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Full text of "Annales des sciences naturelles"

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ANNALES 


SCIENCES NATURELLES 


QUATRIÈME SÉRIE 


LOOLOGIE 


Paris, — Imprimerie de L, MARTINET, rue Mignon, 2, 


4, 


ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


COMPRENANT 


LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE, 
L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES 


ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES 


RÉDIGÉES 
POUR LA ZOOLOGIR 


PAR M. MILNE EDWARDS 


POUR LA BOTANIQUE 


PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE 


QUATRIÈME SÉRIE 


LOOLOGIE 


LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON 
PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE 


1855 


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LILOEUTES 


ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


PARTIE ZOOLOGIQUE 


MONOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES BALISTIDES, 


Par H. HOLLARD, 


Professeur à la Faculté des sciences de Poitiers. 
SUITE ET FIN (4). 


Genre MONAGANTHUS. 
2° sous-genre. — ALUTÈRES (Aluterus, Cuv.). 


Caractères. — Ceux des Monacanthes, moins la modification de 
l’écaillure pelvienne, et la pointe du même nom qui manque com- 
plétement. 

Pour accorder à l'absence de la pointe pelvienne l'importance 
que nous lui conservons ici sans hésitation, nous devons nous sou- 
venir que ce caractère est le dernier terme d’une dégradation pro- 
gressive du membre pelvien et du bassin en particulier, qui con- 
corde, des Triacanthes aux Balistes, et de ceux-ci aux Monacanthes, 
avec la réduction de la dorsale épineuse. Cette considération domine 
toutes celles qui pourraient nous tenter de distribuer l’ensemble 
des Monacanthes autrement que ne l'ont fait nos devanciers, et 
d’accorder à la forme du corps, à celle de la tête, enfin au déve- 
loppement des nageoires médianes molles, une valeur prédomi- 
nante. Nous verrons ces derniers caractères faire quelquefois une 
sorte de retour vers les types du sous-genre précédent , bien qu'ils 
concordent dans la très grande majorité des cas avec les modifi- 


(1) Voyez 3° série, t. XX, p. 71; 4° série, t, I, p. M,ett, IT, p. 321. 


6 M. HOLLARD. 

cations du bassin et de l’épine dorsale, comme nous avons déjà pu 
le remarquer chez les derniers Monacanthes. Ce retour vers des 
formes et des dispositions supérieures au type morphologique do- 
miriant prouve seulement que le groupe des Alutères constitue par 
lui-même une véritable série. 

Nous allons y retrouver, en effet, une succession de types mor- 
phologiques qui nous rappelleront plusieurs de ceux de la série pré- 
cédente, mais qui porteront plus généralement et plus loin ce facies 
général de dégradation remarqué chez un très grand nombre de 
Monacanthes, et qui se résume dans l'allongement général du 
corps, dans celui des nageoires médianes caudale et anale, et dans 
la prédominance de la mâchoire inférieure. 


A. Notre premier type est loin d’offrir ce facies, et nous montre 
la série des Alutères débutant par des formes courtes et élevées, 
comme toutes les précédentes. Ce type n’est représenté dans la 
collection du Muséum que par une seule espèce nommée : 


1. ALUTERUS TRoSSULUS, Richards. 
PI. 1, fig. 4. 


Caractères. — Formes très hautes et très ramassées ; développe- 
ment extraordinaire de la région abdominale. 
D. M. 25. An. 23. P. 10. 


Cet Alutère serait remarqué dans toute la famille des Balistides 
par ses formes ramassées et la forte saillie de sa ligne ventrale. 
Son profil facial est rapide, incliné à 40 degrés, court et marqué 
d’une légère dépression. La mâchoire inférieure est un peu plus 
avancée que la supérieure. La ligne dorsale est courte et montante. 
La région ventrale est non-seulement saillante , mais massive. La 
fente branchiale, courte et verticale, rappelle celle des Mona- 
canthes. 

Le rayon épineux qui représente la dernière dorsale est court 
et fléchi. La dorsale molle et l’anale sont peu élevées dans toute 
leur longueur ; la première conserve sa supériorité de longueur sur 
la seconde. La caudale est courte et arrondie. 

L’écaillure se compose de petites squames plus ou moins régu- 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 5 


lièrement circulaires, et surmontées chacune d’une spinule conique 
visible à l'œil nu. 

Quant au système de coloration, il consiste en un semis de 
taches foncées , entourées d’une auréole plus claire ; la caudale est 
tachetée de points noirs. 

La collection du Muséum possède trois exemplaires de cette 
espèce : ils proviennent des mers de l'Australie, et sont de petite 
taille. Le plus grand d’entre eux offre les dimensions suivantes : 

Lonpueur LOIS ES ME 0 0 DEDUD 
Hauteur maximum . . . . . . (0,045 

La région céphalo-branchiale atteint 0°,016, c'est-à-dire un peu plus du 
quart de la longueur. 

La nageoïire caudale ne compte dans celle-ci que pour 0,043. 

L'Alutère que je viens de décrire d’après nos exemplaires me 
parait, malgré quelques légères divergences dans la description, 
en ce qui concerne le nombre des rayons de la dorsale et de l'anale 
et le système de coloration, identique avec celui que M. Richardson 
nous a fait connaître le premier, si je ne me trompe, sous le nom 
spécifique de Trossulus (Ereb. and Terr., p. 68, et pl. 40, fig. 5 
et 6). Je lui conserve ce nom en vertu du droit de priorité, et le 
substitue à l’épithète plus significative de ventricosus, que je lui 
avais donnée dans mes premières notes. 


B. Notre second type rappelle le précédent , tout en s’en distin- 
guant d’une matière très nelle par quelques caractères qui en font 
un terme de passage au troisième. Ici, avec des formes plus longues 
et moins ramassées que celles du premier type, la ligne abdomi- 
nale conserve une convexité plus où moins prononcée. La caudale 
s’allonge un peu, mais beaucoup moins que dans le troisième type. 
L’anale est constamment plus longue que la dorsale; enfin la fente 
branchiale est allongée et très oblique. Telles sont les espèces sui- 
vantes : 

2. ALurTerus Hozsroockt, Nob. 

Caractères. — Formes comprimées; abdomen très saillant ; 
caudale terminée par une ligne sinueuse. 

D. M. 36. A. 39. P. 42. 


8 H. HOLLARD,. 

Cet Alutère a le profil facial incliné à 40 degrés, un peu déprimé 
avant d'atteindre les mâchoires, dont l’inférieure dépasse beaucoup 
la supérieure. La région sus-oculaire est comprimée. La ligne dor- 
sale est horizontale ; l’abdominale descend rapidement, décrit une 
courbe saillante, et remonte presque verticalement vers l’anus. La 
fente branchiale est passablement grande et inclinée. 

L'épine de la première dorsale est sus-oculaire ; brisée dans 
l’exemplaire que j'ai sous les yeux, elle serait assez courte, si jen 
jugeais par le peu de longueur du sillon qui est destiné à la loger 
quand elle s’abaisse. 

La dorsale molle, dépassée par l’anale, tant en avant qu’en 
arrière, est, ainsi que cette dernière, peu élevée et arrondie. 

La caudale, mutilée sur notre exemplaire, serait d’une longueur 
médiocre, si l’on en juge par l’atténuation des rayons au point où 
ils sont brisés. 

Synonymie. — Cet Alutère se rapproche, par la courbure de la 
région abdominale, de l’espèce décrite par de Kay sous le nom de 
B. aurantiacus, espèce nommée par Mitchill, qui la fit connaître le 
premier (Transact. of litter. and philos. Society). Dans l’un comme 
dans l’autre, le nombre des rayons de la dorsale molle est de 36, 
celui de l’anale de 39. Mais l’aurantiacus offre un profil plus ra- 
pide, des formes beaucoup plus hautes que notre 4. d’Holbroock. 
Si ces différences n’ont pas été exagérées par le dessinateur de la 
Zoologie de New-York, je dois considérer cette espèce comme 
encore inédite, et, jusqu’à preuve du contraire, je propose de lui 
donner le nom du naturaliste auquel nous devons l’exemplaire qui 
a servi à notre description. Dans ce cas aussi, le Balistes aurantia- 
cus de Mitchill prendrait rang sous le nom d’Aluterus aurantiacus, 
en tête de la série qui nous occupe. Ce poisson a la caudale termi- 
née par une ligne sinueuse , d’après le dessin et la description de 
de Kay. 

3. ALUTERUS CULTRIFRONS, Noh. 


(PL 4, fig. 2.) 


Caractères. — Corps très comprimé; abaissement vertical des 
parties latérales du front, ramenant l’œil très au-dessous de la 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES, 9 


ligne médio-frontale , qui est tranchante. — Épine dorsale longue 
et grêle. 
DM. 37. A. 40. P. 12. 

Cet Alutère a une physionomie particulière, qu'il doit à l’extrème 
compression de son corps, et plus spécialement à celle de la partie 
supérieure de la tête, les frontaux et les pariétaux offrant une in- 
elinaison latérale des plus rapides, qui reporte les orbites plus bas 
que dans aucune autre espèce du genre. La ligne de profil fronto- 
nasale se trouve par cela même très élevée au front, et mesure 
avec l'horizontale un angle de 60 degrés. Un peu avant d'atteindre 
le museau, cette ligne se creuse un peu; la mâchoire inférieure 
s’avance plus que la supérieure. L’œil est très grand. La fente bran- 
chiale est assez oblique , et atteint le niveau de la limite inférieure 
de la pectorale, 

La dorsale épineuse a son premier rayon de longueur plus 
qu'ordinaire, très grêle, un peu fléchi, très faiblement rugueux. 

La dorsale molle et l’anale sont d’une hauteur moyenne, arron- 
dies en avant, à déclinaison lente. La seconde dépasse la première 
par ses deux extrémités. 

La caudale est lancéolée, et forme le 1/6° de la longueur totale 
du corps. 

L'écaillure de ce poisson se compose de petits éléments irrégu- 
lièrement oblongs, plus élevés vers le milieu que sur les bords, et 
portant un certain nombre de petits tubercules épineux. Ceux des 
flancs et de la queue ontune épine centrale plus forte que les autres, 
fléchie en arrière. Il résulte de ces particularités un revêtement 
cutané , qu'à l'œil nu on prendrait pour une peau de chagrin , en 
raison des tubercules centraux qui en relèvent chaque petit com- 
partiment squamoïde. 

La coloration se caractérise par des taches brunes arrondies, 
petites, et semées en grand nombre sur un fond plus où moins 
nuagé de fauve et de brun. C’est du moins tout ce qui subsiste 
chez les individus conservés dans la liqueur, et qui présentent ce 
dessin. 

Le Muséum possède plusieurs exemplaires de cette espèce; ils 
viennent des mers de New-York et de Bahia. Quelque différence 


10 H, HOLLARD. 


existe entre eux sous le rapport de la hauteur du front au-dessus 
de l'œil. Chez l’un de nos exemplaires, cette hauteur est sensible- 
ment moindre que chez les autres, etla ligne de profil un peu plus 
creusée. Le plus grand offre les dimensions suivantes : 


Longueur totale. . . . . …, 0,40 
Hauteur maximum. . . . .  0"1#4 
La caudale ajoute 0,065 à la longueur. 
La région céphalique y entre pour 0,10, 


Synonymie. — Je trouve des analogies de forme entre notre 
A. cullrifrons et le Balistes monoceros de Block, pl. 447; seule- 
ment l’épine du dernier est dentelée comme celle des Monacanthes. 
Comparez avec Alutarius macranthus Bleecker, pl. HE, fig, 6 
(Bijdrage tot de Kenniss der Balistini, ete., in F’erhandl. van het 
Batav. Genootschap van Kunsten en Watenschappoen,185 2). 


A. ALUTERUS CONVEXIFRONS , Nob. 


Curactères. — Formes comprimées et subtranchantes sur les 
lignes médianes du corps; profil frontal déerivant une courbe uni- 
forme et prononcée du front au museau ; la ligne qui lui corres- 
pond inférieurement également arrondie. 


DM. 43. An. 47. P. 14. 


Ce poisson est remarquable entre tous les Alutères par la con- 
vexité uniforme de son profil, depuis l’épine dorsale jusqu’à la 
lèvre supérieure; l'angle que ce profil forme avec l'horizontale 
dépasse 45 degrés. Au delà de l’épine, la ligne du dos décrit en- 
core une courbe montante et uniforme jusqu'à la dorsale molle. 
Quoique tranchant, le front s'incline vers les orbites d'une pente 
bien moins rapide que dans l'A41. cultrifrons ; aussi l'œil descend- 
il moins bas que dans cette dernière espèce. La fente branchiale 
est très inclinée. 

L'épine dorsale est courte , grêle , couverte de simples aspéri- 
tés; elle répond à la partie moyenne de l'orbite. 

La dorsale molle et l’anale sont arrondies, peu élevées en avant, 
et décroissent lentement. La caudale est courte et arrondie, comme 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 11 


dans les Monacanthes proprement dits. Cette nageoire paraît être, 
il est vrai, un peu mutilée sur l'exemplaire qui sert à cette descrip- 
lion ; mais il est facile de voir que sa longueur primitive dépassait 
peu sa dimension actuelle. 

L'écaillure se compose de très petits éléments, peu distinets à 
l'œil nu , hérissés de spinules. 

La coloration est d’un gris brun uniforme sur les exemplaires 
conservés dans la liqueur, qui font partie de la collection du 
Muséum, 

Le plus grand de ces exemplaires offre les dimensions sui- 
vantes : 


Longueur jusqu'à la caudale. . 0,236 
CETTE SON AN CULE 


La région céphalique entre dans la longueur pour 0®,065. 
La caudale, telle qu'elle est, y ajoute 0",02. 


Synonymie. — Je n'ai trouvé ni description, ni figure , qui se 
rapporte à celle que je donne ici de AZ. conveæifrons. 


5. ALUTERUS ANGINOSUS (étiq. de la Coll.). 


Caractères. — Corps subcomprimé, à profil facial moins rapide 
que la ligne mentonnière, laquelle décrit une courbe saillante. 


DM. A9. An. 53. P. 14. 


Le corps est moins comprimé que dans les espèces précédentes. 
Le profilfacialne s'élève qu'à 35 degrés. En revanche, l’abaissement 
rapide et la courbure un peu brusque de la ligne ventrale derrière 
la bouche donnent à ce poisson, el constamment, une physionomie 
très particulière. La fente branchiale est très inclinée. L'œil est de 
grandeur médiocre. La mâchoire inférieure ne dépasse pas très 
sensiblement la supérieure. 

L'épine dorsale est courte et grêle. La dorsale molle et l’anale 
sont arrondies en avant, peu élevées, et à décroissance lente. La 
caudale est médiocrement longue et arrondie. 

L’écaillure est peu distincte à l'œil nu ; sur les flancs, elle offre 
de très petites saillies tuberculeuses qui rendent sa surface ru- 
guense. 


12 MH. HOLLARD. 


A l’aide de verres grossissants, on reconnait dans la composi- 
tion de ce revêtement eutané de très petites squames surmontées 
de tubercules spinoïdes plus où moins nombreux, et parmi les- 
quels on en distingue un plus ou moins central, plus fort que ceux 
qui l’entourent. 

La couleur, uniforme sur plusieurs exemplaires, semble offrir 
sur un petit nombre d’autres un système de taches noires très pe- 
tites et irrégulièrement semées. 

La collection possède plusieurs individus de cette espèce. Ils 
viennent tous de la mer des Indes et des régions voisines de 
l'Australie. Le plus grand est un exemplaire sec et monté; il offre 
les dimensions suivantes : 


Longueur jusqu'à la caudale. . . 0,28 
Hauteur al en e doa ni0 MS 


La caudale ajoute 0,06 à la longueur. 
La région céphalique y entre pour 0,065. 


Synonymie.— Je ne connais aucune description de l’A4{. angi- 
nosus antérieure à celle-ci ; je lui conserve ce nom, d’ailleurs très 
convenable, tel que je le trouve inscrit, j'ignore par qui, sur les 
étiquettes de la Collection. — Comp. avec l’Alutère de Bérard, 
Lesson, Voyage de la Coquille ; avec le Hija barbuda de Parra, 
p. 48, pl. 22, 2; puis avec l’Alutarius amphacanthoïdes de 
Bleecker (Bijdrage tot de Kenniss der Balistini, ete., pl. IE, fig. 5). 
Enfin au nombre des Alutères rapportés par Siebold des mers du 
Japon, et décrits par MM. Temminck et Schlegel, se trouve une 
espèce sous le nom d’Alutera cinerea, qui appartient par ses formes 
à notre second type, et se rapproche beaucoup de l’Aluterus angi- 
nosus. 


C. Dans les espèces de notre troisième type, les formes s’allon- 
gent et s’abaissent très sensiblement ; la ligne abdominale est 
subhorizontale, et la nageoire caudale acquiert des proportions très 
supérieures à celles que nous lui avons vues jusqu'ici. Enfin l’écail- 
lure, composée d'éléments microscopiques, est lisse au toucher, tant 
les spinules qui la surmontent sont courtes et grêles. Du reste, la 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES, 15 
fente branchiale continue à offrir une direction très oblique; la 
mâchoire inférieure conserve sa saillie au-devant de la supérieure, 
et la dorsale molle est encore ici constamment plus courte que 
l’anale. Si ce type n'offrait pas, par sa première espèce, une sorte 
de retour vers les Monacanthes , nous pourrions le rattacher au 
précédent, et ne voir en lui que la dernière dégradation des formes 
et des autres caractères de celui-ci. Je compte dans cette troisième 
série les quatre espèces suivantes : 


6. ALuTERUS HEUDELOTIH. 


Caractères. — Formes longues et comprimées ; le grand rayon 
de la dorsale épineuse armé de pointes en avant et en arrière. 


DM. 37. An. 41. P. 13. 


Le profil, incliné à 40 degrés, est droit jusqu’auprès du museau, 
qui est un peu projeté et offre peu de hauteur ; comme à l’ordi- 
naire, la mâchoire inférieure est plus avancée que la supérieure. 
L'œil se trouve ramené par la compression latérale du front à quel- 
que distance au-dessous de la ligne médiane. La ligne dorsale est 
horizontale et un peu concave ; la ligne abdominale, sans offrir un 
abaissement très rapide d'avant en arrière, décrit néanmoins encore 
une courbe assez prononcée, etremonte sensiblement pour gagner 
l'anus. L'épine de la première dorsale s’écarte dans cette espèce, 
par sa force et les pointes dont elle est armée, du caractère 
qu’elle offre généralement chez les Alutères. Elle est placée au- 
dessus de l’œil. 

La dorsale molle et l’anale sont de hauteur médiocre, arrondies; 
la seconde dépasse la première, tant en arrière qu’en avant. 

La caudale est longue et arrondie. 

Quant à l’écaillure, on n’en distingue déjà plus les éléments à 
l’'œilnu; elle est assez unie au toucher, et néanmoins, à l’aide du 
microscope, on la trouve composée de squamules qui portent 
chacune un petit nombre de pointes coniques et dressées ; mais 
ces squamules n'ayant en moyenne que 1/4 de millimètre de 
diamètre ; leurs pointes, plus courtes encore, offrent bien peu 
de saillie et de résistance. 


Al M. HOLLARD, 

La couleur de l’exemplaire que j’ai sous les yeux est une teinte 
brune uniforme. 

Le Muséum ne possède qu'un seul exemplaire de cette espèce. 
Ses dimensions sontles suivantes : 


Longueur totale. #4, = . "013 
Hauteur maximum. . : . . .  0",033 
La région céphalique mesure . . 0®,030 
La nageoire caudale . . . . 0,033 oule 4/4 de la longueur. 


Synonymie. — Cetexemplaire a été apporté des eaux du Sénégal 
par M. Heudelot; il est juste que l’espèce qu'il représente porte le 
nom du voyageur auquel nous la devons, aussi longtemps du moins 
que nous n’aurons pas découvert qu'elle ait été nommée et dé- 
crite avant notre travail actuel, Le B. Kleinii, Lin., Gm., n° 16, 
p. 1472, caractérisé d'après Klein, Miss. Pise., I, p. 25, n°8, a 
quelque ressemblance de forme avec notre A1. d'Heudelot ; mais il 
porterait des barbillons qui manquent à celui-ei. Il se rapporte plu- 
tôt à la caractéristique de Gronovius, Zooph., n° 193. 


7. ALUTERUS VENOSUS , Nob. 


Caractères. — Formes longues et basses. — La tête et le corps 
sillonnés de traits longitudinaux plus pâles que le fond de la cou- 
leur générale, el anastomosés sur les joues. 


DM. 47. A. A9. P. 14. 


Cet Alutère a les formes, le profil, tous les caractères typiques 
du suivant. Le profil, convexe au front, incliné à 30 degrés, se 
creuse avant d'atteindre les mâchoires , ce qui donne une saillie 
assez notable au museau. La ligne du dos est horizontale jusqu’à la 
dorsale molle; celle de la gorge et du ventre forme une courbe à 
grand rayon, qui, ne dépassant pas le niveau de l’anus, n’a pas 
à remonter pour atteindre celui-ci. 

L'épine de la première dorsale est sus-oculaire, grêle, d’une 
longueur très médiocre, et couverte de fines aspérités. 

La dorsale molle et l’anale sont longues et basses , à peu près 
égales sur {oute leur étendue ; la première est dépassée en arrière 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES, 45 


par la seconde. La caudale, proportionnellement moins longue que 
dans l'A1. lœvis, a la forme d’un fer de lance. 

L'écaillure, lisse au toucher, se compose de très petites lames 
ovalaires portant chacune quelques petites épines droites et grêle s 
île plus ordinairement trois sur la région caudale). 

La couleur, plus ou moins fauve sur l’exemplaire conservé dans 
la liqueur, est interrompue par des traits clairs, qui, nombreux et 
anastomosés sur les joues, s’écartent davantage, et se convertissent 
même en taches sur le tronc. 

Je décris et caractérise cette espèce d’après un seul individu, 
rapporté de la Nouvelle-lrlande ( Australie) par MM. Lesson et 
Garnot, et dont les dimensions sont les suivantes : 


Longueur totale . . . . . 0®,46 
HAE ET Me A Ce 0®,04 
La caudale entre pour 0°,04 dans la longueur. 
La région céphalique pour un autre quart. 


Jusqu'ici je ne trouve ni description, ni figure, qui se rapportent 
complétement à l’Alutère que je viens de décrire; son système de 
coloration, uniquement formé de bandes claires, sans taches noires, 
ne permet guère de le réunir à l’A7/, lœvis, dont la caudale est 
d’ailleurs proportionnellement beaucoup plus grande. Je serais plus 
près de considérer cet Alutère comme identique avec celui que 
M. Cantor a admis sous le nom d’Alutarius obliteratus ( Catal. 
of Malayan fishes); mais celte identité ne m'est cependant pas 
démontrée. 


8. ALUTERUS LÆvIs, BL. 


Caractères. — Région céphalique et caudale très longues. — 
Un très grand nombre de taches noires, rondes, semées sans ordre 
sur tout le corps, et mêlées à des traits longitudinaux. 


DM. 45. An. A9. P. 45. 


Cette espèce, aux formes longues, basses, médiocrement com- 
primées, nous offre une ligne de profil convexe au front, déprimée 
au delà, et un museau étroit et saillant, avec la lèvre inférieure 


16 H. HOLLARD, 


beaucoup plus avancée que la supérieure. L'angle facial ne s'élève 
pas au-dessus de 30 degrés. L’œil est à quelque distance au-des- 
sous de la ligne médio-frontale, ce qui indique un certain degré de 
compression de la tête et d’inclinaison latérale de l’espace sus- 
orbitaire. La fente branchiale est un peu en croissant, et médio- 
crement couchée. 

L'épine dorsale, placée assez exactement au-dessus de l'œil, est 
grêle, à peu près droite, faiblement rugueuse ; sa longueur dépasse 
un peu le quart de la hauteur du corps. 

La dorsale molle et l’anale, atteignant la même hauteur que 
l'épine, sont arrondies en avant, et s’abaissent très notablement 
dans leur moitié postérieure. 

La caudale est à la fois très longue et arrondie à son extrémité. 

L’écaillure, très lisse au toucher , et peu distincte à l’œil nu, se 
présente sous le microscope comme composée de petits éléments 
irrégulièrement découpés en losange, et couverts chacun d’un cer- 
tain nombre de spinules coniques et plus ou moins mousses, assez 
courtes d'ailleurs. 

Quant au système de coloration, il consiste en un semis irrégu- 
lier de taches noires, rondes, lenticulaires, plus nombreuses sur la 
face que sur le corps, et auxquelles s'associent des bandes étroites 
dirigées d'avant en arrière, plus continues sur la face, plus inter- 
rompues sur les côtés du corps. Ces bandes s’effacent plus ou moins 
complétement après la mort, et les taches persistent davantage. 

Cet Alutère attemt une grande taille. Parmi les nombreux exent- 
plaires qu'en possède le Muséum, tant à l’état sec que dans la li- 
queur, j'en mesure un des plus grands, qui m'offre les dimensions 
suivan{es : 

Longueur totale,  . . . . .  0®,47 
Hauteucteet AMEN NET 2 9105518 


La caudale entre pour le tiers, ou mieux pour 0,15 dans la longueur, et la 
région céphalique pour 0,12, 


Parmi ces divers individus, les uns appartiennent à l’Atlantique, 
les autres à l'Océanie, ce qui prouve que l'espèce habite une région 
maritime très étendue en longitude ; quant à la latitude , ce poisson 
nous vient à la fois de Bahia et de la Caroline du Sud. 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 17 


Synonymie. — Il est hors de toute espèce de douteque l’Alutère 
que je viens de décrire est le Balistes lœvis de Block (pl. 414). Mal- 
gré quelques différences dans la distribution des bandes bleues lon- 
gitudinales, je ne saurais le séparer de l'espèce figurée et décrite 
par Catesby, pl. et p. 19. C'est un des Balistides monacanthes 
qu'on a confondus quelquefois sous l'épithète commune de mono- 
ceros. Schneider (p. 462 et suiv.) cite le B. lœvis comme variété 
de son monoceros. C’est une erreur manifeste, puisqu'il renvoie 
pour ce dernier à BL. 447, qui est analogue, sinon identique, à 
notre cultrifrons. 

9. ALUTERUS BARBATUS. 


Caractères. — Forme rubanée; caudale longue el pointue. — 
Un barbillon à la symphyse du menton. 


DM. 50. A. 60. P. 8. 
(PL 4, fig. 4.) 


Le corps de cet Alutère est remarquable par l'extrême dispro- 
portion de sa longueur et de sa hauteur, et par l'horizontalité des 
lignes qui s'étendent du museau à la queue, soit en haut, soit en 
bas : ainsi le profil facial ne forme pas le plus petit angle avec l'hori- 
zontale, et la ligne ventrale décrit à peine une légère courbe à l’en- 
droit où la masse des viscères pèse sur elle. La mâchoire inférieure, 
plus avancée que la supérieure, remonte un peu la fente de la 
bouche et la rend très oblique. Sous le menton pend un petit 
appendice plat , large à son origine, très atténué à son extrémité ; 
véritable barbillon cutané. La fente branchiale est courte, mais très 
inclinée. 

La dorsale épineuse est réduite à un rayon court et filiforme. 

La dorsale molle et l’anale sont basses et longues ; la seconde 
dépasse la première, tant en arrière qu’en avant. 

La caudale est remarquablement longue, et les rayons médians, 
beaucoup plus longs que les extrêmes , lui donnent une forme de 
fer de lance très prononcée, quand on lui rend toute son extension 
transversale, 

L'écaillure se compose de squamules discoïdes , visibles seule- 

4° série, Zooz, T. IV. (Cahier n° 4.) 2 2 


18 HW. HOLLARD, 


ment à l’aide d’une loupe, et couvertes chacune de plusieurs petites 
épines. 

La coloration se montre uniformément brune dans les exem- 
plaires que j'ai sous les Yeux. 

Ces exemplaires sont au nombre de quatre, et proviennent de la 
mer des Indes; ils sont à peu près de même taille. En mesurant un 
des mieux conservés, je trouve les dimensions suivantes : 


Longueur, jusqu à la naissance de la caudale.  0",140 
AUTOUR Re ee die en de el el dk Me lUE UD 


La région céphalique entre dans la longueur pour 3 centimètres. 
La caudale y ajoute 7 centimètres et la porte à 21 centimètres. 


Synonymie. — Celle espèce a été décrite et figurée par Gray 
sous le nom d’Ænacanthus barbatus , el par M. Cantor sous celui 
d’Alutarius barbatus (Cat. of Mal. fishes, Journ. de la Soc. asiat. 
du Bengale, &. XVHI, ann. 1849, oct., p. 1339, et pl. 8, fig. 1). 
Je lui conserve donc l’épithète spécifique donnée par cet auteur et 
par M. Swainson , qui fait de cet Alutère son Pselocephalus bar- 
batus, 11,327. M. Bleecker a aussi créé pour cette espèce un genre 
sous le nom de Pogonognathus. 


D. Nous devons séparer des autres Aluières, comme type très 
distinct, une espèce fort singulière qui, par ses formes et la posi- 
tion exceptionnelle de son rayon épineux, s'éloigne aussi bien des 
autres Alutères que des Monacanthes en général. Si nous nous rap- 
pelons qu'en marchant des Triacanthes aux Monacanthes nous 
avons vu la dorsale épineuse , d’abord très en arrière de la région 
oculaire, se rapprocher de plus en plus de celle-ci, et venir enfin 
se placer, réduite à un seul rayon visible , au-dessus de l'œil ; si 
nous songeons aux modifications subies par la pièce de support , 
non-seulement à mesure que le nombre des rayons de cette na- 
geoire diminuait, mais encore à mesure que celle même pièce pre- 
nait une position plus antérieure , et se rattachait de plus près au 
crâne, nous reconnaitrons dans le nouveau déplacement que subit 
ici le rayon des Monacanthes, dans son isolement absolu , et dans 
le fait qu'avec ce déplacement disparait toute trace de support , le 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 19 
caractère d’un quatrième et dernier terme de la dégradation sériale 
qui achemine la première nageoire dorsale des Balistides vers sa 
disparition. 


10. ALUTERUS RHINOCEROS , Cuv., Coll. du Mus., 
seu Nasicornis , Tem. et Schlg. 


Caractères. — Le grand rayon de la dorsale épineuse situé au 
devant de l'œil, sur la région nasale. 


DM. A0. A. 38. P. 11. 


Le corps de cet Alutère est fusiforme, médiocrement comprimé, 
quatre fois aussi long que haut. La ligne du profil facial est très 
abaissée, et fait partie d'une courbe uniforme à grand rayon, qui se 
continue de la bouche à la queue ; une courbe analogue forme la 
limite inférieure ou ventrale. L'œil est presque à fleur de tête. La 
fente branchiale, courte et verticale, se trouve placée tout entière 
au-devant de la nageoire pectorale, et dépasse même un peu celle-ci 
inférieurement. Les deux mâchoires sont avancées au même degré 

Le grand rayon de la dorsale épineuse est long , droit, grêle, 
faiblement hérissé, et seulement, en avant de petites dents nom- 
breuses dirigées de bas en haut. Le caractère le plus remarquable 
de ce rayon est sa situation à égale distance de l’œil et de la bouche. 

La dorsale molle et l’anale sont très basses ; il est difficile de juger 
de leur forme sur le très petit individu que possède le Muséum : 
c’est à grand'peine que j'ai pu compter les rayons de ces nageoires, 
el je ne puis répondre que les nombres que j’en donne soient d’une 
exactitude rigoureuse. En tout cas l'erreur ne pourrait être que 
d’un ou deux rayons, si erreur il y a, et l’anale est, tout compte à 
part, plus courte que la dorsale, comme dans les Monacanthes. 

La caudale est courte et arrondie. 

L'écaillure se compose de très petites squamules portant cha- 
eune une épine conique, infléchie , visible à l'œil nu. Les spinules 
deviennent sensiblement plus grosses sur la région pelvienné, sans 
former toutefois une armure comparable à celle des scutelles pel- 
viennes des Monacanthes, lesquelles manquent complétement ici. 


20 H. HOLLARD. 


La coloration semble uniforme, bronzée, avec la différence de 
teintes qui distinguent le dos du ventre. 

L'Aluterus rhinoceros est représenté dans la collection du Mu- 
séum par un seul exemplaire que M. Dussumier a rapporté de la 
mer des Indes. Ses dimensions sont les suivantes : 


Longueur, jusqu'à la naissance de la caudale. 0,04 
Hauteur abdominale. . . . . . . . 0,01 
La région cépbalique entre dans la longueur pour 0,013. 
La nageoire caudale mesure 6 millimètres. 


Synonymie. — Je lrouve cette espèce, mentionnée et figurée par 
MM. Temminek et Schlegel, parmi les poissons rapportés par Sié- 
bold ; ils lui donnent le nom d'Alutera nasicornis , qui est l'équi- 
valent de celui qu'avait proposé Cuvier. 


Espèce incertæ sedis. 


Enfin je placerai ici, non comme le dernier des Alutères , mais 
parce que je ne suis pas certain qu'il appartienne à ce sous-genre 
plutôt qu’au précédent, un poisson de la mer des Indes dont la col- 
lection du Muséum ne possède qu'un exemplaire mutilé à la ré- 
gion abdominale. Par ses formes, son écaillure , sa ligne latérale, 
cette espèce s’écarte de tous les Alutères que nous avons décrits, 
et laisse soupçonner que la mulilation a enlevé à notre exemplaire 
la pointe pelvienne des vrais Monacanthes. D'un autre côté, je re- 
trouve ce même poisson sous le nom d’4lutarius Prionurus, parmi 
ceux de M. Bleecker, et le dessin qui enillustre la description ne 
porte point de saillie pelvienne. Si ce détail n’a pas échappé à l’ha- 
bile observateur que je viens de citer, en raison d’un très faible 
développement , supposition qu’autorise l'exemple de véritables 
Monacanthes , tels que le Spilomelanurus et le maculosus , qui 
n'ont qu'une écaille pelvienne effacée, l'Alutarius Prionurus de 
M. Bleecker deviendrait le type d’une section qui devrait prendre 
place en tête du sous-genre. Mais j'avoue que je suis plus près de 
le regarder comme un Monacanthe que comme un Alutère. Voici, 
du reste, la description à l'appui du dessin que j'en ai donné parmi 
ceux des Monacanthes (4. U, pl. 44, fig. 10). 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 91 


AL. ALUTERUS seu MONACANTHUS PRIONURUS. 


Caractères. — Quatre épines caudales , longues et couchées au 
milieu de spinules plus déliées. — Ligne latérale très évidente, des 
bandes verticales brunes descendant du dos, et séparées par des 
mouchetures. 

DM. 28. A. 24. P. 10. 


Les formes de ce poisson sont médiocrement élevées et assez 
épaisses. Son profil est droit, incliné à 30 degrés, mais relevé au- 
dessus de l'œil. La ligne dorsale est courte , et dirigée horizontale 
ment jusqu'à la dorsale molle. La fente branchiale est remarqua- 
blement courte. 

Le rayon dorsal , fléchi à sa base et court, se redresse peu, re- 
tenu qu'il est par la membrane qui s'attache à son bord posté- 
rieur. 

La dorsale molle et l’anale sont arrondies et assez élevées. 

L'écaillure offre un peu de rudesse ; les squamules portent cha- 
eune une pointe conique assez forte. On voit à l'extrémité de la 
queue quatre fortes épines entourées de spinules plus déliées. La 
ligne latérale est ici très apparente. 

Le système de coloration présente de larges bandes brunes qui 
descendent de la ligne médio-dorsale en ne laissant entre elles que 
des intervalles très étroits , et qui se terminent sur les flancs. La 
première embrasse l'œil, et le dépasse à peine ; la troisième et der- 
nière, placée à la fin de la dorsale molle, a peu d’étendue verticale. 
Entre ces bandes, et même sur elles, on remarque de nombreuses 
mouchetures brunes. 

L'individu unique de celte espèce que possède le Muséum vient 
de la Nouvelle-Guinée. 

Voici ses dimensions : 


Longueur totale. .: : . . . . . (0,060 
Hanteut. ; fébeutor Mr pie AMEN, au 0, iQ 022 
La caudale entre dans la longueur pour. 0,045 
La région céphalique pour. . . . .  0®,020 


Synonymie. — L'éliquette du bocal qui renferme ec poisson 


[M] 


2 H, HOLLARD, 


porte le nom spécifique de Cryptacanthus, nom que Cuvier a donné 
à un Alutère qu'il se borne à citer en note (Règne animal, W, 
p. 374), en renvoyant à Renard, I, pl. xum, fig. 284. En adoptant 
le nom de M. Bleecker, nous ne faisons que rendre justice au pre- 
mier auteur, qui ait, si nous ne nous trompons, à la fois décrit , 
figuré et nommé cette Jolie espèce (2). 

M. Richardson déerit sous le nom d’Aleuterius Brownii une 
espèce dont les formes rappellent aussi, comme celles de la pré- 
cédente, les Monacanthes plutôt que les Alutères proprement dits. 
Ce poisson porte aussi quatre épines caudales sur deux rangs. 
Ses nageoires médianes offrent : la dorsale molle 33, l’anale 
30 rayons , rapport qui est encore celui des Monacanthes; mais ces 
chiffres, fort supérieurs à ceux du Prionurus , et le système de co- 
loration consistant en un semis de taches bleues sur fond vert, 
avec des traits bleus autour de la bouche , et une tache orange sur 
la place occupée par les épines caudales, ne permettent aucun 
soupcon d'identité entre ces deux poissons, évidemment différents 
d'espèce, sinon de type. M. Richardson décrit lAleuterius Brownii 
d’après un beau dessin de M. Ferdinand Bauer, exécuté pendant le 
voyage du capitaine Flinder, et appartenant à M. Brown ( Ereb. 
and Terr., Fish., p.68). 

Enfin le même ichthyologiste nous fait encore connaitre, d’après 
un dessin du nième auteur et de la même collection , un singulier 
Plectognathe qui réunit au système de nageoires des Alutères les 
dents des Diodons et le développement abdominal des Tétraodons. 
Ce serait un terme de passage entre les Sclérodermes et les Gymno- 
dontes, mais qui réclame une vérification attentive (Ereb. and Ter, 
Fish., p. 68). 


(1) Depuis que cet article est sous presse, le Muséum à acquis deux nouveaux 
exemplaires de l'Aluterus Prionurus ; ils sont parfaitement conservés, ce qui 
m'a permis de reconnaître que la pointe pelvienne manque complétement, et que 
ce poisson est un véritable Alutère représentant d'un type qui doit prendre place 
en tête de son genre. Les épines caudales se redressent, et ramènent leur pointe 
en avant. Les joues sont couverles de taches claires circonscrites de brun et for- 
mant une sorte de mosaïque. Celle-ci se répète derrière la pectorale, mais avec des 
taches plus petites, et qui, plus en arrière, s'écartent les unes des autres. 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 23 


ADDITIONS ET CORRECTIONS 


A L'ENSEMBLE 


DE LA MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 
4. Genre TRIACANTHUS. 

MM. Temminck et Schlegel décrivent et figurent dans la Faune 
japonaise ( Voyage de Siebold) un Balistide qu'ils rapportent au 
genre Triacanthus, en le désignant par l’épithète d’anomalus : 
il s'éloigne, en effet, des autres Triacanthes par des caractères 
dignes de toute notre attention. Le Triacanthus anomalus offre six 
rayons à la dorsale épineuse , deux rayons accessoires derrière la 
grosse épine de la ventrale, une caudale arrondie , enfin des dents 
encore plus nombreuses que celles des espèces ordinaires. La ligne 
latérale manque. Les formes sont élevées, œil très rapproché du 
museau. Ce poisson représente évidemment, non point une ano- 
malie, mais un type, un sous-genre, si l’on veut, distinet de celui 
des Triacanthes proprement dits, supérieur à ce dernier, et qui, 
se placant à la fête de la série des Balistides, confirme la coordi- 
nation que nous avons fondée sur le nombre des rayons de la dor- 
sale épineuse, sur le degré de développement du membre abdomi- 
nal, eLenfin, pour ce qui concerne la famille entière, en présence 
des autres Plectognathes , sur le degré de ressemblance avec les 
poissons ordinaires. 

M. Bleecker ( loc. cit, ) compte dans la mer des Indes quatre 
Triacanthes , qu'il désigne sous les noms de T. Russelii, Rhodo- 
pterus, Nieuhofi et oxycephalus. Bien que les caractéristiques 
de ces espèces laissent quelque chose à désirer sous le rapport de la 
précision, nous pouvons, grâce aux figures qui accompagnent le 
texte, reconnaitre notre T. brevirostris dans le Rhodopterus de 
M. Bleecker , el dans son Russelii. L'espèce dédiée à la mémoire 
de Nieuhof, pl. 1, fig. 9, ne diffère du brevirostris que par la lon- 
gueur de la partie étroite de la queue. Enfin l’omycephalus res- 
semble beaucoup à mon angustifrons , nommé dès l’année 18514. 

M. Cantor a publié, sous le nom de Triacanthus striliger, une 
espèce qui, par la descriplion comme par la figure, se rapporte 
assez bien à notre longirostris, el présente, comme celui-ci, un 


24 H, HOLLARD. 


deuxième rayon épineux dorsal, qui dépasse de beaucoup la lon- 
gueur des suivants. Le striliger a le corps couvert de taches oran- 
gées. Ses squames sont surmontées de plusieurs crêtes découpées 
en épines. D. 22, A. 16 (Catal. of Malayan fishes). 


2, Genre BALISTES. 


M. le docteur Kaup, qui prépare en ce moment le catalogue des 
Balistides du Musée britannique , et qui s’est livré pour cela à une 
étude comparative très complète des échantillons de plusieurs 
grandes collections étrangères , et de la nôtre en ce qui concerne 
les Balistes proprement dits, publie un extrait de son travail dans 
les Archives de Troschel (olim Wiegmann et Erichson), et veut 
bien me donner communication de l’ensemble de sa distribu- 
tion et de ses études synonymiques, avec l’autorisation d’en faire 
mon profit. Je commencerai par remercier publiquement le savant 
directeur du musée de Darmstadt d’une libéralité dont je sens tout le 
prix, etdont je crois par cela même devoir user avec loute discrétion. 

M. Kaup fait des Balistes une sous-famille sous le nom de Ba- 
listinæ, et divise celle-ci en six genres, qui, à l'exception d'un 
seul, avaient été proposés par d'autres zoologistes. Ce sont : 1° le 
genre Pyronox, établi par Ruppel pour le B. niger, sur le caractère 
particulier des premières dents latérales supérieures (ancienne- 
ment Xexopon Rupp., et ZExonox Swains.). 2° Le genre Mecicu- 
rays de Swains., pour le B. ringens et le B. vidua. 8° Le genre 
Xanrmicnrays Kaup, qui réunit les espèces de Balistes privées de 
plaques scapulaires, dont j'ai fait le deuxième type de ma première 
section, représentée par le B. calolepis. ke Le genre Cavraiermis 
de Swainson, proposé pour les espèces du premier type de cette 
même section, telles que le B. maculatus. 5° Le genre Bauisres, 
réduit aux espèces à plaques scapulaires qui ont une fosse préocu- 
laire. 6 Enfin le genre Bausrapus , caractérisé non plus par la 
prétendue absence de la saillie pelvienne, comme lors de sa 
création par Tilesius, mais par l'absence de la fosse préoculaire. 
La multiplication de ces coupes génériques et leur coordination , 
qui sépare les Balistes à plaques scapulaires par des espèces qui 
manquent de ce caractère important, sont les traits les plus sail- 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 95 


lants de ce travail en ce qui touche la classification. Quant aux 
espèces elles-mêmes, M. Kaup n'en compte que vingt et une dans 
l’ensemble des grandes collections qu'il a étudiées. Il réunit sous 
le nom commun de Curassavicus , déjà inscrit dans Lin., Gm., 
d’après Gronov., les quatre Balistes très distincts, selon moi, que 
j'ai nommés gutturosus , calolepis, lineo punctatus et elongatus. 
Ces espèces, représentées dans nos collections par des exemplaires 
à peu près de même faille, différent trop, sous le triple rapport des 
formes générales , des nageoires médianes et de l’écaillure , pour 
qu'il soit possible de n°y voir que de simples variétés. Je n’ai qu'une 
recüfication à faire en ce qui concerne ce petit groupe : dans la 
synonymie du B. calolepis, j'assimile ce Poisson à celui que Parra 
décrit et figure sous le nom de Cucujo. M. le docteur Belotti, de 
Milan, a bien voulu me faire remarquer que le Cucujo ressemblait 
plutôt àune autre espèceque ce savant avait désignée sous le nom de 
B. deParra dansla collection milanaise, etdans laquelle nous recon- 
naissons maintenant l’un et l’autre mon B. lineo-punctatus. C’est 
très probablement pour elle qu'a été proposé le nom de Curassa- 
vieus, conservé par M. Ruppel dans la collection de Francfort , à ce 
que m'apprend M. Belotti. Ce poisson apparliendrait ainsi, comme 
tant d’autres, aux deux grands Océans. — M. Kaup réunit encore, 
sous le nom de B. maculatus, les espèces que, d'après mes propres 
observations et celles de plusieurs ichthyologistes de diverses 
époques, j'ai séparées en conservant à l'unede nom qu’on vient de 
lire, et en donnant aux autres ceux de brevissimus, angulosus 
(Q. etG., étiq. du Mus., senticosus Richards., Smar., etc.) et lon- 
gissimus. Selon M. Kaup, le brevissimus et l'angulosus seraient le 
jeune âge , le longissimus l’âge adulte du maculatus. 1 m'est bien 
difficile de considérer comme de simples différences d'âge les 
caractères si prononcés d’écaillure, de forme générale et de forme 
des nageoires médianes, sans compter ceux du système de colo- 
ration qui séparent ces espèces, et cela d'autant plus que la collec- 
tion du Muséum offre des exemplaires du B. maculatus de plu- 
sieurs grandeurs , par conséquent de plusieurs âges, et offrant 
néanmoins le même ensemble de caractères. Je me suis assuré par 
plusieurs autres espèces que l’âge modifie très peu les proportions 


26 H. HOLLARD. 


relatives de la hauteur et de la longueur, et aucune analogie ne me 
permet d’assimiler les 2. longissimus, maculatus et brevissimus. 
M. Kaup assimile, avec plus de vraisemblance, mon B. reticulatus 
au B. viridescens, dont il ne diffère guère que par un système de 
coloration assez difficile à déterminer dans tous les exemplaires. 
Son B. forcipatus n’est pas celui de Willugby, mais le B. étoilé de 
Lacépède, qui offre, avec la caudale fourchue, une dorsale molle 
partout d'égale hauteur, un système d’écaillure et un dessin très 
différents de ceux du type du forcipatus. Serait-ce le B. punctatus 
qui correspondrait à ce dernier, tel que nous l’avons accepté de nos 
prédécesseurs ? 
Genre MoNacANTHus. 

Parmi les Monacanthes nettement caractérisés, que la collection 
du Muséum ne possède pas encore, se trouve le M. hystriæ, Lin., 
figuré dans l'Encyclopédie méthodique, et par M. Gray, d’après 
un exemplaire du Musée britannique , dans les Zllustr. of Ind. 
zool., pl. 1, fig. 2. Ce poisson appartient aux premiers types de sa 
série générique; il est très élevé à la région pectorale, avec le profil 
un peu creusé, et la queue garnie d’un faisceau de gros piquants. 

M. setifer, Benjn. = M. auriga de Low, Poissons de Madère, 
in Ann. of nat. history, t. X, 1852 ; — M. gallinula ? Val., Foy. 
aux Can. de Webb et Berthelot. Ce dernier manque de filets, 
mais nous avons vu que cette absence pourrait bien n'être qu'une 
différence sexuelle. | 

M. hippocrepis. Au même type, sinon à la même espèce, appar- 
tient le M. variabilis de Richardson (£reb. and Terror , pl. 53, 
fig. 4 à2, p. 67), désigné dans le texte comme une Alutère, par 
une erreur corrigée dans Ja table méthodique. Ce poisson est très 
commun dans les eaux profondes de la baie du roi Georges, ettrès 
estimé des indigènes. Sa belle teinte pourpre, qui fait le fond de sa 
couleur, jaunit sous l'influence des parasites isopodes qui l'exploi- 
tent comme tous ses congénères (Neill’s, Zcon. 31, in Mus. Br.). 

M. chinensis. Sont au moins du même type : 

Le M. cantoris de Blkr. ( Bijdrage tot de Kenniss der Balis- 
lini, ete.) etle M. hajam du même (.). 

M. suleatus. À ee type parait appartenir le 41. oblongus de 


MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 27 
MM. Temminek et Schlegel (voy. de Siebold, p.294, CXXX, f. 2), 
qui offre, avec les mêmes formes générales, la même pointe pel- 
vienne allongée, les écailles unispinulées, la dorsale molle et l'anale 
haute, en avant, un ou deux rayons prolongés à l’anale. = M. 
nemurus, Blkr., loc. cit., pl. 2, f. 3, p. 20 ; et du même auteur, 
M. choirocephalus, pl. 2, {. 4, qui, s'il n'est pas identique, 
appartient aussi à ce type. 

Qu'est-ce que le ML. vittatus, Richards. ? £reb. and Terr., p. 66, 
donné d'après Solander (manuser. , avec indication de Veill's Lco- 
nogr., 48, Mus. Br. La description est insuffisante pour établir 
les affinités de cette espèce. 


EXPLICATION DE LA PLANCHE 1. 


Fig. 4. 4* type: Aluterus Trossulus de Richards. 
Fig. 2. 2° type: Aluterus cultrifrons, Nob. 
Fig. 3. 3° type: Aluterus venosus, Nob. 


Fig. 4. 4° type : Aluterus barbatus, seu Anacanthus barbatus de Gray, Pogono- 
gnathus, de Bleecker. 


Fig. 5. Type hors ligne: Aluterus nasicornis, Val.? seu Rhinoceros ét. du Mus. 


— 


MÉMOIRE 
SUR 
L’ASSIMILATION DU SUCRE, 
Par Georges D. GIBB, 
Docteur en médecine, Médecin du West London Dispensary. 

Il y à dix années, je découvris la présence du sucre chez un 
individu atteint de maladie de Bright, et ne présentant pas d’autres 
symptômes de diabète. Donnant à ce cas toute mon attention, j’exa- 
minai les différents liquides du corps sous leurs divers états patho- 
logiques. Dans quelques-uns, le liquide de l’ascite, par exemple, 
je trouvai du sucre ; dans d’autres, au contraire, il n’y en avait pas. 
J'arrivai néanmoins à cette conclusion intéressante, que l'élément 
du sucre, comme l'a avancé le docteur Prout, joue dans l'assimila- 
tion générale un rôle plus important qu'on ne le croyait ordinaire- 
ment; mais je ne dus rien ajouter de plus à ce sujet. 

Quelques années plus tard, en France, mon ami M. CI. Bernard 
découvrit ce fait important que le foie est le siége de la fabrication 


28 D. GIBB., — MÉMOIRE 


du sucre, et l’origine du principe de cet élément dans les autres 
parties du corps. Cette découverte était très précieuse , surtout 
appliquée à la physiologie et à la pathologie non-seulement du foie, 
mais encore des autres organes, surtout pour ce qui regarde l’assi- 
milation en général. Elle devenait nécessaire à l'explication de plu- 
sieurs points expliqués plus bas. Un certain nombre d’observateurs 
s’appliquèrent alors à résoudre un des problèmes les plus remar- 
quables de la pathologie , savoir « la glycosurie. » Dernièrement, 
le docteur Goolden, médecin à l'hôpital Saint-Thomas , publia 
là-dessus un mémoire intéressant, où il démontre qu'il y a souvent 
une relation évidente entre les troubles cérébraux et la présence du 
sucre dans les urines. J’essayai de recueillir toutes les conditions 
pathologiques importantes ayant rapport à l'assimilation du sucre, 
et de savoir, par l'examen de quelques-unes, s’il n’était pas possible 
de les réunir toutes sous un seul chef. Jai pris le titre ci-dessus , 
parce qu'il me semble le plus propre, sinon le plus utile, au but que 
je me propose, jusqu’à ce qu’un autre trouve à le compléter. Comme 
je veux renfermer un sujet aussi étendu dans un cadre aussi restreint 
que possible, je me contenterai de citer les manifestations patholo- 
giques qui y ont le plus rapport. Mais avant de commencer la 
pathologie, je dirai quelques mots sur la physiologie de Fassimila- 
tion du sucre. 

Le foie , qui a toujours été regardé comme le siége de la forma- 
lion du sucre, en contient, à l’état de santé, une certaine quantité. 
Ce sucre a pour origine le sang , qui, arrivant dans le foie par la 
veine porte, en sort par les veines hépatiques et cave inférieure , 
pour gagner les cavités droites du cœur, et se rendre de là, par les 
artères pulmonaires, dans les poumons, où il subit l’oxygénation. 
Ce fait, sur lequel il serait trop long de s’étendre, prouve la relation 
importante qui existe entre la formation du sucre et l'acte respira- 
toire. Mon ami le docteur Pavy a prouvé, par de nombreuses 
expériences, que la présence de la fibrine dans le sang est néces- 
saire à la décomposition du sucre. La formation du sucre dans le 
foie est tout à fait indépendante d’une nourriture féculente ou sac- 
charifère, etcommence, d’après M. CI. Bernard, avant la naissance 
de l’individu. 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 29 


Cependant, la quantité de sucre diffère dans les diverses classes 
d'animaux, comme je l'ai plusieurs fois prouvé. Elle est plus grande 
dans le foie où domine lélément graisseux, par exemple, dans 
celui du Veau marin, du Marsouin, du Canard, de l'Oie et de la 
plupart des oiseaux de mer. On le trouve en grande quantité dans 
le foie de la Morue et autres poissons qui ont beaucoup de graisse. 
Ce fait que j'ai noté, et dont on ne peut nier l'importance , prouve 
le rapport intime qu'il y a entre la graisse et la présence du sucre ; 
il sert aussi à élucider la question pathologique des dégénéres- 
cences graisseuses, 

Le sucre existe aussi, dans le sérum du sang artériel, à l’état 
normal et en petite quantité ; on le trouve également, quoique en 
quantité moindre, dans le sang veineux. Le docteur Pavy en a trouvé 
dans les veines jugulaires ; il en existe également dans la veine 
porte, où, quoique peu abondant, il l’est néanmoins plus que dans 
les jugulaires. Le chyle du canal thoracique en contient : il y est 
amené par les lymphatiques du foie , qui le puisent dans le paren- 
chyme saturé de cet organe. 1 n’y en a pas dans le chyle venant 
directement de l'appareil digestif. La glande mammaire le sécrète 
en grande quantité, sous le nom de sucre de lait. On le trouve de 
même dans le lait sécrété par les nouveau-nés mâles ou femelles , 
dans l’urine des femmes enceintes, où il peut être clairement 
démontré pendant toute la grossesse. Dernièrement on a démon- 
tré qu'ilexistait, comme élément normal, dans l'urine des vieillards, 

Telles sont les circonstances normales dans lesquelles le sucre 
est rencontré dans l’économie animale : c’est ce que l’on peut appe- 
ler la physiologie de l'assimilation du sucre. Cet exposé nous per- 
mettra de comprendre les états dans lesquels les liquides ou les 
solides du corps renferment du sucre normalement ou anorma- 
lement. 

Les conditions pathologiques forment une classe tout à fait à 
part, et amènent une des maladies les plus incurables de l’homme. 
Ces conditions , qui peuvent à la vérité être regardées comme 
symptomatiques , indiquent des dérangements constitutionnels si 
importants, que je crois pouvoir les renfermer sous le titre de 
pathologie de l'assimilation du sucre. 


30 D. GIBB, — MÉMOIRE 

Diabète. — Le docteur Prout a bien établi que les organes qui, 
à l’état de santé, assimilent normalement du sucre, en deviennent 
incapables dans cette maladie. Les fonctions qui ont pour but de 
faire subir au sucre ses différentes transformations sont accompa- 
gnées de la formation d’un sucre d’une autre nature. Dans le dia- 
bête, les fonctions réduisantes de l'estomac sont morbides, tandis 
que les fonctions convertissantes sont plus où moins suspendues où 
paralysées. Dans ies estomacs des diabétiques, le sucre est en plus 
grande quantité, surtout après l'usage des végétaux , et il passe 
rapidement dans le système circulatoire. Le docteur Prout fait 
observer avec raison que le diabète n’est pas constitué, comme on 
l'avait dit, par la formation de sucre dans l'estomac, ce qui estnor- 
mal, mais par la plus ou moins grande altération des fonctions con- 
vertissantes, el, par conséquent, dans la plus ou moins grande 
modification des fonctions assimilatrices. 

Je pense que cette explication des premiers désordres de cette 
maladie est suffisante, et ne souffre pas de contradiction. La décou- 
verte du sucre dans le foie, d’après la doctrine de Prout, n’est pas 
en opposition avee ce que je dis plus haut. Il a avoué , cependant, 
que, dans les périodes avancées du diabète, le sucre paraît être le 
résultat d’une assimilation secondaire, ce qui n’a jamais lieu dans 
l'état sain. M, CI. Bernard a maintenant prouvé la dernière partie 
de cette assertion. On ne doit donc pas s'étonner , en voyant le 
sucre produit en aussi grande quantité dans l'estomac, de le retrou- 
ver dans le sang : c’est un fait qui, malgré les dénégations de cer- 
tains auteurs, est maintenant bien établi. Le sang se charge d’une 
partie seulement du sucre formé ; car on retrouve aussi ce principe 
dans les excréments, après une période de quelques heures, à l’état 
solide, et surtout cristallisé. Les différents émonctoires du corps 
enlèvent au sang son trop-plein de sucre : ainsi on le trouve dans 
les urines, dans l’expectoration des phthisiques (il y manque quel- 
quefois), dans la salive, et même dans la sueur. Quoique ce dernier 
faitsoitrare, il a été prouvé par Simon, Nasse, Magendie et autres. 
Le sucre est quelquelois tout aussi abondant dans la sueur que dans 
les autres sécrétions du corps. Il est difficile de se procurer un foie 
diabétique immédiatement après la mort; je n'ai jamais trouvé de 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. ä1 
sucre dans ceux que j'ai examinés quelques heures après. J'ai 
d'abord douté de l'exactitude de mes expériences ; mais, en con- 
sidérant que les mêmes moyens m'avaient servi à constater la pré- 
sence du sucre dans d’autres foies, et que j'avais une certaine 
habitude de reconnaitre ce principe, je me suis convaincu que, 
dans le diabète, le foie ne contenait que très peu ou point de sucre. 
Cetle découverte, tout à fait opposée aux idées de M. CI. Bernard, 
est très importante. Pourrait-on s'expliquer ceci par un dérange- 
ment de l'assimilation secondaire, dérangement tel que , la veine 
porte apportant au foie une si grande quantité de sucre tout formé, 
cet organe n’a plus besoin d'en charger le sang qui traverse son 
parenchyme. C'est là évidemment une des causes du fait, et qui 
me semble expliquer aussi, sous quelques rapports, pourquoi le 
diabète amène si souvent des maladies de poitrine ; et cela non pas 
parce qu'il apporte trop de sucre au poumon, mais bien parce que 
le sucre qu'il lui envoie ne vient pas assez directement du foie lui- 
même. 

Je note ici que je n'oublie pas les expériences dans lesquelles 
du sucre de canne et de raisin, ayant élé injecté dans les veines 
jugulaires, a été retrouvé dans les urines, ni celles dans lesquelles 
du sucre , introduit dans le système de la veine porte, et subissant 
par couséquent des modifications dans le foie, n’a pas été constaté 
dans les urines. Ces expériences prouvent clairement que le foie à 
l’état de santé absorbe exclusivement le sucre apporté du dehors ; 
mais quand ce principe devient en excès, comme dans le dia- 
bète, les fonctions particulières du foie sont plus ou moins para- 
lysées. 

Mon ami le professeur Beale, de King’s College, qui a souvent 
analysé le foie et lesreins dans les cas de diabète, m'assure n'avoir 
jamais trouvé de sucre dans ce premier organe ; et, dans un mémoire 
remarquable sur ce sujet, publié dans le Medico-chirurgical 
Review , il dit y avoir trouvé plus de graisse que dans l’état sain. 
Cet organe parait alors famélique. Mes opinions se trouvent donc 
confirmées par celles du docteur Beale, et tout à fait contraires aux 
recherches de M. CI. Bernard sur le foie. Il croit que la cause du 
diabète est dans une production excessive et anormale de sucre 


22 D. GIRE, — MÉMOIRE 

dans le foie, production attribuée à une trop grande action du 
grand sympathique. Pour moi, c’estle contraire. S'il en était ainsi, 
nous devrions observer le diabète comme lié aux dégénérescences 
graisseuses du foie, alors que cet organe renferme du sucre dans 
les mêmes proportions (comme je l'ai démontré autre part) que 
celles trouvées par M. CI. Bernard dans les foies diabétiques ; mais, 
en mettant de côté l'existence de l’œdème, nous voyons qu'il est 
impossible de constater la présence du suere dans les urines, et de 
reconnaître par conséquent l’existence du diabète. 

Pour moi done, le diabète ne serait qu'un résultat de la non- 
sécrétion du sucre par le foie, et par conséquent d’un dérangement 
de l'assimilation. 

Ainsi, les principaux organes assimilateurs sont influencés d'une 
manière particulière , soit par une condition anormale de la bile 
sécrétée par un foie dépourvu de sucre, soit par une réaction 
nerveuse du foie sur l'estomac et les intestins, soit par l’action du 
sue pancréatique chargé de graisse (le docteur Hyde Salter a 
retrouvé ce dernier principe dans les cellules du pancréas d’un 
diabétique). Le sue pancréatique a pour but, à l'état de santé, de 
convertir l’amidon en sucre. Cette fonction se fait lentement et par 
gradation, et le suc est absorbé comme il est produit. Dans le dia- 
bète, cette fonction peut être augmentée comme elle est produite. 
L'état graisseux du pancréas semblerait donc prouver directement 
ou indirectement l'influence des fonctions convertissantes de l'esto- 
mac, et, par là, de l'assimilation secondaire. 

Je ne diseuterai pas les idées du docteur Bence Jones , qui pré- 
tend que la digestion ne se fait plus normalement, et qu'il n’y a 
plus transformation de l'amidon en dextrine, de la dextrine en 
sucre, et formation d'acide carbonique et d'acide végétal. Ces idées 
n'ont rapport qu'aux effets de la maladie. Les signes trouvés à 
l'autopsie, et cités par plusieurs observateurs et par moi-même , 
viennent encore à l’appui de ma théorie. Quoi qu'il en soit, je ne 
me pose pas en autorité. 

Prout, dans ses nombreuses expériences , a trouvé chez plu- 
sieurs individus des lésions organiques des viscères; chez d’autres, 
tous les organes paraissaient sains. Selon lui, la diversité ou l’ab- 


SUR L’ASSIMILATION DU SUCRE. 33 
sence de ces lésions organiques ne se rattachent pas à la présence 
du sucre : elles seraient plutôt des affections concomitantes. En 
parlant des fonctions, il était porté à croire que, dans le diabète, le 
foie est toujours gravement attaqué. Cette supposition d’un obser- 
vateur aussi exact et aussi expérimenté est d’une grande importance, 
surtout depuis la découverte de la propriété qu'a le foie de sécréter 
du sucre. Les lésions anatomiques que Prout a le plus signalées 
sont plutôt de la nature chimico-mécanique que véritablement orga- 
nique. Il les rangeait en trois catégories : 1° hypertrophie et con- 
gestion des reins ; 2 turgescence des veines qui se terminent dans 
la veine porte, principalement les veines mésentériques, et afflux 
dans les organes assimilateurs de sang coloré et liquide ; 3° dans 
des cas plus rares, vascularisation de la membrane muqueuse de 
l'estomac et de la partie supérieure du canal digestif. 

La première et la troisième catégorie procèdent naturellement 
de la maladie. Quant à la deuxième, elle prouve évidemment que 
la grande quantité de sucre apporté a obstrué le foie, et empêché la 
circulation en paralysant les fonctions. 

Il résulte de preuves décisives que, dans le diabète , le foie est 
l'organe le plus intéressé, et qu'il subit une influence de la moelle 
allongée. Ceci est très important, et c’est avec confiance que je 
combats les opinions de M. CI. Bernard, non sur le siége de la mala- 
die, mais bien sur la nature des fonctions intéressées, lésions qui 
constituent l’étiologie de la maladie. On pourrait m'objecter que 
les urines cessent de contenir du sucre quelque temps avant la 
mort, et que le foie pourrait bien aussi ne pas en contenir. Mais j'ai 
démontré que la présence de ce principe pouvait être constatée 
assez longtemps après la mort, dans les urines ou dans un foie dia- 
bétique. Je citerai un cas où je l'ai rencontré dans un foie grais- 
seux, onze jours après le décès, et déjà presque décomposé. Dans 
ce moment , l'urine d’un diabétique mort à l'hôpital Saint-Barthé- 
lemy (service du docteur Burrows, 8 décembre 1853) renferme du 
sucre. Cette particularité spéciale du sucre diabétique, que lon ne 
trouve pas dans le sucre produit par des expériences pendant la 
vie, a élé indiquée par mon ami le docteur Pavy. De plus, si le sucre 
existait dans le foie en aussi grande quantité que le veut M. CL. Ber- 

£° série. ZooL. T. IV. (Cahier n° 4.) 5 3 


äli D. GIRB. — MÉMOIRE 
ard, on devrait le découvrir facilement, même quelques heures 
près la mort. Or, cela n'est pas. 

Pendant la publication de ces nouvelles idées , le docteur Pawy 
prétendait que ni M, CI. Bernard, ni lui, n'avaient trouvé de sucre 
à l’autopsie dans un foie de diabétique, Ce fait est très important. Je 
suis pourtant porté à croire à l'existence de quelques rares excep- 
tions ; exemple : les expériences du docteur Garrod. 

Indépendamment de sa combustion dans le poumon, le sucre, 
assimilé à l’état sain par le foie, a encore pour objet la formation de 
la graisse. Je ne doute pas que, plus tard, on ne prouve qu'il y a 
une relation exacte entre la quantité de graisse et la quantité de 
sucre. Ce résultat constant de mes expériences m'a amené à con 
clure que le sucre est une des principales sources de la graisse 
dans les différentes parties du corps; qu'il peut être converti en 
graisse, et que la graisse ne peut l'être en sucre. Je dois avouer 
que j'ai longtemps partagé avec d’autres une opinion contraire à 
celle-ci : je m'empresse de la rectifier aujourd'hui. Le seul argu- 
ment en faveur de la conversion de la graisse en sucre est l’action 
du suc pancréatique pur et nouvellement formé, qui, d’après 
M. CI. Bernard, émulsionne les huiles et les corps gras avec la plus 
grande facilité. Cette émulsion persiste assez longtemps, et les 
corps gras subissent une fermentation qui permet aux acides con- 
tenus de se séparer. 

Relativement à la graisse et au sucre dans le diabète, il y a 
d’autres points qui peuvent jeter un jour sur ce point de pathologie. 
Dans un mémoire du docteur Beale (British and Foreign medico- 
chirurgical Review) sur la composition chimique et microscopique 
du foie et des reins dans le diabète, sous le rapport de Ia présence 
de la graisse , il trouve que la graisse est prédominante dans les 
reins, et en moins grande quantité qu'à l’état sain dans le foie. 
Ainsi, dans les reins à l’état de santé, la graisse ne s'élève pas au- 
dessus de 4 pour 100; dans le diabète, elle surpasse 25 pour 400. 
Sous un égal volume de rein et de foie sain , la graisse prédomine 
dans le premier, selon lui , tandis qu'à l'état normal c’est le con- 
traire. En comparant à volume égal, il a trouvé que le foie sain con- 
tenaitplus du double de matières graisseuses que le foie diabétique. 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 35 
Que signifient ces faits du docteur Beale ? La graisse due à la cir- 
culation du sucre par les reins est un effet purement mécanico- 
chimique ; par le mème effet, si le foie, à l’état sain, reçoit une 
quantité moindre de sucre , la graisse doit être notablement dimi- 
nuée. Le docteur Hyde Salter a démontré que le pancréas devait 
une certaine quantité de sucre à la présence de globules huileux 
dans ses cellules. 

Un des effets du diabète étant l’arrêt de la formation du sucre 
dans le foie, et ce sucre étant nécessaire à l’économie, il doit 
être le résultat d'une sécrétion morbide qui se fait principale- 
ment dans l'estomac, aux dépens d'aliments de toute nature. L’esto- 
mac doit cette propriété au voisinage de l’organe sécréteur par 
excellence. 

Ainsi, la thérapeutique doit avoir pour but de soustraire le 
foie à l'influence du système nerveux , de ranimer ses fonctions, 
el, en même temps, de modifier l'action de l’estomac, action 
qui a élé changée par la non-formalion du sucre dans l'organe 
voisin. 

La première cause du diabète, comme l'a si clairement établi 
M. CI. Bernard , résidant dans une perturbation du système ner- 
veux, je crois qu'elle est principalement due à la moelle allongée et 
au grand sympathique. Pour M. CI. Bernard, la prédominance du 
sucre dans les urines diabétiques est due à l’action du grand sym- 
pathique sur le foie; il a prouvé, par des expériences, que le 
preumogastrique n’agissait que secondairement. Aïnsi, la section 
de ce nerf produit un diabète artificiel. Le courant galvanique doit 
passer en haut par leurs extrémités centrales, et non en bas par 
leurs extrémités périphériques. Le galvanisme agissant sur la moelle 
allongée par l'extrémité supérieure du pneumogasirique à une 
influence pareille à celle qu’une ponction, faite au centre nerveux, 
transmettrail par en bas le long du cordon spécial, et de là au foie 
par le splanchnique. 

