  et  du  roi,  le  20  avril  18U;  interrompu  durant  les 
100  Jours;  repris  le  12  avril  I8i5;  publie  les  trois  premiers  volumes  de  la  2- édi- 
tion des  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique,  plus  exac.e,  plus  com- 
plète, jusqu'en  18 15;  un  supplément  contenant  la  liste  chronologique  des  écri- 
vains do  18e  giècle,  considérés  sous  le  rapport  religieux  ;  prend  part  au  1^  sup- 


NÉCROLOGIE.  75 

plément  du  dictionnaire  historique  de  Feller,  en  4  vol.,  en  1819;  membre  da  con- 
seil central  de  la  propagation  de  la  foi  dès  1823. —  Publie  la  rie  des  dames  fran- 
çaises les  plus  illustres  du  iT  siècle,  pour  les  services  qu'elles  ont  rendus  à  la 
religion,  ou  Essai  historique  sur  l'influence  de  la  religion  en  France  pendant  le 
<7e  siècle,  2  Tol.  in-8, 18-24  ;  —  publie  les  Sermons  de  M.  de  Boulogne,  auxquels  il 
joint  une  Notice  étendue  sur  ce  prélat,  1826  :  —  les  mandemens  du  même  prélat, 
en  1827:  —  les  mélanges  du  mèaie  prélat,  ou  recueil  des  différens  articles  qu'il 
avait  insérés  dans  les  journaux  ,  et  auxquels  il  joint  un  Tableau  politique  et  re- 
ligieux sous  le  Directoire,  et  un  —  Précis  historique  de  la  France  sous  le  Direc- 
toire. —  Créé  par  SS.  Grégoire  XVI,  le  20  février  1835,  chevalier  de  la  milice 
d'or;  cesse  d'être  directeur  de  VAmi  de  la  religion  le  ler  octobre  4840.  —  Créé 
commandeur  de  sai.it  Grégoire-le-Grand,  le  '27  novembre  î84C;  mort  le  14  no- 
vembre 1841,  presque  subitement,  mais  préparé  depuis  longlems  par  la  fréquente 
communion  à  aller  recevoir  la  récorapenje  de  ses  honorables  travaux. 

M.  Picot  fut  un  homme  doué  de  rares  qualités,  et  a  rendu  de  vrais  services  à 
la  religion,  surtout  par  la  publicalion  de  ses  Mémoires  Ecclésiastiques.  Son 
journal  est  le  meilleur  recueil  de  faits  et  de  dates  qui  existe;  mais,  comme  écri- 
vain, il  avait  peu  d'étendue  dans  Pesprit  :  au;»i  il  a  été  un  des  derniers  à  croire 
au  retour  des  esprits  vers  la  religion,  et  il  a  lei.u,  autant  qu'il  a  pu,  !e  clergé 
éloigné  de  ces  sciences  qui,  sans  être  entièrement  catholiques,  revenaient  au 
catholicisme,  et  ont  préparé  le  m.ouvement  religieux  actuel.  De  plu*,  quoique 
sincèrement  attaché  à  TEglise,  il  avait  conservé  la  plupart  des  préjugés  galli- 
cans, et  ouvrit  son  journal  à  tous  les  écrivains  qui  soutenaient  ces  opinions; 
enfin  sa  soumission  à  la  voix  du  vicaire  de  Jésus-Christ  n'e-t  jamais  allée  jusqu'à 
lui  faire  dire  saint  Grégoire  VII. 

Puymaurin  (le  bar.  Jean-Pierre-Cas. -Marassus  de)  14  février.  —  84  ans. 

Ké  à  Toulouse  le  3  décembre  175? ,  directeur  de  Li  monnaie  en  1816.  A  laissé  : 
Mémoires  sur  différens  sujets  relatifs  aux  sciences  et  aux  arts,  1811. — ISotice 
historique  sur  la  piraterie,  1819.  —  Opinion  sur  le  budget  des  dépenses  du  mi- 
nistère de  la  marine,  1819. —  De  la  pourriture  sèche,  traduit  de  l'anglai?  de  Bow- 
den,  1819;  et  de  plus  trois  mémoires  insérés  daus  la  collection  de  l'académie  de 
Toulouse;  svr  les  moyens  de  rendre  les  cimens  indestructibles  :  sur  un  nouveau 
rouleau  à  battre  les  grains  ;  sur  les  causes  de  !a  conservation  des  corps  dans  le 
caveau  des  cordeliers  de  Toulouse. 

Sacchi  (Défendant),  20  décembre  1840. 

Né  à  Pavie  en  1796,  littérateur.  A  laissé  :  Collection  des  métaphysiciens  d'Ita- 
lie et  d'autres  nations,  60  vol.,  Pavie,  1818-23.— i'form  délia  filosofia  greca  ;  6  vol. 
Pavie,  1819.  —  //  pianta  riei  sospiri  ;  Lodi,  1824.  —  Antichita  romantiche  d'Ila- 
lia;  :\]ilano,  18-28 —^ar/f/io  sol  municipi  Italidel  medio  evo  e  loro  condizione  poli- 
lica  ;  iMilan  1829.— DeZ/a  Uttcratitra  Ilaliana  del  secolo  t9  e  délia  poesia  eroica; 
Pavie,  1830.  — /  Lamhertazzi  e  1  i  Geremei  e  le  fazione  di  Boîogna  nel  secolo  13  ; 
Milan,  1830.  —  Délie  cose  inutili,  1832.  —  Varieta  littorarle  intorno  aile  coslu- 
mani  c  délie  persone  <]el  îecolo,^2  vol.,  i^ô2—Teodote,  storia  del  secolo  13,  1832. 
—  Le  belle  arii  In  Mllano,  1833.  —  Raccnti  morali  scriltî  pcr  uso  del  popolo 
campagnolo,  1833.  —  Onele,  o  leltere  di  due  amanti,  -1853.  —Interno  aile  altuale 
stato  deir  eleraentare  inslruzione  in  Lambardia  in  confronto  di  altri  ."-tali  d'Italia, 
183Î.  —  Romagnosi,  con  appendice,  1835.  —  Degli  asUi  d'infanzio,  loro  utilità  ed 
ordinamenlo,  1836.  —  Et  de  plus.  Description  de  Varc  de  triomphe  de  Napoléon  \ 
Milan.  —  Snr  le  tombeau  de  saint  Auqustin  à.  Parie.  —  Délie  strigle  e  uei  foletu . 


^6  ÎSKCROLrKlin. 

ouTragc  [.lus  que  fulile,  et  qu'il  regrelîa  d  afolr  écril,  d  «a  mort,  qui  fui  chié- 
t  l'Dne. 

Sanson  ''Louls-Jos.)  2  août.  —  uO  ans. 

Né  à  Paris  le  25  janvier  4792;  l'un  de  nos  plus  habiles  chirurgiens.  A  laissé  : 
ncs  moyems  de  parvenir  à  la  ressic  par  le  reclum,  afanlages  et  inconvénien»  al- 
lachés  à  celle  niétboile  pour  lirer  les  pierres  de  la  vessie,  in-4, 1818;  2.  édition, 
augmentée,  in-8,  4821.  —  Nouveaux  èlèmens  de  pathologie  médico-ihirurgi- 
cale,  etc.,  4  vol.  in-8,  4825  ;  •>  édit.,  5  roi.,  1833.—  De  la  réunion  immédiate  des 
plaies,  de  ses  avantages  et  de  ses  inconvéniens,  4  834.  —  Des  hémorrhayies  trau- 
inaliques,  i8"G.  —  .Nouvelle  cdilion  de  la  médecine  opératoire  de  Sabalier,  iSôl. 
—  Il  a  terminé  :  tourelle  inanièrc  de  pratiquer  l'opération  de  la  pierre,  de  Du- 
puylren,  483t;.  —  Et  de  plus  auteur  de  Dombreux  articles  dans  Us  journcux  et 
dicl.  de  médecine. 

.Savart  (Félix)  4C,  mars.  —  SI. 

>é  è  Mé/icres,  le  30  juin  1791,  de  racadémie  des  «ciences,  médecin,  chirur- 
sien,  physicien,  cliimisle,  un  des  hommes  qui  ont  le  plus  avancé  l'élude  de  l'o- 
cousiique,  A  laissé  :  Ja  Cirscclo,  pour  sa  Ihèse  du  doctoral,  iu-i,  lSlG,~Mémoii'e 
sur  les  celions  élçclro-dynamique?,  avec  M.  Biot,  !820.— l/t'm.  sur  la  construction 
dos  insl.'uniens  à  cordes  et  à  vent,  in-8,  IStO.  — .//la/y^psuccincle  dei  travaux  de 
M,  Saviirt,  compo;cc  delS  mémoires  sur  les  mouvemons  des  corps  ;  et  de  plus  un 
grand  nombro  d'articles  dans  le  Dict.  techtioloyiqve. 

Savary  (Félix),  21  juil!et.-.is  ans. 

7\é  à  Paris,  le  i  octobre  1707,  professeur  d'astronomie,  de  géodésie  et  de  m.a- 
ohincs  à  l'écûle  poU  lecbnique,  de  lacadéaiie  des  sciences.  A  laissé  :  iAJm.  sur 
i  application  du  calcul  aux  pbénomènei  éieclro-dyn;  mique»,  avec  pi.,  ii: 4,  lR2.'î, 
pxlrait  du  journal  de  Physique.  — .Vj/r  la  détermination  des  oibites  que  décrivenl 
autour  de  leur  centre  de  gsa\ité  deux  étoiles  très  rapprochées  luoe  de  l'autre, 
ia  S,  1817,  extrait  de  la  Connaissance  des  teiT^s.-  El  de  plus  un  grand  nombre 
■l'arlicles  dans  le  journal  de  Vhijsiqvc^  les  annales  (le  thyuque  et  de  Chimie,  el 
la  Connaissance  des  tem<. 


^«■«s<^^ 


NOUVELLES  ET  WÉLANGES.  T7 


lloiiufllfs  Ci  illclûnflfô. 


EUROPE. 

ITALIE.  ROME.  —  Décret  de  S.  E.  le  Cardinal,  vicaire,  à  propos  de 
ia  conversion  de  M.  Alplionse  Ratisbonne.  (  Voir  le  détail  de  celle 
conversion,  t.  v,  p.  525). 

«  Au  nom  de  Dieu.  Ainsi  soit-il. 

»  L'an  de  ^'otre -Seigneur  et  Sauveur  Jésus-Christ  ,  mil  huit  cent 
quarante-deux,  de  l  indiction  romaine  le  quinzième,  la  douzième  année 
du  poilificatdeN.  S.  P.  le  Pape  Grégoire  XVI  ,  le  troisième  jour  de 
juin. 

»  En  présence  de  Son  Eminence  le  cardinal  Constantin  Palrizi,  vicaire- 
général  de  jV.  s.  p.  le  Pape  dans  sa  ville  de  Rome,  juge  ordinaire  de  la 
cour  de  justice  de  Rome  et  de  son  ressort,  a  comparu  le  révérend  Fran- 
çois Anivitti,  promoteur  fiscal  près  le  tribunal  du  vicariat,  spécialement 
délégué  par  Son  Eminence  le  cardinal-vicaire,  ù  l'effet  de  rechercher 
et  d'interroger  des  témoins,  relativement  à  l'authenticité  du  prodigieux 
événement  par  lequel  Alphonse-Marie  Ralisbonne  ,  âgé  de  vingt-huit 
ans,  et  de  la  ville  de  Strasbourg,  alors  à  Rome,  a  obtenu  sa  conversion 
du  judaïsme  à  la  foi  catholique,  par  l'intercession  delà  Bienheureuse 
Vierge  Marie.  Le  susdit  promoteur  déclare  qu'ayant  accepté  avec;  autant 
d'empressement  que  de  joie  la  mission  qui  lui  était  confiée,  il  a  mis  tous 
les  soins,  toute  l'exactitude  dont  il  est  capable,  ù  la  remplir.  Il  ajoute 
qu'il  a  soumis  neuf  témoins  à  un  interrogatoire  en  forme,  et  que  les  ré- 
ponses, pleines  de  candeur,  de  ces  neuf  témoins  juridiquement  inter- 
pellés, sont  unanimes  dans  les  détails  qui  ont  trait ,  soit  à  la  substance 
même,  soit  aux  conséquences  de  cette  étonnante  conversion.  C'est  pour- 
quoi il  aflirme  que,  dans  son  opinion,  cet  événement  porte  tous  les  ca- 
ractères d'un  miracle  incontestable.  Toutefois,  il  a  dû  laisser  à  sou  Emi- 
nence le  cardinal-vicaire  de  prononcer  d'une  manière  définitive  sur  celle 
afl'aire.  Aprèsavoi:  eu  sous  les  yeux  les  acies,  les  docuraens  el  les  inter- 


78  NOUVELLES  ET  MÉLANGES. 

rogatoires  qui  s'y  rattachent,  Son  Eminence  jugera  dans  le  Seigneur 
s'il  convient  de  rendre  à  cet  égard  un  décret  définitif. 

i>  En  conséquence,  après  avoir  entendu  ce  rapport ,  et  pris  connais- 
sance du  procès,  des  interrogatoires,  des  réponses  et  des  renseignemens 
fournis  par  les  témoins;  après  en  avoir  pesé  les  circonstances  avec  une 
religieuse  maturité;  après  avoir  recueilli  les  avis  de  plusieurs  théolo- 
giens et  de  ))lusieurs  personnages  d'une  éminente  piété,  ainsi  que  le 
prescrit  le  concile  de  Trente,  session  i5,  au  sujet  de  l'invocation  des 
saints,  de  leurs  reliques,  de  leurs  images,  des  honneurs  à  leur  rendre  , 
Son  Eminence  le  cardinal  vicaire  de  Sa  Sainteté  a  déclaré  et  définiti- 
vement prononcé  qu'il  conste  du  miracle  insigne  opéré  par  le  Dieu  très 
bon  et  très  grand,  à  la  prière  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie  :  à  savoir 
celui  de  la  conversion  parfaite  et  instantanée  d'Alphonse-Marie  Ratis- 
bonne  du  judaïsme  à  la  foi  catholique-  Et,  parce  qu'il  est  honorable  de 
révéler  et  de  publier  les  œuvres  de  Dieu  (Tobie,  xii,  7),  Son  Eminence 
a  daigné  permettre  qu'à  la  plus  grande  gloire  de  Dieu,  et  pour  accroître 
la  dévotion  des  fidèles  envers  la  Bienheureuse  Vierge  Marie,  la  relation 
de  ce  miracle  insigne  reçoive  par  la  voie  de  la  pressé  une  éclatante  pu. 
blicité. 

»  Donné  au  palais  de  Son  Eminence,  le  même  cardinal-vicaire  et  juge 
ordinaire,  les  jours,  mois  et  année  relatés  ci-dessus. 

)   C.  cardinal-vicaire. 

n  Ca3iille  Diamilla,  not.  dépnt. 

»  Conforme  à  l'original. 

•  »  Joseph  chanoine  Tarnassi,  secrétaire. 

»     Lieu  du  sceau.  « 

Nomination  de  M.  l'abbé  de  Luca  à  la  place  de  camerier  secret. 
—  Sa  Sainteté,  dit  le  X^/ar/o,  a  daigné  admettre  au  nombre  de  ses  came- 
riers  secrets  surnuméraires  le  savant  abbé  Antoine  de  Luca,  déjà  vice- 
président  de  l'Académie  ecclésiastique,  consulteur  des  congrégations  de 
la  propagande  et  de  1" index,  directeur  de  l'imprimerie"  de  la  propa- 
gande, et,  de  plus,  directeur  et  principal  rédacteur  des  Annali  délie 
scienze  religiose^  qui  ont  commencé  en  i855,  et  sont  parvenues  à  leur 
XI  p  volume. 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  79 

—  Brej  de  sa  Sainteté'  Grégoire  XVI,  à  M.  Artaud  de  Montor. 
«  Cher  fils,  salut  et  bénédiction  apostolique, 

X  Nous  accordons  toujours  volontiers,  à  titre  de  récompense,  les  plus 
grandes  marques  d'honneur  et  d'éclatans  témoignages  de  notre  bien- 
veillance à  des  hommes  d'élite  qui  se  placent  au  premier  rang  par  leur 
talent, Weur  vertu  et  leur  religion,  lorsque  surtout  ils  joignent  à  ces  qua- 
lités un  attachement  inébranlable  au  siège  de  saint  Pierre,  et  s'efforcent 
dans  leurs  ouvrages  de  mériter  l'approbation  du  gouvernement  de  la 
république  chrétienne  et  celle  des  autres  états. 

»  Certes,  votre  mérite  personnel  ne  pouvait  nous  être  inconnu  ;  dis- 
tingué comme  vous  l'êtes  par  cette  suréminence  de  talent,  par  les  belles 
qualités  de  votre  esprit,  voire  constante  application  aux  meilleures 
choses,  vos  rares  connaissances  en  littérature  et  en  morale,  enfin  par  la 
louange  universelle  qui  proclame  votre  loyauté  intègre,  votre  piété, 
votre  foi;  et  ce  dévouement  sincère  et  ferme  qui  vous  tient  uni  de  cœur 
à  la  chaire  de  saint  Pierre  et  à  notre  personne.  Ce  sont  là  autant  de 
titres  qui  ont  rendu  votre  nom  illustre,  soit  dans  votre  ouvrage  de  la 
Fie  de  Pie  VU,  notre  prédécesseur  de  vénérable  mémoire,  soit  dans 
\ Histoire  de  Dante  Alighieri,  où  vous  faites  preuve  d'une  érudition  si 
étendue  et  si  forte,  soit  enfin  dans  quelque?  autres  productions  litté- 
raires où  brille  toujours  la  manifestation  de  votre  respectueuse  défé- 
rence pour  le  siège  apostolique.  C'est  pourquoi,  dans  le  vif  sentiment 
de  satisfaction  qui  nous  anime,  nous  avons  cherché  à  vous  donner  quel- 
que témoignage  des  dispositions  spécialement  bienveillantes  que  nous 
avons  pour  vous. 

w  Ainsi,  pour  honorer  votre  personne  d'une  manière  spéciale,  nous 
vous  nommons,  par  les  présentes  lettres,  et  en  vertu  de  notre  autorité 
apostolique,  nous  vous  proclamons  chevalier  Commandeur  de  Saint- 
Grégoire-le-Grand  de  l'ordre  civil,  et  nous  vous  donnons  droit  d'être 
compté  parmi  les  autres  chevaliers  de  cette  illustre  compagnie  ; 
vous  déclarant  auparavant  et  pour  cette  circonstance  seulement,  absous 
et  relevé  de  toute  sentence  ecclésiastique,  d'interdit,  d  excommunica- 
tion, d^  censures  et  autres  peines,  de  quelque  manière  et  pour  quel- 
que cause  que  vous  les  ayez  peut-être  encourues. 

1}  En  conséquence,  nous  vous  permettons  et  vous  accordons  le  droit 
de  porter  librement  et  licitement  les  insignes  de  cet  ordre,  lesquels  cou- 


80  NOUVELLES  ET  MELANGES. 

âistent  en  une  grande  croix  d'or  octogone,  ajant  au  milieu  l'image  ilf 
saint  Grégoire  en  rouge  cmaillé,  que  l'on  peut  porter  au  cou,  avec  un 
ruban  de  scie  rouge,  bordé  des  deux  cotés  par  un  liseré  jaune. 

»  Et  aÛQ  que  vous  puissiez  apprécier  de  plus  en  plus  notre  bienveil- 
lance pour  vous,  nous  envoyons  nous-niôme  le  commandement,  qu'on 
vous  remette  de  notre  part  celte  décoration  telle  que  nous  venons  de  la 
désigner. 

))  Donné  à  Saint-Pierre  de  Rome,  sous  l'anneau  du  Pécheur,  le  ox) 
avril  1842,  l'an  douzième  de  notre  pontificat. 

L.   cardinal  LAMBRUSCHIINI.)) 

Au  dos  est  écrit  :  «  A  notre  cher  fils  le  chevalier  Artaud  de  Mon- 
lor.  i> 

En  marge,  à  gauche  du  texte,  se  trouve  le  sceau  de  l'anneau  du  Pé- 
cheur. P. 

NoiLS  pouvons  ajouter  que  jamais  récompense  ne  fut  mieux  placée. 
ÎM.  Artaud  de  Montor  est  un  écrivain  qui  a  consacré  su  plume  à  la  dé- 
fense de  l'Eglise  et  du  saint-siége  ;  il  compose  en  ce  moment  une  P^ie  de 
Léon  XII j  dont  il  a  bien  voulu  nous  lire  quelques  fragmcns,  et  qui 
sera  un  vrai  monument  élevé  à  la  gloire  de  ce  grand  pontife,  et  fera  un 
digne  pendant  à  la  belle  Fie  de  Pic  FIL  L'ouvrage  paraîtra  avant  la 
fin  de  l'année. 

PRUSSE.  BERLIN. —  Collection  doin'ra^es  sanscrits.  —  Berlin  va 
s'enrichir  d'une  collection  de  845  manuscrits  indiens,  presque  tous  eu 
langue  sanscrite,  contenant  les  Vedas  en  entier.  C'est  M.  Bunsen,  con- 
seiller intime  de  légation,  qui,  par  ordre  de  Sa  Majesté,  a  acheté  cette 
collection  à  Londres,  des  héritiers  de  feu  sir  Robert  Chambers.  Les 
YéJas  ne  se  trouvent  dans  aucune  bibliothèque,  ni  à  Parisj,  ni  à  Lon- 
dres. La  B&dleiene,  à  Oxford,  n'a  acquis  cet  ouvrage  que  depuis  peu 
»le  semaines,  par  la  cession  que  M.  le  professeur  Wilson  lui  a  faite  de 
sa  précieuse  collection.  Feu  M.  Roseu  préférait  les  Yédas  de  Chambers  à 
tous  ceux  qu'il  connaissait. Les  numéros  contenant  XePiig-P^éda  sont  d'une 
beauté  tout  à  fait  particulière  et  conservés  sous  verre  dans  des  montres 
précieuses  ;  la  copie  seule  de  cet  ouvrage  a  coûté  1,000  liv.  st.  dans  les 
Indes.  Les  Fédas  ont  120  numéros,  les  Upanischads  16.  La  collecrion 
entière  a  été  achetée  pour  ij^jo  liv.  sterl.  INL  le  professeur  Hœfer  s'oc- 
cupe en  ce  moment  de  faire  un  catalogue  critique  de  ces  rares  ouvrages: 


JNOUVI-LLES    El    3ILLA.AGES,  81 

|)CiU-cUe  (Jevrons-noiis  à  ce  savanl.  distingue  une  aiJllioioi;ie  indienne, 
en  texte  primitif,  comme  il  a  déjà  public  une  Iraducliou  de  poésies 
sanscrites  en  vers  allemands. 

(  Gaielie  du  Hanovre,) 

AMERIQUE. 

MEXIQUIl.  —  Découverte  d'une,  ville  antique,  encore  toute  peu/fitc 
d'Indiens  n'ajant  eu  nucune  communication  avec  les  Espai^nols.  — 
iVous  ne  croyons  que  faiblement  au  récit  suivant.  Nous  le  donnons  ce- 
pendant tel  qu'il  est  rapporté  dans  l'ouvrage  récent  de  31.  Stepbens, 
intitulé  :  /  isile  aux  villes  ruinées  de  l Amérique  centrale  : 

a  Entre  un  grand  nombre  de  portraits  esquissés  de  main  de  maître, 
l'ouvrage  de  M.  Stephcns  ne  nous  en  présente  pas  un  qui  surpasse  celui 
du  curé  de  Quicbé. — Son  habit  séculicrj,  son  humeur  joviale,  sa  persé- 
vérance  dans  les  éludes  historiques  et  les  transitions  soudaines  de  la 
bouffonnerie  la  plus  enfantine  aux  pensées  les  plus  graves,  toutes  ces 
particularités  d'une  nature  moitié  rustique  et  moitié  civilisée,  sont  ren- 
dues avec  le  plus  grand  bonheur.   Le  bon  père  parla  aux    voyageurs 
d'une  caverne  adjacente  à  un  village  voisin,  dans  laquelle  on   trouvait 
des  crânes  humains,  d'une  dimension  extraordinaire,  qui  inspiraient  aux 
Indiens  un  respect  superstitieux.  Il  les  avait  examinés  lui-même  et  il 
pouvait  garantir  leurs  vastes  proportions.  Un  jour  il  avait  placé  uur 
pièce  de  monnaie  à  l'entrée  du  souterrain,  et  il  l'y  avait  retrouvée  l'an- 
née suivante,  tant  les  habitans  du  pays  vénéraient  ce  lieu  mystérieux.  Il 
dit  à  M.  Stepbens  que  les  Indiens  étaient  encore,  à  peu  de  chose  près, 
tels    que   les  avait  trouvés  la  conquête  espagnole;   qu'ils  chérissaient 
encore  les  usages  2t  les  coutumes  de  leurs  pères;  que,  malgré  la  fascina- 
tion qu'exerçait  sur  leurs  imaginations  la  pompe  des  cérémonies  romai- 
nes, ils  n'en  restaient  pas   moins   idolâtres  au  fond  du  cœur;    qu'ils 
avaient  leurs  idoles  cachées  dans  les  montagnes  et  les  ravins,  qu'ils  pra- 
tiquaient encore  en  secret  les  rites  que  leur  avait  légués  leurs  pères,  et 
que  lui-même,  bien  qu  à  regret,  il  se  voyait  obligé  de  fermer  les  yeux 
sur  tout  cela. 

y.  Son  amour  pour  les  antiquités  égalait  celui  de  nos  voyageurs.  Il  leur 
cita  plusieurs  autres  cités  en  ruine,  et  une  en  particulier,  située  dans  la 
\)io\\uce  de  Féro-Paz,  aussi  vasle  qucSanla-Cruz  del  Quiclié,  déserte 


82  NOUVELLES  ET  MELANGES. 

et  désolée,  mais  dans  un  état  de  conservation  presque  aussi  parfaite  qu'à 
l'époque  où  ses  lia'oitans  l'avaient  abandonnée.  La  première  cure  qu'il 
avait  occupée  était  dans  le  voisinage,  et  il  avait  eu  pendant  longtems 
l'habitude  de  parcourir  tous  les  jours  les  rues  silencieuses  de  la  cité 
ruinée. 

))  Mais  le  padre  nous  apprit  quelque  chose  de  bien  plus  extraordinaire 
encore  que  tout  cela,  ajoute  M.  Stephens,  il  nous  dit  qu'à  quatre  jours 
de  marche  sur  le  chemin  de  Mexico,  de  l'autre  côté  de  la  grande  Sierra^ 
était  encore  à  cette  heure  une  cité  vivante,  grande  et  populeuse,  habi- 
tée par  des  Indiens  qui  étaient  dans  le  même  état  précisément  qu'avant 
la  découverte  de  TAmérique.  Il  en  avait  entendu  parler  bien  des 
années  auparavant  dans  le  village  de  Chajul  dont  les  habitans  lui  avaient 
maintes  fois  affirmé  qu'on  pouvait  apercevoir  très-distinctement  cette 
ville  du  haut  de  l'arête  supérieure  de  la  Sierra.  Il  était  jeune  alors,  et 
il  gravit  à  grand'peine  la  montagne.  Arrivé  au  sommet,  c'est-à-dire  à 
une  hauteur  de  dix  à  douze  mille  pieds,  il  aperçut  à  ses  pieds  une  plaine 
immense  s  étendant  jusqu'à  Yucatan  et  au  golfe  du  Mexique,  et  bien 
loin,  presqu'à  la  limite  de  l'horizon,  il  vit  une  vaste  cité  qui  couvrait 
une  grande  étendue  de  terrain  et  dont  les  tours  blanches  brillaient  au 
soleil.  A  en  croire  les  Indiens  de  Chajul,  aucun  blanc  n'a  jamais  pénétré 
dans  celte  ville,  dont  les  habitans  parlent  encore  la  langue  Maya^  n'i- 
gnorent pas  qu'une  race  d'étrangers  à  conquis  tous  les  pays  circonvoi- 
sins,  et  massacrent  sans  pitié  tous  les  Européens  qui  tentent  de  franchir 
les  limites  de  leur  territoire.  Ils  n'ont  aucune  monnaie  ni  aucune  va- 
leur en  circulation;  ils  n'entretiennent  ni  chevaux,  ni  bestiaux,  ni  mu- 
lets ni  autres  animaux  domestiques,  si  l'on  en  excepte  la  volaille,  et 
encore  ont-ils  soin  d'enfermer  les  coqs  sous  terre  pour  que  leur  chant 
ne  puisse  pas  être  entendu. 

>;  Le  vieux  curé,  avec  son  long  habit  noir,presque  aussi  flottant  qu'une 
soutane,  avec  ses  discours-  pleins  d'enthousiasme  et  son  œil  ardent,  nous 
rappelait,  au  milieu  du  silence  profond  de  son  cloître,  à  peine  éclairé 
par  une  pâle  lumière,  ces  prêtres  qui  accompagnaient  les  armées  espa- 
gnoles, et  jamais  je  n'avais  ressenti  une  émotion  égale  à  celle  que  j'é- 
prouvai en  le  voyant  dessiner  un  plan  sur  la  table,  et  nous  désigner  du 
doigt  la  Sierra,  du  haut  de  laquelle  il  avait  contemplé  ce  merveilleux 
spectacle.  Un  coup  d'œil  jeté  sur  cette  cité  valait  des  aimées  d'une  vie 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  83 

ordinaire.  S'il  a  dit  vrai,  il  est  un  lieu  où  l'on  peut  encore  retrouver  les 
mœurs  et  le  peuple  que  Cortez  et  Alvaro  découvrirent  en  mettant  le  pied 
sur  le  continent  américain,  un  lieu  où  s'élève  encore  une  ville  dont  les 
habitans  sont  à  même  de  déchirer  le  voile  mystérieux  qui  couvre  les  ci- 
tés en  ruine...,  qui  sait  même,  de  déchiffrer  les  inscriptions  qui  couvrent 
les  monumens  de  Copan. 

»  Quant  à  moi,  je  crois  à  l'authenticité  des  récits  du  padre;  je  suis  con- 
vaincu que  la  contrée  désignée  par  lui  ne  reconnaît  pas  le  gouverne- 
ment du  Guatimaia,  qu'elle  n'a  jamais  été  explorée,  et  qu'aucun  blanc 
ne  tenta  jamais  d'en  franchir  les  limites. 

«  D'autres  auteurs  nous  confirmèrent  dans  celte  conviction,  et  tout  le 
village  de  Chajul  s'accorda  à  nous  affirmer  que  Ton  voyait  en  eflPet  une 
ville  indienne  du  haut  de  la  Sierra....;  mais  aucun  homme,  quelque 
disposé  qu'il  fût  à  risquer  sa  vie,  ne  pourrait  tenter  d'y  pénétrer  avec 
la  moindre  chance  de  succès,  sans  consacrer  préalablement  deux  ans  au 
moins  à  errer  aux  alentours  du  pays,  à  étudier  la  langue  et  le  caractère 
des  Indiens  du  voisinage,  et  à  lier  connaissance  avec  quelques-uns  des 
naturels...  Cinq  cents  hommes  suffiraient  évidemment  pour  conquérir  ce 
territoire,  et  cette  invasion  serait  certes  mieux  motivée  que  toutes  celles 
des  Espagnols,  mais  le  gouvernement  est  trop  occupé  de  ses  dissensions 
intestines,  et  d'ailleurs  ce  ne  serait  qu'au  prix  du  sang  que  la  science 
historique  ferait  un  progrès.  Quant  aux  dangers,  ou  les  a  probablement 
grandement  exagérés.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  l'on  fait  jamais  là  aucune 
découverte,  c'est  aux  prêtres  qu'on  la  devra.  » 

(  Traduit  de  l'anglais.) 

6ibU0grapl}U. 

COMMENTAIRE  GÉOGRAPHIQUE  sur  l'Exode  et  les  Nombres, 
par  Léon  de  Laborde,  auteur  des  Voyages  de  VArcf-bie  Pe'irée,  de  la 
Syrie  et  de  V A sie  Mineure  \  i  vol.,  in-fol.  avec  i3  cartes.  Prix  20  fr. 
Paris  et  Leipzig,  Jules  Renouard  et  comp.,  1841. 

Nous  ne  ferons  qu'annoncer  cet  ouvrage,  sur  lequel  il  y  aura  dans  le 
prochain  cahier,  un  article  de  M.  Quatremère.  Mais,  pour  en  faire  sen- 
tir toute  rimportance,  nous  allons  donner  :  1°  la  liste  des  cartes  qui  y 
sont  insérées  ;  a»  V approbation  dont  l'a  revêtu  Mgr  l'archevêque  de  Paris. 


B4  BIBLIOGRAPHIE. 

i"  Liste  des  caries,  —  (lartc  de  la  paitie  de  l'Arabie  Pélrée  quicom- 
jjiend  les  positions  d'Elatli,  Aziongaber,  Cadcs  et  du  mont  lier. — 
a"  Carte  de  l'Arabie  Pétréc,  comprenant  une  partie  de  la  Palestine  et  de 
rÉgyple,  depuis  Jérusalem  jusqu'au  Caire,  dessinée  d'après  nature  en 
1484,  par  Ehrard  Rewick.  —  3°  Réduction  à  la  même  éclielic  des  cartes 
de  l'Arabie  Pétréc  levées  par Pococke  en  1700,  Niebubr  en  1763,  Burck- 
liardten  1816,  et  Ehrenberg  en  1824.-4°  Réduction  à  la  même  échelle 
des  cartes  de  l'Arabie  Pélrée  levées  ou  dressées  par  d'AnvJlle  en  1764, 
la  commission  d'Egypte  en  180?,  Riippel  en  1826,  et  Lapic  en  1828.  — 
5  "  Carte  de  l'Arabie  Pétrée,  d'une  partie  de  l'Egypte  et  de  la  Palestine, 
avec  l'indication  du  voyage  des  Israélites,  peinte  par  Richard  Haldin- 
gham.  —  6*  Voyage  des  Israélites  dans  le  désert,  pour  servir  à  l'intelli- 
gence du  commentaire  géographique  sur  la  Bible.  —  7°  Relevé  topo- 
grnphique  de  Ouadi  Zackal  et  de  la  cote  près  de  Dahab,  pour  indiquer 
la  position  de  Madian.  • —  8°  Carte  de  la  péninsule  du  Sinaï,  pour  servir 
à  l'intelligence  de  Va  route,  des  stations  et  du  séjour  des  Israélites  dans 
le  désert 9°  Carte  itinéraire  pour  servira  l'intelligence  de  la  sortie  d'E- 
gypte et  du  passage  de  la  Mer  Rouge.—  10"  Carte  du  golfe  de  Suez,  réu- 
nissant les  diÛérentes  opinions  qui  ont  été  émises  sur  le  passage  de  la 
Mer  Rouge.  —  11"  Relevé  topographique  de  Ouady  Feyran  et  de  ses 
afiluents,  pour  servir  à  l  intelligence  de  l'itinéraire  des  Israélites.  — 
12°  Plan  topographiqiie  du  massif  de  rochers  du  milieu  desquels  s'élè- 
vent le  Sinaï,  Iloreb  et  le  mont  Sainte-Catherine.  —  iS'»  Carte  du 
golfe  de  TAkabah,  pour  l  intelligence  des  positions  d' Aziongaber  et 
d'Elath. 

a°  approbation  de  DJ^r  larchevcquc  de  Paris.  —  «  Nous,  Deuis- 
»  Auguste  Affrc,  archevêque  de  Paris,  avons  approuvé  et  approuvons, 
V  par  c  s  présentes,  un  livre  ayant  pour  litre  :  Conmieiitairc  î^e'ogra- 
))  phique  sur  C  Exode  et  les  Nombres^  par  M.  Léon  de  Laborde.  —  Cet 
»  ouvrage,  que  distinguent  une  connaissance  parfaite  et  une  descrip- 
^)  tion  exacte  des  lieux  indiqués  dans  l'Exode  et  les  Nombres,  n'est  pas 
);  moins  recomniandable  par  rattachement  à  la  foi  chrétienne,  dont  le 
M  savant  commentateur  fait  une  profession  non  équivoque. 

))  DENTS, 
>.  Archevêque  de  Paris.  y> 


ANNALES 

DE    PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE, 


■i»-»0^{M>»«i 


dfKDiimevo    02  c^Vdouu     18^2. 


^rdjcolcjic  dibliquf. 


COMMENTAIRE    GEOGRAPHIQUE 

SUR  LEXODE  ET  LES  NOMBRES, 

Pau  m   LÉ0.\  DE  LABORDE. 


^^^tmxa  (irficfe. 


Avantages  à  retirer  de  la  lecture  de  la  Bible.  — Difficultés  de  celte  lec 
turc.  —  Secours  apportes   par   les   voyages  en  Paicstioe.*— Suite  de 
ces  voyages.  —  Projet  de   M.  l'abbé  Ladvocat. —  Examen  du  travail 
de  M.Léon  de  Laborde.  —  Quelques  rectifications.  —  Quelques  ré- 
flexions sur  les  miracles. 

La  Bible,  sans  parler  même  de  riuspiration  divine  qui  présida 
à  sa  composition,  est,  à  coupeur,  le  plus  excellent  comme  Je  plus 
ancien  dès  livres  ;  c'est  là,  et  là  seulement,  que  l'on  trouve  les 
véritables  traditions  sur  l'origine  du  monde,  l'histoire  primitive 
des  hommes,  le  déluge  universel  ;  c'est  là  que  sont  consignés  les 
vrais  principes  de  la  morale  naturelle  ,  les  dogmes  authentique» 

'  Paris  et  Leipzig,  i  vol.  in-folio. 

IIl«  SLRIE,   TOME   VI.  — ^'''  32.    1842.  6 


86  COMMENTAIRE    GEOGRAPHIQUE 

sur  lesquels  se  fonde  la  religion  des  Juifs  et  celle  des  Chrétiens; 
c'est  là  que  s'offrent,  en  abondance,  les  plus  parfaits  modèles  de 
l'éloquence,  d'une  poésie  simple,  louchante,  pathétique,  sublime. 
On  ne  doit  donc  pas  être  surpris  que,  dans  tous  les  tems  ,  de- 
puis la  naissance  du  Christianisme  ,  les  hommes  les  plus  distin- 
gués aient  fait  de  ce  livre  l'objet  constant  de  leurs  études,  de 
leurs  méditations.  A  des  époques  rapprochées  de  la  nôtre,  dans 
le  17^  siècle,  et  dans  une  partie  du  18%  des  hommes  de  génie, 
les  Descartes,  les  Mallebranche  ,  les  Pascal,  les  Arnauld  ,  les  Bos- 
suet  lesFénelon,  les  Leibnitz,  les  Newton,  s'inclinaient  avec 
respect  devant  le  co.le  sacré  de  notre  Religion  ,  en  révéraient 
toutes  les  paroles  comme  des  oracles  émanés  de  la  vérité  même, 
et  s'applaudissaient  du  fond  du  cœur  quand  leurs  doctes  veilles, 
leurs  patientes  investigations  avaient  pu  contribuera  percer  quel- 
ques-unes des  obscurités  qui  environnent  encore  le  texte  de  ce 
livre.  D'un  autre  côté,  des  hommes  érudits,  mettant  à  contribu- 
tion toutes  les  ressources  que  peuvent  offrir  l'antiquité  profane 
et  l'antiquité  ecclésiastique,  rédigeaient,  sur  chacun  des  ouvrages 
dont  se  compose  la  Bible,  des  commentaires  souvent  trop  volu- 
mineux, mais  toujours  savans,  et  dont  la  réunion  suffirait  pour 
remplir  une  grande  bibliothèque  Aujourd'hui,  tout  est  bien 
changé.  Dans  un  pays  voisin  du  nôtre,  en  Allemagne,  la  Bible  est 
encore  l'objet  des  recherches  profondes  d'hommes  distingués  par 
leur  savoir.  Chaque  jour  voit  éclore  de  nouveaux  ouvrages ,  où 
l'archéologie  biblique  et  l'exégèse  sont  traitées  avec  autant  de  saga- 
cité que  d'érudition.  Mais,  pour  la  plupart,  ces  livres  sont  rédi- 
gés dans  un  esprit  hostile  contre  l'ancien  et  le  nouveau  Testa- 
ment. Les  hommes  les  plus  habiles  semblent  n'avoir  qu'un  but, 
celui  de  ravaler  ces  livres  vénérables,  de  leur  ôier  tout  crédit,  et 
de  les  présenter  comme  un  tissu  de  fables.  En  France,  où  de  pa- 
reilles attaques  n'ont  pas  lieu  ouvertement,  on  montre  pour  les 
livres  de  la  Bible  une  indifférence  presque  générale.  Parmi  les 
personnes  mêmes  qui  ont  conservé  dt  s  principes  religieux  ,  il 
en  est  très  peu  qui  lisent  lancien  et  le  nouveau  Testament, je 
ne  dis  pas  dans  les  langues  originales,  m  as  même  dans  des  tra- 
ductions. En  général ,  on  se  contente  d'abrégés,  plus  ou  moins 


SUR  l'exode  £t  les  tvomres.  87 

bien  écrils,  plus  ou  moins  fidèles,  mais  qui  n'offrent  qu'un  pâle 
reflet  de  ces  beautés  si  nombreuses  et  de  tout  genre,  dont  les  livres 
saints  otfrent  partout  le  modèle.  Parmi  les  gens  du  monde,  parmi 
les  savans,  les  érudits,bien  peu  prennent  la  peine  de  lire  la  Bible* 
on  la  consulte  quand  on  croit  avoir  besoin  de  s'appuyer  sur  son 
témoignage ,  mais  on  ne  l'embrasse  pas  dans  son  ensemble,  on  ne 
se  pénètre  pas  de  son  esprit,  on  n'en  connaît  que  la  surface.  De 
cette  négligence  résultent,  tant  pour  la  religion  que  pour  la  scien- 
ce, de  nombreux  inconvéniens  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  : 
je  me  contenterai  d'en  signaler  un  seul.  Tout  le  monde  de  nos 
jours  s'engoue  du  moyen  âge,  et  cette  étude,  si  négligée  il  v  a 
quelque  tems,  est  aujourd'hui  presque  la  seule  vers  laquelle  se  di- 
rigent les  soins,  les  investigations  d'une  jeunesse  ardente  et  stu- 
dieuse. Je  n'examinerai  point  si  ce  zèle  n'est  pas  porté  un  peu 
trop  loin,  si  le  moyen  âge,  en  comparant  ce  qui  se  passe  aujour- 
d'hui avec  ce  qui  avait  lieu  il  y  a  quelques  années,  ne  pourrait 
pas  nous  dire  : 

Et  je  n'ai  mérité 
JNi  cet  excès  d'honneur  ni  cette  indignité  ; 

mais  je  ferai  observer  que  les  écrivains  de  celte  époque  ne  sont 
pas  toujours  bien  compris  par  ceux  de  notre  tems;  au  moyen 
âge,  les  livres  saints  étaient  continuellement,  et  presque  exclusi- 
vement, l'objet  vers  lequel  se  portaient  les  études.  Les  hommes 
instruits,  élevés,  pour  la  plupart,  dans  des  cloîtres,  lisaient  jour 
et  nuit  ces  monumens  respectables  ,  s'en  pénétraient,  les  savaient 
par  cœur  ;  aussi,  à  chaque  moment,  dans  tout  ce  qu'ils  écrivaient 
on  voyait  naître  sous  L-ur  plume  des  allusions  plus  ou  moins 
claires  à  quelques  passages  de  la  Bible  ,  à  quelque  fait  historique 
consigné  dans  ce  livre,  à  quelque  parole  mémorable  prononcée 
par  la  Louche  de  3Ioïse ,  des  prijphètes  ou  {:e  Jésus-Christ.  Hé 
bien  !  si  l'on  n'est  pas  parfaitement  familiarisé  avec  les  livres  de 
l'ancien  et  du  nouveau  Testament,  ces  allusions  échappent,  et  Ton 
manque  complètement  la  pensie  de  l'auteur.  Je  pourrais  produire 
des  exemples  nombreux  à  l'appui  de  mon  assertion  :  je  mécon- 
tenterai de  citer  deux  petits  faits,  d'une  date  toute  récente. 


88  COMMRrsTAIHE    GEOGRAPHIQUE 

Un  fiieinbre  de  l'Acadéinie  des  inscripiions  et  belles-lettres , 
dans  un  Mémoire  lu  au  sein  de  cette  compagnie,  citait  un  passage 
de  Pvaoul  de  Presle,  où  cet  homme  célèbre  ,  rendant  compte  de 
«on  voyage  dans  l'Orient,  s'exprimait  ainsi  :  Deinde  venimus  ad 
clins  ^g/pti.  L'estimable  académicien  supposa  que,  par  le  mot 
ollœ  .Egj-pU,  il  fallait  entendre  les  caisses  des  momies  ;  je  lui  fis 
observer  que  c'était  une  allusion  à  ce  passage  de  Y  Exode  ^  où  les 
Hébreux,  déjà  fatigués  du  séjour  du  désert,  murmurent  contre 
Moïse,  et  lui  reprochent  de  les  avoir  tirés  de  TÉgypte ,  où  ils 
étaient  assis  près  des  marmites  phines  de  viande. 

L'année  dernière,  un  de  mes  confrères  me  présenta  une  pierre 
trouvée  à  Saint-Denis,  dans  la  cour  de  la  maison  royale  des  Da- 
mes de  la  légion  d'honneur,  et  qui  offrait  une  inscription  extrê- 
mement fruste.  L'homme  très  instruit  qui  me  communiquait  ce 
monument  m'avoua  franchement  qu'il  n'y  comprenait  rien.  En 
jetant  les  yeux  sur  la  pierre,  je  remarquai  à  la  seconde  ligne  deux 
ou  trois  mots  à  moitié  brisés,  qui  devaient  former  une  partie  de 
cette  phrase,  tirée  du.  psaume  ^AS'.Quia  non  jusiificabitur  in 
conspectu  tuo  omnis  invcns.  Comme  cette  conjecture  était  in- 
dubitable, elle  m'apprit  combien  de  mots  et  de  lettres  dévoient 
manquer  à  la  fin  de  chaque  ligne  ;  je  restituai  ainsi  la  3^  et  la  4«^  : 
Quia  non  venisti  ad  perditionem  hominum^  sed  ad  redemptionem 
multorum.  Enfin ,  je  rétablis  tout  de  suite  l'inscription  entière,  et 
je  me  convainquis  que  la  pierre  avait  dû  être  encastrée  dans  le 
mur  d'une  chapelle  des  morts  dans  l'abbaye  royale  de  Saint-Denis. 

J'ai  dit  plus  haut  que  l'explication  de  la  Bible  a  produit  un 
nombre  infini  de  volumes ,  et  cependant  il  s'en  faut  bien  que 
tout  ait  été  dit  sur  ce  sujet,  et  la  chose  se  comprend  d'elle-même. 
Quand  on  pense  à  la  prodigieuse  antiquité  de  ce  livre,  àl'exiguité 
de  ce  volume,  dans  lequel  se  trouvent  mentionnées  tant  de  choses 
de  nature  si  diverse  ,  que  l'on  se  représente  tant  d'allusions  à  des 
choses  ,  à  des  usages  ,  à  des  idées  populaires,  dont  le  souvenir  a 
disparu  pour  jamais,  on  ne  doit  pas  être  surpris  que  plusieurs  pas- 
sages de  la  Bible  présentent  pour  nous  une  obscurité  presque  in- 
surmontable ;  il  faut  plutôt  s'étonner  que  nous  connaissions  en- 
core si  bien  ce  livre ,  et  que  nous  ayons  pu  pénétrer  tout  ce  qui 


SUR  i/kxode  et  les  nombres.  89 

importe  essentiellement  à  la  religion  ,  à  TLlstoire  ,  aux  institu- 
tions du  peuple  juif.  Parmi  les  secours  qui  peuvent  nous  guider 
pour  arriver  à  l'intelligence  parfaite  delà  Bible,  il  en  est  un  qui 
doit  ollrir  des  résultats  certains,  et  dont,  jusqu'à  présent,  on  n'a 
fait  qu'un  usage  bien  incomplet.  Ce  moyen  consiste  à  aller  dans 
la  Palestine  et  les  pays  voisins  reconnaître  les  terrains  qui  ont  e'tc 
le  théâtre  des  faits  mentionnés  dans  l'ancien  et  le  nouveau  Testa- 
ment, explorer  les  ruines  des  villes  et  des  bourgs,  constater  l'exis- 
tence de  ces  noms  qui,  dans  l'Orient,  se  conservent  à  travers  les 
âges  avec  une  stabilité  vraiment  admirable;  voir  croître  sous  ses 
yeux  les  plantes,  rechercher  les  animaux,  les  minéraux  dont  parle 
la  Bible  ;  retrouver  parmi  le  peuple  de  ces  contrées  les  idées,  les 
préjugés  qui  existaient  chez  les  Israélites;  ces  locutions  vulgaires 
qui,  tenant  à  des  idées  locales,  se  maintiennent  chez  des  peuples 
placés  dans  les  mêmes  conditions,  et  s'y  perpétuent  quoique  ex- 
primées dans  un  langage  différent;  vérifier  ces  institutions  qui, 
nées  de  la  nature  même  du  climat;,  se  conservent  sans  altération 
chez  des  peuples  aussi  stationnaires  que  ceux  de  l'Orient ,  et  sur- 
tout chez  les  tribus  arabes  du  Désert.  Plusieurs  voyageurs  ont,  à 
diverses  époques ,  en  parcourant  l'Orient,  recueilli  un  certain 
nombre  de  faits  qui  pouvaient  répandre  quelque  jour  sur  plu- 
sieurs passages  de  la  Bible.  On  peut  citer,  entre  autres,  le  célèbre 
voyageur  Chardin,  qui,  dans  un  ouvrage  encore  inédit  et  conservé 
dans  une  bibliothèque  d'Angleterre,  s'occupa  d'appliquer  à  Tin- 
terprétation  de  la  Bible  les  nombreux  et  importans  renseignemens 
que  lui  avaient  fournis  ses  longues  courses  dans  la  Perse  et  les 
contrées  voisines.  Par  malheur,  les  pays  qu'avait  visités  le  savan  t 
voyageur  n'étaient  pas  ceux  qui  devaient  offrir  les  secours  les 
plus  directs  pour  l'intelligence  du  livre  :  ce  n'était  pas  dan?  la 
Perse,  c'était  dans  la  Palestine,  dans  la  Syrie,  dans  l'Arabie,  dans 
l'Egypte,  qu'il  fallait  surtout  chercher  les  matériaux  d'un  com- 
mentaire sur  l'ancien  et  le  nouveau  Testament. 

Il  semblerait,  au  premier  abord,  que  sur  cette  matière  nous  n\'.- 
vons  rien  à  désirer,  car  on  compte  par  centaines  les  voyageurs 
qui  depuis  l'origine  du  christianisme  ont  visité  la  Terre-Sainte. 
Mais,  en  général,  ces  pèlerins,  guidés  plutôt  par  des  motifs  de  dé- 


l'O  {(>  \i.M!-;\'i  Aii;i:   (;k()Gh  MMiioi  r. 

votiou  que  par  l'aiiioiu  dr  la  scicne  ,  se  sont  presque  exclusive- 
ment occupés  de  faire  partager  aux  lecteurs  les  senlimens  qu'a- 
vait fait  naître  dans  leur  âme  la  vue  des  lit  ux  qui  furent  le  ber- 
ceau de  notre  religion.  Suivant  pret^que  tous  la  même  route,  ils 
ont  répété  uniformément  les  mêmes  détails,  sans  paraître  se  dou- 
ter que  des  investigations  consciencieuses  et  savantes,  faites  sur 
les  lieux  ,  en  contribuant  à  cclaircir  la  Bible,  à  la  faire  mieux 
comprendre,  devaient  contribuer  puissamment  à  augmenter  le 
respect  qu*mspire  cet  auguste  livre.  Aussi  cette  masse  de  voyages, 
qui  se  succèdent  presque  sans  interruption  depuis  plusieurs  siècles, 
n'offrent  le  plus  souvent  au  travail  de  l'érudit  qu'une  répétition 
des  mêmes  objets  déjà  traités  cent  fois  et  à  peu  près  dans  les  mê- 
mes termes. 

Au  milieu  de  ces  nombreuses  relations,  il  est  des  ouvrages  qui 
font  exception  et  qui  méritent  une  mention  particulière,  tels  sont 
la  Relation  de  Ricli.  Pococke,  les  Mémoires  du  cLevalier  d'Ar- 
vieux,  r///5ro/r^  naturelle  d'Alep  de  Russell,  les  Voyages  de  Nie- 
buhr,  de  Buickbaidt,  etc.  Cesliabiles  voyageurs  ont,  dans  leurs 
intéressantes  relations,  recueilli  de  nombreuses  observations  qui 
peuvent  servira  commenter  et  à  éclaircir  le  textede  laBible.Et  des 
savans,  tels  que  Harmer,Burcler^  OEdmann^  Rosemnùller  et  autres, 
en  coordonnant  ces  matériaux  précieux  et  les  réunissant  à  ceux 
qui  sont  épars  dans  quantité  d'autres  relations,  ont  su  répandre 
du  jour  sur  bien  des  passages,  dont  le  sens  jusqu'alors  était  de- 
meuré obscur.  Dans  ces  derniers  tems,  deux  voyageurs  améri- 
cains, MM.  Robinson  et  Smithy  ont  parcouru  la  Palestine,  TAra- 
bie-Pétrée,  avec  l'intention  d'éclaircir  la  géographie  de  la  Bible. 
Et  leurs  patientes  investigations  leur  ont  procuré  la  découverte 
des  noms  et  des  ruines  de  bien  des  lieux  mentionnés  dans  les  livres 
de  l'ancien  et  du  nouveau  Testament.  Mais  ces  estimables  voya- 
geurs, n'ayant  pu  pénétrer  partout,  ayant  été  contraints  de  res- 
treindre leurs  lechercbes  à  une  partie  de  la  contrée,  il  est  <  ncore 
une  vaste  étendue  de  terrain,  tant  en  deçà  qu'au  delà  du  Jour- 
dain, qui  attend  les  explorations  de  voyageurs  instruits,  patiens 
et  zélés  pour  l'éclaircissement  des  livres  saints.  D'ailleurs  il  est 
quantité  de  points,  surtout  pour  ce  qui  concerne  les  productions 


SUR    LEXOUK    ET    LES    WOMBRKS.  91 

delà  terre,  les  phénomènes  naturels  qui  ne  peuvent  être  suffisam- 
ment éclairris  par  des  voyageurs  même  parfaitement  instruits,  et 
ces  recherches  réclameni  impérieusement  des  hommes  doués  de 
talents  divers,  et  qui  puissent  séjourner  plusieurs  années  dans  les 
lieux  qu'ils  se  proposeront  d'exploiter  sous  toutes  les  faces. 

Ce  besoin  avait  été  senti  dans  le  18*^  siècle  par  un  prince  fran- 
çais, le  duc  d'Orléans,  fils  du  régent,  et  qui,  ayant  renoncé  com- 
plètement au  monde,  s'était  retiré  dans  la  maison  de  Sainte-Gre-' 
neviève,  où  il  partageait  son  tems  entre  la  i^ratique  des  vertus 
chrétiennes  les  plus  austères  et  l'étude  dt  s  livres  saints.  Après 
avoir  fondé  en  Sorbonne  une  chaire  de  langue  hébraïque,  il  eut 
un  moment  le  projet  d'envoyer  à  ses  frais  dans  la  Palestine  des 
hommes  chargés  spécialement  d'explorer  ce  pays  et  d'en  obser- 
ver les  productions.  Voici  ce  ..ue  raconte  à  ce  sujet  Tabbé  Lad- 
vocat  ^  :  «  J'avais  proposé  à  feu  M.  le  duc  d'Orléans  de  m'en- 
»  voyer  dans  ces  pays  avec  feu  M.  Gault  et  un  autre  médecin, 
»  deux  géographes,  deux  astronomes,  deux  dessinateurs,  deux 
»  personnes  qui  sussent  parler  le  turc  et  l'arabe,  et  deux  bons 
»  chasseurs,  pour  nous  tuer  les  oiseaux  et  les  animaux  à  dessiner. 
»  Je  demandais  un  an  pour  choisir  ces  personnes,  pour  faire  avec 
«elles  le  plan  de  ce  voyage,  etpour  examiner  quel  serait  l'objet  de 
»  notre  travail  et  de  nos  recherches.  Nous  devions  lever  géomé- 
»  triquement  les  cartes  de  ces  paj's  sur  les  lieux,  prendre  connais- 
»  sance  des  lacs,  des  rivière-,  des  torrens,  des  fontaines,  des  puits, 
»  des  arbres,  arbrisseaux  et  plantes  de  toutes  espèces,  des  ani- 
»  maux,  des  oiseaux,  des  reptiles,  des  insectes  même,  des  forêts, 
»  des  montagnes,  des  mines,  des  vallées,  du  sol  de  la  terre  en 
»  chaque  endroit,  de  la  qualité  des  pierres,  de  la  situation  pré- 
»  sente  et  des  noms  actuels  des  villes,  des  villages,  des  châteaux, 
»  des  hameaux,  des  chemins,  des  ruines,  des  inscriptions  et  autres 
»  monumens,  en  un  mot,  de  tout  ce  qui  peut  intéresser  les  cu- 
»  rieux  ou  éclaircir  l'Ecriture  sainte.  L'exécution  était  digne  de 


'  Lettre  zn  P.  Houbigant,  à  la  suite  de  son  Interprétation  hisforiqut 
et  critique  du  psaume  i.xviii,  p.  3i?>,  3i4. 


92  COMMENTAIRE  GEOGRAPHIQUE 

»  ce  vertueux  prince.  Il  l'approuva  d*abord,  et  j'avais  dôjà  trouvé 
»  la  plus  grande  partie  de  mes  compagnons  de  voyage.  Mais, 
»  connne  nous  expliqtiions  ensemble,  je  veux  dire  M.  le  duc  d'Or- 
oléaîis  et  moi,  le  lexte  sacré,  toutes  les  semaines,  deux  ou  trois 
>»  fois,  quelquefois  les  saints  Pères,  et  d'autres  fois  Homère,  Pla- 
»  ton,  ou  quelque  autre  auteur  profane,  il  se  plaisait  tellement  à 
y  ces  explications,  qu'il  me  dit  ensuite qu'd  ne  pouvait  se  détermi- 
»)  ner  à  me  laisser  partir  pour  un  si  long  voyage,  qui  ne  pourrait 
w  durer  moins  de  trois  ou  quatre  ans,  que  d'ailleurs  ilneme  trou- 
»  vait  pas  la  santé  assez  forte  pour  l'entreprendre  prudemment, 
u  Voilà  comme  ce  projet,  qui  faisait  concevoir  de  grandes  espé- 
»  rances  pour  l  éclaircissement  du  texte  sacré,  a  manqué.  » 

Il  serait  à  désirer  qu'un  pareil  dessein  fût  repris  de  nos  jours 
et  réalisé  dans  toute  son  étendue.  Certes  une  petite  colonie,  com- 
posée d'hommes  versés  dans  les  différentes  branches  des  sciences 
et  de  la  littérature,  et  dont  quelques-uns  parleraient  facilement 
les  langues  arabe  ou  turijue,  pourraient,  en  s'établissant  dans  la 
Palestine,  l'Arabie,  la  Syrie,  et  y  séjournant  plusieurs  années, re- 
cueillir une  masse  de  renseignemens  bien  précieuse  et  bien  supé- 
rieure à  tout  ce  que  Ton  peut  trouver  dans  les  écrits  des  voya- 
geurs isolés,  fort  estimables  sans  doute,  mais  qui  ont  souvent 
parouru  la  contrée  avec  trop  de  rapidité  pour  avoir  pu  y  faire 
ces  observations  profondes  et  solides  qui  ne  peuvent  être  le 
Iruit  que  d'une  résidence  prolongée.  En  attendant  qu'un  projet 
si  éminemment  utile  puisse  se  réaliser,  nous  ne  pouvons  qu'ap- 
plaudir aux  efforts  et  au  courage  d'un  jeune  savant,  qui,  vi- 
vant au  sein  de  Paris,  au  milieu  de  tous  les  agrémens  que  pro- 
cure la  richesse,  de  l'attrait  que  présente  une  société  choisie  et 
brillante,  s'est  arrache  à  tant  de  séductions  pour  aller  s'enfoncer 
dans  les  déserts  de  l'Arabie,  braver  la  faim,  la  soif,  la  chaleur, 
les  dangers  de  tout  genre,  les  attaques  des  peuples  sauvages,  des 
aniniaux  carjiassiers,  dans  l'intention  d'explorer  les  lieux  qui  ont 
été  le  théâtre  des  événemcnsque  rapporte  la  Bible,  et  d'éclaircir 
ainsi  les  récits  de  cet  admirabki  livre.  Car  M.  Ijéon  de  Laborde 
n'est  pas  de  ces  hommes  qui  étudient  les  livres  saints  dans  l'espé- 
rance d'y  trouver  des  faits  impossibles  à  comprendre,  des  nar- 


SUR    L  EXODE    ET    LES    NOMBRFS. 


93 


rations  évidemment  fabuleuses,  et  d'infirmer  ainsi  1  autorité  que 
doivent  obtenir  ces  antiques  monumens  de  notre  religion.  Il  re- 
pousse au  contraire  avec  force  les  idées,  les  assertions  des  ratio- 
nalistes modernes.  Le  travail  de  M.  de  Laborde,  ainsi  que  le  titre 
Tindique,  a  pour  objet  principal  \a. géographie.  Ce  qui  n'a  pasem- 
pèclié  l'auteur  de  faire  à  chaque  pas  de  nombreuses  excursions 
sur  le  domaine  de  l'histoire  naturelle,  de  l'histoire  littéraire,  de 
la  philologie,  de  l'histoire,  de  la  chronologie  et  d'autres  sciences. 
Un  bon  esprit,  une  conviction  sincère  l'ont  guidé  dans  ses  labo- 
rieuses explorations.  Et  l'on  sent  partout  combien  il  s'estime 
heureux  de  pouvoir  assurer  que,  dans  le  cours  de  ses  voyages,  il 
n'a  rien  trouvé  qui  n'ait  confirmé  l'exactitude  de  la  narration  de 
Moïse,  qui  n'ait  démontré  que  cet  admirable  législateur  est  en 
même  tems  le  plus  véridique,  le  plus  exact  des  historiens.  Dans 
une  introduction  remplie  d'une  érudition  variée,  M.  de  Laborde 
montre  la  Bible  attaquée  dans  tous  les  tems  par  de  nombreux 
ennemis  et  sortant  toujours  victorieuse  de  ces  agressions.  Il  dé- 
montre ((ue  les  découvertes  de  la  science  et  celles  de  l'érudition 
moderne,  l'étude  des  monumens  de  l'Orient, loin  de  nuire  à  l'au- 
thenlicitc  des  i  écits  de  la  Bible,  semblent  au  contraire  la  faire 
briller  d'un  nouvel  éclat,  et  démontrer,  de  la  manière  la  plus  for- 
melle, la  vérité  de  faits  qui  par  leur  nature  semblaient  offrir  quel- 
que chose  d'équivoque,  et  prêter  ainsi  le  flanc  aux  critiques  d'é- 
crivains superficiels. 

M.  de  Laborde  passe  en  revue  une  partie  des  écrivains  qui, 
depuis  Eusèbe  et  S.  Jérôme  jusqu'à  nos  jours,  ont,  ou  par  leurs 
voyages  ou  par  leurs  travaux  d'érudition,  contribué  à  éclaircir  la 
géographie  de  la  Bible,  et,  en  particulier,  celle  du  Penlateuque. 
Cette  liste,  comme  on  peut  croire,  est  loin  d'être  complète.  Mais 
l'auteur  nous  apprend  cju'il  se  propose  de  publier  une  Bibliogra- 
phie des  pèlerinages,  croisades  et  Toyages  en  Terre-Sainte.  Un  ou- 
vrage de  ce  genre,  exécuté  avec  le  soin  que  réclame  une  matière 
aussi  importante,  ne  peut  m:;nqucr  d'offrir  des  résultats  d'un  haut 
intérêt,  tant  pour  la  religion  que  pour  l'histoire  et  la  critique.  Je 
me  permettrai  toutefois  de  faire  observer  que  M.  de  Labo;  de  s'est 
trompé,  lorsqu'il  fait  vivre  Adrichomius  en  1276.  Cet  historien. 


94  COMMKNTAIRK    GÉOGRAPUIQUE 

auquel  nous  devons  l'ouvrage  intitulé  :  Theatrum  Terrœ  sanctce, 
écrivit  dans  le  16"  siècle. 

M.  de  Laborde  passe  en  revue  les  voyages  entrepris  par  les  Juifs 
dans  le  moyen-âge  et  depuis  cette  époque  ;  il  fait  connaître  d'une 
manière  succincte  les  secours  que  les  livres  composés  par  des  Juifs 
ont  offerts  pour  l'intelligence  de  la  géographie  biblique.  Qu'il 
me  soit  permis  de  présenter  sur  ce  sujet  un  petit  nombre  d'ob- 
servations critiques.  M.  de  Laborde  distingue  la  Mischnah  des 
deux  Talmuds.  Cette  assertion  n'est  pas  parfaitement  exacte.  Le 
Talmud  se  compose  de  deux  parties.  La  première  qui  est  la  plus 
ancienne  est  dés  gnée  par  le  mot  cbaldaïen  Mischnah,  on  ^  ru 
pluriel,  michnaioth,  c'est-à-dire  instruclion  ;  la  seconde  est  appelée 
Ghémare^  c'est-à-dire  perfection^  et  offre,  comme  son  nom  l'indi- 
que, le  complément,  le  supplément  de  la  Mischnah.  VneGhémare 
est  écrite  d  i:js  le  dialecte  que  l'on  parlait  à  Jérusalem  et  dans  la 
Palestine.  L'autre,  dans  le  langage  qui  était  eu  usage  à  Babylone, 
ou  plutôt  dans  la  Babylonie  •,  de  là  viennent  les  dénominations  : 
Talmud  de  Jérusalem,  Talmud  de  Babjlone,  qui  désignent,  l'une 
ou  l'autre,  la  Ghémare  réunie  avec  la  Mischnah.  Aussi  la  Mischnah^ 
constituant  le  texte  primitif  du  Talmud,  peut  être  donnée  seule. 
Mais  la  Ghémare.,  soit  celle  de  Jérusalem  ,  soit  celle  de  Babylone, 
ne  saurait  eue  isolée,  et  ne  consiilue  pas  par  elle-même  un  Tal- 
mud. Il  ne  faut  pas  dire  le  Midraschim^  mais  les  Midrasch,  et  il 
faut  écrire  les  Targum,  et  non  le  Targum.  Je  ferai  observer  égale- 
ment que  l'on  doit  écrire  Zanolini.,  et  non  Hanoli;  que  le  nom  de 
l'éditeur  de  JosèplieestHavercamp  ;  que  le  Pliilon  de  Mangey  n'a 
pas  été  publié  de  format  in-S^j  mais  i7i-f°  ;  qu'il  en  existe  seule- 
ment une  réimpression  incomplète  sans  notes,  sans  commentaires, 
publiée  àErlang,  par  Pfeiffer,  en  5  vol.  in  8. 

M.  de  Laborde  trace  un  tableau  rapide  et  anitr^é  de  tout  ce  que 
les  pèlerins,  les  ermites  et  plus  tard  les  croisés,  les  marchands,  les 
guerriers  chrétiens,  les  voyageurs,  ont  fait,  soit  ex-professo,  soit 
par  occasion,  pour  l'éclaircissement  de  la  géographie  biblique  et 
de  celle  de  l'Orient,  en  général.  Il  renvoie,  comme  je  l'ai  déjà  dit, 
pour  des  détails  plus  circonstanciés,  à  l'ouvrage  important  qu'il  se 
propose  de  publier  sur  cette  matière  intéressante. 


SUR    L  FXODK    ET    LES    ^OMBRES.  95 

Il  fait  observer  combien  de  grands  voyages  ont  été  entrepris 
dans  l'antiquité  et  dans  le  moyen-âge  sans  le  secours  des  cartes 
géographiques.  Il  remarque  que  les  pèlerins,  privés  d'un  guide  si 
nécessaire,  suivirent  pendant  cinq  siècles  les  mêmes  itinéraires, 
décrivirent  les  mêmes  lieux  ;  que  les  croisés,  marchant  à  l'aven- 
ture, obligés  de  s'en  rapporter  à. des  guides  infidèles,  semèient  de 
leurs  ossemens  par  milliers   les  chemins   qui  conduisaient  à  la 

Terre-Sainte. 

M.  de  Laborde  trace  ici  une  histoire  abrégée,  rapide  et  intéres- 
sante des  cartes  de  géographie.  Il  fait  voir  que  les  peuples  les  plus 
anciens  ne  connurent  pas  ces  utiles  matériaux  ;  que  les  Egyptiens, 
les  Hébreux,  les  Phéniciens  eux-mêmes,  malgré  leurs  longs  et 
aventureux  voyages,  n'ont  point  eu  de  cartes  proprement  dites  ; 
que  l'expédition  des  dix  mille,  les  conquêtes  d'Alexandre,  la  mar- 
che d'Annibalen  Italie,  furent  exécutées  sans  le  secours  des  car- 
tes ;  il  ait;  ste  que  les  anciens  eurent  à  la  vérité  quelques  tableaux 
desnnés,soit  sur  mur,  soit  d'une  autre  matûère,  qui  représentaient 
une  image  de  quelques  pays,  des  paysages  plus  ou  moins  fidèles, 
plus  ou  moins  bieu  exécutés  ;  mais  qu'il  y  a  loin  de  ces  images 
imparfaites  à  de  véritables  cartes.  Il  fait  observer  que  les  systèmes 
géographiques  des  anciens,  ayant  été  coordonnés  par  eux  sans  le 
secours  des  caries,  à  l'aide  seulement  d'itinéraires,  d'ob?ervations 
géodésiques,  doivent  offrir  une  sorte  de  chaos  et  présenter  des 
difficultés  à  peu  près  inextricables.  Il  s'attache  à  prouver  que  la 
géographie  de  Ptolémée  est  peut-être  le  seul  ouvrage  qui  ait  été 
accompagné  de  cartes,  bien  imparfaites  sans  doute,  et  d'une  cons- 
truction bien  irrégulière.  Je  ferai  observer  que  dans  une  des  no- 
tes qui  accompagnent  et  développent  les  assertions  de  notre  au- 
teur, le  nom  à'Eusiathe  est  mal  à  propos  écrit  Eustace. 

M.  de  Laborde,  après  avoir  parlé  en  peu  de  mots  de  ces  caries 
si  imparfaites,  si  grossières,  que  nous  ont  transmises  les  Arabes , 
les  Chinois,  hs  Japonais  ,  les  Indiens,  passe  en  revue  ces  por- 
tulans, ces  cartes  terrestres  ou  maritimes  ,  dont  l'usage  s'intro- 
duisit en  Europe  au  commencement  du  14^  siècle,  et  qui,  dessi- 
nées séparément  ou  ajoutées  aux  manuscrits  de  la  géographie  d<3 
Ptolémée,  à  l'ouvrage  de  Sanudo  et  à  d'autres  recueils,  ont  été 


96  COMMENTAIRE    GtOGRAPHIQCJE 

reproduites  par  la  gravure,  ou  sont  encore  aujourd'lnii  conser- 
vées dans  des  collections  publiques  ou  particulières.  Nous  ne 
pouvons  par  malheur  suivre  l'auteur  dans  les  détails  intéressans 
qu'il  donne  sur  cette  matière.  Revenant,  par  une  transition  heu- 
reuse et  naturelle  à  ce  qui  concerne  la  Terre-Sainte,  il  nous  fait 
voir  la  configuration  de  ce  pays  et  des  contrées  voisines,  tracées 
d'abord  sur  les  cartes  d'une  manière  tout-à-faii  imparfaite,  s'ame- 
liorant  peu  à  peu  d'après  les  observations  des  pèlerins  et  des  voya- 
geurs ;  il  cite  comme  un  modèle  d'exactitude  la  carte  dessinée 
par  un  nommé  E.  Rewich,  qui  accompagnait  le  voyageur  Brey- 
denbach,  et  il  reproduit  par  la  gravure  une  partie  de  cette  carte. 
M.  de  Laborde,  après  avoir  retracé  en  peu  de  mots  les  expédi- 
tions que  les  Portugais,  au  16^  siècle,  entreprirent  dans  la  mer 
Rouge,  donne  en  note,  d'une  manière  sommaire,  la  nomencla- 
ture des  travaux  hydrographiques  dont  cette  mer,  depuis  un 
siècle,  a  été  l'objet.  L'auteur  continue  ensuite  à  passer  en  revue 
et  à  caractériser  les  travaux  'que  les  géographes  et  les  voyageurs 
des  derniers  siècles  ont  faits  avec  plus  ou  moins  de  succès  pour 
améliorer  la  carte  de  la  Terre  Sainte  et  des  contrées  voisines. 
M.  de  Laborde,  après  avoir  fait  observer  que,  sous  le  rapport  de 
l'art  du  dessin  ,  les  premiers  siècles  du  Christianisme,  ainsi  que 
ceux  du  moyen  âge,  n'offrent  presque  pas  de  représentation  fi- 
dèle des  lieux  de  la  Palestine,  rappelle  que  le  premier  ouvrage 
où  l'on  trouve  des  figures  dessinées  d'après  nature,  est  le  voyage 
de  Brej  denbac/i ,  cet  homme  estimable  dont  il  a  été  fait  mention 
plus  haut,  et  qui  parcourait  l'Orient  vers  1484.  Il  cite  ensuite 
les  vues  plus  nombreuses  ,  publiées  par  Amico  et  Zuallart,  à  la 
fin  du  l6s  siècle;  les  planches  nombreuses  qui  ornent  le  voyage 
de  Corneille  Lebruyn  (et  non  pas  Lebrun,  comme  on  lit  dans  le 
texte).  Il  fait  mention  des  ruines  de  Palmyre,  publiées  par  Wood 
et  Dawkins  (et  non  pas  DakinSj  comme  on  lit  ici  d'après  une 
orthogiapbe  peu  exacte).  J'ignore  pourquoi  M.  de  Laborde 
n'a  pas  compris  dans  ceUo  énumérationlesna'zîei  de  Balbeh,  des- 
sinées et  communiquées  au  public  à  la  même  époque.  Je  n'ai  pas 
besoin  de  mentionner  ici,  avec  notre  auteur,  les  travaux  que 
Cassas  et  tant  d'autres  voyageurs  plus  modernes  ont  entrepris 


SUR    l'exode    et   les    WOiMBRES.  VIT 

avec  plus  ou  moins  de  succès,  pour  faire  connaîlre,  par  le  dessin, 
les  monuuiens,  les  sites,  les  usages  de  la  Terre-Sainte  et  des  pays 
qui  l'avoisinent.  Le  nom  de  iM.  de  Laborde  tiendra  désormais 
dans  la  liste  des  voyageurs  instruits  et  consciencieux  un  rang 
extrêmement  distingué. 

L'auteur  parle  ensuite  des  travaux  qui  ont  été  faits  pour  éclair- 
ci  r  la  botanique  de  la  Bible.  —  Cette  partie  de  la  science,  quoique 
traitée  par  des  hommes  érudits  et  habiles,  est  encore  as^ez  im- 
parfaite ,  et  attend  un  travail  consciencieux  fait  sur  les  lieux , 
avec  l'intention  expresse  d'interpréter  le  langage  de  la  Bible. 
L'auteur  nous  annonce  la  publication  prochaine  d'un  traité  im- 
portant sur  les  plantes  de  l'Orient,  recueillies  par  M,  le  comte 
Jaubert.  ISl.  de  Lnborde  me  permettra  sans  doute  de  lui  adresser 
quelques  légères  observations.  D'abord  il  écrit  :  M.  Lequien  ;  il 
fallait  dire  :  le  P.  Lequien.  En  citant  l'excellente  Histoire  natii^ 
relie  d'Alep,  du  docteur  Russell,  il  faudrait  indiquer  de  préfé- 
rence la  2''  édition  publiée  en  1794.  Pour  le  traité  d'Olaus  Cel- 
sius, il  fallait  dire  que  l'édition  originale  a  été  publiée  à  Lpsal. 
La  collection  d'OEdmanTi^que  l'auteur  a  citée  ailleurs,  aurait  pu 
être  indiquée  ici. 

M.  de  Laborde  passe  ensuite  à  l'exposition  des  travaux  qui  ont 
été  faits  pour  expliquer  le  voyage  des  Israélites  à  leur  sortie  d'E- 
gypte, et  le  tracé  de  leur  campement  dans  l'Arabie.  Il  n'a  pas  de 
peine  à  prouver  que  l'on  avait  jusqu'ici  détermine  d'une  manière 
peu  exacte  le  chemin  des  Israélites  ;  que  ces  erreurs  provenaient 
de  deux  sources.  D'abord,  on  manquait  de  bonnes  cartes  levées 
sur  les  lieux  ;  en  second  lieu,  comme  on  connaissait  mal  la  na- 
ture du  terrain,  on  avait  figuré  des  montagnes  là  où  il  n'en  exisle 
pas,  et  l'on  avait  été  contraint  de  faire  passer  les  Israélites  sur  des 
points  où  des  hauteurs  escarpées  devaient  opposer  à  leur  marche 
des  obstacles  insurmontables. 

M.  de  Laborde  cite  ensuite  une  foule  d'ouvrages  ,  de  disserta- 
tions ,  qui  ont  eu  pour  objet  le  passage  de  la  mer  Rouge  et  les 
autres  faits  de  l'histoire  primitive  du  peuple  de  Dieu.  Cette  liste, 
commeonpeutlecroire,  estloin  d'être  complète.  Jeme  contenterai 
seulement  d'indiquer  à  l'auteur  un  petit  ouvrage  intitulé  :  Essai 
physique  sur  V heure  des  marée    dans  la  mer  Rouge,  comparée  avec 


98  COMMENTAIRE    GEOGRAPHIQUE 

l'heure  du  passage  des  Hébreux  (Cologne  et  Paris,  1755;  et  que 
J.  D.  Michaélis  fit  réimprimer  à  Gœttingue ,  avec  des  notes).  Je 
signalerai  aussi  le  nom  d'un  écrivain  moderne,  pour  lequel  M. 
de  Laborde  a  suivi  une  orthographe  peu  exacte.  Une  dissertation 
de  Palœstinœ  fertilitate  est  indiquée  comme  ayant  pour  auteur 
H,-E.  Warnekes  ;  il  faut  lire  IFarnekros.  Je  ferai  observer  que 
le  même  philologue  a  publié  en  langue  allemande  un  traité  fort 
estimé  sur  l'archéologie  biblique  ;  et  qu'une  nouvelle  édition  de 
cet  ouvrage,  entièrement  refondue,  a  été  donnée  en  1832  par 
M.  Hoffmann. 

M.  de  Laborde  ,  après  avoir  rappelé  en  peu  de  mots  les  sarcas- 
mes, aujourd'hui  bien  oubliés  ,  que  Voltaire  ,  Gœthe  et  autres 
écrivains  se  sont  plu  à  lancer  contre  la  Bible,  (.-t,  en  particulier, 
contre  Moïse  et  le  Pentateuque,  achève  de  passer  en  revue  les 
voyageurs  qui  ont  parcouru  TArabie-Pétrée,  et  dont  quelques- 
uns  ,  ayant  écrit  à  une  époque  extrêmement  récente  ,  n'ont  pas 
encore  passé  sous  mes  yeux.  Je  ne  puis  donc  faire  autre  chose 
que  souscrire  au  jugement  qu'en  porte  xM.de  Laborde. 

Avant  de  terminer  son  Introduction,  \e  savant  commentateur 
aborde  une  questiontrès  importante  sous  le  rapport  delà  religion, 
et  dont  la  solution  est  éminemment  essentielle  à  l'objet  de  ses 
recherches,  puisque  sans  elle  on  comprendrait  mal  les  récits  de  la 
Bible,  et  en  particulier  ceux  de  ÎMoïse.  Je  veux  parler  de  la  ques- 
tion des  miracles.  On  sait  que  les  hommes  incrédules  des  difïérens 
siècles,  que  les  rationalistes  de  notre  époque  refusent  obstiné- 
ment d'admettre  aucun  prodige.  Suivant  eux ,  les  faits  auxquels 
on  aitiibue  ce  titre  ne  sont  autre  chose  que  des  effets  naturels , 
mal  connus  du  vulgaire,  ou  des  tours  d'adresse,  des  ruses  de 
charlatans,  ou  des  mythes,  des  fables  absurdes.  M.  de  Laborde 
repousse  avec  force  ces  opinions  hardies  ,  et  reconnaît  l'existence 
de  véritables  miracles.  Il  est ,  ie  ci  ois,  difficile  que  les  hommes 
sensés  et  impartiaux,  qui  voudront  examiner  mûrement  ce  grave 
sujet,  ne  finissent  par  se  rendre  à  l'évidence  et  partager  la  même 
conviction.  Sans  doute,  on  doit  être  extrêmement  réservé  pour 
admettre  des  choses  extraordinaires  qui  semblent  choquer  la 
vraisemblance  ;  à  coup  sûr,  bien  des  faits  qui,  dans  des  siècles  peu 


SUR  l'exode  et  les  wombres.  99 

t'clairés,  semblaient  présenter  un  caractère  merveilleux,  sont  au- 
jourd'hui regardés  avec  raison  comme  devant  leur  origine  à 
des  causes  physiques ,  dont  le  progrès  des  lumières  a  fait  dé- 
couvrir l'existence,  qui  jadis  étaient  loin  d'être  soupçonnés. 
Sans  doute,  une  souverains  sagesse,  ayant  établi  ces  lois  admira- 
bles d'après  lesquelles  est  gouvernée  la  nature,  n'ira  pas,  pour  des 
motifs  frivoles,  sans  aucune  utilité  réelle,  intervertir  cet  ordre 
admirable,  et  porter  une  sorte  de  perturbation  dans  cet  ensem- 
ble si  parfaitement  réglé  ;  mais  d'un  autre  coté,  si  une  puissance 
infinie,  par  un  seul  acte  de  sa  volonté,  a  pu  organiser  l'univers, 
jeter  dans  l'espace  le  soleil  et  les  autres  astres  qui  peuplent  son 
immense  étendue,  retenir  la  mer  dans  son  lit,  bouleverser  par  des 
secousses  convulsives  la  terre  ébranlée  jusque  dans  ses  entrailles, 
il  lui  est  bien  facile,  à  coup  sûr,  d'introduire,  quand  il  lui  plaît, 
des  modifications  légères  dans  ces  mêmes  lois,  auxquelles  le  monde 
est  soumis,  et  qui  sont  l'œuvre  de  sa  volonté  iirésisiible.  Ainsi 
donc,  à  moins  que  l'on  ne  veuille  professer  un  absurde  athéisme, 
et  reconnaître  partout  l'intervention  unique  d'une  force  aveugle, 
il  faut  confesser  que  Dieu  a  pu,  dans  plus  d'une  circonstance, 
pour  des  motifs  bien  réels ,  mais  dont  l'utilité  échappe  quelque- 
fois à  nos  regards,  opérer  quand  il  l'a  voulu  des  actes  surnatu- 
rels ;  or,  si  Dieu  avait  jadis  cette  puissance,  il  l'a  conservée,  et  la 
conservera  jusque  dans  l'éternité. 

Si,  dans  l'histoire  du  peuple  juif,  un  fait  indiqué  comme  en- 
trant d'une  manière  essentielle  dans  l'économie  des  desseins  de 
la  divinité  n'a  pu  s'accomphr  par  des  moyens  naturels,  et  s'est 
cependant  réahsé,  on  doit  convenir  que  c'est  l'eifet  d'un  pou- 
voir surnaturel  c'est-à-dire  un  miracle.  Sans  nous  écarter  des 
événemens  dont  M.  de  Laborde  a  commenté  le  récit,  il  est  évident 
que  Dieu,  voulant  délivrer  les  Israéhtes  de  la  servitude  où  ils 
gémissaient,  et  les  étabhr  dans  la  possession  d'une  contrée  nou- 
velle, il  fallait  que  des  faits  surnaturels  vinssent  frapper  d'effroi 
les  Egyptiens  et  les  peuples  voisins,  paralyser  leuis  efforts ,  raf- 
fermir la  foi  chancelante  des  Hébreux,  les  prémunir  et  les  fortifier 
contrele  découragement,  le  désespoir,  les  embarras  de  leur  situa- 
tion présente,  les   inquiétudes   que  leur   offrait  l'avenir.  Or,  ce» 


100  COM.MK.MAIHE    GÉOGRAPHIQUt 

effets  n'ont  pu  réellement  s'opérer  par  la  seule  interveution  des 
moyens  humains,et  la  main  de  Dieu  a  pu  seule  trancher  les  di- 
cultés  nombreuses   dont  la  carrière  de  3Ioïse  et  de  son    peuple 
devait  être  semée. 

Parmi  les  faits  nombreux  et  extraordinaires  que  présente  cette 
histoire,  je  me  contenterai  d'en  citer  un.  Les  Israélites,  formant 
une  nombreuse  population,  étaient  destinés  à  vivre  durent  qua- 
rante ans  dans  les  solitudes  de  rArabie-Pëlrée,  c'est-à-dire  dans  le 
plus  affreux  désert  qui  existe  au  monde,  où  quelques  milliers 
d'Arabes  traînent  une  existence  malheureuse,  et,  malf^ré  leur 
extrême  frugalité,  ont  bien  de  la  peine  à  ne  pas  mourir  de  faim. 
Le  long  séjour  des  Hébreux  dans  cetle  contrée  inhospitalière  est 
un  fait  complètement  démontré.  Or,  s'ils  l'ont  liabitée  et  parcou- 
rue durant  un  si  grand  nombre  d'années,  ils  ont  dû  trouver  les 
moyens  de  subsister  là  ou  un  sol  aride  n'en  oflre  d'aucune  es- 
pèce. .Nous  savons  par  le  récit  de  Moïse,  confirmé  d'ailleurs  par 
tous  les  monumens  de  Thistoire  et  de  la  liuérature  hébraïque,  que 
Dieu  envoya  journellement  à  son  peuple  une  mâne  qui  euftisait 
à  sa  nourriture  :  or,  cetle  mâne,  qui,  par  ses  caractères,  n'avait 
<iu\in  faible  rapport  avec  la  substance  sucrée  du  même  nom, 
que  l'on  recueille  sur  les  feuilles  des  tamarisques  de  ce  déseit, 
qui  avait  une  propriété  éminemment  nutritive,  qui  se  ramassait 
sur  le  sol  t!ii  déseit,  qui  ne  se  montrait  pas  le  samedi,  qui  cessa 
de  paraître  au  moment  oii  les  Israélites  mirent  le  pied  sur  la 
te)  re  promise,  était  évidemment  envoyée  par  une  providence 
surnaturelle,  et  son  existence  ne  pouvait  être  attribuée  à  des 
moyens  humains.  Il  y  avait  donc  là  un  miracle,  et  un  miracle 
qui  se  renouvela  journellement,  durant  une  longue  période  de 
quarante  années. 

La  plupart  du  tems,  lorsque  Dieu  opère  des  miracles ,  il 
emploie  des  moyens  purement  naturels.  Le  prodige  consiste 
alors,  non  pas  dans  la  réalisation  du  fait,  mais,  dans  ce  que 
ce  fait  acquiert  une  intensité  tout-à-fait  inusitée,  ou  bien  en 
ce  que  la  chose  se  produit  à  point,  à  l'époque  indiquée  dans  les 
décrets  divins,  lorsqu'aucune  prévision  humaine  ne  pouvait  de- 
viner un  pareil  événement.  Ainsi,  les  mars  de  Jéricho   tombent 


SUR    LEXODK    KT    LrS    ^OMBRES.  101 

devant  l'Aiclie  d'alliance.  Bien  probablement  cette  destruction 
fut  opérée  par  un  tremblement  de  terre.  Mais  cette  commotion 
arriva  à  point  nommé,  ainsi  que  l'avait  annonce'  une  prédiction 
divine.  Yoilà  donc  ce  qui  constitue  le  miracle  ;  car  jamais  la  pré- 
vision humaine  n'a  pu  calculer  d'avance  un  pareil  phénomène, 
et  aujourd'hui  encore,  malgré  les  immenses  progrès  qu'ont  fait 
les  sciences  physiques,  aucun  savant  ne  pourrait,  une  heure  d'a- 
vance, prédire  l'existence  d'un  tremblement  de  terre. 

Dans  le  récit  des  plaies  d'Egypte,  nous  voyons  des  faits  natu- 
rels se  produire  à  la  voix  de  Dieu,  avec  une  violence  inaccoutu- 
mée, à  des  époques  où  d'ordinaire  ils  n'ont  pas  lieu;  se  répandre 
simultanément  sur  une  vaste  étendue  de  pays,  frapper  les  Egyp- 
tiens, tandis  que  les  Hébreux,  placés  dans  leur  voisinage,  se 
trouvèrent  complètement  à  l'abri  du  fléau;  une  maladie  cruelle 
et  instantanée  faire  périr  en  une  nuit  tous  les  premiers-nés  de 
l'Egypte,  tandis  qu'elle  respecta  complètement  les  familles  des 
Israélites.  Je  demande  s'il  est  possible  de  voir  dans  ces  événe- 
ments, qui  paraissent  au  premier  abord  le  produit  de  causes 
naturelles,  autre  chose  que  l'intervention  immédiate  de  la  toute- 
puissance  divine,  et,  par  suite,  de  véritables  miracles? 

Que,  sous  le  règne  de  David,  la  ville  de  Jérusalem  ait  été  eu 
proie  à  une  maladie  cruelle  ,  qui,  dans  l'espace  de  trois  jours, 
moissonna  70,000  hommes,  c'est  là,  sans  doute,  un  de  ces  tristes 
événemens  qui  peuvent  s'expliquer  par  des  causes  naturelles. 
Mais  qu'un  prophète  ait  annoncé  cette  catastrophe  comme  un 
châtiment  infligé  par  la  divinité  au  roi  coupable;  que,  dans  le 
moment  où  Dieu,  fléchi  par  les  prières  et  les  larmes  du  monar- 
que, ordonne,  suivant  l'expression  poétique  de  l'écriture,  à  l'ange 
exterminateur  de  remettre  son  épée  dans  le  fourreau,  le  fléau 
ait  cessé  instantanément,  entièrement  :  voilà  ce  qui  constitue  le 
prodige  ! 

Plus  tard  l'armée  de  Sennachérib,  roi  d'Assyrie,  fut  presque 
totalement  anéantie,  dans  l'espace  d'une  seule  nuit_,  sous  les 
murs  de  Jérusalem.  Sans  doute  des  soldats,  forcés  de  faire  la 
guerre  dans  des  contrées  brûlantes,  se  livrant  à  tous  les  excès  de 
l'intempérance,  de  la  débauche,  peuvent  être  facilement  déci- 
ni«  SERIE.  TOME  VI.  —  N"  32.  1842.  7 


102      COMM.    CÉOG.    SLR   L  EXODE    ET    LES    NOMBRES. 

mes  par  des  raaladies  lyphoïdales  ou  autres;  mais  a-t-on  ja- 
mais lu  dans  aucune  histoire  qu^une  armée,  au  milieu  même  des 
plus  terribles  épidémies,  ait  dans  une  seule  nuit  perdu  185,000 
liOmmes?Or,  la  délivrance  de  Jérusalem  avait  été  expressément 
annoncée  par  te  prophète  Isaîe,  et  la  puissance  du  roi  d'Assy- 
rie ne  pouvait  être  renversée  par  des  moyens  humains,  par  les 
faibles  forces  du  roi  Ezéchias ,  par  cette  population  renfermée 
dans  les  murs  de  la  capitale,  et  qu'avait  glacée  d'effroi  les  dis- 
cours ai  rogans  de  Rab  acès^  il  e&t  donc  impossible,  je  crois,  de  ne 
pas  voir  dans  cet  événement  désastreux  l'interyenlion  d'une  main 
divine,  un  véritable  miracle. 

Je  ne  pousserai  pas  plus  loiu  ces  observations,  qui,  pour  être 
exposées  comme  le  sujet  le  comporte,  exigeraient  de  longs  dé- 
veloppeinens,  des  discussions  déplus  d'un  genre. 

Dans  les  articles  suivans,  j'examinerai  avec  soin  le  travail  de 
M.  Léon  de  Laborde.  J'indiquerai  les  services  qu'il  a  rendus  à  la 
science  en  général,  et  en  particulier  à  la  géographie  ei  à  l'inter- 
prétation de  la  Bible.  Si,  sur  quelques  points,  je  me  permets  de 
modifier,  de  combattre  même  ses  seniimens,  je  le  ferai  toujours 
avec  ces  égards  que  l'on  doit  au  véritable  talent. 

QUATREMÈRE, 
De  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- Lettres. 


GE    QUE    LOiN    ENTEND    PAR    3IYTHES.  101 


Critique  eibliquc. 

LES 
LIVRES  DE  L'ANCIEN-TESTAMENT 

CONTIENNENT-ILS  DES  MYTHES? 


^ett^iéme    arttcfe  \ 


Ce  que  c'est  que  les  mythes. 

Elude  des  mythologies  païennes.  —  Comment  elle  a  conduit  à  recher- 
cher des  mythes  dans  nos  livres  saints.  — DifFérenssens  du  mot  mythe. 
—  Origine  et  caractères  du  mythe.  — -  Ce  qui  le  distingue  de  quel- 
ques idées  voisines.  —  Diverses  applications  du  système  mythique  à 
l'histoire  profane. 

Depuis  un  certain  nombre  d'années,  les  esprits  se  sont  épris 
d'un  enthousiasme  sans  exemple  jusqu'alors  pour  l'étude  des 
mythologies  païennes.  On  a  remué  dans  tous  les  sens  les  annales 
de  l'ancien  monde,  on  a  fouillé  au  fond  des  vieilles  chroniques 
qui  datent  du  berceau  des  premiers  hommes,  afin  de  découvrir 
le  sens  des  fables  qu'elles  contiennent,  la  raison,  le  mode  de  leur 
formation  :  puis  on  a  voulu  suivre  à  travers  les  âges  la  série  de 
leurs  transformations  sans  nombre.  Les  religions  de  l'Inde,  de  la 
Grèce  et  de  Rome  ont  d'abord  concentré  l'attention  des  savans. 


Voir  un  autrt  article  sur  les  mythes,  au  t.  iv,  p.  ^oSt 


'104  CE   QUE  t/Oi\  ENTE.ND 

Heyne',  llermann^,  Wagner  s,  Kann  »,  Hug^,  Creuzei*',  Oll- 
fried- Millier',  Schelling  ^,  ISieburli^,  etc,  les  ont  soumises  à  un 
examen  approfondi.  Ils  ont  pris  chaque  fait  en  particulier,  ils 
l'ont  analysé  dans  toutes  ses  parties;  et,  placés  toujours  au  point 
de  vue  du  19^  siècle  pour  juger  l'antiquité,  ils  ont  essayé  de  se 
rendre  compte,  non  pas  tant  de  sa  nature  intrinsèque  que  de  la 
manière  dont  le  récit  qui  le  retrace  a  pu  se  former.  Cette  re- 
cherche une  fois  terminée,  ils  ont  prétendu  être  en  état  de  pro- 
noncer avec  certitude  s'il  présente  une  image  fidèle  de  l'événe- 
ment, ou  si  la  tradition,  avant  qu'il  ait  été  fixé  par  écrit,  l'a 
compliqué  de  ces  circonstances  étrangères  et  merveilleuses  qu'elle 
affectionne  ;  ils  ont  cru  pouvoir  faire  la  part  de  la  réalité  et  de 
l'idéal,  reconnaître  si  le  récit  qu'ils  envisagent  est  une  histoire  ou 
un  myLhe.  Dans  le  premier  cas,  ils  l'admettent  dans  son  entier; 
dans  le  second,  ils  en  retiennent  une  partie  et  rejettent  l'autre. 
Loin  de  nous  la  pensée  de  blâmer  entièrement  la  nature  de  ces 
travaux,  de  repousser  tous  les  résultats  auxquels  ils  ont  conduit. 
Nous  savons  fort  bien  que  la  mythologie  a  fait  des  pas  immenses, 


'  Temporum  mythicorum  memoria  à  corrupUlis  nonnullis  vindi- 
cata,  Comment.,  Gotting,  t.  vin. 

»  Hermann  s  Uandbuch  der  Mythologie. 

^  Ideën  zu  einer  allgemeine  Mythologie  der  alten  /f^e/^,  Frankf. 
am  Mein,  1808, 

*  Erste  Urkunden  der  geschichte,  oder  allgemeine  Mythologie, 
Baireuth,  1808. 

'  Untersuchungen  liber  den  Mythos  der  berûhmteren  rôlker  der 
alten  JVell,  vozûglich  der  Giiechen,  dessenEntstehen,  Verdnderungen 
und  Inhalt.  Freybourg  und  Konstanz,  1812. 

^  Symbolik  und  Mythologie  der  alten  vôlkery  besonders  der  Grie- 
chen.  Leipzig  und  Darmstadt. 

■^  Prolegornena  zu  einer  wissenschaftUchen  Mythologie.  1825. 

°  Schelling,  ûber  Mythen^  historiche  sagen  und  philosophemc  der 
îie^icn  welt  Pauluâ,  etc. 

•  ^omische  geschichte. 


PAR    MYTHES.  4  05 

que  les  leclieiches  des  savans  lui  ont  assuré  une  place  Lmpoi  tante 
dans  la  science  ;  mais  ce  qui  nous  paraît  absurde,  c'est  cette  ma- 
nie du  mythe  qui  travaille  les  intelligences  au-delà  du  Rliin,  qui 
les  porte  à  mutiler  tous  les  récits,  à  en  tordre  le  sens  ,  afin  de  les 
encadrer  dans  un  système  préconçu  ;  car  sur  le  terrain  du  mythe  le 
pas  est  glissant  :  une  fois  lancé,  il  est  difficile  de  s'arrêter.  On 
marcha  d'abord,  il  est  vrai,  avec  une  certaine  réserve,  on  se  garda 
bien  d'aller  se  heurter  contre  les  livres  sacrés  des  Hébreux  et  des 
Chrétiens  ;  puis  on  s'enhardit  peu  à  peu  ,  on  sentit  s'affaiblir  gra- 
duellement le  respect  qu'ils  inspiraient;  on  se  prit  à  les  mettre 
en  parallèle  avec  les  annales  profanes;  on  les  livra  au  contrôle  de 
la  science,  et,  qviand  ils  furent  ainsi  étendus  sur  ce  lit  de  Pro- 
custe,on  leur  arracha  la  même  conclusion  qu'à  ces  dernières.  Ga- 
bier ',  Schelling  2,  Bauer  ',  Yater  S  De  Wette  \  ttc,  s'efforcèrent 
de  montrer  que  les  livres  de  l'ancien  Testament  ont  aussi  leurs 
mythes,  leurs  récits,  dont  il  ne  faut  voir  que  le  fait  ou  l'idée  qui 
leur  sert  de  base,  et  rejeter  la  forme,  les  accessoires,  œuvre  d'une 
tradition  postérieure  fort  peu  digne  de  créance.  Restait  l'histoire 
évangélique.  Strauss  s'en  empara,  et  l'on  sait  comment,  devant 
ce  démolisseur  infaligable,  sont  tombés  un  à  un  ,  réduits  à  la  va- 
leur de  simples  myilies  ,  des  faits  qui,  depuis  dix-huit  siècles, 
n'ont  pas  cessé  de  présenter  à  tous  les  esprits  un  caractère  pal- 
pable de  vérité. 

Avant  d'examiner  ce  système  dans  tous  ses  détails  ,  nous 
croyons  devoir  exposer  les  opinions  de  ses  partisans  sur  l'origine 
et  les  caractères  du  mythe,  montrer  ce  qui  le  distingue  de  quel- 
ques autres  idées  voisines^  et  enfin  indiquer  quelques-uns  des 
résultats  auxquels  a  conduit  son  application  à  l'histoire  profane. 


'  Gabier,  Einleinlimg  zu  Eichorns  Urgeschichte^  tome  ir,  p.  ^8?  et 
suivantes. 

'*  Schelling,  iibi  sup. 

'  Baucr,  Hebraische  Mythologie,  t.  i,  p.  22. 

^  Vater,  Commeniar  ûbei-  den  Pentaieuch,  t.  ni,  p.  600,  etc. 

*  De  Wette,  Kritik  der  Mosaischen  geschitche,  p.  11,  etc. 


106  CR    QUK    l/oiN     IM'I  M) 

Le  mot  grec  aôOoç,  dont  nous  avons  l'ail  notre  mot  mythe  i  dé- 
rive du  primitif  jU.uo>,  qui  correspond  aux  verbes  latins  musso^  mus- 
tito.  Les  classiques  lui  oui  donné  plusieurs  acceptions  assez  diffé- 
rentes. 

Ainsi,  dans  Homère  et  les  écrivains  de  son  école',  les  verbes 
|Au6£Î(76ai ,  |i.u6oXoY£tv,  signifient  proprement  parler,  raconter^  et 
fxuôo;,  alors  synonyme  de  Xoyoç,  a  le  sens  de  discours^  récity  pa- 
role*^ sans  qu'on  y  attache  aucune  idée  de  vérité  ou  de  men- 
songe '. 

Plus  tard,  dit  Eustathius ,  on  réserva  X(^y°^  pour  l'expression 
de  la  réalité ^  et  [xuOoç  employé  avec  une  épiihète*,  ou  sans  épi- 
thète',  désigna  une  fiction ,  un  récit  fabuleux^,  J.-L.  Hug  n'ad- 
met pas  entièrement  cette  opinion.  Il  prétend  que  ceux  qui, 
avant  Hérodote,  consignaient  dans  leurs  ouvrages  les  légendes 
relatives  aux  dieux  et  aux  héros,  étaient  appelés  Xoyottoioi  ,  et 


•  Iliade^  xrii,  200.  TIoo  tI  Sv  u.uôraaTo  h\>^A'i, Il  parla  selon  son  sentiment. 
De  même  Théocrite,  Idylle^  11,  v.  i54>  Taùra  aoi  à  ^eîva  auOraaTo  •  eari 
J'  âXaÔTÎî.  Voir  Idylle,  x,  58. — Euripide,  Phœniss^  v.  434,  455,  oov  l's-j-ov, 
(jL^tep  Ito/.aarn,  roicja^s  u/jOcj;  et?  S''.a>,Xâ^£i;  tvmx.  C'est  à  vous^  Jocaste, 
de  prononcer  des  paroles  capables  de  réconcilier  vos  enfant.  Platon,  se 
conformant  à  l'ancien  usage,  emploie  ^laujOcXo-yelv  dans  le  même  sens 
qu'Homère  (Les  Lois,  i,  p.  632).  V.  Eug.  Mussard.  Ëx.  critique  du 
système  de  Strauss,  i'  éd.  p.  29. 

"  M660Ç  <r«|ii.atvei  tôv  aTrXwçXo'YOv  Etym,  Magnum. 

'  Hérodote,  liv.  ii,  chap.  5  et  99.  Voir  Greuzer,  die  Historische  kunst 
der  Griechen,  p.  173. 

*.  Diodor.  1,  93,  ireTrXasjAsvou;  (7.66ou;. —  Plutarque,  Thess.,  cliap, 
xxvui,  U.660Ç  xal  îrXâuaa.  —  11  Saint  Pierre,  i,  i6,  <7è<Tocpi<jfi,£vci  a'jôoi. 

'Pindare,  Olymp.^  1,  47'  —  Hérodote,  11,  45.  —  Platon,  Gt>rgiaSf 
p.  3i2.  —  Phœdon,  p.  399. —  1  Timothee,  i,  4.  —Mussard,  ubisiip. 

*  M660V  àfcl  é  IIctr.Tr,;  àTrXw;  tov  Xô^^v  cpr,CTt  •  to  ^s  Itv.  i^vj^iù^  Xo^ou  TcSrîvat 
auTOv,  Twv  ùjTspwv  £(jTi  ....  îrapà  tcI;  uatepov  0  y.èv  u,'jôo;  sî;  (^euô&XoYt'av  eppi- 
frrai.  Ô  ^î  Xo-yoç  ètîî  tt,;  ôoraspai  àvôpœmvYiç  cp-iXiaç  Ttôsrai.  Eustathius  ad 
Bomeri  Jliad.y  \.  \s.,i5. 


PAR    MYTHE».  107 

<|ue  cette  dénomination  leur  était  commune  avec  le  fabuliste 
Ésope.  Le  mot  txuôoç  avait  alors  une  signification  propre  et  diffé- 
rente. Mais  la  philosophie  changea  cette  manière  de  parler  ,  et 
dès  lors  il  fut  employé  pour  indiquer  les  fables  des  dieux,  c'est- 
à-dire  des  compositions  semblables  à  celles  d'Esope'. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  mot  est  passé  dans  la  langue  latine  et  dans 
les  langues  européennes  modernes.  Comme  il  est  plus  élastique 
et  se  prèle  mieux  aux  caprices  et  aux  desseins  des  excgètes 
que  le  mot  lalin  fabula^  ils  n'ont  pas  manqué  de  s'en  emparer 
comme  d'une  bonne  trouvaille  •,  rar  ils  ont  été  forcés  de  le  re- 
connaître eux-mêmes,  en  voulant  traiter  par  la  fable  nos  saintes 
Ecritures,  ils  n'auraient  pas  manqué  de  jeter  le  discrédit  sur  leur 
système.  C'est  le  sentiment  de  Heyne  :  aussi  désirait-il  voir  les 
érudits  qui  consacreraient  leurs  travaux  à  débrouiller  l'origine 
des  peuples,  renoncer  à  Teniploi  du  mot  mythologie.  «  Comme 
>♦  on  l'a  réduite  ,  dit-il ,  à  exposer  et  à  raconter  des  fables ,  on  a 
1»  aussi  attaché  généralement  à  ce  mot  l'idée  de  fiction,  de  men- 
M  songe ,  en  sorte  que,  par  erreur,  on  a  rejeté  au  nombre  des 
X»  inventions  frivoles  et  fausses  de  l'esprit  humain  tout  ce  qui 
»  s'est  présenté  sous  ce  nom.  On  n'a  pas  remarqué  que  ces  m^- 
»  thologoumènes  contiennent  les  origines  et  les  histoires  les  plus 
»  anciennes  de  tous  les  peuples,  et  que  les  premiers  élémens  de 
î)  la  sagesse  humaine  et  de  toutes  les  lettres  sont  cachés  dans 
t)  leur  sein.  D'un  autre  côté,  on  a  craint  de  voir  diminuer  l'au- 
»  torité  des  saintes  Ecritures,  si  on  comparait  avec  ces  mytho- 
»  logoumènes  ce  qu'elles  racontent  de  l'origine  du  genre  humain 
»  et  de  l'histoire  primitive  du  peuple  hébreu;  car  il  était  né- 
»  cessaire  d'avoir  toujours  présente  à  l'esprit  l'idée  de  fiction  et 
w  de  mensonge,  idée  que  l'on  repoussait  avec  raison  \»  Toute- 
fois, il  fait  lui-même  un  fréquent  usage  du  mot  mjthe,  et  dans 
la  préface  qu'il  composa  pour  prôner  l'ouvrage  de  son  disciple 
Hermann  %  il  aima  mieux  appeler  mythes  que  fables  ces  tradi- 

*  J.-L,  Hug.  Untersuchimgen  ûber  den  Mythes^  etc.,  p.  1 1. 

»  Heyn.  Comment.  Gotting.  t.  vm,  p.  3  et  4, 

'  Hermann's  HaTidbuch  der  Mythologie,  p.  i,  p.  5. 


108  CF.  Qun  l'on  kntrnd 

lions  primitives  transmises  oralement,  qui,  d'après  lui,  contien- 
nent l'histoire  et  la  philosophie  la  plus  ancienne.  Le  motif  qu'il 
donne  de  ce  choix ,  c'est  que  le  premier  mot  paraît  moins  cho- 
quant que  l'autre'-  Son  exemple  entraîna  les  savans  allemands, 
et  le  mylhe  a  reçu  le  droit  de  cité  dans  toutes  les  contrées  de 
l'Europe. 

îMainlenant,  si  l'on  veut  savoir  ce  qu'est  un  mythe,  nous  ré- 
pondrons avec  Tholuck'  que  la  science  moderne  n'a  pas  encore 
pu  donner  une  définition  exacte  et  généralement  admise  de  ce 
mot,  qui  cependant  vole  dans  toutes  les  bouches.  Ainsi,  Heyne 
distingue  deux  espèces  de  mythes  :  les  uns  contiennent  les  pre- 
miers élémens  de  la  science  et  de  la  sagesse  humaines  ;  il  range 
dans  une  autre  classe  l'histoire  la  plus  ancienne  des  peuples  qui 
a  été  propagée  par  la  tradition  orale  avant  d'être  écrite.  Quant 
au  mythe  en  général ,  il  le  définit  :  «  Tout  récit,  tout  jugement 
»  transmis  depuis  les  premiers  âges  jusqu'à  nous  ,  pendant  le 
»  tems  qui  s'est  écoulé  avant  que  les  actions  ou  les  découvertes 
»  et  les  inventions  des  hommes  aient  été  fixées  par  écrit,  soit  par 
»  les  auteurs ,  soit  par  les  contemporains,  ou  par  d'autres  mem- 
»  bres  de  la  même  nation  ^^^  —  D'après  Hevne,  il  y  a  mythe 
«<  quand  une  histoire,  une  tradition  vraie  ou  probable  est  re- 
»  couverte  d'une  enveloppe  qui  lui  donne,  il  est  vrai,  l'appa- 
"  rence  de  l'histoire,  mais  aussi  celle  de  l'énigme  et  du  merveil- 
»  leux  :  ce  qui  serait  moins  apparent  si  le  fait  avait  été  raconté 
>'  avec  soin  et  simplicité*.»  —  Bauer,  qui  le  premier  a  soumis 
les  livres  saints  à  l'interprétation  mythique  ,  dit  que  les  mythes 
«  sont  des  récits  historiques  d'une  tribu  ou  d'une  nation,  relatifs 
»  à  l'histoire  primitive  de  la  terre  et  des  hommes  ,  des  raison- 


•  Heyne,  lac.  cit.,  p.  7. 

«Tholuck,  Glaubwiirdigkeit  (1er  ev.  Gesch,  2te  aufl,  p.  52. 
'  Comment.,  i,  p.  4- 

•*  Grenzenbestimmuug  desscn,   was  in  der  Bibel  IMythos  wul  wai 
wahi-e  Gesehichfe  ist,  p.  169;  Bibliotheca  Historice  saciœ,  p.  u. 


PAR    MYTHES.  109 

»  nemens  présentés  sous  une  forme  liistorique  sur  la  cosmo^o- 
»  nie,  la  géogonie,  les  causes  des  phénomènes  physiques,  et  sur 
»  les  choses  sensibles  ;  on  leur  a  donné  l'apparence  du  miracle 
»  et  peu  à  peu  on  les  a  ornés  de  diverses  manières  '.»  Il  avait, 
dans  un  autre  ouvrage  ,  donné  une  définition  quelque  peu  diffé- 
rente '.  Quant  à  la  cause  de  cette  divergence,  Meyer  l'attribue  à 
la  négligence  des  auteurs,  qui  ne  se  sont  pas  appliqués  à  donner 
une  définition  exacte  des  mots  mjihes  et  mylholo^ie.  Pour  lui,  il 
est  ])orté  à  regarder  les  premiers  «  en  partie  comme  des  récits 
»  très  anciens  des  peuples  primitifs ,  qui ,  conformément  à  la 
»  manière  de  penser  et  de  raconter  des  premiers  âges,  les  ont 
»  transformés  en  miracles.  Ils  ont  précédé  l'histoire  véritable  et 
»  ont  pris  naissance  à  une  époque  où  des  historiens  contempo- 
»  rains  n'existaient  pas  encore,  l*usage  d'écrire  en  prose  n'étant 
»  pas  établi.  Ce  sont  aussi  des  descriptions  antiques  de  ces  mêmes 
»  nations,  historiques  ou  rédigées  sous  une  forme  historique,  à 
>»  l'aide  de  laquelle  on  représentait  les  choses  qui  ne  tombaient 
»  pas  sous  les  sens  \  »  \os,Creuzer%  Hermann  %  O.  Muller  ^, 
Weisse",  et  plus  récemment  Strauss^,  J.  IMuller^,  Tholuck '% 
etc.,  se  sont  pre'sentés  tour  à  tour,  chacun  avec  des  idées  et  des 


'  Baner,  «Z>/ ^^M/?.  p.  i,  p.  5. 

"  Iden],  Hermeneutica  V,  T.  —  Glassii  Pldlologia  sacra  Dathiana, 
p.  Il,  p.  33i. 

^  P^ersuch  einev  Henneneutik  des  alten  Testaments,  P.  ii,  p.  543. 

*  Symbolik  iind  Mythologie,  i^  édition,  t.  î  ,  les  six  premiers  cha- 
pitres du  liv.  I" . 

'  Ueber  d.  JFessen  u.  d.  Behaiids.  d.  Mythologie. 

^  Ubi  sup. 

'  Ueber  deii  BegriQ\  die  Qiiellen  luid  die  Behandhing  der  Mytlio- 
loi^ie. 

8  Das  leben  Je'su,  5e  édition,  Einleilung,  §§  i,  3,  i4,  «5,  16. 

9  J.  INIulier,  Recession  d.  L.-J.  von  Strauss,  Thcol.  sliidien  und  kri- 
///re/î,  i836,  3=  cahier. 

■°  Tholuck,  loc.  cit.,  p.  5i-65. 


110  CK  QBF.  l'on   FNTF.ND 

opinions  différentes.  Aussi,  cette  masse  de  matériaux  hétérogè- 
nes coniribue-i-elle  pliuôt  à  compliquer  qu'à  faciliter  la  tâche 
de  celui  qui  voudrait  éclaircir  ce  sujet,  tant  sont  opposés  les 
principes  qui  servent  de  point  de  départ  à  ces  savans,  et  les  ré- 
sultats auxquels  ils  arrivent. 

Toutefois,  en  examinant  avec  attention  leurs  opinions  diverses, 
on  reconnaît  qu'ils  appellent  mythes  certains  récits  appartenant 
aux  annales  de  l'ancien  monde,  parvenus  jusqu'à  nous  au  moyen 
de  la  tradition  orale,  et  grossis  sur  leur  passage  de  circonstances 
accessoires.  Ces  récits  ne  reproiluisaient  d'abord  que  des  événe- 
mens  réels  ;  mais  bientôt  la  poésie,  en  leur  prêtant  ses  charmes, 
les  a  revêtus  ;d'une  envc4oppe  empruntée,  imaginée;  a  noyé,  si 
l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  la  réalité  dans  l'idéal;  la  simplicité  et 
la  vérité  ont  disparu,  et  il  n'est  resté  que  le  mythe,  qui  a  pris  la 
place  de  l'histoire. 

Or,  on  distingue  ])lusieur3  espèces  de  mythes,  suivant  la  na- 
ture de  l'élément  dominant  :  les  mythes  historiques  ,  philosophi- 
ques, mixtes  et  poétiques. 

Le  fond  du  mythe  historique  est  toujours  un  fait  réel,  un  évé- 
nement qui  a  laissé  une  impression  plus  ou  moins  profonde  dans 
l'esprit  des  contemporains.  Comme  l'un  et  l'autre  ont  eu  lieu  à 
une  époque  où  Técritui  e  encore  inconnue  ne  pouvait  les  saisir, 
et,  en  leur  conservant  toute  leur  réalité,  les  transmettre  aux  siè- 
cles futurs,  la  tradition  seule  en  a  conservé  le  souvenir. Que  Ton  se 
représente  donc  les  premiers  hommes  jaloux  de  raconter  à  leurs 
descendant,  ces  événemens  qui  les  ont  frappés,  et  dans  lesquels 
ils  ont  joué  un  rôle  quelconque  :  leur  imagination,  exubérante 
de  sève  et  de  magnificence,  a  dû  les  porter  à  donner  aux  moin- 
dres circonstances  du  poids  et  de  l'intérêt,  à  les  charger  d'embel- 
lissemens,  à  les  revêtir  de  toutes  les  couleurs  que  leur  prêtait 
cette  imagination  ardente  et  bouillante.  Ajoutons  à  cela  un  pen- 
chant naturel  pour  le  grandiose  et  le  merveilleux,  et  l'on  con- 
çoit que  sous  cette  double  influence,  les  faits  ont  pris  des  formes 
plus  grandes,  plus  gigantesques  que  la  tradition  ne  le  comporte. 
L'importance  des  événemens  ainsi  exagérée,  restait  à  grandir  les 
proportions  des  personnages  pour  les  mettre  en  harmonie  avec 


PAR  1VIYTHRS.  1  11 

leur  œuvre.  Alors,  on  fil  intervenir  une  puissance  surhumaine  ; 
les  dieux  descendirent  du  ciel  pour  seconder  l'entreprise  des 
mortels,  s'associer  à  eux,  combattre  dans  leurs  rangs,  leur  com- 
muniquer une  force  et  une  valeur  extraordinaires.  Voulez-vous 
savoir  quel  résultat  produisit  ce  contact  avec  la  Divinité  ?  Bientôt 
on  vénéra,  comme  descendans  des  immortels,  des  hommes  qui 
avaient  fait  impression  sur  leur  siècle,  et  dont  l'origine  était,  le 
plus  souvent,  oi)scure  et  ignorée.  Ainsi  s'explique  la  formaiion 
des  mythes  historiques  des  travaux  d'Hercule,  de  l'expédition  des 
Argonautes,  des  aventures  d'Ulysse,  et  en  général  de  la  mytholo- 
gie des  héros  et  des  demi-dieux. 

A  côté  de  ces  événemens,  dont  les  hommes  des  premiers  âges 
du  monde  étaient  ainsi  les  témoins  ou  les  acteurs,  se  présentaient 
des  phénomènes  naturels  qui  les  frappèrent  par  leur  grandeur  ou 
leur  singularité.  L'imagination  s'empara  également  de  ce  canevas 
pour  le  broder  à  sa  manière,  et  bientôt,  les  traits  principaux  du 
fait  originaire  disparurent  sous  une  foule  de  circonstances  acces- 
soires, variables  suivant  le  génie  des  mytliographes  :  ainsi,  pre- 
nons un  f  lit  quelconque,  nous  le  retrouvons  au  fond  des  myiho- 
logies  de  la  Grèce  ,  de  Rome,  de  l'Asie-Mineure,  de  l'Inde,  de 
lAmérique,  de  l'Océanie ,  etc.  ;  mais  on  sait  combien  de  fictions 
plus  ou  moins  ressemblantes  l'ont  grossi  pendant  ce  voyage  à  tra- 
vers le  monde. 

Mais  c'était  peu  pour  l'homme  naturellement  porté  à  deman- 
der à  chaque  chose  la  cause  de  son  existence,  d'avoir  constaté  les 
faits  qui  frappaient  ses  sens,  et  décrit  les  phénomènes  que  chaque 
jour  plaçait  devant  ses  yeux.  Les  sages  de  certains  pays  déjà  sé- 
parés des  autres  peuples,  ayant  perdu  le  fil  des  vraies  traditions  , 
éprouvèrent  un  besoin  pressant  de  se  lancer  à  la  recherche  des  priu- 
cip  s  qui  les  régissent  l'un  et  l'autre,  puis  d'étendre  et  de  géné- 
raliser la  grande  loi  de  causalité  dont  ils  avaient,  dans  certains 
cas, reconnu  l'exactitude.  Quel  est,  se  demandèrent-ils,  l'auteur 
de  cet  univers?  Qui  a  placé  dans  l'espace  cet  astre  brûlant  dont 
les  rayons  répandent  partout  la  chaleur  et  la  fécondité  I  Qui  sus- 
pend chaque  nuit  dans  les cieux  ces  corps  étincelans  qui,  par  leur 
claité,  tempèrent  l'horreur  des  ténèbres.  Et  l'homme  lui-même  , 


112  CE  QUE  l/oN  EiNTEND 

il*où  vient-il?  pourquoi  les  douleurs  physiques,  les  souffrances 
morales  s'altachent-elles  sans  cesse  à  ses  pas  ?  pourquoi  ces  tem- 
pêtes qui  bouleversent  la  nature  et  font  naître  l'effroi  dans  les 
cœurs?.;.  A  ces  problèmes,  et  à  mille  autres  semblables  que  le 
spectacle  du  monde  soulevait  chaque  jour,  il  fallait  une  solution 
quelconque  ;  pour  la  trouver,  ces  sages,  séparés  ,  comme  nous 
l'avons  dit,  des  vraies  traditions  ,  s'abandonnèrent  aux  spécula- 
tions de  leur  esprit,  bâtirent  des  systèmes,  rattachèrent  tel  effet  à 
telle  cause  qu'ils  croyaient  être  la  véritable,  et  comme,  à  celte 
époque,  la  foule  n'était  pas  capable  de  saisir  des  notions  abstraites, 
ils  lui  présentèrent  leurs  opinions  sous  une  forme  historique,  afin 
de  les  rendre  sensibles  et  de  les  faire  pénétrer  dans  les  intelli- 
gences :  or,  ces  premiers  essais  de  la  raison,  s'efforçant  de  déro- 
ber à  la  nature  ses  secrets,  ont  produit  les  m^rthes  philosophiques. 
Toutes  les  théogonies ,  cosinogonies  ,  géogonies  ,  et  les  vieilles 
doctrines  sur  l'état  de  l'homme  après  cette  vie,  appartiejinent  à 
cette  classe  de  mythes  qui  va  s'augmentant  sans  cesse,  à  mesure 
qu'on  se  rapproche  des  tems  civilisés.  On  voit  par-là  que  le  my- 
the philosophique  a  pour  base  une  idée,  une  opinion,  un  rai- 
sonnement sur  un  fait  du  monde  physique  ou  du  monde  moral  , 
tandis  que  le  mythe  historique  s'incorpore  à  un  fait  réel  et  em- 
prunté à  l'histoire.  Plutarque  a  donc  bien  fait  connaître  la  nature 
du  premier  quand  il  a  dit  :  «  Comme  les  mathématiciens  ensei- 
»  gnent  que  l'arc-en-ciel  est  produit  par  la  réfraction  des  rayons 
»  du  soleil,  el  qu'il  paraît  formé  de  plusieurs  couleurs,  parce 
»  qu'on  l'aperçoit  à  travers  un  nuage  ;  ainsi,  le  mythe  est  le 
»  rayonnement  d'une  doctrine  dont  il  faut  chercher  ailleurs  la 
»  signification  '.  » 

Souvent  la  tradition  a  confondu  sous  une  même  enveloppe 
l'idée  et  l'histoire,  ces  deux  élémens  qui,  pris  séparément,  ont 
donné  lieu  à  deux  classes  de  mythes  bien  distinctes  :  ce  mélange 
a  produit  les  mythes  mixtes  ou  historico-philosophiques.  On  sup- 
pose que   les  philosophes  ont  pris  un   fait  réel  qui  a  servi   de 


'  Plutar.,  de.  Iside,  c.  20. 


PAR  MYTHIS. 


113 


llième  à  leurs  fictions  ;  puis,  après  ce  travail,  après  cette  fusion 
du  l'ait  et  de  l'idée,  ils  les  ont  prësenlées  sous  une  foime  histo- 
rique. Ainsi,  d'après  Sclielling,  la  fiction  philosophique  de  l'à^e 
d'or  et  des  àgessuivans  a  pris  sa  source  dans  des  iraJiiions  rela- 
tivcs  à  la  vie  simple  que  menèrent  d'abord  les  Grecs,  et  dont  ils 
s'éloignèrent  peu  à  peu  *  ;  le  mythe  du  déluge,  retracé  par  Ovide 
à  peu  près  sous  sa  forme  primitive  ^ ,  appartient  aussi  à  cetie 
classe,  ainsi  que  celui  de  Deucalion  et  de  Pyrrlia  ^  —  La  date 
de  cette  dernière  espèce  de  mythes  est  postérieure  à  celle  des 
deux  premières. 

Viennent  enfin  les  mythes  ;?oeV£<7Me.ç;  ce  sont  tantôt  des  récits 
anciens  augmente's,  embellis,  comme  le  cas  a  lieu  chez  Homère  et 
les  tragiques,  et  quelquefois  purifiés,  comme  dans  Pindare,  de  ce 
qu'ils  présentaient  de  grossier  et  de  repoussant  ;  tantôt  ce  sont 
des  opinions  populaires,  certains  enseignemens  des  sages,  que  les 
poètes  ont  arrangés  à  leur  manière  ;  on  peut  se  former  une  idée 
de  la  manipulation  à  laquelle  ils  les  ont  soumis  en  étudiant  dans 
Virgile''  la  doctrine  de  Platon  sur  la  métempsycose;  enfin  ,  ces 
mythes  sont  quelquefois  de  puies  inventions  des  poètes  ;  ils  sont 
nés  de  leur  imagination  plutôt  que  de  la  nature  même  des  choses. 
L'Aurore,  traînée  sur  un  char  rapide  dans  le  ciel,  où  elle  précède 
sans  cesse  le  soleil;  Éole  tenant  les  vents  enchaînés  dans  un  antre, 
etc.,  sont  des  mjthes  poétiques. 

Tels  sont,  autant  qu*on  peut  les  préciser,  les  caractères  parti- 
culiers des  mythes  historiques,  philosophiques ,  mixtes  et  poétiques; 
mais  comme  la  confusion  des  mois  mythe  ,  symbole,  tradition  y 
légende^etc^  est  la  cause  principale  des  controverses  des  savans 
sur  ce  sujet,  nous  allons  essayer  de  déterminer  ce  qui  dislingue 
le  mythe  de  ces  idées  voismes  qu'on  lui  a  assimilées  à  tort. 
«  Le   symbole  y  dit  M.  Eugène  Mussard  ,  n'est  pas  le  mythe. 


«  Schelling,   Uber  Myihcn,  historische  sageii,  etc.,  p.  21 

*  Heyn.  ad  Jlpollod.  Biblioth,  x,  7,  2,  p.  gS. 
'  Métamxyrph.f  i,  244« 

*  ^neid.,  vi,  703. 


114  CE  QUE  l'on  entend 

Tous  deux,  il  est  vrai,  sont  destinés  à  rendre  sensible  une  idée,  à 
exposer  une  vérité  d'un  ordre  un  peu  relevé  ,  par  le  moyen  d'un 
intermédiaire  qui  la  fasse  mieux  saisir  que  si  elle  demeurait  sous 
sa  forme  abstraite,  mais  dans  le  symbole  cet  intermédiaire  est  un 
signe  appréciable  à  l'œil,  dans  le  mythe  c'est  le  langage  ;  le  pre- 
mier emploie  une  démonstration  matérielle  ,  un  objet  de  la  na- 
ture, par  exemple,  ou  une  action;  le  second  se  sert  d'une  dé- 
monstration orale ,  d'un  récit.  Les  sacremens,  ces  signes  visibles 
d'une  grâce  invisible,  comme  les  définissait  saint  Augustin  ,  sont 
des  symboles  et  non  pas  des  mythes  ;  d'ailleurs  les  uns  et  les  au- 
tres étaient  également  en  usage  dans  les  premiers  siècles  du 
monde,  et  également  propres  à  agir  sur  l'intelligence  d'hommes 
grossiers  et  peu  faits  au  raisonnement. 

»  Les  traditions  proprement  dites  se  distinguent  des  mythes 
surtout  par  l'époque  de  leur  création.  Entre  les  tems  fabuleux  et 
les  tems  historiques,  on  ne  peut  établir  une  limite  rigoureuse  ;  on 
doit  plutôt  reconnaître  une  époque  intermédiaire  qui,  tout  en 
présentant  les  caractères  de  Tâge  qui  commence ,  en  conserve 
quelques-uns  de  celui  qui  finit  ;  dans  cette  époque,  le  siècle  des 
mythes  est  passé,  mais  celui  de  l'histoite  commence  à  peine  :  c'est 
ce  qu'on  appelle  Vàge  des  tradition<i^ 

»  Les  traditions  proprement  dites  sont  une  création  de  ce  tems 
de  transition,  comme  le  mythe  en  était  une  des  siècles  héi  oïques  ; 
ce  sont  des  récits  empruntés  le  plus  souvent  aux  annales  an- 
ciennes. Elles  vivent  dans  les  chants  populaires  ,  s'occupent  de 
faits  plus  que  d'idées:  aussi  ont-elles  toujours  un  fond  histori- 
que ;  elles  présentent  le  caractère  merveilleux  ,  mais  rejettent  les 
sujets  religieux  qu'affectionne  le  mythe,  pour  ne  s'occuper  que 
d'histoires  et  de  faits  de  la  vie  privée.  Plus  elles  sont  près  des 
tems  héroïques,  plus  elles  ont  d'images  et  de  merveilleux  ;  elles 
prennent  alors  le  nom  de  traditions  mythiques^  par  opposition 
aux  traditions  historiques  qui,  leur  succédant  dans  la  suite  des 


'  Niebuhr  appelle  cette  époque  intermédiaire  mythique^historique* 
Remise he  ^eschichie,  3t«  aufl..  t.  i,  p.  274. 


PAR    MYTHES.  i  1  5 

tcnis,  se  rapprochent  davantage  de  l'histoire  vérilable,  et  en  pré- 
senient  mieux  les  principaux  caractères. 

»  La  légende  est  une  tradition  merveilleuse  se  rattachant  à 
l'Eglise  ou  à  la  religion;  elle  a  la  forme  chrétienne  et  antique, 
tandis  que  les  traditions  proprement  dites  éloignent  de  leur  do- 
maine la  religion  et  l'Eglise.  Tout  récit  poétique  dans  le  ton  re- 
ligieux et  ancien,  qu'il  soit  en  vers  ou  en  prose  ,  simple  de  style 
ou  riche  en  imagination ,  est  une  légende.  Elle  diffère  du  mythe 
par  l'élémeni  chrétien  et  par  sa  formation  dans  un  siècle  histori- 
que ,  et  des  traditions  par  l'élément  religieux.  \j'Aurea  legenda 
en  contient  un  bon  nombre. 

»  Le  conte  fantastique  est  plus  poétique  encore.  C'est  un  récit 
étonnant,  merveilleux.  Les  démons,  les  esprits  y  jouent  un  grand 
rôle,  et  les  faits  qui  y  sont  rapportés  ont  un  monde  enchanté 
pour  théâtre  ;  mais  sous  les  gracieuses  et  poétiques  images  qu'il 
nous  présente ,  en  vain  chercherait-on  un  fond  réel,  une  idée  ou 
un  fait  j  il  semble  n'avoir  d'autre  but  que  de  plaire ,  de  charmer 
l'imagination  :  d'ailleurs  il  n'appartient  à  aucune  époque  fixe,  il 
est  de  tous  les  tems  et  de  tous  les  lieux  ;  on  le  retrouve  chez  les 
peuples  du  nord  coinme  chez  ceux  du  midi,  malgré  la  différence 
de  leur  civilisation  ;  seulement,  chez  les  derniers  il  est  plus  lé- 
ger, plus  riant  ;  des  esprits  bienfaisans  y  apparaissent,  venant  à 
l'aide  de  l'homme  ;  chez  les  premiers ,  le  merveilleux  revêt  des 
teintes  plus  sombres, plus  sérieuses;  les  êtres  surnaturels  mis  en 
scène  sont  d'une  autre  nature  :  au  lieu  de  génies  et  de  fées,  ce 
sont  les  sylphes,  les  elfes,  les  gnomes,  les  oréades,  etc. 

»  La  fable  ou  apologie  est  un  rét  it  didactique  d'un  fait  imagi- 
naire ,  dans  lequel,  sous  la  forme-d'une  petite  histoire  ou  d'un 
dialogue,  on  expose  une  règle  de  conduite  au  moyen  d'une  image 
tirée  du  monde  physique,  ordinairement  des  plantes  ou  des  ani- 
maux. Elle  se  compose  de  deux  parties  :  l'image,  qui  est  le  corps 
de  la  fable,  et  la  morale,  qui  est  présentée  ou  à  la  fin  ou  au  com- 
mencement, comme  proposition  à  démontrer.  Le  ton  en  est  sim- 
ple, enfantin,  plaisant  ou  naïf,  quelquefois  noble  ou  relevé. 

»  C'est  encore  une  vérité  générale  ou  un  précepte  de  conduite 
exprimé  soug  la  forme  d'un  récit,  que  présente  \di  parabole;  mais 


116  CE  QUK    l'on    F.ISTtND 

taudis  que  dans  la  fable  tout  se  passe  loin  du  domaine  de  la 
réalilë,  il  n'y  a  dans  la  parabole  rien  que  de  vraisemblable. 
Dans  la  fable,  les  animaux  parlent,  agissent,  pensent  comme  les 
bommes,  et  mieux  que  les  bommes  ;  dans  la  parabole  tout  se 
passe  comme  dans  la  vie  ordinaire,  et  cliacun  garde  le  rôle  qui 
lui  est  assigné  par  la  nature.  On  a  dit  que  ce  qui  dislingue  la 
fable  de  la  parabole,  c'est  que  dans  l'une  on  introduit  des  êtres 
placés  plus  bas  que  riiumanité  dans  l'écliclle  de  la  création  ,  tan- 
dis que  dans  l'autre  Ibomme  seul  était  en  scène  :  c'est  à  tort. 
Nous  voyons  dans  une  des  paraboles  de  Jésus  figurer  dos  brebis , 
mais  tandis  que  dans  un  apologue  elles  eussent  agi  d'une  ma- 
nière invraisemblable,  dans  cette  parabole  elles  sont  représen- 
tées dans  leur  véritable  rapport  relativement  au  berger.  La  pa- 
rabole est  un  récit  d'un  ton  toujours  sérieux  ;  instruisant ,  par  le 
moyen  d'un  exemple  tiré  de  la  vie  ordinaire,  elle  fait  saisir  une 
vérité  d'un  ordre  plus  relevé  ;  mais  elle  ne  se  termine  pas  par 
une  morale,  elle  laisse  au  lecteur  ou  à  l'auditeur  le  soin  d'arriver 
de  lui-même  et  par  un  rapprochement  d'iiées,  à  la  leçon  qu'elle 
renferme  :  c'est  ce  qu'on  peut  remarquer  dans  toutes  celles  de 
Jésus,  qui  ont  été  recueillies  dans  les  Evangiles. 

»  Cette  comparaison  que  la  parabole  donne  sous  forme  de  ré- 
cit,  Vdllégorie  la  présente  dans  une  image  :  de  là  celte  grande 
diflérence  que  dans  la  parabole  l'idée  peut  être  suivie  dans  ses 
différentes  phases;  exemple  :  un  homme  sortit  pour  semer  ,  et 
une  partie  du  grain  tomba  sur  le  chemin  et  fut  foulé  aux  pieds..., 
et  une  autre  partie  tomba  dans  un  endroit  pierreux...,  et  une 
autre  partie  tomba  parmi  les  épines,  elc.  ';  tandis  que  dans  l'al- 
légorie l'idée  est  pour  ainsi  dire  stationnaire^  l'image  qui  l'en- 
veloppe apparaît  comme  dans  un  tableau  qui  représente  tous  ses 
personnages  dans  le  même  moment  donné,  et  ne  peut  les  suivre 
dans  l'instant  qui  suit  ;  exemple  :  «  Je  suis  la  porte  par  où  entrent 
»  les  brebis  ..,  je  suis  la  porte,  si  quelqu'un  entre  par  moi  il  sera 
w  sauvé,  etc.  *. 

•  Saint  Luc,  viii,  5-8. 

*  Saint  Jean,  x,  7-10. 


PAR    iMYTHKS.  1  17 

»  On  peut  dojic  dëlinir  rallégorie ,  l'exposition  d'uue  idée  ou 
d'un  fait  sous  la  forme  d'une  image.  Elle  a  sa  source  dans  une 
imagination  poétique  et  exaltée.  Les  prophètes  nous  en  ont  laissé 
du  fort  belles  ';  tout  le  monde  connaît  celle  d'Horace  : 

O  Navis,  réfèrent  in  mare  te  novi 
Fluctus,  etc. 

»  La  fable,  la  parabole  et  Vallégûrie,  ont  été  souvent  confon- 
dues avec  le  mythe,  surtout  avec  le  mythe  philosophique'; 
comme  lui,  en  efïet,  elles  sont  l'expression  d'une  idée  par  le 
moyen  d'une  image  ou  d'un  récit,  et  n'en  diffèrent  au  premier 
coup  d'œil  que  dans  cjuelques  points  de  détail,  qui  ont  pu  faci- 
lement échapper  à  un  examen  superficiel.  Ce  qui  les  distingue 
véritablement ,  c'est  l'intention  qui  a  présidé  à  leur  formation. 
L'auteur  d'une  fable,  d'une  parabole,  d'une  allégorie,  a  eu  d'a- 
bord dans  l'esprit  l'idée  qu'il  voulait  présenter,  et  c'est  à  dessein 
qu'il  a  choisi  la  forme  du  récit  comme  la  plus  propre  à  faire  sai- 
sir convenablement  celle  idée.  Le  mythe,  au  contraire,  a  été  créé 
de  telle  manière  que  l'idée  s'est  présentée  immédiatement  avec 
la  forme  dont  nous  la  voyons  revêtue,  et  n'a  pu  se  présenter  que 
sous  cette  forme.  Celui  qui  compose  une  fable,  une  parabole,  une 
allégorie,  sépare  dans  son  esprit  l'idée  de  l'enveloppe  historique 
qu'il  lui  donne,  tandis  que  dans  la  formation  du  mythe  toutes 
deux  sont  intimement  liées,  et  n'ont  pu  être  distinguées  que 
plus  tard  par  la  réflexion.  Le  mythe,  en  passant  dans  la  tradition 
orale,  a  pu  servir  de  leçon,  mais  il  n'a  pas  été  créé  dans  un  but 
didactique,  il  naît  de  lui-même,  et  ne  subsiste  que  tant  qu'on 
croit  à  sa  réalité ,  et  non  pas  seulement  à  celle  de  la  vérité  qu'il 


'  Voyez  celle  sur  la  destructiou  de  Jérusalem.  Ézéchiel,  xxiv. 

^  «  On  a  souvent,  par  exemple,  appelé  mythe  le  récit  de  Joathan 
(Juges  IX,  8),  qui  n'est  qu'un  apologue.  Hermann,  en  définissant  un 
mythe,  V exposition  dime  idée  rendue  sensible  par  une  image,  l'a  con- 
fondu avec  une  allégorie.  » 

'  Eug.  Mussardj  ubisup.,  p.  58-42. 

ni«  SÉRIE.  TOME  VI. — N'' 32.  184-2.  8 


if8  CE  QUE    l'on  entend 

Ainsi  nous  avons  vu  le  mythe  nous  apparaître  comme  une 
image  fidèle  des  tems  fabuleux.  Enfant  de  la  tradition  orale,  il 
surgit  spontanément  et  se  développe  dans  son  sein  ;  et ,  quand 
celle-ci  cesse  d'être  en  vigueur,  il  cesse  lui-même  de  se  produire. 
Si  donc  nous  voulons  le  trouver,  nous  devons  le  chercher  à  une 
époque  où  Tliistoire  n'existe  pas  encore.  Or,  pour  ne  parler  ici 
que  de  la  Grèce  et  de  Rome,  O.  Muller  prétiiod  que  chez  les 
Grecs  les  tems  héroïques  lui  avaient  déjà  fait  place  à  la  fin  de  la 
59"*  olympiade  (541  ans  avant  Jésus-Christ ^)  ;  et,  si  nous  en 
crovons  jVieburh,  avec  le  règne  de  TuUus  Hostilius  (672  ans 
avant  Jésus-Christ)  commence  à  Rome  un  siècle  nouveau,  ainsi 
qu'un  récit  dont  le  fond  est  historique  \  Cela  posé,  Wagner  sou- 
tient que  toutes  les  religions  et  les  histoires  les  plus  anciennes 
sont  essentiellement  mythiques;  que  le  mythe  est  la  représenta- 
tion sensible,  l'enveloppe  symbolique  de  toutes  les  spéculations 
et  opinions  religieuses  des  différens  peuples  qui  existaient  à  ces 
époques  reculées^.  Toutefois,  chez  les  Hébreux  seuls  il  ne  s'at- 
tacha pas,  pendant  le  cours  des  siècies ,  à  la  religion  pour  la 
défigurer  '+;  et  comme  elle  se  conserva  pure  et  sans  aucune  alté- 
ration ,  elle  assura  à  l'histoire  toute  sa  réalité,  en  sorte  que  si 
l'on  veut  trouver  dans  l'antiquité  une  histoire  qui  mérite  véri- 
tablement ce  nom,  c'est  à  eux  qu'il  faut  la  demandera  Quant  à 
celle  des  autres  nations,  elle  ne  présente  que  des  récils  menson- 
gers, relatifs  aux  religions  anciennes  et  à  leur  forme  extérieure; 
ou  bien  ces  récits  sont  des  descriptions  de  rites  introduits,  enjo- 
livés par  la  vanité  des  hommes  qui  avaient  perdu  la  connaissance 
delà  religion  primitive'.  Cette  religion  était  absolument  con- 
templative"'; et  l'Inde,  cette  mère  des  superstitions  humaines,  fut 

'  O.  Muller,  ioc.  cit.,  p.  169. 
»  Ubisup.,  p.  274. 

•Wagner,  ubi  sufj.,  p.  85.  Ap.  Pareau,  Disputado  de  myt.  inteV' 
prêt.,  p.  i5-i6. 

<  Ibid.,  p.  85  ;  coll.  p.  297. 

^P.7.. 

«  P.  3. 

r  P.  4o-4i. 


PAR  MYTHES.  119 

le  sol  natal  de  tous  les  systèmes  religieux  et  philosophiques.  Ce 
fut  aussi  de  l'InJe  que  partirent  tous  les  élémens  mythiques  ré- 
pandus par  la  tradition  dans  tout  l'univers,  et  travaillés  suivant 
le  génie  des  différeiis  peuples  qui  les  etnployèrent'. 

En  général,  Kann  suit  à  peu  près  la  même  route  que  "Wagner, 
cependant  il  s'en  écarte  quelquefois  beaucoup  -,  il  fait  remonter 
l'origine  de  l'histoire  à  Tépoque  où  les  républiques  se  formèrent 
et  s'allièrent  entre  elles.  Les  événemens  des  iems  antérieurs, 
pour  lesquels  on  avait  une  faible  vénération  ,  s'effacèrent  bientôt 
delà  mémoire  des  hommes  ;  on  s'appliqua  seulement  à  conserver 
le  souvenir  de  ceux  auxquels  s'attachait  une  certaine  idée  de 
sainteté  :  les  histoires  des  dieux  ,  les  lois  promulguées  en  leur 
nom ,  les  calendriers,  les  horoscopes  ,  les  doctrines  morales, 
échappèrent  donc  à  l'oubli.  Quant  aux  fables  des  Grecs  et  des 
autres  nations ,  elles  ne  présentent  aucune  réalité  historique; 
tous  les  patriarches,  les  juges  ,  les  prophètes  et  les  rois  ont  été 
des  dieux  •,  car,  d'après  lui,  l'histoire  primitive  n'a  pas  été  celle 
des  hommes,  mais  bien  celle  des  dieux  que  le  mythe  trouva  le 
le  moyen  de  transformer  en  mortels  ""  ;  encore  ne  possédons-nous 
que  le  tableau  de  l'état  intérieur  des  hommes  ,  de  leurs  pensées, 

*  Wagner,  Ideen  zu  einer  allgemeine  Mythologie  der  ahen  IFelt, 
p.  i84. 

'  Il  est  inutile  de  faire  remarquer  que  Kann  prend  ici  le  contre-pied 
d'Évhémère.  L'antiquité  a,  comme  on  lésait,  inventé  deux  grands  sys- 
tèmes dans  le  but  de  trouver  la  clé  des  fables  populaires.  Ainsi,  Pytha- 
gore  et  les  platoniciens  recouraient,  pour  linterprétation  des  mythes,  à 
des  allégories  morales  et  à  des  explications  cosmogoniques.  Les  épicu- 
riens et  les  stoïciens,  d'un  autre  côté,  avec  leur  chef  Evhéraère,  dédai- 
gnant les  exégèses  physico-mystiques,  donnai:  nt  à  la  Mythologie  grecque 
une  source  purement  humaine  et  historique;  ils  expliquaient  toutes  les 
légendes  fabuleuses  par  Tapothéose.  Les  dieux  n'étaient  que  des  rois 
déifiés  :  Jupiter  était  un  ancien  monarque  de  lîle  de  Crète,  dont  on 
voyait  encore  le  tombeau.  Diodore  de  Sicile,  avec  tous  les  sceptiques  dn 
paganisme,  accepta  cette  explication  ;  Cicéron  lui  paraît  favorable,  ou 
du  moins  il  ne  s'attache  pas  à  la  réfuter  sérieusement.  De  natur.  Deor. 
lib.  I,  cap,    1*2,  et  iib.  ni,  cap.  16.  —  \]n.  autre  système,  développé  par 


I  20  CE  QUE  l'OxN   entend  PAU   MYTHES. 

de  leurs  sentimcns,  de  leurs  fictions.  Au  reste  ,  celte  histoire 
nous  rappelle  la  Religion  comtemplntive ,  ou  cette  doctrine 
qui  fait  de  la  nature  le  corps  de  la  Divinité,  et  de  la  Divinité 
l'âme  du  monde.  L'Inde,  tout  en  l'entourant  d'une  enveloppe 
mythique,  Ta  conservée  dans  toute  sa  pureié ,  et  maintenant  en- 
core ncms  en  trouvons  chez  difierentes  nations  des  reflets  plus 
ou  moins  affaiblis  '  ;  il  montre  ensuite  que  la  doctrine  de  Kantsnr 
les  deux  formes  de  la  contemplation,  le  tems  et  l'espace,  re- 
monte au  berceau  du  genre  humain,  puisque  ,  si  nous  l'en 
croyons,  on  adorait  alors  la  Divinité  sous  ces  deux  formes  ^  Par- 
tant de  ce  point  de  vue,  il  rapporte  à  des  observations  tempo- 
raires tous  les  récits  fabuleux  et  historiques,  tous  les  détails  géo- 
graphiques et  astronomiques  que  nous  trouvons  dans  l'antiquité; 
de  son  côté ,  Creuzer  a  consacré  tout  un  ouvrage  à  faire  voir 
comme  quoi  tout  ce  que  les  religions  de  la  Grèce  nous  présentent 
sous  mille  formes  diverses  n'est  autre  chose  que  la  nature  déi- 
fiée. —  Enfin,  tout  le  monde  sait  comment  l'histoire  romaine  est 
devenue,  entre  les  mains  de  Niebuhr,  une  vaine  série  de  mj^thes 
sans  aucune  réalité. 

Ces  quelques  exemples  suffisent,  ce  nous  semble  ,  pour  donner 
une  idée  des  résultats  auxquels  a  pu  conduire  l'application  du 
système  mythique  à  l'histoire  profane.  Tans  les  articles  suivans  ,^ 
nous  examinerons  en  détail  les  prétendus  mythes  de  l'Aucien- 
Testament  ;  nous  nous  attacherons  surtout  à  faire  ressortir  la 
fausseté  des  principes  des  exégètes  ;  et  ces  principes  une  fois  ren- 
versés, les  conséquences  tomberont  d'elles-mêmes. 

V.  CAUVIGINY. 

Hng,  fait  passer  dans  la  Phéaicie  d'abord,  puis  dans  la  Grèce,  les  dieux 
de  l'Egypte.  Les  liabitans  de  ces  contrées  se  bornèrent  à  changer  les 
noms  de  ces  divinités,  et  à  leur  donner  une  allure  en  harmonie  avec 
leur  génie  :  ainsi  le  Panthéon  des  Phéniciens  et  des  Grecs  eut  une  origine 
étrangère.  V.  Hug,  vhi  sup.  —  Mais  ce  nest  pas  ici  le  lieu  d'examiner 
ces  systèmes,  nous  pourrons  y  revenir  plus  tard. 

•  Kaniî,  £"^^6  Urkunden  der  Geschichle,  eic,  p.  5-i4  Ap.  Pareau, 
ioc  cit. 

»  Idem,  ibid.,  p.  22. 


RATIONALISME    COi^TEMPOKAiN.  121 

Uationûliemc  rontnnparain. 

PREMIÈRE  ËTIDE;  M.  COUSIN. 

I-  PARTIE  ;  M.  COUSIN  JUGÉ  PAR  SES  PAIRS. 


^eu,vtcitK    arfîcl^  '. 


i.  Jugemensde  M,  Gatien  Arnout,  suite; — 2.  de  M.  Lherminicr  ;  — 
3.  de  M.  Bautain; — 4-  de  M.  Th. -H.  Martin;— Ce  que  ces  professeur! 
de  rUniversité  pensent  de  l'orthodoxie  de  M.  Cousin.  —  Les  profes- 
seurs do  philosophiâ  sont-iis  irresponsables  ? 

I.  Jugement  de  M.  Gatien  Arnout Suite. 

«»  Une  des  maximes  de  >I.  Cousin,  c'est  qu'il  existe  une  force 
invincible  des  choses,  contre  laquelle  toute  volonté  humaine  se 
brise  impuissante^  qui  fait  nécessairement  nos  sentimens  ,  nos 
idées,  nos  opinions,  comme  nos  moHirs,  nos  lois,  nos  gouverne- 
mcns^  et  que  toute  science  dépend  d'elle.  De  là  une  paresse  qui 
laisse  faire  le  tems.  —  Une  autre  de  ses  maximes,  c'est  que  toute 
époque  produit  nécessairement  sa  philosophie,  et  que  la  philoso- 
phie des  dernières  époques  l'emporte  nécessairement  sur  celle 
des  premières.  Or,  une  conclusion  de  celte  maxime  est  que, 
pour  trouver  la  meilleure  philosoj.-hie,  il  faut  s'attacher  à  étudier 
son  époque,  vivre  avec  les  hommes  et  les  choses  de  son  tems, 
consulter  l'opinion  et  s'y  conformer.  Ainsi ,  elle  s'adresse  aux 
oracles  équivoques  de  l'opinion  ,  non  à  ceux  de  la  raison  ;  elle 
fait  des  esclaves  de  la  mode,  non  des  amis  de  la  vérité. 

»  Ce  devait   être  la  philosophie  de  ces  hommes  qui  affichmt 

'  Voir  le  1'^  article,  au  no  3i  ci-dessus,  p.  49. 


l^^  nATIOWALlSME   CO.NTKiMPOUAliN  ; 

une  profonde  indifféier;ce  pour  tout  te  qu'on  dit  faux  ouvjai, 
et  se  montrent  successivement  amis  ou  eiincuiis  des  doctrines  les 
plus  opposées,  parce  que,  disent-ils,  elles  ont  toutes  du  vrai  et  du 
faux  qu'il  est  bien  difficile  de  démêler; — qui  sont  inertes 
pour  le  bien ,  et  d'une  voix  paresseuse  vous  répondent  que  le 
moment  du  mieux  n'est  pas  venu^  et  qu'il  faut  l'attendre  du 
tenis;  —  qui  n'aspirent  qu'à  se  donner  comme  les  représentans 
de  l'opinion  si  souvent  trompeuse  et  plus  souvent  encore  rem- 
placée par  des  idées  de  coterie  '.  » 

II.  Jugement  de  M.  Lherminier,  professeur  au  collège  de  France. 

«  A  tout  homme  qui  a  présenté  un  système  philosophique,  il 
faut  demander  d'abord  ce  que,  dès  le  principe,  il  a  voulu  faire. 
Pourquoi  vous  êtes- vous  levé,  et  que  vouliez  vous  dire? 

»  Quand  M.  Cousin  monta  dans  la  chaire  de  M.  Royer-Col- 
lard ,  il  y  parut  sans  autre  dessein  que  de  développer  l'histoire 
des  systèmes  philoNophiques.  Esprit  littéraire,  il  se  tourna  vers 
Ja  littérature  de  la  philosophie;  imagination  mobile,  il  quittait 
facilement  une  belle  ihéoiie  pour  une  autre  qu'il  trouvait  plus 
belle  encore;  parole  ardente,  il  faisait  couler  dans  les  âmes  l'in- 
telligence et  l'enthousiasme  de  la  science.  Tel  a  été  M.  Cousin: 
c'est  son  caractère  de  n'avoir  jamais  pu  trouver  et  sentir  la  réalité 
philosophique  lui-même  ;  il  la  lui  faut  traduite ,  découverte,  sys- 
tématisée, alors  il  la  comprend,  l'emprunte  et  l'expose. 

»  Le  jeune  professeur  commença  sa  carrière  par  commenter 
avec  verve  l'école  écossaise  ,  dont  M.  Royer-Collard  lui  avait  lé- 
gué l'exploitation»  Reid,  Smith,  Hutcheson,  Fergusson,  Dugald- 
Siewart;  ensuite  il  passa  à  l'Allemaigne ,  saisit  rapidement  les 
principaux  traits  de  la  philosophie  morale  de  Rant,  et  se  fit  Kan- 
tiste  :  ce  furent  alors  d'éloquens  développemens  sur  le  stoïcisme, 
le  devoir  et  la  liberté.  Pendant  l'année  1819  à  1820,  l'enseigne- 
ment de  M.  Cousin  rallia  la  jeunesse,  et  semblait  vouloir  la  pré- 
parer aux  luttes  de  l'opposition  politique  :  aussi,  la  contre-révo- 
ution,  en  arrivant  au  pouvoir  ferma  sa  chaire;,  et  rélégua  le  pro- 

'  Doctrine  philosophique  de  M.  Gatien  Arnout. 


