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Otbliotljcque
ÉCOLE LIBRfc:
S. Joseph de LilU
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Universityof Ottawa
littp://www.archive.org/details/annalesdephiloso25pari
âlMAILl
DE
iPiniïiL(D©cDiPiniis (DiaiBto3iBEro3,
Ô\
\i\^ sÉRit. iOM£ VI. — ^y 31. 18^2.
III SERIE.
AVIS.
Le titif: de ce volume sera donne à la lin avec la table de tous les at '
ticles, sans préjudice de la table des matières, qui sera placée à la fin du
Yolumc.
Comme les Annales sont lues par beaucoup de personnes, et sont un li-
vre d'usage, nous nous sommes décides à employer un papier collé, qui
permetti-a d'écrire sur les marges comme sur un papier ordinaire, et un
papier mécani'^ue fabrique exprès, beaucoup plus fort que les papiers ordi-
naires, comme on peut le voir dans ce n"; c'est une augmentation de dé-
pense que nous faisons volontiers pour l'avantage et la commodité de nos
abonnés.
JkMil^'
DE
iPiaiiiL(D§(DiPiniii3 (Einiai^a'iisMîîis»
RECUEIL PÉRIODIQUE,
DESTINÉ A FAIRE CONNAÎTRE TOUT CE QUE LES SCIENCES HUMAINES RENFERMENT
DE PREUVES ET DE DÉCOUTERTES EN FAVEUR DU CHRISTIANISME ;
par une ôodéié
DE LITTÉRATEURS ET DE SAVANS, FRANÇAIS ET ETRANGERS ,
sous LA DIRECTION
DE M. A. BONNETTY,
Uembie lic la Société Asiatique de Paiii.
TREIZIÈME ANNÉE.
TOME VI.
(•25* DE I.A COLLECTION.-
- PARIS,
?lu Ourrau ^rô 2lnnalfô ^f pl)ilui3apl)if £l)vt'ticniifj
Rue St.-Ginllaunie, no 24, Faiib. St.-Germain.
1842.
TABLE DES ARTICLES.
83
TABLE DES ARTICLES.
Vnii à la fin du îoluine la tabl»* «!<■» matière». ,i
N*» 31 — JUILLET.
Comment la foi à raulheniiciié dn Peniatcuqae s'est afTaiblie (!*' article) ;
traduit de Paliemand de HBSGSTBNBEnr.. 1"
Evamen des accusations portées contre le Pape Boniface VIll et réfulatioo
«les assenions de Sismondi et d'aulres auteurs ^a' art. et dernier). 23
Première élude sur le raiionalisrae contemporain ; 1'' partie; M. Cousin jugé
par ses pairs [V' article). — Jugement de M. Gatibn-Absoui.t. 49
Histoire de la littérature hindoui et hindoustani, par M. Garcin delassy,
tome !•'. — Biographie, par M. l'abbé Bertrasd. 63
Nécrologie dei auteurs morts pendant l'année 18il, avec la liste de leur»
ouvrages, classés par ordre chronologique. — Suite et fin. 74
HoiiveUet et Mélangei. — Décret de S. E le cardinal-vicaire, à propos de
la conversion de M. Alphonse Raiisbonne. — Nomination de M. l'abb*'
de Luca à la place de Camérier secret de Sa Sainteté. — Bref de Sa Sain-
teté Grégoire XVI à M. Artaud de Montor. — Collection d'ouvrages
sanscrits à Berlin.— Découverte au Mexique d'une ville encore peuplée
d'Indiens , n'ayant eu aucune communication avec les Espagnols. 77
Bibliographio. — Commentaire géographique sur l'Exode «tles Nombres
fl par Léon de Laborde; liste des Cartes ; approbation de Mgr de Paris.
N'' 32. — AOUT.
Commentaire géographique sur l'Exode el les Nombres de M. Léon de La-
borde (l't^ art.) / par M. Quatremèrb. 8S
Les livres de l'Ancien-Testaraent contiennent-ils des mythes ? (2* art.) —
Ce que c'est que les mythes ; par M. Cauvigst. 103
M. Cousin jugé par ses Pairs (2* art.) Suite. ' < 21
L'abbé Foisset ; lettre adressée à M.Bonneliy, par M. Rossignol, avec un
appendice par M. Bo:<SBTTv. 133
Dictionnaire diplomatique ou cours philologique et historique d'antiqui-
tés civiles et ecclésiastiques Suite du D. — Diplômes. — Autorité de»
diplômes. — Définition el forme des diplômes; par M. A. Bosnettt. 146
Ifouvelles et Mélangea. — Décret du congrès et du pouvoir exécutif de Bo-
gota , appelant les Jésuites pour les charger de continuer les missions.
' — Progrès et état du catholicisme au cap de Bonne-Espérance. 189
Bibliographie. — Annali délie scienze religiose , compilati d'all'abb. Ant.
de Luca. Table du vol. XIII. — Histoire de France par M. Laarentie ,
avec une lettre de Mrg. l'archevêque de Paris. — Numismatique des ca-
thédrales de France. — Le comte de la Ferronnays et Marie-Alphonse
Raiisbonne. — Mes impressions de quinze jours à Rome. 16?
No 33.— SEPTEMBRE.
Allocution de sa Sainteté Notre-Seigneur le pape Grégoire XVI au Sacré
Collège, dans le Consistoire secret du 22 juillet 1842, suivie d'une expo-
sition corroborée de documens sur les soins incessans de sa Sainteté pour
porter remède aux maux graves dont la religion catholique est affligée
dans les Etats impériaux et royaux delà Russie et de la Pologne. (I " art.) 165
Etude des monumens astronomiques dos anciens peuples de l'Egypte, de
l'Asie el de la Grèce, conduisant à la réfutation scientifique con/pléte du
système de Dupuis (7« ari.\ par M. Carteron. ^92
U TARLF. DES ARTICLES.
Vestiges des iradiiions priiniiivei consertées chez les Latins (1" art.). —
Explication de régloguc à Pollion de Virgile ; par Mgr Grassellini. 20R
Pièce de monnaie du souverain poniife Valentin, et lettre duP.de FERRARr. 224
Planche. — Monnaie du pape Valentin. 224
Histoire de récooomie politique ,* par M. le iricomte Aibande Villeneuve-
Bargemoni; par M. A. de liEr.LEVAr.. 235
L'univers expliqué par la révélation ; par L. A. Chaubard ; par ***
Nouvelles el mélanges. — Découverte d'une basilique chrétienne des pre-
miers Siècles à lîsoudun. — Description de la caverne du Mammoat. 243
N*» 3'l. — OCTOBRE.
Allocation de sa Sainteté Notre-Seigneur le pape Grégoire XVI au sacré col-
lège, dans le consistoire secret du 22 juillet 1842. (Suite et fin.) 245
De la méthode hermésienne (1^ art.), par le P. Perosse , tradott des
Ama/f de Mgr de Luca, par l'abbé IL 275
Vestiges des irudiiionà primitives conservées chez les Latins (2e art.) —
Explication de l'églogue ii Pollion de Virgile ; par Mgr Grassellini. 298
Introduction à la théologie do l'hisloire oh du progrès dans ses rapports
avec lalihené par Charles Stoffels; par M. R.B. 34 3
Nouvelles cl mélanges. — Lettre de M. Eugène Bore, annonçant son retour
en France, -, Piojpt de resiauraiion complète de Notre-Dame de Paris. — ^
Efforts pour la ron^t^rvation des inonumens chrétiens. — Création de la
charge d'hiaioriugrapue du diocèse de Poitiers. — Circulaire de Mgr de
Grenoble, pour l'élude et la classification des monumens religeux. ' 317
Bibliographie, — Histoire de la conversion des Arméniens au christianisme. 324
N° 3o. — NOVEMBRE.
L'Arenl liturgique, par le R. P. D. Guéranger; par M. A. Combegcille. 32a
Archéologie chrétienne, ou précis de l'histoire des monumens religieux au
moyenàge, par M. l'abbé J.-J. Bourassé. 343
\ ocabulaire des mots techniques de l'archéologie chrétienne ; par M. Bou-
rassé. 349
Comment la foi à rantheniicilé du Pentateuque s'est affaiblie (2* art.), tra-
duit de l'allemand, de Hengstenberc. 358
Histoire de la vie, des ouvrages et des doctrines de Calvin, par M. Audin ;
par M. H. Gérald. 373
Nouvelle explication du mot Symbole. — Lettre de M. Segcier, marquis
de Saint-Brisson . à M, le directeur des Annales. 387
Synglosse du nom de Dieu dans toutes les langues (7* et dernier art.) , par
M. l'abbé Bertrand. 390
.\ouvellet et mélanges. —Arrivée de M. Eugène Bore à Paris, llest nommé
chevalier delà milice dorée do Saint-Svivestre. —Lettre du cardinal
Fransoni. — Bref de Sa Sainteté. " 402
N" 3tî. — DÉCEMBRE.
D« la vie religieuse chez les Chaldéens ; {V' art.) par M . Eugène Boas . 405
Etude des monument astronomiques des anciens peuples '8- et dernier ar
ticle ) par M. Carteron. 423
Preuves de rantheniicilé de Thisioire évangéliqne, tirées des actes des
Apôtres el des épilres (traduit de Tiioluck ' . 439
Carte itinéraire pour servir à rintelligence de la soriie des Israélites de
l'Egypte; [larM. dp. Laborde. 45^
Lithographie. — Carte itinéraire . 455
Edition des œuvres de saint Augustin . 463
Compte-rendu l\ nos abonnés. 472
Table générale des matières, des auteur» el des ouvrages. 478
ANIMALES
DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE
Critique biblique.
Comment la foi
A
L AUTHENTICn !i DU PENTAiEUQUE
s EST ArFAlBLlE.
^^rcmt^r article.
Dégénération de l'exégèse.— Spencer. — Le Clerc J. D. Michaèlis.—
Progrès du rationalisme. — Mépris de la trc.dition.
Comment se fait-il que l'authenticiié du Peutateuque , consi-
dérée comme certaine jusqu'au milieu du dernier siècle, ait eu
depuis cette époque des attaques si multipliées à essuyer? Com-
ment se fait-il qu'elle ait pu èire contestée avec tant d'assurance
au milieu des applaudissemens d'une foule bruyante de littéra-
teurs? et cela non pas seulement en France, au sein de la cotterie
encyclopédiste, mais au-delà du Rhin, dansiagrave et savante
Allemagne, sur la terre classique de l'exégèse ? — Tel est le pro-
O FOI A L Al lllJ .^ IIC.TJ:
blcme que nous allons i;iclici- de lésondie d'api es les sa vailles
recliei elles tl'Ilui)g.->tenbLrg '.
Trois lioninies surtoul oni prépaie le discrédit ou le Ptnla-
teuque est tombé dans une partie du monde lettré, je veux dire
Spencer, Le Clerc et J. iMicliaëlis. D'autres écrivains, le!s que
Grotius et 3Iarsham, tout en prenant la même direction, ou ne
l'ont pas suivie d'une manière aussi absolue , ou se sont très peu
occupés du Pentateuque. Les traces de leur influence , sur le
point qui, nous occupe, se perdent donc dans celles des trois
principaux commentateurs que nous venons de citer.
§1-
C'est dans son ouvrage De le^ibus hchrœorum lilualibus, (juc
Spencer a résumé ses travaux sur le Pentateuque. Cet écrivain
avait un esprit lout-à-fait semblable à celui qui se manifeste de
nos jours dans les ouvrages du docteur Strauss. Cbez l'un et cbez
l'autre même subtilité, avec un défaut de profondeur si étonnant
que l'on est maintes fois tenté de révoquer en doute leur péné-
tration. Des deux côtés, même froideur glaciale ; on dirait qu'ils
manquent tous deux d'une faculté nécessaire pour comprendre
la religion, ou qu'ils ont eu le pouvoir d'effacer en eux tout ves-
tige de la connaissance de Dieu, et cela à tel point que le senti-
ment des cboses célestes n'apparaît pas même dans leurs œuvres
comme un éclair fugitif, et ne vient jamais les faire dévier de la
route qu'ils ont adoptée ; cbez l'un et cbez l'autre même clarté ,
même rigueur dans l'exposition, qualités qui doivent du reste se
développer d'autant plus que l'entendement s'isole davantage et
réussit à absorber plus complétemeut les autres facultés de l'ârae.
Il y a pourtant une différence entre eux , c'est que le docteur
anglais ne s'attaque qu'à l'inspiration, tandis que le docteur alle-
mand nie même l'authenticité des documens bistoriques. Mais
cela lient à la diversité des tems; on ne peut se défendre de pen-
• V. Ernst Wilhelm Hengaenbcrg, die uut/œnlie des Pcnial^utJies ,
Erstcr Band, Berlin, iSôg.
DU PPNTATMQUF. 'J
ser (pie Spencer serait moins discret cîe nos jours, et qu'il en
pensait beaucoup plus qu'il n'en disait. Une dernière différence,
celle de l'crudiiion, est encore plus accidentelle et plus extérieure.
La pensée fondamentale du livre de Spencer montre assez, dès
l'abord, combien il était peu propre à l'exëgcse des livres saints,
et comment l'àme de ces monumens vénérables devait s'exlialer
entre ses mains. Il part de cette assertion, vraie en général , mais
poussée par lui beaucoup trop loin, que, dans la loi des cérémo-
nies mosaïques , beaucoup de cboses offrent une analogie frap-
pante avec les coutumes religieuses des peuples païens et des
Egyptiens en particulier. Celte analogie n'est que dans la foi me,
et rien n'est plus facile que de l'expliquer, de la justifier. Il suffit
pour cela de faire voir que , dans l'économie du Mosa'isme un
esprit entièrement nouveau circulait sous cette forme et la vivi-
fiait. ]N'est-il pas tout naturel de cboisir, pour représenter des
choses vraiment saintes, les formes généralement usitées depuis
longtems pour représenter les choses regardées comme saintes?
Ces formes, en efïet, sont dégagées par l'erreur elle-même du
cortège d'idées profanes qu'entraîne avec soi chaque symbole
nouvellement sanctifié; c'est pourquoi on n'a point cherclié à
tirer contre le baptême des inductions défavorables de l'usage
des ablutions, répandu chez les juifs et chez tous les autres peu-
ples de l'antiquité. Mais Spencer était incapable de comprendre
le point essentiel, c'est-à-dire la différence do l'esprit. La loi des
cérémonies est pour lui un corps sans âme. Il accorde, il est vrai,
à certains rites une raison mystique et typique ; mais il ne fait cette
concession que pour un petit nombre ; même, à l'en croire, cette
raison mystique n'ist que subordonnée, et n'est pas le but prin-
cipal*. Enfin, dans les cas où le sens spirituel est avoué, la base
' C'e.t au point que l'équitable et débonnaire Pfail, dans la Disser-
tation prcUniinaire de lédllioa qu'il a donnée du livre de*Spencer se
trouve amené à faire la remarque suivante : Ne vniionem
iypicam prnrsii^ eliminme vidcntnr, ili.rifSf* Jtrc i'idetur niicfor.
10 loi A 1," AI TlII..^Tl^nl■:
de rexplicaiion est ciutjre prise dans des moiils tout exlérieurs'.
Mais en j^ént r.;l toute tlifférence, entre les iisa^jcs des païens et
ceux des Israélites qui leur correspondent en apparence, dispa-
raît à ses yeux. — Dieu a pris les usages païens tels qu'ils exis-
taient, et il les a donnés ]>our divertisscnicnl à ce peuple gros-
sier, qui , sans cela, cùi clieiclit' son plaisir ailleurs ; c'est ce que
notre auteur ne craint pas de dire criunenl^ Pariout il parle du
rituel mosaïque dans les ternies les plus mépi is '.ns ; chose bien
naturelle, il faut en convenir, pour (juiconque n'a pas adressé à
Dieu cette prière : « Seigneur, niontrez-nioi les merveilles de
votre loi, » et n'a pu par conséquent cire exaucé I Chose bien na-
turelle , du moins ])Our ceux (|ui s- ni trop convaincus de leur
capacité pour ne ]ns concluie immédiatement, quand ils ne
voient pas une chose, que cette chose n'existe point ^.
Il Cbl facile de comprendre comment une pareille incapacité
exégétique devait conduire à la négation de l'authenticité. Si les
ois cérémonielles de Moïse sont une fois regardées comme con-
raires au culte que l'on doit rendre à Dieu en esprit et en vé-
rité j si , loin d'être une préparation à ce culte, elles le cachent
seulement sous un voile épai«, dajis des formes inconvenantes;
' Vero similo est Deum saciatoria (in?edani svnibolornm et lypornm
velis obducta in icgelrarlidisse ob moreni affuiem intergentiimi, Tlgyp-
tiornni prsecipuè, sapienter usilatiim. ]). aii.
» Deus intérim , ut superstitioni quovis pacto iretur obviam , ritus
non paucos niidtoruin annorum et gcntiuni usu cohonestatos, quos
ineptias nùial esse tolerabiles in spcroruni suorum adop-
lavit, page 640.
' Voir page 26 : NuUa ratio occurrit cur Deus tôt legibns et ritibus
inutilibuspopulnmjudaïcum cnerare etcultuni rationalem penè obruere
voluerit, nisi ut gravi illo jugo populum irapediret ne officii sui can-
cellos transiliret, et ad ritus gtntilium rueret. Id enim confessum et
apertuni est, luijns modi ritus tullum cuni Dei naturâ consensum ba-
buisse, née tanto c«remoniarim apparatu opus fuisse ad pietatem
colendam .
DU PKNTATEUQUE. i 1
dès lors rien n'est plus absurde que de les faire dériver de Dieu.
Il est bien plus naturel de croire qu'elles ont passé des païens
^ux juifs par le cours naturel des clioses, d'autant plus que Dieu
ne parle nullement de ces prétendues inepties^ comme si elles
étaient réellement à ses yeux des inepties. Il les place bien plutôt
à côié de la loi morale, i! menace, il ordonne d'en venger très sé-
vèrement les infractions. On doit donc, de ce point de vue, l'ac-
cuser d'une fraude pieuse; et c'est ce que fait Spencer, en dissi-
mulant cette fraude sous le nom lionnèle de ffUYxaTdtêatriç (con-
descendance) ; il va même jusqu'à dire, dans un endroit, que
Dieu pourrait bien s'éue moqué de son peuple, et qu'il lui a or-
donné les sacrifices per ironiam '. — Les contemporains de Spen-
c^jr, qui ont allaqué sa ibéorie , font remarquer combien est
basse l'idée de Dieu, qui sert de fondement à son hypothèse*.
Cette idée, en effet, est si grossière, que Ton croirait volontiers
qu'il Ta émise lui-même per ironiam , en attendant que les lec-
teurs mûrs pour la vérité fussent capables de la trouver d'eux-
mêmes ^ ! Cependant, nous n'avons pas de preuves certaines que
Spencer ait aperçu les conséquences de son opinion: mais cela est
indifférent pour noire but ; il nous suffit de faire comprendre
que ces conséquences étaient réelles, et qu'à partir de ce point
de vue il s'ouvrait mille routes conduisant également à nier
l'authenticité du Pentateuque. Par exemple, comment échapper
au raisonnement que voici : si telle est la loi rituelle du mo-
saïsme, Dieu ne peut en être l'auteur-, Moïse, qui la dit révé-
lée, ne saurait être un envoyé de Dieu; et il est impossible que
la providence ait appuyé sa mission en lui inspirant des pro-
phéties et en opérant par lui des miracles. Le Pentateuque, qui
' Page 755.
^ Voir, par exemple, Wilsius, J?g"., p iS'a.
"' Pour éta})lir cette conjecture, on pourrait s'appuyer sur des insinua-
tions telles que celles-ci : « Deus multa in lege typorum et figura runi
tegumenlis involula tradidit, forsan ut lex mosaïca cum ipso Mosis inge-
nio et educalionc consensum coleret. h page ciio.
12 FOI A i/aï THÏ>NT1CITK
lui en altiihup un f;rancl nonihre , ne doit pns être une histoire
authenlique.
De plus, Spencer ne se contente pas d'ôter à la loi rituelle sa
significalion la plus profonde et son caractère divin, il tache, au-
tant qu'il le peut, d'enlever à la partie morale de la législation
mosaïque ce qu'elle renferme de plus sublime. Ainsi il s'efforce
de prouver que le Décalogue n'est pas la substance même de la
morale, mais qu'il était seulement destiné à prévenir l'invasion
d'une {grossière idolâtrie '.
L'effet du livre de Spencer fut immense, comme le prouvent
les éditions multipliées et les contrefaçons qui en furent faites en
Hollande et en Allemagne. Ses adversaires les plus instruits n'a-
percevaient pas non plus le point véritablement vulnérable. Au
lieu de se livrer à la recherche approfondie et lumineuse du sens
symbolique et typique renfermé dans la loi rituelle, et de mettre
ainsi en relief la beauté de cette loi , ils prirent la peine infruc-
tueuse d'établir que les juifs n'avaient point emprunte les for-
mes extérieures de leur culte aux païens, mais que c'était pr^'ci-
sément l'inverse. L'interprétation typique continua d'être regar-
dée comme arbitraire, ainsi qu'elle l'était déjà depuis longtems ,
et ce dernier fait peut en partie servir d'excuse à Spencer.
Le Clerc succéda au docteur anglais et s'ap, ropria ses hypo-
thèses sans hs modifier, ni les anoblir en rien'. La manière su-
perficielle de juger propre aux Arminiens en général paraît chez
lui pou sée au dernier degré. Evidemment son point de vue in-
térieur est le déisuje. Tout ce qui dépasse l'idée abstraite qu'il se
f.ïit de Dieu est accusé d'anthropomorphisme et d'anthropopa-
thisme. A ses yeux c'est une simple écorce qu'il faut briser. Il ne
se doute pas que son idée abstraite est elle-même l'anthropopa-
' Voir paije îS.
Son observation sur le chapitre wii, v. lo do la Genèse, à propos
delà r.iiTonrisioii, siitlif po;ii lo caracté-i^er.
OL PENTATEUQUE. 13
lliisnip le plus grossier , ranlhropoiuorphisine le pins absurde.
De la hauteur religieuse où il se place dans ses rêveries, il re-
garde en pitié les saints et les écrivains sacrés d'ici-bas. On le
comprend sans peine, une pareille tendance doit aboutir à la né-
jjalion de l'autlienticilé d'un livre tel que le Pentateuque, dès que
ceux qui s'y abandonnent en auront pris une conscience nette.
De nos jours on pourrait prendre Gésénius pour Le Clerc res-
suscite (Clericusredivivus). Le Clerc commença lui même à sentir
combien l'adoption des faits miraculeux était peu en harmonie
avec le point de vue religieux auquel il s*ëtait placé. C'est ce que
prouvent les efforts, à la vérité isolés, qu'il fit pour les expliquer
et les contraindre de rentrer dans le domaine de la nniure'. Une
condition nécessaire de la foi aux miracles, c'est de reconnaître
que le cours ordinaire de la nature tient ses lois de Dieu; or,
cette condition faisait défaut chez lui, c'est pour cela que les mi-
racles apparaissent toujours dans son exégèse comme un fait sans
cause, comme quelque chose de bizarre, et prennent une forme
presque grotesque. Tout ce qui a un sens profond l'épouvante.
Cette frayeur ne saurait s'expliquer seulement par une inapti-
tude de compréhension ; elle a souvent pour cause évidente la
crainte, s'il reconnaissait un sens pi ofond, d'abandonner le ter-
rain d'une explication naturelle , d'accorder ainsi à l'Ecriturc-
Sainte quelque chose qui ne peut lui appartenir hors de l'hypo-
thèse de sa sainteté. Ainsi, il cherche à tout prix à se débarras-
ser des passages qui prouvent qne\e parliculansme israélitique
n'était point , dans son principe, l'opposé de Vuni^'crsalisine^
qu'il éiait au contraire sa base et sa préparation ; et que, si la
providence concentrait son action sur une sphère restreinte, c'é-
tait pour arriver à détruire toutes les limites ^
' Voir, par excmi)le son traité De maris idiimœi Irnjecfionc, ù !a suite
d(' son commenfaire sur le Pcntateuqne.
' A propos de ce passnge (xir, 5) de la Genèse : « Tous les peuples
delà terre seront bénis en toi,» où cette tendance à Vunù'ersnliijue se
montre claifeMiont jusque dans h vocation particulière dWhraliim. \\
lA FOI A l'authenticité
Faul-il admetlre un sens peu probable au j oint de vue pure-
ment naturel? Couiine ce sens conduirait noire auteur sur un
terrain où il se trouve mal à son aise, il ne peut s'y décider, et il
préfère blesser ^grossièrement les règles du langage. Parfois son
incapacité pour l'exéj^èsc tliéologitjue est poussée à un point
incroyable. Ses remarques .sur l'iiistoire de la cliule du premier
homme fout voir d'une manière fiappante comment une exégèse
de ce genre devail préparer tlirectement les espiils à l'interpré-
talion mythique et à la négation de l'aulhenticilé du Pentateu-
que. Celle histoire est tran.Nfurmée par lui en une caricature ab-
surde. Envisagée sous ce faux jour, elle ne pouvait longlcnjs êlie
considérée comme une histoire réelle; après quelques momens
de réflexion , sa tléehéance devail être inévitablement pro-
noncée'.
propose ce commentaire : (^ Tuo nomine exeniplove prolato benediclio-
)j nés apud i)lurin)OS orienlis populos concipicutur ; his aut similibns
» verbis : benedicat tibi Deus ut benedixit Abraharao. »
' Sur le chapitre ir, v. 9, il fait les observations suivantes : « Ut arbor
» vitae potest esse arbor cujus fructus essent à>.ï;c.T-/iv.ct seu raedicati :
^) ilà arbor prudcnlice erit arbor venenata, quam vitare prudentium
M est, et cujus 1^ :stalo fiucl.i impruderis fit prudenlior. Hujus generis
>' plures arbores esse polueruul , quemadmoJùm plures suut mcdicu-
» torum spccies. » — Sur le chap. iir, v. -; , il dit aussi : « Amborum
i) oculi aperlisunt; idem, postqui.ai illieilum fructum comederuut, ani-
■» madverterunt quod anteà in animum non revocaverant ; nempe aut
» se sibi divinani iram conciliasse, aut intestinorura dolore fruclûs illius
3) usura esse noxiuni, nedum ut ex eo eraelumentum ingeus , utspera-
)) verant, ad serediret. » — Sur le chap. m, v. 24, il dit : « H. Grotius
» existimat bîc esse i-» ^là ^jciv et dici Cherub etjlammam gladii , àvTt
» Tcù Cheruù,'u\ est, Jlammans gladius ; flammeumque gladium in-
j) terpretatur ignés ex bituminoso Bab^ylonis agro accensos per quos
» solos dabalur aditus in paradisum qui proindè Adamo eo pactô clausus
« erat. Crediderim potius hoc voluisse Mosem : Deum scilicet augelos
» misisse qui Babylonici aut similis agri bitumea accenderent, eoque
i> quasi flammeo gladio ad arccndos bomines uterenlu/'. "
DU PENTATEUQUE. 15
On serait tenté Je croire que Le Clerc a voulu tourner l'Écri-
ture-Sainte en dérision, et insinuer, par l'inveniaîre des absur-
dités que le sens historique comporte, qu'il fallait l'abandonner.
Dans tous les cas, si ce n'a pas été chez lui un projet arrêté, c'est
du moins un sentiment vague de cette nature qui lui a dicté ses
paroles. Dans l'ouvrage intitulé : Sentiniens de quelques théolo-
giens hollandais sur Vhistoire critique du vieux Testament^ par Ri-
chard-Simon (Amsterdam 1685), il attaque l'authenticité du
Ponlateuijue en s'appuyant sur des traces supposées dt^ tems
plus modernes et sur de prétendues conlradicuons historiques ;
et la rétractation de ces attaques, qu'il a faite pos éiieurement
dans son Commentaire, , ne laisse pas que d'être suspecte. Quoi
qu'il en soit , il est difficile de croire que les arp,umcns sur les-
quels il s'était basé, aient pu à eux seuls lui faire prendre une
détermination aussi hardie à cette époque. 11 fallait que d'autres
considérations donnassent de l'importance à ces motifs, dont
sans cela il eût facilement reconnu l'insuffisance. Toujours est-il
certain i|u'ii était absurde de persister dans une telle exégèse,
lorsque le tcms eut fait voir ses conséquences , et de soutenir
néanmoins l'authenticité du Pentateuque. On s'étonne donc avec
raison de voir Roseninuller se poser en défenseur ele cette au-
thenticité, lui qui, dans sa critique, ne s'éleva nullement au-des-
sus de Le Clerc, mais le copia complètement.
Quelques passages du traité De lingud hœbraicd^ achèvent de
caractériser notre exégète, dont les commentaires eurent une
influence aussi étendue que durable. Placé sur un terrain tout à
fait païen, il y regarde les écrivains sacrés du haut de sa gran-
deur ; leur beauté sublime étant toute intérieure, il ne la soup-
çonne pas, et ne trouve en eux aucun mérite, même de forme ;
encore, s'il eût eu l'imagination et la sensibilité de Herder, il eût
du moins, comme ce grand poète, accordé aux livres inspirés
une place modeste à côté de la littérature moderne ; mais non ',
' Voir p. 7 . « Poëticen pro linguse suae iogenio paulô magis colue-
runt et plurima in canticis eorum leguntur graviter et ornatè dicta; sed
4 0 roi \ I AUTHFNTICITK
<ît, qu'on le leinarque bien, ses interprétations It'nirraires ne
portent pas seulement, quoi qu'il en dise, sur les accidens de
la forme extérieure, mais sur des expressions qui tiennent élrot-
tement à l'essence même de la doctrine ; elles montrent combien
il fut étranger à cette doctrine et à quel point elle le laissait
froid.
S m.
J. David Micliaèlis succéda à Le Clerc. Il nous faut examiner
ici d'une façon toute particulière son Droit mosaïque ainsi que
ses Ecmarques pour les gens illettrés. Son influence a été beau-
coup plus grande encore que celle de son prédécesseur ;l'Exégèse
de ce dernier a été , en effet, considérée assez généralement
comme celle d'un philologue profane qui ne devait avoir d'auto-
rité que dans les choses de son ressort. En conséquence TExé-
gcse ihéologique jetait sur lui un regard dédaigneux et poursui-
vait sa marche sans s'inquiéter. Elle se montrait cependant inca-
pable de rendre d'important services, et par cela même elle n'eut
pas le pouvoir de paralyser l'action religieuse de Le Clerc '. J.-D.
undè mnt^is vitleas, quid faccre poluissent si studiiim, quantum apud
alias gonics allatum esf, adhibuisscnt, qnàni ad eloqucnlia? laudcm per-
venissc intelligas. » — P. S : « Onincs rhelorum cauones, ctiam cos qui
non ex variante honiinum arhitrio pendent, sed certà et omnibus genîi-
buscommniii ratione nituntur, spcrnunt ; necessuriis carent et
supcrfluis ahundnnt. .> — P. 9 : Ordinis, temporiset rcrum magna ratio
nb hebrœis non habelnr. Sic qiiœ de divisione genlium hahcntur, Ge//.,
cap. X, dcbent, v. 9, c.xi, pos'poni, etc.— Fugienda est omnis tui pitudo
f arum rcrum ((lias eorum auimos qui audiunt, trahit siinliitudo. Pcr
hune canonein dicerc non licuisset Deum esse viruui beîlicosum, Deum
excitari quasi dormienirm, etc.
' }Iengslenl)C:g , dans co pa?sage comme dans tout le reste île cette
dissertation, n'a m vue que son pays, c'est-à-dire l'Allemagne protes-
tante. ( jyoîe du vcih'.eleur. )
DU PLMAlLLOUr. IT
MkIiccUs, au coniraire, réussit à rendre sou Exégèse presque tlo-
minaute, eu soite que les résultais auxquels il an ive, peuvent
élre considères comme reçus couimunément à l'cpoque de la
crise. Ce qu'on leur opposait était tourné eu ridicule, el en grande
partie avec raison, car rien n'était plus maladroit, plus faible et
plus suranné. On peut hardiment raffirmer,en enlevant aux
écrits bibliques les bases de raulhenticilé, Micliaëlis a plus nui à
cate aullienlicité que ceux qui depuis Tout attaquée ouverte-
ment ; et c'est en vain qu'après avoir détruit la racine de Tarbre,
il a combattu avec zèle ceux qui s'attaquaient à i'écorcc.
Dans son interprétation du Pcntateuque, il prend toujours le
rôle d'un apologiste ; aux at aques des déistes anglais et des athées
français, il oppose l'excellence la loi mosaïque ; mais, comme
l'excellence de cette loi échappe à sa vue, il dépouille IMoïse du
mérite réel qui lui appartient, et lui en attribue un autre qu'il
n'a jamais ambitionné ; encore ce mérite supposé est-il plus pro-
pre à faire suspecter qu'cà établir son caractère d'envoyé de Dieu I
Si l'on adopte ses conclusions comme vraies, Moïse sera à peu
près un homme semblable au chevalier Michaëlis. Or, il nous
paraît souverainement invraisemblable qu'il eût été appuvé par
des miracles et par des prophéties.
Les maximes politiques de Michaëlis n'avaient pas germé sur
un sol chrétien; il les avait empruntées à la politique athée de
cette époque ; des écrivains français avaient été ses maîtres. En
prêtant sans pudeur de tels principes à Moïse, il le faisait des-
cendre dans une compagnie où l'on s'attendait à rencontrer tout
autre qu'un envoyé de Dieu. L'assurance avec laquelle il parle et
le service qu'il croit avoir rendu par là à la cause (^e la religion,
sont faits pour appeler souvent le sourire sur les lèvres. « Moïse,
dit il, a tellement rendu hommage à cette maxime : Le, but sanc-
tifie les moyens , qu'il s'est souvent servi de la religion pour ar-
river à ses fins ' .» Par exemple, il défend de faire cuire un che-
• Il s'exprime là-dessus ouvertement et d'une manière générale, t. i«',
i5 : (c Je remarque principalement, dit-il, daus la sagesse législative
18 FOI A l'autufinticité
vreau dans le lait de sa mère ; savez-vous pourquoi* C'est qu'en
habile lioinmc il voulait amener son peuple slupide à cuire ses
jeunes chevreaux, non dans du beurre, ce qui était de mauvais
goût, mais dans de l'huile, ce qui était beaucoup plus afjréable I
Il est aussi défendu dans la loi de manger de la graisse et du sang,
et cela sous le prétexte que ces choses sont réservées pour les
usages du culte, ce qui les sanctifie et les consacre ; mais le véri-
lahlr motif, c'est seulement que l'habitude de manger des mor-
ceaux gras et l'usage delà graisse bouillie, cuite au four ou rôtie,
sont pernicieux pour un peuple chez lequel les maladies de peau
sont endémiques, etc. '. Ces exemples sont à la vérité les plus
grossiers et les plus marquans; mais il ne sont pas les seuls. Il en
est un autre qui se trouve à toutes les pages du livre. Michaëlis
est tout à kl fois l'adversaire du droit divin et le défenseur du
pouvoir î7//mi7e de l'autorité temporelle. Celle-ci, à l'en croire,
existe par la grâce du peuple, et, à ce titre, elle a le droit de com-
mander tout à tous, tandis que le droit divin est toujours limité
et renferme; dans un certain cercle. Notre auteur prête à Moïse
cette opinion empruntée à l'athéisme moderne, et il la lui prête
dans une telle étendue que cela devient absurde et risible.
Partout dans Wichaëlis, on aperçoit la crainte d'abandonner le
terrain qui hii est commun avec ses adversaires, non pas seule-
ment par la peur qu'ils ne le suivissent pas plus loin, mais encore
et par dessus tout, parce qu'il ne se sent lui-même à son aise que
sur ce terrain. Il prépara par là à ses adversaires un triomphe
facile sur tous les points qui ne peuvent être justifiés qu'aux yeux
de -Moise, une certaine adresse inusitée de nos jours, et qui peut-être
aussi ne réussirait plus. Mainte loi est observée plus religieusement quand
on la rattache à la \Mtu et à la religion, tout en dissimulant son véritable
but et quand on lui donne une direction ou une importance morale
Les légers vestiges de la sagesse législative des Egyptiens qui sont par-
venus jusqu'à nous, prouvent que ce peuple a souvent employé ce
moyen. )•
• Comparez, t. iv, \ 174, p. 2o5.
DU PENTATEUQUE. 19
de celui qui a un vif sentiment de la divinité. En parlant du point
de vue ualiuel, toute sa sagacité, toute sa pénétration, devenaient,
àlalongue, insuffisantes pour dissimuler la faiblesse de son Exé-
gèse ; et, par les concessions qu'il faisait, en cherchant à expliquer
les choses surnaturelles, il donnait à croire que le surnaturalisme
ne pouvait se défendre '. Il combat le droit divin des Israélites à
la Palestine, et il s'efforce vainement par des sophismes travo-
cat de prouver leur droit humain à ce territoire. Il ne soupçonne
même pas ce qui forme l'essence de la théocratie. La décision par
les oracles, la présence de Dieu dans une nuée, etc., phénomènes
extérieurs par lesquels a dû se manifester le gouvernement divin,
sont presqu'entièrement restreints par lui au tems de Moïse ; et,
dans l'isolement où il les place, ils apparaissent d'une façon si
étrange, si abrupte, qu'ils n'ont pu se soutenir contre les attaques
de l'interprétation mythique. A propos du passage (XIX, 6) de
l'Exode, où Israël est appelé un royaume de prêtres, il fait cette
remarque : «.Cette raanièr.e de s'exprimer paraît avoir été impor
» tée de l'Egypte oùlesprèires avaient de grands privilèges, où ils
» possédaient des terres exemptes de tout liibut, et où ils étaient
» en outre entretenus aux frais de l'état. » Comment celui qui avait
si peu d'idées de ce qu'était le peuple de Dieu aurait-il pu recon-
naître l'essence du Dieu historique, du Dieu habitant au milieu
de son peuple ? L'antinomie entre l'ancien Testament et le paga-
nisme est toujours considérée par lui de la manière la plus super-
ficielle ; il n'y voit que l'opposition du monothéisme et du poly-
théisme. Le but final de la loi est pour lui un but négatif, celui
d'empêcher l'idolâtrie. Il perd entièrement de vue le but positif,
celui de produire une vive conscience de Dieu. Ayant une idée
aussi peu élevée de la nature même de la religion mosaïque, il
est naturel qu'il ne la voie pas avec plaisir réclamer des droits.
C'est ainsi qu'il cherche sans cesse à trouver un but diététique
médical, un but de police, ou autre semblable à toute loi rituelle
incommode ou fatigante, et montr r que les Lévites, soit comme
Voir spécialement, t. icf § 65*
20 loi A LAtmiMicur
iHcdctins, soit toniine :iipeiilcuis on savaus, avaituL dioilàdes
ciiiolumens qui sans cela eussent été beaucoup trop consiclérables
pour de simples ministres de la religion. Mais voici un autre
cxenip'e qui montre encore mieux combieit il comprenait ]>eu
l'importance de la religion'. 11 clicrclie à prouver qu'un grand
nombre de serviceurs d'Abraliam avaient dû être circoncis anté-
rieurement à répoque où Dieu prescrivit ce rit au patriarche ; en
effet, dit-il, s'il en eût été autrement, tout travail se serait
liouvé interrompu au moins pendant luiit jour>, et Ton n'aurait
pas pu conduire les troupeaux aux pâturages.
Il est toutefois digne de remarque que >Jicliaelis, partant de
son point de vue naturalisiez n'ait pas porté la main sur l'en-
semble du Pentateuque, et n'ait essayé d'en donner une expli-
cation naturelle que là où Le Clerc l'avait devancé'. Cela s'ex-
plique d'ailleurs ficilen)eut , si l'on réfléchit que, loin d être
brusque, la transition de l'ancienne croyance à l'explication na-
turelle des miracles, puis à la négation de l'authenilcité , fut
lente et presque insensible. Il lui aurait donc fallu rompre ou
vertement avec l'opinion , et il ne le pouvait ni ne le voulait,
parce qu'il était encore attaché à la vieille foi, soit par son édu-
cation, soit peut-être par un reste de piété, soit enfin à cause de
l'espsit qui dominait généralement à l'époque de sa vie la plus
féconde.
Quelque étroite que soit la liaison entre cette dégéuération de
l'exégèse et la négation de l'authenticité, il fallut cependant
des ouses puissantes pour faire passer de l'une à l'autre dans le
dernier quart du 18^ siècle, et pour rendre ce passage presque
général. Sans elles, cette fatale conséquence eût été arrêtée par la
force de l'habitude , ou bien il se serait opéré une réaction dans le
domaine de l'exégèse elle-même. La dégradation progressive de
cette science indique suffisamment l'existense de ces causes prépa-
' -ippcndicc à la ) cli^i'on de Moisc, dans le journal d'Ammon cl de
Bcrthold, t. iv,p. 356.
^ Par exemple dans l'Exode, cli. mv .
DU l»JM.VTLt(^LL. 21
léesde longue main dans le silence. Celte déj^radation n'était
point accidentelle ; elle avait ses racines dans un esprit nouveau
qui se propageait de plus en plus et prenait chaque jour con-
science de son aven.r. La nt'galion de raulbenticité ne pouvait
donc tenir seulement de ralléralion du sens : l'esprit du siècle
devait avoir aussi sur elle une influence diiecte.
A une époque plus ancienne , on avait eu un grand respect pou»
le passé, et, par cela même, pour la tradition historique; ce respect
était en général une suite de l'humilité. En attaquant trop vive-
ment le passé , on aurait cru détruire les racines de sa propre
existence. On ne prétendait pas se former sans modèle et unique-
ment par soi-même. Mais ici , comme partout , l'abus et rexajré-
ralion s'étaient attachés à un bon principe. On ne manquait pas
d'hommes qui exerçaient la critique historique dans un esplit
exempt de tout préjugé ; cependant on avait eu un respect excessif
pour tout ce qui se présentait sous le titre d'histoire. On jefusait
souvent d'entrer dans les voies de la critique par une crainte se-
crète du terme où elles iraient aboutir.
Ce respect pour l'histoire s'affaiblit de plus en plus dans la se-
comle- moitié du 17*-' siècle , en Angleterre, en Hollande et en
France d'abord, puis en Allemagne après l'avènement de Fré-
déric II. Dans cette dernière contrée, le goût de la négation une
fois éveillé, revêtit une forme très-dargereuse. Par un sentiment
personnel d'orgueil , plus on avait foi dans sa supériorité sur le
passé, plus on se croyait en droit de traiter cavalièrement ses
monumens. Dans tous les cas , on croyait n'avoir que peu de
choses à perdre , et l'outrecuidance croissait à mesure qu'on par-
venait à détruire quelque édiBce vénéré des anciens. Au bruit des
ruines , on répondait par des cris de triomphe. Joignez à cela que
l'amour allait aussi diminuant, l'amour qui a le pouvoir d'éten-
dre, d'élargir notre individualité par l'adoption d'individualités
étrangères ; et a^-cc cet amour se perdaient les forces de l'intelli-
gence : on se croyait en droit de rejeter ce que l'on était incapable
de comprendre.
Ce changement général dans la disposition des esprits à l'égaid
de rhi-Nt<>iic ne doit j.iinnis être perdu de vue quand on le-
m' bEBfL. lUSlL VI. — !S"-11, l'<^îi. 2
22 FOI A l'aL rUtiiNTiCllÉ DU Ï^EM'ATEUQL'E.
cherche les causes du discrédit ou sont tombés les livres saints,
et spécialement le Peutateuque. D'autres Tont déjà fait remar-
quer : tout ce qui s'applique spécialement à ces livres repose sur
une idée générale : par exemple, les systèmes élevés contre Ho-
mère sont un produit du même sol sur lequel ont germé l^s
hypothèses dirifjëes contre l'Ecriture-Sainle. C'est ce qu'observe
fort bien Schubni th : « On crut pouvoir chercher dans son propre
» fond tout ce qui compose et entretient la vie. La tradition , où
» l'on avait été habitué jusqu'alors à puiser conseils, éclaircisse-
» mens, éducation, doctrine, dut naturellement perdre beau-
» coup de son crédit et de son i importance. Un esprit de contra-
» diction violent, téméraire jusqu'à l'impudence , s'éleva de plus
» en plus contre elle; et cttte même tendance à l'isolement , qui
» cherche à se débarrasser d'une contrainte gênante par rapport
« aux livres saints, s'attaqua ensuite à toute espèce de tradition,
» pour la mettre entièrement de côté '. »
{Traduit de l^ allemand).
* Idées sur Homère et sur son siècle ^ p. liô.
ACCUSATIONS COi>ThE COJNIKACE VIII. 23
Critique IJ^^^'^fi»!"^-
EXAMEN DES ACCUSATIONS
PORTEES
CONTRE LE PAPE BOMFACE VIII,
LT REFUTATION DES ASSERTIONS DE SISMONDI
ET d'autres AUTEURS.
^^cujcîcmc avtlcU
Conduite publique de Boniface. — Examen de e que dit Salvandy de sa
conduite à l'égard de la famille Colonne. — Cette famille reiuse de le
reconnaître pour pape. — Leur rébellion. — Siège de Palestrine. —
Calomnies touchant Guido — Comment furent traités les Colonne
après le siège de Palestrine. — Calomnies contre les derniers momens
de Boniface. — Leur réfutation
H. « Jusqu'ici, nous nous soinuics arrêtes sur le comnicnce-
meat du pontiticat de Boniface. Nous voudrions pouvoir pré-
senter à nos lecteurs le corps admirable de doctrines qu'il formula
dans la basilique de Saint-Pierre le jour de son couronnement.
Mais, comme les limites ne nous le permettent pas, nous ren-
voyons ceux qui désirent le connaître à l'ouvrage du savant
continuateur de Baronius '. Nous recommandons encore le même
ouvrage à ceux qui veulent se former une idée exacte des grandes
transactions publiques du pontificat de Boniface. Ils trouveront
' Voir le i" article au n" 3o, t. v, p. 4o5.
' Raynaldus, t. xiii, p. 164.
24 JlÉKLTMIO.N DES ACCtSl 1 iO.NS
dans les docunicns cju'il y a rassemblés avec soin craniplcs
niulériaux pour rccliliei" les vues énonces trop souvent répan-
dues sur sa conduite à l'égard des autres nations. Ainsi ils
pourront se convaincre que toutes ses négociations, l'exercice de
5on influence et de son |)Ouvoir curent pour but, non pas de
semer la discorde , d'enflammer les haines , d'allumer le feu de
la guerre, mais de paciBer l'Europe, de secourir les princes et
les prélats opprimés, de ternnner les diflérens entre les étals. Il
y avait à peine quelques jours qu'il était assis sur la chaire de
saint Pierre, lorsqu'il porta son attention sur les besoins qui se
faisaient sentir de toutes parts de la Suède à la Sicile, de l'Es-
pagne à la Tartarie. La vigueur qu'il déploya dans toutes ses
mesures, ses efforts pour gagner les hommes par les voies douces
de la persuasion., et, quand elles ne réussissaient pas, parties
moyens énergiques , apparaissent à chaque page de son Registre,
et peuvent être remarquées dans les extraits donnés par Raynaldus.
Nous ne pourrions qu'ajouter très-peu à ces matériaux^ bien que
notre désir serait de parler des faits principaux de son pontificat,
et notamment de &es relations avec la Sicile. Mais, ce que nous
nous sommes proposé, c'est de faire connaître principalement le
caractère et la conduite de Boniface; nous devons donc nous oc-
cuper de la partie de sa vie cjui a été plus spécialement dénaturée.
Nous voulons parler de ses contestations avec la famille des Co-
lonne, de la prétendue persécution cju'il leur fit subir, de la
destruction de leurs forteresses, et de la cité de Palestrine , l'an-
cienne Prœneste, dos peines intérieures qui en furent la suite,
et de sa mort.
» jNous commencerons par donner une analyse concise , mais
fidèle, de la manière dont Sismondi rapporte ces démêlés, puis
nous comparerons sa narration avec les documens contempo-
rains. Il nous apprend donc cjue Boniface déploya, surtout dans
celte aftaire , toute la violence de son caractère ; voici coimntnl il
rapporte les évènemens :
V « Il y avait dans le sacré collège deux cardinaux de l'ilhistre
maison des Colonne (Pierre et Jacques), cjui s'étaient d'abord
opposés à l'élection de Boniface, puis avaient été induit» par
rONTRF. ROMFArF- VIII. 'i5
troiH]ierie à l'approuver. 11 clic le téiiîoi}»n{»f;e Je Ferieltittcle
Pipiniis, Ils étaient assez puissaiis pour manifester leur mécon-
tentement.
2° »' La haine de Boniface les port.i probablement à embrasser
le parli du roi de Sicile ( c'est-à-dire du roi d^\ragon}; au moins
ce fut le prétexte dont il se servit pour lancer contre eux le dé-
cret violent qui les dépouilla de leurs chapeaux de cardinaux.
Z" » Les Colonne répondirent à celte bulle violente par un
manifeste dans lequel ils déclaraient qu'ils ne reconnaissaient
point Boniface pour pape ou chef de l'Eglise; que Célestin n'a-
vait eu ni la volonté ni le droit d'abdiquer, et que l'élection
d'un successeur pendant sa vie était nécessairement nulle et illé-
gitime.
4° » Ce manifeste augmenta la rage du pape : il confirma sa
première sentence, et il lança, sous forme de croisade, une dé-
claration de guerre contre les Colonne. On leva une armée, et,
sous la direction de deux légats, quelques villes, qui apparte-
naient à cette famille, furent prises. Toutefois, Palestrine re-
poussa leurs efforts.
5" » Alors Boniface appela (nous assure-t-on) pour diriger le
siège le célèbre général Guido de I\Iontefeltro, qui était alors
fière franciscain. « Il lui ordonna, en vertu de son vœu d'obéis-
» sance, d'examiner de quelle manière la ville pourrait être
» prise, lui promettant une absolution plénière pour tout ce
w qu'il ferait ou conseillerait contrairement à sa conscience. Guido
» céda aux sollicitations de Boniface : il examina les fortifications
» de Palestrine, et, voyant qu'il était impossible de s'en empa-
» rer les aimes à la main, il alla trouver le pape; il le supplia
'^ de l'absoudre encore plus expressément de tous les crimes qu'il
>» avait commis ou qu'il pourrait commettre en donnant son
» avis. Après s'être assuré de cette absolution : « Je ne connais
» qu'un seul moyen , dit-il : c'est de promettre beaucoup et d-:;
» tenir peu. » Ouand il eut conseillé cette conduite perfide, il
» retourna à son monnstère. »
6° » Boniface, en conséquence, offrit aux assiégés les termes
les plus avantageux : il promit des fave<iis aux Coloune ^\ ^ sons
26 RÉFUTATION DKS ACCUS AT10^S
trois jours, ils paraissaient devant lui. La ville lut délivrée,
mais aussi le perfide conseil fut suivi.
7° >. Les Colonnn furent avertis secrètement que, s'ils parais-
saient en présence de Boniface, ils exposeraient leur vie, et ils
se retirèrent à une (;rande distance. »
Noms (louions qu'iine iiisloire quelconque puisse jamais égaler
cette narration sous le rapport de la pai ùaliié et des assertions
sans fondement. Nous allons examiner cliaque parlie séparé-
ment.
D'abord tout ce qu'il dit \e l'orifjine des démêles entre Bo-
niface et les Colonnesi fc'est ainsi qu'on les appelle ordinairement)
est faux. Les deux cardinaux ne s'opposèient pas à son élection;
ils ne furent pas induits par tromperie à voter pour lui. Voici
sur quoi nous appuyons ces assenions.
La narration de Ferreti est une fable ; l'inimitié dont il parle
est une fiction insoutenable, ou plutôt démentie par des témoi-
gnages certains. En effet , Sismondi se contente d'y faire allusion
en termes généraux ^. D'un autre côté, les Colonne, dans le ma-
nifeste qu'ils puV)lièrent et envoyèrent par toute l'Europe, afin
d'indiquer les raisons pour lesquelles ils ne voulaient pas recon-
naître l'élection de Boniface et son dr(,it à ia paj^auté, insinuent,
il est vrai, d'une manière va^ue, qu'il eut recours à des moyens
honteux pour procurer l'abdication de Célestin », mais ils ne pa-
raissent pas élever aucun doute sur la régularité de l'élection de
Boniface. Or, si les Colonne avaient été trompés, comme le sup-
pose Ferreti, n'auraient-ils pas fait naître, au moins aux yeux de
' Sismondi, Hist. desrépubL ital., p. i^6.
' La manière dont ce document parle de ces moyens confirme ce que
nous avons dit plus haut relativement aux allégations sur ce sujet.
« Item, ex eo quod in renuntiatione, ipsius multae fraudes et doli in-
i) tervenisse muliipliciter asscruniur. » Des ennemis placés sur les
lieux n'auraient-ils pas, s'ils l'avaient pu, donné le fait d'une manière
plus certaine, surtout quand leur cause le demandait?— ApudRaynald.,
page 217.
CONTKE BOMFACK VllI. 27
ses ennemis, des doutes sérieux sur la validité de sa nomination?
Ce silence a leitainement une grande force. Bonifiée, d'un autre
côté, dans sa réponse aux libelles des Colonne, déclare que ces
cardinaux votèrent pour lui en suivant la forme ordinaire, c'est-
à-dire par voie de scrutin. ««El ils ne peuvent pas prétendre avoir
» fait les susdites choses par crainte, puisque c'est par la voie du
" scruiin des cardinaux, selon la coutume de l'Fglise qu'ils nous
V ont choisi et nommé pape, dans un tems où ils n ^avaient rien à
craindre de nous'. » Boniface eùt-il osé avancer en leur présence
celle assertion, qu'ils n'ont jamais contredite, ni alors ni plus tard,
si son élection avait été manifestement irrégulière; si, loin d'avoir
éié choisi par leurs suffrages, il s'était nommé pape lui-même. Le
cardinal Sté})hanésius nous apprend que Boniface fut, suivant la
coutume, élu pape par voie de scrutin et d'accession. Le suffrage
de lous les cardinaux avait été unanime '. Saint An'.onin nous
apprend expressément que les deux Colonne furent les premiers
à voter pour Boniface '.
IL L'inimitié de Boniface les porta-t-elle à embrasser le parti
du roi d'Aragon? Nous répondons que Boniface ne fit point preuve
de cetle inimitié. Aussitôt après son élection, il fut Thôte de cette
famille; il se confia sans crainte à elle dans son château de Zago-
loro, et, comme il le reconnaît lui-même, il y fut traité avec une
grande bienveillance *. Nous trouvons aussi dans le Registre de
• « Necpossent supradicta metu proponere se feciss«?,qui nos inscruti
» nio, more memorata* ecclesiae, cardinalium elegerant, et uominaverant
» eligetiduni in papam, quando de nob-s tinienduni non erat. Bonif.,
» BuHuy ap. eundem, ad an. 1297, n.57.»
*« In summum pontificem scrutinio accessioneque eligitnr. » P. 617;
Vid. lih. I, cap. i, De elect. Bonif ac, p. 642.
' Chronic. ad an. i'295;pais, m, til.^o.
^ Et post eleclionem in casfro tune ipsorum, quod Zagolorum di-
cilur, (;t quod pcr diclum Jacobum lune temporis lenebatur hospi-
tati fuerimiis confidenter, etc. Bonif., uhi sup.
*2S
l'i.n TAiir,\ [)v.«, Acr.r!s\T(ONS
lioniface, conserve tlaus les ai< liives du Vaiican, dos favonrs ac-
roidéesà cett»; lamille peiidanl la seconde annredeson ponlificat '.
Quelle est donc la cause de cctie dissension, et à quoi doit-on l'at-
tribuer :' Xous répondons qu'eu doit lui assigner une double
cause, et que tout le tort fut du coté des cardinaux. Si nous en
croyons Sisniondi, ce différend fut une affaire de jalousie de Bo-
niface contre celte noble famille, au lieu que ce fut d'abord une
querelle de famille dans laquelle on appela le pape. Le cardinal
Jacques Colonne avait trois frères : Malliieu, Odon et Landolphe,
qui devaient partager avec lui les vastes possessions delà famille.
Par un acte du 28 avril 1292, conservé danc les archwes Barhe-
11711, et publié dans un ouvrage intéressant et important pour cette
partie de l'histoire % ces trois frères cédèrent au cardinal Tadmi-
nistration et la possession de tons les biens, à condition cependant
qu'ils entreraient en partage du profit de radminislration, mais
sans lui imposer l'obligation d'en rendre compte. Le caidinal
s approprie! la possession complète de tous ces biens, au point de
laisser ses Ircres dans une indigence absolue ^. Ceux-ci eurent
recours au pape, qui prit avec justice leur cause en main, et le
somma en vain de rendre justice à ses frères. Tous ces faits sont
mentionnés dans la bulle de déposition portée contre le cardinale-
mais Sismondi n'en paile pas. A l'entendre, on s'imagine qu'il
était le plus innocent des hommes, et que Boniface n'était qu'un
tvran. lîien loin qu'il ait lutté contre la famille entière des Co-
lonne, un des frères, Lnndolphe. fut nonuné capiinine dans l'ex-
jn-diiion de Pairstriuc '.
' /?''A''-^/. vo:, 11, n'' :;4i. rji>pcii?:tt. Ja'.o]>o nato nobilis \iri [\\. de
Co'iiiiiiia, tloiico rrvjiinKO.
• Ptlrim, Mcmiii: Pnt'/ics/inc, Rome, i-pj, \ïi-.\.
*• Considérantes fore indignum.ul quibus de nnà substantià conqie'it
nv/uu succesiio, alii aLuudjntf-r allbiant, a/ii paiipertatis incotniundi>:
irifj^eniiscnnt, quos tanicn Mes cardinaux) rationibus, prccibus sivc ininis
nrquivimusemolliiT. Bonif., Bull ap. I^avn., an. 199;, n.Qg.
* Ap P( ti-in\ p J19.
rONTHF. ROMFArF. NUI. 09
La sfroiule cause de ce iliflérend fui celle quesifjnale Si.^mondi,
tout en ayant Tair d'en douter, c'est-à-dire Taffeclion des Colonne
pour la maison d'Aragon, alors en guérie avec le pape. Cet his-
torien nous porterait naturellement à croire que Boniface com-
mença tout d'abord par lancer sa bulle contre les Colonne. Mais
écoutons Vautre partie^ écoutons le pape lui-même. Il nous ap-
prend que Frédéric d'Aragon avait envoyé des émissaires dans
ses domaines pour lui faire des ennemis ; qu'ils avaient trouvé un
appui et un bon accueil dans la famille des Colonne; qu'elle les
avait même aidés et assistés; pour lui, suivant les principes du
Saint-Siège, toujours plus porté et à la douceur et à la clémence qu'à
la sévérité, il chercha tantôt à les gagner en les traitant avec une
douceur paternelle, tantôt en leur adressant des paroles de répri-
mande pleines de charité '. Comme il ne réussissait pas, il eut
recours aux menaces, leur montrant la flèche aiguisée, avant de
détendre l'arc. Tout fut inutile. Boniface alors demanda que,
comme gage de leur fidélité, une garnison composée de ses sol-
dats fût reçue dans leurs forteresses : c'était un droit que tout
seigneur avait coutume de réclamer dans le cas où il avait des
doutes sur la fidélité de ses vassaux. Ils refusèrent, et le pape
eut recours à d'autres moyens, mais non pas encore immédiate^
ment ^
' Eos studuit ; Apost. sedis benigna sinceritas nnnc paternae lenltatis
«Idlcecline alloqui, nunc verbis charitaiivce corroclionis iiulncere, Boni!\
Bull. y ap. Rayn,, uhl sup.^ n. 28.
-Boniface n'a jamais fait allusion à un outrage que plusieurs écrivains
contemporains rapportent lui avoir été fait par Ktienne Colonne, qui lui
lendit des embûches et pilla son tiésor. Ce silence peut paraître une
dénégalion sullisanle de ce lait; mais nous cioyons devoir ciler quel-
ques-uns des tcnioignages qui l'établissent:
iVam et ipse diceb^t quodSlepbanus (Scianv.) de Columnà suum the-
sauium fucrat depredaUis ; proptLT cjuod inter ipsum Bonifacium et
(iiclos Columnenses surnma discordia cxlitit suscitata. Amalaricr>s, ilans
H<r ital, yr/ //j/., t. m, p. 43j — In Roma fn grandissiroa divisione e
30 RÉFUTATION DES ACCUSATfONS
IIÏ. Le document d'où nous avons extrait ces déclarations pU'
bli(|ucs de Boniface est celui que Sismondi appelle une bulle vio»
lente, à laquelle, nous dit-il, ils répondirent par un manifeste
qui contestait ses droits à la |)apauté. Là encore Sismondi est
aussi exact qu'à l'ordinaire : le manifeste des Colonne parut
presque en nièuie tems que la bulle, et probablement il eut l'a-
vantage d'être publié le premier.
ÎNIais nous devons suppléer à une ou deux omissions impor-
tantes de Sismondi. Sa narration porterait naturellement à con-
clure que les Colonne n'imaginèrent de nier le droit de Boniface
au pontificat, que pour lépondre à sa bulle, et par forme de re-
présailles. Ov, examinons un peu la chronologie des évènemens.
Le lecteur doit savoir que ce document, abrégé par Sismondi,
porte la date du lOlMAI 1297. La déclaration des deux cardinaux,
oncle et neveu , contre la valiilité de l'élection de Boniface, avait
déjà acquis avant cette époque, une telle publicité, que, le SA-
MEDI 4 du même mois, ce dernier envoya Jean de Palestrine, un des
clercs desa chambre, vers le cardinal Pierre Colonne pour lui in-
timer l'ordre de comparaître devant lui, parce qu'il désirait luide-
mander, en présence des autres cardinaux, s'il le reconnaissait ou
non pour ètr(^ le pape légitime. Les deux cardinaux, au lieu d'obéir,
s'enfuirent de Rome, pendant la nuit, avec plusieurs de leur fa-
mille '. Les Colonne eux-mêmes reconnaissent, dans leur libelle
quislione e guerra tra papa Bonifacio VIII, e quei délia Colonna, pe-
rocchè i Colonnessi rubarano un grandissimo tresoro al detto papo.
Cronica di Bologna, ib., t. xvin, p. 5oi. — Eodem anno Colamnenses
Romani accesserunt et derobaverunt magnum thesaurum auri et argent!
Dno papîE Bonifacio. Chronicon Estensa, ibid., t. xv, p. 344- E'ie esten
général très liostile à Boniface. — IVobiles etiam de Columna inimicos
habebat, contra quos processit, quia Stephanus de Colurana ipsius papae
fuerat praedatus thesaurum. Georgii Stellse Annales genuenses, lib. lî,
Ib.f t. xvm, p. I02O.
' Pierre Dupuy , Histoire particulière du grand diffe'rend entre
Boniface Vlll et Philippe le-Bel \ dans de Thou, jéppend., tora. vu,
p. IX et 35.
CONTRE BOZSIFACE VIII. 31
OU manifeste , qu ce message leur fut envoyé *. On ne sait pas où
ils se cachèrent d'abord ; mais il est certain que le 10 au matin
ils se trouvaient à Lungliezza, dans une maison appartenant à la
famille des Coiui, avec l'écrivain apostolique Jean de Gallicano,
deux frères mineurs, Déodat Rocci du MontPrenestine_,le fan)eux
Jacopone de Todi , qui , plus tard , se fit remarquer par sa
grande piété, et un notaire de Paleslrine, Dominique Léonardi,
à qui ils firent écrire le manifeste dans lequel ils déclaraient que
Boniface n'était point pape, manifeste que Sismoudl nous repré-
sente comme une réponse à la bulle publiée à Rome, à deux
milles de là, le même jour, et probablement sur le soir; ce libelle^
comme les contemporains l'appellent avec raison, ils l'envoyèrent
dans toutes les directions % et portèrent l'audace jusqu'à l'articher
aux portes et à le placer sur l'autel de S int-Picne ^. Est-il
étonnant qu'après cet acte impudent, ce défi porté au pouvoir
• Dicendo vos velle scire utrum sitispapa, prout in mandato per vos
facto, si mandatum dici débet, per mag. Joannern de Penestre, clericum
canierae, contiiiebatm- expresse. Ap. Raynald. p. u28.
* Beniaid Guido dit : a Deinde Domini Jacobus et Petrus de
« Colurapna, patruus et nepos cardinales, videnles contra se niolum pa-
w para, libellum famosum conficiiint contra ipsuni, quod ad nuiltaspar-
w tes dirigant, asserentes in eodem ipsum non esse papam, sed solum-
w modo Cœlcstinum. Unde citati à Bonif. papa non duxerunt comparen-
» dun), et facti sunt contumaces. » Dans Rerum Ital. script., t. in,
p. 670. Ce passage semble faire allusion à quelque libelle publié avant
la sommation faite par l'intermédiaire de Jean de Palestrine. Voici ce
que dit à ce sujet Amalricus Augerius : « Jacobus patruus et Petrus ejus
» nepos de doino Colnmnensium, tune ecclesise Romance cardinales, coa-
» tra ipsum Bonifacium quemdam libellum famosum composuerunt, et
w ad plures et divcrsas partes ipsum transmiserunt, et publicari fece-
» runt; asserentes in ipso libelle dictum Bonifacium non esse papam»
)' sed Cœlestinum Papam V, quem captum ipse detinebat, nlbid., page
435.
^ Histoire, etc., iibi sup, , p. 34.
32 in':FiJTATio\ DES \rriîsvTio\s
spirituel et temporel «le Boniface, liait ru lecours an\ armes, et
proclamé la guerre contre ce clerfje' contumace et ses vassaux
rebelles? Ses amis re'pondirent à son appel ; les états voisins lui
envoyèrent des troupes', ou, comme le peuple de Forli, s'emparè-
rent des châteaux qui appartenaient à ses ennemis % en sorte
qu'il ne leur resta plus que Palestrine.
YI. Cette cité avait été depuis le commencement des différens,
la place forte des Colonne, le lieu dans lequel ils avaient formé
tous leurs complots , le refuge où ils pouvaient se retirer avec
sécurité. — Boniface tourna donc toutes ses forces contre cette
ville. Nous nVvons aucun commentaire à faire sur ce point.
Y. Mais nous arrivons à i'ii'stoire de Guido de Monte Tel tro.
D'abord, nous nous permettrons de demander quels témoignages
liistoriques prouvent la perfidie de Guido, dont Sismondi parle
avec ianl d'assuraTice f S3i présence au siège, ou l'avis qu'on lui
fait donner? Il en cite trois, il est vrai ; celui du Dante^ de Fer-
reti et de Pipinus ^ ennemis mortels du pape. Entre la narra-
lion des deux derniers, il y a des contradictions frappantes ; il y
en a une, au moins, que nous aurons occasion de faire remar-
quer; de plus, Ferjeti, comme l'observe très bien IMuratori, n'est,
sur ce point, ni un meilleur garant ni un meilleur guide que le
poète dont il cite les propres paroles. De plus, il a évidemment
compo.^é toute cette narration, au sujet de Boniface, d'api es des
ouï-dire et des rappoils calomnieux, puisqu'il se sert de ces ex-
pressions : comme Von dit, comme on le rapporte; c'est la remar-
que que fait le savant critique italien. On pourrait peut être s'a-
' Florence, par exemj)li^ : dl commune di Firenze vi niandù in servi-
» gio dri papa seiccnto Ira balcslrieri e pavcsari croriati con le sopranse-
» gnc del commune di Fircnze. î) Gios. Villani, ubi siip.^ P* 37 ; Simon
dolla ïosa Cran, sub anno 1297. Orvicto, au rapport de Mauenti, et Ma-
telicA tinrent la même conduite. Ap. Pelrini, p. 14S.
* Annnîes Foî'o/ien., dans I^. T. S., t. \ii. p. 774.
' Page i4<J.
COMilE BOiMFACE Vlil. X\
iaïuier en voyant Sismondi reuvoyer , pour ces auloriles, à
roiivrage de Muratori, sans se donner la peine d'insinuer que ce
judicieux éditeur rejette, dans ces mêmes pages, comme des fie-
lions et des calomnies les-passa[;es qu'il rapporte. A oici ce qu'il
dit de Ferre li :
«« Ce que Fcrretus raconte ici de Boniface YIII et de Guido ,
» auparavant comte de Montofeltro, avait déjà été publié; enef-
» fet, Dante lavait consigné dans ses écrits peu d'années avant
» Ferretus... Mais aucun homme de probité ne voudra ajouter foi
» au récit de ce //lé/a/f... Ferretus a pris cela des deux mains,
» dont le récit du poète satirique porté qu'il éiait lui-même à
» médire. Quant à la source où cet auteur a puisé toute Tliistoire
» de ce pontife, tissue en entier de calomnies el presque d^ injures ^
'» le lecteur pourra facilement le comprendre par ces paroles qu'il
)> prononce quelquefois, o/i dit, on rrt/y/^ or fd. En elle t , ces pa-
» rôles, sans aucun doute , indiquent les bruits calomnieux qui
» couraient parmi le peuple, trompé par ces fameux libelles^
» comme on les appelait, composés par les Colonne, chassés de
» Rome. Au reste, les écrivains contemporains vantent les gran-
» des vertus et les belles actions de Boniface, comme on peut le
» voir dans Ilaynaldus '.»
Cependant cet auteur, si bien caractérisé par Muratori, est le
' « Quœ hic habet Ferretus de Bonitacio VIII et Guidone antea Moutis
)) Ferelri comité pervulgata jam sunt ; eadeni enim paucis ante Ferretam
» annis litteris consignarat Dantes Aligherius Sed probrosi hujus
» facinoris narralionijidem adjungcre nemo prohus relit Ferretus
» hœc à satyrico poeiâ ambabus manibus excepit . quippe et is ad nia-
M ledicendum pronus. A quo autem fonte hauserit hic auctor universam
)) ejusdera pontificis historiara, contwneliis ubique ac pœne maledictis
)) contextamy conjicere poteris, lector, abillis verbis qua; aliquando in-
termiscet, dijudicant, ferunt ; ea siquidem procul dubio indlcaut
iniqiios rulgi rumores conupti àfnmosis, ut aiunt, //Z^e/Z/s Cohimnen-
» sium urbe depulsorum. Celerum illustres ipsius virtutes et prœclarc
h gesta f narrant coîcvi scriplorcs apud Uaynaldum quem vide, ^sole a
Ferretus, ubi supra, \^. 96ç>.
34 RÉFUTATION DES ACCUSATIONS
seul que Sismondi suive implicitement, sans même iusinuer à ses
lecteurs qu'il y a une autre version.
Maintenant , Guido de Montefeltro put-il aller au siège ,
ou donner le conseil perfide que "le Dante lui attribue?
Nous voyons de fortes raisons pour en douter , et même
pournier complètement le fait. Guido de Montefeltro, dont la
postérité ré^na longtems avec honneur en Italie, sous le nom de
duc d'Urbin, fut célèbre pendant sa vie comme général, et d'a-
bord comme ennemi déclaré de l'Eglise. En 1286, il se réconci'
lia avec le Saint-Siège ', et lui resta fidèle ; enfin, dégoûté du
monde et de ses vanités, il demanda la faveur de changer son
casque contre le capuchon , et son baudrier contre l'humble cor-
don de saint François.
^Le père Wadding nous a conserve la lettre adressée par Boni-
face au provincial des Franciscains de la Marche , dans laquelle
il donne son consentement à ce pieux désir, qu'il regarde comme
venant évidemment de Dieu '. L'acte est daté d'Anagni , ^3 juil-
let 1296. Dans le mois de novembre suivant, il prit l'habit à An-
cône. Ce changement remarquable dans sa vie frappa fortement
tous ceux qui en furent témoins : aussi le trouvons-nous rap-
porté dans presque toutes les chroniques contemporaines. Mais
si l'on suppose qu'après quelque tems le moine se transforma de
nouveau en soldat, parut encore sur les champs de bataille, et
commanda au siège de Palestrine , est-il probable qu'un événe-
ment aussi étrange n'ait pas été consigné dans l'histoire? Cepen-
dant on n'en parle nulle i)arl. IVadding observe, avec raison,
que la simple affirmation faite par des témoins graves et com-
pétens, qu'il persévéra jusqu'à sa mort dans la sainte humilité et
la prière continuelle, mérite certainement plus de confiance que
les fictions des poètes ^ Personne, nous croyons , n'inclinera à
' Istovia Fiorejitina di Giachetto Malespini, cap. ccxxviii, dans Rer.
Ital. Script., t. vni, p. io45.
» Annales Minorum, t. v, éd. i, a. fol. 049.
^ At domestici testes, et serii scriptores, dicentes hominem in sanctâ
CONTRE BOiMFACi; Vilî. 03
douter de la vérité de cette assertion, appuyée sur le témoignage
do [IVIarianus et de Jacques de Péruge , écrivains contemporains.
Nous allons présenter quelques extraits de plusieurs auteurs éga-
lement contemporains , afin de donner plus de force à cet argu-
ment.
Les annales de Cesène^ parlent ainsi de Guido : « En 1296, et
» le 17 novembre, Guido, comte de Montefeltro,chef de guerre,
» entra dans Tordre des frères Mineurs. Dans le courant de 1298,
» le jour de la dédicace du bienheureux Michel , il entra dans la
» voie de toute chair à Ancone, et y fut enseveli '.»
Ricobaldus de Ferrare dit simplement: « Guido, comte de
» Montefeltro, auparavant vaillant chef de guerre, ayant abdiqué
>» le siècle, entre dans l'ordre des Mineurs, et y meurt ^" Et dans
un autre ouvrage, il déclare qu'il vivait encore alors, et dit : « En
» ce tems, Guido, comte de Montefeltro, vaillant chef de guerre,
» ayant déposé les honneurs du siècle, entra dans l'ordre des Mi-
» neurs, où il sert maintenant dans le camp du bienheureux Fran-
» çois '.
religione et perpétua oialione reliques vitœ dies transegissse, et quani
laudabiliter obiisse, przefereudi suntpœtarum coniraentalionibus. Ibid,,
fol. 35 1.
• Millmo ccLxxxxvi die xvii novembris, Guido, Cornes Mentis Feretri,
dux Lellorum, fratium Minorura est religienenï ingressus. Currente
Mccxcviii die Dedicationis B. Michaelis.in civitale Ancenœ est viam uni-
versae carnis ingressus et ibi sepultas. Dans Renmi liai, scipl., t. xiv,
p. 114. Ce passage confirme la date assignée par AYadding, d'après Ru-
beus, à la mort de Guido.
» Guide Cornes deMontefereto, quondam bellorum dux strenuus, ab-
dicatosîeculo, ordinemMinorumingreditur, in quoraeritur. Compilatio
Chronologica, ibid., t. ix, p. 255.
3 Hoc tempère Guido, Cornes de Monteferetro, dux bellorum strenuus,
depositis henoribus sseculi, Minerum erdinem ingressus est, ubi hodie
militât in castris B. Francisci. Hist. Jmperaiorum, ibid., p. 144.
36 r.£FLlAllO>. DES ACCLSAilOWS
Les tliroiîiques de Bologne s'expriment ainsi sur sonconipte :
M 1S90. Le con le Giiido de Montefeltro, noble et vaillant par
>» ses faits d'armes,. ... ayant abandonné le monde, entra dans
» l'ordre des fières Miueuis, où il finit sa vie '.»
Le silence de toutes les chroniques sur un événement aussi ex-
traordinaire est certainement un argument puissant contre les
assertions d'adversaires déclarés et places à une grande distance
de la scène. Plusieurs autres considérations concourent encore à
nous les faire rejeter. INous devons placer en premier lieu leurs
contradictions sur les circonstances importantes; ainsi Ferreli le
fait aller au siège de Palestrine, considérer les fortification.*, et
prononcer qu'elles sont imprenables ^ alors, comme Sismondiqui
le suit, il lui fait demander, avant de donner son conseil perfide
Tabsolulion de conimelire le crime-. D'un autre côté. Pipinus
nous apprend qu'il refus? positivement de se rendre à l'appel du
pape, s'excusantsur son grand âge et sur ises vœux, et qu'il envoya
seulement à Boniface sa suggestion déloyale^. Or, cette opposi-
tion sur un fait ainsi palpable etaussi important, à savoir si Guido
se rendit au siège et y commanda, cette opposition entre les deux
seuls hisioi iens qui le rapportent, n'est-elle pas évidemment fatale
à louie la naration? Eu second lieu, nous devons signaler l'ab-
sence to'.ale de documens sur ce sujet dans le registre de Boniface.
Oa comprend sous ce nom la copie original, de tous les docu-
mens publiés pendant le règne d'un pape ; leur collection sert à
former le corps des Archives papales. Celles de Boniface se com-
posent de plusieurs gros volumes ( il y en a un pour chaque an-
• 1296.11 conte Guido di Montefeltro, nobile eslrenuo iu falti d'armic,
abbandonato il niondo, entro neli ordine dei frati Minori,dove fiuï sua
vita. Cronica di Bologna; ibfd., t. xiv, p. 299.
* Vbisup., P-970.
' « Qui cum constantissimc récusa ret id se faclurum , dicens se
inuudo renuisliasbe, tt jani c?sc ;^randevuni,. jiapa rc?pondit, tlt. ■>■>
i'>., p. 7i''
COxMiiL BOMlACi: Mil.
,*■*>
àt
nt'e )r dans lesquels sont écrits jour par jour, par une tiès-belle
main et sur papier véliu, les lettres, rcscrits ou décrois qu'il a
publics ; ils se divisent en deux classes, et la seconde classe com-
prend ce que nous nommons les lettres cnriales. Lorsque, lisant
la vie active de Boniface, nous voyons que, nonobstant son chan-
gement continuel de résidence, tous les documens y sont admi-
rablement transcrits; sans aucune rature, sans aucun signe de
confusion, nous sommes portes à nous former une idée avanta-
(jeuse de l'ordre et de la régularité de son administration ecclé-
siastique et civile, mais l'absence totale de tout document relatif
à un fait supposé de son règne équivaut à une négation de l'exis-
tence de ce fait.
Mais venons au cas particulier qui nous occupe ; nous avons
trouvé dans le second volume de son registre (ép. 63) une lettre
par laquelle Conrad àc'MouieitAwo^ citatur ad curiain^ e%t soiw-
rné de se rendre à Rome pour affaires, et une autre dans les épi-
tre curiales (n^ 2), par laquelle Guido lui-même reçoit l'ordre de
se rendre, sous un certain délai, dans la même ville^ afin que le
pape puisse conférer avec lui sur des affaires importante»et rela-
tives à la pacification de l'Italie. De plus, nous avons vu dans le
registre l'acte qui nomme Landolfe Colonne chef de l'expédition
et un autre document semblable relatif à Mathieu Colonne, qui
se déclara aussi contre sa famiile'. Or, si une seconde sommation
a été faite à Guido, directement ou par ses supérieurs, est-il
croyable qu'il n'existe ni dans cette collection, ni dans les autres
parties des archives papales, aucune trace de cet ordre qui l'ap-
pelait au camp, et des appointcmens qu'il dut recevoir pour com-
mander ou pour diriger par ses conseils les opérations du siège ?
Le fait est cependant certain.
Sans nous contenter de nos ]>ropres recherches, nous avons eu
recours à l'obligeance et à l'expérience du préfet des archives pa-
pilcs, et nous l'avons prié de faire une perquisition plus exacte.
Lib. ni, ep. 5'jS.
wt* ?tPiE. TOME vt. — rS' 31. 1842-
38 RiiFUTATIOIN DES ACCUSATiOlVS
Non seulement le savant prélat nous a commnniqué avec une
grande bonté le résultat de ses recherches, mais de plus il l'a fait
connaître au public dans un essai qu'il vient de j)ublier. Nous
empruntons à son ouvrage le passage suivant qui suffit pour le
but que nous nous proposons : « Que dirons-nous de Tavis que
» Ton suppose avoir été donné par Guidode Montcfeltroau même
M Boniface, relativement au siège de Palestrine, qu'il refusa d'en-
M treprendre, vu que pour le faire il devait nécessairement com-
» mettre une faute, dont, au reste, Boniface se serait montré tout
» disposé à l'absoudre? C'est là une invention du Danti-, Gibelin
» déclaré. Sollicité plusieurs fois par la même personne de clier-
» cher dans les archives du Vatican, s'il y a quelque document
M sur ce sujet, nous affirmons n'en avoir point trouvé. — Preuve
» certaine qu'il n'en existe pas. La lettre, au moins, par laquelle
w Boniface appelait Guido, aurait dû se présenter à nos regards ;
M maisil ne s'en trouve aucune trace dans le registre duYaficaîi''»
Cette absence de tout document dans cet enlroit est, ce nous sem-
ble un argument concluant contre ce fait prétendu. Enfin nous
repardons cette narration comme une fable, et nous sommes con-
vaincus que la conduite perfide qu'elle suppose n'a pas été suivie.
Quant à la dernière partie du récit de Sismondi,nous nions que
Boniface ail fait les propositions dont il parle, ou que la ville lui
ait été remise à des conditions qu'il viola, ou que les Colonne,
avertis qu'ils exposaient leurs jours, aient réfusé de paraître en sa
présence et pris la fuite. Mais avant de réfuter ces assertions,
nous devons revenir un peu sur nos pas. Après avoir publié leur
manifeste, Us principaux delà famille restèrent à Palestrilie, et,
le 4 septembre, on savait que les hostilités allaient commencer ;
alors les autorités municipales de Rome tiyrent dans le capitole
une assemblée solennelle, et envoyèrent une députaiiou à Pales-
trine pour engager les Colonnesi à s'humilier devant le pape, et
à se soumettre. Ils promirent tout ce qu'on leur demanda, et des
députés adressés à Boniface , qui se trouvait à Orvieio , intercé-
• Diplomatica pontifie ia, Ronie, i84i, p. il
COiMHE BO M l'A Cl-: Vili. 39
dèrent en leur faveur. 11 se laissa j^aqner et leur assura le par-
don, à condilion qu'ils se souniettraieiit, eux et leurs châ-
teaux '. Mais au lieu d'exécuter leur promesse, ils reçurent dans
leur ville François Crescenzi et ^Kicolas Pazzi, ennemis mortels du
pape, et quelques envoyés du roi d'Arngon , avec lequel il faisait
alors la guerre. Alors, et seulcnu nt alors , d'abord le 18 novem-
bre, et ensuite le 14 décembre, il prit ses dernières mesures pour
la guerre*. Cet acte, ou ce traité , ne peut donc être celui dont
parle Sismondi ; mais nous avons cru devoir rapporter son his-
toire, afin de montrer le caractère de ceux avec lesquels Boniface
eut à lutter, et la nature de ces luttes.
La ville de Palestrine fut aussi vigoureusement attaquée que
défendue, !a question est de savoir si elle fut à la fin livrée à
des conditions qui ne furent point tenues. Non, répondons-nous
sans hésiter, et nous en avons des preuves qui sont, à nos yeux,
concluantes. En 1311, Clément \ , étant à Avignon, permit qu'un
procès fut intente à la mémoire de îîouiface, par Philippe, roi de
Fraiice, Nogarel, les Colonne et ses autres ennemis. Les prélimi-
naires ne monti aient pas en lui le désir d'élre favorable à son
' Après avoir rapporté la conduite des députc's, d'abord à l'égard des
Colonne, puis à son égard, il ajoute : « ÏNos igitur illius vices gérantes,
» qai raortem noafecit,nec delectatur in pcrditioneni virorum, et filios..,
« buiuiliier rcvertentes suaque recognoscentes peccata ad pœnitentiam
» libenter admittit, prsefatis schismaticis, hostibns atque rcbellibus...
» ( suivent les conditions.) greniium non clautîemus quln eos totaliter
» redcuntes, sic misericorditer et bénigne tractenius. Quod sit gratum
)> Deo, honorabile nobis et Ecclesiaî, et ex nostris, et ipsiusEcclesiae acti-
» bus, exemplum laudabile posteris relinquamus. » Ap. Petrini, ex ^r-
chiv. S. An^eli, p. 420. Combien ces expressions de Boniface et son por-
trait tracé par nos historiens modernes nous donnent une idée diffé-
rente de son caractère! Qui peut en lisant ces paroles s'empêcher de
croire qu'il aurait agi envers eux avec une grande bonté i
^ Voir Petrini, p. 147
40 IIKFL 1 • J 10-\ UJ:^> ACCLSAliU.NS
prtult'cfssciir. Ou voll , tlaiis h Ijiillc publu'e à ce sujet, un rlu^jc
])Ouî]>eux du roi, qu'il déclare conipletcmciil tlé^a^é de tout Uio-
til condamnable, tandis qu'il ordonne de iclrancliei de son liC'
gistre toutes Us lettres et tous les décrets portés contre la France.
(]et ordre fut exécuté , comme rallesteut les volumes; mais heu-
reusement des copies se trouvaient entre les mains des amis de iJo-
uiface. Pleine liberté fut accordée à quiconque la désira, d'inten-
ter des accusations contre lui. Les Colonne lui reprochèrent le
crime que lui impute Sismondi , c'est-à-dire d'avoir re«;u la sou-
mission de leur ville et de leurs forteresses, à condition « per
huilas et solennes personas >^ (en présence des ambassadeurs ou
des députés de Rome) • que sa bannière serait seulement arborée
sur leurs murs, mais que, pour eux . ils en conserveraient la
possession. iVous pouvons apporter deux réponses à cette accusa-
tion ; l'une est plus courte , nous la renvoyons à la fin ^ ; l'autre ,
plus détaillée, a été mise au jour parle cardinal François Cajetan,
qui la lira des mémoires renfermés dans les archives du Vatican.
Voici les points principaux de ces réponses, que nous coriobore-
rons par d'autres ar^jumens.
i" D'abord il est clair qu'un traité semblable n'a pas été con-
clu avec les Colonne, puisqu'ils allèrent eux-mêmes se jeter aux
genoux du pape et lui demander grâce. Sismondi veut nous faire
croire qu'avertis du danger auquel ils exposaient leur vie, s'ils se
rendaient auprès du pape , ils prirent la fuite et ne reparurent
pas devant lui. Mais le cardinal Cajetan prouve qu'ils se rendi-
rent de Palestrine à llieti vêtus de noir, la corde au cou, et se
prosternèrent devant lui, l'un d'eux s'écriant : « J'ai péché, mon
» père, contre le ciel et contre vous, et je ne suis plus digne
M d'être appelé votre 61s..., et vous nous avez punis à cause
V de nos péchés. » Pour attester la vérité de ce récit , qui est en
contradiction si manifeste avec celui de notre historien. Cajelan
en appelle aux cardinaux et aux prélats alors présens, et au
prince de Tarente, qui était sur les lieux, et qui n'hésite pas à la
Ap. Pfelrini, p. 45''
liON'riK PfOMFAr.R VIN. VI
ioconiK)Uie '. Craïul nombre dcMt'inoignajjes conlinuciu encore
cette narration. Pipiiius la rapporte à sa inanièie. Il dit que les
Colonne parurent devant le pape vêtus de noir et la corde au
cou, et que le pape « voyant avec peine leurs larmes, leurs con-
» tcssions et leurs j)rières, comme un aspic sourd, n'eut aucune
H compassion d'eux ^. » Mais le cardinal Cajetan et d'aulres en-
core réfutent celte assertion. Une Chronique (V Oivieto dit qu'ils
furent reçus « par la cour romaine avec une grande joie -. »> —
Villani. qui prétend que la ville lut prise et détruite par trahi-
SOM, ajoute que < les Collonesi , cleics et laïques , se rendirent à
.) Kieti, et se jttèient aux genoux du pape jjour lui demander par-
M don; qu'il h leur accorda, et le\a V excoinmunicaiion parlée coH'
w ire eux \» — Paolino di Piero , ennemi de Boniface, dit qu'ils
allèrent solliciter leur grâce , « que le pape la leur accorda avec
» douceur et avtc bonté { graciosamenle e ni huon aria)^ et leur
» donna l'absolution de l'excommunication portée contre eux ;
)) alors , la ville de Palestrine fut détruite^ conformément au
D traité •*. »
S*' Quand ils se rendirent à Rieti, la ville était déjà au pouvoir
du pape , son général en avait pris possession. Est-il probable
que le pape voulut alors se contenter de planter sa bannière sur
sesmuis, ou entrer en acconnnodemcnt avecdes rebelles soumi^?
3" Le i ardinal nie que des bulles scmblaljles à celles dont ou
parle existent ou puissent être produites.
4° Il prouve qu'aucun ambassadeur , aucun médiateur , n'a*
valent été présens ; que les Colonne avaient eux-mêmes amené ,
afin d'interce'der pour eux, ceux qu'ds représentent comme tels.
.'>'' Il montre condjien est fausse l'assertion que le pape, après
* Pc tri ni, nbi sup.
' l bi Siq}., p. 70 ".
' A p. P( t., p. !\22.
^ l.hi sup\ p. 3(j.
' t'ny/iicdi dans 15. I-. S-,*, u. p. 'j7i.
4*2 r>KFiiTMi()\ nr.s Ar.f;U'>ATK)\s
leur avoir accorde le partie n , et avoir imposé une pénitence A
Etienne Colonne, envoya des cavaliers pour le tuer.
Tels sont lesaifnnncns en faveur de Boniface. Il est inutile de
répéter que l'Iiisiorien des Républiques itaVennes n'a pas jugé à
propos de faire mention de ces documens , ni mèine d'insinuer
qu'ils existent. îMais la cause de Boniface fut solennellement exa-
minée et juf^ée dans le concile général de Vienne, convoqué et
tenu eu^l3r2 en grande partie dans ce seiil but, et ces documens
sont extraits des pièces de son procès : c'est ainsi qu'elles sont
appelées dans les archives du Vatican. La décision du concile lui
fut entièrement favoî-able ; sa mémoire fut veni^ée des imputa-
tions flétrissantes en présence de ses ennemis ecclésiastiques et
civils. On l'accusa d'hérésie, de sortilège , à'idolàlrie et d'incré-
dulité. Pour preuves d'idolâtrie, on allégua qu'il avait gravé son
portrait sur quelques-uns des présens qu'il avait faits aux églises :
il voulait donc, disait-on, être aloré. Il ne croyait pas à la pré-
sence réelle, car il tournait le dos à un autel quand il célébrait le
saint sacrifice. Pour toute réponse, on se contenta de rappeler
les larmes abondantes qu'il répandait en célébrant les divins mys-
tères, et les présens magnifiques qu'il fit à plusieurs autels '.
Nous devons mainienant nous hàier de pailer de ?.es derniers
âUomens, sujet non moins défiguré que la première partie de i^a
vie publique. H est un point sur lequel tous les historiens s'ac-
cordent, il est vrai, à lui r.ndie justice, c'est la grandeur d'âme ,
l'intrépidité qu'd montra quand il fut pris par ses ennemis. Guil-
laume de Nogaretavec des soldats français, ei Sciarra Colonne qui,
avec sa famille, avait depuis longtems oublié le pardon de Rieti,
accompagné d'une bande de ses partisans, entrèrent par trahison
dans Anagni , la ville favorite de Boniface. Ils parcoururent les
rues en criant : « Longue vie au roi de France, mort à Boniface!»
Le peuple glacé d'effroi ne leur opposa aucune résistance, et les
deux bandes, après avoir forcé les portes du palais, entrèrent sé-
Raynald., Ex Procès su, p. 55o, ad anj i5i2.
CONTRE BOMFACE VIII. 43
parement , et par des voies difTérentes , dans rappartement où se
trouvait le pape. Boniface , sur ces entrefaites , s'était revêtu de
ses habits pontificaux : assis sur son trône (ou, comme le rap-
porte Ssmondi, prosterné devant l'autel;, un crucifix à la main ' ,
ce vénérable vieillard attendit avec calme ses ennemis. L'impé-
tueux Sciarra, à la tète de sa bcinde, l'épée à la main, et ne respi-
rant que vengeance, se précipita vers^'appartement de Boniface,
mais il s'arrêta irrésolu et tioublé en présence de son suzerain.
Guillaume de Nogaret le suivait avec les siens, et, moins confus ,
il letnen iça insolemment de le traînera Lyon, et de l'y faire dé-
poser dans un concile général. Boniface répondit avec un calme
et une digniié qui humilièrent l'audacieux Français, et rabattirent
son arrogance. « Yoici ma tète, voici mon cou ; catholique, pape
» légitime et vicaire de J.C., je supporterai avec patience d'être
M condamné et déposé par des hérétiques 2. Je désire mourir pour
» la foi du Christ et pour son Eglise ^. » Cette scène qui, à notre
grand étonnement, n'a pas encore exercé le pinceau de l'artiste ,
présente plus que tout autre fait historique le triomphe du n)oral
sur la force brutale, la fascination exercée sur la passion et sur
l'injustice, sur un esprit qui a la conscience de sa dignité, et la
laisse percer au dehors. Dante, lui-même, ne peut s'empêcher de
contempler Boniface avec admiration, et, tout indigné contre ses
ennemis, il s'écrie :
Veggio in Aîagna entrar lo liordaliso
E nel Vicariosuo Cristo essercatto.
Veggiolo un' altra voUa esserderiso;
Voir la narraliiii de Villani, cap. lxhi, p. ii6. Pipinus nous ap-
prend qu'il tenait une portion de la vraie croix, et qu'il s'écria comme
saint Thomas Becket ; aAperite mihi portas camerw, quia volo pati
mart3'rium pro ecclesiiî Dei. p. 740.
* Le père de Nogaret avait été puni comme fauteur de l'hérésie.
'Onleprouva dan? son procès. Voir Rnynaldus. Ubi snp. — RuhœuF,
p. -Jiiî.
V^ J{|'F( TATiaX 1)19 \rft('SVTIO\S
Veggio riimovcilar Taceloe'! tele
E Ira vivi ladroiii essere anciso '.
Après trois jours Je captivité, le peuple sortit de sa léthargie et
le délivra ; il tut conduit à Rome, où il mourut trente jours après
son arrivée. Que sa mort ait été accéléiée par les souffrances de
sa captivité, il n'y a là )iei\ d'étonnant , si l'on considère qu'il
était arrivé à l'âge avance de quatre-vingt-six ans, et que son es-
prit sensible et élevé dut être puissamment afïecté de Tingrati-
tude de ses sujets, et des insultes qu'il eut à soullVir. Mais uu
semblable événement ne pouvait contribuer qu'à inspirer la pi-
tié ; il était expédient que les sympatbies excitées par son arres-
tation fussent effacées par un spectacle d'un autre genre. Sis-
uiondi, qui prend toujours Ferretus pour guide, nous apprend
que Boniface, emprisonné dans ses appartemens par le cardinal ,
tomba dans une passion violente , renvoya son fidèle serviteur
Jean Cjmpano , ferma à clef la porte de sa chambre , et après
rtvoir rongé son bùton, il se frappa la tète contre le mur, de ma-
nière que ses cheveux blancs étaient tout souillés de sang : enfin,
il s'étouffa sous la couverture de son lit ^
jNous supposons que Si^mondi a eu lionte de suivre entièrement
Ferrcti; voilà pourquoi il ne dit pas qu'il broya son bâton tout
entier , quoiqu'il fût assez long , ( " batulum satis procerum den-
tibus conterit, » et encore : « baculo ininiiiatim Irilo »}; qu'il ap-
pela lieelzebub, quoiqu'il n'y eût personne dans sa chambre qui
pùl rentcndrc, et qu'il ctiit possélé du démon '. En France, en
• Je vois dans Al..i;iia( Ânogni) entrer la ilvur de lis,
Va le Christ ciiplif dans la personne de son vicaire.
Je le vois une seconde fois deve«ni un objet de(léri>i<»n.
.le vois renouveler pour lui le vinaigre et le liel.
Je le vois enlin niorl au milieu de larrons vlvans.
Pitr^,. ranto >.\^ v, 8f> cp.
* Si^m,, p. i3o.
* L'hi <!i/j)., p. 1008.
1809, on eut douté Je ces détails; il a donc jag<^ piiulëiU de les
omettre, se contentant d'emprunter à la narration de Ferreti ce
qui était nécessaire pour faire un roman : car son récit est un ro-
man depuis le commencement jusqu'à la fin. Au bas de la page
citée parSismondi, Muratori déclare formellement que tout ce
récit est un mensonge impudent , « indignum mendacium »}; il in-
dique les sources où l'on peut trouver une réfutalioa complète de
ces assertions. INIais faire mourir Boniface dans son lit, cbrétien-
nement et après avoir reçu les sacremens, c'eût été plus naturel,
et il n'y eût pas eu prise pour le mélodrame dans lequel Sisniomli
transformait son histoire. Toutefois, si cette mort était moins
tragique, elle était auss , ce nous semble, plus consolante. On
prouva, dans son procès, qu'étendu sur son lit et accablé par le
mal, « il récita, à la manière des autres souverains pontifes, et en
» présence de huit cardinaux, tous les articles de foi ; des letires
V de notre frère, le cardinal Gcntili, attestent ce fait '; » et de
plus, on d't « qu'il déclara, en présence de plusieurs cardinaux et
M d'autres personnes distinguées, qu'il avait toujours professé la
" foicalholifjue, et qu'il désirait mourir dans le sein de l'Eglise ''.••
Nous voyons le même fait rappoité par le cardinal Siéplianésius,
témoin oculaire, qui nous assure que sa mort fut très-douce;
" — tandis qu'il rend au Christ sa belle à'.ne, et qu'il ne connaît
» pas la colère du juge, mais la douce et tranquille vertu du père,
» comme il est permis de le croire \ »
Assurément, pour Thonneur de l'humanité, on eût dû au moins
indiquer ces témoignages authentiques. Mais que dire de l'asser-
tion qu'il se frappa la Icte contre les murs, et de .^es yetix hagards
Proc^f, p. 3;.
Ji^ii/. , p. 1 3 1 .
^ '< Chrislo dnm reddilur alnuui
Spiritus, et divi ûcscit jam jadicis iraiu ;
^ ed mitera placidamque palris, ceu credere fas est, ^
r^canoniz. Cœlest.x lib. i, cap. m, R. [. S,,
t. III, p. 6ot>.
4() RKFUTATIOX DES ACCUSATIONS
qui, à sa mort, eftrayèreut les personnes présentes, si nous en
croyons Ferreli, qui ajoute que son corps fut jeté dans la terre,
surcliarjïé d'un couvercle de marbre ? Que dire de ses mains et de
ses doip,tsdpcirM es de ses propres dents, ainsi que d'autres le racon-
tent '? Il |>lut à la diviiie Providence de réfuter ces calomnies
d'une manière éclatanie, en 1605, trois cents ans, jour pour jour,
après sa mort. Il fut nécessaire de démolir, dans la basilique du
Vatican, la chapelle que Boniface avait fait construire pour sa sé-
pulture : sou corps fut alors exhumé. Soncercueil (c'était un sai-
copha[;e, ([uoi qu'en dise Ferreti), ayant été ouvert , son corps
futreiiouv.' entier et presque sans corruption; une douce ex-
pression respir iit encore dans ses traits, et il était si bien conservé,
que l'oii i^ouvait encore distinp,uer les veines les plus déliées.
Des med:cins l'exnminèrent soigneusemenf , et un notaire dressa
un procès-verbal auihentique de l'état dans lequel on l'avait
trouvé, et des superbes habits pontificaux qui le recouvraient. On
trouve, à ce sujet, de ])lus grands détails dans Rubœns ^. Or, il
est certain que la nature ne guérit ni ne cicatrise les blessures
une fois qu'où est mort ; et cependant on ne trouva pas sur sa tête
la moindre trace de ces blessures ; la peau était inlacte ; quant aux
mains, que l'on pi étend avoir été rongées, «.lies étaient si parfaites,
« qu'elles remplirent d'admiialion tous ceux qui les virent. »
Il est teuis de terminer. Nous e^^ avons assez dit, ce nous sem-
ble, pour préumnii- les lecteurs contre les assertions tranchantes
des historiens sur des matières semblables. Toutefois, que l'on
nous permette encore une ou deux remarques. Quoique le carac-
tère de Boniface fût, pans aucun doute, austère et inflexible, il n'y
a aucune preuve qu'il ait été cruel ou porté à la vengeance.
Quand il envoya Jean de Palestrine vers le cardinal Colonne , il
pouvait facilement envoyer une compagnie de ses gardes, qui
l'auraient traîné devant lui. Quand les Colonne parurent en sa
• « Mori, secondochè per più si disse, di rabbia , e mamcandosi le
mani. » — Paoli di Piero, Ubi sup., p. 65.
" P. 3aî.
CONTRK BOMFACr. VI 11. /|T
présence, à R'iéti, ils étaient entièrement en son pouvoir; cepen-
dant il ne leur fit aucun mal. Ce fait ne lenverse-l-il pas les insi-
nuations de Sismondi, qui l'accuse d'avoir cherché à les tuer? De
plus, i.\ oublia les torts de Guido de 3Iontefe!tro et de Rugp,ieri
d'Oria, autre tnnemi mortel de l'Eglise '. Quand, après avoir été
délivré, il renua dans Rome, au milieu d'un liiotnphe. sans
exemple jusqu'alors, le cardinal Stéphanésius nous apprend que le
peuple saisi?: un de ses principaux ennemis (Muratori suppose que
cet ennemi éts\it Sciarra Colonne ou Nogaret}, et le traîsia devant
lui : il pouvait facilement s'en défaire ; cependant il lui pardonna
et le renvoya '. De même, quant frère Jacopone tomba entre ses
mains, il le traita avec douceur, et se contenta de l'enfermer,
tandis que d'autres auraient jugé qu'il avait mérité la mon par
sa conduite ^ Ces exemples de clémence et de bonté, auxquels
nous pourrions en ajouter d'autres, doivent contribuer puissam-
ment à faire apprécier le caractère de Boniface.
De plus, nous n'avons pas trouvé dans les écrits de ses ennemis,
même les plus hostiles, la plus légère insinuation contre sa con-
duite sous le rapport des mœurs, ce qui prouve beaucoup en sa
faveur, si l'on se rappelle qu'il a été attaqué avec plus de fureur
qu'aucun autre des souverains pontilés. L'accusation d'avarice, si
souvent portée contre lui, tombe devant la libéi alité qu'il déploya
dans les dotations ecclésiastiques, et les présens qu'il lit aux
Eglises, et spécialement à celle de Saint-Pierre. Sa justice parait
avoir été universellement reconnue. Hallam atteste l'équité de
' Quesli Ruggieri dell' Oria era molto stato gran nemicodeîla Chiesà e
de! re Carlo, al quale a prego délia reina e di don Jacomo, Bonfazio che
allora era papa, hcnignamente a graziosamente perdonô. Paolino di
Piero. p. 5o.
» Ubi Slip., p. 439-
^ Voir l'histoire admirable de ce saint homme (quoiqu'il eut été égaré
par un zèle malentendu) dans le iC^ vol. du délicieux ouvrage de Digby
{Mores Catholici) , \i. 407- Les pages précédentes sont consacrées à
Guido dcMontefeltro.
^8 Arr.i;fi\T»o.\sr.oNT.nF. BOMFvr.K \in.
soa jui^emcnl eiUrc rAnf»,1cteirc el la France '. Il réconcilia les
républiques de Gènes et de Venise ; et toutes ses né|;ocialioiis
tendaient conslamnient à rétablir la paix entre les puissances.
Ses déniarclies, n/ênie les plus éner^jiqnes, n'avaient pas d autre
bat. Florence, au rapport <le Dino Compaj",ni, le chargea de pro-
noncer quelle compensation elle devait à Giano délia lîella '. Les
liabilans de Bologne, ainsi que nous l'apprend Matliieu de Grif-
lonibus, lui envoyèrent trois ambassadeurs, et il fut choisi pour
arbitre enireeux, Ferrare et Modène ^ Vellelri le nomma po-
destat, ou son {gouverneur principal. Pise , par un mouvement
spontané, lui confia le gouvernement de sa républit^ue, et lui
paya un tribut annuel ; et quand il lui envoya un gouverneur, il
lui fit promettre par seiiuent d'observer ses hji^, tt d'employer
l'argent qu'il toucherait pour la défense de l'étal '. Enfin, Flo-
rence, Orvieto, Bologne, lui firent élever à grands fais des sta-
tues pour lui témoigner leur reconnaissance et leur admiration '.
Nous ne parlerons pas de ses talens littéraires; personne ne les lui
a contestés, et le sixième livre ô.es Décrétalcs les préconisera aussi
longtems que subsistera PEgUse de J.-C, qui a des promesses
d'immorlalité,
Tjie Di'nL)> rîEuiEvv, V. XT, n. \Mi, p. !j!\\-'j\ç^.
■ Europe irt the Middl^ ^ges; nbi su p.
' Cronica^ lib. i, dan?; R. I. S., t. ix, p. 478.
' Mcnioriale JJislon'cum. Ilnd., t. xviii, p. i5l.
* Rul)., vx Arcliiv. S. Aiig.^^. 90.
'' « Diclo anno (i?>oi; statua sive imago Papae Honifacii viir, pnsita
fuit in paiatio Hindi. ') Croiiica di /Jologna ddu'^ B. I. S., loin, xvni,
pj»i^e:,o',.
i; VIi(j.\\Ll5Mt CO-ML.MIUIIAI.N. /jO
UalioiuUiôiuc contemporain.
PREMIÈRE ETIDE; M. COUSIN.
r PARTJE; M. COtSIN JUGE PAR SES PAIRS.
O::
9v"vcmtci' article
Jugement de M. Gatien-Arnout.
De la inélljoile eccicctiquc. — Ses défauls. — Exposition du svslcinc
otilologique de M. Cousin. Panlliéisme. — Fatalisme. — Coniu.ent
M. Cousin entend nos mystères. — Pvésullat de son enseignement.
Après avoir été successivement disciple de Condillac , de
M. Laiomignière, de M. Royer-Collnid , des Ecossais, de Kant,
de Platon et de Proclus , M. Cousin, méditant sur ces variations
de son esprit, pensi qu'elles venaient de ce que tous les systèmes
sont en partie vrais et en pariie faux. Il prononça dès lors le mot
d'EclecLisnie^ comme il le raconte lui-mèine.
Eclectisme signifie choix. En llièse f>énérale , choisir suppose
cinq choses; savoir : que l'objet cherché est au nombre des objets
actuellement existans;que ces objets sont à notre disposition;
que nous savonà quel objet nous cherchons; que nous savons
comment il faut le chercher; que nous savons enfin à quels si-
p,nes le reconnaître. Dans l'ordre particulier de la philosophie,
l'Eclectisme suppose, 1** que la vérité philosophique est au nom-
bre des opinions émises jusqu'à ce jour; 2° que ces opinions nous
sont toutes connues; 3" que nous savons bicu quel est l'objet do
50 KATIO.NALISME COiN'J K.MPORAIN ;
la philosophie; -4° que nous savons quelle est la nié(h(ije pliilo-
sopliique; 5° enfin, que nous savons à quel signe se reconnaît la
vérité philosophique.
Oi, premièrement, si M. Cousin a affirme que la véiité philoso-
phique est au nombre des opinions émises jusqu'à ce jour, il ne
l'a nullement prouvé ; car sa théorie de Terreur, qui lui sert de
première preuve à rmon\ outre qu'elle n'est pas la vraie théorie
de Terreur, ne prouve pas ^ car son tableau historique des opi-
nions passées, qui est sa seconde preuve à posteriori, outre qu'il
est très incomplet est souvent infidèle ; ne prouve pas, car son ta-
bleau du présent, dans lequel il montre les peuples d'Europe s'ac-
cordant pour chercher à concilier tous les élémens du passé dans
un système de politique pondérée, mêlée d'anarchie, d'aristocra-
tie et de démocratie , qui est sa troisième preuve, ne prouve pas.
Secondement, M. Cousin a dit lui-même plusieurs fois qu'il ne
connaissait pas les opinions de l'Orient, antérieures aux tems de
la Grèce. Les premiers tems de la Grèce ne sont guère moins in-
connus. On discute tous les jours sur les véritables opinions de
Platon et d'Arisiote. Tous les sophistes donnent lieu à autant de
discussions qu'ils en soutenaient eux-mêmes autrefois. Les Ale-
xandrins, les Pères de l'Église, les Scholastiques, sont souvent
cités ', mais qui les Ut? Quand on veut dire avec vérité ce que l'on
a sérieusement pensé, l'on est forcé de proclamer qu'une grande
partie des opinions philosophiques est une vaste inconnue.
Troisièmement, il n'est pas très facile de savoir quel est l'objet
même de la philosophie, tel que M. Cousin le donne à concevoir
en ses derniers ouvrages. « Car, selon lui, les idées sont les seuls
» objets pi opres de la philosophie, et les idées sont la pensée sous
» sa forme naturelle, la forme adéquate de la pensée, la pensée
» elle-même se comprenant et se connaissant ; les idées n'ont
» qu'un seul caractère, c'est d'être intelligibles, et elles sont seu-
« les intelligibles-, elles ne représentent rien, absolument rien
» qu'elles-mêmes, et seules elles existent : les idées sont Dieu; et
)» la philosophie est le culte des idées seules, et elle est essentiel-
» lement identique à la religion.»
Quatrièmement, iM . Cousin ne dit que quelques mots sur la ma-
M. COUSIN. 51
iiièie (1 oludier l'histoire deîaphilosopliie. En revanche, il s'étend
longuement sur la méthode à suivre pour découvrir en soi et par
soi la vérité philosophique.
Cinquièmement, enfin M. Cousin ne dit nulle part à quel signe
on peut reconnaître la vérité philosophique, parmi les opinions
mêlées de vrai et de faux.
Donc, trois conséquences suivent de là : — Li première , c'est
que M. Cousin n'a pas démontré la vérité du principe fondamen-
tal de l'Eclectisme. Soumis à l'analyse, ce principe paraît vrai seu-
lement dans ce sens : que l'homme n'adopte aucune erreur qui
n'ait quelque affinité avec la vérité. Il est faux dans les autres
sens. — La seconde conséquence est que M. Cousin n'a pas pu
appliquer son principe d'Eclectisme : car il avoue li'avoir étudié
qu'une partie de l'histoire de la philosophie, et peut-être que,
quelquefois, même celle-là, il l'a étudiée dans un esprit un peu
systématique : son siège était fait. — La troisième conséquence
est que M. Cousin n'a pas voulu appliquer son principe d'Eclec-
tisme. Cela est démontré par l'analyse de la méihode recomman-
dée par M. Cousin, par l'indication de la marJie qu'il suit habi-
tuellement, et surtout par l'exposé du système qu'il a enseigné eu
dernier lieu.
Ce dernier système de M. Cousin est d'une incontestable
beauté comme œuvre d'art et de construction logique. En voici la
charpente ' :
Exposision méthodique du système de M. Cousin.
Définitions, La substftnce est ce qui ne suppose rien au-delà
de soi relativement à l'existence , ou ce qui est en soi et par soi,
• Les quelques remarques dont j'accompagne ici l'exposition méthodi-
que du système de M. Cousin ne sont pas toutes les objections qu'on
peut lui faire : mais elles sont fondamentales. On fera bien cependant
de lire l'exposition du système il'un seul trait et de ne s'occu|>er de cep
remarques qu'à une seconde lecture.
52 l'.AiiuAALi.sjii: cu-^TEMi»ouAL\ ;
suivant l'étymologie, ens in se cl pjr se suhsislens ( suhituns^ suh-
stanlia ' ).
Ce qui ne suppose rien au-delà de soi, relativement à l'exis-
tence, est dit absolu ou iniini.
^éxiume. Deux absolus ou infinis sont absurdes.
Sj lloglsinc. La substance est absolue ou infinie , suivant la défi-
nition.
Or, l'absolu ou l'infini est un, suivant l'axiome. Donc, la sub-
stance est une, ou il n'y a qu une seule substance -.
Scholie. Substance et être sont deux ternies synonymes.
Il
Dé/initions. Dieu est l'êire, comme l'a si bien dit 3roise : je suis
celui qui suis, c'est-à-dire l'être en soi et par soi absolu.
L'absolu ou infini est dit nécessaire.
Axiome. Modus essendi sequilur esse. L'être a ses modes , qui
sont de même nature que lui.
Sjllogisme. Dieu est l'être nécessaire, suivant la définition.
Or, l'être nécessaire a des modes nécessaires, suivant raxiomc.
Donc Dieu a des modes nccessaircs\
' Eîi définissant ainsi la substance, M. Cousin a donné à ce mot un
sensdiderent de celui qu'on lui donne ordinairement; il en avait le
droit. Mais dans la suite il sen est servi dans le sens ordinaire; il
ne le devait pas. Gylle duplicité de sens pmir le même mot engendre
Tune de ses erreurs fondamentales, le panthéisme.
' Cette doctrine n'est autre que le panihcismc de Spinosa. De pluail
est à remarquer que le priucijie logique de la doctrine de Spinosa fut
aussi une définition de la substance, que M. Cousin i\a guère fait que
répéter.
3 M. Cousin tombe encore, au sujet du mot nécessaire, dans la même
faute qu'il a comn)ibC sur le mol Aubsi:iNC€. Celte seconde faulc amène
sa seconde erreur fondamcntab , \ii faudisnic uruVciscî.
M. C0L51^. Oo
111.
Définition. Les modes de Dieu sont des idées.
Or, 1" cil tant qu'être infini et un, Dieu a nécessaireineiU l'idée
d'unité et d'iuûni.
2** Dieu n'a pas celte idée sans le savoir ; mais il sait Jiécessai-
rement son mode comme il se sait lui-même. En tant qu'èire sa-
chant en mèmetems qu'être su, Dieu est deux. La dualité est va-
riété. Le divers est fini. L'idée de variété et de fini est la second
idée de Dieu.
3° Ces deux idées n'existent pas en Dieu sans lien ni union ;
mais un intime rapport les unit nécessairement, procédant dc;
rune et de l'autre, et coéxislant à toutes deux. L'idée de ce rap
port de rimlté à la variété et de l'infini au fini est la troisième
idée de Dieu.
El ces trois idées sont les trois modes nécessaires de l'être né-
cessaire, absolu, infini, qui est l'être en soi et par soi, ou l'unique
substance. Pour désigner ces idées à ceux qui écoutent, on est
obligé de les nommer l'une après l'autre , successivement ; mais,
en réalité , il n'y a point de succession entre elles ; elles existent
simultanément; et tout ensemble, Dieu est unité, variété et rap-
port de Vanité à la variété ; ensemble, il est infini, Jîni et rapport
du fini à V infini; unité qui se développe eniriplicité, et triplicité nui
se résout en unité; unité de triplicité qui est seule réelle ; mais qui
périrait tout entière, sans une seule de ses trois idées. Car ces trois
idées sont les modes de Dieu, nécessaires comme lui, ayant tous
même valeur et constituant ensemble une unité indécomposable.
Tel est Dieu, et ce Dieu n'est pas autre que le Dieu de Platon, le
Dieu de l'orthodoxie chrétienne , le Dieu que prêche le caté-
chisme aux plus pauvres d'esprit et aux plus petits d'entre les en-
fans ^ .
' Sur loiil ceci , voici trois remarques :
1' Ilyadabord un sophisme peu contestuhle. 3f, Cousin dit : Les
idées bOiil les modes de Dieu, concedo. Ur les idées d'inliiii,. de liui. cl
•II' iÛ.IE. lOME VI. — ÎN " ol. 1812. 4
54 RATIONALISME COJNTEMPOUAIIV ;
IV.
Définitions. Le phénomène est ce qui suppose quelque chose
au-delà de soi, relativement à l'existence , en quoi et par quoi il
est'.
La cause est ce qui fait que le phénomène existe.
Scholie. Ce qui fait que le phénomène existe est la même chose
que ce que le phénomène suppose au-delà de soi, lelativetncnt à
l'existence. Ces deux propositions sont synonymes.
Phénomène et etfet sont aussi deux termes synonymes.
de rapport du fini à Tinfini sont en Dieu, cowce^o. Donc Dieu est infini,
fini, et rapport du fini à l'infini, nego. C'est comme si je disais : les idées
sont les modes de l'esprit humain : or, les idées de Dieu, du monde et
du rapport du monde à Dieu sont dans l'esprit humain. Donc l'esprit
humain est Dieu, le monde et le rapport du monde à Dieu. Mais cette
dernière proposition n'est nullement incluse dans les prémisses. La
conclusion légitime est seulement que les idées de Dieu, du monde et
du rapport de Dieu au monde sont dans l'esprit humain.
2" Dieu à la fois infini, fini et rapport du fini à 1 infiai, ett un assem-
blage de mots dont les idées répugnent à se concilier. — D'un autre côté,
le Dieu à la fois infini, fini et rapport de l'infini au fini ne peut guère
être que l'univers dont il ne se distingue pas. Un Dieu qui n'est pas
distinct de l'univers ressemble fort à la négation de Dieu , comme un
esprit qui n'est pas distinct des organes lessemble fort à la négation de
l'esprit. Le panthéisme de M. Cousin est au moins frère de l'athéisme.
"5" Quoiqu'on puisse faire voir beaucoup de choses dans Platon et sur-
tout dans un mystère, il est cependant permis de douter que la Trinité,
selon M. Cousin, puisse jamais être montrée ni dans la prétendue tri-
nité platoniciene, ni dans la Trinité catholic|iie,
* Cette définition du phénomène, par ^I. Cousin, doune lieu à la même
remarque que la définition de la substance, ainsi que l'usage qu'il fait
ensuite de ce mot. Ces deux fautes n'en fout qu'viue et engendrent la
même erreur, le panthéisme.
M. COUSIN.
55
axiome. Tout phénomène suppose au-delà de soi la subslance.
Corollaire. La substauce est cause.
S^T llogisme. Les objets dont Fenseuible esl le monde, et ceux
dont Tensenible fsl l'iiuiiianilé, sont ries phénomènes, suivant la
définition : car chacun d'eux suppose quelque chose au-delà de
soi, relativement à l'existence.
Or, les phénomènes se rapporientà la substmce et à la cause
qui est Dieu, suivant l'axiome et ce qui précède. Donc, le monde
et l'humanité sont les phénomènes de Dieu.
V.
L'apparition des phénomènes de Dieu est la création.
Les phénomènes de Dieu ont le même caractère que lui.
C'est pourquoi la création est nécessaire, absolue et infinie*.
VL
La création , manifestation de Dieu, le manifeste nécessaire-
ment tel qu'il est avec ses idées ou ses modes.
C'est pourquoi , 1" le monde en général, première partie de la
création, est nécessairement un. L'idée d'un et d'infini , qui est
un mode nécessaire de Dieu, est aussi un mode nécessaire du
monde.
^° Le monde e>t nécessairement divers. L'idée de variété et
d'infini, qui est un mode nécessaire de Dieu, est aussi un mode
nécessaire du monde.
3° Le monde est nécessairement alliance d'unité et de variété
(un et divers, iini-i^ers).
L'idée du rapport dt; la variété à l'unité et du fini à l'infini, qui
* Les idées de création et à'irifini sont contiadicloires. Une créature
infinie ne serait pas une créature; un infini créé ne serait pas un infini.
Le panthéisme supprime de tait la création. M. Cousin a supprimé la
chose, tout en laissant le mot.
56
est un mode nécessaire de Dieu , est aussi un mode nccessaiie du
monde.
Cette unité, cetle variété, et ce rapport de Tunilé à la variélc ,
est la vie du monde, sa durée, son harmonie et sa beauté : c'est
aussi ce qui fait le caractère bienfaisant de ses lois.
De même dans l'asuonomie^ h physique et la mécanique, il y
a nécessairement :
1* Loi d'attraction : c'est l'idée d'unité et d'infini;
2° Loi d'expansion : c'est l'idée de variété et de fini ;
3^ Rapport de l'attraciion à l'expansion : c'est l'idée du rapport
de l'unité à la variété, et de l'infini au fini.
De même dans la chimie et la physiologie végétale et animale ,
il y a nécessairement :
1o Loi de cohésion et d'assimilation : c'est l'idée d'unité et
d'infini ;
2o Loi d'incohésioti et de dissiinilation : c'est l'idée de va-
riété et de fini ;
3° Rapport de la cohésion et de Tassimilation à leurs con-
traires : c'est l'idée du rapport de l'unité à la variété, et du fini à
l'infini.
De même, enfin, dans la simple géographie , il y a nécessaire-
ment :* — 1° De f;randesmers, de grands fleuves, et des plaines
immenses : unité et infini ; — 2* de petites mers, des ruisseaux ,
des collines et des vallées : variété et fini; — 3° Le rapport de
toutes ces clioses : rapport de l'unité à la variété, et de l'infini
au fini.
Tel est le monde, manifestation nécessaire de Dieu, don» il
représente nécessairement les modes ou les idées '.
• Presque tout ceci est plein d'esprit; mais ce n'est qu'un jeu d'ima-
gination; des idées flottantes avec des mots dorés. Sans doute les grands
faits naturels, cités par M. Cousin, sont vrais ; mais s'il demandait sé-
rieusement à un physicien ce qu'il pense de sa raison de la loi d'attrac-
lion des corps, ou à un chimiste ce qu'il pense de sa raison de la loi de
coheaioM, f|tie rc]iondraiail ces bavans.'
AI. COUSIN . 57
VIT.
Il n'en est pas autrement tle rimmanilc , seconde partie de h
création.
C^est pourquoi , 1^ la vie de riiumanite' s'écoule nécessaire-
TTient suivant des lois immuables et générales : c'est l'idée d'unité
et d'infini.
2» Les lois se développent nécessairement en faits changeans et
particuliers : c'est l'idée de variété et de fini.
3° Les faits se rapportent nécessairement aux lois : c'est l'idée
du rapport de l'unité à la variété, et de l'infini au fini.
Ainsi l'humanité a traversé deux civilisations : elle vit la troi-
sième.
lo La première civilisation a été celle de l'immobile Orient :
idée d'unité et d'infini ;
2^ La seconde a été celle'de la mobile Grèce : idée de variété et
de fini.
3° La troisième est la civilisation moderne , idée du rapport
de l'infini au fini. — Par une suite nécessaire , la première de ces
civilisations s'est écoulée aux lieux qui représentent eux-mêmes
l'idée d'un et d'infini; la seconde dans ceux qui représentent l'i-
dée de variété et de fini ; la troisième a son siège principal dans
la terre de France, mélange d'unité et de variété, qui repre'sente
l'idée du rapport de l'infini au fini.
Ainsi, au sein de l'humanité, les peuples,
1° Tantôt vivent sous un ordre despotique : unité et infini ;
2" Tantôt sont emportés au sonfîle d'une liberté anarchique :
variété et fini ;
3° Ou bien s'arrêtent dans un évat qui concilie la liberté et
l'ordre : rapport de l'unité et de l'infini à la variété et au fini, etc. \
' Plusieurs des faits humanitaires et sociaux cités ici ne sont pas vrais :
d'autres ne le sont qu'avec des restrictions. Mais quand même ils le se-
raient tous, complètement, L^ raison qu'en donne INI. Cousin n'en est pa
moins imaginaire que dans le cas précédent.
58 R vTioN \[,isMr: contrmpor \in ;
Ainsi, au sein des peuples, ceux f|u'oii appelle les grands
hommes
1° sont les représenlans du peuple : unité et infini;
2° sont eux-mêmes individus: variété et fini ;
3° sont à la fois représentons du peuple et individus : rapport
de l'unité à la vaiicté. ~ «< Le grand homme est peuple et lui
» tout ensemble ; il est l'identité de la généralité et de l'indivi-
» dualité dans une mesure telle que la généralité n'étouffe pas
» l'individualité, et qu'en même tems l'individualité ne détruit
» pas la généralité en lui donnant une force nouvelle. Il n'est pas
» seulement un individu , mais il se rapporte à une idée générale
» qu'il détermine et réalise.... Le grand homme est l'harmonie
» delà particularité et de la ge'néralité ; il n'est grand homme qu'à
» ce prix, à cette double condition de représenter l'esprit général
» de son peuple, et de le représenter sous la forme de la réalité ,
» de telle sorte que la généralité n'accable pas la particularité , et
» que la particularité ne dissolve pas la généralité ; que la parti-
» cularité et la généralité, l'infini et le fini, se fondent dans cette
» vraie grandeur humaine. >»
Ainsi, tous les individus, grands ou petits, ont nécessairement
trois facultés :
1° La raison, dont le caractère est l'universalité et l'absolu:
unité et infini ;
2° La sensibilité, dont le caractère est l'opposé : variété et fini;
3° La liberté dont l'office est de concilier la raison et la sensi-
bilité: rapport du fini à l'infini '.
Ainsi, dans la sensibihté, il y a nécessairement :
1° L'égoïsme, qui est puissance de concentration : unité et
infini ;
2° La sympathie, qui est puissance d'expansion : variété' et
fini;
• Cette théorie des facultés de l'esprit, extrêmement vague et géné-
rale, n'a vraiment pas de valeur scientifique. Elle ne s'adapte aux faits
qu'en se torturant et en les torturant eux-mêmes.
M. COUSl.N. 59
3° L'alliance de IVgoïsnie et de la sympathie : rapport de l'u-
nité à la variété.
Ainsi, dans la raison, il y a nécessairement :
!• La spontanéité', qui voit l'objet entier d'une vue totale ou
synthétique : unité et infini ;
2° La réflexion, qui le voit partiellement en détail ou analyti-
quement; variélé et fini ;
3° L'alliance de la spontanéité et de la réflexion rapport de
l'infini au fini. — La spontanéité est révélation primitive, foi,
religion, poésie et inspiralioa ; la réflexion est examen de la ré-
vélation, science, philosophie, prose et méditation; la troisième
est alliance de l'inspiration et de la méditation, de la révélation
et de l'examen, de la science et de la foi, de la religion et de la
philosophie, de la poésie et de la prose.
Ainsi, parmi les systèmes philosophiques nés de la raison, il y
a nécessairement :
1° L'idéalisme, qui ne voit que l'esprit simple et un : unité et
infini ;
2° Le matérialisme, qui ne voit que la matière multiple et plu-
rielle : variété et fini ;
3" La conciliation du matérialisme et de l'idéalisme : rapport
du fini et de l'infini.
Ainsi enfin les lois de la raison, ses élémens ou ses idées sont
nécessairement :
1° L'un et l'infini;
2^ Le varié et le fini;
3° Le rapport de l'un au varié, de l'infini au fini ; et toutes les
connaissances ou sciences humaines ne sont que le développe-
ment nécessaire de ces idées, de ces élémens et de ces lois ^. Car
' Si on reste dans le vrai, cela veut dire seulement que les objets
perçus par nous sont finis; que chacun d'eux nous suggère l'idée de quel-
que chose d'infmi, et que nous concevons les objets finis comme exi
stant dans l'infini et par l'infini ; mais qu'il y a loin de ces propositions à
(»() i:a rir>\\î.i<;>ir roNTrMprmAiN :
\a riil'.nn qu'on opprlle lninuliie on do l'iioinme ne |.rm pn^.
» ue ilisiinclo de l.i raison qiron appelle divine ou de Dieu. Elle
lui est nécessairement identique, et elle n'est humaine que par
cela seulement qu'elle fait son apparition dans l'iiommo, phéno-
mène nécessaiie de Dieu.
YIII.
L'apparition de Dieu dans l'homme, par sa raison, Xoyoç, ou son
verbe , est l'objet du dorjme de Dieu fait homme, ou de La raison
incarnée, ou du Verbe fait chair. Cette incarnation est nécessaire,
perpétuelle, universelle ou catholique; elle a toujours eu lieu
dans le passé, en chaque homme, à chaque instant delà vie
(le chaque homme ; elle a de même toujours lieu dans le présent,
elle aura de même toujours lieu dans l'avenir. Tous les hommes
sont frères du Christ, c'est-à-dire que ce que le catéchisme ensei-
f^ne de lui seul est rigoureusement vrai de chacun d'eux.
Sans l'apparition du Verbe divin dans la chair humaine, ou
«sans l'incarnation de la divinité dans l'humanilé, celle-ci serait
vile, petite, dégradation et néant. Mais le verbe s'inearnant en
elle l'anoblit, l'agrandit , la relève et la rachète. Ce rachat est
l'objet du dogme de la rédemption, identique à l'incarnation,
comme elle nécessaire, perpétuelle, universelle ou catholique.
Et ce Verbe rédempteur et incarné, à la fois Dieu et homme,
substance divine dans une forme humaine , cire infini , éternel,
immense , dans un phénomène fini , passager et local, est aussi le
médiateur nécessaire entre l'homme et Dieu. Nul ne peut aller à
Dieu que par le Christ: c'est-à dire que chaque honmie se rat-
tache \\ Dieu pnr la raison ^ qui est le /.oyo: ou le verbe. Mais le
celles qui font les sciences humaines!... et comme elles ne les aident
guère!... Elles sont daillours le principal fondement du svstrme de
M. Consin.
M. COUSIN". 61
vevhp ('t.iit bien avant qu'Abraham (ni né, Pt 11 continuo d'èlrr
avec chaque homme jusqu'à la fin des siècles; car le verbe est
riionune même, et l'homme et le verbe sont Dieu.
Tel est le système de M. Cousin, dont la beauté, comme œuvre
dWt, est incontestable.
^ III. Mais, comme œuvre de science, à combien d'objections ce
système ne donne-t-il pas prise? Elles sont telles qu'il ne peut
p,uère être soutenu dans aucune de ses parties.
Cependant, en exposant ce système, et généralement par son
enseignement, M. Cousin a rendu de grands services à la science.
Les principaux sont : V D'avoir mis en honneur l'étude de l'his-
toire de la philosophie ; 2» d'avoir agrandi le cercle de la philoso-
phie, qu'on étouffait jusque dans les limites de la psychologie;
3" d'avoir complété l'affranchissement de la philosophie elle-
même, qu'on garrottait encore trop dans les langes. Voilà le bien.
— Voici le mal :
Un grand mal intellectuel, fait par iM. Cousin, a été, sans con-
tredit, de fortifier, dans la jeunesse qui l'écoutait ou le lisait, la
tendance cotnmune aujourd'hui à se contenter de grands mots
fju'on ne comprend pas, à ne parler que par formulas ou prin-
cipes absolus, et à préférer en tout ces aperçus vagueset généraux,
qui ne sont pas sans beauté, mais beauté stérile, et qui cache trop
souvent une ignorance réelle sous un faux semblant de science,
haillons de misère sous les oripeaux dorés du charlatan. C'est le
costume du Louvre et l'habit à la mode, je le sais trop, par expé-
rience aussi peut-être. M. Cousin , qui avait si bien tout ce qu'il
fallait pour lutter avaniageusetnent contre ce despotisme , a
courbé la lèle^ il a sacrifié à la mode, et, en lui sacrifiant, dans sa
haute position, il a augmenté la réputation du faux dieu , et
rendu plus difficile d'abattre son idole. Que le vrai Dieu lui par-
donne!
Les résultats de son enseignement ont encore été funestes à la
morale par quelque point. Sa doctrine du panthéisme fataliste et
optimiste ne tend à rien moins qu'à tuer la vertu dans son prin-
cipe, qui est la croyance aux devoirs de lutter contre le malheur et
le mal. C'est dans cette lutte, noblement soutenue, que consiste la
62 RATIONALISME CONTEMPORAIN.
beauté du caractère ; trop de gens ont cru apprendre de M. Cou-
sin à la regarder comme une chimère et une niaiserie : ils agissent
en conséquence.
Enfin , sous le point de vue religieux, il n'est parvenu qu'à
faire des athées, parlant mal clirëlien , et parodiant le catholi-
cisme. Beaucoup de ceux qui avaient été ses disciples se sont faits
Saint-Simoniens.
GATIEN ARINOUT,
Professeur de philosophie à la Faculté de Toulouse.
Extrait du livre de M. Gatien Arnout, intitulé: Doctrine /philoso-
phique, etc.
LITTÉRATURE HfNDOUl. 63
«\\>v\'»\\Mv\% w \\> \>% v-^/vw^ www» vv\v\^/v%A v\^\\\'v\\\\\ w% WA 'vv■»^A/^^^^^\^^l^■\^,'v\'\\^w\<^^'»'\^^
Cittcrature nri^ntalr.
Histoire
DE LA
LITTÉRATURE HINDOUI ET HINDOUSTANI,
Par m. GARCIN DE TASSY.
TOME I. BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE '.
Beautés de cette langue. — Extraits faisant connaître les sectes religieu-
ses. — Sectes reconnaissant l'unité de Dieu. — Secte des Kabîr; —
des Sikhs ; — des Dâdù ; — des Birbhan ou des Sâdh. — Les 12 com-
mandemens; sectes sceptiques. — Vie de la Yierge par un auteur
hindoustaai. TTT
Parmi le grand nombre de langues parlées dans les cinq par-
ties du monde, et qui semblent isoler les différens peuples en
empêchant les communications faciles, il en est quelques-unes
qui, propagées par la conquête, la religion , la science ou le
commerce, dominent des espaces de terrain considérables et ser-
vent de lien commun qui rattache plusieurs de ces nations et fa-
cilite les transactions mutuelles. Tel est le latin pour tous les
peuples de l'Europe et pour l'univers catholique , l'arabe pour
la plus grande partie de l'Asie et de l'Afrique et pour tous les
peuples qui professent l'islamisme , le malai pour les îles du
• Grand in-8°. Paris , chez Benjamin Duprat , rue du cloître saint
Benoît, 7; Constant Potelet, rue Hautefeuille , 4i et Y« Dondey-Dupré,
rue Vivienne, 2. — Londres , chezW. Allen et compagnie, Leadenhall-
Street, 7.
tVi HïîiTOHir Dr. lA TiTiin VT( m-
{;ran<l océan; te] est riiinJoustaui pour la prcs(iM'ile eii-ilerà
du (/an^je, où règne du reste un assez grand nombre d'idiomes
plus ou moins homogènes.
Cependant, il est peut-être encore en France des amis de la lit-
térature qui ignorent qu'il existe au-delà du Sindh une langue
riche et harmonieuse dans laquelle se sont exprimés et s'expri-
ment encore une foule d'auteurs de tous genres : poètes, prosa-
teurs, historiens, philosophes, théologiens, dont plusieurs méri-
teraient d'être plus connus en Europe j langue com))arativement
moderne, il est vrai , car elle s'est formée précisément à la même
époque où les langues de notre Occident s'élaboraient sur les dé'
bris du latin, du celte et du tudesque , mais qui , plus tôt que le
français, a su s'émanciper et sortir des langes de l'enfance Quel-
ques voyageurs ignorans ou maussades l'avaient taxre de jargon
en la confondant avec le patois informe articulé dans les ports de
mer, ou en lui reprochant sa triple et quadruple origine, sans
réfléchir que le sanscrit, le persan et l'arabe, qui lui ont donné
naissance, sont précisément les trois langues les plus belles, les
plus riches et les plus harmonieuses de toute l'Asie.
IMais cette langue s'est vengée de ce reproche outrageant en
continuant de produire des œuvres remarquables en tous genres;
l'Europe l'en a vengée aussi en cultivant sa littérature, en tradui-
sant SOS auteurs , en l'enseignant publiquement. Si l'Angleterre
n'est pas venue la première à son secours, elle a plus fait pour
elle que les autres peuples, car la nature de ses relations dans les
In les lui en rendait la connaissance nécessaire ; les travaux de
John Fer^usson, du capitaine Taylor, du capitaine Roebuck, du
docteur Gilchrist, et du laborieux Shakespear : ce dernier prépare
en ce moment à Londres la quatrième édition de son savant et
volumineux dictionnaire.
Or, pendant que cette littérature est si florissante en Angleterre
et dans ses possessions indiennes , c'est à peine si l'on en con-
naissait le nom en France , il y a quelques années. Si l'on réfle'-
chit cependant aux anciennes relations des Français dans l'Hin-
doustan, aux établissemens qu'ils y ont encore ,11 y a lieu de
s'étonner qu'on se soit si peu occupé d'une langue dont la con-
Ill-NIJULI LT lILMJOLsTAINl. 65
iiiissaiice iio pourrait qu'influer avantageuseiiioiit sur la diplo-
matie et lecoiiîinerce. Ajoutons que l'iiindoustani étaiu répandu
dans presque toute cette vaste péninsule, il ne doit pas être indif-
férent à la religion d'y initier les apôtres qu'elle envoie dans ces
populeuses contrées : et c'est la France qui fournit la plus grande
partie des missionnaires catholiques dans l'Inde.
Mais cette lacune a été comblée il y a quelques années ; le gou-
vernement a senti la nécessité de faciliter aux Français les
moyens d'apprendre cette langue, et il a érigé une chaire d^hin-
douslani à la Bibliothèque royale, à côté des autres pour les lan-
gues orientales. L'enseignement en a été confié à M. Garcia de
Tassy, qui , depuis 1828, le professe avec autant de science que
de dévouement. Jaloux de remplir consciencieusenienl les devoirs
de sa charge, il a consacré une partie de sa fortune à éditer les
ouvrages les plus nécessaires pour initier ses élèves à une parfaite
connaissance de cette langue '.