En terminant cette partie de mon mémoire, je dirai que les doc- 
teurs Bright, Copland et Wall (de Nottingham) regardaient le dia- 
bète comme dépendant d’un trouble du système nerveux, sans en 
préciser le siége. Le docteur Copland le place dans le grand sym- 


36 D. GIBB. — MÉMOIRE 

pathique , et l’on cite des exemples de diabète dans lesquels on à 
frouvé un développement anormal du grand sympathique, du 
pneumogastrique et des splanchniques. 

Tubercules. — Dans les dégénérescences graisseuses du foie 
dont nous venons de parler, et que nous examinerons plus tard 
dans leurs rapports avec la phthisie, on trouve plus de sucrequ'à 
l'état de santé. S'il y avait entre cet état du foie et les affections 
du poumon un rapport quelconque, nous pourrions en expliquer 
l'existence par la physiologie. En effet, par suite d’une oxygénation 
ét d'une combustion imparfaite du charbon, due à un arrêt de la 
cireulation et de la respiration dans les poumons, le sucre s'aceu- 
inule dans le foie, dont ne peut le débarrasser l'appareil respira- 
toire. 

On pourrait, à la rigueur, établir un rapport entre ces faits et 
la phthisie; mais alors comment expliquer l’état graisseux du foie 
dans d’autres affections où le poumon est sain en apparence ? Avant 
de nous prononcer, il faudra plus de recherches et d'expériences 
nouvelles. 

La physiologie nous apprend l'importance du rapport du sucre 
avec la respiration ; elle nous montre l'erreur de ceux qui ont cru 
que dans le diabète il y avait excès de formation de sucre dans le 
foie; opinion qui n’est pas prouvée, et dont j'ai cherché à démon- 
trer le côté attaquable. 

Je me fonderai sur ce fait que le foie graisseux contient du sucre 
en excès, pour élucider cette question et établir ses rapports avec 
celle des tubercules; de là je présenterai quelques considérations 
sur la relation de la scrofule avec la formation de sucre. 

En janvier 1850, j'ouvris sur une femme de vingl-trois ans, 
d’une constitution scrofuleuse, un vaste abcès situé à la base de 
l’omoplate; le liquide qui en sortit était neutre, d’une densité 
de 1,028, d’une couleur jaunâtre, inodore, d’une consistance cré- 
meuse. L'analyse chimique par la méthode de Moore et de Fram- 
mer m'y démontra l'existence d’une quantité notable de sucre. Au 
microscope , je retrouvai les caractères ordinaires de la matière 
tuberculeuse, des cellules remplies de matières granuleuses, de 
granules libres, et de globules de graisse mélangés à du pus et à 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 27 
des corpuseules lymphatiques. En février, ce grand abeès s'étant 
de nouveau rempli fut ouvert, et il en sortit un liquide épais, eré- 
meux, de couleur foncée, mélangé de parties concrètes de même 
couleur. Nous trouvames également du sucre, et nous vimes au 
microscope des corpuscules de pus, de la matière scrofuleuse, 
mais pas de globules sanguins. 

Ces expériences , en me montrant la coexistence des tubercules 
avec du sucre, me frappèrent, ef je crus devoir faire des recher- 
ches sérieuses sur un sujet aussi important, 

La première occasion que je lrouvai me fut offerte par des tuber- 
cules crus et ramollis d'un phthisique mort à quarante ans ; j’exa- 
minai ceux du poumon gauche : les tubereules crus furent soumis 
aux moyens employés pour l'analyse du foie; je fis bouillir, avant 
de les examiner, les tubercules ramollis. 

Je constatai des traces de sucre dans les tubercules crus ; mais 
les résultats n'étaient pas assez concluants pour admettre une rela- 
tion certaine, malgré la beauté du cas, En effet, il y avait un foie 
graisseux très volumineux et chargé de sucre. 

Tout récemment, je reçus de mon ami M. V. Edwards, médecin 
à l'hôpital des phthisiques de Brompton, des morceaux de pou- 
mons , des glandes bronchiques et mésentériques, du foie grais- 
seux, provenant d’une femme tuberculeuse de vingt-trois ans. Pour 
y constater la présence du sucre , je soumis le tout à des analyses 
plusieurs fois répétées. À l'exception du foie graisseux , où j'en 
trouvai comme à l'ordinaire , je n’en constatai ni dans les tuber- 
cules, ni dans les glandes, ni dans le poumon lui-même. J'en trou- 
vai des traces par la méthode de Moore ; mais comme c’était la 
seule méthode qui donnât ce résultat, on n'en peut rien con- 
clure. Il faut donc expérimenter encore, surtout sur les tubereules 
ramollis. 

M. Magendie assure qu'il n’y a que deux maladies, dans les- 
quelles la quantité de sucre se trouve augmentée dans l'économie : 
la phthisie et la glycosurie. 

Depuis longtemps on a observé que lurine et les crachats des 
phihisiques sont quelquefois sucrés ; mais il faudra bien distinguer 
le cas où la phthisie serait le résultat du diabète. M. CI. Bernard 


38 D. GIBB. — MÉMOIRE 

prétend que dans la phthisie le sucre manque dans urine, et 
qu'il est äugmenté dans le sang. Il avait constaté cette augmenta- 
üon dans le sang d’une jeune fille que l’on venait de saigner, él 
chez qui les urines ne renfermaient pas de sucre; quoiqu'il n’y 
eût pas d'autre symptôme , il pronostiqua la mort par phthisie, cé 
qui arriva en effet. (British and Foreign Medico-Chirurgical 
Review, oct. 1849.) 

Par contre, M. Reynoso a constaté du sucre dans les urines 
de malades tuberculeux , sucre d'autant plus abondant que la a- 
ladie était plus avancée et les symptômes inflammatoires plus 
intenses. 

Je ne doute pas que l'on ne lrouve quelquefois du sucre dans les 
urines des phthisiques au premier degré, mais je ne possède pas 
d'observations pour le prouver. Pourtant le cas cité par le docteur 
Goolden, dans The Lancet de juillet dernier, me semble appeler 
l'attention sur ce point. La malade était une fille âgée de treize ans, 
qui souffrait de céphalalgie et de douleurs vagues dans tout le 
corps; affections qui, d’après le docteur Goolden , seraient dés 
signes de phthisie commeticante , et indiqueraient des tubercules 
du cerveau. On trouva dans ses urines du sucre dont la quantité 
diminua par le traitement. 

Le docteur Venables à rencontré du sucre dans l'urine des en- 
fants pauvres scrofuleux. Je suis porté à croire que l'absence de 
ce principe dans les affections tuberculeuses du cerveau et dans 
l’hydrocéphale n'est qu'une exception. 

J'ai appris avec beaucoup d'intérêt que la présence du sucre 
dans les urines des phthisiques est à présent un sujet d’études à 
l'hôpital de Brompton; M. Bird, un des élèves internes de cet éta= 
blissement, m'a assuré, ces jours derniers, avoir constaté du sucre 
dans l’expectoration des phthisiques. 

Ces faits, dans les rapports du sucre diabétique et des tuber- 
eules, offrent beaucoup d'intérêt aux observateurs sérieux, et sér- 
viront à éclaircir la question du diabète et des maladies concomi- 
tantes. 

Je crois qu'il ne serait pas déplacé ici de parler de la phthisie 
secondaire comme tésultat du diabète ; c’est une des terminaisons 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 39 
fréquentes de cette maladie, mais elle n’est pas constante comme 
on l’a supposé. 

Pour moi, la terminaison par la phthisie est plutôt un résultat 
du manque d’afflux de sucre du foie dans le poumon , et par con- 
séquent d’une cessation du travail pulmonaire. 

Contrairement à cette opinion, M. Cl. Bernard pensé que les 
affections pulmonaires tiennent à une fatigue de cet organe causée 
par une trop grande quantité de sucre formée dans le foie. Jai 
combattu ces idées autre part, car pour moi le véritable diabète 
tient non pas à ce que le foie fabrique trop de sucre, mais bien à ce 
qu'il n’en fabrique plus. 

Abcès. — Les expériences déjà citées pour prouver la présencé 
du sucre dans le pus scrofuleux ne suffisent pas pour le démontrer 
dans du pus d'autre nature. Pour donner des preuves plus certaines, 
on a examiné du pus de différentes sources, de différents sinus 
sécrétant du liquide, et l'on y a découvert la présence évidente du 
sucré. Ces recherches ont fait voir que le sucre se trouve comme 
ingrédient normal dans le pus, indépendamment de sa couleur, de 
sa nature, de sa consistance, de son origine. 

Pour citer quelques exemples, j'ai rencontré du sucre dans le 
pus d’un grand abeès mammaire ordinaire et de bonne nature, dans 
le pus d’un bubon, d’un abeës de l'os malaire droit chez une jeune 
femme. Une fistule chronique , dans le sein droit d’une femme, 
sécrélait du pus bleuâtre qui contenait du cyanure de fer et du 
sucre. On a toujours rencontré du sucre dans le pus des abcès phleg- 
moveux. H résulte done de 1à que le sucre estun des éléments nor- 
maux du pus, étque e’est à sa présence qu'il doit sa saveur douceñtre. 

Le docteur Mason Good, dans son deuxième volume, dit que le 
pus doit à la présence du sucre son goût douceitre et sa fadeur 
différente de celle des autres sécrétions. I parait être le premier 
qui ait appelé l'attention sur ce point. 

Le sucre peut être, dans ce cas, attribué à l’albumine, qui, 
d'après le docteur Wright (Ranking's Abstract, vol. 1, 1845), 
contient de 58 à 85 pour 400 de sucre, ou à unè propriété particu- 
lière qu'aurait la membrane pyogénique de le séeréter avec les 
autres éléments du pus. 


40 D, GIBB. — MÉMOIRE 

Dans une lettre adressée à l’Académie de médecine par M. Pe- 
louze sur différents faits de chimie appliqués à la physiologie , il 
parle de sucre dans l’albumine des œufs d'oiseaux (Gazette médi- 
cale de Paris, 1848). Le pus contient aussi des matières graisseuses 
qui pourraient être ainsi pour quelque chose dans la présence du 
sucre; mais je ne puis décider si ce principe est formé par la dé- 
composition de l'albumine, ou sécrété par la membrane pyogénique, 
ou bien dù à la seule présence de la graisse ou de l’albumine. 

Je n’ai pas moi-même examiné le pus d’abcès de diabétiques; 
mais je sais que M. le docteur Friche a trouvé du sucre dans le pus 
d’abeès développés sur l'épaule et la face dorsale des mains d’un 
diabétique. 

Maladies du système nerveux. — Les recherches déjà faites sur 
l'assimilation physiologique du sucre, et particulièrement dans ses 
rapports avec le système nerveux, nous ont montré qu'il y à une 
relation intime entre le foie et la base du cerveau. Ceci a déjà été 
justifié dans plusieurs maladies de cette classe, où l'on constate du 
sucre dans les urines et même quelquefois un véritable diabète. 
Quand on découvrit que le foie contenait du sucre dont la sécrétion 
dépendait du pneumogastrique, on fut naturellement conduit à 
admettre que les fonctions chimiques du foie étaient soumises à une 
influence nerveuse. 

On en trouva la preuve dans le diabète artificiel produit par la 
ponction de la paroi inférieure du quatrième ventricule ; mais eetle 
expérience ne peut être concluante , tant que l’on ne sera pas sûr 
que la sécrétion du sucre dans le foie est augmentée où suspendue 
après cetle opération. Si elle est suspendue, ce que je crois, ma 
théorie sur le diabète se trouve confirmée. 

En examinant attentivement les travaux de M. CI. Bernard et du 
docteur Pavy, je ne trouve rien de décisif sur ce point. On doit 
accorder beaucoup de confiance au docteur Goolden, de Saint- 
Thomas’s Hospital, pour l'application de ses idées à la pathologie 
du diabète dans ses rapports avec les affections du cerveau; les 
observations qu'il a publiées jusqu'ici sont pleines d'intérêt. 

Nous donnerons à présent un apereu de ces maladies ner- 
veuses. 


SUR L’ASSIMILATION DU SUCRE. MA 

Epilepsie. — Les recherches de M. Alvaro Reynoso sont les 
premières qui montrent la présence du sucre dans les urines après 
des attaques d’épilepsie ; ce fait, qu'il a démontré par de nom- 
breuses expériences , a ensuile été confirmé par d’autres. Mes 
propres recherches ont fait voir que le sucre était aussi reconnais- 
sable aussitôt après l'attaque que quelque temps après; je l'ai 
même trouvé chez un individu dont le traitement avait fait avorter 
la crise. 

Dans les leçons cliniques du docteur Tood sur les paralysies et 
autres affections du système nerveux (57°), on trouve un cas où à 
des attaques périodiques de goutte très fréquentes succédait tou- 
jours une attaque d’épilepsie, qui laissait le malade hémiplégié 
temporairement du côté gauche ; l'urine de ce malade renfermait 
une petite quantité de sucre. Un cas très curieux se trouve dans un 
mémoire du docteur Goolden (Lancet de juillet dernier) : l'urine 
avait un poids spécifique de 1,022 ; elle était très épaisse, avec 
excès de l’urate acide d’ammoniaque, et contenait une quantité 
notable de sucre. Cet état dura plusieurs jours ; il y avait une légère 
tendance à la chorée. 

Dans les cas que j'ai examinés, le poids spécifique variait entre 
1,018 et 1,095; la quantité d'urine sécrétée était normale, et je 
n'ai constaté la présence du sucre que pendant deux ou trois jours 
au plus. 

Dans la chorée, la paralysie, les névralgies, la dentition, l’ébran- 
lement du cerveau, et probablement plusieurs autres affections 
nerveuses, On trouve occasionnellement du sucre dans les urines ; 
il y a même des cas où ces affections ont été suivies de diabète, 
Quelques-uns des cas décrits par le docteur Goolden paraissent 
devoir leur origine à des lésions du cerveau; lésions dont le traite- 
ment faisait disparaitre le diabète. Un cas de diabète disparut avec 
une paralysie guérie. Il a trouvé souvent du sucre dans les urines 
d’épileptiques, de paralytiques, de choréiques. Ce sucre n'existait 
plus après le traitement de ces maladies. M. Goolden certifie que 
dans beaucoup de cas de névralgies, spécialement dans le tie dou- 
loureux et la sciatique , il y a souvent, sinon toujours, du sucre 
dans les urines, et que ce sucre disparait avec un amendement 


12 D. GIBB. — MÉMOIRE 


de l’état nerveux. Il note de même des névralgies générales 
et un cas de névralgie faciale soignée par le docteur Dundas 
Thomson. Il parle aussi de sucre dans l'urine des enfants en travail 
de dentition. 

Je suis à même de confirmer plusieurs observations du docteur 
Goolden ; car j'ai observé du sucre dans plusieurs cas d’affections 
ñerveuses. 11 n’est pas rare du tout d’en trouver dans les urines des 
enfants pendant le travail de la dentition; je lai même constaté 
dérnièrement dans des cas de coquéluche simple et compliquée , 
dans l’épilepsie, la bronchite, les affections du cerveau. M. Reynoso 
l'a observé dans l’hystérie. 

Dans les maladies de la base du cerveau, telles que tumeurs, 
affections chroniques, blessures ou plaies du quatrième ventricule, 
lésions ou sections du pneumogastrique, il y a toujours du sucre 
dans les urines. Les expériences de M. CI. Bernard sont {trop con 
nues pour que j'aie besoin de les décrire, et je veux citer les inté- 
ressantes recherches de mon ami le docteur Pavy sur la ponction 
du quatrième ventricule d’un Lapin ; recherches rapportées dans le 
Guy's Hospital Reports , et qui prouvent l’attention et l'exactitude 
de ce savant expérimentateur. Des tumeurs comprimant cette partie 
du cerveau, où d’autres affections situées dans cette région où dans 
son voisinage, auront pour conséquence nécessaire la présence du 
sucre dans l'urine. Ces conjectures sont pour moi aussi évidentes 
que si je les voyais démontrées expérimentalement. 

La section complète du pneumogastrique paralyse la fonction 
saccharine spéciale du foie ; car après cette opération on ne trouve 
plus de sucre, ni dans le foie, ni dans le sang, qui est porté de cet 
organe au poumon où au cœur ; on en (rouvé néanmoins dans les 
urines. Par une section partielle, une compression, une lésion où 
une piqüre du pneumogastrique , on diminuera probablement la 
quantité de sucre dans le foie, et on le produira dans les urines. Le 
galvanisme donnera les mêmes résultats. M. Magendie cite un fait 
très curieux , savoir, la présence ; constatée à l’autopsie d’un dia- 
bétique, de deux points altérés dans la paroi inférieure du quatrième 
ventricule, juste à lendroit où l'on pratique artificiellement la 
ponction pour produire du sucre. 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. h3 

I paraît done qu'il existe un rapport très intime entre le système 
nerveux et la fonction saccharine du foie ; ceci se trouve claire- 
ment démontré par de nombreuses expériences citées plus haut. 
M. CI. Bernard dit encore qu'en détruisant la communication entre 
la moelle et le foie, soit par une section des nerfs splanchniques , 
soit par une section de la moelle qui n’abolirait pas complétement la 
vie animale, il est impossible d'augmenter les fonctions stccharines 
du foie en irrilant le poeumogastrique par une ponction ou par un 
courant galvanique. 

Je ne disculerai point ici la dernière partie des idées de M. CT. 
Berhard ; je me contenterai de faire observer que le système ner- 
veux est le régulateur de la fonction säccharine du foie, fonction 
que nous voyons diversemént modifiée par le moindré dérange- 
ment de ce système : c’est un point qu'il ne faudra pas perdre de 
vue dans le traitement des affections où il n°y a pas nécessairement 
diabète, mais où l’on n’en constate pas moins dû sucre dans les 
urines. 

Maladies du système respiratoire. — Quelques observateurs, et 
spécialement M. Alvaro Reynoso, prétendent que la présence du 
sucre dans les urines est due à loutes les causes qui mettent un 
obstacle à la respiration ou aitérent cette fonction. Cette théorie est 
expliquée par l'arrêt de la combustion du sucre dans un poumon 
dont l'action est devenue anormale; le sucre passe dans la cireula- 
tion, el est sécrété par les reins. M. Reynoso cite des expériences à 
l'appui de ses idées ; il a décelé le sucre dans l'urine des individus 
éthérisés, des Lapins noyés ou asphyxiés, chez des animaux qu'on 
ä empêchés de respirer librement, chez des tuberculeux, des gens 
affectés de pleurésie, d'asthme , de bronchite chronique. Comme 
autre preuve vient encore un cas cité par le docteur Garrod (Trans- 
actions of the Pathological Society), de bronchite aiguë avec pré- 
sence du sucre dans les urines. Le docteur Beale a découvert du 
sucre dans les crachats jus de pruneaux de la pneumonie, quelque 
temps avant la mort. Je lai moi-même constaté à la suite d’une 
simple gêne de la respiration (pertussis) avec où sans autre compli- 
cation de maladies de poitrine. Le docteur Bence Jones a trouvé du 
sucre dans l'urine d’une femme (service du docteur Ceasar Han 


ll D, GIBB. — MÉMOIRE 

kins) qui était restée pendant plus de vingt-quatre heures sous l'in- 
fluence d’une inhalation de chloroforme. Ce fait a encore été con- 
firmé par le docteur Beale. 

M. Magendie a rappelé que depuis longtemps on avait observé 
que l'urine et l’expectoralion des phthisiques contenaient souvent 
du sucre. M. CI. Bernard dit qu'il n’y a pas de sucre dans l'urine 
des phthisiques , mais que, par contre , il y en a en excès dans le 
sang. 

Quelle est l’origine du sucre dans le cas d'une respiration diffi- 
cile? C’est là une question importante et qui mérile d’être étudiée. 
Je suis porté à accepter l’opinion de M. Reynoso, qui voit dans cette 
gène de la respiration une cause de la présence du sucre ; mais je 
ne puis dire, avec M. CI. Bernard, que, l’activité sécrétante du foie 
étant augmentée, il se forme plus de sucre que le poumon n’en peut 
brûler, et que cet excès de sucre est éliminé par d’autres voies. La 
respiration difficile peut cependant agir de deux manières : d’abord 
tout le sucre porté par le foie au poumon n’étant pas consumé, il 
devient inutile et passe dans la circulation ; c’est là l’opinion de 
M. Reynoso. Ensuite le pneumogastrique, excisé ou lésé, gène la 
sécrétion normale de ce principe, el permet sa formation autre part. 
L'objection, capitale pour ainsi dire, que M. CI. Bernard fait à 
M. Reynoso, est que si l'on coupe le nerf vague la respiration est 
considérablement gènée, et que cependant on ne trouve pas de 
sucre dans l'urine. Ce grand physiologiste oublie sans doute que 
la section de ce nerf arrête la sécrétion du sucre dans le foie, en 
même temps qu'elle entraine la gène de la respiration. On ne peut 
done s'appuyer là-dessus pour réfuter la partie importante de la 
théorie de M. Reynoso. Nous admettons nonobstant que lirritation 
du pneumogastrique, en arrêlant ou en lésant la respiration, n'im- 
porte de quelle manière, a le même effet sur la production du sucre 
que les expériences artificielles. 

La théorie de M. Reynoso esl encore appuyée par cette observa- 
tion de M. Bouchardat, citée par le docteur Beale , de deux cas de 
diabète léger où l’urine ne contenait pas de sucre après que l’on 
eut soumis les malades à des inhalations d'oxygène. Je crois que 
dans le diabète le poumon est débilité par la diminution de la quan- 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. h5 
tité de sucre habituellement sécrété par le foie. Les inhala- 
tions d'oxygène , agissant cemme stimulant , servent en quelque 
sorte à rappeler les fonctions propres au foie, et peuvent, au 
bout de quelque temps, diminuer le diabète. Comme je l'ai dit 
plus haut , le sucre gastrique n’est pas comparable au sucre hépa- 
tique; ce dernier est plus convenable aux fonctions respira- 
toires. 

Choléra. — Un des caractères de cette maladie étant l’arrêt de 
l’assimilation, surtout de assimilation secondaire, on ne doit pas 
s'étonner de trouver du sucre dans les produits de la sécrétion. Il 
n’est pas encore prouvé que l’altération de la sécrétion biliaire mo- 
difie spécialement les usages du foie. Sans aborder cette question, 
si discutée et si peu élucidée, on peut dire que si les fonctions du 
foie sont dérangées dans cette maladie, celles des autres organes le 
sont aussi. On pourra ainsi expliquer la présence du sucre dans les 
urines et la sueur. 

M. Doyère a le premier constaté la présence du sucre dans 
la sueur des cholériques ; sa découverte fut appuyée par M. Pois- 
son , élève interne de la Salpêtrière, qui, chez une vieille femme 
morte du choléra, trouva une grande quantité de sucre dans la 
sueur épaissie et visqueuse qu'il prit en grande partie sur la 
figure. 

M. Magendie l’a aussi démontré dans les excrétions alvines des 
cholériques, et M. Vernois a dit qu'il était plus facile de le constater 
dans le foie d’un cholérique que dans celui d’un homme sain. Ceci 
serait-il dû à l’obstruction des veines hépatiques par la gêne de Ja 
respiration , ou bien à la non-sécrétion de la bile ? 

Lait. — Quand on détermine le poids spécifique du lait, on peut 
décider quelle est la quantité de crème, mais non la quantité de 
sucre. Ce dernier point est de la dernière importance dans l'étude 
du lait au point de vue pathologique; il mérite plus d'attention qu'on 
n'en a attaché jusqu'alors , et je ne sache pas qu'on en ait parlé 
jusqu'à présent, à quelques exceptions près. Si le lait contient peu 
de crème, il ne nourrira pas bien l'enfant, et produira simplement 
de l’amaigrissement ; il peut néanmoins contenir aussi du sucre 
pour compenser en quelque sorte le manque de crème, puisque, 


l6 D. GIEB. — MÉMOIRE 

par le fait de l'assimilation, ce sucre peut être converti en graisse. 
D'un autre côté , si le lait, bien que contenant en abondance de la 
crème et du sucre, présente d’autres caractères anormaux, l'enfant, 
malgré la bonne santé de sa mère, présentera de l’amaigrisse- 
ment, des sueurs copieuses, des urines fréquentes. On devra alors 
soupconner dans le sein un acte de fermentation saecharine et un 
développement d'infusoires. Ce fait est un exemple remarquable de 
perversion d’assimilalion du sucre, produit par une sécrétion anor- 
male dont il faut aller rechercher la cause dans une surexcitation 
nerveuse, 

Il y à plusieurs autres élats pathologiques du lait dus à des 
dérangements dans l'assimilation du sucre. Nous en parlerons 
ailleurs. 

M. Lehmann a constaté du sucre dans l'urine d’une femme en 
couches , dont le lait s'était tout d’un coup arrêté cinq jours après 
l'accouchement. Ce fait prouve évidemment le rapport qui existe 
entre l'assimilation du sucre et la sécrétion du lait. 

Effets de certains médicaments. — Si les recherches de M, Rey- 
noso sur les urines ne mérilaient pas tant de confiance par la ma- 
nière dont elles sont faites , on pourrait presque douter des beaux 
résultats qu'il a obtenus. I paraît que certains médicaments absor- 
bés à l’état de vapeur par les poumons , à l'état naturel par l’esto- 
mac, ont le pouvoir de produire du sucre dans les urines ; mais on 
ne pourra le constater que par des analyses faites avec beaucoup de 
soin. Nous avons déjà cité l’éther et le chloroforme comme produi- 
sant parfois ce résultat. M. Reynoso a trouvé du suere dans l'urine 
des personnes traitées par le bichlorure, l'iodure, le sulfure de 
mercure, les sels d’antimoine, le sulfate de quinine, l'opium , les 
narcotiques en général. Il en a encore trouvé dans l'urine des 
Chiens traités par l’arsenie, le plomb, le sulfate de fer, ainsi que 
dans l'urine des personnes faisant usage de carbonate de fer. 
Avant même de connaitre les recherches de M. Reynoso , j'avais 
conçu l’idée que des médicaments à trop forte dose pouvaient pro- 
duire du sucre dans les urines, mais je n’avais pas fait de recher- 
ches à ce sujet. 

Une des substances qui me paraissaient capables de déranger 


SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. h7. 


l'assimilation du sucre était le tabac pris en excès en fumant ou en 
chiquant. 

J'ai trouvé dans les Comptes rendus de l Académie des sciences de 
France (janvier 1849) un fait de production de diabète par un trop 
grand emploi de nitrate de potasse, publié par le docteur Cardan. 
Un homme avait pris 3 onces de nitre au lieu de sel d'Epsom ; 
cetle erreur eut pour conséquence une grande inflammation de la 
muqueuse intestinale et une émission abondante d'urine ; l'inflam- 
mation diminua lentement , mais le diabète persista. J'ignore si ce 
malade guérit. 

Je n'ai pu me prononcer, quant à présent, sur ce sujet, le champ 
à explorer étant encore trop vaste pour donner des conclusions sa- 
tisfaisantes. Toutefois, il semble que cette fonction saccharifère du 
foie est plus facilement affectée par les agents médicinaux qu'on ne 
l'avait cru jusqu'ici. 

En finissant ces lignes, je m'abstiens nécessairement de tirer 
des conclusions générales des manifestations pathologiques de 
l'assimilation du sucre dont je viens de faire le tableau trop abrégé 
peut-être ; mais ce tableau représente fidélement les découvertes et 
les recherches faites jusqu’à présent sur ce sujet. 

Cette question est maintenant l'objet de beaucoup d'études, et 
l'on peut espérer, avec raison, que de nouveaux travaux viendront 
jeter du jour sur des points encore obscurs. 


MÉMOIRE 
SUR LES 


VERS RUBANNÉS ET VÉSICULAIRES DE L'HOMME ET DES ANIMAUX 
(TÆNIAS ,»kCYSTICERQUES, rerc.), 
ET SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES EN GÉNÉRAL, 


Par M. C.-T. DE SIEBOLD, 
Professeur à l'Université de Munich (1). 


CHAPITRE I. 


CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES SUR LA PRODUCTION DES VERS INTESTINAUX. 


Occupé depuis plusieurs années de recherches relatives à l’his- 
toire, encore si obscure, des Vers intestinaux, j'ai été conduit peu 
à peu à la conviction que ces animaux parasites ne naissent pas de 
substances hétérogènes par voie de génération primitive ou géné- 
ration équivoque, ainsi qu'on le supposait anciennement. On con- 
nait tout l'abus qui à été fait de cette hypothèse appliquée aux Vers 
intestinaux, aussi bien qu'aux animaleules infusoires. Comme , au 
premier abord , on ne pouvait ni saisir ni comprendre le mode de 
production et de multiplication de ces animaux, et comme aussi, en 
les examinant de plus près, on voyait dans leur organisation et 
dans leurs facultés physiologiques des particularités qu'on n’était 
pas habitué à rencontrer chez les animaux supérieurs , on s'était 
imaginé qu'ils étaient d’une nature essentiellement différente ; et au 
lieu de poursuivre l'étude de ces faits obscurs par la voie de l’ob- 
servation , on s'était contenté d’une explication en désaccord avec 
les lois générales les plus importantes de la nature. Ainsi les méde- 


(1) Ueber die Band- und Blasemwürmer, nebst einer Einleitung über die Ent- 
stehung der Eingeweidewürmer, von C. Th. Siebold, in-8; Leipzig, 4854. Dans 
ce travail l'auteur résume l'ensemble des faits déja acquis à la science au sujet 
des migrations et des phénomènes de la malagénèse des Helminthes; et c’est 
pour cette raison que j'ai cru devoir le mettre presqu'en entier sous les yeux du 


lecteur des Annales. R. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. h9 


cins et leshelminthologistes se sont crus autorisés à penser que les 
Vers intestinaux sont produits, dans l'intérieur du canal intestinal 
de l’homme et des animaux , par des matières alimentaires dont la 
digestion ne s'était pas faite convenablement, et dans les autres 
organes de l'économie par des humeurs viciées ; ils ont affirmé 
que certaines affections pathologiques déterminent dans les viscères 
la formation des Helminthes , en amenant la séparation mécanique 
des principes constitutifs des tissus affectés, et que les parties 
ainsi éliminées, au lieu de périr et d’être expulsées au dehors, se 
réunissent pour former un organisme indépendant , un être para- 
site. Ils ont orné cette hypothèse de paroles séduisantes qui l'ont 
fait adopter avec enthousiasme, et elle à pris racine si profondé- 
ment dans l'esprit de beaucoup de personnes qu'aujourd'hui il est 
très difficile de substituer à cette idée fantastique les résultats qui 
nous sont fournis par l'expérience, el qui sont en accord avec les lois 
générales de la nature. Sans doute il serait parfois agréable et très 
commode de donner le champ à sa pensée, et de remplir par des 
hypothèses les lacunes nombreuses que la science offre encore, en 
tout ce qui touche à la production et à la multiplication des animaux 
inférieurs ; mais une pareille marche ne saurait être admise aujour- 
d’hui , et c’est seulement par l'étude des faits , par des recherches 
attentives et par des expériences bien instituées, qu'on peut espérer 
porter des lumières nouvelles dans l'histoire physiologique de tous 
ces êtres. 

En marchant dans cette dernière voie, on a découvert bientôt 
que chez un grand nombre d'Helminthes il existe des organes gé- 
nitaux très développés, fait que l’on ne soupçonnait pas jusqu'alors, 
et que chez les Ascarides, les Filaires, les Tænias (L) et les Douves , 

(1) On sait qu'un Tænia est souvent composé de plusieurs centaines d’ar- 
ticles , et que chacun de ceux-ci peut fournir des centaines d'œufs. Par consé- 
quent un seul individu est susceplible d'avoir une progéniture immense. Le pro- 
fesseur Eschricht, de Copenhague , possède un Tænia qui a été rendu par un 
malade, et quise compose de plus de mille articles, dont chacun renferme plus de 
mille œufs (voyez son ouvrage intitulé : Das physische Leben in popularen Vortræ- 
gen, p. 115; Berlin, 4852). Le même auteur, après avoir examiné avec soin les 
organes génitaux de l'ascaride de l'homme (Ascaris lombricoïdes) évalue à plu- 
sieurs millions le nombre des œufs qui peuvent s'y trouver. 

4° série, Zoor. T. IV. (Cahier n° 1.) # 4 


50 SIEBOLD. 

par exemple, les œufs et les jeunes peuvent s’y produire en nom- 
bres si prodigieux , qu'il doit sembler oiseux de se torturer l'esprit 
à chercher ailleurs une explication de la reproduction de ces ani- 
maux. Ce n’était done que le mode d'introduction de ces animaux 
innombrables , dans l’intérieur du corps des êtres où ils devaient 
se nourrir, qui pouvait rester longtemps incertain ; el pour jeter de 
nouvelles lumières sur ce phénomène inexpliqué, il fallait que 
l'attention se trouvât dirigée sur la première période de la vie des 
Helminthes. 

On a acquis alors la conviction qu'à une certaine période de la 
vie les Vers intestinaux font des migrations, souvent même des 
migrations très éloignées, pour arriver jusque dans l’intérieur de 
l'animal dont les organes sont destinés par la nature à leur servir 
de résidence. Ainsi nous savons aujourd’hui que la progéniture 
des Tænias qui vivent en parasites dans le canal digestif des ani- 
maux supérieurs seulement, quitte cette cavité, soit à l’état d'œuf, 
soit après l’éclosion, et attend au dehors de organisme qui sert 
de demeure à l'individu souche, qu'une occasion se présente pour 
pénétrer dans le canal intestinal d’un autre hôte. La sortie de la 
progéniture des Tænias est, en effet, facile à constater par l’exa- 
men des excréments évacués par les animaux dans le corps des- 
quels ces parasites résident; car, à certaines époques de l’année , 
lorsque les organes génitaux des Tænias sont parvenus au plus 
haut degré de développement, les animaux ainsi infectés expulsent 
au dehors , tantôt des articles isolés de ces Vers, tantôt des cha- 
pelets de ces mêmes articles gorgés d'œufs, d'autres fois un nombre 
immense d'œufs déjà libres et mêlés aux excréments. Il en est de 
même pour les œufs des Douves, qui habitent dans le foie de nos 
animaux ruminants; ces œufs, après avoir élé déposés dans les 
conduits hépatiques de l'animal où vivent leurs parents, passent 
dans le canal intestinal, etsont ensuite évacués avee les exeréments. 

Cette sortie de la progéniture des Helminthes est aussi utile à ces 
Vers qu'aux animaux qui les hébergent. Il y a beaucoup de ces 
parasites dont les œufs né se développent jamais dans le lieu même 
dans lequel ils ont été produits, ou qui n’y parviennent qu’à l’état 
d’embrvon, et qui, pour arriver à l'état complet et être pourvus 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 51 


d'organes reproducteurs , où pour donner naissance à la progéni- 
ture déjà formée dans leur intérieur, attendent jusqu'à ce qu'ils 
aient été évacués au dehors (1). Cette progéniture, pour acquérir à 
son tour des organes générateurs , et pour être apte à se repro- 
duire, doit donc attendre qu'elle ait trouvé un autre hôte, et qu’elle 
ait enfin réussi à y établir sa demeure. Les animaux infestés par 
les Helminthes sont de la sorte débarrassés de ces parasites, qui 
auraient pu leur être extrêmement nuisibles si les millions d'œufs 
qu'un seul Ascaride ou un seul Tænia peut produire s'étaient déve- 
loppés dans l'intestin où ils ont pris naissance. On comprend que si 
une pareille portée se füt développée, et qu'elle eùt donné naissance 
à une seconde génération, l'intestin aurait pu en être distendu ou 
même complétement obstrué, et devenir inapte à remplir les fone- 
tions nécessaires à l’entretien de la vie de l'hôte et des para- 
sites. Du reste, quoi qu'il en soit à cet égard , les migrations des 
descendants des Helminthes, leur sortie du corps d'un animal, aussi 
bien que leur entrée dans celui d’un autre, est une chose très im- 
portante , mais qui n'a altiré l'attention des naturalistes que depuis 
un petit nombre d'années. Une foule de faits qui se recueillent 
maintenant montrent de mieux en mieux que la présence des Hel- 
ininthes dans les divers viscères des animaux s'explique ainsi de 
la manière la plus facile et Ja plus naturelle; tandis que la théorie 
des générations équivoques, adoptée lorsqu'on n'avait encore 
qu'uné connaissance extrêmement imparfaite des mœurs de ces 
Vers, ne pouvait tendre qu'à nous égarer au sujet de leur origine , 
qui souvent, encore aujourd'hui, est entourée de tant d’obscurités, 
malgré les renseignements positifs que la science possède. 

Une circonstance importante et très favorable à la conservation 


(4) Un Tænia qui à trouvé son chemin jusque dans le canal intestinal d'un 
animal propre à lui servir d'habitation, peut y acquérir son développement com- 
plet, mais il ne s'y multiplie pas. C'est par cette raison que le Tænia de l’homme 
(T. solium) se trouve seul dans notre intestin , el a reçu les noms vulgaires qu'il 
porte en Allemagne et en France : Einseidler Bandwurm et Ver solitaire. Mais 
ces appellations ne sont pas bonnes, parce que c'est seulement par suite de cir- 
constances fortuites que les migrations de ces Vers amènent un seul indiviau ou 
tout une société de Tænias dans l'intestin de l'homme, 


52 SIEROLD. 

des Helminthes pendant leurs migrations, est l'existence de la 
coque solide dont leurs œufs sont souvent pourvus. Par suite de la 
densité et de la rigidité de cette coquille, les œufs de beaucoup de 
Vers intestinaux peuvent se conserver en bon état avec leur germe 
et leur vitellus, ou même avec l'embryon déjà développé dans leur 
intérieur, malgré les vicissitudes auxquelles ils sont exposés après 
qu'ils ont été expulsés du lieu habité par leurs parents. En effet, ces 
œufs arrivent souvent dans des trous à fumier, dans les fosses à 
immondices, ete., où ils sont exposés tantôt à trop d'humidité, 
d’autres fois àla dessiceation, ainsi qu'à de grandes variations de tem- 
pérature. Is sont ensuite transportés avec les engrais dansles champs 
ou les prairies, où les influences extérieures peuvent favoriser leur 
développement ultérieur , et où les circonstances ne manquent pas 
pour permettre le retour de lanouvelle génération de parasites dans 
le canal intestinal des animaux supérieurs, puisqu'à côté des œufs 
ainsi placés se trouvent souvent déposées aussi les semences desti- 
nées à la production de plantes dont l’homme et les animaux do- 
mestiques font usage comme aliments, et que les œufs peuvent être 
charriés par ces plantes jusque dans les viscères appropriés à leur 
développement. Parfois aussi la pluie peut entrainer les œufs d’'Hel- 
minthes contenus dans le fumier ou dans la terre enfumée , et les 
transporter dans les flaques d’eau où ils se trouvent mêlés à la 
boisson dont l’homme ou les bestiaux font usage. Un grand nombre 
de ces germes, encore renfermés dans leur coquille, peuvent rester 
inactifs pendant tous ces transports; la migration est passive, et 
c’est le hasard seul qui fait que le jeune Ver parvient ou ne parvient 
pas à son domicile nécessaire ; mais d’autres fois ces jeunes ayant 
déjà quitté l'œuf peuvent intervenir d’une manière active dans lob- 
tention de ce résultat, en allant se placer eux-mêmes sur les plantes 
que l'humidité rend gluantes , et que les animaux où ils doivent 
pénétrer recherchent comme aliments. 

Un précepte purement empirique, mais d’une grande antiquité, 
et que les bergers soigneux de leurs troupeaux observent stricte- 
ment, veut que les Moutons ne sortent qu'après la disparition des 
dernières gouttes de rosée, et qu'il neleur soit pas permis de paître 
dans les endroits humides et marécageux. Or, par cette pratique, le 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 53 
berger, saus se rendre compte de ce qu'il fait, préserve ses Mou- 
tons des immigrations de jeunes Filaires du poumon et des Douves du 
foie. Les années humides sont très prejudiciables aux bêtes ovines, 
en multipliant les occasions favorables à l'introduction des progé- 
nitures d'Helminthes dans leur corps; elles amènent les maladies 
vermineuses des poumons et du foie, tandis que dans les années 
chaudes et sèches ces affections sont plus rares, parce qu'alors une 
grande quantité de ces œufs où germes est détruite par la dessic- 
cation. 

On pourrait peut-être croire qu'après avoir blämé les hypothèses 
imaginées pour expliquer la production et Ja multiplication des 
Helminthes, je tombe à mon tour dans le même travers, et m’ob- 
jecter que les idées dont je viens de rendre compte sont des vues 
de l'esprit seulement, et ne sont point fondées sur des faits d’obser- 
vation. Mais je veux me justifier de ce reproche. Il est vrai que je 
ne puis arguer d'aucune observation directe pour prouver que la 
Filaire du poumon :Strongylus filaria) et la Douve du foie des 
Moutons (Distomum hepatieum) se transmettent de la manière que 
je viens de décrire ; mais mon opinion repose sur des faits con- 
stants que n'a fournis l'étude d’autres Helminthes. Or, en histoire 
naturelle, lFanalogie est souvent un excellent guide, quand on 
l'emploie avec circonspection. Je vais done rapporter iei des faits 
que j'ai conslatés, et qui montrent que chez beaucoup d’'Hel- 
minthes l'acte de migration (soit la sortie hors du corps d’un ani- 
mal, soit l'entrée dans le corps d’un autre) constitue une période 
particulière dans la vie de ces Vers. 

On savait depuis longtemps, niais sans pouvoir se l'expliquer , 
que des parasites, connus sous le nom de F'ilaria insectorum, se ren- 
contrent dans le corps d’un grand nombre d’Insectes tant à l'état 
de larves qu’à l’état adulte; dans la cavité abdominale des Chenilles, 
des Coléoptères, des Sauterelles par exemple, et l'on a supposé que 
ces parasites y étaient nés par voie de génération équivoque , sous 
l'influence d’une saison humide et d’une alimentation malsaine. 
Jusqu'ici les helminthologistes ont dù se contenter de cette hypo- 
thèse, n'ayant rien de meilleur à y substituer, el ceux qui avaient 
disséqué ces Filaires des Insectes ne pouvaient pas nier que cette 


54 SIEROLD. 

hypothèse ne füt très plausible ; car on ne trouve dans ces Vers 
aucune trace d'organes génitaux, à l’aide desquels leur reproduc- 
tion pourrait s'effectuer. Ayant porté mon attention sur ces para- 
sites, j'ai reconnu d’abord que ee ne sont pas de véritables Filaires, 
mais des animaux appartenant à des divisions particulières de Vers 
filiformes, et notamment aux genres Gordius et Mermis. J'ai appris 
plus tard que ces animaux, en pleine croissance, sortent de la de- 
meure qu'ils avaient habitée jusqu'alors, et, pour cela, percent de 
dedans en dehors les parois du corps de leur hôte dans un endroit 
quelconque où les téguments sont mous, puis se glissent par Pou- 
verture ainsi pratiquée, et abandonnent complétement l'animal aux 
dépens desquels ils vivaient. La plupart des personnes qui élèvent 
des Chenilles pour se procurer des Papillons en bon état de conser- 
vation , ont vu des Vers blanchâtres sortir ainsi du corps de ces 
animaux. Or ce n’est pas l’incommodité de leur habitation, ni l’état 
maladif de la Chenille par exemple, qui excite ces parasites à émi- 
grer de la sorte, mais un instinct analogue à celui qui détermine 
l’OEstre du Cheval à abandonner l'estomac de ce Quadrupède où il 
se tenait jusqu'alors eramponné, et qui fait que l'OEstre du Bœuf 
perfore la tumeur sous-cutanée où il est logé, pour se rendre au 
dehors. Ces larves émigrent pour subir leur transformation en 
nymphe, el arriver à un état de développement sexuel plus eom- 
plet. Du reste, cet instinct d'émigration est donné à un grand 
nombre d’autres Insectes parasites, et c’est un fait bien connu dans 
l’histoire de ces animaux. 

Jai done montré que les Filaires des Insectes, parvenus à leur 
entière croissance, mais encore dépourvus d'organes générateurs, 
poussés par l'instinct dont il vient d'être question, entrent dans une 
nouvelle période de leur existence. Dans les paniers et les autres 
lieux où l’on élève les Chenilles, les Filaires se dessèchent et meurent 
peu après leur sortie du corps de ces animaux. Mais les choses se 
passent tout autrement pour les Filaires qui quittent le corps de 
leur hôte dans les conditions naturelles ; ils tombent alors à terre, 
et, en rampant, ils se rendent dans les anfractuosités où le sol reste 
humide. On m'a souvent apporté de ces Vers filiformes qu'on avait 
trouvés dans la terre humide des partiesereuses d'un jardin, ou dans 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 59 
des trous situés dans des prairies. Extérieurement , ils ne diffé- 
raient en rien des Filaires des insectes , et celte circonstance m'a 
fait penser que peut-être ces parasites avaient besoin de se rendre 
dans de la terre humide pour achever leur développement. 

Je fis alors des expériences (1) sur des Filaires que je me pro- 
curais en abondance sur des Chenilles du fusain (Yponomeuta 
evonymella) ; je mis les Vers, déjà sortis du corps de ces Insectes, 
dans de la terre humide renfermée dans des pois à fleurs. Bientôt, 
à ma grande satisfaction , je les vis s’y enfoncer par leur extrémité 
céphalique , et s’enterrer complétement (2). Pendant tout l'hiver, 
je conservai la terre dans un état convenable d'humidité , et en 
examinant de temps en temps mes Vers, je vis, à ma grande satis- 
faction, que leurs organes génitaux se développaient peu à peu, que 
les œufs contenus dans ces organes arrivaient à maturité, et 
qu'enfin ils étaient pondus et déposés par centaines dans la terre. 
Vers la fin de l'hiver, je réussis à observer le développement de 
l'embryon dans ces œufs; ce développement était achevé dans 
les prenners jours du printemps, et plusieurs jeunes Vers avaient 
alors quitté les enveloppes de l'œuf pour pénétrer dans la terre 
d’alentour, que je conservais toujours dans les pots et dans 
un état convenable d'humidité. Présumsant que ces Helminthes 
étaient destinés à devenir parasites, el devaient avoir l’instinet 
de chercher à s’introduire dans le corps des animaux propres 
à les héberger, et pensant aussi que des Chenilles, de la même 
espèce que celles où leurs parents avaient vécu, leur convien- 
draient mieux que loutes autres, je leur présentait un certain 
nombre de très petites Chenilles de l'Yponomeuta evonymella, 
longues d'une demi-ligne, qui venaient d'éclore. Afin de bien obser- 
ver ve qui se passerait, je placai dans un verre de montre un peu de 
terre humide prise dans le pot à fleur , près du point où je savais 
qu'une foule d'individus de mes Mermis albicans avaient passé 
l'hiver; puis je placai sur cette pincée de terre quelques-unes de 


mes petites Chenilles, que j'avais eu la précaution d'examiner 


(1) Ces expériences, et les résultats qu'elles m'ont fournis, ont été publiés, 
en 4848, dans le Entomologische Zeitung, p. 290. 
(2) J'ai désigné ces Vers sous le nom de Mermis albicans. 


56 SIEBOLD. 

préalablement au microscope une à une , pour m'assurer qu’elles 
n'étaient pas déjà attaquées par des Filaires, exploration qui est facile 
à faire, à cause de la transparence de ces animaux, et sans incon- 
vénient pour eux, malgré leur délicatesse. Cette précaution était 
nécessaire , Car j'ai trouvé que, sur vingt-cinq individus sur les- 
quels portaient mes observations, trois logeaient déjà un embryon 
filiforme semblable en tout à ceux des Filaires que j'avais élevées 
dans la terre de mes pots à fleur. Enfin j'ai obtenu de cette expé- 
rience les résultats suivants, que j'ai déjà fait connaître dans mon 
Mémoire sur les Filaires des Insectes (1), et que je reproduis 
ici : 
Treize de ces Chenilles que j'avais préalablement examinées au 
microscope, et que j'avais reconnues exemptes de parasites, furent 
placées, dans le verre de montre , sur la terre qui contenait un 
grand nombre d’embryons de Mermis bien vivants. Dix-huit 
heures après, j'ai pu constater la présence des embryons de 
Mermis dans le corps de cinq Chenilles. 

Dans une seconde expérience, trente-trois Chenilles de l’Ypono- 
meuta cognatellu, que j'avais reconnu, par l'examen microscopique, 
ne pas contenir de ces Vers, furent placées dans les mêmes con- 
ditions. Vingt-quatre heures après, quatorze individus avaient des 
embryons de Mermis dans leur corps ; six de ces Chenilles renfer- 
maient chacune deux de ces parasites, et deux Chenilles en avaient 
jusqu'à trois. 

Je fis d’autres expériences semblables sur plusieurs Chenilles du 
Pontia Cratægi, du Liparis chrysorrhœa et du Gastropacha neus- 
Lria, puis dans des nids où ces animaux avaient passé l'hiver. Je 
les plaçais, dans un verre de montre, sur de la terre humide conte- 
nant des larves de Mermis. Le lendemain, vingt-quatre individus 
étaient déjà infestés de ces Vers ; cinq de ces Chenilles en conte- 
naent deux, et une en contenait trois. 

IL est done évident que ces jeunes Filaires avaient pénétré du 
dehors dans l’intérieur du corps de ces Chenilles, à travers la peau 
encore délicate de ces jeunes animaux. 


(1) Entomologische Zeitung , 1850, p. 239, 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 57 

D'après les expériences dont je viens d'exposer les résultats, on 
voit que, pour expliquer la diathèse vermineuse des Insectes, au 
moins en ce qui concerne les Filaires, on n’a pas besoin de recou- 
rir à l'hypothèse de la génération équivoque , car ici le mode d'ori- 
gine des parasites est évident. Ceux qui ne veulent pas abandonner 
cette théorie, si commode pour nous dispenser de faire des re- 
cherches, diront peut-être que l'histoire du développement du 
Mermis albicans est un fait isolé, et constitue une exception à la 
règle ; mais je répondrais par ces mots de Gæœthe : « La nature suit 
sa marche, et ce qui nous semble une exception est conforme à la 
règle. » 

Les nouvelles recherches qu’on a faites sur l’histoire naturelle 
des Helminthes prouvent que la pensée de Gæthe est vraie. Depuis 
l'époque où l'attention des zoologistes a été dirigée sur les migra- 
tions des Vers intestinaux, les faits du même ordre se sont beaucoup 
multipliés, et l’on a pu se convaincre que ces migrations sont beau- 
coup plus fréquentes qu’on ne pouvait le présumer de prime abord. 
Ainsi les mœurs du Mermis albicans ressemblent à celles du Gor- 
dius aquaticus qui se développe dans le corps de divers Insectes, 
eten particulier dans celui des Sauterelles, des Carabes, des Hydro- 
philes ou de leurs larves, fait qu’on ne soupconnait pas encore. Ils 
S'y trouvent sous la forme de vers filiformes tantôt très petits, 
d’autres fois longs de plusieurs pouces ; mais ils en sortent pour arri- 
ver à la période du développement des organes reproducteurs, et 
dans ces migrations il leur arrive souvent d’être submergés dans 
quelques flaques d'eau. Les observateurs ont du être depuis long- 
temps frappés de ce fait que ce Ver, comparable pour sa forme et sa 
couleur à un erin de queue de Cheval , ne se trouve jamais que 
dans l’eau, lorsqu'il est arrivé à son état parfait. Depuis on a 
reconnu que le Gordius aquaticus , de même que le Mermis albi- 
cans, vil à l’état embryonnaire dans les jeunes Insectes, se développe 
avec ceux-ci, et les quitte quand sa croissance est achevée, et cela 
permet d'expliquer le premier de ces deux faits. 

Ainsi, à raison des faits que je viens d'exposer, on ne rencontre 
jamais certains Helminthes hors du corps de leurs hôtes naturels, à 
moins que leur croissance ne soit achevée; et certaines espèces 


58 SIEBOLD. 


aussi ne se voient dans l’intérieur du corps des animaux, dont elles 
doivent être les parasites, que lorsqu'elles sont déjà parvenues à une 
taille déterminée. En effet, nous savons maintenant que plusieurs 
Helminihes ne pénètrent dans le corps de l'espèce destinée à deve- 
nir leur hôte qu'après qu'ils ont acquis un volume et un degré de 
développement déterminés. Cela à lieu particulièrement pour les 
Vers qui restent parasites pendant la dernière partie de leur vie, 
c'est-à-dire après la maturité de leurs organes reproducteurs. Les 
Gordiacés (Gordius et Mermis) ne sont pas de cette catégorie; 
lorsqu'ils ont terminé leur croissance, ils abandonnent la vie de 
parasite, et c’est au dehors qu'ils acquièrent leurs organes génitaux. 
Les Helminthes de la première catégorie subissent souvent pendant 
leur migration des changements dans la forme de leur corps, une 
sorte de métamorphose qui se trouve liée parfois à des phénomènes 
physiologiques des plus extraordinaires et des plus anormaux , au 
point que les naturalistes n'ont pu d’abord ni en comprendre la 
nature, ni coordonner ces stades de la vie avec ce que l’on con- 
naissait ailleurs (1). Pendant longtemps , on se contentait de con- 
sidérer ces faits comme des anomalies; mais ici le proverbe s’est 
vérifié : « Ce qui commence comme une exception finit par deve- 
nir règle. » Peu à peu les faits remarquables relatifs aux métamor- 
phoses des Helminthes se sont multipliés et ne formaient qu'un 
véritable chaos, jusqu’à ce que la perspicacité du zoologiste da- 
nos, Sleenstrup, y eût découvert un certain ordre et une loi natu- 
relle qui, inconnue jusqu'alors, coordonne entre eux (ous ces 
phénomènes. Steenstrup a désigné cette loi sous le nom de géné- 
ration alternante, et il entend par cette expression la production de 


(1) Je puis citer comme exemple les Vers jaunes que Bojanus a trouvés chez 
la Limnée des étangs, et qui ont excité tant d'intérêt (voyez l'Isis, 1818, 
p. 729, pl. 9, fig. A-F). Oken disait, en parlant de ces faits : « Les faits sont 
tels qu'on à lieu d'en être étonné. » Les descriptions que Baër a données du 
Bucephalus polymorphus , ses molifs ne sont pas moins remarquables (voyez les 
Verhandlungen der kaïiserl. Akademie der Naturforscher, Bd 13, 1826, p. 570, 
tab. 30). Il en est de même du Leucochlorideum paradoxum de la Limace , dé- 
couvert d'abord par Alvreus et décrit de nouveau par Carus (voyez Magazin der 
naturforschenden Freunde zx Berlin, 1810, p. 292, Lab. 9, fig. 42-49, et 
Verhandl, der kaïserl. Akad, der Naturf., Bd. 17, 1835, p. 87, lab. 7). 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 59 
jeunes, qui restent dissemblables à leur mère, mais qui produi- 
sent à leur tour une nouvelle génération, laquelle par elle-même, 
ou par sa descendance , représente de nouveau la forme primor- 
diale, c’est-à-dire la forme de la mère commune (4). 

Ceux qui ne connaissent pas bien l'idée fondamentale de la gé- 
nération alternante pourraient croire que cette génération n'est 
qu'une simple modification de la métamorphose , phénomène qui 
se voit chez les Tétards des Grenouilles et des Crapauds, ainsi que 
chez les Insectes quand la larve passe à l'état de nympbe. Mais il 
n’en est nullement ainsi : les Batraciens et les Insectes dont il vient 
d’être question produisent bien une progéniture dissemblable à la 
nère ; mais il existe deux différences qui éloignent énormément 
les animaux à métamorphoses simples de ceux à génération alter- 
nante. 

Steenstrup a bien indiqué ces deux différences dans sa définition 
de la génération alternante; mais pour les personnes qui ne se 
sont pas encore familiarisées avec les faits de cette nature, il sera 
utile, je pense, d'y insister ici. 

La première différence entre la génération allernante et la méta- 
morphose consiste en ce que la progéniture d’un animal, soumis à 
la génération alternante, est non-seulement dissemblable à la mère, 
mais reste toujours ainsi. Le second caractère distinctif consiste, 
dans cette circonstance importante, que cette progéniture, dissem- 
blable à sa mère, produit une nouvelle génération, qui, an con- 
traire, est elle-même semblable à l'animal souche, où qui a pour 
descendance une progéniture, dont la forme revient à celle de cette 
mère commune. Dans la métamorphose simple, la progéniture , 
d’abord dissemblable à la mère, revient peu à peu à la forme de 
celle-ci, et elle n'est apte à se reproduire que lorsque cette méta- 
morphose est achevée. Steenstrup désigne par le nom de nourrice 
la progéniture qui, dans la génération alternante , reste dissem- 
blable à la mère, mais est apte à se reproduire ; ainsi, dans le 
langage de ce naturaliste, dans ce mode de reproduction, une 


(1) Voyez son mémoire important intitulé : Generationswechsel, Copenhague, 
1842. 


60 SIEBOLD. 
mère produit des nourrices, et les descendants des nourrices re- 
prennent la forme de la mère. 

Il ya une circonstance d’une grande importance qui caractérise 
les nourrices, lorsque celles-ci sont dans la plénitude de leur fone- 
tion : c’est qu’elles produisent des jeunes sans avoir elles-mêmes des 
organes de la génération. En effet, les nourrices se reproduisent 
par division, par la formation de bourgeons internes ou externes, 
par des germes qui, en se développant, deviennent des animaux 
nouveaux sans mériter le nom d'œuf, el sans que la partie où ces 
germes se forment puisse être considérée comme un ovaire; car 
ces germes , que je désignerai dorénavant sous le nom de corps 
germinatifs, sont dépourvus des principes constitutifs d’un œuf , 
non-seulement quant à la forme, mais aussi à la composition : la 
membrane de l’œuf, le vitellus, la vésicule germinative, la tache 
germinalive, y manquent; el, en outre, ces corps pour se déve- 
lopper n’ont pas besoin du concours de circonstances qui sont né- 
cessaires aux véritables œufs produits par un ovaire , et destinés à 
se développer sous la forme d’un embryon : savoir, la fécondation 
déterminée par une malière séminale sécrélée par un testicule. 
L'organe dans lequel certaines nourrices produisentle corps ger- 
minaltif ne peut être appelé un ovaire, etje le désignerai sous le nom 
d'organe germinateur. Par conséquent, en ces êtres qu'on peut 
appeler des nourrices , il n'y a pas de génération proprement dite, 
et la multiplication des individus se faisant soit par des germes 
naissant dans un organe spécial , soit par bouture, par division, 
rentre dans la catégorie de la reproduetion non sexuelle. 

La génération alternante est un phénomène fréquent chez les 
Trématodes, parmiles Helminthes. On ne soupçonnait pas d’abord 
les relations qui existent entre les diverses formes organiques de 
ces animaux, car les générations qui proviennent d’une Douve, et 
se succèdent les unes aux autres, ne présentent rien qui rappelle 
animal mère. La connaissance de l'ensemble de ces rapports était 
rendue plus diflicileencore, par ce fait que les générations sueces- 
sives de ces Vers changent de demeure aussi bien que de forme. 
Ces difficultés sont même si grandes que je ne suis pas en mesure 
de faire l'histoire d’un seul Trématode, dans la série entière des 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 61 
stades de la vie, dans les générations alternantes. Jusqu'ici on n’a 
pu saisir que des fragments plus ou moins considérables du cycle 
vital de l'espèce chez divers Trématodes ; mais comme ces frag- 
ments ne se rapportent pas à un même stade , et nous offrent les 
faits importants de génération alternante, ils peuvent nous être très 
utiles si l’on en fait un choix judicieux, et si on les groupe d’une 
manière conforme aux lois générales de la nature; car ils nous 
permettront de nous former une idée de la marche compliquée de 
la généralion alternante chez les Trématodes. 

Quel que soit l'aspect sous lequel on envisage la génération alter- 
nante de ces Helminthes, le point de départ le plus important est 
l'état dans lequel ces animaux portent le nom de Cercaires. Ces 
Cercaires, qui sont pourvues d’une queue, el qui nagent dans Peau 
avec vivacité, étaient connues longtemps avant qu'on eût deviné 
leur origine et leur véritable nature; on les considérait d’abord, à 
cause de leur petitesse, comme étant des Infusoires. Plus tard, on 
reconhut que ce sont des parasites, et l’on vit avec surprise que ces 
Cercaires n'étaient pas produites par des parents qui leur ressem- 
blassent, mais par des êtres qui ressemblent à des saes vermiformes 
et animés, qui se rencontrent sur le corps de divers Mollusques 
d’eau douce, tels que les Limnées, cramponnées entre les organes 
génitaux et l'appareil digestif. Ce sacs cercarigères , tout en étant 
très simples, ont des formes extrêmement variées, suivant les 
espèces de Cercaires qui, peu à peu, se développent dans leur inté- 
rieur (pl. 2, fig. 1 à3). Quelques espèces ont une ouverture buccale 
et un intestin terminé en ecul-de-sac ; d’autres sont complétement 
dépourvues de tout appareil digestif, les unes ont les parois du corps 
contracliles , les autres rigides et immobiles. Dans un groupe de 
ces sacs cercarigères, on distingue à l'intérieur des sacs secondaires 
simples ; chez d’autres, ces sacs secondaires sont ramifiés et dispo- 
sés de diverses manières; enfin chez tous, les parois du corps, très 
minces, circonscrivent une cavité qui ne renferme, outre le canal 
digestif, lorsque celui-ci existe, que des jeunes Cercaires, et ceux- 
ci ne proviennent pas d'œufs, mais bien de corps germinatifs qui 
s’en distinguent par des caractères essentiels. Ce sont des disques 
arrondis et un peu aplatis, qui, par suite de la croissance et de leur 


62 j SIEBOLD. 


développement ultérieur , constituent chacun un petit Ver pourvu 
d’une queue, et ressemblant par sa forme etson organisation à cer- 
tains ‘Trématodes, tels que les Distomes, les Monostomes, les 
Diplodiseus et les Gastrostomum (voy. lig. 4 à 10). 

Quant à l’origine des sacs cercarigères, on ne saurait l’attribuer 
aux Cercaires , car ces animaux n'offrent jamais d'organes repro- 
ducteurs. Pour s’en rendre compte, on a encore une fois eu recours 
à la doctrine de la génération équivoque, et l’on s’est imaginé que 
des sacs glandulaires de l'appareil digestif ou de l'appareil repro= 
ducteur des Mollusques sur lesquels ces êtres vivent, s'étaient 
modifiés pour leur donner naissance; mais cette hypothèse ne 
reposait sur aucune observation directe el positive, 

Une découverte que je fis dans ces dernières années vint jeter une 
vive lumière sur l’histoire encore si obscure desCercairesetsurleurs 
sacs générateurs. Effectivement, en 1825, pendant que j’exerçais 
les fonctions de médecin de district à Heidelberg , dans la Prusse 
orientale, j'eus l’occasion d'observer un grand nombre d'individus 
de l'espèce de Trématode qui est connue des helminthologistes 
sous le nom de Monostomum mutabile, et qui est très commune 
dans les sinus maxillaires de l'Oie. Je me suis assuré que cet Hel= 
minthe, de l’ordre des Trématodes, donne naissance à des jeunes 
qui sont vivants, qui ont la forme d’infusoires, et qui nagent dans 
l'eau à l’aide des cils vibratiles dont leur corps est couvert. 

Après un certain lemps je vis ces embryons mourir, et leur 
corps se liquéfier peu à peu, mais en laissant toujours un objet 
nettement défini et doué de mouvements. Les êtres ainsi produits 
avaient un corps et deux appendices latéraux , courts (fig. 42); et 
du reste, ils étaient visibles par transparence dans l’intérieur de 
l'organisme de l'embryon pendant la vie de celui-ci (fig. 14). Or, 
en examinant avec attention le corps vivant qui provenait ainsi de 
la progénilure des Monostomes, je reconnus, à ma grande surprises 
qu'ils ressemblaient en tout, formes , structure et mouvements , à 
de jeunes sacs cercarigères. J'ai dû, par conséquent, en conclure 
que les sacs cercarigères tirent leur origine des Trématodes. Cette 
observation faisait comprendre aussi comment les sacs cercarigères, 
inertes et incapables de se nicher dans le corps de leur hôte quand 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 63 
ils sont abandonnés à leurs propres ressources, peuvent cependant 
arriver jusque dans l’intérieur des Mollusques. Nous savons que le 
Monostomum mutabile vit en parasite chez des oiseaux aquatiques 
dans des sinus qui communiquent au dehors parles orifices naturels. 
Quand un embryon de ce Monostome nait, il peut donc trouver 
facilement une voie pour sortir de l'intérieur du corps de l'animal 
que son parent habite, et il est aussi à noter que les mœurs de son 
hôte le mettent en contact avec l’eau où il peutnager librement à l’aide 
de ses cils vibratiles, tout en portant dans son intérieur son sac 
cercarigère. Cet embryon de Monostome, à forme d’infusoire, cher- 
chera instinctivement les animaux qui sont propres à servir de ré- 
Sidence à ce sac; puis ayant pénétré dans le corps de l’un de ceux-ci 
par les ouvertures naturelles, et ayant rempli son rôle comme enve- 
loppe vivante et active du sac cercarigère, il cessera d'exister , et le 
sac devenu libre pénétrera de plus en plus profondément dans le 
corps de son hôte, et y trouvera le lieu le plus convenable au déve- 
loppement de sa progéniture future. 

Je n'ai pu suivre de mes yeux ces migrations de l’embryon du 
Monostome chargé de son sac cercarigère , et c’est par la pensée 
seulement que j'ai complété la série des circonstances dont il vient 
d’être question; il est done possible que les choses ne se passent 
pas complétement de la sorte ; mais on ne peut douter du fait prin- 
cipal, c’est-à-dire de la migration de l'embryon du Monostome, car 
les mœurs de cet embryon à forme d'infusoire l’indiquent , ainsi 
que la présence du jeune sac cercarigère dans son intérieur. 

On comprend facilement toute limportance des faits que j'ai 
constatés relativement à la courte période du développement du 
Monostomum mutabile, car ils m'ont donné la clef du problème 
que nous offrait la formation des sacs cercarigères. Il me reste 
maintenant à examiner ce que deviennent les Cercaires qui naissent 
de ces sacs, et les rapports que ces animaux peuvent avoir avec les 
Trématodes parfaits. Depuis longtemps on a été frappé de lana- 
logie de forme qui existe entre le corps des Cercaires et certains 
Trématodes, plus particulièrement les Monostomes et les Distomes. 
On peut encore ajouter que ces Cercaires, après avoir quitté leur 
Sac , perdent facilement leur queue, et deviennent ainsi encore plus 


6 SiEBOLD, 


semblables à des Trématodes. Un grand nombre de Distomes, dont 
le corps est armé antérieurement d’une couronne d'épines (les 
D. trigonocchalum , echinatum , uncinatum et militare ), ressem- 
blent mème tant à des Cercaires, que tout observateur non prévenu 
prendrait ces derniers après la chute de leur queue pour des jeunes 
individus de l’une de ces espèces de Trématodes. Et effectivement, 
à en juger par l’ensemble de leur organisation , ils ne sont autre 
chose que des jeunes Trématodes; et l'absence complète d'organes 
génitaux dans leur intérieur vient encore à l'appui de ce rappro- 
chement. Ce seraient donc encore de ces parasiles qui sont destinés 
à sortir, puis à rentrer dans le corps des animaux, à la recherche 
d’une demeure où ils puissent arriver à la maturité sexuelle, Mais 
la voie par laquelle ces Cercaires parviennent à leur destination est 
bien plus longue et plus compliquée que celle que nous avons vu 
suivre les jeunes Gordyces encore dépourvues d'organes de généra- 
tion. Ces derniers n’ont pas quitté la demeure où ils s'étaient tenus 
jusqu'alors , savoir le corps des insectes, et ils se retirent dans la 
terre déjà pourvus d’un dépôt de matières grasses nécessaire à 
leur existence, de façon à pouvoir y attendre tranquillement que 
le développement de leurs organes génitaux se fasse. Mais les Cer- 
caires émigrées sont destinées à voyager davantage, car elles ne 
peuvent croître et attendre leur maturité sexuelle que dans l’appa- 
reil digestif de certains Mollusques, Oiseaux, Reptiles ou Poissons. 

Beaucoup de mes lecteurs ne comprendront peut-être pas, au 
premier abord, comment les Cercaires, qui vivent dans l’eau, peu- 
vent arriver dans l'intestin de tel ou tel Mammifère où Oiseau , 
lesquels ne sont pour la plupart jamais en rapport avec l’eau ren- 
fermant ces petits êtres. Mais je puis lever ces difficultés, car j'ai 
observé ces Cercaires dans leurs migrations; mais avant de traiter 
ce point de leur histoire, je dois faire connaître une faculté qu'ils 
possèdent lorsqu'ils ont quitté leur sac et l'animal sur lequel ils 
vivaient. C’est la propriété qu'ils ont de s'enkyster, c’est-à-dire de 
se revêtir d’une capsule. Ce phénomène s’accomplit de la manière 
suivante : ce Cercaire, après avoir rampé où nagé pendant un cer- 
tain {emps, en paraissant inquiet, se contracte en boule , et laisse 
suinter de la surface de son corps une matière muqueuse qui se 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 65 


durcit peu à peu, et enveloppe de toute part l'animal qui ne cesse de 
se recourber, et se trouve ainsi renfermé dans une sorte de coque. 
Pendant que cela se fait la queue du Cercaire tombe, de facon que 
c’est le corps seulement de celui-ci qui se trouvé logé dans la 
capsule (fig. 13). Pendant longtemps j'ai cherché en vain à me 
rendre compte du rôle de ce kyste dans la vie du Cercaire ; mais à 
la suite de nombreuses dissections d'insectes , j'ai découvert un fait 
qui me permet d'en comprendre l'utilité. 