M.  COUSIN. 


123 


fesseur  dans  la  solUude  de  son  cabinet.  Alors  il  se  tourna  vers 
réiudilion  ,  et  se  prit  d'enlhuusiasme  pour  l'école  d'Alexandrie, 
qu'il  personnifia  tout  entière  dans  un  homme  ,  dans  Proclus. 
Cette  secte  philosophique,  qui  avait  entrepris  de  lutter  contre  le 
christianisme,  et  de  le  faire  reculer,  semblait  à  M  Cousin  un 
glorieux  symbole  de  philosophie  et  de  liberté  ;  il  en  parlait  en 
ces  termes  :  «  Haec  fuit  scilicei  ultinia  illa  graecœ  philosophiae  secta, 
)'  quae ,  iisdem  ferè  quibus  christiana  religio  lemporibus  nala, 
»  tamdiù  magnâ  cumlaude  sietit,  quamdiù  aliqua  super  in  orbe 
»  fuit  ingeniorum  libertas  ;quartum  verô  jàmcircàsœculum,  non 
»  mutatâ  ratione  ,   sed  mu  lato  domicilio,  exul  ab  Alexandrie 

»  Alhenas  confugit »  Celte  école  lui  paraissait  la  plus  riche 

et  la  plus  importante  de  loute?  celles  de  l'antiquité  :  «  Tolius 
»  verô  antiquitatis  philosophicas  doctrinas  atque  ingénia  in  se 
»  exprimit;  »  et  il  croyait  son  étude  utile,  non  seulement  à  l'é- 
radition  ,  mais  aux  progrès  mêmes  de  la  philosophie  moderne. 
Plus  tard,  je  trouve  que  M.  Cousin  n'a  plus  mis  si  haut  la  sagesse 
alexandrine;  voici  comment  il  la  caractérisait  en  1829  :  «  Sacs 
»  doute,  le  projet  avoué  de  l'école  d'Alexandrie  est  l'éclectisme. 
»  Les  Alexandrins  ont  voulu  unir  toutes  choses,  toutes  les  par- 
»  lies  de  la  philosophie  grecque  entre  elles,  la  philosophie  et  la 
»  religion,  la  Grèce  et  l'Asie.  On  les  a  accusés  d'avoir  abouti  au 
»  syncrétisme^  en  d'autres  termes,  d'avoir  laissé  dégénérer  une 
»  noble  tentative  de  conciliation  en  une  confusion  déplorable. 
»  On  aurait  pu  leur  faire  avec  plus  de  raison  le  reproche  con- 
»  traire.  Loin  que  l'école  d'Alexandrie  tombe  dans  le  vague  et  le 
»  désordre  qu'engendre  souvent  une  impartialité  impuissante, 
»>  elle  a  le  caractère  décidé  et  brillant  de  toute  école  exclusive,  et 
»  il  y  a  si  peu  de  syncrétisme  en  elle,  qu'il  n'y  a  pas  beaucoup 
»  d'éclectisme  ^  car  ce  qui  la  caractérise  est  la  domination  d'un 
»  point  de  vue  particulier  des  choses  tt  de  la  pensée.  »  Ainsi, 
cette  école  que  M.  Cousin  avait  choisie  d'abord  comme  le  mo- 
dèle de  l'éclectisme  ,  à  ses  yeux  n'est  presque  plus  éclectique;  il 
l'accuse  d'un  mysticisme  exclusif^  malmène  assez  rudement  son 
ontologie  ,  sa  théodicce  ;  Proclus  lui-même,  bien  qu'il  reste  tou- 
jours un  esprit  du  premier  ordre,  n'est  plus  ce  soutien  de  la  phi- 


\%\  RATION  A.  LIS  ME    CONTEMPORAIN; 

losophie  el  de  la  liberté ,  donl  les  efforts  sont  généreux  et  légiti- 
mes ;  le  professeur  de   1829  nous  le  montre  finissant  par    des 
hymnes  mystiques   empreints  d'une  profonde  mélancolie  ,  où 
l'on  voit  qu'il  désespère  de  la  terre,  l'abandonne  aux  barbares  et 
à  la  religion  nouvelle,  et  se  réfugie  un  moment  en  esprit  dans  la 
vénérable  antiquité,  avant  de  se  perdre  à  jamais  dans  le  sein  de 
l'unité  éternelle,  suprême  objet  de  ses  efforts  et  de  ses  pensées.  Et 
d'où  vient  ce  changement  dans  l'esprit  de  l'éditeur  deProclus? 
C'est  que  de  1820  à  1829,  bien  des  impressions  différentes  l'ont 
traversé.  Après  avoir  adhéré  exclusivement  au  ra.iionalisme  de 
Kant,  après  avoir  effleuré  l'idéalisme  de  Ficlite,  M.  Cousin  ne 
fut  pas  longtems   sans  soupçonner  et  sans  reconnaître  que  ces 
deux  philosophes  avaient  fût  place  à  deux  systèmes  nouveaux, 
dont  les   auteurs  étaient  M3I.  Schelling  et  Hegel  j  de  loin,  soit 
par  des  correspondances,  soit  par  des  visites  de  voyageurs,  il  lui 
en  arrivait  quelque  chose.  En  1824  >  il  entreprit  un  voyage  en 
Allemagne,  pendant  lequel  il  fut  enlevé  à  Dresde  par  la  police 
prussienne,  et  conduit  à  Berlin  :  on  l'avait  soupçonné  d'être  car- 
bonaro et   révolutionnaire.....  Par  un  heureux   hasard,  noire 
voyageur  put  utiliser  sa  captivité  ;  car  il  entra  dans  un  commerce 
journalier  avec  l'école  de  M.  Hegel  ;  ÎM.  (ians  el  M.  Michelet  de 
Berlin  lui  développaient,  dans  de  longues  conversations,  le  sys- 
tème de  leur  maître  ;  ils  effaçaient  de  son  esprit  le  Kantisme  et 
quelques   erremens  de   Fichte,  pour   y  substituer  les  principes 
et  les  conséquences  d'un  réalisme  éclectique,  optimiste,  qui  se 
targuait  de  tout   expliquer,  do  tout  comprendre,  et  de  tout  ac- 
cepter, iVÎ.  Cousin  sut  tourner  à  celte  philosophie  avec  sa  promp- 
titude ordinaire  > «  Cependant   le  séjour  de 

notre  ])rofesseur  dans  Beilin  devait  porter  ses  fruits  :  en  1826, 
il  publia  une  collection  d'articles  insérés  dans  le  Journal  des  .ui- 
i>ans  el  dans  le?  Archives  philosophiques ^  dont  tous  ne  méritaient 
peut-être  pas  les  honneurs  d'une  résurrection,  et  qui  au  surplus 
riaient  inférieuis  à  la  préface  même  qui  les  précéiait.  Dans  la 
préface  des  Fras^mens  philosophiques  ,  M.  Cousin  présente  son 
système,  qu'il  affii ma  avoir  façonné  dès  1818.  J'aurais  conjecturé, 
je  l'avoue,  que  le  voyage  de  1824  y  avait  contribué  en  quelque 


M.  COUSIN'.  125 

chose,  et  que  le  rapport  identique  de  riiomme,  de  la  nature  et 
de  Dieu, qui  commence  à  y  poindre,  étaient  une  importation.  La 
préface  des  Fragmens  fut  peu  goûtée  quand  elle  parut.  Cette  con- 
densation d'une  métaphysique  imparfaite  qui  se  cherchait  elle- 
même  et  n'était  pas  maitresse  de  sa  langue  étonna  sans  instruire. 
Enfin,  en  l8^8,  IM.  Cousin,  rendu  à  sa  chaire,  put  s'y  déployer  à 
l'aise,  et  il  eut  le  plaisir  d'y  exciter  la  surprise  et  l'admiration. 
Dans  une  Introduction  éloquente  de  treize  leçons,  il  développa , 
avec  son  imagination  d^artisle  et  son  talent  d'orateur ,  quelques 
principes  du  système  de  Hegel,  qui  semblaient  sortir  de  sa  tète 
et  lui  appartenir.  Du  haut  d'un  dogmatisme  dont  seul  alors  il 
avait  le  secret,  il  inspecta  l'histoire,  les  philosophes  ,  les  grands 
hommes,  la  guerre  et  ses  lois,  la  Providence  et  ses  décrets.  Il  pro- 
fessa la  légitimité  d'un  optimisme  universel,  et  prononça  au  nom 
de  la  philosophie  l'absolution  de  l'histoire.  Je  sais.  Monsieur , 
qu'à  Berlin  vous  ne  partagiez  ])as  renthousiasme  avec  lequel 
nous  avons  accueilli  ces  leçons;  vous  ne  pouviez  concevoir  com- 
ment on  importait  ainsi  une  doctrine  sans  en  'nommer  l'auteur. 
M.  Hegel  plaisanta  de  ce  procédé  avec  une  indulgence  un  peu 
satirique;  et  vous  même,  Monsieur,  vous  avez  prononcé  à  ce 
sujet  un  mot  fort  dur,  que  j'ai  peine  à  écrii  e,  le  mot  de  plagiat. 
Je  ne  pense  pas  ,  Monsieur  ,  que  sciemment  M.  Cousin  ait  voulu 
se  parer  de  ce  qui  ne  lui  appartenait  pas;  mais,  emporté  par  son 
imagination,  il  a  cru  avoir  conçu  lui-même  ce  qu'on  lui  aTait 
appris.  Dans  ses  improvisations,  il  oubliait  ses  emprunts,  et  c'est 
de  la  meilleure  foi  du  monde  qu'en  amalgamant  Kant  et  Hégcl, 
il  se  persuada  avoir  créé  quelque  chose.  Cependant  le  vol  méta- 
physique de  M.  Cousin,  je  veux  dire  son  ascension,  ne  fut  qu'un 
phénomène  passager  :  il  redescendit  vite  sur  la  terre  ;  et ,  soit 
qu'il  eût  épuisé  en  peu  de  tems  son  dogmatisme,  soit  qu'il  crai- 
gnît de  n'être  plus  suivi  dans  ses  excursions  exotiques,  il  revint 
à  l'histoire,  déclara  que  la  philosophie  n'était  plus  à  faire,  mais 
était  faite;  qu'il  ne  s'agissait  que  de  la  rassembler;  qu'elle  se  par- 
tageait en  quatre  systèmes  principaux  :  le  Sensualisme,  l'Idéa- 
lisme, le  Scepticisme  et  le  Mysticisme,  et  qu'en  dégageant  ce  qu'il 
y  avait  de  vrai  dans  chacune  de  ces  formes  exclusives  de  la  réa- 


126  RATlOx\A.LlSME    CO>TEMPORAIN  ; 

lité,  OQ  retrouvait  la  réalité  pure  et  complète.  Voilà  cette  fois  un 
éclectisme  bien  constitué.  Ainsi  vous  voyez  ,  Monsieur,  que  M. 
Cousin  a  éié  tour  à  tour  Ecossais,  Kantiste ,  Alexandrin,  Hégé- 
lien, Eclectique  :  il  nous  reste  à  chercher  s'il  a  jamais  été  et  s'il 
est  Philosophe. 

»  Quelle  sera  l'idée  dont  M.  Cousin  aura  élargi  la  face  et  sur  la- 
quelle il  aura  jeté  de  la  lumière  ?  la  liberté?  examinons.  La  théo- 
rie du  traducteur  de  Platon  sur  la  liberté  consiste  tout  entière 
dans  le  principe  suivant  :  le  moi  est  tout  entier  dans  la  liberté  ; 
il  est  la  liberté  même;  rintelligence  et  la  sensibilité  se  rapportent 
bien  au  moi,  mais  elles  ne  le  constituent  pas,  la  liberté  seule 
constitue  le  moi  ;  —  mais  la  personnalité  humaine  n'est-elle  pas 
aussi  bien  dans  la  sensation  et  la  pensée  que  dans  la  volonté  ?  le 
problème  scientifique  n'est-il  pas  précisément  delasuivre  sous  ces 
trois  faces?  Au  surplus  ,  cette  affirmation  «  ^jr/on  de  M.  Cousin 
n'est  qu'une  rédaction  hâtive  et  brusquée  des  principes  qu'il 
empruntait  au  stoïcisme  et  à  Fichte 

»  La  théorie  de  la  raison  va  être  pour  l'éditeur  de  Proclus  un 
écueil  où  il  se  brisera.  Remarquez  sa  position  :  il  est  parti  de  la 
conscience  individuelle,  tant  par  conviction  que  par  son  appren- 
tissage à  l'école  de  Kant  et  de  Fichie,  et  il  lui  faut  maintenant 
arrivera  la  raison  impersonnelle,  à  l'absolu.  Quand  Schelling  et 
Hegel  établirent  leur  idéalisme,  ils  avaient  fait  table  rase;  ils 
avaient  nié  Kant  et  Fichte.  Rant  avait  déclaré  qu'il  était  impos- 
sible à  riiomme  d'arriver  à  la  connaissance  de  l'absolu;  Fichte 
l'avait  identifié  dans  la  plus  haute  expression  de  l'homme  même; 
Sclielling  rompant  avec  Kant  et  Fichte,  fit  de  l'absolu  une  insti- 
tution mystique  ;  Hegel  de  son  côté  en  fit  une  hypothèse  logique. 
Or,  voici  31.  Cousin  qui  tombe  dans  l'étrange  illusion  de  vouloir 
accoupler  des  termes  incompatibles;  il  croira  pouvoir  se  servir  de 
Kant  comme  d'un  point  de  départ;  de  Fichte  comme  de  la  pré- 
cision même  du  moi.  A  Schelling  il  empruntera  la  spontanéité,  à 
Hegel  la  réflexion;  et  il  sera  persuadé  avoir  donné  une  solution 
satisfaisante  et  nouvelle  dans  la  distinction  delà  raison  spontanée 
et  de  la  raison  réfléchie.  « «  A  Berlin ,  cette  méta- 
physique a  paru  bien  frivole  ;  à  Paris,  elle  a  eu  peu  d'inconvé- 


M.  COUSIN.  127 

niens,  parce  que  personne  ne  l'a  comprise;  on  a  laissé  M.  Cousin, 
sans  le  troubler,  jouer  avec  les  formules,  avec  le  fini  et  l'infini , 
le  un  et  le  multiple^  il  a  professé  sans  objections  la  réduction 
fort  importante  ,  selon  lui,  des  catégories  de  Kant  et  d'Aristote 
aux  lois  de  causalité  et  de  subtsance,  réduction  stérile,  affaire  de 
mots;  l'éloquence  du  professeur  lui  obtenait  du  public  grâce 
pour  son  ontologie 

»  La  sensibilité  n'a  été  qu'effleurée  par  M.  Cousin  ;  étran- 
ger à  la  physiologie,  il  manquait  de  faits  positifs  et  s'est  borné  à 
rédiger  quelques  conjectures  de  31.  IMaine-Biran 

»  M.  Cousin  est-il  panthéiste?  je  n'en  sais  rien,  et  je 

crois  qu'il  n'en  sait  rien  lui-même;  —  il  s'est  quelque  part  élevé 
éjoquemment  contre  ce  système,  n^ais  ne  semble-t-il  pas  le  pro- 
fesser ailleurs? 

»  Sur  le  Christianisme,  même  indécision.  Sa  philosophie 

ne  semble  parfois  que  la  doublure  de  la  tradition;  d'autres  fois 
elle  cherche  à  concilier  les  honneurs  de  l'indépendance  avec  les 
sûretés  de  l'orthodoxie 

))  En  résultat,  il  n'a  laissé  dans  les  esprits  qu'un  scepticisme 
vague  en  octroyant  une  amnistie  métaphysique  à  tous  les  sys- 
tèmes  

»  A  la  Législative,  un  M.  Lamourette  exhorta  tous  les 

partis  à  une  fusion  générale;  son  succès  fut  prodigieux,  tout  le 
monde  s'embrassa,  M.  de  Jaucourt  donna  l'accolade  à  3Ierlin, 
Condorcet  se  jeta  dans  les  bras  de  BI.  de  Pastoret  ;  mais  hélas  I  le 
lendemain  chacun  revint  avec  les  mêmes  dissentimens  et  les 
mêmes  passions  ;  il  ne  resta  de  la  motion  de  l'honnête  député 
que  des  épigrammes  et  des  chansons  sur  le  baiser  Lamourette. 
Paris  s'en  amusa  tout  un  jour.  Eli  bien  !  l'éclectisme  n'est  pas 
autre  chose  que  le  baiser  Lamourette  de  la  philosophie'.  » 

m.  Jugement  de  M.  Bautain,  professeur  de  philosophie  à  la  Faculté  de 

Strasbourg. 

M  L'Eclectisme  au  19*  siècle  est  ce  qu'il  a  été  dans  tous  les  tems, 
'  lettres  à  un  Berîinoii. 


1  28  RA.T10NALISME  CONTEMPORAIN  ; 

un  syncrétisme  ,  un  recueil  d'opinions  ou  de  pensées  humaines 
qui  s'agrègent  sans  se  fondre  ,  ou,  autrement,  un  assemblage  de 
membres  et  d'organes  pris  çà  et  là,  ajustés  avec  plus  ou  moins 
d'art,  mais  qui  ne  peuvent  constituer  un  corps  vivant.  La  vérité, 
a-t-on  dit,  n'appartient  à  aucun  système  ,  car  elle  ne  serait  plus 
la  vérité  pure  et  universelle  si  elle  se  laissait  formuler  dans  une 
théorie  particulière.  Ce  n'est  ni  dans  les  ouvrages  de  tel  philo- 
sophes ,  ni  dans  les  opinions  de  tel  siècle  ou  de  tel  peuple  qu'il 
faut  chercher  la  philosophie,  c'est  dans  tous  les  écrits,  dans  toutes 
les  pensées,  dans  toutes  les  spéculations  des  hommes,  dans  tous 
les  faits  par  lesquels  se  manifeste  et  s'exprime  la  vie  de  l'huma- 
nité. La  philosophie  n'est  donc  pas  à  faire  ;  ce  n'est  point  le  gé- 
nie de  l'homme  qui  la  fait,  elle  se  fait  elle-même  par  le  dévelop- 
pement actuel  du  monde,  dont  l'homme  est  partie  intégrante  -, 
elle  se  fait  tous  les  jours,  à  tout  instant,  c'est  la  marche  progres- 
sive du  genre  humain,  c'est  l'histoire  :  la  tâche  du  philosophe  est 
de  la  dégager  des  formes  périssables  sous  lesquelles  elle  se  pro- 
duit, et  de  constater  ce  cjui  est  immuable  et  nécessaire  au  milieu 
de  ce  qui  est  variable  et  contingent.  C'est  fort  bieni  mais  pour 
faire  cette  distinction,  pour  opérer  cette  séparation,  il  faut  un  œil 
sûr,  un  regard  ferme  et  exercé;  il  faut  le  critérium  de  la  vérité  ; 
il  faut  une  mesure ,  une  règle  infaillible  ;  et  où  la  philosophie 
éclectique  ira-t-elle  la  prendre?  ce  n'est  point  dans  une  doctrine 
humaine,  puisque  aucune  de  ces  doctrines  ne  renferme  la  vérité 
pure,  et  que  c'est  justement  pour  cela  qu'il  faut  de  l'éclectisme  : 
aussi  en  appelle-t-on  à  la  raison  universelle  ,  à  la  raison  absolue! 
«t  ce  serait  très  bien  encore  si  cette  raison  absolue  se  montrait 
elle-même  sous  une  forme  qui  lui  fût  propre  ,  et  nous  donnait 
ainsi  la  conviction  que  c'est  elle  qui  nous  parle;  mais  il  n'en  va 
pas  ainsi  dans  l'élude  des  choses  naturelles  :  là,  la  raison  univer- 
selle ne  nous  parle  que  par  des  raisons  privées  ;  là,  il  y  a  toujours 
des  hommes  entre  elles  et  moi;  c'est  toujours  un  homme  qui 
s'en  déclare  l'organe  ,  l'interprète:  et  quand  le  philosophe  vous 
dit  :  Voici  ce  que  dit  la  raison  absolue  I  cela  ne  signifie  rien  ,  si- 
non :  Yoici  ce  que  moi,  dans  ma  conscience  et  dans  ma  raison 
propre,  j'ai  juge  conforme  à  la  raison  universelle.  L'éclectisme  ne 


M.   COUSIN 


129 


posscdaiil  point  ce  critérium  si  nécessaire  de  la  vérité,  il  ne  se 
peut  que  son  enseignement  ne  soit  obscur,  vague,  incohérent;  il 
n'a  point  de  doctrine  proprement  dite;  c'est  un  tableau  brillant 
où  toutes  les  opinions  humaines  doivent  trouver  place  ;  vraies  ou 
fausses  ,  elles  expriment  les  pensées  humaines  ,  et  ainsi  elles  ont 
droit  aux  égards  du  philosophe  ;  il  ne  faut  point  les  juger  par 
leurs  conséquences  morales,  utiles  ou  nuisibles,  bienfaisantes  ou 
pernicieuses;  elles  ont  toutes,  à  les  considérer  philosophique- 
ment, la  même  valeur  :  ce  sont  des  formes  diverses  de  la  vérité 
une.  Mais  si  toutes  les  doctrines  sont  bonnes  en  tant  qu'expres- 
sions formelles  de  la  raison  de  l'homme,  toutes  les  actions  le  se- 
ront également  comme  manifestations  de  son  activité  libre;  il  n'y 
a  ni  ordre,  ni  desordre  pour  un  être  intelligent  qui  ne  connaît 
point  de  loi  ni  de  fin.  Le  crime  est  un  fait  comme  la  vertu  ;  bien 
qu'opposés  dans  leurs  résultats  pour  l'individu  et  pour  la  société, 
ils  se  ressemblent  en  ce  qu'ils  expriment  l'un  et  l'autre  un  mode 
de  la  liberté  :  et  voilà  seulement  ce  qui  leur  donne  une  valeur 
philosophique.  Les  actions  humaines  n'ont  d'importance  qu'à 
proportion  qu'elles  aident  ou  entravent  le  développement  de 
l'humanité,  qui  doit  toujours  aller  en  avant,  n'importe  en  quel 
sens  ou  vers  quel  terme^  conduite  par  la  raison  universelle,  qui 
ne  peut  s'égarer,  parce  qu'il  n'y  a  pas  deux  voies  de  peifectionne- 
ment  :  il  ne  s'agit  que  d'être,  d'exister  et  de  se  mouvoir.  Les  so- 
ciétés ne  savent  pas  plus  cù  elles  vont  que  les  individus  ;  elles 
naissent  et  périssent,  manifestant  pendant  leur  durée  une  portion 
de  la  vie  générale,  et  servant  de  point  d'appui  aux  générations 
futures,  comme  celles-ci  sont  sorties  elles-mêmes  de  ce  qui  les  a 
précédées  :  elles  jouent  leur  rôle  sur  la  scène  du  monde,  et  puis 
elles  passent.  Un  siècle,  si  perverti  qu'il  paraisse,  porte  en  soi  sa 
justification  :  c'est  qu'il  était  destiné  à  représenter  telle  phase  de 
riiumanité  ;  limpression  pénible  qu'il  produit  sur  nos  Ames  est 
une  affaire  de  sentiment  ou  de  préjugé.  Vu  philosophiquement 
et  en  lui-même,  il  n'est  pas  plus  mauvais  qu'un  autre,  et  devant 
la  véiité,  il  vaut  dans  son  existence  les  siècles  de  vertu  et  de  bon- 
heur ;  c'est  l'événement  qui  décide  du  droit,  c'est  le  succès  qui 
prouve  la  légitimité  ;  la  justice  est  dans  la  nécessité ,  car  tout  ce 


150  RATIONALISME  CONTEMPORAIN  ; 

qui  existe  est  un  fait,  et  tout  fait  est  ce  qu'il  doit  être  par  cela 
seul  qu'il  est. 

»  Telles  sont  les  désolantes  conséquences  de  la  philosophie 
éclectique  dans  la  science  comme  dans  la  morale  ;  voilà  où  abou- 
tit le  grand  mouvement  philosophique  de  notre  Niècle;  c'est  là 
qu'il  est  venu  se  perdre,  laissant  dans  les  esprits  qu'il  a  agités,  et 
comme  dernier  résuUat,  d'un  côté  une  espèce  d'indifférence 
pour  la  vérité,  à  laquelle  ils  ne  croient  plus,  parce  qu'à  force  de 
la  leur  montrer  partout  ils  en  sont  venus  à  ne  l'apercevoir  nulle 
part;  et  d'un  autre  côté,  dans  la  conduite  de  la  vie,  avec  une 
grande  prétention  au  sublime  ,  au  dévouement,  avec  tous  les 
semblans  de  l'héroisme,  un  laisser-aller  aux  passions,  l'aversion 
pour  tout  ce  qui  gêne  et  contrarie,  l'abandon  à  la  fatalité,  la  ser- 
vitude de  la  nécessité  sous  les  dehors  de  l'indépendance.  Cette 
philosophie  si  riche  eu  promesses  ,  mais  si  pauvre  en  effets  , 
comme  l'histoire  le  dira,  est  jugée  aujourd'hui,  et  ce  n'est  plus  à 
cette  école  qu'une  jeunesse  généreuse  ira  chercher  de  grandes 
idées,  des  sentimens  profonds,  de  hautes  inspirations  ^  » 

IV.  Jugemeut  de  M.  Th. -Henri  Martin,   professeur  à  la   Faculté  de 

Rennes, 

'<■  Ces  vagues  et  audacieuses  théories  du  panthéisme  germa- 
nique, qui  resteront  dans  l'histoire  de  la  science  comme  un  objet 
d'étude  éminemment  instructif,  ont  trouvé  en  France  non-seu- 
lement des  interprètes,  mais  des  adeptes.  M.  Cousin  lui-même 
s'est  laissé  aller  autrefois  à  revêtir  de  son  beau  style  platonique 
quelques  fragmens  de  cette  métaphysique  aussi  stérile  que  pré- 
tentieuse ;  il  a  répété  çà  et  là  dans  ses  écrits  plusieurs  formules 
de  la  philosophie  de  M-  Schelling  et  de  M.  Hegel,  en  y  attachant 
quelquefois  mentalement  un  sens  plus  raisonnable  que  celui 
qu'elles  expriment  ;  il  a  cru  pouvoir  parler  de  tems  en  tems 
comme  ces  deux  philosophes,  et  penser  cependant  comme  Leib- 
nitz  ou  comme  Bossuet.  Ce  compromis ,  qui  n'est  pas  de  l'éclec- 
tisme, avait  bien  ses  dangers  ;  il  en  est  résulté  plus  d'un  malen- 
tendu pour  les  lecteurs,  et ,  si  je  ne  me  trompe,  pour  l'auteur 

•  P.tychologie  experimeniahf  préface. 


M.  COUSIN.  131 

lui-même,  M.  Cousin  aurait  pu  nous  iuiiier  d'une  manière  plus 
profitable  et  plus  sûre  à  la  connaissance  de  la  philosophie  alle- 
mande contemporaine  ;  ei  eu  même  tems,  avec  son  admirable 
méthode,  destinée  à  durer  beaucoup  phis  que  les  systèmes  fan- 
tastiques de  nos  voisins,  il  aurait  pu  créer  lui-même  un  système 
homogène.  Les  erreurs  d'emprunt  sont  aisées  à  reconnaître  dans 
ses  œuvres,  où  elles  forment  un  étrange  disparate  au  milieu  des 
théories  brillantes  de  raison  et  de  clarté.  Depuis,  M.  Cousin  a 
hautement  et  franchement  désavoué  ces  principes  étrangers  au 
fond  de  sa  doctrine,  et  dont  il  n'admit  jan;ais  les  conséquences. 
Cependant,  les  opinions  des  partisans  de  l'identité  absolue  ,  in- 
troduites en  France  par  plus  d'une  \oie,  y  avaient  séduit  beau- 
coup d'esprits  par  leur  nouveauté,  par  leur  hardiesse  bizarre  et 
par  leur  obscurité  même  ;  aujourd'hui  encore,  elles  y  sont  dé- 
fendues par  quelques  penseurs  isolés  qui  se  lattachent  à  l'école 
allemande,  par  quelques  disciples  arriérés  de  M.  Cousin  ,  éclec- 
tiques prétendus,  qui  ont  choisi  le  mal  au  milieu  du  bien  ,  et  par 
quelques  adversaires  et  plagiaires  de  M.  Cousin,  qui ,  dans  leur 
horreur  pour  l'éclectisme,  prennent  partout  sans  choisir  ".» 

Les  professeurs  de  philosophie  sont-ils  irresponsables? — Opinion  de 
M.  Simon,  professeur  à  la  faculté  des  lettres  de  Paris. 

«  Quant  au  droit  de  discuter  des  doctrines  philosophiques,  de 
rendre  couspte  d'un  cours  public,  de  le  blâmer  ou  de  l'approu- 
ver, j'avoue  que  je  ne  saurais  comprendre  qu'on  pût  même 
concevoir  la  pensée  de  le  contester  à  qui  que  ce  soit.  Les  profes- 
seurs institués  par  l'état  exercent  une  magistrature  de  l'ordre  le 
plus  élevé;  ils  ont  droit  au  respect  de  tous,  pourvu  qu'ils  s'en 
montrent  dignes  ;  mais  précisément  à  cause  de  ce  que  leur  mis- 
sion a  de  grave  et  d'élevé,  ils  doivent  être  soumis  à  la  discus- 
sion et  à  la  critique  :  et  cela  est  tellement  vrai  que,  si  l'on  ve- 
nait par  malheur  à  abolir  par  tout  le  monde  le  régime  de  pu- 
blicité, qui  fait    la   principale  sauvegarde  de  nos  libertés  ,   il 

'  Commentaire  sur  le  Timee  de  Platon,  t.  u.  Nous  rendrons  compte 
prochainement  de  cet  important  ouvrage. 


132  KATIOWALISME  CONTEMPORAIN. 

faudrait  le  laisser  subsister  pour  les  professeurs ,   et  particulière- 
ment pour  les  professeurs  de  philosophie. 

»  Il  y  plus  :  ce  n'est  pas  seulement  un  droit  pour  le  clergé  ca- 
tholique de  discuter  les  opinions  philosophiques  qui  lui  parais- 
sent contraires  à  la  doctrine  de  l'Église  ,  c'est  un  devoir ,  et  un 
devoir  strict  ;  il  doit  le  remplir  avec  courage ,  s'il  y  a  lieu  ^  mais 
je  n'admets  pas  qu'il  puisse  y  avoir  du  courage  à  dire  aujour- 
d'hui ,  en  France,  son  opinion  sur  des  matières  religieuses  ou 
philosophiiiues.  » 

•  Revue  des  Deux  Mondes^  i"  avril  184'i,  p.  76,  77.  —  Article  de 
M.  Simon,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  et  suppléant  de 
M.  Cousin. 


^»g&9■i«u■ri— 


NECROLOGlii 


133 


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nécioloijic. 

L'ABBÉ  FOISSET. 

m:  .31    DÉCEMBRE  1801,  MORT  LE  23  JUIN   184-2. 

A  M.  BoNKETTY,  directeur  des  Annales  de  philosophie  chrétienne. 
Vous  désirez,  mon  Ami,  que  je   paie  au  prêtre  que  nous  pleu- 
rons, un  tribut  d'éloges  et  de  reconnaissance.  Je  voudrais  pou- 
voir être  digne  de  lui  et  des  Annales  que  ses  travaux  ont  hono- 
rées ;  mais  je  n'ai  qu'entrevu  à  l'œuvre  ce  digne  soldat  du  Christ. 
Il  faudrait  l'avoir  suivi  dans  ses  courses,  avoir  vu  son  front  mouillé 
de  ses  sueurs,  et  été  le  confident  intime  de  ses  projets.  Plombières 
est  son  champ  de  bataille;  il  y  a  laissé  des  amis  inconsolables, 
témoins  de  ses  actions  et  continuateurs  de  ses  pensées.  C'est  là 
au  sein  de  sa  famille  adoptive,  dans  Ils  murailles  de  la  cité  qu'il 
édifiait,  qu'il  eiit  fallu  prendre  son  biographe.  La  lettre  que  je 
vous  écris  à  lahâlene  vous  dira  pas  tout  ce  qu'était  et  tout  ce  qu'a 
fait  M.   l'abbé  FOISSET  (Silvestre),  chanoine  de  S.-Bénigne  de 
Dijon,  supérieur  du  petit-séminaire  S. -Bernard,  à  Plombières. 
Il  y  a  des  familles  dont  les  membres  semblent  se  succéder  dans 
une  seule  et  même  pensée.  En  1808,  à  Beaune,  un  homme  finis- 
sait plein  de  jours  une  vie  dont  la  France  religieuse  garde  un  ho- 
norable sou^'enir  :  c'était  l'abbé  Bailly,  l'ancien  directeur  du  prin- 
cipal collège  de  la  province,  l'ex-promoteur  du  diocèse  et  le  cham- 
pion de  l'Eglise  par  ses  travaux  théologiques.L'n  enfant,  son  pe- 
tit-neveu, priait  près  de  son  cercueil,  et  allait  dans  un  nouveau 
siècle   continuer   l'œuvre   de  son    oncle   au   18e  ;    mais   l'abbé 
Foissjft  a  été  enlevé  dans  la  carrière  :  il  vient  d'achever  le  sacrifice 
de  sa  vie,  à  peine  âgé  de  quarante-deux  ans. 

Au  sortir  du  collège  où  le  guidait  son  frère  Théophile,  aujour- 
d'hui juge  d'instruction  au  tribunal  de  Beaune,  Silvestre  suivit 
la  voix  intérieure  qui  l'appelait  à  l'état  ecclésiastique.  Mais  en  tra- 
in' SÉRIE.  TOME  Vî.  —  IN'»  32.  1842.  9 


i34  NECROLOGIE. 

versant  les  rues  de  Dijon  pour  se  rendre  au  séminaire,  il  voulut 
voir  la  société  d'études,  foyer  de  sciences  où  de  jeunes  Bourgui- 
gnons venaient  déposer  le  fruit  de  leur  zèle  et  profiter  des  lu- 
mières générales.  Je  ne  vous  dirai  pas  tous  les  hommes  distingués 
de  cette  jeune  académie  qui  a  disparu  dans  un  moment  de  trouble, 
j'aurais  à  vous  citer  vingt  contemporains,  des  poètes,  des  avocats, 
des  arcliéologuts,  des  philosophes,  de?;  jurisconsultes,  des  ingé- 
nieurs, des  professeurs  de  droit,  des  députés,  des  préfets;  il  suf- 
fit que  vous  sachiez  que  celui  qui  fut  Toraieur  de  Notie-Danie  de 
Paiis  était  le  secrétaire  de  cette  société  ;  iM  Lacordaire  intiodui- 
sii  Silvestre  Foisset,  qui  devint  membre  conespondant.  C'était 
en  18-22. 

Ap«  es  s'être  nùs  en  rapport  avec  la  science  que  son  frère  repré- 
sentait déjà  à  l'académie  de  Dijon,  SiUestre  (  n  alla  demander  la 
consécrauon  au  séminaire.  Il  n'y  ie>ta  que  qielqut  s  mois  ;  l'abbé 
Poinscl,  qui  en  était  Imtelligent  supéiieuj ,  distingua  le  méiite 
du  nouveau  venu,  et  l'iniroduisit  imuifdatement  au  petit-sémi- 
naire de  Plombières,  où  il  fit  honorablement  ses  premières  armes 
avec  le  jeune  Pallegoix  de  Beaune,  aajouid'hui  coadjuteur  de 
Siain.  Silvestre  professait  les  huuianités,  et  répondit  en  tout  à  ce 
que  l'on  attendait  de  son  intelligence  :  il  s'agissait  de  renouveler 
cet  établissement  d'éducation  cléricale. 

En  1825,  Silvestre  sentit  ce  qui  manquait  à  son  armure.  Il  par- 
tit pour  le  capitale  et  alla  s'enfermer  à  S.-Snlpice.  Il  y  étudia 
pendant  deux  ans  ce  qu'il  n'avait  fait  qu'entrevoir  au  séminaire 
de  Dijoû.  Il  vil  de  haut  et  étudia  à  fon.l  toutes  les  questions  phi- 
losophiques. La  théologie,  cette  science  universelle,  il  Tembrassa 
avec  amour,  ijon  pas  comme  un  enfant -qui  s'anmse  à  la  surface 
des  choses,  mais  en  homme  qui  les  pénètre  en  tous  sens  et  les 
tient  dans  sa  main. 

Il  aimait  les  confidences  des  savans,  ses  contemporains  ;  mais 
au  dessus  (les  vivans  il  y  avait  un  compatriote  qu'il  ne  perdait  pas 
de  vue;  il  s'attacha  avee  passion  à  l'aigle  des  Gaules  religieuses. 
Ce  fut  lui,  le  jeune  élève  bourguignon,  qui  donna  ses  soins  à 
Védition  de  fios5//t/,  publiée  par  Beaucé-ll  isaad.  Compienez-vous, 
«lOD  ami,  tout  ce  qu'il  fallait  de  zèle,  d'ardeur  et  de  force  pour 


L  ABBÉ    FOISSE-Î  135 

sui^rre  et  mener  de  pair  avec  ses  études  le  plus  .orand  génie  des 
tems  modernes  ,  bondissant  de  Tliistoinj  particulière  à  l'histoire 
universelle,  s'élevant  de  la  polémique  du  jour  aux  sublimes  spé" 
culations  de  l'histoire  de  la  philosophie,  commentant  la  Bible  ou 
écrivant  sur  les  marches  du  tione  la  politique  des  Saints  ? 

Ce  n'est  pas  tout,  pendant  que  le  jeune  Silveslre  puisait  dan* 
Bossuet  l'universalité  et  l'énergie  de  la  science,  qu'il  suivait  les 
cours  de  théologie  avec  labbé  Dupanloup,  Torattur  ;  avec  La 
croix,  aujourd'hui  clerc  national  à  Rome  ;  avec  M.  d'Archimoles, 
évéque  du  Puy,  imbu  des  principes  du  maître,  il  voulut  remon- 
ter au  berceau  de  l'Eglise,  et  demander  à  ses  Pères  du  pain  pour 
les  enfans  de  noire  siècle.  Il  visita  Chrysoslone,  Grégoire  de  Na- 
ziance,  Bjsiie-le-Grond,  Aihanase,  Justin  chez  les  Grecs  ;  Tertul- 
lien,  liil.iire,  Cyprien,  Aiubroise,  Jérôme,  Augnsiin,  d.ins  la  lan- 
gue de  Rome;  et,  tout  biùlaut  de  la  contemplation  de  ces  gloires 
clii  èiienne-,  il  accusa  publiquement  \dlemiin,  qui  en  avait  été 
inondé,  de  réfouler  dans  son  âme,  en  ])résence  de  la  Sorbonne, 
une  admiration  qu'il  avait  si  énergiquement  exprimée  dans 
ses  Mélanges.  Enfin  l'archevêque  de  Paris  couronna  ses  travaux 
en  lui  conférant  de  ses  mains  le  sous-diaconat,  en  1827. 

M.  l'évêque  deDijon  rappela  dans  son  diocèse  l'abbe  Fois'^et,  et 
lui  confia  la  rhétorique  à  Plombières;  c'est  là  qu'était  sa  mission. 
Ses  élèves  puisaient  dans  sa  direction  un  élan  admirable  et  un  at- 
tachemenlsi fort  qu'ils  le  poursuivaient  pendanth  s  vaeanct  s  jusque 
dans  sa  retraite  de  Bl'gny-?ous-B(  aune.  Les  uns  sont  aujourd'hui 
rhonnear  de  noiie  ceigé  ou  les  colonnes  du  {  eiil-sénii  ia<e ,  les 
auties  professi-nt  daris  des  collèges  voisins  ;  un  aure,  api  es  avuir 
lutté  à  Pans  |)en*iani  queUjues  anu'^ es  pour  les  doctrines  leligieu- 
ses,  professé  dans  des  coliéi;es  de  Pans,(.ontiiiue  à  'Moscou  la  mis- 
sion que  lui  avait  donnée  son  maîire.  Ce  fut  au  mois  d'août  1828 
qu'il  prononça  sur  VEliide  des  Pères  un  discours  remarquable, 
qu'il  regardait,  je  pense,  comme  la  première  pierre  de  l'édifice 
qu'il  se  proposait  d'élever. 

Dès  lors  il  lut  jugé  digne  d'occuper  un  rang  plus  haut  sur  l'c- 
chelle  de  l'éducation  cléricale.  Successivement  nommé  professeur 
de  ]>hilosophie,  puis  de  dogme  au  grand  ^séminaire  du  di4>cèi«^vi 


130  NÉCROLOGIE. 

ne  se  précipita  pas  dans  le  vestibule  qui  s'ouvrait  devant  lui;  pé- 
nétré de  la  mission  qu'il  avait  à  remplir,  homme  constant  et 
d'une  admir.ible  simplicité,  quand  il  vit  qu'on  lui  était  des  mains 
l'œuvre  qu'il  commençait,  il  se  sentit  les  entrailles  déchirées,  et 
demanda  conane  une  laveur  la  desserte  de  Montagny,  petit  vil- 
lage voisin  de  sa  famille.  Mais  ce  n^est  pas  le  repos  qu'il  cherchait: 
l'abbé  Foisset  se  mettait  tout  entier  à  ce  qu'il  entreprenait.  Au 
lieu  de  poursuivre  ses  éludes  de  prédilection,  il  les  sacrifia  géné- 
reusement aux  détails  du  ministère  •,  il  fut  curé  de  campagne  avec 
tout  le  zèle  qui  l'avait  animé  dans  les  hautes  études  littéraires  et 
religieuses.  Le  lieu  de  sa  naissance,  Bligny,  ayant  été  ajouté  à  sa 
desserte,  l'abbé  se  trouva  chargé  de  sept  communes,  célébrant 
deux  messes  tous  les  dimanches,  et  chantant  vêpres  dans  trois 
endroits;  safamille,  son  bien-aimé Théophile,  le  possédaient  peu  : 
enfans  et  vieillards,  hommes  et  et  femmes,  morts  et  vivans,  tous 
réclamaient  le  pasteur. 

C'est  au  milieu  de  ces  ouailles  qui  le  bénissaient  que  le  premier 
pasteur  du  diocèse  vint  prendre  l'abbé  Foisset  pour  en  faire  le 
supérieur  de  Plombières.  Il  n'avait  que  28  ans;  mais  31.  Hail- 
lon savait  distinguer  le  mérite ,  et  son  grand-vicaire,  M.  Mor- 
lot,  aujourd'hui  archevêque  de  Tours,  connaissait  depuis  long- 
tems  le  savoir-faire  de  l'auteur  du  Discours  sur  les  Pères  de  VE- 
glise.  M.  Foisset  fut  iiistallé  par  son  évêque  le  28  juin  1830,  un 
mois  avant  la  révolution  de  juillet. 

Pour  connaître  ce  qu'eut  à  faire  le  nouveau  supérieur,  il  la  ut 
savoir  que  Plombières  était  dégénéré.  Des  élèves  gangrenés,  sou- 
tenus par  des  livres  infâmes,  et  deux  maîtres  de  récréations  qui 
les  propageaient,  des  professeurs  faibles  et  découragés,  des  étu- 
des religieuses  et  scientifiques  véritablement  nulles,  une  mau- 
vaise tenue  générale,  je  ne  sais  quel  ferment  du  dehors  qui  re- 
muait l'écume  au  dedans  ;  à  la  porte  enfin  une  soldatesque  inso- 
lente qui  tentait  à  main  armée  une  visite  domiciliaire  ;  voilà  le 
chaos  où  l'abbé  Foisset  descendit  sans  peur  ;  un  autre  aurait  dé- 
sespéré d'y  faire  pénétrer  la  lumière. 

Non  turhetur  cor  vestruni,  neque  forinidei  ;  la  noble  contenance 
clu  jeune  supérieur  en  imposa  aux  émissaires  arméS;qui  ne  passé- 


l'aBET  FOISSF.T,  137 

lenl  point  le  seuil  tlu  séminaire,  et  l'on  gagna  la  fin  de  l'année  sans 
encombre.  Cependant  on  abattait  des  croix  autour  de  Plombières, 
etauloin,  des  églises  et  un  archevêché  ïl  semble  que  l'abbé  Foisset 
ne  soit  venu^  quelques  jours  avant  la  sortie  des  élèves,  que  pour 
voir  de  ses  yeux  la  profondeur  du  mal,  et  protéger  la  maisoncon- 
tre  les  invasions  du  dehors. 

Les  vacances  furent  pour  le  supérieur  un  moment  d'activité  in- 
cessante. Le  pensionnat  fut  épuré  rigoureusement,  le  personnel 
réorganisé,  une  comptabilité  régulière  établie,  toute  l'adminis- 
tration réformée.  Celui  qui  avait  présidé  à  une  édition  de  Bos- 
suet,  étudié  les  Pères  de  l'Eglise,  qui  s'était  élevé  aux  plus  su- 
blimes spéculations  religieuses  et  philosophiques,  descendit  aux 
détails  delalingerie  et  delà  cuisine;  et  quand  la  rentrée  se  fil,  tout 
était  en  ordre; maîtres  et  élèvesentendirentdes  réglemens,  et  tous 
se  mirent  à  l'œuvre  sous  la  direction  de  Î\L  Foisset,  qui  n'avait 
alors  que  29  ans  ;  c'était  en  novembre  1830. 

L'histoire  est  le  centre  où  les  sciences  doivent  se  donner  rendez- 
vous  et  s'unir.  Elle  embrasse  l'homme,  la  famille,  les  nations, 
rhmanité  ;  elle  est  la  raison  de  toutes  les  croyances  et  la  démons- 
tration la  plus  philosophique  de  la  religion.  Cependant  où  en  était 
l'étude  de  l'histoire?  Les  collèges  royaux  de  provinces  ne  lui  ac- 
cordaient qu'une  importance  secondaire;  l'histoire  de  France 
elle-même  était  ne'gligée,  perdue  dans  des  obrégcs  sans  portée, 
quelquefois  mise  en  petits  morceaux  et  scindée  en  demandes  et 
réponses.  L'abbé  Foissc  t  dressa  sérieusement  une  chaire  d'his- 
toire dans  son  établissement.  Elle  avait  pour  devise  :  Toute  Vhis- 
ioire  est  à  refaire  ;  c'était  l'écho  de  toute  la  France. 

Dès  lorS;  on  entendit  prononcer  des  noms  nouveaux  dans  l'en- 
seignement provincial  ,  et  qu'en  repoussaient  des  intelligences 
étroites  ou  paresseuses.  A  la  place  ou  à  côté  de  RoUin,  de  Vertot, 
de  Loriquet  ,  on  vit  Augustin  et  Amédée  Thierry,  Guizot,  Mi- 
chaud,  de  Barante,  Lacretelle,  Chateaubriand,  Ancillon,Rio,  Sal- 
vandy,  Muller,  Lingard,  Robertson,  Heeren,  Schlegel,  Michelet, 
Schlosses,  Herder,  enfin  tous  les  hommes  qui  ont  traité  avec  quel- 
que élévation  une  époque  de  la  vie  du  corps  social.  Il  y  avait  â 
retrancher  à  coup  sur,  mais  il   y  avait  beaucoup  plus  à  prendre 


r38  NÉCROLOGIE. 

dans  ces  dépouilles  des  érudits  de  l'histoire.  L'aijbé  Foisset  frap- 
pait avec  ses  professeurs  sur  cette  abondante  moisson  ;  ils  en 
faisaient  jaillir  le  bon  grain  ei  en  signalaient  le  mtiuvais. 

Aussi  bien  Télan  fut-il  général,  le  su(cèé»  rapide  tt  complet. 
Le  clergé  se  réjouit  à  la  vue  de  ces  jeunes  houmies  qui  travail- 
laient, à  côté  de  l'autel,  à  la  régénératian  sociale  parle  catholi- 
cisme, qui  est  toujours  grand  dans  le  respect  des  peuples^  comme 
disait  alors  la  Revue  de  Paris. 

Le  supérieur  de  Plombières  n'était  pas  un  contempteur  des 
auieuis  profanes.  Cicéron  et  Démosthènes,  Tacite  tt  Thucydide, 
Homère  et  >  irgile,  Téreuce  et  Aristophane,  Horace  et  Pmdare, 
enfin  toutes  les  illustrations  de  la  Grèce  et  de  Rome  étaient  ac- 
cueillies et  étudiées.  Mais  à  côté  de  la  vieille  société  il  voulut  po- 
ser le  style  et  surtout  l'esprii  de  la  nouvelle  ;  il  voulut  que  le  gé- 
nie du  christianisme  tlominàt  l'ancien  monde  et  lecouviîide 
ses  lumières.  Jusqu'alors  la  rhétorique  et  les  humanités  avaient 
eu  boute,  en  qui  Ique  sorte,  du  D^tu-verbe  et  du  Dien-hoiiLine. 
Elles  avaient  pris  en  pitié  i'eloquei  ce  des  Pères  de  rEglisf^  qui 
étaient  les  pères  de  ['humanité,  pour  ne  parler  que  les  paroles 
de  Cicérou,  le  père  de  la  patrie.^  laquelle  n'avait  été,  après  tout, 
qu'un  vautour  sur  la  poitrine  des  nations.  Foissel  pensa  qu'après 
avoir  écouté  le  murmure  des  abeilles  d'Athènes,  il  fallait  que 
l'élevé  du  sanctuaire  entendît  tonner  les  toi^c^e^-^'or,  de  Carihage 
à  Constanùnople,  et  il  alluma  dans  sa  maison  le  foyer  de  la 
vieille  littérature  sacrée.  Lui  fera-t-on  un  crime  de  cette  innova- 
tion ?  Après  une  lettre  de  Pline,  je  pense  qu'il  est  bon  de  faire 
lire  quelque  chose  de  la  coriespondame  de  saint  Bernard  ou  de 
saint  Basile,  d'Augustin  ou  de  saint  Jérôuie;  api  es  tel  passage 
de  Tacite  ou  de  Lucien,  un  fragment  d'apologétique  ou  d'un  dis- 
cours sur  le  Christ  ou  la  dignité  de  l'homme  ;  aptes  une  ode 
d'Horace,  un  morceau  de  saint  Ephrem  ou  de  Giégoire  de  Na- 
ziance.  «  A  ous  êtes  des  cieéroniens,  tût  pu  dire  iM.  Foisset  en 
n  entrant  àPlombièies  ^  je  veux  que  vous  soyez  des  enfans  du 
»  Christ.  » 

•  Il  éleva  toutes  les  études  à  une  grande  hauteur.  Un  plan 
magnifique   fut  mis  à  exécution  avec  talent  par  plusieurs  des 


i/abui^:  FOissRT.  139 

amis  qu'il  s'était  adjoints,  et  pour  sontenir  Taideur  qui  animait 
toute  celte  jeune  famille  cie  travailleurs,  naguère  agonisante, 
il  y  créa  une  Académie  qui  produisit  les  plus  brillants  effets  ; 
institua  une  sorle  d'école  normale,  pépinière  destinée  à  recruter 
le  professorat.  Des  élèves  sortant  de  réthorique  se  forniaient  à 
l'enseignement  sous  sa  direction  particulière.  Trois  ans  avant 
que  x\I.  de  Caumont  n'eût  popularisé  la  science  archéologique, 
avant  les  travaux  de  dom  Guéranger  et  la  création  de  la  société 
des  Anti'juaires  de  Dijon,  l'abbé  Foisseï  faisait  m  personne  un 
cours  d'archéologie  sacrée,  dont  la  nécessité  fui  bientôt  sentie 
par  la  plupart  des  èvêques  de  France,  et  que  vient  d'encourager 
le  ministie  de  l'intérieur. 

.M.  Foisset  pourtant  n'était  pas  mort  pour  le  reste  du  monde. 
Pendant  qu'il  commençait  l'œuvre  de  Plombières,  une  nouvelle 
rcuue  paraissait;  c'était  les  .^/z/îaZe.v  de  Philosophie  chrétienne.  Il 
leur  tendit  les  bras,  et  elles  mirent  au  grand  jour  les  pensées 
qui  se  réalisaient  en  silence  au  fonds  de  la  vallée  de  l'Ouche. 
Yos  lecteurs,  Monsieur,  n'ont  pns  oublié  l'exposition  rapide 
qu'il  en  fit  dans  les  volumes  II.  III  et  lY,  et  qui  valurent  à  leur 
auteur  de  nombreuses  et  honorables  approbanons  ». 

On  ne  se  contenta  pas  d'applaudir;  de  plusieurs  diocèses  les 
évê^pies  tnvoyèieiit  d;  s  prêtres  d'élite  pour  voir  à  l'œuvre  celiti 
qui  avait  si  biea  parlé  et  si  haut,  et  emporter  de  son  école  des 
méthodes  tt  des  traditions.  Je  ne  vous  citerai  que  deux  hommes, 
parce  que  vous  les  connaissez,  MM.  de  Saliniset  Dauphin.  Plom- 
bières était  alors  une  maison-modèle,  qui  allait  devenir  l'hon- 
neur de  la  Bourgogne. 

Toute  cette  révolution  ne  s'était   pas  opérée  sans  peine  ;  M.. 

'  Voici  le  litre  de  ces  articles  :  de  \ Education  cléricale. — (i"  article) 
Considérations  préliminaires  et  générales,  t.  u,  p.  955. — (2*  article) 
Phn  sommaire  d études  pour  un  petit  séminaire,  p.  452. — (3*  article) 
Réponse  ci  quelques  objections,  celles  fdites  par  Mgr  Bouvier,  t.  ni, 
p.  123,  dans  le  même  journal  —(4*  artic!?)  Lettre  sur  Féducation  clé- 
ricale, p.  J^^.— {5"  avùc\e)  filtre  Réponse  à  quelques  object/ons,  t.  iv, 
p.  i5i  ;  yfutre  réponse,  a  M^r Bouvier,  p.  3i  1. 


>|/|0  NÉCROLOGIE. 

Foisset  sentit  ses  forces  diminuer  ;  on  lui  interdit  le  travail 
et  les  lectures.  Mais  à  ce  repos,  qui  déjà  tourmentait  sou  ame, 
en  devait  succéder  un  autre  qui  la  déchira.  M.  Rey,  alors 
évoque  de  Dijon,  arracha  de  Plombières  le  pasteur  et  abandonna 
le  troupeau  à  des  hommes  dont  quelques-uns  le  dévorèrent.  M. 
Foisset  oublia  l'injustice  épiscopale  et  pleura  la  perte  de  se«î  en- 
fans.  Ses  amis  se  retirèrent  dans  les  diocèses  voisins,  qui  se  trou- 
vèrent heureux  de  recueillir  les  débris  de  ce  collège  de  profes- 
seurs ;  et  les  élèves,  qui  furent  obligés  de  suivre  la  disgrâce  des 
maîtres,  furent  ])artout  la  proclamation  vivante  de  la  sagesse  de 
M.  Foisset  et  d'une  grande  folie  administrative. 

Cependant,  sur  la  présentation  de  l'archevêque  d'Aix,  le  roi 
nomma  l'ex -supérieur  de  Plombières  professeur  d'éloquence  sa- 
crée à  la  faculté  de  théologie  de  cette  ville  métropolitaine.  L'abbé 
Foisset  refusa.  Des  maisons  libres,  Juilly  et  Pont-le-\oy,  l'ap- 
pelèrent; il  refusa.  Il  fut  ajipelé  sur  les  marches  du  trône  épis- 
copal  j  Mgr  Dubourg,  mort  archevêque  de  Besançon  ;  jM.  Don- 
net,  aujourd'hui  archevêque  de  Bordeaux,  alors  coadjuteur  de 
Nancy  ;  le  cardinal  de  Rohan,  tendirent  la  main  à  M.  Foisset.  Il 
ne  se  laissa  point  séduire  par  les  honneurs  ;  il  attendu  il  qu'il  pût 
continuer  sa  pensée,  ramasser  les  débris  de  son  œuvre. 

Mais  l'ouvrier  du  Seigneur  ne  se  reposa  pas.  Il  lutta  contre  la 
chambre  des  députés  en  faveur  de  l'épiscopat  que  l'on  amoin- 
drissait-, il  rendit  compte,  dans  vos  Annales,  de  VEnscif^nfi-nient  de 
la  Philosophie  au  !{)'■  siècle,  de  INl.  Bautain  '  -,  il  apprit  à  vos  lec- 
teurs la  Résurrection  des  Bcnédiclins  en  France  *  ;  le  nom  de  M. 
Lezat,  qui,  lui  aussi,  comprenait  que  l'éducation  ne  serait  jamais 
bonne  ni  forte,  si  la  religion  n'en  était  la  base^  ;  les  Paraboles  de 
Krummarher  ^  et  les  morceaux  choisis  des  sainls  Pères  de  V Eglise 

'  Voir  ie  t.  vi,  p.  a  ig. 

»  Même  volume,  392. 

■'  Examen  de  i'ouvrnge  de  ^I.  Lézat,  inlituié  :  ]\\-ccssdc ,  moyens  et 
projet  d'une  réforme  dans  la  manière  d élever  la  jeunesse  au  19'  siècle, 
t.  Tur,  p,  3o5. 

'*  Examen  de  cet  ouvrage,  tn'.diiit  par  M.  Bautain,  p.  3iâ. 


i/A-BBÉ  foisskt.  141 

grecque  '.  Eu  même  tems,  il  livrait  dans  les  journaux  quoti- 
diens des  combats  pour  la  liberté  d'enseignement.  Plombières 
était  au  fond  de  toutes  ses  pensées. 

Enfin,  quand  il  devint  évident  que  son  diocèse  lui  était  ferme', 
que  tout  espoir  était  perdu,  il  accepta  le  poste  plus  humble  et  à 
la  fois  plus  laborieux  que  lui  offrit  M.  de  Quélen.  A  Paris,  rue  de 
l' Arbalète,  si  je  ne  me  trompe,  il  y  a  une  maison  de  santé  qui  est 
à  la  fois  maison  d'éducation  ;  M.  Foisset  y  fut  en  même  tems  di- 
recteur, prédicateur,  catéchiste,  professeur. 

Ce  ministère  pénible  ne  suffisait  pas  au  feu  qui  le  dévorait.  Soit 
qu'il  connût  tout  le  parti  que  la  religion  peut  tirer  de  la  litlé- 
rature  religieuse  anglaise,  ou  qu'il  prévît  que  bientôt  la  langue 
de  Lingard  et  de  lord  Byron  serait  introduite  dans  les  études,  il 
se  mit  à  l'œuvre  et  étudia  l'anglais.  En  même  tems  il  était  l'âme 
d'une  conférence  à^études  ecclésiastiques ^  à  laquelle  prenaient 
part  MM.  Morel,  aujourd'hui  curé  de  Notre-Dame  de  Paris;  — 
Martin  de  Noirlieu,  curé  de  Sainl-Jacques-du-IIaut  Pas  ;  —  De- 
lalle,  curé  de  Toul^  Badische,  Blanc_,  SionnetTorienlaliste,  etc.. 
C'était  en  1835. 

Ce  n'est  pas  tout  encore;  M.  Foisset  se  rappelant  un  voyage 
qu'il  avait  fait  en  Allemagne  en  1831,  dans  l'intérêt  des  études  de 
Plondiièies,  et  pendant  lequel  il  avait  aperça  les  sommités  catho- 
liques, Winckelman,  Zoega,  Muller,  Siavk,  Haman,  la  princesse 
Galitzin,  le  comte  de  Stolberg,  Schlegel,  Werner,  Goeres,  Bmder 
et  autres,  il  les  fit  connaître  à  la  France  :  Wnii'ers  religieux  et 
les  lecteurs  des  Annales  entendirent  avec  étonnement  le  prêtre 
bourguignon  racontant  les  travaux  de  la  science  allemande  avec 
l'aplomb  d'un  homme  qui  eût  passé  sa  vie  dans  une  université 
d'outre-Pihin  ^  Il  ne  se  contente  pas  de  citer  des  noms;  malgré 


'  Examen  du  i'.  volume  de  cette  édition,  p.  Sog. —  M.  Rossignol  ou- 
blie ici  l'examen  fait  par  IM.  Foisset  de  son  propre  ouvrsge  :  les  Etudes 
hebraïqueSy  p.  5o(5. 

'  Ces  articles,  intitulés  :  Galerie  catholique  de  l'Allemagne  sont  au 
nombre  de  six,  et  se  trouvent  dans  les   tomes   ix  et  x  des  Anur.les. 


142  AÉCROLOGIE, 

les  tiMvaiix  de  la  rue  de  l'Aibalète,  ses  études  anglaises,  ses  con- 
férences et  ses  articles  de  journaux,  il  prit  dans  la  galerie  des  plus 
belles  gloires  littéraires  de  l'Allemagne  la  gloire  la  plus  belle  et  la 
plus  pure.  Il  s'attacha  au  comte  de  Stolberg,  le  grand  seigneur, 
fils  d'un  ministre  fTétat,  et  qui  avait  représenté  à  Berlin  le  cabinet 
de  Copenhague,  et,  en  Russie,  celui  d  Oldembourg.  INI.  Foisset 
voulut  donner  à  la  langue  iia.v)ç^ise  V Histoire  dd  la  Relii^ion  de 
Jésus-Christ^  de  Stolber^^,  monument  inachevé,  d'une  pensée  et 
d'une  érudition  supérieures,  et  qui  avait  déterminé  des  conver- 
sions écl;Uante>,  entre  autres  celle  <lu  duc  Adolphe  de  IMeiklem- 
bourg-Sthwerin.  Ce  projet  une  fois  conçti  ,  l'ex-supérit  nr  de 
Plombières  entra  en  relation  avec  la  famille  du  comie,  et  le 
25  juin  1836  p  iraissait  à  Piris  le  prospectus  d'un  grand  ouvrage 
qui  réunissait  à  la  fois  l'érudition  allemande,  la  douceur  de 
saint  François  de  Salles,  la  philosophie  et  la  science  historique 
de  Bossuet  ' . 

La  viguc  ur  du  jeune  Bourguignon  succomba  sous  (ant  de  tra- 
vaux et  l'arrêta  dans  ses  projets  :  une  Inryngite  qui  le  condam- 
nait au  silence  et  au  répons  absolu  l'obligea  à  rentrer  dans  sa 
famille.  Mais,  l'année  suivante,  nous  le  retrouvons  encore  à 
P.u'is  fais  nt  impriiner,  sous  ?es  yeux,  et  de  pair  avec  son  frère 
Théopliiq  le.  les  OEnvres  philosophiques  de  M.  Riambourg.  On 
le  nomma  aumônier  du  collège  Henri  IF  ;  on  lui  fait  de  vives  in» 
stances  pour  la  direction  du  collège  Stanislas,  l'abbé  Foisset  suit 
le  conseil  de  M.  deQuélen  ;  il  opte  pour  la  co-direction  de  Juilly. 
On  sait  quelle  plice  il  occupait  dans  cette  grande  maison  ,  et  les 
maîtres  et  les  élèves  n'ont  pas  oublié  l'excShnt  discours  qu'il  y 
fit  sur  la  prétendue  religion  du  progrès''.  Il  ne  se  reposait  jamais. 

Les  iems  changent.  >1.  Rey  est  envoyé  à  Saint-Denis,  et  M.  Ri- 


'  M.  Rossignol  a  oublié  trois  articles,  insérés  par  M.  Foissrt  <!ans  les 
Annales  :  du  Rationalisme  et  de  la  tradition,  t.  x,  p.  174-  Sur  fa  The'O' 
logie  de  Mgr  l'e\>éque  duHfans,  t.  xi,  p.  Ç>i,  Sur  la  T'érité  catholique 
de  M.  Nault,  X.  xv,  p.  60. 

'  Ce  discours  fut  inséré  dans  V Université  catholique,  t.  VJ,  p.    \^q. 


l'abbé  FOISSET.  143 

vet,  de  Versailles,  nommé  à  l'évêché  de  Dijon  :  l'abbé  Foisset 
est  définitivement  rappelé  sur  le  terrain  qu'il  avait  arrosé  de  ses 
sueurs.  En  1839,  il  rentre  à  Plombières,  qu'il  met  alors  sous  la 
protection  de  saint  Bernard,  dont  on  venait  de  publier  une  vie, 
et  dont  le  berceau  est  à  un  kilomètre  de  Dijon. 

Il  fallut  tout  relever  :  l'édifice  moral  et  l'édifice  matériel  étaient 
tombés. 

Pendant  les  jours  mauvais,  le  petit  séminaire  avait  horrible- 
ment décliné  ;  le  bon  esprit,  les  fortes  éludes,  le  nerf  de  la  disci- 
pline, il  ne  restait  rien  de  tons  les  élémens  qu'y  avaient  jetés 
autrefois  le  zèle  et  l'intelligence.  Mais,  grâce  aux  soins  de  M.  Fois- 
set,  à  sa  vigilance,  à  sa  capacité  a  lminis<rntive,  au  rare  talent  de 
s'emparer  de  Tesprit  de  la  jeunesse  et  df  conquérir  la  confiance 
des  profes-^eurs ,  on  vit  bientôt  Plombières  se  relever,  el  ivpien- 
dre  cette  distinction  que  son  supérieur  avait  su  lui  donner  de 
1830  à  1833. 

Un  moment  il  désespéta  de  la  localité.  Il  aurait  voulu  trans- 
porter dans  la  ])laine  de  Dijon  toute  sa  famille  adoptive.  Force 
lui  fut  de  reculeV  devant  l'ordre  en  ministre.  Mais  il  reprit  cou- 
rage ,  et  se  mit  à  reconstruire  Plombières.  La  cour  étroite,  et  re-? 
connue  malsaine  ,  dans  laquelle  étaient  entassés  ,  sur  le  bord  de 
l'eau,  deux  cents  élèves,  petits  et  grands, fut  abandonnée.  Le  jar- 
din épiscopal  fut  sacrifié  :  trois  vastes  cours  y  furent  dessinées, 
au  fond  desquell^  il  éleva  trois  salles  de  récréation,  où  s'agitent 
aujourd'hui,  sans  contact  et  dans  un  air  pur ,  \ts  petits  •  les 
mojens  ei  les  grands.  Des  ailes  ont  été  ajoutée  s  au  corps  pi  in- 
cipal,  de  nouvelles  salles  d'éiudcs  construites,  de  vastes  dortoirs 
créés  et  une  infirinerie  établie.  Cette  rénovation  complète  s'est 
opéiée  sins  ressources  ,  et  au  milieu  de  contrariétés  inouïes.  Ar- 
chitecte et  conducteur  des  travaux,  prêtre,  administrateur,  supé- 
rieur, l'abbé  Foisset  s'est  donné  corps  et  âme  pour  achever  l'édi- 
fiée qui  était  la  base  matérielle  et  indispensable  sur  laquelle  il 
allait  dresser  celui  des  sciences  et  de  la  foi. 

L'admiiable  ouvrier  mettait  la  dernière  pierre,  quand  il  a  plu 
à  Dieu  de  l'appeler  à  lui  ,  le  23  juin  1842  :  «  Certamenie,  m'écri- 
vait dernièrement  Silvio  Pellico,  (jnelV  anima  era  matura  per  la 


14A  NECROLOGIE. 

"vita  eterna.  —  Il  defunlo  cononico  era  uomo  di  grau  meritOy  e  la 
perdila  di  simili  sacerdoti  à  un  dolore  délia  Chicsa. 

Aussi  Plombières  est  dans  la  désolation ,  et  le  clergé  se  de- 
mande s'il  est  possible  de  trouver  quelque  part  un  esprit  meil- 
leur, une  piété  plus  franche  et  plus  sincère.  Professeur,  il  expo- 
sait les  principes  de  littérature  avec  un  sens   admirable  ,  une 
lucidité  parfaite  et  sous  la  forme  la  plus  attrayante.  Il  inspirait 
à  ses  élèves  un  ardent  amour  du  travail.  C'était  un  ami  plutôt 
qu'un  maître.  Tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  d'entendre  ses 
leçons  en  conservent  un  souvenir  ineffaçable.  Supérieur  ,  il  bril- 
lait par  la  sagesse,  ractivitc,  les  lumières.  Pour  les  élèves,  c'était 
un   père  tendre  ;  pour  les  professeurs  un  frère  ,  qui  partageait 
leurs  peines  et  leurs  travaux.  Tout  ce  qui  était  à  lui  leur  appar- 
tenait :  livres,  conseils,  aide,  ses  heures  ,  il  prodiguait  tout.  Sa 
générosité  était  au-dessus  de  tout  ce  qu'on  peut  dire  ;  sa  grande 
àme  faisait  tout  avec  noblesse;  son  traitement  de  supérieur  ,  et 
ses  revenus  patrimoniaux,  ne  suffisaient  pas  au  bien  qu'il  aurait 
voulu  faire.   Sa  présence  rendait  tous  les  enfans  heureux  ;  un 
seul  mot  de  lui ,  un  signe,  un  regard  était  coiftpris  ;  un  sourire 
remplissait  d'allégresse  tous  les  cœurs.  Sa  voix  si  douce,  si  bien- 
veillante  vibrait  jusqu'au  fond  de  l'àme;  ses  allocutions  tou- 
jours si  touchantes,  si  bien  en  harmonie  avec  l'enfance,  ne  man- 
quaient jamais  d'atteindre  le  but  qu'il  se  proposait  :  la  formation 
des  esprits  et  des  cœurs.  Et  puis,  quelle  affection  I  son  bonheur  , 
sa  vie  était  de  voir ,  de  savoir  ,  de  rendre  heureux  tous  les  en- 
fanls.  La  maison  est  aujourd'hui  plongée  dans  le  deuil  ;  les  pro- 
fesseurs surtout ,  sont  attérés,  presque  anéantis.  Je  le  conçois  ;  le 
vide  que  M.  Foisset  laisse  à  Plombières  est  immense  comme  ce- 
lui qu'il  laisse  dans  sa  famille  )  mais  ses  collaborateurs  ne  laisse- 
ront pas  tomber  l'œuvre  qui  les  honore  tous  :  ils  ont  l'esprit  du 
maître  i  qu'ils  aient  courage  I 

ROSSIGNOL, 
Archiviste  de  Bourgogne. 
Dijon  le  i"  août  i84'2. 


l'abbé  foisset.  145 

I!  ne  nous  veste  qu'à  nous  associer  aux  regrets  si  bien  expri- 
més par  31.  Rossignol.  INous  nous  honorons  d'avoir  compté 
M.  Tabbé  Foisset,  non-seulement  parmi  nos  collaborateurs,  mais 
encore  parmi  nos  amis.  Nous  en  avons  peu  connu  qui  fussent 
plus  dévoues  à  la  cause  de  Dieu  et  de  rÊglise.  Quand  nous  lui 
fîmes  nos  adieux  à  son  dernier  départ  de  Paris ,  nous  étions  loin 
de  prévoir  qu'ds  étaient  les  tlerniers  ;  au  contraire  ,  nous  avions 
encore  l'espérance  que,  rendu  à  ses  chères  études,  il  reprendrait 
les  questions  relatives  à  ramélioralion  des  études,  qu'il  avait  si 
Lien  traitées  dans  les  Annales.  Dieu  en  a  décidé  autrement.  Ce- 
lui qui  récompense  non  seulement  les  travaux  faits ,  mais  en- 
core les  travaux  voulus,  a  juge'  que  M.  l'abbé  Foisset  avait  assez 
travaillé  pour  sa  cause.  Nous  devons  accepter  avec  résignation  ce 
jugement.  Heureux  ceux  qui  ,  comme  lui ,  dans  la  visite  et  l'ap- 
pel de  Dieu  ,  seront  trouvés  occupés  de  la  cause  de  son  Eglise! 

A.  BONNETTY. 


1 46  DIPLOMES. 

2lrcl}colocjie. 

DICTIONNAIRE  DE  DIPLOMATIQUE» 

ou 
COURS  PHILOLOGIQUE  ET  HISTORIQUE 

d'antiquités  civiles  et  ecclésiastiques  \ 


DIPLOMES.  Par  le  mot  diplôme  on  entend  et  les  bulles  ponti- 
ficales et  les  diplômes,  soit  rojaux,  soit  impériaux  ;  mais  la  si- 
gnification de  ce  lenne  générique  s'étend  aussi  aux  leiiies-pa- 
tdnies,aux  privilèges,  aux  donation*^,  eufin  à  toutes  sortes  de 
charte-^,  pourvu  qu'elles  soient  un  peu  auiiques.  Les  diplômes  gé- 
réralement  pris  sont  donc  des  lettres-patentes  des  euipereurs, 
des  rois,  des  princes,  des  républiques,  des  grands  seigneurs  et  des 

prélats. 

Autorité  des  Diplômes. 

L'empire  qu'ils  doivent  avoir  sur  Lesprit,  et  l'autorité  qu'on 
leur  atiiibue,  sont  fondés  sur  de  puissans  motifs;  il  suftit  de  pré- 
senter les  principaux.  Ce  sont:  1°  Les  circonstances  qui  accompa- 
guèreut  presque  toujours  la  transaction  de  ces  actes  solennels; 
c'est-à-dire,  •«  la  majesté  d'une  cour  plénière,  la  présente  des 
»  grands  officiers  de  la  couronne,  la  signature  du  prince,  le  con- 
'•  tre-seing  du  référendaire  ou  cbancelier,  l'apposition  du  cacbet 
')  ou  du  sceau  des  rois,  etc.,  tic,  l'assemblée  publique  des  sti- 
»  gneurs  voisins  et  des  vassaux  pour  les  clirirles  des  suzerains  de 
»  grands  fiefs,  le  conseatemeni  manifeste  des  deux  parties  con- 
»  traciauies,  et  la  caution  réciproque  des  vassaux  et  de  leurs  sei- 
»  gueuis  *.» 

2'  La  certitude  des  faits  qu'ils  renferment,  et  qui  au  jugement 

'  Voir  le  précédent  article,  au  Uo  29,  t.  v,  p.  369. 
Mercure  de  janvier  1724,  p.  8. 


DIPLOMES.  147 

de  nos  habiles  critiques  *,  doit  l'emporter  d'emblée  sur  les  histo- 
riens ,  même  contemporains.  La  raison  de  cette  préférence  est 
dans  l'ordre.  «  La  charte  est  dressée  avec  des  formaliiés  qui 
»  ôtent  même  le  soupçon  de  Terreur  :  la  date,  les  noms  et  les 
»  qualités  des  personnes  contractantes  y  sont  apposés  avec  une 
>»  présence  d'esprit  dont  ne  sont  pas  su^cepiibles  le  journaliste  et 
»  riiislorien  qui,  dans  leur  cabinet,  travaillent  de  lèle,  souvent 
»  sur  des  oui-dire,  toujours  après  que  les  faiis  sont  arrivés,  et 
»  quelquefois  même  dans  des  lieux  fort  éloignés  ^.  Quelque  chose 
de  plus  encore,  c'est  que  l'autorité  d'un  diplôme  dressé  par  des 
personnes  publiques,  toutes  choses  égaUs,  stra  toujours,  à  des 
yeu\  inièjores,  d'un  tout  autie  poids,  que  la  composition  d'un 
smiple  particulier  et  même  d  une  infini  é  d'autres  qui  se  seront 
successivement  admirés.  On  ne  doit  donc  pas  balancer  sur  la  va- 
leur de  ces  actes,  excipté  dans  les  cas  de  surprise  et  de  flatterie 
qu'on  y  découvrirait;  et  pour  constaier  ces  cas  mêmes,  il  est  encore 
bit  n  des  précautions  à  prendre. Qui  pourrait  répondre,  par  exem- 
ple, que  les  historiens  et  les  notaires  suivissent  des  époques  et  des 
dates  uniformes  ;  qu'une  différence  de  date  d'un  ou  deux  ans  fût 
un  titrede  réprobaiion  plutôt  (|u'une  variation  dans  le  comput 
q  j'ii  nese  soit  pasglissédes  lautesdansle.s  manusci  itsd«s  auteurs- 
que  ce  trait  d'h  stoire  en  contradiction  ne  soii  pas  fondé  sur  de 
purs  préjugés;  que  l'on  n'ait  pas  donné  trop  de  créance  à  des  his- 
loiies  qui  en  méritaient  moins;  que  l'on  n'ait  point  pris  des  co- 
pies pour  des  originaux  ;  que  même  dans  ces  derniers  une  mé- 
prise fut  ou  ne  fut  point  réfléchie;  qu'enfin  ce  mot  qui  nous  fait 
rejeter  cet  acte  soit  un  trait  de  faussaire,  plutôt  qu'une  équivo- 
que dans  les  noms? 

3^  Les  avantages  qu'ont  les  diplômes  sur  les  inscriptions  et  les 
médailles,  que  l'on  donne  coiiuiie  une  des  sources  de  l'histoire. 

'  Schannat,  Vindic.  archiv.  fiddetis.,  p.  91.  —  Her'^ott.  GeneaL 
diplomaiica  gentis  Habsburg  ;  proie ^om  1,  p.  3.  —  Perezius,  Dissert. 
eccUs.^  p.  \Q-.—  Chronic.  Gotwicensis  prodrom.,  part.  1,  lib.  n,  p.  y^. 
—  Jean.  Jungius  ad  Lud.  Waltheri  Lexicon  diplom.  etc. 

*  Mercure  de  décembre  1725,  p.  Sooy. 


148  COURS  DE  PHILOLOGIE  ET  d'aKCHÉOLOGIE. 

Eu  efl'et,  les  médailles  et  les  inscriptions  les  plus  solennelles  le 
sont-elles  autant  que  les  diplômes  mêmes  qui  le  sont  le  moins? 
En  elîet,  les  diplômes  donnent-ils,  comme  les  médailles,  par  leur 
obscuiilc  et  leur  précision  énigmati([ues,  un  cliamp  libre  à  l'éga- 
rement fantastique  d'une  imagination  vive,  mais  déréglée,  et  à 
des  interprétations  arbitraires  et  quelquefois  insoutenables  ?  Les 
faussaires  des  diplômes  sont-ils  reconnus  et  ont-ils  acquis  un 
nom  comme  \is  Carteron,  les  Laurent  Parmesan,  ces  fameux  fa- 
bricaleurs  de  médaille^?  La  chose  même  esl-elie  aussi  possible? 
et  n'est-il  pas  plus  aisé  '  de  contrefaire  une  douzaine  de  lettres 
sans  être  gêné  par  la  grandeur  du  type  ou  du  coin,  puisqu'il  est 
très  rare  d'en  trouver  d'un  même  moule,  que  de  contrefaire  un 
titre  sans  s'écarter  ni  de  l'écriture,  ni  du  style  du  tems,  ni  des 
points  fixes  de  l'histoire? 

4°  L'autorité  que  la  jurispridence  donne  aux  actes  tant  publics 
que  privés,  qui  n'ont  pas  à  beaucoup  près  la  solennité  des  di- 
plômes. On  appelle  acte  public  celui  qui  est  dressé  par  un  notaire 
tabellion,  ou  autre  personne  publique,  lequel,  à  raison  de  son 
antiquité,  acquiert  une  autorité  plus  grande,  pleniorem  Jidein  ', 
mais  qui  toujours  l'emporte  même  sur  la  preuve  par  témoins,  si 
l'on  n'eu  démontre  la  fausseté.  Lorsque  cet  acte  est  authentique, 
c'est  à-dire  qu'il  est  relevé  par  l'apposition  d'un  sceau,  alors  % 
ii  a  tous  les  caractères  de  vérité  auxquels  on  ne  saurait  refuser 
une  pleine  créance. 

L'acte  privé  est  celui  qui,  dressé  par  un  particulier  <,  uVst  au- 
torisé ni  par  un  sceau  auihenlique,  ni  par  la  signature  ou  la  pré- 
sence de  témoins  mentionnés  dans  l'acte.  Cependant  ces  sortes 
d'écritures  qui  comprennent  les  oljligations,  les  quittances,  les  li- 
vres de  coniptcs,  les  aveux,  etc.,  etc.,  prouvent  Irt  ouvent  eu 
justice,  soit  pour,  soit  contre  ceux  qui  allèguent  ces  sortes  d'in- 


'  Aluralori,  Antiq.  Ital.,  t.  ni,  disserl.  34,  col.  lo. 
»  Dumoulin,  t.  i,  tit.  i,  §  8,  n.  76. 
^  Ibid.^  tit  21  inlib.  iv,  cod. 
^Ibid..  t.  IV. 


DIPLOMES.  140 

sliumens.  Et  l'on  s'obsliuera  à  refuser  a  des  chartes  une  créance 
que  les  magistrats  les  plus  sévères  ne  refusent  point  aux  livres 
d'un  marchand,  pour  peu  de  réputation  qu'il  ait  ! 

5**  Enfin,  ce  qui  confirme  de  plus  les  diplômes  et  les  chartes 
dans  le  droit  de  primauté  cju'ils  ont  sur  tous  les  divers  autres 
iustrumens,  c'est  le  respect  dû  aux  archives  où  ils  ont  été  con- 
servés. Ces  dépôts  du  piince,  de  l'état  et  des  magistrats  •  ces  tré- 
sors publics,  dépositaires  des  actes  et  des  titres  des  seigneurs, 
d'une  province,  d'une  cité  ;  ces  édifices  consacrés  à  l'utilité  com- 
mune, qui  renferment  des  mémoires  d'état,  des  annales,  des  sta- 
tuts, des  coutumes,  des  privilégi/s,  des  titres  ',  assurent,  selon  le 
jugement  du  plus  grand  nombre  des  jurisconsultes  ^,  à  toutes 
les  écritures  qui  y  sont  déposées,  même  aux  acles  privés  ^,  une 
certitude  morale  qui  prouve  en  justice,  et  qui  forcfe  l'adhésion  de 
toutes  personnes  non  prévenues.  FojezARcm\ES,  OrxiGiNAUx,  Co- 
pies. 

Définition  et  forme  des  diplômes. 

On  a  déjà  dit  que  les  diplômes  étaient  les  lettres  patentes  des 
souverains.  On  ne  voit  point  d'acte  qui  se  qualifie  de  ce  nom.  Le 
nom  de  diplôme,  qui  tire  son  origine  d'un  mot  grec  qui  signifie 
plié  en  deux,  leur  est  venu  de  la  forme  qu'ils  avaient  dans  les 
commencemens.  Ces  lettres  patentes  étaient  cenniîunément  ins- 
crites sur  d 'ux  tables  de  cuivre  attachées  ensemble  et  jointes 
comme  deux  feuilles  d'un  livre  ;  c'est  de  là  que  vient  l'origine  du 
terme  diplôme.  Tel  egt  le  premier  que  l'on  connaisse  4  :  il  est  de 

»  Rufger  Ruland,  TracL  de  commiss.,  cap.  3,  n.  ultim.  —  Nicol. 
Myler,  Tract,  de  statu  imp.,  cap.  47.  _  Franc.  Michel  Neveu  de 
Windtscldée,  Bissert.  de  archivis  Argentorat,  n.  i^. 

^Baithas.   Bonifac.  Ub.  de  archiv.,  cap.  \o.  —  Wenckeri,    Coîlcct. 
archiv.,  p.  48.  —  Nicol.  Christoph.  Linckeri,  Dissert,  de  archiv   /w- 
/;er.,n.  6.  — Dumoulin,  t.  i,  col.  009.- Balde.  —  Alexandre.  -  Jasou 
—  De  Castre.  —  Jean  André.  —  La  Glose.  -  Les  canonistes  ,  etc. 

'  Lincker  cité. 

*  Maftei,  Istor.  dipl.,  p.  3o. 

•u«  sÉKiE.  lOME  vr.  —  N«  31.  1842.  10 


150  COURS    DE    PHILOLOGIE    ET    D  ACHEOLOGIE. 

empereur  Galba,  et  contient  un  congé  de  quelques  soldats  ve'tc- 
rans  :  il  est  fait  dans  le  goût  le  plus  simple  :  Sergius  Galba... 
suivent  les  titres  :  veteranis. ..  honestam  missionem  et  cwitatem 
dédit.  Il  est  daté,  et  il  marque  qu'il  fut  enregistré  et  homologué 
auCapitole.  Lors  même  que  les  diplômes  changèrent  de  foiine  , 
ils  en  retinrent  le  nom.  Les  diplômes  étaient  dès  lors  fort  con- 
nus :  on  y  accordait  des  privilèges  et  des  immunités  à  des  corps 
ou  à  des  particuliers.  L'empereur  Zenon,  par  sa  loi  du  23  dé- 
cembre 476 ,  statua  qu'on  n'accorderait  pas  de  diplômes  à  des 
particuliers,  mais  seulement  à  des  |  rovinces,  à  des  villes  et  à  des 
corps  considérables;  mais  les  démembremtus  de  l'enijiire  firent 
que  cette  loi  ne  fut  que  peu  ou  point  observée,  au  moins  dans 
les  nouveaux  états  des  peuples  conquérans,  quoique  les  vaincus 
eussent  fait  adopter  aux  vainqueurs  la  plupart  de  leurs  lois,  de 
leurs  usages,  et  une  partie  de  leur  jurisprudence.  Le  plus  ancien 
dip  orne  qui  nous  soit  resté  de  nos  premiers  rois  en  original,  est 
celui  de  Childebert  I",  donné  en  558  en  faveur  de  Saint-Ger- 
main-des-Prés  :  il  est  d'un  vélin  aussi  fin  et  aussi  beau  que  celui 
des  plus  anciens  manuscrits. 

Les  rois  d'Angleterre  n'ont  commencé  à  donner  des  diplômes 
que  dans  le  7^  siècle.  On  ne  sait  pas  au  juste  le  tems  auquel  les 
états  de  l'Empire  se  sont  attribué  le  droit  de  donner  des  diplô- 
mes ;  mais  les  princes  de  la  maison  de  Brunswick-Lunébourg  sont 
les  premiers  ^  qui  l'ont  exercé  en  leur  propre  nom  sans  l'autorité 
des  empereurs.  On  regarde  Henri  VIII,  dit  le  Noir,  comme  le 
premier  duc  de  Bavière  qui,  ayant  fait  une  donation  de  son  chef, 
l'an  1120,  en  ait  donné  un  diplôme;  ce  qui  avant  lui  n'avait  été 
fait  en  Allemagne  que  par  les  rois  et  les  empereurs. 

Le  premier  roi  de  la  monarchie  française,  Clovis,  donna  des 
diplômes,  et  ses  successeurs  l'imitèrent.  Il  y  a  très  peu  de  diffé- 
rence dans  la  forme  des  diplômes  des  trois  premières  races  de 
nos  rois;  ils  ne  diffèrent  guère  que  dans  les  expressions.  Voici  en 
abrégé  l'ordre  et  la  substance  de  ces  diplômes,  tels  qu'on  les 


TrMt,  Jo.  Eisenhardti,  dejurediphm.y  cap.xi,  p.  24. 


DIPLOMES.  151 

trouve  dans  les  diplômes  Mérovingiens.  Ils  portaient  en  tête  une 
invocation  monogrammatique ^  au  moins  on  n'en  connaît  pas  d'au- 
tres, sans  cependant  prétendre  l'affirmer  ;  elle  était  suivie  de  la 
suscriptiony  ce  qui  composait  la  première  ligne  ;  d'un  préambule^ 
de  ïobjet  du  diplôme,  des  menaces  ou  des  amendes;  de  l'annonce 
ou  du  sceau  ou  de  la  signature,  Tune  et  l'autre  manquent  cepen- 
dant quelquefois  ;  de  la  souscription,  qui  contenait  premièrement 
une  invocation  monogrammatique ,  puis  le  nom  du  roi;  de  la 
ruche,  qui  renfermait  plusieurs  ss  pour  subscripsi  ;  de  la  signa- 
ture du  référendaire  qui  avait  présenté  l'acte  5  du  souhait  par  la 
formule  henevalias^  placée  auprès  du  sceau.  Tout  au  bas  de  l'acte 
étaient  placées  les  dates  du  jour ,  du  mois,  de  l'année,  du  règne 
et  du  lieu*,  ensuite  une  invocation  formelle  tout  au  long,  Qi féli- 
citer, formule  finale. 

Telle  est  la  marche  des  diplômes  des  rois  mérovingiens.  Leurs 
diplômes  de  moindre  conséquence  n'étaient  souscrits  que  par  les 
référendaires  ;  car,  sous  cette  race,  ainsi  que  sous  les  deux  sui- 
vantes, il  y  avait  des  diplômes  solennels,  et  d'autres  qui  l'étaient 
moins.  Les  derniers  ne  présentent  pas  toutes  les  formalités  dont 
sont  revêtus  les  premiers. 

Les  diplômes  C^rlovingiens  suivent  assez  le  même  plan,  à  quel- 
ques exceptions  près,  qui  consistent  plus  dans  les  expressions  que 
dans  le  fond  de  l'acte.  On  peut  en  voir  les  différences  aux  arti- 
cles Invocation,  Sdscription,  Imprécations,  Annonce,  Souscrip- 
tion, Signature,  etc. 

Sous  la  3*  race,  jusqu'après  le  règne  de  saint  Louis,  cette  forme 
se  maintint  à  peu  près  ;  alors  ils  commencèrent  à  en  prendre  une 
nouvelle  :  mais  le  changement  est  total  après  le  règne  de  Phi- 
hppe-le-Bel.  Les  diplômes  solennels  portent  l'invocation  du  nom 
de  Dieu,  de  Jésus-Christ  notre  Sauveur,  et  de  la  sainte  Trinité  ; 
l'ère  chrétienne,  l'année  du  règne  du  roi,  son  monogramme, la 
présence  des  quatre  grands  officiers  ;  et  ils  sont  munis  d'un  sceau 
avec  contre-scel.  Les  moins  solennels  ne  s'assujétissent  pas  à 
toutes  ces  formalités,  mais  ils  en  observent  quelques  unes,  plus 
ou  moins  ;  ce  qui  fait  voir  qu'il  ne  faut  point  juge?  des  uns  par 
les  autres,  et  qu'on  ne  doit  point  prendre  les  diplômes  les  plus 


iO'Z  CDLi.S   DE    PîllLOl.OGIli    i/f   !:>  AilCnHOLOGir. 

solennels  pour  servir  c!o  rc^le  et  lîe  niotlèieà  tous  les  autres,  sous 
peine  de  déclarer  faux  h  s  uns,  faute  de  conformité  avec  les  au- 
tres. Dans  ces  mêmes  tems,  les  empereurs  d'Allemagne  suivirent 
assez  dans  leurs  diplômes  les  usages  des  rois  de  France,  en  dis- 
tinguant comme  eux  les  solennels  de  ceux  qui  le  sont  moins. 

Dans  le  siècle  suivant,  c'est-à-dire  dans  le  14%  les  diplômes  de 
nos  rois  prirent  une  nouvelle  foeme  :  plus  d'invocation,  nouvelle 
formule  finale ,  plus  de  signature  de  grands  officiers,  etc.  etc. 
Foyez  toutes  les  parties  d'un  diplôme  séparément,  et  l'article 
Ecriture. 

DOCTEUR.  Le  titre  de  docteur  a  été  créé  peu  avant  le  milieu 
du  12»  siècle  pour  succéder  à  celui  de  maître^  devenu  trop  com- 
mun. On  attribue  l'établissement  des  degrés  du  doctoral,  tels 
qu'on  les  avait  dans  Tancienne  Sorbonne,  à  Irnerius,  qui  en  dressa 
lui-même  le  formulaire.  La  première  installation  solennelle  d'un 
docteur,  selon  cette  forme,  se  fit  à  Bologne  en  la  personne  de 
Bulgarus,  professeur  de  droit.  L'université'  de  Paris  suivit  cet 
usage  pour  la  première  fois  vers  l'an  1148,  en  faveur  et  pour 
l'installation  du  fameux  Pierre  Lombard.  —  De  plus,  on  croit 
que  le  nom  de  docteur  n'a  été  un  nom  de  titre  et  de  degré  ,  en 
Angleterre,  que  sous  le  roi  Jean,  vers  1207. 

\oici  maintenant  quelles  étaient  les  formalités  à  remplir  pour 
obtenir  le  tilre  de  docteur  en  théologie. 

Les  différentes  universités  du  royaume  n'exigeaient  point  toutes 
le  même  tems  d'étude  pour  obtenir  ce  degré,  et  n'observaient 
point  les  mêmes  cérémonies  de  l'inauguration  ou  prise  de  bonnet. 
Dans  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  on  demandait  sept  années 
d'étude^  savoir  :  deux  de  philosophie,  après  lesquelles  on  recevait 
communément  le  bonnet  de  maître-ès-arts ^ /ro/s  de  théologie^ 
qui  conduisaient  au  degré  de  bachelier  en  théologie,  et  deux  de  li- 
cence, pendant  lesquelles  les  bacheliers  étaient  dans  un  exercice 
continuel  de  thèses  et  d'argumentations  sur  l'Ecriture,  la  théolo- 
gie scolastique  et  l'histoire  ecclésiastique. 

Les  bacheliers  qui,  après  avoir  reyu  de  l'université  la  bénédic- 
tion de  licence,  désiraient  obtenir  le  bonnet  de  docteur^  allaient 
demander  jour  au  chancelier,  qui  le  leur  assignait;  le  licencié 


DOCTEUB.  153 

avait  pour  lors  deux  actes  à  faire  :  l'un  le  jour  même  de  la  prise  du 
bonnet,  l'autre  la  veille.  Dans  celui-ci,  il  y  avait  deux  tlièses  :  la 
première  était  soutenue  par  un  jeune  candidat,  apf.elé  auliculaire. 
Deux  bacheliers  du  second  ordre  disputaient  contre  lui  :  le  licencié 
était  auprès  de  lui.  Le  grand-maître  d'études,  qui  avait  ouvert 
l'acte  en  disputant  contre  le  candidat,  présidait  à  la  thèse  nommée 
tentative^  et  qui  durait  environ  trois  heures.  Le  second  acte  que 
devait  faire  le  licencié  se  nommait  vesperie,  parce  qu'il  se  faisait 
toujours  le  soir.  Deux  docteurs  appelés  ,  l'un  magisier  regens,  et 
l'autre  magister  terminoruvi  interpres ,  y  disputaient  contre  le  li- 
cencié, chacun  pendant  une  demi-heure,  sur  un  point  de  l'écri- 
ture sainte  ou  de  la  morale.  L'acte  était  terminé  par  un  discours 
prononcé  par  le  grand-maître  d'études. 

Le  lendemain,  le  licencié,  revèiu  de  la  fourrure  de  docteur, 
précédé  des  massiers  de  l'université;  et  accompagné  de  son  grand- 
maître  d'études,  se  rendait  à  la  salle  de  l'archevêché  ;  il  se  plaçait 
dans  un  fauteuil  entre  le  chancelier  ou  sous-chancelier  et  le  grand- 
maître  d'études.  La  cérémonie  commençait  par  un  discours  que 
prononçait  le  chancelier  ou  sous-chancelier  ;  le  récipiendaire  y 
répondait  par  un  autre  discours,  après  lequel  le  chancelier  lui 
faisait  prêter  les  sermens  accoutumés  et  lui  mettait  le  bonnet  sur 
la  tête.  Il  le  recevait  à  genoux,  se  relevait,  reprenait  sa  place  et 
présidait  à  une  des  thèses  qu'on  nommait  aulique,  parce  qu'elle 
se  célébrait  dans  la  salle  {aida)  de  rarchevêché  ;  la  matière  n'y 
était  point  déterminée  et  était  au  choix  du  répondant.  Le  nou- 
veau docteur  rouvrait  la  thèse  par  un  argument  qu'il  faisait  au 
soutenant. 

Le  nouveau  docteur  se  présentait  au  prima  mensis  suivant, 
c'est-à-dire  à  la  plus  prochaine  assemblée  de  la  faculté,  prêtùt  les 
sermens  accoutumés,  et,  dès  ce  moment,  il  était  inscrit  au  nombre 
des  docteurs;  mais  il  ne  jouissait  point  encore  pour  cela  dj  tous 
]es  privilège?,  droits,  émolumens,  attachés  au  doctorat  ;  il  n'avait 
le  droit  d'assister  aux  ai^emblées,  de  présider  aux  thèses,  d'exer- 
cer les  fonctions  d'examinateur,  censeur,  e:c..  cu'^in  b  -ut  de  ^ix 
ans  ;  a'crs  il  soutenait  une  dernière  thèse  nommée  rr.unipte.  e.  il 
entrait  en  pleine  jouissance  de  tous  les  droite  du  doc  o.at. 


154  COURS    DE    PHILOLOGIE   ET    d'aRCHÉOLOGIB. 

Les  docteurs  en  ihcologie  cLiient  oblige's,  comme  les  autres,  de 
se  présenter  à  l'examen  de  l'évêque  pour  prêcher  ou  pour  con- 
fesser. S'ils  obtenaient  des  bénéfices  en  cour  de  Rome  ,  in 
forma  digniim  ,  ou  si  leurs  provisions  étaient  en  forme  gracieuse 
pour  un  bénéfice  à  charge  d'âmes,  ils  étaient  également  assujétis 
par  les  canons  et  les  ordonnances  à  cet  examen  '. 

On  voit  que  la  forme  du  doctorat ,  dans  l'ancienne  université, 
avaitfail  de  cette  institution  une  science  de  mots  plus  que  de  choses; 
la  moitié  des  forces  de  Tesprit  était  employée  à  des  puérilités  sco- 
lastiques  et  aristotéliciennes  :  elle  empêchait  d'ailleurs  tout  pro- 
grès dans  les  études.  Lors  de  la  formation  de  la  nouvelle  univer- 
sité, on  voulut  aussi  faire  des  docteurs  en  théologie;  on  a  voulu 
même,  à  différentes  reprises,  exiger  ce  grade  pour  être  profes- 
seur à  la  faculté  de  théologie,  mais  toutes  ces  tentatives  ont 
échoué*. 

DIPTYQUES.  C'était  autrefois  des  registres  publics  ,  où  les 
chrétiens  écrivaient  le  nom  des  Evêques  qui  avaient  bien 
gouverné  leur  Eglise  ,  ou  qui  y  avaient  fait  quelque  bien.  On  en 
faisait  ensuite  mention  dans  la  célébration  de  la  Liturgie.  On  en 
rayait  ceux  qui  commettaient  quelques  crimes  ou  qui  tombaient 
dans  l'hérésie.  ■ —  Les  Païens  avaient  aussi  des  diptyques  ,  dans 
lesquels  ils  conservaient  les  noms  des  consuls  et  des  magistrats  ; 
c'est  ce  qui  a  fait  faire  la  distinction  des  diptyques  sacrés  et  de 
diptyques  profanes  '. 

DISQUE.  Terme  de  liturgie.  Les  Grecs  ont  donne'  ce  nom  à  ce 
que  les  Latins  appellent  Patène.  Le  disque  diffère  de  la  patène 
par  la  figure,  en  ce  qu'il  est  plus  grand  et  plus  profond. 

DOCTRINE  CHRÉTIENNE.  Congrégation  religieuse  insti- 
tuée en  1592  par  le  bienheureux  César  de  Bus  ,  de  la  ville  deCa- 


'  Concile  de  Trente^  Sess.  24,  can.  18.  —  Ovdon.  de  Moulins^  art  75  ; 
—  de  Biais,  art.  12;  —  Éditde  Melun,  art.  j4,  et  celui  de  1695,  art.  2. 

^  Décret  du  i7  mars  i8o8,  art.  27  et  28.  —  Cad,  eccl.  franc.,  p.  218. 

'  Voir  une  dissertation  et  deux  planches,  représentant  un  diptyque, 
dans  les  Annules,  3*  série,  t.  iv,  p.  44. 


DOCTRINE    CHRÉTI£iN:NE.  155 

vaillon,  appartenant  alors  au  pape  ,  et  confirmée  par  Clément 
yill,4e  23  décembre  de  la  même  année,  par  une  bulle  que  l'on 
n'a  pas  retrouvée  ,  dit  l'éditeur  du  Bullarium  magnum.  —  L'ob- 
jet de  l'Institut  était  de  catéchiser  le  peuple  et  de  lui  enseigner  les 
mjslcres  et  les  préceptes  de  l'Évangile.  Comme  pour  les  autres 
congrégations,  nous  allons  analyser  les  différentes  bulles  des  pa- 
pes qui  en  ont  traité. 

1616.  Paul  V,  sur  la  demande  des  supérieurs  ,  unit  cette  con- 
grégation à  celle  des  clercs  réguliers  somasques  d'Italie  ;  les  deux 
sociétés  devaient  former  un  corps  régulier  ayant  un  même  géné- 
ral, résidant  à  Rome,  portant  le  même  nom,  celui  de  somasques^ 
mais  conservant  une  administration  séparée,  et  des  supérieur» 
chacune  de  sa  nation  *. 

1647.  Innocent  X,  sur  la  demande  du  roi  de  France  ,  rompfS 
l'union  avec  les  Somasques ,  et  en  forme  deux  ordres  séparés  ^. 

1659.  Alexandre  TII  les  soumet  aux  vœux  simples  d'obéissance, 
de  chasteté  et  de  pauvreté  ,  et  au  vœu  de  demeurer  toujours  dans 
la  congrégation  ^ 

1676.  Clément  X  donne  au  chapitre  général  ouaudéfinitoirele 
droit  de  dispenser  de  leurs  vœux,  et  de  renvoyer  de  la  congréga- 
tion ceux  qui  étaient  indignes  d'y  rester  *. 

1688.  Innocent  XI  accorde  aux  membres  de  cette  congrégation 
le  droit  d'ériger  dans  tous  les  lieux  où  ils  ont  eu  ou  auront  des 
maisons,  des  confréries  d'hommes  et  de  'emmes,  sous  la  même  dé- 
nomination, ayant  le  même  but ,  et  jouissant  des  mêmes  privilè- 
ges et  indulgences  que  l'archi-confrérie  établie  à  Rome  ^. 

1695.  Innocent  XII  étend  ces  privilèges  et  ce  droit  à  tous  lef 
lieux  où  ils  feront  une  mission  ''\ 

'  Exinjuncto,  dans  le  Bull,  mag.,  édition  de  Luxembourg,  t.  m, 
p.  090. 

=»  Cette  bulle  n'est  pas  dans  le  BuUa.  mag. 
^  Citée  dans  la  bulle  d'Innocent  Xll,  de  1696. 
■*  Citée  dans  la  bulle  de  Benoît  XIII,  de  1727. 
5  Citée  dans  celle  dlnnocent  XII^  de  1696. 
^'  Bulle  e.rponi  nobis,  ibid.^  t,  xri,  p.  a56. 


156  COÎRS    DR    PHir.OLOGIF.    F.T    D  AnCHEOLOOIK. 

1606,  Innocent  \IÏ  ,  a|^prenant  tUi  procureur  général  Josepli 
BelIi^îsen  que  (juelques-uns  des  confrères ,  malgré  le  vœu  de  pau- 
vreté ,  conservaient  une  action  sur  leurs  biens  propres,  ou  rece» 
vaient  de  l'argent  pour  discours,  messes,  elc  ,  ordonne  que  tous 
les  biens  des  confrères  et  cmolumens  quelconques  soient  mis 
dans  la  masse  commune  de  la  communaulé  ,  afin  qu'elle  en  dis- 
pose à  son  gré  *. 

1697.  Le  même  pontife  confirme  un  décret  de  la  congrégation 
des  cardinaux  ,  qui  avait  cassé  une  délibération  du  chapitre  géné- 
ral qui  avait  aboli  les  Discrets  '. 

1608.  Autre  décision  du  même  pontife,  portant  que  doréna- 
vant dans  le  chapitre  provincial  ,  pourront  assister  seulement  et 
de  leur  personne  ,  le  général  en  exercice  ,  le  prorinci.il  ,  tous  les 
recteurs,  accompagnés  chacun  de  leur  discret^  qui  devait  être  élu 
par  le  chapitre  conventuel ,  où  il  y  avait  six  voix  '. 

1725.  Benoît  !MII,  sur  la  demande  des  deux  congrégations, 
unit  celle  de  iSaples  à  celle  d'Avignon,  devant  former  un  seul 
corps  sous  le  nom  de  clercs  séculiers  de  la  doctrine  chrétienne  d*A^ 
vignon,  de  manière  que  ladite  congrégation  reste  composée  de 
quatre  provinces ,  de  Pxoriie,  d'Avignon  ,  de  Toulouse  et  de 
Paris. 

Le  vicairc-gënr'ral  de  la  province  romaine  devait  être  Ptomain, 
avec  voix  active  et  passive  dans  les  chnpiires  provinciaux  qui  se- 
ront tenus  tous  les  trois  ans,  et  les  généraux  qui  seront  tenus 
tous  les  six  ans. 

Avec  permission  d'établir  des  missions,  congrégations,  écoles, 
académies,  et  d'instruire  la  jeunesse  dans  les  lettres  et  la  disci- 
pline, surtouc  d  après  la  doctrine  de  saint  Thomas,  etc.  ^. 

1727.  Le  même  pontife  donne  aux  supérieurs  le  droit  de  dè- 
tenniner  le  nombre  de  voix  et  de  régler  les  choses  de  discipline, 
de  suspendre  et  d'absoudre  les  sujets. 

'  Ex  1)0  ni  II  obis,  :7y/V.,  t.  xu  ,  p.  aC8, 
'  Alias  emanavil^  ihuL,  p.  280. 
*  ■Siijicr  pro  parte,  ib  't.,  \).  297. 
■•  JUin<i  Itujiii,  t.  xm.  |).  iC);. 


DOCTRINE    CHRKTIKNNF.  157 

Il  modifie  en  oiUre  le  droit  de  renvoyer  de  la  congré{>ation, 
accordé  par  Clémenl  X,  en  ce  sens  que,  s*il  s'agit  d'un  clerc  or- 
donné sous  le  titre  de  la  congrégation,  on  ne  pourra  le  renvoyer», 
qu'en  lui  constituant  de  quoi  vivre,  ou  en  ayant  un  certificat  qui 
Constate  qu'il  a  un  patrimoine  suffisant  '. 

1734.  Clément  XII,  sur  la  demande  de  Hiacynlhe  de  Benoît, 
procureur  général,  décide  que  si,  pendant  la  tenue  d*un  chapitre, 
un  provincial  venait  à  mourir,  celui  qui  serait  élu  immédiate- 
ment, ou  celui  qui  tient  la  place,  aura  immédiatement  voix  au 
même  chapitre  et  y  sera  appelé,  si  la  ville  n'est  pas  distante  de 
plus  d'un  ou  deux  jours  de  chemin  '. 

1738.  Le  même  pontife  décide  que  le  procureur  général  de 
toute  la  congrégation  doit  demeurer  à  Rome  dans  la  maison 
de  Sie-Marie-de-Monlicelli  ^ 

1738.  Le  même  pontife  approuve  les  chapitres  qui  avaient 
été  conclus  à  Paris  pour  consolider  l'union  enUe  la  province 
d'Avignon  et  celle  de  Naples,  dont  les  principaux  sont  :  la 
province  romaine,  restera  à  peu  près  séparée  de  celle  d'Avignon, 
et  ne  devra  être  soumise  qu'à  une  visite  de  six  ans  en  six  ans  ;  la 
dispense  des  vœux  ne  peut  êire  donnée  que  par  le  souverain 
pontife  ou  par  le  chapitre  général,  etc.  4. 

174/.  Benoît  XH",  s'étant  fiit  rendre  comple  de  l'état  de  la 
province  romaine,  la  trouve,  dit-il,  dans  un  état  déplorable  de 
décroissance;  il  n'y  avait  plus  que  38  prêtres  clercs  et  70  con- 
frères laïques  pour  huit  maisons  ou  collèges  qui  lui  apparte- 
naient, sans  espoir  même  de  pouvoir  raniélioier,  puisqu'il  n'txis- 
taif  ni  maison  d'étude,  ni  noviciat  ;  il  renonce  donc  à  l'espoir  de 
la  réformer  et  l'unit  à  colle  d'Avignon  ,  afin  qu'elle  ne  forme 
qu'un  seul  corps  avec  celle-ci  à  laquelle  il  donne  une  partie  des 
biens  et  des  charges  \ 

=  Crédita  nobis,  ibid.,  t.  xiri,  p.  Soj. 

*  Expnui  nobis,  ibiJ.,  t.  xv^  ji.  5. 
5  Emanavit  nuper,  ibid.^  p.  i8:7. 

*  Ex  injunclo,  ibid.,  p.  187. 

'  ^postoUci niwiei  i',  ibid.]  t.  xvii ,  p.  'ioG. 


1  58  COURS  DE  PHILOLOGIE  ET  d'aRCMÉOLOGIE. 

\  oici  quel  était  l'état  de  cette  congrégation  en  France  à  Tépoque 
de  îa  Révolution,  Elle  y  formait  une  congrégation  sépaiéede  celle 
•d'Italie;  elle  était  séculière  et  comme  telle  soumise  à  la  juridiction 
et  visite  d  s  ordinaires  Un  général  français  la  gouvernait  avec 
trois  assistans,  deux  procureurs  généraux  et  un  secrétaire  générai. 
Elle  comprenait  50  maisons  ou  collèges  distribués  en  trois  pro- 
vinces qui  avaient  cliacnne  leur  visiteur.  Ces  provinces  étaient 
Avignon,  Paris,  Toulouse.  Le  général  faisait  sa  résidence  dans  la 
maison  de  Paris  qu'on  nommait  la  maison  de  S. -Charles,  parce 
que  l'église  est  sous  l'invocation  de  ce  saint.  M.  de  Bonnefoux, 
derner  supérieur  général,  est  mort  en  1806. 

Les  Doctrinaires  portaient  l'habit  des  prêtres  tel  qu'il  était  au 
tems  de  leur  institution.  Afin  qu'ils  pussent  vaquer  aux  emplois 
dont  ils  étaient  chargés  et  remplir  leurs  cngagemens,  aucun  d'en- 
tre eux  ne  pouvait  obtenir  un  bénéfice  exigeant  résidence,  sans  le 
consentement  du  définitoire,  ou,  dans  les  cas  pressans,  sans  la 
permission  du  conseil  extraordinaire  de  la  province,  qu'il  était 
nécessaire  de  faire  ratifier  par  le  définitoire  au  plus  tard  dans 
deux  mois,  faute  de  quoi  la  provision  était  nulle  de  plein  droit, 
et  le  bénéfice  impétrable  '. 

A.  B. 

'  Voir  les  Lettres-patentes  en  forrie  d'Edit  du  mois  de  septembre 
1726,  enregistrées  au  grand  conseil  le  i5  octobre  suivant. 


NOUVELLES   ET    MBLANCIS.  159 


HoupclUô  ci  illflangeô. 


AMERIQUE. 

NOUVELLE-GRENADE.  BOGOTA.  —  Décret  du  congrès  et  du 
pouvoir  executif  appelant  les  jésuites  pour  les  chaîner  de  continuer 
les  missions.  «  Le  sénat  et  la  chambre  des  représentans  de  la  Nou- 
velle-Grenade, réunis  en  congrès,  considérant  que  les  utiles  et  pieuses 
ÎDStitutions  des  missions  tombent  en  décadence,  faute  de  missionnaires 
dont  l'éducation  et  l'esprit  soient  appropriés  a  un  aussi  ardu  ministère, 
décrètent  rétablissement  d'un  ou  de  plusieurs  collèges  démissions  et 
des  maisons  de  stations  nécessaires  pour  pourvoir  aux  missions  de  Casa- 
nare,  Saint-Martin,  Andaqui,  Mocoa,  Goadjira  et  Vareguaj:. 

»  Les  collèges  de  missions  établis  par  le  présent  décret  seront  de  l'In- 
stitut que  le  pouvoir  exécutif  jugera  le  plus  convenable  parmi  ceux  qui 
professent  le  ministère  des  missions  en  Europe.  Sont  appliqués  à  l'établis- 
sement de  ces  collèges  :  i°  l'excédant  des  sommes  annuellement  aflectées 
par  le  congrès  au  service  des  missions  -,  '?f'  Les  biens  des  couvens  qui 
ayant  été  des  collèges  de  missions,  ne  possèdent  plus  de  religieux  qui 
les  desservent,  et  n'ont  point  reçu  d'autre  destination. 

y  Cette  pièce  est  suivie  d'un  de'cret  du  pouvoir  exécutif,  signé  par  le 
vice-président  de  la  république,  chargé  de  ce  pouvoir.  Voici  le  som- 
maire de  ce  second  document  : 

j)  En  exécution  du  décret  législatif  du  28  avril  dernier  pour  l'éta- 
blissement decolléges  démissions,  considérant,  1°  que  ledit  décret  a  été 
discuté  et  approuvé  dans  les  chambres  législatives,  dans  la  suppo- 
sition que  ce  serait  l'institut  de  la  compagnie  de  Jésus  qui  serait  ap- 
pelé à  se  charger  des  missions,  ce  qui  ferait  croire  que  c'est  celui  que  la 
majorité  des  sénateurs  et  des  députés  a  jugé  préférable;  'jP  que  l'ex- 
périence a  démontré  que  cet  Institut  est  le  plus  apte  à  convertir  les 
jaavages  à  la  religion  chrétienne  et  à  les  conduire  à  la  civilisation;  ce 
qui  est  incontestablement  prouvé  par  ce  qui  est  arrivé  dans  l'Amérique 
\\\  sud,  où  l'expulsion  des  Jésuites  a  été  suivie  de  la  décadence  progrès- 


160  NOUVEr.LES    ET   MiLlRGES. 

sive  des  missions,  décadence  qui  a  été  chaque  jour  en  augmentant, 
sans  que  le  zèle  des  autres  missionnaires  eût  suffi  à  l'airèter;  5"  qu'une 
des  conflitions  les  })lus  précieuses  pour  que  l'entreprise  des  mis- 
sions produise  des  fruits,  est  que  les  missionnaires  soient  formés  pour 
celte  profession  ;  qu'il  est  d'ailleurs  hautement  avanta|;enx  pour  le  pays 
que  ces  ecclésiastiques  possèdent  des  connaissances  dans  les  tciences 
exactes  et  naturelles,  qualités  qui  se  trouvent  réunies  dans  V institut  des 
jésuites  à  un  plus  haut  degré  qu'en  aucun  autre;  4°  enfin  qu'il  est  plus 
facile  d'obtenir  des  missionnaires  de  cet  institut  que  d'aucun  autre, 
attendu  qu'ils  sortent  fréquemment  d'Europe  en  nombre  considérable 
pour  aller  en  Asie  et  en  Afrique,  où  leur  zèle  produit  les  meilleurs  effets 
religieux  et  sociaux  ;  et  que  le  crédit  dont  jouissent  les  jésuites,  en  qua- 
lité de  missionnaires,  et  la  sympathie  qu'on  leur  conserve  dans  le  pays, 
font  que  le  gouvernement  rencontrera  en  eux  une  active  coopération 
pour  le  succès  de  l'entreprise  des  missions  :  il  est  décrété  que  l'institut 
de  la  compagnie  de  Jésus  est  choisi  pour  être  chargé  des  missions  de 
la  République,  et  qu'on  engagera  l'archevêque  et  les  évêques  à  exhor- 
ter leurs  diocésains  à  coopérer,  parleurs  aumônes,  à  l'établissement  des 
collèges  des  missions,  et  aux  frais  de  voyage  des  missionnaires  d'Eu- 
rope à  la  Nouvi-'Ue-Grenado. 

))  Mgr  Tarchevêque  de  Bogota  s'est  empressé  d'adresser  au  ministre 
de  l'intérieur  et  des  relations  extérieures  de  la  république  une  letlret 
où  il  exprime  sa  satisfaction  épiscopale  de  voir  le  gouvernenieni  s'occu- 
per de  l'œuvre  sainte  de  la  propagation  de  l'Évangile  parmi  1rs  gentils, 
et  surtout  parmi  les  sauvages,  et  il  ajoute  que  le  choix  de  la  compagnie 
de  Jésus,  i-our  l'exécution  de  ce  pieux  dessein,  est  une  garantie  du 
succès  de  l'entreprise.  Le  vénérable  prélat  continue  ensuite  en  ces 
termes  : 

('.  L'institut  de  cette  sociélé  renferme  les  élémens  du  zèle  nécessaire 
»  et  de  la  sagesse  et  des  vertus  chrétiennes  ;  il  est  tellement  constitué, 
«  qu'il  est  apte  à  toute  bonne  œuvre,  et  son  éminente  piété  le  rend 
»  propre  à  faire  le  bonheur  des  peuples.  Tel  est  le  jugement  qu'en  ont 
»  porté  des  hommes  distingués  en  Europe  et  en  Amérique,  et  l'expé- 
))  rience  confirme  chaque  jour  ce  jugement.  On  ne  pouvait  donc  pas 
î)  m'àdjoindre,  pour  l'accomplissement  de  mon  devoir  j)asloral,  des 
*>  auxil::'.ires  plu?  utiles  qur  les  jésuites.  » 


NOUVELLES    ET    BlELAiNGES.  161 

->■>  Le  chargé  tl'aQalrcs  delà  i  rpuLliquc  de  la  Nouvcllc-Grcnado  à  Lon- 
dres vient  de  passer  à  Paris,  d'où  il  se  rend  en  Angleterre.  C'est  lui 
qui,  conformément  aux  termes  du  décret  du  pouvoir  exécutif,  est 
chargé,  au  besoin,  d'aller  en  Italie  et  dans  les  autres  parties  de  l'Europe, 
afin  de  prendre  avec  la  compagnie  de  Jésus  les  arrangcmens  nécessaires 
pour  l'exécution  des  ordres  de  son  gouvernement.  » 

AFRIQUE. 

CAP  DE  BOrs'NE-ESPÉRANCE.  —  ^/a/ Ci  progrès  de  la  religion 
dans  ce  pays.  —  Voici  ce  qu'écrit  INIgr  Griflith,  vicaire  Apostolique. 

Parle  secours  de  V  association  pour  la  propagation  de  /a^b/,  quatre 
églises  ont  été  érigées  :  trois  sont  établies  dans  des  lieux  où  jamais  un 
prêtre  n'a  résidé:  une,  là  où  jamais  aucun  ministre  catholique  ne  s'est 
arrêté,  ou  le  sacrifice  de  nos  autels  n'avait  jamais  été  offert,  où  jamais 
on  n'avait  célébré  le  saint  jour  du  Seigneur,  où  jamais  enfin  le  catholi- 
cisme n'a  été  connu,  ou  ne  l'avait  été  que  pour  être  outragé.  Il  en  est  de 
même  du  district  de  George,  à  3oo  milles  du  Cap  et  au  milieu  de  la  co- 
lonie. A  mon  arrivée  ici,  on  n'y  eût  pas  trouve  un  seul  catholique;  au- 
cun prêtre  n'y  avait  jamais  pénétré.  Aujourd'hui  on  y  bâtit  une  petite 
église;  il  y  a  une  communauté  toujours  croissante  et  qu'un  grîmd  nom- 
bre de  conversions  promettent  encore  d'augmenter.  Ainsi  vous  voyez 
aujourd'hui  quatre  missions  établies  là  où  il  n'en  existait  auparavant 
qu'une  seule,  et  encore  sans  siège  permanent;  vous  voyez  le  Dieu  de  nos 
pères  adoré  dans  les  lieux  où  ses  symboles  étaient  repoussés;  vous  voyez 
trois  prêtres  établis  et  le  sacrifice  de  la  victime  sans  tache  journellement 
offert  dans  Its  lieux  exclus  jusqu'ici  de  l'accomplissement  de  la  pro- 
phétie de  Malachie.  Ajoutez  à  tous  ces  biens  le  grand  nombre  d'infidèles 
régénérés,  de  sectaires  convertis,  de  pécheurs  corrigés,  de  faibles  confir- 
més dans  la  foi;  les  vivans  recevant  la  nourriture  spirituelle,  les  mou- 
rans  les  consolations  de  la  religion,  les  morts  auxquels  on  consacre  de 
pieux  souvenirs;  et  il  faudra  avouer  que  soutenir  une  pareille  institu 
tion  est  un  devoir  impérieux  pour  tout  chrétien. 

))  Les  progrès  de  cette  mission,  sa  prospérité  future  dépendent  de  la 
continuation  des  secours  de  l'association.  Et  certes,  le  monde  cathohque, 
et  l'Irlande  catholique  en  particulier,  ne  permettront  point  qu'ils  vien- 
nent à  nous  manquer.  » 

I      h     lu > 


162  BIBLIOGRAPHIE. 


'%'ï^'r^^  v«A««  •  • 


ôibltDigrapIji^ 


ANNALI  DELLE  SCIENZE  RELIGIOSE,  compilati  dalV  ahb.  Ant, 

De  Luca.  —  A  Rome,  chez  Gaetano  Cavalletii,  in  via  delU  Convertite  al 

Corso,  n°  20,  et  au  bureau  des  Aujiales  de  Philosophie  chrétienne.  Six 

numéros  de  160  pages  par  an.  Prix  :  2\  fr.,  plus  i  fr.  par  numéro  à  payer 

à  la  poste. 

]\'°  37.  --  Juillet  et  août  1841. 

I.  Sur  la  partie  de  la  nouvelle  édition  de  la  théologie  du  P.  Pèrrone, 
qui  traite  des  lieux  théologiques,  par  Arrighi.  —  IL  Mémoires  archéo- 
logiques sur  la  découverte  du  corps  de  saint  Sabinien  par  le  P.  Secchi. 
(  Nous  avons  traduit  et  inséré  cette  dissertation  dans  nos  précédens 
numéros,  24»  27  et  q8,  tomes  iv  et  v  de  la  3*=  série.  )  —  Examen  critico- 
théologico-cînonique  publié  par  D.  Valentin  Ortigosa,  élu  évêque  .de 
Malaga,  traduit  du  Catolico  de  Madrid.  —  IV.  Vicissitudes  du  catho- 
licisme dans  les  trois  derniers  siècles,  ou  considérations  de  M.  Macau- 
ley  sur  \ Histoire  du  Pontificat  romain  de  Ranke,  extrait  de  la  Revue 
dEdimboug  {v  article),  par  Mgr  Baggs.  —  Appendices,  nouvelles  et 

mélanges. 

N°  38.  —  Septembre  et  octobre. 

V.  Sur  le  célibat,  traduit  de  l'allemand,  par  Carlo  Rossi.  —  VI.  Sur 
les  discours  sacrés  et  moraux  du  R.  Clément  Brignardelli  somasque, 
par  Et.  Ciccolini.  — VU.  Sur  l'histoire  de  la  vie,  des  ouvrages  et  des 
doctrines  de  Calvin  <  le'  article),  par  Paul  Mazio. —  VIII.  Vicissi- 
tudes du  catholicisme,  etc.  (70  article).  —  Appendices,  nouvelles  et 
mélanges. 

N°  39.  —  Novembre  et  décembre. 

IX.  Bulles  émanées  des  souverains  pontifes,  Pie  VI  et  Pie  Vit,  sur  les 
affaires  religieuses  de  la  Russie.  —  X.  Supplément  au  Dict.  sacro-litur- 
gique du  R.  Jean  Diclich  par  And.  Ferrigni  Pisone,  chanoine  de  Na- 
ples;  par  l'abbé  Archangeli. — XI.  Gerbert,  ouïe  pape  Silvestre  II  et 
ses  contemporains  de  Hock,  par  Mgr  Laurent,  évêque  de  Chersonèse. — 
XII.  Histoire  de  la  vie  et  des  ouvrages  de  Calvin,  par  Audin(  2"  article  ); 
—  NouTelles  et  mélangée. 


RIBLIOGRAPHIK.  163 

HISTOIRE  DE  FRANCE,  par  M.  Lalrentie,  5  vol.  in-8".  A  Paris, 
chez  Lagiiy  frères,  libraires,  rue  Bourbou-le-Château,  i. 

Pour  recommander  l'esprit  qui  a  présidé  à  cette  excellente  histoire, 
nous  ne  saurions  mieux  faire  que  de  citer  la  lettre  suivante  que  Mgr  l'ar^ 
chevèque  de  Paris  vient  d'adresser  à  M.  Laurentie. 

Archevêché  de  Paris,  lo  juillet  184^2. 
Monsieur, 

Au  milieu  d'une  foule  d'écrits,  où  les  enseignemens  de  l'Eglise  catho- 
lique, sa  discipline,  sa  hiérarchie,  ses  institutions,  ses  diverses  influences 
sont  traités  avec  indifférence  ou  attaqués  comme  hostiles  au  progrès  de 
la  société,  j'ai  été  heureux  de  lire  les  cinq  premiers  volumes  de  votre 
Histoire  de  France, 

Enfant  dévoué  de  l'Église,  vous  avez  mieux  apprécié  qu'un  ennemi 
ou  un  étranger  l'esprit  ou  la  charité  dont  elle  est  animée,  les  services 
qu'elle  a  rendus  à  l'humanité  et  à  notre  patrie  en  particulier.  Pour  être 
exact,  il  vous  a  sufl&  d'avoir  vécu  au  sein  de  cette  grande  famille  chré- 
tienne; vous  méritez  cet  éloge  d'exactitude  par  vos  études  et  par  les  ha- 
bitudes de  votre  vie.  Nous  connaissons  toujours  mieux  les  traditions  et 
les  fait:-  domestiques  que  les  affaires  de  nos  voisins. 

Lorsqu'à  des  dispositions  si  favorables,  on  réunit  comme  tous,  Mon- 
sieur ,  une  science  étendue  des  évènemens  ,  beaucoup  de  sagacité  pour 
les  juger,  et  le  talent  de  les  exposer  avec  intérêt,  on  est  assuré  d'inspi- 
rer  une  grande  confiance  aux  bons  catholiques  et  aux  maisons  d'éduca- 
tion qui  ont  su  se  préserver  des  funestes  innovations. 

Il  vous  reste  encore,  Monsieur,  une  grande  tâche  à  remplir.  Les  17» 
et  18'  siècles  sont  remplis  di  s  luttes  intellectuelles  et  morales  qui  ont 
préparé  notre  grande  révolution, donné  à  notre  pays  des  lois,  des  moeurs, 
une  constitution  nouvelle  et  fait  prévaloir  d'autres  intérêts.  Pour  les 
juger  avec  équité,  il  faut  cette  élévation  de  pensées  et  de  sentimens 
qni  placent  l'historien  en  dehors  et  au-dessus  de  toutes  les  passions  de 
parti  :  le  savoir,  uni  au  calme  de  l'esprit,  vous  maintiendront  dans 
cette  sphère  élevée  que  ne  saurait  atteindre  l'impartialité  purement 
philosophique. 

Agréez,  etc. 

f  DENIS, 

Archevêque  de  Paris. 


164  BIBLIOGRAPHIE. 

A  l'auloiitc  d'un  témoignage  si  cniinent,  nous  j)ouvons  ^ijouter  le 
suflrage  également  lïonorable  de  Mgr  l'arclicvèque  de  Reims,  qui  a  re- 
commandé ï Histoire  de  France  de  M»  Laurentie  à  ses  séminaires  ainsi 
qu'à  tout  le  clergé  de  son  diocèse. 

—  NUMISMATIQUE  DES  CATHÉDRALES  DE  FRANCE.— Un 
artiste  d'un  grund  talent,  31.  Dubois,  graveur  en  médailles,  vient  de 
commencer  une  série  de  médailles  monumentales  qui,  si  son  entreprise 
est  encouragée  comme  elle  mérite  de  l'clre,  fera  époque.  31.  Dubois  a 
l'intention  de  publier  une  suite  des  plus  belles  cathédrales  de  France, 
en  relief,  et  d'y  joindre  le  plan  géomé'ral  avec  les  mesures  de  chaque 
partie  de  l'édifice.  Déjà  la  cathédrale  de  Chartres  est  j  ubliée,  ainsi  que 
celle  de  Notre-Dame  de  Paris.  On  y  trouve  aussi  l'indication  des  divers 
changemens  que  le  monument  a  pu  subir  depuis  son  origine  jusqu'à 
nos  jours.  L'idée  de  donner  le  plangéométral  est  neuve  ei  très-heureuse, 
et  d'une  précision  de  formes  qui  nous  paraît  ne  rien  laisser  à  désirer. 
Quelques  uns  des  Évoques  de  France  ont  déjà  goûté  l'idée  de  31.  Dubois, 
et  lui  ont  éciit  pour  graver  leur  cathédrale.  Le  module  d:j  la  mcdaiUe 
est  de  deux  pouces  dix  lignes.  Elles  se  trouvent  à  Paris,  c'icz  fauteur, 
rue  Yavin,  no  4» 

LE  C031TE  DE  LA  FERPiON3(AYSc/  Marie-Alphonse  Ratisbomie, 
Aies  Impressions  de  quinze  jours  à  Jiome,  par  le  comte  ThÉobald 
AYalsii.  —  Un  joli  vol.  in-i8.  Prix  ;  75  cent. 

Au  bureau  du  journal  de  l'  Union  catholique,  rue  des  Saints-Péres,  5, 
et  chez  Poussielgue  Rusand,  rue  Hautefeuille,  g, 

La  conversion  miraculeuse  de  Alph.  Ratisbonne  a  frappé  d'étonue- 
nient  et  d'admiration  la  chrétienté  tout  entière.  Le  témoignage  authea  • 
tique  que  le  Saint-Siège  a  rendu  de  ce  fait  merveilleux  parun  décret  de 
S.  E.  le  cardinal  Patrizzi,  vicaire- général  de  S.  S.  Grégoire  XVI,  donne 
un  intérêt  encore  plus  puissant  au  récit  des  circonstances  de  cet  admi- 
rable é>èneracnt.  M,  le  comte  Théobald  Walsh  a  été  assez  heureux  pour 
se  trouver  un  des  piemiers  témoms,  et  il  en  a  publié  une  relation  qui  est 
le  complément  nécessaire  de  celle  de  M.  de  Bussière  et  de  la  lettre  écrite 
par  M.  Ratisbonne  Ini-raème. 


ANNALES 


!|G5 


DE   PHILOSOPHIE  CHRETIENNE. 

»  VhOiH^it  f r  r      

cy CoiiiiieX'O    33  (berleuiuto    iSJ^2, 


ijiôtoire  lie  l'cj^liec. 


ALLOCUTIO\  DE  S\  SAINTETÉ  XOTUE  SEIGXEUR  LE 
PAPE  GUEGOIRE  XVI  VU  SACAÉ  COLLEGE,  DANS  LE 
CO\SlSTOmE  SECRET  DU   22  JUILLET    i«42, 

suivie 

D  une  Exposùiorij  corroborée  de  Docuinens,  sur  les  soins  incessans 

de  Sa'Saintelé 

pour  porter  remède 

AUX  MAUX  GRAVES  DONT  LA  RELIGION  CATHOLIQUL  EST  AFFLIGLE 
DANS  LF.S  ÉTATS  IMPl'rIaLX  ET  ROYAUX  DE  LA  RUSSIE  ET  DE  LA 
POLOGNE  '. 

S'il  est  une  circouslance  ou  la  voix  du  chef  de  TEgliseadu 
exciter  raltenlion  non  seulement  des  catholiques,  mais  encore 
du  monde  entier,  c'est  sans  doute  lorsque  ce  vieillard  vénéra- 
ble, sans  force  et  sans  armées,  s'élève  contre  la  conduite  cl  les 

»  Ce  volume,  grand  in.4o  ou  petit  iu-folio,  contient  :  uXAUoculion 
(texte  latin)  du  Saint-Père,  2  pages;  ^^  ï Exposition  (traduction  ilai 
liennc),  i5  paires  ;  Ti"  les  Docuinens  à  l'appui.  160  pages.  Ces  documcRS 
au  nombre  de  90,  comprcnncril  :  i"  le  texte  fVan«/ais  de  traités  pasisés 

IIP    SERIE.  TOME  VI.  —  >'o3.  1S42.  H 


<6G  VLLOCUTIO.X     POiMlFlCALE 

actiotis  du  plus  puissant  et  du  plus  absolu  potentat  qui  soit  au 
inonde.  Sans  doule  ciuclqucs  diplomates  à  coin  te  vue  penseront 
que  ce  n'est  là  qu'une  démonstration  sans  portée  et  sans  consé- 
quence; mais  les  hommes  vraiment  politiques  trouvent  déjà 
que  c'est  un  acte  d'une  grande  portée  :  car  ils  pensent  avec  rai- 
son que  dans  les  grandes  affaires  Je  ce  monde,  avoir  la  vérité  et 
e  droit  pour  soi,  c'est  un  grand  avantage,  surtout  quand  on  a  le 
pouvoir  et  le  courage  de  les  faire  connaître,  et  d'en  reprocher  la 
violation  à  la  face  du  monde  entier. 

Accueillons  donc  avec  respect  et  joie,  nous  catholiques,  ces  pa- 
roles de  notre  Père,  et  faisons-les  connaître  le  plus  que  nous 
pourrons.  C'est  pour  cela  que  nous  consignons  ici  dans  nos  pages 
ces  documens  ,  qui,  en  outre  ,  prouvent  avec  quelle  sollicitude 
notre  chef  veille  sur  toutes  les  Églises ,  et  combien  grande  doit 
être  la  confiance  des  catholiques  dans  son  ardente  et  longue  sol- 
licitude. A.  Ij. 

Vékérablls  frèues , 

Déjà,  dans  ce  lieu-niême  nous  avons  épanché  avec  vous,  vé- 
nérables Frères  ,  la  douleur  que  dès  longieuis  a  profondément 
enracinée  dans  notre  ame  la  condition  misérable  de  l'Église  ca- 
tholique au  sein  de  l'empire  de  Russie.  Celui  dont  nous  sommes, 

entre  la  Russie  et  les  diverses  provinces  caiho!i(iues  réunies  à  cet  cm* 
pire,  d'ukases  par  lesquels  la  Russie  a  violé  ces  traités  et  les  droits  de  ses 
sujets  catholiques,  etc.,  etc.;  a°  !e  texte  latin  de  divers  actes  du  Saint- 
Siège  en  faveur  des  catholiques  opprimés  par  la  Russie,  etc.,  etc.;  3*"  di- 
verses pièces  diplomatiques  échangées  entre  le  Saint-Siège  et  la  cour 
impériale,  etc.,  etc.;  4°  une  liste  des  biens  d'église  confisqués  et  du  re 
venu  de  ces  biens,  etc.  ,  etc.  Les  premiers  de  ces  documens  sont  un 
extrait  du  traité  entre  la  cour  de  Russie  et  le  roi  et  la  république  de 
Pologne,  conclu  le  i8  septembre  1773,  et  un  ukase  du  16  décembre 
1812  ;  les  derniers  sont  trois  ukases  du  10  mri  1842  :  de  sorte  qu'on  3- 
trouve  l'historique  à  peu  près  complet  des  négociations  du  Saint-Siège 
avecla  cour  de  Russie  depuis  1812  jusqu'à  aujourd'hui.  Les  notes  et  re- 
marque» »ur  CCI  documens  sont  en  italien. 


Sl'R    L  LGLISE    i:.\     hLSSIE.  167 

quoique  indigne,  le  vicaire  sur  la  lerie  nous  est  témoin  que,  de- 
puis le  moment  où  nous  fumes  revêtu  de  la  charge  du  souverain 
pontificat ,  nous  n^avons  rien  nep,ligé  de  ce  que  commandent  la 
sollicitude  et  le  zèle  pour  remédier,  autant  que  cela  était  possi- 
ble, à  tant  et  à  de  si  grands  maux  chaque  jour  croissans.  Mai^ 
quel  y  été  le  fruit  de  tous  nos  soins  ?  Les  faits  et  des  faits  très  ré- 
cens  le  disent  assez.  Combien  notre  douleur,  toujours  présente, 
s'en  est  accrue  I  \  eus  le  voyez  mieux  par  la  pensée  qu'il  ne  nous 
est  possible  à  nous  de  l'expliquer  par  des  paroles.  Mais  il  v  a 
quelque  chose  qui  met  comme  le  comble  à  celte  intime  amer- 
tume, quelque  chose  qui^  à  cause  de  la  sainteté  du  ministère 
apostolique,  nous  tient  outre  mesure  dans  l'anxiété  et  raffliction. 
Ce  que  nous  avons  fait,  sans  repos  ni  relâche,  pour  proléger  et 
défendre  dans  toutes  les  régions  soumises  à  la  domination  russe 
les  droits  inviolables  de  l'Eglise  catholique,  ce  que  nous  avons 
fait  on  ne  l'a  point  su.  cela  n'a  pas  été  de  notoriété  publique,  dans 
ces  régions  surtout,  et  il  est  arrivé  pour  ajouter  à  nos  douleurs, 
que  parmi  les  fidèles  qui  les  habitent  en  si  grand  nombre  ,  les 
ennemis  du  Saint-Siéj2;e  ont,  par  les  menées  frauduleuses  qui 
leur  sont  habituelles,  fait  prévaloir  le  bruit  qu'oublieux  de  no- 
tre ministère  sacré,  nous  couvrions  de  notre  silence  les  maux  si 
grands  dont  ils  sont  accablés,  et  qu'ainsi  nous  avions  presque 
abandonné  la  cause  de  la  religion  catholique.  Et  la  chose  a  été 
poussée  à  ce  point  que  nous  sommes  presque  devenu  comme  la 
pierre  occasion  de  chute ,  comme  la  pierre  de  scandale,  pour 
une  partie  considérable  du  troupeau  du  Seigneur,  que  nous 
sommes  divinement  appelé  à  régir  j  et  même  pour  l'Eglise  uni- 
verselle fondée,  comme  sur  la  pierre  ferme,  sur  Celui  dont  la  di- 
gnité vénérable  nous  a  été  transmise,  à  nous,  son  successeur.  Leg 
choses  étant  ainsi,  nous  devons  à  Dieu,  à  la  religion,  à  nous-mê- 
mes, de  repousser  bien  loin  de  nous  jusqu'au  soupçon  d'une  faute 
si  honteuse.  Et  telle  est  la  raison  pour  laquelle  toute  la  suite  des 
efforts  faits  par  nous  en  faveur  de  l'Eglise  catholique  dans  l'em- 
pire de  Russie  a  été  par  notre  ordre  mise  en  lumière  dans  un  ex- 
posé particulier  qui  sera  adressé  à  chacun  de  vous,  afin  qu'il  soit 
manifeste  à  tout  l'univers  fidèle  ,  que  nous  n'avons  en  aucune  fa- 


1G8  ALLOCLilO>    ru.MlliCALlL 

ç.jii  manqué  aux  devoirs  que  nous  iiupose  la  cliai{je  de  l'Aposlo- 
lat.  Da  reste,  que  notre  âme  ne  se  laisse  point  abattre,  vénéra- 
bles Frères ,  espérons  que  le  très  puissant  empereur  de  toutes  les 
Rtissies  et  roi  de  Polo^^jne,  écoutant  sa  justice  et  l'esprit  élevé  qui 
le  diàtin^jue ,  voudra  bien  se  rendre  à  nos  vœux  instans  et  aux 
vœux  des  populations  catboliques  qui  lui  sont  soumises.  Soute- 
nus par  cette  espérance,  ne  cessons  pas  cependant  de  lever,  en 
priant  avec  conliance,  les  yeux  et  les  mains  vers  la  montagne 
d'où  nous  viendra  le  secours,  et  demandons  avec  ardeur  et  sup- 
plication, au  Dieu  à  la  fois  tout  puissant  et  tout  miséricordieux, 
d'accorder  bientôt  à  son  Eglise,  depuis  longtems  souffrante,  Tas- 
sisiancc  qu'elle  attend. 

Exposition'.  —  I"  partie. 

La  siluation  déplorable  où  se  trouve  depuis  fort  longtems 
l'Eglise  cailioliquc  dans  l'immense  étendue  des  possessions  Rus- 
ses, est  assurément  la  plus  grave  des  causes  nombreuses  de  poi- 
gnante amertume  et  d'indicible  sollicitude  qui  tiennent  dans  l'an- 
goisse l'âme  du  Saint-Père  depuis  les  premiers  jours  de  son  la- 
borieux pontificat.  Bien  qu'un  ordre  suprême  toujours  et  dans 
ces  dernières  années  peut-être  encore  plus  étroitement  exécuté, 
interdise,  sous  les  peines  les  plus  sévtres^  sous  les  peines  capital 
les.  aux  évèques  et  aux  catholiques  sujets  de  la  Russie,  toute 
libre  communication  avec  le  Saint-Siège  pour  les  affaires  spiri- 
tuelles ^  ;    et,    bien  qu'en  dépit   de    demandes  réitérées,  et  en 

•  A  la  suite  des  90  docmnens  qui  appuient  cette  Exposilion^se  trouvent 
dix  notes  que  nous  traduisons  à  mesure  qu  elles  sont  indiquées  dans  le 
texte.  Quant  aux  docuniens,  nous  nous  contentons,  pour  le  moment 
d'en  donner  les  titres,  et  d  indiquer  sommairement  ce  qu'ils  contien- 
r.eiit. 

'  Document  no  I.  —  Ce  document  est  une  lettre  en  forme  d'ukase 
adressée  par  le  comte  Worontzow,  au  nom  de  S.  31.  I.  russe,  à  larcliC' 
vè(|uc  de  Mohilow,  le  i(i  dècendjrc  181 2,  sur  la  défense  de  recourir  au 
Sainl-Siégc  et  à  ses  rcprésentans.  !\ous  remarquons  dans  cette  lettre  le 
passai^'3  suivant  :  a  Auà  tei mes  des  dillcrentti  urdonnaiitci; aucun 


SUR    LlK.LI^rKN    RUSSIE.  I  69 

présence  de  la  légation  russe  établie  à  Rome,  le  Saint  Sirgc 
n'ait  pas  même,  auprès  de  la  cour  impériale  et  rovale,  un  re- 
présentant par  lequel  il  puisse  êlre  informé  du  véritable  état  des 
choses  de  la  religion  dans  ces  contrées  lointaines;  cependant, 
malgré  les  difficultés  et  les  périls,  les  plaintes  déchirantes  d'une 
multitude  de  fidèles  unis  d'esprit  et  de  cœur  au  centre  de  l'unité 
catholique,  sont,  l'une  après  l'autre,  arrivées  au  Vatican,  et 
d'ailleurs  il  y  a  eu  un  tel  ensemble  de  faits  universellement 
connus,  qu'on  n'a  pu  les  dérober  entièrement  aux  yeux  du  chef 
de  l'Église. 

Sa  Sainteté  savait  donc  quel  mal  fait  à  la  religion  catholique 
et  combien  a  contribué  à  sa  lamentable  décadence  ,  la  dépen- 
dance presque  totale  imposée  par  le  gouvernement  russe  aux 
évêques  dans  l'exercice  de  leur  autorité  et  du  niinistèi  e  pastoral  • 
dételle  sorte  que  des  personnes  séculières  et  appartenant  à  une 
communion  dissidente  de  la  communion  catholique  sont  chargées 
de  régler  les  choses  ecclésiastiques  et  les  intérêts  des  catholiques' . 
Sa  Sainteté  savait  qu'on  avait  de  même  confié  à  de  pareils 
hommes,  ou  du  moins  à  des  hommes  dépourvus  de  toute  instruc- 
tion dans  les  sciences  sacrées,  sinon  imbus  des  principes  les  plus 

»  évêque,  prêtre  ou  sujet  cathohque,  quel  qu'il  soit,  ne  pouvait  snna 
»  encourir  les  peines  capitales  les  plus  sévères,  se  permettre  cVeiitrete» 
»  nir  des  relations  d'aucune  espèce  et  sous  aucun  prétexte  que  ce  soit 
»  avec  la  cour  de  Rome,  etc.,  etc.  » 

*  Les  évêques  des  anciennes  provinces  polonaises-russes  sont  presque 
entièrement  sous  la  dépendance  du  ministre  des  cultes,  qui  opparlient 
à  la  communion  dominante.  Il  ne  leur  est  pa>  permis  d'admettre  de» 
jeunes  gens  dans  les  séminaires,  de  les  élever  aux  Ordres,  de  leur  con- 
férer des  bénéfices,  de  punir  suivant  les  saints  Canons  les  clercs  tondues 
en  faute,  d'exercer  aucun  acte  de  juridiction  ecclésiastique  sans  l'auto- 
risation de  ce  ministre.  La  condition  des  évêques  dans  le  royaume  de 
Pologne  est  moins  dure,  mais  non  pas  substantiellement  différente.  Il 
n'est  pas  nécessaire  d'exposer  ici  quelles  en  sont  les  suites  pour  la  ruine 
de  l'institution  religieuse  et  morale  du  clergé  et  par  conféquent  de  tout 
le  p«np]e. 


170  ULOCUTIOX    PONTIFICALK 

eiioij<*s,  la  âuivrillance  de  IVnseifjriemeiit  et  de  rtfducalion  du 
clergé  séculier  et  re^inlier,  dans  les  universités  et  dons  les  au- 
tres éiablissemens  publics,  en  excluant  Ibrinellement  de  ces 
fonctions  les  évéques  et  les   supérieurs  des  ordres  religieux  '. 

'  Le  Souverain  Pontife  Grégoire  XIII,  de  sainte  mémoire,  avait  ma- 
gnifiquement fondé  à  Vilna  une  célèbre  université  et  un  collège  ou  sé- 
minaire pour  les  jeunes  gens  russes  et  moscovites.  Le  séminaire  fut 
détruit  et  n'a  pas  été  rétabli;  on  a  rétabli  l'université  en  i8o3,  mais  en 
la  transformant  complètement.  Tout  droit  y  a  été  enlevé  aux  évêques; 
et  la  surveillance  sur  les  doctrines  et  les  personnes  des  professeurs,  le 
choix  de  ces  même  professeurs,  même  dans  l'ordre  des  sciences  sacrées, 
et  celui  des  livres  qui  doivent  servir  de  texte  dans  les  difîérens  cours 
consacrés  auï  disciplines  ecclésiastiques  sont  exclusivement  attribués  à 
l'université  même.  Un  ukase,  du  18  février  de  la  même  année  i8o5, 
ordonna  l'érection  près  l'université  d'un  séminaire  général  pour  l'édu- 
cation du  jeune  clergé  des  deux  rits,  latin  et  grec-uni.  A  ce  séminaire, 
dont  la  surintendance  fut  confiée  à  une  commission  établie  par  l'auto- 
rité laïaue  et  même  par  des  évêques  non-catliollques,  devait  se  rendre  un 
nombre  déterminé  de  clercs  des  divers  diocèses  de  l'Empire,  auxquels 
d'après  le  même  ukase,  étaient  réservés,  après  leurs  études  et  l'obten- 
tiou  des  grades,  les  évêchés,  les  dignités,  les  prébendes  canoniales,  les 
cures,  ainsi  que  les  prérogatives,  honneurs  et  privilèges  les  plus  distin- 
gués. Le  clergé  régulier  devait  aussi  se  former  à  cette  école  ;  car  il  était 
ordonné  que  ceux-là  seulement  pourraient  obtenir  les  grades  divers 
dans  leurs  ordres  respectifs  ou  avoir  les  charges  de  prédicateur,  de  curé, 
etc.,  etc.,  qui  aui'aient  fait  le  cours  de  leurs  études  dans  ladite  uni- 
versité ou  qui  du  moins  pourraient  présenter  un  certificat  de  capacité 
délivré  après  examen  par  ses  professeurs.  En  conséquence  des  mesures 
prises,  les  élèves  du  clergé  séculier  et  régulier  furent,  pendant  leur  sé- 
jour au  séminaire  général  et  pendant  le  cours  de  leurs  études  à  l'uni- 
versité, soustraits  à  toute  direction,  soins  et  surveillance  de  leurs  pro- 
pres évêques  et  supérieurs,  soit  en  ce  qui  touche  à  la  conduite  religieuse 
et  morale,  soit  en  ce  qui  concerne  l'instruction  scientifique.  Il  est  vrai 
qu'en  vn  tu  d'ordres  successifs,  le  séminaire  général  a  été  dissous  et  qu'il 
ij'y  A  mainteuant  à  Vi!na"que  le  sénunaire  diocésain  latin;  mais  les  évê- 


SUR    L*ÉGLI1E  E^'  RUSSIE.  471 

Sa  Sainteté  savait  à  quel  état  de  pauvreté  renlèvenient  de  tant 
de  biens  ecclc'siastiques,  propriété  de  l'Eglise,  la  suppression  de 
tant  de  bénéfices,  de  monastères  et  d'autres  pieuses  institutions, 
avaient  réduit  le  clergé  ;  et  que  par  suite  de  ces  spoliations  il  se 
trouvait  dépourvu  des  moyens  nécessaires  à  un  honnête  entre- 
tien du  culte  et  des  ministres  sacrés  dans  un  nombre  propor- 
tionné aux  besoins  des  âmes  '.  Sa  Sainteté  savait  les  dispositions 


ques  n'ont  pas  été  pour  cela  réintégrés  dans  leur  droit  inviolable  de  sur- 
veiller l'enseignement  public,  spécialement  dans  les  facultés  sacrées,  et 
on  a  laissé  subsister  les  conditions  imposées  au  clergé  séculier  et  régulier 
quant  à  l'intervation  de  l'université,  pour  pouvoir  aspirer  aux  bénéfices, 
grades,  honneurs,  etc. ,  etc.  Cependant  il  est  hors  de  doute  que  rensei- 
gnement ecclésiastique  dans  cette  université  se  donne  d'après  des  livrei 
forts  suspects  et  presque  tous  proscrits  par  le  Saint-Siège  et  mis  à 
l'index.  Ajoutons  que  les  séminaires  catholiques  des  grecs-unis  étant 
entièrement  supprimés,  les  jeunes  clercs  de  ce  rit  ont  été  contraints, 
d'abord  indirectement,  puis,  en  1835,  par  un  ordre  exprès,  défaire 
leurs  études  théologiques  dans  le  grand  séminaire  gréco-russe  d'Alexan- 
dre Newski  à  Pétersbourg,  faute  de  quoi  ils  doivent  renoncer  à  l'es- 
poir d'être  promus  aux  ordres  sacrés.  Tojt  ceci  regarde  particulière- 
ment les  provinces  polonaises-russes  ;  quant  au  royaume  actuel  de 
Pologne,  l'université  de  Yorsovie,  fermée  durant  les  derniers  bou'ever- 
semens  politiques,  n'a  pas  été  rouverte,  et  l'académie  qui  y  existe 
encore  est  soumise  à  la  commission  des  cultes  et  de  l'instruction  pu- 
blique, composée  de  personnes  séculières  attachées  à  la  communion 
grecque  non-unie.  D'où  l'on  voit  le  peu  d'importance  de  la  part  altri- 
hiée  dcins  )a  direction  à  l'archevêque  catholique,  lorsque  le  siège  n'est 
pas  vacant.  Et  n'oublions  pas  de  dire  que  l'évêque  grec-russe,  établi 
tout  récemment  dans  cette  ville,  ne  laisse  pas  que  d'exercer  sur  cette 
académie  quelque  influence,  ay.  ntle  doit  de  la  visiter  à  son  gié,  d  as 
sister  aux  examens  des  élèves  même  catholiques,  et  jouissant  d'autres 
privilèges  qu'on  n'accorderait  peut-être  pas  aussi  volontiers  au  prélat 
catholique, 

'  La  rareté  des  ministres  sacrés  extrêmement  désolante  dans  la  vaste 
étendue  des  provinces  polonaises-iusses,  n'est  pas  moins  sensible  dan 


1  7'2  AI.rOCUTîON    PONTÏPICAT^E 

|)vis€san  (jranil  pitjiRlite  des  oidres  n'j;ullcr<î,  ilont  on  a  houle- 
versé  de  fond  eu  comljle  les  saintes  disciplines  établies  par  les 

le  royaume  de  Pologne.  Pour  en  donner  une  idée,  il  est  bon  d'exposer 
l'état  du  clergé,  dans  l'archidiocèse  de  Varsovie,  qui  n'est  point  le  plus 
vaste,  et  qui  est  d'ailleui-s  mieux  pourvu  que  les  autres.  Cet  archi- 
diocèse  embrasse  du  couchant  au  levant,  dans  sa  plus  grande  longueur, 
i4o  milles  d'Italie,  et  du  nord  au  midi,  dans  sa  plus  grande  largeur, 
f)0  milles  ;  dans  cette  vaste  étendue  de  terrain,  existent  f  5  villes  grandes 
ou  petites,  et  l'on  compte,  partagées  entre  ^ingt  doyennés,  178  églises 
paroissiales.  D'après  les  relevés  authentiques,  qui  sont  habituellement 
imprimés  chaque  année  par  les  doyens  respectifs,  le  nombre  des  ca- 
tholiques un  peu  avant  i83o,  s'élevait  à  4)0,ooo,  en  comptant  seu- 
lement ceux  qui  étaient  admis  à  la  confession  sacramentelle.  Or,  dans 
Hu  territoire  si  vaste,  et  pour  une  population  si  nombreuse,  il  n'y  avait 
dans  ce  tems  !à  que  54o  prêtres  plus  ou  moins  aptes  au  niinistère  ecclé- 
siastique, desquels,  après  en  avoir  ôté  55  prélats  et  chanoines  et  iHo  ré- 
guliers que  réunissaient  alors  les  divers  couvens  et  monastères,  il  ne 
restait  à  peine  que  537  prêtres  pour  soutenir  la  charge  et  satisfaire 
anx  besoins  de  presque  un  demi  -  million  dames.  Pour  ce  qui  re- 
garde les  provinces  russo-polonaises ,  il  suftlt  de  dire  que,  dans  toule 
)u  très  vaste  étendue  de  l'archevêché  de  IMohilow  et  des  cinq  diocèses 
placés  sous  sa  juridiction  métropolitaine,  on  ne  compte  pas  plus  de 
1,828  membres  du  clergé  séculier.  En  quelques  endroits  de  ces  pays-là, 
la  pénurie  des  ministres  sacrés  est  telle  que,  particulièrement  à  (ause  de 
la  distance  relative  des  lieux,  les  chefs  de  famille  doivent  assister  anx 
mariages  et  administrer  le  baptême.  Cette  fâcheuse  pénurie  d'ecclésias- 
tiques, outre  le  manque  de  moyens  convenables  de  subsistance,  dérive 
des  difficultés  apportées  à  l'éducation  du  jeune  clergé,  dans  les  séminaires 
épiscopaux.  Celui  qui  veut  y  être  admis  doit  :  1°  être  noble  ;  a°  avoir 
étudié  dans  1  Université  ou  dans  les  lycées;  û»  avoir  attteint  1  âge  de 
^ingt  ans;  4"  aroir  fourni  un  remplaçant  à  la  milice;  3°  être  autorisé  par 
une  permission  écrite  du  minisire  des  cultes.  I^e  nombre  des  jeunes 
gens,  qui  peuvent  être  reçus  <lans  ces  séminaires,  est  d'ailleurs  tellement 
restreint  par  les  lois  qu'il  reste  imm'^nsément  au  dessous  des  besoins  ur- 
gent de  l'Église,    ^e  nombre  des  élèves  du  séminaire  de  Yilna,   par 


sur.  i/i'GriSF  F>(  R{î«i?iR.  173 

c.innns  et  par  los  cons;liliuions  aposloliqucs  po!ir  soustialrc  les 
ili verses  (amillcs  leliijieuscs  à  rautorité  (  t  à  la  dt'i  cndance  c3c 
leurs  supt'iieurs-gcnéianx,  en  les  assnjétissnnt  aux  ordinaires 
diocésains  et  en  leur  imposant  des  lé^leniens  nouveaux  en  tout 
ce  qui  concerne  la  profession,  les  vœux  monastiques,  le  noviciat, 
les  études  et  choses  semblables.  Sa  Sainteté  savait  les  suites  fu- 
nestes, soit  de  la  trop  grande  étendue  des  diocèses  tant  dans 
Tempire  que  dans   le  royaume  proprement  dit   de  Pologne  ', 


exemple,  a  été  fixé  à  jj.  Parla  restriction  apportée  ici,  on  p»;ut  juger 
de  ce  qui  a  été  fait  pour  les  autres  diocèses,  surtout  si  l'on  considère 
que  celui  de  Yiina  est  un  des  plus  vastes  des  possessions  polonaises-russes, 
puisqu'il  compte  près  d'un  million  de  fidèles  avec  272  paroises,  sans 
compter  les  églises  succursales.  En  i833,  le  séminaire  de  Kaminiek  , 
d'après  les  nouvelles  qui  en  furent  reçues  à  cette  époque,  avait  à  peine 
les  moyens  suftisans  pour  entretenir  seize  élèves.  Et  dans  le  royaume  de 
Pologne,  ainsi  que  le  comte  MistowsUi,  ministre  de  l'intérieur  et  de  la 
police,  le  rapporta  officiellement  au  sénat  de  Varsovie,  le  3o  mai  i83o, 
en  présence  de  S.  M.  l'empereur  de  Russie,  quinze  séminaires  ensemble 
ne  renfermaient  que  070  élèves.  On  omet  de  dire  que  plusieurs  de  ces 
élablissemens,  après  les  dernières  viscissitudes  du  ro^aume,  ont  été 
fermés,  et  que  les  biens  de  leur  dépendance  ont  été  atljug<'s  au  fisc, 

•  Outre  le  roj'aume  de  Pologne  tel  qu  il  fut  établi  en  i8i5,  buit  autres 
provinces  que  leur  étendue,  la  douceur  du  climat,  la  fertilité  du  ter- 
roir rendent  les  plus  belles  de  l'empire  russe,  foi  ment  la  toti«lité  de  sil 
population  catholique.  Quatorze  diottses  du  rit  latin,  et,  depuis  l'exé- 
crable défection  des  évêqaes  russes  dans  les  provinces  polonaises-russes, 
un  seul  diocèse  du  rit  grec-uni.  forment  la  circonscription  spirituelle  de 
cette  population  éparse,  sur  un  territoire  qui  s'ttend  ilans  sa  longitude, 
des  frontières  de  la  Silésie  prussienne  au  delà  du  Borystbène,  vers  les 
anciennes  frontières  de  la  Moscovie  f  14  degrés  et  plus),  et  dans  sa  plus 
grande  latitude,  de  la  mer  Baltique  aux  frontières  de  l'Autriche  (6  de- 
grés et  plus).  D'où  il  suit  évidemment  que  lélendue  de  ces  diocèses  est 
vraiment  démesurée.  Cette  circonstance  est  m  même  tems  la  cause 
piinoipalede  l'extrême  pénurie  des  ressources,  nécessaires  cependant 
pour  subvenir  aux  besoins  spirituels  de  ces  populations,  d'autant  plo§ 


I7'l  ALLOCUTICN    PONTIFICALE 

soit  de  la  vacance  indéfiniment  prolongée  des  éj^lises  (;pi.scopalea 
et  du  système  doublement  anti-canonique  en  vertu  duquel  on  en 
confie  Tadministralion  à  d'autres  évèques ,  déjà  iuîpuissans  à 
remplir  auprès  d'un  troupeau  trop  nombreux  leurs  devoirs  spiri- 
tuels ',  pour  tlonner  ensuite  à  ces  églises  veuves  des  pasteurs  ou 


que  de  nombreuses  colonies  de  catholiques  étrangers,  établies  dans 
l'empire  rus«e,  font  partie  de  css  diocèses.  C'est  ainsi  que  la  population 
catholique  de  la  province  de  Bessarabie,  près  Odessa,  dépend  de  l'évêque 
de  Kamaniek.  De  même  un  grand  nombre  de  catholiques  établis  dans 
les  provinces  septentrionales  de  la  Russie,  au  delà  de  la  Moscovie,  sont 
sous  la  juridiction  de  Varchevêquede  Mohilo>v,  Pour  que  l'on  comprenne 
mieux  quelle  est  l'immense  étendue  de  ces  diocèses^  il  est  bon  de  re- 
marquer qu'avant  1770,  le  rit  latin,  dans  le  royaume  de  Pologne,  comp- 
tait 87  sièges  épiscopaux,  y  compris  les  suflragaus,  et  que  le  rit  grec-uni 
en  avait  dix.  En  tenant  compte  de  cette  partie  de  la  Pologne  qui,  depuis 
1772,  est  passée  sous  la  domination  d'autres  puissances,  chacun  voit 
quelle  est  la  difi'érenee  entre  l'ancien  état  et  l'état  présent  des  diocèses 
catholiques,  dans  la  plus  grande  partie  de  la  Pologne  cédée  à  la  Russie. 

'  A  l'époque  à  laquelle  il  est  fait  allusion,  c'est-à-dire  lorsque  le  Saint- 
Père  Grégoire  XVI  prit  le  gouvernement  universel  de  l'Église,  dans  les 
six  diocèses  qui  comprenaient  alors  toute  l'immense  étendue  der  pro- 
vinces polonaises-russes,  les  sièges  suivans  étaient  vacans,  savoir  :  l'ar- 
chevêché de  Mohilow  et  ses  deux  suflragans,  l'évêché  de  Vilna  et  trois 
de  ses  suffragans,  c'est-à  dire  le  sufFragant  de  Vilna  même,  celui  de 
Troki ,  celui  de  la  Courlande,  et  de  plus  l'évêché  de  Luceoria  et 
Zytomeritz,  ainsi  que  son  sufFragant  à  Luceoria.  Le  veuvage  de  quel- 
ques-unes de  ces  églises  durait  déjà  depuis  fort  longtems;  le  siège 
illustre  de  Viln.T,  par  exemple,  était  vacant  depuis  quinze  années.  Quant 
au  royaume  de  Pologne,  réduit  à  huit  diocèses,  il  ne  comptait  pas  un 
seul  évêque  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule;  l'archevêché  de  Varsovie, 
les  évêchés  de  Kalinsh  et  de  Sandomir  étaient  vacans,  ainsi  que  tous 
leurs  sufFragans.  Sur  la  rive  droite,  l'église  d'AugustofF  était  également 
vacante.  Ce  désolant  veuvage,  qui  a  plus  ou  moins  duré  par  la  suite,  et 
qui,  pour  plusieurs  des  églises  que  nous  venons  de  nommer,  et  pour 
d^autres  devenues  vacantes  plus  tard,  dure  encore,  est  d'autant  plus  pré- 


SUR  l'Église  fn  rus«ip..  175 

fort  avaacés  en  afje  ou  dépourvus  de  toute  force  physique  et 
morale,  ou  qui  ne  furent  jamais  formés  pour  le  sanctuaire  et  pour 
le  ministère  de  l'Eglise,  ou  que,  d'autres  raisons  rendent  impro- 
pres à  la  grande  charge  de  la  dignité  et  de  la  juridiction  épisco- 
pale.  Et  enfin,  passant  sous  silence  beaucoup  d'autres  griefs  le 
Saint- Père  savait  qu'après  avoir  enlevé  au  clergé  catholique  sé- 
culier et  régulier  de  l'un  et  de  l'autre  rit  un  grand  nombre  de 
leurs  églises  et  de  leurs  monastères,  on  avait  livré  ces  monastères 
et  ces  églises  au  clergé  de  la  religion  dominante  en  Russie  ;  il 
savait  que  ,  bouleversant  de  nouveau  toute  la  hiérarchie  des 
grecs-russes-unis,  l'Ukase   du  22  avril  1825  '  supprime  l'évêché 

judiciable  au  gouvernement  spirituel  de  la  population  catholique  en 
Russie  etenPologne,  qu'on  y  a  pris  systématiquement  le  parti  de  confier 
l'administration  des  églises  vacantes  à  l'un  des  évéques  survivans.Le  dio- 
cèse de  Vilna  par  exemple,  privé  de  pasteur  depuis  tant  d'années,  était 
en  dernier  lieu  administré  par  le  défunt  archevêque  de  Mohilow,  ^Igr  Sta- 
nislas Siestrencze-ïviez.  A  sa  mort,  on  transféra  à  cet  archevêché  Mgr  Cie- 
ciszowski  déjà  évêque  des  églises  réunies  de  Luceoria  et  Zytomeritz,  qui 
demeurèrent  sous  son  administration,  ainsi  que  Yilna  ;  et  ainsi  furent 
rerois  entre  les  mains  d'un  seul  homme  trois  diocèses  immenses,  pour 
chacun  desquels  les  travaux  d'un  seul  évêque  seraient  insuflSsans.  Et  cet 
abus  ne  s'arrète  pas  aux  sièges  épiscopaux,  il  s'étend  même  aux  cures. 
Dans  le  roj^aume  de  Pologne  surtout^  le  gouvernement  s'attribuant,  le 
droit  de  patronage  sur  une  grande  partie  des  paroisses,  il  a  pris  depuis 
quelque  teras  l'habitude  de  ne  pas  pourvoir  aux  nominations  des  curés, 
et  d'abandonner  ces  paroisses  aux  soins  d'un  administrateur  dont  la 
position  est  toute  dépendante  et  précaire.  L'Almanach  du  Clergé  dudit 
royaume  attestait,  ces  dernières  années,  lu  vacance  d'un  nombre  inouï 
de  paroisses.  Et  déjà,  bien  auparavant,  dans  les  provinces  polonaises 
russes,  on  ne  souffrait  point  qu'il  fût  pourvu  aux  cures  vacantes  des 
grecs-unis,  de  sorte  que  le  Saint-Siège  fut  obligé  bien  souvent  de  récla- 
mer, mais  toujours  en  vain. 