L' Histoire de la littérature hitidoui et hindoustani donne le dé-
menti le plus formel à ceux qui ont prétendu que ces langues ne
valaient pas la peine d'être étudiées; car on peut considérer cet
ouvrage comme une vaste et brillante galerie, où plus de sept
cent cinquante écrivains viennent lour-à-tour poser devanî le
' Les ouvrages publiés par M. G. de Tassy, pour riiiadouslani seule-
ment, sont : \° Rudimcns de la langue hindoustani^ in-4, 182g; 2"
jippendicf. au même ouvrage, contenant entre autres des lettres hin-
doustani originales, accompagnées d'une traduction et de fac-similé ,
i855. 5*^ Les OEui'res de JFall^ poète du Décan. Te\{c , fac-sirnile , tra-
duction et notes; in-4 » '854 ; 4*" I-es Aventures de Kdmrûp. Texte et
traduction, in-8, i854 et 55; 5^ Manuel de t auditeur du cours d hin-
doustani, on ihèmes gradués, accompagnés d'un vocabulaire français-
hindoustani , et du corrigé, in-8 , iS56 ; 6° Histoire de la littératuie, etc.
On peut y ajouter : Mémoire sur les particularités de la religion mu-
sulmane dans- rjnde,el un grand nombre d'articles insérés dans le
Journal amitif/uc el dans d'autres recueils ùcicutiiiquc^.
GG HISTOIRE DE LA LITTERATURE
lecteur, historiens, philosophes, ascètes, théologiens^ poètes, im-
provisateurs, satyriques, romanciers, grammairiens. Au simple
énoncé de ces différens genres, on serait tenté de croire que la
plupart ne rentrent pas dans le cadre des Annales ; on se trom-
perait : rOrierit est essentiellement religieux ; là Dieu est dans
tout, et il est bien peu de livres qui n'offrent quelque chose pour
la nourriture de l'âme. Les romans eux-mêmes sont théoso-
phiques; les Orientaux ne les considèrent pas seulement comme
des récits destinés seulement à récréer l'esprit, mais comme des
paraboles instructives propres à former le cœur et à élever Tâme :
aussi le lecteur européen qui les parcourt pour la pi emière fois
voit-il avecéionnement la narration interrompue de tems à au-
tre par l'auteur pour faire des événemens qu'on vient de lire une
application à la vie intérieure. Mais ce sont les poètes, surtout,
qui se plaisent à rappeler et à célébrer Dieu dans leurs vers. On
serait dans une étrange erreur si l'on s'imaginait que tel poète
arabe, persan ou hindoustani , a célébré dans un gazai ou une
qacida le vin, l'amour ou la beauté ; ce sont, en y ajoutant le
mythe incesssamment renouvelé du rossignol et de la rose, au-
tant d'allégories dans lesquelles le poète timoré, craignant, pour
ainsi dire, de profaner le nom de Dieu en le prodiguant dans ses
chants, enveloppe des idées dont le sens n'échappe point au
lecteur asiatique. Nous avons aussi, nous autres, un exemple cé-
lèbre de genre, exemple venu pareillement de l'Orient, c'est le
Cantique de Salomon , oeuvre toute spirituelle et toute chaste ,
blasphémée par quelques impies de notre Europe, mais sur la-
quelle les Orientaux n'ont jamais pris le change.
Quelques-uns, cependant, parlent sans jQgure : ainsi, pour ne
citer que des poètes pris dans l'ouvrage de M. G. de Tassy, c'est
Jawdnde DeJdi, qui s'écrie en s'adressant à Dieu, dans un élan
digne d'un Chrétien :« 0 beauté aussi brillante que l'éclair I
» montre sans retard ton éclat; pourquoi te caches- tu?» C'est
Jahdnddr Schdh^ prince royal , qui exhale ses gémissemens dans
un style biblique : <' Ne m'interrogez pas sur ce que nous faisons
» en passant dans le monde , le désir de le posséder nous con-
w sume, et nous mourons souvent au milieu de notre course.
HINDOUI ET HliNDOUSTANI, 67
» Nous restons une nuit seulement dans cette maison de deuil,
» et, comme la bougie, nous nous consumons en brûlant. Ja-
» hândàr I nous nous sommes attachés aux idoles de chair ; mais,
» Dieu aidant, nous approchons de notre éternelle demeure ( où
» nous jouirons d'un objet plus digne de nous.) » CVst Raunac
qui soupire dans le même style v « Je n'ai pas la force d'élever
» mon désir au-delà. En pleurant j'ai perdu, comme le papillon,
>> ma vie dans le chagrin : hélas I ô bougie du matin ! je n'ai pas
» la force de faire différemment. Comment serai-je découragé par
» l'effet de l'épreuve que tu me fais subir ? je n'ai pas de moi-
» même la force delà supporter; mais si tu me fais miséricorde,
» ô mon Dieu I cela me suffit. » Guldm-i-Muhammad Dost, s'a-
dressant au Seigneur dans une ode mystique, exprime cette
belle sentence : « Celui qui n'a pas ton amour dans le cœur est
» infidèle. A quoi sert la langue si on ne l'emploie à s'entretenir
M avec toi ? »
Mais ce qui doit surtout intéresser les lecteurs des Annales, ce
sont les divers systèmes religieux des novateurs qui surgissent
dans rinde de tems à autre, et qui, la plupart, ont une tendance
marquée à se rapprocher de la vérité. Nous trouvons, à ce sujet,
des documens fort curieux dans l'ouvrage qui nous occupe : on
nous saura gré de les passer en revue.
Le premier en date est Kahîr, qui , vers la fin du 15^ ou au
commencement du 16' siècle, de simple tisserand devint le chef
d'une secte connue sous le nom de Kahir-Panthî. « Tous ses ou-
» vrages, dit M. G. de Tassy, respirent la croyance ferme eu l'u-
» nité de Dieu et l'horreur de ridolâlrie. Il les a adressés aux
» Hindous aussi bien qu'aux Musulmans. Il y tourne en ridicule
» les Pandit et les Sâstra , aussi bien que les MuUâ et le Coran...
>» Il prêcha une réforme complète, et son zèle ne fut pas sans
«succès, puisque, dans les provinces du Bengale , du Bihâr,
» d'Aoude et de Malwa, on trouve encore un grand nombre de
» Kabîr-Panthî, remarquables par la simphcité de leurs mœurs
>» et par leur bonne conduite. »
Adnak-Schdh florissait à peu près dans le même tems , et a
donné naissance à la fameuse secte des Sikhs. Il a développé
(38 niSlOIlŒ DE L\ LlTTlînATLr.i:
son système dans un ouvioge nomuié Graiilli , ou le LivTd par
excellence ; on y trouve bien des choses empruntées aux doc-
irinos de Rabîr. « Ce livre enseigne qu'il n'y a qu'un Dieu tout-
» puissant et présent partout, qui remplit tout l'espace et pé-
» nèlre toute la matière , et qu'on doit l'adorer et l'invoquer ;
» qu'il V aura un jour de rétribution, où la vertu sera récom-
» pensée et le vice puni. iSon-seulement jVanak y commande la
» tolérance universelle, mais encore il défend de disputer avec
» ceux d'une autre croyance. Il défend aussi le meurtre, le vol et
» les autres mauvaises actions ; il recommande la pratique de
» toutes les vertus, et principalement une philanthropie univer-
>. selle, et l'hospitalité envers les étrangers et les voyageurs, m
Vient ensuite Dadii^ de la classe des cardeurs de laine; il en-
sei'^na à la tin du 16' siècle ; ses écrits ont beaucoup de ressem-
blance avec ceux de Kabîr, auxquels il tit pareillement des em-
prunts, ^"ous reproduisons ici quelques passages extraits par
31. G. de Tassy du chapitre sur la Fui, du livre des Dddd-Panlîii.
a Que la foi en Dieu caractérise toutes vos pensées, vos paroles,
» vos actionj. Celui qui sert Dieu ne place sa confiance en rien
» autre.
.1 Si le souvenir de Dieu était dans vos cœurs, vous seriez capa-
» pables d'accomplir des choses qui, sans cela, seraient imprati-
» cables ; mais ils sont en bien petit nombre ceux qui recher-
» client la voie qui conduit à Dieu
» 0 insensés I Dieu n'est pas loin de vous; il en est proche.
» Vous êtes ignorans , maiîi il connaît toutes choses, et il distri-
" bue ses dons à son gré
» Prenez telle nourriture et tel vêtement qu'il plaira à Dieu de
>• vous départir. Vous n'avez besoin de rien autre. Contentez-
>» vous du morceau de pain que Dieu vous accorde
). Méditez sur la nature de vos corps, qui ressemblent à des va-
» ses de terre, et mettez en dehors tout ce qui ne se rapporte pas
« à Dieu.
» Tout ce qui est la volonté de Dieu arrivera assurément; en
'• conséquence ne détruisez pas votre vie par l'anxicté, mais at-
'' tendez.
UliNDLUl ET Hl-NDOUSTA.M. G9
» Quel espoir peuvent avoir ceux qui abaudonueiit Dieu ,
)) quand même ils parcourraient toute la terre ? 0 insensé I les
» hommes justes, qui ont médité sur ce sujet, vous disent d^aban-
» donner tout excepté Dieu, puisque tout est afïïiclion.
» Crois en la vérité , fixe ton cœur en Dieu, et Immilie-toi,
» comme si tu étais mort...
)^ Pour ceux qui aiment Dieu, toutes les choses sont exlrème-
» ment douces ; jamais ils ne les trouveront amères, quand même
» elles seraient pleines de poison ; Lien au contraire, ils les ac-
>' ceptent comme si c'était de l'ambroisie. Si on supporte Tad-
» versité pour Dieu , c'est bien ; mais il est inutile de faire du
» mal au corps...'.
» L'esprit qui n'a pas la foi est léger et volage , parce que ,
i> n'e'tantfixéparaucunecertitudCjilchanged'une chose à l'autre...
» Ne condamne rien de ce que le Créateur a fait : ceux-là sont
» ses saints serviteurs qui sont satisfaits de lui...
»» Dadû dit : Dieu est mon gain, il est ma nourriture et mou
» soutien. Par sa subsistance spirituelle tous mes membres ont
» été nourris... Il est mon gouverneur, mon corps et mon âme.
» Dieu prend soin de ses créatures , comme une mère de son
» enfant... 0 Dieu I tu es la vérité; accorde-moi le contentement
w l'amour , la dévotion et la foi. Ton serviteur Dâdû te demande
» la vraie patience, et vient se consacrer à toi. »
Birhhdn^ reconnu comme le fondateur de la secte des Sddk
ou des Puritains, répandit sa doctrine vers le milieu du l/" siècle;
elle a été réduite en douze commandemens, que nous reprodui-
sons ici : on remarquera l'identé de plusieurs d'entre eux avec
ledécalogue des Juifs et des Chrétiens, d'où ils sont tirés.
«< 1. Ne reconnaissez qu'un Dieu qui vous a créé et qui peut
» vous anéantir, auquel aucun être n'est supérieur, et que seul,
n par conséquent, vous devez adorer. Il ne faut donc rendre au-
» cun culte ni à la terre , ni à la pierre, ni au métal, ni au bois,
• Parées dernières paroles, les i?rt^M-^a«<Ai'coadamnent les rigueurs
souvent excessives et meurtrières que les ascètes des religions brahma-
niqueet bouddhique infligent à leurs corps.
m'' SÉRIE, TOME VI — N^ .31 . 184-2. 5
70 HISTOIRE DE LA LlTTÉllATl'KE
» ni aux arbres, ui enfin à aucune cliose créée. Il n'y a qu'un
» Seigneur et le Verbe du Seigneur. Celui qui aime le mensonge et
» pratique la fausseté, celui qui commet le crime tombe en enfer.
)» 2. Soyez humble et modeste. JNe placez pas vos affections en
» ce monde. Attacbez-vous fidèlement au symbole de la foi;
» évitez d'avoir des rapports avec ceux qui ne sont pas de votre
» religion ; ne mangez pas le pain de l'étranger.
» 3. Ne mentez jamais. Ne parlez jamais mal en aucun tems,
» ni d'aucune chose ; de la terre et de l'eau , des arbres et des
» animaux. Employez votre langue à la louange de Dieu. Ne
» volez jamais ni richesses, ni terre, ni animaux , ni leur pâture.
» Respectez la propriété d'autrui , et soyez content de ce que
» vous possédez. Ne pensez jamais au mal. Que vos yeux ne se
» fixent pas sur des objets indécens en fait d'hommes, de fem-
» mes, de danses, de spectacles.
» 4. N'écoutez pas de mauvais discours , ni lien autre, si ce
» n'est les louanges du Créateur. N'écoutez ni contes , ni bavar-
»dages, ni calomnie, ni musique^ ni chant , excepté celui des
» hymnes.
» 5. Ne désirez jamais rien, ui pour votre corps, ni en fait de
• richesses. Ne prenez pas celles d'un autre. Dieu donne toutes
0 choses; vous recevrez en proportion de votre confiance en lui.
>» 6. Lorsqu'on vous demande qui vous êtes, déclarez que vous
» êtes Sddh ; ne parlez pas des castes ; ne vous engagez pas dans
» des controverses. Soyez ferme dans votre foi, et ne mettez pas
» votre espérance dans l'homme.
') 7. Portez des vêtemens blancs , n'employez ni fard , ni col-
» lyre, ni opiat , ni menhdi; ne vous faites aucune marque sur le
» corps, ni aucun signe dislinctif des sectes sur le front; ne por-
» tez pas de chapelet, ni de rosaire, ni de joyaux.
» 8. Ne mangez ni ne buvez jamais aucune substance eni-
»> vrante, ne inàthez pas de buiel, ne respirez pas de parfums, ne
» fumez pas de tabac, ne mâchez ni ne sentez de l'opium ; ne te-
» nez pas vos mains levées, et n'inclinez pas votre tète devant^des
>» idoles ou des hommes.
» 9. Ne commettez point d'homicide ; ne faites violence à
HINDOU l ET HINDOUSTANI. Kh
V personne ; ne donnez point de témoignage capable de faire con-
" damner un accusé; ne prenez rien par force
» iO. Qu'un homme n'ait qu'une femme, et une femme un
w seul mari; que la femme obéisse à l'homme.
M 11. Ne prenez pas le costume d'un mendiant ; ne sollicitez
» pas d'aumônes, et n'acceptez pas de présens. Ne craignez pas la
» nécromancie et n'y ayez pas recours. Connaissez avant d'avoir
» confiance. Les assemblées des gens pieux sont les seuls lieux de
» pèlerinage. Saluez ceux d'entre eux que vous rencontrerez.
» 12. Que les Sddh ne soient pas superstitieux quant aux jours,
» aux lunaisons, aux cris et aux figures des oiseaux et des qua-
» drupèdes. Qu'ils ne cherchent que la volonté de Dieu. »
» Nous voyons, par ce qui précède , continue M. G. de Tassy,
que les Sddh, qu'on peut nommer les unitaires indiens, n'adorent
que le Créateur seul. Ils le nomment ^ilkara^ ou l'auteur de la
vertu, et Satndniy c'est-à-dire le vrai Nom. A cause de cette der-
nière expression , qu'ils appliquent à la divinité, on les nomme
quelquefois Satndmi j mais cette dénomination s'applique spé-^
cialement à une autre secte. Leur^culie est extrêmement simple.
Ils rejettent toute espèce d'idolâtrie. Ils ne vénèrent pas le Gange
plus que les autres rivières. Toute espèce d'ornemens leur est
défendue. Ils ne saluent pas et ne prêtent pas serment. Ils se pri-
vent de tous les usages du luxe, tels que tabac, bétel, opium et
vin. Ils n'assistent jamais aux spectacles des bayadères Les
villes où il y a le plus de Sddh sont Dehli, Agra, Zaïpur, Farru-
khâbâd. Us tiennent une grande réunion annuelle dans l'une de
ces villes. »
L'unité de Dieu a encore été enseignée entre autres par Bdbd'
Ldl, et par Rdm Mohan Rdé, mort il y a peu d'années à Londres,
et dont les travaux et la croyance sont déjà connus de nos lec-
teurs ^
Nous aurions à enregistrer ici un grand nombre d^autres ré-
formateurs indiens, si le plan de l'auteur n'eût été de donner la
biographie de ceux-là seuls, qui ont écrit en hindoui ou en hin-
doustaui.
' Voir Annales, t. vu, p. 363; t. ix, p. 421, «t t. xvm^ p. 42.
i'i liiaruiKI- DE J^A. iMiTLKAlUlU:
\ côic tle ces hoinines, dont les systèmes peuvent avoir ies plus
heureuses influences en faveur de la véiilc, nous voyons dans le
même ouvrage un Bakhtawar professer de désolantes doctrines
et trouver plus facile de vivre dans le pyrrlionisme que de cher-
cher à connaîue l)ieu et l'homme.
Un sceptique d'un autre genre est Adharn^ qui a composé une
espèce de Vie des saints, dans laquelle il a introduit indifférem-
ment les dévots personnages des religions chrétienne, hindoue et
musulmane. On y remarque entre autre la vie de la sainte Vierge ;
dans un manuscrit du British muséum, la mère de Dieu est re-
présentée dans un dessin, avec son fils, de la même manière que
nos peintres et nos dessinateurs la reproduisent. Les vers qui ac-
compagnent ce dessin rappellent la légende du Coran sur la nais-
sance de Jésus ; ils sont trop curieux pour que nous les omettions.
« Ceci nous représente la nohle Marie lorsque, après avoir mis
w au monde Jésus le Messie, être parfait , qui fut engendré sans
« père, les gens de sa famille étant venus la trouver, lui dirent :
c Est-ce toi qui as mis au monde cet enfant? Si tu nous fais cou-
» naitre la vérité, c'est bien ; sinon n'oublie pas que nous som-
ï) mes disposés à punir de mort le mensonge. » Ayant entendu
>» ces mots, elle dit sans émotion : « Gens de -Nazareth, pourquoi
» m'interrogcz-vous? Cet enfant est né de moi_, sans que j'aie
» commis une faute » Comme néanmoins on la tourmentait
» encore , elle ajouta : ^ Demandez à cet enfant lui-même com-
» ment a eu lieu sa naissance, car, pour moi, je n'en sais absolu-
» ment rien ; j'en jure par Dieu. » Alors ses compatriotes s'a-
n dressèrent à l'enfant : « Raconte-nous toi-même, lui dirent-ils,
» ce qui s'est passé. » Jésus répondit : « Je suis prophète, je vous
B apporte les ordres de Dieu; je suis le souffle du Très-Haut;
V je suis l'illustre Messie. Ma mère est Marie, et mon père, c'est
ft Dieu. » Les habitans de Nazareth ayant entendu ce discours,
»> dirent à Jésus : « Fais un miracle pour que nous croyons à la
<' vérité de ce que tu nous annonces.») — a Eh bien I dit Jésus, par
>t la grâce de Dieu, je ressusciterai les morts, je rendrai la clarté
» aux veux des aveugles, et la santé aux corps des lépreux. > Ses
> compatriote.% désireux d'éprouver la vérité de cette assertion,
ilI.NDOCI ET «INDOtSTAM. 73
» demandèrent qu'on apportât des cadavres. Effectivement, on eu
>• transporta un grand nondjre dans leur bière, et on les plaça de-
M vant Jésus. 11 ne les eut pas plus tôt vus, que s'adressant à chacun
» d'eux en particulier, il lui dit : «» Lève-toi, Dieu te le permet î»
» Alors tous ces cadavres furent rendus à la vie. Tel fat l'oidre
» de Dieu. De leur coté, des aveugles accoururent, dans l'espoir
» de la guérisou. Eu effet , ils recouvrèrent tous la santé au nom
» du Toul-Puissant. Alors les gens de ^Nazareth reconnurent que
>» Jésus était vraiment un prophète ; ils crurent et embrassé-
» rent la religion qu'il annonçait. Mais l'enfjnt alla se placer de
M nouveau entre les bras de sa mère , qui l'abreuva de son lait
» pur. Plus tard, sa propre nation le persécuta ;mais il est inu-
» lile d'entrer dans aucun détail là-dessus. A la fin, le prophète
> Jésus s'étant délivré des mains du peuple, monta au ciel, où il
'» vit éternellement. »
Parmi les poètes hindoustanis , nous avons remarqué un mu-
sulman converti au christianisme (peut-être dans une secte pro-
testante), auteur d'une traduction en vers des dix connnande-
mens de Dieu ; il se nomme Faiz-i-Macîh^ ou Grâce du Christ.
On trouve aussi dans cette langue un certain nombre de livres à
Tusage des chrétiens, tels que catéchismes, hymnes , traductions
delà Bible, et surtout du nouveau Testament, instructions,
prières, etc.; mais la plupart ont été publiés par les sociétés pro-
testantes.
Tels sont en partie les curieux renseignemens que Ton trouve
dans ce recueil , digne à tous égards de trouver place dans une
bibliodjèque d'élite : aussi a-til mérité d'être publié à l'imprime-
rie royale de France, sous les auspices de la Société asiatique de
Londres. Le premier volume que nous annonçons forme à lui
senl un tout complet; mais il sera dans peu suivi d'un second, qui
contiendra des extraits et des analyses des ouvrages hindoustanis
les plus remarquables. Ainsi rédigée, cette œuvre offre un modèle
que nous désirons voir suivi pour les autres littératures étrangè-
res; ce serait, en nous les rendant familières, un service inappré-
ciable rendu aux sciences et aux lettres. L'abbé BERTRAND,
de la Société asiatique de Paris.
74 NÉCROLOGIE.
nécrologU îr^s auteurs morts pendant Tannée i84i,
AVEC LA LISTE DE LEURS OUVRAGES , CLASSÉS PAR ORDRE
CHRONOLOGIQUE.
Suile ào. raitide iaséié au n" 30, t. t, p. l^&Z.)
Oudol(Char.-Ffan,)...-£6 ans.
ConvenliouneL A laissé : Opinion sur le procès de Louis XVl, M'i^.— Collabora-
teur de Carabacérès au Code français,
Paget (FélixAméd.), 28 juillet.— "7 ans.
Né à Pierre CSaÔDe-et-Loire),le 20 fer. 1805, docteur en médecine, écrivain fou-
riérisie, collaborateur assidu du Phalanstère et de la Pbalanee. A laiié : Introduc-
tion àrélude de la science sociale, contenant un abrégé de la théorie sociétaire,
précédé d'un coup ù'œil général sur l'éîat de la science sociale et sur le système
de Fourier, d'Owcn et de l'école StSimonienne, in-12, 1859^ deuxième édi-
tion, i84i. Voir la liste de ses articles dans la Phalange, dans le n° i6, 1842, do
ce journal.
Picot (Michel-Pierre-Joseph), 14 novembre. — 72 ans.
JHé à >'euYille-aux-Qoi5 (Loiret) le 24 mars 1770, tonsuré à Caen le 10 juin
1785, entré au grand séminaire d'Orléans en 1785, professeur au petit séminaire
diocésain de Mung-sur-Loire : refuse le serment , dépose l'habit ecclésiastique
en 179Ô; est l'objet d'un mandai d'arrêt pour n'aNoir pas satisfait à la levée dçs
jeunes gens de 18 à 23 ans; inscrit dans la marine, embarqué à Brest comme
matelot puis iustituieur des matelot*, puis commis extraordinaire du bureau de la
marine à Brest, enfin licencié en 1797 ; — iusiiluteur du fils de M. de Cbamval-
lins, en juin 1797, où il demeura 9 ans;j)uis précepteur des eufans du prince de
Beauvau en 1806 pour quelques mois; publie la 1'^ édition des Mémoires pour
servir à l'histoire ecclésiastique du IS*" siècle , 2 vol.; 1806, sans nom d'auteur.
(Ces mémoires furent L'ilaqués en 1811 par le livre inlituîé : La vérité et Vinno-
cence remuées contre les erreurs cl les impostures d'un livre intitulé ; Mémoires,
etc., par L. B. L., ancien professeur de théologie (le P. Lambert, dominicain); —
et par La vérité de l'histoire ecclésiastique, rétablie par des monuinens authen-
tiques contre le système d'un livre, etc.; par un ancien magistrat, M. Siluy, tous
deux fougueux jansénislei);— collabore nn Journal des curés, de 1806 à 1807; —
avec M. de Boulogne aux Mélanges de philosophie , d^histoire , de morale et de
littérature, de 1806 à 1807; — et à dater du l" mars 1808, en devient le seul ré-
dacteur, et le dirige pendant trois ans , jusqu'en 1811, où la police supprima les
Mélanyes ; publie une Notice sur la vie et les écrits de M. Emery, i811 ; collabore
à la Pioyraphie universelle de Michaud, depuis le tome xi, en 1814, jusques et
y compris le h^ volume du supplément oublié en 1853 ; il y insère les articles Vi-
■ derot, de Boulogne. Grégoire, Tabbé Lcgris Durai, Maury, cardinal de Lati', etc.;
publie ['Ami de la religion et du roi, le 20 avril 18U; interrompu durant les
100 Jours; repris le 12 avril I8i5; publie les trois premiers volumes de la 2- édi-
tion des Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, plus exac.e, plus com-
plète, jusqu'en 18 15; un supplément contenant la liste chronologique des écri-
vains do 18e giècle, considérés sous le rapport religieux ; prend part au 1^ sup-
NÉCROLOGIE. 75
plément du dictionnaire historique de Feller, en 4 vol., en 1819; membre da con-
seil central de la propagation de la foi dès 1823. — Publie la rie des dames fran-
çaises les plus illustres du iT siècle, pour les services qu'elles ont rendus à la
religion, ou Essai historique sur l'influence de la religion en France pendant le
<7e siècle, 2 Tol. in-8, 18-24 ; — publie les Sermons de M. de Boulogne, auxquels il
joint une Notice étendue sur ce prélat, 1826 : — les mandemens du même prélat,
en 1827: — les mélanges du mèaie prélat, ou recueil des différens articles qu'il
avait insérés dans les journaux , et auxquels il joint un Tableau politique et re-
ligieux sous le Directoire, et un — Précis historique de la France sous le Direc-
toire. — Créé par SS. Grégoire XVI, le 20 février 1835, chevalier de la milice
d'or; cesse d'être directeur de VAmi de la religion le ler octobre 4840. — Créé
commandeur de sai.it Grégoire-le-Grand, le '27 novembre î84C; mort le 14 no-
vembre 1841, presque subitement, mais préparé depuis longlems par la fréquente
communion à aller recevoir la récorapenje de ses honorables travaux.
M. Picot fut un homme doué de rares qualités, et a rendu de vrais services à
la religion, surtout par la publicalion de ses Mémoires Ecclésiastiques. Son
journal est le meilleur recueil de faits et de dates qui existe; mais, comme écri-
vain, il avait peu d'étendue dans Pesprit : au;»i il a été un des derniers à croire
au retour des esprits vers la religion, et il a lei.u, autant qu'il a pu, !e clergé
éloigné de ces sciences qui, sans être entièrement catholiques, revenaient au
catholicisme, et ont préparé le m.ouvement religieux actuel. De plu*, quoique
sincèrement attaché à TEglise, il avait conservé la plupart des préjugés galli-
cans, et ouvrit son journal à tous les écrivains qui soutenaient ces opinions;
enfin sa soumission à la voix du vicaire de Jésus-Christ n'e-t jamais allée jusqu'à
lui faire dire saint Grégoire VII.
Puymaurin (le bar. Jean-Pierre-Cas. -Marassus de) 14 février. — 84 ans.
Ké à Toulouse le 3 décembre 175? , directeur de Li monnaie en 1816. A laissé :
Mémoires sur différens sujets relatifs aux sciences et aux arts, 1811. — ISotice
historique sur la piraterie, 1819. — Opinion sur le budget des dépenses du mi-
nistère de la marine, 1819. — De la pourriture sèche, traduit de l'anglai? de Bow-
den, 1819; et de plus trois mémoires insérés daus la collection de l'académie de
Toulouse; svr les moyens de rendre les cimens indestructibles : sur un nouveau
rouleau à battre les grains ; sur les causes de !a conservation des corps dans le
caveau des cordeliers de Toulouse.
Sacchi (Défendant), 20 décembre 1840.
Né à Pavie en 1796, littérateur. A laissé : Collection des métaphysiciens d'Ita-
lie et d'autres nations, 60 vol., Pavie, 1818-23.— i'form délia filosofia greca ; 6 vol.
Pavie, 1819. — // pianta riei sospiri ; Lodi, 1824. — Antichita romantiche d'Ila-
lia; :\]ilano, 18-28 —^ar/f/io sol municipi Italidel medio evo e loro condizione poli-
lica ; iMilan 1829.— DeZ/a Uttcratitra Ilaliana del secolo t9 e délia poesia eroica;
Pavie, 1830. — / Lamhertazzi e 1 i Geremei e le fazione di Boîogna nel secolo 13 ;
Milan, 1830. — Délie cose inutili, 1832. — Varieta littorarle intorno aile coslu-
mani c délie persone <]el îecolo,^2 vol., i^ô2—Teodote, storia del secolo 13, 1832.
— Le belle arii In Mllano, 1833. — Raccnti morali scriltî pcr uso del popolo
campagnolo, 1833. — Onele, o leltere di due amanti, -1853. —Interno aile altuale
stato deir eleraentare inslruzione in Lambardia in confronto di altri ."-tali d'Italia,
183Î. — Romagnosi, con appendice, 1835. — Degli asUi d'infanzio, loro utilità ed
ordinamenlo, 1836. — Et de plus. Description de Varc de triomphe de Napoléon \
Milan. — Snr le tombeau de saint Auqustin à. Parie. — Délie strigle e uei foletu .
^6 ÎSKCROLrKlin.
ouTragc [.lus que fulile, et qu'il regrelîa d afolr écril, d «a mort, qui fui chié-
t l'Dne.
Sanson ''Louls-Jos.) 2 août. — uO ans.
Né à Paris le 25 janvier 4792; l'un de nos plus habiles chirurgiens. A laissé :
ncs moyems de parvenir à la ressic par le reclum, afanlages et inconvénien» al-
lachés à celle niétboile pour lirer les pierres de la vessie, in-4, 1818; 2. édition,
augmentée, in-8, 4821. — Nouveaux èlèmens de pathologie médico-ihirurgi-
cale, etc., 4 vol. in-8, 4825 ; •> édit., 5 roi., 1833.— De la réunion immédiate des
plaies, de ses avantages et de ses inconvéniens, 4 834. — Des hémorrhayies trau-
inaliques, i8"G. — .Nouvelle cdilion de la médecine opératoire de Sabalier, iSôl.
— Il a terminé : tourelle inanièrc de pratiquer l'opération de la pierre, de Du-
puylren, 483t;. — Et de plus auteur de Dombreux articles dans Us journcux et
dicl. de médecine.
.Savart (Félix) 4C, mars. — SI.
>é è Mé/icres, le 30 juin 1791, de racadémie des «ciences, médecin, chirur-
sien, physicien, cliimisle, un des hommes qui ont le plus avancé l'élude de l'o-
cousiique, A laissé : Ja Cirscclo, pour sa Ihèse du doctoral, iu-i, lSlG,~Mémoii'e
sur les celions élçclro-dynamique?, avec M. Biot, !820.— l/t'm. sur la construction
dos insl.'uniens à cordes et à vent, in-8, IStO. — .//la/y^psuccincle dei travaux de
M, Saviirt, compo;cc delS mémoires sur les mouvemons des corps ; et de plus un
grand nombro d'articles dans le Dict. techtioloyiqve.
Savary (Félix), 21 juil!et.-.is ans.
7\é à Paris, le i octobre 1707, professeur d'astronomie, de géodésie et de m.a-
ohincs à l'écûle poU lecbnique, de lacadéaiie des sciences. A laissé : iAJm. sur
i application du calcul aux pbénomènei éieclro-dyn; mique», avec pi., ii: 4, lR2.'î,
pxlrait du journal de Physique. — .Vj/r la détermination des oibites que décrivenl
autour de leur centre de gsa\ité deux étoiles très rapprochées luoe de l'autre,
ia S, 1817, extrait de la Connaissance des teiT^s.- El de plus un grand nombre
■l'arlicles dans le journal de Vhijsiqvc^ les annales (le thyuque et de Chimie, el
la Connaissance des tem<.
^«■«s<^^
NOUVELLES ET WÉLANGES. T7
lloiiufllfs Ci illclûnflfô.
EUROPE.
ITALIE. ROME. — Décret de S. E. le Cardinal, vicaire, à propos de
ia conversion de M. Alplionse Ratisbonne. ( Voir le détail de celle
conversion, t. v, p. 525).
« Au nom de Dieu. Ainsi soit-il.
» L'an de ^'otre -Seigneur et Sauveur Jésus-Christ , mil huit cent
quarante-deux, de l indiction romaine le quinzième, la douzième année
du poilificatdeN. S. P. le Pape Grégoire XVI , le troisième jour de
juin.
» En présence de Son Eminence le cardinal Constantin Palrizi, vicaire-
général de jV. s. p. le Pape dans sa ville de Rome, juge ordinaire de la
cour de justice de Rome et de son ressort, a comparu le révérend Fran-
çois Anivitti, promoteur fiscal près le tribunal du vicariat, spécialement
délégué par Son Eminence le cardinal-vicaire, ù l'effet de rechercher
et d'interroger des témoins, relativement à l'authenticité du prodigieux
événement par lequel Alphonse-Marie Ralisbonne , âgé de vingt-huit
ans, et de la ville de Strasbourg, alors à Rome, a obtenu sa conversion
du judaïsme à la foi catholique, par l'intercession delà Bienheureuse
Vierge Marie. Le susdit promoteur déclare qu'ayant accepté avec; autant
d'empressement que de joie la mission qui lui était confiée, il a mis tous
les soins, toute l'exactitude dont il est capable, ù la remplir. Il ajoute
qu'il a soumis neuf témoins à un interrogatoire en forme, et que les ré-
ponses, pleines de candeur, de ces neuf témoins juridiquement inter-
pellés, sont unanimes dans les détails qui ont trait , soit à la substance
même, soit aux conséquences de cette étonnante conversion. C'est pour-
quoi il aflirme que, dans son opinion, cet événement porte tous les ca-
ractères d'un miracle incontestable. Toutefois, il a dû laisser à sou Emi-
nence le cardinal-vicaire de prononcer d'une manière définitive sur celle
afl'aire. Aprèsavoi: eu sous les yeux les acies, les docuraens el les inter-
78 NOUVELLES ET MÉLANGES.
rogatoires qui s'y rattachent, Son Eminence jugera dans le Seigneur
s'il convient de rendre à cet égard un décret définitif.
i> En conséquence, après avoir entendu ce rapport , et pris connais-
sance du procès, des interrogatoires, des réponses et des renseignemens
fournis par les témoins; après en avoir pesé les circonstances avec une
religieuse maturité; après avoir recueilli les avis de plusieurs théolo-
giens et de ))lusieurs personnages d'une éminente piété, ainsi que le
prescrit le concile de Trente, session i5, au sujet de l'invocation des
saints, de leurs reliques, de leurs images, des honneurs à leur rendre ,
Son Eminence le cardinal vicaire de Sa Sainteté a déclaré et définiti-
vement prononcé qu'il conste du miracle insigne opéré par le Dieu très
bon et très grand, à la prière de la Bienheureuse Vierge Marie : à savoir
celui de la conversion parfaite et instantanée d'Alphonse-Marie Ratis-
bonne du judaïsme à la foi catholique- Et, parce qu'il est honorable de
révéler et de publier les œuvres de Dieu (Tobie, xii, 7), Son Eminence
a daigné permettre qu'à la plus grande gloire de Dieu, et pour accroître
la dévotion des fidèles envers la Bienheureuse Vierge Marie, la relation
de ce miracle insigne reçoive par la voie de la pressé une éclatante pu.
blicité.
» Donné au palais de Son Eminence, le même cardinal-vicaire et juge
ordinaire, les jours, mois et année relatés ci-dessus.
) C. cardinal-vicaire.
n Ca3iille Diamilla, not. dépnt.
» Conforme à l'original.
• » Joseph chanoine Tarnassi, secrétaire.
» Lieu du sceau. «
Nomination de M. l'abbé de Luca à la place de camerier secret.
— Sa Sainteté, dit le X^/ar/o, a daigné admettre au nombre de ses came-
riers secrets surnuméraires le savant abbé Antoine de Luca, déjà vice-
président de l'Académie ecclésiastique, consulteur des congrégations de
la propagande et de 1" index, directeur de l'imprimerie" de la propa-
gande, et, de plus, directeur et principal rédacteur des Annali délie
scienze religiose^ qui ont commencé en i855, et sont parvenues à leur
XI p volume.
NOUVELLES ET MÉLANGES. 79
— Brej de sa Sainteté' Grégoire XVI, à M. Artaud de Montor.
« Cher fils, salut et bénédiction apostolique,
X Nous accordons toujours volontiers, à titre de récompense, les plus
grandes marques d'honneur et d'éclatans témoignages de notre bien-
veillance à des hommes d'élite qui se placent au premier rang par leur
talent, Weur vertu et leur religion, lorsque surtout ils joignent à ces qua-
lités un attachement inébranlable au siège de saint Pierre, et s'efforcent
dans leurs ouvrages de mériter l'approbation du gouvernement de la
république chrétienne et celle des autres états.
» Certes, votre mérite personnel ne pouvait nous être inconnu ; dis-
tingué comme vous l'êtes par cette suréminence de talent, par les belles
qualités de votre esprit, voire constante application aux meilleures
choses, vos rares connaissances en littérature et en morale, enfin par la
louange universelle qui proclame votre loyauté intègre, votre piété,
votre foi; et ce dévouement sincère et ferme qui vous tient uni de cœur
à la chaire de saint Pierre et à notre personne. Ce sont là autant de
titres qui ont rendu votre nom illustre, soit dans votre ouvrage de la
Fie de Pie VU, notre prédécesseur de vénérable mémoire, soit dans
\ Histoire de Dante Alighieri, où vous faites preuve d'une érudition si
étendue et si forte, soit enfin dans quelque? autres productions litté-
raires où brille toujours la manifestation de votre respectueuse défé-
rence pour le siège apostolique. C'est pourquoi, dans le vif sentiment
de satisfaction qui nous anime, nous avons cherché à vous donner quel-
que témoignage des dispositions spécialement bienveillantes que nous
avons pour vous.
w Ainsi, pour honorer votre personne d'une manière spéciale, nous
vous nommons, par les présentes lettres, et en vertu de notre autorité
apostolique, nous vous proclamons chevalier Commandeur de Saint-
Grégoire-le-Grand de l'ordre civil, et nous vous donnons droit d'être
compté parmi les autres chevaliers de cette illustre compagnie ;
vous déclarant auparavant et pour cette circonstance seulement, absous
et relevé de toute sentence ecclésiastique, d'interdit, d excommunica-
tion, d^ censures et autres peines, de quelque manière et pour quel-
que cause que vous les ayez peut-être encourues.
1} En conséquence, nous vous permettons et vous accordons le droit
de porter librement et licitement les insignes de cet ordre, lesquels cou-
80 NOUVELLES ET MELANGES.
âistent en une grande croix d'or octogone, ajant au milieu l'image ilf
saint Grégoire en rouge cmaillé, que l'on peut porter au cou, avec un
ruban de scie rouge, bordé des deux cotés par un liseré jaune.
» Et aÛQ que vous puissiez apprécier de plus en plus notre bienveil-
lance pour vous, nous envoyons nous-niôme le commandement, qu'on
vous remette de notre part celte décoration telle que nous venons de la
désigner.
)) Donné à Saint-Pierre de Rome, sous l'anneau du Pécheur, le ox)
avril 1842, l'an douzième de notre pontificat.
L. cardinal LAMBRUSCHIINI.))
Au dos est écrit : « A notre cher fils le chevalier Artaud de Mon-
lor. i>
En marge, à gauche du texte, se trouve le sceau de l'anneau du Pé-
cheur. P.
NoiLS pouvons ajouter que jamais récompense ne fut mieux placée.
ÎM. Artaud de Montor est un écrivain qui a consacré su plume à la dé-
fense de l'Eglise et du saint-siége ; il compose en ce moment une P^ie de
Léon XII j dont il a bien voulu nous lire quelques fragmcns, et qui
sera un vrai monument élevé à la gloire de ce grand pontife, et fera un
digne pendant à la belle Fie de Pic FIL L'ouvrage paraîtra avant la
fin de l'année.
PRUSSE. BERLIN. — Collection doin'ra^es sanscrits. — Berlin va
s'enrichir d'une collection de 845 manuscrits indiens, presque tous eu
langue sanscrite, contenant les Vedas en entier. C'est M. Bunsen, con-
seiller intime de légation, qui, par ordre de Sa Majesté, a acheté cette
collection à Londres, des héritiers de feu sir Robert Chambers. Les
YéJas ne se trouvent dans aucune bibliothèque, ni à Parisj, ni à Lon-
dres. La B&dleiene, à Oxford, n'a acquis cet ouvrage que depuis peu
»le semaines, par la cession que M. le professeur Wilson lui a faite de
sa précieuse collection. Feu M. Roseu préférait les Yédas de Chambers à
tous ceux qu'il connaissait. Les numéros contenant XePiig-P^éda sont d'une
beauté tout à fait particulière et conservés sous verre dans des montres
précieuses ; la copie seule de cet ouvrage a coûté 1,000 liv. st. dans les
Indes. Les Fédas ont 120 numéros, les Upanischads 16. La collecrion
entière a été achetée pour ij^jo liv. sterl. INL le professeur Hœfer s'oc-
cupe en ce moment de faire un catalogue critique de ces rares ouvrages:
JNOUVI-LLES El 3ILLA.AGES, 81
|)CiU-cUe (Jevrons-noiis à ce savanl. distingue une aiJllioioi;ie indienne,
en texte primitif, comme il a déjà public une Iraducliou de poésies
sanscrites en vers allemands.
( Gaielie du Hanovre,)
AMERIQUE.
MEXIQUIl. — Découverte d'une, ville antique, encore toute peu/fitc
d'Indiens n'ajant eu nucune communication avec les Espai^nols. —
iVous ne croyons que faiblement au récit suivant. Nous le donnons ce-
pendant tel qu'il est rapporté dans l'ouvrage récent de 31. Stepbens,
intitulé : / isile aux villes ruinées de l Amérique centrale :
a Entre un grand nombre de portraits esquissés de main de maître,
l'ouvrage de M. Stephcns ne nous en présente pas un qui surpasse celui
du curé de Quicbé. — Son habit séculicrj, son humeur joviale, sa persé-
vérance dans les éludes historiques et les transitions soudaines de la
bouffonnerie la plus enfantine aux pensées les plus graves, toutes ces
particularités d'une nature moitié rustique et moitié civilisée, sont ren-
dues avec le plus grand bonheur. Le bon père parla aux voyageurs
d'une caverne adjacente à un village voisin, dans laquelle on trouvait
des crânes humains, d'une dimension extraordinaire, qui inspiraient aux
Indiens un respect superstitieux. Il les avait examinés lui-même et il
pouvait garantir leurs vastes proportions. Un jour il avait placé uur
pièce de monnaie à l'entrée du souterrain, et il l'y avait retrouvée l'an-
née suivante, tant les habitans du pays vénéraient ce lieu mystérieux. Il
dit à M. Stepbens que les Indiens étaient encore, à peu de chose près,
tels que les avait trouvés la conquête espagnole; qu'ils chérissaient
encore les usages 2t les coutumes de leurs pères; que, malgré la fascina-
tion qu'exerçait sur leurs imaginations la pompe des cérémonies romai-
nes, ils n'en restaient pas moins idolâtres au fond du cœur; qu'ils
avaient leurs idoles cachées dans les montagnes et les ravins, qu'ils pra-
tiquaient encore en secret les rites que leur avait légués leurs pères, et
que lui-même, bien qu à regret, il se voyait obligé de fermer les yeux
sur tout cela.
y. Son amour pour les antiquités égalait celui de nos voyageurs. Il leur
cita plusieurs autres cités en ruine, et une en particulier, située dans la
\)io\\uce de Féro-Paz, aussi vasle qucSanla-Cruz del Quiclié, déserte
82 NOUVELLES ET MELANGES.
et désolée, mais dans un état de conservation presque aussi parfaite qu'à
l'époque où ses lia'oitans l'avaient abandonnée. La première cure qu'il
avait occupée était dans le voisinage, et il avait eu pendant longtems
l'habitude de parcourir tous les jours les rues silencieuses de la cité
ruinée.
)) Mais le padre nous apprit quelque chose de bien plus extraordinaire
encore que tout cela, ajoute M. Stephens, il nous dit qu'à quatre jours
de marche sur le chemin de Mexico, de l'autre côté de la grande Sierra^
était encore à cette heure une cité vivante, grande et populeuse, habi-
tée par des Indiens qui étaient dans le même état précisément qu'avant
la découverte de TAmérique. Il en avait entendu parler bien des
années auparavant dans le village de Chajul dont les habitans lui avaient
maintes fois affirmé qu'on pouvait apercevoir très-distinctement cette
ville du haut de l'arête supérieure de la Sierra. Il était jeune alors, et
il gravit à grand'peine la montagne. Arrivé au sommet, c'est-à-dire à
une hauteur de dix à douze mille pieds, il aperçut à ses pieds une plaine
immense s étendant jusqu'à Yucatan et au golfe du Mexique, et bien
loin, presqu'à la limite de l'horizon, il vit une vaste cité qui couvrait
une grande étendue de terrain et dont les tours blanches brillaient au
soleil. A en croire les Indiens de Chajul, aucun blanc n'a jamais pénétré
dans celte ville, dont les habitans parlent encore la langue Maya^ n'i-
gnorent pas qu'une race d'étrangers à conquis tous les pays circonvoi-
sins, et massacrent sans pitié tous les Européens qui tentent de franchir
les limites de leur territoire. Ils n'ont aucune monnaie ni aucune va-
leur en circulation; ils n'entretiennent ni chevaux, ni bestiaux, ni mu-
lets ni autres animaux domestiques, si l'on en excepte la volaille, et
encore ont-ils soin d'enfermer les coqs sous terre pour que leur chant
ne puisse pas être entendu.
>; Le vieux curé, avec son long habit noir,presque aussi flottant qu'une
soutane, avec ses discours- pleins d'enthousiasme et son œil ardent, nous
rappelait, au milieu du silence profond de son cloître, à peine éclairé
par une pâle lumière, ces prêtres qui accompagnaient les armées espa-
gnoles, et jamais je n'avais ressenti une émotion égale à celle que j'é-
prouvai en le voyant dessiner un plan sur la table, et nous désigner du
doigt la Sierra, du haut de laquelle il avait contemplé ce merveilleux
spectacle. Un coup d'œil jeté sur cette cité valait des aimées d'une vie
NOUVELLES ET MÉLANGES. 83
ordinaire. S'il a dit vrai, il est un lieu où l'on peut encore retrouver les
mœurs et le peuple que Cortez et Alvaro découvrirent en mettant le pied
sur le continent américain, un lieu où s'élève encore une ville dont les
habitans sont à même de déchirer le voile mystérieux qui couvre les ci-
tés en ruine..., qui sait même, de déchiffrer les inscriptions qui couvrent
les monumens de Copan.
» Quant à moi, je crois à l'authenticité des récits du padre; je suis con-
vaincu que la contrée désignée par lui ne reconnaît pas le gouverne-
ment du Guatimaia, qu'elle n'a jamais été explorée, et qu'aucun blanc
ne tenta jamais d'en franchir les limites.
« D'autres auteurs nous confirmèrent dans celte conviction, et tout le
village de Chajul s'accorda à nous affirmer que Ton voyait en eflPet une
ville indienne du haut de la Sierra....; mais aucun homme, quelque
disposé qu'il fût à risquer sa vie, ne pourrait tenter d'y pénétrer avec
la moindre chance de succès, sans consacrer préalablement deux ans au
moins à errer aux alentours du pays, à étudier la langue et le caractère
des Indiens du voisinage, et à lier connaissance avec quelques-uns des
naturels... Cinq cents hommes suffiraient évidemment pour conquérir ce
territoire, et cette invasion serait certes mieux motivée que toutes celles
des Espagnols, mais le gouvernement est trop occupé de ses dissensions
intestines, et d'ailleurs ce ne serait qu'au prix du sang que la science
historique ferait un progrès. Quant aux dangers, ou les a probablement
grandement exagérés. Quoi qu'il en soit, si l'on fait jamais là aucune
découverte, c'est aux prêtres qu'on la devra. »
( Traduit de l'anglais.)
6ibU0grapl}U.
COMMENTAIRE GÉOGRAPHIQUE sur l'Exode et les Nombres,
par Léon de Laborde, auteur des Voyages de VArcf-bie Pe'irée, de la
Syrie et de V A sie Mineure \ i vol., in-fol. avec i3 cartes. Prix 20 fr.
Paris et Leipzig, Jules Renouard et comp., 1841.
Nous ne ferons qu'annoncer cet ouvrage, sur lequel il y aura dans le
prochain cahier, un article de M. Quatremère. Mais, pour en faire sen-
tir toute rimportance, nous allons donner : 1° la liste des cartes qui y
sont insérées ; a» V approbation dont l'a revêtu Mgr l'archevêque de Paris.
B4 BIBLIOGRAPHIE.
i" Liste des caries, — (lartc de la paitie de l'Arabie Pélrée quicom-
jjiend les positions d'Elatli, Aziongaber, Cadcs et du mont lier. —
a" Carte de l'Arabie Pétréc, comprenant une partie de la Palestine et de
rÉgyple, depuis Jérusalem jusqu'au Caire, dessinée d'après nature en
1484, par Ehrard Rewick. — 3° Réduction à la même éclielic des cartes
de l'Arabie Pétréc levées par Pococke en 1700, Niebubr en 1763, Burck-
liardten 1816, et Ehrenberg en 1824.-4° Réduction à la même échelle
des cartes de l'Arabie Pélrée levées ou dressées par d'AnvJlle en 1764,
la commission d'Egypte en 180?, Riippel en 1826, et Lapic en 1828. —
5 " Carte de l'Arabie Pétrée, d'une partie de l'Egypte et de la Palestine,
avec l'indication du voyage des Israélites, peinte par Richard Haldin-
gham. — 6* Voyage des Israélites dans le désert, pour servir à l'intelli-
gence du commentaire géographique sur la Bible. — 7° Relevé topo-
grnphique de Ouadi Zackal et de la cote près de Dahab, pour indiquer
la position de Madian. • — 8° Carte de la péninsule du Sinaï, pour servir
à l'intelligence de Va route, des stations et du séjour des Israélites dans
le désert 9° Carte itinéraire pour servira l'intelligence de la sortie d'E-
gypte et du passage de la Mer Rouge.— 10" Carte du golfe de Suez, réu-
nissant les diÛérentes opinions qui ont été émises sur le passage de la
Mer Rouge. — 11" Relevé topographique de Ouady Feyran et de ses
afiluents, pour servir à l intelligence de l'itinéraire des Israélites. —
12° Plan topographiqiie du massif de rochers du milieu desquels s'élè-
vent le Sinaï, Iloreb et le mont Sainte-Catherine. — iS'» Carte du
golfe de TAkabah, pour l intelligence des positions d' Aziongaber et
d'Elath.
a° approbation de DJ^r larchevcquc de Paris. — « Nous, Deuis-
» Auguste Affrc, archevêque de Paris, avons approuvé et approuvons,
V par c s présentes, un livre ayant pour litre : Conmieiitairc î^e'ogra-
)) phique sur C Exode et les Nombres^ par M. Léon de Laborde. — Cet
» ouvrage, que distinguent une connaissance parfaite et une descrip-
^) tion exacte des lieux indiqués dans l'Exode et les Nombres, n'est pas
); moins recomniandable par rattachement à la foi chrétienne, dont le
M savant commentateur fait une profession non équivoque.
)) DENTS,
>. Archevêque de Paris. y>
ANNALES
DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE,
■i»-»0^{M>»«i
dfKDiimevo 02 c^Vdouu 18^2.
^rdjcolcjic dibliquf.
COMMENTAIRE GEOGRAPHIQUE
SUR LEXODE ET LES NOMBRES,
Pau m LÉ0.\ DE LABORDE.
^^^tmxa (irficfe.
Avantages à retirer de la lecture de la Bible. — Difficultés de celte lec
turc. — Secours apportes par les voyages en Paicstioe.*— Suite de
ces voyages. — Projet de M. l'abbé Ladvocat. — Examen du travail
de M.Léon de Laborde. — Quelques rectifications. — Quelques ré-
flexions sur les miracles.
La Bible, sans parler même de riuspiration divine qui présida
à sa composition, est, à coupeur, le plus excellent comme Je plus
ancien dès livres ; c'est là, et là seulement, que l'on trouve les
véritables traditions sur l'origine du monde, l'histoire primitive
des hommes, le déluge universel ; c'est là que sont consignés les
vrais principes de la morale naturelle , les dogmes authentique»
' Paris et Leipzig, i vol. in-folio.
IIl« SLRIE, TOME VI. — ^''' 32. 1842. 6
86 COMMENTAIRE GEOGRAPHIQUE
sur lesquels se fonde la religion des Juifs et celle des Chrétiens;
c'est là que s'offrent, en abondance, les plus parfaits modèles de
l'éloquence, d'une poésie simple, louchante, pathétique, sublime.
On ne doit donc pas être surpris que, dans tous les tems , de-
puis la naissance du Christianisme , les hommes les plus distin-
gués aient fait de ce livre l'objet constant de leurs études, de
leurs méditations. A des époques rapprochées de la nôtre, dans
le 17^ siècle, et dans une partie du 18% des hommes de génie,
les Descartes, les Mallebranche , les Pascal, les Arnauld , les Bos-
suet lesFénelon, les Leibnitz, les Newton, s'inclinaient avec
respect devant le co.le sacré de notre Religion , en révéraient
toutes les paroles comme des oracles émanés de la vérité même,
et s'applaudissaient du fond du cœur quand leurs doctes veilles,
leurs patientes investigations avaient pu contribuera percer quel-
ques-unes des obscurités qui environnent encore le texte de ce
livre. D'un autre côté, des hommes érudits, mettant à contribu-
tion toutes les ressources que peuvent offrir l'antiquité profane
et l'antiquité ecclésiastique, rédigeaient, sur chacun des ouvrages
dont se compose la Bible, des commentaires souvent trop volu-
mineux, mais toujours savans, et dont la réunion suffirait pour
remplir une grande bibliothèque Aujourd'hui, tout est bien
changé. Dans un pays voisin du nôtre, en Allemagne, la Bible est
encore l'objet des recherches profondes d'hommes distingués par
leur savoir. Chaque jour voit éclore de nouveaux ouvrages , où
l'archéologie biblique et l'exégèse sont traitées avec autant de saga-
cité que d'érudition. Mais, pour la plupart, ces livres sont rédi-
gés dans un esprit hostile contre l'ancien et le nouveau Testa-
ment. Les hommes les plus habiles semblent n'avoir qu'un but,
celui de ravaler ces livres vénérables, de leur ôier tout crédit, et
de les présenter comme un tissu de fables. En France, où de pa-
reilles attaques n'ont pas lieu ouvertement, on montre pour les
livres de la Bible une indifférence presque générale. Parmi les
personnes mêmes qui ont conservé dt s principes religieux , il
en est très peu qui lisent lancien et le nouveau Testament, je
ne dis pas dans les langues originales, m as même dans des tra-
ductions. En général , on se contente d'abrégés, plus ou moins
SUR l'exode £t les tvomres. 87
bien écrils, plus ou moins fidèles, mais qui n'offrent qu'un pâle
reflet de ces beautés si nombreuses et de tout genre, dont les livres
saints otfrent partout le modèle. Parmi les gens du monde, parmi
les savans, les érudits,bien peu prennent la peine de lire la Bible*
on la consulte quand on croit avoir besoin de s'appuyer sur son
témoignage , mais on ne l'embrasse pas dans son ensemble, on ne
se pénètre pas de son esprit, on n'en connaît que la surface. De
cette négligence résultent, tant pour la religion que pour la scien-
ce, de nombreux inconvéniens qu'il serait trop long d'énumérer :
je me contenterai d'en signaler un seul. Tout le monde de nos
jours s'engoue du moyen âge, et cette étude, si négligée il v a
quelque tems, est aujourd'hui presque la seule vers laquelle se di-
rigent les soins, les investigations d'une jeunesse ardente et stu-
dieuse. Je n'examinerai point si ce zèle n'est pas porté un peu
trop loin, si le moyen âge, en comparant ce qui se passe aujour-
d'hui avec ce qui avait lieu il y a quelques années, ne pourrait
pas nous dire :
Et je n'ai mérité
JNi cet excès d'honneur ni cette indignité ;
mais je ferai observer que les écrivains de celte époque ne sont
pas toujours bien compris par ceux de notre tems; au moyen
âge, les livres saints étaient continuellement, et presque exclusi-
vement, l'objet vers lequel se portaient les études. Les hommes
instruits, élevés, pour la plupart, dans des cloîtres, lisaient jour
et nuit ces monumens respectables , s'en pénétraient, les savaient
par cœur ; aussi, à chaque moment, dans tout ce qu'ils écrivaient
on voyait naître sous L-ur plume des allusions plus ou moins
claires à quelques passages de la Bible , à quelque fait historique
consigné dans ce livre, à quelque parole mémorable prononcée
par la Louche de 3Ioïse , des prijphètes ou {:e Jésus-Christ. Hé
bien ! si l'on n'est pas parfaitement familiarisé avec les livres de
l'ancien et du nouveau Testament, ces allusions échappent, et Ton
manque complètement la pensie de l'auteur. Je pourrais produire
des exemples nombreux à l'appui de mon assertion : je mécon-
tenterai de citer deux petits faits, d'une date toute récente.
88 COMMRrsTAIHE GEOGRAPHIQUE
Un fiieinbre de l'Acadéinie des inscripiions et belles-lettres ,
dans un Mémoire lu au sein de cette compagnie, citait un passage
de Pvaoul de Presle, où cet homme célèbre , rendant compte de
«on voyage dans l'Orient, s'exprimait ainsi : Deinde venimus ad
clins ^g/pti. L'estimable académicien supposa que, par le mot
ollœ .Egj-pU, il fallait entendre les caisses des momies ; je lui fis
observer que c'était une allusion à ce passage de Y Exode ^ où les
Hébreux, déjà fatigués du séjour du désert, murmurent contre
Moïse, et lui reprochent de les avoir tirés de TÉgypte , où ils
étaient assis près des marmites phines de viande.
L'année dernière, un de mes confrères me présenta une pierre
trouvée à Saint-Denis, dans la cour de la maison royale des Da-
mes de la légion d'honneur, et qui offrait une inscription extrê-
mement fruste. L'homme très instruit qui me communiquait ce
monument m'avoua franchement qu'il n'y comprenait rien. En
jetant les yeux sur la pierre, je remarquai à la seconde ligne deux
ou trois mots à moitié brisés, qui devaient former une partie de
cette phrase, tirée du. psaume ^AS'.Quia non jusiificabitur in
conspectu tuo omnis invcns. Comme cette conjecture était in-
dubitable, elle m'apprit combien de mots et de lettres dévoient
manquer à la fin de chaque ligne ; je restituai ainsi la 3^ et la 4«^ :
Quia non venisti ad perditionem hominum^ sed ad redemptionem
multorum. Enfin , je rétablis tout de suite l'inscription entière, et
je me convainquis que la pierre avait dû être encastrée dans le
mur d'une chapelle des morts dans l'abbaye royale de Saint-Denis.
J'ai dit plus haut que l'explication de la Bible a produit un
nombre infini de volumes , et cependant il s'en faut bien que
tout ait été dit sur ce sujet, et la chose se comprend d'elle-même.
Quand on pense à la prodigieuse antiquité de ce livre, àl'exiguité
de ce volume, dans lequel se trouvent mentionnées tant de choses
de nature si diverse , que l'on se représente tant d'allusions à des
choses , à des usages , à des idées populaires, dont le souvenir a
disparu pour jamais, on ne doit pas être surpris que plusieurs pas-
sages de la Bible présentent pour nous une obscurité presque in-
surmontable ; il faut plutôt s'étonner que nous connaissions en-
core si bien ce livre , et que nous ayons pu pénétrer tout ce qui
SUR i/kxode et les nombres. 89
importe essentiellement à la religion , à TLlstoire , aux institu-
tions du peuple juif. Parmi les secours qui peuvent nous guider
pour arriver à l'intelligence parfaite delà Bible, il en est un qui
doit ollrir des résultats certains, et dont, jusqu'à présent, on n'a
fait qu'un usage bien incomplet. Ce moyen consiste à aller dans
la Palestine et les pays voisins reconnaître les terrains qui ont e'tc
le théâtre des faits mentionnés dans l'ancien et le nouveau Testa-
ment, explorer les ruines des villes et des bourgs, constater l'exis-
tence de ces noms qui, dans l'Orient, se conservent à travers les
âges avec une stabilité vraiment admirable; voir croître sous ses
yeux les plantes, rechercher les animaux, les minéraux dont parle
la Bible ; retrouver parmi le peuple de ces contrées les idées, les
préjugés qui existaient chez les Israélites; ces locutions vulgaires
qui, tenant à des idées locales, se maintiennent chez des peuples
placés dans les mêmes conditions, et s'y perpétuent quoique ex-
primées dans un langage différent; vérifier ces institutions qui,
nées de la nature même du climat;, se conservent sans altération
chez des peuples aussi stationnaires que ceux de l'Orient , et sur-
tout chez les tribus arabes du Désert. Plusieurs voyageurs ont, à
diverses époques , en parcourant l'Orient, recueilli un certain
nombre de faits qui pouvaient répandre quelque jour sur plu-
sieurs passages de la Bible. On peut citer, entre autres, le célèbre
voyageur Chardin, qui, dans un ouvrage encore inédit et conservé
dans une bibliothèque d'Angleterre, s'occupa d'appliquer à Tin-
terprétation de la Bible les nombreux et importans renseignemens
que lui avaient fournis ses longues courses dans la Perse et les
contrées voisines. Par malheur, les pays qu'avait visités le savan t
voyageur n'étaient pas ceux qui devaient offrir les secours les
plus directs pour l'intelligence du livre : ce n'était pas dan? la
Perse, c'était dans la Palestine, dans la Syrie, dans l'Arabie, dans
l'Egypte, qu'il fallait surtout chercher les matériaux d'un com-
mentaire sur l'ancien et le nouveau Testament.
Il semblerait, au premier abord, que sur cette matière nous n\'.-
vons rien à désirer, car on compte par centaines les voyageurs
qui depuis l'origine du christianisme ont visité la Terre-Sainte.
Mais, en général, ces pèlerins, guidés plutôt par des motifs de dé-
l'O {(> \i.M!-;\'i Aii;i: (;k()Gh MMiioi r.
votiou que par l'aiiioiu dr la scicne , se sont presque exclusive-
ment occupés de faire partager aux lecteurs les senlimens qu'a-
vait fait naître dans leur âme la vue des lit ux qui furent le ber-
ceau de notre religion. Suivant pret^que tous la même route, ils
ont répété uniformément les mêmes détails, sans paraître se dou-
ter que des investigations consciencieuses et savantes, faites sur
les lieux , en contribuant à cclaircir la Bible, à la faire mieux
comprendre, devaient contribuer puissamment à augmenter le
respect qu*mspire cet auguste livre. Aussi cette masse de voyages,
qui se succèdent presque sans interruption depuis plusieurs siècles,
n'offrent le plus souvent au travail de l'érudit qu'une répétition
des mêmes objets déjà traités cent fois et à peu près dans les mê-
mes termes.
Au milieu de ces nombreuses relations, il est des ouvrages qui
font exception et qui méritent une mention particulière, tels sont
la Relation de Ricli. Pococke, les Mémoires du cLevalier d'Ar-
vieux, r///5ro/r^ naturelle d'Alep de Russell, les Voyages de Nie-
buhr, de Buickbaidt, etc. Cesliabiles voyageurs ont, dans leurs
intéressantes relations, recueilli de nombreuses observations qui
peuvent servira commenter et à éclaircir le textede laBible.Et des
savans, tels que Harmer,Burcler^ OEdmann^ Rosemnùller et autres,
en coordonnant ces matériaux précieux et les réunissant à ceux
qui sont épars dans quantité d'autres relations, ont su répandre
du jour sur bien des passages, dont le sens jusqu'alors était de-
meuré obscur. Dans ces derniers tems, deux voyageurs améri-
cains, MM. Robinson et Smithy ont parcouru la Palestine, TAra-
bie-Pétrée, avec l'intention d'éclaircir la géographie de la Bible.
Et leurs patientes investigations leur ont procuré la découverte
des noms et des ruines de bien des lieux mentionnés dans les livres
de l'ancien et du nouveau Testament. Mais ces estimables voya-
geurs, n'ayant pu pénétrer partout, ayant été contraints de res-
treindre leurs lechercbes à une partie de la contrée, il est < ncore
une vaste étendue de terrain, tant en deçà qu'au delà du Jour-
dain, qui attend les explorations de voyageurs instruits, patiens
et zélés pour l'éclaircissement des livres saints. D'ailleurs il est
quantité de points, surtout pour ce qui concerne les productions
SUR LEXOUK ET LES WOMBRKS. 91
delà terre, les phénomènes naturels qui ne peuvent être suffisam-
ment éclairris par des voyageurs même parfaitement instruits, et
ces recherches réclameni impérieusement des hommes doués de
talents divers, et qui puissent séjourner plusieurs années dans les
lieux qu'ils se proposeront d'exploiter sous toutes les faces.
Ce besoin avait été senti dans le 18*^ siècle par un prince fran-
çais, le duc d'Orléans, fils du régent, et qui, ayant renoncé com-
plètement au monde, s'était retiré dans la maison de Sainte-Gre-'
neviève, où il partageait son tems entre la i^ratique des vertus
chrétiennes les plus austères et l'étude dt s livres saints. Après
avoir fondé en Sorbonne une chaire de langue hébraïque, il eut
un moment le projet d'envoyer à ses frais dans la Palestine des
hommes chargés spécialement d'explorer ce pays et d'en obser-
ver les productions. Voici ce ..ue raconte à ce sujet Tabbé Lad-
vocat ^ : « J'avais proposé à feu M. le duc d'Orléans de m'en-
» voyer dans ces pays avec feu M. Gault et un autre médecin,
» deux géographes, deux astronomes, deux dessinateurs, deux
» personnes qui sussent parler le turc et l'arabe, et deux bons
» chasseurs, pour nous tuer les oiseaux et les animaux à dessiner.
» Je demandais un an pour choisir ces personnes, pour faire avec
«elles le plan de ce voyage, etpour examiner quel serait l'objet de
» notre travail et de nos recherches. Nous devions lever géomé-
» triquement les cartes de ces paj's sur les lieux, prendre connais-
» sance des lacs, des rivière-, des torrens, des fontaines, des puits,
» des arbres, arbrisseaux et plantes de toutes espèces, des ani-
» maux, des oiseaux, des reptiles, des insectes même, des forêts,
» des montagnes, des mines, des vallées, du sol de la terre en
» chaque endroit, de la qualité des pierres, de la situation pré-
» sente et des noms actuels des villes, des villages, des châteaux,
» des hameaux, des chemins, des ruines, des inscriptions et autres
» monumens, en un mot, de tout ce qui peut intéresser les cu-
» rieux ou éclaircir l'Ecriture sainte. L'exécution était digne de
' Lettre zn P. Houbigant, à la suite de son Interprétation hisforiqut
et critique du psaume i.xviii, p. 3i?>, 3i4.
92 COMMENTAIRE GEOGRAPHIQUE
» ce vertueux prince. Il l'approuva d*abord, et j'avais dôjà trouvé
» la plus grande partie de mes compagnons de voyage. Mais,
» connne nous expliqtiions ensemble, je veux dire M. le duc d'Or-
oléaîis et moi, le lexte sacré, toutes les semaines, deux ou trois
>» fois, quelquefois les saints Pères, et d'autres fois Homère, Pla-
» ton, ou quelque autre auteur profane, il se plaisait tellement à
y ces explications, qu'il me dit ensuite qu'd ne pouvait se détermi-
») ner à me laisser partir pour un si long voyage, qui ne pourrait
w durer moins de trois ou quatre ans, que d'ailleurs ilneme trou-
» vait pas la santé assez forte pour l'entreprendre prudemment,
u Voilà comme ce projet, qui faisait concevoir de grandes espé-
» rances pour l éclaircissement du texte sacré, a manqué. »
Il serait à désirer qu'un pareil dessein fût repris de nos jours
et réalisé dans toute son étendue. Certes une petite colonie, com-
posée d'hommes versés dans les différentes branches des sciences
et de la littérature, et dont quelques-uns parleraient facilement
les langues arabe ou turijue, pourraient, en s'établissant dans la
Palestine, l'Arabie, la Syrie, et y séjournant plusieurs années, re-
cueillir une masse de renseignemens bien précieuse et bien supé-
rieure à tout ce que Ton peut trouver dans les écrits des voya-
geurs isolés, fort estimables sans doute, mais qui ont souvent
parouru la contrée avec trop de rapidité pour avoir pu y faire
ces observations profondes et solides qui ne peuvent être le
Iruit que d'une résidence prolongée. En attendant qu'un projet
si éminemment utile puisse se réaliser, nous ne pouvons qu'ap-
plaudir aux efforts et au courage d'un jeune savant, qui, vi-
vant au sein de Paris, au milieu de tous les agrémens que pro-
cure la richesse, de l'attrait que présente une société choisie et
brillante, s'est arrache à tant de séductions pour aller s'enfoncer
dans les déserts de l'Arabie, braver la faim, la soif, la chaleur,
les dangers de tout genre, les attaques des peuples sauvages, des
aniniaux carjiassiers, dans l'intention d'explorer les lieux qui ont
été le théâtre des événemcnsque rapporte la Bible, et d'éclaircir
ainsi les récits de cet admirabki livre. Car M. Ijéon de Laborde
n'est pas de ces hommes qui étudient les livres saints dans l'espé-
rance d'y trouver des faits impossibles à comprendre, des nar-
SUR L EXODE ET LES NOMBRFS.
93
rations évidemment fabuleuses, et d'infirmer ainsi 1 autorité que
doivent obtenir ces antiques monumens de notre religion. Il re-
pousse au contraire avec force les idées, les assertions des ratio-
nalistes modernes. Le travail de M. de Laborde, ainsi que le titre
Tindique, a pour objet principal \a. géographie. Ce qui n'a pasem-
pèclié l'auteur de faire à chaque pas de nombreuses excursions
sur le domaine de l'histoire naturelle, de l'histoire littéraire, de
la philologie, de l'histoire, de la chronologie et d'autres sciences.
Un bon esprit, une conviction sincère l'ont guidé dans ses labo-
rieuses explorations. Et l'on sent partout combien il s'estime
heureux de pouvoir assurer que, dans le cours de ses voyages, il
n'a rien trouvé qui n'ait confirmé l'exactitude de la narration de
Moïse, qui n'ait démontré que cet admirable législateur est en
même tems le plus véridique, le plus exact des historiens. Dans
une introduction remplie d'une érudition variée, M. de Laborde
montre la Bible attaquée dans tous les tems par de nombreux
ennemis et sortant toujours victorieuse de ces agressions. Il dé-
montre ((ue les découvertes de la science et celles de l'érudition
moderne, l'étude des monumens de l'Orient, loin de nuire à l'au-
thenlicitc des i écits de la Bible, semblent au contraire la faire
briller d'un nouvel éclat, et démontrer, de la manière la plus for-
melle, la vérité de faits qui par leur nature semblaient offrir quel-
que chose d'équivoque, et prêter ainsi le flanc aux critiques d'é-
crivains superficiels.
M. de Laborde passe en revue une partie des écrivains qui,
depuis Eusèbe et S. Jérôme jusqu'à nos jours, ont, ou par leurs
voyages ou par leurs travaux d'érudition, contribué à éclaircir la
géographie de la Bible, et, en particulier, celle du Penlateuque.
Cette liste, comme on peut croire, est loin d'être complète. Mais
l'auteur nous apprend cju'il se propose de publier une Bibliogra-
phie des pèlerinages, croisades et Toyages en Terre-Sainte. Un ou-
vrage de ce genre, exécuté avec le soin que réclame une matière
aussi importante, ne peut m:;nqucr d'offrir des résultats d'un haut
intérêt, tant pour la religion que pour l'histoire et la critique. Je
me permettrai toutefois de faire observer que M. de Labo; de s'est
trompé, lorsqu'il fait vivre Adrichomius en 1276. Cet historien.
94 COMMKNTAIRK GÉOGRAPUIQUE
auquel nous devons l'ouvrage intitulé : Theatrum Terrœ sanctce,
écrivit dans le 16" siècle.
M. de Laborde passe en revue les voyages entrepris par les Juifs
dans le moyen-âge et depuis cette époque ; il fait connaître d'une
manière succincte les secours que les livres composés par des Juifs
ont offerts pour l'intelligence de la géographie biblique. Qu'il
me soit permis de présenter sur ce sujet un petit nombre d'ob-
servations critiques. M. de Laborde distingue la Mischnah des
deux Talmuds. Cette assertion n'est pas parfaitement exacte. Le
Talmud se compose de deux parties. La première qui est la plus
ancienne est dés gnée par le mot cbaldaïen Mischnah, on ^ ru
pluriel, michnaioth, c'est-à-dire instruclion ; la seconde est appelée
Ghémare^ c'est-à-dire perfection^ et offre, comme son nom l'indi-
que, le complément, le supplément de la Mischnah. VneGhémare
est écrite d i:js le dialecte que l'on parlait à Jérusalem et dans la
Palestine. L'autre, dans le langage qui était eu usage à Babylone,
ou plutôt dans la Babylonie •, de là viennent les dénominations :
Talmud de Jérusalem, Talmud de Babjlone, qui désignent, l'une
ou l'autre, la Ghémare réunie avec la Mischnah. Aussi la Mischnah^
constituant le texte primitif du Talmud, peut être donnée seule.
Mais la Ghémare., soit celle de Jérusalem , soit celle de Babylone,
ne saurait eue isolée, et ne consiilue pas par elle-même un Tal-
mud. Il ne faut pas dire le Midraschim^ mais les Midrasch, et il
faut écrire les Targum, et non le Targum. Je ferai observer égale-
ment que l'on doit écrire Zanolini., et non Hanoli; que le nom de
l'éditeur de JosèplieestHavercamp ; que le Pliilon de Mangey n'a
pas été publié de format in-S^j mais i7i-f° ; qu'il en existe seule-
ment une réimpression incomplète sans notes, sans commentaires,
publiée àErlang, par Pfeiffer, en 5 vol. in 8.
M. de Laborde trace un tableau rapide et anitr^é de tout ce que
les pèlerins, les ermites et plus tard les croisés, les marchands, les
guerriers chrétiens, les voyageurs, ont fait, soit ex-professo, soit
par occasion, pour l'éclaircissement de la géographie biblique et
de celle de l'Orient, en général. Il renvoie, comme je l'ai déjà dit,
pour des détails plus circonstanciés, à l'ouvrage important qu'il se
propose de publier sur cette matière intéressante.
SUR L FXODK ET LES ^OMBRES. 95
Il fait observer combien de grands voyages ont été entrepris
dans l'antiquité et dans le moyen-âge sans le secours des cartes
géographiques. Il remarque que les pèlerins, privés d'un guide si
nécessaire, suivirent pendant cinq siècles les mêmes itinéraires,
décrivirent les mêmes lieux ; que les croisés, marchant à l'aven-
ture, obligés de s'en rapporter à. des guides infidèles, semèient de
leurs ossemens par milliers les chemins qui conduisaient à la
Terre-Sainte.
M. de Laborde trace ici une histoire abrégée, rapide et intéres-
sante des cartes de géographie. Il fait voir que les peuples les plus
anciens ne connurent pas ces utiles matériaux ; que les Egyptiens,
les Hébreux, les Phéniciens eux-mêmes, malgré leurs longs et
aventureux voyages, n'ont point eu de cartes proprement dites ;
que l'expédition des dix mille, les conquêtes d'Alexandre, la mar-
che d'Annibalen Italie, furent exécutées sans le secours des car-
tes ; il ait; ste que les anciens eurent à la vérité quelques tableaux
desnnés,soit sur mur, soit d'une autre matûère, qui représentaient
une image de quelques pays, des paysages plus ou moins fidèles,
plus ou moins bieu exécutés ; mais qu'il y a loin de ces images
imparfaites à de véritables cartes. Il fait observer que les systèmes
géographiques des anciens, ayant été coordonnés par eux sans le
secours des caries, à l'aide seulement d'itinéraires, d'ob?ervations
géodésiques, doivent offrir une sorte de chaos et présenter des
difficultés à peu près inextricables. Il s'attache à prouver que la
géographie de Ptolémée est peut-être le seul ouvrage qui ait été
accompagné de cartes, bien imparfaites sans doute, et d'une cons-
truction bien irrégulière. Je ferai observer que dans une des no-
tes qui accompagnent et développent les assertions de notre au-
teur, le nom à'Eusiathe est mal à propos écrit Eustace.
M. de Laborde, après avoir parlé en peu de mots de ces caries
si imparfaites, si grossières, que nous ont transmises les Arabes ,
les Chinois, hs Japonais , les Indiens, passe en revue ces por-
tulans, ces cartes terrestres ou maritimes , dont l'usage s'intro-
duisit en Europe au commencement du 14^ siècle, et qui, dessi-
nées séparément ou ajoutées aux manuscrits de la géographie d<3
Ptolémée, à l'ouvrage de Sanudo et à d'autres recueils, ont été
96 COMMENTAIRE GtOGRAPHIQCJE
reproduites par la gravure, ou sont encore aujourd'lnii conser-
vées dans des collections publiques ou particulières. Nous ne
pouvons par malheur suivre l'auteur dans les détails intéressans
qu'il donne sur cette matière. Revenant, par une transition heu-
reuse et naturelle à ce qui concerne la Terre-Sainte, il nous fait
voir la configuration de ce pays et des contrées voisines, tracées
d'abord sur les cartes d'une manière tout-à-faii imparfaite, s'ame-
liorant peu à peu d'après les observations des pèlerins et des voya-
geurs ; il cite comme un modèle d'exactitude la carte dessinée
par un nommé E. Rewich, qui accompagnait le voyageur Brey-
denbach, et il reproduit par la gravure une partie de cette carte.
M. de Laborde, après avoir retracé en peu de mots les expédi-
tions que les Portugais, au 16^ siècle, entreprirent dans la mer
Rouge, donne en note, d'une manière sommaire, la nomencla-
ture des travaux hydrographiques dont cette mer, depuis un
siècle, a été l'objet. L'auteur continue ensuite à passer en revue
et à caractériser les travaux 'que les géographes et les voyageurs
des derniers siècles ont faits avec plus ou moins de succès pour
améliorer la carte de la Terre Sainte et des contrées voisines.
M. de Laborde, après avoir fait observer que, sous le rapport de
l'art du dessin , les premiers siècles du Christianisme, ainsi que
ceux du moyen âge, n'offrent presque pas de représentation fi-
dèle des lieux de la Palestine, rappelle que le premier ouvrage
où l'on trouve des figures dessinées d'après nature, est le voyage
de Brej denbac/i , cet homme estimable dont il a été fait mention
plus haut, et qui parcourait l'Orient vers 1484. Il cite ensuite
les vues plus nombreuses , publiées par Amico et Zuallart, à la
fin du l6s siècle; les planches nombreuses qui ornent le voyage
de Corneille Lebruyn (et non pas Lebrun, comme on lit dans le
texte). Il fait mention des ruines de Palmyre, publiées par Wood
et Dawkins (et non pas DakinSj comme on lit ici d'après une
orthogiapbe peu exacte). J'ignore pourquoi M. de Laborde
n'a pas compris dans ceUo énumérationlesna'zîei de Balbeh, des-
sinées et communiquées au public à la même époque. Je n'ai pas
besoin de mentionner ici, avec notre auteur, les travaux que
Cassas et tant d'autres voyageurs plus modernes ont entrepris
SUR l'exode et les WOiMBRES. VIT
avec plus ou moins de succès, pour faire connaîlre, par le dessin,
les monuuiens, les sites, les usages de la Terre-Sainte et des pays
qui l'avoisinent. Le nom de iM. de Laborde tiendra désormais
dans la liste des voyageurs instruits et consciencieux un rang
extrêmement distingué.
L'auteur parle ensuite des travaux qui ont été faits pour éclair-
ci r la botanique de la Bible. — Cette partie de la science, quoique
traitée par des hommes érudits et habiles, est encore as^ez im-
parfaite , et attend un travail consciencieux fait sur les lieux ,
avec l'intention expresse d'interpréter le langage de la Bible.
L'auteur nous annonce la publication prochaine d'un traité im-
portant sur les plantes de l'Orient, recueillies par M, le comte
Jaubert. ISl. de Lnborde me permettra sans doute de lui adresser
quelques légères observations. D'abord il écrit : M. Lequien ; il
fallait dire : le P. Lequien. En citant l'excellente Histoire natii^
relie d'Alep, du docteur Russell, il faudrait indiquer de préfé-
rence la 2'' édition publiée en 1794. Pour le traité d'Olaus Cel-
sius, il fallait dire que l'édition originale a été publiée à Lpsal.
La collection d'OEdmanTi^que l'auteur a citée ailleurs, aurait pu
être indiquée ici.
M. de Laborde passe ensuite à l'exposition des travaux qui ont
été faits pour expliquer le voyage des Israélites à leur sortie d'E-
gypte, et le tracé de leur campement dans l'Arabie. Il n'a pas de
peine à prouver que l'on avait jusqu'ici détermine d'une manière
peu exacte le chemin des Israélites ; que ces erreurs provenaient
de deux sources. D'abord, on manquait de bonnes cartes levées
sur les lieux ; en second lieu, comme on connaissait mal la na-
ture du terrain, on avait figuré des montagnes là où il n'en exisle
pas, et l'on avait été contraint de faire passer les Israélites sur des
points où des hauteurs escarpées devaient opposer à leur marche
des obstacles insurmontables.
M. de Laborde cite ensuite une foule d'ouvrages , de disserta-
tions , qui ont eu pour objet le passage de la mer Rouge et les
autres faits de l'histoire primitive du peuple de Dieu. Cette liste,
commeonpeutlecroire, estloin d'être complète. Jeme contenterai
seulement d'indiquer à l'auteur un petit ouvrage intitulé : Essai
physique sur V heure des marée dans la mer Rouge, comparée avec
98 COMMENTAIRE GEOGRAPHIQUE
l'heure du passage des Hébreux (Cologne et Paris, 1755; et que
J. D. Michaélis fit réimprimer à Gœttingue , avec des notes). Je
signalerai aussi le nom d'un écrivain moderne, pour lequel M.
de Laborde a suivi une orthographe peu exacte. Une dissertation
de Palœstinœ fertilitate est indiquée comme ayant pour auteur
H,-E. Warnekes ; il faut lire IFarnekros. Je ferai observer que
le même philologue a publié en langue allemande un traité fort
estimé sur l'archéologie biblique ; et qu'une nouvelle édition de
cet ouvrage, entièrement refondue, a été donnée en 1832 par
M. Hoffmann.
M. de Laborde , après avoir rappelé en peu de mots les sarcas-
mes, aujourd'hui bien oubliés , que Voltaire , Gœthe et autres
écrivains se sont plu à lancer contre la Bible, (.-t, en particulier,
contre Moïse et le Pentateuque, achève de passer en revue les
voyageurs qui ont parcouru TArabie-Pétrée, et dont quelques-
uns , ayant écrit à une époque extrêmement récente , n'ont pas
encore passé sous mes yeux. Je ne puis donc faire autre chose
que souscrire au jugement qu'en porte xM.de Laborde.
Avant de terminer son Introduction, \e savant commentateur
aborde une questiontrès importante sous le rapport delà religion,
et dont la solution est éminemment essentielle à l'objet de ses
recherches, puisque sans elle on comprendrait mal les récits de la
Bible, et en particulier ceux de ÎMoïse. Je veux parler de la ques-
tion des miracles. On sait que les hommes incrédules des difïérens
siècles, que les rationalistes de notre époque refusent obstiné-
ment d'admettre aucun prodige. Suivant eux , les faits auxquels
on aitiibue ce titre ne sont autre chose que des effets naturels ,
mal connus du vulgaire, ou des tours d'adresse, des ruses de
charlatans, ou des mythes, des fables absurdes. M. de Laborde
repousse avec force ces opinions hardies , et reconnaît l'existence
de véritables miracles. Il est , ie ci ois, difficile que les hommes
sensés et impartiaux, qui voudront examiner mûrement ce grave
sujet, ne finissent par se rendre à l'évidence et partager la même
conviction. Sans doute, on doit être extrêmement réservé pour
admettre des choses extraordinaires qui semblent choquer la
vraisemblance ; à coup sûr, bien des faits qui, dans des siècles peu
SUR l'exode et les wombres. 99
t'clairés, semblaient présenter un caractère merveilleux, sont au-
jourd'hui regardés avec raison comme devant leur origine à
des causes physiques , dont le progrès des lumières a fait dé-
couvrir l'existence, qui jadis étaient loin d'être soupçonnés.
Sans doute, une souverains sagesse, ayant établi ces lois admira-
bles d'après lesquelles est gouvernée la nature, n'ira pas, pour des
motifs frivoles, sans aucune utilité réelle, intervertir cet ordre
admirable, et porter une sorte de perturbation dans cet ensem-
ble si parfaitement réglé ; mais d'un autre coté, si une puissance
infinie, par un seul acte de sa volonté, a pu organiser l'univers,
jeter dans l'espace le soleil et les autres astres qui peuplent son
immense étendue, retenir la mer dans son lit, bouleverser par des
secousses convulsives la terre ébranlée jusque dans ses entrailles,
il lui est bien facile, à coup sûr, d'introduire, quand il lui plaît,
des modifications légères dans ces mêmes lois, auxquelles le monde
est soumis, et qui sont l'œuvre de sa volonté iirésisiible. Ainsi
donc, à moins que l'on ne veuille professer un absurde athéisme,
et reconnaître partout l'intervention unique d'une force aveugle,
il faut confesser que Dieu a pu, dans plus d'une circonstance,
pour des motifs bien réels , mais dont l'utilité échappe quelque-
fois à nos regards, opérer quand il l'a voulu des actes surnatu-
rels ; or, si Dieu avait jadis cette puissance, il l'a conservée, et la
conservera jusque dans l'éternité.
Si, dans l'histoire du peuple juif, un fait indiqué comme en-
trant d'une manière essentielle dans l'économie des desseins de
la divinité n'a pu s'accomphr par des moyens naturels, et s'est
cependant réahsé, on doit convenir que c'est l'eifet d'un pou-
voir surnaturel c'est-à-dire un miracle. Sans nous écarter des
événemens dont M. de Laborde a commenté le récit, il est évident
que Dieu, voulant délivrer les Israéhtes de la servitude où ils
gémissaient, et les étabhr dans la possession d'une contrée nou-
velle, il fallait que des faits surnaturels vinssent frapper d'effroi
les Egyptiens et les peuples voisins, paralyser leuis efforts , raf-
fermir la foi chancelante des Hébreux, les prémunir et les fortifier
contrele découragement, le désespoir, les embarras de leur situa-
tion présente, les inquiétudes que leur offrait l'avenir. Or, ce»
100 COM.MK.MAIHE GÉOGRAPHIQUt
effets n'ont pu réellement s'opérer par la seule interveution des
moyens humains,et la main de Dieu a pu seule trancher les di-
cultés nombreuses dont la carrière de 3Ioïse et de son peuple
devait être semée.
Parmi les faits nombreux et extraordinaires que présente cette
histoire, je me contenterai d'en citer un. Les Israélites, formant
une nombreuse population, étaient destinés à vivre durent qua-
rante ans dans les solitudes de rArabie-Pëlrée, c'est-à-dire dans le
plus affreux désert qui existe au monde, où quelques milliers
d'Arabes traînent une existence malheureuse, et, malf^ré leur
extrême frugalité, ont bien de la peine à ne pas mourir de faim.
Le long séjour des Hébreux dans cetle contrée inhospitalière est
un fait complètement démontré. Or, s'ils l'ont liabitée et parcou-
rue durant un si grand nombre d'années, ils ont dû trouver les
moyens de subsister là ou un sol aride n'en oflre d'aucune es-
pèce. .Nous savons par le récit de Moïse, confirmé d'ailleurs par
tous les monumens de Thistoire et de la liuérature hébraïque, que
Dieu envoya journellement à son peuple une mâne qui euftisait
à sa nourriture : or, cetle mâne, qui, par ses caractères, n'avait
<iu\in faible rapport avec la substance sucrée du même nom,
que l'on recueille sur les feuilles des tamarisques de ce déseit,
qui avait une propriété éminemment nutritive, qui se ramassait
sur le sol t!ii déseit, qui ne se montrait pas le samedi, qui cessa
de paraître au moment oii les Israélites mirent le pied sur la
te) re promise, était évidemment envoyée par une providence
surnaturelle, et son existence ne pouvait être attribuée à des
moyens humains. Il y avait donc là un miracle, et un miracle
qui se renouvela journellement, durant une longue période de
quarante années.
La plupart du tems, lorsque Dieu opère des miracles , il
emploie des moyens purement naturels. Le prodige consiste
alors, non pas dans la réalisation du fait, mais, dans ce que
ce fait acquiert une intensité tout-à-fait inusitée, ou bien en
ce que la chose se produit à point, à l'époque indiquée dans les
décrets divins, lorsqu'aucune prévision humaine ne pouvait de-
viner un pareil événement. Ainsi, les mars de Jéricho tombent
SUR LEXODK KT LrS ^OMBRES. 101
devant l'Aiclie d'alliance. Bien probablement cette destruction
fut opérée par un tremblement de terre. Mais cette commotion
arriva à point nommé, ainsi que l'avait annonce' une prédiction
divine. Yoilà donc ce qui constitue le miracle ; car jamais la pré-
vision humaine n'a pu calculer d'avance un pareil phénomène,
et aujourd'hui encore, malgré les immenses progrès qu'ont fait
les sciences physiques, aucun savant ne pourrait, une heure d'a-
vance, prédire l'existence d'un tremblement de terre.
Dans le récit des plaies d'Egypte, nous voyons des faits natu-
rels se produire à la voix de Dieu, avec une violence inaccoutu-
mée, à des époques où d'ordinaire ils n'ont pas lieu; se répandre
simultanément sur une vaste étendue de pays, frapper les Egyp-
tiens, tandis que les Hébreux, placés dans leur voisinage, se
trouvèrent complètement à l'abri du fléau; une maladie cruelle
et instantanée faire périr en une nuit tous les premiers-nés de
l'Egypte, tandis qu'elle respecta complètement les familles des
Israélites. Je demande s'il est possible de voir dans ces événe-
ments, qui paraissent au premier abord le produit de causes
naturelles, autre chose que l'intervention immédiate de la toute-
puissance divine, et, par suite, de véritables miracles?
Que, sous le règne de David, la ville de Jérusalem ait été eu
proie à une maladie cruelle , qui, dans l'espace de trois jours,
moissonna 70,000 hommes, c'est là, sans doute, un de ces tristes
événemens qui peuvent s'expliquer par des causes naturelles.
Mais qu'un prophète ait annoncé cette catastrophe comme un
châtiment infligé par la divinité au roi coupable; que, dans le
moment où Dieu, fléchi par les prières et les larmes du monar-
que, ordonne, suivant l'expression poétique de l'écriture, à l'ange
exterminateur de remettre son épée dans le fourreau, le fléau
ait cessé instantanément, entièrement : voilà ce qui constitue le
prodige !
Plus tard l'armée de Sennachérib, roi d'Assyrie, fut presque
totalement anéantie, dans l'espace d'une seule nuit_, sous les
murs de Jérusalem. Sans doute des soldats, forcés de faire la
guerre dans des contrées brûlantes, se livrant à tous les excès de
l'intempérance, de la débauche, peuvent être facilement déci-
ni« SERIE. TOME VI. — N" 32. 1842. 7
102 COMM. CÉOG. SLR L EXODE ET LES NOMBRES.
mes par des raaladies lyphoïdales ou autres; mais a-t-on ja-
mais lu dans aucune histoire qu^une armée, au milieu même des
plus terribles épidémies, ait dans une seule nuit perdu 185,000
liOmmes?Or, la délivrance de Jérusalem avait été expressément
annoncée par te prophète Isaîe, et la puissance du roi d'Assy-
rie ne pouvait être renversée par des moyens humains, par les
faibles forces du roi Ezéchias , par cette population renfermée
dans les murs de la capitale, et qu'avait glacée d'effroi les dis-
cours ai rogans de Rab acès^ il e&t donc impossible, je crois, de ne
pas voir dans cet événement désastreux l'interyenlion d'une main
divine, un véritable miracle.
Je ne pousserai pas plus loiu ces observations, qui, pour être
exposées comme le sujet le comporte, exigeraient de longs dé-
veloppeinens, des discussions déplus d'un genre.
Dans les articles suivans, j'examinerai avec soin le travail de
M. Léon de Laborde. J'indiquerai les services qu'il a rendus à la
science en général, et en particulier à la géographie ei à l'inter-
prétation de la Bible. Si, sur quelques points, je me permets de
modifier, de combattre même ses seniimens, je le ferai toujours
avec ces égards que l'on doit au véritable talent.
QUATREMÈRE,
De l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres.
GE QUE LOiN ENTEND PAR 3IYTHES. 101
Critique eibliquc.
LES
LIVRES DE L'ANCIEN-TESTAMENT
CONTIENNENT-ILS DES MYTHES?
^ett^iéme arttcfe \
Ce que c'est que les mythes.
Elude des mythologies païennes. — Comment elle a conduit à recher-
cher des mythes dans nos livres saints. — DifFérenssens du mot mythe.
— Origine et caractères du mythe. — - Ce qui le distingue de quel-
ques idées voisines. — Diverses applications du système mythique à
l'histoire profane.
Depuis un certain nombre d'années, les esprits se sont épris
d'un enthousiasme sans exemple jusqu'alors pour l'étude des
mythologies païennes. On a remué dans tous les sens les annales
de l'ancien monde, on a fouillé au fond des vieilles chroniques
qui datent du berceau des premiers hommes, afin de découvrir
le sens des fables qu'elles contiennent, la raison, le mode de leur
formation : puis on a voulu suivre à travers les âges la série de
leurs transformations sans nombre. Les religions de l'Inde, de la
Grèce et de Rome ont d'abord concentré l'attention des savans.
Voir un autrt article sur les mythes, au t. iv, p. ^oSt
'104 CE QUE t/Oi\ ENTE.ND
Heyne', llermann^, Wagner s, Kann », Hug^, Creuzei*', Oll-
fried- Millier', Schelling ^, ISieburli^, etc, les ont soumises à un
examen approfondi. Ils ont pris chaque fait en particulier, ils
l'ont analysé dans toutes ses parties; et, placés toujours au point
de vue du 19^ siècle pour juger l'antiquité, ils ont essayé de se
rendre compte, non pas tant de sa nature intrinsèque que de la
manière dont le récit qui le retrace a pu se former. Cette re-
cherche une fois terminée, ils ont prétendu être en état de pro-
noncer avec certitude s'il présente une image fidèle de l'événe-
ment, ou si la tradition, avant qu'il ait été fixé par écrit, l'a
compliqué de ces circonstances étrangères et merveilleuses qu'elle
affectionne ; ils ont cru pouvoir faire la part de la réalité et de
l'idéal, reconnaître si le récit qu'ils envisagent est une histoire ou
un myLhe. Dans le premier cas, ils l'admettent dans son entier;
dans le second, ils en retiennent une partie et rejettent l'autre.
Loin de nous la pensée de blâmer entièrement la nature de ces
travaux, de repousser tous les résultats auxquels ils ont conduit.
Nous savons fort bien que la mythologie a fait des pas immenses,
' Temporum mythicorum memoria à corrupUlis nonnullis vindi-
cata, Comment., Gotting, t. vin.
» Hermann s Uandbuch der Mythologie.
^ Ideën zu einer allgemeine Mythologie der alten /f^e/^, Frankf.
am Mein, 1808,
* Erste Urkunden der geschichte, oder allgemeine Mythologie,
Baireuth, 1808.
' Untersuchungen liber den Mythos der berûhmteren rôlker der
alten JVell, vozûglich der Giiechen, dessenEntstehen, Verdnderungen
und Inhalt. Freybourg und Konstanz, 1812.
^ Symbolik und Mythologie der alten vôlkery besonders der Grie-
chen. Leipzig und Darmstadt.
■^ Prolegornena zu einer wissenschaftUchen Mythologie. 1825.
° Schelling, ûber Mythen^ historiche sagen und philosophemc der
îie^icn welt Pauluâ, etc.
• ^omische geschichte.
PAR MYTHES. 4 05
que les leclieiches des savans lui ont assuré une place Lmpoi tante
dans la science ; mais ce qui nous paraît absurde, c'est cette ma-
nie du mythe qui travaille les intelligences au-delà du Rliin, qui
les porte à mutiler tous les récits, à en tordre le sens , afin de les
encadrer dans un système préconçu ; car sur le terrain du mythe le
pas est glissant : une fois lancé, il est difficile de s'arrêter. On
marcha d'abord, il est vrai, avec une certaine réserve, on se garda
bien d'aller se heurter contre les livres sacrés des Hébreux et des
Chrétiens ; puis on s'enhardit peu à peu , on sentit s'affaiblir gra-
duellement le respect qu'ils inspiraient; on se prit à les mettre
en parallèle avec les annales profanes; on les livra au contrôle de
la science, et, qviand ils furent ainsi étendus sur ce lit de Pro-
custe,on leur arracha la même conclusion qu'à ces dernières. Ga-
bier ', Schelling 2, Bauer ', Yater S De Wette \ ttc, s'efforcèrent
de montrer que les livres de l'ancien Testament ont aussi leurs
mythes, leurs récits, dont il ne faut voir que le fait ou l'idée qui
leur sert de base, et rejeter la forme, les accessoires, œuvre d'une
tradition postérieure fort peu digne de créance. Restait l'histoire
évangélique. Strauss s'en empara, et l'on sait comment, devant
ce démolisseur infaligable, sont tombés un à un , réduits à la va-
leur de simples myilies , des faits qui, depuis dix-huit siècles,
n'ont pas cessé de présenter à tous les esprits un caractère pal-
pable de vérité.
Avant d'examiner ce système dans tous ses détails , nous
croyons devoir exposer les opinions de ses partisans sur l'origine
et les caractères du mythe, montrer ce qui le distingue de quel-
ques autres idées voisines^ et enfin indiquer quelques-uns des
résultats auxquels a conduit son application à l'histoire profane.
' Gabier, Einleinlimg zu Eichorns Urgeschichte^ tome ir, p. ^8? et
suivantes.
'* Schelling, iibi sup.
' Baucr, Hebraische Mythologie, t. i, p. 22.
^ Vater, Commeniar ûbei- den Pentaieuch, t. ni, p. 600, etc.
* De Wette, Kritik der Mosaischen geschitche, p. 11, etc.
106 CR QUK l/oiN IM'I M)
Le mot grec aôOoç, dont nous avons l'ail notre mot mythe i dé-
rive du primitif jU.uo>, qui correspond aux verbes latins musso^ mus-
tito. Les classiques lui oui donné plusieurs acceptions assez diffé-
rentes.
Ainsi, dans Homère et les écrivains de son école', les verbes
|Au6£Î(76ai , |i.u6oXoY£tv, signifient proprement parler, raconter^ et
fxuôo;, alors synonyme de Xoyoç, a le sens de discours^ récity pa-
role*^ sans qu'on y attache aucune idée de vérité ou de men-
songe '.
Plus tard, dit Eustathius , on réserva X(^y°^ pour l'expression
de la réalité ^ et [xuOoç employé avec une épiihète*, ou sans épi-
thète', désigna une fiction , un récit fabuleux^, J.-L. Hug n'ad-
met pas entièrement cette opinion. Il prétend que ceux qui,
avant Hérodote, consignaient dans leurs ouvrages les légendes
relatives aux dieux et aux héros, étaient appelés Xoyottoioi , et
• Iliade^ xrii, 200. TIoo tI Sv u.uôraaTo h\>^A'i, Il parla selon son sentiment.
De même Théocrite, Idylle^ 11, v. i54> Taùra aoi à ^eîva auOraaTo • eari
J' âXaÔTÎî. Voir Idylle, x, 58. — Euripide, Phœniss^ v. 434, 455, oov l's-j-ov,
(jL^tep Ito/.aarn, roicja^s u/jOcj; et? S''.a>,Xâ^£i; tvmx. C'est à vous^ Jocaste,
de prononcer des paroles capables de réconcilier vos enfant. Platon, se
conformant à l'ancien usage, emploie ^laujOcXo-yelv dans le même sens
qu'Homère (Les Lois, i, p. 632). V. Eug. Mussard. Ëx. critique du
système de Strauss, i' éd. p. 29.
" M660Ç <r«|ii.atvei tôv aTrXwçXo'YOv Etym, Magnum.
' Hérodote, liv. ii, chap. 5 et 99. Voir Greuzer, die Historische kunst
der Griechen, p. 173.
*. Diodor. 1, 93, ireTrXasjAsvou; (7.66ou;. — Plutarque, Thess., cliap,
xxvui, U.660Ç xal îrXâuaa. — 11 Saint Pierre, i, i6, <7è<Tocpi<jfi,£vci a'jôoi.
'Pindare, Olymp.^ 1, 47' — Hérodote, 11, 45. — Platon, Gt>rgiaSf
p. 3i2. — Phœdon, p. 399. — 1 Timothee, i, 4. —Mussard, ubisiip.
* M660V àfcl é IIctr.Tr,; àTrXw; tov Xô^^v cpr,CTt • to ^s Itv. i^vj^iù^ Xo^ou TcSrîvat
auTOv, Twv ùjTspwv £(jTi .... îrapà tcI; uatepov 0 y.èv u,'jôo; sî; (^euô&XoYt'av eppi-
frrai. Ô ^î Xo-yoç ètîî tt,; ôoraspai àvôpœmvYiç cp-iXiaç Ttôsrai. Eustathius ad
Bomeri Jliad.y \. \s.,i5.
PAR MYTHE». 107
<|ue cette dénomination leur était commune avec le fabuliste
Ésope. Le mot txuôoç avait alors une signification propre et diffé-
rente. Mais la philosophie changea cette manière de parler , et
dès lors il fut employé pour indiquer les fables des dieux, c'est-
à-dire des compositions semblables à celles d'Esope'.
Quoi qu'il en soit, ce mot est passé dans la langue latine et dans
les langues européennes modernes. Comme il est plus élastique
et se prèle mieux aux caprices et aux desseins des excgètes
que le mot lalin fabula^ ils n'ont pas manqué de s'en emparer
comme d'une bonne trouvaille •, rar ils ont été forcés de le re-
connaître eux-mêmes, en voulant traiter par la fable nos saintes
Ecritures, ils n'auraient pas manqué de jeter le discrédit sur leur
système. C'est le sentiment de Heyne : aussi désirait-il voir les
érudits qui consacreraient leurs travaux à débrouiller l'origine
des peuples, renoncer à Teniploi du mot mythologie. « Comme
>♦ on l'a réduite , dit-il , à exposer et à raconter des fables , on a
1» aussi attaché généralement à ce mot l'idée de fiction, de men-
M songe , en sorte que, par erreur, on a rejeté au nombre des
X» inventions frivoles et fausses de l'esprit humain tout ce qui
» s'est présenté sous ce nom. On n'a pas remarqué que ces m^-
» thologoumènes contiennent les origines et les histoires les plus
» anciennes de tous les peuples, et que les premiers élémens de
î) la sagesse humaine et de toutes les lettres sont cachés dans
t) leur sein. D'un autre côté, on a craint de voir diminuer l'au-
» torité des saintes Ecritures, si on comparait avec ces mytho-
» logoumènes ce qu'elles racontent de l'origine du genre humain
» et de l'histoire primitive du peuple hébreu; car il était né-
» cessaire d'avoir toujours présente à l'esprit l'idée de fiction et
w de mensonge, idée que l'on repoussait avec raison \» Toute-
fois, il fait lui-même un fréquent usage du mot mjthe, et dans
la préface qu'il composa pour prôner l'ouvrage de son disciple
Hermann % il aima mieux appeler mythes que fables ces tradi-
* J.-L, Hug. Untersuchimgen ûber den Mythes^ etc., p. 1 1.
» Heyn. Comment. Gotting. t. vm, p. 3 et 4,
' Hermann's HaTidbuch der Mythologie, p. i, p. 5.
108 CF. Qun l'on kntrnd
lions primitives transmises oralement, qui, d'après lui, contien-
nent l'histoire et la philosophie la plus ancienne. Le motif qu'il
donne de ce choix , c'est que le premier mot paraît moins cho-
quant que l'autre'- Son exemple entraîna les savans allemands,
et le mylhe a reçu le droit de cité dans toutes les contrées de
l'Europe.
îMainlenant, si l'on veut savoir ce qu'est un mythe, nous ré-
pondrons avec Tholuck' que la science moderne n'a pas encore
pu donner une définition exacte et généralement admise de ce
mot, qui cependant vole dans toutes les bouches. Ainsi, Heyne
distingue deux espèces de mythes : les uns contiennent les pre-
miers élémens de la science et de la sagesse humaines ; il range
dans une autre classe l'histoire la plus ancienne des peuples qui
a été propagée par la tradition orale avant d'être écrite. Quant
au mythe en général , il le définit : « Tout récit, tout jugement
» transmis depuis les premiers âges jusqu'à nous , pendant le
» tems qui s'est écoulé avant que les actions ou les découvertes
» et les inventions des hommes aient été fixées par écrit, soit par
» les auteurs , soit par les contemporains, ou par d'autres mem-
» bres de la même nation ^^^ — D'après Hevne, il y a mythe
«< quand une histoire, une tradition vraie ou probable est re-
» couverte d'une enveloppe qui lui donne, il est vrai, l'appa-
" rence de l'histoire, mais aussi celle de l'énigme et du merveil-
» leux : ce qui serait moins apparent si le fait avait été raconté
>' avec soin et simplicité*.» — Bauer, qui le premier a soumis
les livres saints à l'interprétation mythique , dit que les mythes
« sont des récits historiques d'une tribu ou d'une nation, relatifs
» à l'histoire primitive de la terre et des hommes , des raison-
• Heyne, lac. cit., p. 7.
«Tholuck, Glaubwiirdigkeit (1er ev. Gesch, 2te aufl, p. 52.
' Comment., i, p. 4-
•* Grenzenbestimmuug desscn, was in der Bibel IMythos wul wai
wahi-e Gesehichfe ist, p. 169; Bibliotheca Historice saciœ, p. u.
PAR MYTHES. 109
» nemens présentés sous une forme liistorique sur la cosmo^o-
» nie, la géogonie, les causes des phénomènes physiques, et sur
» les choses sensibles ; on leur a donné l'apparence du miracle
» et peu à peu on les a ornés de diverses manières '.» Il avait,
dans un autre ouvrage , donné une définition quelque peu diffé-
rente '. Quant à la cause de cette divergence, Meyer l'attribue à
la négligence des auteurs, qui ne se sont pas appliqués à donner
une définition exacte des mots mjihes et mylholo^ie. Pour lui, il
est ])orté à regarder les premiers « en partie comme des récits
» très anciens des peuples primitifs , qui , conformément à la
» manière de penser et de raconter des premiers âges, les ont
» transformés en miracles. Ils ont précédé l'histoire véritable et
» ont pris naissance à une époque où des historiens contempo-
» rains n'existaient pas encore, l*usage d'écrire en prose n'étant
» pas établi. Ce sont aussi des descriptions antiques de ces mêmes
» nations, historiques ou rédigées sous une forme historique, à
>» l'aide de laquelle on représentait les choses qui ne tombaient
» pas sous les sens \ » \os,Creuzer% Hermann % O. Muller ^,
Weisse", et plus récemment Strauss^, J. IMuller^, Tholuck '%
etc., se sont pre'sentés tour à tour, chacun avec des idées et des
' Baner, «Z>/ ^^M/?. p. i, p. 5.
" Iden], Hermeneutica V, T. — Glassii Pldlologia sacra Dathiana,
p. Il, p. 33i.
^ P^ersuch einev Henneneutik des alten Testaments, P. ii, p. 543.
* Symbolik iind Mythologie, i^ édition, t. î , les six premiers cha-
pitres du liv. I" .
' Ueber d. JFessen u. d. Behaiids. d. Mythologie.
^ Ubi sup.
' Ueber deii BegriQ\ die Qiiellen luid die Behandhing der Mytlio-
loi^ie.
8 Das leben Je'su, 5e édition, Einleilung, §§ i, 3, i4, «5, 16.
9 J. INIulier, Recession d. L.-J. von Strauss, Thcol. sliidien und kri-
///re/î, i836, 3= cahier.
■° Tholuck, loc. cit., p. 5i-65.
110 CK QBF. l'on FNTF.ND
opinions différentes. Aussi, cette masse de matériaux hétérogè-
nes coniribue-i-elle pliuôt à compliquer qu'à faciliter la tâche
de celui qui voudrait éclaircir ce sujet, tant sont opposés les
principes qui servent de point de départ à ces savans, et les ré-
sultats auxquels ils arrivent.
Toutefois, en examinant avec attention leurs opinions diverses,
on reconnaît qu'ils appellent mythes certains récits appartenant
aux annales de l'ancien monde, parvenus jusqu'à nous au moyen
de la tradition orale, et grossis sur leur passage de circonstances
accessoires. Ces récits ne reproiluisaient d'abord que des événe-
mens réels ; mais bientôt la poésie, en leur prêtant ses charmes,
les a revêtus ;d'une envc4oppe empruntée, imaginée; a noyé, si
l'on peut s'exprimer ainsi, la réalité dans l'idéal; la simplicité et
la vérité ont disparu, et il n'est resté que le mythe, qui a pris la
place de l'histoire.
Or, on distingue ])lusieur3 espèces de mythes, suivant la na-
ture de l'élément dominant : les mythes historiques , philosophi-
ques, mixtes et poétiques.
Le fond du mythe historique est toujours un fait réel, un évé-
nement qui a laissé une impression plus ou moins profonde dans
l'esprit des contemporains. Comme l'un et l'autre ont eu lieu à
une époque où Técritui e encore inconnue ne pouvait les saisir,
et, en leur conservant toute leur réalité, les transmettre aux siè-
cles futurs, la tradition seule en a conservé le souvenir. Que Ton se
représente donc les premiers hommes jaloux de raconter à leurs
descendant, ces événemens qui les ont frappés, et dans lesquels
ils ont joué un rôle quelconque : leur imagination, exubérante
de sève et de magnificence, a dû les porter à donner aux moin-
dres circonstances du poids et de l'intérêt, à les charger d'embel-
lissemens, à les revêtir de toutes les couleurs que leur prêtait
cette imagination ardente et bouillante. Ajoutons à cela un pen-
chant naturel pour le grandiose et le merveilleux, et l'on con-
çoit que sous cette double influence, les faits ont pris des formes
plus grandes, plus gigantesques que la tradition ne le comporte.
L'importance des événemens ainsi exagérée, restait à grandir les
proportions des personnages pour les mettre en harmonie avec
PAR 1VIYTHRS. 1 11
leur œuvre. Alors, on fil intervenir une puissance surhumaine ;
les dieux descendirent du ciel pour seconder l'entreprise des
mortels, s'associer à eux, combattre dans leurs rangs, leur com-
muniquer une force et une valeur extraordinaires. Voulez-vous
savoir quel résultat produisit ce contact avec la Divinité ? Bientôt
on vénéra, comme descendans des immortels, des hommes qui
avaient fait impression sur leur siècle, et dont l'origine était, le
plus souvent, oi)scure et ignorée. Ainsi s'explique la formaiion
des mythes historiques des travaux d'Hercule, de l'expédition des
Argonautes, des aventures d'Ulysse, et en général de la mytholo-
gie des héros et des demi-dieux.
A côté de ces événemens, dont les hommes des premiers âges
du monde étaient ainsi les témoins ou les acteurs, se présentaient
des phénomènes naturels qui les frappèrent par leur grandeur ou
leur singularité. L'imagination s'empara également de ce canevas
pour le broder à sa manière, et bientôt, les traits principaux du
fait originaire disparurent sous une foule de circonstances acces-
soires, variables suivant le génie des mytliographes : ainsi, pre-
nons un f lit quelconque, nous le retrouvons au fond des myiho-
logies de la Grèce , de Rome, de l'Asie-Mineure, de l'Inde, de
lAmérique, de l'Océanie , etc. ; mais on sait combien de fictions
plus ou moins ressemblantes l'ont grossi pendant ce voyage à tra-
vers le monde.
Mais c'était peu pour l'homme naturellement porté à deman-
der à chaque chose la cause de son existence, d'avoir constaté les
faits qui frappaient ses sens, et décrit les phénomènes que chaque
jour plaçait devant ses yeux. Les sages de certains pays déjà sé-
parés des autres peuples, ayant perdu le fil des vraies traditions ,
éprouvèrent un besoin pressant de se lancer à la recherche des priu-
cip s qui les régissent l'un et l'autre, puis d'étendre et de géné-
raliser la grande loi de causalité dont ils avaient, dans certains
cas, reconnu l'exactitude. Quel est, se demandèrent-ils, l'auteur
de cet univers? Qui a placé dans l'espace cet astre brûlant dont
les rayons répandent partout la chaleur et la fécondité I Qui sus-
pend chaque nuit dans les cieux ces corps étincelans qui, par leur
claité, tempèrent l'horreur des ténèbres. Et l'homme lui-même ,
112 CE QUE l/oN EiNTEND
il*où vient-il? pourquoi les douleurs physiques, les souffrances
morales s'altachent-elles sans cesse à ses pas ? pourquoi ces tem-
pêtes qui bouleversent la nature et font naître l'effroi dans les
cœurs?.;. A ces problèmes, et à mille autres semblables que le
spectacle du monde soulevait chaque jour, il fallait une solution
quelconque ; pour la trouver, ces sages, séparés , comme nous
l'avons dit, des vraies traditions , s'abandonnèrent aux spécula-
tions de leur esprit, bâtirent des systèmes, rattachèrent tel effet à
telle cause qu'ils croyaient être la véritable, et comme, à celte
époque, la foule n'était pas capable de saisir des notions abstraites,
ils lui présentèrent leurs opinions sous une forme historique, afin
de les rendre sensibles et de les faire pénétrer dans les intelli-
gences : or, ces premiers essais de la raison, s'efforçant de déro-
ber à la nature ses secrets, ont produit les m^rthes philosophiques.
Toutes les théogonies , cosinogonies , géogonies , et les vieilles
doctrines sur l'état de l'homme après cette vie, appartiejinent à
cette classe de mythes qui va s'augmentant sans cesse, à mesure
qu'on se rapproche des tems civilisés. On voit par-là que le my-
the philosophique a pour base une idée, une opinion, un rai-
sonnement sur un fait du monde physique ou du monde moral ,
tandis que le mythe historique s'incorpore à un fait réel et em-
prunté à l'histoire. Plutarque a donc bien fait connaître la nature
du premier quand il a dit : « Comme les mathématiciens ensei-
» gnent que l'arc-en-ciel est produit par la réfraction des rayons
» du soleil, el qu'il paraît formé de plusieurs couleurs, parce
» qu'on l'aperçoit à travers un nuage ; ainsi, le mythe est le
» rayonnement d'une doctrine dont il faut chercher ailleurs la
» signification '. »
Souvent la tradition a confondu sous une même enveloppe
l'idée et l'histoire, ces deux élémens qui, pris séparément, ont
donné lieu à deux classes de mythes bien distinctes : ce mélange
a produit les mythes mixtes ou historico-philosophiques. On sup-
pose que les philosophes ont pris un fait réel qui a servi de
' Plutar., de. Iside, c. 20.
PAR MYTHIS.
113
llième à leurs fictions ; puis, après ce travail, après cette fusion
du l'ait et de l'idée, ils les ont prësenlées sous une foime histo-
rique. Ainsi, d'après Sclielling, la fiction philosophique de l'à^e
d'or et des àgessuivans a pris sa source dans des iraJiiions rela-
tivcs à la vie simple que menèrent d'abord les Grecs, et dont ils
s'éloignèrent peu à peu * ; le mythe du déluge, retracé par Ovide
à peu près sous sa forme primitive ^ , appartient aussi à cetie
classe, ainsi que celui de Deucalion et de Pyrrlia ^ — La date
de cette dernière espèce de mythes est postérieure à celle des
deux premières.
Viennent enfin les mythes ;?oeV£<7Me.ç; ce sont tantôt des récits
anciens augmente's, embellis, comme le cas a lieu chez Homère et
les tragiques, et quelquefois purifiés, comme dans Pindare, de ce
qu'ils présentaient de grossier et de repoussant ; tantôt ce sont
des opinions populaires, certains enseignemens des sages, que les
poètes ont arrangés à leur manière ; on peut se former une idée
de la manipulation à laquelle ils les ont soumis en étudiant dans
Virgile'' la doctrine de Platon sur la métempsycose; enfin , ces
mythes sont quelquefois de puies inventions des poètes ; ils sont
nés de leur imagination plutôt que de la nature même des choses.
L'Aurore, traînée sur un char rapide dans le ciel, où elle précède
sans cesse le soleil; Éole tenant les vents enchaînés dans un antre,
etc., sont des mjthes poétiques.
Tels sont, autant qu*on peut les préciser, les caractères parti-
culiers des mythes historiques, philosophiques , mixtes et poétiques;
mais comme la confusion des mois mythe , symbole, tradition y
légende^etc^ est la cause principale des controverses des savans
sur ce sujet, nous allons essayer de déterminer ce qui dislingue
le mythe de ces idées voismes qu'on lui a assimilées à tort.
« Le symbole y dit M. Eugène Mussard , n'est pas le mythe.
« Schelling, Uber Myihcn, historische sageii, etc., p. 21
* Heyn. ad Jlpollod. Biblioth, x, 7, 2, p. gS.
' Métamxyrph.f i, 244«
* ^neid., vi, 703.
114 CE QUE l'on entend
Tous deux, il est vrai, sont destinés à rendre sensible une idée, à
exposer une vérité d'un ordre un peu relevé , par le moyen d'un
intermédiaire qui la fasse mieux saisir que si elle demeurait sous
sa forme abstraite, mais dans le symbole cet intermédiaire est un
signe appréciable à l'œil, dans le mythe c'est le langage ; le pre-
mier emploie une démonstration matérielle , un objet de la na-
ture, par exemple, ou une action; le second se sert d'une dé-
monstration orale , d'un récit. Les sacremens, ces signes visibles
d'une grâce invisible, comme les définissait saint Augustin , sont
des symboles et non pas des mythes ; d'ailleurs les uns et les au-
tres étaient également en usage dans les premiers siècles du
monde, et également propres à agir sur l'intelligence d'hommes
grossiers et peu faits au raisonnement.
» Les traditions proprement dites se distinguent des mythes
surtout par l'époque de leur création. Entre les tems fabuleux et
les tems historiques, on ne peut établir une limite rigoureuse ; on
doit plutôt reconnaître une époque intermédiaire qui, tout en
présentant les caractères de Tâge qui commence , en conserve
quelques-uns de celui qui finit ; dans cette époque, le siècle des
mythes est passé, mais celui de l'histoite commence à peine : c'est
ce qu'on appelle Vàge des tradition<i^
» Les traditions proprement dites sont une création de ce tems
de transition, comme le mythe en était une des siècles héi oïques ;
ce sont des récits empruntés le plus souvent aux annales an-
ciennes. Elles vivent dans les chants populaires , s'occupent de
faits plus que d'idées: aussi ont-elles toujours un fond histori-
que ; elles présentent le caractère merveilleux , mais rejettent les
sujets religieux qu'affectionne le mythe, pour ne s'occuper que
d'histoires et de faits de la vie privée. Plus elles sont près des
tems héroïques, plus elles ont d'images et de merveilleux ; elles
prennent alors le nom de traditions mythiques^ par opposition
aux traditions historiques qui, leur succédant dans la suite des
' Niebuhr appelle cette époque intermédiaire mythique^historique*
Remise he ^eschichie, 3t« aufl.. t. i, p. 274.
PAR MYTHES. i 1 5
tcnis, se rapprochent davantage de l'histoire vérilable, et en pré-
senient mieux les principaux caractères.
» La légende est une tradition merveilleuse se rattachant à
l'Eglise ou à la religion; elle a la forme chrétienne et antique,
tandis que les traditions proprement dites éloignent de leur do-
maine la religion et l'Eglise. Tout récit poétique dans le ton re-
ligieux et ancien, qu'il soit en vers ou en prose , simple de style
ou riche en imagination , est une légende. Elle diffère du mythe
par l'élémeni chrétien et par sa formation dans un siècle histori-
que , et des traditions par l'élément religieux. \j'Aurea legenda
en contient un bon nombre.
» Le conte fantastique est plus poétique encore. C'est un récit
étonnant, merveilleux. Les démons, les esprits y jouent un grand
rôle, et les faits qui y sont rapportés ont un monde enchanté
pour théâtre ; mais sous les gracieuses et poétiques images qu'il
nous présente , en vain chercherait-on un fond réel, une idée ou
un fait j il semble n'avoir d'autre but que de plaire , de charmer
l'imagination : d'ailleurs il n'appartient à aucune époque fixe, il
est de tous les tems et de tous les lieux ; on le retrouve chez les
peuples du nord coinme chez ceux du midi, malgré la différence
de leur civilisation ; seulement, chez les derniers il est plus lé-
ger, plus riant ; des esprits bienfaisans y apparaissent, venant à
l'aide de l'homme ; chez les premiers , le merveilleux revêt des
teintes plus sombres, plus sérieuses; les êtres surnaturels mis en
scène sont d'une autre nature : au lieu de génies et de fées, ce
sont les sylphes, les elfes, les gnomes, les oréades, etc.
» La fable ou apologie est un rét it didactique d'un fait imagi-
naire , dans lequel, sous la forme-d'une petite histoire ou d'un
dialogue, on expose une règle de conduite au moyen d'une image
tirée du monde physique, ordinairement des plantes ou des ani-
maux. Elle se compose de deux parties : l'image, qui est le corps
de la fable, et la morale, qui est présentée ou à la fin ou au com-
mencement, comme proposition à démontrer. Le ton en est sim-
ple, enfantin, plaisant ou naïf, quelquefois noble ou relevé.
» C'est encore une vérité générale ou un précepte de conduite
exprimé soug la forme d'un récit, que présente \di parabole; mais
116 CE QUK l'on F.ISTtND
taudis que dans la fable tout se passe loin du domaine de la
réalilë, il n'y a dans la parabole rien que de vraisemblable.
Dans la fable, les animaux parlent, agissent, pensent comme les
bommes, et mieux que les bommes ; dans la parabole tout se
passe comme dans la vie ordinaire, et cliacun garde le rôle qui
lui est assigné par la nature. On a dit que ce qui dislingue la
fable de la parabole, c'est que dans l'une on introduit des êtres
placés plus bas que riiumanité dans l'écliclle de la création , tan-
dis que dans l'autre Ibomme seul était en scène : c'est à tort.
Nous voyons dans une des paraboles de Jésus figurer dos brebis ,
mais tandis que dans un apologue elles eussent agi d'une ma-
nière invraisemblable, dans cette parabole elles sont représen-
tées dans leur véritable rapport relativement au berger. La pa-
rabole est un récit d'un ton toujours sérieux ; instruisant , par le
moyen d'un exemple tiré de la vie ordinaire, elle fait saisir une
vérité d'un ordre plus relevé ; mais elle ne se termine pas par
une morale, elle laisse au lecteur ou à l'auditeur le soin d'arriver
de lui-même et par un rapprochement d'iiées, à la leçon qu'elle
renferme : c'est ce qu'on peut remarquer dans toutes celles de
Jésus, qui ont été recueillies dans les Evangiles.
» Cette comparaison que la parabole donne sous forme de ré-
cit, Vdllégorie la présente dans une image : de là celte grande
diflérence que dans la parabole l'idée peut être suivie dans ses
différentes phases; exemple : un homme sortit pour semer , et
une partie du grain tomba sur le chemin et fut foulé aux pieds...,
et une autre partie tomba dans un endroit pierreux..., et une
autre partie tomba parmi les épines, elc. '; tandis que dans l'al-
légorie l'idée est pour ainsi dire stationnaire^ l'image qui l'en-
veloppe apparaît comme dans un tableau qui représente tous ses
personnages dans le même moment donné, et ne peut les suivre
dans l'instant qui suit ; exemple : « Je suis la porte par où entrent
» les brebis .., je suis la porte, si quelqu'un entre par moi il sera
w sauvé, etc. *.
• Saint Luc, viii, 5-8.
* Saint Jean, x, 7-10.
PAR iMYTHKS. 1 17
» On peut dojic dëlinir rallégorie , l'exposition d'uue idée ou
d'un fait sous la forme d'une image. Elle a sa source dans une
imagination poétique et exaltée. Les prophètes nous en ont laissé
du fort belles '; tout le monde connaît celle d'Horace :
O Navis, réfèrent in mare te novi
Fluctus, etc.
» La fable, la parabole et Vallégûrie, ont été souvent confon-
dues avec le mythe, surtout avec le mythe philosophique';
comme lui, en efïet, elles sont l'expression d'une idée par le
moyen d'une image ou d'un récit, et n'en diffèrent au premier
coup d'œil que dans cjuelques points de détail, qui ont pu faci-
lement échapper à un examen superficiel. Ce qui les distingue
véritablement , c'est l'intention qui a présidé à leur formation.
L'auteur d'une fable, d'une parabole, d'une allégorie, a eu d'a-
bord dans l'esprit l'idée qu'il voulait présenter, et c'est à dessein
qu'il a choisi la forme du récit comme la plus propre à faire sai-
sir convenablement celle idée. Le mythe, au contraire, a été créé
de telle manière que l'idée s'est présentée immédiatement avec
la forme dont nous la voyons revêtue, et n'a pu se présenter que
sous cette forme. Celui qui compose une fable, une parabole, une
allégorie, sépare dans son esprit l'idée de l'enveloppe historique
qu'il lui donne, tandis que dans la formation du mythe toutes
deux sont intimement liées, et n'ont pu être distinguées que
plus tard par la réflexion. Le mythe, en passant dans la tradition
orale, a pu servir de leçon, mais il n'a pas été créé dans un but
didactique, il naît de lui-même, et ne subsiste que tant qu'on
croit à sa réalité , et non pas seulement à celle de la vérité qu'il
' Voyez celle sur la destructiou de Jérusalem. Ézéchiel, xxiv.
^ « On a souvent, par exemple, appelé mythe le récit de Joathan
(Juges IX, 8), qui n'est qu'un apologue. Hermann, en définissant un
mythe, V exposition dime idée rendue sensible par une image, l'a con-
fondu avec une allégorie. »
' Eug. Mussardj ubisup., p. 58-42.
ni« SÉRIE. TOME VI. — N'' 32. 184-2. 8
if8 CE QUE l'on entend
Ainsi nous avons vu le mythe nous apparaître comme une
image fidèle des tems fabuleux. Enfant de la tradition orale, il
surgit spontanément et se développe dans son sein ; et , quand
celle-ci cesse d'être en vigueur, il cesse lui-même de se produire.
Si donc nous voulons le trouver, nous devons le chercher à une
époque où Tliistoire n'existe pas encore. Or, pour ne parler ici
que de la Grèce et de Rome, O. Muller prétiiod que chez les
Grecs les tems héroïques lui avaient déjà fait place à la fin de la
59"* olympiade (541 ans avant Jésus-Christ ^) ; et, si nous en
crovons jVieburh, avec le règne de TuUus Hostilius (672 ans
avant Jésus-Christ) commence à Rome un siècle nouveau, ainsi
qu'un récit dont le fond est historique \ Cela posé, Wagner sou-
tient que toutes les religions et les histoires les plus anciennes
sont essentiellement mythiques; que le mythe est la représenta-
tion sensible, l'enveloppe symbolique de toutes les spéculations
et opinions religieuses des différens peuples qui existaient à ces
époques reculées^. Toutefois, chez les Hébreux seuls il ne s'at-
tacha pas, pendant le cours des siècies , à la religion pour la
défigurer '+; et comme elle se conserva pure et sans aucune alté-
ration , elle assura à l'histoire toute sa réalité, en sorte que si
l'on veut trouver dans l'antiquité une histoire qui mérite véri-
tablement ce nom, c'est à eux qu'il faut la demandera Quant à
celle des autres nations, elle ne présente que des récils menson-
gers, relatifs aux religions anciennes et à leur forme extérieure;
ou bien ces récits sont des descriptions de rites introduits, enjo-
livés par la vanité des hommes qui avaient perdu la connaissance
delà religion primitive'. Cette religion était absolument con-
templative"'; et l'Inde, cette mère des superstitions humaines, fut
' O. Muller, ioc. cit., p. 169.
» Ubisup., p. 274.
•Wagner, ubi sufj., p. 85. Ap. Pareau, Disputado de myt. inteV'
prêt., p. i5-i6.
< Ibid., p. 85 ; coll. p. 297.
^P.7..
« P. 3.
r P. 4o-4i.
PAR MYTHES. 119
le sol natal de tous les systèmes religieux et philosophiques. Ce
fut aussi de l'InJe que partirent tous les élémens mythiques ré-
pandus par la tradition dans tout l'univers, et travaillés suivant
le génie des différeiis peuples qui les etnployèrent'.
En général, Kann suit à peu près la même route que "Wagner,
cependant il s'en écarte quelquefois beaucoup -, il fait remonter
l'origine de l'histoire à Tépoque où les républiques se formèrent
et s'allièrent entre elles. Les événemens des iems antérieurs,
pour lesquels on avait une faible vénération , s'effacèrent bientôt
delà mémoire des hommes ; on s'appliqua seulement à conserver
le souvenir de ceux auxquels s'attachait une certaine idée de
sainteté : les histoires des dieux , les lois promulguées en leur
nom , les calendriers, les horoscopes , les doctrines morales,
échappèrent donc à l'oubli. Quant aux fables des Grecs et des
autres nations , elles ne présentent aucune réalité historique;
tous les patriarches, les juges , les prophètes et les rois ont été
des dieux •, car, d'après lui, l'histoire primitive n'a pas été celle
des hommes, mais bien celle des dieux que le mythe trouva le
le moyen de transformer en mortels "" ; encore ne possédons-nous
que le tableau de l'état intérieur des hommes , de leurs pensées,
* Wagner, Ideen zu einer allgemeine Mythologie der ahen IFelt,
p. i84.
' Il est inutile de faire remarquer que Kann prend ici le contre-pied
d'Évhémère. L'antiquité a, comme on lésait, inventé deux grands sys-
tèmes dans le but de trouver la clé des fables populaires. Ainsi, Pytha-
gore et les platoniciens recouraient, pour linterprétation des mythes, à
des allégories morales et à des explications cosmogoniques. Les épicu-
riens et les stoïciens, d'un autre côté, avec leur chef Evhéraère, dédai-
gnant les exégèses physico-mystiques, donnai: nt à la Mythologie grecque
une source purement humaine et historique; ils expliquaient toutes les
légendes fabuleuses par Tapothéose. Les dieux n'étaient que des rois
déifiés : Jupiter était un ancien monarque de lîle de Crète, dont on
voyait encore le tombeau. Diodore de Sicile, avec tous les sceptiques dn
paganisme, accepta cette explication ; Cicéron lui paraît favorable, ou
du moins il ne s'attache pas à la réfuter sérieusement. De natur. Deor.
lib. I, cap, 1*2, et iib. ni, cap. 16. — \]n. autre système, développé par
I 20 CE QUE l'OxN entend PAU MYTHES.
de leurs sentimcns, de leurs fictions. Au reste , celte histoire
nous rappelle la Religion comtemplntive , ou cette doctrine
qui fait de la nature le corps de la Divinité, et de la Divinité
l'âme du monde. L'Inde, tout en l'entourant d'une enveloppe
mythique, Ta conservée dans toute sa pureié , et maintenant en-
core ncms en trouvons chez difierentes nations des reflets plus
ou moins affaiblis ' ; il montre ensuite que la doctrine de Kantsnr
les deux formes de la contemplation, le tems et l'espace, re-
monte au berceau du genre humain, puisque , si nous l'en
croyons, on adorait alors la Divinité sous ces deux formes ^ Par-
tant de ce point de vue, il rapporte à des observations tempo-
raires tous les récits fabuleux et historiques, tous les détails géo-
graphiques et astronomiques que nous trouvons dans l'antiquité;
de son côté , Creuzer a consacré tout un ouvrage à faire voir
comme quoi tout ce que les religions de la Grèce nous présentent
sous mille formes diverses n'est autre chose que la nature déi-
fiée. — Enfin, tout le monde sait comment l'histoire romaine est
devenue, entre les mains de Niebuhr, une vaine série de mj^thes
sans aucune réalité.
Ces quelques exemples suffisent, ce nous semble , pour donner
une idée des résultats auxquels a pu conduire l'application du
système mythique à l'histoire profane. Tans les articles suivans ,^
nous examinerons en détail les prétendus mythes de l'Aucien-
Testament ; nous nous attacherons surtout à faire ressortir la
fausseté des principes des exégètes ; et ces principes une fois ren-
versés, les conséquences tomberont d'elles-mêmes.
V. CAUVIGINY.
Hng, fait passer dans la Phéaicie d'abord, puis dans la Grèce, les dieux
de l'Egypte. Les liabitans de ces contrées se bornèrent à changer les
noms de ces divinités, et à leur donner une allure en harmonie avec
leur génie : ainsi le Panthéon des Phéniciens et des Grecs eut une origine
étrangère. V. Hug, vhi sup. — Mais ce nest pas ici le lieu d'examiner
ces systèmes, nous pourrons y revenir plus tard.
• Kaniî, £"^^6 Urkunden der Geschichle, eic, p. 5-i4 Ap. Pareau,
ioc cit.
» Idem, ibid., p. 22.
RATIONALISME COi^TEMPOKAiN. 121
Uationûliemc rontnnparain.
PREMIÈRE ËTIDE; M. COUSIN.
I- PARTIE ; M. COUSIN JUGÉ PAR SES PAIRS.
^eu,vtcitK arfîcl^ '.
i. Jugemensde M, Gatien Arnout, suite; — 2. de M. Lherminicr ; —
3. de M. Bautain; — 4- de M. Th. -H. Martin;— Ce que ces professeur!
de rUniversité pensent de l'orthodoxie de M. Cousin. — Les profes-
seurs do philosophiâ sont-iis irresponsables ?
I. Jugement de M. Gatien Arnout Suite.
«» Une des maximes de >I. Cousin, c'est qu'il existe une force
invincible des choses, contre laquelle toute volonté humaine se
brise impuissante^ qui fait nécessairement nos sentimens , nos
idées, nos opinions, comme nos moHirs, nos lois, nos gouverne-
mcns^ et que toute science dépend d'elle. De là une paresse qui
laisse faire le tems. — Une autre de ses maximes, c'est que toute
époque produit nécessairement sa philosophie, et que la philoso-
phie des dernières époques l'emporte nécessairement sur celle
des premières. Or, une conclusion de celte maxime est que,
pour trouver la meilleure philosoj.-hie, il faut s'attacher à étudier
son époque, vivre avec les hommes et les choses de son tems,
consulter l'opinion et s'y conformer. Ainsi , elle s'adresse aux
oracles équivoques de l'opinion , non à ceux de la raison ; elle
fait des esclaves de la mode, non des amis de la vérité.
» Ce devait être la philosophie de ces hommes qui affichmt
' Voir le 1'^ article, au no 3i ci-dessus, p. 49.
l^^ nATIOWALlSME CO.NTKiMPOUAliN ;
une profonde indifféier;ce pour tout te qu'on dit faux ouvjai,
et se montrent successivement amis ou eiincuiis des doctrines les
plus opposées, parce que, disent-ils, elles ont toutes du vrai et du
faux qu'il est bien difficile de démêler; — qui sont inertes
pour le bien , et d'une voix paresseuse vous répondent que le
moment du mieux n'est pas venu^ et qu'il faut l'attendre du
tenis; — qui n'aspirent qu'à se donner comme les représentans
de l'opinion si souvent trompeuse et plus souvent encore rem-
placée par des idées de coterie '. »
II. Jugement de M. Lherminier, professeur au collège de France.
« A tout homme qui a présenté un système philosophique, il
faut demander d'abord ce que, dès le principe, il a voulu faire.
Pourquoi vous êtes- vous levé, et que vouliez vous dire?
» Quand M. Cousin monta dans la chaire de M. Royer-Col-
lard , il y parut sans autre dessein que de développer l'histoire
des systèmes philoNophiques. Esprit littéraire, il se tourna vers
Ja littérature de la philosophie; imagination mobile, il quittait
facilement une belle ihéoiie pour une autre qu'il trouvait plus
belle encore; parole ardente, il faisait couler dans les âmes l'in-
telligence et l'enthousiasme de la science. Tel a été M. Cousin:
c'est son caractère de n'avoir jamais pu trouver et sentir la réalité
philosophique lui-même ; il la lui faut traduite , découverte, sys-
tématisée, alors il la comprend, l'emprunte et l'expose.