Effectivement, en disséquant un grand nombre de larves d’in- 
sectes différents, des Libellules, des Éphémères, des Perles, des 
Phryganes, j'ai trouvé dans leur intérieur des Cercaires enkystés ; 
j'ai également trouvé de ces Vers dans le même état chezces insectes, 
après qu'ils avaient quitté l’eau pour venir à terre , et qu'ils avaient 
achevé leurs métamorphoses. Mais pas un seul de ces Cercaires 
enkystés n’était encore pourvu de leurs organes générateurs 
complets. Chez un seul individu j'ai pu distinguer les premiers ves- 
tiges du testicule, de l'ovaire, et des parties externes de cet appa- 
reil. Or, on ne rencontre jamais chez les insectes des Trématodes 
adultes. J'en conclus done que ces parasites n'avaient cherché dans 
le corps des insectes dont je viens de parler qu’un refuge transi- 
toire; et que la plupart des Trématodes adultes qui vivent dans le 
corps des Vertébrés supérieurs ne sont autre chose que les Cer- 
caires , ou jeunes Trématodes à organes sexuels non développés , 
qui ont l'instinct d’émigrer des animaux inférieurs où ils sont nés 
jusque dans le corps des animaux supérieurs où leur développe- 
ment sexuel peut s'achever. Ainsi les Cercaires, produits dans l’in- 
térieur des Mollusques d'eau douce , parviennent à l'état parfait 
dans l'intestin d’un Mammifère ou d’un Oiseau insectivores, et 
pour y arriver immigrent dans le corps des larves aquatiques , 
s’y enkystent , et attendent ainsi que leur hôte ait subi des méta- 
morphoses , ait quitté l’eau , et ait été la proie d’un de ces Verté- 
brés supérieurs. Les insectes qui les renferment sont alors digérés, 
et les Cercaires, devenus libres par la dissolution de leur capsule, 
se fixent aux parois de l'intestin de leur nouvel hôte, qui seul était 
apte à les nourrir pendant la période du développement de leurs 
organes sexuels. 

&° série. Zooz. T. IV. (Cahier n° 2.) ! 5 


66 SIEBOLD, 

J'ai constaté, par l'observation directe, que les Cercaires n’ont 
pas seulement la faculté de s’enkyster de la sorte , mais qu'ils ont 
aussi l'instinct d’immigrer dans le corps des larves d'insectes. En 
effet, m’étant procuré un grand nombre de Cercaires (C. armala) 
provenant du corps du Lymneus stagnalis, je les ai placés dans un 
verre de montre avec des larves de Névroptères (de la famille des 
Éphémères et des Perles). Bientôt après je vis, à l'aide du micros- 
cope, que les Cercaires cessèrenit de nager librement dans l'eau 
qui les entourait, et se réunirent autour des larves, sur le corps 
desquelles ils semblaient ramper d’une manière inquiète, comme 
s'ils cherchaient quelque chose. On sait que le Cercaria armata à 
l'extrémité antérieure du front garnie d’une armature spiniforme 
(fig. 15, B ), et j'ai vu que souvent ces petits êtres restaient im- 
mobiles en pressant cet instrument vulnérant contre la surface du 
corps des larves sur lesquelles ils rampaient de la sorte. Bientôt 
après ils cessaient de faire effort pour piquer leur proie , puis re- 
commençaient la même manœuvre jusqu'à ce qu'enfin ils eussent 
réussi à entamer la peau molle située entre les segments du corps. 
Cela fait ils ne bougeaient plus, mais travaillaient sans relâche avee 
leur épine frontale jusqu’à ce qu'ils eussent achevé de perforer les 
téguments ; et aussitôt ce résultat obtenu , le Ver, dont l’agilité est 
extrême, faisait pénétrer l'extrémité antérieure et très effilée de son 
corps dans la plaie, en écarlait les lèvres, puis en passant comme à 
la filière, entrait presque tout entier dans l’intérieur du corps de la 
larve ; la queue seule restait toujours au dehors comme si élle avait 
été pincée par la rétraction des bords de la plaie. Ayant em- 
ployé dans ces expériences des larves de Névropières lrès jeunes, 
dont les téguments sont très délicats, j'ai pu continuer à observer 
les Cercaires après leur entrée dans le corps de leur hôte et 
la chute de leur queue. Grâce à la transparence des larves, je vis 
que ces parasites restaient aussitôt tranquilles , se contractaient en 
boule, et s'entouraient d’un kyste. Je reconnus aussi que toujours 
pendant que cette coque se forme, l’armature frontale se dé- 
tache du corps du Cercaire, et reste libre dans la cavité de la 
capsule (1). Celte armature subit donc le même sort que la queue 


(1) Cette observation, que j'ai publiée dans le Dictionnaire de physiologie 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 67 


nataloire de ces petits animaux: tous les deux se détachent, et 
tombent dès que leur rôle est accompli. 

L'instinct qui porte les Cercaires à immigrer de la sorte ét à s’en- 
kyster est si puissant, que pour y satisfaire ces animaux se hâtent 
parfois trop, et semblent se tromper de route. Ainsi j'ai trouvé 
eukystés dans l’intérieur du corps de divers Crustacés d’eau douce 
(Aselles et Crevelles des ruisseaux) des Cercaires qui ressemblaient 
exactement à ceux qui se logent dans le corps de certains insectes. 
Si ces Cercaires étaient destinés à se développer dans l’intérieur de 
quelque Vertébré à sang chaud qui ne cherche sa nourriture que 
sur la terre, ils auraient attendu vainement dans leur kyste que leur 
hôte, habitant des eaux, sortit de ce milieu pour venir à l'air. Il 
arrive aussi que beaucoup de Cercaires commencent trop tôt à for- 
ner leurs capsules, et manquent ainsi le but auquel ils sont des- 
tiné8 à tendre. Ainsi J'ai déjà dit que le Cercaria ephemera , après 
sa sortie du sac, s'attache souvent à la surface d’une plante ou de 
quelque autre corps étranger, et s'y enkyste; d’autres s’enkys- 
tent dans l'intérieur des Mollusques où ils ont pris naissance , 
quelquefois même dans la cavité de leur sac générateur (4). 
Steenstrup regarde ce phénomène comme étant normal, et je par- 
tagerais cette opinion si les Vers enkystés étaient destinés à se 
développer dans le canal intestinal de quelque poisson ou oiseau 
de marais. 

Bien que l’ensemble de faits que je viens d'exposer ne sé com- 
pose que de fragments de l’histoire physiologique de certains Tré- 
matodes, on peut les coordonner pour en former un tout à l’aide 
de la loi des générations alternantes établie par Steenstrup sur 
l'observation du mode de reproduction d’un grand nombre d’ani- 
maux inférieurs. C’est ce que je vais faire. 

Nous savons par les faits précédemment établis que certains 
Trématodés dont les organes sexuels sont développés (tels que les 
Monostomes et les Distomes), produisent dans ces organes une 


(t. IT, p. 669), est facile à répéter, car les sacs cercarigères de ce Trématode 
sont extrêmement communs chez nos Mollusques d’eau douce. 

(1) Steenstrup a décrit avec détail et figuré ces sacs cercarigènes qui con- 
tiennent des cercaires enkystés (loc. cit., p. 92, pl. 3, fig. 6 a et 6 b). 


68 SIEROLD. 

progéniture composée d'êtres qui n’ont pas d'appareil générateur, 
et qui ne ressemblent à la mère ni par leur forme ni par leur mode 
d'organisation. Chacun de ces jeunes se transforme en un animal 
tout à fait différent, savoir en un sac cercarigère qui offre les carac- 
ières d’une nourrice agame, ear il produit une portée de Cercaires 
sans le concours d'organes de génération. Les Cercaires, nés de 
ces sacs , différent à leur tour de leurs parents, mais se transfor- 
ment peu à peu, et finissent par avoir la structure et la forme de 
leur aïeul, du Trématode souche, quand leurs organes génitaux se 
sont développés. Chaque embryon, né de ces Trématodes , ne de- 
vient pas un nouveau Trématode sexué ; mais au contraire, en se 
métamorphosant, constitue une nourrice , laquelle, par la voie de 
la génération non sexuelle, produit à son tour un nombre plus ou 
moins considérable de nouveaux individus qui, en se développant, 
deviennent autant de Trématodes pourvus d'un appareil génital. 

Si nous suivons dans leurs diverses migrations les Trématodes 
qui sont soumis à cette loi de générations alternantes, nous verrons 
qu'une foule d'accidents peuvent les empêcher d'arriver au but 
voulu, c'est-à-dire les empêcher de pénétrer dans les viscères 
de l'animal destiné à servir de résidence pour le Trématode. 
Ainsi, tantôt l’émigration ou l'immigration de l'embryon infu- 
soriforme ou du Cercaire caudifère ne s'effectue pas ; d’autres fois 
le moment où le Ver s’enkyste n’est pas convenable ; d’autres fois 
l'insecte dans le corps duquel il s’est logé peut périr à une époque 
ou dans un lieu défavorable : de sorte que le Cercaire enkysté ne 
saurait arriver dans le corps de l'animal où son séjour est indis- 
pensable au développement de son appareil sexuel. Mais on voit 
aussi que, malgré les circonstances qui doivent entrainer la des- 
truction d’un si grand nombre de ces animaux, les Trématodes ont, 
aux diverses périodes de leurs générations alternantes, la faculté de 
se multiplier d'une manière excessive. La perpétuation de ces Vers 
se trouve done toujours assurée; car le nombre de ces nourrices et 
de ces larves est si grand qu'il en reste toujours assez qui sur - 
montent tous les obstacles et arrivent à l’état sexuel parfait. 

L'histoire des Cercaires nous permet de comprendre certains 
phénomènes que les anciens helminthologistes ignoraient ou expli- 


‘SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 69 
quaient d’une manière tout à fait fausse. Ainsi on a souvent trouvé 
chez les animaux et même chez l’homme, au milieu de la substance 
des organes les plus variés, des Helminthes dont le développement 
était incomplet. Et l’on ne pouvait comprendre comment ces Ento- 
zoaires, logés siprofondément dans l'organisme, avaient pu pénétrer 
jusque dans les parties sans issue au dehors pour y vivre et s’y 
multiplier. On s'imaginait alors qu'ils y étaient produits par voie de 
génération équivoque aux dépens de la substance des organes qui 
les renfermaient. On croyait aussi que cette production de Vers 
expliquait pourquoi on rencontre souvent en liberté, au milieu 
de la substance des organes, de jeunes Helminthes impar- 
faitement développés ; c'était encore , suivant ces physiologistes , 
des cas de génération équivoque; mais en réalité ces petits étaient 
des individus surpris au moment de leurs migrations, et qui étaient 
en train, soit d'entrer, soit de sortir ; ou bien encore des individus 
qui avaient trouvé dans ces organes un lieu de repos, où ils de- 
vaient attendre jusqu'à ce que leur hôte, dévoré par un autre ani- 
mal , leur permit d'achever passivement leur voyage de parasite. 

Beaucoup d'Helminthes errants pénètrent à travers le tissu des 
organes sans y rencontrer aucune résistance; mais d’autres finis- 
sent par s’y trouver enfermés dans une matière coagulable qui 
suinte des parties que leur présence irrite. Dans le premier cas, le 
kyste se fait aux dépens du parasite lui-même; dans le second, aux 
dépens de l'organe dans lequel ce parasite s’est logé. Ce dernier 
mode d’enkystement se voit chez les Cercaires dont j'ai rapporté 
l'histoire ci-dessus; l'autre mode, c’est-à-dire l’enkystement aux 
dépens de l’organe protecteur, est très facile à constater chez les 
Vertébrés, parce que le kyste se trouve alors en connexion orga- 
nique avec les tissus circonvoisins et en reçoit des vaisseaux 
sanguins. 

On trouve dans ces derniers kystes ou capsules les Helminthes 
les plus divers, et qui doivent avoir les destinées les plus variées. 

Ainsi beaucoup de ces Helminthes enkystés ne se modifient plus, 
etattendent jusqu'à ce que leur hôte ait passé dans le canal digestif 
de quelque animal de proie plus convenable à leur développement 
ultérieur. Les Cercaires nous ont fourni un exemple de cette ma- 


70 SIEBOLL. 

nière d'être. I y a aussi un petit Ver filiforme incomplétement dé- 
veloppé, qu'on a classé à tort parmi les Helminthes adultes, sous 
le nom de Trichina spiralis, qui reste pendant longtemps dans son 
kyste sans eroitre et sans acquérir des organes sexuels. Ce petit 
Trichina spiralis se trouve non-seulement dans la chair museu- 
laire de l'Homme, mais aussi, entouré d’une capsule ovalaire d'un 
quart de ligne de long, dans la peau de la poitrine et du ventre de 
beaucoup de Vertébrés différents. I est probablement destiné à 
passer un certain temps dans cette prison, et s'ilne devient pas libre 
par suite d’une migration passive, il y meurt sans avoir grandi et 
son corps se change en une masse de même forme, mais d’appa- 
rence vitreuse, composée de carbonate calcaire. Cette vitrilication, 
ou crétification, a lieu aussi chez d’autres Helminthes enkystés qui 
meurent sur place ; mais la forme de ces petits Vers ne se conserve 
pas toujours comme chez la Trichina, et change ou disparaît 
plus ou moins complétement. 

D'autres Helminthes continuent à croître dans l’intérieur de leur 
kyste, dont les parois leur fournissent les humeurs nécessaires à 
leur nutrition; mais les espèces qui sont destinées par la nature à 
acquérir leurs organes sexuels dans l'intestin de certains animaux 
déterminés ne peuvent achever leur développement dans l'intérieur 
de leur kyste, et doivent y languir, malgré leur accroissement, 
jusqu'à ce que leur hôte ait été dévoré par un animal de proie, 
dont l'intestin est la seule demeure où le parasite puisse arriver à 
son état parfait. Je puis citer comme exemple plusieurs Vers né- 
matoïdes, ainsi que des Cesloïdes. Dans une foule de Poissons, le 
foie est farei de capsules renfermant des Vers filiformes, qui sont 
souvent assez grands, ayant plus d'un pouce de long. Les helmin- 
thologistes ont classé dans leurs systèmes ces êtres sous le nom 
d’Ascaris capsularis, de Filaria piscium et F. cystica. Jamais je 
ne leur ai trouvé des organes génitaux développés, et, comme par 
l’ensemble de leur organisation ainsi que par leur forme, ils res- 
semblent d'une manière remarquable à certains Ascarides adultes 
et sexués , tels que l’Ascaris osculata, l'A. spiculigera, VA. angu- 
lata, V'ucuta, ete., qui habitent la cavité digestive des Phoques, du 
Cormoran , de la Grèbe , de la Mouette, et de divers qui vivent de 


SUR LA PRODUCTION: DÉS HELMINTHES. 7A 
proie, on doit être disposé à penser qu'ils appariennent à l’une ou à 
l'autre des espèces d’Ascarides dont je viens de parler, et dont ils 
seraient les larves. Des recherches plus précises nous apprendront 
à quelles espèces de ces Némaloïdes il faut rapporter ces Vers en- 
kystés, dont on a formé jusqu'ici des espèces nominalement 
distinctes; ar on ne saurait continuer à séparer spécifiquement 
les jeunes et les adultes d’une même lignée, Il est probable aussi 
que l'Ascaris incisa (fig. 17), qui, à l'état non sexué , se trouve 
_enkystée dans le périloine de la Taupe, doit arriver à son complet 
développement sexuel dans l'intestin de quelque autre animal. 

Il résulte de tout ce que j'ai dit ci-dessus que la progéniture des 
Helminthes se développe loin du séjour des parents, et, par suite de 
migrations plus ou moins complexes, parvient parfois à la fin dans 
des lieux de même nature que ceux hubités par eux. 

Pressés par l'instinet de migration, les embryons sortis de l'œuf 
quittent le lieu de leur naissance, se disséminent en tous sens, et 
profitent des occasions favorables pour pénétrer et s'établir dans le 
corps des animaux, Il est evident que des milliers de ces embryons 
ne doivent pas arriver au but et périssent en route; car leurs mi- 
grations sont trop soumises au hasard pour qu'il en soit autrement. 
Il peut se faire aussi que l’animal, dans lequel ils élisent leur do- 
micile temporaire, soit dévoré par un animal de la même espèce 
que celui habité par leurs parents, et dont ils sont eux-mêmes sor- 
üis, circonstance qui entraînera également la mort de ces petits 
êtres, D'autres peuvent se loger dans des individus qui ne devien- 
dront jamais la proie des animaux, dont le canal intestinal convient 
au développement complet de ces parasites. J'en vois la preuve 
dans la présence de la même espèce d'Helminthes enkystés chez 
des animaux de nalure très variée; et je considère les embryons, 
qui ont manqué ainsi Je but que la nature assigne à leur migration, 
comme étant des Vers qui se sont trompés de route. 

Je sais que les zoologistes sont peu disposés à admettre que les 
Helminthes puissent se tromper dans leurs migrations, et l’on se 
fonde sur ce que ces êlres, de même que tous les autres animaux, 
sont doués d’un instinet qui les porte à ne rien faire d'inutile, et à 
agir toujours d’une manière conforme à leurs besoins , bien qu'ils 


72 SIEBOLD. 

ignorent le but où leurs actions tendent. Mais si cela était vrai, 
chaque embryon de Tænia finirait par devenir un Tænia adulte , et 
les Ascarides, à raison du nombre incalculable de leurs œufs, se 
multiplieraient tellement que les animaux où ils habitent ne pour- 
raient plus exister , et tous périraient : jeunes et parents. Or ceux 
qui s'occupent de la recherche des Helminthes savent que ces pa- 
rasites ne sont pas aussi abondants qu’on pourrait le croire, d’après 


le nombre immense d'œufs qu'ils produisent. Il est même très 


probable que la nature , en vue des grandes difficultés que ces 
animaux on! à surmonter pour arriver à l’état adulte, les a doués 
d’une faculté reproductrice si extraordinaire, qu'il suffit qu'un 
petit nombre d'individus errants arrivent à leur destination pour 
donner naissance à des milliers d'œufs. Par suite de lexten- 
sion progressive de l’agriculture , de la destruction parfois com- 
plète de certaines espèces animales, de l’acelimatation et de la do- 
mesteation, des modifications ont du se produire peu à peu dans les 
habitudes de beaucoup d'Helminthes ; les choses ne doivent pas 
toujours se passer de nos jours comme dans les temps primi- 
tifs, et par conséquent nous ne devons pas nous étonner si les 
embryons de ces Vers sont sujets à se tromper parfois dans leur 
voyage. 

Le Trichina spiralis, que nous avons mentionné ci-dessus 
comme ayant été trouvé dans les museles de l'Homme, doit être 
considéré comme y élant arrivé par suite d’une erreur de ce genre. Il 
en est de même du Cysticerque du tissu cellulaire (Cysticereus 
cellulosæ) qui se rencontre assez souvent dans nos muscles et dans 
plusieurs autres organes. Ce Ver est une nourrice agame de Tænia : 
arrivé dans l'intestin de certains Mammifères, il peut achever son 
développement , acquérir l'appareil générateur, et devenir un 
Tænia. Le Trichina spiralis, transplanté dans un lieu de séjour 
convenable , éprouverait également un développement analogue. 
Si l’on admettait que ces deux parasites, poussés par leur instinct, 
s'étaient logés dans le corps de F'Homnie, comme ils se logent 
ailleurs, pour y rester jusqu'à ce que leur hôte soit dévoré par un 
animal carnassier déterminé, on arriverail à une conclusion que 
peu de mes lecteurs seront disposés à admettre, et ils penseront , 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 73 


comme moi, que c’est plutôt parce que ces parasites se sont trom- 
pés dans leurs migrations. 

Beaucoup de jeunes Vers, dont les individus adultes habitent le 
canal intestinal d’un Mammifère déterminé, s’égarent ainsi en pé- 
nétrant dans d’autres parties du corps du même animal, par exemple 
dans les muscles , dans le foie ou la peau, et ils y restent sans se 
développer , tandis que d’autres individus qui sont arrivés dans 
l'intestin y atteignent leur maturité sexuelle. Je citerais comme 
exemple le Triænophorus nodulosus, parasite de Poisson , qui, 
dans le canal intestinal du Brochet et de la Perche, devient un long 
Tænia à organes sexuels bien développés , tandis que dans le foie 
des mêmes animaux , on trouve renfermés dans des kystes des in- 
dividus de la même espèce, mais qui sont toujours dépourvus d’or- 
ganes générateurs. Ces derniers sont aussi, à mes yeux, des para- 
sites égarés. 

Il arrive assez souvent à ces petits embryons d’Helminthes, qui 
errent à travers le corps des Vertébrés, de percer les parois des 
vaisseaux sanguins, et d’être entrainés avec les globules du sang 
dans le torrent de la cireulation. En effet , j'ai souvent constaté la 
présence de ces embryons dans le sang des Ciseaux, des Reptiles et 
des Poissons, et on les a désignés sous le nom d’Hématozoaires (1). 
Ces petits parasites ne continuent pas à se développer dans le sang ; 
ils n’y grandissent pas, mais quelques-uns d’entre eux, entraînés 
par le courant qui les charrie, peuvent parvenir dans les vaisseaux 
capillaires de certains organes, et y trouver un lieu de séjour con- 
venable à leur développement. Du moins , on peut s'expliquer de 
la sorte la présence de Vers intestinaux dans la substance du cer- 
veau, dans la moelle épinière et dans l’intérieur de l'œil. Ces parties 
du corps sont protégées tantôt par des os, tantôt par des membranes 
résistantes, qui n’y laissent aucun accès de l'extérieur; et cette 
clôture est si complète, qu'avant la découverte des Hématozoaires 


(1) Dans mon article Parasires, déjà cité, j'ai rapporté les diverses observa- 
tions publiées jusqu'alors sur les Hématozoaires (p. 648); mais depuis lors de 
nouvelles recherches sur le même sujet ont été faites par Ecker (dans les A4r- 
chives de Müller, 1845, p. 501), Wedl (dans ses Beitragen zur Lehre von den 
Hæmatozoen, Vienne, 1849), et Leydig (Archives de Müller, 1851, p. 227). 


74 SIEBOLD. 

on ne pouvait s'empêcher de croire qu'il était impossible à des 
parasites d'y pénétrer du dehors, et que ees animaux devaient s’y 
être produits par voie de génération équivoque. Le Cysticerque du 
tissu cellulaire, le Conure du cerveau, et l'Échinocoque (E. homi- 
nis et Æ. veterinorum) qu'on avait trouvé vivant dans l’intérieur 
du cerveau et de la moelle épinière de l'Homme et des animaux , 
constituaient un des arguments les plus puissants des partisans de 
la génération équivoque. J'ai done soumis ces Vers à l'épreuve de 
l'observation directe, et plus loin je rendrai compte des résultats 
de mes expériences à ce sujet. É 

Il y a encore deux phénomènes qui se lient aux migrations et à 
la génération alternante des Helminthes, et qui ont passé inaperçus, 
mais que l’on consiatera facilement aujourd’hui que l'attention est 
dirigée sur ce point. En effet, on ne trouve dans l'entourage des 
individus adultes que des œufs ou des embryons nouvellement 
éclos; les autres périodes de développement nous manquent com- 
plétement , et e’est toujours dans d’autres lieux que le développe- 
ment de la progéniture s’accomplit. Ensuite les essaims d'Hel- 
minthes qu'on saisit pendant leurs migrations se composent toujours 
d'individus d’une certaine taille; ear ni les nourrices, ni les larves, 
n’émigrent que lorsqu'elles sont arrivées à une grandeur déter- 
minée. 

Dans ce chapitre, j'ai exposé avec détail l’histoire générale des 
migrations et de la génération alternante des Helminthes , afin de 
mettre le lecteur à même de me suivre lorsque , dans les chapitres 
suivants, j'aurais à parler du rôle des nourrices. Les faits précé- 
dents peuvent paraître à bien des personnes aussi neufs que sur- 
prenants ; mais le phénomène des générations alternantes n’est pas, 
en réalité, plus merveilleux que les métamorphoses. Nous sommes 
habitués depuis si longtemps aux phénomènes de métamorphose 
tant chez les animaux supérieurs que chez les animaux inférieurs , 
que nous ne nous étonnons plus à la vue des changements que la 
Grenouille éprouve dans le jeune âge, et nous trouvons tout simple 
que la Chenille se transforme en une chrysalide, d'où s'échappera 
ensuite un Papillon. Mais il y avait un temps où ces métamorphoses 
élaient inconnues des naturalistes, et où l’on attribuait la produe- 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 75 
tion des larves, aussi bien que des Vers, à la génération spontanée. 
IL est done à espérer que le moment arrivera où la génération si 
compliquée des Helminthes sera également claire aux yeux de 
tous les naturalistes. 


CHAPITRE Il. 


VERS GESTOÏDES. 


Les Vers rubanés, ou Cestoïdes, forment un groupe particulier 
parmi les Hehninthes, et ne parviennent à leur développement 
complet et à l’état de maturité sexuelle que dans le canal intestinal 
des Vertébrés. Ceux que l’on rencontre fréquemment soit hors du 
canal intestinal, dans d'autres viscères, chez les Poissons, les 
Reptiles, les Oiseaux et les Mammifères, soit dans l’intérieur du 
corps des animaux invertébrés, n'ont jamais des organes géné- 
rateurs complétement développés. Ils attendent dans cet état de 
stérilité une occasion pour émigrer , et leur changement d'habita- 

tion s'effectue lorsque leur hôte est dévoré par quelque Vertébré 
carnassier. C'est alors seulement que les Cestoïdes non sexués, 
parvenus d'une manière passive jusque dans un canal intestinal 
approprié à leur développement ultérieur, aequièrent leur appareil 
générateur et deviennent aples à produire des œufs. Une circon- 
stance remarquable se présente pendant que ces parasites accom- 
plissent ce voyage; ils traversent l'estomac des animaux de proie 
pour aller se fixer dans l'intestin sans être notablement endomma- 
gés, tandis que les parties molles de l'animal, dans le corps duquel 
ils se trouvaient logés, sont complétement digérées. 

Il existe une foule de faits qui démontrent l'exactitude de ce que 
je viens d'avancer ; mais je me bornerai à citer les suivants : 

Dans certaines lacalités, un Poisson de la famille des Scombres, 
le Gasterosteus aculeatus, est habité par un Tænia, qui y vit à l’état 
libre dans la cavité abdominale. Le corps de ce parasite y acquiert 
parfois des dimensions considérables, surtout en épaisseur ; mais 
dans l’intérieur du Poisson, ce Ver, que l’on a appelé le Bothrio- 
cephalus solidus, reste toujours incomplet, n'ayant ni organes gé- 
nitaux, ni les arlicles terminaux de son corps. Le Gasterosteus est 


76 SIEBOLD. 

la proie d’une foule d’Oiseaux d’eau, qui portent fréquemment dans 
leur intestin un Tænia qui est pourvu d’un appareil générateur 
complet, et qui est désigné par les helminthologistes sous le nom 
de Bothriocephalus nodosus. Or celui-ci n’est autre chose que le 
B. solidus, parvenu à une période de développement plus avancée ; 
son premier hôte, le Scombéroïde, ayant été digéré dans l’estomac 
d’un Oiseau, il a pu passer, sain et sauf, de la cavité abdominale de 
ce Poisson dans le canal intestinal de son second hôte, Oiseau, et 
y achever son développement sexuel , développement que l’on 
trouve d'autant plus avancé, que l’époque où s’est effectuée cette 
migration passive est plus éloignée. Depuis qu'on a reconnu ces 
relations entre le B. solidus et le B. nodosus, les helminthologistes 
ne considèrent plus ces animaux comme formant deux espèces 
distinetes, et conformément aux conclusions formulées par le doe- 
teur Creplin, qui le premier attira l’attention sur leur parenté, on 
les désigne tous les deux sous un même nom spécifique, celui de 
Schistocephalus dimorphus. 

Il en est tout à fait de même du Ligula simplicissima, qui vit en 
parasite dans la cavité abdominale de diverses espèces de Carpes, 
ef qui y conserve toujours ses organes générateurs à l’état rudi- 
mentaire; tandis qu'après être parvenue, avec le Poisson qui lui 
sert d'hôte , dans l’intestin des Canards , des Grèbes, des Hérons 
et autres Oiseaux aquatiques , il achève de se développer et ses 
organes sexuels arrivent à maturité. Dans les systèmes helmintho- 
logiques du siècle dernier, on donnait à cette Ligule adulte, par- 
venue aux diverses périodes de son développement, d’autres noms, 
et on l'appelait tantôt Ligula Sparsa ou L. universalis, tantôt 
L. alternans où L. interrupla. 

Beaucoup de Cestoïdes, quandils sont dans le jeune âge, se logent 
dans le foie ou dans le péritoine des Poissons, et déterminent dans 
le tissu d’alentour une irritation, accompagnée de la sécrétion d’une 
matière coagulable, laquelle constitue plus tard une fausse mem- 
brane , et les enveloppe dans une capsule, de façon à les isoler du 
reste de l'organisme de leur hôte. La nature cherche ainsi à débar- 
rasser les organes de ces parasites incommodes , dont nous avons 
déjà parlé sous le nom de Helminthes enkystés, 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTIES. 77 


Les Cestoïdes enkystés de la sorte continuent à grandir ; mais ils 
n'arrivent jamais à la maturité sexuelle, car ils n’ont pas encore 
trouvéun gîte convenable pour leur développement complet. Aussi 
lorsque l'animal dans lequel ils sont logés de la sorte vient à périr 
sans être dévoré par quelque Carnassier , ils trouveront aussi la 
mort sans avoir donné naissance à d’autres individus. Les exemples 
suivants le montrent. 

Le lecteur se rappelle, sans doute , que le Triænophorus nodu- 
losus dont il a déjà été question ei-dessus habite l'intestin du Bro- 
chet*et de la Carpe quand il est à l’état adulte, qu'il affecte alors 
la forme d'un long Ver rubané, à organes génitaux complets, et 
qu'il ne serencontre nulle part ailleurs dans cet état de maturité. Les 
helminthologistes attribuent encore d’autres habitalions à ce para- 
site, et le signalent comme se trouvant aussi dans différentes 
espèces de Salmones ; mais dans ces derniers Poissons, il est tou- 
jours enkysté et logé soit dans le foie ou dans le péritoine , et tou- 
jours aussi dépourvu d'organes reproducteurs. J'ai eu dernière- 
ment l’occasion de vérifier ce fait, en examinant un grand nombre 
de Truites (Salmo salvelinus) pêchées à Konigsee, près de 
Berchtesgaden. Les organes des Poissons étaient farcis de kystes 
de diverses grosseurs, contenant des individus du Triænocephalus 
chez aucun desquels les organes génitaux n'étaient développés. 
Ils attendaient évidemment que ce développement püt avoir lieu , 
mais cela ne devait s'accomplir qu'après leur migration dans le 
canal intestinal d’un Brochet ou d’une Perche, changement d'ha- 
bilalion qui d’ailleurs pouvait facilement se faire dans ces eaux, 
où des Poissons de proie, en nombre considérable, vivaient au mi- 
lieu des Truites où les jeunes Vers étaient renfermés, et qui en font 
la chasse. Lorsque le Triænophorus nodulosus est parvenu à l'état 
adulte , il dépose ses œufs dans l’intérieur de l'intestin du Brochet 
ou de la Perche; mais ces œufs, qui n’éclosent jamais dans l’habi- 
tation de la mère, sont évacués au dehors avec les excréments. Je 
n'ai pu rien constater relativement aux embryons qui doivent 
naître de ces œufs; mais s'il est permis d’en juger d’après ce qui 
se passe chez d'autres Helminthes, nous devons croire que la pro- 
géniture du Triænophorus nodulosus ainsi formée possède l’instinet 


78 SIEBOLD. 


d’émigration , qui la conduira dans un lieu favorable à son déve- 
loppement ultérieur. Jene connais ni la forme de ces embryons, ni 

© leurs migrations; mais ayant trouvé dans le foie de divers Poissons 
(différentes espèces de Truites, le Gasterosteus aculeatus, le Cottus 
gobbio, la Lotte, la Blennie, etc:) des individus enkystés du T, no- 
dulosus, qui étaient souvent assez avancés dans leur croissance, je 
crois devoir en conclure que la progéniture de ces Helminthes pé- 
nètre dans ces animaux pour y établir leur séjour temporaire, et 
y attendre que leur hôle soit dévoré par un des Poissons de proié 
sus-mentionnés. Je ne sais pas si l'entrée de ces parasités dans l’in= 
testin de leurs hôtes principaux (le Brochet ou la Perche) peut 
s’effectuer sans l'intermédiaire d’un hôte provisoire ; cela me parait 
probable; mais s'il en est ainsi , il ne leur sera pas indifférent de 
pénétrer dans telle ou telle autre partie du corps de ces Poissons 
carnassiers ; si les jeunes Vers arrivent dans le foie ou dans le péri- 
toine du Brochet ou de la Perche , ils y subiront le même sort que 
lorsqu'ils se logent dans d’autres Poissons , car le canal intestinal 
des premiers est le seul gite approprié à leur développement 
sexuel; ils s’enkysteront par conséquent ét y grandiront, mais n’y 
arriveront jamais à maturité, et la seule chance qu'il leur resterait 
pour devenir féconds serait que leur hôte devint la proie d’un plus 
grand individu de son espèce. 

Lés mêmes migrations et les mêmes erreurs dans le choix du 
gîte orit lieu chez le Tœnia longicollis et le T. ocellata; qu’on ren- 
contre enkystés, hors du canal intestinal, dans le foie de divers 
Salmones et Percoïdes; son corps peut s’y augmenter et se seg- 
menter, mais reste dépourvu d'organes génitaux. 

J'appellerai encore l'attention sur le fait suivant : On trouve 
assez souvent le Triænophorus notdulosus à l’état non sexué dans 
le foie du Gastrosteus aculeatus; or les Brochets et les Perchés ne 
chassent pas ce Poisson à cause de ses épines. Il en résulte que les 
jeunes Triænophores se sont trompés dans le choix de leur gite , 
quand ils l'ont pris dans le corps de ces Épinoches. 

Les diverses espèces de Cestoïdes, que les helminthologistes ont 
rangées dans le genre T'etrarhynchus, ne sont autre chose que des 
individus incomplétement développés el non sexués , des Vers que 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 79 


les mêines naturalistes ont placés dans d’autres genres, et que les 
successeurs de Rudolphi ont désignés sous le nom de Rhynchobo- 
thrium. Ainsi le genre L'etrarhynchus ne doit pas être conservé ; 
il ne se compose, en effet, que de jeunes individus de certaines 
espèces de Rhynchobothrium. L'extrémité eéphalique de plusieurs 
de ces Tétrarhynques , avec ses quatre trompes rétractiles armées 
de crochets, el ses quatre ventouses mobiles, ressemble si exacte- 
mént, tant par sa forme que par son organisation, à celle d’un 
Rhynchobothrium, qu'on ne saurait conserver aucun doute sur 
l'identité spécifique de ces animaux. Le Rhynchobothrium , à son 
état de développement sexuel, ne se trouve que dans le canal digestif 
dé la Raie et des Squales, et, sa progéniture pour arriver dans l’in- 
térieur dé ces animaux voraces, prend, comme moyen de trans- 
port, les Poissons dont ceux-ei se nourrissent, Comme le Squale 
n’est pas difficile sur le choix de sa nourriture, il n'est pas néces- 
saire que les jeunes Vers prennent pour hôtes provisoires telle ou 
telle espèce d'animal marin bien déterminée, pour qu'ils arrivent 
dans l'intérieur de ce Poisson, Aussi trouve-t-on des Tétrarhyn- 
ques, c’est-à-dire de jeunes Rynchobothrium , dans beaucoup 
d'animaux marins différents, dans la Sole, la Limande, le Rouget, le 
Trigle , le Congre, des Mollusques conchifères, et même la Seiche. 
Leur état enkysté montre qu'ils ne sont deslinés à y séjourner que 
d’une manière temporaire; on voit aussi à leurs allures qu'ils ne 
sont pas encore chez eux : ils traversent les chairs, les parois de 
l'estomac, et les organes les plus divers du Poisson qui les loge, 
et se servent très habilement de leurs trompes rétractiles, qui sont 
garnies d'innombrables crochets recourbés en arrière, et qui sont 
d’excellents instruments de perforation. 
L’extrémité céphalique des jeunes Cestoïdes prend de très bonne 
heure Ja forme de la tête de ses parents arrivés à l’état de complet 
développement. A l’aide des caractères fournis par ces parties, on 
peut done déterminer très facilement les Cestoïdes , lors même 
qu'ils sont encore dans le jeune âge. D'après M. van Beneden, on 
désigne sous le nom de Scolex ces individus non développés et 
encore dépourvus d'organes reproducteurs , mais dont l'extrémité 
céphalique a déjà sa forme définitive, Sous le rapport physiolo- 


80 SIEBOLD. 

gique, on a comparé les Scolex aux larves des Insectes ; mais cette 
comparaison n'est pas à l'abri de la critique, car la larve de l’In- 
secte quitte l'œuf sous cette forme, et se transforme peu à peu en 
un individu apte à se reproduire; tandis que le Scolex n’est pas 
sorti de Fœuf sous cette forme, et ne devient pas lui-même un in- 
dividu apte à engendrer, mais produit, par la multiplication non 
sexuelle, un grand nombre d'individus pourvus d'organes géni- 
taux. Il y a done iei non pas une simple métamorphose, mais des 
phénomènes de générations alternantes , dans lesquels le Scolex 
joue le rôle de nourrice (1). 

I ne faut pas oublier, lorsqu'on étudie la vie des Cestoïdes, que 
tout Scolex, quelle que soit sa forme, n’est qu'un individu dans le 
jeune âge, et que l'embryon dontil provient a quitté l'œuf sous une 
forme toute différente. Les embryons des genres Tænia et Bothrio-. 
céphale se ressemblent en tous points , bien que la portion cépha- 
lique de ces Cestoïdes diffère considérablement. Ces embryons 
(fig. 18, a) sont parfaitement bien adaptés au genre de vie qu'ils 
doivent mener, c’est-à-dire pour creuser et perforer. Ils se mon- 
trent, en effet, sous la forme de corps arrondis, extrêmement petits, 
microscopiques mêmes , et à lun de leurs pôles on voit saillir les 
pointes de six petits crochets-ou griffes, dont deux placés au milieu 
du groupe et deux de chaque côté. Ces crochets (fig. 18, b, c, d) 
sont ainsi disposés en trois paires , et différent entre eux par leur 
forme, mais ceux de la même paire se ressemblent (2). Lorsqu'on 
relire un de ces embryons des enveloppes de l’œuf sans le blesser, 
(opération qui peut se pratiquer, si l'on presse avec précaution 
l'œuf entre deux plaques de verre, de facon à rompre la coque ren- 
fermant l’animal), on peut voir, à l’aide du microscope, que son 
corps se contracte, s’allonge, se retrécit alternativement, et que, 


(1) Pour l'intelligence de ceci, il est bon d'ajouter que dans l'opinion de l’au- 
teur les individus sexués sont constitués par les divers anneaux qui se déve- 
loppent à l'arrière de la tête, et qui constituent la portion rubanée du corps du 
Tænia adulte, anneaux qui se séparent souvent et qui renferment chacun un 
appareil génital complet, ainsi que cela sera expliqué plus loin. R. 

(2) Voyez la description de ces petits crochets dans la Physiologie de Burdach, 
t. Il, p. 204 (1837). 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 81 
lorsqu'il exéeute ces mouvements, l'extrémité armée de Six ero- 
chets, que je considère comme l'extrémité antérieure du Ver, se 
porte très loin en avant el sur les côtés. En observant ces ma- 
nœuvres, an comprend facilement comment le Cestoïde, encore 
si petit, peut parvenir à pénétrer dans les parties molles d’autres 
animaux, et traverser même leurs organes dans tous les sens 

Ces embryons de Cestoïdes ayant réussi à immigrer de la sorte, 
et s'étant enkystés et nichés dans le corps d’un animal par l'inter- 
médiaire duquel ils peuvent être portés dans le canal intestinal d’un 
Vertébré , subissent une métamorphose remarquable , et passent 
de l’état embryonnaire à l'état de Scolex. En effet, il se développe 
dans l’intérieur de leur corps un organe qui prend peu à peu les 
caractères d’une tête de Tænia, et qui ressemble (oujours à celle 
propre à l'espèce dont cet embryon descend. Lorsque le dévelop- 
pement de la tête s'est accompli, celle-ci peut sortir de l'intérieur 
du corps de l'embryon en se renversant comme un doigt de gant, 
et alors le jeune Ver devient un Scolex (fig 19). L'idée la plus 
juste que l’on puisse se former de tout ce développement du Scolex 
est de l’assimiler à la formation d’un bourgeon interne. 

Les anciens helminthoïogistes considéraient ce que nous appelons 
un Scoleæ comme étant l'extrémité céphalique du Cestoïde à la partie 
postérieure de laquelle croissait le corps proprement dit du Ver 
rubané. Quant à l'organisation de ces Scolex eux - mêmes, nous 
devons insister, d'une manière toute particulière, sur ce fait qu'ils 
n'ont jamais une ouverture buccale, et, par conséquent, ne peuvent 
se nourrir que par l'absorption de matières liquides dont la surface 
extérieure de leur corps est baignée. On distingue souvent dans 
leur substance des corpuscules globuleux ovoïdes, qui ont la forme 
de disques d'apparence vitreuse ; on les a pris pour des œufs , mais 
ce ne sont en réalité que des dépôts organiques de carbonate de 
chaux, semblables à ceux qu'on voit chez un grand nombre d’au- 
tres animaux inférieurs, où ils entrent dans la constitution de 
la peau. 

Enfin ces Scolex ont été considérés comme de jeunes Vers ces- 
toïdes ; mais nous comprendrons mieux les diverses phases de 
l'existence de ces êtres, et nous mettrons leur histoire mieux en 

#* série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 2.) 2 6 


82 SIEBOLD. 


accord avec celle des autres Helminthes , si nous les envisageons 
comme des nourrices. 

Si l’on admet que les Scolex sont des nourrices, il faut s’attendre 
à ce qu'ils aient la faculté de produire, par une multiplication non 
sexuelle, une série d'individus sexués. Cela a lieu en effet, mais 
seulement sous l'influence du canal intestinal d’un Vertébré. Nous 
allons rendre compte de ce phénomène; mais avant que d’en par- 
ler, il est nécessaire de faire connaïtre les faits qui démontrent la 
production des Scolex par la métamorphose des embryons de Ces- 
toïdes. Pour cela je citerai d’abord, et avec une entière confiance, 
les observations suivantes dues à M. Stein de Thurand (4). 

Ce naturaliste a découvert à l'extérieur de l'estomac chez les 
Vers de la farine , ou larves du Tenebrio molitor, de petits kystes 
de la grosseur d’une tête d’épingle, renfermant un embryon de 
Tænia , dans l'intérieur duquel une nourrice en forme de Scolex 
s'était développée. Slein a reconnu aussi dans le Scolex compléte- 
ment développé une tête de Tænia parfaitement caractérisée. Il a 
constaté aussi, de la manière la plus positive, que les embryons de 
Tænia ne se changent pas eux-mêmes en Scolex par un simple 
phénomène de eroissañce , mais bien que le Scolex se forme dans 
leur corps à l’aide d’un bourgeon interne. Le grand nombre de 
kystes qu'il a examinés lui a permis d'observer tous les états transi- 
toires, depuis celui de l'embryon simple et primordial jusqu’à celui 
du Scolex parfaitement développé dans son intérieur. Pendant la 
formation de cette nourrice , le Scolex change d'aspect, prend la 
forme d’un croissant, en s’allongeant un peu plus d’un côté que de 
l'autre ; ce qui fait que les six crochets s’écartent d'une manière 
irrégulière (fig. 26); cette armature cesse en même temps de fonc- 
tionner et devient inutile : elle n’entre pour rien dans la formation 
de la couronne de crochets du Scolex. Il est évident que ces em- 
bryons de Tænia étaient parvenus par émigration dansle corps des 
larves de Ténébrions, et y avaient pénétré, comme le pense Stein, 
en traversant les parois de l'estomac de leurs hôtes ; car ce natu- 

(4) Voyez Beiträge sur Entwicklungsgeschichte der Eingeweidewürmer, par 
Stein, dans ie journal que je publie avec M. Külliker, intitulé: Zeitschrift fer 
wissenschaftliche Zoologie, L. IV, p. 207 (1853). 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 83 


raliste à trouvé plusieurs fois dans la cavité de l'estomac de ces 
mêmes larves des embryons qui, à en juger par leur aspect, ve- 
naient de sortir de l’œuf. Il est done probable que ces jeunes em- 
bryons sont arrivés dans l'estomac des larves de Ténébrions avec 
la nourriture de ces animaux, et qu'après avoir percé les parois de 
ce viscère, à l’aide de leurs six crochets, sont parvenus dans la 
cavité abdominale de leur hôte. Celui-ci leur fournissant un gîte 
temporaire convenable, ils y accomplissent leurs fonctions en 
produisant dans leur intérieur un Scolex. Le but de la migration 
de ces embryons est alors atteint, et c’est pour cela que leurs 
organes perforants tombent, ét qu'eux-mêmes ne jouent qu'un 
rôle secondaire, le rôle principal étant dès lors dévolu à la nour- 
rice en forme de Scolex, qui s'est développée dans leur intérieur. 
Cette nourrice est elle-même neutre; mais elle produit aux dépens 
de la substance de son corps des individus sexués, lorsqu'elle se 
trouve dans les conditions favorables, c’est-à-dire dans l'intestin 
d'un animal vertébré d'une certaine espèce , et non pas ailleurs. 
La nourrice cestoïde doit donc alors émigrer à son tour pour aller 
dans l'intestin de son hôte principal (4), et pour cela elle n’a qu'à 
rester en place, en attendant que son hôte intermédiaire ait été 
mangé par le Vertébré, dans l'intestin duquel elle est destinée par sa 
nature à achever son développement, et à engendrer une nouvelle 
progéniture. Ce Vertébré ne nous est pas encore connu, et par con- 
séquent je ne puis parler d’une manière positive de la dernière 
période du cycle physiologique de ee Cestoïde ; mais voici quelques 
faits qui nous mettront peut-être sur la voie de cette découverte. 
Plusieurs petits mammifères, tels que les Rats et les Souris, man- 
gent volontiers les larves de Ténébrions ; il en est de même de 
divers oiseaux. Il, est aussi à noter que les Ténébrions, après 
l'achèvement de leurs métamorphoses , peuvent devenir la proie 
des Chauves-Souris, des Hirondelles, ete, On arriverait donc peut- 
être à combler la lacune qui existe dans l’histoire des parasites 
observés par M. Stein, en comparant attentivement ces Scolex du 

(1) L'auteur désigne toujours sous le nom d'hôte principal l'animal dans 


l'intérieur duquel l'Helminthe devient apte à produire des œufs, et par consé- 
quent à se multiplier par la génération sexuelle. (R.) 


84 SIEROLD. 
Ténébrion avec l'extrémité céphalique des Tænias trouvés dans 
l'intestin de ces Vertébrés. 

Plus anciennement, j'avais fait moi-même une observation qui 
a été complétée par le docteur Meissner , et qui vient à l'appui des 
recherches de Stein (1). En effet, j'ai trouvé dans la substance du 
poumon d’un mollusque terrestre (V’Arion empiricorum), un grand 
nombre de Scolex enkystés, dont la forme de la tête prouvait qu'ils 
étaient des Cestoïdes. Mais la forme de ce Tænia nourrice est 
tout autre que celle des Scolex trouvés dans les larves de Téné- 
brions. Son extrémité céphalique reste toujours renfoncée dans la 
portion abdominale courte et peu développée du parasite (fig. 20 
et 21). Bien que je n’aie jamais trouvé de ces animaux en voie de 
formation, on voit, par la disposition de toutes les parties du Scolex 
renfermé dans l’intérieur de son réceptacle, que la tête a été pro- 
duite par une bouture interne, analogue à celle précédemment dé- 
crite chez le Scolex du Ténébrion. L'existence des six crochets 
restés sur la surface de l’abdomen, mais pas implantés dans la 
substance du corps de ces Scolex rétractiles, montre aussi que ces 
Vers provenaient réellement des embryons de Tænia, et c’est au 
docteur Meissner qu'appartient d’avoir constaté la présence de ces 
appendices (2). On voit done que ce Scolex enkysté est tout à fait 
semblable aux nourrices de Tænia des larves de Ténébrions, si ce 
n’est que son extrémité abdominale ne se prolonge pas en forme de 
queue. Il est évident que ces parasites ont dù arriver dans le pou- 
mon de la Limace sous la forme ordinaire des Tænias qui sont en 
train d'émigrer ; mais, quoique j'en aie trouvé très fréquemment, 
je n’ai pu reconnaître encore quelle est l'espèce de Cestoïde qui 
fournit les embryons dont ils proviennent, ni dans quel cas est 
le Vertébré dans l'intestin duquel ces Scolex doivent arriver pour 
produire les individus sexués (3). 

(1) Voyez mon Mémoire sur les générations alternantes des Cestoïdes, Zeitsch. 
für wissench. Zoologie, 1850, p. 202, et Annales des sciences naturelles, t. XV, 
p. 177 (1851). 

(2) Zeitsch. für wissensch. Zool., 1854, p. 383. 

(3) J'ai trouvé très fréquemment ces Scolex enkystés dans le poumon de la 
Limace rouge (Arion empiricorum), non-seulement à Brisgau, mais aussi en Silé- 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 85 

Les individus sexués des Cestoïdes sont, comme on le voit , les 
artieles adultes de ces mêmes Vers ; car c'est dans l’intérieur de ces 
articles que se développent les organes mâles et femelles, par les- 
quels les œufs nécessaires à la conservation de l’espèce sont pro- 
duits. Ces articles hermaphrodites arrivés à maturité sont très 
sujets à se détacher du corps du Scolex chez beaucoup de Cestoïdes, 
et sont désignés sous le nom de Proglottis. Ces Proglottis sont 
produits, à la partie postérieure du corps du Scolex, par un phéno- 
mène de croissance et de scissiparité, et non par génération 
sexuelle. Or si nous comparons cette série de phénomènes avecce 
qui a lieu dans les générations allernantes ordinaires, nous y 
trouverons tous les caractères de celles-ci. Les articles mûrs du 
Tænia, ou, en d’autres termes, les individus sexués du Cestoïde, 
sous la forme de Proglottis, engendrent des embryons armés de six 
crochets, qui ne ressemblent aucunement à l'animal mère, c'est-à- 
dire au Proglotüs, et en restent toujours différents; car ils devien- 
nent plus tard des Scolex, et constituent alors des nourrices. Enfin, 
à l'extrémité abdominale du Scolex ainsi formé, se développe, par 
voie de reproduction non sexuelle, une série d'articles, c’est-à-dire 
une génération d'individus sexués qui répêtent la forme du Pro- 
glottis souche. Les Proglottis ressemblent aux Scolex par leur 
organisation ; abstraction faite des organes génitaux, ils sont éga- 
lement privés d’un orifice buccal, et leurs téguments renfer- 
ment les corpuscules vitrés dont il a déjà été question. 

Au premier abord, il peut paraître paradoxal de considérer 
comme autant d'individus les articles des Vers cestoïdes, qui jus- 
qu'ici n’ont élé regardés que comme des parties du corps d’un 
même animal; mais toute personne, sans idée préconçue, qui 
observe les articles d'un Tænia au moment de leur maturité 
sexuelle complète, admettra facilement que le Tænia n’est pas un 
animal simple, mais bien un être composé d’un grand nombre 
d'individus. Les articles parfaitement mürs se séparent avec une 
facilité extraordinaire, et chaque article ainsi isolé peut se conser- 
ver frais et bien vivant pendant fort longtemps, sans éprouver au- 


sie, et ici en Bavière. Le docteur Meissner m'écrit qu’il en est de même aux 
environs de Hannover. 


86 SIEBOLD. 


eun changement de forme ; ils sont même susceptibles de se mou- 
voir, et avant de mourir ils cherchent à pondre leurs œufs 
également. Les anciens naturalistes avaient aussi considéré les 
articles isolés du Tænia comme étant des individus distincts : ainsi 
les segments du Tænia commun de l'Homme (7. solium) ont été 
décrits sous le nom de Vermes cucurbitini. Les helminthologistes 
n’ont pas pu adopter l’idée que le Tænia soit composé d’un assem- 
blage de ces Vers cucurbitains ; et ce qui les choquait le plus, c'est 
que Vallisnieri (1) et Coulet (2) avaient avancé que ces Cucurbi- 
tains s’attachaient les uns au bout des autres par la succion, pour 
constituer le corps multiartieulé d’un Ver rubané. Blumenbach 
fut presque le seul parmi les naturalistes plus modernes qui, au 
grand étonnement de ses contemporains , ait cherché à faire pré- 
valoir l'opinion de Vallisnieri (3). Les anciens naturalistes avaient 
parfaitement raison de considérer les divers articles isolés du 
Tænia comme autant d'individus distinets ; mais ils commirent en 
même temps une grande erreur, lorsqu'ils disaient que le Cestoïde 
multiarticulé résulte de l’agglomération de ces Cucurbitains bout à 
bout, car c’est absolument l'inverse qui à lieu : les Cucurbitains, 
au lieu de se réunir après avoir été isolés, sont produits par la 
désagrégation des articles primitivement agrégés. 

La première opinion des naturalistes touchant l'individualité des 
articles associés aux Cestoïdes était juste, et a été corroborée par ce 
fait que les helminthologistes modernes ont parfois décrit comme 
autant d'espèces de Vers des articles du Tænia isolés, et dont l’ori- 


(1) Voyez ses Considerazioni ed esperienzi intorno alla generazione de’ Vermi 
del corpo humano. Padova, 1710, p. 63. 

(2) Voyez Tractatus de Ascaridibus , et Lumbrico lato. Lugd. Batav., 1729, 
p. 37, 56, etc. 

(3) Voyez les Gœtingischen anzeigen von gelchrten sachen, 1774, n° 154. Blu+ 
menbach considérait les petits articles antérieurs de la chaîne d'un Tænia comme 
étant les plus âgés ; et la raison qu'il alléguait pour expliquer leur petitesse, rela- 
tivement aux articles postérieurs , était que les premiers n'avaient pas pu s'ap- 
proprier la nourriture qu'ils avaient prise, les autres la leur ayant soustraite 
par succion. À cette occasion , il compare ces Vers à certains enfants dont les 
plus nouveaux ne cessent pas d'extraire de leurs prédécesseurs ce que ceux-ci 
avaient déjà puisé chez leurs devanciers. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. e7 


gine leur était inconnue. Ainsi le Ver singulier que Diesing a dé- 
crit sous le nom de T'hysanosoma actinoides, et qu'il a trouvé dans 
le canal intestinal d'un Cerf du Brésil, a d’abord excité beaucoup 
d'intérêt parmi les naturalistes; mais dernièrement ce même auteur 
a reconnu que ce parasite n'était autre chose qu'un article isolé (un 
proglottis) du Tœnia fimbriata qui habite l'intestin de ce Cerf (4). 
M. Dujardin aussi a décrit des articles de divers Tænias comme des 
espèces d’un genre nouveau, auquel il a donné le nom de Pro- 
glottis (2), bien qu'il ait vu que ces Vers provenaient du Tænia; il 
étaittellement convaincu de leur individualité, que, dans son système 
de classification , il les en sépara génériquement (3). Mais depuis 
qu'on s’est familiarisé davantage avec les phénomènes des généra- 
tions alternantes, et qu'on sait qu'un animal peut naître d’un parent 
d’une forme toute différente de la sienne , les relations entre ces 
manières d’être d’une même espèce sont mieux comprises, et les 
helminthologistes commencent à marcher franchement dans la voie 
nouvelle , et à considérer les Cestoïdes comme étant des colonies 
d'animaux. Cependant les naturalistes ne se sont d'abord décidés 
que bien difficilement à adopter les vues qui, depuis le temps de 
Blumenbach, avaient été un sujet de plaisanterie. Ainsi M. F.-S. 
Leuckart , tout en reconnaissant la véritable nature des Cestoïdes 
articulés, S'exprima de la manière suivante, probablement pour ne 
pas trop choquer les préjugés de ses contemporains : « Je suis 
même porté à considérer les Vers cestoïdes articulés comme des 
organismes dont chaque membre formerait un individu distinct, 
et le fout un animal composé, ainsi que plusieurs zoologistes distin- 
gués l'ont cru jadis (4). » Après que Steenstrup fut revenu sur ce 
sujet, et eut considéré les Tænias comme des animaux compo- 
sés (5), M. Van Beneden , dans une excellente monographie, a dé- 
montré l'exactitude de ces vues en s'appuyant sur les exemples les 
plus frappants, et en donnant des animaux dont il parle des figures 


(1) Systema Helminthum, 1, p. 504 (1850). 

(2) Annales des sciences naturelles, 2° série, t. XX, p. 341 (1843). 

(3) Histoire naturelle des Helminthes, p. 630, pl. 10, fig. A, B, C (1845). 
(4) Versuch einer naturgemässen Eintheilung der Helmenthen, 1827, p. 21. 
(5) Loc. cit., p. 114. 


88 SIEBOLD. 

très exactes (1). Lorsqu'on jette les yeux sur les figures que Coulet 
a données des articles isolés (ou proglottis) du Tœnia solium dans 
leurs divers mouvements et leur état de contraction ou d'extension 
(fig. 22), on ne peut se défendre de l’idée que ce sont bien des 
individus indépendants. Les articles isolés (c'est-à-dire la forme 
proglottidienne) des autres espèces de Tænias se comportent exac- 
tement de mème. Enfin les genres Æcheneibothrium, Phyllobo- 
thrium, Anthobothrium, Onchobothrium, Calliobothrium et T'etra- 
rhynchus, que Van Beneden a décrits avec leurs articles nettement 
indiqués, sont absolument dans le même cas, lorsqu'ils sont à l'état 
de Proglottis (2). 

Étant amené de la sorte à considérer les Cestoïdes comme des 
animaux agrégés, on peut comparer un Tænia avec ses nombreux 
segments à un Polypiaire composé, bien qu’il y ait entre ces êtres 
multiples des différences importantes à noter. En effet, dans le 
Polypiaire composé, les individus germent en différents sens , soit 
les uns vis-à-vis les autres, soit lesuns sur les autres, de sorte que, 
selon les genres , la forme de l'agrégat varie : celui-ci se ramifie, 
devient foliacé, s'étend en manière de croûte, ou constitue une 
masse arrondie ; tandis qu'au contraire , chez les Vers ruba- 
nés, les individus ne se développent sur le corps maternel que 
dans un seul sens et en une seule série à la suite les uns des 
autres. 

Le ‘ieu où cette multiplication s'opère, et que l'on pourrait appe- 
ler le champ reproducteur , est l'extrémité abdominale de la nour- 
rice à l’état de Scolex. La génération alternante de ces Helminthes 
présente cette particularité que la nourrice conserve toujours son 
activité reproductrice el son indépendance , tandis que les autres 
animaux à générations allernantes périssent après avoir donné nais- 
sance à une nouvelle géneration, ou bien continuent simplement à 
vivre avec sa progeniture. 

Nous devons done considérer la tête de chaque Ver rubané 


(4) Les Vers cestuides, 1850, Il est à regretter que M. Van Beneden, dans ses 
recherches, se soit borné à l'étude des scolex et des proglottis des Cestoïdes, et 
qu'il ne les ait pas étendues au développement de leurs embryons. 

(2) Loc. cit., Mg. 2 à 46. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 89 
comme appartenant à la nourrice, qui continue à vivre et à se mul- 
tiplier. Le col du Tænia est l'extrémité abdominale de cette nourrice 
à l'état de Scolex, et à la suite de ce col on voit toujours chez les 
Cestoïdes un développement continue d'articles s'effectuer. Une 
série non interrompue de nouveaux individus pousse ainsi, d'avant 
en arrière, à l'extrémité du col du Tænia, et peu à peu les articles 
qui constituent ces individus grandissent, et deviennent de plus en 
plus distinets, par suite des rides transversales qui les séparent 
entre eux. Ces rides transversales sont d’abord très serrées et à 
peine visibles ; mais à mesure qu'ils s’allongent, et que de nou- 
veaux articles , sé développant toujours en arrière du champ pro- 
ducteur {ou région céphalique du Tænia), les éloignent de plus en 
plus de leur lieu de naissance , ces lignes de démarcation devien- 
nent de plus en plus distinctes , et les segments ou individus ac- 
quièrent chacun leur forme propre (fig 23 ). Plus tard les rudi- 
ments d’un appareil générateur hermaphrodite se montrent dans 
l'intérieur de chacun de ces articles, et cet appareil est d'autant 
plus avancé en maturité que l'article auquel il appartient est situé 
plus loin en arrière du cou; car la production non interrom- 
pue de nouveaux articles éloigne toujours les anciens de plus en 
plus de la tête, et le rang d’ainesse de ceux-ci correspond à la 
place qu'ils occupent dans la série. Enfin les anneaux adultes se 
séparent de leurs frères puinés, et deviennent des individus indé- 
pendants. 

Je dois diré cependant que le développement des articles n’est 
pas toujours aussi complet que chez certains Cestoïdes ; les indivi- 
dus ainsi constitués n’offrent pas d’une manière aussi distincte la 
forme de Proglottis. Chez les Tænias , les Tétrarhynques et plu- 
sieurs autres Cesloïdes, dont l'extrémité céphalique est armée de 
suçoirs et d’une couronne de crochets, ce développement est com- 
plet, et il y a production de Proglottis parfaits et indépendants. 
Dans le genre Bothriocéphale, les articles arrivent aussi à être bien 
délimités, mais n'ont que peu de tendance à s’isoler complétement. 
Chez le Triænophorus la division en articles est moins prononcée , 
et chez la Ligule elle est encore plus incomplète , car elle n’est in- 
diquée que sur les côtés par des rides transversales à péine per- 


90 SIEBOLD. — SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 


ceplibles ; de sorte que chez ces Helminthes le corps de la nour- 
rice, développé en forme de ruban simple , offre dans son intérieur 
un grand nombre de groupes d'organes génitaux hermaphrodites, 
sans que ces groupes soient circonscrits dans des articles distincts. 
Sous ce rapport, une Ligule, considérée comme un animal composé, 
peut se comparer à certains Polypiaires dans lesquels les individus 
sont également moins indépendants et s’isolent par des troncs 
communs. 

On n’est pas encore parvenu à constater la durée de la période 
pendant laquelle l'extrémité céphalique d’un Cestoïde peut jouer le 
rôle de nourrice , ni le nombre d'individus sexués qui peuvent en 
naître dans telle ou telle espèce; mais, chez plusieurs Cestoïdes, le 
nombre de Proglottis produits par un seul de ces Scolex nourrices 
doit être énorme, car on sait , par l'observation directe , que plu- 
sieurs de ces Vers, après avoir laissé tomber beaucoup d'articles 
chaque jour pendant des mois entiers , durant lesquels ils étaient 
restés fixés dans le canal intestinal, en portaient encore plusieurs 
centaines au moment où ils avaient été expulsés au dehors. D'un 
autre côté, il est difficile de décider si les Vers cestoïdes qui habi- 
tent le corps de l’homme et des animaux peuvent ou non, après la 
production d’une série de Proglottis , suivie d’un certain temps de 
repos , recommencer à en former , car on ne peut être certain que 
les deux séries d'articles aient été produites par la même nourrice, 
et que la seconde partie ne provienne pas d’une nouvelle nourrice 
qui aurait réussi à se loger dans l'intestin déjà habité par un autre 


Ver de la même espèce. 
(La suite à un prochain cahier.) 


MEMOIRE 


SUR 
LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE, 


Par le D" L. FIGUIER, 


Agrege de chimie à l'École de phurmacie de Paris, etc. 


Lu à l'Académie des sciences le 27 août 1855. 


La théorie physiologique qui accorde au foie la fonction de sé- 
créter du sucre repose uniquement, ainsi qu'on l’a déclaré dès le 
début de cette discussion , sur l'absence du sucre dans le sang de 
la veine porte chez un animal en digestion de viande. L'auteur de 
cette théorie déclare, conformément à ses fravaux antérieurs, que, 
« chez un Chien en digestion de viande cuite ou crue, il n’y à pas 
de sucre dans la veine porte, ni une heure, ni deux heures, ni trois 
heures, etc., après le repas (D). » Cette assertion se trouve repro- 
duite en ces termes dans un ouvrage récent du même auteur : 
« Quand on dit que, chez un Carnivore, il n’y à pas de sucre dans 
» le sang de la veine porte, ce n’est pas là un résultat moyen fourni 
» par beaucoup d'expériences dans lesquelles on aurait trouvé 
» quelquefois des résultats opposés. C’est une expérience constante 
» et absolue, etjamais, quand elle est bien faite et dans les condi- 
» tions indiquées , il n'y a du sucre dans le sang de la veine 
» porte (2 ). » 

D'autre part, j'ai affirmé, en m'appuyant sur plus de trente 
expériences faites sur des Chiens soumis au régime exclusif de la 
viande, et saignés à la veine porte pendant la digestion, que, dans 
le sang de la veine porte d’un animal placé dans ces conditions, on 
peut toujours , à l’aide du réactif de Frommherz, reconnaître Ja 
présence d’un principe sucré, 


(1) Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XL, p. 717. 
(2) Leçons de physiologie expérimentale, par M. CI. Bernard, 1855, p. 489, 


92 L. FIGUIER. — MÉMOIRE 

L'Académie a confié à une commission le soin de juger ces faits 
contradictoires, afin de terminer ce débat et de fixer l'opinion des 
physiologistes sur une question qui avait vivement préoccupé le 
monde savant. Dans la séance du 48 juin, l’Académie a entendu la 
lecture du travail de la commission. Conformément aux faits dont 
j'eus l'honneur de la rendre témoin pendant l'expérience à laquelle 
je fus convoqué, la commission reconnait qu’il existe dans le sang 
de la veine porte d’un animal qui a pris un repas de viande, un 
principe qui réduit la liqueur de Frommherz, c’est-à-dire le tar- 
trate de cuivre dissous dans la potasse. Mais elle ajoute qu’à ses 
yeux ce phénomène de réduction est insuffisant pour caractériser 
le sucre, et que la fermentation peut seule fournir une conclusion 
rigoureuse sur la nature de ce principe. Reconnaissant toutefois 
que la question relative à la sécrétion du sucre par le foie n'était 
pas encore résolue, la commission à bien voulu engager les 
personnes qui se sont occupées de ces travaux à continuer leurs 
recherches. 

Je me suis fait un devoir d’obéir au vœu exprimé par l’éminent 
rapporteur de la commission, et je viens communiquer à l’Acadé- 
mie le résultat de mes nouvelles expériences, résultat qui n’était 
pas d’ailleurs difficile à prévoir. 

Lorsque, en effet, j'ai annoncé l'existence d'un principe sucré 
dans le sang de la veine porte, en m'appuyant sur le caractère po- 
siif fourni par le réactif cupro-potassique, je me conformais au 
mode de recherche qui était alors en honneur. Dans toutes les ex- 
périences publiques qui ont été faites depuis Six ans, relativement 
à la recherche du sucre, aussi bien pour le cas considéré ici que 
pour tous les autres, c’est au réactif de Frommherz que l’on avait 
recours. La fermentation était sans doute invoquée comme moyen 
de contrôle dans le cours des recherches de laboratoire ; mais on 
avait, avec raison d’ailleurs, une confiance entière dans le réactif 
cupro-potassique, et l’on posait notamment en principe quel’absence 
de réduction par ce réactif était une preuve absolue de l'absence du 
sucre dans le liquide examiné (4). Je me plaçais done bien au cœur 


(1) En 1853, l'auteur dela théorie glycogénique exprimait ce fait en ces termes 
dans sa thèse Sur la nouvelle fonction du foie : « La réduction du tartrate de cuivre 


SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DE FOIE. 93 
de la question en annonçant que, contrairement à ce qui avait été 
professé jusqu’à ce jour, il existe, dans le sang de la veine porte 
d’un animal en digestion de viande, un principe qui réduit facile- 
ment la liqueur cupro-potassique ; ajoutant que l'erreur qui avait 
été commise sur ce point tenait à la présence , dans le sang de la 
veine porte, d’une matière albuminoïde, qui a pour effet d’empé- 
cher la réaction que le glycose exerce sur la liqueur de Fromm- 
herz. On a déclaré, à la suite de mon travail, que le liquide 
cupro-potassique, proclamé naguère comme infaillible pour établir 
l'absence du glycose, est un réactif infidèle ou insuffisant, et que 
la fermentation est le seul caractère à invoquer. J'ai accepté sans 
difficulté la question posée en ces termes, persuadé que, puis- 
qu’une chimie attentive avait pu signaler la cause de l'erreur où la 
physiologie était tombée, relativement à l'emploi du liquide cupro- 
potassique pour la recherche du sucre dans le sang de la veine 
porte, elle pourrait également réussir à dévoiler la circonstance 
qui mettait obstacle à la fermentation alcoolique du même produit. 