'  Document  n°  II. — Ce  document  est  le  texte  de  l'ukase  de  S.  M.  l'em- 
pereur de  Russie,  par  lequel,  scms  prétexte  de  décréter  l'établissement 
d'un  collège  ecclésiastique  pour  la  direction  des  affaires  des  grecs-unis. 


17C  AJXocuTioN  po\Tirir.\r.R 

de  ce  lil  éri(;é  tle  loiite  anliquiu;  à  Luck,  capitale  de  la  Yolhi- 
iiie  '  ;  il  savait  que ,  suivant  le  plan  perfulemeiit  tracé ,  vers 
1\  fin  du  siècle  dernier  tous  les  ressorts  étaient  mis  en  jeu,  tous 
les  moyens  étaient  employés  pour  séparer  les  grecs-unis  de  l'U- 


on  bouleverse  toute  leur  liiérarchie,  et  on  supprime  l'ancien  évèclié  de 
leur  rit  à  Luck. 

•  La  hiérarcbie  des  grecs-unis  dans  les  provinces  polonaises-russes, 
nprcs  avoir  été  cnti«-rement  bouleversée,  pour  ne  pas  dire  détruite,  pen- 
dant la  dernière  partie  du  siècle  passe,  fut  remise  en  ordre  par  la  bulle 
de  Pie  Yl  de  sainte  mémoire,  en  flale  du  i5  novembre  1798,  de  la  Char- 
treuse de  Florence,  commençant  par  ces  mots  :  Maximis  undique  pressi, 
et  qui  fut  le  résultat  des  négociations  suivies  avec  la  cour  de  Russie  sous 
l'empereur  Paul  Ps  par  le  prélat  envoyé  du  Saint-Siège,  depuis  cardi- 
nal Litta.  D'après  celte  bulle,  la  hiérarchie  grecque-unie  était  formée 
ainsi  qu'il  suit  : 

De  Tarchevèque  de  Polotsk,  capitale  du  Palatinat  de  ce  nom,  dont  la 
juridiction  s'étendait  à  Smolensk,  IMicislavie,  et  jusqu'aux  provinces  de 
Mohilow  et  Witcpsk. 

De  l'évéque  de  Luck  ou  Luceoiia,  capitale  de  la  Volhinie,  où  ré- 
side en  outre  un  évéque  latin  du  même  titre;  la  juridiction  de  l'évéque 
de  Lucie  s  étendait  sur  tous  les  catholiques  du  lit  grec  en  Russie,  sauf 
ceux  des  diocèses  de  Polotsk  et  de  Brest  ;  c'est  pourquoi  il  prenait  le 
titre  d'exarque. 

De  Tévèque  de  Brest,  dont  la  juridiction  s'étendait  sur  tous  les  catho- 
liques du  rit  grec  des  gouvernemens  de  Litbuanie  et  de  Minsk.  Chacun 
de  ces  trois  évêques  avait  l'aide  d'un  suffragan  t. 

Aujourd'hui,  i'ukase  impérial  du  22  avril  1825,  ayant  partagé  la  juri- 
diction des  églises  grecques-unies  entre  les  chefs  des  deux  éparchies, 
dont  les  églises  ont  été  érigées  en  métropoles,  l'une  pour  la  Russie  Blan- 
che à  Polotsk,  l'autre  pour  la  Lilhuanie  au  couvent  de  Jerowit?,  fixé 
comme  résidence  de  l'évéque  grec-uni  de  Brest,  l'évêché  du  même  rit, 
qui  était  à  Luck,  se  trouve  supprimé  de  fait,  et  en  même  tems  tombe  en 
ruines  tout  ce  que  la  bulle  de  Pie  Yl  avait  réglé;  quant  à  la  hiérarchie 
des  grecs-unis  dans  ces  provinces. 


SLll    L  EGLlbL  E.N   HlàblE.  I  t  t 

iiitc  callioliquc  et  |)our  les  iiicorpoier  ù  la  cciiiiu union  g,i(:co- 
llusse. 

Celte  série  de  fails,  s'appuyant  les  uns  sui'les  autres,  el  tcndaiil 
tous  à  délruire  le  bieu-èlrc  spirituel  d'environ  douze  uiiHions  de 
catholiques  épars  dans  l'empire  réuni  de  Russie  et  de  Pologne, 
ne  pouvait  qu'aflliger  prorondénient  le  cœur  paternel  de  Sa 
Sainteté  ;  car  Dieu,  qui  lui  a  confie  le  soin  de  ces  douze  mil- 
lions d'àmes,  lui  eu  demandera  un  compte  sévère  ;  et  sa  douleur 
ne  diminuait  pas  lorsque,  comparant  les  actes  aux  promesses, 
le  iSaint-Père  relisait  non -seulement  les  antiques  et  solennels 
engagemens  pris,  dès  l'année  1773,  par  le  gouvernement  impérial 
de  conserver  le  statu  qiio  de  la  "religion  catholique  dans  les 
provinces  cédées  à  la  Russie  '  ;  mais  encore  les  protestations 
toutes  récentes  et  fort  explicites  par  lesquelles  ce  gouvernement 
a  promis,  à  diverses  reprises,  d'accorder  sa  protection,  sa  bien- 
veillance et  ses  faveurs  au  culte  catholique  et  à  ceux  qui  le  pro- 
fessent. Le  Saint-Père  put  donc  croire  c]ue  ce  qui  se  passait  dans 
les  possessions  russes  au  détriment  de  notre  religion  était  le  fruit 
des  manœuvres  de  ses  ennemis;  lesquels,  par  la  calomnie,  par 
les  insinuations  de  leur  malice,  excitant  la  colère  et  ks  défiances 
du  gouvernement  contre  les  sujets  catholiques  de  l'un  et  de  l'au- 
tre rit  l'auraient  ainsi  poussé  à  ce^  rcsolulions  extrêmes  d'une 

•  Document  n«  UJ.  —  Ce  document  est  l'extrait  suivant  du  traité  entre 
la  cour  de  Russie  et  le  roi  et  la  république  de  Pologne,  conclu  à  Varsovie, 
^e  i8  septembre  ijjS  : 

«  Art.  vni.  Les  catholiques  romains  jouiront  dans  les  provinces  cé- 
dées par  le  présent  traité de  toutes  les  propriétés  quant  au  civil,  et 

par  rapport  à  la  religion,  ils  seront  entièrement  conservés  in  slahi  quOj 
c'est-à  dire  dans  le  même  libre  exercice  de  leur  culte  et  discipline,  avec 
toutes  et  telles  Eglises  et  biens  cccésiastiques  qu'ils  possédaient  au  mo- 
ment de  leur  passage  sous  la  domination  de  S.  M.  I.  au  mois  de  sep- 
tembre 1772;  etsadite  IMajeslé  et  ses  successeurs  ne  se  serviront  point 
dos  droits  de  souverain  ,  au  préjudice  du  slalii  quo  de  la  religion  catho- 
lique romaine  dans  les  pays  susmentionnés.  (>1.\!;ti:>s,  Recueil  des  }>ri/i- 
cijHiux  Traites^  t,  u,  j».  1  ,'9  ) 


1  7S  ALLOCUTION    PONTIFICALE 

dcploialjlc  venf^etnce,  en  dépit  de  traites  solcuiielleiiienl  con- 
clus, de  promesses  niaintefois  renouvelées,  et  de  ces  inlcntions 
pnteinelles,  decette  bonté  miséricordieuse,  apanage  naturel  d'un 
j.uissanl  souverain.  Et  l'on  comprend  que  les  premières  et  les 
plus  vives  sollicitudes  du  Saint-Père,  dès  qu'il  eut  pris  le  gou- 
vernement universel  de  l'Eglise,  furent  pour  cette  partie  de  son 
troupeau,  et  le  portèrent  à  entreprendre  de  réparer,  autant  que 
cela  était  possible,  ces  lamentables  désastres  de  la  relip,ion  ca- 
tholique en  Russie  et  en  Pologne,  d'éloigner  les  causes  funestes 
qui  semblaient  les  avoir  amenés  et  de  réclamer,  dans  ce  but,  la 
protection  et  la  faveur  impériale. 

Exposition.  —  w-  Partie. 

Le  royaume  de  Pologne  était  en  proie  à  un  coupable  esprit  de 
sédition,  et  entièrement  bouleversé  par  des  événemens  politiques 
cjui  sont  trop  connus.  Le  S^int-Père,  docteur  universel  de  la 
grande  famille  catholique,  dépositaire  jaloux  et  zélé  soutien  des 
doctrines  sans  tache  d'une  religion ,  aux  yeux  de  laquelle  a 
été  et  sera  toujours  sacrée,  entre  les  autres,  la  maxime  de  la  par- 
faite fidélité,  de  la  soumission  et  de  l'obéissance  dues  par  les  su- 
jets au  souverain  temporel  dans  l'ordre  civil,  vit  le  besoin  et  sen- 
tit le  devoir  de  rappeler  et  d'inculquer  cette  maxime,  dans  cette 
occasion,  à  la  nation  polonaise,  de  peur  que  les  passions  du  tems 
el  les  conseils  trompeurs  de  ceux  qui  osaient  abuser  du  saint  nom 
de  la  Religion  pour  leurs  desseins  pervers,  ne  réussissent  à  l'alié- 
rer  et  à  la  détruire  pai  mi  ce  peuple  ;  et  aussi  afin  d'empêcher  que 
le  cliàliment  des  maux  sans  nombre  dont  une  conduite  opposée 
aux  immuablej  principes  catholiques  devait  inévitablement  être 
la  souice,  ne  retombât  malheureusement  sur  cette  chère  et  nom- 
breuse portion  de  ses  Gis,  séduits  par  la  méchanceté  de  quelques- 
uns,  et  sur  la  Religion  elle-même,  déjà  si  maltraitée  et  si  affligée 
en  Pologne.  Mue  par  ces  sentimens.  Sa  Sainteté  adressa  sans  dé- 
lai une  lettre  aux  évèques  de  ce  malheureux  pays  pour  les  exciter 
à  l'accomplissement  de  l'obligation  attachée  à  leur  sacré  minis- 
tère, d'entretenir  dans  le  clergé  et  dans  le  peuple  la  fidélité  ,  la 
subordination,  la  paix,  et  vie  rappeler  à  1  un  cl  à  l'autre  la  grave 


SUR  l'Église  en  russie.  179 

faute  dont  se  lendent  coupables,  devant  Dieu  et  devant  l'Eglise, 
ceax  qui  résistent  à  la  puissance  lcj;itime.  Et  ,  comme  il  y  eut 
quelques  raisons  de  croire  que  peul-ctre  ,  par  l'ettcl  même  du 
trouble  des  choses  publiques,  la  voix  du  Suprême  Pasteur  n'était 
point  parvenue  jusque  dans  ces  contrées,  le  Saint-Père,  déférant 
d'ailleurs  à  la  demande  qui  lui  en  fut  faite  au  nom  de  Tauguste 
Empereur  et  Roi  par  son  ministre  plénipotentiaire,  le  prince  Ga- 
garin  ',  voulut  bien  renouveler  ses  tendres  et  sages  avertissemens 
aux  évêques  du  royaume ,  dans  le  but  de  coopérer,  par  leur 
moyen,  à  la  perpéiuiié,  à  la  consolidation  de  Tordre  politique  , 
depuis  peu  rétabli  en  Pologne  ,  et  de  ramener  ,  en  particulier  , 
dans  la  voie  du  devoir  les  membres  du  clergé  qui ,  par  malheur 
s'en  étaient  écartés  ^ 

'  Nous  trouvons  dans  les  Documens,  sous  le  no  IV,  la  noie 
remise  le  20  avril  1832,  par  M.  le  prince  Gagarin,  ministre  pléni- 
potentiaire et  envoyé  extraordinaire  de  S.  M.  l'empereur  de  Russie, 
demandant  que  le  Saint-Père  exhorte  le  clergé  polonais  à  la  paix 
et  à  la  soumission  due  à  la  puissanc.e  temporelle. 

Dans  cette  note,  le  ministre  plénipotentiaire  se  plaint  de  la  con- 
duite du  clergé  po'o /ais  pendant  la  révolution  et  la  guerre.  Il  solli- 
cite l'influence  de  la  religion  pour  faire  disparaître  jusqu'aux  der- 
niers germes  révolutionnaires,  dans  le  pays  pacifié  par  la  force  des 
armes.  «  Le  Saint-Père,  dit-il,  se  persuadera  facilement  qu'en  sou- 
tenant les  droits  du  trône  il  soutiendra  ceux  de  la  religion.  La  ré- 
pression de  la  révolte  en  Pologne  s  été  un  immense  sersice  rendu  à 
toutes  les  puissances,  sur  lesquelles  reposent  encore  dans  ce  moment 
les  garanties  de  l'ordre  social...  C'est  pourquoi  S.  31.,  forte  de  la 
persuasion  qu'elle  n'agit  que  dans  les  intérêts  communs  à  tous  les 
souverains,  s'adresse  à  S.  S.  avec  autant  de  confiance  que  d'aban- 
don, afin  d'en  obtenir,  envers  le  clergé  polonais,  une  démarche, 
dont  le  Saint-Père,  dans  sa  sagesse,  reconnaîtra  toute  l'utilité,  et 
pour  laquelle,  quant  au  mode  d'exécution,  S.  M.  Imp.  se  rapporte 
complètement  à  Sa  Sainteté...  » 

-  Sous  le  nO  Y  des  Documens  :  Lettre  adressée  par  le  Saint-Pèr»- 
aux  évêques  de  Pologne,  le   9  juin  1832,  ayant  pour  but  d'in*  ul- 


180  ALLOCUliOi>   l'OMIliCALE 

Mais  les  ciucllcs  anjjoisses  qu'il  renfermait  au  fond  de  sou 
cœur  à  la  vue  du  triste  étal  des  choses  catholiques  dans  les  do- 
maines royaux  et  impériaux  ne  lui  permirent  point  de  laisser 
passer  cette  occasion  favoraljlc  sans  la  mettre  à  profit.  Heureux 
qu'elle  se  fiit  présentée,  et  désirant  avec  sollicitude  s'en  prévaloir, 
il  voulut  que,  conjointement  avec  sa  secondclettre  aux  évêques, 
on  fît  parvenir  de  la  si  crctairerie  d'Etat  au  ministère  russe  un 
exposé  des  divers  maux  connus  jusqu'à  ce  jour,  et  soufferts  par  la 
religion  catholique  clans  ces  vastes  contrées,  les  uns  exactement 
retracés,  les  autres  seulement  indiqués  à  cause  du  moins  de  cer- 
titude et  de  précision  dans  les  nouvelles  rerues  ;  pour  tous  était 
réclamée  une  réparation  convenahle,  de  la  justice,  de  l'équité  et 
de  la  grandeur  d'àme  de  l'Empereur  et  Roi  '.  Et  ce  fut  dans  cette 


nucr  la  maxime  de  l'église  catholique,  touchant  la  soumission  à  la 
puissance  temporelle  dans  l'ordre  civil. 

Celle  lettre  est  assez  connue  pour  qu'il  soit  inutile  d'eu  faire  ici 
l'analyse. 

'  Document  no  AI. — Feuilles  parliculièrcs  que  le  cardinal  secré- 
taire d'État  a  passées  en  juin  183â,  à  M.  le  ministre  de  Russie,  sur 
les  offences  multipliées  faites  à  la  religion  catholique  dans  les  domai- 
nes impériaux. 

a  Dans  quelques  feuilles  communiquées,  il  y  a  plusieurs  mois,  au 
cardinal  secrétaire  d'état,  par  le  ministre  de  Russie  près  le  Saitit- 
siégc,  relalivement  au  plan  d'une  nouvelle  circonscription  de  dio- 
cèses dans  la  Russie  Blanche,  on  lit  que,  parmi  les  catholiques  de 
6es  pays,  et  dans  le  clergé  même,  on  observe  un  relâchement  des 
mœurs  et  un  affaiblissement  de  la  foi. 

M  Le  chef  de  l'Église  catholique  qui  sait,  avec  un  chagrin  inlini, 
rétat  déplorable  dans  lequel,  par  de  telles  circonstances,  se  trouve 
la  reli"-ion  catholique  dans  ce  pays  et  dans  d'autres  également  sou- 
mis à  Tcmpirc  russe,  tant  en  ce  qui  regarde  les  catholiques  du  rit 
la'.iu,  qu'en  ce  qui  est  des  cathorK{ues  grecs-unis,  en  a  déploré  et  en 
déploie  curorc  la  décadence  depuis  de  longues  années,  ^lais  il  n'a 
pu  s'empêcher  de  trouver  le.>  prineipaici  eau.>es  de  ee^  maux  dan; 


6l'R  LÉGLISC  E^  RUSSIE.  181 

inènie  occasion  que  Sa  Sainteté  fit  renouveler  (mais  toujours  inu- 
tilement; la  requête  formelle  qu'un  chargé  d'affaires  du  Saint- 


dans  les  nouveautcs  elles  pragmatiques  qui,  par  le  fait  du  gouver- 
nement politique,  s'y  sont  introduites  dans  les  matières  ecclcsiasti-» 
qucs,  et  s'}"  observent  encore  aujourd'hui  avec  un  Incalculable  délri- 
nient  de  la  religion  elle-même. 

»  La  l''-  de  ces  causes  consiste  dans  la  défense  sévère  de  €ommu* 
niquer  librement  avec  le  Saint-Siège  en  matière  spirituelle,  faite  à 
ces  évéques,  aux  personnes  ecclésiastiques  et  à  tous  les  sujets  russes 
catholiques,  sous  les  peines  les  plus  sévères,  les  peines  capitales, 
comme  on  le  lit  dans  l'acte  imprimé  à  Wilna,  et  publié  par  l'arche.' 
vèque  de  Mohllow,  le  12  janvier  I8I4  ;  défense  qui  s'observe  en* 
core  riiioureusement,  en  vertu  de  laquelle  il  est  impossible  aux  sa* 
jets  catholiques  d'exposer  librement  à  leur  Père  commun  leurs  pro- 
])res  besoins  spirituels,  comme  il  est  impossible  à  celui-ci  de  leur 
apporter  aucun  remède,  et  moins  encore  d'exercer  quelque  influence 
sur  l'enseignement  de  la  saine  doctrine,  sur  l'observance  des  sacrés 
canons,  sur  la  conservation  delà  discipline  de  l'Eglise,  et  la  bonne 
direction  des  choses  ecclésiastiques.  Au  reste,  la  communication  que 
l'on  voudrait  permettre  sur  de  tels  sujets  par  la  seule  voie  ministé- 
rielle, ne  saurait  suflire,  et  parceque  la  communication  ne  serait 
point  libre,  et  parcequ'elle  ne  pourrait  inspirer  de  confiance,  dans 
une  multitude  de  rapports  sur  les  matières  spirituelles,  dans  une 
infinité  de  cas  de  conscience,  à  ceux  qui  voudraient  déposer  le 
secret  de  leurs  misères  dans  le  sein  du  Père  commun  pour  en  être 
secourus. 

»  La  communication  des  fidèles  avec  le  pape  dans  l'Eglise  catho- 
lique est  un  point  essentiel  de  sa  constitution,  et  partout  où  celte 
communication  serait  interrompue,  il  serait  fait  une  grave  blessure  à 
la  constiution  elle-même.  Tout  exemple  que  Ton  pourrait  alléguer 
contre  celle  libre  communication,  ne  serait  qu'un  véritable  inconvé- 
nient, et  l'on  peut  alfirmer  qu'en  fait,  cela  n'a  point  lieu  sous  les 
autres  gouvernemens  près  desquels  le  Saint-Siège  a  ses  représentans; 
dnn^  res  pays,  eu  effet,  les  évoques  et  les  simples  fidèles  écrivent  el 
Hi'^  SEPiE,  îOME  VI,  —  IS"  30.  184-2.  12 


482  ALLOCUTION  PONTIFICALE 

Siège  fût  reçu  et  accrédité  à  Péteisbourg,  afin  d'être  instruit  par 
lui  de  ce  qui  concerue  l'Eglise  catholique  tant  dans  l'Erupiic 


exposent  directement  ou  indirectement,  m-^is  avec  toute  liberté  leurs 
besoins  au  pape,  et  celui-ci,  avec  une  égale  liberté,  leur  répond  et 
pourvoit  aux  cas  qui  se  présentent;  c'est  ainsi  que  se  conserve  la 
pureté  de  la  foi  et  de  la  morale,  et  Tobservance  de  la  discipline  ec- 
clésiastique dans  le  clergé  et  parmi  les  catholiques. 

La  2^  de  ces  causes,  poursuit  le  cardinal  secrétaire  d'Etat,  dont 
nous  continuons  d'analyser  le  rapport,  consiste  dans  la  trop  vaste 
étendue  des  diocèses,  chose  qui  empêche  l'administration  parfaite 
des  secours  spirituels,  la  surveillance,  la  correction  canonique..... 
Cette  cause  en  elle-même,  très  pernicieuse  à  la  tutelle  de  ia  religion 
et  des  moeurs  des  fidèles.,  devient  encore  plus  funeste  par  le  sys- 
tème qu'on  a  de  laisser  longtems  les  églises  vacantes,  ou  d'en 
confier  le  soin  à  d'autres  évèqnes ,  lesquels  ne  peuvent  même 
pas  suffisamment  pourvoir  aux  besoins  de  leurs  inmienses  dio- 
cèses  

La  3^  cause  pourrait  se  trouver  dans  le  peu  de  liberté  que  l'on 
laisse  aux  évêques  eux-mêmes  dans  l'exercice  canonique  de  leur 
juridiction  et  de  leur  ministère  pastoral,  par  exemple  dans  la  visite 
pastorale,  dans  la  réunion  des  synodes  diocésains  pour  la  réforme 
des  mœurs,  dans  la  collation  des  bénéfices,  dans  la  connaissance  des 
causes  spirituelles,  matrimoniales,  etc.;  dans  la  défense  de  l'immu- 
nité ecclésiastique,  si  efficace  pour  conserver  chez  les  peuples  l'es- 
prit de  religion,  avec  la  vénération  et  le  respect  que  l'on  doit  à  tout 
ce  qui  lui  appartient. 

La4«  cause  pourrait  être  signalée  dans  l'appauvrissement  du 
clero^é  et  du  culte,  par  la  suppression  de  tant  de  bénéfices,  monas- 
tères, institutions  pieuses  ;  et  dans  le  manque  d'un  nombre  suffisant 
de  ministrespour  Tassistance  spirituelle  des  fidèles,  conséquence  de 
l'appauvrissement  des  églises.  «  Ce  serait,  dit  le  cardinal  secrétaire 
>»  d'Etat,  contre  tous  les  principes  d'équité  et  de  justice,  d'expulser 
^»  le  clergé  catholique  et  les  religieux  de  quelques-uncî^  de  leur.s 
»  églises  et  monastère»,   pour  ?     ^troduire  un  clergé  et  de;,   reii- 


SUR  l'Église  en  kussie,  ^§3 

russe  que  dans  le  Royaume  de  Pologne.  C'est  ain.si  que  si ,  d'un 
côté,  la  demande  faite  par  le  gouvernement  impérial  témoigna 


)•  gieux  d 'mie  autre  cominuiiimi  en  dissidence  avec  la  communion 
î»  catholique.  " 

La  5«  cause  regarde  renseJgiieuieut  et  l'éducation  du  elergé  tant 
régulier  que  séculier,  enlevés  aux  évéques  et  supérieurs  respectifs 
et  confiés  à  d'autres  personnes,  quelquefois  de  communion  difFé- 
rente,  etc.  Les  autres  griefs  que  contient  le  poragiaphe,  concernant 
les  livres  en  usage,  l'obligation  d'étudier  dans  les  lycées  et  uni> 
versités,  pour  avoir  droit  aux  dignités  ecclésiastiques,  les  occasions 
infinies  de  corruption,  de  séduction  et  de  dissipation  qui  s'offrent 
aux  jeunes  clercs,  dans  ces  établissemens,  ont  été  indiques  dans  nn 
autre  endroit. 

La  6e  cause  pourrait  être  le  peu  de  zèle  et  Tinaptitude  des  sujets 
élevés  à  la  dignité  épiscopale,  les  abus  de  pouvoiî  commis  par  les  pré- 
lats. «  On  connaît,  à  cet  égard^  les  actes  arbitraires  de  l'arcbevêquc 
»  de  Mobilow,  feu  Mgr  Stanislas  Sieslrenczewicz,  lequel  consentit  et 
»  admit,  pendant  le  tems  si  long  où  il  gouverna  celte  église,  une 
»  multitude  de  nouveautés  très  pernicieuses  à  la  doctrine  et  à  la  dis- 
»  cipline  de  l'Eglise  catholique,  et  se  fit  spécialement  le  protecteur 
»  des  Sociétés  Bibliques.  » 

La  7e  de  ces  causes  se  trouve  dans  la  décadence  de  l'observance 
régulière,  qui  est  un  très  grave  scandale  et  un  détestable  exemple 
pour  les  fidèles;  décadence  qui  provient  de  la  désorganisation  de  la 
discipline  établie  par  les  sacrés  canons  et  les  constitutions  apostoli- 
ques, del'éloignement  des  généraux  supérieurs  et  de  la  subordination 
aux  ordinaires  diocésains,  des  nouveaux  réglemens,  relatifs  à  la  pro- 
fession et  aux  vœux  monastiques,  à  l'éducation  religieuse  et  nux 
e'tndes  dans  l'Université  et  les  lycées, 

La  8e  peut  être  vue  dans  le  mépris  que  l'on  fait  de  la  discipline 
ecclésiastique  en  général,  et  en  particulier  dans  la  procédure  des 
causes  ecclésiastiques  surtout  dans  les  causes  matrimoniales,  dans 
la  facilité  avec  laquelle  on  permet  et  on  prononce  les  divorces  contre 
la  doctrine  de  l'Eglise  catholique,  sur  l'indissolubilité  du  lien   ton» 


1(S4  ALLOCUliO.N     POAlIFiCALE 

glorieusement  de  la  bienfaisante  influence  de  la  religion  catbo- 
iique  pour  la  tranquillité  et  la  soumission  de  ceux  qui  la  profes- 
sent, et  par  conséquent  de  l'absolue  nécessité  de  respecter  et  de 
protéger  cette  religion  de  paix  ;  de  Taulre,  dans  les  soins  pleins 
de  sollicitude  pris  par  le  Saint-Père  pour  les  malbeureuses  vicis- 
situdes delà  Pologne,  le  Monde  eut  une  nouvelle  et  éclatante 
preuve  de  cette  vérité  déjà  rendue  évidente  par  l'expérience  de 
tant  de  siècles,  que  le  Saint-Siège,  toujours  étranger  aux  téné- 
breuses menées  de  la  politique,  offre  un  bras  secourable,  et  em- 
ploie sans  cesse  son  influence  morale  pour  écarter  les  périls  dont 
les  trônes,  à  travers  la  succession  des  tems  et  l'inconstance  des 
choses  publiques,  sont  si  souvent  menacés^  et  que  tous  ses  vœux, 
se>  désirs,  ses  sollicitudes  ne  tendent  uniquement  qu'à  l'avantage 
spirituel  des  catholiques,  en  quelque  lieu  qu'ils  se  trouvent. 

Tandis  que  par  Fordre  de  Sa  Sainteté  on  donnait  cours  à  ces 
actes,  les  indices  les  plus  consolans  et  les  mieux  fondés  faisaient 
espérer  un  avenir  prospère  ou  plutôt  une  ère  nouvelle  pour  la  Re- 
ligion  catholique  dans  les  possessions  russes.  Dans  le  statut  or- 
ganique pour  le  royaume  de  Pologne,  promulgué  dès  le  rétablis- 

jugal,  facilité  de  laquelle  nuisacnl  des  scandales  et  des  désordres  infi- 
nis, au  grave  préjudice  iiou-seulenieul  de  la  société  civile,  mais  aussi 
de  la  religion. 

EnGn,  c'est  avec  douleur  qu'on  voit  la  protection  accordée  si  sou- 
vent à  ceux  qui  n'ont  en  vue  que  de  discréditer,  près  du  gouverne- 
ment impérial,  les  sujets  catholiques  de  l'un  et  l'autre  rite,  par  la 
calomnie  et  par  d'autres  moyens  pervers,  et  de  provoquer  contre  eux 
tant  de  mesures  qui  sont  peu  d'accord  avec  les  assurances  les  plus 
précises  d'amitié  et  de  faveur,  à  l'égard  du  culte  et  de  la  communion 
calholique. 

Ici  le  cardinal  secrétaire  d'Etal  rappelle  les  mesures  prises  par 
le  Saint-Siège  pour  prévenir  ou  guérir  ces  maux,  l'envoi  fait  à  di- 
verses époques  de  nonces  et  ambassadeurs  extraordinaires  à  Sainl- 
Pélershourg,  en  'a  personne  des  prélats,  depuis  cardinaux,  Ar- 
chetti ,   Litta,  Arczzo,   Bcruelli ,  rinutililé  des  sacrifices    faits  par 


SLR  L  EGLISE  EX   Rl'SSIK.  185 

sèment  de  Tordre  public  dans  ce  pays  et  comnniuiquè  par  h  le 
galion  impériale  au  ministre  pontifical ,  par  dépêche  oflkieîle  du 
12  avril  1832  ',  on  trouvait  l'assurance  que  la  religion  professée 
par  la  plus  grande  pariie  des  sujets  polonais  serait  toujours  l'ob- 
jet des  soins  spéciaux  du  gouvernement  de  Sa  Majesté  et  que  les 
fonds  appartenant  au  cierge  cailiolique  ,  tant  latin  que  grec-uni 
étaient  reconnus  comme  propriétés  communes  et  inviolables  ;  de 
même  qu'on  déclarait  sacré  et  inviolable  le  droit  de  propriété  des 
individus  non  moins  que  celui  des  corporations  en  général.  Et  ces 
assurances,  quoique  données  pour  le  royaume  de  Pologne,  tel 
qu'il  est  constitué  depuis  la  restauration  de  1815  ,  étaient  tellt^s, 
qu'il  devenait  impossible  de  ne  pas  les  recevoir  comme  s'.ippli- 
quant  également  aux  possessions  et  propiiétés  du  clergé  catholi- 
que dans  les  provmces  polonaises-russes.  Cette  persuasion  résul- 
tait invinciblement  de  la  pleine  conformité  de  ces  assurances,  non- 
seulement  aux  inébranlables  principes  de  la  justice,  mais  aussi  à 
la  foi  des  anciens  traités  relatifs  à  ces  dernières  provinces. 

Or,  qui  pourrait  redire  la  douloureuse  surprise  du  Saint  Père 
lorsqu'il  fut  instruit  que,  malgré  de  telles  garanties,  d'autres  ex- 
propriations avaient  été  récemment  décrétées  au  préjudice  des 
communautés  religieuses  et  du  clergé  séculier,  et  que  de  nou- 
velles dispositions,  extrêmement  funestes,  étaient  prises  à  Tégard 
des  catholiques  des  deux  rits  ,  dans  le  royaume  de  Pologne  , 
comme  dans  les  provinces  russes  polonaises  ;  en  sorte  qu'on  ne 
paraissait  pas  tant  vouloir  punir  dans  les  sujets  le  délit  de  révolte 
qu'accabler  et  éteindre  la  religion  à  laquelle  ils  étaient  attachés. 
En  effet,  pour  ce  qui  regarde  le  royaume  de  Pologne  ,  Sa  Sain- 
teté vint  à  savoir  que  les  biens  des  ordres  réguliers  auparavant 
iiupprimés  dans  ce  pays  ,  biens  dont  les  revenus,  selon  la  près- 


'  Document  no  TH.  — OlTicep.cIresié,  le  12  avril  1832,  par  M.  le 
prince  Gagarin,  ministre  de  Russie,  au  cardinal  secrétaire  d'Etat, 
pour  lui  faire  communication  du  statut  organique  publié  peu  au- 
paravant pour  le  royaume  de  Pologne.  (Le  statut  organique  ne  se 
retrouve  point  parmi  les  documcns). 


I8(>  Al.LO(L'riO,\    J'OMIFICALI. 

cl  ipti-  11  lie  la  bulle  F.x  iinpasita  tic  Tiniinortel  Pie  VII,  et  le  seu9 
îles  uaiu's  conclus  à  cette  époque  entre  le  Saint-Siège  et  l'empe- 
reur Alexandre,  de  glorieuse  mémoire,  devaient  servir  de  subsi- 
des aux  églises  cadiédrales  et  aux  seniinaiies,  avaient  été  adjugés 
au  fisc  '  ;  que  le  gouvernement  de  Pologne  avait  fait  demander  à 

'  La  bulle  Ex  irnpositay  du  18  juillet  1818  ,  eut  principalement 
pour  but  de  régulariser  la  circonscription  des  diocèses  dans  le 
royaume  de  Pologne,  après  son  rétablissement  en  1815.  Cette  nou- 
velle répartition  diocésaine  ayant  fait  supprimer  quelques-unes  des 
anciennes  cathédrales  et  en  ayant  érigé  d'autres,  il  fallut  pourvoir  à 
leur  dotation,  à  celle  des  nouveaux  chapitres  et  séminaires.  D'après 
les  demandes  faites  au  nom  de  l'empereur  Alexandre,  et  les  négo- 
ciations avec  la  légation  russe  à  Rome,  le  souverain  pontife  Pie  VIÏ 
de  sainte  n^.émoire  conféra  parla  même  bulle  ii  Mgr  Malezewski,  alors 
évéque  de  Vladislau  et  ensuite  archevêque  de  Varsovie,  la  faculté 
de  supprimer  (après  avdir  entendu  selon  les  formes  canoniques  les 
parties  intéressées)  autant  d'abbayes,  de  monastères  et  de  bénéhccs 
simples  qu'il  serait  nécessaire,  pour  compléter  la  convenable  ou  en- 
tière dotation  des  manses  épiscopales,  des  chapitres  de  cathédrale, 
et  des  séminaires,  dans  les  diocèses  compris  audit  royaume;  sous 
la  condition  toutefois  qu'il  serait  conjointement  pourvu  à  l'entretien 
des  églises  qui  regardaient  les  abbayes,  les  monastères  et  les  béné- 
fices simples  à  supprimer,  et  qu'il  resterait  dans  chaque  diocèse  un 
nombre  suffisant  de  bénéfices  simples,  c'est-à-dire  que  les  évêques 
seraient  en  mesure  de  récompenser  les  ecclésiastiques  qui  auraient 
bien  mérité.  Bientôt  après  on  repre'senta  au  Saint-Siège  que 
Mgr  Malezewski  avait  excédé  les  limites  de  la  faculté  qui  lui  avait 
été  accordée,  en  supprimant  indistinctement  ou  en  marquant  pour 
la  suppression  tous  les  monastères,  abbayes  et  bénéfices  simples,  sans 
entendre  les  parties  intéressées.  Sur  ces  entrefaites,  lorsqu'à  peine 
le  décret  de  suppression  venait  d'être  signé  et  expédié,  le  prélat 
mourut.  Pie  VII  avec  sa  parfaite  sagesse,  tout  en  commettant,  par 
un  bref  du  16  février  1820,  à  Mgr  Hotowezye,  monté  sur  le  siège 
épiscopal  de  \arsovie,  l'exécution  finale  de  ladite  bulle,  lui  ordonna 
expressément  de  réparer  le  mieux  possible  les  manquemeus  dont  on 


SUR  LÉGLlSli  F.iN  RUSSIE.  187 

chacune  des  cours  épiscopales  la  cession  d'une  église  calholique 
désignée  ,  afin  de  la  destiner  à  rexercice  du  culte  grec  non  uni  , 
chose  à  laquelle  ni  les  évêques,  ni  leur  clergé  ne  pouvaient  se 
prêter  sans  forfaire  à  leur  propre  religion  et  sans  trahir  leur  con- 
science ;  que  les  traitemens  assignés  aux  évêques  en  compensa- 
lion  des  biens  appartenant  à  leurs  églises  avaient  été  réduites  de 
moitié  ;  enfin  que  des  milliers  de  familles  polonaises  avaient  à  dé- 
plorer le  sort  de  leurs  enfans ,  transportés  dans  l'intérieur  de 
l'empire  russe  et  mis  dans  le  péril  prochain  d'abandonner  la 
communion  catholique  au  sein  de  laquelle  ils  étaient  nés  et 
avaient  été'  élevés.  Quant  aux  ,  provinces  polonaises  russes  ,  le 
Saint-Père  ne  tarda  pas  à  apprendre,  si  ce  n'est  avec  une  précision 
parfaite,  du  moins  avec  une  certitude  suffisante  ,  la  concession 
faite  par  autorité  du  gouvernement  impérial  aux  Grecs  non  unis, 
du  magnifique  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Poczajow,  célèbre 
par  les  pieux  pèlerinages  qui  s'y  faisaient  de  toute  la  Russie,  ainsi 
que  du  riche  couvent  des  Basiliens  annexé  à  cette  église  dans  la 
Yollinie.  De  plus  ,  la  concession  faite  encore  à  la  même  commu- 
nion, des  églises  et  monastères  du  même  ordre  en  Lithuanie , 
ainsi  que  celle  de  la  grande  chartVeuse  de  Bercza  ,  et  d'un  gi^and 
nombre  d'autres  temples  oucouvens,  tous  enlevés  au  culte  catho- 
lique latin  ou  grec-uni ,  auquel  ils  étaient  consacrés  depuis  leur 
fondation  ou  depuis  un  tems  immémorial. 

La  douleur  profonde  dont  Sa  Sainteté  fut  pénétrée  à  des  nou- 

accusait  son  prédécesseur.  D'après  tout  ce  que  le  même  Mgr  Ho- 
towezje  a  rapporté  au  Saint-Siège  sur  cette  affaire  ,  dans  un  mé- 
moire (^foglio)  du  20  août  1840,  intitulé  Fxpositio  suppressionis,  on 
a  vu  clairement  que  la  suppression  n'avait  point  été  faite  con- 
formément aux  intentions  du  souverain  pontife,  mais  d'un  plein  et 
entier  accord  avec  le  gouvernement.  Le  fait  est  qu'une  masse  de 
fonds  de  la  propriété  des  monastères  et  bénéfices  supprimés,  et  du 
revenu*  très  considérable  d'une  année  a  passé  dans  le  trésor  public  ; 
et  que  la  plus  grande  partie  a  été  employée  à  des  usages  profanes, 
ou  certainement  tout  à  fait  éloignés  des  prescriptions  faites  par  la 
bulle  plusieurs  fois  citée. 


188  ALLOr.LTlON    PÔ\TIFICVLK 

YcUes  si  funestes  ,  et  si  ina^llendiies  ,  fut  poi  tcc  au  tlolA  tle  toulo 
expression,  lorsque  en  recevant  peu  api  es  les  Ukases  impériaux 
qui  ataient  (rail  à  ces  diverses  mesures,  elle  put  trop  bien  voir 
l'étendue  et  les  conséquences  incalculables  pour  la  ruine  du  culie 
calLolique  des  deux  rils.  Elle  put  trop  bien  voir  Tétendue  et  les 
conséquences,  pour  la  ruine  du  culte  catholique,  des  dispositions 
qui  s'y  trouvaient  contenues.  Et  en  effet,  en  vertu  et  pour  l'accom- 
plissement de  ces  mêmes  Ukases  le  susdit  Sanctuaire  de  Poczajow 
e'tait  devenu  un  Evèché  de  la  communion  f^recque-russie;  l'ordre 
de  saint  Bazile,  honneur,  ornement  et  principal  soutien  de  l'Eglise 
grecque-unie  ,  dans  la  Lithuauie  et  dans  la  llussie-blanche,  avait 
été  presque  anéanti  et  détruit  ;  le  diocèse  latin  de  Luck  avait  perdu 
dix-sept  Eglises,  et  le  même  diocèse  grec-uni  un  beaucoup  plus 
grand  nombre,  lesquelles  avaient  toutes  été  livrées  au  culte  domi- 
nant ;  on  avait  également  ravi  un  grandnombre  d'églises  des  deux 
rÎLs  au  diocèse  de  Raminieck';  dans  la  vaste  e'tendue  des  provinces 
polonaises-russes  la  faulx  de  la  suppression  avait  abattu  en  même 
tems  deux  cent  deux  couvens  latins  de  ditïérens  Ordres,  parmi 
les  291  qui  existaient  ;  enfin  la  vente  aux  enchères  des  terres  qui 
appartenaient  ii  quelques-uns  de  ces  couvens  ■  ,  et  l'adjudication 

'  Parmi  les  églises,  la  plupart  paroissiales,  que  Ton  sait  avoir  été 
enlevées  aux  catholiques,  en  1833,  dans  le  diocèse  de  Luck,  pour 
être  données  aux  grecs-russes,  on  peut  nommer  celles  de  Czartocisk, 
de  Staro-Kouslanlinow,  de  Kulcron ,  de  Ilozin ,  appartenant  aux 
PP.  dominicains,  de  Bruzkopol,  de  Szumsli,  de  Krzcn)ieniclz,  de 
Korsoc,  assistées  par  les  religieux  mineurs  conventuels,  de  Jano^^, 
de  Kustin,  de  Warkowice  administrées  par  les  mineurs  de  l'obser- 
vance, de  Uszomir,  de  Toporzyce,  de  Horodyszcze,  de  Dorolicstaj, 
appartenant  aux  PP.  carmes,  de  Uscitug  et  d'OsIrog,  desservies  par 
les  religieux  capucins.  Quant  au  diocèse  de  Kaminick,  il  snflira 
d'indiquer  les  églises  de  Jarmalince,  de  Braïlow,  de  Tulczin,  de 
Wcnnicn,  de  Bunajourc,  de  Zhrzyz,  de. Kupiu  et  de  Szakcwka. 

^Documens  n'  YllI,  IX,  X,  XI,  XIL— Ukase  du  26  octobre 
1835,  qui  enlève  aux  grecs-unis  le  monastère  de  Pocznjow  (Pot- 
chaveff\,  el  v  élablil  \\\\  évèchv  du  cnjle  dominant,  cojilonant   l'or- 


SUR   l'iÎGLISE  en  Rl'SSfE.  1 B9 

faiieau  profit  ilii  ln'sor  public  ,  avaient  alleint  ju<!qu'aiix  fonds 
<ïes  écoles  paroissiales  et  des  collèges. 

Cependant ,  sans  avoir  encore  de  rensei.;',nenîcns  précis  ,  le 
Saint-Père  ,  certain  de  la  substance  des  faits  qui  lui  avaient  cté 
précédemment  rapportés,  frappé  de  leur  gravité,  en  même  tems 
que  pour  obéir  aux  obligations  sacrées  de  son  ministère  aposto- 
lique, ne  différa  pas  un  instant  d'ordonner  que,  par  une  note  of- 
ficielle du  cardinal  secrétaire  d'Etat,  on  adressât  à  ce  sujet  les 
plus  vives  remontrances  au  ministre  russe  résidant  à  Rome,  afin 
que  ces  remontrances  parvinssent  par  cette  voie  à  la  connaissance 

ganisation  du  cliapilre  de  la  nouvelle  église,  u  Laquelle  société,  dit 
»  l'ukase,  sera  entretenue  des  revenus  de  la  cathédrale,  d'après  le 
-•  règlement  qui  en  sera  fait  plus  tard  par  révéquc  et  le  synode,  etc.» 
Ukase  adressé  au  ministre  de  l'inlérieur  le  16  février  1832  pour  la 
suppression  des  provinciaux  de  l'ordre  de  saint  Basile.  On  y  lit  celle 
phrase  :  «Maintenant  que  deux  de  ces  provinciaux  sont  déjà  morts 
»  et  que  le  dernier,  Joseph  Zarski,  vient  d'être  nommé  par  neus 
»  membre  du  collège  ecclésiastique  grec-uni ,  nous  trouvons  inutile 
»  de  conserver  plus  longtems  dans  V Eglise  grecque-unie  lesfonc- 
'>  tions  des  provinciaux^  si  peu  conformes  à  là  règle  de  fondation 
»  du  grand  saint   Basile,  et  nous  oj^donnons  de  les  supprimer  à 

»  jamais >j  Ukase  du  même  mois  et  delà  même  année  pour 

l'abolition  des  couvens  prétextés  iimtilcs  ou  iucomp'ets  dans  les  gou- 
verncmens  occidentaux  de  l'empire.  On  y  trouve  les  phrases  sui- 
vantes :  «Sa  Majesté  a  daigné  ordonner  au  ministre.,  de  trouver  un 
»  moyen  pour  corriger  et  organiser  les  associations  religieuses  en 
)  harmonie  avec  le  but  principal  de  leur  institution,  avec  l'esprit  vé- 
'>  ritablc  du  christianisme  et  avec  les  besoins  présens  de  l'Eglise  ca- 
»  iholique  romaine  en  Russie.  »  —  «Le  nombre  des  religieux...  qui 
))  allait  toujours  diminuant  par  Vinfluence  naturelle  au  siècle.  » 
Ordonnance  du  ministère  des  cultes,  en  février  1832,  pour  la  sup- 
pression d'un  grand  nombre  de  couvens  latins  dans  le  resort  de  la 
métropole  de  JMohilovv.  Suilla  liste  de  202  couvens  supprimés.  Liste 
des  couvens  également  supprimés  à  la  même  époque,  et  dont  les  fonds 
furent  ensuite  vendus  à  l'encan.  On  en  compte  31. 


190  ALLOCUTION    PONTIFICALE 

de  rempereui  et  roi  ;  Sa  Saiuteté  ne  voulant  pas  renoncer  à  l'es- 
pérance de  voir  ce  puissant  monarque  se  rendre  ,  après  un  mûr 
examen,  à  la  justice  de  ses  réclamations  '. 

Plusieurs  mois  s'étaient  déjà  écoulés  ,  et  l'on  attendait  encore 
la  réponse  du  Cabinet  russe  à  cette  Note,  aussi  bien  qu'à  l'exposé 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  qui  avait  été  adressé  à  l'empereur, 
au  nom  de  Sa  Sainteté,  à  la  fin  du  mois  de  juin  1832;  lorsque  le 
comte  GouriefF,  successeur  du  prince  Gagarin  dans  la  Légation 
impériale  à  Rome,  présenta  ,  au  mois  de  mai  1833  ,  au  ministre 
pontifical  un  mémoire  en  forme  verbale  renfermant  les  observa- 
tions de  son  gouvernement  en  n'ponse  aux  divers  points  ,  objets 
des  réclamations  contenues  dans  le  premier  acte  particulier  et 
dans  l'acte  officiel  de  la  secrétairerie  d'Etat\  Ces  observations,  ou- 
tre qu'elles  passaient  tout  à  fait  sous  silence  la  demande  explicite 
d'envoyer  à  Pétersbourg  un  chargé  d'affaires  du  Saini-Siége,  ou- 
tre qu'elles  ne  touchaient  pas  les  divers  articles  de  la  susdite  Note 
concernant  les  persécutions  dirigées  en  dernier  lieu  contre  la  re- 
ligion catholique  dans  le  royaume  de  Pologne  proprement  dit , 
n'étaient  point,  quant  au  reste  ,  de  nature  à  dissiper  les  craintes 
et  à  calmer  la  douleur  de  Sa  Sainteté  ^  Pour  s'en  convaincre,  il 
n'est  besoin  que  délire  avec  impartialité  le  Mémoire  remis  par 
le  conàte  Gourieff ,  et  d'en  confronter  patiemment  les  assertions 

•  Document  no  XIII.  — Note  officielle  du  6  septembre  1832,  par 
laquelle  le  cardinal  secrétaire  d'Etat  réclame,  au  nom  du  St-Père, 
sur  le  même  sujet,  les  maux  soufferts  par  la  religion  catholique  en 
Russie  et  en  Pologne. 

2  Document  no  XIX.  —  Mémoire  remis,  au  mois  de  mai  i833,  à 
la  secrétairerie  d'Etat,  par  M.  le  comte  Gourieff,  ministre  de  la  cour 
impériale  de  Russie,  en  réponse  aux /ew/Z/e^  de  juin  1852,  et  à  la 
note  officielle  du  6  septembre  de  la  même  année. 

^  Dans  l'ukase  impérial  du  mois  de  février  1852,  par  lequel  fut 
décrétée  la  suppression  d'une  multitude  de  couvens  dans  les  pro- 
vinces polonaises-russes,  on  invoque  l'appui  des  règles  et  prescrip- 
tions canoniques  qui  requièrent  dans  chaque  couvent  un  nombre 


SUR  l'Église  fn  russir.  191 

et  les  argainens  avec  ce  qui  se  trouve  avancé  el  leuiarqué  dans 
la  communication  particulière  et  dans  la  Note  officielle  de  la  se- 
crélaii  ie  d'Etat,  et  surtout  avec  la  série  des  faits  qui  n'avaient  pu 
alors  être  qu'indiqués  dans  cette  dernière  Note,  vu  que  l'on  n'a- 
vait point  encore  de  renseignemens  précis  ;  mais  qui  néanmoins 
sont  aussi  publiquement  connus  que  cela  est  possible  pour  des 
choses  qui  se  passent  dans  des  pays  éloignés,  et  qui  d'ailleurs  sont 
attestés  par  des  documens  irréfragables  et  par  les  actes  mêmes  du 
gouvernement  impérial.  fL^  -^"'^^  ^"  prochain  numéroj. 

déterminé  de  religieux.  Sans  dire  qu'il  appartenait  à  l'autorité  même, 
d'où  émanaient  ces  règles  et  prescriptions,  de  juger  si  elles  s'appli- 
quaient aux  cas  particuliers  ;  sans  dire  que  ces  règles  et  prescriptions, 
quand  même  elles  se  fussent  appliquées  aux  cas  dont  il  s'agissait, 
n'emportaient  pas  indistinctement  l'effet  de  la  suppression  totale, nous 
prions  qu'on  fasse  attention  aux  ordres  précédemment  donnés  parle 
gouvernement,  en  vertu  desquels  nul  ne  peut  prendre  l'habit  reli- 
gieux, s'il  n'a  d'abord  exbibé  les  preuves  de  noblesse  de  sa  famille, 
et  obtenu  une  permission  par  écrit  du  ministère  des  cultes,  qu'on  se 
rappelle  aussi  que  la  solennelle  profession  n'est  permise  qu'après 
l'âge  de  vingt-deux  ans  accomplis.  C'est  une  chose  notoire  qu'à 
partir  du  moment  où  ces  conditions  ont  été  imposées,  très  peu  d'in- 
dividus ont  quitte  le  siècle  pour  entrer  dans  les  cloîtres.  Cette-cause, 
jointe  à  d'autres  déjà  existantes,  a  du  produire  une  notable  dimi- 
nution d'individus  dans  les  communautés  religieuses.  Ainsi  on  peut 
aisément  recourir,  pour  les  supprimer,  au  défaut  du  nombre  prescrit 
par  les  règles  canoniques.  Il  est  d'ailleurs  très  certain  que  la  sup- 
pression a  frappé  beaucoup  de  couvens  qui  avaient  un  nombre  de 
religieux  supérieur  à  celui  que  demandent  les  canons. 


192  ÉTUDE   DES    MON'UME^'3    ASTRONOMIQUES; 

w.  .y\w%\\y  iV,%  «V  w»  v«  «•x  w'»  w»  w»  w*  v\\  w\  w»  \\\  vw  x\>  vm  w  \\>  \v\  ^v^  \\^  vv%  v\\  v\\ vvx  vv^  v\* 

Cours  î>f  ill.  Cflroiuif  au  (oWi^t  îif  J"iii««. 
ÉTUDE  DES  MONUMENS  ASTRONOMIQUES 

DBS 

anciens  peuples  de  l'Egypie,  de  l'Asie  et  de  la  Grèce,  conduisant  à  la 
réfutation  scientifique  complète  du  système  de  Dupuis. 


Le  zodiaque  n'a  pas  fait  partie  delà  sphère  primitive  des  Grecs. — Preu- 
ves diverses  de  cette  assertion.  —  C'est  aux  Chaldéens  que  les  Grecs 
ont  emprunté  l'idée  de  la  division  du  zodiaque  en  dodécatémories.  — 
Ce  qui  appartient  aux  Grecs,  c'est  Vinvçntion  des  noms  et  des  figures 
des  constellations  zodiacales. 

L'analyse  détaillée  que  nous  avons  faite  de  la  sphère  grecque 
nous  ramène  à  la  question  de  l'origine  du  zodiaque,  qui  est  Tob- 
jet  principal  de  nos  recherches.  Il  résulte  en  effet  de  cette  analyse, 
où  nous  avons  suivi  l'ordre  des  tems,non  seulement  que  la  sphère 
grecque  est  originale,  et  quelle  s^est  formée  successii'ement ,  mais 
encore  que  le  zodiaque,  en  tant  que  contenant  les  digressions  do 
la  lune  et  des  planètes,  resta  étranger  à  la  composiyon  primitive 
de  cette  sphère.  La  plupart  des  constellations  qu:,  plus  tard,  de- 
vinrent zodiacales,  y  furent  placées  d'abord  comme  des  constella- 
lions  quelconques  ;  ainsi,  de  ce  que  quelques-unes  seraient  nom- 
mées dans  des  auteurs  antérieurs  au  G'  siècle,  il  n'en  faudrait  pas 
conclure  que,* dès  cette  épckjue,  il  existât  une  division  de  l'éclip- 
tique  en  dodécatémories  ou  douze  parties  égales  ;  pas  plus  que  ,  de 

*  Voir  le  6«  article  au  n"  26,  t,  v,  p.  1 18. 


UlllLTATlO.x'  i)L    DLPLIS.  193 

présence  d'une  fi{^ure  de  lion  ou  de  bœuf  sur  tel  ou  tel  mo- 
iiunieut  pharaonique ,  on  ue  doit  conclure  que  Us  Egyptiens  ont 
connu  et  employé  de  toute  onliquilc  la  division  duodécimale  de 
Técliptique. 

L'absence  du  zodiaque  dans  la  sphère  primitive  des  Grecs  s'ex- 
plique parfaitement  par  son  inutilité.  En  eft'et,  on  convient  géné- 
ralement que  les  anciens  ont  commence  par  rapporter  à  Téquateur 
la  position  de  tous  les  astres  *,  et  que  cette  manière  de  compter  les 
longitudes  a  été  employée  par  tous  les  peuples.  Les  levers  compa- 
ratifs d'étoiles  étaient  observés  avec  précision  chez  les  Grecs  : 
plusieurs  passages  d'Hésiode  en  fournissent  la  preuve  *.  L'astrc- 
nomie  primitive  des  Egyptiens  était  aussi  fondée  sur  des  levers 
comparatifs  d'étoiles  à  l'horizon,  ainsi  que  le  témoigne  le  monu- 
ment astrologique  trouvé  par  Champollion  dans  l'un  des  tom- 
beaux de  Biban-el-Molouk.  Cet  usage,  de  rapporter  à  l'éqnateur 
la  position  des  astres,  s'est  maintenu  longteins  chez  les  Grecs,  de 
l'aveu  mëme^  de  ceux  qui,  comme  Bailly,  font  remonter  jusqu'à 
l'an  4600  la  division  du  zodiaque  en  douze  signes. 

Il  faut  descendre  jusqu'à  Eudoxe  pour  trouver  une  mention 
claire  et  positive  du  zodiaque.  Et  même,  «  tout  prouve  qu'au 
»  lems  d' Eudoxe  le  zodiaque  ne  servait  encore  qu'aux  astrono- 
»  nomes.  Cette  invention  nouvelle  n'entra  dans  le  cercle  des  opi- 
»  nions  vulgaires  ni  à  cette  époque  ni  dans  le  siècle  suivant;  la 
»  religion  ne  s'en  empara  point*,  le  langage  poétique  y  demeura 
»  étranger.  Dans  les  nombreux  passages  où  les  poètes  et  les  pro- 
»  sateurs,  antérieurement  au  1"^  ou  même  au  1^*^  siècle  avant  notre 
»  ère,  font  des  allusions,  des  comparaisons  ou  des  rappioche- 
»  mens  tirés  des  astres,  on  ne  reconnaît  aucune  trace  des  constel- 
»  lations  zodiacales  ;  les  images  qu'ils  emploient  sont  analogues 
»  à  celles  d'Homère  et  d'Hésiode  :  on  peut  en  dire  autant  de 


•  Bnilly,  Hist.  de  lasir.  anc,  Eclaùciss,  astt:,  liv.  vi,  §  xi,  p.  428. 
'  Voyez  notamment  dans  !es  Travaux  et  les  Jours,  38 1   et  suivans, 
le  passage  où  il  est  question  du  lever  héliaquc  des  Pléiades. 
-  Bjilly,  Ilisf.  de  l'astr,  anc,  p.  .\2^, 


194  ÉTUDK  DES    MOISUMKNS   ASTRONOMIQUES; 

1  art  '."  Bien  qu'il  ne  soit  pas  facile  d'assigner  avec  précision  l'épo- 
que à  laquelle  le  zodiaque  fut  introduit  dans  la  sphère  grecque,  il 
n'en  est  pas  moins  certain  que  la  plupart  des  constellations  qui  s'é- 
tendirent plus  tard  sur  le  contour  de  la  bande  zodiacale  existèrent 
et  furent  placées  successivement  dans  cette  sphère, bie'n  avant  que 
celte  zone  y  eût  été  tracée  et  servît  aux  observations  astronomi- 
ques ;  c'est-à-dire  que  le  zodiaque  n'a  pas  été  formé  tout  d'une 
pièce,  ainsi  que  l'ont  soutenu  Bailly,  Dupuis.  et  beaucoup  d^au- 
tres  après  eux.  Deux  argumens  suffiront  pour  dissiper  tous  les 
doutes.  Le  premier  est  tiré  de  l'inégalité  qui  existe  dans  l'étendue 
des  constellations  zodiacales.  Six  d'entre  elles  occupent  des  arcs 

'  Letronne,  Sw  V origine  grecque  des  zodiaques  prétendus  égyptieîis, 
p.  20.  —  Les  scholiastes ,  qui  écrivaient  lorsque  toutes  les  notions 
étaient  confondues,  induisent  souvent  en  erreur  sur  le  vrai  sens  de  cer- 
tains passages.  Je  n'en  citerai  qu'un  exemple.  Au  premier  vers  des  Phé- 
niciennes d'Euripide,  Jocaste ,  s'adressant  au  Soleil,  dit  :  w  tt,v  h 
aciTo&i;  cùsav&ù  Tsavor*  d^iv...  HXiê  :  «  ô  Soleil!  toi  qui  te  fraies  une  route 
parmi  les  astres  (ou  les  co7istellations)  du  ciel.  »  Il  est  évident  que  ce 
p;issage  ne  renferme  aucune  allusion  au  zodiaque  ;  néanmoins,  le  Sclio- 
liaste,  qui  écrit  avec  les  idées  de  son  tems ,  commente  ainsi  le  rr.v  àv 
â<TTp«ç  c^ôv  •  5  i<j7\  TT.v  TTaçà  TcT;  olV.ci;  rov  ^«^louccù  y.yxXcj.  0-t  -^àp  âorpa  (fr,ai 
Tcù;  CÏ/.C-J;  Tcu  ^tj^'.axcij  y.jxAcj.  Et  il  cite  en  preuve  un  passage  d'Aratus, 
qui,  comme  ou  le  sait ,  a  mis  en  vers  la  sphère  d'Eudoxe.  Valckenaër  a 
suivi,  bien  à  tort ,  je  crois,  l'explication  du  Scholiaste.  Eustathe  (ac? 
Iliad.S.  V.  75,  cité  par  M.  Bothe,  p.  44^»  sur  le  i'"  vers  des  Phénicien- 
nes) eniend  comme  le  Scholiaste  le  passage  d'Euripide:  Eùsi7:'.^y,;tôvt.).iûv 
Tr.v  £v  àffTcci;  c'jsavcj  Ts'p.vsiv  ÉKr  6^:v,  Tr.vS'ia  rwv  ^w^'Îmv  o'jtw  xivviciv  ^pa^wv. 
—  On  trouve  dans  Euripide ,  Hypsipyle,  fragment  4*,  (ap*  Boissonade, 
t.v,p.  358)  l'expression  singulière  de  ^w^e/-au.r/avov  à<7Tpcv(Ily  a  variété 
de  lecture.  M.  Boissonade  lit  àvTpov.  Voyez  sa  note  sur  le  vers  i356  des 
Grenouilles,  où  le  passage  d'Euripide  est  parodié  par  Aristophane)-  ftOn 
»  doit  entendre  cette  expression  du  soleil  qui  parcourt  les  12  mois  (non 
>->  les  douze  signes  du  zodiaque),  ou  bien  plutôt  delà  lune,  qui  rcuou- 
;>  velle  12  fois  pendant  l  année  la  période  de  sci.  phases.  »  (Voy.  M.  Le- 
tronne, Lettre  à  .'V.  Friedrich  Jacobsy  1837,  p.  19  et  2o). 


RÉFUTATION    DE   DUPUIS.  19-^ 

compris  entre  35°  et  48°  ;  les  six  autres  couvreni  des  iUcs  beau- 
coup plus  petits,  qui  varient  de  19®  à  27°.  Le  second  est  fondé 
sur  ce  que  ces  constellations  sont  distribuées  sans  aucune  symé- 
trie sur  l'écliptique.  Ainsi,  les  unes  ^le  Bélier  ,  les  Poissons,  la 
Yierge)  sont  presque  tout  entières  au  nord  de  cette  ligne  ;  les  au- 
tres, comme  le  Taureau,  le  Sagittaire,  le  Scorpion,  sont  presque 
entièrement  au  sud  -,  trois  seulement  (les  Gémeaux,  le  Cancer  et  le 
Capricorne)  sont  coupées  en  deux  parties  égales  par  l'écliptique. 
En  outrC;,  il  y  a  beaucoup  d'irrégularité  dans  leur  situation  rela- 
tive. Les  unes  se  pénètrent,  con:ime  le  Bélier  et  le  Taureau,  le 
Verseau  et  le  Capricorne  ;  d'autres  sont  séparées  par  des  espaces 
plus  ou  moins  grands;  quelquefois  des  constellations  extra-zo- 
diacales vont  de  Tune  à  l'autre;  ainsi,  entre  les  Gémeaux  et  le 
Taureau,  s'étendent  les  constellations  de  la  Chèvre  et  du  Cocher. 
Or,  si  l'on  admet  que  le  zodiaque  est  aussi  ancien  que  la  sphère  , 
et  qu'il  n'a  point  été  étranger  à  la  composition  primitive,  comment 
rendre  compte  de  ces  inégalités  '  et  de  celte  irrégulaiâté  que  nous 
venons  de  signaler?  Les  groupes  d'étoiles  vus  de  la  terre  ne  pré- 
sentant pas  des  figures  assez  bien  déterminées  pour  que  l'on  ne 
puisse  les  composer  à  peu  près  arbitrairement ,  rien  n'aurait  été 
plus  facile  que  de  donner  aux  constellations  du  zodiaque  une 
étendue  égale,  de  les  séparer  par  des  intervalles  égaux,  et  enfin,  de 
les  disposer  symétriquement  par  rapport  à  l'écliptique,  si  la  divi- 
sion de  l'écliptique  en  dodécatémories  s'était  faite  en  même  tems 
que  l'on  formait  ces  constellations,  ou  plutôt,  si  ces  constellations 
avaient  été  destinées  primitivement  à  entourer  la  bande  zodia- 
cale. Il  faut  donc  reconnaître  que  ces  constellations  ont  été  d'a- 

•  «  Il  y  a  lieu  de  croire,  dit  Bailly,  que  quand  les  anciens  ont  divisé  le 
»  zodiaque,  c'est  relativement  à  l'équateur  ,  et  qu'ils  ne  se  sont  pas  em- 
»  barrasses  que  les  divisions  du  zodiaque  fussent  inégales  ,  pourvu 
»  qu'elles  répondissent  à  des  parties  égales  de  l'équateur.  C'est  sans 
))  doute  une  des  raisons  pourquoi  l'étendue  des  constellations  est  si  iné 
w  gale  sur  l'écliptique.»  {Hist,  de  Fastr.  anc,  p.  480).— Cette  assertion 
u  est  nullement  prouvée;  les  détails  historiques  dans  lesquels  nous 
entrons  plus  bas,  prouvent  l'insuffisance  de  cette  explication. 


I  90  LT  L  UL    DLâ    MOiN  LML  \  S    A  SI  KO  >  031 1  n  L  LS  ; 

bord  placées  dans  la  sphère  couinie  toutes  les  autres,  indepeii- 
dainmeut  de  toute  idée  relative  au  zodiaque  j  que,  dans  la  suite  , 
quand  on  voulut  en  faire  des  constellations  zodiacales,  leurs  fi- 
gures, leur  étendue,  leurs  distances  réciproques  et  leurs  positions 
étaient  déterminées  depuis  longtems. 

Ces  considérations  ù  priori  sont  fortihécs  par  des  preuves  liislo- 
riques.  ^ous  savons,  en  effet,  que  Cléostrate  de  Ténédos,  qui  vi- 
vait dans  le  6^  siècle  avant  notre  ère,  introduisit  dans  le  zodiaque 
plusieurs  signes,  et  d'abord  le  Bélier  et  le  Sap^iitaire  '.  Ainsi^  au 
lems  de  Cléostrale  ,  les  constellations  qui ,  plus  lard  ,  devinrent 
zodiacales  n'existaient  pas  encore  toutes  dans  la  sphère  ;  il  en 
manquait  au  moins  trois  ;  le  Bélier,  le  Sagittaire  et  la  Balance. 
Le  zodiaque  n'était  donc  pas  constitué  quand  cet  astronome  pla(  a 
dans  la  sphère  les  deux  constellations  dont  ]»arle  Pline,  et  d'au- 
tres encore  qui  ne  sont  pas  désignées.  Dès  que  l'écliptique  eût  été' 
divisée  en  dodécatémories  ,  on  voulut  affecter  une  constellation  à 
chacune  de  ces  douze  portions  égales,  et  on  s'empressa  de  porter 
à  douze  le  nombre  des  aslérismes  distribués  sur  cette  ligne.  Ceux 
qui,  par  hasard,  ne  s'éloignaient  pas  beaucoup  de  la  bande  zo- 
diacale, ou  qui  étaient  traversés  par  elle,  furent  conservés  ;  on  en 
ajouta  d'autres  pour  compléter  ce  nombie  de  douze  (et  c'est  pro- 
bablement dans  ce  but  que  Cléoslralc.  introduisit  ceux  dont  il  est 
l'inventeur}  ;  enfin,  on  dédoubla  le  Scorpion  ,  et  d'une  seule  fi- 
gure on  fit  deux  iislérismes.  Le  zodiaque  grec,  dans  les  premiers 
lems,  renfermriit  donc  douze  constellations,  mais  onze  figures  stu- 
lement  :  c'est  ce  zodiaque  qu'a  connu  Eudoxe,  et  qu'a  décrit 
Aralus  \  Plus  tard,  on  voulut  avoir  autant  de  configurations  que 
de  dodécatémories,  et  on  introduisit  une  nouvelle  figure  ,  celle 
de  la  Balance^  qui  devint  le  signe  équinoxial  d'automne.  Cette 

'  Pline,  iT,  6.  —  Voyez  le  passage  de  historien  dans  Varticle  précé- 
dent, t.  v,  p.  1*22,  note  6.  —  Baillv,  citant  ce  passage  de  Pline,  l'entend 
.  à' observations  faites  par  Cléostrale  sur  les  signes  du  zodiaque,  et  sur- 
tout sur  le  lîélier  et  le  Sagittaire  {Hist.  de  Castr.  anc»  p.  ^5o].  Le  sens 
de  ce  passage  est  entièrement  dénaturé  par  cette  interprétation. 

»  Phœnoni  j  3^6  :  IlaiOc/-:-  al  •)'  iz\  'À  XII AAÎ  vS.'.  ^y^yn-.;:  rjr.,. 


UtFLTATlOiN     UI>    DLI'UIS.  197' 

ionovaiioii  date  du  lems  d'Ilipparque,  et  peut-être  même  est-elle 
due  à  ce  grand  ;»stronome. 

Cette  apparition  tardive  de  la  Balance  dans  le  zodiaque  est  an 
des  argumens  les  plus  forts  que  l'on  puisse  opposer  au  système 
de  Dupuis  ;  et  cet  auteur  l'avait  si  bien  senti,  qu'il  s'est  donné  un 
mal  infini  pour  établir  l'ancienneté  de  la  Balance'.  Les  preuves 
qu'il  en  donne  sont  non  avenues^  ;  car  il  se  borne  à  produire,  à 

'  Nous  en  avons  déjà  dit  quelques  mots  dans  un  des  articles  précc- 
deus  (t.  m,  p.  448  el  449)  >  où  nous  avons  cité  ce  passage  du  Mémoire 
sur  les  constellations  :  «  Il  était  important  de  bien  constater  l'antiquité 
)'  de  la  Balance,  parce  que  ce  symbole  est  un  des  plus  expressifs  ;  l'image 
"»  d'une  Balance  ,  mise  précisément  à  trois  signes  de  l'Ecrevisse  ,  est  un 
»  des  argumefis  les  plus  forts  de  noire  système  sur  la  position  primitive 
»  du  zodiaque.  »  Cet  argumenl  n'a  plus  maintenant  aucune  force. 

'  Voici,  par  exemple,  ce  que  Dupuis  répond  à  l'abbé  Testa  :  alM.  Testa 
î)  fait  un  argument  qu'il  est  facile  de  réfuter.  Le  zodiaque  de  Dendra, 
»  dit-il,  est  moderne;  car  on  y  voit  la  Balance,  qui  est  un  symbole  mo- 
))  derne.  Je  lui  réponds  :  la  Balance  est  un  symbole  ancien;  car  elle  se 
»  trouve  nommée  dans  des  livres  qui  ne  sont  pas  modernes,  et  sculptée 
î)  sur  des  monumens  qui  ne  sont  pas  modernes  ;  tels  que  ceux  d'Esnt  ci 
y)  de  Dendra.  «  {Mémoire  explicatif  du  zodiaque  chronologique  et  my- 
thologique, Paris,  i8o6,  p.  1 12,  note  s).  Dupuis  veut  absolument  que 
la  Balance  ait  été  placée  dans  le  zodiaque  pour  caractériser  VEquinoxe 
de  printems;  c'est  faire  remonter  jusqiià  i5,ooo  ans  aidant  Jlipparqut 
l'insertion  de  ce  signe  dane  le  zodiaque.  11  est  bien  entendu  que  dans  ce 
Mémoire  explicatif  du  Zodiaque  (voyez  les  pages  27,  69,  87  et  ii5), 
il  n'est  plus  question  de  la  chronologie  mitigée  qu'il  avait  proposée,  en 
1781,  dans  le  Mémoire  sur  l'origine  des  constellations  {^.  5o  et  3i. — . 
Cf.  notre  2'  article,  t.  m,  p.  445  et  444)  î  il  avait  déjà  retiré  cette  coa- 
cession  dans  la  2^  édition  de  ce  dernier  mémoire  publiée  à  la  suite  de 
ï Origine  des  cultes.  —  Voyez  le  t.  m,  V  partie,  p.  567.  édit.  in-4*.  — 
On  trouvera  toutes  les  preuves  de  Dupuis  disséminées  dans  son  Mé- 
moire  explicatif  du  Zodiaque,  p.  12,  42,  94,  note  g;  m,  note  m;  1 1> 
et  suivantes,  note  s.  —  Voyez  aussi  le  Mtm.  sur  l'Orig.  des  Const.  dans 
VOrig.  de  tous  les  Cuil.,  t.  ni,  partie  r%  p.  357 et  suivantes;  et  les  Ob- 
jc/i'.  sur  le  Zodiaque  de  Vendra.,  dans  la  Bauc  philoioph,  ,  Mai  1806, 
111^  stRit-  TOME  VI.  —  N'  33.  18 i2.  13 


198  EiUDE     DES    MONUMENS    ASTRONOMIQUES; 

l'appui  de  son  assertion,  des  sphères  orientales  dent  l'époque  est 
inconnue,  et  dont  raullienticité,  déjà  attaquée  par  Goguet',  avait 
été  mal  délendue  par  Bailly  ^  Quand  on  citera  des  bas-reliefs  égyp- 
tiens où  la  Balance  est  figurée,  on  n'aura  pas  avancé  la  question  ; 
car  les  Egyptiens  ont  très  bien  pu  se  servir  de  la  Balance  dans  les 
usages  ordinaires  de  la  vie,  sans  la  placer  dans  le  zodiaque.  Il  est 
hors  de  doute  que,  du  tems  d'Eudoxe,  d*Avatus,la  Balance  n'exis- 
tait pas  encore^  les  Serres  du  Scorpion  en  tenaient  lieu;  elles 
comptaient  pour  un  signe,  et  le  corps  de  l'animal  en  formait  un 
autre.  Vers  le  commencement  du  T  siècle  avant  notre  ère,  peu 
de  tems  après  qu'Hipparque  eut  changé  la  graduation  des  signes, 
on  voulut  avoir  autant  de  configurations  et  de  dénominations  que 
de  divisions,  et  on  restreignit  l'étendue  du  Scorpion,  en  substi- 
tuant aux  Serres  le  signe  expressif  de  la  Balance.  Cependant  long- 
tems  encore  les  Serres  demeurèrent,  dans  le  zodiaque,  unies  à  la  Ba- 
lance; oneut,pour  ainsi  dire,  un  double  signe,  composé  à  la  fois  des 
Serres  et  delà  Balance:  aussi  se  servait-on  indiftereminent  des 
mots  /Y.Aaî  et  '^^^{ôç,  lihra  ou  jitguîn  et  chelœ  ,  pour  nommer  ce 
signe.  Enfin,  les  Setre<;  furent  ramenées  près  du  corps  du  Scor- 
pion^, et  la  Balance  occupa  seule  alors  la  12'^  dodécatémorie. 

'  Dissertation  sur  les  noms  et  les  figures  des  Constellations,  dans 
l'Origine  des  Lois,  t.  u.  p.  876,  note  a-,  édit.  1820. 

»  Hist,  de  VAstr.  anc.,  p.  SgS,  487  et  5oo-5or. 

3 Ipse  tibi  jam  brachia  contraint  ardens 

Scorpios,  et  cœli  justa  plus  parte  reliquit,  Georg.^  i,  34  et  35. 

M.  Letronne  fait  remarquer  que  le  mot  t-jy^;  n'est  employé  nulle 
part  dans  le  commentaire  d'Hipparque  sur  Aratus,  si  ce  n'est  dans  un 
passage  altéré  par  un  copiste.  Les  plus  anciens  auteurs  qui  ont 
parlé  de  la  Balance  comme  astérisme  zodiacal  sont  Varron  et  Géminus. 
Voir  r Origine  du  Zodiaque  grec,  p.  20  et  suivantes,  où  l'on  trouvera 
cette  question,  à  la  fois  philologique  et  archéologique,  traitée  avec  do 
longs  dévoloppemens,  et  résolue  définitivement.  —  Les  passages  grecs  et 
latins  où  ces  mots  sont  employés  abondent;  j'en  citerai  seulement  quel- 
ques uns.  Virgile,  Georg»  i,  55  ; 

«  Qua   locus  Erigonen   inter  Chelasque  sequentes  Pandi^ur,  w  et  la 


RÉFUTATiOiN    DE  DUPUIS.  199 

Les  zodiaques  trouvés  en  Egypte  coniienneot  la  Balance,  et 
elle  y  est  parfaitement  séparée  des  Serres  du  Scorpion.  Celte  cir- 
constance fut  tout  d'abord  signalée  par  Visconti  et  l'abbé  Testa  , 
et  alléguée  par  eux  comme  une  preuve  que  ces  zodiaques  étaient 
d'une  époque  fort  récente.  On  n*y  a  jamais  opposé  que  des  subti- 
lités ;  je  n'excepte  pas  même  l'argumentation  spécieuse  de  Butt- 
mann,  qui,  dit  M.  Letronne,  «  a  cherché  à  écarter  cette  grave 
»  difficulté  par  des  tours   de   force  étymologiques  qui  prouvent 
»  l'impossibilité  de  la  résoudre  ».  Buttmann  pense  que  les  Grecs, 
qui  étaient  si  curieux  de  la  symétrie,  n'ont  pu  admettre  à  l'ori- 
gine un  zodiaque  renfermant  douze  signes  et  onze  figures  seule- 
ment. Il  suppose  donc  que,  d'abord,  le  mot  /r,Ào(t  désigna  \es pla- 
teaux de  la  Balance  ;  ce  sens  primitif  ayant  vieilli,  on  appliqua  le 
mot  /r,Xa''  aux  Serres  du  Scorpion,  qui  remplacèrent  pour  un  tems» 
la  Balance j  enfin,  lorsque  le  malentendu  eut  cessé,  on  remit  la 
Balance  à   son  ancienne  place.   On  peut  opposer  à  Buttmann 
que  jamais  le  mot  '/r).n'.   n'a  désigné  des  plateaux  de  balance  : 
on  n'en  pourrait   citer  aucun  exemple,  et  ce  grand  helléniste  en 
convient  lui-même.  ««  D'ailleurs,  dit  M.  Letronne^_,  la  grande 
>»   difficulté    n'est  pas    encore    là  ;    car   ceci    est    plus  qu'une 
)»  question    de  grammaire,   c'est   une    question   de  bon    sens. 
»  Buttmann    ne    voulait    pas     concevoir    que    les    Grecs    ont 
»  pu  n'admettre  que  o/ice  figures  zodiacales  dans  V origine^   er 
»  coupant  l'une  d'elles  en  deux,  ce  qui  est  si  vraisemblable  d'a- 
ra près  la  formation  successive  de  la  sphère  grecque  ;  et  il  se  trou- 
suite. —  Servius  a  tort  de  dire,  à  propos  de  ce  passage,  que  Virgile  a 
parlé  secundumCha'dœos  en  ne  comptant  que  pour  un  signe  le  Scorpion 
et  la  Balance.  Il  a  parlé  plutôt  suivant  les  Grecs,  On  connaît  le  passage 
d'Ovide,  Métam.,  ii,   igS,   où  il  est  dit  que  le  Scorpion  a  Porrigit  in 
spatium  signoruni  membra  duorum.  »  Lucain  parle  aussi  des  Chelce 
{Phars.,  I,  609,  et  H,  b'gc)  ;  Manilius  (m,  3o4),  place  dans  la  dodéca- 
téniorie  qui  suit  la  Vierge  le  double  symbole,  celui  de  la  Balance  et  ce- 
lui des  Serres.  Le  même,  i,  6cg,  emploie  simultanément  les  deux  mots 
jugnm  etchelœ  :  «  Et;Mga  chelaruni  medio  volitantia  cœlo.  » 
■  Sur  l'Origine  du  Zodiaque  grec,  p.  2i. 


200  ÉTUDE  DES  A10>«U>IE.\S  ASTKOAOxMH^)UliiJ  ; 

.)  vait  iiuaniuoins  forcé,  par  sa  propre  liypotlièse,  d'admeltre  que 
y  le*  douze  fir^urcs  primitives  avaient  postérieurement  été  ré- 
»  duitcs  à  071CC,  et  cela,  pendant  toute  la  période  florissante  de 
»  Tastronomie  ancienne  entre  Eudoxe  et  Géminus,  puisque  alors, 
»  il  en  convient ,  la  figure  connue  sous  le  nom  de  Balance  avait 
))  fait  place  aux  Serres.  Il  est  pourtant  bien  clair  qu'une  fois  les 
»  douze  figures  formées,  elles  n'ont  pu  être  réduites  à  onze.  Au- 
w  tant  il  est  facile  de  comprendre  que  d'une  seule  figure  on  en 
»  aura  fait  deux,  que  les  serres  du  Scorpion  auront  été  rempla- 
»  cées  par  une  figure  séparée  et  distincte,  autant  il  est  impossible 
»  d'admeltre  que  de  deux  on  en  aura  fait  une  seule  ;  que  la  Ba- 
»  lance,  le  signe  le  plus  expressif  du  zodiaque,  aura  été  remplacée 
»  par  les  Serres.  On  peut  donc  affirmer,  au  contraire,  qu'une  fois 
»  la  Balance  introduite  dans  le  zodiaque,  elle  n'en  estplus  sortie'.»» 
C'est  maintenant  qu'il  convient  d'aborder  la  question  astro- 
nomique, et  de  rechercher  à  quel  peuple  appartient  la  division 

'  Il  existe  un  passage  de  Ptolémée  d'où  on  a  voulu  conclure  que,  dès 
le  milieu  du  5*  siècle  avant  notre  ère,  la  Balance  servait  aux  observa- 
lions  des  Chaldcens.  On  s'est  prévalu  de  ce  passage  pour  nier  riuserlion 
tardive  de  la  Balance  dans  le  zodiaque.  «  L'an  76,  selon  les  Chaldéens 
))  (  x.xrà  XaXS'a'Oj:),  le  i4  Dius  au  malin,  Mercure  était  d'une  demi-cou- 
»  dée  au-dessus  de  la  Balance  australe  (èrrâvcû  'h  tcû  votîcj  ^yycu);  en 
})  sorte  que,  relativement  à  nos  points  initiaux  (x.a-à  rà;  rjASTê'paî  àp^à;, — 
j)  Delambrc  traduit:  «  SuivaJit nospr/'ficipes,»  ce  qui  est  obscur.  Traite 
»  d'Jstrofi.,  t.  I,  p.  478)»  il  occupait  alors  14"  V2  des  Serres.^»  Ptolémée, 

Almogeste^  ix,  7;  t.  11,  p.  170.  Halraa Cette  année  70  de  l'ère  cbal- 

déenne  correspond  à  l'année  julienne  237  avant  J.-C.  Celte  observa- 
tion, si  toutefois  elle  a  été  faite  par  des  Chaldéens,  ne  l'a  pâs  été  à 
Babylone.  Elle  aura  été  rédigée  lorsque  déjà  la  Balance  avait  pris  place 
dans  le  zodiaque  grec,  et  lorsque  les  astrologues  chaldéens,  pour  don- 
ner quelque  consistance  à  leurs  rêveries,  feignaient  de  les  appuyer  sur 
des  observations  sérieuses,  qu'ils  exprimaient  dans  le  langage  des  astro- 
nomes grecs  d'Alexandrie. —  Voyez  l'examen  approfondi  de  ce  passage 
de  Ptolémée  dans  les  recherches  de  M.  Letronnc,  sur  VOri^inc  du 
Zodiaque  srec,  p.  52- 571 


RIFUTATION    DE   DUPUIS.  20f 

de  l'écliptlque  en  dodécatémories.  Dupuis  admet  sans  difticullé 
que  les  Égyptiens  ont  les  premiers  inventé  la  division  de  la  route 
annuelle  du  soleil  en  12  parties  ej^ales  appelées  signes,  et  en  12 
tems  égaux  appelas  mois%  que  les  premiers  ils  ont  figuré  les  12 
images  qui  comprennent  les  principales  étoiles  de  chaque  divi- 
sion; et  la  raison  qu'il  en  donne,  c'est  que  ces  images  n'ont  de 
valeur  significative  que  chez  eux  ,  et  dans  un  tems  très  reculé 
(12  à  13  mille  ans  avant  Jésus-Christ).  Bailly,  plus  modéré  dans 
ses  calculs,  ne  donne  pas  plus  de  4G00  ans  d'antiquité  '  ù  ces 
inventions  qui  sont  dues,  cela  va  sans  dire ,  à  ses  chers  Atlantes. 
Sextus  Empiricus  attribue  aux  Chaldéens  la  première  divi- 
sion de  l'écliptique  en  12  parties  égales,  et  même  il  indique 
le  moyen  grossier  dont  ils  se  sont  servis.  ^lairobe,  suivi  en  cela 
par  Dupuis,  contesteaux  Chaldéens  l'honneur  d'avoir  exécuté  cette 
division,  et  il  le  reporte  aux  ^g;j^/?>725.  Mais  ces  témoignages  n'ont 
pas  le  sens  qu'on  y  attache  ^  car  il  est  tout  au  moins  infiniment 
probable  que,  sous  le  nom  de  Chaldéens,  Sextus  Empiricus  a 
voulu  désigner  ceux  qui  cultivaient  l'astrologie  généthliaque 
inventée  et  pratiquée  en  Chaldée  ;  et  il  est  aussi  à  présumer  que 
Macrobe  aura  attribué  aux  Égyptiens  une  découverte  et  un  pro- 
cédé qui  appartenaient  aux  Grecs,  établis  à  Alexandrie,  qui  se  li- 
vraient à  un  genre  de  divination  différent  de  l'astrologie  chal- 
déenne  ',  Les  noms  de  Chaldéens  et  à'Egj-ptiens  devinrent  d'asseï 

•  Ht'st.  de  Vastr.  anc.,^.']^.  lettres  sur  l'origine  des  sciences,  p.  i44' 
?  Jl  ne  faut  pas  oublier  que  l'astrologie  généthliaque  (^svEeXioXo-^ia, 
à5T3oXc-j-(*  à-noT£XÊC|j.aT'.y//,  àdTsoy-avtsra  )  a  pris  naissance  en  Orient,  et  était 
particulière  aux  Chaldéens.  Elle  ne  s'introduisit  qu'assez  tard  daus 
l'Occident.  Les  anciens  philosophes  grecs  qui  en  eurent  connaissance  Is 
méprisèrent;  et  lun  d'eux,  Eudoxe,  prit  mênae  la  peine  de  prouver  que 
cette  prétendue  science,  qui  se  vantait  de  prédire  les  cvénemens  de  la 
vie  d'après  les  circonstances  astronomiques  de  la  nativité,  n  était  qa  un 
tissu  de  rêveries  absurdes.  Longtems  les  Occidentaux  ne  cultivèrent  qop 
la  science  des  pronostics,  fondée  sur  l'observation  des  phénomènes  na- 
turels. —  Sur  ce  aujet ,  auquel  nous  reviendrons,  voyez  M.  Letronne, 
Eclaircmcmtns  historiques  faisant  suite  aux  œm're9  de  Roll'n;  i8^, 
»*»  viir. 


202  ETUDE   DES     MONUMENS   ASTRONOMIQUES; 

bonne  heure  synonymes  cV astrologues,  el  il  y  a  souvent  incer- 
titude sur  le   sens  de   ces  deux  noms,  quand   les   passages   où 
on  les  trouve  ne  sont  pas  explicites.  Macrobe  aura  fait  dans  l'em- 
ploi du  mot  /Egyptii  la  même  confusion  que  l'on  voit  déjà  dans 
Censorin,  où  le  mot  j^gyptii  désigne  tantôt  les  Egyptiens  et  tan- 
tôt les  Alexandrins,    comme   lorsqu'il   attribue   aux  Egyptiens 
l'usage  de  Tannée  de  Nabonassar,  et  celle  de  Philippe  '.  Il  n'y 
a  point  d'auteur  antérieur  à  l'ère  chrétienne  qui  parle  du  zo- 
diaque égyptien.  Porphyre,  qui  écrivait  vers  la  fin  du  3^  siècle 
de  notre  ère,  est  le  premier  qui  en  fasse  mention;  puis  viennent 
Macrobe,  Sei  vins,  Théon  d'Alexandrie.  Mais  il  est  facile  de  voir 
que  ces  auteurs  ayant  écrit  quand  depuis  longtems  l'usage  du 
zodiaque  grec  s'était  répandu  en  Egypte  ,   leurs  témoignagnes 
n'ont  pas  d'autorité.  Bien  moins  encore  faut-il  alléguer  ceux  de 
Manéthon,  de  Pétosiris,  et  autres  auteurs,  qui  sont  bien  inno- 
cens  des  ouvrages  astrologiques  qu'on  a  fait  passer  sous  leurs 
noms,  ouvrages  dans  lesquels  le  zodiaque  occupe  une  grande  place. 
Quelle  preuve  donc  reste-t-il  à  produire  en  faveur  de  l'an- 
cienneté du  zodiaque  égyptien?  Les  monumens  de  Dendérah  et 
d'Esné?  Mais  il  est  démontré  surabondamment  qu'ils  sont  de  Fé- 
poque  romaine.  Comment  n'a-t-on  pas  voulu  voir  que,  par  cela 
seulement    qu'ils    contiennent  la  Balance  ,    ces   zodiaques  ont 
été  calqués  sur  celui  des  Grecs?  Si  le  zodiaque  en  12  signes  était 
ancien  chez  les  Egyptiens,  si  les  Grecs  le  leur  avaient  emprunté, 
il  serait  inconcevable  que  ceux-ci   se  fussent  bornés  à  prendre 
11  figures  dans  un  zodiaque  qui  en  renfermait  12,  et  qu'ils  eus- 
sent attendu  jusqu'à  Hipparque  pour  le  compléter.  Tout  s'ex- 
plique naturellement,  au  contraire,  en  disant  que  les  zodiaques 
d'Egypte  ne  sont  qu'une  copie  de  celui  des  Grecs,  faite  lorsque 
celui-ci  avait  autant  de  figures  distinctes  que  de  dodécatémories. 
D'ailleurs  (et  cette  dernière  preuve  suffirait  seule),  dans  les  zo- 
diaques égyptiens,  le  Capricorne  est   représenté  sous  la  figure 
d'une  chèvre  terminée  en  queue  de  poisson  ;  celte  figure  nou- 
velle ne  paraît  pas  sur  les  monumens  avant  le  règne  d'Auguste; 

»  De  flie  nataii,  chap.  2r,  p.  1 14  et  t  \5. 


RÉFUTATION  DE    DUPUIS.  208 

d'abord,  le  Capricorne  était  un  jEgipan,  moitié  homme,  moitié 
bouc;  il  avait  une  queue  et  des  cornes  de  chèvre  (AÎYoxepoji;)*  Ces 
sortes  de  représentations  n'étaient  pas  rares  ;  on  sait  que  chez 
les  Egyptiens  la  déesse  Isis,  comme  lo  chez  les  Grecs,  était  repré- 
sentée avec  des  cornes  de  génisse  '.  Quant  au  Sagittaire,  dont  le 
nom  est  to;£'jty^ç,  xoçotvIç,  archer,  comme  on  le  voit  dans  les  Catas- 
térismes  du  faux  Eratosthène,  c'était  primitivement  un  homme 
debout,  tenant  un  arc  et  ayant  deux  pieds  de  cheval.  Plus  tard, 
on  en  fit  un  centaure,  décochant  une  flèche  du  côté  du  Scorpion  ». 
C'est  sous  celte  forme  qu'on  le  voit  dans  les  zodiaques  égyp- 
tiens. Or  le  centaure  est  tout-à-fait  étranger  à  l'art  et  à  la  religion 
des  Ej,yptiens.  M.  Ideler  a  établi  du  reste  une  distinction  impor- 
tante entre  la  sphère  grecque  et  les  sphères  orientales,  qu'il  est  bon 
de  faire  connaître.  Non  seulement  il  croit  que  les  figures  zodia- 
cales sont  une  invention  des  Grecs,  mais  encore  que  leur  sphère 
seule  admettait  des  Jîgures,  tandis  que  dans  les  sphères  des  Hin- 
dous, des  Chinois,  des  Arabes,  des  Mongols,  des  Egynûéns  et  des 
Chaldéens  ,  les  constellations  n'étaient  désignées  que  par  des 
noms,  sauf  quelques  rares  exceptions'qui  ne  restreignent  point  la 
générahté  de  son  assertion.  C'est  précisément  l'inverse  de  ce  que 
dit  Dupuis-  dans  son  Mémoire  explicatif  du  zodiaque  *. 

Si  l'on  refuse  aux  Egyptiens  l'usage  d'un  zodiaque  quelcon- 
que, il  ne  reste  plus  que  les  Chaldéens  de  Babylone  auxquels  les 
Grecs  ont  pu  emprunter  la  notion  du  zodiaque.  On  sait  que  c'est 
des  Chaldéens  de  Babylone  qu'ils  ont  pris  le  cadran  solaire  et  la 
division  du  jour  en  douze  heures  \  c'est  à  eux  aussi  qu'ils  doivent 

'  To  "Y*?  l'x;  ïd'.oç  à'y(X>>{Aa  èov  pvatXT.ïov,  ^ouîctpwv  êtiTt,  Karairep  ÊXXyivi;  tt.v 
touv  -ypâçouci  (Hérodot.,  n,  40- 
»  Lucain,  Pharsale,  vi,  SgS,  Sgi  : 

«  Teque,  senex  Chiron,  gelido  qui  sidère  fulgens 
»  Irapetis  ^rnonio  majorem  Scorpion  arcu.  » 
'P.  ICI  :  «  Lorsqu'on   groupa  les  étoiles  en  constellatioris,  on  leur 
»  imposa,  non  pas  des  noms,  mais  des  images  symboliques...  Les  noms 
»  ne  vinrent  qu'après,  et  ils  vinrent,  parce  que  les  mêmes  choses  étaient 
»  aussi  représentées  par  des  sons,  etc.  « 


504  ^TWDE    DF?;    WO^UMF^S    ASTRONOMIQUFS; 

Us  noms  divins  de  quatre  planètes  (Jupiter,  Mars,  Vénus  et  Mrr- 
Kure),  la  connaissance  de  Saturne  comme  planète,  et  le  nom  de 
4>aiv(ov  qu'ils  lui  donnèrent;  la  distinction  qu'ils  établissaient  entre 
les  cinq  planètes  et  le  soleil  et  la  lune  '.  Il  n'y  aurait  donc  rien 
d'étonnant  qu'ils  eussent  tiré  de  la  Chaldée  la  notion  du  zodia- 
que. Or,  des  témoignages  historiques  ,  dont  Tauthenticité  ne  peut 
être  attaquée,  de'posent  de  l'existence  d'un  zodiaque  chalcléen,  par- 
tagé en  dodécatémories.  ^'ous  voulons  parler  du  célèbre  Excursus 
de  Diodore  de  Sicile,  surlesChaldéens  de  Babylone.  Les  commen- 
tateurs s'accordent  à  penser  que  l'historien  a  puisé  à  des  sources 
anciennes  et  originales,  et  qu'il  ne  peut  s'agir  ici  des  astrologues 
chaldéens  qui  se  répandirent  en  Occident  après  les  conquêtes  d'A- 
lexandre. Tandis  que   le  zodiaque   n'avait  aucun  rôle  à  jouer 
dans  Taslronomie  des  Grecs  et  des  lilgvpliens  fondée  tout  en- 
P.kre  sur  des  levers  comparatifs  d'étoiles,   il   avait  au  contraire 
«^ne  grande  importance  dans  celle  des  Chaldéens.  Ceux-ci  en  effet 
cultivèrent  dp  uès  bonne  heure  la  divinalion  apotclesmalîque  » 
qui  reposait  essentiellement   sur  l'observation   des  mouvemens 
propres  du  soîeii,  de  la  lune  et  des  cinq  planètes.  On  conçoit  très 
bien  dès-lors  que  le  zodiaque  divisé  en  dodécatémories  ait  été 
connu  et  employé  de  bonne  heure  par  les  Chaldéens  auxquels  il 
était  indispensable.  Nous  savons  par  Diodore  que,  à<ms  le  sys  ème 
uranographique  des  Chaldéens ,  la  bande  zodiacale  coupait  obli- 
quement la  sphère;  elle  comprenait  le  cours  du  soleil,  de  la  lune  et 
des  cinq  planètes  connues,  elle  était  divisée  en  1 2  parties  ou  signes 
dont  les  noms  ne  nous  sont  point  parvenus.  Un  dieu  présidait 
à  chaque  signe.  Outre  celte  division  en  dodécatémories,  il  y  en 
avait  une  autre  en  36  parties,  à  chacune  desquelles  présidait  un 
dieu  conseiller  (ce  sont  ces  génies  que  les  Grecs  nommaient  Z?e- 
eans).  Au-dessus  et  au  dessous  de  la  bande  zodiacale  il  y  avait 

»  Sur  tous  ces  points ,  que  nous  nous  bornons  îi  indiquer ,  voyez  M. 
Lelronne,  Sur  l'orig.  du  -.ad.  grec.,  §  jv,  v  et  vi. 

'^  Propria  est  Chnldœorum  gcnethliolGgiœ  ra/io,  ut  possint  ante  facta 
»  et  futura  ex  rationibus  astrorum  explicare.  »  (Vitruve,  de  Archit.t 
a.  6), 


RÉFUTATION    DE    DUPUIS.  20S 

ilans  la  sphère  ch.ikU'eniie,  comme  Jans  celle  des  Grecs^  les  deux 
régions  du  nord  et  du  midi,  et  cliacune  d'elle  était  coupée  par  12 
cercles  horaires,  répondant  aux  signes  du  zodiaque  et  détermi- 
nant la  position  des  paranalellons  de  ces  signes.  En  sorte  que  la 
sphère  chaldéenne,  telle  qu'on  peut  la  conclure  du  passage  de 
Diodore,  était  absolument  semblable  à  celle  qui  résulterait  du 
jmrapcgine  ou  du  calendrier  de  Géminus,  où  le  zodiaque  tient  la 
place  principale,  où  le  lever  et  le  coucher  des  ^ish'es  paranalellons 
sont  rapportés  à  chacun  des  jours  solaires. 

Il  semble  donc  qu'il  n'y  a  plus  de  doute  à  conserver  sur  l'ori- 
gine chaldéenne  de  la  division  en  dodécaténories.  C'est  de  la  caste 
sacerdotale  de  Babylone  que  les  astronomes  grecs  l'ont  prise.  Il  a 
pu  s'écouler  quelque  tems  depuis  l'époque  où  ils  ont  acquis  cette 
notion  jusqu'à  celle  où  ils  Tont  admise  dans  leur  sphère;  car  il 
n'était  pas  absolument  nécessaire  de  l'y  introduire.  Aussi,  n'est-il 
pas  facile  d'assigner  avec  précision  celte  dernière  époque.  Quoi 
qu'il  en  soit^  dès  que  cette  notion  étrangère  y  eut  trouve'  place, 
on  dut  prendre  une  certaine  largeur  au-dessus  et  au-dessous  de 
la  ligne  qui  marquait  la  roule  annuelle  du  soleil  ;  on  eut  alors  la 
Ceinture  zodiacale,  comprenant  les  orbites  des  cinq  planètes  con- 
nues et  de  la  lune.  Il  paraît  que  c'est  OEnopide  de  Chio  qui  l'in- 
venta, et  lui  donna  12*  (elle  en  a  maintenant  là)  de  largeur.  On 
s'occupa  aussi  de  compléter  le  nombre  des  astérismes  qui  de- 
vaient répondre  aux  douze  divisions;  et  c'est  probablement  dans 
ce  but,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  que  Cléostrate  de  Ténédos  in- 
venta les  constellations  du  Bélier  et  du  Sagitttaire.  Ces  deux 
innovations,  devenues  nécessaires  désormais,  sont  attestées  par 
des  témoignages  historiques,  qui  en  fixent  approximativement 
l'époque  ,  du  6*^  au  5''  siècle  avant  notre  ère.  Quand  le  zodiaque 
eut  été  constitué  dans  la  sphère  grecque,  les  astronomes  n*en  fi- 
rent pas  immédiatement  un  grand  usage.  Aristote  est  le  premier 
qui  le  cite  fréquemment';  de  son  tems   on   commençait  à  s*en 

»  Le  mot  de  ^wf^.ay-oç,  pour  le  dire  en  passant,  n'est  pas  fort  ancien  ;  il 
est  douteux  qu'Eudoxe  l'ait  employé.  On  le  trouve  pour  la  première 
fpis  dans  Enclide  et  dans  le  Cmnmentaire  d'Hipparque  sur  Aratns.  On 


200  ÉTUDE    DES    MONDMEISS    ASTRONOMIQUES; 

servir  beaucoup  ;  mais,  quoique  très  souvent  employé  des  astro- 
nomes, il  Jie  pénétra  pas  facilement  dans  le  langage  des  arts  et  de 
la  poésie  ;  il  fallut  pour  cela  que  rastrologie  chaldéenne,  d'où  il 
était  sorti,  vînt  le  populariser,  eu  se  répandant  elle-même  dans 
l'Occident,  vers  le  premier  siècle  de  notre  ère. 

Avant  de  parler  de  cette  prétendue  science  ^  dont  les  progrès 
multiplièrent  les  usages  du  zodiaque  et  le  firent  entrer  dans  les 
idées  populaires,  disons  quelques  mots  d'un  point  délicat,  sur 
lequel  M.  Letronne  ne  s'accorde  pas  avec  M.  Ideler ,  dont 
l'autorité  est  si  considérable  dans  toutes  ces  questions.  L'un 
et  l'autre  pensent  que  les  Grecs  ont  emprunté  aux  Cbaldéens 
Vidée  de  la  division  en  dodécatémories  ;  ils  pensent  aussi  que  les 
fleures  sont  de  l'invention  des  Grecs  ;  mais  les  noms  des  dodéca- 
témories, d'où  viennent-ils?  M.  Ideler  croit  qu'ils  viennent  de  la 
Chaldée,  et  que  les  Grecs  les  y  ont  pris  en  même  tems  que  la  di- 
vision en  dodécatémories;  M.  Letronne  croit,  au  contraire,  que 
les  noms  des  signes  sont  de  l'invention  des  Grecs,  aussi  bien  que 
les  Jigiires.  La  question  ne  peut  être  résolue  par  des  témoignages 
historiques,  car  nous  ignorons  les  noms  que  les  Cbaldéens  don- 
nent aux  signes  de  leur  zodiaque  ;  seulement,  comme  chacun  de 
ces  signes  était  consacré,  ainsi  que  le  mois  correspondant,  à  un 
dieu  supérieur,  on  peut  conjecturer  que  les  noms  affectés  aux 
sij^nes  étaient  ceux-mêmes  des  divinités  babyloniennes  auxquelles 
ils  étaient  départis.  «  La  question  de  savoir  si  le  zodiaque  chai- 
>»  déen  contenait  les  noms  du  Bélier ,  du  Taureau ,  des  Gé- 
»  maux,  etc.,  ne  semble  pas  douteuse.  Elle  le  serait,  si  les  signes 
»  du  zodiaque  portaient  deux  noms,  dont  l'un  seulement  répon- 
»  dît  à  la  figure  de  chaque  dodécatémorie ,  comme  la  grande 
»  Ourse,  par  exemple,  qui  s'appelait  aussi  le  Chariot  et  l'Hélice. 
»  Alors,  en  effet ,  on  comprendrait  que  des  figures  déjà  formées 
»  auraient  pu  recevoir  d'autres  noms,  lorsqu'elles  seraient  deve- 
»>  nues  zodiacales.  Mais  ce  n'est  pas  ici  le  cas;  au  contraire,  tou- 
»  tes  les  figures  répondent  aux  noms  ;  on  ne  peut  les  en  distin- 

disait  plutôt  :  twî^'o;  (y/j/Ac;),  î^wcço'po;,  &tÔ)v  Çw^t'wv  x-jy-Xoç,  o  ^là  ^irsbvi  Tta^f 
l^(«^(wv.  —  Le  nom  d'ccliptique,  •y.XsiTrrt/co'î,  est  aussi  fort  récent. 


RÉFUTATfON   DE    DUPUIS.  207 

»  guer;  et  puisqu'il  est  constant  que  les  figures  ^  du  moins  la 
»  plupart  d'entre  elles,  existaient  dans  la  sjhère  grecque,  avant 
»  de  devenir  zodiacales  ,  les  noms  y  existaient  en  même  tems,  et 
»»  n'ont  pu  être  empruntés  au  peuple  qui  aura  fourni  ensuite 
»)  l'idée  du  zodiaque.  Ajoutons  que  si  les  Grecs  avaient  pris  les 
»  douze  noms  chez  ce  même  peuple',  en  ajoutant  seulement  les 
»  figures  que  ces  noms  expriment,  ils  n'auraient  jamais  eu  l'idée 
»  de  ne  faire  qu'une  figure -çonv  deux  noms,  de  dessiner,  par 
»  exemple;  les  Serres  du  Scorpion  là  où  il  était  si  simple  de  des- 
»  siner  une  Balance  ,  puisque  la  balance  était  un  de  ces  douze 
»  noms.  Yoilà  donc  ce  qui  me  fait  croire  que  les  noms  ainsi  que 
»  les  figures  du  zodiaque  appartiennent  aux  Grecs'.»  Il  serait 
difficile,  après  une  argumentation  si  claire  et  si  péremptoire,  de 
ne  pas  se  ranger  à  l'avis  de  M.  Letronne. 

Edouard  CARTERON. 


M.  Letronne,  Sur  l'origine  du  zodiaque  grec,  p.  27. 


208  TRADITIONS    PRIMITIVES 


Srnbilionô  primitiors. 


VESTIGES 

DES  TRADITIONS  PRIMITIVES 

CONSERVEES  CHEZ  LES  L ATI  1^5, 


Explication  de  I'eglogue  a  pollion  de  Virgile. 

Jésus-Christ ,  centre  des  traditions  universelles.  —  //^-"^  E glogiie  à  Pol- 
hon.  — Comment  elle  a  été  interprétée  aux  premiers  siècles  de  notre 
t're —  Discours  de  Constantin.  _  Point  de  vue  de  celte  dissertation. 
Circonstances  dans  lesquelles  l'églogue  à  Pollion  a  été  composée. — 
Examen  et  réfutation  des  hypothèses  proposées  par  divers  interprètes, 

—  Interprétation  beaucoup  plus  naturelle. —  Diffusion,  au  tems  de 
Virgile,  de  la  tradition  cjui  annonçait  le  Messie — Livres  sibyllins. — 
Témoignage  de  Cicéron.  —  Origine  des  oracles  attribués  aux  sibylles. 

—  Universalité  de  la  tradition  f|ui  annonçait  un  nouvel  âge  d'oi'; 

Il  est  dans  Thistoire  de  Thumanité  un  fait  si  important,  que  la 
divine  providence  avait  marqué,  pour  en  être  la  préparation,  ou 
plutôt  la  manifestation,  tous  les  faits  principaux  qui  le  précédè- 
rent, et,  pour  en  être  la  preuve,  la  preuve  vivante  et  irrécusa- 
ble, tous  ceux  qui  Tont  suivi  :  ce  fait  c'est  Jésus-Christ  et  sa  cé- 
leste origine,  Jésus-Christ  et  son  apparition  sur  la  terre.  Et  ce  ne 
sont  pas  seulement  les  évènemens  de  l'histoire  ancienne,  ce  sont 
aussi  les  monumens  de  la  sagesse  antique  qui  ont  été  destinés  à 
rendre  témoignage  de  l'altenle  d'un  céleste  réparateur.  Le  culte 
religieux  de  tous  les  peuples,  leur  poésie,  magnifique  écho  de  la 
religion,  les  traditions  et  les  croyances  conservées  chez  les  na- 


CllJiZ  lits  LATINS.  '209 

lions  les  plus  civilisces  comme  cliez  les  plus  baibaves;  les  systè- 
mes pliilosopbiques  élaborés  par rinlelligence  des  plus  vigoureux 
penseurs,  et  formés,  tanlùt  de  ces  mêmes  traditions,  tantôt  des 
spéculations  les  plus  subtiles,  en  un  mot,  les  monuments  bistori- 
ques  tantôt  recueillis  dans  leur  intégrité,  tantôt  tronques  et  mu- 
tilés-après  l'extinction  des  langues  dans  lesquelles  ils  furent 
écrits,  après  la  ruine  dtfs  empires  dont  ils  célébraient  la  gloire  ; 
tout  enfin,  cultes,  poésie,  systèmes,  liisloires,  tout  dépose  en  fa- 
veur de  Jésus-Cbrist  rédempteur  et  médiateur;  car  tout  atteste 
les  faits  et  les  vérités  primitives  de  la  religion,  ou  proclame  la 
nécessité  d'une  victime  expiatoire  et  d'un  maître  pour  instruire 
le  genre  bumain. 

Avec  tout  le  luxe  de  la  plus  vaste  érudition,  Eusèbe  de  Césarée 
toucba  ces  matières  dans  sa  Préparation  éuangélique.  Marchant 
sur  les  traces  qu'il  avait  frayées,  plusieurs  pères  et  une  multitude 
de  savaus  plus  modernes  ont  également  traité  ce  sujet  imposant 
qu'ils  ont  orné  et  enricbi  d'une  plus  grande  abondance  de  monu- 
mcns.  Puis  est  venu  Bossuet,  cette  grande  intelligence,  Bossuet, 
dont  la  main  puissante  et  siire  a  tout  réuni  dans  un  vaste  ensem- 
ble, histoire,  poésie,  pbilosopbie,  religions,  empires,  prophéties, 
croyances  dogmatiques,  pour  en  faire  sortir  un  magnifique  ta- 
bleau, disons  mieux,  un  monument  plus  durable  que  le  bronze 
elle  marbre,  dans  lequel  il  fait  tout  converger  vers  Jésus-Christ, 
comme  des  poids  que  la  pesanteur  entraîne  vers  le  centre  qui  les 
sollicite. 

Entre  toutes  les  preuves  de  cette  tradition  primitive  nous  al- 
lons nous  attacher  à  une  seule,  que  va  nous  fournir  la  IF^Jglo- 
gue  de  Firgile^  dédiée  à  Pollion.  Nous  allons  tenter  d'établir  que 
pour  interpréter  ce  morceau  de  poésie,  il  faut  y  chercher  le  sou- 
venir du  Restaurateur  de  toutes  choses,  et  y  trouverjun  magnifi- 
que témoignage  rendu  à  la  vérité  par  le  poète  latin. 

Telle  était  la  persuasion  de  la  primitive  église  sur  la  pensée  de 
Virgile,  que  l'empereur  Constantin-le-Grand,  dans  son  fameux 
Discours,  qu'Eusèbe  nous  a  transmis,  la  récitait  en  grec  ',  aux 

'  \  uyei  Eusèbc,  Fie  de  Coiistaniin,  c.  nj,  2u,  21,  édition  d«  >'aioi5. 


210  TRADITIONS  PRIMITIVES 

trois  cents  pères  assemblés  au  concile  solennel  à  Nicce,  et  qu'il 
s'en  servait  comme  d'un  argument  pour  démontrer  la  divinité  de 
la  mission  et  des  œuvres  de  Jésus -Christ.  Ce  sage  empereur  au- 
rait-il fait  ce  choix,  aurait-il  appliqué  et  paraphrasé,  pendant 
trois  chapitres  entiers,  les  paroles  de  Virgile,  devant  une  pareille 
assemblée,  s'il  n'avait  été  sûr  d'exposer  l'opinion  des  plu§  illus- 
tres docteurs  chrétiens?  Ce  même  sentiment  a  été  embrassé  dans 
les  siècles  postérieurs,  et  il  est  demeuré  intact  tant  que  la  criti- 
que a  respecté  les  monumens  religieux  el  a  tenu  compte  de  l'au- 
torité des  écrivains  les  plus  anciens.  Mais  quand  un  amour  outré 
des  innovations  hardies,  un  profond  dédain  pour  les  devanciers, 
une  aveugle  fureur  qui  porte  à  déchirer  la  science  des  défenseurs 
du  christianisme,  ont  eu  franchi  toutes  les  bornes  ,  cette  opinion 
a  été  plongée  dans  une  telle  obscurité,  enveloppée  de  tant  d'in- 
certitudes, qu'il  a  été  facile  même  aux  plus  judicieux  de  la  com- 
battre K 

Il  faut,  avant  tout,  indiquer  la  pensée  principale  que  nous 
croyons  devoir  présider  à  toute  interprétation  saine  et  judicieuse 
de  ce  poème.  Nous  ne  voulons  ni  défendre,  ni  rejeter  l'opinion 
d'après  laquelle  Tirgile  a  puisé  directement  dans  les  livres  juifs, 
les  espérances  et  les  oracles  qui  ont  pour  objet  le  mystérieux  en- 
fant célébré  dans  ses  vers  ;  toutefois  nous  aurons  lieu  de  faire 
plus  loin  quelques  remarques  sur  ce  point.  Ensuite ,  après  tant 
de  siècles  écoulés,  l'ignorance  des  faits,  l'absence  de  monumens, 

Dans  son  Commefitaire  sur  Virgile,  Heyne  a  reproduit  cette  traduction 
grecque  de  la  iv«  Eglogue. 

•  Sans  énumérer  tous  les  écrivans  qui  eut  embrassé  l'une  ou  l'autre 
opinion,  il  me  suffit  de  faire  remarquer  que  l'ancienne  interprétation  a 
été  combattue,  parmi  les  modernes,  par  Burmann,  Fabricius,  Mosheim, 
Dupin,  Heyne,  Henley,  etc.  ;  et  qu'au  contraire  elle  a  été  défendue  par 
Cudworth,  Thomassin ,  Wossius,  Faidit,  Prideaux,  Lo^vth ,  Pope, 
Chadler,  Wisthon  et  De  Maistrc,  etc.,  etc.  Voyez  ces  auteurs  et  les 
autres  cités  par  Burmann  ou  par  Heyne  dans  leurs  commentaires,  et  par 
Fabricius,  Deleclus  argumentorum  et  syllabus  scriptorumqui  veritatem 
religionis  assuerunt^  cap.  Sa. 


CHEZ  LtS  LATINS.  211 

robscuriié  d'un  langage  tout  poétique  et  tout  allégorique  com- 
mandent la  modestie  et  la  réserve,  et  nous  n'osons  assurer  que  le 
jioète  ait  pris  pour  sujet  de  ses  chants  un  enfant  déterminé  dont 
on  aurait  alors  attendu  la  naissance  :  c'est  assez  d'établir  que 
toutes  les  explications  historiques  données  jusqu'à  ce  jour  ne  sa- 
tisfont ni  à  la  lettre,  ni  à  la  pensée  du  poèie,  ni  aux  opinions  ou 
aux  évènemens  de  son  époque.  Nous  avouons  encore  volontiers 
que,  malgré  tout  l'éclat  de  son  style  et  toute  la  clarté  de  sa  dic- 
tion, Yirgile  présente  et  présentera  peut-être  toujours,  dans  ces 
vers,  quelques  endroits  vainement  tourmentés  par  les  critiques 
et  par  les  grammairiens.  Telle  est  la  conclusion  à  laquelle  sont 
arrivés  après  les  travaux  inutiles  de  tant  de  commentateurs, 
Heyne  et  Burmann,  ainsi  que  Lowth,  quoique  ces  savans  ne  s'ac- 
cordent ni  sur  l'idée  qui  a  inspiré  lepoèse  ni  sur  le  but  qu'il  se 
propose.  Enfin,  nous  n'avons  pas  à  considérer  s'il  faut  voir  en 
"Virgile  un  prophète  de  plus,  et  s'il  prouve  la  thèse  de  ceux  qui, 
dans  les  oracles  antiques,  dans  les  voix  nocturnes,  dans  lesgémis- 
semens  des  cavernes,  dans  les  paroles  des  prêtresses  en  proie  à 
l'enthousiasme,  et  surtout  dans  les  chants  de  poètes  en  quelque 
sorte  inspirés,  veulent  voir  une  étincelle  de  l'esprit  prophétique, 
comme  si,  non  content  de  retentir  en  sons  éclatans  sur  les  rives 
du  Jourdain  et  de  l'Euphrate,  il  se  fût  choisi  parfois  un  inter- 
prèle jusqu'au  sein  des  Gentils,  afin  que  la  parole  de  Dieu  et  la 
voix  de  la  religion  eussent  encore  de  l'écho  parmi  eux. 

Les  philosophes  grecs  ont  longuement  disserté  sur  cette  ma-» 
tière,  ainsi  que  les  pères  de  l'église,  et  dans  des  tems  plus  rap- 
prochés de  Dous  les  savans  ont  exposé  leurs  différentes  opinions  : 
puis,  de  nos  jours,  en  Allemagne  et  en  France  ,  on  a  rallumé 
cette  discussion,  dont  nous  croyons  devoir  nous  abstenir,  et  que 
nous  ne  pourrions  traiter  sans  entrer  dans  les  détails  sans  fin 
d'une  érudition  fastidieuse,  et  sans  nous  enfoncer  dans  les  abs- 
tractions les  plus  ardues,  les  recherches  les  plus  subtiles  sur  l'en- 
tendement humain  et  sur  ses  facultés.  Afin  donc  d'indiquer  de 
manière  à  ne  pas  s'y  méprendre  la  marche  que  je  veux  suivre , 
afin  d'engager  le  moins  possible  de  discussions  avec  les  savans 
qui  voient  mal  ou  dont  le  regard  pénètre  trop  avant  quant  ils  en- 


212  TRADIT[0.^5  IMUIMITJVi-S 

treprenneiit  de  commenter  les  écrivains  anciens  ,  j'exposerai 
clairement  l'intention  qui  m*a  j^uidé  dans  ces  reclicrclies  :  je 
veux  simplement  démontrer  que,  dans  les  imacjes  et  les  prédic- 
tions poétiques  dont  A  irgile  a  été  prodigue,  l'Eglogue  à  PoUion 
est  un  «monument  de  la  tradition,  qui  existait  alors  et  que  toutes 
»  les  bouches  répelaientà  Rome,  sur  la  restauration  prochaine  de 
»  toutf  s  choses,  sur  un  nouvel  ordre  social  qui  rendrait  les  hom- 
')  mesheureux,  sur  un  réparateur  du  monde  attendu  avec  soupirs, 
»  auteur  de  cette  paix,  de  cette  justice,  de  cette  vertu,  vœuuniver- 
»^  sel  et  besoin  de  tous  les  cœurs.»  Les  exigences  dupoint  de  vue  où 
je  me  suis  placé  m'interdisent  donc,  comme  on  le  voit,  toute  au- 
tre application  que  l'on  pourrait  faire  de  Téglogue  de  Virgile  : 
ma  lâche  se  borne  à  décomposer  dans  ses  élémens  le  témoignage 
que  le  poète  rend  à  la  vérité,  à  les  examiner  l'un  après  l'autre, 
afin  de  remonter  aux  sources  où  l'auteur  a  puisé,  et  qu'il  laisse 
lui-même  apercevoir  dans  cette  cglogue,  où  il  accumule  tant  de 
merveilles. 

I. 
Il  ne  tombe  aucun  doute  sur  l'année  où  ce  chant  pastoral  a  été 
écrit  :  ce  fut  l'an  71 4  de  Rome,  40  ans  avant  la  naissance  de  Jésus- 
Christ  ;  il  en  est  de  même  du  personnage  auquel  il  est  dédié  ^  on 
sait  que  c'est  Pollion,  consul  de  cette  année ',  dont  les  évène- 
mens  nous  sont  suffisamment  connus  par  les  récits  qui  en  sont 
faits  dans  le  48»^  livre  de  V Histoire  de  Dion,  et  dans  le  5^^^  de  celle 
*  à'Appien,  Toute  l'Asie  était  inondée  par  l'armée  des  Parthes,  et 
à  la  merci  de  leurs  escadrons,  guidés  par  le  jeune  prince  Pacorus 
et  par  un  général  romain,  Labiénus,  qu'un  reste  de  fidélité  au 
grand  Pompée,  qui  n'était  déjà  plus,  armait  contre  sa  patrie  \  les 
légions  romaines  étaient  décimées  de  toutes  parts  ;  toutes  les  villes, 
depuis  l'Euphrate  jusqu'à  la  mer  qui  baigne  l'Asie-Mineure,  se 
trouvaient  prises  ou  forcées  ;  la  seule  cité  de  Tyr,  défendue  par 
une  poignée  de  Romains,  tenait  pour  le  Sénat.  Cependant  les  ci- 
toyens se  livraient  entre  eux  une  guerre  encore  plus  impie  sur  le 
sol  même  do  l'Italie;  et,  subjuguée  moins  par  le  fer  que  par  les 

•  Voyez    lleync  dans   la  P^itn    l'ii'^ilii  pcr  aniios  dic^alu.—  i\\m^ 
urbis  couditce,  Ti^. 


CUL/.   ILS  LVTLN.S.  *2\6 

loi  leurs  «le  la  faim,  Pcrousc  touibaïUcUc  amit'c-là  aux  niaius  ilc 
riieureux  Octavi\  A  ces  cris  de  guerre,  au  bruit  de  ces  désastres 
et  des  chutes  retentissantes  des  cités  de  l'Asie ,  à  l'éclat  de  la  gloire 
d'Octave  qui  saisissait  déjà  les  rênes  d'une  république  toute-puis- 
sante, mais  ébranlée  jusque  dans  ses  fondemens  ,  Antoine  se  ré- 
veilla du  voluptueux  sommeil  d'Alexandrie  :  plus  jaloux  du  pou- 
voir qu'ardent  pour  la  victoire,  il  volait  aux  rives  de  l'Italie, 
résolu  d'inonder  de  sang  son  malheureux  })avs  ou  d'en  faire  ua 
monceau  de  cendre,  plutôt  que  de  le  voir  la  proie  de  son  rival. 
Mais  un  amour  sincère  pour  leur  patrie  porta  de  sages  et  géné- 
reux citoyens,  que  l'effusion  de  sang  faisait  frémir,  à  opposer  la 
sagesse  de  leurs  conseils,  la  puissance  de  leurs  paroles  et  de  leur 
autorité  à  la  rage  des  deux  gueriiers.  Mécène,  qui  suivait  les  dra- 
peaux d'Octave,  mettait  en  œuvre  toutes  les  ressources  de  l'art  de 
la  douce  persuasion^  et  PoUion,  qui  s'était  ailaché  à  la  fortune 
d'Antoine,  l'amenait  à  reconnaître,  parla  considération  intime  et 
profonde  de  l'état  civil  de  la  république,  qu'il  fallait  céder  désor- 
mais ou  partager  avec  son  rival.  Grâce  au  génie  de  ces  deux  grands 
liommes,  on  conclut  à  Brindes  une  paix  qui  semblait  être  l'avant- 
courrière  des  merverlles  sans  nombre  que  lespérauce  olfrait  aux 
Ixomains  fatigués  de  tant  cle  guerres  civiles.  Ce  fut  alors  que  la 
triumvirat  de  Lépide  ,  d'Octave  et  d'Antoine  prît  une  physiono- 
mie plus  régulière  et  qu'ils  se  partagèrent  de  nouveau  les  pro- 
vinces de  l'empire.  Mais  afin  de  resserrer  les  nœuds  qui  unissaient 
déjà  les  d-iux  plus  puissans,  on  voulut  qu'Octavic,  veuve  de  Mar- 
ct'llus,  fut  fiancée,  quoiqu'enceiiite  de  son  premier  mari,  à  An- 
toine :  on  se  figurait  que  cette  femme,  d'une  haute  sagesse  et  sœur 
d'Octave,  serait  merveilleusement  propre  à  cimenter  un  accord 
sincère  et  durable  entre  les  deux  illustres  capitaines  *.  Or,  n'é- 
tait-il pas  naturel  que,  partageant  l'ivresse  universelle  et  séduit 
par  la  commune  espérance,  Virgile  adressât  sou  poème  au  consul 
PoUion,  premier  auteur  de  la  paix  de  Brindes,  que  toute  la  ville 
de  Rome  salua  au  milieu  des  fêtes,  et  qui  fut  appelée  la  paix  du 

'  ^'oycr.  surtout  PliUarquc, dans  la  /7c  d'Jnloiiif^  cl  haUc,  DùtioN, 
fit  il.  <  rit.,  ail.  Oclavic. 

14 


214  TRADITIO.NS   PRIMITIVES 

inonde.  Jusqu'ici  l'intention  qui  dirigeait  le  poète  se  laisse  claire- 
ment apercevoir.  —  Mais  comment  se  fait-il  qu'enchanté  de  voir 
la  fin  des  haines  intestines,  il  se  met  à  considérer  un  enfant  mys- 
térieux auquel  il  rapporte  toute  la  gloire  de  la  paix  si  long-tems 
attendue,  qu'il  inscrit  au  nombre  des  dieux,  et  devant  lequel  il 
fait  courber  la  nature  entière?  Pourquoi  un  berceau  lui  présage- 
t-il  un  nouvel  ordre  de  choses  et  le  retour  des  anciens  âges  qui 
n'existaient  plus  que  dans  la  poésie?  D'où  lui  vient  cet  enthou- 
siasme étrange,  ce  feu  victorieux  qu'il  sent  circuler  dans  ses  veines 
pour  célébrer  la  naissance  de  son  jeune  héros?  Poète  devenu 
plus  grand  que  lui-même,  il  ne  craint  plus  de  défier  dans  ces 
jeux  deriiarmonie,  le  divin  Orphée,  le  fils  de  la  belle  Calliope, 
ni  Linus  de  la  race  d'Apollon,  ni  même  le  dieu  Pan,  les  délices 
de  l'Arcadie.  Quel  est  donc  cet  enfant  qui  piovoque  les  chants 
de  Virgile  ?  Quel  est  donc  le  berceau  qu'il  semble  dé^à  voir? 

La  critique  la  plus  sévère  des  commentateurs,  depuis  Servius, 
qui  écrivait  au  commencement  du  4«  siècle,  jusqu'à  Heyne  et 
Heulcy,  dont  on  connaît  l'ardeur  à  se  rendre  inaccessibles  à  l'in- 
fluence des  opinions  religieuses,  la  critique  la  plus  sévère  n'a  rien 
trouvé  qui  s'accordât  d'une  manière  satisfaisante  avec  les  faits  et 
avec  l'histoire,  rien  que  pût  avouer  ce  goût*si  délicat  et  si  pur  cjui 
a  fait  de  Virgile  le  plus  suave  comme  le  plus  correct  des  poètes 
anciens.  Le  vieux  Servius,  Bœclerc  ,  Cerda,  Dupia  et  toute  la 
foule  des  commentateurs  vulgaires  ont  admis  que  le  poète  avait 
célébré  le  fils  même  de  Poilion,  surnommé  Salonin  à  cause  de  la 
prise  de  Saloua  en  Dalmatie.  Mais  ils  igucraient,  suivant  l'obser- 
vation de  Heyne,  qu'eu  l'année  de  Rome  714,  Pollion  n'avait  pas 
encore  d'cnlans,  que  la  guerre  de  Dalmatie  fut  projetée ,  mais 
non  entreprise  cette  même  année,  et  que  Salona  ne  fut  prise  que 
Tannée  qui  suivit  la  composition  de  l'Eglogue.  C'est  ce  qui  enlève 
tout  (ondement  au  commentaire  de  Servius,  commentaire  que  ne 
sauraient  rendre  plus  vraisemblable  ni  la  foule  des  critiques  qui 
l'ont  aveuglément  adopté,  ni  l'autorité  de  ce  même  Servius,  au- 
teur si  suspect  et  qui  écrivait  300  ans  api  es  Virgile.  Et  puis,  à  qui 
fera-ton  croire  que  Virgile  eût  jamais  voulu  accumuler  sur  la 
tête  du  fils  de  Pollion  tant  de  gloire,  tant  d'espérances,  et  atta- 


CHEZ  LES  LATJISS.  215 

cher  à  ce  jeune  liout  jusqu'aux  rayons  de  la  divinité?  Comme  si 
les  destinées  du  monde  eussent  dû  dépendre  un  jour  de  cet  en- 
fant I  Piédiciion  injurieuse  et  ridicule,  d'autant  plus  exagérée  e  t 
déplacée  ([u'elle  n'aurait  été  en  rapport  ni  avec  l'état  de  la  répu- 
blique, ni  avec  les  fonctions  de  PoUion,  ni  avec  la  puissance  qu'a- 
vaient acquise  les  triumvirs,  ni  avec  les  formes  du  nouveau  ré" 
gimc  '  ! 

Il  y  a  plus  de  vraisemblance  dans  l'opinion  de  ceux  qui  trou- 
vent le  jeune  liéros  célébré  par  le  poète  dans  l'enfant  qu'Octavie 
portait  dans  son  sein  lorsqu'elle  s'unit  à  Antoine.  Et,  à  vrai  dire, 
Tàge  de  Marcellus,  qu'Octavie  mit  au  monde  l'année  suivante, 
les  sublimes  vertus  de  celte  femme,  capable  assurémejit  d'adou- 
cir par  sa  conduite  aimable  et  sage  l'àme  altière  et  intraitable 
d'Antoine  et  de  rétablir  en  bonne  intelligence  avec  son  frère, 
aussi  bien  que  de  lui  faire  goûter  par  sa  candeur  les  délices  d'un 
chaste  amour  et  de  Tarraclier  aux  amorces  impudiques  et  hon- 
teuses de  Cléopâire;  les  fêtes  et  les  réjouissances  qui  eurent  lieu  à 
Rome;  l'amitié,  ou  plutôt  le  dévoûment  de  Pollion  pour  Antoine, 
auquel  ce  fruit  heureux  et  qui  devait  un  jour  régner  sur  le 
monde,  allait  appartenir  ;  la  gloire  qui  en  rejaillirait  sur  Octave, 
frère  de  celle  qui  ménageait  la  réconciliation  ;  la  magnifique  oc- 
casion qu'offraient  ce  mariage  et  la  naissance  de  l'enfant  de  con- 
cilier l'ambition  et  les  desseins  des  deux  superbes  prétcndans  ; 
mais  plus  que  tout  cela  encore,  les  espérances  et  les  merveilles» 
que  faisait  concevoir  Marcellus,  toutes  ces  choses  porteraient  à 
lui  appliquer  les  oracles  que  le  poète  a  consignés  dans  ses  vers. 
Ce  sentiment  paraîtrait  même  fondé  d'une  manière  assez  solide 
sur  l'anûquité;  car  on  retrouverait  volontiers  dans  ce  morceau, 
suivant  la  pensée  de  Catrou,  de  Martin,  de  Spence  et  autres,  ce 
même  Marcellus  dont  la  naissance  excita  tant  de  vœux  et  tant 
d'allégresse  parmi  lesPvomains,  et  dont  la  première  jeunesse,  qui 
nous  est  décrite  par  Dion,  par  Yelléius,  par  Horace,  par  Sénèque, 
fit  concevoir  de  si  belles  espérances  ;  mais  qui  bientôt,  ravi  par 
une  mort  prématurée,  en  731,  mérita  ces  vers  célèbres  de  A  ir- 

'  Voyez  Heync  dans  XAn^iiincnl  dt  cctie  Ei^lo^iic. 


210  THADino.NS  PJU3Jiri\ES 

gih;,  si  pleins  d'élcgance,  de  sensibilité,  et  qui  sont  le  plus  bil 
ornement  du  Go  livre  de  VEiiéide  : 

Nec  puer  lliacà  quisquani  de  gciile  Latinos, 
Ta  tantùm  spe  tollot  avos  nec  Roaiu.la  rpjondaui 
Ulio  se  lantitni  tellus  jactabit  alumno  '. 

pilais  il  est  une  réflexion  qui  se  présente  tout  naturellement  et 
qui  porte  un  coup  mortel  à  cette  opinion  ;  c'est  qu'Octavie,  qui 
contractait  un  second  maria^je  avec  Antoine,  était  veuve  de  Mar- 
cel lus,  enceinte  de  ce  même  Marcellus,  et  que,  conséquemment, 
l'enfant  qu'elle  allait  mettre  au  monde  n'était  nullement  le  fds 
d'Antoine.  Or,  est-il  possible  de  croire  que  Yirgile  eut  voulu 
appliquer  à  cet  enfant  toutes  les  merveilles  qu'il  annonce,  et  voir 
dans  le  fils  de  Marcellus,  au  détriment  d'Antoine  et  d'Octave, 
le  futur  pacificateur  du  monde?  Ces  raisons  ont  paru  telles  à  la 
sagacité  si  pénétrante  de  lieyne,  qu'il  a  mieux  aimé  embrasser 
l'opinion  qu'ont  pareillement  adoptée  Nauzée,  Boulacre ,  plus 
récesnment  Henley,et  p,énéralement  tous  ceux  qui,  se  rappelant 
qu'Oclavc  épousa  Scribonia  cette  même  année,  ont  cru  que  les 
piédictions  de  Yir-gile  ne  pouvaient  s'appliquer  plus  heureuse- 
ment qu'au  fruit  de  cette  union  d'Octave,  que  le  poète  espérait 
voir  et  qui  lut  effectivement  par  la  suite  le  véritable  et  seul 
maître  du  monde. 

r\Iais  comment  prédire  à  Octave  l'empire  de  l'univers  ;  com- 
menl  élever  son  lils  an  ran,q;  des  dieu:x,  lorsque  la  paix  conclue  à 
Brindes,  et  la  forme  adoptée  du  gouvernement  triumviral,  et  le 
v.nrta'je  égnl  des  provinces  entre  Lépide,  Antoine  et  Octave,  in- 
diquaient assez  clairement  que  la  république  allait  encore  durer 
îon.'tenis,  malgré  les  modifications  qu'elle  avait  subies,  et  qu'on 
ne  vt-rrait  pas  les  conquêtes  de  sept  siècles  achetées  par  des  flots 
du  sau'^  romain,  devenir  la  dépouille  et  l'héiiiage  du  plus  hardi 
ou  du  plus  heureux  conquérant?  La  fameuse  journée  d'Aclium  -, 

'  Vo\ez  depuis  le  VRrs  86i  jusqu'au  88Gdu  vi'  livre  de  VEnéide,  avec 
les  yfnnolaiLons  de  Cerda  et  de  Heyne. 

'  la  bataille  d'Actium  se  donna  \\\\\  7?-5  de  riouic,  c'csl-ii-dirc  0  ans 
ai"!  è.>  la  \>\\\  de  Drindcs. 


Clir.Z    1  f  s   T  ATf.NS,  V  I  / 

qui  cU'cida  du  soil  de  rcnipire  el  de  tant  île  peiij)lc:;,  ii\'l;iit  j)as 
encore  arrivcc;  les  vaisseaux  d'Auioinc  ne  s't'taicut  pas  ciuo:c 
réfugies  sur  les  rivages  de  l'Egypte,  afin  de  caclier  la  lionte  et  la 
défaite  du  vaincu  dans  les  voluptueux  palais  de  Cléopaire;  Oc- 
tave n'était  pas  encore  Auguste;  il  ne  s'était  encore  donné  ni  le 
titre  ni  les  honneurs  de  prince  ;  ni  l'autorité,  ni  la  riilicsse,  ni 
les  connaissances  ne  le  mettaient  à  la  tète  des  affaires  :  c'était  un 
simple  triumvir  qui  n'jivait  qu'un  pouvoir  et  des  droits  égaux  à 
ceux  de  ses  deux  autres  collèg;ues,  et  quiconque  alors  l'eût  appelé 
Dieu  ou  père  cViin  Dieu  aurait  passé  pour  un  insensé  ou  pour  un 
rebelle.  D'ailleurs,  Virgile  aurait-il  eu  la  maladie  se  d'adresser  à 
Pollion  ces  flatteuses  espérances,  Pollion,  le  fauteur,  le  général, 
l'ami  toujours  dévoué  d'Antoine,  et  qui ,  à  ce  titre,  ne  pouvait 
voir  sans  quelque  peine  la  prééminence  d'Octave.  Et  encore, 
quelque  avantage  que  l'on  dut  nltendic  du  traité  de  Blindes,  la 
situation  de  l'empire  romain  n'était  pas  telle  que  l'on  pût  dire 
qu'on  allait  goûter  des  jouis  de  paix,  que  toute  guerre  ciait  ter- 
minée, et  que  le  monde  était  à  la  veille  d'un  autre  âge  d'or  :  la 
guerre  des  Parthes  mettait  en  feu  l'Asie  tout  entière;  les  mers 
étaient  sillonnées  par  des  flottes  de  pirates  que  guidaient  i\&s  gé- 
néraux romains^  la  Dalmatie  demandait  une  armée.  La  paix  était 
à  peine  conclue  qu'il  fallut  reprendre  les  armes,  ou  plutôt  c'était 
un  des  articles  du  traité  qu'Antoine  marcherait  contre  les  Par- 
thes et  contre  Lahiénus  en  Asie;  qu'Octave  disperserait  les  flottes 
barbares  de  Sextus  Pompée,  et  que  Pollion  lui-même  irait  com- 
mander l'armée  de  Dalmatie.  Tout  en  s'eÛbicant  de  faire  dispa- 
raître de  l'Eglogue  de  Virgile  tous  les  sens  dont  on  aurait  pu 
tirer  un  témoignage  en  faveur  de  l'attente  du  réparateur  du 
monde,  Heyne,  retenu  par  tant  de  raisons  qui  commandaient  au 
moins  le  doute,  préférait  l'explication  hasardée  par  Jean  Albert 
Fabricius  ',  et  s'attachait  à  appliquer  ces  prédictions  magnifiques 
et  éclatantes,  non  pas  à  un  enfant  particulier  que  l'on  voudrait 
en  vain  maintenant  trouver  dans  l'histoire,  mais  à  toute  une  gé- 


'  Voyez  le  w  livre  de  sa  BihUntJirca  grœra,.  clmp.  3o  et  ?iiiv. 


'218  TRADIT!O^S    PRIMITIVES 

nriv.iion  qui  dev.'.it  proclninenient  appai aîti e,  et  qui,  tlans  ses 
(lifiéreiitos  phases,  dans  sa  marclie  vers  une  félicité  complète,  of- 
frirait les  (lifféieus  âges  de  la  vie  de  l'iiomme.  Toute  parée  d'a- 
boid  des  grâces  de  l'innocence,  arrivant  ensuite  à  la  fleur  de  la 
jeunesse,  et  plus  tard  à  une  virilité  pleine  d'intelligence  et  de 
valeur,  elle  aurait  fini  j)ar  atteindre  la  perfection  dont  l'espèce 
humaine  est  capable.  Il  est  vraiment  pénible  de  voir  qu'un 
homme  si  judicieux,  qui  montre  dans  tout  son  Commentaire  une 
sagacité  si  pénétrante,  qui  ne  s'appuie  que  sur  l'histoire  et  sur 
des  documens  dont  l'exactitude  lui  est  démontrée,  qui  s'en  lient 
toujours  aux  termes  de  la  lettre,  ait  eu  recours  à  un  pareil  sub- 
terfuge, à  un  expédient  dont  chacune  des  paroles  du  poète  devait 
lui  révéler  la  futilité,  puisqu'il  parle  évidemment  d'un  enfant,  et 
non  d'une  génération,  d'un  enfant  qui  va  naître  et  en  faveur 
duquel  Lucine  est  invoquée  : 

Tu  modo  nasecûti  puero 

Casta  favc  Lucina 

(  vers  8  et  lo.  j 

d'un  berceau  sur  lequel  le  lierre  et  l'acanthe  fleurissent  d'eux- 
mêmes  ;  d'un  enfant  qui  reconnaît  sa  mère  au  premier  sourire, 
d'un  jeune  homme  qui  a  déjà  sa  place  parmi  les  héros  et  vit  avec 
les  dieuy,  avant  que  ses  mains  ne  tiennent  les  rênes  de  l'univers 
vaincu  et  pacifié. 

II. 

Quelle  que  soit  l'hypothèse  historique  qu'on  adopte  pour  dé- 
terminer l'idée  qui  inspira  cette  églogue  à  A  irgile  ,  celte  hypo- 
thèse vient  se  briser  contre  l'une  ou  l'autre  de  ces  difficultés. 
Pourquoi  donc  se  perdre  en  conjectures,  tandis  que  nous  avons 
sous  la  main  une  explication  que  confirment  tous  les  monu- 
mcns  de  l'époque  où  vivait  l'auteur,  une  explication  parfaite- 
ment en  rapport  avec  le  langage  et  le  style  tout  particulier  de 
soa  poème  ;  embrassée  par  des  honuncs  très  graves  qui  l'ont 
(•mise  dans  des  icms  plus  rapproches  de  l'écrivain,  soutenue  par 
les  critiques  les  plus  judicieux,  et  contre  laquelle  on  n'a  produit 


CHRZ  LFS  LATINS,  219 

jusqu'à  ce  jour  aucune  allcoation  cjui  ait  valu  la  peine  d'être  (iis- 
cutée  ? 

Dès  les  tems  les  plus  reculés,  il  existait  une  tradition  qui ,  de- 
puis plus  d'un  demi-siècle  avant  la  naissance  de  Jésus-Christ, 
était  devenue  non-seulement  générale,  mais  pleine  de  vie;  elle 
promettait  un  Sauveur  au  monde,  un  renouvellement  universel, 
un  règne  de  fécilité,  de  verlu  et  de  paix  ,  après  tant  d^angoisses 
et  de  douleurs.  L'attente  de  ce  Rédempteur  ,  objet  de  tant  de 
soupirs,  ses  œuvres  merveilleuses,  rétablissement  de  son  empire, 
avaient  été  consignés  par  la  tradition ,  et  enveloppés  ,  dans  un 
langage  plus  ou  moins  obscur ,  dans  les  chants  des  prêtres,  dans 
les  systèmes  des  philosophes,  dans  les  allégories,  en  un  mot,  dans 
tout  ce  qui  formait  le  système  scientifique  ou  religieux  de  Tan- 
cien  paganisme.  Plus  on  approchait  des  tems  où  les  desseins  de 
Dieu  allaient  s'accomplir ,  plus  la  voix  de  la  tradition  prenait 
d'énergie  ;  ou  plutôt,  son  action  était  devenue  un  mouvement , 
une  agitation  de  tous  les  peuples,  qui  se  tournaient,  en  quelque 
sorte,  avec  leurs  espérances,  du  côté  de  l'Orient ,  d'où  partait  la 
voix  mystéri»euse  qui  annonçait  le  prodige.  L'autorité  de  Suétone, 
de  Tacite,  de  Cicéron,  etc.,  ne  permet  pas  d'en  douter,  et  l'his- 
toire chrétienne  ou  profane  de  ce  tems  abonde  en  monumens  de 
tout  genre  qui  le  confiiment.  Les  plus  fougueux  des  incrédules 
modernes  en  ont  eux-mêmes  rassemblé  les  innombrables  preuves, 
quand  ils  ont  entrepris  de  recueillir  les  systèmes  mythologiques 
et  tenté  de  confondre  cette  vérité  éternelle  ,  qui  scule  pouvait 
leur  révéler  l'origine  et  la  cause  de  tous  les  égaremens  de  l'esprit 
humain.  Quel  qu'ait  été  l'enfant  quil  avait  en  vue,  Virgile  s'est 
approprié  les  plus  éclatantes  et  les  plus  subhmes  images  de  cette 
tradition;  il  les  a  ornées  des  plus  vives  couleurs,  les  a  naturali- 
sées, pour  ainsi  dire,  sur  le  sol  romain,  et  a  transporté  à  ce  grand 
empire  ce  qui  au  fond  annonçait  le  règne  de  Jésus-Chiist.  Mais  , 
pour  ne  pas  me  tenir  dans  des  généralités,  je  décomposerai  cette 
églogue  dans  les  élcmens  dont  elle  se  compose,  afin  d'en  lirer  un 
à  un  les  faits  de  la  tradition  que  Virgile  exploita  ,  coordonna  , 
embellit ,  pour  en  faire  le  plus  beau  monument  que  l'antiquité 
nous  ait  transmis  sur  l'existence  de  cette  même  tradition. 


'2'2i)  Trru)irio.\f^  pr.iMrnvr.> 

fjt's  son  «IchiU,  prenant  au  ton  qui  ne  convient  pa.'^  ù  un  sim- 
ple berger,  i'  devient  l'interprète  inspiré  de  la  prophétie  que  l'on 
attribuait  vulgairement  à  la  sibylle  de  Cumcs.  D'apiès  l'autorilc 
du  grammairien  Valérius  Probus,  Servius  et  Fabricius  se  sont 
efforcés  de  rapporter  Tinvocation  de  Yirgile,  non  pas  à  la  sibylle, 
unis  au  potMiie  d'Hésiode,  qui  peut  être  appelé  Cuméen,  parce 
que  son  père  était  ori{i;iuaire  de  Cumes.  ■Mais,  connue  Cooke  et 
Ileyne  »  l'ont  fait  observer,  on  ne  trouve  nulle  pari  dans  l'anli- 
quilé  que  le  poète  d'Ascrée  fut  appelé   Cuméen  ;.  et  d'ailleurs , 
comment  Yirgile  aurail-il  pu  lui  donner  ce  nom  sous  les  yeux 
des  Ron)ains  ,  qui  savaient  tous  paifaitcment  cjue  les  chants  cu- 
nii^cns  n'étaient  que  les  prédictions  de  la  sibylle?  Enfin,  le  poème 
d  îlésiode,  qui  traite  des  ouvrages  et  dus  jours,  et  décrit  les  dilïé- 
rens  âges  du  monde,  ne  paile  pas  de  ces  révolutions  et  de  ces 
retours  d'époques  ,  auxonels  notre  poêle  fait  spécialement  allu- 
sion. C'est  donc  des  récits  cuméens  ,  du  livre  prophétique  de  la 
sibylle,  qu'il  a  tiré  la  prédiction  de  ce;te  dernière  époque,  si  long- 
tenis  attendue;  et  voilà  ce  qui  forme  le  premier  moniuncnt  de 
la  tradition  dont  Virgile  se  fait  l'organe. 

Quelle  que  soit  l'opinion  que  l'on  adopte  sur  les  sibylles  et  sur 
les  livres  sibyllins;  que  ces  sibylles  soient  des  personnages  allé- 
f^oriques  ou  historiques*,  que  ces  livres  soient  tous  apocryphes  ou 
empruntes  aux  écrits  et  aux  traditions  des  juifs  hellénistes  ,  ou 
bien  qu'on  ait  interpolé  d'une  façon  quelconque  les  vers  et  les 
traditions  qui  portaient  ce  nom ,  peu  importe;  ce  qu'il  y  a  de 
certain,  c'est  qu'au  tems  de  Viqjile,  il  y  avait  sous  le  nom  de  la 
sibylle  un  oracle  très-accrédité,  disons  mieux  ,  une  tradition  qui 
annonrait  la  venue  prochaine  d'un  Sauveur  et  d'un  Piéparateur 
du  monde. 

Pour  infirmer  coite  classique  autoriti-   de  \  irgile  ,   il    faut  l'a- 
vouer, c'est  peu  que  l'opinion  de  iMo-heim,  qui ,  dans  srs  .-^nno 
tations  sur  Cudu'orlh     donl'd  n'adopte  pas  l'opinion,  affecte  de 
'  Voyez  Fabriciu?,  Billiollicca  ^nvcu,  lil).  i,  c.  29;  Hcynr,  loc.  cil.; 
Cooke's  Hciiody  n  ^'icw  of  ihe  Iforks  and  Days,  lect.  5. 

'  Vovcz  CudAvort,   Systema    intcllecliiah  cnm  adnot.    Mosbeini, 
ban.  IV,  n"  l'ù 


(1117   Mn   I.VTIXS.  'JVI 

rroiic  quo  coiic  pri'ilicliou  si  i/'pandue  l!c  la  .sll>\llc  ii';;iuiOn';ait 
que  la  lévoluiion  de  la  îj;rande  année  ,  et  le  lenouvclîcnicnt  du 
inonde  qui  est  décrit  dans  les  vjis  suivans.  Kl  en  elVet,  outre  que 
cette  tradition  remonte  à  une  autre  source,  coinnie  nous  le  ver- 
rons tout  à  riieure,  et  forme  une  autre  partie  du  témoignage  de 
Virgile,  tout  ce  que  ce  poète  nous  retrace  dans  son  églogue  ne 
roule  pas  seulement  sur  celte  lévolution  de  la  grande  année, 
mais  nous  annonce  expressément  qu'une  nouvelle  race  va  être 
envoyée  du  ciel ,  cpie  les  fautes  des  hommes  seront  effacées,  et 
que  la  terre  va  posséder  un  enfant  de  la  divinité;  puis  il  nous 
fait  voir  dans  ce  divin  enfant  le  messager  de  la  paix,  le  roi  des 
peuples  et  le  vainciueur  des  tyrans.  Ce  témoignage  rendu  à  la  vé- 
rité par  le  génie  de  Virgile  devient  plus  évident  encore  et  plus 
formel  quand  on  le  rapproche  de  ce  que  Cicéroii  nous  raconte, 
dans  son  livre  de  la  Dii'lnatioii,  que  ,  de  son  tems,  il  y  avait  un 
oracle  de  la  sibylle  très -répandu,  si  répandu  que  Colta  même,  un 
de  ceux  qui  étaient  destinés  à  la  garde  des  livres  sibyllins  ,  se 
])roposait  d*en  entretenir  le  sénat ,  et  qui  annonçait  l'apparition 
Ircs-proi. haine  d'un  roi,  dont  1:^  nécessité  se  faisait  désormais 
sentir  pour  rafl'ermir  les  lois  et  le  pouvoir  ébranlés,  afin  de  sau- 
ver la  république  et  de  gouverner  l'univers*.  Cette  idée  d'un 
roi,  idée  qui  bouleversait  tous  les  préjugés  cl  toutes  les  opinions 
romaines,  s'accorde  merveilleusement  avec  la  prédiction  que  Ju- 
lius  Marathus,  cité  par  Suétone  dans  la  rie  cV Octave  j  nous  dit 
avoir  été  répandue  de  toutes  parts  à  Rome  :  «  que  la  nature  en- 
fantait un  loi  au  peuple  romain  -.» 

'  Voici  le  passage  de  Cicéron  :  «  Sibylla^  versus  obscivanius  quos  illa 
fnrens  fudisse  dicitnr.  Quorum  interpres  /"Colta)  nuperfal?a  quîerlam, 
bruninum  fanià,  (r!<?lnrn<;  in  senalu  putabaîur:  enni,  queni  re  vera  re- 
ç;f  m  bahcbamus,  appcilandum  quoque  e?se  regcni,  si  siaU-i  cssc  \'ci/emns. 
De  I)\'inatioue,  I.  ii,  n.  54- 

'  Voici  le  passage  de  Suélonc  :  Auctor  est  Julius  ^laratluis^anlè  pau- 
cos  qnam  (Auguslus)  nasceretur  mcnses,  prodigium  Roma.'  factuni 
publiée,  quo  enunliabatur  Hegcm  populo  Romaim  Natiiram  purlurire  ; 
Senatum  extorrilum  sensuisse, //e  quii  ilio  atuio  geuitus  educaretur  ; 


222  TRADITIONS   PRIMITIVES 

Cela  nous  suffit  pour  démontrer  Texistence  ,  au  toms  de  Vir- 
gile, delà  iradiiion  qui  transmeîtait  la  promesse  d'uu  divin  Ré- 
parateur, ei  il  est  inutile  de  se  livrer  à  des  recherches  ultérieures 
sur  rauthenucilc  des  paioles  ou  des  vers  de  telle  ou  telle  sibylle. 
Cela  nous  suffit  encore  (pour  le  dire  en  passant,  quoique  cette  re- 
marque ne  se  rattache  pas  directement  à  notre  sujet),  cela  nous 
suffit  pour  défendre  la  doctrine  et  la  sagesse  des  Pères,  saint  Jus- 
tin martyr  ,  Athénagore,  Théophile  d*Antioche,  Teriullien,  l'au- 
teur des  Conslilutions  apostoliques ,  Lactance,  Eusèbe,  saint  Jé- 
rôme, saint  Augustin,  Cément  d'Alexandrie,  si  violemment  at- 
taqués par  les  protestans,  et  surtout  par  Blondel^  pour  s'être 
servis  de  cet  oracle  et  de  cet  argument  afin  d'établir  contre  les 
païens  la  divinité  de  la  mission  de  Jésus-Christ,  prédite  tant  de 
siècles  d'avance.  Ces  illustres  apologistes,  dont  l'autorité  a  tant 
de  poids,  dont  la  voix  fut  si  puissante,  ces  illustres  apologistes 
ne  nous  garantissent,  en  citant  l'oracle  des  sybilles,  que  l'exis- 
tence de  cette  tradition  qui  est  si  clairement  exposée  dans  les 
premiers  vers  de  l'églogue  de  Virgile  :  tout  ce  qu'ils  peuvent  dire 
d'ailleurs  des  vers  en  particulier,  ou  des  livres  attribués  aux  si- 
bylles, se  réduit  à  une  simple  opinion  litte'raire,  sur  laquelle  ce 
n'est  pas  ici  le  lieu  ni  l'occasion  de  discuter,  mais  qui  ne  sau- 
rait affaiblir  l'argument  historique  que  ces  grands  hommes  re  ' 
vendiquaient  au  profit  de  la  foi  chre'tienne. 

Si  je  voulais  remonter  encore  plus  haut  et  jusqu'à  la  première 
source  de  la  tradition  et  de  l'oracle  attribué  aux  sibylles,  je 
pourrais  dire  que  leur  nom  est  peut-être  plutôt  oriental  que  grec, 
que  la  tradition  les  faisait  venir,  dès  l'antiquité  la  plus  reculée, 
de  l'Asie-Mineure  et  des  contrées  mystérieuses  qui  l'environnent; 
que  des  hommes  très  graves,  des  philosophes  d'une  raison  puis- 
sante et  sur  lesquels  les  préjugés  vulgaires  n'avaient  pas  d'in- 
fluence, ont  professé  une  haute  estime  pour  leurs  oracles.  Et  s'il 
fallait  citer,  je  nommerais  d'abord  Heraclite,  le  fléau  des  supers- 

eos  qui  gravidas  uxores  baberent,  qiio  ad  se  quisque  spem  traheret, 
curasse  ne  senatusconsultum  ad  aerariura  deferretur.  P^ila  Augusti, 
n.  94. 


•     CHEZ  LES   r.ATLNS.  ^2'^ 

litions;  puis  Platon,  ce  <;avant  qui  eut  soin  de  recuillii-,  dans  ses 
voyages,  ce  que  l'Orient  avait  de  plus  vénérable  dans  ses  tradi- 
tions; puis  Aristote,  une  des  gloires  du  beau  siècle  d'Alexandre, 
puisVarron,  la  merveille  de  l'érudilion  romaine  ;  puis  une  infi- 
nité d'autres  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  et  que  nous  de- 
vons regarder  comme  des  témoins,  non  pas  des  prophéties  des 
sibylles,  mais  des  traditions  qui  se  conservaient  dans  l'Orient, 
d'où  elles  se  répandaient  dans  l'Occident,  revêlues  de  formes  tou- 
tes mystérieuses.  Ensuite  j'ajouterais  que  ce  fut  dans  l'Asie- Mi 
neure,  contrée  où  les  synagogues,  les  livres  et  les  histoires  des 
Juifs  hellénistes  étaient  le  plus  répandues,  que  l'on  recueillit  en 
dernier  lieu,  après  l'incendie  du  Capitole  et  des  anciens  livres 
sibylliens^  l'an  83  avant  J.-C,  les  mémoires  et  les  vers  qui  servi- 
rent à  les  recomposer.  Enfin,  je  ferais  remarquer  que  si,  dans 
cette  reconstruction,  on  a  puisé  à  des  sources  impures,  et  que.si 
on  a  même  fabriqué  de  nouveaux  livres  dans  les  premiers  siècles 
du  christianisme,  cela  n'empêche  pas  que  les  traditions  de  l'ori- 
gine la  plus  certaine,  plus  généralement  répandues  et  admises 
parmi  les  païens  eux-mêmes,  ne  soient  demeurées  intactes  et 
pures  :  c'est  au  point  que  Celse  lui-même  ne  les  contestait  pas 
quand  il  reprochait  à  Origène  sa  facilité  indiscrète  à  admettre  des 
vers  interpolés.  Or,  parmi  les  plus  véridiques  on  rangea  toujours 
l'oracle  qu'on  attribuait  à  la  prophétesse  de  Cumes,  mais  qui 
était  plutôt  l'oracle  et  la  voix  de  toute  la  tradition  orientale  *. 

Mgr  GASPARD  GRASSELLINI, 

Traduction  abrégée  du  discours  prononcé  à  racadémie  des 
Arcades,  le  23  janvier  1 838,  et  inséré  dans  les  n°°  17  et  18 
des  Annalide  Mgr  de  Luca. 

•  Kelativement  aux  opinions  sur  les  sibylles  on  peut  voir  spécialement 
Fabricius,  Bibliotheca  grœca,  lib  i,  c.  29;  Pr idéaux,  Hisi.  des  Juifs^ 
t.  iT,  liv.  XVII,  p.  552,  Cudworth ,  loco  citaio;  Dupin,  Bibliothèque 
ecck'siait.  Diss.  prélimin  ,  c.  xvii,  n.  i  ;  Creuzer,  Religions  de  tous  les 
peuples^  note  i3,  an  i"  volume;  Banier,  Mythologie,  t.  n  ;  Vossius,  de 
Oraculis sibyllinis ;  Fréret,  Dissert.,  et  plus  amplement  Blondel. 


'vioN  \\n-. 


rimui!f.matii]iu\ 

PIÈCK  DE  MONNAIE  DU  SOUVERAIN  PONTIFE  yALE:NTIN\ 
Monsieur  Bo>netty  , 

Pernietlez-moi  de  profiter  de  cette  Icthe  pour  vous  exprimer, 
après  mon  long  silence  ,  la  reconnaissance  que  je  vous  dois  pour 
la  faveur  que  vous  voulez  bien  me  faire  en  me  continuant  l'en- 
voi de  votre  estimable  journal,  qui ,  s'occupant  uîuquement  de 
la  vrai  science  et  de  la  religion,  à  laquelle  tout  génie  doit  se  con- 
sacrer, oblienl  l'approbation  et  les  éloges  de  tout  le  monde.  Une 
monnaie  inédite  du  som'crain  pontife  Falentin  ayant  été  publiée  à 
Rome,  je  vous  envoie  un  article  à  son  sujet,  pour  Einsérer  dans 
votre  recueil,  si  vous  le  jugez  convenable. 