» Le jeune professeur commença sa carrière par commenter
avec verve l'école écossaise , dont M. Royer-Collard lui avait lé-
gué l'exploitation» Reid, Smith, Hutcheson, Fergusson, Dugald-
Siewart; ensuite il passa à l'Allemaigne , saisit rapidement les
principaux traits de la philosophie morale de Rant, et se fit Kan-
tiste : ce furent alors d'éloquens développemens sur le stoïcisme,
le devoir et la liberté. Pendant l'année 1819 à 1820, l'enseigne-
ment de M. Cousin rallia la jeunesse, et semblait vouloir la pré-
parer aux luttes de l'opposition politique : aussi, la contre-révo-
ution, en arrivant au pouvoir ferma sa chaire;, et rélégua le pro-
' Doctrine philosophique de M. Gatien Arnout.
M. COUSIN.
123
fesseur dans la solUude de son cabinet. Alors il se tourna vers
réiudilion , et se prit d'enlhuusiasme pour l'école d'Alexandrie,
qu'il personnifia tout entière dans un homme , dans Proclus.
Cette secte philosophique, qui avait entrepris de lutter contre le
christianisme, et de le faire reculer, semblait à M Cousin un
glorieux symbole de philosophie et de liberté ; il en parlait en
ces termes : « Haec fuit scilicei ultinia illa graecœ philosophiae secta,
)' quae , iisdem ferè quibus christiana religio lemporibus nala,
» tamdiù magnâ cumlaude sietit, quamdiù aliqua super in orbe
» fuit ingeniorum libertas ;quartum verô jàmcircàsœculum, non
» mutatâ ratione , sed mu lato domicilio, exul ab Alexandrie
» Alhenas confugit » Celte école lui paraissait la plus riche
et la plus importante de loute? celles de l'antiquité : « Tolius
» verô antiquitatis philosophicas doctrinas atque ingénia in se
» exprimit; » et il croyait son étude utile, non seulement à l'é-
radition , mais aux progrès mêmes de la philosophie moderne.
Plus tard, je trouve que M. Cousin n'a plus mis si haut la sagesse
alexandrine; voici comment il la caractérisait en 1829 : « Sacs
» doute, le projet avoué de l'école d'Alexandrie est l'éclectisme.
» Les Alexandrins ont voulu unir toutes choses, toutes les par-
» lies de la philosophie grecque entre elles, la philosophie et la
» religion, la Grèce et l'Asie. On les a accusés d'avoir abouti au
» syncrétisme^ en d'autres termes, d'avoir laissé dégénérer une
» noble tentative de conciliation en une confusion déplorable.
» On aurait pu leur faire avec plus de raison le reproche con-
» traire. Loin que l'école d'Alexandrie tombe dans le vague et le
» désordre qu'engendre souvent une impartialité impuissante,
»> elle a le caractère décidé et brillant de toute école exclusive, et
» il y a si peu de syncrétisme en elle, qu'il n'y a pas beaucoup
» d'éclectisme ^ car ce qui la caractérise est la domination d'un
» point de vue particulier des choses tt de la pensée. » Ainsi,
cette école que M. Cousin avait choisie d'abord comme le mo-
dèle de l'éclectisme , à ses yeux n'est presque plus éclectique; il
l'accuse d'un mysticisme exclusif^ malmène assez rudement son
ontologie , sa théodicce ; Proclus lui-même, bien qu'il reste tou-
jours un esprit du premier ordre, n'est plus ce soutien de la phi-
\%\ RATION A. LIS ME CONTEMPORAIN;
losophie el de la liberté , donl les efforts sont généreux et légiti-
mes ; le professeur de 1829 nous le montre finissant par des
hymnes mystiques empreints d'une profonde mélancolie , où
l'on voit qu'il désespère de la terre, l'abandonne aux barbares et
à la religion nouvelle, et se réfugie un moment en esprit dans la
vénérable antiquité, avant de se perdre à jamais dans le sein de
l'unité éternelle, suprême objet de ses efforts et de ses pensées. Et
d'où vient ce changement dans l'esprit de l'éditeur deProclus?
C'est que de 1820 à 1829, bien des impressions différentes l'ont
traversé. Après avoir adhéré exclusivement au ra.iionalisme de
Kant, après avoir effleuré l'idéalisme de Ficlite, M. Cousin ne
fut pas longtems sans soupçonner et sans reconnaître que ces
deux philosophes avaient fût place à deux systèmes nouveaux,
dont les auteurs étaient M3I. Schelling et Hegel j de loin, soit
par des correspondances, soit par des visites de voyageurs, il lui
en arrivait quelque chose. En 1824 > il entreprit un voyage en
Allemagne, pendant lequel il fut enlevé à Dresde par la police
prussienne, et conduit à Berlin : on l'avait soupçonné d'être car-
bonaro et révolutionnaire..... Par un heureux hasard, noire
voyageur put utiliser sa captivité ; car il entra dans un commerce
journalier avec l'école de M. Hegel ; ÎM. (ians el M. Michelet de
Berlin lui développaient, dans de longues conversations, le sys-
tème de leur maître ; ils effaçaient de son esprit le Kantisme et
quelques erremens de Fichte, pour y substituer les principes
et les conséquences d'un réalisme éclectique, optimiste, qui se
targuait de tout expliquer, do tout comprendre, et de tout ac-
cepter, iVÎ. Cousin sut tourner à celte philosophie avec sa promp-
titude ordinaire > « Cependant le séjour de
notre ])rofesseur dans Beilin devait porter ses fruits : en 1826,
il publia une collection d'articles insérés dans le Journal des .ui-
i>ans el dans le? Archives philosophiques ^ dont tous ne méritaient
peut-être pas les honneurs d'une résurrection, et qui au surplus
riaient inférieuis à la préface même qui les précéiait. Dans la
préface des Fras^mens philosophiques , M. Cousin présente son
système, qu'il affii ma avoir façonné dès 1818. J'aurais conjecturé,
je l'avoue, que le voyage de 1824 y avait contribué en quelque
M. COUSIN'. 125
chose, et que le rapport identique de riiomme, de la nature et
de Dieu, qui commence à y poindre, étaient une importation. La
préface des Fragmens fut peu goûtée quand elle parut. Cette con-
densation d'une métaphysique imparfaite qui se cherchait elle-
même et n'était pas maitresse de sa langue étonna sans instruire.
Enfin, en l8^8, IM. Cousin, rendu à sa chaire, put s'y déployer à
l'aise, et il eut le plaisir d'y exciter la surprise et l'admiration.
Dans une Introduction éloquente de treize leçons, il développa ,
avec son imagination d^artisle et son talent d'orateur , quelques
principes du système de Hegel, qui semblaient sortir de sa tète
et lui appartenir. Du haut d'un dogmatisme dont seul alors il
avait le secret, il inspecta l'histoire, les philosophes , les grands
hommes, la guerre et ses lois, la Providence et ses décrets. Il pro-
fessa la légitimité d'un optimisme universel, et prononça au nom
de la philosophie l'absolution de l'histoire. Je sais. Monsieur ,
qu'à Berlin vous ne partagiez ])as renthousiasme avec lequel
nous avons accueilli ces leçons; vous ne pouviez concevoir com-
ment on importait ainsi une doctrine sans en 'nommer l'auteur.
M. Hegel plaisanta de ce procédé avec une indulgence un peu
satirique; et vous même, Monsieur, vous avez prononcé à ce
sujet un mot fort dur, que j'ai peine à écrii e, le mot de plagiat.
Je ne pense pas , Monsieur , que sciemment M. Cousin ait voulu
se parer de ce qui ne lui appartenait pas; mais, emporté par son
imagination, il a cru avoir conçu lui-même ce qu'on lui aTait
appris. Dans ses improvisations, il oubliait ses emprunts, et c'est
de la meilleure foi du monde qu'en amalgamant Kant et Hégcl,
il se persuada avoir créé quelque chose. Cependant le vol méta-
physique de M. Cousin, je veux dire son ascension, ne fut qu'un
phénomène passager : il redescendit vite sur la terre ; et , soit
qu'il eût épuisé en peu de tems son dogmatisme, soit qu'il crai-
gnît de n'être plus suivi dans ses excursions exotiques, il revint
à l'histoire, déclara que la philosophie n'était plus à faire, mais
était faite; qu'il ne s'agissait que de la rassembler; qu'elle se par-
tageait en quatre systèmes principaux : le Sensualisme, l'Idéa-
lisme, le Scepticisme et le Mysticisme, et qu'en dégageant ce qu'il
y avait de vrai dans chacune de ces formes exclusives de la réa-
126 RATlOx\A.LlSME CO>TEMPORAIN ;
lité, OQ retrouvait la réalité pure et complète. Voilà cette fois un
éclectisme bien constitué. Ainsi vous voyez , Monsieur, que M.
Cousin a éié tour à tour Ecossais, Kantiste , Alexandrin, Hégé-
lien, Eclectique : il nous reste à chercher s'il a jamais été et s'il
est Philosophe.
» Quelle sera l'idée dont M. Cousin aura élargi la face et sur la-
quelle il aura jeté de la lumière ? la liberté? examinons. La théo-
rie du traducteur de Platon sur la liberté consiste tout entière
dans le principe suivant : le moi est tout entier dans la liberté ;
il est la liberté même; rintelligence et la sensibilité se rapportent
bien au moi, mais elles ne le constituent pas, la liberté seule
constitue le moi ; — mais la personnalité humaine n'est-elle pas
aussi bien dans la sensation et la pensée que dans la volonté ? le
problème scientifique n'est-il pas précisément delasuivre sous ces
trois faces? Au surplus , cette affirmation « ^jr/on de M. Cousin
n'est qu'une rédaction hâtive et brusquée des principes qu'il
empruntait au stoïcisme et à Fichte
» La théorie de la raison va être pour l'éditeur de Proclus un
écueil où il se brisera. Remarquez sa position : il est parti de la
conscience individuelle, tant par conviction que par son appren-
tissage à l'école de Kant et de Fichie, et il lui faut maintenant
arrivera la raison impersonnelle, à l'absolu. Quand Schelling et
Hegel établirent leur idéalisme, ils avaient fait table rase; ils
avaient nié Kant et Fichte. Rant avait déclaré qu'il était impos-
sible à riiomme d'arriver à la connaissance de l'absolu; Fichte
l'avait identifié dans la plus haute expression de l'homme même;
Sclielling rompant avec Kant et Fichte, fit de l'absolu une insti-
tution mystique ; Hegel de son côté en fit une hypothèse logique.
Or, voici 31. Cousin qui tombe dans l'étrange illusion de vouloir
accoupler des termes incompatibles; il croira pouvoir se servir de
Kant comme d'un point de départ; de Fichte comme de la pré-
cision même du moi. A Schelling il empruntera la spontanéité, à
Hegel la réflexion; et il sera persuadé avoir donné une solution
satisfaisante et nouvelle dans la distinction delà raison spontanée
et de la raison réfléchie. « « A Berlin , cette méta-
physique a paru bien frivole ; à Paris, elle a eu peu d'inconvé-
M. COUSIN. 127
niens, parce que personne ne l'a comprise; on a laissé M. Cousin,
sans le troubler, jouer avec les formules, avec le fini et l'infini ,
le un et le multiple^ il a professé sans objections la réduction
fort importante , selon lui, des catégories de Kant et d'Aristote
aux lois de causalité et de subtsance, réduction stérile, affaire de
mots; l'éloquence du professeur lui obtenait du public grâce
pour son ontologie
» La sensibilité n'a été qu'effleurée par M. Cousin ; étran-
ger à la physiologie, il manquait de faits positifs et s'est borné à
rédiger quelques conjectures de 31. IMaine-Biran
» M. Cousin est-il panthéiste? je n'en sais rien, et je
crois qu'il n'en sait rien lui-même; — il s'est quelque part élevé
éjoquemment contre ce système, n^ais ne semble-t-il pas le pro-
fesser ailleurs?
» Sur le Christianisme, même indécision. Sa philosophie
ne semble parfois que la doublure de la tradition; d'autres fois
elle cherche à concilier les honneurs de l'indépendance avec les
sûretés de l'orthodoxie
)) En résultat, il n'a laissé dans les esprits qu'un scepticisme
vague en octroyant une amnistie métaphysique à tous les sys-
tèmes
» A la Législative, un M. Lamourette exhorta tous les
partis à une fusion générale; son succès fut prodigieux, tout le
monde s'embrassa, M. de Jaucourt donna l'accolade à 3Ierlin,
Condorcet se jeta dans les bras de BI. de Pastoret ; mais hélas I le
lendemain chacun revint avec les mêmes dissentimens et les
mêmes passions ; il ne resta de la motion de l'honnête député
que des épigrammes et des chansons sur le baiser Lamourette.
Paris s'en amusa tout un jour. Eli bien ! l'éclectisme n'est pas
autre chose que le baiser Lamourette de la philosophie'. »
m. Jugement de M. Bautain, professeur de philosophie à la Faculté de
Strasbourg.
M L'Eclectisme au 19* siècle est ce qu'il a été dans tous les tems,
' lettres à un Berîinoii.
1 28 RA.T10NALISME CONTEMPORAIN ;
un syncrétisme , un recueil d'opinions ou de pensées humaines
qui s'agrègent sans se fondre , ou, autrement, un assemblage de
membres et d'organes pris çà et là, ajustés avec plus ou moins
d'art, mais qui ne peuvent constituer un corps vivant. La vérité,
a-t-on dit, n'appartient à aucun système , car elle ne serait plus
la vérité pure et universelle si elle se laissait formuler dans une
théorie particulière. Ce n'est ni dans les ouvrages de tel philo-
sophes , ni dans les opinions de tel siècle ou de tel peuple qu'il
faut chercher la philosophie, c'est dans tous les écrits, dans toutes
les pensées, dans toutes les spéculations des hommes, dans tous
les faits par lesquels se manifeste et s'exprime la vie de l'huma-
nité. La philosophie n'est donc pas à faire ; ce n'est point le gé-
nie de l'homme qui la fait, elle se fait elle-même par le dévelop-
pement actuel du monde, dont l'homme est partie intégrante -,
elle se fait tous les jours, à tout instant, c'est la marche progres-
sive du genre humain, c'est l'histoire : la tâche du philosophe est
de la dégager des formes périssables sous lesquelles elle se pro-
duit, et de constater ce cjui est immuable et nécessaire au milieu
de ce qui est variable et contingent. C'est fort bieni mais pour
faire cette distinction, pour opérer cette séparation, il faut un œil
sûr, un regard ferme et exercé; il faut le critérium de la vérité ;
il faut une mesure , une règle infaillible ; et où la philosophie
éclectique ira-t-elle la prendre? ce n'est point dans une doctrine
humaine, puisque aucune de ces doctrines ne renferme la vérité
pure, et que c'est justement pour cela qu'il faut de l'éclectisme :
aussi en appelle-t-on à la raison universelle , à la raison absolue!
«t ce serait très bien encore si cette raison absolue se montrait
elle-même sous une forme qui lui fût propre , et nous donnait
ainsi la conviction que c'est elle qui nous parle; mais il n'en va
pas ainsi dans l'élude des choses naturelles : là, la raison univer-
selle ne nous parle que par des raisons privées ; là, il y a toujours
des hommes entre elles et moi; c'est toujours un homme qui
s'en déclare l'organe , l'interprète: et quand le philosophe vous
dit : Voici ce que dit la raison absolue I cela ne signifie rien , si-
non : Yoici ce que moi, dans ma conscience et dans ma raison
propre, j'ai juge conforme à la raison universelle. L'éclectisme ne
M. COUSIN
129
posscdaiil point ce critérium si nécessaire de la vérité, il ne se
peut que son enseignement ne soit obscur, vague, incohérent; il
n'a point de doctrine proprement dite; c'est un tableau brillant
où toutes les opinions humaines doivent trouver place ; vraies ou
fausses , elles expriment les pensées humaines , et ainsi elles ont
droit aux égards du philosophe ; il ne faut point les juger par
leurs conséquences morales, utiles ou nuisibles, bienfaisantes ou
pernicieuses; elles ont toutes, à les considérer philosophique-
ment, la même valeur : ce sont des formes diverses de la vérité
une. Mais si toutes les doctrines sont bonnes en tant qu'expres-
sions formelles de la raison de l'homme, toutes les actions le se-
ront également comme manifestations de son activité libre; il n'y
a ni ordre, ni desordre pour un être intelligent qui ne connaît
point de loi ni de fin. Le crime est un fait comme la vertu ; bien
qu'opposés dans leurs résultats pour l'individu et pour la société,
ils se ressemblent en ce qu'ils expriment l'un et l'autre un mode
de la liberté : et voilà seulement ce qui leur donne une valeur
philosophique. Les actions humaines n'ont d'importance qu'à
proportion qu'elles aident ou entravent le développement de
l'humanité, qui doit toujours aller en avant, n'importe en quel
sens ou vers quel terme^ conduite par la raison universelle, qui
ne peut s'égarer, parce qu'il n'y a pas deux voies de peifectionne-
ment : il ne s'agit que d'être, d'exister et de se mouvoir. Les so-
ciétés ne savent pas plus cù elles vont que les individus ; elles
naissent et périssent, manifestant pendant leur durée une portion
de la vie générale, et servant de point d'appui aux générations
futures, comme celles-ci sont sorties elles-mêmes de ce qui les a
précédées : elles jouent leur rôle sur la scène du monde, et puis
elles passent. Un siècle, si perverti qu'il paraisse, porte en soi sa
justification : c'est qu'il était destiné à représenter telle phase de
riiumanité ; limpression pénible qu'il produit sur nos Ames est
une affaire de sentiment ou de préjugé. Vu philosophiquement
et en lui-même, il n'est pas plus mauvais qu'un autre, et devant
la véiité, il vaut dans son existence les siècles de vertu et de bon-
heur ; c'est l'événement qui décide du droit, c'est le succès qui
prouve la légitimité ; la justice est dans la nécessité , car tout ce
150 RATIONALISME CONTEMPORAIN ;
qui existe est un fait, et tout fait est ce qu'il doit être par cela
seul qu'il est.
» Telles sont les désolantes conséquences de la philosophie
éclectique dans la science comme dans la morale ; voilà où abou-
tit le grand mouvement philosophique de notre Niècle; c'est là
qu'il est venu se perdre, laissant dans les esprits qu'il a agités, et
comme dernier résuUat, d'un côté une espèce d'indifférence
pour la vérité, à laquelle ils ne croient plus, parce qu'à force de
la leur montrer partout ils en sont venus à ne l'apercevoir nulle
part; et d'un autre côté, dans la conduite de la vie, avec une
grande prétention au sublime , au dévouement, avec tous les
semblans de l'héroisme, un laisser-aller aux passions, l'aversion
pour tout ce qui gêne et contrarie, l'abandon à la fatalité, la ser-
vitude de la nécessité sous les dehors de l'indépendance. Cette
philosophie si riche eu promesses , mais si pauvre en effets ,
comme l'histoire le dira, est jugée aujourd'hui, et ce n'est plus à
cette école qu'une jeunesse généreuse ira chercher de grandes
idées, des sentimens profonds, de hautes inspirations ^ »
IV. Jugemeut de M. Th. -Henri Martin, professeur à la Faculté de
Rennes,
'<■ Ces vagues et audacieuses théories du panthéisme germa-
nique, qui resteront dans l'histoire de la science comme un objet
d'étude éminemment instructif, ont trouvé en France non-seu-
lement des interprètes, mais des adeptes. M. Cousin lui-même
s'est laissé aller autrefois à revêtir de son beau style platonique
quelques fragmens de cette métaphysique aussi stérile que pré-
tentieuse ; il a répété çà et là dans ses écrits plusieurs formules
de la philosophie de M- Schelling et de M. Hegel, en y attachant
quelquefois mentalement un sens plus raisonnable que celui
qu'elles expriment ; il a cru pouvoir parler de tems en tems
comme ces deux philosophes, et penser cependant comme Leib-
nitz ou comme Bossuet. Ce compromis , qui n'est pas de l'éclec-
tisme, avait bien ses dangers ; il en est résulté plus d'un malen-
tendu pour les lecteurs, et , si je ne me trompe, pour l'auteur
• P.tychologie experimeniahf préface.
M. COUSIN. 131
lui-même, M. Cousin aurait pu nous iuiiier d'une manière plus
profitable et plus sûre à la connaissance de la philosophie alle-
mande contemporaine ; ei eu même tems, avec son admirable
méthode, destinée à durer beaucoup phis que les systèmes fan-
tastiques de nos voisins, il aurait pu créer lui-même un système
homogène. Les erreurs d'emprunt sont aisées à reconnaître dans
ses œuvres, où elles forment un étrange disparate au milieu des
théories brillantes de raison et de clarté. Depuis, M. Cousin a
hautement et franchement désavoué ces principes étrangers au
fond de sa doctrine, et dont il n'admit jan;ais les conséquences.
Cependant, les opinions des partisans de l'identité absolue , in-
troduites en France par plus d'une \oie, y avaient séduit beau-
coup d'esprits par leur nouveauté, par leur hardiesse bizarre et
par leur obscurité même ; aujourd'hui encore, elles y sont dé-
fendues par quelques penseurs isolés qui se lattachent à l'école
allemande, par quelques disciples arriérés de M. Cousin , éclec-
tiques prétendus, qui ont choisi le mal au milieu du bien , et par
quelques adversaires et plagiaires de M. Cousin, qui , dans leur
horreur pour l'éclectisme, prennent partout sans choisir ".»
Les professeurs de philosophie sont-ils irresponsables? — Opinion de
M. Simon, professeur à la faculté des lettres de Paris.
« Quant au droit de discuter des doctrines philosophiques, de
rendre couspte d'un cours public, de le blâmer ou de l'approu-
ver, j'avoue que je ne saurais comprendre qu'on pût même
concevoir la pensée de le contester à qui que ce soit. Les profes-
seurs institués par l'état exercent une magistrature de l'ordre le
plus élevé; ils ont droit au respect de tous, pourvu qu'ils s'en
montrent dignes ; mais précisément à cause de ce que leur mis-
sion a de grave et d'élevé, ils doivent être soumis à la discus-
sion et à la critique : et cela est tellement vrai que, si l'on ve-
nait par malheur à abolir par tout le monde le régime de pu-
blicité, qui fait la principale sauvegarde de nos libertés , il
' Commentaire sur le Timee de Platon, t. u. Nous rendrons compte
prochainement de cet important ouvrage.
132 KATIOWALISME CONTEMPORAIN.
faudrait le laisser subsister pour les professeurs , et particulière-
ment pour les professeurs de philosophie.
» Il y plus : ce n'est pas seulement un droit pour le clergé ca-
tholique de discuter les opinions philosophiques qui lui parais-
sent contraires à la doctrine de l'Église , c'est un devoir , et un
devoir strict ; il doit le remplir avec courage , s'il y a lieu ^ mais
je n'admets pas qu'il puisse y avoir du courage à dire aujour-
d'hui , en France, son opinion sur des matières religieuses ou
philosophiiiues. »
• Revue des Deux Mondes^ i" avril 184'i, p. 76, 77. — Article de
M. Simon, professeur à la Faculté des lettres de Paris, et suppléant de
M. Cousin.
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NECROLOGlii
133
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nécioloijic.
L'ABBÉ FOISSET.
m: .31 DÉCEMBRE 1801, MORT LE 23 JUIN 184-2.
A M. BoNKETTY, directeur des Annales de philosophie chrétienne.
Vous désirez, mon Ami, que je paie au prêtre que nous pleu-
rons, un tribut d'éloges et de reconnaissance. Je voudrais pou-
voir être digne de lui et des Annales que ses travaux ont hono-
rées ; mais je n'ai qu'entrevu à l'œuvre ce digne soldat du Christ.
Il faudrait l'avoir suivi dans ses courses, avoir vu son front mouillé
de ses sueurs, et été le confident intime de ses projets. Plombières
est son champ de bataille; il y a laissé des amis inconsolables,
témoins de ses actions et continuateurs de ses pensées. C'est là
au sein de sa famille adoptive, dans Ils murailles de la cité qu'il
édifiait, qu'il eiit fallu prendre son biographe. La lettre que je
vous écris à lahâlene vous dira pas tout ce qu'était et tout ce qu'a
fait M. l'abbé FOISSET (Silvestre), chanoine de S.-Bénigne de
Dijon, supérieur du petit-séminaire S. -Bernard, à Plombières.
Il y a des familles dont les membres semblent se succéder dans
une seule et même pensée. En 1808, à Beaune, un homme finis-
sait plein de jours une vie dont la France religieuse garde un ho-
norable sou^'enir : c'était l'abbé Bailly, l'ancien directeur du prin-
cipal collège de la province, l'ex-promoteur du diocèse et le cham-
pion de l'Eglise par ses travaux théologiques.L'n enfant, son pe-
tit-neveu, priait près de son cercueil, et allait dans un nouveau
siècle continuer l'œuvre de son oncle au 18e ; mais l'abbé
Foissjft a été enlevé dans la carrière : il vient d'achever le sacrifice
de sa vie, à peine âgé de quarante-deux ans.
Au sortir du collège où le guidait son frère Théophile, aujour-
d'hui juge d'instruction au tribunal de Beaune, Silvestre suivit
la voix intérieure qui l'appelait à l'état ecclésiastique. Mais en tra-
in' SÉRIE. TOME Vî. — IN'» 32. 1842. 9
i34 NECROLOGIE.
versant les rues de Dijon pour se rendre au séminaire, il voulut
voir la société d'études, foyer de sciences où de jeunes Bourgui-
gnons venaient déposer le fruit de leur zèle et profiter des lu-
mières générales. Je ne vous dirai pas tous les hommes distingués
de cette jeune académie qui a disparu dans un moment de trouble,
j'aurais à vous citer vingt contemporains, des poètes, des avocats,
des arcliéologuts, des philosophes, de?; jurisconsultes, des ingé-
nieurs, des professeurs de droit, des députés, des préfets; il suf-
fit que vous sachiez que celui qui fut Toraieur de Notie-Danie de
Paiis était le secrétaire de cette société ; iM Lacordaire intiodui-
sii Silvestre Foisset, qui devint membre conespondant. C'était
en 18-22.
Ap« es s'être nùs en rapport avec la science que son frère repré-
sentait déjà à l'académie de Dijon, SiUestre ( n alla demander la
consécrauon au séminaire. Il n'y ie>ta que qielqut s mois ; l'abbé
Poinscl, qui en était Imtelligent supéiieuj , distingua le méiite
du nouveau venu, et l'iniroduisit imuifdatement au petit-sémi-
naire de Plombières, où il fit honorablement ses premières armes
avec le jeune Pallegoix de Beaune, aajouid'hui coadjuteur de
Siain. Silvestre professait les huuianités, et répondit en tout à ce
que l'on attendait de son intelligence : il s'agissait de renouveler
cet établissement d'éducation cléricale.
En 1825, Silvestre sentit ce qui manquait à son armure. Il par-
tit pour le capitale et alla s'enfermer à S.-Snlpice. Il y étudia
pendant deux ans ce qu'il n'avait fait qu'entrevoir au séminaire
de Dijoû. Il vil de haut et étudia à fon.l toutes les questions phi-
losophiques. La théologie, cette science universelle, il Tembrassa
avec amour, ijon pas comme un enfant -qui s'anmse à la surface
des choses, mais en homme qui les pénètre en tous sens et les
tient dans sa main.
Il aimait les confidences des savans, ses contemporains ; mais
au dessus (les vivans il y avait un compatriote qu'il ne perdait pas
de vue; il s'attacha avee passion à l'aigle des Gaules religieuses.
Ce fut lui, le jeune élève bourguignon, qui donna ses soins à
Védition de fios5//t/, publiée par Beaucé-ll isaad. Compienez-vous,
«lOD ami, tout ce qu'il fallait de zèle, d'ardeur et de force pour
L ABBÉ FOISSE-Î 135
sui^rre et mener de pair avec ses études le plus .orand génie des
tems modernes , bondissant de Tliistoinj particulière à l'histoire
universelle, s'élevant de la polémique du jour aux sublimes spé"
culations de l'histoire de la philosophie, commentant la Bible ou
écrivant sur les marches du tione la politique des Saints ?
Ce n'est pas tout, pendant que le jeune Silveslre puisait dan*
Bossuet l'universalité et l'énergie de la science, qu'il suivait les
cours de théologie avec labbé Dupanloup, Torattur ; avec La
croix, aujourd'hui clerc national à Rome ; avec M. d'Archimoles,
évéque du Puy, imbu des principes du maître, il voulut remon-
ter au berceau de l'Eglise, et demander à ses Pères du pain pour
les enfans de noire siècle. Il visita Chrysoslone, Grégoire de Na-
ziance, Bjsiie-le-Grond, Aihanase, Justin chez les Grecs ; Tertul-
lien, liil.iire, Cyprien, Aiubroise, Jérôme, Augnsiin, d.ins la lan-
gue de Rome; et, tout biùlaut de la contemplation de ces gloires
clii èiienne-, il accusa publiquement \dlemiin, qui en avait été
inondé, de réfouler dans son âme, en ])résence de la Sorbonne,
une admiration qu'il avait si énergiquement exprimée dans
ses Mélanges. Enfin l'archevêque de Paris couronna ses travaux
en lui conférant de ses mains le sous-diaconat, en 1827.
M. l'évêque deDijon rappela dans son diocèse l'abbe Fois'^et, et
lui confia la rhétorique à Plombières; c'est là qu'était sa mission.
Ses élèves puisaient dans sa direction un élan admirable et un at-
tachemenlsi fort qu'ils le poursuivaient pendanth s vaeanct s jusque
dans sa retraite de Bl'gny-?ous-B( aune. Les uns sont aujourd'hui
rhonnear de noiie ceigé ou les colonnes du { eiil-sénii ia<e , les
auties professi-nt daris des collèges voisins ; un aure, api es avuir
lutté à Pans |)en*iani queUjues anu'^ es pour les doctrines leligieu-
ses, professé dans des coliéi;es de Pans,(.ontiiiue à 'Moscou la mis-
sion que lui avait donnée son maîire. Ce fut au mois d'août 1828
qu'il prononça sur VEliide des Pères un discours remarquable,
qu'il regardait, je pense, comme la première pierre de l'édifice
qu'il se proposait d'élever.
Dès lors il lut jugé digne d'occuper un rang plus haut sur l'c-
chelle de l'éducation cléricale. Successivement nommé professeur
de ]>hilosophie, puis de dogme au grand ^séminaire du di4>cèi«^vi
130 NÉCROLOGIE.
ne se précipita pas dans le vestibule qui s'ouvrait devant lui; pé-
nétré de la mission qu'il avait à remplir, homme constant et
d'une admir.ible simplicité, quand il vit qu'on lui était des mains
l'œuvre qu'il commençait, il se sentit les entrailles déchirées, et
demanda conane une laveur la desserte de Montagny, petit vil-
lage voisin de sa famille. Mais ce n^est pas le repos qu'il cherchait:
l'abbé Foisset se mettait tout entier à ce qu'il entreprenait. Au
lieu de poursuivre ses éludes de prédilection, il les sacrifia géné-
reusement aux détails du ministère •, il fut curé de campagne avec
tout le zèle qui l'avait animé dans les hautes études littéraires et
religieuses. Le lieu de sa naissance, Bligny, ayant été ajouté à sa
desserte, l'abbé se trouva chargé de sept communes, célébrant
deux messes tous les dimanches, et chantant vêpres dans trois
endroits; safamille, son bien-aimé Théophile, le possédaient peu :
enfans et vieillards, hommes et et femmes, morts et vivans, tous
réclamaient le pasteur.
C'est au milieu de ces ouailles qui le bénissaient que le premier
pasteur du diocèse vint prendre l'abbé Foisset pour en faire le
supérieur de Plombières. Il n'avait que 28 ans; mais 31. Hail-
lon savait distinguer le mérite , et son grand-vicaire, M. Mor-
lot, aujourd'hui archevêque de Tours, connaissait depuis long-
tems le savoir-faire de l'auteur du Discours sur les Pères de VE-
glise. M. Foisset fut iiistallé par son évêque le 28 juin 1830, un
mois avant la révolution de juillet.
Pour connaître ce qu'eut à faire le nouveau supérieur, il la ut
savoir que Plombières était dégénéré. Des élèves gangrenés, sou-
tenus par des livres infâmes, et deux maîtres de récréations qui
les propageaient, des professeurs faibles et découragés, des étu-
des religieuses et scientifiques véritablement nulles, une mau-
vaise tenue générale, je ne sais quel ferment du dehors qui re-
muait l'écume au dedans ; à la porte enfin une soldatesque inso-
lente qui tentait à main armée une visite domiciliaire ; voilà le
chaos où l'abbé Foisset descendit sans peur ; un autre aurait dé-
sespéré d'y faire pénétrer la lumière.
Non turhetur cor vestruni, neque forinidei ; la noble contenance
clu jeune supérieur en imposa aux émissaires arméS;qui ne passé-
l'aBET FOISSF.T, 137
lenl point le seuil tlu séminaire, et l'on gagna la fin de l'année sans
encombre. Cependant on abattait des croix autour de Plombières,
etauloin, des églises et un archevêché ïl semble que l'abbé Foisset
ne soit venu^ quelques jours avant la sortie des élèves, que pour
voir de ses yeux la profondeur du mal, et protéger la maisoncon-
tre les invasions du dehors.
Les vacances furent pour le supérieur un moment d'activité in-
cessante. Le pensionnat fut épuré rigoureusement, le personnel
réorganisé, une comptabilité régulière établie, toute l'adminis-
tration réformée. Celui qui avait présidé à une édition de Bos-
suet, étudié les Pères de l'Eglise, qui s'était élevé aux plus su-
blimes spéculations religieuses et philosophiques, descendit aux
détails delalingerie et delà cuisine; et quand la rentrée se fil, tout
était en ordre; maîtres et élèvesentendirentdes réglemens, et tous
se mirent à l'œuvre sous la direction de Î\L Foisset, qui n'avait
alors que 29 ans ; c'était en novembre 1830.
L'histoire est le centre où les sciences doivent se donner rendez-
vous et s'unir. Elle embrasse l'homme, la famille, les nations,
rhmanité ; elle est la raison de toutes les croyances et la démons-
tration la plus philosophique de la religion. Cependant où en était
l'étude de l'histoire? Les collèges royaux de provinces ne lui ac-
cordaient qu'une importance secondaire; l'histoire de France
elle-même était ne'gligée, perdue dans des obrégcs sans portée,
quelquefois mise en petits morceaux et scindée en demandes et
réponses. L'abbé Foissc t dressa sérieusement une chaire d'his-
toire dans son établissement. Elle avait pour devise : Toute Vhis-
ioire est à refaire ; c'était l'écho de toute la France.
Dès lorS; on entendit prononcer des noms nouveaux dans l'en-
seignement provincial , et qu'en repoussaient des intelligences
étroites ou paresseuses. A la place ou à côté de RoUin, de Vertot,
de Loriquet , on vit Augustin et Amédée Thierry, Guizot, Mi-
chaud, de Barante, Lacretelle, Chateaubriand, Ancillon,Rio, Sal-
vandy, Muller, Lingard, Robertson, Heeren, Schlegel, Michelet,
Schlosses, Herder, enfin tous les hommes qui ont traité avec quel-
que élévation une époque de la vie du corps social. Il y avait â
retrancher à coup sur, mais il y avait beaucoup plus à prendre
r38 NÉCROLOGIE.
dans ces dépouilles des érudits de l'histoire. L'aijbé Foisset frap-
pait avec ses professeurs sur cette abondante moisson ; ils en
faisaient jaillir le bon grain ei en signalaient le mtiuvais.
Aussi bien Télan fut-il général, le su(cèé» rapide tt complet.
Le clergé se réjouit à la vue de ces jeunes houmies qui travail-
laient, à côté de l'autel, à la régénératian sociale parle catholi-
cisme, qui est toujours grand dans le respect des peuples^ comme
disait alors la Revue de Paris.
Le supérieur de Plombières n'était pas un contempteur des
auieuis profanes. Cicéron et Démosthènes, Tacite tt Thucydide,
Homère et > irgile, Téreuce et Aristophane, Horace et Pmdare,
enfin toutes les illustrations de la Grèce et de Rome étaient ac-
cueillies et étudiées. Mais à côté de la vieille société il voulut po-
ser le style et surtout l'esprii de la nouvelle ; il voulut que le gé-
nie du christianisme tlominàt l'ancien monde et lecouviîide
ses lumières. Jusqu'alors la rhétorique et les humanités avaient
eu boute, en qui Ique sorte, du D^tu-verbe et du Dien-hoiiLine.
Elles avaient pris en pitié i'eloquei ce des Pères de rEglisf^ qui
étaient les pères de ['humanité, pour ne parler que les paroles
de Cicérou, le père de la patrie.^ laquelle n'avait été, après tout,
qu'un vautour sur la poitrine des nations. Foissel pensa qu'après
avoir écouté le murmure des abeilles d'Athènes, il fallait que
l'élevé du sanctuaire entendît tonner les toi^c^e^-^'or, de Carihage
à Constanùnople, et il alluma dans sa maison le foyer de la
vieille littérature sacrée. Lui fera-t-on un crime de cette innova-
tion ? Après une lettre de Pline, je pense qu'il est bon de faire
lire quelque chose de la coriespondame de saint Bernard ou de
saint Basile, d'Augustin ou de saint Jérôuie; api es tel passage
de Tacite ou de Lucien, un fragment d'apologétique ou d'un dis-
cours sur le Christ ou la dignité de l'homme ; aptes une ode
d'Horace, un morceau de saint Ephrem ou de Giégoire de Na-
ziance. « A ous êtes des cieéroniens, tût pu dire iM. Foisset en
n entrant àPlombièies ^ je veux que vous soyez des enfans du
» Christ. »
• Il éleva toutes les études à une grande hauteur. Un plan
magnifique fut mis à exécution avec talent par plusieurs des
i/abui^: FOissRT. 139
amis qu'il s'était adjoints, et pour sontenir Taideur qui animait
toute celte jeune famille cie travailleurs, naguère agonisante,
il y créa une Académie qui produisit les plus brillants effets ;
institua une sorle d'école normale, pépinière destinée à recruter
le professorat. Des élèves sortant de réthorique se forniaient à
l'enseignement sous sa direction particulière. Trois ans avant
que x\I. de Caumont n'eût popularisé la science archéologique,
avant les travaux de dom Guéranger et la création de la société
des Anti'juaires de Dijon, l'abbé Foisseï faisait m personne un
cours d'archéologie sacrée, dont la nécessité fui bientôt sentie
par la plupart des èvêques de France, et que vient d'encourager
le ministie de l'intérieur.
.M. Foisset pourtant n'était pas mort pour le reste du monde.
Pendant qu'il commençait l'œuvre de Plombières, une nouvelle
rcuue paraissait; c'était les .^/z/îaZe.v de Philosophie chrétienne. Il
leur tendit les bras, et elles mirent au grand jour les pensées
qui se réalisaient en silence au fonds de la vallée de l'Ouche.
Yos lecteurs, Monsieur, n'ont pns oublié l'exposition rapide
qu'il en fit dans les volumes II. III et lY, et qui valurent à leur
auteur de nombreuses et honorables approbanons ».
On ne se contenta pas d'applaudir; de plusieurs diocèses les
évê^pies tnvoyèieiit d; s prêtres d'élite pour voir à l'œuvre celiti
qui avait si biea parlé et si haut, et emporter de son école des
méthodes tt des traditions. Je ne vous citerai que deux hommes,
parce que vous les connaissez, MM. de Saliniset Dauphin. Plom-
bières était alors une maison-modèle, qui allait devenir l'hon-
neur de la Bourgogne.
Toute cette révolution ne s'était pas opérée sans peine ; M..
' Voici le litre de ces articles : de \ Education cléricale. — (i" article)
Considérations préliminaires et générales, t. u, p. 955. — (2* article)
Phn sommaire d études pour un petit séminaire, p. 452. — (3* article)
Réponse ci quelques objections, celles fdites par Mgr Bouvier, t. ni,
p. 123, dans le même journal —(4* artic!?) Lettre sur Féducation clé-
ricale, p. J^^.— {5" avùc\e) filtre Réponse à quelques object/ons, t. iv,
p. i5i ; yfutre réponse, a M^r Bouvier, p. 3i 1.
>|/|0 NÉCROLOGIE.
Foisset sentit ses forces diminuer ; on lui interdit le travail
et les lectures. Mais à ce repos, qui déjà tourmentait sou ame,
en devait succéder un autre qui la déchira. M. Rey, alors
évoque de Dijon, arracha de Plombières le pasteur et abandonna
le troupeau à des hommes dont quelques-uns le dévorèrent. M.
Foisset oublia l'injustice épiscopale et pleura la perte de se«î en-
fans. Ses amis se retirèrent dans les diocèses voisins, qui se trou-
vèrent heureux de recueillir les débris de ce collège de profes-
seurs ; et les élèves, qui furent obligés de suivre la disgrâce des
maîtres, furent ])artout la proclamation vivante de la sagesse de
M. Foisset et d'une grande folie administrative.
Cependant, sur la présentation de l'archevêque d'Aix, le roi
nomma l'ex -supérieur de Plombières professeur d'éloquence sa-
crée à la faculté de théologie de cette ville métropolitaine. L'abbé
Foisset refusa. Des maisons libres, Juilly et Pont-le-\oy, l'ap-
pelèrent; il refusa. Il fut ajipelé sur les marches du trône épis-
copal j Mgr Dubourg, mort archevêque de Besançon ; jM. Don-
net, aujourd'hui archevêque de Bordeaux, alors coadjuteur de
Nancy ; le cardinal de Rohan, tendirent la main à M. Foisset. Il
ne se laissa point séduire par les honneurs ; il attendu il qu'il pût
continuer sa pensée, ramasser les débris de son œuvre.
Mais l'ouvrier du Seigneur ne se reposa pas. Il lutta contre la
chambre des députés en faveur de l'épiscopat que l'on amoin-
drissait-, il rendit compte, dans vos Annales, de VEnscif^nfi-nient de
la Philosophie au !{)'■ siècle, de INl. Bautain ' -, il apprit à vos lec-
teurs la Résurrection des Bcnédiclins en France * ; le nom de M.
Lezat, qui, lui aussi, comprenait que l'éducation ne serait jamais
bonne ni forte, si la religion n'en était la base^ ; les Paraboles de
Krummarher ^ et les morceaux choisis des sainls Pères de V Eglise
' Voir ie t. vi, p. a ig.
» Même volume, 392.
■' Examen de i'ouvrnge de ^I. Lézat, inlituié : ]\\-ccssdc , moyens et
projet d'une réforme dans la manière d élever la jeunesse au 19' siècle,
t. Tur, p, 3o5.
'* Examen de cet ouvrage, tn'.diiit par M. Bautain, p. 3iâ.
i/A-BBÉ foisskt. 141
grecque '. Eu même tems, il livrait dans les journaux quoti-
diens des combats pour la liberté d'enseignement. Plombières
était au fond de toutes ses pensées.
Enfin, quand il devint évident que son diocèse lui était ferme',
que tout espoir était perdu, il accepta le poste plus humble et à
la fois plus laborieux que lui offrit M. de Quélen. A Paris, rue de
l' Arbalète, si je ne me trompe, il y a une maison de santé qui est
à la fois maison d'éducation ; M. Foisset y fut en même tems di-
recteur, prédicateur, catéchiste, professeur.
Ce ministère pénible ne suffisait pas au feu qui le dévorait. Soit
qu'il connût tout le parti que la religion peut tirer de la litlé-
rature religieuse anglaise, ou qu'il prévît que bientôt la langue
de Lingard et de lord Byron serait introduite dans les études, il
se mit à l'œuvre et étudia l'anglais. En même tems il était l'âme
d'une conférence à^études ecclésiastiques ^ à laquelle prenaient
part MM. Morel, aujourd'hui curé de Notre-Dame de Paris; —
Martin de Noirlieu, curé de Sainl-Jacques-du-IIaut Pas ; — De-
lalle, curé de Toul^ Badische, Blanc_, SionnetTorienlaliste, etc..
C'était en 1835.
Ce n'est pas tout encore; M. Foisset se rappelant un voyage
qu'il avait fait en Allemagne en 1831, dans l'intérêt des études de
Plondiièies, et pendant lequel il avait aperça les sommités catho-
liques, Winckelman, Zoega, Muller, Siavk, Haman, la princesse
Galitzin, le comte de Stolberg, Schlegel, Werner, Goeres, Bmder
et autres, il les fit connaître à la France : Wnii'ers religieux et
les lecteurs des Annales entendirent avec étonnement le prêtre
bourguignon racontant les travaux de la science allemande avec
l'aplomb d'un homme qui eût passé sa vie dans une université
d'outre-Pihin ^ Il ne se contente pas de citer des noms; malgré
' Examen du i'. volume de cette édition, p. Sog. — M. Rossignol ou-
blie ici l'examen fait par IM. Foisset de son propre ouvrsge : les Etudes
hebraïqueSy p. 5o(5.
' Ces articles, intitulés : Galerie catholique de l'Allemagne sont au
nombre de six, et se trouvent dans les tomes ix et x des Anur.les.
142 AÉCROLOGIE,
les tiMvaiix de la rue de l'Aibalète, ses études anglaises, ses con-
férences et ses articles de journaux, il prit dans la galerie des plus
belles gloires littéraires de l'Allemagne la gloire la plus belle et la
plus pure. Il s'attacha au comte de Stolberg, le grand seigneur,
fils d'un ministre fTétat, et qui avait représenté à Berlin le cabinet
de Copenhague, et, en Russie, celui d Oldembourg. INI. Foisset
voulut donner à la langue iia.v)ç^ise V Histoire dd la Relii^ion de
Jésus-Christ^ de Stolber^^, monument inachevé, d'une pensée et
d'une érudition supérieures, et qui avait déterminé des conver-
sions écl;Uante>, entre autres celle <lu duc Adolphe de IMeiklem-
bourg-Sthwerin. Ce projet une fois conçti , l'ex-supérit nr de
Plombières entra en relation avec la famille du comie, et le
25 juin 1836 p iraissait à Piris le prospectus d'un grand ouvrage
qui réunissait à la fois l'érudition allemande, la douceur de
saint François de Salles, la philosophie et la science historique
de Bossuet ' .
La viguc ur du jeune Bourguignon succomba sous (ant de tra-
vaux et l'arrêta dans ses projets : une Inryngite qui le condam-
nait au silence et au répons absolu l'obligea à rentrer dans sa
famille. Mais, l'année suivante, nous le retrouvons encore à
P.u'is fais nt impriiner, sous ?es yeux, et de pair avec son frère
Théopliiq le. les OEnvres philosophiques de M. Riambourg. On
le nomma aumônier du collège Henri IF ; on lui fait de vives in»
stances pour la direction du collège Stanislas, l'abbé Foisset suit
le conseil de M. deQuélen ; il opte pour la co-direction de Juilly.
On sait quelle plice il occupait dans cette grande maison , et les
maîtres et les élèves n'ont pas oublié l'excShnt discours qu'il y
fit sur la prétendue religion du progrès''. Il ne se reposait jamais.
Les iems changent. >1. Rey est envoyé à Saint-Denis, et M. Ri-
' M. Rossignol a oublié trois articles, insérés par M. Foissrt <!ans les
Annales : du Rationalisme et de la tradition, t. x, p. 174- Sur fa The'O'
logie de Mgr l'e\>éque duHfans, t. xi, p. Ç>i, Sur la T'érité catholique
de M. Nault, X. xv, p. 60.
' Ce discours fut inséré dans V Université catholique, t. VJ, p. \^q.
l'abbé FOISSET. 143
vet, de Versailles, nommé à l'évêché de Dijon : l'abbé Foisset
est définitivement rappelé sur le terrain qu'il avait arrosé de ses
sueurs. En 1839, il rentre à Plombières, qu'il met alors sous la
protection de saint Bernard, dont on venait de publier une vie,
et dont le berceau est à un kilomètre de Dijon.
Il fallut tout relever : l'édifice moral et l'édifice matériel étaient
tombés.
Pendant les jours mauvais, le petit séminaire avait horrible-
ment décliné ; le bon esprit, les fortes éludes, le nerf de la disci-
pline, il ne restait rien de tons les élémens qu'y avaient jetés
autrefois le zèle et l'intelligence. Mais, grâce aux soins de M. Fois-
set, à sa vigilance, à sa capacité a lminis<rntive, au rare talent de
s'emparer de Tesprit de la jeunesse et df conquérir la confiance
des profes-^eurs , on vit bientôt Plombières se relever, el ivpien-
dre cette distinction que son supérieur avait su lui donner de
1830 à 1833.
Un moment il désespéta de la localité. Il aurait voulu trans-
porter dans la ])laine de Dijon toute sa famille adoptive. Force
lui fut de reculeV devant l'ordre en ministre. Mais il reprit cou-
rage , et se mit à reconstruire Plombières. La cour étroite, et re-?
connue malsaine , dans laquelle étaient entassés , sur le bord de
l'eau, deux cents élèves, petits et grands, fut abandonnée. Le jar-
din épiscopal fut sacrifié : trois vastes cours y furent dessinées,
au fond desquell^ il éleva trois salles de récréation, où s'agitent
aujourd'hui, sans contact et dans un air pur , \ts petits • les
mojens ei les grands. Des ailes ont été ajoutée s au corps pi in-
cipal, de nouvelles salles d'éiudcs construites, de vastes dortoirs
créés et une infirinerie établie. Cette rénovation complète s'est
opéiée sins ressources , et au milieu de contrariétés inouïes. Ar-
chitecte et conducteur des travaux, prêtre, administrateur, supé-
rieur, l'abbé Foisset s'est donné corps et âme pour achever l'édi-
fiée qui était la base matérielle et indispensable sur laquelle il
allait dresser celui des sciences et de la foi.
L'admiiable ouvrier mettait la dernière pierre, quand il a plu
à Dieu de l'appeler à lui , le 23 juin 1842 : « Certamenie, m'écri-
vait dernièrement Silvio Pellico, (jnelV anima era matura per la
14A NECROLOGIE.
"vita eterna. — Il defunlo cononico era uomo di grau meritOy e la
perdila di simili sacerdoti à un dolore délia Chicsa.
Aussi Plombières est dans la désolation , et le clergé se de-
mande s'il est possible de trouver quelque part un esprit meil-
leur, une piété plus franche et plus sincère. Professeur, il expo-
sait les principes de littérature avec un sens admirable , une
lucidité parfaite et sous la forme la plus attrayante. Il inspirait
à ses élèves un ardent amour du travail. C'était un ami plutôt
qu'un maître. Tous ceux qui ont eu le bonheur d'entendre ses
leçons en conservent un souvenir ineffaçable. Supérieur , il bril-
lait par la sagesse, ractivitc, les lumières. Pour les élèves, c'était
un père tendre ; pour les professeurs un frère , qui partageait
leurs peines et leurs travaux. Tout ce qui était à lui leur appar-
tenait : livres, conseils, aide, ses heures , il prodiguait tout. Sa
générosité était au-dessus de tout ce qu'on peut dire ; sa grande
àme faisait tout avec noblesse; son traitement de supérieur , et
ses revenus patrimoniaux, ne suffisaient pas au bien qu'il aurait
voulu faire. Sa présence rendait tous les enfans heureux ; un
seul mot de lui , un signe, un regard était coiftpris ; un sourire
remplissait d'allégresse tous les cœurs. Sa voix si douce, si bien-
veillante vibrait jusqu'au fond de l'àme; ses allocutions tou-
jours si touchantes, si bien en harmonie avec l'enfance, ne man-
quaient jamais d'atteindre le but qu'il se proposait : la formation
des esprits et des cœurs. Et puis, quelle affection I son bonheur ,
sa vie était de voir , de savoir , de rendre heureux tous les en-
fanls. La maison est aujourd'hui plongée dans le deuil ; les pro-
fesseurs surtout , sont attérés, presque anéantis. Je le conçois ; le
vide que M. Foisset laisse à Plombières est immense comme ce-
lui qu'il laisse dans sa famille ) mais ses collaborateurs ne laisse-
ront pas tomber l'œuvre qui les honore tous : ils ont l'esprit du
maître i qu'ils aient courage I
ROSSIGNOL,
Archiviste de Bourgogne.
Dijon le i" août i84'2.
l'abbé foisset. 145
I! ne nous veste qu'à nous associer aux regrets si bien expri-
més par 31. Rossignol. INous nous honorons d'avoir compté
M. Tabbé Foisset, non-seulement parmi nos collaborateurs, mais
encore parmi nos amis. Nous en avons peu connu qui fussent
plus dévoues à la cause de Dieu et de rÊglise. Quand nous lui
fîmes nos adieux à son dernier départ de Paris , nous étions loin
de prévoir qu'ds étaient les tlerniers ; au contraire , nous avions
encore l'espérance que, rendu à ses chères études, il reprendrait
les questions relatives à ramélioralion des études, qu'il avait si
Lien traitées dans les Annales. Dieu en a décidé autrement. Ce-
lui qui récompense non seulement les travaux faits , mais en-
core les travaux voulus, a juge' que M. l'abbé Foisset avait assez
travaillé pour sa cause. Nous devons accepter avec résignation ce
jugement. Heureux ceux qui , comme lui , dans la visite et l'ap-
pel de Dieu , seront trouvés occupés de la cause de son Eglise!
A. BONNETTY.
1 46 DIPLOMES.
2lrcl}colocjie.
DICTIONNAIRE DE DIPLOMATIQUE»
ou
COURS PHILOLOGIQUE ET HISTORIQUE
d'antiquités civiles et ecclésiastiques \
DIPLOMES. Par le mot diplôme on entend et les bulles ponti-
ficales et les diplômes, soit rojaux, soit impériaux ; mais la si-
gnification de ce lenne générique s'étend aussi aux leiiies-pa-
tdnies,aux privilèges, aux donation*^, eufin à toutes sortes de
charte-^, pourvu qu'elles soient un peu auiiques. Les diplômes gé-
réralement pris sont donc des lettres-patentes des euipereurs,
des rois, des princes, des républiques, des grands seigneurs et des
prélats.
Autorité des Diplômes.
L'empire qu'ils doivent avoir sur Lesprit, et l'autorité qu'on
leur atiiibue, sont fondés sur de puissans motifs; il suftit de pré-
senter les principaux. Ce sont: 1° Les circonstances qui accompa-
guèreut presque toujours la transaction de ces actes solennels;
c'est-à-dire, •« la majesté d'une cour plénière, la présente des
» grands officiers de la couronne, la signature du prince, le con-
'• tre-seing du référendaire ou cbancelier, l'apposition du cacbet
') ou du sceau des rois, etc., tic, l'assemblée publique des sti-
» gneurs voisins et des vassaux pour les clirirles des suzerains de
» grands fiefs, le conseatemeni manifeste des deux parties con-
» traciauies, et la caution réciproque des vassaux et de leurs sei-
» gueuis *.»
2' La certitude des faits qu'ils renferment, et qui au jugement
' Voir le précédent article, au Uo 29, t. v, p. 369.
Mercure de janvier 1724, p. 8.
DIPLOMES. 147
de nos habiles critiques *, doit l'emporter d'emblée sur les histo-
riens , même contemporains. La raison de cette préférence est
dans l'ordre. « La charte est dressée avec des formaliiés qui
» ôtent même le soupçon de Terreur : la date, les noms et les
» qualités des personnes contractantes y sont apposés avec une
>» présence d'esprit dont ne sont pas su^cepiibles le journaliste et
» riiislorien qui, dans leur cabinet, travaillent de lèle, souvent
» sur des oui-dire, toujours après que les faiis sont arrivés, et
» quelquefois même dans des lieux fort éloignés ^. Quelque chose
de plus encore, c'est que l'autorité d'un diplôme dressé par des
personnes publiques, toutes choses égaUs, stra toujours, à des
yeu\ inièjores, d'un tout autie poids, que la composition d'un
smiple particulier et même d une infini é d'autres qui se seront
successivement admirés. On ne doit donc pas balancer sur la va-
leur de ces actes, excipté dans les cas de surprise et de flatterie
qu'on y découvrirait; et pour constaier ces cas mêmes, il est encore
bit n des précautions à prendre. Qui pourrait répondre, par exem-
ple, que les historiens et les notaires suivissent des époques et des
dates uniformes ; qu'une différence de date d'un ou deux ans fût
un titrede réprobaiion plutôt (|u'une variation dans le comput
q j'ii nese soit pasglissédes lautesdansle.s manusci itsd«s auteurs-
que ce trait d'h stoire en contradiction ne soii pas fondé sur de
purs préjugés; que l'on n'ait pas donné trop de créance à des his-
loiies qui en méritaient moins; que l'on n'ait point pris des co-
pies pour des originaux ; que même dans ces derniers une mé-
prise fut ou ne fut point réfléchie; qu'enfin ce mot qui nous fait
rejeter cet acte soit un trait de faussaire, plutôt qu'une équivo-
que dans les noms?
3^ Les avantages qu'ont les diplômes sur les inscriptions et les
médailles, que l'on donne coiiuiie une des sources de l'histoire.
' Schannat, Vindic. archiv. fiddetis., p. 91. — Her'^ott. GeneaL
diplomaiica gentis Habsburg ; proie ^om 1, p. 3. — Perezius, Dissert.
eccUs.^ p. \Q-.— Chronic. Gotwicensis prodrom., part. 1, lib. n, p. y^.
— Jean. Jungius ad Lud. Waltheri Lexicon diplom. etc.
* Mercure de décembre 1725, p. Sooy.
148 COURS DE PHILOLOGIE ET d'aKCHÉOLOGIE.
Eu efl'et, les médailles et les inscriptions les plus solennelles le
sont-elles autant que les diplômes mêmes qui le sont le moins?
En elîet, les diplômes donnent-ils, comme les médailles, par leur
obscuiilc et leur précision énigmati([ues, un cliamp libre à l'éga-
rement fantastique d'une imagination vive, mais déréglée, et à
des interprétations arbitraires et quelquefois insoutenables ? Les
faussaires des diplômes sont-ils reconnus et ont-ils acquis un
nom comme \is Carteron, les Laurent Parmesan, ces fameux fa-
bricaleurs de médaille^? La chose même esl-elie aussi possible?
et n'est-il pas plus aisé ' de contrefaire une douzaine de lettres
sans être gêné par la grandeur du type ou du coin, puisqu'il est
très rare d'en trouver d'un même moule, que de contrefaire un
titre sans s'écarter ni de l'écriture, ni du style du tems, ni des
points fixes de l'histoire?
4° L'autorité que la jurispridence donne aux actes tant publics
que privés, qui n'ont pas à beaucoup près la solennité des di-
plômes. On appelle acte public celui qui est dressé par un notaire
tabellion, ou autre personne publique, lequel, à raison de son
antiquité, acquiert une autorité plus grande, pleniorem Jidein ',
mais qui toujours l'emporte même sur la preuve par témoins, si
l'on n'eu démontre la fausseté. Lorsque cet acte est authentique,
c'est à-dire qu'il est relevé par l'apposition d'un sceau, alors %
ii a tous les caractères de vérité auxquels on ne saurait refuser
une pleine créance.
L'acte privé est celui qui, dressé par un particulier <, uVst au-
torisé ni par un sceau auihenlique, ni par la signature ou la pré-
sence de témoins mentionnés dans l'acte. Cependant ces sortes
d'écritures qui comprennent les oljligations, les quittances, les li-
vres de coniptcs, les aveux, etc., etc., prouvent Irt ouvent eu
justice, soit pour, soit contre ceux qui allèguent ces sortes d'in-
' Aluralori, Antiq. Ital., t. ni, disserl. 34, col. lo.
» Dumoulin, t. i, tit. i, § 8, n. 76.
^ Ibid.^ tit 21 inlib. iv, cod.
^Ibid.. t. IV.
DIPLOMES. 140
sliumens. Et l'on s'obsliuera à refuser a des chartes une créance
que les magistrats les plus sévères ne refusent point aux livres
d'un marchand, pour peu de réputation qu'il ait !
5** Enfin, ce qui confirme de plus les diplômes et les chartes
dans le droit de primauté cju'ils ont sur tous les divers autres
iustrumens, c'est le respect dû aux archives où ils ont été con-
servés. Ces dépôts du piince, de l'état et des magistrats • ces tré-
sors publics, dépositaires des actes et des titres des seigneurs,
d'une province, d'une cité ; ces édifices consacrés à l'utilité com-
mune, qui renferment des mémoires d'état, des annales, des sta-
tuts, des coutumes, des privilégi/s, des titres ', assurent, selon le
jugement du plus grand nombre des jurisconsultes ^, à toutes
les écritures qui y sont déposées, même aux acles privés ^, une
certitude morale qui prouve en justice, et qui forcfe l'adhésion de
toutes personnes non prévenues. FojezARcm\ES, OrxiGiNAUx, Co-
pies.
Définition et forme des diplômes.
On a déjà dit que les diplômes étaient les lettres patentes des
souverains. On ne voit point d'acte qui se qualifie de ce nom. Le
nom de diplôme, qui tire son origine d'un mot grec qui signifie
plié en deux, leur est venu de la forme qu'ils avaient dans les
commencemens. Ces lettres patentes étaient cenniîunément ins-
crites sur d 'ux tables de cuivre attachées ensemble et jointes
comme deux feuilles d'un livre ; c'est de là que vient l'origine du
terme diplôme. Tel egt le premier que l'on connaisse 4 : il est de
» Rufger Ruland, TracL de commiss., cap. 3, n. ultim. — Nicol.
Myler, Tract, de statu imp., cap. 47. _ Franc. Michel Neveu de
Windtscldée, Bissert. de archivis Argentorat, n. i^.
^Baithas. Bonifac. Ub. de archiv., cap. \o. — Wenckeri, Coîlcct.
archiv., p. 48. — Nicol. Christoph. Linckeri, Dissert, de archiv /w-
/;er.,n. 6. — Dumoulin, t. i, col. 009.- Balde. — Alexandre. - Jasou
— De Castre. — Jean André. — La Glose. - Les canonistes , etc.
' Lincker cité.
* Maftei, Istor. dipl., p. 3o.
•u« sÉKiE. lOME vr. — N« 31. 1842. 10
150 COURS DE PHILOLOGIE ET D ACHEOLOGIE.
empereur Galba, et contient un congé de quelques soldats ve'tc-
rans : il est fait dans le goût le plus simple : Sergius Galba...
suivent les titres : veteranis. .. honestam missionem et cwitatem
dédit. Il est daté, et il marque qu'il fut enregistré et homologué
auCapitole. Lors même que les diplômes changèrent de foiine ,
ils en retinrent le nom. Les diplômes étaient dès lors fort con-
nus : on y accordait des privilèges et des immunités à des corps
ou à des particuliers. L'empereur Zenon, par sa loi du 23 dé-
cembre 476 , statua qu'on n'accorderait pas de diplômes à des
particuliers, mais seulement à des | rovinces, à des villes et à des
corps considérables; mais les démembremtus de l'enijiire firent
que cette loi ne fut que peu ou point observée, au moins dans
les nouveaux états des peuples conquérans, quoique les vaincus
eussent fait adopter aux vainqueurs la plupart de leurs lois, de
leurs usages, et une partie de leur jurisprudence. Le plus ancien
dip orne qui nous soit resté de nos premiers rois en original, est
celui de Childebert I", donné en 558 en faveur de Saint-Ger-
main-des-Prés : il est d'un vélin aussi fin et aussi beau que celui
des plus anciens manuscrits.
Les rois d'Angleterre n'ont commencé à donner des diplômes
que dans le 7^ siècle. On ne sait pas au juste le tems auquel les
états de l'Empire se sont attribué le droit de donner des diplô-
mes ; mais les princes de la maison de Brunswick-Lunébourg sont
les premiers ^ qui l'ont exercé en leur propre nom sans l'autorité
des empereurs. On regarde Henri VIII, dit le Noir, comme le
premier duc de Bavière qui, ayant fait une donation de son chef,
l'an 1120, en ait donné un diplôme; ce qui avant lui n'avait été
fait en Allemagne que par les rois et les empereurs.
Le premier roi de la monarchie française, Clovis, donna des
diplômes, et ses successeurs l'imitèrent. Il y a très peu de diffé-
rence dans la forme des diplômes des trois premières races de
nos rois; ils ne diffèrent guère que dans les expressions. Voici en
abrégé l'ordre et la substance de ces diplômes, tels qu'on les
TrMt, Jo. Eisenhardti, dejurediphm.y cap.xi, p. 24.
DIPLOMES. 151
trouve dans les diplômes Mérovingiens. Ils portaient en tête une
invocation monogrammatique ^ au moins on n'en connaît pas d'au-
tres, sans cependant prétendre l'affirmer ; elle était suivie de la
suscriptiony ce qui composait la première ligne ; d'un préambule^
de ïobjet du diplôme, des menaces ou des amendes; de l'annonce
ou du sceau ou de la signature, Tune et l'autre manquent cepen-
dant quelquefois ; de la souscription, qui contenait premièrement
une invocation monogrammatique , puis le nom du roi; de la
ruche, qui renfermait plusieurs ss pour subscripsi ; de la signa-
ture du référendaire qui avait présenté l'acte 5 du souhait par la
formule henevalias^ placée auprès du sceau. Tout au bas de l'acte
étaient placées les dates du jour , du mois, de l'année, du règne
et du lieu*, ensuite une invocation formelle tout au long, Qi féli-
citer, formule finale.
Telle est la marche des diplômes des rois mérovingiens. Leurs
diplômes de moindre conséquence n'étaient souscrits que par les
référendaires ; car, sous cette race, ainsi que sous les deux sui-
vantes, il y avait des diplômes solennels, et d'autres qui l'étaient
moins. Les derniers ne présentent pas toutes les formalités dont
sont revêtus les premiers.
Les diplômes C^rlovingiens suivent assez le même plan, à quel-
ques exceptions près, qui consistent plus dans les expressions que
dans le fond de l'acte. On peut en voir les différences aux arti-
cles Invocation, Sdscription, Imprécations, Annonce, Souscrip-
tion, Signature, etc.
Sous la 3* race, jusqu'après le règne de saint Louis, cette forme
se maintint à peu près ; alors ils commencèrent à en prendre une
nouvelle : mais le changement est total après le règne de Phi-
hppe-le-Bel. Les diplômes solennels portent l'invocation du nom
de Dieu, de Jésus-Christ notre Sauveur, et de la sainte Trinité ;
l'ère chrétienne, l'année du règne du roi, son monogramme, la
présence des quatre grands officiers ; et ils sont munis d'un sceau
avec contre-scel. Les moins solennels ne s'assujétissent pas à
toutes ces formalités, mais ils en observent quelques unes, plus
ou moins ; ce qui fait voir qu'il ne faut point juge? des uns par
les autres, et qu'on ne doit point prendre les diplômes les plus
iO'Z CDLi.S DE PîllLOl.OGIli i/f !:> AilCnHOLOGir.
solennels pour servir c!o rc^le et lîe niotlèieà tous les autres, sous
peine de déclarer faux h s uns, faute de conformité avec les au-
tres. Dans ces mêmes tems, les empereurs d'Allemagne suivirent
assez dans leurs diplômes les usages des rois de France, en dis-
tinguant comme eux les solennels de ceux qui le sont moins.
Dans le siècle suivant, c'est-à-dire dans le 14% les diplômes de
nos rois prirent une nouvelle foeme : plus d'invocation, nouvelle
formule finale , plus de signature de grands officiers, etc. etc.
Foyez toutes les parties d'un diplôme séparément, et l'article
Ecriture.
DOCTEUR. Le titre de docteur a été créé peu avant le milieu
du 12» siècle pour succéder à celui de maître^ devenu trop com-
mun. On attribue l'établissement des degrés du doctoral, tels
qu'on les avait dans Tancienne Sorbonne, à Irnerius, qui en dressa
lui-même le formulaire. La première installation solennelle d'un
docteur, selon cette forme, se fit à Bologne en la personne de
Bulgarus, professeur de droit. L'université' de Paris suivit cet
usage pour la première fois vers l'an 1148, en faveur et pour
l'installation du fameux Pierre Lombard. — De plus, on croit
que le nom de docteur n'a été un nom de titre et de degré , en
Angleterre, que sous le roi Jean, vers 1207.
\oici maintenant quelles étaient les formalités à remplir pour
obtenir le tilre de docteur en théologie.
Les différentes universités du royaume n'exigeaient point toutes
le même tems d'étude pour obtenir ce degré, et n'observaient
point les mêmes cérémonies de l'inauguration ou prise de bonnet.
Dans la faculté de théologie de Paris, on demandait sept années
d'étude^ savoir : deux de philosophie, après lesquelles on recevait
communément le bonnet de maître-ès-arts ^ /ro/s de théologie^
qui conduisaient au degré de bachelier en théologie, et deux de li-
cence, pendant lesquelles les bacheliers étaient dans un exercice
continuel de thèses et d'argumentations sur l'Ecriture, la théolo-
gie scolastique et l'histoire ecclésiastique.
Les bacheliers qui, après avoir reyu de l'université la bénédic-
tion de licence, désiraient obtenir le bonnet de docteur^ allaient
demander jour au chancelier, qui le leur assignait; le licencié
DOCTEUB. 153
avait pour lors deux actes à faire : l'un le jour même de la prise du
bonnet, l'autre la veille. Dans celui-ci, il y avait deux tlièses : la
première était soutenue par un jeune candidat, apf.elé auliculaire.
Deux bacheliers du second ordre disputaient contre lui : le licencié
était auprès de lui. Le grand-maître d'études, qui avait ouvert
l'acte en disputant contre le candidat, présidait à la thèse nommée
tentative^ et qui durait environ trois heures. Le second acte que
devait faire le licencié se nommait vesperie, parce qu'il se faisait
toujours le soir. Deux docteurs appelés , l'un magisier regens, et
l'autre magister terminoruvi interpres , y disputaient contre le li-
cencié, chacun pendant une demi-heure, sur un point de l'écri-
ture sainte ou de la morale. L'acte était terminé par un discours
prononcé par le grand-maître d'études.
Le lendemain, le licencié, revèiu de la fourrure de docteur,
précédé des massiers de l'université; et accompagné de son grand-
maître d'études, se rendait à la salle de l'archevêché ; il se plaçait
dans un fauteuil entre le chancelier ou sous-chancelier et le grand-
maître d'études. La cérémonie commençait par un discours que
prononçait le chancelier ou sous-chancelier ; le récipiendaire y
répondait par un autre discours, après lequel le chancelier lui
faisait prêter les sermens accoutumés et lui mettait le bonnet sur
la tête. Il le recevait à genoux, se relevait, reprenait sa place et
présidait à une des thèses qu'on nommait aulique, parce qu'elle
se célébrait dans la salle {aida) de rarchevêché ; la matière n'y
était point déterminée et était au choix du répondant. Le nou-
veau docteur rouvrait la thèse par un argument qu'il faisait au
soutenant.
Le nouveau docteur se présentait au prima mensis suivant,
c'est-à-dire à la plus prochaine assemblée de la faculté, prêtùt les
sermens accoutumés, et, dès ce moment, il était inscrit au nombre
des docteurs; mais il ne jouissait point encore pour cela dj tous
]es privilège?, droits, émolumens, attachés au doctorat ; il n'avait
le droit d'assister aux ai^emblées, de présider aux thèses, d'exer-
cer les fonctions d'examinateur, censeur, e:c.. cu'^in b -ut de ^ix
ans ; a'crs il soutenait une dernière thèse nommée rr.unipte. e. il
entrait en pleine jouissance de tous les droite du doc o.at.
154 COURS DE PHILOLOGIE ET d'aRCHÉOLOGIB.
Les docteurs en ihcologie cLiient oblige's, comme les autres, de
se présenter à l'examen de l'évêque pour prêcher ou pour con-
fesser. S'ils obtenaient des bénéfices en cour de Rome , in
forma digniim , ou si leurs provisions étaient en forme gracieuse
pour un bénéfice à charge d'âmes, ils étaient également assujétis
par les canons et les ordonnances à cet examen '.
On voit que la forme du doctorat , dans l'ancienne université,
avaitfail de cette institution une science de mots plus que de choses;
la moitié des forces de Tesprit était employée à des puérilités sco-
lastiques et aristotéliciennes : elle empêchait d'ailleurs tout pro-
grès dans les études. Lors de la formation de la nouvelle univer-
sité, on voulut aussi faire des docteurs en théologie; on a voulu
même, à différentes reprises, exiger ce grade pour être profes-
seur à la faculté de théologie, mais toutes ces tentatives ont
échoué*.
DIPTYQUES. C'était autrefois des registres publics , où les
chrétiens écrivaient le nom des Evêques qui avaient bien
gouverné leur Eglise , ou qui y avaient fait quelque bien. On en
faisait ensuite mention dans la célébration de la Liturgie. On en
rayait ceux qui commettaient quelques crimes ou qui tombaient
dans l'hérésie. ■ — Les Païens avaient aussi des diptyques , dans
lesquels ils conservaient les noms des consuls et des magistrats ;
c'est ce qui a fait faire la distinction des diptyques sacrés et de
diptyques profanes '.
DISQUE. Terme de liturgie. Les Grecs ont donne' ce nom à ce
que les Latins appellent Patène. Le disque diffère de la patène
par la figure, en ce qu'il est plus grand et plus profond.
DOCTRINE CHRÉTIENNE. Congrégation religieuse insti-
tuée en 1592 par le bienheureux César de Bus , de la ville deCa-
' Concile de Trente^ Sess. 24, can. 18. — Ovdon. de Moulins^ art 75 ;
— de Biais, art. 12; — Éditde Melun, art. j4, et celui de 1695, art. 2.
^ Décret du i7 mars i8o8, art. 27 et 28. — Cad, eccl. franc., p. 218.
' Voir une dissertation et deux planches, représentant un diptyque,
dans les Annules, 3* série, t. iv, p. 44.
DOCTRINE CHRÉTI£iN:NE. 155
vaillon, appartenant alors au pape , et confirmée par Clément
yill,4e 23 décembre de la même année, par une bulle que l'on
n'a pas retrouvée , dit l'éditeur du Bullarium magnum. — L'ob-
jet de l'Institut était de catéchiser le peuple et de lui enseigner les
mjslcres et les préceptes de l'Évangile. Comme pour les autres
congrégations, nous allons analyser les différentes bulles des pa-
pes qui en ont traité.
1616. Paul V, sur la demande des supérieurs , unit cette con-
grégation à celle des clercs réguliers somasques d'Italie ; les deux
sociétés devaient former un corps régulier ayant un même géné-
ral, résidant à Rome, portant le même nom, celui de somasques^
mais conservant une administration séparée, et des supérieur»
chacune de sa nation *.
1647. Innocent X, sur la demande du roi de France , rompfS
l'union avec les Somasques , et en forme deux ordres séparés ^.
1659. Alexandre TII les soumet aux vœux simples d'obéissance,
de chasteté et de pauvreté , et au vœu de demeurer toujours dans
la congrégation ^
1676. Clément X donne au chapitre général ouaudéfinitoirele
droit de dispenser de leurs vœux, et de renvoyer de la congréga-
tion ceux qui étaient indignes d'y rester *.
1688. Innocent XI accorde aux membres de cette congrégation
le droit d'ériger dans tous les lieux où ils ont eu ou auront des
maisons, des confréries d'hommes et de 'emmes, sous la même dé-
nomination, ayant le même but , et jouissant des mêmes privilè-
ges et indulgences que l'archi-confrérie établie à Rome ^.
1695. Innocent XII étend ces privilèges et ce droit à tous lef
lieux où ils feront une mission ''\
' Exinjuncto, dans le Bull, mag., édition de Luxembourg, t. m,
p. 090.
=» Cette bulle n'est pas dans le BuUa. mag.
^ Citée dans la bulle d'Innocent Xll, de 1696.
■* Citée dans la bulle de Benoît XIII, de 1727.
5 Citée dans celle dlnnocent XII^ de 1696.
^' Bulle e.rponi nobis, ibid.^ t, xri, p. a56.
156 COÎRS DR PHir.OLOGIF. F.T D AnCHEOLOOIK.
1606, Innocent \IÏ , a|^prenant tUi procureur général Josepli
BelIi^îsen que (juelques-uns des confrères , malgré le vœu de pau-
vreté , conservaient une action sur leurs biens propres, ou rece»
vaient de l'argent pour discours, messes, elc , ordonne que tous
les biens des confrères et cmolumens quelconques soient mis
dans la masse commune de la communaulé , afin qu'elle en dis-
pose à son gré *.
1697. Le même pontife confirme un décret de la congrégation
des cardinaux , qui avait cassé une délibération du chapitre géné-
ral qui avait aboli les Discrets '.
1608. Autre décision du même pontife, portant que doréna-
vant dans le chapitre provincial , pourront assister seulement et
de leur personne , le général en exercice , le prorinci.il , tous les
recteurs, accompagnés chacun de leur discret^ qui devait être élu
par le chapitre conventuel , où il y avait six voix '.
1725. Benoît !MII, sur la demande des deux congrégations,
unit celle de iSaples à celle d'Avignon, devant former un seul
corps sous le nom de clercs séculiers de la doctrine chrétienne d*A^
vignon, de manière que ladite congrégation reste composée de
quatre provinces , de Pxoriie, d'Avignon , de Toulouse et de
Paris.
Le vicairc-gënr'ral de la province romaine devait être Ptomain,
avec voix active et passive dans les chnpiires provinciaux qui se-
ront tenus tous les trois ans, et les généraux qui seront tenus
tous les six ans.
Avec permission d'établir des missions, congrégations, écoles,
académies, et d'instruire la jeunesse dans les lettres et la disci-
pline, surtouc d après la doctrine de saint Thomas, etc. ^.
1727. Le même pontife donne aux supérieurs le droit de dè-
tenniner le nombre de voix et de régler les choses de discipline,
de suspendre et d'absoudre les sujets.
' Ex 1)0 ni II obis, :7y/V., t. xu , p. aC8,
' Alias emanavil^ ihuL, p. 280.
* ■Siijicr pro parte, ib 't., \). 297.
■• JUin<i Itujiii, t. xm. |). iC);.
DOCTRINE CHRKTIKNNF. 157
Il modifie en oiUre le droit de renvoyer de la congré{>ation,
accordé par Clémenl X, en ce sens que, s*il s'agit d'un clerc or-
donné sous le titre de la congrégation, on ne pourra le renvoyer»,
qu'en lui constituant de quoi vivre, ou en ayant un certificat qui
Constate qu'il a un patrimoine suffisant '.
1734. Clément XII, sur la demande de Hiacynlhe de Benoît,
procureur général, décide que si, pendant la tenue d*un chapitre,
un provincial venait à mourir, celui qui serait élu immédiate-
ment, ou celui qui tient la place, aura immédiatement voix au
même chapitre et y sera appelé, si la ville n'est pas distante de
plus d'un ou deux jours de chemin '.
1738. Le même pontife décide que le procureur général de
toute la congrégation doit demeurer à Rome dans la maison
de Sie-Marie-de-Monlicelli ^
1738. Le même pontife approuve les chapitres qui avaient
été conclus à Paris pour consolider l'union enUe la province
d'Avignon et celle de Naples, dont les principaux sont : la
province romaine, restera à peu près séparée de celle d'Avignon,
et ne devra être soumise qu'à une visite de six ans en six ans ; la
dispense des vœux ne peut êire donnée que par le souverain
pontife ou par le chapitre général, etc. 4.
174/. Benoît XH", s'étant fiit rendre comple de l'état de la
province romaine, la trouve, dit-il, dans un état déplorable de
décroissance; il n'y avait plus que 38 prêtres clercs et 70 con-
frères laïques pour huit maisons ou collèges qui lui apparte-
naient, sans espoir même de pouvoir raniélioier, puisqu'il n'txis-
taif ni maison d'étude, ni noviciat ; il renonce donc à l'espoir de
la réformer et l'unit à colle d'Avignon , afin qu'elle ne forme
qu'un seul corps avec celle-ci à laquelle il donne une partie des
biens et des charges \
= Crédita nobis, ibid., t. xiri, p. Soj.
* Expnui nobis, ibiJ., t. xv^ ji. 5.
5 Emanavit nuper, ibid.^ p. i8:7.
* Ex injunclo, ibid., p. 187.
' ^postoUci niwiei i', ibid.] t. xvii , p. 'ioG.
1 58 COURS DE PHILOLOGIE ET d'aRCMÉOLOGIE.
\ oici quel était l'état de cette congrégation en France à Tépoque
de îa Révolution, Elle y formait une congrégation sépaiéede celle
•d'Italie; elle était séculière et comme telle soumise à la juridiction
et visite d s ordinaires Un général français la gouvernait avec
trois assistans, deux procureurs généraux et un secrétaire générai.
Elle comprenait 50 maisons ou collèges distribués en trois pro-
vinces qui avaient cliacnne leur visiteur. Ces provinces étaient
Avignon, Paris, Toulouse. Le général faisait sa résidence dans la
maison de Paris qu'on nommait la maison de S. -Charles, parce
que l'église est sous l'invocation de ce saint. M. de Bonnefoux,
derner supérieur général, est mort en 1806.
Les Doctrinaires portaient l'habit des prêtres tel qu'il était au
tems de leur institution. Afin qu'ils pussent vaquer aux emplois
dont ils étaient chargés et remplir leurs cngagemens, aucun d'en-
tre eux ne pouvait obtenir un bénéfice exigeant résidence, sans le
consentement du définitoire, ou, dans les cas pressans, sans la
permission du conseil extraordinaire de la province, qu'il était
nécessaire de faire ratifier par le définitoire au plus tard dans
deux mois, faute de quoi la provision était nulle de plein droit,
et le bénéfice impétrable '.
A. B.
' Voir les Lettres-patentes en forrie d'Edit du mois de septembre
1726, enregistrées au grand conseil le i5 octobre suivant.
NOUVELLES ET MBLANCIS. 159
HoupclUô ci illflangeô.
AMERIQUE.
NOUVELLE-GRENADE. BOGOTA. — Décret du congrès et du
pouvoir executif appelant les jésuites pour les chaîner de continuer
les missions. « Le sénat et la chambre des représentans de la Nou-
velle-Grenade, réunis en congrès, considérant que les utiles et pieuses
ÎDStitutions des missions tombent en décadence, faute de missionnaires
dont l'éducation et l'esprit soient appropriés a un aussi ardu ministère,
décrètent rétablissement d'un ou de plusieurs collèges démissions et
des maisons de stations nécessaires pour pourvoir aux missions de Casa-
nare, Saint-Martin, Andaqui, Mocoa, Goadjira et Vareguaj:.
» Les collèges de missions établis par le présent décret seront de l'In-
stitut que le pouvoir exécutif jugera le plus convenable parmi ceux qui
professent le ministère des missions en Europe. Sont appliqués à l'établis-
sement de ces collèges : i° l'excédant des sommes annuellement aflectées
par le congrès au service des missions -, '?f' Les biens des couvens qui
ayant été des collèges de missions, ne possèdent plus de religieux qui
les desservent, et n'ont point reçu d'autre destination.
y Cette pièce est suivie d'un de'cret du pouvoir exécutif, signé par le
vice-président de la république, chargé de ce pouvoir. Voici le som-
maire de ce second document :
j) En exécution du décret législatif du 28 avril dernier pour l'éta-
blissement decolléges démissions, considérant, 1° que ledit décret a été
discuté et approuvé dans les chambres législatives, dans la suppo-
sition que ce serait l'institut de la compagnie de Jésus qui serait ap-
pelé à se charger des missions, ce qui ferait croire que c'est celui que la
majorité des sénateurs et des députés a jugé préférable; 'jP que l'ex-
périence a démontré que cet Institut est le plus apte à convertir les
jaavages à la religion chrétienne et à les conduire à la civilisation; ce
qui est incontestablement prouvé par ce qui est arrivé dans l'Amérique
\\\ sud, où l'expulsion des Jésuites a été suivie de la décadence progrès-
160 NOUVEr.LES ET MiLlRGES.
sive des missions, décadence qui a été chaque jour en augmentant,
sans que le zèle des autres missionnaires eût suffi à l'airèter; 5" qu'une
des conflitions les })lus précieuses pour que l'entreprise des mis-
sions produise des fruits, est que les missionnaires soient formés pour
celte profession ; qu'il est d'ailleurs hautement avanta|;enx pour le pays
que ces ecclésiastiques possèdent des connaissances dans les tciences
exactes et naturelles, qualités qui se trouvent réunies dans V institut des
jésuites à un plus haut degré qu'en aucun autre; 4° enfin qu'il est plus
facile d'obtenir des missionnaires de cet institut que d'aucun autre,
attendu qu'ils sortent fréquemment d'Europe en nombre considérable
pour aller en Asie et en Afrique, où leur zèle produit les meilleurs effets
religieux et sociaux ; et que le crédit dont jouissent les jésuites, en qua-
lité de missionnaires, et la sympathie qu'on leur conserve dans le pays,
font que le gouvernement rencontrera en eux une active coopération
pour le succès de l'entreprise des missions : il est décrété que l'institut
de la compagnie de Jésus est choisi pour être chargé des missions de
la République, et qu'on engagera l'archevêque et les évêques à exhor-
ter leurs diocésains à coopérer, parleurs aumônes, à l'établissement des
collèges des missions, et aux frais de voyage des missionnaires d'Eu-
rope à la Nouvi-'Ue-Grenado.
)) Mgr Tarchevêque de Bogota s'est empressé d'adresser au ministre
de l'intérieur et des relations extérieures de la république une letlret
où il exprime sa satisfaction épiscopale de voir le gouvernenieni s'occu-
per de l'œuvre sainte de la propagation de l'Évangile parmi 1rs gentils,
et surtout parmi les sauvages, et il ajoute que le choix de la compagnie
de Jésus, i-our l'exécution de ce pieux dessein, est une garantie du
succès de l'entreprise. Le vénérable prélat continue ensuite en ces
termes :
('. L'institut de cette sociélé renferme les élémens du zèle nécessaire
» et de la sagesse et des vertus chrétiennes ; il est tellement constitué,
« qu'il est apte à toute bonne œuvre, et son éminente piété le rend
» propre à faire le bonheur des peuples. Tel est le jugement qu'en ont
» porté des hommes distingués en Europe et en Amérique, et l'expé-
)) rience confirme chaque jour ce jugement. On ne pouvait donc pas
î) m'àdjoindre, pour l'accomplissement de mon devoir j)asloral, des
*> auxil::'.ires plu? utiles qur les jésuites. »
NOUVELLES ET BlELAiNGES. 161
->■> Le chargé tl'aQalrcs delà i rpuLliquc de la Nouvcllc-Grcnado à Lon-
dres vient de passer à Paris, d'où il se rend en Angleterre. C'est lui
qui, conformément aux termes du décret du pouvoir exécutif, est
chargé, au besoin, d'aller en Italie et dans les autres parties de l'Europe,
afin de prendre avec la compagnie de Jésus les arrangcmens nécessaires
pour l'exécution des ordres de son gouvernement. »
AFRIQUE.
CAP DE BOrs'NE-ESPÉRANCE. — ^/a/ Ci progrès de la religion
dans ce pays. — Voici ce qu'écrit INIgr Griflith, vicaire Apostolique.
Parle secours de V association pour la propagation de /a^b/, quatre
églises ont été érigées : trois sont établies dans des lieux où jamais un
prêtre n'a résidé: une, là où jamais aucun ministre catholique ne s'est
arrêté, ou le sacrifice de nos autels n'avait jamais été offert, où jamais
on n'avait célébré le saint jour du Seigneur, où jamais enfin le catholi-
cisme n'a été connu, ou ne l'avait été que pour être outragé. Il en est de
même du district de George, à 3oo milles du Cap et au milieu de la co-
lonie. A mon arrivée ici, on n'y eût pas trouve un seul catholique; au-
cun prêtre n'y avait jamais pénétré. Aujourd'hui on y bâtit une petite
église; il y a une communauté toujours croissante et qu'un grîmd nom-
bre de conversions promettent encore d'augmenter. Ainsi vous voyez
aujourd'hui quatre missions établies là où il n'en existait auparavant
qu'une seule, et encore sans siège permanent; vous voyez le Dieu de nos
pères adoré dans les lieux où ses symboles étaient repoussés; vous voyez
trois prêtres établis et le sacrifice de la victime sans tache journellement
offert dans Its lieux exclus jusqu'ici de l'accomplissement de la pro-
phétie de Malachie. Ajoutez à tous ces biens le grand nombre d'infidèles
régénérés, de sectaires convertis, de pécheurs corrigés, de faibles confir-
més dans la foi; les vivans recevant la nourriture spirituelle, les mou-
rans les consolations de la religion, les morts auxquels on consacre de
pieux souvenirs; et il faudra avouer que soutenir une pareille institu
tion est un devoir impérieux pour tout chrétien.
)) Les progrès de cette mission, sa prospérité future dépendent de la
continuation des secours de l'association. Et certes, le monde cathohque,
et l'Irlande catholique en particulier, ne permettront point qu'ils vien-
nent à nous manquer. »
I h lu >
162 BIBLIOGRAPHIE.
'%'ï^'r^^ v«A«« • •
ôibltDigrapIji^
ANNALI DELLE SCIENZE RELIGIOSE, compilati dalV ahb. Ant,
De Luca. — A Rome, chez Gaetano Cavalletii, in via delU Convertite al
Corso, n° 20, et au bureau des Aujiales de Philosophie chrétienne. Six
numéros de 160 pages par an. Prix : 2\ fr., plus i fr. par numéro à payer
à la poste.
]\'° 37. -- Juillet et août 1841.
I. Sur la partie de la nouvelle édition de la théologie du P. Pèrrone,
qui traite des lieux théologiques, par Arrighi. — IL Mémoires archéo-
logiques sur la découverte du corps de saint Sabinien par le P. Secchi.
( Nous avons traduit et inséré cette dissertation dans nos précédens
numéros, 24» 27 et q8, tomes iv et v de la 3*= série. ) — Examen critico-
théologico-cînonique publié par D. Valentin Ortigosa, élu évêque .de
Malaga, traduit du Catolico de Madrid. — IV. Vicissitudes du catho-
licisme dans les trois derniers siècles, ou considérations de M. Macau-
ley sur \ Histoire du Pontificat romain de Ranke, extrait de la Revue
dEdimboug {v article), par Mgr Baggs. — Appendices, nouvelles et
mélanges.
N° 38. — Septembre et octobre.
V. Sur le célibat, traduit de l'allemand, par Carlo Rossi. — VI. Sur
les discours sacrés et moraux du R. Clément Brignardelli somasque,
par Et. Ciccolini. — VU. Sur l'histoire de la vie, des ouvrages et des
doctrines de Calvin < le' article), par Paul Mazio. — VIII. Vicissi-
tudes du catholicisme, etc. (70 article). — Appendices, nouvelles et
mélanges.
N° 39. — Novembre et décembre.
IX. Bulles émanées des souverains pontifes, Pie VI et Pie Vit, sur les
affaires religieuses de la Russie. — X. Supplément au Dict. sacro-litur-
gique du R. Jean Diclich par And. Ferrigni Pisone, chanoine de Na-
ples; par l'abbé Archangeli. — XI. Gerbert, ouïe pape Silvestre II et
ses contemporains de Hock, par Mgr Laurent, évêque de Chersonèse. —
XII. Histoire de la vie et des ouvrages de Calvin, par Audin( 2" article );
— NouTelles et mélangée.
RIBLIOGRAPHIK. 163
HISTOIRE DE FRANCE, par M. Lalrentie, 5 vol. in-8". A Paris,
chez Lagiiy frères, libraires, rue Bourbou-le-Château, i.
Pour recommander l'esprit qui a présidé à cette excellente histoire,
nous ne saurions mieux faire que de citer la lettre suivante que Mgr l'ar^
chevèque de Paris vient d'adresser à M. Laurentie.
Archevêché de Paris, lo juillet 184^2.
Monsieur,
Au milieu d'une foule d'écrits, où les enseignemens de l'Eglise catho-
lique, sa discipline, sa hiérarchie, ses institutions, ses diverses influences
sont traités avec indifférence ou attaqués comme hostiles au progrès de
la société, j'ai été heureux de lire les cinq premiers volumes de votre
Histoire de France,
Enfant dévoué de l'Église, vous avez mieux apprécié qu'un ennemi
ou un étranger l'esprit ou la charité dont elle est animée, les services
qu'elle a rendus à l'humanité et à notre patrie en particulier. Pour être
exact, il vous a sufl& d'avoir vécu au sein de cette grande famille chré-
tienne; vous méritez cet éloge d'exactitude par vos études et par les ha-
bitudes de votre vie. Nous connaissons toujours mieux les traditions et
les fait:- domestiques que les affaires de nos voisins.
Lorsqu'à des dispositions si favorables, on réunit comme tous, Mon-
sieur , une science étendue des évènemens , beaucoup de sagacité pour
les juger, et le talent de les exposer avec intérêt, on est assuré d'inspi-
rer une grande confiance aux bons catholiques et aux maisons d'éduca-
tion qui ont su se préserver des funestes innovations.
Il vous reste encore, Monsieur, une grande tâche à remplir. Les 17»
et 18' siècles sont remplis di s luttes intellectuelles et morales qui ont
préparé notre grande révolution, donné à notre pays des lois, des moeurs,
une constitution nouvelle et fait prévaloir d'autres intérêts. Pour les
juger avec équité, il faut cette élévation de pensées et de sentimens
qni placent l'historien en dehors et au-dessus de toutes les passions de
parti : le savoir, uni au calme de l'esprit, vous maintiendront dans
cette sphère élevée que ne saurait atteindre l'impartialité purement
philosophique.
Agréez, etc.
f DENIS,
Archevêque de Paris.
164 BIBLIOGRAPHIE.
A l'auloiitc d'un témoignage si cniinent, nous j)ouvons ^ijouter le
suflrage également lïonorable de Mgr l'arclicvèque de Reims, qui a re-
commandé ï Histoire de France de M» Laurentie à ses séminaires ainsi
qu'à tout le clergé de son diocèse.
— NUMISMATIQUE DES CATHÉDRALES DE FRANCE.— Un
artiste d'un grund talent, 31. Dubois, graveur en médailles, vient de
commencer une série de médailles monumentales qui, si son entreprise
est encouragée comme elle mérite de l'clre, fera époque. 31. Dubois a
l'intention de publier une suite des plus belles cathédrales de France,
en relief, et d'y joindre le plan géomé'ral avec les mesures de chaque
partie de l'édifice. Déjà la cathédrale de Chartres est j ubliée, ainsi que
celle de Notre-Dame de Paris. On y trouve aussi l'indication des divers
changemens que le monument a pu subir depuis son origine jusqu'à
nos jours. L'idée de donner le plangéométral est neuve ei très-heureuse,
et d'une précision de formes qui nous paraît ne rien laisser à désirer.
Quelques uns des Évoques de France ont déjà goûté l'idée de 31. Dubois,
et lui ont éciit pour graver leur cathédrale. Le module d:j la mcdaiUe
est de deux pouces dix lignes. Elles se trouvent à Paris, c'icz fauteur,
rue Yavin, no 4»
LE C031TE DE LA FERPiON3(AYSc/ Marie-Alphonse Ratisbomie,
Aies Impressions de quinze jours à Jiome, par le comte ThÉobald
AYalsii. — Un joli vol. in-i8. Prix ; 75 cent.
Au bureau du journal de l' Union catholique, rue des Saints-Péres, 5,
et chez Poussielgue Rusand, rue Hautefeuille, g,
La conversion miraculeuse de Alph. Ratisbonne a frappé d'étonue-
nient et d'admiration la chrétienté tout entière. Le témoignage authea •
tique que le Saint-Siège a rendu de ce fait merveilleux parun décret de
S. E. le cardinal Patrizzi, vicaire- général de S. S. Grégoire XVI, donne
un intérêt encore plus puissant au récit des circonstances de cet admi-
rable é>èneracnt. M, le comte Théobald Walsh a été assez heureux pour
se trouver un des piemiers témoms, et il en a publié une relation qui est
le complément nécessaire de celle de M. de Bussière et de la lettre écrite
par M. Ratisbonne Ini-raème.
ANNALES
!|G5
DE PHILOSOPHIE CHRETIENNE.
» VhOiH^it f r r
cy CoiiiiieX'O 33 (berleuiuto iSJ^2,
ijiôtoire lie l'cj^liec.
ALLOCUTIO\ DE S\ SAINTETÉ XOTUE SEIGXEUR LE
PAPE GUEGOIRE XVI VU SACAÉ COLLEGE, DANS LE
CO\SlSTOmE SECRET DU 22 JUILLET i«42,
suivie
D une Exposùiorij corroborée de Docuinens, sur les soins incessans
de Sa'Saintelé
pour porter remède
AUX MAUX GRAVES DONT LA RELIGION CATHOLIQUL EST AFFLIGLE
DANS LF.S ÉTATS IMPl'rIaLX ET ROYAUX DE LA RUSSIE ET DE LA
POLOGNE '.
S'il est une circouslance ou la voix du chef de TEgliseadu
exciter raltenlion non seulement des catholiques, mais encore
du monde entier, c'est sans doute lorsque ce vieillard vénéra-
ble, sans force et sans armées, s'élève contre la conduite cl les
» Ce volume, grand in.4o ou petit iu-folio, contient : uXAUoculion
(texte latin) du Saint-Père, 2 pages; ^^ ï Exposition (traduction ilai
liennc), i5 paires ; Ti" les Docuinens à l'appui. 160 pages. Ces documcRS
au nombre de 90, comprcnncril : i" le texte fVan«/ais de traités pasisés
IIP SERIE. TOME VI. — >'o3. 1S42. H
<6G VLLOCUTIO.X POiMlFlCALE
actiotis du plus puissant et du plus absolu potentat qui soit au
inonde. Sans doule ciuclqucs diplomates à coin te vue penseront
que ce n'est là qu'une démonstration sans portée et sans consé-
quence; mais les hommes vraiment politiques trouvent déjà
que c'est un acte d'une grande portée : car ils pensent avec rai-
son que dans les grandes affaires Je ce monde, avoir la vérité et
e droit pour soi, c'est un grand avantage, surtout quand on a le
pouvoir et le courage de les faire connaître, et d'en reprocher la
violation à la face du monde entier.
Accueillons donc avec respect et joie, nous catholiques, ces pa-
roles de notre Père, et faisons-les connaître le plus que nous
pourrons. C'est pour cela que nous consignons ici dans nos pages
ces documens , qui, en outre , prouvent avec quelle sollicitude
notre chef veille sur toutes les Églises , et combien grande doit
être la confiance des catholiques dans son ardente et longue sol-
licitude. A. Ij.
Vékérablls frèues ,
Déjà, dans ce lieu-niême nous avons épanché avec vous, vé-
nérables Frères , la douleur que dès longieuis a profondément
enracinée dans notre ame la condition misérable de l'Église ca-
tholique au sein de l'empire de Russie. Celui dont nous sommes,
entre la Russie et les diverses provinces caiho!i(iues réunies à cet cm*
pire, d'ukases par lesquels la Russie a violé ces traités et les droits de ses
sujets catholiques, etc., etc.; a° !e texte latin de divers actes du Saint-
Siège en faveur des catholiques opprimés par la Russie, etc., etc.; 3*" di-
verses pièces diplomatiques échangées entre le Saint-Siège et la cour
impériale, etc., etc.; 4° une liste des biens d'église confisqués et du re
venu de ces biens, etc. , etc. Les premiers de ces documens sont un
extrait du traité entre la cour de Russie et le roi et la république de
Pologne, conclu le i8 septembre 1773, et un ukase du 16 décembre
1812 ; les derniers sont trois ukases du 10 mri 1842 : de sorte qu'on 3-
trouve l'historique à peu près complet des négociations du Saint-Siège
avecla cour de Russie depuis 1812 jusqu'à aujourd'hui. Les notes et re-
marque» »ur CCI documens sont en italien.
Sl'R L LGLISE i:.\ hLSSIE. 167
quoique indigne, le vicaire sur la lerie nous est témoin que, de-
puis le moment où nous fumes revêtu de la charge du souverain
pontificat , nous n^avons rien nep,ligé de ce que commandent la
sollicitude et le zèle pour remédier, autant que cela était possi-
ble, à tant et à de si grands maux chaque jour croissans. Mai^
quel y été le fruit de tous nos soins ? Les faits et des faits très ré-
cens le disent assez. Combien notre douleur, toujours présente,
s'en est accrue I \ eus le voyez mieux par la pensée qu'il ne nous
est possible à nous de l'expliquer par des paroles. Mais il v a
quelque chose qui met comme le comble à celte intime amer-
tume, quelque chose qui^ à cause de la sainteté du ministère
apostolique, nous tient outre mesure dans l'anxiété et raffliction.
Ce que nous avons fait, sans repos ni relâche, pour proléger et
défendre dans toutes les régions soumises à la domination russe
les droits inviolables de l'Eglise catholique, ce que nous avons
fait on ne l'a point su. cela n'a pas été de notoriété publique, dans
ces régions surtout, et il est arrivé pour ajouter à nos douleurs,
que parmi les fidèles qui les habitent en si grand nombre , les
ennemis du Saint-Siéj2;e ont, par les menées frauduleuses qui
leur sont habituelles, fait prévaloir le bruit qu'oublieux de no-
tre ministère sacré, nous couvrions de notre silence les maux si
grands dont ils sont accablés, et qu'ainsi nous avions presque
abandonné la cause de la religion catholique. Et la chose a été
poussée à ce point que nous sommes presque devenu comme la
pierre occasion de chute , comme la pierre de scandale, pour
une partie considérable du troupeau du Seigneur, que nous
sommes divinement appelé à régir j et même pour l'Eglise uni-
verselle fondée, comme sur la pierre ferme, sur Celui dont la di-
gnité vénérable nous a été transmise, à nous, son successeur. Leg
choses étant ainsi, nous devons à Dieu, à la religion, à nous-mê-
mes, de repousser bien loin de nous jusqu'au soupçon d'une faute
si honteuse. Et telle est la raison pour laquelle toute la suite des
efforts faits par nous en faveur de l'Eglise catholique dans l'em-
pire de Russie a été par notre ordre mise en lumière dans un ex-
posé particulier qui sera adressé à chacun de vous, afin qu'il soit
manifeste à tout l'univers fidèle , que nous n'avons en aucune fa-
1G8 ALLOCLilO> ru.MlliCALlL
ç.jii manqué aux devoirs que nous iiupose la cliai{je de l'Aposlo-
lat. Da reste, que notre âme ne se laisse point abattre, vénéra-
bles Frères , espérons que le très puissant empereur de toutes les
Rtissies et roi de Polo^^jne, écoutant sa justice et l'esprit élevé qui
le diàtin^jue , voudra bien se rendre à nos vœux instans et aux
vœux des populations catboliques qui lui sont soumises. Soute-
nus par cette espérance, ne cessons pas cependant de lever, en
priant avec conliance, les yeux et les mains vers la montagne
d'où nous viendra le secours, et demandons avec ardeur et sup-
plication, au Dieu à la fois tout puissant et tout miséricordieux,
d'accorder bientôt à son Eglise, depuis longtems souffrante, Tas-
sisiancc qu'elle attend.
Exposition'. — I" partie.
La siluation déplorable où se trouve depuis fort longtems
l'Eglise cailioliquc dans l'immense étendue des possessions Rus-
ses, est assurément la plus grave des causes nombreuses de poi-
gnante amertume et d'indicible sollicitude qui tiennent dans l'an-
goisse l'âme du Saint-Père depuis les premiers jours de son la-
borieux pontificat. Bien qu'un ordre suprême toujours et dans
ces dernières années peut-être encore plus étroitement exécuté,
interdise, sous les peines les plus sévtres^ sous les peines capital
les. aux évèques et aux catholiques sujets de la Russie, toute
libre communication avec le Saint-Siège pour les affaires spiri-
tuelles ^ ; et, bien qu'en dépit de demandes réitérées, et en
• A la suite des 90 docmnens qui appuient cette Exposilion^se trouvent
dix notes que nous traduisons à mesure qu elles sont indiquées dans le
texte. Quant aux docuniens, nous nous contentons, pour le moment
d'en donner les titres, et d indiquer sommairement ce qu'ils contien-
r.eiit.
' Document no I. — Ce document est une lettre en forme d'ukase
adressée par le comte Worontzow, au nom de S. 31. I. russe, à larcliC'
vè(|uc de Mohilow, le i(i dècendjrc 181 2, sur la défense de recourir au
Sainl-Siégc et à ses rcprésentans. !\ous remarquons dans cette lettre le
passai^'3 suivant : a Auà tei mes des dillcrentti urdonnaiitci; aucun
SUR LlK.LI^rKN RUSSIE. I 69
présence de la légation russe établie à Rome, le Saint Sirgc
n'ait pas même, auprès de la cour impériale et rovale, un re-
présentant par lequel il puisse êlre informé du véritable état des
choses de la religion dans ces contrées lointaines; cependant,
malgré les difficultés et les périls, les plaintes déchirantes d'une
multitude de fidèles unis d'esprit et de cœur au centre de l'unité
catholique, sont, l'une après l'autre, arrivées au Vatican, et
d'ailleurs il y a eu un tel ensemble de faits universellement
connus, qu'on n'a pu les dérober entièrement aux yeux du chef
de l'Église.
Sa Sainteté savait donc quel mal fait à la religion catholique
et combien a contribué à sa lamentable décadence , la dépen-
dance presque totale imposée par le gouvernement russe aux
évêques dans l'exercice de leur autorité et du niinistèi e pastoral •
dételle sorte que des personnes séculières et appartenant à une
communion dissidente de la communion catholique sont chargées
de régler les choses ecclésiastiques et les intérêts des catholiques' .
Sa Sainteté savait qu'on avait de même confié à de pareils
hommes, ou du moins à des hommes dépourvus de toute instruc-
tion dans les sciences sacrées, sinon imbus des principes les plus
» évêque, prêtre ou sujet cathohque, quel qu'il soit, ne pouvait snna
» encourir les peines capitales les plus sévères, se permettre cVeiitrete»
» nir des relations d'aucune espèce et sous aucun prétexte que ce soit
» avec la cour de Rome, etc., etc. »
* Les évêques des anciennes provinces polonaises-russes sont presque
entièrement sous la dépendance du ministre des cultes, qui opparlient
à la communion dominante. Il ne leur est pa> permis d'admettre de»
jeunes gens dans les séminaires, de les élever aux Ordres, de leur con-
férer des bénéfices, de punir suivant les saints Canons les clercs tondues
en faute, d'exercer aucun acte de juridiction ecclésiastique sans l'auto-
risation de ce ministre. La condition des évêques dans le royaume de
Pologne est moins dure, mais non pas substantiellement différente. Il
n'est pas nécessaire d'exposer ici quelles en sont les suites pour la ruine
de l'institution religieuse et morale du clergé et par conféquent de tout
le p«np]e.
170 ULOCUTIOX PONTIFICALK
eiioij<*s, la âuivrillance de IVnseifjriemeiit et de rtfducalion du
clergé séculier et re^inlier, dans les universités et dons les au-
tres éiablissemens publics, en excluant Ibrinellement de ces
fonctions les évéques et les supérieurs des ordres religieux '.
' Le Souverain Pontife Grégoire XIII, de sainte mémoire, avait ma-
gnifiquement fondé à Vilna une célèbre université et un collège ou sé-
minaire pour les jeunes gens russes et moscovites. Le séminaire fut
détruit et n'a pas été rétabli; on a rétabli l'université en i8o3, mais en
la transformant complètement. Tout droit y a été enlevé aux évêques;
et la surveillance sur les doctrines et les personnes des professeurs, le
choix de ces même professeurs, même dans l'ordre des sciences sacrées,
et celui des livres qui doivent servir de texte dans les difîérens cours
consacrés auï disciplines ecclésiastiques sont exclusivement attribués à
l'université même. Un ukase, du 18 février de la même année i8o5,
ordonna l'érection près l'université d'un séminaire général pour l'édu-
cation du jeune clergé des deux rits, latin et grec-uni. A ce séminaire,
dont la surintendance fut confiée à une commission établie par l'auto-
rité laïaue et même par des évêques non-catliollques, devait se rendre un
nombre déterminé de clercs des divers diocèses de l'Empire, auxquels
d'après le même ukase, étaient réservés, après leurs études et l'obten-
tiou des grades, les évêchés, les dignités, les prébendes canoniales, les
cures, ainsi que les prérogatives, honneurs et privilèges les plus distin-
gués. Le clergé régulier devait aussi se former à cette école ; car il était
ordonné que ceux-là seulement pourraient obtenir les grades divers
dans leurs ordres respectifs ou avoir les charges de prédicateur, de curé,
etc., etc., qui aui'aient fait le cours de leurs études dans ladite uni-
versité ou qui du moins pourraient présenter un certificat de capacité
délivré après examen par ses professeurs. En conséquence des mesures
prises, les élèves du clergé séculier et régulier furent, pendant leur sé-
jour au séminaire général et pendant le cours de leurs études à l'uni-
versité, soustraits à toute direction, soins et surveillance de leurs pro-
pres évêques et supérieurs, soit en ce qui touche à la conduite religieuse
et morale, soit en ce qui concerne l'instruction scientifique. Il est vrai
qu'en vn tu d'ordres successifs, le séminaire général a été dissous et qu'il
ij'y A mainteuant à Vi!na"que le sénunaire diocésain latin; mais les évê-
SUR L*ÉGLI1E E^' RUSSIE. 471
Sa Sainteté savait à quel état de pauvreté renlèvenient de tant
de biens ecclc'siastiques, propriété de l'Eglise, la suppression de
tant de bénéfices, de monastères et d'autres pieuses institutions,
avaient réduit le clergé ; et que par suite de ces spoliations il se
trouvait dépourvu des moyens nécessaires à un honnête entre-
tien du culte et des ministres sacrés dans un nombre propor-
tionné aux besoins des âmes '. Sa Sainteté savait les dispositions
ques n'ont pas été pour cela réintégrés dans leur droit inviolable de sur-
veiller l'enseignement public, spécialement dans les facultés sacrées, et
on a laissé subsister les conditions imposées au clergé séculier et régulier
quant à l'intervation de l'université, pour pouvoir aspirer aux bénéfices,
grades, honneurs, etc. , etc. Cependant il est hors de doute que rensei-
gnement ecclésiastique dans cette université se donne d'après des livrei
forts suspects et presque tous proscrits par le Saint-Siège et mis à
l'index. Ajoutons que les séminaires catholiques des grecs-unis étant
entièrement supprimés, les jeunes clercs de ce rit ont été contraints,
d'abord indirectement, puis, en 1835, par un ordre exprès, défaire
leurs études théologiques dans le grand séminaire gréco-russe d'Alexan-
dre Newski à Pétersbourg, faute de quoi ils doivent renoncer à l'es-
poir d'être promus aux ordres sacrés. Tojt ceci regarde particulière-
ment les provinces polonaises-russes ; quant au royaume actuel de
Pologne, l'université de Yorsovie, fermée durant les derniers bou'ever-
semens politiques, n'a pas été rouverte, et l'académie qui y existe
encore est soumise à la commission des cultes et de l'instruction pu-
blique, composée de personnes séculières attachées à la communion
grecque non-unie. D'où l'on voit le peu d'importance de la part altri-
hiée dcins )a direction à l'archevêque catholique, lorsque le siège n'est
pas vacant. Et n'oublions pas de dire que l'évêque grec-russe, établi
tout récemment dans cette ville, ne laisse pas que d'exercer sur cette
académie quelque influence, ay. ntle doit de la visiter à son gié, d as
sister aux examens des élèves même catholiques, et jouissant d'autres
privilèges qu'on n'accorderait peut-être pas aussi volontiers au prélat
catholique,
' La rareté des ministres sacrés extrêmement désolante dans la vaste
étendue des provinces polonaises-iusses, n'est pas moins sensible dan
1 7'2 AI.rOCUTîON PONTÏPICAT^E
|)vis€san (jranil pitjiRlite des oidres n'j;ullcr<î, ilont on a houle-
versé de fond eu comljle les saintes disciplines établies par les
le royaume de Pologne. Pour en donner une idée, il est bon d'exposer
l'état du clergé, dans l'archidiocèse de Varsovie, qui n'est point le plus
vaste, et qui est d'ailleui-s mieux pourvu que les autres. Cet archi-
diocèse embrasse du couchant au levant, dans sa plus grande longueur,
i4o milles d'Italie, et du nord au midi, dans sa plus grande largeur,
f)0 milles ; dans cette vaste étendue de terrain, existent f 5 villes grandes
ou petites, et l'on compte, partagées entre ^ingt doyennés, 178 églises
paroissiales. D'après les relevés authentiques, qui sont habituellement
imprimés chaque année par les doyens respectifs, le nombre des ca-
tholiques un peu avant i83o, s'élevait à 4)0,ooo, en comptant seu-
lement ceux qui étaient admis à la confession sacramentelle. Or, dans
Hu territoire si vaste, et pour une population si nombreuse, il n'y avait
dans ce tems !à que 54o prêtres plus ou moins aptes au niinistère ecclé-
siastique, desquels, après en avoir ôté 55 prélats et chanoines et iHo ré-
guliers que réunissaient alors les divers couvens et monastères, il ne
restait à peine que 537 prêtres pour soutenir la charge et satisfaire
anx besoins de presque un demi - million dames. Pour ce qui re-
garde les provinces russo-polonaises , il suftlt de dire que, dans toule
)u très vaste étendue de l'archevêché de IMohilow et des cinq diocèses
placés sous sa juridiction métropolitaine, on ne compte pas plus de
1,828 membres du clergé séculier. En quelques endroits de ces pays-là,
la pénurie des ministres sacrés est telle que, particulièrement à (ause de
la distance relative des lieux, les chefs de famille doivent assister anx
mariages et administrer le baptême. Cette fâcheuse pénurie d'ecclésias-
tiques, outre le manque de moyens convenables de subsistance, dérive
des difficultés apportées à l'éducation du jeune clergé, dans les séminaires
épiscopaux. Celui qui veut y être admis doit : 1° être noble ; a° avoir
étudié dans 1 Université ou dans les lycées; û» avoir attteint 1 âge de
^ingt ans; 4" aroir fourni un remplaçant à la milice; 3° être autorisé par
une permission écrite du minisire des cultes. I^e nombre des jeunes
gens, qui peuvent être reçus <lans ces séminaires, est d'ailleurs tellement
restreint par les lois qu'il reste imm'^nsément au dessous des besoins ur-
gent de l'Église, ^e nombre des élèves du séminaire de Yilna, par
sur. i/i'GriSF F>( R{î«i?iR. 173
c.innns et par los cons;liliuions aposloliqucs po!ir soustialrc les
ili verses (amillcs leliijieuscs à rautorité ( t à la dt'i cndance c3c
leurs supt'iieurs-gcnéianx, en les assnjétissnnt aux ordinaires
diocésains et en leur imposant des lé^leniens nouveaux en tout
ce qui concerne la profession, les vœux monastiques, le noviciat,
les études et choses semblables. Sa Sainteté savait les suites fu-
nestes, soit de la trop grande étendue des diocèses tant dans
Tempire que dans le royaume proprement dit de Pologne ',
exemple, a été fixé à jj. Parla restriction apportée ici, on p»;ut juger
de ce qui a été fait pour les autres diocèses, surtout si l'on considère
que celui de Yiina est un des plus vastes des possessions polonaises-russes,
puisqu'il compte près d'un million de fidèles avec 272 paroises, sans
compter les églises succursales. En i833, le séminaire de Kaminiek ,
d'après les nouvelles qui en furent reçues à cette époque, avait à peine
les moyens suftisans pour entretenir seize élèves. Et dans le royaume de
Pologne, ainsi que le comte MistowsUi, ministre de l'intérieur et de la
police, le rapporta officiellement au sénat de Varsovie, le 3o mai i83o,
en présence de S. M. l'empereur de Russie, quinze séminaires ensemble
ne renfermaient que 070 élèves. On omet de dire que plusieurs de ces
élablissemens, après les dernières viscissitudes du ro^aume, ont été
fermés, et que les biens de leur dépendance ont été atljug<'s au fisc,
• Outre le roj'aume de Pologne tel qu il fut établi en i8i5, buit autres
provinces que leur étendue, la douceur du climat, la fertilité du ter-
roir rendent les plus belles de l'empire russe, foi ment la toti«lité de sil
population catholique. Quatorze diottses du rit latin, et, depuis l'exé-
crable défection des évêqaes russes dans les provinces polonaises-russes,
un seul diocèse du rit grec-uni. forment la circonscription spirituelle de
cette population éparse, sur un territoire qui s'ttend ilans sa longitude,
des frontières de la Silésie prussienne au delà du Borystbène, vers les
anciennes frontières de la Moscovie f 14 degrés et plus), et dans sa plus
grande latitude, de la mer Baltique aux frontières de l'Autriche (6 de-
grés et plus). D'où il suit évidemment que lélendue de ces diocèses est
vraiment démesurée. Cette circonstance est m même tems la cause
piinoipalede l'extrême pénurie des ressources, nécessaires cependant
pour subvenir aux besoins spirituels de ces populations, d'autant plo§
I7'l ALLOCUTICN PONTIFICALE
soit de la vacance indéfiniment prolongée des éj^lises (;pi.scopalea
et du système doublement anti-canonique en vertu duquel on en
confie Tadministralion à d'autres évèques , déjà iuîpuissans à
remplir auprès d'un troupeau trop nombreux leurs devoirs spiri-
tuels ', pour tlonner ensuite à ces églises veuves des pasteurs ou
que de nombreuses colonies de catholiques étrangers, établies dans
l'empire rus«e, font partie de css diocèses. C'est ainsi que la population
catholique de la province de Bessarabie, près Odessa, dépend de l'évêque
de Kamaniek. De même un grand nombre de catholiques établis dans
les provinces septentrionales de la Russie, au delà de la Moscovie, sont
sous la juridiction de Varchevêquede Mohilo>v, Pour que l'on comprenne
mieux quelle est l'immense étendue de ces diocèses^ il est bon de re-
marquer qu'avant 1770, le rit latin, dans le royaume de Pologne, comp-
tait 87 sièges épiscopaux, y compris les suflragaus, et que le rit grec-uni
en avait dix. En tenant compte de cette partie de la Pologne qui, depuis
1772, est passée sous la domination d'autres puissances, chacun voit
quelle est la difi'érenee entre l'ancien état et l'état présent des diocèses
catholiques, dans la plus grande partie de la Pologne cédée à la Russie.
' A l'époque à laquelle il est fait allusion, c'est-à-dire lorsque le Saint-
Père Grégoire XVI prit le gouvernement universel de l'Église, dans les
six diocèses qui comprenaient alors toute l'immense étendue der pro-
vinces polonaises-russes, les sièges suivans étaient vacans, savoir : l'ar-
chevêché de Mohilow et ses deux suflragans, l'évêché de Vilna et trois
de ses suffragans, c'est-à dire le sufFragant de Vilna même, celui de
Troki , celui de la Courlande, et de plus l'évêché de Luceoria et
Zytomeritz, ainsi que son sufFragant à Luceoria. Le veuvage de quel-
ques-unes de ces églises durait déjà depuis fort longtems; le siège
illustre de Viln.T, par exemple, était vacant depuis quinze années. Quant
au royaume de Pologne, réduit à huit diocèses, il ne comptait pas un
seul évêque sur la rive gauche de la Vistule; l'archevêché de Varsovie,
les évêchés de Kalinsh et de Sandomir étaient vacans, ainsi que tous
leurs sufFragans. Sur la rive droite, l'église d'AugustofF était également
vacante. Ce désolant veuvage, qui a plus ou moins duré par la suite, et
qui, pour plusieurs des églises que nous venons de nommer, et pour
d^autres devenues vacantes plus tard, dure encore, est d'autant plus pré-
SUR l'Église fn rus«ip.. 175
fort avaacés en afje ou dépourvus de toute force physique et
morale, ou qui ne furent jamais formés pour le sanctuaire et pour
le ministère de l'Eglise, ou que, d'autres raisons rendent impro-
pres à la grande charge de la dignité et de la juridiction épisco-
pale. Et enfin, passant sous silence beaucoup d'autres griefs le
Saint- Père savait qu'après avoir enlevé au clergé catholique sé-
culier et régulier de l'un et de l'autre rit un grand nombre de
leurs églises et de leurs monastères, on avait livré ces monastères
et ces églises au clergé de la religion dominante en Russie ; il
savait que , bouleversant de nouveau toute la hiérarchie des
grecs-russes-unis, l'Ukase du 22 avril 1825 ' supprime l'évêché
judiciable au gouvernement spirituel de la population catholique en
Russie etenPologne, qu'on y a pris systématiquement le parti de confier
l'administration des églises vacantes à l'un des évéques survivans.Le dio-
cèse de Vilna par exemple, privé de pasteur depuis tant d'années, était
en dernier lieu administré par le défunt archevêque de Mohilow, ^Igr Sta-
nislas Siestrencze-ïviez. A sa mort, on transféra à cet archevêché Mgr Cie-
ciszowski déjà évêque des églises réunies de Luceoria et Zytomeritz, qui
demeurèrent sous son administration, ainsi que Yilna ; et ainsi furent
rerois entre les mains d'un seul homme trois diocèses immenses, pour
chacun desquels les travaux d'un seul évêque seraient insuflSsans. Et cet
abus ne s'arrète pas aux sièges épiscopaux, il s'étend même aux cures.
Dans le roj^aume de Pologne surtout^ le gouvernement s'attribuant, le
droit de patronage sur une grande partie des paroisses, il a pris depuis
quelque teras l'habitude de ne pas pourvoir aux nominations des curés,
et d'abandonner ces paroisses aux soins d'un administrateur dont la
position est toute dépendante et précaire. L'Almanach du Clergé dudit
royaume attestait, ces dernières années, lu vacance d'un nombre inouï
de paroisses. Et déjà, bien auparavant, dans les provinces polonaises
russes, on ne souffrait point qu'il fût pourvu aux cures vacantes des
grecs-unis, de sorte que le Saint-Siège fut obligé bien souvent de récla-
mer, mais toujours en vain.
' Document n° II. — Ce document est le texte de l'ukase de S. M. l'em-
pereur de Russie, par lequel, scms prétexte de décréter l'établissement
d'un collège ecclésiastique pour la direction des affaires des grecs-unis.
17C AJXocuTioN po\Tirir.\r.R
de ce lil éri(;é tle loiite anliquiu; à Luck, capitale de la Yolhi-
iiie ' ; il savait que , suivant le plan perfulemeiit tracé , vers
1\ fin du siècle dernier tous les ressorts étaient mis en jeu, tous
les moyens étaient employés pour séparer les grecs-unis de l'U-
on bouleverse toute leur liiérarchie, et on supprime l'ancien évèclié de
leur rit à Luck.
• La hiérarcbie des grecs-unis dans les provinces polonaises-russes,
nprcs avoir été cnti«-rement bouleversée, pour ne pas dire détruite, pen-
dant la dernière partie du siècle passe, fut remise en ordre par la bulle
de Pie Yl de sainte mémoire, en flale du i5 novembre 1798, de la Char-
treuse de Florence, commençant par ces mots : Maximis undique pressi,
et qui fut le résultat des négociations suivies avec la cour de Russie sous
l'empereur Paul Ps par le prélat envoyé du Saint-Siège, depuis cardi-
nal Litta. D'après celte bulle, la hiérarchie grecque-unie était formée
ainsi qu'il suit :
De Tarchevèque de Polotsk, capitale du Palatinat de ce nom, dont la
juridiction s'étendait à Smolensk, IMicislavie, et jusqu'aux provinces de
Mohilow et Witcpsk.
De l'évéque de Luck ou Luceoiia, capitale de la Volhinie, où ré-
side en outre un évéque latin du même titre; la juridiction de l'évéque
de Lucie s étendait sur tous les catholiques du lit grec en Russie, sauf
ceux des diocèses de Polotsk et de Brest ; c'est pourquoi il prenait le
titre d'exarque.
De Tévèque de Brest, dont la juridiction s'étendait sur tous les catho-
liques du rit grec des gouvernemens de Litbuanie et de Minsk. Chacun
de ces trois évêques avait l'aide d'un suffragan t.
Aujourd'hui, i'ukase impérial du 22 avril 1825, ayant partagé la juri-
diction des églises grecques-unies entre les chefs des deux éparchies,
dont les églises ont été érigées en métropoles, l'une pour la Russie Blan-
che à Polotsk, l'autre pour la Lilhuanie au couvent de Jerowit?, fixé
comme résidence de l'évéque grec-uni de Brest, l'évêché du même rit,
qui était à Luck, se trouve supprimé de fait, et en même tems tombe en
ruines tout ce que la bulle de Pie Yl avait réglé; quant à la hiérarchie
des grecs-unis dans ces provinces.
SLll L EGLlbL E.N HlàblE. I t t
iiitc callioliquc et |)our les iiicorpoier ù la cciiiiu union g,i(:co-
llusse.
Celte série de fails, s'appuyant les uns sui'les autres, el tcndaiil
tous à délruire le bieu-èlrc spirituel d'environ douze uiiHions de
catholiques épars dans l'empire réuni de Russie et de Pologne,
ne pouvait qu'aflliger prorondénient le cœur paternel de Sa
Sainteté ; car Dieu, qui lui a confie le soin de ces douze mil-
lions d'àmes, lui eu demandera un compte sévère ; et sa douleur
ne diminuait pas lorsque, comparant les actes aux promesses,
le iSaint-Père relisait non -seulement les antiques et solennels
engagemens pris, dès l'année 1773, par le gouvernement impérial
de conserver le statu qiio de la "religion catholique dans les
provinces cédées à la Russie ' ; mais encore les protestations
toutes récentes et fort explicites par lesquelles ce gouvernement
a promis, à diverses reprises, d'accorder sa protection, sa bien-
veillance et ses faveurs au culte catholique et à ceux qui le pro-
fessent. Le Saint-Père put donc croire c]ue ce qui se passait dans
les possessions russes au détriment de notre religion était le fruit
des manœuvres de ses ennemis; lesquels, par la calomnie, par
les insinuations de leur malice, excitant la colère et ks défiances
du gouvernement contre les sujets catholiques de l'un et de l'au-
tre rit l'auraient ainsi poussé à ce^ rcsolulions extrêmes d'une
• Document n« UJ. — Ce document est l'extrait suivant du traité entre
la cour de Russie et le roi et la république de Pologne, conclu à Varsovie,
^e i8 septembre ijjS :
« Art. vni. Les catholiques romains jouiront dans les provinces cé-
dées par le présent traité de toutes les propriétés quant au civil, et
par rapport à la religion, ils seront entièrement conservés in slahi quOj
c'est-à dire dans le même libre exercice de leur culte et discipline, avec
toutes et telles Eglises et biens cccésiastiques qu'ils possédaient au mo-
ment de leur passage sous la domination de S. M. I. au mois de sep-
tembre 1772; etsadite IMajeslé et ses successeurs ne se serviront point
dos droits de souverain , au préjudice du slalii quo de la religion catho-
lique romaine dans les pays susmentionnés. (>1.\!;ti:>s, Recueil des }>ri/i-
cijHiux Traites^ t, u, j». 1 ,'9 )
1 7S ALLOCUTION PONTIFICALE
dcploialjlc venf^etnce, en dépit de traites solcuiielleiiienl con-
clus, de promesses niaintefois renouvelées, et de ces inlcntions
pnteinelles, decette bonté miséricordieuse, apanage naturel d'un
j.uissanl souverain. Et l'on comprend que les premières et les
plus vives sollicitudes du Saint-Père, dès qu'il eut pris le gou-
vernement universel de l'Eglise, furent pour cette partie de son
troupeau, et le portèrent à entreprendre de réparer, autant que
cela était possible, ces lamentables désastres de la relip,ion ca-
tholique en Russie et en Pologne, d'éloigner les causes funestes
qui semblaient les avoir amenés et de réclamer, dans ce but, la
protection et la faveur impériale.
Exposition. — w- Partie.
Le royaume de Pologne était en proie à un coupable esprit de
sédition, et entièrement bouleversé par des événemens politiques
cjui sont trop connus. Le S^int-Père, docteur universel de la
grande famille catholique, dépositaire jaloux et zélé soutien des
doctrines sans tache d'une religion , aux yeux de laquelle a
été et sera toujours sacrée, entre les autres, la maxime de la par-
faite fidélité, de la soumission et de l'obéissance dues par les su-
jets au souverain temporel dans l'ordre civil, vit le besoin et sen-
tit le devoir de rappeler et d'inculquer cette maxime, dans cette
occasion, à la nation polonaise, de peur que les passions du tems
el les conseils trompeurs de ceux qui osaient abuser du saint nom
de la Religion pour leurs desseins pervers, ne réussissent à l'alié-
rer et à la détruire pai mi ce peuple ; et aussi afin d'empêcher que
le cliàliment des maux sans nombre dont une conduite opposée
aux immuablej principes catholiques devait inévitablement être
la souice, ne retombât malheureusement sur cette chère et nom-
breuse portion de ses Gis, séduits par la méchanceté de quelques-
uns, et sur la Religion elle-même, déjà si maltraitée et si affligée
en Pologne. Mue par ces sentimens. Sa Sainteté adressa sans dé-
lai une lettre aux évèques de ce malheureux pays pour les exciter
à l'accomplissement de l'obligation attachée à leur sacré minis-
tère, d'entretenir dans le clergé et dans le peuple la fidélité , la
subordination, la paix, et vie rappeler à 1 un cl à l'autre la grave
SUR l'Église en russie. 179
faute dont se lendent coupables, devant Dieu et devant l'Eglise,
ceax qui résistent à la puissance lcj;itime. Et , comme il y eut
quelques raisons de croire que peul-ctre , par l'ettcl même du
trouble des choses publiques, la voix du Suprême Pasteur n'était
point parvenue jusque dans ces contrées, le Saint-Père, déférant
d'ailleurs à la demande qui lui en fut faite au nom de Tauguste
Empereur et Roi par son ministre plénipotentiaire, le prince Ga-
garin ', voulut bien renouveler ses tendres et sages avertissemens
aux évêques du royaume , dans le but de coopérer, par leur
moyen, à la perpéiuiié, à la consolidation de Tordre politique ,
depuis peu rétabli en Pologne , et de ramener , en particulier ,
dans la voie du devoir les membres du clergé qui , par malheur
s'en étaient écartés ^
' Nous trouvons dans les Documens, sous le no IV, la noie
remise le 20 avril 1832, par M. le prince Gagarin, ministre pléni-
potentiaire et envoyé extraordinaire de S. M. l'empereur de Russie,
demandant que le Saint-Père exhorte le clergé polonais à la paix
et à la soumission due à la puissanc.e temporelle.
Dans cette note, le ministre plénipotentiaire se plaint de la con-
duite du clergé po'o /ais pendant la révolution et la guerre. Il solli-
cite l'influence de la religion pour faire disparaître jusqu'aux der-
niers germes révolutionnaires, dans le pays pacifié par la force des
armes. « Le Saint-Père, dit-il, se persuadera facilement qu'en sou-
tenant les droits du trône il soutiendra ceux de la religion. La ré-
pression de la révolte en Pologne s été un immense sersice rendu à
toutes les puissances, sur lesquelles reposent encore dans ce moment
les garanties de l'ordre social... C'est pourquoi S. 31., forte de la
persuasion qu'elle n'agit que dans les intérêts communs à tous les
souverains, s'adresse à S. S. avec autant de confiance que d'aban-
don, afin d'en obtenir, envers le clergé polonais, une démarche,
dont le Saint-Père, dans sa sagesse, reconnaîtra toute l'utilité, et
pour laquelle, quant au mode d'exécution, S. M. Imp. se rapporte
complètement à Sa Sainteté... »
- Sous le nO Y des Documens : Lettre adressée par le Saint-Pèr»-
aux évêques de Pologne, le 9 juin 1832, ayant pour but d'in* ul-
180 ALLOCUliOi> l'OMIliCALE
Mais les ciucllcs anjjoisses qu'il renfermait au fond de sou
cœur à la vue du triste étal des choses catholiques dans les do-
maines royaux et impériaux ne lui permirent point de laisser
passer cette occasion favoraljlc sans la mettre à profit. Heureux
qu'elle se fiit présentée, et désirant avec sollicitude s'en prévaloir,
il voulut que, conjointement avec sa secondclettre aux évêques,
on fît parvenir de la si crctairerie d'Etat au ministère russe un
exposé des divers maux connus jusqu'à ce jour, et soufferts par la
religion catholique clans ces vastes contrées, les uns exactement
retracés, les autres seulement indiqués à cause du moins de cer-
titude et de précision dans les nouvelles rerues ; pour tous était
réclamée une réparation convenahle, de la justice, de l'équité et
de la grandeur d'àme de l'Empereur et Roi '. Et ce fut dans cette
nucr la maxime de l'église catholique, touchant la soumission à la
puissance temporelle dans l'ordre civil.
Celle lettre est assez connue pour qu'il soit inutile d'eu faire ici
l'analyse.
' Document no AI. — Feuilles parliculièrcs que le cardinal secré-
taire d'État a passées en juin 183â, à M. le ministre de Russie, sur
les offences multipliées faites à la religion catholique dans les domai-
nes impériaux.
a Dans quelques feuilles communiquées, il y a plusieurs mois, au
cardinal secrétaire d'état, par le ministre de Russie près le Saitit-
siégc, relalivement au plan d'une nouvelle circonscription de dio-
cèses dans la Russie Blanche, on lit que, parmi les catholiques de
6es pays, et dans le clergé même, on observe un relâchement des
mœurs et un affaiblissement de la foi.
M Le chef de l'Église catholique qui sait, avec un chagrin inlini,
rétat déplorable dans lequel, par de telles circonstances, se trouve
la reli"-ion catholique dans ce pays et dans d'autres également sou-
mis à Tcmpirc russe, tant en ce qui regarde les catholiques du rit
la'.iu, qu'en ce qui est des cathorK{ues grecs-unis, en a déploré et en
déploie curorc la décadence depuis de longues années, ^lais il n'a
pu s'empêcher de trouver le.> prineipaici eau.>es de ee^ maux dan;
6l'R LÉGLISC E^ RUSSIE. 181
inènie occasion que Sa Sainteté fit renouveler (mais toujours inu-
tilement; la requête formelle qu'un chargé d'affaires du Saint-
dans les nouveautcs elles pragmatiques qui, par le fait du gouver-
nement politique, s'y sont introduites dans les matières ecclcsiasti-»
qucs, et s'}" observent encore aujourd'hui avec un Incalculable délri-
nient de la religion elle-même.
» La l''- de ces causes consiste dans la défense sévère de €ommu*
niquer librement avec le Saint-Siège en matière spirituelle, faite à
ces évéques, aux personnes ecclésiastiques et à tous les sujets russes
catholiques, sous les peines les plus sévères, les peines capitales,
comme on le lit dans l'acte imprimé à Wilna, et publié par l'arche.'
vèque de Mohllow, le 12 janvier I8I4 ; défense qui s'observe en*
core riiioureusement, en vertu de laquelle il est impossible aux sa*
jets catholiques d'exposer librement à leur Père commun leurs pro-
])res besoins spirituels, comme il est impossible à celui-ci de leur
apporter aucun remède, et moins encore d'exercer quelque influence
sur l'enseignement de la saine doctrine, sur l'observance des sacrés
canons, sur la conservation delà discipline de l'Eglise, et la bonne
direction des choses ecclésiastiques. Au reste, la communication que
l'on voudrait permettre sur de tels sujets par la seule voie ministé-
rielle, ne saurait suflire, et parceque la communication ne serait
point libre, et parcequ'elle ne pourrait inspirer de confiance, dans
une multitude de rapports sur les matières spirituelles, dans une
infinité de cas de conscience, à ceux qui voudraient déposer le
secret de leurs misères dans le sein du Père commun pour en être
secourus.
» La communication des fidèles avec le pape dans l'Eglise catho-
lique est un point essentiel de sa constitution, et partout où celte
communication serait interrompue, il serait fait une grave blessure à
la constiution elle-même. Tout exemple que Ton pourrait alléguer
contre celle libre communication, ne serait qu'un véritable inconvé-
nient, et l'on peut alfirmer qu'en fait, cela n'a point lieu sous les
autres gouvernemens près desquels le Saint-Siège a ses représentans;
dnn^ res pays, eu effet, les évoques et les simples fidèles écrivent el
Hi'^ SEPiE, îOME VI, — IS" 30. 184-2. 12
482 ALLOCUTION PONTIFICALE
Siège fût reçu et accrédité à Péteisbourg, afin d'être instruit par
lui de ce qui concerue l'Eglise catholique tant dans l'Erupiic
exposent directement ou indirectement, m-^is avec toute liberté leurs
besoins au pape, et celui-ci, avec une égale liberté, leur répond et
pourvoit aux cas qui se présentent; c'est ainsi que se conserve la
pureté de la foi et de la morale, et Tobservance de la discipline ec-
clésiastique dans le clergé et parmi les catholiques.