La chimie a fait connaître la liste d’un grand nombre de sub- 
stances qui, ajoutées à un liquide sucré, ont la propriété de s’oppo- 
ser à l’action du ferment; même en quantité très faible, elles 
mettent obstacle à la transformation du sucre en acide carbonique 
eten alcool. Maïs il suffit de faire disparaitre ces produits, grâce à 


» dissous dans la potasse, en présence du glucose, est un caractère empirique qui 
» n'offre pas sans doute une valeur absolue comme la fermentation alcoolique, pour 
» constater la présence du glucose. Mais il n’en est plus de même quand il s'agit de 
» constater l'absence du même principe sucré; si la réduction manque, on peut 
» conclure avec cerlilude qu'il n'existe pas de traces de glucose dans le liquide où 
» on le cherche. » (Nouvelle fonction du foie, par M. CI. Bernard, p. 23.) 

Le même physiologiste disait encore en 1854, dans ses Leçons de physiologie 
expérimentale, qui viennent d'être imprimées : « Leur caractère absolu (il est 
» question du réactif de Frommherz et de la potasse) n’est qu’un caractère né- 
» gatif, c'est-à-dire que l'on peut affirmer que toute liqueur qui ne produit pas avec 
» eux les réactions indiquées ne contient aucun des sucres de la deuxième espèce. » 
(Leçon du 26 décembre 1854, ouvr. cité, p. 39.) 


9h L. FIGUIER. — MÉMOIRE 

un réactif approprié, pour voir la fermentation, jasque-là empêchée, 
se manifester aussitôt. C’est un fait de ce genre qui se présente pour 
le sucre contenu dans le sang charrié par la veine porte, pendant 
la digestion de la viande. Ce principe ne fermente pas directement, 
mais il suffit de le faire bouillir deux ou trois minutes avee un acide 
étendu, c’est-à-dire avec quelques gouttes d'acide sulfurique ou 
azotique , et de saturer ensuite exactement l’acide par un carbo- 
nate alcalin , pour que la fermentation alcoolique puisse se mani- 
fester par le contact de la levûre de bière avec sa dissolution. 

L'expérience que nous allons rapporter mettra ce phénomène 
dans tout son jour; elle a d’ailleurs l’avantage de répondre à 
toutes les objections que l’on pourrait élever, telles que le reflux 
du sang du foie dans la veine porte, et l'insuffisance du temps du 
régime animal. 

Un Chien de forte taille, nourri depuis huit jours de viande de 
cheval, a pris un repas composé de cette viande cuite. Six heures 
et demie après ce repas, on a fait sur l’animal vivant la ligature de 
la veine porte, en opérant comme je lai indiqué dans mon 
deuxième mémoire; le sang, défibriné, pesait 700 grammes. 

600 grammes de ce sang ont été traités par deux fois et demie 
leur volume d'alcool à 36 degrés. Séparée du coagulum rouge dû 
à l’action de l'alcool, et acidulée par un peu d'acide acétique, 
cette liqueur a été évaporée à siccité au bain-marie. Le résidu , 
bien sec, a été repris par l’eau distillée , et passé à travers un 
linge pour le séparer du dépôt albumineux formé pendant léva- 
poration. 

La liqueur ainsi obtenue a été divisée en deux parties égales. 

La première partie a été mise, directement et sans traitement 
particulier, en contact avec de la levüre de bière; elle n’a donné 
aucun signe de fermentation. 

La seconde a été tenue en ébullition, pendant deux ou trois mi- 
nutes, avec cinq gouttes d'acide azotique ordinaire. La liqueur, qui 
était trouble, et passant très difficilement à travers le filtre, a 
donné, par l’ébullition, un dépôt de nature albumineuse ou ca- 
séuse, el s’est subitement éclaircie en prenant une belle teinte 
jaune. Neutralisée ensuite très eæactement par un peu de carbo- 


SUR LA FONGTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 95 


mate de soude en poudre, et mise en contact avec de la levüre de 
bière bien lavée, elle a donné, au bout d’un quart d’heure, des 
signes de fermentation qui ont continué pendant plusieurs heures, 
en ayant la précaution de maintenir l'appareil près d’un fourneau 
un peu chaud. Le gaz recueilli était entièrement absorbable par la 
potasse. Quant au liquide, on l’a placé dans une petite cornue, et 
l'on en a recueilli, par la distillation, environ le cinquième. Pendant 
cette distillation, il a été facile de reconnaitre, dans le récipient 
où les vapeurs se condensaient, une odeur alcoolique bien carac- 
térisée. Le produit de cette distillation ayant été placé dans une 
cornue plus petite, on a rectifié de manière à ne recueillir que les 
sept ou huit premières gouttes du produit. Dans cette rectification, 
l'odeur alcoolique s’est encore manifestée avec évidence. Enfin, 
ce dernier liquide, additionné de quelques gouttes d'une disso- 
lution de bichromate de polasse et d'un peu d'acide sulfurique, 
porté ensuite à l'ébullition , s’est coloré en vert, el a conservé, 
après l’ébullition, une légère odeur d’aldéhyde. Je me permets de 
recommander aux opérateurs cette manière simple et éminem- 
ment sensible de reconnaitre la présence de l'alcool. Lorsque ce li- 
quide existe en quantité trop petite pour pouvoir être enflammé, 
la constatation de l'odeur caractéristique de l’esprit-de-vin dans le 
récipient où viennent se condenser les vapeurs, aussi bien que la 
coloration en vert par la réduction du bichromate de potasse, est 
un moyen qui permet de reconnaitre les plus faibles traces d'alcool. 

L'expérience que nous venons de rapporter est démonstrative, 
puisque l'on voit le même sang de la veine porte qui n'avait point 
donné directement de signes de fermentation, présenter ce phéno- 
mène dès qu'on le soumet à l’action de quelques gouttes d’un acide 
étendu. 

On peut conclure de cette expérience, que le principe sucré qui 
se forme pendant la digestion de la viande s'accompagne, dans la 
veine porte , de quelque substance étrangère qui met obstacle à 
la fermentation alcoolique. Pour faire apparaître le sucre avec 
toutes ses propriétés, il faut le débarrasser, par l’ébullition avec 
un acide, des matières étrangères qui l’accompagnent ; de même 
que, pour obtenir à l’état de pureté un produit mêlé à d’autres 


96 L. FIGUIER. — MÉMOIRE 

matières organiques, il faut, par des réactifs appropriés, par lé 
sous-acétate de plomb, par exemple, éliminer les antres substances 
organiques. [ci le sous-acétate de plomb ne saurait être employé, 
car il précipite en partie le glycose contenu dans le foie et dans le 
sang, comme je l'ai montré dans mon premier mémoire. 

Ainsi, le principe sucré contenu dans la veine porte n’est pas 
seulement masqué par une substance étrangère au réactif de 
Frommherz, il est également soustrait, par quelque cause du même 
ordre , à l’action du ferment. C'est parce que l’on a méconnu ces 
deux circonstances, que l'existence d’un principe sucré dans le 
sang de la veine porte est restée jusqu'ici inaperçue. Ajoutons enfin 
que si le sucre pris dans le foie et dans les veines hépatiques a la 
propriété de fermenter directement et sans l’intervention préalable 
d’un acide, cela tient sans doute à ce que ces produits étrangers, 
charriés par la veine porte pendant la digestion , et qui mettent 
obstacle à la fermentation du sucre, ont disparu du foie, à la suite 
du temps et des mutations physiologiques dont cet organe est le 
siége. 

J'ai répété plusieurs fois l'expérience qui précède, avec cette 
différence que je ne partageais pas en deux parties le liquide, qui 
était consacré tout entier à constater le phénomène de la fermenta- 
tion, grâce à l’ébullition préalable avec quelques gouttes d'acide 
sulfurique ou azotique. Dans toutes les expériences exécutées de 
cette manière, en agissant sur 300 à 400 grammes de sang dela 
veine porte de Chiens soumis depuis une semaine au moins à une 
alimentation exclusive avec de la viande de cheval , et opérés de 
cinq à six heures après le repas, il a toujours été possible de con- 
stater, par l'action de la levüre de bière, le dégagement d’une cer- 
taine quantité d’un gaz absorbable par la potasse, d'apprécier d’une 
manière très manifeste une odeur alcoolique dans le récipient où 
venait se condenser le produit des deux distillations, et de constater 
avec le dernier liquide la réduction et la coloration en vert du 
bichromate de potasse. ; 

L'expérience nous à appris que, dans la discussion actuelle, il 
faut s'attendre à tous les arguments. M. le professeur Lehmann a 
récemment observé que la matière colorante du sang (hématosine 


SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 97 
de M. le Canu), traitée par l'acide azotique , donne naissance à de 
l'éther azoteux, à un acide non azoté et à du glycose. On objectera 
peut-être que , par suite d’une altération de ce genre, il peut se 
former du glycose dans l'opération qui nous sert à purifier le prin- 
cipe sucré contenu dans le sang de la veine porte. Mais il suffira, 
pour détruire cette objection, de faire remarquer que, par le pro- 
cédé que j'ai fait connaitre et que j'emploie pour séparer le glycose 
du sang, toute l’hématosine est précipitée, sans qu'il en reste au- 
eune trace dans le produit ultime de l'opération. En effet, l’addi- 
tion au sang de trois fois son volume d'alcool sépare l’hématosine 
qui se trouve précipitée dans le coagulum rouge formé par l'alcool. 
L'action de la chaleur sur le liquide filtré, acidifié par l’acide acé- 
tique et évaporé à siceité, a ensuite pour résultat d'éliminer toutes 
les autres matières albuminoïdes du même genre; de telle sorte 
qu'il est impossible d'admettre que l'acide azotique puisse, dans la 
dernière opération, concentrer la moindre trace d'hématosine, 
J'ajouterai, d'ailleurs, que l'acide sulfurique ne produit point avec 
l'hématosine la réaction indiquée par M. Lehmann ; or, c'est avee 
l'acide sulfurique étendu que j'ai opéré dans le plus grand nombre 
de mes expériences, et il a tonjours donné le mème résultat. 

Quelques personnes regrelteront peut-être que nous n’ayons pu 
recueillir dans nos expériences des quantités plus considérables 
d'alcool. Nous répondrons par une réflexion bien simple. Un 
Chien recoit un repas composé, par exemple, d'un kilogramme de 
viande. Commencée deux heures après le repas , la digestion de 
cette viande n’est pas encore terminée au bout de huit à neuf 
heures (dans l'estomac de Chiens que nous avons opérés huit et 
quelquefois dix heures après le repas, il restait encore de la viande 
non digérée). Que l’on calcule, d'après cela, la quantité de sucre 
que l'intestin doit céder au sang des veines mésentériques pendant 
l'espace des quelques minutes que dure la saignée de la veine porte, 
et lon comprendra qu'il ne puisse exister dans ce sang que des 
quantités très faibles de sucre. II faudrait, pour obtenir des quan- 
tités plus considérables d’alcool, réunir sept ou huit Chiens de forte 
taille, recueillir sur chacun d’eux 200 à 300 grammes seulement 
du sang de la veine porte, afin de ne pas emprunter de sang à la 

&* série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 2.) 5 7 


98 L. FIGUIER. — MÉMOIRE 


circulation générale ; traiter ensuite tous ces sangs par l'alcool, ce 
procédé étant le seul qui permette d'obtenir sans altération le prin- 
cipe sucré contenu dans le sang de la veine porte, et soumettre 
enfin à une fermentation commune les produits de ces diverses 
opérations. Celte belle expérience, mes humbles ressources d’expé- 
rimentateur ne m'ont pas permis de l’exécuter ; les résultats si nets 
que j'avais obtenus la rendaient d’ailleurs peu nécessaire. 


IE. 


Les faits qui précèdent paraîtront sans doute décisifs si on les 
met en regard de cette assertion , proclamée par l’auteur de la 
théorie glycogénique , que pendant la digestion il n’y a jamais de 
sucre dans le sang de la veine porte. Mais l'expérience que nous 
avons décrite demande à être exécutée avec soin, car, aux diffieul- 
tés que présentent les expériences sur un animal vivant , vient se 
joindre cette autre difficulté, d'ordre chimique, qui consiste à trou- 
ver une petite quantité d’un produit assez altérable, mêlé à une 
grande proporlion de matériaux organiques étrangers. Je deman- 
derai donc la permission de rappeler ici ce que j'ai dit dans mon 
deuxième mémoire sur la manière d'exécuter la recherche du sucre 
dans le sang de la veine porte. La méthode que j'emploie n’a pas 
été, en effet, instituée, ainsi qu'on l’a dit, « vaguement et comme 
au hasard. » Elle a été, au contraire , le résultat de l'étude appro- 
fondie des moyens les plus convenables à employer pour résoudre, 
par la voie de l'expérience, l’importante question de physiologie 
dont elle renferme la solution. 

Les conditions de cette expérience sont les suivantes : 

1° Opérer sur le Chien vivant, afin de se procurer une quantité 
assez grande de sang. Si l’on commence, au contraire, par tuer 
l’animal au moyen de la section du bulbe rachidien, et que l’on ne 
recueille le sang que sur le cadavre , par suite de l'arrêt de la cir- 
culation, la quantité de ce liquide que l’on retire des vaisseaux est 
habituellement trop faible pour que l’on procède avec süreté dans 
cette recherche. On peut sans doute avec plus d'attention et de 
soin obtenir le même résultat dans ce dernier cas ; mais il est plus 
commode et plus sûr d'opérer sur l'animal vivant. 


SUR LA FONCTION GLYGOGÉNIQUE DU FOIE. 99 


2e Ne pas recueillir pourtant, même avec un Chien de forte taille, 
plus de 300 à 400 grammes de sang de la veine porte, afin d'éviter 
que le sang qui provient de la saignée ne finisse par être emprunté 
à celui de la circulation générale, 

3° Pour éliminer les matières coagulables du sang, opérer, 
comme je l'ai indiqué, au moyen de l'alcool , de l’évaporation à 
siccité, ete. Il est, en effet, un procédé que j'ai quelquefois mis en 
usage pour l'élimination complète de matières coagulables du sang, 
et qui permet d'obtenir, à moins de frais, le même résultat, Voici 
en quoi ce procédé consiste : Le sang, défibriné par le battage, est 
étendu de son volume d'eau , et coagulé dans un bain-marie à la 
vapeur de l’eau bouillante. Le coagulum très épais , déterminé par 
la chaleur, estexprimé dans un linge. Le liquide brun-rouge qu'on 
en retire est acidifié par un peu d'acide azotique , et porté à l’ébul- 
lition dans une capsule ; les dernières quantités d’albumine non 
coagulée au bain-marie se séparent par cette courte ébullition. En 
saturant dans le liquide filtré la petite quantité d'acide libre au 
moyen d’un carbonate alcalin, on obtient très promptement, à l’état 
de liberté, les parties non coagulables contenues dans le sérum du 
sang. Mais ce moyen, qui peut rendre beaucoup de services quand 
il s’agit de rechercher dans le sang des substances peu altérables, 
ne doit pas être employé dans le cas que nous considérons ici, dans 
la crainte que, sous l'influence de la chaleur, le carbonate alcalin 
contenu dans le sérum n’altère ou ne modifie le principe sucré qui 
existe dans le sang de la veine porte. 

&° S'il s’agit d'examiner comparativement le sang de la veine 
porte et celui qui s'échappe du foie, dans le but de déterminer les 
quantités relatives de glycose contenues dans chacun de ces li- 
quides , pratiquer , ainsi que j'ai eu le soin de le dire dans mon 
deuxième mémoire, une saignée sur la veine cave inférieure dans la 
cavilé thoracique. En effet, et j'insiste sur ce point d’une manière 
toute spéciale, quand on prend le sang dans les veines hépatiques, 
selon le procédé connu et si recommandé, on se place dans des 
conditions profondément vicieuses au point de vue de la recherche 
que l’on exécute. Les veines hépatiques sont renfermées , comme 
on le sait, dans le tissu même du foie, et viennent se déverser dans 


100 L. FIGUIER. — MÉMOIRE 

la veine cave inférieure avant l'émergence de ce dernier vaisseau 
hors de l'organe hépatique, de sorte qu’il est impossible de prati- 
quer sur elles une véritable saignée. On est donc obligé, pour re- 
cueillir le sang contenu dans les veines hépatiques, d'introduire un 
tube de verre dans le calibre intérieur de quelques-unes de ces 
veines, et de presser ensuite sur le foie afin d'en exprimer le sang, 
ou bien, sans employer de tube de verre, on se contente d’inciser 
la veine cave dans son passage à travers la scissure supérieure du 
foie, après l'avoir liée dans l'abdomen et dans la poitrine ; on in- 
cline alors le foie de l'animal pour en faire écouler le liquide contenu 
dans les veines hépatiques. Mais en opérant de cette manière, on 
recueille le sang qui remplit le tissu du foie etnon celui qui cireule 
dans un vaisseau. Autant vaudrait presque séparer le foie de l’ani- 
mal, le couper en morceaux, et le faire bouillir avec de l’eau. L'or- 
gane hépatique étant le réservoir où le sucre se trouve accumulé, 
il n’est pas étonnant qu'en prenant le sang au sein même de cet 
organe, on recueille un liquide chargé d’une quantité relativement 
considérable de suere, puisqu'on vient chercher ce produit au sein 
même du réservoir où il est retenu. On peut, il est vrai, nous 
objecter qu’en prenant, comme nous le recommandons, le sang de 
la veine cave inférieure dans la cavité thoracique, on ne prend pas 
uniquement le sang sortant du foie, et qu’il est mélangé avec celui 
qui provient des extrémités inférieures, puisque la veine cave, qui 
ne fait que traverser le foie, sans s’y ramifier, vient verser dans le 
cœur droit le sang qui provient des extrémités inférieures du corps. 
A cette objection, je réponds qu’en liant la veine cave inférieure 
dans l'abdomen , au-dessus du foie et au-dessus de l'insertion des 
veines rénales, on peut arrêter le sang qui provient des extrémités 
inférieures, et que, dans tous les cas, il est bien préférable d’opé- 
rer, en se tenant averti de la circonstance, sur ce sang mélangé, 
que de tomber dans cette vicieuse méthode qui consiste à puiser 
dans l'organe même où il est physiologiquement accumulé, le prin- 
cipe sucré dont on veut constater l'existence dans la circulation. 
Est-il étonnant, je le répète, que recueillant par le canal des veines 
hépatiques le sang qui a séjourné dans le tissu sucré du foie, on 
fasse ressortir une différence si marquée entre les quantités de sucre 


SUR LA FONCTION GLYCOGENIQUE DU FOIE. 401 
que l’on trouve au-dessous et au-dessus de cet organe? Mais cette 
différence résulte surtout de la manière dont l'expérience est faite. 
Qu'on l’exécute, comme je l'indique, en recueillant le sang en cireula- 
lion, par une véritable saignée pratiquée sur la veine caveinférieure, 
à une certaine hauteur au-dessus du foie, dans la cavité thoracique, 
et l’on verra s'évanouir, entre les quantités de sucre contenues dans 
les deux sangs, une partie de cette différence dont on arguë. 

Je rapporterai ici une expérience qui montrera bien qu’en effet 
lorsqu'on recueille le sang sortant du foie dans les conditions véri- 
tablement physiologiques que je signale, le résultat que l’on obtient 
sous le rapport de la quantité de sucre contenue dans ce sang est 
loin d’être en rapport avec ceux que l’on a tant de fois obtenus en 
opérant avec le sang des veines hépatiques. 

Un Chien de forte taille, nourri depuis six jours avee de la viande 
de cheval, a reçu un repas de cette viande cuite. Six heures après, 
sans ouvrir la cavité abdominale, ce qui aurait troublé la circulation 
et empêché de recueillir dans la veine cave inférieure une quan- 
tité de sang suffisante , on à pratiqué à ce Chien la résection de 
trois côtes pour découvrir la cavité thoracique. On a lié la veine 
cave inférieure au-dessous du cœur pour s'opposer au reflux du 
sang de l'oreillette droite. La veine cave inférieure a été alors inei- 
sée deux pouces environ au-dessus du diaphragme, pour y intro- 
duire un pelit tuyau métallique terminé par un tube de caoutchoue. 
On à pu ainsi recueillir facilement le sang qui cireulait dans la veine 
cave inférieure. Cesang, après la défibrination, pesait 205 grammes. 
On l'a traité à la manière ordinaire, par trois fois son volume d’al- 
cool , exprimé le coagulum, et évaporé à siceité au bain-marie le 
liquide acidulé par un peu d'acide acétique. Après avoir repris le 
résidu par l'eau distillée et passé à travers un linge, le liquide, mis 
en contact avec de la levüre de bière préalablement lavée, n’a 
donné, au bout de huit à dix heures de fermentation, qu'environ 
6 centimètres cubes d’acide carbonique. Il n’est pas douteux que 
si l’on eût opéré, ainsi qu'on le recommande, sur le sang des 
veines hépatiques pris dans le foie , on n’eüt obtenu une quantité 
d'acide carbonique de beaucoup plus considérable (4). 


4} Je ne veux pas agiter ici la question , bien difficile, des moyens qu'il fau- 


102 L. FIGUIER, — MÉMOIRE 


La discussion précédente montrera peut-être qu’il est bon de ne 
pas trop s’arrêler, comme on l’a fait jusqu'ici, aux assertions des 
personnes qui déclarent que hors de leurs procédés il n'y a point 
de salut; où plutôt elle nous éclaire sur les motifs qui ont fait re- 
commander, comme la seule à mettre en usage, la méthode d’expé- 
rience dont il vient d’être question. Recueillir le sang de la veine 
porte sur le cadavre de l'animal, afin de n’en obtenir qu'une petite 
quantité, et prendre le sang dans les veines hépatiques, c’est-à-dire 
au sein d’un organe gorgé de sucre , c’est rassembler des condi- 
tions artificielles calculées pour frapper les veux en vue du résultat 
qu'on veut mettre en évidence , mais ce n’est pas procéder selon 
les règles d’une saine expérimentation physiologique. 


ILE. 


lei se termine la communication que j'avais à présenter à l’'Aca- 
démie pour faire suite aux deux mémoires que j'ai publiés sur la 
même question. Arrivé au terme d’un travail qui a été fécond en 
difficultés de plus d'un genre, je demanderai la permission de 
résumer les faits nouveaux que je crois avoir mis en évidence dans 
le cours de ces recherches. La discussion, qui s'est concentrée 
dès le début sur un point presque unique, a fait perdre de vue 


drait employer pour déterminer et comparer d’une manière rigoureuse les quan- 
tités de sucre que contient le sang de la veine porte pendant la digestion et celles 
que le sang renferme à sa sortie du foie. Je ferai cependant remarquer que si le 
sang de la veine cave inférieure , à sa sortie du foie , est chargé d’une quantité 
notable de sucre, cela tient à ce que par son séjour dans le foie , et à la suite du 
travail de sécrétion qui s’accomplit dans cet organe, il s'y est dépouillé d’une 
grande quantité d'éléments divers. Comparé, à poids égal, au sang de la veine 
porte, le sang de la veine cave inférieure peut renfermer plus de sucre que celui 
de la veine porte, sans qu'il soit permis d’en tirer d'autre conséquence, sinôn 
que le sang s'est débarrassé dans le foie de plusieurs produits étrangers , dont la 
disparition à pour résultat d'élever la proportion relative du sucre contenu dans 
ce dernier sang. Je signale ce fait pour répondre à l'argument de plusieurs phy- 
siologistes qui voudraient, avec M. de Castelnau, que l'on établit une balance 
égale entre la quantité de glycose contenue dans les deux sangs ; on voit que 
cette question se complique de beaucoup d'éléments, et n’est peut-être pas même 
susceptible d’être tranchée rigoureusement par l'expérience. 


SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 103 
quelques-uns des résultats que j'avais présentés à l'appui de 
mon opinion ; on me permettra donc deles rappeler ici en peu de 
mots. 

Dans mon premier Mémoire, j'ai établi ce fait, admis aujourd'hui 
comme une vérité incontestable , que, dans l’état normal, il existe 
une certaine quantité de sucre dans le sang de l’homme et des ani- 
maux. Ce fait était en opposition avec les résultats obtenus par 
l’auteur de la théorie glycogénique, qui déclarait que le sucre, 
sécrété dans le foie, était presque aussitôt détruit par la respira- 
tion; de sorte que, d’après lui, on n’en trouvait plus dans le sang 
dès sa sortie du poumon. M. CI. Bernard a essayé de m'’enle- 
ver le mérite de celte découverte , en avançant qu'elle avait été 
faite, en 1846, par M. Magendie. J'ai répondu nettement à cette 
asserlion, dans mon premier Mémoire imprimé dansles 4nnales des 
sciences naturelles et dans le Journal de pharmacie ; mais comme 
elle se trouve reproduite dans un ouvrage récent du même auteur, 
je suis obligé de rappeler encore que dans les expériences de 
M. Magendie, auxquelles on fait allusion, ce physiologiste ne s'était 
occupé que de constater la présence du glycose dans le sang d’ani- 
maux nourris exclusivement avec des matières féculentes ; — que 
l'auteur de la théorie glycogénique n’a jamais fait la moindre allu- 
sion à ces résullals de M. Magendie, soit pour les réfuter, soit pour 
y plier sa théorie, — et qu'il ne s’en est souvenu que neufannées 
après, postérieurement à Ja publication de mon travail, et dans le 
vain désir de me contester l'honneur d’une observation qu'ilestim- 
possiblede m'enlever. J'ajouterai queM. CL. Bernard étail si peu con- 
raineu de la présence du sucre dans le sang, ailleurs que dans les 
veines hépatiques et la veine cave inférieure, qu'à l'apparition de 
mon premier Mémoire, il a prétendu que le glycose dont je signa- 
lais la présence dans le sang des animaux de boucherie provenait 
du foie, attendu, disait cet observateur, que, pour saigner le bœuf 
qui vient d'être abattu, le boucher plonge son couteau dans l’oreil- 
lette droite du cœur de l'animal, et que, dès lors, le sang ainsi re- 
cueilli arrive directement du foie par la veine cave inférieure qui 
le déverse dans l'oreillette droite ; attendu, disait-il encore, que le 
boucher presse du pied le foie de l'animal pour en exprimer plus de 


104 L. FIGUIER. — MÉMOIRE 

sang, ete. Cefait, que l'oreillette droite soit intéressée par le couteau 
du boucher, est parfaitement inexact, et nous nenous arrêterons pas 
à le réfuter, bien qu'il soit reproduit dans l'ouvrage récemment 
publié par l’auteur sur la fonction glycogénique (4). Il prouve, 
toutefois , que ee physiologisie ne pouvait croire, même à cette 
époque , à l’existence du sucre dans le sang de la circulation gé- 
nérale, c’est-à-dire à la réalité du fait qu'il affirme aujourd’hui 
avoir été découvert par M. Magendie en 1846. 

Le second fait que j'ai établi dans les recherches que j'essaie de 
résumer, c'est la présence dans le foie, en quantité considérable, 
de l’albuminose , c'est-à-dire du produit de la digestion des ma- 
tières azotées. Ce résultat a une importance que l'on a peut-être 
trop négligée , au point de vue des fonctions physiologiques du 
foie, qu’il nous montre comme un organe chargé de servir de 
réservoir temporaire aux produits de la digestion. 

Le rapprochement de ces deux résultats, savoir, qu'il existe 
beaucoup d’albuminose dans le foie et très peu dans le sang, — et 
qu'il existe beaucoup de sucre dans le foie et bien moins dans le 
sang, — m'ont conduit à émettre cette opinion, accueillie sans 
défaveur par les physiologistes , que le foie constitne une sorte de 
réservoir pour les produits de la digestion ; que cet organe doit re- 
tenir quelque temps dans son lissu le glycose et l’albuminose pro- 
venant de la digestion, pour les déverser plus tard dans le sang de 
la circulaaon générale. Il est probable, selon nous, qu'il s'opère 
dans le foie un travail physiologique nouveau sur les produits de la 
digestion qui arnvent de l'intestin ; de telle sorte que le foie pour- 


(1) « Dans le sang de bœuf pris dans les abattoirs, quand il est frais, on en 
trouve toujours (du sucre), et voici pourquoi : Pour saigner les bœufs que l'on 
vient d’assommer, le boucher leur enfonce le couteau jusque dans l'oreillette 
droite; le sang qui s'en écoule vient donc en partie des veines hépatiques. Et 
si l'on observe, en outre, que pour faire dégorger le sang que contient l’ani- 
mal, on appuie fortement avec le pied justement dans la région du foie , de 
manière à exprimer le plus possible cet organe, vous comprendrez alors, d'après 
» ce que nous avons dit dans une précédente leçon, comment il se fait que le sang 
» qui sort de la plaie, mélangé avec celui qui vient des veines hépatiques, con- 
» tienne des quantités notables de sucre, » (Leçons de physiologie expérimentale , 
par M CI. Bernard, p. 267.) 


3 


C2 


SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 105 
rait être considéré, smon comme un second estomac, au moins 
comme une véritable annexe de l'appareil digestif. 

Je me suis occupé ensuite de l'expérience fondamentale qui 
avait pour objet de démontrer la présence du sucre dans le sang de 
la veine porte chez un animal nourri exclusivement de viande. J'ai 
fait voir que, contrairement à ce qui était alors admis, le réactif 
cupro-potassique accusail, dans ce liquide , la présence du sucre, 
qui se trouvait simplement masqué à l’action de ce réactif par une 
matière étrangère ; résultat qui n’est plus maintenant contesté par 
personne. Je m'efforçais, dans le même travail, d'expliquer et de 
mettre bien en relief le fait de l'accumulation du sucre dans le foie 
à la suite de la digestion ; je montrais, par une expérience compa- 
rative , que , dans les premiers moments de la digestion , le réactif 
cupro-potassique indique dans le sang de la veine porte une quan- 
tité de glycose supérieure à celle qui est contenue dans le‘sang sor- 
tant du foie, pris dans la veine cave inférieure, c'est-à-dire dans la 
cavité thoracique (4). 


(1) Les expériences qui m'ont conduit à ce dernier résultat ont été formelle- 
ment niées. Dans ses Leçons de physiologie expérimentale, publiées pour défendre 
sa théorie, et où il traite son contradicteur avec si peu de modération , l’auteur 
de la glycogénie, après avoir cité cette deuxième partie de mon Mémoire, ajoute : 
« J'ai reproduit textuellement les paroles de l'auteur, parce qu'il faut avoir lu 
» de ses yeux de semblables résultats, pour croire qu'on les ait avancés d’après 
» une expérience faite une seule fois. On comprend , jusqu'à un certain point, 
» que l'illusion puisse se glisser dans le raisonnement sous l'influence de certaines 
» idées préconçues ; mais ce qui est plus difficile de comprendre, c'est que l'on 
» trouve et que l'on dose du sucre dans le sang de la veine porte, quand il n'y en 
» a pas, et que l'on n'en voie pas dans le sang des veines hépatiques, où il y 
» en a. La possibilité de semblables contradictions doit attrister les hommes qui 
» recherchent la vérité! » 

Ce n'est pas avec le sang des veines hépatiques que j'ai opéré, comme me le 
fait dire, avec une persistance singulière, l'auteur des Leçons de physiologie expé- 
rimentale, mais bien , ainsi que cela est dit parlout dans mon Mémoire , avec le 
sang pris dans la veine cave inférieure, au-dessus du diaphragme ; et les consi- 
dérations rapportées plus haut motivaient suffisamment ce choix. Si donc l'hono- 
rable professeur avait bien voulu répéter mon expérience telle que je la rapporte, 
il aurait trouvé le même résultat que j'ai annoncé, et il se serait peut-être dis- 
pensé de diriger contre moi, du moins dans ce cas spécial, les censures que 
je viens de rappeler. 


106 L. FIGUIER, — MÉMOIRE 


Enfin, dans le Mémoire que je viens d’avoir l'honneur de com- 
muniquer à l’Académie , j'ai essayé de prouver que le principe 
sucré qui existe dans le sang de la veine porte est susceptible 
d'entrer en fermentation comme celui du foie. 

Je crois done pouvoir répéter ici ce que je disais à la fin de mon 
premier Mémoire : « Nous coneluons,en résumé, que le foie, chez 
» l’homme et les animaux, n’a point reçu pour fonction de fabriquer 
» du sucre; que tout le glycose qu'il renferme provient du sang 
» qui gorge son lissu, et que ce glycose a été apporté dans les 
» vaisseaux par suite de la digestion. » 


J'ai été heureux de trouver, dans un Mémoire communiqué à 
l’Académie le 11 juin de cette année, l'entière confirmation de mes 
propres résultats. Dans un travail intitulé : Recherches sur la for- 
mation du sucre dans l'organisme, entrepris dans le but de décider 
si la production du sucre est réellement localisée dans le foie, 
M. G. Colin (d’Alfort) a été conduit à résumer, par les propositions 
suivantes, les résultats de ses expériences. 

« Le À l’état normal, chez les Herbivores , il y a du sucre dans 
» le sang, le chyle et la lymphe ; chez ces animaux, la veine porte 
»et les chylifères puisent, pendant la digestion, le sucre tout formé 
» dans les aliments, comme celui qui y prend naissance par les 
» mutations de matières amylacées. 

» ® Chez les Carnassiers nourris exclusivement de chair, la 
» veine porle et les chylifères se chargent de matière sucrée pro- 
» duite dans l'appareil digestif aux dépens des principes de l'ali- 
» mentation. 

» 8° Divers produits de sécrétion, comme la sérosité des plèvres, 
» du péricarde, du péritoine, le contenu des vésicules ovariennes, 
» de l’estomac, du fœtus, la bile, renferment du sucre en plus ou 
» moins forte proportion. » 

Des expériences de M. Colin comme des miennes, il résulte done 
que le sucre n'apparaît point dans le foie par l’effet d'une sécrétion 
de cet organe, mais seulement à la suite de la digestion. 


SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 107 
IV. 


Je viens de résumer mes recherches particulières à propos de la 
fonction glycogénique. Vu l'importance du sujet, je crois utile de 
présenter, en terminant, les considérations générales , résultant 
d’autres travaux déjà connus, et qui s'élèvent également contre 
l'existence de cette fonction. Je présenterai ce tableau en termés 
concis. 


L'objet de la fonction glycogénique serait de créer un seul pro- 
duit, le sucre; lequel produit, une fois versé dans le sang, personne 
ne peut dire ce qu'il y fait, quel rôle il remplit dans l'économie, ni 
comment il en disparait. 

Le théâtre de cette fonction serait le foie. Mais cet organe est 
déjà le siége d’une sécrétion qui n’a rien de mystérieux ni de latent: 
c’est celle de la bile. Le sang qui s'introduit dans le foie ne ren- 
ferme point les éléments de la bile, et ce liquide, sécrété aux dépens 
du sang, s'échappe au dehors par un canal excréleur. Au contraire, 
le sang qui pénètre dans le foie renferme déjà du sucre, et l’on ne 
connait pas encore de conduit excréteur pour le principe sucré. De 
plus, on ne trouve dans le foie qu'un seul genre de cellules, ee qui 
indique que cette glande, comme lesautres glandes de l’économie, 
n’est anatomiquement organisée que pour une seule sécrétion. 

L'apparition du glycose dans le foie est toujours subordonnée à 
l'alimentation. Chez un animal bien nourri, c’est pendant la diges- 
tion que la proportion du sucre qui se montre dans le foie est le 
plus considérable possible. Mais quand on supprime l'alimentation, 
on voit ce produit diminuer rapidement dans le foie, et il finit par 
disparaitre à la suite d’une abstinence suffisamment prolongée. 
Certes, dans d’autres conjectures, un tel fait aurait suffi à lui seul 
pour prouver que, dans l'économie animale, le sucre est un simple 
produit de digestion, et non le résultat d’une sécrétion physiolo- 
gique. Ajoutez cet autre fait, si confirmatif, emprunté à la patho- 
logie, que, d’après M. Andral, les diabétiques mis à la diète eessent 
de rendre du sucre par les urines; ce qui prouve que, dans l’état 


108 L. FIGUIER, — MÉMOIRE 


de maladie comme dans l’état de santé, l'apparition du sucre dans 
l’économie animale est subordonnée à l'alimentation. 

La présence du sucre dans le foie ne paraît nullement sous la 
dépendance du système nerveux, comme le sont toutes les autres 
fonctions de l’économie. Cette bizarre démonstration de l'influence 
du système nerveux sur la fonction glycogénique, qui consiste à 
montrer que le sucre apparait dans les urines du Lapin à la suite 
de la piqure d’un certain point, unique, de la moelle allongée, n’a 
aucune signification. Il est, en effet, bien reconnu , d’après des 
travaux récents, que, dans cette expérience, le sucre ne se montre 
dans l'urine que par suite du trouble apporté par la lésion du sys- 
tème nerveux central à l'assimilation et à la destruction du sucre 
dans l’économie. Le professeur Lehmann, dont l'autorité a été in- 
voquée à ce sujet, « déclare formellement, dans sa Chimie physio- 
» logique, qu'il serait contraire aux lois les plus simples de la chi- 
» mie de penser que certaines excitations de filets nerveux dussent 
» influencer l’apparition du sucre dans le foie; que si cela était 
» admissible, il faudrait constater tout d’abord une accumulation des 
» matières élémentaires et fondamentales du sang dans le foie pen- 
» dant la durée de cette irritation. Or ce physiologiste ajoute que, 
» loin d’avoir remarqué une accélération dans la circulation hépa- 
» tique, ila, au contraire, toujours observé un ralentissement dans 
» la circulation chez les diabétiques et chez les animaux soumis à 
» ses expériences. Il avoue d’ailleurs que, dans l'état actuel de nos 
» connaissances (1855), il ne reste plus rien de vrai, quant à l’ori- 
» gine du sucre dans les urines, sinon ce fait, que le sucre passe 
» dans les urines, parce qu'il n’est pas détruit dans le sang (1). » 

Quand la physiologie animale vient à s'enrichir de l’inestimable 
conquête d’une fonction nouvelle, cette découverte doit trouver et 
trouve toujours dans la pathologie un retentissement considé- 
rable. La fonction glycogénique, connue depuis plus de six ans, 
est demeurée absolument stérile dans la pathologie du foie. 
En fait d'applications à l’art de guérir , elle n’a produit que cette 
idée, que le diabète est une maladie du foie, c’est-à-dire une 

(1) Moniteur des hôpitaux, 7 avril 41855 (Note historique sur la présence du 
sucre dans l'organisme animal, par M. Schnepff), 


SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 109 
exagération de sa sécrélion normale, opinion évidemment insou- 
tenable. 

Si l’on se demande, en résumé, quelles sont les acquisitions faites 
par la science à la suite des travaux dont cette question a été l’objet, 
elles se réduisent, selon nous, à ces deux faits : qu'il existe du 
sucre dans le tissu du foie, et que, par la digestion, la viande peut 
fournir du sucre. Ces deux résultats ont sans doute leur impor- 
tance, mais on pensera peut-être qu'ils ont été un peu chèrement 
acquis au prix de tant de débats. 


SUR LE MÉCANISME 


DE LA 
FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE, 


Par M. Claude BERNARD. 


La fonction glycogénique du foie est une de celles qui ont eu le 
privilége d'attirer le plus vivement l'attention des physiologistes , 
des chimistes et des médecins, à cause de l'importance des idées 
qu’elle soulève en physiologie générale. 

Après avoir, par des expériences nombreuses faites sur l’homme 
et les animaux, établi la généralité de cette nouvelle fonction , 
l'avoir étudiée dans ses conditions physiologiques et localisée dans 
le foie, je devais songer à entrer plus avant dans la nature du phé- 
nomène, et chercher à pénétrer le mécanisme intime de la pro- 
duction du sucre dans les animaux. 

Les expériences nouvelles dont j'ai à entretenir aujourd'hui 
l’Académie sont destinées, je crois, à jeter une vive lumière sur 
cette partie intéressante de la question. 

Il estinutile que je reproduise ici tous les faits incontestables sur 
lesquels j’ai établi la réalité de la fonction glycogénique. Depuis six 
ans, ces faits ont pris leur place dans la science, et je dois me fé- 
liciter de les avoir vu confirmer dans tous les pays par les physio- 
logistes et les chimistes les plus compétents. 


110 CL. BERNARD. — SUR LE MÉCANISME 


Néanmoins, comme dans ces derniers temps il s’est rencontré 
des auteurs qui sont venus introduire des expériences inexactes 
dans la question de la production du sucre dans l’organisme animal, 
j'ai cru qu’il élait nécessaire, avant d’entrer en matière, de relever 
ces inexactitudes en rétablissant dans leur ordre et d’une manière 
très succincte quelques-uns des faits fondamentaux qui servent de 
base à la théorie glycogénique. 

Premièrement, j'ai dit dans mon Mémoire qu'il existe chez les 
animaux une fonction physiologique en vertu de laquelle il se 
produit de la matière sucrée dans l'organisme , parce que le sucre 
persiste toujours dans le foie et dans le sang chez les animaux car- 
nivores, dont l'alimentation ne renferme aucune substance sucrée. 
C’est là un fait capital ; car, il y a peu de temps encore, on admet- 
tait généralement que le sucre trouvé dans l'organisme était tou- 
jours introduit en nature par l’alimentalion. Aujourd’hui personne 
ne diseute plus sur cette question, et il reste parfaitement établi, 
depuis mes expériences, que le sucre (glycose) se produit dans 
l’organisme animal sans l'intervention des substances sucrées ou 
amylacées. 

Deuxièmement , j'ai également dit que cette fonction glycogé- 
nique doit être localisée dans le foie. En effet, chez un animal car- 
nivore le foie est en réalité le point central d’où part le sucre pour 
se répandre dans tout le corps, et, circonstance sur laquelle j'ai 
particulièrement insisté, le sang qui pénètre dans le foie par la veine 
porte ne renferme pas de sucre, tandis que le même sang qui sort 
par les veines hépatiques en contient loujours des proportions 
notables. On ne pouvait, d’après cela, s'empêcher de conclure 
que le sucre prend naissance dans le foie, dont le tissu est du 
reste constamment imprégné de matière sucrée dans l’état phy- 
siologique. 

Cette expérience, qui constituera foujours un des principaux ar- 
guments chimiques de la fonction glycogénique du foie, n’a trouvé, 
jusqu'à ce jour, qu'un seul contradicteur. L'auteur de ces contra- 
dietions est venu lire devant cette Académie trois Mémoires sue- 
cessifs, destinés à combattre la fonction glycogénique dans les 
animaux. 


DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. a 

Dans son premier Mémoire (1), l’auteur soutenail encore que le 
Sucre ne peut exister dansles animaux sans une alimentation sucrée 
ou amylacée ; et pour expliquer la présence du sucre qu’on ren- 
contre dans le foie et dans le sang des Carnivores, il avait dit que la 
viande provenant d'animaux herbivores doit contenir du sucre. 
C’est là une assertion que dément l'expérience ; car jamais l’auteur 
ni personne n’ont constaté la présence du sucre dans la viande 

Dans son deuxième Mémoire (2), l’auteur admet ce qu’il avait 
nié dans le premier , et il reconnaît que le sucre se produit dans 
les animaux sans l'intervention d’une alimentation sucrée ou amy 
lacée ; mais il essaie de prouver alors que le sucre, au lieu de se 
former dans le foie, ne fait que s’y condenser ou s’y accumuler : il 
suppose que la matière sucrée, prenant naissance dans le sang, 
arrive par la veine porte pour aller se déposer dans le tissu hépa- 
tique. D’après cette idée, l’auteur a été conduit à admettre non- 
seulement qu'il y a du sucre dans le sang de la veine porte, mais il 
a dû renverser les résultats de l'expérience , tels que je les avais 
trouvés ; aussi a-{-il écrit dans son Mémoire que chez un animal 
nourri de viande crue on trouvait, deux heures après le repas, une 
plus grande quantité de sucre dans le sang de la veine porte que 
dans le sang des veines hépatiques. 

L'auteur, mis à même de répéter cette expérience devant une 
commission académique, a été dans l'impossibilité absolue demon- 
trer la présence du sucre dans le sang de la veine porte, et la 
commission a déclaré que chez un animal carnivore , dans la pé- 
riode de la digestion ci-dessus indiquée , et au moyen de la fer- 
mentation alcoolique, seul caractère positif de la présence du sucre, 
elle n’avait pas constaté de sucre dans le sang de la veine porte 
d’une manière appréciable, tandis qu’elle en avait trouvé des quan- 
tités notables dans le sang des veines hépatiques. En concluant 
ainsi, la commission a reconnu l'erreur des résultats qui avaient 
été avancés, et a rétabli les faits tels que je les avais vus, ainsi que 
tous ceux qui les ont reproduits après moi. 


(1) Annales des sciences naturelles, 4° série, t. III, p. 47. 
(2) Annales des sciences naturelles, 4° série, t. LI, p. 243. 


112 CL. BERNARD, —— SUR LE. MÉCANISME 

Plus récemment, dans un troisième Mémoire (4), le mème au- 
teur prétend que s'il n’a pu montrer du sucre dans le sang de la 
veine porte, cela tient à ce qu'il y existe une matière inconnue qui 
masque la présence du sucre en s'opposant à la fermentation ; et il 
décrit à ce sujet des expériences dans lesquelles il dit avoir mis ce 
sucre en évidence en détruisant cette matière indéterminée qui le 
masque, au moyen de l’ébullition avec l'acide sulfurique ou azo- 
tique. J'ai fait cetle expérience, ainsi que l'indique l’auteur , et 
après l'avoir répétée plusieurs fois avec soin, je dois déclarer que 
les faits avancés sont complétement inexacts. Le sang de la veine 
porte recueilli dans des conditions convenables ne fermente pas, 
même quand on l'a fait bouillir avec un acide, comme le dit l'au- 
teur. Mais quand on se place ensuite volontairement dans les eon- 
ditions où il peut se rencontrer du sucre dans le sang de la veine 
porte, conditions que j'ai déterminées depuis longtemps, alors on 
obtient directement la fermentation, sans qu'il soit besoin d’aueun 
traitement préalable par un acide; et ce qui suffirait pour prouver 
que cette prétendue matière s’opposant à la fermentation n'existe 
pas , c'est qu’en ajoutant un peu d’une dissolution sucrée au sang 
de la veine porte avec de la levüre de bière, on voit la fermentation 
s'établir très rapidement. 

Les expériences qui servent de base aux divers Mémoires que 
je viens de citer étant inexactes, il n’y a pas lieu de relever toutes 
les erreurs physiologiques et toutes les contradictions dans les- 
quelles l'auteur a dù tomber après un semblable point de départ. 

Je passe donc immédiatement à l'étude Gu mécanisme de la for- 
mation du sucre dans le foie, qui fait l’objet de ce travail. 


Mécanisme de la fonction glycogénique du foie. 


Toutes les sécrétions ont nécessairement besoin, pour s'accom- 
plir, de deux choses, savoir : 1° du sang; 2° d’un tissu glandulaire. 
Nous devrons chercher à apprécier quel est le rôle respectif de 
chacun de ces éléments dans la production du sucre. 

En 1849, M. Schmidt, de Dorpat (2), sans connaitre mon tra- 


(1) Annales des sciences naturelles, 4° série, t. LV, p. 91. 
(2) Charakteristik der Epidemischen Cholera, etc. Leipzig, 1850, p.16 et suiv. 


DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 113 
vail sur la fonction glycogénique du foie , insistait sur cetle idée 
que le suere qui existe normalement dans le sang de l’homme et 
des animaux doit être regardé comme un des principes constitutifs 
de ce fluide, et il admettait que ce sucre se forme, comme l’urée 
ou l'acide carbonique, dans tous les points du système circulatoire, 
et directement aux dépens de certains principes du sang. Pour cet 
auteur, la production du sucre dépendrait d’une oxydation des 
matières grasses qui circulent dans le sang , et il exprime son 
hypothèse à l’aide de formules chimiques que je n'ai pas à repro- 
duire ici. 

De son côté, M. Lehmann, de Leipzig, après s'être convaincu 
de la réalité de la fonction glycogénique du foie par ses belles 
analyses comparatives du sang de la veine porte et du sang des 
veines hépatiques dont l'Académie connaît les résultats (1), a été 
conduit à chercher aussi le mécanisme de la production du sucre 
dans le foie. Ayant constaté que le sang sucré qui sort du foie par 
les veines hépatiques contient moins de fibrine et moins d’héma- 
tosine que le sang non sucré qui entre dans cet organe par la veine 
porte, M. Lehmann a pensé que cette dernière substance pouvait, 
en se dédoublant dans le foie, contribuer à la formation du sucre; 
et l’on sait que cet habile chimiste est parvenu à réaliser par un 
procédé très ingénieux le dédoublement de l’hématosine cristalli- 
sée, qu'il a le premier obtenue, en sucre (glycose) et en une ma- 
tière azotée avec laquelle il serait intimement combiné. M. Lehmann 
admet donc que le foie opère sa fonction glycogénique en dédou- 
blant certaines substances albuminoïdes du sang en sucre et en des 
malières azotées qui, peut-être, entrent dans la formation des 
principes azotés de la bile. 

M. Frerichs, de Breslau, qui a également confirmé mes expé- 
riences sur la formation du sucre dans le foie, aux dépens des ali- 
ments azotés, admet que cet organe accomplit sa fonction glycogé- 
nique en décomposant d’une certaine façon, et suivant des formules 
hypothétiques qu’il indique, des matières azotées qui donneraient 
naissance dans le foie à de l’urée et à du sucre (2). 

(4) Comptes rendus de l'Académie des sciences , t. XL, p. 589. 


(2) Wagner, Handv orterbuch Physiologie, 1*° partie, p. 831. 
4° série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 2.) # S 


ait - CL. BERNARD, — SUR LE MÉCANISME 


Les hypothèses sur la formation du sucre dans le foie que je 
viens de rappeler expriment toutes l’idée que l’on se fait générale- 
ment aujourd'hui du mécanisme des sécrétions. On pense, en effet, 
que l’organe glandulaire ne fournit rien à la sécrétion , mais que 
son tissu se borne à agir par une sorte d'action de contact ou ca- 
talytique sur les éléments du sang qui traverse l'organe glandulaire 
au moment même où la sécrétion s'opère. Pour le cas particulier 
de la sécrétion du sucre dans le foie, nous avons vu, en effet, que 
tous les auteurs supposent que la matière sucrée se forme directe- 
ment dans le sang. 

Les faits que j'ai à exposer actuellement me paraissent de nature 
à prouver qu'il faut comprendre tout autrement la fonction glyco- 
génique du foie, et qu'au lieu de chercher dans le sang la substance 
qui précède le sucre et qui lui donne immédiatement naissance, il 
faut la chercher dans le tissu hépatique lui-même. 

Voici une expérience à laquelle j'ai été conduit, et qui mettra ce 
fait en lumière; je la décrirai avec quelques détails, afin qu’on 
puisse facilement en reproduire les résultats qui me semblent très 
importants et dignes d’intéresser à la fois les physiologistes et les 
chimistes. 

J'ai choisi un Chien adulte, vigoureux et bien portant, qui de- 
puis plusieurs jours était nourri exclusivement avec de la viande, 
et je le sacrifiai par la section du bulbe rachidien, sept heures après 
un repas copieux de tripes. Aussitôt l'abdomen fut ouvert; le foie 
ut enlevé en évitant de blesser son tissu, et cet organe encore tout 
ehaud, et avant que le sang eût eu le temps de se coaguler dans 
ses vaisseaux , fut soumis à un lavage à l’eau froide par la veine 
porte. Pour cela, je pris un tube de gulta-percha, long de 4 mètre 
environ , et portant à ses deux extrémités des ajutages de cuivre. 
Le tube étant préalablement rempli d'eau, une de ses extrémités 
fut solidement fixée sur le tronc de la veine porte à son entrée dans 
le foie, et l’autre fut ajustée an robinet de la fontaine du laboratoire 
de médecine du Collége de France. En ouvrant le robinet, l’eau 
traversa le foie avec une grande rapidité , car la force du courant 
d’eau était capable , ainsi que cela fut mesuré, de soulever une 
colonne de mercure à 127eentiruèlres de hauteur, Sous l'influence 


DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 115 
de ce lavage énergique, le foie se gonflait, la couleur de son tissu 
pâlissait , et le sang était chassé avec l’eau qui s’échappait en jet 
fort et continu par les veines hépatiques. Déjà, au bout d’un quart 
d'heure, le tissu du foie était à peu près exsangue, et l’eau qui sor- 
tait par les veines hépatiques était entièrement incolore. Je laissai 
ce foie soumis à ce lavage continu pendant quarante minutes sans 
interruption. J'avais constaté au début de l'expérience que l’eau 
colorée en rouge qui jaillissait par les veines hépatiques était su- 
crée, et précipitait abondamment par la chaleur , et je constatai à 
la fin de l'expérience que l’eau parfaitement incolore qui sortait 
par les veines hépatiques ne renfermait plus aucune trace de ma- 
tière albumineuse, ni de sucre. 

Alors le foie fut enlevé et soustrait à l’action du courant d’eau; 
et je m'assurai, en en faisant bouillir une partie avee un peu d’eau, 
que son {issu élait bien lavé, puisqu'il ne renfermait plus de matière 
sucrée. Son décoctum ne donnait aucun signe de réduction du 
liquide cupro-potassique, ni aucune trace de fermentation avec la 
levüre de bière. Il s’échappait de la coupe du tissu hépatique et des 
vaisseaux béants une petite quantité d’un liquide trouble qui ne 
renfermait non plus aucune trace de matière sucrée. J’abandonnai 
alors dans un vase ce foie à la température ambiante, et, en reve- 
nant vingt-quatre heures après, je constatai que cet organe bien 
lavé de son sang, que j'avais laissé la veille complétement privé de 
sucre, s’en trouvait alors pourvu très abondamment. Il me suffit, 
pour m'en convaincre, d'examiner un peu du liquide qui s'était 
écoulé autour du foie, et qui était fortement sucré; ensuite, en in- 
jetant avee une pelite seringue de l’eau froide par la veine porte, 
et recueillant cette eau quand elle sortait par les veines hépatiques, 
je constatai que ce liquide donnait lieu, avec la levüre de bière, à 
une fermentation très abondante et très active, 

Cette expérience si simple, dans laquelle on voit renaître sous ses 
yeux la matière sucrée en abondance dans un foie qui en a été 
complétement débarrassé, ainsi que de son sang, au moyen du la- 
vage, est une des plus instructives pour la solution de la question 
de la fonction glycogénique qui nous occupe. Cette expérience 
prouve clairement, comme nous l'avons avancé, que dans un foie 


116 CL. BERNARD. —- SUR LE MÉCANISME 

frais à l’état physiologique , c’est-à-dire en fonction , il y a deux 
substances, savoir : 4° le sucre très soluble dans l’eau, et qui est 
emporté avec le sang par le lavage ; 2 une autre matière assez peu 
soluble dans l’eau pour qu'elle soit restée fixée au tissu hépatique, 
après que celui-ci avait été dépouillé de son sucre et de son sang 
par un lavage de quarante minutes. C'est cette dernière substance 
qui, dans le foie abandonné à lui-même , se change peu à peu en 
sucre par une sorte de fermentation , ainsi que nous allons le 
mon(rer. 

En effet, cette nouvelle formation de sucre dans le foie lavé est 
complétement empêchée par la cuisson. Si l’on fait cuire, par 
exemple, la moitié d’un foie aussitèt après le lavage , on s’assure 
qu’au moment même son décoctum, généralement opalin, ne con- 
tient pas de sucre, et qu'il n’en renferme pas non plus le lendemain, 
preuve qu'il ne s’en est pas développé. On constate, au contraire, 
dans l’autre moilié du foie qui n’a pas subi la cuisson , que la ma- 
tière sucrée s’est produite déjà après quelques heures , et que sa 
quantité va graduellement en augmentant, au point d’attemdre 
quelquefois, après vingt-quatre heures , les proportions de sucre 
égales à celles que le foie contenait primitivement. 

Cette formation glycosique est généralement terminée après 
vingt-quatre heures , et si après ce temps on soumet le foie de 
nouveau au lavage par le courant d’eau, de manière à lui enlever 
tout son sucre de nouvelle formation , on voit que généralement il 
ne s’en produit plus, parce que la matière qui le formait est sans 
doute épuisée. Il ne se dissout plus alors qu’une sorte de matière 
albumineuse qui accompagne toujours la production du sucre , 
bien qu’elle en paraisse complétement indépendante, ainsi que je 
le dirai plus tard, Enfin cette formation glycosique m'a paru géné- 
ralement plus rapide, quand on multipliait le contact de l'air en 
coupant le foie en morceaux, en même temps qu’on l'humectait avec 
de l’eau. 

Nous avons dit plus haut que la malière hépatique qui est sus- 
ceptible de se changer en sucre doit être peu soluble dans l’eau. 
Cette même matière se montre également insoluble dans l'alcool, 
ainsi que le prouve l’expérience suivante. 


DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 117 

J'ai pris le foie d’un animal en digestion; j'ai broyé son tissu 
tout chaud immédiatement, ou mieux après l'avoir un peu lavé en 
injectant avec une seringue de l'alcool ordinaire par la veine porte, 
pour débarrasser le tissu hépatique d’une partie de son sang. 
Ensuite je séparai les vaisseaux et nerfs du foie, en exprimant son 
tissu sur un {amis de crin assez fin, de manière à ne recueillir que 
là pulpe de l'organe qui passait par le tamis. Celte sorte de boue 
hépatique fut ensuite agitée, macérée et lavée avec de l’alcool froid 
à plusieurs reprises, afin de l’épuiser complétement du sucre 
qu'elle pouvait contenir , et de ne garder que les substances inso- 
lubles dans l'alcool. Cette pulpe hépatique fut ensuite recueillie sur 
un filtre et placée sur du papier joseph, dans une étuve dont la tem- 
pérature ne dépassait pas 40 degrés, et dans laquelle un courant 
d'air accélérait la dessiccation. J'avais soin de diviser la matière , 
afin que la dessiccation se fit d’une manière égale. J’oblins ainsi 
une substance pulvérulente, formée de la partie glandulaire même 
du foie qui était bien desséchée et débarrassée de sucre, mais qui 
retenait avec elle la matière hépatique en question, susceptible de 
donner naissance à du sucre, dès qu'on la remettait dans l'eau. En 
eflet, lorsque j'humectais cette poudre hépatique avec de l’eau or- 
dinaire, en laissant ensuite le tout à la température ambiante, je 
conslatais déjà au bout de quelques heures que l’eau contenait des 
proportions très notables de sucre. On ne pouvait pas objecter que 
le sucre qui se manifeste alors était retenu dans le tissu hépatique, 
parce que l'alcool est un moins bon dissolvant que l’eau ; car si 
j'ajoutais la poudre hépatique dans de l’eau maintenue en ébullition 
pendant quelques minutes , je ne remarquais plus aucune appari- 
tion de matière sucrée, ce qui se rapporte d’ailleurs parfaitement à 
ce que nous avons déjà dit de cette matière, dont la réaction gly- 
cosique dans le foie lavé à l’eau est également empêchée par la 
cuisson. 

L'éther ne parait pas non plus altérer la matière singulière qui 
nous occupe, car j'ai laissé macérer dans de l’éther, pendant plu- 
sieurs jours, la pulpe hépatique déjà préalablement traitée par l’al- 
cool et desséchée, et j’ai constaté que cette pulpe conservait encore 
la propriété de former du sucre. 


118 CL. BERNARD. —- SUR LE MÉCANISME 


Je me bornerai à ces expériences pour aujourd’hui. La matière 
dont je ne fais ici en quelque sorte qu'indiquer l'existence, devra 
être isolée et étudiée ultérieurement avec soin au point de vue chi- 
mique et physiologique. J’ajouterai seulement, sous ce dernier 
rapport, que j'ai trouvé que cette matière n’existe dans le foie qu’à 
l'état normal ou fonctionnel, et qu’elle disparaît complétement du 
tissude cet organe dans toutes les circonstances où la fonction glyco- 
génique est arrêtée, circonstances que j'ai d’ailleurs déterminées 
depuis longtemps dans mon Mémoire. Cette matière appartient 
exclusivement au tissu du foie, dans lequel elle prend naissance ; 
car j'ai constaté bien souvent qu'il n’y en a pas de traces dans le sang 
de la veine porte, non plus que dans le sang des autres parties du 
Corps. 

Enfin je ferai remarquer que, pendant la vie, cette matière, se 
renouvelant sans cesse dans le tissu hépatique sous l'influence de 
la nutrition, s’y transforme incessamment en matière sucrée , qui 
vient remplacer dans le foie le sucre, que le courant sanguin em- 
porte continuellement par les veines hépatiques. Après la mort, 
dans un foie extrait du corps, cette matière, sous l'influence de 
l'humidité, peut continuer à se changer en sucre jusqu’à ce qu'elle 
soit épuisée. Mais comme alors il ne sort plus de sucre du foie 
par la circulation, il en résulte que la matière sucrée s’accumule, 
et que sa proportion augmente dans le tissu hépatique après la 
mort. Aussi le tissu du foie est toujours plus sucré le lendemain 
qu’au moment même où l'on sacrifie l’animal, et quelquefois cette 
différence est dans une proportion considérable. Tous les dosages 
que l’on a faits du sucre dans le foie doivent donc être revérifiés 
d’après la connaissance de ces nouveaux faits. 

En résumé, le seul but de mon travail pour le moment, c’est de 
prouver que le sucre qui se forme dans le foie ne se produit pas 
d'emblée dans le sang , si je puis m’exprimer ainsi, mais que sa 
présence est constamment précédée par une matière spéciale dé- 
posée dans le tissu du foie, el qui lui donne immédiatement nais- 
sance. Si je me suis décidé à publier ce travail encore inachevé, 
c’est qu'il m'a paru utile, pour la solution de la question glyco- 
génique qui nous ocenpe. d'attirer l'attention des chimistes sur des 


DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 119 


phénomènes qui ne leur sont pas connus, et qui me paraissent de 
nature à changer le point de vue où l'on s’était placé jusqu’à pré- 
sent pour comprendre chimiquement la production du sucre dans 
le foie. En effet, il ne s’agit plus maintenant de faire des hypothèses 
sur la provenance du sucre du foie, ni sur la possibilité du dédou- 
blement direct et immédiat de tel ou tel élément du sang pour pro- 
duire ce sucre. Il faut chercher à isoler cette matière hépatique 
singulière qui lui préexiste , savoir comment elle se sécrète dans 
le foie, et comment ensuite elle subit les transformations succes- 
sives qui la changent en sucre. Il y a probablement entre ces deux 
extrêmes, la matière insoluble telle qu'elle est sécrétée par l’action 
vitale du foie, et le sucre qui en émane et sort de l’organe avec le 
sang des veines hépatiques, une série de formations intermédiaires 
que je n'ai pas vues, mais que les chimistes découvriront sans 
doute. 


MÉMOIRE 
SUR 
L'INFLUENCE QU'EXERCE SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET 


L'APPLICATION PARTIELLE D'UN VERNIS SUR LA COQUILLE DE L ŒUF, 


Par M. Camille DARESTE. 


J'ai fait, pendant l'été dernier, un grand nombre d'expériences 
pour déterminer l’action que des enduits imperméables appliqués 
sur des œufs de Poule exercent sur le développement du germe 
ou de l'embryon qu'ils contiennent. 

De semblables expériences ont été déjà faites par Geoffroy Saint- 
Hilaire (1) il y a plus de trente ans, et plus récemment par 


/ 


(1) Geoffroy Saint-Hilaire est le premier physiologiste qui ail tenté des expé- 
riences sur la production artificielle des monstruosités. Ces expériences ont été 
faites, à plusieurs reprises, en 1820, 1822 et 1826. Les résultats des expériences 
de 4820 sont consignés dans un Mémoire qui a pour titre : Des différents états 
de pesanteur des œufs au commencement et à la fin de l'incubation, Mémoire lu à 
l'Académie des sciences le 20 août 1820, et publié dans le Journal complémen- 
taire des sciences médicales, t. VIL, p. 271, Celles de 4822 sont indiquées, mais 


120 C. DARESTE. — MÉMOIRE 

MM. Bauüdrimont et Martin Saint-Ange (1). Mais ces savants, 
n'ayant mis en expérience qu’un très petit nombre d'œufs, n’ont 
oblenu que des résultats incomplets, bien qu'ils aient vu plusieurs 
faits importants. Pour arriver à des connaissances précises, il fallait 
opérer sur un nombre d'œufs considérable ; car, dans les couvées 
naturelles, il arrive fréquemment qu'un nombre plus ou moins 
grand de Poulets meurt avant l’éclosion; et cet événement est 
beaucoup plus fréquent dans les couvées artificielles. Il y a done 
là une cause d'erreur qu’on ne peut amoindrir et faire disparaître 
qu'en multipliant le plus possible les expériences. 

J'ai pu, à l’aide de l’ingénieux appareil d’incubation de M. Va- 
lée (l'un des gardiens de la ménagerie au Muséum d'histoire natu- 
relle) , reprendre cette étude, et mettre plus de soixante œufs en 
expérience. Cela m'a conduit à voir plusieurs faits qui avaient 
échappé aux savants dont je viens de rappeler les travaux, et qui 
me paraissent avoir un certain intérêt pour la physiologie. 

J'ai fait ces expériences en recouvrant certaines parties de l'œuf 
avec du vernis, et en faisant ces applications à des époques diffé- 
rentes, à parüir du commencement de l’incubation (2). 

Je n’ai point verni d’œuf en totalité. Le fait de la respiration du 
Poulet dans l'œuf est établi aujourd’hui par trop d'expériences 
pour qu'ilm'ait paru nécessaire de voir ce qui arriverait en ren- 
dant la coquille entière complétement imperméable à l'air ambiant. 
Toutefois il résulte des expériences de MM. Baudrimont et Martin 
Saint-Ange, que si l’action de l'oxygène est indispensable au Poulet 


d'une manière très incomplète, dans la Philosophie anatomique , &. IL, p. 541. 
Celles de 1826 forment le sujet d'un Mémoire lu à l'Académie des sciences le 
10 avril 4826, intitulé : Sur des déviations provoquées et observées dans un éla- 
blissement d’incubation artificielle (Mém. du Muséum, t. XIII, p. 229). 

(1) Baudrimont et Martin Saint-Ange, Recherches anatomiques et physiologiques 
sur le développement du [ælus, et, en particulier, sur l'évolution embryonnaire des 
Oiseaux et des Batraciens. Ce Mémoire, qui a obtenu le grand prix des sciences 
physiques en 1845, a été publié, en 1851 , dans le Recueil des savants étrangers. 

(2) Je me suis servi, pour ces expériences, du vernis dont on se sert actuelle- 
ment pour les bottes, qui a l'avantage de ne contenir que très peu d'essence de 
térébenthine. substance qui pourrait peut-être par elle-même exercer une action 
toxique sur le Poulet, 


SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 191 


après que l’incubation est commencée, elle parait ne pas l'être au 
début même du développement. Quatre œufs vernis en totalité ont 
présenté à ces savants quelques débris qui indiquaient que les phé - 
nomènes embryologiques avaient commencé , mais que le défaut 
de respiration les avait très rapidement arrèlés (4). 

Je n'ai appliqué le vernis que sur une moitié de l'œuf, tantôt sur 
le gros bout et tantôt sur le petit bout; cette application a donné 
lieu à des résultats très divers. 

Lorsque j'ai verni les œufs par le gros bout, au commencement 
ou dans les premiers jours de l’incubation , j'ai trouvé, en cassant 
les œufs , un certain nombre de Poulets morts. Ce résultat prove- 
nait-il de l'influence du vernis où de la mortalité ordinaire des 
Poulets? Je ne saurais le décider. Mais ce qu’il y a de certain, 
c’est qu’à cette époque l'application du vernis sur le gros bout de 
l'œuf n’est point toujours un obstacle au développement du Poulet. 
Plusieurs des œufs dont j'avais verni le gros bout se sont dévelop- 
pés, et m'ont présenté des Poulets qui, au moment où j'ai arrêté 
l'expérience, étaient dans un parfait état de santé. 

Je dois insister sur ce point, car MM. Baudrimont et Martin 
Saint-Ange sont arrivés dans leurs expériences à des résultats tout 
contraires ; il n'y avait eu de développement que dans un seul 
cas (2). Mais ces résultats négatifs ne sauraient contredire les ré- 
sultats positifs que j'ai obtenus, surtout si l’on songe que ces deux 
savants n’ont mis en expérience que trois œufs, et que les deux 
œufs qui ne se sont point développés étaient peut-être des œufs 
clairs. 

Il y avait toutefois dans les Poulets qui n’ont point péri un fait 
anatomique qui me parait digne d’une grande attention. L’allan- 
toïde, au lieu d’être appliquée contre la chambre à air, était venue 
s'appliquer contre une des parties de la coquille qui n’avait point 
été vernie. Ce phénomène est-il général ? Je n'oserais l’affirmer. 
Lorsque j'ai commencé mes expériences , mon attention ne s'était 
point portée sur ce fait; depuis que j'en ai eu connaissance, je l’ai 


(1) Voyez le Mémoire cité, p. 640 et 642. 
(2) Zbid., p. 640. 


122 C. DARESTE, — MÉMOIRE 


toujours constaté dans les œufs dont j'ai verni le gros bout, et qui 
m'ont présenté des Poulets vivants. 