Le  savant  docteur  André  Belli ,  possesseur  d'une  collection 
classique  de  médailles  et  de  monnaies  poniificales  ,  et  d'autres 
nionumcns  précieux  d'archéologie  sacrée,  que  j'ai  moi-même  eu 
occasion  de  voir,  a  cru  faire  une  chose  agréable  aux  érudits  en 
publiant  une  dissertation  sur  la  pièce  de  monnaie  inédile  du  sou- 
verain pontife  Valentin,  dont  voici  la  figure: 

Planche  1 1 . 


Cefie  médaille  est  d'argent  AR,  bien  conservée,  et  du  diamètre 
de  vingt-deux  niillimclres,  c'esl-à-diie  du  module  n°  G  de  l'échelle 
de  Mionnet,  et  plus  exactement  de  la  grandeur  de  la  petite  mé- 
daille de  la  5«  année  du  pontificat  de  Paul  lY,  représentant  les 
profanateurs  chassés  du  temple,  avec  l'exergue  :  Domits  mea  do- 
mus  oralionis.  Son  poids  est  de  deux  grammes  et  deux  grains  et 
demi  sur  la  balance  du  diamant. 


D L   i» A i'  j:  \  a l e .n  1 1  > .  '2 2 5 

On  lil  bur  une  des  faces  :  4-  SCS  {snnclus)  PETRVS,  écrit  au- 
tour (îe  la  médaille,  et,  dans  le  champ,  le  inonOjOiamme  VALEN" 
TINVS;  l'autre  lace  porte:  *i»  LVDOVICVS  écrit  tout  autour, 
et  le  monojjramme  IMPERATOR  écrit  dans  le  champ. 

Telle  est  la  description  qu'en  donne  le  savant  auteur,  et  qui  se 
voit  d'ailleurs  sur  l'empreinte,  laquelle  témoigne  sufllsamment 
de  son  authenticité  et  de  sa  signification.  Et  pour  peu  que  Ton 
ait  quelcpies  connaissances  en  numismatique,  on  reconnaîtra  que 
la  valeur  des  monumens  antiques  ne  doit  pas  souftVii  d'une  criti- 
que immodérée,  semant  le  doute  dans  l'histoire  et  dans  Fart. 
Quant  à  moi,  je  suis  convaincu  cjue  ,  dans  les  questions  archéo  • 
logiques  ,  le  jugement  doit  procéder  d'un  esprit  qui  sait  distin- 
gner  une  simple  conjecture  de  l'évidence.  Il  faut  donc  tenir  peu 
compte  de  certains  esprits  méticuleux  qui ,  pour  paraître  savans, 
révoquent  en  doute  l'aulheulicité  de  tout  monument  catholique, 
ce  sont  les  ennemis  les  plus  dangereux  de  la  science,  précisémeqt 
comme  les  sceptiques  sont  les  plus  grands  adversaires  de  la  phi- 
losophie. 

L'authenticité  de  noire  pièce  de  monnaie  ainsi  éiahlie,  il  est 
évident  (|u'elle  est  d'un  grand  prix,  attendu  qu'elle  (st  inconnue 
aux  hommes  les  plus  distingués  qui  se  sont  occupés  de  reçut  iUir 
et  d'illustrer  les  monnaies  pontificales.  Et  cette  rareté  n'est  pas 
étonnante,  puisque  le  pontife  Yalentin,  élu  le  1 1  août  827  et  mort 
le  21  septembre  suivant,  ne  régna  que  40  jours,  ce  qui  fit  croiic 
qu'en  si  peu  de  teins  il  n'avait  pu  battre  monnaie.  C'est  ainsi  que 
les  érudits  tirent  souvent  des  argnmens  négatifs  d'après  les  consé- 
quences positives  les  jlas  fausses.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  pièce 
de  monnaie  répand  de  la  lumière  au  milieu  des  profondes  ténè- 
bres du  moyeu  âge,  et  démontre  que,  pendant  son  court  ponti- 
ficat, ce  pontife  sut  étendre  son  autorité  et  sa  juridiction,  tant 
spirituelle  que  temporelle ,  puisque  le  droit  de  battre  monnaie 
fait  partie  du  pouvoir  souverain. 

Marcel  II,  qui  ne  gouverna  ri]glise  que  pendant  21  jours,  fit 
également  battre  monnaie,  puisque  l'on  possède  deux  Jules  et 
un  Cdrlifi.  do  ^on  règne;  nous  pos-^^édor.??  aust>i  trois  médailles  de 


226  MOi\rVAIE  DU  iȈpe  valejntin. 

Léon  XI ,  qui  ne  régna  que  27  jours  ,  comme  on  peut  s'en  con- 
vaincre dans  Bonani^. 

C'est  ainsi  que  le  savant  docteur  Belli  illustre  sa  pièce  de  mon- 
naie, favorise  les  études  numismatiques  avec  sa  riche  collection, 
et,  par  de  semblables  travaux,  acquiert  des  droits  à  la  reconnais- 
sance de  ceux  qui  cultivent  cette  science.  J'espère  que  vous  aussi 
vous  serez  désireux  d'orner  votre  journal  de  cette  médaille,  dont 
je  vous  envoie  un  fac-similé.  En  attendant,  et  avec  l'espoir  de 
vous  envoyer  quelque  disserlation  par  la  première  occasion 
favorable,  j'ai  l'honneur  d'être  : 

HYACINTHE  de  FERRARI, 
de  Tordre  des  frères  prêcheurs,  préfet  de  la  bibliothèque 
Casanale. 
Rome  ic  12  juillet  1842. 

'  Numism,  Rom,  pont.,  t.  11 ,  p.  5oi. 


HIST.  DE  LÉGOiNOMll":  POLlTlQUi- .  227 

(Économie  ôccialr. 
HiSTOIUE  DE  L  ÉCONOMIE  POLITIQUE 

Eludes  hisioriquesj  philosophiques  et  religieuses  sur  Vcco- 
nomie  politique  des  peuples  anciens  et  modernes. 

Par  m.  le  vicomte  ALCA^  DE  VILLEXEUVE-BARGi:310>T, 

Auteur  do.  Y  Economie  politique  chvelienne^. 

M.  le  vicomte  de  Yilleneuve-BargeiDout  jouit  d'une  réputation 
méritée,  h' Economie  politique  chrétienne  y  livre  d'une  grande 
portée  et  du  plus  haut  intérêt,  lui  a  valu  une  plaie  distinguée 
))armi  les  éciivains  sérieux  de  notre  époque;  et,  dans  l'ouvrage 
do'it  nous  venons  parler  aujourd'hui,  il  donne  un  heureux  et 
nécessaire  complément  à  ses  premiers  travaux,  en  traçant  l'his- 
toire de  la  science  à  laquelle  il  a  consacré  ses  veilles.  Ainsi  le 
consciencieux  auteur  poursuit  sa  tâche  ;  après  avoir  établi  les 
vrais  principes,  il  nous  met  en  présence  des  systèmes  théoriques 
et  des  faits  qui,  aux  diverses  phases  de  l'humanité,  les  ont  trans- 
gressés ou  méconnus. 

C'était  un  vaste  sujet  que  celui-là,  tellement  vaste  qu'on  n'en 
aperçoit  pas  même  les  limites  I  L'histoire  de  V Economie  politique 
se  confond,  à  vrai  dire,  avec  celle  de  la  civilisation,  de  la  vie 
physique  et  morale  des  peuples?  de  leurs  institutions  et  de  leurs 
usages.  Dans  les  deux  volumes  qu'il  a  publiés,  M.  de  ^  illeneuve 
a  su  se  restreindre  à  de  justes  proportions.  Son  travail  est  un  ré- 
sumé habilement  conçu,  où  rien  d'essentiel  n'est  omis  et  qui  ne 
renferme  rien  d'inutile.  Ajoutons  qu'on  y  reconnaît  le  fruit  de 
longues  recherches  et  de  conscieucieuses   études.  M.  de  ^  ille- 

'  Guillauniiu,  libraire-éditeur,  rue  Saint-Marc,  galerie  de  la  Bourse, 
5,  l^auoranias. 


2*28  iiibiuii.ri 

iicuvi:,  ou  le  coniprcud,  ne  se  borne  pas  ù  une  sècUe  eAposilion 
des  clociiines  et  tics  coutumes  du  passé;  il  juge  les  hoinnies  et  lis 
clioses  ;  et  lous  ses  JMgemens  poilent  l'ciupreinte  d'une  intelli- 
gence supérieure,  en  tncme  lems  que  d'une  àinc  droile  et  chré- 
tien ne, 

A  notre  époque ,  tout  le  monde  parle  ix'cconomlc  poliliqjie  ^ 
mais  tout  le  monde  sait  il  bien  ce  qu'on  doit  entendre  par  ces 
expressions  si  souvent  employées?  «»  Au  premier  aperçu  et  dans 
»  leur  rigoureuse  étyniologie  grecque,  dit  ÎM.  de  Villeneuve- 
»  Baigeiuont,  ces  mots  présentent  l'idée  de  la  /%/<?,  ou  du  f^oui'er- 
»  nement  de  la  maison^  appliqué  au  goin>enieinejit  ou  à  Vadmi- 
»»  nislralion  de  la  chose  publique.  Ils  impliquent  aussi  l'idée  de 
)'  Vepargiie  ou  du  bon  emploi  des  revenus  de  Yclat.  Ils  s'appli- 
»  queraient  justement  encoie  à  un  svstème  régulier  d'impôts. 
»  Dans  une  autre  acception  également  Juste,  celte  dénomination 
»  appartiendrait  à  la  disti ihiilion  et  à  V harmonie  des  parties  qui 
»  constituent  une  nation,  un  élat^  ou  le  cups  social  tout  entier. 
»  Dans  ce  sens,  le  noîu  iX économie  sociale  eût  été  plus  rationnet. 
»  Mois  enfin  on  comprend  aisément  le  rapport  intime  qui  existe 
»  entre  la  politique  et  la  société,  et  la  logique  peut  se  contenter 
«  de  celte  soile  de  synonymie. 

(»  Ainsi  la  science  de  Véconomie  poUlit/ue ,  suivant  la  logique 
»  du  langage  et  de  la  pensée,  a  pour  objet  tout  ce  qui- compose 
)>  l'organisation  et  le  goia'ernement  de  la  société.  C'est  sous  ce  rap- 
»  port  que  nous  avons  pu  dire  qu'elle  touche  à  toutes  les  autres 
»  sciences  et  même  qu'elle  les  renferme  toutes.  " 

Avec  ce  caractère  d'univeisalilé ,  que  lui  attribue  à  juste  litre 
M.  de  A  illeneuve,  Vcconomie  politique  doit  nécessairement  re- 
monter à  l'antiquité  la  plus  reculée.  Aussi,  son  historien  prend-il 
pourpoint  de  dépari  les  commencemens  de  la  race  humaine.  On 
ne  lira  pas  sans  un  vif  intérêt  ce  qui  a  rapport  aux  peuples  pri- 
mitifs, aux  institutions  de  Moïse,  aux  lois  des  Perses,  des3Ièdes, 
des  Egyptiens.  Puis,  viennent  de  savantes  considérations  sur  la 
Chine  ,  et  l'appréciation  de  l'organisation  sociale  telle  qu'elle 
existait  à  Athènes  et  à  Rome.  Tout  cela  conduit  à  ravènement  du 
christiani  lue.  Xoubvoudrjunsqtic  Tc^pavC  nous  permit  de  rcpro- 


tîuiie  ici  Its  btUcspagrsoù  M.  deVilIeDeuve-Baifjtmorjt  signale, 
du  point  de  vue  dtî  la  science  économique,  l'influence  et  les  suites 
de  ce  fait  inmiense  qui  a  renouvelé  la  face  du  monde. 

Nous  devons  cgalemenl  nous  borner  à  mentionner  les  chapitres 
remarquables  où  l'auteur  trace  le  tableau  de  l'ëcoiiomie  politi- 
que au  moyen  .ige,  étudie  et  juge  dans  ses  conséquences  le  mou- 
vcinent  impiimé  par  les  croisades,  et  plus  loin  constate  les 
résultats  de  la  révolte  audacieuse  de  Luilier.  M.  de  YillenLuve- 
Bargemont  réduit  à  leur  valeur  les  bienfaits  prétendus  de  cette 
reforme  tant  vantée.  Ainsi  qu'il  le  dit,  il  n'est  aucun  des  avan- 
tages sociaux  attribues  à  ce  qu'on  a  si  étrangejnent  décoré  de  ce 
nom  de  réfonnCf  que  l'on  n'eût  obtenu  plus  complet  et  plus  efîi- 
cace  de  la  marche  paralièle  et  progressive  du  catlwliciime  et  des 
lumières  ;  et  le  pro'estajitisme  voudrait  en  Vain  se  soustraiie  a  la 
responsabilité  des  maux  incalculables  qu'il  a  causé?.  \oï\à  ce  qui 
reste  vrai  et  démontré  en  dépit  de  toutes  les  apologies. 

M.  de  A  illeneuve  poursuit  l'histoire  de  Véconomie  poliiique 
siècle  par  siècle  et  chez  tous  les  peuples  modernes.  L'Italie,  TAn- 
crleterre,  l'Allemagne,  les  autres  contrées  de  l'Europe,  sont  tour 
à  tour  l'objet  de  ses  investigations;  mais  ce  qui  concerne  notre 
pays  a  droit  de  nous  intéresser  particulièrement. 

C'est  avec  raison  que  la  France  bénit  le  nom.  de  Sully;  car  elle 
doit  son  premier  système  régulier  d'administration  publique  au 
sage  conseiller  d'Henri  l\.  Sully  trouva  la  France  épuisée  par 
le  &  guerres  civiles;  en  quehjues  années  il  pourvut  à  tout.  Les  abus 
et  exactions  qui  déshonoraient  la  perception  de  l'impôt  furent 
extirpés;  l'ordre  rétabli  dans  les  finances  permit  de  payer  les 
dettes  de  l'Etat  et  de  réaliser  des  excédans  de  ressources;  les  re- 
venus publics,  sagement  employés,  servirent  à  la  restauiaiion 
des  places  fortes,  à  l'amélioration  des  routes,  à  la  construction 
dei  chantiers  et  arsenaux  maritimes,  en  même  temps  qu'ils  fé- 
condèrent toutes  les  sources  de  la  richesse  sociale  en  ravivant  le 
commerce  et  l'industrie,  et  en  encourageant  l'agriculture,  ce  prin- 
cipal objet  des  prédilections  de  Sully.  Puis,  quand  furent  venus 
les  jours  de  la  retraite,  Sully  employa  ses  loisirs  à  la  composition 
dc>  Economies  royales,   livre  que  déparent  quelques  jugcmcirs 

Ill^SKRTl:.    TOME   VI— rS'*'  J>.    184*2.  15 


2oO  liisTOlKl. 

empreints  de  respiit  de  secte,  mais  qui,  sous  le  rapport  de  la 
science  économique  ,  reste  comme  un  monument  impérissable. 
M.  de  Villeneuve  le  recommande  aux  méditations  des  gouver- 
nans  de  toutes  les  époques. 

L'historien  de  Téconomie  politique  fait  successivement  passer 
sous  nos  yeux  les  ministères  de  Richelieu  ,  Mazarin,  Colbert,  les 
folies  désastreuses  de  l'écossais  Law,  les  aspects  divers  du  long 
règne  de  Louis  XV.  INous  citerons  comme  rempli  d'intérêt  le 
chapitre  consacré  aux  économistes  français  du  18^  siècle.  Dans 
cette  galerie,  où  chacun  apparaît  avec  son  caractère  spécial  et 
l'individualité  de  son  esprit,  Montesquieu  occupe  une  grande 
place.  M.  de  Villeneuve  renJ  un  juste  homnnge  au  célèbre  pu- 
bliciste,  tout  en  relevant  les  graves  erreurs  dont  il  n'a  pas  su  se 
défendre.  On  remarquera  aussi  l'exposition  complète  et  lucide 
des  doctrines  professées  par  les  deux  écoles  économiques  qui  re- 
connaissaient Gournay  et  Ouesnay  pour  chefs. 

Les  philosophes ,  ces  hardis  envahisseurs,  ne  tardèrent  pas  à 
mettre  la  main  sur  la  science  économique  comme  sur  tout  le  reste. 
«  Voltaire  et  ses  disciples,  dit  W.  de  \  lUeneuve-Bargemont,  n'a- 
»  vaient  eu  garde  de  négliger  l'appui  que  pouvait  leur  offrir  le 
»  moment  d'enthousiasme  et  de  curiosité  excité  par  Tapparition 
»  des  théories  des  économistes.  Lui-même,  dans  plusieurs  de  ses 
w  écrits  et  particulièrement  dans  son  Dictionnaire  philosophique, 
»  traita  plusieurs  objets  d'économie  politique  avec  l'esprit  lucide 
»  et  incisif  qui  caractérise  tous  ses  ouvrages.  Mais  il  est  facile  de 
n  s'apercevoir  que,  pour  lui,  cette  science  n'était  qu'un  auxiliaire 
"  utile  à  la  propagation  du  philosophisnie  dont  il  s'était  déclaré 
>»  l'apôtre  suprême. 

»  C'était  un  puissant  moyen  de  séduction,  en  etfet^  que  de  mon- 
»  trer  les  institutions  catholiques  et  monarchiques  existant  à  celte 
»  époque,  comme  opposées  au  développement  du  bien  être,  de 
n  la  liberté,  de  la  richesse  et  de  la  civilisation.  Aussi  Voltaire, 
»  s'efforcant  de  prouver  cette  assertion  sous  toutes  les  formes  et 
»  avec  toutes  les  ressources  de  son  esprit,  s'attacha  dans  ce  but  cà 
''  dépouiller  l'économie  politique  française  des  considérations 
•>  religieuses  et  morales  qui  l'avaien'.  con-laumient  accompagnée 


DE    l/ÉCOi>OJMlE    POLITIQUE  231 

»•  jusqu'alors,  et  à  l'associer  au  syslèhie  de  Condillac,  qui  déduit 
•  de  nos  sensations  toutes  nos  facultés.  Peu  à  peu  elle  fut  ré- 
»  cîuite,  dans  son  but,  à  la  recherche  des  jouissances  matérielles; 
»  dans  sa  morale,  à  l'égoïsme  et  à  l'intérêt,  et  se  confondit  enfin 
»  dans  les  théories  économiques  de  l'Angleterre,  déjà  si  fortement 
>•  imprégnées  du  la  morale  des  intérêts  matériels.  >■ 

Sous  le  régne  du  vertueux  et  infortuné  Louis  Wl,  Vœuvre  tic 
la  démoîilion  //to/vf/e  (  pour  nous  servir  d'une  expression  éner- 
gique de  M.  de  Villeneuve)  se  perpétue  et  se  développe  ;  et  l'on 
sait  comment  elle  s'accomplit  I  31.  de  Villeneuve  peint  à  grands 
traits  Turgot  et  Malesherbes,  hommes  à  intentions  droites,  maia 
dont  l'esprit  avait  été  faussé  par  les  utopies  et  les  doctiines  du 
[)hilosophisme. 

Lu  étranger,  leur  contemporain,  peut  être  regardé  comme  le 
fondateur  de  l'économie  politique  moderne.  Nous  voulons  par- 
ler d'Adam  Smith,  qui  puLlin,  en  1766 ,  ses  Recherches  sur  la  na- 
ture  et  les  causes  de  la  richesse  des  nalions.  A  la  différence  de 
ses  dev-nciers,  qui  voyaient  dans  la  terre  la  source  primitive  des 
licliesses,  Smiih  s'apjniie  sur  le  travail  de  l'homme  comme  sur 
l'agent  universel  qui  les  produit.  Ce  n'est  pas,  du  reste,  ici  le 
lieu  d'exposer  dans  leurs  détails  les  principes  de  l'économiste  an- 
glais, de  faire  la  part  de  ce  que  son  livre  contient  de  vrai  et  de  ce 
qu'il  renferme  d'erreurs.  Disons  seulement,  avec^I.  de  Villeneuve 
«  qu'il  est  à  regretter  que  l'absence  systématique  des  considéra - 
»  tîons  morales  et  religieuses  ait  donné  aux  doctrines  d'Adam 
»  Smith  une  sécheresse  et  une  tendance  à  l'égoïsme  et  à  la  cupi- 
»>  dite,  qui,  sans  doute,  étaient  loin  de  ses  intentions,  mais  qui 
>»  ne  caractérisent  que  trop  aujourd'hui  les  théories  de  ses  disci- 
>>  pies.  Il  eût  été  beau  à  Smith  de  compléter  son  ouvrage  par  Ta- 
»  nalyse  et  la  démonstration  lumineuse  des  rapports  étroits  qui 
»  unissent  l'utile  au  juste,  et  l'ordre  moral  au  bieu-ctre  niate- 
>»  riel  des  sociétés.  » 

Cette  déplorable  exclusion  des  considérations  religieuses  et 
morales  se  retrouve,  à  d«s  degrés  divers,  chez  tous  les  écrivains 
qui  pi  ocèdenl  plus  ou  moins  directement  des  doctrines  d'Adam 
Suiitli  ;  hUc  api  aiait  surtout  dans  les  ouvia;;esde  J.-B.  Sav. 


2ol  liisjojiu: 

<  lailjii  d\.\  philo>0[)li  bii^  lia  18^  siècle,  dil  M.  de  Villeneuve, 
)>  Inbituc  par  \\  iiauire  de  ses  études  à  ne  recheiclier  ca  loulc 
»  cliosc  qu^  l'ulililé  matérielle,  jM.  J.-Ii.  Say  fut  Toi^jaiie  de  la 
>.  science,  uUe  <iu'elle  avait  clé  produite  par  une  époque  dénuée 
»  lU  toute  autre  croyance  que  celle  des  intérêts  matériels  de  la 
"  vie.  »  Ce  ju(;emcnt  cA  d'une  entière  vérité  ;  et  il  est  |)énible  de 
p;ia=er  après  cela  que  les  écrits  de  J.-B.  Say  ont  été  la  source 
où  la  plupart  des  économistes  français  et  étrangers  de  l'époque 
acliulle  ont  puisé  leurs  principes.  Quelques-uns  cependant  ,  il 
faut  le  dire,  daignent  reconnaître  les  bienfaits  passés  du  catholi- 
cisme, mais  ils  lui  rt-fusent  toute  action  sur  l'avenir! 

L'économie  politique,  ainsi  entendue,  ne  pouvait  assurément 
convenir  à  des  esprîis  éclairés  de  la  double  lumière  de  la  science 
et  de  la  loi  :  aussi  s'est-il  for  nu:  une  école  économique  clirétieune, 
qui  a  produit  déjà  d'e.\ccllens  fruits,  et  de  laquelle  nous  sommes 
en  droit  d'attendre  beaucoup  encore.  C'est  à  cette  école  que 
31.  de  Yil'cneuve-Bari^emont  se  fait  gloire  d'appartenir,  et  voici 
comment  il  en  rcsume  les  vues  et  la  pensée  :  «  Démontrer  par  uu 
»  ensemJjle  d'analyses  morales,  dont  nous  avons  indique  les 
^'  traits  principaux  ,  comment  les  lois  (^i  président  à  la  produc- 
»  tion,  à  la  consommation  et  à  la  répartition  de  la  richesse,  sont 
»  étroitement  unies  au  principe  clirétieu  et  catholique  ;  que  le  tra- 
•>  vail  inspiré  à  l'ouvrier  par  les  préceptes  religieux  est  plus  libre, 
>»  plus  noble,  plus  fécond  que  le  travail  excité  par  l'ardeur  des 
»  jouissances  sensuelles  ou  par  la  misère  ;  que  la  juste  rémunéia- 
»  tion  du  travail  s'établit  et  s'obtient  plus  exactement  el  plus  fa- 
»  cllcment  par  le  sentiment  de  la  charité  et  de  la  justice  que  par 
»  l'intérêt  uiduslr;el  ;  que  les  vertus  religieuses  des  classes  ou- 
»  vrières  le>  conduiront  plus  sûrement  à  l'aisance  que  l'aisance 
.  ne  satirait  les  conduire  à  un  perfectionnement  moral  .;  que  la 
>  contValerniié  leiijyeuse  des  peuples  explique  et  fortifie  l'unité 
)'  (le  leurs  intérêts  et  la  réciprocité  de  Icuis  besoins  ;  que  le  cré- 
»  dit  n'est  au  fond  qu'une  application  d'assistance  mutuelle  et  de 
»  lio.mii  foi,  connue  l'esprit  d'association  appliqué  à  l'industrie 
r  n'est  é^Jahinent  que  la  tonséquenrc  d'une  loi  morale  et  reli- 
n  f;i.u<c',  que  Ta^iitulture  et  l'iiidustiic  a^ticole,  plus  que  tou- 


DR  l   Jt.ONOMir  l'Ol.llIQl  F.  •23'j 

>'  Ifs  Its  aulies  induslries,  coiUrihuciU  au  bcuhciir  et  à  la  iu<»in- 
'»  lilé  des  peuples  et  des  individus  ;  que  les  principes  du  tiavail, 
»  delà  liberté,  de  la  proprit'lé,  de  la  famille  (ces  picnùtis  et 
»  plus  énergiques  éb'mens  de  l'industrie),  ont  élé  consacres  par 
»  la  relif;ion  avant  d'avoir  élé  aperçus  par  Técononùe  poliii  jue  ; 
»  enfin  qu'il  n'est  pas  une  des  graniies  vérités,  dans  l'ordre  so- 
»  cial  et  économique,  qui  ne  repose  sur  une  véj  iié  rtli^^ieuse  , 
»>  telle  est,  selon  nous,  la  tâche  réservée  désormais  aux  cconc- 
»  misles  chrétiens.  Si  elle  est  jamais  complèiement  accomplie,  si 
»  la  science  des  richesses  explique  et  constate  à  la  fois  par  ia 
»  religion,  par  les  faits  el  par  Tanalvse,  les  lois  du  pcifeciionne- 
»  ment  el  du  progrès  ,  les  merveilles  de  l'industrie,  la  puissance 
»  de  l'association  et  ducrédil,  les  résultats  cconomiqiîes  d'une 
»>  juste  rémunération  du  travail  et  d'une  équitable  réparti  ion  de 
»  ses  profits,  les  avantages  désirables  d'un  luxe  moJeré,  fruit 
»  d'une  aisance  progressive  et  générale;  si  elle  fonifie  d'unprin- 
»  eipe  religieux  une  maxime  économique  ;  si,  à  cùlé  d'un  piin- 
»  cipe  de  progrès  matériel,  elle  place  le  principe  monl  c[ui  doit 
»  préserver  de  l'excès  ou  de  l'erreur;  en  un  mot,  si  elle  répond 
»>  aux  besoins  de  la  double  nature  de  l'homme  et  des  socié:cs , 
»  ou  nous  sommes  dans  une  profonde  erreur  ou  cet'e  rénovation 
»  de  l'économie  politique  sera  une  belle  et  heureuse  conquête 
»  pour  l'hiunanité.  » 

Nons  n'ajouterons  rien  à  ce  brillant  programme  de  l'école 
économique  chrétienne.  Il  appartenait  éminemment  à  31.  de 
Vdleneuve-liargemont  de  !e  formuler,  puisqu'il  est  au  premier 
rang  de  ceux  qui  ont  la  mission  de  le  remplir;  grande  et  sublime 
mission  que  celle  de  ramener  la  science  dans  ses  véritables  voies, 
en  montrant  à  eus.  qui  l'ignorent  que  l'observation  des  ensei^ 
gnemens  du  catholicisme  est  le  plus  énergique  moven  d'ordre  et 
de  sociabilité  I 

Qu'on  ne  s'imagine  pas,  au  surplus,  comme  quelques  personnes 
semblent  le  croire,  que  l'école  économiciue  chrétienne  se  borne 
à  un  vogue  appel  aux  principes  religieux.  Plus  que  tous  autre?, 
au  contraire,  les  économistes  chrétiens  savent  descendre  de  la 
théorie  aux  détails  de  mif?e  en  œuvre  et  d'appliratioii.  C'est  ainsi 


Cl'^4  iiisioiin    d;    i/troNOMiE  Poi.iJ  loUK. 

notuuiiiciU  t|iu%  ilaiis  son  Economie  politique  chrétir/ifir,  M.  de 
Villciiciive-lhtjoeiiîoiii  a  donne  d'excellentes  idées  pratiques  sur 
j'amélioratioii  du  soit  des  classes  ouvrières,  et  sur  l'extinction 
('u  paupérisme,  cette  plaie  douloureuse  des  états  modernes. 

Nous  n'avons  pas  prétendu  offrir  ici  l'analyse,  même  incom- 
plète, de  V Histoire  de  Véconoinie  politique;  un  livre,  qui  renferme 
une  si  grande  masse  de  documens  et  de  faits,  ne  s'analyse  pas. 
Nous  avons  voulu  seulement  donner  une  idée  du  plan  suivi  par 
l'auteur.  Félicitons,  en  terminant,  M.  de  Villcneuve-Bargemont 
de  ses  utiles  travaux;  félicitons-le  du  talent  remarquable  qui  les 
distingue,  el  du  sentiment  cbrélien  qui  les  inspire. 

R.  DE  BELLEVAL. 


L'fMVKRS  IXPI.ronn  PAR  L\  P. KV îf,  V  J  I0\.  235 


lJl)ilo6opl)ie  catijoliquf. 


L'UNIVERS  EXPLIQUÉ  PAR  LA  RÉVÉLATION , 

ou 
ESSAI  DE  PHILOSOPHIE  POSITIVE- 

Par  L.  a.  CHAUBAUDV 


En  publiant  l'article  qui  suit,  nous  devons  prévenir  que  nous 

ne  nous  rendons  pas  garans  des  jugemens  qui  y  sont  portés  sur 
l'ouvrage.  Nous  dirons  même  qu'il  y  a  plusieurs  opinions  sur  les- 
quelles Fauteur  insiste  peu ,  mais  que  nous  sommes  loin  d'ap- 
prouver.  Nous  qui  sommes  purement  et  simplement  catholiques, 
nous  aimons  peu  ces  excursions  de  la  science,  qui  quelquefois  vise 
à  paraître  inspirée  et  à  donner  des  révélations  nouvelles.  Cepen- 
dant, comme  les  intentions  de  M.  Chaubard  sont  toutes  catholi- 
ques; comme  d'ailleurs,  tout  en  voulant  contenir  le  mouvement 
de  la  science  dans  le  cercle  des  vérités  catholiques,  nous  croyons 
qu'il  y  a  dans  ce  cercle  large  place  pour  tout  ce  qui  est  vrai  ou 
utile,  nous  n'avons  pas  cru  devoir  refuser  à  un  ami  de  M.  Chau- 
bard la  permission  d'exposer  ici  ses  svstènies. 

A.  B. 

Ce  livre  renferme  la  découverte  de  deux  choses  que  les  philo- 
sophes cherchaient  en  vain  depuis  plus  de  quatre  mille  ans ,  sa- 
voir :  le  principe-fait  d'où  tout  découle  en  philosophie,  et  la  mé- 
thode à  suivre  pour  reconnaître  avec  certitude  la  vérité.  La  vie 
des  élre^  est  ce  que  nous  nommons  lumière ,  chaleur,  et  elle  émane 
de  la  parole  divine  :  tel  est  le  principe  fondamental  de  la  philoso 

*  Un  fort  vol.  m-S*  avec  i  planches,  7  fr.—  Chez  Debecourt,  rue  des 
Saints-Pères,  6. 


^"M  j'iMVF.US 

}Xùe  reiifennJt*  dans  Vl  nii'crs  erpliqu.^  p.ii  11  i/v«'îaclon.  Te 
principe  n'est  autre  chose  que  la  traduction  de  ces  premièios 
paroles  de  l'évangile  de  sair.t  Jean  :  In  ipso  vita  erat,  el  vifa  eral 
luv  hominum  '. 

Ainsi  :  1*  ce  principe  appaitienl  à  la  révélalion  évnngélique;  — 
2*  il  se  reiiouve  dans  la  sijjnification  même  des  mots  del'liébreu, 
qui  est  la  langue  ou   un  idiome  de  la  langue  anlé-diluvicnne, 
ce  qui  suppose  qu'il  appartient  aussi  à  la  pliilosopliie  d'avant  le 
déluge,  car  sans  cela  il  n*aurait  pas  laissé  de  pareilles  traces  dans 
le  langage  vulgaire.  Cela  posé,  ce  principe  piis  au  pied  de  la 
lettre  est  vrai,   ou  il  est  faux.   Or  il  est  confirmé  par  les  expé- 
riences du  docteur  iJonné,  et  celles-ci  sont  mises  hors  de  doute 
■par  celles  du  célèbre  Mateucchi.  Donc  il  est  vrai.  Ainsi  :  lY  Ce 
principe  est  un    véritable    piincipe-fait,   ou  réquivalcnt    d'un 
axiome.    Comme  on  voit  ,   si  les  philosophes  se  sont  épuisés  en 
v.isns  elïorts  jusqu'à  présent  pour  trouver  ce  principe,  c'est  par- 
cequ'ils  n'avaient  pas  suffisamment  foi   en  ces  paroles  de  saint 
Paul  :  In  a^nilionem  mjsteru  De:  Pntrîs  cl  Chrisll  Jesu  sunt  om- 
nes  ikesauii  sapienùœ  et  scîenliœ  ahscoiulilï. 

Oiianl  à  la  méthode  servant  pour  ainsi  dire  tle  pierre  de  tou- 
che en  pliilosopliie  pour  rccannaitre  la  vérité,  elle  n'est  pas  plus 
nouvelle  que  le  principe  fondamental,  puisque  c'est  celle  des 
maihématiques.  laquelle,  comme  tout  le  monde  sait,  consiste  ù 
faire  la  preuve  des  résultats  numéricpies.  En  d'autres  mots,  cette 
méthode  consiste  à  vérilier  par  les  faits  de  la  science  ou  de  la 
nature,  les  déductions  logiques  de  ce  principe  fondamental, 
quand  il  s'agit  des  sciences  physiques,  et  par  des  textes  de  la  ré- 
vélation écrite  ou  par  l'enseignement  dogmatique  quand  il  s'af>it 
des  sciences  morales. 

Celte  double  découverte,  on  ne  saurait  se  le  dissimuler,  est  de 
nature,  à  renouveler  la  face  de  la  philosophie;  car  avec  un  tel 
principe  f^n  Jatnental  et  une  telle  méthode^  cette  science  se  trouve 


fol.,  H.   !- 


r.xpiiorK  PVR  lA  ukm'i  \  iio\.  Q^\l 

avoir  aujoiinl  liiii    à    î-a   ('iNposillou  toiil    ce    qu'il   lui    faut  |)AUi' 
se  il*'pouil!erile  loiU  «c  qu'elle  avait  cIt'fonj(>ctural  on  ù'inccrtain, 


el  pour  se  placer  eufiii  au  rang  des  sciences  positives.  Et,  en  di- 
sant ici  la  pliiloscplne,  ce  n*est  pas  de  cette  nîétapli\\>i(]ue  ab- 
struse et  stérile  à  laquelle  on  donne  aujourd'hui  ce  nom  que 
nous  entendons  parler,  mais  bien  de  la  véritable  pliilosophie, 
de  celle  qui  donne  la  raison  des  choses  divines  et  cr'^ées, 
c'esi-à-direj  que  nous  entendons  dire  la  science  universelle  en 
théorie. 

Le  livre  de  Vi'ni\-ers  expliqué  par  la  ri^'élalion  n'a  été  composé 
que  pour  Taire  Tapplication  à  la  philosophie  de  ce  principe-fait 
et  de  cette  méthode  ;  mais  il  est  résulté  de  leur  extrême  fécondité 
des  conséquences  bien  aiitiem-nt  importantes  que  Ion  n'anrait 
d'abord  pu  l'espérer.  Expliquons-nous  : 

Les  sciences  physiques,  depuis  cinquante  ans,  ont  fait  de 
o-rands progrès, mais  en  pratique  seulement.  En  théorieelles  n*ont 
pas  fait  un  pas  en  avant  qui  n  ait  éfé  suivi  d'un  pas  rélrogrraiê. 
Aujourd'hui,  pour  devenir  chimiste,  il  faut  manipuler,  sans 
cesse  manipuler,  c'est-à-dire  quM  fuit  se  faire  apoihicaire.  Poui" 
devenir  physicien,  il  faut  maintenant  apprendre  le  uiét'er  de 
fabricant  d'iiistrumens,  employer  les  cinq  sixièmes  de  sa  vie  à  ce 
travail  mécanique,  et  le  reste  à  imaginer  ou  à  répéter  des  expé- 
riences. Ou  donne  le  nom  de  science  à  ce:tc  chimie,  à  cette  phy- 
sique, mais  à  tort  sans  doute,  puisque  ce  ne  peut  être  là  que 
l'art  des  ex[)ériences  physiques  el  chimiques,  Pour  qu'il  piU 
y  avoir  science-  il  faudrait  une  iliéoi  ie  coordonnant  tous  ce.s 
ffiils,  toutes  ces  expériences,  et  donnaht  îa  raison  de  touies  ces 
choses  muettes  et  mystérieuses  pour  la  plupart.  Oi  cetie  ihéoiie 
de  la  physique  et  de  la  chimie,  qui  leur  manqutiii  pour  méiiler 
le  nom  de  science  se  trouve  aujourd'hui  dans  le  T  liVlf  <Jç  XU' 
riivers  erplir/uc  par  la  rés'élation,  où  elle  se  compose  de  ,1  théo- 
rèmes et  de  53  corollaires^  au  moyen  desquels  on  explique  une 
foule  de  faits  de  la  science  et  de  la  nature,  jusqu'à  présent  mys- 
jéiieux,  fct  qui,  selon  l'auteur,  sufhsent  pour  rendie  compte  de 
}om  ce  que  contiennent  les  livres  de  physique  et  de  chimie.  On 
liouve  en  outre,  dans  t  elte  th.'orie  philosophique,  une  foule  de 


'238  i/uiviVERs 

choses  nouvelles,  pi incipalement  sur  la  clialeui ,  la  luniièie  et 
l'électricité;  qui  sont  en  avant  tles  connaissances  actuelles.  Mais  il 
n'appartient  qu'aux  hommes  pratiques  de  juger  la  valeur  réelle  de 
ces  nouveautés.  Ces  50  et  quelques  corallaires  ont  tous  pour  point 
de  départ  le  principe  fondamental  emprunté  à  la  révélation  que 
la  viedeselres  est  ce  qu'on  nomme  lumière-chaleur,  et  les  consé- 
quences logiques  y  sont  confirmées  par  les  faits  de  la  science. 

Il  en  était  des  sciences  naturelles  comme  des  sciences  ph^si" 
ques  :  jusqu'à  présent,  tout  ce  qu'on  avait  fait  n'avait  abouti  qu'à 
entasser  des  faits  sur  des  faits,  des  expériences  sur  des  expé- 
riences ,  et  l'on  n'avait  pas  non  plus  fait  un  seul  pas  en  théorie. 
Il  avait  fallu  imaginer  des  hypothèses  et  édifier  des  systèmes  ar- 
bitraires pour  expliquer  comme  on  pouvait  tous  ces  faits  muets. 
Aujourd'hui,  le  règne  végétal  et  le  règne  animal  trouvent  une 
véritable  théorie  dans  V Univers  expliqué  par  la  révélaùony  la- 
quelle y  est  pareillement  déduite  du  principe  fondamental  em- 
prunté à  la  révélation  et  confirme  par  les  expériences  et  les  faits 
de  la  science.  Mais,  de  l'aveu  même  de  l'auteur,  ces  deux  théories 
sont  loin  d'être  aussi  complètes  que  celle  de  la  physique  et  de  la 
chimie^  à  cause  du  défaut  de  faits  propres  à  confirmer  les  consé- 
quences déduites  du  principe  fondamental. 

Quanta  la  cosmologie^  ou  théorie  du  mouvement  des  astres,  la 
science  avait  le  beau  système  de  Newton,  fondé  sur  l'hypothèse 
de  l'attraction.  Et  comme  celle  hypothèse  est  à  très  peu  près  un 
équivalant  de  la  vérité,  ce  système  lui  tenait  lieu  de  théorie.  Là, 
l'auteur  de  VUnivers  expliqué  par  la  révélation  n'a  eu  qu'à  sub- 
stituer les  conséquences  du  principe-fait,  fourni  par  la  révélation 
à  l'hypothèse  de  l'attraction,  pour  obtenir  une  véritable  tliéorie 
devant  laquelle  s'évanouissent  les  graves  difficultés  que  le  système 
de  Newton  présente  depuis  quelque  tems,  et  que  l'on  trouve  ex- 
posées dans  V  Univers  expliqué  '. 

Ainsi  c'est  la  philosophie,  comme  de  raison,  qui  fournit  aux 
expériences  de  la  chimie,  de  la  physique ,  à  celles  de  l'histoire 
naturelle  des  êtres  organisés  et  à  la  cosmologie,  ce  qui  leur  man- 

'Pag.  4o8  etsuiv. 


E\PL1Q(  É  PiK   LA  IlLVl'r  VTI0.\.  239 

(|uait  pour  se  placer  au  rang  des  sciences,  où  elles  n'avaient  pas 
encore  le  droit  de  figurer  et  où  on  ne  les  avait  classées  que  par 
anticipalion.  C'est  donc  avec  raison  que,  dès  le  commencement, 
on  a  dit  que  ce  principe  fondamental  et  cette  méthode,  jusqu'à 
présent  méconnus  en  philosophie,  étaient  de  nature  à  changer  la 
face  de  cette  science. 

Le  livre  eût  sans  doute  pu  se  borner  là  ;  mais  alors  il  n'eût 
embrassé  que  la  partie  physique  de  la  philosophie.  Pour  traiter 
le  sujet  dans  son  intégrité,  il  a  fallu  y  ajouter  la  partie  morale,  et, 
par  conséquent,  y  donner  la  théorie  de  Dieu  et  celle  des  êtres  im- 
matériels. Là  le  principe' fait,  emprunté  à  la  révélation,  esta  peu 
près  impuissant.  Nous  ne  savons  de  Dieu  que  ce  qui  en  a  été  ré- 
vélé, et  d'ailleurs  il  ne  saurait  y  avoir  eu  cette  matière  des  expé- 
riences confirmatives  de  la  théorie.  Il  est  vrai  que  l'auteur  avait 
ici  à  sa  discrétion  le  riche  arsenal  théologique  et  la  théologie  des 
écoles,  «i  Mais  ,  dit  l'auteur,  cette  théologie  date  de  cinq  ou  six 
»  cents  ans  :  elle  n'a  été  composée  telle  que  nous  l'avons  que  pour 
»  combattre  des  hérétiques  et  des  incrédules.  Les  armes  qu'elle 
»  avait  prises  dans  l'arsenal  théologique  étaient  bien  celles  dont 
»  il  fallait  s'armer  contre  de  tels  ennemis,  mais  elle  a  négligé  le 
»  reste.  Aujourd'hui  ses  nouveaux  adversaires  ne  sont  ni  des 
»  hérétiques  ni  des  incrédules,  ce  sont  les  panthéistes  de  Schel- 
»►  ling,  de  Rrause,  de  La  Mennais,  etc.  Pour  combattre  ces  nou- 
»  veaux  antagonistes,  la  scolastique  est  mal  armée  et  son  plan 
»>  stratégique,  s'il  est  permis  de  dire  ainsi,  n'a  pas  été'  conçu  pour 
>»  vaincre  de  pareils  ennemis.  Demandez-lui  en  effet  la  théorie 
»  des  deux  natures  infinie  et  finie  avec  laquelle  on  tue  du  pre- 

>  mier  coup  VÉtre  absolu  sur  lequel  tous  les  panthéismes  repo- 
»  sent?  Elle  a  négligé  d'en  parler.  Demandez-lui  la  théorie  de 
»  l'infini,  avec  laquelle  on  démontre  aux  panthéistes  que  leur 
»  univers  n'est  pas  l'univers  réalisé  ou  créé,  mais  seulement  l'idée 
»  éternelle  de  Dieu?  Elle  l'a  laissée  de  côté.   Demandez-lui  la 

>  théorie  de  l'univers  invisible  ou  typique,  idée  éternelle  de 
»  Dieu,  au  moyen  de  laquelle  on  comprend  plusieurs  choses 
"  essentielles  qu'elle  n'explique  pas  et  par  laquelle  ou  démontre 
»  aux  panthéistes  que  la  réaction  de  l'univers  visible  se  trouvant 


»  iiti'VocahlriiifiU  nru'itP  ilans  reite  uK'c  c'ierneU*'  il<'  I>lou,  Il 
»  est  absiuilc  de  la  ir.cUie  en  tioule?  C'est  ù  peine  si  on  v  en 
5:  trouve  quelques  légères  traces.  -^ 

Obligé  de  se  conformer  aux  besoins  du  tenis,  et  ne  trouvant 
point  ces  théories  dans  les  traités  de  lliéologle,  l'auleur  a  dii  s'at- 
tacher à  les  développer.  Maintenant  il  est  queslion  de  voir  si  tout 
ce  quM  y  dit  est  en  hainionie  avec  l'enseignement  dogmatique. 
On  a  déjà  aitaqué,  dans  la  Re^'ue  UUcraue  et  critique,  publiée  par 
la  Société  de  Si- Paul  ',  le  corollaire  i  du  liv.  I'^'"  et  le  cbap.  XI  du 
liv.  0.  Dans  le  corollaire,  il  y  aurait  riu-résie  dile  ubitjuisme,ct 
dans  le  cliap.  XI  celle  du  inilleranisme.  Mais,  dans  ses  additions 
supplénieniaiies,  l'auteur  fait  remarquer  que  cette  Société  a 
commis  à  cet  égard  deux  graves  mépiises,  cl  qu'il  suffit  de  con- 
sulter un  traité  de  théologie  pour  voir  que  l'hérésie  des  uhiqui^ 
taires  et  celle  des  millénaires  sont  tout  autre  chose.  En  sorte  qu'il 
n\y  a  pas  même  vestige  dans  le  livre  de  ces  deux  prétendues  hé- 
résies. Quant  à  nous,  n'ayant  pas  encore  étudie  l'ouvrage  sous  ce 
point  de  vue,  nous  ajournerons  à  un  autre  tems  nos  remarques 
critiques,  s'il  devient  nécessaire  d'en  faire.  Aujourd'hui  noire 
unique  but  a  été  de  faire  connaître  .  ux  lecteurs  des  ,^/j/m/e5  cette 
nouvelle  publication  philosophique  qui  mérite  une  sérieuse  atten- 
tion à  cau^e  des  conséquences  importantes  qu'elle  peut  avoir  et 
dont  voici  les  principales. 

1,  La  première  de  ces  conséquences  est  que  tout  le  matéria- 
lisme de  rédifice  athée  élevé  par  les  physiciens^  les  chimistes  et 
les  naturalistes  modernes  s'écroule  et  disparaît  derrière  la  sur- 
prenante fécondité  de  cette  philosophie  positive,  ou  pour  mieux 
dire  de  celle  pliilosophie  anlé^diluvienne  restituée  sur  son  prin- 
cipe fondamenlal  conservé  dans  la  révélation  évangélique.  En 
d'autres  mots,  que  les  sciences  physiques  et  naturelles,  rendues 
alliées  par  les  soi-disans  philosophes  du  siècle  passé,  redevien- 
nent chrétiennes,  et  le  deviennent  pour  toujours  ;  car,  par  la  pu- 
blication de  ce  livre,  la  ficience  et  ses  futurs  progrès  se  trouvent 
aujoutcVImi  renfermés  dans  le  cliristianisme,  de  telle  sorte  que 

*  N°  V,  mai,  p.  9'.>8  et  >\ù\\ 


i:\l'LlolL    l'Ail    LV    1;L\  LL  VllO.N.  -<« 

l'on  ne  puisse  jamais  les  en  séparer  el  que  l'on  se  Uouve  l'orcé 
ireiistij^ner  Tun  et  l'autre  conjointement,  ce  (|ui  nous  ramène  à 
la  manière  de  voii-  de  Tailmirable  et  saint  docteur  d  Hippone  qui 
disait,  il  v  a  quatre  siècles,  non  aliam  esse  philosopJiiam  et  aliuni 
reîigionein. 

2.  La  seconde  conséquence  est  que  ce  livre  met,  pour  ainsi 
diié,  dans  la  main  du  clergé  ce  qu'il  désire  avec  tant  de  raison  et 
d'ardeur,  savoir,  d'occuper  un  rang  distingué,  ou  au  moins  le 
rang  qui  lui  convient  dans  la  science.  En  clYet,  ce  livre  démon- 
Irani  que  la  science  même  et  ses  progrès  ultérieurs  se  tiouvent 
être  aujourd'hui  renfermés  dans  le  christianisme  ,  quel  autre 
corps  pourrait  êire  plus  apte  que  lui  à  professer  cette  philosophie 
et  à  la  faiie  progres£er?  Les  ecclésiastiques  ne  possèJent-ils  pas 
infiniment  mieux  que  les  laïques  la  connaissance  du  dogme  chré- 
tien dont  ils  sont  les  dépositaiies?  Et  à  cet  égard  il  faut  prendre 
garde  de  s'abuser.  Quand  bien  même  il  serait  échappé  à  l'auteur 
quelque  chose  d'inexact,  d'hérétique  même  dans  la  partie  mo- 
rale ,  comme  celte  partie  morale  n'est,  à  proprement  parler, 
qu'une  œuvre  de  remplissage,  il  est  aisé  de  l'en  faire  disparaître 
sans  porter  la  moindre  atteinte  à  tout  le  reste,  et  il  est  d'ailleurs 
loisible  à  tout  le  monde  de  se  l'ai  ranger  à  son  gré.  Cette  partie 
morale  même,  quelque  inq)arfaite  que  l'on  puisse  la  supposer,  une 
fois  purgée  par  la  critique  de  ce  qu'elle  peut  avoir  d'impirfait, 
n'en  restera  pas  moins,  parce  cjue  son  importance  pour  réfuter 
les  panthéistes  et  résoudre  quelques  questions  difficiles  de  ihco 
logie  ne  permettra  pas  dc^  la  laisser  de  coté. 

3.  La  troisième  conséquence  est  que  ce  livre  ouvre  à  la  scieuce 
une  route  nouvelle  dans  laquelle  il  est  difficile  de  penser  qu'elle 
ne  fasse  pas  de  grands  progrès  :  car  l'auteur  n'a  pu  faire  autre 
chose  que  donner  l'exemple  de  la  parcourir.  Livré  à  ses  seuls 
moyens,  et,  pour  ainsi  due,  bridé  par  l'insuffisance  de  sou  in- 
struction bornée,  tandis  cpi'elle  eût  du  être  complète  et  univer- 
selle^ il  n'a  pu  la  parcourir  comme  l'auraient  fait  ces  spécialités 
qui  mnrchent  au  premier  rang  et  cpie  rien  n'égale.  Obligé  de 
tout  savoir  pour  traiter  son  sujet,  il  n'a  fuit  qu'eflîeurer  là  ma- 
tière^ et  cependaut  yoii  livre  icnfcnic  i?ne  foidc  de  tho'eb  nou- 


V?4:2  L  LMViiKS   KXPLIQUÉ  PA.R  LV    KEVÉLAJIO.N. 

vcllesel  en  avant  delà  science,  principaîeaieiil  sur  la  luniière  e:l 
la  ilialeur. 

1.  Enfin,  !a  quatrième  conséquence  est  qu'au  moyeu  de  celte 
puL'lication  il  devient  possible  à  tout  bon  élève  parvenu  en  phi- 
losophie d'apprendie  la  science  universelle  en  y  coiisacrant  deux 
ou  trois  ans  seulement  ;  car  au  moyeu  des  théories  que  renferme 
la  partie  phvsique  de  ce  livre,  ks  expériences  se  trouvant  grou- 
pé'^s  en  grand  no'nbre  dans  chaque  corollaire  ,  les  traités  si  volu- 
mineux, si  indigestes  de  la  physique  et  de  la  chimie  cessent  de 
justifier  leur  litre  pour  devenir  des  répertoires  d'expériences  ou 
des  manuels  de  la  science  pratique  ,  répertoires  très  utiles,  sans 
doute,  mais  indispensables  seulement  pour  ceux  c{ui  se  desiincut  à 
l'art  pharmaceutique  ou  à  celui  des  manipulalions. 

Ce  qui  précède  ne  donne,  sans  doute  ,  qu'une  idée  vague  du  li- 
vre ;  mais  comment  analyser  un  travail  qui  lui-même  n'est 
qu'une  sorte  d'exposition  analytique  d'un  traité  de  philoso[  hie 
positive  à  composer?  C'est  chose  absolument  impossible.  Pour  se 
faire  une  idée  de  la  facilité  avec  laquelle  tout  se  déduit  du  prin- 
cipe fondamental  dans  la  philosophie  physique,  de  la  logique  sé- 
vère, de  la  science  et  de  l'érudiiion  que  ce  livre  renferme  ,  il  faut 
non  pas  seulement  le  lire  ,  mais  l'étutlier  et  le  méditer.  La  science 
universelle  en  théorie  est  là  déduite  d'un  prmcipe  jusqu'à  pré- 
sent méconnu  et,  par  conséquent,  entièrement  ignoré  de  tout  le 
monde  :  ce  que  renferment  nos  livres  n'en  fait  point  partie,  et  s'il 
y  intervient,  ce  n'est  que  pour  attester  sa  vérité.  Celui  qui  se  con- 
tentera seulement  d'eu  lire  le  contenu  ne  pourra  trouver  dans  sa 
mémoire,  après  celte  lecture,  qu'un  cahos  d'idées  nouvelles  dans 
lequel  la  raison  se  trouve  égarée.  On  a  tout  compris,  grâce  à  la 
précision  d'expression  et  à  la  lucidité  de  pensée  cjui  ont  présidé  à 
la  rédaciiou  de  ce  travail  original,  mais  l'intelligence  se  trouve 
confondue  par  celle  multitude  de  nouveautés  rassemblées  en  un 
seul  volume,  et  par  le  défaut  de  méditation  que  chacune  d'elles 
exige  pour  être  bien  saisie. 


M0UVKLLE8    Kl     MELANGES.  "243 

nouprlU$  et  iUélau^cô. 

EUROPE. 

FRA^CE. —  ISSOUDUN.  Découverte  d'une  basi/ii/ue  c/irt'iitn/ie  des 
premiers  siècles.  —  M.  Armand  Péremet,  eu  faisant  une  fouille  au  pied 
de  la  grosse  tour  d'Issoiidun  (Indre),  sur  laquelle  il  donne  des  délails 
fort  curieux,  a  découvert,  enfoui  sous  terre,  et  presque  dans  son  entier, 
un  édifice  qui,  comme  les  cités  d'HercuIanum  et  de  Pompéi,  s'est  con- 
servé, par  la  destruction  même,  dans  toute  la  pureté  de  son  origine,  cl 
qu'il  prétend  appartenir  au  4-  ou  5e  siècle  de  notre  ère.  Cet  édifice  cons- 
titue, selon  lui,  une  de  ces  petites  basiliques  ou  oratoires  que  les  pre- 
miers chrétiens  élevaient  en  1  honneur  des  saints  et  des  martyrs,  et 
qu'il  démontre  être  le  type  des  églises  chrétiennes,  accompagnée  de  la 
cellule^  qui  en  était  presque  toujours  Yappendice  obligé,  et  dont  Gré- 
goire de  Tours  fait  si  souvent  mention. 

M.  Armand  Péremet  est  parti  de  cette  découverte  comme  base  pour 
se  livrer  à  des  études  qui  l'ont  mis  à  même  d'entreprendre  VHistoire  des 
temples  chrétiens  primitifs.  Tout  fait  espérer  qu'il  saura  réparer  cette 
lacune  de  la  science  archéologique. 

AMÉRIQUE. 

ÉTAT  DE  KEINTUCHY.  Description  de  la  caverne  du  Mammouth. 
—La  caverne  du  -Mammouth,  ou  grande  grotte  américaine,  est  un  im- 
mense souterrain  dans  la  prairie  sud  de  l'Etat  de  Kentuchy.  La  desciip- 
tion  qui  suit  est  due  à  la  plume  d'un  gentleman  très  instruit  et  digne  de 
la  plus  haute  considération  ,  qui  est  demeuré  tout  récemment  quelcjue 
tems  sur  les  lieux. 

La  caverne  a  été  explorée  ,  suivant  l'estimation  du  guide,  sur  une 
étendue  de  quatorze  milles  '-22  kilomètres  1/2,  5  lieues  172}  en  ligne 
droite.  Cttte  limite  des  explorations  aboutit  à  une  entrée  au  delà  des 
montagnes  rocheuses.  Jusqu'où  peuvent-elles  s'étendre  rncore,  on  l'i- 
gnore. 

Il  paraît  que  la  caverne  a  été  habitée  dans  des  tems  reculés,  mais  pro- 
bablement |>ar  des  races  éteintes  aujourd  hni.  On  a  e.\aminc,  en  i8i5, 
bii  eorps  humain  trouvé  dans  cette  cnveiiie,  et  la  Jiombitu'.e  ^ar«lc-iobc 


*2\\  .\OUVELLLS    El    MtLA.NGES. 

conservée  ciiipits  de  lui,  dont  on  a  fait  un  luvonlaire  exact  que  1  un  pos- 
sède eiicoie.  le  corps  était  celui  d'une  de  taille  gigantcstpie,  il  .ivait  à 
})eu  piès  5  pieds  lo  pouces  ^anglais).  Il  était  arcionpi  dans  un  trou  de 
trois  pieds  carrc'S  d  ouverture,  sur  lequel  était  une  pierre  plate.  Les  poi- 
gnets étaient  liés  d'une  corde  et  plies  contre  la  poitrine;  les  genoux  en 
étaient  rapprochés.  Le  corps  était  entouré  de  deux  peaux  de  cerf  à  moi- 
tié préparées  et  sans  poils,  sur  lesquelles  étaient  dessinées  en  blanc  c'c^ 
souches  et  des  feuilles  de  vigp.e.  Sur  ces  peaux  était  un  drap  de  deux 
yards  carrés;  aux  j^ieds  une  paire  de  mocassins,  une  espèce  de  havre-i-ac 
entièrement  rempli  des  objets  qui  suivent- 

Sept  parures  de  tête  en  plumes  d'aigle  et  ô'un  autre  oiseau  de  proie, 
assemblées  comme  on  fait  nujourd  hui  pour  les  éventails  de  p'iumes.  C(S 
jviruros  fort  éljgantcs  sont  placées  debout  sur  le  haut  de  la  tète  dune 
oreille  à  Tau  Ire,  attachées  avec  des  cordons. 

Une  mâchoire  d'ouis  arrangée  pour  être  {jortte  p^r  une  corde  autour 
du  cou  ;  une  serre  d'aigle  destinée  à  ètre])0rtée  de  la  même  manière.  — 
Plusieurs  sabots  de  faons  arrangés  en  chapelet.  —  Environ  deux  cents 
tours  do  chapelet  en  graines  de  l'intérieur  du  pays,  un  peu  plus  petites 
qne  la  graine  de  chanvre. 

Des  sifflets  liés  ensemble  et  d'environ  six  pouces  de  long,  faits  en 
canne,  avec  une  ajoutée  du  tiers  de  la  longueur  ;  une  ouvertui^e  d'envi- 
ron 9  lignes  s  étend  de  chaque  coté  du  joint,  où  se  trouve  un  roseau 
fendu. 

Deux  grandes  peaux  de  serpens  à  sonnoLles,  doat  lune  a  qualor/.e  an- 
neaux sonores. 

Un  peloton  do  iierf  de  chamois,  pour  coudre,  ressemblant  à  des  cordes 
de  violon.— QueUjues  bouts  de  gros  n\  à  deux  ou  trois  brins;  une  poche 
en  fdet  en  forme  de  valise,  s'ouvrant  en  long  et  ))ar  le  haut,  avec  des 
ganses  de  ch.nque  cote,  et  deux  cordes  fixées  à  l'une  des  extrémités  et 
passant  à  travers  ces  ganses  pour  la  fermer.  Cette  espèce  de  valise  était 
d  un  bon  modèle  et  fort  ingénieusement  faite. 

Telle  ctai»  la  garde-robe  trouvée  avec  le  corps  de  cette  femme. 

Le  drap,  les  mocassins,  le  havresac,  la  poche  en  filet,  le  fd,  les  cordons 
'^É^aient  en  écorce,  travaillés  soit  en  tresse,  soit  en  espèce  de  tricot.  —  Le 
havre-sac  avait  une  double  bordure  de  trois  pouces,  qui  lui  donnait  plus 
de  force. 


Ar\NALîi.8 


2io 


DE    PHILOSOPHIE   CHRETIENNE. 


Allocution  de  s.\  suntetk  !\oti\e  skigwlui;  ll 
ral>e  guégoire  xvi  au  sache  cou  ége,  da\s  le 
co^sistoji\e  secret  du  22  juillet  1g42; 

suivie 

Dune  Exposition,  corroborée  de  Documens,  sur  les  soins  inccssatis 

de  Sa  Sainteté 

pour  porter  remède 

AUX  SIAUX  GRAVES  DONT  LA  RELIGION  CATHOLIQUE  EST  AlFLlGLE 
DANS  LES  ÉTATS  IMPERIAUX  ET  ROYAUX  DE  LA  RUSSIE  ET  DE  LA 
rOLOGNE  ». 

Exposilioii .  —  3"^  partie, 

Oa  l'a  vu,  tous  les  soins  que  se  donnait  le  Saint-Père  avec  tant 
de  sollicitude  pour  rendre  meilleure  la  condition  de  l'Eglise  C.i- 
tliolique  dans  la  Russie  et  dans  la  Pologne  demeuraient  sans  r»'- 
sultal.  Cependant  une  circonstance  heureuse  sembla  devoir  adou- 
cir l'amertume  de  sa  douleur;  l'assurance  lui  fut  donnée  qu'en  un 
moment  solennel  Tauj^uste  Empereur  et  Roi  s'était  exprimé  dans 
les  termes  les  plus  flatteurs  en  faveur  du  culte  catholique  et  de  la 
portion  si  recommandable  de  ses  sujets  qui  professent  ce  cukr. 
Le  Saint- Père  sentit  avec  joie  se  ranimer  dans  son  cœur  la  douce 

•  Yoirleprécéilent  numéro,  ci-dessus,  p.  i65. 

111'-'  SÉRIE.  TOME  VI.  —  X°  34.  1842.  16 


2hG  ai  locution    IMJMIllCALIL 

Confiance  (;nc  lui  avaient  tonjuiirs  inspirée  l'élôvalion  cl  la  no- 
blesse de  caractère  de  S.  M.  Impériale  et  Royale,  et  se  lit  un  de- 
voir de  lui  en  'manifester  sa  vive  reconnaissance  ;  mais  en  même 
lems,  après  avoir  retracé  encore  une  fois,  à  cette  occasion,  avec 
une  entière  loyauté,  les  maximes  de  la  Religion  calholique,  cons- 
tamment mises  en  pratique  par  le  Saipt-Siége,  Sa  Sainteté  fit  un 
nouvel  appel  à  la  bonté  naturelle  et  à  la  liante  protection  de  ce 
puissant  monarque  pour  ses  sujets  catlioliques  et  pour  l'Eglise  de 
Dieu-. 

'  DocLMEAT  u"  i5.  —  Letlrc  adressée  par  le  SaiiU-Ptre  à  S,  M. 
V Empereur  de  Russie,  le  4  janvier  1 854  • 

a  S.  M.  1  Empereur  d'Autriche  nous  ayant  fait  part  de  la  manière 
bicnveillanle  dont  V.  M.  a  parlé  avec  Lui  de  la  situation  de  l'Eglise  Ca- 
tholique ,  dans  la  vaste  étendue  de  vos  possessions  impériales  et  royales, 
nous  croyons  que  c  est  pour  nous  un  devoir  sacré  de  témoigner  à  V.  M. 
par  cette  lettre,  écrite  de  notre  propre  main,  la  reconnaissance  sincère, 
dont  nous  sommes  si  profondément  pénétré.  Nous  n'hésitons  pas  à  l'as- 
surer que  la  seule  connaissance  de  ses  dispositions  bienveillantes,  et  de 
ses  sentimens  de  bonté  pour  TÉglise  à  laquelle  appartient  un  si  grand 
nombre  de  ses  sujets,  nous  a  ému  de  la  manière  la  plus  douce  et  la  plus 
vive,  et  a  singulièrement  adouci  l'amertume  dont  les  malheurs  de  cette 
même  Église  remplissaient  notre  àme. 

:»  Mais  pendant  que  nous  exprimons  à  Y.  M.  notre  gratitude ,  et  que 
nous  lui  offrons  nos  remercîmens,  nous  sentons  que  la  magnanimité  de 
son  cœur  nous  inspire  une  entière  et  douce  confiance  pour  réclamer  sa 
protection  impériale,  en  faveur  de  lÉglise,  et  en  faveur  de  tous  les  ca- 
tholiques de  ses  états  impériaux  et  royaux. 

»  Et  ici,  qu'il  nous  soit  permis  de  répéter  avec  franchise  à  V.  M.  ce 
que  nous  avons  publiquement  et  solennellement  déclaré  à  tous  ,  à  la  face 
du  monde,  savoir  :  que  l'Église  catholique,  bien  loin  d'approuver  l'esprit 
d'insurrection  contre  les  puissances  légitimes,  le  réprouve  au  contraire 
et  le  condamne  énergiquenient.  Sa  Majesté  n'ignore  certainement  pas  ce 
qu'ont  rapporté  même  les  journaux ,  de  la  constance  inébranlable  avec 
laquelle  nous  avons  toujours  insi?té,  et  par  laquelle  nous  avons  travaillé 
cilicaccnjeul,  (>ii  ces  derniers  tcnis  surtout,  à  nrracher  du  cœur  des  ca- 


Kt celtes,  cette  manifestation  des  senliniens  de  l'Lnipeieur.  ces 
recommandations  du  Saint-Pèi  e  à  Sa  Mnjesté  arrivaient  à  pro- 
pos,  car  Sa  Sainteté  venait  d'apprendre  que  par  un  décret  du 
sénat  dirigeant,  du  10  mars  1832,  il  était  formellement  interdit 
de  publier  ou  de  recevoir  dans  les  Etats  impériaux  aucune  espèce 
de  Rescrit  ou  de  Bulle  Apostolique'.  Semblablement,  un  ukase, 

iholiques  tout  germe  d'un  pareil  esprit.  On  sait  pareilleiueut  quels  ré- 
sultats heureux  et  consolans  nos  efTorts  ont  déjà  obtenus  à  cette  heure. 
Gonformément  à  ces  maximes  immuables  de  TEglise  catholique,  si  so- 
lennellement annoncées  et  défendues  par  nous,  nous  donnons  à  V.  M. 
l'assurance  qu'en  tout  ce  qui  peut  dépendre  de  notre  ministère  Aposto- 
lique, en  tout  ce  qui  peut  se  rap]iorter  à  noire  suprême  puissance  spiri- 
tuelle, nous  sommes ,  pour  notre  part ,  disposés  et  fort  désireux  de  con- 
tribuer à  procurer  aux  peuples  de  Y.  M.  la  paix  et  la  tranquillité,  et  d'ai- 
der ainsi  à  V.  M.  à  faire  leur  l)onheur  temporel. 

»  De  même  que  nous  nous  sentons  poussé  à  mettre  toute  notre  con- 
fiance dans  la  puissante  et  souveraine  protection  de  V.  M. ,  de  même 
nous  la  conjurons  de  vouloir  bien  nous  accorder  une  égale  confiance  dans 
l^xercice  de  notre  ministère  Apostolique,  pour  toutes  les  mesures  que 
peut  exiger  la  situation  prc*scnte,  afin  de  protéger  ,  de  conserver  ou  de 
rétablir,  dans  les  Etats  de  V.  M.^  l'intégrité  de  la  foi  et  la  vigueur  de  la 
discipline. 

»  Que  V.  AI.  accueille  avec  bienveillance,  dans  la  générosité  de  son 
cœur,  cette  expression  de  nos  senlimens  ;  pour  nous,  nous  ne  cesserons 
pas  de  prier  le  Seigneur  Dieu,  afin  qu'il  daigne  combler  de  prospérités 
V.  M.  et  toute  sa  famille,  et  afin  qu'il  la  conserve  de  longues  années  pour 
le  bonheur  de  ses  sujets. 

a  Rome,  dans  notre  palais  du  ^  alican,  etc.  n 
'-  N.  10.  — Décret  du  sénat  dirigeant,  en  date  du  lo  miv  s  1802,  qui 
interdit  de  recevoir  les  Bulles  Pontificales  dans  les  États  russes  : 

«  TJkas  sus  Imp.  3Iaj.  Authocratoris  omn.  Russ.  è  consistorio  Ro= 
mauo  Catholico  latino  Luceoriensi. 

•»  CoUeginm  audito  decreto  dirigentis  scnatus  de  die  10  martii  a.  r. 
n-  i5,6o5  ut  ubique  publicarenlur  décréta  de  non  admittendis  Bulli^. 
Pontificiis,  transmisit  cxemplar    hujus  dccreti  dirigentis  senatus   ad 


248  AJXOCUJIO.N    l'OMiriCALE 

presque  (In  uièine  jour,  i  emcll.iit  en  vigueur  les  |  eiiie^  les  j'ius 
sévères  eoiilre  l(  s  prétctulus  eoupablcs,  assez  lianlis  pour  eontri- 
])iier  en  quelque  inauièru  à  proeurer  (les  conversions  tlu  culte  do- 
ininiinl  à  la  Relii;ion  Calliolique  Homaine  '.  En  outre,  Tukase  du 
■20  août  (le  la  nn^nie  annt^c,  eonfirnié  et  explique:  par  celui  du  26 
août  1833,  assnjiHissait  la  Polo[;ne  aux  lois  en  vijjueur  dans  l'em- 
pire russe,  qui  exigent  pour  les  mariages  mixtes,  comme  une  con- 
dition absolue  ,  la  promesse  formelle  dVlever  tous  les  enfans  à 
naître  dans  la  relif^ion  grecque-unie  ;  et  par  ce  même  ukise,  il 
était  disposii  que  de  pareils  mniiar^es  contractc^s  devant  le  senl 
curé  catholique  doivent  ètie  rt {gardés  comme  invalides  jusqu'à 
ce  que  la  cérémonie  ait  eut  lieu  devant  le  prclrc  grec-russe^. 
Bien  plus,  un  autre  ukase  de  1833  ,  remettant  en  vigueur  les  or- 
donnances depuis  longtems  tombées  en  désuétude  de  l'Impéra- 

onines  Episcopos  diœccsanos  adminislralores  diœcesum ,  et  ad  hoccc 
Consistorium,  ut  coramunicarelur  cum  omni  clerc  Sa?cnlaii  et  Begulari 
ad  dcbilam  execulioncin.  In  sequclam  hiijus  nolum  fiat  decretum  Ro- 
mane Calholici  Collcgii  lotr Clerc  luijus  diœcesecs  lam  sœculari  quam 
regulari,  erga  revcisales  à  Decanis  et  Vice-DecaKis  cclligendas.  De  qu« 
liât  rt'lalio  Romano  Cailiolicc  Collegio  Pxclesiastico. 

I  N.  17.  —  Ukase  de  la  même  époque^  pour  remettre  en  vigueur  les 
peines  portées  contre  quiconque  contribue  à  la  conversion  d'un  Grec 
non-uni  au  catliolicisnic, 

-  N.  18  et  it).  — Ukase  impérial  du  20  août  1802,  qui  dispose  que 
tout  mariage  cnlre  une  ))crsonue  grecque-russe  et  une  personne  atta- 
chée à  une  autre  confession  sera  n{3cessairemcnt,  et  en  tout  cas,  réputé 
invalide  ,  s'il  n'est  pas  contracté  en  présence  d'un  prêtre  grec-russe,  et 
après  la  promesse  faite,  par  la  partie  attachée  à  une  confession  étran- 
"hvc  .  délever  tous  les  enfitns  à  venir  de  ce  mariage  dans  la  religion 
grecque- ruf  se. 

^  Ukase  du  26  août  i855  qui  explique  le  précédent,  déclarant  qu'il 
ne  peut  avoir  d'effet  rétroactif,  et  n'oblige  que  les  parens  qui  ont  con- 
tracté leurs  liens  après  sa  publication  ;  toutefois  le  dernier  ukase  (de 
iî<55)  autorise,  même  en  ce  cas,  le  clergé  grec  à  faire  des  démarches 
pour  que  tous  les  enfans  soient  élevés  dans  la  religion  oilhodoxt-russe. 


SUR  l'Église  en  russie.  *249 

liice  Calheiiac  II,  dispose,  dans  le  but  évident,  et  qui  n*a  ëlécjue 
trop  atteint,  de  suppiimer  un  nombre  immense  de  paroisses  ca- 
tholiques, qu'il  n'y  aura  dt'sorurais  d'église  et  de  prêtre  que  là 
où  les  calholi  jues  formeront  une  population  aj^glomérée  de  400 
habitans  '.  En  exécution  de  deux  ukases  du  24  juin  de  la  même 
année  et  du  22  avril  1834,  relatifs  à  réreclion  de  deux  évccliés 
du  culte  jjrec-non-uni  à  Varsovie  et  à  Polock  ,  une  magnifique 

'Les  ordonnances  de  rimpératrice  Catherine  II ,  d'après  lesquelles 
les  communes  de  cent  feux  ,  c'est-à-dire  de  4oo  habitans,  à  raison 
de  quatre  habitans  par  feu,  pouvaient  seules  avoir  une  église,  qui  ne 
pouvait  être  desservie  que  par  un  seul  piètre,  ces  ordonnances,  après 
être  tombées  cii  dt-suétude ,  avaient  été  remises  en  vigueur  en  i853;  et 
elles  ont  été  promulguées  de  nouveau  par  f  ukase  du  \6  décembre  i83!^, 
qui  en  ordonne  la  pleine  et  perpétuelle  exécution  (Voir  le  document 
n°  70  où  se  trouve  ledit  ukase).  Cet  ukase  est  conçu  en  ternies  non  pas 
prohibitifs,  mais  plutôt  permissifs.  Ainsi,  il  déclare  que  la  construction 
des  églises  catholiques  n'est  permise  que  dans  les  lieux  où,  sur  une  pe- 
tite étendue  de  terrain,  se  trouvent  agglomérées  100  à  i5o  maisons, 
cest-à-dirc  400  à  600  personnes  attachées  au  culte  catholique.  Si  l'on 
considère  quelle  est  l'étendue  de  territoire  sur  lequel  se  trouvent  ordi- 
nairement dispersés  dans  les  provinces  polonaises-rus><es  un  pareil  nom- 
bre de  catholiques,  on  voit  que  la  conséquence  inévitable  de  cette  me- 
sure sera  de  supprimer  la  plus  grande  partie  des  paroisses  dans  les  six 
diocèses  que  forment  ces  provinces.  L'ukase  ne  précisant  pas  sur  cjuellc 
étendue  de  territoire  devra  être  aggloméré  le  nombre  û.\é  de  400  à  Coo 
catholiques,  pour  avoir  une  église  et  un  prêtre  de  leur  culte,  il  en  résulte 
qu'on  ne  peut  pas  non  plus  calculer  d'une  manière  précise  combien  de 
paroisses  seront  supprimées.  Mais  cet  ukase  étant  déjà,  depuis  plusieui^ 
années,  en  voie  d  exécution,  une  cruelle  expérience  ne  nous  a  que  trop 
appris  que  le  nombre  de  ces  suppressions  sera  très  grand.  Ou  rapporte 
avec  beaucoup  de  viaisemblance  que,  dans  quelques-uns  de  ces  diocèses 
et  nommément  dans  celui  de  Luck,  il  y  a  déjà  des  localités  où,  sur  une 
étendue  de  plusieurs  milles  italiens,  ne  se  trouve  qu'une  seule  église  ca- 
tholique. Remarquons  que  la  superficie  de  ce  diocèse  est  de  1,075  milles 
iljlicns  canes. 


250  ALLOCUTION    PONTIFICALE 

t'jïTisc  lut  enlevée  aux  catholiques  clans  la  premièie  de  ces  deux 
villes;  c'est  ainsi  qu'ils  avaient  perdu  dans  une  autre  circons- 
tance le  grand  temple  de  Saint-Casimir  à  Yilna*.  Mais  l'époque 
où  furent  prises  les  diverses  mesures  que  nous  venons  d'énumé- 
rer  est  antérieure  ou  du  moins  ne  dépasse  pas  les  derniers  mois 
de  1833  et  les  premiers  de  1834,  sauf  quant  à  celles  qui  n'étaient 
que  la  conséquence  des  choses  précédemment  ordonnées;  de 
sorte  que  les  ministres  de  Sa  Sainteté,  n'en  ayant  eu  connaissance 
que  plus  tard ,  n'en  purent  rien  dire  dans  les  remontrances  dont 
nous  venons  de  parler.  Du  reste  ,  d'après  toutes  les  informations 
qui  sont  parvenues  au  Saint-Siège,  depuis  le  jour  où  le  Saint" 
Père  eut  adressé  à  l'Empereur  et  Roi  la  lettre  que  nous  rappe- 
lions tout  à  rh(ure,  plus  d'une  année  s'écoula  sans  que  de  nou- 
velles et  odieuses  mesures  fussent  prises  au  détriment  de  la  Reli- 
gion catholique  dans  les  possessions  russes;  il  faut  pourtant  en 
excepter  celle,  d'une  si  grande  gravité,  que  contient  l'ukase  du 
28  mars  1836,  par  lequel  il  est  interdit  aux  prêtres  latins ,  soit 
d'entendre  les  confessions  sacranîentelles  des  {)ersonnes  qui  ne 
leur  sont  point  particulièrement  connues,  soit  d'admettre  jamais 
de  telles  personnes  à  la  communion  eucharistique  ^ 

Mais  que  ce  lems  de  calme  fut  court ,  et  que  *de  déceptions  le 
suivirent  1  Les  ennemis  de  l'Eglise  surent  le  nicttre  à  profit  pour 
l'exécution  de  leurs  ténébreux  et  vieux  desseins,  et  leurs  manœu- 
vres en  firent  l'avant-coureur  de  cette  horrible  tempête  qui  jeta 
bien  loin  du  port  de  salut  plusieurs  évèques,  ainsi  qu'une  grande 
partie  du  clergé  et  du  peuple  grec-russe- uni.  Il  serait  long  et  trop 
douloureux  de  rappoiter  minutieusement  toutes  les  circonsian- 
ces,  et  de  retracer  la  marche  progressive  de  ce  déplorable  événe- 
ment. Quelle  en  a  été  la  cause  et  l'origine  ;  pendant  combien  de 

'  N.  20  et  21.  —  Ukases  du  24  jnin  1 833  et  du  22  avril  i834,  ^I^ù  éri- 
gent des  évéchés  grecs  à  Polock  et  à  Varsovie. 

2  N.  22.  —  Ukase  impérial,  pi omuli^ué par  le  Collège,  dit  Collège 
Ecclésiastique  Catholique  de  Pèlersbourg ,  qui  de/end  d'administrer 
les  sacremciis  aux  personnes  inconnues  (Voir  cet  ukase  dans  notre  1. 1, 
p.  78,  .r  s-rie). 


SUR    L  ÉGLISE  ÏN  RUSSIE.  251 

tems  a-t-il  été  préparé  avec  autant  d'ardeiu'  que  d'habileté  ;  quels 
moyens,  quelles  honteuses  pratiques,  quelles  perfidies  y  furent 
employés  ;  le  but  une  fois  atteint,  sous  quelles  couleurs  s'est-on 
efforcé  de  le  représenter  au  monde  ;  avec  quelle  adresse  et  avec 
quelle  persévérance  cbcrche-t-oii  maintenant  à  en  étendre  les 
efle;s  dans  les  autres  parties  des  Etats  impériaux,  et  jusque  sur 
les  sujets  catholiques  du  rit  latin  ;  la  réponse  à  ces  questions  ré- 
sulte, avec  une  entière  évidence,  d'un  tel  ensemble  de  documens 
authentiques  et  d'un  tel  nombre  de  relations  publiées  dans  les 
journaux  des  pays  étrangers,  avec  tant  de  précision,  d'exacti- 
tude, avec  des  détails  tellement  circonslanciés  (puisqu'on  dési- 
j>ne  nommément  les  personnes,  les  lems,  les  lieux  auxquels  cha- 
que fait  se  rapporte),  que,  dans  leur  substance  du  moins,  on 
n'essaiera  même  pas  de  les  démentir  '.  Ceux  qui ,  sur  de  pareils 

'  Voir  les  documens  depuis  le  no  25  jusqu'au  n°  41.  Cette  série  de  piè- 
ces juslilicatives  est  dune  extrême  importance  et  met  dans  tout  leur  jour 
la  perfidie  et  la  violence  avec  lesquelles  le  gouvernement  russe  a  su  pré- 
parer et  consommer  l'apostasie  des  grecs- unis. 

iN".  23.  —  Décret  impérial  sur  la  suppression  du  droit  de  patronage 
dans  les  églises  et  paroisses  du  rit  grec-uni. 

N.  24.  —  Remontrance  adressée  le  2  avril  i834  P*'^''  le  clergé  grec-uni 
du  district  de  ÎNovogrodek  à  Mgr  Siemazsko,  évèque  de  ce  rit  en  Lithua- 
nie,  sur  les  cliangemens  dans  le  Missel  et  dans  les  Rits  grecs-unis  impo- 
sés par  le  gonvernement  russe.  —  Cette  remontrance  porte  les  signatu- 
res de  5i  prêtres  grecs-unis,  et  se  trouve  dans  notre  t.  1,  5^  série,  p.  73. 

iN.  2^.  — Pétition  fidte  en  l854  parla  noblesse  deVitepskà  lEhipe- 
reur,  contre  les  violences  employées  pour  faire  passer  les  grecs-unis  an 
culte  dominant  (Voir  dans  no  re  tome  i,  p.  70). 

N.  26.  —  Autre  pétition  adressée  en  i835  par  les  fidèles  grecs-unis  de 
la  paroisse  d'Cszaz —  Les  pétitionnaires  rapportent  quelques-uns  des 
moyens  pris  par  le  prêtre  et  par  la  commission  que  1  Empereur  avait 
envoyés  pour  les  convertir  :  «  On  se  îuit  à  nous  arracher  les  cheveux,  à 
y,  nous  frapper  les  dents  jusqu'à  effusion  de  sang,  à  nous  dùuner  des  coups 
»  à  la  tète,  à  mettre  les  uns  en  prison  ,  et  à  transporter  les  autres  dans 
■^  la  ville  de  Lepel,  etc.,  etc.  ^  ;  la  voir  en  entier  dan?  notii-  i  ■,  0.  ^G. 


252  ALLOCUTION  PONTIFICALE 

faits,  veulent  avant  tout  savoir  la  veiilé,  pourront  donc  la  con- 
naîue  et  apprécier  loule  Fimportance  de  cette  déplorable  défec- 

N.  l'j.  —  Autre  pélilion  des  ficlèles  grecs-unis  de  Lubowicz,  du  lo 
juillet,  signée  par  120  paroissi(?ns,  sur  le  même  sujet  (Voir  notre  tome  j , 

P-77)- 

N,  28.  —  Rapport  du  ministre  de  rinlcrieiir  à  l'empereur  de  Paissie 
sur  l'exécution  de  ses  volontés  relativement  au  changement  des  Rils  im- 
posé aux  grecs-russes-unis  (Voir  notre  t.  1,  p.  a/jo). 

N.  99.  —  Comnuinication  du  général  Szvpow,  président  de  commis- 
pion  des  cultes,  à  INÎgr  l'évéque  grec  uni  de  Ciiclma  en  Pologne,  pour 
c.dnier  jiarmi  les  diocésains  de  ce  prélat  la  crainte  où  ils  sont  de  voir  le 
gouvernement  s  eflbrcer  de  les  entraîner  au  culte  grec-russe. 

N.  3o.  —  Acles  de  l'autorité  supérieure  ecclésiastique  pour  obliger 
les  fidèles  grecs-unis  à  embiasser  le  culte  dominant. 

N.  3i.  —  Acte  synodr.l  du  clergé  grec-uni  dans  l'assemblée  tenue  à 
Polotsk,  le  19  février  îSBq,  pour  se  réunir  au  cuite  dominant. 

]\.  32.  —  Supplique  adressée  le  même  jour  à  l'empereur  au  nom  des 
évé({ues  grecs-unis. 

iV  55^ — Ukase  impérial  au  synode  grec-russe  du  i^'  mars  de  la  même 
année. 

N.  54.  —  Ukase  impérial  remis  le  1*2  mars  1839  au  sénat  dirigeant, 
qui  ordonne  que  les  alVaiics  ecclésiastiques  des  confessions  grecque- 
russe  et  grecque-unie,  au  lieu  d'être  comme  auparavant  dirigées  par 
«leux  sections  dillerentcs  du  synode,  seront  désornjais  réunies  sous  une 
seule  et  même  autorité. 

N.  55.  —  Décret  du  synode  susdit  et  approbation  de  lEmpereur  du 
c>5  mais  1839. 

1\.  5<i.  —  DokUul  ou  yiapj)0it  à  ITmpereur  de  lEpiscopat  grec-russe. 

N.57.—  Lettre  synodale  du  susdit  Episcopat  aux  évêques  et  au 
clergé  do  l'Eglise  grec-unie. 

l\.  58.  Relation  de  la  manière  dont  s'ost  opérée  la  défection  des  grecs- 
unis  d.tns  11  Litliuanie  et  la  Russ'e  blanche.  —  Extrait  du  journal  de 
Genève  du  iG  janvier  1840. 

N.  59.  —  Autre  relation  contemporaine  du  même  événement. 

>.  40.  —  Autre  relation  de  la  même  époque. 


»  f 


SUR   L  KGLISE  EN  RUSSIE.  '253 

tion  lies  Grecs-Russes  dans  les  provinces  russo-polonaises.  Et  les 
fils  de  l'Eglise  cailiolique,  cpiel  que  soit  le  lieu  de  la  terre  qui  les 

N.  4>'  —  Décret  impérial  du  5  mai  1840  pour  le  diocse  de  Chelraa 
(  le  seul  qui  subsiste  du  rit  grec-uni  dans  le  royaume  de  Pologne) ,  le- 
quel ordonne:  i"  Tércction  d'Eglises  grecques-orientales;  a*»  l'intro- 
duction de  ce  qu'on  appelle  les  portes  impériales  dans  les  paroisses 
grecques-unies;  3°  la  distribution  de  certains  subsides  pour  l'acquisition 
de  vètemcns  et  dcrnemens  sacrés,  sous  la  condition  que  tout  sera  fait 
conlormément  au  Rit  de  l'Eglise  orientale. 

N.  4-8'  —  Supplique  présentée  en  1S41  au  consistoire  ecclésiastique 
catholique  romain  de  Mobilow  par  les  paroissic  ns  de  l'Eglise  de  Bialy- 
niize,  dans  le  district  de  iMohilow,  ailn  d'élre  maintenus  dans  le  paisible 
exercice  de  la  Religion  Catholique  Romaine  qu'ils  ont  toujours  pro- 
fessée. 

N.  4^.  — Pétition  remise  la  même  année  par  les  paroissiens  de  l'Eglise 
Catholique  Romaine  de  Worodzkow ,  district  d''lsclierlkoff,  au  doyen 
de  cette  Église  à  l'occasion  des  mauvais  traitemens  qui  ont  été  employés 
contre  eux  pour  les  obliger  à  embrasser  la  religion  grecque-russe. 

N.  4'î. — Autre  et  pareille  pétition  des  paroissiens  de  l'église  de  Rasno, 
district  d'Ischerikolf. 

W.  45.  —  Autre  et  semblable  pétition  adressée  au  consistoire  catholi- 
que romain  de  INIohilow  par  la  noblesse  du  district  d'Ischerikoff. 

i\.  4ti.  —  Rapport  fait  le  2(3  février  1841  par  le  consistoire  de  IMohi- 
low  au  Métropolitain  IVfgr  Pawlowski ,  sur  les  pétitions  et  remontrances 
susdites. 

N.  47.  —  Antre  et  sembal.le  rapjiort  du  5  avr.l  de  la  même  année. 

N.  48.  —  Office  adressé  le  \i  mars  de  la  même  année  par  Mgr  l'ar- 
chevêque de  Mohilow  à  S.  E.  le  comte  Alexandre  Stroganoff,  directeur 
du  ministère  de  l'intérieur,  conformément  aux  rapports  ci-dessus. 

N.  49.  — Autre  etsemidable  office  dn  8  avril  de  la  même  année. 

N.  5o.  —  Rapport  sur  le  même  sujet,  présenté  le  i5  juillet  18/ji  au 
consistoire  ecclésiastique  catholique  de  ^liiisk  par  un  ciuéde  ce  diocèse. 

N.  5  t. —  Relation  toute  récente  sur  les  mauvais  traitemens  auxquels 
continuent  à  être  en  butte  les  Grecs-unis  q»ji  persévèrent  dans  la  con- 
fession de  leur  foi, 


254  ALLOCUTION    PONTIFICALE 

accueille ,  auxquels  parviendra  ce  cri  de  notre  douleur,  tout  en 
respectant  profondément  les  jugemens  de  Dieu  sur  d'infortunés 
prévaricateurs,  e\,  tout  en  battant  des  mains  au  courage  chrétien, 
à  la  constance  religieuse  de  ceux  qui ,  sous  le  poids  de  la  persécu- 
tion, ont  su  résister  et  se  conserver  fidèles  à  l'union  caiholique, 
jugeront  en  connaissance  de  cause  si  la  mémoire  de  ce  funeste 
événement  peut  de  bonne  foi  être  consacrée  par  une  médaille 
portant  cette  légende  :  Séparés  par  violence  en  1596  ,  réunis  par 
amour  en  1839  '. 

A  la  nouvelle  de  la  détestable  apostasie  des  évoques  grecs-rus- 
ses, le  Saint-Pcre,  chef  suprême  de  l'Eglise-Calholique,  ressen- 
tant toute  la  douleur  de  cette  plaie  atroce,  ouverte  dans  le  sein 
de  la  commune  Mère,  eut  aussitôt  à  élever,  devant  le  sacré  collège 
réuni,  sa  voix  apostolique,  pour  reprocher  à  ces  malheureux  leur 
foi  violée  et  leur  indigne  trahison-.  Dans  la  même  occasion,  ne 
pouvant  cacher  les  longues  et  atïreuses  angoisses  dont  accablaient 
son  à  me  loua  les  nuties  maux  que  la  Religion  souffre  dans  les 
possessions  russes ,  et  voulant  aussi  faire  connaître  avec  quel 
amour,  par  quels  soins  incessans,  il  avait  cherché  a  y  porter  re- 
mède ,  le  Saint-Père  résolut  de  faire  partager  à  ses  bien-aimés 
fils,  les  catholiques  sujets  de  l'empire  de  Russie,  sa  douce  espê- 
lance  de  voir  enfin  couionnées  de  succès  les  réclamations  déjà 
so;iinises  tant  de  fois  in  leur  faveur,  cl  de  nouveau  à  S,  M.  l'Em- 
pereur  et  Roi.  Et  ces  paroles  pontificales  n'étaient  pas  nnicjuc- 
mrnt  appuyées  sur  l'idée  de  la  justice  et  de  la  magnanimité  de 
ce  puissant  monarque  ;  ce  [irince  venait  de  se  faire  donner  de 
nouvelles  et  consolantes  assurances  qui  les  justifiaient.  S.  A.  I.  et 
R.  le  prince  héréditaire  de  toutes  les  Russies  était  depuis  peu 
venu  à  Rome,  et  y  avait  séjourné:  Sa  Sainteté  s'était   trouvée 


'  On  sait  que  Tempereur  de  Russie  a  dernièrement  fait  frapper  une 
niétlaille  sur  laquelle  est  gravée  cette  inscription. 

'  N.  5'2. — Texte  latin  de  ralloculion  prononcée  par  le  Saint-Père 
dans  le  Consistoire  secret  du  22  novenihre  1889  snr  laposlasie  des 
Grecs-rnsses-unis  dans  la  Lilbunnie  et  la  Russie  hlanche. 


SUR  L  EGLISE  EN   RUSSIE.  255 

lieurcuse  de  renouveler  en  celte  occasion,  avec  elYusion  rie  cœur 
et  avec  confiance,  ses  recommandations  en  faveur  de  l'Eglise  et 
des  sujets  caiholiques  de  S.  M.  Dans  sa  réponse  ,  l'Empereur  et 
Roi  promit  la  plus  large  protection,  la  plus  sincère  bienveillance; 
ce  qui  engagea  le  Saint-Père  à  renouveler  ses  instances  avec  plus 
d'ardeur  et  de  zèle  que  jamais  '. 

Exposition.  —  4*^  partie. 

Deux  questions  particulières  étaient  engagées  entre  le  Saint- 
Siège  et  le  gouvernement  russe,  l'une  sur  le  compte  de  Mgr 
Ignace  Pawlowski,  déjà  évêque  de  Mégare  in  parlibus  infidelium, 
et  suffragant  de  Raminiek ,  l'autre  concernant  Mgr  Marcel 
Gutkowïki ,  évèque  de  Podlacliie,  dans  le  royaume  de  Pologne. 
Quant  au  premier,  par  plusieurs  raisons  graves,  entre  lesquelles 
figurait  au  premier  rang  celle  d'avoir  souscrit  et  enjoint  au  cierge 
catholique  l'observation  de  l'Ukase  impérial  qui  tendait  à  défen- 
dre à  ce  même  clergé  d'administrer  les  sacremens  à  des  personnes 
inconnues,  Sa  Sainlelé,  suivant  l'impulsion  de  sa  conscience,  avait 
ditTérérinstitiUlon  canonique  de  ce  préliit  pour  l'église  métropo- 
litaine de  Mohilow.  Quant  à  Mgr  Tévêque  de  Podlacliie,  quoique 
enlièiement  exempt,  aux  yeux  du  Saint-Siège,  des  taches  crimi- 
nelles que  le  gouvernement  lui  reprochait,  et  évidemment  justifie 
de  ces  accusations  dans  les  ofllces  adresses  ,  à  différtiites  époques, 
et  sous  diverses  formes,  par  le  ministère  pontifical  à  la  Légation 

'  N.  53  et  54.  —  Lettre  de  S.  M.  l'Empereur  de  Russie  du  iS  février 
1839  à  Sa  Sainteté  pour  Tassurer  de  sa  bienveillance  en  faveur  de  ses 
sujets  catholiques.  —Dans  cette  lettre  nous  remarquons  la  phrase  sui- 
vante :  «  Je  ne  cesserai  jamais  de  mettre  au  nombre  de  mes  premiers 
n  devoirs  celui  de  protéger  le  hlen-ctre  de  mes  sujets  Catholiques^  de 
»  respecter  leurs  co/wictions,  d'assurer  leur  repos.  » 

Répon?^  do  Sa  Sainteté,  en  date  du  5  avril  de  la  même  année,  qui  re- 
nouvelle ses  remercîmcns  et  ses  rcolaffialions  en  faveur  des  catholiques 
Je  la  Russie  et  de  la  Polosjne. 


25G  ALLOCUTION  PONTIFICALE 

Russe  à  Rome  ',  il  avait  été,  par  l'ordre  du  gouvernemenl  impc- 

'  jV.  55.  —  Mémoire  passé  eu  octobre  i85;  à  M.  le  chevalier  Krivizow, 
chargé  d'aflaires  de  Russie,  au  sujet  des  accusations  portées  par  son  gou- 
venienieut  contre  Mgr  l'évêque  de  Podlachie. 

«  lo  La  première  accusation  exprimée  contre  3[gr  Tévêque  de  Podla- 
chie, c'est  qu'il  s'est  refusé  à  supprimer  l'ouvrage  intitulé  :  Unilas  et 
Discrepaniia.  Mgr  l'évêque  soutient  que  cet  ouvrage  ne  contient  que 
les  sentimens  des  Saints  Pères  de  rÉglisc  latine  et  grecque,  rassemblés 
en  (hnérens  conciles,  dans  le  but  de  réunir  la  partie  séparée  de  TEglise 
Orientale  avec  lEglise  universelle  Romaine  Catholique.  Le  Saint-Siège 
pourra  juger  de  la  nature  du  livre  lorsqu'on  lui  eu  fera  parvenir  un 
exemplaire. 

1^  On  impute  à  l'évêque  de  Podlachie  son  refus  de  se  conformer  aux 
ordres  du  gouvernement,  par  lesquels  il  est  défendu  au  clergé  catholique 
«l'administier  les sacremens  aux  Grecs-russes. 

-»  L'invalidité  de  ce  chef  d'accusation  est  évidemment  démontrée  par 
une  circulaire  adressée  par  le  prélat  au  clergé  de  son  diocèse,  le  1 1  mars 
|S35,  dont  nous  joignons  ici  une  traduction  italienne. 

»  5°  Le  prélat  est  accusé  d'a\oir  des  intelligences  et  des  relations  avec 
les  réfugies  polonais,  et  d'avoir  communiqué  leurs  corresjîondances  avec 
le  gouvernement  aux  journaux  étrangers. 

»  Le  gouvernemeiit  russe  sait  probablement  que  Mgr  l'évêque  nie  do 
la  manière  la  pîuç  positive  que  cela  soit  vrai.  Excité,  en  i83i,  à  prendre 
parti  dans  la  révolution,  il  s'y  refusa  d'une  manière  absolue,  ce  qui  lui 
valut  des  éloges  de  l'empereur  lui-même,  tandis  que  les  Polonais  soule- 
vés l  accusaient  j)resquL'  «le  favoiiser  le  gouvernement,  turpis  lucri 
gia/id,  L'évêque  aflirme  de  la  manière  la  plus  positive  qu'il  est  tout-à- 
fait  faux  qu'il  soit  en  relation  avec  des  journaux  étrangers,  et  quil  leur 
envoie  ses  écrits  pour  être  publiés.  l!  afllirme  sur  son  sacré  caractère 
c'piscopal  qu'il  n'a  eu  aucune  relation  ou  lien  avec  les  réfugiés  polonais  .• 
qu'il  n'a  donné  des  écrits  à  aucun  journal  étranger;  bien  plus,  <\\\\\  n'a 
lu  aucune  feuille  étrangèi  e  et  n'en  a  point  gardé  près  de  lui. 

>»  A^suiément,  j)eisoune  ne  pourra  faire  un  leproche  au  Saint-Père 
s'il  prête  foi  à  la  parole  sacrée  tf  un  évêque,  jusqu'à  ce  que  le  contraire 
lui  soit  démontré. 


liai,  violciiiineiil  t'ioi^iic  de  son  sic(je  et  cp.fciinc  ilaui  le  couvent 

»  4"  Mgr  l'évèquc  est  acccnsé  de  dilapider  les  propriclcs  de  rÉglisc. 
L'cvcqne  de  l'odlacliie  ayant  été  privé  des  revenus  de  la  nianse,  destinés 
à  son  entretien  ,  a  le  droit  de  vivre  et  de  s'enlretenir  avec  les  revenus  de 
son  évèclié.  Peut-être  aura-t-il  fait  usage  de  quelque  autre  revenu  du 
consentement  de  ceux  que  ce  revenu  regardait.  S'il  s'était  approprie, 
sans  ce  consentement,  les  revenus  d'autrui,ily  aurait  quelque  recours 
du  côté  des  parties  lésées.  Mais  jusqu'à  présent  on  ne  sache  pas  qu'il  y 
ait  eu  un  pareil  recours. 

»  5"  On  fait  un  délit  à  l'évêque  de  Podlacliie  de  ce  qu'aux  jours  de 
solennité  il  ne  se  rend  point  au  chef-lieu  pour  y  assister  aux  cérémonies. 

))  Il  est  connu  que  Mgr  l'évêque  est  d'une  santé  assez  délicate  et  ma- 
ladive. Si  quelques-unes  de  ces  solennités  ont  lieu  en  hiver  ou  en  au- 
tomne, saisons  très  contraires  à  sa  santé,  ce  serait  là  évidemment  le  prin- 
cipal motif  de  son  absence  de  ces  cérémonies.  Il  faut  ajouter  à  cela  que 
Mgr  l'évêque,  pour  s'y  rendre  avec  la  pompe  qui  convient,  manque  peut- 
être  des  moyens  nécessaires  ,  et  certainement  il  en  manque  depuis  qu'il 
ne  reçoit  plus  ses  appoinlemens.  Enfin  ,  dans  ces  occasions,  l'évêque  de- 
vrait conduire  avec  lui  un  certain  nombre  de  membres  du  clergé  pour 
faire  honneur  à  sa  représentation.  Peut-être  le  prélat  a-t-il  été  retenu 
aussi  par  celte  réflexion  ,  que  son  clergé,  à  Siediec  ,  serait  obligé  de  se 
loger  dans  les  chambres  garnies  des  juifs.  11  est  d'ailleurs  connu  que, 
quoique  Mgr  l'évêque  ne  se  trouvât  point  à  ces  solennités,  cela  n'enqjc- 
chait  point  que  les  révolutionnaires  ne  le  crussent  l'homme  lige  du  gou- 
et  vernement,  et  ne  soient  allés  jusqu'à  lui  dresser  des  emhûches  pour 
le  faire  périr. 

»  Du  reste,  par  des  personnes  très  dignes  de  foi ,  et  bien  éloignées 
d'être  partisans  de  la  révolution  polonaise,  on  a  la  certitude  que  Mgr 
GutkoAvski  est  un  homme  parfaitement  estimable  et,  digne  du  caractère 
et  de  la  dignité  épiscopale  ,  et  qu'il  est  connu  et  apprécié  comme  tel  par 
tous  les  catholiques.  » 

N.  56.  —  Note  ofCcielle  remise  le  g  février  i838  par  la  légation  russe 
au  cardinal  secrétaire  d'État ,  sur  la  conduite  dudit  évêquc  à  l'rgjud  du 
gouvernement.  On  lit  dans  cette  note  :  «  Il  est  de  toute  impossibilité  que 
l'évèquc  de  Podlacliie  reste  plus  longlems  au  poste  qu'il  occupe,  car  il 


258  ALLOCUTJ0-\    l'UMUICALE 

de  Ozcransk,  dans  la  province  de  Moliilow.  Il  est  inutile  de  dire 

lui  manque  une  des  premières  conditions  à  la  bonne  administration  du 
diocèse,  la  confiance  du  gouvernement  légitime. 

»  En  conséquence,  S.  ^T.  TEmpereur,  mu  par  le  seuiiment  de  laccom- 
plissement  du  premier  de  ses  devoirs,  celui  do  garantir  de  toute  atteinte 
la  tranquillité  et  la  paix  intérieure  des  États  que  la  divine  Providence  a 
placés  sous  son  sceptre,  a  décidé  que  Tévêque  Gutkowski  sera  irrévoca- 
blement éloigné  de  son  diocèse;  mais,  désireux  néanmoins  d'oflPrir  au 
Saint-Père  une  nouvelle  preuve  d'égaid,  S.  M.  I.  a  voulu  laisser  à  S.  S. 
l'initiative  d'une  mesure  devenue  désormais  indispensable  ;  eu  lui  aban- 
donnant avec  une  entière  confiance  l'adoption  de  tel  moyen  que,  dans  sa 
liante  sagesse,  elle  trouvera  le  plus  en  barmonie  avec  les  intérêts  de  TE- 
glise,  dont  il  est  le  Clief  Suprême ,  soit  en  rappelant  l'évêque  Gutkowski, 
soit  en  l'engageant  à  se  démettre  volontairement  de  ses  fonctions  épisco- 
pales,  ce  que  S.  M.  accepterait  comme  une  marque  de  déférence  de  la 
part  du  Saint-  Siège. 

N.  5y.  —  Réponse  sous  forme  également  officielle,  faite  par  le  cardinal 
secrétaire  d'État  le^Sdu  même  mois. 

Il  est  dit  dans  cette  magnifique  réponse  :  «  Lorsqu  en  1 856  la  Légation 
impériale  représenta  que,  non  seulement  la  conduite  de  l'évêque  de  Pod- 
lachie  n'inspirait  pas  de  confiance  au  gouvernement  de  S.  M,  T.,  mais 
même  que  le  prélat  avait  constamment  encouru  sa  désapprobation,  parce 
que  sa  manière  dagir  est  au  plus  haut  degré  préjudiciable  au  respect 
que  doit  mériter  le  caractère  épiscopal,  a  la  religion  elle-même^  et  à  la 
tranquillité  du  royaume  de  Pologne,  on  ne  négligea  pas  de  recberchcr 
confidentiellement  quels  étaient  les  faits  que  Ton  pouvait  reprocber  à 
l'évêque  de  Podlacliie,  et  par  tous  les  indices  que  l'on  a  eus,  on  peut  jus- 
qu'à présent  soupçonner  que  le  mécontentement  de  quelque  autorité 
subalterne  est  venu  de  ce  que  l'évêque  n'a  pu,  connaissant  ses  devoirs 
d'évêque,  se  prêter  à  quelque  ordre  relatif  aux  matières  religieuses.  Tel 
était,  par  exemple,  le  tort  attribué  à  l'évêque  de  s'être  opposé  de  son 
côté  à  la  suppression  d'un  livre  qui  avait  pour  but  de  favoriser  l'union 
ealre  l'Église  catholique  apostolique  romaine  et  l'Église  grecque  non 
unie.  Cependant,  comme  il  était  sans  cesse  afiirmé  ])ar  la  légation  impé- 
riale que  le  mccoutentcnjent  de  S.  31.  l'Empereui  à  l'égard  de  Mgr  Gut- 


SUR    L'iîciLlsi:  J  -N    liliSSlL.  '259 

qu'à  Ja  nouvelle  de  ce  nouvel  aiVront  fait  à  l'Ej^^lisc,  dont  le  Saint- 

kowski  ne  venait  point  de  choses  qui  eussent  rapport  à  son  administra- 
tion pastorale,  mais  de  la  croyance  où  l'on  était  qu'il  excitait  l'esprit 
révolutionnaire,  Sa  Sainteté  adressa  à  l'évêque  de  Podlacliie  la  lettre  du 
i5  novembre  i83(i,  dans  laquelle  il  lui  communiquait  franchement  tout 
cela,  lui  témoignant  combien  il  était  surpris  qu'il  eût  pu  se  rendre  cou- 
pable de  telles  choses,  surtout  après  le  bref  du  mois  de  mai  i832;  sans 
lui  cacher  que  les  rapports  parvenus  à  Sa  Sainteté  étaient  tellement  gra- 
ves qu'il  ne  lui  était  point  permis  de  le  lui  dissimuler,  et  l'exhortant  à  se 
conduire  de  manière  à  éloigner  de  lui  jusqu'au  plus  léger  soupçon..... 

«  Cependant  la  lettre  du  Saint-Père  parvint  à  Mgr  Gutkowski  par  le 
mo3^en  du  ministère  impérial.  L'évêque  en  fut  profondément  affecté,  et 
sans  retard  il  s'empressa  de  faire  parvenir  à  Sa  Sainteté  une  déclaration 
ingénue  de  ses  sentimens.  Il  protesta  qu'il  préférerait  toute  espèce  de 
souffrances,  et  la  mort  même,  p'ulôt  que  de  partager,  ou  de  favoriser, 
ou  de  fomenter,  de  quelque  manièie  que  ce  fut,  directement  ou  indirec- 
tement, la  rébellion  contre  son  légitime  souverain  et  la  désobéissance  à 
ses  ordres.  ]Mais,  en  même  lems  ,  il  pria  le  Saint-Père  de  considérer  la 
nature  des  motifs  qui  lui  avaient. fait  encourir  le  mécontentement  du 
ministère,  motifs  qui,  présentés  à  l'incorruptible  justice  de  S.  M.  I.,  sous 
un  aspect  qui  n'était  pas  le  leur,  pouvait  lui  avoir  donné  une  fausse  idée 
des  sentimens  de  fidélité  du  prélat. 

)>  Dans  le  même  tems,  arrivaient  de  plusieurs  cotés  à  S.  S.  les  inform«i- 
lions  demandées,  sur  le  conipte  de  31gr  Gutkowski,  à  des  personnes  très 
estimables  sous  tous  les  j-apporfs.  Ces  personnes  furent  toutes  d'accord 
pour  représenter  Mgr  l'évêque  de  Podlachie  comme  un  prélat  très 
vertueux,  et  le  cardinal  soussigné  ne  croit  pas,  dans  sa  loyauté,  devoir 
cacher  à  Votre  Excellence  que  toutes  furent  unanimes  à  dire  que  le 
principal  motif  des  contrariétés  souffertes  par  Mgr  Gutkowski,  et  de  la 
peine  qui  lui  avait  été  infligée  en  le  privant  de  ses  temporalités  et  en  le 
réduisant  à  la  nécessité  de  vivre  d'aumônes,  était  la  constance  et  la  li  • 
berlé  avec  lesquelles  il  avait  eu  le  courage  de  réclamer  contre  quelques 
mesures  préjudiciables  à  l'Eglise  catholique,  et  contre  quelques  principes 
qui  ne  pouvaient  se  concilier  avec  les  maximes  fondamentales  de  la  même 
Église.  » 


*2G0  ALLOCUTIO    l'OMlIlCALE 

Sié^c  cul  connaissance  par  les  coinmunicarions  du  miniblio  iiiipc- 

Ici,  lu  réponse  du  cardinal  secrétaire  dttat  nous  apprenti  que  lorsque 
Sa  Sainteté  eut  examiné  les  griefs  que  l'on  avait  contre  revenue  de 
roiUacliic,  il  lui  fut  impossible  de  le  blâmer,  à  plus  forte  raison  de  le 
séparer  de  son  troupeau ,  dont  il  était  aimé  et  vénéré. 

»  Enfin,  continue  le  cardinal  secrétaire  d'État,  le  Saint  Père  étant 
venu  à  connaître  par  les  communications  de  la  mission  impériale  à  Rome, 
par  une  lettre  de  l'évèque  et  des  rapports  particuliers,  quels  étaient  les 
prétendus  torts  de  IMgr  Gutkowski  et  la  douloureuse  impression  qu'avait 
faite  dans  son  esprit  la  lettre  pontificale  du  i5  novembre  i836,  se  crut 
obligée  de  lui  adresser  une  lettre  de  consolation,  en  date  du  21  juin 
1837,  dans  laquelle  il  lui  fit  savoir  quelle  satisfaction  avait  éprouvé  son 
cœur  paternel,  en  apprenant  qu'il  élait  et  avait  été  toujours  préparé  à 
souffrir  toute  espèce  de  maux  plutôt  que  de  manquer  aux  devoirs  d'un 
bon  sujet  à  l'égard  de  son  souverain  légitime;  en  même  tems  il  Texlipr- 
tail  à  persévérer  dans  l'accomplissement  de  son  sacré  ministère  ,  à  agir 
avec  prudence  et  avec  une  simplicité  évangéiique,  et  à  placer  toute  sa 
coufiance  en  Dieu... 

»  11  reste  donc  à  considérer  l'affaire  sous  ses  seules  formes  extrinsè- 
ques. La  plus  grave  accusation  qui,  sous  ce  rapport,  soit  alléguée  contre 
Mgr  Gutkowski  est  la  lettre  écrite  par  lui  à  son  Altesse  le  prince  de 
Varsovie,  à  la  date  du  8  novembre  de  l'année  dernière. 

»  Le  cardinal  soussigné  n'entreprendra  point  de  justifier  les  formes 
de  cette  lettre,  et  accordera  que  les  mêmes  choses  pouvaient  être  ex- 
primées avec  des  phrases  plus  étudiées  iricercaie),  etTévêque  lui-même 
le  confesse  à  la  fin  de  sa  lettre  et  en  demande  excuse.  Mais  le  soussigné 
prie  Voire  Excellence  de  considérer  que  le  Saint-Père,  sans  se  mettre 
en  contradiction  avec  ses  devoirs  sacrés,  ne  pourrait,-  en  aucune  manière, 
blâmer  Tévêquc  pour  les  choses  qu'il  y  exprime. 

))  Donc  le  Saint-Père  ne  pourrait  adopter  la  mesure  que  l'on  requiert 
vi-!i-vis  de  Mgr  Gutkowski,  lequel  à  sis  yeux  et  aux  yeux  de  l'épiscopat 
catholique  tout  entier  ne  pouira  jamais  paraître  coupable  pour  avoir 
soutenu  et  défendu  courageusement  les  principes  et  les  disciplines  de 
l'Église.  Sa  Sainteté  a  la  confiance  que  le  très  puissant  empereur  de 
toutes  les  Russies,  dans  la  magnanime  loyauté  et  la  justice  de  son  carac- 


SUR  l'Église  £N  iiussic.  261 

li.il  liii-mcniC.  Celui  que  Dieu  a  établi  pour  prolc(j;ci  les  droits 
de  sou  Epouse  ne  resta  point  muet.  Le  Saint-Père  ,  toujours 
animé  par  la  conscience  intime  de  ses  devoirs,  ordonna  que,  par 
une  note  ofiicielle  du  cardinal  secrétaire  d'Etat  du  1'^  juin  184o, 
laquelle  fut  suivie  d'une  autre  note  le  1G  août,  on  adressât  à  qui 
de  droit,  sur  ce  sujet ,  les  plus  pressantes  réclamations ,  et  ce  fut 
encore  d'après  sa  volonté  expresse  qu'on  revint,  à  cette  occasion, 
sur  les  maux  soufferts  par  la  religion  catholique  en  Russie  et  en 
Polo[,ne,  en  rappelant  tout  ce  qui  avait  été  exposé  antérieure- 
ment jusque  vers  la  fin  de  1832,  et  en  y  ajoutant  de  justes  do- 
léances pour  d'autres  faits,  qui ,  ainsi  que  nous  l'avons  indi- 
qué ailleurs,  n'étaient  point  à  cette  époque  connus  du  Saint- 
Siège  "*. 

Après  avoir  attendu  pendant  plusieurs  mois  une  réponse  quel- 
conque de  la  part  du  gouvernement  impérial,  on  vit  arriver  à 
Home,  au  mois  de  septembre  1840,  le  conseiller  d'Etat  chevalier 
Fùlnmann,  accrédité  par  une  lettre  de  M.  le  ministre  des  affaires 
étrangères  à  Pétersbourg,  comte  de  Nesseli^ode,  pour  entrer  a^cc 
le  cabinet  pontifical  dans  quelques  pourparlers  relaU^ement  à  dif- 
férentes <7Mfij/to«5 ,  lesquelles  S.  M.  I.  désirait  sincèrement  {sic) 
voir  terminées  dans  un  esprit  de  conciliation  et  de  contenances 

1ère,  voudra  en  éire  persuadé,  et  ne  pas  donner  suite  à  la  déterminiiion 
d'éloigner  Mgr  l'cvêque  de  Podlachie  de  son  diocèse,  ne  fût-ce  que  pour 
épargner  au  cœur  paternel  de  Sa  Sainteté  une  aflliction  très-amèic. 

'  i\.  58.  —  Note  en  forme  confidentielle  remise  par  rimpéiialc  et 
royale  légation  au  cardinal  secrétaire  d'Etat,  le  17  mai  1840,  sur  l'ar- 
reslalion  et  la  déportation  de  Mgr  Tévêque  de  Podlachie,  par  ordre  du 
gouvernement  russe. 

^  N.  5g.  —  Note  oflicielle  du  cardinal  secrétaire  d'Etat,  en  date  du 
i"  juin  1840,  dans  le  but  de  réclamer  au  nom  du  Saint-Père  contre  le 
fait  ci-dessus  rapporté,  et  en  même  tenis  contre  les  nombreux  outra- 
ges faits  à  la  religion  catholique  dans  les  domaines  russes. 

3  N.  60.  —  Autre  note,  du  16  août  de  la  même  année,  par  laquelle  le 
cardinal  secrétaire  d  Etat  réclame  contre  l'empêchement  des  communi- 
cations entre  le  prélat  et  son  diocèse. 

iii«  sl'rie-  tome  VI.  —  N°  34.  1842.  17 


262  ALLOCUTIO.N     POMIFICÀLE 

tnuluelles  '.  Du  reste,  le  but  de  celte  mission,  renouvelée  dans  le 
mois  de  décembre  suivant,  et  après  la  malheureuse  mort  subite 
du  susdit  envoyé,  poursuivie  jusqu'à  son  terme  par  M.  de  Po- 
temkin,  ne  fut  autre  que  de  solliciter,  au  nom  même  de  l'Empe- 
reur et  Roi,  l'institution  canonique  de  Mgr  Pawlowski  à  l'arcbe- 
vècbé  de  Mobilow,  et  la  coopération  pontificale  pour  persuader 
à  Mgr  Gulkowski  à  se  démettre  volontairement  de  l'église  de 
Podlacbie.  En  proposant  ces  deux  demandes,  l'envoyé  russe 
n'omit  pas  de  faire  clairement  entendre  que  l'adhésion  du  Saint- 
Père  serait  le  gage  et  la  mesure  des  bienveillantes  dispositions  de 
son  souverain  à  l'égard  de  l'Eglise  catholique  dans  toute  l'éten- 
due de  ses  Etals.  Telles  sont,  disait  le  chevalier  Fùhrman ,  dans 
une  note  verbale  passée  au  cardinal  secrétaire  d'Etat,  le  19  du 
mois  susdit,  les  deux  demandes  dont  V acceptation  amènerait  l'ac- 
complissement des  vœux  que  Sa  Sainteté  s'est  plue  à  exprimer  à 
différentes  reprises  en  faveur  du  culte  et  du  clergé  catholiques^  dans 
les  Etats  de  S.  Al.  V Empereur  et  Roi. 

Et,  au  commencement  de  la  même  Note,  exprimant  avec  quelle 
peine  le  gouvernement  impérial  voyait  que  les  premières  et  heu- 
reuses relations  entre  les  deux  cours  se  trouvaient  altérées  par 
les  deux  questions  indiquées,  il  assurait  que  le  Cabinet  russe  dé- 
sirait infiniment  remédier  à  un  état  de  choses  qui,  s'il  devait  se  pro- 
longer.^ réagirait  nécessairement  sur  la  paix  de  V Eglise  catholique 
dans  les  Etats  de  S.  M.  V Empereur,  ainsi  que  sur  les  dispositions 
qui  animent  Sa  Majesté  à  son  égard "".  En  outre,  dans  un  second 
office,  adressé  le  23  du  même  mois,  lorsque,  du  côté  du  Saint- 
Siège,  on  s'était  borné  à  remarquer  qu'il  était  nécessaire  de  sou- 
mettre à  un  mûr  examen  les  deux  propositions  impériales  ,  le 

'  N.  6i.  —  Lettre  adressée,  le  i8  juillet  1840,  par  M.  le  comte  de 
Nesselrode,  ministre  des  affaires  étrangères  à  Pétersbourg,  au  cardinal 
secrétaire  d'état,  pour  accréditer  le  chevalier  Fuhrmann. 

'  N.  62.  —  Note  verbale  remise  au  cardinal  secrétaire  d'État  par  le 
chevalier  Fuhrmann  dans  sa  première  mission  à  Rome. 

N.  63.  —  Office  du  16  septembre  1840,  accompagoant  ladite  Note  ver- 
bale. 


SUli   L  ÉGLISL   Ki\   KUSSIK.  !2Go 

clievalier  rùluinaiin  faisait  obseiver  qu'il  s'agissait  ^A/  maintien 
de  la  paix  religieuse  et  de  la  consolidation  dn  bien-être  de  V Eglise  ^ 
du  clergé  et  des  populations  catholiques  en  Russie  et  en  Pologne, 
que  le  gouvernement  impérial  désire  seconder  par  tous  les  moyens 
en  son  pouvoir  ;  ajoutant  que  ,  un  appel  fait  au  chef  de  VEglise 
catholique^  au  nom  d'intérêts  aussi  gî'aves,  mérite  dejîaer  la  solli- 
citude paternelle  de  Sa  Sainteté'.  Telle  fut  aussi  la  manière  dont 
l'auguste  souverain  s'exprima  lui-même  dans  une  lettre  du  o 
décembre  1840  à  Sa  Sainteté,  lettre  apportée  par  le  chevalier 
Fùhrmann  lors  de  son  second  voyage  à  Ptome  ,  vers  la  fin  du 
même  mois  ^ 

Eu  réalité,  le  Saint-Père  avait  compris,  par  le  sens  de  toutes 
ces  communications,  et  sur  la  parole  formelle  de  l'envoyé  russe, 
tenait  pour  certain  que  l'Ukase  impérial  du  28  mars  1836,  relatif 
à  l'administration  des  sacremens,  souscrit  par  Mgr  Pawlowski  et 
imposé  par  lui  au  clergé  catholique,  était  pleinement  révoqué,  et 
révoqué  sur  les  instances  du  prélat  lui-même.  Sa  Sainteté  crut 
d'ailleurs  pouvoir  s'en  rapporter  à  la  déclaration  de  ses  senti- 
mens,  que  Mgr  Pawlowski  lui  avait  adressée  par  écrit  ^;  et,  par 
ces  motifs,  après  avoir  beaucoup  réfléchi  devant  Dieu^  Elle  con- 
sentit à  accueillir  les  deux  demandes  et  à  leur  donner  son  assen- 
timent. Donc,  après  avoir  préconisé,  dans  le  consistoire  du 
1^"*  mars  1841,  Mgr  Pawlowski  pour  l'église  métropolitaine  de 
Mobilow,  le  Saint-Père  écrivit  peu  après  un  Bref  en  forme  de 
lettre  à  Mgr  l'évêque  de  Podlachie,  l'exhortant  avec  conseils  et 
par  les  raisons  ci-dessus  exprimées  à  la  résignation  spontanée  de 
son  siège*. 

'  N.  64.  —  Lettre  ou  Note  contidentielle  envoyée  par  le  chevalier 
Fiihrmann  le  20  du  même  mois. 

^  N,  (i5.  —  Lettre  de  S.  M.  l'empereur  de  Russie  au  Saint-Père,  ii  la 
date  du  3  décembre  1840. 

^  N.  66.  —  Lettre  de  Mgr  Ignace  Pawlowski  au  Saiut-Pére,  apportée 
par  le  chevalier  Fiihrmann  dans  sa  seconde  mission  à  Rome. 

<  N.  67.  —  Lettre  du  Saint-Père  à  Mgr  l'évêque  de  Podlachie,  en  date 
du  7  avril  1841. 


2(i4  VLLUCUliO-N    l'OxMlFJCALt 

TaïuJii  que  CCS  négociations  avaient  leur  cours,  M.  de  Potcni- 
kin  avait,  depuis  plusieurs  semaines,  remis  ;iu  cardinal  seciélaire 
d'Eiat  une  Note  confidentitlle  signée  par  le  chevalier  Fiilnniann 
et  trouvée  dans  ses  papiers  après  sa  mort,  Note  qui  était  destinée 
à  répondre  tout  à  la  fois  à  la  Noie  veibale  ',  remise  par  le  cardi- 
nal au  chevalier  pendant  sa  première  mission,  et  aux  deux  Notes 
ollicielles  de  183-2  et  l840,  dont  il  est  fait  mention  dans  la  Note 
verbale.  Cette  Note  de  l'envoyé  russe  ,  qui  venait  de  mourir^  se 
réduisait  en  substance,  ainsi  que  le  Mémoire  antérieurement  pré- 
senté par  M.  le  comte  de  Gourieffen  1833,  à  passer  complète- 
ment sous  silence  quelques-uns  des  faits  dont  le  Saint-Siège  s'é- 
tait plaint,  et  à  en  nier  quelques  autres  qui  étaient  notoires,  tout 
en  accumulant  des  assertions  sans  preuve  et  des  éclaircissemens 
insuffisans  ;  il  fut  donc  bien  loin  de  faire  une  heureuse  impres- 
sion sur  l'esprit  de  Sa  Sainteté,  sans  cesse  touimenté  par  la  vue 
des  maux  de  l'Eglise  catholique  en  Russie  et  en  Pologne  \  Ce- 
'*endant  celte  Note  même  fut  l'objet  de  sérieuses  considérations 
de  la  part  de  Celui  qui ,  du  haut  de  la  Chaire  de  saint  Pierre,  où 
la  divine  Providence  l'a  placé  pour  le  gouvernement  de  TEglisc 
universelle,  voit  les  difficultés,  apprécie  les  dangers,  se  pénètre  de 
la  triste  condition  des  tems  et  des  lieux  ;  si  bien  que  Sa  Sainteté 
finit  par  se  convaincre  qu'il  était  bon  d'accepter  le  gage  que  lui 
ortVait  le  puissant  Empereur  par  ses  promesses  sacrées  en  faveur 
de  ses  sujets  et  du  culte  catholiques,  et  pour  cela  d'accéder  aux 
deux  deniandes  particulières  que  nous  avons  indiquées. 

Voilà  pourquoi,  dans  ladite  Note  verbale  remise  aux  mains  du 
chevalier  Fuhrmann  ,  après  avoir   expliqué  dans  quel  sens  Sa 


'  N.  68.  —  ^'ote  verbale  remise  au  chevalier  Fiibrroann  par  la  sccré- 
tairerie  d'État,  le  2  octobre  1840. 

'  N.  69.  —  Note  signée  du  chevalier  Fuhrmann  le  3i  janvier  184 1,  et 
remise,  après  sa  mort,  au  cardinal  secrétaire  d'État  par  M.  de  Potcm- 
kin,  ministre  de  Russie  résidant  à  Rome. 

N,  70.  —  Office  dont  M.  de  Polemkin  accompagna  ladite  Note  le  12 
février  suivant,  en  la  transmettant  au  cardinal  secrétaire  d  État. 


SUR   l'kGIJSE  en  RUSSIE.  265 

Saintelt'  avait  l'intention  d'adhérer  à  ces  mêmes  demandes,  on 
continuait  ainsi  :  Par  tout  cecij  V Empereur  et  Roi\  dans  Véléi^atioTi 
fie  son  âme  j  comprendra  facilement  que  le  Saint'Père  aime  àpous' 
séria  déférence  et  les  égards  envers  Sa  Majesté  jus  qu  à  celte  limite  y 
qu'il  ne  lui  est  point  permis  d' outre-pas ser.  Mais  il  comprendra 
également  que  la  condescendance  dont  Sa  Sainteté  est  disposée  à 
user  dans  les  termes  que  nous  venons  d'assigner ,  se  hase  essen^ 
tiellement  sur  les  impériales  et  royales  promesses  de  Sa  Majesté  en 
faveur  de  V Eglise  catholique.  Sa  Sainteté  se  regarde  donc  comme 
assurée  de  voir  ces  promesses  réalisées  an  plus  tôt  ;  et  c'est  dans 
la  vue  de  hâter  ainsi,  pour  l'Eglise  elle-même,  un  avenir  prospère 
dans  la  vaste  étendue  de  V empire  russe  et  du  royaume  de  Pologne, 
que  Sa  Sainteté  a  trouvé  un  motif  de  se  rassurer  à  l'égard  des  de- 
mandes énoncées.  Et,  dans  le  Bref  même  en  forme  de  lettre, 
adressé  à  Mgr  l'évêque  de  Podlachie,  le  Saint-Père  voulut  mettre 
les  expressions  suivantes  :  Proindè  studio  pacis  ducti,  de  tud  et 
oui  prœes  dioceseos  incolumitate  solliciti,  nec  non  illecti  spe  deS' 
ponsi  ISobis  ab  serenissimo  imperatore  et  rege  prœsidii  in  levnmen 
malorum  quibus  catholica  religio  in  vaslissimis  Russiœ  et  Poloni.p 
regionibus  dudum  affligitur^  hortatores  et  suasores  Tibi ,  Fenera- 
hilis  Frater,  esse  debemus,  ad  Podlachiensem  Ecclesiam  spontè  di' 
mittendam.  Pour  savoir  avec  quelle  franchise  le  Saint-Père,  dans 
cetle  circonstance,  découvrit  directement  au  Monarque  ses  pro- 
fondes angoisses  et  lui  exprima  sa  foi  entière  dans  ses  impériales 
et  royales  promesses,  il  faut  lire  d'un  bout  à  l'autre  la  lettre  qu'il 
envo^'a  le  7  avril  I84I  à  Sa  Majesté,  par  le  moyen  de  la  légation 
résidant  à  Rome.  C'est  à  la  même  légation  que  fui  transmis  le 
Bref  en  forme  de  lettre  pour  Mgr  Gutkowski ,  évèque  de  Podla- 
chie^. 


'  N.  71.  —  Réponse  faite,  le  7  avril  1841,  par  le  Saint-Père,  dans  la- 
qnelle,  en  annonçant  son  adhésion  à  denx  demandes  de  l'Emperenr,  Il 
exprime  les  motifs  qni  l'ont  déterminé  à  Taccorder,  et  renouvelle  dune 
manière  particulière  ses  recommandations  au  sujet  des  Grecs-unis, 


'2C^C^  ALLOCUTION    PONTIFICALF. 

Exposition.  —  5'  et  dernière  partie. 

Après  tant  de  promesses  formelles  et  si  solennellement  réité- 
rées au  nom  de  S.  31.  l'Empereur  de  Russie ,  et  dans  les  lettres 
mêmes  signées  de  sa  main,  qui  eût  pu  croire  que  la  pesante  op- 
pression sous  laquelle  {gémissaient  les  malheureux  catholiques 
dans  les  possessions  lusso-polonaises,  au  lieu  de  diminuer,  s'ac- 
croîtrait, que  de  nouvelles  et  plus  odieuses  mesures  seraient  pri- 
ses contre  le  culte  qu'ils  professent  :  eu  un  mot,  qui  eût  pu  croire 
qu'après  de  tels  engagemens  les  choses  iraient  de  mal  en  pis  ?  Et 
pourtant  il  en  fut  ainsi  :  et  les  rapports  les  plus  certains,  les  do- 
cumens  les  plus  authentiques,  les  faits  les  plus  notoires,  en  por- 
tent dans  tout  esprit  de  bonne  foi  Tanière  conviction.  Nous  n'in- 
sisterons pas  sur  ce  fait  que  le  Saint-Pèi  e  n'a  pas  même  reçu , 
jusqu'à  présent,  un  mot  de  réponse,  pas  la  moindre  communica- 
tion du  cabinet  russe  sur  les  points  indiqués  dans  sa  dernière  let- 
tre si  pressante  à  S.  M.  l'Empereur  et  Roi  ;  nous  ne  remarque- 
rons pas  non  plus  que  quinze  mois  se  sont  écoulés  depuis  qu'a  été 
confié  à  la  Légation  russe  le  Bref  en  forme  de  lettre  adressé  à 
Mgr  l'évêque  de  Podlachie,  sans  qu'on  ait  reçu  aucune  réponse 
de  ce  prélat,  ce  qui  porte  à  croire  que  ledit  Bref  n'est  jamais  ar- 
rivé à  sa  destination  '.  Mais  nous  dirons  qu'un  peu  avant  la  pre- 
mière arrivée  à  Rome  du  chevalier  FùhrmanU;,  un  grand  nombre 
d'actes,  de  décrets  et  d'Ukases  impériaux,  avaintété  rendus,  tous 
souverainement  contraires  à  la  Religion  catholique,  et  que  le 
Saint-Siège  n'en  eut  connaissance  que  fort  longtems  après ,  que 


'  An  moment  où  l'on  achevait  à  Rome  d'imprimer  ce  manifeste  de 
Sa  Sainteté,  M.  Krivtzow ,  chargé  d'affaires  de  Pmssie  près  le  Saint- 
Siège,  en  Tabsence  du  ministre  plénipotentiaire,  M.  de  Potemkin,  don- 
nait l'assurance,  par  son  office  du  18  juillet  i84'i,  au  cardinal  secrétaire 
d'État,  qu'on  avait  fait  part  à  Mgr  de  Podlachie  de  la  lettre  que  lui  avait 
adressée  le  Saint-Père  le  7  avril  1841,  et  que  ce  prélat  s'était  démis  de 
son  siège;  mais  jusqu'au  'j.i  juillet  i^f^'i,  Sa  Sainteté  n'avait  encore  rien 
reçu  de  ce  prélat,  ni  sa  démission,  ni  une  réponse  quelconque. 


SUR  l'Église  en  russie.  267 

renvoyé  russe  eut  soin  de  les  tenir  cachés  et  de  n'en  rien  dire , 
quoique  les  circonstances  et  le  sujet  même  des  conférences  qu'on 
avait  avec  lui  semblassent  faire  un  devoir  à  la  loyauté  de  son 
gouvernement  de  ne  point  dissimuler  de  pareils  faits,  de  sorte 
que  les  ministres  de  S.  S.  ne  purent  pas  même  avoir  Tidée  de  s'en 
plaindre  et  d'en  demander  raison.  Parmi  ces  actes  divers,  citons 
l'ukase  du  mois  d'aoùl  1839,  qui  défend,  sous  peine  de  destitu- 
tion, à  tous  les  ecclésiastiques  catholiques  des  provinces  orien- 
tales de  l'empire,  de  baptiser  les  enfans  nés  de  mariages  mixtes, 
et  pareillement  d'admettre  jamais  à  la  communion  quiconque  a, 
une  seule  fois,  participé  au  rit  gréco-russe;  un  tel  acte  ayant 
la  vertu,  d'après  le  gouvernement  impérial,  d'incorporer  à  l'E- 
glise grecque  ceux  qui  l'accomplissent ,  de  telle  sorte  qu'ils  ne 
peuvent  plus  en  aucune  manière  cesser  d'en  faire  partie  •.  Ci- 
tons encore  l'ordre  souverain  du  16  décembre  de  la  même  année, 
qui ,  remettant  en  vigueur  plusieurs  anciens  ukases  ,  interdit 
formellement  de  bâtir  des  églises  catholiques,  si  ce  n'est  en  cer- 
tains lieux  et  sous  certaines  conditions  ;  qui  limite  le  nombre 
des  paroisses  et  le  nouibre  des  curés  ;  qui  enjoint  aux  membres 
d«  clergé  ca^^iolique  romain,  tant  séculier  que  réguliei,  de  ne 
sortir  sous  aucun  prétexte  de  leur  domicile,  sauf  dans  certains 
cas  rigoureusement  déterminés-,  qui,  enfin,  défend  aux  curés 
d'accorder  jamais  les  secours  spirituels  aux  habitans  d'autres 
paroisses  ,  n'exceptant  de  cette  règle  que  quelques  cas  particii- 
liers  ,  pour  lesquels  même  sont  imposées  diverses  prescrip- 
tions ^   Citons  le  décret  par  lequel  sont  établis  de  nouveaux 

'  N.  72.—  Ckase  d'août  iSSg,  nui  défend  aux  ecclésiasliques  catho- 
liques (le  baptiser  les  enfans  nés  de  mariages  mixtes,  et  d'admcllre  à  la 
communion  quiconque  a  une  seule  fois  et  publiquement  participé  au  rit 
gréco-russe  {Gazette universelle ,  n°  218,  6  août  1839). 

*  N.  70.  —  Ukase  ^u  16  décembre  iSSg,  qui,  remettant  en  vigueur 
divers  anciens  ukases,  détaille  les  conditions  auxquelles  seules  i!  est  per- 
mis de  bàlir  des  églises  catholiques,  fixe  le  nombre  des  paroisses,  enjoint 
aax  membres  du  clergé  catholique  de  ne  quitter  leur  domicile  qu'avec 
nu  permis  de  l'autorité  administrative  du  lieu  ,  etc. 


268  ALLOCUTION    PONTIFICALE 

réglemens  et  un  nouvel  ordre  de  justice  contre  les  personnes 
accusées  d'avoir  clierclié  à  propager  la  religion  catholique  au 
préjudice  de  la  religion  dominante ,  et  qui  livre  à  la  merci  des 
tribunaux  criminels  de  l'empire  les  ecclésiastiques  catholiques 
accusés  de  ce  prétendu  foi  fait  ;  pendant  que,  d'autre  part^  des 
honneurs,  des  distinctions,  des  récompenses  de  toute  espèce, 
sont  prodigués  aux  membres  du  clergé  russe,  qui  se  sont  efficace- 
ment employés  à  obtenir  la  prévarication  des  catholiques  '.  Citons 
la  défense  formelle,  promulguée  le  20  janvier  I8i0,  de  pro- 
noncer jamais  à  l'avenir  le  mot  d'Église  grecque-unie  ,  et  de 
metlie  aucun  empêchement  aux  mariages  entre  grecs-russes  et 
£^iecs-catholiques;  avec  la  clause  expresse  et  toujours  en  vigueur 
que  les  mariages  célébrés  en  présence  seulement  du  prêtre  ca- 
tholique sont  invalides-.  Citons  enfin  l'Ukase   impérial  du  21 


N.  74*  —  Ulvase  du  même  jour,  qui  interdit  aux  ecclésiastiques catho- 
liques  de  donner  des  secours  spirituels  à  d'autres  qu'à  ceux  de  leur  pro- 
pre paroisse,  et  qui  enjoint  aux  propriétaires  et  régisseurs  catholiques 
de  veiller  à  ce  que  les  individus  du  rit  dominant  (gréco- russe),  qui  se 
trouvent  à  leur  service,  se  confessent  et  commuaient  dans  les  églises  de 
ce  rit. 

'  IN.  75.  —  Ordonnance  impéiiaîe  du  même  jour,  qui  dispose  que  : 

«  Les  individus,  tant  ecclésiastiques  que  laï({ues,  convaincus,  par  une 
enquête  régulière,  de  détournement  de  X orthodoxie  au  latinisme,  so'ieiA 
livrés  imnjédiatement  et  directement  à  la  justice,  conformément  à  la  loi 
commune;  non  plus  à  la  justice  des  consistoires  romains,  commecela  se 
pratiquait  jusqu'ici,  par  suite  d'une  aj^plication  inexacte  à  leur  égard  des 
lois  concernant  le  clergé  ortliodoxe,  mais  à  la  justice  séculière  crimi- 
nelle, etc.,  etc. 

N.  76.  —  Ordre  qui  dccerne  certaines  récompenses  à  divers  membres 
du  clergé  ru=se,  lesquels  se  sont  distingués  par  leur  ardeur  à  attirer  les 
catholiques  au  culte  dominant. 

*  J\.  77.  —  Décret  publié  le  20  janvier  1840,  qui  interdit  de  jamais 
employer  à  l'avenir  le  [hi-eà' Eglise  ^recque-unie^et  demeilre,  en  quoique 
ce  soit,  obstacle  aux  mariages  entre  le?  grecs  russes  et  les  grecs  catholi- 


SUR  L  EGLISE  EN  RUSSIE.  269 

mars  de  la  même  année  ,  qui  décrète  la  confiscation  des  biens 
contre  quiconque  abandonnera  la  religion  dominante,  sans  pré- 
judice d'autres  peines  établies  par  les  lois  préexistantes,  le  tout 
accompagné  d'autres  prescriptions  fort  sévères  sur  le  même  sujet  '. 
Disons  en  outre  que,  d'après  les  renscignemens  fournis  en 
dernier  lieu  au  Saint-Siège,  l'Ukase  impérial  par  lequel  il  est 
défendu  au  prêtre  catholique  d'administrer  les  sacremens  à  des 
personnes  inconnues  ou  qui  appartiennent  à  d'autres  paroisses 
que  la  sienne,  n'a  nullement  été  révoque,  quoique  le  chevalier 
Fuhrmann  en  eût  donné  sa  parole  au  nom  de  l'Empereur,  mais 
bien  au  contraire  que,  sous  prétexte  de  modifier  cet  Ukase  et 
d'en  éclaircir  le  sens,  on  l'a  confii  nié  ^ 

ques ,  et  qui  enjoint  d'obseï  ver  scrupuleusement  l'ai  t.  5"]  ,  tome  x  du 
digeste,  portant  que  les  mariages  des  Russes,  célébrés  par  les  seuls  prê- 
tres catholiques  romains,  ne  sont  pas  reconnus  valides,  tant  qu'ils  n'ont 
pas  été  célébrés  par  un  ecclésiastique  orthodoxe.  —  Quant  à  ces  der- 
niers mots,  il  est  bon  de  remarquer  que  le  teste  de  la  loi  citée  porte  : 
par  un  ecclésiastique  russe,  car  la  religion  domin.Tnte  ne  s'appelle  gé- 
né.-alemeni  orthodoxe  que  depuis  un  ordre  suprême  de  décembre  iSSg; 
elle  se  donnait  auparavant  les  dift'érentes  dénominations  de  religion  grec- 
que, gre'co-russe,  gre'co-orieniale ,  catholico-orientale ,  et  enfin  de  reli- 
gion de  toutes  les  Russies. 

'  N  78.  — Ukase  impérial  du  2t  mars  1840,  qui  ordonne  la  confisca- 
tion des  biens  de  quiconque  abandonne  le  cuite  dominant.  L'Etat  prend 
sous  sa  tutelle,  ce  sont  les  termes  de  l'ukase ,  les  biens  du  délinquant 
(or  toute  propriété  mise  sous  tutelle,  en  Pvussie,  est  considérée  comme 
confisquée),  sans  préjudice  d'autres  mesures  indiquées  par  la  loi  contre 
sa  personne.  Une  de  ces  mesures  indiquées  par  la  loi  est  la  réclusion  per- 
pétuelle dans  un  monastère.  —  Un  office  du  secrétaire  d'Etat  Tanéef 
remarque  qu'aucune  prescription  ne  doit  être  prise  en  considération  dans 
les  causes  de  cette  nature,  l'apostasie  formant  une  action  criminelle 
continuelle  jusqu'au  retour  à  la  foi  orthodoxe. 

'  N.  79.  —  Office  du  ministre  de  l'intérieur  à  INÏgr  Pawlowski,  arche- 
vêque de  Mobilow,  qui  e-xplique  TUkase  sur  l'administration  des  sacre 
mens  aux  personnes  inconnues  : 


270  ALLOCUTION    PONTIFICALE 

Constatons  enfin  que,  dans  l'intei  valle  de  la  première  à  la  se- 
conde mission  du  chevalier  Fùhrmann  et  de  son  séjour  à  Rome, 
on  ne  se  relâcba  en  rien  du  système  de  dureté  et  de  véritable 
oppression  mis  en  œuvre  contre  le  clergé  et  contre  le  culte  ca- 
tholiques. Dans  certains  gouvernemens  de  la  Litliuanie  et  de  la 
Russie-Blanche,  il  n*est  pas  permis  aux  curés  d'exercer  le  grand 
minislère  de  la  parole  ,  de  remplir  le  devoir  sacré  qui  leur  est 
imposé  de  prêcher  et  d'instruire  le  peuple  ;  la  seule  liberté  qui 
leur  soit  laissée  est  de  réciter  successivement  certains  sermons 
approuvés  et  déterminés  ;  dans  le  reste  des  anciennes  provinces 
polonaises  ,  toute  prédication  ,  avant  d'être  prononcée ,  doit  être 
soumise  à  la  censure.  En  conséquence  de  ces  dispositions  souve- 
raines, un  ordre  du  ministre  des  affaires  intérieures  du  5  décem- 
bre 1840  exile  dans  les  districts  de  la  grande  Russie,  pour  y 
vivre  à  demeure  sous  la  surveillance  la  plus  rigoureuse  de  la  po- 
lice, deux  curés,  dont  le  seul  crime  est  d'avoir  exhorté  leurs  pa- 
roissiens respectifs  à  demeurer  fermes  dans  la  foi  de  leurs  pères, 
sans  avoir  soumis  à  l'examen  préalable  de  la  censure  le  texte  de 
ces  exhortations  '. 


«  L'obligation  imposée  aux  curés  des  paroisses  de  ne  point  admettre  à 
confesse  et  à  la  communion  des  individus  appartenant  à  d'autres  parois- 
ses, n'implique  pas,  à  l'égard  de  ces  derniers,  la  défense  de  se  confesser 
an  su  de  leurs  curés  dans  d'au'res  paroisses:  toutefois,  si  on  ne  s'assurait 
suffisamment  dans  celles-ci  que  ces  individus  sont  de  la  religion  catho- 
lique romaine,  il  pourrait  se  trouver  dans  le  nombre  des  individus  qui 
ne  la  professent  pas;  ce  qui  exposerait  les  prêtres  de  ces  paroisses  à  la 
responsabilité  prescrite  par  la  loi.  Je  trouve  par  conséquent  indispensa- 
ble que  les  individus  qui  se  présentent  dans  ces  paroisses  lors  de  la  célé- 
bration des  fêtes,  pour  y  recevoir  les  sacremens,  n'y  soient  pas  admis 
autrement  que  sur  exhibition  de  certificats  délivrés  par  leurs  curés  res- 
pectifs, constatant  qu'ils  apparlietment  à  l'Église  romaine,  etc.  )> 

'  N.  8o.  —  Ordre  du  même  ministre,  du  5  décembre  i84o,  en  vertu 
duquel  sont  exilés  deux  curés  catholiques  pour  n'avoir  pas  soumis  à  la 
censure  un  de  leurs  sermons  avant  de  le  prêcher  an  peuple. 


SIR    l'ëGLTSE    LN    RUSSIE.  271 

Et  nous  sera-t-il  permis  de  garder  le  silence  sur  tous  les  maux 
faits  à  la  Religion  catholique  dans  tous  les  Etats  russes,  depuis  la 
conclusion  des  négociations  commencées  par  le  chevalier  Fùhr- 
mann,  menées  à  fin  par  M.  de  Potemkin,  et  dont  le  résultat  avait 
été  l'assentiment  pontifical  donné  aux  deux  propositions  iukpé- 
riales,  relatives  à  Tarchevèque  de  Mohilow  et  à  Tévéque  de 
Podlachie.  Un  ordre  souverain  adressé  au  sénat  dirigeant,  le  22 
mai  1841,  interdit  aux  autorités  ecclésiastiques  catholiques  ro- 
maines de  recevoir  les  demandes  et  de  connaître  des  causes  de 
séparation  conjugale  déjà  jugées  par  le  haut  synode  gréco-russe  '. 
Les  déplorables  conséquences  d'une  telle  mesure  pour  la  ruine 
de  la  discipline  et  de  la  morale  catholique  sont  trop  manifestes 
pour  qu'il  soit  nécessaire  de  les  détailler  ici.  Plût  à  Dieu,  du 
moins,  que  le  Saint-Siège  n'eût  pas  à  se  plaindre  de  la  coupable 
connivence  de  certain  dignitaire  élevé  de  l'Eglise,  qui,  foulant 
aux  pieds  ses  principes  inviolabhs,  a  accordé  la  célébration  et 
le  sacre  Rit  du  mariage  à  un  catholique  avec  une  personne  gréco- 
russe  séparée  de  son  premier  mari  uniquement  en  vertu  des  dé- 
cisions du  synode  grec-uni  ! 

Mais  le  dernier  coup  devait  être  porté  aux  infortunés  catholi- 
ques de  ces  vastes  régions  au  jour  le  plus  sacré  pour  eux.  Un 
T  kase  impérial,  daté  du  jour  de  Noël  dernier,  a  consommé  la 
sj.oliation  depuis  si  longtems  entreprise  des  propriétés  ecclésias- 
tiques, ordonnant  que  :  Tous  les  biens  immeubles  peuplés  par  des 
paysans  y  attachés,  appartenant  jusqu'alors  au  clergé  du  culte 
étranger  des  provinces  occidentales^  passent  sous  la  régence  du  mi- 
nistère des  Domaines  Nationaux,  en  exceptant  seulement  de  cette 
mesure  les  biens  qui ,  ne  faisant  point  partie  des  possessions  de  la 
haute  hiérarchie,  ou  ne  formant  point  un  fonds  des  capitaux  de 
fondation,  se  trouvent  uniquement  e?i  possession  du  clergé  adminis- 
trant les  paroisses  \  L'importance  de  ce  décret  souverain  et   sa 

'  N.  8i.  —  Ordre  souverain  adressé  au  sénat  dirigeant  le  22  mai  1841 . 
qui  interdit  à  rautorité  ecclésiastique  catholique  de  connaître  des  cau- 
ses matrimoniales  déjà  jugées  par  le  synode  gréco-russe. 

■  N,  S?.  —  L^kase  impérial  adressé  an  sénat  diris'eant  le  95  décembre 


272  ALLOCUTION    PONTlFlCALr 

connexion  nécessaire  avec  l'extrême  avilissement  ou  pour  mieux 
dire  avec  la  ruine  totale  de  l'Eglise  catholique  dans  les  provinces 
polonaises-russes,  ne  peuvent  être  bien  comprises  si  on  ne  le  rap- 
pi  oclie  de  divers  autres  actes  mis  en  même  tems  à  exécution  par 
le  {jouvernement  impérial,  et  surtout  si  on  néglige  d'établir  une 
comparaison  exacte  entre  les  possessions  qu'avait  encore  en  Rus- 
sie, malgré  les  malheurs  passés,  le  clergé  caiholique,  et  le  peu 
qui  lui  est  maintenant  assigné  '. 

Après  tout  cela,  on  sera  peut-être  moins  é.onné  de  voir  l'au- 
torité impériale  choisir  et  nommer ,  le  22  mars  dernier,  sans 
avoir  en  aucune  façon  consulté  le  Saint-Siège ,  un   suffragant 


décembre  i84i  ,  qui  réunit  au  domaine  de  la  couronne  tous  les  immeu- 
bles appartenant  au  clergé  clans  les  provinces  occiclenlales ,  c*est-ii-tVire 
dans  les  provinces  polonaises. 

'  N.  83.  —  Ukase  du  lor  janvier  1842,  qui  sanctionne  un  projet  géné- 
ral pour  la  dotation  future  du  clergé. 

JN.  84.  —  Office  du  ministre  de  rintérieur  au  collège  dit  collège  ec- 
ch'siaslique  catholique-romain,  pour  l'cxéculion  des  Ukases  ci-dessus  du 
25  décembre  i84'  et  du  1"^  janvier  184-2. 

N,  85.  —  Règlement  spécial  qui  détermine  chaque  article  delà  dola- 
lion  fixée  pour  le  clergé  catholique. 

JN.  86.  —  État  des  immeubles  de  l'Eglise  catholique  réunis  au  do- 
maine de  la  couronne  en  vertu  de  l'ukase  du  nb  dicenibre  \%^\.  — 
Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  mettre  cet  état  sous  les  yeux  du  lecteur  ; 
mais  le  manifeste  du  Saint-Siège  conslale  qu'il  résulte  des  chi lires  offi- 
ciels, que  la  totalité  des  confiscations  est  au  minimum  de  i2,g35,09G 
roubles,  valant  un  peu  plus  de  4  francs  le  rouble,  d'où  il  suit  que  l'Eglise 
perd  eu  Russie  5 1,740, 384  francs.  L'intérêt  à  4  0/0  fait  617,400  roubles 
argent,  ou  2,069,615  francs. 

Le  produit  annuel  des  propriétés  confisquées  étant  au  minimum  de 
5o5,.374  roubles,  et  le  total  des  charges  annuelles,  que  le  gouvernement 
impérial  a  bien  voulu  s'imposer  en  compensation,  étant  au  maximum 
de  27^,996  roubks,  il  eii  résulte  au  profit  du  trésor  impérial  unedifl'é- 
rence  annuelle  de  9.3Qj?>78  roubles,  ou  un  million  environ. 


SLR  l'Église  ln  hlssh:.  21?» 

poui  la  partie  du  diocèse  de  Ciacovie  souniiscà  la  llussie  •,  puis 
choisir  el  noiniucr  encore  de  la  même  manière,  par  trois  décrets 
du  10  mai,  un  tvèque  et  deux  suftragans  pour  le  royaume  de 
Pologne,  comme  si  la  provision  aux  évèclics  et  la  collation  de  la 
difjnilé  sublime  qui  leur  est  attachée  ne  dépendaient  pas  essen- 
tiellement du  chef  de  l'Eglise  *;  et  tout  ce  qui  précède  fera  re- 
cevoir de  même,  sans  trop  de  surprise,  l'Ukase  récent,  dont  oui 
parlé  plusieurs  journaux,  en  vertu  duquel  le  calendrier  julien 
est  subsilué  dans  ce  même  royaume  de  Pologne  au  calendrier 
{grégorien,  pour  bouleverser  toute  la  discipline  ecclésiastique  tt 
tous  les  usages  et  droits  religieux  des  Polonais. 

Terminons  ici  ce  désolant  exposé  des  maux  si  grands  sous  le 
poids  desquels  est  courbée  la  religion  catholique  dans  la  vaste 
étendue  des  possessions  russes  ,  et  en  même  lems  des  travaux 
incessans,  mais  hélas  I  toujours  inutiles  du  Saint  Père  pour  en 
arrêter  le  cours  et  y  porter  remède.  Après  l'avoir  lu,  qui  pourra 
dire  que  le  Saiat-Si^e ,  laissant  ces  infortunés  fidèles  sans  dé- 
fense ni  secours  au  milieu  de  leurs  calamités,  ait  abandonné 
en  quoi  que  ce  soit  la  grande  cause  de  la  Pieligion  catholique  ? 
Et  cependant,  parce  que  les  plaintes  ,  les  réclamations,  les  dé- 
marches, les  prières,  les  sollicitudes  de  tout  genre  ,  employées 
selonles  besoins  du  moment  par  Sa  Sainteté,  n'ont  pas  été  publi- 
quchient  connues,  les  ennemis  du  Siège  Apostolique  ont  abuse 
de  ces  circonstances  pour  le  décrier  et  Tavilir,  donnant  à  enten- 
dre que  tout  ce  qui  s'est  faitd'outrageanl  et  de  funeste,  en  Russie 


•  W.  87.  —  Ukase  du  10  mars  iS/ji,  qui  nomme  suffragant  du  dio- 
cèse de  Cracovie,  dans  la  partie  de  ce  diocèse  dépendante  de  la  Uussie, 
M.  Louis  Lelowski,  chanoine  da  ce  diocèse. 

-   j\.  88.  —  Ukase  du  10  mai,  qui  nomme  évéque  de  Sandorair  M. 
fabhé  Joseph  GolJman,  sullVagant  du  diocèse  de  Kalisch  et  de  Kujavie. 
N.  89.  —  Ukase  du  même  jour,  qui  nomme  sutî'ragant  du  diocèse 
de  Kalisch  le  comte  abijé  Thadée  Lubienski. 

N.  90.  —  Ukase  du  même  jour,  qui  nomme  sullVagant  de  Lowilz, 
de  l'archidiocèse  de  Varsovie,  M.  l'abbé  Antoine  Kotowski. 


274  ALLOCUTION  PONTIFICALE  SLR  LIGLISE  EN  RLS81E. 

et  eu  Pologne,  au  détriment  des  droits  et  des  intérêts  du  culte 
catholique,  et  à  Tindignation  de  tous  les  gens  de  bien,  n'est  que 
le  résultat  de  concessions  antérieures  faites  par  le  chef  de  l'E- 
glise, ou  du  moins  que  le  Souverain  Pontife  ayant  tout  su,  a 
tout  dissimulé  et  continue  à  tout  couvrir  de  son  silence.  Le  Saint- 
Père  ne  l'ignore  point,  et  il  sait  aussi  qu'on  n'a  pas  rougi  d'insi 
nuer  et  de  répandre  ,  en  des  tems  jugés  opportuns ,  les  plus 
atroces  calomnies.  Mais  à  Dieu  ne  plaise  que  le  Vicaire  de  Jésus- 
Christ,  le  grand  Pasteur  et  Gardien  du  troupeau  catholique,  de- 
vienne jamais  une  cause  de  scandale,  une  pierre  d'achoppement  ! 
Réduit  à  cette  extrémité,  et  les  impérieuses  lois  du  devoir  et  de 
la  conscience  ne  lui  permettant  pas  de  s'y  soustraire,  le  Saint- 
Père  s'est  trouvé  dans  l'inévitable  nécessité  de  rendre  public  cet 
exposé  des  soins  qu'il  s'est  donné  pour  la  défense  de  la  Religion 
catholique  dans  les  Etats  impériaux.  Puisse  cependant  cette  la- 
mentable exposition  parvenir  jusque  sous  les  yeux  et  obtenir 
la  sérieuse  attention  du  très-puissant  Empereur  et  Roi  !  A  la  claire 
vue,  à  la  démonstration  de  tant  de  maux,  il  est  impossible  que 
ne  prévalent  pas  dans  son  ame  si  élevée  ses  sentimens  naturels 
de  modération,  d'équité,  de  justice.  Telles  sont  les  espérances 
que  Sa  Sainteté  aime  encore  à  nourrir,  tels  sont  les  vœux  qu'Elle 
adresse  encore  une  fois  à  la  Majesté  du  trône  Impérial  et  Royal  ; 
en  même  tems  qu'elle  se  plaît  à  rappeler,  à  représenter  de  nou- 
veau dans  toute  leur  efficacité  à  tous  les  catholiques  de  ce  grand 
empire,  la  maxime  invariable  de  l'Eglise  qui  les  oblige  à  obéir  et 
à  demeurer  fidèlement  soumis  au  souverain  temporel  dans  l'or- 
dre civil,  non  seulement  à  cause  de  la  crainte,  mais  bien  plutôt 
par  raison  de  conscience. 

De    la    SECRÉTAIRERIE    d'ÉtaT,    LE    22   JUILLET    1842. 


■i*^OQ«0< 


un    LA    .MÉTHODE    llliliMllSlKMSli.  *75 

pi)ila'50pl)ic. 

DE  LA  ML:ïHODE   HERMÉSIENNE. 


Observations  préliminaires  et  principes  désolation. —  Sources  du  système 
d'Hermès  ••  Kant,  Fichte,  Schelling  et  Hegel.  —  Les  erreurs  de  ces 
philosophes  ont  été  solidement  réfutées  en  Italie.  —  Comment  Her- 
mès a  pratiqué  sa  méthode  durant  vingt  ans.  —  Son  doute  positif,  sé- 
rieux et  limité,  —  Impuissance  supposée  de  toutes  les  démonstrations 
anciennes.  —  Nécessité  prétendue  du  doute  réel. 

La  doctrine  d'Hermès  embrasse  la  philosophie ,  la  théologie 
générale  et  la  théologie  spéciale.  Nous  allons  nous  borner  ici  à 
Texamen  de  la  méthode  philosophique  qui  caractérise  et  domine 
toutes  les  spéculations  de  ce  sectaire.  On  verra  qu'elle  offre  les 
plus  frappantes  analogies  avec  la  méthode  que  propagent  en 
France  tous  les  disciples  de  l'école  éclectique;  et  c'est  précisément 
pour  cela  que  nou^  avons  cru  à  propos  d'en  entretenir  nos  lec- 
teurs. Tout  ce  qui  suit  est  extrait  et  traduit  d'une  Réfutation 
complète  deV Hermësianiswe,  que  le  savant  P,  Perrone  avait  com- 
mencé à  publier  en  italien,  et  que  ses  occupations  ne  lui  ont  pas 
encore  permis  d'achever '. 