La 2^ de ces causes, poursuit le cardinal secrétaire d'Etat, dont
nous continuons d'analyser le rapport, consiste dans la trop vaste
étendue des diocèses, chose qui empêche l'administration parfaite
des secours spirituels, la surveillance, la correction canonique.....
Cette cause en elle-même, très pernicieuse à la tutelle de ia religion
et des moeurs des fidèles., devient encore plus funeste par le sys-
tème qu'on a de laisser longtems les églises vacantes, ou d'en
confier le soin à d'autres évèqnes , lesquels ne peuvent même
pas suffisamment pourvoir aux besoins de leurs inmienses dio-
cèses
La 3^ cause pourrait se trouver dans le peu de liberté que l'on
laisse aux évêques eux-mêmes dans l'exercice canonique de leur
juridiction et de leur ministère pastoral, par exemple dans la visite
pastorale, dans la réunion des synodes diocésains pour la réforme
des mœurs, dans la collation des bénéfices, dans la connaissance des
causes spirituelles, matrimoniales, etc.; dans la défense de l'immu-
nité ecclésiastique, si efficace pour conserver chez les peuples l'es-
prit de religion, avec la vénération et le respect que l'on doit à tout
ce qui lui appartient.
La4« cause pourrait être signalée dans l'appauvrissement du
clero^é et du culte, par la suppression de tant de bénéfices, monas-
tères, institutions pieuses ; et dans le manque d'un nombre suffisant
de ministrespour Tassistance spirituelle des fidèles, conséquence de
l'appauvrissement des églises. « Ce serait, dit le cardinal secrétaire
>» d'Etat, contre tous les principes d'équité et de justice, d'expulser
^» le clergé catholique et les religieux de quelques-uncî^ de leur.s
» églises et monastère», pour ? ^troduire un clergé et de;, reii-
SUR l'Église en kussie, ^§3
russe que dans le Royaume de Pologne. C'est ain.si que si , d'un
côté, la demande faite par le gouvernement impérial témoigna
)• gieux d 'mie autre cominuiiimi en dissidence avec la communion
î» catholique. "
La 5« cause regarde renseJgiieuieut et l'éducation du elergé tant
régulier que séculier, enlevés aux évéques et supérieurs respectifs
et confiés à d'autres personnes, quelquefois de communion difFé-
rente, etc. Les autres griefs que contient le poragiaphe, concernant
les livres en usage, l'obligation d'étudier dans les lycées et uni>
versités, pour avoir droit aux dignités ecclésiastiques, les occasions
infinies de corruption, de séduction et de dissipation qui s'offrent
aux jeunes clercs, dans ces établissemens, ont été indiques dans nn
autre endroit.
La 6e cause pourrait être le peu de zèle et Tinaptitude des sujets
élevés à la dignité épiscopale, les abus de pouvoiî commis par les pré-
lats. « On connaît, à cet égard^ les actes arbitraires de l'arcbevêquc
» de Mobilow, feu Mgr Stanislas Sieslrenczewicz, lequel consentit et
» admit, pendant le tems si long où il gouverna celte église, une
» multitude de nouveautés très pernicieuses à la doctrine et à la dis-
» cipline de l'Eglise catholique, et se fit spécialement le protecteur
» des Sociétés Bibliques. »
La 7e de ces causes se trouve dans la décadence de l'observance
régulière, qui est un très grave scandale et un détestable exemple
pour les fidèles; décadence qui provient de la désorganisation de la
discipline établie par les sacrés canons et les constitutions apostoli-
ques, del'éloignement des généraux supérieurs et de la subordination
aux ordinaires diocésains, des nouveaux réglemens, relatifs à la pro-
fession et aux vœux monastiques, à l'éducation religieuse et nux
e'tndes dans l'Université et les lycées,
La 8e peut être vue dans le mépris que l'on fait de la discipline
ecclésiastique en général, et en particulier dans la procédure des
causes ecclésiastiques surtout dans les causes matrimoniales, dans
la facilité avec laquelle on permet et on prononce les divorces contre
la doctrine de l'Eglise catholique, sur l'indissolubilité du lien ton»
1(S4 ALLOCUliO.N POAlIFiCALE
glorieusement de la bienfaisante influence de la religion catbo-
iique pour la tranquillité et la soumission de ceux qui la profes-
sent, et par conséquent de l'absolue nécessité de respecter et de
protéger cette religion de paix ; de Taulre, dans les soins pleins
de sollicitude pris par le Saint-Père pour les malbeureuses vicis-
situdes delà Pologne, le Monde eut une nouvelle et éclatante
preuve de cette vérité déjà rendue évidente par l'expérience de
tant de siècles, que le Saint-Siège, toujours étranger aux téné-
breuses menées de la politique, offre un bras secourable, et em-
ploie sans cesse son influence morale pour écarter les périls dont
les trônes, à travers la succession des tems et l'inconstance des
choses publiques, sont si souvent menacés^ et que tous ses vœux,
se> désirs, ses sollicitudes ne tendent uniquement qu'à l'avantage
spirituel des catholiques, en quelque lieu qu'ils se trouvent.
Tandis que par Fordre de Sa Sainteté on donnait cours à ces
actes, les indices les plus consolans et les mieux fondés faisaient
espérer un avenir prospère ou plutôt une ère nouvelle pour la Re-
ligion catholique dans les possessions russes. Dans le statut or-
ganique pour le royaume de Pologne, promulgué dès le rétablis-
jugal, facilité de laquelle nuisacnl des scandales et des désordres infi-
nis, au grave préjudice iiou-seulenieul de la société civile, mais aussi
de la religion.
EnGn, c'est avec douleur qu'on voit la protection accordée si sou-
vent à ceux qui n'ont en vue que de discréditer, près du gouverne-
ment impérial, les sujets catholiques de l'un et l'autre rite, par la
calomnie et par d'autres moyens pervers, et de provoquer contre eux
tant de mesures qui sont peu d'accord avec les assurances les plus
précises d'amitié et de faveur, à l'égard du culte et de la communion
calholique.
Ici le cardinal secrétaire d'Etal rappelle les mesures prises par
le Saint-Siège pour prévenir ou guérir ces maux, l'envoi fait à di-
verses époques de nonces et ambassadeurs extraordinaires à Sainl-
Pélershourg, en 'a personne des prélats, depuis cardinaux, Ar-
chetti , Litta, Arczzo, Bcruelli , rinutililé des sacrifices faits par
SLR L EGLISE EX Rl'SSIK. 185
sèment de Tordre public dans ce pays et comnniuiquè par h le
galion impériale au ministre pontifical , par dépêche oflkieîle du
12 avril 1832 ', on trouvait l'assurance que la religion professée
par la plus grande pariie des sujets polonais serait toujours l'ob-
jet des soins spéciaux du gouvernement de Sa Majesté et que les
fonds appartenant au cierge cailiolique , tant latin que grec-uni
étaient reconnus comme propriétés communes et inviolables ; de
même qu'on déclarait sacré et inviolable le droit de propriété des
individus non moins que celui des corporations en général. Et ces
assurances, quoique données pour le royaume de Pologne, tel
qu'il est constitué depuis la restauration de 1815 , étaient tellt^s,
qu'il devenait impossible de ne pas les recevoir comme s'.ippli-
quant également aux possessions et propiiétés du clergé catholi-
que dans les provmces polonaises-russes. Cette persuasion résul-
tait invinciblement de la pleine conformité de ces assurances, non-
seulement aux inébranlables principes de la justice, mais aussi à
la foi des anciens traités relatifs à ces dernières provinces.
Or, qui pourrait redire la douloureuse surprise du Saint Père
lorsqu'il fut instruit que, malgré de telles garanties, d'autres ex-
propriations avaient été récemment décrétées au préjudice des
communautés religieuses et du clergé séculier, et que de nou-
velles dispositions, extrêmement funestes, étaient prises à Tégard
des catholiques des deux rits , dans le royaume de Pologne ,
comme dans les provinces russes polonaises ; en sorte qu'on ne
paraissait pas tant vouloir punir dans les sujets le délit de révolte
qu'accabler et éteindre la religion à laquelle ils étaient attachés.
En effet, pour ce qui regarde le royaume de Pologne , Sa Sain-
teté vint à savoir que les biens des ordres réguliers auparavant
iiupprimés dans ce pays , biens dont les revenus, selon la près-
' Document no TH. — OlTicep.cIresié, le 12 avril 1832, par M. le
prince Gagarin, ministre de Russie, au cardinal secrétaire d'Etat,
pour lui faire communication du statut organique publié peu au-
paravant pour le royaume de Pologne. (Le statut organique ne se
retrouve point parmi les documcns).
I8(> Al.LO(L'riO,\ J'OMIFICALI.
cl ipti- 11 lie la bulle F.x iinpasita tic Tiniinortel Pie VII, et le seu9
îles uaiu's conclus à cette époque entre le Saint-Siège et l'empe-
reur Alexandre, de glorieuse mémoire, devaient servir de subsi-
des aux églises cadiédrales et aux seniinaiies, avaient été adjugés
au fisc ' ; que le gouvernement de Pologne avait fait demander à
' La bulle Ex irnpositay du 18 juillet 1818 , eut principalement
pour but de régulariser la circonscription des diocèses dans le
royaume de Pologne, après son rétablissement en 1815. Cette nou-
velle répartition diocésaine ayant fait supprimer quelques-unes des
anciennes cathédrales et en ayant érigé d'autres, il fallut pourvoir à
leur dotation, à celle des nouveaux chapitres et séminaires. D'après
les demandes faites au nom de l'empereur Alexandre, et les négo-
ciations avec la légation russe à Rome, le souverain pontife Pie VIÏ
de sainte n^.émoire conféra parla même bulle ii Mgr Malezewski, alors
évéque de Vladislau et ensuite archevêque de Varsovie, la faculté
de supprimer (après avdir entendu selon les formes canoniques les
parties intéressées) autant d'abbayes, de monastères et de bénéhccs
simples qu'il serait nécessaire, pour compléter la convenable ou en-
tière dotation des manses épiscopales, des chapitres de cathédrale,
et des séminaires, dans les diocèses compris audit royaume; sous
la condition toutefois qu'il serait conjointement pourvu à l'entretien
des églises qui regardaient les abbayes, les monastères et les béné-
fices simples à supprimer, et qu'il resterait dans chaque diocèse un
nombre suffisant de bénéfices simples, c'est-à-dire que les évêques
seraient en mesure de récompenser les ecclésiastiques qui auraient
bien mérité. Bientôt après on repre'senta au Saint-Siège que
Mgr Malezewski avait excédé les limites de la faculté qui lui avait
été accordée, en supprimant indistinctement ou en marquant pour
la suppression tous les monastères, abbayes et bénéfices simples, sans
entendre les parties intéressées. Sur ces entrefaites, lorsqu'à peine
le décret de suppression venait d'être signé et expédié, le prélat
mourut. Pie VII avec sa parfaite sagesse, tout en commettant, par
un bref du 16 février 1820, à Mgr Hotowezye, monté sur le siège
épiscopal de \arsovie, l'exécution finale de ladite bulle, lui ordonna
expressément de réparer le mieux possible les manquemeus dont on
SUR LÉGLlSli F.iN RUSSIE. 187
chacune des cours épiscopales la cession d'une église calholique
désignée , afin de la destiner à rexercice du culte grec non uni ,
chose à laquelle ni les évêques, ni leur clergé ne pouvaient se
prêter sans forfaire à leur propre religion et sans trahir leur con-
science ; que les traitemens assignés aux évêques en compensa-
lion des biens appartenant à leurs églises avaient été réduites de
moitié ; enfin que des milliers de familles polonaises avaient à dé-
plorer le sort de leurs enfans , transportés dans l'intérieur de
l'empire russe et mis dans le péril prochain d'abandonner la
communion catholique au sein de laquelle ils étaient nés et
avaient été' élevés. Quant aux , provinces polonaises russes , le
Saint-Père ne tarda pas à apprendre, si ce n'est avec une précision
parfaite, du moins avec une certitude suffisante , la concession
faite par autorité du gouvernement impérial aux Grecs non unis,
du magnifique sanctuaire de Notre-Dame de Poczajow, célèbre
par les pieux pèlerinages qui s'y faisaient de toute la Russie, ainsi
que du riche couvent des Basiliens annexé à cette église dans la
Yollinie. De plus , la concession faite encore à la même commu-
nion, des églises et monastères du même ordre en Lithuanie ,
ainsi que celle de la grande chartVeuse de Bercza , et d'un gi^and
nombre d'autres temples oucouvens, tous enlevés au culte catho-
lique latin ou grec-uni , auquel ils étaient consacrés depuis leur
fondation ou depuis un tems immémorial.
La douleur profonde dont Sa Sainteté fut pénétrée à des nou-
accusait son prédécesseur. D'après tout ce que le même Mgr Ho-
towezje a rapporté au Saint-Siège sur cette affaire , dans un mé-
moire (^foglio) du 20 août 1840, intitulé Fxpositio suppressionis, on
a vu clairement que la suppression n'avait point été faite con-
formément aux intentions du souverain pontife, mais d'un plein et
entier accord avec le gouvernement. Le fait est qu'une masse de
fonds de la propriété des monastères et bénéfices supprimés, et du
revenu* très considérable d'une année a passé dans le trésor public ;
et que la plus grande partie a été employée à des usages profanes,
ou certainement tout à fait éloignés des prescriptions faites par la
bulle plusieurs fois citée.
188 ALLOr.LTlON PÔ\TIFICVLK
YcUes si funestes , et si ina^llendiies , fut poi tcc au tlolA tle toulo
expression, lorsque en recevant peu api es les Ukases impériaux
qui ataient (rail à ces diverses mesures, elle put trop bien voir
l'étendue et les conséquences incalculables pour la ruine du culie
calLolique des deux rils. Elle put trop bien voir Tétendue et les
conséquences, pour la ruine du culte catholique, des dispositions
qui s'y trouvaient contenues. Et en effet, en vertu et pour l'accom-
plissement de ces mêmes Ukases le susdit Sanctuaire de Poczajow
e'tait devenu un Evèché de la communion f^recque-russie; l'ordre
de saint Bazile, honneur, ornement et principal soutien de l'Eglise
grecque-unie , dans la Lithuauie et dans la llussie-blanche, avait
été presque anéanti et détruit ; le diocèse latin de Luck avait perdu
dix-sept Eglises, et le même diocèse grec-uni un beaucoup plus
grand nombre, lesquelles avaient toutes été livrées au culte domi-
nant ; on avait également ravi un grandnombre d'églises des deux
rÎLs au diocèse de Raminieck'; dans la vaste e'tendue des provinces
polonaises-russes la faulx de la suppression avait abattu en même
tems deux cent deux couvens latins de ditïérens Ordres, parmi
les 291 qui existaient ; enfin la vente aux enchères des terres qui
appartenaient ii quelques-uns de ces couvens ■ , et l'adjudication
' Parmi les églises, la plupart paroissiales, que Ton sait avoir été
enlevées aux catholiques, en 1833, dans le diocèse de Luck, pour
être données aux grecs-russes, on peut nommer celles de Czartocisk,
de Staro-Kouslanlinow, de Kulcron , de Ilozin , appartenant aux
PP. dominicains, de Bruzkopol, de Szumsli, de Krzcn)ieniclz, de
Korsoc, assistées par les religieux mineurs conventuels, de Jano^^,
de Kustin, de Warkowice administrées par les mineurs de l'obser-
vance, de Uszomir, de Toporzyce, de Horodyszcze, de Dorolicstaj,
appartenant aux PP. carmes, de Uscitug et d'OsIrog, desservies par
les religieux capucins. Quant au diocèse de Kaminick, il snflira
d'indiquer les églises de Jarmalince, de Braïlow, de Tulczin, de
Wcnnicn, de Bunajourc, de Zhrzyz, de. Kupiu et de Szakcwka.
^Documens n' YllI, IX, X, XI, XIL— Ukase du 26 octobre
1835, qui enlève aux grecs-unis le monastère de Pocznjow (Pot-
chaveff\, el v élablil \\\\ évèchv du cnjle dominant, cojilonant l'or-
SUR l'iÎGLISE en Rl'SSfE. 1 B9
faiieau profit ilii ln'sor public , avaient alleint ju<!qu'aiix fonds
<ïes écoles paroissiales et des collèges.
Cependant , sans avoir encore de rensei.;',nenîcns précis , le
Saint-Père , certain de la substance des faits qui lui avaient cté
précédemment rapportés, frappé de leur gravité, en même tems
que pour obéir aux obligations sacrées de son ministère aposto-
lique, ne différa pas un instant d'ordonner que, par une note of-
ficielle du cardinal secrétaire d'Etat, on adressât à ce sujet les
plus vives remontrances au ministre russe résidant à Rome, afin
que ces remontrances parvinssent par cette voie à la connaissance
ganisation du cliapilre de la nouvelle église, u Laquelle société, dit
» l'ukase, sera entretenue des revenus de la cathédrale, d'après le
-• règlement qui en sera fait plus tard par révéquc et le synode, etc.»
Ukase adressé au ministre de l'inlérieur le 16 février 1832 pour la
suppression des provinciaux de l'ordre de saint Basile. On y lit celle
phrase : «Maintenant que deux de ces provinciaux sont déjà morts
» et que le dernier, Joseph Zarski, vient d'être nommé par neus
» membre du collège ecclésiastique grec-uni , nous trouvons inutile
» de conserver plus longtems dans V Eglise grecque-unie lesfonc-
'> tions des provinciaux^ si peu conformes à là règle de fondation
» du grand saint Basile, et nous oj^donnons de les supprimer à
» jamais >j Ukase du même mois et delà même année pour
l'abolition des couvens prétextés iimtilcs ou iucomp'ets dans les gou-
verncmens occidentaux de l'empire. On y trouve les phrases sui-
vantes : «Sa Majesté a daigné ordonner au ministre., de trouver un
» moyen pour corriger et organiser les associations religieuses en
) harmonie avec le but principal de leur institution, avec l'esprit vé-
'> ritablc du christianisme et avec les besoins présens de l'Eglise ca-
» iholique romaine en Russie. » — «Le nombre des religieux... qui
)) allait toujours diminuant par Vinfluence naturelle au siècle. »
Ordonnance du ministère des cultes, en février 1832, pour la sup-
pression d'un grand nombre de couvens latins dans le resort de la
métropole de JMohilovv. Suilla liste de 202 couvens supprimés. Liste
des couvens également supprimés à la même époque, et dont les fonds
furent ensuite vendus à l'encan. On en compte 31.
190 ALLOCUTION PONTIFICALE
de rempereui et roi ; Sa Saiuteté ne voulant pas renoncer à l'es-
pérance de voir ce puissant monarque se rendre , après un mûr
examen, à la justice de ses réclamations '.
Plusieurs mois s'étaient déjà écoulés , et l'on attendait encore
la réponse du Cabinet russe à cette Note, aussi bien qu'à l'exposé
dont nous avons déjà parlé, et qui avait été adressé à l'empereur,
au nom de Sa Sainteté, à la fin du mois de juin 1832; lorsque le
comte GouriefF, successeur du prince Gagarin dans la Légation
impériale à Rome, présenta , au mois de mai 1833 , au ministre
pontifical un mémoire en forme verbale renfermant les observa-
tions de son gouvernement en n'ponse aux divers points , objets
des réclamations contenues dans le premier acte particulier et
dans l'acte officiel de la secrétairerie d'Etat\ Ces observations, ou-
tre qu'elles passaient tout à fait sous silence la demande explicite
d'envoyer à Pétersbourg un chargé d'affaires du Saini-Siége, ou-
tre qu'elles ne touchaient pas les divers articles de la susdite Note
concernant les persécutions dirigées en dernier lieu contre la re-
ligion catholique dans le royaume de Pologne proprement dit ,
n'étaient point, quant au reste , de nature à dissiper les craintes
et à calmer la douleur de Sa Sainteté ^ Pour s'en convaincre, il
n'est besoin que délire avec impartialité le Mémoire remis par
le conàte Gourieff , et d'en confronter patiemment les assertions
• Document no XIII. — Note officielle du 6 septembre 1832, par
laquelle le cardinal secrétaire d'Etat réclame, au nom du St-Père,
sur le même sujet, les maux soufferts par la religion catholique en
Russie et en Pologne.
2 Document no XIX. — Mémoire remis, au mois de mai i833, à
la secrétairerie d'Etat, par M. le comte Gourieff, ministre de la cour
impériale de Russie, en réponse aux /ew/Z/e^ de juin 1852, et à la
note officielle du 6 septembre de la même année.
^ Dans l'ukase impérial du mois de février 1852, par lequel fut
décrétée la suppression d'une multitude de couvens dans les pro-
vinces polonaises-russes, on invoque l'appui des règles et prescrip-
tions canoniques qui requièrent dans chaque couvent un nombre
SUR l'Église fn russir. 191
et les argainens avec ce qui se trouve avancé el leuiarqué dans
la communication particulière et dans la Note officielle de la se-
crélaii ie d'Etat, et surtout avec la série des faits qui n'avaient pu
alors être qu'indiqués dans cette dernière Note, vu que l'on n'a-
vait point encore de renseignemens précis ; mais qui néanmoins
sont aussi publiquement connus que cela est possible pour des
choses qui se passent dans des pays éloignés, et qui d'ailleurs sont
attestés par des documens irréfragables et par les actes mêmes du
gouvernement impérial. fL^ -^"'^^ ^" prochain numéroj.
déterminé de religieux. Sans dire qu'il appartenait à l'autorité même,
d'où émanaient ces règles et prescriptions, de juger si elles s'appli-
quaient aux cas particuliers ; sans dire que ces règles et prescriptions,
quand même elles se fussent appliquées aux cas dont il s'agissait,
n'emportaient pas indistinctement l'effet de la suppression totale, nous
prions qu'on fasse attention aux ordres précédemment donnés parle
gouvernement, en vertu desquels nul ne peut prendre l'habit reli-
gieux, s'il n'a d'abord exbibé les preuves de noblesse de sa famille,
et obtenu une permission par écrit du ministère des cultes, qu'on se
rappelle aussi que la solennelle profession n'est permise qu'après
l'âge de vingt-deux ans accomplis. C'est une chose notoire qu'à
partir du moment où ces conditions ont été imposées, très peu d'in-
dividus ont quitte le siècle pour entrer dans les cloîtres. Cette-cause,
jointe à d'autres déjà existantes, a du produire une notable dimi-
nution d'individus dans les communautés religieuses. Ainsi on peut
aisément recourir, pour les supprimer, au défaut du nombre prescrit
par les règles canoniques. Il est d'ailleurs très certain que la sup-
pression a frappé beaucoup de couvens qui avaient un nombre de
religieux supérieur à celui que demandent les canons.
192 ÉTUDE DES MON'UME^'3 ASTRONOMIQUES;
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Cours î>f ill. Cflroiuif au (oWi^t îif J"iii««.
ÉTUDE DES MONUMENS ASTRONOMIQUES
DBS
anciens peuples de l'Egypie, de l'Asie et de la Grèce, conduisant à la
réfutation scientifique complète du système de Dupuis.
Le zodiaque n'a pas fait partie delà sphère primitive des Grecs. — Preu-
ves diverses de cette assertion. — C'est aux Chaldéens que les Grecs
ont emprunté l'idée de la division du zodiaque en dodécatémories. —
Ce qui appartient aux Grecs, c'est Vinvçntion des noms et des figures
des constellations zodiacales.
L'analyse détaillée que nous avons faite de la sphère grecque
nous ramène à la question de l'origine du zodiaque, qui est Tob-
jet principal de nos recherches. Il résulte en effet de cette analyse,
où nous avons suivi l'ordre des tems,non seulement que la sphère
grecque est originale, et quelle s^est formée successii'ement , mais
encore que le zodiaque, en tant que contenant les digressions do
la lune et des planètes, resta étranger à la composiyon primitive
de cette sphère. La plupart des constellations qu:, plus tard, de-
vinrent zodiacales, y furent placées d'abord comme des constella-
lions quelconques ; ainsi, de ce que quelques-unes seraient nom-
mées dans des auteurs antérieurs au G' siècle, il n'en faudrait pas
conclure que,* dès cette épckjue, il existât une division de l'éclip-
tique en dodécatémories ou douze parties égales ; pas plus que , de
* Voir le 6« article au n" 26, t, v, p. 1 18.
UlllLTATlO.x' i)L DLPLIS. 193
présence d'une fi{^ure de lion ou de bœuf sur tel ou tel mo-
iiunieut pharaonique , on ue doit conclure que Us Egyptiens ont
connu et employé de toute onliquilc la division duodécimale de
Técliptique.
L'absence du zodiaque dans la sphère primitive des Grecs s'ex-
plique parfaitement par son inutilité. En eft'et, on convient géné-
ralement que les anciens ont commence par rapporter à Téquateur
la position de tous les astres *, et que cette manière de compter les
longitudes a été employée par tous les peuples. Les levers compa-
ratifs d'étoiles étaient observés avec précision chez les Grecs :
plusieurs passages d'Hésiode en fournissent la preuve *. L'astrc-
nomie primitive des Egyptiens était aussi fondée sur des levers
comparatifs d'étoiles à l'horizon, ainsi que le témoigne le monu-
ment astrologique trouvé par Champollion dans l'un des tom-
beaux de Biban-el-Molouk. Cet usage, de rapporter à l'éqnateur
la position des astres, s'est maintenu longteins chez les Grecs, de
l'aveu mëme^ de ceux qui, comme Bailly, font remonter jusqu'à
l'an 4600 la division du zodiaque en douze signes.
Il faut descendre jusqu'à Eudoxe pour trouver une mention
claire et positive du zodiaque. Et même, « tout prouve qu'au
» lems d' Eudoxe le zodiaque ne servait encore qu'aux astrono-
» nomes. Cette invention nouvelle n'entra dans le cercle des opi-
» nions vulgaires ni à cette époque ni dans le siècle suivant; la
» religion ne s'en empara point*, le langage poétique y demeura
» étranger. Dans les nombreux passages où les poètes et les pro-
» sateurs, antérieurement au 1"^ ou même au 1^*^ siècle avant notre
» ère, font des allusions, des comparaisons ou des rappioche-
» mens tirés des astres, on ne reconnaît aucune trace des constel-
» lations zodiacales ; les images qu'ils emploient sont analogues
» à celles d'Homère et d'Hésiode : on peut en dire autant de
• Bnilly, Hist. de lasir. anc, Eclaùciss, astt:, liv. vi, § xi, p. 428.
' Voyez notamment dans !es Travaux et les Jours, 38 1 et suivans,
le passage où il est question du lever héliaquc des Pléiades.
- Bjilly, Ilisf. de l'astr, anc, p. .\2^,
194 ÉTUDK DES MOISUMKNS ASTRONOMIQUES;
1 art '." Bien qu'il ne soit pas facile d'assigner avec précision l'épo-
que à laquelle le zodiaque fut introduit dans la sphère grecque, il
n'en est pas moins certain que la plupart des constellations qui s'é-
tendirent plus tard sur le contour de la bande zodiacale existèrent
et furent placées successivement dans cette sphère, bie'n avant que
celte zone y eût été tracée et servît aux observations astronomi-
ques ; c'est-à-dire que le zodiaque n'a pas été formé tout d'une
pièce, ainsi que l'ont soutenu Bailly, Dupuis. et beaucoup d^au-
tres après eux. Deux argumens suffiront pour dissiper tous les
doutes. Le premier est tiré de l'inégalité qui existe dans l'étendue
des constellations zodiacales. Six d'entre elles occupent des arcs
' Letronne, Sw V origine grecque des zodiaques prétendus égyptieîis,
p. 20. — Les scholiastes , qui écrivaient lorsque toutes les notions
étaient confondues, induisent souvent en erreur sur le vrai sens de cer-
tains passages. Je n'en citerai qu'un exemple. Au premier vers des Phé-
niciennes d'Euripide, Jocaste , s'adressant au Soleil, dit : w tt,v h
aciTo&i; cùsav&ù Tsavor* d^iv... HXiê : « ô Soleil! toi qui te fraies une route
parmi les astres (ou les co7istellations) du ciel. » Il est évident que ce
p;issage ne renferme aucune allusion au zodiaque ; néanmoins, le Sclio-
liaste, qui écrit avec les idées de son tems , commente ainsi le rr.v àv
â<TTp«ç c^ôv • 5 i<j7\ TT.v TTaçà TcT; olV.ci; rov ^«^louccù y.yxXcj. 0-t -^àp âorpa (fr,ai
Tcù; CÏ/.C-J; Tcu ^tj^'.axcij y.jxAcj. Et il cite en preuve un passage d'Aratus,
qui, comme ou le sait , a mis en vers la sphère d'Eudoxe. Valckenaër a
suivi, bien à tort , je crois, l'explication du Scholiaste. Eustathe (ac?
Iliad.S. V. 75, cité par M. Bothe, p. 44^» sur le i'" vers des Phénicien-
nes) eniend comme le Scholiaste le passage d'Euripide: Eùsi7:'.^y,;tôvt.).iûv
Tr.v £v àffTcci; c'jsavcj Ts'p.vsiv ÉKr 6^:v, Tr.vS'ia rwv ^w^'Îmv o'jtw xivviciv ^pa^wv.
— On trouve dans Euripide , Hypsipyle, fragment 4*, (ap* Boissonade,
t.v,p. 358) l'expression singulière de ^w^e/-au.r/avov à<7Tpcv(Ily a variété
de lecture. M. Boissonade lit àvTpov. Voyez sa note sur le vers i356 des
Grenouilles, où le passage d'Euripide est parodié par Aristophane)- ftOn
» doit entendre cette expression du soleil qui parcourt les 12 mois (non
>-> les douze signes du zodiaque), ou bien plutôt delà lune, qui rcuou-
;> velle 12 fois pendant l année la période de sci. phases. » (Voy. M. Le-
tronne, Lettre à .'V. Friedrich Jacobsy 1837, p. 19 et 2o).
RÉFUTATION DE DUPUIS. 19-^
compris entre 35° et 48° ; les six autres couvreni des iUcs beau-
coup plus petits, qui varient de 19® à 27°. Le second est fondé
sur ce que ces constellations sont distribuées sans aucune symé-
trie sur l'écliptique. Ainsi, les unes ^le Bélier , les Poissons, la
Yierge) sont presque tout entières au nord de cette ligne ; les au-
tres, comme le Taureau, le Sagittaire, le Scorpion, sont presque
entièrement au sud -, trois seulement (les Gémeaux, le Cancer et le
Capricorne) sont coupées en deux parties égales par l'écliptique.
En outrC;, il y a beaucoup d'irrégularité dans leur situation rela-
tive. Les unes se pénètrent, con:ime le Bélier et le Taureau, le
Verseau et le Capricorne ; d'autres sont séparées par des espaces
plus ou moins grands; quelquefois des constellations extra-zo-
diacales vont de Tune à l'autre; ainsi, entre les Gémeaux et le
Taureau, s'étendent les constellations de la Chèvre et du Cocher.
Or, si l'on admet que le zodiaque est aussi ancien que la sphère ,
et qu'il n'a point été étranger à la composition primitive, comment
rendre compte de ces inégalités ' et de celte irrégulaiâté que nous
venons de signaler? Les groupes d'étoiles vus de la terre ne pré-
sentant pas des figures assez bien déterminées pour que l'on ne
puisse les composer à peu près arbitrairement , rien n'aurait été
plus facile que de donner aux constellations du zodiaque une
étendue égale, de les séparer par des intervalles égaux, et enfin, de
les disposer symétriquement par rapport à l'écliptique, si la divi-
sion de l'écliptique en dodécatémories s'était faite en même tems
que l'on formait ces constellations, ou plutôt, si ces constellations
avaient été destinées primitivement à entourer la bande zodia-
cale. Il faut donc reconnaître que ces constellations ont été d'a-
• « Il y a lieu de croire, dit Bailly, que quand les anciens ont divisé le
» zodiaque, c'est relativement à l'équateur , et qu'ils ne se sont pas em-
» barrasses que les divisions du zodiaque fussent inégales , pourvu
» qu'elles répondissent à des parties égales de l'équateur. C'est sans
)) doute une des raisons pourquoi l'étendue des constellations est si iné
w gale sur l'écliptique.» {Hist, de Fastr. anc, p. 480).— Cette assertion
u est nullement prouvée; les détails historiques dans lesquels nous
entrons plus bas, prouvent l'insuffisance de cette explication.
I 90 LT L UL DLâ MOiN LML \ S A SI KO > 031 1 n L LS ;
bord placées dans la sphère couinie toutes les autres, indepeii-
dainmeut de toute idée relative au zodiaque j que, dans la suite ,
quand on voulut en faire des constellations zodiacales, leurs fi-
gures, leur étendue, leurs distances réciproques et leurs positions
étaient déterminées depuis longtems.
Ces considérations ù priori sont fortihécs par des preuves liislo-
riques. ^ous savons, en effet, que Cléostrate de Ténédos, qui vi-
vait dans le 6^ siècle avant notre ère, introduisit dans le zodiaque
plusieurs signes, et d'abord le Bélier et le Sap^iitaire '. Ainsi^ au
lems de Cléostrale , les constellations qui , plus lard , devinrent
zodiacales n'existaient pas encore toutes dans la sphère ; il en
manquait au moins trois ; le Bélier, le Sagittaire et la Balance.
Le zodiaque n'était donc pas constitué quand cet astronome pla( a
dans la sphère les deux constellations dont ]»arle Pline, et d'au-
tres encore qui ne sont pas désignées. Dès que l'écliptique eût été'
divisée en dodécatémories , on voulut affecter une constellation à
chacune de ces douze portions égales, et on s'empressa de porter
à douze le nombre des aslérismes distribués sur cette ligne. Ceux
qui, par hasard, ne s'éloignaient pas beaucoup de la bande zo-
diacale, ou qui étaient traversés par elle, furent conservés ; on en
ajouta d'autres pour compléter ce nombie de douze (et c'est pro-
bablement dans ce but que Cléoslralc. introduisit ceux dont il est
l'inventeur} ; enfin, on dédoubla le Scorpion , et d'une seule fi-
gure on fit deux iislérismes. Le zodiaque grec, dans les premiers
lems, renfermriit donc douze constellations, mais onze figures stu-
lement : c'est ce zodiaque qu'a connu Eudoxe, et qu'a décrit
Aralus \ Plus tard, on voulut avoir autant de configurations que
de dodécatémories, et on introduisit une nouvelle figure , celle
de la Balance^ qui devint le signe équinoxial d'automne. Cette
' Pline, iT, 6. — Voyez le passage de historien dans Varticle précé-
dent, t. v, p. 1*22, note 6. — Baillv, citant ce passage de Pline, l'entend
. à' observations faites par Cléostrale sur les signes du zodiaque, et sur-
tout sur le lîélier et le Sagittaire {Hist. de Castr. anc» p. ^5o]. Le sens
de ce passage est entièrement dénaturé par cette interprétation.
» Phœnoni j 3^6 : IlaiOc/-:- al •)' iz\ 'À XII AAÎ vS.'. ^y^yn-.;: rjr.,.
UtFLTATlOiN UI> DLI'UIS. 197'
ionovaiioii date du lems d'Ilipparque, et peut-être même est-elle
due à ce grand ;»stronome.
Cette apparition tardive de la Balance dans le zodiaque est an
des argumens les plus forts que l'on puisse opposer au système
de Dupuis ; et cet auteur l'avait si bien senti, qu'il s'est donné un
mal infini pour établir l'ancienneté de la Balance'. Les preuves
qu'il en donne sont non avenues^ ; car il se borne à produire, à
' Nous en avons déjà dit quelques mots dans un des articles précc-
deus (t. m, p. 448 el 449) > où nous avons cité ce passage du Mémoire
sur les constellations : « Il était important de bien constater l'antiquité
)' de la Balance, parce que ce symbole est un des plus expressifs ; l'image
"» d'une Balance , mise précisément à trois signes de l'Ecrevisse , est un
» des argumefis les plus forts de noire système sur la position primitive
» du zodiaque. » Cet argumenl n'a plus maintenant aucune force.
' Voici, par exemple, ce que Dupuis répond à l'abbé Testa : alM. Testa
î) fait un argument qu'il est facile de réfuter. Le zodiaque de Dendra,
» dit-il, est moderne; car on y voit la Balance, qui est un symbole mo-
)) derne. Je lui réponds : la Balance est un symbole ancien; car elle se
» trouve nommée dans des livres qui ne sont pas modernes, et sculptée
î) sur des monumens qui ne sont pas modernes ; tels que ceux d'Esnt ci
y) de Dendra. « {Mémoire explicatif du zodiaque chronologique et my-
thologique, Paris, i8o6, p. 1 12, note s). Dupuis veut absolument que
la Balance ait été placée dans le zodiaque pour caractériser VEquinoxe
de printems; c'est faire remonter jusqiià i5,ooo ans aidant Jlipparqut
l'insertion de ce signe dane le zodiaque. 11 est bien entendu que dans ce
Mémoire explicatif du Zodiaque (voyez les pages 27, 69, 87 et ii5),
il n'est plus question de la chronologie mitigée qu'il avait proposée, en
1781, dans le Mémoire sur l'origine des constellations {^. 5o et 3i. — .
Cf. notre 2' article, t. m, p. 445 et 444) î il avait déjà retiré cette coa-
cession dans la 2^ édition de ce dernier mémoire publiée à la suite de
ï Origine des cultes. — Voyez le t. m, V partie, p. 567. édit. in-4*. —
On trouvera toutes les preuves de Dupuis disséminées dans son Mé-
moire explicatif du Zodiaque, p. 12, 42, 94, note g; m, note m; 1 1>
et suivantes, note s. — Voyez aussi le Mtm. sur l'Orig. des Const. dans
VOrig. de tous les Cuil., t. ni, partie r% p. 357 et suivantes; et les Ob-
jc/i'. sur le Zodiaque de Vendra., dans la Bauc philoioph, , Mai 1806,
111^ stRit- TOME VI. — N' 33. 18 i2. 13
198 EiUDE DES MONUMENS ASTRONOMIQUES;
l'appui de son assertion, des sphères orientales dent l'époque est
inconnue, et dont raullienticité, déjà attaquée par Goguet', avait
été mal délendue par Bailly ^ Quand on citera des bas-reliefs égyp-
tiens où la Balance est figurée, on n'aura pas avancé la question ;
car les Egyptiens ont très bien pu se servir de la Balance dans les
usages ordinaires de la vie, sans la placer dans le zodiaque. Il est
hors de doute que, du tems d'Eudoxe, d*Avatus,la Balance n'exis-
tait pas encore^ les Serres du Scorpion en tenaient lieu; elles
comptaient pour un signe, et le corps de l'animal en formait un
autre. Vers le commencement du T siècle avant notre ère, peu
de tems après qu'Hipparque eut changé la graduation des signes,
on voulut avoir autant de configurations et de dénominations que
de divisions, et on restreignit l'étendue du Scorpion, en substi-
tuant aux Serres le signe expressif de la Balance. Cependant long-
tems encore les Serres demeurèrent, dans le zodiaque, unies à la Ba-
lance; oneut,pour ainsi dire, un double signe, composé à la fois des
Serres et delà Balance: aussi se servait-on indiftereminent des
mots /Y.Aaî et '^^^{ôç, lihra ou jitguîn et chelœ , pour nommer ce
signe. Enfin, les Setre<; furent ramenées près du corps du Scor-
pion^, et la Balance occupa seule alors la 12'^ dodécatémorie.
' Dissertation sur les noms et les figures des Constellations, dans
l'Origine des Lois, t. u. p. 876, note a-, édit. 1820.
» Hist, de VAstr. anc., p. SgS, 487 et 5oo-5or.
3 Ipse tibi jam brachia contraint ardens
Scorpios, et cœli justa plus parte reliquit, Georg.^ i, 34 et 35.
M. Letronne fait remarquer que le mot t-jy^; n'est employé nulle
part dans le commentaire d'Hipparque sur Aratus, si ce n'est dans un
passage altéré par un copiste. Les plus anciens auteurs qui ont
parlé de la Balance comme astérisme zodiacal sont Varron et Géminus.
Voir r Origine du Zodiaque grec, p. 20 et suivantes, où l'on trouvera
cette question, à la fois philologique et archéologique, traitée avec do
longs dévoloppemens, et résolue définitivement. — Les passages grecs et
latins où ces mots sont employés abondent; j'en citerai seulement quel-
ques uns. Virgile, Georg» i, 55 ;
« Qua locus Erigonen inter Chelasque sequentes Pandi^ur, w et la
RÉFUTATiOiN DE DUPUIS. 199
Les zodiaques trouvés en Egypte coniienneot la Balance, et
elle y est parfaitement séparée des Serres du Scorpion. Celte cir-
constance fut tout d'abord signalée par Visconti et l'abbé Testa ,
et alléguée par eux comme une preuve que ces zodiaques étaient
d'une époque fort récente. On n*y a jamais opposé que des subti-
lités ; je n'excepte pas même l'argumentation spécieuse de Butt-
mann, qui, dit M. Letronne, « a cherché à écarter cette grave
» difficulté par des tours de force étymologiques qui prouvent
» l'impossibilité de la résoudre ». Buttmann pense que les Grecs,
qui étaient si curieux de la symétrie, n'ont pu admettre à l'ori-
gine un zodiaque renfermant douze signes et onze figures seule-
ment. Il suppose donc que, d'abord, le mot /r,Ào(t désigna \es pla-
teaux de la Balance ; ce sens primitif ayant vieilli, on appliqua le
mot /r,Xa'' aux Serres du Scorpion, qui remplacèrent pour un tems»
la Balance j enfin, lorsque le malentendu eut cessé, on remit la
Balance à son ancienne place. On peut opposer à Buttmann
que jamais le mot '/r).n'. n'a désigné des plateaux de balance :
on n'en pourrait citer aucun exemple, et ce grand helléniste en
convient lui-même. «« D'ailleurs, dit M. Letronne^_, la grande
>» difficulté n'est pas encore là ; car ceci est plus qu'une
)» question de grammaire, c'est une question de bon sens.
» Buttmann ne voulait pas concevoir que les Grecs ont
» pu n'admettre que o/ice figures zodiacales dans V origine^ er
» coupant l'une d'elles en deux, ce qui est si vraisemblable d'a-
ra près la formation successive de la sphère grecque ; et il se trou-
suite. — Servius a tort de dire, à propos de ce passage, que Virgile a
parlé secundumCha'dœos en ne comptant que pour un signe le Scorpion
et la Balance. Il a parlé plutôt suivant les Grecs, On connaît le passage
d'Ovide, Métam., ii, igS, où il est dit que le Scorpion a Porrigit in
spatium signoruni membra duorum. » Lucain parle aussi des Chelce
{Phars., I, 609, et H, b'gc) ; Manilius (m, 3o4), place dans la dodéca-
téniorie qui suit la Vierge le double symbole, celui de la Balance et ce-
lui des Serres. Le même, i, 6cg, emploie simultanément les deux mots
jugnm etchelœ : « Et;Mga chelaruni medio volitantia cœlo. »
■ Sur l'Origine du Zodiaque grec, p. 2i.
200 ÉTUDE DES A10>«U>IE.\S ASTKOAOxMH^)UliiJ ;
.) vait iiuaniuoins forcé, par sa propre liypotlièse, d'admeltre que
y le* douze fir^urcs primitives avaient postérieurement été ré-
» duitcs à 071CC, et cela, pendant toute la période florissante de
» Tastronomie ancienne entre Eudoxe et Géminus, puisque alors,
» il en convient , la figure connue sous le nom de Balance avait
)) fait place aux Serres. Il est pourtant bien clair qu'une fois les
» douze figures formées, elles n'ont pu être réduites à onze. Au-
w tant il est facile de comprendre que d'une seule figure on en
» aura fait deux, que les serres du Scorpion auront été rempla-
» cées par une figure séparée et distincte, autant il est impossible
» d'admeltre que de deux on en aura fait une seule ; que la Ba-
» lance, le signe le plus expressif du zodiaque, aura été remplacée
» par les Serres. On peut donc affirmer, au contraire, qu'une fois
» la Balance introduite dans le zodiaque, elle n'en estplus sortie'.»»
C'est maintenant qu'il convient d'aborder la question astro-
nomique, et de rechercher à quel peuple appartient la division
' Il existe un passage de Ptolémée d'où on a voulu conclure que, dès
le milieu du 5* siècle avant notre ère, la Balance servait aux observa-
lions des Chaldcens. On s'est prévalu de ce passage pour nier riuserlion
tardive de la Balance dans le zodiaque. « L'an 76, selon les Chaldéens
)) ( x.xrà XaXS'a'Oj:), le i4 Dius au malin, Mercure était d'une demi-cou-
» dée au-dessus de la Balance australe (èrrâvcû 'h tcû votîcj ^yycu); en
}) sorte que, relativement à nos points initiaux (x.a-à rà; rjASTê'paî àp^à;, —
j) Delambrc traduit: « SuivaJit nospr/'ficipes,» ce qui est obscur. Traite
» d'Jstrofi., t. I, p. 478)» il occupait alors 14" V2 des Serres.^» Ptolémée,
Almogeste^ ix, 7; t. 11, p. 170. Halraa Cette année 70 de l'ère cbal-
déenne correspond à l'année julienne 237 avant J.-C. Celte observa-
tion, si toutefois elle a été faite par des Chaldéens, ne l'a pâs été à
Babylone. Elle aura été rédigée lorsque déjà la Balance avait pris place
dans le zodiaque grec, et lorsque les astrologues chaldéens, pour don-
ner quelque consistance à leurs rêveries, feignaient de les appuyer sur
des observations sérieuses, qu'ils exprimaient dans le langage des astro-
nomes grecs d'Alexandrie. — Voyez l'examen approfondi de ce passage
de Ptolémée dans les recherches de M. Letronnc, sur VOri^inc du
Zodiaque srec, p. 52- 571
RIFUTATION DE DUPUIS. 20f
de l'écliptlque en dodécatémories. Dupuis admet sans difticullé
que les Égyptiens ont les premiers inventé la division de la route
annuelle du soleil en 12 parties ej^ales appelées signes, et en 12
tems égaux appelas mois% que les premiers ils ont figuré les 12
images qui comprennent les principales étoiles de chaque divi-
sion; et la raison qu'il en donne, c'est que ces images n'ont de
valeur significative que chez eux , et dans un tems très reculé
(12 à 13 mille ans avant Jésus-Christ). Bailly, plus modéré dans
ses calculs, ne donne pas plus de 4G00 ans d'antiquité ' ù ces
inventions qui sont dues, cela va sans dire , à ses chers Atlantes.
Sextus Empiricus attribue aux Chaldéens la première divi-
sion de l'écliptique en 12 parties égales, et même il indique
le moyen grossier dont ils se sont servis. ^lairobe, suivi en cela
par Dupuis, contesteaux Chaldéens l'honneur d'avoir exécuté cette
division, et il le reporte aux ^g;j^/?>725. Mais ces témoignages n'ont
pas le sens qu'on y attache ^ car il est tout au moins infiniment
probable que, sous le nom de Chaldéens, Sextus Empiricus a
voulu désigner ceux qui cultivaient l'astrologie généthliaque
inventée et pratiquée en Chaldée ; et il est aussi à présumer que
Macrobe aura attribué aux Égyptiens une découverte et un pro-
cédé qui appartenaient aux Grecs, établis à Alexandrie, qui se li-
vraient à un genre de divination différent de l'astrologie chal-
déenne ', Les noms de Chaldéens et à'Egj-ptiens devinrent d'asseï
• Ht'st. de Vastr. anc.,^.']^. lettres sur l'origine des sciences, p. i44'
? Jl ne faut pas oublier que l'astrologie généthliaque (^svEeXioXo-^ia,
à5T3oXc-j-(* à-noT£XÊC|j.aT'.y//, àdTsoy-avtsra ) a pris naissance en Orient, et était
particulière aux Chaldéens. Elle ne s'introduisit qu'assez tard daus
l'Occident. Les anciens philosophes grecs qui en eurent connaissance Is
méprisèrent; et lun d'eux, Eudoxe, prit mênae la peine de prouver que
cette prétendue science, qui se vantait de prédire les cvénemens de la
vie d'après les circonstances astronomiques de la nativité, n était qa un
tissu de rêveries absurdes. Longtems les Occidentaux ne cultivèrent qop
la science des pronostics, fondée sur l'observation des phénomènes na-
turels. — Sur ce aujet , auquel nous reviendrons, voyez M. Letronne,
Eclaircmcmtns historiques faisant suite aux œm're9 de Roll'n; i8^,
»*» viir.
202 ETUDE DES MONUMENS ASTRONOMIQUES;
bonne heure synonymes cV astrologues, el il y a souvent incer-
titude sur le sens de ces deux noms, quand les passages où
on les trouve ne sont pas explicites. Macrobe aura fait dans l'em-
ploi du mot /Egyptii la même confusion que l'on voit déjà dans
Censorin, où le mot j^gyptii désigne tantôt les Egyptiens et tan-
tôt les Alexandrins, comme lorsqu'il attribue aux Egyptiens
l'usage de Tannée de Nabonassar, et celle de Philippe '. Il n'y
a point d'auteur antérieur à l'ère chrétienne qui parle du zo-
diaque égyptien. Porphyre, qui écrivait vers la fin du 3^ siècle
de notre ère, est le premier qui en fasse mention; puis viennent
Macrobe, Sei vins, Théon d'Alexandrie. Mais il est facile de voir
que ces auteurs ayant écrit quand depuis longtems l'usage du
zodiaque grec s'était répandu en Egypte , leurs témoignagnes
n'ont pas d'autorité. Bien moins encore faut-il alléguer ceux de
Manéthon, de Pétosiris, et autres auteurs, qui sont bien inno-
cens des ouvrages astrologiques qu'on a fait passer sous leurs
noms, ouvrages dans lesquels le zodiaque occupe une grande place.
Quelle preuve donc reste-t-il à produire en faveur de l'an-
cienneté du zodiaque égyptien? Les monumens de Dendérah et
d'Esné? Mais il est démontré surabondamment qu'ils sont de Fé-
poque romaine. Comment n'a-t-on pas voulu voir que, par cela
seulement qu'ils contiennent la Balance , ces zodiaques ont
été calqués sur celui des Grecs? Si le zodiaque en 12 signes était
ancien chez les Egyptiens, si les Grecs le leur avaient emprunté,
il serait inconcevable que ceux-ci se fussent bornés à prendre
11 figures dans un zodiaque qui en renfermait 12, et qu'ils eus-
sent attendu jusqu'à Hipparque pour le compléter. Tout s'ex-
plique naturellement, au contraire, en disant que les zodiaques
d'Egypte ne sont qu'une copie de celui des Grecs, faite lorsque
celui-ci avait autant de figures distinctes que de dodécatémories.
D'ailleurs (et cette dernière preuve suffirait seule), dans les zo-
diaques égyptiens, le Capricorne est représenté sous la figure
d'une chèvre terminée en queue de poisson ; celte figure nou-
velle ne paraît pas sur les monumens avant le règne d'Auguste;
» De flie nataii, chap. 2r, p. 1 14 et t \5.
RÉFUTATION DE DUPUIS. 208
d'abord, le Capricorne était un jEgipan, moitié homme, moitié
bouc; il avait une queue et des cornes de chèvre (AÎYoxepoji;)* Ces
sortes de représentations n'étaient pas rares ; on sait que chez
les Egyptiens la déesse Isis, comme lo chez les Grecs, était repré-
sentée avec des cornes de génisse '. Quant au Sagittaire, dont le
nom est to;£'jty^ç, xoçotvIç, archer, comme on le voit dans les Catas-
térismes du faux Eratosthène, c'était primitivement un homme
debout, tenant un arc et ayant deux pieds de cheval. Plus tard,
on en fit un centaure, décochant une flèche du côté du Scorpion ».
C'est sous celte forme qu'on le voit dans les zodiaques égyp-
tiens. Or le centaure est tout-à-fait étranger à l'art et à la religion
des Ej,yptiens. M. Ideler a établi du reste une distinction impor-
tante entre la sphère grecque et les sphères orientales, qu'il est bon
de faire connaître. Non seulement il croit que les figures zodia-
cales sont une invention des Grecs, mais encore que leur sphère
seule admettait des Jîgures, tandis que dans les sphères des Hin-
dous, des Chinois, des Arabes, des Mongols, des Egynûéns et des
Chaldéens , les constellations n'étaient désignées que par des
noms, sauf quelques rares exceptions'qui ne restreignent point la
générahté de son assertion. C'est précisément l'inverse de ce que
dit Dupuis- dans son Mémoire explicatif du zodiaque *.
Si l'on refuse aux Egyptiens l'usage d'un zodiaque quelcon-
que, il ne reste plus que les Chaldéens de Babylone auxquels les
Grecs ont pu emprunter la notion du zodiaque. On sait que c'est
des Chaldéens de Babylone qu'ils ont pris le cadran solaire et la
division du jour en douze heures \ c'est à eux aussi qu'ils doivent
' To "Y*? l'x; ïd'.oç à'y(X>>{Aa èov pvatXT.ïov, ^ouîctpwv êtiTt, Karairep ÊXXyivi; tt.v
touv -ypâçouci (Hérodot., n, 40-
» Lucain, Pharsale, vi, SgS, Sgi :
« Teque, senex Chiron, gelido qui sidère fulgens
» Irapetis ^rnonio majorem Scorpion arcu. »
'P. ICI : « Lorsqu'on groupa les étoiles en constellatioris, on leur
» imposa, non pas des noms, mais des images symboliques... Les noms
» ne vinrent qu'après, et ils vinrent, parce que les mêmes choses étaient
» aussi représentées par des sons, etc. «
504 ^TWDE DF?; WO^UMF^S ASTRONOMIQUFS;
Us noms divins de quatre planètes (Jupiter, Mars, Vénus et Mrr-
Kure), la connaissance de Saturne comme planète, et le nom de
4>aiv(ov qu'ils lui donnèrent; la distinction qu'ils établissaient entre
les cinq planètes et le soleil et la lune '. Il n'y aurait donc rien
d'étonnant qu'ils eussent tiré de la Chaldée la notion du zodia-
que. Or, des témoignages historiques , dont Tauthenticité ne peut
être attaquée, de'posent de l'existence d'un zodiaque chalcléen, par-
tagé en dodécatémories. ^'ous voulons parler du célèbre Excursus
de Diodore de Sicile, surlesChaldéens de Babylone. Les commen-
tateurs s'accordent à penser que l'historien a puisé à des sources
anciennes et originales, et qu'il ne peut s'agir ici des astrologues
chaldéens qui se répandirent en Occident après les conquêtes d'A-
lexandre. Tandis que le zodiaque n'avait aucun rôle à jouer
dans Taslronomie des Grecs et des lilgvpliens fondée tout en-
P.kre sur des levers comparatifs d'étoiles, il avait au contraire
«^ne grande importance dans celle des Chaldéens. Ceux-ci en effet
cultivèrent dp uès bonne heure la divinalion apotclesmalîque »
qui reposait essentiellement sur l'observation des mouvemens
propres du soîeii, de la lune et des cinq planètes. On conçoit très
bien dès-lors que le zodiaque divisé en dodécatémories ait été
connu et employé de bonne heure par les Chaldéens auxquels il
était indispensable. Nous savons par Diodore que, à<ms le sys ème
uranographique des Chaldéens , la bande zodiacale coupait obli-
quement la sphère; elle comprenait le cours du soleil, de la lune et
des cinq planètes connues, elle était divisée en 1 2 parties ou signes
dont les noms ne nous sont point parvenus. Un dieu présidait
à chaque signe. Outre celte division en dodécatémories, il y en
avait une autre en 36 parties, à chacune desquelles présidait un
dieu conseiller (ce sont ces génies que les Grecs nommaient Z?e-
eans). Au-dessus et au dessous de la bande zodiacale il y avait
» Sur tous ces points , que nous nous bornons îi indiquer , voyez M.
Lelronne, Sur l'orig. du -.ad. grec., § jv, v et vi.
'^ Propria est Chnldœorum gcnethliolGgiœ ra/io, ut possint ante facta
» et futura ex rationibus astrorum explicare. » (Vitruve, de Archit.t
a. 6),
RÉFUTATION DE DUPUIS. 20S
ilans la sphère ch.ikU'eniie, comme Jans celle des Grecs^ les deux
régions du nord et du midi, et cliacune d'elle était coupée par 12
cercles horaires, répondant aux signes du zodiaque et détermi-
nant la position des paranalellons de ces signes. En sorte que la
sphère chaldéenne, telle qu'on peut la conclure du passage de
Diodore, était absolument semblable à celle qui résulterait du
jmrapcgine ou du calendrier de Géminus, où le zodiaque tient la
place principale, où le lever et le coucher des ^ish'es paranalellons
sont rapportés à chacun des jours solaires.
Il semble donc qu'il n'y a plus de doute à conserver sur l'ori-
gine chaldéenne de la division en dodécaténories. C'est de la caste
sacerdotale de Babylone que les astronomes grecs l'ont prise. Il a
pu s'écouler quelque tems depuis l'époque où ils ont acquis cette
notion jusqu'à celle où ils Tont admise dans leur sphère; car il
n'était pas absolument nécessaire de l'y introduire. Aussi, n'est-il
pas facile d'assigner avec précision celte dernière époque. Quoi
qu'il en soit^ dès que cette notion étrangère y eut trouve' place,
on dut prendre une certaine largeur au-dessus et au-dessous de
la ligne qui marquait la roule annuelle du soleil ; on eut alors la
Ceinture zodiacale, comprenant les orbites des cinq planètes con-
nues et de la lune. Il paraît que c'est OEnopide de Chio qui l'in-
venta, et lui donna 12* (elle en a maintenant là) de largeur. On
s'occupa aussi de compléter le nombre des astérismes qui de-
vaient répondre aux douze divisions; et c'est probablement dans
ce but, ainsi que nous l'avons dit, que Cléostrate de Ténédos in-
venta les constellations du Bélier et du Sagitttaire. Ces deux
innovations, devenues nécessaires désormais, sont attestées par
des témoignages historiques, qui en fixent approximativement
l'époque , du 6*^ au 5'' siècle avant notre ère. Quand le zodiaque
eut été constitué dans la sphère grecque, les astronomes n*en fi-
rent pas immédiatement un grand usage. Aristote est le premier
qui le cite fréquemment'; de son tems on commençait à s*en
» Le mot de ^wf^.ay-oç, pour le dire en passant, n'est pas fort ancien ; il
est douteux qu'Eudoxe l'ait employé. On le trouve pour la première
fpis dans Enclide et dans le Cmnmentaire d'Hipparque sur Aratns. On
200 ÉTUDE DES MONDMEISS ASTRONOMIQUES;
servir beaucoup ; mais, quoique très souvent employé des astro-
nomes, il Jie pénétra pas facilement dans le langage des arts et de
la poésie ; il fallut pour cela que rastrologie chaldéenne, d'où il
était sorti, vînt le populariser, eu se répandant elle-même dans
l'Occident, vers le premier siècle de notre ère.
Avant de parler de cette prétendue science ^ dont les progrès
multiplièrent les usages du zodiaque et le firent entrer dans les
idées populaires, disons quelques mots d'un point délicat, sur
lequel M. Letronne ne s'accorde pas avec M. Ideler , dont
l'autorité est si considérable dans toutes ces questions. L'un
et l'autre pensent que les Grecs ont emprunté aux Cbaldéens
Vidée de la division en dodécatémories ; ils pensent aussi que les
fleures sont de l'invention des Grecs ; mais les noms des dodéca-
témories, d'où viennent-ils? M. Ideler croit qu'ils viennent de la
Chaldée, et que les Grecs les y ont pris en même tems que la di-
vision en dodécatémories; M. Letronne croit, au contraire, que
les noms des signes sont de l'invention des Grecs, aussi bien que
les Jigiires. La question ne peut être résolue par des témoignages
historiques, car nous ignorons les noms que les Cbaldéens don-
nent aux signes de leur zodiaque ; seulement, comme chacun de
ces signes était consacré, ainsi que le mois correspondant, à un
dieu supérieur, on peut conjecturer que les noms affectés aux
sij^nes étaient ceux-mêmes des divinités babyloniennes auxquelles
ils étaient départis. « La question de savoir si le zodiaque chai-
>» déen contenait les noms du Bélier , du Taureau , des Gé-
» maux, etc., ne semble pas douteuse. Elle le serait, si les signes
» du zodiaque portaient deux noms, dont l'un seulement répon-
» dît à la figure de chaque dodécatémorie , comme la grande
» Ourse, par exemple, qui s'appelait aussi le Chariot et l'Hélice.
» Alors, en effet , on comprendrait que des figures déjà formées
» auraient pu recevoir d'autres noms, lorsqu'elles seraient deve-
»> nues zodiacales. Mais ce n'est pas ici le cas; au contraire, tou-
» tes les figures répondent aux noms ; on ne peut les en distin-
disait plutôt : twî^'o; (y/j/Ac;), î^wcço'po;, &tÔ)v Çw^t'wv x-jy-Xoç, o ^là ^irsbvi Tta^f
l^(«^(wv. — Le nom d'ccliptique, •y.XsiTrrt/co'î, est aussi fort récent.
RÉFUTATfON DE DUPUIS. 207
» guer; et puisqu'il est constant que les figures ^ du moins la
» plupart d'entre elles, existaient dans la sjhère grecque, avant
» de devenir zodiacales , les noms y existaient en même tems, et
»» n'ont pu être empruntés au peuple qui aura fourni ensuite
») l'idée du zodiaque. Ajoutons que si les Grecs avaient pris les
» douze noms chez ce même peuple', en ajoutant seulement les
» figures que ces noms expriment, ils n'auraient jamais eu l'idée
» de ne faire qu'une figure -çonv deux noms, de dessiner, par
» exemple; les Serres du Scorpion là où il était si simple de des-
» siner une Balance , puisque la balance était un de ces douze
» noms. Yoilà donc ce qui me fait croire que les noms ainsi que
» les figures du zodiaque appartiennent aux Grecs'.» Il serait
difficile, après une argumentation si claire et si péremptoire, de
ne pas se ranger à l'avis de M. Letronne.
Edouard CARTERON.
M. Letronne, Sur l'origine du zodiaque grec, p. 27.
208 TRADITIONS PRIMITIVES
Srnbilionô primitiors.
VESTIGES
DES TRADITIONS PRIMITIVES
CONSERVEES CHEZ LES L ATI 1^5,
Explication de I'eglogue a pollion de Virgile.
Jésus-Christ , centre des traditions universelles. — //^-"^ E glogiie à Pol-
hon. — Comment elle a été interprétée aux premiers siècles de notre
t're — Discours de Constantin. _ Point de vue de celte dissertation.
Circonstances dans lesquelles l'églogue à Pollion a été composée. —
Examen et réfutation des hypothèses proposées par divers interprètes,
— Interprétation beaucoup plus naturelle. — Diffusion, au tems de
Virgile, de la tradition cjui annonçait le Messie — Livres sibyllins. —
Témoignage de Cicéron. — Origine des oracles attribués aux sibylles.
— Universalité de la tradition f|ui annonçait un nouvel âge d'oi';
Il est dans Thistoire de Thumanité un fait si important, que la
divine providence avait marqué, pour en être la préparation, ou
plutôt la manifestation, tous les faits principaux qui le précédè-
rent, et, pour en être la preuve, la preuve vivante et irrécusa-
ble, tous ceux qui Tont suivi : ce fait c'est Jésus-Christ et sa cé-
leste origine, Jésus-Christ et son apparition sur la terre. Et ce ne
sont pas seulement les évènemens de l'histoire ancienne, ce sont
aussi les monumens de la sagesse antique qui ont été destinés à
rendre témoignage de l'altenle d'un céleste réparateur. Le culte
religieux de tous les peuples, leur poésie, magnifique écho de la
religion, les traditions et les croyances conservées chez les na-
CllJiZ lits LATINS. '209
lions les plus civilisces comme cliez les plus baibaves; les systè-
mes pliilosopbiques élaborés par rinlelligence des plus vigoureux
penseurs, et formés, tanlùt de ces mêmes traditions, tantôt des
spéculations les plus subtiles, en un mot, les monuments bistori-
ques tantôt recueillis dans leur intégrité, tantôt tronques et mu-
tilés-après l'extinction des langues dans lesquelles ils furent
écrits, après la ruine dtfs empires dont ils célébraient la gloire ;
tout enfin, cultes, poésie, systèmes, liisloires, tout dépose en fa-
veur de Jésus-Cbrist rédempteur et médiateur; car tout atteste
les faits et les vérités primitives de la religion, ou proclame la
nécessité d'une victime expiatoire et d'un maître pour instruire
le genre bumain.
Avec tout le luxe de la plus vaste érudition, Eusèbe de Césarée
toucba ces matières dans sa Préparation éuangélique. Marchant
sur les traces qu'il avait frayées, plusieurs pères et une multitude
de savaus plus modernes ont également traité ce sujet imposant
qu'ils ont orné et enricbi d'une plus grande abondance de monu-
mcns. Puis est venu Bossuet, cette grande intelligence, Bossuet,
dont la main puissante et siire a tout réuni dans un vaste ensem-
ble, histoire, poésie, pbilosopbie, religions, empires, prophéties,
croyances dogmatiques, pour en faire sortir un magnifique ta-
bleau, disons mieux, un monument plus durable que le bronze
elle marbre, dans lequel il fait tout converger vers Jésus-Christ,
comme des poids que la pesanteur entraîne vers le centre qui les
sollicite.
Entre toutes les preuves de cette tradition primitive nous al-
lons nous attacher à une seule, que va nous fournir la IF^Jglo-
gue de Firgile^ dédiée à Pollion. Nous allons tenter d'établir que
pour interpréter ce morceau de poésie, il faut y chercher le sou-
venir du Restaurateur de toutes choses, et y trouverjun magnifi-
que témoignage rendu à la vérité par le poète latin.
Telle était la persuasion de la primitive église sur la pensée de
Virgile, que l'empereur Constantin-le-Grand, dans son fameux
Discours, qu'Eusèbe nous a transmis, la récitait en grec ', aux
' \ uyei Eusèbc, Fie de Coiistaniin, c. nj, 2u, 21, édition d« >'aioi5.
210 TRADITIONS PRIMITIVES
trois cents pères assemblés au concile solennel à Nicce, et qu'il
s'en servait comme d'un argument pour démontrer la divinité de
la mission et des œuvres de Jésus -Christ. Ce sage empereur au-
rait-il fait ce choix, aurait-il appliqué et paraphrasé, pendant
trois chapitres entiers, les paroles de Virgile, devant une pareille
assemblée, s'il n'avait été sûr d'exposer l'opinion des plu§ illus-
tres docteurs chrétiens? Ce même sentiment a été embrassé dans
les siècles postérieurs, et il est demeuré intact tant que la criti-
que a respecté les monumens religieux el a tenu compte de l'au-
torité des écrivains les plus anciens. Mais quand un amour outré
des innovations hardies, un profond dédain pour les devanciers,
une aveugle fureur qui porte à déchirer la science des défenseurs
du christianisme, ont eu franchi toutes les bornes , cette opinion
a été plongée dans une telle obscurité, enveloppée de tant d'in-
certitudes, qu'il a été facile même aux plus judicieux de la com-
battre K
Il faut, avant tout, indiquer la pensée principale que nous
croyons devoir présider à toute interprétation saine et judicieuse
de ce poème. Nous ne voulons ni défendre, ni rejeter l'opinion
d'après laquelle Tirgile a puisé directement dans les livres juifs,
les espérances et les oracles qui ont pour objet le mystérieux en-
fant célébré dans ses vers ; toutefois nous aurons lieu de faire
plus loin quelques remarques sur ce point. Ensuite , après tant
de siècles écoulés, l'ignorance des faits, l'absence de monumens,
Dans son Commefitaire sur Virgile, Heyne a reproduit cette traduction
grecque de la iv« Eglogue.
• Sans énumérer tous les écrivans qui eut embrassé l'une ou l'autre
opinion, il me suffit de faire remarquer que l'ancienne interprétation a
été combattue, parmi les modernes, par Burmann, Fabricius, Mosheim,
Dupin, Heyne, Henley, etc. ; et qu'au contraire elle a été défendue par
Cudworth, Thomassin , Wossius, Faidit, Prideaux, Lo^vth , Pope,
Chadler, Wisthon et De Maistrc, etc., etc. Voyez ces auteurs et les
autres cités par Burmann ou par Heyne dans leurs commentaires, et par
Fabricius, Deleclus argumentorum et syllabus scriptorumqui veritatem
religionis assuerunt^ cap. Sa.
CHEZ LtS LATINS. 211
robscuriié d'un langage tout poétique et tout allégorique com-
mandent la modestie et la réserve, et nous n'osons assurer que le
jioète ait pris pour sujet de ses chants un enfant déterminé dont
on aurait alors attendu la naissance : c'est assez d'établir que
toutes les explications historiques données jusqu'à ce jour ne sa-
tisfont ni à la lettre, ni à la pensée du poèie, ni aux opinions ou
aux évènemens de son époque. Nous avouons encore volontiers
que, malgré tout l'éclat de son style et toute la clarté de sa dic-
tion, Yirgile présente et présentera peut-être toujours, dans ces
vers, quelques endroits vainement tourmentés par les critiques
et par les grammairiens. Telle est la conclusion à laquelle sont
arrivés après les travaux inutiles de tant de commentateurs,
Heyne et Burmann, ainsi que Lowth, quoique ces savans ne s'ac-
cordent ni sur l'idée qui a inspiré lepoèse ni sur le but qu'il se
propose. Enfin, nous n'avons pas à considérer s'il faut voir en
"Virgile un prophète de plus, et s'il prouve la thèse de ceux qui,
dans les oracles antiques, dans les voix nocturnes, dans lesgémis-
semens des cavernes, dans les paroles des prêtresses en proie à
l'enthousiasme, et surtout dans les chants de poètes en quelque
sorte inspirés, veulent voir une étincelle de l'esprit prophétique,
comme si, non content de retentir en sons éclatans sur les rives
du Jourdain et de l'Euphrate, il se fût choisi parfois un inter-
prèle jusqu'au sein des Gentils, afin que la parole de Dieu et la
voix de la religion eussent encore de l'écho parmi eux.
Les philosophes grecs ont longuement disserté sur cette ma-»
tière, ainsi que les pères de l'église, et dans des tems plus rap-
prochés de Dous les savans ont exposé leurs différentes opinions :
puis, de nos jours, en Allemagne et en France , on a rallumé
cette discussion, dont nous croyons devoir nous abstenir, et que
nous ne pourrions traiter sans entrer dans les détails sans fin
d'une érudition fastidieuse, et sans nous enfoncer dans les abs-
tractions les plus ardues, les recherches les plus subtiles sur l'en-
tendement humain et sur ses facultés. Afin donc d'indiquer de
manière à ne pas s'y méprendre la marche que je veux suivre ,
afin d'engager le moins possible de discussions avec les savans
qui voient mal ou dont le regard pénètre trop avant quant ils en-
212 TRADIT[0.^5 IMUIMITJVi-S
treprenneiit de commenter les écrivains anciens , j'exposerai
clairement l'intention qui m*a j^uidé dans ces reclicrclies : je
veux simplement démontrer que, dans les imacjes et les prédic-
tions poétiques dont A irgile a été prodigue, l'Eglogue à PoUion
est un «monument de la tradition, qui existait alors et que toutes
» les bouches répelaientà Rome, sur la restauration prochaine de
» toutf s choses, sur un nouvel ordre social qui rendrait les hom-
') mesheureux, sur un réparateur du monde attendu avec soupirs,
» auteur de cette paix, de cette justice, de cette vertu, vœuuniver-
»^ sel et besoin de tous les cœurs.» Les exigences dupoint de vue où
je me suis placé m'interdisent donc, comme on le voit, toute au-
tre application que l'on pourrait faire de Téglogue de Virgile :
ma lâche se borne à décomposer dans ses élémens le témoignage
que le poète rend à la vérité, à les examiner l'un après l'autre,
afin de remonter aux sources où l'auteur a puisé, et qu'il laisse
lui-même apercevoir dans cette cglogue, où il accumule tant de
merveilles.
I.
Il ne tombe aucun doute sur l'année où ce chant pastoral a été
écrit : ce fut l'an 71 4 de Rome, 40 ans avant la naissance de Jésus-
Christ ; il en est de même du personnage auquel il est dédié ^ on
sait que c'est Pollion, consul de cette année ', dont les évène-
mens nous sont suffisamment connus par les récits qui en sont
faits dans le 48»^ livre de V Histoire de Dion, et dans le 5^^^ de celle
* à'Appien, Toute l'Asie était inondée par l'armée des Parthes, et
à la merci de leurs escadrons, guidés par le jeune prince Pacorus
et par un général romain, Labiénus, qu'un reste de fidélité au
grand Pompée, qui n'était déjà plus, armait contre sa patrie \ les
légions romaines étaient décimées de toutes parts ; toutes les villes,
depuis l'Euphrate jusqu'à la mer qui baigne l'Asie-Mineure, se
trouvaient prises ou forcées ; la seule cité de Tyr, défendue par
une poignée de Romains, tenait pour le Sénat. Cependant les ci-
toyens se livraient entre eux une guerre encore plus impie sur le
sol même do l'Italie; et, subjuguée moins par le fer que par les
• Voyez lleync dans la P^itn l'ii'^ilii pcr aniios dic^alu.— i\\m^
urbis couditce, Ti^.
CUL/. ILS LVTLN.S. *2\6
loi leurs «le la faim, Pcrousc touibaïUcUc amit'c-là aux niaius ilc
riieureux Octavi\ A ces cris de guerre, au bruit de ces désastres
et des chutes retentissantes des cités de l'Asie , à l'éclat de la gloire
d'Octave qui saisissait déjà les rênes d'une république toute-puis-
sante, mais ébranlée jusque dans ses fondemens , Antoine se ré-
veilla du voluptueux sommeil d'Alexandrie : plus jaloux du pou-
voir qu'ardent pour la victoire, il volait aux rives de l'Italie,
résolu d'inonder de sang son malheureux })avs ou d'en faire ua
monceau de cendre, plutôt que de le voir la proie de son rival.
Mais un amour sincère pour leur patrie porta de sages et géné-
reux citoyens, que l'effusion de sang faisait frémir, à opposer la
sagesse de leurs conseils, la puissance de leurs paroles et de leur
autorité à la rage des deux gueriiers. Mécène, qui suivait les dra-
peaux d'Octave, mettait en œuvre toutes les ressources de l'art de
la douce persuasion^ et PoUion, qui s'était ailaché à la fortune
d'Antoine, l'amenait à reconnaître, parla considération intime et
profonde de l'état civil de la république, qu'il fallait céder désor-
mais ou partager avec son rival. Grâce au génie de ces deux grands
liommes, on conclut à Brindes une paix qui semblait être l'avant-
courrière des merverlles sans nombre que lespérauce olfrait aux
Ixomains fatigués de tant cle guerres civiles. Ce fut alors que la
triumvirat de Lépide , d'Octave et d'Antoine prît une physiono-
mie plus régulière et qu'ils se partagèrent de nouveau les pro-
vinces de l'empire. Mais afin de resserrer les nœuds qui unissaient
déjà les d-iux plus puissans, on voulut qu'Octavic, veuve de Mar-
ct'llus, fut fiancée, quoiqu'enceiiite de son premier mari, à An-
toine : on se figurait que cette femme, d'une haute sagesse et sœur
d'Octave, serait merveilleusement propre à cimenter un accord
sincère et durable entre les deux illustres capitaines *. Or, n'é-
tait-il pas naturel que, partageant l'ivresse universelle et séduit
par la commune espérance, Virgile adressât sou poème au consul
PoUion, premier auteur de la paix de Brindes, que toute la ville
de Rome salua au milieu des fêtes, et qui fut appelée la paix du
' ^'oycr. surtout PliUarquc, dans la /7c d'Jnloiiif^ cl haUc, DùtioN,
fit il. < rit., ail. Oclavic.
14
214 TRADITIO.NS PRIMITIVES
inonde. Jusqu'ici l'intention qui dirigeait le poète se laisse claire-
ment apercevoir. — Mais comment se fait-il qu'enchanté de voir
la fin des haines intestines, il se met à considérer un enfant mys-
térieux auquel il rapporte toute la gloire de la paix si long-tems
attendue, qu'il inscrit au nombre des dieux, et devant lequel il
fait courber la nature entière? Pourquoi un berceau lui présage-
t-il un nouvel ordre de choses et le retour des anciens âges qui
n'existaient plus que dans la poésie? D'où lui vient cet enthou-
siasme étrange, ce feu victorieux qu'il sent circuler dans ses veines
pour célébrer la naissance de son jeune héros? Poète devenu
plus grand que lui-même, il ne craint plus de défier dans ces
jeux deriiarmonie, le divin Orphée, le fils de la belle Calliope,
ni Linus de la race d'Apollon, ni même le dieu Pan, les délices
de l'Arcadie. Quel est donc cet enfant qui piovoque les chants
de Virgile ? Quel est donc le berceau qu'il semble dé^à voir?
La critique la plus sévère des commentateurs, depuis Servius,
qui écrivait au commencement du 4« siècle, jusqu'à Heyne et
Heulcy, dont on connaît l'ardeur à se rendre inaccessibles à l'in-
fluence des opinions religieuses, la critique la plus sévère n'a rien
trouvé qui s'accordât d'une manière satisfaisante avec les faits et
avec l'histoire, rien que pût avouer ce goût*si délicat et si pur cjui
a fait de Virgile le plus suave comme le plus correct des poètes
anciens. Le vieux Servius, Bœclerc , Cerda, Dupia et toute la
foule des commentateurs vulgaires ont admis que le poète avait
célébré le fils même de Poilion, surnommé Salonin à cause de la
prise de Saloua en Dalmatie. Mais ils igucraient, suivant l'obser-
vation de Heyne, qu'eu l'année de Rome 714, Pollion n'avait pas
encore d'cnlans, que la guerre de Dalmatie fut projetée , mais
non entreprise cette même année, et que Salona ne fut prise que
Tannée qui suivit la composition de l'Eglogue. C'est ce qui enlève
tout (ondement au commentaire de Servius, commentaire que ne
sauraient rendre plus vraisemblable ni la foule des critiques qui
l'ont aveuglément adopté, ni l'autorité de ce même Servius, au-
teur si suspect et qui écrivait 300 ans api es Virgile. Et puis, à qui
fera-ton croire que Virgile eût jamais voulu accumuler sur la
tête du fils de Pollion tant de gloire, tant d'espérances, et atta-
CHEZ LES LATJISS. 215
cher à ce jeune liout jusqu'aux rayons de la divinité? Comme si
les destinées du monde eussent dû dépendre un jour de cet en-
fant I Piédiciion injurieuse et ridicule, d'autant plus exagérée e t
déplacée ([u'elle n'aurait été en rapport ni avec l'état de la répu-
blique, ni avec les fonctions de PoUion, ni avec la puissance qu'a-
vaient acquise les triumvirs, ni avec les formes du nouveau ré"
gimc ' !
Il y a plus de vraisemblance dans l'opinion de ceux qui trou-
vent le jeune liéros célébré par le poète dans l'enfant qu'Octavie
portait dans son sein lorsqu'elle s'unit à Antoine. Et, à vrai dire,
Tàge de Marcellus, qu'Octavie mit au monde l'année suivante,
les sublimes vertus de celte femme, capable assurémejit d'adou-
cir par sa conduite aimable et sage l'àme altière et intraitable
d'Antoine et de rétablir en bonne intelligence avec son frère,
aussi bien que de lui faire goûter par sa candeur les délices d'un
chaste amour et de Tarraclier aux amorces impudiques et hon-
teuses de Cléopâire; les fêtes et les réjouissances qui eurent lieu à
Rome; l'amitié, ou plutôt le dévoûment de Pollion pour Antoine,
auquel ce fruit heureux et qui devait un jour régner sur le
monde, allait appartenir ; la gloire qui en rejaillirait sur Octave,
frère de celle qui ménageait la réconciliation ; la magnifique oc-
casion qu'offraient ce mariage et la naissance de l'enfant de con-
cilier l'ambition et les desseins des deux superbes prétcndans ;
mais plus que tout cela encore, les espérances et les merveilles»
que faisait concevoir Marcellus, toutes ces choses porteraient à
lui appliquer les oracles que le poète a consignés dans ses vers.
Ce sentiment paraîtrait même fondé d'une manière assez solide
sur l'anûquité; car on retrouverait volontiers dans ce morceau,
suivant la pensée de Catrou, de Martin, de Spence et autres, ce
même Marcellus dont la naissance excita tant de vœux et tant
d'allégresse parmi lesPvomains, et dont la première jeunesse, qui
nous est décrite par Dion, par Yelléius, par Horace, par Sénèque,
fit concevoir de si belles espérances ; mais qui bientôt, ravi par
une mort prématurée, en 731, mérita ces vers célèbres de A ir-
' Voyez Heync dans XAn^iiincnl dt cctie Ei^lo^iic.
210 THADino.NS PJU3Jiri\ES
gih;, si pleins d'élcgance, de sensibilité, et qui sont le plus bil
ornement du Go livre de VEiiéide :
Nec puer lliacà quisquani de gciile Latinos,
Ta tantùm spe tollot avos nec Roaiu.la rpjondaui
Ulio se lantitni tellus jactabit alumno '.
pilais il est une réflexion qui se présente tout naturellement et
qui porte un coup mortel à cette opinion ; c'est qu'Octavie, qui
contractait un second maria^je avec Antoine, était veuve de Mar-
cel lus, enceinte de ce même Marcellus, et que, conséquemment,
l'enfant qu'elle allait mettre au monde n'était nullement le fds
d'Antoine. Or, est-il possible de croire que Yirgile eut voulu
appliquer à cet enfant toutes les merveilles qu'il annonce, et voir
dans le fils de Marcellus, au détriment d'Antoine et d'Octave,
le futur pacificateur du monde? Ces raisons ont paru telles à la
sagacité si pénétrante de lieyne, qu'il a mieux aimé embrasser
l'opinion qu'ont pareillement adoptée Nauzée, Boulacre , plus
récesnment Henley,et p,énéralement tous ceux qui, se rappelant
qu'Oclavc épousa Scribonia cette même année, ont cru que les
piédictions de Yir-gile ne pouvaient s'appliquer plus heureuse-
ment qu'au fruit de cette union d'Octave, que le poète espérait
voir et qui lut effectivement par la suite le véritable et seul
maître du monde.
r\Iais comment prédire à Octave l'empire de l'univers ; com-
menl élever son lils an ran,q; des dieu:x, lorsque la paix conclue à
Brindes, et la forme adoptée du gouvernement triumviral, et le
v.nrta'je égnl des provinces entre Lépide, Antoine et Octave, in-
diquaient assez clairement que la république allait encore durer
îon.'tenis, malgré les modifications qu'elle avait subies, et qu'on
ne vt-rrait pas les conquêtes de sept siècles achetées par des flots
du sau'^ romain, devenir la dépouille et l'héiiiage du plus hardi
ou du plus heureux conquérant? La fameuse journée d'Aclium -,
' Vo\ez depuis le VRrs 86i jusqu'au 88Gdu vi' livre de VEnéide, avec
les yfnnolaiLons de Cerda et de Heyne.
' la bataille d'Actium se donna \\\\\ 7?-5 de riouic, c'csl-ii-dirc 0 ans
ai"! è.> la \>\\\ de Drindcs.
Clir.Z 1 f s T ATf.NS, V I /
qui cU'cida du soil de rcnipire el de tant île peiij)lc:;, ii\'l;iit j)as
encore arrivcc; les vaisseaux d'Auioinc ne s't'taicut pas ciuo:c
réfugies sur les rivages de l'Egypte, afin de caclier la lionte et la
défaite du vaincu dans les voluptueux palais de Cléopaire; Oc-
tave n'était pas encore Auguste; il ne s'était encore donné ni le
titre ni les honneurs de prince ; ni l'autorité, ni la riilicsse, ni
les connaissances ne le mettaient à la tète des affaires : c'était un
simple triumvir qui n'jivait qu'un pouvoir et des droits égaux à
ceux de ses deux autres collèg;ues, et quiconque alors l'eût appelé
Dieu ou père cViin Dieu aurait passé pour un insensé ou pour un
rebelle. D'ailleurs, Virgile aurait-il eu la maladie se d'adresser à
Pollion ces flatteuses espérances, Pollion, le fauteur, le général,
l'ami toujours dévoué d'Antoine, et qui , à ce titre, ne pouvait
voir sans quelque peine la prééminence d'Octave. Et encore,
quelque avantage que l'on dut nltendic du traité de Blindes, la
situation de l'empire romain n'était pas telle que l'on pût dire
qu'on allait goûter des jouis de paix, que toute guerre ciait ter-
minée, et que le monde était à la veille d'un autre âge d'or : la
guerre des Parthes mettait en feu l'Asie tout entière; les mers
étaient sillonnées par des flottes de pirates que guidaient i\&s gé-
néraux romains^ la Dalmatie demandait une armée. La paix était
à peine conclue qu'il fallut reprendre les armes, ou plutôt c'était
un des articles du traité qu'Antoine marcherait contre les Par-
thes et contre Lahiénus en Asie; qu'Octave disperserait les flottes
barbares de Sextus Pompée, et que Pollion lui-même irait com-
mander l'armée de Dalmatie. Tout en s'eÛbicant de faire dispa-
raître de l'Eglogue de Virgile tous les sens dont on aurait pu
tirer un témoignage en faveur de l'attente du réparateur du
monde, Heyne, retenu par tant de raisons qui commandaient au
moins le doute, préférait l'explication hasardée par Jean Albert
Fabricius ', et s'attachait à appliquer ces prédictions magnifiques
et éclatantes, non pas à un enfant particulier que l'on voudrait
en vain maintenant trouver dans l'histoire, mais à toute une gé-
' Voyez le w livre de sa BihUntJirca grœra,. clmp. 3o et ?iiiv.
'218 TRADIT!O^S PRIMITIVES
nriv.iion qui dev.'.it proclninenient appai aîti e, et qui, tlans ses
(lifiéreiitos phases, dans sa marclie vers une félicité complète, of-
frirait les (lifféieus âges de la vie de l'iiomme. Toute parée d'a-
boid des grâces de l'innocence, arrivant ensuite à la fleur de la
jeunesse, et plus tard à une virilité pleine d'intelligence et de
valeur, elle aurait fini j)ar atteindre la perfection dont l'espèce
humaine est capable. Il est vraiment pénible de voir qu'un
homme si judicieux, qui montre dans tout son Commentaire une
sagacité si pénétrante, qui ne s'appuie que sur l'histoire et sur
des documens dont l'exactitude lui est démontrée, qui s'en lient
toujours aux termes de la lettre, ait eu recours à un pareil sub-
terfuge, à un expédient dont chacune des paroles du poète devait
lui révéler la futilité, puisqu'il parle évidemment d'un enfant, et
non d'une génération, d'un enfant qui va naître et en faveur
duquel Lucine est invoquée :
Tu modo nasecûti puero
Casta favc Lucina
( vers 8 et lo. j
d'un berceau sur lequel le lierre et l'acanthe fleurissent d'eux-
mêmes ; d'un enfant qui reconnaît sa mère au premier sourire,
d'un jeune homme qui a déjà sa place parmi les héros et vit avec
les dieuy, avant que ses mains ne tiennent les rênes de l'univers
vaincu et pacifié.
II.
Quelle que soit l'hypothèse historique qu'on adopte pour dé-
terminer l'idée qui inspira cette églogue à A irgile , celte hypo-
thèse vient se briser contre l'une ou l'autre de ces difficultés.
Pourquoi donc se perdre en conjectures, tandis que nous avons
sous la main une explication que confirment tous les monu-
mcns de l'époque où vivait l'auteur, une explication parfaite-
ment en rapport avec le langage et le style tout particulier de
soa poème ; embrassée par des honuncs très graves qui l'ont
(•mise dans des icms plus rapproches de l'écrivain, soutenue par
les critiques les plus judicieux, et contre laquelle on n'a produit
CHRZ LFS LATINS, 219
jusqu'à ce jour aucune allcoation cjui ait valu la peine d'être (iis-
cutée ?
Dès les tems les plus reculés, il existait une tradition qui , de-
puis plus d'un demi-siècle avant la naissance de Jésus-Christ,
était devenue non-seulement générale, mais pleine de vie; elle
promettait un Sauveur au monde, un renouvellement universel,
un règne de fécilité, de verlu et de paix , après tant d^angoisses
et de douleurs. L'attente de ce Rédempteur , objet de tant de
soupirs, ses œuvres merveilleuses, rétablissement de son empire,
avaient été consignés par la tradition , et enveloppés , dans un
langage plus ou moins obscur , dans les chants des prêtres, dans
les systèmes des philosophes, dans les allégories, en un mot, dans
tout ce qui formait le système scientifique ou religieux de Tan-
cien paganisme. Plus on approchait des tems où les desseins de
Dieu allaient s'accomplir , plus la voix de la tradition prenait
d'énergie ; ou plutôt, son action était devenue un mouvement ,
une agitation de tous les peuples, qui se tournaient, en quelque
sorte, avec leurs espérances, du côté de l'Orient , d'où partait la
voix mystéri»euse qui annonçait le prodige. L'autorité de Suétone,
de Tacite, de Cicéron, etc., ne permet pas d'en douter, et l'his-
toire chrétienne ou profane de ce tems abonde en monumens de
tout genre qui le confiiment. Les plus fougueux des incrédules
modernes en ont eux-mêmes rassemblé les innombrables preuves,
quand ils ont entrepris de recueillir les systèmes mythologiques
et tenté de confondre cette vérité éternelle , qui scule pouvait
leur révéler l'origine et la cause de tous les égaremens de l'esprit
humain. Quel qu'ait été l'enfant quil avait en vue, Virgile s'est
approprié les plus éclatantes et les plus subhmes images de cette
tradition; il les a ornées des plus vives couleurs, les a naturali-
sées, pour ainsi dire, sur le sol romain, et a transporté à ce grand
empire ce qui au fond annonçait le règne de Jésus-Chiist. Mais ,
pour ne pas me tenir dans des généralités, je décomposerai cette
églogue dans les élcmens dont elle se compose, afin d'en lirer un
à un les faits de la tradition que Virgile exploita , coordonna ,
embellit , pour en faire le plus beau monument que l'antiquité
nous ait transmis sur l'existence de cette même tradition.
'2'2i) Trru)irio.\f^ pr.iMrnvr.>
fjt's son «IchiU, prenant au ton qui ne convient pa.'^ ù un sim-
ple berger, i' devient l'interprète inspiré de la prophétie que l'on
attribuait vulgairement à la sibylle de Cumcs. D'apiès l'autorilc
du grammairien Valérius Probus, Servius et Fabricius se sont
efforcés de rapporter Tinvocation de Yirgile, non pas à la sibylle,
unis au potMiie d'Hésiode, qui peut être appelé Cuméen, parce
que son père était ori{i;iuaire de Cumes. ■Mais, connue Cooke et
Ileyne » l'ont fait observer, on ne trouve nulle pari dans l'anli-
quilé que le poète d'Ascrée fut appelé Cuméen ;. et d'ailleurs ,
comment Yirgile aurail-il pu lui donner ce nom sous les yeux
des Ron)ains , qui savaient tous paifaitcment cjue les chants cu-
nii^cns n'étaient que les prédictions de la sibylle? Enfin, le poème
d îlésiode, qui traite des ouvrages et dus jours, et décrit les dilïé-
rens âges du monde, ne paile pas de ces révolutions et de ces
retours d'époques , auxonels notre poêle fait spécialement allu-
sion. C'est donc des récits cuméens , du livre prophétique de la
sibylle, qu'il a tiré la prédiction de ce;te dernière époque, si long-
tenis attendue; et voilà ce qui forme le premier moniuncnt de
la tradition dont Virgile se fait l'organe.
Quelle que soit l'opinion que l'on adopte sur les sibylles et sur
les livres sibyllins; que ces sibylles soient des personnages allé-
f^oriques ou historiques*, que ces livres soient tous apocryphes ou
empruntes aux écrits et aux traditions des juifs hellénistes , ou
bien qu'on ait interpolé d'une façon quelconque les vers et les
traditions qui portaient ce nom , peu importe; ce qu'il y a de
certain, c'est qu'au tems de Viqjile, il y avait sous le nom de la
sibylle un oracle très-accrédité, disons mieux , une tradition qui
annonrait la venue prochaine d'un Sauveur et d'un Piéparateur
du monde.
Pour infirmer coite classique autoriti- de \ irgile , il faut l'a-
vouer, c'est peu que l'opinion de iMo-heim, qui , dans srs .-^nno
tations sur Cudu'orlh donl'd n'adopte pas l'opinion, affecte de
' Voyez Fabriciu?, Billiollicca ^nvcu, lil). i, c. 29; Hcynr, loc. cil.;
Cooke's Hciiody n ^'icw of ihe Iforks and Days, lect. 5.
' Vovcz CudAvort, Systema intcllecliiah cnm adnot. Mosbeini,
ban. IV, n" l'ù
(1117 Mn I.VTIXS. 'JVI
rroiic quo coiic pri'ilicliou si i/'pandue l!c la .sll>\llc ii';;iuiOn';ait
que la lévoluiion de la îj;rande année , et le lenouvclîcnicnt du
inonde qui est décrit dans les vjis suivans. Kl en elVet, outre que
cette tradition remonte à une autre source, coinnie nous le ver-
rons tout à riieure, et forme une autre partie du témoignage de
Virgile, tout ce que ce poète nous retrace dans son églogue ne
roule pas seulement sur celte lévolution de la grande année,
mais nous annonce expressément qu'une nouvelle race va être
envoyée du ciel , cpie les fautes des hommes seront effacées, et
que la terre va posséder un enfant de la divinité; puis il nous
fait voir dans ce divin enfant le messager de la paix, le roi des
peuples et le vainciueur des tyrans. Ce témoignage rendu à la vé-
rité par le génie de Virgile devient plus évident encore et plus
formel quand on le rapproche de ce que Cicéroii nous raconte,
dans son livre de la Dii'lnatioii, que , de son tems, il y avait un
oracle de la sibylle très -répandu, si répandu que Colta même, un
de ceux qui étaient destinés à la garde des livres sibyllins , se
])roposait d*en entretenir le sénat , et qui annonçait l'apparition
Ircs-proi. haine d'un roi, dont 1:^ nécessité se faisait désormais
sentir pour rafl'ermir les lois et le pouvoir ébranlés, afin de sau-
ver la république et de gouverner l'univers*. Cette idée d'un
roi, idée qui bouleversait tous les préjugés cl toutes les opinions
romaines, s'accorde merveilleusement avec la prédiction que Ju-
lius Marathus, cité par Suétone dans la rie cV Octave j nous dit
avoir été répandue de toutes parts à Rome : « que la nature en-
fantait un loi au peuple romain -.»
' Voici le passage de Cicéron : « Sibylla^ versus obscivanius quos illa
fnrens fudisse dicitnr. Quorum interpres /"Colta) nuperfal?a quîerlam,
bruninum fanià, (r!<?lnrn<; in senalu putabaîur: enni, queni re vera re-
ç;f m bahcbamus, appcilandum quoque e?se regcni, si siaU-i cssc \'ci/emns.
De I)\'inatioue, I. ii, n. 54-
' Voici le passage de Suélonc : Auctor est Julius ^laratluis^anlè pau-
cos qnam (Auguslus) nasceretur mcnses, prodigium Roma.' factuni
publiée, quo enunliabatur Hegcm populo Romaim Natiiram purlurire ;
Senatum extorrilum sensuisse, //e quii ilio atuio geuitus educaretur ;
222 TRADITIONS PRIMITIVES
Cela nous suffit pour démontrer Texistence , au toms de Vir-
gile, delà iradiiion qui transmeîtait la promesse d'uu divin Ré-
parateur, ei il est inutile de se livrer à des recherches ultérieures
sur rauthenucilc des paioles ou des vers de telle ou telle sibylle.
Cela nous suffit encore (pour le dire en passant, quoique cette re-
marque ne se rattache pas directement à notre sujet), cela nous
suffit pour défendre la doctrine et la sagesse des Pères, saint Jus-
tin martyr , Athénagore, Théophile d*Antioche, Teriullien, l'au-
teur des Conslilutions apostoliques , Lactance, Eusèbe, saint Jé-
rôme, saint Augustin, Cément d'Alexandrie, si violemment at-
taqués par les protestans, et surtout par Blondel^ pour s'être
servis de cet oracle et de cet argument afin d'établir contre les
païens la divinité de la mission de Jésus-Christ, prédite tant de
siècles d'avance. Ces illustres apologistes, dont l'autorité a tant
de poids, dont la voix fut si puissante, ces illustres apologistes
ne nous garantissent, en citant l'oracle des sybilles, que l'exis-
tence de cette tradition qui est si clairement exposée dans les
premiers vers de l'églogue de Virgile : tout ce qu'ils peuvent dire
d'ailleurs des vers en particulier, ou des livres attribués aux si-
bylles, se réduit à une simple opinion litte'raire, sur laquelle ce
n'est pas ici le lieu ni l'occasion de discuter, mais qui ne sau-
rait affaiblir l'argument historique que ces grands hommes re '
vendiquaient au profit de la foi chre'tienne.
Si je voulais remonter encore plus haut et jusqu'à la première
source de la tradition et de l'oracle attribué aux sibylles, je
pourrais dire que leur nom est peut-être plutôt oriental que grec,
que la tradition les faisait venir, dès l'antiquité la plus reculée,
de l'Asie-Mineure et des contrées mystérieuses qui l'environnent;
que des hommes très graves, des philosophes d'une raison puis-
sante et sur lesquels les préjugés vulgaires n'avaient pas d'in-
fluence, ont professé une haute estime pour leurs oracles. Et s'il
fallait citer, je nommerais d'abord Heraclite, le fléau des supers-
eos qui gravidas uxores baberent, qiio ad se quisque spem traheret,
curasse ne senatusconsultum ad aerariura deferretur. P^ila Augusti,
n. 94.
• CHEZ LES r.ATLNS. ^2'^
litions; puis Platon, ce <;avant qui eut soin de recuillii-, dans ses
voyages, ce que l'Orient avait de plus vénérable dans ses tradi-
tions; puis Aristote, une des gloires du beau siècle d'Alexandre,
puisVarron, la merveille de l'érudilion romaine ; puis une infi-
nité d'autres qu'il serait trop long d'énumérer et que nous de-
vons regarder comme des témoins, non pas des prophéties des
sibylles, mais des traditions qui se conservaient dans l'Orient,
d'où elles se répandaient dans l'Occident, revêlues de formes tou-
tes mystérieuses. Ensuite j'ajouterais que ce fut dans l'Asie- Mi
neure, contrée où les synagogues, les livres et les histoires des
Juifs hellénistes étaient le plus répandues, que l'on recueillit en
dernier lieu, après l'incendie du Capitole et des anciens livres
sibylliens^ l'an 83 avant J.-C, les mémoires et les vers qui servi-
rent à les recomposer. Enfin, je ferais remarquer que si, dans
cette reconstruction, on a puisé à des sources impures, et que.si
on a même fabriqué de nouveaux livres dans les premiers siècles
du christianisme, cela n'empêche pas que les traditions de l'ori-
gine la plus certaine, plus généralement répandues et admises
parmi les païens eux-mêmes, ne soient demeurées intactes et
pures : c'est au point que Celse lui-même ne les contestait pas
quand il reprochait à Origène sa facilité indiscrète à admettre des
vers interpolés. Or, parmi les plus véridiques on rangea toujours
l'oracle qu'on attribuait à la prophétesse de Cumes, mais qui
était plutôt l'oracle et la voix de toute la tradition orientale *.
Mgr GASPARD GRASSELLINI,
Traduction abrégée du discours prononcé à racadémie des
Arcades, le 23 janvier 1 838, et inséré dans les n°° 17 et 18
des Annalide Mgr de Luca.
• Kelativement aux opinions sur les sibylles on peut voir spécialement
Fabricius, Bibliotheca grœca, lib i, c. 29; Pr idéaux, Hisi. des Juifs^
t. iT, liv. XVII, p. 552, Cudworth , loco citaio; Dupin, Bibliothèque
ecck'siait. Diss. prélimin , c. xvii, n. i ; Creuzer, Religions de tous les
peuples^ note i3, an i" volume; Banier, Mythologie, t. n ; Vossius, de
Oraculis sibyllinis ; Fréret, Dissert., et plus amplement Blondel.
'vioN \\n-.
rimui!f.matii]iu\
PIÈCK DE MONNAIE DU SOUVERAIN PONTIFE yALE:NTIN\
Monsieur Bo>netty ,
Pernietlez-moi de profiter de cette Icthe pour vous exprimer,
après mon long silence , la reconnaissance que je vous dois pour
la faveur que vous voulez bien me faire en me continuant l'en-
voi de votre estimable journal, qui , s'occupant uîuquement de
la vrai science et de la religion, à laquelle tout génie doit se con-
sacrer, oblienl l'approbation et les éloges de tout le monde. Une
monnaie inédite du som'crain pontife Falentin ayant été publiée à
Rome, je vous envoie un article à son sujet, pour Einsérer dans
votre recueil, si vous le jugez convenable.
Le savant docteur André Belli , possesseur d'une collection
classique de médailles et de monnaies poniificales , et d'autres
nionumcns précieux d'archéologie sacrée, que j'ai moi-même eu
occasion de voir, a cru faire une chose agréable aux érudits en
publiant une dissertation sur la pièce de monnaie inédile du sou-
verain pontife Valentin, dont voici la figure:
Planche 1 1 .
Cefie médaille est d'argent AR, bien conservée, et du diamètre
de vingt-deux niillimclres, c'esl-à-diie du module n° G de l'échelle
de Mionnet, et plus exactement de la grandeur de la petite mé-
daille de la 5« année du pontificat de Paul lY, représentant les
profanateurs chassés du temple, avec l'exergue : Domits mea do-
mus oralionis. Son poids est de deux grammes et deux grains et
demi sur la balance du diamant.
D L i» A i' j: \ a l e .n 1 1 > . '2 2 5
On lil bur une des faces : 4- SCS {snnclus) PETRVS, écrit au-
tour (îe la médaille, et, dans le champ, le inonOjOiamme VALEN"
TINVS; l'autre lace porte: *i» LVDOVICVS écrit tout autour,
et le monojjramme IMPERATOR écrit dans le champ.
Telle est la description qu'en donne le savant auteur, et qui se
voit d'ailleurs sur l'empreinte, laquelle témoigne sufllsamment
de son authenticité et de sa signification. Et pour peu que Ton
ait quelcpies connaissances en numismatique, on reconnaîtra que
la valeur des monumens antiques ne doit pas souftVii d'une criti-
que immodérée, semant le doute dans l'histoire et dans Fart.
Quant à moi, je suis convaincu cjue , dans les questions archéo •
logiques , le jugement doit procéder d'un esprit qui sait distin-
gner une simple conjecture de l'évidence. Il faut donc tenir peu
compte de certains esprits méticuleux qui , pour paraître savans,
révoquent en doute l'aulheulicité de tout monument catholique,
ce sont les ennemis les plus dangereux de la science, précisémeqt
comme les sceptiques sont les plus grands adversaires de la phi-
losophie.
L'authenticité de noire pièce de monnaie ainsi éiahlie, il est
évident (|u'elle est d'un grand prix, attendu qu'elle (st inconnue
aux hommes les plus distingués qui se sont occupés de reçut iUir
et d'illustrer les monnaies pontificales. Et cette rareté n'est pas
étonnante, puisque le pontife Yalentin, élu le 1 1 août 827 et mort
le 21 septembre suivant, ne régna que 40 jours, ce qui fit croiic
qu'en si peu de teins il n'avait pu battre monnaie. C'est ainsi que
les érudits tirent souvent des argnmens négatifs d'après les consé-
quences positives les jlas fausses. Quoi qu'il en soit, cette pièce
de monnaie répand de la lumière au milieu des profondes ténè-
bres du moyeu âge, et démontre que, pendant son court ponti-
ficat, ce pontife sut étendre son autorité et sa juridiction, tant
spirituelle que temporelle , puisque le droit de battre monnaie
fait partie du pouvoir souverain.
Marcel II, qui ne gouverna ri]glise que pendant 21 jours, fit
également battre monnaie, puisque l'on possède deux Jules et
un Cdrlifi. do ^on règne; nous pos-^^édor.?? aust>i trois médailles de
226 MOi\rVAIE DU iȈpe valejntin.
Léon XI , qui ne régna que 27 jours , comme on peut s'en con-
vaincre dans Bonani^.
C'est ainsi que le savant docteur Belli illustre sa pièce de mon-
naie, favorise les études numismatiques avec sa riche collection,
et, par de semblables travaux, acquiert des droits à la reconnais-
sance de ceux qui cultivent cette science. J'espère que vous aussi
vous serez désireux d'orner votre journal de cette médaille, dont
je vous envoie un fac-similé. En attendant, et avec l'espoir de
vous envoyer quelque disserlation par la première occasion
favorable, j'ai l'honneur d'être :
HYACINTHE de FERRARI,
de Tordre des frères prêcheurs, préfet de la bibliothèque
Casanale.
Rome ic 12 juillet 1842.
' Numism, Rom, pont., t. 11 , p. 5oi.
HIST. DE LÉGOiNOMll": POLlTlQUi- . 227
(Économie ôccialr.
HiSTOIUE DE L ÉCONOMIE POLITIQUE
Eludes hisioriquesj philosophiques et religieuses sur Vcco-
nomie politique des peuples anciens et modernes.
Par m. le vicomte ALCA^ DE VILLEXEUVE-BARGi:310>T,
Auteur do. Y Economie politique chvelienne^.
M. le vicomte de Yilleneuve-BargeiDout jouit d'une réputation
méritée, h' Economie politique chrétienne y livre d'une grande
portée et du plus haut intérêt, lui a valu une plaie distinguée
))armi les éciivains sérieux de notre époque; et, dans l'ouvrage
do'it nous venons parler aujourd'hui, il donne un heureux et
nécessaire complément à ses premiers travaux, en traçant l'his-
toire de la science à laquelle il a consacré ses veilles. Ainsi le
consciencieux auteur poursuit sa tâche ; après avoir établi les
vrais principes, il nous met en présence des systèmes théoriques
et des faits qui, aux diverses phases de l'humanité, les ont trans-
gressés ou méconnus.
C'était un vaste sujet que celui-là, tellement vaste qu'on n'en
aperçoit pas même les limites I L'histoire de V Economie politique
se confond, à vrai dire, avec celle de la civilisation, de la vie
physique et morale des peuples? de leurs institutions et de leurs
usages. Dans les deux volumes qu'il a publiés, M. de ^ illeneuve
a su se restreindre à de justes proportions. Son travail est un ré-
sumé habilement conçu, où rien d'essentiel n'est omis et qui ne
renferme rien d'inutile. Ajoutons qu'on y reconnaît le fruit de
longues recherches et de conscieucieuses études. M. de ^ ille-
' Guillauniiu, libraire-éditeur, rue Saint-Marc, galerie de la Bourse,
5, l^auoranias.
2*28 iiibiuii.ri
iicuvi:, ou le coniprcud, ne se borne pas ù une sècUe eAposilion
des clociiines et tics coutumes du passé; il juge les hoinnies et lis
clioses ; et lous ses JMgemens poilent l'ciupreinte d'une intelli-
gence supérieure, en tncme lems que d'une àinc droile et chré-
tien ne,
A notre époque , tout le monde parle ix'cconomlc poliliqjie ^
mais tout le monde sait il bien ce qu'on doit entendre par ces
expressions si souvent employées? «» Au premier aperçu et dans
» leur rigoureuse étyniologie grecque, dit ÎM. de Villeneuve-
» Baigeiuont, ces mots présentent l'idée de la /%/<?, ou du f^oui'er-
» nement de la maison^ appliqué au goin>enieinejit ou à Vadmi-
»» nislralion de la chose publique. Ils impliquent aussi l'idée de
)' Vepargiie ou du bon emploi des revenus de Yclat. Ils s'appli-
» queraient justement encoie à un svstème régulier d'impôts.
» Dans une autre acception également Juste, celte dénomination
» appartiendrait à la disti ihiilion et à V harmonie des parties qui
» constituent une nation, un élat^ ou le cups social tout entier.
» Dans ce sens, le noîu iX économie sociale eût été plus rationnet.
» Mois enfin on comprend aisément le rapport intime qui existe
» entre la politique et la société, et la logique peut se contenter
« de celte soile de synonymie.
(» Ainsi la science de Véconomie poUlit/ue , suivant la logique
» du langage et de la pensée, a pour objet tout ce qui- compose
)> l'organisation et le goia'ernement de la société. C'est sous ce rap-
» port que nous avons pu dire qu'elle touche à toutes les autres
» sciences et même qu'elle les renferme toutes. "
Avec ce caractère d'univeisalilé , que lui attribue à juste litre
M. de A illeneuve, Vcconomie politique doit nécessairement re-
monter à l'antiquité la plus reculée. Aussi, son historien prend-il
pourpoint de dépari les commencemens de la race humaine. On
ne lira pas sans un vif intérêt ce qui a rapport aux peuples pri-
mitifs, aux institutions de Moïse, aux lois des Perses, des3Ièdes,
des Egyptiens. Puis, viennent de savantes considérations sur la
Chine , et l'appréciation de l'organisation sociale telle qu'elle
existait à Athènes et à Rome. Tout cela conduit à ravènement du
christiani lue. Xoubvoudrjunsqtic Tc^pavC nous permit de rcpro-
tîuiie ici Its btUcspagrsoù M. deVilIeDeuve-Baifjtmorjt signale,
du point de vue dtî la science économique, l'influence et les suites
de ce fait inmiense qui a renouvelé la face du monde.
Nous devons cgalemenl nous borner à mentionner les chapitres
remarquables où l'auteur trace le tableau de l'ëcoiiomie politi-
que au moyen .ige, étudie et juge dans ses conséquences le mou-
vcinent impiimé par les croisades, et plus loin constate les
résultats de la révolte audacieuse de Luilier. M. de YillenLuve-
Bargemont réduit à leur valeur les bienfaits prétendus de cette
reforme tant vantée. Ainsi qu'il le dit, il n'est aucun des avan-
tages sociaux attribues à ce qu'on a si étrangejnent décoré de ce
nom de réfonnCf que l'on n'eût obtenu plus complet et plus efîi-
cace de la marche paralièle et progressive du catlwliciime et des
lumières ; et le pro'estajitisme voudrait en Vain se soustraiie a la
responsabilité des maux incalculables qu'il a causé?. \oï\à ce qui
reste vrai et démontré en dépit de toutes les apologies.
M. de A illeneuve poursuit l'histoire de Véconomie poliiique
siècle par siècle et chez tous les peuples modernes. L'Italie, TAn-
crleterre, l'Allemagne, les autres contrées de l'Europe, sont tour
à tour l'objet de ses investigations; mais ce qui concerne notre
pays a droit de nous intéresser particulièrement.
C'est avec raison que la France bénit le nom. de Sully; car elle
doit son premier système régulier d'administration publique au
sage conseiller d'Henri l\. Sully trouva la France épuisée par
le & guerres civiles; en quehjues années il pourvut à tout. Les abus
et exactions qui déshonoraient la perception de l'impôt furent
extirpés; l'ordre rétabli dans les finances permit de payer les
dettes de l'Etat et de réaliser des excédans de ressources; les re-
venus publics, sagement employés, servirent à la restauiaiion
des places fortes, à l'amélioration des routes, à la construction
dei chantiers et arsenaux maritimes, en même temps qu'ils fé-
condèrent toutes les sources de la richesse sociale en ravivant le
commerce et l'industrie, et en encourageant l'agriculture, ce prin-
cipal objet des prédilections de Sully. Puis, quand furent venus
les jours de la retraite, Sully employa ses loisirs à la composition
dc> Economies royales, livre que déparent quelques jugcmcirs
Ill^SKRTl:. TOME VI— rS'*' J>. 184*2. 15
2oO liisTOlKl.
empreints de respiit de secte, mais qui, sous le rapport de la
science économique , reste comme un monument impérissable.
M. de Villeneuve le recommande aux méditations des gouver-
nans de toutes les époques.
L'historien de Téconomie politique fait successivement passer
sous nos yeux les ministères de Richelieu , Mazarin, Colbert, les
folies désastreuses de l'écossais Law, les aspects divers du long
règne de Louis XV. INous citerons comme rempli d'intérêt le
chapitre consacré aux économistes français du 18^ siècle. Dans
cette galerie, où chacun apparaît avec son caractère spécial et
l'individualité de son esprit, Montesquieu occupe une grande
place. M. de Villeneuve renJ un juste homnnge au célèbre pu-
bliciste, tout en relevant les graves erreurs dont il n'a pas su se
défendre. On remarquera aussi l'exposition complète et lucide
des doctrines professées par les deux écoles économiques qui re-
connaissaient Gournay et Ouesnay pour chefs.
Les philosophes , ces hardis envahisseurs, ne tardèrent pas à
mettre la main sur la science économique comme sur tout le reste.
« Voltaire et ses disciples, dit W. de \ lUeneuve-Bargemont, n'a-
» vaient eu garde de négliger l'appui que pouvait leur offrir le
» moment d'enthousiasme et de curiosité excité par Tapparition
» des théories des économistes. Lui-même, dans plusieurs de ses
w écrits et particulièrement dans son Dictionnaire philosophique,
» traita plusieurs objets d'économie politique avec l'esprit lucide
» et incisif qui caractérise tous ses ouvrages. Mais il est facile de
n s'apercevoir que, pour lui, cette science n'était qu'un auxiliaire
" utile à la propagation du philosophisnie dont il s'était déclaré
>» l'apôtre suprême.
» C'était un puissant moyen de séduction, en etfet^ que de mon-
» trer les institutions catholiques et monarchiques existant à celte
» époque, comme opposées au développement du bien être, de
n la liberté, de la richesse et de la civilisation. Aussi Voltaire,
» s'efforcant de prouver cette assertion sous toutes les formes et
» avec toutes les ressources de son esprit, s'attacha dans ce but cà
'' dépouiller l'économie politique française des considérations
•> religieuses et morales qui l'avaien'. con-laumient accompagnée
DE l/ÉCOi>OJMlE POLITIQUE 231
»• jusqu'alors, et à l'associer au syslèhie de Condillac, qui déduit
• de nos sensations toutes nos facultés. Peu à peu elle fut ré-
» cîuite, dans son but, à la recherche des jouissances matérielles;
» dans sa morale, à l'égoïsme et à l'intérêt, et se confondit enfin
» dans les théories économiques de l'Angleterre, déjà si fortement
>• imprégnées du la morale des intérêts matériels. >■
Sous le régne du vertueux et infortuné Louis Wl, Vœuvre tic
la démoîilion //to/vf/e ( pour nous servir d'une expression éner-
gique de M. de Villeneuve) se perpétue et se développe ; et l'on
sait comment elle s'accomplit I 31. de Villeneuve peint à grands
traits Turgot et Malesherbes, hommes à intentions droites, maia
dont l'esprit avait été faussé par les utopies et les doctiines du
[)hilosophisme.
Lu étranger, leur contemporain, peut être regardé comme le
fondateur de l'économie politique moderne. Nous voulons par-
ler d'Adam Smith, qui puLlin, en 1766 , ses Recherches sur la na-
ture et les causes de la richesse des nalions. A la différence de
ses dev-nciers, qui voyaient dans la terre la source primitive des
licliesses, Smiih s'apjniie sur le travail de l'homme comme sur
l'agent universel qui les produit. Ce n'est pas, du reste, ici le
lieu d'exposer dans leurs détails les principes de l'économiste an-
glais, de faire la part de ce que son livre contient de vrai et de ce
qu'il renferme d'erreurs. Disons seulement, avec^I. de Villeneuve
« qu'il est à regretter que l'absence systématique des considéra -
» tîons morales et religieuses ait donné aux doctrines d'Adam
» Smith une sécheresse et une tendance à l'égoïsme et à la cupi-
»> dite, qui, sans doute, étaient loin de ses intentions, mais qui
>» ne caractérisent que trop aujourd'hui les théories de ses disci-
>> pies. Il eût été beau à Smith de compléter son ouvrage par Ta-
» nalyse et la démonstration lumineuse des rapports étroits qui
» unissent l'utile au juste, et l'ordre moral au bieu-ctre niate-
>» riel des sociétés. »
Cette déplorable exclusion des considérations religieuses et
morales se retrouve, à d«s degrés divers, chez tous les écrivains
qui pi ocèdenl plus ou moins directement des doctrines d'Adam
Suiitli ; hUc api aiait surtout dans les ouvia;;esde J.-B. Sav.
2ol liisjojiu:
< lailjii d\.\ philo>0[)li bii^ lia 18^ siècle, dil M. de Villeneuve,
)> Inbituc par \\ iiauire de ses études à ne recheiclier ca loulc
» cliosc qu^ l'ulililé matérielle, jM. J.-Ii. Say fut Toi^jaiie de la
>. science, uUe <iu'elle avait clé produite par une époque dénuée
» lU toute autre croyance que celle des intérêts matériels de la
" vie. » Ce ju(;emcnt cA d'une entière vérité ; et il est |)énible de
p;ia=er après cela que les écrits de J.-B. Say ont été la source
où la plupart des économistes français et étrangers de l'époque
acliulle ont puisé leurs principes. Quelques-uns cependant , il
faut le dire, daignent reconnaître les bienfaits passés du catholi-
cisme, mais ils lui rt-fusent toute action sur l'avenir!
L'économie politique, ainsi entendue, ne pouvait assurément
convenir à des esprîis éclairés de la double lumière de la science
et de la loi : aussi s'est-il for nu: une école économique clirétieune,
qui a produit déjà d'e.\ccllens fruits, et de laquelle nous sommes
en droit d'attendre beaucoup encore. C'est à cette école que
31. de Yil'cneuve-Bari^emont se fait gloire d'appartenir, et voici
comment il en rcsume les vues et la pensée : « Démontrer par uu
» ensemJjle d'analyses morales, dont nous avons indique les
^' traits principaux , comment les lois (^i président à la produc-
» tion, à la consommation et à la répartition de la richesse, sont
» étroitement unies au principe clirétieu et catholique ; que le tra-
•> vail inspiré à l'ouvrier par les préceptes religieux est plus libre,
>» plus noble, plus fécond que le travail excité par l'ardeur des
» jouissances sensuelles ou par la misère ; que la juste rémunéia-
» tion du travail s'établit et s'obtient plus exactement el plus fa-
» cllcment par le sentiment de la charité et de la justice que par
» l'intérêt uiduslr;el ; que les vertus religieuses des classes ou-
» vrières le> conduiront plus sûrement à l'aisance que l'aisance
. ne satirait les conduire à un perfectionnement moral .; que la
> contValerniié leiijyeuse des peuples explique et fortifie l'unité
)' (le leurs intérêts et la réciprocité de Icuis besoins ; que le cré-
» dit n'est au fond qu'une application d'assistance mutuelle et de
» lio.mii foi, connue l'esprit d'association appliqué à l'industrie
r n'est é^Jahinent que la tonséquenrc d'une loi morale et reli-
n f;i.u<c', que Ta^iitulture et l'iiidustiic a^ticole, plus que tou-
DR l Jt.ONOMir l'Ol.llIQl F. •23'j
>' Ifs Its aulies induslries, coiUrihuciU au bcuhciir et à la iu<»in-
'» lilé des peuples et des individus ; que les principes du tiavail,
» delà liberté, de la proprit'lé, de la famille (ces picnùtis et
» plus énergiques éb'mens de l'industrie), ont élé consacres par
» la relif;ion avant d'avoir élé aperçus par Técononùe poliii jue ;
» enfin qu'il n'est pas une des graniies vérités, dans l'ordre so-
» cial et économique, qui ne repose sur une véj iié rtli^^ieuse ,
»> telle est, selon nous, la tâche réservée désormais aux cconc-
» misles chrétiens. Si elle est jamais complèiement accomplie, si
» la science des richesses explique et constate à la fois par ia
» religion, par les faits el par Tanalvse, les lois du pcifeciionne-
» ment el du progrès , les merveilles de l'industrie, la puissance
» de l'association et ducrédil, les résultats cconomiqiîes d'une
»> juste rémunération du travail et d'une équitable réparti ion de
» ses profits, les avantages désirables d'un luxe moJeré, fruit
» d'une aisance progressive et générale; si elle fonifie d'unprin-
» eipe religieux une maxime économique ; si, à cùlé d'un piin-
» cipe de progrès matériel, elle place le principe monl c[ui doit
» préserver de l'excès ou de l'erreur; en un mot, si elle répond
»> aux besoins de la double nature de l'homme et des socié:cs ,
» ou nous sommes dans une profonde erreur ou cet'e rénovation
» de l'économie politique sera une belle et heureuse conquête
» pour l'hiunanité. »
Nons n'ajouterons rien à ce brillant programme de l'école
économique chrétienne. Il appartenait éminemment à 31. de
Vdleneuve-liargemont de !e formuler, puisqu'il est au premier
rang de ceux qui ont la mission de le remplir; grande et sublime
mission que celle de ramener la science dans ses véritables voies,
en montrant à eus. qui l'ignorent que l'observation des ensei^
gnemens du catholicisme est le plus énergique moven d'ordre et
de sociabilité I
Qu'on ne s'imagine pas, au surplus, comme quelques personnes
semblent le croire, que l'école économiciue chrétienne se borne
à un vogue appel aux principes religieux. Plus que tous autre?,
au contraire, les économistes chrétiens savent descendre de la
théorie aux détails de mif?e en œuvre et d'appliratioii. C'est ainsi
Cl'^4 iiisioiin d; i/troNOMiE Poi.iJ loUK.
notuuiiiciU t|iu% ilaiis son Economie politique chrétir/ifir, M. de
Villciiciive-lhtjoeiiîoiii a donne d'excellentes idées pratiques sur
j'amélioratioii du soit des classes ouvrières, et sur l'extinction
('u paupérisme, cette plaie douloureuse des états modernes.
Nous n'avons pas prétendu offrir ici l'analyse, même incom-
plète, de V Histoire de Véconoinie politique; un livre, qui renferme
une si grande masse de documens et de faits, ne s'analyse pas.
Nous avons voulu seulement donner une idée du plan suivi par
l'auteur. Félicitons, en terminant, M. de Villcneuve-Bargemont
de ses utiles travaux; félicitons-le du talent remarquable qui les
distingue, el du sentiment cbrélien qui les inspire.
R. DE BELLEVAL.
L'fMVKRS IXPI.ronn PAR L\ P. KV îf, V J I0\. 235
lJl)ilo6opl)ie catijoliquf.
L'UNIVERS EXPLIQUÉ PAR LA RÉVÉLATION ,
ou
ESSAI DE PHILOSOPHIE POSITIVE-
Par L. a. CHAUBAUDV
En publiant l'article qui suit, nous devons prévenir que nous
ne nous rendons pas garans des jugemens qui y sont portés sur
l'ouvrage. Nous dirons même qu'il y a plusieurs opinions sur les-
quelles Fauteur insiste peu , mais que nous sommes loin d'ap-
prouver. Nous qui sommes purement et simplement catholiques,
nous aimons peu ces excursions de la science, qui quelquefois vise
à paraître inspirée et à donner des révélations nouvelles. Cepen-
dant, comme les intentions de M. Chaubard sont toutes catholi-
ques; comme d'ailleurs, tout en voulant contenir le mouvement
de la science dans le cercle des vérités catholiques, nous croyons
qu'il y a dans ce cercle large place pour tout ce qui est vrai ou
utile, nous n'avons pas cru devoir refuser à un ami de M. Chau-
bard la permission d'exposer ici ses svstènies.
A. B.
Ce livre renferme la découverte de deux choses que les philo-
sophes cherchaient en vain depuis plus de quatre mille ans , sa-
voir : le principe-fait d'où tout découle en philosophie, et la mé-
thode à suivre pour reconnaître avec certitude la vérité. La vie
des élre^ est ce que nous nommons lumière , chaleur, et elle émane
de la parole divine : tel est le principe fondamental de la philoso
* Un fort vol. m-S* avec i planches, 7 fr.— Chez Debecourt, rue des
Saints-Pères, 6.
^"M j'iMVF.US
}Xùe reiifennJt* dans Vl nii'crs erpliqu.^ p.ii 11 i/v«'îaclon. Te
principe n'est autre chose que la traduction de ces premièios
paroles de l'évangile de sair.t Jean : In ipso vita erat, el vifa eral
luv hominum '.
Ainsi : 1* ce principe appaitienl à la révélalion évnngélique; —
2* il se reiiouve dans la sijjnification même des mots del'liébreu,
qui est la langue ou un idiome de la langue anlé-diluvicnne,
ce qui suppose qu'il appartient aussi à la pliilosopliie d'avant le
déluge, car sans cela il n*aurait pas laissé de pareilles traces dans
le langage vulgaire. Cela posé, ce principe piis au pied de la
lettre est vrai, ou il est faux. Or il est confirmé par les expé-
riences du docteur iJonné, et celles-ci sont mises hors de doute
■par celles du célèbre Mateucchi. Donc il est vrai. Ainsi : lY Ce
principe est un véritable piincipe-fait, ou réquivalcnt d'un
axiome. Comme on voit , si les philosophes se sont épuisés en
v.isns elïorts jusqu'à présent pour trouver ce principe, c'est par-
cequ'ils n'avaient pas suffisamment foi en ces paroles de saint
Paul : In a^nilionem mjsteru De: Pntrîs cl Chrisll Jesu sunt om-
nes ikesauii sapienùœ et scîenliœ ahscoiulilï.
Oiianl à la méthode servant pour ainsi dire tle pierre de tou-
che en pliilosopliie pour rccannaitre la vérité, elle n'est pas plus
nouvelle que le principe fondamental, puisque c'est celle des
maihématiques. laquelle, comme tout le monde sait, consiste ù
faire la preuve des résultats numéricpies. En d'autres mots, cette
méthode consiste à vérilier par les faits de la science ou de la
nature, les déductions logiques de ce principe fondamental,
quand il s'agit des sciences physiques, et par des textes de la ré-
vélation écrite ou par l'enseignement dogmatique quand il s'af>it
des sciences morales.
Celte double découverte, on ne saurait se le dissimuler, est de
nature, à renouveler la face de la philosophie; car avec un tel
principe f^n Jatnental et une telle méthode^ cette science se trouve
fol., H. !-
r.xpiiorK PVR lA ukm'i \ iio\. Q^\l
avoir aujoiinl liiii à î-a ('iNposillou toiil ce qu'il lui faut |)AUi'
se il*'pouil!erile loiU «c qu'elle avait cIt'fonj(>ctural on ù'inccrtain,
el pour se placer eufiii au rang des sciences positives. Et, en di-
sant ici la pliiloscplne, ce n*est pas de cette nîétapli\\>i(]ue ab-
struse et stérile à laquelle on donne aujourd'hui ce nom que
nous entendons parler, mais bien de la véritable pliilosophie,
de celle qui donne la raison des choses divines et cr'^ées,
c'esi-à-direj que nous entendons dire la science universelle en
théorie.
Le livre de Vi'ni\-ers expliqué par la ri^'élalion n'a été composé
que pour Taire Tapplication à la philosophie de ce principe-fait
et de cette méthode ; mais il est résulté de leur extrême fécondité
des conséquences bien aiitiem-nt importantes que Ion n'anrait
d'abord pu l'espérer. Expliquons-nous :
Les sciences physiques, depuis cinquante ans, ont fait de
o-rands progrès, mais en pratique seulement. En théorieelles n*ont
pas fait un pas en avant qui n ait éfé suivi d'un pas rélrogrraiê.
Aujourd'hui, pour devenir chimiste, il faut manipuler, sans
cesse manipuler, c'est-à-dire quM fuit se faire apoihicaire. Poui"
devenir physicien, il faut maintenant apprendre le uiét'er de
fabricant d'iiistrumens, employer les cinq sixièmes de sa vie à ce
travail mécanique, et le reste à imaginer ou à répéter des expé-
riences. Ou donne le nom de science à ce:tc chimie, à cette phy-
sique, mais à tort sans doute, puisque ce ne peut être là que
l'art des ex[)ériences physiques el chimiques, Pour qu'il piU
y avoir science- il faudrait une iliéoi ie coordonnant tous ce.s
ffiils, toutes ces expériences, et donnaht îa raison de touies ces
choses muettes et mystérieuses pour la plupart. Oi cetie ihéoiie
de la physique et de la chimie, qui leur manqutiii pour méiiler
le nom de science se trouve aujourd'hui dans le T liVlf <Jç XU'
riivers erplir/uc par la rés'élation, où elle se compose de ,1 théo-
rèmes et de 53 corollaires^ au moyen desquels on explique une
foule de faits de la science et de la nature, jusqu'à présent mys-
jéiieux, fct qui, selon l'auteur, sufhsent pour rendie compte de
}om ce que contiennent les livres de physique et de chimie. On
liouve en outre, dans t elte th.'orie philosophique, une foule de
'238 i/uiviVERs
choses nouvelles, pi incipalement sur la clialeui , la luniièie et
l'électricité; qui sont en avant tles connaissances actuelles. Mais il
n'appartient qu'aux hommes pratiques de juger la valeur réelle de
ces nouveautés. Ces 50 et quelques corallaires ont tous pour point
de départ le principe fondamental emprunté à la révélation que
la viedeselres est ce qu'on nomme lumière-chaleur, et les consé-
quences logiques y sont confirmées par les faits de la science.
Il en était des sciences naturelles comme des sciences ph^si"
ques : jusqu'à présent, tout ce qu'on avait fait n'avait abouti qu'à
entasser des faits sur des faits, des expériences sur des expé-
riences , et l'on n'avait pas non plus fait un seul pas en théorie.
Il avait fallu imaginer des hypothèses et édifier des systèmes ar-
bitraires pour expliquer comme on pouvait tous ces faits muets.
Aujourd'hui, le règne végétal et le règne animal trouvent une
véritable théorie dans V Univers expliqué par la révélaùony la-
quelle y est pareillement déduite du principe fondamental em-
prunté à la révélation et confirme par les expériences et les faits
de la science. Mais, de l'aveu même de l'auteur, ces deux théories
sont loin d'être aussi complètes que celle de la physique et de la
chimie^ à cause du défaut de faits propres à confirmer les consé-
quences déduites du principe fondamental.
Quanta la cosmologie^ ou théorie du mouvement des astres, la
science avait le beau système de Newton, fondé sur l'hypothèse
de l'attraction. Et comme celle hypothèse est à très peu près un
équivalant de la vérité, ce système lui tenait lieu de théorie. Là,
l'auteur de VUnivers expliqué par la révélation n'a eu qu'à sub-
stituer les conséquences du principe-fait, fourni par la révélation
à l'hypothèse de l'attraction, pour obtenir une véritable tliéorie
devant laquelle s'évanouissent les graves difficultés que le système
de Newton présente depuis quelque tems, et que l'on trouve ex-
posées dans V Univers expliqué '.
Ainsi c'est la philosophie, comme de raison, qui fournit aux
expériences de la chimie, de la physique , à celles de l'histoire
naturelle des êtres organisés et à la cosmologie, ce qui leur man-
'Pag. 4o8 etsuiv.
E\PL1Q( É PiK LA IlLVl'r VTI0.\. 239
(|uait pour se placer au rang des sciences, où elles n'avaient pas
encore le droit de figurer et où on ne les avait classées que par
anticipalion. C'est donc avec raison que, dès le commencement,
on a dit que ce principe fondamental et cette méthode, jusqu'à
présent méconnus en philosophie, étaient de nature à changer la
face de cette science.
Le livre eût sans doute pu se borner là ; mais alors il n'eût
embrassé que la partie physique de la philosophie. Pour traiter
le sujet dans son intégrité, il a fallu y ajouter la partie morale, et,
par conséquent, y donner la théorie de Dieu et celle des êtres im-
matériels. Là le principe' fait, emprunté à la révélation, esta peu
près impuissant. Nous ne savons de Dieu que ce qui en a été ré-
vélé, et d'ailleurs il ne saurait y avoir eu cette matière des expé-
riences confirmatives de la théorie. Il est vrai que l'auteur avait
ici à sa discrétion le riche arsenal théologique et la théologie des
écoles, «i Mais , dit l'auteur, cette théologie date de cinq ou six
» cents ans : elle n'a été composée telle que nous l'avons que pour
» combattre des hérétiques et des incrédules. Les armes qu'elle
» avait prises dans l'arsenal théologique étaient bien celles dont
» il fallait s'armer contre de tels ennemis, mais elle a négligé le
» reste. Aujourd'hui ses nouveaux adversaires ne sont ni des
» hérétiques ni des incrédules, ce sont les panthéistes de Schel-
»► ling, de Rrause, de La Mennais, etc. Pour combattre ces nou-
» veaux antagonistes, la scolastique est mal armée et son plan
»> stratégique, s'il est permis de dire ainsi, n'a pas été' conçu pour
>» vaincre de pareils ennemis. Demandez-lui en effet la théorie
» des deux natures infinie et finie avec laquelle on tue du pre-
> mier coup VÉtre absolu sur lequel tous les panthéismes repo-
» sent? Elle a négligé d'en parler. Demandez-lui la théorie de
» l'infini, avec laquelle on démontre aux panthéistes que leur
» univers n'est pas l'univers réalisé ou créé, mais seulement l'idée
» éternelle de Dieu? Elle l'a laissée de côté. Demandez-lui la
> théorie de l'univers invisible ou typique, idée éternelle de
» Dieu, au moyen de laquelle on comprend plusieurs choses
" essentielles qu'elle n'explique pas et par laquelle ou démontre
» aux panthéistes que la réaction de l'univers visible se trouvant
» iiti'VocahlriiifiU nru'itP ilans reite uK'c c'ierneU*' il<' I>lou, Il
» est absiuilc de la ir.cUie en tioule? C'est ù peine si on v en
5: trouve quelques légères traces. -^
Obligé de se conformer aux besoins du tenis, et ne trouvant
point ces théories dans les traités de lliéologle, l'auleur a dii s'at-
tacher à les développer. Maintenant il est queslion de voir si tout
ce quM y dit est en hainionie avec l'enseignement dogmatique.
On a déjà aitaqué, dans la Re^'ue UUcraue et critique, publiée par
la Société de Si- Paul ', le corollaire i du liv. I'^'" et le cbap. XI du
liv. 0. Dans le corollaire, il y aurait riu-résie dile ubitjuisme,ct
dans le cliap. XI celle du inilleranisme. Mais, dans ses additions
supplénieniaiies, l'auteur fait remarquer que cette Société a
commis à cet égard deux graves mépiises, cl qu'il suffit de con-
sulter un traité de théologie pour voir que l'hérésie des uhiqui^
taires et celle des millénaires sont tout autre chose. En sorte qu'il
n\y a pas même vestige dans le livre de ces deux prétendues hé-
résies. Quant à nous, n'ayant pas encore étudie l'ouvrage sous ce
point de vue, nous ajournerons à un autre tems nos remarques
critiques, s'il devient nécessaire d'en faire. Aujourd'hui noire
unique but a été de faire connaître . ux lecteurs des ,^/j/m/e5 cette
nouvelle publication philosophique qui mérite une sérieuse atten-
tion à cau^e des conséquences importantes qu'elle peut avoir et
dont voici les principales.
1, La première de ces conséquences est que tout le matéria-
lisme de rédifice athée élevé par les physiciens^ les chimistes et
les naturalistes modernes s'écroule et disparaît derrière la sur-
prenante fécondité de cette philosophie positive, ou pour mieux
dire de celle pliilosophie anlé^diluvienne restituée sur son prin-
cipe fondamenlal conservé dans la révélation évangélique. En
d'autres mots, que les sciences physiques et naturelles, rendues
alliées par les soi-disans philosophes du siècle passé, redevien-
nent chrétiennes, et le deviennent pour toujours ; car, par la pu-
blication de ce livre, la ficience et ses futurs progrès se trouvent
aujoutcVImi renfermés dans le cliristianisme, de telle sorte que
* N° V, mai, p. 9'.>8 et >\ù\\
i:\l'LlolL l'Ail LV 1;L\ LL VllO.N. -<«
l'on ne puisse jamais les en séparer el que l'on se Uouve l'orcé
ireiistij^ner Tun et l'autre conjointement, ce (|ui nous ramène à
la manière de voii- de Tailmirable et saint docteur d Hippone qui
disait, il v a quatre siècles, non aliam esse philosopJiiam et aliuni
reîigionein.