Si ce fait se reproduisait toujours, il nous donnerait mani- 
festement l'explication de la persistance de la vie dans les con- 
ditions que je viens de rappeler. On sait que, pendant l’incuba- 
tion, la membrane qui revêt la face interne de la coquille se 
dédouble, vers le gros bout de l’œuf, pour former une cavité que 
l'on appelle la chambre à air ; que l’air extérieur pénètre dans cette 
chambre, et que, d’après les analyses de MM. Baudrimont et Mar- 
tin Saint-Ange, cet air contient plus d'oxygène, et moins d’acide 
carbonique que l’air ambiant (4). On sait également que l’allantoïde 
est le second organe respiratoire du Poulet, et que , lorsqu'elle se 
développe, elle vient s'appliquer contre les parois de la chambre à 
air. Pour que les Poulets ne périssent point quand on vernit le 
gros bout, il faut donc de toute nécessité que l’allantoïde aille 
s'appliquer sur une autre partie de la coquille : autrement il y aurait 
danger d’asphyxie et de mort pour le fœtus. 

Ce fait physiologique est le plus remarquable de tous ceux que 
j'ai observés pendant le cours de mes recherches. Aussi j'ai été 
vivement satisfait quand j'ai trouvé, dans le Mémoire de MM. Bau- 
drimont et Martin Saint-Ange , l'indication d’un fait analogue, 
quoique observé dans des conditions différentes; l'œuf ayant été 
également verni par moitié, mais parallèlement à son grand axe. 
Toutefois ces deux savants n’ont point insisté sur l'importance 
physiologique de ce fait, et ils se bornent à dire : « L’allantoïde 
s’élait développée de côté, et ne s'était étendue que dans la partienon 
recouverte de vernis, et accessible à l'air (2). » 

Je ne puis savoir comment il arrive que l’allantoïde change ainsi 
de place. Est-ce le résultat d’une action mécanique ou physique ? Ou 
bien ne pourrait-on penser qu'il y aurait là l'effet d’une détermina- 
tioninstinetive du Poulet? On comprendra facilement que je ne puisse 
émettre d'opinion en pareille matière. Je me contenterai de faire 
observer qu'on ne voit dans les conditions de l’incubation , soit 
normale, soit anormale, aucun fait physique qui pourrait déter- 

(1) Mémoire cilé, p. 638. 

(2) Zbid., p. 642. 


SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 193 


miner ce changement de position de l’allantoïde; et que, d’une 
autre part, M. Paul Dubois, s'appuyant sur les idées anciennement 
émises par Cabanis, à depuis longtemps attribué, à une détermina- 
tion instinctive du fœtus, la prédominance des présentations du 
sommet dans les accouchements (1). 

Il serait fort intéressant de savoir comment les allantoïdes se 
comportent dans les cas, qui se présentent, dit-on, assez fré- 
quemment dans certaines localités, où la coquille de Fœuf contient 
deux jaunes, et par conséquent deux germes. 

Cette position anomale de l’allantoïde , si intéressante en elle- 
même, nous présente d’ailleurs un aufre intérêt, en ce qu'elle 
parait être pour le Poulet une cause d'anomalies organiques. Les 
Poulets qui l'ont présentée étaient pour la plupart bien conformés, 
etil n'est pas probable que le développement ultérieur eùt amené 
des monstruosités. Mais j'ai constaté sur deux de ces Poulets des 
déviations organiques fort remarquables. L'un d'eux avait la patte 
gauche affectée d'hémimélie, c'est-à-dire qu’à cette patte les doigts 
manquaient complétement, tandis que la patte droite était régu- 
lière. L'autre avait la mâchoire supérieure considérablement ré- 
duite, tandis que la mâchoire inférieure avait son développement 
normal (2). 


(1) P, Dubois, Mémoire sur la cause des présentations de la téte pendant l'ac- 
couchement et sur les déterminations instinclives ou volontaires du fœtus humain, 
dans les Mémoires de l'Académie de médecine, t. IN, p. 265; 1833. 

(2) Dans les expériences sur l’action du vernis sur les œufs, Geoffroy Saint- 
Hilaire a observé plusieurs faits de monstruosité. Aïnsi,en 1820, il a observé un 
cas de spina-bifida (voyez le Journal complém. des se. méd., t. VIT, p. 276), et 
plus tard, en 1826, un cas de triocéphalie (voyez le Mémoire sur les déviations 
provoquées, p. 291 ). Malheureusement il n'indique point dans quelles conditions 
l'expérience a été faite, à quelle époque et sur quelle partie de l'œuf le vernis a 
été appliqué. Les expériences que je rapporte dans mon Mémoire prouvent com- 
bien cette lacune est regrettable. 

Dans son premier Mémoire, il rapporte également un fait assez intéressant au 
sujet de Poulets provenant d'œufs soumis à l’action du vernis, mais il le rapporte 
avec doute. Comme le fait est curieux en lui-même, je cite ici ses propres pa- 
roles, en faisant observer qu'il y a là aussi une lacune relativement à l'indication 
des circonstances de l'incubation : 

« Il m'est resté trois Poulets de mes œufs vernissés, j'en suis le développement, 


124 C. DARESTE, — MÉMOIRE 


Je sais bien que dans l’incubation naturelle, et à plus forte rai- 
son dans l’incubation artificielle, on a souvent observé des mons- 
truosités. Mais, comme dans toutes les expériences où j'ai verni 
partiellement des œufs, je n'ai observé des anomalies que dans 
celte seule circonstance, je crois, jusqu'à plus ample informé, que, 
dans tous les cas que je viens de rappeler, la position anomale de 
l’allantoïde à été la cause, ou, comme le disait Geoffroy Saint-Hilaire, 
l’ordonnée de la monstruosité (1). 

Je ne puis quitter ce sujet sans faire remarquer que cette disp@ 


je les fais élever avec trois de leurs frères qui n'ont pas été soumis aux mêmes 
procédés ; et trouvant à les comparer à des sujets descendus de la même mère , 
et placés dans les mêmes conditions sous tous les autres rapports, je ne puis 
qu'attribuer aux effets du vernis les modifications de leurs organes olfactifs. 

» Les Poulets vernis ont les nasaux maxillaires et les internasaux (voyez, au 
sujet de ces dénominations, le Mémoire sur le crâne des oiseaux de Geoffroy Saint 
Hilaire, dans les Annales du Muséum, L. X, p. 342), dont les branches pren- 
nent celles des premiers à revers, ont, dis-je, ces os si diminués, qu'ils ne se 
portent plus les uns sur les autres ; et qu'au lieu de la réunion de leurs branches 
respectives, qui, de côté, donnent lieu dans l'état normal aux deux ouvertures 
nasales, il est entre ces mêmes ouvertures un grand vide sur lequel ies tégu- 
ments communs retombent affaissés : les Poulets des œufs non vernissés ont leurs 
narines dans l'état ordinaire. 

» Je ferai néanmoins une observation. Ce n'est pas la première fois que la sorte 
de modification que je viens de décrire se présente. Toutes les fois que les Pou- 
lets doivent être embarrassés de crêtes plus considérables que de coutume, c'est 
par un sacrifice imposé à quelques parties du sujet olfactif qu'il y est pourvu; et 
surtout aux dépens des nasaux maxillaires et des internasaux, lesquels grandis- 
sent d'autant moins que ces crêtes deviennent plus considérables. 

» Cette circonstance jette donc de l'incertitude sur mon résultat ; car il se pour- 
rait, à la rigueur, que les différences que j'ai apercues sur les Poulets mis en 
expérience fussent dues à une autre cause qu à l'influence du vernis. » 

(1) D'après M. Serres { Comptes rendus, t. XL, p. 629 et 678 ), la duplicité 
monstrueuse, chez les Oiseaux, serait déterminée par des conditions particulières 
de l’allantoïde. Cette opinion confirme celle que j'ai émise dans ce travail relati- 
vement au rôle dominateur de l'allantoïde sur l'organisation du Poulet pendant 
une partie de son existence fœtale. Malheureusement celte opinion, énoncée par 
M. Serres , repose sur des faits qu'il n'a point publiés. Il serait à désirer que le 
savant professeur fit connaître prochainement ses travaux récents sur la dupli- 
cité monstrueuse et sur son mode de production, travaux dont il a entretenu 
l'Académie dans la séance du 46 avril 1855. 


SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 195 
sition de l’allantoïde présente une analogie fort remarquable avec 
un fait anatomique qui se présente quelquefois chez les femmes 
enceintes, et qui devient la cause d'hémorrhagies presque toujours 
mortelles pour le fœtus, et souvent aussi pour la mère , l'implan- 
tation du placenta sur le col de la matrice. Nous savons, en effet, 
que, chez les Mammifères (à l'exception des Marsupiaux et des 
Monotrèmes), et chez l'Homme en particulier, l’allantoïde n’a 
qu'une existence plus temporaire encore que chez les Oiseaux , et 
qu'elle n’a d’autre fonction que de conduire les vaisseaux ombili- 
caux de l'abdomen du fœtus au chorion pour servir à la formation 
du placenta. Le placenta , qui est essentiellement l'organe respi- 
ratoire du fœtus des Mammifères, est donc l'équivalent physiolo- 
gique de l’allantoïde des Oiseaux , et peut être considéré comme 
n'étant qu'un état particulier du développement de cet organe, de 
la même manière que, dans certaines espèces de Squales, il existe 
des placentas ombilicaux, c’est-à-dire formés au sommet de la 
vésicule ombilicale, ainsi que les anciennes observations d’Aristote, 
et plus tard celles de M. J. Müller, nous l’ont appris. On aurait pu 
penser que l'analogie qui existe entre ces deux états organiques 
pourrait être une causede monstruosités; mais les accoucheurs n’ont 
point remarqué que les monstruosilés fussent plus fréquentes dans 
les cas d'implantation du placenta sur le col. On comprend d’ail- 
leurs que les conditions physiologiques qui résultent de ce fait 
anatomique sont très différentes de celles qu’entraine la position de 
l'allantoïde, et que, si graves qu'elles soient d’ailleurs pour la vie 
de l'enfant, et même aussi pour la vie de la mère, elles n’exercent 
cependant aucune influence sur l’organisation de l’enfant. Peut- 
être cependant cette implantation du placenta sur le col pourrait- 
elle devenir la cause de monstruosités, dans le cas qu'elle serait 
accompagnée d’une brièveté excessive du cordon. 

Lorsque l'application du vernis se fait vers le cinquième jour de 
l'incubation, d’autres faits se produisent. A cette époque, l’allan- 
toïde est venue s'appliquer contre la face interne de la chambre 
à air. On comprend done facilement comment toute action, qui 
a pour résultat de rendre la coquille imperméable dans la partie 
qui correspond à la chambre à air, doit empêcher la respira- 


126 C. DARESTE. — MÉMOIRE 


tion , et comment elle produit l’asphyxie du Poulet. Il est donc 
facile de prévoir ce qui arrive en pareil eas : est que toutes les fois 
que j'ai verni l'œuf à celle époque, j'ai tué le Poulet. En effet, dans 
ce cas, la chambre à air se remplit incessamment d'acide carbo- 
nique , en même temps que la quantité d'oxygène diminue, et il 
doit arriver un moment où l'excès d’acide carbonique exerce sur 
le Poulet une action toxique. C’est ce que j'ai constaté ; les Poulets 
étaient tout congestionnés , comme cela arrive dans les cas 
d'asphyxie. Ici je n’ai point trouvé d’exceptions, et l’on compren- 
drait difficilement qu'il put y en avoir. 

Plus tard encore, de nouvelles conditions se produisent, L’allan- 
toïde, après s'être appliquée contre les parois de la chambre à air, 
continue à se développer, et elle vient peu à peu s'appliquer contre 
la face interne de la coqüille dans presque toute son étendue. Si, à 
cette époque , on vernit le gros bout de l'œuf, on n’exerce plus 
d'action sur le Poulet; car cette opération ne peut plus empêcher 
l’allantoïde d’être au moins en grande partie en contact avec l'air 
extérieur. Il est possible qu’en agissant ainsi on ralentisse la respi- 
ration, mais on ne l’interrompt point. Aussi toutes les fois que j’ai 
verni le gros bout à partir du huitième jour de l’incubation, je n’ai 
en aucune façon modifié les conditions d'existence du Poulet. 

Commeje n'ai pas poursuivi mes expériences au delà du douzième 
jour, je n’oserais affirmer que, pour les jours suivants, l'expérience 
aurait donné les mêmes résultats; toutefois je crois pouvoir le pré- 
sumer, car ici, comme dans les expériences précédentes, le vernis- 
sage du gros bout de l’œuf ne saurait empêcher l’air de pénétrer 
dans l’allantoïde. Peut-être y aurait-il cependant un ralentissement 
dans la respiration, ralentissement qui aurait pour résultat de 
ralentir le développement du Poulet, et par suite d'augmenter la 
durée de l’incubation; mais il se pourrait aussi que, même dans ce 
cas, la force vitale du Poulet parvint à suppléer à cette insuffi- 
sance, En effet, divers phénomènes de physiologie normale et pa- 
thologique nous apprennent que l'insuffisance de la respiration 
peut être compensée par divers mécanismes ; que la fréquence des 
mouvements respiratoires augmente lorsque l’air est raréfié, ou 
lorsque, par une cause quelconque, un poumon ne respire plus 


SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 197 


qu'imparfaitement; qu'elle diminue, au contraire, lorsque l'air est 
condensé. Dans le Poulet, dont les poumons ne sont pas encore 
actifs, cela ne pourrait avoir lieu ; mais l'insuffisance de la respi- 
ration pourrait être compensée par un surcroît d'activité dans les 
mouvements du cœur, qui aurait pour résultat d'augmenter le 
nombre des mouvements cireulatoires qui ont lieu dans un temps 
donné, et par suite de mettre plus souvent le sang en contact avec 
l'oxygène de l'air, Je me borne à indiquer ces vues; l'expérience 
seule pourra les justifier. 

L'application du vernis sur le petit bout de l'œuf m'a présenté des 
faits assez différents. Dans les premiers temps de l’incubation , le 
Poulet ne se développe pas toujours, et le nombre des insuccès 
parait même plus fréquent que dans l'incubation ordinaire. Mais 
après un certain temps, lorsque l’allantoïde s’est bien développée, 
et qu’elle s’est appliquée contre les parois de Ja chambre à air, il 
n’y à plus rien qui s'oppose au développement du Poulet, et par 
suite rien n'empêche l'air de pénétrer dans la chambre à air, et 
par suite de se mélanger avec le sang dans les vaisseaux allan- 
toïdiens. Aussi, à cette époque, l'application du vernis n’influe 
point sur le développement du Poulet. Je n'ai pas poussé ces expé- 
riences au delà du douzième jour ; mais on ne voit pas de motif 
pour qu'il y ait plus tard une modification dans le développement. 
Dans les expériences de MM. Martin Saint-Ange et Baudrimont, 
le vernissage du petit bout n’a pas non plus déterminé d’action 
nuisible sur le Poulet. 

J'ai fait aussi quelques expériences en appliquant le vernis sur 
une moitié de l'œuf parallèle à son grand axe, à diverses époques 
de l’incubation. Dans ces expériences, peu nombreuses d’ailleurs, 
le Poulet ne s’est point développé, ou il est mort lorsque le déve- 
loppement était déjà commencé. J'ai lu depuis, dans le travail de 
MM. Baudrimont et Martin Saint-Ange (1), que des expériences 
analogues ont donné, dans certaines circonstances, des résultats 
différents. Dans ces expériences, qui ont porté sur six Poulets, les 
Poulets sont morts, toutesles fois que la moitié vernie de l'œuf était 


(4) Mémoire cité, p. 641. 


128 C. DARESTE. — MÉMOIRE, ETC. 


en dessus ; tandis qu'ils ont continué à vivre quand la partie vernie 
était placée en dessous. C’est sur un Poulet placé dans cette der- 
nière condition que ces deux savants ont observé le déplacement 
de l’allantoïde. Ce fait nous montre la nécessité de noter avec soin 
toutes les circonstances, même celles qui paraissent être les plus 
indifférentes; car il suffit d’une seule condition pour amener des 
résultats négatifs, et pour faire croire à une impossibilité absolue. 
C’est ce qui m'est arrivé dans ces dernières expériences, et ce qui 
m'a empêché de les répéter. 

Je me suis borné dans ce travail à raconter ce que j'ai vu, età 
chercher à l'expliquer à l’aide de la physiologie. Les faits sont 
exacts; je crois pouvoir en répondre. Quant aux explications que 
j'en donne, jeles soumets au jugement des physiologistes, pensant 
que, dans toutes les questions qui se rattachent aux sciences expé- 
rimentales , les hypothèses ont toujours au moins cette utilité de 
nous conduire à imaginer pour leur vérification des expériences 
nouvelles. 

J'aurais peut-être dû attendre, avant de publier ce travail, d’avoir 
pu recueillir sur cette question un nombre plus considérable de 
documents ; mais les difficultés de toute sorte que présentent de 
semblables expériences, difficultés qui tiennent en partie à l’impos- 
sibilité de savoir si les œufs qu’on emploie ont été fécondés, en 
partie à la nécessité pour l’expérimentateur d’une surveillance in- 
cessante du jour et de la nuit pendant toute la durée de l’incuba- 
tion, sont un grand obstacle à leur exécution. Je compte toutefois 
les reprendre au printemps prochain, si je suis en mesure de le 
faire, et je chercherai tous les moyens possibles pour en diversifier 
les résultats, en modifiant les conditions de l’incubation. 


nn 


OBSERVATIONS 
SUR 


LES MOŒŒEURS DES CERCERIS, 


ET SUR LA CAUSE DE LA LONGUE CONSERVATION DES COLÉOPTÈRES 
DONT ILS APPROVISIONNENT LEURS LARVES, 


Par M. FABRE, 
Professeur au Lycée impérial d'Avignon. 


Après la lecture des pages admirables que M. L. Dufour a con- 
sacrées à l’histoire du Cerceris bupresticida (A), qui n'a souhaité 
assister aux manœuvres incroyables de ce chasseur de Buprestes? 
Qui ne s’est demandé surtout par quels procédés de chimie trans- 
cendante il parvient à conserver pendant fort longtemps , dans un 
parfait état de fraîcheur, une proie morte, qui ne doit être dévorée 
qu'à une époque assez éloignée par les larves futures ? « Croyez- 
» vous, dit M. L. Dufour, que l'appareil vénénifique se borne à 
» être une arme offensive, et ne pensez-vous pas avec moi que le 
» liquide subtil qu'il excrète peut avoir cette précieuse qualité con- 
» servatrice? Pour moi, j'ai cette conviction intime. Il serait 
» curieux que l'analyse chimique püt s'exercer sur cette liqueur, et 
» surtout qu'on parvint à composer un aussi puissant antiseptique. 
» Malgré les découvertes de M. Gannal sur la conservalion des 
» chairs, on pourrait peut-être tirer parti de l'observation fournie 
» par nos Hyménoptères. » 

J'avouerai que l’infiniment petite gouttelette de venin que le 
Cerceris peut inoculer dans les flanes de sa victime ne me rend pas 
suflisamment compte de la conservation parfaite des viscères, et 
que j'ai de la peine à croire à des effets aussi merveilleux produits, 
relativement dans d'immenses proportions, par un atome deliquide. 
Quelque autre cause doit être en jeu , quelque cause physiologique 
peut: être ? Comment donc s'opère le meurtre qu’on n’a pu malheu- 


(1) Ann. des sc. nat., 2° série, t. XV. 


%° série. Zoor. T. IV. (Cahier n° 3.) ! 9 


130 FABRE. — OBSERVATIONS 


reusement encore constater ? Quels sont les moyens antisepliques 
employés par l’'Hyménoptère préservateur ? Telles sont les questions 
que je me suis bien souvent et vainement proposées. Enfin les 
loisirs de ces vacances m'ont permis une chasse plus assidue aux 
Cerceris, et, malgré la saison un peu avancée, j'ai eu le bonheur de 
trouver non le Cerceris de M. L. Dufour avec ses trésors souter- 
rains, mais un de ses congénères, ravisseur géant qui se contente 
d’une proie plus modeste (1). 

C’est dans la dernière quinzaine de septembre que notre Hymé- 
noptère fouisseur creuse ses terriers, et enfouil dans leur profon- 
deur la proie destinée à sa progéniture. L'emplacement pour son 
domicile, toujours choisi avec discernement, je dirai presque avec 
intelligence , est soumis à ces lois mystérieuses si variables d’une 
espèce à l’autre, mais immuables pour une même espèce. Au Cer- 
ceris de M. L. Dufour il faut un sol horizontal , et par suite battu 
el compacte comme celui d’une allée, pour rendre impossible les 
éboulements , les déformations qui ruineraient sa galerie à la 
moindre pluie. I faut au nôtre, au contraire, un sol vertical. Avec 
cette légère modification architectonique, il évite la plupart des 
dangers qui pourraient menacer sa galerie; aussi se montre-t-il 
peu difficile dans le choix de la nature du sol, et ereuse--il indiffé- 
remment ses lerriers soit dans une terre meuble légèrement argi- 
leuse, soit dans les sables friables de la mollasse ; ce qui rend ses 
travaux d’excavalion beaucoup plus aisés. La seule condition 
indispensable parait être un sol parfaitement sec, et exposé la plus 
grande parie du jour aux ardeurs du soleil. C’est done les talus à 
pie des chemins, les flancs des ravins profonds, creusés par les 
pluies dans les sables de la mollasse, que notre Hyménoptère 
choisit pour établir son domicile. Mais ce n'est pas assez pour lui 
du choix de cet emplacement vertical, d’autres précautions sont 
prises, avec une admirable prévoyance, pour se garantir des pluies 
inévitables de la saison déjà avancée. Siune lame de grès compacte 
fait saillie en forme de corniche; si quelque trou, à y loger le 
poing, est naturellement creusé dans le sol, c'estlà sous cet auvent, 


(1) Voyez ci-après note A. 


SUR LES MOEURS DES GERCERIS. 131 
au fond de cette cavité, qu'il pratique sa galerie, ajoutant ainsi un 
péristyle naturel à son propre édifice. Bien qu'il n’y ait chez eux 
aucune espèce de communauté, ces insectes aiment cependant à 
se réunir en petit nombre sur le même emplacement pour exé- 
cuter leurs travaux ; et c’est toujours par groupes d’une dizaine 
environ où moins que j'ai observé leurs nids, dont les orifices , le 
plus souvent assez distants l’un de l’autre, se rapprochent quel- 
quefois jusqu'à se toucher. 

Par un beau soleil, c’est merveille de voir les diverses manœuvres 
de ces laborieux mineurs. Les uns, avec leurs mandibules, arra- 
chent patiemment au fond de leur excavation quelques grains de 
gravier, et en poussent péniblement la lourde masse au dehors ; 
d'autres, grattant les parois de leur couloir avec les râteaux acérés 
de leurs tarses, forment un {as de déblais qu'ils balaïent au dehors 
à reeulons, et qu'ils font ruisseler sur les flancs du talus en longs 
filets pulvérulents. Ce sont ces ondées périodiques de sable rejeté 
hors des galeries en construction qui ont trahi mes premiers Cer- 
ceris, etm’ont fait découvrir leurs nids. D’autres, soit par fatigue, 
soit par suite de l'achèvement de leur rude tâche, semblent se 
reposer, et lustrent leurs antennes et leurs ailes sous l’auvent natu- 
rel, qui le plus souvent protége leur domicile; ou bien encore 
restent immobiles à l'orifice de leur trou, et montrent seulement 
leur large face carrée bariolée de jaune et de noir. D’autres enfin, 
avec un grave bourdonnement, voltigent sur les buissons voisins 
de Chêne au Kermès, où les mâles, sans cesse aux aguets dans le 
voisinage des terriers en construction, ne tardent pas à les suivre. 
Des couples se forment, mais sont souvent troublés par l’arrivée 
d'un second mâle qui cherche à supplanter l’heureux possesseur. Les 
bourdonnements deviennent menaçants ; des rixes ont lieu, et sou- 
vent les deux mâles se roulent dans la poussière jusqu’à ce que l’un 
des deux reconnaisse la supériorité de son rival. Non loin de là, la 
femelle attend indifférente le dénoûment de lalutte ; enfin elle reçoit 
le mâle que les hasards du combat lui ont donné, et le couple, 
s'envolant à perte de vue, va chercher plus loin la tranquillité sur 
quelque touffe de broussailles. Là se borne le rôle des mäles. De 
moitié plus petits que les femelles, et presque aussi nombreux 


132 FABRE. — OBSERVATIONS 


qu’elles , ils rôdent çà et là à proximité des terriers , mais sans y 
pénétrer, et sans jamais prendre part aux laborieux travaux de 
mine que ces dernières exéculent, et aux chasses peut-être encore 
plus pénibles qu’elles doivent faire pour approvisionner leurs 
cellules. En peu de jours, les galeries sont prêtes , d'autant plus 
que celles de l’année précédente sont employées de nouveau après 
quelques réparations. Leur diamètre est assez large pour qu'on 
puisse y plonger le pouce, et l'insecte peut s’y mouvoir aisément, 
même lorsqu'il est chargé de la proie énorme que nous lui verrons 
saisir. Leur direction, qui d’abord est horizontale jusqu’à une pro- 
fondeur de 1 décimètre à 1 décimètre 1/2, fait subitement un coude, 
et plonge plus où moins obliquement tantôt dans un sens, tantôt 
dans l’autre. Sauf la portion horizontale et le coude du tube, le 
reste ne paraît réglé que par les difficultés du terrain, comme le 
prouvent les sinuosités, les orientations variables qu’on observe 
dans la partie la plus reculée. La longueur totale de cette espèce de 
trou de sonde atteint de à à 4 décimèêtres. A l'extrémité la plus 
reculée du tube se trouvent les cellules en assez petit nombre, et 
approvisionnées chacune avec cinq ousix cadavres de Coléoptères. 
Mais laissons ces détails de maçonnerie, et arrivons à des faits plus 
capables d’exciter netre admiration. 

La victime que le Cerceris choisit pour alimenter ses larves est 
un Cureulionite de grande taille, le Cleonus ophthalmicus, Rossi. 
On voit le ravisseur arriver pesamment chargé, portant sa victime 
entre les pattes, ventre à ventre, tête contre tête, el s’abattre lour- 
dement à quelque distance de son trou , pour achever le reste du 
trajet sans le secours des ailes, mais en trainant péniblement sa 
proie avec les mandibules sur un plan vertical ou au moins très 
incliné, cause de fréquentes eulbutes , qui font rouler pêle-mêle 
l’'Hyménoptère et sa victime jusqu'au bas du talus, mais incapables 
de décourager l'infatigable mère, qui, souillée de poussière, 
plonge enfin au fond du terrier avec le butin dont elle ne s’est point 
dessaisie un instant. Si la marche avec un tel fardeau n’est pas 
aisée pour le Cerceris, surtout sur un pareil terrain, 1l n’en est pas 
ainsi du vol dont la puissance est admirable, si l'on considère que 
la robuste bestiole emporte une proie presque aussi grosse et plus 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 133 


pesante qu’elle. J'ai eu la curiosité de peser comparativement le 
Cerceris et son gibier : j'ai trouvé pour le premier 150 milli- 
grammes; pour le second, en moyenne, 255 milligrammes , 
presque le double. Ces nombres parlent assez éloquemment en 
faveur du vigoureux chasseur ; aussi ne pouvais-je me lasser 
d'admirer avec quelle prestesse, quelle aisance, il reprenait son 
vol, le gibier entre les pattes, et s'élevait à une hauteur où je le 
perdais de vue , lorsque , traqué de trop près par ma curiosité 
indiscrète, il se décidait à fuir pour sauver son précieux butin. 
Mais il ne fuyait pas toujours, et je parvenais alors, mais non sans 
difficulté, pour ne pas blesser le chasseur, en le harcelant, en le 
culbutant avec une paille, à lui faire abandonner sa proie dont je 
m'emparais aussitôt. Le Cerceris ainsi dépouillé cherchait un instant 
çà et là, entrait un moment dans sa tanière, et en sortait bientôt 
après pour voler à de nouvelles chasses. En moins de dix minutes, 
l'adroit investigateur avait trouvé une nouvelle victime, consommé 
le meurtre, et accompli le rapt que je me suis souvent permis de 
faire tourner à mon profit. Huit fois, aux dépens du même indi- 
vidu, j'ai commis coup sur coup le même larcin; huit fois, avec 
une constance inébranlable , il a recommencé son expédition 
infructueuse. Sa palience a lassé la mienne, et sa neuvième capture 
lui est restée définitivement acquise. 

Par ce procédé, ou en violant les cellules déjà approvisionnées, 
je me suis procuré près d’une centaine de Curculionites; et, 
malgré ce que j'avais droit d'attendre, d’après ce que M. L. Dufour 
nous a appris sur les mœurs du Cerceris bupresticida , je n'ai pu 
réprimer mon élonnement à la vue de la singulière collection 
monographique que je venais de faire. Sile chasseur de Buprestes, 
sans sortir des limites d’un genre, passe indistinetement d’une 
espèce à l’autre; celui-ci, plus exclusif, s’adresse invariablement à 
la même espèce, le Cleonus ophthalmicus. Dans le dénombrement 
de mon bulin, je n’ai reconnu qu'une exception, une-seule, et 
encore était-elle fournie par une espèce congénère, le C'eonus 
allernans, Olivier, espèce que je n'ai jamais pu revorr une seconde 
fois dans mes fréquentes visites aux Cerceris. Une proie plus savou-- 
reuse, plus succulente, suffit-elle pour expliquer cette prédilection 


134 FABRE. — OBSERVATIONS 
pour une espèce unique? Les larves trouvent-elles dans ce gibier, 
sans variélé, des sucs mieux à leur convenance et qu’elles ne trou- 
veraient pas ailleurs? Je ne le pense pas, et si le Cerceris de 
M. L. Dufour chasse indistinctement tous les Buprestes, c’est sans 
doute parce que tous les Buprestes ont les mêmes sues , ee qui est 
assez probable. Mais les Curculionites doivent être en général dans 
le même cas; leurs qualités alimentaires doivent être identiques , 
et alors ce choix si surprenant n’est plus qu'une question de 
volume, et par suite d'économie, de fatigues et de temps. Notre 
Cerceris , le géant de ses congénères, s’attaque exclusivement au 
Cleonus ophthalmicus , parce que ce dernier est le plus gros des 
Cureulioniens de ces contrées ; mais si cette proie préférée vient à 
lui manquer, il doit se rabattre sur des espèces moins grosses , 
comme le prouve l'individu unique de la seconde espèce. Le Cer- 
ceris aurita approvisionne aussi ses cellules avec des Charancons 
(Ostiorhynchus raucus, Phytonomus punctatus) (1), elle Cerceris 
bupresticida n’est pas le seul à sacrifier de somptueuses victimes à 
la voracité de ses larves. Dans les nids d’une quatrième espèce, 
j'ai trouvé pour provisions une espèce de Bupreste , invariable- 
ment la même dans toutes les cellules, et sans aucun mélange (2). 
Voilà donc que sur quatre espèces de Cerceris dont on connaît 
les provisions de bouche, deux sont adonnées au régime des Cha- 
rancons, deux autres à celui des Buprestes. Pour quelles raisons 
singulières les déprédations de ces Hyménoptères sont-elles ren- 
fermées dans des limites si étroites? Quels sont les motifs de ces 
choix si exclusifs? Quels traits de ressemblance interne y a-t-il 
entre les Buprestes et les Charançons qui extérieurement ne se 
ressemblent en rien, pour devenir ainsi également la pâture de 
larves congénères ? Entre telle et telle autre espèce de victime, il 
y à, sans doute , des différences de saveur, des différences nutri- 
tives que les larves savent apprécier; mais une raison purement 
anatomique me paraît dominer toutes ces considérations gastrono- 
miques et motiver ces étranges prédilections , comme j'essaierai 
de le démontrer bientôt. 


(1) Ann. des sc. nat., 2° série, &. XV, p. 354, en note. 
(2) Voyez ci-après note B. 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 135 

Après tout ce qui a été dit d’admirable par M. L. Dufour sur la 
longue et merveilleuse conservation des insectes destinés aux larves 
carnassières , il est presque inutile d'ajouter que les Charancons , 
autant ceux que j'exhumais que ceux que je prenais entre les pattes 
des ravisseurs, quoique absolument et pour toujours privés de 
mouvements, étaient dans un parfait état de conservation. Frai- 
cheur des couleurs, souplesse des membranes et des moindres 
articulations, état normal des viscères, tout conspire à vous faire 
douter que ce corps inerte qu’on a sous les veux soit un véritable 
cadavre, d'autant plus qu’à la loupe même il est impossible d'y 
apercevoir la moindre lésion, et malgré soi on s'attend à voir 
remuer, à voir marcher l’insecte d’un moment à l’autre. Bien plus, 
par des chaleurs qui, en quelques heures, auraient desséché et 
rendu friables des insectes morts d’une mort ordinaire , par des 
temps humides qui les auraient tout aussi rapidement corrompus et 
moisis, j'ai conservé, sans aucune précaution et pendant plus d'un 
mois , les mêmes individus , soit dans des cornets de papier, soit 
dans des tubes de verre, toujours avec la même souplesse; et, 
chose inouïe, si l’habile historien du Cerceris bupresticida ne nous 
avait déjà habitués à de pareils miracles, après cet énorme laps de 
temps, les viscères n'ont rien perdu de leur fraicheur, et la dissec- 
tion en est aussi aisée que si l’on opérait sur un animal vivant. 
Non, en présence de pareils faits, on ne peut invoquer l'action 
d’un antiseptique et croire à une mort réelle ; la vie est encore K , 
vie latente et passive , la vie du végétal. Elle seule , luttant encore 
quelque temps avec avantage contre l'invasion destructive des 
forces chimiques, peut ainsi préserver l'organisme de la décom- 
position. La vie estencore là, moins la sensibilité et le mouvement, 
et l’on a sous les yeux une merveille que l’éther et le chloroforme 
ne sauraient réaliser, et qui reconnait pour cause les lois mysté- 
rieuses du système nerveux. 

Les fonctions de cette vie végétative sont ralenties, troublées 
sans doute; mais enfin elles s’exercent encore sourdement. J'en 
ai pour preuves la défécation qui s'opère normalement et par 
intervalles chez les Charançcons piqués par le Cerceris pendant la 
première semaine de ce profond sommeil qu'aucun réveil ne doit 


136 FABRE. — OBSERVATIONS 


suivre, et qui cependant n’est pas encore la mort. Elle ne s'arrête 
que lorsque l'intestin ne renferme plus rien , comme le constate 
l'autopsie. Là ne se bornent pas les faibles lueurs de vie que l'ani- 
mal manifeste encore , et bien que l’irritabilité paraisse pour tou- 
jours anéantie, j'ai pu cependant en réveiller encore quelques 
vestiges. Ayant mis dans un flacon contenant de la sciure humectée 
de quelques gouttes de benzine des Charançons récemment exhu- 
més et plongés dans une immobilité absolue , je n’ai pas été peu 
surpris de les voir un quart d’heure après remuer leurs antennes 
et leurs pattes. Un moment j'ai cru pouvoir les rappeler à la vie. 
Vain espoir ! ces mouvements , derniers vestiges d’une irritabilité 
qui va s'étendre, ne tardent pas à s’arrêter, et ne peuvent pas être 
excités une seconde fois. J'ai recommencé cette expérience depuis 
quelques heures jusqu’à trois ou quatre jours après le meurtre , 
toujours avec le même succès. Cependant le mouvement est d’au- 
tant plus lent à se manifester que la victime est plus vieille. Ce 
mouvement se propage toujours d'avant en arrière ; les antennes 
exécutent d'abord quelques lentes oscillations, puis les tarses anté- 
rieurs frémissent et prennent part à ces oscillations; enfin les 
tarses de seconde paire , et, en dernier lieu, ceux de troisième 
paire, ne tardent pas à en faire autant. Une fois l’ébranlement 
donné , ces divers appendices exécutent leurs oscillations sans 
aueun ordre , jusqu’à ce que le tout retombe dans l’immobilité , ce 
qui arrive plus ou moins promptement. À moins que le meurtre 
ne soit très récent, l'ébranlement des tarses ne se communique 
pas plus loin , et les jambes restent immobiles. Dix jours après le 
meurtre, je n’ai pu obtenir par le même procédé le moindre ves- 
tige d'irritabilité : alors j'ai eu recours au courant vollaïque. Ce 
dernier moyen est plus énergique, et provoque des contractions 
musculaires et des mouvements là où la vapeur de la Benzine reste 
sans effet. Il suffit d’un ou deux éléments de bunsen dont on a 
armé les extrémités de réophores d'aiguilles déliées. En plongeant 
la pointe de l’une sous l’un des anneaux les plus reculés de l’ab- 
domen , et la pointe de l'autre sous le cou, on obtient, toutes les 
fois que le courant est établi, outre le frémissement des tarses, une 
forte flexion des pattes qui se replient sur l’abdomen, et leur relà- 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 137 


chement quand le courant est interrompu. Ces mouvements , fort 
énergiques les premiers jours, diminuent graduellement d'intensité, 
et ne se montrent plus après un certain temps. Le dixième jour, j'ai 
encore obtenu des mouvements sensibles ; le quinzième, lapile était 
impuissante à les provoquer , malgré la souplesse des membres et 
la fraicheur des viscères. J'ai soumis comparativement à l’action 
de la pile des Coléoptères réellement morts , des Blaps gigas, des 
Saperda carcharias, des Lamia teætor, asphyxiés par la benzine 
ou par l'acide sulfureux. Deux heures au plus après l’asphyxie, il 
m'a été impossible de provoquer ces mouvements, qu'on obtient si 
aisément dans les Charançons qui sont déjà depuis plusieurs jours 
dans cet état singulier, intermédiaire entre la vie et la mort, où 
les plonge leur redoutable ennemi. 

Tous ces faits sont contradictoires avec la supposition d’un ani- 
mal complétement mort, avec l'hypothèse d’un vrai cadavre devenu 
incorruptible par l'effet d’une liqueur préservatrice. On ne peut 
les expliquer qu'en admettant que l’animal est atteint dans le prin- 
cipe de ses mouvements, de sa sensibilité ; que son irritabilité , 
brusquement engourdie, s'éteint lentement, tandis que les fonctions 
végétatives plus tenaces s’éteignent plus lentement encore, et main- 
tiennent pendant le temps nécessaire aux larves la conservation des 
viscères. En pénétrant plus avant dans ce singulier problème phy- 
siologique, nous verrons d’autres preuves venir à l'appui de cette 
manière de voir. 

La particularité qu'il importait le plus de constater, c'était la 
manière dont s'opère le meurtre. Il est bien évident que l’aiguillon 
vénénifère du Cerceris doit jouer ici le premier rôle. Mais où et 
comment pénètre-t-il dans le corps du Charançon couvert d'une 
cuirasse à l'épreuve, et dont les diverses pièces sont si merveilleu- 
sement ajustées à l’état de vie? Dans les individus atteints par le 
dard, rien, même à la loupe, ne trahit l'assassinat. Il faut donc 
constater, ex visu, les manœuvres meurtrières de l’'Hyménoptère , 
ce qui n’a pas paru facile même à M. Dufour. C'était fort peu encou- 
rageant. J'ai cependant essayé, et j'ai eu la satisfaction d’y parvenir, 
mais non sans fâtonnements. 

En s’envolant de leurs cavernes pour faire leurs chasses, les 


138 FABRE. — OBSERVATIONS 


Cerceris se dirigeaient indifféremment , tantôt d’un côté , tantôt de 
l’autre, et ils rentraient chargés de leur butin suivant loutes les 
directions. Tous les alentours étaient donc indistinctement exploités 
dans leurs déprédations ; mais comme ils ne mettaient guère plus 
de dix minutes entre l’aller et le retour, le rayon du terrain exploré 
ne paraissait pas devoir être d’une grande étendue, surtout en 
tenant compte du temps nécessaire pour découvrir la proie, l’atta- 
quer et en faire une masse inerte. Je me suis done mis à parcou- 
rir , avec toute l'attention possible , les terres circonvoisines dans 
l'espoir de trouver quelques Cerceris en chasse. Une après-midi 
consacrée à ce travail ingrat a fini par me convaincre de linutilité 
de mes recherches, et du peu de chances que j'avais de surprendre 
sur le fait quelques rares chasseurs disséminés çà et là, et bientôt 
dérobés aux regards par la rapidité de leur vol, surtout dans un 
terrain difficile presque exclusivement complanté en vignes. J'ai 
renoncé à ce procédé. En apportant moi-même des Charançons 
vivants dans le voismage des nids, ne pourrais-je tenter les Cerceris 
par une proie trouvée sans fatigues, et assister ainsi au drame tant 
désiré. L'idée m’a paru bonne, et dès le lendemain matin j'étais en 
course pour avoir des Cleonus vivants. Vignes, champs de luzerne, 
terres à blé, haies, tas de pierres, bords des chemins, j'ai tout 
visité, tout scruté; et après deux mortelles journées de recherches 
minutieuses, j'étais possesseur, oserai-je le dire, j'étais possesseur 
de trois Charançons tout pelés, souillés de poussière, privés d’an- 
tennes ou de tarses, vétérans écloppés dont les Cerceris ne vou- 
dront peut-être pas. Puissance admirable de l'instinct! Dans les 
mêmes lieux et dans bien moins de temps, c’est par centaines que 
nos Hyménoptéres auraient trouvé ces Charançons introuvables 
pour l’homme. Ils les auraient trouvés frais , lustrés , récemment 
sortis sans doute de leurs coques de nymphes. N'importe, essayons 
avec ce pitoyable gibier. Un Cerceris vient d'entrer dans sa galerie 
avec la proie accoutumée; avant qu'il ressorle pour une autre 
“expédition, je place un Charançon à quelques pouces du trou. Le 
Charançon va et vient; quand il s’écarte trop, je le ramène à son 
poste. Enfin le Cerceris montre sa large face et sort du trou : 
le cœur me bat d'émotion. L'Hyménoptère arpente quelques 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 139 


instants les abords de son domicile, voit le Charançon, le coudoie, 
se retourne , lui passe à plusieurs reprises sur le dos , et s'envole 
sans honorer sa proie d’un coup de mandibule. J'étais confondu. 
Nouveaux essais à d’autres trous, nouvelles déceptions. Décidément 
ces chasseurs délicats ne veulent pas du gibier que je leur offre, 
Peut-être le trouvent-ils trop vieux, trop fané ; peut-être en le 
prenant entre les doigts lui ai-je communiqué quelques émanations 
odorantes qui les rebutent. Serai-je plus heureux en obligeant le 
Cerceris à faire usage de son dard pour sa propre défense? J'ai 
enfermé dans le même flacon un Cerceris et un Charançon, que j'ai 
irrités par quelques secousses. L'Hyménoptère , plus effrayé que 
l'autre prisonnier, songe à la fuite et non à l'attaque ; les rôles 
même sont intervertis, etle Charançon, devenant l'agresseur, saisit 
parfois entre ses mandibules une patte de son mortel ennemi, qui 
ne cherche pas même à se défendre, tant la frayeur le domine. 
J'étais à bout de ressources , et mon désir d'assister au dénoùment 
n'avait fait qu'augmenter par les difficultés déjà éprouvées. Voyons, 
cherchons encore. I faut offrir mon gibier dédaigné au Cerceris au 
plus fort de l’ardeur de sa chasse ; peut-être qu'alors, emporté par 
la préoccupation qui l’absorbe, il ne s’apercevra pas de ses imper- 
fections. J'ai déjà dit qu'en revenant de la chasse le Cerceris s’abat 
au pied du talus, à quelque distance du trou, où il achève de trainer 
péniblement sa proie. H s'agit alors de lui enlever cette victime en 
la tiraillant doucement par une patte avec des pinces, et de lui 
jeter aussitôt en échange le Charançon vivant. Cette manœuvre m’a 
parfaitement réussi. Dès que le Cerceris a senti sa proie glisser sous 
son ventre et lui échapper , il frappe le sol de ses pattes avec impa- 
tience, se tourne de cà et de là, et apercevant le Charançon qui a 
remplacé le sien, il se précipite sur lui, et l’enlace de ses pattes 
pour l'emporter. Mais il s'aperçoit promptement que sa proie est 
vivante, et alors le drame commence pour s'achever avec une 
rapidité inconcevable. L’Hyménoptère se met face à face avec sa 
victime, lui saisit le rostre entre ses puissantes mandibules , l’assu- 
jettit vigoureusement ; et tandis que le Curculionite se cambre sur 
les jambes , autre avec les pattes antérieures le presse avec effort 
sur le dos comme pour faire bâiller quelque articulation ventrale. 


140 FABRE. -- OBSERVATIONS 


On voit alors l'abdomen du meurtrier glisser sous le ventre du 
Charançon, se recourber , et darder vivement à deux ou trois 
reprises son stylet venimeux à la jointure du prothorax, entre la 
première et la seconde paire de pattes. En un clin d'œil, tout est 
fait. Sans le moindre mouvement convulsif, sans aucune de ces 
pandieulations des membres qui accompagnent l’agonie d’un ani- 
mal, la victime, comme foudroyée, tombe pour toujours immobile. 
C'est terrible en même temps qu'admirable de rapidité. Puis le 
ravisseur retourne ce cadavre sur le dos, se met ventre à ventre 
avec lui, jambes de çà, jambes de là, l’enlace et s'envole. Trois 
fois, avec mes trois Charançcons, j'ai renouvelé l'épreuve ; les 
manœuvres n’ont jamais varié. Il est bien entendu que chaque fois 
je rendais au Cerceris sa première proie, et que je retirais la 
mienne pour l’examiner plus à loisir. Cet examen n’a fait que me 
confirmer dans la haute idée que j'avais du talent redoutable de 
l'assassin. Au point atteint, il est impossible d'apercevoir le plus 
léger signe de blessure, le moindre épanchement de liquides vitaux. 
Mais ce qui a plus de droit de nous surprendre, c’est l’anéantisse - 
ment si prompt et si complet de tout mouvement. Immédiatement 
après le meurtre, j'ai vainement épié, sur les trois Charançons 
opérés sous mes veux, des traces d'irritabilité ; ces traces ne se 
manifestent jamais en pinçant, en piquant l’animal, et il faut 
employer les moyens artificiels décrits plus haut pour les provo- 
quer. Ainsi ces pauvres bêtes qui, transpercées d’une grosse 
épingle et élevées sur la fatale planchette de liége, se seraient 
démenées des jours, des semaines , que dis-je, des mois entiers , 
perdent instantanément tous leurs mouvements par l'effet d’une 
piqûre microscopique, qui leur inoeule une gouttelette invisible 
d’un liquide subtil. Mais la chimie ne possède pas de poison aussi 
actif à si minime dose; l’acide prussique produirait à peine ces 
effets, si toutefois il peut les produire. Aussi est-ce à la physiologie 
et à l'anatomie qu'il faut s'adresser pour saisir la cause d’un anéan- 
tissement si foudroyant; ce n’est pas tant la subtilité du venin imo- 
eulé que l’importance de l'organe lésé qu'il faut considérer pour 
comprendre ce mystère. Qu'y a-t-il done au point où pénètre le 
dard ? Il y a là les ganglions thoraciques, l’une des parties les plus 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. AA 


essentielles de la moelle abdominale, les ganglions qui fournissent 
les nerfs des ailes et des pattes, et président à leurs mouvements. 
Ces ganglions sont au nombre de trois chez tous les insectes. Le 
premier, ou celui du prothorax, est constamment distinct des 
autres chez les Coléoptères ; mais les deux derniers, ou ceux du 
mésothorax et du métathorax , séparés l’un de l’autre dans la très 
grande majorité des Coléoptères , se trouvent chez certains types 
complétement réunis, soudés, fondus ensemble (1). Or il est 
reconnu d’une manière générale qu'à mesure que les divers noyaux 
médullaires tendent à se confondre , qu’à mesure que le système 
nerveux se centralise davantage , les fonctions qui caractérisent 
l’animalité deviennent plus parfaites, et par suite, hélas! plus vul- 
nérables. Eh bien, les Cerceris, qui, d’un coup d'aiguillon, doivent 
engourdir subitement ces fonctions animales, choisissent précisé- 
ment les espèces où cette centralisation est la plus grande. Ils 
choisissent les Bupresles, dont les centres nerveux du mésothorax 
et du mélathorax sont confondus en une seule et grosse masse; ils 
choisissent les Curculioniens , dont les trois ganglions thoraciques 
sont {rès rapprochés, dont les deux derniers même sont conti- 
gus (2). Telle me parait être la cause de l’anéantissement si prompt 
de l’animalité chez les victimes de nos Hyménoptères. Et, en effet, 
lorsque les ganglions sont distincts et plus ou moins éloignés l’un 
de l’autre, comme cela a lieu, par exemple, chez les larves, la 
victime, quoique évidemment atteinte par l’aiguillon du ravisseur, 
conserve ses mouvements. Les larves vertes que Réaumur trouva 
dansles cellules de sa Guêpe solitaire (Odynerus spinipes) étaient 
pleinesde vie (3), bien que, comme le fait observer M. Audouin (4), 
elles eussent éprouvé de la part de l'Odynère femelle quelque 
blessure, suivie peut-être de l'inoculation d’une substance ayant la 
propriété de la plonger dans un état léthargique. D’autres larves 


(1) E. Blanchard, Système nerveux des Insectes coléoptères (Ann. des sc, nat., 
3° série, t. V). 

(2) E. Blanchard, Loc. cit. 

(3) Réaumur, Mémoire pour servir à l'histoire des Insectes, t. VITE, p. 258. 

(5) Audouin, Observations sur les mœurs des Odynères (Ann. des se. nat. 
2° série, t. XI). 


4142 FABRE. — OBSERVATIONS 


également vertes, et appartenant à un Lépidoptère, larves que j'ai 
observées dans le nid d’un Euménien (1), jouissaient également 
de tous leurs mouvements, rendus paresseux, il est vrai, à cause 
de l'espèce de somnolence où le ravisseur doit les plonger. De 
l'abolition complète de l’animalité des insectes parfaits à cette 
somnolence, cette léthargie des larves , il n’y a qu’une différence 
du plus au moins par suite des différents degrés de centralisation 
du système nerveux, et les chasseurs de Chenilles, comme les 
chasseurs de Coléoptères, doivent également rendre leurs victimes 
inoffensives et incorruptibles par un coup d’aiguillon dans la moelle 
abdominale. 

Les mêmes motifs, puisés dans la centralisation du système ner- 
veux, peuvent nous expliquer les prédilections extraordinaires des 
Cerceris pour les Buprestes et les Charançons; car, remarquons-le 
bien, il faut au ravisseur une proie très vulnérable , qu’il puisse 
se procurer rapidement, sans luttes qui compromettraient l’exis- 
tence de cette mère prévoyante, sans longues agonies qui mettraient 
en danger l'œuf précieux déposé au milieu de victimes récentes. 
Que deviendrait, en effet, cet œuf, où la jeune larve qui en pro- 
vient, au milieu de vigoureux Coléoptères grouillants, même à 
demi-morts, dans un étroit espace, et remuant des semaines 
entières leurs longues jambes éperonnées ? Que de faibles Chenilles 
soient rendues parfaitement inoffensives par une somnolence plus 
où moins profonde , cela se conçoit; mais pour arriver au même 
résultat avec des insectes incomparablement plus vigoureux, il faut 
l'anéantissement complet des mouvements : cet anéantissement 
ne peut se produire avee la rapidité voulue, qu'autant que le 
Coléoptère offre un certain degré de centralisation dans son appa- 
reil nerveux. Si nous consultons le beau mémoire et les superbes 
planches de M. É. Blanchard sur le système nerveux des insectes 
coléoptères, nous verrons que très peu de tribus remplissent ces 
conditions indispensables. On trouve celte centralisation chez les 
Scarabéiens, mais la plupart sont trop gros : le Cerceris ne pour- 
rait ni les attaquer, nilesemporter ; d’ailleurs beaucoup vivent dans 


(1) Voyez ci-après note C. 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 143 


des ordures où l’Hyménoptère n'irait pas les chercher. Toutefois 
je suis persuadé que, si jamais on trouve dés Cerceris chassant une 
autre proie que les Buprestes et les Charançons, cette proie appar- 
tiendra aux petites espèces de Scarabéiens vivant aux dépens des 
végétaux. On la trouve encore chez les Histériens, qui vivent de 
matières infectes puant le cadavre , et doivent être par conséquent 
abandonnés ; chez les Scolytiens, qui sont de trop petite taille, et 
enfin chez les Buprestes et les Charancons. Voilà le trait de ressem- 
blance qui, dans les antres des divers Cerceris, rassemble les 
représentants tantôt de l’une, tantôt de l’autre de ces deux tribus 
dont l'extérieur n’a rien de commun. Et maintenant la raison 
humaine n'est-elle pas encore une fois confondue devant les 
miracles de cet instinct, qui de tout temps a appris à nos Hymé- 
noptères les plus beaux théorèmes physiologiques, les lois mer- 
veilleuses de ces filaments blancs qu’on appelle les nerfs, qui leur a 
dévoilé les secrets les plus cachés de l'anatomie, secrets que le 
savant ne dérobe qu'à force de veilles et de labeurs. 

Pour compléter ma démonstration , il me reste à établir qu’on 
peut à volonté , en imitant les manœuvres des Cerceris, plonger 
dans une entière immobilité, tout en leur conservant la vie végéta- 
tive , les insectes coléoptères dont l'appareil nerveux se prête à ce 
genre d'expérience. L'opération est on ne peut plus simple ; il 
s'agit, avec une pointe acérée d'acier ou avec un tube de verre 
convenablement effilé, d'amener une gouttelette de quelque liquide 
corrosif sur les centres médullaires thoraciques, en piquant légère- 
ment l'insecte à la jointure du prothorax, en arrière de la première 
paire de pattes. Le liquide que j'emploie est l’ammoniaque ; mais il 
est évident que tout autre liquide ayant une action aussi énergique 
produirait les mêmes résultats. Les effets ainsi obtenus diffèrent 
énormément, suivant qu'on opère sur des espèces dont les gan- 
glions thoraciques sont rapprochés, ou sur des espèces où ces 
mêmes ganglions sont distants l’un de l'autre. Pour la première 
calégorie, mes expériences ont été faites sur des Lamellicornes 
(Scarabœus sacer , Scarabœus laticollis), sur des Buprestes 
(Buprestis œnea), enfin sur des Cureulionites, et en particuliér sur 
l'espèce même que chasse le héros de ces observations. Pour la 


An FABRE. — OBSERVATIONS 


seconde catégorie, j'ai expérimenté sur des Carabiques (Carabus, 
Procustes, Chlænius, Sphodrus, Nebria, etc.), des Longicornes 
(Saperda, Lamia), des Mélasomes (Blaps, Scaurus, Asida). 

Chez les Scarabées, les Buprestes et les Cureulionites, l'effet est 
instantané ; tout mouvement cesse subitement, sans convulsions, 
dès que la fatale gouttelette a touché les centres médullaires. La 
piqüre du Cerceris ne produit pas un anéantissement plus prompt. 
Mais là ne s’arrète pas la ressemblance des effets produits par le 
dard de l’'Hyménoptère et par l'aiguille empoisonnée avec de 
l’'ammoniaque. Les Scarabées , les Buprestes et les Charançons 
piqués artificiellement, malgré leur immobilité complète, conser- 
vent pendant trois semaines , un mois et même deux, la parfaite 
flexibilité de toutes leurs articulations et la fraicheur normale de 
leurs viscères. Chez eux, la défécation s'opère les premiers jours 
comme dans l’état habituel, et les mouvements peuvent encore être 
provoqués par le courant voltaïque. En un mot, ils se comportent 
absolument comme les Coléoptères sacrifiés par les Cerceris, et il y 
a identité complète entre l’état où le ravisseur plonge ses victimes 
et celui qu’on produit à volonté en lésant la moelle abdominale 
avec de l’ammoniaque. Or, comme ici il est impossible d'attribuer 
à la gouttelette inoculée la conservation parfaite de l’insecte pen- 
dant un temps aussi long, il faut bien rejeter toute idée de liqueur 
préservalrice, de procédés analogues à ceux de Gannal, et 
admettre que , malgré sa profonde immobilité, l'animal n’est pas 
réellement mort, qu'il lui reste encore une lueur de vie, maintenant 
encore quelque temps les organes dans leur fraicheur normale , 
mais les abandonnant peu à peu pour les laisser enfin livrés à la 
corruption. Dans quelques eas d’ailleurs, l’'ammoniaque ne produit 
l’anéantissement complet des mouvements que dans les pattes , et 
alors l’action délétère du liquide ne s'étant pas sans doute étendue 
assez loin, les antennes conservent un reste de mobilité ; et l’on voit 
l'animal, même plus d’un mois après l’inoculation, les retirer vive- 
ment au moindre attouchement : preuve évidente que la vie n’a 
pas complétement déserté ce corps inerte. Ce mouvement des 
antennes s’observe aussi parfois chez les Charancons blessés par 
les Cerceris. 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 445 


L'inoculation de l’'ammoniaque arrête toujours sur-le-champ les 
mouvements des Scarabées, etc., mais on ne parvient pas toujours 
à mettre l’animal dans l’état que je viens de décrire. Si la blessure 
est trop profonde, si la gouttelette instillée est trop forte, la victime 
meurt réellement, et, au bout de deux ou trois jours, on n’a plus 
qu'un cadavre infect. Si la piqure est trop faible, au contraire, 
l'animal, après un temps plus ou moins long d’un profond engour- 
dissement, revient à lui, et recouvre au moins en partie ses mou- 
vements. J'ai pu constater celte espèce de résurrection , même 
chez un insecte atteint par le dard d’un Hyménoptère fouisseur. 
Le Spheæ flavipennis entasse dans ses trous de jeunes Grillons 
(Gryllus campestris), préalablement atteints par son stylet vénéni- 
fère (1). J'ai retiré de l’un de ces trous trois pauvres Grillons, dont 
la flaccidité extrême aurait dénolé la mort dans toute autre circon- 
stance. Mais ici encore ce n’était qu’une mort apparente : mis dans 
un flacon, ces Grillons se sont conservés en fort bon état, et tou- 
jours immobiles pendant près de trois semaines. A la fin, deux se 
sont moisis, et le {roisième a ressuscité, c’est-à-dire qu’il a recou- 
vré le mouvement des antennes , des pièces de la bouche et des 
deux premieres paires de pattes. 

Chez les Coléoptères de la seconde catégorie , c’est-à-dire chez 
ceux dont les centres médullaires thoraciques sont distants l’un de 
l'autre, l'effet produit par l'ammoniaque est très différent. Ce sont 
les Carabiques qui se montrent les moins vulnérables. Une piqüre 
qui aurait produit chez un vigoureux Scarabée sacré l’anéantisse- 
ment instantané des mouvements ne produit, même chez les 
Carabiques de médiocre taille (Chlænius vertitus, Nebrius psam- 
modes, Calathus cisteloides), que des convulsions violentes et 
désordonnées. Peu à peu l’animal se calme, et, après quelques 
heures de repos, il reprend ses mouvements habituels, et paraît 
n'avoir rien éprouvé, Si l’on renouvelle l'épreuve sur le même 
individu, deux , trois, quatre fois, les résultats sont les mêmes, 
jusqu'à ce que , la blessure devenant trop grave, l'animal meure 


(1) D'après M. de Saint-Fargeau , quelques Sphex d'Afrique chassent égale - 
ment des Orthoptères , de très gros Acridiens. 
4° série. Zoo. T. JV. (Cahier n° 3.) 2 10 


146 FABRE. — OBSERVATIONS 


réellement, comme le prouvent son desséchement et sa putrefac- 
tion qui surviennent bientôt après. 

Les Mélasomes et les Longicornes sont plus sensibles à l’action 
de lammoniaque. L'inoculation de la gouttelette corrosive les 
plonge assez rapidement dans l’immobilité, et, après quelques con- 
vulsions, l'animal parait mort. Mais cette paralysie, qui aurait per- 
sisté chez les Scarabées, n’est ici que momentanée, et du jour au 
lendemain les mouvements reparaissent aussi énergiques que 
jamais. Ce n’est qu'autant que la dose d'ammoniaque est d’une 
certaine force, que les mouvements ne réparaissent plus ; mais 
alors l'animal est mort, bien mort, car il ne tarde pas à tomber en 
putréfaction. Par les mêmes procédés, si efficaces chez les Scara- 
bées, les Charançons et les Buprestes, il est done impossible de 
provoquer une paralysie complète et persistante chez les Coléoptères 
dont les ganglions thoraciques sont distants l’un de l’autre, et lon 
ne peut obtenir tout au plus qu'une paralysie momentanée se dissi- 
pant du jour au lendemain. 

Ces résultats de l'expérience confirment de la manière la plus 
éclatante les raisons que j'ai exposées plus haut pour motiver la 
prédilection exclusive des Cerceris pour quelques tribus de 
Coléoptères, et pour expliquer la longue conservation de leurs 
victimes. 

Conclusions. 

Les Hyménoptères prédateurs rendent inoffensive la proie 
destinée aux larves par un coup d’aiguillon dans les ganglions 
thoraciques. 

Si la victime est une Chenille, une faible larve, l'effet du coup 
d’aiguillon peut se borner à une torpeur, à une léthargie plus ou 
moins profonde , et les mouvements ne sont pas complétement 
anéantis ; exemples : les larves vertes de Phylonomus variabilis 
qu’on trouve dans les nids de l'Odynerus spinipes, les larves 
vertes de Lépidoptère qu'on trouve dans les cellules de l’Zumenes 
décrit ci-après. 

Si la victime est un insecte vigoureux , la paralysie doit être 
totale et persistante, afin que l'œuf ou la larve ne se trouve pas en 
danger ; il v a alors anéantissement complet des mouvements, 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 447 


comme chez les Buprestes et les Charançons des Cerceris, les 
Grillons des Sphex. 

Cet état d'inertie n’est qu'une mort apparente, une paralysie des 
organes de la vie animale ; mais la vie végétative persiste encore 
plus ou moins longtemps, et préserve l'organisme de la décompo- 
sition. L'animal ne meurt réellement que longtemps après , et 
peut-être uniquement d’inanition. ! n’y a donc pas lieu d'attribuer 
au venin des Hyménoptères une propriété antiseptique; ce liquide 
agit seulement sur les centres nerveux, comme agirait tout autre 
liquide suffisamment énergique. 

L'ammoniaque en particulier produit absolument les mêmes 
effets, en s’inoculant au point où se porterait le dard de l'Hymé- 
nopière. 

La paralysie par l’'ammoniaque n’est complète et persistante que 
chez les Coléoptères, dont les ganglions thoraciques sont concen- 
trés sur un seul point. 

Cette centralisation du système nerveux rendant possible une 
paralysie instantanée et persistante est la cause qui borne les 
déprédations des Cerceris chasseurs de Coléoptères aux Buprestes, 
aux Curculionites, et probablement aussi à quelques petites espèces 
de Lamellicornes , puisque ceux-ci remplissent également toutes 
les conditions voulues. Les prédilections si exclusives des Cerceris 
sont donc subordonnées à l'anatomie de leurs victimes plutôt qu’à 


leurs qualités nutritives. 
Note A. 

Éloigné des centres scientifiques, réduit à mes seules et bien faibles res- 
sources, je me trouve dans un grand embarras pour désigner l'espèce de Cerceris 
qui fait le sujet de cet opuscule. N'ayant pu en trouver le signalement dane les 
quelques auteurs que j'ai pu consulter, je vais en donner une description assez 
développée pour qu'on puisse facilement la reconnaître si elle est déjà décrite. 
Je hasarderai même un nom dans l'espoir, si cette espèce est réellement incon- 
nue, d'attacher le nom vénéré de M. L. Dufour au plus beau des Hyménoptères 
qui butinent au pied du mont Ventoux. 

Cerceris Dufouriana. — Femelle noire. Tête, thorax, et premier segment de 
l'abdomen ponctués et pubescents ; les cinq derniers segments de l'abdomen 
lisses, luisants et glabres au-dessus, ponctués et pubescents au-dessous dans 
leur moitié postérieure. Chaperon prolongé à la base des antennes en une pointe 
coupée carrément à l'extrémité. Premier article des antennes jaune , les trois el 


148 FABRE. —— OBSERVATIONS 


quatre suivants ferrugineux, les autres noirs. Chaperon ; carène entre les antennes ; 
deux bandes remontant jusque sur le vertex, et bordant le côté interne des yeux; 
une large tache quadrilatère derrière chacun d'eux ; deux taches sur le protho- 
rax, les écailles des ailes’; quatre points disposés par paires sur le corselet ; deux 
points sur le premier segment de l'abdomen ; une bande échancrée à la partie 
postérieure des quatre segments suivants ; deux taches latérales sur le segment 
anal, jaunes. Dessous du“corps noir; une bande rouge échancrée en arrière sur 
le second segment de l'abdomen. Pattes d'un jaune ferrugineux avec les hanches 
noires. Ailes enfermées à l'extrémité. Longueur de 25 à 30 millimètres. 

Les deux premiers points du corselet sont distants l'un de l'autre, quelquefois 
peu distincts, et même tout à fait effacés. Les deux suivants sont contigus , et 
forment assez souvent une ligne transverse. Les deux points jaunes du premier 
segment de l'abdomen disparaissent quelquefois aussi, et il en est de même de la 
bande rouge de la face ventrale du second segment abdominal. 

Mâle. Noir, entièrement ponctué, et couvert d'une pubescence cendrée plus four- 
nie que chez la femelle, surtout sur la tête et le thorax. Chaperon plan. Antennes 
ferrugineuses, excepté la face inférieure de l’article basilaire qui est jaune, et la face 
supérieure des 4-6 articles médians qui est noire. Chaperon et carène entre les 
antennes jaunes, ainsi que deux bandes bordant le côté interne des yeux , mais 
ne remontant point sur le vertex. Un très petit point derrière chaque œil ; deux 
points sur le prothorax, les écailles des ailes ; deux points et une ligne transverse 
sur l’écusson ; deux très petits points sur le premier segment de l'abdomen; une 
bande échancrée sur chacun des cinq segments suivants : une tache médiane entre 
les deux carènes du segment anal, jaunes. Dessous du corps entièrement noir. 
Pattes d'un jaune ferrugineux. Ailes enfoncées à l'extrémité. Longueur de 18 à 
20 millimètres. 

Comme chez la femelle, les deux points et la ligne jaune de l'écusson peuvent 
disparaître plus ou moins complétement, surtout les deux points. Il en est de 
même des deux points du premier segment abdominal , de la tache médiane du 
segment anal, et des deux points qui sont derrière les yeux. 


Note B. 


Cerceris.….… ! — Noir, très ponctué. Face couverte d'une fine pubescence 
argentée. Chaperon plan. Une étroite bande jaune de chaque côté au bord interne 
des yeux. Mandibules jaunes avec leur extrémité brune. Antennes noires en des- 
sus , d'un brun pâle en dessous ; face inférieure de leur article basilaire jaune. 
Deux points distants sur le prothorax, les oreilles des ailes ; une ligne transverse 
sur l'écusson ; une bande échancrée à la partie postérieure du 3° et du 5° seg- 
ment de l'abdomen, d'un jaune pâle. Dessous du corps entièrement noir ; hanches 
et trochanters noirs : cuisses postérieures entièrement noires: cuisses des deux 
paires antérieures mi-parties noires el jaunes ; jambes et tarses jaunes. Jambes 
un peu enfumées à l'extrémité. Longueur 8 millimètres. 


SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 119 


Cette espece creuse ses galeries dans les talus sablonneux des ravins. Elle 
approvisionne ses larves avec des Buprestes , le Sphenoptera geminata , Iliger. 
Eu septembre, époque de mon observation, ces provisions sont depuis longtemps 
consommées, car on ne trouve dans les cellules que des débris arides, des élytres, 
des corselets, et quelques rares individus dont les diverses pièces tégumentaires 
sont encore régulièrement assemblées. Malgré cela, la vigilante mère veille encore 
au soin de sa progéniture, car c’est toujours dans le voisinage des terriers ou 
même dans leur intérieur que je l'ai surprise. Au milieu des débris extraits d’un 
assez grand nombre de nids, je n'ai pu reconnaître la moindre trace d’une seconde 
espèce de Bupreste, nouvel exemple de déprédations si singulièrement délimitées. 

Par la disposition de ses taches jaunes, celte espèce a quelques traits de res- 
semblance avec le Cerceris ornata ; maïs elle s'en éloigne par quelques caractères, 
et surtout par la différence de mœurs, le Cerceris ornata nourrissant ses larves, 
d'après M. Walcknaër, d'autres Hyménoptères appartenant au genre Halictus. 
Je ne connais pas le mâle. 

Note C. 

Eumenes...? — Femelle noire, ponctuée et pubescente sur la tête, le thorax 
et le premier segment de l'abdomen. Les cinq derniers segments abdominaux lui- 
sants et glabres. Chaperon , carène entre les antennes , lunules bordant le côté 
interne des yeux ; face inférieure du premier article des antennes ; une ligne étroite 
derrière chaque œil ; bord antérieur du prothorax, les écailles des ailes, deux 
points et une ligne transverse sur l'écusson ; une tache sur chaque flanc du méso- 
thorax; deux autres plus larges sur le métathorax ; bord postérieur des cinq pre- 
miers segments de l'abdomen, jaunes, Le second segment orné, en outre, sur 
chaque flanc d'une grande tache jaune, qui réjouit la bande marginale. Dessous 
du corps noir : les quatre segments médians de l'abdomen bordés de jaune ; le 
second muni, en outre, de deux gros points de la même couleur. Hanches noires 
avec ‘une tache jaune à la face externe. Base des cuisses et trochanters noirs ; 
extrémité des cuisses, jambes et tarses jaunes. Longueur de 20 à 22 millimètres. 
Serait-ce l'Eumenes pomiformis ? 