§  l^r.  _«  Observations  préliminaires. 

Daus  tous  les  tems,  ceux  qui  se  sont  livrés  aux  études  philoso- 
phiques avec  conscience  de  ce  qu'ils  faisaient  ont  dii  reconnaître, 

Is,'  Les  Annales  ont  déjà  raconté  {Histoire  de  l  Herme'sianisme  daus  le 
t.  xviij  p.  85. 


276  Dli  LA  MÉTHODE  llER3lÉSIE^^E. 

avec  tout  le  genre  Iiiiin.iin,  certaines  vériles  priinilivcs  tic  Itiil  et 
de  raison  ,  auxquelles  on  ne  peut  refuser  son  assentiment  sans 
combattre  la  pariie  raisonnable  de  sa  propre  nature,  et  aux- 
quelles les  sceptiques  eux-mêmes,  sans  s'en  apercevoir,  rendent 
ncccssairement  hommage,  puisque  Tacte  même  par  lequel  ils  les 
nient  les  présuppose  et  les  atteste.  Ainsi,  dans  tous  les  tems,  on 
a  admis  comme  indubitable  et  certain  le  fait  de  la  conscience, 
qui  nous  révèle  notre  propie  existence  et  les  modifications  inté- 
rieures de  notre  être*.  Dans  tous  les  tems,  on  a  admis  comme  in- 
dubitables et  certains  ces  premiers  principes  de  raison  ,  base  de 
tout  raisonnement,  appelés  pour  cela  conceptonis  communes^  et 
qui,  avec  les  vérités  d*un  accès  facile  qui  en  découlent ,  forment 
ce  qu'on  appelle  le  sens  commun  des  hommes  '.  L'homme  non- 
seulement  est  certain  de  ces  vérités  primitives,  mais  il  5mV  en 
cire  certain.  Cela  ne  peut  venir  que  de  l'évidence  intellectuelle  , 
qui  est  produite  en  lui  par  la  nécessité  intrinsèque  et  logique  de 
ces  sortes  de  vérités  ;  par  cette  évidence,  l'homme  entend  et  sait 
qu'il  est  impossible  de  penser  le  contraire;  en  d'autres  termes  ,  il 
voit  rimpossibililé  duconlraiie,  de  manière  qu'il  ne  peut  refu- 
ser son  assentiment  à  ces  vérités,  et  ne  peut  en  douter  sans  se  re- 
nier lui-même  \  Que  si  la  suprême  raison  logique  de  la  vérité,  le 


'  IVullus  erravit  unquàni  in  hoc  quod  non  perciperet  se  vivcrc. 
S.  ïlioni.  de  P^eriti,  x,  viit. 

^  hitcllectusin  primis  principiis  non  errât.  S.  Th.  C.  Gcnles,  i,  tviir. 
Inlelicctiis  semper  est  rcctus^  secundùm  quôd  intellectus  est  principio- 
rum.  I,  p.  9,  17,  art.  3  ;  et  dans  une  infinité  d'autres  passages.  C'est 
avec  bonheur  qu'un  illustre  philosophe,  le  cardinal  Pallavicin,  appelle 
CCS  premières  vérités  «des  flambeaux  allumés  par  la  nature  pour  éclairer 
w  les  autres  propositions  obscures.  »  [Del  Bcne,  lib,  2.) 

^  Saint  Thomas  a  parfaitement  saisi  ce  caractère  de  l'évidence  intel- 
tectuelle,  quand  il  l'a  fait  consister  en  ce  que  l'homme  voit  «  Impossi- 
bi/e  esse  (rem)  se  aliter  habere  ;  v  ce  qui  revient  ;m  principe  d'identité, 
ce  qui  est,  esty  ou  à  celai  de  contradiction,  une  même  chose  ne  peut  être 
en  même  tems  et  ne  pas  vire.  Ces  deux  principes  de  raison,  ainsi  que 


DE    L\    MIÎTIIODE    IJLK.MÉélE.XAE.  27  7 

tiitcriulu  d'après  lequel  (secuiidiim  quod)  nous  ju.^^cons,  celui  au" 
quel  toute  cci  tilude  doit  se  ramener  en  dernière  analyse,  ne  peut 
cire  inuliiple,  il  n'en  est  pas  ainsi  pour  le  critérium  que  i'ccole 
appelle  per  quod,  car  ce  critérium  varie  ;  en  d'autres  termes,  il  y 
a  plusieurs  sources  de  la  vérité,  plusieurs  moyens  naturels  qui 

tons  les  autres,  se  résolvent,  en  dernière  analyse,  dans  l'idée  unique  et 
p;>rraileraent  simple  de  VEtrc,  suivant  la  remarque  du  même  saint  Tiio- 
mas  :  «  Illud  autem  quod  primo  intcllectus  coucipiCquasi  noiissi'mum., 
et  in  que  omnes  conceptioncs  resolvit,  est  Eus.  »  (g  de  Vcrit  ,  i).  Celte 
idée  de  Tètre  en  général,  est  la  grande  pierre  angulaire  sur  laquelle  un 
philosophe  contemporain,  qui  fait  tant  d'honneur  à  la  religion  et  à  l'I- 
talie, l'illustre  abbé  Rosmini-Serbati  a  élevé  rétlifice  de  sa  philoso]>liie, 
exposée  spécialement  dans  son  Nuovo  sag^io  suit'  origine  dellc  idée. 

Sans  me  constituer  ici  ni  censeur  ni  partisan  de  la  théorie  de  Rosmini, 
je  dirai  que  son  ouvrage  mérite  d'être  profondément  niéditéj  et  étudié 
avec  réflexion,  parce  que  c'est  le  fruit  de  belles  et  profondes  reclierthcs. 
On  y  voit  combien  il  est  versé  dans  la  connaissance  des  systèmes  vécens 
d'Ecosse,  de   France  et  d'Allemagne,  et  quelle  est  Teflicacité  des  argu- 
mens  qu'il  dirige  contre  toute  espèce  de  sensualistes,  de  sceptiques, 
d'idéalistes  et  de  critiques  transcendcntaux.  Loin  de  suivre  leur  exem- 
ple, et  de  jeter,  comme  eux,  un  mépris  superbe  sur  tout  le  savoir  philo- 
sophique de  l'antiquité,  et  surtout  de  l'antiquité  chrétienne,  Rosmini 
se  fait  gloire  de  la  remettre  en  honneur,  et  de  puiser  à  ses  sources  ses 
pensées  et  sa  philosophie.  L'auteur  allemand  d'un  article  inséré  dans  le 
Tjroler-IiOihe  (le  Messager  tyrolien)  louait  naguère  l'abbé  Rosmini 
pour  son  élocution  claire  et  facile  dans  les  raisonnemens  abstraits,  et 
il  le  proposait  pour  exemple  à  ses  Allemands,  dont  les  spéculations  phi- 
losophiques sont  toujours,  de  leur  propre  aveu,  enveloppées  d'un  cer- 
tain jargon  des  plus  mystérieux  et  des  plus  obscurs.  Je  fais  celte  remar- 
f|ue  d'autant  plus  volontiers  que,  dans  le  système  dont  nous  parlons 
dans  ces  articles,  nous  aurons  une  nouvelle  preuve  de  cette  vérité,  —  Je 
m'applaudirai  toutes  les  fois  que  j'aurai  occasion  de  citer  quelque  ob  - 
servation  de  l'abbé  Rosmini,   ainsi    que  de  tout  philosophe  irré|)ro- 
chable,  soit  italien,  soit  étranger,  pourvu  qu'il  vienne  confirmer  mes 
paroles. 

iii«  SÉRIE.  TOME  VI.  — N°  34.  1842.  18 


'27^  Di:    I.V     .^ILTilUDK    liLRMLSlh.NiNE. 

conduiscnl  à  la  certitude  ,  de  nième  qu'il  y  a  plusieurs  objets  de 
^os  counaissaaces  ;  et  comme  ils  peuvent  nous  venir  ou  de  la  fcii- 
Ibilité  extenis  ou  du  sentiment  intime,  ou  de  la  raison,  sous  la- 
quelle on  comprend  aussi  le  sens  commun  des  hommes,  ou  enfin 
de  Vautorité,  nous  trouvons  en  eux  tout  autant  de  moyens  qui , 
employés  à  propos  et  suivant  les  règles  d'une  saine  logique,  nous 
font  parvenir  à  la  vérité  et  à  la  certitude.  D'où  il  suit  encore  que, 
pour  atteindre  son  but,  le  vrai  philosophe  ne  doit  pas  se  borner 
à  puiser  à  une  seule  de  ces  sources,  à  l'exclusion  des  autres,  mais 
qu'il  doit  avoir  recours  à  toutes,  et  les  interroger  avec  soin  :  voilà 
pourquoi  on  a  toujours  regardé  comme  certain  et  incontestable 
que  les  seules  données  fournies  par  l'expérience  ne  sauraient 
conduire  à  la  science,  mais  bien  à  un  empirisme  pur  ;  et  que  , 
d'un  autre  coté,  les  purs  concepts  de  raison  ne  peuvent  par  eux 
seuls  nous  donner  qu'un  monde  idéal.  C'est  en  unissant  l'obser- 
vation et  le  raisonnement,  les  données  de  l'expérience  et  les  prin- 
cipes de  raison,  l'élément  «mpirique  et  l'élément  rationnel  dans 
l'unité  du  sujet  sentant  et  intelligent ,  que  la  science  vraie,  réelle 
et  objective  de  l'homme  est  constituée. 

De  ces  principes,  attestés  par  la  lumière  naturelle  de  la  raison, 
confirmés,  sanctionnés  par  le  sens  comnmn  des  hommes,  et  plus 
encore  par  les  tristes  et  étranges  aberrations  de  ceux  qui  ont  voulu 
les  rejeter  en  philosophant,  je  tirerai  quelques  corollaires  légi- 
times d'une  grande  importance,  à  cause  des  différentes  erreurs 
qui  ont  souillé  la  philosophie  moderne. 

1.  La  saine  philosophie  doit  et  dut  toujours  avoir  des  |xwnts 
de  départ  sûrs  et  solides  pour  commencer  la  chaîne  des  raison- 
uemens  humains.  Ratione  quidem  semper  utendum  est,  dit  le  phi- 
losophe italien  Baldinotti  ,  raliocinio  non  semper  :  id  est  impossi- 
bile;  bases  namque  et  fundamentum  ratiocinium  hahere  opus  est , 
vvn  aute'n  in  dlio  raliocinio,  quod  ad  pro^p^essum  in  injinitum  cO' 
'^eret.  Aliquidigiturest  de  que  ratiocinandum  non  est'. 

2.  Ce  n'est  pas  assez  de  permettre  leurs  tentatives,  il  faut  en- 


TcHlani.  mctap/i.,  S  ^•')0. 


ni:    \.\    MITHODE    lŒlîMLSlI.iNM:.  *J7'J 

cote  Jeui  (Icccraer  tles  honneurs  et  des  louantes  à  ces  philoso- 
phes qui  ont  voué  la  sagacité  de  leur  génie  à  l'étude  attentive  des 
faits  de  l'esprit  humain  ;  qui  se  sont  appliqués  à  déterminer  plus 
exactement  la  nature  et  les  propriétés  de  ses  difterentes  facultés  , 
à  tracer  la  génération  et  les  dé\'eloppeniens  de  ses  connaissances  , 
en  un  mot,  à  enrichir  la  science  philosophique  de  découvertes  et 
d'ohservations  nouvelles,  utiles  et  bien  fondées.  Mais  que,  sous  le 
beau  prétexte  de  faire  avancer  la  science,  on  n'aille  pas  commen- 
cer par  la  faire  crouler  et  la  détruire  de  fond  en  comble  :  il  y  a 
déjà  bien  des  siècles  que  la  raison  humaine  a  conscience  de  son 
existence,  qu'elle  pense,  juge  et  raisonne  ;  or,  il  ne  faut  pas  sans 
cesse  commencer  par  faire  table  rase  de  toutes  les  connaissances 
humaines.  Que   celui  qui  entre  dans  la  carrière  philosophique 
s'en  souvienne  :  il  ^  a  des  liens  naturels  et  indestructihels  par  lesquels 
la  vérité  est  unie  et  indissolublement  attachée  à  la  nature  humaine 
(ce  sont  les  paroles  de  l'illustre  philosophe  dont  nous  venons  de 
parler);  il  y  a  des  bornes  posées  à    la  témérité  de  V  intelligence  ; 
les  Jlots  que  nous  soulei^ons  contre  la  vérité  se  brisent  sur  elle  et 
sont  repoussés  ;  les  premières  vérités  furent  confiées  par  la  Provi- 
dence^ au  moment  de  la  création^  non  à  l'homme,  mais  à  la  nature 
humaine...^  intelligente  de  son  essence.. . ;  et  V homme  ne  peut  les 
contester  et  encore  moins  les  anéantir.,  parce  que,  comme  il  n'a  pas 
le  pouvoir  de  rien  créer.,  il  na  pas  non  plus  le  pouvoir  de  rien  dé- 
truire de  tout  ce  qui  a  reçu  de  Dieu  V existence'. 

3.  Si  le  sceptique  effronté  fait  un  indigne  outrage  à  la  nature  intel- 
ligente, elle  ne  reçoit  pas  une  injure  plus  excusable  de  celui  qui 
choisit  pour  point  de  départ  de  sa  philosophie  le  doute  vrai,  sé- 
rieux ,  positif,  théorétique,  universel,  illimité,  sur  toute  vérité, 
même  primitive.  Nous  disons  doute  vrai,  etc.  ,  pour  ne  point  le 
cotifondre  avec  le  doute  hypothétique,  autrement  dit  méthodique  , 
et  qui  sert  seulement  pour  l'ordre  et  pour  la  méthode  d'après  les- 
quels on  doit  traiter  la  philosophie,  et  pour  montrer  l'origine 
successive  des  diftérer.tes  connaissances.  Ce  n'est  pas  cette  simple 

'  Rosniini^  Nuovo  saggiosulC  origine  délie  idccj  i83o;  vol.  iv,  p.  285, 
édition  de  Rome. 


'280  DK    LU    3ItT110I)Ii    IlLliMlUlEiNNi:. 

sup/wsllion  du  doute  que  l'on  a  en  vue  de  condamner  iri  :  tlle 
était  eu  usage  dans  Tccole  el  fondée  sur  renseignement  lucnie 
d'Aiislote',  et  à  coup  sur,  il  ne  viendra  dans  l'idée  de  personne 
de  reprendre  saint  Thomas,  qui,  suivant  dans  ses  traites  la  mé- 
thode scolastique,  les  partage  en  questions,  et  commence  tou- 
jours par  les  objections  que  Ton  pourrait  opposer  à  la  vérité. 

4.  D'un  aulre  côte,  ilscommeitent  une  erreur  en  philosophie, 
ceux  qui  soutiennent  que  l'on  doit  commencer  par  rinfuii ,  par 
réterncl,  par  l'absolu;  pour  descendre  ensuite  au  fini,  au  créé,  au 
contingent,  et  affirment  que,  \cjîni  ne  pouvant  être  sans  Vinfini, 
on  ne  peut  même  percevoir  le  fini  sans  V infini;  car  c'est  confondre 
\  ordre  des  êtres  réels  avec  V ordre  des  objets  de  nos  connaissances , 
ou,  comme  parle  l'Ecole,  Vordoessendi  aved'or^o  cognoscendi.li 
est  certain  que  le  premier  de  (ous  les  êtres subsistans  est  l'Absolu, 
puisque  tous  les  autres  dépendent  de  lui ,  n'existent  et  ne  sont 
possibles  que  par  lui  :  mais  celte  dépendance  est  dans  Tordre  des 
êtres  et  non  pas  dans  l'ordre  des  connaissances,  lequel  est  anté- 
rieur à  l'autre  dans  notre  esprit. 

5.  Le  Christianisme  a,  sans  doute  ,  rendu  d'immenses  services 
même  à  la  science  philosophique  :  est-ce  à  dire  pour  cela  qu'il  ait 
détruit  ou  changé  les  principes  évidens  et  immuables  qui  ont  dans 
tous  les  tems  brillé  aux  yeux  de  l'intelligence  humaine?  est-ce  à 
dire  qu'il  nous  ait  imposé  la  loi  de  partir  du  fait  de  la  re'vélation 
pour  discuter  les  questions  purement  philosophiques  ?  Assuré- 
ment non.  Car  de  même  que  la  grâce  ne  détruit  pas,  mais  perfec- 
tionne la  nature  humaine  créée  à  l'image  de  Dieu,  ainsi  la  révé- 
lation n'a  point  altéré  ni  détruit,  mais  fortifié  et  perfectionné  les 
facultés  naturelles  de  la  raison  ^  La  divine  lumière  du  Christia- 
nisme, en  portant  un  remède  salutaire  et  efficace  à  la  corruption 
dans  laquelle  le  genre  humain  était  plongé, a  exercé  une  bénigne 
influence  sur  l'intelligence  et  sur  la  volonté  de  lliounne,  aveugle 


•  Mriarjh.,  iib.  ii,  c.  i . 

»  Fidcs  praesupponit  cogullioncm  naluralcni^  sicut  gralla  naluiam,  cl 
^t  perfcclio  perfectibilc.  S.  Thoni.,  i,  q.  2,  art.  2,  ad  i. 


DE    L\    MÉTF!ODE    HERMKSIKNNK.  281 

et  souillé  par  de>  passions  hrulales  ,  et  a  fait  prendre  à  sa  ré- 
flexion une  marche  moins  chancelante  et  plus  sure.  Le  philosophe 
chrétien  sait  donc  la  voie  qu*il  a  à  suivre,  le  terme  qu'il  doit  at- 
teindre, et  il  lui  est  impossible  de  s'égarer,  à  moins  qu'il  n'obéisse 
à  une  volonté  coupable  et  désordonnée.  Si  donc  il  est  défendu  à 
tout  philosophe  de  poser  pour  base,  ou  même  pour  préparation  à 
la  philosophie,  le  doute  vrai,  positif,  illimité,  pour  un  j>hilosoplie 
chrétien,  c'est  une  ùute  d'autant  plus  grave,  que  non-seulement  il 
outrage  la  lumière  de  la  raison,  mais  aussi  celle  de  la  vérité  révé- 
lée. Le  philosophe  chrétien  ne  sait  ni  ne  peut  se  restreindre  à  l'é- 
tude de  l'esprit  humain  considéré  en  lui-même,  ni  même  à  celle 
de  la  nature  :  il  est  contraint  de  s'élever  à  Dieu  et  à  ses  relations 
avec  Dieu  ,  sans  lequel  toute  philosophie  est  singulièrement  in- 
complète et  défectueuse.  Que  si  ses  spéculations  mal  dirigées  sont 
parfois  sur  le  point  de  le  précipiter  dans  l'idéalisme  ,  le  pan- 
théisme ,  le  matérialisme ,  ou  dans  quelque  autre  excès  de 
cette  nature,  la  religion  le  retient  et  le  ramène  au  droit  che- 
min. En  un  mot,  il  ne  fait  pas  moins  usage  de  la  raison  que  les 
philosophes  paiens  ;  il  se  sert  même  de  leurs  recherches,  lorsqu'il 
ne  les  trouve  pas  opposées  aux  doctrines  du  Christianisme:  mais 
il  a  une  règle  siire,  une  pierre  de  touche ,  pour  ainsi  dire ,  avec 
laquelle  il  ])eut  éprouver  les  conclusions  auxquelles  ses  spécula- 
lions  semblent  le  conduire.  Et  si  ce  sont  des  erreurs  que  la  révé- 
lation condamne,  il  reprend  l'examen,  et  trouve  que  lesraisonne- 
mens  sur  lesquels  s'appuyaient  ces  conclusions  étaient  trompeurs^ 
ou  du  moins  n'étaient  pas  nécessairement  concluants ,  puisque 
entre  la  droite  raison  et  la  révélation  il  ne  doit  jamais  y  avoir 
opposition  ni  combat.  "  Car,  dit  excellemment  le  savant  Gerdil, 
•)  celui  qui  est  l'auteur  de  la  nature  et  de  la  raison  humaine  est 
»>  aussi  l'auteur  de  cette  révélation,  qui  seule  se  trouve  conforme 
»>  aux  plus  purs  dictamens  de  la  lumière  naturelle  ;  —  qui  seule 
M  fournit  à  Ihomme  ces  connaissances  après  lesquelles  les  philo- 
»  sojhes  soupiraient  et  dont  ils  sentaient  le  besoin  ;  —  qui  seule, 
»>  entln,  nous  élève  à  un  état  do  grandeur  et  de  perfection  surna- 


2ft2  DE    LA    MÉTHODK    HRRIMESIENNF. 

»  luielle,  auquel  nous  n'aurions  pu  même  aspirer  dans  l'ardeur 
»  de  nos  de'sirs'.  » 

Le  champ  de  la  philosophie  diffère  donc  de  celui  de  la  vérité 
révélée  :  les  principes  qu'elles  prennent  pour  point  de  départ  sont 
différens,  ainsi  que  le  critérium  de  certitude  auquel  chacune  a 
recours.  Mais  comme  ce  sont  deux  ruisseaux  jaillissant  de  la 
même  source,  qui  est  Dieu,  pour  féconder  l'intelligence  hu- 
maine, et  que  la  raison  sans  la  révélation  ne  suffit  pas,  il  faut, 
non  pas  les  confondre  l'une  avec  l'autre,  mais  les  unir  dans  une 
étroite  alliance,  et  faire  que  la  raison,  selon  ses  fonctions,  prépare 
et  conduise  Tesprit  à  la  vérité  révélée,  et  en  soit  constituée  l'es- 
clave soumise  et  docile  \  C'était ,  dès  les  premiers  siècles  du 

'  Introd.  allô  studio  délia  J'elig.,  Bologna,  1784,  p.  i  ii- 
^  C'est  avec  raison  que  Ton  recommande  ici  l'alliance  de  la  philoso- 
phie avec  la  vérité  révélée;  mais  assurément  il  ne  viendra  dans  l'esprit 
de  personne  d'en  conclure  que  la  foi,  soit  dans  son  acquisition  immé- 
diate, soit  dans  son  exercice,  dépend  et  a  un  besoin  absolu  des  recher- 
ches philosophiques.  Ce  serait  une  erreur  très  grave  et  subversive  de 
l'essence  même  et  de  toute  Téconomie  de  la  foi.  Dans  son  objet  ainsi 
que  dans  son  principe;  la  foi  chrétienne  est  surnaturelle  et  divine;  et 
l'acte  de  foi  n'est  le  résultat  d'aucun  raisonnement  humain  :  c'est  l'œu- 
vre de  la  grâce.  C'est  la  grâce  qui  illumine  et  qui  porte  l'homme  à  as- 
sujétir  par  une  adhésion  ferme  et  volontaire,  son  entendement  aux  véri- 
tés révélées,  précisément  parcequ'elles  s'appuient  sur  l'autorité  de  Dieu, 
vérité  première,  comme  sur  la  dernière  raison  formelle  de  la  croyance 
chrétienne.  C  est  la  grâce  qui  dépose  dans  ceux  qui  sont  régénérés  par 
le  saint  baptême  l'habitude  surnaturelle  de  la  foi.  Dès  lors  la  foi  par- 
faite peut  se  trouver  et  se  trouve  dans  des  âmes  absolument  incapables 
de  toutes  recherches  philosophiques  et  de  tout  examen.  C'est  en  ce  sens 
que  Bossuet  écrivait  si  justement  :  «  C  est  une  erreur  de  s'imaginer  qu'il 
)>  faille  toujours  examiner  avant  que  de  croire.  »  La  voie  du  raisonne- 
ment et  de  l'examen  extrinsèque  des  motifs  de  crédibilité  peut  donc  être 
utile,  ou  même,  dans  le  cours  ordinaire  des  choses,  nécessaire,  en  partie 
du  moins,  à  l'infidèle,  pour  arriver  à  la  connaissance  de  la  vérité  révélée, 
H  il  faut  en  dire  autant  de  lincrédule.    plongé  dan«;  un  aveuglement 


\  . 

\ 


DE  LA  MÉTHODE  HERMESIENNE.         283 

Christianisme,  la  méthode  de  ces  Pères,  de  ces  docteurs,  qui  ont 
fait  lant  d'honneur  à  la  rehgion  et  à  la  science.  Et  au  fond,  n'é- 
taient-ce  pas  de  vigoureux  logiciens,  d'habiles  philosophes ,  de 
grands  apologistes,  de  puissans  théologiens,  que  les  Justin,  les 
Clément  d'Alexandrie  ,  les  Laclance ,  les  Origène ,  les  Basile ,  les 
Cyrille,  les  Grégoire  de  Nazianze  et  de  NyssePEt,  sans  parleras 
autres,  Augusiin  ne  sut-il  pas  manier  les  armes  de  la  raison  et  de 
la  bonne  philosophie  avec  assez  de  dextérité  pour  confondre  les 
Académiciens,  les  Sceptiques,  les  Matériahstes ,  les  Manichéens? 
Que  si  nous  franchissons  plusieurs  siècles  ,  que  de  lumière,  qut 
de  pénétration,  que  de  savoir  dans  les  écrits  d'Anselme  de  Can 
torbéry,  de  saint  Bonaveniure,  et  suitout  du  grand  saint  Tho- 
mas d'Aquin,  dont  le  mérite  scientifique  a  été  préconisé  même 
pir  le  philosophe  d'Alembertl  A  eux  seuls,  les  quatre  liv^res  qu'il 
composa  pour  démontrer  raix  Gentils  la  vérité  de  la  religion  ré- 
vélée prouvent  admirablement  la  force  et  Tefficacité  du  raison- 
nement tiumain.  Et  pourtant,  chose  incroyable!  les  modernes 
ont  vu  avec  un  dédain  superbe  et  avec  insouciance  tout  le  savoir 
de  raiifiauilé  chrétienne!  Pour  eux,  ces  grands  hommes  ont  été, 
en  quelque  sorte,  dénués  d'intelligence,  et  victimes  de  préjugés 
qui  les  souillaienll  Comme  si  la  pensée  était  une  découverte  mo- 
derne !  comme  si,  parmi  les  innombrables  machines  inventées 
dans  ces  derniers  tenis,  il  y  en  avait  quelqu'une,  ainsi  qu'on  1  i 


coupable  à  l'égard  île  cette  même  vérité.  Mais  il  en  est  tout  autrement 
de  ceux  qui  sont  nés  et  qui  demeurent  daus  le  sein  de  la  vt'-ri table  Eglise. 
S'il  leur  est  j)ermis  de  st-  livrer  à  l'examen  qu'on  appelle  instructif  et 
conjiimatif,  ils  doivent  loujoui-s  s'interdire  sévèrement  l'examen  de 
suspension  ou  de  doute,  comme  répugnant  à  leur  qualité  de  cbréiiens 
et  comme  destructif  de  la  foi.  —  Ces  doctrines  ont  été  assez  longuement 
exposées  i\diVï?,\cs  Prœlectiones  theologicœ,  c.  iv,  p.  48  et  suivantes.  Ici 
il  suffit  de  les  indiquer,  parce  qu'une  des  erreurs  capit^^les  de  la  con- 
duite personnelle  d'Hermès  et  de  son  système  pliiiosophico-lbéologiquo, 
roule  sur  cette  matière,  comme  on  pourra  le  voir  par  C'.^  a^je  nous  dirons 
dans  la  suite  de  cefi  articles. 


284  DE    LA.    MÉTHODE    IIERMÉSIENNE. 

dit  avec  esprit,  qui  la  rendît  plus  efïicace ,  plus  prompte  et  plus 
Mre  I 

Toutefois,  par  amour  pour  la  vérité,  je  ne  dissimulerai  pas 
que,  dans  la  suite  des  lenis ,  un  grand  nombre  de  philosophes 
clirctiens,  néglincanl  trop  la  voie  de  l'expérience  et  de  l'observa- 
tion  pour  se  livrer  à  l'idéal,  n'aient  engagé  la  science  dans  des 
subtilités  futiles  ,  dans  de  vaines  spéculations,  et  même  dans  de 
manifestes  erreurs  :  aussi  une  restauration  philosophique  devint- 
elle  nécessaire  sous  un  cei  tain  rapport.  Ce  fut  alors  que  s'élevè- 
rent Galilée  en  Italie  ,  Bacon  en  Angleterre,  et  Descaites  en 
France.  C*est  de  Descartes  qu'on  a  dit  récemment  ,  et  qu'on  a  ré- 
pété à  l'occasion  de  la  controverse  hermésienne,  qu'avec  lui  et 
par  lui  la  philosophie  se  sépara  du  Christianisme.  Si  cette  accu- 
sation porte  sur  ce  qu'il  a  posé  îa  raison  pour  critérium  et  pour 
lègle  suprême  dans  les  sciences  purement  rationnelles  et  natu- 
relles, L'I'e  porte  à  faux  :  ce  qui  a  été  dit  jusqu'ici  le  démontre  , 
ft  pas  un  philosophe  digne  de  ce  nom,  pas  un  théologien  ne  vou- 
dra en  faire  un  ciime  à  Descartes.  Si,  au  contraire,  le  bhime 
tombe  >uv  le  doute,  point  de  départ  de  sa  philosophie  ,  je  répon- 
drai que,  quoique  ce  doute  ait  été  mal  interprété  par  quelques- 
uns  de  ses  ennemis  ou  de  ses  partisans  qui  en  ont  abusé  ,  il  est 
ceitain  que  ce  ne  fut  pas  la  base,  et  encore  moins  la  dernière  con- 
clusion de  sa  philosophie  ,  reproche  que  l'on  doit  adresser  à  ces 
savans  modernes  qui,  api  es  nous  avoir  fait  tiaverser  un  inextri- 
cable iabyi  inihe  de  choses  inintelligibles  et  abstruse-',  finissent  par 
atteindre  et  par  proclamer  le  dogme  consolant,  que  notre  raison 
Jie  saurait  tiouver  une  seule  vérité  réelle  et  objective.  Le  doute 
de  Descartes  était  le  doute  que  j'appelais,  il  n'y  a  qu'un  instant, 
hypoilicLiqite  et  de  méthode ,  mais  non  pas  sérieux  et  théorétique. 
Si  pour  un  moment  il  paraît  douter  de  tout,  c'est  pour  purger 
sou  entendement,  ainsi  (}u'il  s'exprime  lui-même,  de  toute  erreur 
préconçue,  et  pour  séparer  le  certain  de  l'incertain  ;  mais  bientôt, 
saisis  ant  une  pierre  innnobile  ,  il  en  fait  le  fondement  de  son 
vaste  édifice.  Parmi  les  nombreuses  vérités  qu'il  médite  en  lui- 
n  éme,il  en  trouve  une  qui  résiste  à  tous  les  assauts  du  scepticisme 
le  plus  décidé  et  le  plus  opiniâtre  :  Je  sens,  je  pense,  i\o\\c  je  suis  ; 


DE    L\   MÉTHODE    HERMÉSIENNE.  285 

mais  je  pensais  aussi  qu'il  n'y  a  licn  de  réel  dans  le  monde  :  si 
je  pensais, ;V?  suis  :  mais  ne  metiompé-je  point?  si  je  me  tiompe, 
je  suis  '.C'est  précisémeht  ainsi  que,  bien  des  siècles  auparavant, 
Tesprit  pénétrant  et  tout  philosophique  d'Augustin  procédait 
contre  les  Académiciens.  «<  Esse  me  idque  nosse  et  amare  certissi- 
»  mum  est  :  nulla  in  his  veris  Academicorum  argumenta  formido 
»  dicenlium  :  quid  si  falleris?  si  enim  fallor,  sum.  Nam  qui  non 
»  est,  ulique  ncc  falli  potest,  ac  per  hoc  sum  si  fallor'.  »  D'ail- 
leurs, le  doute  que  Descartes  préconise  n'est  pas  il/imité  :  il  en- 
seigne qu'afin  de  ne  pas  tomber  dans  l'erreur  il  faut  suspendre 
son  jugement  lorsque  la  vérité  n'apparaît  pas  d'une  manière 
claire  et  distincte  ^  :  mais  il  avait  déjà  fait  observer  qu'il  n'enten- 
dait point  parler  ici  de  ce  qui  se  rattache  à  la  foi  ou  aux  choses 
morales,  ni  de  ce  qui  a  rapport  à  la  pratique  de  la  vie  <. 

'  On  a  rcproclié  à  Descartes  d'être  tombé  nécessairement  dans  une 
pétition  fie  principe,  en  voulant  donner  une  démonstration  de  sa  propre 
existence.  Galluppi  a  consacré  son  beau  talent  à  défendre  avec  ses  pro- 
pres paroles  et  avec  celles  de  Lcibnltz,  Tillustre  philosophe  français.  Mais 
quoiqu'il  ne  mérite  pas  le  nom  de  démonsiration,  l'argument  de  Drs- 
cartes  est  en  tout  point  concluant.  Je  fais  celte  remarque  parce  que 
Hermès  blâme  aussi  Descartes  pour  ce  même  motif,  tandis  que  la  r/^'- 
motistration  vraie,  complète,  rigoureuse^  de  l'existence  du  moi,  il  se  pro- 
pose de  nous  la  donner,  lui! 

'  De  Civit.,  x[. —  De  Trinit.,  x,  c.  i?. 

'  Médit.,  IV. 

*  In  Synops, 

a  En  citant  cette  approbation  de  la  méthode  cartésienne,  non  s  décla- 

»  rons  laisser  au  savant  auteur  que  nous  traduisons  la  responsahil  ité  de 

»  son  jugement;  nous  ne  confondons  pas  le  i\ou\e  fictif  et  de  pure  me- 

»  fhode  avec  le  doute   le'el  d'Hermès;  mais  nous  i-appcllerons  que   les 

)>  om'i^ages  philosophiques  de  Descartes  ont  été  mis  deux  fois  a  V index, 

))  en  i665  et  en  179.2,  et  qu'ils  figurent  encore  dans  l'é'lilion  de  \ index 

>)  publiée  à  Rome  en  i8-28.  N'est  ce  pas  parce  que  le  doute  cartésien  n'a 

»  pas  semblé  à  tous  les  théologiens   aussi  innocent   que  celui  de  saint 

»  Thomas  ?  » 

(i\o/e  du  rédacteur. . 


286  DE    LA    MÉTHOOF    IIRRMÉSIENNE. 

Mais  en  voilà  assez  sur  Descartes.  —  Il  faut  parler  bien  diffé- 
remment de  ces  penseurs  ,  de  ces  rêveurs  qui ,  se  targuant  de  la 
gravité  et  de  la  dignité  philosophiques  ,  et  se  faisant  à  eux- 
mêmes  une  idole  de  leur  propre  raison ,  se  sont  disposés,  dans 
des  tems  plus  rapprochés  de  nous  ,  à  tout  reconstruire  à  leur 
guise  :  science,  morale,  société,  Dieu  et  religion.  Ils  ont  dès-lors 
jeté  le  mépris  et  la  dérision  sur  toute  la  sagesse  de  l'antiquité,  et 
même  de  l'aniifiuité  chrétienne,  et  prenant  une  position  plus  ou 
moins  hostile  vis-à-vis  du  Christianisme  ,  ils  en  ont  assujéti  les 
doctrines  à  leurs  propres  théories.  De  cet  esprit,  non  point  phi- 
losophique, mais  exclusif,  étroit,  de  cet  esprit  de  subversion  et 
d'orgueil  sont  sorties  ces  philosophies  scnsunlistes  ,  matérialistes  ^ 
idéalistes^  critiques,  transcendantalesy  sceptiques,  panthéistiques, 
qui  ont  développé  et  développent  encore  un  mal  dévorant  au  sein 
de  la  société  chrétienne  et  civile.  Il  n'entre  pas  dans  mon  plan  de 
toucher  cette  matière;  mais  comme  j'ai  à  parler  directement  d'un 
système  philosophique  allemand,  au  moins  faut-il  dire  un  mot 
des  spéculations  qui  l'ont  précédé  en  Allemagne,  et  lui  ont  plus 
prochainement  donné  occasion. 

On  sait  comment  le  scepticisme,  dont  Hume  se  constitua  le  re- 
présentant en  Angleterre,  engendra  en  Allemagne  le  crilicisme  de 
Kant,  lequel  à  son  tour  a  donné  lieu  au  développement  du  sys- 
tème deFichte,  puis  à  celui  de  Hegel,  de  Schelling,  de  Bouter- 
weck  et  autres. 

Le  philosophe  de  Kœnisberg,  recherchant  les  élémens  tle  la 
connaissance  humaine,  reconnut  deux  élémens  de  cette  connais- 
sance, ou  plutôt  de  l'expérience  qui  la  produit,  le  sujet  et  Y  objet  ; 
mais  de  telle  sorte  que  le  sujet,  recevant  les  impressions  dé  l'ob- 
jet, les  modifie  selon  les  formes  nécessaires  subsistantes  en  lui  à 
priori  D'où  il  suit  que  l'esprit  ne  peut  en  aucune  façon  connaître 
l'objet  tel  cju'il  est  réeilciuent,  mais  seulement  le  phénomène  ou 
l'apparence'de  l'objet;  car  les  objets  ne  sont  perçus  que  par  les 
formes  subjecti\''es  que  nous  leur  imposons  ;  or^  ces  formes  mon- 
trent simplement  comment  nous  concevons  les  objets,  et  non 
comment  ils  sont  réellement.  Les  choses  en  soi,  que  Kant  appelle 
noumines  ou  êtres  de  raison,  rious  demeurent  donc  entièrement 


'de    la.    méthode    HEUMKSIENNE.  287 

inconnues  ;  car  Texpérience  des  sens  ne  nous  donne  que  des  phé^ 
nomènes ,  c'est-à-dire  des  apparences ,  et  l'intelligence  ne  nous 
donne  qu'un  ordre  purement  idéal.  Par  conséquent,  l'àme  et 
Dieu,  qui  ne  peuvent  être  connus  par  l'expérience  des  sens,  se 
trouvent  au  rang  des  purs  concepts  de  raison,  ou  Jioumènes,  dont 
nous  ne  pouvons  nullement  savoir  s'ils  existent  véritabletnent  et 
substantiellement,  si  même  ils  sont  possibles.  Kant  les  élimina 
donc  de  la  science,  qu'il  restreignit  à  sa  somatologie  ou  science 
des  corps.  Mais  à  quoi  se  réduisait,  après  tout,  cette  science  phé- 
noménale des  corps,  à  s'en  tenir  aux  principes  de  Kant?  Il  est  fa- 
cile de  le  voir  quand  on  se  rappelle  que  Kant  a  placé  le  tems  et 
Vespace  parmi  les  formes  subjectives,  et  que  le  principe  même  de 
causalité  est  pour  lui  une  catégorie  purement  subjective.  D'où  il 
résultait  que  les  causes  de  ces  phénomènes,  c'est  à-dire  les  corps, 
causes  de  nos  sensatiotis,  étaient  aussi  complètement  subjsctwes , 
et,  conséquemment,  qu'il  n'était  nullement  prouvé  qu'elles  ont 
une  existence  hors  de  nous  '.  Ainsi,  quelles  qu'aient  été  les  véri- 
tables intentions  de  Rant,  «  il  nous  plonge  dans  l'idéalisme  le 
»  plus  universel,  dans  l'illusion  subjective  la  pius  profonde.  Il 
»  nous  emprisonne  dans  une  sphère  de  songes  telle  qu'il  ne  nous 
>»  est  plus  permis  de  la  franchir  pour  arriver  à  aucune  réalité. 
»  C'est  au  point  qu'il  ne  fait  pas  seulement  l'homme  incertain 
>'  de  ce  qu'il  sait;  il  le  déclare  absolumeiit  incapable  d«  rien  sa- 
>»  voir...  C'est  alors  le  scepticisme  perfectionné,  consomme';  le 
»  scepticisme  qui,  sous  ce  nouveau  nom  de  criticisme  ^  anéantit 
«  l'humanité  même,laquellen  existe  que  parce  qu'elle  connaît^.» 
Néanmoin.«,  tout  en  ôtant  à  la  raison  thtorétique^  toute  possibi- 
lité de  connaître  l'existence  de  Dieu,  la  spiritualité  et  l'iiumorta- 
lité  de  l'àme,  la  vie  à  venir,  en  un  mot,  toutes  les  vérités  méta- 
physiques ,  Kant  les  admettait  d'ailleurs  ,  en  vertu  de  la  raison 
pratique,  comme  postulats,  elles  tenait  pour  certaines ,  à  cause  des 

*  Celte  observation  a  été  faite  par  d'autres,  et  même  par  Btihle,  his- 
torien allemand  delà  philosophie,  comme  le  prouve  l'iliustie  Galluppi 
dans  sa  réfutation  de  Kant. 

"  Piosmini,  Nuovo  m^s;io. 


288  DK    L\    MÉTHODE    HERMlîSfEN  NE. 

besoins  pratiques,  c'est-à-dire  parce  que,  dans  la  pratique  de  la 
vie,  on  ne  peut  s*en  passer.  La  partie  historique  du  Cliristia- 
nisnie  ,  ou  de  la  révélation,  se  trouve  placé  au  ranjj  des  phéno- 
mènes :  son  contenu  entre  naturellement,  d'après  la  théorie  kan- 
tienne, dans  la  classe  des  nuitmèjies ,  c'est-à-dire  des  choses  qu*il 
est  totalement  impossible  de  connaître. 

IMais  il  était  facile  de  prévoir  que  tous  les  esprits  ne  s'accom- 
moderaient pas  de  ces  postulats  postiches  de  Kanl;  une  fois  l'im- 
pulsion donnée,  il  n'était  plus  possible  de  s'arrêter  sur  ce  pen- 
chant rapide.  Un  esprit  hardi,  Fichte,  parut,  et  se  présenta  pour 
tirer  toutes  les  conséquences  du  S3'Stème  de  son  niaîH'e,  et  pour 
lui  donner  ainsi  son  parfait  développement.  Le  moi  phénoménal 
de  Kant  devint,  dans  la  doctrine  de  Fichte,  le  moi  absolu,  bois 
duquel  il  n'y  a  aucune  réalité,  même  phénoménique  ou  appa- 
rente. En  vertu  de  sa  propre  activité,  le  mm  se  pose  lui-même, 
ce  qui  revient  à  dire  qu'il  se  crée  ;  puis,  par  cette  même  activité , 
en  se  repliant  par  un  acte  identique  sur  lui-même,  il  trouve  une 
limite,  un  Tioniiwi  ^ar  lequel  il  a  conscience  de  lui  :  mais  ce  720/1- 
moi  n'existe  pas  avant  le  moij  ni  indépendamment  du  moi.  C'est 
l'activité  même  du  77iot  qui  le  pose  et  le  crée,  pour  ainsi  due  ;  de 
sorte  que  Texistence  de  toutes  les  choses  concevables  dérive  de 
l'activité  primitive  du  mol  :  or,  parmi  ces  choses,  il  faut  ranger 
Dieu  même  ,  Dieu  qui  appartient  au  non-moi.  De  là  cet  acle  de 
délire  de  Fichte,  qui  promit  un  jour  à  ses  auditeurs  «  que,  pour  fd 
»  prochaine  leçon,  il  serait  prêta  créer  Dieu  »  :  dernière  expres- 
sion, conme  on  l'a  dit  avec  tant  de  justesse,  dernière  expression 
de  l'orgueil  d'une  créature  inlelligenle,  formule  la  plus  abrégée  de 
la  malice  de  Vange  j'éprouve,  si  la  légèreté  de  l'âge  et  rirréflexion 
du  jeune  homme  qui  l'a  proférée  ne  méritaient  pas  plus  de  j)itié 
que  d'indignation.  —  Or,  dans  cet  égoïsme  métaphysique  de 
Fichte,  que  devenaient  les  rapports  réels  de  l'homme  avec  Dieu? 
qu'étaient  la  réalité  it  robjectivité  du  Christianisme? —  11  est 
inutile  de  le  faire  remar(juei . 

En  combinant  d'une  façon  bizarre  l'objeclivité />//c«077i<?Vi//77/a 
de  Kant,  l'idéalisme  absolu  de  Fichte  ,  et  le  réalisme  absolu  de 
Schelling,  son   maître,  Hegel  a  produit  son  nouveau  système. 


DE    L\    MKTIlODt    IlEUM KSitAiNE.  *260 

dont  le  point  de  départ  est  l'/V/fe.  Celte  objcctiviéqui,  j.our  Kant, 
ciaïl  phcnoinénùj lie  f  pour  Fichte  une  limite  du  /wo/ iiicoiui«ie  , 
Hegel  Ta  placée  dans  l'idée  niènie,  où  l'esprit  la  contemple  comme 
un  être  distinct  de  lui;  ainsi,  la  pensée  est  l'exislence,  et  l'exis- 
tence est  la  pensée  :  Vidée^  qui  au  principe  n'est  qu'une  essence 
logique,  se  transforme  en  réalité  au  moyen  de  ses  uiomens  ou  de 
ses  moui'cmens,  et  produit  la  nature  universelle  ,  l'esprit  et  Dieu. 
L'esprit  humain,  en  tant  qu'il  pense,  est  donc  pour  Hegel  la  léa- 
lité  spirituelle  absolue  :  or,  comme  le  Christianisme,  faisant  par- 
tie de  Vidée;  est  contenu  et  compris,  lui  aussi,  dans  le  sujet  pen- 
sant ,  il  en  résulte  qu'il  n'est  autre  chose  qu'un  développement 
naturel,  un  moment ,  un  mouvement  de  cette  idée  dans  la  pensée. 
Bref,  le  sujet  pensant  tire  de  sou  propre  fonds  le  Christianisme, 
sans  avoir  besoin  d'une  révélation  extérieure  ;  et  quand  le  philo- 
sophe a  atteint  la  hauteur  et  la  plénitude  de  la  science,  il  possède 
dans  son  idée  le  verbe,  le  logos  dans  sa  réalité  et  sa  présence  abso- 
lues; mais  comme  tous  ne  sont  pas  philosophes,  ni  capables  de 
s'élever  si  haut,  pour  condescendre  à  l'ignorance  des  esprits  vul- 
gaires, on  veut  bien  leur  laisser  le  Christianisme  historique  et  la 
révélation  extérieure. 

Nous  ne  dirons  rien  des  systèmes  qui  se  sentent  plus  ou  moins 
de  panthéisme;,  comme  ceux  de  Schelling,  de  Boulerweck  ,  de 
Krug  et  autres.  Les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  les  trois 
systèmes  qui  viennent  d'être  indiqués  nous  sufifisent.  Il  en  résulte 
évidemment  que  leurs  auteurs  ont  voulu  ,  chacun  à  sa  manière  , 
construire  le  monde  et  Dieu  à  priori  avec  de  ])ures  conceptions 
de  raison:  Kant  avec  ses  formes  subjectives  nécessaires,  Fichte 
avec  l'activité  du  moi ,  Hegel  avec  les  mouvemens  de  Vidée.  Mais, 
à  part  quelques  avantages  indirects  et  accidentels  que  leurs  spé- 
culations ont  pu  fournir  à  la  science,  il  est  certain  qu'en  général 
ils  ne  nous  ont  donné  que  des  théories  vaines  et  absurdes,  et  qui 
pis  est,  irréligieuses  et  impies.  Mais  si  elles  ont  trouvé  tant  de  par- 
tisans et  d'admirateurs  en  Allemagne,  elles  ont  été  victorieuse- 
ment combattues  et  réfutées  par  nos  grands  phdosophes  italiens  , 
Baldinotti,  Galluppi,  Rosmini,  et,  plus  récemment  encore  ,  par 
le  professeur  Bonelli.  \  car  (et  celte  remarque  n'est  malheureu- 


2*J0  DK    lA    31ETHODK    IIEIIMÉSIKNM:. 

senient  que  trop  vrai  I  )  les  Italiens  sont  aussi  bien  au  courant  des 
ouvrages  scientifiques  étrangers,  et  spécialement  de  France  et 
d'Allemagne,  que  les  Allemands  connaissent  peu  les  grands  tra- 
vaux des  Italiens  :  c'est  un  reproche  adressé  justement  à  l'alle- 
mand Bûhle  par  son  traducteur  italien  Lancetti.  Tandis,  en  effet, 
que  Bùhle  écrit  une  longue  histoire  de  la  philosophie  moderne 
en  douze  gros  volumes,  où  il  suit  minutieusement  et  pas  à  pas 
ks  philosophes  d'Allemagne,  de  France  et  d'Angleterre,  il  ne  dit 
pas  un  mat  de  ces  profonds  penseurs  d'Italie  qui,  par  des  obser- 
vations originales,  ont  peut-être  donné  naissance  aux  systèmes 
philosophiques  d'un  autre  siècle  et  d'un  autre  pays  où  leurs  tra- 
vaux ont  été  seulement  publiés  sous  une  forme  plus  méthodique, 
et  avec  une  terminologie  plus  pompeuse.  On  ne  trouve  dans  cette 
histoire  aucun  trait  qui  ait  rapport  aux  découvertes  physiques  de 
Redi,  de  Bellini,  de  Spallanzani  ;  de  la  métaphysique  et  de  l'é- 
thique de  Siellini ,  et  tant  d'autres  travaux  très  remarquables 
exécutés  en  Iialie  pendant  le  siècle  dernier  '  :  et  (sans  parler  des 
autres)  plût  au  ciel  que  les  œuvres  philosophiques  du  cardinal 
Hyacinthe  Gerdil  ,  véritable  et  parfait  modèle  du  philosophe 
chrétien,  eussent  pénétré  en  Allemagne,  et  qu'une  traduction  les 
eût  rendues  familières  aux  bons  Allemands  I  ils  y  auraient  appris, 
sans  se  perdre  en  de  sophistiques  et  dangereuses  abstractions  ,  ce 
que  c'est  qu'une  bonne  et  sage  philosophie;  et  si,  au  lieu  de  se 
plonger  et  de  s'égarer  dans  les  philosophies  de  Kant,  deFichte  et 
des  autres,  Georges  Hermès  eût  daigné  lire  et  méditer  la  brillante 
Introduction  à  V étude  de  la  Religion  ,  de  Gerdil ,  tout  incomplète 
qu'elle  est,  elle  lui  aurait,  je  pense,  donné  l'idée  de  la  manière 
dont  il  fallait  écrire  une  introduction  philosophique  à  la  révélation 
et  à  la  théologie. 

Nous  voici  donc  enfin  à  Hermès.  —  Afin  qu'on  ne  croie  pas 
que  ce  qui  a  été  dit  jusqu'ici  ait  été  jeté  au  hasard,  sans  ordre  et 
sans  but,  je  rassemblerai  ici  les  motifs  qui  m'ont  porté  à  ce  tra- 

'  Les  suppiémens  nombreux  ajoutés  réceroment  par  le  professeur 
Poli  ^n  Manuel  de  philosophie  de  Tenncraann,  confirment  puissamment 
mon  assertion. 


DE    LA    MiiTUODE    UfcHMÉSIElNiNE.  201 

vail.  J'ai  voulu,  1^'  montrer  l'origine  de  la  philosophie  bermé- 
sienne  et  en  faciliter  l'intelligence;  2"  établir  quelques  principes 
fondamentaux  propres  à  la  combattre  ;  3^'  faire  connaître  que  l'I- 
talie a  eu  et  a  encore  de  véritables  philosophes  qui  ont  pénétre  à 
fond  tous  les  replis  des  différens  systèmes  philosophiques  de  l'Al- 
lemagne, et  ont  bien  su  les  réfuter  dans  des  ouvrages  fort  remar- 
quables ;  4"^  convaincre  que  l'on  cultiva  toujours,  que  l'on  cultive 
encore  en  Italie  une  saine  philosophie  qui  pénètre  jusqu'au 
fond  des  choses  sans  aucune  tendance  à  de  coupables  erreurs  ; 
5°  ôter  aux  partisans  d'Hermès  le  prétexte  par  lequel  ils  vou- 
draient justifier  le  doute  sérieux  ,  positif  et  universel  ,  base  de 
sa  philosophie,  par  l'autorité  et  l'exemple  de  Descartes  et  de  sou 
école  ;  6"  enfin,  démontrer  que  si  nous  nous  élevons  avec  tant  de 
force  contre  Hermès  et  ses  doctrines,  ce  n'est  pas  parce  qu'il  a  fait 
usage  de  sa  raison  dans  des  choses  purement  philosophiques  et 
rationnelles  ,  ni  parce  qu'il  a  écrit  une  Introduction  philoso- 
phique au  Christianisme  et  à  la  théologie  ,  mais  parce  qu'il  a  ma- 
nifestement abusé  de  la  raison,,  et  qu'il  en  a  abusé  d'une  façon 
étrange;  car  il  y  a  abus  de  la  raison  dans  le  doute  positif,  théo- 
rétiquey  illimité,  qui  se  présente  dès  les  premières  pages  de  sa  phi- 
losophie, c'est-à-dire  d'une  philosophie  spécialement  consacrée 
à  démontrer  les  fondemens  et  la  vérité  de  la  religion  chrétienne , 
comme  re'vélëe  de  Dieu  ;  —  il  y  a  abus  de  la  raison  dans  Talter- 
native  où  il  vous  met  de  choisir  entre  un  scepticisme  positif  et  un 
dogmatisme  mal  fondé  ;  —  il  y  a  abus  de  la  raison  à  rejeter  tout 
à  la  fois  non  pas  seulement  les  philosophes  chrétiens ,  mais  les 
Pères  et  les  docteurs  de  l'Eglise ,  mais  ses  apologistes  et  ses  théo- 
logiens les  plus  illustres,  comme  si  pas  un  seul  d'entre  eux  n'eut 
su  ce  que  c'est  que  démontrer  l'existencfi  de  Dieu  et  la  vérité  du 
Christianisme  ;  —  il  y  a  abus  de  la  raison  à  faire  reposer  toute  la 
vérité  du  Christianisme  sur  une  démonstration  que  Fou  déclare 
ne  pouvoir  convaincre  théoréliquement  l'intellect  et  la  raison  , 
mais  que  l'on  doit  accepter  par  l'ordre  et  pour  les  besoins  de  la 
raison  pratique  ;  —  enfin,  pour  passer  le  reste  sous  sUenciCy  il  y  a 
abus  de  la  raison  à  poser  le  doute  positif,  sérieux,  et  théorétique 
pour  fondement  de  la  science  théologique  elle-même,  à  établir 


292  DE    L\    MÉTHODE    HERM  ÉSlEMiM- . 

qu'une  déuionslration  rationnelle  menée  par  tons  Us  sentiers  ilu 
doute  doit  être  la  condition  sine  qud  non  tle  la  foi  ielip,ieuse,  et  à 
faire  de  la  raison  le  ciiléiiuni  suprême  des  vérités  révélées. 

§it. 

Il  faut  avouer  que  nous  avons  un  charmant  essai  de  cctle  mé- 
thode dans  les  premières  pages  de  la  Préface  à  Vinlroduclion  phi^ 
losophique,  que  nous  entreprenons  d'examiner.  C'est  là  qu'Her- 
mès nous  raconte  ingénuement  l'histoire  de  ce  travail  et  l'origine 
de  sa  philosophie;  il  nous  apprend  qu'après  bien  des  années  de 
recherches  il  restai  fermement  convaincu  que  les  dogmes  les  plus 
connus  de  la  théologie  étaient  encore  recouveris  d'un  voile  :  "leur 
»  véritable  sens  restait  enveloppé  dans  l'obscurité  et  sujet  à  de 
»  fausses  interprétations  :  aussi  chacun  d'eux  n'était  point  con- 
»  sidéré  comme  partie  intégrante  d'un  système  complet  ;  ce  sys- 
î)  tème  n'était  point  établi  par  la  voie  de  la  recherche  (entendue 
»  dans  un  sens  contraire  à  la  méthode  synthétique  ordinaire);  et 
»  Von  ne  faisait  point  passer  par  tous  les  circuits  (Irrgange)  du 
»  DOUTE  ^  ».  Alors  s'élevèrent  confusément  dans  sou  esprit 
quantité  de  doutes  sur  Dieu ,  sur  la  révélation  et  sur  la  vie  à 
venir;  puis,  excité  par  sa  conscience  ou  par  une  certaine  im~ 
pulsion  intérieure  irrésistible,  de  quelque  nom  quon  veuille  l'appe- 
ler, il  dut  en  venir,  après  délibération^  au  doute  fondamental 
(Grundzweifcl)  «  si  réellement  il  y  a  un  Dieu-  »•.  Ce  fut  inutile- 
ment qu'il  chercha  dans  tous  les  livres  de  théologie  la  solution 
de  doutes  aussi  graves.  Attristé,  mais  ne  désespérant  pas,  il  se  re- 
plia sur  lui-même  et  s'abaudonna  tout  entier  à  li  méditation, 
((  avec  la  résolution  de  ne  point  admettre  comme  connu  ce  qu'il 
»  savait  déjà  qu'en  tan»  qu'il  le  retrouverait  par  lui-mcme»  ,el/qui 
plus  est,  «  de  n'arJiiiCltre  comme  trouvé  que  ce  qu'il  ne  pouvait 
>'  pas  nier  ^  Il  ne  savait  donc  plus  rien  d'une  façon  complète,  et 


•  r.  IV. 

»   P    V. 

'   P.   VI, 


DK    LA    INJÉTHODE    HERxMÉSIElN?fE.  203 

>»  même  ce  qu'il  savait, il  ne  voulait  pas  le  savoir,  en  sorte  qu'il  ne 
»  lui  resta  plus   qu'à  chercher.  »   De  question  en   question,   il 
aborJa  les  premiers  objets  de  la  métaphj'sique ,  et  comprit  que 
c'était  par  elle  qu'il  fallait  commencer.  Après  avoir  consulté  sans 
fruit  la  métaphysique  ancienne  ,  «  dans  laquelle  il  vit,  avec  toute 
»  certitude  que  la  démonstration    de   l'existence  de   Dieu  était 
y)  nulle  de  sa  nature,  "  il  interrogea  la  philosophie  nouvelle,  et 
depuis  Kant ,  son  fondateur,  il  passa  en  revue  tous  les  s^'stcmes 
modernes.  «  Là,  il  apprit  beaucoup  de  choses  auxquelles  il  n'a- 
»  vait  jamais  songé  ;  »   mais,  quant  à  ses  doutes,  il  fut  persuada 
qu'il  u'y  trouverait  point  de  réponse  ci,  à  force  d'étudier  ces  sys- 
tèmes, il  ne  se  rendait  capable  de  philosopher  par  lui-même.  Il 
philosopha  donc  par  lui-même,  résolu  de  ne  rien  admettre  comme 
réel  ou  vrai  tant  quil  pouvait  douter  ',  Le  fruit  de  ses  spéculations 
métaphysiques,  qu'il  n'interrompit  jamais  pendant  vingt-trois  ans, 
a  été  Vlntrodaction  philosophique.  «  De  la  même  majiicte,  il  a  dé- 
»  montré  le  Christianisme  comme  révélation  divine,  et  le  Catho- 
»  licisme  comme  le  vrai  Christianisme,  sous  le  titre  d'Introduc- 
»  tion  positive.  Sur  ce  fondement  ^  enfin,  il  a  construit  la  DOG- 
»  MATIQUE    chrétienne-catholique   elle-même,*   et   comme   la 
»  philosophie  y  a  une  application  immédiate,  il  l'a  (celte   dog- 
»  nidinque)  façonnée  {heDiiheiiei)  absolumeiit  de  la  même  manière. 
»  Dans  tous  ces  travaux^  il  a  accompli  avec  scrupule  la  résolu- 
»  lion  qu'il  avait  prise  de  douter  sur  tout,  autant  qu'il  a  pu,  et  de 
»  ne  se  déterminer  définitivement  qu'autant  que  cette  détermina- 
»  lion    était,   pour  la  raison^  d'une  nécessité  absolue  et  démon- 
»  Irée'  ».  Il  avoue  donc  qu'il  a  dû  «  se  pratiquer  une  voie  à  l'aide 
»>  (\gs  nombreux  circuits  (Irrgange)  du  DOUTE  ;  »  mais  cela  sem- 
blera lems  perdu  à  celui  qui  ne  s'est  point  trouvé  dans  le  cas  du 
doute  sérieux  (ernstlichen  Zweifel)  :  c'est  pourquoi  il  prie  celui-là 
de  ne  point  lire  soti  livre.  Quant  à  lui,  s'il  n'avait  pas  agi  de  la  sorte, 
tout  ce  qu'il  cherchait  auraitpUj  avec  une  égale  facililéj  être  accepté 
ou  rejeté.  Il  a  profondément  senti  «  qu'il  n'y  a  pour  Thonime  au- 

•  P.  vu,  VIH. 
'P.x. 
Ul«  SÉRIE.  TOME  VI.  —  N'  34. 1842-  19 


^*J4  DU    LA     MliUlUDJ.    ilLUMÉSli:iN.\E. 

»>  tuii  ejiiéiiiim  en  dehors  de  la  nécessité^  el   il  i»'a  pu  ni  voulu 

T»  se  tioniper  de  }}i>îié  Ce  cœur  > .  «  Ainsi  donc  (se  dit-il),  —  i^iace 

>  à  mon  JHeu  que  f  ai  relroiué  !  —  je  suis  arrivé  à  la  couviclion 

«•queje  cherchais,  après  laquelle  je  soupirais  avec  ardeur   :  Je 

»  suis  devenu  certain  quilj  a  un  Dieu,,  que  je  serai^  que  je  vivrai 

»•  éternellement  :  je  suis  devenu  certain  que  le  Christianisme  est 

>»  une  rcvélalion  divine^  et  que  le  calholicisuie  est  le  vrai  Christia- 

»  oisine  '...  Mais  tout  en  enseignant,  tout  en  dcfentîant  ma  foi,  je 

»  ne  manquerai  jamais   à   Testime  due  aux  autres  confessions. 

»  Quand  un  homme  a  lut  lé  sans  relâche  pendant  plus  de  vingt 

»  ans  pour  acquérir  une  persuasion,  et  pour  l'établir  solidement 

«devant  le  TRIBUNAL  DE  LA  RAISON;   quand  il  a  pénétré 

»  tant  de  détours  si  trompeurs,  il  dépouille  toute  espèce  d'into- 

«  lérance  et  devient  patient  à  l'égard  de  tous  *.«  Hermès  dédie  ses 

e'crits  à  ceux  en  qui  un  esprit  pareil  au  sien  a  engendré  un  besoin 

semblable  (de  doute  sérieux),  mais  spécialement  à  ceux  quiojit  été 

SCS   disciples,  «  J'espère  ,  dit-il,  avoir  éveillé  en  eux  un  besoin 

)i  semblable  au  mien ,    si   toutefois  ils  ne  le   portaient  pas    déjà 

»  en  eux-mêmes.. .  Il  ne    faut  pas  croire  que  ce  soit  une  triste 

»  chose  d'éveiller  des  besoins,  ou,  pour  donner  à  ce  mot  son  vrai 

M  sens,  des  DOUTES  là  où  il  n'y  en  a  pas.  Cela  est- nécessaire 

»  pour  celui  qui  doit  instruire  de  la  religion.  Il  doit  savoir  qu'il 

»  ne  sait  pas,  pour  chercher  avec  un  zèle  industrieux  la  science 

»  qu'il  n'a  pas:  il  doit  aller  errant  dans  le  labyrinthe  du. doute,  en 

»  suivre  toutes  les  ramifications,  afin  de  pouvoir  accompagner  cc- 

>»  lui  qui  doute  dans  tous  ses  éfjaremens,  etc.,  etc.,  etc.  -^'> 

J'aime  à  croire  que  ces  citations  sont  plus  que  suffisantes  pour 
faire  coniiaîire  de  quelle  nature  est  le  doute  d'Hermès,  le  guide 
fidèle  de  ses  recherches  et  la  base  de  ses  doctrines.  Qu'il  vienne, 
après  cela  nous  dire  que  ce  doute  sérieux  ,  illimité,  n'est  pas  con- 
traire, mais  convient  à  l'humilité  de  la  foi  ^.  Certes^  rester  vingt 


^  P.  XIII,  XIV, 

3  P.  XV. 

*  P.  XVII.  — tcuulous  laiionnci   Heiinci'  :   -  il  Ci>l  fttux  qu'eiilic  la  foi 


DE  LA  METHODE  Hli:iîMESiEi>iNE.  21)5 

ans  1 1  plus  avaiit  de  retroin'er  son  Dieu,  ce  qui  revient  à  dire  ne 
rien  savoir  sur  Dieu,  ne  point  croire  en  Dieu  pendunl  vingt  ans 
et  plus;  —  lutter  pendant  si  longteuis  pour  établir  sa  foi  d^^-nnl 
la  tribunal  rie  la  raison  (et  cela  dins  un  prêtre  catholique,  pro- 
fessant publiquement  la  théologie)^  —  se  proposer  soi-inéiiie 
connue  exemple  et  comme  règle  de  la  marche  que  doivent  sui- 
vre les  jeunes  élèves  du  sanctuaire  ;  —  enseigner  que  la  théologie, 


humble  et  la  démonstration  (jui  cherche  en  tout  des  doutes  (  zweifel- 

siichtig)  il  y  ait  opposition An  contraire,  cette  démonstration  zwei- 

felsiichtig  est  la  racine  et  la  condition  de  la  foi  pieuse Vous  direz 

peut-être  qu'il  faut  croire  tout  ce  qui  nous  est  proposé  de  quelque  ma- 
nière que  ce  soit?  Mais  si  quelqu'un  le  faisait,  sa  foi  pourrait-elle  s'ap- 
peler pieuse  ?  Le  discernement  des  objets  de  la  foi,  et  dès  loï'S  1  examen 
de  ce  qui  nous  est  proposé,  est  une  condition  nécessaire  pour  rendre 
possible  la  foi  pieuse.  Et  comment  pourrez- vous  souscrire  à  une  diose 
proposée  et  non  à  une  autre,  et  admettre  dès  lors  un  objet  et  en  rejeter 
un  autre  sans  justifier  votre  choix  par  voie,  de  démonstration  rigoureuse^. 
Non,  rimmilité  de  la  foi  ne  consiste  pas  à  croire  ayz/w  démonstration 
préalable,  elle  consiste  à  admettre  ce  qui  ne  se  voit  pas  d'une  manière 
sensil)le,  simplement  parce  que  la  raison  exige  cette  admission  :  la  raison 
l'exige,  c  est  ce  que  preuve  la  démonstration  adoptée.  » 

Le  défenseur  d'Hermès,  qui  elle  ce  passage,  avoue  que  beaucoup  en 
Allemagne  en  ont  été  scandalisés  et  que  le  mot  zn'^i/elsuchlig  sonne  fort 
mal  à  kurs  oreilles,  parce  qu'il  vient  de  zweifelsucht,  dubitandi  libido  » 
qui  correspond  au  mot  scepticisme.  Mais  il  voudrait  qu'on  l'interprétât 
dans  un  meilleur  sens,  c'est-à-dire  qu'on  le  traduisit  par  démonstration 
scrupuleuse.  Mais  outre  que  la  force  du  mot  primitif  se  prête  mal  à 
cette  interprétation,  quiconque  réfléchira  sur  le  fait  personnel  d'Her- 
mès, et  sur  son  ardeur  à  inculquer  le  doute,  et  le  doute  sérieux  et  uni- 
versel^ verra  bien  de  quelle  nature  est,  dans  le  sens  d'Hermès,  cette  dt- 
licatesse  outrée  de  conscience^  et  quelle  en  est  la  tendance.  On  doit 
remar(iuer  aussi  (|u'd  s'agit  ici  d^  chacun  des  objets  à^i  k  loi  et  que 
l'examen  dubilatil  et  la  démouitratioa  rationnelle  sont  poiCb  pour  apii' 
dition  sine  qud  non  de  lu  foi  pieuse!! 


296  DE  L\  MÉTHODE  HERMÉSIENNE. 

pour  être  science,  doit  passer  par  tous  les  circinls  du  doute  sérieux, 
et  qu*uu  théologien  doit  se  former  dans  le  labyrinthe  du  doute; 
qui  ne  voit  en  tout  ceci,  qui  ne  voit  le  rationabile  obseguium  de 
l'Apôtre,  Vohsequium  qui  convient  si  bien  à  l'humililé  de  la  Foi  II 
—  Qu'il  en  appelle,  après  cela  ',  à  l'autorité  et  à  Texeinple  des 
scolastiques ,  non  seulement  et  spécialement  de  S.  Thomas  et  de 
Scot  ♦  mais  aussi  des  anciens  Pères  et  Docteurs  ,  afin  de  montrer 
qu'ils  alliaient  dignement  la  philosophie  à  la  théologie.  Et  en 
effet,  qui  est  assez  aveugle  pour  ne  pas  voir  que  la  méthode  des 
Pères  est  précisément  celle  d'Hermès;  que  le  doute  sérieux,  ha- 
bituel et  de  vin^t  ans  qu'eut  Hermès  avant  de  savoir  s'' il  y  avait 
un  Dieu^  n'est  rien  autre  chose  que  celui  de  S.  Thomas  qui  com- 
mence sa  thèse  sur  l'existence  de  Dieu  par  le  videtur  quod  Dens 
non  sit  '  ?  —  Et  c'est  Hermès  qui  f  iit  cet  appel  aux  Pères  et  aux 
scolastiques,  Hermès  qui  ,  en  mille  endroits,  nous  donne  à  en- 
tendre clairement  et  sans  détours  que  ni  eux  ni  personne  ne  su- 
rent jamais  démontrer  l'existence  de  Dieu  ni  la  vérité  de  la  Re- 
ligion chrétienne  î  C'était  une  grâce  que  le  ciel  tenait  réservée 
pour  lui,  inventeur  fortuné  d'une  faculté  nouvelle  dans  l'intel- 
ligence humaine,  \a  faculté  ^e/b/ic/er(zubegrùnden),  faculté  qui, 
comme  une  baguette  magique,  doit  transformer  le  Dieu  noumé- 
nique,  le  moi  et  le  monde  phênoméniques  de  Kant  en  êtres  véri- 
tables et  réel».  —  Qu'il  vienne,  après  cela,  nous  assurer^  q^u'il  y 
a ,  il  le  sait  bien  ,  un  usage  modéré  et  un  abus  de  la  raison  ;  que 
dans  l'introduction  à  la  théologie  cet  usage  doit  être  illimité, 
mais  qu'après  être  entré  dans  la  Dogmatique ,  on  se  gardera  bien 
d'outrepasser  les  limites  marquées.  On  sait  comment  il  a  tenu  pa- 
role. Mais  considérons  cet  usage  illimité  de  la  raison  herniésienne 
qui  doit  nous  servir  de  pédagogue  et  nous  introduire  dans  le  do- 


'  Et  précisément  le  défenseur  d'Hermès  aime  à  trouver  dans  ses  ^icla. 
hermesiana  une  parfaite  ressemblance  entre  le  doute  d  Hermès  et  celui 
de  saint  Thomas  sur  l'existence  de  Dieu  !  !  î 

•  P.   XXIII. 

'  P.  ^X 


DE  LA.  MÉTHODF  HERMÉSIENNF.  297 

maine  de  la  Dogmatique.  Entrons  donc  avec  une  pie'lé  respec- 
tueuse dans  le  temple  de  la  Piiilosopliie  hermésienne  ;  «  Procul 
hinc:  procul  estote  profanil  >» 

11  ne  s'a^jit  de  rien  moins  que  de  savoir  s'il  y  a  réalité  de  con* 
naissance  ,  s'il  y  a  fondement  de  certitude  pour  l'homme,  s'il  y  a 
une  véritable  relation  entre  le  sujet  pensant  et  l'objet  ;  si  nous 
existons,  et  si  nous  savons  exister  ;  s'il  existe  ou  non  quelque 
chose  hors  de  nous.  Toutes  ces  choses  ,  en  effet,  sont  comprises 
dans  la  première  des  trois  [^randcs  questions  qui  forment  Tobjet 
de  l'Introduction  philosophique  d'Hermès.  Cette  question  est 
proposée  en  ces  termes  :  »  Ya-t-il  |)Our  l'homme  une  délermina- 
>»  tion  sur  la  Vérité  qui  soit  une  détermination  bien  sûre  (Sicher), 
«  et  par  quelle  voie  nous  ariive-t-elle  '  ?  » 

Le  P.  PF.RRONE. 
Traduit  des  AnnaH  de  Mgr  de  Luca,  par  l'abbé  H 


298 


TRADITIONS    PRIMITIVES 

...ivîi*i.;:/^L\,. -^u</;^u^Ld  ;tJ 

îraî>  itios  primitiufs. 

VESTIGES 

DES  TRADITIONS  PRIMITIVES 

conservi'es  chez  les  latins. 


^^eitxtcmc    (trfîcie  \ 


Explication  de  I'eglogue  a  pollion  de  Virgile. 

(xiande  année  étru«;qiie.  —  Son  origine  orientale,  — Pieuvcs.  —  Uni- 
versalité de  la  tradition  sur  le  péché  originel  et  sur  la  nécessité  de 
recouvrer  l'innocence  primitive.  —  Son  introduction  dans  le  système 
philosophique.  —  Sources  où  Virgile  a  puisé  ce  qu'il  en  dit  dans 
cette  Eglogue  et  dans  le  6*  livre  de  \  Enéide.  —  Souvenir  de  l'âge 
d'or.  —  Origine  de  cette  tradition.  —  Impossibilité  d'appliquer  même 
aux  empereurs  les  titres  que  le  poète  accorde  à  l'enfant  qui  doit  ra- 
mener cet  âge  de  bonheur  et  d'innocence.  —  Analogie  frappante  des 
images  Doétiques  employées  par  Virgile  et  par  Isaïe.  —  Virgile  a-t-il 
connu  les  tîYfes  saints?  —  Késumé. 

A  la  iraciilion  qui  rappelait  la  promesse  d'un  divin  restaura- 
teur de  riiumanité,  Virgile  en  ajoute  une  autre  qui  annonce  une 
jïrande  série  de  siècles  qui  va  commencer,  grande  période,  /çiandc 
année,  grands  mois  : 

Magnus  ab  intègre  sœclorum  nascitur  ordo, 

Etincipient  raagni  procedere  menses. 

(v.  5,  it.) 

•  Voir  le  î«r  art.  au  numéro  précédent,  ci-dessus,  p.  "/oS. 


CHEZ  LES  LATINS.  299 

De  toutes  les  nations  policées  qui  ont  reçu  une  cosmogonie  de 
leurs  ancêtres,  de  tous  les  philosophes  grecs  qui  ont  disserté  sur 
l'origine  ei  sur  la  durée  du  monde,  il  n*en  est  pas  un  qui  n'ait 
assigné  de  grandes  périodes  à  l'état  de  choses  que  nous  voyons. 
Frappés  des  maux  et  des  désordres  qui  obscurcissent  la  belle  œuvre 
de  la  nature,  qui  la  souillent,  la  corrompent  et  la  font  vieillir  cha- 
que jour,  pour  ainsi  dire,  ils  attendaient,  après  que  C(  s  afflictions 
seraient  passées,  le  couunencement  d'une  période  d'années ,  pé- 
riode de  bonheur,  pendant  laquelle  l'espèce  humaine  s'élèverait 
à  une  félicité  plus  parfaite,  et  jusqu'alors  inconnue.  Cette  doctrine 
était  répandue  en  Egypte  ;  on  l'enseigne  dans  les  premiers  chants 
d'Orphée  ;  elle  fut  géne'rale  ihez  les  Perses,  et,  dans  les  livres  in- 
diens récemment  découverts  et  étudiés,  elle  s'y  retrouve  encore. 
Les  trois  plus  fameuses  écoles  de  l'ancienne  philosophie  ,  les  Py- 
thagoriciens, les  Platoniciens,  les  Stoïciens^  la  transportèrent  des 
traditions  orientales  dans  leurs  systèmes  et  dans  leurs  spécula 
lions  ;  l'astronomie  la  soumit  à  ses  calculs,  et  la  chercha  parmi 
les  constellations  et  les  planètes;  la  liturgie  la  renferma  dans  ses 
rites;  la  législation  la  représenta  dans  les  fêtes;  les  arts  chargè- 
rent les  obélisques  de  ra])prendre  aux  générations  à  venir  ;  la 
poésie  l'embellit  de  ses  plus  gracieuses  fictions  '  :  mais  ce  fut  spé- 
cialement dans  les  doctrines  étrusques,  qu'il  développe  avec  tant 
de  pompe  dans  le  6^  livre  de  son  Enéide^  que  Virgile  puisa  cette 
idée. 

Les  Etrusques  prétendaient  qu'un  certain  nombre  de  siècles 
avait  été  assigné  aux  hommes  et  aux  choses  humaines  ;  que  toute 
la  vie  du  monde  pouvait  se  diviser  et  se  renfermer  en  huit  gran- 
des périodes;  que  le  passage  de  l'une  à  l'autre  de  ces  grandes  ré- 
volutions périodiques  devait  être  annoncé  par  des  apparitions 
particulières,  et  par  des  signes  dans  le  ciel  ou  sur  la  terre  ;  qu'une 
de  ces  huit  périodes  merveilleuses  était  échue  en  partage  à  l'em- 
pire étrusque,  dont  elle  devait  mesurer  l'existence  et  la  gloire  ; 


^  V.  Bruker,  Creuzer,  Lipsius,  Cudwortb,  Dupuis,  Boulanger,  Bailly, 
Goguet,  Delanibre,  Montucla,  passim. 


300  TRADITIONS  PRIMITIVI  S 

que  celle  période  embrasserait  dix  âges  d'un  nombre  d'années 
inrgal;  que  le  dixième  âge  avait  commencé  pendant  qu'on  célé- 
biait  les  jeux  si  fameux  donnés  par  César  édile  au  peuple  ro- 
main; enfin,  qu'après  119  ans,  durée  qu'ils  attribuaient  à  ce 
dixième  âge,  l'accomplissemeat  de  la  révolution  périodique  serait 
le  signal  du  renouvellement  de  toutes  choses  ,  et  le  commence- 
ment d'une  nouvelle  période  plus  tranquille  et  plus  heureuse  '. 
Celte  opinion  était  si  générale  à  Rome  et  dans  l'Iialie  que  Plu- 
larque  rapporte,  dans  li  Fie  de  S j lia ^  que,  comme  on  s'occupait 
de  toutes  parts  d'un  prodige,  du  sou  lugubre  et  plaintif  d'une 
trompette  qui  avait,  disait-on,  retenti  au  milieu  des  airs  dans  un 
ciel  serein,  les  prêtres  élrusques  en  avaient  sur-le-champ  fait 
l'application  à  la  grande  année,  dont  le  terme  allait  bientôt  s'ac- 
complir. De  même,  Censoriuus  écrivait  que,  dans  les  rituels 
élrusques,  il  avait  trouve  l'exposé  des  merveilles  qui  avaient  in- 
diqué, ou  devaient  indiquer  la  succession  des  différens  âges;  en- 
fin, Volcatius,  aruspice  toscan,  voyait  déjà  le  signal  du  neuvième 
âge  dans  la  comète  qui  apparut  après  la  mort  de  César,  arrivée 
l'an  711  de  Rome^  trois  années  à  peine  avant  la  composition  de 
cette  églogue^ 

Si  parmi  les  différens  calculs  que  les  plus  fameux  écrivains 
qui  se  sont  occupés  des  peuples  de  TElrurie  ont  hasardés  sur  leur 
grande  année,  nous  voulions  nous  en  tenir  à  celui  du  savant  Ca- 
iiovai,  qui  en  a  fait  une  étude  particulière  après  Bruker,  Fréret , 
l-,ampredi ,  celle  année  serait  tombée  l'an  de  J.-C.  72,  date  que 
Baronius  assigne  au  siège  de  Jérusalem,  qu'on  peut  appeler  la  fin 
de  l'ancienne  loi.  Les  autres  opinions  sont  à  peu  près  conformes 
à  celle-ci  :  celle  qui  s'en  écarte  le  plus  s'arrête  à  l'an  37  de  Jé- 


'  Y.  Bruker,  t.  i,  p.  334;  _  Micali ,  V Iialia  avanti  il  dominio  de' 
Rom.,  t.  II,  p.  9.i'>,  édition  de  Silvestri  ;—  Creuzer,  Heligiom  de  Van- 
liqmie,  t.  ii,  liv.,  5,  c.  2  ;  — •  ^ieMiur,  Histoire  romaine,  I.  I;  — Cano- 
vai,  dans  le  S*"  vol.  des  Memorie  di  Cortona,  p.  190,  etc.,  etc. 

^  Voy.  la  noie  de  Ilej'iie  au  vers  47  de  VEii^los^ne  iv,  et  la  Fie  de 
Firgile,  par  le  même,  nnnce  711. 


CHEZ  LÏS  LATINS.  301 

SUS  Clirlst,  point  qui  coïncide  presque  exactement  avec  la  mort 
de  l'iiomme-Dieu.  Mais  il  serait  absurde  de  vouloir  dans  tous  ces 
calculs  un  résultat  scrupuleusement  identique  ;  certes,  c'est  assez, 
quand  il  s'agit  d'une  tradition  si  antique,  d'élémens  si  incertains 
et  si  opposés,  de  pouvoir  trouver  un  accord  et  un  rapprochement 
d'époque  et  non  d'année.  Mais  il  est  des  auteurs  qui  s'éloignent 
bien  davantage  du  sentiment  de  l'illuslre  savant  que  nous  avons 
cité  :  ce  sont  ceux  qui ,  justement  repris  par  Vossms,  ont  voulu 
trouver  la  grande  année  prédite  par  Virgile  dans  le  saros  babylo- 
nien, ou  dans  la  grande  ère  alexandrine,  ou  dans  quelque  autre 
période  astronomique  de  ce  genre  ,  qu'on  apprenait  tout  au  plus 
dans  les  écoles,  et  qu'on  retrouvait  dans  la  marche  des  constella- 
tions ;  mais  qui  n*élaient  pas  répandues  parmi  le  peuple ,  et  n'é- 
taient pas  connues  dans  la  tradition. 

Après  tout,  quelque  période  que  l'on  choisisse,  ce  serait  en  vain 
qu*oa  essaierait  de  l'appliquer  au  teins  dont  parle  Virgile,  et  à 
l'époque  où  il  écrivait  :  il  n'en  est  pas  une  qui  n'en  soit  éloignée 
par  des  siècles'.  Si  l'on  voulait  assigner  une  autre  origine  à  l'idée 
(jui  inspira  Virgile,  il  serait  plus  naturel  de  la  chercher  dans  deux 
sysièmes  philosophiques,  dans  celui  des  Sioiciens  et  dans  celui 
des  Plaloniciens,[qui  avaient  tant  de  vogue  à  Rome  de  sontems, 
et  à  chacun  desquels  le  poète  s'arrêta  tour  à  tour  :  en  effet,  la 
grande  année  platonique,  et  le  renouvellement  périodique  de 
toutes  choses  enseigné  par  les  stoïciens,  sont  céhbres  dans  toute 
l'antiquité,  et  ces  deux  sectes  avouaient  que  ces  opinions  étaient 
empruntées  aux  traditions  orientales.  Cependant,  la  merveilleuse 
coïncidence  des  années,  d'une  part ,  de  l'autre,  les  disproportions 
énornus  qui  existent  entre  la  grande  année  stoïcienne  et  la 
grande  année  étrusque,  me  font  croire  (car  je  veux  m'attacher  au 
plus  sùi)  que  Virgile  a  j)lus  particulièrement  travaillé  sur  la  tra- 
dition étrusque,  qui  reproduisait  plus  purement  l'antique  tradi- 


'  Voy.  Vossius,  de  OracuUs  Sjbillis,  cap.  4;  —  Heyne,  loco  cit.  ; — 
Di:L\vi\\n'Ci  Histoire  de  l'Astronomie  ;^Cnno\'a\,  loço  c/V.  ;  —  Fréret, 
Lampredi.  etc. 


302  TRADITIONS   PRIMITIVES 

lion  orientale,  quoiqu'il  se  soit,  sans  doute,  appuyé  aussi  sur  les 
doctrines  stoïciennes  et  platoniciennes  qu'il  avait  si  longlenis  cl  si 
profondément  niédilées^  Cette  tradition  marchait  de  front  clitz 
les  Etrusques  avec  celle  de  la  formation  du  monde,  qu'ils  préten- 
daient avoir  été  créé  par  le  Démimge  dans  l'espace  de  6,000  ans, 
en  assignant  pour  un  millier  d'années  une  des  œuvres  de  la  créa- 
tion à  peu  près  dans  l'ordre  qui  nous  est  indiqué  dans  la  Genèse. 
Or,  il  est  impossible,  en  voyant  cette  analogie  toute  particulière, 
de  n'être  pas  convaincu  que  les  Étrusques  ont  puisé  à  la  même 
source,  et  la  tradition  relative  à  la  formation  du  monde,  et  la  tra- 
dition qui  annonçait  un  renouvellement  universel  qu'ils  atten- 
ilaieut  à  la  même  époque,  avec  les  mêmes  signes,  les  mêmes  pro- 
diges avant-coureurs,  avec  les  mêmes  espérances  que  les  Hébreux, 
qui  tenaient  tous  ces  détails  de  la  révélation,  et  les  avaient  trans- 
mis et  répandus  parmi  les  nations  orientales. 

Sans  parler  de  l'avantage  que  je  pourrais  tirer  de  la  confor- 
mité merveilleuse  que  iMaffei,  Passeri ,  Canovai ,  et  autres  sa- 
vans,  ont  trouvée  entre  les  doctrines  hébraïques  et  les  doctrines 
étrusques,  il  est  une  remarque  qui  confirme  singulièrement  la 
thèse  que  nous  défendons  :  c'est  que,  dès  les  tems  les  plus  reculés, 
les  Toscans  eurent  avec  l'Orient  des  relations  fréquentes  et  mul- 
tipliées ,  résJiltat  nécessaire  non-seulement  de  l'établissement  des 
colonies  que  la  Grèce  et  l'Asie-Mineure  envoyèrent  dans  ce  pays, 
mais  surtout  de  leur  navigation  si  intrépide  et  si  fameuse,  puis- 
que les  Etrusques  entretenaient  toujours  un  commerce  avec  les 
Phéniciens,  avec  lesCarihaginois,  avec  les  Siciliens,  avec  lesGrecs, 
et  qu'ils  acquirent  Ui.c  telle  réputation  dans  cet  art  que  leurs  cor- 
saires furent  mélaniorphosés  en  dauphins  par  l'antique  mytholo- 
gie, et  cjue  leurs  monnaies,  leurs  vases,  leurs  monumens  de  toute 
espèce  sont  couverts  de  divinités  marines,  de  tridens  et  d'ancres, 
dont  ils  ont  peut-être  même  été  les  inventeurs  ^.  C'est  donc  en 
vain  que,  dans  son  travail  sur  les  Antiquités  étrusques  %  Heyne  ^ 

'  Voy.  Lampredi  et  Canovai. 

-  Voir  Micali,  t.  n,  p.  147,  et  Lanzi,  Niebhur,  Heeren,etc. 
T.  viif  des  j4ctes  de  Gottingue. 


CHEZ  LES  LATINS.  308 

contesté  l'autlien licite  de  leur  cosmogonie  telle  qu'elle  est  décrite 
par  un  auteur  toscan  cité  par  Suidas,  et  s'est  elïorcé  de  n'y  voir 
qu'un  tlïème  astrologique  d'une  date  très  récente,  et  qu'il  fallait 
probablement  attribuer  à  un  helléniste  chrétien;  car  ^  comme 
f  observe  Creuicr  dans  son  savant  ouvrage  sur  les  Religions  de 
r antiquité)  la  cosmogonie  de  l'auleur  toscan  est  parfaitement 
conforme  à  la  tradition  que  Plularque  nous  rapporte  sur  les  ré- 
volutions périodiques  ou  sur  la  grande  année  étrusque,  comme  à 
celle  qui  se  trouve  répandue  dans  tout  l'Orient,  et  dont  l'intro- 
duction en  Etrurie  peut  être  expliquée  historiquement  par  les 
voyages  maritimes  des  Toscans,  et  peut-être  aussi  par  les  écoles 
pythagoriciennes  si  célèbres  en  Italie  et  qui  professaient  le  même 
dogme,  qu'elles  avaient  également  puisé  dans  les  traditions  de 
rOiient  '.  Ainsi  donc,  en  nous  rappelant  cette  grande  et  nouvelle 
année,  cette  restauration  de  toutes  choses  ,  ces  grands  mois  qui 
allaient  recommencer,  Virgile  n'a  eu  en  vue  que  l'attente  d'un 
nouvel  âge,  d'une  restauration  de  la  vie  et  de  la  condition  des 
hommes^  promesses  qui  avaient  été  faites  dès  l'origine  du  monde 
aux  premiers  patriarches,  et  qui,  répandues  dans  l'Orient,  y  fu- 
rent revêtues  de  tant  de  formes,  enveloppées  de  tant  d'allégories^ 
mais  ne  perdirent  jamais  leur  premier  caractère,  qui  consistait  à 
annoncer  que  l'Esprit  du  Seigneur  renouvellerait  la  face  de  Tu- 
niverS;  et  ferait  paraître  cette  terre  nouvelle,  si  magnifiquement 
décrite  par  le  prophète  Isaïe. 

Il  est  uue  autre  idée,  non  moins  brillante,  que  Yii^ile  a  éga- 
lement empruntée  à  la  philosophie  i>toicienne  et  platonicienne 
pour  en  orner  le  règne  futur,  dont  il  chante  le  bonheur  et  la 
gloire  :  c'est  cette  éclatante  pureté  des  âmes  qui  devaient  être  la- 
vées de  toute  souillure,  et  rendues  dignes  tle  leur  antique  et  cé- 
leste origine. 

Te  duce,  si  qua  manent  sceleris  vestigia  nostri 

Inrita  perpétua  solveiit  formidine  terras.  (v,  i3  et  14.) 

Le  premier  dogme,  sur  lequel  repose  tout  le  mystère  de  la  ré- 
*  Voy.  Creuzer,  t.  h,  p.  4o5  et  suiv. 


304  TBADITIONS  PRIMITIVES 

ilemphon  de  riiumanité,  est  le  fait  primitif  du  péché  originel,  de 
ralTaiblissemeiit  de  toutes  les  facultés  morales  de  l'iiomnie,  de  la 
souillure  de  la  nation  humaine,  de  la  nécessité  de  la  ramener  à 
sa  première  origine,  de  la  purifier,  de  lui  rendre  ses  communica- 
tions avec  Dieu.  Dans  les  traditions  les  plus  antiques  de  tous  les 
peuples  de  la  terre,  dans  les  systèmes  des  philosophes  qui  les  ont 
recueillies,  co-ordonnées,  embellies,  il  n'est  pas  de  fait  plus  ré- 
pandu, plus  clairement  exprimé  que  le  besoin  de  recouvrer  Tin- 
nocence  et  la  pureté  primitive  des  âmes.  Tous  les  anciens  théo- 
logiens et  les  poètes  enseignaient,  au  rapport  d'un  pythagoricien 
cité  par  Clément  d'Alexandrie,  que  rdine  était  ensevelie  dans  le 
corps  comme  dans  un  tombeau  en  punition  de  quelque  faute 
antérieure  '.  Pourquoi  les  anciens  Égyptiens  faisaient-ils  passer 
successivement  d'un  astre  à  l'autre  les  âmes  des  morts,  afin  que, 
par  ces  migrations  aériennes,  elles  se  purifiassent  des  fautes  dont 
elles  s'étaient  souillées,  avant  de  pouvoir  remonter  à  la  Divinité  ? 
pourquoi  la  vieille  doctrine  Orphique  prescrivait-elle  dans  les 
mystères  les  expiations  secrètes  et  rigoureuses  pour  anticiper  en 
cette  vie  sur  celles  qui  seraient  indispensables  après  la  mort  ? 
pourquoi  tous  ces  rites  expiatoires  à  la  naissance  d'un  enfant, 
que  l'on  purifiait,  les  uns  avec  de  l'eau,  les  autres  avec  le  feu,  en 
invoquant  la  Divinité,  cérémonies  qui,  jadis  en  usage  chez  lesSa- 
béens,  les  Egyptiens,  les  Perses,  les  Grecs*  les  Romains,  ont  été 
retrouvées  au  -Mexique,  au  Thibet,  dans  l'Inde,  et,  nous  pouvons 
le  dire,  dans  toute  les  contrées  de  l'Asie?  De  ces  traditions  recou- 
vertes du  langage  tout  mythique  des  premiers  âges,  les  doctrines 
du  péché  originel  et  de  la  nécessité  de  le  réparer,  d'en  purifier  les 
hommes,  passèrent  dans  les  systèmes  des  philosophes  grecs  :  et 
voilà  pourquoi,  dans  le  Phèdre  et  dans  le    Timée^  Platon  nous 


'  C'est  Philolaus  qui  s'exprime  en  ces  termes  :  «Les  théologiens  et  les 
M  devins  antiques  attestent  que  lame  a  été  jointe  au  corps  pour  expier 
))  un  crime,  et  qu'elle  a  été  ensevelie  dans  le  corps  comme  dans  un  tora« 
).  beau.  »  Dans  les  Siiomates,  in-fol.,  Cologne,  1688,  p.  4^?  ;  et  p.  213 
du  tome  v  de  la  Traduction  de»  Pères,  de  M.  de  Genoude. 


CHEZ  LES  LATliNS,  305 

fait  une  description  si  pompeuse  de  l'orij^ine,  des  destinées  futures 
et  des  transmigrations  des  Ames,  qu'on  serait  tenté  de  l'appeler 
poétique,  tandis  que  ce  n'est  que  l'exposition  des  doctrines  sym- 
boliques de  l'antiquité  ;  voilà  pourquoi  encore  les  stoïciens  nous 
ont  représenté  les  âmes  hunjaines  comme  devant  subir,  dans  les 
régions  aériennes  ou  infernales,  divers  tourmens  pour  se  purifier 
avant  de  retourner  à  celte  âme  universelle  du  monde,  dont  ils  les 
supposaient  détachées  '. 

Que  Virgile  ait  consigné  ces  doctiînes  dans  celte  églogue  ;  que 
ces  mêmes  doctrines,  ainsi  que  la  tradition  de  la  faute  originelle 
et  de  la  nécessité  de  la  réparer,  nous  soient  transmises  par  son  or- 
gane, c*est  ce  dont  on  ne  saurait  douter  quand,  pénétrant  la  pen- 
sée de  ses  divers  ouvrages,  on  voit  qu'il  étudia  particulièrement 
les  sectes  philosophiques  des  platoniciens  et  des  stoïciens,  etqu'ou 
se  rappelle  ces  vers  sublimes  du  6^  livre  de  Y  Enéide,  inagniQque 
tableau  dans  lequel  il  remonte,  pour  nous  tracer  l'origine  des 
âmes,  jusqu'à  ce  divin  esprit  qui  s'épanche  sur  l'immense  en- 
semble de  l'univers  qu'il  anime  ;  charmante  élégie,  dans  laquelle 
il  les  plaint  comme  des  prisonnières  détenues  dans  un  antre  ob- 
scur et  plongées  dans  les  ténèbres,  tant  qu'elles  sont  attachées  à 
cette  dépouille  mortelle  ;  c'est  là  aussi  qu'il  nous  met  sous  les 
yeux  les  divers  genres  de  tourmens  qu'elles  ont  à  subir  durant 
de  longues  années,  jusqu'à  ce  quelles  soient  pures  de  toute  soui'- 
lure  et  dignes  d'être  admises  à  la  félicité  des  Champs-Ely- 
sées'. Quel  était  donc  l'idée  qui  inspirait  cette  âme  délicate  et 
sensible,  cette  âme  de  poète,  quand,  dans  un  autre  endroit  de  ce 
même  chant  (v.  425),  il  prend  un  accent  lugubre  et  nous  montre 
les  en  fans  que  la  mort  a  moissonnés  sur  le  sein  de  leur  mère  avant 
d'avoir  goiité  la  vie,  au  seuil  de  la  cité  douloureuse,  tristes  et 

•  Voy.  Bruker,  Cud%vorlh,  Heyne,  sur  le  vi'  hvre  de  lEnéidc  ;  — 
Uiiety  ^Inetanœ  questiones; — Buhle,  Inlrod.  à  l  hisl.  de  la  philos.  ;  — 
Boulanger  ,  antiquité'  dévoilée \  —  La  Mennais  ,  Indiffciçncc,  r.  m, — 
Uauisay,  Discours  sur  la  théol,  des  Genlils. 

'  Voy.  Uv.  VI',  vers  724,—  Heyne  tt  Bruker,  t.  n,  p  71,  et  Cudworth, 
lib,  II,  c.  5,scct.  0. 


o06  TUADITlOiNS    PiUMlTiVIS 

poussant  cUs  géiiiisseinens longs  et  plaintifs?  pourquoi  ces  plain- 
tes, ces  voix  dolentes,  ces  cris  déchirans?  quel  crime  expient  îà 
ces  enfans,  que  leurs  mèies  n'ont  pu  récréer  d'un  sourire?  Où  le 
poète  a-t-il  puisé  une  si  étrange  et  si  impitoyable  action?  quelle 
origine  lui  assigner  si  elle  ne  vient  pas  de  Tan  tique  croyance  que 
nous  naissons  dans  le  péché  ? 

Afin  de  compléter  le  témoignage  rendu  à  cette  tradition,  qui 
est  le  véritable  fondement  du  mystère  de  la  Rédemption,  remar- 
quez que,  dans  cette  même  églogue,  A  irgile  nous  reporte  à  Tetat 
primitif  de  Tliomme,  état  d'innocence  et  de  félicité,  âge  de  jus- 
tice et  de  vertus,  siècle  d'or,  siècle  lienreux.  Le  souvenir  et  la 
description  d'un  âge  d'or  se  retrouve  dans  les  premiers  monu- 
mens  que  l'antiquité  nous  ait  transmis.  Le  vieil  Hésiode,  anté- 
rieur à  Homère,  ou  du  moins  contemporain  de  ce  L;énie  qui 
chanta  pareillement  les  plus  anciennes  traditions  religieuses  de  la 
Grèce  ;  Platon,  ce  voyageur  infatigable  qui  a  recueilli  et  exposé 
avec  une  éloquence  qu'on  n'a  pas  imitée  les  doctrines  de  tout  l'O- 
rient ;  les  poètes  ,  les  premiers  annalistes  des  plus  anciens  peu- 
ples, et  tons  les  auteurs  qu'on  a  découverts  ou  étufliés  à  des  épo- 
ques plus  rapprochées  de  nous,  tous  commencent  leur  histoire 
du  monde  et  de  la  religion  par  un  âge  de  bonljeur  pendant  le- 
quel les  hommes  conversaient  familièrement  avec  les  dieux  :  en 
cetems-là,  la  vie  n'était  point  dévorée  par  les  chagrins  ni  parles 
n)aladies  ;  la  vieillesse  respectait  le  corps,  qui  conservait  toujours 
sa  vigueur  ,  et  la  mort  était  un  songe  délicieux  :  il  n'y  avait  pas 
besoin  de  déchirer  la  terre  avec  le  fer;  les  moissons  croissaient 
d'elles-mêmes  et  ondoyaient  sur  un  sol  cjui  n'était  pas  encore  al- 
téré de  nos  sueurs;  il  ne  fallait  pas  imposer  un  joug  au  taureau 
furieux,  ni  apprivoiser  les  lions  qui  venaient  en  se  jouant  lécher 
les  pieds  de  leurs  maîtres;  les  navires  ne  sillonnaient  pas  les  flots 
à  travers  mille  dangers  pour  transporter  de  contrées  lointaines  ce 
que  chaque  pays  produisait  avec  assez  d'abondance  pour  satisfaire 
tous  les  désirs;  le  sein  des  montagnes  n'était  pas  encore  fouille 
par  la  main  de  riiommc  pour  y  puiser  le  fer  detitinéà  nous  cohi- 
battre,  ou  l'or  à  nous  cornjinpre  :  les  dillérenus,  les  haines,  lea 
meurtres,  le  pillage,  les  gueire.-,  les  cpidctuies,  les  inccadks,  k 


CHEZ  LIS  rVTlNS.  307 

mort,  étaicnl  lies  noms  inconnus  sur  celle  terre  bienheureuse '. 
D*où  vient  donc  celte  tradition  uniforme  des  anciens  jours? 
On  ne  dira  pas  que  c'est  de  l'histoire,  car,  en  dehors  des  livres  sa- 
crés, l'antiquité  n'a  pas  un  seul  historien,  pas  un  seul  monu- 
ment, pas  un  seul  fait  qui  nous  montre  ou  nous  rappelle  cette 
époque  pour  aucun  peuple  ;  au  contraire,  les  historiens  grecs  et 
latins,  jxirmi  lesquels  il  faut  ranger  Diodore,  qui  les  a  recueillis 
el  comparés,  les  voyageurs  qui  nous  représentent  Tétat  des  po- 
pulations incultes  visitées  par  eux  pour  la  première  fois,  tous  les 
auteurs,  en  un  mot,  ne  remontent  qu'à  l'éiat  de  Thomme  sau- 
vage, misérable,  vagabond  ,  se  nourrissant  de  glands  ou  de  ra- 
cines, couvert  de  peaux  grossières,  féroce,  ignorant,  sanguinaire, 
et  presque  au  niveau  des  brutes-.  On  ne  dira  pas  non  plus  que 
l'âge  d'or  est  une  invention  de  la  philosophie  ;  car  quand  les 
philosophes,  abandonnant  les  idées  et  les  traditions  religieuses, 
ont  essayé,  avec  les  épicuriens  et  les  péripatéticiens,  dans  l'anti- 
quité, et  avec  leurs  sols  imitateurs,  dans  les  tems  modernes,  d'ex- 
pliquer à  leur  manière  l'origine  et  l'état  primitif  du  uîonde  et  de 
l'homme,  loin  de  comniencerpai  un  âge  de  bonheur  et  d'abondance, 
ils  nous  ont  donné  une  toute  autre  idée  :  ils  ont  cru  plus  à  propos 
de  faire  sortir  nos  aïeux  de  la  terre,  de  les  trouver  dans  un  trou- 
peau de  bêtes  fauves,  sans  Dieu  ,  sans  langage,  sans  société,  sans 
lois,  et  presque  sans  famille,  consternés,  stupéfaits  à  chaque  pas 
par  d'effrayans  prodiges  et  par  la  force  imposante  de  la  nature  ^ 
Ce  n'est  donc  que  dans  les  premières  traditions  religieuses,  con- 
servées pendant  la  longue  vie  des  patriarches  antédiluviens,  et 

■  Voy.  spécialement  Hésiode;  —  Virgile,  dans  les  Géorgiques ;  — 
Ovide  dans  les  Métamorphoses;  — Tibulle;  —  Platon,  dans  la  Politique 
et  dans  le  T/mee;— Huct ,  Alnetanœ  quesùonts  \  —  Burnet ,  Archeo- 
iogia  sacra;  —  Creuzer,  Religions,  t.  i,  p.  3i's  v.  5;  Asiaiic  F.csear- 
ches,  etc.,  etc. 

'Voy.  Hérodote,  Diodore,  Thucydide,  Tacilc,  Roberison,  Gogact, 
Grotius,  Droit  des  gens,  etc.,  etc.  Berger,  i/i  Hesiodum,  etc. 

»  Voy.  lAicrcce,  ArisloU-,  Hobbes,  Pvousscau,  Coudillac,  Hclvéliu?, 
Laniarck,  etc.,  etc. 


308  TRADITIONS  PRIMITIVES 

tiausiiiises  par  eux  à  ceux  qui,  dispersés  à  tia\ers  le  monde  avec 
leurs  familles,  ont  elé  les  pères  de  toutes  les  nations,  qu'il  faut 
clierclicr  le  souvenir  de  cet  â^e  heureux  appelé  l'âge  d'or,  de  ces 
rè{jnes  de  Saturne,  de  ce  siècle  d'Astrce  qui  s'cvanouit  à  cause  des 
péchés  des  hommes,  et  fut  remplacé  par  un  à{^e  plus  dur,  par 
r^ige  de  fer,  mais  dont  le  souvenir  et  les  re^^rets  demeurèrent 
toujours  et  alimentèrenlles  vœux  et  les  espérances  des  infortunes 
mortels  qui  gardèrent  ilans  leur  cœur  le  germe  de  leur  grandeur 
première,  et  l'altenle  de  revoir  un  jour  Dieu  converser  avec  eux 
et  ramener  sur  la  terre  la  félicité  qui  en  avait  été  bannie.  Ce  sont 
ces  traditions  que  Virgile,  ardent  imitateur  du  poète  d\Vscrée  et 
du  sublime  philosophe  de  l'académie, atteste  d'une  manière  toute 
particulière  dans  son  églogue.  C'est  cette  tradition  qui  l'a  conduit 
non-seulement  à  rapporter  à  l'enfant  qu'il  prédit  les  plus  ma.i^ni- 
liques  images  que  les  poètes  avaient  pu  recueillir  sur  l'âge  d'or, 
comme  il  le  fait  si  admirablement  dans  tout  ce  morceau,  n)ais 
aus^i  à  donner  le  titre  de  Dieu  même  à  cet  enfant  : 

111e  Deûm  vitain  adci|)iet 

Casta  Deùm  soboles,  magnum  Jovis  incrcraeuiiim. 

(v.  i5et49) 

El  Ton  aurait  tort  de  voir  dans  ce  langage  une  exagération  poé- 
tique ou  une  flatterie  de  courtisan.  La  première  hvpothèse  est  re- 
poussee  parle  goût  si  pur  de  Virgile,  de  ce  poète  qui,  promettant 
ailleurs  la  plus  magnifique  destinée  à  un  prince  qui  donnait  les 
plus  belles  espérances,  se  contenta  de  dire  : 

Si  qua  fata  aspera  rampas 

Tu  Marcellus  eris ' 

La  seconde  supposition  n'est  pas  plus  admissible,  car  quand  Vir- 
gile adressait  celte  pièce  à  PoUion,  l'adulation  n'était  pas  encore 
descendue  jusqu'à  diviniser  les  empereurs  romains  :  c'était  à 
peine  si  les  plus  chauds  partisans  de  Jules  César  avaient  osé  en 

•  Ent'idCf  lisre  vi,  v.  883. 


cHi:z  LES  laUas.  309 

laiic  un  tlemi-dieu  et  le  placer  parmi  les  astres;  et,  assurément, 
])ersonnc  n'aurait  encore  eu  la  liardiesse  d'en  faire  autant  d'un 
fils  d'Octave  ou  d'Antoine,  ou  de  quelque  autre  romain  que  ce 
put  être  '. 

Mais  cette  même  tradition  qui  rappelait  aux  peuples  leur  fcli- 
lité  première,  qui  leur  reprochait  les  fautes  dans  lesquelles  ils 
s'étaient  précipités  et  Tincapacité  dans  laquelle  ils  étaient  de  se 
décharger  de  ce  fardeau,  leur  annonçait  et  leur  promettait  aussi 
un  céleste  Enfant,  Dieu  lui-même,  qui,  médiateur  entre  les  hom- 
mes et  la  Divinité,  devait  effacer  toute  souillure,  révéler  toute 
vérité,  ramener  toute  vertu,  toute  justice  parmi  les  mortels.  Le 
cœur  plein  de  cette  sublime  espérance,  rintellif;ence  enrichie  de 
tous  les  enseignemens  de  l'histoire,  de  la  poésie  et  de  la  tradition, 
séduit  par  les  plus  belles  images  que  le  platonisme,  de  toutes  les 
philosophies  de  l'antiquité  la  plus  digne  d'un  grand  poêle,  loi 
avait  révélées,  Virgile  oublie  et  PoUion,  et  les  guerres  civiles  ,  et 
la  paix  deBrindes,  objets  trop  au-dessous  du  brûlant  enthou- 
siasme qui  l'enflariime,  et  portant  son  regard  vers  des  choses  plus 
élevées,  il  chante  sur  un  mode  plus  majestueux,  et  se  fait  le  poète 
ou  plutôt  l'oracle  de  cette  grande  et  universelle  prédiction.  Et  ce 
qu'il  y  a  d'étonnant,  c'est  que  les  images  éclatantes  dont  il  orne 
l'âge  heureux  que  le  céleste  Enfantva  ramener  parmi  les  hommes, 
non-seulement  s'accordent  avec  celles  que  les  poètes  nous  ont 
transmises  sur  l'âge  d'or,  mais  semblent  être  en  quelque  sorte  la 
reproduction  de  ces  couleurs  surhumaines  dont  le  prophète  Isaie 
se  sert  pour  peindre  le  règne  heureux  et  pacifique  du  Messie.  La 
ressemblance  est  si  frappante  que  Pope,  le  plus  célèbre  des  poè- 
tes anglais,  voulant  reproduire  dans  sa  langue  VÈglogue  à  PoU 
lion,  eut  l'idée  d'en  faire  plutôt  une  paraphrase,  et  de  l'appliquer 
à  Jésus-Christ  naissant  au  milieu  des  hommes,  en  traduisant  par- 
les expressions  dlsaïe  les  expressions  et  les  images  duThéocrile 
latin  ^ 

'  Vov.  Ileync,  Vie  de  Firgile,  k  Tannée  711,  et  su  vers  47  de  !£'- 
glogiie  IX,  dans  les  noies. 

»  Voy.  Pope,  Messlah  a  sacrcd  Ecloguc,  et  les  notes, 

IH*^  SÉRIE.  TOME  VI.—  N'  34, 1842.  20 


310  TnADITlOiXS  PKIMITIVES 

Après  iivoii  icclicrché   rorigine    des  idées  fondaniciilales  du 
])oèine,  ce  seiaii  ici  le  lieu  de  rechercher  aussi  celle  des  images 
portiques  qni  lui    donnent  un  éclat  si  beau  ,  s'il  m'était  permis 
d'exposer  les  moyens  qui  facilitaient  à  Virgile  la  connaissance  des 
livres,  ou  du  moins  des  prophètes  hébreux.  Quelle  que  soit  l'o- 
pinion que  la  critique  veuille  porter  sur  les  communications  que 
les  anciens  Hébreux  eurent  avec  les  Grecs  et  les  Romains,  et  sur 
la  connaissance  que  ceux-ci  purent  avoir  des  livres  des  premiers, 
il  est  certain  qu'au  tems  de  Virgile  ,  tout  concourait  à  répandre 
dans  Rome,  et  à  faire  goûter  aux  savans  les  sublimes  doctrines 
et  les  beautés  du  premier  ordre  que  recelaient  les  œuvres  de  Moïse 
et  des  prophètes.  La  diffusion  et  la  multiplication  des  Juifs  après 
Alexandre,  par  le  moyen  des  Ptolomées  et  des  Séleucidcs  ,  dans 
les  plus  populeuses  et  les  plus  célèbres  cités  de  l'Orient;  les  syna- 
gogues qu'ils  y  avaient  obtenues  ;  la  traduction  de  leurs  livres  à 
laquelle  on  s'était  appliqué  avec  tant  de  zèle  et  qui  avait  place 
dans  les  bibliothèques  les  plus  fameuses;  leur  goût,  ou  plutôt  leur 
manie  ,  tant  au  sein  de  la  Judée  qu'au  dehors ,  pour  la  plijloso- 
phie,  pour  les  poêles,  pour  les  mœurs,  pour  les  spectacles  et  même 
pour  les  manières  des  Grecs;  les  guerres  que  les  armées  romaines 
avaient  portées,après  Pompée, jusque  dans  Jérusalem;  la  puissante 
influence  que  le  sénat  prit  dès-lors  sur  les  destinées  de  celte  nation, 
et  sur  la  succession  à  son  trône  ,  ses  traités  et  ses  alliances  avec 
les  vainqueurs;  le  commerce  si  animé,  si  suivi  de  la  capitale  du 
monde  avec  toutes  les  provinces;  la  vive  amitié  qui  régnait  entre 
Hérode,  Agrippa,  et  autres  princes  juifs  et  les  plus  influens  séna- 
teurs  ou  capitaines  romains;  l'avidité  de  savoir  qui  enflammait 
alors  tout  ce  qu'il  y  avait  de  gens  studieux  à  Rome  ;  la  curiosité' 
particulière  qui  portait  à  observer  tout  document,  toute  doctrine, 
toute  pratique  ,  toute  tradition  qui  venait  de  l'Orient  ;  l'intimité 
du  roi  Hérode  avecPollion  qu'il  eut  même  pour  hôte,  et  avec  le 
savant  iNicolas  de  Damas  qui  fut  son  ministre  auprès  d'Auguste 
dont  il  était  tendrement  aimé  :  voilà  tout  autant  de  fails  si  con- 
nus ,  si  bien  attestés  par  une  foule  d'écrivains  graves,  si  péremp- 
toires  lorsqu'on  les  réunit  ensemble,  qu'il  est  inqiossible  à  moins 
d'être  préoccupé  d'opinions  préconçues ,  de  iie  pas  se  sentir  porté 


CHEZ  LES  LA.Tl.\b.  o\  \ 

à  adiiieitre  que  la  connaissance  des  livres  juifs  ,  ou  du  moins  des 
docuines  et  des  beautés  qu'ils  renferment,  parvint  aux  savans  de 
Rome,  et  surtout  à  Virgile  ,  qui  recherchait  si  avidement  tout  ce 
qu'il  pouvait  y  avoir  de  beau  chez  les  nations  étrangères^  et  qui 
fut  l'ami  intime  de  Pollion  et  d'Auguste.  C'est  qu'en  effet ,  il  n'a 
pas  fallu  à  la  critique  cette  réunion  d'argumens  pour  établir  sur  une 
base  solide  toutefois, la  transmigration  dts  sciences  etdts  arts  d'u  n 
pays  dans  un  autre  *.  Si  donc  l'élude  des  traditions  du  siècle  de 
Virgile  et  de  ses  opinion?  philosophiques  nous  a  fait  remonter  aux 
sources  d'où  il  a  tiré  la  matière  de  son  poème,  les  communications 
et,  sinon  la  lecture  des  livres  saints,  du  moins  la  connaissance  des 
doctrines  qu'ils  contiennent,  nous  indiquent  de  quels  maîtres  il  a 
tiréses  plus  belles  images, et  nous  expliquent  le  style  particulier  de 
celte  églogue  qui  nous  paraît  tout  orientale,  quoique  aussi  sévère 
aussi  châtiée  que  toute  autre  poésie  latine. 

Si  l'on  embrasse  maintenant  d'un  seul  coup  d'œil  les  diverses 
parties  de  l'églogue  de  Virgile,  on  voit  qu'elle  atteste  que  l'homme 
vivait  jadis  dans  un  état  de  justice  et  de  félicité,  qu'il  s'est  miséra- 
blement précipité  dans  toute  sorle  d'erreurs  et  de  vices*  mais 
qu'enfin  la  fatale  période  de  son  avilissement  touche  à  son  terme; 
qu'un  céleste  et  divin  Enfant  va  paraître  parmi  les  homines,  et 
ramener  avec  lui  sur  la  trrre  la  déesse-vi<  rge  de  la  justice,  qu'il 
va  susciter  une  sainte  et  céleste  génération  ,  et  recommencer  le 
règne  de  Saturne,  c'est-à-dire  le  règne  de l'abonrlance  et  delà  paix; 
qu'il  combattra  les  ennemis  du  genre  humain  ,  en  triomphera, 
effacera  toute  souillure  et  régnera  souverain  pacifique  de  l'univers 
prosterné  à  ses  pieds.  A  sa  venue  ,  l'univers  s'émeut,  les  monts 
agitent  leurs  cimes,  le  monde  crie  sur  son  axe  immense,  la  terre 
se  paie  d'un  manteau  de  verdure  qui  croît  d'elle-même,  les  lions 
paissent  avec  les  agneaux  ,  le  serpent  disparaît ,  toute  plante  vé- 

*  Voy.  Prideaux,  Histoire  des  Juijs,  i,  ii,  passim.;  —  Lcland,  Dé- 
monstration e'vjange/ique,  lom.  iv  ;  —  Huet,  Demo/istratio  ofangelicay 
prop.  IV,  caj).  i4  ;  —  De  Maislre,  Soirées  de  SuitU-'Péiersboiu  g  y  t.  ii, 
p.  190  et  suiv.  ;  —  Creuzer,  t.  i  j  —  Brukcr,  t.  1.  p.  635,  et  t.  11,  p.  98^, 
gSi,  etc.,  etc.,  etc. 


312  HlADlTlOiNS  l>K13!iriV£S  ClihZ  LE6  LATIiNS. 

néneuse  se  dessèche  et  meurt  ;  les  arbres ,  les  forêts ,  les  prairies, 
les  fleurs,  les  troupeaux,  toute  la  nature  environne  et  eniLeilitlc 
céleste  berceau  *.  Quel  que  soit  l'enfant  que  A  irgile  ait  ici  en  vue; 
quel  qu'ait  été  le  but  que  le  poète  s'est  proposé;  quelle  qu'ait 
été  l'occasion  de  son  cbant;  quels  que  soient  les  monuniens  et  les 
traditions  qu'il  plaira  aux  sa  vans  et  aux  commentateurs  d'assigner 
comme  ayant  été  la  source  où  a  puisé  le  poète  de  Mantoue;  quels 
que  soient  l'époque  et  le  pays  qui  puissent  les  revendiquer  ;  rst-il 
possible  de  ne  pas  convenir  que  la  pensée  de  son  églogue  est  la 
pensée  même  de  la  tradition  de  tout  le  genre  liumain  ,  le  vœu  et 
le  soupir  de  tous  les  siècles,  le  langage  de  tous  les  prophètes  qui 
ont  prédit  le  Rédempteur?  IN 'est-ce  pas  sur  ces  élémens,  je  veux 
dire  la  perte  de  l'innocence,  Fatlente  d'un  céleste  libérateur,  le 
retour  du  règne  delà  justice  et  de  la  paix  ,  que  repose  le  mystère 
de  la  Kédemption  ?  N'est-ce  pas  ainsi  qu'il  fut  annonce  par  Dieu 
même  aux  patriarches  qui  le  transmirent  à  tous  les  peuples  ,  et 
décrit  par  les  prophètes  avec  des  couleurs  si  variées  et  des  images 
si  magnifiques  et  si  éclatantes?  Et  si  nous  considérons  d'ailleurs 
que  pas  un  seul  fait  historique  de  l'époque  où  vivait  Virgile  ne 
peut  nous  donner  l'explication  du  mystère  relatif  à  l'enfant  qu'il 
annonce  ;  que  les  opinions  de  son  siècle,  les  traditions  répandues 
parmi  ses  contemporains  ,  les  doctrines  philosophiques  dont  son 
esprit  fut  nourri,  nous  révèlent  de  la  manière  la  plus  satisfaisante 
Torigine  de  chacune  des  parties  principales  de  son  travail;  enfin 
que  ses  expressions  et  ses  images  non-seulement  sont  à  une  dis- 
tance infinie  de  son  style  et  de  sa  manière  ordinaires  ,  mais  ne 
trouvent  d'analogue,  dans  toute  l'antiquité,  que  les  prophéties  ; 
nous  devrons  convenir  que  Téglogue  de  Virgile  est  le  plus  beau 
monument  de  son  époque  sur  la  tradition  universelle  qui  annon- 
çait le  Messie. 

Mgr  GASPARD  GRASSELLINI. 

Traduction  abrégée  du  discours  prononcé  à  Tacadémie  des 
Arcades,  le  20  janvier  i838,  et  inséré  dans  les  n'^-  17  et  18 
des  Annali  de  ÎMgr  de  Luca. 

•  Voy.  Y£giogue  passim. 


INTRODUCTION    A  L\  THF.OLOC.IE  DE  l'hISTOIRE.     313 


(jiôloirf. 


INTRODUCTION  A  LA  THEOLOGIE  DE  L'HISTOIRE , 

ou 

DU  PROGRÈS  DANS  SES  RAPPORTS  AVEC  LA  LIBERTÉ. 

Par  CHARLES  STOFFELS '. 

L'auleur  du  livre  que  nous  annonçons  s'est  mis  en  présence 
(les  diverses  écoles  historiques.  Il  a  étudié ,  il  a  jugé  les  sysièmes 
philosophiques  sur  lesquels  elles  se  fondent,  et  il  a  été  amené  à 
cette  conséquence  qu'au  catholicisme  seul  appartient  de  donner 
la  raison  des  choses  et  des  événemens,  par  la  conciliation  de  deux 
grands  principes  :  la  volonté  providentielle  de  Ditu  et  la  liberté 
de  l'homme.  iM.  Charles  Sloffels  combat  avec  force  et  refuie  ces 
doctrines  dégradantes  du  fatalisme,  qui ,  de  quelque  manière 
qu'elles  se  produisent,  de  quelque  nom  qu'on  essaie  de  les  pa* 
rer,  révoltent  la  raison  et  la  conscience,  et  sont  la  négation  de  la 
vérité  chrétienne.  11  fait  tour  à  tour  passer  sous  nos  yeux,  avec 
le  caractère  spécial  de  leuis  erreurs,  Vindividiialisme ,  qui  i-ole 
le  monde  Je  l'idée  du  souverain  maître  et  fait  dépendre  la  des- 
tinée des  peuples  de  mille  hasards;  \e panthéisme,  qui  |détruit  le 
libre  arbitre  de  la  créature  et  formule  nettement  la  pensée  fata- 
liste ;  l'éc/ccV/^me ,  enfin,  qui,  quoi  qu'en  disent  quelques  rê- 
veurs, n'établit  qu'une  pondération  artificielle  et  apparente  entre 
les  opinions  qu'il  prétend  harmonier,  et  finit  toujours  par  se 
fondre  et  s'absorber  dans  l'une  d'elles.  Jusque  là,  le  propre  de 
V éclectisme  est  de  n'arriver  à  rien  de  précis,  à  rien  de  fixe, 
w  Ainsi ,  dit  M.  Charles  Sloffels,  récleclisnie  de  M.  Cousin  est 
»*  autre  que  l'éclectisme  saint-simonien  ,  et  ces  deux  écleciismes 

'  Dehéconrt,  libraire-éditeur,  rue  des  Saints-Pères,  64. 

f 


814 


INTRODUCTrON 


»  ne  diffèrent  pas  moins  de  l'éclectisme  théurgique  d'Alexan- 
»  drie.  » 

Gomme  le  fait  remarquer  M.  Stoffels,  la  plupart  des  historiens 
modernes  non  catholiques  appartiennent  à  recelé  panthéiste, 
dont  tous  les  travaux  peuvent  se  résumer  dans  la  conception  du 
progrès  continu.  Vne  série  de  chapitres,  qui  annoncent  beaucoup 
d'études  et  de  savoir  ,  est  consacrée  par  l'auteur  à  démontrer  que 
cette  \)\'éiQnàue  continuité  du  progrès  est  une  chimère,  qui  \iole 
ouvertement  les  enseignemens  de  l'histoire  des  nations,  ruine  la 
liberté  morale ^  cl  aboutit  en  politique  nu  despotisme.  M,  Stoffels 
admet  un  progrès  ;  mais  c'est  celui  qui  tend  à  ramener  l'homme 
dans  les  saintes  voies  de  la  religion,  u  Dieu,  dit-il,  est  la  fin  de 
»  l'homme,  comme  il  est  le  principe  de  son  être,  comme  il  est  le 
»  moyen  d'arriver  à  cette  fin.  C'est  par  la  création  que  Dieu  est 
»  principe  de  l'être;  l'action  de  sa  grâce  est  le  moyen  qui  en- 
»  traîne  la  créature  à  sa  consommation  en  Dieu,  fin  suprême  de 
»  ses  destinées.  Le  mouvement,  dans  lequel  la  providence  eni- 
»  porte  le  monde,  est  donc  un  mouvement  d'ascension,  de  pro- 
»  grès.  C'est  Dieu  qui  est  le  centre  d'activité  du  tléveîoppement 
»  progressif. 

»  Si  Dieu  ne  consomme  point  en  lui  ses  créatures  en  même 
>»  lems  qu'il  les  tire  du  néant,  si  l'homme  n'est  point,  par  le  seul 
»  fait  de  sa  création,  en  possession  immëdiale  de  l'infini,  c'est 
»  qu'il  doit  répondre  par  un  libre  amour  à  l'amour  divin  pour 
»  mériter  celte  possession,  pour  accomplir  celte  consommation 
•'  dans  sa  plénitude.  Il  est  donc  souiiiis  pendant  un  tems  à  l'é- 
»  preuve  ,  pendant  le  tems  nécessaire  à  l'achèvement  de  la  créa- 
.«  tion  de  son  être  en  Dieu.  C'est  là  l'œuvre  de  la  liberté  que 
»  nous  avons  vue  être  une  force  créatrice,  une  participation  de  la 
«  puissance  divine.  La  liberté  est  avec  la  grâce  le  double  moyen 
»  qui  doit  mener  l'homme  à  sa  fin.  C'est  par  l'assimilation  libre 
»  de  la  grâce  que  l'homme  se  déveloj'pe  lians  la  loi  progression- 
»  nelle  de  la  Piovidence,  qu'il  achève  la  création  de  son  être  en 
»  Dieu.  Mais,  en  v^nlu  de  sa  liberté,  l'homme  peut,  au  lieu  de  se 
»  marier  à  la  volonté  divine,  en  divorcer^  et  ce  n'est  que  par  la 
»  puissance  qu'il  a  de  ne  pas  ain^er  Dieu,  qu'il  possède  celle  de 


A  T  \  THÉOLOGIF  OR  l'hISTOIRE.  315 

»  raimer.  Sans  celle  possibilité  négative  ,  son  amour  ne  serait 
»  qu'une  attraction  nécessaire ,  semblable  à  celle  qui  pousse  un 
»  corps  vers  un  aulre  corps 

»  Ce  n'est  que  par  le  mariage  de  la  liberté  et  de  la  Providence, 
»  que  la  première  est  entraînée  dans  la  voie  ascensionnelle  de  la 
»  seconde.  Le  divorce  de  l'homme  avec  Dieu  non-seulement 
»  soustrait  l'homme  à  la  loi  du  profiès  dont  Dieu  est  le  centre 
»  d'aclivité ,  mais  ':ette  privation  du  principe  de  sa  vie  l'entraîne 
>•  dans  une  voie  de  déchéance  et  de  mort.  » 

11  nous  est  impossible  de  suivre  M,  Stofïels  dans  l'application 
qu'il  fait  des  principes  posés  à  là  vie  des  peuples  et  à  l'humanité 
toute  entière.  Ses  développemens ,  ses  explications  à  cet  égard 
offrent  beaucoup  d'intérêt,  et  on  les  consultera  avec  profit. 

C'est  principalement  lorsqu'il  s'agit  de  matières  graves  qu'il 
faut  apprécier  l'ensemble  d'un  livre  plutôt  que  s'arrêter  aux  dé- 
tails. Sans  donc  rechercher  si  toutes  les  opinions,  tous  les  juge- 
mens  historiques  de  M.  Charles  Stoffels  sont  également  incontes- 
tables, nous  dirons  que  ses  idées  nous  ont  paru  généialement 
heureuses,  el  que  l'exposition  en  est  claire  et  mélliodique.  L'//i- 
troduclion  à  la  théologie  de  VJiistoire  est  un  travail  fait  avec  cons- 
cience et  talent. 

L'ouvroge  se  termine  par  des  conseils  adressés  aux  incrédules. 
On  nous  saura  gré  d'empninier  quelques  lignes  à  ce  passage,  dans 
lequel  se  retrouvent  les  inspiraiions  religieuses  de  l'auteur  : 
«'  Lissés  des  luttes  sans  fin  el  sans  issue  de  la  philosophie,  incré- 
»>  dules,  vous  vous  dites  souvent  :  si  je  pouvais  croire,  si  je  savais 
»  prier?  suis-je  responsable  du  mauvais  vouloir  de  liion  esprit? 

»  Oh  I  si  vous  comprenez  les  sérénités  de  la  foi,  si  vous  dési- 
w  lez  vous  asseoir  à  son  ombre,  et  vous  reposer  dans  sa  paix,  cela 
»  vous  est  possible. 

»  Ne  touimentez  pas  vainement  votre  cerveau  pour  en  faire 
»  sortir  une  vérité  qui  fleurit  bien  mieux  dans  le  cœ  ir  cultivé 
»  par  la  vertu.  Cessez  de  vous  regarder  comme  le  principe  sou- 
»  verain  de  la  lumière  et  de  la  vie  ;  cessez  de  vous  substituer  or- 
»  gueilleuscment  à  Dieu,  qui  seul  est  le  principe  de  tout  ;  rappe- 
»  lez-vous  que  vous   n'êtes  que  d'hier,  et  que  demain  vous  ne 


ni6      INTRODICTION    A  lA  TIlliOr.OGlF  DR   I.'lIlSTOlRE. 

»  serez  plus  ;   reconnaissez  votre  infirmilê  profonde ,  et  cela  ne 
u  saurait  vous  être  difficile. 

i  »  Après  être  sortis  de  vous  par  ce  premier  acte  d'humilité,  sor- 
S)  tcz  encore  de  votre  égoïsme  en  allant  visiter  les  pauvres  et  les 
»  soufTrans  ;  consolez  leur  infortune  par  votre  argent,  votre  bras, 
»  vos  paroles,  et  vous  apprendrez,  pour  les  réserver  à  leur  soula- 
»  fjement,  à  devenir  avares  de  vos  biens,  que  vous  dissipiez  en 
»  vains  plaisirs  ;  et  ces  plaisirs  cesseront  d'appesantir  votre  cœur, 
w  d'énerver  vos  forces,  et  d'étourdir  votre  pensée  que  vous  rap- 
»  porterez  à  vos  amis  en  douleurs,  bien  plus  vrais  que  vos  amis 
»>  de  débauche  ;  et  leurs  larmes  de  bénédiction  détacheront  bien- 
»  tôt  les  écailles  collées  à  vos  orbites,  et  se  cliangeiont  en  une  ro- 
>  sée  de  glaces  qui  apprendront  à  vos  lèvres  à  prier  !  » 

R.   B. 


NOUVELLES  ET  MELANGES.  317 


EUROPE. 


FRANCE  P AWIS.  —Leitre  d'^  HI.  Eugène  Boni  annonçant  son 
retour  en  France.  —  On  avait  répandu,  il  y  a  peu  de  jours,  la  nouvelle 
de  la  mort  de  !M.  Eugène  Jjoré,  notre  collabor:iteur  et  ami.  Nos  lecteurs, 
qui  connaissent  combien  ce  savant  chrétien  a  avancé  Tépoque  de  la  réu- 
nion de  l'Eglise  nestorienne  d'Asie  avec  l'Eglise  latine,  liront  avec  plai- 
sir la  lettre  suivante,  où  il  annonce  son  retour  en  France. 

Constanlinople,  le  6  septembre  i84'2. 

Mon  cher  ami,  depuis  trois  mois,  tu  n'as  reçu  aucune  lettre.  Pendant 
le  trajet  de  3Iossoul  à  Constantinople,  qui  a  duré  ce  long  tems,  je  me 
suis  contenté  décrire  deux  fois  à  M.  Leleu  ,  des  villes  de  Césarée  et 
d  Ancyre,  réservant,  pour  mon  arrivée  ici,  le  plaisir  de  causer  avec  toi. 
Dieu  a  continué  de  nous  préserver  de  tous  les  malheurs  possibles  en  un 
voyage  de  cette  longueur  et  durant  une  saison  funeste  en  plusieurs  lo- 
calités à  cause  de  Texlrême  chaleur.  Nous  n'avons  point,  en  cette  partie 
de  l'Orient .  les  ombrages  de  la  France,  et  je  puis  dire  de  l'Euroj^e,  ni 
toutes  les  ressources  de  ses  auberges.  Les  prières  que  lEglise  adresse 
journellement  en  faveur  des  voyageuis  nous  concernent  plus  que  tous 
les  autres.  Partout,  avec  un  soleil  brûlant,  la  désolation,  l'aridité  et  la 
disette.  Heureux ,  quand  nous  trouvions  un  peu  de  lait  caillé  ou  une 
)i0ule  pour  notre  repns ,  et  do  Forge  pour  le5  chevaux.  La  crainte  des 
(Jurdes  et  des  partis  de  voleurs  ne  cesse  totalement  qu";i  huit  journées 
de  la  capitale  :  partout  ailleurs  il  faut  être  sur  ses  gardes  la  nuit  et  le 
jour,  et  s'acquitter  du  sei-vicc  que  MM.  nos  gardes  r.ationaux  trouvent 
chaque  mois  déjà  bien  insupportable.  Ou  se  sent  naître,  pdlir  cette  vie 
de  ])rivalions,  des  forces  inconnues  et  inespérées;  même  rhabitation  de 
la  lente  et  de  l'autre  pavillon  plus  largo,  du  ciel,  finit  par  devenir  si  na- 
turelle et  si  attrayante  que  les  villes  et  les  maisons  vous  paraissent  en- 
suite autant  de  prisons  manquant  d'air  et  de  celle  liberté  que  j'appelle- 
rai primitive  et  patriarchalc.  Jaurais  certainement  pu  arriver  plus 
promptement  sans  le  désir  d'observer  ces  contrées  si  dignes  d'intcrét 
sous  tous  les  rapports. 

Le  oo  août,  sur  les  n->uf  heures  du  matin,  j'ai  eu  la  joie  de  surprendre 


318  NOUVRI.LES    ET    MELANGES. 

mes  amis  de  Saint- Benoît ,  affublé  d'un  certain  costume  de  Bédouin  , 
excellent  pour  vons  garantir  des  ardeurs  du  soleil.  Quelle  impression 
que  celle  de  revoir  Constantinople  et  son  Bosphore  ,  lieux  auxquels  je 
croyais  avoir  dit  un  éternel  adieu  .'  J  ai  trouvé  Constantinople  avancé 
dans  la  voie  du  progrès  religieux  fort  au  delà  de  mes  espérances.  Les 
institutions  des  Sœurs  de  la  Charité  et  des  Frères  des  écoles  chrétiennes 
ont  pris  un  développement  prodigieux.  Quelle  douce  joie,  de  la  chambre 
où  je  t  écris,  d'entendre  près  de  600  enfans  chanter  en  chœur  les  can- 
tiques français,  que  nous  apprîmes  aux  beaux  jours  de  notre  première 
communion  1  Cest  un  rare  spectacle  de  \oir  ces  enfans  de  vingt  nations 
et  de  vingt  races  différentes,  bégayer,  parler,  babiller  notre  langue. 
Nous  devons  aux  zélés  missionnaires,  MM.  les  Lazaristps,  ces  belles  inno- 
vations. L'homme  qui  y  contribue  surtout  est  notre  commun  et  honora- 
ble ami  M.  Leieu. 

Flgèxe  Boré. 

—  Projet  de  restaui  ation  complète  de  Notre-Dame  de  Paris.  —  On 
lit  dans  les  De  Oats  : 

«  L'administration  vient  de  prendre  une  grande  détermination,  à  la- 
quelle ne  sont  pas  lestées  étrangères  les  instances  du  digne  prébt  placé 
à  la  tête  du  diocèse.  M.  Martin  fdu  jN'ord),  ministre  de  la  justice  et  des 
cultes,  qui,  ainsi  que  ses  devanciers,  appréciait  parfaitement  les  l^esoins 
de  leglise-mère  de  Paris,  a  désigné  récemment  M.  larchitecte  Arveuf 
pour  étudier  le  projet  d'une  restauration  complète  de  ?<iotre-Dame  et 
en  diriger  Texécution. 

>»  L'entreprise  dont  M.  Arveuf  eut  chargé  est  vaste  et  péiilleuse.  Il 
s'aî^it  en  effet  de  restituer  à  Notre-Dame  son  vrai  caractère,  altéré  |wr 
le  mélange  de  styles  postérieurs.  On  sait  que,  commencée  en  Ii03  par 
Mauiicc  de  Sully,  îa  mélrOj>ole  de  P;iris  fut  achevée  en  rii3.  La  Re- 
naissance n"y  a  laissé  aucune  trace  de  son  passage  ;  mais  à  dater  de 
Louis  XV  commence  une  longue  série  de  mutilations  et  de  déplorables 
enjoliveuieni.  Les  arcades  ogivales  de  l'apside  b.rent  alors  dénaturées 
par  un  revêtement  en  marbre  à  plein  cintre;  l'imagerie  de  la  Vierge, 
œuvre  de  Jehan  Piavv,  fut  supprimée;  les  vitraux  de  couleur  remplacés 
par  Jes  verres  blanc>:  le  tympan  de  la  j  01  te  d'entrée  par  une  ogive  d'un 
type  incroyable.  Nous  ne  unirions  pas,  si  nous  voidions  énumérer  toutes 
les  détériorations  causées  au  monument  par  la  main  drs  hommes  et  sur- 
tout celles  que  Tact  i  m  du  tems  Gt  subira  l'exlérieur  ,  dans  les  mille 
ornemens  attachés  avpc  une  richesse  infinie,  par  l'arcliitecture  gothique, 
au  flanc  des  élifices. 


NOUVELLES    RT    MKLA.NGES.  HIO 

))  M.  Arvcnf  ayant  à  réiablir  dans  sa  pureté  originelle  PadmiralWe  ca- 
lliédrale,  voudra  sans  doute  réparer  toutes  ces  brèches,  détruire  toutes 
ces  superfétations  ,  faire  revrvrc  les  dispositions  anciennes.  La  restau- 
ration de  Notre-Dame  doit  pouvoir  servir  de  type  aux  autres  églises  de 
la  France,  qui  tout  naturellement  cherclicront  en  elle  un  niodèle  à  imi- 
ter. 

—  l'ifjorts  pour  ta  conseivalion  des  monumens  chrétiens.  Création 
de  la  charge  d historiographe  du  diocèse  de  Poitiers.  — Nous  trans- 
crivons ici  l'article  suivant  extrait  du  Journal  de  la  Haute- Fienne^  que 
tous  les  amis  des  antiquités  chrétiennes  liront  avec  plaisir. 

•  Depuis  longtems,  des  réflexions  pénibles  nous  étaient  suggérées  par 
la  lecture  des  intéressans  bulletins  du  comité  (tes  arts  et  monumens. 

»  Nous  y  voyons  mentionnés  avec  de  pompeux  éloges  les  nobles  eftoris 
tentés  par  les  principaux  évoques  de  France  pour  inspirer  à  leur  clergé 
le  goût  des  étuiles  archéologiques  et  les  sentimens  qui  peuvent  rendre 
ces  études  fructueuses  et  salutaires  pour  l'art  et  la  religion. 

«  La  création,  dans  ce  but,  de  chaires  d'archéologie  religieuse  dans  les 
séminaires  n'échappait  pointa  nos  observations  et  à  l'appui  de  ces  acies 
non  équivoques  nous  lisions  avec  avidité  les  circulaires  éloquentes  dans 
lesquelles  NN.  SS.  de  Bordeaux,  de  Tours,  de  Lyon,  du  Puy,  d'Amiens, 
de  Beauvais  ,  etc.,  se  faisant  en  quelque  sorte  eux-mêmes  professeurs 
d'archéologie,  donnaient  à  leurs  prêtres  de  savantes  leçons. 

>*  A  la  vue  de  ce  noble  élan  que  U-  haut  clergé  a  raison  de  favoriser  de 
tout  son  pouvoir,  parce  qu'il  doit  être  utile  aux  intérêts  de  la  religion, 
à  la  vue  de  cet  enthousiasme  qui  créait  tout  un  avenir  de  science  et  de 
bon  goût,  là  où  règne  malheureusement  encore  une  igiiorance  presque 
absolue,  nous  ne  dirons  pas  seulement  du  beau  ,  mais  de  la  forme,  nous 
nous  demandions  avec  amertume  si  le  diocèse  de  Poitiers,  l'un  des  plus 
riclies  en  souvenirs  et  en  monumens  religieux,  couvert  autrefois  de  col- 
légiales, d'abbayes,  de  prreurés  avec  leurs  annales,  leurs  chroniques , 
leurs  archives,  et  qui  s'enorgueillit  à  jusie  titre  de  voir  debout  encore 
tant  de  chefs-d'œuvre  inspirés  par  la  piété  de  nos  |)ères,  resterait  seul 
stationnaire,  inerte,  immobile,  quand  tout  marchait  autour  de  lui. 

»  Ces  réflexions  étaient  d'autant  plus  fréquentes  que  notre  position 
nous  mettait  souvent  en  état  d'apprécier  les  inconvéniens  d'un  système 
qui  ne  peut  plus  se  soutenir,  en  présence  du  goiit  général  (|ui  s'est  dé- 
veloppé depuis  |)liisiours  années.  Ce  systènie  en  efft  t  n'aurait  d'autre 
résultat  que  de  plonger  dans  une  infériorité  d'autant  plus  déplor;tble 
(pi'elle  porterait  sur  des  matières  qui  lui  sont  plus  spéciales,  un  corps 


320  NOUVELLES  ET  3IÉLANGES. 

qui  ne  doit  pas  plus  être  inférieur  aux  autres  en  savoir  qu  en  vertus,  et 
qui  ne  peut  compter  de  nos  jours  sur  la  considération  dont  il  a  besoin^ 
qu'en  unissant  à  une  piété  profonde  les  lumières  et  la  science. 

»  Nous  appelons  donc  de  tous  nos  vœux  le  moment  où  Timpulsion 
donnée  par  le  haut  clergé  français  se  ferait  ressentir  dans  notre  diocèse, 
et  il  nous  était  permis  d'espérer  que  l'heure  du  réveil  sonnerait  bientôt 
lorsqu'un  premier  acte  émané  de  l'autorité  épiscopale  est  venu  préparer 
la  réalisation  de  nos  espérances. 

»  Nou"»  voulons  parler  de  la  création  récente  et  sans  exemple  en 
France  de  la  charge  ({lùstoriographe  du  diocèse  de  Poitiers,  charge  que 
INlgr  Guitton  vient  de  confier  au  zèle  et  au  savoir  de  M.  Auber,  chanoine 
honoraire. 

)j  Le  préambule  de  Toidonnance  qui  crée  ces  nouvelles  fonctions  nous 
a  paru  renfermer  en  peu  de  mots  les  raisons  graves  qui  ont  provoqué  la 
décision  du  prélat;  nos  lecteurs  nous  sauront  gré  sans  doute  de  les  avoir 
initiés,  en  leur  communiquant  cette  ordonnance,  aux  vues  élevées  de 
Mgr  lévêque  et  au  but  qu'il  s'est  proposé  d'atteindre  dans,  l'intérêt  du 
diocèse  confié  à  ses  soins  vigilans. 
u  Nous,  etc., 

»  Considérant  qu'il  est  utile  ù  notre  diocèse  dV  avoir  un  recueil  de 
o  tous  les  documens  relatifs  à  son  histoire;  que  les  archives  ecclésiasll- 
i;  qucs  dont  les  débris ,  échappés  aux  malheurs  des  tems  ,  sont  encore 
j>  conservés  en  divers  dépôts,  ne  doivent  pas  y  rester  enfonicf? ,  et  qnVn 
>-  les  rendant  à  la  lumière  la  religion  peut  y  trouver  un  moyen  efticare 
»  d'instruire  aussi  bien  que  d'édifier;  que  ces  documens  épars  autour 
"  de  nous  et  pour  la  plupart  ignorés  peuvent  et  doivent  former  un  jour 
»  des  matériaux  pour  Thistoirc  générale  de  Tfilglise  de  France  ,  et  que 
''  c'est  travailler  aux  intérêts  communs  de  celte  h!glise  que  d'obvier  à  la 
o  perte  complète  ou  à  l'onbli  de  ces  précieux  restes  de  notre  antiquité 

-  ecclésiastique  ; 

»  Nous  avons  ordonné  et  ordonnons  ce  qui  suit  : 

"  Art.  r^  Sont  institués  par  ces  présentes  les  titre  et  charge  d'histo- 
•»  riographedu  diocèse  de  Poitiers. 

.>  Art.  1''.  L'historiographe  du  diocèse  s'occupera  de  la  recherche  et 
»  de  la  conservation  de  toutes  Ks  pièces  relatives  à  l'histoire  ecclésiasti- 
»  que  du  Poitou  ;  de  la  rédaction  de  cette  histoire  soit  dans  ses  déve- 

-  loppemens  généraux,  soit  dans  ses  faits  particuliers,  enfin,  il  prendra 
■>->  des  not-^s  sur  les  cvénemens  contemporains  qui  rentreront  d;ns  les 
)>  aUrlbutions  de  sa  charo;^. 


KOliVELLES    LT    MÉLANGRô.  321 

»  Alt.  3'.  i>l.  Tabbé  Charles  Auber,  chanoine  honoraire  de  noire 
V  cathédrale,  est  nommé  historiographe  du  diocèse  de  Poitiers. 

»  Donné  à  Poitiers ,  sous  notre  seing,  Je  sceau  de  nos  armes  et  le 
»  contre-seing  du  secrétaire  de  notre  évèchc,  le  (3  août  1842.  » 

))  7  J.-A.,  évtque  de  Poitiers. 
'  Par  mandement  de  ÎMonseigneur, 

»  Ri-LX^z,  chanoine  honoraire,  prosecrt'laire. 

»  Les  liomracs  qui  regardent  toute  innovation  comme  un  malheur, 
toute  dérogation  au  passé  comme  une  faute,  et  dont  la  science  admi- 
nistrative et  le  savoir-faire  consistent  à  pouvoir  dire  le  matin  :  Je  ferai 
et  dirai  aujourd'hui  ce  que  fai  dit  et  fait  chaque  jour  depuis  cinquante 
ans  f  trouveront  peut-être  mauvais  qu'on  les  fasse  sortir  de  cette  voie 
qu'ils  ont  suivie,  de  ce  sentier  qu'ils  ont  battu,  de  cette  ornière  qu'ils 
ont  creusée,  et  où  ils  voudraient  pouvoir  mourir  et  pouvoir  être  enter- 
rés ;  à  ces  intelligences  nous  dirons  :  «  Dormez  en  paix  et  laissez-nous 
»  applaudir  de  tout  cœur  à  la  décision  et  au  choix  du  chef  du  diocèse.  ^> 
<(  M.  l'abbé  Auber  a  déjà  fait  ses  preuves  dans  la  carrière  où  il  est 
appelé;  il  a  conquis  par  des  travaux  justement  appréciés  les  titres  aca- 
démiques qui  lui  ont  été  conférés  ;  c'est  un  des  membres  les  plus  zélés  et 
les  plus  laborieux  d'une  société  qui  rend  des  services  à  notre  pays  et  qui 
lui  fait  honneur.  Les  études  spéciales  de  M.  l'abbé  Auber,  ses  antécé- 
dens,  ses  loisirs,  ses  goûts,  sont  des  garanties  qu'il  serait  difficile  de 
trouver  réunies  ailleurs  en  aussi  grand  nombre,  et  qui  justifient  pleine- 
ment à  nos  yeux  la  haute  confiance  dont  il  a  été  investi  ;  et  jamais  dans 
de  telle  mains  des  fonctions  qui  exigent  un  dévoûment  absolu  à  la  science 
ne  seront  une  sinécure. 

»  Mais,  tout  en  applaudissant  à  ce  que  nous  trouvons  utile  et  bon, 
qu'il  nous  soit  permis  de  développer  ici  toute  notre  pensée.  Dans  notre 
opinion,  l'acte  que  nous  enregistrons  aujourd'hui  ne  doit  être  que  la 
préparation  d'un  système  plus  complet  et  qui  mettra  notre  diocèse  au 
niveau  des  diocèses  les  plus  avancés.  Il  ne  suffit  pas  qu'il  y  ail  un  histo- 
riographe du  diocèse  de  Poitiers  ;  il  faut  que  cet  historiographe  puisse 
recevoir,  même  sans  abandonner  la  ville  épiscopale ,  tous  les  renseigne- 
mens,  tous  les  documens  épars  dans  la  vaste  circonscription  du  diocèse  ; 
il  faut  donc  qu'il  puisse  être  assuré  du  concours  de  tous  les  prêtres  qui 
desservent  les  nombreuses  églises  de  nos  déparlemens.  Mais  pour  que 
ce  concours  soit  efficace,  pour  qu'il  ne  s'y  mêle  pas  d'étranges  mécomp- 
tes, il  faut  faire  l'éducation  des  prêtres,  il  faut  la  faire  complète  (archéo- 
bgiquement  parlant,  bien  entendu);  il  ne  faut  pas  présenter  plus  long- 


322  JNOUVELLtS  ET  3lÉLA^GES. 

tenis,  en  un  mot,  le  ridicule  spectacle  d'un  minislrc  du  Seigneur  ne 
sachant  pas  distinguer  dans  son  église  la  nef  des  bas-côlés ,  l'apside  des 
transsepts  et  du  chœur,  l'ogive  du  plein  cintre,  et  confondant  en  un 
pèle  mêle  désastreux  les  années  et  les  siècles,  le  mauvais  goût  dei  lems 
de  barbarie  et  les  chefs-d'œuvre  des  plus  beaux  jours. 

»  Pour  atteindre  ce  but,  il  n'y  a  qu'à  suivre  des  voies  déjà  tracées,  des 
exemples  qui  ont  déjà  produit  d'heureux  effets;  il  n'y  a,  en  un  mot, 
qu  à  vouloir  marcher. 

))  Alors  nous  ne  verrons  plus  les  fabi  ir|ues  les  plus  Jiaut  placées  faire 
peindre  en  marbre  gris-blanc  (c'est  à  dire  en  pierre)  de  vrai  marbre  noir, 
faire  surmonter  des  frontons   du  i4*^  siècle  par  des  choux  et  par  des 
feuilles  brisées  du    16^,  et  couronner  de  gracieuses   balustrades   par 
d  ignobles  maçonneries  pleines,  ce  qui  épargnera  au  ministre  des  cultes 
des  lettres  énergiques  qui  ne  sembleraient  laisser  d'autre  alternative 
que  celle  de  démolir  ce  qui  a  élé  construit  à  si  grands  frais  ;  alors  nous 
ne  verrous  plus  les  couleurs  nationales,  qui  peuvent  être  fort  bien  à  leur 
place  sur  la  cocarde  du  soldat-citoyea ,  mais  qui  réunies  produisent  un 
fort  mauvais  elFet  aux  voûtes  de  nos  églises,  couvrir  de  leur  bariolage 
tranchant  les  retables,  les  aulels,  les  piliers;  alors  nous  ne  verrons  plus 
d'ignobles  statues  déshonorer  les  objets  qu'elles  sont  censées  représenler, 
et  faire  du  temple  du  Seigneur  le  réceptacle  de  tout  ce  que  la  statuaire 
en  plâtre  et  la  peinture  de  vitrier  produisent  de  plus  hideux;  alors  nous 
ne  verrous  plus  sculpter  a.\ ce  le  pinceau  des  marbres  surnaturels  et  des 
boiseries  impossibles;  alors  nous  ne  verrons  pas,  sous  prétexte  de  prolon- 
ger la  vue  derrière  une  croix  de  mission,  ajouter  à  l'extrémité  d'un 
Iranssept  une  rangée  de  colonnes  circulaires  sans  perspective,  pour  en 
faire  une  seconde  apside  ,   mensonge   grossier  qui    heureusement  ne 
trompe  personne,  et  qui  n'aurait  d'autre  méritr,  s'il  pouvait  induire  en 
erreur,  que  d'ôter  au  monument  son  véritable  caractère  ;  alors  nous  ne 
verrons  pas  les   pasteurs  ou  les   fabriques   mutilant  jusqu'à  hauteur 
d'homme  les  colonnes  engagées  des  piliers  des  nefs,  ôter  ainsi  aux  arcs- 
doubleaux  leur  force,  à  l'édifice  sa  solidité,  le  tout  pour  se  procurer  la 
place  de  quelques  chaises  de  pliis  ;  alors  enfin,  nous  ne  verrons  plus  l'en- 
têtement dans  des  idées  contraires  au  bon  goût  et  à  l'art  faire  perdre  aux 
.  monumens  la  protection  qu'ils  méritent ,  et  l'accord  parfait  qui  existera 
entre  ceux  qui  prêtent  leur  concours  bienveillant  et  ceux  qui  le  réclament 
sera  une  garantie  infaillible  du  succès. 

»  Pour  atteindre  ce  but,  il  ne  faut  que  vouloir;  l'homme  qui  joint  à 


iNOUVELLES  ET  MELANGES.  323 

linnucncc  de  son  rang,  de  son  caraclère  et  de  sa  supériorité  inlellec- 
luelle,  la  jeunesse  et  la  force,  peut  tout  entreprendre,  parce  qu'il  peut 
espérer  de  tout  terminer.  C.  de  Ch.  » 

—  Circulaire  de  M,  Vcvêque  de  Grenoble  pour  l étude  et  la  classifi- 
cation des  monumens  religieux.  —  Par  cette  circulaire,  le  vénérable 
prélat  institue  i°  une  commission  ecclésiastique  dont  il  se  réserve  la 
présidence  et  la  protection:  2"  sont  membres  de  droit  de  cette  commis- 
sion :  MM.  les  vicaires-généraux,  deux  chanoines  désignés,  les  supérieurs 
du  grand  et  des  petits  séminaires  ,  et  les  45  archi-prêtres  du  diocèse; 
3"  dans  l'arrondissement  de  Grenoble  il  y  aura  six  prêtres,  et  trois  dans 
chacun  des  trois  autres  (quinze  en  tout  ) ,  choisis  par  Monseigneur  pour 
être  adjoints  aux  membres  de  droit;  4"  les  archi-prêtres  recevront  les 
notes  sur  le  travail  à  exécuter  dans  chaque  canton,  et  le  feront  parvenir 
à  l'évêché;  5°  la  commission  aura  un  secrétaire-général,  et  chaque  can- 
ton un  secrétaire  particulier,  au  choix  du    président  ;  6"  le  secrétaire 
particulier  remettra  le  travail  de  ses  confrères  au  curé  du  canton,  qui 
le  fera  parvenir  à  l'évêché  pour  être  remis  au  secrétaire-général;  7"  la 
commission  sera  installée  le  dernier  jour  de  la  retraite  par  Monseigneur 
en  personne,  dans  une  salle  de  l'évêché. 

La  mission  du  clergé  avait  été  au  moyen  âge  de  présidera  l'érection 
de  ces  somptueuses  cathédrales  qui  étonnent  le  monde.  Il  est  naturel 
qu'au  196  siècle,  époque  du  mouvement  religieux  et  artistique,  le  clergé 
comprenne  aussi  qu'il  doit  marcher  le  premier  dans  cette  solennelle  ré- 
habilitation de  l'art  chrétien.  Les  monumens  sacrés  sont  comme  un 
dogme,  une  histoire,  une  prédication  permanente....  Ecoutons  le  pieux 

prélat 

«  Au  clergé  en  première  ligne  il  appartient  de  savoir  comprendre  les 
»  pieuses  émotions,  les  religieux  souvenirs  que  ces  sanctuaires  rappel-  ' 
•»  lent  à  la  mémoire  du  chrétien....  Si  vous  êtes,  ajoute-t-il  aux  prêtres, 
«  les  anges  tutélaires,  les  gardiens  nés  de  nos  églises  monumentales, 
»  n'est-ce  pas  à  vous  de  conserver  cet  héritage  pur  et  intact  de  toute 
»  mutilation,  d'empêcher  qu'on  ne  leur  fasse  subir,  comme  cela  est  ar- 
«  rivé  trop  souvent,  des  réparations  dépourvues  d'intelligence  ,  contrai- 
»  res  à  l'unité  de  style  qui  doit  être  respectée  avant  tout....  Prenez 
w  garde....  dans  un  siècle  où  l'amour  de  la  science  et  un  attrait  parti- 
«  culier  entraînent  tant  d'esprits  élevés  à  ce  genre  d'étude,  ne  serait-ce 
»  pas  un  malheur  qu'on  put  mettre  en  doute  les  connaissances  arcliéo- 
»  logiques  du  clergé?  Votre  mission  naturelle  est  de  garder  avec  amour, 


324  >OtVELLtS  ET  MELANGES. 

»  de  conserver  lidèlcmcnt  nos  saints  temples  et  de  les  protéger  conlic 
>^  riuiprudcnce  des  restaurateurs  inliabiles,  afin  qu'on  puisse  montrer 
y>  aux  siècles  futurs  ce  qu'a  pu  dans  les  tcms  de  foi  le  génie  secondé  par 
»  la  religion...." 

Celle  circulaire  de  l  auguste  pontife  témoigne  de  son  goût  pour  les 
arts  et  de  sa  paternelle  sollicitude  à  nourrir  dans  ses  prêtres  le  zèle  in- 
telligent qui  renoue  la  chaîne  des  tems  passés.  Le  clergé  du  diocèse  de 
Gienoble  répondra  avec  honneur  à  cet  appel.  La  terre  dauphinoise  n'est 
pas  la  teire  classique  des  beaux  monumens  du  moyen-âge,  mais  quoique 
pauvre  de  ces  magnifiques  souvenirs,  il  en  existe  assez  cependant  pour 
exciter  une  noble  émulation  dans  les  études  archéologiques.  Monsei- 
gneur vient  de  créer  dans  son  grand  séminaire  un  cours  sur  cet  impor- 
tant sujet.  Les  jeunes  prêtres  seront  initiés  de  bonne  heure ,  par  cette 
sage  mesure,  aux  mystérieuses  pensées  de  l'architecture  religieuse. 


«.  Les  savans  et  laborieux  moines  du  couvent  arménien  de  la  petite 
île  de  Saint-Lazare,  près  de  Venise,  auxquels  on  est  déjà  redevable  de 
la  publication  et  de  la  traduction  d'un  très  grand  nombre  d'anciens  ou- 
vrages arméniens  d'une  haute  importance,  s'occupent  en  ce  moment  à 
faire  une  édition  de  tous  les  historiens  arméniens,  depuis  le  4^  siècle  de 
notre  ère  jusqu'aujourd'hui.  Ce  recueil  commencera  par  Vllistoire  de 
la  Conversion  des  Armciiicns  au  Christianisme,  par  Agal  Angélus  , 
prêtre,  qui  vécut  vers  le  milieu  du  4*"  siècle  ,  et  cet  ouvrage  sera  suivi 
par  ï Histoire  d'j4n?icnie  depuis  le  commencement  du  monde  (sic)  jus-^ 
qu'a  l'an  de  grdce  44^)  P^r  Moïse  de  Khoren,  archevêque  de  Petravart, 
mort  en  49'2. 

/)  L'édition,  dont  la  majeure  partie  se  composera  d "œuvres  entière- 
ment inédites,  aura  environ  4o  volumes  grand  rn-folio.  Le  texte  armé- 
nien sera  accompagné  d'une  traduction  italienne  en  regard  et  de  notes 
et  commentaires. 

n  La  direction  de  celte  grande  entreprise  est  confiée  à  M.  Tommaseo, 
un  des  linguistes  les  plus  distingués  de  l'Italie,  qui  a  consacré  dix  années 
de  sa  vie  à  examiner  les  manuscrits  arméniens  des  bibliolbèques  de 
liauce,  d'Allemagne^  d'Angleterre  et  d  Italie.  » 


ANNALES 


325 


DE   PHILOSOPHIE  CHRETIENNE, 

— g-iTTfTtrr--"-^--- — 

Qjiniuiievo    35.  oJiDcveiiwvc^    18/1,2. 