2. La seconde conséquence est que ce livre met, pour ainsi
diié, dans la main du clergé ce qu'il désire avec tant de raison et
d'ardeur, savoir, d'occuper un rang distingué, ou au moins le
rang qui lui convient dans la science. En clYet, ce livre démon-
Irani que la science même et ses progrès ultérieurs se tiouvent
être aujourd'hui renfermés dans le christianisme , quel autre
corps pourrait êire plus apte que lui à professer cette philosophie
et à la faiie progres£er? Les ecclésiastiques ne possèJent-ils pas
infiniment mieux que les laïques la connaissance du dogme chré-
tien dont ils sont les dépositaiies? Et à cet égard il faut prendre
garde de s'abuser. Quand bien même il serait échappé à l'auteur
quelque chose d'inexact, d'hérétique même dans la partie mo-
rale , comme celte partie morale n'est, à proprement parler,
qu'une œuvre de remplissage, il est aisé de l'en faire disparaître
sans porter la moindre atteinte à tout le reste, et il est d'ailleurs
loisible à tout le monde de se l'ai ranger à son gré. Cette partie
morale même, quelque inq)arfaite que l'on puisse la supposer, une
fois purgée par la critique de ce qu'elle peut avoir d'impirfait,
n'en restera pas moins, parce cjue son importance pour réfuter
les panthéistes et résoudre quelques questions difficiles de ihco
logie ne permettra pas dc^ la laisser de coté.
3. La troisième conséquence est que ce livre ouvre à la scieuce
une route nouvelle dans laquelle il est difficile de penser qu'elle
ne fasse pas de grands progrès : car l'auteur n'a pu faire autre
chose que donner l'exemple de la parcourir. Livré à ses seuls
moyens, et, pour ainsi due, bridé par l'insuffisance de sou in-
struction bornée, tandis cpi'elle eût du être complète et univer-
selle^ il n'a pu la parcourir comme l'auraient fait ces spécialités
qui mnrchent au premier rang et cpie rien n'égale. Obligé de
tout savoir pour traiter son sujet, il n'a fuit qu'eflîeurer là ma-
tière^ et cependaut yoii livre icnfcnic i?ne foidc de tho'eb nou-
V?4:2 L LMViiKS KXPLIQUÉ PA.R LV KEVÉLAJIO.N.
vcllesel en avant delà science, principaîeaieiil sur la luniière e:l
la ilialeur.
1. Enfin, !a quatrième conséquence est qu'au moyeu de celte
puL'lication il devient possible à tout bon élève parvenu en phi-
losophie d'apprendie la science universelle en y coiisacrant deux
ou trois ans seulement ; car au moyeu des théories que renferme
la partie phvsique de ce livre, ks expériences se trouvant grou-
pé'^s en grand no'nbre dans chaque corollaire , les traités si volu-
mineux, si indigestes de la physique et de la chimie cessent de
justifier leur litre pour devenir des répertoires d'expériences ou
des manuels de la science pratique , répertoires très utiles, sans
doute, mais indispensables seulement pour ceux c{ui se desiincut à
l'art pharmaceutique ou à celui des manipulalions.
Ce qui précède ne donne, sans doute , qu'une idée vague du li-
vre ; mais comment analyser un travail qui lui-même n'est
qu'une sorte d'exposition analytique d'un traité de philoso[ hie
positive à composer? C'est chose absolument impossible. Pour se
faire une idée de la facilité avec laquelle tout se déduit du prin-
cipe fondamental dans la philosophie physique, de la logique sé-
vère, de la science et de l'érudiiion que ce livre renferme , il faut
non pas seulement le lire , mais l'étutlier et le méditer. La science
universelle en théorie est là déduite d'un prmcipe jusqu'à pré-
sent méconnu et, par conséquent, entièrement ignoré de tout le
monde : ce que renferment nos livres n'en fait point partie, et s'il
y intervient, ce n'est que pour attester sa vérité. Celui qui se con-
tentera seulement d'eu lire le contenu ne pourra trouver dans sa
mémoire, après celte lecture, qu'un cahos d'idées nouvelles dans
lequel la raison se trouve égarée. On a tout compris, grâce à la
précision d'expression et à la lucidité de pensée cjui ont présidé à
la rédaciiou de ce travail original, mais l'intelligence se trouve
confondue par celle multitude de nouveautés rassemblées en un
seul volume, et par le défaut de méditation que chacune d'elles
exige pour être bien saisie.
M0UVKLLE8 Kl MELANGES. "243
nouprlU$ et iUélau^cô.
EUROPE.
FRA^CE. — ISSOUDUN. Découverte d'une basi/ii/ue c/irt'iitn/ie des
premiers siècles. — M. Armand Péremet, eu faisant une fouille au pied
de la grosse tour d'Issoiidun (Indre), sur laquelle il donne des délails
fort curieux, a découvert, enfoui sous terre, et presque dans son entier,
un édifice qui, comme les cités d'HercuIanum et de Pompéi, s'est con-
servé, par la destruction même, dans toute la pureté de son origine, cl
qu'il prétend appartenir au 4- ou 5e siècle de notre ère. Cet édifice cons-
titue, selon lui, une de ces petites basiliques ou oratoires que les pre-
miers chrétiens élevaient en 1 honneur des saints et des martyrs, et
qu'il démontre être le type des églises chrétiennes, accompagnée de la
cellule^ qui en était presque toujours Yappendice obligé, et dont Gré-
goire de Tours fait si souvent mention.
M. Armand Péremet est parti de cette découverte comme base pour
se livrer à des études qui l'ont mis à même d'entreprendre VHistoire des
temples chrétiens primitifs. Tout fait espérer qu'il saura réparer cette
lacune de la science archéologique.
AMÉRIQUE.
ÉTAT DE KEINTUCHY. Description de la caverne du Mammouth.
—La caverne du -Mammouth, ou grande grotte américaine, est un im-
mense souterrain dans la prairie sud de l'Etat de Kentuchy. La desciip-
tion qui suit est due à la plume d'un gentleman très instruit et digne de
la plus haute considération , qui est demeuré tout récemment quelcjue
tems sur les lieux.
La caverne a été explorée , suivant l'estimation du guide, sur une
étendue de quatorze milles '-22 kilomètres 1/2, 5 lieues 172} en ligne
droite. Cttte limite des explorations aboutit à une entrée au delà des
montagnes rocheuses. Jusqu'où peuvent-elles s'étendre rncore, on l'i-
gnore.
Il paraît que la caverne a été habitée dans des tems reculés, mais pro-
bablement |>ar des races éteintes aujourd hni. On a e.\aminc, en i8i5,
bii eorps humain trouvé dans cette cnveiiie, et la Jiombitu'.e ^ar«lc-iobc
*2\\ .\OUVELLLS El MtLA.NGES.
conservée ciiipits de lui, dont on a fait un luvonlaire exact que 1 un pos-
sède eiicoie. le corps était celui d'une de taille gigantcstpie, il .ivait à
})eu piès 5 pieds lo pouces ^anglais). Il était arcionpi dans un trou de
trois pieds carrc'S d ouverture, sur lequel était une pierre plate. Les poi-
gnets étaient liés d'une corde et plies contre la poitrine; les genoux en
étaient rapprochés. Le corps était entouré de deux peaux de cerf à moi-
tié préparées et sans poils, sur lesquelles étaient dessinées en blanc c'c^
souches et des feuilles de vigp.e. Sur ces peaux était un drap de deux
yards carrés; aux j^ieds une paire de mocassins, une espèce de havre-i-ac
entièrement rempli des objets qui suivent-
Sept parures de tête en plumes d'aigle et ô'un autre oiseau de proie,
assemblées comme on fait nujourd hui pour les éventails de p'iumes. C(S
jviruros fort éljgantcs sont placées debout sur le haut de la tète dune
oreille à Tau Ire, attachées avec des cordons.
Une mâchoire d'ouis arrangée pour être {jortte p^r une corde autour
du cou ; une serre d'aigle destinée à ètre])0rtée de la même manière. —
Plusieurs sabots de faons arrangés en chapelet. — Environ deux cents
tours do chapelet en graines de l'intérieur du pays, un peu plus petites
qne la graine de chanvre.
Des sifflets liés ensemble et d'environ six pouces de long, faits en
canne, avec une ajoutée du tiers de la longueur ; une ouvertui^e d'envi-
ron 9 lignes s étend de chaque coté du joint, où se trouve un roseau
fendu.
Deux grandes peaux de serpens à sonnoLles, doat lune a qualor/.e an-
neaux sonores.
Un peloton do iierf de chamois, pour coudre, ressemblant à des cordes
de violon.— QueUjues bouts de gros n\ à deux ou trois brins; une poche
en fdet en forme de valise, s'ouvrant en long et ))ar le haut, avec des
ganses de ch.nque cote, et deux cordes fixées à l'une des extrémités et
passant à travers ces ganses pour la fermer. Cette espèce de valise était
d un bon modèle et fort ingénieusement faite.
Telle ctai» la garde-robe trouvée avec le corps de cette femme.
Le drap, les mocassins, le havresac, la poche en filet, le fd, les cordons
'^É^aient en écorce, travaillés soit en tresse, soit en espèce de tricot. — Le
havre-sac avait une double bordure de trois pouces, qui lui donnait plus
de force.
Ar\NALîi.8
2io
DE PHILOSOPHIE CHRETIENNE.
Allocution de s.\ suntetk !\oti\e skigwlui; ll
ral>e guégoire xvi au sache cou ége, da\s le
co^sistoji\e secret du 22 juillet 1g42;
suivie
Dune Exposition, corroborée de Documens, sur les soins inccssatis
de Sa Sainteté
pour porter remède
AUX SIAUX GRAVES DONT LA RELIGION CATHOLIQUE EST AlFLlGLE
DANS LES ÉTATS IMPERIAUX ET ROYAUX DE LA RUSSIE ET DE LA
rOLOGNE ».
Exposilioii . — 3"^ partie,
Oa l'a vu, tous les soins que se donnait le Saint-Père avec tant
de sollicitude pour rendre meilleure la condition de l'Eglise C.i-
tliolique dans la Russie et dans la Pologne demeuraient sans r»'-
sultal. Cependant une circonstance heureuse sembla devoir adou-
cir l'amertume de sa douleur; l'assurance lui fut donnée qu'en un
moment solennel Tauj^uste Empereur et Roi s'était exprimé dans
les termes les plus flatteurs en faveur du culte catholique et de la
portion si recommandable de ses sujets qui professent ce cukr.
Le Saint- Père sentit avec joie se ranimer dans son cœur la douce
• Yoirleprécéilent numéro, ci-dessus, p. i65.
111'-' SÉRIE. TOME VI. — X° 34. 1842. 16
2hG ai locution IMJMIllCALIL
Confiance (;nc lui avaient tonjuiirs inspirée l'élôvalion cl la no-
blesse de caractère de S. M. Impériale et Royale, et se lit un de-
voir de lui en 'manifester sa vive reconnaissance ; mais en même
lems, après avoir retracé encore une fois, à cette occasion, avec
une entière loyauté, les maximes de la Religion calholique, cons-
tamment mises en pratique par le Saipt-Siége, Sa Sainteté fit un
nouvel appel à la bonté naturelle et à la liante protection de ce
puissant monarque pour ses sujets catlioliques et pour l'Eglise de
Dieu-.
' DocLMEAT u" i5. — Letlrc adressée par le SaiiU-Ptre à S, M.
V Empereur de Russie, le 4 janvier 1 854 •
a S. M. 1 Empereur d'Autriche nous ayant fait part de la manière
bicnveillanle dont V. M. a parlé avec Lui de la situation de l'Eglise Ca-
tholique , dans la vaste étendue de vos possessions impériales et royales,
nous croyons que c est pour nous un devoir sacré de témoigner à V. M.
par cette lettre, écrite de notre propre main, la reconnaissance sincère,
dont nous sommes si profondément pénétré. Nous n'hésitons pas à l'as-
surer que la seule connaissance de ses dispositions bienveillantes, et de
ses sentimens de bonté pour TÉglise à laquelle appartient un si grand
nombre de ses sujets, nous a ému de la manière la plus douce et la plus
vive, et a singulièrement adouci l'amertume dont les malheurs de cette
même Église remplissaient notre àme.
:» Mais pendant que nous exprimons à Y. M. notre gratitude , et que
nous lui offrons nos remercîmens, nous sentons que la magnanimité de
son cœur nous inspire une entière et douce confiance pour réclamer sa
protection impériale, en faveur de lÉglise, et en faveur de tous les ca-
tholiques de ses états impériaux et royaux.
» Et ici, qu'il nous soit permis de répéter avec franchise à V. M. ce
que nous avons publiquement et solennellement déclaré à tous , à la face
du monde, savoir : que l'Église catholique, bien loin d'approuver l'esprit
d'insurrection contre les puissances légitimes, le réprouve au contraire
et le condamne énergiquenient. Sa Majesté n'ignore certainement pas ce
qu'ont rapporté même les journaux , de la constance inébranlable avec
laquelle nous avons toujours insi?té, et par laquelle nous avons travaillé
cilicaccnjeul, (>ii ces derniers tcnis surtout, à nrracher du cœur des ca-
Kt celtes, cette manifestation des senliniens de l'Lnipeieur. ces
recommandations du Saint-Pèi e à Sa Mnjesté arrivaient à pro-
pos, car Sa Sainteté venait d'apprendre que par un décret du
sénat dirigeant, du 10 mars 1832, il était formellement interdit
de publier ou de recevoir dans les Etats impériaux aucune espèce
de Rescrit ou de Bulle Apostolique'. Semblablement, un ukase,
iholiques tout germe d'un pareil esprit. On sait pareilleiueut quels ré-
sultats heureux et consolans nos efTorts ont déjà obtenus à cette heure.
Gonformément à ces maximes immuables de TEglise catholique, si so-
lennellement annoncées et défendues par nous, nous donnons à V. M.
l'assurance qu'en tout ce qui peut dépendre de notre ministère Aposto-
lique, en tout ce qui peut se rap]iorter à noire suprême puissance spiri-
tuelle, nous sommes , pour notre part , disposés et fort désireux de con-
tribuer à procurer aux peuples de Y. M. la paix et la tranquillité, et d'ai-
der ainsi à V. M. à faire leur l)onheur temporel.
» De même que nous nous sentons poussé à mettre toute notre con-
fiance dans la puissante et souveraine protection de V. M. , de même
nous la conjurons de vouloir bien nous accorder une égale confiance dans
l^xercice de notre ministère Apostolique, pour toutes les mesures que
peut exiger la situation prc*scnte, afin de protéger , de conserver ou de
rétablir, dans les Etats de V. M.^ l'intégrité de la foi et la vigueur de la
discipline.
» Que V. AI. accueille avec bienveillance, dans la générosité de son
cœur, cette expression de nos senlimens ; pour nous, nous ne cesserons
pas de prier le Seigneur Dieu, afin qu'il daigne combler de prospérités
V. M. et toute sa famille, et afin qu'il la conserve de longues années pour
le bonheur de ses sujets.
a Rome, dans notre palais du ^ alican, etc. n
'- N. 10. — Décret du sénat dirigeant, en date du lo miv s 1802, qui
interdit de recevoir les Bulles Pontificales dans les États russes :
« TJkas sus Imp. 3Iaj. Authocratoris omn. Russ. è consistorio Ro=
mauo Catholico latino Luceoriensi.
•» CoUeginm audito decreto dirigentis scnatus de die 10 martii a. r.
n- i5,6o5 ut ubique publicarenlur décréta de non admittendis Bulli^.
Pontificiis, transmisit cxemplar hujus dccreti dirigentis senatus ad
248 AJXOCUJIO.N l'OMiriCALE
presque (In uièine jour, i emcll.iit en vigueur les | eiiie^ les j'ius
sévères eoiilre l( s prétctulus eoupablcs, assez lianlis pour eontri-
])iier en quelque inauièru à proeurer (les conversions tlu culte do-
ininiinl à la Relii;ion Calliolique Homaine '. En outre, Tukase du
■20 août (le la nn^nie annt^c, eonfirnié et explique: par celui du 26
août 1833, assnjiHissait la Polo[;ne aux lois en vijjueur dans l'em-
pire russe, qui exigent pour les mariages mixtes, comme une con-
dition absolue , la promesse formelle dVlever tous les enfans à
naître dans la relif^ion grecque-unie ; et par ce même ukise, il
était disposii que de pareils mniiar^es contractc^s devant le senl
curé catholique doivent ètie rt {gardés comme invalides jusqu'à
ce que la cérémonie ait eut lieu devant le prclrc grec-russe^.
Bien plus, un autre ukase de 1833 , remettant en vigueur les or-
donnances depuis longtems tombées en désuétude de l'Impéra-
onines Episcopos diœccsanos adminislralores diœcesum , et ad hoccc
Consistorium, ut coramunicarelur cum omni clerc Sa?cnlaii et Begulari
ad dcbilam execulioncin. In sequclam hiijus nolum fiat decretum Ro-
mane Calholici Collcgii lotr Clerc luijus diœcesecs lam sœculari quam
regulari, erga revcisales à Decanis et Vice-DecaKis cclligendas. De qu«
liât rt'lalio Romano Cailiolicc Collegio Pxclesiastico.
I N. 17. — Ukase de la même époque^ pour remettre en vigueur les
peines portées contre quiconque contribue à la conversion d'un Grec
non-uni au catliolicisnic,
- N. 18 et it). — Ukase impérial du 20 août 1802, qui dispose que
tout mariage cnlre une ))crsonue grecque-russe et une personne atta-
chée à une autre confession sera n{3cessairemcnt, et en tout cas, réputé
invalide , s'il n'est pas contracté en présence d'un prêtre grec-russe, et
après la promesse faite, par la partie attachée à une confession étran-
"hvc . délever tous les enfitns à venir de ce mariage dans la religion
grecque- ruf se.
^ Ukase du 26 août i855 qui explique le précédent, déclarant qu'il
ne peut avoir d'effet rétroactif, et n'oblige que les parens qui ont con-
tracté leurs liens après sa publication ; toutefois le dernier ukase (de
iî<55) autorise, même en ce cas, le clergé grec à faire des démarches
pour que tous les enfans soient élevés dans la religion oilhodoxt-russe.
SUR l'Église en russie. *249
liice Calheiiac II, dispose, dans le but évident, et qui n*a ëlécjue
trop atteint, de suppiimer un nombre immense de paroisses ca-
tholiques, qu'il n'y aura dt'sorurais d'église et de prêtre que là
où les calholi jues formeront une population aj^glomérée de 400
habitans '. En exécution de deux ukases du 24 juin de la même
année et du 22 avril 1834, relatifs à réreclion de deux évccliés
du culte jjrec-non-uni à Varsovie et à Polock , une magnifique
'Les ordonnances de rimpératrice Catherine II , d'après lesquelles
les communes de cent feux , c'est-à-dire de 4oo habitans, à raison
de quatre habitans par feu, pouvaient seules avoir une église, qui ne
pouvait être desservie que par un seul piètre, ces ordonnances, après
être tombées cii dt-suétude , avaient été remises en vigueur en i853; et
elles ont été promulguées de nouveau par f ukase du \6 décembre i83!^,
qui en ordonne la pleine et perpétuelle exécution (Voir le document
n° 70 où se trouve ledit ukase). Cet ukase est conçu en ternies non pas
prohibitifs, mais plutôt permissifs. Ainsi, il déclare que la construction
des églises catholiques n'est permise que dans les lieux où, sur une pe-
tite étendue de terrain, se trouvent agglomérées 100 à i5o maisons,
cest-à-dirc 400 à 600 personnes attachées au culte catholique. Si l'on
considère quelle est l'étendue de territoire sur lequel se trouvent ordi-
nairement dispersés dans les provinces polonaises-rus><es un pareil nom-
bre de catholiques, on voit que la conséquence inévitable de cette me-
sure sera de supprimer la plus grande partie des paroisses dans les six
diocèses que forment ces provinces. L'ukase ne précisant pas sur cjuellc
étendue de territoire devra être aggloméré le nombre û.\é de 400 à Coo
catholiques, pour avoir une église et un prêtre de leur culte, il en résulte
qu'on ne peut pas non plus calculer d'une manière précise combien de
paroisses seront supprimées. Mais cet ukase étant déjà, depuis plusieui^
années, en voie d exécution, une cruelle expérience ne nous a que trop
appris que le nombre de ces suppressions sera très grand. Ou rapporte
avec beaucoup de viaisemblance que, dans quelques-uns de ces diocèses
et nommément dans celui de Luck, il y a déjà des localités où, sur une
étendue de plusieurs milles italiens, ne se trouve qu'une seule église ca-
tholique. Remarquons que la superficie de ce diocèse est de 1,075 milles
iljlicns canes.
250 ALLOCUTION PONTIFICALE
t'jïTisc lut enlevée aux catholiques clans la premièie de ces deux
villes; c'est ainsi qu'ils avaient perdu dans une autre circons-
tance le grand temple de Saint-Casimir à Yilna*. Mais l'époque
où furent prises les diverses mesures que nous venons d'énumé-
rer est antérieure ou du moins ne dépasse pas les derniers mois
de 1833 et les premiers de 1834, sauf quant à celles qui n'étaient
que la conséquence des choses précédemment ordonnées; de
sorte que les ministres de Sa Sainteté, n'en ayant eu connaissance
que plus tard , n'en purent rien dire dans les remontrances dont
nous venons de parler. Du reste , d'après toutes les informations
qui sont parvenues au Saint-Siège, depuis le jour où le Saint"
Père eut adressé à l'Empereur et Roi la lettre que nous rappe-
lions tout à rh(ure, plus d'une année s'écoula sans que de nou-
velles et odieuses mesures fussent prises au détriment de la Reli-
gion catholique dans les possessions russes; il faut pourtant en
excepter celle, d'une si grande gravité, que contient l'ukase du
28 mars 1836, par lequel il est interdit aux prêtres latins , soit
d'entendre les confessions sacranîentelles des {)ersonnes qui ne
leur sont point particulièrement connues, soit d'admettre jamais
de telles personnes à la communion eucharistique ^
Mais que ce lems de calme fut court , et que *de déceptions le
suivirent 1 Les ennemis de l'Eglise surent le nicttre à profit pour
l'exécution de leurs ténébreux et vieux desseins, et leurs manœu-
vres en firent l'avant-coureur de cette horrible tempête qui jeta
bien loin du port de salut plusieurs évèques, ainsi qu'une grande
partie du clergé et du peuple grec-russe- uni. Il serait long et trop
douloureux de rappoiter minutieusement toutes les circonsian-
ces, et de retracer la marche progressive de ce déplorable événe-
ment. Quelle en a été la cause et l'origine ; pendant combien de
' N. 20 et 21. — Ukases du 24 jnin 1 833 et du 22 avril i834, ^I^ù éri-
gent des évéchés grecs à Polock et à Varsovie.
2 N. 22. — Ukase impérial, pi omuli^ué par le Collège, dit Collège
Ecclésiastique Catholique de Pèlersbourg , qui de/end d'administrer
les sacremciis aux personnes inconnues (Voir cet ukase dans notre 1. 1,
p. 78, .r s-rie).
SUR L ÉGLISE ÏN RUSSIE. 251
tems a-t-il été préparé avec autant d'ardeiu' que d'habileté ; quels
moyens, quelles honteuses pratiques, quelles perfidies y furent
employés ; le but une fois atteint, sous quelles couleurs s'est-on
efforcé de le représenter au monde ; avec quelle adresse et avec
quelle persévérance cbcrche-t-oii maintenant à en étendre les
efle;s dans les autres parties des Etats impériaux, et jusque sur
les sujets catholiques du rit latin ; la réponse à ces questions ré-
sulte, avec une entière évidence, d'un tel ensemble de documens
authentiques et d'un tel nombre de relations publiées dans les
journaux des pays étrangers, avec tant de précision, d'exacti-
tude, avec des détails tellement circonslanciés (puisqu'on dési-
j>ne nommément les personnes, les lems, les lieux auxquels cha-
que fait se rapporte), que, dans leur substance du moins, on
n'essaiera même pas de les démentir '. Ceux qui , sur de pareils
' Voir les documens depuis le no 25 jusqu'au n° 41. Cette série de piè-
ces juslilicatives est dune extrême importance et met dans tout leur jour
la perfidie et la violence avec lesquelles le gouvernement russe a su pré-
parer et consommer l'apostasie des grecs- unis.
iN". 23. — Décret impérial sur la suppression du droit de patronage
dans les églises et paroisses du rit grec-uni.
N. 24. — Remontrance adressée le 2 avril i834 P*'^'' le clergé grec-uni
du district de ÎNovogrodek à Mgr Siemazsko, évèque de ce rit en Lithua-
nie, sur les cliangemens dans le Missel et dans les Rits grecs-unis impo-
sés par le gonvernement russe. — Cette remontrance porte les signatu-
res de 5i prêtres grecs-unis, et se trouve dans notre t. 1, 5^ série, p. 73.
iN. 2^. — Pétition fidte en l854 parla noblesse deVitepskà lEhipe-
reur, contre les violences employées pour faire passer les grecs-unis an
culte dominant (Voir dans no re tome i, p. 70).
N. 26. — Autre pétition adressée en i835 par les fidèles grecs-unis de
la paroisse d'Cszaz — Les pétitionnaires rapportent quelques-uns des
moyens pris par le prêtre et par la commission que 1 Empereur avait
envoyés pour les convertir : « On se îuit à nous arracher les cheveux, à
y, nous frapper les dents jusqu'à effusion de sang, à nous dùuner des coups
» à la tète, à mettre les uns en prison , et à transporter les autres dans
■^ la ville de Lepel, etc., etc. ^ ; la voir en entier dan? notii- i ■, 0. ^G.
252 ALLOCUTION PONTIFICALE
faits, veulent avant tout savoir la veiilé, pourront donc la con-
naîue et apprécier loule Fimportance de cette déplorable défec-
N. l'j. — Autre pélilion des ficlèles grecs-unis de Lubowicz, du lo
juillet, signée par 120 paroissi(?ns, sur le même sujet (Voir notre tome j ,
P-77)-
N, 28. — Rapport du ministre de rinlcrieiir à l'empereur de Paissie
sur l'exécution de ses volontés relativement au changement des Rils im-
posé aux grecs-russes-unis (Voir notre t. 1, p. a/jo).
N. 99. — Comnuinication du général Szvpow, président de commis-
pion des cultes, à INÎgr l'évéque grec uni de Ciiclma en Pologne, pour
c.dnier jiarmi les diocésains de ce prélat la crainte où ils sont de voir le
gouvernement s eflbrcer de les entraîner au culte grec-russe.
N. 3o. — Acles de l'autorité supérieure ecclésiastique pour obliger
les fidèles grecs-unis à embiasser le culte dominant.
N. 3i. — Acte synodr.l du clergé grec-uni dans l'assemblée tenue à
Polotsk, le 19 février îSBq, pour se réunir au cuite dominant.
]\. 32. — Supplique adressée le même jour à l'empereur au nom des
évé({ues grecs-unis.
iV 55^ — Ukase impérial au synode grec-russe du i^' mars de la même
année.
N. 54. — Ukase impérial remis le 1*2 mars 1839 au sénat dirigeant,
qui ordonne que les alVaiics ecclésiastiques des confessions grecque-
russe et grecque-unie, au lieu d'être comme auparavant dirigées par
«leux sections dillerentcs du synode, seront désornjais réunies sous une
seule et même autorité.
N. 55. — Décret du synode susdit et approbation de lEmpereur du
c>5 mais 1839.
1\. 5<i. — DokUul ou yiapj)0it à ITmpereur de lEpiscopat grec-russe.
N.57.— Lettre synodale du susdit Episcopat aux évêques et au
clergé do l'Eglise grec-unie.
l\. 58. Relation de la manière dont s'ost opérée la défection des grecs-
unis d.tns 11 Litliuanie et la Russ'e blanche. — Extrait du journal de
Genève du iG janvier 1840.
N. 59. — Autre relation contemporaine du même événement.
>. 40. — Autre relation de la même époque.
» f
SUR L KGLISE EN RUSSIE. '253
tion lies Grecs-Russes dans les provinces russo-polonaises. Et les
fils de l'Eglise cailiolique, cpiel que soit le lieu de la terre qui les
N. 4>' — Décret impérial du 5 mai 1840 pour le diocse de Chelraa
( le seul qui subsiste du rit grec-uni dans le royaume de Pologne) , le-
quel ordonne: i" Tércction d'Eglises grecques-orientales; a*» l'intro-
duction de ce qu'on appelle les portes impériales dans les paroisses
grecques-unies; 3° la distribution de certains subsides pour l'acquisition
de vètemcns et dcrnemens sacrés, sous la condition que tout sera fait
conlormément au Rit de l'Eglise orientale.
N. 4-8' — Supplique présentée en 1S41 au consistoire ecclésiastique
catholique romain de Mobilow par les paroissic ns de l'Eglise de Bialy-
niize, dans le district de iMohilow, ailn d'élre maintenus dans le paisible
exercice de la Religion Catholique Romaine qu'ils ont toujours pro-
fessée.
N. 4^. — Pétition remise la même année par les paroissiens de l'Eglise
Catholique Romaine de Worodzkow , district d''lsclierlkoff, au doyen
de cette Église à l'occasion des mauvais traitemens qui ont été employés
contre eux pour les obliger à embrasser la religion grecque-russe.
N. 4'î. — Autre et pareille pétition des paroissiens de l'église de Rasno,
district d'Ischerikolf.
W. 45. — Autre et semblable pétition adressée au consistoire catholi-
que romain de INIohilow par la noblesse du district d'Ischerikoff.
i\. 4ti. — Rapport fait le 2(3 février 1841 par le consistoire de IMohi-
low au Métropolitain IVfgr Pawlowski , sur les pétitions et remontrances
susdites.
N. 47. — Antre et sembal.le rapjiort du 5 avr.l de la même année.
N. 48. — Office adressé le \i mars de la même année par Mgr l'ar-
chevêque de Mohilow à S. E. le comte Alexandre Stroganoff, directeur
du ministère de l'intérieur, conformément aux rapports ci-dessus.
N. 49. — Autre etsemidable office dn 8 avril de la même année.
N. 5o. — Rapport sur le même sujet, présenté le i5 juillet 18/ji au
consistoire ecclésiastique catholique de ^liiisk par un ciuéde ce diocèse.
N. 5 t. — Relation toute récente sur les mauvais traitemens auxquels
continuent à être en butte les Grecs-unis q»ji persévèrent dans la con-
fession de leur foi,
254 ALLOCUTION PONTIFICALE
accueille , auxquels parviendra ce cri de notre douleur, tout en
respectant profondément les jugemens de Dieu sur d'infortunés
prévaricateurs, e\, tout en battant des mains au courage chrétien,
à la constance religieuse de ceux qui , sous le poids de la persécu-
tion, ont su résister et se conserver fidèles à l'union caiholique,
jugeront en connaissance de cause si la mémoire de ce funeste
événement peut de bonne foi être consacrée par une médaille
portant cette légende : Séparés par violence en 1596 , réunis par
amour en 1839 '.
A la nouvelle de la détestable apostasie des évoques grecs-rus-
ses, le Saint-Pcre, chef suprême de l'Eglise-Calholique, ressen-
tant toute la douleur de cette plaie atroce, ouverte dans le sein
de la commune Mère, eut aussitôt à élever, devant le sacré collège
réuni, sa voix apostolique, pour reprocher à ces malheureux leur
foi violée et leur indigne trahison-. Dans la même occasion, ne
pouvant cacher les longues et atïreuses angoisses dont accablaient
son à me loua les nuties maux que la Religion souffre dans les
possessions russes , et voulant aussi faire connaître avec quel
amour, par quels soins incessans, il avait cherché a y porter re-
mède , le Saint-Père résolut de faire partager à ses bien-aimés
fils, les catholiques sujets de l'empire de Russie, sa douce espê-
lance de voir enfin couionnées de succès les réclamations déjà
so;iinises tant de fois in leur faveur, cl de nouveau à S, M. l'Em-
pereur et Roi. Et ces paroles pontificales n'étaient pas nnicjuc-
mrnt appuyées sur l'idée de la justice et de la magnanimité de
ce puissant monarque ; ce [irince venait de se faire donner de
nouvelles et consolantes assurances qui les justifiaient. S. A. I. et
R. le prince héréditaire de toutes les Russies était depuis peu
venu à Rome, et y avait séjourné: Sa Sainteté s'était trouvée
' On sait que Tempereur de Russie a dernièrement fait frapper une
niétlaille sur laquelle est gravée cette inscription.
' N. 5'2. — Texte latin de ralloculion prononcée par le Saint-Père
dans le Consistoire secret du 22 novenihre 1889 snr laposlasie des
Grecs-rnsses-unis dans la Lilbunnie et la Russie hlanche.
SUR L EGLISE EN RUSSIE. 255
lieurcuse de renouveler en celte occasion, avec elYusion rie cœur
et avec confiance, ses recommandations en faveur de l'Eglise et
des sujets caiholiques de S. M. Dans sa réponse , l'Empereur et
Roi promit la plus large protection, la plus sincère bienveillance;
ce qui engagea le Saint-Père à renouveler ses instances avec plus
d'ardeur et de zèle que jamais '.
Exposition. — 4*^ partie.
Deux questions particulières étaient engagées entre le Saint-
Siège et le gouvernement russe, l'une sur le compte de Mgr
Ignace Pawlowski, déjà évêque de Mégare in parlibus infidelium,
et suffragant de Raminiek , l'autre concernant Mgr Marcel
Gutkowïki , évèque de Podlacliie, dans le royaume de Pologne.
Quant au premier, par plusieurs raisons graves, entre lesquelles
figurait au premier rang celle d'avoir souscrit et enjoint au cierge
catholique l'observation de l'Ukase impérial qui tendait à défen-
dre à ce même clergé d'administrer les sacremens à des personnes
inconnues, Sa Sainlelé, suivant l'impulsion de sa conscience, avait
ditTérérinstitiUlon canonique de ce préliit pour l'église métropo-
litaine de Mohilow. Quant à Mgr Tévêque de Podlacliie, quoique
enlièiement exempt, aux yeux du Saint-Siège, des taches crimi-
nelles que le gouvernement lui reprochait, et évidemment justifie
de ces accusations dans les ofllces adresses , à différtiites époques,
et sous diverses formes, par le ministère pontifical à la Légation
' N. 53 et 54. — Lettre de S. M. l'Empereur de Russie du iS février
1839 à Sa Sainteté pour Tassurer de sa bienveillance en faveur de ses
sujets catholiques. —Dans cette lettre nous remarquons la phrase sui-
vante : « Je ne cesserai jamais de mettre au nombre de mes premiers
n devoirs celui de protéger le hlen-ctre de mes sujets Catholiques^ de
» respecter leurs co/wictions, d'assurer leur repos. »
Répon?^ do Sa Sainteté, en date du 5 avril de la même année, qui re-
nouvelle ses remercîmcns et ses rcolaffialions en faveur des catholiques
Je la Russie et de la Polosjne.
25G ALLOCUTION PONTIFICALE
Russe à Rome ', il avait été, par l'ordre du gouvernemenl impc-
' jV. 55. — Mémoire passé eu octobre i85; à M. le chevalier Krivizow,
chargé d'aflaires de Russie, au sujet des accusations portées par son gou-
venienieut contre Mgr l'évêque de Podlachie.
« lo La première accusation exprimée contre 3[gr Tévêque de Podla-
chie, c'est qu'il s'est refusé à supprimer l'ouvrage intitulé : Unilas et
Discrepaniia. Mgr l'évêque soutient que cet ouvrage ne contient que
les sentimens des Saints Pères de rÉglisc latine et grecque, rassemblés
en (hnérens conciles, dans le but de réunir la partie séparée de TEglise
Orientale avec lEglise universelle Romaine Catholique. Le Saint-Siège
pourra juger de la nature du livre lorsqu'on lui eu fera parvenir un
exemplaire.
1^ On impute à l'évêque de Podlachie son refus de se conformer aux
ordres du gouvernement, par lesquels il est défendu au clergé catholique
«l'administier les sacremens aux Grecs-russes.
-» L'invalidité de ce chef d'accusation est évidemment démontrée par
une circulaire adressée par le prélat au clergé de son diocèse, le 1 1 mars
|S35, dont nous joignons ici une traduction italienne.
» 5° Le prélat est accusé d'a\oir des intelligences et des relations avec
les réfugies polonais, et d'avoir communiqué leurs corresjîondances avec
le gouvernement aux journaux étrangers.
» Le gouvernemeiit russe sait probablement que Mgr l'évêque nie do
la manière la pîuç positive que cela soit vrai. Excité, en i83i, à prendre
parti dans la révolution, il s'y refusa d'une manière absolue, ce qui lui
valut des éloges de l'empereur lui-même, tandis que les Polonais soule-
vés l accusaient j)resquL' «le favoiiser le gouvernement, turpis lucri
gia/id, L'évêque aflirme de la manière la plus positive qu'il est tout-à-
fait faux qu'il soit en relation avec des journaux étrangers, et quil leur
envoie ses écrits pour être publiés. l! afllirme sur son sacré caractère
c'piscopal qu'il n'a eu aucune relation ou lien avec les réfugiés polonais .•
qu'il n'a donné des écrits à aucun journal étranger; bien plus, <\\\\\ n'a
lu aucune feuille étrangèi e et n'en a point gardé près de lui.
>» A^suiément, j)eisoune ne pourra faire un leproche au Saint-Père
s'il prête foi à la parole sacrée tf un évêque, jusqu'à ce que le contraire
lui soit démontré.
liai, violciiiineiil t'ioi^iic de son sic(je et cp.fciinc ilaui le couvent
» 4" Mgr l'évèquc est acccnsé de dilapider les propriclcs de rÉglisc.
L'cvcqne de l'odlacliie ayant été privé des revenus de la nianse, destinés
à son entretien , a le droit de vivre et de s'enlretenir avec les revenus de
son évèclié. Peut-être aura-t-il fait usage de quelque autre revenu du
consentement de ceux que ce revenu regardait. S'il s'était approprie,
sans ce consentement, les revenus d'autrui,ily aurait quelque recours
du côté des parties lésées. Mais jusqu'à présent on ne sache pas qu'il y
ait eu un pareil recours.
» 5" On fait un délit à l'évêque de Podlacliie de ce qu'aux jours de
solennité il ne se rend point au chef-lieu pour y assister aux cérémonies.
)) Il est connu que Mgr l'évêque est d'une santé assez délicate et ma-
ladive. Si quelques-unes de ces solennités ont lieu en hiver ou en au-
tomne, saisons très contraires à sa santé, ce serait là évidemment le prin-
cipal motif de son absence de ces cérémonies. Il faut ajouter à cela que
Mgr l'évêque, pour s'y rendre avec la pompe qui convient, manque peut-
être des moyens nécessaires , et certainement il en manque depuis qu'il
ne reçoit plus ses appoinlemens. Enfin , dans ces occasions, l'évêque de-
vrait conduire avec lui un certain nombre de membres du clergé pour
faire honneur à sa représentation. Peut-être le prélat a-t-il été retenu
aussi par celte réflexion , que son clergé, à Siediec , serait obligé de se
loger dans les chambres garnies des juifs. 11 est d'ailleurs connu que,
quoique Mgr l'évêque ne se trouvât point à ces solennités, cela n'enqjc-
chait point que les révolutionnaires ne le crussent l'homme lige du gou-
et vernement, et ne soient allés jusqu'à lui dresser des emhûches pour
le faire périr.
» Du reste, par des personnes très dignes de foi , et bien éloignées
d'être partisans de la révolution polonaise, on a la certitude que Mgr
GutkoAvski est un homme parfaitement estimable et, digne du caractère
et de la dignité épiscopale , et qu'il est connu et apprécié comme tel par
tous les catholiques. »
N. 56. — Note ofCcielle remise le g février i838 par la légation russe
au cardinal secrétaire d'État , sur la conduite dudit évêquc à l'rgjud du
gouvernement. On lit dans cette note : « Il est de toute impossibilité que
l'évèquc de Podlacliie reste plus longlems au poste qu'il occupe, car il
258 ALLOCUTJ0-\ l'UMUICALE
de Ozcransk, dans la province de Moliilow. Il est inutile de dire
lui manque une des premières conditions à la bonne administration du
diocèse, la confiance du gouvernement légitime.
» En conséquence, S. ^T. TEmpereur, mu par le seuiiment de laccom-
plissement du premier de ses devoirs, celui do garantir de toute atteinte
la tranquillité et la paix intérieure des États que la divine Providence a
placés sous son sceptre, a décidé que Tévêque Gutkowski sera irrévoca-
blement éloigné de son diocèse; mais, désireux néanmoins d'oflPrir au
Saint-Père une nouvelle preuve d'égaid, S. M. I. a voulu laisser à S. S.
l'initiative d'une mesure devenue désormais indispensable ; eu lui aban-
donnant avec une entière confiance l'adoption de tel moyen que, dans sa
liante sagesse, elle trouvera le plus en barmonie avec les intérêts de TE-
glise, dont il est le Clief Suprême , soit en rappelant l'évêque Gutkowski,
soit en l'engageant à se démettre volontairement de ses fonctions épisco-
pales, ce que S. M. accepterait comme une marque de déférence de la
part du Saint- Siège.
N. 5y. — Réponse sous forme également officielle, faite par le cardinal
secrétaire d'État le^Sdu même mois.
Il est dit dans cette magnifique réponse : « Lorsqu en 1 856 la Légation
impériale représenta que, non seulement la conduite de l'évêque de Pod-
lachie n'inspirait pas de confiance au gouvernement de S. M, T., mais
même que le prélat avait constamment encouru sa désapprobation, parce
que sa manière dagir est au plus haut degré préjudiciable au respect
que doit mériter le caractère épiscopal, a la religion elle-même^ et à la
tranquillité du royaume de Pologne, on ne négligea pas de recberchcr
confidentiellement quels étaient les faits que Ton pouvait reprocber à
l'évêque de Podlacliie, et par tous les indices que l'on a eus, on peut jus-
qu'à présent soupçonner que le mécontentement de quelque autorité
subalterne est venu de ce que l'évêque n'a pu, connaissant ses devoirs
d'évêque, se prêter à quelque ordre relatif aux matières religieuses. Tel
était, par exemple, le tort attribué à l'évêque de s'être opposé de son
côté à la suppression d'un livre qui avait pour but de favoriser l'union
ealre l'Église catholique apostolique romaine et l'Église grecque non
unie. Cependant, comme il était sans cesse afiirmé ])ar la légation impé-
riale que le mccoutentcnjent de S. 31. l'Empereui à l'égard de Mgr Gut-
SUR L'iîciLlsi: J -N liliSSlL. '259
qu'à Ja nouvelle de ce nouvel aiVront fait à l'Ej^^lisc, dont le Saint-
kowski ne venait point de choses qui eussent rapport à son administra-
tion pastorale, mais de la croyance où l'on était qu'il excitait l'esprit
révolutionnaire, Sa Sainteté adressa à l'évêque de Podlacliie la lettre du
i5 novembre i83(i, dans laquelle il lui communiquait franchement tout
cela, lui témoignant combien il était surpris qu'il eût pu se rendre cou-
pable de telles choses, surtout après le bref du mois de mai i832; sans
lui cacher que les rapports parvenus à Sa Sainteté étaient tellement gra-
ves qu'il ne lui était point permis de le lui dissimuler, et l'exhortant à se
conduire de manière à éloigner de lui jusqu'au plus léger soupçon.....
« Cependant la lettre du Saint-Père parvint à Mgr Gutkowski par le
mo3^en du ministère impérial. L'évêque en fut profondément affecté, et
sans retard il s'empressa de faire parvenir à Sa Sainteté une déclaration
ingénue de ses sentimens. Il protesta qu'il préférerait toute espèce de
souffrances, et la mort même, p'ulôt que de partager, ou de favoriser,
ou de fomenter, de quelque manièie que ce fut, directement ou indirec-
tement, la rébellion contre son légitime souverain et la désobéissance à
ses ordres. ]Mais, en même lems , il pria le Saint-Père de considérer la
nature des motifs qui lui avaient. fait encourir le mécontentement du
ministère, motifs qui, présentés à l'incorruptible justice de S. M. I., sous
un aspect qui n'était pas le leur, pouvait lui avoir donné une fausse idée
des sentimens de fidélité du prélat.
)> Dans le même tems, arrivaient de plusieurs cotés à S. S. les inform«i-
lions demandées, sur le conipte de 31gr Gutkowski, à des personnes très
estimables sous tous les j-apporfs. Ces personnes furent toutes d'accord
pour représenter Mgr l'évêque de Podlachie comme un prélat très
vertueux, et le cardinal soussigné ne croit pas, dans sa loyauté, devoir
cacher à Votre Excellence que toutes furent unanimes à dire que le
principal motif des contrariétés souffertes par Mgr Gutkowski, et de la
peine qui lui avait été infligée en le privant de ses temporalités et en le
réduisant à la nécessité de vivre d'aumônes, était la constance et la li •
berlé avec lesquelles il avait eu le courage de réclamer contre quelques
mesures préjudiciables à l'Eglise catholique, et contre quelques principes
qui ne pouvaient se concilier avec les maximes fondamentales de la même
Église. »
*2G0 ALLOCUTIO l'OMlIlCALE
Sié^c cul connaissance par les coinmunicarions du miniblio iiiipc-
Ici, lu réponse du cardinal secrétaire dttat nous apprenti que lorsque
Sa Sainteté eut examiné les griefs que l'on avait contre revenue de
roiUacliic, il lui fut impossible de le blâmer, à plus forte raison de le
séparer de son troupeau , dont il était aimé et vénéré.
» Enfin, continue le cardinal secrétaire d'État, le Saint Père étant
venu à connaître par les communications de la mission impériale à Rome,
par une lettre de l'évèque et des rapports particuliers, quels étaient les
prétendus torts de IMgr Gutkowski et la douloureuse impression qu'avait
faite dans son esprit la lettre pontificale du i5 novembre i836, se crut
obligée de lui adresser une lettre de consolation, en date du 21 juin
1837, dans laquelle il lui fit savoir quelle satisfaction avait éprouvé son
cœur paternel, en apprenant qu'il élait et avait été toujours préparé à
souffrir toute espèce de maux plutôt que de manquer aux devoirs d'un
bon sujet à l'égard de son souverain légitime; en même tems il Texlipr-
tail à persévérer dans l'accomplissement de son sacré ministère , à agir
avec prudence et avec une simplicité évangéiique, et à placer toute sa
coufiance en Dieu...
» 11 reste donc à considérer l'affaire sous ses seules formes extrinsè-
ques. La plus grave accusation qui, sous ce rapport, soit alléguée contre
Mgr Gutkowski est la lettre écrite par lui à son Altesse le prince de
Varsovie, à la date du 8 novembre de l'année dernière.
» Le cardinal soussigné n'entreprendra point de justifier les formes
de cette lettre, et accordera que les mêmes choses pouvaient être ex-
primées avec des phrases plus étudiées iricercaie), etTévêque lui-même
le confesse à la fin de sa lettre et en demande excuse. Mais le soussigné
prie Voire Excellence de considérer que le Saint-Père, sans se mettre
en contradiction avec ses devoirs sacrés, ne pourrait,- en aucune manière,
blâmer Tévêquc pour les choses qu'il y exprime.
)) Donc le Saint-Père ne pourrait adopter la mesure que l'on requiert
vi-!i-vis de Mgr Gutkowski, lequel à sis yeux et aux yeux de l'épiscopat
catholique tout entier ne pouira jamais paraître coupable pour avoir
soutenu et défendu courageusement les principes et les disciplines de
l'Église. Sa Sainteté a la confiance que le très puissant empereur de
toutes les Russies, dans la magnanime loyauté et la justice de son carac-
SUR l'Église £N iiussic. 261
li.il liii-mcniC. Celui que Dieu a établi pour prolc(j;ci les droits
de sou Epouse ne resta point muet. Le Saint-Père , toujours
animé par la conscience intime de ses devoirs, ordonna que, par
une note ofiicielle du cardinal secrétaire d'Etat du 1'^ juin 184o,
laquelle fut suivie d'une autre note le 1G août, on adressât à qui
de droit, sur ce sujet , les plus pressantes réclamations , et ce fut
encore d'après sa volonté expresse qu'on revint, à cette occasion,
sur les maux soufferts par la religion catholique en Russie et en
Polo[,ne, en rappelant tout ce qui avait été exposé antérieure-
ment jusque vers la fin de 1832, et en y ajoutant de justes do-
léances pour d'autres faits, qui , ainsi que nous l'avons indi-
qué ailleurs, n'étaient point à cette époque connus du Saint-
Siège "*.
Après avoir attendu pendant plusieurs mois une réponse quel-
conque de la part du gouvernement impérial, on vit arriver à
Home, au mois de septembre 1840, le conseiller d'Etat chevalier
Fùlnmann, accrédité par une lettre de M. le ministre des affaires
étrangères à Pétersbourg, comte de Nesseli^ode, pour entrer a^cc
le cabinet pontifical dans quelques pourparlers relaU^ement à dif-
férentes <7Mfij/to«5 , lesquelles S. M. I. désirait sincèrement {sic)
voir terminées dans un esprit de conciliation et de contenances
1ère, voudra en éire persuadé, et ne pas donner suite à la déterminiiion
d'éloigner Mgr l'cvêque de Podlachie de son diocèse, ne fût-ce que pour
épargner au cœur paternel de Sa Sainteté une aflliction très-amèic.
' i\. 58. — Note en forme confidentielle remise par rimpéiialc et
royale légation au cardinal secrétaire d'Etat, le 17 mai 1840, sur l'ar-
reslalion et la déportation de Mgr Tévêque de Podlachie, par ordre du
gouvernement russe.
^ N. 5g. — Note oflicielle du cardinal secrétaire d'Etat, en date du
i" juin 1840, dans le but de réclamer au nom du Saint-Père contre le
fait ci-dessus rapporté, et en même tenis contre les nombreux outra-
ges faits à la religion catholique dans les domaines russes.
3 N. 60. — Autre note, du 16 août de la même année, par laquelle le
cardinal secrétaire d Etat réclame contre l'empêchement des communi-
cations entre le prélat et son diocèse.
iii« sl'rie- tome VI. — N° 34. 1842. 17
262 ALLOCUTIO.N POMIFICÀLE
tnuluelles '. Du reste, le but de celte mission, renouvelée dans le
mois de décembre suivant, et après la malheureuse mort subite
du susdit envoyé, poursuivie jusqu'à son terme par M. de Po-
temkin, ne fut autre que de solliciter, au nom même de l'Empe-
reur et Roi, l'institution canonique de Mgr Pawlowski à l'arcbe-
vècbé de Mobilow, et la coopération pontificale pour persuader
à Mgr Gulkowski à se démettre volontairement de l'église de
Podlacbie. En proposant ces deux demandes, l'envoyé russe
n'omit pas de faire clairement entendre que l'adhésion du Saint-
Père serait le gage et la mesure des bienveillantes dispositions de
son souverain à l'égard de l'Eglise catholique dans toute l'éten-
due de ses Etals. Telles sont, disait le chevalier Fùhrman , dans
une note verbale passée au cardinal secrétaire d'Etat, le 19 du
mois susdit, les deux demandes dont V acceptation amènerait l'ac-
complissement des vœux que Sa Sainteté s'est plue à exprimer à
différentes reprises en faveur du culte et du clergé catholiques^ dans
les Etats de S. Al. V Empereur et Roi.
Et, au commencement de la même Note, exprimant avec quelle
peine le gouvernement impérial voyait que les premières et heu-
reuses relations entre les deux cours se trouvaient altérées par
les deux questions indiquées, il assurait que le Cabinet russe dé-
sirait infiniment remédier à un état de choses qui, s'il devait se pro-
longer.^ réagirait nécessairement sur la paix de V Eglise catholique
dans les Etats de S. M. V Empereur, ainsi que sur les dispositions
qui animent Sa Majesté à son égard "". En outre, dans un second
office, adressé le 23 du même mois, lorsque, du côté du Saint-
Siège, on s'était borné à remarquer qu'il était nécessaire de sou-
mettre à un mûr examen les deux propositions impériales , le
' N. 6i. — Lettre adressée, le i8 juillet 1840, par M. le comte de
Nesselrode, ministre des affaires étrangères à Pétersbourg, au cardinal
secrétaire d'état, pour accréditer le chevalier Fuhrmann.
' N. 62. — Note verbale remise au cardinal secrétaire d'État par le
chevalier Fuhrmann dans sa première mission à Rome.
N. 63. — Office du 16 septembre 1840, accompagoant ladite Note ver-
bale.
SUli L ÉGLISL Ki\ KUSSIK. !2Go
clievalier rùluinaiin faisait obseiver qu'il s'agissait ^A/ maintien
de la paix religieuse et de la consolidation dn bien-être de V Eglise ^
du clergé et des populations catholiques en Russie et en Pologne,
que le gouvernement impérial désire seconder par tous les moyens
en son pouvoir ; ajoutant que , un appel fait au chef de VEglise
catholique^ au nom d'intérêts aussi gî'aves, mérite dejîaer la solli-
citude paternelle de Sa Sainteté'. Telle fut aussi la manière dont
l'auguste souverain s'exprima lui-même dans une lettre du o
décembre 1840 à Sa Sainteté, lettre apportée par le chevalier
Fùhrmann lors de son second voyage à Ptome , vers la fin du
même mois ^
Eu réalité, le Saint-Père avait compris, par le sens de toutes
ces communications, et sur la parole formelle de l'envoyé russe,
tenait pour certain que l'Ukase impérial du 28 mars 1836, relatif
à l'administration des sacremens, souscrit par Mgr Pawlowski et
imposé par lui au clergé catholique, était pleinement révoqué, et
révoqué sur les instances du prélat lui-même. Sa Sainteté crut
d'ailleurs pouvoir s'en rapporter à la déclaration de ses senti-
mens, que Mgr Pawlowski lui avait adressée par écrit ^; et, par
ces motifs, après avoir beaucoup réfléchi devant Dieu^ Elle con-
sentit à accueillir les deux demandes et à leur donner son assen-
timent. Donc, après avoir préconisé, dans le consistoire du
1^"* mars 1841, Mgr Pawlowski pour l'église métropolitaine de
Mobilow, le Saint-Père écrivit peu après un Bref en forme de
lettre à Mgr l'évêque de Podlachie, l'exhortant avec conseils et
par les raisons ci-dessus exprimées à la résignation spontanée de
son siège*.
' N. 64. — Lettre ou Note contidentielle envoyée par le chevalier
Fiihrmann le 20 du même mois.
^ N, (i5. — Lettre de S. M. l'empereur de Russie au Saint-Père, ii la
date du 3 décembre 1840.
^ N. 66. — Lettre de Mgr Ignace Pawlowski au Saiut-Pére, apportée
par le chevalier Fiihrmann dans sa seconde mission à Rome.
< N. 67. — Lettre du Saint-Père à Mgr l'évêque de Podlachie, en date
du 7 avril 1841.
2(i4 VLLUCUliO-N l'OxMlFJCALt
TaïuJii que CCS négociations avaient leur cours, M. de Potcni-
kin avait, depuis plusieurs semaines, remis ;iu cardinal seciélaire
d'Eiat une Note confidentitlle signée par le chevalier Fiilnniann
et trouvée dans ses papiers après sa mort, Note qui était destinée
à répondre tout à la fois à la Noie veibale ', remise par le cardi-
nal au chevalier pendant sa première mission, et aux deux Notes
ollicielles de 183-2 et l840, dont il est fait mention dans la Note
verbale. Cette Note de l'envoyé russe , qui venait de mourir^ se
réduisait en substance, ainsi que le Mémoire antérieurement pré-
senté par M. le comte de Gourieffen 1833, à passer complète-
ment sous silence quelques-uns des faits dont le Saint-Siège s'é-
tait plaint, et à en nier quelques autres qui étaient notoires, tout
en accumulant des assertions sans preuve et des éclaircissemens
insuffisans ; il fut donc bien loin de faire une heureuse impres-
sion sur l'esprit de Sa Sainteté, sans cesse touimenté par la vue
des maux de l'Eglise catholique en Russie et en Pologne \ Ce-
'*endant celte Note même fut l'objet de sérieuses considérations
de la part de Celui qui , du haut de la Chaire de saint Pierre, où
la divine Providence l'a placé pour le gouvernement de TEglisc
universelle, voit les difficultés, apprécie les dangers, se pénètre de
la triste condition des tems et des lieux ; si bien que Sa Sainteté
finit par se convaincre qu'il était bon d'accepter le gage que lui
ortVait le puissant Empereur par ses promesses sacrées en faveur
de ses sujets et du culte catholiques, et pour cela d'accéder aux
deux deniandes particulières que nous avons indiquées.
Voilà pourquoi, dans ladite Note verbale remise aux mains du
chevalier Fuhrmann , après avoir expliqué dans quel sens Sa
' N. 68. — ^'ote verbale remise au chevalier Fiibrroann par la sccré-
tairerie d'État, le 2 octobre 1840.
' N. 69. — Note signée du chevalier Fuhrmann le 3i janvier 184 1, et
remise, après sa mort, au cardinal secrétaire d'État par M. de Potcm-
kin, ministre de Russie résidant à Rome.
N, 70. — Office dont M. de Polemkin accompagna ladite Note le 12
février suivant, en la transmettant au cardinal secrétaire d État.
SUR l'kGIJSE en RUSSIE. 265
Saintelt' avait l'intention d'adhérer à ces mêmes demandes, on
continuait ainsi : Par tout cecij V Empereur et Roi\ dans Véléi^atioTi
fie son âme j comprendra facilement que le Saint'Père aime àpous'
séria déférence et les égards envers Sa Majesté jus qu à celte limite y
qu'il ne lui est point permis d' outre-pas ser. Mais il comprendra
également que la condescendance dont Sa Sainteté est disposée à
user dans les termes que nous venons d'assigner , se hase essen^
tiellement sur les impériales et royales promesses de Sa Majesté en
faveur de V Eglise catholique. Sa Sainteté se regarde donc comme
assurée de voir ces promesses réalisées an plus tôt ; et c'est dans
la vue de hâter ainsi, pour l'Eglise elle-même, un avenir prospère
dans la vaste étendue de V empire russe et du royaume de Pologne,
que Sa Sainteté a trouvé un motif de se rassurer à l'égard des de-
mandes énoncées. Et, dans le Bref même en forme de lettre,
adressé à Mgr l'évêque de Podlachie, le Saint-Père voulut mettre
les expressions suivantes : Proindè studio pacis ducti, de tud et
oui prœes dioceseos incolumitate solliciti, nec non illecti spe deS'
ponsi ISobis ab serenissimo imperatore et rege prœsidii in levnmen
malorum quibus catholica religio in vaslissimis Russiœ et Poloni.p
regionibus dudum affligitur^ hortatores et suasores Tibi , Fenera-
hilis Frater, esse debemus, ad Podlachiensem Ecclesiam spontè di'
mittendam. Pour savoir avec quelle franchise le Saint-Père, dans
cetle circonstance, découvrit directement au Monarque ses pro-
fondes angoisses et lui exprima sa foi entière dans ses impériales
et royales promesses, il faut lire d'un bout à l'autre la lettre qu'il
envo^'a le 7 avril I84I à Sa Majesté, par le moyen de la légation
résidant à Rome. C'est à la même légation que fui transmis le
Bref en forme de lettre pour Mgr Gutkowski , évèque de Podla-
chie^.
' N. 71. — Réponse faite, le 7 avril 1841, par le Saint-Père, dans la-
qnelle, en annonçant son adhésion à denx demandes de l'Emperenr, Il
exprime les motifs qni l'ont déterminé à Taccorder, et renouvelle dune
manière particulière ses recommandations au sujet des Grecs-unis,
'2C^C^ ALLOCUTION PONTIFICALF.
Exposition. — 5' et dernière partie.
Après tant de promesses formelles et si solennellement réité-
rées au nom de S. 31. l'Empereur de Russie , et dans les lettres
mêmes signées de sa main, qui eût pu croire que la pesante op-
pression sous laquelle {gémissaient les malheureux catholiques
dans les possessions lusso-polonaises, au lieu de diminuer, s'ac-
croîtrait, que de nouvelles et plus odieuses mesures seraient pri-
ses contre le culte qu'ils professent : eu un mot, qui eût pu croire
qu'après de tels engagemens les choses iraient de mal en pis ? Et
pourtant il en fut ainsi : et les rapports les plus certains, les do-
cumens les plus authentiques, les faits les plus notoires, en por-
tent dans tout esprit de bonne foi Tanière conviction. Nous n'in-
sisterons pas sur ce fait que le Saint-Pèi e n'a pas même reçu ,
jusqu'à présent, un mot de réponse, pas la moindre communica-
tion du cabinet russe sur les points indiqués dans sa dernière let-
tre si pressante à S. M. l'Empereur et Roi ; nous ne remarque-
rons pas non plus que quinze mois se sont écoulés depuis qu'a été
confié à la Légation russe le Bref en forme de lettre adressé à
Mgr l'évêque de Podlachie, sans qu'on ait reçu aucune réponse
de ce prélat, ce qui porte à croire que ledit Bref n'est jamais ar-
rivé à sa destination '. Mais nous dirons qu'un peu avant la pre-
mière arrivée à Rome du chevalier FùhrmanU;, un grand nombre
d'actes, de décrets et d'Ukases impériaux, avaintété rendus, tous
souverainement contraires à la Religion catholique, et que le
Saint-Siège n'en eut connaissance que fort longtems après , que
' An moment où l'on achevait à Rome d'imprimer ce manifeste de
Sa Sainteté, M. Krivtzow , chargé d'affaires de Pmssie près le Saint-
Siège, en Tabsence du ministre plénipotentiaire, M. de Potemkin, don-
nait l'assurance, par son office du 18 juillet i84'i, au cardinal secrétaire
d'État, qu'on avait fait part à Mgr de Podlachie de la lettre que lui avait
adressée le Saint-Père le 7 avril 1841, et que ce prélat s'était démis de
son siège; mais jusqu'au 'j.i juillet i^f^'i, Sa Sainteté n'avait encore rien
reçu de ce prélat, ni sa démission, ni une réponse quelconque.
SUR l'Église en russie. 267
renvoyé russe eut soin de les tenir cachés et de n'en rien dire ,
quoique les circonstances et le sujet même des conférences qu'on
avait avec lui semblassent faire un devoir à la loyauté de son
gouvernement de ne point dissimuler de pareils faits, de sorte
que les ministres de S. S. ne purent pas même avoir Tidée de s'en
plaindre et d'en demander raison. Parmi ces actes divers, citons
l'ukase du mois d'aoùl 1839, qui défend, sous peine de destitu-
tion, à tous les ecclésiastiques catholiques des provinces orien-
tales de l'empire, de baptiser les enfans nés de mariages mixtes,
et pareillement d'admettre jamais à la communion quiconque a,
une seule fois, participé au rit gréco-russe; un tel acte ayant
la vertu, d'après le gouvernement impérial, d'incorporer à l'E-
glise grecque ceux qui l'accomplissent , de telle sorte qu'ils ne
peuvent plus en aucune manière cesser d'en faire partie •. Ci-
tons encore l'ordre souverain du 16 décembre de la même année,
qui , remettant en vigueur plusieurs anciens ukases , interdit
formellement de bâtir des églises catholiques, si ce n'est en cer-
tains lieux et sous certaines conditions ; qui limite le nombre
des paroisses et le nouibre des curés ; qui enjoint aux membres
d« clergé ca^^iolique romain, tant séculier que réguliei, de ne
sortir sous aucun prétexte de leur domicile, sauf dans certains
cas rigoureusement déterminés-, qui, enfin, défend aux curés
d'accorder jamais les secours spirituels aux habitans d'autres
paroisses , n'exceptant de cette règle que quelques cas particii-
liers , pour lesquels même sont imposées diverses prescrip-
tions ^ Citons le décret par lequel sont établis de nouveaux
' N. 72.— Ckase d'août iSSg, nui défend aux ecclésiasliques catho-
liques (le baptiser les enfans nés de mariages mixtes, et d'admcllre à la
communion quiconque a une seule fois et publiquement participé au rit
gréco-russe {Gazette universelle , n° 218, 6 août 1839).
* N. 70. — Ukase ^u 16 décembre iSSg, qui, remettant en vigueur
divers anciens ukases, détaille les conditions auxquelles seules i! est per-
mis de bàlir des églises catholiques, fixe le nombre des paroisses, enjoint
aax membres du clergé catholique de ne quitter leur domicile qu'avec
nu permis de l'autorité administrative du lieu , etc.
268 ALLOCUTION PONTIFICALE
réglemens et un nouvel ordre de justice contre les personnes
accusées d'avoir clierclié à propager la religion catholique au
préjudice de la religion dominante , et qui livre à la merci des
tribunaux criminels de l'empire les ecclésiastiques catholiques
accusés de ce prétendu foi fait ; pendant que, d'autre part^ des
honneurs, des distinctions, des récompenses de toute espèce,
sont prodigués aux membres du clergé russe, qui se sont efficace-
ment employés à obtenir la prévarication des catholiques '. Citons
la défense formelle, promulguée le 20 janvier I8i0, de pro-
noncer jamais à l'avenir le mot d'Église grecque-unie , et de
metlie aucun empêchement aux mariages entre grecs-russes et
£^iecs-catholiques; avec la clause expresse et toujours en vigueur
que les mariages célébrés en présence seulement du prêtre ca-
tholique sont invalides-. Citons enfin l'Ukase impérial du 21
N. 74* — Ulvase du même jour, qui interdit aux ecclésiastiques catho-
liques de donner des secours spirituels à d'autres qu'à ceux de leur pro-
pre paroisse, et qui enjoint aux propriétaires et régisseurs catholiques
de veiller à ce que les individus du rit dominant (gréco- russe), qui se
trouvent à leur service, se confessent et commuaient dans les églises de
ce rit.
' IN. 75. — Ordonnance impéiiaîe du même jour, qui dispose que :
« Les individus, tant ecclésiastiques que laï({ues, convaincus, par une
enquête régulière, de détournement de X orthodoxie au latinisme, so'ieiA
livrés imnjédiatement et directement à la justice, conformément à la loi
commune; non plus à la justice des consistoires romains, commecela se
pratiquait jusqu'ici, par suite d'une aj^plication inexacte à leur égard des
lois concernant le clergé ortliodoxe, mais à la justice séculière crimi-
nelle, etc., etc.
N. 76. — Ordre qui dccerne certaines récompenses à divers membres
du clergé ru=se, lesquels se sont distingués par leur ardeur à attirer les
catholiques au culte dominant.
* J\. 77. — Décret publié le 20 janvier 1840, qui interdit de jamais
employer à l'avenir le [hi-eà' Eglise ^recque-unie^et demeilre, en quoique
ce soit, obstacle aux mariages entre le? grecs russes et les grecs catholi-
SUR L EGLISE EN RUSSIE. 269
mars de la même année , qui décrète la confiscation des biens
contre quiconque abandonnera la religion dominante, sans pré-
judice d'autres peines établies par les lois préexistantes, le tout
accompagné d'autres prescriptions fort sévères sur le même sujet '.
Disons en outre que, d'après les renscignemens fournis en
dernier lieu au Saint-Siège, l'Ukase impérial par lequel il est
défendu au prêtre catholique d'administrer les sacremens à des
personnes inconnues ou qui appartiennent à d'autres paroisses
que la sienne, n'a nullement été révoque, quoique le chevalier
Fuhrmann en eût donné sa parole au nom de l'Empereur, mais
bien au contraire que, sous prétexte de modifier cet Ukase et
d'en éclaircir le sens, on l'a confii nié ^
ques , et qui enjoint d'obseï ver scrupuleusement l'ai t. 5"] , tome x du
digeste, portant que les mariages des Russes, célébrés par les seuls prê-
tres catholiques romains, ne sont pas reconnus valides, tant qu'ils n'ont
pas été célébrés par un ecclésiastique orthodoxe. — Quant à ces der-
niers mots, il est bon de remarquer que le teste de la loi citée porte :
par un ecclésiastique russe, car la religion domin.Tnte ne s'appelle gé-
né.-alemeni orthodoxe que depuis un ordre suprême de décembre iSSg;
elle se donnait auparavant les dift'érentes dénominations de religion grec-
que, gre'co-russe, gre'co-orieniale , catholico-orientale , et enfin de reli-
gion de toutes les Russies.
' N 78. — Ukase impérial du 2t mars 1840, qui ordonne la confisca-
tion des biens de quiconque abandonne le cuite dominant. L'Etat prend
sous sa tutelle, ce sont les termes de l'ukase , les biens du délinquant
(or toute propriété mise sous tutelle, en Pvussie, est considérée comme
confisquée), sans préjudice d'autres mesures indiquées par la loi contre
sa personne. Une de ces mesures indiquées par la loi est la réclusion per-
pétuelle dans un monastère. — Un office du secrétaire d'Etat Tanéef
remarque qu'aucune prescription ne doit être prise en considération dans
les causes de cette nature, l'apostasie formant une action criminelle
continuelle jusqu'au retour à la foi orthodoxe.
' N. 79. — Office du ministre de l'intérieur à INÏgr Pawlowski, arche-
vêque de Mobilow, qui e-xplique TUkase sur l'administration des sacre
mens aux personnes inconnues :
270 ALLOCUTION PONTIFICALE
Constatons enfin que, dans l'intei valle de la première à la se-
conde mission du chevalier Fùhrmann et de son séjour à Rome,
on ne se relâcba en rien du système de dureté et de véritable
oppression mis en œuvre contre le clergé et contre le culte ca-
tholiques. Dans certains gouvernemens de la Litliuanie et de la
Russie-Blanche, il n*est pas permis aux curés d'exercer le grand
minislère de la parole , de remplir le devoir sacré qui leur est
imposé de prêcher et d'instruire le peuple ; la seule liberté qui
leur soit laissée est de réciter successivement certains sermons
approuvés et déterminés ; dans le reste des anciennes provinces
polonaises , toute prédication , avant d'être prononcée , doit être
soumise à la censure. En conséquence de ces dispositions souve-
raines, un ordre du ministre des affaires intérieures du 5 décem-
bre 1840 exile dans les districts de la grande Russie, pour y
vivre à demeure sous la surveillance la plus rigoureuse de la po-
lice, deux curés, dont le seul crime est d'avoir exhorté leurs pa-
roissiens respectifs à demeurer fermes dans la foi de leurs pères,
sans avoir soumis à l'examen préalable de la censure le texte de
ces exhortations '.
« L'obligation imposée aux curés des paroisses de ne point admettre à
confesse et à la communion des individus appartenant à d'autres parois-
ses, n'implique pas, à l'égard de ces derniers, la défense de se confesser
an su de leurs curés dans d'au'res paroisses: toutefois, si on ne s'assurait
suffisamment dans celles-ci que ces individus sont de la religion catho-
lique romaine, il pourrait se trouver dans le nombre des individus qui
ne la professent pas; ce qui exposerait les prêtres de ces paroisses à la
responsabilité prescrite par la loi. Je trouve par conséquent indispensa-
ble que les individus qui se présentent dans ces paroisses lors de la célé-
bration des fêtes, pour y recevoir les sacremens, n'y soient pas admis
autrement que sur exhibition de certificats délivrés par leurs curés res-
pectifs, constatant qu'ils apparlietment à l'Église romaine, etc. )>
' N. 8o. — Ordre du même ministre, du 5 décembre i84o, en vertu
duquel sont exilés deux curés catholiques pour n'avoir pas soumis à la
censure un de leurs sermons avant de le prêcher an peuple.
SIR l'ëGLTSE LN RUSSIE. 271
Et nous sera-t-il permis de garder le silence sur tous les maux
faits à la Religion catholique dans tous les Etats russes, depuis la
conclusion des négociations commencées par le chevalier Fùhr-
mann, menées à fin par M. de Potemkin, et dont le résultat avait
été l'assentiment pontifical donné aux deux propositions iukpé-
riales, relatives à Tarchevèque de Mohilow et à Tévéque de
Podlachie. Un ordre souverain adressé au sénat dirigeant, le 22
mai 1841, interdit aux autorités ecclésiastiques catholiques ro-
maines de recevoir les demandes et de connaître des causes de
séparation conjugale déjà jugées par le haut synode gréco-russe '.
Les déplorables conséquences d'une telle mesure pour la ruine
de la discipline et de la morale catholique sont trop manifestes
pour qu'il soit nécessaire de les détailler ici. Plût à Dieu, du
moins, que le Saint-Siège n'eût pas à se plaindre de la coupable
connivence de certain dignitaire élevé de l'Eglise, qui, foulant
aux pieds ses principes inviolabhs, a accordé la célébration et
le sacre Rit du mariage à un catholique avec une personne gréco-
russe séparée de son premier mari uniquement en vertu des dé-
cisions du synode grec-uni !
Mais le dernier coup devait être porté aux infortunés catholi-
ques de ces vastes régions au jour le plus sacré pour eux. Un
T kase impérial, daté du jour de Noël dernier, a consommé la
sj.oliation depuis si longtems entreprise des propriétés ecclésias-
tiques, ordonnant que : Tous les biens immeubles peuplés par des
paysans y attachés, appartenant jusqu'alors au clergé du culte
étranger des provinces occidentales^ passent sous la régence du mi-
nistère des Domaines Nationaux, en exceptant seulement de cette
mesure les biens qui , ne faisant point partie des possessions de la
haute hiérarchie, ou ne formant point un fonds des capitaux de
fondation, se trouvent uniquement e?i possession du clergé adminis-
trant les paroisses \ L'importance de ce décret souverain et sa
' N. 8i. — Ordre souverain adressé au sénat dirigeant le 22 mai 1841 .
qui interdit à rautorité ecclésiastique catholique de connaître des cau-
ses matrimoniales déjà jugées par le synode gréco-russe.
■ N, S?. — L^kase impérial adressé an sénat diris'eant le 95 décembre
272 ALLOCUTION PONTlFlCALr
connexion nécessaire avec l'extrême avilissement ou pour mieux
dire avec la ruine totale de l'Eglise catholique dans les provinces
polonaises-russes, ne peuvent être bien comprises si on ne le rap-
pi oclie de divers autres actes mis en même tems à exécution par
le {jouvernement impérial, et surtout si on néglige d'établir une
comparaison exacte entre les possessions qu'avait encore en Rus-
sie, malgré les malheurs passés, le clergé caiholique, et le peu
qui lui est maintenant assigné '.
Après tout cela, on sera peut-être moins é.onné de voir l'au-
torité impériale choisir et nommer , le 22 mars dernier, sans
avoir en aucune façon consulté le Saint-Siège , un suffragant
décembre i84i , qui réunit au domaine de la couronne tous les immeu-
bles appartenant au clergé clans les provinces occiclenlales , c*est-ii-tVire
dans les provinces polonaises.
' N. 83. — Ukase du lor janvier 1842, qui sanctionne un projet géné-
ral pour la dotation future du clergé.
JN. 84. — Office du ministre de rintérieur au collège dit collège ec-
ch'siaslique catholique-romain, pour l'cxéculion des Ukases ci-dessus du
25 décembre i84' et du 1"^ janvier 184-2.
N, 85. — Règlement spécial qui détermine chaque article delà dola-
lion fixée pour le clergé catholique.
JN. 86. — État des immeubles de l'Eglise catholique réunis au do-
maine de la couronne en vertu de l'ukase du nb dicenibre \%^\. —
Nous regrettons de ne pouvoir mettre cet état sous les yeux du lecteur ;
mais le manifeste du Saint-Siège conslale qu'il résulte des chi lires offi-
ciels, que la totalité des confiscations est au minimum de i2,g35,09G
roubles, valant un peu plus de 4 francs le rouble, d'où il suit que l'Eglise
perd eu Russie 5 1,740, 384 francs. L'intérêt à 4 0/0 fait 617,400 roubles
argent, ou 2,069,615 francs.
Le produit annuel des propriétés confisquées étant au minimum de
5o5,.374 roubles, et le total des charges annuelles, que le gouvernement
impérial a bien voulu s'imposer en compensation, étant au maximum
de 27^,996 roubks, il eii résulte au profit du trésor impérial unedifl'é-
rence annuelle de 9.3Qj?>78 roubles, ou un million environ.
SLR l'Église ln hlssh:. 21?»
poui la partie du diocèse de Ciacovie souniiscà la llussie •, puis
choisir el noiniucr encore de la même manière, par trois décrets
du 10 mai, un tvèque et deux suftragans pour le royaume de
Pologne, comme si la provision aux évèclics et la collation de la
difjnilé sublime qui leur est attachée ne dépendaient pas essen-
tiellement du chef de l'Eglise *; et tout ce qui précède fera re-
cevoir de même, sans trop de surprise, l'Ukase récent, dont oui
parlé plusieurs journaux, en vertu duquel le calendrier julien
est subsilué dans ce même royaume de Pologne au calendrier
{grégorien, pour bouleverser toute la discipline ecclésiastique tt
tous les usages et droits religieux des Polonais.
Terminons ici ce désolant exposé des maux si grands sous le
poids desquels est courbée la religion catholique dans la vaste
étendue des possessions russes , et en même lems des travaux
incessans, mais hélas I toujours inutiles du Saint Père pour en
arrêter le cours et y porter remède. Après l'avoir lu, qui pourra
dire que le Saiat-Si^e , laissant ces infortunés fidèles sans dé-
fense ni secours au milieu de leurs calamités, ait abandonné
en quoi que ce soit la grande cause de la Pieligion catholique ?
Et cependant, parce que les plaintes , les réclamations, les dé-
marches, les prières, les sollicitudes de tout genre , employées
selonles besoins du moment par Sa Sainteté, n'ont pas été publi-
quchient connues, les ennemis du Siège Apostolique ont abuse
de ces circonstances pour le décrier et Tavilir, donnant à enten-
dre que tout ce qui s'est faitd'outrageanl et de funeste, en Russie
• W. 87. — Ukase du 10 mars iS/ji, qui nomme suffragant du dio-
cèse de Cracovie, dans la partie de ce diocèse dépendante de la Uussie,
M. Louis Lelowski, chanoine da ce diocèse.
- j\. 88. — Ukase du 10 mai, qui nomme évéque de Sandorair M.
fabhé Joseph GolJman, sullVagant du diocèse de Kalisch et de Kujavie.
N. 89. — Ukase du même jour, qui nomme sutî'ragant du diocèse
de Kalisch le comte abijé Thadée Lubienski.
N. 90. — Ukase du même jour, qui nomme sullVagant de Lowilz,
de l'archidiocèse de Varsovie, M. l'abbé Antoine Kotowski.
274 ALLOCUTION PONTIFICALE SLR LIGLISE EN RLS81E.
et eu Pologne, au détriment des droits et des intérêts du culte
catholique, et à Tindignation de tous les gens de bien, n'est que
le résultat de concessions antérieures faites par le chef de l'E-
glise, ou du moins que le Souverain Pontife ayant tout su, a
tout dissimulé et continue à tout couvrir de son silence. Le Saint-
Père ne l'ignore point, et il sait aussi qu'on n'a pas rougi d'insi
nuer et de répandre , en des tems jugés opportuns , les plus
atroces calomnies. Mais à Dieu ne plaise que le Vicaire de Jésus-
Christ, le grand Pasteur et Gardien du troupeau catholique, de-
vienne jamais une cause de scandale, une pierre d'achoppement !
Réduit à cette extrémité, et les impérieuses lois du devoir et de
la conscience ne lui permettant pas de s'y soustraire, le Saint-
Père s'est trouvé dans l'inévitable nécessité de rendre public cet
exposé des soins qu'il s'est donné pour la défense de la Religion
catholique dans les Etats impériaux. Puisse cependant cette la-
mentable exposition parvenir jusque sous les yeux et obtenir
la sérieuse attention du très-puissant Empereur et Roi ! A la claire
vue, à la démonstration de tant de maux, il est impossible que
ne prévalent pas dans son ame si élevée ses sentimens naturels
de modération, d'équité, de justice. Telles sont les espérances
que Sa Sainteté aime encore à nourrir, tels sont les vœux qu'Elle
adresse encore une fois à la Majesté du trône Impérial et Royal ;
en même tems qu'elle se plaît à rappeler, à représenter de nou-
veau dans toute leur efficacité à tous les catholiques de ce grand
empire, la maxime invariable de l'Eglise qui les oblige à obéir et
à demeurer fidèlement soumis au souverain temporel dans l'or-
dre civil, non seulement à cause de la crainte, mais bien plutôt
par raison de conscience.
De la SECRÉTAIRERIE d'ÉtaT, LE 22 JUILLET 1842.
■i*^OQ«0<
un LA .MÉTHODE llliliMllSlKMSli. *75
pi)ila'50pl)ic.
DE LA ML:ïHODE HERMÉSIENNE.
Observations préliminaires et principes désolation. — Sources du système
d'Hermès •• Kant, Fichte, Schelling et Hegel. — Les erreurs de ces
philosophes ont été solidement réfutées en Italie. — Comment Her-
mès a pratiqué sa méthode durant vingt ans. — Son doute positif, sé-
rieux et limité, — Impuissance supposée de toutes les démonstrations
anciennes. — Nécessité prétendue du doute réel.
La doctrine d'Hermès embrasse la philosophie , la théologie
générale et la théologie spéciale. Nous allons nous borner ici à
Texamen de la méthode philosophique qui caractérise et domine
toutes les spéculations de ce sectaire. On verra qu'elle offre les
plus frappantes analogies avec la méthode que propagent en
France tous les disciples de l'école éclectique; et c'est précisément
pour cela que nou^ avons cru à propos d'en entretenir nos lec-
teurs. Tout ce qui suit est extrait et traduit d'une Réfutation
complète deV Hermësianiswe, que le savant P, Perrone avait com-
mencé à publier en italien, et que ses occupations ne lui ont pas
encore permis d'achever '.
§ l^r. _« Observations préliminaires.
Daus tous les tems, ceux qui se sont livrés aux études philoso-
phiques avec conscience de ce qu'ils faisaient ont dii reconnaître,
Is,' Les Annales ont déjà raconté {Histoire de l Herme'sianisme daus le
t. xviij p. 85.
276 Dli LA MÉTHODE llER3lÉSIE^^E.
avec tout le genre Iiiiin.iin, certaines vériles priinilivcs tic Itiil et
de raison , auxquelles on ne peut refuser son assentiment sans
combattre la pariie raisonnable de sa propre nature, et aux-
quelles les sceptiques eux-mêmes, sans s'en apercevoir, rendent
ncccssairement hommage, puisque Tacte même par lequel ils les
nient les présuppose et les atteste. Ainsi, dans tous les tems, on
a admis comme indubitable et certain le fait de la conscience,
qui nous révèle notre propie existence et les modifications inté-
rieures de notre être*. Dans tous les tems, on a admis comme in-
dubitables et certains ces premiers principes de raison , base de
tout raisonnement, appelés pour cela conceptonis communes^ et
qui, avec les vérités d*un accès facile qui en découlent , forment
ce qu'on appelle le sens commun des hommes '. L'homme non-
seulement est certain de ces vérités primitives, mais il 5mV en
cire certain. Cela ne peut venir que de l'évidence intellectuelle ,
qui est produite en lui par la nécessité intrinsèque et logique de
ces sortes de vérités ; par cette évidence, l'homme entend et sait
qu'il est impossible de penser le contraire; en d'autres termes , il
voit rimpossibililé duconlraiie, de manière qu'il ne peut refu-
ser son assentiment à ces vérités, et ne peut en douter sans se re-
nier lui-même \ Que si la suprême raison logique de la vérité, le
' IVullus erravit unquàni in hoc quod non perciperet se vivcrc.
S. ïlioni. de P^eriti, x, viit.
^ hitcllectusin primis principiis non errât. S. Th. C. Gcnles, i, tviir.
Inlelicctiis semper est rcctus^ secundùm quôd intellectus est principio-
rum. I, p. 9, 17, art. 3 ; et dans une infinité d'autres passages. C'est
avec bonheur qu'un illustre philosophe, le cardinal Pallavicin, appelle
CCS premières vérités «des flambeaux allumés par la nature pour éclairer
w les autres propositions obscures. » [Del Bcne, lib, 2.)
^ Saint Thomas a parfaitement saisi ce caractère de l'évidence intel-
tectuelle, quand il l'a fait consister en ce que l'homme voit « Impossi-
bi/e esse (rem) se aliter habere ; v ce qui revient ;m principe d'identité,
ce qui est, esty ou à celai de contradiction, une même chose ne peut être
en même tems et ne pas vire. Ces deux principes de raison, ainsi que
DE L\ MIÎTIIODE IJLK.MÉélE.XAE. 27 7
tiitcriulu d'après lequel (secuiidiim quod) nous ju.^^cons, celui au"
quel toute cci tilude doit se ramener en dernière analyse, ne peut
cire inuliiple, il n'en est pas ainsi pour le critérium que i'ccole
appelle per quod, car ce critérium varie ; en d'autres termes, il y
a plusieurs sources de la vérité, plusieurs moyens naturels qui
tons les autres, se résolvent, en dernière analyse, dans l'idée unique et
p;>rraileraent simple de VEtrc, suivant la remarque du même saint Tiio-
mas : « Illud autem quod primo intcllectus coucipiCquasi noiissi'mum.,
et in que omnes conceptioncs resolvit, est Eus. » (g de Vcrit , i). Celte
idée de Tètre en général, est la grande pierre angulaire sur laquelle un
philosophe contemporain, qui fait tant d'honneur à la religion et à l'I-
talie, l'illustre abbé Rosmini-Serbati a élevé rétlifice de sa philoso]>liie,
exposée spécialement dans son Nuovo sag^io suit' origine dellc idée.
Sans me constituer ici ni censeur ni partisan de la théorie de Rosmini,
je dirai que son ouvrage mérite d'être profondément niéditéj et étudié
avec réflexion, parce que c'est le fruit de belles et profondes reclierthcs.
On y voit combien il est versé dans la connaissance des systèmes vécens
d'Ecosse, de France et d'Allemagne, et quelle est Teflicacité des argu-
mens qu'il dirige contre toute espèce de sensualistes, de sceptiques,
d'idéalistes et de critiques transcendcntaux. Loin de suivre leur exem-
ple, et de jeter, comme eux, un mépris superbe sur tout le savoir philo-
sophique de l'antiquité, et surtout de l'antiquité chrétienne, Rosmini
se fait gloire de la remettre en honneur, et de puiser à ses sources ses
pensées et sa philosophie. L'auteur allemand d'un article inséré dans le
Tjroler-IiOihe (le Messager tyrolien) louait naguère l'abbé Rosmini
pour son élocution claire et facile dans les raisonnemens abstraits, et
il le proposait pour exemple à ses Allemands, dont les spéculations phi-
losophiques sont toujours, de leur propre aveu, enveloppées d'un cer-
tain jargon des plus mystérieux et des plus obscurs. Je fais celte remar-
f|ue d'autant plus volontiers que, dans le système dont nous parlons
dans ces articles, nous aurons une nouvelle preuve de cette vérité, — Je
m'applaudirai toutes les fois que j'aurai occasion de citer quelque ob -
servation de l'abbé Rosmini, ainsi que de tout philosophe irré|)ro-
chable, soit italien, soit étranger, pourvu qu'il vienne confirmer mes
paroles.
iii« SÉRIE. TOME VI. — N° 34. 1842. 18
'27^ Di: I.V .^ILTilUDK liLRMLSlh.NiNE.
conduiscnl à la certitude , de nième qu'il y a plusieurs objets de
^os counaissaaces ; et comme ils peuvent nous venir ou de la fcii-
Ibilité extenis ou du sentiment intime, ou de la raison, sous la-
quelle on comprend aussi le sens commun des hommes, ou enfin
de Vautorité, nous trouvons en eux tout autant de moyens qui ,
employés à propos et suivant les règles d'une saine logique, nous
font parvenir à la vérité et à la certitude. D'où il suit encore que,
pour atteindre son but, le vrai philosophe ne doit pas se borner
à puiser à une seule de ces sources, à l'exclusion des autres, mais
qu'il doit avoir recours à toutes, et les interroger avec soin : voilà
pourquoi on a toujours regardé comme certain et incontestable
que les seules données fournies par l'expérience ne sauraient
conduire à la science, mais bien à un empirisme pur ; et que ,
d'un autre coté, les purs concepts de raison ne peuvent par eux
seuls nous donner qu'un monde idéal. C'est en unissant l'obser-
vation et le raisonnement, les données de l'expérience et les prin-
cipes de raison, l'élément «mpirique et l'élément rationnel dans
l'unité du sujet sentant et intelligent , que la science vraie, réelle
et objective de l'homme est constituée.
De ces principes, attestés par la lumière naturelle de la raison,
confirmés, sanctionnés par le sens comnmn des hommes, et plus
encore par les tristes et étranges aberrations de ceux qui ont voulu
les rejeter en philosophant, je tirerai quelques corollaires légi-
times d'une grande importance, à cause des différentes erreurs
qui ont souillé la philosophie moderne.
1. La saine philosophie doit et dut toujours avoir des |xwnts
de départ sûrs et solides pour commencer la chaîne des raison-
uemens humains. Ratione quidem semper utendum est, dit le phi-
losophe italien Baldinotti , raliocinio non semper : id est impossi-
bile; bases namque et fundamentum ratiocinium hahere opus est ,
vvn aute'n in dlio raliocinio, quod ad pro^p^essum in injinitum cO'
'^eret. Aliquidigiturest de que ratiocinandum non est'.
2. Ce n'est pas assez de permettre leurs tentatives, il faut en-
TcHlani. mctap/i., S ^•')0.
ni: \.\ MITHODE lŒlîMLSlI.iNM:. *J7'J
cote Jeui (Icccraer tles honneurs et des louantes à ces philoso-
phes qui ont voué la sagacité de leur génie à l'étude attentive des
faits de l'esprit humain ; qui se sont appliqués à déterminer plus
exactement la nature et les propriétés de ses difterentes facultés ,
à tracer la génération et les dé\'eloppeniens de ses connaissances ,
en un mot, à enrichir la science philosophique de découvertes et
d'ohservations nouvelles, utiles et bien fondées. Mais que, sous le
beau prétexte de faire avancer la science, on n'aille pas commen-
cer par la faire crouler et la détruire de fond en comble : il y a
déjà bien des siècles que la raison humaine a conscience de son
existence, qu'elle pense, juge et raisonne ; or, il ne faut pas sans
cesse commencer par faire table rase de toutes les connaissances
humaines. Que celui qui entre dans la carrière philosophique
s'en souvienne : il ^ a des liens naturels et indestructihels par lesquels
la vérité est unie et indissolublement attachée à la nature humaine
(ce sont les paroles de l'illustre philosophe dont nous venons de
parler); il y a des bornes posées à la témérité de V intelligence ;
les Jlots que nous soulei^ons contre la vérité se brisent sur elle et
sont repoussés ; les premières vérités furent confiées par la Provi-
dence^ au moment de la création^ non à l'homme, mais à la nature
humaine...^ intelligente de son essence.. . ; et V homme ne peut les
contester et encore moins les anéantir., parce que, comme il n'a pas
le pouvoir de rien créer., il na pas non plus le pouvoir de rien dé-
truire de tout ce qui a reçu de Dieu V existence'.
3. Si le sceptique effronté fait un indigne outrage à la nature intel-
ligente, elle ne reçoit pas une injure plus excusable de celui qui
choisit pour point de départ de sa philosophie le doute vrai, sé-
rieux , positif, théorétique, universel, illimité, sur toute vérité,
même primitive. Nous disons doute vrai, etc. , pour ne point le
cotifondre avec le doute hypothétique, autrement dit méthodique ,
et qui sert seulement pour l'ordre et pour la méthode d'après les-
quels on doit traiter la philosophie, et pour montrer l'origine
successive des diftérer.tes connaissances. Ce n'est pas cette simple
' Rosniini^ Nuovo saggiosulC origine délie idccj i83o; vol. iv, p. 285,
édition de Rome.
'280 DK LU 3ItT110I)Ii IlLliMlUlEiNNi:.
sup/wsllion du doute que l'on a en vue de condamner iri : tlle
était eu usage dans Tccole el fondée sur renseignement lucnie
d'Aiislote', et à coup sur, il ne viendra dans l'idée de personne
de reprendre saint Thomas, qui, suivant dans ses traites la mé-
thode scolastique, les partage en questions, et commence tou-
jours par les objections que Ton pourrait opposer à la vérité.
4. D'un aulre côte, ilscommeitent une erreur en philosophie,
ceux qui soutiennent que l'on doit commencer par rinfuii , par
réterncl, par l'absolu; pour descendre ensuite au fini, au créé, au
contingent, et affirment que, \cjîni ne pouvant être sans Vinfini,
on ne peut même percevoir le fini sans V infini; car c'est confondre
\ ordre des êtres réels avec V ordre des objets de nos connaissances ,
ou, comme parle l'Ecole, Vordoessendi aved'or^o cognoscendi.li
est certain que le premier de (ous les êtres subsistans est l'Absolu,
puisque tous les autres dépendent de lui , n'existent et ne sont
possibles que par lui : mais celte dépendance est dans Tordre des
êtres et non pas dans l'ordre des connaissances, lequel est anté-
rieur à l'autre dans notre esprit.
5. Le Christianisme a, sans doute , rendu d'immenses services
même à la science philosophique : est-ce à dire pour cela qu'il ait
détruit ou changé les principes évidens et immuables qui ont dans
tous les tems brillé aux yeux de l'intelligence humaine? est-ce à
dire qu'il nous ait imposé la loi de partir du fait de la re'vélation
pour discuter les questions purement philosophiques ? Assuré-
ment non. Car de même que la grâce ne détruit pas, mais perfec-
tionne la nature humaine créée à l'image de Dieu, ainsi la révé-
lation n'a point altéré ni détruit, mais fortifié et perfectionné les
facultés naturelles de la raison ^ La divine lumière du Christia-
nisme, en portant un remède salutaire et efficace à la corruption
dans laquelle le genre humain était plongé, a exercé une bénigne
influence sur l'intelligence et sur la volonté de lliounne, aveugle
• Mriarjh., iib. ii, c. i .
» Fidcs praesupponit cogullioncm naluralcni^ sicut gralla naluiam, cl
^t perfcclio perfectibilc. S. Thoni., i, q. 2, art. 2, ad i.
DE L\ MÉTF!ODE HERMKSIKNNK. 281
et souillé par de> passions hrulales , et a fait prendre à sa ré-
flexion une marche moins chancelante et plus sure. Le philosophe
chrétien sait donc la voie qu*il a à suivre, le terme qu'il doit at-
teindre, et il lui est impossible de s'égarer, à moins qu'il n'obéisse
à une volonté coupable et désordonnée. Si donc il est défendu à
tout philosophe de poser pour base, ou même pour préparation à
la philosophie, le doute vrai, positif, illimité, pour un j>hilosoplie
chrétien, c'est une ùute d'autant plus grave, que non-seulement il
outrage la lumière de la raison, mais aussi celle de la vérité révé-
lée. Le philosophe chrétien ne sait ni ne peut se restreindre à l'é-
tude de l'esprit humain considéré en lui-même, ni même à celle
de la nature : il est contraint de s'élever à Dieu et à ses relations
avec Dieu , sans lequel toute philosophie est singulièrement in-
complète et défectueuse. Que si ses spéculations mal dirigées sont
parfois sur le point de le précipiter dans l'idéalisme , le pan-
théisme , le matérialisme , ou dans quelque autre excès de
cette nature, la religion le retient et le ramène au droit che-
min. En un mot, il ne fait pas moins usage de la raison que les
philosophes paiens ; il se sert même de leurs recherches, lorsqu'il
ne les trouve pas opposées aux doctrines du Christianisme: mais
il a une règle siire, une pierre de touche , pour ainsi dire , avec
laquelle il ])eut éprouver les conclusions auxquelles ses spécula-
lions semblent le conduire. Et si ce sont des erreurs que la révé-
lation condamne, il reprend l'examen, et trouve que lesraisonne-
mens sur lesquels s'appuyaient ces conclusions étaient trompeurs^
ou du moins n'étaient pas nécessairement concluants , puisque
entre la droite raison et la révélation il ne doit jamais y avoir
opposition ni combat. " Car, dit excellemment le savant Gerdil,
•) celui qui est l'auteur de la nature et de la raison humaine est
»> aussi l'auteur de cette révélation, qui seule se trouve conforme
»> aux plus purs dictamens de la lumière naturelle ; — qui seule
M fournit à Ihomme ces connaissances après lesquelles les philo-
» sojhes soupiraient et dont ils sentaient le besoin ; — qui seule,
»> entln, nous élève à un état do grandeur et de perfection surna-
2ft2 DE LA MÉTHODK HRRIMESIENNF.
» luielle, auquel nous n'aurions pu même aspirer dans l'ardeur
» de nos de'sirs'. »
Le champ de la philosophie diffère donc de celui de la vérité
révélée : les principes qu'elles prennent pour point de départ sont
différens, ainsi que le critérium de certitude auquel chacune a
recours. Mais comme ce sont deux ruisseaux jaillissant de la
même source, qui est Dieu, pour féconder l'intelligence hu-
maine, et que la raison sans la révélation ne suffit pas, il faut,
non pas les confondre l'une avec l'autre, mais les unir dans une
étroite alliance, et faire que la raison, selon ses fonctions, prépare
et conduise Tesprit à la vérité révélée, et en soit constituée l'es-
clave soumise et docile \ C'était , dès les premiers siècles du
' Introd. allô studio délia J'elig., Bologna, 1784, p. i ii-
^ C'est avec raison que Ton recommande ici l'alliance de la philoso-
phie avec la vérité révélée; mais assurément il ne viendra dans l'esprit
de personne d'en conclure que la foi, soit dans son acquisition immé-
diate, soit dans son exercice, dépend et a un besoin absolu des recher-
ches philosophiques. Ce serait une erreur très grave et subversive de
l'essence même et de toute Téconomie de la foi. Dans son objet ainsi
que dans son principe; la foi chrétienne est surnaturelle et divine; et
l'acte de foi n'est le résultat d'aucun raisonnement humain : c'est l'œu-
vre de la grâce. C'est la grâce qui illumine et qui porte l'homme à as-
sujétir par une adhésion ferme et volontaire, son entendement aux véri-
tés révélées, précisément parcequ'elles s'appuient sur l'autorité de Dieu,
vérité première, comme sur la dernière raison formelle de la croyance
chrétienne. C est la grâce qui dépose dans ceux qui sont régénérés par
le saint baptême l'habitude surnaturelle de la foi. Dès lors la foi par-
faite peut se trouver et se trouve dans des âmes absolument incapables
de toutes recherches philosophiques et de tout examen. C'est en ce sens
que Bossuet écrivait si justement : « C est une erreur de s'imaginer qu'il
)> faille toujours examiner avant que de croire. » La voie du raisonne-
ment et de l'examen extrinsèque des motifs de crédibilité peut donc être
utile, ou même, dans le cours ordinaire des choses, nécessaire, en partie
du moins, à l'infidèle, pour arriver à la connaissance de la vérité révélée,
H il faut en dire autant de lincrédule. plongé dan«; un aveuglement
\ .
\
DE LA MÉTHODE HERMESIENNE. 283
Christianisme, la méthode de ces Pères, de ces docteurs, qui ont
fait lant d'honneur à la rehgion et à la science. Et au fond, n'é-
taient-ce pas de vigoureux logiciens, d'habiles philosophes , de
grands apologistes, de puissans théologiens, que les Justin, les
Clément d'Alexandrie , les Laclance , les Origène , les Basile , les
Cyrille, les Grégoire de Nazianze et de NyssePEt, sans parleras
autres, Augusiin ne sut-il pas manier les armes de la raison et de
la bonne philosophie avec assez de dextérité pour confondre les
Académiciens, les Sceptiques, les Matériahstes , les Manichéens?
Que si nous franchissons plusieurs siècles , que de lumière, qut
de pénétration, que de savoir dans les écrits d'Anselme de Can
torbéry, de saint Bonaveniure, et suitout du grand saint Tho-
mas d'Aquin, dont le mérite scientifique a été préconisé même
pir le philosophe d'Alembertl A eux seuls, les quatre liv^res qu'il
composa pour démontrer raix Gentils la vérité de la religion ré-
vélée prouvent admirablement la force et Tefficacité du raison-
nement tiumain. Et pourtant, chose incroyable! les modernes
ont vu avec un dédain superbe et avec insouciance tout le savoir
de raiifiauilé chrétienne! Pour eux, ces grands hommes ont été,
en quelque sorte, dénués d'intelligence, et victimes de préjugés
qui les souillaienll Comme si la pensée était une découverte mo-
derne ! comme si, parmi les innombrables machines inventées
dans ces derniers tenis, il y en avait quelqu'une, ainsi qu'on 1 i
coupable à l'égard île cette même vérité. Mais il en est tout autrement
de ceux qui sont nés et qui demeurent daus le sein de la vt'-ri table Eglise.
S'il leur est j)ermis de st- livrer à l'examen qu'on appelle instructif et
conjiimatif, ils doivent loujoui-s s'interdire sévèrement l'examen de
suspension ou de doute, comme répugnant à leur qualité de cbréiiens
et comme destructif de la foi. — Ces doctrines ont été assez longuement
exposées i\diVï?,\cs Prœlectiones theologicœ, c. iv, p. 48 et suivantes. Ici
il suffit de les indiquer, parce qu'une des erreurs capit^^les de la con-
duite personnelle d'Hermès et de son système pliiiosophico-lbéologiquo,
roule sur cette matière, comme on pourra le voir par C'.^ a^je nous dirons
dans la suite de cefi articles.
284 DE LA. MÉTHODE IIERMÉSIENNE.
dit avec esprit, qui la rendît plus efïicace , plus prompte et plus
Mre I
Toutefois, par amour pour la vérité, je ne dissimulerai pas
que, dans la suite des lenis , un grand nombre de philosophes
clirctiens, néglincanl trop la voie de l'expérience et de l'observa-
tion pour se livrer à l'idéal, n'aient engagé la science dans des
subtilités futiles , dans de vaines spéculations, et même dans de
manifestes erreurs : aussi une restauration philosophique devint-
elle nécessaire sous un cei tain rapport. Ce fut alors que s'élevè-
rent Galilée en Italie , Bacon en Angleterre, et Descaites en
France. C*est de Descartes qu'on a dit récemment , et qu'on a ré-
pété à l'occasion de la controverse hermésienne, qu'avec lui et
par lui la philosophie se sépara du Christianisme. Si cette accu-
sation porte sur ce qu'il a posé îa raison pour critérium et pour
lègle suprême dans les sciences purement rationnelles et natu-
relles, L'I'e porte à faux : ce qui a été dit jusqu'ici le démontre ,
ft pas un philosophe digne de ce nom, pas un théologien ne vou-
dra en faire un ciime à Descartes. Si, au contraire, le bhime
tombe >uv le doute, point de départ de sa philosophie , je répon-
drai que, quoique ce doute ait été mal interprété par quelques-
uns de ses ennemis ou de ses partisans qui en ont abusé , il est
ceitain que ce ne fut pas la base, et encore moins la dernière con-
clusion de sa philosophie , reproche que l'on doit adresser à ces
savans modernes qui, api es nous avoir fait tiaverser un inextri-
cable iabyi inihe de choses inintelligibles et abstruse-', finissent par
atteindre et par proclamer le dogme consolant, que notre raison
Jie saurait tiouver une seule vérité réelle et objective. Le doute
de Descartes était le doute que j'appelais, il n'y a qu'un instant,
hypoilicLiqite et de méthode , mais non pas sérieux et théorétique.
Si pour un moment il paraît douter de tout, c'est pour purger
sou entendement, ainsi (}u'il s'exprime lui-même, de toute erreur
préconçue, et pour séparer le certain de l'incertain ; mais bientôt,
saisis ant une pierre innnobile , il en fait le fondement de son
vaste édifice. Parmi les nombreuses vérités qu'il médite en lui-
n éme,il en trouve une qui résiste à tous les assauts du scepticisme
le plus décidé et le plus opiniâtre : Je sens, je pense, i\o\\c je suis ;
DE L\ MÉTHODE HERMÉSIENNE. 285
mais je pensais aussi qu'il n'y a licn de réel dans le monde : si
je pensais, ;V? suis : mais ne metiompé-je point? si je me tiompe,
je suis '.C'est précisémeht ainsi que, bien des siècles auparavant,
Tesprit pénétrant et tout philosophique d'Augustin procédait
contre les Académiciens. «< Esse me idque nosse et amare certissi-
» mum est : nulla in his veris Academicorum argumenta formido
» dicenlium : quid si falleris? si enim fallor, sum. Nam qui non
» est, ulique ncc falli potest, ac per hoc sum si fallor'. » D'ail-
leurs, le doute que Descartes préconise n'est pas il/imité : il en-
seigne qu'afin de ne pas tomber dans l'erreur il faut suspendre
son jugement lorsque la vérité n'apparaît pas d'une manière
claire et distincte ^ : mais il avait déjà fait observer qu'il n'enten-
dait point parler ici de ce qui se rattache à la foi ou aux choses
morales, ni de ce qui a rapport à la pratique de la vie <.
' On a rcproclié à Descartes d'être tombé nécessairement dans une
pétition fie principe, en voulant donner une démonstration de sa propre
existence. Galluppi a consacré son beau talent à défendre avec ses pro-
pres paroles et avec celles de Lcibnltz, Tillustre philosophe français. Mais
quoiqu'il ne mérite pas le nom de démonsiration, l'argument de Drs-
cartes est en tout point concluant. Je fais celte remarque parce que
Hermès blâme aussi Descartes pour ce même motif, tandis que la r/^'-
motistration vraie, complète, rigoureuse^ de l'existence du moi, il se pro-
pose de nous la donner, lui!
' De Civit., x[. — De Trinit., x, c. i?.
' Médit., IV.
* In Synops,
a En citant cette approbation de la méthode cartésienne, non s décla-
» rons laisser au savant auteur que nous traduisons la responsahil ité de
» son jugement; nous ne confondons pas le i\ou\e fictif et de pure me-
» fhode avec le doute le'el d'Hermès; mais nous i-appcllerons que les
)> om'i^ages philosophiques de Descartes ont été mis deux fois a V index,
)) en i665 et en 179.2, et qu'ils figurent encore dans l'é'lilion de \ index
>) publiée à Rome en i8-28. N'est ce pas parce que le doute cartésien n'a
» pas semblé à tous les théologiens aussi innocent que celui de saint
» Thomas ? »
(i\o/e du rédacteur. .
286 DE LA MÉTHOOF IIRRMÉSIENNE.
Mais en voilà assez sur Descartes. — Il faut parler bien diffé-
remment de ces penseurs , de ces rêveurs qui , se targuant de la
gravité et de la dignité philosophiques , et se faisant à eux-
mêmes une idole de leur propre raison , se sont disposés, dans
des tems plus rapprochés de nous , à tout reconstruire à leur
guise : science, morale, société, Dieu et religion. Ils ont dès-lors
jeté le mépris et la dérision sur toute la sagesse de l'antiquité, et
même de l'aniifiuité chrétienne, et prenant une position plus ou
moins hostile vis-à-vis du Christianisme , ils en ont assujéti les
doctrines à leurs propres théories. De cet esprit, non point phi-
losophique, mais exclusif, étroit, de cet esprit de subversion et
d'orgueil sont sorties ces philosophies scnsunlistes , matérialistes ^
idéalistes^ critiques, transcendantalesy sceptiques, panthéistiques,
qui ont développé et développent encore un mal dévorant au sein
de la société chrétienne et civile. Il n'entre pas dans mon plan de
toucher cette matière; mais comme j'ai à parler directement d'un
système philosophique allemand, au moins faut-il dire un mot
des spéculations qui l'ont précédé en Allemagne, et lui ont plus
prochainement donné occasion.
On sait comment le scepticisme, dont Hume se constitua le re-
présentant en Angleterre, engendra en Allemagne le crilicisme de
Kant, lequel à son tour a donné lieu au développement du sys-
tème deFichte, puis à celui de Hegel, de Schelling, de Bouter-
weck et autres.
Le philosophe de Kœnisberg, recherchant les élémens tle la
connaissance humaine, reconnut deux élémens de cette connais-
sance, ou plutôt de l'expérience qui la produit, le sujet et Y objet ;
mais de telle sorte que le sujet, recevant les impressions dé l'ob-
jet, les modifie selon les formes nécessaires subsistantes en lui à
priori D'où il suit que l'esprit ne peut en aucune façon connaître
l'objet tel cju'il est réeilciuent, mais seulement le phénomène ou
l'apparence'de l'objet; car les objets ne sont perçus que par les
formes subjecti\''es que nous leur imposons ; or^ ces formes mon-
trent simplement comment nous concevons les objets, et non
comment ils sont réellement. Les choses en soi, que Kant appelle
noumines ou êtres de raison, rious demeurent donc entièrement
'de la. méthode HEUMKSIENNE. 287
inconnues ; car Texpérience des sens ne nous donne que des phé^
nomènes , c'est-à-dire des apparences , et l'intelligence ne nous
donne qu'un ordre purement idéal. Par conséquent, l'àme et
Dieu, qui ne peuvent être connus par l'expérience des sens, se
trouvent au rang des purs concepts de raison, ou Jioumènes, dont
nous ne pouvons nullement savoir s'ils existent véritabletnent et
substantiellement, si même ils sont possibles. Kant les élimina
donc de la science, qu'il restreignit à sa somatologie ou science
des corps. Mais à quoi se réduisait, après tout, cette science phé-
noménale des corps, à s'en tenir aux principes de Kant? Il est fa-
cile de le voir quand on se rappelle que Kant a placé le tems et
Vespace parmi les formes subjectives, et que le principe même de
causalité est pour lui une catégorie purement subjective. D'où il
résultait que les causes de ces phénomènes, c'est à-dire les corps,
causes de nos sensatiotis, étaient aussi complètement subjsctwes ,
et, conséquemment, qu'il n'était nullement prouvé qu'elles ont
une existence hors de nous '. Ainsi, quelles qu'aient été les véri-
tables intentions de Rant, « il nous plonge dans l'idéalisme le
» plus universel, dans l'illusion subjective la pius profonde. Il
» nous emprisonne dans une sphère de songes telle qu'il ne nous
>» est plus permis de la franchir pour arriver à aucune réalité.
» C'est au point qu'il ne fait pas seulement l'homme incertain
>' de ce qu'il sait; il le déclare absolumeiit incapable d« rien sa-
>» voir... C'est alors le scepticisme perfectionné, consomme'; le
» scepticisme qui, sous ce nouveau nom de criticisme ^ anéantit
« l'humanité même,laquellen existe que parce qu'elle connaît^.»
Néanmoin.«, tout en ôtant à la raison thtorétique^ toute possibi-
lité de connaître l'existence de Dieu, la spiritualité et l'iiumorta-
lité de l'àme, la vie à venir, en un mot, toutes les vérités méta-
physiques , Kant les admettait d'ailleurs , en vertu de la raison
pratique, comme postulats, elles tenait pour certaines , à cause des
* Celte observation a été faite par d'autres, et même par Btihle, his-
torien allemand delà philosophie, comme le prouve l'iliustie Galluppi
dans sa réfutation de Kant.
" Piosmini, Nuovo m^s;io.
288 DK L\ MÉTHODE HERMlîSfEN NE.
besoins pratiques, c'est-à-dire parce que, dans la pratique de la
vie, on ne peut s*en passer. La partie historique du Cliristia-
nisnie , ou de la révélation, se trouve placé au ranjj des phéno-
mènes : son contenu entre naturellement, d'après la théorie kan-
tienne, dans la classe des nuitmèjies , c'est-à-dire des choses qu*il
est totalement impossible de connaître.
IMais il était facile de prévoir que tous les esprits ne s'accom-
moderaient pas de ces postulats postiches de Kanl; une fois l'im-
pulsion donnée, il n'était plus possible de s'arrêter sur ce pen-
chant rapide. Un esprit hardi, Fichte, parut, et se présenta pour
tirer toutes les conséquences du S3'Stème de son niaîH'e, et pour
lui donner ainsi son parfait développement. Le moi phénoménal
de Kant devint, dans la doctrine de Fichte, le moi absolu, bois
duquel il n'y a aucune réalité, même phénoménique ou appa-
rente. En vertu de sa propre activité, le mm se pose lui-même,
ce qui revient à dire qu'il se crée ; puis, par cette même activité ,
en se repliant par un acte identique sur lui-même, il trouve une
limite, un Tioniiwi ^ar lequel il a conscience de lui : mais ce 720/1-
moi n'existe pas avant le moij ni indépendamment du moi. C'est
l'activité même du 77iot qui le pose et le crée, pour ainsi due ; de
sorte que Texistence de toutes les choses concevables dérive de
l'activité primitive du mol : or, parmi ces choses, il faut ranger
Dieu même , Dieu qui appartient au non-moi. De là cet acle de
délire de Fichte, qui promit un jour à ses auditeurs « que, pour fd
» prochaine leçon, il serait prêta créer Dieu » : dernière expres-
sion, conme on l'a dit avec tant de justesse, dernière expression
de l'orgueil d'une créature inlelligenle, formule la plus abrégée de
la malice de Vange j'éprouve, si la légèreté de l'âge et rirréflexion
du jeune homme qui l'a proférée ne méritaient pas plus de j)itié
que d'indignation. — Or, dans cet égoïsme métaphysique de
Fichte, que devenaient les rapports réels de l'homme avec Dieu?
qu'étaient la réalité it robjectivité du Christianisme? — 11 est
inutile de le faire remar(juei .
En combinant d'une façon bizarre l'objeclivité />//c«077i<?Vi//77/a
de Kant, l'idéalisme absolu de Fichte , et le réalisme absolu de
Schelling, son maître, Hegel a produit son nouveau système.
DE L\ MKTIlODt IlEUM KSitAiNE. *260
dont le point de départ est l'/V/fe. Celte objcctiviéqui, j.our Kant,
ciaïl phcnoinénùj lie f pour Fichte une limite du /wo/ iiicoiui«ie ,
Hegel Ta placée dans l'idée niènie, où l'esprit la contemple comme
un être distinct de lui; ainsi, la pensée est l'exislence, et l'exis-
tence est la pensée : Vidée^ qui au principe n'est qu'une essence
logique, se transforme en réalité au moyen de ses uiomens ou de
ses moui'cmens, et produit la nature universelle , l'esprit et Dieu.
L'esprit humain, en tant qu'il pense, est donc pour Hegel la léa-
lité spirituelle absolue : or, comme le Christianisme, faisant par-
tie de Vidée; est contenu et compris, lui aussi, dans le sujet pen-
sant , il en résulte qu'il n'est autre chose qu'un développement
naturel, un moment , un mouvement de cette idée dans la pensée.
Bref, le sujet pensant tire de sou propre fonds le Christianisme,
sans avoir besoin d'une révélation extérieure ; et quand le philo-
sophe a atteint la hauteur et la plénitude de la science, il possède
dans son idée le verbe, le logos dans sa réalité et sa présence abso-
lues; mais comme tous ne sont pas philosophes, ni capables de
s'élever si haut, pour condescendre à l'ignorance des esprits vul-
gaires, on veut bien leur laisser le Christianisme historique et la
révélation extérieure.
Nous ne dirons rien des systèmes qui se sentent plus ou moins
de panthéisme;, comme ceux de Schelling, de Boulerweck , de
Krug et autres. Les détails que nous avons donnés sur les trois
systèmes qui viennent d'être indiqués nous sufifisent. Il en résulte
évidemment que leurs auteurs ont voulu , chacun à sa manière ,
construire le monde et Dieu à priori avec de ])ures conceptions
de raison: Kant avec ses formes subjectives nécessaires, Fichte
avec l'activité du moi , Hegel avec les mouvemens de Vidée. Mais,
à part quelques avantages indirects et accidentels que leurs spé-
culations ont pu fournir à la science, il est certain qu'en général
ils ne nous ont donné que des théories vaines et absurdes, et qui
pis est, irréligieuses et impies. Mais si elles ont trouvé tant de par-
tisans et d'admirateurs en Allemagne, elles ont été victorieuse-
ment combattues et réfutées par nos grands phdosophes italiens ,
Baldinotti, Galluppi, Rosmini, et, plus récemment encore , par
le professeur Bonelli. \ car (et celte remarque n'est malheureu-
2*J0 DK lA 31ETHODK IIEIIMÉSIKNM:.
senient que trop vrai I ) les Italiens sont aussi bien au courant des
ouvrages scientifiques étrangers, et spécialement de France et
d'Allemagne, que les Allemands connaissent peu les grands tra-
vaux des Italiens : c'est un reproche adressé justement à l'alle-
mand Bûhle par son traducteur italien Lancetti. Tandis, en effet,
que Bùhle écrit une longue histoire de la philosophie moderne
en douze gros volumes, où il suit minutieusement et pas à pas
ks philosophes d'Allemagne, de France et d'Angleterre, il ne dit
pas un mat de ces profonds penseurs d'Italie qui, par des obser-
vations originales, ont peut-être donné naissance aux systèmes
philosophiques d'un autre siècle et d'un autre pays où leurs tra-
vaux ont été seulement publiés sous une forme plus méthodique,
et avec une terminologie plus pompeuse. On ne trouve dans cette
histoire aucun trait qui ait rapport aux découvertes physiques de
Redi, de Bellini, de Spallanzani ; de la métaphysique et de l'é-
thique de Siellini , et tant d'autres travaux très remarquables
exécutés en Iialie pendant le siècle dernier ' : et (sans parler des
autres) plût au ciel que les œuvres philosophiques du cardinal
Hyacinthe Gerdil , véritable et parfait modèle du philosophe
chrétien, eussent pénétré en Allemagne, et qu'une traduction les
eût rendues familières aux bons Allemands I ils y auraient appris,
sans se perdre en de sophistiques et dangereuses abstractions , ce
que c'est qu'une bonne et sage philosophie; et si, au lieu de se
plonger et de s'égarer dans les philosophies de Kant, deFichte et
des autres, Georges Hermès eût daigné lire et méditer la brillante
Introduction à V étude de la Religion , de Gerdil , tout incomplète
qu'elle est, elle lui aurait, je pense, donné l'idée de la manière
dont il fallait écrire une introduction philosophique à la révélation
et à la théologie.
Nous voici donc enfin à Hermès. — Afin qu'on ne croie pas
que ce qui a été dit jusqu'ici ait été jeté au hasard, sans ordre et
sans but, je rassemblerai ici les motifs qui m'ont porté à ce tra-
' Les suppiémens nombreux ajoutés réceroment par le professeur
Poli ^n Manuel de philosophie de Tenncraann, confirment puissamment
mon assertion.
DE LA MiiTUODE UfcHMÉSIElNiNE. 201
vail. J'ai voulu, 1^' montrer l'origine de la philosophie bermé-
sienne et en faciliter l'intelligence; 2" établir quelques principes
fondamentaux propres à la combattre ; 3^' faire connaître que l'I-
talie a eu et a encore de véritables philosophes qui ont pénétre à
fond tous les replis des différens systèmes philosophiques de l'Al-
lemagne, et ont bien su les réfuter dans des ouvrages fort remar-
quables ; 4"^ convaincre que l'on cultiva toujours, que l'on cultive
encore en Italie une saine philosophie qui pénètre jusqu'au
fond des choses sans aucune tendance à de coupables erreurs ;
5° ôter aux partisans d'Hermès le prétexte par lequel ils vou-
draient justifier le doute sérieux , positif et universel , base de
sa philosophie, par l'autorité et l'exemple de Descartes et de sou
école ; 6" enfin, démontrer que si nous nous élevons avec tant de
force contre Hermès et ses doctrines, ce n'est pas parce qu'il a fait
usage de sa raison dans des choses purement philosophiques et
rationnelles , ni parce qu'il a écrit une Introduction philoso-
phique au Christianisme et à la théologie , mais parce qu'il a ma-
nifestement abusé de la raison,, et qu'il en a abusé d'une façon
étrange; car il y a abus de la raison dans le doute positif, théo-
rétiquey illimité, qui se présente dès les premières pages de sa phi-
losophie, c'est-à-dire d'une philosophie spécialement consacrée
à démontrer les fondemens et la vérité de la religion chrétienne ,
comme re'vélëe de Dieu ; — il y a abus de la raison dans Talter-
native où il vous met de choisir entre un scepticisme positif et un
dogmatisme mal fondé ; — il y a abus de la raison à rejeter tout
à la fois non pas seulement les philosophes chrétiens , mais les
Pères et les docteurs de l'Eglise , mais ses apologistes et ses théo-
logiens les plus illustres, comme si pas un seul d'entre eux n'eut
su ce que c'est que démontrer l'existencfi de Dieu et la vérité du
Christianisme ; — il y a abus de la raison à faire reposer toute la
vérité du Christianisme sur une démonstration que Fou déclare
ne pouvoir convaincre théoréliquement l'intellect et la raison ,
mais que l'on doit accepter par l'ordre et pour les besoins de la
raison pratique ; — enfin, pour passer le reste sous sUenciCy il y a
abus de la raison à poser le doute positif, sérieux, et théorétique
pour fondement de la science théologique elle-même, à établir
292 DE L\ MÉTHODE HERM ÉSlEMiM- .
qu'une déuionslration rationnelle menée par tons Us sentiers ilu
doute doit être la condition sine qud non tle la foi ielip,ieuse, et à
faire de la raison le ciiléiiuni suprême des vérités révélées.
§it.
Il faut avouer que nous avons un charmant essai de cctle mé-
thode dans les premières pages de la Préface à Vinlroduclion phi^
losophique, que nous entreprenons d'examiner. C'est là qu'Her-
mès nous raconte ingénuement l'histoire de ce travail et l'origine
de sa philosophie; il nous apprend qu'après bien des années de
recherches il restai fermement convaincu que les dogmes les plus
connus de la théologie étaient encore recouveris d'un voile : "leur
» véritable sens restait enveloppé dans l'obscurité et sujet à de
» fausses interprétations : aussi chacun d'eux n'était point con-
» sidéré comme partie intégrante d'un système complet ; ce sys-
î) tème n'était point établi par la voie de la recherche (entendue
» dans un sens contraire à la méthode synthétique ordinaire); et
» Von ne faisait point passer par tous les circuits (Irrgange) du
» DOUTE ^ ». Alors s'élevèrent confusément dans sou esprit
quantité de doutes sur Dieu , sur la révélation et sur la vie à
venir; puis, excité par sa conscience ou par une certaine im~
pulsion intérieure irrésistible, de quelque nom quon veuille l'appe-
ler, il dut en venir, après délibération^ au doute fondamental
(Grundzweifcl) « si réellement il y a un Dieu- »•. Ce fut inutile-
ment qu'il chercha dans tous les livres de théologie la solution
de doutes aussi graves. Attristé, mais ne désespérant pas, il se re-
plia sur lui-même et s'abaudonna tout entier à li méditation,
(( avec la résolution de ne point admettre comme connu ce qu'il
» savait déjà qu'en tan» qu'il le retrouverait par lui-mcme» ,el/qui
plus est, « de n'arJiiiCltre comme trouvé que ce qu'il ne pouvait
>' pas nier ^ Il ne savait donc plus rien d'une façon complète, et
• r. IV.
» P V.
' P. VI,
DK LA INJÉTHODE HERxMÉSIElN?fE. 203
>» même ce qu'il savait, il ne voulait pas le savoir, en sorte qu'il ne
» lui resta plus qu'à chercher. » De question en question, il
aborJa les premiers objets de la métaphj'sique , et comprit que
c'était par elle qu'il fallait commencer. Après avoir consulté sans
fruit la métaphysique ancienne , « dans laquelle il vit, avec toute
» certitude que la démonstration de l'existence de Dieu était
y) nulle de sa nature, " il interrogea la philosophie nouvelle, et
depuis Kant , son fondateur, il passa en revue tous les s^'stcmes
modernes. « Là, il apprit beaucoup de choses auxquelles il n'a-
» vait jamais songé ; » mais, quant à ses doutes, il fut persuada
qu'il u'y trouverait point de réponse ci, à force d'étudier ces sys-
tèmes, il ne se rendait capable de philosopher par lui-même. Il
philosopha donc par lui-même, résolu de ne rien admettre comme
réel ou vrai tant quil pouvait douter ', Le fruit de ses spéculations
métaphysiques, qu'il n'interrompit jamais pendant vingt-trois ans,
a été Vlntrodaction philosophique. « De la même majiicte, il a dé-
» montré le Christianisme comme révélation divine, et le Catho-
» licisme comme le vrai Christianisme, sous le titre d'Introduc-
» tion positive. Sur ce fondement ^ enfin, il a construit la DOG-
» MATIQUE chrétienne-catholique elle-même,* et comme la
» philosophie y a une application immédiate, il l'a (celte dog-
» nidinque) façonnée {heDiiheiiei) absolumeiit de la même manière.
» Dans tous ces travaux^ il a accompli avec scrupule la résolu-
» lion qu'il avait prise de douter sur tout, autant qu'il a pu, et de
» ne se déterminer définitivement qu'autant que cette détermina-
» lion était, pour la raison^ d'une nécessité absolue et démon-
» Irée' ». Il avoue donc qu'il a dû « se pratiquer une voie à l'aide
»> (\gs nombreux circuits (Irrgange) du DOUTE ; » mais cela sem-
blera lems perdu à celui qui ne s'est point trouvé dans le cas du
doute sérieux (ernstlichen Zweifel) : c'est pourquoi il prie celui-là
de ne point lire soti livre. Quant à lui, s'il n'avait pas agi de la sorte,
tout ce qu'il cherchait auraitpUj avec une égale facililéj être accepté
ou rejeté. Il a profondément senti « qu'il n'y a pour Thonime au-
• P. vu, VIH.
'P.x.
Ul« SÉRIE. TOME VI. — N' 34. 1842- 19
^*J4 DU LA MliUlUDJ. ilLUMÉSli:iN.\E.
»> tuii ejiiéiiiim en dehors de la nécessité^ el il i»'a pu ni voulu
T» se tioniper de }}i>îié Ce cœur > . « Ainsi donc (se dit-il), — i^iace
> à mon JHeu que f ai relroiué ! — je suis arrivé à la couviclion
«•queje cherchais, après laquelle je soupirais avec ardeur : Je
» suis devenu certain quilj a un Dieu,, que je serai^ que je vivrai
»• éternellement : je suis devenu certain que le Christianisme est
>» une rcvélalion divine^ et que le calholicisuie est le vrai Christia-
» oisine '... Mais tout en enseignant, tout en dcfentîant ma foi, je
» ne manquerai jamais à Testime due aux autres confessions.
» Quand un homme a lut lé sans relâche pendant plus de vingt
» ans pour acquérir une persuasion, et pour l'établir solidement
«devant le TRIBUNAL DE LA RAISON; quand il a pénétré
» tant de détours si trompeurs, il dépouille toute espèce d'into-
« lérance et devient patient à l'égard de tous *.« Hermès dédie ses
e'crits à ceux en qui un esprit pareil au sien a engendré un besoin
semblable (de doute sérieux), mais spécialement à ceux quiojit été
SCS disciples, « J'espère , dit-il, avoir éveillé en eux un besoin
)i semblable au mien , si toutefois ils ne le portaient pas déjà
» en eux-mêmes.. . Il ne faut pas croire que ce soit une triste
» chose d'éveiller des besoins, ou, pour donner à ce mot son vrai
M sens, des DOUTES là où il n'y en a pas. Cela est- nécessaire
» pour celui qui doit instruire de la religion. Il doit savoir qu'il
» ne sait pas, pour chercher avec un zèle industrieux la science
» qu'il n'a pas: il doit aller errant dans le labyrinthe du. doute, en
» suivre toutes les ramifications, afin de pouvoir accompagner cc-
>» lui qui doute dans tous ses éfjaremens, etc., etc., etc. -^'>
J'aime à croire que ces citations sont plus que suffisantes pour
faire coniiaîire de quelle nature est le doute d'Hermès, le guide
fidèle de ses recherches et la base de ses doctrines. Qu'il vienne,
après cela nous dire que ce doute sérieux , illimité, n'est pas con-
traire, mais convient à l'humilité de la foi ^. Certes^ rester vingt
^ P. XIII, XIV,
3 P. XV.
* P. XVII. — tcuulous laiionnci Heiinci' : - il Ci>l fttux qu'eiilic la foi
DE LA METHODE Hli:iîMESiEi>iNE. 21)5
ans 1 1 plus avaiit de retroin'er son Dieu, ce qui revient à dire ne
rien savoir sur Dieu, ne point croire en Dieu pendunl vingt ans
et plus; — lutter pendant si longteuis pour établir sa foi d^^-nnl
la tribunal rie la raison (et cela dins un prêtre catholique, pro-
fessant publiquement la théologie)^ — se proposer soi-inéiiie
connue exemple et comme règle de la marche que doivent sui-
vre les jeunes élèves du sanctuaire ; — enseigner que la théologie,
humble et la démonstration (jui cherche en tout des doutes ( zweifel-
siichtig) il y ait opposition An contraire, cette démonstration zwei-
felsiichtig est la racine et la condition de la foi pieuse Vous direz
peut-être qu'il faut croire tout ce qui nous est proposé de quelque ma-
nière que ce soit? Mais si quelqu'un le faisait, sa foi pourrait-elle s'ap-
peler pieuse ? Le discernement des objets de la foi, et dès loï'S 1 examen
de ce qui nous est proposé, est une condition nécessaire pour rendre
possible la foi pieuse. Et comment pourrez- vous souscrire à une diose
proposée et non à une autre, et admettre dès lors un objet et en rejeter
un autre sans justifier votre choix par voie, de démonstration rigoureuse^.
Non, rimmilité de la foi ne consiste pas à croire ayz/w démonstration
préalable, elle consiste à admettre ce qui ne se voit pas d'une manière
sensil)le, simplement parce que la raison exige cette admission : la raison
l'exige, c est ce que preuve la démonstration adoptée. »
Le défenseur d'Hermès, qui elle ce passage, avoue que beaucoup en
Allemagne en ont été scandalisés et que le mot zn'^i/elsuchlig sonne fort
mal à kurs oreilles, parce qu'il vient de zweifelsucht, dubitandi libido »
qui correspond au mot scepticisme. Mais il voudrait qu'on l'interprétât
dans un meilleur sens, c'est-à-dire qu'on le traduisit par démonstration
scrupuleuse. Mais outre que la force du mot primitif se prête mal à
cette interprétation, quiconque réfléchira sur le fait personnel d'Her-
mès, et sur son ardeur à inculquer le doute, et le doute sérieux et uni-
versel^ verra bien de quelle nature est, dans le sens d'Hermès, cette dt-
licatesse outrée de conscience^ et quelle en est la tendance. On doit
remar(iuer aussi (|u'd s'agit ici d^ chacun des objets à^i k loi et que
l'examen dubilatil et la démouitratioa rationnelle sont poiCb pour apii'
dition sine qud non de lu foi pieuse!!
296 DE L\ MÉTHODE HERMÉSIENNE.
pour être science, doit passer par tous les circinls du doute sérieux,
et qu*uu théologien doit se former dans le labyrinthe du doute;
qui ne voit en tout ceci, qui ne voit le rationabile obseguium de
l'Apôtre, Vohsequium qui convient si bien à l'humililé de la Foi II
— Qu'il en appelle, après cela ', à l'autorité et à Texeinple des
scolastiques , non seulement et spécialement de S. Thomas et de
Scot ♦ mais aussi des anciens Pères et Docteurs , afin de montrer
qu'ils alliaient dignement la philosophie à la théologie. Et en
effet, qui est assez aveugle pour ne pas voir que la méthode des
Pères est précisément celle d'Hermès; que le doute sérieux, ha-
bituel et de vin^t ans qu'eut Hermès avant de savoir s'' il y avait
un Dieu^ n'est rien autre chose que celui de S. Thomas qui com-
mence sa thèse sur l'existence de Dieu par le videtur quod Dens
non sit ' ? — Et c'est Hermès qui f iit cet appel aux Pères et aux
scolastiques, Hermès qui , en mille endroits, nous donne à en-
tendre clairement et sans détours que ni eux ni personne ne su-
rent jamais démontrer l'existence de Dieu ni la vérité de la Re-
ligion chrétienne î C'était une grâce que le ciel tenait réservée
pour lui, inventeur fortuné d'une faculté nouvelle dans l'intel-
ligence humaine, \a faculté ^e/b/ic/er(zubegrùnden), faculté qui,
comme une baguette magique, doit transformer le Dieu noumé-
nique, le moi et le monde phênoméniques de Kant en êtres véri-
tables et réel». — Qu'il vienne, après cela, nous assurer^ q^u'il y
a , il le sait bien , un usage modéré et un abus de la raison ; que
dans l'introduction à la théologie cet usage doit être illimité,
mais qu'après être entré dans la Dogmatique , on se gardera bien
d'outrepasser les limites marquées. On sait comment il a tenu pa-
role. Mais considérons cet usage illimité de la raison herniésienne
qui doit nous servir de pédagogue et nous introduire dans le do-
' Et précisément le défenseur d'Hermès aime à trouver dans ses ^icla.
hermesiana une parfaite ressemblance entre le doute d Hermès et celui
de saint Thomas sur l'existence de Dieu ! ! î
• P. XXIII.
' P. ^X
DE LA. MÉTHODF HERMÉSIENNF. 297
maine de la Dogmatique. Entrons donc avec une pie'lé respec-
tueuse dans le temple de la Piiilosopliie hermésienne ; « Procul
hinc: procul estote profanil >»
11 ne s'a^jit de rien moins que de savoir s'il y a réalité de con*
naissance , s'il y a fondement de certitude pour l'homme, s'il y a
une véritable relation entre le sujet pensant et l'objet ; si nous
existons, et si nous savons exister ; s'il existe ou non quelque
chose hors de nous. Toutes ces choses , en effet, sont comprises
dans la première des trois [^randcs questions qui forment Tobjet
de l'Introduction philosophique d'Hermès. Cette question est
proposée en ces termes : » Ya-t-il |)Our l'homme une délermina-
>» tion sur la Vérité qui soit une détermination bien sûre (Sicher),
« et par quelle voie nous ariive-t-elle ' ? »
Le P. PF.RRONE.
Traduit des AnnaH de Mgr de Luca, par l'abbé H
298
TRADITIONS PRIMITIVES
...ivîi*i.;:/^L\,. -^u</;^u^Ld ;tJ
îraî> itios primitiufs.
VESTIGES
DES TRADITIONS PRIMITIVES
conservi'es chez les latins.
^^eitxtcmc (trfîcie \
Explication de I'eglogue a pollion de Virgile.
(xiande année étru«;qiie. — Son origine orientale, — Pieuvcs. — Uni-
versalité de la tradition sur le péché originel et sur la nécessité de
recouvrer l'innocence primitive. — Son introduction dans le système
philosophique. — Sources où Virgile a puisé ce qu'il en dit dans
cette Eglogue et dans le 6* livre de \ Enéide. — Souvenir de l'âge
d'or. — Origine de cette tradition. — Impossibilité d'appliquer même
aux empereurs les titres que le poète accorde à l'enfant qui doit ra-
mener cet âge de bonheur et d'innocence. — Analogie frappante des
images Doétiques employées par Virgile et par Isaïe. — Virgile a-t-il
connu les tîYfes saints? — Késumé.
A la iraciilion qui rappelait la promesse d'un divin restaura-
teur de riiumanité, Virgile en ajoute une autre qui annonce une
jïrande série de siècles qui va commencer, grande période, /çiandc
année, grands mois :
Magnus ab intègre sœclorum nascitur ordo,
Etincipient raagni procedere menses.
(v. 5, it.)
• Voir le î«r art. au numéro précédent, ci-dessus, p. "/oS.
CHEZ LES LATINS. 299
De toutes les nations policées qui ont reçu une cosmogonie de
leurs ancêtres, de tous les philosophes grecs qui ont disserté sur
l'origine ei sur la durée du monde, il n*en est pas un qui n'ait
assigné de grandes périodes à l'état de choses que nous voyons.
Frappés des maux et des désordres qui obscurcissent la belle œuvre
de la nature, qui la souillent, la corrompent et la font vieillir cha-
que jour, pour ainsi dire, ils attendaient, après que C( s afflictions
seraient passées, le couunencement d'une période d'années , pé-
riode de bonheur, pendant laquelle l'espèce humaine s'élèverait
à une félicité plus parfaite, et jusqu'alors inconnue. Cette doctrine
était répandue en Egypte ; on l'enseigne dans les premiers chants
d'Orphée ; elle fut géne'rale ihez les Perses, et, dans les livres in-
diens récemment découverts et étudiés, elle s'y retrouve encore.
Les trois plus fameuses écoles de l'ancienne philosophie , les Py-
thagoriciens, les Platoniciens, les Stoïciens^ la transportèrent des
traditions orientales dans leurs systèmes et dans leurs spécula
lions ; l'astronomie la soumit à ses calculs, et la chercha parmi
les constellations et les planètes; la liturgie la renferma dans ses
rites; la législation la représenta dans les fêtes; les arts chargè-
rent les obélisques de ra])prendre aux générations à venir ; la
poésie l'embellit de ses plus gracieuses fictions ' : mais ce fut spé-
cialement dans les doctrines étrusques, qu'il développe avec tant
de pompe dans le 6^ livre de son Enéide^ que Virgile puisa cette
idée.
Les Etrusques prétendaient qu'un certain nombre de siècles
avait été assigné aux hommes et aux choses humaines ; que toute
la vie du monde pouvait se diviser et se renfermer en huit gran-
des périodes; que le passage de l'une à l'autre de ces grandes ré-
volutions périodiques devait être annoncé par des apparitions
particulières, et par des signes dans le ciel ou sur la terre ; qu'une
de ces huit périodes merveilleuses était échue en partage à l'em-
pire étrusque, dont elle devait mesurer l'existence et la gloire ;
^ V. Bruker, Creuzer, Lipsius, Cudwortb, Dupuis, Boulanger, Bailly,
Goguet, Delanibre, Montucla, passim.