Cette espèce bâtit ses cellules en septembre sur les rochers exposés au soleil, 
sur les murailles. Tantôt isolées, tantôt au nombre de deux ou trois accolées l’une 
à l'autre, ces cellules ont la forme d'une calotte sphérique, surmontée d'une sorte 
de petite cheminée cylindrique d'une paire de millimètres de hauteur. Le fond en 
est formé par la surface même de la pierre qui leur sert de base; mais ses 
parois sont maçonnées avec de la terre pétrie. L'intérieur de ces constructions , 
sans être poli avec soin, ne présente au moins rien de raboteux ; leur extérieur, 
au contraire, est revêtu de gravier grossier, et même de coquilles vides de petites 
bélices. A mesure que l'Hyménoptère a maçonné une cellule , il s'approvisionne 
d'une dizaine de larves vertes, puis il en bouche la cheminée avec un tampon de 
mortier. Ces larves appartiennent à des Lépidoptères, et, suivant toute appa- 
rence, à des Phaléniens. Linné a déjà dit du Sphez sabulosa : Habitat in terra 


150 DE BEAUVOYE. — LETTRE, ETC. 


sabulosa, ubi Canis instar pedibus anterioribus cuniculum fodit larvamque Pha- 
lenæ semimortuam in eo sepelit, etc.; et du Sphex viatica : Fodit cuniculum , 
occidit larvam Phalene , attrahit, sepelit , ete. (1). Cette rencontre n’est proba- 
blement pas fortuite, et les trois chasseurs de chenilles de Phalènes doivent être 
guidés par quelques motifs impérieux, comme j'espère l'avoir prouvé au sujet des 
Cerceris mangeurs de Buprestes et de Charancons. Dans une vingtaine de che- 
nilles recueillies, j'ai reconnu deux espèces , dont l’une était représentée par un 
seul individu. Voici les caractères des chenilles les plus nombreuses : 

Corps d’un vert pâle, ou plus rarement d'un jaune sale, cylindrique, hérissé de 
cils courts et blanchâtres. Tête transversale , plus large que les segments anté- 
rieurs, d'un noir mat, également hérissée de cils. Quatre paires de pattes mem- 
braneuses placées sur les 6°, 7°, 8° et 9° segments. Longueur 16 millimètres ; 
largeur 3 millimètres. 

L'individu unique de la seconde espèce à pour caractères : 

Corps un peu atténué aux deux bouts , étranglé à la jonction des divers seg- 
ments, d'un vert sale, avec de fines marbrures noirâtres visibles à la loupe, et 
quelques poils noirs clair-semés. Tête petite, plus étroite que les segments anté- 
rieurs, de la même couleur que le corps. Trois paires de pattes membraneuses 
placées sur les 8°, 9° et 12° segments. Longueur, 15 millimètres ; largeur, 2 mil- 
limétres 1/2. 

Il est à remarquer que l'Eumenes coarctata, dont Geoffroy a décrit le nid et 
l'approvisionnement (2), remplit ses cellules de miel; trait de mœurs qui sem- 
blait irrévocablement éloigner les Euménites des Odynérites. Mais voici une espèce 
congénère qui, à l'état de larve, vit de proie, et vient ainsi rattacher les Eumé- 
nites aux Odynères (3). 


(1) Syst. nat. 

(2) Hist. des Insectes. 

(3) Depuis l'impression des pages précédentes , M. Fabre a bien voulu en- 
voyer au Muséum d'histoire naturelle de Paris un exemplaire de chacun des 
Hyménoptères qui font le sujet de son intéressant travail , et par la comparaison 
de ces insectes avec ceux de la grande collection zoologique de cet établisse- 
ment, on a pu remplir les lacunes signalées ci-dessus. Ainsi le Cerceris Dufou- 
riana de M. Fabre est extrêmement voisin du C. tuberculata Vanderlinden , el 
ne s'en distingue guère que par la couleur des taches de l'abdomen de la femelle, 
qui sont toutes d’un jaune franc, tandis que dans cette dernière espèce elles sont 
ferragineuses sur le premier segment. Le ©. Dufouriana n'est donc peut-être qu'une 
variété du ©. tuberculata; mais, dans le cas contraire, le nom spécifique que 
M. Fabre lui a donné ne pôurrait être conservé, car il appartient déjà à une autre 
espèce du même genre décrit par Lepelletier de Saint-Fargeau (le C. Dufouri 
Lept., Hist. des Hyménopt., t. LIT, p. 15), et nous proposerions aux entomolo- 
gistes de l'appeler C. Fabreiana. 

Quant aux Cerceris indéterminé de la note B, il ne paraît pas différer spécifi- 
quement du Cerceris minula Lepell., loc. cit., p. 27. 

Enfin l’Eumenes de la note GC est l'espèce décrite par le même auteur sous le 
nom d'Eumenes Amedeïi (Lepell., Op. cit., t. IL, p. 598), ME. 


LETTRE 
SUR 


LES MOŒURS DES ABEILLES, 


Par M, DFE BEAUVOYE. 


Permettez-moi, monsieur, de vous communiquer quelques ob- 
servations sur les combats des reines. Vous le savez, monsieur, 
ees combats sont difficiles à voir, parce qu'il n’est pas facile d’avoir 
plusieurs reines à sa disposition , et, comme le dit fort bien Réau- 
mur, on ne sacrifie pas volontiers une ruche pour s'éclairer sur 
un sujet plutôt curieux qu'utile et indispensable à connaitre. 

Hubert , qui fait loi dans cette partie de la science, en a donné 
une descriphon si poétique , si belle, que j'ai toujours attendu avec 
impatience le moment où je pourrais être témoinde combats dignes 
de la plus belle époque de notre chevalerie. 

Profitant du moyen que j'ai trouvé d'asphyxier les abeilles dont 
vous avez bien voulu vous rendre témoin, j'ai pris l'an dernier 
chez mes voisins plusieurs reines, et voici ee dont j'ai été témoin : 

1° Une reine fut présentée à une ruche qu'on en croyait privée; 
la première gardienne l’aperçoit, la saisit , lui plonge son aiguillon 
dans le corps avec vivacité ; ce mouvement rapide attire les autres 
surveillantes , et chacune à son tour, et {toutes ensemble, en font 
autant à cette majesté tremblante qui, se défendant à peine, périt 
bientôt. L’attitude de cette reine était d'une humilité complète, 
elle ployait son ventre sous elle à l'instar de ces jeunes chiens qui 
se replient la queue sous l'abdomen devant les vieux qui les 
grognent. 

2° Désirant voir ce qui se passerai entre deux essainis au mo- 
ment de leur mariage, j'en lançai un dans ma ruche plate, occupée 
par un autre; mais le brouhaha m’empêcha de rien voir. Le len- 
main malin, jetrouvai dans le vestibule une grosse pelate d'abeilles 
enserrant une reine. Je mis celte pelote sur une assiette; plu- 
sieurs abeilles s'envolèrent, mais d’autres restèrent et continuèrent 
d'assouvir leur fureur en plongeant à l’envi leur aiguillon dans 
le corps de l'abeille surnuméraire. 

3° Une autre reine esttirée d’une masse d'abéilles endormies ; 


152 DE BEAUVOYE. — LETTRE 


Je la laisse revenir à la vie. Quand elle est bien ranimée, je la place 
dans une niche vitrée, et je m'’efforce de la mettre en contact 
avec la reine régnante ; mais celle-ci ne la sent ni ne fait mine de 
l’apercevoir, et se dérobe même à l'expérience. Les abeilles qui 
l’accompagnent s'emparent de l’étrangère, la poignardent, forment 
autour d’elle une masse de plus de cinquante abeilles qui roulent 
à la surface du rayon et tombent enfin sur un carton que je tenais 


au-dessous. Les plus éloignées s’envolent, mais les autres conti- 
nuent de la presser, de la poignarder et ne la quittent que quelques 
heures après, alors seulement que je les chasse ; 

4° Une autre reine subit le même sort; 

5° Je prends la reine de ma ruche plate; je la place sous un 
globe de verre et lui adjoins la reine d’un autre essaim. Leur pre- 
mier soin est de chercher une issue pour sortir ; elles se rencon- 
trent cependant, passent l’une sur l’autre sans se rien dire; mais 
à une seconde rencontre, je vois un superbe combat : les ventres 
se réunissent; on se choque , on se heurte, mais bientôt on se 
sépare. La lutte ne tarde pas à recommencer; la reine de la ruche 
plate monte sur l’étrangère, lui plonge son aiguillon dans le côté et 
se retire. La blessée se traîne encore quelques instants à l’aide des 
trois pattes du côté resté sain et sauf du venin, les autres étant déjà 
paralysés, puis elle expire. 

6° Le lendemain, la reine victorieuse est placée sous le même 
globe avec trente abeilles ; j'y joins une autre reine avec pareil 
nombre de ses suivantes. Personne ne s'attaque ni ne se dispute; 
toutes passent les unes sur les autres, et leur principal désir 
semble être de sortir de prison. Las de ce manége inutile, je fais 
évacuer la place et ne laisse que les deux reines, mais elles ne se 
cherchent pas encore , il faut que je les rapproche à l’aide des 
barbes d’une plume : enfin, les voici tête à tête, croisant leurs 
antennes comme deux jeunes taureaux croisent leurs cornes lors- 
qu'ils vont lutter sur la prairie. L'une baisse les pattes de devant, 
se mettant en quelque sorte aux pieds de l’autre, comme pour l’im- 
plorer. Celle-ci, en effet, lui lèche le dessus de la tête et la caresse 
amicalement. Bientôt l’autre reine en fait autant et reçoit les mêmes 
marques d'amitié. Ce manége se répète si longtemps que je les 


SUR LES MOEURS DES ABEILLES. 153 


sépare et les stimule vainement, les poussant au combat sans pou- 
voir les réunir. La nuit arrivant, je rends la reine à sa ruche, où 
une vive inquiétude régnait. Je laisse sous le globe quelques abeilles 
avec la reine pour passer la nuit. Le lendemain, je répète cette 
expérience et j'obtiens le même résultat. Mais pour le coup, je laisse 
les deux reines ensemble et seules pendant la nuit, et le lendemain 
j'en trouve une de morte. 

Telles sont, monsieur, les premières observations que j'ai faites 
et je serais heureux qu'elles vous intéressassent. A la saison pro- 
chaine, je les recommencerai , je vérifierai aussi les époques si 
précises qu'Hubert assigne à la réception des reines étrangères de 
remplacement, et si les résullats que j'obtiendrai peuvent vous 
être agréables, je m'empresserai de vous les communiquer. 


NOTE 


SUR 


L'ABSENCE DANS LE WEMOPTERA LUSITANICA 
D'UN SYSTÈME NERVEUX APPRÉCIABLE (1), 


Par M. Léon DUFOUR. 


En attendant que je puisse traiter de toute l'anatomie du Némop- 
tère, insecte dont personne, jusqu’à ce jour, n’a sondé l'organisme, 
je vais faire connaître un fait négatif, qui forme une remarquable 
exception en Entomotomie; je veux parler de l’absence d’un système 
nerveux appréciable dans le Névroptère sujet de cet écrit. 

Mais pour l'intelligence et l'authenticité de ce fait si insolite, 


(1) Les travaux de M. Léon Dufour ont enrichi la science de tant de décou- 
vertes précieuses, que les observations de ce savant doivent avoir une grande 
importance aux veux de tous les entomologistes, lors même qu'elles ne leur parat- 
traient pas de nature à établir pleinement les résultats qu'il en tire. L'absence 
d'un système nerveux bien développé me semble bien difcile à admettre chez 
un Insecte quelconque, et il serait à désirer que de nouvelles recherches per- 
missent d'expliquer l'absence apparente de ce système chez le Nemora lusita- 
nica. J'espère que la publication de la note de mon illustre ami provoquera de 
nouvelles observations sur ce sujet, et que la question soulevée ici ne tardera 
pas à être résolue. M. E. 


154 L. DUFOUR. 
j'esquisserai à grands traits la structure générale, la composition 
organique, et quelques-uns des actes physiologiques de cet insecte. 

Linné avait le premier classé dans l’ordre des Névroptères , et 
désigné sous le nom de Panorpa coa, un insecte élégant et singu- 
lier trouvé dans les îles de l’Archipel. Latreille en fonda le genre 
Nemoptera. Or ce type linnéen, s'il n’est point identique avec celui 
dont j'ai fait l'anatomie, en diffère bien peu. 

Les archives de la science ne renferment encore rien sur le 
genre de vie et les métamorphoses du Némoptère. Les auteurs qui 
en ont parlé ne l'ont envisagé que sous le rapport de Ja elassifiea- 
tion et de la description purement entomologique. Il était réservé 
au scalpel de fournir quelques notions sur l’histoire de eel insecte. 

Son corps, bariolé de jaune et de noir, est grêle, et de 3 centi- 
mètres de long. Il est donc d’une taille à dissection facile. Ses ailes 
antérieures, larges et régulièrement tachetées de noir sur une gaze 
Jaune, ont une envergure de 10 centimètres, et sont propres au 
vol; les postérieures, longues, fort étroites et un peu lordues, 
ressemblent à une double queue , et font l'office de balanciers ou 
d’avirons aériens. La physionomie de ce joli insecte, vu le prolon- 
gement de sa tête en museau , semble justifier le poste que lui a 
assigné Latreille à côté de la Panorpe, mais ses viscères lui 
donnent une affinité plus naturelle avec l'Osmyle et l'Hémérobe. 
Tout porte à croire que , comme ces derniers, il a des habitudes 
nocturnes ou erépusculaires. Lorsque dans le jour on le déplace 
de ses abris, on le voit prendre un vol incertain, saccadé, de courte 
durée. Il est facile de juger qu'il est offensé par la vive lumière ; 
aussi le prend-on aisément au filet ou à la main. En juillet 1854, je 
le rencontrai fréquemment au parc royal de Pardo, près de Madrid. 

En maniant cet insecte pour le disséquer, je fus frappé de l'odeur 
très prononcée de Punaise des bois (Pentatoma punctipennis) qui 
s’exhalait de son corps. La première fois que je constatai ce fait, 
je crus que, par mégarde , j'aurais touché une de ces Punaises ; 
mais de nombreuses autopsies m'ont acquis la certitude que cette 
odeur émanait directement du Némoptère. 

Le scalpel m'a permis de constater dans son organisation viscé- 
rale les mêmes dispositions anatomiques générales que dans les 


SUR L’ANATOMIE DU NEMOPIERA LUSITANICA. 155 


autres insectes congénères. L'acte respiratoire s'y exécute par des 
stigmates et des trachées, celles-ci foutes tubulaires et rares, d’où 
l'on peut induire et une somme de respiration fort médiocre , et 
peu d'énergie des facultés locomotrices. L'appareil digestif y offre 
un canal alimentaire droit, finement membraneux, avec un jabot, 
une panse latérale, et huit vaisseaux hépatiques à insertions 
distinctes. L'absence du gésier, organe qui se trouve dans la 
Panorpe et le Myrmélion, ainsi que la nature des contenta du jabot, 
permettent d'inférer que le Némoptère suce une nourriture liquide, 
et qu'il n'est point insectivore comme les deux genres que je viens 
de nommer. J'ai aussi étudié les organes génitaux dans les deux 
sexes, etils ne m'ont présenté, comparativement aux autres genres 
de ce groupe, que les légères différences qui tiennent au type. 

Par cet aperçu sur l'anatomie et le genre de vie du Némoptére, 
on voit qu'il partage , pour le nombre, la composition et les fonc- 
tions des parties tant externes qu'internes, les attributions physio- 
logiques de l'immense population des Articulés hexapodes. Ainsi 
il voit, il respire, il marche, il vole, il mange, il digère, il sécrète, 
il engendre comme tous les insectes. Abordons maintenant le 
nœud de la question exceptionnelle, le fait négatif dont j'ai parlé. 

L'appareil sensitif, que j'ai étudié dans plus d'un millier 
d'espèces d'insectes de tous les groupes naturels, copsiste en un 
cerveau fournissant les nerfs des sens, en une chaîne ganglion- 
naire rachidienne composée de centres nerveux, d’où émanent des 
paires de nerfs symétriques distribuant la sensibilité et la vie dans 
tous les organes, dans tous les tissus. J’omets à dessein de parler 
du ganglion isolé de Brandt ou stomatozgastrique. 

Disons-le {out d'abord et très explicitement, le scalpel Je plus 
serupuleux, les yeux les plus exercés aux recherches anatomiques, 
la patience la plus éprouvée, n’ont pu constater dans le Némoptère 
ni cerveau, ni ganglions, ni nerfs. Cette négation d’un appareil 
organique de premier ordre a de si graves conséquences qu'il 
importe de la démontrer par de positifs documents. 

Dans mes premières nécropsies , tout en notant cette absence 
du système nerveux , je crus que l'étude des principaux viscères 
avait pu me dérober momentanément les ganglions, et je m'en 


156 L. DUFOUR. 


préoccupai faiblement. Cependant, après avoir coulé à fond la 
splanchnologie du Némoptère, je me livrai à l'investigation exelu- 
sive de son système nerveux , el prévenu que j'étais que les gan- 
glions étaient fort petits dans quelques Névroptères, et notamment 
dans l’Éphémère où j'en avais pourtant compté onze, je redoublai 
d’attention et de soins. Comme j'avais des sujets à discrétion pour 
les disséquer ou vivants, ou préalablement éthérisés, je multipliais 
les ouvertures par les diverses régions du corps. Torturé, c’est le 
mot, par la reproduction constante de cette cruelle vérité néga- 
tive, et me défiant du témoignage de mes propres sens, je fis appel 
aux yeux Clairvoyants de mon ami le professeur Graells qui assistait 
à mes dissections. Ils furent aussi malheureux, aussi inhabiles que 
les miens à découvrir, je ne dis pas un ganglion, mais même un 
nerf. J'écartelai dans plusieurs sujets le crâne, dans l'espoir que 
le cerveau, ce point de départ du système nerveux, pourrait me 
donner la clé de ce labyrinthe d’incertitudes ; mais au lieu d’un 
organe circonscrit et à deux hémisphères, comme j'étais accou- 
tumé à en trouver, même dans les plus petits insectes, je ne sus 
apercevoir qu'une exiguë quantité d’une pulpe informe etdiffluente. 
Habitué à constater, sans trop de difficultés, les grands nerfs cru- 
raux aux points où ils pénètrent dans les membres, je fis plusieurs 
ouvertures du thorax dans cet unique but, et foujours avec des 
résultats négatifs. Poursuivi par les horreurs du doute, j’analysais 
un à un tous les déblais de mes dissections, en les immergeant 
dans l’eau claire des verres de montre , puis je les soumettais aux 
plus puissantes lentilles du microscope. Je n’y pus déceler aucun 
vestige de ces nerfs que j'avais lant à cœur de découvrir. Un ana- 
tomiste, moins rompu que moi aux difficultés et aux illusions, 
s’en serait laissé imposer par des filets rameux etincolores offrant 
tout l’aspect de nerfs ; mais une longue pratique m'avait appris que 
la macération, en privant les fragments trachéens de l'air et de 
leur couleur nacrée, pouvait donner le change pour des ramuscules 
nerveux , et les verres amplifiants dissipaient tous les doutes, en 
mettant en évidence les cerceaux élastiques de la texture tra- 
chéenne. A cette occasion, je me rappelais le tourment de Cuvier, 
lorsque ses savantes et ardues dissections l'amenèrent à déclarer 


SUR L'ANATOMIE DU NEMOPTERA LUSITANICA. 157 


formellement qu'il n'existait point dans les insectes un système 
vasculaire propre à la circulation du sang. 

J'avais déjà sacrifié, à la seule recherche de ce système nerveux 
introuvable, quinze Némoptères, lorsque les événements politiques 
de Madrid me forcèrent à regagner la France. Toutefois je ne 
me lenais pas pour battu. La veille même de mon départ, j'allai à 
Ja chasse de cet insecte ; j’en plaçai, après la soustraction des ailes, 
un bon nombre dans un flacon à l'alcool, pour procéder à leur 
dissection dans le silence de mon laboratoire de Saint-Sever, et avec 
ces accessoires qui ne se rencontrent pas dans les déplacements 
lointains. A peine rentré dans mes foyers, je me remis à l’œuvre, 
avec cette ardeur qu'inspire le besoin vivement senti d'atteindre 
un but où la science et l’amour-propre se trouvaient engagés. J'y 
épuisai ma persévérance, mon obstination, tous mes moyens 
optiques , el toujours , hélas! avec le même insuccès. Je sortis de 
la lice avec la conscience d'avoir satisfait à toutes les exigences 
d’un scalpel qui, malgré son long exercice, n’était point encore 
rouillé, et avec la profonde conviction qu'il n'existe dans le 
Némoptère aucune trace appréciable de ganglions, ni de nerfs, 
en conservant à ces noms leur acception consacrée. 

Si, prétextant de mon âge, on pouvait arguer, dans le cas actuel, 
de l’affaiblissement de ma vue, de l'infidélité de mes moyens, je 
pourrais opposer un fait irrécusable. Dans le même temps où mes 
sens et mes instruments étaient impuissants à constater un système 
nerveux dans le Némoptère, je me livrais à l’anatomie d’une 
Fourmi (Formica nigra, Lin.), quatre fois au moins plus petite 
que ce dernier Névroptère. Malgré les profonds étranglements du 
corps, malgré l'indocilité au scalpel du tégument de cette Fourmi, 
je suis néanmoins parvenu à reconnaitre très distinctement et un 
cerveau bilobé, et deux ganglions thoraciques, et sept ganglions 
abdominaux , dont les trois postérieurs fort rapprochés entre eux. 

Enfin pour rentrer plus essentiellement dans l'espèce et en faire 
ressortir l'exceplionnalité, je citerai l'anatomie de l'Osmylus, dont 
j'ai publié, en 1848, la description et les figures dans les Annales 
des sciences naturelles. Ce Névroptère, contigu, dans la méthode 
naturelle, au genre Némoptère, et dont le corps est plus petit que 


158 LEHMANN. 


celui de ce dernier, est pourvu d’un système nerveux très sai- 
sissable, composé d’un cerveau, de trois ganglions thoraciques, de 
six ganglions abdominaux, et de nombreuses paires de nerfs nais- 
sant de ces divers centres nerveux. 

Mais tout en proclamant encore avec une sincère conviction le 
fait anatomique exceptionnel et irréfragable de l'absence, dans le 
Némoptère , d’un système nerveux appréciable, je suis loin d’en 
induire le défaut de sensibilité dans cet insecte. Ce serait là un 
outrage physiologique, un mensonge, contre lequel s’élèvent et les 
actes locomoteurs, et l’organisation viscérale, et les fonctions sen- 
soriales du Némoptère. Non, je ne nie point une transmission nér- 
veuse, et je conçois qu'une innervation puisse s'exercer par un 
élément organique insaisissable | impalpable à nos sens... La 
prudence veut que je m’arrête devant un abime d'explications et de 
raisonnements, et, disons le mot, devant un mystère, comme il y 
en a tant dans les organismes de tous les degrés. 

Je termine en disant avec Bossuet : « Taisez-vous, raison 
humaine. » 


SUR 
LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE, 
Par C.-G. LERMANN. 


Traduit de l'allemand par 3. BÉCLARD. 


Mon nom ayant été prononcé plusieurs fois dans ce journal , à 
l'occasion de la fonction glycogénique du foie, je prendrai la liberté 
de communiquer ici quelques-uns des résultats fournis par les 
expériences récentes que j'ai faites à ce sujet. Il me semble superflu 
de faire remarquer que, pour résoudre un problème physiologico- 
chimique, il est nécessaire, avant toutes choses, de s'assurer de la 
valeur de la méthode mise en usage dans la recherche chimique et 
dans la recherche physiologique. Peut-être serons-nous assez 
heureux pour démontrer, par les faits qui vont suivre, que les 
conditions premières des recherches de cette nature n'ont pas été 
suffisamment appréciées par les adversaires de M. CL Bernard. 

En ce qui concerne la base chimique de la question, c’est-à-dire 


SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE, 159 


la constatation du sucre dans le sang de la veine porte, on a fait 
beaucoup de reproches à la méthode employée par M. CI. Bernard ; 
pourtant (le résultat l’a prouvé), on n’a réussi à démontrer avec 
une certitude parfaite ni la présence, ni l'absence du sucre. En 
outre, on paraît n'avoir été nullement familiarisé avec les méthodes 
de recherches que l’auteur de cet article a mises en usage pour 
constater la présence ou l'absence du sucre dans le sang de la 
veine porte. Quand on a prétendu, par exemple, que la présence 
de l’albuminose, ou peptone, s'oppose à la réaction du réactif cui- 
vrique sur les solutions sucrées, on ignorait sans doute que c’est 
là un fait connu depuis longtemps, au moins par les chimistes alle- 
mands. Non-seulement la peplone, mais encore d’autres prin- 
cipes, albumineux où non albumineux, par exemple certaines 
matières extractives de l'urine normale , s'opposent à l’action du 
réactif euivrique, lorsque la quantité de sucre est peu considérable, 
Cela veut dire seulement que, par l’ébullition avec le réactif cui- 
vrique, il ne se précipite point alors d’oxydule de cuivre, bien que 
celui-ci se forme néanmoins; car la solution, qui était d’abord 
bleue ou violette, devient jaune par l’ébullition, et, en neutralisant 
la liqueur par l'acide acétique , on réussit souvent à précipiter 
loxydule de cuivre formé. Aussi un chimiste ne se servira-t-il 
jamais, dès l’abord, du réactif cuivrique pour déceler la présence 
du sucre dans un liquide animal; mais il n’emploiera à cette 
recherche que l'extrait alcoolique. Dès l’année 1840, l’auteur de 
cet article insistait, dans la première édition de son Traité de chi- 
mie physiologique (t. 1, p. 198), sur la nécessité d'employer tou- 
jours l'extrait alcoolique d’un liquide animal quelconque, pour y 
réchercher le sucre qui pouvait y être contenu ; il signalait égale- 
ment à Ja même époque les différents défauts du réactif cui- 
vrique. M. Gorup-Besanez, dans son Manuel d'analyse chimique 
(la première édition de cet ouvrage à paru en 1846), et plus 
tard M. Bædeker (Zeitschrift für rationnelle Medicin, vol. VI, 
p. 201-206), ont également appelé l'attention des chimistes sur 
les erreurs auxquelles peut conduire l'emploi mal dirigé de ce 
réactif, d'ailleurs très utile. Le réactif cupro-tartrique soulève plus 
d'objections encore que lemploi de la potasse caustique et du 


160 LEHMANN. 


sulfate d'oxyde de cuivre, dont on doit l’idée première à Frommer. 
La solution tartro-cupro-potassique, longtemps soumise à l’ébulli- 
tion, donne naissance à des flocons rouges, et c’est surtout le cas, 
lorsque le vase d’ébullition est chauffé très fortement au-dessus du 
niveau du liquide. La même solution, lorsqu'elle est restée long- 
temps en repos (en d’autres termes, lorsqu'elle est ancienne), 
laisse souvent déposer, lorsqu'on la chauffe, de l’oxydule de cuivre. 
Cette propriété de la solution tartro-cupro-potassique de précipiter 
de l'oxydule de cuivre, se montre surtout lorsqu'on a employé à sa 
préparation de l'acide tartrique impur. Ne réalisons-nous pas , en 
quelque sorte, cette dernière condition, lorsque nous mélangeons 
la liqueur d’épreuve avec un liquide animal ? Ne peut-il pas se ren- 
contrer, dans ce dernier cas, une substance réduisant facilement 
l’oxyde de cuivre, ou capable de se tranformer en acide tartrique, 
d’où résulte une réduction de l’oxyde de cuivre, sans que, pour 
cela, il existe une trace de sucre dans la liqueur ? Il n’est done pas 
étonnant que parfois on ait cru avoir rencontré du sucre là où il 
n’y en a pas, et là où le réactif originel de Frommer n’eût point 
donné de réaction , attendu que l’oxyde de cuivre , précipité après 
l'addition de la potasse, n'aurait pas été dissous du tout, à cause de 
l'absence du sucre. 

Le réactif cuivrique ne pouvant jamais fournir une preuve irré- 
fragable de la présence ou de l’absence du sucre, M. CI. Bernard, 
ainsi qu'on peut s'en convaincre dans (ous ses travaux , ne s’est 
jamais contenté d'interroger seulement ce moyen d’épreuve, mais 
il a toujours eu recours encore au procédé de la fermentation. Il 
est vrai qu'on à voulu élever aussi des doutes sur la certitude de 
cette preuve. On a dit, par exemple, que la peptone était capable 
d'empêcher la fermentation alcoolique du sucre traité par la levüre, 
et que d’autres substances anlisepliques (empêchant la fermenta- 
tion), pouvaientencore se rencontrer dans le sang de la veine porte. 
Mais la fermentation ne donne de réactions douteuses que dans des 
cas rares et à des observateurs peu exercés. Le peptone n'empêche 
en aucune façon la fermentation alcoolique. 

Sans doute, si l’on traite par la levüre une dissolution très con- 
centrée de peptone contenant du sucre , la fermentation ne s’éta- 


SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE, 461 


blira pas mieux que si l’on plaçait la levüre au contact d’une disso- 
lution simplement hypersaturée de sucre. Toute personne versée 
dans les travaux chimiques, et qui s’est occupée de rechercher, par 
fermentation, le sucre dans les liquides riches en albumine ou en 
peptone, sait avec quelle facilité ces matières peuvent, en présence 
de la levüre, modifier les décompositions de la fermentation , 
entraver (alors même qu'il y a du sucre) la formation de l’alcool, 
et déterminer (alors même qu'il n’y a pas de sucre) la formation de 
l'acide carbonique. De tout cela, il résulte que, pour mettre en évi- 
dence le sucre dans un liquide animal, il faut seulement soumettre 
à la fermentation l'extrait alcoolique de ce liquide. 

S'il reste encore quelques doutes dans l'esprit sur la certitude 
de l'épreuve de la simple fermentation, on est naturellement porté 
à se demander si l’on ne pourrait pas trouver un moyen à l’aide 
duquel il serait possible de précipiter le sucre de ses dissolutions, 
de la même manière qu'il est arrivé à Liebig de précipiter l’urée 
pour la doser. Ce moyen existe en réalité, et ce n’est pas en 
l'année 1840 seulement que je l'ai décrit avec détails et recom- 
mandé (voyez plus haut, loc. cit.), mais je l’'employais dès l’époque 
de mes premières recherches sur le sang de la veine porte et des 
veines hépatiques. J'ai principalement insisté sur les conditions de 
son emploi, et répondu aux diverses objections qu’on pouvait 
lui opposer dans un mémoire spécial (Ber. der Konigl. Sachs 
Gesellsch. d. Wissensch., 30 nov. 1850, p. 139). Le procédé dont 
je parle est basé sur la propriété que possèdent le sucre mame- 
lonné ou la glycose, le sucre de lait et le sucre de canne, de former 
avec la potasse une combinaison insoluble dans l’alcool. A l’aide 
de ce moyen, il arrive souvent qu’on peut mettre en évidence dans 
les liquides animaux des quantités de sucre assez petites pour 
échapper à la réaction de la liqueur euivrique, ou à l’action de Ja 
levüre sur l’extrait alcoolique du liquide animal. Pour procéder à 
larecherche du sucre soit dans le sang, soit dans tout autre liquide 
animal, il faut donc s’y prendre de la manière suivante : Le sang, 
après avoir été recueilli, est battu suivant la méthode ordinaire , ou 
bien, après avoir été transformé en un gâteau solide, suivant la 
méthode que j'ai décrite (Ber. der Kon. Sachs Gesellsch. d. 

4° série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 3.) 5 11 


162 LÉHMANN. 


W'issensch., 1853, 13 août, p. 109), on le fait passer par pression 
au travers d’une passoire à fines ouvertures, et l’on en fait ainsi 
une bouillie. On jette la masse sanguine sur un filtre, et on la presse 
pour la faire passer, puis on mélange le liquide qui a passé avec 
trois ou quatre fois son volume d’esprit-de-vin à 90 ou à 92 degrés. 
On sépare ensuite par filtration le précipité qui s’est formé, et le 
liquide filtré est évaporé après addition de quelques gouttes d’acide 
acétique. Le résidu de l’évaporation est de nouveau traité par 
l'alcool. La solution alcoolique laisse déposer un résidu de matières 
albuminoïdes, qu'il peut être permis de désigner sous le nom de pep- 
tone ou d’albuminose (quoique les proportions relatives des éléments 
de la peptone formée aux dépens des substances albuminoïdes sous 
l'influence du suc gastrique, et celles d’autres substances analogues 
du foie ne soient nullement établies d’une manière certaine). La 
solution alcoolique de peptone, de phosphates et de sulfates, ainsi 
obtenue et filtrée, est alors traitée par une dissolution alcoolique de 
potasse. Le liquide renferme-t-il du sucre, il s’opère alors une sépa- 
ration lente, et au bout de quelques heures un précipité mou et 
gélatineux se dépose au fond du vase. Ce précipité est formé d’une 
combinaison de sucre et de polasse ‘Zuckerkali), mélangée avee de 
petites proportions de chlorure de potassium et de carbonate de 
potasse. Ce précipité se liquéfie à l'air, et il se dissout très facile- 
ment dans l’eau. On prend alors immédiatement une portion de 
cette solution pour y rechercher le sucre à l’aide du réactif eui- 
vrique. L'autre portion est traitée par l'acide tartrique jusqu’à 
veutralisation de la potasse, et on la soumet à l’action de la levüre 
pour y développer la fermentation; le bitartrate de potasse qui à 
pris naissance favorise d’ailleurs la fermentation. J'ai toujours vu 
jusqu'à présent, lorsque le sucre existe réellement dans la solution 
alcoolique (obtenue comme nous l'avons indiqué) , j'ai toujours vu, 
dis-je, le réactif cuivrique indiquer la réaction du sucre de la 
manière la plus manifeste. La preuve par fermentation est encore, 
en procédant ainsi, plus positive, si c’est possible. J'ai à peine 
besoin d'ajouter que, lorsqu'on traite la solution alcoolique par la 
potasse, la seule apparition d’un précipité ne peut pas suffire à la 
conviction, mais qu'il faut toujours opérer sur le précipité à l’aide 


SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 163 


des deux ordres de preuves que nous venons de signaler. Aïnsi, par 
exemple, on obtient, à l’aide de l'extrait alcoolique de Purine, lors- 
qu'on le traite par la potasse (même en l’absence du sucre), un 
précipité qui contient une matière encore peu connue ; mais cette 
matière n’est modifiée ni par le réactif cuivrique, nipar la levüre. 

IL m'est souvent arrivé, en opérant suivant la méthode que je 
viens de décrire, de mettre en évidence avec une grande netteté 
des proportions de sucre extrêmement minimes, que le réactif 
cuivrique et la fermentation, appliquées simplement à l'extrait 
alcoolique, ne suffisaient pas à démontrer avec certitude. C’est ce 
que j'ai constaté, par exemple, dans l'urine d’un Lapin, auquel on 
avait fait une piqüre au quatrième ventricule suivant la méthode 
de M. CI. Bernard. J'ai pu, de la même manière, reconnaitre avec 
certitude la présence du sucre dans une urine humaine , à laquelle 
on avait ajouté un cent-millièmede sucre. De cette manière encore, 
J'ai reconnu la présence de la glycose dans lurine ; à la suite du 
régime du sucre ou de malières riches en sucre , dans diverses 
sortes de dyspepsies, parfois chez les tuberculeux, mais jamais dans 
l'épilepsie, ni après l'administration de solutions éthérées ou chlo- 
roformiques. Nous remarquerons encore ici que la présence du 
sucre à 616 depuis longtemps déjà (Lehrbuch der physiol. Chem. , 
2° édit., t. 1, p. 205) reconnue dans le sang veineux de l’homme et 
dans celui de quelques Carnivores et Herbivores, qu’on n’en a pas 
trouvé dans la bile fraiche, dans la salive, etc. 

De même que dans toute recherche chimique, il est nécessaire 
d'apporter ici une grande attention , afin de n'être pas induit en 
erreur par une fausse interprétation des conditions chimiques où 
physiologiques de l'expérience. Ainsi, par exemple, il se peut très 
bien que le sucre ait existé à un moment donné dans l'urine , sans 
qu'on puisse le mettre en évidence à l’aide des méthodes d’épreuve ; 
cela ne prouve point l'inexactitude de ces méthodes , mais cela 
lient à ce que le sucre se détruit avec une grande rapidité dans 
l'urine, mémealors que celle-ci estencore contenue dans la vessie. 
I n'est aucun liquide animal dans lequel le sucre se détruise aussi 
vite et en aussi grande quantité que dans l'urine. C'est ce qu’on 
peut observer particulièrement sur les Lapins , dont on à rendu 


164 LEHMANN. 


l'urine sucrée soit par la piqüre du quatrième ventricule , soit par 
l'injection d’une dissolution de sucre dans les veines jugulaires. 
Il arrive, en effet, que si l’on fait sortir par compression une por- 
tion de l'urine contenue dans la vessie, la première urine ainsi 
obtenue est riche en sucre, tandis que l’urine qui est restée dans la 
vessie ne présente souvent plus trace de sucre après une demi- 
heure de séjour dans son réservoir. 

Après avoir , en quelque sorte, posé les bases chimiques de la 
recherche du sucre dans le sang de la veine porte, il nous reste à 
examiner maintenant les conditions physiologiques et mécaniques 
dans lesquelles on doit se placer pour affirmer qu'on a produit des 
expériences irréprochables ; en d’autres termes, que c’est bien sur 
le sang de la veine porte, tel qu’il coule dans les vaisseaux d’un 
animal sain et vivant, que la recherche chimique a porté. M. Ber- 
nard, il est vrai, a déjà exposé avec beaucoup de soin les règles 
indispensables à suivre à cet égard ; il me semble cependant que 
M. Figuier , dans l'expérience citée dans son troisième mémoire , 
n'a pas, sous ce rapport, évité l'erreur. Ainsi, il expose les résul- 
tats d’une saignée faite à la veine porte d’un Chien vivant, auquel 
il a retiré jusqu'à 700 grammes de sang. Il est vrai que, sentant 
ce qu'on peut reprocher à une aussi forte saignée, il conseille plus 
Join de ne pas retirer de la veine porte d'un Chien de forte taille 
plus de 300 à 400 grammes de sang. Nous croyons pouvoir 
démontrer que cette quantité est encore beaucoup trop grande, 
même pour un gros Chien. Il n'est besoin que d'examiner un 
instant les conditions de la diffusion et celles de la tension des 
liquides dans le corps vivant (conditions auxquelles est soumis le 
sang dans le système veineux et particulièrement dans la veine 
porte privée de valvules) pour reconnaître qu'une saignée de 
400 grammes faite sur la veine porte, même chez un Chien de forte 
taille, ne correspond en aucune façon à la portion du sang qui cir- 
cule dans la veine porte d'un animal sain et vivant. Lorsque la 
tension à laquelle le sang est soumis dans l’ensemble du système 
qui le contient vient à être diminuée ou supprimée par une ouver- 
ture faite aux parois de ce système, on conçoit déjà, à priori, que 
le sang, qui était soumis à une certaine pression, tend à se déban- 


SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 165 


der non-seulement dans le vaisseau ouvert, mais encore dans toutes 
les parties du système, et que, par conséquent , la vitesse d'écou- 
lement est augmentée ; de plus, les autres sues animaux, qui étaient 
aussi soumis à une certaine pression , obéissent à la diffusion , et 
tendent à se porter vers le lieu où celle-ci devient moindre. Les 
recherches connues de MM. Becquerel et Rodier, de M. Zimmer- 
mann, de M. Nasse, et d’autres encore, démontrent la justesse de 
celte manière de voir. C’est un fait constaté par eux, en effet, que 
les diverses portions d’une même saignée ont une composition 
différente, alors même que la quantité totale du sang extrait hors 
des vaisseaux n’est pas considérable. 

Si l’on examine maintenant, d’après les recherches récentes , 
quelle est la quantité absolue de sang contenue dans le corps de 
l’homme adulte ou dans le corps des animaux , et si l’on compare 
cette quantité avec les saignées abondantes recommandées par 
M. Figuier , on arrive forcément à cette conclusion : que le sang 
recueilli et analysé par M. Figuier n’est pas le sang pur de la 
veine porte. E. Weber et moi avons trouvé , par quelques expé- 
riences faites sur l’homme, que la quantité absolue du sang ne 
s'élève pas, au maximum, au-dessus de la huilième partie du poids 
du corps. Des expériences postérieures de MM. Welker et Bischoff 
(Zeitschr. für wissenschaft. Zoolog.,t. VIT, p. 331-338) ont appris 
que chez les animaux et chez l'homme, la quantité absolue du sang 
n’est que la treizième partie du poids du corps. Prenons mainte- 
nant un Chien du poids de 24 kilogrammes (un pareil Chien doit 
être très gros), la quantité absolue du sang renfermé dans son corps 
ne s'élève donc pas au-dessus de 2 kilogrammes. Retirons à ce 
Chien 400 ou 700 grammes de sang par la veine porte , évidem- 
ment il n'est pas permis de penser que le sang recueilli provient 
exclusivement de la veine porte, car il est difficile d'admettre que la 
veine porte contient le quart du sang de l'animal. 

Pour les raisons que nous venons d'exposer, nous nous sommes 
gardé , dans nos recherches , de soustraire à l’animal vivant de 
trop grandes quantités de sang de la veine porte. Le procédé qui 
nous à paru le moins sujet à l'erreur est le suivant : Le Chien est 
tué par un coup appliqué sur la tête , puis la veine porte est liée au 


166 LEHMANN. 


niveau de son entrée dans le foie, ainsi que le pratique M. Ber- 
nard. J'ouvre alors largement et promptement l'abdomen , je passe 
derrière la veine porte une anse de fil à peu près à 40 ou 45 milli- 
mètres de la première ligature ; je refoule le sang avec deux doigts 
dans la direction de la veine mésentérique et de la veine splénique, 
et je fais, à l'aide des ciseaux de Cooper, et dans le voisinage 
de la ligature (c’est-à-dire dans la portion de la veine porte qui 
vient d'être vidée), une incision par laquelle j'introduis dans la 
veine porte un tube de verre à deux courbures rectangles (les deux 
angles du tube ne sont pas sur le même plan , mais dirigés suivant 
deux plans qui se courbent à angles droits) ; je lie l’anse de fil, restée 
libre, sur le tube de verre qu'elle fixe dans le vaisseau, et je laisse 
alors le sang s’écouler par le tube et de Kà dans un vase. Lors- 
qu'on tue les Chiens suivant le procédé indiqué plus haut , le cœur 
continue ordinairement à battre encore pendant quelque temps, el 
après l'ouverture de l'abdomen, la masse intestinale est le siége 
d'unmouvement péristaltique assez vif. Ces deux causes d'impulsion 
font que , même après la mort de l’animal , le cours du sang dans 
la veine porte (et de la veine porte dans les vaisseaux qui se dirigent 
vers le cœur ) continue encore. Quand le mouvement péristaltique 
cesse, on peut encore venir en aide au cours du sang en pres- 
sant sur la masse intestinale. Avec un peu d'habitude , on arrive 
à opérer assez promptement, et à recueillir une notable quantité de 
sang avant que sa coagulation où même son épaississement Com- 
mence. C’est ainsi que sur un gros Chien nourri de viande , et qui 
avait été tué par un seul coup sur la tête, j'ai pu retirer encore 
213 grammes de sang de la veine porte. Mais , dans cette expé- 
rience même , je me suis convaineu que celte quantité de sang est 
déjà trop élevée pour correspondre à du sang de la veine porte pur 
de tout mélange, ainsi que l’analyse chimique l’a prouvé. 

Comme j'ai exposé, depuis des années déjà , les méthodes mises 
en usage par moi dans mes analyses du sang, et qu’elles sont bien 
connues , il me paraît superflu de reproduire ici , dans tous leurs 
détails, chacune des expériences faites par moi dans ces derniers 
temps, etil me suffira d'en faire connaître les résultats. 

Je prendrai aussi la liberté de m’arrêter seulement sur les points 


SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 167 
sur lesquels a surtout porté la discussion dans ces derniers temps, 
et parliculièrement depuis le troisième mémoire de M. Figuier. 

J'ai exposé, dès l'année 1850, dans le mémoire cité précédem- 
ment (p. 139), que, chez les animaux herbivores, et particulière- 
ment chez le Cheval, il v avait toujours dans le sang de la veine 
porte une pelile quantité de sucre, et je crois l'avoir démontré 
avec la plus grande rigueur à l’aide de ma méthode d'analyse (2). 
Plus tard (en 4853), M. de Becker s’est livré, sous ma direction, 
à une longue série de recherches sur la manière dont se comporte 
le sucre dans l’organisme animal, et il s’est ainsi convaineu, de la 
manière la plus manifeste, qu'après une nourriture sucrée ou fécu- 
lente , le sucre passe dans les veines intestinales et de là dans la 
veine porre (voyez Zeischr. für wiss. Zoolog., de Sicbold et Kôlli- 
ker,t. V, p. 123-178). Dans le mémoire que j'ai présenté à 
l'Académie des sciences, par l'entremise de M. CL. Bernard, et où 
j'expose mes nouvelles recherches sur le sang de la veine porte et 
des veines hépatiques chez les Chiens nourris de viande, je suis 
arrivé à ce résultat « que le sang de la veine porte ne contient pas, 
dans ces conditions, la moindre trace de véritable sucre. » 

Cependant, comme M, Figuier affirme encore positivement qu'il 
y à du sucre dans le sang de la veine porte , après le régime de la 
viande, j'ai voulu recommencer de nouveau mes recherches anté- 
rieures, afin de savoir où est l'erreur; si elle est du côté de 
M. CI. Bernard et du mien, ou si elle est du côté de M. Figuier. 
Dans ce but, j'ai, dans le cours de ces trois derniers mois , répété 


(4) Je ne puis me dispeuser de relever ici une erreur de M. Figuier, qui tient 
d’ailleurs à un malentendu. Dans un des mémoires qu'il a présentés à l'Acadé- 
mie, et où il est question de mes recherches , il prétend que j'ai rapporté Ja 
proportion du sucre contenu dans le sang à cent parties d'extrait alcoolique. 
L'erreur est tout simplement une faute de traduction. J'ai exposé plus haut que 
je déterminais la quantité de sucre contenue dans le sang par l'intermédiaire de 
l'extrait alcoolique {ainsi d'ailleurs que M. Figuier en a démontré la nécessité, 
seulement dans ces derniers temps), mais j'ai toujours rapporté la proportion du 
sucre à cent parties du résidu sec du sang pris dans la totalité de ses éléments 
La valeur de la méthode numérique employée dans mes expériences a d'autant, 
moins besoin d'être justifiée au peint de vue physiologique, que les conclusions 
tirées des analyses parlent d'elles-mêmes. 


168 LEHMANN. 


ces recherches sur trente et un Chiens de grande taille, et j'ai con- 
duit l'expérience suivant la méthode physiologique et chimique 
développée précédemment. Les animaux avaient été soumis préala- 
blement à un jeûne rigoureux de vingt-quatre heures, puis ali- 
mentés avec de la viande de Cheval crue, et tués trois heures, quatre 
heures , cinq heures ou six heures après. Ayant examiné , dans 
seize expériences , le sang de la veine porte, je n’y ai jamais ren- 
contré de sucre une seule fois. 

Pour savoir si l’examen de grandes quantités de sang extraites 
de la veine porte, sur l'animal vivant , ne conduirait pas à d’autres 
résultats, je retirai à un gros Chien, du poids de 13 kilogrammes, et 
sans le tuer par avance , 354 grammes de sang par l'ouverture de 
la veine porte, et je trouvai indubitablement du sucre dans ee sang. 
En effet , le précipité obtenu à l’aide de la solution alcoolique de 
potasse (voyez plus haut), réduisait le réactif cuivrique (en préci- 
pitant de l'oxydule de cuivre), et fournissait de l'alcool et de l'acide 
carbonique quand on le traitait par l'acide tartrique et la levûre. 
J'enlevai à un deuxième Chien, du poids de 41“",5, 2114 grammes 
de sang de la veine porte, et j'y trouvai également du sucre. Sur 
un {rès gros Chien, du poids de 14*",5, je retirai 263 grammes de 
sang de la veine porte, et cesang contenait aussi du sucre. Ajoutons 
enfin que le gros Chien nourri de viande, dont nous avons parlé 
plus haut, et auquel nous avions enlevé 213 grammes de sang de 
la veine porte, après l'avoir tué par avance, contenait aussi mani- 
festement des traces de sucre. 

D'après les considérations développées précédemment , j'étais 
tenté de conclure de ces diverses observations que l’abord d’un 
sang étranger et d’autres sucs animaux dans la veine porte avait 
déterminé la présence du sucre dans le sang analysé par M. Figuier. 
Mais on aurait pu m'objecter que peut-être la petite quantité du 
sang de la veine porte (35 à 80 grammes) employée par moi à la 
recherche du sucre , n’est pas assez considérable pour mettre en 
évidence , d'après ma méthode d'analyse , la présence de ce prin- 
cipe. Dès lors, j'ai rassemblé en une seule masse le sang extrait 
de la veine porte de trois Chiens immédiatement après la mort, 
avec les précautions indiquées précédemment, et j'ai obtenu ainsi 


SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 169 
247:",3 de sang. Or, il m'a été impossible d’y découvrir la moindre 
trace de sucre. Une autre expérience, tentée dans les mêmes con- 
ditions, et dans laquelle j'avais rassemblé, en un total de 199,7, 
le sang de la veine porte de trois Chiens, m’a conduit au même 
résultat négatif. Il me paraît ressortir clairement de ces faits que 
l'on ne peut pas mettre l'absence constatée du sucre sur le compte 
des petites quantités de sang de la veine porte analysé par moi , et 
il en résulte en réalité que le sucre n'existe absolument pas dans le 
sang de cette veine. D'après cela, il me paraît exact de considérer 
la glvcose, trouvée dans le sang de la veine porte par M. Figuier et 
par moi, dans les expériences rapportées plus haut, non comme un 
principe du sang de cette veine, mais comme une substance étran- 
gère apportée par un liquide étranger. 

L'absence d’un sucre préformé dans le sang de la veine porte 
après le régime de la viande étant suffisamment démontrée, je me 
suis demandé (et c’est une pensée que j'ai déjà exprimée depuis 
longtemps), je me suis demandé, dis-je, si le sang de la veine porte 
ne renfermerait pas une substance qui se métamorphoserait faci- 
lement en sucre, ou aux dépens de laquelle le sucre prendrait nais- 
sance par dédoublement. M’étant procuré, à cet effet, de la diastase 
et de la synaptase fraîchement préparées , j'ai mis en contact avec 
ces substances soit l'extrait alcoolique, soit l’extraitalcoolo-aqueux, 
soit l'extrait aqueux du sang de la veine porte, et j'ai laissé 
digérer vingt-quatre à trente-six heures par une température de 
20 à 49 degrés centigrades. Mais mes efforts ont été vains dans 
ces trois expériences pour constater la présence du sucre dans ces 
divers mélanges. Plus tard, j'ai fait digérer pendant un temps plus 
ou moins long les extraits dont je viens de parler dans de l’eau 
aiguisée de quelques gouttes d'acide sulfurique ; il m'a été égale- 
ment toujours impossible de découvrir une trace de sucre. 

S'il existait du sucre sous une forme quelconque dans le sang de 
la veine porte, on pourrait se demander si ce sucre ne se forme- 
rait pas pendant la digestion de la viande, dans l'intestin grêle ou 
dans l'estomac. Aussi, dans ma dernière série de recherches, tou- 
jours on a recueilli le contenu de l'estomac et des intestins des 
Chiens sujets des expériences précédentes, et nous avons soumis 


470 LEHMANN. 


chacun de ces produits digestifs à des modes variés d'examen pour 
y rechercher soit du sucre proprement dit, soitune matière qui lui 
donnerait facilement naissance. Mais toutes mes expériences dans 
cette voie ont été stériles. Ordinairement j'opérais de la manière 
suivante : Le contenu de l’estomac et de l'intestin grêle était, peu 
après la mort de l'animal, projeté dans Fesprit-de-vin où il séjour- 
nait quelques heures, puis on filtrait, et le liquide était évaporé à 
siccité. Le résidu de l'évaporation était repris par l’alcool, traité 
par une lessive alcoolique de potasse, ete. En opérant ainsi, jamais 
je n'ai vu la moindre réaction de sucre. Dans des expériences 
ultérieures, l'extrait alcoolique du contenu intestinal et stomacal à 
été mis dans de l’eau aiguisée de quelques gouttes d'acide sulfu- 
rique on d’acide azotique ; tantôt on a laissé digérer le mélange 
pendant un temps plus ou moins long et par une température de 
0 degrés centigrades, tantôt on l’a soumis à la coction, mais 
jamais je n'ai pu trouver la moindre trace de sucre. Dans d’autres 
expériences, la masse peptonique (analogue de la peptone), qui était 
soluble, il est vrai, dans l’esprit-de-vin étendu d’eau, mais qui ne 
s'était pas dissoute dans l'alcool, a été dissoute dans l’eau et traitée 
également par les acides; mais ici non plus je n'ai pas trouvé 
(après la saturation des acides, l’évaporation , le traitement par 
l'alcool, etc. ), un atome de sucre. Enfin la peptone proprement dite 
de l'estomac et de l'intestin grêle a été traitée de la même façon : 
le même mode d'examen a été suivi d’un résultat également négatif. 

M. Figuier a conclu de l'expérience contenue dans son troisième 
mémoire, qu'il y a du sucre dans le sang de la veine porte, et que 
ce sucre est accompagné par une malière inconnue qui met obstacle 
à la fermentation. Nous doutons que cette substance étrangère et 
antifermentescible soit capable de s'opposer à la décomposition du 
sucre obtenue à Faide de la solution alcoolique de potasse ; c’est, 
du reste, une question que nous abandonnons au jugement des 
chimistes. M. Figuier expose encore que l'extrait alcoolique du 
sang de la veine porte, soumis à la coction avec de l’eau aiguisée 
de quelques gouttes d'acide sulfurique, donne naissance à une 
substance qui, étant capable d'entrer en fermentation, doit être 
regardée comme du sucre. M. Figuier tire de là la conclusion, 


SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 171 
qu'il y a dans l'extrait alcoolique une matière qui accompagne le 
sucre, et qui s'oppose à la fermentation. Cela ne me parait pas non 
plus s'être montré dans mes expériences ; d’ailleurs j'ai plusieurs 
fois placé de très petites proportions de sucre avec l'extrait 
alcoolique du sang de la veine porte, et jamais je n’ai vu la fermen- 
tation manquer après l'addition de la levüre. L'existence d’une 
matière antifermentescible dans le sang de la veine porte est done 
tout à fait invraisemblable. Dans l’état actuel de la chimie , on ne 
peut tirer des expériences de M. Figuier que ces deux conclusions : 
ou bien il y a dans le sang de la veine porte un hydrocarbure 
(analogue au sucre de lait) qui se transforme en sucre fermen- 
tescible seulement après digestion dans les acides étendus, ou bien 
une sorte de combinaison copulée de sucre dont le traitement par 
l'acide sulfurique sépare par dédoublement un sucre fermen- 
tescible. D'après les expériences dont j'ai rapporté plus haut les 
résultats, la présence dans le sang de la veine porte d’un hydro- 
carbure non fermentescible me paraît peu probable. I n’y a pas 
à songer au sucre de lait, car cette substance eût été précipitée 
de la solution alcoolique par la potasse ; il n’est pas possible non 
plus de la considérer comme de l’inosite, car cette substance ne 
réduit pas l’'oxyde de cuivre (pouvoir qu’aurait la matière décrite 
par M. Figuier), et elle n’est pas transformée par l'acide sulfurique 
en un sucre fermentescible. 

On ne peut done, en définitive, tirer des expériences de M. Figuier 
d’autres conclusions que celles-ci, à savoir : qu'il y aurait dans le 
sang de la veine porte une substance destinée à devenir sucre, une 
sorte de sucre copulé , ou, en d’autres termes , une matière que 
l'acide sulfurique est capable de métamorphoser artificiellement en 
sucre : malière aux dépens de laquelle, durant la vie, le sucre se 
formerait ou prendrait naissance dans le foie. Le résultat réel des 
recherches de M. Figuier est donc de confirmer et de consolider la 
doctrine de M. CI. Bernard sur la formation du sucre dans le foie. 
Depuis que cette doctrine à pris naissance , en effet, tous les 
observateurs qui penchent en sa faveur cherchent dans le sang de 
la veine porte la matière aux dépens de laquelle le foie peut fabri- 
quer du sucre. 


MÉMOIRE 
SUR LES 


VERS RUBANÉS ET VÉSICULAIRES DE L'HOMME ET DES ANIMAUX 
(TÆNIAS, CYSTICERQUES, vrc.), 
ET SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES EN GÉNÉRAL, 


Par M. C.-T. DE SIEBOLD, 


Professeur à l'Université de Munich. 
(Suite. — Voyez page 48.) 
CHAPITRE III. 


VERS VÉSICULAIRES. 


Les zoologistes, dans leurs recherches sur les genres et les 
espèces de Cestoïdes , se sont bornés jusqu'ici à l'emploi des carac- 
tères fournis, soit par l'extrémité céphalique, soit par les articles 
mûrs. Ily acependant des caractères génériques et spécifiques à tirer 
des segments du corps de ces Vers qui ont échappé à l'attention des 
classificateurs, etunerévision exacte de ce groupe d’Helminthes était 
depuis longtemps fort à désirer. Elle a été faite par Diesing et Van 
Beneden; mais les recherches de ces deux naturalistes ont conduit 
à desrésultats très différents. On trouve parmi les espèces ancienne- 
ment décrites certains Scolex qui ne sont pas en train de produire des 
Proglottis, et on lesavait considérés comme appartenant à des genres 
particuliers ; or, pour en saisir les rapports naturels , il fallait en 
connaitre la forme proglottidienne. Diesing a laissé cette recherche 
complétement de côté, et n’a tenu aucun compte de la doctrine des 
générations alternantes. Van Beneden , au contraire, s’est éclairé 
des lumières que cette théorie fournit, et est parvenu ainsi à con- 
naître la filiation de divers Cestoïdes. On ne peut méconnaitre que 
dans les recherches de cette nature, il est nécessaire de déterminer 
les caractères du Scolex avec beaucoup plus de rigueur qu’on ne le 
faisait jadis, et le microscope seul peut y conduire. Toutes les 


SIEBOLD. — SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 173 


formes des appareils de succion et de fixation des nourrices doivent 
être observées et comparées avec un soin extrême, et il faut sur 
tout porter une grande attention aux crochets, à la trompe rétractile 
armée et à son armature, qui se voient à l’extrémilé céphalique des 
Scolex; car les caractères que ces parties fournissent sont très 
utiles pour la distinction des genres et des espèces. Si l’on avait 
observé avec plus d’exactitude l’appareil de fixation des Tænias que 
l'on appelle la couronne de crochets, la trompe qui le porte et le 
sac qui le cache, on aurait reconnu l'identité d’un grand nombre 
d'espèces considérées comme distinctes, et ce ne serait pas mainte- 
nant seulement que l’on aurait commencé à reconnaitre les rapports 
intimes des ’ers vésiculaires avec certains Tænioïdes. Il faut se 
rappeler aussi que chez beaucoup de ces animaux les nourrices 
perdent leurs crochets dans l’âge avancé, et que parfois des modi- 
fications très considérables dans la forme et la disposition de cet 
appareil de fixation se manifestent chez ces nourrices après que la 
production des Proglottis a commencé , circonstance qui rend très 
difficile la détermination de l'identité spécifique entre les jeunes et 
les vieilles nourrices d'une même espèce de Tænioïde ; mais les 
Proglottis (ou articles } des Cestoïdes considérés comme des indi- 
vidus, et isolément de l'être qui les produit, offrent des caractères 
distinctifs qui , tout en n'étant pas appréciables à première vue, 
sont susceptibles d’être employés avec avantage aux déterminations 
spécifiques. Ici, c’est principalement l'appareil générateur qui con- 
stitue la masse générale du Proglottis, et qui, par sa forme, le 
nombre de ses parties et leur disposition, peut servir à faire recon- 
naître les espèces d’une manière sûre, et c’est à Van Beneden 
qu'appartient l'honneur d’avoir utilisé ces caractères pour la déter- 
mination spécifique de Proglottis. 

J'ai déjà donné à entendre que les V’ers vésiculaires où Vers 
cesloïdes, dont Rudolphi avait formé un ordre particulier dans la 
classe des Helminthes, ont des rapports intimes avec les Tænias, et 
ne peuvent être considérés comme constituant un groupe ordi- 
nique spécial. Il y à aussi d’autres formes variées de Scolex, dont 
on à composé des genres particuliers ; mais le moment est arrivé 
où les zoologistes effaceront toutes ces divisions de leurs systèmes 


474 SIEBOLD. 


de classification, car elles ne sont que le résultat de notre ignorance 
relativement à l'histoire physiologique des Helminthes. Pour se 
former une idée du nombre de genres introduits sans raisons suffi- 
santes dans les systèmes helminthologiques, on n’a qu’à se rappeler 
que l’ordre des Æntozoa cephalocotylea établi par Diesing (4) se 
compose de 32 genres; or 10 de ces divisions doivent dispa- 
raitre, savoir : les genres Æchinococcus, Cænurus, Cysticercus, 
Piestocystus, Acanthocephalus, Acanthorhynchus, Pterobothrium, 
T'etrabothriorhynchus , Stenobothrium et Scolex. Beaucoup des 
Helminthes ainsi nommés ne sont que des nourrices seolexi- 
formes d’autres espèces de Cestoïdes, ainsi que cela est indiqué 
par l'état de leur abdomen dépourvu d'organes reproducteurs, et 
encore mieux par les lieux où on les rencontre; savoir, presque 
toujours en dehors du canal intestinal des Vertébrés, dans quelque 
autre organe. Une partie de ces genres comprennent les Vers vési- 
eulaires, qui ne correspondent aussi qu'aux Scolex de certains 
Cestoïdes, avec cette différence qu'une portion de ieur corps est 
dilatée en forme de vessie. 

Pour montrer que les Vers vésiculaires appartiennent aux Ces- 
toïdes, dont ils ne sont que les nourrices dégénérées de diverses 
manières, il me faut revenir encore une fois sur le mode de déve- 
loppement de ces nourrices , dont il a déjà été question dans le 
chapitre précédent. Quand l'embryon d'un Cestoïde s’est logé dans 
un organe d’un animal à la suite de sa migration, le Scolex com- 
mence à se développer dans son corps par un phénomène de bour- 
geonnement , et ce Scolex prend la forme d’une tête de Tænia ou 
d'un Tétrarhynque, suivant la nature de l'embryon dont il est le 
produit. L'embryon prend done de l'extension par suite de la crois- 
sance du Scolex, qu'il tient serré dans son intérieur. Les parois de 
son corps se réunissent immédiatement au col du Scolex, c’est-à- 
dire au point où celui-ci prend naissance dans son intérieur ; une 
impression infundibuliforme se voit à la surface externe du corps 
de l'embryon dans le point correspondant à l'insertion de ce eol , 
et il en part un canal qui, passant par le col, descend jusqu'à la tête 


(1) Systema Helminthum, 1, p. #78. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES,. 175 


du Scolex. C’est par ce canal que le Scolex après son développement 
sort au dehors en se renversant comme un doigt de gant, de facon 
qu'il devient alors extérieur au corps de l'embryon , et se trouve 
en continuité organique avec celui-ci par l'extrémité de son abdo- 
men. Le Scolex, complétement développé dans l'intérieur du corps 
de l'embryon, semble, au premier abord, y être entré par renver- 
sement, mais l'observation prouve que dès l’origine il a avec le 
corps de celui-ci les rapports indiqués ci-dessus , et que c’est 
consécutivement que le renversement a lieu. 

Les matières nécessaires au développement du Scolex et À la 
croissance de l'embryon pénètrent par absorption à travers la sur- 
face extérieure du premier, et l’activité de cette fonction varie. Or 
des effets différents se produisent, suivant que la quantité et la 
qualité des liquides dontle corps du parasite est baigné varient, et 
partant, suivant qu'ils proviennent de tel ou tel organe dans l’inté- 
rieur duquel celui-ci a établi sa demeure. Dans certaines circon- 
stances, il arrive que l'embryon absorbe par sa surface extérieure 
plus de nourriture qu’il n’en faudrait pour sa croissance et pour 
le développement du Scolex qu'il renferme, et cette alimentation 
surabondante détermine alors dans son corps des dépôts et des 
dégénérescences. Le premier effet de l'accumulation des sues 
nutritifs en excès doit être le gonflement de la partie postérieure du 
corps de l'embryon en manière de vessie, et ce sont précisément 
des embryons de Cestoïdes ainsi modifiés qu'on a désignés sous le 
nom de Vers vésiculaires. Le développement du Scolex dans l’inté- 
rieur de ces Vers vésiculaires varie quantà son degré d'avancement. 

J'ai déjà montré que les embryons des Cestoïdes, après leur 
sortie de l'œuf, doivent nécessairement émigrer pour arriver dans 
l'intérieur des animaux convenables pour leur développement nor- 
mal et la production des nourrices. Pour que cette émigration soit 
heureuse, c'est-à-dire pour que l'embryon puisse servir à la repro- 
duection de l'espèce , deux conditions principales doivent être rem- 
plies dans cette migration : 4° La demeure où l’Helminthe s’établira 
doit fournir au parasite une nourriture convenable ; 2° l'hôte qui le 
loge doit fournir aussi au Scolex arrivé à maturité le moyen de par- 
venir, soit d’une manière passive, soit d’une manière active dans 


176 SIEBOLD. 


l'intestin d’un Vertébré, où son développement sexuel et sa repro- 
duction pourront s’accomplir. On conçoit facdement que les em- 
bryons des Cestoïdes doivent souvent manquer ce but, et se trouver 
dans des circonstances où ces conditions ne seront pas réunies ; mais 
ceux qui se sont fourvoyés de la sorte ne périssent pas tout de suite , 
et ont la vie assez tenace pour continuer à exister malgré les dégé- 
nérescences qu'ils éprouvent, et pour attendre une occasion favo- 
rable à l'achèvement de leur développement sexuel. Cette conviction 
m'a conduit à heurter les idées reçues, quand j'ai dit que les 
nourrices des Tænias, égarées dans leurs migrations, pouvaient de- 
venir hydropiques, car la plupart des personnes considèrent la 
vessie de ces Vers hydropiques comme un organe essentiel , une 
sorte de réservoir de matières nutritives. Pour réfuter celte opinion, 
je ne puis que répéter ce que j’ai déjà dit dans une autre publica- 
tion (1). Je ne saurais comprendre pourquoi on contesterait pour 
les Vers la possibilité de certaines dégénérescences et modifica- 
tions de forme, quand il est bien reconnu que sous l'influence 
de certaines conditions elimatologiques ou de différences de régime, 
les animaux supérieurs peuvent s'éloigner de leurs formes primi- 
tives , et consliluer des races particulières. Lorsque dans plusieurs 
de ces races on voit, tantôt une croissance extraordinaire, surabon- 
dante de poils soit sur toute la surface du corps, soit dans une région 
seulement, ou bien les cornes acquérir une longueur extrême et 
même doubler en nombre ; tantôt les oreilles devenir pendantes et 
d’une grandeur démesurée , d’autres fois un dépôt local de graisse 
exister sous la forme d’une bosse ou dans la queue, comme chez 
le Zébu et certains Moutons ; pourquoi voudrait-on nier que, sous 
l'influence d’un mode de vie anormal , certains animaux inférieurs 
ne puissent être affectés d’une sorte d'hydropisie locale ? 

Les dégénérescences, auxquellesles embryons des Cestoïdes sont 
exposés, sont de deux sortes : tantôt le corps du parasite s’allonge, 
et devient un appendice caudal solide ; d'autres fois le corps lui- 
même se distend par l'accumulation d’un liquide séreux, et 
devient vésiculaire ; quelquefois aussi ces deux modifications se 


(1) Zeitschrift für wissenchafttiche Zoologie, B. 4, p. 407, 1853. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 177 


manifestent simultanément chez le même individu. Pour mieux 
préciser ce que je viens de dire, je désignerai sous le nom de 
réceptacle du scolex (receptaculum scolici ) la partie du corps de 
l'embryon, qui se gonfle ainsi à mesure que le scolex se développe 
dans son intérieur, et je ferai remarquer que ce réceptacle n’est en 
réalité autre chose que l'embryon lui-même (fig. 49*). 

Pendant que le scolex se développe dans l’intérieur du réceptacle 
d’un embryon , celui-ci peut éprouver diverses modifications qui 
se lient à la transformation cestoïde, et qui ont donné lieu à l’éta- 
blissement de divers genres de Vers vésiculaires. 

Les embryons du Tænia, dont le réceptacle du scolex se distend 
pour devenir une vessie plus où moins volumineuse, ont été 
classés jusqu'ici dans le genre Cysticercus. 