©tïiffô  De  l'^ô^iî^*^' 


L'ANNÉE  LÏTLT.GIQUE   (premièhe   sectiox). 


L'AVENT  LITURGIQUE. 

Par  le  R.  V.  D.  GUÉRANGER,  abbé  de  Solesmes  '-. 


Lors  de  la  publication  du  premier  volume  des  InstUuliuns  U- 
iurgiques^^Xe  Vi..  àoiw  Guéranger  annonça,  dans  sa  préface,  le 
projet  d*une  Année  liturgique^  travail  destiné,  disait-il,  à  niellre 
les  fidèles  en  élat  de  profiter  des  secours  immenses  qu'ofïVe  à  la 
piété  chrétienne  la  compréhension  des  mystères  de  la  liturgie. 
Cet  ouvrage,  d'un  format  commode  et  portatif,  devait  surtout 
aider  les  fidèles  dans  l'assistance  aux  offices^divins  et  tenir  lieu 
des  livres  ordinaires  de  prières.  Conformément  à  cette  promesse, 
la  première  section  de  V Année  liturgique  ,  parut  en  1  vol.  in-l2, 
avant  la  fin  de  l'année  1841.  La  plupart  des  journaux  religieux 

'  I  vol.,  in- 12,  de  5oo  pages,  chez  Debécourt,  libraire,  rue  des  Saints- 
Pères,  69,  à  Paris.  Prix  :  3  fr.  75. 

'  Ce  premier  volume  a  été  analysé  dans  les  Annales  ;  voir  les  numé- 
ros de  juin  et  novembre  iS^o,  et  février  1841,  t.i^  11  etiii,  5*^  série. 
Wous  rendrons  compte  du  tome  second  dans  un  prochain  numéro. 

N.  B.  On  a  parlé  des  documents  historiques  renfermés  dans  les  offi- 
ces de  raient  dans  le  tome  vu,  p.  409. 

m*  SERIE-  TOME  VI. —  N"  35.  21 


326  OFFICES  DE  l'Église  ; 

en  ont  déjà  rendu  compte.  Nous  ayons  préféré  différer  quelque 
tems,  et  attendre,  pour  le  faire  connaître  à  nos  lecteurs,  l'époque 
où  VAvent  liturgique  pourrait  leur  être  plus  profitable  et  leur 
servir  de  manuel  quotidien. 

A.  la  tête  de  ce  volume  ,  l'auteur  a  placé  une  préface  générale 
où  les  idées  qui  l'ont  guidé  et  le  plan  général  qu'il  a  suivi,  dans 
la  composition  de  V Année  liturgique ,  sont  exposés  avec  chaleur 
et  netteté.  Elle  mérite ,  sous  plus  d'un  rapport,  de  fixer  l'atten- 
tion. 

Partant  du  principe  du  devoir  et  de  l'absolue  nécessité  de  la 
prière  pour  l'homme  ,  le  révérend  auteur  n'a  point  de  peine  à 
établir  que  l'homme,  de  lui-même,  ne  sait  point  prier ^  qu'il  faut 
absolument  que  Dieu  l'enseigne  en  lui  communiquant  son  saint 
esprit.  Mais  cet  esprit  divin  a  été  donné  à  l'Eglise  le  jour  de  la 
Pentecôte  ;  depuis  lors  il  réside  en  elle ,  il  l'inspire,  il  ne  Fa  plus 
quittée. 

«  De  là  vient ,  continue  dom  Guéranger,  que ,  depuis  dix-huit 
siècles,  elle  ne  se  tait  ni  le  jour  ni  la  nuit,  et  sa  voix  est  toujours 
mélodieuse,  sa  parole  va  toujours  au  cœur  de  l'Epoux.  Tantôt, 
sous  l'impression  de  cet  esprit  qui  anima  le  divin  psalmiste  et 
les  prophètes,  elle  puise  dans  les  livres  de  l'ancien  peuple  le 
thème  de  ses  chants  ;  tantôt  ^  fille  et  sœur  des  saints  apôtres,  elle 
entonne  les  cantiques  insérés  aux  livres  de  la  nouvelle  alliance  ; 
tantôt,  enfin,  se  souvenant  qu'elle  aussi  a  reçu  la  trompette  et  la 
harpe,  elle  donne  passage  à  l'esprit  qui  l'anime,  et  chante  à  son 
tour  un  cantique  Nouveau  'j  de  cette  triple  source  émane  l'élé- 
ment divin  qu'on  nomme  la  Liturgie. 

»  La  prière  de  l'Eglise  est  donc  la  plus  agréable  à  l'oreille  et 
au  cœur  de  Dieu,  et  partant  la  plus  puissante.  Heureux  donc 
celui  qui  prie  avec  l'Eglise ,  qui  associe  ses  vœux  particuliers  à 
ceux  de  cette  épouse  chérie  de  l'Epoux  et  toujours  exaucée!  Et 
c'est  pourquoi  le  Seigneur  Jésus  nous  a  appris  à  dire  notre  père, 
et  non  mon  père  ;  donnez-nous  ^  pardonnez-nous,  délivrez-nous ^ 
et  non  donnez-moi ,  pardonnez- moi\f  délivrez-moi.  Aussi,  pendant 

•   Ps.  US. 


l'avewt  liturgique.  327 

plus  de  mille  aus,  voyons-nous  que  VEgUse  ,  qui  prie  dans  ses 
temples  sept  fois  le  jour  et  encore  au  milieu  de  la  nuit,  ne  priait 
point  seule.  Les  peuples  lui  taisaient  compagnie  et  se  nourris- 
saient avec  délices  de  la  manne  cachée  sous  les  paroles  et  les  mys- 
tères de  la  divine  Liturgie.  » 

Heureux  siècles  de  prière  et  de  ferveur,  déjà  bien  loin  de  nous, 
mais  dont  la  foi  de  nos  pères  avait  conservé  quelques  restes  jus- 
qu'en ces  derniers  tems.  Il  y  a,  en  effet,  soixante  ans  à  peine  que 
«  le  sol  de  la  chrétienté  était  encore  couvert  d'églises  et  de  mo- 
nastères, qui  retentissaient  le  jour  et  la  nuit  des  accens  de  la 
prière  sacrée  des  .âges  antiques.  Tant  de  mains  levées  vers  le  ciel 
en  faisaient  descendre  la  rosée,  dissipaient  les  orages,  assuraient 
la  victoire.  Ces  serviteurs  et  ces  servantes  du  Seigneur,  qui  se 
répondaient  ainsi  dans  la  louange  éternelle  ,  étaient  députés  so- 
lennellement par  les  sociétés  encore  catholiques  d'alors  ,  pour 
acquitter  intégralement  le  tribut  d'honunages  et  de  reconnais- 
sance dû  à  Dieu,  à  la  glorieuse  \ierge  Marie  et  aux  Saints,  Ces 
vœux  et  ces  prières  formaient  le  bien  commun  ;  chaque  fidèle 
aimait  à  s'y  unir,  et  si  quelque  douleur,  quelque  espérance  le 
conduisait  parfois  au  temple  de  Dieu,  il  aimait  à  y  entendre,  à 
quelque  heure  que  ce  fût ,  cette  voix  infatigable  qui  montait 
sans  cesse  vers  le  ciel  pour  le  salut  de  la  chrétienté.  Bien  plus,  le 
chrétien  fervent  s'y  unissait  en  vaquant  à  ses  fonctions  ou  à  ses 
affaires,  et  tous  gardaient  encore  l'intelligence  générale  des  mys- 
tères de  la  Liturgie.  » 

Nous  voudrions  que  ce  passage  tombât  sous  les  yeux  de  cer- 
tains hommes,  dont  quelques-uns  se  croient  bons  chrétiens,  et 
qui  n'ont  jamais  compris  l'utilité  des  ordres  monastiques  spécia- 
lement consacrés  à  la  contemplation  et  à  la  prière.  Grâce  au  pro- 
grès des  idées ,  on  admire  la  plus  grande  partie  des  institutions 
du  christianisme,  on  veut  bien  applaudir  au  dévouement  des 
ordres  rehgieux,  mais  à  condition  que  ces  ordres  traînaillent  et 
s'emploient  d'une  manière  active  au  bien-être  de  la  société. 
Quanta  ceux  qui  se  vouent  à  la  retraite  et  aux  devoirs  de  la  vie 
ascétique,  on  passe  facilement   condamnation  sur  leur  compte. 

ertes ,  il  faut  que  l'esprit  chrétien   ait   été  bien  profondément 


328  OFFICES  DE   l/ ÉGLISE  ^ 

altéré  dans  les  cœurs  pour  en  être  arrivés  à  ce  point.  Jl  faut  qu'on 
ait  oublié  les  plus  simples  notions  sur  la  prière  ,  sa  nécessité,  le 
pouvoir  de  la  prière  commune,  sur  la  vie  d'oraison  et  de  péni- 
tence, sur  l'excellence  dts  conseils  évangéliques.  Yous  reprochez 
au  Trapiste  de  s'user  en  longues  veilles,  au  lieu  de  chercher  dans 
le  repos  de  nouvelles  forces  pour  le  travail  du  lendemain;  et 
vous  ne  vous  douiez  point  que ,  si  vous  lui  ôtez  ces  communica- 
tions incessantes  avec  Dieu,  vous  lui  ôtez  la  force  de  rester  deux 
jours  entre  les  murs  de  son  couvent.  Vous  demandez  à  quoi  bon 
des  Carmélites  et  des  Chartreux  ;  et  vous  ne  soupçonnez  pas  l'in- 
fluence que  la  moindre  fille  du  cloître  peut  exercer  sur  les  dé- 
crets divins.  "N  ous  semblcz  ignorer  que,  nuit  et  jour,  de  tous  Us 
points  de  la  terre  ,  il  monte  une  nuée  de  crimes,  d'abominations, 
de  sacrilèges ,  de  blasphèmes ,  et  qu'il  faut  bien  .  ne  fut-ce 
qu'en  vertu  de  la  loi  des  compensations,  certains  lieux  privilé- 
giés, d'où  s'élève  un  courant  de  supplications  et  de  larmes,  pour 
éteindre  la  foudre  entre  les  mains  de  Dieu.  Eh  bien,  c'est  ce  cou- 
rant que  ne  cessent  de  lancer  vers  le  ciel,  du  sommet  de  leur 
montagne  ,  les  enfans  de  saint  Bruno. — Que  font  en  ce  monde 
de  pauvres  cénobites?  —  Peu  de  chose  ,  à  la  vérité.  Ils  accom- 
plissent cette  parole  de  leur  maître  :  il  faut  prier  toujours^  et  ne 
jamais  cesser  de  prier.  Tandis  que  vous  combattez  vaillamment 
au  plus  fort  de  la  mêlée  ,  ils  se  contentent  de  tenir  les  mains  éle- 
vées en  haut  •  mais  souvenez-vous  que  tant  que  Moïse  tenait 
ainsi  ses  mains  étendues,  Israël  était  victorieux,  et  qu'il  tournait 
lâchement  le  dos,  dès  que  les  bras  du  prophète  tombaient  de  las- 
situde. 

La  prière  est  la  vie  de  l'Eglise;  c'est  l'arme  avec  laquelle  elle 
triomphe  de  ses  ennemis  ,  c'est  l'encens  qu'elle  fait  monter  vers 
le  trùne  éternel,  afin  d'adorer,  de  rendre  grâces,  d'implorer  le 
pardon  et  d'obtenir  sans  cesse  de  nouveaux  secours.  Et  voilà 
pourquoi  l'Eglise  a  attaché  tant  d'importance  à  la  liturgie ,  qui 
n'est ,  selon  la  signilication  propre  du  mot,  que  la  prière  solen- 
nelle et  organisée;  voilà  pourquoi  elle  a  toujours  comblé  de  ses 


LA  VENT  LITURGIQUE.  329 

faveurs  ces  sainls  asiles  consacrés  aux  relations  continuelles  de 
la  Divinité  avec  les  âmes  choisies  '. 

Aujourd'hui  que  presque  tous  ces  asiles  ont  disparu  du  sol  de 
notre  patrie,  grâce  aux  efforts  de  la  réforme  et  d'une  certaine 
philosophie,  qui  semblèrent  s'être  données  le  mot  \)ouv  faire 
cesser  toutes  les  fêtes  de  Dieu  sur  la  surface  de  la  terre  ""^  il  n'en 
est  qae  plus  nécessaire  de  resserrer  les  liens  établis  par  l'Eglise 
entre  les  simples  fidèles ,  au  moyen  de  la  prière  publique.  Il  de- 
vient surtout  urgent  d'initier  les  âmes  à  l'intelligence  complète 
de  la  Liturgie,  dont  le  sens  se  perd  de  plus  en  plus,  au  grand  dé- 
triment de  la  vraie  piété  et  du  véritable  esprit  catholique. 

C'est  à  ce  but  que  tendra  d'une  manière  spéciale  V^iinée  litur- 
gique. L'auteur  veut  nous  porter  à  prier  avec  l'Eglise  et  par  la 
bouche  de  l'Église  ;  il  veut  nous  faire  goûter  les  formules  que 
l'Eglise  emploie,  formules  consacrées,  pleines  de  sens  et  d'onc- 
tion, autant  au-dessus  des  formes  dictées  par  la  piété  particulière 
d'auteurs  d'ailleurs  fort  estimables,  que  la  prière  publique  est 
au-dessus  de  la  prière  privée,  et  que  l'esprit  de  l'Eglise  surpasse 
l'esprit  individuel  de  chacun  de  ses  enfans.  Il  ne  prétend  du 
reste  gêner  en  rien  la  libeité  de  la  prière  individuelle  ,  ni  ajouter 
des  lois  arbitraires  aux  règles  généralement  reçues  de  l'oraison  et 
de  la  contemplation.  Bien  loin  de  là,  son  livre  vient  apporter  un 
nouvel  aliment  aux  âmes  pressées  par  la  faim  des  communica- 
tions célestes. 

Qu'on  nous  permette  de  citer  encore  un  fragment  où  se  trou- 
vent éloquemment  exposées  toutes  les  ressources  que  l'âme  fer- 
vente peut  trouver  dans  la  prière  liturgique. 

«  Nous  dirons  que  si  dans   la  divine  psîlmociie ,  on  compte 

'  En  certains  lieux,  comme  chez  les  bénédictins  du  Mont-Scrrat  où 
était  établie  linstitution  connue  sous  le  nom  de  Laus  perpétua,  les  reli- 
gieux se  succédaient  au  chœur,  de  telle  sorte  que  îe  chant  des  louanges 
divines  n'était  jamais  interrompu.  C'est  ainsi  que  les  anges  no  cessent  de 
redire  le  cantijue  éternel,  ciiaqucjour  et  chaque  instant  de  la  vie  «ans 
un. 

»  Ps.  73. 


330  OFFrcFS  DE  l'église  ; 

plusieurs  tlegres,  en  sorte  que  les  inférieurs  s'appuient  encore  sur 
la  terre  et  sont  accessibles  aux  âmes  qui  ont  encore  à  opérer  les 
travaux  de  la  vie  -pur^alwe  •  à  mesure  aussi  qu'elle  s'élève  sur  cette 
échelle  mystique  ,  Tàme  se  sent  illuminée  d'un  rayon  céleste,  et 
parvenue  au  sommet,  trouve  l'union  et  le  repos  dans  le  souverain 
bien.  En  effet,  ces  saints  Docteurs  des  premiers  siècles,  ces  divins 
Pairiarches  de  la  solitude,  où  puisaient-ils  la  lumière  et  la  cha- 
leur qui  étaient  en  eux,  et  qu'ils  ont  laissées  si  vivement  emprein- 
tes dans  leurs  écrits  et  dans  leurs  œuvres,  si  ce  n'est  dans  ces  Ion- 
gués  heures  de  la  Psalmodie  durant  lesquelles  la  vérité  simple  et 
multiforme  passait  sans  cesse  devant  les  yeux  de  leur  âme,  la  rem- 
plissant, à  grands  flots,  de  lumière  et  d'amour?  Qui  a  donné  au 
sérapliiqae  Bernard  celte  onction  merveilleuse  qui  coule  en  fleuve 
de  miel  dans  tous  ses  écrits;  à  l'auteur  de  Vlmiladon,  cette  sua- 
vité, cette  manne  cachée  qui,  après  tant  de  siècles,  ne  s'aftadit  ja- 
mais; à  Louis  de  Blois,  cette  douceur  et  cette  tendresse  inénarra- 
bles qui  émeuvent  tout  homme  qui  voudra  lui  prêter  son  cœur; 
si  ce  n'est  l'usage  habituel  de  la  Liturgie  au  milieu  de  laquelle  leur 
vie  s'écoulait  avec  un  mélange  de  chants  et  de  soupirs  ? 

»  Quel'àme,  épouse  du  Christ,  prévenue  des  désirs  de  l'Oraison, 
ne  craigne  donc  point  ('e  se  dessécher  au  bord  de  ces  eaux  mer- 
veilleuses de  la  Liîurgie,  qui  tantôt  murmurent  comme  le  ruis- 
seau, tantôt,  tomme  le  torrent,  roulent  en  grondant,  tantôt  inon- 
dent comme  la  mer  ;  qu'elles  approchent  et  boivent  celte  eau  lim- 
pide et  pure  qui  jaillit  jusqu'à  la  vie  éternelle  ';  car  cette  eau 
émane  des  fontaines  77iemes  du  Saui'eur  ^,  et  l'Esprit  de  Dieu  la 
féconde  de  sa  vertu  pour  qu'elle  soit  douce  et  nourrissante  au  cerf 
altéré  \  Que  l'âme  séduiie  par  les  charmes  de  la  Contemplation, 
ne  s'effraie  poitit  non  plus  de  l'éclat  et  de  l'harmonie  des  chants 
de  la  prière  liturgique.  N'est-elle  pns  elle-même  un  instrument 
d'haunonie  sous  la  touche  divine  de  cet  Esprit  qui  la  possède? 
Certes,  elle  ne  doit  pas  entendre  le  céleste  Colloque  autrement 

'  Jean.,  iv,  i4- 
-  Isaïe,  ïif,  3. 
'  Psalm.f  \u,  1 . 


l'aVENT    LlTURGrQUE.  331 

que  le  Psalmiste  lui-même,  cet  organe  de  toute  vraie  prière,  avoué 
de  Dieu  et  de  l'Église?  Or,  n'est-ce  pas  à  sa  harpe  qu'il  a  recours, 
quand  il  veut  allumer  dans  son  cœur  la  flamme  sacrée,  et  qu'il 
dit:  Mon  cœur  est  prêt,  6  Dieu!  mon  cœur  est  prêt:  je  chanterai 
donc,  je  ferai  retentir  le  psaume.  Lève-toi^  6  ma  gloire  !  lève-toi,  6 
ma  harpe  î  Dès  le  matin,  je  m^ éveillerai  ,•  je  vous  chanterai,  Sei- 
gneur, devant  les  peuples  ;  je  psalmodierai  en  présence  des  nations; 
car  votre  miséricorde  est  grande  au-dessus  des  deux,  et  votre  vérité 
au-delà  des  nuages  '.  D'autres  fois,  si,  recueillant  ses  sens,  il  est 
entré  dans  les  puissances  du  Seigneur  ',  alors  dans  sa  méditation 
même  s'allume  le  feu  ^  d'une  sainte  ivresse,  et  pour  soulager  l'ar- 
deur qui  le  consume,  il  éclate  encore  par  un  cantique:  Mon 
cœur,  dit-il,  a  conçu  une  parole  excellente  ;  c'est  au  Roi  même  que 
je  dédie  mes  chants  ;  et  il  redit  la  beauté  de  l'Epoux  vainqueur  et 
les  grâces  de  l'Epouse  ^.  Ainsi,  pour  l'homme  de  Contemplation, 
la  prière  hturgique  est  tantôt  le  principe,  tantôt  le  résultat  des  vi- 
sites du  Seigneur  5.» 

Et  quoi  de  plus  doux  pour  le  chrétien,  à  quelque  degié  de 
l'échelle  qu'il  soit  arrivé,  depuis  le  simple  croyant  jusqu'aux  plus 
parfaits  ^  quoi  de  plus  attachant  que  de  suivre,  jour  par  jour,  les 
pas  de  l'Eglise  dans  le  cercle  mystérieux  qu'elle  parcourt  chaque 
année  ?  Quoi  de  plus  propre  à  nous  élever  au-dessus  des  misères 
de  cette  vallée  de  larmes,  que  démarchera  côté  de  notre  sainte 
mère,  nous  inspirant  de  ses  pensées  et  répétant  ses  paroles,  pen- 
dant qu'elle  accomplit  l'évolution  tour  à  tour  joyeuse,  triste  et 
triomphante  de  ses  fêtes?  «  C'est  là,  poursuit  dom  Guéranger , 
que  s^opère  la  manifestation  de  Jésus-Christ  dans  l'Eglise  et  dans 
l'âme  fidèle  ;  c'est  là  le  cycle  divin  où  rayonnent  à  leur  place 
toutes  les  œuvres  de  Dieu  ;  le  septénaire  de  la  création  ;  la  Pâque 
et  la  Pentecôte  de  l'ancien  peuple  ;  l'ineffable  visite  du  Terbe  in- 

'  Psalm.,  cvii,  5. 

*  Ibid.y  Lxx,  6. 

^  Ibid.,  xxxviiT,  4* 

*Ibid.,  XLiv. 

^  Année  liturgique.  Préf, ,  p.  xiii. 


?,Pt'2  OFFICRS    DE    L  EGLISE  J 

carné,  son  saciifice,  sa  vicloire;  la  descente  de  son  Esprit;  la 
commémoration  de  Marie  ,  des  Anges,  des  Saints;  en  sorte  que 
Ton  peut  dire  qu'il  a  son  point  de  départ  sous  la  loi  des  patriar- 
ches,  ses  progrès  dans  la  loi  écrite,  sa  consommation  toujours 
croissante  sous  la  loi  d'amour,  jusqu'à  ce  qu'étant  enfin  complet, 
il  s'évanouisse  dans  l'éternité.  » 

Ce  ne  sont  donc  point  les  productions  de  son  propre  esprit  ni 
d'aucun  esprit  particulier  que  Tauteur  entend  présenter  ici.  Il 
n'a  d'autre  ambition  que  de  servir  d^interprcte  à  la  sainte  Eglisv, 
de  mettre  les  Jidcles  à  portée  de  la  sui^^re  dans  sa  prière  de  chaque 
saison  mystique,  et  me  me  de  chaque  jour  et  de  chaque  heure.  Son 
appHcalion  sera  de  saisir  Vintention  de  l'Esprit-Saint  dans  les  di- 
verses phases  de  l'année  liturgique,  en  s'inspirant  de  Vétude  atten^ 
tii'e  des  plus  anciens  et  des  plus  n^énérables  monumens  de  la  prière 
publique.,  ainsi  que  des  senlimens  des  saints  Pères  et  des  auteurs 
ecclésiastiques  approuvés.  Il  s'altaclicra  surtout  à  remettre  en  hoU" 
neur  le  culte  des  Saints  ,  qui  souffre  encore,  cbcz  nous  ,  de  l'in- 
lluencc  si  funeste  du  Jansénisme. 

Oaoique  VAnnée  liturgique  prenne  pour  base  la  liturgie  ro- 
mnine,  la  plus  répandue  incontestablement  (lans  l'église  latine, 
cl!e  ne  laissera  point  de  faire  de  nombreux  emprunts  aux  autres 
rites  orlbodoxes.  Les  liturgies  ambrosienne,  gallicane,  mozarabe, 
j;recque,  arménienne,  viendront  joinilre  leurs  richesses  a  notre 
trésor  de  prières;  en  sorte  que  la  voix  de  l'Eglise  ne.  se  sera  ja- 
mais fait  entendre  plus  pleine  ni  plus  imposante. 

Tel  est  en  résumé  le  but  et  le  plan  de  celte  publication,  dont 
nous  avons  sous  les  yeu?i  la  promièie  partie  ;  et  quelque  grandes 
qu'aient  été  les  piomesse^  de  l'auteur  ,  nous  ne  crovons  pas  qu'il 
soit  demeuré  trop  au-dessous.  \J Avent  liturgique  est  précédé  de 
trois  chapitres  préliminaire-;.  La  premier,  sous  le  titre  d'histori' 
que  de  lavent,  donne  un  résumé  concis,  mais  a  peu  près  complet, 
de  tout  ce  que  l'hisioire  ecclésiastique  a  recueilli  su*;  rétablisse- 
ment et  la  célébration  de  ce  saint  tenis.  Les  deux  autres  renfer- 
ment une  injstique  et  une  pratique  de  l'avent  ^  on  Viune  "pieuset 
trouvera  de  quoi  nourrir  ses  sentimens  et  diriger  sa  conduite 


l'avent  LiTunciQUE.  333 

durant  ces  jours  consaciTS  à  rappeler  le  triple  avènement  de 
l'Homnie-Dieu. 

Au  début  du  livre,  nous  trouvons  des  Prières  du  malin  et  du 
soir,  coni])05ées  presque  tout  entières  avec  des  formules  emprun- 
tées à  l'office  canonique  ,  afin  que  les  cœurs  se  trouvent  ainsi 
mieux  disposés  à  entrer  en  communion  avec  l'Eglise ,  à  vivre  de 
sa  vie.  Tient  ensuite  V  Ordinaire  de  la  messe,  en  latin  et  en  fran- 
çais ;  l'auteur  n'a  pourtant  pas  voulu  donner  une  traduction 
proprement  dite,  pour  se  conformer  aux  volontés  du  Saint-Siège^ 
qui  a  toujours  vu  avec  peine  que  les  paroles  les  plus  sacrées  de 
nos  mystères,  comme  aussi  le  texte  des  saintes  écritures;  fussent 
livrés  au  peuple  mot  à  mot ,  sans  explication  ,  dépouillés  de 
l'exactitude  et  de  la  majesté  du  langage  consacre.  En  place  d'une 
version  littérale,  nous  avons  donc  une  paraphrase  qui  nous  a 
semblé  bien  supérieure  à  celle  qu'on  trouve  dans  la  plupart  des 
livres  d'église.  Nous  dirons  la  même  chose  du  Commentaire  ])lein 
d'élévation  et  d'onction  qui  accompagne  les  psaumes  des  vêpres 
et  les  diveis  offices.  La  messe  propre  de  chaque  dimanche  de 
l'avent  s'y  trouve  en  entier  ,  selon  l'usDge  de  Rome  et  de  Paris, 
avec  de  courtes  réflexions,  pour  en  bien  faiie  comprendre  le  sens 
et  en  relever  les  beautés.  Quant  aux  simples  fériés  qui  n'ont 
point  de  messe  propre,  le  pieux  auteur  n'a  pas  voulu  que  les 
laïques  demeurassent  privés  des  secours  offerts  au  clergé  dans 
l'office  quotidien.  Chaque  jour  a  donc  sa  part  d'instruction  et  de 
prière.  En  voici  la  disposition. 

D'abord  une  leçon  du  prophète  Isaïe,  si  merveilleusement 
adaptée  par  l'Église  au  saint  tems  de  l'Avent,  nous  transporte 
aux  tems  antérieurs  à  la  venue  du  IMessie  et  /lous  prépare  aux 
prochaines  solennités.  Puis,  l'àme  déjà  réchauftée,  trouve  ù 
exprimer  sa  piété  en  quelque  h\Mnne,  prose  ou  autre  morceau  ly- 
rique choisis  entre  les  diverses  liturgies.  Enfin ,  tous  ses  senti- 
mens  se  résument  en  une  piièie  courte,  mais  excellente,  et  pui- 
sée, comme  tout  le  reste,  aux  sources  les  plus  respcc;nbles.  Cette 
division  est  presque  invariablement  employée  pour  chaque  jour; 
ainsi  chaque  jour  se  trouve  sanctifié,  conformément  au  précepte 


334 

de  rapôtre  ,  par  la  lecture  des  saints  livres,  le  chant  des  hymnes 
et  l'oraison. 

Après  le  Propre  du  tenis  est  placé  le  Propre  des  saints.  Cette 
partie  a  été  traitée  par  le  révérend  abbé  de  Solesmes  avec  un  soin 
et  une  afFeciion  tout  particuliers.  Chacun  des  saints  dont  l'Église 
honore  la  mémoire  depuis  le  30  novembre  jusqu'au  24  décem- 
bre, a  sa  place  dans  VA  vent  liturgique  et  vient  l'orner  de  quel- 
ques-unes des  prières  que  son  culte  a  inspirées  au  génie  chré- 
tien. On  se  ferait  difficilement  une  idée  de  la  richesse  de  cette 
partie  du  recueil.  Entre  toutes  les  fêtes  qu'il  renferme,  nous  re- 
marquons surtout ,  par  Tabondance  et  la  beauté  de  leur  liturgie, 
celles  de  la  Conception  de  la  sainte  Vierge,  de  saint  André,  apô- 
tre, de  sainte  Barbe  et  de  saint  Nicolas,  évèque  de  Myre.  L'office 
de  saint  André  fournit  à  lui  seul  jusqu'à  dix  pièces  importantes, 
toutes,  ou  presque  toutes,  rhythmiques  ,  composées  à  différentes 
époques  et  toutes  reçues  dans  les  églises  d'Occident  ou  d'Orient. 

Ou  nous  nous  trompons  fort ,  ou  le  mérite  à  la  fois  religieux 
et  littéraire  d'une  semblable  collection  ne  lardera  point  à  être 
apprécié.  En  efïet,  outre  son  but  principal,  qui  est  d'inspirer  une 
])iété  vive  et  éclairée,  nourrie  de  la  plus  pure  tradition  de  l'Eglise, 
elle  aura  l'avantage  de  portera  la  connaissance  du  grand  nombre 
une  partie  fort  considérable  de  la  littérature  chrétienne.  Or,  c'est 
là,  personne  n'en  disconviendra  ,  rendre  un  éminent  service  à 
notre  époque  et  répondre  à  l'un  de  ses  besoins  les  plus  vivement 
sentis. 

Tandis  que  tout  le  monde  admire  les  édifices  du  moyen-âge 
et  les  sculptures  dont  il  sont  décorés  ;  que  des  peintres  tels  que 
Giotto,  Fra  Angelico,  Pérugin,  ne  sont  plus  réputés  barbares^  et 
qu'on  commence  à  trouver  les  vieux  chants  ecclésiastiques  préfé- 
rables pour  nos  saints  offices  à  la  musique  profane,  il  serait  vrai- 
ment inexplicable,  qu'entre  toutes  ces  productions  des  âges  chré- 
tiens, on  négligeât  exclusivement  celle  qui,  de  droit,  occupe  le 
premier  rang ,  et  qu'on  peut  considérer  comme  l'âme  de  toutes 
les  autres.  Si  le  génie  catholique  a  laissé  de  sublimes  empreintes 
sur  les  pierres  qu'il  a  taillées,  sur  le  marbre  et  le  bois  qu'il  a  ci- 
selés ,  sur  les  toiles  et  les  murailles  qu'il  a  peintes  ,  que  doit-ce 


l'avent  liturgique.  335 

donc  être  des  récits  qui  guidaient  la  main  de  ses  peintres  et  de 
ses  sculpteurs,  des  hymnes  pour  lesquels  il  créait  ses  divines  har- 
monies ,  des  prières  et  de  toute  la  liturgie  pour  lesquelles  il  bâ- 
tissait ses  cathédrales  ? 

Et  cependant  toutes  ces  prières,  ces  hymnes,  ces  paroles,  ces 
légendes,  formant  un  corps  immense  de  littérature,  sont  à  peine 
connus,  moins  connus  certainement  du  monde  lettré  que  les  lit- 
tératures slave  ou  Scandinave.  Il  est  urgent  de  remplir  un  tel 
vide,  intolérable  à  tous  égards,  chez  un  peuple  chrétien.  Or,  c'est 
à  quoi  servira  puissamment  le  présent  ouvrage  du  docte  béné- 
dictin ,  surtout  en  y  joignant  ses  Institutions  liturgiques  ^  où  l'on 
trouvera  d'amples  matériaux  pour  suivre  l'histoire  de  la  littéra- 
ture chrétienne  et  des  règles  sûres  pour  l'apprécier. 

Quant  à  cette  histoire,  elle  n'offre  plus  de  difficultés  graves 
après  les  travaux  de  dom  (luéranger,  puisqu'elle  est  toujours 
calquée  sur  l'histoire  de  la  liturgie  et  de  l'Église.  Il  faut  d'abord. 
faire  la  division  entre  les  églises  d'Orient  et  d'Occident,  aussi 
différentes  par  leurs  productions  qu'elles  le  sont  par  le  {;énie  et 
les  mœurs.  La  première  donne  dès  l'origine  des  marques  d'une 
prodigieuse  fécondité;  sa  liturgie  si  riche  et  si  variée  e>t  digne 
des  hommes  illustres,  des  grands  saints  qui  feront  à  jamais  sa 
gloire  ;  mais  la  lyre  tombe  de  ses  mains  !c  jour  même  où  Punité 
est  rompue.  Triste  châtiment  qui  s'est  renouvelé  plus  d'une  fois! 

L'Occident  marche  moins  vite  ,  mais  d'un  pas  plus  soutenu.  On 
sent  que  l'avenir  lui  appartient.  Comme  toute  l'histoire  de  notre 
Eglise,  sa  littérature  a  des  tems  de  progrès  et  des  tems  de  souf- 
france. Il  est  facile  de  noter,  sous  ce  rapport,  des  i-elalions  frap- 
pantes entre  celte  dernière  et  l'art  catholique,  l'architecture 
principalement,  cette  reine  des  arts.  A  partir  des  premiers  âges, 
la  poésie  chrétienne  se  montre  embarrassée,  son  ihythmeestà 
peine  marqué,  son  allure  lourde,  l'art  n'existe  pas  encore  ;  mais 
celte  rudesse  de  formes  n'altère  jamais  la  pureté  de  la  pensée. 
Celle-ci  brille  toujours  par  la  grandeur  et  par  une  élévation  qui 
n'exclut  pas  la  naïveté  ;  elle  s'empreint  plus  que  jamais  de  sym- 
bolisme, elle  s'inspire  du  spectacle  de  la  nature  et  s'appuie  sur 
ce  monde  visible  pour  s'élever  au   monde  invisible.  Tel  est  en 


336  OFFicrs  de  l'église; 

jijénéral  le  caractère  des  hymnes  les  plus  anciennes  du  hre'vinire 
romain.  Plus  tard  le  style  s'épure,  le  mètre  prend  une  coupe  plus 
régulière  ,  on  puise  davantage  aux  sources  poétiques  de  la  lé- 
gende. Cette  marche  progressive  s'aperçoit  au  milieu  de  l'époque 
la  plus  taxée  d'ignorance  et  de  barbarie,  comme  le  prouvent  les 
compositions  du  vénérable  Bède,  du  célèbre  Hermann  Contract, 
de  saint  Pierre  Damien,  etc.  Les  12'  et  IS*"  siècles,  la  plus  glo- 
rieuse période  du  moyen-àge  ,  viennent  ensuite,  et  le  lyrisme  sa- 
cré semble  toucher  à  la  perfection  dans  les  belles  séquences 
d'Adam  de  Saint-Yictoi-,  dans  le  Dies  irœ  et  le  Stabal  mater,  dont 
les  auteurs  ne  sont  pas  certains,  dans  l'oflice  du  Saint-Sacrement, 
et  surtout  dans  le  Lauda  Sion  ,  dicté  par  les  anges  mêmes  au  doc- 
'  teur  angf^lique.  Parvenu  à  cette  hauteur,  le  génie  liturgique  suit 
la  pente  malheureuse  qui  entraîne  tout  le  reste.  La  fécondité  de- 
meure la  même  et  s'accroît  peut-être,  mais  l'exquise  beauté  des 
formes  s'altère,  le  goût  se  perd.  Au  commencement  du  IB'^  siècle 
nous  trouvons  dans  le  Missel  de  Cluny  de  l523  ,  des  composi- 
tions chargées  d'ornetnens  et  de  figures,  si  travaillées,  j'allais  dire 
si  minutieusement  découpées,  qu'elles  rappellent  la  plupart  des 
églises  construites  à  cette  époque.  Enfin  paraît  la  renaissance. 
Le  style  païen  s'introduit  dans  le  bréviaire  comme  dans  les  pein- 
tures et  les  construciions,  et  son  déplorable  règne  dure  jusqu'à 
Santeuil  et  à  Coffin,  qui  se  persuadèrent,  sans  doute  de  bonne 
foi,  qu'on  ne  pouvait  dignement  célébrer  le  Dieu  des  chrétiens, 
sinon  avec  le  style  consacré  au  culte  de  Jupiter,  de  Bacchus  et 
des  autres  habitans  de  r01yn»pe. 

ÎMaintenant,  s'il  s'agit  de  poser  des  règles  de  critique^,  il  faudra 
de  toute  nécessité  opérer  dans  les  idées  une  révolution  analogue 
à  celle  qui  s'est  effectuée  relativement  à  l'art  chrétien,  et  peut- 
être  plus  tranchante  encore.  Grâce  aux  traditions  de  collège  et 
d'univer^iié,  on  s'est  habitué  à  regarder  la  littérature  ecclésiasti- 
que comme  une  dégénérescence  de  la  littérature  païenne.  Cette 
dernière  a  été  prise  pour  type  imi.|ue  du  beau  ;  0:1  a  tout  jugé 
sur  son  modèle.  Et  comment  en  pouvait-il  être  aulrement  après 
les  oracles  sans  appel  de  Boileau?  Sans  doute  l'autorité  du 
législateur  du  Parnasse  a  qu-  Ique  peu  baissé;  mais  il  reste  encore 


l'aVE.NT    I-rrLRGI(^)UE.  o[\l 

beaucoup  à  faire.  Combien  de  gens  de  lettres  qui  persistent  à 
traiter  de  latin  de  cuisine  la.  langue  de  la  Vulgate  et  des  Pères  ; 
combien  qui  jugent  d'une  hymne  par  comparaison  avec  une  ode 
d'Horace;  qui  se  moquent  des  Séquences  rimées,  parce  que  Vir- 
gile ne  rimait  pas?  —  Or,  autant  vaudrait  juger  la  cathédrale 
d'Amiens  d'après  les  règles  de  Vitruvc. 

Un  principe  qu'il  faut  admettre  avant  tout,  c'est  qu'entre  la 
littérature  païenne  et  la  littérature  catholique  il  y  a  un  abîme. 
L'infini  les  sépare.  Pour  n'indiquer  qu'une  seule  différence ,  la 
première  a  pour  but  principal  de  voiler  la  faiblesse,  la  fausseté 
et  très  souvent  la  laideur  de  la  pensée;  la  forme  est  le  principal, 
la  pensée  vient  ensuite.  Le  christianisme,  au  contraire,  sacrifie 
tout  à  la  pensée ,  la  forme  est  une  humble  servante  ,  une  enve- 
loppe qui  la  rend  saisissable ,  qui  l'orne  fréquemment,  mais  ne 
la  cache  jamais.  On  la  froissera,  on  la  brisera  plutôt  que  de  la 
laisser  empiéter. 

De  cette  seule  différence ,  nous  pouvons  conclure  combien  il 
serait  irrationnel  d'adopter  un  critérium  commun  pour  deux 
genres  si  opposés.  Le  christianisme  a  jeté  d'assez  profondes  raci- 
nes en  ce  monde,  il  a  tenu  et  il  tient  encore  une  assez  grande 
place  pour  qu'on  lui  permette  d'avoir  une  langue  à  lui, sa  poésie, 
ses  rhythmes,  ses  fornmles ,  son  style  ;  et  venir,  après  quinze  ou 
dix-huit  siècles,  corriger  celte  langue  sur  des  patrons  du  siècle 
d'Auguste,  traiter  de  barbarismes  des  locutions  qui  ne  se  trouvent 
pas  dans  Cicéron,  vouloir  scander  le  vers  sur  le  mètre  grec  ou  ro- 
main, n'esl-cepas  faire  autant  d'actes  de  vandalisme  plus  con- 
damnable et  plus  inintelligent  que  de  revêtir  des  ogives  avec  des 
plaques  à  plein  cintre  ou  de  badigeonner  de  vieilles  mosaïques? 

Quand  on  aura  admis  ceci,  cpand  on  se  sera  familiarisé  avec 
nos  saints  offices ,  qu'on  se  sera  pénétré  de  leur  espiit  lorsque 
cet  esprit  catholique ,  formé  par  la  foi  et  la  charité,  sera  profon- 
dément entré  dans  l'intelligence  et  surtout  dans  le  cœur,  alors, 
mais  alors  seulement ,  on  aura  le  droit  d'apprécier  la  littérature 
liturgique  ;  alors  on  pourra  en  entreprendre  la  critique ,  classer 
les  divers  fragmens  selon  leur  mérite,  en  indiquer  les  défauts  ; 
car  nous  sommes  loin  de  penser  que  tout  soit  complet  et  parfait 


338  OFFICES  DE  l'Église  ; 

en  cette  matière.  Mais,  encore  une  fois,  qu'on  craigne  de  tou- 
cher à  des  choses  dont  on  n'a  pas  une  connaissance  suffisante,  et 
de  hasarder  des  corrections  qui  pourraient  bien  être  de  véritables 
barbarismes  y  sinon  de  vrais  sacrilèges.  Mieux  vaut  attendre  un 
tems  plus  propice.  Ce  tems  ne  saurait  tarder  d'arriver,  nous  en 
avons  le  ferme  espoir,  et  les  travaux  des  nouveaux  Bénédictins 
de  France  auront   certainement  contribué  à  le  rapprocher  de 


A.  combeguille: 


*  Nos  Iccleurs  trouveront  sans  doute  ici  avec  plaisir  les  trois  hymnes 
suivantes  empruntées  au  livre  de  duin  Guéranger,  et  prises  aux  trois 
époques  de  développement,  d'éclat  et  de  décroissance  de  la  littérature 
liturgique. 

Les  deux  premières  ont  été  choisies  à  dessein  dans  l'office  de  saint 
André,  afin  de  mieux  montrer  les  diverses  manières  dont  un  même  su 
jet  a  été  traité  par  deux  génies  éminens ,  venus  à  plusieurs  siècles  de 
distance.  Dans  la  première,  on  reconnaîtra  sans  peine  une  teinte  de  sym- 
bolisme antique.  Elle  est  du  grand  pape  saint  Damase,  l'ami  de  saint 
Jérôme.  Dès  le  début,  l'auteur  est  préoccupé  du  nom  d* André,  qui, 
entre  plusieurs  significations,  a  celle  de  beauté. 

HYMKE. 

Decus  sacrati  nominis,  Vous,  dont  le  nom  glorieux,  et 

Vitamque  Domine  expriraens,  sacré  présageait  la  vie,  votre  nom 

Hoc  te  Décorum  praedicat  exprime  aussi  la   Beauté   dont   la 

Crucis  beatœ  gloria.  Croix  bienheureuse  vous  a  noble- 
ment couronné. 

Andréa,  Christi  Apostole,  Akdré  ,  Apôtre  du  Christ  !...  vo- 

Hoc  ipso  jam  vocabulo  tre  nom  seul  est  un  signe  qui  vous 

Signaris  isto  nomine  distingue,  un  mystique  emblème  de 

Decorus  idem  niysticè.  votre  beauté. 

Quem  Crux  ad  alta  provehit,  O  vous  que  la  Croix  élève  jus- 

Crux  quem  beala  diligit,  qu'aux  cieux,   vous  que   la  Croix 


L  AVENT 


Cui  Crux  araara  pi-aeparat 
Lucis  futurae  gaudia  ; 


In  te  Crucis  mysterium 
Cluit  gemello  stigmate, 
Dum  probra  viucis  per  Crucem 
Crucisque  pandis  sanguinem. 

Jam  nos  foveto  languidos, 
Curamque  nostri  suspice 
Quo  per  Crucis  victoriam 
Cceli  petamus  patriam. 
Amen. 


UTURGIQUE.  339 

aime  avec  tendresse,  vous  à  qui  l'a- 
mertume de  la  Croix  prépare  les 
joies  de  la  lumière  future; 

En  vous  le  mystère  de  la  Croix 
brille  doublement  imprimé  :  vous 
triomphez  de  l'opprobre  par  la 
Croix,  et  vous  prêchez  le  Sang  divin 
qui  arrosa  la  Croix. 

Désormais  donc  réchaufifez  nos 
langueurs  ;  daignez  veiller  sur  nous, 
afin  que,  par  la  victoire  de  la  Croix, 
nous  entrions  dans  la  patrie  du  ciel. 
Amen. 


Si  le  mystère  joue  un  grand  rôle  dans  cette  courte  composition,  celle 
qu'on  va  lire  a  été  entièrement  inspirée  par  la  légende.  Ici  la  rime  ap 
paraît  dans  toute  sa  richesse,  et  le  mètre   est   plein  et  harmonieux.  Le 
célèbre  Adam  de  Saint-Victor  en  est  l'auteur  : 


PfiOSE. 


Exultemus  et  laetemur. 
Et  Andréa  delectemur 
Laudibus  Apostoli. 

Hujus  fidem,  dogma,  mores. 
Et  pro  Christo  tôt  labores, 
Digne  decet  recoli. 

Hic  ad  fidem  Petrum  duxit, 
Cui  primum  lux  illuxit, 
Joannis  indicio. 

Secus  marc  Galilseae, 
Pétri  simul  et  Andreae 
Sequitur  electio. 

Ambo  priùs  piscalores, 
Verbi  fiunt  assertores, 
Et  forma  justitiae. 

Rete  laxant  in  capturam , 


Tressaillons  et   réjouissons  -  nous, 
et  savourons  les  louanges  de  Tapô 
tre  André. 

Sa  foi,  sa  doctrine,  ses  mœurs, 
ses  longs  labeurs  pour  le  Christ,  il 
sied  de  les  célébrer. 

C'est  lui  qui  mena  Pierre  à  la  foi, 
luf  qui  le  premier  vit  briller  la 
lumière,  montrée  par  Jean -Bap- 
tiste. 

Aux  rives  de  la  mer  de  Galilée, 
Pierre  et  André  sont  choisis  à  la 
fois. 

Tous  deux  d'abord  pécheurs,  de- 
viennent les  hérauts  du  Verbe  et 
les  modèles  de  la  justice. 

Ils  jettent  le  filet  sur  le  monde, 


3/i0 


Vigilenique  geruntcurani 
Nascenlis  Ecclesisc. 

A  fratrc  dividitur, 
Et  in  parles  mitlitur 
Andréas  Acliaise. 

In  Andreae  retia 
Currit,  Dei  gratiâ^ 
3Iagna  pars  provincial. 

Fide,  vitil,  verbo,  signis, 
Doctor,  pins  et  insignis, 
Cor  informât  populi. 

Ut  Egeas  comperit 
Quid  Andréas  egerit  : 
Irœ  surgunt  stimuU. 

Mens  secura,  mens  virilis, 
Cui  prœscns  vita  vilis 
Yiget  paticntià. 

Blandimentis  aul  tormenlis 
ISon  cnervat  robui'  mentis 
Jiidicis  insania. 

Crucem  videns  prœparaii, 
Suo  geslit  conformari 
Magistro  discipulus. 

Mors  pro  morte  sol\  itur 
EtCrucisappclilur 
Triuniphalis  tilnlus. 

In  cruce  vixit  biduum  . 
Yicturus  in  perpétua  m 

IN'ec  vult  volonté  populo 
Deponi  de  patibulo. 

Ilorà  ferè  dimidià, 
Lucc  perfusus  nimià, 
Cuni  luce,  cum  îxtilià, 
Pergit  adlucisatria. 


OFFICES  DE  l'église  ,' 

et  leurs    soins  \igilans    s'ëlcudeut 
sur  toule  l'Eglise  naissante. 

Séparé  de  son  frère ,  André  est 
envoyé  aux  parages  de  rAchaïc. 


Dans  les  filets  dAndré  tombe,  par 
la  grâce  divine,  la  province  presque 
toute  entière. 

Sa  foi,  sa  vie,  sa  parole,  ses  mi- 
racles, tout  en  fait  un  Docteur  de 
piété,  un  Docteur  illustre  pour  for- 
mer le  cœur  du  peuple. 

Egée  apprend  les  œuvres  d'An- 
dré, et  déjà  s'agite  sa  fureur. 

Ame  sereine,  ùme  virile,  dédai- 
gnant la  vie  présente,  André  s'arme 
de  la  patience. 

Ni  les  caresses,  ni  les  tortures, 
qu'emploie  le  juge  insensé,  n'araol. 
lissent  son  âme  vigoureuse. 

Il  voit  préparer  la  croix,  il  tres- 
saille, impatient  d'être  un  disciple 
semblable  à  son  maître. 

Il  pale  au  Chiist  mort  pour  mori; 
par  lui  la  croix  est  conquise  comme 
un  trophée  triomphal. 

Deux  jours  il  vit  sur  la  croix 
pour  vivre  à  jamais. 

Il  résiste  au  vœu  du  peuple,  et 
ne  veut  point  être  détaché  de  son 
gibet. 

Pendant  une  moitié  d'heure,  il 
est  inondé  de  clartés-,  et  dans  celle 
auréole  et  cette  allégresse,  il  monte 
au  palais  de  la  lumière. 


L  AVI  iNT     LUI  UGioLI 


O  Andréa  gloiios;\, 
(^iijus  preces  prctios», 
Cujus  morlis  luminoscf 
Dnlcis  etmemoria. 

Al)  hac  valle  lacrymaruin, 
Nos  ad  illad  lumen  clarum, 
Pic  Paslor  animanim, 
Tuà  transfer  gralià, 
A  ni  en. 


()  glorieux  Aa«lrc, don  prtcifttsc 
csl  la  prière,  la  mort  lumineuse,  et 
suave  la  souvenance; 

Du  fond  de  ce  val  des  larmes, 
pieux  Paslcur  desàmcs,  élevez-nous 
par  votre  faveui'  jusqu'à  volic  écla- 
tante lumière. 

Amen. 


Eiilin  Phymuc  suivante  csl  tirée  du  Missel  de  Cluny,  de  i5:!3,  LVmi 
reconnaîtra  sans  peine  le  t^enic  ilcuri  et  flanibovaul  de  Icpoq^r. 

rnost  EN  l'ho-lVNLUr  de  la  sAi>ri:   Vieugt. 


Arc  mundi  glori;.i, 
Virgo  Mater  Maria, 
Ave,  benignissima. 
Ave,  plena  gratià, 
Angelorum  domina, 
Ave,  prœclarissima. 

Ave,  decus  Virgiuum , 
Ave,  salus  hominum, 
Ave,  potentissiraa. 

Ave,  Mater  Domini, 
Geuitrix  Altissimi, 
Ave,  prudentissima. 

Ave,  mater  gloriœ, 
Mater  indulgentia*, 
Ave,  beatissima. 

Ave,  vena  veuia?, 
Fons  misericordiro, 
Ave,  clemenlissima. 

Ave,  mater  luminis, 
Ave,  honor  Ktheri?, 
Ave,  porta  cœlica, 
Ave,  screnissima  î 

Ave,  candens  liliuni, 

Uk"  SÉRIE.    TOJIli  VI. 


Salut,  gloire  du  moiid<',  Vjcigc 
Mère,  ô  Marie  très  dcbojuiairc , 
salut! 

Salut,  j)k-ine  de  grâce,  souve 
lainc  des  Ange?,  liés  glorieuse, 
salut! 

Salut,   honneur  des  ^  icrgcs  :  salut 
jirolectrice  des  hommes;  très  puis 
saute,  salul  ! 

Salut,  Mère  du  Seigiieur  ,  qui 
avez  enfanté  le  Très-Haut,  salat,  ô 
très  prudente  I 

Salut,  ii)èrc  do  gloire,  mère  de 
clémence;  salut,  ô  trèshcureuscî 


Salut,  source  de  pardun,  fon- 
taine de  miséricorde;  salut,  o  très 
clémente  ! 

Salut,  mère  de  lumière  ;  rakit , 
honneur  du  firmament  ;  salut,  porte 
du  ciel  j  salul,  o  très  sereine! 

Salut,  blanc  lys;  salut,  parfum 
^'^35.  1842.  "  22 


342 


Ave,  opobalsamum, 
Ave,  fumi  virgula  ; 
Ave,  splendidissima. 

Ave,  Mitis, 
Ave,  dulcis, 
Ave,  pia, 
Ave,  laeta, 
Ave,  lucidissinia, 

Ave,  porta, 
Ave,  virga, 
Ave,  rubus, 
Ave,  vellus, 
Ave,  felicissima. 

Ave,  clara  cœli  gemma, 
Ave,  aima  Christi  cella, 
Ave,  venustissima. 

Ave,  virga  Jesse  data, 
Ave,  scala  cœli  facU , 
Ave,  nobilissima, 

Ave,  slirpe  generosa, 
Ave,  proie  gloriosa, 
Ave,-foetu  gaudiosa, 
Ave,  excellentissima. 

Ave,  Virgo  singularis, 
Ave,  dulce  salutaris, 
Ave,  digna  admiraris, 
Ave,  admiraudissima. 

Ave,  turtur,  tu  quae  munda 
Castitate,  sed  fœcunda 
Charitate,  tucolumba, 
Ave,  pudicissima. 

Ave,  mundi  imperatrix, 
Ave,  Dostra  mediatrix , 
Ave,  mundi  sublevatrix, 
Ave,  nastrnm  gaudium. 

Araen. 


L  AVEiNT     LITURGIQUE. 

balsamique  ;  salut ,  flocon  léger 
d'encens;  salut,  ô  très  resplendis- 
sante! 

Salut,  ô  pacifique  !  salut,  ô  douce; 
salut,  O  pieuse  !  salut,  à  gracieuse  ! 
salut,  ô  très  lumineuse! 


Salut,  porte  céleste  ;  salut,  verge 
prophétique  ;  salut,  buisson  enflam- 
mé, salut_,  toison  mystique  ;  salut,  o 
très  fortunée  ! 

Salut,  radieuse  perle  des  deux  ; 
salut ,  féconde  demeure  du  Christ  : 
salut,  ô  très  belle! 

Salut,  branche  nouvelle  de  Jessé; 
salut,  échelle  qui  touche  au  ciel  ;  sa- 
lut, ô  très  noble! 

Salut ,  fille  de  race  généreuse  : 
salut,  mère  au  glorieux  Fils  ;  salut, 
sein  fécond  en  joie;  salut,  ô  très 
excellente  ! 

Salut,  vierge  singulière;  salut, 
aimable  source  de  bonheur;  salut, 
digne  d'admiration;  salut,  ô  très 
admirable  ! 

Salut,  o  tourterelle  !  pure  en  chas- 
teté, mais  féconde  en  charité  ;  co- 
lombe très  pudique,  salut  ! 

Salut,  impératrice  du  monde; 
salut,  notre  médiatrice;  salut,  pro- 
tectrice du  monde;  salut,  ô  notre 
joie  ! 

Amen. 


MOrsUM£I\S    AU    3I0YEN-AGË.  343 


ôeaiix-^viQ, 


ARCHÉOLOGIE  CHRÉTIENNE, 

ou 

PRÉCIS  DE  l'histoire  DES  MONU3IENS  RELIGIEUX 
AU  MOYEN-AGE  '. 


Au  milieu  de  la  réaction  qui,  depuis  quelques  années  se  mani- 
feste de  toutes  parts  en  faveur  de  l'architecture  religieuse  du 
moyen-âge,  si  longtems  flétrie  de  l'épithète  aussi  injurieuse 
qu'impropre  de  gothique;  parmi  cette  foule  d'hommes  aussi 
instruits  que  zélés  qui  ont  pris  à  tâche  d'élever  l'archéologie  chré- 
tienne, si  longtems  dédaignéee  et  arriérée,  au  niveau  de  l'ar- 
chéologie païenne,  personne  ne  s'était  encore  préoccupé  de  po- 
pulariser au  moyen  d'un  livre ,  également  à  la  portée  de  toutes 
les  bourses  et  de  toutes  les  intelligences,  un  genre  d'études  dont 
la  propagation  intéresse  si  vivement  la  conservation  de  nos  édi- 
fices religieux ,  la  plus  glorieuse  portion  de  nos  antiquités  natio- 
nales. M.  Bourassé  a  donc  rendu  un  véritable  service  aux  études 
d'archéologie  chrétienne ,  en  publiant  un  ouvrage  spécialement 
destiné  «t  aux  personnes  qui  désirent  prendre  une  notion  exacte 
»  de  nos  riionumens  chrétiens,  sans  faire  une  trop  grande  dé- 
»  pense  de  tems  et  d'argent.  »  Ce  livre ,  écrit  dans  un  style  fa- 


"^  Par  M.  l'abbé  J.-J.  Bourassé,  professeur  d'archéologie  au  petit  sé- 
minaire de  Tours,  membre  de  la  Société  française  pour  la  conservation 
des  monumens  historiques  et  de  la  Société  archéologique  de  Touraine , 
I  vol.  iu-8"  de  xu  ch.  et  364  pages,  orné  de  gravures  siu'  bois;  à  Tours, 
chez  A.  Marne,  et  C^,  imprimeurs-libraires.  Prix  3  fr. 


(  lie  Cl  c'icjjant,  orné  de  nombreuses  gravures  sur  bois,  eoniplé- 
ment  indispensable  des  définitions  arcliilectonique?,  se  divise  en 
deux  parties,  dont  l'une  peut  être  considérée  comme  l'intro- 
duction naturelle  à  l'autre. 

Dans  la  première,  l'auteur  si^^nale  en  passant  l'origine  égyp- 
tienne de  <.  celte  architecture  essentiellement  symétrique,  qui 
»  prit  naissance  sous  les  heureuses  influences  du  ciel  de  la  Grèce 
M  et  de  rionie  ;  »  en  expose  rapidement  les  premiers  principes; 
indique  et  définit  les  caractères  et  les  principales  moulures  des 
ordres  dorique^  ionique  et  corinthien ,  et  enfin  les  modifications 
que  rarchitecture  grecque  subit  en  Italie  par  l'adjonlion  des 
ordres  toscan  et  composite^  par  l'introduction  de  l'arc  et  de  la 
voûte.  Cet  aperça  concis  et  impartial,  où  l'auteur,  exempt  d'une 
admiration  trop  exclusive  pour  rarchitecture  chrétienne,  rend 
pleine  justice,  à  la  pureté',  à  la  grâce  et  à  l'harmonie  des  édifices  des 
beaux  siècles  de  la  Grèce,  sans  y  reconnaître  toutefois  «  le  dernier 
»  terme  où  puisse  parvenir  le  génie  de  l'homme,  »  est  suivi  de  la 
nonieiïclature  non  moins  rapide  des  différens  monumens  attri^ 
bues  aux  Celtes.  «  Produits  d'une  civilisation  barbare,  entière- 
»  ment  dépourvus  des  conditions  de  l'art,  ces  monumens  oilVent 
»  cependant  un  système  arrêté,  facile  à  reconnaître  à  ses  dispo- 
»  sitions  générales;  mais  on  ne  possède  rien  de  positif  ni  de  précis 
»  sur  leur  destination  ,  au  sujet  de  laquelle  on  n'a  pu,  jusqu'à 
M  présent,  que  former  des  conjectures  plus  ou  moins  vraisem- 
»  blables.  » 

Abordant  ensuite  rarchéologie  sacrée,  objet  principal  de  son 
travail,  M.  Bourassénous  signale,  dans  les  catacombes  et  dans  les 
grottes  naturelles  ou  factices,  où  les  perse'cutions  des  empereurs 
obligèrent  les  premiers  iidèles  à  chercher  un  asile,  les  plus  an- 
ciens et  les  seuls  monumens  du  christianisme  naissant,  les  mo- 
destes édifices  élevés  antérieurement  au  4*  siècle,  à  la  faveur  d'un 
calme  passager,  n'ayant  pas  même  laissé  de  ruines.  Il  ne  nous 
reste  donc  de  ces  tems  reculés  que  dos  galeries  et  des  salles  sou- 
terraines plus  ou  moins  spacieuses,  d'une  fonne  plus  ou  moins 
vcj;uliric,  où  les  i»icmicrs  chrétiens  Sf  réunissaient  pour  la  célé- 
bration de  Icuiii  uiyslèrc^  sacrcii ,  ([uclqucb  autelci  de  picric^  for- 


AU   MOVl'N-AGK.  .1/15 

mes  le  plus  souvent  de  l'urne  sépulcrale  d'un  niaityi .  iccou- 
verle  d'une  table  de  marbre  -,  des  tondjeaux,  ornes  quelquefois, 
sur  leur  face  antérieure,  de  sculptures  représentant  des  tiaits  bi- 
bliques, des  scènes  allégoriques,  les  emblèmes  du  martyre,  des 
symboles  ou  des  mono[;rammes  ;  enfin  des  restes  de  peintures  , 
moins  remarquables  sans  doute,  sous  le  rapport  de  l'art,  que  par 
le  sentiment  religieux  qui  y  domine.  Lorsque,  après  trois  siècles 
de  souffrances  et  d'épreuves,  la  religion  sortit  pour  jamais  des 
cryptes ,  les  évèques,  au  lieu  de  s'emparer  des  temples  magnifi- 
ques que  leur  abandonnait  la  piété  de  Constantin  ,  mais  qu'a- 
vaient souillés  les  mystères  impurs  du  paganisme,  jetèrent  les 
yeux  sur  les  basiliques  affectées  à  l'administration  de  la  justice 
et  aux  affaires  commerciales;  ces  édifices,  facilement  adaptés 
aux  cérémonies  chrétiennes,  devinrent  bientôt,  sauf  de  lé- 
gères modifications,  le  type  de  la  plupart  des  églises  construites 
en  Occident  et  même  à  Constantiuople. 

Après  quelques  explications  sur  la  naissance  et  les  premiers 
développemens  de  rarchitecture  byzantine,  sous  la  double  in- 
fluence des  souvenirs  importés  en  Orient  de  Rome  et  de  l'Italie, 
et  des  inspirations  indigènes,  l'auteur  établit  la  classification  des 
styles  architectoniques  au  moyen-ûge,  et  croit  devoir  designer  la 
première  période  (4oO  à  1200  environ),  sous  le  nom  de  romano- 
byzantine i  afin  de  bien  indiquer,  dit-il ,  les  deux   élémens  qui 
constituent  l'architecture  de  cette  époque.  Les  limites  de  cet  ar- 
ticle ne  nous  permettent  pas  d'entrer  dans  de  grands  délails  ; 
nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  discuter  si  Tintluence  bvzantine  a 
été  toujours  et  partout  assez  marquée  pendant  la  période  romaine, 
pour  que  cette  dénomination  doive  s'appliquer    également  aux 
tliffércntes  divisions  de  l'architecture  antérieure  au  13e  siècle; 
uQ^s  dirojis  seulement,  avec  ^\.  I)oura>sé,  qu'après  le  baptême  de 
Clovis,  les  édifices  religieux  se  multiplièrent  rapidement  chez 
nous,   mais  que  «les  constructions   régulières  de  celte  époque, 
»  dont  le  plein-ciutre  est  un  des  principaux  caractères  ,  ne  furent 
»»  et  ne  pouvaient  être  que  de  maladroites  imitations,  que  d'inin- 
»»  telligeutes  copies  des  ruines  romaines  qui  couvraient  encore  le 
^>  pays.  Cette  architecture,  si  l'on  peut  lui  donner   ce  nom,  ne  fut 


346  MONUMENS    rF.LlGlEUX 

»  donc  que  l'architecture  romaine,  mais  parodiée,  abâtardie,  dans 
»  un  état  avoue'  de  dégénérescence.  » 

Sous  le  règne  de  Charlemague ,  l'art  s'élève  à  un  assez  haut 
degré,  et  grâce  aux  migrations  d'artistes  grecs  que  ce  prince  avait 
attirés  dans  son  empire,  le  style  byzantin  se  montra  sur  diffé- 
rents points  de  l'Italie  et  des  bords  du  Rhin.  Mais  les  dissentions 
intestines,  l'invasion  des  Normands  et  l'attente  de  la  fin  du 
monde,  que  l'on  croyait  devoir  arriver  vers  l'an  1000,  firent 
déchoir  rapidement  l'architecture  de  l'état  prospère  où  elle  était 
parvenue.  Lorsque  le  10^  siècle  fut  expiré  sans  avoir  amené  «  la 
»  fatale  catastrophe  attendue  avec  tant  d'angoisses,  une  incroyable 
»  activité  s'éveilla  au  fond  de  tous  les  esprits  ,  et  communiqua 
»  une  impulsion  puissante  aux  arts.  >>  Les  anciennes  constructions, 
que  la  crainte  de  la  mort  avait  fait  négliger  furent  bientôt  répa- 
rées ;  de  nouveaux  édifices  s'élevèrent  sur  de  plus  grandes  pro- 
portions que  dans  les  siècles  pre'cédens;  l'exécution  matérielle, 
très-néglige'e  jusqu'alors,  s'améliora  sensiblement  ;  enfin  l'influence 
byzantine,  favorisée  parles  pèlerinages  en  Orient,  devenus  plus 
fréquens  ,  et  surtout  par  les  croisades,  vint  couvrir  toutes  les  par- 
ties des  édifices  d'une  profusion  d'ornemens  aussi  riches  que  va- 
riés. C'est  surtout  à  partir  de  ce  siècle,  comme  l'observe  très-bien 
M.  Bourassé,  que  l'architecture  chrétienne  résume  en  elle  les  deux 
élémens,  oriental  et  occidental,  et  qu'elle  porte  à  juste  titre  le 
nom  de  romano-byzantine. 

Mais  pendant  que  cette  architecture  se  développait  et  se  per- 
fectionnait, pendant  que  le  goût  byzantin  se  naturalisait  de 
plus  en  plus  dans  nos  contrées,  et  introduisait  un  élément  nou- 
veau dans  l'ornementation  des  édifices  par  la  renaissance  de 
la  statuaire,  une  révolution  presque  générale,  mais  plus  ou  moins 
rapide,  plus  ou  moins  complète,  suivant  que  les  souvenirs  de 
l'art  antique  étaient  plus  ou  moins  vivaces  dans  certaines  pro- 
vinces, se  préparait  vers  le  milieu  du  12'^  siècle  par  la  substitu- 
tion de  l'arc  en  tiers-point  ou  ogtVe,  au  plein-cintre,  romain. 
«  Cette  différence,  capitale  dans  la  forme  des  arcades,  jointe  à 
»  plusieurs  autres  caractères,  établit  un  caractère  essentiellement 
»  distinctif  entre  l'architecture  nouvelle  et  celle  ^qui  l'avait  précé- 


AU  MOYEN- ACE.  347 

»>  dée.  »  Toutefois  cette  modification  ne  fut  ni  immédiate  ni  ex- 
clusive, et,  pendant  toute  la  période  de  transition ,  l'ogive,  encore 
lourde  et  couverte  des  moulures  du  style  romano-bjzantin,  se 
montre  simultanément  avec  l'arcade  en  plein-cintre. 

Après  avoir  analysé  succinctement  les  principales  opinions 
émises  jusqu'à  ce  jour  sur  l'origine  de  l'ogive  et  du  style  ogival, 
et  avoir  essayé  d'expliquer  une  révolution  aussi  surprenante  par 
des  considérations  purement  philosophiques  et  religieuses,  dont 
l'influence  est  incontestable  sans  doute,  mais  qui  ne  sauraient 
dispenser  de  la  recherclie  des  causes  matérielles  d'un  aussi  grand 
changement,  notre  auteur  passe  à  l'examen  de  cette  architecture 
ogivale,  si  éminemment  religieuse,  qui  «  a  régné  dans  l'Europe 
»  septentrionale  pendant  la  plus  belle  partie  du  moyen  âge,  et, 
>»  dans  sa  fécondité  sans  exemple,  a  laissé  à  sa  surface  un  nombre 
»  prodigieux  de  chefs-d'œuvre.  »  Il  suit  les  différentes  phases  de 
son  développement ,  caractérisées  chacune  par  une  physionomie 
spéciale,  par  des  procédés  particuliers,  par  des  différences  sensi- 
bles, soit  dans  la  disposition  générale  des  édifices^  soit  dans  quel- 
ques dispositions  partielles  ,  soit  même  dans  Fornementation,  à 
l'aide  desquelles  on  a  divisé  la  période  ogivale  en  stfle  ogival  pri- 
maire ou  à  lancettes  (1200  à  1300),  style  ogival  secondaire  ou 
rayonnant  (1300  à  l400)  et  style  ogival  tertiaire  on  Jlamboyant 
(1400  à  1550  environ).  M.  Bornasse  ne  croit  pas  devoir  établir, 
comme  M.  de  Caumont,  deux  époques  distinctes  de  1400  à  1550, 
cette  division  ne  lui  paraissant  pas  suffisamment  fondée.  Nous 
conviendrons  volontiers  qu'il  est  très  difficile  de  préciser  une  li- 
mite naturelle  où  doit  finir  le  style  flaniboyant  et  commencer  le 
style  fleuri  ;  que  les  différences  existant  entre  les  monumens  de  la 
fin  du  15^  siècle  et  du  commencement  du  16^  sont  quelquefois 
très  légères  ,  mais  nous  n'irons  pas  jusqu'à  dire  qu'il  y  a  une  res- 
semblance parfaite  dans  tous  les  détails  ;  il  nous  semble,  au  con- 
traire ,  qu'un  grand  nombre  d'églises  présentent  des  différences 
frappantes ,  surtout  dans  l'ornementation  des  voûtes ,  dans  les 
compartimens  des  fenêtres,  dans  l'emploi  de  quelques  ornemens 
nouveaux,  et  enfin  dans  l'extrême  finesse  et  le  travail  contourné 
des  feuillages.  Si  l'on  nous  oppose  que  ces  modifications  ne  sont 


que  Icsilûvoloppcmens  ilu  slyle  flamboyant,  h  de  nouvelles  fleurs 
»  et  (le  nouveaux  feuillages  ajoutés  à  la  parure  d'une  même 
»  plante,  »  nous  répondrons  que  cette  objection  s'appliquerait 
é{;alement  au  style  ogival  tertiaire  relativement  au  style  secon- 
daire^  aucune  modification  importante  dans  la  forme  des  édifices 
ne  distinguant  ces  deux  époques,  et  les  différences  se  bornant 
aussi  aux  détails  de  l'ornementation.  Il  y  aurait  donc  lieu,  selon 
nous,  à  établir  au  moins  deux  subdivisions  dans  la  période  ogi- 
vale tertiaire  ou  flamboyante. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  celte  question  de  classification,  le  style 
ogival  approchait  de  son  terme  ,  et,  après  qu'il  eut  parcouru  ses 
diverses  périodes  de  perfectionnement  et  de  dégénération ,  on 
l'abandonna  entièrenjent ,  vers  le  milieu  du  16^  siècle ,  pour  re- 
prendre le  plein-cinlre,  oublié  depuis  si  longtems  ,  pour  revenir 
aux  procédés  des  anciens.  Mais  avant  d'arriver  aux  formes  pures 
de  l'art  grec  et  de  l'art  romain,  il  y  eut  dans  l'architecture  une 
espèce  d'oscillation,  le  plein-cintre  allia  sa  gravité  à  l'élégance  du 
stvle  oj^ival  fleuri  et  se  montra  tout  couvert  des  ornemens  nom- 
lueux  des  édifices  gothiques  de  la  dernière  époque  :  c'est,  à  pro- 
prement parler,  ce  style  de  transition,  qu'on  a  appelé  architecnire 
de  la  Renaissance,  Les  monumens  de  cette  époque  ,  plutôt  privés 
que  publics,  se  distinguent  par  une  ornementation  riche  et  sa- 
vante, présentant  à  côté  des  parties  d'emprunt,  des  dispositions 
et  des  décorations  originales  que  le  style  de  la  Renaissance  peut 
revendiquer  avec  honneur;  né  vers  la  fin  du  ]5e  siècle,  ce  style 
ne  se  prolongea  pas  au-delà  du  16^  — Une  courte  notice  sur 
Torigine  de  la  peinture  sur  verre,  ses  dilférens  genres,  ses  diverses 
périodes  de  progrès  et  de  dégénérescence,  et  son  abandon  au 
17^  siècle,  complètent  l'histoire  de  l'architecture  religieuse  au 
moyen -âge. 

Pour  faciliter  l'application  des  principes  établis  dans  son  ou- 
vrage, M.  Lourassé  a  eu  soin  d'indiquer,  à  la  suite  des  diflérentes 
périodes  architectoniques  qui  y  sont  développées,  une  série  d'é- 
difices pouvant  être  étudiés  comme  types  de  chacune  d'elles;  mais 
(  c  que  nous  ne  saurions  Irop  louer,  ce  sont  les  deux  chapitres 
ionf^acré^  ù  la  géograj»hio  et  an  synchronisme  des  difl^éjcnts  styles 


vorARiiAinR  DR  r.'ARcrr/:or.or.ih  rnai-TiF.NNr.     o^iO 

craicliitectuie  durant  les  pe'i iodes  loniaiio -byzantine  et  o^jjivale  ; 
il  importait,  en  ciYet,  de  bien  constater  que  les  divisions  avcbi» 
lecloniques  du  moyen-àge  n*ont  rien  d'absolu,  que  la  niarclie  de 
VaiU  soumise  à  des  influences  plus  ou  moins  propices,  n'a  pas 
toujours  été  constante;  et  d'indiquer  son  développement  plus 
ou  moins  rapide,  plus  ou  moins  parfait  dans  les  diAérentes  éco- 
les ,  comme  aussi  les  principales  nuances  d'ornementation  qui 
les  distinguent  entre  elles.  jNous  regrettons  de  ne  pouvoir  suivre 
M.  Bourassé  dans  cet  examen  et  dans  les  détails  si  intéressans 
qu*il  nous  donne  sur  les  catacombes,  sur  la  distributiou  des  ba- 
siliques et  des  e'glises  grecques,  enfm  sur  les  moyens  d'exécution 
employés  au  moyen-àge  pour  l'érection  de  nos  magnifiques  ca- 
thédrales, etc.,  etc.;  nous  ne  pouvons  que  renvoyer  le  lecteur  à 
son  livre.  Mais  nous  croyons  rendre  service  aux  lecteurs  des 
Annales  en  transcrivant  dans  nos  pages  le  Vocahalaire  des  mots 
techniques  de  V archéologie  chrétienne  ^  lequel  les  mettra  à  même 
de  comprendre  et  de  définir  toutes  les  parties  qui  entrent  dans 
1  a  construction  des  édifices  religieux,  ^ous  le  complétions  en  y 
insérant  Ips  mots  cryptes,  dolmen.  kromUch,  peuh'an  et  tîilithc. 

U  A. 


VOCABULAIRE 

DES    MOTS    TECHNIOCES 


DE  L'ARCHEOLOGIE  CHRETIENNE. 


A 

Abside.  Partie  semi- circulaire  du  sanctuaire  d'une  église,  où 
siégea  primitivement  l'évéque,  et  où  plus  tard  on  plaça  géné- 
ralement l'autel.  On  dit  aussi  apside. 

Acanthe.  Plante  épineuse  à  feuilles  sinuées  :  elle  pousse  dans  les 
terrains  incultes  et  humides  du  midi  de  l'Europe. 

Acrotère.  Espèce  de  piédestal  de  petite  dimension  au-dessus  ou 
aux  angles  d'un  frontispice;  destiné  à  supporter  des  vases  ou 
des  statues. 


350  VOCABULAIRE 

Amhon.  Tribune  en  forme  tle  chaire  d'où  Ton  faisait  ancienne- 
ment aux  fidèles  la  lecture  de  Tépître  et  de  Tévangile  à  la 
messe. 

Amortissement,  Ce  qui  termine  le  comble  d'un  bâtiment,  et,  par 
extension  ,  tout  ornement  qui  couronne  un  morceau  d'archi- 
tecture :  Tarcade  cintrée  ou  ogivale  est  considérée  comme  un 
amortissement  curviligne. 

Amphithéâtre.  Théâtre  double,  suivant  l'étymologie  grecque.  Il 
était  composé  de  deux  hémicycles. 

Antimonite  de  plomb.  Composé  d'acide  d'antimoine  (acide  anti- 
monieux  ) ,  espèce  de  métal  blanc  ,  très  fragile ,  et  de  plomb. 
Cette  substance  entre  dans  la  composition  des  verres  peints. 

Appareil.  C'est  la  hauteur  de  la  pierre  taillée.  On  a  distingué 
trois  appareils  :  le  petit  appareil,  emprunté  des  Romains,  com- 
posé de  pierres  de  10  centimètres  sur  chaque  côté;  le  moyen 
appareil,  formé  de  pierres  de  20  à  25  centimètres  ;  et  le  grand 
appareil,  formé  de  pierres  de  dimensions  considérables. 

Aqueduc.  Construction  pour  la  conduite  des  eaux.  Il  y  a  des 
aqueducs  souterrains  ;  il  y  a  aussi  des  aqueducs  appuyés  sur 
des  arcades. 

Arabesques.  Mélanges  d'ornemens  et  de  figures  imaginaires,  em- 
pruntés à  l'art  mauresque. 

Arcature.  Petit  arc  destiné  à  unir  entre  eux  les  modillons  des 
corniches. 

Archéologie.  Suivant  l'étymologie  grecque,  ce  mot  signifie  science 
de  V antiquité. 

Architrave.  Partie  de  l'entablement  qui  repose  sur  le  chapiteau 
des  colonnes. 

Archivolte.  Bandeau  orné  de  moulures  qui  règne  autour  d'une 
arcade,  et  qui  repose  sur  les  impostes. 

Arc-houtant.  Pilier  courbé  en  demi-arc  pour  soutenir  les  mu- 
railles. On  l'appelle  encore  arc-rampant ,  parce  que  les  deux 
points  d'appui  de  l'arcade  sont  à  des  hauteurs  inégales. 

B 


Badigeon.  Le  badigeon  se  fnit  avec  des  morceaux  de  pierres  teni 


DF  l'archéologie  ciirétiennf.  351 

dres  délayées  dans  l'eau  avec  une  matière  colorante.  Sa  com- 
position a  varié  suivant  les  caprices. 

Baguette.  Petite  moulure  demi-ronde  dont  la  saillie  est  égale  à 
la  moitié  de  la  hauteur. 

Balustrade.  Appui  composé  d'une  suite  de  balustres,  sortes  de 
petits  piliers  renflés  à  leur  partie  inférieure.  On  a  étendu  ce 
mot  à  toute  espèce  de  clôtures  à  claire-voie. 

Base.  Partie  inférieure  d'un  piédestal ,  d'une  colonne  ou  d'un 
pilastre. 

Bas-relief.  Sculptures  à  demi  engagées  dans  le  bloc  de  marbre 
ou  de  pierre  :  les  figm*es  de  haut-relief  en  sont  presque  com- 
plètement détachées. 

Boudin.  Moulure  demi-ronde_,  nommée  aussi  tore. 

C 

Cannelures.  Sillons  arrondis  creusés  longitudinalement  sur  le  fût 
d'une  colonne  ou  d'un  pilastre. 

Cavet.  Moulure  concave  formée  du  quart  de  la  circonférence. 

Chapiteau.  Couronnement  posé  au  sommet  de  la  colonne. 

Chevet.  Partie  de  l'église  située  derrière  le  maître  autel. 

Chrome.  Substance  métallique  nouvellement  découverte ,  ainsi 
nommée  parce  que  toutes  ses  combinaisons  sont  colorées.  On 
l'emploie  dans  la  peinture  vitrifiée. 

Cihoriiim,  Sorte  de  vase  chez  les  Egyptiens.  On  a  donné  ce  nom 
au  dôme  qui  surmontait  l'autel  des  premières  basiliques. 

Clef  de  voîlte.  Dernière  pierre  placée  au  centre  d'une  voûte  pour 
la  fermer. 

Clocheton.  Petite  pyramide  appuyée  aux  angles  des  édifices,  ou 
sur  les  contre-forts. 

Cobalt.  Substance  minérale  employée  dans  la  peinture  sur  verre. 

Comble.  Assemblage  de  toute  la  couverture  d'un  bâtiment. 

Congé.  Moulure  creuse,  diminutivc  du  cavet,  destinée  à  relier 
ensemble  deux  membres  d'architecture. 

Contre-fort.  Pilier  saillant,  prêtant  appui  aux  arcs-boutans,  ou 
soutenant  les  murs  élevés. 

Corbeau.  Pierre  saillante  en  forme  de  console,  diversement  or- 
née. Ce  mot  a  la  même  signification  que  mcdillon. 


352  vorABULAini-.. 

Corniche.  Pariie  siipt'rleuie  de  l'enlablemcnt,  et  cm  oie  coin  on- 
iiement  composé  de  moulures  plus  ou  moins  riches. 

Coupole.  Partie  concave  d'un  dôme. 

Croisée.  Ce  mo.t  a  la  mèine  signification  que  transsept.  Partie  qui, 
dans  le  plan  d'une  église  ,  représente  les  branches  de  la  croix. 
Ce  ternie  est  improprement  appliqué  aux  fenêtres  des  églises. 

Crj'ptes.  Lieux  cachés,  lieux  souterrains,  d'un  mot  grec  qui  veut 
dire  littéralement  cacher. — Au  moyen-âge, on  donnait  ce  nom 
aux  caveaux  ou  chapelles  souterraines  creusés  immédiatement 
au-dessous  de  l'autel  et  renfermant  ordinairement  le  corps 
d'un  martyr,  afin  de  rappeler  les  tems  de  persécution,  où  l'on 
célébrait  les  mystères  dans  les  catacombes  et  les  grottes,  sur 
les  tombeaux  des  chrétiens  morts  pour  la  foi. 

D 

Dais.  Couronnement  en  pierres  ciselées  au-dessus  des  statues 
des  saints  dans  les  églises  ogivales. 

Dé.  On  appelle  ainsi  le  corps  ou  le  fut  du  piédestal. 

Denticules.  Tics  petits  modillons. 

Diacoriicum.  On  a  donné  ce  nom,  dans  les  premières  églises,  à 
une  construction  isolée,  destinée  à  conserver  en  dépôt  les  vases 
sacrés  et  les  ornemens  sacerdotaux. 

Dolmen  [dol,  table,  inacn  ,  jnen,  pierre).  Monument  druidique 
qu'on  pense  généralement  avoir  servi  d'autel  ;  composé  ordi- 
nairement de  plusieurs  pierres  brutes  verticalement  implan^ 
tées  en  terre  et  qui  en  supportent  une  plus  grande  également 
brute,  mais  aplatie,  placée  horizontalement  en  forme  de  table 
grossière. 

Dôme.  Voûte  hémisphérique  élevée  à  une  grande  hauteur,  ordi- 
nairement au-dessus  de  la  partie  centrale  d'une  église. 

Donjon.  Tour  dominante  dans  un  château  fort,  sur  laquelle  est 
une  tourelle  ou  guérite  pour  les  reconnaissances. 

Voucine.  IMoulure  moitié  convexe  et  moitié  concave ,  composée 
d'un  cavet  et  d'un  quart-de-rond. 


Di:    L  AIICJILULUGH:  CIIilLlli.AM:.  oOo 

E 

liiilahlemcnt.  Assemblage  de  niouluies  fjui  cuinonncat  un  L'A- 
liment ou  un  ordre  d'arcli  tecUiic.  11  est  compose  de  l'ai- 
chiliave,  de  la  frise  et  de  la  corniche. 

Enroulement.  On  appelle  ainsi  toutes  les  lignes  ou  ornenjens  qui 
se  terminent  en  spirale.  U enroulement  riehe  est  une  des  plus 
élégantes  moulures. 

Entrelas  ou  entrelacs.  Orneniens  de  fleurons  liés  et  croises  les  uns 
avec  les  autres. 

Entrecolonnement.  Espace  vide  réservé  entre«deux  colonnes. 

Eperon.  Pilier  adhèrent  à  un  mur  pour  en  arrêter  Técait 

Extrados.  Surface  convexe  extérieure  d'une  voùlc. 

F 

Edite.  Voyez  Comble, 

Filet.  Petite  moulure  carrée  qui  en  accompagne  ordinairement 
une  autre  plus  grande.  On  l'appelle  aussi  listel. 

Eleuroii.  Ornement  d'imagination  imitant  une  fleur  composée  de 
cinq  pétales  épanouis  autour  d'un  centre  en  saillie. 

Fresque.  Peinture  à  l'eau,  appliquée  sur  un  enduit  de  mortier 
frais. 

Frise.  Partie  de  l'entablement  située  entre  l'architrave  et  la  cor- 
niche. 

Fronton.  Corniche  triangulaire  qui  couronne  Ventrée  d'un  édi- 
fice. 

Fût,  Partie  cylindrique  d'une  colonne  entre  la  base  et  le  cha- 
piteau. 


Gargouille.  Prolongement  en  pierre  en  forme  d'animal  mon- 
strueux pour  Técoulement  des  eaux. 

Gorge,  Moulure  concave,  demi-ronde,  dont  la  profondeur  égale 
la  moitié  de  la  hauteur. 

Gothique.  Qui  vient  des  Goths.  Terme  appliqué  très  impropre- 
ment à  l'architecture  ogivale.  Il  est  maintenant  consacré  par 
Tusage. 


354  VOCABULAIRE. 

I 

Imposte,  Assise  en  pierre  qui  termine  un  jambage  ou  pied-droil, 

souvent  ornée  de  moulures. 
Intrados.  Surface    intérieure    d'une    voûte,  d'un    arc,   d'une 

voussure. 

J 

Jambage.  Construction ,  élevée  à  plomb ,  pour  soutenir  quelque 
portion  d'un  biliiment.  On  dit  jambage  [de  porte,  d'arcade,  de 
cheminée.  ^ 

Jubé.  Lieu  élevé  en  forme  de  galerie  dans  une  église  entre  le 
chœur  et  la  nef.  Ce  terme  a  pour  origine  le  premier  mot  que 
prononce  le  diacre  en  demandant  la  bénédiction  de  Tévêque 
ou  du  prêtre,  avant  de  commencer  la  lecture  de  l'évangile. 

K 

Kromlech  (de  crom,  courbe,  leck^  épine).  Enceintes  le  plus  sou- 
vent de  forme  circulaire  ou  elliptique ,  formées  de  pierres 
brutes  plus  ou  moins  volumineuses  fichées  verticalement. 

L 

Larmier.  Moulure  large  et  saillante  placée  dans  la  corniche  de 
l'entablement  ;  elle  sert  à  protéger  les  murs  de  l'édifice  de  l'é- 
coulement des  eaux  pluviales. 

Lichaven.  Voyez  Trilithe. 

Linteau.  Pièce  de  bois  ou  de  pierre  posée  horizontalement  sur 
les  jambages  d'une  porte  ou  d'une  fenêtre. 

Listel.  Voyez  Filei. 

M 

Manganèse.  Métal  gris-blanc ,  fragile  et  très  peu  fusible.  Il  sert 
dans  l'art  du  peintre  verrier. 

Meneau.  Montant  ou  traverse  en  pierre,  en  bois,  en  fer,  qui  par- 
tage une  fenêtre  en  plusieurs  portions. 

Menhir.  Pierre  levée,  de  deux  mots  celtiques,  maen,  men,  pierre, 
hir,  longue. 


DE  l'archéologie    CIIRÉTIEjN'KE.  355 

Minute,  Division  conventionnelle  du  module. 

Modillon.  Petite  console  en   saillie,  placée  sous  une  corniche. 

Voyez  Corbeau. 
Module,  Mesure  qu'on  prend  pour  régler  les  proportions  d'un 

ordre  d'architecture.  C'est  le  demi-diamètre  de  la  colonne  pris 

à  la  base. 
Monolithe.  Çtowv^osè   d'une  seule  pierre,   suivant  Tétymologie 

grecque. 
Mosaïque.  Ouvrage  de  rapport ,  où,  par  le  moyen  de  petites 

pierres  et  de  petits  morceaux  de  verre  différemment  colorés, 

on  représente  des  figures  et  même  des  tableaux. 

N 

Nnos.  Mot  grec  qui  signifie  le  temple  proprement  dit,  ce  que  les 
Latins  nommaient  cella. 

O 

Obélisque.  Pyramide  étroite  ef  longue,  faite  d'une  seule  pierre, 
élevée  pour  servir  de  Aonument  public. 

Ogive.  Arcade  curviligne^  terminée  en  pointe. 

Oxyde.  Substance  combinée  avec  l'oxygène,  partie  constituante 
de  l'air  atmosphérique.  Différens  oxydes  de  métaux  sont  em- 
ployés dans  la  peinture  vitrifiée. 


Parvis.  Vestibule,  enceinte,  place  située  à  la  porte  d'une  grande 
église. 

Piédestal.  Première  partie  d'un  ordre  sur  laquelle  est  appuyée  la 
colonne.  Elle  se  compose  de  la  base  ,  du  dé  et  de  la  corniche. 
On  élève  des  piédestaux  isolés  pour  placer  des  statues,  des  vases. 

Pied-droit,  ou  piédroit.  Voyez  Jambage. 

Pilastre.  Pilier  carré  en  saillie  sur  le  mur,  qui  a  les  mêmes  pro- 
portions que  l'ordre  employé  dans  un  édifice.  On  l'appelle 
vulgairement  colonne  plate. 

Pinacle.  Cotnble  terminé  en  pointe  que  les  anciens  mettaient  au 
haut  des  temples  pour  les  distinguer  des  maisons  dont  le  com- 


Of){J  VOLABLLAIliK 

ble  L'IaiL  plat,  ou  en  manière  de  plaie  loiiue.  On  a  donné  ce 
nom  à  des  espèces  de  pyramides  très  ornées,  fréquemment  em- 
ployées dans  rarchitccture  ogivale. 

Fcndentif.  Portion  de  voûtes  suspendue  entre  les  arcs  doubleaux 
et  les  ann;les  d'une  voûte  sphériquc.  On  a  quelquefois  appli- 
qué ce  mot  à  la  clef  de  voûte,  quand  elle  est  très  saillante. 

Pcuh'an.  Pilier,  pierre  levée  ,  de  peul,  pilier,  vaen  ,  van  ,  pierre, 
même  signification  cjue  maeii^  men. 

Plate-bande.  Moulure  large  et  peu  saillante. 

Portique*  Espace  compose  de  voûtes ,  ou  d'arcades  non  fcrmcc.'î 
et  supportées  par  des  colonnes  ou  des  pilastres. 

Pouzzolane.  Terre  volcanique  excellente  pour  faire  du  mortier 
hydraulique.  On  en  trouve  aux  environs  de  lou»  les  volcans 
actifs  ou  éteints,  surtout  auprès  de  Pouzzole,  en  Italie. 

Pronaos.  Vestibule,  suivant  la  traduction  du  mot  grec. 

0 

Quarl'de-rond.  Moulure  circulaire  saillante,  formée  du  quart  de 
la  circonférence. 

R 

Rinceaux,  Feuillages  qui  servent  d'ornemens. 

Piond'point.  Voyez  Abside. 

Rosace.  Ornement  gothique  ressemblant  au  fleuron,  mais  com- 
posé d'un  nombre  indéterminé  de  lobes  ou  de  divisions.  On 
emploie  encore  ce  mot  pour  désigner  les  belles  roses  gothiques. 

S 

Sarcophage.  Tombeau  dans  lequel    les  anciens  déposaient   les 

corps  qu'ils  ne  voulaient  pas  brûler. 
Scotie.  Moulure  creuse  formée  de  deux  cavets  dont  les  centres 

sont  pris  à  volonté. 
Soubassement.  Piédestal  continu;  on  dit  encore  stjlobatc. 
Statuaire,  L'art  de  faire  des  statues. 
Stjlobate.  Voyez  Soubassement. 
Suùstruislion,  Construction  piisc  en  sous-o:uvrc  dans  un  édifice 


DE  l'archéologie  chrétien îNi:.  35Î 

plus  ancien.  On  étend  ce  mol  à  toute  construction  posléiicure 
au  corps  de  l'édifice. 

T 

Tailloir.  Morceau  de  pierre  cairc ,  aplati,  qui  couronne  les  ilia- 
pileaax  des  colonnes. 

Talon.  Moulure  composée  d'un  quart- de-rond  et  d'un  cavet. 

Temenos.  Enceinte  sacrée,  champ  ou  bois  sacré. 

Thermes.  Bàtimens  destinés  pour  les  bains.  Il  y  en  avait  de  pu- 
blics; la  plupart  étaient  dans  les  dépendances  des  paiais  des 
empereurs  romains  et  des  citoyens  riches. 

Tombelle.  Monticule  faciice  élevé  sur  les  restes  mortels  des  Gau- 
lois. On  en  trouve  chez  presque  tous  les  anciens  peuples. 

Tore.  Moulure  semi-circulaire  dont  la  saillie  égale  la  moitié  de 
la  hauteur. 

Tri^ljphes.  Ornement  d'architecture  dans  la  frise  dorique,  com- 
posé de  deux  cannelures  en  triangle,  et  de  deux  demi-canne- 
lures sur  les  côtés. 

Trilithe  (du  grec  treis^  trois,  lilhos,  pierre).  Monument  celtique 
composé  de  trois  pierres ,  dont  deux  verticales  reliées  à  leur 
sommet  par  une  troisième  posée  horizontalement,  de  manière 
à  présenter  la  forme  d'une  porte. 

Trilobés.  Arcade  composée  de  trois  lobes. 

Transsept.  Voyez  Croisée. 

Tjmpan.  Espèce  de  fronton  compris  entre  les  trois  corniches.  Un 
a  étendu  la  signification  de  ce  mot  à  la  partie  des  portes  ren- 
fermée entre  le  linteau  et  l'arcade. 


Foie.  Les  voies  romaines  sont  de  grandes  routes  militaires. 
Foussurc.  Courbure  ou  élévation  d'une  voûte  et  d'une  arcade. 


FIN  DU  VOCABULAIRE. 


me  SÉRIE.  lOME  VI.  —  No  35. 1842.  23 


J58  FOI  A  LAUTHENTrCITÉ 


Critique  6iblique. 
Comment  la  foi 

4 

L'AUTHENTICITE  DU  PENTATEUQUE 

S'EST  AFFAIBLIE. 


deuxième  atinU  ^ 


Déchéance  du  scepticisme  exégétique  dans  la  littérature  profane.  — 
Causes  de  succès  dans  la  littérature  sacrée.  —  Crédulité  des  Exégètes 
incrédules.  —  Les  historiens  les  plus  célèbres  de  l'Allemagne  ont  con- 
tinué de  tenir  le  Pentateuque  pour  authentique ,  et  n'ont  pas  écouté 
les  réclamations  de  l'exégèse  rationaliste.  — Héeren,  J.  de  MuUer, 
Laden,  etc. 

Les  causes  générales,  que  nous  avons  indiquées  dans  le  dernier 
article,  sont  loin  d'expliquer  complètement  les  attaques  dirigées 
contre  le  Pantateuque  ;  elles  peuvent  faire  concevoir  la  négation 
de  son  authenticité ,  comme  une  prétention  passagère  ,  comme 
une  tentative  d'individus  isolés  ;  mais  elles  ne  rendent  pas  compte 
de  Topiniâtretë  avec  laquelle  on  persévère  dans  cette  négation ,  et 
encore  moins  de  l'immense  succès  obtenu  par  une  entreprise 
aussi  téméraire. 

En  effet ,  la  période  du  doute  à  tout  propos  et  sur  tout  n'eut 
qu'une  courte  durée  dans  la  sphère  de  la  littérature  profane  ;  si 
cette  fausse  tendance  n'est  pas  entièremnt  détruite,  on  n'en  ob- 
serve les  symptômes  que  chez  un  petit  nombre  d'écrivains.  Les 

•  Voir  le  i**^  article,  au  n°  3i,  ci-dessus,  p.  7. 


DU   PENTATEUQUE.  359 

critères  externes  ont  recouvré  une  partie  de  leurs  dioils  ,  et  on 
agitnioins  sans  façon  à  l'égard  àescritcres  internes.  Avantde  juger, 
on  cherche  à  comprendre.  A  défaut  de  motifs  plus  sérieux  ,  l'or- 
gueil nous  porte,  ne  fût-ce  que  pour  changer,  à  réédiûer  ce  que 
l'orgueil  a  démoli  ;  avec  le  tems,  on  restitue  à  chacun  tout  ce 
qu'on  lui  avait  injustement  enlevé.  Qui  ne  connaît  la  tournure 
qu''ont  prises,  dans  ces  derniers  tenis,  les  recherches  sur  Homère'? 
Il  existe  une  différence  esscniielle  entre  les  anciens  représentans 
du  scepticisme  et  ceux  d'aujourd'hui.  Là  où  les  premiers  n'a- 
percevaient que  désordre  et  hasard,  ceux-ci  reconnaissent  unité 
profonde,  ensemble  organique;  mais  le  contraire  a  lieu  î  l'égard 
du  Pantateuque,  contre  lequel  on  reproduit  constamment  l'ob- 
jection absurde  de  sa  composition  fragmentaire.  —  Les  discours 
de  Cicéron,  attaqués  par  Wolf>  sont  reconnus  pour  authentiques; 
Les  jugemens  téméraires  de  Socher  sur  les  dialogues  de  Platon 
ont  été  accueillis  avec  indignation  ;  et  le  jugenient  d'Ast,  qui  re- 
jette quelques-uns  des  moins  importans,  est  regardé  comme  trop 
sévère.  Au  lieu  de  rejeter  tout  d'abord  les  critères  externes  de 
leur  authenticité,  on  se  contente  de  regarder  ces  ouvrages  comme 
des  productions  peu  mûries  du  génie  de  Platon'. 

On  avait  contesté  que  le  viif  livre  de  Thucydide  fût  de  lui,  à 
cause  de  la  différence  qui  existe  entre  ce  livre  et  les  autres.  Sui- 
vant Niebuhr,  c'est  trancher  le  nœud  gordien;  c'est  porter  un 
jugement  arbitraire  et  peu  seusé.  «<  Je  crois,  dit-il  %  qu'en  cela  il 
»  faut  plutôt  reconnaîtie  le  sentiment  parfait  des  convenances  , 
>»  que  possédait  ce  grand  écrivain.  De  même  que  le  ton  majes- 
»  tueux  et  digne  s'élève  de  plus  en  plus  jusqu'au  moment  de  la 
>»  catastrophe  qui  eut  lieu  en  Sicile,  de  même  aussi  la  narration 
))  prend  un  ton  différent  dès  que  l'histoire  elle-même  perd  de  sa 
)'  grandeur...  Un  écrivain  médiocre  se  serait  cru  dans  l'obhgation 


•  Voir  Le  Pentateuque  dans  ses  rappoits  avec  la  littérature,  p.  410. 

•  V.  Ritter,  Hist.  de  la  philos.,  t.  11;  —  Ackermann;  Ce  qu'il  y  a  de 
chrétien  dans  Platon,  p,  11. 

»  Voir  ses  Pttits  écrits,  p.  469. 


360  1  01  A  l' ALTHEiNTICiTÉ 

»  de  conserver  le  même  ton  solennel.  Thucydide  aura  pris  de 
»  nouveau  le  style  majestueux  vers  la  fin  de  la  guerre  et  pen- 
»  dant  la  tyrannie  ;  mais  le  tems  des  longues  souffrances  ,  du- 
»  rant  que  la  lutte  était  encore  indécise,  devait  être  raconté  d'une 
»  façon  plus  modeste.  »  —  Combien  la  différence  d'exposition, 
signalée  entre  le  Deutéronome  et  les  autres  livres  du  Penla- 
teuque,  n'est- elle  pas  plus  facile  à  expliquer  par  des  critères  in- 
ternes! Combien  la  sagacité  , 'développée  ici  par  Niebulir,  est 
moins  nécessaire  à  l'égard  de  ce  livre  sacré  I  La  cause  de  la  diffe'- 
rence  en  question  se  présente  d'elle-même  à  tout  esprit  dégage' 
de  prévention,  et,  si  on  la  rejette  sèchement,  si  l'on  s'empresse  de 
conclure  la  diversité  des  auteurs,  évidemment  c'est  qu'il  y  a  ici 
en  jeu  des  intérêts  auxquels  la  littérature  profane  est  étrangère. 
Nous  croyons  pouvoir  l'affirmer,  une  critique  aussi  puérile  et 
aussi  arbitraire  que  celle  de  deWette,  si  elleeiitété  dirigée  contre 
un  ouvrage  dépourvu  de  tout  caractère  religieux,  n'eût  servi  qu'à 
procurer  à  cetexégète  la  triste  célébrité  d'un  Hardouin.  Supposez 
de  même  que  de  Vatke  eût  jugé  à  propos  d'exercer  sa  sagacité, 
non  point  sur  le  Pentateuque,  mais  sur  Hérodote  ,  par  exemple; 
sans  aucun  doute ,  son  livre  serait  tombé  dans  le  sépulcre  de 
l'oubli,  en  sortant  du  sein  qui  l'aurait  conçu. 

Un  grand  nombre  de  ceux  qui  contestent  hautement  l'authen- 
licité  du  Pentateuque  montrent,  dans  d'autres  circonstances,  une 
incapacité  surprenante  pour  la  critique  historique.  Dans  plus  d'un 
cas,  on  les  trouve  disposés  à  admettre  l'authenticité  aussi  facile- 
ment et  sur  des  motifs  aussi  légers  que  jamais  aucun  exégète  de 
l'antiquité  a  pu  le  faire ,  et  cela  nous  fait  voir  combien  le  pen- 
chant de  notre  siècle  au  scepticisme  est  insuffisant  pour  donner 
la  solution  de  notre  problème.  Volney,  par  exemple,  refuse  au 
Pentateuque  toute  base  historique,  et  cela  avec  une  audace  digne 
de  Voltaire  ;  il  donne  au  xiv'  chapitre  de  ses  recherches  sur  l'his- 
toire ancienne  ce  titre  dérisoire  :  Du  personnage  appelé  Ah raiiam. 
Eh  bien  î  en  même  tems,  il  n'hésite  pas  à  s'appuyer  sur  le  pré- 
tendu Sanchonialhon,  auquel  la  critique^des  âges  les  moins  vantés 
pour  leurs  lumières  a ,  depuis  longtems,  arraché  son  masque  ;  il 
s'en  sert  comme  d'une  caution  solide,  et  c'est  pour  lui  une  pierre 


DU  PENTATEUQUE.  361 

de  touche  à  laquelle  les  autres  monumens  doivent  se  laisser 
éprouver  '.  Des  écrivains  venus  très  tard,  comme  Nicolas  de  Da- 
mas, Alexandre  Polyhistor,  Artapan,  dont  les  récits  étonnans  ne 
sont  évidemment  qu'un  écho  de  la  tradition  juive,  et  qui,  en 
conséquence,  n'ont  aucune  valeur  par  eux-mêmes,  lui  paraissent 
néanmoins  d'une  haute  importance,  et  propres  à  fournir  des  ar- 
mes contre  la  véracité  de  l'histoire  sainte.  —  Le  critique  alle- 
mand qui  a  le  mieux  réussi  à  dissimuler  l'intérêt  ihéologique 
dont  il  était  préoccupé,  celui  qui  a  pu,  avec  l'espoir  fondé  du 
succès,  traiter  de  naïf  le  reproche  de  prévention  dogmatique  qui 
lui  était  adressé, Gésénius,  enfin,  a  montré  aux  yeux  de  l'Europe 
entière  combien  il  lui  serait  facile  de  reconnaître  l'authenticité  du 
Pentateuque,  si  la  chose  ne  devait  se  décider  que  devant  le  tri- 
bunal de  la  conscience  historique.  Il  tomba  d'abord  dans  un 
pié(;e  qu'un  auteur  français  s'était  amusé  à  lui  tendre,  en  don- 
nant comme  antique  et  récemment  découverte  une  inscription 
de  fabrique  récente.  Gésénius  reconnut  dans  cette  inscription 
un  monument  important  pour  l'histoire  du  gnosticisme,  et 
fit  sur  elle  un  commentaire  de  inscriptione  nuper  in  Cjrenaicd 
repertd.  A  peine  était-il  remis  de  la  contrariété  que  dut  lui  causer 
l'aveu  dt'  son  erreur,  aveu  qu'il  ne  lui  fut  plus  possible  de  diffé- 
rer lorsque  Boeck,  Kopp,  et  plusieurs  autres  eurent  dévoilé  la 
fraude.  —  A  peine  s'étail-il  apprêté  à  faire  oublier  celte  méprise 
par  d'importans  travaux  paleographiques,  qu'il  tomba  dans  un 
bieii  autre  embarras.  Ce  qui  lui  était  arrivé  précédemment  pour 
quelques  lignes  lui  arriva  depuis  pour  un  livre  entier'.  Quelle 
distance  entre  le  jeune  élève  en  médecine  de  Brème,  Wagenfeld, 
et  le  vieux  SanchionathonI  Si  le  saut  de  Wageufeld  jusqu'à  Philou 
était  déjà  périlleux,  combien  ne  Tétait- il  pas  davantage  de  ce 
dernier  jusqu'à  SanchoniathonI 

•  «•Ecoulons,  dit-il,  écoutons  Sanchonialhon,  qui  écrivit  environ  treize 
w  cents  ans  avant  notre  ère,  etc.  »  T.  i,  p.  6Q  ;  Bruxelles. 

^  riengstenberg  fait  ici  allusion  au  prétendu  manuscrit  deSauchonia- 
thon  publié  par  Wagenfeld  ,  et  dont  il  a  été  parlé  dans  les  Annales, 
t.  XIV,  p.  397.  {Note  du  rédacteur.) 


362  FOI  A  l'aithenticité 

Nous  pouvons  conclure  de  ce  qui  précède  que  la  solution  du 
problème  posé  en  tète  de  la  dissertation  présente  doit  se  trouver 
ailleurs  que  dans  le  domaine  commun  à  toute  littérature  ;  mais 
en  voici  encore  une  autre  preuve  importante  :  le  jugement  des 
historiens  modernes  sur  le  Pentateuque,  ainsi  que  celui  de  tous  les 
savans  qui  ne  sont  pas  théologiens  est  essentiellement  différent  de 
celui  des  théologiens  '.  La  raison  de  ce  fait.,  c'est  que  le  théologien 
ferme  les  yeux  à  tout  jusqu'à  ce  qu'il  ait  examiné  quels  rapports 
existent  entre  un  écrit  et  ses  propres  présuppositions  théologi- 
qtiCs,  et  comment  tout  cadre  bien  ou  mal  avec  elles.  L'historien, 
au  contraire,  lors  même  qu'il  partage  ces  présuppositions  ,  n'en 
est  pas  en  général  dominé,  au  point  de  se  laisser  induire  à  blesser 
sa  conscience  historique  ,  ei  à  trahir  l'histoire.  La  chose  est  assez 
importante,  pour  nous  engager  à  faire  sentir  cette  différence  de 
position  par  quelques  exemples.  Même  de  nos  jours,  le  Pentateuque 
remporterait  la  victoire ,  et  serait  universellement  admis  comme 
authentique,  s'il  n'avait  affaire  qu'à  l'Exégèse  historique,  et  s'il 
n'avait  à  redouter  que  les  seuls  effets  de  la  propension  générale 
au  scepticisme.  Ceia  résulte  évidemment  des  faits  que  nous  allons 
exposer.  Mais,  pour  le  bien  sentir,  il  faut  se  rappeler  surtout  que 
les  théologiens  ont  tait  tous  leurs  efforts  pour  déplacer  le  point 
de  vue  aux  yeux  des  historiens  qui  ,  par  défaut  de  connaissance 
de  la  langue  hébraïque,  et  par  la  grandeur  du  sujet  qu'ils  embras- 
sent, sont  à  plusieurs  égards  sous  leur  dépendance.  D'ailleurs  ces 
historiens  éprouvent  toujours  un  peu  l'influence  des  présupposi- 
tions ihéologiques  qui  tiennent  à  l'esprit  du  tems,  et  que  nous  in- 
diquerons plus  tard. 

La  posiiiou  prise  par  Héeren  vis  à  vis  du  Pentateuque  est  faite 
pour  attirer  d'abord  notre  attention.  Evidemment ,   il  a  évité  à 


'  Il  est  inutile  de  remarquer  qu'il  s'agit  seulement  de  ces  théologiens 
protestans,  qui  ont  pris  à  tâche  de  substituer  la  philosophie  au  christia- 
nisme. Tels  sont  entre  autres:  de  Wette  ,  de  Bolhen,  de  Vatke,  etc. 
Nous  conservons  exactement  les  oxpressions  de  l'anathèrae  lancé  contre 
piix  par  Ilengsteidierg.  {Note  du  rédacteur.) 


DU  PEISTATEUQUE.  363 

dessein  de  s'expliquer  sur  ce  livre  d'une  manière  précise  et  com- 
plète. Cette  précaution  même  est  une  preuve  sensible  de  la  mé- 
fiance que  lui  inspiraient  les  recherches  des  théologiens.  Sans  se 
laisser  éblouir  par  leur  assurance,  il  veut  attendre  quel  sera  le 
dénouement  du  procès.  Dans  ce  qui  est  parvenu  à  sa  connais- 
sance ,  il  n'aperçoit  rien  qui  lui  fasse  regarder  l'accusé  comme 
coupable.  Le  cri  de  crucifige,  poussé  par  les  théologiens,  ne  le 
trouble  point  Dans  tous  ses  ouvrages,  il  ne  se  trouve  pas  un  seul 
passage,  qui  frappe  de  suspicion  une  donnée  historique  du  Pen- 
tateuque.  Quand  il  le  cite,  ce  qui  a  lieu  le  plus  fréquemment  dans 
le  volume  des  Idées  qui  traite  de  l'Egypte,  il  s'en  sert  comme 
d'une  source  entièrement  sûre.  Dans  V Histoire  de  V antiquité  * ^  il 
reconnaît,  comme  historiquement  avérés,  les  principaux  faits  du 
Pentateuque.  De  même,  dans  l'énuméralion  des  sources  de  l'his- 
toire égyptienne  2,  il  observe  que  les  récits  de  Moïse  ,  bien  qu'ils 
ne  composent  pas  une  histoire  suivie,  renferment  néanmoins  une 
peinture  fidèle  de  l'état  où  se  trouvait  l'Egypte.  Puis  il  indique 
comme  objet  d'une  exposition  orale  subséquente  «  l'importance 
>»  et  les  avantages  des  relations  juives,  en  tant  qu^elles  sont  pure- 
)'  rement  historiques.  »  Mais  une  déclaration  toute  récente  de 
Héeren,  dans  une  annonce  du  tome  deuxième  de  l'ouvrage  publié 
par  Rosellini  sur  l'Egypte,  est  surtout  remarquable  ^.  «  Nous  ne 
»  pouvons,  dit-il, terminer  cette  annonce,  sans  manifester  le  vœu, 
»  que  le  chapitre  de  la  p.  254  —70,  avec  la  planche  de  l'Atlas  qui 
>•  le  concerne,  {monumenti  civili  n'^  49)  et  qui  représente  la  pré- 
»  paration  des  briques,  soit  soumis  à  l'examen  critique  impartial, 
»  de  quelque  savant  orientahste.  »  Si  ce  monument  représente  les 
travaux  des  enfans  d'Israël  durant  leur  servitude,  il  serait  alors 
d'une  égale  importance  pour  l'Exégèse  et  pour  la  chronologie  : 
pour  l'Exégèse,  en  ce  sens  qu'il  serait  une  preuve  frappante  de  la 

'  Voir  4'  édit.,  p.  &^o. 

*  Ibid.,p.5^. 

^  Gott.,  ann.  i835,  p.  i328.  —  Le  chapitre  de  Rosellini,  dont  Héeren 
va  parler, a  été  réproduit  dans  les  Annales  avec  les  [lancbes  qui  raccom- 
pagnent; voir  le  n*^  de  juin  dernier,  t.  v,  p.  4^0.       [Note  du  rédacteur.) 


304  101   A  l' AUTHENTICITE 

liante  aiili([uité  des  écrits  mosaïques,  et  spécialement  de  l'Exode, 
dont  les  chapitres  I  et  \  décrivent  ces  travaux  de  îa  manière  la 
plus  fidèle,  même  dans  les  détails  accessoires  ;  pour  la  chronolo- 
gie, parce  que,  ajant  été  construit  sous  la  dix-huitième  dynastie, 
et  durant  le  règne  de  ThoMtuiès-^Iœris,  1740  ans  avant  J.-C,  il 
fournirait  ainsi  des  dates  certaines,  aussi  hien  pour  l'histoire  pio- 
fane  que  pour  THisloire  Sainte.  D'après  les  inscriptions  qui  , 
comme  de  coutume,  sont  placées  ici  au-dessus  des  fi^jures,  c'est 
le  tombeau  d'un  intendant  des  bâtimens  royaux  d'Egypte , 
nommé  Rochseré.»  L'authenticité  des  c'crits  mosaïques  doit  s'cîre 
présentée  souvent,  sous  un  aspect  bien  favorable,  à  l'esprit  de  ce- 
lui qui,  de  nos  jours,  fait  ainsi  parler  en  sa  faveur  ce  témoin 
sorti  de  la  tombe.  Aisurément,  im  théologien  aurait  fermé  la 
houche  à  ce  témoin  malencontreux.  Comme  ce  nègre  qui,  sans 
autre  forme  de  procès,  repousse  dans  sa  bière  un  homme  dont  la 
moi  t  n'était  qu'apparente,  et  qui  cherchait  à  se  relever,  il  lui  au- 
rait dit  :  «  J'aidansma  poche  la  preuve  écrite  que  tu  es  mort.  >• 
Après  Héeren,  nous  rencontrons  J.  de  Muller.  Celui-ci  a  con- 
stamment reconnu  rauthentlcité  du  Pentateuque  ;  avant  même 
que  SCS  opinions  relij^ieuses  se  fussent  complètement  développées, 
il  exprimait  déjà  sa  conviction  à  cet  égard.  L'authenticité  était  un 
f  lit  avéré  pour  l'historien,  lorsqu'elle  n'avait  pas  encore  obtenu 
a  foi  du  chrétien.  Son  esprit  n'éiaiî  point  formé  aux  critères  in^ 
ternes  ;  c'est  pourquoi  il  s'explique  facilement  ce  qui  peut  sembler 
une  difficulté  '.  La  loi  rituelle,  dans  laquelle  des  théologiens  ont 
i  ru  apercevoir  un  monument  de  la  fourberie  sacerdotale,  un 
corps  de  maximes  formulées  daiis  un  tems  ou  l'esprit  religieux 
avait  disparu  %  la  loi  rituelle  lui  paraît  parfaitement  digne  d'un 
cjivoyti  de  Dieu,  cniièrement  conforme  au  génie  de  Moïse  et  au 
caractère  de  son  siècle.  «>  Ce  législateur,  dit-il,  y  consacrait  une 
»»  grande  allégorie  en  action.  Tandis  que  la  simple  loi  fondamen- 
•«  taie   ne  comprenait  que  !e  renoiivellement  de  la  foi  des  ancè- 


Voir,  par  exemple,  son  Hist.  unii'.,  5«  cdit.,  t.  i,  p.  444- 
Voir,  par  exemple,  de  Wetle,  p.|9-"9  et  suiv. 


DU  PENTATEUQUE.  365 

»  1res,  avec  addition  de  quelques  aveitisseinens,  la  loi  rituelle 
»'  occupait  constammentîle  peuple,  en  frappant  vivement  tous  ses 
»  sens.  Que  Moïse  ait  éclairci,  par  des  commentaii  es,  la  significa- 
»  lion  de  ces  pratiques  ;  que  cette  signification  ait  été 
»  transmise  par  les  ancêtres  ,  cela  est  vraisemblable  ,  et  on 
»  en  aperçoit  des  traces.  Toutefois,  il  y  avait  lieu  de  penser  que, 
)»  dans  les  choses  essentielles  ,  cette  signification  n'échappait 
»  point  aux  hommes  de  quelque  poitée.  »  —  Il  écarte  encore 
ailleurs  des  pienes  d'achoppement,  semées  sur  la  route  par  des 
théologiens.  Dans  ses  ohscri'alions  sur  les  litres  de  Moïse ,  il  fait , 
par  exemple,  la  remarque,  que  «  les  répétitions  sont  dans  l'esprit 
des  lems  antiques.  «  Du  moment,  dit-il  encore  *,  oij  Ton  réfléchit 
»  à  la  grandeur  du  but,  les  répétitions  n'ennuient  point -,  tout 
»  vous  indique  ce  but.  »  Des  théologiens  ont  déclaré,  que  ce  se- 
rait un  anachronisme  risible,  de  vouloir  conserver  encore  comme 
historique  la  liste  des  peuples,  que  nous  lisons  au  chapitre  10  de 
la  Genèse.  Lui,  au  contraire,  déclare  que  «  ces  passages  sont  géo- 
»  graphiquement  vrais,  et  que  l'histoire  universelle  doit  commen- 
»  cer  à  ce  chapitre  ^.  »  Ces  obsen>atio7is  montrent  de  plus  que  l'on 
ne  peut  expliquer  sa  conviction  de  Tauthenticilé  du  Pentateuque, 
en  la  rejetant  sur  un  préjugé  né  accidentellement  chez  lui,  et  en- 
tretenu par  l'ignorance  ,  mais  qu'elle  est  bien  plutôt  le  résultat 
d'une  étude  profonde  et  constante.  Si  la  composition  du  Penta- 
tcuque,  au  point  de  vue  historique,  est  réellement  aussi  pitoyable 
que  des  théologiens  le  prétendent,  il  faut  rayer  J.  de  Muller  de 
la  liste  de  nos  grands  historiens. 

Luden  aussi  se  montre  peu  disposé  à  accepter  aveuglément  les 
conclusions  de  l'exégèse  rationaliste.  II  convient  ouvertement  que 
le  Pentateuque  lui  fait  un  tout  autre  effet  qu'aux  théologiens,  et 
s'il  n'ose  pas  se  mettre  expressément,  et  sur  tous  les  points,  en  op- 
position avec  eux,  il  évite  toutefois  avec  soin  de  faiiedes  conces- 
sions précises  ,  pressentant  que  la  critique  pourrait  facilement 


P.  4:6. 
P.  '{ÔS. 


366  For  A  l'authrntictté 

prendre  une  autre  tournure,  qui  les  lui  ferait  regretter.  Dans  V His- 
toire de  VanLiquiLc  ',  il  fait  la  remarque  suivante  : 

«<  Quand  on  réfléchit  à  quelle  époque  et  comment  ces  écrits  ont 
»  pris  naissance  ;  si  l'on  n'oublie  jamais  quels  rapports  les  Israé- 
»  lites  croyaient  exister  entre  eux  et  Jéliovah;  si  l'on  pense  qu'ils 
»  ne  parlaient  de  leurs  destins  que  conformément  à  ces  rapports, 
>»  il  peut  à  la  vérité  s'élever  quelques  doutes  sur  les  particularités 
M  des  événemens  ;  mais  la  marche  des  destinées  de  ce  peuple , 
»  prise  dans  son  ensemble,  est  certainement  sous  vos  yeux.  »  Et  à 
la  page  suivante:  «  la  prodigieuse  multiplication  des  Hébreux  en 
»  Egypte,  durant  les  400  ans  qu'ils  y  passèrent,  est  conforme  au 
>»  cours  de  la  nature  ;  la  dure  oppression  qu'il  leur  fallut  à  la  fin 
»  éprouver  est  facile  à  comprendre,  ainsi  que  leur  iésir  ardent  de 
»  revoir  la  patrie  qu'ils  n'avaient  jamais  oubliée.  »  Plus  loin  en- 
core :  «  le  séjour  c^ans  le  désert  pendant  40  années  était  une  me- 
»  sure  très-sage,  elle  nous  montre  Moïse  dans  toute  sa  gran- 
»  deur  '.  »  Puis  ensuite:  «  La  loi  que  Jéhovah  donna  aux  Israé- 
»  lites,  par  l'entre  mise  de  Moïse,  dans  des  circonstances  capables 
»  d'ébranler  et  d'effrayer,  cette  loi  donnée  successivement  et  peu 
M  à  peu  est  extrêmement  remarquable.  Elle  mérite  d'être  profon- 
»  dément  étudiée,  non-seulement  parcequ'elle  est  la  plus  ancienne 
>»  et  qu'elle  se  dislingue  par  la  liaison  intime  qui  règne  dans  son 
»  ensemble,  mais  encore  et  surtout,  parceque  des  prescriptions 
»  étrangères  (égyptiennes)  ont  été  appropriées  avec  une  grande 
»  sagesse  aux  mœurs  et  au  caractère  national  des  Israélites'.  »  Et 
enfin  p.  64;  u  Quarante  années  passées  dans  le  désert,  au 
»  milieu  des  signes  et  des  prodiges,  n'avaient  pas  suffi  pour  for- 
»  nii'r  ce  ])euple  dégradé  et  obstiné,  et  pour  le  con<;acrer  au  Seî- 
>.  gneur.  Les  chants  sublimes  de  Moïse  ne  réussirent  point  à  main- 
»  tenir  son  enthousiasme  pour  Jéhovah  ;  les  annales  de  son  gou- 
»  vernement  miraculeux,  c'est  à   dire  le  plus  ancien  monument 


2«  édit.,  léna,  1819,  p.  (jo. 
Ibid.,  p.  62. 
Jbid.,  p.  63. 


DU  PENTA.TEUQUE.  367 

»»  d'une  histoire  écrite,  ue  retinrent  pas  le  peuple  clans  la  fidélité 
»•  envers  son  Dieu.  >» 

WacLler,  dans  son  Manuel  de  Vhistoire  de  la  littérature  ',  s'ex- 
prime ainsi  :((Moïse, l'auteur  delà  Constitution  nationale  des  Hé- 
»  breux,  a  servi  de  modèle  aux  générations  suivanies,  coiiiuie  sou- 
»  verain,  comme  législateur,  connue  poète  et  historien.  Les  cinq 
n  livres  désignés  sous  son  nom  sont  de  la  plus  haute  antiquité,  à 
»  en  juger  par  la  majeure  partie  des  matériaux  dont  ils  sont  compo- 
»»  ses,  et  ils  appartiennent  au  tems  de  son  admirable  gouverne- 
n  ment...  On  y  trouve  des  considérations  sur  les  choses  divines 
»»  et  humaines,  des  réflexions  politiques  ,  des  aperçus  clairs  sur 
»  l'avenir ,  les  épanchemrns  d'un  sentiment  profond.»  —  «La 
»  plus  ancienne  poésie  des  Hébreux  était  épique  ;  el'e  célébrait  la 
»  création  et  l'histoire  primitive  du  genre  humain  dans  ses  rap- 
»  ports  immédiats  avec  l'histoire  nationale.  Elle  reçut  sa  forme 
»  de  Moïse,  qui  donna  également  les  pi  émit  rs  modèles  de  la 
»  poésie  lyrique  ^  » 

Schlosser  admet  aussi  l'origine  mosaïque  du  Pentaleuque  :  il 
pense  que  l'on  ne  peut  nier  cette  origine,  au  moins  poui-  les  par- 
ties les  plus  importantes  ^ 

Léo,  dans  son  cours  verbal  sur  l'histoire  juive,  s'était  il'aboi  d 
soumis  complètement  à  l'autorité  des  théologiens,  et  teux'ci  le 
citaient  en  triomphe  comme  un  des  leurs  ,  avec  d'autant  plus  de 
raison  qu'il  était  ,  en  effet,  le  premier  historien  de  quelque  va- 
leur qu'ils  eussent  réussi  à  attirer  dans  leurs  pièges.  Mais  il  com- 
mença ,  plus  tard,  à  y  voir  de  ses  propres  yeux  ,  et  il  s'aperçut 
que,  tandis  qu'il  suivait  avec  soin  les  traces  de  la  prétendue  ca- 
bale des  prêtres  dans  Israël,  il  se  troi^Tait  lui-même  enlacé  en 
Allemagne  dans  une  cabale  tout  autrement  réelle  de  ministres  ; 
il  déjlara  dès-lors  ouvertement  ne  plus  vouloir  s'y  soumettre,  et 
il  rentra  dans  le  domaine  historique.  Dans  l'ouvrage  intitulé  fn- 


'  2e  édit.,  t.  1,  p.  78. 

'  Ibid.y  p.  79. 

^  ///>/.  univ.  de  Vantiq.,  traduction  française,  par  M.  de  Golbery. 


368   '  FOI  A  l'authenticité 

slruclion  sur  V Histoire  universelle^,  il  s'exprime  ainsi  sur  le  Pen- 
tateuque  :  «*  Après  avoir  examiné  tout  ce  qui  a  été  écrit  récem- 
»  ment  sur  ce  sujet,  nous  avons  reconnu  etacîoplé  invariablement 
»  la  ferme  conviclion  historique  que  les  parties  essentielles  du 
»  livre  de  la  loi  ,  et  une  grande  portion  de  celles  qui  servent  de 
w  base  au  Pentateuque.  aussi  bien  que  les  récits  historiques  qui , 
»  d'après  leur  importance  et  leur  but,  ne  doivent  pas  élre  com- 
»  plétement  séparés  des  lois,  viennent  de  Moïse  lui-même.  Si  la 
»  composition  en  un  seul  corps  d'ouvrage  n'est  pas  de  IMoïse, 
»  elle  a  bien  certainement  eu  lieu  peu  de  tems  après  lui,  peut- 
»  être  même,  en  grande  partie,  de  son  vivant  et  sous  ses  yeux.  Si 
»  l'on  a  obtenu  un  autre  résultat  scientifique  par  les  recherches 
>^  critiques,  d'ailleurs  très  précieuses,  qui  onl  eu  iieu ,  cela  vient 
M  uniquement  de  ce  que  l'on  n'a  pas  établi  une  dislinction  suffi- 
))  santé  entre  l'Orient  et  l'Occident,  entre  l'enfance  de  ces  vieux 
»  âges,  leurs  phénomènes,  leurs  conditions,  et  l'époque  moderne, 
»  où  un  esprit  sophistique,  un  esprit  de  subtilité  et  de  réflexion 
>'  alambiquée;  nous  a  fait  abandonner  ie  mode  naturel  d'agir  et 
»  et  de  juger.  » 

De  Rotteck  s'est  associé  si  complètement  à  l'esprit  dans  lequel 
les  tlîéo'.oi^iensà  la  mode  ont  puisé  leurs  préjugés  contre  le  Pen- 
latenque  ,  que  nous  ne  devrions  pas  nous  étonner  si  nous  lui 
voyions  partager  ces  préjugés  dans  toute  leur  étendue  ;  et  cepen- 
dant, il  n'en  est  pas  ainsi  :  il  y  a,  par  exemple,  une  grande  diffé- 
rence entre  lui  et  de  Wette.  Dans  le  coup  d'œil  sur  les  sources  de 
Tète  primitive  du  monde  %  il  fait  cette  observation  :  «  On  ne 
»  peut  méconnaître  que  le  récit  du  premier  Uvie  de  3r.oVse  se 
»  distingue  de  tous  ces  récits  inadmissibles  sur  la  formation 
))  de  la  terre  et  sur  la  naissance  de  l'homme  (Sanchoniathon , 
i>  /oroastre,  et  en  général  tous  les  historiens  orientaux,  chi- 
»  nois,  ihibétains,  et  même  grecs),  tant  par  une  exposition 
»  conforme  à  la  raison  et  aux  lois  éternelles  de  la   naluie   que 


Halle,  i835,  1. 1,  p.  570. 

///ç/.  //«/»'.,  t.  I,  2*"  édit.  Friboiirg,  «855;,  p.  S;. 


DU  PENTATEUQUK.  369 

»  par  une  tradition  fidèle.  Ce  document  mosaïque,  que  l'on  peut, 
»  en  outre,  par  de  bonnes  raisons^  déclarer  le  plus  ancien  qui 
»  existe  sur  la  race  humaine,  doit  donc  trouver  toujours  apprtT 
»  bation  et  estime  devant  le  tribunal  d'une  critique  purement 
»  historique ,  qui  détourne  ses  yeux  de  tout  point  de  vue  reli- 
»>  (^ieux. — Lemême  jugement  s'applique  à  l'histoire  de  l'homme. 
>j  Là  aussi  les  récits  mosaïques  sont  si  évidemment  préférables  à 
»  tous  ceux  des  écrivains  profanes  que  Ton  ne  peut  leur  refuser 
>»  un  haut  degré  de  crédulité,  au  moins  comparativement.  »  — ■ 
Dans  l'aperçu  sur  les  sources  de  l'histoire  des  Hébreux,  il  dit  : 
a  Nous  ne  possédons  sur  l'histoire  d'aucun  peuple  de  ces  tems-là 
»  des  relations  aussi  anciennes  ,  aussi  circonstanciées  et  aussi  sii- 
»  res.  Les  écrivains  bibliques,  dont  nous  avons  fait  mention  plus 
»  haut,  étaient  pour  la  plupart,  abstraction  faite  de  l'inspiration, 
»  témoins  oculaires  des  événemens  qu'ils  racontent  ;  ils  y  avaient 
»  pris  part,  ou  au  moins  ils  étaient,  par  leurs  relations,  à  portée 
»  de  rassembler  et  de  comparer  les  traditions  et  les  monumens 
»  relatifs  aux  faits  nationaux  antérieurs  à  leur  époque.  Ces  livres 
»  remontent  au  berceau^  à  la  première  origine  du  peuple  hébreu, 
»  et  l'on  ne  peut  méconnaître  qu'ils  sont  dignes  de  foi ,  quant  à 
»^  ce  qui  regarde  l'enchaînement  essentiel  des  faits  ;  car  il  en  est 
»  autrement  des  circonstances  accessoires,  et  de  ce  qui  n'est  qu'une 
»  exposition  métaphorique.  » 

tes  adversaires  du  Pentateuque  n'ont  pas  conservé  un  seul 
partisan  parmi  tous  les  historiens  modernes  qui  possèdent  quel- 
que mérite  ,  ou  qui  passent  pour  en  avoir.  Ils  sont  réduits  à  se 
contenter  de  gens  tels  que  Mannert,qui  parle  entièrement  comme 
eux  dans  son  Manuel  de  V histoire  ancienne  ',  ouvrage  déjà  frappé 
de  mort,  ou  plutôt  mort-né.  Un  seul  trait  suffira  ])our  caracté- 
riser cet  écrivain  :  La  supériorité  de  l'homme  sur  les  animaux  ne 
consiste,  suivant  lui,  que  dans  les  doigts,  l'habitude  de  marcher 
debout ,  et  la  parole.  Il  observe  encore  que  d'autres  animaux 
possèdent  la  base  delà  raison,  et  il  croit  porter  un  coup  terrible 


Berlin,  18  i8. 


370  FOI  A  l'authenticité 

à  l'histoire  du  déluge  par  l'objection  suivante  :  «  La  pensée  se 
»  révolte  à  l'idée  que  la  justice  de  Dieu  ait  pu  anéantir  des  ani- 
»  maux  innocens,  parce  que  des  hommes  coupables  auraient 
»  transgressé  ses  commandemens'î  >»  — La  voix  de  la  conscience 
historique  ne  peut  se  faire  entendre  dans  le  domaine  de  l'écriture 
sainte  ,  quand  toute  intelligence  des  choses  élevées  fait  ainsi  dé- 
faut, quand  une  haine  profonde  contre  tout  ce  qui  est  divin  a  fait 
irruption  daus  l'àme  ;  car,  alors ,  l'historien  se  transforme  invo- 
lontairement en  mauvais  théologien ,  surtout  s'il  a  été  dès  le 
berceau  pénétré  de  la  plus  détestable  théologie  :  nous  ne  reconnaî- 
trions pas  même  la  compétence  d'un  historien  qui  ferait  profes- 
sion de  philosophie.  Si  l'on  réussit  à  mettre  l'histoire  au  service 
d'un  système  comme  celui  de  Hegel ,  les  historiens  et  les  pseu- 
do-théologiens pourront  en  venir  à  une  alliance  ;  l'historien-phi- 
losophe,  en  effet,  comme  le  pseudo-théologien,  se  garde  très  fort 
d'étudier  les  faits  qu'il  a  devant  les  yeux  avec  une  attention 
scrupuleuse,  et  sans  se  préoccuper  des  résultats  qui  en  découle- 
ront ;  son  unique  pensée  est  de  faire  accorder  les  faits  avec  ses 
présuppositions  intérieures  j  or,  les  hypothèses  a  prioriy  aux- 
quelles la  philosophie  la  plus  récente  a  voué  son  amour,  sont  in- 
compatibles avec  la  composition  mosaïque  duPentateuque.  Mais 
nous  pouvons  nous  rassurer  à  cet  égard  :  des  ouvrages  comme 
l'Histoire  des  papes  de  Ranke,  nous  donnent  l'heureuse  garantie 
que  l'histoire  a  devant  elle  un  meillem-  avenir. 

Remarquons  encore  que  le  chronologiste  le  plus  distingué  de 
notre  époque  partage  l'opinion  de  nos  grands  historiens  sur  la 
question  qui  nous  occupe.  Ideler,  dans  son  Manuel  de  chronolo- 
gie ,  ne  se  borne  pas  à  supposer  consomment  l'origine  mosaïque 
de  la  loi,  il  la  soutient  d'une  manière  expresse.  Dans  un  endroit, 
par  exemple  ',  il  s'exprime  ainsi  :  «'  Pendant  les  longues  années 

'Pages  6  et  iq.  —  Mannert  s'abstenait  sans  doute  soigneusement  de 
manger  aucune  espèce  d'animaux  ;  car  c'eût  été  une  sorte  de  fratricide, 
un  repas  digne  de  Thyeste. 

'  Berlin,  i8a5,  t.  i,p.  479- 


DU  PENTATELQUE.  371 

»  de  leur  marche  à  travers  l'Arabie  Pétrée  et  Déserte,  leur  guide 
»  leur  donna  une  constitution  qui  ne  devait  être  mise  en  pra- 
»>  tique  qu'à  leur  entrée  dans  la  terre  promise  de  Chanaan, 
»  demeure  originaire  de  leurs  nomades  ancêtres.  Cette  consti- 
»  tution  avait  pour  but  d'en  faire  un  peuple  agriculteur  :  ce  but 
»»  est  assez  clairement  exprimé  par  la  mesure  du  tems  qui  règle 
»  les  jouis  de  fête  et  les  jours  de  repos,  etc.  »  —  Le  chronologiste, 
comme  de  raison ,  commence  par  faire  passer  l'authenticité  au 
creuset  de  sa  science  ;  et  comme,  en  se  plaçant  dans  l'hypothèse 
de  l'authenticité,  il  trouve  chaque  chose  où  elle  doit  être  ,  il  ne 
fait  aucune  attention  aux  cris  des  pseudo-théologiens. 

Après  avoir  montré  que  le  penchant  général  du  siècle  au  septi- 
cisme  ne  suffit  pas  pour  expliquer  la  négation  de  l'authenticité  du 
Pentateuque,  nous  allons  essayer  d'indiquer  la  cause  essentielle 
de  ce  fait. 

Elle  est  dans  la  propension  de  notre  époque  au  Naturalisme , 
propension  qui  prend  elle-même  sa  source  clans  l'isolement  où 
Ton  se  tient  aujourd'hui  de  Dieu,  Quand  un  homme  n'a  rien 
éprouvé  intérieurement  qui  lui  ait  fait  sentir  la  présence  d'un 
Dieu  vivant,  il  cherche  à  effacer  aussi  ses  traces  de  l'histoire.  Tout 
ce  qui  se  passe  en  lui-même  étant  purement  naturel,  il  lui  semble 
qu'à  l'extérieur  tout  doit  s'être  passé  d'une  manière  également 
naturelle. 

Pour  étayer  cette  opinion,  on  s'est  appuyé  sur  les  mots  pom- 
peux de  développement  progressif,  de  perfectionnement  humani- 
taire, etc.;  mais,  assurément,  c'est  bien  à  tort.  Le  Naturalisme  ne 
pourrait  être  considéré  comme  un  progrès  qu'autant  que  l'on  se- 
rait parvenu,  dans  les  tems  modernes,  à  expliquer  par  les  lois  de 
la  nature  ce  que,  faute  de  les  connaître,  les  âges  passés  avaient  cru 
surnaturel  ;  mais  une  plus  grande  connaissance  de  la  nature  n'a 
rien  produit  de  semblable  :  ce  qui  passait  jadis  pour  surnaturel 
passe  encore  pour  tel  aujourd'hui.  Il  y  a  donc  insigne  impudence 
de  la  part  du  Naturalisme  à  se  targuer  ainsi  de  progrès,  tandis 
qu'il  s'enfonce  dans  un  abîme  d'absurdités.  Ses  partisans  doivent 
soutenir,  d'abord,  que  les  défenseurs  récens  du  système  mydiique 
sont  plus  instruits,  plus  avancés  que  les  champions  de  la  vérité 


372  FOI   A  L  AUTHENTICITE  DU  PENTATEIQLE. 

biblique;  mais  c'est  tle  quoi,  assurément,  il  n'y  a  nulle  apparence. 
L'histoire  des  attaques  dirigées  contre  le  Penlateuque  ,  et  contre 
les  livres  saints  en  général,  a  sa  partie  honteuse^  que  l'on  cherclie 
soigneusement  à  dissimuler.  Si  le  nom  d'homme  instruit  doit  être 
l'apanage  de  ceux  qui  nient  l'aulhenticité  du  Pentaleuque,  il  fau- 
dra décerner  ce  titre  à  des  hommes  qui  semblaient  ne  pouvoir 
guère  y  prétendre  depuis  les  libertins  du  l6e  siècle,  qui  tournaient 
le  Pentateuque  en  dérision,  jusqu'à  l'auteur  du  Calcchisme  de 
l'honnête  homme  ',  jusqu'au  populaire  Edelmann,  pour  lequel 
le  Pentateuque  n'est  autre  chose  «  qu'un  amas  de  fragmens  entas- 
»  ses  on  ne  sait  trop  par  qui^  probablement  par  le  rus6  prêtre  juif 
»Esra^.»  —  Singuliers  auteurs  du  progrès I  étranges  météores , 
avant-coureurs  du  soleil  des  lumières  I 

HENGSTENBERG. 

Traduit  de  l'allemand. 

'P.  10,  Il  dit  Ircniquement  :  «.  Les  évéïiemens  racontés  dans  le  Pen- 
))  taleuque  étonnent  ceux  qui  ont  le  malheur  de  ne  juger  que  par  leur 
))  raison,  et  dans  qui  cette  raison  aveugle  n'est  pas  éclairée  par  une  grâce 
)j  particulière.  »  —  A  plus  forte  raison  ces  événemens  choqueraient  eet 
esprit  bienfait^  pour  lequel,  selon  de  Welte,  rinautlienlicilc  du  Penta- 
leuque est  de  prime-abord  chose  certaine,  attendu  que  ce  livre  raconte 
des  miracles  et  des  prophéties. 

»  Moise  dévoilé,  p.  9,  etc. 


'^♦^^90' 


HISTOIRE  DE  CALVLN-  373 


ijiôîoiic. 


mSTOIUi:  DE  LA  VIE,  DES  OUVIVAGES  ET  DES  D0€- 
TllINES  DE  CALVIX,  par  M.  AUDT-V,  auteur  de  V Histoire  de 
Luther'. 

I/histo";re  de  Liithei'  est  entrelacée,  pour  ainsi  dire,  dans  les 
mille  détails  de  l'hisloirc  d'Allemagne  au  16^  siècle,  laquelle  est 
peu  familière  au  plus  grand  nombre  des  lecteurs.  Au  contraire, 
quoiqu'une  ville  étrangère  ait  été  le  principal  théâtre  des  actes 
de  Calvin,  la  vie  de  ce  sectaire  appartient  à  l'histoire  de  France. 
Jean  Cauvin  ,  ou  Calvin,  est  né  en  France.  C'est  même  à  Paris 
qu'il  a  fait  ses  premières  éludes  ,  formé  ses  premières  liaisons, 
prononcé  ses  premiers  discours ,  imprimé  son  premier  ouvrage. 
Triste  honneur  pour  Paris  et  pour  la  France  !  Lorsqu'à  l'âge  de 
25  ans  Calvin  fut  obligé  de  quitter  Paris,  il  avait  déjà  donné  des 
preuves  non  équivoques  de  l'aridité  de  son  cœur  et  de  la  bassesse 
de  son  caractère.  Il  avait  vu  sans  sourciller  son  vieux  père  mou- 
rir dans  ses  bras  ;  il  avait  porté  en  France  les  premiers  coups  à 
celte  Eglise  qui  l'avait  nourri,  qui  le  nourrissait  encore ,  car  l'âme 
peu  délicate  de  Calvin  ne  se  fit  aucun  scrupule  de  garder  les 
deux  bénéfices  qui  le  faisaient  vivre,  lorsque  déjà  depuis  long- 
tems  il  travaillait  à  détruire  celte  religion  qui  lui  avait  libérale- 
ment octroyé  ces  honorables  moyens  d'existence. 

«  Notre  idée,  dit  M-  Audin ,  a  été,  dans  V Histoire  de  Luther , 
de  réhabiliter  la  mémoire  des  intelligences  qui  se  vouèrent  à  la 
défense  de  l'autorité.  Nous  avons  voulu ,  dans  la  biographie  de 
Calvin ,  prouver  que  le  réfugié  de  Noyon  fut  funeste  à  la  civili  • 
satiou,  à  l'art,  aux  libertés.  »  La  thèse  contraire  compte  tout  na- 
turellement Calvin  lui-même  au  nombre  de  ses  défenseurs.   A 


*  Paris,  i84i,  i  vol.  in-8;  Chez  Maison,'quai  des  Augustins,  29. 
me  SÉRIE.  TOME  VI.  -—  N»  35.  1842.  24 


3T4  HISTOIRE    DE    LA    VIE 

peine  installé  à  Genève ,  le  sectaire  se  met  à  écrire  contre  la  pa- 
pauté, et  chemin  faisant,  accuse  la  France  de  marcher  dans  de 
doubles  ténèbres  ;  il  calomnie  tout  ensemble  l'intelligence  et  la 
foi  de  son  pays.  Double  mensonge  que  M.  Audin  n'a  pas  de 
peine  à  réduire  au  néant  !  Il  lui  suffit  d'analyser  en  quelques 
lignes  les  merveilleux  développemens  que  prirent ,  sous  le  règne 
de  François  P"^,  à  l'ombre  du  catholicisme,  les  sciences,  les  lettres 
et  les  arts.  Le  lecteur  ,  après  ce  brillant  chapitre,  ne  peut  que 
partager  le  dédain  avec  lequel  M.  Audin  s'écrie  en  parlant  du 
réformateur  :  «  Laissons-le  donc  s'épanouir  dans  son  orgueil,  se 
»  comparer  au  soleil ,  s'applaudir  d'avoir  apporté  la  lumière  et 
»  la  vérité  à  son  pays.  Nous  croyons  que  Budé,  Danès,  Jean  du 
»  Bellay ,  Valable  et  tous  ces  flots  de  Grecs  et  d'Italiens  qui 
»  viennent  se  mêler  à  la  'population  parisienne ,  à  la  voix  du 
»  grand  roi,  sont  de  glorieux  représentans  des  lettres  humaines  ; 
•  que  Sadolet,  Nicolaï  ,  Jérôme  Porcher,  Petit,  Guillaume  Pélis- 
»  sier,  Briçonnet,  l'honneur  de  l'épiscopat  français,  ont  enseigné 
»  et  pratiqué  l'évangile  ;  que  la  réforme  ,  dans  la  personne  de 
»  Calvin,  n'a  pas  plus  trouvé  la  lumière  que  la  vérité,  l'une  et 
»  l'autre  patrimoine  de  la  France  quand  il  rêva  de  refaire  Lu- 
»  ther  et  de  convertir  François  P'  en  lui  dédiant  son  livre  de 
»  V Institution.  « 

Le  livre  de  VInstitution  chrétienne  ,  voilà  le  chef-d'œuvre, 
l'évangile  du  Réformateur  I  Le  mérite  littéraire  de  l'ouvrage  est 
incontestable.  On  est  émerveillé ,  en  lisant  la  dédicace  à  Fran- 
çois I"  et  quelques-uns  des  chapitres  de  ce  traité ,  de  voir  avec 
quelle  docilité  le  signe  matériel  obéit  aux  caprices  de  l'écrivain. 
Jamais  le  mot  propre  ne  lui  fait  défaut  ;  il  l'appelle  et  il  vient. 
Un  parfum  d'antiquité  respire  aussi  dans  le  style  du  livre,  et  l'on 
pourrait  à  chaque  phrase  signaler  les  modèles  qu'a  le  plus  assi- 
dûment étudiés  l'auteur.  Enfin  une  longue  pratique  de  droit  ro- 
main lui  a  fourni  des  formes  de  langage  sévères  ,  une  expression 
claire  et  précise,  mais  trop  souvent  sèche  et  aride. 

Considéré  en  elle-même  et  par  rapport  au  but  que  se  proposait 
Calvin  en  la  publiant,  VInstitution  chrétienne  est  un  livre  détes- 
table. Calvin  projetait,  du  moins  c'est  l'opinion  de  son  biographe, 


ET   Dli6  DOCTPJNES    DE    CALVIN.  375 

de  convertir  François  ^' au  protestantisme.  Il  fallait  donc  pré- 
senter à  ce  prince  un  symbole  des  principaux  articles  de  la  nou- 
velle foi.  Or,  le  protestantisme  comptait  iléjà  presque  autant  de 
tormulaires  de  croyance  qu'il  avait  de  prédicaieurs  distingués. 
Ce  fut  pour  remédier  à  cette  diversité  funeste,  pour  donner  à  la 
reforme,  comme  dit  M.  Audin,  un  corps  et  une  àniC;  que  Calvin 
composa  son  livre  de  Y  Institution.  Mais  il  ne  fit  qu'ajouter  une 
pierre  à  cette  nouvelle  Babel  qui  s'élevait  contre  l'Église  sur  le 
sol  de  TAllemagne.  Au  lieu  de  concilier  les  opinions  diverses,  il 
les  condamna  toutes.  Il  se  mit  en  opposition  avecOsianderausujet 
de  la  justification  ;  avec  Mélanchthon ,  en  écrivant  que  le  pape 
était  Tanté-christ  en  chair  et  en  os  ;  avec  Luther,  qu'il  appelait 
pourtant  d'un  ton  hypocrite  son  père  en  J.-C,  par  son  absurde  sys- 
tème du  symbolisme  eucharistique  '.  Le  chef  de  la  réforme,  qui 
croyait  à  la  présence  réelle  et  ne  se  piquait  pas  d'une  grande  me- 
sure dans  les  discussions,  répondait  à  la  nouvelle  interprétation 
de  l'eucharistie  :  «  Imbécille ,  qui  n'as  jamais  rien  entendu  aux 
»  écritures  :  si  tu  comprenais  le  grec  ,  le  texte  t'aveuglerait,  te 
»  sauterait  aux  yeux^  lis  donc ,  niais  ;  en  vertu  de  mon  titre  de 
»  docteur  je  te  dis  que  tu  n'es  qu'on  âne.  '>  C'était  à  table  et  le 
verre  à  la  main  que  le  colérique  docteur  fulminait  cette  rude 
apostrophe  ,  mais  il  aurait  tout  aussi  bien  pu  la  prononcer  à  jeun 
et  de  sens  rassis.  Calvin  venait  en  effet  de  se  présenter  au  monde 
comme  un  envoyé  de  Ditu.  Or,  si  Calvin  avait  pour  lui  la  vérité, 
Bucer,  Zwingle  ,  OEcolampade  ,  Mélanchthon  ,  Luther  lui-même 
n'étaient  plus  que  des  imposteurs  dont  il  fallait  brûler  les  livres 
et  fouler  aux  pieds  la  doctrine.  Mais  où  étaient  les  preuves  de  la 
mission  de  Calvin?  Ici  il  fallait  bien  le  croire  sur  parole  comme 
les  autres  réformateurs,  car  tout  en  reprochant  aux  prêtres  ca- 
tholiques de  ne  plus  faire  de  miracles,  Calvin  trouvait  fort  dérai- 
sonnable qu'on  lui  en  demandât  à  lui-même.  Il  est  vrai  qu'il 


'  Un  livre  écrit  par  un  protestant  allemand  contre  le  symbole  eucha- 
ristique de  Calvin  est  intitulé:  /fbsurda  absurdonim,  abâurdissima 
calvimstica  absurda. 


376  HISTOIRE   DE    LV    VJE 

présentait  sa  doctrine  comme  celle  des  Irénée,  des  Pothin^  des 
Augustin,  des  Cypiien,  de  nos  principaux  Pères.  Sachons-lui  gré 
de  cette  imposture  ,  facile  à  dévoiler  du  reste  ;  grâce  à  elle,  les 
gloires  du  catholicisme  furent  un  instant  vengées  des  outrages  de 
Luther. 

Après  avoir  puhlié  à  Bàle  une  édition  latine  de  son  Institution, 
Calvin,  vers  la  fin  de  mars  1536,  alla  passer  quelque  tems  en 
Italie  près  de  la  duchesse  de  Ferrare  ,  avec  laquelle  il  entretint 
depuis  une  correspondance  suivie.  De  là  il  revint  en  France,  à 
Noyon,  mit  promptement  ordre  à  ses  affaires  de  famille,  et, 
accompagné  de  son  frère  Antoine ,  prit  la  route  de  Genève.  Et 
qu'on  ne  s'imagine  pas  que  le  fils  du  scribe  de  jVoyon  ait  été  le 
Messie  des  Genevois  ^  Genève  était  pleinement  réformée  lorsque 
Calvin  y  mit  les  pieds  pour  la  première  fois.  La  constitution  de 
cette  ville  célèbre,  au  commencement  du  16'  siècle,  était  analogue 
à  celle  de  plusieurs  villes  françaises  au  moyen-âge.  Tous  les 
intérêts  de  la  cité  étaient  administrés  par  un  conseil  de  bourgeois. 
La  haute  justice  appartenait  au  prince  évéque,  lequel  réunissait 
en  lui  le  domaine  temporel  avec  l'autorité  spirituelle.  Entre  ces 
deux  pouvoirs  s'en  était  glissé  par  surprise  un  troisième,  qui, 
flattant  et  menaçant  tour  à  tour  les  deux  premiers,  essayait  de 
s'agrandir  tantôt  au  préjudice  de  l'un,  tantôt  aux  dépens  de 
l'autre.  Nous  voulons  parler  des  ducs  de  Savoie.  Leurs  efforts 
échouèrent  longtems  contre  la  résistance  des  patriotes  genevois. 
Mais  lorsque  Léon  X  eut  imposé  à  Genève  un  évèque  de  la  mai- 
son de  Savoie  ,  les  chances  devinrent  inégales.  Les  patriotes  ou, 
commeils  se  nommaient  eux-mêmes,  lesEidgenoss,  se  sentant  trop 
faibles  pour  résister  seuls  au  despotisme  que  l'Eglise  semblait  leur 
apporter  elle-même,  implorèrent  l'alliance  et  le  secours  de  Berne, 
ville  où  le  culte  catholique  était  déjà  complètement  aboli.  Berne 
ne  se  fit  point  priei*  ;  il  accourut  au  secours  de  Genève ,  avec  une 
puissante  armée,  qui  traînait  après  elle  des  canons  pour  réduire 
les  partisans  du  duc  de  Savoie,  et  Guillaume  Farel  pour  convertir 
les  catholiques. 

Farel  s'établit  à  Genève  vers  1530  avec  son  collègue  Pierre 
Yiret.  Si  l'on  veut  se  faire  une  idée  de  tous  les  maux  qu'il  y  a 


ET   DES    DOCTRINES    DE    CALVIN.  377 

fails  pendant  cinq  ans  ,  il  faut  lire  ce  naïf  et  touchant  récit  qui 
remplit  le  douzième  chapitre  du  1"  volume  de  M.  Audin,  écrit 
sous  le  coup  même  des  événemens  ,  par  une  sœur  religieuse  de 
Sainte-Claire ,  qui  en  fut  à  la  fois  le  témoin  et  la  victime.  Dé- 
pouiller les  églises  ,  expulser  les  prêtres,  démolir  les  couvens, 
battre  et  insulter  les  moines,  violer  les  religieuses,  tels  étaient  les 
passe-tems  journaliers  des  luthériens  qu'animaient  les  prédica- 
tions de  Farel.  Ce  sauvage  sectaire,  profondément  imbu  des  bar- 
bares théories  de  Caristadt,  s'était  mis  à  la  tête  d'une  bande 
d'iconoclastes  qui  déchirait  les  tableaux  ,  mutilait  les  statues, 
brûlait  les  livres  et  brisait  les  verrières.  Les  luthériens  n'arri- 
vèrent pas  à  ce  degré  d'audace  tout  d'un  coup ,  ni  sans  une 
vive  résistance  de  la  part  des  catholiques  genevois.  Mais  la 
défection  des  Eidgenoss  ne  tarda  pas  à  donner  la  prépondérance 
à  la  réforme  et  à  paralyser  complètement  les  derniers  efforts  du 
parti  catholique. 

Toutefois  les  violences  de  Farel  avaient  fini  par  détacher  de  lui 
jusqu'à  ses  plus  chauds  partisans ,  et  le  fougueux  pre'dicant  se 
voyait  contraint  de  songer  à  la  retraite,  lorsque  la  Providence  lui 
envoya  un  auxiliaire  inespéré  dans  la  personne  de  Calvin.  Olui- 
ci  se  rendait  à  Baie  au  mois  d'août  1536;  il  passa  par  Genève, 
comptant  y  rester  une  seule  nuit  et  repartir  le  lendemain  de 
grand  malin  pour  Baie.  Mais  reconnu  par  Farel  et  Viret,  il  fut 
assailli  par  eux  et  résista  vainement  à  leurs  instances  :  Farel, 
d'inspiration,  adjura  Calvin  au  nom  de  Dieu  de  rester  à  Genève 
et  appela  sur  sa  tête  ,  s'il  refusait,  les  malédictions  célestes. 
Calvin  se  rendit  à  ce  qu'il  crutètre  la  voix  de  Dieu. 

jNous  avons  tout  à  l'heure  fait  intervenir  la  Providence  dans 
les  combinaisons  de  faits  qui  amenèrent  Calvin  à  Genève.  C'est 
que  Calvin  fut  réellement  un  fléau  par  lequel  Dieu  voulut  punir 
l'ingratitude  des  Genevois  envers  leurs  évêques,  et  cette  facilité 
avec  laquelle  ils  avaient  préféré  à  la  foi  de  leurs  pères,  l'espoir 
de  la  liberté  politique.  Je  dis  l'espoir  de  la  liberté,  et  ce  n'est  pas 
sans  motifs.  Le  gouvernement  des  évêques  avait  été  presque  tou- 
jours marqué  par  une  douceur  paternelle.  Tous  ces  prélats,  depuis 
Adhémar  Fnbri  qui  rédigea  et  confirma  au  14*"  siècle  les  coutume^ 


378  HISTOIRE   DK    LA.    VIE 

de  la  cité ,  jusqu'au  dernier  d'enlre  eux,  Pierre  de  la  Baume,  quj 
s'iionorait  de  recevoir  des  lettres  de  bourgeoisie,  tous,  à  l'ex- 
ception d'un  seul  peut-êfre  ,  furent  les  défenseurs  des  privilèges 
et  des  libertés  de  la  ville.  C'étaient  eux  qui  prenaient  l'initiative 
de  toutes  les  mesures  libérales  ;  eux  qui  embellissaient  la  ville  de 
nouveaux  monumens,  ou  qui  ajoutaient  par  des  ornemens  nou- 
veaux à  l'éclat  des  anciens.  Satisfaits  de  leur  droit  de  justice,  ils 
laissaient  la  commune  s'administrer  à  sa  guise  ,  et  lorsqu'on  leur 
ayait  payé  la  dîme  on  était  en  paix  avec  eux. 

La  réforme  ,  au  contraire ,  venait  au  nom  de  la  liberté,  et 
l'arrogeant  la  mission  d'émanciper  les  peuples,  enfanta  le  plus 
atroce  despotisme.  Calvin ,  comme  tous  les  réformateurs,  avait 
érigé  en  principe  le  libre  examen  et  la  liberté  de  conscience  ;  et 
cependant  à  peine  établi  à  Genève  ,  il  en  fait  chasser  deux  ana- 
baptistes contre  lesquels  il  avait  discuté  sans  les  convaincre  ;  il 
fait  adopter  un  formulaire  en  21  articles  qui,  grâce  à  lui,  devient 
loi  de  l'État,  et  qu'on  est  obligé  de  jurer  si  l'on  veut  garder  le 
titre  et  les  droits  de  citoyen  de  Genève;  il  fait  afficher  le  jour  et 
l'heure  des  sermons  au  nom  de  l'autorité,  avec  injonction  d'y 
assister  sous  peine  d'amende  ;  il  persécute  un  vieux  catholique, 
membre  du  conseil,  qui  ,  sur  la  foi  de  la  liberté  de  conscience, 
passait  devant  son  ancienne  paroisse  sans  y  entrer  lorsque  Calvin 
y  était  en  chaire  ^  enfin,  pour  soumettre  à  sa  tyrannie  quelques 
esprits  indépendans  ,  il  leur  fait  donner  le  choix  entre  le  bannis- 
sement et  l'adoption  du  formulaire.  «  Ce  formulaire,  dit  avec 
raison  M.  Audiu  ,  était  un  double  scandale  :  scandale  contre  la 
logique,  en  ce  qu'il  substituait  à  la  parole  scripturaire  une  parole 
humaine  ,  douée  d'infaillibilité  en  vertu  de  son  incarnation  en 
Calvin  ;  scandale  contre  la  société  qu'il  bouleversait,  en  lui  ravis- 
sant la  liberté  de  conscience  qu'elle  avait  acquise  au  prix  de  sa 
part  de  sang.  » 

L'adoption  de  cette  profession  de  foi  par  le  conseil  de  la  répu- 
blique, l'obligation  qu'on  imposa  aux  citoyens  d'y  adhérer  avec 
serment,  fit  birnîôt  de  la  religion  une  affaire  d'État  et  delà 
discipline  religieuse  une  dis  attributions  du  pouvoir.  Et  comme 


ET    DES    DOCTRINES    DE    CALVIN.  379 

le  conseil  était  dominé  par  Calvin,  Genève,  quis*était  jeté  dans  la 
réforme  pour  assurer  sa  liberté  ,  se  trouva  tout  à  coup  enchaîné 
sous  une  espèce  de  despotisme  théocralique,  bien  moins  suppor- 
table que  le  joug  dont  il  avait  prétendu  s'affranchir.  Calvin  usa 
de  son  pouvoir  sans  frein  et  sans  mesure.  Lui  qui  enseignait  la 
jusiification  par  la  foi  sans  les  œuvres ,  se  prit  à  attacher  aux 
œuvres  une  importance  exagérée.  Une  jeune  mariée,  dont  les 
cheveux  parurent  arrangés  avec  coquetterie,  fut  emprisonnée  avec 
ses  deux  suivantes  et  la  femme  qui  l'avait  coiffée.  On  mit  au 
pilori  un  jeune  homme  convaincu  d'avoir  joué  aux  cartes.  Les 
Eidgenoss,  ou,  comme  les  appelait  le  réformateur,  les  Libertins, 
qui  se  réunissaient  le  soir  à  la  taverne  ,  regrettaient  le  passé  et 
prenaient  la  liberté  grande  de  tourner  Farel  et  Calvin  en  ridi- 
cule ,  furent  publiquement  insultés  en  chaire,  écartés  de  la 
table  sainte  ,  et  séparés  de  la  communion  des  fidèles. 