300 TRADITIONS PRIMITIVI S
que celle période embrasserait dix âges d'un nombre d'années
inrgal; que le dixième âge avait commencé pendant qu'on célé-
biait les jeux si fameux donnés par César édile au peuple ro-
main; enfin, qu'après 119 ans, durée qu'ils attribuaient à ce
dixième âge, l'accomplissemeat de la révolution périodique serait
le signal du renouvellement de toutes choses , et le commence-
ment d'une nouvelle période plus tranquille et plus heureuse '.
Celte opinion était si générale à Rome et dans l'Iialie que Plu-
larque rapporte, dans li Fie de S j lia ^ que, comme on s'occupait
de toutes parts d'un prodige, du sou lugubre et plaintif d'une
trompette qui avait, disait-on, retenti au milieu des airs dans un
ciel serein, les prêtres élrusques en avaient sur-le-champ fait
l'application à la grande année, dont le terme allait bientôt s'ac-
complir. De même, Censoriuus écrivait que, dans les rituels
élrusques, il avait trouve l'exposé des merveilles qui avaient in-
diqué, ou devaient indiquer la succession des différens âges; en-
fin, Volcatius, aruspice toscan, voyait déjà le signal du neuvième
âge dans la comète qui apparut après la mort de César, arrivée
l'an 711 de Rome^ trois années à peine avant la composition de
cette églogue^
Si parmi les différens calculs que les plus fameux écrivains
qui se sont occupés des peuples de TElrurie ont hasardés sur leur
grande année, nous voulions nous en tenir à celui du savant Ca-
iiovai, qui en a fait une étude particulière après Bruker, Fréret ,
l-,ampredi , celle année serait tombée l'an de J.-C. 72, date que
Baronius assigne au siège de Jérusalem, qu'on peut appeler la fin
de l'ancienne loi. Les autres opinions sont à peu près conformes
à celle-ci : celle qui s'en écarte le plus s'arrête à l'an 37 de Jé-
' Y. Bruker, t. i, p. 334; _ Micali , V Iialia avanti il dominio de'
Rom., t. II, p. 9.i'>, édition de Silvestri ;— Creuzer, Heligiom de Van-
liqmie, t. ii, liv., 5, c. 2 ; — • ^ieMiur, Histoire romaine, I. I; — Cano-
vai, dans le S*" vol. des Memorie di Cortona, p. 190, etc., etc.
^ Voy. la noie de Ilej'iie au vers 47 de VEii^los^ne iv, et la Fie de
Firgile, par le même, nnnce 711.
CHEZ LÏS LATINS. 301
SUS Clirlst, point qui coïncide presque exactement avec la mort
de l'iiomme-Dieu. Mais il serait absurde de vouloir dans tous ces
calculs un résultat scrupuleusement identique ; certes, c'est assez,
quand il s'agit d'une tradition si antique, d'élémens si incertains
et si opposés, de pouvoir trouver un accord et un rapprochement
d'époque et non d'année. Mais il est des auteurs qui s'éloignent
bien davantage du sentiment de l'illuslre savant que nous avons
cité : ce sont ceux qui , justement repris par Vossms, ont voulu
trouver la grande année prédite par Virgile dans le saros babylo-
nien, ou dans la grande ère alexandrine, ou dans quelque autre
période astronomique de ce genre , qu'on apprenait tout au plus
dans les écoles, et qu'on retrouvait dans la marche des constella-
tions ; mais qui n*élaient pas répandues parmi le peuple , et n'é-
taient pas connues dans la tradition.
Après tout, quelque période que l'on choisisse, ce serait en vain
qu*oa essaierait de l'appliquer au teins dont parle Virgile, et à
l'époque où il écrivait : il n'en est pas une qui n'en soit éloignée
par des siècles'. Si l'on voulait assigner une autre origine à l'idée
(jui inspira Virgile, il serait plus naturel de la chercher dans deux
sysièmes philosophiques, dans celui des Sioiciens et dans celui
des Plaloniciens,[qui avaient tant de vogue à Rome de sontems,
et à chacun desquels le poète s'arrêta tour à tour : en effet, la
grande année platonique, et le renouvellement périodique de
toutes choses enseigné par les stoïciens, sont céhbres dans toute
l'antiquité, et ces deux sectes avouaient que ces opinions étaient
empruntées aux traditions orientales. Cependant, la merveilleuse
coïncidence des années, d'une part , de l'autre, les disproportions
énornus qui existent entre la grande année stoïcienne et la
grande année étrusque, me font croire (car je veux m'attacher au
plus sùi) que Virgile a j)lus particulièrement travaillé sur la tra-
dition étrusque, qui reproduisait plus purement l'antique tradi-
' Voy. Vossius, de OracuUs Sjbillis, cap. 4; — Heyne, loco cit. ; —
Di:L\vi\\n'Ci Histoire de l'Astronomie ;^Cnno\'a\, loço c/V. ; — Fréret,
Lampredi. etc.
302 TRADITIONS PRIMITIVES
lion orientale, quoiqu'il se soit, sans doute, appuyé aussi sur les
doctrines stoïciennes et platoniciennes qu'il avait si longlenis cl si
profondément niédilées^ Cette tradition marchait de front clitz
les Etrusques avec celle de la formation du monde, qu'ils préten-
daient avoir été créé par le Démimge dans l'espace de 6,000 ans,
en assignant pour un millier d'années une des œuvres de la créa-
tion à peu près dans l'ordre qui nous est indiqué dans la Genèse.
Or, il est impossible, en voyant cette analogie toute particulière,
de n'être pas convaincu que les Étrusques ont puisé à la même
source, et la tradition relative à la formation du monde, et la tra-
dition qui annonçait un renouvellement universel qu'ils atten-
ilaieut à la même époque, avec les mêmes signes, les mêmes pro-
diges avant-coureurs, avec les mêmes espérances que les Hébreux,
qui tenaient tous ces détails de la révélation, et les avaient trans-
mis et répandus parmi les nations orientales.
Sans parler de l'avantage que je pourrais tirer de la confor-
mité merveilleuse que iMaffei, Passeri , Canovai , et autres sa-
vans, ont trouvée entre les doctrines hébraïques et les doctrines
étrusques, il est une remarque qui confirme singulièrement la
thèse que nous défendons : c'est que, dès les tems les plus reculés,
les Toscans eurent avec l'Orient des relations fréquentes et mul-
tipliées , résJiltat nécessaire non-seulement de l'établissement des
colonies que la Grèce et l'Asie-Mineure envoyèrent dans ce pays,
mais surtout de leur navigation si intrépide et si fameuse, puis-
que les Etrusques entretenaient toujours un commerce avec les
Phéniciens, avec lesCarihaginois, avec les Siciliens, avec lesGrecs,
et qu'ils acquirent Ui.c telle réputation dans cet art que leurs cor-
saires furent mélaniorphosés en dauphins par l'antique mytholo-
gie, et cjue leurs monnaies, leurs vases, leurs monumens de toute
espèce sont couverts de divinités marines, de tridens et d'ancres,
dont ils ont peut-être même été les inventeurs ^. C'est donc en
vain que, dans son travail sur les Antiquités étrusques % Heyne ^
' Voy. Lampredi et Canovai.
- Voir Micali, t. n, p. 147, et Lanzi, Niebhur, Heeren,etc.
T. viif des j4ctes de Gottingue.
CHEZ LES LATINS. 308
contesté l'autlien licite de leur cosmogonie telle qu'elle est décrite
par un auteur toscan cité par Suidas, et s'est elïorcé de n'y voir
qu'un tlïème astrologique d'une date très récente, et qu'il fallait
probablement attribuer à un helléniste chrétien; car ^ comme
f observe Creuicr dans son savant ouvrage sur les Religions de
r antiquité) la cosmogonie de l'auleur toscan est parfaitement
conforme à la tradition que Plularque nous rapporte sur les ré-
volutions périodiques ou sur la grande année étrusque, comme à
celle qui se trouve répandue dans tout l'Orient, et dont l'intro-
duction en Etrurie peut être expliquée historiquement par les
voyages maritimes des Toscans, et peut-être aussi par les écoles
pythagoriciennes si célèbres en Italie et qui professaient le même
dogme, qu'elles avaient également puisé dans les traditions de
rOiient '. Ainsi donc, en nous rappelant cette grande et nouvelle
année, cette restauration de toutes choses , ces grands mois qui
allaient recommencer, Virgile n'a eu en vue que l'attente d'un
nouvel âge, d'une restauration de la vie et de la condition des
hommes^ promesses qui avaient été faites dès l'origine du monde
aux premiers patriarches, et qui, répandues dans l'Orient, y fu-
rent revêtues de tant de formes, enveloppées de tant d'allégories^
mais ne perdirent jamais leur premier caractère, qui consistait à
annoncer que l'Esprit du Seigneur renouvellerait la face de Tu-
niverS; et ferait paraître cette terre nouvelle, si magnifiquement
décrite par le prophète Isaïe.
Il est uue autre idée, non moins brillante, que Yii^ile a éga-
lement empruntée à la philosophie i>toicienne et platonicienne
pour en orner le règne futur, dont il chante le bonheur et la
gloire : c'est cette éclatante pureté des âmes qui devaient être la-
vées de toute souillure, et rendues dignes tle leur antique et cé-
leste origine.
Te duce, si qua manent sceleris vestigia nostri
Inrita perpétua solveiit formidine terras. (v, i3 et 14.)
Le premier dogme, sur lequel repose tout le mystère de la ré-
* Voy. Creuzer, t. h, p. 4o5 et suiv.
304 TBADITIONS PRIMITIVES
ilemphon de riiumanité, est le fait primitif du péché originel, de
ralTaiblissemeiit de toutes les facultés morales de l'iiomnie, de la
souillure de la nation humaine, de la nécessité de la ramener à
sa première origine, de la purifier, de lui rendre ses communica-
tions avec Dieu. Dans les traditions les plus antiques de tous les
peuples de la terre, dans les systèmes des philosophes qui les ont
recueillies, co-ordonnées, embellies, il n'est pas de fait plus ré-
pandu, plus clairement exprimé que le besoin de recouvrer Tin-
nocence et la pureté primitive des âmes. Tous les anciens théo-
logiens et les poètes enseignaient, au rapport d'un pythagoricien
cité par Clément d'Alexandrie, que rdine était ensevelie dans le
corps comme dans un tombeau en punition de quelque faute
antérieure '. Pourquoi les anciens Égyptiens faisaient-ils passer
successivement d'un astre à l'autre les âmes des morts, afin que,
par ces migrations aériennes, elles se purifiassent des fautes dont
elles s'étaient souillées, avant de pouvoir remonter à la Divinité ?
pourquoi la vieille doctrine Orphique prescrivait-elle dans les
mystères les expiations secrètes et rigoureuses pour anticiper en
cette vie sur celles qui seraient indispensables après la mort ?
pourquoi tous ces rites expiatoires à la naissance d'un enfant,
que l'on purifiait, les uns avec de l'eau, les autres avec le feu, en
invoquant la Divinité, cérémonies qui, jadis en usage chez lesSa-
béens, les Egyptiens, les Perses, les Grecs* les Romains, ont été
retrouvées au -Mexique, au Thibet, dans l'Inde, et, nous pouvons
le dire, dans toute les contrées de l'Asie? De ces traditions recou-
vertes du langage tout mythique des premiers âges, les doctrines
du péché originel et de la nécessité de le réparer, d'en purifier les
hommes, passèrent dans les systèmes des philosophes grecs : et
voilà pourquoi, dans le Phèdre et dans le Timée^ Platon nous
' C'est Philolaus qui s'exprime en ces termes : «Les théologiens et les
M devins antiques attestent que lame a été jointe au corps pour expier
)) un crime, et qu'elle a été ensevelie dans le corps comme dans un tora«
). beau. » Dans les Siiomates, in-fol., Cologne, 1688, p. 4^? ; et p. 213
du tome v de la Traduction de» Pères, de M. de Genoude.
CHEZ LES LATliNS, 305
fait une description si pompeuse de l'orij^ine, des destinées futures
et des transmigrations des Ames, qu'on serait tenté de l'appeler
poétique, tandis que ce n'est que l'exposition des doctrines sym-
boliques de l'antiquité ; voilà pourquoi encore les stoïciens nous
ont représenté les âmes hunjaines comme devant subir, dans les
régions aériennes ou infernales, divers tourmens pour se purifier
avant de retourner à celte âme universelle du monde, dont ils les
supposaient détachées '.
Que Virgile ait consigné ces doctiînes dans celte églogue ; que
ces mêmes doctrines, ainsi que la tradition de la faute originelle
et de la nécessité de la réparer, nous soient transmises par son or-
gane, c*est ce dont on ne saurait douter quand, pénétrant la pen-
sée de ses divers ouvrages, on voit qu'il étudia particulièrement
les sectes philosophiques des platoniciens et des stoïciens, etqu'ou
se rappelle ces vers sublimes du 6^ livre de Y Enéide, inagniQque
tableau dans lequel il remonte, pour nous tracer l'origine des
âmes, jusqu'à ce divin esprit qui s'épanche sur l'immense en-
semble de l'univers qu'il anime ; charmante élégie, dans laquelle
il les plaint comme des prisonnières détenues dans un antre ob-
scur et plongées dans les ténèbres, tant qu'elles sont attachées à
cette dépouille mortelle ; c'est là aussi qu'il nous met sous les
yeux les divers genres de tourmens qu'elles ont à subir durant
de longues années, jusqu'à ce quelles soient pures de toute soui'-
lure et dignes d'être admises à la félicité des Champs-Ely-
sées'. Quel était donc l'idée qui inspirait cette âme délicate et
sensible, cette âme de poète, quand, dans un autre endroit de ce
même chant (v. 425), il prend un accent lugubre et nous montre
les en fans que la mort a moissonnés sur le sein de leur mère avant
d'avoir goiité la vie, au seuil de la cité douloureuse, tristes et
• Voy. Bruker, Cud%vorlh, Heyne, sur le vi' hvre de lEnéidc ; —
Uiiety ^Inetanœ questiones; — Buhle, Inlrod. à l hisl. de la philos. ; —
Boulanger , antiquité' dévoilée \ — La Mennais , Indiffciçncc, r. m, —
Uauisay, Discours sur la théol, des Genlils.
' Voy. Uv. VI', vers 724,— Heyne tt Bruker, t. n, p 71, et Cudworth,
lib, II, c. 5,scct. 0.
o06 TUADITlOiNS PiUMlTiVIS
poussant cUs géiiiisseinens longs et plaintifs? pourquoi ces plain-
tes, ces voix dolentes, ces cris déchirans? quel crime expient îà
ces enfans, que leurs mèies n'ont pu récréer d'un sourire? Où le
poète a-t-il puisé une si étrange et si impitoyable action? quelle
origine lui assigner si elle ne vient pas de Tan tique croyance que
nous naissons dans le péché ?
Afin de compléter le témoignage rendu à cette tradition, qui
est le véritable fondement du mystère de la Rédemption, remar-
quez que, dans cette même églogue, A irgile nous reporte à Tetat
primitif de Tliomme, état d'innocence et de félicité, âge de jus-
tice et de vertus, siècle d'or, siècle lienreux. Le souvenir et la
description d'un âge d'or se retrouve dans les premiers monu-
mens que l'antiquité nous ait transmis. Le vieil Hésiode, anté-
rieur à Homère, ou du moins contemporain de ce L;énie qui
chanta pareillement les plus anciennes traditions religieuses de la
Grèce ; Platon, ce voyageur infatigable qui a recueilli et exposé
avec une éloquence qu'on n'a pas imitée les doctrines de tout l'O-
rient ; les poètes , les premiers annalistes des plus anciens peu-
ples, et tons les auteurs qu'on a découverts ou étufliés à des épo-
ques plus rapprochées de nous, tous commencent leur histoire
du monde et de la religion par un âge de bonljeur pendant le-
quel les hommes conversaient familièrement avec les dieux : en
cetems-là, la vie n'était point dévorée par les chagrins ni parles
n)aladies ; la vieillesse respectait le corps, qui conservait toujours
sa vigueur , et la mort était un songe délicieux : il n'y avait pas
besoin de déchirer la terre avec le fer; les moissons croissaient
d'elles-mêmes et ondoyaient sur un sol cjui n'était pas encore al-
téré de nos sueurs; il ne fallait pas imposer un joug au taureau
furieux, ni apprivoiser les lions qui venaient en se jouant lécher
les pieds de leurs maîtres; les navires ne sillonnaient pas les flots
à travers mille dangers pour transporter de contrées lointaines ce
que chaque pays produisait avec assez d'abondance pour satisfaire
tous les désirs; le sein des montagnes n'était pas encore fouille
par la main de riiommc pour y puiser le fer detitinéà nous cohi-
battre, ou l'or à nous cornjinpre : les dillérenus, les haines, lea
meurtres, le pillage, les gueire.-, les cpidctuies, les inccadks, k
CHEZ LIS rVTlNS. 307
mort, étaicnl lies noms inconnus sur celle terre bienheureuse '.
D*où vient donc celte tradition uniforme des anciens jours?
On ne dira pas que c'est de l'histoire, car, en dehors des livres sa-
crés, l'antiquité n'a pas un seul historien, pas un seul monu-
ment, pas un seul fait qui nous montre ou nous rappelle cette
époque pour aucun peuple ; au contraire, les historiens grecs et
latins, jxirmi lesquels il faut ranger Diodore, qui les a recueillis
el comparés, les voyageurs qui nous représentent Tétat des po-
pulations incultes visitées par eux pour la première fois, tous les
auteurs, en un mot, ne remontent qu'à l'éiat de Thomme sau-
vage, misérable, vagabond , se nourrissant de glands ou de ra-
cines, couvert de peaux grossières, féroce, ignorant, sanguinaire,
et presque au niveau des brutes-. On ne dira pas non plus que
l'âge d'or est une invention de la philosophie ; car quand les
philosophes, abandonnant les idées et les traditions religieuses,
ont essayé, avec les épicuriens et les péripatéticiens, dans l'anti-
quité, et avec leurs sols imitateurs, dans les tems modernes, d'ex-
pliquer à leur manière l'origine et l'état primitif du uîonde et de
l'homme, loin de comniencerpai un âge de bonheur et d'abondance,
ils nous ont donné une toute autre idée : ils ont cru plus à propos
de faire sortir nos aïeux de la terre, de les trouver dans un trou-
peau de bêtes fauves, sans Dieu , sans langage, sans société, sans
lois, et presque sans famille, consternés, stupéfaits à chaque pas
par d'effrayans prodiges et par la force imposante de la nature ^
Ce n'est donc que dans les premières traditions religieuses, con-
servées pendant la longue vie des patriarches antédiluviens, et
■ Voy. spécialement Hésiode; — Virgile, dans les Géorgiques ; —
Ovide dans les Métamorphoses; — Tibulle; — Platon, dans la Politique
et dans le T/mee;— Huct , Alnetanœ quesùonts \ — Burnet , Archeo-
iogia sacra; — Creuzer, Religions, t. i, p. 3i's v. 5; Asiaiic F.csear-
ches, etc., etc.
'Voy. Hérodote, Diodore, Thucydide, Tacilc, Roberison, Gogact,
Grotius, Droit des gens, etc., etc. Berger, i/i Hesiodum, etc.
» Voy. lAicrcce, ArisloU-, Hobbes, Pvousscau, Coudillac, Hclvéliu?,
Laniarck, etc., etc.
308 TRADITIONS PRIMITIVES
tiausiiiises par eux à ceux qui, dispersés à tia\ers le monde avec
leurs familles, ont elé les pères de toutes les nations, qu'il faut
clierclicr le souvenir de cet â^e heureux appelé l'âge d'or, de ces
rè{jnes de Saturne, de ce siècle d'Astrce qui s'cvanouit à cause des
péchés des hommes, et fut remplacé par un à{^e plus dur, par
r^ige de fer, mais dont le souvenir et les re^^rets demeurèrent
toujours et alimentèrenlles vœux et les espérances des infortunes
mortels qui gardèrent ilans leur cœur le germe de leur grandeur
première, et l'altenle de revoir un jour Dieu converser avec eux
et ramener sur la terre la félicité qui en avait été bannie. Ce sont
ces traditions que Virgile, ardent imitateur du poète d\Vscrée et
du sublime philosophe de l'académie, atteste d'une manière toute
particulière dans son églogue. C'est cette tradition qui l'a conduit
non-seulement à rapporter à l'enfant qu'il prédit les plus ma.i^ni-
liques images que les poètes avaient pu recueillir sur l'âge d'or,
comme il le fait si admirablement dans tout ce morceau, n)ais
aus^i à donner le titre de Dieu même à cet enfant :
111e Deûm vitain adci|)iet
Casta Deùm soboles, magnum Jovis incrcraeuiiim.
(v. i5et49)
El Ton aurait tort de voir dans ce langage une exagération poé-
tique ou une flatterie de courtisan. La première hvpothèse est re-
poussee parle goût si pur de Virgile, de ce poète qui, promettant
ailleurs la plus magnifique destinée à un prince qui donnait les
plus belles espérances, se contenta de dire :
Si qua fata aspera rampas
Tu Marcellus eris '
La seconde supposition n'est pas plus admissible, car quand Vir-
gile adressait celte pièce à PoUion, l'adulation n'était pas encore
descendue jusqu'à diviniser les empereurs romains : c'était à
peine si les plus chauds partisans de Jules César avaient osé en
• Ent'idCf lisre vi, v. 883.
cHi:z LES laUas. 309
laiic un tlemi-dieu et le placer parmi les astres; et, assurément,
])ersonnc n'aurait encore eu la liardiesse d'en faire autant d'un
fils d'Octave ou d'Antoine, ou de quelque autre romain que ce
put être '.
Mais cette même tradition qui rappelait aux peuples leur fcli-
lité première, qui leur reprochait les fautes dans lesquelles ils
s'étaient précipités et Tincapacité dans laquelle ils étaient de se
décharger de ce fardeau, leur annonçait et leur promettait aussi
un céleste Enfant, Dieu lui-même, qui, médiateur entre les hom-
mes et la Divinité, devait effacer toute souillure, révéler toute
vérité, ramener toute vertu, toute justice parmi les mortels. Le
cœur plein de cette sublime espérance, rintellif;ence enrichie de
tous les enseignemens de l'histoire, de la poésie et de la tradition,
séduit par les plus belles images que le platonisme, de toutes les
philosophies de l'antiquité la plus digne d'un grand poêle, loi
avait révélées, Virgile oublie et PoUion, et les guerres civiles , et
la paix deBrindes, objets trop au-dessous du brûlant enthou-
siasme qui l'enflariime, et portant son regard vers des choses plus
élevées, il chante sur un mode plus majestueux, et se fait le poète
ou plutôt l'oracle de cette grande et universelle prédiction. Et ce
qu'il y a d'étonnant, c'est que les images éclatantes dont il orne
l'âge heureux que le céleste Enfantva ramener parmi les hommes,
non-seulement s'accordent avec celles que les poètes nous ont
transmises sur l'âge d'or, mais semblent être en quelque sorte la
reproduction de ces couleurs surhumaines dont le prophète Isaie
se sert pour peindre le règne heureux et pacifique du Messie. La
ressemblance est si frappante que Pope, le plus célèbre des poè-
tes anglais, voulant reproduire dans sa langue VÈglogue à PoU
lion, eut l'idée d'en faire plutôt une paraphrase, et de l'appliquer
à Jésus-Christ naissant au milieu des hommes, en traduisant par-
les expressions dlsaïe les expressions et les images duThéocrile
latin ^
' Vov. Ileync, Vie de Firgile, k Tannée 711, et su vers 47 de !£'-
glogiie IX, dans les noies.
» Voy. Pope, Messlah a sacrcd Ecloguc, et les notes,
IH*^ SÉRIE. TOME VI.— N' 34, 1842. 20
310 TnADITlOiXS PKIMITIVES
Après iivoii icclicrché rorigine des idées fondaniciilales du
])oèine, ce seiaii ici le lieu de rechercher aussi celle des images
portiques qni lui donnent un éclat si beau , s'il m'était permis
d'exposer les moyens qui facilitaient à Virgile la connaissance des
livres, ou du moins des prophètes hébreux. Quelle que soit l'o-
pinion que la critique veuille porter sur les communications que
les anciens Hébreux eurent avec les Grecs et les Romains, et sur
la connaissance que ceux-ci purent avoir des livres des premiers,
il est certain qu'au tems de Virgile , tout concourait à répandre
dans Rome, et à faire goûter aux savans les sublimes doctrines
et les beautés du premier ordre que recelaient les œuvres de Moïse
et des prophètes. La diffusion et la multiplication des Juifs après
Alexandre, par le moyen des Ptolomées et des Séleucidcs , dans
les plus populeuses et les plus célèbres cités de l'Orient; les syna-
gogues qu'ils y avaient obtenues ; la traduction de leurs livres à
laquelle on s'était appliqué avec tant de zèle et qui avait place
dans les bibliothèques les plus fameuses; leur goût, ou plutôt leur
manie , tant au sein de la Judée qu'au dehors , pour la plijloso-
phie, pour les poêles, pour les mœurs, pour les spectacles et même
pour les manières des Grecs; les guerres que les armées romaines
avaient portées,après Pompée, jusque dans Jérusalem; la puissante
influence que le sénat prit dès-lors sur les destinées de celte nation,
et sur la succession à son trône , ses traités et ses alliances avec
les vainqueurs; le commerce si animé, si suivi de la capitale du
monde avec toutes les provinces; la vive amitié qui régnait entre
Hérode, Agrippa, et autres princes juifs et les plus influens séna-
teurs ou capitaines romains; l'avidité de savoir qui enflammait
alors tout ce qu'il y avait de gens studieux à Rome ; la curiosité'
particulière qui portait à observer tout document, toute doctrine,
toute pratique , toute tradition qui venait de l'Orient ; l'intimité
du roi Hérode avecPollion qu'il eut même pour hôte, et avec le
savant iNicolas de Damas qui fut son ministre auprès d'Auguste
dont il était tendrement aimé : voilà tout autant de fails si con-
nus , si bien attestés par une foule d'écrivains graves, si péremp-
toires lorsqu'on les réunit ensemble, qu'il est inqiossible à moins
d'être préoccupé d'opinions préconçues , de iie pas se sentir porté
CHEZ LES LA.Tl.\b. o\ \
à adiiieitre que la connaissance des livres juifs , ou du moins des
docuines et des beautés qu'ils renferment, parvint aux savans de
Rome, et surtout à Virgile , qui recherchait si avidement tout ce
qu'il pouvait y avoir de beau chez les nations étrangères^ et qui
fut l'ami intime de Pollion et d'Auguste. C'est qu'en effet , il n'a
pas fallu à la critique cette réunion d'argumens pour établir sur une
base solide toutefois, la transmigration dts sciences etdts arts d'u n
pays dans un autre *. Si donc l'élude des traditions du siècle de
Virgile et de ses opinion? philosophiques nous a fait remonter aux
sources d'où il a tiré la matière de son poème, les communications
et, sinon la lecture des livres saints, du moins la connaissance des
doctrines qu'ils contiennent, nous indiquent de quels maîtres il a
tiréses plus belles images, et nous expliquent le style particulier de
celte églogue qui nous paraît tout orientale, quoique aussi sévère
aussi châtiée que toute autre poésie latine.
Si l'on embrasse maintenant d'un seul coup d'œil les diverses
parties de l'églogue de Virgile, on voit qu'elle atteste que l'homme
vivait jadis dans un état de justice et de félicité, qu'il s'est miséra-
blement précipité dans toute sorle d'erreurs et de vices* mais
qu'enfin la fatale période de son avilissement touche à son terme;
qu'un céleste et divin Enfant va paraître parmi les homines, et
ramener avec lui sur la trrre la déesse-vi< rge de la justice, qu'il
va susciter une sainte et céleste génération , et recommencer le
règne de Saturne, c'est-à-dire le règne de l'abonrlance et delà paix;
qu'il combattra les ennemis du genre humain , en triomphera,
effacera toute souillure et régnera souverain pacifique de l'univers
prosterné à ses pieds. A sa venue , l'univers s'émeut, les monts
agitent leurs cimes, le monde crie sur son axe immense, la terre
se paie d'un manteau de verdure qui croît d'elle-même, les lions
paissent avec les agneaux , le serpent disparaît , toute plante vé-
* Voy. Prideaux, Histoire des Juijs, i, ii, passim.; — Lcland, Dé-
monstration e'vjange/ique, lom. iv ; — Huet, Demo/istratio ofangelicay
prop. IV, caj). i4 ; — De Maislre, Soirées de SuitU-'Péiersboiu g y t. ii,
p. 190 et suiv. ; — Creuzer, t. i j — Brukcr, t. 1. p. 635, et t. 11, p. 98^,
gSi, etc., etc., etc.
312 HlADlTlOiNS l>K13!iriV£S ClihZ LE6 LATIiNS.
néneuse se dessèche et meurt ; les arbres , les forêts , les prairies,
les fleurs, les troupeaux, toute la nature environne et eniLeilitlc
céleste berceau *. Quel que soit l'enfant que A irgile ait ici en vue;
quel qu'ait été le but que le poète s'est proposé; quelle qu'ait
été l'occasion de son cbant; quels que soient les monuniens et les
traditions qu'il plaira aux sa vans et aux commentateurs d'assigner
comme ayant été la source où a puisé le poète de Mantoue; quels
que soient l'époque et le pays qui puissent les revendiquer ; rst-il
possible de ne pas convenir que la pensée de son églogue est la
pensée même de la tradition de tout le genre liumain , le vœu et
le soupir de tous les siècles, le langage de tous les prophètes qui
ont prédit le Rédempteur? IN 'est-ce pas sur ces élémens, je veux
dire la perte de l'innocence, Fatlente d'un céleste libérateur, le
retour du règne delà justice et de la paix , que repose le mystère
de la Kédemption ? N'est-ce pas ainsi qu'il fut annonce par Dieu
même aux patriarches qui le transmirent à tous les peuples , et
décrit par les prophètes avec des couleurs si variées et des images
si magnifiques et si éclatantes? Et si nous considérons d'ailleurs
que pas un seul fait historique de l'époque où vivait Virgile ne
peut nous donner l'explication du mystère relatif à l'enfant qu'il
annonce ; que les opinions de son siècle, les traditions répandues
parmi ses contemporains , les doctrines philosophiques dont son
esprit fut nourri, nous révèlent de la manière la plus satisfaisante
Torigine de chacune des parties principales de son travail; enfin
que ses expressions et ses images non-seulement sont à une dis-
tance infinie de son style et de sa manière ordinaires , mais ne
trouvent d'analogue, dans toute l'antiquité, que les prophéties ;
nous devrons convenir que Téglogue de Virgile est le plus beau
monument de son époque sur la tradition universelle qui annon-
çait le Messie.
Mgr GASPARD GRASSELLINI.
Traduction abrégée du discours prononcé à Tacadémie des
Arcades, le 20 janvier i838, et inséré dans les n'^- 17 et 18
des Annali de ÎMgr de Luca.
• Voy. Y£giogue passim.
INTRODUCTION A L\ THF.OLOC.IE DE l'hISTOIRE. 313
(jiôloirf.
INTRODUCTION A LA THEOLOGIE DE L'HISTOIRE ,
ou
DU PROGRÈS DANS SES RAPPORTS AVEC LA LIBERTÉ.
Par CHARLES STOFFELS '.
L'auleur du livre que nous annonçons s'est mis en présence
(les diverses écoles historiques. Il a étudié , il a jugé les sysièmes
philosophiques sur lesquels elles se fondent, et il a été amené à
cette conséquence qu'au catholicisme seul appartient de donner
la raison des choses et des événemens, par la conciliation de deux
grands principes : la volonté providentielle de Ditu et la liberté
de l'homme. iM. Charles Sloffels combat avec force et refuie ces
doctrines dégradantes du fatalisme, qui , de quelque manière
qu'elles se produisent, de quelque nom qu'on essaie de les pa*
rer, révoltent la raison et la conscience, et sont la négation de la
vérité chrétienne. 11 fait tour à tour passer sous nos yeux, avec
le caractère spécial de leuis erreurs, Vindividiialisme , qui i-ole
le monde Je l'idée du souverain maître et fait dépendre la des-
tinée des peuples de mille hasards; \e panthéisme, qui |détruit le
libre arbitre de la créature et formule nettement la pensée fata-
liste ; l'éc/ccV/^me , enfin, qui, quoi qu'en disent quelques rê-
veurs, n'établit qu'une pondération artificielle et apparente entre
les opinions qu'il prétend harmonier, et finit toujours par se
fondre et s'absorber dans l'une d'elles. Jusque là, le propre de
V éclectisme est de n'arriver à rien de précis, à rien de fixe,
w Ainsi , dit M. Charles Sloffels, récleclisnie de M. Cousin est
»* autre que l'éclectisme saint-simonien , et ces deux écleciismes
' Dehéconrt, libraire-éditeur, rue des Saints-Pères, 64.
f
814
INTRODUCTrON
» ne diffèrent pas moins de l'éclectisme théurgique d'Alexan-
» drie. »
Gomme le fait remarquer M. Stoffels, la plupart des historiens
modernes non catholiques appartiennent à recelé panthéiste,
dont tous les travaux peuvent se résumer dans la conception du
progrès continu. Vne série de chapitres, qui annoncent beaucoup
d'études et de savoir , est consacrée par l'auteur à démontrer que
cette \)\'éiQnàue continuité du progrès est une chimère, qui \iole
ouvertement les enseignemens de l'histoire des nations, ruine la
liberté morale ^ cl aboutit en politique nu despotisme. M, Stoffels
admet un progrès ; mais c'est celui qui tend à ramener l'homme
dans les saintes voies de la religion, u Dieu, dit-il, est la fin de
» l'homme, comme il est le principe de son être, comme il est le
» moyen d'arriver à cette fin. C'est par la création que Dieu est
» principe de l'être; l'action de sa grâce est le moyen qui en-
» traîne la créature à sa consommation en Dieu, fin suprême de
» ses destinées. Le mouvement, dans lequel la providence eni-
» porte le monde, est donc un mouvement d'ascension, de pro-
» grès. C'est Dieu qui est le centre d'activité du tléveîoppement
» progressif.
» Si Dieu ne consomme point en lui ses créatures en même
>» lems qu'il les tire du néant, si l'homme n'est point, par le seul
» fait de sa création, en possession immëdiale de l'infini, c'est
» qu'il doit répondre par un libre amour à l'amour divin pour
» mériter celte possession, pour accomplir celte consommation
•' dans sa plénitude. Il est donc souiiiis pendant un tems à l'é-
» preuve , pendant le tems nécessaire à l'achèvement de la créa-
.« tion de son être en Dieu. C'est là l'œuvre de la liberté que
» nous avons vue être une force créatrice, une participation de la
« puissance divine. La liberté est avec la grâce le double moyen
» qui doit mener l'homme à sa fin. C'est par l'assimilation libre
» de la grâce que l'homme se déveloj'pe lians la loi progression-
» nelle de la Piovidence, qu'il achève la création de son être en
» Dieu. Mais, en v^nlu de sa liberté, l'homme peut, au lieu de se
» marier à la volonté divine, en divorcer^ et ce n'est que par la
» puissance qu'il a de ne pas ain^er Dieu, qu'il possède celle de
A T \ THÉOLOGIF OR l'hISTOIRE. 315
» raimer. Sans celle possibilité négative , son amour ne serait
» qu'une attraction nécessaire , semblable à celle qui pousse un
» corps vers un aulre corps
» Ce n'est que par le mariage de la liberté et de la Providence,
» que la première est entraînée dans la voie ascensionnelle de la
» seconde. Le divorce de l'homme avec Dieu non-seulement
» soustrait l'homme à la loi du profiès dont Dieu est le centre
» d'aclivité , mais ':ette privation du principe de sa vie l'entraîne
>• dans une voie de déchéance et de mort. »
11 nous est impossible de suivre M, Stofïels dans l'application
qu'il fait des principes posés à là vie des peuples et à l'humanité
toute entière. Ses développemens , ses explications à cet égard
offrent beaucoup d'intérêt, et on les consultera avec profit.
C'est principalement lorsqu'il s'agit de matières graves qu'il
faut apprécier l'ensemble d'un livre plutôt que s'arrêter aux dé-
tails. Sans donc rechercher si toutes les opinions, tous les juge-
mens historiques de M. Charles Stoffels sont également incontes-
tables, nous dirons que ses idées nous ont paru généialement
heureuses, el que l'exposition en est claire et mélliodique. L'//i-
troduclion à la théologie de VJiistoire est un travail fait avec cons-
cience et talent.
L'ouvroge se termine par des conseils adressés aux incrédules.
On nous saura gré d'empninier quelques lignes à ce passage, dans
lequel se retrouvent les inspiraiions religieuses de l'auteur :
«' Lissés des luttes sans fin el sans issue de la philosophie, incré-
»> dules, vous vous dites souvent : si je pouvais croire, si je savais
» prier? suis-je responsable du mauvais vouloir de liion esprit?
» Oh I si vous comprenez les sérénités de la foi, si vous dési-
w lez vous asseoir à son ombre, et vous reposer dans sa paix, cela
» vous est possible.
» Ne touimentez pas vainement votre cerveau pour en faire
» sortir une vérité qui fleurit bien mieux dans le cœ ir cultivé
» par la vertu. Cessez de vous regarder comme le principe sou-
» verain de la lumière et de la vie ; cessez de vous substituer or-
» gueilleuscment à Dieu, qui seul est le principe de tout ; rappe-
» lez-vous que vous n'êtes que d'hier, et que demain vous ne
ni6 INTRODICTION A lA TIlliOr.OGlF DR I.'lIlSTOlRE.
» serez plus ; reconnaissez votre infirmilê profonde , et cela ne
u saurait vous être difficile.
i » Après être sortis de vous par ce premier acte d'humilité, sor-
S) tcz encore de votre égoïsme en allant visiter les pauvres et les
» soufTrans ; consolez leur infortune par votre argent, votre bras,
» vos paroles, et vous apprendrez, pour les réserver à leur soula-
» fjement, à devenir avares de vos biens, que vous dissipiez en
» vains plaisirs ; et ces plaisirs cesseront d'appesantir votre cœur,
w d'énerver vos forces, et d'étourdir votre pensée que vous rap-
» porterez à vos amis en douleurs, bien plus vrais que vos amis
»> de débauche ; et leurs larmes de bénédiction détacheront bien-
» tôt les écailles collées à vos orbites, et se cliangeiont en une ro-
> sée de glaces qui apprendront à vos lèvres à prier ! »
R. B.
NOUVELLES ET MELANGES. 317
EUROPE.
FRANCE P AWIS. —Leitre d'^ HI. Eugène Boni annonçant son
retour en France. — On avait répandu, il y a peu de jours, la nouvelle
de la mort de !M. Eugène Jjoré, notre collabor:iteur et ami. Nos lecteurs,
qui connaissent combien ce savant chrétien a avancé Tépoque de la réu-
nion de l'Eglise nestorienne d'Asie avec l'Eglise latine, liront avec plai-
sir la lettre suivante, où il annonce son retour en France.
Constanlinople, le 6 septembre i84'2.
Mon cher ami, depuis trois mois, tu n'as reçu aucune lettre. Pendant
le trajet de 3Iossoul à Constantinople, qui a duré ce long tems, je me
suis contenté décrire deux fois à M. Leleu , des villes de Césarée et
d Ancyre, réservant, pour mon arrivée ici, le plaisir de causer avec toi.
Dieu a continué de nous préserver de tous les malheurs possibles en un
voyage de cette longueur et durant une saison funeste en plusieurs lo-
calités à cause de Texlrême chaleur. Nous n'avons point, en cette partie
de l'Orient . les ombrages de la France, et je puis dire de l'Euroj^e, ni
toutes les ressources de ses auberges. Les prières que lEglise adresse
journellement en faveur des voyageuis nous concernent plus que tous
les autres. Partout, avec un soleil brûlant, la désolation, l'aridité et la
disette. Heureux , quand nous trouvions un peu de lait caillé ou une
)i0ule pour notre repns , et do Forge pour le5 chevaux. La crainte des
(Jurdes et des partis de voleurs ne cesse totalement qu";i huit journées
de la capitale : partout ailleurs il faut être sur ses gardes la nuit et le
jour, et s'acquitter du sei-vicc que MM. nos gardes r.ationaux trouvent
chaque mois déjà bien insupportable. Ou se sent naître, pdlir cette vie
de ])rivalions, des forces inconnues et inespérées; même rhabitation de
la lente et de l'autre pavillon plus largo, du ciel, finit par devenir si na-
turelle et si attrayante que les villes et les maisons vous paraissent en-
suite autant de prisons manquant d'air et de celle liberté que j'appelle-
rai primitive et patriarchalc. Jaurais certainement pu arriver plus
promptement sans le désir d'observer ces contrées si dignes d'intcrét
sous tous les rapports.
Le oo août, sur les n->uf heures du matin, j'ai eu la joie de surprendre
318 NOUVRI.LES ET MELANGES.
mes amis de Saint- Benoît , affublé d'un certain costume de Bédouin ,
excellent pour vons garantir des ardeurs du soleil. Quelle impression
que celle de revoir Constantinople et son Bosphore , lieux auxquels je
croyais avoir dit un éternel adieu .' J ai trouvé Constantinople avancé
dans la voie du progrès religieux fort au delà de mes espérances. Les
institutions des Sœurs de la Charité et des Frères des écoles chrétiennes
ont pris un développement prodigieux. Quelle douce joie, de la chambre
où je t écris, d'entendre près de 600 enfans chanter en chœur les can-
tiques français, que nous apprîmes aux beaux jours de notre première
communion 1 Cest un rare spectacle de \oir ces enfans de vingt nations
et de vingt races différentes, bégayer, parler, babiller notre langue.
Nous devons aux zélés missionnaires, MM. les Lazaristps, ces belles inno-
vations. L'homme qui y contribue surtout est notre commun et honora-
ble ami M. Leieu.
Flgèxe Boré.
— Projet de restaui ation complète de Notre-Dame de Paris. — On
lit dans les De Oats :
« L'administration vient de prendre une grande détermination, à la-
quelle ne sont pas lestées étrangères les instances du digne prébt placé
à la tête du diocèse. M. Martin fdu jN'ord), ministre de la justice et des
cultes, qui, ainsi que ses devanciers, appréciait parfaitement les l^esoins
de leglise-mère de Paris, a désigné récemment M. larchitecte Arveuf
pour étudier le projet d'une restauration complète de ?<iotre-Dame et
en diriger Texécution.
>» L'entreprise dont M. Arveuf eut chargé est vaste et péiilleuse. Il
s'aî^it en effet de restituer à Notre-Dame son vrai caractère, altéré |wr
le mélange de styles postérieurs. On sait que, commencée en Ii03 par
Mauiicc de Sully, îa mélrOj>ole de P;iris fut achevée en rii3. La Re-
naissance n"y a laissé aucune trace de son passage ; mais à dater de
Louis XV commence une longue série de mutilations et de déplorables
enjoliveuieni. Les arcades ogivales de l'apside b.rent alors dénaturées
par un revêtement en marbre à plein cintre; l'imagerie de la Vierge,
œuvre de Jehan Piavv, fut supprimée; les vitraux de couleur remplacés
par Jes verres blanc>: le tympan de la j 01 te d'entrée par une ogive d'un
type incroyable. Nous ne unirions pas, si nous voidions énumérer toutes
les détériorations causées au monument par la main drs hommes et sur-
tout celles que Tact i m du tems Gt subira l'exlérieur , dans les mille
ornemens attachés avpc une richesse infinie, par l'arcliitecture gothique,
au flanc des élifices.
NOUVELLES RT MKLA.NGES. HIO
)) M. Arvcnf ayant à réiablir dans sa pureté originelle PadmiralWe ca-
lliédrale, voudra sans doute réparer toutes ces brèches, détruire toutes
ces superfétations , faire revrvrc les dispositions anciennes. La restau-
ration de Notre-Dame doit pouvoir servir de type aux autres églises de
la France, qui tout naturellement cherclicront en elle un niodèle à imi-
ter.
— l'ifjorts pour ta conseivalion des monumens chrétiens. Création
de la charge d historiographe du diocèse de Poitiers. — Nous trans-
crivons ici l'article suivant extrait du Journal de la Haute- Fienne^ que
tous les amis des antiquités chrétiennes liront avec plaisir.
• Depuis longtems, des réflexions pénibles nous étaient suggérées par
la lecture des intéressans bulletins du comité (tes arts et monumens.
» Nous y voyons mentionnés avec de pompeux éloges les nobles eftoris
tentés par les principaux évoques de France pour inspirer à leur clergé
le goût des étuiles archéologiques et les sentimens qui peuvent rendre
ces études fructueuses et salutaires pour l'art et la religion.
« La création, dans ce but, de chaires d'archéologie religieuse dans les
séminaires n'échappait pointa nos observations et à l'appui de ces acies
non équivoques nous lisions avec avidité les circulaires éloquentes dans
lesquelles NN. SS. de Bordeaux, de Tours, de Lyon, du Puy, d'Amiens,
de Beauvais , etc., se faisant en quelque sorte eux-mêmes professeurs
d'archéologie, donnaient à leurs prêtres de savantes leçons.
>* A la vue de ce noble élan que U- haut clergé a raison de favoriser de
tout son pouvoir, parce qu'il doit être utile aux intérêts de la religion,
à la vue de cet enthousiasme qui créait tout un avenir de science et de
bon goût, là où règne malheureusement encore une igiiorance presque
absolue, nous ne dirons pas seulement du beau , mais de la forme, nous
nous demandions avec amertume si le diocèse de Poitiers, l'un des plus
riclies en souvenirs et en monumens religieux, couvert autrefois de col-
légiales, d'abbayes, de prreurés avec leurs annales, leurs chroniques ,
leurs archives, et qui s'enorgueillit à jusie titre de voir debout encore
tant de chefs-d'œuvre inspirés par la piété de nos |)ères, resterait seul
stationnaire, inerte, immobile, quand tout marchait autour de lui.
» Ces réflexions étaient d'autant plus fréquentes que notre position
nous mettait souvent en état d'apprécier les inconvéniens d'un système
qui ne peut plus se soutenir, en présence du goiit général (|ui s'est dé-
veloppé depuis |)liisiours années. Ce systènie en efft t n'aurait d'autre
résultat que de plonger dans une infériorité d'autant plus déplor;tble
(pi'elle porterait sur des matières qui lui sont plus spéciales, un corps
320 NOUVELLES ET 3IÉLANGES.
qui ne doit pas plus être inférieur aux autres en savoir qu en vertus, et
qui ne peut compter de nos jours sur la considération dont il a besoin^
qu'en unissant à une piété profonde les lumières et la science.
» Nous appelons donc de tous nos vœux le moment où Timpulsion
donnée par le haut clergé français se ferait ressentir dans notre diocèse,
et il nous était permis d'espérer que l'heure du réveil sonnerait bientôt
lorsqu'un premier acte émané de l'autorité épiscopale est venu préparer
la réalisation de nos espérances.
» Nou"» voulons parler de la création récente et sans exemple en
France de la charge ({lùstoriographe du diocèse de Poitiers, charge que
INlgr Guitton vient de confier au zèle et au savoir de M. Auber, chanoine
honoraire.
)j Le préambule de Toidonnance qui crée ces nouvelles fonctions nous
a paru renfermer en peu de mots les raisons graves qui ont provoqué la
décision du prélat; nos lecteurs nous sauront gré sans doute de les avoir
initiés, en leur communiquant cette ordonnance, aux vues élevées de
Mgr lévêque et au but qu'il s'est proposé d'atteindre dans, l'intérêt du
diocèse confié à ses soins vigilans.
u Nous, etc.,
» Considérant qu'il est utile ù notre diocèse dV avoir un recueil de
o tous les documens relatifs à son histoire; que les archives ecclésiasll-
i; qucs dont les débris , échappés aux malheurs des tems , sont encore
j> conservés en divers dépôts, ne doivent pas y rester enfonicf? , et qnVn
>- les rendant à la lumière la religion peut y trouver un moyen efticare
» d'instruire aussi bien que d'édifier; que ces documens épars autour
" de nous et pour la plupart ignorés peuvent et doivent former un jour
» des matériaux pour Thistoirc générale de Tfilglise de France , et que
'' c'est travailler aux intérêts communs de celte h!glise que d'obvier à la
o perte complète ou à l'onbli de ces précieux restes de notre antiquité
- ecclésiastique ;
» Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
" Art. r^ Sont institués par ces présentes les titre et charge d'histo-
•» riographedu diocèse de Poitiers.
.> Art. 1''. L'historiographe du diocèse s'occupera de la recherche et
» de la conservation de toutes Ks pièces relatives à l'histoire ecclésiasti-
» que du Poitou ; de la rédaction de cette histoire soit dans ses déve-
- loppemens généraux, soit dans ses faits particuliers, enfin, il prendra
■>-> des not-^s sur les cvénemens contemporains qui rentreront d;ns les
)> aUrlbutions de sa charo;^.
KOliVELLES LT MÉLANGRô. 321
» Alt. 3'. i>l. Tabbé Charles Auber, chanoine honoraire de noire
V cathédrale, est nommé historiographe du diocèse de Poitiers.
» Donné à Poitiers , sous notre seing, Je sceau de nos armes et le
» contre-seing du secrétaire de notre évèchc, le (3 août 1842. »
)) 7 J.-A., évtque de Poitiers.
' Par mandement de ÎMonseigneur,
» Ri-LX^z, chanoine honoraire, prosecrt'laire.
» Les liomracs qui regardent toute innovation comme un malheur,
toute dérogation au passé comme une faute, et dont la science admi-
nistrative et le savoir-faire consistent à pouvoir dire le matin : Je ferai
et dirai aujourd'hui ce que fai dit et fait chaque jour depuis cinquante
ans f trouveront peut-être mauvais qu'on les fasse sortir de cette voie
qu'ils ont suivie, de ce sentier qu'ils ont battu, de cette ornière qu'ils
ont creusée, et où ils voudraient pouvoir mourir et pouvoir être enter-
rés ; à ces intelligences nous dirons : « Dormez en paix et laissez-nous
» applaudir de tout cœur à la décision et au choix du chef du diocèse. ^>
<( M. l'abbé Auber a déjà fait ses preuves dans la carrière où il est
appelé; il a conquis par des travaux justement appréciés les titres aca-
démiques qui lui ont été conférés ; c'est un des membres les plus zélés et
les plus laborieux d'une société qui rend des services à notre pays et qui
lui fait honneur. Les études spéciales de M. l'abbé Auber, ses antécé-
dens, ses loisirs, ses goûts, sont des garanties qu'il serait difficile de
trouver réunies ailleurs en aussi grand nombre, et qui justifient pleine-
ment à nos yeux la haute confiance dont il a été investi ; et jamais dans
de telle mains des fonctions qui exigent un dévoûment absolu à la science
ne seront une sinécure.
» Mais, tout en applaudissant à ce que nous trouvons utile et bon,
qu'il nous soit permis de développer ici toute notre pensée. Dans notre
opinion, l'acte que nous enregistrons aujourd'hui ne doit être que la
préparation d'un système plus complet et qui mettra notre diocèse au
niveau des diocèses les plus avancés. Il ne suffit pas qu'il y ail un histo-
riographe du diocèse de Poitiers ; il faut que cet historiographe puisse
recevoir, même sans abandonner la ville épiscopale , tous les renseigne-
mens, tous les documens épars dans la vaste circonscription du diocèse ;
il faut donc qu'il puisse être assuré du concours de tous les prêtres qui
desservent les nombreuses églises de nos déparlemens. Mais pour que
ce concours soit efficace, pour qu'il ne s'y mêle pas d'étranges mécomp-
tes, il faut faire l'éducation des prêtres, il faut la faire complète (archéo-
bgiquement parlant, bien entendu); il ne faut pas présenter plus long-
322 JNOUVELLtS ET 3lÉLA^GES.
tenis, en un mot, le ridicule spectacle d'un minislrc du Seigneur ne
sachant pas distinguer dans son église la nef des bas-côlés , l'apside des
transsepts et du chœur, l'ogive du plein cintre, et confondant en un
pèle mêle désastreux les années et les siècles, le mauvais goût dei lems
de barbarie et les chefs-d'œuvre des plus beaux jours.
» Pour atteindre ce but, il n'y a qu'à suivre des voies déjà tracées, des
exemples qui ont déjà produit d'heureux effets; il n'y a, en un mot,
qu à vouloir marcher.
)) Alors nous ne verrons plus les fabi ir|ues les plus Jiaut placées faire
peindre en marbre gris-blanc (c'est à dire en pierre) de vrai marbre noir,
faire surmonter des frontons du i4*^ siècle par des choux et par des
feuilles brisées du 16^, et couronner de gracieuses balustrades par
d ignobles maçonneries pleines, ce qui épargnera au ministre des cultes
des lettres énergiques qui ne sembleraient laisser d'autre alternative
que celle de démolir ce qui a élé construit à si grands frais ; alors nous
ne verrous plus les couleurs nationales, qui peuvent être fort bien à leur
place sur la cocarde du soldat-citoyea , mais qui réunies produisent un
fort mauvais elFet aux voûtes de nos églises, couvrir de leur bariolage
tranchant les retables, les aulels, les piliers; alors nous ne verrons plus
d'ignobles statues déshonorer les objets qu'elles sont censées représenler,
et faire du temple du Seigneur le réceptacle de tout ce que la statuaire
en plâtre et la peinture de vitrier produisent de plus hideux; alors nous
ne verrous plus sculpter a.\ ce le pinceau des marbres surnaturels et des
boiseries impossibles; alors nous ne verrons pas, sous prétexte de prolon-
ger la vue derrière une croix de mission, ajouter à l'extrémité d'un
Iranssept une rangée de colonnes circulaires sans perspective, pour en
faire une seconde apside , mensonge grossier qui heureusement ne
trompe personne, et qui n'aurait d'autre méritr, s'il pouvait induire en
erreur, que d'ôter au monument son véritable caractère ; alors nous ne
verrons pas les pasteurs ou les fabriques mutilant jusqu'à hauteur
d'homme les colonnes engagées des piliers des nefs, ôter ainsi aux arcs-
doubleaux leur force, à l'édifice sa solidité, le tout pour se procurer la
place de quelques chaises de pliis ; alors enfin, nous ne verrons plus l'en-
têtement dans des idées contraires au bon goût et à l'art faire perdre aux
. monumens la protection qu'ils méritent , et l'accord parfait qui existera
entre ceux qui prêtent leur concours bienveillant et ceux qui le réclament
sera une garantie infaillible du succès.
» Pour atteindre ce but, il ne faut que vouloir; l'homme qui joint à
iNOUVELLES ET MELANGES. 323
linnucncc de son rang, de son caraclère et de sa supériorité inlellec-
luelle, la jeunesse et la force, peut tout entreprendre, parce qu'il peut
espérer de tout terminer. C. de Ch. »
— Circulaire de M, Vcvêque de Grenoble pour l étude et la classifi-
cation des monumens religieux. — Par cette circulaire, le vénérable
prélat institue i° une commission ecclésiastique dont il se réserve la
présidence et la protection: 2" sont membres de droit de cette commis-
sion : MM. les vicaires-généraux, deux chanoines désignés, les supérieurs
du grand et des petits séminaires , et les 45 archi-prêtres du diocèse;
3" dans l'arrondissement de Grenoble il y aura six prêtres, et trois dans
chacun des trois autres (quinze en tout ) , choisis par Monseigneur pour
être adjoints aux membres de droit; 4" les archi-prêtres recevront les
notes sur le travail à exécuter dans chaque canton, et le feront parvenir
à l'évêché; 5° la commission aura un secrétaire-général, et chaque can-
ton un secrétaire particulier, au choix du président ; 6" le secrétaire
particulier remettra le travail de ses confrères au curé du canton, qui
le fera parvenir à l'évêché pour être remis au secrétaire-général; 7" la
commission sera installée le dernier jour de la retraite par Monseigneur
en personne, dans une salle de l'évêché.
La mission du clergé avait été au moyen âge de présidera l'érection
de ces somptueuses cathédrales qui étonnent le monde. Il est naturel
qu'au 196 siècle, époque du mouvement religieux et artistique, le clergé
comprenne aussi qu'il doit marcher le premier dans cette solennelle ré-
habilitation de l'art chrétien. Les monumens sacrés sont comme un
dogme, une histoire, une prédication permanente.... Ecoutons le pieux
prélat
« Au clergé en première ligne il appartient de savoir comprendre les
» pieuses émotions, les religieux souvenirs que ces sanctuaires rappel- '
•» lent à la mémoire du chrétien.... Si vous êtes, ajoute-t-il aux prêtres,
« les anges tutélaires, les gardiens nés de nos églises monumentales,
» n'est-ce pas à vous de conserver cet héritage pur et intact de toute
» mutilation, d'empêcher qu'on ne leur fasse subir, comme cela est ar-
« rivé trop souvent, des réparations dépourvues d'intelligence , contrai-
» res à l'unité de style qui doit être respectée avant tout.... Prenez
w garde.... dans un siècle où l'amour de la science et un attrait parti-
« culier entraînent tant d'esprits élevés à ce genre d'étude, ne serait-ce
» pas un malheur qu'on put mettre en doute les connaissances arcliéo-
» logiques du clergé? Votre mission naturelle est de garder avec amour,
324 >OtVELLtS ET MELANGES.
» de conserver lidèlcmcnt nos saints temples et de les protéger conlic
>^ riuiprudcnce des restaurateurs inliabiles, afin qu'on puisse montrer
y> aux siècles futurs ce qu'a pu dans les tcms de foi le génie secondé par
» la religion...."
Celle circulaire de l auguste pontife témoigne de son goût pour les
arts et de sa paternelle sollicitude à nourrir dans ses prêtres le zèle in-
telligent qui renoue la chaîne des tems passés. Le clergé du diocèse de
Gienoble répondra avec honneur à cet appel. La terre dauphinoise n'est
pas la teire classique des beaux monumens du moyen-âge, mais quoique
pauvre de ces magnifiques souvenirs, il en existe assez cependant pour
exciter une noble émulation dans les études archéologiques. Monsei-
gneur vient de créer dans son grand séminaire un cours sur cet impor-
tant sujet. Les jeunes prêtres seront initiés de bonne heure , par cette
sage mesure, aux mystérieuses pensées de l'architecture religieuse.
«. Les savans et laborieux moines du couvent arménien de la petite
île de Saint-Lazare, près de Venise, auxquels on est déjà redevable de
la publication et de la traduction d'un très grand nombre d'anciens ou-
vrages arméniens d'une haute importance, s'occupent en ce moment à
faire une édition de tous les historiens arméniens, depuis le 4^ siècle de
notre ère jusqu'aujourd'hui. Ce recueil commencera par Vllistoire de
la Conversion des Armciiicns au Christianisme, par Agal Angélus ,
prêtre, qui vécut vers le milieu du 4*" siècle , et cet ouvrage sera suivi
par ï Histoire d'j4n?icnie depuis le commencement du monde (sic) jus-^
qu'a l'an de grdce 44^) P^r Moïse de Khoren, archevêque de Petravart,
mort en 49'2.
/) L'édition, dont la majeure partie se composera d "œuvres entière-
ment inédites, aura environ 4o volumes grand rn-folio. Le texte armé-
nien sera accompagné d'une traduction italienne en regard et de notes
et commentaires.
n La direction de celte grande entreprise est confiée à M. Tommaseo,
un des linguistes les plus distingués de l'Italie, qui a consacré dix années
de sa vie à examiner les manuscrits arméniens des bibliolbèques de
liauce, d'Allemagne^ d'Angleterre et d Italie. »
ANNALES
325
DE PHILOSOPHIE CHRETIENNE,
— g-iTTfTtrr--"-^--- —
Qjiniuiievo 35. oJiDcveiiwvc^ 18/1,2.
©tïiffô De l'^ô^iî^*^'
L'ANNÉE LÏTLT.GIQUE (premièhe sectiox).
L'AVENT LITURGIQUE.
Par le R. V. D. GUÉRANGER, abbé de Solesmes '-.
Lors de la publication du premier volume des InstUuliuns U-
iurgiques^^Xe Vi.. àoiw Guéranger annonça, dans sa préface, le
projet d*une Année liturgique^ travail destiné, disait-il, à niellre
les fidèles en élat de profiter des secours immenses qu'ofïVe à la
piété chrétienne la compréhension des mystères de la liturgie.
Cet ouvrage, d'un format commode et portatif, devait surtout
aider les fidèles dans l'assistance aux offices^divins et tenir lieu
des livres ordinaires de prières. Conformément à cette promesse,
la première section de V Année liturgique , parut en 1 vol. in-l2,
avant la fin de l'année 1841. La plupart des journaux religieux
' I vol., in- 12, de 5oo pages, chez Debécourt, libraire, rue des Saints-
Pères, 69, à Paris. Prix : 3 fr. 75.
' Ce premier volume a été analysé dans les Annales ; voir les numé-
ros de juin et novembre iS^o, et février 1841, t.i^ 11 etiii, 5*^ série.
Wous rendrons compte du tome second dans un prochain numéro.
N. B. On a parlé des documents historiques renfermés dans les offi-
ces de raient dans le tome vu, p. 409.
m* SERIE- TOME VI. — N" 35. 21
326 OFFICES DE l'Église ;
en ont déjà rendu compte. Nous ayons préféré différer quelque
tems, et attendre, pour le faire connaître à nos lecteurs, l'époque
où VAvent liturgique pourrait leur être plus profitable et leur
servir de manuel quotidien.
A. la tête de ce volume , l'auteur a placé une préface générale
où les idées qui l'ont guidé et le plan général qu'il a suivi, dans
la composition de V Année liturgique , sont exposés avec chaleur
et netteté. Elle mérite , sous plus d'un rapport, de fixer l'atten-
tion.
Partant du principe du devoir et de l'absolue nécessité de la
prière pour l'homme , le révérend auteur n'a point de peine à
établir que l'homme, de lui-même, ne sait point prier ^ qu'il faut
absolument que Dieu l'enseigne en lui communiquant son saint
esprit. Mais cet esprit divin a été donné à l'Eglise le jour de la
Pentecôte ; depuis lors il réside en elle , il l'inspire, il ne Fa plus
quittée.
« De là vient , continue dom Guéranger, que , depuis dix-huit
siècles, elle ne se tait ni le jour ni la nuit, et sa voix est toujours
mélodieuse, sa parole va toujours au cœur de l'Epoux. Tantôt,
sous l'impression de cet esprit qui anima le divin psalmiste et
les prophètes, elle puise dans les livres de l'ancien peuple le
thème de ses chants ; tantôt ^ fille et sœur des saints apôtres, elle
entonne les cantiques insérés aux livres de la nouvelle alliance ;
tantôt, enfin, se souvenant qu'elle aussi a reçu la trompette et la
harpe, elle donne passage à l'esprit qui l'anime, et chante à son
tour un cantique Nouveau 'j de cette triple source émane l'élé-
ment divin qu'on nomme la Liturgie.
» La prière de l'Eglise est donc la plus agréable à l'oreille et
au cœur de Dieu, et partant la plus puissante. Heureux donc
celui qui prie avec l'Eglise , qui associe ses vœux particuliers à
ceux de cette épouse chérie de l'Epoux et toujours exaucée! Et
c'est pourquoi le Seigneur Jésus nous a appris à dire notre père,
et non mon père ; donnez-nous ^ pardonnez-nous, délivrez-nous ^
et non donnez-moi , pardonnez- moi\f délivrez-moi. Aussi, pendant
• Ps. US.
l'avewt liturgique. 327
plus de mille aus, voyons-nous que VEgUse , qui prie dans ses
temples sept fois le jour et encore au milieu de la nuit, ne priait
point seule. Les peuples lui taisaient compagnie et se nourris-
saient avec délices de la manne cachée sous les paroles et les mys-
tères de la divine Liturgie. »
Heureux siècles de prière et de ferveur, déjà bien loin de nous,
mais dont la foi de nos pères avait conservé quelques restes jus-
qu'en ces derniers tems. Il y a, en effet, soixante ans à peine que
« le sol de la chrétienté était encore couvert d'églises et de mo-
nastères, qui retentissaient le jour et la nuit des accens de la
prière sacrée des .âges antiques. Tant de mains levées vers le ciel
en faisaient descendre la rosée, dissipaient les orages, assuraient
la victoire. Ces serviteurs et ces servantes du Seigneur, qui se
répondaient ainsi dans la louange éternelle , étaient députés so-
lennellement par les sociétés encore catholiques d'alors , pour
acquitter intégralement le tribut d'honunages et de reconnais-
sance dû à Dieu, à la glorieuse \ierge Marie et aux Saints, Ces
vœux et ces prières formaient le bien commun ; chaque fidèle
aimait à s'y unir, et si quelque douleur, quelque espérance le
conduisait parfois au temple de Dieu, il aimait à y entendre, à
quelque heure que ce fût , cette voix infatigable qui montait
sans cesse vers le ciel pour le salut de la chrétienté. Bien plus, le
chrétien fervent s'y unissait en vaquant à ses fonctions ou à ses
affaires, et tous gardaient encore l'intelligence générale des mys-
tères de la Liturgie. »
Nous voudrions que ce passage tombât sous les yeux de cer-
tains hommes, dont quelques-uns se croient bons chrétiens, et
qui n'ont jamais compris l'utilité des ordres monastiques spécia-
lement consacrés à la contemplation et à la prière. Grâce au pro-
grès des idées , on admire la plus grande partie des institutions
du christianisme, on veut bien applaudir au dévouement des
ordres rehgieux, mais à condition que ces ordres traînaillent et
s'emploient d'une manière active au bien-être de la société.
Quanta ceux qui se vouent à la retraite et aux devoirs de la vie
ascétique, on passe facilement condamnation sur leur compte.
ertes , il faut que l'esprit chrétien ait été bien profondément
328 OFFICES DE l/ ÉGLISE ^
altéré dans les cœurs pour en être arrivés à ce point. Jl faut qu'on
ait oublié les plus simples notions sur la prière , sa nécessité, le
pouvoir de la prière commune, sur la vie d'oraison et de péni-
tence, sur l'excellence dts conseils évangéliques. Yous reprochez
au Trapiste de s'user en longues veilles, au lieu de chercher dans
le repos de nouvelles forces pour le travail du lendemain; et
vous ne vous douiez point que , si vous lui ôtez ces communica-
tions incessantes avec Dieu, vous lui ôtez la force de rester deux
jours entre les murs de son couvent. Vous demandez à quoi bon
des Carmélites et des Chartreux ; et vous ne soupçonnez pas l'in-
fluence que la moindre fille du cloître peut exercer sur les dé-
crets divins. "N ous semblcz ignorer que, nuit et jour, de tous Us
points de la terre , il monte une nuée de crimes, d'abominations,
de sacrilèges , de blasphèmes , et qu'il faut bien . ne fut-ce
qu'en vertu de la loi des compensations, certains lieux privilé-
giés, d'où s'élève un courant de supplications et de larmes, pour
éteindre la foudre entre les mains de Dieu. Eh bien, c'est ce cou-
rant que ne cessent de lancer vers le ciel, du sommet de leur
montagne , les enfans de saint Bruno. — Que font en ce monde
de pauvres cénobites? — Peu de chose , à la vérité. Ils accom-
plissent cette parole de leur maître : il faut prier toujours^ et ne
jamais cesser de prier. Tandis que vous combattez vaillamment
au plus fort de la mêlée , ils se contentent de tenir les mains éle-
vées en haut • mais souvenez-vous que tant que Moïse tenait
ainsi ses mains étendues, Israël était victorieux, et qu'il tournait
lâchement le dos, dès que les bras du prophète tombaient de las-
situde.
La prière est la vie de l'Eglise; c'est l'arme avec laquelle elle
triomphe de ses ennemis , c'est l'encens qu'elle fait monter vers
le trùne éternel, afin d'adorer, de rendre grâces, d'implorer le
pardon et d'obtenir sans cesse de nouveaux secours. Et voilà
pourquoi l'Eglise a attaché tant d'importance à la liturgie , qui
n'est , selon la signilication propre du mot, que la prière solen-
nelle et organisée; voilà pourquoi elle a toujours comblé de ses
LA VENT LITURGIQUE. 329
faveurs ces sainls asiles consacrés aux relations continuelles de
la Divinité avec les âmes choisies '.
Aujourd'hui que presque tous ces asiles ont disparu du sol de
notre patrie, grâce aux efforts de la réforme et d'une certaine
philosophie, qui semblèrent s'être données le mot \)ouv faire
cesser toutes les fêtes de Dieu sur la surface de la terre ""^ il n'en
est qae plus nécessaire de resserrer les liens établis par l'Eglise
entre les simples fidèles , au moyen de la prière publique. Il de-
vient surtout urgent d'initier les âmes à l'intelligence complète
de la Liturgie, dont le sens se perd de plus en plus, au grand dé-
triment de la vraie piété et du véritable esprit catholique.
C'est à ce but que tendra d'une manière spéciale V^iinée litur-
gique. L'auteur veut nous porter à prier avec l'Eglise et par la
bouche de l'Église ; il veut nous faire goûter les formules que
l'Eglise emploie, formules consacrées, pleines de sens et d'onc-
tion, autant au-dessus des formes dictées par la piété particulière
d'auteurs d'ailleurs fort estimables, que la prière publique est
au-dessus de la prière privée, et que l'esprit de l'Eglise surpasse
l'esprit individuel de chacun de ses enfans. Il ne prétend du
reste gêner en rien la libeité de la prière individuelle , ni ajouter
des lois arbitraires aux règles généralement reçues de l'oraison et
de la contemplation. Bien loin de là, son livre vient apporter un
nouvel aliment aux âmes pressées par la faim des communica-
tions célestes.
Qu'on nous permette de citer encore un fragment où se trou-
vent éloquemment exposées toutes les ressources que l'âme fer-
vente peut trouver dans la prière liturgique.
« Nous dirons que si dans la divine psîlmociie , on compte
' En certains lieux, comme chez les bénédictins du Mont-Scrrat où
était établie linstitution connue sous le nom de Laus perpétua, les reli-
gieux se succédaient au chœur, de telle sorte que îe chant des louanges
divines n'était jamais interrompu. C'est ainsi que les anges no cessent de
redire le cantijue éternel, ciiaqucjour et chaque instant de la vie «ans
un.
» Ps. 73.
330 OFFrcFS DE l'église ;
plusieurs tlegres, en sorte que les inférieurs s'appuient encore sur
la terre et sont accessibles aux âmes qui ont encore à opérer les
travaux de la vie -pur^alwe • à mesure aussi qu'elle s'élève sur cette
échelle mystique , Tàme se sent illuminée d'un rayon céleste, et
parvenue au sommet, trouve l'union et le repos dans le souverain
bien. En effet, ces saints Docteurs des premiers siècles, ces divins
Pairiarches de la solitude, où puisaient-ils la lumière et la cha-
leur qui étaient en eux, et qu'ils ont laissées si vivement emprein-
tes dans leurs écrits et dans leurs œuvres, si ce n'est dans ces Ion-
gués heures de la Psalmodie durant lesquelles la vérité simple et
multiforme passait sans cesse devant les yeux de leur âme, la rem-
plissant, à grands flots, de lumière et d'amour? Qui a donné au
sérapliiqae Bernard celte onction merveilleuse qui coule en fleuve
de miel dans tous ses écrits; à l'auteur de Vlmiladon, cette sua-
vité, cette manne cachée qui, après tant de siècles, ne s'aftadit ja-
mais; à Louis de Blois, cette douceur et cette tendresse inénarra-
bles qui émeuvent tout homme qui voudra lui prêter son cœur;
si ce n'est l'usage habituel de la Liturgie au milieu de laquelle leur
vie s'écoulait avec un mélange de chants et de soupirs ?
» Quel'àme, épouse du Christ, prévenue des désirs de l'Oraison,
ne craigne donc point ('e se dessécher au bord de ces eaux mer-
veilleuses de la Liîurgie, qui tantôt murmurent comme le ruis-
seau, tantôt, tomme le torrent, roulent en grondant, tantôt inon-
dent comme la mer ; qu'elles approchent et boivent celte eau lim-
pide et pure qui jaillit jusqu'à la vie éternelle '; car cette eau
émane des fontaines 77iemes du Saui'eur ^, et l'Esprit de Dieu la
féconde de sa vertu pour qu'elle soit douce et nourrissante au cerf
altéré \ Que l'âme séduiie par les charmes de la Contemplation,
ne s'effraie poitit non plus de l'éclat et de l'harmonie des chants
de la prière liturgique. N'est-elle pns elle-même un instrument
d'haunonie sous la touche divine de cet Esprit qui la possède?
Certes, elle ne doit pas entendre le céleste Colloque autrement
' Jean., iv, i4-
- Isaïe, ïif, 3.
' Psalm.f \u, 1 .
l'aVENT LlTURGrQUE. 331
que le Psalmiste lui-même, cet organe de toute vraie prière, avoué
de Dieu et de l'Église? Or, n'est-ce pas à sa harpe qu'il a recours,
quand il veut allumer dans son cœur la flamme sacrée, et qu'il
dit: Mon cœur est prêt, 6 Dieu! mon cœur est prêt: je chanterai
donc, je ferai retentir le psaume. Lève-toi^ 6 ma gloire ! lève-toi, 6
ma harpe î Dès le matin, je m^ éveillerai ,• je vous chanterai, Sei-
gneur, devant les peuples ; je psalmodierai en présence des nations;
car votre miséricorde est grande au-dessus des deux, et votre vérité
au-delà des nuages '. D'autres fois, si, recueillant ses sens, il est
entré dans les puissances du Seigneur ', alors dans sa méditation
même s'allume le feu ^ d'une sainte ivresse, et pour soulager l'ar-
deur qui le consume, il éclate encore par un cantique: Mon
cœur, dit-il, a conçu une parole excellente ; c'est au Roi même que
je dédie mes chants ; et il redit la beauté de l'Epoux vainqueur et
les grâces de l'Epouse ^. Ainsi, pour l'homme de Contemplation,
la prière hturgique est tantôt le principe, tantôt le résultat des vi-
sites du Seigneur 5.»
Et quoi de plus doux pour le chrétien, à quelque degié de
l'échelle qu'il soit arrivé, depuis le simple croyant jusqu'aux plus
parfaits ^ quoi de plus attachant que de suivre, jour par jour, les
pas de l'Eglise dans le cercle mystérieux qu'elle parcourt chaque
année ? Quoi de plus propre à nous élever au-dessus des misères
de cette vallée de larmes, que démarchera côté de notre sainte
mère, nous inspirant de ses pensées et répétant ses paroles, pen-
dant qu'elle accomplit l'évolution tour à tour joyeuse, triste et
triomphante de ses fêtes? « C'est là, poursuit dom Guéranger ,
que s^opère la manifestation de Jésus-Christ dans l'Eglise et dans
l'âme fidèle ; c'est là le cycle divin où rayonnent à leur place
toutes les œuvres de Dieu ; le septénaire de la création ; la Pâque
et la Pentecôte de l'ancien peuple ; l'ineffable visite du Terbe in-
' Psalm., cvii, 5.
* Ibid.y Lxx, 6.
^ Ibid., xxxviiT, 4*
*Ibid., XLiv.
^ Année liturgique. Préf, , p. xiii.
?,Pt'2 OFFICRS DE L EGLISE J
carné, son saciifice, sa vicloire; la descente de son Esprit; la
commémoration de Marie , des Anges, des Saints; en sorte que
Ton peut dire qu'il a son point de départ sous la loi des patriar-
ches, ses progrès dans la loi écrite, sa consommation toujours
croissante sous la loi d'amour, jusqu'à ce qu'étant enfin complet,
il s'évanouisse dans l'éternité. »
Ce ne sont donc point les productions de son propre esprit ni
d'aucun esprit particulier que Tauteur entend présenter ici. Il
n'a d'autre ambition que de servir d^interprcte à la sainte Eglisv,
de mettre les Jidcles à portée de la sui^^re dans sa prière de chaque
saison mystique, et me me de chaque jour et de chaque heure. Son
appHcalion sera de saisir Vintention de l'Esprit-Saint dans les di-
verses phases de l'année liturgique, en s'inspirant de Vétude atten^
tii'e des plus anciens et des plus n^énérables monumens de la prière
publique., ainsi que des senlimens des saints Pères et des auteurs
ecclésiastiques approuvés. Il s'altaclicra surtout à remettre en hoU"
neur le culte des Saints , qui souffre encore, cbcz nous , de l'in-
lluencc si funeste du Jansénisme.
Oaoique VAnnée liturgique prenne pour base la liturgie ro-
mnine, la plus répandue incontestablement (lans l'église latine,
cl!e ne laissera point de faire de nombreux emprunts aux autres
rites orlbodoxes. Les liturgies ambrosienne, gallicane, mozarabe,
j;recque, arménienne, viendront joinilre leurs richesses a notre
trésor de prières; en sorte que la voix de l'Eglise ne. se sera ja-
mais fait entendre plus pleine ni plus imposante.
Tel est en résumé le but et le plan de celte publication, dont
nous avons sous les yeu?i la promièie partie ; et quelque grandes
qu'aient été les piomesse^ de l'auteur , nous ne crovons pas qu'il
soit demeuré trop au-dessous. \J Avent liturgique est précédé de
trois chapitres préliminaire-;. La premier, sous le titre d'histori'
que de lavent, donne un résumé concis, mais a peu près complet,
de tout ce que l'hisioire ecclésiastique a recueilli su*; rétablisse-
ment et la célébration de ce saint tenis. Les deux autres renfer-
ment une injstique et une pratique de l'avent ^ on Viune "pieuset
trouvera de quoi nourrir ses sentimens et diriger sa conduite
l'avent LiTunciQUE. 333
durant ces jours consaciTS à rappeler le triple avènement de
l'Homnie-Dieu.
Au début du livre, nous trouvons des Prières du malin et du
soir, coni])05ées presque tout entières avec des formules emprun-
tées à l'office canonique , afin que les cœurs se trouvent ainsi
mieux disposés à entrer en communion avec l'Eglise , à vivre de
sa vie. Tient ensuite V Ordinaire de la messe, en latin et en fran-
çais ; l'auteur n'a pourtant pas voulu donner une traduction
proprement dite, pour se conformer aux volontés du Saint-Siège^
qui a toujours vu avec peine que les paroles les plus sacrées de
nos mystères, comme aussi le texte des saintes écritures; fussent
livrés au peuple mot à mot , sans explication , dépouillés de
l'exactitude et de la majesté du langage consacre. En place d'une
version littérale, nous avons donc une paraphrase qui nous a
semblé bien supérieure à celle qu'on trouve dans la plupart des
livres d'église. Nous dirons la même chose du Commentaire ])lein
d'élévation et d'onction qui accompagne les psaumes des vêpres
et les diveis offices. La messe propre de chaque dimanche de
l'avent s'y trouve en entier , selon l'usDge de Rome et de Paris,
avec de courtes réflexions, pour en bien faiie comprendre le sens
et en relever les beautés. Quant aux simples fériés qui n'ont
point de messe propre, le pieux auteur n'a pas voulu que les
laïques demeurassent privés des secours offerts au clergé dans
l'office quotidien. Chaque jour a donc sa part d'instruction et de
prière. En voici la disposition.
D'abord une leçon du prophète Isaïe, si merveilleusement
adaptée par l'Église au saint tems de l'Avent, nous transporte
aux tems antérieurs à la venue du IMessie et /lous prépare aux
prochaines solennités. Puis, l'àme déjà réchauftée, trouve ù
exprimer sa piété en quelque h\Mnne, prose ou autre morceau ly-
rique choisis entre les diverses liturgies. Enfin , tous ses senti-
mens se résument en une piièie courte, mais excellente, et pui-
sée, comme tout le reste, aux sources les plus respcc;nbles. Cette
division est presque invariablement employée pour chaque jour;
ainsi chaque jour se trouve sanctifié, conformément au précepte
334
de rapôtre , par la lecture des saints livres, le chant des hymnes
et l'oraison.
Après le Propre du tenis est placé le Propre des saints. Cette
partie a été traitée par le révérend abbé de Solesmes avec un soin
et une afFeciion tout particuliers. Chacun des saints dont l'Église
honore la mémoire depuis le 30 novembre jusqu'au 24 décem-
bre, a sa place dans VA vent liturgique et vient l'orner de quel-
ques-unes des prières que son culte a inspirées au génie chré-
tien. On se ferait difficilement une idée de la richesse de cette
partie du recueil. Entre toutes les fêtes qu'il renferme, nous re-
marquons surtout , par Tabondance et la beauté de leur liturgie,
celles de la Conception de la sainte Vierge, de saint André, apô-
tre, de sainte Barbe et de saint Nicolas, évèque de Myre. L'office
de saint André fournit à lui seul jusqu'à dix pièces importantes,
toutes, ou presque toutes, rhythmiques , composées à différentes
époques et toutes reçues dans les églises d'Occident ou d'Orient.
Ou nous nous trompons fort , ou le mérite à la fois religieux
et littéraire d'une semblable collection ne lardera point à être
apprécié. En efïet, outre son but principal, qui est d'inspirer une
])iété vive et éclairée, nourrie de la plus pure tradition de l'Eglise,
elle aura l'avantage de portera la connaissance du grand nombre
une partie fort considérable de la littérature chrétienne. Or, c'est
là, personne n'en disconviendra , rendre un éminent service à
notre époque et répondre à l'un de ses besoins les plus vivement
sentis.
Tandis que tout le monde admire les édifices du moyen-âge
et les sculptures dont il sont décorés ; que des peintres tels que
Giotto, Fra Angelico, Pérugin, ne sont plus réputés barbares^ et
qu'on commence à trouver les vieux chants ecclésiastiques préfé-
rables pour nos saints offices à la musique profane, il serait vrai-
ment inexplicable, qu'entre toutes ces productions des âges chré-
tiens, on négligeât exclusivement celle qui, de droit, occupe le
premier rang , et qu'on peut considérer comme l'âme de toutes
les autres. Si le génie catholique a laissé de sublimes empreintes
sur les pierres qu'il a taillées, sur le marbre et le bois qu'il a ci-
selés , sur les toiles et les murailles qu'il a peintes , que doit-ce
l'avent liturgique. 335
donc être des récits qui guidaient la main de ses peintres et de
ses sculpteurs, des hymnes pour lesquels il créait ses divines har-
monies , des prières et de toute la liturgie pour lesquelles il bâ-
tissait ses cathédrales ?
Et cependant toutes ces prières, ces hymnes, ces paroles, ces
légendes, formant un corps immense de littérature, sont à peine
connus, moins connus certainement du monde lettré que les lit-
tératures slave ou Scandinave. Il est urgent de remplir un tel
vide, intolérable à tous égards, chez un peuple chrétien. Or, c'est
à quoi servira puissamment le présent ouvrage du docte béné-
dictin , surtout en y joignant ses Institutions liturgiques ^ où l'on
trouvera d'amples matériaux pour suivre l'histoire de la littéra-
ture chrétienne et des règles sûres pour l'apprécier.
Quant à cette histoire, elle n'offre plus de difficultés graves
après les travaux de dom (luéranger, puisqu'elle est toujours
calquée sur l'histoire de la liturgie et de l'Église. Il faut d'abord.
faire la division entre les églises d'Orient et d'Occident, aussi
différentes par leurs productions qu'elles le sont par le {;énie et
les mœurs. La première donne dès l'origine des marques d'une
prodigieuse fécondité; sa liturgie si riche et si variée e>t digne
des hommes illustres, des grands saints qui feront à jamais sa
gloire ; mais la lyre tombe de ses mains !c jour même où Punité
est rompue. Triste châtiment qui s'est renouvelé plus d'une fois!
L'Occident marche moins vite , mais d'un pas plus soutenu. On
sent que l'avenir lui appartient. Comme toute l'histoire de notre
Eglise, sa littérature a des tems de progrès et des tems de souf-
france. Il est facile de noter, sous ce rapport, des i-elalions frap-
pantes entre celte dernière et l'art catholique, l'architecture
principalement, cette reine des arts. A partir des premiers âges,
la poésie chrétienne se montre embarrassée, son ihythmeestà
peine marqué, son allure lourde, l'art n'existe pas encore ; mais
celte rudesse de formes n'altère jamais la pureté de la pensée.
Celle-ci brille toujours par la grandeur et par une élévation qui
n'exclut pas la naïveté ; elle s'empreint plus que jamais de sym-
bolisme, elle s'inspire du spectacle de la nature et s'appuie sur
ce monde visible pour s'élever au monde invisible. Tel est en
336 OFFicrs de l'église;
jijénéral le caractère des hymnes les plus anciennes du hre'vinire
romain. Plus tard le style s'épure, le mètre prend une coupe plus
régulière , on puise davantage aux sources poétiques de la lé-
gende. Cette marche progressive s'aperçoit au milieu de l'époque
la plus taxée d'ignorance et de barbarie, comme le prouvent les
compositions du vénérable Bède, du célèbre Hermann Contract,
de saint Pierre Damien, etc. Les 12' et IS*" siècles, la plus glo-
rieuse période du moyen-àge , viennent ensuite, et le lyrisme sa-
cré semble toucher à la perfection dans les belles séquences
d'Adam de Saint-Yictoi-, dans le Dies irœ et le Stabal mater, dont
les auteurs ne sont pas certains, dans l'oflice du Saint-Sacrement,
et surtout dans le Lauda Sion , dicté par les anges mêmes au doc-
' teur angf^lique. Parvenu à cette hauteur, le génie liturgique suit
la pente malheureuse qui entraîne tout le reste. La fécondité de-
meure la même et s'accroît peut-être, mais l'exquise beauté des
formes s'altère, le goût se perd. Au commencement du IB'^ siècle
nous trouvons dans le Missel de Cluny de l523 , des composi-
tions chargées d'ornetnens et de figures, si travaillées, j'allais dire
si minutieusement découpées, qu'elles rappellent la plupart des
églises construites à cette époque. Enfin paraît la renaissance.
Le style païen s'introduit dans le bréviaire comme dans les pein-
tures et les construciions, et son déplorable règne dure jusqu'à
Santeuil et à Coffin, qui se persuadèrent, sans doute de bonne
foi, qu'on ne pouvait dignement célébrer le Dieu des chrétiens,
sinon avec le style consacré au culte de Jupiter, de Bacchus et
des autres habitans de r01yn»pe.
ÎMaintenant, s'il s'agit de poser des règles de critique^, il faudra
de toute nécessité opérer dans les idées une révolution analogue
à celle qui s'est effectuée relativement à l'art chrétien, et peut-
être plus tranchante encore. Grâce aux traditions de collège et
d'univer^iié, on s'est habitué à regarder la littérature ecclésiasti-
que comme une dégénérescence de la littérature païenne. Cette
dernière a été prise pour type imi.|ue du beau ; 0:1 a tout jugé
sur son modèle. Et comment en pouvait-il être aulrement après
les oracles sans appel de Boileau? Sans doute l'autorité du
législateur du Parnasse a qu- Ique peu baissé; mais il reste encore
l'aVE.NT I-rrLRGI(^)UE. o[\l
beaucoup à faire. Combien de gens de lettres qui persistent à
traiter de latin de cuisine la. langue de la Vulgate et des Pères ;
combien qui jugent d'une hymne par comparaison avec une ode
d'Horace; qui se moquent des Séquences rimées, parce que Vir-
gile ne rimait pas? — Or, autant vaudrait juger la cathédrale
d'Amiens d'après les règles de Vitruvc.
Un principe qu'il faut admettre avant tout, c'est qu'entre la
littérature païenne et la littérature catholique il y a un abîme.
L'infini les sépare. Pour n'indiquer qu'une seule différence , la
première a pour but principal de voiler la faiblesse, la fausseté
et très souvent la laideur de la pensée; la forme est le principal,
la pensée vient ensuite. Le christianisme, au contraire, sacrifie
tout à la pensée , la forme est une humble servante , une enve-
loppe qui la rend saisissable , qui l'orne fréquemment, mais ne
la cache jamais. On la froissera, on la brisera plutôt que de la
laisser empiéter.
De cette seule différence , nous pouvons conclure combien il
serait irrationnel d'adopter un critérium commun pour deux
genres si opposés. Le christianisme a jeté d'assez profondes raci-
nes en ce monde, il a tenu et il tient encore une assez grande
place pour qu'on lui permette d'avoir une langue à lui, sa poésie,
ses rhythmes, ses fornmles , son style ; et venir, après quinze ou
dix-huit siècles, corriger celte langue sur des patrons du siècle
d'Auguste, traiter de barbarismes des locutions qui ne se trouvent
pas dans Cicéron, vouloir scander le vers sur le mètre grec ou ro-
main, n'esl-cepas faire autant d'actes de vandalisme plus con-
damnable et plus inintelligent que de revêtir des ogives avec des
plaques à plein cintre ou de badigeonner de vieilles mosaïques?
Quand on aura admis ceci, cpand on se sera familiarisé avec
nos saints offices , qu'on se sera pénétré de leur espiit lorsque
cet esprit catholique , formé par la foi et la charité, sera profon-
dément entré dans l'intelligence et surtout dans le cœur, alors,
mais alors seulement , on aura le droit d'apprécier la littérature
liturgique ; alors on pourra en entreprendre la critique , classer
les divers fragmens selon leur mérite, en indiquer les défauts ;
car nous sommes loin de penser que tout soit complet et parfait
338 OFFICES DE l'Église ;
en cette matière. Mais, encore une fois, qu'on craigne de tou-
cher à des choses dont on n'a pas une connaissance suffisante, et
de hasarder des corrections qui pourraient bien être de véritables
barbarismes y sinon de vrais sacrilèges. Mieux vaut attendre un
tems plus propice. Ce tems ne saurait tarder d'arriver, nous en
avons le ferme espoir, et les travaux des nouveaux Bénédictins
de France auront certainement contribué à le rapprocher de
A. combeguille:
* Nos Iccleurs trouveront sans doute ici avec plaisir les trois hymnes
suivantes empruntées au livre de duin Guéranger, et prises aux trois
époques de développement, d'éclat et de décroissance de la littérature
liturgique.
Les deux premières ont été choisies à dessein dans l'office de saint
André, afin de mieux montrer les diverses manières dont un même su
jet a été traité par deux génies éminens , venus à plusieurs siècles de
distance. Dans la première, on reconnaîtra sans peine une teinte de sym-
bolisme antique. Elle est du grand pape saint Damase, l'ami de saint
Jérôme. Dès le début, l'auteur est préoccupé du nom d* André, qui,
entre plusieurs significations, a celle de beauté.
HYMKE.
Decus sacrati nominis, Vous, dont le nom glorieux, et
Vitamque Domine expriraens, sacré présageait la vie, votre nom
Hoc te Décorum praedicat exprime aussi la Beauté dont la
Crucis beatœ gloria. Croix bienheureuse vous a noble-
ment couronné.
Andréa, Christi Apostole, Akdré , Apôtre du Christ !... vo-
Hoc ipso jam vocabulo tre nom seul est un signe qui vous
Signaris isto nomine distingue, un mystique emblème de
Decorus idem niysticè. votre beauté.
Quem Crux ad alta provehit, O vous que la Croix élève jus-
Crux quem beala diligit, qu'aux cieux, vous que la Croix
L AVENT
Cui Crux araara pi-aeparat
Lucis futurae gaudia ;
In te Crucis mysterium
Cluit gemello stigmate,
Dum probra viucis per Crucem
Crucisque pandis sanguinem.
Jam nos foveto languidos,
Curamque nostri suspice
Quo per Crucis victoriam
Cceli petamus patriam.
Amen.
UTURGIQUE. 339
aime avec tendresse, vous à qui l'a-
mertume de la Croix prépare les
joies de la lumière future;
En vous le mystère de la Croix
brille doublement imprimé : vous
triomphez de l'opprobre par la
Croix, et vous prêchez le Sang divin
qui arrosa la Croix.
Désormais donc réchaufifez nos
langueurs ; daignez veiller sur nous,
afin que, par la victoire de la Croix,
nous entrions dans la patrie du ciel.
Amen.
Si le mystère joue un grand rôle dans cette courte composition, celle
qu'on va lire a été entièrement inspirée par la légende. Ici la rime ap
paraît dans toute sa richesse, et le mètre est plein et harmonieux. Le
célèbre Adam de Saint-Victor en est l'auteur :
PfiOSE.
Exultemus et laetemur.
Et Andréa delectemur
Laudibus Apostoli.
Hujus fidem, dogma, mores.
Et pro Christo tôt labores,
Digne decet recoli.
Hic ad fidem Petrum duxit,
Cui primum lux illuxit,
Joannis indicio.
Secus marc Galilseae,
Pétri simul et Andreae
Sequitur electio.
Ambo priùs piscalores,
Verbi fiunt assertores,
Et forma justitiae.
Rete laxant in capturam ,
Tressaillons et réjouissons - nous,
et savourons les louanges de Tapô
tre André.
Sa foi, sa doctrine, ses mœurs,
ses longs labeurs pour le Christ, il
sied de les célébrer.
C'est lui qui mena Pierre à la foi,
luf qui le premier vit briller la
lumière, montrée par Jean -Bap-
tiste.
Aux rives de la mer de Galilée,
Pierre et André sont choisis à la
fois.
Tous deux d'abord pécheurs, de-
viennent les hérauts du Verbe et
les modèles de la justice.
Ils jettent le filet sur le monde,
3/i0
Vigilenique geruntcurani
Nascenlis Ecclesisc.
A fratrc dividitur,
Et in parles mitlitur
Andréas Acliaise.
In Andreae retia
Currit, Dei gratiâ^
3Iagna pars provincial.
Fide, vitil, verbo, signis,
Doctor, pins et insignis,
Cor informât populi.
Ut Egeas comperit
Quid Andréas egerit :
Irœ surgunt stimuU.
Mens secura, mens virilis,
Cui prœscns vita vilis
Yiget paticntià.
Blandimentis aul tormenlis
ISon cnervat robui' mentis
Jiidicis insania.
Crucem videns prœparaii,
Suo geslit conformari
Magistro discipulus.
Mors pro morte sol\ itur
EtCrucisappclilur
Triuniphalis tilnlus.
In cruce vixit biduum .
Yicturus in perpétua m
IN'ec vult volonté populo
Deponi de patibulo.
Ilorà ferè dimidià,
Lucc perfusus nimià,
Cuni luce, cum îxtilià,
Pergit adlucisatria.
OFFICES DE l'église ,'
et leurs soins \igilans s'ëlcudeut
sur toule l'Eglise naissante.
Séparé de son frère , André est
envoyé aux parages de rAchaïc.
Dans les filets dAndré tombe, par
la grâce divine, la province presque
toute entière.
Sa foi, sa vie, sa parole, ses mi-
racles, tout en fait un Docteur de
piété, un Docteur illustre pour for-
mer le cœur du peuple.
Egée apprend les œuvres d'An-
dré, et déjà s'agite sa fureur.
Ame sereine, ùme virile, dédai-
gnant la vie présente, André s'arme
de la patience.
Ni les caresses, ni les tortures,
qu'emploie le juge insensé, n'araol.
lissent son âme vigoureuse.
Il voit préparer la croix, il tres-
saille, impatient d'être un disciple
semblable à son maître.
Il pale au Chiist mort pour mori;
par lui la croix est conquise comme
un trophée triomphal.
Deux jours il vit sur la croix
pour vivre à jamais.
Il résiste au vœu du peuple, et
ne veut point être détaché de son
gibet.
Pendant une moitié d'heure, il
est inondé de clartés-, et dans celle
auréole et cette allégresse, il monte
au palais de la lumière.
L AVI iNT LUI UGioLI
O Andréa gloiios;\,
(^iijus preces prctios»,
Cujus morlis luminoscf
Dnlcis etmemoria.
Al) hac valle lacrymaruin,
Nos ad illad lumen clarum,
Pic Paslor animanim,
Tuà transfer gralià,
A ni en.
() glorieux Aa«lrc, don prtcifttsc
csl la prière, la mort lumineuse, et
suave la souvenance;
Du fond de ce val des larmes,
pieux Paslcur desàmcs, élevez-nous
par votre faveui' jusqu'à volic écla-
tante lumière.
Amen.
Eiilin Phymuc suivante csl tirée du Missel de Cluny, de i5:!3, LVmi
reconnaîtra sans peine le t^enic ilcuri et flanibovaul de Icpoq^r.
rnost EN l'ho-lVNLUr de la sAi>ri: Vieugt.
Arc mundi glori;.i,
Virgo Mater Maria,
Ave, benignissima.
Ave, plena gratià,
Angelorum domina,
Ave, prœclarissima.
Ave, decus Virgiuum ,
Ave, salus hominum,
Ave, potentissiraa.
Ave, Mater Domini,
Geuitrix Altissimi,
Ave, prudentissima.
Ave, mater gloriœ,
Mater indulgentia*,
Ave, beatissima.
Ave, vena veuia?,
Fons misericordiro,
Ave, clemenlissima.
Ave, mater luminis,
Ave, honor Ktheri?,
Ave, porta cœlica,
Ave, screnissima î
Ave, candens liliuni,
Uk" SÉRIE. TOJIli VI.
Salut, gloire du moiid<', Vjcigc
Mère, ô Marie très dcbojuiairc ,
salut!
Salut, j)k-ine de grâce, souve
lainc des Ange?, liés glorieuse,
salut!
Salut, honneur des ^ icrgcs : salut
jirolectrice des hommes; très puis
saute, salul !
Salut, Mère du Seigiieur , qui
avez enfanté le Très-Haut, salat, ô
très prudente I
Salut, ii)èrc do gloire, mère de
clémence; salut, ô trèshcureuscî
Salut, source de pardun, fon-
taine de miséricorde; salut, o très
clémente !
Salut, mère de lumière ; rakit ,
honneur du firmament ; salut, porte
du ciel j salul, o très sereine!
Salut, blanc lys; salut, parfum
^'^35. 1842. " 22
342
Ave, opobalsamum,
Ave, fumi virgula ;
Ave, splendidissima.
Ave, Mitis,
Ave, dulcis,
Ave, pia,
Ave, laeta,
Ave, lucidissinia,
Ave, porta,
Ave, virga,
Ave, rubus,
Ave, vellus,
Ave, felicissima.
Ave, clara cœli gemma,
Ave, aima Christi cella,
Ave, venustissima.
Ave, virga Jesse data,
Ave, scala cœli facU ,
Ave, nobilissima,
Ave, slirpe generosa,
Ave, proie gloriosa,
Ave,-foetu gaudiosa,
Ave, excellentissima.
Ave, Virgo singularis,
Ave, dulce salutaris,
Ave, digna admiraris,
Ave, admiraudissima.
Ave, turtur, tu quae munda
Castitate, sed fœcunda
Charitate, tucolumba,
Ave, pudicissima.
Ave, mundi imperatrix,
Ave, Dostra mediatrix ,
Ave, mundi sublevatrix,
Ave, nastrnm gaudium.
Araen.
L AVEiNT LITURGIQUE.
balsamique ; salut , flocon léger
d'encens; salut, ô très resplendis-
sante!
Salut, ô pacifique ! salut, ô douce;
salut, O pieuse ! salut, à gracieuse !
salut, ô très lumineuse!
Salut, porte céleste ; salut, verge
prophétique ; salut, buisson enflam-
mé, salut_, toison mystique ; salut, o
très fortunée !
Salut, radieuse perle des deux ;
salut , féconde demeure du Christ :
salut, ô très belle!
Salut, branche nouvelle de Jessé;
salut, échelle qui touche au ciel ; sa-
lut, ô très noble!
Salut , fille de race généreuse :
salut, mère au glorieux Fils ; salut,
sein fécond en joie; salut, ô très
excellente !
Salut, vierge singulière; salut,
aimable source de bonheur; salut,
digne d'admiration; salut, ô très
admirable !
Salut, o tourterelle ! pure en chas-
teté, mais féconde en charité ; co-
lombe très pudique, salut !
Salut, impératrice du monde;
salut, notre médiatrice; salut, pro-
tectrice du monde; salut, ô notre
joie !
Amen.
MOrsUM£I\S AU 3I0YEN-AGË. 343
ôeaiix-^viQ,
ARCHÉOLOGIE CHRÉTIENNE,
ou
PRÉCIS DE l'histoire DES MONU3IENS RELIGIEUX
AU MOYEN-AGE '.
Au milieu de la réaction qui, depuis quelques années se mani-
feste de toutes parts en faveur de l'architecture religieuse du
moyen-âge, si longtems flétrie de l'épithète aussi injurieuse
qu'impropre de gothique; parmi cette foule d'hommes aussi
instruits que zélés qui ont pris à tâche d'élever l'archéologie chré-
tienne, si longtems dédaignéee et arriérée, au niveau de l'ar-
chéologie païenne, personne ne s'était encore préoccupé de po-
pulariser au moyen d'un livre , également à la portée de toutes
les bourses et de toutes les intelligences, un genre d'études dont
la propagation intéresse si vivement la conservation de nos édi-
fices religieux , la plus glorieuse portion de nos antiquités natio-
nales. M. Bourassé a donc rendu un véritable service aux études
d'archéologie chrétienne , en publiant un ouvrage spécialement
destiné «t aux personnes qui désirent prendre une notion exacte
» de nos riionumens chrétiens, sans faire une trop grande dé-
» pense de tems et d'argent. » Ce livre , écrit dans un style fa-
"^ Par M. l'abbé J.-J. Bourassé, professeur d'archéologie au petit sé-
minaire de Tours, membre de la Société française pour la conservation
des monumens historiques et de la Société archéologique de Touraine ,
I vol. iu-8" de xu ch. et 364 pages, orné de gravures siu' bois; à Tours,
chez A. Marne, et C^, imprimeurs-libraires. Prix 3 fr.
( lie Cl c'icjjant, orné de nombreuses gravures sur bois, eoniplé-
ment indispensable des définitions arcliilectonique?, se divise en
deux parties, dont l'une peut être considérée comme l'intro-
duction naturelle à l'autre.
Dans la première, l'auteur si^^nale en passant l'origine égyp-
tienne de <. celte architecture essentiellement symétrique, qui
» prit naissance sous les heureuses influences du ciel de la Grèce
M et de rionie ; » en expose rapidement les premiers principes;
indique et définit les caractères et les principales moulures des
ordres dorique^ ionique et corinthien , et enfin les modifications
que rarchitecture grecque subit en Italie par l'adjonlion des
ordres toscan et composite^ par l'introduction de l'arc et de la
voûte. Cet aperça concis et impartial, où l'auteur, exempt d'une
admiration trop exclusive pour rarchitecture chrétienne, rend
pleine justice, à la pureté', à la grâce et à l'harmonie des édifices des
beaux siècles de la Grèce, sans y reconnaître toutefois « le dernier
» terme où puisse parvenir le génie de l'homme, » est suivi de la
nonieiïclature non moins rapide des différens monumens attri^
bues aux Celtes. « Produits d'une civilisation barbare, entière-
» ment dépourvus des conditions de l'art, ces monumens oilVent
» cependant un système arrêté, facile à reconnaître à ses dispo-
» sitions générales; mais on ne possède rien de positif ni de précis
» sur leur destination , au sujet de laquelle on n'a pu, jusqu'à
M présent, que former des conjectures plus ou moins vraisem-
» blables. »
Abordant ensuite rarchéologie sacrée, objet principal de son
travail, M. Bourassénous signale, dans les catacombes et dans les
grottes naturelles ou factices, où les perse'cutions des empereurs
obligèrent les premiers iidèles à chercher un asile, les plus an-
ciens et les seuls monumens du christianisme naissant, les mo-
destes édifices élevés antérieurement au 4* siècle, à la faveur d'un
calme passager, n'ayant pas même laissé de ruines. Il ne nous
reste donc de ces tems reculés que dos galeries et des salles sou-
terraines plus ou moins spacieuses, d'une fonne plus ou moins
vcj;uliric, où les i»icmicrs chrétiens Sf réunissaient pour la célé-
bration de Icuiii uiyslèrc^ sacrcii , ([uclqucb autelci de picric^ for-
AU MOVl'N-AGK. .1/15
mes le plus souvent de l'urne sépulcrale d'un niaityi . iccou-
verle d'une table de marbre -, des tondjeaux, ornes quelquefois,
sur leur face antérieure, de sculptures représentant des tiaits bi-
bliques, des scènes allégoriques, les emblèmes du martyre, des
symboles ou des mono[;rammes ; enfin des restes de peintures ,
moins remarquables sans doute, sous le rapport de l'art, que par
le sentiment religieux qui y domine. Lorsque, après trois siècles
de souffrances et d'épreuves, la religion sortit pour jamais des
cryptes , les évèques, au lieu de s'emparer des temples magnifi-
ques que leur abandonnait la piété de Constantin , mais qu'a-
vaient souillés les mystères impurs du paganisme, jetèrent les
yeux sur les basiliques affectées à l'administration de la justice
et aux affaires commerciales; ces édifices, facilement adaptés
aux cérémonies chrétiennes, devinrent bientôt, sauf de lé-
gères modifications, le type de la plupart des églises construites
en Occident et même à Constantiuople.
Après quelques explications sur la naissance et les premiers
développemens de rarchitecture byzantine, sous la double in-
fluence des souvenirs importés en Orient de Rome et de l'Italie,
et des inspirations indigènes, l'auteur établit la classification des
styles architectoniques au moyen-ûge, et croit devoir designer la
première période (4oO à 1200 environ), sous le nom de romano-
byzantine i afin de bien indiquer, dit-il , les deux élémens qui
constituent l'architecture de cette époque. Les limites de cet ar-
ticle ne nous permettent pas d'entrer dans de grands délails ;
nous ne nous arrêterons pas à discuter si Tintluence bvzantine a
été toujours et partout assez marquée pendant la période romaine,
pour que cette dénomination doive s'appliquer également aux
tliffércntes divisions de l'architecture antérieure au 13e siècle;
uQ^s dirojis seulement, avec ^\. I)oura>sé, qu'après le baptême de
Clovis, les édifices religieux se multiplièrent rapidement chez
nous, mais que «les constructions régulières de celte époque,
» dont le plein-ciutre est un des principaux caractères , ne furent
»» et ne pouvaient être que de maladroites imitations, que d'inin-
»» telligeutes copies des ruines romaines qui couvraient encore le
^> pays. Cette architecture, si l'on peut lui donner ce nom, ne fut
346 MONUMENS rF.LlGlEUX
» donc que l'architecture romaine, mais parodiée, abâtardie, dans
» un état avoue' de dégénérescence. »
Sous le règne de Charlemague , l'art s'élève à un assez haut
degré, et grâce aux migrations d'artistes grecs que ce prince avait
attirés dans son empire, le style byzantin se montra sur diffé-
rents points de l'Italie et des bords du Rhin. Mais les dissentions
intestines, l'invasion des Normands et l'attente de la fin du
monde, que l'on croyait devoir arriver vers l'an 1000, firent
déchoir rapidement l'architecture de l'état prospère où elle était
parvenue. Lorsque le 10^ siècle fut expiré sans avoir amené « la
» fatale catastrophe attendue avec tant d'angoisses, une incroyable
» activité s'éveilla au fond de tous les esprits , et communiqua
» une impulsion puissante aux arts. >> Les anciennes constructions,
que la crainte de la mort avait fait négliger furent bientôt répa-
rées ; de nouveaux édifices s'élevèrent sur de plus grandes pro-
portions que dans les siècles pre'cédens; l'exécution matérielle,
très-néglige'e jusqu'alors, s'améliora sensiblement ; enfin l'influence
byzantine, favorisée parles pèlerinages en Orient, devenus plus
fréquens , et surtout par les croisades, vint couvrir toutes les par-
ties des édifices d'une profusion d'ornemens aussi riches que va-
riés. C'est surtout à partir de ce siècle, comme l'observe très-bien
M. Bourassé, que l'architecture chrétienne résume en elle les deux
élémens, oriental et occidental, et qu'elle porte à juste titre le
nom de romano-byzantine.
Mais pendant que cette architecture se développait et se per-
fectionnait, pendant que le goût byzantin se naturalisait de
plus en plus dans nos contrées, et introduisait un élément nou-
veau dans l'ornementation des édifices par la renaissance de
la statuaire, une révolution presque générale, mais plus ou moins
rapide, plus ou moins complète, suivant que les souvenirs de
l'art antique étaient plus ou moins vivaces dans certaines pro-
vinces, se préparait vers le milieu du 12'^ siècle par la substitu-
tion de l'arc en tiers-point ou ogtVe, au plein-cintre, romain.
« Cette différence, capitale dans la forme des arcades, jointe à
» plusieurs autres caractères, établit un caractère essentiellement
» distinctif entre l'architecture nouvelle et celle ^qui l'avait précé-
AU MOYEN- ACE. 347
»> dée. » Toutefois cette modification ne fut ni immédiate ni ex-
clusive, et, pendant toute la période de transition , l'ogive, encore
lourde et couverte des moulures du style romano-bjzantin, se
montre simultanément avec l'arcade en plein-cintre.
Après avoir analysé succinctement les principales opinions
émises jusqu'à ce jour sur l'origine de l'ogive et du style ogival,
et avoir essayé d'expliquer une révolution aussi surprenante par
des considérations purement philosophiques et religieuses, dont
l'influence est incontestable sans doute, mais qui ne sauraient
dispenser de la recherclie des causes matérielles d'un aussi grand
changement, notre auteur passe à l'examen de cette architecture
ogivale, si éminemment religieuse, qui « a régné dans l'Europe
» septentrionale pendant la plus belle partie du moyen âge, et,
>» dans sa fécondité sans exemple, a laissé à sa surface un nombre
» prodigieux de chefs-d'œuvre. » Il suit les différentes phases de
son développement , caractérisées chacune par une physionomie
spéciale, par des procédés particuliers, par des différences sensi-
bles, soit dans la disposition générale des édifices^ soit dans quel-
ques dispositions partielles , soit même dans Fornementation, à
l'aide desquelles on a divisé la période ogivale en stfle ogival pri-
maire ou à lancettes (1200 à 1300), style ogival secondaire ou
rayonnant (1300 à l400) et style ogival tertiaire on Jlamboyant
(1400 à 1550 environ). M. Bornasse ne croit pas devoir établir,
comme M. de Caumont, deux époques distinctes de 1400 à 1550,
cette division ne lui paraissant pas suffisamment fondée. Nous
conviendrons volontiers qu'il est très difficile de préciser une li-
mite naturelle où doit finir le style flaniboyant et commencer le
style fleuri ; que les différences existant entre les monumens de la
fin du 15^ siècle et du commencement du 16^ sont quelquefois
très légères , mais nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il y a une res-
semblance parfaite dans tous les détails ; il nous semble, au con-
traire , qu'un grand nombre d'églises présentent des différences
frappantes , surtout dans l'ornementation des voûtes , dans les
compartimens des fenêtres, dans l'emploi de quelques ornemens
nouveaux, et enfin dans l'extrême finesse et le travail contourné
des feuillages. Si l'on nous oppose que ces modifications ne sont
que Icsilûvoloppcmens ilu slyle flamboyant, h de nouvelles fleurs
» et (le nouveaux feuillages ajoutés à la parure d'une même
» plante, » nous répondrons que cette objection s'appliquerait
é{;alement au style ogival tertiaire relativement au style secon-
daire^ aucune modification importante dans la forme des édifices
ne distinguant ces deux époques, et les différences se bornant
aussi aux détails de l'ornementation. Il y aurait donc lieu, selon
nous, à établir au moins deux subdivisions dans la période ogi-
vale tertiaire ou flamboyante.
Quoi qu'il en soit de celte question de classification, le style
ogival approchait de son terme , et, après qu'il eut parcouru ses
diverses périodes de perfectionnement et de dégénération , on
l'abandonna entièrenjent , vers le milieu du 16^ siècle , pour re-
prendre le plein-cinlre, oublié depuis si longtems , pour revenir
aux procédés des anciens. Mais avant d'arriver aux formes pures
de l'art grec et de l'art romain, il y eut dans l'architecture une
espèce d'oscillation, le plein-cintre allia sa gravité à l'élégance du
stvle oj^ival fleuri et se montra tout couvert des ornemens nom-
lueux des édifices gothiques de la dernière époque : c'est, à pro-
prement parler, ce style de transition, qu'on a appelé architecnire
de la Renaissance, Les monumens de cette époque , plutôt privés
que publics, se distinguent par une ornementation riche et sa-
vante, présentant à côté des parties d'emprunt, des dispositions
et des décorations originales que le style de la Renaissance peut
revendiquer avec honneur; né vers la fin du ]5e siècle, ce style
ne se prolongea pas au-delà du 16^ — Une courte notice sur
Torigine de la peinture sur verre, ses dilférens genres, ses diverses
périodes de progrès et de dégénérescence, et son abandon au
17^ siècle, complètent l'histoire de l'architecture religieuse au
moyen -âge.
Pour faciliter l'application des principes établis dans son ou-
vrage, M. Lourassé a eu soin d'indiquer, à la suite des diflérentes
périodes architectoniques qui y sont développées, une série d'é-
difices pouvant être étudiés comme types de chacune d'elles; mais
( c que nous ne saurions Irop louer, ce sont les deux chapitres
ionf^acré^ ù la géograj»hio et an synchronisme des difl^éjcnts styles
vorARiiAinR DR r.'ARcrr/:or.or.ih rnai-TiF.NNr. o^iO
craicliitectuie durant les pe'i iodes loniaiio -byzantine et o^jjivale ;
il importait, en ciYet, de bien constater que les divisions avcbi»
lecloniques du moyen-àge n*ont rien d'absolu, que la niarclie de
VaiU soumise à des influences plus ou moins propices, n'a pas
toujours été constante; et d'indiquer son développement plus
ou moins rapide, plus ou moins parfait dans les diAérentes éco-
les , comme aussi les principales nuances d'ornementation qui
les distinguent entre elles. jNous regrettons de ne pouvoir suivre
M. Bourassé dans cet examen et dans les détails si intéressans
qu*il nous donne sur les catacombes, sur la distributiou des ba-
siliques et des e'glises grecques, enfm sur les moyens d'exécution
employés au moyen-àge pour l'érection de nos magnifiques ca-
thédrales, etc., etc.; nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à
son livre. Mais nous croyons rendre service aux lecteurs des
Annales en transcrivant dans nos pages le Vocahalaire des mots
techniques de V archéologie chrétienne ^ lequel les mettra à même
de comprendre et de définir toutes les parties qui entrent dans
1 a construction des édifices religieux, ^ous le complétions en y
insérant Ips mots cryptes, dolmen. kromUch, peuh'an et tîilithc.
U A.
VOCABULAIRE
DES MOTS TECHNIOCES
DE L'ARCHEOLOGIE CHRETIENNE.
A
Abside. Partie semi- circulaire du sanctuaire d'une église, où
siégea primitivement l'évéque, et où plus tard on plaça géné-
ralement l'autel. On dit aussi apside.
Acanthe. Plante épineuse à feuilles sinuées : elle pousse dans les
terrains incultes et humides du midi de l'Europe.
Acrotère. Espèce de piédestal de petite dimension au-dessus ou
aux angles d'un frontispice; destiné à supporter des vases ou
des statues.
350 VOCABULAIRE
Amhon. Tribune en forme tle chaire d'où Ton faisait ancienne-
ment aux fidèles la lecture de Tépître et de Tévangile à la
messe.
Amortissement, Ce qui termine le comble d'un bâtiment, et, par
extension , tout ornement qui couronne un morceau d'archi-
tecture : Tarcade cintrée ou ogivale est considérée comme un
amortissement curviligne.
Amphithéâtre. Théâtre double, suivant l'étymologie grecque. Il
était composé de deux hémicycles.
Antimonite de plomb. Composé d'acide d'antimoine (acide anti-
monieux ) , espèce de métal blanc , très fragile , et de plomb.
Cette substance entre dans la composition des verres peints.
Appareil. C'est la hauteur de la pierre taillée. On a distingué
trois appareils : le petit appareil, emprunté des Romains, com-
posé de pierres de 10 centimètres sur chaque côté; le moyen
appareil, formé de pierres de 20 à 25 centimètres ; et le grand
appareil, formé de pierres de dimensions considérables.
Aqueduc. Construction pour la conduite des eaux. Il y a des
aqueducs souterrains ; il y a aussi des aqueducs appuyés sur
des arcades.
Arabesques. Mélanges d'ornemens et de figures imaginaires, em-
pruntés à l'art mauresque.
Arcature. Petit arc destiné à unir entre eux les modillons des
corniches.
Archéologie. Suivant l'étymologie grecque, ce mot signifie science
de V antiquité.
Architrave. Partie de l'entablement qui repose sur le chapiteau
des colonnes.
Archivolte. Bandeau orné de moulures qui règne autour d'une
arcade, et qui repose sur les impostes.
Arc-houtant. Pilier courbé en demi-arc pour soutenir les mu-
railles. On l'appelle encore arc-rampant , parce que les deux
points d'appui de l'arcade sont à des hauteurs inégales.
B
Badigeon. Le badigeon se fnit avec des morceaux de pierres teni
DF l'archéologie ciirétiennf. 351
dres délayées dans l'eau avec une matière colorante. Sa com-
position a varié suivant les caprices.
Baguette. Petite moulure demi-ronde dont la saillie est égale à
la moitié de la hauteur.
Balustrade. Appui composé d'une suite de balustres, sortes de
petits piliers renflés à leur partie inférieure. On a étendu ce
mot à toute espèce de clôtures à claire-voie.
Base. Partie inférieure d'un piédestal , d'une colonne ou d'un
pilastre.
Bas-relief. Sculptures à demi engagées dans le bloc de marbre
ou de pierre : les figm*es de haut-relief en sont presque com-
plètement détachées.
Boudin. Moulure demi-ronde_, nommée aussi tore.
C
Cannelures. Sillons arrondis creusés longitudinalement sur le fût
d'une colonne ou d'un pilastre.
Cavet. Moulure concave formée du quart de la circonférence.
Chapiteau. Couronnement posé au sommet de la colonne.
Chevet. Partie de l'église située derrière le maître autel.
Chrome. Substance métallique nouvellement découverte , ainsi
nommée parce que toutes ses combinaisons sont colorées. On
l'emploie dans la peinture vitrifiée.
Cihoriiim, Sorte de vase chez les Egyptiens. On a donné ce nom
au dôme qui surmontait l'autel des premières basiliques.
Clef de voîlte. Dernière pierre placée au centre d'une voûte pour
la fermer.
Clocheton. Petite pyramide appuyée aux angles des édifices, ou
sur les contre-forts.
Cobalt. Substance minérale employée dans la peinture sur verre.
Comble. Assemblage de toute la couverture d'un bâtiment.
Congé. Moulure creuse, diminutivc du cavet, destinée à relier
ensemble deux membres d'architecture.
Contre-fort. Pilier saillant, prêtant appui aux arcs-boutans, ou
soutenant les murs élevés.
Corbeau. Pierre saillante en forme de console, diversement or-
née. Ce mot a la même signification que mcdillon.
352 vorABULAini-..
Corniche. Pariie siipt'rleuie de l'enlablemcnt, et cm oie coin on-
iiement composé de moulures plus ou moins riches.
Coupole. Partie concave d'un dôme.
Croisée. Ce mo.t a la mèine signification que transsept. Partie qui,
dans le plan d'une église , représente les branches de la croix.
Ce ternie est improprement appliqué aux fenêtres des églises.
Crj'ptes. Lieux cachés, lieux souterrains, d'un mot grec qui veut
dire littéralement cacher. — Au moyen-âge, on donnait ce nom
aux caveaux ou chapelles souterraines creusés immédiatement
au-dessous de l'autel et renfermant ordinairement le corps
d'un martyr, afin de rappeler les tems de persécution, où l'on
célébrait les mystères dans les catacombes et les grottes, sur
les tombeaux des chrétiens morts pour la foi.
D
Dais. Couronnement en pierres ciselées au-dessus des statues
des saints dans les églises ogivales.
Dé. On appelle ainsi le corps ou le fut du piédestal.
Denticules. Tics petits modillons.
Diacoriicum. On a donné ce nom, dans les premières églises, à
une construction isolée, destinée à conserver en dépôt les vases
sacrés et les ornemens sacerdotaux.
Dolmen [dol, table, inacn , jnen, pierre). Monument druidique
qu'on pense généralement avoir servi d'autel ; composé ordi-
nairement de plusieurs pierres brutes verticalement implan^
tées en terre et qui en supportent une plus grande également
brute, mais aplatie, placée horizontalement en forme de table
grossière.
Dôme. Voûte hémisphérique élevée à une grande hauteur, ordi-
nairement au-dessus de la partie centrale d'une église.
Donjon. Tour dominante dans un château fort, sur laquelle est
une tourelle ou guérite pour les reconnaissances.
Voucine. IMoulure moitié convexe et moitié concave , composée
d'un cavet et d'un quart-de-rond.
Di: L AIICJILULUGH: CIIilLlli.AM:. oOo
E
liiilahlemcnt. Assemblage de niouluies fjui cuinonncat un L'A-
liment ou un ordre d'arcli tecUiic. 11 est compose de l'ai-
chiliave, de la frise et de la corniche.
Enroulement. On appelle ainsi toutes les lignes ou ornenjens qui
se terminent en spirale. U enroulement riehe est une des plus
élégantes moulures.
Entrelas ou entrelacs. Orneniens de fleurons liés et croises les uns
avec les autres.
Entrecolonnement. Espace vide réservé entre«deux colonnes.
Eperon. Pilier adhèrent à un mur pour en arrêter Técait
Extrados. Surface convexe extérieure d'une voùlc.
F
Edite. Voyez Comble,
Filet. Petite moulure carrée qui en accompagne ordinairement
une autre plus grande. On l'appelle aussi listel.
Eleuroii. Ornement d'imagination imitant une fleur composée de
cinq pétales épanouis autour d'un centre en saillie.
Fresque. Peinture à l'eau, appliquée sur un enduit de mortier
frais.
Frise. Partie de l'entablement située entre l'architrave et la cor-
niche.
Fronton. Corniche triangulaire qui couronne Ventrée d'un édi-
fice.
Fût, Partie cylindrique d'une colonne entre la base et le cha-
piteau.
Gargouille. Prolongement en pierre en forme d'animal mon-
strueux pour Técoulement des eaux.
Gorge, Moulure concave, demi-ronde, dont la profondeur égale
la moitié de la hauteur.
Gothique. Qui vient des Goths. Terme appliqué très impropre-
ment à l'architecture ogivale. Il est maintenant consacré par
Tusage.
354 VOCABULAIRE.
I
Imposte, Assise en pierre qui termine un jambage ou pied-droil,
souvent ornée de moulures.
Intrados. Surface intérieure d'une voûte, d'un arc, d'une
voussure.
J
Jambage. Construction , élevée à plomb , pour soutenir quelque
portion d'un biliiment. On dit jambage [de porte, d'arcade, de
cheminée. ^
Jubé. Lieu élevé en forme de galerie dans une église entre le
chœur et la nef. Ce terme a pour origine le premier mot que
prononce le diacre en demandant la bénédiction de Tévêque
ou du prêtre, avant de commencer la lecture de l'évangile.
K
Kromlech (de crom, courbe, leck^ épine). Enceintes le plus sou-
vent de forme circulaire ou elliptique , formées de pierres
brutes plus ou moins volumineuses fichées verticalement.
L
Larmier. Moulure large et saillante placée dans la corniche de
l'entablement ; elle sert à protéger les murs de l'édifice de l'é-
coulement des eaux pluviales.
Lichaven. Voyez Trilithe.
Linteau. Pièce de bois ou de pierre posée horizontalement sur
les jambages d'une porte ou d'une fenêtre.
Listel. Voyez Filei.
M
Manganèse. Métal gris-blanc , fragile et très peu fusible. Il sert
dans l'art du peintre verrier.
Meneau. Montant ou traverse en pierre, en bois, en fer, qui par-
tage une fenêtre en plusieurs portions.
Menhir. Pierre levée, de deux mots celtiques, maen, men, pierre,
hir, longue.
DE l'archéologie CIIRÉTIEjN'KE. 355
Minute, Division conventionnelle du module.
Modillon. Petite console en saillie, placée sous une corniche.
Voyez Corbeau.
Module, Mesure qu'on prend pour régler les proportions d'un
ordre d'architecture. C'est le demi-diamètre de la colonne pris
à la base.
Monolithe. Çtowv^osè d'une seule pierre, suivant Tétymologie
grecque.
Mosaïque. Ouvrage de rapport , où, par le moyen de petites
pierres et de petits morceaux de verre différemment colorés,
on représente des figures et même des tableaux.
N
Nnos. Mot grec qui signifie le temple proprement dit, ce que les
Latins nommaient cella.
O
Obélisque. Pyramide étroite ef longue, faite d'une seule pierre,
élevée pour servir de Aonument public.
Ogive. Arcade curviligne^ terminée en pointe.
Oxyde. Substance combinée avec l'oxygène, partie constituante
de l'air atmosphérique. Différens oxydes de métaux sont em-
ployés dans la peinture vitrifiée.
Parvis. Vestibule, enceinte, place située à la porte d'une grande
église.
Piédestal. Première partie d'un ordre sur laquelle est appuyée la
colonne. Elle se compose de la base , du dé et de la corniche.
On élève des piédestaux isolés pour placer des statues, des vases.
Pied-droit, ou piédroit. Voyez Jambage.
Pilastre. Pilier carré en saillie sur le mur, qui a les mêmes pro-
portions que l'ordre employé dans un édifice. On l'appelle
vulgairement colonne plate.
Pinacle. Cotnble terminé en pointe que les anciens mettaient au
haut des temples pour les distinguer des maisons dont le com-
Of){J VOLABLLAIliK
ble L'IaiL plat, ou en manière de plaie loiiue. On a donné ce
nom à des espèces de pyramides très ornées, fréquemment em-
ployées dans rarchitccture ogivale.
Fcndentif. Portion de voûtes suspendue entre les arcs doubleaux
et les ann;les d'une voûte sphériquc. On a quelquefois appli-
qué ce mot à la clef de voûte, quand elle est très saillante.
Pcuh'an. Pilier, pierre levée , de peul, pilier, vaen , van , pierre,
même signification cjue maeii^ men.
Plate-bande. Moulure large et peu saillante.
Portique* Espace compose de voûtes , ou d'arcades non fcrmcc.'î
et supportées par des colonnes ou des pilastres.
Pouzzolane. Terre volcanique excellente pour faire du mortier
hydraulique. On en trouve aux environs de lou» les volcans
actifs ou éteints, surtout auprès de Pouzzole, en Italie.
Pronaos. Vestibule, suivant la traduction du mot grec.
0
Quarl'de-rond. Moulure circulaire saillante, formée du quart de
la circonférence.
R
Rinceaux, Feuillages qui servent d'ornemens.
Piond'point. Voyez Abside.
Rosace. Ornement gothique ressemblant au fleuron, mais com-
posé d'un nombre indéterminé de lobes ou de divisions. On
emploie encore ce mot pour désigner les belles roses gothiques.
S
Sarcophage. Tombeau dans lequel les anciens déposaient les
corps qu'ils ne voulaient pas brûler.
Scotie. Moulure creuse formée de deux cavets dont les centres
sont pris à volonté.
Soubassement. Piédestal continu; on dit encore stjlobatc.
Statuaire, L'art de faire des statues.
Stjlobate. Voyez Soubassement.
Suùstruislion, Construction piisc en sous-o:uvrc dans un édifice
DE l'archéologie chrétien îNi:. 35Î
plus ancien. On étend ce mol à toute construction posléiicure
au corps de l'édifice.
T
Tailloir. Morceau de pierre cairc , aplati, qui couronne les ilia-
pileaax des colonnes.
Talon. Moulure composée d'un quart- de-rond et d'un cavet.
Temenos. Enceinte sacrée, champ ou bois sacré.
Thermes. Bàtimens destinés pour les bains. Il y en avait de pu-
blics; la plupart étaient dans les dépendances des paiais des
empereurs romains et des citoyens riches.
Tombelle. Monticule faciice élevé sur les restes mortels des Gau-
lois. On en trouve chez presque tous les anciens peuples.
Tore. Moulure semi-circulaire dont la saillie égale la moitié de
la hauteur.
Tri^ljphes. Ornement d'architecture dans la frise dorique, com-
posé de deux cannelures en triangle, et de deux demi-canne-
lures sur les côtés.
Trilithe (du grec treis^ trois, lilhos, pierre). Monument celtique
composé de trois pierres , dont deux verticales reliées à leur
sommet par une troisième posée horizontalement, de manière
à présenter la forme d'une porte.
Trilobés. Arcade composée de trois lobes.
Transsept. Voyez Croisée.
Tjmpan. Espèce de fronton compris entre les trois corniches. Un
a étendu la signification de ce mot à la partie des portes ren-
fermée entre le linteau et l'arcade.
Foie. Les voies romaines sont de grandes routes militaires.
Foussurc. Courbure ou élévation d'une voûte et d'une arcade.
FIN DU VOCABULAIRE.
me SÉRIE. lOME VI. — No 35. 1842. 23
J58 FOI A LAUTHENTrCITÉ
Critique 6iblique.
Comment la foi
4
L'AUTHENTICITE DU PENTATEUQUE
S'EST AFFAIBLIE.
deuxième atinU ^
Déchéance du scepticisme exégétique dans la littérature profane. —
Causes de succès dans la littérature sacrée. — Crédulité des Exégètes
incrédules. — Les historiens les plus célèbres de l'Allemagne ont con-
tinué de tenir le Pentateuque pour authentique , et n'ont pas écouté
les réclamations de l'exégèse rationaliste. — Héeren, J. de MuUer,
Laden, etc.
Les causes générales, que nous avons indiquées dans le dernier
article, sont loin d'expliquer complètement les attaques dirigées
contre le Pantateuque ; elles peuvent faire concevoir la négation
de son authenticité , comme une prétention passagère , comme
une tentative d'individus isolés ; mais elles ne rendent pas compte
de Topiniâtretë avec laquelle on persévère dans cette négation , et
encore moins de l'immense succès obtenu par une entreprise
aussi téméraire.
En effet , la période du doute à tout propos et sur tout n'eut
qu'une courte durée dans la sphère de la littérature profane ; si
cette fausse tendance n'est pas entièremnt détruite, on n'en ob-
serve les symptômes que chez un petit nombre d'écrivains. Les
• Voir le i**^ article, au n° 3i, ci-dessus, p. 7.
DU PENTATEUQUE. 359
critères externes ont recouvré une partie de leurs dioils , et on
agitnioins sans façon à l'égard àescritcres internes. Avantde juger,
on cherche à comprendre. A défaut de motifs plus sérieux , l'or-
gueil nous porte, ne fût-ce que pour changer, à réédiûer ce que
l'orgueil a démoli ; avec le tems, on restitue à chacun tout ce
qu'on lui avait injustement enlevé. Qui ne connaît la tournure
qu''ont prises, dans ces derniers tenis, les recherches sur Homère'?
Il existe une différence esscniielle entre les anciens représentans
du scepticisme et ceux d'aujourd'hui. Là où les premiers n'a-
percevaient que désordre et hasard, ceux-ci reconnaissent unité
profonde, ensemble organique; mais le contraire a lieu î l'égard
du Pantateuque, contre lequel on reproduit constamment l'ob-
jection absurde de sa composition fragmentaire. — Les discours
de Cicéron, attaqués par Wolf> sont reconnus pour authentiques;
Les jugemens téméraires de Socher sur les dialogues de Platon
ont été accueillis avec indignation ; et le jugenient d'Ast, qui re-
jette quelques-uns des moins importans, est regardé comme trop
sévère. Au lieu de rejeter tout d'abord les critères externes de
leur authenticité, on se contente de regarder ces ouvrages comme
des productions peu mûries du génie de Platon'.
On avait contesté que le viif livre de Thucydide fût de lui, à
cause de la différence qui existe entre ce livre et les autres. Sui-
vant Niebuhr, c'est trancher le nœud gordien; c'est porter un
jugement arbitraire et peu seusé. «< Je crois, dit-il % qu'en cela il
» faut plutôt reconnaîtie le sentiment parfait des convenances ,
>» que possédait ce grand écrivain. De même que le ton majes-
» tueux et digne s'élève de plus en plus jusqu'au moment de la
>» catastrophe qui eut lieu en Sicile, de même aussi la narration
)) prend un ton différent dès que l'histoire elle-même perd de sa
)' grandeur... Un écrivain médiocre se serait cru dans l'obhgation
• Voir Le Pentateuque dans ses rappoits avec la littérature, p. 410.
• V. Ritter, Hist. de la philos., t. 11; — Ackermann; Ce qu'il y a de
chrétien dans Platon, p, 11.
» Voir ses Pttits écrits, p. 469.
360 1 01 A l' ALTHEiNTICiTÉ
» de conserver le même ton solennel. Thucydide aura pris de
» nouveau le style majestueux vers la fin de la guerre et pen-
» dant la tyrannie ; mais le tems des longues souffrances , du-
» rant que la lutte était encore indécise, devait être raconté d'une
» façon plus modeste. » — Combien la différence d'exposition,
signalée entre le Deutéronome et les autres livres du Penla-
teuque, n'est- elle pas plus facile à expliquer par des critères in-
ternes! Combien la sagacité , 'développée ici par Niebulir, est
moins nécessaire à l'égard de ce livre sacré I La cause de la diffe'-
rence en question se présente d'elle-même à tout esprit dégage'
de prévention, et, si on la rejette sèchement, si l'on s'empresse de
conclure la diversité des auteurs, évidemment c'est qu'il y a ici
en jeu des intérêts auxquels la littérature profane est étrangère.
Nous croyons pouvoir l'affirmer, une critique aussi puérile et
aussi arbitraire que celle de deWette, si elleeiitété dirigée contre
un ouvrage dépourvu de tout caractère religieux, n'eût servi qu'à
procurer à cetexégète la triste célébrité d'un Hardouin. Supposez
de même que de Vatke eût jugé à propos d'exercer sa sagacité,
non point sur le Pentateuque, mais sur Hérodote , par exemple;
sans aucun doute , son livre serait tombé dans le sépulcre de
l'oubli, en sortant du sein qui l'aurait conçu.
Un grand nombre de ceux qui contestent hautement l'authen-
licité du Pentateuque montrent, dans d'autres circonstances, une
incapacité surprenante pour la critique historique. Dans plus d'un
cas, on les trouve disposés à admettre l'authenticité aussi facile-
ment et sur des motifs aussi légers que jamais aucun exégète de
l'antiquité a pu le faire , et cela nous fait voir combien le pen-
chant de notre siècle au scepticisme est insuffisant pour donner
la solution de notre problème. Volney, par exemple, refuse au
Pentateuque toute base historique, et cela avec une audace digne
de Voltaire ; il donne au xiv' chapitre de ses recherches sur l'his-
toire ancienne ce titre dérisoire : Du personnage appelé Ah raiiam.
Eh bien î en même tems, il n'hésite pas à s'appuyer sur le pré-
tendu Sanchonialhon, auquel la critique^des âges les moins vantés
pour leurs lumières a , depuis longtems, arraché son masque ; il
s'en sert comme d'une caution solide, et c'est pour lui une pierre
DU PENTATEUQUE. 361
de touche à laquelle les autres monumens doivent se laisser
éprouver '. Des écrivains venus très tard, comme Nicolas de Da-
mas, Alexandre Polyhistor, Artapan, dont les récits étonnans ne
sont évidemment qu'un écho de la tradition juive, et qui, en
conséquence, n'ont aucune valeur par eux-mêmes, lui paraissent
néanmoins d'une haute importance, et propres à fournir des ar-
mes contre la véracité de l'histoire sainte. — Le critique alle-
mand qui a le mieux réussi à dissimuler l'intérêt ihéologique
dont il était préoccupé, celui qui a pu, avec l'espoir fondé du
succès, traiter de naïf le reproche de prévention dogmatique qui
lui était adressé, Gésénius, enfin, a montré aux yeux de l'Europe
entière combien il lui serait facile de reconnaître l'authenticité du
Pentateuque, si la chose ne devait se décider que devant le tri-
bunal de la conscience historique. Il tomba d'abord dans un
pié(;e qu'un auteur français s'était amusé à lui tendre, en don-
nant comme antique et récemment découverte une inscription
de fabrique récente. Gésénius reconnut dans cette inscription
un monument important pour l'histoire du gnosticisme, et
fit sur elle un commentaire de inscriptione nuper in Cjrenaicd
repertd. A peine était-il remis de la contrariété que dut lui causer
l'aveu dt' son erreur, aveu qu'il ne lui fut plus possible de diffé-
rer lorsque Boeck, Kopp, et plusieurs autres eurent dévoilé la
fraude. — A peine s'étail-il apprêté à faire oublier celte méprise
par d'importans travaux paleographiques, qu'il tomba dans un
bieii autre embarras. Ce qui lui était arrivé précédemment pour
quelques lignes lui arriva depuis pour un livre entier'. Quelle
distance entre le jeune élève en médecine de Brème, Wagenfeld,
et le vieux SanchionathonI Si le saut de Wageufeld jusqu'à Philou
était déjà périlleux, combien ne Tétait- il pas davantage de ce
dernier jusqu'à SanchoniathonI
• «•Ecoulons, dit-il, écoutons Sanchonialhon, qui écrivit environ treize
w cents ans avant notre ère, etc. » T. i, p. 6Q ; Bruxelles.