Effectivement, quand le scolex du Tænia est sorti au dehors de 
ce réceptacle vésiculeux par renversement , on comprend que 
l'abdomen du Ver doit se continuer avec cette même vésicule, 
et produire la disposition caractéristique du genre Cysticercus , 
savoir la présence d’une vessie caudale attachée au corps d’un 
scolex tænioïde (fig. 24 et 25). 

Sous l'influence de certaines conditions extérieures , le récep- 
tacle d’un scolex de Tænia se distend, et devient une grande 
vessie, à la surface interne de laquelle se développent, par voie de 
bourgeonnement, une foule de scolex, et il en résulte une forme 
particulière de Vers vésiculaires, pour laquelle on a établi le genre 
Cœnurus. 

D'autres foisun embryon de Tænia se transforme en une vessie 
de grandeur variable, sur la surface interne de laquelle se déve- 
loppent par bourgeonnement des scolex en nombre immense , 
mais qui s'en délachent, et tombent dans la cavité du réceptacle 
où ils restent isolés, mais renfermés. Il en résulte la disposition, 
d’après laquelle on a formé le genre £chinococcus. 

Les modifications qu'éprouvent les embryons de Tænia , dont le 
réceplacle scolécien se développe en un appendice caudal, long et 
solide, sont très remarquables. Cet appendice contient le réceptacle 
du scolex chez le Tænia, que Stein a observé chez les larves du 
Ténébrion ; et je dois faire remarquer iei que ce naturaliste consi- 

4° série, Zoo. T. IV. (Cahier n° 3.) # 12 


178 SIEBOLD. 


dère le réceptacle comme un kyste, et l’appendice caudal comme 
la queue de ce kyste ; mais cette détermination n'est pas admissible, 
car si l’appendice n’appartenait pas à l'embryon, comment les 
crochets pourraient-ils se trouver à la surface de cette queue, posi- 
tion dans laquelle Stein dit formellement les avoir {oujours ren- 
contrés (fig. 26). 

Le Piestocystus crispa, qui a 4 à 3 pouces de long, n’est autre 
chose qu’un scolex de Tænia renversé hors de son réceptacle, 
lequel est pourvu d’un appendice caudal très long et en forme de 
ruban (1). 

Chez certains Tétrarhynques , le réceptacle se distend aussi de 
facon à constituer une vésicule, et les Vers qui sont dans cet état 
ont recu des anciens helminthologistes le nom générique d'Antho- 
cephalus. Puis Diesing a séparé de ce groupe, sous les noms 
d’Acanthorhynchus et de Pterobothrium, les scolex tænioïdes 
chez lesquels un appendice caudal, très long et non articulé, se 
développe derrière le réceptacle. 

Comme Jes modifications dans la forme et Ja grandeur, tant du 
réceptacle que de son appendice caudal, varient souvent, et dépen- 
dent de l'influence de causes extérieures accidentelles, il est facile 
de s'expliquer les irrégularités que ces parties nous présentent 
chez divers individus appartenant à une seule et même espèce de 
scolex. Mais pour cette raison aussi, les caractères génériques et 
spécifiques fondés sur la conformation de ces parues ne peuvent 
avoir aucune valeur, et doivent être rejetés. Ce n’est que la forme 
du Scolex lui-même, c’est-à-dire la partie céphalique des Cestoïdes 
non sexués, qui puisse fournir des caractères constants pour la 
distinction des genres et des espèces. Une preuve de la vérité de 
cette assertion nous est donnée par le Cyslicerque commun 
(Cysticercus cellulosæ), qui à toujours été caractérisé par la pré- 
sence d’une vésicule caudale, elliptique transversalement. Or celte 
forme de la vésieule ne se voit que lorsque le Cysticerque a été 
logé dans les fibres musculaires de l'Homme ou du Cochon, et 


(1) Cet animal fut décrit par Rudolphi sous le nom de Cysticercus crispus, 
mais j'ai fait voir qu'il n'a pas de vessie caudale (Zeitschrift für wissenchaftliche 
Zoologie, Bd 2, 1850, p. 223. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 179 
lorsque ce même Cysticerque se développe dans le cerveau de 
l'Homme, sa vésicule caudale prend les formes les plus variées et 
les plus irrégulières (fig. 24, 27 et 28). 

Les scolex de Tænia observés par Stein présentaient aussi de 
grandes variations dans la forme de leur appendice caudal (1). 

Si l'attention avait été appelée plus tôt sur ces circonslances, on 
n'aurait pas séparé les Vers vésiculaires des Tænias pour en former 
un ordre particulier. Les anciens helminthologistes avaient à ce 
sujet des vues bien plus justes que les modernes; ils ont saisi 
l'analogie de ces scolex dégénérés avec la tête de certains Cestoïdes, 
et ils ont indiqué la parenté des Vers vésiculaireset des Tænias, 
en les désignant sous les noms de Tæœnia vesicularis, Tœænia 
hydatigena et Tœnia cellulosæ. L'état hydropique de ces mêmes 
Vers vésiculaires ne leur avait pas échappé; ainsi déjà, en 1691, 
Tyson a décrit le Cysticercus tenuicollis sous le nom de Lumbricus 
hydropicus (2). Mais lorsque Linné eut animé les naturalistes de 
son esprit méthodique, ceux-ci se sont appliqués d’une manière si 
exclusive et si persévérante à compléter son système de classifica- 
tion du règne animal, que pendant longtemps on s’est contenté de 
donner des noms génériques et spécifiques à tous les animaux dont 
les formes étaient nouvelles pour l'observateur, et à les intercaler de 
la manière, en apparence, la plus convenable dans ce système. Les 
recherches relatives à l'histoire physiologique des animaux étaient 
considérées comme secondaires , et il en est résulté qu’on a même 
manqué le but qu'on se proposait , car on a décrit et classé comme 
des espèces distinctes non-seulement les variétés d'âge , mais jus- 
qu’à des fragments d'animaux déjà connus (3). 

C’est le Cysticercus fasciolaris qui nous a fait comprendre les 
rapports qui existent entre les Vers vésiculaires et les Tænioïdes. 


(1) Voyez Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, Bd 4, 1853, p. 207, 
tab. 10, fig. 12, 13, 44. 

(2) Philosophical transactions, 1691, n° 193, p. 506, fig. 4-4. 

(3) Les ouvrages systématiques d'Ebrenberg et de Diesing, sur les Infusoires 
el les Helminthes, nous montrent cette méthode fautive, d'après laquelle on n'en- 
visage les animaux qu'à un seul point de vue méthode qui est encore suivie de 
nos jours par quelques naturalistes, 


480 SIEBOLD. 


La ressemblance entre la tête de ce Cysticerque et celle du Tœnia 
erassicollis est si grande et si évidente qu'il serait inutile de recher- 
cher ici quel naturaliste a été le premier à en être frappé, et à en 
parler (4). Le Cysticercus fasciolaris n’est autre chose qu'un Tænia 
égaré et dégénéré, mais qui peut encore reprendre la forme d’un 
Tænia normal, lorsqu'il est transplanté dans l’intestin d’un Verté- 
bré qui lui convient. Je ne suis donc pas étonné de voir que, par 
l'observation des formes seulement, Allan Thompson de Glasgow 
soit arrivé aux mêmes résultals que moi, sans avoir connaissance 
de ce que j'avais publié à ce sujet. En effet, il a reconnu l'identité 
du Cysticercus fasciolaris et du T'œnia crassicollis (2). Les rapports 
de parenté de ces deux Vers deviennent surtout manifestes , 
lorsque le Cysticercus fasciolaris prend un surcroit de développe- 
ment, et que les articles du Tænia futur se montrent entre la tête 
et la vésicule caudale. Ces segments, il est vrai, restent étroits et 
privés d'organes sexuels ; mais ils donnent au scolex, dont la tête 
est toujours sortie dans cette période du développement, un aspect 
si caractéristique , que, pour ne pas y reconnaitre tout de suite un 
T'œnia crassicollis, il faut être aveuglé par les idées systématiques, 
et ne faire attention qu’à la vésicule caudale. Pour peu que l’on exa- 
mineavecattentionle Cysticercus fasciolarisetle Tœnia crassicollis, 
on reconnait chez ces deux Vers la même particularité dont certains 
Tænioïdes, tels que le Triænophorus nodulosus, le Tœnia longi- 
collis et le T. ocellata, nous ont déjà fourni des exemples; savoir, 
que le corps du Tænia se développe derrière la tête et le col, avant 
que l'animal soit arrivé dans le canal intestinal du Vertébré où il 
acquerra les organes sexuels. Il y a chez le T. crassicollis cette 
seule anomalie, que, pendant le développement du scolex, le 
réceptacle de celui-ci subit la dégénérescence hydropique. 

Le Cysticerque fasciolaire, qui ne se rencontre qu'enkysté dans 
le foie de divers Rongeurs , surtout du Rat et de la Souris, atteint 
quelquefois plusieurs pouces de long ; mais dans ce cas, la vessie 
caudale ne se développe pas proportionuellement au reste, et 

(1) Voyez mon article Parasites, dans le Manuel de physiologie de Wagner 
(49° livraison, 4845), t. 11, p. 650 et 676 

(2) Zeïlschrift fuer wissenchaftliche Zoologie, Bd 3, 1851, p 97. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 181 
demeure rudimentaire, tandis que le corps du Ver croit et s’allonge 
considérablement. Il en résulte qu'au premier abord on pouvait 
croire que la vésicule caudale n’était pas originairement un récep- 
tacle de scolex , mais seulement l'extrémité abdominale du Tænia 
devenu hydropique. Des boursouflures hydropiques se mani- 
festent effectivement par places dansles articles de ce Tænia ; mais 
lorsqu'on étudie le développement graduel du Cysticerque fascio- 
laire et sa transformation en Tænia , on reconnait que la vésicule 
caudale n’est pas due à une altération de ce genre, et qu’elle était 
primitivement le réceptacle du scolex. J'ai sous les yeux un grand 
nombre de ces Cysticerques qui offrent tous les degrés du déve- 
loppement, depuis une ligne de longueur jusqu'à cinq ou six 
pouces ; chez les plus âges, le corps est allongé et distinctement 
articulé , tandis que chez les plus jeunes les articulations futures 
ne sont encore indiquées que par des rides transversales et serrées , 
et chez les individus de grandeur si variée, la vésieule caudale est 
à peu près du même volume , c’est-à-dire d'environ une ligne en 
diamètre. Chez les individus long d’une ligne à une ligne et demie, 
le corps du Ver n'existe pas, et la tête et le col du scolex ne sor- 
tent que peu hors de la vessie fournie par le réceptacle. Chez les 
individus encore plus jeunes, ces parties sont même complétement 
renfermées dans la vessie arrondie constituée par le réceptacle. Si 
l'on examinait avec tout le soin et l'attention nécessaire le foie d’un 
grand nombre de Rongeurs de la famille des Rats, on parviendrait 
certainement à y rencontrer des individus plus jeunes encore de 
celte même espèce de parasite, et peut-être, malgré la grande diffi- 
eulté de ces recherches, serait-on assez heureux pour découvrir les 
crochets de l'embryon placés à l'extérieur du réceptacle du scolex 
en voie de développement. Je suis parvenu à rencontrer de très 
jeunes individus du Cysticercus pisiformis qui, à l’état enkysté, 
habite constamment le foie et le péritoine du Lapin. A travers les 
parois du réceptacle, dont le développement était très peu avancé 
(4/2 ligne en diamètre), on voyait la bouture interne qui commen 
çait à se former , et ne présentait encore que les vestiges de ses 
quatre suçoirs et de sa couronne de crochets, dont les pointes seu- 
lement existaient et étaient encore molles (fig. 33, d, e); mais c’est 


182 SIEBOLD. 

en vain que j'ai cherché à l'extérieur du réceptacle les six crochets 
de l'embryon. J’ajouterai que mes recherches sur les parasites 
du foie des Lapins de garenne de ce pays m'ont révélé un autre 
fait intéressant : au milieu d’une foule de scolex des Cysticercus 
pisiformis très petits, en voie de développement, j'ai trouvé un 
grand nombre de pelites lignes, d’une couleur jaune pâle , qui se 
croisaient dans tous les sens, et qui, examinées au microscope , 
paraissaient mal définies ; elles semblaient formées d’une matière 
granuleuse , que je présume être un produit excrétoire laissé par 
les embryons de Tænia pendant leurs migrations à travers la sub- 
stance de ce viscère. Il est probable que, pendant le développe- 
ment ultérieur de ces embryons et leur changement en réceptacle 
hydropique, c'est-à-dire en Cyslicerques pisiformes, cette sub- 
stance, d’abord excrétée, est peu à peu résorbée. 


CHAPITRE IV. 


DE LA TRANSFORMATION DES VERS VÉSICULAIRES EN TÆNIAS. 


Comme le Cysticercus fasciolaris des Rats et des Souris offre 
avec le Tœnia crassicollis du Chat une ressemblance si extraordi- 
naire , et comme les premiers de ces Mammifères sont la nourri- 
ture ordinaire de ce dernier , comme aussi les articles du Cysti- 
cerque fasciolaire , contenus dans les kystes du foie du Rat ou de 
la Souris, n'y arrivent jamais à leur maturité sexuelle, j'ai été 
naturellement conduit à concevoir la pensée que ce Cysticereus 
fasciolaris se transforme en Tænia crassicollis, lorsque l'animai 
qu'il habite a été dévoré par un Chat (1); car alors le foie du petit 
Rongeur étant digéré dans l'estomac du Carnassier, le Ver vésieu- 
laire se trouve débarrassé de son kyste, et placé dans un lieu con- 
venable à son développement sexuel ; la chute de sa vésicule cau- 
dale suffirait donc pour que, dans l'intestin du Chat, il devienne 
un T'œnia crassicollis : 

Tout en étant bien persuadé de la possibilité de la transformation 
du Cysticerque fasciolaris en Tæœnia crassicollis, j'étais loin de 
penser que les autres espèces de Cysticerques, chez lesquels un 


(1) Handwürterbuch fuer Physiologie, t. IT, p. 651. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 183 
corps segmenté ne se développe pas entre Ja tête et la vessie cau- 
dale du scolex, pussent se changer ainsi en Tænias ; cela m'a paru 
même d'autant moins probable que souvent j'avais rencontré des 
kystes, dans lesquels les Cysticerques étaient morts, ratatinés, et 
comme ensevelis au milieu d’un dépôt de matière calcaire non 
organisé (1). Une telle dégénérescence du kyste rend, il est vrai, 
la transformation de ces scolex impossible, mais tous les kystes 
ne l’éprouvent pas, et en général les scolex, malgré leur récep- 
tacle hydropique, sont aptes à devenir des Cestoïdes sexués, s'ils 
sont placés dans les conditions nécessaires à leur développement 
complet, c’est-à-dire s'ils sont transférés dans un inteslin conve- 
nable pour le développement des Proglottis. 

Kuchenmeister de Zitau a été le premier à démontrer la possibi- 
lité de cette transformation des Vers vésiculaires en Cestoïdes, et y 
est arrivé à l’aide d'expériences, dont beaucoup de journaux ont 
rendu compte (2). L'idée qu'il a eu de nourrir des animaux avec 
des Cysticerques a été très heureuse ; j'ai répété ses expériences, 
et j'ai pu constater l'exactitude des résultats qu’il a été Jè premier 
à annoncer, savoir, que certains Cysticerques parvenus dans le 
canal intestinal du Chien se transforment en Tœnias. 

Pour que ces expériences réussissent, il faut queles Vers vésicu- 
laires soient bien vifs, ou au moins aptes à être ranimés au moment 
où le Chien les avale. I ne faut donc tuer l'animal, qui fournit ces 
parasites, qu’au moment de l'expérience, ou tout au plus une 
heure avant. Tant que l'organe du Vertébré où ils sont logés est 
chaud, on peut être sûr qu'ils sont vivants , et si cet organe vient 
seulement de se refroidir, bien qu'ils s’affaiblissent et tombent dans 
une sorte de léthargie, on peut encore, pendant quelques heures, les 
ranimer à l’aide de la chaleur; par conséquent, loules les fois 
que je n'étais pas certain que les Vers fussent bien vifs, je les jetais 
dans de l’eau tiède , et je ne me servais que des individus com- 
plétement ranimés par ce moyen. 


(4) J'ai décrit cette dégénérescence avec détail, dans mon journal (Zeits- 
chrift fuer wissenschaftliche Zoologie, t. XI, 1850, p. 225). | 

(2) La première note relative à ces expressions se trouve dans le Zeitschrift 
fuer klinische Vorträge, 1851, p. 240. 


184 SIEBOLD. 

Pour élever des Tænias à l’aide de Vers vésiculaires, je déter- 
minais l’émigralion passive de ceux-ci dans le canal intestinal de 
jeunes Chiens, en les donnant à ces derniers dans leurs aliments. 
Les petits Chiens, âgés environ de deux semaines, sont les plus 
propres à ce genre d'expériences; ils lèchent très volontiers du 
lait contenant des Vers vésiculaires, et, pour ceux qui ne se mon- 
traient pas suffisamment avides d'aliments , il me suffisait de leur 
ouvrir la gueule, et d’y verser le lait chargé de Vers pour assurer 
la déglutition de ceux-ci. D'abord je me suis servi de Chats, de 
Lapins et de Cochons d'Inde; mais ces animaux ne m'ont pas 
fourni des résultats heureux (1). Quant aux Chiens, je ferai voir 
plus tard que, par leurs mœurs, ils sont naturellement en rapport 
avec les Vers vésiculaires ; aussi les expériences dont ils étaient 
l'objet ont-elles réussi. 


$ I. Expériences sur l’alimentation avec le Cysticercus pisiformas. 


Les Vers vésiculaires, connus sous le nom de Cysticercus pisi- 
formis, vivent très communément en parasites dans le foie et dans 
le péritoine du Lièvre et du Lapin. Chez le Lièvre, la substänce du 
foie est souvent complétement farcie de kystes de la grosseur d’une 
noisette, qui souvent aussi sont réunis en grappe, et appendus à la 
surface de cet organe. Chez le Lapin, c’est le grand épiploon et le 
mésorectum qui sont le siége le plus fréquent de ces Helminthes. A 
Breslaw, les Lapins que l’on vend sur le marché en contiennent 
presque tous, et c’est dans l’Institution physiologique de cette ville 
que je fis mes expériences dans le printemps de 1852. Les résul- 
tats de ces recherches furent d’abord consignés dans la thèse inau- 
gurale de mon élève le docteur Lewald qui avait suivi mes expé- 
riences (2); puis j'en donnai moi-même un compte rendu dans le 
journal de zoologie scientifique (3). 


(1) Toutes les expériences d'alimentation dont je vais rendre compte ici, ont 
été faites en Silésie pendant l'année 1852. 

(2) Cette dissertation a paru à Berlin en 4852, sous le titre suivant : De Cys- 
ticercorum in TϾnias metamorphosi pascendi experimentis in Instituto physiologico 
Vratislaviensi administratis illustrata. 

(3) Zeitschrift fuer wissenchaftliche Zoologie, Bd 4, 1853, p. 400. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 185 
Dans ces expériences, les Cysticerques furent admiaisirés en 
nombre variable : de sept, dix, quarante ou soixante à la fois ; on 
les laissait toujours renfermés dans leur kyste. J'ai toujours eu soin 
d'enregistrer la date du jour où je les faisais prendre, ainsi que le 
nombre des individus avalés, et le signalement du Chien sur lequel 
j'opérais (4). 
Voici les résultats obtenus dans une première série d'expériences 
faites sur six Chiens, et publiées dans le journal sus-mentionné : 
Les Cysticerques pisiformes renfermés dans leur kyste, et avalés 
par les Chiens, étaient attaqués par le sue gastrique dans l'estomac 
de ces animaux ; le kyste se dissolvait d’abord , puis la vessie cau- 
dale du Cysticerque disparaissait aussi, de façon qu'il ne restait du 
Ver vésiculaire que le corps arrondi et blanchâtre, qui auparavant 
se trouvait caché dans l’intérieur de la vessie caudale, c’est-à-dire 
la tête et le col de l'animal, ou en d’autres mots le scolex. Souvent 
la vessie caudale, avant d’être complétement digérée, se voyait 
dans un état de vacuité et affaissée sur elle-même , probablement 
par suite de l’exosmose exercée sur le liquide contenu dans 
sa cavité par la matière pultacée de l'estomac. Les restes des 
Cysticerques, c’est-à-dire le corps contenant encore, renversé dans 
son intérieur, la tête et le col du Ver, sortaient par le pylore pour 
pénétrer dans le duodénum, mêlés àla pâte chymeuse. Arrivés dans 
cet intestin, la tête et le col de ces parasites se déployaient hors de 
leur corps par renversement, et l'animal dépouillé de sa queue 
cherchait, à l’aide de ses suçoirs et de ses crochets, à trouver entre 
les papilles de la muqueuse intestinale un point convenable pour se 
fixer et se développer. Dans les premières heures de leur séjour 
dans l'intestin, ces Vers, ainsi étendus et privés de queue, ont sou- 
vent une apparence bouffie et ædémateuse ; mais peu à peu leur 
corps se resserre, probablement par suite d’une action exosmotique 
exercée par le chyme dont ils sont entourés. On distingue facile- 
ment, à l’extrémité postérieure de tous ces individus devenus 


(1) Je dois exprimer ici ma reconnaissance au garçon de laboratoire de l'In- 
stitution physiologique de Breslaw, C. Zoelfel, par les soins consciencieux et la 
patience infatigable qu'il a mis à soigner et à surveiller les Chiens , souvent très 
nombreux, qui étaient en expérience. 


186 SIEBOLD. 


acaudes, le point par lequel ils se continuaient auparavant avec la 
vessie caudale ; c’est une sorte de cicatrice en forme d’entaille ou 
d’échancrure, à laquelle adhèrent encore dans les premiers temps 
quelques flocons membraneux très délicats, derniers débris de la 
vessie échappés à la digestion stomacale. Au bout de quelques 
jours, plusieurs de ces petits Vers commençaient à grandir; mais 
c'était leur corps seulement qui s’accroissait, car la tête et le cou 
étaient arrivés au terme de leur développement, pendant qu'ils 
étaient encore logés dans le péritoine du Lapin. Le corps n'était 
pas d’abord articulé, mais offrait seulement une multitude de rides 
transversales ; cependant, après quelques jours de croissance, ces 
rides devenaient de véritables articulations, et les segments, d’abord 
très courts, s’allongaient ; enfinil se formait sur l'angle d’un de leurs 
bords une éminence papilleuse, qui, en se développant, devenait 
plus tard l'ouverture de l'appareil génital. Dans cet état, les Vers 
employés dans ces expériences avaient tout à fait l’apparence de 
Tænias, et le seul indice de leur origine était la cicatrice qui se 
voyaittoujours sur le dernier article de leur corps. Après un séjour 
de vingt-cinq jours dans l'intestin d’un Chien, ces Vers étaient 
devenus longs de 40 à 42 pouces, et étaient de véritables Tænias. 
Ils continuaient ensuite à croître d’une manière régulière ; leurs 
articles postérieurs grossissaient , et les organes reproducteurs s’y 
développaient de plus en plus, pendant que d’autres articles plus 
jeunes apparaissaient sans cesse dans la partie antérieure et sim- 
plement ridée du corps, derrière le col. Au bout de trois mois, ces 
Tænias avaient acquis une longueur de 20 à 30 pouces, ou même 
davantage (1), et les organes génitaux, logés dans les derniers 
segments de leur corps, paraissaient être amenés à maturité. Chez 
quelques-uns , il y avait même des segments qui s'étaient déjà 
détachés spontanément. Enfin les œufs contenus dans les articles 
mûrs étaient parfaitement développés, et l’embryon s'y voyait 
comme d'ordinaire armé de ses six crochets, et doué de mou- 
vements. 

Étant parvenu de la sorte à obtenir avec des Cysticerques pisi- 

(1) Pour les diverses périodes du développement de ces Vers, voyez les figures 
données par Lewald dans sa dissertation inaugurale. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 187 


formes des Tænias adultes , j'ai pu déterminer l'espèce à laquelle 
ces derniers, c’est-à-dire le scolex et le progloitis, appartenaient. 
Or j'y ai reconnu le Tœænia serrata , que l’on sait depuis fort long- 
temps être un parasite de l’intestin du Chien. La forme de la tête, 
le nombre, la forme et la disposition des crochets de la couronne 
céphalique , la structure des articles et des organes génitaux ren- 
fermés dans leur intérieur , la forme des œufs arrivés à maturité , 
tout enfin me donnait la preuve qu’en élevant le Cysticercus pisi- 
formis j'avais obtenu le Tœnia serrata. 

Beaucoup de personnes pourront, au premier abord, douter de 
la justesse de cette conclusion, et me demanderont comment j'ai pu 
m'assurer que les Chiens, auxquels j'administrais mes Cysticerques, 
n'avaient pas recu de quelque anfre manière les Vers que j'ai 
reconnus comme des Tœnia serrata. Cette objection s’était pré- 
sentée à mon esprit, et me paraissait d'autant plus sérieuse que, 
souvent chez les Chiens soumis à mes expériences, je rencontrais 
d’autres Helminthes, savoir : l’Ascaris marginata et le Tænia 
cucumerina. La présence du Tœnia serrata ne saurait-elle donc 
dépendre de quelque source analogue ; mais l’origine de ce dernier 
parasite me semble démontrée par les faits suivants. A plusieurs re- 
prises, j'ai consacré à ces expériences un certain nombre de petits 
Chiens d’une même portée, et ceux que j'ouvrais, sans leur avoir 
donné au préalable des Cysticerques, ne renfermaient jamais de 
Tœnia serrata , bien qu'ils offrissent souvent dans leur intestin 
l'Ascaris marginata et le T'œnia cucumerina. Je dois remarquer 
aussi que je n'ai employé pour ces expériences que des Chiens élevés 
dans l’intérieur des maisons, et que, chez ces animaux, le Tœnia 
serrala est rare, tandis que les Chiens de chasse sont souventinfectés 
de ces Vers. J’ajouterai encore que le nombre d'individus du Tœænia 
serrala, que je trouvais dans l'intestin à un état plus où moins 
avancé de développement, correspondait toujours au nombre des 
Cyslicerques ingérés dans l'estomac de l'animal, et que l’état de 
développement de ces parasites était aussi toujours en rapport avec 
le temps écoulé , depuis que les Cysticerques avaient été avalés 
avec les aliments. 


188 SIEBOLY. 
$ II. Expériences sur l’ingestion du Cysticercus tenuicollis. 


Ce Ver vésiculaire est très commun dans le mésentère de nos 
animaux de boucherie ; c’est de tous les Cysticerques celui dont la 
vessie caudale est la plus développée, car celle-ci atteint souvent 
la grosseur du poing, tandis que la tête conserve les mêmes dimen- 
sions que dans l’espèce précédente. Pour mes expériences, on 
m'apportait toujours ces parasites dans leur kyste, et comme celui- 
ci est ordinairement chargé de graisse, j'ai toujours eu soin d'isoler 
le Ver avant de le mêler aux aliments. 

Première expérience. — Au commencement de mai 1852, je fis 
avaler dans l’espace de quatre jours, à un Chien d'arrêt âgé de 
dix semaines, six individus du Cysticercus tenuicollis. Quelques 
jours après, j'ouvris l'intestin grêle de ce Quadrupède, et j'y trou- 
vai ces Vers réduits à leur portion céphalique; seulement ils 
avaient 1 ligne 4/4 de long; la vessie caudale n'existait plus, et il 
ne restait que la tête et le cou des parasites. Le scolex avait done 
échappé à la digestion stomacale, tandis que le reste de l'Helminthe 
avait disparu. 

Dans la suite de ces expériences , afin de faciliter l’ingurgitation 
de ces Cysticerques, j'ai enlevé la grosse vessie caudale des indi- 
vidus que je voulais faire avaler à mes Chiens, et je ne me suis 

servi que de la portion creuse du corps de l'Helminthe où se 
trouvent logés le cou et la tête de celui-ci. 

Deuxième expérience. — Le 11 mai, un petit Chien d'arrêt, 
plus jeune que le précédent, avala vingt et un de ces Cysticerques. 
Le lendemain, on lui en administra cinq, et le 44 du même mois 
encore trois. Ce Chien avait done avalé en tout vingt-neuf de ces 
Cysticerques dépouillés de leur vessie caudale. Le 47 mai, on 
ouvrit l'intestin de l'animal, et l’on y trouva dix-sept scolex, dont 
les plus petits avaient 3/4 de ligne à 1 ligne de long, et les plus 
grands 2 lignes. 

Troisième expérience. — Le 18 juin, un jeune Barbet avala 
douze Cysticerques, et le 23 du même mois, on lui trouva dans 
l'intestin grêle onze scolex de 1 à 2 lignes 1/2 de long. 

Ainsi le corps de ces Cysticerques avait été détruit par la 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 189 


digestion stomacale; car le scolex, court et solide, ne se compo- 
sait que de la tête et du col du Ver vésieulaire. Ce scolex n’offrait 
aucune trace de rides transversales, et était tronqué transversale- 
ment ou obliquement à son extrémité postérieure, où une cicatrice 
correspondait au point par lequel celle-ci était fixée aux parois du 
corps creux et cylindrique du Cysticerque, avant que ce dernier 
eut été détruit par l’action digestive de l'estomac du Chien. 

Il est facile de reconnaitre sur des individus intacts la partie du 
Cysticercus tenuicollis où l’action digestive de l'estomac s'arrêtera, 
et où le scolex se détachera pour passer dans l'intestin grêle. Pour 
cela, il suffit de plonger le Cysticerque dans de l’eau tiède; le 
parasite semble se plaire dans ce liquide, dont la température 
correspond à celle du sang de l'animal qui l'hébergait ; il s'y meut 
avec vivacité, et étend en avant son corps creux qui est court, 
plissé, et contracté en une sorte de nœud d’un blane sale, sur 
la partie antérieure duquel la tête se trouve portée à l’extrémité 
d’un col court et grêle: Ce col grêle est nettement dessiné, et c’est 
à sa base que la portion céphalique du Ver se détachera pour con- 
stituer le scolex (4). 

Quatrième expérience. — A diverses reprises, on fit avaler 
à un jeune Dogue vingt-deux Vers vésiculaires; savoir, six 
le 44 juillet, quatorze lrois jours après , et deux le 47 du même 
mois. 

Le 5 août, on tua ce Chien, et l’on y trouva dix-neuf de ces 
vingt-deux Heiminthes , qui avaient passé de l'estomac dans l'in- 
testin grêle sous la forme de scolex. Un séjour de dix-sept ou 
vingt-trois jours dans le canal digestif du Chien avait suffi pour 
déterminer un développement considérable dans la partie posté- 
rieure de leur corps, et pour leur donner l'aspect de Tænias. Leur 
longueur variait entre 4 lignes et 4 pouce 3/4. Les plus courts 
étaient évidemment ceux qui n'habitaient l'intestin du Chien que 
depuis dix-sept jours, et ils offraient derrière le cou des rides 


(4) Ce point de séparation se voit très bien dans quelques-unes des figures 
du Cysticereus tenuicollis, publiées par Pallas (voyez Miscellanea z00logica, 1766, 
p. 467, pl. 12, fig. 40, et Stralsundisches Magazin, Bd 1, 1767, p. 69, pl. 2, 
fig. 10). 


190 SIEBOLD, 


transversales , qui étaient d'autant plus marquées, qu’elles étaient 
situées plus près de l'extrémité postérieure. Les individus qui 
avaient 8 lignes de long présentaient des articles bien distincts à la 
partie postérieure de leur corps, et le nombre des segments s'était 
accru proportionnellement. Chez tous, on pouvait distinguer à 
l'extrémité postérieure du corps la cicatrice dont il a été déjà 
question. Du reste, l’article terminal qui portait cette cicatrice 
paraissait toujours plus petit et moins développé que les articles 
situés immédiatement en avant de lui; d’où il résulte que Ja crois- 
sance du Tænia et la production de ses anneaux s’effectuent entre 
le corps et le col du scolex. 

Les organes reproducteurs n'étaient visibles ni à l'extérieur, ni 
à l’intérieur de ces Tænias, dont le séjour dans l'intestin du Chien 
n'avait été que de dix-sept à vingt-trois jours. 

Cinquième expérience. — Le 18 juillet, on fit avaler à un 
jeune Chien de chasse huit Cysüicerques ; le lendemain vingt-six 
autres, et le 22 du même mois encore quatre; de sorte que, dans 
l'espace de quatre jours, on lui ingéra dans l'estomac trente-huit 
individus de Cysticercus tenuicollis. Le 20 août, on examina l’in- 
testin grêle de ceChien, et l’on y trouva trente-deux Tænias à divers 
états de développement. Ceux-ci variaient beaucoup entre eux par la 
taille : les plus petits avaient de 4 lignes 1/2 à 4 pouce 1/2 de long ; 
les plus grands de 5 pouces à 10 pouces 1/2. On voit done que, 
malgré la durée considérable de leur séjour dans l'intestin (de 
vingt-neuf à trente-deux jours), ces scolex se sont développés 
d'une manière très inégale, et que plusieurs étaient très attardés 
dans leur croissance. J'ai observé le même fait dans plusieurs 
autres expériences analogues ; peut-être cela dépend-il de la 
disposition individuelle des Vers employés, ou bien de l’état du 
Chien dans l'estomac duquel on les a introduits. Quoi qu'il en 
soit, les Vers les plus longs obtenus dans cette expérience étaient 
ceux dont les articles étaient les mieux développés, et, quoique 
ceux-ci fussent encore plus larges que longs, on y distinguait à 
l'intérieur aussi bien qu’à l'extérieur les organes de la génération 
en voie de formation. Dans quelques articles plus avancés que les 
autres, etsitués tout à fait postérieurement, j'ai pu même constater 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 191 


l'existence d'œufs arrondis, à coque dure, et renfermant un 
embryon avec ses six crochets, semblable par sa forme, sa gros- 
seur et la disposition de ses enveloppes, à ce qui se voit dans les 
œufs du Tænia serrata. Je dois ajouter aussi que, chez les individus 
les plus grands obtenus dans cette expérience, on distinguait, sur 
quelques-uns des anneaux , une foule de rides transversales très 
lines, qui donnaient à leurs bords latéraux un aspect ondulé , et 
que Je bord postérieur de beaucoup de ces segments était légère- 
ment saillant et irrégulièrement plissé. Quelques-uns des individus 
les plus grands avaient déjà perdu les articlés les plus postérieurs, 
et chez les autres l’article terminal portant la cicatrice s'était 
modifié d'une manière particulière : il était très grossi , et avait 
pris une forme tout à fait irrégulière ; il présentait latéralement de 
gros angles oblus, et il ue ressemblait à un segment de Tænia que 
par son orifice latéral, et la petite cicatrice dont son bord postérieur 
élait marqué. 

Sixième expérience. — Le 7 juin, on fil avaler à un Chien 
métis barbet et roquet cinq Cysticerques ténuicolles ; le 29 du 
même mois, On lui en donna encore douze, et le 25 juillet (e’est-à- 
dire quarante-huit jours après la première ingestion de ces Vers, 
et vingi-six jours après la seconde), on le tua. Sur les dix-sept 
Cysticerques employés, on en retrouve quinze sous la forme de 
Téænias adultes. Les plus petits de ces Vers avaient de 4 à 9 pouces 
de long, et les plus grands avaient de 44 à 26 pouces. Chez 
ces derniers, les articles postérieurs étaient déjà plus longs que 
larges; chez les autres, au contraire, ils étaient carrés ou plus 
larges que longs, et ils offraient à leur surface les rides transver- 
sales dont il a été question. Chez plusieurs individus les plus grands, 
les articles postérieurs étaient déjà tombés, tandis que chez les indi- 
vidus plus petits le corps avait encore son article terminal primitif 
dont le développement était considérable , et dont les caractères 
étaient les mêmes que pour les articles précédents, sauf l'existence 
de sa petite cicatrice, et la forme arrondie de son bord postérieur. 

Septième expérience. — Dans l’espace de seize jours (du 21 mai 
au 5 juin, on fit avaler à un jeune Renard trente et un Cysti- 
cerques ténuicolles, On le tua le 43 juin, et l’on explora avec soin 


192 SIEBOLD. 


ses intestins, mais on n’y trouva pas la moindre trace des Cysti- 
cerques ingérés; on n'y voyait ni scolex, ni Tænia ; et l’on en peut 
conclure que , dans l'estomac du Renard, les Cysticerques sont 
complétement digérés. 

J'ai déterminé avec soin l'espèce de Tænia développé ainsi dans 
l'intestin du Chien , à l'aide des scolex du Cysticercus tenuicollis , 
et j'ai été surpris en y reconnaissant les caractères du Tænia 
serrata. J'ai été d’abord frappé de la ressemblance complète qui 
existe entre les œufs des Tænias provenant des Cysticereus tenur- 
collis et ceux du T'œnia serrata ; j'ai comparé ensuite la tête de ces 
Vers d’origine différente , et je n’ai pu y découvrir aucune diffé- 
rence, ni quant à la forme, ni quant aux ventouses et aux erochets; 
enfin les articles , incomplétement développés ou arrivés à matu- 
rité, m'ont paru identiques chez le Tœnia serrata et chez les 
Tænias provenant du Cysticercus tenuicollis. 

Quant au résultat négatif fourni par l'expérience n° 7, je n’ose 
pas décider si l'intestin du Renard est ou non complétement inapte 
à servir au développement du scolex du Cysticercus tenuicollis. 


$ IT. Expériences sur l’ingestion du Cysticercus cellulosæ. 


On sait que le Cysticercus cellulosæ vit parfois en si grand 
nombre dans la chair de nos Cochons domestiques que, dans un 
seul muscle, on trouve des centaines de ces Vers. Il n’est pas très 
rare de le rencontrer aussi daus les muscles et les viscères de 
l'Homme, et cela m'a fait désirer vivement de pouvoir constater 
expérimentalement à quelle espèce de Tænia ce Ver appartient. 

Première expérience. — Le 22 mai, on fit avaler par un jeune 
Chien trente-quatre de ces Cysticerques dépouillés de leurs kystes ; 
le 24, onluien donna encore quatorze, et les jours suivants trente- 
cinq autres. Le 3 juillet (quatre jours après la première ingestion), 
on tua ce Chien, et on lui trouva dans l'intestin grêle quatre 
Tænias seulement ayant 2 pouces de long, et paraissant provenir 
des Vers employés. 

Deuxième expérience. — Ayant recu deux Cyslicerques prove- 
nant du cerveau d’un Homme , et ces Vers étant encore vivants 
trente-six heures après la mort du malade, je les placai dans de l’eau 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 193 
tiède, et je m'empressai d'en profiter pour une expérience , bien 
que le nombre de ces Vers füt trop peu considérable pour me faire 
espérer des résultats intéressants. Je les fis donc avaler à un jeune 
Chien, et j'examinai l'intestin de cet animal vingt-trois jours après ; 
mais je ne pus y découvrir la moindre trace ni de scolex , ni de 
Tænia. 

Troisième expérience. — Le 18 juin, je fis avaler à un jeune 
Barbet quarante-deux Cysticerques de Cochon dépouillés de leurs 
kystes. Le 4 août (cinquante etun jours après l’ingestion des Vers 
vésiculaires) j'ouvris l'animal, et je lui trouvai dans l'intestin huit 
Tænias de diverses longueurs : le plus petit avait de 5 1/2 à 
17 pouces de long , un individu avait plus de 25 pouces de long, 
et les trois plus grands avaient 51 pouces de long. Cependant, 
malgré ce développement considérable et la multiplicité de leurs 
articles, je n’ai pu découvrir dans aucun cas des œufs mûrs. 

Quatrième expérience. — Le 11 juillet, on fit avaler par un 
jeune Chien doguin trente-deux Cysticerques dépouillés de leurs 
kystes , et le 17 du même mois, on lui en donna quarante-cinq. 
On le tua le 1 juillet, et on lui trouva dans l'intestin grêle quarante- 
six scolex, dont les plus courts avaient 1 ligne de long et les plus 
grands 6 lignes. Tous portaient à leur extrémité postérieure la 
cicatrice caractéristique. Les individus les plus petits n’étaient for- 
més que par la tête et le col du Cysticercus cellulosæ ; les autres , 
un peu plus développés, étaient pourvus d'un corps ridé en tra- 
vers, mais sans articles distincts. 

Cinquième expérience. — Le8 août, un jeune Chien a été nourri 
avec des aliments contenant quarante-cinq Cysticerques encore 
renfermés dans leurs kystes. Le 21 du même mois, on le tua, et 
l’on ne trouva dans son intestin grêle que quelques Tænias en voie 
de développement, et longs d'environ 3/4 de pouce. 

Je dois faire remarquer que ce Chien, ainsi que ceux employés 
dans les expériences n° 2 et 4, étaient atteints de la maladie si fré- 
quente chez ces jeunes animaux, et que cette circonstance parait 
défavorable au développement des Tænias. 

Bien que les expériences dont je viens de rendre compte n'aient 
pas donné des résultats aussi remarquables que les précédentes , 

#" série, Zoo. ©. IV, (Cahier n° 3.) ! 13 


194 SIEBOLD. 


elles montrent cependant que le Cysticercus cellulosæ peut se trans- 
former en Tænia dans l'intestin du Chien. 

La détermination spécifique du petit nombre de Tænias élevés 
de la sorte m'a causé de grands embarras; je ne savais s’il fallait 
les rapporter au Tœnia serrata où au Tœnia solium. La tête et les 
articles mûrs ressemblent à ceux de ces deux espèces, seulement 
le col était plus grêle et un peu plus long que chez le Tœnia serrata, 
de sorte que j'étais d’abord disposé à les rapporter au Tœnia 
solium. Mais cette grande ressemblance me détermina à passer en 
revue tous les Tænias qui étaient conservés dans ma collection sous 
le nom de Tœnia solium pour les comparer aux T'œnia serrata du 
Chien que j'avais également réunis , et, à mon grand étonnement, 
je trouvai que ces derniers ne pouvaient être distingués de certains 
individus rangés dans la première catégorie , et trouvés chez 
l'Homme, Ces derniers offraient des articles courts et larges, à 
téguments ridés en travers, et à bord postérieur ondulé, exacte- 
ment comme chez le Tœnia serrata. Leur tête ressemblait aussi à 
celle du Tæœnia serrata ; seulement le col était un peu plus allongé. 
Il y avait, en outre, parmi ces Tænias de l'Homme, quelques indi- 
vidus peu développés , qui présentaient tous les caractères des 
individus obtenus dans ces expériences, et provenant des Cysticer- 
cus cellulosæ. I est aussi à noter que les œufs du T'œnia solium ne 
peuvent être distingués de ceux du Tæœnia serrata : de facon que 
j'ai été conduit à penser que les Vers désignés sous ces deux noms 
ne forment en réalité qu'une seule et même espèce. Pour décider 
cetle question, je comparais attentivement la tête du Cysticercus 
Pisiformis, du €. longicollis et du C. cellulosæ, et je n’y trouvais 
aucune différence ni dans la conformation, ni dans la disposition 
de la couronne des crochets. Quant à la longueur du col et à Ja lar- 
geur et à la forme des articles, on observe des particularités dont 
j'ai déjà parlé; mais elles ne sont pas assez constantes pour pouvoir 
être considérées comme constituant des caractères spécifiques , et 
par conséquent je crois pouvoir affirmer que le T'ænia solium et le 
T. serrala ne forment qu'une seule espèce, et représentent les deux 
extrêmes des variations de forme du même animal , extrêmes qui 
sont liés entre eux par des nuances intermédiaires. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 195 


SIV. Expériences sur le Cœnurus cerebralis. 


Pour procéder à ces expériences de la manière la plus sûre, je 
fis transporter les Chiens que j'y destinais dans les campagnes où il 
y avait des Moutons atteints du fournis, el je leur fis avaler les 
Cœnures pris sur les animaux nouvellement tués. Les scolex de ces 
Vers restent attachés à la vessie inère ; lorsque celle-ci était petite, 
et portait des grappes de scolex peu nombreuses, je la donnais en 
entier à un de mes Chiens ; mais quand elle était volumineuse et 
très chargée de scolex, je la divisais en fragments pour la distribu- 
tion à plusieurs Chiens (fig. 29). 

Première expérience. — Le 29 mai, je fis avaler par un Chien 
une vessie portant une centaine de scolex. Cinq jours après, le 
Chien fut tué, et l’on trouva dans son intestin «grêle soixante- 
cinq scolex libres et renversés au dehors. Ils avaient de 4/2 à 
4 ligne 4/3 de long ; ils n'offraient aucune trace d'articles ou même 
des rides transversales, et avaient tous, à l'extrémité postérieure de 
leur corps, une pelile échancrure en forme de cicatrice, qui indi- 
quait évidemment le point par lequel ils avaient adhéré à la vessie 
mère (fig. 34, 4,B). 

Deuxième expérience. — Le 6 juin, un jeune Chien avala une 
grande vessie de Cœnure contenant plusieurs grappes de scolex. 
On examina son intestin le 26 du même mois, et l’on y trouva un 
sombre immense de Tænias; j'en ai compté six cent quarante indi- 
vidus à des degrés très variés de croissance et de développement. 
Les plus grands étaient multi-articulés, el avaient 23 pouces de 
long ; les plus petits n'avaient que 2 lignes de long, ne présentant 
aucune trace d'articles, et ressemblaient parfaitement au scolex. 
Chez tous, la cicatrice était visible à l'extrémité postérieure du 
corps (fig. 34 et 35). 

Troisième expérience. — Le 28 juin. un jeune Barbet mangea 
en partie une grande vessie de Cœnure, et le 5 août (lrente-huit 
jours après) on le tua. Son intestin grêle contenait soixante et onze 
Tænias à divers étais de développement. Trois individus, les plus 
pelils, avaient de 4 4/2 à 2 lignes de long; la partie postérieure de 
leur corps élait lisse, et ils ressemblaient tout à fait à des scolex. 


196 SIEBOLD. 


Sept autres avaient de 4 à 6 lignes de long, et commencçaient à se 
segmenter. Parmi les autres, qui étaient devenus des Tænias com- 
plets, plusieurs avaient atteint une longueur de 16 à 26 pouces 
(fig. 35); enfin, dans les individus les plus grands, les œufs étaient 
parfaitement développés, et chez plusieurs individus plus courts, 
on voyait que les articles postérieurs (ou proglottis) étaient déjà 
tombés, car la cicatrice lerminale n’y existait plus, et le bord 
postérieur du dernier article était tronqué postérieurement ; effec- 
tivement, quelques jours avant sa mort, le Chien avait rendu avec 
ses exeréments des articles de Tænia. 

Quatrième expérience. — Un jeune Chien de chasse reçut, le 
même jour que le précédent, une portion semblable de Cœnures, 
et fut tué un jour plus tard. Son intestin contenait quatre-vingt-six 
Vers qui, pour la plupart , avaient de 3 à 10 pouces de long, et 
offraient tous les caractères de Tænias articulés ; mais plusieurs 
individus n'avaient que 4 à 6 lignes de long, et commencaient 
seulement à se rider en travers ; quelques-uns, longs de 1 à 2 lignes 
seulement, n'avaient pas encore de rides, et étaient encore à l’état 
de scolex. 

Cinquième eæpérience. — Le 28 juin, un autre jeune Chien de 
chasse avala une masse semblable de Cœnures; il pouvait bien y 
en avoir une centaine d'individus. Le 16 août, on le tua, et l’on ne 
trouva aucune trace de Vers dans son inlestin ; mais peudant plu- 
sieurs jours, avant sa mort, il avait rendu par l'anus des Tænias 
longs de f mètre. 

Sixième expérience. —— Le 1° août, un jeune Chien braque 
avala un fragment de vessie de Cœnure contenant environ cent 
scolex. L'autopsie de cet animal eut lieu le 23 du même mois, et 
donna soixante-treize Vers, dont quelques-uns , longs de À à 
2 lignes, étaient encore à l’état de scolex libres, et les autres, 
longs de À à 4 pouces, avaient déjà les caractères de Tænias. Chez 
les uns et les autres, la cicatrice terminale était distincte. 

Sephièmeexpérience. — Un Chien métis de Braque et de Roquet 
mangea le même jour (4° août) une portion semblable de Cænures. 
Après avoir souffert pendant longtemps de la maladie des Chiens, 
il fut tué le 25 août. À l’autopsie, on trouva dans son intestin 


À 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 197 


beaucoup d’Ascaris marginata adultes, et quelques scolex de 
Tœnia cucumerina , mais aucun vestige de Vers provenant du 
Cœænurus cerebralis ; c'est probablement à la maladie des Chiens 
que la non-réussile de cette expérience est due. 

Quant à la détermination spécifique des Tænias provenant des 
Cœnurus cerebralis dans ces diverses expériences, elle n’a pré- 
senté aueupe difficulté; ces Vers appartenaient évidem ment au 
Tœnia serrata. 

Le lecteur a du être frappé des différences qui se remarquent 
dans le degré de développement des Vers obtenus dans les expé- 
riences n° 3 et n° 4, bien que la durée du séjour des scolex eût été 
la même dans les deux cas : dans l'une de ces expériences , les 
Tænias avaient jusqu'à 22 pouces de long, et dans l’autre 10 pouces 
seulement. Cette inégalité dans le développement paraît devoir 
dépendre de l'influence de l’organisme dans lequel ces Vers 
avaient été transplantés, et qu'on peut comparer au sol dans 
lequel ces parasites croitraient, 

Un autre fait remarquable que nous offre celte série d’expé- 
riences sur les Cœnures est la grande inégalité dans la croissance 
des divers Vers, qui avaient élé tous ingérés dans le tube digestif 
du même animal en même temps. On peut se l'expliquer , ce me 
semble, en tenant compte des divers degrés de développement des 
scolex du Cœænure au moment de l'expérience. On sait, en effet, 
que la vessie commune se développe d'une manière continue , et 
que de nouveaux scolex naissent sans cesse par bouture à sa sur- 
face interne. Par conséquent , on a dû transporter à la fois dans 
l'estomac du Chien des scolex déjà âgés, qui depuis longtemps 
attendaient une occasion favorable pour se changer en Tænia , et 
d’autres scolex plus jeunes qui venaient seulement de se déve- 
lopper, ou qui n'étaient même qu'en voie de formation. Il parai- 
trait donc que les scolex les plus anciens se seraient accrus rapi- 
dement, et auraient produit des proglottis, tandis que les jeunes 
individus seraient restés plus tardifs, et que ceux dont cette phase 
du développement n’était pas achevée ne seraient pas aptes à passer 
de l'estomac dans l'intestin, et succomberaient sous l'influence du 
travail digesuf, 


198 SIEROLD. 
$ V. Expériences sur l'Echinococcus veterinorum. 


L'Echinococcus velerinorum , que l’on trouve fréquemment 
dans le foie et dans les poumons de nos animaux de boucherie, et 
que l’on désigne ordinairement sous le nom d’Æydatide, ne semble 
pas différer spécifiquement de l’Echinococcus hominis, dont la 
vessie mère se rencontre si souvent dans divers organes du 
corps humain, et, en se développant parfois d’une manière 
énorme, détermine l’atrophie des tissus voisins, et devient une 
cause de destruction pour son hôte. Les expériences que j'ai faites 
avec ces Vers sur douze jeunes Chiens et sur un jeune Renard ont 
été déjà publiées ailleurs (D). J'ai toujours fait usage du contenu 
d’une vessie hydatique mère ou proligère, c’est-à-dire du liquide 
de la vessie d'un Échinocque , dans lequel nageaient en quantité 
innombrable de très petits scolex nés par bouture à la face interne 
de la capsule, etdevenuslibres par les progrès de leur développe- 
ment. Je mêlais ce liquide à du lait tiède, etje versais le tout dans 
la gueule du Chien ; puis, quand celui-ci avait avalé le lout, je lui 
faisais boire une nouvelle dose de lait pur et tiède, pour faire 
descendre plus sûrement les Scolex jusque dans Pestomae: L'au- 
topsie des Chiens soumis à ce genre d'alimentation fit voir que les 
scolex de l’Zchinococcus veterinorum , transplantés ainsi dans le 
canal intestinal du Chien, ne périssent pas, mais au contraire, dans 
des circonstances favorables, se développent, et deviennent de 
petits Tænias pourvus d’un très faible nombre d'articles, mais 
ayant des organes génitaux complets et mûrs. Ces Vers résistaient 
à l’action digestive de l'estomac , et parvenaient intacts dans l’in- 
testin grêle en nombre immense, mais proportionné à celui des 
individus ingérés ; là ils étaient tous étendus , tandis que dans 
l'intérieur de la vésicule mère ils sont d'ordinaire rétractés dans 
l'intérieur de leur réceptacle. Du quinzième au vingt-deuxième 
jour, ces scolex, dont le corps était d’abord dépourvu d’articula- 
tions, en offraient déjà deux. Bientôt après ils avaient trois articles, 
et alors ils cessaient de s’allonger et de se segmenter , mais le 


(1) Zeitschrift für wissens. Zool., t. IV, 1853, p. 409, pl. 46, fig. 1-9. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 199 


développement des organes génitaux dans les deux anneaux posté- 
rieurs faisait de grands progrès. Déjà au vingt-sixième jour la 
formation des œufs peut être constatée dans ces organes, et le 
vingt-septième jour l'embryon est reconnaissable dans l’intérieur 
de ces œufs. { 

Ayant trouvé dans l'intestin de mes Chiens, dès le vingt-septième 
jour de ces expériences, de ces Vers tri-arliculés qui avaient jeté leur 
couronne de crochels, j'ai dû penser que ces parasites à deux 
proglottis avaient atteint le but de leur existence ; car la chute de la 
couronne des Tænias dits armés est un indice de l’âge mür. 

Ces petits Tænias provenant des scolex de l’Echinococcus veteri- 
norum, et composés de trois articles, mais n’ayant qu'une ligne ou 
une demi-ligne de long, ne pouvaient être rapportés à aucune des 
espèces décrites et classées dans les systèmes d’helminthologie, et 
je me suis bientôt assuré qu'ils constituent une espèce particulière 
dont l'étude avait été négligée jusqu'alors. En effet, cette transfor- 
mation de jeunes Échinocoques en Tænias sexués doit évidemment 
se faire dans beaucoup de circonstances comme dans mes expé- 
riences ; car ces scolex doivent souvent êlre portés par les ali- 
ments dans le canal digestif du Chien : par exemple, lorsque celui- 
ei dévore dans nos boucheries les débris de viscères contenant des 
Hydatides. Il est probable que Rudolphi avait sous les yeux des 
Tænias de cette espèce provenant de jeunes Échinocoques ; lors- 
qu’il a cru trouver dans l'intestin d'un Chien de petits Tænias for- 
més par voie de génération équivoque aux dépens des papilles de Ja 
membrane muqueuse intestinale (1). Les petits Tænias à trois 
anneaux que Rollo (2) a observés deux fois chez des Chiens, et qu’il 
a décrits dernièrement comme étant des jeunes individus du T. ser- 
rata provenaient bien certainement de scolex de l’Echinococcus 
velerinorum. 

La forme particulière des crochets et la couronne des scolex de 
l'£Echinococcus veterinorum, aussi bien que le nombre exceptionnel 


(1) Entozoorum sive verminium intestinalium historia naturalis, vol. I, p. 411, 
1808. 

(2) Beiträge zur Entwickelungsgeschichte der Tünien, dans les Trans. de la 
Soc, physico-médicale de Würtzbourg, t. III, 4852, p. 56. 


200 SIEBOLD. 

des proglottis des Tænias qui naissent de ces parasites, justifient la 
distinction spécilique de ces Helminthes, auxquels j’ai donné le nom 
de Tœnia Echinococcus (1). 


Jetons maintenant un coup d'œil sur l’ensemble des résultats 
fournis par ces expériences. Ils peuvent se résumer de la manière 
suivante : 

1° Tous les scolex qui sont connus sous le nom de Vers vésicu- 
laires, et qui ont élé employés dans les expériences précédentes, ont 
produit des T'œnias pourvus de leurs organes reproducteurs parfaits. 

2 Les scoleæ du Cysricereus Pisirorms, du C. rENuicoLuS , du 
C. cecLurosæ et du Cosnurus cerEBRALIS ont produit des grands 
Tœnias, qui correspondent à ceux décrits sous les noms de Tæxia 
SERRATA ef de T. SOLIU. 

S Les scolex de l'Ecmnococcus vererINoRUM, en sc développant, 
consliluent une espèce particulière de Tænia très petit, et composé 
de trois articles seulement , que je désigne sous le nom de T. Ecm- 
NOCOCCUS. 

Beaucoup de zoologistes ne se laisseront peut-être que difficile- 
ment convaincre de ce fait, que quatre formes différentes de Vers 
vésiculaires que l’on a considérées jusqu'ici comme constituant 
autant d'espèces distinctes, ne produisent qu'une seule et même 
espèce de Tænia. Mais je leur demanderai si le Cysticercus pisi- 
formis, le C. tenuicollis, le C. cellulose et le Cœnurus cerebralis , 
sont bien des espèces particulières. D'après les connaissances 
acquises on doit répondre négativement. Tous ces Vers vésicu- 
laires ne sont que des embryons et des scolex dégénérés d'une 
seule et même espèce de Tænia. Pour s’en convaincre, il suffit 
de couper les têtes de ces divers Vers et de les mêler, car alors 
personne ne pourra plus les distinguer entre elles. 

Je vais encore plus loin, et je révoque en doute la différence 
spécifique entre le T'œnia serrata de l'intestin du Chien et le Tænia 
solium de l'intestin de l'Homme. Je doute également de la diver- 
sité spécifique du Tœnia marginata de l'intestin du Loup, du 


(1) Zeitschrift für wisiens. Zoo!., t. LV, 1855, p. 423. 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 201 


T. crassipes de l’intestin du Renard , et du T. intermedia de l’'in- 
testin du Putois et de la Martre. Les cinq espèces nominales que 
je viens de citer appartiennent certainement à une seule et même 
espèce de Tænia, et ne sont que des variétés produites par les dif- 
férences du sol où ces animaux se sont développés , suivant que 
dans le jeune äge ils ont été transplantés dans l’intestin de l'Homme, 
du Loup, du Renard, ou d’un carnivore de la famille des Martres. 
Si l’on examine avec attention Jes caractères que les helmintholo- 
gistes ont assignés à ces cinq espèces, on verra que {ous sont sans 
valeur, et ne sont jamais tirés des parties qui doivent servir à 
l'établissement d’une diagnose spécifique, telles que la forme et la 
disposition d’une couronne de crochets. Je suis persuadé que si l'on 
présentait à l’helminthologiste le plus exercé la tête d'un de ces 
Vers avec la couronne de crochets sans en indiquer la provenance, 
il lui serait impossible de décider à laquelle de ces cinq prétendues 
espèces elle appartient , et que ces animaux ne différent entre eux 
qu’à raison du lieu où ils ont établi leur demeure. Les helmintho- 
logistes savent depuis longtemps que les diverses espèces de Vers 
appartenant aux genres Ligula, Scheilocephalus et Echinorhyn- 
chus, établissent leur demeure chez des Poissons et des Oiseaux 
d’espèces très variées, et y acquièrent également bien la maturité 
sexuelle. Les rapports physiologiques des cinq variétés du T'ænia 
serrala dégénéré avec les diverses formes des scolex hydropiques, 
qui ne sont aussi que des variétés locales, étaient certainement plus 
simples dans l'origine , et c'est seulement par leur séjour chez des 
animaux réduits à l’état de domesticité que ces Tænias ont acquis 
les caractères compliqués qu’on leur trouve maintenant. 

Les résultats des expériences dont j'ai rendu compte dans ce 
chapitre sont également contraires à l’opinion que la vessie des 
Vers vésiculaires est un organe normal et non un produit patholo- 
gique (4), car tous ces Vers proviennent d'embryons d’une seule 
et même espèce de Tænia, et les différences ne dépendent que du 
lieu dans lequel ces êtres sont transplantés ; de façon que les mêmes 


(1) Dans ces derniers temps, Küchenmeister a cherché à soutenir cette opi- 
pion contre la mienne, mais son zèle l'a entraîné trop loin et lui a fait abandon- 
ner la discussion calme et modérée qui seule convient à la science. 


202 SIEBOLD. 


en dégénérant deviendront, soit un Cœnurus cerebralis, ou bien un 
Cysticercus pisiformis, un C. tenuicollis, ete. Sous les influences 
extérieures les mêmes formes se manifesteront toujours , et, par 
conséquent, on peut avec raison comparer ces variétés à formes 
bien arrêtées et constantes, aux variétés appelées races chez les 
animaux domestiques. 


CHAPITRE V. 


DES MALADIES PRODUITES PAR LES VERS VÉSICULAIRES ET DU TRAITEMENT DE CES AFFECTIONS. 


Dans ce chapitre, dont il suffira de donner ici un extrait, l’au- 
teur s'occupe d’abord du Cœnurus cerebralis, et préconise l'opéra- 
tion du trépan pour l'extraction de ce Ver, qui est assez commun 
chez les bêtes bovines du sud de l'Allemagne , particulièrement en 
Bohême , mais très rare dans le nord de l'Allemagne. I a com- 
paré avec soin des Cænures extraits ainsi de la tête de Bœufs âgés 
de deux ou trois ans avec ceux trouvés chez les Moutons, et n’y à 
aperçu aucune différence spécifique : seulement leur vessie était 
d’une grosseur remarquable. Du reste, l’auteur insiste surtout sur 
l'emploi de moyens préventifs fondés sur la connaissance acquise 
à l’aide de ses expériences au sujet de l’origine de ces parasites. 
Ce sont, dit-il, les œufs du T'œnia serrata du Chien qui donnent 
naissance aux embryons dont proviennent les Cœnures, et, par 
conséquent, il faut chercher à empêcher les migrations de la 
progéniture du T'. serrata. 

Des expériences faites par le docteur Haubner, professeur à l’École 
vétérinaire de Dresde, semblent prouver que telle est, en effet, l’ori- 
gine du Cœnure du Mouton. Le 7 janvier, il mêla aux aliments de 
plusieurs Agneaux des articles mûrs du Tænia du Chien renfermant 
des œufs, et le 20, tous ces animaux ont manifesté les symptômes 
du tournis , tandis que les autres Agneaux, placés dans la même 
bergerie, sont restés en bonne santé: Huit jours après on tua un de 
ces Agneaux malades, et M. Haubner trouva dans le cerveau un 
grand nombre de Vers vésiculaires ; tout le corps de l'animal était 
comme farci deces jeunes Tænias enkystés : on en trouvait dans le 
cœur, dans les poumons, dans les muscles , etc. Chez les Agneaux 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 203 


dont l’autopsie fut faite plus tard , le nombre des Vers vésiculaires 
existant dans le cérveau était moins considérable, mais leur volume 
s’élait accru. Quatorze jours après l'invasion de la maladie, on pou- 
vait distinguer sur plusieurs de ces vessies un point obseur, qui 
semblait être le premier rudiment d’une tête; enfin, au bout de 
quatre semaines, toutes les vessies renfermaient des têtes déjà 
pourvues de suçoirs , et avec leur couronne de crochets en voie de 
formation (1). 

A l'appui de ses vues touchant l’origine des Cænures , l'auteur 
ajoute encore que le professeur Leuckart de Giessen est parvenu à 
déterminer le développement du Cysticercus fasciolaris dans le foie 
de la Souris , en faisant manger par ce pelit Rongeur des articles 
mûrs du Tœnia crassicollis du Chat. 

Il considère done le Chien de berger comme étant d'ordinaire la 
source des parasites dont la présence dans le cerveau du Mouton 
détermine le tournis : ce seraient les œufs formés par le Tœnia 
serrata dans l'intestin du premier qui donneraient naissance aux 
Vers qui, parvenus dans l'organisme du Mouton avec les aliments, 
se développeraient en Cænures ; et l’auteur fait remarquer qu’eflec- 
tivement le Cœnure est extrèmement rare chez les Moutons qu’on 
élève à l’étable, et qui n’ont pas de Chien pour voisin. Il conseille 
done aux agriculteurs , s'ils ne veulent pas se passer du concours 
du Chien pour la garde de leurs troupeaux, de surveiller au moins 
avec beaucoup de soin l’état des voies digestives de cet animal , et 
de l’éloigner pour peu qu'il soit infecté de Tænias. 

L'auteur s'occupe ensuite des circonstances qui peuvent amener 
le développement du Tæœnia solium chez l'homme. Ce Ver y 
pénètre probablement à l'état de scolex , et l'usage de la chair de 
Cochon, qui est si souvent infestée de Cysticerques, peut l’amener, 
surtout lorsque cette viande n’a pas été cuite, à une température 
élevée , mais seulement salée ou fumée, comme cela se pratique 
pour la préparation de certains saucissons. IL paraît, d’après le 
rapport des médecins de Vienne, que les personnes employées 
dans les boucheries et les cuisines sont très souvent affectées 

(1) Une courte note à ce sujet a été insérée dans le Journal agronomique de 
Hamm, 1854, n° 10, p. 167. 


204 SIEBOLD. 

du Tænia (4). Cette hypothèse expliquerait aussi pourquoi en Abys- 
sinie, où l’on mange beaucoup de chair crue, Je Tænia de l’homme 
est plus commun que partout ailleurs. Un élève de l’auteur , le doc- 
teur Bilhartz, lui a écrit dernièrement du Caire que les Abyssins se 
croient dans un état anormal quand ils n’évacuent pas des articles 
de Tænias, et qu'ils ne vendent jamais un esclave sans lui donner 
un paquet de Cousso comme vermifuge. Le docteur Reinlien, de 
Vienne, a remarqué aussi que les chartreux, qui ne mangent jamais 
ni chair ni Jait, mais se nourrissent principalement de poisson , 
ne souffrent jamais du Tænia (2). 

Le docteur Schleisner (3) nous apprend qu’en Islande une affec- 
tion hydatique du foie règne d’une manière endémique et dépend 
de la présence de Vers vésiculaires, non-seulement dans le foie, 
mais dans d’autres viscères abdominaux et jusque dans la peau. 
M. le professeur Eschricht a envoyé à l’auteur de nouveaux détails 
à ce sujet, et des dessins du parasite qui ne parait être autre chose 
que le Cysticerque provenant du Tœnia serrata. La sixième partie 
de la population de l'Islande est affectée de cette maladie vermi- 
neuse, qui souvent détermine la mort après des souffrances lon- 
gues et cruelles. Or, on sait que les Islandais élèvent un grand 
nombre de Bœufs et de Moutons, et que les Chiens leur rendent de 
grands services dans cette industrie agricole ; l'auteur est donc porté 
à croire que ce sont les Tænias du Chien qui leur communiquent 
ces parasites. 

Enfin l’auteur termine en remarquant qu'aujourd'hui l'on ne peut 
plus traiter de conte absurde ce que divers médecins ont dit relati- 
vement à des malades qui, assujettis par régime à faxre usage de 
chair crue, avaient gagné le Ver solitaire, parasite qui est très rare 
à Saint-Pétersbourg, où des cas de ce genre avaient été observés. 
Il pense aussi que l'apparition de ce Tænia , dans des contrées où 


(1) Wawruch, Praktische Monographie der Bandwurmkrankheit., 1844, 
p.197. 

(2) Bemerkungen über den Ursprung, die Entwickelung, die Ursachen , 
Symptome und Heilart des breiten Bandwurmes in den Gedärmen der Menschen. 
Vienne, 1855, p. 25. 

(3) Forsüg til en Nosographie of Island. Copenhague, 1849. 


SUR LA.PRODUCTION DES HELMINTHES. 205 


iln’existait pas jadis, peut être déterminée par des modifications dans 
le régime agricole ou économique d’un pays. Ainsi jadis le Botryo- 
cephalus latus , qui est très commun dans la Russie, la Pologne et 
la Suisse, et qui ne se montre jamais à l’état de scolex dans nos 
animaux de boucherie, était la seule espèce de Tænioïde qui atta- 
quait l’homme dans ces contrées; mais aujourd’hui on y rencontre 
quelquefois le Tæœnia solium , et à ce sujet Hubner rapporte une 
observation faite par le docteur Baumert pendant son séjour à Neu- 
chatel : dans cette partie de la Suisse les Cysticerques sont, pour 
ainsi dire, inconnus chez le Pore, tandis que tous les Cochons de 
France sont infectés de ces parasites. Le Tænia solium à donc pu 
y être importé à l’état de Cysticerque. Ces faits, et les découvertes 
récentes relatives au mode de propagation des Helminthes , méri- 
tent donc de fixer sérieusement l’attention des médecins aussi bien 
que des zoologistes. 


EXPLICATION .DES FIGURES. 


PLANCHE 9. 


Fig. 4. Un sac cercarigère pourvu d’un canal digestif allongé (longueur 2 lignes). 
C'est une nourrice de Cercariu ephemera, et ces êtres vivent sur le Planorbis 
corneus. — a, cavité buccale. — b, canal intestinal. — c, une Cercaire éphé- 
mère déjà développée dans son intérieur, — d, corps germinatifs qui ne sont 
pas encore devenus des Cercaires. 

Fig. 2. Nourrice du Cercariu armata. Ce sac cercarigère, pourvu d'un canal 
digeslif très court, se distingue par la présence ce deux appendices latéraux 
obtus placés à son extrémité abdominale. Trouvé sur le Limneus stagnalis. 

Fig. 3. Nourrice du Cercaria sagiltifera provenant de l'Helix pomatia. Ce sac 
cercarigère, Lout à fait simple et cylindrique, est dépourvu d'un appareil 
digestif. 