Tant  que  celte  excommunication  ne  frappa  que  des  individus 
isolés  ,  on  ne  s'en  émut  guère  ;  mais  voilà  qu'un  beau  jour  le 
conseil  veut  imposer  à  ses  pasteurs  certaines  décisions  d'un  sy- 
node tenu  à  Lausanne;  Calvin  et  Farel  résistent,  et  comme  ott 
prétend  les  contraindre,  ils  refusent  la  cène  en  public  à  la  popu- 
lation tout  entière  ;  le  conseil  prononça  aussitôt  contre  eux  une 
sentence  de  bannissement,  qui  reçut  ensuite,  à  deux  reprises  dif- 
férentes, la  sanction  solennelle  du  peuple.  Après  une  courte  ap- 
parition à  Berne,  d'où  il  fut  presque  chassé  par  Kuntzen,  Calvin  se 
rendit  à  Strasbourg,  où  il  se  maria  ,  et  prépara  une  nouvelle  édi- 
tion de  Y  Institution  ;  il  modifia  considérablement  cet  ouvrage,  qui, 
du  reste,  l'auteur  l'a  ingénument  avoué  lui-mênie,  subit  à  chaque 
édition  des  remaniemens  nouveaux  :  singulière  preuve  ,  que  la 
doctrine  contenue  dans  le  livre  procède  de  Timmuable  vérité  I  Cal- 
vin représenta  aussi  l'église  française  de  Strasbourg  aux  diètes  de 
Francfort,  Haguenau  ,  Worms  et  Ratisbonne  ;  mais  il  ne  joua 
dans  ces  assemblées  qu'un  rôle  secondaire ,  et  s'attira  même  le 
blâme  de  ses  amis  par  la  timide  réserve  avec  laquelle  il  exposa  sa 
doctrine  sur  la  présence  réelle.  «  C'est  (jue  cette  grande  organisa- 
tion, que  l'image  de  l'exil  n'avait  pu  faire  fléchir  à  Genève,  s'a- 
moindrissait en  face  des  représentans  de  l'Eglise  saxonne  ;  c'est 


'}80  llISTOinr.  DE  LA  VIE 

que,  semblable  ù  lous  les  autres  réformés,  Calvin  avait  peur  des 
colères  de  Luther.  » 

On  a  pu  voir  ,  en  effet^  que  la  doctrine  du  réformateur  suisse 
n'était  pas  toujours  conforme  à  celle  de  l'intolérant  moine  saxon. 
M.  Audin  a  consacré  plusieurs  chapitres  à  développer  les  prin- 
cipes de  Calvin,  tels  que  le  prédestinatianisme,  et  l'aciion  de  Dieu 
dans  le  péché,  principes  bien  connus^  et  sur  lesquels  nous  croyons 
inutile  d'insister.  Nous  ferons  seulement  remarquer  qu'avec  son 
iiabileté  ordinaire  il  a  fait  fortement  ressortir  les  contradictions 
;»iui  existent  sur  divers  points  essentiels  entre  le  symbole  de  Cal- 
vin et   celui  de  ses  contemporains.   Bien  plus,  M.  Audin  nous  a 
montré  le  calvinisme  en  guerre  avec  lui-même  ,  et  h  doctrine  de 
son  chef  d'abord  contredite  formellement  par  lui,  combattue  en- 
suite par  des  théologiens  qui  s'honoraient  d'être  ses  disciples,  en- 
fin, reniée  en  partie  de  nos  jours  par  les  hommes  que  la  Suisse 
vénère  comme  les  plus  sages  et  les  plus  éclairés  entre  ses  pasteurs. 
L'ignorance  et  l'nnmoralité  des  ministres  qui  s'étaient  emparés 
de  la  chaire  à  Genève  après  le  départ  de  Calvin  ,  les  menées  des 
réfugiés  français,   dont  la  ville  était  remplie  ;  les  dissensions  in- 
testines et  l'ambition  de  Berne  ,  qui  menaçait  d'envahir  le  terri- 
toire genevois,  déterminèrent  le  rappel  de  Calvin.  Ce  fut  vers  la 
fin  de  1540,  après  un  exil  de  trois  années,  que  Calvin  rentra  dans 
Gerève,  pressé  par  les  sollicitations  du  grand  conseil.  Qu'on  se 
figure,  s'il  est  possible,  la  conduite  que  va  tenir  cet  esprit  vani- 
teux, irritable,  despote  ,  muni  d'un  pouvoir  sans  frein  et  sans 
contrôle,  animé  d'un  désir  de  vengeance,  nourri  depuis  si  long- 
tems,  et  cuirassé  contre  les  remords  et  la  pitié  par  Tillusion  de 
ses  propres  doctrines.  «Elevez^  dit  M.  Audin,  le  presdeslinatianisme 
»  dans  une  tète  royale  à  i'état  de  dogme,  transfiguration  établie 
»  pour  Calvin,  et  vous  pouvez  vous  attendre  au  plus  sanglant  des- 
»'  polisme;  tous  les  êtres  que  le  monarque  poussera  devant  lui  de 
»  son  sceptre  de  fer  ne  seront  plus  que  des  créatures  prédestinées 
»  à  l'esclavage.  Calvin  est  ce  monarqu- ,  moins  le  diadème  ,  mais 
»  avec  une  couronne  qu'il  doit  priier  lien  davantage  :  couronne 
»  de  vie  et  d'immortalité,  puisqu'elle  est  formée  de  paroles  même 
w  du  Clirist  et  de  ses  apôtres.  Cette  doctrine  désolante  est  la  clef 


ET    DES    DOCTRINES    DE   CALVIN.  381 

»  de  l'homme  intérieur,  quand  il  régnera  dans  la  vie  psycholo- 
»  gique  d'une  nation,  de  l'homme  politique  quand  il  gouverne 
»  le  monde  créé.  Vous  comprendrez  ainsi  Calvin  dans  ses  ihéo- 
»  ries  gouvernementales  et  dans  son  symbolisme  politique.  « 

Si,  mainlenanl,  nous  voulions  analyser  le  deuxième  volume 
de  la  Vie  de  Calvin^  qui  renferme  l'histoire  de  son  gouvernement 
théocratiqiie  à  Genève,  nous  dépasserions  de  beaucoup  les  bornes 
d'un  article  que  le  lecteur  trouvera  peut-être  déjà  trop  long. 
jNous  ne  mentionnerons  donc  que  pour  mémoire  les  calomnies  et 
les  persécutions  du  despote  contre  ceux  qu'il  flétrit  du  nom  de 
libertins  ;  la  prodigalité  avec  laquelle,  pour  affermir  son  pouvoir, 
il  distribue  à  ses  créatures  le  droit  de  bourgoisie  ;  les  tribulations 
de  la  famille  Favre  ;  la  honteuse  amende  honorable  de  Pierre 
Ameaux  ;  la  prison,  la  torture  et  l'exécution  de  Gruet  •  Castaliou , 
l'ancien  ami  de  Calvin,  exilé,  accusé  de  vol  par  le  réformateur,  et 
mourant  de  faim  et  de  misère;  Bolsec  emprisonné,  exilé,  persé- 
cuté, parce  qu'il  ne  partage  pas  toutes  les  opinions  du  despote; 
Yalenlin  Gentilis,  torturé  à  Genève,  décapité  à  Berne;  enfin, 
îMichel  Servet,  qui  finit  sur  un  bûcher  cette  lonsjue  et  doulou- 
reuse agonie  que  Calvin  lui  fit  subir  dans  les  prisons  de  Genève'. 
Mais  il  y  a  dans  l'ouvrage  de  M.  Audin  un  chapitre  que  nous 
voudrions  pouvoir  rapporter  tout  entier,  car  il  résume  d'une  ma- 
nière complète  l'esprit  de  la  législation  et  de  la  police  instituées 
par  Calviu  :  c'est  le  sixième  chapitre  du  second  volume  intitulé  : 
Calv>in  théocrate.  L'auteur  raconte  comment  Calvin  fut  conduit  à 
reviser  les  vieilles  constitutions  genevoises  ;  comment  il  y  entre- 
mêla ses  principes  réformateurs-,  comment,  enfin,  pour  la  partie 
civile,  cette  œuvre  fut  complétée  par  Colladon  ,  savant  jurisconsulte 
du  Berri,  venu  à  Genève  pour  embrasser  la  réforme.  «  On  croit 
»  lire,  continue  IM.  Audin,  en  parcourant  ce  code  politico-reli- 
»  gieux,  des  fragmens  d'une  œuvre  judaïque  retrouvée  après 
»»  quelques  milliers  d'années.  L'idolâtrie  elle  blasphème  sont  des 
))  crimes  capitaux  punis  de  la  peine  capitale;  on  n*entend,  on  ne 

'  M.  Audin  preuve  jusqu'à  l'évidence  que  Calvin  avait  résolu  longtems 
à  ravaiicp  de  se  défaire  de  Servet. 


382  HISTOIRF.  DF.    LA  VIE 

»  lit  qu'un  mot  :  Mort  !  —  Mort  à  tout  criminel  de  lèse-majest 
»  humaine  ;  —  mort  au  Gis  qui  frappe  ou  maudit  son  père  ;  — 
»  mort  à  Tadultère  ;  — mort  aux  héréiiques.  Et,  par  une  sanglante 
»  ironie,  toujours  le  nom  de  Dieu  revient  sur  les  lèvres  du  légis- 
»  lateur  :  c'est  toujours  cette  âme  froidement  cruelle  qui  exhor- 
»  tera  plus  tard  les  princes  d'Angleterre  à  faire  mourir  les  callio- 
»  liques.  L'histoire  de  Genève  pendant  vingt  ans,  à  partir  du  rappel 
»  de  Calvin,  est  un  drame  bourgeois,  où  la  pilié,  le  rire,  la  terreur, 
»  l'indignation  ,  les  larmes  ,  viennent  tour  à  tour  saisir  l'âme. 
»  A  chaque  pas  on  heurte  une  chaîne,  des  courroies,  un  poteau, 
»  des  tenailles  ,  de  la  poix  fondue,  du  feu  et  du  soufre  ;  du  sang, 
»  il  y  en  a  partout  ;  on  se  croit  dans  cette  cité  dolente  de  Dante, 
»  où  l'on  n'entend  résonner  que  des  soupirs,  des  géniisseraens  et 
>»  des  pleurs  : 

Quivi  sospiri,  pianti  e  alti  guai 
Risonavan'  per  laer  senza  stelle. 

»  Après  trois  siècles,  un  cri  de  réprobation  s'est  enfin  échappé 
d'une  poitrine  genevoise,  et  l'on  a  pu  lire  ,  dans  un  écrit  imprimé 
à  Genève  par  un  réformé,  cette  sentence  énergiquemenl  formu- 
lée :  «  Calvin  n  nversa  tout  ce  qu'il  y  avait  de  bon  et  d'honorable 
»  pour  l'humanité  dans  la  réformation  des  Genevois  et  établit  le 
»  règne  de  l'intolérance  la  plus  féroce,  des  superstitions  les  plus 
»  grossières,  des  dogmes  les  plus  impies.  Il  en  vint  à  bout  d'a- 
»  bord  par  astuce,  ensuite  par  force  ,  menaçant  le  conseil  lui- 
»  même  d'une  émeute  et  de  la  vengeance  de  tous  les  satellites 
»  dont  il  était  entouré  ,  quand  les  magistrats  voulaient  essayer 
»  de  faire  prévaloir  les  lois  contre  son  autorité  usurpée.  Qu'on 
»  l'admire  donc  comme  un  homme  adroit  et  profond  dans  le 
»  genre  de  tous  ces  petUs  tyranneaux  qui  ont  subjugué  des  répu- 
»  bliques  en  tant  de  pays  différons  ;  cela  doit  être  permis  aux 
»  âmes  faibles.  Il  fallait  du  sang  à  cette  âme  de  boue*.  » 


•  Galiffe,  Notices  généalogiques,  t.  m,  p.  21. 


ET  DES  DOCTRINES  DE  CALVIN.  383 

A  ce  jugement  d'un  calvinisle  une  plume  catholique  ne  sau- 
rait rien  ajouter. 

Dans  les  derniers  chapitres  de  l'ouvrage ,  M.  Audin  ,  après 
quelques  curieux  détails  sur  la  vie  intime  du  réformateur,  passe 
en  revue  quelques-uns  des  pamphlets  de  Calvin,  ceux  surtout  par 
lesquels  il  s'efforçait  de  propager  en  France  sa  pernicieuse  doc- 
trine. A  cette  occasion  on  ne  lira  pas  sans  intérêt  une  belle 
apologie  du  clergé  lyonnais ,  en  particulier  du  préchantre  ^  ou 
grand  chantre  de  l'église  de  Lyon  ,  Gabriel  de  Saconay ,  dont  le 
zèle  et  la  vigilance  excitèrent  la  bile  de  Calvin  et  lui  dictèrent  une 
diatribe  remplie  de  grossières  injures.  On  retrouve  dans  ce  cha- 
pitre le  souvenir  d'un  fait  que  M.  Audin  avait  déjà  consigné 
ailleurs  ,  et  qui  est  bien  propre  à  montrer  combien  l'esprit  de  la 
réforme  est  inférieur  à  celui  du  catholicisme.  En  1543  la  popu- 
lation de  Genève  était  décimée  par  la  peste.  Les  ministres  se 
présentèrent  au  conseil ,  reconnurent  qu'il  serait  de  leur  devoir 
d'aller  consoler  les  pestiférés  ;  mais  confessèrent  par  deux  fois 
qu'ils  n'en  avaient  pas  le  courage.  Le  conseil  résolut  qu'on 
prierait  Dieu  de  leur  donner  meilleure  constance  pour  l'avenir. 
Quanta  Calvin,  il  avait  eu  l'adresse  de  se  faire  ineltre  avant  tout 
hors  de  cause  ;  car  le  conseil  ,  en  ordonnant  que  h  s  ministres  se 
rassembleraient  pour  choisir  entre  eux  celui  qui  devrait  visiter 
les  hôpitaux  ,  disposa  que  de  celte  élection  serait  forclus  M.  Cal- 
vin, parce  que  l'on  en  avait  faute  pour  l'église.  A  Lyon,  au  con- 
traire ,  au  premier  mol  de  peste ,  tous  les  prêtres ,  malades, 
infirmes  même,  s'étaient  présentés  à  l'archevêque,  demandant 
à  porter  secours  à  leurs  frères  et  à  mourir  de  la  mort  du 
martyre  ,  si  Dieu  était  assez  bon  pour  couronner  leur  dé- 
vouement. 

V histoire  de  Calvin  inénie,  aussi  bien  que  celle  de  Luther, 
tous  les  encouragemens  dont  ces  deux  ouvrages  ont  été  l'objet 

»  M.  Andin  lui  donne  le  titre  de  precenteiiry  Je  crois  que  l'équivalent 
consacré  du  mot  latin  prœcento)-,  est  en  français  pvechantre.  Do  même 
il  fallait  appeler /^/Jawe,  et  non  pas  Fidonime,  le  vicedominiis  oi\  lieute- 
nant civil  do  l 'évoque  de  Genève. 


384  HISTOIRE    DE    LA.    VIE 

Ecrite  dans  un  excellent  esprit,  elle  produit  sur  l'ame  du  lecteur 
des  impressions  aussi  salutaires  que  profondes.  L'homme  le  plus 
indifférent,  s*il  lit  ce  livre  avec  un  esprit  dégap,é  de  toute  préven- 
tion ,  ne  pourra  que  prendre  en  piiié  la  doctrine  réformée,  si 
variable,  si  inconsistante,  si  peu  en  harmonie  avec  elle-même. 
Mais  il  éprouvera  des  mouvemens  de  haine  et  d'indignation  en 
étudiant  ce  théocrate  sans  entrailles,  qui,  partant  des  principes 
les  plus  libéraux ,  est  parvenu  à  étouffer  en  ses  mains  la  civili- 
sation ,  les  arts ,  la  liberté.  En  revanche  combien  la  doctrine 
immuable  du  catholicisme,  l'influence  salutaire  de  cette  religion 
sainte  sur  le  bien-être  des  peuples ,  son  action  sur  le  développe- 
ment des  lumières,  la  charité  qui  en  est  l'ame  et  la  vie,  ne 
doivent-elles  pas  gagner  dans  ce  parallèle  perpétuel  que  M  Au- 
din  a  maintenu  dans  tout  son  ouvrage  avec  autant  de  goût  que 
de  science  ? 

La  Fie  de  Calvin  est  un  ouvrage  de  longue  haleine  et  qui  sup- 
pose des  lectures  immenses.  L'auteur  a  épuisé  non-seulement 
les  documens  imprimés  français,  latins  et  allemands,  mais  encore 
ceux  qui  sont  restés  manuscrits  dans  la  poussière  des  biblio- 
thèques et  des  archives,  et  ces  derniers  lui  ont  même  fourni 
quelques  faits  nouveaux  qui  sont  du  plus  haut  intérêt.  Mais  s'il 
importe  de  recueillir  un  grand  nombre  de  faits,  il  n'est  pas 
moins  indispensable  de  les  ranger  avec  méthode.  Celle  qu'a  sui- 
vie M.  Audin  a  quelque  chose  de  saisissant,  de  dramatique, qui 
ne  laisse  jamais  languir  Tattenlion.  Par  exemple  ,  veut-il  exposer 
les  dogmes  de  Calvin  ?  il  ne  vient  pas  lui-même  dérouler  sous  les 
yeux  du  lecteur  un, long  chapitre  didactique  ;  mais  il  vous  intro- 
duit dans  un  cabaret  de  Strasbourg  ,  où,  au  milieu  des  pots,  un 
disciple  de  Calvin  se  défend  contre  les  attaques  subtiles  de  Gé- 
rard Raufmann,  ancien  sacristain  de  Saint-Pierre,  et  maintenant 
gardien  du  cimetière  de  la  ville.  Ailleurs  c'est  un  vénérable  re- 
ligieux, le  P.  Aihanasius,  demeurant  à  Slanzad  ,  dans  Fancienne 
habitation  du  bienheureux  Nicolas  de  Flue  ,  qui,  à  propos  du 
catéchisme  dont  il  vient  d'adresser  les  questions  à  de  pauvres  pe- 
tits enfaiis,  cite,  avec  une  inépuisable  richesse  de  mémoire, 
toutes  les   contradictions  dogmatiques  des  coryphées  de  la  ré- 


ET  DES  DOCTKlI\Eà  DE  CALVIIV.  385 

forme  ,  et  démontre  par  là  l'impossibilité  où  ils  sont  de  donner 
un  catéchisme  à  leurs  sectateurs. 

Lorsqu'une  digression  intéressante  ou  instructive  se  présente 
sous  la  plume  de  M.  Audin,  il  se  garde  bien  de  la  laisser  échap- 
per. C'est  ainsi  qu'à  propos  des  études  de  Calvin  à  l'Université 
de  Paris  il  a  initié  ses  lecteurs  à  la  vie  turbulente  des  écoliers  du 
16e  siècle  et  noté  les  privilèges  exorbitans  dont  ils  jouissaient 
dans  presque  toutes  les  universités.  Plus  tard  ,  la  lutte  de  Calvin 
avec  les  libertins  de  Genève  lui  donne  l'occasion  d'esquisser  les 
mœurs  de  la  bourgeoisie  dans  les  grandes  villes,  et  ce  tableau 
n'est  pas  un  des  moins  intéressans  au  milieu  d'une  foule  d'autres 
que  renferme  l'ouvrage.  Les  amis,  les  victimes  et  les  adversaires 
de  Calvin  ont  été  soigneusement  étudiés  par  l'historien,  qui  trace 
leur  portrait,  raconte  leur  vie ,  fait  connaître  leur  esprit,  leurs 
mœurs,  leur  caractère  ,  analyse  leurs  écrits,  apprécie  enfin  l'in- 
fluence bonne  ou  mauvaise  qu'ils  ont  exercée  sur  leurs  contempo- 
rains. Ainsi  Farel ,  Viret,  Bucer,  Zwingli,  Bèze,  Castalion, 
Occhino,  Gentilis,  Bolsec,  Servet  ;  et  parmi  les  catholiques,  Ga- 
briel de  Jaconna  y  et  Sadolet,  seront  presqu'aussi  bien  connus  que 
Calvin  à  celui  qui  aura  lu  avec  attention  les  deux  volumes  dont 
nous  venons  de  rendre  compte.  De  plus,  ces  nombreux  portraits 
jettent  de  la  variété  dans  l'ouvrage,  soutiennent  l'intérêt  en  le 
partageant  sur  divers  sujets,  et  servent  encore,  chacun  d'une 
manière  différente,  à  faire  ressortir  la  figure  principale. 

Le  style  du  livre  mérite  aussi  des  éloges,  mais  donne  lieu  ce- 
pendant à  quelques  observations  critiques.  Nous  pensons  que 
M.  Audin  écrit  trop  à  la  hâte,  et  ne  revoit  pas  avec  assez  de  soin 
ce  qu'il  a  écrit.  Delà  une  foule  de  locutions  impropres.  Ainsi 
(t.  I,  p.  408):  une  parole  teinte  au  souffle  de  Luther  et  de 
Zwingli;  plus  loin  (p.  5o4),  les  ministres  découragés  demandé- 
renl  leur  démission;  il  fallait  écrire  donnèrent  ou  offrirent.  Sou- 
vent ces  négligences  deviennent  de  véritables  contre-sens.  Ainsi 
on  ne  lit  pas  sans  étonnement,  à  la  page  31  du  second  volume, 
que,  d'après  les  réglemens  de  Calvin,  l'habitant  de  la  campagne 
qui  n'assistait  pas  à  la  messe  payait  3  sous  d'amende.  Souvent 
ces  fautes  sont  du  fait  de  Timprimeur  ;  mais  l'auteur  qui  revoit, 


386  HISTOIRE  DE  LA  VIE  DE  CALVliN. 

OU  qui  du  moins  est  censé  revoir  ses  épreuves  ,  n'est  pas  à  l'abri 
de  tout  reproche.  On  lit  p.  45  du  tome  II  :  ««  Comme  il  y  a  dans 
«  rhomrae  deux  élémens  ,  l'esprit  et  la  matière  ;  ainsi ,  dans  le 
«  monde,  deux  pouvoirs,  l'un  qui  régit /a  nature^  l'autre  l'esprit.» 
La  nature  est  évidemment  mis  ici  pour  la  matière.  Ces  fautes  sont 
nombreuses  dans  le  texte  ;  mais  elles  abondent  surtout  dans  les 
notes.  Il  n'y  a  peut-être  pas  ,  dans  les  deux  volumes,  trois  pas- 
sages latins  sur  dix  qui  soient  exempts  de  fautes  d'impression. 
J'insiste  sur  cette  observation,  parce  qu'elle  est  également  appli- 
cable à  la  deuxième  édition  de  V Histoire  de  Luther.  La  bulle  qui, 
dans  cet  ouvrage  ,  occupe  le  premier  rang  parmi  les  pièces  justi- 
ficatives fourmille  d'erreurs  typographiques.  La  première  phrase 
en  est  inintelligible,  parce  qu'on  a  imprimé  inter  nostra  kujus 
sœculi ,  sans  doute  au  lieu  de  inter  monstra.  Les  ouvrages  de 
M.  Audin  étant  destinés,  dans  mon  opinion,  à  avoir  un  grand 
nombre  d'éditions  j'ai  jugé  utile  de  signaler  les  légères  imper- 
fections qui  font  tâche  sur  les  premières  ;  trop  heureux  si  par-là 
je  contribuais  en  quelque  chose  à  rendre  plus  parfaites  les  édi- 
tions à  venir. 

H.  GÉRAUD. 


►^co^o  on 


EXPLICATION    DU    MOT    SYMBOLE.  387 

NOUVELLE  EXPLICATION  DU  MOT  SYMBOLE. 


Saiut-BrissoD  le  1 4  septembre  1842. 
Monsieur, 

L'intérêt  avec  lequel  je  lis  vos  annales,  auxquelles  vous  avez 
bien  voulu  m'associer  comme  collaborateur,  m'excusera  ,  je  Tes- 
père,  si  je  me  permets  de  vous  adresser  quelques  observations  sur 
le  deuxième  article  d(i  cahier  du  mois  d'août  :  Les  livres  de  V An- 
cien-Testament contiennent-ils  des  m;}  thés?  L'auteur  m'en  paraît 
très  au  fait  des  idées  germaniques  sur  les  mythes  dont  il  se  pro- 
pose de  faire  voir  la  déraison.  Il  cite  un  grand  nombre  d'ouvrages 
en  langue  allemande  sur  ce  sujet,  mais  la  partie  faible  de  cette 
intéressante  dissertation  est  celle  empruntée  à  l'antiquité  même. 
Sa  définition  du  [j^uOoç  est  exacte,  quoiqu'il  eût  pu  y  ajouter  quel- 
que chose  ;  mais  lorsqu'il  vient  au  Symbole,  il  me  semble  qu'il  a 
complètement  erré,  et  n'en  a  pas  connu  la  valeur.  Citons  : 

a  Le  symbole^  dit  M.  Eugène  Mussard,  n'est  pas  le  mythe  ; 
»  tous  deux,  il  est  vrai,  sont  destinés  à  rendre  une  idée,  à  exposer 
»  une  vérité  d'un  ordre  un  peu  élevé  ,  par  le  moyen  d'un  inter- 
»  médiaire,  qui  la  fasse  mieux  sentir  que  si  elle  demeurait  sous  sa 
»  forme  abstraite;  mais  dans  le  symbole,  cet  intermédiaire  est  un 
»  signe  appréciable  à  l'œil  :  dans  le  mythe ,  c'est  le  langage.  Le 
»>  premier  emploie  une  démonstration  matérielle,  un  objet  de  la 
»  nature,  par  exemple,  ou  une  action;  le  second  se  sert  d'une  dé- 
»»  monstration  orale,  d'un  récit.  Les  sacremens,  ces  signes  visibles 
0  d'une  grâce  invisible,  comme  les  définissait  saint  Augustin,  sont 
»  des  symboles  et  non  pas  des  mythes;  d'ailleurs,  les  uns  et  les 
»  autres  étaient  également  en  usage  dans  les  premiers  siècles 
»  du  monde,  et  également  propres  à  agir  sur  l'intelligence 
»  d'hommss  grossiers,  et  peu  faits  au  raisonnement.  » 


388  ISOUVELLE    EXPLICATION 

J'ignoie,  Monsieur,  si  vous  avez  parfaitement  compris  celle 
définition  du  Symbole  :  quant  à  moi,  le  peu  que  j'en  comprends 
me  semble  entièrement  erroné,  et  cependant,  je  me  suis  ap- 
pliqué à  étudier  cette  matière ,  qui  occupe  une  t^i'ande  place 
dans  mon  Essai  sur  le  poljlhéisme,  où  j'ai  longuement  de'fini  le 
symbole  avant  de  réfuter  les  doctrines  de  l'école  allemande  de 
M.  Creuzer.  Il  est  évident  que  l'auteur  de  l'article  ne  connaît 
pas  mon  ouvrage;  mais  vous.  Monsieur  ,  à  qui  j'ai  eu  l'honneur 
d'en  faire  hommage,  si  vous  aviez  jeté  les  yeux  dessus  ,  vous  au- 
riez pu  l'indiquera  l'auteur  de  cet  article  à  telle  fin  que  de  raison  \ 
et  s'il  l'avait  lu,  peut-être  aurait-il  trouvé  à  changer  quelque 
chose  à  ce  que  je  viens  de  citer  de  lui. 

«  Le  symbole,  dit  31.  Eugène  Mussard,  n'est  pas  le  mythe  ». 
Il  n'était  pas  besoin  de  citer  cette  autorité,  que  j'ai  le  malheur  de 
ne  pas  connaître,  pour  nous  dire  ce  qui  n'est  pas  le  symbole.  Je 
Me  sais  pas  si,  par  suite,  M.  Eugène  Mussard  dit  ce  que  c'est,  et 
s'il  est  d'accord  avec  M.  de  C.  :  mais  ne  nous  occupons  que  de  ce 
dernier  ^ . 

Le  mythe  n'est  autre  chose  que  le  discours  dans  son  acception 
première  :  àîTÀouç  ô  ;jLu6oç  ttJ!;  àX7/Jî(a<;  e^p/pDans  l'acception  plus 
récente,  c'est  un  discours  relatif  à  la  religion. 

Le  symbole  est  tout  autre  chose  ;  c'est  un  signe  (;r,;jL£tov, 
signe  conventionnel,  xatTa  c'jv6-/i/.r,v,  dépendant  de  notre  libre  ar- 
bitre, io  VjijLÎv  :  telle  est  la  définition  qu'en  donne  Ammonius  au 
début  de  son  Commentaire  sur  le  livre  de  V Interprétation  (I,  1) 
d'Aristote,  en  rendant  compte  de  ces  mots  :  scrri  alv  ouv  xà  Iv  t^ 
owv^  Twv  £V  Tvj  'l^'/r^  r.'xbr^ijA'Oiv  cuy.€o),a,  y.y.X  tcc  '■; o'JLoôu.vrji  7wv  £v  t^ 
9tovyi.  Le  symbole  est  un  signe  d'institution  et  non  de  nature  :  oj 
Gucci  âÀXà  Oî'cî'.. 

En  effet,  il  existe  des  signes  naturels  que  les  Grecs  nomment 
Tîxjx'/îpia  :  ceux-là  sont  unis  à  la  chose  qu'ils  signifient:  tous  les 

'  TSous  devons  faire  observer  ici  que  ce  ne  sont  pas  seuleraeut  ces 
mots,  mais  tout  l'alinéa  qui  est  emprunté  à  M.  Mussart;  c'est  donc  à  lui 
plus  qu'à  notre  rédacteur  que  s'adressent  les  rectifications  de  M.  Séguier. 

{Note  du  Directeur.) 


DU    MOT    SY.MIiOLK.  H8*) 

diagnostics  soiil  de  cette  espèce:  ils  ne  sont  point  symboles.  ï)ans 
l'opinion  d'Arislote  et  de  son  conunenlateur  ,  le  symbole  sciait 
d*iine  bien  plus  vaste  compichension  qu'il  ne  l'est  dans  l'usage; 
car  toutes  les  inventions  bumaines  en  feraient  partie.  On  ne  sau- 
rait cependant  contester  la  différence  qu'il  établit  entre  les  o'U- 
vres  de  la  nature  et  celle  du  génie  de  Tbomme  ;  mais  connue, 
dans  l'usage,  les  inventions  conventionnelles  se  sont  entées  Tune 
sur  l'autre,  ks  plus  nouvelles,  étant  plus  symboliques,  ont  fait 
attribuer  faussement  le  nom  de  naturelles  à  des  cboses  qui  sont 
clies-mèmes  d'institution.  Ce  terme,  !7jy.Ço>.ov,  a  en  grec  do  nom- 
breuses et  variées  significations,  mais  qui  toutes  entrent  dans  l'i- 
dée du  5/£r«e:  c'est  aussi  la  traduction  de  tous  les  lexicologistes  : 
<:û|/6oÀov  <7ri|/cïov.  Les  sacremens  portent  ce  nom,  comme  le  dit 
l'auteur  de  l'article;  c'est  l'eau  dans  le  Baptême,  le  pain  et  le  vin 
dans  l'Eucbaristie  :  Xpiç-rbî  £v  tt,  twv  txuar/ipiwv  -apacoaci  Àaoïov  tô 
C'juooXov  £1/;/  TouTo  ETTi  TQ  (jwy/i  aou  ;  c'est  aussi  ,  cbrétiennement 
parlant,  h  réunion  des  doqmes  qu'il  faut  croire  :  Sjmbolum,  om- 
nium credendoriun  ad  salutem  credenliiini  compcndiosa  colleclio  '. 
Ruffin  attribue  celte  dénomination  à  un  emploi  stratégique  du 
même  terme  :  IVe  qua  doli  suhrepllo  fiat,  sjinbola  discrela  duxsuis 
inUitibus  ivadit  quœ  latine  signa  vel  iiidicia  vocanlur ,  ut  si  forte 
occitrrerit  quis  de  qito  duhitalur ,  interrogalus  sy-mbolum  tiadat, 
si  silhostis  an  socius  '.  C'était  donc  le  mot  âJordre  des  Cbreliens  ; 
en  effet,  ce  mot  de  reconnaissance  des  armées  se  nommait  ainsi 
ou  ayvOr,[JLa.  i'JvO-/;;-/.a  ii-K  cr^iiiloy  xcA  sJa.êoAov ,  dit  le  sclioliasle  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze  ^  A  Albènes,on  appelait  ainsi  le  billet 
d'admission  aux  assemblées  du  peuple  ^.  C'était  le  gage  des  con- 
ventions: 'Âppaowv,   'Ev£/;jpov,  ii'j7r/-,aa  '  -apà  twv  Y,7.r.yhri  Av/^'oy-a'. 


'  Gerson,  De  arlicidisjidci. 
''  De  symbolo,  p.  i54,  du  Cyprieii  de  Fell. 
3  Steliteutic.,  p.  35^  édition  de  Éton. 

^  A'oir  Deniosthène,  Pro  coronâ,  p.  298.  —  Arislopliauc,  Ecclcsitu, 
V,  296. 

m  sûuiE.  TOME  VI.—  >'  35,  1842.  %y 


390         NOUVELLE   EXPLICATION    DU    310T    SYMBOLE. 

To  (TujxêoXoV  ,  soil  un  anneau  *  ;  c'était  un  traité  de  commerce  entre 
les  villes  *  ;  <7u|x6oXa  xàç  <7uv6r;xaç  âç  àv  àXX'/iXaiç  ai  ttoXsiç  ôc'fxevai  xaT- 
TWfii  Toîç  TtoXiTaiç  ;  les  questions  juridiques  qui  en  naissaient  :  at  oltzo 
cujjiêoXwv  Ôixai. 

En  voilà  assez  sur  un  mot  d'un  usage  si  varié  et  si  commun 
dans  la  langue  grecque  :  c'était  évidemment  le  point  de  départ  de 
l'explication  de  M.  de  Cauvigny  ;  tous  les  lexiques  l'auraient 
éclairé  là-dessus  :  Hesychius,  Suidas;  parmi  les  modernes  :  H. 
Estienne,Suicerus,Schleussner.  Le  symbole  est  un  5/g?ie, le  mythe 
un  discours,  un  récil.  Il  est  impossible  que  ces  idées  se  confon- 
dent, et  si  on  les  applique  à  une  même  chose,  c'est  sous  des  points 
de  vue  diiFérens. 

Il  n'est  pas  plus  exact  dans  la  définition  qu'il  donne  de  la  pa- 
rabole et  de  V allégorie. 

La  parabole,  7rapaSoX/i  ,  est  une  comparaison,  comme  le  mot  le 
dit,  et  rien  de  plus  d'abord,  puis  un  proverbe,  un  apologue,  etc.  ; 
la  comparaison  en  est  la  base.  "L'allégorie  est  une  métaphore 
continue  :  r  aXXo  txsv  vosï,  aXXo  cl  àyopôuci.  Rien  n'est  plus  symbo- 
lyque,  puisqu'elle  cache  sous  un  nom  différent  une  pensée  diffé- 
rente :  ces  notions  simples,  claires,  qui  remontent  à  la  source  des 
choses,  en  rendent  mieux  raison  que  de  verbeuses  expositions  qui 
n'ont  d'abord  pas  le  mérite  d'être  admises ,  et  qui  portent  dans 
l'esprit  plus  d'obscurité  que  de  clarté. 

Je  me  suis  permis,  Monsieur,  de  vous  adresser  ces  observations, 
parce  que  je  voyais  avec  peine  une  savante  et  intéressante  disser- 
tation défigurée  par  ces  légères  taches.  Je  n'ai  voulu  qu'être  utile 
à  M.  de  Cauvigny  ;  qu'il  fasse  donc  de  ces  notes  l'usage  qu'il 
voudra. 

Recevez,  Monsieur,  l'expression  réitérée  de  mon  entier  dévoue- 
ment. 

SÉGUIER,  marquis  de  Saint-Brisson, 

de  l'académie  des  Inscriptions. 

«  Hormipp.  cité  par  Pollux,  1.  ix ,  c.  6. 

,  Pline,  1.  xxxni,  c.  4,  n.  3  ,  ZJe  nominc  {anuli)  ambigi  vi(/cc„;  postea 
et  "VOiel  et  noslri  symbolum  {appellavctc). 
3  Harpocration. 


LE    NOM    DE    DIEL.  391 


SYNGLOSSE  DU  NOM  DE  DIEU, 

DANS  TOUTES  LES  LANGUES  CONiNUES. 


LANGUES  OCÉAINIENJVES. 


On  comprend  sous  le  nom  d'Océanie  les  îles  innombrables 
répandues  dans  le  Grand-Océan  ;  on  les  divise  communément  en 
Malaisie^  Micronésie^  Mélanaisie  et  Polj^nésie. 

I"  GROUPE.  —  Langues  de  la  Malaisie. 

Ce  groupe  renferme  les  iles  connues  autrefois  sous  le  nom 
d'Archipel  Indien;  plusieurs  d'entre  elles  ont  une  grande  éten- 
due, entre  aulres  Sumatra  et  Bornéo.  Quoique  cette  païuie  de 
rOcéanie  soit  depuis  longtems  connue  et  fréquentée  des  Euro- 
péens, on  a  en  général  assez  peu  de  données  sur  les  anciennes 
religions  de  ses  habitans  ;  cela  tient  principalement  à  ce  que  les 
musulmans  qui  ont  porté  l'islamisme  dans  ces  contrées,  se  sont 
efforcés  d'y  éteindre  tout  souvenir  du  culte  primitif  ;  les  mission- 
naires espagnols  ont  agi  à  peu  près  de  même  dans  les  archipels 
qu'ils  ont  convertis  au  christianisme.  A  une  époque  de  beaucoup 
antérieure,  la  plupart  de  ces  peuples  avaient  subi  l'influence 
brahmanique  et  bouddhique.  On  trouve  encore  dans  l'intérieur 
des  terres  des  peuplades  idolâtres  et  barbares,  mais  avec  lesquel- 
les on  a  eu  jusqu'à  présent  fort  peu  de  rapport. 

Comme  la  plus  grande  partie  de  l'Océanie  offre  aux  Européens 

'  Voir  le  6e  art.,  au  numéro  25  ci-dessus,  ;>.  i8. 


3'J2  m:  jnom  dl  Dit-u 

des   peuples  loul   nou  eaux  pour  eux,  nous  juindiojis  à  noire 
Sj^nglossc  un  léger  aperça  de  leur  religion. 

I.  Les  linbitans  de  l'archipel  Nicobar  ont  l'idée  de  Dieu,  d'un 
êlrc  supérieur  à  qui  ils  donnent  le  nom  de  Knallen. 

II.  Les  y/chinais,  un  des  quatre  peuples  qui  habitent  Sumatra, 
professent  le  mahométisme,  ainsi  que  les  deux  suivants }  en  con- 
séquence ils  appellent  Dieu  .<lllah  :  ce  nom  même  n'est  pas  in- 
connu aux  peuplades  payennes  répandues  dans  celte  grande  île. 

III.  Les  Lampoun  :  .4llah-Talla, 

IV.  Les  Rejaîig:  Oiila-Tallo ;  ce  vocable,  comme  le  précédent, 
n'est  autre  que  l'arabe  Juc>  M-,  allah-taala^  le  Dieu  très-haut. 

Y.  Les  Butta  habitent  aussi  Sumatra,  mais  ils  sont  plus  bar- 
bares que  les  preccdens  :  quoique  professant  le  paganisme,  ils 
reconnaisent  un  seul  Dieu  suprême  qu'ils  appellent  Z^fli^nart,  ou 
mieux  Dihata  ;  c'est  l'indien  Devata  ,  Dieu,  esprit  céleste;  afin 
de  le  distinguer  des  esprits  inférieurs  ,  ils  le  nomment  Dihata- 
A  si- A  si  1 . 

VI.  Les  Juv'dnais  oiit  quitté,  il  y  a  environ  trois  siècles,  le 
bouddhisme  pour  le  mahouiétisme,  ils  donnent  à  Dieu  des  noms 
tirés  de  l'indien,  de  l'arabe  et  du  basa-krama  j  ainsi  : 

V  JJé^d  j  le  céleste  ,  ou  Mahd-dét^d ,  \e  ^vanà  Dieu  ;  on  dit 
aussi  Dieîîg. 

2*  Déoutcij  c'est  le  sanscrit  déuata, 

3°  Allah-talla,  le  Dieu  très-haut. 

4°  Pangueran;  en  Basa-krama,  ce  mot  signifie  :  prince,  seigneur , 
Dieu;  il  correspond  au  mot  7'abb,  seigneur  des  arabes'. 

VII.  Les  insulaires  de  Bali  professent  presque  tous  le  brahma- 
nisme, très-peu  le  mahométisme;  on  les  entend  donner  indiffé- 
remment à  la  divinité  les  noms  de  De^'a,  Allah  et  Touhaiiy  ce 
dernier  est  le  mot  malais  Dieu  ou  Seigneur. 


*  Voir  JNI.  Marsden,  Hisi,  de  Sumatra.  —  Domeny  de  Rienzi,  Occ'auie, 
t,  I.  —  Aimai,  de  phil.,  t.  nr,  p.  76. 

^  Jounu  asial.,  juillet  1840,  p.  74.— Thunberg,  Foya^cs,  t.  i,  p.  45-2 
note  de  Langlés. 


DANS  TOUTF.?.  LP.S  fANCURS.  oO.'i 

VIlï.  Lesiiabilansde  raicliipel  dos  Molu.]itcs  .  ([ni  csl  sous  la 
tlominalion  hollandaise,  prolesseiU  un  malioniétisme,  mélan^jc' 
de  pratiques  de  l'ancienne  relic^ion  brahmanique.  Il  y  a  aussi 
beaucoup  de  chrétiens. 

IX.  Les  Macassarais  et  les  Boughis,  dans  l'ile  Cûlèbes,  sont 
musulmans  depuis  environ  deux  cents  ans  ;  antérieurement  ils 
professaient  une  espèce  de  sabéisnie,  rendant  leurs  hoinmajijes  au 
soleil  et  à  la  lune,  qu'ils  croyaient  éternels  comme  le  ciel,  et  leur 
sacrifiant  des  bœufs,  des  vaches  et  des  cabris.  Us  en  avaient  aussi 
les  ligures  dans  leurs  maisons,  et  se  prosternaient  devant  elles, 
lorsque  des  nuages  leur  dérobaient  l'objet  de  leur  vénération  *• 

X.  Les  HarfourSj  peuple  sauvage  de  la  même  île,  professent 
une  espèce  de  manichéisme,  rendant  de  préférence  un  culte  aux 
esprits  malfaisans. 

XL  Les  Dayasy  insulaires  de  Bornéo,  appellent  Dieu  Y  Ouvrier 
Ja  mo/?<ftf,  et  lui  donnent  le  noiw  àe  Diouat a  ou  Deoiiata,  qui 
rappelle  une  origine  indienne  ;  mais  ceux  qui  professent  le  ma- 
hométisme  le  nomment  Allah.  On  n'a  qu'une  connaissance  tort 
vague  des  autres  tribus  qui  habitent  cette  ile. 

XU.  Les  TagalaSj  habitans  de  l'ile  Lucon,  sont  chrétiens  de- 
puis près  de  trois  siècles,  ainsi  que  tous  les  autres  peuples  du 
vaste  archipel  des  Philippines.  On  n'a  rien  trouvé  jusqu'à  présent 
qui  puisse  jetter  du  jour  sur  leur  ancienne  religion  ;  quelques 
traditions  cependant,  conservées  dans  des  espèces  de  chansons, 
nous  apprennent  qu'ils  adoraient  un  Dieu  nommé  Barhala-J^Jay- 
Capal,  ou  Dieu  fabricateur  ;  ils  honoraient  aussi  des  divinités 
inférieures,  et  entremêlaient  leur  culte  d'un  grossier  fétichisme. 

XÏIL  Les  Bissayas,  autre  peuple  des  mêmes  îles,  nous  ont 
transmis  le  nom  de  D'wata ,  Dieu,  qui  accuse  une  origine  in- 
dienne. 

XIV.  A  Màindanao o\x  Magindano,  Dieu  est  appelé  JUa-Talla 
par  la  partie  mahomélane  de  l'île. 


Hist.  s,i-nt^iale  des  f^oyai(e<i.  l.  xxxi 


39/|  LE  NOM  DE  DIEU 

2^  GROUPE.  —  Langues  de  la  Micronésie. 

Ce  groupe,  situé  au  nord  de  l'Océanie,  est  ainsi  appelé'  parce 
que  les  îles  qui  le  composent  ont  toutes  fort  peu  d'e'tendue. 
•  XV.  Les  i^«nVzn7îat5  sont  actuellement  chrétiens;  mais  avant 
leur  conversion,  il  n'avaient,  d'après  le  témoignage  des  histo- 
riens S  aucune  idée  de  la  divinité,  point  de  temple,  point  de 
culte,  point  de  prêtres.  Cependant  ils  admettaient  l'immortalité 
de  l'âme  et  des  récompenses  et  des  peines  dans  l'autre  vie.  Ceux 
qui  mouraient  de  mort  violente  allaient  dans  l'enfer  ou  zazarra- 
gouan,  où  ils  étaient  tourmentés  par  le  Kaïfi  ou  mauvais  esprit  ; 
pour  jouir  du  Paradis  il  fallait  mourir  de  mort  naturelle.  Les 
Mariannais  donnaient  encore  aux  esprits  le  nom  à'aniti,  mais  ils 
n'avaient  point  de  mot  pour  exprimer  Dieu. 

XVI.  Les  Pelewiens  sont  encore  très-peu  connus  :  ils  professent 
le  plus  profond  respect  pour  l'être  puissant  qu'ils  appellent 
Yarris  *.  Mieux  inspirés  que  les  Mariannais,  ils  croient  que  le 
ciel  est  la  récompense  des  âmes  vertueuses,  tandis  que  celle  des 
méchans  resteront  sur  la  terre  pour  souffrir.  C'est  le  témoignage 
qu'en  rendit  Libou,  fils  du  roi  Abba-Thulle ,  lorsqu'il  vint  en 
Angleterre. 

XVn.  Les  Falanais  :  le  peu  de  de  connaissance  que,  jusqu'à 
présent,  les  voyageurs  ont  eu  de  leur  langue  ne  leur  a  pas  permis 
de  s'instruire  de  leur  religion  ;  d'après  Liitke,  navigateur  russe, 
ils  croient  à  l'immortalilé  de  l'âme  et  adorent  principalement 
Sitet-Nazuenziap^  qu'ils  paraissent  considérer  comme  l'auteur  de 
leur  race  et  leur  divinité. 

XVIIL  Les  Carolins  occidentaux  croient  aussi  à  une  autre  vie, 
où  les  bons  seront  récompensés  et  les  méchans  punis  ;  ils  vénè- 
rent les  esprits  et  ont  une  théogonie  fort  curieuse  qu'il  serait  in- 
téressant de  comparer  à  certaines  traditions  antiques.  Leur  grand 
Esprit  porte  le  nom  à'Eliulep. 

'  Voir  le  P.  LeGobien,  Hist.  des Mariannes^  Paris,  1701.-— LeP.  Mu- 
rillo  Velarcîe.  —  Don  Luis  de  ïorres. 

=*  Horace  Uolden,  A  nanatii^e  ofthe  shipwreck,  eic, 
'  Dumont  d'irrvilie,  Voyage  aufour  du  rnonde^  t.  n. 


DANS  TOUTES  LKS  LANGUES.  395 

XIX.  Iles  Marschnll:  Les  naturels  de  ce  groupe  adorent  un  Dieu 
invisible  qui  réside  dans  le  ciel  ;  ils  lui  présentent  des  offrandes 
de  fruits,  sans  temples  ni  prêtres.  Dans  leur  langue,  lagneach 
signifie  Dieu  '. 

XX.  Iles  loiili  :  voici  ce  que  rapporte  Choris  d'un  insulaire 
qui  s'était  volontairement  embarqué  dans  l'expe'dilion  de  Kolz- 
biie  :  «  Nous  avions  vainement  essayé,  pendant  plusieurs  se- 
»  maines,  de  demander  à  Kadou  ses  idées  sur  Dieu;  il  faisait 
>»  tous  ses  efforts  pour  nous  comprendre,  mais  inutilement. 
«  Enfin,  un  jour,  il  y  réussit;  son  visage  était  enflammé,  tout  son 
««  corps  tremblait,  v  Ah  I  s'écria- t-il,  vous  voulez  savoir  le  nom  de 
»  celui  que  nous  ne  voyons  ni  n'entendons  ;  (  en  même  tems  il 
»  se  bouchait  les  yeux  et  les  oreilles;  )  ««  Son  nom  est  Tautup.  Lui 
»  ayant  demandé  où  il  demeurait,  il  montra  le  ciel  *.  >» 

XXI.  Iles  Mulgrave  :  Les  habitans  connaissent  un  grand  Es- 
prit nommé  Kennit;  ils  semblent  le  craindre  plus  que  Taimer. 
Ils  admettent  aussi  des  esprits  inférieurs^. 

XXII.  Iles  basses  de  l'archipel  des  Carolines  :  Les  insulaires 
ont  une  grande  vénération  pour  les  esprits;  chaque  groupe  d'ilôts 
est  sous  la  dépendance  d'un  génie  nommé  Hanno  ou  Hannou- 
lappé^  qui  pourvoit  aux  besoins  des  habitans,  et  qui  est  lui- 
même  subordonné  à  un  être  qui  lui  est  infiniment  supérieur  *. 

3^  GROUPE  —  Langues  de  la  Mélanaisie. 

XXIII.  Les  Papous  donnent  à  Dieu  le  nom  de  Wat. 

XXV.  Les  habitans  de  la  Nouvelle- Irlande  adorent  des  idoles, 
leur  principale  porte  le  nom  de  Prapraghan;  chez  eux  le  mot 
Bakoni  signifie  Dieu  '. 

XXV.  Les  insulaires  de  Faigiou  sont  adonnés  au  fétichisme 


*  Dumont  d'Urville,  iùid.,  t.  u, 

*  D.  de  Rienzi,  Oce'anie,  tr  ii. 
3  D'Urville,  ibid. 

''  D.  de  Rienzi,  Océanie,  tu. 

^  Lesson,  Foyage  autour  du  inonde,  t.  ii. 


P»0()  T.l    NOM   DE  DlEl 

pur,  et  oiUt'levé  un  temple  à  leurs  dieux,  qui  paiaissent  être  nom- 
bieux  '.  Ceux  de  la  baie  iVOffach  ont  la  même  religion. 

XXVi.  Les  liabitans  de  V archipel  Salomon  sont  bvrés  à  une 
r',iossière  idolâtrie,  adorant  des  serpens,  des  crapauds  et  d'autres 
animaux. 

XXVII.  Les  l^anikoriens  expriment  Dieu  ])ar  le  mot  Atoua  , 
c|ui  appartient  au  système  polynésien;  du  leste,  ils  pratiquent  le 
fétichisme.  Les  Tikopiens  ont  le  même  culte,  et  donnent  à  Dieu 
le  même  nom. 

XXVIÏI.  Archipel  J^iti  ;  on  a  peu  de  données  sur  la  religion  de 
ce  peuple  :  on  sait  seulement  que  chez  eux  'Lan-Houalou  est  un 
Dieu  de  premier  ordre,  qui  habite  le  ciel  avec  les  divinités  infé- 
rieures. Il  paraît  cependant  qu'il  est  soumis  lui  même  à  Onden- 
Heï,  qui  a  créé  le  ciel,  la  terre  et  les  autres  dieux,  et  auquel  les 
urnes  des  hommes  vont  se  réunir  après  la  mort.  Il  n'y  a  point  d'i- 
mages pour  représenter  la  divinité; 

XXIX.  Les  ^z/50v//fV/?^,  ou  du  moins  quelques  tribus  de  la 
Nouvelle-Galles  du  sud,  croient  à  l'existence  d'un  bon  et  d'un 
mauvais  Esprit.  Le  bon  Esprit  s'appelle  Koyan. 

A"  GROUPE.  Lanoues  de  la  Potjntsie, 

XXX.  Celte  partie  de  l'Océanie  est  la  plus  orientale;  les  peu- 
ples qui  l'habitent  accusent  tous  une  origine  commune  et  parlent 
les  dialectes  de  la  même  langue,  c^uoique  parfois  éloignés  les  uns 
des  autres  de  douze  et  même  quinze  cents  lieues.  Bientôt  l'idolâ- 
trie aura  disparu  de  res  îles  nombreuses;  déjà  des  archipels  en- 
tiers sont  chrétiens,  nous  voudrions  pouvoir  ajouter  :  et  talho- 
liques. 

XXXI.  Iles  Hawaï;  quoique  les  habitans  de  ces  îles  adorassent 
des  idoles,  ainsi  que  tous  les  indicjènes  de  la  Polynésie,  ils  admet- 
taient tous  l'existence  d'un  être  supérieur,  spirituel,  invisible  et 
tout  puissant,  appelé  dans  leur  langue  Jkoua^  Dieu,  ou  NoiU- 
Alcoua^  le  grand  Dieu.  L'immortalité  de  l'àme ,  les  peines  et  les 

■  /</.,  ibid. 

'  D  II  ville,    ï  nY(t:]o  iiiitour  du  monde,  t.  n. 


D\>S  TOI  TES  r.rS  I.ANr.UES.  307 

iV'Compenses  dans  une  autre  vie  ,  riaient  des  dogmes  familiers  à 
toutes  ces  tril>us.  • 

XXXII.  Nouha-IIiva  ;  dans  la  langue  de  ces  insulaiies,  le  nom 
de  Dieu  est  Aloiia,  c'est  le  même  mot  qu'à  Hawaï,  quoique  dans 
ces  dernières  îles  l'articulation  ail  éié  modifiée,  suivant  le  génie 
de  la  langue. 

XXXIII.  Iles  Pomotouy  Dieu  est  nommé  Jtoua,  Etoua. 
XXXIY.  TaUl'y  cette  île,  qui  est  regardée  comme  la  métropole 

de  toute  la  Polynésie,  appelle  aussi  Dieu  Atoua.  Ce  mot,qui  pa- 
raît signifier  esprit  dans  la  langue  de  ces  peuples  est  sans  doute 
venu  de  l'indien  dé^>a ,  par  l'entremise  du  malai.  Les  premiers 
missionnaires  protestons  avaient  cru  reconnaître  chez  ces  peuples 
la  croyance  à  une  Trinité  qui  rappelait  le  dogme  chrétien;  et  qui 
se  composait  de  : 

Tane  te  Aladoua,  le  père  ; 

Oro^  MataoUj  aloua  tetamaïdi,  Dieu,  le  fils, 

Taaroa,  maiioii  to  hoa,,  l'oiseaii-esprit  '. 

Mais  M.  EUis  a  prouvé  que  cette  prétendue  découverte  éiait 
fondée  sur  une  interprétation  forcée  et  inadmissible. 

XXXV.  Archipel  Tongu  ;  les  habitans  de  ces  îles  comprennent 
leurs  divinités  sous  ce  nom  général  de  Hotoua  ,  qui  répond  à 
\ Atoua  des  Taitiens. 

XXXM.  Nouvelle-Zélande  ;  chez  ces  peuples  le  mot  Atoua 
s'applique  aussi  à  la  divinité  en  général  ;  le  mot  ff'aïdoua  désigne 
plus  spécialement  les  esprits  et  les  âmes;  ce  dernier  vocable  est 
prononcé  Eatoua  dans  les  autres  archipels  ;  il  a,  comme  on  le  voit, 
beaucoup  de  rapport  avec  le  nom  de  Dieu;  peut-être  en  est-il 
dérivé  !  —  On  demandait  un  jour  à  un  insulaire  comment  il  se 
figurait  Atoua  :  «  Comme  une  ombre  immortelle,  »  répondit-il. 
Un  autre,  à  qui  M.  d'Urville  adressait  la  même  question,  dit  : 
>«  C'est  un  esprit,  un  souffle  tout-puissant  \  »  D'après  M.  Les- 
son  ',  les  dieux    prmcipaux  de  la  Nouvelle-Zélande  seraient  : 

'  Voir  D.  d'Urville  et  Lesson,  Voyage  amour  du  monde, 
»  Voyage  autour  du  mofuk,  t.  ri. 
'  Vov.  t.  Il,  ]).  3(19. 


398  l^V.    NOM    DR    niEU 

Dieu  le  père,  nommé  Noui-Aloua^  Dieu  le  fils  et  Dieu  l'oiseau, 
ou  l'esprit,  Oui-doiia. 

XXXVII.  Ile  Rotowna  ;  ses  habitaiis  ont  des  idées  fort  super- 
ladelles  de  la  divinité  ;  ils  la  considèrent  comme  un  être  ou  génie 
suprême  qui  leur  donne  la  mort;  aussi  appellent-ils  la  mort 
atoua  ' . 

COINCLUSION. 

Nous  avons  réuni  les  noms  de  Dieu  dans  toutes  les  langues 
qu'il  nous  a  été  permis  de  compulser;  si  quelques-unes  ne  figu- 
rent pas  dans  les  tableaux  précédens ,  les  vocables  usités  dans  c€S 
dernièies  se  rattachent  pour  la  plupart  à  ceux  que  nous  avons 
fait  entrer  dans  cette  synglosse.  Dans  les  langues  bien  connues 
nous  avons  pu  remonter  à  l'étymologie  de  la  plus  grande  jjartie 
des  dénominations  en  usage  pour  exprimer  le  souverain  Etre  ; 
mais,  dans  les  idiomes  moins  étudiés,  nous  n'avons  pu  que  don-  . 
ner  purement  les  vocables,  en  attendant  que  les  progrès  de  la 
linguistique  aient  jeté  sur  eux  un  jour  ])lus  parfait. 

On  pourrait  actuellement  rédiger  des  tableaux  synoptiques 
d'un  autre  genre  et  d'une  méthode  plus  rationelle  ;  ce  serait  de 
prendre  chacun  des  termes  originaux  et  primitifs  dont  on  s'est 
servi  pour  peindre  la  divinité  par  h  parole,  et  de  suivre  la  filia- 
tion de  ces  termes ,  ou  des  idées  exprimées  par  eux  parmi  les 
différens  peuples.  Ainsi  nous  verrions  l'élément  indien  ,  sous  la 
formule  rZeV^ ,  se  répandre  du  côté  de  l'Occident  dans  l'Arie,  et 
de  là  jusqu'aux  extrémités  les  plus  reculées  de  l'Europe;  et  du 
côté  de  l'Orient  se  propager  d'ile  en  île  jusqu'aux  écueils  les  plus 
reculés  de  l'Océan  pacifique  ;  modifié  successivement  d'après  les 
articulations  propres  aux  différens  peuples.  D'autres  popula- 
tions, sans  avoir  adopté  le  vocable,  en  ont  conservé  lidée;  ainsi, 
la  signification  de  ciel ,  céleste j  habitant  du  ciel,  inhérente  aux 
termes  déuaj  dit^,  0£o;,  deiis,  etc.,  se  retrouve  dans  les  dénomina- 
tions en  usage  chez  un  grand  nond^re  de  tribus  de  l'Asie  et  de 
l'Afrique. 

•  Lesson,  t.  ii» 


DANS  TOUTES    LES    TANGUES.  399 

L'élément  arien  (ou  peut-éire  indien  encore),  sous  la  formule 
Khoda,  Golt^  God^  règne  surtout  dans  l'Iran,  et  est  devenue 
même  en  Europe  le  terme  usuel  pour  les  langues  d'origine  teuto- 
nique.  L'idée  qu'il  offre  [donné  de  soi-même)  est  bien  plus  noble 
et  bien  plus  digue  de  Dieu  que  celle  que  nous  fournit  la  formule 
dé  if  a. 

L'élément  El,  Allah  se  trouve  seulement  dans  les  langues 
dites  sémitiques ,  les  dialectes  abyssins  exceptés  j  et  l'idée  qu'il 
exprime  {Etre  adorable)  appavùent  bien  aux  peuples  qui  ont 
hérité  plus  directement  des  traditions  primitives  et  de  la  révéla- 
tion. Le  vocable  arien  est  plws  grandiose  peut-être  et  peint  plus 
fidèlement  l'essence  et  la  nature  du  Très-Haut  ;  mais  le  vocable 
sémitique  exprime  plus  heureusement  les  rapports  qui  doivent 
exister  entre  les  hommes  et  la  divinité. 

En  Amérique ,  on  voit  dans  la  plupart  des  langues  Dieu 
exprimé  par  l'idée  à^dme,  esprit,  génie  ^  ce  qui  exclut  tout  soup- 
çon d'un  Dieu  matériel,  chez  ces  peuples  considérés  naguères 
comme  les  plus  sauvages  du  globe  ;  aussi  Fadoration  des  idoles 
était-elle  bien  moins  fréquente  dans  le  nouveau  monde  que  dans 
l'ancien  continent. 

En  conséquence  de  nos  recherches,  il  est  donc  facile  de  se  con- 
vaincre, en  premier  lieu,  que  les  nombreux  vocables,  consacrés  à 
exprimer  la  divinité  dans  toutes  les  langues,  ne  sont  point  des  ar- 
ticulations arbitraires,  prises  au  hasard  et  vides  de  sens,  mais 
qu'ds  expriment  ou  l'essence  de  Dieu  même  ,  ou  du  moins  ses 
principaux  attributs;  en  second  lieu  ,  que  la  plupart  des  peuples, 
ont  conseivé,  malgré  les  ténèbres  de  l'idolâtrie  et  du  poly- 
théisme dans  lesquelles  plusieurs  d'entre  eux  étaient  plongés, 
une  idée  assez  exacte  du  souverain  Etre,  précieux  débiis  des  tra- 
ditions antiques  et  de  la  révélation  primitive.  Enfin ,  en  suivant 
attentivement  la  dérivation  et  l'analyse  de  ces  vocables  ,  nous 
sommes  ramenés  insensiblement  de  contrée  en  conirée  jusqu'à 
celte  ancienne  Arie ,  où  les  saints  livres  placent  l'origine  des 
hommes  et  des  choses. 


^^0  ].t:  NOH  Dr  Dini 

y\DDIT10NS  Kï  COIUIECTIO^S. 

Dans  un  travail  qui  quoique  bien  court  a  e.\Ir;c  tant  de  re- 
cherches, on  doit  s'attendre  à  trouver  quelques  erreurs,  surtout 
en  ce  qui  concerne  des  peuples  encore  peu  connus.  Souvent  il  a 
fallu  s'en  rapporter  à  des  voyageurs  qui ,  n'ayant  eu  que  de 
courtes  relations  avec  des  Iribus  dont  ils  n'entendaient  que  peu 
ou  point  la  langue,  n'ont  pu  nous  donner  que  des  idées  fort  va- 
gues, peut-être  même  erronées,  sur  leur  culte  et  leurs  croyances. 
Cependant,  comme  il  est  important  de  n'être  pas  induit  en  erreur 
dans  une  maiière  aussi  importante,  nous  croyons  devoir  consi- 
gner ici  quelques  additions  et  corrections  survenues  pendant 
l'impression. 

Asie,  n'^  XXyiI '.  Langue  Bhot  ou  du  Tibet:  nous  avons 
donné  le  mot  Sanghie  comme  pouvant  être  tiré  d'un  dialecte 
particulier,  mais  c'est  le  nom  tibétain  de  Bouddha  employé  pour 
exprimer  la  divinité  en  ge'néral  ;  il  doit  s'écrire  et  se  prononcer*' 

Idem,  n°  XXIX  ^  Langue  annamite  :  \o\q\  Us  locutions  em- 
ployées pour  rendre  le  nom  de  Dieu  ,  d'après  les  dictionnaires 
annamites  de  Mgr  Taberd  '. 

1^  Duc-chûa-lrùi ,  le  suprême  seigneur  du  ciel.  (La  dernière 
syllabe  est  prononcée  ùlùi  par  les  Tunquinois,  d'autres  pronon- 
cent tîbi). 

2°  Thien-chàa,  le  seigneur  du  ciel;  c'est  absolument  l'expres- 
sion chinoise  Thien-ickit. 

IV  Chûdtc,  le  gouverneur. 

4**  Thuong'Chûa,  le  souverain  seigneur. 

Idem,  n   XLIX  '.  En  arménien  \\uinntuje'  Jsdot'adz,  vient 

•  T.  m,  p.  356. 
^Ibid^ip.  35;. 

^  Dict.  annamitico-lalimmiy  e\  huino-anuamiticum,  Fredericnagori, 
vulgo  Serampore,  i858,  i  vol.  in-4°, 

*  T.  m,  p.  '|5<). 


i)A>s  toltj:s  Li:6  la-\gli:s.  'i\)\ 

piiniitlvcincnl  de  ruiicn  lezd ,  Dieu  ,  esprit,  pciùe  •  comme  le  ^ 
dz  tinal  se  clctlouble  en  ""'  sd.  Ce  mot  équivaut  à  Asdauls  asd 
on  azd,  composition  qui  donne  Deoriim  Dciis  ou  Icsdan  h-zd  '. 

Afrique.  N°  XY'.  En  Bcrhcrc^  le  deuxiènuî  vocable  est 
^  jT^  <>^^\  -/gitid  mokorn  ;  comparez  ce  mot  avec  la  dénomi- 
nation de  Dieu  d  ms  la  langue  Guanchc  ,  dial-  cte  Sliclluli  , 
M'koovii . 

Jinérique.  X^'  XLIX  à  LV  ^  Dans  les  langues  iroquoiscs  Dieu 
est  communément  appelé  ISiio  ;  daprcs  un  manuscrit  qui  m'a  été 
communiqué  d'Amérique  ,  les  Iroquois  n'ont  pas  dans  leur  lan- 
nue  de  mot  propre  pour  signifier  Dieu  :  JSiio  serait  un  terme  em- 
prunté au  français  suivant  le  génie  de  la  longue  irotjuoisc,  qui, 
manquant  de  la  consonne  d  et  de  la  voyelle  cm,  a  remplacé  la 
première  par  n  et  la  seconde  par  io.  î\Iais  on  se  sert  le  plus  sou- 
vent de  Bauenniio,  le  maître,  le  seigneur;  3'  personne  maicidîne 
du  verbe  Keoenniio^  être ,  maître ,  seigneur.  Noire  seigneur  se 
rend  par  SoiikoaoenniioK  Les  mots  fJouweneah,  Hausveneyou, 
J'cîvm/wyoM,  etc.,  des  peuples  congénères  viennent  sans  doute 
du  même  verbe,  modifié  suivant  les  dialectes  particuliers. 

L'abbé  BERTRAND, 
De  la  société  asiatique  de  Paris. 

'  Jown.  as'uil.,\\\\.v\  184 h  p.  652. 

'  T.  IV,  p.  i55. 

3  T.  IV,  p.  189. 

*  Le  signe  »  est  un  ancien  caractère  adopté  par  les  anciens  mission- 
naires et  conservé  jusqu'à  présent  paries  Iroquois,  pour  représenter  une 
articulation  propre  à  leur  langue  ;  elle  équivaut  A  ^^'  ou  à  uu  prononcé 
culturalement. 


402  NOUVELLES    KT    MELANGES. 


UoiiD^^Urs  ^t  ilUlauigcô 


EUROPE. 


FRANCE  PARIS.  —  ArriK^ce  de  .V.  Eugène  Bore  à  Fans.  H  est 
nomme  chevalier  de  la  Milice  dorée  de  Saint-Sylvestre.  —  Lettre  du 
cardinal  Fransoni.  —  Bref  de  Sa  Sainteté. — Nous  annoncions  dans 
notre  dernier  cahier  la  prochaine  arrivée  de  M.  Eugène  Bore  en  France. 
Ce  zélé  et  savant  cathohque  est ,  en  effet ,  arrivé  à  Paris.  Nous  Pavons 
vu  et  nous  espérons  qu'il  donnera  lui-même  dans  le  prochain  cahier 
quelques  travaux,  fruits  de  son  voyage;  en  attendant,  nos  lecteurs  Fironl 
avec  plaisir  les  deux  pièces  suivantes,  qui  prouvent  que  le  Souverain- 
Pontife  a  connu  ,  et  a  voulu  récompenser  ses  travaux.  Voici  d'abord  la 
lettre  qui  lui  avait  été  adressée  par  S.  E.  le  cardinal  Fransoni ,  préfet 
de  la  Propagation  de  la  foi. 

A  M.  Eugène  Bore  y  à  Mossoul. 
Très  honorable  -VIonsieur , 

Il  est  difficile  de  s  imaginer  combien  la  Sacrée  Congrégation  admire 
le  zèle  avec  lequel  vous  travaillez  sans  relâche  ,  dans  cette  mission,  à  la 
propagation  de  la  foi  catholique,  ni  quel  intérêt  elle  porte  ,  à  cause  de 
cela,  à  votre  personne.  Si,  dans  ces  dernières  années,  le  nom  catholique 
a  pris  en  Perse  ouelque  extension  ,  et  si  brille  l'espérance  que  des  fruits 
plus  abondans  répondent  aux  travaux  des  missionnaires,  elle  sait  fort 
bien  que  c'est  en  grande  partie  à  vos  soins  et  à  votre  soUicitude  qu'on 
en  est  redevable.  En  conséquence ,  pour  donner  quelque  signe  de  sa 
gratitude,  elle  a  fait  en  sorte  que  notre  très  Saint-Père  vous  admette 
à  l'ordre  des  chevaliers  de  la  jMili::e  dorée  qui  tout  récemment  a  été  réta- 
bli avec  un  plus  grand  honneur.  Vous  trouverez  joint  à  cette  lettre  le 
Bref  apostolique  de  cette  concession. 

De  même,  il  a  paru  juste  à  notre  très  Saint-Père  et  Seigneur  de  ré- 
compenser et  de  combler  de  grâces  particulières  ceux  qui  se  livrent  à 
ces  missions  si  difficiles,  quils  soient  honorés  d'un  caractère  sacre,  ou 
bien  qu'ils  n'aient  encore  que  le  grade  des  laïques  fidèles  dont  ccrtai»    • 


NOUVELLES    ET    MÉLA^IVCES.  403 

ment  vous  méritez  d'être  regardé  comme  le  coryphée  et  la  sentinelle 
perdue  ;  vel  etiam  in  JidcUam  laicorum  gvadu  consistant  quorum  pvo- 
fectb  coriphœus  atque  antesignamis  mérita  haberis.  C'est  pourquoi  des 
lettres  ont  été  données  au  Rév.  M.  Fornier  ,  préfet  de  la  mission,  et 
plusieurs  pouvoirs  lui  ont  été  accordés  ,  afin  que  par  son  moyen  tous 
reçoivent  de  plus  grands  biens  spirituels.  Cela  doit  assurément  vous 
stimuler  davantage ,  vous  et  les  autres  ,  à  poursuivre  avec  une  ardeur 
toujours  croissante  votre  tâche  ,  la  plus  noble  et  la  plus  glorieuse  qu'on 
puisse  concevoir ,  et  à  vous  efforcer  de  mériter  ainsi  une  très  ample 
couronne  dans  les  cieux. 

Je  prie  Dieu  de  vous  conserver  longtems  sain  et  sauf. 

A  Rome ,  au  collège  de  la  Sacrée  Congrégation  de  la  Propagande. 
Le  23  avril  1842. 

Votre  tout  dévoué 
I.  Pji.  Framsoini,  préfet. 

Voici  maintenant  le  Bret  Sa  Sainteté  : 

Le  très  Saint-Père  Grégoire  XF^I  à  notre  /ils  chéri  Eugène  Bore. 

Cher  fils  ,  salut  et  bénédiction  ! 
Comme  rien  ne  peut  nous  être  plus  flatteur ,  plus  doux  et  plus  désira- 
ble que  de  voir  la  religion  catholique  partout  en  vigueur  et  florissante, 
nous  avons  coutume  de  décerner  avec  empressement  des  récompenses 
honorables  et  des  preuves  de  notre  bienveillance,  principalement  à  ces 
hommes  qui  s'efforcent  avant  tout  de  contribuer  par  leurs  œuvres  au 
bien  de  la  religion  catholique.  C'est  pourquoi,  ayant  appris  par  de  très 
graves  témoignages  que  toi,  que  recommandent  le  talent,  les  mœurs,  la 
piété  et  la  probité,  et  qui  es  attaché  avec  une  affection  particulière  à  cette 
chaire  de  Pierre,  tu  n'as  négligé  ni  soins,  ni  zèle,  ni  efforts  pour  le  succès 
et  la  prospérité  de  nos  missions  sacrées  en  Perse ,  nous  avons  pensé 
devoir  te  montrer ,  d'un  cœur  joyeux  et  empressé ,  quelque  signe  de 
notre  volonté  à  ton  égard.  Donc,  voulant  te  décorer  avec  un  honneur 
particulier,  et  seulement  à  cause  de  cela  tabsolvant  et  te  croyant  désor- 
mais absous  des  censures  ecclésiastiques,  des  sentences  et  des  peines 
d'excommunication  et  d'interdit  portées  de  quelque  manière  que  ce  soit 
et  pour  une  cause  quelconque,  si  par  hasard  tu  en  as  encourues,  nous 
t'élisons  et  nommons  par  ces  lettres  ,  de  notre  autorité  apostolique,  che- 


/|0V  >oLVt:i.Li:s  li   mlla.ngi:^. 

Talier  de  noire  Milice  dorée  et  l'associons  ù  cet  ordre  illiislre,  reslaurc 
par  nous  avec  un  plus  grand  éclat.  En  conséquence  ,  nous  te  concédons 
et  permettons  de  ])orler  les  insignes  de  co  nicmc  ordre,  à  savoir  le  collier 
d'or,  répéc  et  les  éperons  dorés,  et  puis  de  jouir  et  d'user  des  privilèges 
généraux  et  particuliers,  des  prérogatives  et  faveurs  dont  usent  et  jouis- 
sent les  aulres  chevaliers  de  celte  milice .  ou  dont  ils  peuvent  et  ont  pu 
user  et  jouir  ,  sauf  du  moins  les  facultés  supprimées  par  le  concile  de 
Trenfe  que  l'autorité  de  ce  Siège  a  confirmé.  Mais  nous  voulons  que  tu 
portes  la  croix  d'or  représentant  au  milieu  l'image  octangulairc  du 
Suprême  Pontife  saint  Sylvestre,  sur  un  champ  argenté,  et  suspendue  à 
la  poitrine  avec  un  cordon  de  soie  dune  nuance  rouge  et  noire  sur  les 
bords,  du  côté  gauche  de  Ihabit,  selon  la  coutume  des  chevaliers  et  d  a- 
près  la  forme  presciilc  dans  nos  lettres  publiées  touchant  le  même  ordre, 
lc3i  octobre  184  r.  Autrement  tu  perdrais  les  droits  de  ce  brevet.  De 
crainte  qu'il  n'y  ait  quelque  différence  daus  la  manière  de  porter  celte 
décoration,  nous  faisons  remettre  un  modèle  de  cette  même  croix,  sans 
que  les  constitutions  et  les  sanctions  apostoliques,  ou  tout  autre  opposition 
y  mettent  empêchement. 

Donne  à  Rome  à  Saint-Pierre,  sous  lanneau  du  Pêcheur;  le  5  aviil 
1842,  et  la  douzième  année  de  notre  pontificat. 

A.    GARD.    LaMBRUSCHINI. 


AlNMLliS 


4(^5 


DE   PHILOSOPHIE  CHRETIENNE 

(vX^iiuieïo    Se».  — -  Ojecemuto    iSL'2, 


Diôfiplinc  nùl)oliquc. 

DE  LA  VIE  RELIGIEUSE 

CHLZ 

LES  CHALDÉËXS. 


Nous  avions  fait  espérer  dans  notre  dernier  cahier,  que  noue 
ami,  31.  Eugène  Bore,  voudrait  bien  communiquer  à  nos  lec- 
teurs quelques-unes  de  ces  éludes  qu'il  est  allé  faire  avec  tant  de 
zèle  et  tant  de  fatigues  au  centre  de  l'Asie;  sa  complaisance  a  dé- 
passé nos  espérances.  Car  nous  avons  entre  !es  mains  plusieurs 
pages  de  ses  vovagcs  encore  inédites  et  que  nous  publierons  pro- 
chainement. Aujourd'lmi  nous  communiquons  à  nos  abonnés  le 
travail  suivant,  sur  la  vie  religieuse  chez  les  Clialdéens  ;  il  sort 
d'introduction  à  r///5fo/;c^zf  Couvent  de  Rahban^Onnuzd,  le  seul 
catholique  qui  existe  encore  en  Chaldée,  et  que  nous  publierons 
aussi. 

En  lisant  ces  pages,  écrites  sous  la  tente,  ou  au  fond  des  soli- 
tudes de  l'Arménie,  nous  l'avouons,  il  nous  a  semblé  lire  quel- 
ques récits  perdus  de  ces  pères  de  l'église  grecque  qui  ont  jadis 
sanctifié  ces  contrées,  les  Basile  et  les  Grégoire.  ZS'ous  avons 
pense  que  Dieu  reservait  encore  ses  bénédictions  pour  des  t«:rres 
où  il  fait  descendre  de  si  saintes ,  de  si  hautes  peutées,  et  nous 

lli«  SLRIE-    TOME   VI. ~N'  36-  *26 


/}.0G  l^'-    i-^    VIL     IIKLIGIEUSE 

avons  to!H|)ii.s,  eu  oudc,  coiiuuent  le  voyageur  callioliquo  a  pu 
vaincie  laiii  d'obstacles,  sui)poiter  tant  de  fatigues,  éviter  tant 
(le  périls,  sccourii  ses  frères  :  il  n'était  pas  seul  dans  ses  courses, 
un  puissant  navaillcur  le  secondait.  A.  B. 

§1. 

La  vie  du  chrétien  est  une  expiation,  possible  sculemeat,  en  renonçant 

au  monde. 

Au  commencement,  Dieu  créa  l'homme  heureux  et  juste,  mais 
libre,  c*est  à-dire  capable  de  persévérer  ou  non  par  la  justice 
dans  la  félicité.  L'homme  fut  tenté,  et  il  tomba  dans  l'orgueil  qui 
avait  perdu  son  tentateur.  Comme  lui  ,  il  eût  été  condamné  à 
l'effroyable  infoitune  de  haïr  Dieu  et  d'en  être  haï  éternellement, 
sans  l'intervention  du  Fis  qui  satisfit  le  Père ,  en  disant  :  «  Me 
voici ,  eccè  venio  ' .  » 

Toutefois  ,  Toffrande  du  réparateur  n'absout  le  coupable 
qu'autant  qu'il  s'unit  à  son  sacrifice  infini.  Cette  union  qui,  sous 
la  loi  figurative,  commence  par  la  foi  et  l'espérance,  s'accomplit 
dans  la  possession  de  l'amour,  sous  la  loi  réelle.  Les  anciens  at- 
tendaient et  désiraient  les  mérites  de  la  rédemption  que  nous  sa- 
vons et  voyons  se  perpétuer  misericordieusementdansle  monde. 
Y  participer,,  telle  est  l'obligation  première  et  dernière  de  l'exi- 
stence que  le  chiéiien  peut  définir  pour  lui  :  le  tems  de  l'expia- 
tion. 

Heureux  celui  qui ,  marchant  de  bonne  heure  dans  la  voie 
droite,  n'a  point  d'égarement  à  pleurer,  ni  à  s'affliger  d'avoir 
aimé  trop  tard  le  bien  seul  aimable  ^  !  La  part  de  sa  dette  est 

'  Psau.  XXXIX,  7  —  S.  Paul,  adHebr.  x,  7. 

^  Deus  vitœ  meae  quàm  vanè  consumpta  sunt,  quàm  infrutuosè  elapsa 
8unt  tempera  mca,  quaîdedisti  mihi  ut  facerem  voluntatem  tuani  in  eis, 
et  non  feci  !  quanti  aani,  quot  horse  perieruut  apud  me  ;  in  quibus  sine 
fruc».u  vivi  coram  te!  et  quomodô  subsistam  ?  Quomodo  levarepoteio 
oculos  meos  iu  faciem  tuam  in  illo  maguo  examine  tuo  ;  si  rememorari 
uMcnis  omiua  peccatu  mea  et  huctum  requisieris  singulorum?  patien- 


CHEZ    Lli6    CHALDÉBWS.  407 

moins  difficile  à  acquitter,  bien  que  la  transmission  de  la  tache 
oriî;inelle  suflise  déjà  pour  le  rendre  pénitent  inconsolable. 

Le  devoir  de  celte  réparation  facile  ]iour  quiconque  s'est  mis 
décidément  à  la  suite  du  maître,  semble  intolérable  à  ceux  qui 
lui  prélèrent  la  servitude  de  son  ennemi.  ElVectivement ,  l'état  et 
les  actes  des  tilsvivans  de  la  fjrâce  qui  les  a  léjjéncrés,  sont  in- 
compréhensibles aux  enfans  de  la  chair  et  du  sanj^.  C'est  pour  cela 
que  l'Evangile  les  distingue  sans  cesse  comme  deux  races  d'une 
nature  opposée,  et  n'ayant  de  commun  que  la  même  forme  hu- 
maine et  le  même  soleil  qui  les  éclaire.  Du  reste,  ils  sont  néces- 
sairement dans  une  lutte  et  une  contradiction  perpétuelles  ;  ce 
qui  est  bonheur,  vérité  et  lumière  pour  ceux-ci,  est  à  ceux-là 
misère  ,  erreur  et  ténèbres.  Les  biens  et  les  joies  recherchées  avi- 
dement par  les  uns,  excitent  le  dégoût  ou  la  compassion  des  au- 
tres; et  au  contraire  la  sagesse  des  premiers  scandalise  les  seconds, 
comme  une  folie  insigne. 

La  division,  hélas  I  la  plus  nombreuse,  est  appelée  le  monde 
par  celui  qui  l'a  créé  dans  ia  puiî?sauce  de  sa  parole  ,  et  il  <>  est 
ifenu  dans  le  monde  et  U  luonde,  7ie  Va  pas  connu  '.»  Aussi  quels 
anathèmes  fait-il  retentir  contre  le  monde  et  les  siens  durant  les 
années  de  sa  mission  divine  I  Quels  ineffables  dédoniagemens  ne 
promet-il  point  aux  disciples  qui  renoncent  au  monde  pour  le 
suivre  I 

Et  il  n'est  point  de  milieu  entre  la  double  condition  d'apparte- 
nir à  Jésus-Christ  ou  au  monde  ;  car  quiconque  n'est  point,  avec 
lui  est  contre  lui  'j  et  nul  ne  peut  servir  deux  maîtres  ^.  Donc  , 
tout  homme  raisonnant  avec  le  bon  sens  de  la  foi,  sera  frappé  de 
l'évidence  de  ce  dilemme,  et  s'il  ne  ferme  son  cœur  à  la  grâce,  il 
se  rangera  du  côté  de  Jésus-Christ ,  car  le  monde  et  sa  concupis- 


tissimepater,  non  fiat  hoc;  sed  sint  in  oblivione  coràn»  le  quaî  perdidi 
tempera;  hea  raulta  nimis  !  —  S.  Anselmi,  médit,  xiii,  ^  3. 

'  Jean  1,10. 

-  Math.  XII,  3o. 

'       id.   VI,  '24« 


408  DE    LA    VIE    llELlGltUSE 

cence  passeront  ;  tandis  que  celui  qui  fait  la  volonté  de  Dieu  de- 
meure éternellement  '. 

Mais  dans  la  lx)ucbe  du  Sauveur,  le  monde  n'est  point  la  so- 
ciété, par  laquelle  et  pour  laquelle  l'homme  existe  ;  sous  ce  nom 
il  faut  seulement  comprendre  la  masse  des  volontés  perverties 
d'abord  individuellement  par  la  désobéissance  originelle,  et  qui, 
au  lieu  d'accepter  la  loi  d'expiation  pour  se  régénérer,  la  nient  ou 
la  rejettent,  et  par  un  funeste  contact  achèvent  de  se  dépraver  en 
tombant,  pour  ainsi  dire,  dans  la  fermentation  du  mal. 

Suivant  cette  distinction,  la  Société  est  l'ensemble  des  hommes 
vivant  dans  l'ordre  des  rapports  qui  les  unissent  à  Dieu  et  les  uns 
aux  autres  ;  notion  pure  et  vraie  qui  l'identifie  à  la  religion  et  à 
l'église  mêmes,  et  cette  identité  est  justifiée  dans  le  langage  par 
la  conformité  du  sens  radical  de  ces  trois  termes.  Le  Monde,  au 
contraire,  représentera  la  portion  de  l'humanité  perturbatrice  des 
lois  divines  et  humaines,  vivant  dans  l'irréligion,  adonnée  aux 
pratiques  de  la  superstition  ou  de  l'idolâtrie,  et  séparée  par  le 
schisme  ou  l'hérésie  de  l'unité  catholique.  Le  monde  sera  encore 
la  génération  violente  persécutant  dès  les  tems  primitifs  la  fa- 
mille des  justes,  et  attirant  sur  l'univers  le  châtiment  du  déluge, 
]mis,  revivant  aussi  superbe  et  non  moins  intolérante  dans  la  pos- 
térité et  les  imitateurs  de  Nemrod  qui  bientôt  couvrent  et  usur- 
j)ent  la  terre,  en  soi  te  que  Dieu  est  contraint  de  se  choisir  une 
société  fidèle  et  isolée  pour  y  accomplir  la  promesse  du  mystère 
de  la  rédemption. 

Aussi  l'Kglise  s'empresse-t-elle,  à  notre  naissance,  de  nous  ar- 
racher à  son  ennemi  ,  en  nous  liant  par  le  serment  de  le  hair,  de 
renoncera  ses  œuvres  qui  sont  toutes  concupiscence  de  la  chair, 
concupiscence  des  yeux  et  orgueil  de  la  vie  ^  De  ces  trois  sour- 
ces coule  et  déborde  le  fleuve  de  vices  et  de  crimes  qui  inonde 
l'humanité. 


'  I,  S.  Jean,  épil.  ii.  17. 
'  I.  S.  Jean,  tp.  iij  16. 


CHEZ    LES   CHALDF.ENS.  /|09 

De  la  triple  loi  qui  déteriuiue  et  facilite  cette  eipiation. 

La  vie  expiatrice  de  rhomme  a  pour  fin  de  combattre  et  de 
vaincre  le  mal  engendré  par  celte  triple  concupiscence  et  pullu- 
lant dans  notre  nature  •,  labeur  pénible,  mais  court  et  nullement 
digne  d'être  comparé  à  l'infinie  récompense  qu^il  mérite.  Les 
patriarches ,  les  prophètes  et  tous  les  justes  du  peuple  de  Dieu 
ont  légué  les  exemples  et  les  préceptes  propres  à  nous  associer 
un  jour  aux  félicités  de  leur  repos.  Dans  la  gentilité,  les  sages 
sont  ceux  qui  se  rapprochent  plus  ou  moins  de  ces  modèles.  La 
tribu  des  Lévites,  astreinte  à  des  règlements  rigides  et  délivrée  du 
fardeau  des  soins  temporels,  fournit  ces  âmes  d'élite  plus  abon- 
damment que  les  autres  tribus.  En  dehors  d'elle  ,  Elle  et  les  au- 
tres voyants  grouppent  autour  d'eux  un  nombre  privilégié  de 
disciples  qu'imitent  plus  tard  les  Thérapeutes  et  les  Esséniens. 
Ces  associations  se  forment  dans  la  société  avec  l'idée  une  d'accom- 
plir plus  parfaitement  et  aussi  plus  facilement  la  loi  d'expiation. 
L'ordre  philosophique  de  Pjthagore,  la  classe  sacerdotale  de  l'E- 
gypte présentent  le  même  spectacle,  et  nos  regards,  à  l'Orient, en 
trouvent  des  signes  antérieurs  chez  les  prêtres  de  la  Chaldée , 
parmi  les  Mages  de  la  Perse,  comme  aussi  parmi  la  classe  des 
Brahmes  de  l'Inde  et  dans  les  collèges  de  Bonzes  de  la  Chine. 

Mais  avant  que  le  Verbe  ne  relevât  notre  nature  en  s'abaissant 
jusqu'à  elle,  et  ne  nous  enseignât  par  toutes  ses  paroles  et  tous  ses 
actes  le  moyen  d'opérer  cette  réparation  ,  les  hommes  manquant 
d'un  exemplaire,  ne  pouvaient  avancer  dans  la  vie  où  lui-même 
les  appelle  et  les  entraîne.  Le  nombre  de  ceux  qui  en  avaient 
trouvé  l'entrée  était  petit,  et  conmient  auraient-ils  osé  aspirer  à  la 
perfection  infinie,  avant  d'avoir  entendu  ce  commandement  ; 
«  Soyez  parfaits  comme  votre  père  céleste  est  parfait'.»  Et  cet 
ordre  sortait  de  la  bouche  du  fils  qui,  depuis  l'étable  de  Bethléem 
jusqu'au  Calvaire  ,  démontre  et  répète  que  sa  mission  est  d'ac- 

f.ili.,v.48. 


410  DE  hK    VIF    RELIGIEUSE 

fomplir  la  volonté  de  celui  qui  l'a  envoyé  *.  La  conformité  ab- 
solue de  la  volonté  humaine  à  la  volonté  céleste,  tel  est  aussi  le 
remède  de  la  première  concupiscence  nommée  Orgueil  de  la  vie 
et  mère  de  tout  péché.  La  concupiscence  des  yeux,  qui  est  la  soif 
de  l'or,  est  guérie  par  les  leçons  de  dénuement  de  l'Homme- 
Dieu  exposé  nu  dans  la  crèche  et  sur  la  croix.  La  troisième  con- 
cupiscence ou  l'amour  des  plaisirs  honteux  de  la  chair  est  détruite 
par  la  parole  de  l'agneau  sans  tache  ,  promettant  aux  cœurs  purs 
les  merveilles  de  sa  contemplation. 

A  ces  trois  préceptes  aboutissent  tous  les  autres  comme  à  leur 
centre,  et  quiconque  se  glorifie  d'être  chrétien  doit  les  pratiquer. 
Le  ciel  en  est  le  prix,  et  l'enfer  le  châtiment  de  leur  violation. 
Entre  ces  deux  rétributions,  il  faut  nécessairement  choisir.  Or, 
une  raison  lucide  liésiterait-elle  dans  le  clioix? 

Non  ,  il  faut  être  obsédé  par  l'une  de  ces  concupiscences,  pour 
préférer  leur  tyrannie  à  la  liberté  de  la  triple  loi  qui  les  réprime, 
loi  n'ayant  de  dureté  apparente  que  pour  celui  qui  n'a  pas  voulu 
goûter  sa  douceur  •. 

Et  cette  loi  réparatrice  commande  premièrement  d'être  humble 
et  obéissant  à  la  volonté  divine  et  à  toute  aulre  volonté  qui  en  est 
l'expression  ;  en  second  lieu,  d'être  pauvre  d'esprit,  c'est-à-diie 
de  ne  point  attacher  son  cœur  aux  talens  que  le  maître  nous  a 
prêtés  ;  troisièmement,  de  tenir  le  corps  as^ujéti  à  l'âme,  et  d'é- 
loigner de  celle-ci  même  l'ombre  des  pensée  s  mauvaises. 

L'homme  qui  porte  ce  joug  avec  amour,  entre  au  nombre  des 
enfans  de  Dieu  ayant  droit  de  juger  le  monde,  et  seuls  possédant 
la  liberté,  puisque  tous  leurs  actes  5ont  i  roduits  sous  la  bonne 
inspiration  du  libre  arbitre,  tandis  que  le  violateur  de  la  loi  de- 
meure l'esclave  du  péché  ,  en  cédant  à  tous  ses  appétits. 

§  TH. 

Que  cette  triple  loi  a  donné  naissance  aux  ordres  religieux. 
L'observation  de  la  loi  amortit  la  concupiscence  et  nous  fait 

'  Jean  V,  3o.  vi  58,  xxxix  4», 

'  Et  mandata  ojus  gravia  nonsnnt.  —  L  Jean,  Epit.  v,  3. 


CHEZ    LES    CHALDEEMS.  411 

naître  à  la  vie  spirituelle  dont  le  symbole  est  la  résurrection  du 
Sauveur.  De  même  que  J.  -C.  devait  mourir  pour  expier  les  pé- 
chés des  hommes  ,  ainsi  Tliomme  doit  mourir  à  ses  propres  pe'- 
chés  pour  revivre  en  J.-C.  Autrement  il  reste  mort  et  enseveli 
dans  la  nature  reprouvée  d'Adam  ,  et  quand  la  figure  passagère 
du  monde  s'évanouira  pour  lui ,  il  tombera  dans  une  seconde 
réprobation,  conséquence  et  prolongation  de  la  première,  et  ajou- 
tant à  toutes  les  peines  la  plus  terrible,  celle  de  son  éternité. 

Cette  vérité  ,  assez  importante  pour  mériter  l'attention  des 
esprits  sérieux  ,  a  constamment ,  comme  nous  l'avons  dit,  opéré 
une  scission  dans  l'humanité.  D'un  côté  s'est  pressée  la  foule 
que  séduisent  la  pompe,  les  jouissances  du  monde  et  son  étour- 
dissante agitation.  A  l'écart  s'est  retiré  le  petit  nombre  des  sages 
qui,  considérant  la  fin  en  toutes  choses,  sont  trop  avides  de  gloire 
et  de  bonheur  pour  attendre  ici  bas  le  prix  de  leurs  œuvres. 

Ceux  que  les  devoirs  et  le  rang  de  la  société  mettent  en  con- 
tact avec  le  monde ,  font  de  cette  nécessité  un  sacrifice  agréable 
au  Seigneur ,  en  travaillant  à  détruire ,  à  force  de  vertus  ,  Tin- 
fluence  contagieuse  de  ses  vices,  et  en  opposant  à  l'entraînement 
des  scandales  les  exemples  d'une  vie  édifiante.  Leur  principe  de 
conduite  est  le  précepte  de  l'apôtre  qui  commande  d'user  des 
biens  et  des  avantages  de  la  vie,  comme  n'en  usant  pas,  et  de  les 
faire  tourner  à  la  gloire  de  celui  cjui  Us  dispense.  Perfection  hé- 
roïque digne  de  toute  admiration,  parce  quelle  est  aussi  difficile 
que  rare. 

La  généralité  des  serviteurs  de  Dieu  prend  le  parti  le  plus 
prudent ,  qui  est  de  fuir  un  ennemi  aussi  redoutable  ,  et  de  se 
retrancher  dans  quelque  poste  siu,  où  elle  peut  défier  et  repous- 
ser ses  attaques.  D'ailleurs,  l'âme  qui  a  compris  l'excellence  de 
la  vie  spirituelle  et  qui  a  eu  quelque  goût  de  ses  délices,  éprouve 
le  besoin  de  se  i^fugier  dans  la  solitude.  Elle  y  offre  plus  libre- 
ment ses  hommages  à  son  époux  et  à  son  roi ,  et  elle  converse 
mieux  et  plus  longuement  avec  lui. 

Telle  est  la  cause  de  la  formation  de  ces  sociétés  partielles  qui 

ont  justement  été  honorées  du  nom  d'or  cires, -paivce  qu'elles  sont 

le  principe  ordonnateur  et  conservateur  de  la  société  catholique 


MU  Di:    I\    VIF    P.FIJGIEIISF 

Poui  elle"),  comme  pour  le  peuple  d«  Dieu,  le  déseri  a  e'(é  \e  lieu 
lie  leur  oiganisnlion  preuiièie;  puis  elles  se  sont  répandues  dans 
le  clianij)  de  l'Eglise ,  afin  de  le  cultiver,  de  le  défendre,  tout  en 
renibellissant  de  la  variété  de  leurs  formes  produites  par  la  pen- 
sée unique  et  commune  de  l'expialion  volontaire. 

Les  principes  et  les  ré^lemens  de  cette  vie  expiatrice  des  trois 
concupiscences  du  monde  ont  constamment  été  résumés  dans  la 
formule  du  triple  vœu  li 'obéissance,  de  pauvreté  et  de  chasteté. 

§  IV. 
Oue  les  trois  vertus  qui  constituent  la  vie  religieuse  sont  inséparables. 

Saint  Antoine,  à  qui  l'on  doit  accorder  la  gloire  d'être  le  pre- 
mier législateur  de  la  vie  religieuse,  fait  reposer  l'édifice  de  ses 
lèjïles  sur  \a  pierre  angulaire  de  l'obéissance,  de  la  pauvreté  et  de 
la  chasteté.  Ces  trois  vertus  sont  le  triple  lien  de  l'Écriture  qui 
attaclie  inséparablement  à  J.-C.,  et  que  la  force  du  monde  entier 
ne  peut  rompre,  parte  qu'il  offre  une  résistance  à  tous  ses  moyens 
d'attaque  L'ambition,  les  plaisirs,  la  richesse  ne  sauraient  tenter 
le  dii-ciple  qui  a  juré  d'èlre  hundjle,  pur  et  pauvre  comme  le 
maître.  Il  martheia  donc  en  sécurité  sur  ses  traces,  et  s'il  ne  brise 
lui-même  la  clnîne,  il  sera  un  des  captifs  de  la  captiç^ite  glorieuse 
qui  est  enlevée  i\w  ciel  par  le  souverain  triomphateur '.  Si ,  au 
contraire  ,  une  des  trois  vertus  manque,  les  deux  autres  ne  suffi- 
sent plus  au  support  de  l'i-istitution  monastique  'qui  bientôt 
s'aiTiisse  cl  toudjc  en  ruines. 

L'expérience  atteste  la  justesse  de  cette  remarque.  Que  l'on 
passe  en  revue  toutes  les  sectes  ou  couununions  dissidentes  qui 
ont  ébranlé  le  premier  princi|:e  deTobéissance,  en  se  séparant  de 
l'unité,  cl  l'on  ne  trouvera  j.lus  cliez  elles  l'idée  de  la  perfection 
religieuse.  Prenons  en  Orient  le  ]\csloriauisme  pour  exemple,  et 
eu  Europe,  le*  ProtcstantiîniLV,  et  nous  sommes  frappés  delà 
triste  conformité  (ju'ofiVcul  en  ces  points  les  deux  hérésies.  Bar- 

*  Ascendcns  in  alluni  c.ij)t:vani  duxit  captivatem.  Jd  Ephes,  iv,  8. 
—  Pian,  v(T*\  svria  xvii,   iq. 


CHEZ    T.KS    riKI.DKrX>^.  'il'"» 

sum.i'î,  qui  a  suitoiU  propa.oé  parmi  les  Clialtleens  reircnr  de 
Neslorhis,  abolit  la  vie  monastique  dont  il  avait  rejeté  le  frein, 
et  assemble  une  espèce  de  concile  dans  lequel  il  déclare  per- 
mettre le  mariage  aux  prêtres  et  aux  moines,  incapables  de  garder 
la  continence.  Il  voulut  leur  donner  lui-même  ce  bel  exemple  en 
épousant  la  nonne  Marna  ,  et  les  chants  populaires  des  monta- 
gnards ont  conservé  jusqu'à  ce  jour  le  souvenir  de  leurs  sacrilèj>es 
amours.  Le  patriarche  Babi,  installé  sur  le  siép,e  de  Ctésiphon, 
goiila  fort  cette  réforme,  et,  non  content  d'avoir  fenmie  et  en- 
fans,  il  poussa  la  précaution  jusqu'à  décréter  :  1*^  que  ses  succes- 
seurs les  patriarches  commenceraient  par  se  marier;  2' qu'aucun 
ministre  de  l'Eglise  ne  resterait  dans  le  célibat  ;  3°  enfin  que  les 
évêques  et  les  simples  prêtres  pourraient  convoler  à  d'autres 
noces,  toutes  les  fois  qu'ils  tomberaient  dans  le  veuvage  '. 

Que  fait  Luther  après  avoir  parjuré  ses  vceux  monastiques  et 
le  serment  d'obéissance  qui  nous  oblige  à  jamais  envers  l'Eglise  ? 
Il  attaque  la  vie  religieuse,  détruit  les  couvens,  et  comme  aussi 
il  était  incapable  de  garder  la  conlincncc ,  il  épousa  pareillement 
une  nonne.  Depuis ,  le  Protestantisme  n*a  jamais  pu  reproduire 
l'admirable  spectacle  d'une  société  d'hommes  cherchant  à  prati- 
quer en  commun  la  perfection  évangclique. 

Les  églises  d'Orient ,  sans  avoir  réformé  jadicalement  leurs 
symboles,  ont  perdu  néanmoins  la  tradition  et  le  sentiment  des 
ordres  religieux,  en  transgressant  la  loi  d'obéissance  due  à  l'église 
mère.  La  Thébaïde  est  redevenue  le  désert,  et  le  savoir  avec  la 


'  Les  expressions  de  l'ordonnance  rapportée  par  Annus,  son  biogra- 
phe arabe,  sont  assez  curieuses  pour  être  citées:  a  Sanxit  ut  ecclesiaî  nû- 
«  nistri  universi  nuberent,  neve  quisquam  in  posterum  cœlibatum  in 
«  sœcalaricouvcrsatione  coleret;  ne  K'idcliceiin peccatumprohiberetur; 
>f  liabcrent  que  singuli  propriaui  uxorem  palàm  et  publiée....  »  Bibliot. 
orient.^  t.  m,  p.  4^7.  —  L'historien  Barhebrœus,  tout' hétérodoxe  qu'il 
est,  exprime  ainsi  son  indignation  :  «  jNimirùni  postquàm  à  reliquis 
H  christianis  separati  sunt,  quidquid  ipsislibebat,  adcxpleudum  îibidi- 
a  nem  palàm  absque  pudpre  ac  nietn  faciebant.  »  Id.  ibid.,  p.  \nçi. 


414  DE    LA    VIE    RELIGIEUSE 

|*iété  ont  disparu  des  monastères  de  l'Egypte,  de  la  Syrie  et  de 
la  Chaldée.  Si  quelques  maisons ,  épargnées  par  les  arabes  prosé- 
lytes de  Mahomet,  conservèrent  le  nom  de  monastères,  elles  n'en 
avaient  plus  la  règle  ni  la  sainteté.  Et  ainsi ,  dans  les  montagnes  et 
les  îles  des  lacs  de  l'Arménie,  où  la  vie  religieuse  s'était  multipliée 
vers  le  5*  siècle  avec  une  fécondité  merveilleuse  ,  nous  avons 
trouvé  les  couvens  réduits  à  l'état  de  métairie  ou  de  ferme,  et 
plût  au  ciel  qu'ils  fussent  aii  moins  des  fermes-modèles  ! 

Toute  défection  spirituelle  ayant  son  principe  dans  l'esprit 
d'individualisme ,  elle  porte  nécessairement  atteinte  à  l'esprit 
d'association  le  plus  parfait  qui  puisse  êire  conçu  ici  bas  ;  et,  si  la 
charité  est  i'atnour  simultané  de  Dieu  et  du  prochain ,  dès  que 
les  lois  de  l'amour  divin  sont  altérées,  il  doit  s'effectuer  une  di- 
minulion  proportionnelle  dans  l'amour  des  hommes.  Nous  en 
citerons  de  nouveau  comme  preuve  les  cloîtres  des  Arméniens 
désunis  ,  où  le  Yartabed  '  solitaire  qui  y  réside  semble  souffrir 
avec  peine  qu'un  pauvre  clerc  y  partage  les  ennuis  de  son  oisiveté. 

Les  ordres  catholiques  où  le  principe  de  fidélité  orthodoxe  ga- 
rantit le  maintien  de  la  loi  d'obéissance,  sont  plus  particulière- 
ment,exposés  aux  tentations  des  deux  autres  concupiscences.  IjCS 
réfoiiiies  des  uns,  la  suppression  ou  la  décadence  des  autres  ont 
eu  pour  cause  le  relâchement  de  la  discipline  ou  bien  la  convoi- 
tise de  la  richessse.  Cette  dernière  séduction  est  la  plus  fatale, 
parce  que  la  racine  de  tout  mal  est  V amour  de  l'argent^.  Aussi 
c'est  par  là  ([u'oiU  fail'i  certaines  corporations  faillibles  comme 
les  hommes  qui  les  composent,  bien  que  leurs  ennemis  aiment  à 
en  assi(5ner  la  cause  à  l'aliération  des  mœurs,  afin  d'excuser  la 
('épravation  des  leurs  et  d'accroître  le  scandale. 

Donc  aujourd'hui  les  ordresqui  fleurissent  et  renaissent  dans 
l'Eglise  doivent  s'attacher  à  remplir  dans  toute  son  extension  le 
précepte   de  la  pauvreté  !  Elle  contient  le  trésor  de  toutes  les 

'  Varlubcd  est  un  mot  arménien  qui  signifie  docteur, 

"^  Telle  est  l'expression  du  texte  syriaque  qui  exprime  plus  clairement 

la  pensée  de  saint  l'aul  rendue  par  Cupidifas  dans  la  version  latine,  ad 

Timoih,  vi,  lo. 


CHEZ    LES    CHALDÉRNS.  415 

antif's  vertus,  cl  elle  est  en  même  tems  le  moyen  de  se  tenir  irré- 
prochable aux  yeux  du  inonde  que  dévorent  les  ardeurs  d'une 
cupidité  chaque  jour  croissante. 

§  V. 

Qne  les  institutious  religieuses  sont  une  preuve  du  bonheur  et  de  la 
perfection  sociale. 

On  ne  peut  concevoir  une  union  sociale  plus  intime  et  plus, 
parfaite  que  celle  qui  a  pour  cause  et  fin  la  pratique  des  trois 
vertus  d'obéissance,  de  chasteté  et  de  pauvreté.  En  effet,  la  dis- 
corde ne  troublera  pas  l'harmonie  de  volontés  toutes  soumises  à 
une  loi  volontairement  acceptée  pour  leur  régénération  ,  el  l'or- 
gueil ne  les  poussera  point  à  secouer  Tautoiité  d'un  chef  qu'elles 
considèrent  comme  dépositaire  du  jiouvoir  de  J.-C,  et  comme  le 
représentant  de  sa  personne.  D'un  autre  côté  ,  le  chef  n'abusera 
point  de  l'autorité  qu'il  sait  être  un  prêt  temporaire,  et  comment 
tirerait-il  vanité  du  commandement  s'il  considère  qne  son  maître 
et  modèle  est  venu  sur  la  terre  pour  obéir,  et  que  chacun  doit 
amliitionner  d'être  le  serviteur  de  ses  fières.  Les  passions*,  filles 
de  la  haine,  telles  que  la  violence,  la  jaiousl  ■  ,  la  dispute  et  la 
vengeance  sont  bannies  des  retraites  où  la  charité  iraiisforme  tous 
les  juembres  de  la  connnunauté  en  un  même  corps  ei  en  une 
seule  a  me. 

Les  anges  portent  en\i  ■  -i  ces  iiOinine^  qs/i  ,  triomphant  par  la 
pénitence  des  convoitises  de  la  nature  ,  donnent  à  leurs  sembla- 
bles l'exemple  d'une  pu reté^ui  nie  semble  possible  qu'au  ciel.  La 
corruption  ne  profane  point  leur  enveloppe  mortelle  que  l'Esprit- 
Saint  se  plaît  à  habiter  comme  un  temple  vivant.  Les  souilluics 
du  monde  ont-elles  terni  la  blancheur  de  leur  robe  baptismale, 
ils  la  purifient  dans  hs  larmes  du  repentir,  afin  de  n'être  point 
repoussés  par  l'époux  lorsqu'ils  se  présenteront  aux  portes  de 
l'éternel  banquet. 

Quelle  paix  et  quelle  concorde  là  où  n'existe  pas  la  distinction 
du  moi  !  Les  désordres  qu'engendre  la  cupidité  ne  divisent  point 


VI 6  or    L\    vu:    RELIGIEUSE 

les  cœius  qui ,  ayant  renoue  aux  biens  lerrestres,  tendent  sans 
cesse  à  la  |)erfeclion  du  dépouillement  complet  et  absolu.  Le 
pauvre,  exempt  de  regrets  ou  de  désirs,  est  plus  opulent  que  le 
riche  insatiable,  et  celui  à  qui  suflisent  le  vêtement  et  la  nourri- 
ture est  plus  heureux  que  Thomme  tourmenté  par  la  multitude 
de  ses  besoins.  L'on  jouit  mieux  de  ce  qui  appartient  à  tous,  en 
général,  et  à  personne  en  particulier ,  parce  que  cette  jouissance 
n'a  point  les  soucis  et  les  risques  de  toute  autre  possession. 

Une  réunion  de  chrétiens  liés  les  uns  aux  autres  par  le  vœu  de 
pratiquer  ces  vertus  est  donc  l'état  social  le  plus  accompli  qu'on 
puisse  imaginer,  et  la  société  qui  contient  dans  son  sein  quelques- 
uns  de  ces  modèles  sera  supérieure  à  celle  qui  en  est  privée.  On 
peut  même  juger  de  sa  perfection  d*après  celle  de  ses  institutions 
religieuses.  Leur  nombre,  leur  état  florissant,  la  considération  qui 
les  environne ,  tout  cela  servira  à  faire  apprécier  la  mesure  de 
Tordre  et  du  bonheur  de  ses  mendires. 

Combien  ignorante  et  aveugle  est  l'intolérance  qui  prohibe  ou 
persécute  les  ordres  monastiques!  Ils  sont  l'àme  du  clergé,  son 
principe  vivifiant  et  réguhiteur,  de  même  que  le  clergé  est  l'âme 
et  le  principe  régulateur  de  la  société.  C'est  donc  porter  au  corps 
social  tout  entier  un  coup  funeste  que  de  s'opposer  à  leur  établis- 
sement et  à  leur  propagation.  A  certaine  époque  et  chez  certain 
peuple,  tidle  corporation  a  pu  violer  la  sainteté  de  ses  règles  et 
perdre  l'esprit  qui  avait  inspiré  sa  formation.  Alors  il  suffisait  de 
l'abandonner  à  sa  corruption  propre  ,  et  bientôt  elle  aurait  été 
dissoute  et  anéantie.  Mais  des  fautes  de  quelques-uns  arguer  con- 
tre tous  et  proscrire  la  vie  monastique,  parce  que  des  moines  ont 
profané  leur  nom  et  leur  dignité  ,  c'est  faire  logiquement  un  rai- 
sonnement très  faux  et  s'exposer  à  des  perturbations  sociales  qui 
mettent  en  péril  la  vie  des  nations.  Il  faut  du  tems  et  beaucoup 
de  sang  et  de  larmes  pour  satisfaire  la  vengeance  divine  et  pour 
réparer  les  maux  causés  par  cet  esprit  d'erreur.  La  France,  voici 
un  demi  siècle,  en  a  offert  l'exemple  au  reste  du  monde;  puisse- 
t-il  profiter  de  la  leçon  I 

La  science  récente  de  l'économie  politique  confirme  la  nécessité 
et  l'avantage  des  institutions   religieuses.  Dans  l'état  actuel    de 


chez:  lus  cllAl.UJ:EI^^.  -iM 

noire  sociéic,  le  lîeis  de  ses  membres  est  lorcé  tle  {j,ardcr  le  céli- 
bat, l'une  des  trois  vertus  monastiques  Si  cette  cliastelé  involon- 
taire n'est  réglée  ni  sanctifiée  par  la  loi  d'obéissance  et  l'amour  de 
la  pauvreté,  elle  sera  la  source  d'effroyables  désordres.  Vous  au- 
rez une  classe  de  prolétaires  ,  d'indigens,  d'agitateurs  dont  l'oi- 
siveté, les  exigearces  et  l'ambilion  seront  un  pernicieux  exemple 
pour  le  reste  du  peuple  et  le  jetteront  dans  des  alarmes  perpé- 
tuelles. Il  faudra  pour  les  contenir  une  force  armée  dont  l'entre- 
tien sera  un  lourd  fardeau  ,  et  l'on  verra  la  moitié  d'un  pays 
occupé  à  garder  l'autre  et  à  s'en  défendre  comme  d  un  ennemi  in- 
térieur. La  multitude  des  criminels  contraindra  la  justice  d'agran- 
dir les  prisons  ,  et ,  comme  les  chaînes  et  les  verroux  ne  suffisent 
point  pour  corriger  une  nature  perveise,  on  inventera  un  régime 
pénitentiaire  plus  rigoureux  c[ue  les  ordres  monastiques  et  man- 
quant de  la  pensée  religieuse  qui  les  adoucit  et  les  relève.  Que  de 
grands  coupables  poussés  par  le  désespoir  au  dernier  forfait  du 
buicide,  seraient  devenus  des  prodiges  de  vertu  ,  si  les  asyles  de 
la  pénitence  clirétieune  leur  avaient  été  ouverts  ! 

Les  arts  ,  l'industrie  et  la  mécanique,  qui  semblent  à  plusieurs 
être  le  but  unique  de  la  vocation  de  l'homme  et  la  cause  prenùèie 
de  sa  félicité  terrestre ,  recevraient  un  développement  plus  mer- 
veilleux de  l'activité  et  de  la  patience  d'hommes  mus  par  le  sen- 
timent pur  de  la  gloire  de  Dieu  que  d'ouvriers  presses  par  la 
faim  ou  l'intérêt.  Or,  de  même  qu'au  moyen-âge,  les  monastères 
étaient  des  écoles  d'agriculture  et  que  les  sueurs  des  religieux 
fécondaient  les  terrains  incultes;  ainsi,  de  nos  jours,  ils  pour- 
raient devenir  des  ateliers  tout  aussi  productifs  que  nos  manufac- 
tures et  plus  parfaits  qu'elles  dans  leurs  produits.  Le  devoir  de 
la  sanctification  n'est  point  incompatible  avec  les  découvertes 
modernes,  et  le  travail  des  mains  a  été  recommandé  par  tous  les 
maîtres  de  la  perfection  religieuse. 

La  science  elle-même,  dont  nous  sommes  si  vains,  gagnerait 
beaucoup  au  rétablissement  des  institutions  qui  l'ont  conservée 
durant  les  âges  de  barbarie  et  transmise  à  notre  siècle  avec  les 
lumières  qui  l'environnent.  L'esjjiit  d'un  seul  individu  e^t  faible 
el  fautif}  il  a  besoin  quç  les  spécuiatiou.5  des  autres  vérifient  et 


418  DE    L\    VIE    KELlGlELbE 

complèleiit  les  siennes.  Dans  une  congrégation ,  les  études,  les 
recherches  et  les  découvertes  étant  communes  comme  tout  autre 
bien,  leur  trésor  st-  grossit  du  dépôt  qu'y  apporte  chaque  mem- 
bre, et  étonne  ensuite  le  monde  savant  par  l'immensité  de  ses 
proportions  et  par  la  richesse  de  ses  matières.  Telles  sont ,  par 
exemple ,  les  œuvres  des  Bénédictins ,  auxquelles  ont  coopéré 
plusieurs  générations  de  savans  sous  l'inspiration  d'une  pensée 
une,  et  avec  la  même  patience.  Leur  but  étant  autre  que  la  célé- 
brité du  monde,  ils  n'étaient  point  pressés  de  produire  avant 
terme  leur  travail,  et  la  mort  n'en  interrompait  jamais  la  suc- 
cession. 

Les  académies,  les  corps  savans ,  dira-t-on  ,  nous  tiennent  lieu 
des  ordres  monastiques.  Mais,  outre  que  l'existence  de  ceux-ci 
n'empêcherait  pas  l'organisation  des  autres,  et  établirait  peut-être 
entre  eux  une  louable  concurrence,  il  faut  aussi  convenir  que 
certains  travaux  d'érudition  ne  peuvent  être  effectués  par  des 
hommes  dont  les  fonctions  et  les  devoirs  ,  dits  de  sociéié  , 
enlèvent  la  majeure  partie  de  leurs  loisirs.  Le  manque  de  lien 
religieux  rend  l'esprit  d'association  plus  difficile  et  les  rivalilé.s 
de  l'amour-propre  sèment  de  fréquentes  divisions  parmi  des 
âmes  que  ne  domine  point  la  loi  supérieure  d'une  humble  cha- 
rité. 

En  résumé,  l'éîat  politique  et  intellectuel  d'un  peuple  doit  tirer 
des  avantages  sans  nombre  de  la  conservation  et  du  progrès  cl'  :> 
institutions  religieuses.  Leur  influence  pour  l'augmentation  ne 
la  foi  et  l'affermissement  de  la  religion  est  encore  plus  sensible, 
comme  nous  allons  l'indiquer. 

§  VI, 

Du  bien  qui  résulte  pour  l'église  et  le  clergé  des  ordres  monastiques. 

Le  sacerdoce ,  chargé  de  conserver  et  d'enseigner  la  foi  tradi- 
tionnelle de  l'Eglise  ,  remplira  d'autant  mieux  son  ministère  qu'il 
sera  plus  docte  et  plus  régulier.  Par  la  science  ,  il  défendra  les 
âmes  qui  lui  sont  confiées  des  séductions  des  fausses  doctrines,  et 
par  sa  discipline  exemplaire  il  les  conduira  à  la  pratique  de  la 


CIJEZ    LES   CUALDÉEINS.  419 

vertu.  Mais  la  partie  active  du  cleiqé  qui  se  dévoue  à  tous  les  be- 
soins spirituels  du  troupeau  manque  du  tenis  nécessaire  pour  les 
études  sérieuses,  et  est  continuellenient  distraite  par  les  agitations 
du  monde  qui  l'entoure.  La  vie  silencieuse  et  uniforme  des  cloî- 
tres est  plus  favorable  à  la  méditation  et  aux  reclierches  thcolo- 
giques.  Aussi  partout  où  les  ordres  religieux  ont  été  supprimés , 
la  science  ecclésiastique  a  dépéri  soudain  comme  l'arbre  attaqué 
dans  la  racine.  Qu'on  ne  nous  objecte  point  l'exemple  de  l'Alle- 
magne protestante  où  cbaque  université  possède  des  professeurs 
sachant  et  surtout  écrivant  beaucoup.  La  patience  de  l'érudition 
n*ç8t  pas  le  génie  ,  et  la  lumière  ne  peut  jaillir  de  l'abîme  téné- 
breux de  l'erreur.  Hors  de  l'église  gardienne  de  l'enseignement 
apostolique  et  organe  unique  de  l'Esprii-Saint ,  nulle  bouche  ne 
peut  enseigner  véridiquement,  et  toute  conception  n'a  que  la  va- 
leur d'une  raison  faillible  et  contestable.  Nous  en  citerons  comme 
preuve  ses  rationalistes  ,  commentateurs  des  écritures  saintes. 
Très  fiers  de  leur  savoir  philologique,  ils  out  réduit  l'interpréta- 
tion de  nos  livres  inspirés  à  l'explication  sèche  de  la  lettre;  ils 
out  préféré  la  grammaire  à  l'onction  des  Pères ,  leurs  maîtres  et 
modèles,  et  ils  ont  cru  les  surpasser  avec  l'étalage  des  étymologies 
arabes.  Le  cœur  ne  perçoit  aucun  profit  de  toutes  leurs  disserta- 
tions, et  la  connaissance  progressive  de  TOrient  et  de  ses  langues 
retranche  chaque  jour  du  mérite  apparent  de  leur  esprit. 

La  hiérarchie  ecclésiastique  est  comme  l'Eglise  un  corps  com- 
plet et  actif,  doué  de  toutes  les  facultés  et  servi  par  des  organes. 
Entre  s^s  membres,  les  uns,  siège  de  la  réflexion  et  de  la  pensée, 
doivent  éclairer  et  conduire  ceux  qui  sont  plus  spécialement 
destinés  à  l'action.  Tous  concourant  et  coopérant  à  la  réalisation 
d'un  but  unique ,  qui  est  la  glorification  de  Dieu  et  de  son  église, 
aucun  n'a  droit  de  se  préférer  aux  autres  et  de  dédaigner  leur 
assistance.  Avec  une  humble  reconnaissance  envers  la  bonté  su- 
prême qui  les  emploie,  ils  doivent  s'aimer  fortement  et  croire 
que  leur  charité  sera  le  premier  moyen  de  propager  dans  les 
âmes  l'amour  de  Dieu  et  de  sa  vérité. 

Néanmoins,  àe  même  que  les  actes  réglés  par  une  tète  plus  in- 
telligente sont  plus  parfaits  ;  ainsi  l'action  du  clergé  se  perfcc- 


-V20  I)i:    LV    VIE    KtUGitLSE 

tionneia  aux  dailcs  de  la  lumière  que  lépandroiU  sur  lui  les 
ordres  voués  à  la  vie  contcmp'alive  et  savante.  <«  Avec  le  uoinbre 
»  des  docteurs,  dit  saint  Thomas,  s'accioît  l'utilité  commune  qui 
«  résulte  de  la  doctrine,  parce  que  Tun  découvre  ce  qui  était  ca- 
»  elle  à  l'autre,  et  la  multitude  des  sages  est  le  salut  de  VuniveTi  '. 
))  De  quel  zèle  briiUiit  Moïse,  lorsqu'il  s'écrie  :  Qui  fera  seigneur 
»  f/ue  tout  le  monde  prophétise'',  voulant  ainsi  étendre  à  tous  !c 
»  don  de  prophétie  parce  qu'il  n'était  pas  jaloux  du  bien  qu'il 
»  possédait.  » 

Oui,  le  sacerdoce  se  produira  aux  regards  des  peuples  avec  une 
nouvelle  majesté ,  lorsque  la  couronne  des  vertus  évangélifjues 
brillera  sur  son  front,  et  que  les  autres  dep,rés  qui  en  sont  le  cœur, 
les  mains  et  les  extrémités  participant  à  l'excellence  de  h\  partie 
supériture,  rivaliseront  d'ardeur  et  de  dévouement  dans  le  ser- 
vice du  Christ.  Les  principes  de  la  foi  pénétreront  mieux  les 
esprits  lorsqu'ils  seront  enseignés  par  la  double  prédication  de  la 
parole  et  de  la  pratique.  Le  simple  prêtre  aura  une  plus  haute 
idée  de  la  grandeur  de  notre  religion,  en  voyant  au-dessus  de 
lui  des  frères  qu'il  doit  s'elTorcer  sans  cesse  d'imiter,  et  ces 
hommes  choisis,  tremblant  de  n'être  point  aussi  parfaits  que  le 
peLsent  d'eux  les  prêtres  et  les  simples  fidèles,  seront  excites  à 
cheminer  toujours  en  avant  dans  la  voie  sans  terme  de  la  perfec- 
tion. 

Mais  c'est  principalement  dans  la  société  orientale  qu'on  re- 
connaît la  nécessité  de  la  vie  religieuse.  Bien  qu'elle  y  ait  pris 
naissance  sous  les  auspices  des  Antoine  et  des  Basile,  néanmoins 
elle  n'a  point  eu  la  consistance  ni  l'admirable  fécondité  qui  la 
distinguent  en  Occident.  Toute  région  qu'infecte  le  schisme  ou 
l'hérésie  lui  est  mortelle,  et  elle  a  besoin  de  la  pure  atmosphère 
de  l'orthodoxie.  Aussi  son  feu  sacré  s'est-il  conservé  de  nos  jours 
seulement  dans  l'Italie,  centre  de  la  catholicité,  tandis  que  l'into- 
lérance profanait  et  ruinait  ses  sanctuaires  dans  les  états  environ- 
nans. 


'  Sapien,,  vi,  '26. 
*  Num.,  11,  -iq. 


ciiLz  i.j  6  Cil  vM)j:i:.\i.  ÏV:  1 

Le  tl(  r;;c,  livre  à  lotis  1rs  patriarches,  piinials  cll^Japluiciis  ', 
stibsiiuiant  dans  les  églises  clKildccnne,  syrienne,  f^rcccjue,  ainr:- 
nienne  ei  tOi)tc  leur  despotisme  ignorant  à  r.iutoiile  cilaiiec 
des  souverains  pontifes-,  ne  partieipi  ()oint  à  la  rcfoiinc  de  la  dis- 
eiuliue  laiiiic,  qui.  au  moyen  de  la  loi  i\u  célibat,  centuplait  sa 
l'oree  et  l'élevait  tout  à  coup  à  un  jubte  dejjié  de  purett_,  de 
jjloire,  d'indépendance  et  de  sainteté.  Il  continua  de  judaiser  en 
ce  point  au  lieu  d'entrer  dans  le  mouvement  de  profjiés  vers  le- 
quel le  poussait  la  perfeeliou  de  la  loi  nouvelle.  Aussi  a  t-il  tou- 
jours lanjjui  dans  un  étal  d'abaissement  et  d'inlériorité  qu'il  est 
utile  de  si[;naler  en  ce  siècle  ou  l»;  niaria{j;e  des  prêtres  trouve 
eneore  des  apologistes.  Nos  eatholiqucs  qui  n'ont  jamais  eu  sous 
les  yeux  le  triste  spectacle  d'un  clergé  marié,  et  noire  clen;ë  lui' 
même  que  troublent  peut  èlrc  parfois  les  sopbisims  et  lesob'ec- 
lions  de  ses  ennemis  béniront  avec  nous  li  srigesse  infaillible  de 
r^glisc  qui  pir  le  réglemcn*^  du  célibat,  rend  1-  -accrdoce  dii^nc 
el  capable  de  remplir  toutes  ses  fondions. 

En  effet,  la  première  remarque  de  celui  qni  ob^c^vc  le  cler",c 
des  églises  de  l'Arménie  et  de  la  Clialdéc  porte  sut  la  dillérr  nce 
extrême  qu'établit  enire  leurs  membres  la  double  conJition  du 
mariage  et  de  la  virginité.  Le  patria relie  ,   les  éveques ,  cl  ceux 


'  Le  Maphien  était  chez  Ks  jacobilos   lu  coailjulcui  du  paliijiclie  , 
cette  dignité  ecclésiastique  est  actuellement  «uppriiiue. 

*  L'Arménie  scliismalique  est  encore  divisée  entre  les  quatre  patt  iar- 
elles  de  Constantinople,  d'Etcliemiazin,  «l'Aglitliamai-  et  de  Sis.  La  Rus- 
sie en  a  supprimé  un  cinquième  qui  résidait,  il  y  a  quelques  années  a 
Caudzasar.  Dans  le  raoïit  Mediace.  api^ellé  aussi  Toiu  a  Abdin  ,  qui  se 
prolonge  de  .Merdin  à  Djézirch  et  où  sont  répandus  rto  villages  jacobi- 
les  ,  il  y  avait,  an  commencement  de  ce  siècle,  six  évèqnes  sai  jo^cant  à 
la  fois  le  litre  de  patiiarclie.  Le  patriarche  actuel  des  ^estoriens,  dans 
une  lettre  i\n\\  femit  écrire  «lernièrcmeiil  à  mu  de  nos  évèques  ealLoli- 
(jues  de  la  Chalrlée,  l'appelle  naivemeni  le  i)al,  iaiche  de  iOrûriL  C  est 
aiubi  que  les  Orientaux,  avec  l'orgueil  de  leuis  titres,  out  perdu  la  fu 
iille  de  1  humilité  el  sa  récompense. 

iij«  SLRiE.  lo.ME  VI.  --  iN'^  36.  1842.  27 


/|22  13K    L\   Vit   KhLlGlEUSE 

({u'iiouoie   le  jjraile  de  ilocleiussont  pris  exclusivemenl  dans  la 
dernière  classe,  comme  étant  la  plus  parfaite,  et  les  autres  ne 
parviennent  jamais  à  ces  rangs  de  la  liiérarcbie  sacerdotale.  Les 
honneurs,  le  respect  et  la  confiance  qui  environnent  les  premiers 
ne  sont  point  accordésaux  seconds,  dont  le  ministère  est  simple- 
ment considéré  coimiie  le  métier  le  plus  noble  et  le  plus  saint  de 
la  communauté.  Une  répuf^nance  visible  empêche  les  fidèles  de 
leur  confier  la  direction  de  leur  conscience,  et  le  sacrement  de  la 
confession  semble  perdre  près  d'eux  de  son  caractère  de  confi- 
dence mystérieuse  et  inviolable.  Les  paroisses,  privées  de  tout  re- 
venu et  grevées  ordinairement  d'impôts  arbitraires  par  les  Pachas 
et  leurs  subalt' rnes,  ne  peuvent  assigner  de  pension  au  desser- 
vant, et  pour  vivre,  lui  et  sa  famille,  il  doit  se  faire   payer  les 
baptêmes,  les  mariages  el  les  enterremens.  Celte  ressource  étant 
précaire   et  insuffisante^  il  doit  encore   exercer  quelque  métier 
manuel,  tel  que  celui  de  charpentier,  de  tailleur,  de  tisserand,  et 
alors,  à  quelle  tentation  n'est  point  exposée  sa  charité  lorsqu'on 
vient  l'appeler  près  d'un  mahde  ou  au  tribunal  de  la  pénitence  ? 
Elle  balancera  entre  le  devoir  et  la  crainte  d'un  dommage  pécu- 
niaire ;  il  calculera  avec  Dieu  le  tems  dii  à   la  prière  et  aux  cé- 
rémonies du  culte,   de  peur  de  diminuer  le* nombre  des  heures 
employées  à  son  travail.  Après  l'accomplissement  des  devoirs  du 
ministère,  et  les  faliPiies  de  la  journée;  il  ne  lui  restera  ni  la  force, 
ni  le  loisir,  ni  le  cœur  de  èe  livrer  à  l'élude  ;  il  oubliera  le  peu  de 
théologie  qu'il  a  apprise,  sans  pouvoir  la  remplacer  par  l'acquisi- 
tion de  connaissances  nouvelles  ;  de  la  sorte,  il  sera  inhabile  à 
répondre  aux  frivoles  objections  des  hérétiques  ou  des  infidèles, 
et  il  ne  saura  pas  décider  les  cas  de  conscience  :  guide   aveugle 
d'autres  aveugles,  il  tombera  avec  eux  dans  l'abîme. 

Viennent  ensuite  deux  autres  observations  qui  exciteront  le 
rire  du  lecteur  :  La  première  est  que  l'épouse  du  prêtre,  portée 
comme  toutes  les  femmes  à  oublier  les  lois  de  subordination  due 
au  mari,  tend  à  usurper  l'empire  domestique,  et  trop  souvent 
elle  y  réussit  :  il  en  résulte  beaucoup  d'abus  et  de  scandales.  Aiï)si, 
certains  prêtres  jacobites  et  arméniens  auraient  accepté  notre  foi, 
sans  les  cris  cl  l'opposition  de  la  femme,  qui  les  menaçait  tout 


CHEZ  LES    CHALDEKi>S.  423 

iiiiiiplcineiU,  par  ci>piit  decoiUradictioii,  de  se  faire  iiiusuliDauc. 
Dans  le  iiu'iia[;e,  en  ouUe,  elle  est  le  repiéseulanl  du  piintipc 
mondain  et  temporel,  sans  cesse  en  luUe  avec  l'élément  spirituel , 
et  le  ministre,  condamné  à  cet  anta^unisme,  jouit  difficilement  de 
la  paix. 

Secondement,  la  subsistance  précaire  du  prêtre  nuit  encoie  à 
son  indépendance  nécessaire,  en  le  livrant  à  la  merci  du  riche, 
qui  lui  fournit  le  travail  et  sa  rétribution.  Ce  ricbe  est  générale- 
ment un  laïc,  et  la  domination  exercée  sur  l'homme  s'étendant 
bientôt  sur  l'autel  qu'il  dessert,  l'Eglise  est  exposée  à  tous  les  pé- 
rils d'une  diiection  arbitraire  et  présomptueuse. 

Celte  habitude  de  dépendance,  plus  humiliante  parmi  le  clergé 
dissident,  est  une  punition  de  sa  révolte  contre  l'autorité  légitime 
de  l'Eglise.  Les  patriarches  d'Arménie  étaient  les  très  humbles 
serviteurs  de  leurs  rois,  tant  qu'ils  en  ont  eu,  et  ils  sont  tombés 
ensuite  dans  le  servage  des  sultans,  des  pachas,  de  leurs  eunu- 
ques, et,  enfin,  des  banquiers  arméniens  de  Constantinople.  De 
même  le  patriarche  de  la  Gbaldée  était  ordinairement  la  créature 
du  médecin  en  chef  entretenu  par  les  rois  de  Perse,  et  ensuite  par 
les  califes  de  Bagdad  :  plus  tard,  le  corps  des  marchands  voulut 
hériter  des  droits  du  médecin,  et  on  retrouve  encore  de  nos  jours, 
parmi  eux,  les  velléités  de  cette  prétention. 

Le  retour  définitif  de  l'Eglise  orientale  à  l'unité  n'est  possible 
que  par  la  formation  d'un  clergé  docte,  zélé  et  avide  des  seuls  biens 
éternels  :  c'est-à-dire  qu'il  doit  premièrement  adopter  la  disci- 
pline latine  relativement  au  célibat,  cette  vertu  étant  la  source  de 
toutes  les  autres,  comme  le  prouvent  nos  réflexions.  L'Eglise  ro- 
maine,  qui  a  toujours  toléré  ici  l'imperfection  du  mariage,  de 
peur  d'effaroucher  les  Orientaux  mal  affermis  dans  la  foi  et  opi- 
niâtrement attachés  au  passé,  abolira  celle  exception  à  mesure 
qu'elle  reprendra  sur  eux  res  droits  nécessaires.  Par  exemple,  tout 
le  clergé  arménien -de  Constantinople  a  imité  la  régularité  du 
notre,  et  la  ré/b/vne  s'opérera  facilement  dans  l'intérieur  de  l'Asie  , 
si  l'on  a  soin  de  placer  à  la  tète  de  l'épiscopat  des  hommes  élevés 
par  la  Propagande  dans  la  capitale  de  l'orthodoxie  ,  et  jaloux  de 
l'incomparable  supériorité  du  clergé  dCiccident.  On  ne  peut  liop 


424       D£  LV    vu:  KKLlGlIXSi:  CHEZ  LES  Cll\LUliEAS. 

recommander  aux  prélals  de  prolé[jeret  d'encourager  les  instilu- 
tiens  religieuses  propres  à  favoriser  ce  renouvellement,  et  de  n'é- 
lever au  sacerdoce  des  pères  de  famille  que  dans  le  cas  d'absolue 
nécessite,  et  surtout  s'ils  en  sont  dignes  :  car  mieux  vaut  à  un  pays 
de  manquer  de  prêtre  que  d'en  avoir  un  mauvais. 

Les  ordres  monastiques,  une  fois  constitués  dans  l'Église,  lui  ont 
fourni  constamment  la  majorité  des  chefs  qui  la  gouvernent.  îl 
n'est  ijuère  de  souverain  pontife  qui,  avant  de  siéger  sur  le  trône 
de  saint  Pierre,  n'ait  acquis,  dans  le  silence  de  la  cellule,  la  piélé, 
les  lumières  et  toutes  les  vertus  religieuses ,  qui  sont  la  meilleure 
préparation  possible  pour  ce  ministère,  le  plus  beau  et  le  plus 
diflicile  de  tous  les  ministères.  La  plupart  des  prélats  dont  la  li- 
turgie des  peuples  célèbre  la  mémoire  avaient  été  formés  à  la  dis- 
cipline ecclésiastique  par  celle  de  leur  religion;  la  pourpre  ni  la 
mitre  ne  changeaient  point  la  simplicité  de  leurs  habitudes, et  ils 
continuaient,  au  milieu  du  siècle  ,  à  aimer  l'humilité  et  la  péni- 
tence. L'institution  de  nos  séminaires  a  pour  but  de  suppléer  au 
noviciat  des  cloîtres,  et  l'on  peut  juger  de  leur  mérite  par  le  de- 
gré de  ressemblance  qu'ont  avec  de  vrais  religieux  les  jeunes  lé- 
viles  qui  en  sortent.  En  un  mot,  le  clergé  catholique  doit  sa  vie  , 
sa  force  et  sa  gloire  aux  ordres  formés  dans  son  sein;  ils  sont  les 
arsenaux  et  Us  boulcvarls  de  l'Église  militante.  Ils  lui  sont  néces- 
s  lires  pour  sa  défense  tant  qu'elle  aura  des  ennemis: ce  qui  veut 
dire  qu'ils  sontéterneh  et  invincibles  comme  elle.  Grand  est  donc 
l'aveuglement  des  hommes  qui  ont  rêvé  leur  perte  I  Ces  ordres 
monastiques  se  relèveront  de  leurs  cendres  plus  parfaits  et  plus 
éclatansde  sainteté  et  de  savoir  dans  tous  les  pajs  de  la  catholi- 
cité; lallamme  qui  les  a  dévastés  aura  été  purificatrice  aussi  bien 
que  le  sang  de  leurs  martyrs,  et  cette  résurrection  ne  sera  point  le 
fruit  de  la  faveur  ou  de  la  violence,  mais  l'annonce  et  le  résultat 
du  règne  de  la  loi  publicpie,  qui  seconde  le  plus  puissamment 
aujourdhui  no'rc  rénovation  spirituelle,  la  liberté  de  conscience. 

T'UGÈ.NE  BOnt. 
-Mcuibrc  correspondant  de  rinslilut- 


KTUDE    DES    MOiNUMENS    .\5TRO>iO.MIQUJ;S.  425 

Cour»  îif  M.  L'iiiouiic  au  lOlU' jjc  ^r  jTiutcf. 
ÉTUDE  DES  MONUMENS  ASTRONOMIQUES 


anfien!^  peuples  de  TEgypte,  de  TAsio  et  de  la  firt'oe,  oondnisani  à  la 
réfiUaiion  scienlifique  roniplètedu  svshMiio  de  Diipui*-. 


Do  l'astrologie  chez  les  Chaldéens,  chez  les  Lgyptiens,  chez  les  Grecs 
et  les  Romains.  —  C'est  par  suite  des  progrès  de  l'astronoraie  dans 
Técole  d'Alexandrie,  et  du  développement  de  l'astrologie,  que  le  zo- 
diaque grec  passa  en  Egypte,  dans  l'Inde,  la  Perse,  et  jusqu'en  Chine. 
—  Résumé  général. 

C'est  en  É^^ypte  et  en  Clialdée  que  prit  naissance  rastrologie 
judiciaire,  qui  consistait  à  prédire  les  événeoiens  de  la  vie,  le  genre 
ciemorl,  d'après  les  circonstances  astronomiques  de  la  nativité,  et 
même,  ce  qui  est  plus  absurde  encore,  de  la  conception  ^  Pres- 
que tous  les  auteurs  s'accordent  à  placer  dans  ces  deux  pays  le 
berceau  de  cette  science  mensongère,  fille  folle  cViuie  mère  sage  \ 

*  Voir  le  7e  article  au  n°  55,  ci-dessus,  p.  192. 

'  WUruYC  {Ârchi t.,  ix,  6,  2)  parle  d'un  astrologue,  c  Qui  ellam  nou 
è  ?iasceiiiia,  sed  è  coticepiione  rationes  explicatas  rcUquit.  » 

'  Kepler  j  Prœfat.  ad  Tabul.  RudolpJibi.  —  Il  y  a  bien  des  restric- 
tions à  faire  à  lopinion  selon  laquelle  l'astrologie  aurait  puissamment 
contribué  aux  progrès  de  l'astronomie.  D'abord,  il  est  certain  que  si 
l'astronomie  n'eût  pas  été  perfectionnée  par  les  savans  de  l'école  d'Ale- 
xandrie ,  l'astrologie   n'aurait   jamais   exercé  nul  an  t   d'empire  sur  les 


420  KTIJDF    I^FS    MONîlMPNS    Ai^TRONOMlQUES  ; 

Il  parait  que  la  iiiétIioJe  employée  par  les  Clialdc'ens  dans  leurs 
recherches  astrol()j]iqiies  n't'tail  pas  absolument  la  même  que 
celle  des  É{> ypliens  ;  car  les  auteurs  les  distinguent  soigneusement. 
Mais  en  quoi  consistait  la  différence,  c'est  ce  qu'il  est  peut-êlre 
impossible  de  dire  avec  précision  '.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'usage  de 
cette  prétendue  science  était  répandu  en  Egypte  dès  la  plus  haute 
antiquité ':  Hérodote  l'y  trouva  florissante,  et  jouissant  d'une 
grande  faveur  ^ 

Les  anciens  parlent  souvent  de  deux  astrologues  égyptiens  , 
Pétosiris  et  Nécepsos,  qui  avaient  composé  des  ouvrages  où  était 
décrite  et  employée  la  méthode  astrologique  des  Egyptiens.  Ces 
ouvrages,  probablement  pseudonymes,  ne  nous  sont  connus  que 
par  des  citations  éparses  dans  divers  auteurs  récents  ;  mais,  quoi- 
que ces  fragmens  ne  suffisent  pas  pour  donner  de  la  méthode 
une  idée  exacte  et  complète,  il  en  résulte  cependant  que  les  ou- 
vrages attribués  à  ces  astrologues  contenaient  le  Thème  natal  du 
monde  ,  et  la  Théorie  des  Décans.  Est-ce  à  dire  pour  cela  que  les 
Egyptiens  aient  eu  de  tout  tems  l'habitude  de  représenter  dans 


esprits.  Les  astrologues  ont  mis  à  profit  les  travaux  des  astronomes ,  ils 
ont  appelé  en  témoignage  de  leurs  rêveries  une  science  qu'ils  n'avaient 
pas  faite,  et  qui  s'était  développée  en  dehors  de  leurs  combinaisons  fan- 
tastiques. Tant  qu'a  duré  l'alliance  de  l'astrologie  et  de  l'astronomie,  par 
exemple,  de  Ptolémée  aux  Arabes,  l'astronomie  n'a  fait  aucun  progrès 
sensible. 

'  Serait-ce  que  les  Égyptiens  avaient  égard  seulement  ou  plus  parti- 
culièrement aux  influences  des  étoiles  fixes,  comme  on  pourrait  le  con- 
jecturer àlinspection  du  plafond  sculpté  dans  le  tombeau  de  Rliams*'^ 
IV,  tandis  que  les  Chaldéens  tiraient  exclusivement  leurs  pronostics  de 
la  position  des  planètes  dans  le  zodiaque? 

'  Cicér.,  De  Divin.,  \,  i  :  a  Eamdem  artem  eliam  Egyptii  longinqui- 
tate  temporum  innumerabilibus  pêne  sœculis  consecuti  putantur.  » 

'  Hérodot.,  Il,  8*2  :  Kaî  Ta^^i    àXÀx    AÎYJ-TÎc.al  è-jrt  i^e'jprttsva....  xat    rf 


RÉFUTATION     \)V    DUPTJIS.  427 

les  tombeaux  et  dans  les  temples  les  thèmes  génélliliaques?  Les 
monumens  anc/ews  de rÉgypte  n'en  fournissent  aucune  preuve, 
quoi  qu'on  en  ait  dit  :  la  plupart  des  scènes  auxquelles  on  a  donné 
une  signification  astronomique  ne  sont  que  des  scènes  à  la  fois  re- 
ligieuses et  funéraires,  dont  le  sens  est  inconnu.  Pour  trouver  des 
exemples  de  représentations  astrologiques  sur  les  monumens,  il 
faut  descendre  jusqu'au  l^r  siècle  de  notre  ère  ;  ni  l'Egypte  pha- 
raonique, ni  l'Egypte  ptole'maïque  ne  les  ont  employées:  l'Egypte 
romaine  seule  les  a  connues  et  multipliées  sur  les  tombeaux  et 
sur  les  édifices  religieux. 

Ce  ne  sont  pas, assurément,  les  Grecs  du  tems  d'Alexandre  qui 
ont  introduit  en  Egypte  l'usage  des  horoscopes  figurés  sur  les  mo- 
numens; car,  s*il  y  a  quelque  chose  de  certain  ,  c'est  que  ,  avant 
d'avoir  conquis  l'Orient  par  les  armes  d'Alexandre,  la  Grèceétait 
à  peu  près  étrangère  à  toutes  les  superstitions  astrologiques  dont  la 
Cbaldée  et  l'Egypte  étaient  infatuées  ;  la  nécromancie  et  la  magie 
nous  apparaissent,  il  est  vrai,  au  berceau  de  la  société  hellénique, 
comme  le  témoignent  la  descente  d'Ulysse  aux  enfers  ',  les  my- 
thes de  Médée  et  de  Circé  ;  mais  ces  superstitions,  qui  faisaient  fu- 
reur en  Grèce*,  au  tems  des  guerres  médiques,  ne  doivent  pas 
être  confondues  avec  l'astrologie  judiciaire.  La  seule  astrologie, 
dont  parlent  les  auteurs  antérieurs  à  Alexandre,  est  l'astrologie 
qu  on  pourrait  appeller  naturelle,  et  qui  consistait  à  observer  l'in- 
fluence que  le  coucher  et  le  lever  des  astres  pouvaient  exercer  sur 
la  température,  sur  les  cliangemcns  de  l'atmosphère  et  des  sai- 
sons, etc.  Après  la  réforme  de  Méton,  on  prit  l'habitude  d'expo- 
ser dans  les  villes  grecques  des  tables  des  levers  et  des  couchers 
des  astres,  pour  chacun  des  jours  de  la  période  de  19  ans  (Ivvca- 
xatosxas-rr.piç  )  ;  on  y  consignait  aussi,  pour  chaque  jour,  les  pro- 

*  Odyss.y  XI.  —  Les  femmes  de  la  Thessalie  étaient  fort  anciennement 
célèbres  par  leur  habileté  dans  la  magie;  elles  exerçaient,  disait-on,  leur 
pouvoir  sur  la  lune ,  et  pouvaient ,  par  leurs  enchantemens  ,  la  faire  des- 
cendre sur  la  terre.  Voy.  Aristophane  ,  Niib.,  740-743  ;  Boissonade.  Cf. 
Platon,  Gorg.y  §  68  ;  Virgile,  Eclog.,  viii,  69;  Lucain,  Phars.,  ri,  452. 
Ra/'iem,  non  ih'idilatem. 


/r28  KTinK  df.s  momîmi.ns   a.«^tro\omiqups; 

uôRlics  iii«'lt'«)iologiqiio^  qu'on  en  lirait  :  ces  tables  s'appelaient 
p.trapegmrs  ['r.xoy.r:r;^>j.'x-'x).  Les  ub^crVv1lions  d'après  lesquelles  on 
«iressa,  ilepuis  iMttou,  ces  catalo^;nei  des  phénomènes  naturels 
lemontenl  aux  tenis  les  plus  anciens,  puisque  déjà,  dans  Hé- 
siode', on  tiouve  rénnniération  des  influences  exercées  sur  les 
travaux  agiicoles,  et  sur  plusieurs  opérations  de  la  vie,  par  les 
dilTérens  jours  de  la  lune  :  cette  énumération  ,  qui  renferme  les 
élémens  d'une  doctrine  météorologique,  présuppose  une  longue 
suite  d'obseï  valions  antérieures  à  ce  poète.  Tous  les  pliilosoplies 
jjrecsont  connu  et  plus  ou  moins  pratiqué  cette  astrologie  usuelle 
qui  fournissait  des  pronostics  pour  les  phénomènes  atmosphéri- 
quPs.  Mais  aucun  d'eux  n'a  donné  dans  les  rèverit  s  de  l'astrologie 
(jénéihliaquc.  Ceux  c|ui,  coinnjc  Eudoxc,  en  avaient  pris  connais- 
sance dans  leurs  voyaj;es  en  Orient,  n'en  ont  exposé  les  principes 
que  pour  les  réfuter  et  leuroter  tout  crédit. 

H  send)]orait,  au  premier  abord,  que  les  Grecs  durent,  aussitôt 
après  leur  établissement  en  l']gyple  et  en  Chaldée,  s'éprendre  de 
1  astrologie  judiciaire,  qui  y  élaitsi  répandue  et  si  estimée.  Il  nVn 
est  rien  pourtant.  Aucun  des  ouvrages  qui  sortirent  de  l'énolc 
d'Alexandrie,  depuis  sa  fondation  jusqu'à  la  conquête  romaine  , 
n'y  fait  allusion  ;  et  cependant,  que  d'occasions  n'eut-on  pas  d'en 
])arlei',  d'en  faiie  des  applications  à  la  décoration  des  monumens 
réparés  ou  érigés  sous  les  Ptolémées  I  Sans  doute,  on  ne  peut  sou- 
tenir que,  vivant  au  milieu  de  peuples  qui  étaient  entichés  de 
l'astrologie  judiciaire,  les  Grecs  y  soient  restés  absolument  étran- 
gers ;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  si  quelques  individus  cré- 
dules et  ignoian'is  se  laissé'  eut  éjjlouir  pnr  l'appareil  scientifique 
(ju'étalaient  les  astrologues,  la  contagion  ne  devint  générale  que 
vers  la  lin  de  la  dynastie  ptoléuîaïque ,  qutuid  les  Romains  siircé- 
dèrenl  aux  (irees.  A  cette  époque,  un  grand  changement  s'opéra. 
l/astrologie,  qui  avait  fait  son  chemin  à  petit  bruit,  se  répandit 
dans  toutes  les  classes  de  la  soei  ti'.  Les  astronomes  et  les  philo- 
sojihes  cssavèreiit  encore,  il  est  vrai,  d'opposer  une  barrière  aux 


Oper.  r-l  (/ir'ç.  snli  lin. 


HKUTATION    DE    OUPUIS.  /f20 

euvaliissemens  île  celte  supersliiion.  Vains  eifoitsi  l'infatnaiion 
était  au  comble,  Tastrologie  avait  tourné  toutes  les  têtes,  elle  lé- 
p,nait  souveraineineiU  sur  les  meilleurs  esprits ,  en  dépit  de  la 
science  et  du  bon  sens  qui  la  réprouvent  également.  Dès-lors,  rien 
n'écliappe  à  l'influence  de  cet  art  mensonger,  ni  les  productions 
liitéraires",  ni  la  philosopbie  %  nirhistoire  %  ni  l'astrologie  ^;  elle 
se  laisse  apercevoir  jusque  sur  les  médaille*  et  sur  les  édifices  tant 
religieux  que  civils. 

A  quoi  peut  tenir  celte  brusque  irruption  de  Fastrologie  dans 
Tempire  romain  ?  Pj  obablement  à  l'absence  de  croyances  positi- 
ves; au  dégoût  invincible  qu'excitaient  les  absurdités  du  paganis- 
me, battu  en  biéclie  de  toute  part  ;  à  la  stérilité  des  doctrines 
pbilosopbiques  qui  se  disputaient  la  faveur  publique,  sans  pou- 
voir la  conquérir.  Le  scepticisme  avait  pénétré  jusque  dans  les 
profondeurs  du  corpssocial,et  ce  n'était  pas  seulement  les  hommes 
les  plus  distingués  qui  avaient  rejeté  avec  mépris  ce  qui  faisait  le 
fond  de  la  religion  populaire.  On  cherchait  donc  à  se  prendre  à 
quelques  superstitions  nouvelles;  on  accueillait  avec  enthousiasme 
en  Gièce  et  en  Italie  le  culte  de  i\Jilhra,  celui  d'Isis  et  de  Sérapis. 
J/astiologie  trouva  les  esprits  merveilleusement  disposés,  et  elle 
fut  adoj)tée  avec  le  même  empressement  que  toutes  les  supers- 
titions venues  de  l'Orient.  La  mystérieuse  obscurité  dont  elle  s'en- 
veloppait avait  une  puissance  de  fascination  dangereuse ,  à  la- 
quelle ne  résistaient  guère  des  esprits  épuisés  et  malades;  plutôt 
que  de  ne  rien  croire,  on  aimait  mieux  se  perdre  dans  la  région 
des  chimères.  C'est  surtout  aux  époques  de  doute  et  de  disso- 
lution sociale  que  toules  les  folies  intellectuelles  sont  contagieuses. 

'  Horace,  ii,  Od.  xvn,  stroph.  5  et  6;  voyez  les  hymnes  fanssement  at- 
tribués à  Orphée,  hymne  vu. 

^  Séuèque,  Consolât,  ad  Marc. y  xvm,  i. 

^  Varroii  s'y  laisse  prendre  comme  tout  le  monde;  voy.  Plutarque, 
In  JiomuL,  §  II. 

*  Ptolémée  lui-même  composa  des  tables  mannelles  à  l'usage  des  astro- 
logues ;  il  est  l'antenr  présumé  du  Tetrabildos ,  qni  traite  des  secrets  de 
In^trologic. 


/|.30  KTUOE    DFS    MONUMFNS    ASTRONOMIQIJFS; 

Au  siècle  dernier,  ceux  qui  ne  croyaient  plus  ni  à  la  religion  ni  à 
rirréligion,  se  jetaient  dans  les  bras  de  Cagliostro,  ou  faisaient 
cercle  autour  du  baquet  de  Mesmer. 

Les  astrologues  étaient  en  mesure  d'entretenir  longtems  Tillu- 
sion  qu'ils  chercbaient  à  produire:  l'astronomie  avait  fait  de 
grands  progrès  sous  les  auspices  des  Alexandrins;  elle  devint  la 
très  humble  servante  de  l'astrologie.  Souvent ,  pour  dresser  des 
thèmes  génélhliaques,  les  astrologues  avaient  à  faire  des  calculs 
fort  compliqués;  l'aslrologie  perfectionnée  des  Alexandrins  leur 
fournissant  les  moyens  de  les  exécuter  sûrement,  ils  la  firent  ser- 
vir habilement  au  succès  de  leur  charlatanisme.  Ainsi ,  tandis 
que,  d'un  coté,  le  scepticisme  universel  leur  laissait  libre  carrière, 
et  aidait  ù  la  popularité  de  leur  art  trompeur,  de  l'autre,  l'astro- 
nomie leur  ])rètait  le  secours  de  ses  méthodes,  leur  gagnait  même 
les  savans  ,  et  consacrait,  pour  ainsi  dire,  de  son  autorité  res- 
pectée, leurs  jongleries  ridicules  '. 

L'histoire  nous  apprend  que  les  empereurs  romains ,  depuis 
Auguste  jusqu'à  Antonin,  furent  presque  tous  plus  ou  moins  fa- 
vorables à  l'astrologie.  Les  médailles  qu'ils  firent  frapper  en 
Egypte  en  témoignent  suffisamment.  L'abbé  Bartlîélemy  en  a 
décrit  quelques-unes  ^  qui  sont  de  l'an  viii  d' Antonin  (Ann.  145 
et  146  de  notre  ère)  et  qui  contiennent  le  thème  natal  du  monde, 
c'est-à-dire  qui  indiquent  la  place  que  les  planètes  occupaient 
dans  le  zodiaque,  au  moment  de  la  création  de  l'univers.  Chose 
remirquablel   il  n'y  a  que  les  médailles  zodiacales  frappées  en 


'  INous  serions  entraînés  !)ien  au-delà  des  limites  que  nous  devons  nous 
imposer  dans  celte  analyse  des  leçons  de  M.  Letronne,  si  nous  vonlions 
citer  tous  les  faits  sur  lesquels  sont  fondées  les  considérations  générales 
qne  nous  venons  d'exprimer  sur  la  marche  et  les  progrès  de  l'astrologie. 
Les  preuves  qui  justifient  l'exactitude  de  cette  rapide  exposition  sont 
développées  au  lon^'  dans  les  Observations  critiques  et  arche'ologiquds 
sur  l'objet  des  représentations  zodiacales  ('2'  partie),  d'où  nous  avons 
tiré  tout  ce  qui  précède. 

^  Acnd.  dos  Inscript.,  t.  XLi,  p.  5oi-5a2. 


RÉFUTATION    DE   DUPUFS.  /fSl 

Kgyple  qui  ollVent  cette  particularité  curieuse.  Il  en  résulte,  non- 
seulement  que  raslrolo[;ie  était  cultivée  et  pratiquée  en  Ej>  vpti^ 
au  2«  siècle  de  notre  ère,  mais  encore  que  l'usage  de  figurer  des 
thèmes  généthliaques  sur  les  monumens  y  était  alors  très-ré- 
pandu. C'est  en  parlant  de  celte  donnée  certaine  que  nous  pou- 
vons prononcer  sur  le  vrai  caractère  des  zodiaques  égyptiens,  et 
de  presque  tous  les  zodiaques  connus.  Entre  les  médailles  dont 
nous  venons  de  parler,  et  ces  représentations  ,  il  y  a  une  liaison 
e'vidente;  l'époque  en  est  à  peu  près  la  même  ;  elles  ont  été  exé- 
cutées dans  le  même  pays,  sous  l'empire  de  la  même  superstition 
dominante;  ces  représentations  doivent  donc  être  à  la  fois  reli- 
gieuses et  astronotniques.  Le  caractère  astronomique,  le  seul 
qu'on  ait  voulu  y  voir,  n'est  qu'apparent.  Sans  doute ,  la  pre- 
mière idée  qui  a  dû  s'offrir,  à  la  vue  du  planispLèrede  Dendérali, 
c'est  qu'il  représente  le  ciel  égyptien,  c'isl-à-dire  toufes  les 
constellations  visibles  sur  l'horison  de  l'Efi,vpte ,  à  la  latitude 
de  quelque  grande  ville,  comme  Tlièbés,  Memphis,  ou  Héliopo- 
lis. Reste  à  savoir  de  quelle  manière  il  les  représente.  Comme  le 
zodiaque  n'est  pas  exactement  au  centre,  et  qu'il  est  plus  avancé 
d'un  côté  que  de  l'autre,  on  a  pensé  que  cette  représentation  du 
ciel  égyptien  était  projetée  sur  un  plan  tangent.  Cette  conjecture  ne 
serait  admissible  que  dans  le  cas  où  le  planisphère  de  Dendérali 
serait  bien  effectivement  une  image  de  la  sphère  égvptienne.  Or, 
c'est  là  précisément,  ce  qui  est  en  question.  M.  îdeler,  nous  l'a- 
vons déjà  dit,  est  d'avis  que  les  constellations  des  Chaldéens,  des 
Egyptiens,  et  en  général  de  tous  les  peuples  orientaux,  n'étaient 
primitivement  que  ôe  simples  noîus,  sans  figures  en  rapport  avec 
ces  noms'.  C'est  dire  qu'il  ne  voit  point  des  constellalions  dans  les 
figures  qui  accompagnent  les  signes  du  zodiaque  dans  le  pla- 
nisphère de  Dendérali.  «  Et ,  en  effet,  rien  ne  prouve  qu'elles 
«représentent  des  constellations;  tout  annonce,  au  contraire, 
»  qu'elles  sont  des  images  purement  symboliques,  liées  avec  les 
»  signes  du  zodiaque  qu'elles  entourent  ou  accompagnent ,    et 


Yoy.  l'article  précédent,  au  n"  53.  ci-drsseis,  p.  9.o3. 