^ riengstenberg fait ici allusion au prétendu manuscrit deSauchonia-
thon publié par Wagenfeld , et dont il a été parlé dans les Annales,
t. XIV, p. 397. {Note du rédacteur.)
362 FOI A l'aithenticité
Nous pouvons conclure de ce qui précède que la solution du
problème posé en tète de la dissertation présente doit se trouver
ailleurs que dans le domaine commun à toute littérature ; mais
en voici encore une autre preuve importante : le jugement des
historiens modernes sur le Pentateuque, ainsi que celui de tous les
savans qui ne sont pas théologiens est essentiellement différent de
celui des théologiens '. La raison de ce fait., c'est que le théologien
ferme les yeux à tout jusqu'à ce qu'il ait examiné quels rapports
existent entre un écrit et ses propres présuppositions théologi-
qtiCs, et comment tout cadre bien ou mal avec elles. L'historien,
au contraire, lors même qu'il partage ces présuppositions , n'en
est pas en général dominé, au point de se laisser induire à blesser
sa conscience historique , ei à trahir l'histoire. La chose est assez
importante, pour nous engager à faire sentir cette différence de
position par quelques exemples. Même de nos jours, le Pentateuque
remporterait la victoire , et serait universellement admis comme
authentique, s'il n'avait affaire qu'à l'Exégèse historique, et s'il
n'avait à redouter que les seuls effets de la propension générale
au scepticisme. Ceia résulte évidemment des faits que nous allons
exposer. Mais, pour le bien sentir, il faut se rappeler surtout que
les théologiens ont tait tous leurs efforts pour déplacer le point
de vue aux yeux des historiens qui , par défaut de connaissance
de la langue hébraïque, et par la grandeur du sujet qu'ils embras-
sent, sont à plusieurs égards sous leur dépendance. D'ailleurs ces
historiens éprouvent toujours un peu l'influence des présupposi-
tions ihéologiques qui tiennent à l'esprit du tems, et que nous in-
diquerons plus tard.
La posiiiou prise par Héeren vis à vis du Pentateuque est faite
pour attirer d'abord notre attention. Evidemment , il a évité à
' Il est inutile de remarquer qu'il s'agit seulement de ces théologiens
protestans, qui ont pris à tâche de substituer la philosophie au christia-
nisme. Tels sont entre autres: de Wette , de Bolhen, de Vatke, etc.
Nous conservons exactement les oxpressions de l'anathèrae lancé contre
piix par Ilengsteidierg. {Note du rédacteur.)
DU PEISTATEUQUE. 363
dessein de s'expliquer sur ce livre d'une manière précise et com-
plète. Cette précaution même est une preuve sensible de la mé-
fiance que lui inspiraient les recherches des théologiens. Sans se
laisser éblouir par leur assurance, il veut attendre quel sera le
dénouement du procès. Dans ce qui est parvenu à sa connais-
sance , il n'aperçoit rien qui lui fasse regarder l'accusé comme
coupable. Le cri de crucifige, poussé par les théologiens, ne le
trouble point Dans tous ses ouvrages, il ne se trouve pas un seul
passage, qui frappe de suspicion une donnée historique du Pen-
tateuque. Quand il le cite, ce qui a lieu le plus fréquemment dans
le volume des Idées qui traite de l'Egypte, il s'en sert comme
d'une source entièrement sûre. Dans V Histoire de V antiquité * ^ il
reconnaît, comme historiquement avérés, les principaux faits du
Pentateuque. De même, dans l'énuméralion des sources de l'his-
toire égyptienne 2, il observe que les récits de Moïse , bien qu'ils
ne composent pas une histoire suivie, renferment néanmoins une
peinture fidèle de l'état où se trouvait l'Egypte. Puis il indique
comme objet d'une exposition orale subséquente « l'importance
>» et les avantages des relations juives, en tant qu^elles sont pure-
)' rement historiques. » Mais une déclaration toute récente de
Héeren, dans une annonce du tome deuxième de l'ouvrage publié
par Rosellini sur l'Egypte, est surtout remarquable ^. « Nous ne
» pouvons, dit-il, terminer cette annonce, sans manifester le vœu,
» que le chapitre de la p. 254 —70, avec la planche de l'Atlas qui
>• le concerne, {monumenti civili n'^ 49) et qui représente la pré-
» paration des briques, soit soumis à l'examen critique impartial,
» de quelque savant orientahste. » Si ce monument représente les
travaux des enfans d'Israël durant leur servitude, il serait alors
d'une égale importance pour l'Exégèse et pour la chronologie :
pour l'Exégèse, en ce sens qu'il serait une preuve frappante de la
' Voir 4' édit., p. &^o.
* Ibid.,p.5^.
^ Gott., ann. i835, p. i328. — Le chapitre de Rosellini, dont Héeren
va parler, a été réproduit dans les Annales avec les [lancbes qui raccom-
pagnent; voir le n*^ de juin dernier, t. v, p. 4^0. [Note du rédacteur.)
304 101 A l' AUTHENTICITE
liante aiili([uité des écrits mosaïques, et spécialement de l'Exode,
dont les chapitres I et \ décrivent ces travaux de îa manière la
plus fidèle, même dans les détails accessoires ; pour la chronolo-
gie, parce que, ajant été construit sous la dix-huitième dynastie,
et durant le règne de ThoMtuiès-^Iœris, 1740 ans avant J.-C, il
fournirait ainsi des dates certaines, aussi hien pour l'histoire pio-
fane que pour THisloire Sainte. D'après les inscriptions qui ,
comme de coutume, sont placées ici au-dessus des fi^jures, c'est
le tombeau d'un intendant des bâtimens royaux d'Egypte ,
nommé Rochseré.» L'authenticité des c'crits mosaïques doit s'cîre
présentée souvent, sous un aspect bien favorable, à l'esprit de ce-
lui qui, de nos jours, fait ainsi parler en sa faveur ce témoin
sorti de la tombe. Aisurément, im théologien aurait fermé la
houche à ce témoin malencontreux. Comme ce nègre qui, sans
autre forme de procès, repousse dans sa bière un homme dont la
moi t n'était qu'apparente, et qui cherchait à se relever, il lui au-
rait dit : « J'aidansma poche la preuve écrite que tu es mort. >•
Après Héeren, nous rencontrons J. de Muller. Celui-ci a con-
stamment reconnu rauthentlcité du Pentateuque ; avant même
que SCS opinions relij^ieuses se fussent complètement développées,
il exprimait déjà sa conviction à cet égard. L'authenticité était un
f lit avéré pour l'historien, lorsqu'elle n'avait pas encore obtenu
a foi du chrétien. Son esprit n'éiaiî point formé aux critères in^
ternes ; c'est pourquoi il s'explique facilement ce qui peut sembler
une difficulté '. La loi rituelle, dans laquelle des théologiens ont
i ru apercevoir un monument de la fourberie sacerdotale, un
corps de maximes formulées daiis un tems ou l'esprit religieux
avait disparu % la loi rituelle lui paraît parfaitement digne d'un
cjivoyti de Dieu, cniièrement conforme au génie de Moïse et au
caractère de son siècle. «> Ce législateur, dit-il, y consacrait une
»» grande allégorie en action. Tandis que la simple loi fondamen-
•« taie ne comprenait que !e renoiivellement de la foi des ancè-
Voir, par exemple, son Hist. unii'., 5« cdit., t. i, p. 444-
Voir, par exemple, de Wetle, p.|9-"9 et suiv.
DU PENTATEUQUE. 365
» 1res, avec addition de quelques aveitisseinens, la loi rituelle
»' occupait constammentîle peuple, en frappant vivement tous ses
» sens. Que Moïse ait éclairci, par des commentaii es, la significa-
» lion de ces pratiques ; que cette signification ait été
» transmise par les ancêtres , cela est vraisemblable , et on
» en aperçoit des traces. Toutefois, il y avait lieu de penser que,
)» dans les choses essentielles , cette signification n'échappait
» point aux hommes de quelque poitée. » — Il écarte encore
ailleurs des pienes d'achoppement, semées sur la route par des
théologiens. Dans ses ohscri'alions sur les litres de Moïse , il fait ,
par exemple, la remarque, que « les répétitions sont dans l'esprit
des lems antiques. « Du moment, dit-il encore *, oij Ton réfléchit
» à la grandeur du but, les répétitions n'ennuient point -, tout
» vous indique ce but. » Des théologiens ont déclaré, que ce se-
rait un anachronisme risible, de vouloir conserver encore comme
historique la liste des peuples, que nous lisons au chapitre 10 de
la Genèse. Lui, au contraire, déclare que « ces passages sont géo-
» graphiquement vrais, et que l'histoire universelle doit commen-
» cer à ce chapitre ^. » Ces obsen>atio7is montrent de plus que l'on
ne peut expliquer sa conviction de Tauthenticilé du Pentateuque,
en la rejetant sur un préjugé né accidentellement chez lui, et en-
tretenu par l'ignorance , mais qu'elle est bien plutôt le résultat
d'une étude profonde et constante. Si la composition du Penta-
tcuque, au point de vue historique, est réellement aussi pitoyable
que des théologiens le prétendent, il faut rayer J. de Muller de
la liste de nos grands historiens.
Luden aussi se montre peu disposé à accepter aveuglément les
conclusions de l'exégèse rationaliste. II convient ouvertement que
le Pentateuque lui fait un tout autre effet qu'aux théologiens, et
s'il n'ose pas se mettre expressément, et sur tous les points, en op-
position avec eux, il évite toutefois avec soin de faiiedes conces-
sions précises , pressentant que la critique pourrait facilement
P. 4:6.
P. '{ÔS.
366 For A l'authrntictté
prendre une autre tournure, qui les lui ferait regretter. Dans V His-
toire de VanLiquiLc ', il fait la remarque suivante :
«< Quand on réfléchit à quelle époque et comment ces écrits ont
» pris naissance ; si l'on n'oublie jamais quels rapports les Israé-
» lites croyaient exister entre eux et Jéliovah; si l'on pense qu'ils
» ne parlaient de leurs destins que conformément à ces rapports,
>» il peut à la vérité s'élever quelques doutes sur les particularités
M des événemens ; mais la marche des destinées de ce peuple ,
» prise dans son ensemble, est certainement sous vos yeux. » Et à
la page suivante: « la prodigieuse multiplication des Hébreux en
» Egypte, durant les 400 ans qu'ils y passèrent, est conforme au
>» cours de la nature ; la dure oppression qu'il leur fallut à la fin
» éprouver est facile à comprendre, ainsi que leur iésir ardent de
» revoir la patrie qu'ils n'avaient jamais oubliée. » Plus loin en-
core : « le séjour c^ans le désert pendant 40 années était une me-
» sure très-sage, elle nous montre Moïse dans toute sa gran-
» deur '. » Puis ensuite: « La loi que Jéhovah donna aux Israé-
» lites, par l'entre mise de Moïse, dans des circonstances capables
» d'ébranler et d'effrayer, cette loi donnée successivement et peu
M à peu est extrêmement remarquable. Elle mérite d'être profon-
» dément étudiée, non-seulement parcequ'elle est la plus ancienne
>» et qu'elle se dislingue par la liaison intime qui règne dans son
» ensemble, mais encore et surtout, parceque des prescriptions
» étrangères (égyptiennes) ont été appropriées avec une grande
» sagesse aux mœurs et au caractère national des Israélites'. » Et
enfin p. 64; u Quarante années passées dans le désert, au
» milieu des signes et des prodiges, n'avaient pas suffi pour for-
» nii'r ce ])euple dégradé et obstiné, et pour le con<;acrer au Seî-
>. gneur. Les chants sublimes de Moïse ne réussirent point à main-
» tenir son enthousiasme pour Jéhovah ; les annales de son gou-
» vernement miraculeux, c'est à dire le plus ancien monument
2« édit., léna, 1819, p. (jo.
Ibid., p. 62.
Jbid., p. 63.
DU PENTA.TEUQUE. 367
»» d'une histoire écrite, ue retinrent pas le peuple clans la fidélité
»• envers son Dieu. >»
WacLler, dans son Manuel de Vhistoire de la littérature ', s'ex-
prime ainsi :((Moïse, l'auteur delà Constitution nationale des Hé-
» breux, a servi de modèle aux générations suivanies, coiiiuie sou-
» verain, comme législateur, connue poète et historien. Les cinq
n livres désignés sous son nom sont de la plus haute antiquité, à
» en juger par la majeure partie des matériaux dont ils sont compo-
»» ses, et ils appartiennent au tems de son admirable gouverne-
n ment... On y trouve des considérations sur les choses divines
»» et humaines, des réflexions politiques , des aperçus clairs sur
» l'avenir , les épanchemrns d'un sentiment profond.» — «La
» plus ancienne poésie des Hébreux était épique ; el'e célébrait la
» création et l'histoire primitive du genre humain dans ses rap-
» ports immédiats avec l'histoire nationale. Elle reçut sa forme
» de Moïse, qui donna également les pi émit rs modèles de la
» poésie lyrique ^ »
Schlosser admet aussi l'origine mosaïque du Pentaleuque : il
pense que l'on ne peut nier cette origine, au moins poui- les par-
ties les plus importantes ^
Léo, dans son cours verbal sur l'histoire juive, s'était il'aboi d
soumis complètement à l'autorité des théologiens, et teux'ci le
citaient en triomphe comme un des leurs , avec d'autant plus de
raison qu'il était , en effet, le premier historien de quelque va-
leur qu'ils eussent réussi à attirer dans leurs pièges. Mais il com-
mença , plus tard, à y voir de ses propres yeux , et il s'aperçut
que, tandis qu'il suivait avec soin les traces de la prétendue ca-
bale des prêtres dans Israël, il se troi^Tait lui-même enlacé en
Allemagne dans une cabale tout autrement réelle de ministres ;
il déjlara dès-lors ouvertement ne plus vouloir s'y soumettre, et
il rentra dans le domaine historique. Dans l'ouvrage intitulé fn-
' 2e édit., t. 1, p. 78.
' Ibid.y p. 79.
^ ///>/. univ. de Vantiq., traduction française, par M. de Golbery.
368 ' FOI A l'authenticité
slruclion sur V Histoire universelle^, il s'exprime ainsi sur le Pen-
tateuque : «* Après avoir examiné tout ce qui a été écrit récem-
» ment sur ce sujet, nous avons reconnu etacîoplé invariablement
» la ferme conviclion historique que les parties essentielles du
» livre de la loi , et une grande portion de celles qui servent de
w base au Pentateuque. aussi bien que les récits historiques qui ,
» d'après leur importance et leur but, ne doivent pas élre com-
» plétement séparés des lois, viennent de Moïse lui-même. Si la
» composition en un seul corps d'ouvrage n'est pas de IMoïse,
» elle a bien certainement eu lieu peu de tems après lui, peut-
» être même, en grande partie, de son vivant et sous ses yeux. Si
» l'on a obtenu un autre résultat scientifique par les recherches
>^ critiques, d'ailleurs très précieuses, qui onl eu iieu , cela vient
M uniquement de ce que l'on n'a pas établi une dislinction suffi-
)) santé entre l'Orient et l'Occident, entre l'enfance de ces vieux
» âges, leurs phénomènes, leurs conditions, et l'époque moderne,
» où un esprit sophistique, un esprit de subtilité et de réflexion
>' alambiquée; nous a fait abandonner ie mode naturel d'agir et
» et de juger. »
De Rotteck s'est associé si complètement à l'esprit dans lequel
les tlîéo'.oi^iensà la mode ont puisé leurs préjugés contre le Pen-
latenque , que nous ne devrions pas nous étonner si nous lui
voyions partager ces préjugés dans toute leur étendue ; et cepen-
dant, il n'en est pas ainsi : il y a, par exemple, une grande diffé-
rence entre lui et de Wette. Dans le coup d'œil sur les sources de
Tète primitive du monde % il fait cette observation : « On ne
» peut méconnaître que le récit du premier Uvie de 3r.oVse se
» distingue de tous ces récits inadmissibles sur la formation
)) de la terre et sur la naissance de l'homme (Sanchoniathon ,
i> /oroastre, et en général tous les historiens orientaux, chi-
» nois, ihibétains, et même grecs), tant par une exposition
» conforme à la raison et aux lois éternelles de la naluie que
Halle, i835, 1. 1, p. 570.
///ç/. //«/»'., t. I, 2*" édit. Friboiirg, «855;, p. S;.
DU PENTATEUQUK. 369
» par une tradition fidèle. Ce document mosaïque, que l'on peut,
» en outre, par de bonnes raisons^ déclarer le plus ancien qui
» existe sur la race humaine, doit donc trouver toujours apprtT
» bation et estime devant le tribunal d'une critique purement
» historique , qui détourne ses yeux de tout point de vue reli-
»> (^ieux. — Lemême jugement s'applique à l'histoire de l'homme.
>j Là aussi les récits mosaïques sont si évidemment préférables à
» tous ceux des écrivains profanes que Ton ne peut leur refuser
>» un haut degré de crédulité, au moins comparativement. » — ■
Dans l'aperçu sur les sources de l'histoire des Hébreux, il dit :
a Nous ne possédons sur l'histoire d'aucun peuple de ces tems-là
» des relations aussi anciennes , aussi circonstanciées et aussi sii-
» res. Les écrivains bibliques, dont nous avons fait mention plus
» haut, étaient pour la plupart, abstraction faite de l'inspiration,
» témoins oculaires des événemens qu'ils racontent ; ils y avaient
» pris part, ou au moins ils étaient, par leurs relations, à portée
» de rassembler et de comparer les traditions et les monumens
» relatifs aux faits nationaux antérieurs à leur époque. Ces livres
» remontent au berceau^ à la première origine du peuple hébreu,
» et l'on ne peut méconnaître qu'ils sont dignes de foi , quant à
»^ ce qui regarde l'enchaînement essentiel des faits ; car il en est
» autrement des circonstances accessoires, et de ce qui n'est qu'une
» exposition métaphorique. »
tes adversaires du Pentateuque n'ont pas conservé un seul
partisan parmi tous les historiens modernes qui possèdent quel-
que mérite , ou qui passent pour en avoir. Ils sont réduits à se
contenter de gens tels que Mannert,qui parle entièrement comme
eux dans son Manuel de V histoire ancienne ', ouvrage déjà frappé
de mort, ou plutôt mort-né. Un seul trait suffira ])our caracté-
riser cet écrivain : La supériorité de l'homme sur les animaux ne
consiste, suivant lui, que dans les doigts, l'habitude de marcher
debout , et la parole. Il observe encore que d'autres animaux
possèdent la base delà raison, et il croit porter un coup terrible
Berlin, 18 i8.
370 FOI A l'authenticité
à l'histoire du déluge par l'objection suivante : « La pensée se
» révolte à l'idée que la justice de Dieu ait pu anéantir des ani-
» maux innocens, parce que des hommes coupables auraient
» transgressé ses commandemens'î >» — La voix de la conscience
historique ne peut se faire entendre dans le domaine de l'écriture
sainte , quand toute intelligence des choses élevées fait ainsi dé-
faut, quand une haine profonde contre tout ce qui est divin a fait
irruption daus l'àme ; car, alors , l'historien se transforme invo-
lontairement en mauvais théologien , surtout s'il a été dès le
berceau pénétré de la plus détestable théologie : nous ne reconnaî-
trions pas même la compétence d'un historien qui ferait profes-
sion de philosophie. Si l'on réussit à mettre l'histoire au service
d'un système comme celui de Hegel , les historiens et les pseu-
do-théologiens pourront en venir à une alliance ; l'historien-phi-
losophe, en effet, comme le pseudo-théologien, se garde très fort
d'étudier les faits qu'il a devant les yeux avec une attention
scrupuleuse, et sans se préoccuper des résultats qui en découle-
ront ; son unique pensée est de faire accorder les faits avec ses
présuppositions intérieures j or, les hypothèses a prioriy aux-
quelles la philosophie la plus récente a voué son amour, sont in-
compatibles avec la composition mosaïque duPentateuque. Mais
nous pouvons nous rassurer à cet égard : des ouvrages comme
l'Histoire des papes de Ranke, nous donnent l'heureuse garantie
que l'histoire a devant elle un meillem- avenir.
Remarquons encore que le chronologiste le plus distingué de
notre époque partage l'opinion de nos grands historiens sur la
question qui nous occupe. Ideler, dans son Manuel de chronolo-
gie , ne se borne pas à supposer consomment l'origine mosaïque
de la loi, il la soutient d'une manière expresse. Dans un endroit,
par exemple ', il s'exprime ainsi : «' Pendant les longues années
'Pages 6 et iq. — Mannert s'abstenait sans doute soigneusement de
manger aucune espèce d'animaux ; car c'eût été une sorte de fratricide,
un repas digne de Thyeste.
' Berlin, i8a5, t. i,p. 479-
DU PENTATELQUE. 371
» de leur marche à travers l'Arabie Pétrée et Déserte, leur guide
» leur donna une constitution qui ne devait être mise en pra-
»> tique qu'à leur entrée dans la terre promise de Chanaan,
» demeure originaire de leurs nomades ancêtres. Cette consti-
» tution avait pour but d'en faire un peuple agriculteur : ce but
»» est assez clairement exprimé par la mesure du tems qui règle
» les jouis de fête et les jours de repos, etc. » — Le chronologiste,
comme de raison , commence par faire passer l'authenticité au
creuset de sa science ; et comme, en se plaçant dans l'hypothèse
de l'authenticité, il trouve chaque chose où elle doit être , il ne
fait aucune attention aux cris des pseudo-théologiens.
Après avoir montré que le penchant général du siècle au septi-
cisme ne suffit pas pour expliquer la négation de l'authenticité du
Pentateuque, nous allons essayer d'indiquer la cause essentielle
de ce fait.
Elle est dans la propension de notre époque au Naturalisme ,
propension qui prend elle-même sa source clans l'isolement où
Ton se tient aujourd'hui de Dieu, Quand un homme n'a rien
éprouvé intérieurement qui lui ait fait sentir la présence d'un
Dieu vivant, il cherche à effacer aussi ses traces de l'histoire. Tout
ce qui se passe en lui-même étant purement naturel, il lui semble
qu'à l'extérieur tout doit s'être passé d'une manière également
naturelle.
Pour étayer cette opinion, on s'est appuyé sur les mots pom-
peux de développement progressif, de perfectionnement humani-
taire, etc.; mais, assurément, c'est bien à tort. Le Naturalisme ne
pourrait être considéré comme un progrès qu'autant que l'on se-
rait parvenu, dans les tems modernes, à expliquer par les lois de
la nature ce que, faute de les connaître, les âges passés avaient cru
surnaturel ; mais une plus grande connaissance de la nature n'a
rien produit de semblable : ce qui passait jadis pour surnaturel
passe encore pour tel aujourd'hui. Il y a donc insigne impudence
de la part du Naturalisme à se targuer ainsi de progrès, tandis
qu'il s'enfonce dans un abîme d'absurdités. Ses partisans doivent
soutenir, d'abord, que les défenseurs récens du système mydiique
sont plus instruits, plus avancés que les champions de la vérité
372 FOI A L AUTHENTICITE DU PENTATEIQLE.
biblique; mais c'est tle quoi, assurément, il n'y a nulle apparence.
L'histoire des attaques dirigées contre le Penlateuque , et contre
les livres saints en général, a sa partie honteuse^ que l'on cherclie
soigneusement à dissimuler. Si le nom d'homme instruit doit être
l'apanage de ceux qui nient l'aulhenticité du Pentaleuque, il fau-
dra décerner ce titre à des hommes qui semblaient ne pouvoir
guère y prétendre depuis les libertins du l6e siècle, qui tournaient
le Pentateuque en dérision, jusqu'à l'auteur du Calcchisme de
l'honnête homme ', jusqu'au populaire Edelmann, pour lequel
le Pentateuque n'est autre chose « qu'un amas de fragmens entas-
» ses on ne sait trop par qui^ probablement par le rus6 prêtre juif
»Esra^.» — Singuliers auteurs du progrès I étranges météores ,
avant-coureurs du soleil des lumières I
HENGSTENBERG.
Traduit de l'allemand.
'P. 10, Il dit Ircniquement : «. Les évéïiemens racontés dans le Pen-
)) taleuque étonnent ceux qui ont le malheur de ne juger que par leur
)) raison, et dans qui cette raison aveugle n'est pas éclairée par une grâce
)j particulière. » — A plus forte raison ces événemens choqueraient eet
esprit bienfait^ pour lequel, selon de Welte, rinautlienlicilc du Penta-
leuque est de prime-abord chose certaine, attendu que ce livre raconte
des miracles et des prophéties.
» Moise dévoilé, p. 9, etc.
'^♦^^90'
HISTOIRE DE CALVLN- 373
ijiôîoiic.
mSTOIUi: DE LA VIE, DES OUVIVAGES ET DES D0€-
TllINES DE CALVIX, par M. AUDT-V, auteur de V Histoire de
Luther'.
I/histo";re de Liithei' est entrelacée, pour ainsi dire, dans les
mille détails de l'hisloirc d'Allemagne au 16^ siècle, laquelle est
peu familière au plus grand nombre des lecteurs. Au contraire,
quoiqu'une ville étrangère ait été le principal théâtre des actes
de Calvin, la vie de ce sectaire appartient à l'histoire de France.
Jean Cauvin , ou Calvin, est né en France. C'est même à Paris
qu'il a fait ses premières éludes , formé ses premières liaisons,
prononcé ses premiers discours , imprimé son premier ouvrage.
Triste honneur pour Paris et pour la France ! Lorsqu'à l'âge de
25 ans Calvin fut obligé de quitter Paris, il avait déjà donné des
preuves non équivoques de l'aridité de son cœur et de la bassesse
de son caractère. Il avait vu sans sourciller son vieux père mou-
rir dans ses bras ; il avait porté en France les premiers coups à
celte Eglise qui l'avait nourri, qui le nourrissait encore , car l'âme
peu délicate de Calvin ne se fit aucun scrupule de garder les
deux bénéfices qui le faisaient vivre, lorsque déjà depuis long-
tems il travaillait à détruire celte religion qui lui avait libérale-
ment octroyé ces honorables moyens d'existence.
« Notre idée, dit M- Audin , a été, dans V Histoire de Luther ,
de réhabiliter la mémoire des intelligences qui se vouèrent à la
défense de l'autorité. Nous avons voulu , dans la biographie de
Calvin , prouver que le réfugié de Noyon fut funeste à la civili •
satiou, à l'art, aux libertés. » La thèse contraire compte tout na-
turellement Calvin lui-même au nombre de ses défenseurs. A
* Paris, i84i, i vol. in-8; Chez Maison,'quai des Augustins, 29.
me SÉRIE. TOME VI. -— N» 35. 1842. 24
3T4 HISTOIRE DE LA VIE
peine installé à Genève , le sectaire se met à écrire contre la pa-
pauté, et chemin faisant, accuse la France de marcher dans de
doubles ténèbres ; il calomnie tout ensemble l'intelligence et la
foi de son pays. Double mensonge que M. Audin n'a pas de
peine à réduire au néant ! Il lui suffit d'analyser en quelques
lignes les merveilleux développemens que prirent , sous le règne
de François P"^, à l'ombre du catholicisme, les sciences, les lettres
et les arts. Le lecteur , après ce brillant chapitre, ne peut que
partager le dédain avec lequel M. Audin s'écrie en parlant du
réformateur : « Laissons-le donc s'épanouir dans son orgueil, se
» comparer au soleil , s'applaudir d'avoir apporté la lumière et
» la vérité à son pays. Nous croyons que Budé, Danès, Jean du
» Bellay , Valable et tous ces flots de Grecs et d'Italiens qui
» viennent se mêler à la 'population parisienne , à la voix du
» grand roi, sont de glorieux représentans des lettres humaines ;
• que Sadolet, Nicolaï , Jérôme Porcher, Petit, Guillaume Pélis-
» sier, Briçonnet, l'honneur de l'épiscopat français, ont enseigné
» et pratiqué l'évangile ; que la réforme , dans la personne de
» Calvin, n'a pas plus trouvé la lumière que la vérité, l'une et
» l'autre patrimoine de la France quand il rêva de refaire Lu-
» ther et de convertir François P' en lui dédiant son livre de
» V Institution. «
Le livre de VInstitution chrétienne , voilà le chef-d'œuvre,
l'évangile du Réformateur I Le mérite littéraire de l'ouvrage est
incontestable. On est émerveillé , en lisant la dédicace à Fran-
çois I" et quelques-uns des chapitres de ce traité , de voir avec
quelle docilité le signe matériel obéit aux caprices de l'écrivain.
Jamais le mot propre ne lui fait défaut ; il l'appelle et il vient.
Un parfum d'antiquité respire aussi dans le style du livre, et l'on
pourrait à chaque phrase signaler les modèles qu'a le plus assi-
dûment étudiés l'auteur. Enfin une longue pratique de droit ro-
main lui a fourni des formes de langage sévères , une expression
claire et précise, mais trop souvent sèche et aride.
Considéré en elle-même et par rapport au but que se proposait
Calvin en la publiant, VInstitution chrétienne est un livre détes-
table. Calvin projetait, du moins c'est l'opinion de son biographe,
ET Dli6 DOCTPJNES DE CALVIN. 375
de convertir François ^' au protestantisme. Il fallait donc pré-
senter à ce prince un symbole des principaux articles de la nou-
velle foi. Or, le protestantisme comptait iléjà presque autant de
tormulaires de croyance qu'il avait de prédicaieurs distingués.
Ce fut pour remédier à cette diversité funeste, pour donner à la
reforme, comme dit M. Audin, un corps et une àniC; que Calvin
composa son livre de Y Institution. Mais il ne fit qu'ajouter une
pierre à cette nouvelle Babel qui s'élevait contre l'Église sur le
sol de TAllemagne. Au lieu de concilier les opinions diverses, il
les condamna toutes. Il se mit en opposition avecOsianderausujet
de la justification ; avec Mélanchthon , en écrivant que le pape
était Tanté-christ en chair et en os ; avec Luther, qu'il appelait
pourtant d'un ton hypocrite son père en J.-C, par son absurde sys-
tème du symbolisme eucharistique '. Le chef de la réforme, qui
croyait à la présence réelle et ne se piquait pas d'une grande me-
sure dans les discussions, répondait à la nouvelle interprétation
de l'eucharistie : « Imbécille , qui n'as jamais rien entendu aux
» écritures : si tu comprenais le grec , le texte t'aveuglerait, te
» sauterait aux yeux^ lis donc , niais ; en vertu de mon titre de
» docteur je te dis que tu n'es qu'on âne. '> C'était à table et le
verre à la main que le colérique docteur fulminait cette rude
apostrophe , mais il aurait tout aussi bien pu la prononcer à jeun
et de sens rassis. Calvin venait en effet de se présenter au monde
comme un envoyé de Ditu. Or, si Calvin avait pour lui la vérité,
Bucer, Zwingle , OEcolampade , Mélanchthon , Luther lui-même
n'étaient plus que des imposteurs dont il fallait brûler les livres
et fouler aux pieds la doctrine. Mais où étaient les preuves de la
mission de Calvin? Ici il fallait bien le croire sur parole comme
les autres réformateurs, car tout en reprochant aux prêtres ca-
tholiques de ne plus faire de miracles, Calvin trouvait fort dérai-
sonnable qu'on lui en demandât à lui-même. Il est vrai qu'il
' Un livre écrit par un protestant allemand contre le symbole eucha-
ristique de Calvin est intitulé: /fbsurda absurdonim, abâurdissima
calvimstica absurda.
376 HISTOIRE DE LV VJE
présentait sa doctrine comme celle des Irénée, des Pothin^ des
Augustin, des Cypiien, de nos principaux Pères. Sachons-lui gré
de cette imposture , facile à dévoiler du reste ; grâce à elle, les
gloires du catholicisme furent un instant vengées des outrages de
Luther.
Après avoir puhlié à Bàle une édition latine de son Institution,
Calvin, vers la fin de mars 1536, alla passer quelque tems en
Italie près de la duchesse de Ferrare , avec laquelle il entretint
depuis une correspondance suivie. De là il revint en France, à
Noyon, mit promptement ordre à ses affaires de famille, et,
accompagné de son frère Antoine , prit la route de Genève. Et
qu'on ne s'imagine pas que le fils du scribe de jVoyon ait été le
Messie des Genevois ^ Genève était pleinement réformée lorsque
Calvin y mit les pieds pour la première fois. La constitution de
cette ville célèbre, au commencement du 16' siècle, était analogue
à celle de plusieurs villes françaises au moyen-âge. Tous les
intérêts de la cité étaient administrés par un conseil de bourgeois.
La haute justice appartenait au prince évéque, lequel réunissait
en lui le domaine temporel avec l'autorité spirituelle. Entre ces
deux pouvoirs s'en était glissé par surprise un troisième, qui,
flattant et menaçant tour à tour les deux premiers, essayait de
s'agrandir tantôt au préjudice de l'un, tantôt aux dépens de
l'autre. Nous voulons parler des ducs de Savoie. Leurs efforts
échouèrent longtems contre la résistance des patriotes genevois.
Mais lorsque Léon X eut imposé à Genève un évèque de la mai-
son de Savoie , les chances devinrent inégales. Les patriotes ou,
commeils se nommaient eux-mêmes, lesEidgenoss, se sentant trop
faibles pour résister seuls au despotisme que l'Eglise semblait leur
apporter elle-même, implorèrent l'alliance et le secours de Berne,
ville où le culte catholique était déjà complètement aboli. Berne
ne se fit point priei* ; il accourut au secours de Genève , avec une
puissante armée, qui traînait après elle des canons pour réduire
les partisans du duc de Savoie, et Guillaume Farel pour convertir
les catholiques.
Farel s'établit à Genève vers 1530 avec son collègue Pierre
Yiret. Si l'on veut se faire une idée de tous les maux qu'il y a
ET DES DOCTRINES DE CALVIN. 377
fails pendant cinq ans , il faut lire ce naïf et touchant récit qui
remplit le douzième chapitre du 1" volume de M. Audin, écrit
sous le coup même des événemens , par une sœur religieuse de
Sainte-Claire , qui en fut à la fois le témoin et la victime. Dé-
pouiller les églises , expulser les prêtres, démolir les couvens,
battre et insulter les moines, violer les religieuses, tels étaient les
passe-tems journaliers des luthériens qu'animaient les prédica-
tions de Farel. Ce sauvage sectaire, profondément imbu des bar-
bares théories de Caristadt, s'était mis à la tête d'une bande
d'iconoclastes qui déchirait les tableaux , mutilait les statues,
brûlait les livres et brisait les verrières. Les luthériens n'arri-
vèrent pas à ce degré d'audace tout d'un coup , ni sans une
vive résistance de la part des catholiques genevois. Mais la
défection des Eidgenoss ne tarda pas à donner la prépondérance
à la réforme et à paralyser complètement les derniers efforts du
parti catholique.
Toutefois les violences de Farel avaient fini par détacher de lui
jusqu'à ses plus chauds partisans , et le fougueux pre'dicant se
voyait contraint de songer à la retraite, lorsque la Providence lui
envoya un auxiliaire inespéré dans la personne de Calvin. Olui-
ci se rendait à Baie au mois d'août 1536; il passa par Genève,
comptant y rester une seule nuit et repartir le lendemain de
grand malin pour Baie. Mais reconnu par Farel et Viret, il fut
assailli par eux et résista vainement à leurs instances : Farel,
d'inspiration, adjura Calvin au nom de Dieu de rester à Genève
et appela sur sa tête , s'il refusait, les malédictions célestes.
Calvin se rendit à ce qu'il crutètre la voix de Dieu.
jNous avons tout à l'heure fait intervenir la Providence dans
les combinaisons de faits qui amenèrent Calvin à Genève. C'est
que Calvin fut réellement un fléau par lequel Dieu voulut punir
l'ingratitude des Genevois envers leurs évêques, et cette facilité
avec laquelle ils avaient préféré à la foi de leurs pères, l'espoir
de la liberté politique. Je dis l'espoir de la liberté, et ce n'est pas
sans motifs. Le gouvernement des évêques avait été presque tou-
jours marqué par une douceur paternelle. Tous ces prélats, depuis
Adhémar Fnbri qui rédigea et confirma au 14*" siècle les coutume^
378 HISTOIRE DK LA. VIE
de la cité , jusqu'au dernier d'enlre eux, Pierre de la Baume, quj
s'iionorait de recevoir des lettres de bourgeoisie, tous, à l'ex-
ception d'un seul peut-êfre , furent les défenseurs des privilèges
et des libertés de la ville. C'étaient eux qui prenaient l'initiative
de toutes les mesures libérales ; eux qui embellissaient la ville de
nouveaux monumens, ou qui ajoutaient par des ornemens nou-
veaux à l'éclat des anciens. Satisfaits de leur droit de justice, ils
laissaient la commune s'administrer à sa guise , et lorsqu'on leur
ayait payé la dîme on était en paix avec eux.
La réforme , au contraire , venait au nom de la liberté, et
l'arrogeant la mission d'émanciper les peuples, enfanta le plus
atroce despotisme. Calvin , comme tous les réformateurs, avait
érigé en principe le libre examen et la liberté de conscience ; et
cependant à peine établi à Genève , il en fait chasser deux ana-
baptistes contre lesquels il avait discuté sans les convaincre ; il
fait adopter un formulaire en 21 articles qui, grâce à lui, devient
loi de l'État, et qu'on est obligé de jurer si l'on veut garder le
titre et les droits de citoyen de Genève; il fait afficher le jour et
l'heure des sermons au nom de l'autorité, avec injonction d'y
assister sous peine d'amende ; il persécute un vieux catholique,
membre du conseil, qui , sur la foi de la liberté de conscience,
passait devant son ancienne paroisse sans y entrer lorsque Calvin
y était en chaire ^ enfin, pour soumettre à sa tyrannie quelques
esprits indépendans , il leur fait donner le choix entre le bannis-
sement et l'adoption du formulaire. « Ce formulaire, dit avec
raison M. Audiu , était un double scandale : scandale contre la
logique, en ce qu'il substituait à la parole scripturaire une parole
humaine , douée d'infaillibilité en vertu de son incarnation en
Calvin ; scandale contre la société qu'il bouleversait, en lui ravis-
sant la liberté de conscience qu'elle avait acquise au prix de sa
part de sang. »
L'adoption de cette profession de foi par le conseil de la répu-
blique, l'obligation qu'on imposa aux citoyens d'y adhérer avec
serment, fit birnîôt de la religion une affaire d'État et delà
discipline religieuse une dis attributions du pouvoir. Et comme
ET DES DOCTRINES DE CALVIN. 379
le conseil était dominé par Calvin, Genève, quis*était jeté dans la
réforme pour assurer sa liberté , se trouva tout à coup enchaîné
sous une espèce de despotisme théocralique, bien moins suppor-
table que le joug dont il avait prétendu s'affranchir. Calvin usa
de son pouvoir sans frein et sans mesure. Lui qui enseignait la
jusiification par la foi sans les œuvres , se prit à attacher aux
œuvres une importance exagérée. Une jeune mariée, dont les
cheveux parurent arrangés avec coquetterie, fut emprisonnée avec
ses deux suivantes et la femme qui l'avait coiffée. On mit au
pilori un jeune homme convaincu d'avoir joué aux cartes. Les
Eidgenoss, ou, comme les appelait le réformateur, les Libertins,
qui se réunissaient le soir à la taverne , regrettaient le passé et
prenaient la liberté grande de tourner Farel et Calvin en ridi-
cule , furent publiquement insultés en chaire, écartés de la
table sainte , et séparés de la communion des fidèles.
Tant que celte excommunication ne frappa que des individus
isolés , on ne s'en émut guère ; mais voilà qu'un beau jour le
conseil veut imposer à ses pasteurs certaines décisions d'un sy-
node tenu à Lausanne; Calvin et Farel résistent, et comme ott
prétend les contraindre, ils refusent la cène en public à la popu-
lation tout entière ; le conseil prononça aussitôt contre eux une
sentence de bannissement, qui reçut ensuite, à deux reprises dif-
férentes, la sanction solennelle du peuple. Après une courte ap-
parition à Berne, d'où il fut presque chassé par Kuntzen, Calvin se
rendit à Strasbourg, où il se maria , et prépara une nouvelle édi-
tion de Y Institution ; il modifia considérablement cet ouvrage, qui,
du reste, l'auteur l'a ingénument avoué lui-mênie, subit à chaque
édition des remaniemens nouveaux : singulière preuve , que la
doctrine contenue dans le livre procède de Timmuable vérité I Cal-
vin représenta aussi l'église française de Strasbourg aux diètes de
Francfort, Haguenau , Worms et Ratisbonne ; mais il ne joua
dans ces assemblées qu'un rôle secondaire , et s'attira même le
blâme de ses amis par la timide réserve avec laquelle il exposa sa
doctrine sur la présence réelle. « C'est (jue cette grande organisa-
tion, que l'image de l'exil n'avait pu faire fléchir à Genève, s'a-
moindrissait en face des représentans de l'Eglise saxonne ; c'est
'}80 llISTOinr. DE LA VIE
que, semblable ù lous les autres réformés, Calvin avait peur des
colères de Luther. »
On a pu voir , en effet^ que la doctrine du réformateur suisse
n'était pas toujours conforme à celle de l'intolérant moine saxon.
M. Audin a consacré plusieurs chapitres à développer les prin-
cipes de Calvin, tels que le prédestinatianisme, et l'aciion de Dieu
dans le péché, principes bien connus^ et sur lesquels nous croyons
inutile d'insister. Nous ferons seulement remarquer qu'avec son
iiabileté ordinaire il a fait fortement ressortir les contradictions
;»iui existent sur divers points essentiels entre le symbole de Cal-
vin et celui de ses contemporains. Bien plus, M. Audin nous a
montré le calvinisme en guerre avec lui-même , et h doctrine de
son chef d'abord contredite formellement par lui, combattue en-
suite par des théologiens qui s'honoraient d'être ses disciples, en-
fin, reniée en partie de nos jours par les hommes que la Suisse
vénère comme les plus sages et les plus éclairés entre ses pasteurs.
L'ignorance et l'nnmoralité des ministres qui s'étaient emparés
de la chaire à Genève après le départ de Calvin , les menées des
réfugiés français, dont la ville était remplie ; les dissensions in-
testines et l'ambition de Berne , qui menaçait d'envahir le terri-
toire genevois, déterminèrent le rappel de Calvin. Ce fut vers la
fin de 1540, après un exil de trois années, que Calvin rentra dans
Gerève, pressé par les sollicitations du grand conseil. Qu'on se
figure, s'il est possible, la conduite que va tenir cet esprit vani-
teux, irritable, despote , muni d'un pouvoir sans frein et sans
contrôle, animé d'un désir de vengeance, nourri depuis si long-
tems, et cuirassé contre les remords et la pitié par Tillusion de
ses propres doctrines. «Elevez^ dit M. Audin, le presdeslinatianisme
» dans une tète royale à i'état de dogme, transfiguration établie
» pour Calvin, et vous pouvez vous attendre au plus sanglant des-
»' polisme; tous les êtres que le monarque poussera devant lui de
» son sceptre de fer ne seront plus que des créatures prédestinées
» à l'esclavage. Calvin est ce monarqu- , moins le diadème , mais
» avec une couronne qu'il doit priier lien davantage : couronne
» de vie et d'immortalité, puisqu'elle est formée de paroles même
w du Clirist et de ses apôtres. Cette doctrine désolante est la clef
ET DES DOCTRINES DE CALVIN. 381
» de l'homme intérieur, quand il régnera dans la vie psycholo-
» gique d'une nation, de l'homme politique quand il gouverne
» le monde créé. Vous comprendrez ainsi Calvin dans ses ihéo-
» ries gouvernementales et dans son symbolisme politique. «
Si, mainlenanl, nous voulions analyser le deuxième volume
de la Vie de Calvin^ qui renferme l'histoire de son gouvernement
théocratiqiie à Genève, nous dépasserions de beaucoup les bornes
d'un article que le lecteur trouvera peut-être déjà trop long.
jNous ne mentionnerons donc que pour mémoire les calomnies et
les persécutions du despote contre ceux qu'il flétrit du nom de
libertins ; la prodigalité avec laquelle, pour affermir son pouvoir,
il distribue à ses créatures le droit de bourgoisie ; les tribulations
de la famille Favre ; la honteuse amende honorable de Pierre
Ameaux ; la prison, la torture et l'exécution de Gruet • Castaliou ,
l'ancien ami de Calvin, exilé, accusé de vol par le réformateur, et
mourant de faim et de misère; Bolsec emprisonné, exilé, persé-
cuté, parce qu'il ne partage pas toutes les opinions du despote;
Yalenlin Gentilis, torturé à Genève, décapité à Berne; enfin,
îMichel Servet, qui finit sur un bûcher cette lonsjue et doulou-
reuse agonie que Calvin lui fit subir dans les prisons de Genève'.
Mais il y a dans l'ouvrage de M. Audin un chapitre que nous
voudrions pouvoir rapporter tout entier, car il résume d'une ma-
nière complète l'esprit de la législation et de la police instituées
par Calviu : c'est le sixième chapitre du second volume intitulé :
Calv>in théocrate. L'auteur raconte comment Calvin fut conduit à
reviser les vieilles constitutions genevoises ; comment il y entre-
mêla ses principes réformateurs-, comment, enfin, pour la partie
civile, cette œuvre fut complétée par Colladon , savant jurisconsulte
du Berri, venu à Genève pour embrasser la réforme. « On croit
» lire, continue IM. Audin, en parcourant ce code politico-reli-
» gieux, des fragmens d'une œuvre judaïque retrouvée après
»» quelques milliers d'années. L'idolâtrie elle blasphème sont des
)) crimes capitaux punis de la peine capitale; on n*entend, on ne
' M. Audin preuve jusqu'à l'évidence que Calvin avait résolu longtems
à ravaiicp de se défaire de Servet.
382 HISTOIRF. DF. LA VIE
» lit qu'un mot : Mort ! — Mort à tout criminel de lèse-majest
» humaine ; — mort au Gis qui frappe ou maudit son père ; —
» mort à Tadultère ; — mort aux héréiiques. Et, par une sanglante
» ironie, toujours le nom de Dieu revient sur les lèvres du légis-
» lateur : c'est toujours cette âme froidement cruelle qui exhor-
» tera plus tard les princes d'Angleterre à faire mourir les callio-
» liques. L'histoire de Genève pendant vingt ans, à partir du rappel
» de Calvin, est un drame bourgeois, où la pilié, le rire, la terreur,
» l'indignation , les larmes , viennent tour à tour saisir l'âme.
» A chaque pas on heurte une chaîne, des courroies, un poteau,
» des tenailles , de la poix fondue, du feu et du soufre ; du sang,
» il y en a partout ; on se croit dans cette cité dolente de Dante,
» où l'on n'entend résonner que des soupirs, des géniisseraens et
>» des pleurs :
Quivi sospiri, pianti e alti guai
Risonavan' per laer senza stelle.
» Après trois siècles, un cri de réprobation s'est enfin échappé
d'une poitrine genevoise, et l'on a pu lire , dans un écrit imprimé
à Genève par un réformé, cette sentence énergiquemenl formu-
lée : « Calvin n nversa tout ce qu'il y avait de bon et d'honorable
» pour l'humanité dans la réformation des Genevois et établit le
» règne de l'intolérance la plus féroce, des superstitions les plus
» grossières, des dogmes les plus impies. Il en vint à bout d'a-
» bord par astuce, ensuite par force , menaçant le conseil lui-
» même d'une émeute et de la vengeance de tous les satellites
» dont il était entouré , quand les magistrats voulaient essayer
» de faire prévaloir les lois contre son autorité usurpée. Qu'on
» l'admire donc comme un homme adroit et profond dans le
» genre de tous ces petUs tyranneaux qui ont subjugué des répu-
» bliques en tant de pays différons ; cela doit être permis aux
» âmes faibles. Il fallait du sang à cette âme de boue*. »
• Galiffe, Notices généalogiques, t. m, p. 21.
ET DES DOCTRINES DE CALVIN. 383
A ce jugement d'un calvinisle une plume catholique ne sau-
rait rien ajouter.
Dans les derniers chapitres de l'ouvrage , M. Audin , après
quelques curieux détails sur la vie intime du réformateur, passe
en revue quelques-uns des pamphlets de Calvin, ceux surtout par
lesquels il s'efforçait de propager en France sa pernicieuse doc-
trine. A cette occasion on ne lira pas sans intérêt une belle
apologie du clergé lyonnais , en particulier du préchantre ^ ou
grand chantre de l'église de Lyon , Gabriel de Saconay , dont le
zèle et la vigilance excitèrent la bile de Calvin et lui dictèrent une
diatribe remplie de grossières injures. On retrouve dans ce cha-
pitre le souvenir d'un fait que M. Audin avait déjà consigné
ailleurs , et qui est bien propre à montrer combien l'esprit de la
réforme est inférieur à celui du catholicisme. En 1543 la popu-
lation de Genève était décimée par la peste. Les ministres se
présentèrent au conseil , reconnurent qu'il serait de leur devoir
d'aller consoler les pestiférés ; mais confessèrent par deux fois
qu'ils n'en avaient pas le courage. Le conseil résolut qu'on
prierait Dieu de leur donner meilleure constance pour l'avenir.
Quanta Calvin, il avait eu l'adresse de se faire ineltre avant tout
hors de cause ; car le conseil , en ordonnant que h s ministres se
rassembleraient pour choisir entre eux celui qui devrait visiter
les hôpitaux , disposa que de celte élection serait forclus M. Cal-
vin, parce que l'on en avait faute pour l'église. A Lyon, au con-
traire , au premier mol de peste , tous les prêtres , malades,
infirmes même, s'étaient présentés à l'archevêque, demandant
à porter secours à leurs frères et à mourir de la mort du
martyre , si Dieu était assez bon pour couronner leur dé-
vouement.
V histoire de Calvin inénie, aussi bien que celle de Luther,
tous les encouragemens dont ces deux ouvrages ont été l'objet
» M. Andin lui donne le titre de precenteiiry Je crois que l'équivalent
consacré du mot latin prœcento)-, est en français pvechantre. Do même
il fallait appeler /^/Jawe, et non pas Fidonime, le vicedominiis oi\ lieute-
nant civil do l 'évoque de Genève.
384 HISTOIRE DE LA. VIE
Ecrite dans un excellent esprit, elle produit sur l'ame du lecteur
des impressions aussi salutaires que profondes. L'homme le plus
indifférent, s*il lit ce livre avec un esprit dégap,é de toute préven-
tion , ne pourra que prendre en piiié la doctrine réformée, si
variable, si inconsistante, si peu en harmonie avec elle-même.
Mais il éprouvera des mouvemens de haine et d'indignation en
étudiant ce théocrate sans entrailles, qui, partant des principes
les plus libéraux , est parvenu à étouffer en ses mains la civili-
sation , les arts , la liberté. En revanche combien la doctrine
immuable du catholicisme, l'influence salutaire de cette religion
sainte sur le bien-être des peuples , son action sur le développe-
ment des lumières, la charité qui en est l'ame et la vie, ne
doivent-elles pas gagner dans ce parallèle perpétuel que M Au-
din a maintenu dans tout son ouvrage avec autant de goût que
de science ?
La Fie de Calvin est un ouvrage de longue haleine et qui sup-
pose des lectures immenses. L'auteur a épuisé non-seulement
les documens imprimés français, latins et allemands, mais encore
ceux qui sont restés manuscrits dans la poussière des biblio-
thèques et des archives, et ces derniers lui ont même fourni
quelques faits nouveaux qui sont du plus haut intérêt. Mais s'il
importe de recueillir un grand nombre de faits, il n'est pas
moins indispensable de les ranger avec méthode. Celle qu'a sui-
vie M. Audin a quelque chose de saisissant, de dramatique, qui
ne laisse jamais languir Tattenlion. Par exemple , veut-il exposer
les dogmes de Calvin ? il ne vient pas lui-même dérouler sous les
yeux du lecteur un, long chapitre didactique ; mais il vous intro-
duit dans un cabaret de Strasbourg , où, au milieu des pots, un
disciple de Calvin se défend contre les attaques subtiles de Gé-
rard Raufmann, ancien sacristain de Saint-Pierre, et maintenant
gardien du cimetière de la ville. Ailleurs c'est un vénérable re-
ligieux, le P. Aihanasius, demeurant à Slanzad , dans Fancienne
habitation du bienheureux Nicolas de Flue , qui, à propos du
catéchisme dont il vient d'adresser les questions à de pauvres pe-
tits enfaiis, cite, avec une inépuisable richesse de mémoire,
toutes les contradictions dogmatiques des coryphées de la ré-
ET DES DOCTKlI\Eà DE CALVIIV. 385
forme , et démontre par là l'impossibilité où ils sont de donner
un catéchisme à leurs sectateurs.
Lorsqu'une digression intéressante ou instructive se présente
sous la plume de M. Audin, il se garde bien de la laisser échap-
per. C'est ainsi qu'à propos des études de Calvin à l'Université
de Paris il a initié ses lecteurs à la vie turbulente des écoliers du
16e siècle et noté les privilèges exorbitans dont ils jouissaient
dans presque toutes les universités. Plus tard , la lutte de Calvin
avec les libertins de Genève lui donne l'occasion d'esquisser les
mœurs de la bourgeoisie dans les grandes villes, et ce tableau
n'est pas un des moins intéressans au milieu d'une foule d'autres
que renferme l'ouvrage. Les amis, les victimes et les adversaires
de Calvin ont été soigneusement étudiés par l'historien, qui trace
leur portrait, raconte leur vie , fait connaître leur esprit, leurs
mœurs, leur caractère , analyse leurs écrits, apprécie enfin l'in-
fluence bonne ou mauvaise qu'ils ont exercée sur leurs contempo-
rains. Ainsi Farel , Viret, Bucer, Zwingli, Bèze, Castalion,
Occhino, Gentilis, Bolsec, Servet ; et parmi les catholiques, Ga-
briel de Jaconna y et Sadolet, seront presqu'aussi bien connus que
Calvin à celui qui aura lu avec attention les deux volumes dont
nous venons de rendre compte. De plus, ces nombreux portraits
jettent de la variété dans l'ouvrage, soutiennent l'intérêt en le
partageant sur divers sujets, et servent encore, chacun d'une
manière différente, à faire ressortir la figure principale.
Le style du livre mérite aussi des éloges, mais donne lieu ce-
pendant à quelques observations critiques. Nous pensons que
M. Audin écrit trop à la hâte, et ne revoit pas avec assez de soin
ce qu'il a écrit. Delà une foule de locutions impropres. Ainsi
(t. I, p. 408): une parole teinte au souffle de Luther et de
Zwingli; plus loin (p. 5o4), les ministres découragés demandé-
renl leur démission; il fallait écrire donnèrent ou offrirent. Sou-
vent ces négligences deviennent de véritables contre-sens. Ainsi
on ne lit pas sans étonnement, à la page 31 du second volume,
que, d'après les réglemens de Calvin, l'habitant de la campagne
qui n'assistait pas à la messe payait 3 sous d'amende. Souvent
ces fautes sont du fait de Timprimeur ; mais l'auteur qui revoit,
386 HISTOIRE DE LA VIE DE CALVliN.
OU qui du moins est censé revoir ses épreuves , n'est pas à l'abri
de tout reproche. On lit p. 45 du tome II : «« Comme il y a dans
« rhomrae deux élémens , l'esprit et la matière ; ainsi , dans le
« monde, deux pouvoirs, l'un qui régit /a nature^ l'autre l'esprit.»
La nature est évidemment mis ici pour la matière. Ces fautes sont
nombreuses dans le texte ; mais elles abondent surtout dans les
notes. Il n'y a peut-être pas , dans les deux volumes, trois pas-
sages latins sur dix qui soient exempts de fautes d'impression.
J'insiste sur cette observation, parce qu'elle est également appli-
cable à la deuxième édition de V Histoire de Luther. La bulle qui,
dans cet ouvrage , occupe le premier rang parmi les pièces justi-
ficatives fourmille d'erreurs typographiques. La première phrase
en est inintelligible, parce qu'on a imprimé inter nostra kujus
sœculi , sans doute au lieu de inter monstra. Les ouvrages de
M. Audin étant destinés, dans mon opinion, à avoir un grand
nombre d'éditions j'ai jugé utile de signaler les légères imper-
fections qui font tâche sur les premières ; trop heureux si par-là
je contribuais en quelque chose à rendre plus parfaites les édi-
tions à venir.
H. GÉRAUD.
►^co^o on
EXPLICATION DU MOT SYMBOLE. 387
NOUVELLE EXPLICATION DU MOT SYMBOLE.
Saiut-BrissoD le 1 4 septembre 1842.
Monsieur,
L'intérêt avec lequel je lis vos annales, auxquelles vous avez
bien voulu m'associer comme collaborateur, m'excusera , je Tes-
père, si je me permets de vous adresser quelques observations sur
le deuxième article d(i cahier du mois d'août : Les livres de V An-
cien-Testament contiennent-ils des m;} thés? L'auteur m'en paraît
très au fait des idées germaniques sur les mythes dont il se pro-
pose de faire voir la déraison. Il cite un grand nombre d'ouvrages
en langue allemande sur ce sujet, mais la partie faible de cette
intéressante dissertation est celle empruntée à l'antiquité même.
Sa définition du [j^uOoç est exacte, quoiqu'il eût pu y ajouter quel-
que chose ; mais lorsqu'il vient au Symbole, il me semble qu'il a
complètement erré, et n'en a pas connu la valeur. Citons :
a Le symbole^ dit M. Eugène Mussard, n'est pas le mythe ;
» tous deux, il est vrai, sont destinés à rendre une idée, à exposer
» une vérité d'un ordre un peu élevé , par le moyen d'un inter-
» médiaire, qui la fasse mieux sentir que si elle demeurait sous sa
» forme abstraite; mais dans le symbole, cet intermédiaire est un
» signe appréciable à l'œil : dans le mythe , c'est le langage. Le
»> premier emploie une démonstration matérielle, un objet de la
» nature, par exemple, ou une action; le second se sert d'une dé-
»» monstration orale, d'un récit. Les sacremens, ces signes visibles
0 d'une grâce invisible, comme les définissait saint Augustin, sont
» des symboles et non pas des mythes; d'ailleurs, les uns et les
» autres étaient également en usage dans les premiers siècles
» du monde, et également propres à agir sur l'intelligence
» d'hommss grossiers, et peu faits au raisonnement. »
388 ISOUVELLE EXPLICATION
J'ignoie, Monsieur, si vous avez parfaitement compris celle
définition du Symbole : quant à moi, le peu que j'en comprends
me semble entièrement erroné, et cependant, je me suis ap-
pliqué à étudier cette matière , qui occupe une t^i'ande place
dans mon Essai sur le poljlhéisme, où j'ai longuement de'fini le
symbole avant de réfuter les doctrines de l'école allemande de
M. Creuzer. Il est évident que l'auteur de l'article ne connaît
pas mon ouvrage; mais vous. Monsieur , à qui j'ai eu l'honneur
d'en faire hommage, si vous aviez jeté les yeux dessus , vous au-
riez pu l'indiquera l'auteur de cet article à telle fin que de raison \
et s'il l'avait lu, peut-être aurait-il trouvé à changer quelque
chose à ce que je viens de citer de lui.
« Le symbole, dit 31. Eugène Mussard, n'est pas le mythe ».
Il n'était pas besoin de citer cette autorité, que j'ai le malheur de
ne pas connaître, pour nous dire ce qui n'est pas le symbole. Je
Me sais pas si, par suite, M. Eugène Mussard dit ce que c'est, et
s'il est d'accord avec M. de C. : mais ne nous occupons que de ce
dernier ^ .
Le mythe n'est autre chose que le discours dans son acception
première : àîTÀouç ô ;jLu6oç ttJ!; àX7/Jî(a<; e^p/pDans l'acception plus
récente, c'est un discours relatif à la religion.
Le symbole est tout autre chose ; c'est un signe (;r,;jL£tov,
signe conventionnel, xatTa c'jv6-/i/.r,v, dépendant de notre libre ar-
bitre, io VjijLÎv : telle est la définition qu'en donne Ammonius au
début de son Commentaire sur le livre de V Interprétation (I, 1)
d'Aristote, en rendant compte de ces mots : scrri alv ouv xà Iv t^
owv^ Twv £V Tvj 'l^'/r^ r.'xbr^ijA'Oiv cuy.€o),a, y.y.X tcc '■; o'JLoôu.vrji 7wv £v t^
9tovyi. Le symbole est un signe d'institution et non de nature : oj
Gucci âÀXà Oî'cî'..
En effet, il existe des signes naturels que les Grecs nomment
Tîxjx'/îpia : ceux-là sont unis à la chose qu'ils signifient: tous les
' TSous devons faire observer ici que ce ne sont pas seuleraeut ces
mots, mais tout l'alinéa qui est emprunté à M. Mussart; c'est donc à lui
plus qu'à notre rédacteur que s'adressent les rectifications de M. Séguier.
{Note du Directeur.)
DU MOT SY.MIiOLK. H8*)
diagnostics soiil de cette espèce: ils ne sont point symboles. ï)ans
l'opinion d'Arislote et de son conunenlateur , le symbole sciait
d*iine bien plus vaste compichension qu'il ne l'est dans l'usage;
car toutes les inventions bumaines en feraient partie. On ne sau-
rait cependant contester la différence qu'il établit entre les o'U-
vres de la nature et celle du génie de Tbomme ; mais connue,
dans l'usage, les inventions conventionnelles se sont entées Tune
sur l'autre, ks plus nouvelles, étant plus symboliques, ont fait
attribuer faussement le nom de naturelles à des cboses qui sont
clies-mèmes d'institution. Ce terme, !7jy.Ço>.ov, a en grec do nom-
breuses et variées significations, mais qui toutes entrent dans l'i-
dée du 5/£r«e: c'est aussi la traduction de tous les lexicologistes :
<:û|/6oÀov <7ri|/cïov. Les sacremens portent ce nom, comme le dit
l'auteur de l'article; c'est l'eau dans le Baptême, le pain et le vin
dans l'Eucbaristie : Xpiç-rbî £v tt, twv txuar/ipiwv -apacoaci Àaoïov tô
C'juooXov £1/;/ TouTo ETTi TQ (jwy/i aou ; c'est aussi , cbrétiennement
parlant, h réunion des doqmes qu'il faut croire : Sjmbolum, om-
nium credendoriun ad salutem credenliiini compcndiosa colleclio '.
Ruffin attribue celte dénomination à un emploi stratégique du
même terme : IVe qua doli suhrepllo fiat, sjinbola discrela duxsuis
inUitibus ivadit quœ latine signa vel iiidicia vocanlur , ut si forte
occitrrerit quis de qito duhitalur , interrogalus sy-mbolum tiadat,
si silhostis an socius '. C'était donc le mot âJordre des Cbreliens ;
en effet, ce mot de reconnaissance des armées se nommait ainsi
ou ayvOr,[JLa. i'JvO-/;;-/.a ii-K cr^iiiloy xcA sJa.êoAov , dit le sclioliasle de
saint Grégoire de Nazianze ^ A Albènes,on appelait ainsi le billet
d'admission aux assemblées du peuple ^. C'était le gage des con-
ventions: 'Âppaowv, 'Ev£/;jpov, ii'j7r/-,aa ' -apà twv Y,7.r.yhri Av/^'oy-a'.
' Gerson, De arlicidisjidci.
'' De symbolo, p. i54, du Cyprieii de Fell.
3 Steliteutic., p. 35^ édition de Éton.
^ A'oir Deniosthène, Pro coronâ, p. 298. — Arislopliauc, Ecclcsitu,
V, 296.
m sûuiE. TOME VI.— >' 35, 1842. %y
390 NOUVELLE EXPLICATION DU 310T SYMBOLE.
To (TujxêoXoV , soil un anneau * ; c'était un traité de commerce entre
les villes * ; <7u|x6oXa xàç <7uv6r;xaç âç àv àXX'/iXaiç ai ttoXsiç ôc'fxevai xaT-
TWfii Toîç TtoXiTaiç ; les questions juridiques qui en naissaient : at oltzo
cujjiêoXwv Ôixai.
En voilà assez sur un mot d'un usage si varié et si commun
dans la langue grecque : c'était évidemment le point de départ de
l'explication de M. de Cauvigny ; tous les lexiques l'auraient
éclairé là-dessus : Hesychius, Suidas; parmi les modernes : H.
Estienne,Suicerus,Schleussner. Le symbole est un 5/g?ie, le mythe
un discours, un récil. Il est impossible que ces idées se confon-
dent, et si on les applique à une même chose, c'est sous des points
de vue diiFérens.
Il n'est pas plus exact dans la définition qu'il donne de la pa-
rabole et de V allégorie.
La parabole, 7rapaSoX/i , est une comparaison, comme le mot le
dit, et rien de plus d'abord, puis un proverbe, un apologue, etc. ;
la comparaison en est la base. "L'allégorie est une métaphore
continue : r aXXo txsv vosï, aXXo cl àyopôuci. Rien n'est plus symbo-
lyque, puisqu'elle cache sous un nom différent une pensée diffé-
rente : ces notions simples, claires, qui remontent à la source des
choses, en rendent mieux raison que de verbeuses expositions qui
n'ont d'abord pas le mérite d'être admises , et qui portent dans
l'esprit plus d'obscurité que de clarté.
Je me suis permis, Monsieur, de vous adresser ces observations,
parce que je voyais avec peine une savante et intéressante disser-
tation défigurée par ces légères taches. Je n'ai voulu qu'être utile
à M. de Cauvigny ; qu'il fasse donc de ces notes l'usage qu'il
voudra.
Recevez, Monsieur, l'expression réitérée de mon entier dévoue-
ment.
SÉGUIER, marquis de Saint-Brisson,
de l'académie des Inscriptions.
« Hormipp. cité par Pollux, 1. ix , c. 6.
, Pline, 1. xxxni, c. 4, n. 3 , ZJe nominc {anuli) ambigi vi(/cc„; postea
et "VOiel et noslri symbolum {appellavctc).
3 Harpocration.
LE NOM DE DIEL. 391
SYNGLOSSE DU NOM DE DIEU,
DANS TOUTES LES LANGUES CONiNUES.
LANGUES OCÉAINIENJVES.
On comprend sous le nom d'Océanie les îles innombrables
répandues dans le Grand-Océan ; on les divise communément en
Malaisie^ Micronésie^ Mélanaisie et Polj^nésie.
I" GROUPE. — Langues de la Malaisie.
Ce groupe renferme les iles connues autrefois sous le nom
d'Archipel Indien; plusieurs d'entre elles ont une grande éten-
due, entre aulres Sumatra et Bornéo. Quoique cette païuie de
rOcéanie soit depuis longtems connue et fréquentée des Euro-
péens, on a en général assez peu de données sur les anciennes
religions de ses habitans ; cela tient principalement à ce que les
musulmans qui ont porté l'islamisme dans ces contrées, se sont
efforcés d'y éteindre tout souvenir du culte primitif ; les mission-
naires espagnols ont agi à peu près de même dans les archipels
qu'ils ont convertis au christianisme. A une époque de beaucoup
antérieure, la plupart de ces peuples avaient subi l'influence
brahmanique et bouddhique. On trouve encore dans l'intérieur
des terres des peuplades idolâtres et barbares, mais avec lesquel-
les on a eu jusqu'à présent fort peu de rapport.
Comme la plus grande partie de l'Océanie offre aux Européens
' Voir le 6e art., au numéro 25 ci-dessus, ;>. i8.
3'J2 m: jnom dl Dit-u
des peuples loul nou eaux pour eux, nous juindiojis à noire
Sj^nglossc un léger aperça de leur religion.
I. Les linbitans de l'archipel Nicobar ont l'idée de Dieu, d'un
êlrc supérieur à qui ils donnent le nom de Knallen.
II. Les y/chinais, un des quatre peuples qui habitent Sumatra,
professent le mahométisme, ainsi que les deux suivants } en con-
séquence ils appellent Dieu .<lllah : ce nom même n'est pas in-
connu aux peuplades payennes répandues dans celte grande île.
III. Les Lampoun : .4llah-Talla,
IV. Les Rejaîig: Oiila-Tallo ; ce vocable, comme le précédent,
n'est autre que l'arabe Juc> M-, allah-taala^ le Dieu très-haut.
Y. Les Butta habitent aussi Sumatra, mais ils sont plus bar-
bares que les preccdens : quoique professant le paganisme, ils
reconnaisent un seul Dieu suprême qu'ils appellent Z^fli^nart, ou
mieux Dihata ; c'est l'indien Devata , Dieu, esprit céleste; afin
de le distinguer des esprits inférieurs , ils le nomment Dihata-
A si- A si 1 .
VI. Les Juv'dnais oiit quitté, il y a environ trois siècles, le
bouddhisme pour le mahouiétisme, ils donnent à Dieu des noms
tirés de l'indien, de l'arabe et du basa-krama j ainsi :
V JJé^d j le céleste , ou Mahd-dét^d , \e ^vanà Dieu ; on dit
aussi Dieîîg.
2* Déoutcij c'est le sanscrit déuata,
3° Allah-talla, le Dieu très-haut.
4° Pangueran; en Basa-krama, ce mot signifie : prince, seigneur ,
Dieu; il correspond au mot 7'abb, seigneur des arabes'.
VII. Les insulaires de Bali professent presque tous le brahma-
nisme, très-peu le mahométisme; on les entend donner indiffé-
remment à la divinité les noms de De^'a, Allah et Touhaiiy ce
dernier est le mot malais Dieu ou Seigneur.
* Voir JNI. Marsden, Hisi, de Sumatra. — Domeny de Rienzi, Occ'auie,
t, I. — Aimai, de phil., t. nr, p. 76.
^ Jounu asial., juillet 1840, p. 74.— Thunberg, Foya^cs, t. i, p. 45-2
note de Langlés.
DANS TOUTF.?. LP.S fANCURS. oO.'i
VIlï. Lesiiabilansde raicliipel dos Molu.]itcs . ([ni csl sous la
tlominalion hollandaise, prolesseiU un malioniétisme, mélan^jc'
de pratiques de l'ancienne relic^ion brahmanique. Il y a aussi
beaucoup de chrétiens.
IX. Les Macassarais et les Boughis, dans l'ile Cûlèbes, sont
musulmans depuis environ deux cents ans ; antérieurement ils
professaient une espèce de sabéisnie, rendant leurs hoinmajijes au
soleil et à la lune, qu'ils croyaient éternels comme le ciel, et leur
sacrifiant des bœufs, des vaches et des cabris. Us en avaient aussi
les ligures dans leurs maisons, et se prosternaient devant elles,
lorsque des nuages leur dérobaient l'objet de leur vénération *•
X. Les HarfourSj peuple sauvage de la même île, professent
une espèce de manichéisme, rendant de préférence un culte aux
esprits malfaisans.
XL Les Dayasy insulaires de Bornéo, appellent Dieu Y Ouvrier
Ja mo/?<ftf, et lui donnent le noiw àe Diouat a ou Deoiiata, qui
rappelle une origine indienne ; mais ceux qui professent le ma-
hométisme le nomment Allah. On n'a qu'une connaissance tort
vague des autres tribus qui habitent cette ile.
XU. Les TagalaSj habitans de l'ile Lucon, sont chrétiens de-
puis près de trois siècles, ainsi que tous les autres peuples du
vaste archipel des Philippines. On n'a rien trouvé jusqu'à présent
qui puisse jetter du jour sur leur ancienne religion ; quelques
traditions cependant, conservées dans des espèces de chansons,
nous apprennent qu'ils adoraient un Dieu nommé Barhala-J^Jay-
Capal, ou Dieu fabricateur ; ils honoraient aussi des divinités
inférieures, et entremêlaient leur culte d'un grossier fétichisme.
XÏIL Les Bissayas, autre peuple des mêmes îles, nous ont
transmis le nom de D'wata , Dieu, qui accuse une origine in-
dienne.
XIV. A Màindanao o\x Magindano, Dieu est appelé JUa-Talla
par la partie mahomélane de l'île.
Hist. s,i-nt^iale des f^oyai(e<i. l. xxxi
39/| LE NOM DE DIEU
2^ GROUPE. — Langues de la Micronésie.
Ce groupe, situé au nord de l'Océanie, est ainsi appelé' parce
que les îles qui le composent ont toutes fort peu d'e'tendue.
• XV. Les i^«nVzn7îat5 sont actuellement chrétiens; mais avant
leur conversion, il n'avaient, d'après le témoignage des histo-
riens S aucune idée de la divinité, point de temple, point de
culte, point de prêtres. Cependant ils admettaient l'immortalité
de l'âme et des récompenses et des peines dans l'autre vie. Ceux
qui mouraient de mort violente allaient dans l'enfer ou zazarra-
gouan, où ils étaient tourmentés par le Kaïfi ou mauvais esprit ;
pour jouir du Paradis il fallait mourir de mort naturelle. Les
Mariannais donnaient encore aux esprits le nom à'aniti, mais ils
n'avaient point de mot pour exprimer Dieu.
XVI. Les Pelewiens sont encore très-peu connus : ils professent
le plus profond respect pour l'être puissant qu'ils appellent
Yarris *. Mieux inspirés que les Mariannais, ils croient que le
ciel est la récompense des âmes vertueuses, tandis que celle des
méchans resteront sur la terre pour souffrir. C'est le témoignage
qu'en rendit Libou, fils du roi Abba-Thulle , lorsqu'il vint en
Angleterre.
XVn. Les Falanais : le peu de de connaissance que, jusqu'à
présent, les voyageurs ont eu de leur langue ne leur a pas permis
de s'instruire de leur religion ; d'après Liitke, navigateur russe,
ils croient à l'immortalilé de l'âme et adorent principalement
Sitet-Nazuenziap^ qu'ils paraissent considérer comme l'auteur de
leur race et leur divinité.
XVIIL Les Carolins occidentaux croient aussi à une autre vie,
où les bons seront récompensés et les méchans punis ; ils vénè-
rent les esprits et ont une théogonie fort curieuse qu'il serait in-
téressant de comparer à certaines traditions antiques. Leur grand
Esprit porte le nom à'Eliulep.
' Voir le P. LeGobien, Hist. des Mariannes^ Paris, 1701.-— LeP. Mu-
rillo Velarcîe. — Don Luis de ïorres.
=* Horace Uolden, A nanatii^e ofthe shipwreck, eic,
' Dumont d'irrvilie, Voyage aufour du rnonde^ t. n.
DANS TOUTES LKS LANGUES. 395
XIX. Iles Marschnll: Les naturels de ce groupe adorent un Dieu
invisible qui réside dans le ciel ; ils lui présentent des offrandes
de fruits, sans temples ni prêtres. Dans leur langue, lagneach
signifie Dieu '.
XX. Iles loiili : voici ce que rapporte Choris d'un insulaire
qui s'était volontairement embarqué dans l'expe'dilion de Kolz-
biie : « Nous avions vainement essayé, pendant plusieurs se-
» maines, de demander à Kadou ses idées sur Dieu; il faisait
>» tous ses efforts pour nous comprendre, mais inutilement.
« Enfin, un jour, il y réussit; son visage était enflammé, tout son
«« corps tremblait, v Ah I s'écria- t-il, vous voulez savoir le nom de
» celui que nous ne voyons ni n'entendons ; ( en même tems il
» se bouchait les yeux et les oreilles; ) «« Son nom est Tautup. Lui
» ayant demandé où il demeurait, il montra le ciel *. >»
XXI. Iles Mulgrave : Les habitans connaissent un grand Es-
prit nommé Kennit; ils semblent le craindre plus que Taimer.
Ils admettent aussi des esprits inférieurs^.
XXII. Iles basses de l'archipel des Carolines : Les insulaires
ont une grande vénération pour les esprits; chaque groupe d'ilôts
est sous la dépendance d'un génie nommé Hanno ou Hannou-
lappé^ qui pourvoit aux besoins des habitans, et qui est lui-
même subordonné à un être qui lui est infiniment supérieur *.
3^ GROUPE — Langues de la Mélanaisie.
XXIII. Les Papous donnent à Dieu le nom de Wat.
XXV. Les habitans de la Nouvelle- Irlande adorent des idoles,
leur principale porte le nom de Prapraghan; chez eux le mot
Bakoni signifie Dieu '.
XXV. Les insulaires de Faigiou sont adonnés au fétichisme
* Dumont d'Urville, iùid., t. u,
* D. de Rienzi, Oce'anie, tr ii.
3 D'Urville, ibid.
'' D. de Rienzi, Océanie, tu.
^ Lesson, Foyage autour du inonde, t. ii.
P»0() T.l NOM DE DlEl
pur, et oiUt'levé un temple à leurs dieux, qui paiaissent être nom-
bieux '. Ceux de la baie iVOffach ont la même religion.
XXVi. Les liabitans de V archipel Salomon sont bvrés à une
r',iossière idolâtrie, adorant des serpens, des crapauds et d'autres
animaux.
XXVII. Les l^anikoriens expriment Dieu ])ar le mot Atoua ,
c|ui appartient au système polynésien; du leste, ils pratiquent le
fétichisme. Les Tikopiens ont le même culte, et donnent à Dieu
le même nom.
XXVIÏI. Archipel J^iti ; on a peu de données sur la religion de
ce peuple : on sait seulement que chez eux 'Lan-Houalou est un
Dieu de premier ordre, qui habite le ciel avec les divinités infé-
rieures. Il paraît cependant qu'il est soumis lui même à Onden-
Heï, qui a créé le ciel, la terre et les autres dieux, et auquel les
urnes des hommes vont se réunir après la mort. Il n'y a point d'i-
mages pour représenter la divinité;
XXIX. Les ^z/50v//fV/?^, ou du moins quelques tribus de la
Nouvelle-Galles du sud, croient à l'existence d'un bon et d'un
mauvais Esprit. Le bon Esprit s'appelle Koyan.
A" GROUPE. Lanoues de la Potjntsie,
XXX. Celte partie de l'Océanie est la plus orientale; les peu-
ples qui l'habitent accusent tous une origine commune et parlent
les dialectes de la même langue, c^uoique parfois éloignés les uns
des autres de douze et même quinze cents lieues. Bientôt l'idolâ-
trie aura disparu de res îles nombreuses; déjà des archipels en-
tiers sont chrétiens, nous voudrions pouvoir ajouter : et talho-
liques.
XXXI. Iles Hawaï; quoique les habitans de ces îles adorassent
des idoles, ainsi que tous les indicjènes de la Polynésie, ils admet-
taient tous l'existence d'un être supérieur, spirituel, invisible et
tout puissant, appelé dans leur langue Jkoua^ Dieu, ou NoiU-
Alcoua^ le grand Dieu. L'immortalité de l'àme , les peines et les
■ /</., ibid.
' D II ville, ï nY(t:]o iiiitour du monde, t. n.
D\>S TOI TES r.rS I.ANr.UES. 307
iV'Compenses dans une autre vie , riaient des dogmes familiers à
toutes ces tril>us. •
XXXII. Nouha-IIiva ; dans la langue de ces insulaiies, le nom
de Dieu est Aloiia, c'est le même mot qu'à Hawaï, quoique dans
ces dernières îles l'articulation ail éié modifiée, suivant le génie
de la langue.
XXXIII. Iles Pomotouy Dieu est nommé Jtoua, Etoua.
XXXIY. TaUl'y cette île, qui est regardée comme la métropole
de toute la Polynésie, appelle aussi Dieu Atoua. Ce mot,qui pa-
raît signifier esprit dans la langue de ces peuples est sans doute
venu de l'indien dé^>a , par l'entremise du malai. Les premiers
missionnaires protestons avaient cru reconnaître chez ces peuples
la croyance à une Trinité qui rappelait le dogme chrétien; et qui
se composait de :
Tane te Aladoua, le père ;
Oro^ MataoUj aloua tetamaïdi, Dieu, le fils,
Taaroa, maiioii to hoa,, l'oiseaii-esprit '.
Mais M. EUis a prouvé que cette prétendue découverte éiait
fondée sur une interprétation forcée et inadmissible.
XXXV. Archipel Tongu ; les habitans de ces îles comprennent
leurs divinités sous ce nom général de Hotoua , qui répond à
\ Atoua des Taitiens.
XXXM. Nouvelle-Zélande ; chez ces peuples le mot Atoua
s'applique aussi à la divinité en général ; le mot ff'aïdoua désigne
plus spécialement les esprits et les âmes; ce dernier vocable est
prononcé Eatoua dans les autres archipels ; il a, comme on le voit,
beaucoup de rapport avec le nom de Dieu; peut-être en est-il
dérivé ! — On demandait un jour à un insulaire comment il se
figurait Atoua : « Comme une ombre immortelle, » répondit-il.
Un autre, à qui M. d'Urville adressait la même question, dit :
>« C'est un esprit, un souffle tout-puissant \ » D'après M. Les-
son ', les dieux prmcipaux de la Nouvelle-Zélande seraient :
' Voir D. d'Urville et Lesson, Voyage amour du monde,
» Voyage autour du mofuk, t. ri.
' Vov. t. Il, ]). 3(19.
398 l^V. NOM DR niEU
Dieu le père, nommé Noui-Aloua^ Dieu le fils et Dieu l'oiseau,
ou l'esprit, Oui-doiia.
XXXVII. Ile Rotowna ; ses habitaiis ont des idées fort super-
ladelles de la divinité ; ils la considèrent comme un être ou génie
suprême qui leur donne la mort; aussi appellent-ils la mort
atoua ' .
COINCLUSION.
Nous avons réuni les noms de Dieu dans toutes les langues
qu'il nous a été permis de compulser; si quelques-unes ne figu-
rent pas dans les tableaux précédens , les vocables usités dans c€S
dernièies se rattachent pour la plupart à ceux que nous avons
fait entrer dans cette synglosse. Dans les langues bien connues
nous avons pu remonter à l'étymologie de la plus grande jjartie
des dénominations en usage pour exprimer le souverain Etre ;
mais, dans les idiomes moins étudiés, nous n'avons pu que don- .
ner purement les vocables, en attendant que les progrès de la
linguistique aient jeté sur eux un jour ])lus parfait.
On pourrait actuellement rédiger des tableaux synoptiques
d'un autre genre et d'une méthode plus rationelle ; ce serait de
prendre chacun des termes originaux et primitifs dont on s'est
servi pour peindre la divinité par h parole, et de suivre la filia-
tion de ces termes , ou des idées exprimées par eux parmi les
différens peuples. Ainsi nous verrions l'élément indien , sous la
formule rZeV^ , se répandre du côté de l'Occident dans l'Arie, et
de là jusqu'aux extrémités les plus reculées de l'Europe; et du
côté de l'Orient se propager d'ile en île jusqu'aux écueils les plus
reculés de l'Océan pacifique ; modifié successivement d'après les
articulations propres aux différens peuples. D'autres popula-
tions, sans avoir adopté le vocable, en ont conservé lidée; ainsi,
la signification de ciel , céleste j habitant du ciel, inhérente aux
termes déuaj dit^, 0£o;, deiis, etc., se retrouve dans les dénomina-
tions en usage chez un grand nond^re de tribus de l'Asie et de
l'Afrique.
• Lesson, t. ii»
DANS TOUTES LES TANGUES. 399
L'élément arien (ou peut-éire indien encore), sous la formule
Khoda, Golt^ God^ règne surtout dans l'Iran, et est devenue
même en Europe le terme usuel pour les langues d'origine teuto-
nique. L'idée qu'il offre [donné de soi-même) est bien plus noble
et bien plus digue de Dieu que celle que nous fournit la formule
dé if a.
L'élément El, Allah se trouve seulement dans les langues
dites sémitiques , les dialectes abyssins exceptés j et l'idée qu'il
exprime {Etre adorable) appavùent bien aux peuples qui ont
hérité plus directement des traditions primitives et de la révéla-
tion. Le vocable arien est plws grandiose peut-être et peint plus
fidèlement l'essence et la nature du Très-Haut ; mais le vocable
sémitique exprime plus heureusement les rapports qui doivent
exister entre les hommes et la divinité.
En Amérique , on voit dans la plupart des langues Dieu
exprimé par l'idée à^dme, esprit, génie ^ ce qui exclut tout soup-
çon d'un Dieu matériel, chez ces peuples considérés naguères
comme les plus sauvages du globe ; aussi Fadoration des idoles
était-elle bien moins fréquente dans le nouveau monde que dans
l'ancien continent.
En conséquence de nos recherches, il est donc facile de se con-
vaincre, en premier lieu, que les nombreux vocables, consacrés à
exprimer la divinité dans toutes les langues, ne sont point des ar-
ticulations arbitraires, prises au hasard et vides de sens, mais
qu'ds expriment ou l'essence de Dieu même , ou du moins ses
principaux attributs; en second lieu , que la plupart des peuples,
ont conseivé, malgré les ténèbres de l'idolâtrie et du poly-
théisme dans lesquelles plusieurs d'entre eux étaient plongés,
une idée assez exacte du souverain Etre, précieux débiis des tra-
ditions antiques et de la révélation primitive. Enfin , en suivant
attentivement la dérivation et l'analyse de ces vocables , nous
sommes ramenés insensiblement de contrée en conirée jusqu'à
celte ancienne Arie , où les saints livres placent l'origine des
hommes et des choses.
^^0 ].t: NOH Dr Dini
y\DDIT10NS Kï COIUIECTIO^S.
Dans un travail qui quoique bien court a e.\Ir;c tant de re-
cherches, on doit s'attendre à trouver quelques erreurs, surtout
en ce qui concerne des peuples encore peu connus. Souvent il a
fallu s'en rapporter à des voyageurs qui , n'ayant eu que de
courtes relations avec des Iribus dont ils n'entendaient que peu
ou point la langue, n'ont pu nous donner que des idées fort va-
gues, peut-être même erronées, sur leur culte et leurs croyances.
Cependant, comme il est important de n'être pas induit en erreur
dans une maiière aussi importante, nous croyons devoir consi-
gner ici quelques additions et corrections survenues pendant
l'impression.
Asie, n'^ XXyiI '. Langue Bhot ou du Tibet: nous avons
donné le mot Sanghie comme pouvant être tiré d'un dialecte
particulier, mais c'est le nom tibétain de Bouddha employé pour
exprimer la divinité en ge'néral ; il doit s'écrire et se prononcer*'
Idem, n° XXIX ^ Langue annamite : \o\q\ Us locutions em-
ployées pour rendre le nom de Dieu , d'après les dictionnaires
annamites de Mgr Taberd '.
1^ Duc-chûa-lrùi , le suprême seigneur du ciel. (La dernière
syllabe est prononcée ùlùi par les Tunquinois, d'autres pronon-
cent tîbi).
2° Thien-chàa, le seigneur du ciel; c'est absolument l'expres-
sion chinoise Thien-ickit.
IV Chûdtc, le gouverneur.
4** Thuong'Chûa, le souverain seigneur.
Idem, n XLIX '. En arménien \\uinntuje' Jsdot'adz, vient
• T. m, p. 356.
^Ibid^ip. 35;.
^ Dict. annamitico-lalimmiy e\ huino-anuamiticum, Fredericnagori,
vulgo Serampore, i858, i vol. in-4°,
* T. m, p. '|5<).
i)A>s toltj:s Li:6 la-\gli:s. 'i\)\
piiniitlvcincnl de ruiicn lezd , Dieu , esprit, pciùe • comme le ^
dz tinal se clctlouble en ""' sd. Ce mot équivaut à Asdauls asd
on azd, composition qui donne Deoriim Dciis ou Icsdan h-zd '.
Afrique. N° XY'. En Bcrhcrc^ le deuxiènuî vocable est
^ jT^ <>^^\ -/gitid mokorn ; comparez ce mot avec la dénomi-
nation de Dieu d ms la langue Guanchc , dial- cte Sliclluli ,
M'koovii .
Jinérique. X^' XLIX à LV ^ Dans les langues iroquoiscs Dieu
est communément appelé ISiio ; daprcs un manuscrit qui m'a été
communiqué d'Amérique , les Iroquois n'ont pas dans leur lan-
nue de mot propre pour signifier Dieu : JSiio serait un terme em-
prunté au français suivant le génie de la longue irotjuoisc, qui,
manquant de la consonne d et de la voyelle cm, a remplacé la
première par n et la seconde par io. î\Iais on se sert le plus sou-
vent de Bauenniio, le maître, le seigneur; 3' personne maicidîne
du verbe Keoenniio^ être , maître , seigneur. Noire seigneur se
rend par SoiikoaoenniioK Les mots fJouweneah, Hausveneyou,
J'cîvm/wyoM, etc., des peuples congénères viennent sans doute
du même verbe, modifié suivant les dialectes particuliers.
L'abbé BERTRAND,
De la société asiatique de Paris.
' Jown. as'uil.,\\\\.v\ 184 h p. 652.
' T. IV, p. i55.
3 T. IV, p. 189.
* Le signe » est un ancien caractère adopté par les anciens mission-
naires et conservé jusqu'à présent paries Iroquois, pour représenter une
articulation propre à leur langue ; elle équivaut A ^^' ou à uu prononcé
culturalement.
402 NOUVELLES KT MELANGES.
UoiiD^^Urs ^t ilUlauigcô
EUROPE.
FRANCE PARIS. — ArriK^ce de .V. Eugène Bore à Fans. H est
nomme chevalier de la Milice dorée de Saint-Sylvestre. — Lettre du
cardinal Fransoni. — Bref de Sa Sainteté. — Nous annoncions dans
notre dernier cahier la prochaine arrivée de M. Eugène Bore en France.
Ce zélé et savant cathohque est , en effet , arrivé à Paris. Nous Pavons
vu et nous espérons qu'il donnera lui-même dans le prochain cahier
quelques travaux, fruits de son voyage; en attendant, nos lecteurs Fironl
avec plaisir les deux pièces suivantes, qui prouvent que le Souverain-
Pontife a connu , et a voulu récompenser ses travaux. Voici d'abord la
lettre qui lui avait été adressée par S. E. le cardinal Fransoni , préfet
de la Propagation de la foi.
A M. Eugène Bore y à Mossoul.
Très honorable -VIonsieur ,
Il est difficile de s imaginer combien la Sacrée Congrégation admire
le zèle avec lequel vous travaillez sans relâche , dans cette mission, à la
propagation de la foi catholique, ni quel intérêt elle porte , à cause de
cela, à votre personne. Si, dans ces dernières années, le nom catholique
a pris en Perse ouelque extension , et si brille l'espérance que des fruits
plus abondans répondent aux travaux des missionnaires, elle sait fort
bien que c'est en grande partie à vos soins et à votre soUicitude qu'on
en est redevable. En conséquence , pour donner quelque signe de sa
gratitude, elle a fait en sorte que notre très Saint-Père vous admette
à l'ordre des chevaliers de la jMili::e dorée qui tout récemment a été réta-
bli avec un plus grand honneur. Vous trouverez joint à cette lettre le
Bref apostolique de cette concession.
De même, il a paru juste à notre très Saint-Père et Seigneur de ré-
compenser et de combler de grâces particulières ceux qui se livrent à
ces missions si difficiles, quils soient honorés d'un caractère sacre, ou
bien qu'ils n'aient encore que le grade des laïques fidèles dont ccrtai» •
NOUVELLES ET MÉLA^IVCES. 403
ment vous méritez d'être regardé comme le coryphée et la sentinelle
perdue ; vel etiam in JidcUam laicorum gvadu consistant quorum pvo-
fectb coriphœus atque antesignamis mérita haberis. C'est pourquoi des
lettres ont été données au Rév. M. Fornier , préfet de la mission, et
plusieurs pouvoirs lui ont été accordés , afin que par son moyen tous
reçoivent de plus grands biens spirituels. Cela doit assurément vous
stimuler davantage , vous et les autres , à poursuivre avec une ardeur
toujours croissante votre tâche , la plus noble et la plus glorieuse qu'on
puisse concevoir , et à vous efforcer de mériter ainsi une très ample
couronne dans les cieux.
Je prie Dieu de vous conserver longtems sain et sauf.
A Rome , au collège de la Sacrée Congrégation de la Propagande.
Le 23 avril 1842.
Votre tout dévoué
I. Pji. Framsoini, préfet.
Voici maintenant le Bret Sa Sainteté :
Le très Saint-Père Grégoire XF^I à notre /ils chéri Eugène Bore.
Cher fils , salut et bénédiction !
Comme rien ne peut nous être plus flatteur , plus doux et plus désira-
ble que de voir la religion catholique partout en vigueur et florissante,
nous avons coutume de décerner avec empressement des récompenses
honorables et des preuves de notre bienveillance, principalement à ces
hommes qui s'efforcent avant tout de contribuer par leurs œuvres au
bien de la religion catholique. C'est pourquoi, ayant appris par de très
graves témoignages que toi, que recommandent le talent, les mœurs, la
piété et la probité, et qui es attaché avec une affection particulière à cette
chaire de Pierre, tu n'as négligé ni soins, ni zèle, ni efforts pour le succès
et la prospérité de nos missions sacrées en Perse , nous avons pensé
devoir te montrer , d'un cœur joyeux et empressé , quelque signe de
notre volonté à ton égard. Donc, voulant te décorer avec un honneur
particulier, et seulement à cause de cela tabsolvant et te croyant désor-
mais absous des censures ecclésiastiques, des sentences et des peines
d'excommunication et d'interdit portées de quelque manière que ce soit
et pour une cause quelconque, si par hasard tu en as encourues, nous
t'élisons et nommons par ces lettres , de notre autorité apostolique, che-
/|0V >oLVt:i.Li:s li mlla.ngi:^.
Talier de noire Milice dorée et l'associons ù cet ordre illiislre, reslaurc
par nous avec un plus grand éclat. En conséquence , nous te concédons
et permettons de ])orler les insignes de co nicmc ordre, à savoir le collier
d'or, répéc et les éperons dorés, et puis de jouir et d'user des privilèges
généraux et particuliers, des prérogatives et faveurs dont usent et jouis-
sent les aulres chevaliers de celte milice . ou dont ils peuvent et ont pu
user et jouir , sauf du moins les facultés supprimées par le concile de
Trenfe que l'autorité de ce Siège a confirmé. Mais nous voulons que tu
portes la croix d'or représentant au milieu l'image octangulairc du
Suprême Pontife saint Sylvestre, sur un champ argenté, et suspendue à
la poitrine avec un cordon de soie dune nuance rouge et noire sur les
bords, du côté gauche de Ihabit, selon la coutume des chevaliers et d a-
près la forme presciilc dans nos lettres publiées touchant le même ordre,
lc3i octobre 184 r. Autrement tu perdrais les droits de ce brevet. De
crainte qu'il n'y ait quelque différence daus la manière de porter celte
décoration, nous faisons remettre un modèle de cette même croix, sans
que les constitutions et les sanctions apostoliques, ou tout autre opposition
y mettent empêchement.
Donne à Rome à Saint-Pierre, sous lanneau du Pêcheur; le 5 aviil
1842, et la douzième année de notre pontificat.
A. GARD. LaMBRUSCHINI.
AlNMLliS
4(^5
DE PHILOSOPHIE CHRETIENNE
(vX^iiuieïo Se». — - Ojecemuto iSL'2,
Diôfiplinc nùl)oliquc.
DE LA VIE RELIGIEUSE
CHLZ
LES CHALDÉËXS.
Nous avions fait espérer dans notre dernier cahier, que noue
ami, 31. Eugène Bore, voudrait bien communiquer à nos lec-
teurs quelques-unes de ces éludes qu'il est allé faire avec tant de
zèle et tant de fatigues au centre de l'Asie; sa complaisance a dé-
passé nos espérances. Car nous avons entre !es mains plusieurs
pages de ses vovagcs encore inédites et que nous publierons pro-
chainement. Aujourd'lmi nous communiquons à nos abonnés le
travail suivant, sur la vie religieuse chez les Clialdéens ; il sort
d'introduction à r///5fo/;c^zf Couvent de Rahban^Onnuzd, le seul
catholique qui existe encore en Chaldée, et que nous publierons
aussi.
En lisant ces pages, écrites sous la tente, ou au fond des soli-
tudes de l'Arménie, nous l'avouons, il nous a semblé lire quel-
ques récits perdus de ces pères de l'église grecque qui ont jadis
sanctifié ces contrées, les Basile et les Grégoire. ZS'ous avons
pense que Dieu reservait encore ses bénédictions pour des t«:rres
où il fait descendre de si saintes , de si hautes peutées, et nous
lli« SLRIE- TOME VI. ~N' 36- *26
/}.0G l^'- i-^ VIL IIKLIGIEUSE
avons to!H|)ii.s, eu oudc, coiiuuent le voyageur callioliquo a pu
vaincie laiii d'obstacles, sui)poiter tant de fatigues, éviter tant
(le périls, sccourii ses frères : il n'était pas seul dans ses courses,
un puissant navaillcur le secondait. A. B.
§1.
La vie du chrétien est une expiation, possible sculemeat, en renonçant
au monde.
Au commencement, Dieu créa l'homme heureux et juste, mais
libre, c*est à-dire capable de persévérer ou non par la justice
dans la félicité. L'homme fut tenté, et il tomba dans l'orgueil qui
avait perdu son tentateur. Comme lui , il eût été condamné à
l'effroyable infoitune de haïr Dieu et d'en être haï éternellement,
sans l'intervention du Fis qui satisfit le Père , en disant : « Me
voici , eccè venio ' . »
Toutefois , Toffrande du réparateur n'absout le coupable
qu'autant qu'il s'unit à son sacrifice infini. Cette union qui, sous
la loi figurative, commence par la foi et l'espérance, s'accomplit
dans la possession de l'amour, sous la loi réelle. Les anciens at-
tendaient et désiraient les mérites de la rédemption que nous sa-
vons et voyons se perpétuer misericordieusementdansle monde.
Y participer,, telle est l'obligation première et dernière de l'exi-
stence que le chiéiien peut définir pour lui : le tems de l'expia-
tion.
Heureux celui qui , marchant de bonne heure dans la voie
droite, n'a point d'égarement à pleurer, ni à s'affliger d'avoir
aimé trop tard le bien seul aimable ^ ! La part de sa dette est
' Psau. XXXIX, 7 — S. Paul, adHebr. x, 7.
^ Deus vitœ meae quàm vanè consumpta sunt, quàm infrutuosè elapsa
8unt tempera mca, quaîdedisti mihi ut facerem voluntatem tuani in eis,
et non feci ! quanti aani, quot horse perieruut apud me ; in quibus sine
fruc».u vivi coram te! et quomodô subsistam ? Quomodo levarepoteio
oculos meos iu faciem tuam in illo maguo examine tuo ; si rememorari
uMcnis omiua peccatu mea et huctum requisieris singulorum? patien-
CHEZ Lli6 CHALDÉBWS. 407
moins difficile à acquitter, bien que la transmission de la tache
oriî;inelle suflise déjà pour le rendre pénitent inconsolable.
Le devoir de celte réparation facile ]iour quiconque s'est mis
décidément à la suite du maître, semble intolérable à ceux qui
lui prélèrent la servitude de son ennemi. ElVectivement , l'état et
les actes des tilsvivans de la fjrâce qui les a léjjéncrés, sont in-
compréhensibles aux enfans de la chair et du sanj^. C'est pour cela
que l'Evangile les distingue sans cesse comme deux races d'une
nature opposée, et n'ayant de commun que la même forme hu-
maine et le même soleil qui les éclaire. Du reste, ils sont néces-
sairement dans une lutte et une contradiction perpétuelles ; ce
qui est bonheur, vérité et lumière pour ceux-ci, est à ceux-là
misère , erreur et ténèbres. Les biens et les joies recherchées avi-
dement par les uns, excitent le dégoût ou la compassion des au-
tres; et au contraire la sagesse des premiers scandalise les seconds,
comme une folie insigne.
La division, hélas I la plus nombreuse, est appelée le monde
par celui qui l'a créé dans ia puiî?sauce de sa parole , et il <> est
ifenu dans le monde et U luonde, 7ie Va pas connu '.» Aussi quels
anathèmes fait-il retentir contre le monde et les siens durant les
années de sa mission divine I Quels ineffables dédoniagemens ne
promet-il point aux disciples qui renoncent au monde pour le
suivre I
Et il n'est point de milieu entre la double condition d'apparte-
nir à Jésus-Christ ou au monde ; car quiconque n'est point, avec
lui est contre lui 'j et nul ne peut servir deux maîtres ^. Donc ,
tout homme raisonnant avec le bon sens de la foi, sera frappé de
l'évidence de ce dilemme, et s'il ne ferme son cœur à la grâce, il
se rangera du côté de Jésus-Christ , car le monde et sa concupis-
tissimepater, non fiat hoc; sed sint in oblivione coràn» le quaî perdidi
tempera; hea raulta nimis ! — S. Anselmi, médit, xiii, ^ 3.
' Jean 1,10.
- Math. XII, 3o.
' id. VI, '24«
408 DE LA VIE llELlGltUSE
cence passeront ; tandis que celui qui fait la volonté de Dieu de-
meure éternellement '.
Mais dans la lx)ucbe du Sauveur, le monde n'est point la so-
ciété, par laquelle et pour laquelle l'homme existe ; sous ce nom
il faut seulement comprendre la masse des volontés perverties
d'abord individuellement par la désobéissance originelle, et qui,
au lieu d'accepter la loi d'expiation pour se régénérer, la nient ou
la rejettent, et par un funeste contact achèvent de se dépraver en
tombant, pour ainsi dire, dans la fermentation du mal.
Suivant cette distinction, la Société est l'ensemble des hommes
vivant dans l'ordre des rapports qui les unissent à Dieu et les uns
aux autres ; notion pure et vraie qui l'identifie à la religion et à
l'église mêmes, et cette identité est justifiée dans le langage par
la conformité du sens radical de ces trois termes. Le Monde, au
contraire, représentera la portion de l'humanité perturbatrice des
lois divines et humaines, vivant dans l'irréligion, adonnée aux
pratiques de la superstition ou de l'idolâtrie, et séparée par le
schisme ou l'hérésie de l'unité catholique. Le monde sera encore
la génération violente persécutant dès les tems primitifs la fa-
mille des justes, et attirant sur l'univers le châtiment du déluge,
]mis, revivant aussi superbe et non moins intolérante dans la pos-
térité et les imitateurs de Nemrod qui bientôt couvrent et usur-
j)ent la terre, en soi te que Dieu est contraint de se choisir une
société fidèle et isolée pour y accomplir la promesse du mystère
de la rédemption.
Aussi l'Kglise s'empresse-t-elle, à notre naissance, de nous ar-
racher à son ennemi , en nous liant par le serment de le hair, de
renoncera ses œuvres qui sont toutes concupiscence de la chair,
concupiscence des yeux et orgueil de la vie ^ De ces trois sour-
ces coule et déborde le fleuve de vices et de crimes qui inonde
l'humanité.
' I, S. Jean, épil. ii. 17.
' I. S. Jean, tp. iij 16.
CHEZ LES CHALDF.ENS. /|09
De la triple loi qui déteriuiue et facilite cette eipiation.
La vie expiatrice de rhomme a pour fin de combattre et de
vaincre le mal engendré par celte triple concupiscence et pullu-
lant dans notre nature •, labeur pénible, mais court et nullement
digne d'être comparé à l'infinie récompense qu^il mérite. Les
patriarches , les prophètes et tous les justes du peuple de Dieu
ont légué les exemples et les préceptes propres à nous associer
un jour aux félicités de leur repos. Dans la gentilité, les sages
sont ceux qui se rapprochent plus ou moins de ces modèles. La
tribu des Lévites, astreinte à des règlements rigides et délivrée du
fardeau des soins temporels, fournit ces âmes d'élite plus abon-
damment que les autres tribus. En dehors d'elle , Elle et les au-
tres voyants grouppent autour d'eux un nombre privilégié de
disciples qu'imitent plus tard les Thérapeutes et les Esséniens.
Ces associations se forment dans la société avec l'idée une d'accom-
plir plus parfaitement et aussi plus facilement la loi d'expiation.
L'ordre philosophique de Pjthagore, la classe sacerdotale de l'E-
gypte présentent le même spectacle, et nos regards, à l'Orient, en
trouvent des signes antérieurs chez les prêtres de la Chaldée ,
parmi les Mages de la Perse, comme aussi parmi la classe des
Brahmes de l'Inde et dans les collèges de Bonzes de la Chine.
Mais avant que le Verbe ne relevât notre nature en s'abaissant
jusqu'à elle, et ne nous enseignât par toutes ses paroles et tous ses
actes le moyen d'opérer cette réparation , les hommes manquant
d'un exemplaire, ne pouvaient avancer dans la vie où lui-même
les appelle et les entraîne. Le nombre de ceux qui en avaient
trouvé l'entrée était petit, et conmient auraient-ils osé aspirer à la
perfection infinie, avant d'avoir entendu ce commandement ;
« Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait'.» Et cet
ordre sortait de la bouche du fils qui, depuis l'étable de Bethléem
jusqu'au Calvaire , démontre et répète que sa mission est d'ac-
f.ili.,v.48.
410 DE hK VIF RELIGIEUSE
fomplir la volonté de celui qui l'a envoyé *. La conformité ab-
solue de la volonté humaine à la volonté céleste, tel est aussi le
remède de la première concupiscence nommée Orgueil de la vie
et mère de tout péché. La concupiscence des yeux, qui est la soif
de l'or, est guérie par les leçons de dénuement de l'Homme-
Dieu exposé nu dans la crèche et sur la croix. La troisième con-
cupiscence ou l'amour des plaisirs honteux de la chair est détruite
par la parole de l'agneau sans tache , promettant aux cœurs purs
les merveilles de sa contemplation.
A ces trois préceptes aboutissent tous les autres comme à leur
centre, et quiconque se glorifie d'être chrétien doit les pratiquer.
Le ciel en est le prix, et l'enfer le châtiment de leur violation.
Entre ces deux rétributions, il faut nécessairement choisir. Or,
une raison lucide liésiterait-elle dans le clioix?
Non , il faut être obsédé par l'une de ces concupiscences, pour
préférer leur tyrannie à la liberté de la triple loi qui les réprime,
loi n'ayant de dureté apparente que pour celui qui n'a pas voulu
goûter sa douceur •.
Et cette loi réparatrice commande premièrement d'être humble
et obéissant à la volonté divine et à toute aulre volonté qui en est
l'expression ; en second lieu, d'être pauvre d'esprit, c'est-à-diie
de ne point attacher son cœur aux talens que le maître nous a
prêtés ; troisièmement, de tenir le corps as^ujéti à l'âme, et d'é-
loigner de celle-ci même l'ombre des pensée s mauvaises.
L'homme qui porte ce joug avec amour, entre au nombre des
enfans de Dieu ayant droit de juger le monde, et seuls possédant
la liberté, puisque tous leurs actes 5ont i roduits sous la bonne
inspiration du libre arbitre, tandis que le violateur de la loi de-
meure l'esclave du péché , en cédant à tous ses appétits.
§ TH.
Que cette triple loi a donné naissance aux ordres religieux.
L'observation de la loi amortit la concupiscence et nous fait
' Jean V, 3o. vi 58, xxxix 4»,
' Et mandata ojus gravia nonsnnt. — L Jean, Epit. v, 3.
CHEZ LES CHALDEEMS. 411
naître à la vie spirituelle dont le symbole est la résurrection du
Sauveur. De même que J. -C. devait mourir pour expier les pé-
chés des hommes , ainsi Tliomme doit mourir à ses propres pe'-
chés pour revivre en J.-C. Autrement il reste mort et enseveli
dans la nature reprouvée d'Adam , et quand la figure passagère
du monde s'évanouira pour lui , il tombera dans une seconde
réprobation, conséquence et prolongation de la première, et ajou-
tant à toutes les peines la plus terrible, celle de son éternité.
Cette vérité , assez importante pour mériter l'attention des
esprits sérieux , a constamment , comme nous l'avons dit, opéré
une scission dans l'humanité. D'un côté s'est pressée la foule
que séduisent la pompe, les jouissances du monde et son étour-
dissante agitation. A l'écart s'est retiré le petit nombre des sages
qui, considérant la fin en toutes choses, sont trop avides de gloire
et de bonheur pour attendre ici bas le prix de leurs œuvres.
Ceux que les devoirs et le rang de la société mettent en con-
tact avec le monde , font de cette nécessité un sacrifice agréable
au Seigneur , en travaillant à détruire , à force de vertus , Tin-
fluence contagieuse de ses vices, et en opposant à l'entraînement
des scandales les exemples d'une vie édifiante. Leur principe de
conduite est le précepte de l'apôtre qui commande d'user des
biens et des avantages de la vie, comme n'en usant pas, et de les
faire tourner à la gloire de celui cjui Us dispense. Perfection hé-
roïque digne de toute admiration, parce quelle est aussi difficile
que rare.
La généralité des serviteurs de Dieu prend le parti le plus
prudent , qui est de fuir un ennemi aussi redoutable , et de se
retrancher dans quelque poste siu, où elle peut défier et repous-
ser ses attaques. D'ailleurs, l'âme qui a compris l'excellence de
la vie spirituelle et qui a eu quelque goût de ses délices, éprouve
le besoin de se i^fugier dans la solitude. Elle y offre plus libre-
ment ses hommages à son époux et à son roi , et elle converse
mieux et plus longuement avec lui.
Telle est la cause de la formation de ces sociétés partielles qui
ont justement été honorées du nom d'or cires, -paivce qu'elles sont
le principe ordonnateur et conservateur de la société catholique
MU Di: I\ VIF P.FIJGIEIISF
Poui elle"), comme pour le peuple d« Dieu, le déseri a e'(é \e lieu
lie leur oiganisnlion preuiièie; puis elles se sont répandues dans
le clianij) de l'Eglise , afin de le cultiver, de le défendre, tout en
renibellissant de la variété de leurs formes produites par la pen-
sée unique et commune de l'expialion volontaire.
Les principes et les ré^lemens de cette vie expiatrice des trois
concupiscences du monde ont constamment été résumés dans la
formule du triple vœu li 'obéissance, de pauvreté et de chasteté.
§ IV.
Oue les trois vertus qui constituent la vie religieuse sont inséparables.
Saint Antoine, à qui l'on doit accorder la gloire d'être le pre-
mier législateur de la vie religieuse, fait reposer l'édifice de ses
lèjïles sur \a pierre angulaire de l'obéissance, de la pauvreté et de
la chasteté. Ces trois vertus sont le triple lien de l'Écriture qui
attaclie inséparablement à J.-C., et que la force du monde entier
ne peut rompre, parte qu'il offre une résistance à tous ses moyens
d'attaque L'ambition, les plaisirs, la richesse ne sauraient tenter
le dii-ciple qui a juré d'èlre hundjle, pur et pauvre comme le
maître. Il martheia donc en sécurité sur ses traces, et s'il ne brise
lui-même la clnîne, il sera un des captifs de la captiç^ite glorieuse
qui est enlevée i\w ciel par le souverain triomphateur '. Si , au
contraire , une des trois vertus manque, les deux autres ne suffi-
sent plus au support de l'i-istitution monastique 'qui bientôt
s'aiTiisse cl toudjc en ruines.
L'expérience atteste la justesse de cette remarque. Que l'on
passe en revue toutes les sectes ou couununions dissidentes qui
ont ébranlé le premier princi|:e deTobéissance, en se séparant de
l'unité, cl l'on ne trouvera j.lus cliez elles l'idée de la perfection
religieuse. Prenons en Orient le ]\csloriauisme pour exemple, et
eu Europe, le* ProtcstantiîniLV, et nous sommes frappés delà
triste conformité (ju'ofiVcul en ces points les deux hérésies. Bar-
* Ascendcns in alluni c.ij)t:vani duxit captivatem. Jd Ephes, iv, 8.
— Pian, v(T*\ svria xvii, iq.
CHEZ T.KS riKI.DKrX>^. 'il'"»
sum.i'î, qui a suitoiU propa.oé parmi les Clialtleens reircnr de
Neslorhis, abolit la vie monastique dont il avait rejeté le frein,
et assemble une espèce de concile dans lequel il déclare per-
mettre le mariage aux prêtres et aux moines, incapables de garder
la continence. Il voulut leur donner lui-même ce bel exemple en
épousant la nonne Marna , et les chants populaires des monta-
gnards ont conservé jusqu'à ce jour le souvenir de leurs sacrilèj>es
amours. Le patriarche Babi, installé sur le siép,e de Ctésiphon,
goiila fort cette réforme, et, non content d'avoir fenmie et en-
fans, il poussa la précaution jusqu'à décréter : 1*^ que ses succes-
seurs les patriarches commenceraient par se marier; 2' qu'aucun
ministre de l'Eglise ne resterait dans le célibat ; 3° enfin que les
évêques et les simples prêtres pourraient convoler à d'autres
noces, toutes les fois qu'ils tomberaient dans le veuvage '.
Que fait Luther après avoir parjuré ses vceux monastiques et
le serment d'obéissance qui nous oblige à jamais envers l'Eglise ?
Il attaque la vie religieuse, détruit les couvens, et comme aussi
il était incapable de garder la conlincncc , il épousa pareillement
une nonne. Depuis , le Protestantisme n*a jamais pu reproduire
l'admirable spectacle d'une société d'hommes cherchant à prati-
quer en commun la perfection évangclique.
Les églises d'Orient , sans avoir réformé jadicalement leurs
symboles, ont perdu néanmoins la tradition et le sentiment des
ordres religieux, en transgressant la loi d'obéissance due à l'église
mère. La Thébaïde est redevenue le désert, et le savoir avec la
' Les expressions de l'ordonnance rapportée par Annus, son biogra-
phe arabe, sont assez curieuses pour être citées: a Sanxit ut ecclesiaî nû-
« nistri universi nuberent, neve quisquam in posterum cœlibatum in
« sœcalaricouvcrsatione coleret; ne K'idcliceiin peccatumprohiberetur;
>f liabcrent que singuli propriaui uxorem palàm et publiée.... » Bibliot.
orient.^ t. m, p. 4^7. — L'historien Barhebrœus, tout' hétérodoxe qu'il
est, exprime ainsi son indignation : « jNimirùni postquàm à reliquis
H christianis separati sunt, quidquid ipsislibebat, adcxpleudum îibidi-
a nem palàm absque pudpre ac nietn faciebant. » Id. ibid., p. \nçi.
414 DE LA VIE RELIGIEUSE
|*iété ont disparu des monastères de l'Egypte, de la Syrie et de
la Chaldée. Si quelques maisons , épargnées par les arabes prosé-
lytes de Mahomet, conservèrent le nom de monastères, elles n'en
avaient plus la règle ni la sainteté. Et ainsi , dans les montagnes et
les îles des lacs de l'Arménie, où la vie religieuse s'était multipliée
vers le 5* siècle avec une fécondité merveilleuse , nous avons
trouvé les couvens réduits à l'état de métairie ou de ferme, et
plût au ciel qu'ils fussent aii moins des fermes-modèles !
Toute défection spirituelle ayant son principe dans l'esprit
d'individualisme , elle porte nécessairement atteinte à l'esprit
d'association le plus parfait qui puisse êire conçu ici bas ; et, si la
charité est i'atnour simultané de Dieu et du prochain , dès que
les lois de l'amour divin sont altérées, il doit s'effectuer une di-
minulion proportionnelle dans l'amour des hommes. Nous en
citerons de nouveau comme preuve les cloîtres des Arméniens
désunis , où le Yartabed ' solitaire qui y réside semble souffrir
avec peine qu'un pauvre clerc y partage les ennuis de son oisiveté.
Les ordres catholiques où le principe de fidélité orthodoxe ga-
rantit le maintien de la loi d'obéissance, sont plus particulière-
ment,exposés aux tentations des deux autres concupiscences. IjCS
réfoiiiies des uns, la suppression ou la décadence des autres ont
eu pour cause le relâchement de la discipline ou bien la convoi-
tise de la richessse. Cette dernière séduction est la plus fatale,
parce que la racine de tout mal est V amour de l'argent^. Aussi
c'est par là ([u'oiU fail'i certaines corporations faillibles comme
les hommes qui les composent, bien que leurs ennemis aiment à
en assi(5ner la cause à l'aliération des mœurs, afin d'excuser la
('épravation des leurs et d'accroître le scandale.
Donc aujourd'hui les ordresqui fleurissent et renaissent dans
l'Eglise doivent s'attacher à remplir dans toute son extension le
précepte de la pauvreté ! Elle contient le trésor de toutes les
' Varlubcd est un mot arménien qui signifie docteur,
"^ Telle est l'expression du texte syriaque qui exprime plus clairement
la pensée de saint l'aul rendue par Cupidifas dans la version latine, ad
Timoih, vi, lo.
CHEZ LES CHALDÉRNS. 415
antif's vertus, cl elle est en même tems le moyen de se tenir irré-
prochable aux yeux du inonde que dévorent les ardeurs d'une
cupidité chaque jour croissante.
§ V.
Qne les institutious religieuses sont une preuve du bonheur et de la
perfection sociale.
On ne peut concevoir une union sociale plus intime et plus,
parfaite que celle qui a pour cause et fin la pratique des trois
vertus d'obéissance, de chasteté et de pauvreté. En effet, la dis-
corde ne troublera pas l'harmonie de volontés toutes soumises à
une loi volontairement acceptée pour leur régénération , el l'or-
gueil ne les poussera point à secouer Tautoiité d'un chef qu'elles
considèrent comme dépositaire du jiouvoir de J.-C, et comme le
représentant de sa personne. D'un autre côté , le chef n'abusera
point de l'autorité qu'il sait être un prêt temporaire, et comment
tirerait-il vanité du commandement s'il considère qne son maître
et modèle est venu sur la terre pour obéir, et que chacun doit
amliitionner d'être le serviteur de ses fières. Les passions*, filles
de la haine, telles que la violence, la jaiousl ■ , la dispute et la
vengeance sont bannies des retraites où la charité iraiisforme tous
les juembres de la connnunauté en un même corps ei en une
seule a me.
Les anges portent en\i ■ -i ces iiOinine^ qs/i , triomphant par la
pénitence des convoitises de la nature , donnent à leurs sembla-
bles l'exemple d'une pu reté^ui nie semble possible qu'au ciel. La
corruption ne profane point leur enveloppe mortelle que l'Esprit-
Saint se plaît à habiter comme un temple vivant. Les souilluics
du monde ont-elles terni la blancheur de leur robe baptismale,
ils la purifient dans hs larmes du repentir, afin de n'être point
repoussés par l'époux lorsqu'ils se présenteront aux portes de
l'éternel banquet.
Quelle paix et quelle concorde là où n'existe pas la distinction
du moi ! Les désordres qu'engendre la cupidité ne divisent point
VI 6 or L\ vu: RELIGIEUSE
les cœius qui , ayant renoue aux biens lerrestres, tendent sans
cesse à la |)erfeclion du dépouillement complet et absolu. Le
pauvre, exempt de regrets ou de désirs, est plus opulent que le
riche insatiable, et celui à qui suflisent le vêtement et la nourri-
ture est plus heureux que Thomme tourmenté par la multitude
de ses besoins. L'on jouit mieux de ce qui appartient à tous, en
général, et à personne en particulier , parce que cette jouissance
n'a point les soucis et les risques de toute autre possession.
Une réunion de chrétiens liés les uns aux autres par le vœu de
pratiquer ces vertus est donc l'état social le plus accompli qu'on
puisse imaginer, et la société qui contient dans son sein quelques-
uns de ces modèles sera supérieure à celle qui en est privée. On
peut même juger de sa perfection d*après celle de ses institutions
religieuses. Leur nombre, leur état florissant, la considération qui
les environne , tout cela servira à faire apprécier la mesure de
Tordre et du bonheur de ses mendires.
Combien ignorante et aveugle est l'intolérance qui prohibe ou
persécute les ordres monastiques! Ils sont l'àme du clergé, son
principe vivifiant et réguhiteur, de même que le clergé est l'âme
et le principe régulateur de la société. C'est donc porter au corps
social tout entier un coup funeste que de s'opposer à leur établis-
sement et à leur propagation. A certaine époque et chez certain
peuple, tidle corporation a pu violer la sainteté de ses règles et
perdre l'esprit qui avait inspiré sa formation. Alors il suffisait de
l'abandonner à sa corruption propre , et bientôt elle aurait été
dissoute et anéantie. Mais des fautes de quelques-uns arguer con-
tre tous et proscrire la vie monastique, parce que des moines ont
profané leur nom et leur dignité , c'est faire logiquement un rai-
sonnement très faux et s'exposer à des perturbations sociales qui
mettent en péril la vie des nations. Il faut du tems et beaucoup
de sang et de larmes pour satisfaire la vengeance divine et pour
réparer les maux causés par cet esprit d'erreur. La France, voici
un demi siècle, en a offert l'exemple au reste du monde; puisse-
t-il profiter de la leçon I
La science récente de l'économie politique confirme la nécessité
et l'avantage des institutions religieuses. Dans l'état actuel de
chez: lus cllAl.UJ:EI^^. -iM
noire sociéic, le lîeis de ses membres est lorcé tle {j,ardcr le céli-
bat, l'une des trois vertus monastiques Si cette cliastelé involon-
taire n'est réglée ni sanctifiée par la loi d'obéissance et l'amour de
la pauvreté, elle sera la source d'effroyables désordres. Vous au-
rez une classe de prolétaires , d'indigens, d'agitateurs dont l'oi-
siveté, les exigearces et l'ambilion seront un pernicieux exemple
pour le reste du peuple et le jetteront dans des alarmes perpé-
tuelles. Il faudra pour les contenir une force armée dont l'entre-
tien sera un lourd fardeau , et l'on verra la moitié d'un pays
occupé à garder l'autre et à s'en défendre comme d un ennemi in-
térieur. La multitude des criminels contraindra la justice d'agran-
dir les prisons , et , comme les chaînes et les verroux ne suffisent
point pour corriger une nature perveise, on inventera un régime
pénitentiaire plus rigoureux c[ue les ordres monastiques et man-
quant de la pensée religieuse qui les adoucit et les relève. Que de
grands coupables poussés par le désespoir au dernier forfait du
buicide, seraient devenus des prodiges de vertu , si les asyles de
la pénitence clirétieune leur avaient été ouverts !
Les arts , l'industrie et la mécanique, qui semblent à plusieurs
être le but unique de la vocation de l'homme et la cause prenùèie
de sa félicité terrestre , recevraient un développement plus mer-
veilleux de l'activité et de la patience d'hommes mus par le sen-
timent pur de la gloire de Dieu que d'ouvriers presses par la
faim ou l'intérêt. Or, de même qu'au moyen-âge, les monastères
étaient des écoles d'agriculture et que les sueurs des religieux
fécondaient les terrains incultes; ainsi, de nos jours, ils pour-
raient devenir des ateliers tout aussi productifs que nos manufac-
tures et plus parfaits qu'elles dans leurs produits. Le devoir de
la sanctification n'est point incompatible avec les découvertes
modernes, et le travail des mains a été recommandé par tous les
maîtres de la perfection religieuse.
La science elle-même, dont nous sommes si vains, gagnerait
beaucoup au rétablissement des institutions qui l'ont conservée
durant les âges de barbarie et transmise à notre siècle avec les
lumières qui l'environnent. L'esjjiit d'un seul individu e^t faible
el fautif} il a besoin quç les spécuiatiou.5 des autres vérifient et
418 DE L\ VIE KELlGlELbE
complèleiit les siennes. Dans une congrégation , les études, les
recherches et les découvertes étant communes comme tout autre
bien, leur trésor st- grossit du dépôt qu'y apporte chaque mem-
bre, et étonne ensuite le monde savant par l'immensité de ses
proportions et par la richesse de ses matières. Telles sont , par
exemple , les œuvres des Bénédictins , auxquelles ont coopéré
plusieurs générations de savans sous l'inspiration d'une pensée
une, et avec la même patience. Leur but étant autre que la célé-
brité du monde, ils n'étaient point pressés de produire avant
terme leur travail, et la mort n'en interrompait jamais la suc-
cession.
Les académies, les corps savans , dira-t-on , nous tiennent lieu
des ordres monastiques. Mais, outre que l'existence de ceux-ci
n'empêcherait pas l'organisation des autres, et établirait peut-être
entre eux une louable concurrence, il faut aussi convenir que
certains travaux d'érudition ne peuvent être effectués par des
hommes dont les fonctions et les devoirs , dits de sociéié ,
enlèvent la majeure partie de leurs loisirs. Le manque de lien
religieux rend l'esprit d'association plus difficile et les rivalilé.s
de l'amour-propre sèment de fréquentes divisions parmi des
âmes que ne domine point la loi supérieure d'une humble cha-
rité.
En résumé, l'éîat politique et intellectuel d'un peuple doit tirer
des avantages sans nombre de la conservation et du progrès cl' :>
institutions religieuses. Leur influence pour l'augmentation ne
la foi et l'affermissement de la religion est encore plus sensible,
comme nous allons l'indiquer.
§ VI,
Du bien qui résulte pour l'église et le clergé des ordres monastiques.
Le sacerdoce , chargé de conserver et d'enseigner la foi tradi-
tionnelle de l'Eglise , remplira d'autant mieux son ministère qu'il
sera plus docte et plus régulier. Par la science , il défendra les
âmes qui lui sont confiées des séductions des fausses doctrines, et
par sa discipline exemplaire il les conduira à la pratique de la
CIJEZ LES CUALDÉEINS. 419
vertu. Mais la partie active du cleiqé qui se dévoue à tous les be-
soins spirituels du troupeau manque du tenis nécessaire pour les
études sérieuses, et est continuellenient distraite par les agitations
du monde qui l'entoure. La vie silencieuse et uniforme des cloî-
tres est plus favorable à la méditation et aux reclierches thcolo-
giques. Aussi partout où les ordres religieux ont été supprimés ,
la science ecclésiastique a dépéri soudain comme l'arbre attaqué
dans la racine. Qu'on ne nous objecte point l'exemple de l'Alle-
magne protestante où cbaque université possède des professeurs
sachant et surtout écrivant beaucoup. La patience de l'érudition
n*ç8t pas le génie , et la lumière ne peut jaillir de l'abîme téné-
breux de l'erreur. Hors de l'église gardienne de l'enseignement
apostolique et organe unique de l'Esprii-Saint , nulle bouche ne
peut enseigner véridiquement, et toute conception n'a que la va-
leur d'une raison faillible et contestable. Nous en citerons comme
preuve ses rationalistes , commentateurs des écritures saintes.
Très fiers de leur savoir philologique, ils out réduit l'interpréta-
tion de nos livres inspirés à l'explication sèche de la lettre; ils
out préféré la grammaire à l'onction des Pères , leurs maîtres et
modèles, et ils ont cru les surpasser avec l'étalage des étymologies
arabes. Le cœur ne perçoit aucun profit de toutes leurs disserta-
tions, et la connaissance progressive de TOrient et de ses langues
retranche chaque jour du mérite apparent de leur esprit.
La hiérarchie ecclésiastique est comme l'Eglise un corps com-
plet et actif, doué de toutes les facultés et servi par des organes.
Entre s^s membres, les uns, siège de la réflexion et de la pensée,
doivent éclairer et conduire ceux qui sont plus spécialement
destinés à l'action. Tous concourant et coopérant à la réalisation
d'un but unique , qui est la glorification de Dieu et de son église,
aucun n'a droit de se préférer aux autres et de dédaigner leur
assistance. Avec une humble reconnaissance envers la bonté su-
prême qui les emploie, ils doivent s'aimer fortement et croire
que leur charité sera le premier moyen de propager dans les
âmes l'amour de Dieu et de sa vérité.
Néanmoins, àe même que les actes réglés par une tète plus in-
telligente sont plus parfaits ; ainsi l'action du clergé se perfcc-
-V20 I)i: LV VIE KtUGitLSE
tionneia aux dailcs de la lumière que lépandroiU sur lui les
ordres voués à la vie contcmp'alive et savante. <« Avec le uoinbre
» des docteurs, dit saint Thomas, s'accioît l'utilité commune qui
« résulte de la doctrine, parce que Tun découvre ce qui était ca-
» elle à l'autre, et la multitude des sages est le salut de VuniveTi '.
)) De quel zèle briiUiit Moïse, lorsqu'il s'écrie : Qui fera seigneur
» f/ue tout le monde prophétise'', voulant ainsi étendre à tous !c
» don de prophétie parce qu'il n'était pas jaloux du bien qu'il
» possédait. »
Oui, le sacerdoce se produira aux regards des peuples avec une
nouvelle majesté , lorsque la couronne des vertus évangélifjues
brillera sur son front, et que les autres dep,rés qui en sont le cœur,
les mains et les extrémités participant à l'excellence de h\ partie
supériture, rivaliseront d'ardeur et de dévouement dans le ser-
vice du Christ. Les principes de la foi pénétreront mieux les
esprits lorsqu'ils seront enseignés par la double prédication de la
parole et de la pratique. Le simple prêtre aura une plus haute
idée de la grandeur de notre religion, en voyant au-dessus de
lui des frères qu'il doit s'elTorcer sans cesse d'imiter, et ces
hommes choisis, tremblant de n'être point aussi parfaits que le
peLsent d'eux les prêtres et les simples fidèles, seront excites à
cheminer toujours en avant dans la voie sans terme de la perfec-
tion.
Mais c'est principalement dans la société orientale qu'on re-
connaît la nécessité de la vie religieuse. Bien qu'elle y ait pris
naissance sous les auspices des Antoine et des Basile, néanmoins
elle n'a point eu la consistance ni l'admirable fécondité qui la
distinguent en Occident. Toute région qu'infecte le schisme ou
l'hérésie lui est mortelle, et elle a besoin de la pure atmosphère
de l'orthodoxie. Aussi son feu sacré s'est-il conservé de nos jours
seulement dans l'Italie, centre de la catholicité, tandis que l'into-
lérance profanait et ruinait ses sanctuaires dans les états environ-
nans.
' Sapien,, vi, '26.
* Num., 11, -iq.
ciiLz i.j 6 Cil vM)j:i:.\i. ÏV: 1
Le tl( r;;c, livre à lotis 1rs patriarches, piinials cll^Japluiciis ',
stibsiiuiant dans les églises clKildccnne, syrienne, f^rcccjue, ainr:-
nienne ei tOi)tc leur despotisme ignorant à r.iutoiile cilaiiec
des souverains pontifes-, ne partieipi ()oint à la rcfoiinc de la dis-
eiuliue laiiiic, qui. au moyen de la loi i\u célibat, centuplait sa
l'oree et l'élevait tout à coup à un jubte dejjié de purett_, de
jjloire, d'indépendance et de sainteté. Il continua de judaiser en
ce point au lieu d'entrer dans le mouvement de profjiés vers le-
quel le poussait la perfeeliou de la loi nouvelle. Aussi a t-il tou-
jours lanjjui dans un étal d'abaissement et d'inlériorité qu'il est
utile de si[;naler en ce siècle ou l»; niaria{j;e des prêtres trouve
eneore des apologistes. Nos eatholiqucs qui n'ont jamais eu sous
les yeux le triste spectacle d'un clergé marié, et noire clen;ë lui'
même que troublent peut èlrc parfois les sopbisims et lesob'ec-
lions de ses ennemis béniront avec nous li srigesse infaillible de
r^glisc qui pir le réglemcn*^ du célibat, rend 1- -accrdoce dii^nc
el capable de remplir toutes ses fondions.
En effet, la première remarque de celui qni ob^c^vc le cler",c
des églises de l'Arménie et de la Clialdéc porte sut la dillérr nce
extrême qu'établit enire leurs membres la double conJition du
mariage et de la virginité. Le patria relie , les éveques , cl ceux
' Le Maphien était chez Ks jacobilos lu coailjulcui du paliijiclie ,
cette dignité ecclésiastique est actuellement «uppriiiue.
* L'Arménie scliismalique est encore divisée entre les quatre patt iar-
elles de Constantinople, d'Etcliemiazin, «l'Aglitliamai- et de Sis. La Rus-
sie en a supprimé un cinquième qui résidait, il y a quelques années a
Caudzasar. Dans le raoïit Mediace. api^ellé aussi Toiu a Abdin , qui se
prolonge de .Merdin à Djézirch et où sont répandus rto villages jacobi-
les , il y avait, an commencement de ce siècle, six évèqnes sai jo^cant à
la fois le litre de patiiarclie. Le patriarche actuel des ^estoriens, dans
une lettre i\n\\ femit écrire «lernièrcmeiil à mu de nos évèques ealLoli-
(jues de la Chalrlée, l'appelle naivemeni le i)al, iaiche de iOrûriL C est
aiubi que les Orientaux, avec l'orgueil de leuis titres, out perdu la fu
iille de 1 humilité el sa récompense.
iij« SLRiE. lo.ME VI. -- iN'^ 36. 1842. 27
/|22 13K L\ Vit KhLlGlEUSE
({u'iiouoie le jjraile de ilocleiussont pris exclusivemenl dans la
dernière classe, comme étant la plus parfaite, et les autres ne
parviennent jamais à ces rangs de la liiérarcbie sacerdotale. Les
honneurs, le respect et la confiance qui environnent les premiers
ne sont point accordésaux seconds, dont le ministère est simple-
ment considéré coimiie le métier le plus noble et le plus saint de
la communauté. Une répuf^nance visible empêche les fidèles de
leur confier la direction de leur conscience, et le sacrement de la
confession semble perdre près d'eux de son caractère de confi-
dence mystérieuse et inviolable. Les paroisses, privées de tout re-
venu et grevées ordinairement d'impôts arbitraires par les Pachas
et leurs subalt' rnes, ne peuvent assigner de pension au desser-
vant, et pour vivre, lui et sa famille, il doit se faire payer les
baptêmes, les mariages el les enterremens. Celte ressource étant
précaire et insuffisante^ il doit encore exercer quelque métier
manuel, tel que celui de charpentier, de tailleur, de tisserand, et
alors, à quelle tentation n'est point exposée sa charité lorsqu'on
vient l'appeler près d'un mahde ou au tribunal de la pénitence ?
Elle balancera entre le devoir et la crainte d'un dommage pécu-
niaire ; il calculera avec Dieu le tems dii à la prière et aux cé-
rémonies du culte, de peur de diminuer le* nombre des heures
employées à son travail. Après l'accomplissement des devoirs du
ministère, et les faliPiies de la journée; il ne lui restera ni la force,
ni le loisir, ni le cœur de èe livrer à l'élude ; il oubliera le peu de
théologie qu'il a apprise, sans pouvoir la remplacer par l'acquisi-
tion de connaissances nouvelles ; de la sorte, il sera inhabile à
répondre aux frivoles objections des hérétiques ou des infidèles,
et il ne saura pas décider les cas de conscience : guide aveugle
d'autres aveugles, il tombera avec eux dans l'abîme.
Viennent ensuite deux autres observations qui exciteront le
rire du lecteur : La première est que l'épouse du prêtre, portée
comme toutes les femmes à oublier les lois de subordination due
au mari, tend à usurper l'empire domestique, et trop souvent
elle y réussit : il en résulte beaucoup d'abus et de scandales. Aiï)si,
certains prêtres jacobites et arméniens auraient accepté notre foi,
sans les cris cl l'opposition de la femme, qui les menaçait tout
CHEZ LES CHALDEKi>S. 423
iiiiiiplcineiU, par ci>piit decoiUradictioii, de se faire iiiusuliDauc.
Dans le iiu'iia[;e, en ouUe, elle est le repiéseulanl du piintipc
mondain et temporel, sans cesse en luUe avec l'élément spirituel ,
et le ministre, condamné à cet anta^unisme, jouit difficilement de
la paix.
Secondement, la subsistance précaire du prêtre nuit encoie à
son indépendance nécessaire, en le livrant à la merci du riche,
qui lui fournit le travail et sa rétribution. Ce ricbe est générale-
ment un laïc, et la domination exercée sur l'homme s'étendant
bientôt sur l'autel qu'il dessert, l'Eglise est exposée à tous les pé-
rils d'une diiection arbitraire et présomptueuse.
Celte habitude de dépendance, plus humiliante parmi le clergé
dissident, est une punition de sa révolte contre l'autorité légitime
de l'Eglise. Les patriarches d'Arménie étaient les très humbles
serviteurs de leurs rois, tant qu'ils en ont eu, et ils sont tombés
ensuite dans le servage des sultans, des pachas, de leurs eunu-
ques, et, enfin, des banquiers arméniens de Constantinople. De
même le patriarche de la Gbaldée était ordinairement la créature
du médecin en chef entretenu par les rois de Perse, et ensuite par
les califes de Bagdad : plus tard, le corps des marchands voulut
hériter des droits du médecin, et on retrouve encore de nos jours,
parmi eux, les velléités de cette prétention.