432  Kl l'Di;:   dfs  isiONa^iENS  astronomIques  ; 

»  mises  dans  un  lappoi  t  religieux  avec  Ks  scènes  funéiaires  où 
>•  elles  joiiciit  mi  rôle  qui  nous  est,  quanta  présent,  pari'aileuient 
»  incojHui;  ces  figures  clian{^eaient  ou  restaient  les  mêmes,  «clou 
»  les  céri'monles  qu'on  voulait  peindre  ou  les  rapports  qu'on 
»  voulait  exprimer  *.   > 

Les  deux  zodiaques  de  DendéraL,  le  circulaire  elle  rec(an(ju- 
lalre^  se  ressemblent  quant  à  la  disposition  et  à  la  configuration  des 
signes;  ccda  ne  doit  point  étonner,  puisque  ces  deux  nionumens 
figurés  sont  de  la  même  époque.  Si,  comme  on  Ta  cru,  le  rectan- 
gulaire est  un  tableau  de  laspbère  paranalellontique^  cVst-à-dire 
représentant,  outre  les  signes  du  zodiaque,  les  diverses  constella- 
lions  qui  se  lèvent  ou  se  coucbent  en  aspect  avee  ces  signes,  il 
faut  que  ,  sur  ce  zodiaque  et  ceux  d'Esneh  il  y  ait  identité  entre 
les  figures  qui  sont  censées  représenter  les  mêmes  constellations  ; 
or  celte  identité  n'existe  pas,  comme  on  peut  s'en  convaincre  à  la 
première  inspection,  les  zodiaques  rectangulaires  de  Dendérah  et 
d'Esné,  n'ayant  presque  aucun  rapport  entre  eux,  du  moins 
quant  aux  figures  accessoires.  Si  les  figures  eommunes  aux  deux 
zodiaques  de  Dendérah  sont  des  constellations,  comment  n'oc- 
cupent-elles pas  la  même  position  relative?  La  comparaison  at- 
tentive de  ces  monumens  prétendus  astronomiques  prouve  que 
les  figures  qui  sont  en  dehors  et  en  dedans  de  la  bande  zodiacale 
ne  sont  pas  des  constellations  :  1^  celles  qui  bordent  le  planisphère 
étaient  au  nombre  de  plus  de  36,  et  irrégulièrement  disposées, 
ne  sont  pas  les  Décans,  qui  marquaient  des  intervalles  de  10  de- 
grés ou  de  1/3  de  signe.  2°  La  grande  figure  typhonienne  appuyée 
sur  un  coutelas/ au  pôle  du  planisphère  ,  n'est  pas  la  Grande- 
Ourse;  le  chacal,  qui  marche  sur  un  instrument  aratoire,  n'est 
pas  la  Petite-Ourse.  3"  De  toutes  les  figures  extra-zodiacales  du 
planisphère  de  Dendérah,  il  n'y  en  a  pas  une  seule  qui  soit  dans 
le  grand  zodiaque  d'Esneh  ,  et  (juatre  seulement  se  retrouvent 
dans  le  peut. 

Les  signes  mêmes  no  sont  pas  dans  leur  vraie  position  :  1«  La 
Vierge,  qui,  dans  le  ciel,  est  le  plus  étendu  des  signes,  et  y  oc- 


helronne,  Sur  l'orig,  du  -nd.  grec,  p.  i.^. 


KttLTATlO.N    DE  UL'PLiS.  lOO 

cupc  -îS  deQ)  es,  a  fort  peu  d'étendue  sur  le  planisplicrc  ;  pour 
les  autres  signes,  les  rapports  de  j^iaiuleur  et  de  diilaiice  ne  sont 
pas  plus  lidc'eiueiU  observés.  2"  Le  Cancer  n'est  point  placé  dans 
la  série  ;  il  a  été  mis  exactement  au-tlessus  du  Lion  (le  déplace- 
ment du  Cancer  est  un  t'ait  analogue  à  celui  que  nous  avons  re- 
marqué, en  parlant  du  zodiaque  peint  sur  la  cais^cde  la  moniie 
de  Pétéménopliis  '.  Dans  celui-ci  le  Capricorne  a  été  re  iré  de  la 
série  des  signes,  pour  cire  placé  au-dessus  de  la  tète  de  la  grande  li- 
gure de  déesse,  à  droite  et  à  gauche  de  laquelle  les  autres  signes  sont 
disposés.  La  présence  d'un  zodiaque  dans  cette  caisse  de  jnomie  , 
la  disposition  des  signes  autour  de  la  grande  figure  qui  occupe  le 
fond  de  la  caisse,  enfin^  et  surtout,  le  déplacement  du  Capricorne, 
isolé  et  mis  à  part ,  comme  pour  dominer  toute  la  scène,  sont 
autant  de  traits  frappants  et  décisifs  qui  indiquent  que  ce  Béîcmc- 
no]diis  était  né  sous  l'influence  du  Capricorne.  L'inscription  grec- 
que qui  existe  au  milieu  des  liiérogly})lkes  permet  de  faire  une 
vérification.  Elle  nous  apprend  que  Pétéménopliis  mourut  le 
8  payni  de  l'an  xix  de  Trajan,  apiès  avoir  vécu  21  ans  l  mois  et 
22  jours,  ce  qui  donne,  le  12  janvier  de  l'an  9,5,  pour  le  jour  de 
sa  nai-rsance.  Or,  le  12  janvier  9j,  le  soleil  était  vers  le  IG"  degré 
de  la  cunslellatiuii  du  Capricorne.  Celte  vérification  achève  de 
démontrer  que  le  zodiaque  de  la  caisse  exprime  le  thème  natal 
du  personnage  ;  d'où  l'on  peut  conclure,  par  induction,  que  les 
zoiliaques  de  Dendérah  etd'Esneh  sont  desreprésenlalions  dont 
Tobjet  est  astrologique,  et  qu'il  y  faut  voir  aussi  des  thèmes  génc- 
tl)lia(jues  distinés  à  marquer,  soit  l'époque  de  la  fondation  des 
temples  où  ils  furent  placés,  soit  celle  de  la  naissance  de  Tempe- 
reursous  lequel  ces  temples  ont  e'té  construits  ou  achevés  ,  soit 
enfin  l'époqtic  de  la  naissance  des  divinités  auxquelles  ces  tem- 
ples furent  consacrés.  Les  zodiaques  de  Dendérah  ressendjlent 
tout-à-fait  à  celui  de  la  caisse  de  momie  dont  le  serjs  et  l'objet 
sont  clairement  indiqués;  d'autre  part,  plu^ieurs  outres  repré- 
sentations zodiacales  du  même  tenis,  comme  le  planisphère  de 
liiaiichiui;  celle  du  propylon  d'Ackmim  vue  par  Pococke,  celle  du 


'  Voyez  le  5<^  article,  t.  iv,  p.  545,  note  4- 


VSA        i':tlde  des  jionumews  astrojnomiqles  ; 

Icmple  du  Soleil  à  Paliiiyrc,  celles  des  médailles  impériales,  ont 
des  caïaitères  évidemment  asUologiques  ;  il  eu  résulte  doiic  les 
plus  loi'les  raisons  de  croire  que  les  zodiaques  de  Dendéi ah  vt 
d^Esnch  sont  aidant  fout  des  juonumcns  aslroloi^iques.  C'est  de 
ce  point  de  vue  qu'il  faut  les  étudier^  si  l'on  veut  péne'ti  er  le 
sens  encore  inconnu  de  toutes  les  figures  symboliques  qui  ac- 
compagnent les  signes  ;  les  caractères  astronomiques  n'y  sont  que 
secondaires^  et  ils  sont  certainement  subordonnés,  dans  leur  em- 
ploi, à  l'intention  astrologique  qui  a  présidé  à  l'exécution  de  ces 
monumens. 

En  vain  objecterait-on  la  présence  de  quelques  figures  qu'on 
prend  pour  des  signes  du  zodiaque  sur  des  monumens  de  l'épo- 
que pharaonique  ;  car  ces  représentations  n'ont  nullement  le  ca- 
ractère zodiacal.  On  n'y  voit,  en  elFet,  ni  la  succession  de  î)1u- 
sieurs  signes,  ni  l'une  de  ces  figures  qui  sont  exclusivement  zo- 
diacales,  savoir  :  le  Capricorne  et  le  Sagittaire.  Par  exemple, 
dans  le  plafond  au  R.ames5cum  de  Tlièbes,  la  scène  que  l'on  a 
crue  astronomique,  parce  qu'on  y  voit  les  figures  d'un  taureau, 
d'un  lion,  d'un  crocodille  et  d'un  scorpion,  mises  en  rapport 
avec  des  figures  symboliques,  celte  scène,  disons-nous,  est  reli- 
gieuse et  funéraire;  tel  était  en  effet  le  double  caractère  du 
llamesséum;  il  était  consacre'  au  grand  dieu  Amon-Ra,  et  ser- 
vait en  outre  à  la  sépulture  des  rois  '.  Ce  qui  prouve  qu'elle  n'est 
point  zodiacale,  et  qu'on  n'en  peut  tirer  aucune  induction 
chronologique  sur  l'époque  où  elle  a  été  sculptée,  c'est  qu'on  la 
retrouve  dans  d'autres  tombes  royales,  et  que  la.  pose  du  Tau- 
reau et  du  Lion  diffère  absolument  de  celle  qu'ils  ont  dans  les 
zodiaques  égyptiens  (ainsi,  le  Lion  du  Ramesséum  ne  marche 
pas,  et  se  termine  en  queue  de  crocodile,  tandis  que  celui  des 
zodiaques  marche).  11  y  a  aussi  des  scènes  de  ce  genre  dans  les 
caisses  de  momies  (par  exemple,  dans  une  de  celles  qui  sont  con- 
servées au  Musée  Britannique)  ;  et  on  ne  concevrait  pas  que  l'on 
eût  placé  dans  des  tombeaux,  où  personne  ne  pouvait  les  voir, 
des  tableaux  astronun.iques,  indiquant  uniquement  l'état  du  ciel 

'  Lvhouiic,  Sur  le  lumOcciU  d'0''j/uufidYas.  \>,  i6. 


KEFUTATlOiN    DE    UU1»UIS,  lo'j 

à  l'époque  de  la  naissance  ou  de  la  mort  il'un  peisoi)n.3P,e.  Il  se- 
rait bien  plus  naturel  de  voir  dans  ces  tableaux  funéraires  Tin- 
icntion  de  marquer  l'influence  astrologique  sous  laquelle  ce  per- 
sonnage était  né;  mais,  comme  nous  Tavons  déjà  dit,  il  est  peu 
probable  que  les  Egyptiens  aient  eu  ,  de  tout  tems ,  1  babitude 
de  figurer  sur  les  monumens  des  tbêmes  génétbliaques. 

Après  avoir  épuisé  tous  les  argumens  qui  établissent  l'origine 
grecque  du  zodiaque  égyptien,  il  nous  reste  à  examiner  briève- 
ment rorigine  du  zodiaque  solaire  des  Indiens,  des  Cbinois  et  des 
Persans.  En  démontrant  que  ces  peuples  l'ont  emprunté  aussi 
aux  occidentaux,  qu'il  est  étranger  à  leur  splière  primitive,  nous 
lèverons  les  dernières  objections  qu'on  a  opposées  à  la  tbéorie 
nouvelle  que  nous  avons  développée. 

Dès  la  plus  haute  antiquité  ,  il  a  existé  dans  llude  un  zodiaque 
lunaire,  divisé  en  27  constellations,  appelées  nakschairas  (qui, 
dans  le  8'  siècle  de  notre  ère,  ont  passé  aux  Arabes).  Les  plus  an- 
ciens monumens  écrits  de  l'Inde  y  font  allusion,  et  les  noms  des 
douze  mois  indiens  sont  pris  d'autant  de  nakschatras.  Mais  le 
zodiaque  solaire  en  douze  constellations,  avec  les  mêmes  noms  et 
les  mêmes  figures  que  chez  les  Grecs,  est,  au  contraire,  fort  ré- 
cent. Il  n'en  est  question  ni  dans  les  Yédas,  ni  dans  le  code  de 
Manou,  ni  dans  leRamayana,  ni  dans  le  Bhagavadgita  \  quelques 
indianistes  ^  pensent,  en  effet  ,  que  les  passages  où  se  montre  la 
notion  d'un  zodiaque  solaire  ont  été  interpolés.  Les  trois  zodiaques 
solaires  que  l'on  a  trouvés  dans  des  pagodes  indiennes  ,  et ,  il 
faut  le  remarquer  ,  au  midi  de  la  péninsule  ,  n'infirment  point 
nos  assertions.  Le  plus  célèbre  est  celui  qu'a  décrit  John  Call  dans 
une  lettre  à  Maskeline  ".  Les  douze  signes  s'y  succèdent  dans  le 


'  Dans  un  niéraoire  récent  Sur  l'origine  grecque  du  zodiaque  (cité 
dans  le  Journal  des  savans,  i84i  ,  p.  755;  Cf.  Letronne,  Recueil  des 
inscript,  grecques  et  latines  de  VEQpte^  t.  i,  Introd.,  p.  \xi  ),  M.  Adolf 
Holtzmann  explique  tous  ces  textes  dans  un  scus  favo»;able  à  la  nouvelle 
théorie. 

-  Traiimct.  philo^opli,  Ann.  1772. 


même  ordre  (jue  sur  notre  zodiaque;  seulement,  on  remarque  tic 
li'gères  diilc'renccs  dans  la  configuration  de  quelques  situes.  Ainsi, 
le  Taureau  est  remplace  par  un  Zébu  ;  au  lieu  du  Verseau,  il  y  a 
un  vase  à  deux  anses ,  la  Vierge  est  une  jeune  fille  nue,  portant 
la  main  à  sa  tèle,  et  assise  à  la  manière  indienne  5  une  chèvre  et 
un  poisson,  formant  deux  fip,ures  séparées,  tiennent  la  place  du 
Capricorne  ;  un  arc  et  une  flèche,  celle  du  Sagittaire.  Ces  dilVé- 
rences,  comme  on  le  voit,  ne  portent  sur  rien  d'essentiel;  c'est 
donc  bien  à  tort  que  Bailly  ^  en  a  conclu  que  ce  zodiaque  était 
original,  et  que,  loin  d'être  une  copie  altérée  de  celui  des  Grecs, 
il  avait  servi  de  modèle  à  celui  des  Egyptiens.  Il  insiste  beaucoup 
sur  ce  que,  les  Brachmanes  ont  trop  d'orgueil  pour  adopter  rien 
de  ce  (jui  est  étranger  ;  mais  comment  douter  qu'ils  aient  fait  des 
emprunts  aux  Occidentaux,  quand  on  voit  les  astrologues  indiens 
se  servir  de  dénominations  étrangères  à  la  langue  sanscrite  pour 
désigner  les  constellations  du  zodiaque  solaire,  et  pour  indiqiwr 
ccrtiiines  ])articularités  du  cours  des  ))lanètes.  De  la  sinqde  com- 
paraison des  termes  ressortira  évidemment  l'origine  grecque  de 
tes  dénominations. 

LISTE  DES  JNOxMS. 


iVowy  gnci. 

Aoms  i/ii 

Kv.ô:. 

Bélier. 

Rryi.J. 

Trjçc. 

Taureau. 

Tavuru  \ 

Aî^jw.v.. 

Gémeaux. 

lulhunia. 

Kaf/.î/cî. 

Cancer. 

kulira  '. 

Aï'wv, 

Lion. 

Leva. 

llaiOfvc. 

Vierge. 

P.^riliona. 

zn^;. 

iMlancc. 

Yuka. 

i«:77Îc;. 

Scorpion. 

(^or['ia. 

Ti^^JTYi:. 

Scigittairc. 

Tankcliika. 

Â-VC)C-?c>r. 

Capricorne. 

Akokéra. 

T^:oxVo;. 

^  ers  eau. 

Mridoga. 

V/h-'ji:. 

Poissons. 

L^tlmsi. 

UUà. 


'  JJiil.  (le  l'asli .  aiuiennc,  p.  488.  àoi,  60 j. 

^  Il  ne  l.iul  pas  oublier  que  le  UiOl  lavfoibc  prouotjçjil  Tuvios. 


C'est- à  dire  signe  des  Coiurcs. 


C'est  par  suite  des  rehitions  fiéquenles  qui  s'établirent  entre 
rinde  et  l'Occident,  dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère,  que 
l'astrolCj-rie,  le  zodiaque  solaire  en  î2sif^nes,et  l'usage  delà  se- 
jiiainc  }}Iané(aire  \)asseicnt  dans  Vïnde.  La  découverte  des  mous- 
sons du  N.-E.  et  du  S.-O.  qui  conduisent  de  rcndjoucliure  de  la 
iner  Rouge  aux  côtes  de  l'Inde,  et  vice  versa, ,  muhiplia  les  rela- 
tions entre  cette  contrée  et  l'Ei^ypte  romaine  :  îles  ambassades  in- 
diennes vinrent  en  Occident  sous  Auguste  ';  les  brachmanes  voya- 
gèrent dans  l'empire  sous  Hélio^abale,  sous  Constantin  el  sous  Ju- 
lien Les  choses  se  sont  passées  de  ivème  en  Chine  ;  là,  de  toute 
antiquité,  on  connut  un  zodiaque  lunaire,  partagé  en  28  constel- 
lations appelées  sou.  \ers  le  règne  de  Marc-Aurèle  Antonin,  au 
milieu  du  2«  siècle,  le  zodiaque  solaire  y  fut  inuoduit  avec  l'as- 
trologie. 

Cn  mot  seulement  de  la  Pi  rse.  Dans  le  Zend-Avesta,  qui  est  le 
grand  monuîuent  littéraire  de  la  Perse,  il  n'y  a  nulle  mention 
du  zodiaque  solaire  :  c'est  seulement  dans  le  BoundcJiesch^  com- 
pilation rédigée  après  la  conquête  musulmane,  qu'd  est  question 
d'un  zodiaque  solaire  entièrement  semblable  à  celui  d'Hipparque, 
commençant  par  le  Bélier,  qui  y  correspond  à  l'équinoxe  de 
prinlems.  Il  est  bien  vrai  que  les  anciens  Perses  ne  connaissaient 
pas  le  calendrier  lunaire,  et  qu'ils  employaient  une  année  solaire 
de  365  jours,  avec  intercalation  de  30  jours  tous  les  120  ans  ;  mais 
c'est  en  Chaldée  seulement  que  celte  année  solaire  des  Persans 
devint  fixe,  de  vague  qu'elle  était,  après  que,  par  suite  de  l'in- 
vention du  zodiaque,  les  Chaldcens  rattachèrent  les  12  mois  aux 
12  signes.  Quant  aux  bas-reliefs  niilhriaques,  auxquels  plusieurs 
savans  ont  donné  une  signification  astronomique  et  zodiacale, 
nous  nous  abstiendrons  d'en  parler,  car  on  n'en  a  pas  encore  par- 
faitement déterminé  le  sens  et  l'objet;  il  est  peu  probable,  ce- 
pendant, que  des  recherches  ultérieures  conduisent  à  des  résultats 
qui  ébranleraient  les  bases  de  la  nouvelle  théorie,  qui  se  concilie 
si  bien  avec  tous  les  faits  connus  :  ces  monumcns  étant,  selon 
toute  apparence,  postérieurs  à  notre  ère,  on  n'en  pourra  rien  con- 
clure en  faveur  de  l'existence  d'un  zodiaque  solaire  en  Perse. 

»   Slraboii,  liv.  xv,  ch.  r^  j  ^3,  édil.  Couiy,  t.  v,   \>-  ^yx  de  la  Irad.  li-. 
nie  SÉRIE.  TOME  vi.  —  N"^  36.  18^2.  28 


4i5<S  KiLDi:    1>KS     :.iO-MJMli:NS    AblUUrsO.MlQUES. 

Eiifin,  il  existe  trois  sphère^,  que  Bailly  et  Dapuis  ont  pro- 
duites en  preuvL'  de  leurs  systèmes  ;  ce  sont  celles  qu'ils  appel- 
lent sphère  in.lienue,  sjiLère  persienne  et- sphère  barharique. 
Bailly  donne  à  la  première  /|,000  ans  d'antiquité>  2,500  à  la  se- 
conde, et  il  place  la  troisième,  d'après  NcAylon,  entre  l'expédi- 
tion des  Argonau'ics  et  la  guerre  de  Troie'. — Mais  ces  trois 
sphères,  citées  par  Scaliger  dans  son  Commentaire  sur  Mauilius, 
sont  extraites  d'Aben-Ezra,  auteur  du  i  1*"  siècle  de  notre  ère. 
Eiles  n'ont  donc  aucune  autorité  dans  une  question  nui  est  tonte 
de  chronolo[;ie  et  d'archéologie;  d'ailleurs,  comme  elles  ne  difTè- 
rent  point  de  la  sphère  grecque,  et  qu'on  y  trouve  la  trace  de  l'in- 
fluence des  idées  astrologiques,  on  ne  peut  douter  qu'elles  ne 
soient  très  récentes,  ainsi  que  la  sphère  égyptienne  de  Kircher. 
RÉSU3IÉ  GÉNÉRAL. 

1.  Le  zodiaque  solaire  est  étranger  à  la  sphère  primitive  des 
Egyptiens,  des  Indiens,  des  Chinois  ^t  des  Perses. 

IL  II  n'est  point  l'expression  symbolique  des  diverses  circon- 
stances de  l'année  a-ricole  en  Egypte  ,  ainsi  que  l'a  dit  Dupuis. 

IIL  Tous  les  zodiaques  trouvés  en  Egypte,  dans  l'Inde  et 
aille»u-5,  sont  d'une  époque  récente. 

IV.  Le  zodiaq'.ie  est  étranger  aussi  à  la  sphère  priniiiive  des 
Grecs  ;  mais  cette  sphère  est  originale  et  s'est  formée  surcessivc- 
ment. 

V.  L'f./ée  du  zodiaque  est  orioinahe  de  laChaldée,  où  il  fut 
de  toui  tems  l'auxiliaire  de  l'astrologie. 

VI.  C'<"st  aux  'Chaldéens  que  les  Grecs  ont  emprunté  Vidée  de 
la  division  zodiacale-,  mais  ce  sont  les  Grecs  qui  ont  affecté  des 
noms  et  àes  figures  aux  constellations  du  zodiaqu?. 

VIL  Quand  le  zodinqne  fut  constitué  dans  la  sphère  grecque  , 
il  fut  transporté  en  Egypte.  Puis,  quand  les  progrès  de  l'Astro- 
nomie alexandrine  furent  n:is  à  profit  par  les  astrologues,  le  zo- 
diaque grec  parut  sur  les  monumens  publics,  sur  les  tombeaux, 
sur  les  médailles  ,  etc.,  et  il  passa,  avec  l'astrologie, chez  les  peu- 
ples orientaux.  Edouard  CARTEROIV. 

•  liist.  de  l'asti onom.  arc.  )..  S»-. 


REFUTATlOiN    DK    STRAUSS. 


431) 


lléfiUaliou  île  0trauô6. 
PREUVES 

DE  l'aUTDENTICITÉ 

DE  L'HISTOIRE  ÉVANGÉLIQUE 

TIRÉES  DES  ACTES  DES  APOTRES  ET  DE»  EPITRES 
DU  NOUVEAU-TESTAMENT. 


Hypotlièscs  de  Slrauss  pour  nier  l'histoire  évangélique.  —  Les  actes  dos 
apôtres  et  les  épîtres  les  détruisent.  —  Les  actes  des  apôtres  compa- 
rés à  l'histoire  du  tems.  —  Ils  s'accordent  parfaitement  avec  Ihis- 
toire.  —  Ils  contiennent  le  récit  de  miracles  comme  Ti*  vangile.  — 
Saint  Paul  et  les  épîtres  confirment  les  Evangiles.  —  Impossibilité  de 
nier  le.'  faits  qui  y  sont  racontes. 

Un  fies  premiers  motifs  qui  ont  conduit  Strauss  à  la  négaiion 
da  récit  évaogélique,  c^est,  on  le  sait,  l'antipathie  dominante, 
clans  son  église,  pour  tout  ce  qui  porte  un  caractère  surnaturel. 
Mais  l'Evangile  une  fois  rejeté,  il  est  loin  d'avoir  fini  avec  les  mi- 
racles ;  le  lii>re  des  Actes,  les  principales  épilres  des  apôtres ^  nous 
restent  encore,  et  ces  monumens  de  l'antiquité  chrétienne  suffi- 
sent, sans  aucun  doute,  pour  rétablir  les  fûts  les  plus  importaris 
qu'il  a  cherchés  à  ébranler.  Le  docteur  Tholuck,  dans  sa  réfuta- 
tion de  l'ouvrage  de  Strauss,  nous  paraît  avoir  parfaitement  dé- 
montré la  vérité  de  cette  assertion  :  aussi  ci  oyons-nous  devoir  re- 
produire les  argumcns  si  clairs  et  si  pérempîoires  de  ce  savant 
critique. 

«  Si  nous  passons,  dit-il,  de  V Histoire  ci'angeli</i(e  aux  ./des 
des  apôtres,  il  semble  (|ue  ,  sur  ce  .terrain  nouveau,  les  miracles 
doiveul  cesser  de  nous  apparaître.   L'Eglise  primitive  avait  tout 


A\i)  UÉFUTATlOxN    DE    6THAL6S  J 

épuisé  pour  composer  le  portrait  du  Messie  :  quel  front  aussi  élevé 
que  le  sien  pouvait  rester  à  couronner  encore,  et  où  prendre  des 
lauriers  ?  On  serait  donc  porté  à  n'attendre  plus,  dès-lors,  qu'une 
histoire  dépouillée  de  tout  ornement,  remplie  uniquement  d'c- 
vénemcns  naturels.  Mais  cette  transition  brusque  ne  se  présente 
pas  à  nous  ;  loin  de  là  :  les  Actes  et  les  Epîtres  des  apôtres  for- 
ment, avec  le  récit  évan^éliqiie  ,  une  suite  de  miracles  non  inter- 
rompue et  toujours  prolongée.  Il  n'en  lut  pas  de  Jésus  Christ 
comme  du  soleil  des  tropiques,  qui  paraît  sans  être  précédé  de 
l'aurore,  et  se  dérobe  aux  regards  sans  laisser  aucune  trace  après 
lui.  Les  prophéties  l'avaient  annoncé  mille  ans  avant  sa  nais- 
sance-, les  miracles  se  multiplièrent  aprèslui,  et  la  puissance  qu'il 
avait  apportée  dans  le  monde  continua  long-tems  encore  d'être 
active.  Que  la  critique  entreprenne  jamais  de  faire  disparaître  le 
soleil  5e  la  scène  du  monde,  il  lui  faudra  faire  disparaître  aussi 
l'aurore  qui  le  précède  et  le  crépuscule  qui  le  suit.  Couunent  y 
parviendra-t-cUe?  tlle  ne  l'a  pas  encore  découvert.  Pour  nous  , 
en  attendant  cette  découverte,  montrons  que  l'histoire  de  l'E- 
jjlise  est  comme  une  chaîne  continue;  et ,  si  nous  voyons  l'élec- 
iricité  se  propager  dans  toute  sa  longueur  ,  concluons  que  le  pre- 
mier anneau  doit  avoir  été  frappé  par  un  coup  descendu  du  ciel 
sur  la  terre. 

Où  commence,  d'oprès  le  critique  de  la /^Ve  Je /e'^z/s,  l'histoire  de 
celui  fiue  le  monde  chrétien  adore  comme  son  sauveur  et  son 
Dieu  ?  —  Au  tombeau  taillé  dans  le  roc  par  Joseph  d'Arimathie. 
Debout  sur  ses  bords,  les  disciples  tiemblans,  éperdus,  ont  vu  leur 
espérance  s'engloutir  dans  son  s. in  avec  le  cadavre  de  leur  maî- 
tre. Mais  quel  événement  vint  se  placer  entre  cette  scène  du  sé- 
pulcre et  le  cri  de  saint  Pierre  et  de  saint  Jean  :  <<  Nous  ne  pou- 
»  vous  pas  laisser  sans  témoignage  les  choses  que  nous  avons  vues 
«  et  entendues  '.  »  —  »  Quand  on  embrasse  d'un  coup  d'œil,  dit 
M  le  docteur  Paulus,  l'histoire  de  l'origine  du  Christianisme,  pen- 
»  dant  cin(iuante  jours,  à  pas  tir  de  la  dernière  cène  ,  on  est  forcé 
»  do  rccouiîaître  que  qut'hjue  chose  d'extraordinaire  a  ranimé  le 

'  .Ici.  apo^l.,  IV,  10. 


PllRUVES    DE    L'ilI-STOnu-     rVANGr.r.IQUi:.  A41 

>»  coiirar^e  de  ces  hommes.  Dans  celte  nuit,  qui  fut  la  dernière  Je 
»  Jésus  sur  la  terre,  ils  étaient  pusillanimes,  emj'rcssés  de  fuir,  et 
»  alors  qu'ils  sont  abandonnés  ,  ils  se  trouvent  élevés  au-dessus 
"  de  la  crainte  de  la  mort,  et  lépèlf  nt  aux  juges  irrités  qui  ont 
»  condamné  Jésus  à  mort  :  »  On  doit  plutôt  obéir  à  Dieu  qu'aux 
»  hommes  '.  •  Ainsi,  le  critique  d'Heidelberg  le  reconnaît,  il  doit 
s*ètre  passé  quelque  chose  d'extraordinaire  :  le  docteur  Strauss 
en  convient  lui-même.  «  Maintenant  encore,  dit-il,  ce  n'est  pas 
»  sans  fondement  que  les  apologistes  soutiennent  que  la  transi- 
»  tion  subite  du  désespoir  qui  saisit  les  disciples  à  la  mort  de  Jé- 
»  sus  et  de  leur  abattement,  à  la  foi  vive  et  à  l'ardeur  avec  la- 
»»  quelle  ,  cinquante  jours  après,  ils  proclamèrent  qu'il  était  le 
»  Messie,  ne  peut  s'expliquer,  à  moins  de  reconnaître  que  quel- 
n  que  chose  vraiment  extraordinaire  a,  pendant  cet  intervalle, 
»  ranimé  leur  courage.  »  Oui,  il  s'est  passé  quehjue  chose  ;  maïs 
quoi?  n'allez  pas  croire  que  ce  fut  un  miracle.  Ou  sait  comment 
les  rationahstes,  précurseurs  de  Strauss,  posant  en  principe  que 
les  léthargies  étaient  très  fréquentes  dans  la  Palestine,  à  l'époque 
où  vivait  Jésus,  ont  fait  intervenir  la  syncope  et  l'évanouissement, 
afin  d'expliquer  sa  mort  apparente,  et  par  suite  sa  résurrection. 
Depuis  17 80,  le  rationalisme  n'a  pas  suivi  d'autre  tactique,  et  s'il  en- 
levait au  monde  chrétien  le  vendredi-saint,  il  lui  donnait  cepen- 
dant encore  un  joyeix  jour  de  Pâques.  —  Strauss  se  présente;  il 
admetaussi,  comme  nous  l'avons  yu,  quelque  chose ,  mais  peu  de 
chose.  —  La  Résurrection  était  trop  I  Contrairement  à  ses  précur- 
seurs, il  arrache  donc  par  fragmens  aux  Chrétiens  le  jour  de  Pti- 
ques,  et  leur  laisse  le  vendredi-saint.  \  oici  comment:  Les  apô- 
tres, des  femmes,  les  cinq  cents  Galilécns  dont  parle  saint  Paul  ^ , 
s'imaginèrent  avoir  vu  Jésus  ressuscité,  et  ce  sont  ces  visions  qui, 
dans  la  vie  des  apôtres,  déterminèrent  la  transition  soudaine  du 
désespoir  à  la  joie  du  triomphe.  Pour  rendre  raison  de  ces  vi- 
sions, on  a  encore  recours  aux  explications  naturelles  donné  es 


•  Docteur  Paulus,  Kommeniar,  etc.,  th.  m,  s.  867. 
'  /  Corinih.,  xv,  fî. 


A42  RF.FnTATÏON    DF    STRALSS*, 

déjà  des  miracles;  on  veul  bien  mètne,  par  condescendance^ yh'we 
intervenir  les  éclaiis  et  le  tonne»  le  ;  mais  le  mieux  serait  de  s'en 
débarrasser.  Saint  Paul,  il  est  vrai,  dont  le  te'moignage  présente 
un  certain  poids,  parle  de  la  résurrection  comme  d'un  fait;  mais 
ce  fait  n'existe  que  dans  son  imagination  et  celle  de  ses  compa^ 
gnons.  Il  faut  bien  cependant  admettre  aussi  dans  sa  vie  quelque 
chosej  si  l'on  veut  comprendre  l'impulsion  qui  lui  est  imprimée  ; 
on  admet  alors  ces  visions,  au  moins  comme  quelque  chose  de  pro- 
çisoirCy  qui  fera  TefFet  d'un  pont  volant  pour  passer  de  VÉvaiigile 
aux  Actes  des  apôtres^  jusqu'à  ce  que  la  critique,  se  plaçant  dans 
une  région  plus  élevée,  puisse,  sans  intermédiaire ,  franchir  cet 
abîme. 

Passons  donc  sur  ce  pont  volant,  bâti  on  ne  sait  si  c'est  par  l'i- 
magination de  l'orientaliste  novice,  ou  par  celle  du  critique  alle- 
mand ;  passons  de  l'histoire  évangélique  aux  actes  des  apôti-es. 
Suivant  alors,  dans  l'examm  de  l'hypothèse  de  Strauss  ,  la  loi 
proposée  par  Gieseler  %  afin  de  juger  l'hypothèse  sur  l'origine 
des  Évangiles  ,  nous  demandons  :  quelle  conclusion  l* histoire  qui 
nous  reste  du  corps  de  Jésus-Christ  ^  c^esl-à-dire  de  son  Eglise^ 
nous  fait-elle  porter  sur  celle  de  son  chef?  —  Deux  voies  diflé- 
renies,  dit-il ,  se  présentent  à  quiconque  regarde  l'histoire  des 
miracles  évangéliques  comme  le  produit  de  l'imagination  de 
l'Église  primitive  ,  produit  qui  fut  déterminé  par  le  caractère  de 
cette  Église  elle-même.  Peut-être  jugera-t-il  que,  frappés  par  ces 
visions  récentes  el  par  la  croyance  que  ce  ressuscité  était  le  Messie 
d'Israël ,  les  Chrétiens  se  mirent  à  l'œuvre,  recueillirent  ce  qui 
avait  paru  extraordinaire  dans  sa  vie  et  parvinrent  ainsi  à  fabri- 
quer une  histoire  merveilleuse.  Toutefois  si ,  comme  le  prétend 
Strauss,  la  vie  de  Jésus  ne  présenta  rien  d'extraordinaire  ,  on  ne 
conçoit  pas  trop  comment  les  disciples  purent  s'imaginer  avoir  re- 
marqué dans  h ur  maître  ce  qu'ils  n'avaient  jamais  vu.  Mais  voici 
une  autre  opinion  qui  lève  cette  difficulté.  —  L'Eglise  primitive 
alla  chercher  dans  l'Ancien-Teslament  toutes  les  prophéties  rela- 

•  Dos  Leben  Jesu,  Th.  ii,  p.  667. 

•  Gieseler,  Kcrsuch  uher  die  Fntstchung  der  Evangelien,  s.  i4'2- 


PREUVES  DE  l'histoire  évangélique.         443 

lives  au  Messie,  les  réunit  afin  d'orner  avec  elles  quatre  canevas  de 
la  vie  de  Jésus;  elle  se  mit  ensuite  à  les  broder  à  l*aide  d'arabesques 
udraculeux.  CouteiiLe  de  son  œuvre  ,  elle  termina  là  son  travail, 
auquel  elle  ajouta  cependant  peut-être  encore  quelques  volutes 
isolées.  Cette  prétendue  conduite  de  TEglise  chrétienne  sert  de 
point  de  départ  à  Strauss.  Le  grand  ar^;ument  sur  lequel  il  s'ap- 
puie pour  justifier  son  interprétation  mythique  de  la  vie  de  Jésus, 
c'est  qu'on  ne  pourra  jamais  démontrer  «  c^u'un  de  nos  Evangiles 
»  ait  été  attribué  à  l'un  des  apôtres  et  reconnu  par  lui.  »  Il  pense 
que  ,  pour  cette  composition  mythique,  ils  ont,  dû  réunir  leurs 
forces.  Quant  aux  détails  qu'ils  ne  réussirent  pas  à  faire  entrer 
dans  la  vie  de  leur  maître  ,  ils  les  réservèrent  pour  la  leur.  De  là, 
ces  aventures  dans  des  îles  enchantées,  ces  tempêtes  qui  les  jetè- 
rent enfin  sains  etsauls  sur  un  rivage  fortuné  ;  en  un  mot,  toutes 
les  réminiscences  prosaïques  des  anciens  tems  ;  la  vie  des  com- 
pagnons du  Sauveur  nous  les  présente. 

Heureusement  nous  avons  l'histoire  des  apôtres  écrite  par  un 
compagnon  de  saint  Paul,  et  plusieurs  lettres  apostoliques  que  les 
critiques  ,  même  protestiuis,  regardent,  en  général  ,  comme  au- 
thentiques. Le  caractère  de  ces  écrits  nous  permet  de  porter  un  ju- 
gement sur  ces  deux  opinions,  et  partantsur  l'hypothèse  relative  au 
caractère  mythique  de  VEvangile.Si  la  première  opinion  est  vraie, 
les  Actes  des  A  poires  ^sànsi  que  leurs  Epîires,  nous  ks  représente- 
ront comme  des  hommes  aveuglés,  guidés  par  le  fanatisme,  et  qui 
transforment  en  miracles  des  faits  naturels.  Si  la  seconde  est  fon- 
dée, ces  documens  nous  montreront  dans  les  Apôtres  des  hommes 
qui  sortent  si  peu  de  l'ordre  ordinaire,  que  le  miracle  n'occupe 
aucune  place  dans  leur  vie.  Or,  le  caractère  de  leurs  Actes  et  de 
leurs  Epîtres  renverse  ces  deux  hypothèses.  Nous  y  trouvons,  il 
est  vrai,  des  miracles,  mais  la  conduite  de  leurs  auteurs  est  si  pru- 
dente et  si  sage,  qu'il  nous  est  impossible  de  concevoir  le  moin- 
dre doute  sur  la  modération  et  la  véracité  de  leur  témoignage. 
D'un  autre  côté  ,  toute  leur  vie  se  passe  au  milieu  d'un  monde 
que  nous  connaissons  déjà  ,  nous  voyons  des  personnages  ,  des 
événemens  qui  ne  nous  sont  i  as  étrangers  ;  mais,  de  plus,  ils  opè- 


iTiU  (les  miiailos  qui  seinl^Unt  jaillir  cojttine  tles  éilairs  du  sein 
d'un  monde  plus  élevé. 

Nous  avons  à  dcmonirer  d'abord  le  caractère  historique  des 
j4cles  des  ^poires.  On  est  forcé  de  reconnaîlie  .  et  l'auteur  lui- 
même  le  déclare  formellement ,  qu'ils  ont  été  composés  par  un 
ami  et  un  compagnon  de  l'Apôtre  saint  Paul  ;  pour  prétendre  le 
contraire,  il  faudrait  soutenir  que  l'ouvrage  tout  entier  est  sup- 
posé, ce  à  quoi  on  n'a  pas  encore  songé.  D'ailleurs,  l'impression 
qu'il  laisse  dans  Tesprit  du  lecteur  est  assez  décisive ,  et,  si  elle 
s'était  effacée  de  sa  mémoire,  il  lui  suffirait  de  lire  le  cliap.  XVI 
depuis  le  verset  11  jusqu'à  la  fin  ,  pour  ne  conserver  aucun  doute 
sur  ce  point,  et  se  convaincre  que  le  narrateur  a  dû  vivre  sur  les 
lieux  où  les  faits  se  sont  accomplis.  Souvent  même  ,  notamment 
quand  il  fait  la  relation  du  trajet  vers  l'Italie  ,  on  éprouve  une 
impression  semblable  à  celle  que  fait  naître  la  lecture  d'un  jour- 
nal de  voyage.  On  suit  les  stations,  on  mesure  la  profondeur  de  la 
mer,  on  sait  combien  d'ancres  ont  été  jetées  ;  en  un  mot,  tous  les 
événemens  sont  rapportés  avec  tant  d'ordre  que  l'on  peut  de- 
mander à  tout  iJi^torien  :  E>t-il  vraisemblable  qu'après  plusieurs 
années  une  desci  iplion  anssi  détaillée  eût  pu  être  composée  d'a- 
après  des  documens  transmis  oralement?  Ou  saint  Luc,  favorisé 
par  une  beureuse  mémoire,  doit  avoir  écrit  la  relation  de  ce 
voyaf^e  aussilûl  après  l'avoir  acbevé,  ou  il  doit  avoir  eu  entre  ses 
mains  un  journal  de  voyag<;  '.  Il  n'a  pas  été  témoin  des  événemens 
consignés  dans  la  première  partie  des  ^"fctes  des  apôtres.  Quoique 
])réîendcnt  Scbleiermacber  et  l\icbm  (dans  de  fojitihus  Acloriim 


'  Meyer,  dans  son  Commentaire  sur  les  Actes  des  apôtres  ,  p.  :)35, 
fait  aussi  la  remarque  suivante  :  «  I.a  clarté  qui  règne  dans  tout  le  récit 
»  de  celle  navigation,  son  ('tondue,  portent  à  cioire  que  saint  Luc  écri- 
j>  vit  celle  relation  inl(^ressantc  aussilot  après  son  débarquement,  peu- 
)'  dant  1  hiver  qui!  jinssa  à  Malle.  Il  n'eut,  quà  consulter  ses  impressions 
i>  récentes  encore,  consignées  pec.t-èlre  dans  son  journal  de  voyage,  d'où 
j.  elles  passèrent,  dans  son  histoire.  »  Rappelons-nous  maintenant  que 
fécrivain  qui  montre  tant  d'i^xartitude  est  anssi  l'auteur  de  V Es'angiJe. 


piiF.uvES  Di:  l'histoire  i':vangi':mquf.  /^/^^) 

nj)o>l.),  le  style  toujours  le  niéine  que  ron  remarque  dans  tout  cet 
ouvrap,e,  rend  inadmissible,  ainsi  que  pour  VEi-migile^  une  col- 
lection de  documens  inaltérés.  Mais  Wolil  ne  parle  pas  seulement 
du  caractère  liistorique  de  la  première  partie  ,  il  examine  aussi 
le  caractère  du  style,  et  il  soutient  que  saint  Luc  a  employé  des 
notes  écrites  ,  ou  s'est  attaché  à  reproduire  assez  exactement  les 
relations  des  Juifs  ;  car^  dit-il,  il  est  inégal,  moins  classique  que 
dans  les  autres  morceaux,  depuis  le  chapitre  XX,  où  l'auteur  pa- 
raît avoir  été  abandonné  à  lui-même.  Bleck  ,  dans  l'examen 
de  l'ouvrage  de  MayerholV,  a  embrassé  la  même  opinion  ,  et  il 
«herche  à  prouver  que  saint  Luc  doit  s'être  servi  d'une  relation 
écrite  '.  C'est  aussi  le  sentiment  d'Ulrich  '. 

Examinons  maintenant  le  caractère  historique  des  Jetés  des 
Apôtres,  Plusieurs  points  difficiles  à  accorder,  et  notamment  des 
différences  chronologiques  se  présentent  à  nous,  il  est  vrai,  quand 
nous  les  comparons  avec  les  lettres  de  saint  Paul;  mais  aussi  nous 
y  trouvons  une  concordance  si  frappante  que  ces  deux  monunjens 
de  l'antiquité  chrétienne  fournissent  des  preuves  de  l'authenti- 
cité l'un  de  l'autre.  Que  l'on  considère  surtout  hs  Actes  des 
Apôtres  dans  leurs  nombreux  points  de  contact  avec  l'histoire,  la 
géographie  et  l'antiquité  classiques,  on  ne  lardera  pas  à  voir  res- 
sortir les  qualités  de  saint  Luc,  comme  historien.  La  scène  se  passe 
tour  à  tour  dans  la  Palestine,  la  Grèce  et  l'Italie.  Les  erreurs  com- 
mises par  un  mythographe  grec  ,  sur  les  usages  et  la  géographie 
des  Juifs,  et ,  à  plus  forte  raison,  par  un  mythographe  juif  sur  les 
coutumes  des  payens  ,  n'eussent  pas  manqué  de  trahir  leur  igno- 
rance. —  Ici  la  vie  est  pleine  d'incidens  divers  dans  les  Eglises 
delà  Palestine,  dans  la  capitale  de  la  Grèce,  au  milieu  des  sectes 
philosophiques  ,  devant  le  tribunal  des  proconsuls  romains,  en 
'présence  des  rois  juifs  ,  des  gouverneurs  des  provinces  payennes, 
au  milieu  des  flots  bouleversés  par  la  tempête;  partout  cependant 
r.ous  trouvons  des  indications  exactes,  dans  l'histoire  et  la  géo- 
graphie des  noms  et  des  événemens  que  nous  connaissons  d'ail- 

'  S  Indien  iind  kritiken,  i836^  Il  4- 
^  Jhid.,  i857,  H  7. 


44G 

leurs  ;  ce  serait  là  surtout  que  l'on  pourrait  découvrir  le  luyilio- 
graphe  fanatique.  Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  '  de  soumettre  à 
un  examen  approfondi  les  détails  donnés  par  saint  Luc  sur  les 
gouverneurs  juifs  et  romains  qui  vivaient  de  son  lems;  il  a  ré- 
sisté victorieusement  à  cette  épreuve.  Elle  a  fait  ressortir  la  vérité 
historique  de  son  Evanj^ile,  il  nous  reste  à  parler  encore  de  quel- 
ques antiquités. 

Il  nous  suffira  de  parcourir  trois  chapitres  de  l'ouvrage  de 
saint  Luc,  les  cLap.  XYI  à  XVIIÏ ,  où  il  se  présente  à  nous  comme 
le  compagnon  de  voyage  de  l'Apôtre. 

Nous  trouvons  dans  ces  chapitres,  comme  dans  tous  les  autres, 
des  indications  géographiques  exactes,  conformes  aux  connais- 
sances que  nous  possédons  d'ailleurs  sur  la  topographie  et  sur  l'his- 
toire de  cette  époque.  Ainsi ,  la  ville  de  Philippe  nous  est  repré- 
sentée comme  la  première  ville  d'une  partie  de  la  Macédoine,  et 
comme  une  colonie,  7rpco-r,  tt^ç  aspioo;  t7;ç  I\Ia/.cOoviaç  uoAiç,  xoXojvia. 
Nous  pouvons  laisser  les  exégètes  disputer  quant  à  la  manière 
d'enchaîner  -rrpwTrj  dans  le  corps  du  discours.  Il  suit  de  là  1»  que 
la  Macédoine  était  divisée  en  plusieurs  parties;  or,  Tlie-Live 
nous  apprend  qu'Amelius  Paulus  avait  divisé  la  Macédoine  en 
quatre  parties  ^.  —  2°  que  Philippe  était  une  colonie.  Cette  ville 
fut,  en  effet,  colonisée  par  Octave,  et  les  partisans  d'Antoine  y 
furent  Iransporiés  ^  —  D'après  le  verset  13,  dans  celte  ville  se 
trouvait,  près  d'une  rivière  ,  un  oratoire,  rpodcu/v;.  Le  nom  de  la 
rivière  n'est  pas  indiqué,  mais  nous  savons  que  le  Slrymon  cou- 
lait près  de  Philippe.  L'oratoire  était  placé  sur  le  bord  de  1  »  ri- 
vière ;  nous  savons  (jue  Us  Juifs  avaient  coutume  de  laver  leurs 
mains  avant  la  prière,  et,  pour  celle  raison,  ils  élevaient  leurs  ora- 
loires  sur  le  bord  des  eaux  K  —  Au  verset  14,  il  parle  d'une  femme 
pavenne  dont  les  Juifs  avaient  fait  une  prosélyte.  Josèphe  nous 

'  Glaub>vioidi2,keil  der  ev  Gesch.,  s.  iCo.  JXous  y  reviendrons. 
»  i  ivius,  XLV,  29. 

3  Dio  Cass.  lib.  li,  p.  44^.  —  Plinius  ,  His/.  naiur.,  iv  ,  1 1 .  —  l)i- 
gest.  leg.^  36,  5o. 

*  Carpzov,  Apparat.  antiq.,\i.  39.o.  — -  Philon',  décrivant  la  conduite 


pp.EUVF.s  DF  t/iiistoirf.  KVANGÉLIQL E.  /|47 

apfuend  que  les  femmes  pnyennes,  mécontentes  tic  leur  religion, 
cherchaient  un  aliment  pour  leur  intelligence  dans  le  Judaïsme, 
et  qu'à  Damas,  par  exemple,  plusieurs  l'avaient  embrassé  Cette 
fcinme  s'appelait  Lydia  ;  ce  nom  craj)rès  Hoiace  ,  était  usité.  C'é- 
tait une  vendeuse  de  pourpre  de  la  ville  de  Thyatire.  Thyatire  se 
trouve  dans  la  Lydie  ;  or,  la  coloration  de  la  pourpre  rendait  la 
Lydie  célèbre'.  Une  inscription  trouvée  à  Thyatire  atteste  qu'il 
y  avait  des  corps  de  teinturiers-.  —  Le  verset  16  fait  mention 


des  Juifs  d'Alexandrie  dans  certains  jours  solennels,  raconte  que  «  de 
»  grand  matin  ils  sortaient  en  foule  hors  des  portes  de  la  ville  pour  aller 
»  aux  rivages  voisins  (car  les  proseuques  étaient  détruits),  et  là,  se 
M  plaçant  dans  le  lieu  le  plus  convenable,  ils  élevaient  leur  voix  d'un 
»  commun  accord  vers  le  ciel.  »  Philo,  in  Place,  p.  582.  Idem,  De  vitâ 
Mos.y  1.  m,  et  De  légat,  ad  Caium,  passim.  —  Ces  sortes  d'oratoires  se 
nommaient  en  grec  77p7ae'j/,in,  Trpoasu/.Tr.piov,  et  en  latin  proseucha  : 

«  Ede,  ubi  consistas,  in  qua  te  quœro  Proseucha.  » 
(Juven.  Sat.  m,  296). 

Au  rapport  de  Joseph  {Jnliq.,  1.  xiv,  c.  10,  §  24),  la  vilie  d'Halicarnasse 
permit  aux  Juifs  de  bâtir  des  oratoires  :  ce  Nous  ordonnons  que  les  Juifs, 
»  hommes  ou  femmes,  qui  voudront  observer  le  sabbat  et  s'acquitter  des 
»  rites  sacrés  prescrits  par  la  loi.  puissent  bcitir  des  oraioirei  sur  le  bord 
i)  de  la  mer,-»  —  TertuUien  (ad  Nat. ,l.i,  c.  xni),  parlant  de  leurs 
rites  et  de  leurs  usages  ,  tels  que  les  fêtes,  sabbats,  jeiines,  pains  sans  le- 
vain, etc.,  mentionne  les  prières  faites  sur  le  bord  de  l'eau,  oraiiones 
liitorales.  —  .Sous  ajoulei-oas  que  les  Samarit.iins  eux-mêmes  avaient, 
d'après  saint  Epiphane  {ilœres.  lxxx)  ,  cela  de  coniuiun  avec  les  Juifs. 
—  On  peut  voir  dans  la  synagogue  judaïque  de  Jean  Buxtorf  les  pres- 
criptions des  rabbins,  qui  défendaient  aux  juifs  de  vaquer  à  la  prière 
avant  de  s'être  puriiiés  par  l'eau.  Voir  M.  l'abbé  Glaire,  Introduction  à 
l'Écriture  sainte^  t.  v,  p.  3g8.  {Note  du  irad.) 

'  Val.  Flaccus,  iv,  568. —  Claudien,  Rapt.  Proserp.,  \,  274.  —  Pline, 
Hist»  natur  ,  vu,  57.  —  Elien,  Hist.  animal.,  iv,  46. 

'  Sponius ,  Miscell.  erud.  aniiq.^  m,  9:^. 


4/.  8 

(l'une  fille  possédée  d'un  espiil  de  Pytliou  ,  Trvîviua  IfuOwvoç.  — 
IluOtov  est  le  non»  d'AjioUon,  le  diea  des  prophètes,  appelés  pour 
cette  raison  rruOcovi/coî  ci  -'AjAr^^zoi  ;  les  ventriloques  recevaient 
aussi  le  nièinc  nom  loisqu'ils  s'occupaient  de  la  divination*.  — 
On  lit,  verse;  27,  que  le  geôlier  de  la  prison  dans  laquelle  se 
trouvait  saint  Paul  voulut  se  tuer  croyant  que  les  prisonniers 
s'étaient  enfuis.  Le  droit  romain  condamnait  à  ce  châtiment  le 
[jLolier  qui  laissait  les  détenus  s'échapper^.  —  Y.  35.  Les  magis- 
trats de  la  ville  sont  appelés  CTpaTrjVoi.  C'est,  en  effet,  le  nom 
qu'on  leur  donnait  à  cette  époque,  surtout  dans  les  villes  colo- 
nisées. Ces  magistrats  n'envoyèrent  pas  des  serviteurs  ordinaires, 
les  u-r,ç£7oi,  par  exemplr,  que  le  sanhédrin  de  Jérusalem  ^  en- 
voya dans  la  prison  de  saint  Pierre,  —  mais,  d'après  la  coutume 
des  Romains  ,  ils  envoyèrent  des  licteurs,  paêoou/ouç.  —  V.  38. 
Les  magistrats  furent  saisis  de  crainte  en  apprenant  que  les  pri- 
sonniers étaient  citoyens  romains.  On  se  rappelle  ces  mots  de 
Cicéron  :  u  Cette  paiole,  ce  cri  touchant, 7<?  suis  cilojen  romain, 
»  qui  secourut  tant  de  fois  nos  concitoyens  chez  des  peuples  bar- 
»  bares  et  aux  extrémités  du  monde  \  »  La  loi  Faleria  défendait 
d'infliger  à  un  citoyen  romain  le  supplice  du  fouet  et  de  la  verge. 
Nous  arrivons  au  chapitie  X^  IL  Au  commencement  de  ce 
chapitre  ,.  nous  voyons  placés  près  l'une  de  l'autre  les  villes 
d'Amphipolis  et  d'Apollmie,  puis  Thessalonique.  —  Le  verset  5 
rappelle  celte  foule  des  ayopaïoi,  subrostrajiiy  subhasilicain,  si 
communs  chez  les  Grecs  et  les  Romains;  dans  l'Orient,  les  gens 
de  cette  soi  te  se  rassemblent  aux  portes  de  la  ville.  V.  7.  Nous 
trouvons  un  exemple  des  accusations  de  démagogie  portées  si  fré- 
quemment alors  devant  les  empereurs  soiq^çonceux.  —  Y.  12. 
Nous  voyons  de  nouveau  un  certain  nombre  de  femmes  grecques 
qui  embrassent   la  croyance  des  apôtres.   Mais  ce  qui  surtout  est 

*  Plutar.,  Deoracul.  defectu,  c.  2. 

*  Spanhein,  De  usu  et  prœst.  niwiisinat.^  t.  ),  diss.  9;  t.  ir,  diss.  i3. 
—  Casaubon,  Sur  Athénée,  v,  14. 

'  Act,  apost.y  V,  22. 

*  Cicerc,  In  Verrein.  orat.  v,  n.  S;. 


l'JŒLM'S    DE    l'iIISTOIIîL    ÉVAiNGIXIOl  i'..  'l'iO 

remarquable  et  caiactérislique,  c'est  !a  (description  du  séjour  du 
r'.rand  apotie  clans  Athènes.  Comme  (ont  se  réunit  alors  pour 
nous  persuader  que  nous  sommes  au  sein  même  de  cotte  ville.  Il 
parcourt  les  rues,  il  les  trouve  pleines  de  monumetis  de  Tido- 
làlrie,  et  remarque  une  nuiltitude  innombrable  de  statues  et 
d'autels,  —  (au  tems  des  empereurs ,  ils  encombraient  Rome, 
au  point  que  l'on  pouvait  à  peine  traverser  les  rues  de  cette  ville). 
Isocrate,  Himérius,  Pausanic^s,  Aristide,  Strabon  parlent  de  la 
superstition — §£icr'.oaiaovia— des  Athéniens,  et  des  oiïrandes  sans 
nombre — àvaOr'y.a-ra — suspendues  à  la  voûte  des  temples  deleurs 
Dieux  '.Sur  la  place  publique,  ou  se  rassemblaient  les  philosophes, 
il  rencontre  des  Epicuriens  et  des  Sioiciens  •,  des  paroles  de  dédain 
sortent  de  leur  bouche.  ÎMais  le  nombre  d(îs  curieux  est  encore 
phis  grand  que  celui  de  ces  hommes  hautains  ;  —  on  se  rappelle 
le  reproche  adressé  autrefois  aux  Aihéniens  par  Démosthène  et 
Thucydide  ,  et  renouvelé  par  saint  Luc  :  Fous  demandez  toujours 
quelque  chose  de  nouveau.  Il  paraît  devant  l'aréopagej — snaisquel 
fut  le  discours  de  saint  Paul?  Quelmythographe  juif  eût  pu  mettre 
dans  la  bouche  du  grand  apô-re  des  paroles  si  propres  à  poindre 
son  caractère?  Il  a  vu  un  autel  élevé  à  un  Dieu  inconnu.  Pausa- 
niaset  Philostrale  parlent  de  ces  autels  ";  son  discours  nous  pré- 

'  VVcIslein. 

*  Pausanias,  qui  écrivait  avant  la  lin  du  i'^  siècle^  parlant  dans  la  des- 
cription d'Athènes  d'un  autel  élevé  à  Jupiter  Olympien,  ajoute  :  «  Fiprès 
de  là  se  trouve  un  aulcl  de  dieux  incoiuius,  •>•>  n:ô;  aùr^  ^^ÏQ-vt  à-;vt-j(7T0)v 
Ocwv  pwy.cç;  I.  v,  c.  i4  ,  n.  6.  Le  même  écrivain  parle  dans  un  autre  en- 
droit d'autels  de  dieux  appelés  inconnus.  Boi'jA  8i  ©îwv  -z  dvcy.a^caî'vcuv 
àpwcTtov.  l.  ij  c.  I,  n.  4.  Philostrate,  qui  florissait  au  commencement 
du  5*=  siècle,  fait  dire  à  Apollonius  de  Thyane,  «  Ou'il  était  sage  de  parler 
»  avec  respect  de  tous  les  dieux,  surtout  à  /lihènes,  oii  Ion  élevait  des 
))  autels  aux  ge'nies inconnus,»  Fita^polL  Thjan.,  \.  vi.  c.  5. —  L'au- 
teur du  dialogue  Fhilopatris,  ouvrage  attribué  par  les  uns  à  Lucien, 
qui  écrivait  vers  Tan  170;  et  par  d'autres  à  un  païen  anonyme  du  4' 
siècle,  fiit  jurer  Critias  par  les  dieux  inconnus  dAiliènes,  et  sur  la  lai 
du  dialogue  il  s'exprime  ainsi  :  «  ÏNIais  tàciions  de  découvrir  le  dieu  iii- 


450  lŒFLTATlOiN   DE  STRA.USS  ; 

sente  le  coinmenceineut  de  riiexamètre  cVun  distique  f;rec,  el 
nous  trouvojis  jusqu^au  yàp  lui-même  dans  un  poème  composé  par 
un  compatriote  de  V apôtre  ^.  La  grand  nomlire  d'hommes  ne  se 
conveitireni  pas  à  ce  discours, comme  des  m  y  dio;!;raplies  n'eussent 
pas  manqué  de  l'ima^jiner,  afin  de  relever  davantage  la  pre- 
mière prédication  de  saint  Paul  dans  la  capitale  de  la  Grèce  ^ 
quelques  uns  seulement  s'attachèrent  à  lui.  Quant  aux  philo- 
sophes, les  uns  se  retirèrent  avec  le  dédain  des  Epicuriens  sur  les 
lèvres,  les  antres,  véritables  Stoïciens  ,  contents  d'eux-mêmes, 
dirent  :  «  iNous  vous  entendrons  une  autre  fois,  «  Sommes-nous 
sur  le  terrain  du  mythe,  ou  sur  celui  de  l'histoire? 

Chap.  XyiII.  I.e  2^  verset  rapporte  un  fait  historique  :  l'expul- 

»  connu  a  Athènes,  et  alors  levant  nos  mains  au  ciel,  offrons-lui  nos 
»  louanges  et  nos  actions  cle  grâces,  w  Quant  à  l'introduction  de  ces 
dieux  inconnus  dans  Athènes  ,  voici  comment  Diog;  no  Laèrce  raconte  le 
fait.  Au  tems  d'Epiraénide  (c'est-à-dire,  comme  on  le  croit  commuât  - 
ment,  vers  l'an  600  avant  J.-C.) ,  une  peste  ravageant  cette  ville,  et 
l'oracle  ayant,  déclaré  qne  pour  la  faire  cesser,  il  fallait  la  purifier  ou 
l'expier  (z,a6xpa'.)  ou  envoya  en  Crète  pour  faire  venir  ce  philosophe. 
Arrivé  à  Athènes,  Epiménide  prit  des  brebis  blanches  et  des  brebis 
noires,  et  les  conduisit  au  haut  de  la  ville  où  était  Taréopage;  de  là  il 
les  laissa  aller,  avant  eu  soin  toutefois  de  les  faire  suivre,' partout  où 
elles  voulurent  aller.  Il  ordonna  ensuite  de  les  immoler  lorsqu'elles  se 
seraient  arrêtées  d'eiles-mciî.es,  au  dieu  le  plus  voisin  ou  au  dieu 
qui  con^^iendrail ;  il  parvint  ainsi  à  faire  cesser  îa  peste.  Diogène  ajoute  : 
«  De  là  vient  qu'encore  aujourd'hui  on  voit  dans  les  faubourgs  d'Athè 
»  nés  des  autels  sans  nom  de  dieu  (àvwvûaou;), érigés  en  mémoire  de  Texpia- 
^)  tion  qui  fut  faite  alors,  w  Diogen  Laert.  inEpimen.  1.  i,§  10.  D  aj^rès 
ces  témoignages  divers,  est-il  permis  de  douter  qu'à  l'époque  où  saint 
Paul  se  trouvait  à  Aihènes,  il  y  eût  des  autels  portant  cette  inscription  ? 
Comme,  d'un  autre  côte,  aucun  monument  historique  ne  montre  ail- 
leurs l'existence  d'im  antcl  s(  niblablc ,  peut  on  concevoir  qu'un  faus- 
saire eût  saisi  une  circonstance  aussi  extraordinaire.  Voy.  M.  Glaire^ 
ihid.,  p.  379-400  (  '^Qic  du  Irad.  ) 

'  Aralus  de  Cilitie.  rhœnumcna,  vers.  5. 


PREUVES    DE  L  IIISTOIKE  tVAi^GELlQLE.  -'l5l 

sion  des  Juifs  de  Rome,  par  l'empereur  Claude,  et  Suétone  dit  : 
««  Judeos  iuipulsore  Cl)resto  assidue  tnmultuantes  Romà  cxpulit 
"  Claudiiis  '.  »  —  Le  3*^  nous  rappelle  une  coutume  des  Juifs, 
chez  lesquels  les  savans  s'occupaient  à  faire  des  tentes.  Celle  pro- 
fession n'eût  pu  s'allier  dans  un  philosophe  grec  avec  l'enseigne- 
ment ;  parmi  les  Juifs  ,  les  savans  avaient  coutume  de  l'exercer  ; 
les  rabbins  se  livraient  alors  aux  ouvrages  manuels  *.  L'apôtre 
saint  Paul  avait  même  un  motif  particulier  pour  choisir  cette 
prefession.  Dans  la  Cilicie,  sa  patrie,  on  l'exerçait  généralement, 
parce  qu'on  y  trouvait  une  espèce  de  chèvres  dont  on  employait 
le  poil  dans  la  fabrication  des  toiles  appelées  pour  celte  raison 
x'.Xixia  =.  —  Les  versets  12  et  13  présentent  aussi  avec  l'histoire 
un  rapport  frappant,  nous  y  reviendrons. 

jNous  avons  examiné  quelques  passages  seulement  de  l'ouvrage 
de  saint  Luc;  sur  tous  les  points  les  résultats  seraient  les  mêmes... 
Si  nous  passons  aux  dernierschapitres  des  Jcles  des  Apôtres,  il  est 
impossible  de  ne  pas  admettre  c|ue  Théophile  connaissait  l'Italie, 
quand  on  voit  l'auteur,  lorsqu'il  parle  (Chap.  XXVII)  des  rivages 
de  l'Asie  et  de  la  Grèce,  indiquer  avec  soin  la  situation  et  la  dis- 
tance relative  des  lieux  qu'il  mentionne,  tandis  qu'à  mesure  qu'il 
s'approche  de  l'Italie,  il  les  suppose  tous  connus;  il  se  contente 
de  nommer  Syracuse,  Rhégium,  Pouzzoles,  et  même  le  pclit 
marché d\4ppiu s  dont  parle  Horace  ^  et  les  Trois  Hôtelleries  {très 
tabcrnœ)  que  Cicéron  nous  fait  connaître  ^.  Lorsque  Josèphe  et 
Philon  nomment  la  ville  de  Pouzzoles,  ils  n'emploient  pas,  il  est 
vrai,  la  dénomination  romaine  noxio>^oi.  Josèphe,  racontant  dans 
sa  vie  ^  son  premier  voyage  à  Rome,  cite  celte  ville  et  lui  donne 
le  nom  grec  Aixaiap/ia,  mais  il  ajoute  :  r,v  no-iôXo-ji;  'itaXoi  y.aXouaiv. 

•  Suel.,  in  Claud.,  c.  xxv. 

'  IVergU,  fFincr,  Healworterbuch,  u.  d.  W,  Handwerke. 

»  Plinius,  Hist.  nat.^  xxiii.—  Servius,  rem.  sur  Virgile,  Georgica,  ni, 
oi3. 

*  Horat.,  Sat.  i,  5,  3. 
'  Ad  Atticum,  I,  i3. 
^  C.  ni. 


/io'i  iu:futatio>   de  stu\ls&, 

Le  même  nom  se  picseule  encore  deux  fois  dans  ses  Anliquilcs  '. 
Il  en  est  de  même  de  Pliilon  -. 

Et  remarquons  comme  lout  rappelle  exactement  les  usages  de 
celte  cpo(|ue! Saint  Paul,  transporté  par  un  vaisseau  d'Alexandrie, 
débarqua  à  Ponzzoles.  Or,  nous  savons  que  les  vaisseaux  d'Alexan- 
drie avaient  coutume  d'aborder  dans  ce  port  •*,  d'où,  au  rapport 
de  Strabon,  ils  distribuaient  leurs  marcliandises  dans  toute  l'Italie. 
Il  dut  aussi  se  diriger  de  là  vers  Pvome.  «  Ses  amis,  remarque 
«  Hug,  l'attendaient,  les  uns  au  marché  d'Appius  (forumAppii), 
<<  les  autres  aux  Trois-Hùlelleries.  Il  s'embarqua  apparemment 
«  sur  un  canal  que  César  avait  creusé  au  travers  des  marais  Pon- 
«  lins,  afin  de  rendre  le  trajel  plus  facile  j  il  dut  par  cela  même 
«  passer  au  marché  d'Appius,  qui ,  à  l'extrémité  de  ce  canal,  en 
«  était  le  port  '' .  »  Une  pariic  de  ses  amis  l'altendait  aux  Trois- 
Ilôtelleries.  Elles  étaient  sidiée?  à  dix  milles  romains  plus  près 
de  Rome  %  à  peu  près  à  Tendroil  où  la  roule  d^  Yelletri  aboulis- 
sait  aux  marais  Poulins.  La  foule  y  était  moins  nombreuse,  et 
moins  remuante  ;  les  embarras  y  étaient  moins  grands  qu'au 
marché  d'Appius  ^'\  aussi  paraît-il  (|ue  là  se  trouvait  une  hôtel- 
lerie pour  les  classes  élevées  '.  A  oilà  pourquoi  celte  partie  des 
amis  de  saint  Pciul  l'altendait  à  celte  station  plus  convenable  à  sou 


'  Antiq.,  I.  xvn,  c.  12,  §  i  et  xvin,  7. 

*  Philo  in  Flaccwn,  i,  ir,  p.  57i,  12. 

^  Slrab.,  1.  XVII,  p.  795,  édil.  Je  Citsaubon.  —  Scnccu. ,  Epislohi 
Lxxvn,  in  principio. 

^  Acron,  ad  Horat.,  ScrtJi.,  1.  i,  sat.  v,  i4.  «  Quia  ab  Appii  fore  pcr 
paliiflcs  navigalur,  q;>as  pala  les  Cœ.^ar  dcrivavit.  «  Porphyrion  ,  ad 
vers.  il.  a  Pcrvcnisso  ad  forum  Api)ii  indicat,  ubi  {urba  esset  nautaruni, 
item  cauponum  ibi  moranlium.  ))  Acron,  ad  vers.  11.  «  Prr  paludes 
navigarunt,  quia  via  interjacens  durior.  »  A\)m\  llu^,  Einleit,  ib.  1, 
scit.  2.'). 

^  Antonini,  liinerar.,  édit.  \Yesselii»g,  p.  107,  apud  llug^  iOid. 

^  lîoial.,Sa(.  I,  sat.  5,  3. 

7  Ciccr.,  ad  Attk.  i,  iJ. 


PREUVES  DE  L  HlSlOlRE  ÉVANGlÎLK^UE.  453 

raiii';.  Ainsi,  tout  se  trouveexacleinent  conforme  aux  circonstances 
lopograpliiques  telles  qu'elles  étaient  alors  '. 

"  D*après  ces  documens,  il  est  impossible  dç  douter  encore  si, 
en  parcourant  les  i4cles  des  .apôtres,  nous  sommes  sur  le  terrain 
de  riiistoire;  et  nous  devons  reconnaître  que  saint  Luc  se  trouvait 
placé,  pour  écrire  l'histoire,  dans  des  circonslancesaussi  favorables 
qu'un  Josèpbe.  Si  ce  rapport  frappant  qui  existe  entre  sa  narration 
et  les  connaissances  que  nous  possédons  sur  l'histoire  et  la  p;éo- 
(papliie  des  juifs  et  des  payens,  paraissait  à  quelqu'un  d'un  faible 
poids,  qu'il  se  représente  la  vive  impression  qui  nous  saisirait  si, 
entre  les  mille  points  que  nous  pouvons  comparer  à  d'autres  do- 
cumens, et  où  nous  croyons  découvrir  des  contradictions  ,  nous 
allions  découvrir  la  même  harmonie...» 

«  Or,  cette  histoire  qui  se  trouve,  sur  tous  les  points,  conforme 
aux  faits  et  aux  usages  que  nous  connaissons  d'ailleurs,  nous  pré- 
sente des  miracles  sans  nombre.  Plusieurs  fois  des  critiques  de  la 
trempe  et  du  génie  du  docteur  Paulus  ont  désiré  que  deux  classes 
de  personnes  (un  assesseur  de  la  justice  désigné  ad  hoc  cl  un  duc- 
tor  mediçinœ)  eussent  pu  faire  Tinstruciion  des  miracles  du  Nou- 
veau-Testament. Il  satisfait  à  celte  double  exigence.  L'histoire  de 
l'aveugle  né  rapportée  par  saint  Jean^'/i/f  examinée  par  les  asses^ 
seurs  du  sanhédrin  de  Jérusalem  ;  et  qirel  fut  le  résultat  de  l'en- 
quête ?  Cet  homme  est  né  aveugle  et  Jésus  Va  guéri.  Quant  audoc- 
tor  mediçinœ  chargé  d'instruire  les  miracles,  les  Jetés  des  Jpôtres 
nous  le  présentent.  Saint  Luc  fut  le  témoin  oculaire  de  tous  les  mi- 
raclesopérés  par  saint  Paul,  et  personne  assurément  ne  l'accusera 
d'une  trop  grande  propension  pour  les  miracles.  —  Un  jeune 
homme  appelé  Eutyque,  accablé  par  le  sommeil,  étant  tombé  du 
troisième  éoge,  fut  emporté  comme  mort  ;  on  s'attend  peut-être  à 
le  voir  ressusciter  avec  pompe;  mais  saint  Paul  se  contente  de  pro- 
noncer ces  paroles  consolantes  :  ^i  Ne  vous  troublez  point,  car  la 
vie  est  en  lui^.» — Plus  de  quarante  juifs  réunis  à  Jérusalem,  firent 

•  Hug,  Einleit,  lli.  i,  seit.  24. 

»  Cliap.  IX. 

»  Jcl.  Jpost.y  XX,  10. 

£11  SÉRIE,  TOME  VI.—  >'"  3G.  l842.  29 


-4  04  KLIUTATIU.N     DE    STUAUSS. 

le  vœu  do  ne  boire ,  ni  manger  qu'ils  n'eussent  lue  saint  Paul  ; 
on  s'attend  peut-être  qu'une  apparition  va  descendre  du  ciel  pour 
avertir  l'Apôtre  et  le  défendre;  loin  de  là  :  le  fils  de  sa  sœur  se 
présente  pour  lui  révéler  la  conspiration,  et  Paul  trouve  un  pro- 
tecteur dans  le  tribun  de  la  ville  '. 

«  Poussé  par  la  tempête  sur  les  bords  de  l'île  de  Malte,  il  y  dé- 
barqua et  une  vipère  s'élança  sur  sa  main^  on  s'attend  peut-être 
à  le  voir  prononcer  des  paroles  magiques  :  «  Mais  Paul,  dit 
«  saint  Luc,  ayant  secoué  la  vipère  dans  le  feu,  n'en  reçut  aucun 
«<  mal  2.  »  Toutefois  nous  savons  par  le  témoignage  de  cet  his- 
torien et  de  ce  médecin  prudent  que  «  Dieu  faisait  de  grands  mi- 
«  racles  par  les  mains  de  Paul ,  »  et  qu'il  lui  suffisait  «  de  placer 
u  sur  les  malades  les  mouchoirs  et  lehnge  qui  avaient  touché  son 
«  corps,  et  aussitôt  ils  étaient  guéris  de  leurs  maladies  et  les  esprits 
«  impurs  s'éloignaient  \'  >»  —  A  Malte,  il  guérit  par  ses  prières  et 
par  l'imposition  des  mains,  le  père  de  riiomme  le  plus  influent 
*,nr  cette  île,  et  beaucoup  d'autres  s'approchèrent  de  lui  et  re- 
couvrèrent la  santé  ". 

Tiudiatde  L'allemand  de  TIIOLUCK. 
(La  suite  au  prochain  cahier) 

Act,  apost,  \x,  12  cl  suiv. 
'  Icid.j  xxviii,  5. 
'  Ihid.,  xix,  12. 
*  Ibid,^  XXVIII,  i). 


,X^^QQQ, 


B.ham 


esses 


'Se.T\^f^-j^. 


CAKTE    lllINÉRAlKi;.  .  455 


€>ioc\i-rt})l)ic  Bibliqui 


CARTE  ITlNÉRxXIRE 

Pour  servir  k  rintelHgence  de  la  sortie  des  Israéliles 
de  l'Egypte. 


En  attendant  que  M.  Quatremèie  continue  le  complCTendu 
qu'il  a  bien  voulu  commencer  sur  le  lel  et  mile  ouvrage  de 
M.  LéoQ  de  Laborde,  nous  avons  ci  ii  laiie  u\.e  chosL  agréable  à 
nos  abonnés  en  offrant  quelques  extraits  de  son  Commentaire  et 
de  ses  Cotâtes.  Nous  leur  donnons  aujourd'hui  sa  belle  Car/e  iti 
niraire,  qui  offre  la  route  que  les  Israélites  ont  dii  suivre  en  sor- 
tant de  rÉgypte;  nous  y  ajouterons  Texplicalion  de  cette  route, 
donne'e  par  le  voyageur  lui-même.  INous  espérons  publier  pro 
chainement  encore  la  carte  intitulée  :  Foyage  des  Isracli- 
tes  dans  le  Désert  ;  et  de  plus  ,  avec  l'article  de  M.  Quatremère  , 
celle  qui  explique  le  passage  de  la  mer  Rouge.  C'est  à  l'obligeance 
de  M.  de  Laborde,  lui-même,  que  nous  devons  d'avoir  pu  pren- 
dre une  copie  de  ses  belles  cartes  ;  elles  serviront  à  donucr  uue 

idée  de  la  beauté  de  son  ouvrage  '. 

A.   B. 

Cl  Je  dois  expliquer  ici  les  raisons  qui  m'ont  fait  placer  la  route 
des  Israélites  au  nord  de  la  chaîne  du  Mokaitam,  et  non  pas  au 
sud,  comme  l'ont  indiqué,  parmi  les  voyageurs  ,  le  père  Sicard  , 
M.  Schubert  et  Steffen  ,  parmi  les  commentateurs  ,  un  grand 
nombre  de  savans,  et  dernièrement  M.  Raumer. 

L'emplacement  du  pays  de  Goshcn  est  marqué  sur  ma  carte  au 

'  Nous  devons  prévenir  pour^aut  que,  |jour  le  papier  et  pour  le  untge, 
les  cartes  sont  bien  plus  belles  dans  l'ouvriigc  même  (iae  clans  n^tie 
journal. 


45G  •  CARTE    ITINÉRAIRE 

nordd'Ilcliopolis,  aujourd'hui  Matérlah^  borde  d'un  coté  par  le 
Désert,  sans  autres  limites  que  celles  que  les  Israélites  savaient 
se  fixer  ;  de  l'autre,  par  le  grand  canal  dérivé  du  Nil,  qui  passe 
par  le  Phelhes  des  Copbtes ,  aujourd'hui  Belheis  ,  ainsi  que  par 
Buhaste,  et  va  se  jeter  dans  la  nier  au-dessus  de  Peluse,  en  pre- 
nant le  nom  de  fliivius  Buhaslicus  ou  Pelusiacus  :  c'est  la  plus 
grande  et  la  meilleure  portion  à'ElCharkieh  d'aujourd'hui,  nom 
qui  correspond  à  celui  de  7iome  d^Jrabie,  ou  de  province  de  Ra- 
messès.  Aussi  les  Septante  traduisent-ils,  dans  la  Genèse  ^,  Gosheri 
en  Arabie^  reciij-  'Apaêiaç.  Jablonski  interprète  ce  nom  d'une  ma- 
nière conforme  à  cette  opinion ,  0130^3,  peuples  nomades  ,  ha- 
bités par  des  peuples  nomades^.  On  sait  que  ce  savant  a  voulu 
prouver  que  le  Fayoum  ,  près  du  lac  Méris,  était  la  terre  de 
Goshen  de  la  Genèse  :  cette  erreur  n'altère  pas  la  valeur  de  Tin- 
terprétation. 

Rappelons-nous  les  chapitres  lv,  lvi  et  lvii  de  la  Genèse,  dans 
lesquels  est  racontée  l'arrivée  de  Jacob  en  Egypte  ;  ce  patriarche 
envoie  Juda  au  devant  de  lui  dans  le  pays  de  Goshen  pour  avertir 
Joseph  de  sa  venue.  Les  Septante  donnent  quelque  développe- 
ment à  ce  verset ,  en  disant  dans  leur  traduction  :  «<  afin  qu'il 
»  vînt  au  devant  de  lui,  jusqu'à  la  ville  d'Héroos,  dans  la  terre  de 
)'  Rainessès'.»  Il  s'agit  là  d'une  rencontre  non  plus  seulement  dans 
le  pays  de  Goshen  (le  même  que  le  pays  de  Raraessès),  mais, 
d'une  manière  plus  précise,  près  à'fféroopoUs  ;  nous  verrons  que 
la  position  de  cette  ville  est  aujourd'hui  dans  le  Désert  (  Ahou- 
Keiched)  qui  a  envahi  tous  les  alentours,  tandis  qu'à  celte  époque 
elle  formait  la  limite  des  terreins  cultivés,  ayant  encore  entre 
elle  et  le  Désert  ces  landes  incultes ,  mais  fertiles,  si  précieuses 
pour  les  pasteurs.  Une  autre  preuve  de  la  proximité  de  Memphis 
et  du  pays  de  Goshen,  ou  même  de  Tanis  et  de  cette  province  , 
ressort  du  texte  même.  Joseph  dit  à  ses  frères  qu'il  veut  les  avoir 
près  de  lui,  et  les  pâturages  qu'on  leur  concède  étaient  ceux  des 

'  Chap.  xi.v  10. 

*  Dans  ses  Opuscules,  t,  ii,  §  vu  p.  i36,  dissert,  n  de  terra  Goshen. 


DR    LA    SORTIE    d'kGVPTE.  /|5T 

troupeaux  du  roi  que  l'on  confie  à  leur  garde.  «  C'est  pourquoi 
»  le  roi  dit  à  Joseph  :  «  Ton  père  et  tes  frères  sont  venus  auprès  de 
>»  toi  ;  la  terre  d*Egypte  est  devant  toi  ;  f  ais-ks  habiter  dans  un 
>»  lieu  fertile,  et  donne-leur  la  terre  de  Goshen  ;  que  si  tu  connais 
»  qu'il  y  ait  parmi  eux  des  hommes  industrieux,  établis-les  maî- 
»  très  de  mes  troupeaux'.  »  Joseph  donna  à  son  père  et  à  ses  frères, 
»  en  Egypte,  une  terre  fertile,  Ramessès  ^  »  C'était  donc  la  meil- 
leure partie  de  la  province  de  Ramessès,  la  meilleure  qu'on  pût 
donner  à  des  pasteurs  qui  ne  prétendent  pas  habiter  les  terrains 
cultivés  ou  cultivables. 

Cette  province  ne  fut  jamais  que  partiellement  cultivée,  parce 
que  l'inondation  ne  parvient  à  l'arroser  sufiisamment  que  dans 
les  plus  glandes  crues  ;  terme  moyen,  elle  n'eL.t  qu'humectée  par 
le  Nil,  c'est-à-dire  rendue  fertile  pour  les  pasteurs,  et  plus  fer- 
tile que  tout  autre  partie  habitée  par  les  pasteurs  :  ainsi  s'ex- 
plique l'expression  laudative  relatée  plus  haut. 

Celte  contrée  est  peu  connue  parce  qu'elle  offre  peu  d'intérêt 
au  voyageur  qui  n'a  pas  à  faire  des  recherches  géographiques  et 
bibliques;  je  l'ai  parcourue  avant  d'entrer  dans  le  Désert,  pre- 
nant ainsi  mon  point  de  départ  de  la  province  de  Goshen  pour 
suivre  l'itinéraire  des  IsraéUtes.  Benjamin  de  Tudèle  ,  si  attentif 
dans  son  itinéraire,  sur  tout  ce  qui  concerne  l'histoire  des  Israé- 
lites et  l'état  de  ses  coreligionnaires,  après  avoir  placé  Fi'thom 
dans  XeFaxoum,  ne  dit  que  ce  peu  de  mots  du  pays  de  Goshen  ; 
«  De  là  (le  vieux  Caire)  au  pays  de  Goshen,  il  y  a  liuit  parasanges  : 
»  il  est  a^Y^elé  Belbeis  :  c'est  une  large  ville,  qui  contient  près 
>»  de  trois  mille  Juifs  ^,  » 

Quand  on  a  dépassé  Héliopolis  et  qu'on  s'approche  de  Belbeis 
en  côtoyant  le  désert ,  l'aspect  du  pays  prend  un  air  de  fertilité 
particulière  ;  c'est  une  végétation  irrégulière  et  clair-semée  sur 
les  flancs  de  petites  collines,  qui  se  serre  et  se  régularise  à  mesure 


'  Genèse^  XLvn,  5. 
•  lbid.,id.t  II. 
»  P.  io3. 


qu'HIe  «lesrrnil  .lu  fond  do  la  plaine;  le  dôserl  même  et  les  i^n- 
blés  sont  remplis  tle  broussailles  assez  vigoureuses,  tt  laplttie  (le 
mot  goshen  pourrait  recevoir  celte  interprétation),  dans  la  saison 
qui  lui  est  particulière,  vient  animer  aussi  la  végétation  de  ces 
sables.  Plus  on  s'avance  et  moins  on  trouve  de  culture  régulière  : 
une  infiltration  d'eau  saline  se  mêle  à  la  terre  et  vient  altérer 
la  fécondité  du  sol  ;  mais  partout  on  rencontre  les  traces  d'une 
ancienne  population  qui  a  disparu.  D'abord  dans  les  noms,  ces 
traditions  qui  se  conservent  inaperçues ,  on  distingue  Tell-eî- 
Joudf  vaste  colline  de  débris  informes,  mais  considérable;  ensuite 
dans  la  contrée,  partout,  de  distance  en  distance,  de  grands  amas 
de  poterie  et  d'enceintes  de  murs  de  briques  affaissés,  qui  dé- 
cèlent toujours  d'anciens  lieux  liabilés.  Quelquefois  même  des 
monumens  égyptiens  de  premier  ordre,  et  parmi  eux  un  mono- 
lithe couché  dans  le  sable  près  d'innombrables  débris  de  briques. 
Ces  ruines ,  appelées  aujourd'hui  Ahou-keyched  ,  indiquent  pro- 
bablement le  site  de  l'ancien  Héroopolis,  bien  que  le  nombre  de 
stades  marqué  dans  les  auteurs  grecs  et  latins  jusqu'à  Pehise  sôit 
difficile  à  faire  coïncider  avec  cette  position. 

J'ai  doiiné  le  tableau  hiéroglyphique  qui  orne  Tune  des  faces 
de  ce  monument  sculpté ,  dans  mon  Toyage  de  VArabie-Pélrée. 
N'oublions  pas  les  traces  de  l'ancien  canal  qui  traverse ,  d'une 
manière  évidente  ,  toute  cette  province,  et,  après  avoir  dépassé 
Héroopolis,  se  réunit  par  les  lacs  amers ,  à  l'ancien  développe- 
ment du  golfe. 

La  population  qu'on  rencontre  dans  cette  province  mi-fertile 
est  nomade;  elle  vit  sous  des  cahutes,  et  je  crois  qu'elle  n'a  ja- 
mais cessé  de  suivre  les  mêmes  habitudes.  M-  Sylvestre  de  Sacy, 
dans  sa  Chresiomatie  arabe,  cite  un  passage  d'une  description  de 
l'Egypte  par  KhaUl ,  dans  lequel  il  est  dit  que  cette  contrée,  qiii 
n'est  pas  susceptible  de  culture  régulière  ,  est  habitée  par  des 
arabes  nomades  dont  on  n'impose  pas  les  villages.  Sous  la  domi- 
nation des  Français ,  on  en  concéda  la  possession  à  une  tribu  de 
Bédouins.  A  ces  époques  modernes,  aussi  bien  qu'anciennement, 
l'abandon  d'un  aussi  grand  terrain  était  plutôt  considéré  comhie 
un  acte  utile  et  politique  que  comme  une  concession  ombreuse. 


DE    LA    SORTIE    d'hGYPTF.  459 

Tant  que  la  puissance  qui  commande  eu  Egypte  se  sent  assez 
forte  pour  dominer  cette  lisière  guerrière  étendue  sur  lu  fron- 
tière, elle  peut  la  compter  comme  Tun  des  plus  solides  remparts 
qui  se  puisse  élever  contre  les  invasions  ennemies  :  garnison 
gratuite,  toujours  en  éveil ,  et  qui  défend  l'Egypte,  surtout  de  ce 
coté  vulnérable  ,  moins  par  reconnaissance  que  par  intérêt  bien 
entendu,  et  pour  ne  pas  se  laisser  passer  sur  le  corps. 

Tous  les  Israélites,  au  premier  ordre  du  Seigneur  qui  leur 
avait  été  transmis  par  Moïse,  durent  se  préparer  au  départ,  et  à 
l'explosion  de  chaque  nouvelle  plaie  ,  s'attendre  à  se  mettre  en 
route.  Quel  qu'ait  été  leur  nombre,  ils  ne  pouvaient  subsister 
dans  un  même  lieu  avec  leurs  troupeaux;  ils  durent  donc  s'as- 
sembler sur  plusieurs  points,  aux  extrémités  du  pays,  et  là  atten- 
dre, comme  le  font  aujourd'hui  les  pèlerins  qui  se  réunissent  au 
Birket-el-hadgi  et  campent  plusieurs  jours,  jusqu'à  ce  qu'ils  re- 
çoivent le  signal  du  départ.  Il  est  dît,  il  est  vrai,  dans  le  texte, 
que  le  peuple  de  Dieu  partit  de  Ramessès  ;  mais  on  sait  que  le 
nom  de  Ramessès  désignait  la  capitale  et  aussi  la  province  (c'est 
ici  le  cas),  comme  c'est  l'habitude  dans  les  anciennes  dénomina- 
tions ;  et  de  nos  jours  encore,  la  ville  de  Damas^  que  les  Arabes 
appellent  Scham,  donne  son  nom  à  toute  la  Syrie,  Bahar-el- 
Scham . 

Ce  qui  prouve  que  tout  était  préparé  chez  les  Israélites  pour  le 
départ ,  c'est  que  Pharaon  se  décide  de  nuit:  «  Pharaon  ayani 
•  appelé  Moïse  et  Aaron  pendant  là  nuit ,  leur  dit  :  Levez-vous 
»  et  sortez  du  milieu  de  mon  peuple,  vous  et  les  enfans  d'Israël  ^;^' 
et  les  Israélites  partent  en  toute  hâte,  et  tous  en  même  tems*.  Ce 
départ  précipité  suppose  un  rassemblement  préalable;  mais  s'il 
était  facile  à  une  population  nomade  de  se  réunir  ;ivec  ses  trou- 
peaux par -grandes  divisions  aux  extrémités  de  la  contrée  qu'elle 
habitait ,  il  lui  était  impossible  de  vivre  plusieurs  jours  serrée 
autour  de  la  capitale.  Le  verset  51  du  même  chapitre,  bien  in- 


'  Genèse^  xu,  3i, 
*  Ex  ode,  xii,  41. 


400  CARTK    ITINÉRAIRE 

terprété ,  vient  en  aide  à  celte  opinion  :  les  Israélites  sorliient  de 
l'JKgypte  pai  diverses  troupes  et  en  cinq  colonnes. 

Il  est  vrai  qu'une  grande  incertitude  règne  sur  la  signification 
du  mot  □*'JDm  du  cliap.  xiii ,  18.  Le  Samaritain  a  conservé 
la  même  expression  n^^i^on,  c'est-à-dire  qu'ils  sortent  par  trou- 
pes de  cinquante  hommes^  ordre  de  marche  assez  peu  probable  : 
les  Septante  TrsaTrTr.  oï  Y'V^.a,  à  la  cinquième  génération.  Il  est  vrai 
qu'on  peut  compter  jusqu'à  Jacob  cinq  générations,  mais  cette 
traduction  n'apporte  aucun  secours  au  récit;  remarquons,  tou- 
tefois ,  qu'elle  acîmet  le  chiffre  5  comme  le  texte  samaritain, 
La  Vulgate,  interprétant  dans  un  autre  sens,  met  le  mot  arniatiy 
armés  :  les  Hébreux  auraient  bien  pu  emprunter  aux  Egyptiens 
des  armes  avec  les  vases  d'or  et  d'argent  qu'ils  leur  prenaient, 
mais  le  texte  n'en  dit  rien,*  bien  plus,  la  peur  des  Israélites,  à  la 
vue  des  Egyptiens ,  semble  indiquer,  comme  Josèphe  '  et  Philon 
l'affirment,  qu'ils  étaient  sans  armes.  Au  milieu  de  ces  interpré- 
tations différentes,  la  vraisemblance  peut  faire  pencher  la  ba- 
lance, et  en  cinq  colonnes  donne  un  sens  tout* à-fait  raisonnable. 

C'est  conformément  à  celte  traduction  que  j'ai  tracé,  sur  la 
carte  ci-jointe,  de  grandes  lignes,  dont  quatre  viennent  de  la  terre 
de  Goshejij  et  la  cinquième  de  Meniphis,  où  Moïse  se  trouvait 
près  de  Pharaon  avec  Aaron,  les  Anciens,  et  peut-être  un  certain 
nombre  d'Israélites.  Si  la  résidence  de  Pharaon  fut  à  Tanis,  près 
du  lac  Menzaîeliy  il  faut  changer  cette  dernière  ligne,  niais  cette 
différence  est  de  peu  d'importance.  Le  lieu  de  halte,  le  campe- 
ment des  tontes  (Succolh)  est  in<liqué  à  une  distance  du  pays  de 
Goshen  qu'on  pouvait  parcourir  jusqu'au  soir,  en  partant  de  bon 
matin. 

Examinons  Topinion  contraire,  celle  que  le  père  Siccard  a  ima- 
ginée sur  les  lieux,  que  Monconny,  M.  Lenormant ,  dans  son 
cours,  et  d'autres  ont  adoptée,  et  que  ÎM.  Raumer  a  soutenue  de 
son  érudition  consciencieuse.  C'est  Xavallte  de  V Egarement,  qu'on 
propose  de  faire  suivre  au\  Israélites;  à  mon  avis  celte  route  était 


Antiquitcs,  1.6. 


DE   LA.   SORTIE 


n'ÉCVPTE.  461 


impraticable  pour  eux  sauf,  toutefois ,  daus  une  hypothèse  qui 
elle-iuéme  serait  inadmissible. 

Une  opinion  qui  existait  assez  anciennement,  puisque  Ben- 
jamin deTudelel'a  trouvée,  dans  le  pays  %  a  été  reprise  et  sou- 
tenue avec  talent  par  Jablonsky  ;  elle  assigne  aux  Hébreux  et  à  la 
terre  de  Goshen,  la  province  du  Fayoum.  Si  cette  position  était 
adoptée,  le  passage  par  la  i^allée  de  V Egarement  pourrait  être  ad- 
mis. De  ce  point  de  départ  on  traverse  le  Nil,  près  des  villages 
de  Meidoum  et  àHAtfrh^  et  l'on  s'engage  dans  les  valle'es  au  Sud- 
Est  du  Caire.  Mais  MM.  Lenormant,  Schubert  et  de  Raumer 
connaissent  trop  bien  la  géographie  sacrée  pour  se  tromper  sur 
la  position  du  pajs  de  Goshen  ;  ils  assignent  à  cette  province  à 
peu  près  le  même  emplacement  qu'elle  occupe  snr  ma  carte , 
c'est-à-dire  les  environs  de  Belheis.  Ce  point  de  départ  donné,  la 
route  des  Israélites  par  la  vallée  de  V Egarement  était  impossible  ; 
on  ne  saurait  au  moins  donner  les  raisons  de  ce  détour.  Le  père 
Sicard  avait  pour  excuse  son  ignorance  en  plaçant  Ramesscs  à  Be' 
zatin,  en  supposant  dans  cette  petite  plaine  le  rassemblement  des 
Hébreux,  légitimé  selon  lui  par  quelques  noms  qui  se  sont  con- 
servés (le  cimetière  Juif  y  un  rocher  appelé  Mejana-Moussat,  les 
ruines  d'un  couvent,  Meraouad-iVousa,  et  plusieurs  autres  noms 
de  vallées,  interprétés  par  lui  à  la  manière  du  père  Kirclier);  il 
expliquait  naturellement  leur  route  par  une  vallée  qui  s'ouvrait 
auprès  d'eux,  et  dans  laquelle  ils  s'engageaient  ayant,  pour  ainsi 
dire,  d'un  côté  l'esclavage,  de  l'autre  la  liberté;  l'Egypte  ici,  le 
désert  là. 

M.  de  Raumer,  au  contraire,  place  Goshen  au  nord  de  On  ou 
Héliopolis  {Materieh),  et  Succoth  près  deBezatin,  de  manière  que 
les  Israéhtes,  au  lieu  de  gagner  le  désert,  qui  était  pour  eux  la 
terre  d'indépendance,  viennent  camper  près  du  Nil,  en  face  de 
Memphis  et  de  la  résidence  de  leur  oppresseur  ;  ils  passent  près 
OU  Héliopolis  et  de  la  ville  quelconque,  qui,  plus  tard,  fut  appelée 
Babjlon,  et  touchent  plusieurs  autres  points  où  devaient  être 

»  Voir  son  Itinéraire,  p.  97,  2,  et  147,  édit.  d'Asher,  1840  ;  Fnyoïim 
c'est  Pithom, 


462  CARTK  ÏTIN.  DR    LA  SORTIE    D 'EGYPTE. 

réunies  les  troupes  de  Pharaon.  Ils  traversent  enfin,  sur  une  lon- 
gueur «le  dix  lieues,  les  terres  des  Egyptiens;  ceux-ci  avaient  les 
Hébreux  en  abomination  *,  et  les  dix  plaies  qui  avaient  exercé 
sur  eux  leurs  ravages  n'avaient  pas  du  diminuer  leur  aversion. 
Le  verset  33  du  cbap.  XII  de  V Exode  peut  faire  croire  que  les 
Egyptiens  sollicitaient  leur  départ,  mais  non  pas  le  passage  d'une 
aussi  grande  multitude  et  d'aussi  nombreux  troupeaux,  à  travers 
leurs  champs  cultives  et  en  plein  rapport  à  cette  époque  de 
Taiinée  (le  mois  à'Ahid  ou  des  épis). 

Et  d'ailleurs,  que  signifie  cet  itinéraire?  Jamais  la  vallée  de 
VEgaremenL  n'a  été  pratiquée  pour  se  rendre  au  Sinaî  que  par 
les  Arabes  qui  venaient  du  Sud;  elle  n'est  ni  assez  fertile,  ni  assez 
fournie  de  sources  pour  compenser  le  long  détour  que  feraient 
les  Arabes  qui  viennent  du  nord.  Enfin,  Succoth  fixé  à  Bezalin, 
les  Hébreux  ont  deux  journées  de  quatorze  heures  de  marche  cha- 
cune jusqu'à  la  mer,  ce  qui  est  impraticable  pour  toute  caravane, 
et  plus  particulièrement  pour  les  Israélites,  dont  tout  le  voyage 
se  fait  à  petites  journées,  et  qui  au  départsurtout  devaient  avancer 
lentement  '.  » 

LÉON  deLABORDE 


Gen.y  XLvr,  34. 

C<^mmeînaire  gengrà'phTque  sûr  V exode  et  les  nombres,  p.  67. 


OFJTVRFS    DF    SAINT    AUGFSTIN.  /|63 


fiibliacira  pt)ir, 


SANCTI  AURELII  AUGUSTIN!  HIPPOINENSIS  EPISCOPI,  opéra 
omnia  post  Lovaniensium  theologorura  recensionem  castigata  denuô 
ad  manuscriptos  codices  gallicos,  vaticanos,  belgicos,  etc.,uec  non  ad 
edîtiones  antiquiores  et  castigatiores ,  operà  et  studio  nionachorum 
ordinis  sancti  Benedicti  e  congregatione  S.  Mauri;  edido  novissima, 
emendata  et  auctior,  accurante  M*^*,  Cursuum  completorum  editore. 
t*aris,  11  vol.  divisés  en  i6  tom.,prix  :  80  pour  les  souscripteurs  aux 
Cours  complets.   Au  Petit-Montrouge.    près  la    barrière  d'Enfer. 

En  annonçant  cette  édition  de  Saint  Augustin^  nous  ne  pouvons  que 
répéter  ce  que  nous  avons  déjà  dit  des  publications  de  M.  l'abbé  MIgne, 
en  rendant  compte  de  ses  Cours  complets  d'e'criture  sainte  et  de  théo- 
logie. L'œuvre  de  M.  Migne  est  la  plus  belle  et  la  plus  utile  au  clergé 
qui  ait  été  faite  depuis  le  commencement  de  l'imprimerie.  Jamais  on 
n'avait  vu  de  tels  ouvrages  et  de  tels  volumes  dans  un  format  aussi  com- 
mode et  à  un  prix  aussi  bas.  Jamais  surtout  on  n'avait  vu  un  seul 
homme  pouvoir  suffire  avec  ses  seules  ressources  à  une  entreprise  iqué 
nous  pourrions  dire,  sans  exagératioU;  gigantesque.  M.  Migue  se  pro- 
]M)se  de  reproduire  tous  les  Pères,  et  presque  tous  les  ouvrages  de  la 
littérature  et  delà  science  catholiques.  Mous  avouons  que  dès  le  principe 
nous  avons  refusé  de  croire  à  une  si  pompeuse  annonce.  Mais  M.  Migrie 
a  déjà  publié  près  de  i5o  volumes  in-4".  Les  autres  se  poursuivent 
avec  activité  et  sans  discontinuation.  On  est  donc  forcé  de  croire  à  Ses 
promesses. 

Et  c'est  pour  cela  que  nous  croyons  que  Nos  Seigneurs  les  évêques, 
que  le  clergé,  que  toutes  les  personnes  qui  s'intéressent  aux  progrès  des 
sciences  religieuses,  doivent  leur  concours  à  une  telle  entreprise. 

Si  nous  voulions  nous  riiontrer  sévères,  il  nous  serait  facile  de  cher- 
cltèt  et  de  trouver  par-ci  par-là  quelque  chose  à  reprendre  ;  mais  nous 
atoUons  c|tte   notre    critique   reste   désarmée  devant  la   grandeur   et 


/|GY  ED[TI0NS    de    m.  m  IGNE. 

rmililt'  «le  l'œuvre.  Ceci  est  dit  avec  conscience  :  nos  lecteurs  savent  coni 
bien  nous  sommes  circonspects  dans  nos  éloges  ,  et  qu'il  faut  qu'une 
chose  nous  paraisse  vraiment  utile  pour  que  nous  la  recommandions 
dans  notre  journal. 

jN'ous  pouvons,  au  reste,  à  peine  suivre  M.  MignC;  tant  ses  publications 
se  succèdent  avec  rapidité.  Outre  Saint  Augustin,  il  a  déjà  publié  Saint 
Jean  Chrysostome,  et  nous  venons  de  recevoir  le  i"  volume  de  la  belle 
édition  de  Saint  Jcrôine  de  MM.  Fallarsi  et  Maffei.  Plusieurs  autres 
ouvrages  importaus  ont  aussi  paru.  Nous  nous  ferons  un  devoir  de  les 
faire  connaître  chacun  en  détail  ;  car  nous  voulons  que  nos  lecteurs 
trouvent  dans  ce  recueil  comme  le  sommaire  de  tous  les  travaux  des 
Pères  ;  c'est  ce  qui  fait  que  nous  donnons  le  titre  de  tous  leurs  ouvrages 
et  opuscules.  Ceux  qui  travaillent  sauront  ainsi,  sans  peine  et  avec  faci- 
lité, quel  est  l'ouvrage  et  le  tome  qu'ils  dc'vent  consulter  pour  leurs 
études. 

(Nouvelle  édition  de  saine  Augustin.) 

L'on  sait  que  quelques  soins  qu'eussent  mis  les  PP.  Bénédictins  pour 
leur  édition,  cependant  bien  des  fautes  leur  étaient  échappées.  Les  criti- 
ques leur  reprochaient,  tantôt  d'avoir  négligé  de  collationner  leur  texte 
avec  les  anciennes  éditions,  tantôt  d'avoir  manqué  d'uniformité  en 
plaçant  leurs  variantes,  ici  au  bas  des  pages,  là  sur  les  marges;  d'ail- 
leurs les  nombreuses  additions  et  corrections  placées  à  la  fin  de  ch.ique 
volume,  prouvaient  qu'eux  mêmes  avaient  reconnu  l'imperfection  de 
leur  travail. 

Le  nouvel  éditeur  a  profité  de  toutes  les  critiques,  a  rétabli  l'unifor- 
mité dans  le  texte,  en  mettant  toutes  les  notes  au  bas  des  pages ,  et  en 
donnant  en  quelques  endroits  un  ordre  nouveau  aux  matières  conte- 
nues dans  les  anciens  volumes.  Nous  ferons  connaître  ces  divers  change- 
raens  .  voici  maintenant  les  matières  contenues  dans  chaque  volume. 

TOME  I*^"^,  comprenant  i5o4  colonnes. 

1.  Dédicace  de  l'ouvrage  à  Louis  XIV.  — 2.  Préface  générale  sur 
toutes  les  œuvres.  —  3.  Préface  sur  les  appendices,  —  4.  ^  ie  de  saint 
Augustin,  par  Possidonius.  —  5.  Vie  de  saint  Augustin,  composée  d'à  • 
près  ses  ouvrages.  —  6.  Les  rétractations;  en  11  livres.  —  7.  Les  confes- 
sions :  en  xm  liv.*-{<.  Les  soliloques;  en  11  livres,  qui  dans  l'édition 


OEUVRES    DE    SAlM   AUGUSILN.  4G5 

Lénédicliue  claient  après  ceux  de  l'ordre,  plus  bas, au  n.  i/. —  9.  Contre 
les  académiciens  ;  en  ni  liv.  —  10.  De  la  vie  humaine.  —  11.  De  l'ordre  ; 
en  II  liv.  —  12.  De  rimmortalilé  de  Tàme. —  i5.  De  la  quantité  de 
l'âme.  —  I4.  De  la  musique;  en  vi  liv.  —  i5.  Du  maître.  —  16.  Du 
libre  arbitre;  en  m  liv.  —  17.  Des  mœurs  de  l'église  catlioliaur  et  des 
mœurs  des  manichéens;  en  11  liv.  —  18.  Règle  pour  des  serviteurs  de 
Dieu.  —  Il  y  avait  en  oui)  e  dans  1  édition  bénédictine  le  livre  de  la  Ge- 
nèse contre  les  manichéens,  et  celui  de  la  t-m/e  religion,  lesquels  ont 
été  portés  au  tome  m. 

appendices  des  écrits  attribués  faussement  à  saint  Augustin.  —  r.  De 
la  grammaire.  —  2.  Principes  de  la  dialectique;  par  un  auteur  nommé 
aussi  Augustin.  —  3.  Les  x  catégories.  —  4*  Pi'iucipes  de  rhétorique.  — 
5.  Fragment  de  la  règle  donnée  au  clergé.  —  6.  Deuxième  règle.  —  7.  De 
la  vie  monastique,  adressé  à  sa  sœur.  Cet  opuscule  est  à^Aebredus,  abbé 
du  monastère  de  Rhievallum,  en  Angleterre.  —  Table  des  matières. 

TOME  II ,  comprenant  1 1 76  colonnes. 

Ce  volume  contient  toutes  les  lettres  et  est  ainsi  composé  : 
I.  Préface  des  Bénédictins.  —  2.  Preuves  de  l'ordre  chronologique 
suivi  dans  l'ordre  des  lettres,  divisées  en'  m  classes.  —  5.  Lettres  de  la 
i'"^  classe  écrites  par  saint  Augustin  avant  qu'il  fût  évêque,  de  l'an  38G 
à  l'an  5qD.  —  4-  Lettres  de  la  2'  classe,  celles  qu'il  écrivit  étant  évèque 
avant  la  conférence  qu'il  eut  à  Carthage  avec  les  Donalistes ,  et  avant  la 
découverte  de  l'hérésie  de  Pelage  en  Afrique,  de  l'an  096  à  Tan  4 10.  — 
5.  Lettres  de  la  o-^  classe,  celles  écrites  pendant  son  épiscopat,  mais  sous 
une  date  incertaine. 

u4ppendice.  i.  Lettres  faussement  attribuées  à  saint  Augustin  au  nom- 
bre  de  16. —  Quatre  index;  le  i"  offrant  Tordre  nouveau  des  lettres 
rapporté  à  l'ancien;  le  1''  l'ordre  ancien  rapporté  au  nouveau;  le  5*  la 
table  alphabétique  des  personnes  auxquelles  les  lettres  sont  adressées;  le 
4"  la  table  des  matières  ;  on  doit  observer  sur  ces  lettres  que  celle  à  Dé- 
raétriade  est  de  Pelage,  et  que  la  dispute  d'Augustin  avec  Pascentius  est 
de  Vigile,  évêque  de  Tapse  en  Afrique. 

TOME  III,  divisé  en  deux  parties,  comprenant  2480  colonnes. 
Ire  partie.  —  I.  De  la  doctrine  chrétienne  ;  en  iv  livres.  —  2.  De  la 
vraie  religion.  —  3.  Delà  Genèse  contre  les  manichéens;  en  11  livres;  ces 


4(i0  lÎDlTlOJNS  DE  M.  MIGNE. 

deux  derniers  Irailés  qui  étaient  dans  le  t.  i  des  Bénédictins  sont  mieux 
placés  ici.  —  4-  Livre  inachevé  de  la  Genèse  selon  la  lettre.  —  5.  De  la 
Genèse  selon  la  lettre;  en  xii  livres,  —  (».  Des  locutions  de  l'Écriturc- 
Sainte;  en  vit  livres.  —  7.  Des  questions  sur  le  Pentateuque;  en  vu  liv. 
—  8.  Annotations  sur  Job.  —  9.  Le  miroir  de  rÉcriturc-Sainte,  — 
10.  De  la  concorde  des  évangélistes  ;  en  iv  livres.  —  11.  Sur  le  discours 
du  Seigneur  sur  la  montagne  ;  en  n  livres. 

2e  partie.  —  i .  Questions  sur  les  évangiles  ;  en  u  livres.  —  2.  Les  17 
questions  sur  l'Évangile  selon  saint  Matthieu.  — •  3.  Les  cxxiv  traités  sur 
l'Évangile  de  saint  Jean.  —  4-  Les  x  traités  sur  lépître  de  saint  Jean  avix 
Parthes.  —  5.  L'exposition  de  quelques  propositions  tirées  de  Vépître 
aux  Romains.  — 6.  Exposition  inachevée  de  Tépître  aux  Romains. — 
7.  Exposition  de  i'épitre  aux  Galates. 

Appendice  des  écrits  supposés.  ■ —  i.  Les  m  livres  des  choses  admira- 
bles de  l'Écriture  sainte  sont  d'un  certain  Augustin  probablement  bre- 
ton ,  vivant  avant  Bede,  mais  après  l'an  660.  —  2.  Sur  les  bénédictions 
du  patriarche  Jacob  ;  extrait  à'Alcuin.  —  3.  Questions  sur  l'Ancien  et 
le  Nouveau  Testament;  écrites  vers  l'an  3oo  après  la  ruine  de  Jérusalem 
par  un  certain  Bilaire,  diacre  du  tems  du  pape  Damase.  —  4*  Exposi- 
tion sur  l'apocalypse  de  saint  Jean.  —  Table  des  matières. 

TOME  IV,  divisé  en  2  parties,  comprenant  1968  colonnes. 

i»«  pai'tie.  —  1 .  Préface.  —  2.  Variantes  des  psaumes  qui  se  trouvent 
dans  les  difiérens  psautiers  édités  ou  manuscrits.  —  3.  Narrations  sur 
les  psaumes,  depuis  le  h^  jusqu'au  79e  inclusivement. 

1'' partie.  Narrations  sur  les  psaumes,  depuis  le  80^  jusqu'au  dernier. 

TOWE  V,  divisé  en  2  parties,  comprenant  2440  colonnes. 

Ce  tome  compread  les  SgG  sermons,  divisés  en  5  classes. 

ire  partie.  —  i.  Préface.  —  a.  i^*^  classe  :  sermons  sur  les  Écritures, 
au  nombre  de  i85.  —  3.  2^  classe  :  sermons  dits  du  Tems^  au  nombre 
de  90. —  4-  3c  classe  :  sermons  sur  les  Saints,  au  nombre  de  67. 

2e  partie.  —  4*^  classe  :  sermons  sur  différens  suJHs  ,  au  nombi'ç  (^c 
24.  —  5«  classe,  42  sermons  douteux.  —  6.  Différens  fragmens  de  dis- 
cours qui  sont  perdus.  —  7.  Un  sermon  du  saint  prêtre  Hcraclius,  dis- 
cij)le  de  saint  Augustin. 

Appendice  des    scimons  attribués  autrefois  à  saint  Augustiu  ;  nous 


OEUVRES  DE  SAINT  AUGUSTIN.  467 

ferons  seulement  ici  les  observations  suivanles.  —  Le  g^  tst  à'Origène, 
duquel  il  y  a  aussi  des  extraits  dans  9  autres  discours.  —  Le  255  est  de 
Gregorius  le  boétique.  —  Les  56e  et  84^  sont  formés  des  écrits  de  saint 
Ambroise.  —  Les  discours  4^,  i55  et  268  sont  de  saint  Jean  Chrysos- 
tome.  —  Le  256  est  uq  libelle  de  Pelage,  ainsi  que  le  7 1 .  —  Le  72  est  de 
Heraclius,  successeur  de  saint  Augustin.  —  Les  i55  et  148  sont  du  pape 
saint  Léon,  —  Il  y  a  8  discours  de  Maxime^  évèque  de  Turin.  —  Les  61 
et  199  sonUde  saint  Pierre  Chiysologue.  —  Il  y  en  a  1 1  qui  sont  de 
Faustusde  Riez.  —  Il  y  eu  a  io5  de  saint  Césaire  d'Arles.  —  Le  io3  et 
une  partie  du  234  sont  de  Vigile  de  Tapse.  —  Le  195  et  le  208  sont 
à^ Ambroise  Autbert. —  lo  sont  de  Raban  Maur.  —  Le  209  est  de  Bede 
ou  âCAlcuin.  —  Le  171  est  dCOdilon,  abbé  de  Cluny.  —  Enûa  les  64» 
74,  247  et  225  sont  (Xlves  de  Chartres. 

TOME  VI,  comprenant  1596  colonnes. 

I.  Sur  diverses  questions  au  nombre  de  83.  —  2.  Sur  diverses  ques- 
tions, 1 1  livres  à  Simplicianus.  —  3.  Sur  les  8  questions,  de  Dulcitius.  — • 

4.  Sur  la  foi  que  nous  attachons  aux  choses  qui  ne  paraissent  pas.  — 

5.  Sur  la  foi  et  le  symbole.  —  6.  De  la  foi  et  des  œuvres.  —  7.  Enchiri- 
dion,  ou  manuel  de  la  foi,  l'espérance  et  la  charité.  —  8.  Du  combat 
chrétien.  —  g.  Sur  l'enseignement  des  iguorans. —  10.  De  la  conti- 
nence. —  II.  Sur  le  bien  conjugal.  —  12.  De  la  sainte  virginité.  —  i5. 
Sur  le  bien  du  veuvage.  —  14.  Sur  les  mariages  adultérins  ;  en  1 1  livres. 
—  i5.  Du  mensonge. —  16.  Contre  le  mensonge. —  17,  De  l'ouvrage  des 
moines.  —  18.  Sur  la  divination  des  démons.  — <  19.  Du  soin  qu'il  faut 
avoir  des  morts 20.  De  la  patience.  —  21 .  Du  symbole  pour  les  caté- 
chumènes j  IV  traités.  —  22.  De  la  discipline  chrétienne.  —  25.  Du  can- 
tique nouveau.  —  24.  De  la  iv*  férié.  —  25.  Sur  le  déluge.  —  26.  Sur 
les  tems  barbares.  —  27.  Sur  l'utilité  du  jeûne.  —  28.  De  la  ruine  de  la 
ville  de  Rome.     • 

Appendices  des  écrits  attribués  à  saint  Augustin.  —  i.  Le  livre  des 
XXI  sentences.  —  2.  Dialogue  sur  6j  questions.  —  5.  Sur  la  foi  à  Pierre 
ou  règle  de  la  vraie  foi  ;  cet  écrit  est  de  Fulgence^  évèque  de  Ruspe.  — 
4.  De  l'esprit  et  de  l'àmej  à! Alchevius ,  moine  de  Citeaux.  —  5.  De 
lamitié  ;  c'est  l'abrégé  de  l'ouvrage  d'Aebrecl^ ,  ^bbé  de  Rhievall ,  ab- 
baye de  Citeaux  en  Angleterre.  —  6.  De  la  substance  de  l'amour  ;  dHu- 
gon  Vitlorin.  —7.  De  Tamour  de  Dieu  et  soliloques;  d  AU herius  de 


'*68  ÉDlTlOiNS    DE   31.   MIGiNK. 

Citeaux.  —  8.  Méditations  j  presque  toutes  tle  Jean,  abbé  de  Fiscan- 
ntn. — Ç).  De  la  contrition  du   cœur;  Ae  S*  Anselme ^  archevêque   de 
Cantorbery.  —  lo.  Les  soliloques, —   ii.   Le  miroir,  en  partie  dV//- 
cuin.  —  12.  Autre  miroir,  dit  du  pécheur.  —  i3.  De  la  triple  habita- 
tion. —  i4-  De  l'échelle  du  paradis  ;  de  Guigon  le  chartreux.  —  i5.  De 
la  connaiscance  de  la  véritable  vie;  d'Bonorius  d'Autun.  —  i6.  Delà 
vie  chrétienne  ;  de  Fastidius  de  Britona  en  Espagne-  —  17.  Des  en- 
seignemens  salutaires;  de  Paulin  de  Fréjus,  ou  du  patriarclie  d'Aqui- 
lée.  —  18.  Des  12  degrés  des  illusions.  —  19.  Des  7  vices  et  des  7  dons 
du  Saint-Esprit  ;  d'Uugon  F'ictorin.  —  ao.  Du  conflit  des  vices  et  des 
vertus;  à' Amhroise  Autbert  ou  Autpert.  —  21.  De  la  sobriété  et  de  la 
chasteté.  *—  22.  De  la  vraie  et  de  la  fausse  pénitence.  —  23.  De  Tante- 
christ;  à'Âbson,  abbé  de  Derbes,  en  Asie.  —  2\.  Le  psautier,  que  l'on 
dit  avoir  été  composé  par  saint  Augustin  pour  sa  mère,  et  que  Ton  croit 
avoir  été  disposé  par  le  pape  Jean  à  Vienne.  —  25.  Exposition  du  Ma- 
gnificat; par  Hugon  f^iclorin, —  26.  De  rassomption  de  la  bienheureuse 
Vierge  Marie.  —  27.   De  la  visite  des   infirmes.  —  28    Discours  sur  la 
consolation   après   la   mort  ;  de  saint  Jean   Chrjsosiome.  —  2g.  De  la 
droiture  de  la  conversation   catholique  ;  d'^/o/  de   Noyon.  —  5o.  Du 
symbole.  —  5i.  De  la  manducation  de  l'agneau.  —  02.    Sermons  aux 
néophytes.  —  55.  Du  mépris  du   monde.  —  34.  Du  bien  de  la  disci- 
pline ;  de  Valerianus,  évêque  de  Cyma,  en  Egypte.  —  35.  Discours  aux 
frères  dans  le  désert .  —  Tables. 

TOME  VIT,  comprenant  872  colonnes. 

1.  Les  xxîi  livres  de  la  cité  de  Dieu. 

Appendices.  Quelques  écrits  qui  tous  ont  rapport  à  la  découverte  du 
corps  de  saint  Etienne,  i.  Lettre  à'Avitii^  à  Palchonius  sur  les  reliques 
de  saint  Etienne  et  sur  la  lettre  de  Lucien,  qu'il  a  traduite  du  grec  en 
latin.  —  2.  Lettre  de  Lucien,  prêtre  de  Capharmagala,  pi  es  de  Jérusa- 
lem, à  toute  l'Église  et  aux  chrétiens  de  tout  l'univers  sur  la  révélation 
du  lieu  où  était  le  corps  de  saint  Etienne.  — 3.  Lettre  d'Anastase  à 
Landuleus  sur  la  relation  de  la  translation  de  saint  Etienne  martyr.  — 
4.  Relation  sur  une  autre  découverte  et  translation  du  corps  de  saint 
Etienne  à  Bysancc.  —  5.  Lelirc  de  Sévère  ,  évéquc  ,  à  toute  l'Église  sur 
es  miracles  opérés  dans   lilc  de  Minorquç  par  le$  reliques  de  saint 


OEUVKliS    DE    SALNT  AUGUSTIN.  46V) 

Etienne.  —  i  livres  à  Evodius^  évèque  d'L'zal,  sur  les  miracles  de  sain^ 
Etienne.  —  Table. 

TOME  VIIF,  comprenant  ia56  colonnes. 

1.  Sur  les  hérésies  à  Quodviiltdeus.  —  2.  Traité  contre  les  Juifs.  — 
3.  Sur  Tutilité  de  croire  à  Honorât.  —  4*  Sur  les  deux  âmes  contre  les 
Manichéens.  —  5.  Les  actes  ou  la  dispute  contre  Forlunat,  manichéen. 

—  6.  Contre  Adimanlus,  disciple  de  Manichée.  —  7.  Contre  l'épître  de 
Manichée,  dite  Du  fondement. —  8.  Contre  Faustus  le  manichéen;  eu 
xxxiii  livres.  —  9.  Des  actes  ou  conférences  avec  Féhx  le  manichéen;  en 
Il  livres.  —  10.  De  la  nature  du  bien  ;  contre  les  manichéens.—  11.  Cou 
tre  Secondinus  le  manichéen.  —  \i.  Contre  un  adversaire  de  la  loi  et  des 
}»rophètes,  en  11  livres.  —  i3.  A  Orose  ,  contre  les  Priscillianistes  et  les 
Origenistes.  —  i4-  Discours  des  Ariens. —  iS.  Réfutation  de  ce  discours 
des  Ariens.  —  16.  Conférence  avec  Maximinus,  évèque  des  Ariens.  — 
17.  Contre  le  même  Maximinus;  en  11  livres. —  18.  De  la  Irinilc;  en 
XV  livres. 

Appendice  des  œuvres  faussement  attribuées  à  saint  Augustin. — 
1.  Traité  coutre  les  cinq  hérésies.  —  2.  Discours  contre  les  Juifs,  les 
Païens  et  les  Ariens.  —  5.  Dialogue  sur  le  combat  entre  l'Église  et  la 
Synagogue.—  4.  Delà  foi  contre  les  manichéens;  attribué  à  Evodim.  — 
5.  Instruction  sur  la  manière  de  recevoir  les  manichéens  qui  se  conver- 
tissent. —  6.  De  la  foi  en  la  trinite,  contre  Félicien  aiicn;  de  Vii^iliusy 
évèque  de  Tapse.  —  7.  Questions  sur  la  trinité  et  la  Genèse  ;  d'après 
Alcuin.  —  8.  De  l'incarnation  du   Verbe  à  Januarius;  d'après  Ori'^ène- 

—  g.  De  la  trinité  et  de  l'unité  de  Dieu.  —  10.  De  Icssencc  de  lu  divi- 
nité. —  1 1.  De  l'unité  de  la  sainte  trinité.  —  12.  Des  dogmes  ecclésias- 
liijues  ;  attribué  à  Gennadius,  prèlrc  de  Marseille. 

TOME  IX,  comprenant  844  coloimcs. 

1.  Psaume  contre  les  partisans  de  Donal.  —  2.  Contre  lépîtrc  de  Par- 
menian;  en  m  livres,  —  3.  Du  baptême  contre  les  donatistes;  en  vu  li- 
vres. —  Contre  les  lettres  de  Pelilian  ;  en  m  livres.  — 5.  Lettre  aux 
catholiques  contre  les  donatistes  sur  l'unité  de  l'Église.  —  6.  Contre 
Crcsconius,  grammairien  donatiste;  en  iv  livres.  —  7.  De  l'unique  bap- 
tême, contre  Petilian.  —  8.  Abrégé  de  la  conférence  avec  les  donatistes. 
—  ç).  Après  la  conférence,  conseils  adressés  aux  donatistes.  —  10.  Dis- 
cours au  peuple  de  Icglise  de  Césarce,  prononcé  en  présence  d  Emérilus, 
tu'sÉBu;.  TOME  VI.  —  IN^  36.  1842.  30 


^70  ÉDlTiOiNS    DE    M  IGNE, 

leur  évèque.  —  ii.  De  ce  qui  s'est  passé  avec  Eméritus.  —  lu.  Gjntre 
Gaudentius,  évèque  rlesdonatistes;  en  ii  livres.  —  iT).  Discours  à  Tocca- 
sion  du  sous-diacre  Rusticianus,  rebaptisé  par  les  donatistes  et  ordonne 
diacre. 

Appendices,  i.  Contre  Fulgence  le  douatisle,  —  i.  Difterenles  pièces 
lustoriques  ayant  rapport  à  1  histoire  des  donalistes. 

TOME  X,  divisé  en  2  parties,  comprenant  191 2  colonnes. 

if«  partie,  i.  Sur  les  mérites  et  la  rémission  des  péchés;  eu  m  livres. 

—  Q.  De  Tesprit  et  de  la  lettr.-.  —  5.  De  la  nature  et  de  la  grâce.  — 
4.  De  la  perfection  de  la  justice  de  l'homme.  —  5.  Des  gestes  de  Pelage. 

—  6  De  la  grâce  du  Christ  et  du  péché  originel;  en  11  livres.  —  7.  Des 
noces  et  de  la  concupiscence;  en  11  livres.  —  8.  De  l'âme  et  de  son 
origine,  en  iv  liv.  ^»  9.  Contre  deux  lettres  des  Pélagiens ,  à  Boniface; 
en  IV  liv. —  10.  Contre  Julien  ;  en  vi  livres.—  1 1 .  De  la  grâce  et  du  libre 
arbitre.  —  i-J.  De  la  correction  et  de  la  grâce.  —  1 3.  De  la  prédestina- 
tion des  saints. 

2=  partie.  \!^.  Du  don  de  la  persévérance.  —  i5.  Contre  la  deuxième 
réponse  de  Julien;  ouvrage  inachevé. 

Appendices,  r.  L'hypomnesticon,  contre  les  pélagiens  et  les  célestiens. 
—  a.  De  la  prédestination  et  de  la  grâce.  —  3.  De  la  prédestination  de 
Dieu.  —  4.  Diftérens  écrits  et  monumens  concernant  l'histoire  des  péla- 
giens. —  5.  Opuscules  apologétiques  de  P;oi-/7er  d'Aquitaine ,  tn  faveur 
d'Augustin,  contre  les  iniques  censeurs  de  sa  doctrine  sur  la  grâce  et  la 
prédestination.  Ces  opuscules  sont  au  nombre  de  (y,  savoir  :  —  i .  Epître 
sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre,  contre  le  conférencier .,  ou  contre  la  i5c 
conférence  de  Cassien.  — 2.  Réponses  aux  chapitres  des  gaulois  calom- 
niateurs. —  3.  Réponses  aux  chapitres  des  objections  des  Vincentiens, 
probablement  Vincent  de  Lerins.  —  4.  Réponse  à  quelques  extraits  en- 
voyés par  des  prêtres  de  la  ville  de  Gênes.  — 5.  Épigrammede  Prosper 
contre  un  détracteur  d'Augustin.  —  (>.  Livre  de  sentences,  tirées  d'Au- 
gustin. 

TOME  XI,  comprenant  1004  colonnes. 

Ce  volume  est  entièrement  consacré  aux  indices,  concordances  et  ta- 
bles des  matières  ,  au  nombre  de  6,  et  de  plus  à  quelques  discours 
i\  npujeuks  :iou<y>eUcmtint  dccouvcrls.  Voici  leur  oidrc  et  leur  désigna- 


OLUVUES    DE    SAiM     AtGUSTIA.  471 

lion,  I.  Liste  des  livres  ,  traités  et  lettres  de  saint  Augustin  dressée  par 
Possidonius ,  évèque  de  Calama.  —  i.  OEuvres  coulenucs  dans  les 
appendices  avec  le  nom  des  auteuïs  auxquels  elles  appartiennent;  nous 
avons  fait  entrer  cet  index  dans  notre  corn  pie-rendu  en  indiquant  le 
nom  des  auteurs.  —  3.  Accord  de  l'ordre  nouveau  de  cette  édition  avec 
l'ancien  ordre  de  l'édition  des  théologiens  de  Louvain  et  autres.  —  4. 
Accord  de  l'ancienne  édition  avec  la  nouvelle.  —  ô.  Table  alphabétique 
de  tous  les  ouvrages  de  saint  Augustin.  —  6.  Table  générale  pour  toutes 
les  œuvres. —  25  discours  ou  parlieb  de  discours  nouvellement  décou- 
verts et  éditéi»  par  Michel  Denys.  -  -  lu  autres  discours  découverts  dan  s 
la  bibliothèque  du  Mont-Gisbin  et  édités  en  lO'^o  par  le  P.  de  Fraja 
Frangipane. 


472  COMI>TE-HEJNDt 


^-wV»^  v«/ï.««»-  • 


Comptf-reiibu, 


A    XOS   ABONXES. 

En  parlant  à  nos  abonnés  des  travaux  qui  entrent  dans  ce  vo- 
lume ,  il  nous  semble  qu'il  y  a  plusieurs  articles  que  nous  pou- 
vons leur  signaler  à  bon  droit.  Et  d'abord  nous  devons  faire  re- 
marquer ceux  qui  ont  eu  pour  but  de  leur  faire  connaître  les 
irav.mx  qui  se  font  en  Jîlemagne  pour  la  défense  de  notre  Bible. 
Dans  les  deux  articles  extraits  de  Hengstenùerg  ,  on  a  pu  suivre 
la  marche  insensible  par  laquelle  les  rationalistes  allemands  sont 
parvenus,  de  subtilités  en  subtilités,  à  nier  toute  l'Écriture.  Dans 
celui  que  nous  donnons  dans  ce  cahier  extrait  de  Tholuck  , 
ou  voit  comment  il  est  facile  de  répondre  à  Strauss,  en  le 
tenant  sur  le  seul  terrain  historique ,  et  indépendamment  de 
l'aulorité  des  Evangiles.  Les  articles  sur  les  mythes  rentrent 
aussi  dans  le  même  but,  celui  de  réfuter  les  rationalistes  et  les 
panthéistes  allemands  et  français.  Nous  ne  nommons  pas  tou- 
jours les  auteurs  ni  les  ouvrages  auxquels  s'adressent  les  réfuta- 
tions ;  mais  nous  fournissons  des  armes  pour  les  combattre  tous. 
Ces  articles  seront  continués,  puis  nous  passerons  à  d'autres  au- 
teurs de  manière  à  faire  connaître  tous  ceux  qui  en  Allemagne 
défendent  avec  zèle  et  talent  la  cause  catholique. 

L'article  du  P.  Perrone  sur  la  philosophie  heniiésienne,  que 
nous  avons  traduit  des  Annali  de  Mgr  de  Luca  ,  nous  a  fait 
connaître  une  des  erreurs  qui  se  sont  répandues  dans  ces  der- 
niers lems  dans  l'école  catholique  d'Allemagne.  Cette  erreur,  peu 
connue  en  France,  méritfî  pourtant  de  fixer  l'attention  des  théo- 
lo«^iens  et  des  philosophes  par  les  nombreux  points  de  contact 
qu'elle  a  avec  la  philosophie  cartésienne.  Nous  continuerons  à 
pubUer  les  travaux  du  savant  jésuite  sur  ce  point. 

JNous  avons  terminé  dans  ce  volume  les  articles  de  M.  Carte- 
rvn  contre  le  système  de  Dupuis.  Noub  pouvoub  due  que  nulle 


A  NOS    ABONNÉS.  /f73 

autre  part,  et  jusqu'à  ce  jour,  jamais  ce  funeste  système  n'avait 
éU'  réfulf'  aussi  solidement  ;  car  on  a  prouvé  que  tout  cet  éclia- 
faudage  de  science  et  d'érudition  avec  lequel  Dupuis  a  longtcms 
fait  illusion  au  commun  de  ses  lecteurs  ,  reposait  sur  des  fonde- 
mens  erronés.  C'est  en  bouleversant  toute  l'histoire ,  en  attri- 
buant aux  anciens  les  'opinions  des  modernes ,  en  généralisant 
ce  qui  n'était  que  local,  en  cachant,  en  supprimant,  en  faussant 
les  témoignages  que  Dupuis  a  établi  ses  principes  anti-chrétiens. 
Il  faut  savoir  gré  à  M-  Letronne  d'avoir  dévoile  et  ruiné  celte 
fausse  science.  Comme  nous  tenons  à  propager  celte  réfutation  , 
nous  en  avons  fait  tirer  à  part  quelques  exemplaires  que  nous 
mettrons  en  vente  ,  après  y  avoir  ajouté  une  préface.  Nous  re- 
mercions M.  Carteron  de  cet  excellent  travail  ,  et  nous  annon- 
çons*à  nos  lecteurs  que  ce  n'est  pas  le  seul  qu'il  nous  donnera. 
Il  prépare  en  ce  moment  une  Notice  sur  ces  Thcrapeiites  et  Esse- 
niens,  dont  quelques  écrivains  superficiels  s'avisent  en  ce  moment 
de  vouloir  faire  descendre  le  christianisme. 

M.  l'abbé  Bertrand  a.  aussi  terminé  ses  articles  sur  les  noms  que 
les  différens  peuples  ont  donnés  à  Dieu.  On  y  a  vu  que  toutes  les 
langues  sont  unanimes  pour  accorder  à  Dieu  quelques-uns  des 
attributs  qui  nous  sont  connus  par  nos  livres  saints,  preuve  in- 
contestable que  tous  les  peuples  ont  puisé  à  la  même  source,  celle 
de  la  révélation  primitive ,  et  qu'au  commencement  ils  ne  for- 
maient qu'une  seule  famille,  M.  Tabbé  Bertrand  nous  fait  espé- 
rer tout  prochainement  de  nouveaux  travaux  sur  les  langues. 

En  exposant  les  doctrines  de  M.  Cousin,  nous  avons  surtout 
cherché  à  caractériser  son  enseignement,  à  faire  voir  quelle  place 
on  pouvait  lui  assigner  dans  cette  longue  liste  de  tautologies,  de 
paralogismes  et  souvent  de  répétitions  des  mêmes  erreurs ,  cpie 
l'on  est  convenu  d'appeler  l'histoire  de  la  philosophie.  On  a  pu 
s'assurer  que  celte  place  est  fort  humble,  si  toutefois  il  faut  lui  assi- 
gner une  place  ;  car  on  a  vu  que  d'autres, philosophes  comme  lui, 
dissèquent  avec  assez  d'intelligence  toute  sa  doctrine  et  en  res- 
tituent les  lambeaux  à  ceux  auxquels  on  l'accuse  de  les  avoir, 
pour  nous  servir  d'un  mot  poli,  empruntés.  Depuis  lors  une 
nouvelle  phase  s*est  produite  dans  l'histoire  de  M.  Cousih  ;  c'est 


Ul^  COMPTr-RFNDl. 

relie  (\\\o  lui  n  faite  l;i  niutilaîiou  cl  la  fakitiration  dcH  ccnvrrs 
poslliuines  de  ÎNI.  Jouffroi;  nous  en  prendrons  acte  dans  un  pro- 
chain cahier. 

Le  livre  le  pins  important  qui  ait  paru  dnrant  ce  semestre  est 
sans  contredit  le  Commentaire  sur  Verodeet  les  nombres  de  M.  le 
comte  Léon  de  Lahorde.  L'examen  de  cet  ouvrage  ne  pouvait 
être  placé  en  de  meilleures  mains  que  dans  celles  de  M.  Quatre- 
mère,  son  collègue  en  ce  uioment  à  l'Institut.  Ce  savant  consa- 
crera  encore  plusieurs  articles  à  l'examen  de  cet  ouvrage;  dans 
le  derni(  r  il  examinera  surtout  le  passage  de  la  mer  rouge  ,  dis- 
cutera l'opinion  de  M.  de  Laborde,  donnera  la  sienne,  et  à  cette 
occasion  nous  publierons  la  Carte  du  passage  de  la  mer  rouge, 
dressée  par  M.  de  Laborde.  On  a  vu  que  nous  avons  publié  celle 
de  la  sortie  d'Egypte;  dans  un  prochain  cahier  nous  y  joindrons 
celle  du  vojage  des  Israélites  dans  le  désert  ;  en  sorte  que  nos 
lecteurs,  dans  ces  trois  belles  cartes,  auront  le  résultat  des  der- 
nières et  des  plus  consciencieuses  études  qui  aient  été  faites  pour 
prouver  la  véracité  et  l'exactitude  du  texte  de  Moïse.  Honneur  à 
M.  de  Laborde,  honneur  à  cette  science  qui,  en  opposition  à 
cette  malheureuse  et  idéale  science  de  l'Allemagne,  s'attache  à 
prouver  par  l'examen  des  faits  et  des  réalités  la  vérité  de  nos  li- 
vres. Nous  le  disons  sans  hésiter  ,  cette  science  restera  bénie  de 
Dieu  et  des  hommes,  tandis  que  l'autre  science  sera  de  jour  en 
jour  reconnue  de  plus  en  plus  vide,  fausse,  mensongère. 

Nous  devons  ajouter  que  M.  Quatremère  nous  a  promis  en 
outre  de  nous  donner  prochainement  les  travaux  qu'il  a  faits  sur 
la  B.ihjlunia  et  l.i  géographie  du  centre  de  VJsie.  Ces  travaux  se 
lient  a  l'explication  et  à  la  confirmation  de  nos  livres',,  et  nous 
sommes  heureux  d'en  faire  jouir  tous  les  chrétiens,  nos  frères. 
Nous  savons  que  j>L  Quatremère  a  encore  dans  ses  portefeuilles 
plusieurs  mémoires  sur  la  science  biblique,  fruits  d'un  travail  de 
trente  ans  ;  nous  espérons  qu'il  voudra  bien  nous  en  communi- 
quer quelques-uns. 

Enfin,  on  a  vu  dans  ce  cahier  le  commencement  d'un  travail 
de  notre  savant  et  religieux  ami,  M.  Eugène  Bore.  Ce  mémoire 
sera  continué  et  suivi  de  plusieurs  autres  que  nous  avons  entre 


\  \os  \Ro\xÉs.  AT 5 

Icsninins.  Nous  regrettons  d'avoir  à  annonror  que  la  noiivelli^  cjuc 
l'on  avait  donnée  de  sa  nomination  au  consulat  de  Jérusalem  ne 
doit  pas  se  réaliser.  On  a  craint  qu'il  n'eût  trop  de  zèle  it  d'or- 
thodoxi*";  on  a  craint  qu'il  ne  gênât  le  prosélytisme  du  seigneur 
Alexandre,  évèque  de  par  LL.  M3I.  la  papesse-reine  Victoria  et 
le  pape-roi  de  Prusse.  Nous  le  regrettons  sincèrement.  M.  Bore 
est  sans  doute  un  catholique  sincère  et  zélé;  mais  il  sait  unir  la 
prudence  au  zèle,  l'esprit  de  conciliation  à  celui  de  fermeté;  il 
eu  a  donné  de  nombreuses  preuves  en  Perse  et  en  Turquie ,  où 
seul,  n'ayant  d'autre  autorité  que  sa  prudence,  sa  persuasion,  la 
beauté  de  son  caractère,  il  a  su  se  faire  tant  d'amis,  tant  de  pro- 
sélytes, déconcerter  tant  de  trames,  déjouer  tant  d'intrigues,  fai- 
sant respecter  et  aimer  le  nom  de  catholique  aussi  bien  que  celui 
de  Français.  C'est  une  faute  et  une  très  grande  faute  de  la  part  de 
notre  gouvernement.  Au  reste,  le  voyageur  n'a  pas  renoncé  pour 
cela  à  sa  mission  catholique  :  après  avoir  passé  l'hiver  à  Paris,  il 
retournera  au  printems  à  Constantinople,  d'où  il  se  rendra  là  où 
il  trouvera  le  plus  de  bien  à  faire  en  sa  double  qualité  de  catho- 
lique et  de  savant.  L'académie  des  Inscriptions  et  Belles  lettres 
vient  au  reste  de  reconnaître  ses  services  en  le  nommant  l'un  de 
ses  membres  correspondans .  C'est  un  choix  qui  sera  approuvé  par 
les  amis  de  la  science  et  de  la  religion. 

^Au  reste,  nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  que  nous  continue- 
rons les  travaux  commencés,  et  donnerons  ceux  que  nous  avons 
promis.  Tous  sont  l'objet  de  nos  études  ou  de  nos  travaux  ;  car 
c'est  à  eux  que  nous  avons  consacré  notre  tems  et  notre  vie. 


76 


COMPTE -RENDU. 


Voici  maintenant  la  liste  annuelle  de  nos  abonnés. 
ABONNÉS  DES  ANNALES  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIE]\NF. 


^;„           

4 

Rpport.  .  . 
Indre-et-Loire  .  .  •  • 

hère 

Jura 

Landes 

.  291 
.       4 
.      8 
.      8 
.      4 

Report.  .  .  . 
Saône-et-Loire  .  .  . 
Sarihe   ,....., 

.  511 
.    14 
.    16 
.  104 

Aisne 

3 

Alpe«  (Ba^scs  )  .... 
Alpes  .Hautes-;  .   .   , 
Ardèclic 

.  .    19 

.      5 

.  .       7 

.  .       1 

Seine-Infcrieure  .   . 
Seine  ei-Marne  .    .  .  , 
Seine-et-Oise.    .    .  . 
Sèïres   Deui).  .  .  . 

.       6 

2 

.     13 

.       6 

.       8 

Loir-et-Chrr 

Loire 

Loire  (Haute-),  .    .  . 
Loire-Inférieure  .   •  . 

.      4 
.       3 
.      3 

.  .       8 

4 

Ariége 

.       3 

2 

.    13 

Tarn 

.       5 

.••    4 

Lot 

.      2 

Tarn-el-Garonne   .  . 

.     13 

Bouches-du-Rh6ne.    . 
Calïado"            .  .   .   • 

.  .     31 
22 

J,ol-f;t-Garonne    .  .   . 

Lozère 

Maine-et-Loire.   .   .    . 
Manche 

.      2 
.       0 
.     11 
.      2 

Yaucluse.   •  .  >  .  . 
Vendée 

.   •>o 

J;^"'/*    ■ 

S 

Vienne 

Charente-Inférieure  . 
Cher 

.  .       () 
.       2 
.      5 

Marne      .   .  . 

5 

Vienne  (  Haute-  ],  , 

Vosges 

lonne 

Algérie 

Angleterre 

Autriche 

Belgique 

Etais  de  l'Eglise  .  . 
Pologne , 

'.    17 

Marne  ;Haute  ;   .   .   . 

Mayenne 

Meurthc  .          . 

.       S 
.      9 
.     22 

Corse 

Côle-d'Or 

Colcs-du-Xord  .... 

Creuse 

Dordogne 

DtuIis 

1 
.  .      5 
.  .       8 

.      3 
.  .      1 

,      2 

Meus,, 

Morbihan 

Moselle 

Mévre 

Nord 

.     10 
.  .      5 
.      7 
.       3 
.     20 

.  .      1 

0i»e 

.       8 

Prusse 

Hollande 

Russie 

SaToie : 

Suisse 

'  '.     17 

Eure 

Eure-et-Loir 

Finistère  .   •         ... 

.  .      8 
.  .       2 
.  .       4 

Orne 

.  .       5 

Pas-de-Calais 

Puy-dc-Dômc  .... 
Pyrénées  (Basses-i.   . 
P} rénées  (Hautes-).   . 
Pvrénces-Oiienlllej   . 

Bbin    Bas-^ 

Bl.in  (Haut-)   .... 

.  .       6 

.     11 

.  .       4 

1 

.  .       2 

.  .       5 

1 

.       26 

.   .       8 

Garonne  (Haute-)  .   . 
Gts 

.  .     19 

.     29 
.  .       5 

Canada 

C^yenne    

Ile-Bourbon 

1    Sénégal 

Etats-Unis 

Chine 

!  !     15 

Hrrault    .       . 

.  .     22 

Ille-el-Villaine  .... 

.  .     11 

.   .       2 

4 
.     511 

Total.  .  . 

.     291 

Total.    . 

Total  général. 

-J^ 

Nos  abonnés,  à  la  fin  de  1841 ,  ne  s*élevaient  qu'au  nombre  de 
833;  nous  avons  donc  eu  pour  cette  année-ci  une  augmentation 
de  10  abonnés.  Ce  n'est  pas  beaucoup;  mais  quand  on  fait  at- 
tention à  la  nature  du  recueil,  c'est  beaucoup  de  pouvoir  conser- 
ver ce  nombre  d'abonnés  et  de  le  voir  même  s'accroître  peu  à  peu 
tous  les  ans. 

Aussi  ne  pouvons-nous  que  remercier  les  personnes  honorables 
qui  nous  soutiennent  de  leurs  conseils  et  de  leur  approbation. 
Nous  chercherons  toujours  à  faire  tous  nos  efforts  pour  correspon- 
dre à  leurs  désirs  et  pour  réaliser  leurs  espérances.  Nous  remer- 
cions surtout  ici  les  prêtres  honorables  qui  nous  aident  de  leurs 
travaux.  Ces  travaux,  très  rares  dans  les  premières  années  de 


A  _\os  abo.nm's.  47 T 

IVxisteDce  des  Annales ,  deviennent  plus  nombreux  ,  plus  intéres- 
sans  tous  les  jouis.  Nous  ne  pouvons  même  les  accepter  lous.  C'est 
une  preuve  du  progrès  que  font  les  études  du  clergé  ;  de  jour  en 
jour  il  se  montre  plus  digne  de  sa  mission ,  et  sa  réconciliation 
avec  toutes  les  sciences  est  désormais  un  fait  accompli.  Heureux 
si^  comme  on  nous  l'a  écrit  souvent, les  Annales  ont  contribué 
pour  leur  part  à  cet  heureux  résultat. 


Le  Directeur-Propriétaire, 

ALGUSTk>  BO-NWETTY, 
de  la  Société  asiatique  de  Paiis. 


478 


lAliLE    GliiS'tKALi;    DES    MA.TlEKLb. 


TABLE  GÉNÉRALE 

BES  MATIÈRES,  DES    AUTELhS  ET  DES  OUVRAGES. 


Voir  page  5  la  Table  dfs  aiiicles. 


A 

Adam  (de  Sl.-\  ictor).—  Prose  en  Thon- 
neur  de  gainl  André.  P.  ô39 

Allocution  (de  S. S')  Grégoire  XVI  sur 
PEglise  en  Rus>ie.  165,  245 

Annali  dolle  gcienze  re'.igiose.  —  Som- 
maires des  n"«  de  juillet  à  décembre 

1841.  163 

Archéologie  clirélieaiie.  —Voir  Bouras- 
sé  et  Vocabulaire. 

Auber  (M  l'abbé).  —  ^ommé  historio- 
graphe du  diocèse  de  Poitiers.        320 

Audin  (M  )— Examea  de  son  histoire  de 
la  vie,  des  ouvrages  et  des  doctrines 
de  CalTin.  573 

Avant  Liturgique.  —  Voir  Guéranger. 

B 

Basilique  Chrétienne  des  premiers  siè- 
cles, découverte  à  Issoudun.  243 

Bautain  (jugement  de  M.)  sur  M.  Cou- 
sin. ^27 

Belleval  (M.  R.  de).  —  Analyse  de  This- 
loire  de  l'économie  politique  de  M.  le 
vicomte  de  Villeneuve.  —  Voir  ce 
nom. 

Bertrand  (>I.  l'abbé).  —  Analyse  du 
tome  l^-^  de  rbisloire  de  la  littérature 
hindoui  et  hindousloni,  Cô.  —  Syn- 
glosse  du  nom  de  Dieu  dans  toutes  les 
langues  connues.  {'"  et  dernier  arti- 
cle.) Ô90 

Biographie  et  bibliographie  hindoui  et 
hindoustani.  63 

Boniface  Vlll.  —  Vengé  des  calomnies 
répandues  contre  lui,  2*  art.  23 

Bonnetty  (M.  Aug).  —  Appendice  à  la 
notice" sur  M.  Tabbé  Foisset.  14ii  — 
Dictionnaire  de  diplomatique,  -IQ^  art. 
— diplôme*.  Doctrine  chrétienne.  146. 
—  Avii  S'.ir  l'article  de  l'Univers  ex- 
pliqué par  la  révélation.  255.  —  Sur 
les  trav>.ux  do  M  Doié.  40-j,  —Comp- 
te-rendu aux  abonnés.  472 

Bore  (M.  Eugène)  ■—  Lettre  annonçant 
son  riUour  en  France.  517.  —  Est 
nomir.é  chevuUcr  de  la  milice  dorée 
de  Saiiil-Sylveslrc.— Bref  do  Sa  Sain- 


teté à  ce  sujet.  —  Lettre  du  cardinal 
J.  Ph.  Fransoni.  402.  —  De  la  vie 
religieuse  chez  les  Chaldéens  (i"  ar- 
ticle). 40S 

Bourassé(M  l'abbé).  —  Examen  de  son 
archéologie  chrétienne.  343. 

Brefs.  —  Voir  Grégoire  XVL 
G 

Calvin.  ■—  Analyse  de  son  hlsloire.  — 
Voir  Audin 

Carteron  (M.).  —  Réfutation  de  Dupuis. 
7^  art.  492.  —  8«  et  dernier  art.  42o. 

Cathédrales  de  France.  —  Voir  Numis- 
matique. 

Cauvigny  (M.  V,)  —  Ce  que  Pon  entend 
par  Mythes.  2«  art.  i03 

Chaubard  (M.  L.  A.)  Analyse  de  son 
livre,  l'Univers  expliqué  par  la  révé- 
lation. 235 

Clerc  (Le).— Authenticilédu  Penlaleu- 
que.  12 

Cluny.  —Prose  en  l'honneur  de  la  Ste 
Vierge,  tiré  de  son  missel.  341 

Combeguille  (M.).  —  Analyse  de  l'avent 
liturgique,  539 

Cousin  (M.  V.  )  —  jugé  par  ses  p^rs 
l'r  art.  49  — '2^  art.  i2l 

B 

Damase.  —Hymne  en  l'honneur  de  St 
André.  538 

Descartes  (mis  à  l'index).  —  Note.    85 

Dictionnaire  de  diplomatique,  ou  cours 
philologique  et  historique  d^antiqui- 
tés  civiles  et  ecclésiastiques,  29«  art. 
—  Voir  Bonnetty. 

Dupuis.  —  Son  système  astronomique' 
réfuté  par  M.  Letronne.  —  Voir  ce 
nom. 

E 

Economie  politique  (Histoire  de  1'  ).  — 
Voir  de  Villeneuve. 

Eglogue  à  Pollion  de  Virgile  (Explica- 
tion de  F).  —  Voir  Traditions  primi- 


tives. 
Exégèse  (Dégénéralion  de  V). 
Penlatcuque. 


Voir 


TABLE   GENER ALJi    UES    iMATlEKEii, 


479 


Exude   et    les  Nombres  (Coniinenlaire 
géographique  sur  1').  Voir  de  Laborde. 


lerrari  (le  P.  de).  —  Monnaie  du  sou- 
.  veraiu  ponlile  Valenlin.  22S 

Fichte.  —  Sa  philosophie  citée.  iSS 

Foissel  '^M.  L'abbé)  —  Notice  nécrolo- 
gique. 155 

G 

Garcin  de  Tassy  [M..).  —  Analyse  de  son 
histoire  de  la  littérature  bindoui  ei 
hindoustani.  65 

Gatien- Arnoult.  —Jugement  sur  M. 
Cousin.  49  et  t2i. 

Geiaud  (M.)  —Analyse  de  l'hlsloire  de 
Calvin.  ôT5 

Gri'Ssellini  (>Ig  )  —  Sur  les  vestiges  des 
traditions  primitives  chez  les  latins  ; 
examen  de  l'églogue  à  Pol  ion.  208. 29& 

Gravure.—  Voir  Lithographie. 

Giéjîoire  XVI  (  S.  S.)  —  Anocation  sur 
l'église  en  Russie.  463.  243.  —  Bref  à 
M.  Artaud.  79.— A  M.  Eug.  Bore.   -403 

Guéranger  (  le  R.  P.)  —  Examen  de  son 
Avenl  Liturgique.  523 

H 

Iléeren.  —  Sur  l'autorité  du  Penlaleu- 
que.  562 

Hegel.—  Sa  philosophie  citée.  289 

Hengstenberg  (M.)-  Comment  la  foi  au 
Penialeuque  s'est  alTaiblie.        7.   559 

Hermésianisme.  —  Exposé  de  cette  er- 
reur. 275 


Jésuites  (les)  appelés  à  la  Nouvelle  Gre- 
nade par  décret  du  congrès  et  du  pou- 
voir exécutif  de  Bogota  ,  pour  les 
charger  de  continuer  les  missions.  159 


Kant  (Philosophie  de).  287 

L 

Laborde  (M.  Léon  de).— Annonce  de  son 
comnieoiaire géographique  surl'exode 
et  les  nombres.  83.  —  Approbation  de 
cet  ouvrage  par  Mgr  Allre.  84.  —  Son 
examan  par  M.  Quatremère.  83.  — 
Extrait  de  cet  ouvrage  sur  le  départ 
des  Israélites  de  PEgyple.  433.  — 
Carte  de  ce  dppart.  làid. 

Lherminier  (M.)—  Jugement  sur  M. 
Cousin.  122 

Laurentie  (  IVI.  ) —  Approbation  de  son 
Histoire  de  France.  163 

Léo.  —  Extrait  en  faveur  du  Penlateu- 
qoe.  0C8 


Lelronne(\l.)— Analyse  de  soucourssar 
l'étude  des  monumens  astronomi- 
ques, d'où  ressort  une  réfutation  de 
Dupuis  (  "^  art.  )  192.—  8«  et  dernier 
art.  423 

Litliographies.  —  .Monnaie  du  pape  Va- 
leotin.  224  —  Carte  de  la  sortie  d'E- 
gypte. 455 

Lucu  (  M.  l'abbé  de\  nommé  à  la  place 
de  camérier  secret.  78.  —  Annonce  de 
ses  annali  religiose.  165 

Luden.  —  Extrait  en  faveur  du  Penta- 
teuque.  567 

M 

.\Iariin  (M.  )  —  Scn  jugement   sor   M. 

Cousin.  150 

Michaëiis  (  J.-D  )  —  Combat  l'aulhenii- 

cilé  du  Pontoteuque.  16 

Monureens  religieux  (circulaire  de  Mgr. 

révècjue  de  Grenoble  à  ce  sujet.)  5-'3 
.MuUer  {  J.  de  ,.  —  Extrait  en  faveur  du 

Peataleuque.  564 

iMythes  (Cu  que  c'est  que  les].  iOô 


Nécrologie  des  auteurs  morts  pendant 
Tannée  t841.  —  Suite  et  On.  72 

Nombres  (  commentaire  géographique 
sur  l'Exode  et  les).  \^'  art.  85 

Notre-Dame  de  Paris  (Projet  de  restau- 
ration de).  318 

Numismatique  des  cathédrales  de 
France.  —  Annonce.  164 

P 

Pentateuque.  —  ComoaeDt  on  l'a  com- 
battu. 559 

Perione  (le  P.),  sur  la  méthode  hermé- 
sienne.  273 

Poitiers  (  création  de  la  charge  d'histo- 
riographe du  diocèse  de).  319 

Pologne.—  Voir  Grégoire  XVI. 

Q 

Quatremère  (M)  —  Examen  du  com- 
mentaire géographique  sur  l'Exode  et 
les  Nombres.  85 

RatisbonueC  M.)  —  Décret  de  S.  E.  le 
Cardinal-vicaire,  à  propos  de  sa  con- 
version. 77 

Rosmini  (  >I.  l'abbé),  cité  pour  sa  phi- 
losophie. 277.  279 

Rossignol  (  M.  )  —  Notice  sur  l'abbé 
Foijset,  133 

Rotiech  (de),  cité  sur  le  Pentateuque  568 

Russie  (allocution  de  S.  S.  Grégoire 
XVI.  pour  porter  remède  aux  maux 
grave»  dont  la  religion  catholique  y 
est  accablée)  16tî,  245 


48 


TABLE    GE.NEUVLK    DES    MV.TIEUES. 


Séguier  (M.)  —  ^ouTelIe  explicalion  du 
mot  8)inbole.  587 

Sismondi.— Réfutalion  de  ses  assenions 
contre  Bonifacc  Vill.  23 

Spencer,corabal  l  aulhenlicilé  dn  Penta- 
teuqae.  g 

Sloffels(M.Cbarles).— Examen  de  son  In- 
trodocliori  à  la  théologie  de  l'hisl.  5i2 

Strauss  réfuté  par  Tholuck.  439 

Symbole  (nouvere  explication  du  mol). 

587 

Sjrnglosse  du  nom  de  Dieu  dans  toutes 
les  langues  connues.— Voir  Bertrand. 


Tboluck  (  le  D.)  —  Extrait  de  sa  rcfula- 
lion  de  Strauss.  459 

Traditions  priniilives  conserfées  chez 
les  Latins  (vestiges  des).  (1"  acl.i  208 

-(2»  art.)  %yji 


U 

UDÎTers  expliqué  par  la  réTélation  (!'). — 
Analyse.  255 


Valenlin  (  pièce  de  monnaie  du  souve- 
rain pontife).— Lettre  et  graTure.  224 

"N'illeneuve  (  M.  le  Ticorole).  —  Examen 
de  son  Histoire  de  Téconomie  politi- 
que. 227 

Virgile.—  Voir  Grassellini. 

Vocabulaire  des  mots  techniques  de  Tar- 
chéologie  cbrélienne.  349 

'VVacbler.— Extrait  en  fayeur  du  Penfa- 
teuque.  367 

Z 

Zodiaque  (le,  n'a  pas  fait  partie  de  la 
sphère  primitive  des  Grecs.  — Preuve» 
de  cttle  assertion,  etc.  492.  iiti 


Fi^    DU   TOME  SIX, 


EllllATA  DU  (je  VOLLML. 


N"54,  p.  U76.  1.  1 1  :  conceplo/iis,  lisez  conceptions. 
N°  55,  p.  365, 1.  23  :  formé,  feinic. 

p.  369  I.    9  :   crtdulilé  crédibilité.