Le retour définitif de l'Eglise orientale à l'unité n'est possible
que par la formation d'un clergé docte, zélé et avide des seuls biens
éternels : c'est-à-dire qu'il doit premièrement adopter la disci-
pline latine relativement au célibat, cette vertu étant la source de
toutes les autres, comme le prouvent nos réflexions. L'Eglise ro-
maine, qui a toujours toléré ici l'imperfection du mariage, de
peur d'effaroucher les Orientaux mal affermis dans la foi et opi-
niâtrement attachés au passé, abolira celle exception à mesure
qu'elle reprendra sur eux res droits nécessaires. Par exemple, tout
le clergé arménien -de Constantinople a imité la régularité du
notre, et la ré/b/vne s'opérera facilement dans l'intérieur de l'Asie ,
si l'on a soin de placer à la tète de l'épiscopat des hommes élevés
par la Propagande dans la capitale de l'orthodoxie , et jaloux de
l'incomparable supériorité du clergé dCiccident. On ne peut liop
424 D£ LV vu: KKLlGlIXSi: CHEZ LES Cll\LUliEAS.
recommander aux prélals de prolé[jeret d'encourager les instilu-
tiens religieuses propres à favoriser ce renouvellement, et de n'é-
lever au sacerdoce des pères de famille que dans le cas d'absolue
nécessite, et surtout s'ils en sont dignes : car mieux vaut à un pays
de manquer de prêtre que d'en avoir un mauvais.
Les ordres monastiques, une fois constitués dans l'Église, lui ont
fourni constamment la majorité des chefs qui la gouvernent. îl
n'est ijuère de souverain pontife qui, avant de siéger sur le trône
de saint Pierre, n'ait acquis, dans le silence de la cellule, la piélé,
les lumières et toutes les vertus religieuses , qui sont la meilleure
préparation possible pour ce ministère, le plus beau et le plus
diflicile de tous les ministères. La plupart des prélats dont la li-
turgie des peuples célèbre la mémoire avaient été formés à la dis-
cipline ecclésiastique par celle de leur religion; la pourpre ni la
mitre ne changeaient point la simplicité de leurs habitudes, et ils
continuaient, au milieu du siècle , à aimer l'humilité et la péni-
tence. L'institution de nos séminaires a pour but de suppléer au
noviciat des cloîtres, et l'on peut juger de leur mérite par le de-
gré de ressemblance qu'ont avec de vrais religieux les jeunes lé-
viles qui en sortent. En un mot, le clergé catholique doit sa vie ,
sa force et sa gloire aux ordres formés dans son sein; ils sont les
arsenaux et Us boulcvarls de l'Église militante. Ils lui sont néces-
s lires pour sa défense tant qu'elle aura des ennemis: ce qui veut
dire qu'ils sontéterneh et invincibles comme elle. Grand est donc
l'aveuglement des hommes qui ont rêvé leur perte I Ces ordres
monastiques se relèveront de leurs cendres plus parfaits et plus
éclatansde sainteté et de savoir dans tous les pajs de la catholi-
cité; lallamme qui les a dévastés aura été purificatrice aussi bien
que le sang de leurs martyrs, et cette résurrection ne sera point le
fruit de la faveur ou de la violence, mais l'annonce et le résultat
du règne de la loi publicpie, qui seconde le plus puissamment
aujourdhui no'rc rénovation spirituelle, la liberté de conscience.
T'UGÈ.NE BOnt.
-Mcuibrc correspondant de rinslilut-
KTUDE DES MOiNUMENS .\5TRO>iO.MIQUJ;S. 425
Cour» îif M. L'iiiouiic au lOlU' jjc ^r jTiutcf.
ÉTUDE DES MONUMENS ASTRONOMIQUES
anfien!^ peuples de TEgypte, de TAsio et de la firt'oe, oondnisani à la
réfiUaiion scienlifique roniplètedu svshMiio de Diipui*-.
Do l'astrologie chez les Chaldéens, chez les Lgyptiens, chez les Grecs
et les Romains. — C'est par suite des progrès de l'astronoraie dans
Técole d'Alexandrie, et du développement de l'astrologie, que le zo-
diaque grec passa en Egypte, dans l'Inde, la Perse, et jusqu'en Chine.
— Résumé général.
C'est en É^^ypte et en Clialdée que prit naissance rastrologie
judiciaire, qui consistait à prédire les événeoiens de la vie, le genre
ciemorl, d'après les circonstances astronomiques de la nativité, et
même, ce qui est plus absurde encore, de la conception ^ Pres-
que tous les auteurs s'accordent à placer dans ces deux pays le
berceau de cette science mensongère, fille folle cViuie mère sage \
* Voir le 7e article au n° 55, ci-dessus, p. 192.
' WUruYC {Ârchi t., ix, 6, 2) parle d'un astrologue, c Qui ellam nou
è ?iasceiiiia, sed è coticepiione rationes explicatas rcUquit. »
' Kepler j Prœfat. ad Tabul. RudolpJibi. — Il y a bien des restric-
tions à faire à lopinion selon laquelle l'astrologie aurait puissamment
contribué aux progrès de l'astronomie. D'abord, il est certain que si
l'astronomie n'eût pas été perfectionnée par les savans de l'école d'Ale-
xandrie , l'astrologie n'aurait jamais exercé nul an t d'empire sur les
420 KTIJDF I^FS MONîlMPNS Ai^TRONOMlQUES ;
Il parait que la iiiétIioJe employée par les Clialdc'ens dans leurs
recherches astrol()j]iqiies n't'tail pas absolument la même que
celle des É{> ypliens ; car les auteurs les distinguent soigneusement.
Mais en quoi consistait la différence, c'est ce qu'il est peut-êlre
impossible de dire avec précision '. Quoi qu'il en soit, l'usage de
cette prétendue science était répandu en Egypte dès la plus haute
antiquité ': Hérodote l'y trouva florissante, et jouissant d'une
grande faveur ^
Les anciens parlent souvent de deux astrologues égyptiens ,
Pétosiris et Nécepsos, qui avaient composé des ouvrages où était
décrite et employée la méthode astrologique des Egyptiens. Ces
ouvrages, probablement pseudonymes, ne nous sont connus que
par des citations éparses dans divers auteurs récents ; mais, quoi-
que ces fragmens ne suffisent pas pour donner de la méthode
une idée exacte et complète, il en résulte cependant que les ou-
vrages attribués à ces astrologues contenaient le Thème natal du
monde , et la Théorie des Décans. Est-ce à dire pour cela que les
Egyptiens aient eu de tout tems l'habitude de représenter dans
esprits. Les astrologues ont mis à profit les travaux des astronomes , ils
ont appelé en témoignage de leurs rêveries une science qu'ils n'avaient
pas faite, et qui s'était développée en dehors de leurs combinaisons fan-
tastiques. Tant qu'a duré l'alliance de l'astrologie et de l'astronomie, par
exemple, de Ptolémée aux Arabes, l'astronomie n'a fait aucun progrès
sensible.
' Serait-ce que les Égyptiens avaient égard seulement ou plus parti-
culièrement aux influences des étoiles fixes, comme on pourrait le con-
jecturer àlinspection du plafond sculpté dans le tombeau de Rliams*'^
IV, tandis que les Chaldéens tiraient exclusivement leurs pronostics de
la position des planètes dans le zodiaque?
' Cicér., De Divin., \, i : a Eamdem artem eliam Egyptii longinqui-
tate temporum innumerabilibus pêne sœculis consecuti putantur. »
' Hérodot., Il, 8*2 : Kaî Ta^^i àXÀx AÎYJ-TÎc.al è-jrt i^e'jprttsva.... xat rf
RÉFUTATION \)V DUPTJIS. 427
les tombeaux et dans les temples les thèmes génélliliaques? Les
monumens anc/ews de rÉgypte n'en fournissent aucune preuve,
quoi qu'on en ait dit : la plupart des scènes auxquelles on a donné
une signification astronomique ne sont que des scènes à la fois re-
ligieuses et funéraires, dont le sens est inconnu. Pour trouver des
exemples de représentations astrologiques sur les monumens, il
faut descendre jusqu'au l^r siècle de notre ère ; ni l'Egypte pha-
raonique, ni l'Egypte ptole'maïque ne les ont employées: l'Egypte
romaine seule les a connues et multipliées sur les tombeaux et
sur les édifices religieux.
Ce ne sont pas, assurément, les Grecs du tems d'Alexandre qui
ont introduit en Egypte l'usage des horoscopes figurés sur les mo-
numens; car, s*il y a quelque chose de certain , c'est que , avant
d'avoir conquis l'Orient par les armes d'Alexandre, la Grèceétait
à peu près étrangère à toutes les superstitions astrologiques dont la
Cbaldée et l'Egypte étaient infatuées ; la nécromancie et la magie
nous apparaissent, il est vrai, au berceau de la société hellénique,
comme le témoignent la descente d'Ulysse aux enfers ', les my-
thes de Médée et de Circé ; mais ces superstitions, qui faisaient fu-
reur en Grèce*, au tems des guerres médiques, ne doivent pas
être confondues avec l'astrologie judiciaire. La seule astrologie,
dont parlent les auteurs antérieurs à Alexandre, est l'astrologie
qu on pourrait appeller naturelle, et qui consistait à observer l'in-
fluence que le coucher et le lever des astres pouvaient exercer sur
la température, sur les cliangemcns de l'atmosphère et des sai-
sons, etc. Après la réforme de Méton, on prit l'habitude d'expo-
ser dans les villes grecques des tables des levers et des couchers
des astres, pour chacun des jours de la période de 19 ans (Ivvca-
xatosxas-rr.piç ) ; on y consignait aussi, pour chaque jour, les pro-
* Odyss.y XI. — Les femmes de la Thessalie étaient fort anciennement
célèbres par leur habileté dans la magie; elles exerçaient, disait-on, leur
pouvoir sur la lune , et pouvaient , par leurs enchantemens , la faire des-
cendre sur la terre. Voy. Aristophane , Niib., 740-743 ; Boissonade. Cf.
Platon, Gorg.y § 68 ; Virgile, Eclog., viii, 69; Lucain, Phars., ri, 452.
Ra/'iem, non ih'idilatem.
/r28 KTinK df.s momîmi.ns a.«^tro\omiqups;
uôRlics iii«'lt'«)iologiqiio^ qu'on en lirait : ces tables s'appelaient
p.trapegmrs ['r.xoy.r:r;^>j.'x-'x). Les ub^crVv1lions d'après lesquelles on
«iressa, ilepuis iMttou, ces catalo^;nei des phénomènes naturels
lemontenl aux tenis les plus anciens, puisque déjà, dans Hé-
siode', on tiouve rénnniération des influences exercées sur les
travaux agiicoles, et sur plusieurs opérations de la vie, par les
dilTérens jours de la lune : cette énumération , qui renferme les
élémens d'une doctrine météorologique, présuppose une longue
suite d'obseï valions antérieures à ce poète. Tous les pliilosoplies
jjrecsont connu et plus ou moins pratiqué cette astrologie usuelle
qui fournissait des pronostics pour les phénomènes atmosphéri-
quPs. Mais aucun d'eux n'a donné dans les rèverit s de l'astrologie
(jénéihliaquc. Ceux c|ui, coinnjc Eudoxc, en avaient pris connais-
sance dans leurs voyaj;es en Orient, n'en ont exposé les principes
que pour les réfuter et leuroter tout crédit.
H send)]orait, au premier abord, que les Grecs durent, aussitôt
après leur établissement en l']gyple et en Chaldée, s'éprendre de
1 astrologie judiciaire, qui y élaitsi répandue et si estimée. Il nVn
est rien pourtant. Aucun des ouvrages qui sortirent de l'énolc
d'Alexandrie, depuis sa fondation jusqu'à la conquête romaine ,
n'y fait allusion ; et cependant, que d'occasions n'eut-on pas d'en
])arlei', d'en faiie des applications à la décoration des monumens
réparés ou érigés sous les Ptolémées I Sans doute, on ne peut sou-
tenir que, vivant au milieu de peuples qui étaient entichés de
l'astrologie judiciaire, les Grecs y soient restés absolument étran-
gers ; mais ce qui est certain, c'est que si quelques individus cré-
dules et ignoian'is se laissé' eut éjjlouir pnr l'appareil scientifique
(ju'étalaient les astrologues, la contagion ne devint générale que
vers la lin de la dynastie ptoléuîaïque , qutuid les Romains siircé-
dèrenl aux (irees. A cette époque, un grand changement s'opéra.
l/astrologie, qui avait fait son chemin à petit bruit, se répandit
dans toutes les classes de la soei ti'. Les astronomes et les philo-
sojihes cssavèreiit encore, il est vrai, d'opposer une barrière aux
Oper. r-l (/ir'ç. snli lin.
HKUTATION DE OUPUIS. /f20
euvaliissemens île celte supersliiion. Vains eifoitsi l'infatnaiion
était au comble, Tastrologie avait tourné toutes les têtes, elle lé-
p,nait souveraineineiU sur les meilleurs esprits , en dépit de la
science et du bon sens qui la réprouvent également. Dès-lors, rien
n'écliappe à l'influence de cet art mensonger, ni les productions
liitéraires", ni la philosopbie % nirhistoire % ni l'astrologie ^; elle
se laisse apercevoir jusque sur les médaille* et sur les édifices tant
religieux que civils.
A quoi peut tenir celte brusque irruption de Fastrologie dans
Tempire romain ? Pj obablement à l'absence de croyances positi-
ves; au dégoût invincible qu'excitaient les absurdités du paganis-
me, battu en biéclie de toute part ; à la stérilité des doctrines
pbilosopbiques qui se disputaient la faveur publique, sans pou-
voir la conquérir. Le scepticisme avait pénétré jusque dans les
profondeurs du corpssocial,et ce n'était pas seulement les hommes
les plus distingués qui avaient rejeté avec mépris ce qui faisait le
fond de la religion populaire. On cherchait donc à se prendre à
quelques superstitions nouvelles; on accueillait avec enthousiasme
en Gièce et en Italie le culte de i\Jilhra, celui d'Isis et de Sérapis.
J/astiologie trouva les esprits merveilleusement disposés, et elle
fut adoj)tée avec le même empressement que toutes les supers-
titions venues de l'Orient. La mystérieuse obscurité dont elle s'en-
veloppait avait une puissance de fascination dangereuse , à la-
quelle ne résistaient guère des esprits épuisés et malades; plutôt
que de ne rien croire, on aimait mieux se perdre dans la région
des chimères. C'est surtout aux époques de doute et de disso-
lution sociale que toules les folies intellectuelles sont contagieuses.
' Horace, ii, Od. xvn, stroph. 5 et 6; voyez les hymnes fanssement at-
tribués à Orphée, hymne vu.
^ Séuèque, Consolât, ad Marc. y xvm, i.
^ Varroii s'y laisse prendre comme tout le monde; voy. Plutarque,
In JiomuL, § II.
* Ptolémée lui-même composa des tables mannelles à l'usage des astro-
logues ; il est l'antenr présumé du Tetrabildos , qni traite des secrets de
In^trologic.
/|.30 KTUOE DFS MONUMFNS ASTRONOMIQIJFS;
Au siècle dernier, ceux qui ne croyaient plus ni à la religion ni à
rirréligion, se jetaient dans les bras de Cagliostro, ou faisaient
cercle autour du baquet de Mesmer.
Les astrologues étaient en mesure d'entretenir longtems Tillu-
sion qu'ils chercbaient à produire: l'astronomie avait fait de
grands progrès sous les auspices des Alexandrins; elle devint la
très humble servante de l'astrologie. Souvent , pour dresser des
thèmes génélhliaques, les astrologues avaient à faire des calculs
fort compliqués; l'aslrologie perfectionnée des Alexandrins leur
fournissant les moyens de les exécuter sûrement, ils la firent ser-
vir habilement au succès de leur charlatanisme. Ainsi , tandis
que, d'un coté, le scepticisme universel leur laissait libre carrière,
et aidait ù la popularité de leur art trompeur, de l'autre, l'astro-
nomie leur ])rètait le secours de ses méthodes, leur gagnait même
les savans , et consacrait, pour ainsi dire, de son autorité res-
pectée, leurs jongleries ridicules '.
L'histoire nous apprend que les empereurs romains , depuis
Auguste jusqu'à Antonin, furent presque tous plus ou moins fa-
vorables à l'astrologie. Les médailles qu'ils firent frapper en
Egypte en témoignent suffisamment. L'abbé Bartlîélemy en a
décrit quelques-unes ^ qui sont de l'an viii d' Antonin (Ann. 145
et 146 de notre ère) et qui contiennent le thème natal du monde,
c'est-à-dire qui indiquent la place que les planètes occupaient
dans le zodiaque, au moment de la création de l'univers. Chose
remirquablel il n'y a que les médailles zodiacales frappées en
' INous serions entraînés !)ien au-delà des limites que nous devons nous
imposer dans celte analyse des leçons de M. Letronne, si nous vonlions
citer tous les faits sur lesquels sont fondées les considérations générales
qne nous venons d'exprimer sur la marche et les progrès de l'astrologie.
Les preuves qui justifient l'exactitude de cette rapide exposition sont
développées au lon^' dans les Observations critiques et arche'ologiquds
sur l'objet des représentations zodiacales ('2' partie), d'où nous avons
tiré tout ce qui précède.
^ Acnd. dos Inscript., t. XLi, p. 5oi-5a2.
RÉFUTATION DE DUPUFS. /fSl
Kgyple qui ollVent cette particularité curieuse. Il en résulte, non-
seulement que raslrolo[;ie était cultivée et pratiquée en Ej> vpti^
au 2« siècle de notre ère, mais encore que l'usage de figurer des
thèmes généthliaques sur les monumens y était alors très-ré-
pandu. C'est en parlant de celte donnée certaine que nous pou-
vons prononcer sur le vrai caractère des zodiaques égyptiens, et
de presque tous les zodiaques connus. Entre les médailles dont
nous venons de parler, et ces représentations , il y a une liaison
e'vidente; l'époque en est à peu près la même ; elles ont été exé-
cutées dans le même pays, sous l'empire de la même superstition
dominante; ces représentations doivent donc être à la fois reli-
gieuses et astronotniques. Le caractère astronomique, le seul
qu'on ait voulu y voir, n'est qu'apparent. Sans doute , la pre-
mière idée qui a dû s'offrir, à la vue du planispLèrede Dendérali,
c'est qu'il représente le ciel égyptien, c'isl-à-dire toufes les
constellations visibles sur l'horison de l'Efi,vpte , à la latitude
de quelque grande ville, comme Tlièbés, Memphis, ou Héliopo-
lis. Reste à savoir de quelle manière il les représente. Comme le
zodiaque n'est pas exactement au centre, et qu'il est plus avancé
d'un côté que de l'autre, on a pensé que cette représentation du
ciel égyptien était projetée sur un plan tangent. Cette conjecture ne
serait admissible que dans le cas où le planisphère de Dendérali
serait bien effectivement une image de la sphère égvptienne. Or,
c'est là précisément, ce qui est en question. M. îdeler, nous l'a-
vons déjà dit, est d'avis que les constellations des Chaldéens, des
Egyptiens, et en général de tous les peuples orientaux, n'étaient
primitivement que ôe simples noîus, sans figures en rapport avec
ces noms'. C'est dire qu'il ne voit point des constellalions dans les
figures qui accompagnent les signes du zodiaque dans le pla-
nisphère de Dendérali. « Et , en effet, rien ne prouve qu'elles
«représentent des constellations; tout annonce, au contraire,
» qu'elles sont des images purement symboliques, liées avec les
» signes du zodiaque qu'elles entourent ou accompagnent , et
Yoy. l'article précédent, au n" 53. ci-drsseis, p. 9.o3.
432 Kl l'Di;: dfs isiONa^iENS astronomIques ;
» mises dans un lappoi t religieux avec Ks scènes funéiaires où
>• elles joiiciit mi rôle qui nous est, quanta présent, pari'aileuient
» incojHui; ces figures clian{^eaient ou restaient les mêmes, «clou
» les céri'monles qu'on voulait peindre ou les rapports qu'on
» voulait exprimer *. >
Les deux zodiaques de DendéraL, le circulaire elle rec(an(ju-
lalre^ se ressemblent quant à la disposition et à la configuration des
signes; ccda ne doit point étonner, puisque ces deux nionumens
figurés sont de la même époque. Si, comme on Ta cru, le rectan-
gulaire est un tableau de laspbère paranalellontique^ cVst-à-dire
représentant, outre les signes du zodiaque, les diverses constella-
lions qui se lèvent ou se coucbent en aspect avee ces signes, il
faut que , sur ce zodiaque et ceux d'Esneh il y ait identité entre
les figures qui sont censées représenter les mêmes constellations ;
or celte identité n'existe pas, comme on peut s'en convaincre à la
première inspection, les zodiaques rectangulaires de Dendérah et
d'Esné, n'ayant presque aucun rapport entre eux, du moins
quant aux figures accessoires. Si les figures eommunes aux deux
zodiaques de Dendérah sont des constellations, comment n'oc-
cupent-elles pas la même position relative? La comparaison at-
tentive de ces monumens prétendus astronomiques prouve que
les figures qui sont en dehors et en dedans de la bande zodiacale
ne sont pas des constellations : 1^ celles qui bordent le planisphère
étaient au nombre de plus de 36, et irrégulièrement disposées,
ne sont pas les Décans, qui marquaient des intervalles de 10 de-
grés ou de 1/3 de signe. 2° La grande figure typhonienne appuyée
sur un coutelas/ au pôle du planisphère , n'est pas la Grande-
Ourse; le chacal, qui marche sur un instrument aratoire, n'est
pas la Petite-Ourse. 3" De toutes les figures extra-zodiacales du
planisphère de Dendérah, il n'y en a pas une seule qui soit dans
le grand zodiaque d'Esneh , et (juatre seulement se retrouvent
dans le peut.
Les signes mêmes no sont pas dans leur vraie position : 1« La
Vierge, qui, dans le ciel, est le plus étendu des signes, et y oc-
helronne, Sur l'orig, du -nd. grec, p. i.^.
KttLTATlO.N DE UL'PLiS. lOO
cupc -îS deQ) es, a fort peu d'étendue sur le planisplicrc ; pour
les autres signes, les rapports de j^iaiuleur et de diilaiice ne sont
pas plus lidc'eiueiU observés. 2" Le Cancer n'est point placé dans
la série ; il a été mis exactement au-tlessus du Lion (le déplace-
ment du Cancer est un t'ait analogue à celui que nous avons re-
marqué, en parlant du zodiaque peint sur la cais^cde la moniie
de Pétéménopliis '. Dans celui-ci le Capricorne a été re iré de la
série des signes, pour cire placé au-dessus de la tète de la grande li-
gure de déesse, à droite et à gauche de laquelle les autres signes sont
disposés. La présence d'un zodiaque dans cette caisse de jnomie ,
la disposition des signes autour de la grande figure qui occupe le
fond de la caisse, enfin^ et surtout, le déplacement du Capricorne,
isolé et mis à part , comme pour dominer toute la scène, sont
autant de traits frappants et décisifs qui indiquent que ce Béîcmc-
no]diis était né sous l'influence du Capricorne. L'inscription grec-
que qui existe au milieu des liiérogly})lkes permet de faire une
vérification. Elle nous apprend que Pétéménopliis mourut le
8 payni de l'an xix de Trajan, apiès avoir vécu 21 ans l mois et
22 jours, ce qui donne, le 12 janvier de l'an 9,5, pour le jour de
sa nai-rsance. Or, le 12 janvier 9j, le soleil était vers le IG" degré
de la cunslellatiuii du Capricorne. Celte vérification achève de
démontrer que le zodiaque de la caisse exprime le thème natal
du personnage ; d'où l'on peut conclure, par induction, que les
zoiliaques de Dendérah etd'Esneh sont desreprésenlalions dont
Tobjet est astrologique, et qu'il y faut voir aussi des thèmes génc-
tl)lia(jues distinés à marquer, soit l'époque de la fondation des
temples où ils furent placés, soit celle de la naissance de Tempe-
reursous lequel ces temples ont e'té construits ou achevés , soit
enfin l'époqtic de la naissance des divinités auxquelles ces tem-
ples furent consacrés. Les zodiaques de Dendérah ressendjlent
tout-à-fait à celui de la caisse de momie dont le serjs et l'objet
sont clairement indiqués; d'autre part, plu^ieurs outres repré-
sentations zodiacales du même tenis, comme le planisphère de
liiaiichiui; celle du propylon d'Ackmim vue par Pococke, celle du
' Voyez le 5<^ article, t. iv, p. 545, note 4-
VSA i':tlde des jionumews astrojnomiqles ;
Icmple du Soleil à Paliiiyrc, celles des médailles impériales, ont
des caïaitères évidemment asUologiques ; il eu résulte doiic les
plus loi'les raisons de croire que les zodiaques de Dendéi ah vt
d^Esnch sont aidant fout des juonumcns aslroloi^iques. C'est de
ce point de vue qu'il faut les étudier^ si l'on veut péne'ti er le
sens encore inconnu de toutes les figures symboliques qui ac-
compagnent les signes ; les caractères astronomiques n'y sont que
secondaires^ et ils sont certainement subordonnés, dans leur em-
ploi, à l'intention astrologique qui a présidé à l'exécution de ces
monumens.
En vain objecterait-on la présence de quelques figures qu'on
prend pour des signes du zodiaque sur des monumens de l'épo-
que pharaonique ; car ces représentations n'ont nullement le ca-
ractère zodiacal. On n'y voit, en elFet, ni la succession de î)1u-
sieurs signes, ni l'une de ces figures qui sont exclusivement zo-
diacales, savoir : le Capricorne et le Sagittaire. Par exemple,
dans le plafond au R.ames5cum de Tlièbes, la scène que l'on a
crue astronomique, parce qu'on y voit les figures d'un taureau,
d'un lion, d'un crocodille et d'un scorpion, mises en rapport
avec des figures symboliques, celte scène, disons-nous, est reli-
gieuse et funéraire; tel était en effet le double caractère du
llamesséum; il était consacre' au grand dieu Amon-Ra, et ser-
vait en outre à la sépulture des rois '. Ce qui prouve qu'elle n'est
point zodiacale, et qu'on n'en peut tirer aucune induction
chronologique sur l'époque où elle a été sculptée, c'est qu'on la
retrouve dans d'autres tombes royales, et que la. pose du Tau-
reau et du Lion diffère absolument de celle qu'ils ont dans les
zodiaques égyptiens (ainsi, le Lion du Ramesséum ne marche
pas, et se termine en queue de crocodile, tandis que celui des
zodiaques marche). 11 y a aussi des scènes de ce genre dans les
caisses de momies (par exemple, dans une de celles qui sont con-
servées au Musée Britannique) ; et on ne concevrait pas que l'on
eût placé dans des tombeaux, où personne ne pouvait les voir,
des tableaux astronun.iques, indiquant uniquement l'état du ciel
' Lvhouiic, Sur le lumOcciU d'0''j/uufidYas. \>, i6.
KEFUTATlOiN DE UU1»UIS, lo'j
à l'époque de la naissance ou de la mort il'un peisoi)n.3P,e. Il se-
rait bien plus naturel de voir dans ces tableaux funéraires Tin-
icntion de marquer l'influence astrologique sous laquelle ce per-
sonnage était né; mais, comme nous Tavons déjà dit, il est peu
probable que les Egyptiens aient eu , de tout tems , 1 babitude
de figurer sur les monumens des tbêmes génétbliaques.
Après avoir épuisé tous les argumens qui établissent l'origine
grecque du zodiaque égyptien, il nous reste à examiner briève-
ment rorigine du zodiaque solaire des Indiens, des Cbinois et des
Persans. En démontrant que ces peuples l'ont emprunté aussi
aux occidentaux, qu'il est étranger à leur splière primitive, nous
lèverons les dernières objections qu'on a opposées à la tbéorie
nouvelle que nous avons développée.
Dès la plus haute antiquité , il a existé dans llude un zodiaque
lunaire, divisé en 27 constellations, appelées nakschairas (qui,
dans le 8' siècle de notre ère, ont passé aux Arabes). Les plus an-
ciens monumens écrits de l'Inde y font allusion, et les noms des
douze mois indiens sont pris d'autant de nakschatras. Mais le
zodiaque solaire en douze constellations, avec les mêmes noms et
les mêmes figures que chez les Grecs, est, au contraire, fort ré-
cent. Il n'en est question ni dans les Yédas, ni dans le code de
Manou, ni dans leRamayana, ni dans le Bhagavadgita \ quelques
indianistes ^ pensent, en effet , que les passages où se montre la
notion d'un zodiaque solaire ont été interpolés. Les trois zodiaques
solaires que l'on a trouvés dans des pagodes indiennes , et , il
faut le remarquer , au midi de la péninsule , n'infirment point
nos assertions. Le plus célèbre est celui qu'a décrit John Call dans
une lettre à Maskeline ". Les douze signes s'y succèdent dans le
' Dans un niéraoire récent Sur l'origine grecque du zodiaque (cité
dans le Journal des savans, i84i , p. 755; Cf. Letronne, Recueil des
inscript, grecques et latines de VEQpte^ t. i, Introd., p. \xi ), M. Adolf
Holtzmann explique tous ces textes dans un scus favo»;able à la nouvelle
théorie.
- Traiimct. philo^opli, Ann. 1772.
même ordre (jue sur notre zodiaque; seulement, on remarque tic
li'gères diilc'renccs dans la configuration de quelques situes. Ainsi,
le Taureau est remplace par un Zébu ; au lieu du Verseau, il y a
un vase à deux anses , la Vierge est une jeune fille nue, portant
la main à sa tèle, et assise à la manière indienne 5 une chèvre et
un poisson, formant deux fip,ures séparées, tiennent la place du
Capricorne ; un arc et une flèche, celle du Sagittaire. Ces dilVé-
rences, comme on le voit, ne portent sur rien d'essentiel; c'est
donc bien à tort que Bailly ^ en a conclu que ce zodiaque était
original, et que, loin d'être une copie altérée de celui des Grecs,
il avait servi de modèle à celui des Egyptiens. Il insiste beaucoup
sur ce que, les Brachmanes ont trop d'orgueil pour adopter rien
de ce (jui est étranger ; mais comment douter qu'ils aient fait des
emprunts aux Occidentaux, quand on voit les astrologues indiens
se servir de dénominations étrangères à la langue sanscrite pour
désigner les constellations du zodiaque solaire, et pour indiqiwr
ccrtiiines ])articularités du cours des ))lanètes. De la sinqde com-
paraison des termes ressortira évidemment l'origine grecque de
tes dénominations.
LISTE DES JNOxMS.
iVowy gnci.
Aoms i/ii
Kv.ô:.
Bélier.
Rryi.J.
Trjçc.
Taureau.
Tavuru \
Aî^jw.v..
Gémeaux.
lulhunia.
Kaf/.î/cî.
Cancer.
kulira '.
Aï'wv,
Lion.
Leva.
llaiOfvc.
Vierge.
P.^riliona.
zn^;.
iMlancc.
Yuka.
i«:77Îc;.
Scorpion.
(^or['ia.
Ti^^JTYi:.
Scigittairc.
Tankcliika.
Â-VC)C-?c>r.
Capricorne.
Akokéra.
T^:oxVo;.
^ ers eau.
Mridoga.
V/h-'ji:.
Poissons.
L^tlmsi.
UUà.
' JJiil. (le l'asli . aiuiennc, p. 488. àoi, 60 j.
^ Il ne l.iul pas oublier que le UiOl lavfoibc prouotjçjil Tuvios.
C'est- à dire signe des Coiurcs.
C'est par suite des rehitions fiéquenles qui s'établirent entre
rinde et l'Occident, dans les premiers siècles de notre ère, que
l'astrolCj-rie, le zodiaque solaire en î2sif^nes,et l'usage delà se-
jiiainc }}Iané(aire \)asseicnt dans Vïnde. La découverte des mous-
sons du N.-E. et du S.-O. qui conduisent de rcndjoucliure de la
iner Rouge aux côtes de l'Inde, et vice versa, , muhiplia les rela-
tions entre cette contrée et l'Ei^ypte romaine : îles ambassades in-
diennes vinrent en Occident sous Auguste '; les brachmanes voya-
gèrent dans l'empire sous Hélio^abale, sous Constantin el sous Ju-
lien Les choses se sont passées de ivème en Chine ; là, de toute
antiquité, on connut un zodiaque lunaire, partagé en 28 constel-
lations appelées sou. \ers le règne de Marc-Aurèle Antonin, au
milieu du 2« siècle, le zodiaque solaire y fut inuoduit avec l'as-
trologie.
Cn mot seulement de la Pi rse. Dans le Zend-Avesta, qui est le
grand monuîuent littéraire de la Perse, il n'y a nulle mention
du zodiaque solaire : c'est seulement dans le BoundcJiesch^ com-
pilation rédigée après la conquête musulmane, qu'd est question
d'un zodiaque solaire entièrement semblable à celui d'Hipparque,
commençant par le Bélier, qui y correspond à l'équinoxe de
prinlems. Il est bien vrai que les anciens Perses ne connaissaient
pas le calendrier lunaire, et qu'ils employaient une année solaire
de 365 jours, avec intercalation de 30 jours tous les 120 ans ; mais
c'est en Chaldée seulement que celte année solaire des Persans
devint fixe, de vague qu'elle était, après que, par suite de l'in-
vention du zodiaque, les Chaldcens rattachèrent les 12 mois aux
12 signes. Quant aux bas-reliefs niilhriaques, auxquels plusieurs
savans ont donné une signification astronomique et zodiacale,
nous nous abstiendrons d'en parler, car on n'en a pas encore par-
faitement déterminé le sens et l'objet; il est peu probable, ce-
pendant, que des recherches ultérieures conduisent à des résultats
qui ébranleraient les bases de la nouvelle théorie, qui se concilie
si bien avec tous les faits connus : ces monumcns étant, selon
toute apparence, postérieurs à notre ère, on n'en pourra rien con-
clure en faveur de l'existence d'un zodiaque solaire en Perse.
» Slraboii, liv. xv, ch. r^ j ^3, édil. Couiy, t. v, \>- ^yx de la Irad. li-.
nie SÉRIE. TOME vi. — N"^ 36. 18^2. 28
4i5<S KiLDi: 1>KS :.iO-MJMli:NS AblUUrsO.MlQUES.
Eiifin, il existe trois sphère^, que Bailly et Dapuis ont pro-
duites en preuvL' de leurs systèmes ; ce sont celles qu'ils appel-
lent sphère in.lienue, sjiLère persienne et- sphère barharique.
Bailly donne à la première /|,000 ans d'antiquité> 2,500 à la se-
conde, et il place la troisième, d'après NcAylon, entre l'expédi-
tion des Argonau'ics et la guerre de Troie'. — Mais ces trois
sphères, citées par Scaliger dans son Commentaire sur Mauilius,
sont extraites d'Aben-Ezra, auteur du i 1*" siècle de notre ère.
Eiles n'ont donc aucune autorité dans une question nui est tonte
de chronolo[;ie et d'archéologie; d'ailleurs, comme elles ne difTè-
rent point de la sphère grecque, et qu'on y trouve la trace de l'in-
fluence des idées astrologiques, on ne peut douter qu'elles ne
soient très récentes, ainsi que la sphère égyptienne de Kircher.
RÉSU3IÉ GÉNÉRAL.
1. Le zodiaque solaire est étranger à la sphère primitive des
Egyptiens, des Indiens, des Chinois ^t des Perses.
IL II n'est point l'expression symbolique des diverses circon-
stances de l'année a-ricole en Egypte , ainsi que l'a dit Dupuis.
IIL Tous les zodiaques trouvés en Egypte, dans l'Inde et
aille»u-5, sont d'une époque récente.
IV. Le zodiaq'.ie est étranger aussi à la sphère priniiiive des
Grecs ; mais cette sphère est originale et s'est formée surcessivc-
ment.
V. L'f./ée du zodiaque est orioinahe de laChaldée, où il fut
de toui tems l'auxiliaire de l'astrologie.
VI. C'<"st aux 'Chaldéens que les Grecs ont emprunté Vidée de
la division zodiacale-, mais ce sont les Grecs qui ont affecté des
noms et àes figures aux constellations du zodiaqu?.
VIL Quand le zodinqne fut constitué dans la sphère grecque ,
il fut transporté en Egypte. Puis, quand les progrès de l'Astro-
nomie alexandrine furent n:is à profit par les astrologues, le zo-
diaque grec parut sur les monumens publics, sur les tombeaux,
sur les médailles , etc., et il passa, avec l'astrologie, chez les peu-
ples orientaux. Edouard CARTEROIV.
• liist. de l'asti onom. arc. ).. S»-.
REFUTATlOiN DK STRAUSS.
431)
lléfiUaliou île 0trauô6.
PREUVES
DE l'aUTDENTICITÉ
DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE
TIRÉES DES ACTES DES APOTRES ET DE» EPITRES
DU NOUVEAU-TESTAMENT.
Hypotlièscs de Slrauss pour nier l'histoire évangélique. — Les actes dos
apôtres et les épîtres les détruisent. — Les actes des apôtres compa-
rés à l'histoire du tems. — Ils s'accordent parfaitement avec Ihis-
toire. — Ils contiennent le récit de miracles comme Ti* vangile. —
Saint Paul et les épîtres confirment les Evangiles. — Impossibilité de
nier le.' faits qui y sont racontes.
Un fies premiers motifs qui ont conduit Strauss à la négaiion
da récit évaogélique, c^est, on le sait, l'antipathie dominante,
clans son église, pour tout ce qui porte un caractère surnaturel.
Mais l'Evangile une fois rejeté, il est loin d'avoir fini avec les mi-
racles ; le lii>re des Actes, les principales épilres des apôtres ^ nous
restent encore, et ces monumens de l'antiquité chrétienne suffi-
sent, sans aucun doute, pour rétablir les fûts les plus importaris
qu'il a cherchés à ébranler. Le docteur Tholuck, dans sa réfuta-
tion de l'ouvrage de Strauss, nous paraît avoir parfaitement dé-
montré la vérité de cette assertion : aussi ci oyons-nous devoir re-
produire les argumcns si clairs et si pérempîoires de ce savant
critique.
« Si nous passons, dit-il, de V Histoire ci'angeli</i(e aux ./des
des apôtres, il semble (|ue , sur ce .terrain nouveau, les miracles
doiveul cesser de nous apparaître. L'Eglise primitive avait tout
A\i) UÉFUTATlOxN DE 6THAL6S J
épuisé pour composer le portrait du Messie : quel front aussi élevé
que le sien pouvait rester à couronner encore, et où prendre des
lauriers ? On serait donc porté à n'attendre plus, dès-lors, qu'une
histoire dépouillée de tout ornement, remplie uniquement d'c-
vénemcns naturels. Mais cette transition brusque ne se présente
pas à nous ; loin de là : les Actes et les Epîtres des apôtres for-
ment, avec le récit évan^éliqiie , une suite de miracles non inter-
rompue et toujours prolongée. Il n'en lut pas de Jésus Christ
comme du soleil des tropiques, qui paraît sans être précédé de
l'aurore, et se dérobe aux regards sans laisser aucune trace après
lui. Les prophéties l'avaient annoncé mille ans avant sa nais-
sance-, les miracles se multiplièrent aprèslui, et la puissance qu'il
avait apportée dans le monde continua long-tems encore d'être
active. Que la critique entreprenne jamais de faire disparaître le
soleil 5e la scène du monde, il lui faudra faire disparaître aussi
l'aurore qui le précède et le crépuscule qui le suit. Couunent y
parviendra-t-cUe? tlle ne l'a pas encore découvert. Pour nous ,
en attendant cette découverte, montrons que l'histoire de l'E-
jjlise est comme une chaîne continue; et , si nous voyons l'élec-
iricité se propager dans toute sa longueur , concluons que le pre-
mier anneau doit avoir été frappé par un coup descendu du ciel
sur la terre.
Où commence, d'oprès le critique de la /^Ve Je /e'^z/s, l'histoire de
celui fiue le monde chrétien adore comme son sauveur et son
Dieu ? — Au tombeau taillé dans le roc par Joseph d'Arimathie.
Debout sur ses bords, les disciples tiemblans, éperdus, ont vu leur
espérance s'engloutir dans son s. in avec le cadavre de leur maî-
tre. Mais quel événement vint se placer entre cette scène du sé-
pulcre et le cri de saint Pierre et de saint Jean : << Nous ne pou-
» vous pas laisser sans témoignage les choses que nous avons vues
« et entendues '. » — » Quand on embrasse d'un coup d'œil, dit
M le docteur Paulus, l'histoire de l'origine du Christianisme, pen-
» dant cin(iuante jours, à pas tir de la dernière cène , on est forcé
» do rccouiîaître que qut'hjue chose d'extraordinaire a ranimé le
' .Ici. apo^l., IV, 10.
PllRUVES DE L'ilI-STOnu- rVANGr.r.IQUi:. A41
>» coiirar^e de ces hommes. Dans celte nuit, qui fut la dernière Je
» Jésus sur la terre, ils étaient pusillanimes, emj'rcssés de fuir, et
» alors qu'ils sont abandonnés , ils se trouvent élevés au-dessus
" de la crainte de la mort, et lépèlf nt aux juges irrités qui ont
» condamné Jésus à mort : » On doit plutôt obéir à Dieu qu'aux
» hommes '. • Ainsi, le critique d'Heidelberg le reconnaît, il doit
s*ètre passé quelque chose d'extraordinaire : le docteur Strauss
en convient lui-même. « Maintenant encore, dit-il, ce n'est pas
» sans fondement que les apologistes soutiennent que la transi-
» tion subite du désespoir qui saisit les disciples à la mort de Jé-
» sus et de leur abattement, à la foi vive et à l'ardeur avec la-
»» quelle , cinquante jours après, ils proclamèrent qu'il était le
» Messie, ne peut s'expliquer, à moins de reconnaître que quel-
n que chose vraiment extraordinaire a, pendant cet intervalle,
» ranimé leur courage. » Oui, il s'est passé quehjue chose ; maïs
quoi? n'allez pas croire que ce fut un miracle. Ou sait comment
les rationahstes, précurseurs de Strauss, posant en principe que
les léthargies étaient très fréquentes dans la Palestine, à l'époque
où vivait Jésus, ont fait intervenir la syncope et l'évanouissement,
afin d'expliquer sa mort apparente, et par suite sa résurrection.
Depuis 17 80, le rationalisme n'a pas suivi d'autre tactique, et s'il en-
levait au monde chrétien le vendredi-saint, il lui donnait cepen-
dant encore un joyeix jour de Pâques. — Strauss se présente; il
admetaussi, comme nous l'avons yu, quelque chose , mais peu de
chose. — La Résurrection était trop I Contrairement à ses précur-
seurs, il arrache donc par fragmens aux Chrétiens le jour de Pti-
ques, et leur laisse le vendredi-saint. \ oici comment: Les apô-
tres, des femmes, les cinq cents Galilécns dont parle saint Paul ^ ,
s'imaginèrent avoir vu Jésus ressuscité, et ce sont ces visions qui,
dans la vie des apôtres, déterminèrent la transition soudaine du
désespoir à la joie du triomphe. Pour rendre raison de ces vi-
sions, on a encore recours aux explications naturelles donné es
• Docteur Paulus, Kommeniar, etc., th. m, s. 867.
' / Corinih., xv, fî.
A42 RF.FnTATÏON DF STRALSS*,
déjà des miracles; on veul bien mètne, par condescendance^ yh'we
intervenir les éclaiis et le tonne» le ; mais le mieux serait de s'en
débarrasser. Saint Paul, il est vrai, dont le te'moignage présente
un certain poids, parle de la résurrection comme d'un fait; mais
ce fait n'existe que dans son imagination et celle de ses compa^
gnons. Il faut bien cependant admettre aussi dans sa vie quelque
chosej si l'on veut comprendre l'impulsion qui lui est imprimée ;
on admet alors ces visions, au moins comme quelque chose de pro-
çisoirCy qui fera TefFet d'un pont volant pour passer de VÉvaiigile
aux Actes des apôtres^ jusqu'à ce que la critique, se plaçant dans
une région plus élevée, puisse, sans intermédiaire , franchir cet
abîme.
Passons donc sur ce pont volant, bâti on ne sait si c'est par l'i-
magination de l'orientaliste novice, ou par celle du critique alle-
mand ; passons de l'histoire évangélique aux actes des apôti-es.
Suivant alors, dans l'examm de l'hypothèse de Strauss , la loi
proposée par Gieseler % afin de juger l'hypothèse sur l'origine
des Évangiles , nous demandons : quelle conclusion l* histoire qui
nous reste du corps de Jésus-Christ ^ c^esl-à-dire de son Eglise^
nous fait-elle porter sur celle de son chef? — Deux voies diflé-
renies, dit-il , se présentent à quiconque regarde l'histoire des
miracles évangéliques comme le produit de l'imagination de
l'Église primitive , produit qui fut déterminé par le caractère de
cette Église elle-même. Peut-être jugera-t-il que, frappés par ces
visions récentes el par la croyance que ce ressuscité était le Messie
d'Israël , les Chrétiens se mirent à l'œuvre, recueillirent ce qui
avait paru extraordinaire dans sa vie et parvinrent ainsi à fabri-
quer une histoire merveilleuse. Toutefois si , comme le prétend
Strauss, la vie de Jésus ne présenta rien d'extraordinaire , on ne
conçoit pas trop comment les disciples purent s'imaginer avoir re-
marqué dans h ur maître ce qu'ils n'avaient jamais vu. Mais voici
une autre opinion qui lève cette difficulté. — L'Eglise primitive
alla chercher dans l'Ancien-Teslament toutes les prophéties rela-
• Dos Leben Jesu, Th. ii, p. 667.
• Gieseler, Kcrsuch uher die Fntstchung der Evangelien, s. i4'2-
PREUVES DE l'histoire évangélique. 443
lives au Messie, les réunit afin d'orner avec elles quatre canevas de
la vie de Jésus; elle se mit ensuite à les broder à l*aide d'arabesques
udraculeux. CouteiiLe de son œuvre , elle termina là son travail,
auquel elle ajouta cependant peut-être encore quelques volutes
isolées. Cette prétendue conduite de TEglise chrétienne sert de
point de départ à Strauss. Le grand ar^;ument sur lequel il s'ap-
puie pour justifier son interprétation mythique de la vie de Jésus,
c'est qu'on ne pourra jamais démontrer « c^u'un de nos Evangiles
» ait été attribué à l'un des apôtres et reconnu par lui. » Il pense
que , pour cette composition mythique, ils ont, dû réunir leurs
forces. Quant aux détails qu'ils ne réussirent pas à faire entrer
dans la vie de leur maître , ils les réservèrent pour la leur. De là,
ces aventures dans des îles enchantées, ces tempêtes qui les jetè-
rent enfin sains etsauls sur un rivage fortuné ; en un mot, toutes
les réminiscences prosaïques des anciens tems ; la vie des com-
pagnons du Sauveur nous les présente.
Heureusement nous avons l'histoire des apôtres écrite par un
compagnon de saint Paul, et plusieurs lettres apostoliques que les
critiques , même protestiuis, regardent, en général , comme au-
thentiques. Le caractère de ces écrits nous permet de porter un ju-
gement sur ces deux opinions, et partantsur l'hypothèse relative au
caractère mythique de VEvangile.Si la première opinion est vraie,
les Actes des A poires ^sànsi que leurs Epîires, nous ks représente-
ront comme des hommes aveuglés, guidés par le fanatisme, et qui
transforment en miracles des faits naturels. Si la seconde est fon-
dée, ces documens nous montreront dans les Apôtres des hommes
qui sortent si peu de l'ordre ordinaire, que le miracle n'occupe
aucune place dans leur vie. Or, le caractère de leurs Actes et de
leurs Epîtres renverse ces deux hypothèses. Nous y trouvons, il
est vrai, des miracles, mais la conduite de leurs auteurs est si pru-
dente et si sage, qu'il nous est impossible de concevoir le moin-
dre doute sur la modération et la véracité de leur témoignage.
D'un autre côté , toute leur vie se passe au milieu d'un monde
que nous connaissons déjà , nous voyons des personnages , des
événemens qui ne nous sont i as étrangers ; mais, de plus, ils opè-
iTiU (les miiailos qui seinl^Unt jaillir cojttine tles éilairs du sein
d'un monde plus élevé.
Nous avons à dcmonirer d'abord le caractère historique des
j4cles des ^poires. On est forcé de reconnaîlie . et l'auteur lui-
même le déclare formellement , qu'ils ont été composés par un
ami et un compagnon de l'Apôtre saint Paul ; pour prétendre le
contraire, il faudrait soutenir que l'ouvrage tout entier est sup-
posé, ce à quoi on n'a pas encore songé. D'ailleurs, l'impression
qu'il laisse dans Tesprit du lecteur est assez décisive , et, si elle
s'était effacée de sa mémoire, il lui suffirait de lire le cliap. XVI
depuis le verset 11 jusqu'à la fin , pour ne conserver aucun doute
sur ce point, et se convaincre que le narrateur a dû vivre sur les
lieux où les faits se sont accomplis. Souvent même , notamment
quand il fait la relation du trajet vers l'Italie , on éprouve une
impression semblable à celle que fait naître la lecture d'un jour-
nal de voyage. On suit les stations, on mesure la profondeur de la
mer, on sait combien d'ancres ont été jetées ; en un mot, tous les
événemens sont rapportés avec tant d'ordre que l'on peut de-
mander à tout iJi^torien : E>t-il vraisemblable qu'après plusieurs
années une desci iplion anssi détaillée eût pu être composée d'a-
après des documens transmis oralement? Ou saint Luc, favorisé
par une beureuse mémoire, doit avoir écrit la relation de ce
voyaf^e aussilûl après l'avoir acbevé, ou il doit avoir eu entre ses
mains un journal de voyag<; '. Il n'a pas été témoin des événemens
consignés dans la première partie des ^"fctes des apôtres. Quoique
])réîendcnt Scbleiermacber et l\icbm (dans de fojitihus Acloriim
' Meyer, dans son Commentaire sur les Actes des apôtres , p. :)35,
fait aussi la remarque suivante : « I.a clarté qui règne dans tout le récit
» de celle navigation, son ('tondue, portent à cioire que saint Luc écri-
j> vit celle relation inl(^ressantc aussilot après son débarquement, peu-
)' dant 1 hiver qui! jinssa à Malle. Il n'eut, quà consulter ses impressions
i> récentes encore, consignées pec.t-èlre dans son journal de voyage, d'où
j. elles passèrent, dans son histoire. » Rappelons-nous maintenant que
fécrivain qui montre tant d'i^xartitude est anssi l'auteur de V Es'angiJe.
piiF.uvES Di: l'histoire i':vangi':mquf. /^/^^)
nj)o>l.), le style toujours le niéine que ron remarque dans tout cet
ouvrap,e, rend inadmissible, ainsi que pour VEi-migile^ une col-
lection de documens inaltérés. Mais Wolil ne parle pas seulement
du caractère liistorique de la première partie , il examine aussi
le caractère du style, et il soutient que saint Luc a employé des
notes écrites , ou s'est attaché à reproduire assez exactement les
relations des Juifs ; car^ dit-il, il est inégal, moins classique que
dans les autres morceaux, depuis le chapitre XX, où l'auteur pa-
raît avoir été abandonné à lui-même. Bleck , dans l'examen
de l'ouvrage de MayerholV, a embrassé la même opinion , et il
«herche à prouver que saint Luc doit s'être servi d'une relation
écrite '. C'est aussi le sentiment d'Ulrich '.
Examinons maintenant le caractère historique des Jetés des
Apôtres, Plusieurs points difficiles à accorder, et notamment des
différences chronologiques se présentent à nous, il est vrai, quand
nous les comparons avec les lettres de saint Paul; mais aussi nous
y trouvons une concordance si frappante que ces deux monunjens
de l'antiquité chrétienne fournissent des preuves de l'authenti-
cité l'un de l'autre. Que l'on considère surtout hs Actes des
Apôtres dans leurs nombreux points de contact avec l'histoire, la
géographie et l'antiquité classiques, on ne lardera pas à voir res-
sortir les qualités de saint Luc, comme historien. La scène se passe
tour à tour dans la Palestine, la Grèce et l'Italie. Les erreurs com-
mises par un mythographe grec , sur les usages et la géographie
des Juifs, et , à plus forte raison, par un mythographe juif sur les
coutumes des payens , n'eussent pas manqué de trahir leur igno-
rance. — Ici la vie est pleine d'incidens divers dans les Eglises
delà Palestine, dans la capitale de la Grèce, au milieu des sectes
philosophiques , devant le tribunal des proconsuls romains, en
'présence des rois juifs , des gouverneurs des provinces payennes,
au milieu des flots bouleversés par la tempête; partout cependant
r.ous trouvons des indications exactes, dans l'histoire et la géo-
graphie des noms et des événemens que nous connaissons d'ail-
' S Indien iind kritiken, i836^ Il 4-
^ Jhid., i857, H 7.
44G
leurs ; ce serait là surtout que l'on pourrait découvrir le luyilio-
graphe fanatique. Nous avons déjà eu l'occasion ' de soumettre à
un examen approfondi les détails donnés par saint Luc sur les
gouverneurs juifs et romains qui vivaient de son lems; il a ré-
sisté victorieusement à cette épreuve. Elle a fait ressortir la vérité
historique de son Evanj^ile, il nous reste à parler encore de quel-
ques antiquités.
Il nous suffira de parcourir trois chapitres de l'ouvrage de
saint Luc, les cLap. XYI à XVIIÏ , où il se présente à nous comme
le compagnon de voyage de l'Apôtre.
Nous trouvons dans ces chapitres, comme dans tous les autres,
des indications géographiques exactes, conformes aux connais-
sances que nous possédons d'ailleurs sur la topographie et sur l'his-
toire de cette époque. Ainsi , la ville de Philippe nous est repré-
sentée comme la première ville d'une partie de la Macédoine, et
comme une colonie, 7rpco-r, tt^ç aspioo; t7;ç I\Ia/.cOoviaç uoAiç, xoXojvia.
Nous pouvons laisser les exégètes disputer quant à la manière
d'enchaîner -rrpwTrj dans le corps du discours. Il suit de là 1» que
la Macédoine était divisée en plusieurs parties; or, Tlie-Live
nous apprend qu'Amelius Paulus avait divisé la Macédoine en
quatre parties ^. — 2° que Philippe était une colonie. Cette ville
fut, en effet, colonisée par Octave, et les partisans d'Antoine y
furent Iransporiés ^ — D'après le verset 13, dans celte ville se
trouvait, près d'une rivière , un oratoire, rpodcu/v;. Le nom de la
rivière n'est pas indiqué, mais nous savons que le Slrymon cou-
lait près de Philippe. L'oratoire était placé sur le bord de 1 » ri-
vière ; nous savons (jue Us Juifs avaient coutume de laver leurs
mains avant la prière, et, pour celle raison, ils élevaient leurs ora-
loires sur le bord des eaux K — Au verset 14, il parle d'une femme
pavenne dont les Juifs avaient fait une prosélyte. Josèphe nous
' Glaub>vioidi2,keil der ev Gesch., s. iCo. JXous y reviendrons.
» i ivius, XLV, 29.
3 Dio Cass. lib. li, p. 44^. — Plinius , His/. naiur., iv , 1 1 . — l)i-
gest. leg.^ 36, 5o.
* Carpzov, Apparat. antiq.,\i. 39.o. — - Philon', décrivant la conduite
pp.EUVF.s DF t/iiistoirf. KVANGÉLIQL E. /|47
apfuend que les femmes pnyennes, mécontentes tic leur religion,
cherchaient un aliment pour leur intelligence dans le Judaïsme,
et qu'à Damas, par exemple, plusieurs l'avaient embrassé Cette
fcinme s'appelait Lydia ; ce nom craj)rès Hoiace , était usité. C'é-
tait une vendeuse de pourpre de la ville de Thyatire. Thyatire se
trouve dans la Lydie ; or, la coloration de la pourpre rendait la
Lydie célèbre'. Une inscription trouvée à Thyatire atteste qu'il
y avait des corps de teinturiers-. — Le verset 16 fait mention
des Juifs d'Alexandrie dans certains jours solennels, raconte que « de
» grand matin ils sortaient en foule hors des portes de la ville pour aller
» aux rivages voisins (car les proseuques étaient détruits), et là, se
M plaçant dans le lieu le plus convenable, ils élevaient leur voix d'un
» commun accord vers le ciel. » Philo, in Place, p. 582. Idem, De vitâ
Mos.y 1. m, et De légat, ad Caium, passim. — Ces sortes d'oratoires se
nommaient en grec 77p7ae'j/,in, Trpoasu/.Tr.piov, et en latin proseucha :
« Ede, ubi consistas, in qua te quœro Proseucha. »
(Juven. Sat. m, 296).
Au rapport de Joseph {Jnliq., 1. xiv, c. 10, § 24), la vilie d'Halicarnasse
permit aux Juifs de bâtir des oratoires : ce Nous ordonnons que les Juifs,
» hommes ou femmes, qui voudront observer le sabbat et s'acquitter des
» rites sacrés prescrits par la loi. puissent bcitir des oraioirei sur le bord
i) de la mer,-» — TertuUien (ad Nat. ,l.i, c. xni), parlant de leurs
rites et de leurs usages , tels que les fêtes, sabbats, jeiines, pains sans le-
vain, etc., mentionne les prières faites sur le bord de l'eau, oraiiones
liitorales. — .Sous ajoulei-oas que les Samarit.iins eux-mêmes avaient,
d'après saint Epiphane {ilœres. lxxx) , cela de coniuiun avec les Juifs.
— On peut voir dans la synagogue judaïque de Jean Buxtorf les pres-
criptions des rabbins, qui défendaient aux juifs de vaquer à la prière
avant de s'être puriiiés par l'eau. Voir M. l'abbé Glaire, Introduction à
l'Écriture sainte^ t. v, p. 3g8. {Note du irad.)
' Val. Flaccus, iv, 568. — Claudien, Rapt. Proserp., \, 274. — Pline,
Hist» natur , vu, 57. — Elien, Hist. animal., iv, 46.
' Sponius , Miscell. erud. aniiq.^ m, 9:^.
4/. 8
(l'une fille possédée d'un espiil de Pytliou , Trvîviua IfuOwvoç. —
IluOtov est le non» d'AjioUon, le diea des prophètes, appelés pour
cette raison rruOcovi/coî ci -'AjAr^^zoi ; les ventriloques recevaient
aussi le nièinc nom loisqu'ils s'occupaient de la divination*. —
On lit, verse; 27, que le geôlier de la prison dans laquelle se
trouvait saint Paul voulut se tuer croyant que les prisonniers
s'étaient enfuis. Le droit romain condamnait à ce châtiment le
[jLolier qui laissait les détenus s'échapper^. — Y. 35. Les magis-
trats de la ville sont appelés CTpaTrjVoi. C'est, en effet, le nom
qu'on leur donnait à cette époque, surtout dans les villes colo-
nisées. Ces magistrats n'envoyèrent pas des serviteurs ordinaires,
les u-r,ç£7oi, par exemplr, que le sanhédrin de Jérusalem ^ en-
voya dans la prison de saint Pierre, — mais, d'après la coutume
des Romains , ils envoyèrent des licteurs, paêoou/ouç. — V. 38.
Les magistrats furent saisis de crainte en apprenant que les pri-
sonniers étaient citoyens romains. On se rappelle ces mots de
Cicéron : u Cette paiole, ce cri touchant, 7<? suis cilojen romain,
» qui secourut tant de fois nos concitoyens chez des peuples bar-
» bares et aux extrémités du monde \ » La loi Faleria défendait
d'infliger à un citoyen romain le supplice du fouet et de la verge.
Nous arrivons au chapitie X^ IL Au commencement de ce
chapitre ,. nous voyons placés près l'une de l'autre les villes
d'Amphipolis et d'Apollmie, puis Thessalonique. — Le verset 5
rappelle celte foule des ayopaïoi, subrostrajiiy subhasilicain, si
communs chez les Grecs et les Romains; dans l'Orient, les gens
de cette soi te se rassemblent aux portes de la ville. V. 7. Nous
trouvons un exemple des accusations de démagogie portées si fré-
quemment alors devant les empereurs soiq^çonceux. — Y. 12.
Nous voyons de nouveau un certain nombre de femmes grecques
qui embrassent la croyance des apôtres. Mais ce qui surtout est
* Plutar., Deoracul. defectu, c. 2.
* Spanhein, De usu et prœst. niwiisinat.^ t. ), diss. 9; t. ir, diss. i3.
— Casaubon, Sur Athénée, v, 14.
' Act, apost.y V, 22.
* Cicerc, In Verrein. orat. v, n. S;.
l'JŒLM'S DE l'iIISTOIIîL ÉVAiNGIXIOl i'.. 'l'iO
remarquable et caiactérislique, c'est !a (description du séjour du
r'.rand apotie clans Athènes. Comme (ont se réunit alors pour
nous persuader que nous sommes au sein même de cotte ville. Il
parcourt les rues, il les trouve pleines de monumetis de Tido-
làlrie, et remarque une nuiltitude innombrable de statues et
d'autels, — (au tems des empereurs , ils encombraient Rome,
au point que l'on pouvait à peine traverser les rues de cette ville).
Isocrate, Himérius, Pausanic^s, Aristide, Strabon parlent de la
superstition — §£icr'.oaiaovia— des Athéniens, et des oiïrandes sans
nombre — àvaOr'y.a-ra — suspendues à la voûte des temples deleurs
Dieux '.Sur la place publique, ou se rassemblaient les philosophes,
il rencontre des Epicuriens et des Sioiciens •, des paroles de dédain
sortent de leur bouche. ÎMais le nombre d(îs curieux est encore
phis grand que celui de ces hommes hautains ; — on se rappelle
le reproche adressé autrefois aux Aihéniens par Démosthène et
Thucydide , et renouvelé par saint Luc : Fous demandez toujours
quelque chose de nouveau. Il paraît devant l'aréopagej — snaisquel
fut le discours de saint Paul? Quelmythographe juif eût pu mettre
dans la bouche du grand apô-re des paroles si propres à poindre
son caractère? Il a vu un autel élevé à un Dieu inconnu. Pausa-
niaset Philostrale parlent de ces autels "; son discours nous pré-
' VVcIslein.
* Pausanias, qui écrivait avant la lin du i'^ siècle^ parlant dans la des-
cription d'Athènes d'un autel élevé à Jupiter Olympien, ajoute : « Fiprès
de là se trouve un aulcl de dieux incoiuius, •>•> n:ô; aùr^ ^^ÏQ-vt à-;vt-j(7T0)v
Ocwv pwy.cç; I. v, c. i4 , n. 6. Le même écrivain parle dans un autre en-
droit d'autels de dieux appelés inconnus. Boi'jA 8i ©îwv -z dvcy.a^caî'vcuv
àpwcTtov. l. ij c. I, n. 4. Philostrate, qui florissait au commencement
du 5*= siècle, fait dire à Apollonius de Thyane, « Ou'il était sage de parler
» avec respect de tous les dieux, surtout à /lihènes, oii Ion élevait des
)) autels aux ge'nies inconnus,» Fita^polL Thjan., \. vi. c. 5. — L'au-
teur du dialogue Fhilopatris, ouvrage attribué par les uns à Lucien,
qui écrivait vers Tan 170; et par d'autres à un païen anonyme du 4'
siècle, fiit jurer Critias par les dieux inconnus dAiliènes, et sur la lai
du dialogue il s'exprime ainsi : « ÏNIais tàciions de découvrir le dieu iii-
450 lŒFLTATlOiN DE STRA.USS ;
sente le coinmenceineut de riiexamètre cVun distique f;rec, el
nous trouvojis jusqu^au yàp lui-même dans un poème composé par
un compatriote de V apôtre ^. La grand nomlire d'hommes ne se
conveitireni pas à ce discours, comme des m y dio;!;raplies n'eussent
pas manqué de l'ima^jiner, afin de relever davantage la pre-
mière prédication de saint Paul dans la capitale de la Grèce ^
quelques uns seulement s'attachèrent à lui. Quant aux philo-
sophes, les uns se retirèrent avec le dédain des Epicuriens sur les
lèvres, les antres, véritables Stoïciens , contents d'eux-mêmes,
dirent : « iNous vous entendrons une autre fois, « Sommes-nous
sur le terrain du mythe, ou sur celui de l'histoire?
Chap. XyiII. I.e 2^ verset rapporte un fait historique : l'expul-
» connu a Athènes, et alors levant nos mains au ciel, offrons-lui nos
» louanges et nos actions cle grâces, w Quant à l'introduction de ces
dieux inconnus dans Athènes , voici comment Diog; no Laèrce raconte le
fait. Au tems d'Epiraénide (c'est-à-dire, comme on le croit commuât -
ment, vers l'an 600 avant J.-C.) , une peste ravageant cette ville, et
l'oracle ayant, déclaré qne pour la faire cesser, il fallait la purifier ou
l'expier (z,a6xpa'.) ou envoya en Crète pour faire venir ce philosophe.
Arrivé à Athènes, Epiménide prit des brebis blanches et des brebis
noires, et les conduisit au haut de la ville où était Taréopage; de là il
les laissa aller, avant eu soin toutefois de les faire suivre,' partout où
elles voulurent aller. Il ordonna ensuite de les immoler lorsqu'elles se
seraient arrêtées d'eiles-mciî.es, au dieu le plus voisin ou au dieu
qui con^^iendrail ; il parvint ainsi à faire cesser îa peste. Diogène ajoute :
« De là vient qu'encore aujourd'hui on voit dans les faubourgs d'Athè
» nés des autels sans nom de dieu (àvwvûaou;), érigés en mémoire de Texpia-
^) tion qui fut faite alors, w Diogen Laert. inEpimen. 1. i,§ 10. D aj^rès
ces témoignages divers, est-il permis de douter qu'à l'époque où saint
Paul se trouvait à Aihènes, il y eût des autels portant cette inscription ?
Comme, d'un autre côte, aucun monument historique ne montre ail-
leurs l'existence d'im antcl s( niblablc , peut on concevoir qu'un faus-
saire eût saisi une circonstance aussi extraordinaire. Voy. M. Glaire^
ihid., p. 379-400 ( '^Qic du Irad. )
' Aralus de Cilitie. rhœnumcna, vers. 5.
PREUVES DE L IIISTOIKE tVAi^GELlQLE. -'l5l
sion des Juifs de Rome, par l'empereur Claude, et Suétone dit :
«« Judeos iuipulsore Cl)resto assidue tnmultuantes Romà cxpulit
" Claudiiis '. » — Le 3*^ nous rappelle une coutume des Juifs,
chez lesquels les savans s'occupaient à faire des tentes. Celle pro-
fession n'eût pu s'allier dans un philosophe grec avec l'enseigne-
ment ; parmi les Juifs , les savans avaient coutume de l'exercer ;
les rabbins se livraient alors aux ouvrages manuels *. L'apôtre
saint Paul avait même un motif particulier pour choisir cette
prefession. Dans la Cilicie, sa patrie, on l'exerçait généralement,
parce qu'on y trouvait une espèce de chèvres dont on employait
le poil dans la fabrication des toiles appelées pour celte raison
x'.Xixia =. — Les versets 12 et 13 présentent aussi avec l'histoire
un rapport frappant, nous y reviendrons.
jNous avons examiné quelques passages seulement de l'ouvrage
de saint Luc; sur tous les points les résultats seraient les mêmes...
Si nous passons aux dernierschapitres des Jcles des Apôtres, il est
impossible de ne pas admettre c|ue Théophile connaissait l'Italie,
quand on voit l'auteur, lorsqu'il parle (Chap. XXVII) des rivages
de l'Asie et de la Grèce, indiquer avec soin la situation et la dis-
tance relative des lieux qu'il mentionne, tandis qu'à mesure qu'il
s'approche de l'Italie, il les suppose tous connus; il se contente
de nommer Syracuse, Rhégium, Pouzzoles, et même le pclit
marché d\4ppiu s dont parle Horace ^ et les Trois Hôtelleries {très
tabcrnœ) que Cicéron nous fait connaître ^. Lorsque Josèphe et
Philon nomment la ville de Pouzzoles, ils n'emploient pas, il est
vrai, la dénomination romaine noxio>^oi. Josèphe, racontant dans
sa vie ^ son premier voyage à Rome, cite celte ville et lui donne
le nom grec Aixaiap/ia, mais il ajoute : r,v no-iôXo-ji; 'itaXoi y.aXouaiv.
• Suel., in Claud., c. xxv.
' IVergU, fFincr, Healworterbuch, u. d. W, Handwerke.
» Plinius, Hist. nat.^ xxiii.— Servius, rem. sur Virgile, Georgica, ni,
oi3.
* Horat., Sat. i, 5, 3.
' Ad Atticum, I, i3.
^ C. ni.
/io'i iu:futatio> de stu\ls&,
Le même nom se picseule encore deux fois dans ses Anliquilcs '.
Il en est de même de Pliilon -.
Et remarquons comme lout rappelle exactement les usages de
celte cpo(|ue! Saint Paul, transporté par un vaisseau d'Alexandrie,
débarqua à Ponzzoles. Or, nous savons que les vaisseaux d'Alexan-
drie avaient coutume d'aborder dans ce port •*, d'où, au rapport
de Strabon, ils distribuaient leurs marcliandises dans toute l'Italie.
Il dut aussi se diriger de là vers Pvome. « Ses amis, remarque
« Hug, l'attendaient, les uns au marché d'Appius (forumAppii),
<< les autres aux Trois-Hùlelleries. Il s'embarqua apparemment
« sur un canal que César avait creusé au travers des marais Pon-
« lins, afin de rendre le trajel plus facile j il dut par cela même
« passer au marché d'Appius, qui , à l'extrémité de ce canal, en
« était le port '' . » Une pariic de ses amis l'altendait aux Trois-
Ilôtelleries. Elles étaient sidiée? à dix milles romains plus près
de Rome % à peu près à Tendroil où la roule d^ Yelletri aboulis-
sait aux marais Poulins. La foule y était moins nombreuse, et
moins remuante ; les embarras y étaient moins grands qu'au
marché d'Appius ^'\ aussi paraît-il (|ue là se trouvait une hôtel-
lerie pour les classes élevées '. A oilà pourquoi celte partie des
amis de saint Pciul l'altendait à celte station plus convenable à sou
' Antiq., I. xvn, c. 12, § i et xvin, 7.
* Philo in Flaccwn, i, ir, p. 57i, 12.
^ Slrab., 1. XVII, p. 795, édil. Je Citsaubon. — Scnccu. , Epislohi
Lxxvn, in principio.
^ Acron, ad Horat., ScrtJi., 1. i, sat. v, i4. « Quia ab Appii fore pcr
paliiflcs navigalur, q;>as pala les Cœ.^ar dcrivavit. « Porphyrion , ad
vers. il. a Pcrvcnisso ad forum Api)ii indicat, ubi {urba esset nautaruni,
item cauponum ibi moranlium. )) Acron, ad vers. 11. « Prr paludes
navigarunt, quia via interjacens durior. » A\)m\ llu^, Einleit, ib. 1,
scit. 2.').
^ Antonini, liinerar., édit. \Yesselii»g, p. 107, apud llug^ iOid.
^ lîoial.,Sa(. I, sat. 5, 3.
7 Ciccr., ad Attk. i, iJ.
PREUVES DE L HlSlOlRE ÉVANGlÎLK^UE. 453
raiii';. Ainsi, tout se trouveexacleinent conforme aux circonstances
lopograpliiques telles qu'elles étaient alors '.
" D*après ces documens, il est impossible dç douter encore si,
en parcourant les i4cles des .apôtres, nous sommes sur le terrain
de riiistoire; et nous devons reconnaître que saint Luc se trouvait
placé, pour écrire l'histoire, dans des circonslancesaussi favorables
qu'un Josèpbe. Si ce rapport frappant qui existe entre sa narration
et les connaissances que nous possédons sur l'histoire et la p;éo-
(papliie des juifs et des payens, paraissait à quelqu'un d'un faible
poids, qu'il se représente la vive impression qui nous saisirait si,
entre les mille points que nous pouvons comparer à d'autres do-
cumens, et où nous croyons découvrir des contradictions , nous
allions découvrir la même harmonie...»
« Or, cette histoire qui se trouve, sur tous les points, conforme
aux faits et aux usages que nous connaissons d'ailleurs, nous pré-
sente des miracles sans nombre. Plusieurs fois des critiques de la
trempe et du génie du docteur Paulus ont désiré que deux classes
de personnes (un assesseur de la justice désigné ad hoc cl un duc-
tor mediçinœ) eussent pu faire Tinstruciion des miracles du Nou-
veau-Testament. Il satisfait à celte double exigence. L'histoire de
l'aveugle né rapportée par saint Jean^'/i/f examinée par les asses^
seurs du sanhédrin de Jérusalem ; et qirel fut le résultat de l'en-
quête ? Cet homme est né aveugle et Jésus Va guéri. Quant audoc-
tor mediçinœ chargé d'instruire les miracles, les Jetés des Jpôtres
nous le présentent. Saint Luc fut le témoin oculaire de tous les mi-
raclesopérés par saint Paul, et personne assurément ne l'accusera
d'une trop grande propension pour les miracles. — Un jeune
homme appelé Eutyque, accablé par le sommeil, étant tombé du
troisième éoge, fut emporté comme mort ; on s'attend peut-être à
le voir ressusciter avec pompe; mais saint Paul se contente de pro-
noncer ces paroles consolantes : ^i Ne vous troublez point, car la
vie est en lui^.» — Plus de quarante juifs réunis à Jérusalem, firent
• Hug, Einleit, lli. i, seit. 24.
» Cliap. IX.
» Jcl. Jpost.y XX, 10.
£11 SÉRIE, TOME VI.— >'" 3G. l842. 29
-4 04 KLIUTATIU.N DE STUAUSS.
le vœu do ne boire , ni manger qu'ils n'eussent lue saint Paul ;
on s'attend peut-être qu'une apparition va descendre du ciel pour
avertir l'Apôtre et le défendre; loin de là : le fils de sa sœur se
présente pour lui révéler la conspiration, et Paul trouve un pro-
tecteur dans le tribun de la ville '.
« Poussé par la tempête sur les bords de l'île de Malte, il y dé-
barqua et une vipère s'élança sur sa main^ on s'attend peut-être
à le voir prononcer des paroles magiques : « Mais Paul, dit
« saint Luc, ayant secoué la vipère dans le feu, n'en reçut aucun
«< mal 2. » Toutefois nous savons par le témoignage de cet his-
torien et de ce médecin prudent que « Dieu faisait de grands mi-
« racles par les mains de Paul , » et qu'il lui suffisait « de placer
u sur les malades les mouchoirs et lehnge qui avaient touché son
« corps, et aussitôt ils étaient guéris de leurs maladies et les esprits
« impurs s'éloignaient \' >» — A Malte, il guérit par ses prières et
par l'imposition des mains, le père de riiomme le plus influent
*,nr cette île, et beaucoup d'autres s'approchèrent de lui et re-
couvrèrent la santé ".
Tiudiatde L'allemand de TIIOLUCK.
(La suite au prochain cahier)
Act, apost, \x, 12 cl suiv.
' Icid.j xxviii, 5.
' Ihid., xix, 12.
* Ibid,^ XXVIII, i).
,X^^QQQ,
B.ham
esses
'Se.T\^f^-j^.
CAKTE lllINÉRAlKi;. . 455
€>ioc\i-rt})l)ic Bibliqui
CARTE ITlNÉRxXIRE
Pour servir k rintelHgence de la sortie des Israéliles
de l'Egypte.
En attendant que M. Quatremèie continue le complCTendu
qu'il a bien voulu commencer sur le lel et mile ouvrage de
M. LéoQ de Laborde, nous avons ci ii laiie u\.e chosL agréable à
nos abonnés en offrant quelques extraits de son Commentaire et
de ses Cotâtes. Nous leur donnons aujourd'hui sa belle Car/e iti
niraire, qui offre la route que les Israélites ont dii suivre en sor-
tant de rÉgypte; nous y ajouterons Texplicalion de cette route,
donne'e par le voyageur lui-même. INous espérons publier pro
chainement encore la carte intitulée : Foyage des Isracli-
tes dans le Désert ; et de plus , avec l'article de M. Quatremère ,
celle qui explique le passage de la mer Rouge. C'est à l'obligeance
de M. de Laborde, lui-même, que nous devons d'avoir pu pren-
dre une copie de ses belles cartes ; elles serviront à donucr uue
idée de la beauté de son ouvrage '.
A. B.
Cl Je dois expliquer ici les raisons qui m'ont fait placer la route
des Israélites au nord de la chaîne du Mokaitam, et non pas au
sud, comme l'ont indiqué, parmi les voyageurs , le père Sicard ,
M. Schubert et Steffen , parmi les commentateurs , un grand
nombre de savans, et dernièrement M. Raumer.
L'emplacement du pays de Goshcn est marqué sur ma carte au
' Nous devons prévenir pour^aut que, |jour le papier et pour le untge,
les cartes sont bien plus belles dans l'ouvriigc même (iae clans n^tie
journal.
45G • CARTE ITINÉRAIRE
nordd'Ilcliopolis, aujourd'hui Matérlah^ borde d'un coté par le
Désert, sans autres limites que celles que les Israélites savaient
se fixer ; de l'autre, par le grand canal dérivé du Nil, qui passe
par le Phelhes des Copbtes , aujourd'hui Belheis , ainsi que par
Buhaste, et va se jeter dans la nier au-dessus de Peluse, en pre-
nant le nom de fliivius Buhaslicus ou Pelusiacus : c'est la plus
grande et la meilleure portion à'ElCharkieh d'aujourd'hui, nom
qui correspond à celui de 7iome d^Jrabie, ou de province de Ra-
messès. Aussi les Septante traduisent-ils, dans la Genèse ^, Gosheri
en Arabie^ reciij- 'Apaêiaç. Jablonski interprète ce nom d'une ma-
nière conforme à cette opinion , 0130^3, peuples nomades , ha-
bités par des peuples nomades^. On sait que ce savant a voulu
prouver que le Fayoum , près du lac Méris, était la terre de
Goshen de la Genèse : cette erreur n'altère pas la valeur de Tin-
terprétation.
Rappelons-nous les chapitres lv, lvi et lvii de la Genèse, dans
lesquels est racontée l'arrivée de Jacob en Egypte ; ce patriarche
envoie Juda au devant de lui dans le pays de Goshen pour avertir
Joseph de sa venue. Les Septante donnent quelque développe-
ment à ce verset , en disant dans leur traduction : «< afin qu'il
» vînt au devant de lui, jusqu'à la ville d'Héroos, dans la terre de
)' Rainessès'.» Il s'agit là d'une rencontre non plus seulement dans
le pays de Goshen (le même que le pays de Raraessès), mais,
d'une manière plus précise, près à'fféroopoUs ; nous verrons que
la position de cette ville est aujourd'hui dans le Désert ( Ahou-
Keiched) qui a envahi tous les alentours, tandis qu'à celte époque
elle formait la limite des terreins cultivés, ayant encore entre
elle et le Désert ces landes incultes , mais fertiles, si précieuses
pour les pasteurs. Une autre preuve de la proximité de Memphis
et du pays de Goshen, ou même de Tanis et de cette province ,
ressort du texte même. Joseph dit à ses frères qu'il veut les avoir
près de lui, et les pâturages qu'on leur concède étaient ceux des
' Chap. xi.v 10.
* Dans ses Opuscules, t, ii, § vu p. i36, dissert, n de terra Goshen.
DR LA SORTIE d'kGVPTE. /|5T
troupeaux du roi que l'on confie à leur garde. « C'est pourquoi
» le roi dit à Joseph : « Ton père et tes frères sont venus auprès de
>» toi ; la terre d*Egypte est devant toi ; f ais-ks habiter dans un
>» lieu fertile, et donne-leur la terre de Goshen ; que si tu connais
» qu'il y ait parmi eux des hommes industrieux, établis-les maî-
» très de mes troupeaux'. » Joseph donna à son père et à ses frères,
» en Egypte, une terre fertile, Ramessès ^ » C'était donc la meil-
leure partie de la province de Ramessès, la meilleure qu'on pût
donner à des pasteurs qui ne prétendent pas habiter les terrains
cultivés ou cultivables.
Cette province ne fut jamais que partiellement cultivée, parce
que l'inondation ne parvient à l'arroser sufiisamment que dans
les plus glandes crues ; terme moyen, elle n'eL.t qu'humectée par
le Nil, c'est-à-dire rendue fertile pour les pasteurs, et plus fer-
tile que tout autre partie habitée par les pasteurs : ainsi s'ex-
plique l'expression laudative relatée plus haut.
Celte contrée est peu connue parce qu'elle offre peu d'intérêt
au voyageur qui n'a pas à faire des recherches géographiques et
bibliques; je l'ai parcourue avant d'entrer dans le Désert, pre-
nant ainsi mon point de départ de la province de Goshen pour
suivre l'itinéraire des IsraéUtes. Benjamin de Tudèle , si attentif
dans son itinéraire, sur tout ce qui concerne l'histoire des Israé-
lites et l'état de ses coreligionnaires, après avoir placé Fi'thom
dans XeFaxoum, ne dit que ce peu de mots du pays de Goshen ;
« De là (le vieux Caire) au pays de Goshen, il y a liuit parasanges :
» il est a^Y^elé Belbeis : c'est une large ville, qui contient près
>» de trois mille Juifs ^, »
Quand on a dépassé Héliopolis et qu'on s'approche de Belbeis
en côtoyant le désert , l'aspect du pays prend un air de fertilité
particulière ; c'est une végétation irrégulière et clair-semée sur
les flancs de petites collines, qui se serre et se régularise à mesure
' Genèse^ XLvn, 5.
• lbid.,id.t II.
» P. io3.
qu'HIe «lesrrnil .lu fond do la plaine; le dôserl même et les i^n-
blés sont remplis tle broussailles assez vigoureuses, tt laplttie (le
mot goshen pourrait recevoir celte interprétation), dans la saison
qui lui est particulière, vient animer aussi la végétation de ces
sables. Plus on s'avance et moins on trouve de culture régulière :
une infiltration d'eau saline se mêle à la terre et vient altérer
la fécondité du sol ; mais partout on rencontre les traces d'une
ancienne population qui a disparu. D'abord dans les noms, ces
traditions qui se conservent inaperçues , on distingue Tell-eî-
Joudf vaste colline de débris informes, mais considérable; ensuite
dans la contrée, partout, de distance en distance, de grands amas
de poterie et d'enceintes de murs de briques affaissés, qui dé-
cèlent toujours d'anciens lieux liabilés. Quelquefois même des
monumens égyptiens de premier ordre, et parmi eux un mono-
lithe couché dans le sable près d'innombrables débris de briques.
Ces ruines , appelées aujourd'hui Ahou-keyched , indiquent pro-
bablement le site de l'ancien Héroopolis, bien que le nombre de
stades marqué dans les auteurs grecs et latins jusqu'à Pehise sôit
difficile à faire coïncider avec cette position.
J'ai doiiné le tableau hiéroglyphique qui orne Tune des faces
de ce monument sculpté , dans mon Toyage de VArabie-Pélrée.
N'oublions pas les traces de l'ancien canal qui traverse , d'une
manière évidente , toute cette province, et, après avoir dépassé
Héroopolis, se réunit par les lacs amers , à l'ancien développe-
ment du golfe.
La population qu'on rencontre dans cette province mi-fertile
est nomade; elle vit sous des cahutes, et je crois qu'elle n'a ja-
mais cessé de suivre les mêmes habitudes. M- Sylvestre de Sacy,
dans sa Chresiomatie arabe, cite un passage d'une description de
l'Egypte par KhaUl , dans lequel il est dit que cette contrée, qiii
n'est pas susceptible de culture régulière , est habitée par des
arabes nomades dont on n'impose pas les villages. Sous la domi-
nation des Français , on en concéda la possession à une tribu de
Bédouins. A ces époques modernes, aussi bien qu'anciennement,
l'abandon d'un aussi grand terrain était plutôt considéré comhie
un acte utile et politique que comme une concession ombreuse.
DE LA SORTIE d'hGYPTF. 459
Tant que la puissance qui commande eu Egypte se sent assez
forte pour dominer cette lisière guerrière étendue sur lu fron-
tière, elle peut la compter comme Tun des plus solides remparts
qui se puisse élever contre les invasions ennemies : garnison
gratuite, toujours en éveil , et qui défend l'Egypte, surtout de ce
coté vulnérable , moins par reconnaissance que par intérêt bien
entendu, et pour ne pas se laisser passer sur le corps.
Tous les Israélites, au premier ordre du Seigneur qui leur
avait été transmis par Moïse, durent se préparer au départ, et à
l'explosion de chaque nouvelle plaie , s'attendre à se mettre en
route. Quel qu'ait été leur nombre, ils ne pouvaient subsister
dans un même lieu avec leurs troupeaux; ils durent donc s'as-
sembler sur plusieurs points, aux extrémités du pays, et là atten-
dre, comme le font aujourd'hui les pèlerins qui se réunissent au
Birket-el-hadgi et campent plusieurs jours, jusqu'à ce qu'ils re-
çoivent le signal du départ. Il est dît, il est vrai, dans le texte,
que le peuple de Dieu partit de Ramessès ; mais on sait que le
nom de Ramessès désignait la capitale et aussi la province (c'est
ici le cas), comme c'est l'habitude dans les anciennes dénomina-
tions ; et de nos jours encore, la ville de Damas^ que les Arabes
appellent Scham, donne son nom à toute la Syrie, Bahar-el-
Scham .
Ce qui prouve que tout était préparé chez les Israélites pour le
départ , c'est que Pharaon se décide de nuit: « Pharaon ayani
• appelé Moïse et Aaron pendant là nuit , leur dit : Levez-vous
» et sortez du milieu de mon peuple, vous et les enfans d'Israël ^;^'
et les Israélites partent en toute hâte, et tous en même tems*. Ce
départ précipité suppose un rassemblement préalable; mais s'il
était facile à une population nomade de se réunir ;ivec ses trou-
peaux par -grandes divisions aux extrémités de la contrée qu'elle
habitait , il lui était impossible de vivre plusieurs jours serrée
autour de la capitale. Le verset 51 du même chapitre, bien in-
' Genèse^ xu, 3i,
* Ex ode, xii, 41.
400 CARTK ITINÉRAIRE
terprété , vient en aide à celte opinion : les Israélites sorliient de
l'JKgypte pai diverses troupes et en cinq colonnes.
Il est vrai qu'une grande incertitude règne sur la signification
du mot □*'JDm du cliap. xiii , 18. Le Samaritain a conservé
la même expression n^^i^on, c'est-à-dire qu'ils sortent par trou-
pes de cinquante hommes^ ordre de marche assez peu probable :
les Septante TrsaTrTr. oï Y'V^.a, à la cinquième génération. Il est vrai
qu'on peut compter jusqu'à Jacob cinq générations, mais cette
traduction n'apporte aucun secours au récit; remarquons, tou-
tefois , qu'elle acîmet le chiffre 5 comme le texte samaritain,
La Vulgate, interprétant dans un autre sens, met le mot arniatiy
armés : les Hébreux auraient bien pu emprunter aux Egyptiens
des armes avec les vases d'or et d'argent qu'ils leur prenaient,
mais le texte n'en dit rien,* bien plus, la peur des Israélites, à la
vue des Egyptiens , semble indiquer, comme Josèphe ' et Philon
l'affirment, qu'ils étaient sans armes. Au milieu de ces interpré-
tations différentes, la vraisemblance peut faire pencher la ba-
lance, et en cinq colonnes donne un sens tout* à-fait raisonnable.
C'est conformément à celte traduction que j'ai tracé, sur la
carte ci-jointe, de grandes lignes, dont quatre viennent de la terre
de Goshejij et la cinquième de Meniphis, où Moïse se trouvait
près de Pharaon avec Aaron, les Anciens, et peut-être un certain
nombre d'Israélites. Si la résidence de Pharaon fut à Tanis, près
du lac Menzaîeliy il faut changer cette dernière ligne, niais cette
différence est de peu d'importance. Le lieu de halte, le campe-
ment des tontes (Succolh) est in<liqué à une distance du pays de
Goshen qu'on pouvait parcourir jusqu'au soir, en partant de bon
matin.
Examinons Topinion contraire, celle que le père Siccard a ima-
ginée sur les lieux, que Monconny, M. Lenormant , dans son
cours, et d'autres ont adoptée, et que ÎM. Raumer a soutenue de
son érudition consciencieuse. C'est Xavallte de V Egarement, qu'on
propose de faire suivre au\ Israélites; à mon avis celte route était
Antiquitcs, 1.6.
DE LA. SORTIE
n'ÉCVPTE. 461
impraticable pour eux sauf, toutefois , daus une hypothèse qui
elle-iuéme serait inadmissible.
Une opinion qui existait assez anciennement, puisque Ben-
jamin deTudelel'a trouvée, dans le pays % a été reprise et sou-
tenue avec talent par Jablonsky ; elle assigne aux Hébreux et à la
terre de Goshen, la province du Fayoum. Si cette position était
adoptée, le passage par la i^allée de V Egarement pourrait être ad-
mis. De ce point de départ on traverse le Nil, près des villages
de Meidoum et àHAtfrh^ et l'on s'engage dans les valle'es au Sud-
Est du Caire. Mais MM. Lenormant, Schubert et de Raumer
connaissent trop bien la géographie sacrée pour se tromper sur
la position du pajs de Goshen ; ils assignent à cette province à
peu près le même emplacement qu'elle occupe snr ma carte ,
c'est-à-dire les environs de Belheis. Ce point de départ donné, la
route des Israélites par la vallée de V Egarement était impossible ;
on ne saurait au moins donner les raisons de ce détour. Le père
Sicard avait pour excuse son ignorance en plaçant Ramesscs à Be'
zatin, en supposant dans cette petite plaine le rassemblement des
Hébreux, légitimé selon lui par quelques noms qui se sont con-
servés (le cimetière Juif y un rocher appelé Mejana-Moussat, les
ruines d'un couvent, Meraouad-iVousa, et plusieurs autres noms
de vallées, interprétés par lui à la manière du père Kirclier); il
expliquait naturellement leur route par une vallée qui s'ouvrait
auprès d'eux, et dans laquelle ils s'engageaient ayant, pour ainsi
dire, d'un côté l'esclavage, de l'autre la liberté; l'Egypte ici, le
désert là.
M. de Raumer, au contraire, place Goshen au nord de On ou
Héliopolis {Materieh), et Succoth près deBezatin, de manière que
les Israéhtes, au lieu de gagner le désert, qui était pour eux la
terre d'indépendance, viennent camper près du Nil, en face de
Memphis et de la résidence de leur oppresseur ; ils passent près
OU Héliopolis et de la ville quelconque, qui, plus tard, fut appelée
Babjlon, et touchent plusieurs autres points où devaient être
» Voir son Itinéraire, p. 97, 2, et 147, édit. d'Asher, 1840 ; Fnyoïim
c'est Pithom,
462 CARTK ÏTIN. DR LA SORTIE D 'EGYPTE.
réunies les troupes de Pharaon. Ils traversent enfin, sur une lon-
gueur «le dix lieues, les terres des Egyptiens; ceux-ci avaient les
Hébreux en abomination *, et les dix plaies qui avaient exercé
sur eux leurs ravages n'avaient pas du diminuer leur aversion.
Le verset 33 du cbap. XII de V Exode peut faire croire que les
Egyptiens sollicitaient leur départ, mais non pas le passage d'une
aussi grande multitude et d'aussi nombreux troupeaux, à travers
leurs champs cultives et en plein rapport à cette époque de
Taiinée (le mois à'Ahid ou des épis).
Et d'ailleurs, que signifie cet itinéraire? Jamais la vallée de
VEgaremenL n'a été pratiquée pour se rendre au Sinaî que par
les Arabes qui venaient du Sud; elle n'est ni assez fertile, ni assez
fournie de sources pour compenser le long détour que feraient
les Arabes qui viennent du nord. Enfin, Succoth fixé à Bezalin,
les Hébreux ont deux journées de quatorze heures de marche cha-
cune jusqu'à la mer, ce qui est impraticable pour toute caravane,
et plus particulièrement pour les Israélites, dont tout le voyage
se fait à petites journées, et qui au départsurtout devaient avancer
lentement '. »
LÉON deLABORDE
Gen.y XLvr, 34.
C<^mmeînaire gengrà'phTque sûr V exode et les nombres, p. 67.
OFJTVRFS DF SAINT AUGFSTIN. /|63
fiibliacira pt)ir,
SANCTI AURELII AUGUSTIN! HIPPOINENSIS EPISCOPI, opéra
omnia post Lovaniensium theologorura recensionem castigata denuô
ad manuscriptos codices gallicos, vaticanos, belgicos, etc.,uec non ad
edîtiones antiquiores et castigatiores , operà et studio nionachorum
ordinis sancti Benedicti e congregatione S. Mauri; edido novissima,
emendata et auctior, accurante M*^*, Cursuum completorum editore.
t*aris, 11 vol. divisés en i6 tom.,prix : 80 pour les souscripteurs aux
Cours complets. Au Petit-Montrouge. près la barrière d'Enfer.
En annonçant cette édition de Saint Augustin^ nous ne pouvons que
répéter ce que nous avons déjà dit des publications de M. l'abbé MIgne,
en rendant compte de ses Cours complets d'e'criture sainte et de théo-
logie. L'œuvre de M. Migne est la plus belle et la plus utile au clergé
qui ait été faite depuis le commencement de l'imprimerie. Jamais on
n'avait vu de tels ouvrages et de tels volumes dans un format aussi com-
mode et à un prix aussi bas. Jamais surtout on n'avait vu un seul
homme pouvoir suffire avec ses seules ressources à une entreprise iqué
nous pourrions dire, sans exagératioU; gigantesque. M. Migue se pro-
]M)se de reproduire tous les Pères, et presque tous les ouvrages de la
littérature et delà science catholiques. Mous avouons que dès le principe
nous avons refusé de croire à une si pompeuse annonce. Mais M. Migrie
a déjà publié près de i5o volumes in-4". Les autres se poursuivent
avec activité et sans discontinuation. On est donc forcé de croire à Ses
promesses.
Et c'est pour cela que nous croyons que Nos Seigneurs les évêques,
que le clergé, que toutes les personnes qui s'intéressent aux progrès des
sciences religieuses, doivent leur concours à une telle entreprise.
Si nous voulions nous riiontrer sévères, il nous serait facile de cher-
cltèt et de trouver par-ci par-là quelque chose à reprendre ; mais nous
atoUons c|tte notre critique reste désarmée devant la grandeur et
/|GY ED[TI0NS de m. m IGNE.
rmililt' «le l'œuvre. Ceci est dit avec conscience : nos lecteurs savent coni
bien nous sommes circonspects dans nos éloges , et qu'il faut qu'une
chose nous paraisse vraiment utile pour que nous la recommandions
dans notre journal.
jN'ous pouvons, au reste, à peine suivre M. MignC; tant ses publications
se succèdent avec rapidité. Outre Saint Augustin, il a déjà publié Saint
Jean Chrysostome, et nous venons de recevoir le i" volume de la belle
édition de Saint Jcrôine de MM. Fallarsi et Maffei. Plusieurs autres
ouvrages importaus ont aussi paru. Nous nous ferons un devoir de les
faire connaître chacun en détail ; car nous voulons que nos lecteurs
trouvent dans ce recueil comme le sommaire de tous les travaux des
Pères ; c'est ce qui fait que nous donnons le titre de tous leurs ouvrages
et opuscules. Ceux qui travaillent sauront ainsi, sans peine et avec faci-
lité, quel est l'ouvrage et le tome qu'ils dc'vent consulter pour leurs
études.
(Nouvelle édition de saine Augustin.)
L'on sait que quelques soins qu'eussent mis les PP. Bénédictins pour
leur édition, cependant bien des fautes leur étaient échappées. Les criti-
ques leur reprochaient, tantôt d'avoir négligé de collationner leur texte
avec les anciennes éditions, tantôt d'avoir manqué d'uniformité en
plaçant leurs variantes, ici au bas des pages, là sur les marges; d'ail-
leurs les nombreuses additions et corrections placées à la fin de ch.ique
volume, prouvaient qu'eux mêmes avaient reconnu l'imperfection de
leur travail.
Le nouvel éditeur a profité de toutes les critiques, a rétabli l'unifor-
mité dans le texte, en mettant toutes les notes au bas des pages , et en
donnant en quelques endroits un ordre nouveau aux matières conte-
nues dans les anciens volumes. Nous ferons connaître ces divers change-
raens . voici maintenant les matières contenues dans chaque volume.
TOME I*^"^, comprenant i5o4 colonnes.
1. Dédicace de l'ouvrage à Louis XIV. — 2. Préface générale sur
toutes les œuvres. — 3. Préface sur les appendices, — 4. ^ ie de saint
Augustin, par Possidonius. — 5. Vie de saint Augustin, composée d'à •
près ses ouvrages. — 6. Les rétractations; en 11 livres. — 7. Les confes-
sions : en xm liv.*-{<. Les soliloques; en 11 livres, qui dans l'édition
OEUVRES DE SAlM AUGUSILN. 4G5
Lénédicliue claient après ceux de l'ordre, plus bas, au n. i/. — 9. Contre
les académiciens ; en ni liv. — 10. De la vie humaine. — 11. De l'ordre ;
en II liv. — 12. De rimmortalilé de Tàme. — i5. De la quantité de
l'âme. — I4. De la musique; en vi liv. — i5. Du maître. — 16. Du
libre arbitre; en m liv. — 17. Des mœurs de l'église catlioliaur et des
mœurs des manichéens; en 11 liv. — 18. Règle pour des serviteurs de
Dieu. — Il y avait en oui) e dans 1 édition bénédictine le livre de la Ge-
nèse contre les manichéens, et celui de la t-m/e religion, lesquels ont
été portés au tome m.
appendices des écrits attribués faussement à saint Augustin. — r. De
la grammaire. — 2. Principes de la dialectique; par un auteur nommé
aussi Augustin. — 3. Les x catégories. — 4* Pi'iucipes de rhétorique. —
5. Fragment de la règle donnée au clergé. — 6. Deuxième règle. — 7. De
la vie monastique, adressé à sa sœur. Cet opuscule est à^Aebredus, abbé
du monastère de Rhievallum, en Angleterre. — Table des matières.
TOME II , comprenant 1 1 76 colonnes.
Ce volume contient toutes les lettres et est ainsi composé :
I. Préface des Bénédictins. — 2. Preuves de l'ordre chronologique
suivi dans l'ordre des lettres, divisées en' m classes. — 5. Lettres de la
i'"^ classe écrites par saint Augustin avant qu'il fût évêque, de l'an 38G
à l'an 5qD. — 4- Lettres de la 2' classe, celles qu'il écrivit étant évèque
avant la conférence qu'il eut à Carthage avec les Donalistes , et avant la
découverte de l'hérésie de Pelage en Afrique, de l'an 096 à Tan 4 10. —
5. Lettres de la o-^ classe, celles écrites pendant son épiscopat, mais sous
une date incertaine.
u4ppendice. i. Lettres faussement attribuées à saint Augustin au nom-
bre de 16. — Quatre index; le i" offrant Tordre nouveau des lettres
rapporté à l'ancien; le 1'' l'ordre ancien rapporté au nouveau; le 5* la
table alphabétique des personnes auxquelles les lettres sont adressées; le
4" la table des matières ; on doit observer sur ces lettres que celle à Dé-
raétriade est de Pelage, et que la dispute d'Augustin avec Pascentius est
de Vigile, évêque de Tapse en Afrique.
TOME III, divisé en deux parties, comprenant 2480 colonnes.
Ire partie. — I. De la doctrine chrétienne ; en iv livres. — 2. De la
vraie religion. — 3. Delà Genèse contre les manichéens; en 11 livres; ces
4(i0 lÎDlTlOJNS DE M. MIGNE.
deux derniers Irailés qui étaient dans le t. i des Bénédictins sont mieux
placés ici. — 4- Livre inachevé de la Genèse selon la lettre. — 5. De la
Genèse selon la lettre; en xii livres, — (». Des locutions de l'Écriturc-
Sainte; en vit livres. — 7. Des questions sur le Pentateuque; en vu liv.
— 8. Annotations sur Job. — 9. Le miroir de rÉcriturc-Sainte, —
10. De la concorde des évangélistes ; en iv livres. — 11. Sur le discours
du Seigneur sur la montagne ; en n livres.
2e partie. — i . Questions sur les évangiles ; en u livres. — 2. Les 17
questions sur l'Évangile selon saint Matthieu. — • 3. Les cxxiv traités sur
l'Évangile de saint Jean. — 4- Les x traités sur lépître de saint Jean avix
Parthes. — 5. L'exposition de quelques propositions tirées de Vépître
aux Romains. — 6. Exposition inachevée de Tépître aux Romains. —
7. Exposition de i'épitre aux Galates.
Appendice des écrits supposés. ■ — i. Les m livres des choses admira-
bles de l'Écriture sainte sont d'un certain Augustin probablement bre-
ton , vivant avant Bede, mais après l'an 660. — 2. Sur les bénédictions
du patriarche Jacob ; extrait à'Alcuin. — 3. Questions sur l'Ancien et
le Nouveau Testament; écrites vers l'an 3oo après la ruine de Jérusalem
par un certain Bilaire, diacre du tems du pape Damase. — 4* Exposi-
tion sur l'apocalypse de saint Jean. — Table des matières.
TOME IV, divisé en 2 parties, comprenant 1968 colonnes.
i»« pai'tie. — 1 . Préface. — 2. Variantes des psaumes qui se trouvent
dans les difiérens psautiers édités ou manuscrits. — 3. Narrations sur
les psaumes, depuis le h^ jusqu'au 79e inclusivement.
1'' partie. Narrations sur les psaumes, depuis le 80^ jusqu'au dernier.
TOWE V, divisé en 2 parties, comprenant 2440 colonnes.
Ce tome compread les SgG sermons, divisés en 5 classes.
ire partie. — i. Préface. — a. i^*^ classe : sermons sur les Écritures,
au nombre de i85. — 3. 2^ classe : sermons dits du Tems^ au nombre
de 90. — 4- 3c classe : sermons sur les Saints, au nombre de 67.
2e partie. — 4*^ classe : sermons sur différens suJHs , au nombi'ç (^c
24. — 5« classe, 42 sermons douteux. — 6. Différens fragmens de dis-
cours qui sont perdus. — 7. Un sermon du saint prêtre Hcraclius, dis-
cij)le de saint Augustin.
Appendice des scimons attribués autrefois à saint Augustiu ; nous
OEUVRES DE SAINT AUGUSTIN. 467
ferons seulement ici les observations suivanles. — Le g^ tst à'Origène,
duquel il y a aussi des extraits dans 9 autres discours. — Le 255 est de
Gregorius le boétique. — Les 56e et 84^ sont formés des écrits de saint
Ambroise. — Les discours 4^, i55 et 268 sont de saint Jean Chrysos-
tome. — Le 256 est uq libelle de Pelage, ainsi que le 7 1 . — Le 72 est de
Heraclius, successeur de saint Augustin. — Les i55 et 148 sont du pape
saint Léon, — Il y a 8 discours de Maxime^ évèque de Turin. — Les 61
et 199 sonUde saint Pierre Chiysologue. — Il y en a 1 1 qui sont de
Faustusde Riez. — Il y eu a io5 de saint Césaire d'Arles. — Le io3 et
une partie du 234 sont de Vigile de Tapse. — Le 195 et le 208 sont
à^ Ambroise Autbert. — lo sont de Raban Maur. — Le 209 est de Bede
ou âCAlcuin. — Le 171 est dCOdilon, abbé de Cluny. — Enûa les 64»
74, 247 et 225 sont (Xlves de Chartres.
TOME VI, comprenant 1596 colonnes.
I. Sur diverses questions au nombre de 83. — 2. Sur diverses ques-
tions, 1 1 livres à Simplicianus. — 3. Sur les 8 questions, de Dulcitius. — •
4. Sur la foi que nous attachons aux choses qui ne paraissent pas. —
5. Sur la foi et le symbole. — 6. De la foi et des œuvres. — 7. Enchiri-
dion, ou manuel de la foi, l'espérance et la charité. — 8. Du combat
chrétien. — g. Sur l'enseignement des iguorans. — 10. De la conti-
nence. — II. Sur le bien conjugal. — 12. De la sainte virginité. — i5.
Sur le bien du veuvage. — 14. Sur les mariages adultérins ; en 1 1 livres.
— i5. Du mensonge. — 16. Contre le mensonge. — 17, De l'ouvrage des
moines. — 18. Sur la divination des démons. — < 19. Du soin qu'il faut
avoir des morts 20. De la patience. — 21 . Du symbole pour les caté-
chumènes j IV traités. — 22. De la discipline chrétienne. — 25. Du can-
tique nouveau. — 24. De la iv* férié. — 25. Sur le déluge. — 26. Sur
les tems barbares. — 27. Sur l'utilité du jeûne. — 28. De la ruine de la
ville de Rome. •
Appendices des écrits attribués à saint Augustin. — i. Le livre des
XXI sentences. — 2. Dialogue sur 6j questions. — 5. Sur la foi à Pierre
ou règle de la vraie foi ; cet écrit est de Fulgence^ évèque de Ruspe. —
4. De l'esprit et de l'àmej à! Alchevius , moine de Citeaux. — 5. De
lamitié ; c'est l'abrégé de l'ouvrage d'Aebrecl^ , ^bbé de Rhievall , ab-
baye de Citeaux en Angleterre. — 6. De la substance de l'amour ; dHu-
gon Vitlorin. —7. De Tamour de Dieu et soliloques; d AU herius de
'*68 ÉDlTlOiNS DE 31. MIGiNK.
Citeaux. — 8. Méditations j presque toutes tle Jean, abbé de Fiscan-
ntn. — Ç). De la contrition du cœur; Ae S* Anselme ^ archevêque de
Cantorbery. — lo. Les soliloques, — ii. Le miroir, en partie dV//-
cuin. — 12. Autre miroir, dit du pécheur. — i3. De la triple habita-
tion. — i4- De l'échelle du paradis ; de Guigon le chartreux. — i5. De
la connaiscance de la véritable vie; d'Bonorius d'Autun. — i6. Delà
vie chrétienne ; de Fastidius de Britona en Espagne- — 17. Des en-
seignemens salutaires; de Paulin de Fréjus, ou du patriarclie d'Aqui-
lée. — 18. Des 12 degrés des illusions. — 19. Des 7 vices et des 7 dons
du Saint-Esprit ; d'Uugon F'ictorin. — ao. Du conflit des vices et des
vertus; à' Amhroise Autbert ou Autpert. — 21. De la sobriété et de la
chasteté. *— 22. De la vraie et de la fausse pénitence. — 23. De Tante-
christ; à'Âbson, abbé de Derbes, en Asie. — 2\. Le psautier, que l'on
dit avoir été composé par saint Augustin pour sa mère, et que Ton croit
avoir été disposé par le pape Jean à Vienne. — 25. Exposition du Ma-
gnificat; par Hugon f^iclorin, — 26. De rassomption de la bienheureuse
Vierge Marie. — 27. De la visite des infirmes. — 28 Discours sur la
consolation après la mort ; de saint Jean Chrjsosiome. — 2g. De la
droiture de la conversation catholique ; d'^/o/ de Noyon. — 5o. Du
symbole. — 5i. De la manducation de l'agneau. — 02. Sermons aux
néophytes. — 55. Du mépris du monde. — 34. Du bien de la disci-
pline ; de Valerianus, évêque de Cyma, en Egypte. — 35. Discours aux
frères dans le désert . — Tables.
TOME VIT, comprenant 872 colonnes.
1. Les xxîi livres de la cité de Dieu.
Appendices. Quelques écrits qui tous ont rapport à la découverte du
corps de saint Etienne, i. Lettre à'Avitii^ à Palchonius sur les reliques
de saint Etienne et sur la lettre de Lucien, qu'il a traduite du grec en
latin. — 2. Lettre de Lucien, prêtre de Capharmagala, pi es de Jérusa-
lem, à toute l'Église et aux chrétiens de tout l'univers sur la révélation
du lieu où était le corps de saint Etienne. — 3. Lettre d'Anastase à
Landuleus sur la relation de la translation de saint Etienne martyr. —
4. Relation sur une autre découverte et translation du corps de saint
Etienne à Bysancc. — 5. Lelirc de Sévère , évéquc , à toute l'Église sur
es miracles opérés dans lilc de Minorquç par le$ reliques de saint
OEUVKliS DE SALNT AUGUSTIN. 46V)
Etienne. — i livres à Evodius^ évèque d'L'zal, sur les miracles de sain^
Etienne. — Table.
TOME VIIF, comprenant ia56 colonnes.
1. Sur les hérésies à Quodviiltdeus. — 2. Traité contre les Juifs. —
3. Sur Tutilité de croire à Honorât. — 4* Sur les deux âmes contre les
Manichéens. — 5. Les actes ou la dispute contre Forlunat, manichéen.
— 6. Contre Adimanlus, disciple de Manichée. — 7. Contre l'épître de
Manichée, dite Du fondement. — 8. Contre Faustus le manichéen; eu
xxxiii livres. — 9. Des actes ou conférences avec Féhx le manichéen; en
Il livres. — 10. De la nature du bien ; contre les manichéens.— 11. Cou
tre Secondinus le manichéen. — \i. Contre un adversaire de la loi et des
}»rophètes, en 11 livres. — i3. A Orose , contre les Priscillianistes et les
Origenistes. — i4- Discours des Ariens. — iS. Réfutation de ce discours
des Ariens. — 16. Conférence avec Maximinus, évèque des Ariens. —
17. Contre le même Maximinus; en 11 livres. — 18. De la Irinilc; en
XV livres.
Appendice des œuvres faussement attribuées à saint Augustin. —
1. Traité coutre les cinq hérésies. — 2. Discours contre les Juifs, les
Païens et les Ariens. — 5. Dialogue sur le combat entre l'Église et la
Synagogue.— 4. Delà foi contre les manichéens; attribué à Evodim. —
5. Instruction sur la manière de recevoir les manichéens qui se conver-
tissent. — 6. De la foi en la trinite, contre Félicien aiicn; de Vii^iliusy
évèque de Tapse. — 7. Questions sur la trinité et la Genèse ; d'après
Alcuin. — 8. De l'incarnation du Verbe à Januarius; d'après Ori'^ène-
— g. De la trinité et de l'unité de Dieu. — 10. De Icssencc de lu divi-
nité. — 1 1. De l'unité de la sainte trinité. — 12. Des dogmes ecclésias-
liijues ; attribué à Gennadius, prèlrc de Marseille.
TOME IX, comprenant 844 coloimcs.
1. Psaume contre les partisans de Donal. — 2. Contre lépîtrc de Par-
menian; en m livres, — 3. Du baptême contre les donatistes; en vu li-
vres. — Contre les lettres de Pelilian ; en m livres. — 5. Lettre aux
catholiques contre les donatistes sur l'unité de l'Église. — 6. Contre
Crcsconius, grammairien donatiste; en iv livres. — 7. De l'unique bap-
tême, contre Petilian. — 8. Abrégé de la conférence avec les donatistes.
— ç). Après la conférence, conseils adressés aux donatistes. — 10. Dis-
cours au peuple de Icglise de Césarce, prononcé en présence d Emérilus,
tu'sÉBu;. TOME VI. — IN^ 36. 1842. 30
^70 ÉDlTiOiNS DE M IGNE,
leur évèque. — ii. De ce qui s'est passé avec Eméritus. — lu. Gjntre
Gaudentius, évèque rlesdonatistes; en ii livres. — iT). Discours à Tocca-
sion du sous-diacre Rusticianus, rebaptisé par les donatistes et ordonne
diacre.
Appendices, i. Contre Fulgence le douatisle, — i. Difterenles pièces
lustoriques ayant rapport à 1 histoire des donalistes.
TOME X, divisé en 2 parties, comprenant 191 2 colonnes.
if« partie, i. Sur les mérites et la rémission des péchés; eu m livres.
— Q. De Tesprit et de la lettr.-. — 5. De la nature et de la grâce. —
4. De la perfection de la justice de l'homme. — 5. Des gestes de Pelage.
— 6 De la grâce du Christ et du péché originel; en 11 livres. — 7. Des
noces et de la concupiscence; en 11 livres. — 8. De l'âme et de son
origine, en iv liv. ^» 9. Contre deux lettres des Pélagiens , à Boniface;
en IV liv. — 10. Contre Julien ; en vi livres.— 1 1 . De la grâce et du libre
arbitre. — i-J. De la correction et de la grâce. — 1 3. De la prédestina-
tion des saints.
2= partie. \!^. Du don de la persévérance. — i5. Contre la deuxième
réponse de Julien; ouvrage inachevé.
Appendices, r. L'hypomnesticon, contre les pélagiens et les célestiens.
— a. De la prédestination et de la grâce. — 3. De la prédestination de
Dieu. — 4. Diftérens écrits et monumens concernant l'histoire des péla-
giens. — 5. Opuscules apologétiques de P;oi-/7er d'Aquitaine , tn faveur
d'Augustin, contre les iniques censeurs de sa doctrine sur la grâce et la
prédestination. Ces opuscules sont au nombre de (y, savoir : — i . Epître
sur la grâce et le libre arbitre, contre le conférencier ., ou contre la i5c
conférence de Cassien. — 2. Réponses aux chapitres des gaulois calom-
niateurs. — 3. Réponses aux chapitres des objections des Vincentiens,
probablement Vincent de Lerins. — 4. Réponse à quelques extraits en-
voyés par des prêtres de la ville de Gênes. — 5. Épigrammede Prosper
contre un détracteur d'Augustin. — (>. Livre de sentences, tirées d'Au-
gustin.
TOME XI, comprenant 1004 colonnes.
Ce volume est entièrement consacré aux indices, concordances et ta-
bles des matières , au nombre de 6, et de plus à quelques discours
i\ npujeuks :iou<y>eUcmtint dccouvcrls. Voici leur oidrc et leur désigna-
OLUVUES DE SAiM AtGUSTIA. 471
lion, I. Liste des livres , traités et lettres de saint Augustin dressée par
Possidonius , évèque de Calama. — i. OEuvres coulenucs dans les
appendices avec le nom des auteuïs auxquels elles appartiennent; nous
avons fait entrer cet index dans notre corn pie-rendu en indiquant le
nom des auteurs. — 3. Accord de l'ordre nouveau de cette édition avec
l'ancien ordre de l'édition des théologiens de Louvain et autres. — 4.
Accord de l'ancienne édition avec la nouvelle. — ô. Table alphabétique
de tous les ouvrages de saint Augustin. — 6. Table générale pour toutes
les œuvres. — 25 discours ou parlieb de discours nouvellement décou-
verts et éditéi» par Michel Denys. - - lu autres discours découverts dan s
la bibliothèque du Mont-Gisbin et édités en lO'^o par le P. de Fraja
Frangipane.
472 COMI>TE-HEJNDt
^-wV»^ v«/ï.««»- •
Comptf-reiibu,
A XOS ABONXES.
En parlant à nos abonnés des travaux qui entrent dans ce vo-
lume , il nous semble qu'il y a plusieurs articles que nous pou-
vons leur signaler à bon droit. Et d'abord nous devons faire re-
marquer ceux qui ont eu pour but de leur faire connaître les
irav.mx qui se font en Jîlemagne pour la défense de notre Bible.
Dans les deux articles extraits de Hengstenùerg , on a pu suivre
la marche insensible par laquelle les rationalistes allemands sont
parvenus, de subtilités en subtilités, à nier toute l'Écriture. Dans
celui que nous donnons dans ce cahier extrait de Tholuck ,
ou voit comment il est facile de répondre à Strauss, en le
tenant sur le seul terrain historique , et indépendamment de
l'aulorité des Evangiles. Les articles sur les mythes rentrent
aussi dans le même but, celui de réfuter les rationalistes et les
panthéistes allemands et français. Nous ne nommons pas tou-
jours les auteurs ni les ouvrages auxquels s'adressent les réfuta-
tions ; mais nous fournissons des armes pour les combattre tous.
Ces articles seront continués, puis nous passerons à d'autres au-
teurs de manière à faire connaître tous ceux qui en Allemagne
défendent avec zèle et talent la cause catholique.
L'article du P. Perrone sur la philosophie heniiésienne, que
nous avons traduit des Annali de Mgr de Luca , nous a fait
connaître une des erreurs qui se sont répandues dans ces der-
niers lems dans l'école catholique d'Allemagne. Cette erreur, peu
connue en France, méritfî pourtant de fixer l'attention des théo-
lo«^iens et des philosophes par les nombreux points de contact
qu'elle a avec la philosophie cartésienne. Nous continuerons à
pubUer les travaux du savant jésuite sur ce point.
JNous avons terminé dans ce volume les articles de M. Carte-
rvn contre le système de Dupuis. Noub pouvoub due que nulle
A NOS ABONNÉS. /f73
autre part, et jusqu'à ce jour, jamais ce funeste système n'avait
éU' réfulf' aussi solidement ; car on a prouvé que tout cet éclia-
faudage de science et d'érudition avec lequel Dupuis a longtcms
fait illusion au commun de ses lecteurs , reposait sur des fonde-
mens erronés. C'est en bouleversant toute l'histoire , en attri-
buant aux anciens les 'opinions des modernes , en généralisant
ce qui n'était que local, en cachant, en supprimant, en faussant
les témoignages que Dupuis a établi ses principes anti-chrétiens.
Il faut savoir gré à M- Letronne d'avoir dévoile et ruiné celte
fausse science. Comme nous tenons à propager celte réfutation ,
nous en avons fait tirer à part quelques exemplaires que nous
mettrons en vente , après y avoir ajouté une préface. Nous re-
mercions M. Carteron de cet excellent travail , et nous annon-
çons*à nos lecteurs que ce n'est pas le seul qu'il nous donnera.
Il prépare en ce moment une Notice sur ces Thcrapeiites et Esse-
niens, dont quelques écrivains superficiels s'avisent en ce moment
de vouloir faire descendre le christianisme.
M. l'abbé Bertrand a. aussi terminé ses articles sur les noms que
les différens peuples ont donnés à Dieu. On y a vu que toutes les
langues sont unanimes pour accorder à Dieu quelques-uns des
attributs qui nous sont connus par nos livres saints, preuve in-
contestable que tous les peuples ont puisé à la même source, celle
de la révélation primitive , et qu'au commencement ils ne for-
maient qu'une seule famille, M. Tabbé Bertrand nous fait espé-
rer tout prochainement de nouveaux travaux sur les langues.
En exposant les doctrines de M. Cousin, nous avons surtout
cherché à caractériser son enseignement, à faire voir quelle place
on pouvait lui assigner dans cette longue liste de tautologies, de
paralogismes et souvent de répétitions des mêmes erreurs , cpie
l'on est convenu d'appeler l'histoire de la philosophie. On a pu
s'assurer que celte place est fort humble, si toutefois il faut lui assi-
gner une place ; car on a vu que d'autres, philosophes comme lui,
dissèquent avec assez d'intelligence toute sa doctrine et en res-
tituent les lambeaux à ceux auxquels on l'accuse de les avoir,
pour nous servir d'un mot poli, empruntés. Depuis lors une
nouvelle phase s*est produite dans l'histoire de M. Cousih ; c'est
Ul^ COMPTr-RFNDl.
relie (\\\o lui n faite l;i niutilaîiou cl la fakitiration dcH ccnvrrs
poslliuines de ÎNI. Jouffroi; nous en prendrons acte dans un pro-
chain cahier.
Le livre le pins important qui ait paru dnrant ce semestre est
sans contredit le Commentaire sur Verodeet les nombres de M. le
comte Léon de Lahorde. L'examen de cet ouvrage ne pouvait
être placé en de meilleures mains que dans celles de M. Quatre-
mère, son collègue en ce uioment à l'Institut. Ce savant consa-
crera encore plusieurs articles à l'examen de cet ouvrage; dans
le derni( r il examinera surtout le passage de la mer rouge , dis-
cutera l'opinion de M. de Laborde, donnera la sienne, et à cette
occasion nous publierons la Carte du passage de la mer rouge,
dressée par M. de Laborde. On a vu que nous avons publié celle
de la sortie d'Egypte; dans un prochain cahier nous y joindrons
celle du vojage des Israélites dans le désert ; en sorte que nos
lecteurs, dans ces trois belles cartes, auront le résultat des der-
nières et des plus consciencieuses études qui aient été faites pour
prouver la véracité et l'exactitude du texte de Moïse. Honneur à
M. de Laborde, honneur à cette science qui, en opposition à
cette malheureuse et idéale science de l'Allemagne, s'attache à
prouver par l'examen des faits et des réalités la vérité de nos li-
vres. Nous le disons sans hésiter , cette science restera bénie de
Dieu et des hommes, tandis que l'autre science sera de jour en
jour reconnue de plus en plus vide, fausse, mensongère.
Nous devons ajouter que M. Quatremère nous a promis en
outre de nous donner prochainement les travaux qu'il a faits sur
la B.ihjlunia et l.i géographie du centre de VJsie. Ces travaux se
lient a l'explication et à la confirmation de nos livres',, et nous
sommes heureux d'en faire jouir tous les chrétiens, nos frères.
Nous savons que j>L Quatremère a encore dans ses portefeuilles
plusieurs mémoires sur la science biblique, fruits d'un travail de
trente ans ; nous espérons qu'il voudra bien nous en communi-
quer quelques-uns.
Enfin, on a vu dans ce cahier le commencement d'un travail
de notre savant et religieux ami, M. Eugène Bore. Ce mémoire
sera continué et suivi de plusieurs autres que nous avons entre
\ \os \Ro\xÉs. AT 5
Icsninins. Nous regrettons d'avoir à annonror que la noiivelli^ cjuc
l'on avait donnée de sa nomination au consulat de Jérusalem ne
doit pas se réaliser. On a craint qu'il n'eût trop de zèle it d'or-
thodoxi*"; on a craint qu'il ne gênât le prosélytisme du seigneur
Alexandre, évèque de par LL. M3I. la papesse-reine Victoria et
le pape-roi de Prusse. Nous le regrettons sincèrement. M. Bore
est sans doute un catholique sincère et zélé; mais il sait unir la
prudence au zèle, l'esprit de conciliation à celui de fermeté; il
eu a donné de nombreuses preuves en Perse et en Turquie , où
seul, n'ayant d'autre autorité que sa prudence, sa persuasion, la
beauté de son caractère, il a su se faire tant d'amis, tant de pro-
sélytes, déconcerter tant de trames, déjouer tant d'intrigues, fai-
sant respecter et aimer le nom de catholique aussi bien que celui
de Français. C'est une faute et une très grande faute de la part de
notre gouvernement. Au reste, le voyageur n'a pas renoncé pour
cela à sa mission catholique : après avoir passé l'hiver à Paris, il
retournera au printems à Constantinople, d'où il se rendra là où
il trouvera le plus de bien à faire en sa double qualité de catho-
lique et de savant. L'académie des Inscriptions et Belles lettres
vient au reste de reconnaître ses services en le nommant l'un de
ses membres correspondans . C'est un choix qui sera approuvé par
les amis de la science et de la religion.
^Au reste, nous n'avons pas besoin de dire que nous continue-
rons les travaux commencés, et donnerons ceux que nous avons
promis. Tous sont l'objet de nos études ou de nos travaux ; car
c'est à eux que nous avons consacré notre tems et notre vie.
76
COMPTE -RENDU.
Voici maintenant la liste annuelle de nos abonnés.
ABONNÉS DES ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIE]\NF.
^;„
4
Rpport. . .
Indre-et-Loire . . • •
hère
Jura
Landes
. 291
. 4
. 8
. 8
. 4
Report. . . .
Saône-et-Loire . . .
Sarihe ,.....,
. 511
. 14
. 16
. 104
Aisne
3
Alpe« (Ba^scs ) ....
Alpes .Hautes-; . . ,
Ardèclic
. . 19
. 5
. . 7
. . 1
Seine-Infcrieure . .
Seine ei-Marne . . . ,
Seine-et-Oise. . . .
Sèïres Deui). . . .
. 6
2
. 13
. 6
. 8
Loir-et-Chrr
Loire
Loire (Haute-), . . .
Loire-Inférieure . • .
. 4
. 3
. 3
. . 8
4
Ariége
. 3
2
. 13
Tarn
. 5
.•• 4
Lot
. 2
Tarn-el-Garonne . .
. 13
Bouches-du-Rh6ne. .
Calïado" . . . •
. . 31
22
J,ol-f;t-Garonne . . .
Lozère
Maine-et-Loire. . . .
Manche
. 2
. 0
. 11
. 2
Yaucluse. • . > . .
Vendée
. •>o
J;^"'/* ■
S
Vienne
Charente-Inférieure .
Cher
. . ()
. 2
. 5
Marne . . .
5
Vienne ( Haute- ], ,
Vosges
lonne
Algérie
Angleterre
Autriche
Belgique
Etais de l'Eglise . .
Pologne ,
'. 17
Marne ;Haute ; . . .
Mayenne
Meurthc . .
. S
. 9
. 22
Corse
Côle-d'Or
Colcs-du-Xord ....
Creuse
Dordogne
DtuIis
1
. . 5
. . 8
. 3
. . 1
, 2
Meus,,
Morbihan
Moselle
Mévre
Nord
. 10
. . 5
. 7
. 3
. 20
. . 1
0i»e
. 8
Prusse
Hollande
Russie
SaToie :
Suisse
' '. 17
Eure
Eure-et-Loir
Finistère . • ...
. . 8
. . 2
. . 4
Orne
. . 5
Pas-de-Calais
Puy-dc-Dômc ....
Pyrénées (Basses-i. .
P} rénées (Hautes-). .
Pvrénces-Oiienlllej .
Bbin Bas-^
Bl.in (Haut-) ....
. . 6
. 11
. . 4
1
. . 2
. . 5
1
. 26
. . 8
Garonne (Haute-) . .
Gts
. . 19
. 29
. . 5
Canada
C^yenne
Ile-Bourbon
1 Sénégal
Etats-Unis
Chine
! ! 15
Hrrault . .
. . 22
Ille-el-Villaine ....
. . 11
. . 2
4
. 511
Total. . .
. 291
Total. .
Total général.
-J^
Nos abonnés, à la fin de 1841 , ne s*élevaient qu'au nombre de
833; nous avons donc eu pour cette année-ci une augmentation
de 10 abonnés. Ce n'est pas beaucoup; mais quand on fait at-
tention à la nature du recueil, c'est beaucoup de pouvoir conser-
ver ce nombre d'abonnés et de le voir même s'accroître peu à peu
tous les ans.
Aussi ne pouvons-nous que remercier les personnes honorables
qui nous soutiennent de leurs conseils et de leur approbation.
Nous chercherons toujours à faire tous nos efforts pour correspon-
dre à leurs désirs et pour réaliser leurs espérances. Nous remer-
cions surtout ici les prêtres honorables qui nous aident de leurs
travaux. Ces travaux, très rares dans les premières années de
A _\os abo.nm's. 47 T
IVxisteDce des Annales , deviennent plus nombreux , plus intéres-
sans tous les jouis. Nous ne pouvons même les accepter lous. C'est
une preuve du progrès que font les études du clergé ; de jour en
jour il se montre plus digne de sa mission , et sa réconciliation
avec toutes les sciences est désormais un fait accompli. Heureux
si^ comme on nous l'a écrit souvent, les Annales ont contribué
pour leur part à cet heureux résultat.
Le Directeur-Propriétaire,
ALGUSTk> BO-NWETTY,
de la Société asiatique de Paiis.
478
lAliLE GliiS'tKALi; DES MA.TlEKLb.
TABLE GÉNÉRALE
BES MATIÈRES, DES AUTELhS ET DES OUVRAGES.
Voir page 5 la Table dfs aiiicles.
A
Adam (de Sl.-\ ictor).— Prose en Thon-
neur de gainl André. P. ô39
Allocution (de S. S') Grégoire XVI sur
PEglise en Rus>ie. 165, 245
Annali dolle gcienze re'.igiose. — Som-
maires des n"« de juillet à décembre
1841. 163
Archéologie clirélieaiie. —Voir Bouras-
sé et Vocabulaire.
Auber (M l'abbé). — ^ommé historio-
graphe du diocèse de Poitiers. 320
Audin (M )— Examea de son histoire de
la vie, des ouvrages et des doctrines
de CalTin. 573
Avant Liturgique. — Voir Guéranger.
B
Basilique Chrétienne des premiers siè-
cles, découverte à Issoudun. 243
Bautain (jugement de M.) sur M. Cou-
sin. ^27
Belleval (M. R. de). — Analyse de This-
loire de l'économie politique de M. le
vicomte de Villeneuve. — Voir ce
nom.
Bertrand (>I. l'abbé). — Analyse du
tome l^-^ de rbisloire de la littérature
hindoui et hindousloni, Cô. — Syn-
glosse du nom de Dieu dans toutes les
langues connues. {'" et dernier arti-
cle.) Ô90
Biographie et bibliographie hindoui et
hindoustani. 63
Boniface Vlll. — Vengé des calomnies
répandues contre lui, 2* art. 23
Bonnetty (M. Aug). — Appendice à la
notice" sur M. Tabbé Foisset. 14ii —
Dictionnaire de diplomatique, -IQ^ art.
— diplôme*. Doctrine chrétienne. 146.
— Avii S'.ir l'article de l'Univers ex-
pliqué par la révélation. 255. — Sur
les trav>.ux do M Doié. 40-j, —Comp-
te-rendu aux abonnés. 472
Bore (M. Eugène) ■— Lettre annonçant
son riUour en France. 517. — Est
nomir.é chevuUcr de la milice dorée
de Saiiil-Sylveslrc.— Bref do Sa Sain-
teté à ce sujet. — Lettre du cardinal
J. Ph. Fransoni. 402. — De la vie
religieuse chez les Chaldéens (i" ar-
ticle). 40S
Bourassé(M l'abbé). — Examen de son
archéologie chrétienne. 343.
Brefs. — Voir Grégoire XVL
G
Calvin. ■— Analyse de son hlsloire. —
Voir Audin
Carteron (M.). — Réfutation de Dupuis.
7^ art. 492. — 8« et dernier art. 42o.
Cathédrales de France. — Voir Numis-
matique.
Cauvigny (M. V,) — Ce que Pon entend
par Mythes. 2« art. i03
Chaubard (M. L. A.) Analyse de son
livre, l'Univers expliqué par la révé-
lation. 235
Clerc (Le).— Authenticilédu Penlaleu-
que. 12
Cluny. —Prose en l'honneur de la Ste
Vierge, tiré de son missel. 341
Combeguille (M.). — Analyse de l'avent
liturgique, 539
Cousin (M. V. ) — jugé par ses p^rs
l'r art. 49 — '2^ art. i2l
B
Damase. —Hymne en l'honneur de St
André. 538
Descartes (mis à l'index). — Note. 85
Dictionnaire de diplomatique, ou cours
philologique et historique d^antiqui-
tés civiles et ecclésiastiques, 29« art.
— Voir Bonnetty.
Dupuis. — Son système astronomique'
réfuté par M. Letronne. — Voir ce
nom.
E
Economie politique (Histoire de 1' ). —
Voir de Villeneuve.
Eglogue à Pollion de Virgile (Explica-
tion de F). — Voir Traditions primi-
tives.
Exégèse (Dégénéralion de V).
Penlatcuque.
Voir
TABLE GENER ALJi UES iMATlEKEii,
479
Exude et les Nombres (Coniinenlaire
géographique sur 1'). Voir de Laborde.
lerrari (le P. de). — Monnaie du sou-
. veraiu ponlile Valenlin. 22S
Fichte. — Sa philosophie citée. iSS
Foissel '^M. L'abbé) — Notice nécrolo-
gique. 155
G
Garcin de Tassy [M..). — Analyse de son
histoire de la littérature bindoui ei
hindoustani. 65
Gatien- Arnoult. —Jugement sur M.
Cousin. 49 et t2i.
Geiaud (M.) —Analyse de l'hlsloire de
Calvin. ôT5
Gri'Ssellini (>Ig ) — Sur les vestiges des
traditions primitives chez les latins ;
examen de l'églogue à Pol ion. 208. 29&
Gravure.— Voir Lithographie.
Giéjîoire XVI ( S. S.) — Anocation sur
l'église en Russie. 463. 243. — Bref à
M. Artaud. 79.— A M. Eug. Bore. -403
Guéranger ( le R. P.) — Examen de son
Avenl Liturgique. 523
H
Iléeren. — Sur l'autorité du Penlaleu-
que. 562
Hegel.— Sa philosophie citée. 289
Hengstenberg (M.)- Comment la foi au
Penialeuque s'est alTaiblie. 7. 559
Hermésianisme. — Exposé de cette er-
reur. 275
Jésuites (les) appelés à la Nouvelle Gre-
nade par décret du congrès et du pou-
voir exécutif de Bogota , pour les
charger de continuer les missions. 159
Kant (Philosophie de). 287
L
Laborde (M. Léon de).— Annonce de son
comnieoiaire géographique surl'exode
et les nombres. 83. — Approbation de
cet ouvrage par Mgr Allre. 84. — Son
examan par M. Quatremère. 83. —
Extrait de cet ouvrage sur le départ
des Israélites de PEgyple. 433. —
Carte de ce dppart. làid.
Lherminier (M.)— Jugement sur M.
Cousin. 122
Laurentie ( IVI. ) — Approbation de son
Histoire de France. 163
Léo. — Extrait en faveur du Penlateu-
qoe. 0C8
Lelronne(\l.)— Analyse de soucourssar
l'étude des monumens astronomi-
ques, d'où ressort une réfutation de
Dupuis ( "^ art. ) 192.— 8« et dernier
art. 423
Litliographies. — .Monnaie du pape Va-
leotin. 224 — Carte de la sortie d'E-
gypte. 455
Lucu ( M. l'abbé de\ nommé à la place
de camérier secret. 78. — Annonce de
ses annali religiose. 165
Luden. — Extrait en faveur du Penta-
teuque. 567
M
.\Iariin (M. ) — Scn jugement sor M.
Cousin. 150
Michaëiis ( J.-D ) — Combat l'aulhenii-
cilé du Pontoteuque. 16
Monureens religieux (circulaire de Mgr.
révècjue de Grenoble à ce sujet.) 5-'3
.MuUer { J. de ,. — Extrait en faveur du
Peataleuque. 564
iMythes (Cu que c'est que les]. iOô
Nécrologie des auteurs morts pendant
Tannée t841. — Suite et On. 72
Nombres ( commentaire géographique
sur l'Exode et les). \^' art. 85
Notre-Dame de Paris (Projet de restau-
ration de). 318
Numismatique des cathédrales de
France. — Annonce. 164
P
Pentateuque. — ComoaeDt on l'a com-
battu. 559
Perione (le P.), sur la méthode hermé-
sienne. 273
Poitiers ( création de la charge d'histo-
riographe du diocèse de). 319
Pologne.— Voir Grégoire XVI.
Q
Quatremère (M) — Examen du com-
mentaire géographique sur l'Exode et
les Nombres. 85
RatisbonueC M.) — Décret de S. E. le
Cardinal-vicaire, à propos de sa con-
version. 77
Rosmini ( >I. l'abbé), cité pour sa phi-
losophie. 277. 279
Rossignol ( M. ) — Notice sur l'abbé
Foijset, 133
Rotiech (de), cité sur le Pentateuque 568
Russie (allocution de S. S. Grégoire
XVI. pour porter remède aux maux
grave» dont la religion catholique y
est accablée) 16tî, 245
48
TABLE GE.NEUVLK DES MV.TIEUES.
Séguier (M.) — ^ouTelIe explicalion du
mot 8)inbole. 587
Sismondi.— Réfutalion de ses assenions
contre Bonifacc Vill. 23
Spencer,corabal l aulhenlicilé dn Penta-
teuqae. g
Sloffels(M.Cbarles).— Examen de son In-
trodocliori à la théologie de l'hisl. 5i2
Strauss réfuté par Tholuck. 439
Symbole (nouvere explication du mol).
587
Sjrnglosse du nom de Dieu dans toutes
les langues connues.— Voir Bertrand.
Tboluck ( le D.) — Extrait de sa rcfula-
lion de Strauss. 459
Traditions priniilives conserfées chez
les Latins (vestiges des). (1" acl.i 208
-(2» art.) %yji
U
UDÎTers expliqué par la réTélation (!'). —
Analyse. 255
Valenlin ( pièce de monnaie du souve-
rain pontife).— Lettre et graTure. 224
"N'illeneuve ( M. le Ticorole). — Examen
de son Histoire de Téconomie politi-
que. 227
Virgile.— Voir Grassellini.
Vocabulaire des mots techniques de Tar-
chéologie cbrélienne. 349
'VVacbler.— Extrait en fayeur du Penfa-
teuque. 367
Z
Zodiaque (le, n'a pas fait partie de la
sphère primitive des Grecs. — Preuve»
de cttle assertion, etc. 492. iiti
Fi^ DU TOME SIX,
EllllATA DU (je VOLLML.
N"54, p. U76. 1. 1 1 : conceplo/iis, lisez conceptions.
N° 55, p. 365, 1. 23 : formé, feinic.
p. 369 I. 9 : crtdulilé crédibilité.