Fig. #4 à 10. Diverses phases du développement du Cercaria ephemera, repré- 
sentés d'après des individus trouvés dans le sac cercarigère déjà figuré (n° 4). 
— 4, un corps germinatif. — 5, un corps germinatif dont l'extrémité posté- 
rieure est devenue plus effilée. — 6, un corps germinatif dont l'extrémité est 
allongée en forme de queue, — 7, un corps germinatif ayant déjà la forme 
d'un Cercaire avec deux taches pigmentaires noires à son extrémité antérieure. 
— 8, individu plus développé : a, ouverture buccale; c, d, organes urinaires ; 
e, queue; f, taches pigmentaires. — 9, Cercaria ephemera complétement dé- 
développé (2 millim. de long) : a, cavité buccale ; b, canal intestinal; c, d, or- 
gane urinaire rempli d'une matière granuleuse: e, queue; f, trois taches 


206 SIEBOLD. 


pigmentaires. La tache médiane ne paraît que dans cette période du dévelop- 
pement. La forme générale de l'animal correspond à celle d'un Monostome.— 
10, quatre Cercaires tirés du Planorbis nitidus (d'après Filippi). Leur appareil 
postérieur de succion composé de deux ventouses, dont lune renfermée dans 
l'autre est vue dans divers états d'extension et de contraction. Abstraction 

- faite de la queue, ce Cercaire ressemble tout à fait à un Diplodiscus. 

Fig. 44. Un embryon de Monostomum mutabile au moment de sa sortie de l'œuf. 
(Op. cit., Arch. de Wiegmann, 1835, 1, p. 69.)— a, l'appareil de succion.— 

b, double tache pigmentaire. — c, sac germinatif. 

Fig. 12. Le sac germinatif du précédent devenu libre à la mort de cet embryon 
infusoriforme.— b, le même vu de côté. — Par son aspect extérieur, ce corps 
rappelle le sac germinatif du Cercaria armata représenté figure 2. 

Fig. 13. Cercaria ephemera enkysté. — a, ventouse buccale. — b, c, d, organe 
urinaire. 

Fig. 14. Extrémité abdominale d'un Cercaria ephemera, chez lequel l'organe uri- 
naire se trouve ouvert postérieurement par suile de la chute de la queue. — 
g, lieu par lequel l'urine grumeleuse est expulsée. Avant de connaître la 
véritable nature de cet organe, je prenais les granules urinaires pour des 
œufs, et l'excrétion de celte matière pour une ponte. 

Fig. 15. 4, Cercaria armala vu en dessous. — a , la ventouse buccale ( l'épine 
frontale se voit par transparence). — b, la ventouse abdominale. — c, l'appa- 
reil digestif, — d, l'organe urinaire.— h, la queue qui est implantée dans une 
dépression où débouche l'organe urinaire. — B , le même individu vu de côté 
(le canal intestinal n'a pas été représenté ). — C, épine frontale du Cercaria 
armata vue en dessus et beaucoup grossie. 

Fig. 16, Cercaria armata enkysté. — a, la ventouse buccale, — b, la ventouse 
abdominale, — c, le canal digestif.— d, l'organe urinaire rempli d'urine gra 
nuleuse, — e, l'épine frontale détachée et se trouvant libre dans la cavité de 
kyste. — f, ouverture de l'appareil urinaire devenue visible après la chute de 
la queue. — g, kyste contenant le Cercaire acaude qui a déjà acquis la forme 
d'un Distome, mais n'est pas encore à l'état sexué. 

Fig. 47. À, portion des intestins d'une Taupe dont la tunique péritonéale porte 
plusieurs kystes aplatis renfermant un petit Ascaris incisa. ** Ces mêmes 
kysies vus de champ. — B, un de ces kystes pédonculés fortement grossi 
pour mieux montrer le Ver non sexué qui s'y trouve. Cette espèce appartient 
au groupe des Ascarides, dont l'intestin offre en avant et en baut un appendice 
cæcal, 

Fig, 48. a, embryon d'un Tænia (Tænia crateriformis). Les six petits crochets 
dont ce Ver est armé sont de trois formes, — b, un des crochets de la paire 
supérieure beaucoup grossi. — ç, un des crochets moyens. — d, un des cro- 
chets de la paire supérieure. 

Fig. 19. Les diverses formes d'un Zétrarhynque (ou, pour parler plus exacte- 
ment, d'un Rhynchobothrium pendant son développement ) représentées d'une 


SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 207 


manière schématique ( d'après Van Beneden ). L'embryon, par ce développe- 
ment du scolex dans son intérieur, se transforme en un réceptacle (recepta- 
culum scolicis) qui, à mesure de l'accroissement du scolex, augmente de volume 
ainsi que le kyste dans lequel il est renfermé. — 4, Embryon enkysté, — 
B, Embrvon enkysté renfermant un bourgeon dans son intérieur, et devenant 
ainsi un réceptacle. — C, période plus avancée du développement d'un bour- 
geon qui est destiné à devenir le scolex, — D, l'extrémité céphalique du 
Tetrarhyncus pictor commence à devenir visible dans l'intérieur du bourgeon ; 
on commence à y distinguer les ventouses. — E, l'extrémité céphalique se 
dessine plus nettement. — F, le col de l'extrémité céphalique commence à se 
montrer.— G, le col s'est allongé, et les quatre trompes à crochets se voient. 
— H, le col, en se développant davantage, s’est replié dans l'espace étroit où 
le scolex s'est formé. — 7, le scolex, en se renversant au dehors, commence 
à sortir de son réceptacle. — J, le scolex sorti et, en K, séparé de son réceptacle. 
C'est dans cet état que lesscolex de Rhynchobothrium ont été décrits sous divers 
noms spécifiques, comme formant le genre Tétrarhynque. — * Le scolex. — 
** Le réceptacle. —*** Le kyste. Pour le développement ultime du Tétra- 
rhynque en Rhynchobothrium, voyez la figure 23. 


Fig. 20. Un scolex de Tænia renfermé dans son réceptacle, et provenant de 


l’Arion empiricorum. 


Fig. 21. Le même sorti de son réceptacle.— a, la tête du scolex.— b, le récep- 


tacle. —c, les deux petits crochets de l'embryon. 


Fig. 22. Articles du Tænia solium parvenus à la maturité sexuelle et isolés , 


représentés dans divers états de contraction et d'extension ( d’après Coulet ). 
Chaque article constitue un Progluttis, ou individu sexué de cette espèce de 
Tænia. — * Orilice génital (grandeur naturelle). 


PLANCHE à. 


Fig. 23. Représentation théorique de la transformation d'un Tetrarhynque en 


Rhynchobothrium (d'après M. Van Beneden, faisant suite au n° 49). — À, un 
scolex dont l'extrémité abdominale croît et s'allonge. — B, le même plus dé- 
veloppé et offrant des lignes transversales, qui sont les rudiments des articles 
futurs. —€C, le même dont l'abdomen est nettement articulé en arrière, c'est- 
à-dire pourvu de proglottis. Ici la transformation est, par conséquent, achevée. 
— a, une des ventouses. — b, portion saillante des quatre trompes à crochets. 
— 6, portion moyenne des sacs ou gaines de ces trompes. — d, portion infé- 
rieure des mêmes sacs. — e, abdomen non articulé, —e *, portion de l’abdo- 
men qui est ridé transversalement, — e **, portion de l'abdomen qui est arti- 
culée, et qui constitue une série de proglottis, 


Fig. 24. Cysticercus cellulosæ extrait du cerveau de l'Homme, représenté de gran- 


deur naturelle, avec la portion antérieure de son corps rétracté. — b, la partie 
antérieure et rentrée du Cysticerque renfermant le scolex développé dans son 
intérieur, 


9208 SIEBOLD. — SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 


Fig. 25. Le même avec la portion antérieure de son corps renversée au dehors. 
u, la vessie caudale, qui n’est autre chose que le réceptacle du scolex distendu 
par une accumulation de liquide. — c, extrémité antérieure et ridée du corps 
du Cysticerque — d, tête et col du Cysticerque constituant le scolex du Tænia. 

Fig. 26. Scolex de Tœnia habitant les larves de Ténébrion, logé dans son récep- 
tacle. — a, tête du scolex. — b, réceptacle. — c, appendice caudal du récep- 
tacle portant les six crochets de l'embryon. 

Fig. 27 et 28. Deux Cysticerques du tissu cellulaire extraits d'un cerveau 
d'Homme, de grandeur naturelle. Des étranglements de la vessie caudale y 
ont donné des formes tres irrégulières. 

Fig. 29. Colonie de scolex du Cœnurus cerebralis portée sur une portion de la 
vessie mère, extraite du cerveau d'un Mouton, et vue par sa face interne. 
— Chaque corpuscule arrondi correspond à un scolex , qui se développe dans 
son intérieur par bouture interne. — a, un scolex développé et renversé en 
dedans.— b, scolex incomplétement développé et rentré en dedans.— c, divers 
scolex à la première période de leur développement. 

Fig. 30. Portion d'une vessie mère de la même espèce provenant du cerveau 
d'un Veau, et vu par sa face externe ; les scolex sont renversés en dehors. 
Fig. 31. Un des scolex de la vessie précédente renversé au dehors, et libre 
(grossi), — a, la double couronne de crochets dont l'extrémité céphalique est 
garnie. — b, un des suçoirs de la tête. — c, lambeaux de la vessie mère 

déchirés. 

Fig. 32. La tête du même vue en dessus, et portant au milieu la double couronne 
de crochets entourée des quatre suçoirs. 

Fig. 32. Crochets du même isolés et grossis davantage, — a , un grand crochet 
à la couronne supérieure vu en dessous. — b, le même vu de côté —c, un 
pelit crochet de la couronne inférieure. — d, e, crochets mous et imparfaite- 
ment développés provenant d'un jeune scolex (fig 29, c). 

Fig. 34. Divers Tænias provenant du ecolex du Cœnurus cerebralis élevés dans 
l'intestin d'un Chien. — 4, scolex long de 4 3/4 de ligne, vu de côté; son 
corps est lisse, allongé.— 3, le même, vu en dessus, — €, scolex de 3 lignes 
de long; les articles commencent à se former à la partie postérieure de son 
corps. — D, un scolex plus avancé dans son développement, et dont les 
proglottis sont déjà bien formés. — * Cicatrice correspondant au point d'in- 
sertion du scolex sur la vessie mère. 

Fig. 35. Un Tœnia serrata long de plusieurs pouces, provenant d'un scolex 
de Cœnurus cerebralis élevé dans l'intestin d'un Chien (grandeur naturelle ). 
Les articles de la partie postérieure du corps sont des proglottis à organes 
générateurs parfaits. Le dernier article porte encore la cicatrice (*), dont la 
présence indique qu'aucun proglottis ne s'est encore détaché de ce Tænia. 


RECHERCHES 


SUR 


L'INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


SUR LA 


PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE PAR LES ANIMAUX, 
Par M. J. MOLESCHOUT, de Heïdelberg (1). 
$ Ir. 


Pour mesurer la quantité d’acide carbonique exhalée par des Grenouilles 
(Rana esculenta), j'ai enfermé les animaux dans un verre de la conte- 
nance d’un litre environ, traversé par un courant d'air qui était privé 
d’acide carbonique, ayant passé par un appareil de Woulf à moitié rempli 
d’une solution de potasse. Le courant d'air était produit à l’aide de l’aspi- 
rateur de M. Brunner, et, dans le réservoir des Grenouilles, il allait de 
bas en haut, parce que le tube qui conduisait l'air du verre à potasse dans 
le vase des Grenouilles touchait au fond de celui-ci; tandis que le tube par 
lequel l’air devait sortir se terminait {out près du liége par lequel le verre 
était bouché. Ce dernier tube fut mis en communication avec un appareil 
de Woulf contenant de l'acide sulfurique concentré, et prolongé par un 
tube à chlorure de chaux. Après avoir traversé ces substances desséchantes, 
Pair entrait dans un appareil de M. Liebig, renfermant la solution de 
potasse destinée à recueillir l’acide carbonique. L'appareil de M. Liebig 
était uni à un tube rempli de morceaux de potasse sèche et celui-ei à 
l'aspirateur. L'aspirateur renfermait de l'huile, dontje faisais écouler 2ht,5 
par heure. L’air traversait donc, l’un après l’autre, une solution de potasse, 
le flacon contenant les Grenouilles, l'acide sulfurique et le tube à chlorure 
de chaux, puis l'appareil de M. Liebig et le tube à potasse sèche, de manière 
que l'air sec qui entrait dans l'appareil de M. Liebig n’y déposait rien que 
l'acide carbonique produit par les Grenouilles, tandis que la vapeur d’eau 
que l’air emportait était retenue par les morceaux de potasse sèche sépa- 


(4) Ces expériences ont été publiées dans le Wiener medizinische Wochen- 
schrift, n° 43, 27 oct. 1855 ; quelques extraits en ont été insérés aussi dans le 
Compte rendu des séances de l'Académie, 1. LXT, p. 263, 456 et 961. 


4° série, Zooc. T. IV, (Cahier n° 4.) 2 14 


210 3. MOLESCHOTT. — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


rant l'appareil de M. Liebig de l’aspirateur de M. Brumer. En pesant les 
deux derniers appareils à potasse, avant et après l’expérience, je trouvais la 
quantité d'acide carbonique produite dans une heure , durée de chaque 
expérience, par un poids connu de Grenouilles. Pour réduire l’acide car- 
bonique aux mêmes unités de poids et de temps, j'ai calculé combien 
d’acide carbonique serait exhalé par 100 grammes de Grenouilles en vingt- 
quatre heures. Les bouchons nécessaires pour ajuster les tubes au flacon 
et à l'aspirateur étaient garnis d’un lut, préparé avec deux parties de colo- 
phane et une partie de cire jaune. La jonction des tubes de verre entre 
eux était facile au moyen de tube de caoutchouc vulcanisé. 

Le nombre des Grenouilles enfermées varia de deux à quatre. 

L'étude de l’action de la lumière fut d’abord faite par des jours sereins. 
On fit deux parts des Grenouilles, dont l’une fut gardée en pleine lumière, 
l’autre dans l'obscurité. Lorsque les individus de la dernière catégorie 
respiraient dans le flacon , ce dernier était entouré d’un écran de carton 
gris, qui, en prévenant l'entrée de la lumière dans leflacon, réglait si bien 
la température, que celle-ci ne différait que fort peu pour les expériences 
faites à la clarté ou dans l'obscurité. La température fut mesurée par un 
thermomètre qui perçait le bouchon fermant le réservoir des Grenouilles. 
Dansles expériences comparées à celles-ci, les Grenouilles étaient soumises 
à la lumière du jour réfléchie, et non à la lumière directe du soleil, 
qu’elles ne sauraient supporter sans succomber avec les symptômes d’une 
inflammation de la peau très violente. 

Le tableau suivant donne les nombres obtenus pour des individus divers 
qui, dans les expériences comparées entre elles , étaient du même sexe, à 
peu près de même grandeur , pris le même jour et gardés sous des condi« 
lions égales, sauf l’action de la lumière et de la température. 


SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 


TABLE I. 


211 


EXPÉRIENCES À LA LUMIÈRE. 


Milli- © 


, pendant 
Nombre lesquels Nomb SAME 
Û - | lu moitié ombre acide 
e l'expé- des gre- Tam de mouve- carbonique 
A nouilles ments produits 
rence nleue gardée| pérature, Pr EN par {u gr. 
dé ï | 
l'obseu- par minute,| grenouilles 


rile, 


en 
24 heures. 


1 0 852 
2 1 22,00 489 
3 1 22,00 721 
4 1 23,50 TI4 
5 2 | 49,50 784 
6 2 | 28,00 713 
7 3 | 21,50 602 
8 4 | 22,00 604 
9 5 | 30,00 765 
6 | 23,00 670 
7 | 29,50 688 
7 | 27,00 335 
7 | 28,75 338 
8 | 18,50 603 
8 | 47,75 522 
9 | 24,00 643 
CON AEE 


729 
738 
550 


659 


Valeurs moyenn.| 22,93 


EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ. 


FE 
Milli- 
grammes 
d'acide 
carbonique 
produits 
par 400 gr. 
de 


Nombre 
de mouve- 
ments 
respira- 
toires 
par minute, 


Tem- 


pérature, 
grenouilles 


en 
24 beures, 


478 
745 
641 


20,75 
20,00 
18,50 
20,50 
21,25 
17,00 
23,25 


20,00 


D’après les nombres moyens obtenus de trente-quatre séries d’expé- 


912 J. MOLESCHOTT. — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


riences, la valeur de l’acide carbonique produit dans l’obscurité est à celle 
de l'acide carbonique exhalé à la lumière comme 


522 : 664 —1 : 1,25; 


landis que la température dans le verre était plus grande de 2°,93 à la 
clarté que dans l’obscurité. La différence des valeurs de l’acide carbonique 
ne peut être expliquée par la différence des températures, puisque 
M. Vierordt a prouvé que, pour l'Homme, la quantité d’acide carbonique 
expirée diminue lorsque la température augmente. 

Par des journées très claires , j'ai donc trouvé un quart d'acide car- 
bonique de plus sous l’action de la lumière que dans les ténèbres. 
Mais il en était autrement par un temps pluvieux, ou même si le ciel était 
couvert de nuages. Le deuxième tableau présente les nombres que j’ai 
obtenus sous ces dernières conditions. 


TABLE II. 
Nombre EXPÉRIENCES AU CLAIR. EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ. 
de _ nn CR UE 
Et ST me TE Milii- 
Nos Requele grammes grammes 
Go Rp |Hé nié bi acfantAlcacbértts = nfaomuse: (Gt 
: de dura | ments produits DénREse ments produits 
rieuce. | airdée te) | respira- [pur 100 gr. tres respira- |par 100 gr. 
Rte | toires de. loires e 
lobe par minute. | grenouilles par minule. | grenouilles 
rités 24 Has 24 es 
1 1 17,75 124 591 21,25 116 413 
2 4 1 19,00 141 376 19,50 122 163 
3 2 19,00 138 536 19,00 432 | 470 
k 3% 18,00 128 557 16,59 410 501 
5 3 17,00 140 460 17,00 112 495 
6 3 17,50 116 520 19,50 130 201 
7 4 18,50 124 588 19,50 118 499 
8 5] 19,00 154 126 19,00 110 583 
9 5 18,75 131 532 19,25 124 715 
10 6 18,50 136 346 18,50 132 525 
11 6 17,50 136 330 17,50 108 358 
12 1% 17,85 12h 591 24,25 116 413 
13 1% 17,50 125 409 | 23,50 127 156 
1% 34 16,75 167 549 17,00 124 420 
15 10 | 17,00 157 637 17,25 141 677 
16 L3 20,25 133 720 21,50 78 570 
17 47 | 20,50 134 603 20,00 ! 130 655 
18 £9, ,| 48,50 | 146 654% 19,00 126 652 
| | 
Valeurs moyenn. | 18,26 136 512 19,22 120 204 


ee 


SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 213 


En comparant les nombres moyens pour l'acide carbonique (512 et 
504 milligrammes), on trouve que, par un ciel obscur, l’action de la 
lumière diffuse du jour n’est pas assez forte pour augmenter l'acide car- 
bonique produit par des Grenouilles. 


$ II. 


Après avoir reconnu que l'augmentation de l'acide carbonique exhalé 
par les Grenouilles, produite sous l'influence de la lumière par un temps 
serein, ne se montre pas sous un ciel pluvieux ou couvert de nuages, j'ai 
cherché à mesurer l'intensité de la lumière propre à exercer cette influence 
sur la respiration des animaux. J’ai observé, pour cet effet, le degré de la 
décomposition du nitrate d'argent , en exposant à la lumière un papier 
épais non collé, imbibé d’abord pendant trois minutes d’ammoniaque 
caustique, puis séché entre des feuilles de papier joseph pendant une 
minute et demie, ensuite imbibé d’une solution ammoniacale concentrée 
de nitrate d'argent. Les bandelettes de ce papier photométrique étaient gar- 
dées pendant une demi-heure dans une boîte fermée, et vers le milieu de 
l'expérience respiratoire , elles restaient exposées à la lumière, devant le 
flacon des Grenouilles, pendant cinq minutes. M. Schall, peintre à Berlin, 
a eu la bonté de me munir d’une échelle de vingt teintes comparables à 
celles du papiér dont le nitrate d'argent était décomposé. Le degré TI de 
cette échelle correspond à Ja teinte la plus faible, le degré XX au noir le 
plus foncé obtenu par le papier photométrique. 

Je possède en tout une série de quatre-vingt-quatorze expériences faites 
sur des Grenouilles intactes , pendant que l'intensité de la lumière était 
mesurée. Les nombres trouvés sont consignés dans deux tables, dont l’une 
contient toutes les expériences pour lesquelles le degré de la lumière ne 
surpassait pas le numéro V de l'échelle ; l’autre table donne les nombres 
trouvés sous une intensité de la lumière plus grande jusqu’au numéro XX. 
(Voir tables IIT et IV.) 


AA 3, MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


TABLE III. 


Milli- 
grammes 
Nos | Chiffre Nombre |*aacide || Nos | Chifire 
in- car- iu- 
de diquant | Tempéra- 
Li 


Nombre 
mouve= 


ete bonique de |diquant | Tempéra- 
'in- | pour l'in- 

l'expé- | tensité ture, trie 400 gx. || l’expé- | tensité ture, 
de la par de gre- de la 


minute, 


monve- 
ments 
respira- 


toires, 


rience, | lumière nouilles || rience, [lumière 


en 
24 heures 


382 


ALL LES LA A A A A 


——— 


Valeur 9 
Mon 3,27 


SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 213 


me: 


de l'expérience, 


me 


Chiffre 
indiquant l'intensité 


de la lumière, 


VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VI 
VII 
VIT 
VII 
VII 
VII 
VII 
VII 


TABLE IV. 


Température, 


Nombre 
des mouvements 
respiratoires 


par minute, 


Milligrommes 
d'acide 
carhonique 


pour 100 grummes 


de grenouilles 


en 
24 heures, 


216 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


D’après ces tables , la quantité d’acide carbonique produite sous un 
faible degré de lumière (3,27 en moyenne) est à celle qui a été exhalée 
sous une intensité de lumière très forte (7,3S en moyenne) comme 


545 : 645—1 : 1,18. 


La valeur moyenne de la température a été plus grande de 4°,65, lorsque 
le papier photométrique a indiqué le plus haut degré. Or M. Vierordt a 
démontré que, pour le corps humain, la quantité d'acide carbonique expi- 
rée diminue, lorsque la température ambiante va en croissant. L’augmen- 
tation de l’acide carbonique correspondante à une forte aclion de la 
Jumière ne saurait donc être expliquée par l'influence de la chaleur (1). 


$ HI. 


Comme les expériences dont j’ai rendu compte jusqu'ici ont été faites 
toujours au moyen d'animaux différents, il a fallu avoir recours aux séries 
nombreuses pour dégager le produit de l’influence des individualités. 
Mais pour arriver avec plus de rigueur à la détermination de la valeur que 
nous cherchons, j’ai institué aussi des séries d’expériences, dans lesquelles 
les mêmes animaux respirent alternativement à la lumière et dans 
J’obseurité (tableaux V, VI et VIT). Entre chaque double expérience, il y a 
eu toujours une heure d'intervalle pour laisser reposer l'animal, Cette 
précaution était indispensable, car, lorsqu'on fait deux expériences de la 
même nature, soit dans la lumière, soit dans l’obscurité, on obtient à peu 
près régulièrement un peu moins d'acide carbonique dans la deuxième 
expérience que dans la première. Pour éviter des erreurs qui pourraient 
être produites par cette cause , ces expériences ont toujours été faites de 
jours alternants, de telle sorte que le premier jour l'animal respirait à la 
lumière , et le second dans l'obscurité. J’aflirme positivement que toutes 
ces expériences ont été failes comparativement, en obtenant les deux 
valeurs du même animal sous des conditions différentes. 

Le cinquième tableau se rapporte aux animaux conservés dans la 
lumière ; dans les tableaux VI et VIT, les animaux ont été, au contraire, 
gardés dans l’obscurité. 


(1) Je crois devoir faire remarquer ici que l'influence de la température sur le 
rendement du! travail respiratoire n'est pas la même pour les animaux à sang 
froid, et que chez ces derniers la production de l'acide carbonique est augmentée 
par l'élévation de la température entre certaines limites. Leraisonnement de l'au- 
teur n'est donc pas à l'abri de quelques objections, (R.) 


SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 217 


TABLE V. 


EXPÉRIENCES DANS LA LUMIÈRE. EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ, 
DR CS CU EL 

= Milli- Milli- 
fes Mouve- grummes Mouve- grammes 

; :_| Intensité d'acide d'acide 
a l'expé- Tempéia- | ments res- | carbonique | Tempéra- | ments res- |carbonique 

de lu pour 100 gr. 
lure, piraluires de 

lumière, grenouilles 
par minute, 3 par minute, 


rience, ture, piruloires 


24 heures. 
166 2 655 
144 2 403 
130 498 
170 2 À 458 
136 527 
159 ! 698 
136 ) pi) 524 
144 Ve 604 
140 5 ft TA 
143 567 
143 547 
140 579 
158 525 
140 565 
144 425 
403 


a 
© 
& © 


QE m3 =2 Or Ce «I Ge 
Suusous 
= 19 19 LO RO 19 19 


DOS Sé CC: 


543 


218 


Ne. 
le l'expé- 


rience, 


| 


© CO = En Où à € RO = 


J. MOLESCHOTT, -— INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


EXPÉRIENCES DANS LA LUMIÈRE, 
HR ne. 


Intensité 
de la 


lumière, 


TABLE VI. 


Tempéra- |ments respi- 


ture, 


ratoires 


par minute, 


Milli- 

grammes 
d'acide 

carbonique | Tempéra- 


Mouve- 


ments respi- 


raloires 


par minule, 


110 


EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ. 


Milli- 
grammes 
d'acide 
carbonique 


pour 100 gr. 
de 


SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 


4 
H 
[:] 
E 
£ 


TABLE VII. 


EXPÉRIENCES DANS LA LUMIÈRE. 


19,00 


Milli- 
ne Mouve- grammes 
, ; | Intensité d'acide 
e l'expé- Tempéra- |ments respi-| carbonique | Tempéra- 
: de la pour 400gr, 
ancre, ture, raloires de ture. 
lumière, grenouilles 
par minute, en 
24 henres. 
1 III 19,00 64 628 21,00 85 748 
2 I 22,00 120 540 20,00 120 560 
3 I 19,25 100 560 21,50 109 452 
4 II 20,50 104 509 20,75 109 498 
5 III 18,00 106 371 21,50 104 415 
6 I 18,00 105 395 20,50 106 40% 
7 II 21,00 101 440 20,50 107 492 
8 I 17,50 76 285 24,25 100 379 
9 I 16,25 87 368 15,00 7% 335 
10 I 20,50 98 382 20,00 82 311 


EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ. 


219 


Pour mieux saisir la valeur d’acide carbonique obtenu, j'ai disposé dans 
le tableau VIII les moyennes obtenues dans les trois derniers tableaux, 
c’est-à-dire les moyennes dans la lumière et dans l'obscurité, en y ajoutant 
les moyennes du degré de la lumière, 


TABLE VIII. 


a dé 


Chiffre 
indiquant l'intensité 
de la lumière, 


Acide ca: Lonique 
daus 


le lumière. 


592 
679 
447 


Acide carbonique 
dans 


l'obseurilé, 


——— 


543 
596 
159 


Rapports 
de l'acide carbonique 
dans l'obscurité 
avec l'acide carbonique 
dans la lumière. 


: 4,09 
: AU£ 
Lg Li à 


On ne peut manquer d’apercevoir une différence considérable entre le 
produit de l’acide carbonique dans la lumière et dans l’obscurité, comparé 
à celui qui a été fourni dans le premier tableau. Les expériences rappor- 
tées dans ce premier tableau ont toutes été faites aux jours dans lesquels 
il y avait du soleil. Quand on compare les produits dans le tableau VIII 


220 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


avec ceux trouvés dans les tableaux TITI et IV, dans lesquels selon que l’in- 
tensité de la lumière augmente dans le rapport 3,27 à 7,38, le produit 
acide carbonique s’élève de 545 à 645, c'est-à-dire comme 1 est à 1,18. 
On voit donc, autant qu’on doit attendre d'expériences de cette nature, que 
l'acide carbonique exhalé augmente dans le même rapport que l’intensité 
de la lumière se prononce. La troisième ligne du tableau VIII nous apprend 
que, sous une intensité de lumière médiocre de 4,7 seulement, il n'ya 
pas eu d’augmentation de la valeur de l’acide carbonique par l'influence 
de cette lumière faible, ce qui contribue encore à confirmer le fait fourni 
par le deuxième tableau, qu'un éclairage faible dans des jours sombres 
n'augmente pas le produit de l’acide carbonique exhalé. 


& IV. 


Ayant trouvé que l’action de la lumière fait augmenter la quantité d’acide 
carbonique exhalé par les Grenouilles, j'ai voulu examiner si cette influence 
s'exerce par l'intermédiaire des yeux ou par celui de la peau, ou bien par 
tous les deux. J'ai comparé, pour cet effet, des Grenouilles aveugles à 
des animaux inlacts, ayant été attrapés le même jour les uns et les autres. 
Pour aveugler la moitié de ces Grenouilles, j'ai cautérisé les yeux avec une 
solution très forte de nitrate d'argent, et cette opération a été suivie d’une 
inflammation de l'œil, qui se terminait par une cicatrisation si parfaite, 
que la peau, en couvrant l'orbite, ne laissait aucune trace de l'œil perdu. 
Les Grenouilles aveugles et celles qui étaient intactes étaient du même 
sexe, et elles furent gardées dans une identité de circonstances parfaite. 
Les expériences respiratoires ne commencèrent que 197 jours après 
l'opération, de sorte que les animaux aveugles ne montraient aucun 
symptôme de maladie. 

La table IX donne les nombres obtenus dans quinze expériences. Ces 
nombres nous montrent que les degrés de lumière et de température étant 
égaux, la valeur moyenne de l'acide carbonique produit par les Grenouilles 
aveugles est à celle des animaux intacts dans le rapport de 490 à 564, ou 
de 1 à 1,14; d'où il résulte que l'œil prend part à l'influence que la 
lumière exerce sur l'augmentation de l’acide carbonique exhalé par des 
Grenouilles. 


SUR LA PRODUCTION DE L’ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 221 


Nos Nombre 


L'expé- | 1 cécité 
a été 


i A ‘ 
RS produite, 


Valeurs moy | 


TABLE IX. 


GRENOUILLES INTACTES. 


Chiffre 


leusité 
de la 


lumière. 


Tempé- 


rulure, 


21,00 
20,25 
20,25 
17,50 
17,00 
16,50 
18,50 
15,00 
16,50 
20,00 
20,50 
23,95 
23,25 
25,50 
24,00 


19,90 


ri 


Mouve- 
ments 
respi- 

raloires 

par 
mipule. 


114 


Milli- 
grammes 
d'acide 
car- 
bonique 
pour 
100 gr. 
de gre- 
nouilles 
en 
24 heures, 


858 
725 
520 
454 
693 
465 
662 
538 
346 
310 
682 
411 
713 
478 
509 


—— 


561 


GRENOUILLES AVEUGLÉES. 


Chiffre 
indiquant 
lin- 
tensité 
de la 


lumière, 


Tempé- 


ralure. 


Mouve- 
menls 
respi= 

ratoires 

par 


mioule. 


Milli- 
grommes 
d'acide 
car- 
bonique 
pour 
100 gr. 
de gre- 
nouilles 
en 
24 heures. 


558 
695 
491 
622 
285 
333 
457 
597 
462 
163 
495 


2922 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


TABLE X. 
GRENOUILLES AVEUGLÉES. 


DANS L'OBSCURITÉ. 
A — , 


A LA LUMIÈRE. 


de 
l'expé- 


rience, 


de | Chifre 
jours 
depuis [indiquant 
que 
la cécité 
a élé lensité 
produite, dela 


l'in- 


lumière. 


A. 
Nos Nombre 


Mouve- 
L ments 
Tempéra- respi- 
ture, ruloires 
par 


miuule, 


bouique 
pour 
100 gr. 
de gre- 
nouilles 


Mouve- 
ments 
respi- 
ratoires 
par 


mioute. 


Milli- 
grammes 
d'ucide 
car- 
bonique 
pour 
100 gr. 
de gre- 
nouilles 


en 
24 heures, 


—— 


VI | 1] 2 572 
VI 21 } 2 568 
VI 
VII 
VII 
VI 
VII 
VI 
VIIL 
VII 
IV 
267 VI 
268 VII 
268 V 
269 VI 
269 VI 
269 IV 
271 | VIII 
272 
273 
27% 
27% 
275 
275 
275 


276 


Valeurs moy. 


122 


—— 
1 


118 | 549 


En étudiant la respiration des Grenouilles aveugles placées à la lumière 
et dans l'obscurité, j'ai pu répondre à la question de savoir si la peau vient 
en aide aux yeux dans la transmission de l’action de la lumière sur la dé- 
composition de la matière animale. Le résultat est consigné dans la dixième 
table. 


SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 293 


Les nombres obtenus dans vingt-six expériences montrent que l’acide 
carbonique exhalé dans les ténèbres par les Grenouilles aveugles est à 
celui qu’elles ont produit à la lumière comme : 


469 : 542 = 100 : 115. 


L'action de la lumière , qui fait augmenter la production de l'acide 
carbonique , est donc transmise dans l'organisme tout aussi bien par la 
peau que par les organes de la vision. 

Comme je possède quarante et une expériences faites à la lumière sur 
des Grenouilles aveugles, je les ai divisées en deux tableaux , de manière 
que le onzième tableau renferme les degrés de la lumière au-dessus de VI, 
et le douzième ceux au-dessous de V. 

Les valeurs moyennes trouvées par le papier photométrique étant de 
4,64 à 6,74, celles de l'acide carbonique produit en vingt-quatre heures 
par 100 grammes de Grenouilles aveugles ont été comme 100 : 123 ; 
nous retrouvons ainsi pour les Grenouilles aveugles ce qui a été prouvé 
pour les Grenouilles intactes , savoir : qu'une plus grande production 
de l’acide carbonique correspond à une intensité plus forte de la lumière. 


TABLE XI. 


Nombre Milligrammes 
d'acide 
carbonique 
pour 100 grummes 
de grenouilles 
en 
24 heures, 


Chiffre 
Nos 


des mouvements 
indiquant l’intensilé Température. 
de l'expérience, respiratoires 
de la lumière, 


par minule, 


a 


III 17,50 71 


\ 

2 IV 19,25 95 
3 IV 27,80 118 
4 IV 22,00 114 
5 Y 22,00 141 


6 \! 20,00 im 


29 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE 


TABLE XII. 


Nombre Milligrammes 
Chiffre d'acide 
Ne, des mouvements carbonique 
indiquant l'intensité Température. pour 100 grammes 
de l'expérience. respiratoires de grenouilles 
de la lumière. en 
par minule. 24 heures. 
1 YI 16,00 95 587 | 
2 VI 17,50 88 462 
3 VI 19,25 "14 464 
4 VI 22,25 105 520 
5 VI 19,00 131 524 
6 VI 24,75 136 229 
7 VI 516 
8 VI 
9 VI 
10 VI 
A1 VI 
12 VI 
13 VI 
1% VI 
15 VII 
16 VII 
17 VIT 
18 VII 
19 VII 
20 VII 
24 VIII 
22 VIII 
23 VIII 
24 VIII 
25 VIII 
26 VIII 
27 VII 
Valeurs moy. 6,74 24,20 114 559 


— 
CONCLUSIONS CÉNÉRALES DE CE TRAVAIL. 


1° Les Grenouilles, pour les mêmes unités de poids et de temps, 
exhalent 4 jusqu’à ? d'acide carbonique de plus , lorsqu'elles respirent 
sous l'influence de la lumière que dans l'obscurité, tant que les degrés de 
température sont égaux ou ne diffèrent que peu. 

2° La production de l'acide carbonique s’accroît, en raison directe, avec 
l'intensité de la lumière à laquelle les animaux sont exposés. 

3° L'influence que la lumière exerce , en augmentant la quantité d’acide 
carbonique, est transmise en partie par les yeux, en partie par la peau. 


DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM 


CONSIDÉRÉ COMME 
UN DES ÉLÉMENTS NORMAUX DE LA SALIVE, 


Par M, LONGET, 


Ce Mémoire est extrait d’un travail plus étendu, qui a pour titre : 
Etudes expérimentales et critiques sur les divers liquides digestifs 
de l’économie animale, lravail dont l’auteur se propose de commu- 
niquer les principaux résultats à l'Académie, avant leur publication 
dans le second volume de son Traité de physiologie. 


L. Treviranus constata, le premier , que la salive peut prendre 
une teinte rouge quand on la traite par un persel de fer, et spéciale- 
ment par le perchlorure; d’où il conjectura que cette réaction 
devait tenir à la présence d’un corps que Winterl appelait acide 
sanguin, et qu’on reconnut plus tard pour être le même que l’acide 
prussique sulfuré de Porrett, ou ce qu’on nomme aujourd’hui acide 
sulfocyanhydrique. Tiedemann et Gmelin ont observé, depuis, 
qu'en distillant l'extrait alcoolique de la salive desséchée avec de 
l'acide phosphorique , on obtenait un liquide qui possède la même 
propriété : mélangé avec du sulfate de fer et du sulfate de cuivre , 
il produit un précipité blanc, et, après avoir été chauffé avec un 
mélange de chlorate de potasse et d’acide chlorhydrique, il donne 
lieu avecles sels de baryte à un précipité de sulfate. La conclusion 
de ces auteurs est que la salive renferme un sulfocyanure à base 
d’alcali. 

Depuis que ces expériences ont été faites, les auteurs qui ont 
examiné le point intéressant de l’histoire chimique de la salive, 
qui fait l'objet de ce Mémoire, sont arrivés à formuler les opinions 
les plus divergentes. 

$" série. Zooz. T. IV. (Cahier n° 4.) 15 


296 A. LONGET. 


D’après les uns, il faudrait nier, dans tous les cas et d’une 
manière absolue, la présence d’un pareil sel dans le fluide sali- 
vaire; suivant d’autres, sa formation résulterait soit d’une alté- 
ration spontanée de ce fluide, soit des manipulations chimiques 
elles-mêmes ; pour quelques autres, enfin, son apparition serait 
purement éventuelle, et dépendrait d’un état particulier du système 
nerveux : c’est ainsi, par exemple, qu’à la suite d’impressions 
vives et pénibles, on aurait trouvé ce produit en abondance dans des 
salives qui auparavant n’en avaient, dit-on, décelé aucune trace. 

Rappellerai-je, en passant, que ce sel étant réputé toxique à 
certaine dose, et ayant été aussi trouvé dans la salive du chien, on 
en est bientôt venu à supposer que l’exagération de sa production 
expliquerait les propriétés malfaisantes de certaines salives, et, en 
particulier , la transmission de la rage par l’inoculation du liquide 
salivaire des animaux atteints de celte maladie ; qu’ainsi le principe 
actif du virus rabique pourrait bien n'être autre chose qu’un sulfo- 
cyanure ? Hypothèse qu'aucune expérience probante ne justifie, et 
qui, d’ailleurs, est en complète opposition avec les idées admises 
aujourd'hui sur les virus en général. 


IT. Au milieu de toutes ces incertitudes et de tant d'opinions 
contradictoires, je me suis appliqué, avec quelque persévérance, à 
vérifier la réaction signalée par Treviranus, réaction à laquelle il 
me répugnait tout d’abord de donner la signilication qu’on à vu 
Tiedemann et Gmelin lui accorder, après avoir eu recours , il est 
vrai, à d’autres caractères chimiques que celui de la simple colo- 
ration. Aujourd’hui, me fondant sur le résultat général d’un grand 
nombre d'expériences variées de bien des manières , je n’hésite 
point à émettre, comme conséquence de mes propres observations, 
l’assertion suivante : 

Le sulfocyanure de potassium, qui, d'après Fopinion la plus 
généralement admise, n’existerait pas dans la salive de l’homme, 
mais s’y développerait sous certaines influences fortuites, ou même 
dent l'apparition serait liée à un état pathologique, doit, au con- 
traire , ére considéré comme un des principes normauæ, constants 
et caractéristiques de ce fluide. 


DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 9297 


‘A l'appui de cette assertion, contraire aux opinions les plus 
récéntes, j'exposerai sommairement més éxpériencés en traçant 
d’abord quelques règles qui me semblent indispensables à 6bser- 
vér, quand il s’agit de rechercher ce sulfoéyanure dans la salive 
humaine, spécialement à l'aide du perchlorure de fer. 

Dans chaque essai, pour quatre centimètres cubes de salive re- 
cueillie dans les conditions les plus variées, j’emploie constam- 
ment quatre à six gouttes d'une dissolution de perchlorure de fer 
{contenant 4 parties d’eau pour À partie de ce sel); puis je versé 
comparativement , dans une pareille quantité d’eau distillée, ce 
même nombre de goultes du réactif, afin de prouver, une fois pour 
toutes, qu'avec ces proportions l’eau ne prend jamais qu’une teinte 
jaune safranée. D'ailleurs, j'avais préalablement constaté que, 
pour communiquer une teinte très légèrement rougeâtre, mais 
appréciable, à 4 centimètres cubes d’eau distillée, il faut au moins 
L centimètre cube (environ 16 gouttes) de la précédente dissolu- 
tion, qui tache, il est vrai, le papier blanc en jaune, mais qui, vue 
par transparence et en quantité assez grande, est d’une belle cou- 
leur rouge. Il n’est donc point indifférent que l’expérimentateur 
verse, dans la salive qu’il examine, telle ou telle dose de réactif, 
puisque cette dose étant relativement trop forte , pourrait déjà 
seule, et par elle-même, sans décomposition aucune, donner à la 
salive la témte caractéristique de la présence du sulfocyanure ; 
tandis qu’en procédant, comme je le conseille, l’objection tirée de 
la couleur même du réactif n’est plus possible. En oùtre, ayant 
souvent reconnu que les matières déposées par la salive, à l’aide 
du repos, n’ont pas là moindre influence sur la réaction qui nous 
occupe, j'ai préféré dès lors faire toujours usage de salive filtrée, 
afin de rendre plus facile l'examen des colorations comparatives 
avec l’eau distilée. 

Cela posé, quand les recherches portent sur un assez grand 
nombre de personnes prises au hasard, soit avant, soit après le 
repas, il devient manifesté qué la propriété rubéfiante de la salive 
vis-à-vis du perchlorure de fer (en sé conformant aux proportions 
indiquées plus haut) est loin d’être la même chez ces différents 
individus, et qué la coloration rouge produit, dans sa dégradation, 


228 A. LONGET. 


diverses nuances, jusqu’à ce qu’elle devienne parfois si peu sensi- 
ble, qu’on puisse même la nier, et avec elle nier aussi la présence 
du sulfocyanure. 

Plus loin viendra l’explication de ces derniers cas qui, comme 
je le prouverai par d’autres expériences directes, ne sont qu’en 
apparence exceptionnels et opposés à ma manière de voir. Pour 
l'instant , il m'importe seulement de faire remarquer qu'après 
des essais maintes fois reproduits , il m'a été possible de déter- 
miner la teinte que prend le plus communément, avec le per- 
chlorure de fer, la salive filtrée, teinte que j'appellerai volontiers 
normale, et que j'ai pu faire renaître à volonté , après bien des 
tâtonnements , dans les conditions suivantes : 

Après avoir versé 6 centigrammes (1 goutte) d’une solution de 
sulfocyanure de potassium (4 parties d’eau pour 1 partie de sulfo- 
cyanure) dans 125 grammes d’eau distillée, si l'on prend 
& grammes de cette eau et qu’on y ajoute la quantité indiquée de 
perchlorure de fer, aussitôt apparaît la coloration purpurine type. 
Celle-ci est encore facile à reproduire par la simple addition de 
deux gouttes de sang à 4 grammes d’eau pure. 

Mais il est important de rappeler que l’acétate de soude, qu'on a 
supposé exister dans la salive humaine , peut aussi donner lieu à 
une réaction analogue avec le précédent sel ferrique, d’où l’asser- 
tion de certains auteurs, que l’action rubéfiante du fluide salivaire 
doit être rapportée, non à la présence d’un sulfocyanure, mais 
d’un acétate alcalin. C’est encore là une question préalable qu'il 
faut examiner. Existe-t-il en effet, dans la salive, un acétate 
de cette nature? Dans aucune des analyses les plus exactes et les 
plus récentes, il n’est fait mention de la moindre trace de ce sel ; 
etpourtant, comme on le verra tout à l'heure, il en faut des quan- 
tités très notables pour obtenir, avec la solution de perchlorure de 
fer, la teinte purpurine que j'ai appelée normale, et que j'ai prise 
pour type dans les réactions de ce dernier sel avec la salive. Une 
confusion de langage, basée sur une simple vue théorique, a 
causé toute l'erreur à cet égard. « Gmelin et Tiedemann, dit Berze- 
lius (1), nomment constamment (à propos de la salive) les lactates 

(1) Traité de chimie, trad, franç, de Esslinger. Paris, 4833, t. VIL, p. 462. 


DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 299 


alcalins acétates, et fondent cette dénomination sur une conjec- 
ture émise par moi, que l'acide lactique n’est autre chose 
que de l'acide acétique combiné avec une matière animale. J'ai 
effectivement mis cette conjecture en avant; mais je crois que, 
quand bien même on pourrait la démontrer, il ne serait pas moins 
inevact d'appeler les lactates acétates, que de nommer les sulfo- 
vinates sulfales ou les nitroleucates nitrates. » C’est, en effet, 
d’après Tiedemann et Gmelin que d’autres auteurs ont répété à 
tort que le fluide salivaire renfermait de l’acétate de soude, au lieu 
de lactates alcalins qu'il contient réellement. Or, il y a là plus 
qu’une question de mots. Je me suis assuré qu'avec la solution de 
perchlorure de fer ces lactates sont absolument impuissants à pro- 
duire la moindre coloration purpurine, et que d’ailleurs cette 
même impuissance se retrouve dans les autres substances organi- 
ques ou inorganiques contenues dans la salive, hormis le sulfo- 
cyanure, qui fait l’objet de notre étude. 

Mais prouvons maintenant que d’après la manière dont l’acétate 
de soude se comporte relativement au précédent sel ferrique, il ne 
saurait réellement exister dans la salive sans qu’on dût facilement 
l'y retrouver par l'analyse; puis je dirai le nouveau caractère qui 
s’est révélé à mon observation, caractère bien propre à faire admettre 
que c’est effectivement à un sulfocyanure , et non à un acétate 
alcalin, que la salive doit son pouvoir rubéfiant en présence du 
réactif indiqué. 

On a vu plus haut quelle minime quantité d’une solution de sulfo- 
cyanure il fallait verser dans l’eau distillée (4 goutte dans 125 gram- 
mes d’eau), afin de reproduire, par l’entremise du perchlorure de 
fer, une teinte rouge semblable à celle que j'ai le plus habituelle- 
ment observée avec la salive filtrée et le même réactif. Pour obte- 
nir la même teinte avec ce dernier et l’acétate de soude, il m'a 
fallu ajouter à la même quantité d’eau distillée (425 grammes ) 
non plus une goutte, mais huit grammes d’une dissolution d’acétate 
de soude contenant 4 parties d'eau pour 4 partie de sel (1). Dès 
lors, n’est-ildonc pas bien évident que si ce sel existait en pareilles 


(1) Quant à l'acide acétique pur et concentré , j'ai dû en employer jusqu'à 
32 centimètres cubes pour 425 centimètres cubes d'eau distillée, avant d’avoir, 


230 A, LONGET. 
proportions dans la salive, il n’aurait pu échapper aux moyens 
analytiques même les plus grossiers ? 

Mais avec une autre preuve de la non-existence de l’acétate alca- 
lin, de sa non-intervention pour produire la précédente coloration, 
en voici une nouvelle en faveur de la présence réelle du sulfocya- 
nure, et du rôle évident qu’il remplit dans cette réaction. 

La preuve dont il s'agit, je la tire des curieuses différences que 
j'ai observées entre l’acétate de soude et le sulfocyanure de potas- 
sium relativement à leur manière d’être vis-à-vis du perchlorure 
de fer. Ainsi : 1° Soient, d’une part, 4 centimètres cubes de salive 
filtrée , et d'autre part, comme termes de comparaison, 4 grammes 
d’un liquide provenant de 125 grammes d’eau distillée, auxquels 
aura été ajoutée, comme plus haut, une goutte de la solution indi- 
quée de sulfocyanure de potassium; si je verse dans l’un et l’autre 
liquide quatre à cinq gouttes de perchlorure de fer (solution au 
quart), il se manifestera aussitôt dans chacun la même teinte pur- 
purine. 2 Soient encore, d'un autre côté, 4 centimètres cubes de 
salive filtrée, à laquelle j'ajoute quelques gouttes d’une solution 
d’acétate de soude , et, d’un autre côté, pour servir de termes de 
comparaison , 4 grammes d'eau distillée avec une quantité d’acé- 
tate de soude calculée de manière à avoir, dans les deux cas, 
exactement la même teinte rouge à l’aide du perchlorure de fer, 
Cela fait, j'abandonne le tout au contact de l'air et de la lumière : 
en général, au bout de peu d'heures, et constamment le lendemain 
de l’expérience, la coloration rouge a disparu dans les deux pre- 
miers liquides, qui ont pris une leinte jaune safranée , tandis que 
les deux derniers demeurent indéfiniment rouges. 

Ainsi, c’est le propre d’une solution d’acétate de soude, en pré- 
sence du perchlorure de fer, de conserver sa couleur purpurine et 
de la faire conserver à la salive elle-même ; mais, au contraire, 
c’est le caractère d'une solution très étendue de sulfocyanure de 
potassium , quand on l’a traitée par le perchlorure de fer, de se 
décolorer bientôt d’une manière complète, et, chose remarquable, 
c’est justement là aussi le cas de la salive mise dans les mêmes 
avec le perchlorure de fer, la coloration voulue; au contraire, l'acide lactique est 
toujours resté sans effet. 


DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 231 


conditions. Ne suis-je donc pas encore plus autorisé, par ces faits 
que j'ai si souvent constatés, à répéter que, dans ma conviction, 
l’action rubéfiante du fluide salivaire doit être rapportée non à la 
présence d’un acélate alcalin, mais d’un sulfocyanure ? Du reste, je 
crois devoir ajouter qu'il n’est nullement exact de prétendre que 
la coloration en rouge soit différente avec l’acétate de soude et le 
sulfocyanure de potassium , qu’ainsi le premier donne une nuance 
rouillée et le second une nuance purpurine; j'affirme que la colo- 
ration est sensiblement la même dans les deux cas. 


HT. Toutefois la coloration rouge, que prend le liquide salivaire 
par l'addition de quelques gouttes de perchlorure de fer, ne pouvant 
constituer une réaction suffisante, aux yeux des chimistes, pour 
caractériser le sulfocyanure de potassium, et d’ailleurs l'existence 
même de ce dernier sel ayant été contestée , j'ai cru devoir faire 
tous mes efforts pour l’isoler complétement d’une masse considé- 
rable de salive humaine (deux litres et demi) (4). 

Voici la marche suivie dans cette analyse : 

1° Le liquide a été évaporé à sec au bain-marie. ® Le résidu 
de l’évaporation a été repris par de l’alcool presque anhydre, c’est- 
à-dire à 98° centésim. : ainsi ont été obtenues une matière insoluble 
dans l'alcool et une dissolution alcoolique. 

a. La matière insoluble dans l'alcool était formée par un mélange 
de substance organique azotée et de sels alcalins , etc. : elle a été 
traitée par l’eau froide, qui a laissé, en grande partie, la substance 
azotée à l’état insoluble, et qui a opéré la dissolution des sels. Cette 
liqueur saline et aqueuse, convenablement évaporée, a donné 
d’abord de très beaux cristaux de phosphate de soude, ensuite du 
chlorure de sodium, et en dernier lieu du carbonate de soude. Cette 
séparation par voie de cristallisation a présenté la plus grande 
netteté. 

b. La dissolution alcoolique a été soumise à l’évaporation, 


(1) Cette quantité de salive fut fournie, en une demi-heure, par quarante mili- 
taires à jeun, qui, après avoir rincé leur bouche, mâchèrent, dans le but d'exciter 
la salivation, des morceaux de caoutchouc préalablement lavé avec soin dans 
l'eau chaude. 


232 A. LONGET. 


comme la liqueur aqueuse précédente ; elle a donné , en premier 
lieu, de nouveaux cristaux de sels alcalins, et il est resté, dans l’eau 
mère, un sel qui n’a pas cristallisé, mais qui présente tous les 
caractères d’un sulfocyanure alcalin. 

Ne pouvant obtenir ce dernier à l’état cristallin, j'ai voulu au 
moins le caractériser de la manière la plus positive. Dans ce but, 
j'ai concentré, dans quelques gouttes de liquide, tout le sulfocya- 
nure contenu dans deux litres et demi de salive; j'ai obtenu alors 
une liqueur produisant, avec le perchlorure de fer, la coloration 
caractéristique d’un rouge de sang ; puis j'ai constaté la présence 
du soufre, dans le sulfocyanure , en calcinant ce sel avec du nitre. 

Ainsi la présence d’un sulfocyanure alcalin dans la salive n’est 
pas douteuse ; elle caractérise en quelque sorte cette sécrétion : car, 
en étudiant au même point de vue d’autres liquides de l’économie 
animale, tels que le fluiäe pancréatique, la sueur , l’urine, les 
larmes, le liquide cérébro-spinal, le sérum du sang et la sérosité 
provenant de vésicatoires , il m'a été impossible d’y trouver la 
moindre trace de sulfocyanure. 

Cette preuve étant donnée, et de plus, comme cela résulte de 
ce Mémoire, aucune autre substance organique ou inorganique 
contenue dans la salive ne donnant lieu avec le perchlorure de fer 
à la même réaction que le sulfocyanure, je me suis cru suffisam- 
ment autorisé à faire usage de ce réactif dans tous les autres essais 
partiels que j’ai pu reproduire sur plus de cent cinquante individus 
d'âge et de sexe différents. 


IV. J'ai dit plus haut que mes recherches ayant porté sur un assez 
grand nombre de personnes prises au hasard, soit avant, soit après 
le repas, il avait été manifeste pour moi que la propriété rubéfiante 
de la salive, vis-à-vis du perchlorure de fer (en se conformant aux 
proportions indiquées), était loin d’être la même chez ces différents 
individus, et que la coloration rouge produisait, dans sa dégrada- 
tion , diverses nuances, jusqu’à devenir elle même parfois si peu 
sensible, qu’on aurait pu même la nier, et avec elle nier aussi {a 
présence du sulfocyanure. Il me reste à prouver, à l’aide d'expé- 
riences directes que ces derniers cas ne sont qu’en apparence 


DU SULFOCYANURE DE-POTASSIUM DANS LA SALIVE. 233 


exceptionnels et opposés à mon sentiment, qui consiste à regarder 
le sulfocyanure comme un des éléments caractéristiques constants 
de la salive normale. Et d’abord, je dois rappeler que ces exemples 
se sont offerts à mon observation chez des individus qui venaient 
de prendre leur repas depuis une ou deux heures, ou chez d’autres 
qui avaient été artificiellement provoqués à une excrétion salivaire 
très abondante; or, il en est du fluide salivaire comme des autres 
fluides sécrétés : plus il y a eu de salive avalée ou rejetée, moins la 
salive nouvelle contient de principes solides minéraux et organiques 
relativement à l’eau qui la constitue pour la plus grande part. Par 
conséquent, la quanlité relative de sulfocyanure dans la salive est 
nécessairement variable, et, comme elle est déjà très minime pour 
une quantité déterminée de liquide salivaire, on conçoit que pour 
peu qu’elle diminue encore, relativement à la masse d’eau , elle 
puisse cesser d'être appréciable au réactif, surtout si, au lieu de se 
servir de perchlorure de fer , on veut faire usage , à l'exemple de 
quelques expérimentateurs, d’un autre persel de fer, du persulfate 
par exemple (1). Mais cela ne veut pas dire qu'il s'agisse d’une 
disparition ou d’une absence complète du sulfocyanure, puisque, 
dansces cas-là même, je réussis constamment à mettre son existence 
hors de doute. 

Il en est du sulfocyanure comme des autres éléments normaux 
solides de la salive, c’est-à-dire qu’ils peuvent varier suivant cer- 
taines conditions : bien des fois, par exemple, opérant comparati- 
vement sur diverses salives, j'ai vu les unes donner un précipité 
très sensiblement jaune avec le nitrate d’argent, et les autres un 
précipité blanc ; ce qui tend à prouver que l’un des éléments nor- 
maux de la salive, sur l'existence duquel tous les chimistes sont 
d'accord, le phosphate de soude, peutlui-même sensiblement varier 
de quantité sans pour cela disparaître. Ces sels sont en moindre 
quantité dans les cas où la salive est très fluide , soit une ou deux 


(4) 11 résulte de mes recherches que ce sel est insuffisant. Ainsi, d'après mes 
observations, tandis que deux gouttes de sulfocyanure de potassium (solution au 
quart) peuvent être révélées dans un litre d'eau par le perchlorure, il en faut au 


moins six à huit gouttes pour que la réaction se produise avec le persulfate 
de fer. 


28h A. LONGET. 


heures après le repas , soit lorsque, dans le but de faire des expé- 
riences, on a déjà provoqué artificiellement l’excrétion d’une quan- 
tité considérable de salive. 

Du reste, on sait que la quantité de sulfocyanure de potassium 
qu’on a rencontrée dans la salive de l’homme n’a pas été toujours 
appréciée de la même manière : ‘Jacubowitsch l'estime à 0,006 
pour 100; Wright, de 0,056 à 0,098 pour 100; Lehmann, 
de 0,0046 à 0,0089 pour 100, etc. 

Quand j'ai eu affaire à des salives dont les réactions avec le 
perchlorure de fer étaient incertaines , le procédé , fort simple et 
bien connu que j'ai mis en usage pour en déceler la présence, a 
consisté à faire évaporer le liquide salivaire au bain-marie jusqu’à 
réduction de moitié ou des deux tiers. Depuis que je me suis avisé 
de procéder de la sorte, je n'ai plus trouvé un seul cas douteux , 
comme l'avaient été quelques-uns des cas appartenant à mes pre- 
mières observations (1). 

Que ceux qui ont prétendu n’avoir jamais pu réussir à constater 
la coloration rouge de la salive par le perchlorure de fer emploient 
le même moyen expérimental , et dès lors ils obtiendront toujours 
un plein succès. 


Une autre particularité de mes expériences est la suivante : 
Toutes les fois que la réaction avec le perchlorure de fer a été bien 
manifeste avec la salive mixte ou buccale, elle a eu aussi lieu, 
avec une égale intensité, avec la salive sous-maxillaire et sublin- 
guale recueillie sur le plancher buccal, derrière les dents incisives 
et canines inférieures, de manière à éviter tout mélange avec le 
mucus de la bouche ou le liquide parotidien. Quant à ce dernier 
liquide lui-même provenant d’une fistule salivaire chez l’homme , 
on sait que Van Setten y a trouvé le sulfocyanure de potassium, et 
je crois devoir rappeler que c'était aussi dans la salive paroti- 
dienne de la brebis, et non dans la salive mixte prise dans la 
bouche, que Tiedemann et Gmelin avaient signalé la présence du 

(1) 1 est bien important de laisser refroidir le liquide après l'évaporation, car 


on sait que le perchlorure de fer, qui teignait d'abord l'eau en jaune, à froid , la 
colore bientôt en rouge si l’on fait intervenir la chaleur. 


DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 235 


sulfoeyanure de sodium. Aussi ces résultats, unis à ceux que j'ai 
moi-même obtenus , m’empêchent-ils d'admettre , avec divers 
auteurs, que, dans les cas où ces sulfocyanures existent, ils se 
trouvent exclusivement dans la salive buccale, sans jamais se 
rencontrer dans chacune des sécrétions salivaires prises isolément. 

D'ailleurs , j'ai aussi constaté la présence de sulfocyanures alca- 
lins dans des infusions concentrées et filtrées de glandes salivaires 
provenant du mouton. 


Dans l'espèce humaine, ni l’âge, ni le sexe, ni le régime, ne 
m'ont paru modifier, en plus ou en moins, la coloration rouge 
produite par la réaction de la salive avec le perchlorure de fer. 

Quant à un état particulier du système nerveux, j'ai étudié cette 
réaction de la salive, avant, pendant, après des accès violents de 
migraine ou de névralgies faciales, et je n’ai pu constater Ia 
moindre différence. 


J'ai vu la salive prendre la coloration rouge caractéristique de 
la présence du sulfocyanure, chez des personnes absolument dé- 
pourvues de dents depuis plusieurs années. Ce résultat ne s’ac- 
corde pas avec l'hypothèse que la présence du sulfocyanure dans 
la salive serait toujours liée à l’état de carie d’une ou de plusieurs 
dents. 

J'ai aussi constaté, de la manière la plus marquée, la propriété 
rubéfiante de la salive, vis-à-vis du perchlorure de fer, chez beau- 
coup de personnes qui avaient les dents parfaitement saines. Dans 
une série de douze individus pris au hasard, d’âge et de sexes dif- 
férents, dont j'examinai la salive le même jour et au même instant, 
et que je classai ensuite dans quatre catégories, d’après l'intensité 
de la couleur rouge de leur fluide salivaire, et, par conséquent, 
d’après la quantité présumée du sulfocyanure, il se trouva dans la 
première, un enfant de huit ans et demi, et une femme de trente- 
six ans, dont les dents examinées avec soin, furent reconnues 
exemples de toute carie; dans la seconde, une femme âgée de 
soixante ans , qui, depuis cinq ans, n'avait plus une seule dent ou 
racine dans sa bouche, un homme de quarante-quatre ans, auquel 


236 A. LONGET. 


manquaient deux dents, mais dont toutes les autres étaient saines, 
puis un. jeune homme de dix-huit ans, qui avait un certain nombre 
de dents cariées; enfin, la quatrième et dernière catégorie, celle 
dont la coloration était la moins intense, comprenait sept personnes, 
dont la salive avait donné une coloration sensiblementuniforme, et, 
parmi elles, se trouvait une femme de soixante-quinze ans, dont les 
dix dents qui lui restaient étaient malades et déchaussées, et en 
grande partie sorties des alvéoles. Donc les dents et leur état sain 
ou morbide n'ont aucune influence sur la production du sulfo- 
cyanure dans la salive. 


Quand on laisse de la salive dont la propriété rubéfiante est fort 
légère, mais pourtant appréciable, s’altérer spontanément au con- 
tact de l'air, et qu’on l’examine chaque jour, jusqu’à ce qu’elle 
exhale une odeur fétide, on ne voit pas que le degré de coloration 
aille en augmentant. Il reste absolument le même ; preuve que le 
sulfocyanure ne saurait résulter de l’altération spontanée de la 
salive. 

Il me paraît inutile de réfuter l’opinion qui fait dépendre l’appa- 
rition du sulfocyanure des modifications chimiques imprimées par 
l'alcool à la matière salivaire, puisque l'alcool n’a été mis en 
usage dans aucune de ces expériences. 


Dans des cas assez nombreux de pyrosis, j'ai examiné, au point 
de vue qui m'occupe, le liquide salivaire, alors sécrété en si grande 
abondance. J'ai toujours constaté aussi la présence du sulfocyanure ; 
et quand, de prime abord, il m'est arrivé d’avoir quelques doutes 
à cause de la faiblesse de la coloration , il m’a suffi de concentrer la 
salive par l’évaporalion au bain-marie, pour y trouver ce sel de 
la manière la plus incontestable. 

Il en a été de même dans trois cas de salivations mercurielles 
qu’il m'a été donné d'observer. 


Conclusions. 


1° Le sulfocyanure de potassium existe normalement et constam- 
ment dans la salive de l’homme. 


DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 237 


2 Il se rencontre non-seulement dans la salive mixte ou buc- 
cale, mais aussi dans la salive parotidienne et dans les salives sous- 
maxillaire et sublinguale. 

3° Sa présence caractérise , en quelque sorte, la sécrétion sali- 
vaire ; car la sueur, l'urine, les larmes, le liquide cérébro-spinal, 
le sérum du sang et la sérosité provenant de vésicatoires, ne 
m'ont jamais donné aucune trace de sulfocyanure : il en a été de 
même du fluide pancréatique pris chez le mouton et le bœuf. 

le Ce sel existe, dans la salive, en proportions variables , mais 
toujours très petites. Ces variations ne dépendent ni de l’âge, ni 
du sexe, ni du régime, ni d'états particuliers du système nerveux, 
mais seulement du degré de concentration du liquide salivaire. 

5 Dans un trop grand état de fluidité de la salive, succédant àune 
excrétion très abondante, le sulfocyanure peut devenir inappré- 
ciable à nos réactifs; mais, dans ces cas, il suffit de concentrer ce 
liquide salivaire par l’évaporation lente, pour obtenir constamment 
la réaction caractéristique de la présence du sulfocyanure, comme 
je l’ai observé dans le pyrosis et les salivations mercurielles. 

6° L'état sain ou morbide des dents n’a aucune influence sur la 
présence ou l'abondance de ce produit, que j'ai d’ailleurs retrouvé 
chez des personnes entièrement dépourvues de ces instruments de 
mastication. 

7 Le sulfocyanure ne résulte pas non plus, comme on l’avait 
avancé, d'une altération spontanée de ce fluide. 

8° Pour l’isoler, comme je l'ai fait, il importe d’analyser de 
préférence la salive d'individus à jeun. 

9% De tous les persels de fer, le perchlorure est le meilleur 
réactif pour déceler la présence du sulfocyanure dans la salive; il 
donne à ce liquide, suffisamment concentré, une belle coloration 
rouge de sang. 

10° Aucune autre substance organique ou inorganique, contenue 
dans la salive, ne donne lieu, avec le perchlorure de fer, à la même 
réaction que le sulfocyanure : c’est à tort qu’on a rapporté la précé- 
dente coloration à la présence d’acétates alcalins dans le fluide 
salivaire. 


NOTE 


SUR 
UN NOUVEAU GENRE D’ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT, 


Par M. MARCEL DE SERRES, 


Professeur à la Faculté des sciences de Montpellier. 


On rencontre sur plusieurs coquilles bivalves , telles que les 
Tridacna, les Hippopus, la Pinna nigrica, la Modiola papuana. 
la Perna isognomum et l'Haliotis californiensis, des Annélides qui 
y vivent en parasites. Ces Annélides se fixent sur les coquilles au 
moyen des excavations qu'ils pratiquent sur leur surface, et cela 
plus ou moins horizontalement. Toutefois , lorsqu'ils parviennent 
à l’âge adulte, ils percent en partie le test des coquilles, sur lequel 
ils s’implantent plus ou moins profondément. Nous avons donné le 
nom de perforant à l'espèce qui se distingue par de pareilles habi- 
tudes ; celle-ci se loge non-seulement dans l'épaisseur du test des 
coquilles, mais encore dans celui des Serpules (1), particulièrement 
sur la Serpula parensis de Chenu. 

Les Annélides lithophages qui se logent dans l'épaisseur du test 
des coquilles des Mollusques acéphales ou lamellibranches sont à la 
fois rapprochés par la forme de leurs tubes des genres des Spi- 
rorbes et des Serpules. Ils diffèrent de toutes les espèces de ces 
deux genres avec lesquelles nous avons pu les comparer, en ce que 
leurs tours discoïdes, saillants, renflés, convexes, ne sont jamais 
irrégulièrement contournés. Ces tours se montrent chez la plus 
grande espèce sous la forme d’une spirale orbiculaire prolongée 
en un tube détaché, dont la largeur augmente sensiblement vers 

son extrémité. Quant à la bouche, elle est fermée par un opercule 
particulier que nous décrirons plus tard. 

Il nous a paru nécessaire de donner un nom particulier à à ce 
genre; nous avons choisi celui de Stoa , dérivé du mot grec ovox, 


(*ÿ Les Serpules ne perforent nullement les pierres et les coquilles sur les- 
quelles elles vivent; elles se bornent à s'y appliquer : aussi, lorsqu'on lés énlève 
violemment de ces corps, elles y laissent urié partie de leur test. 


GENRE D'ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT. 239 


qui signifie galerie. Nous avons voulu rappeler par là les excava- 
tions profondes que se creusent les espèces de ce genre pour se 
loger dans l'épaisseur du test des valves des Mollusques. Les 
espèces dont les formes des tours rappellent celles des Ammonites 
ou de la Spirula Peront ont été nommées par nous Stoa ammo- 
nihiformis et Spirulæformis, tandis que celle dont les habitudes 
perforantes sont plus manifestes , a reçu celui de Stoa perforans. 

Les deux espèces de Stoa viventsur plusieurs genres de coquilles 
acéphales (4). On trouve la première sur les Pinna, les Perna et 
les Modiola , tandis que nous n'avons guère rencontré jusqu’à 
présent la Stoa perforans que sur les Tridacna, les Hippopus et 
les Serpules. 

Les Annélides, comme, du reste, les autres Invertébrés perfo- 
rants, choisissent de préférence les coquilles dont le test épais 
leur permet de s’y creuser des galeries profondes. C’est probable- 
ment en raison de cette circonstance que l’on trouve presque 
uniquement la Stoa perforans sur les coquilles de la famille des 
Tridacnées, dont les coquilles sont extrêmement solides. 

Nous voudrions pouvoir ajouter aux caractères pris dans la 
forme, et les dispositions des tours ou celles de la bouche, les 
données qu’auraient pu nous fournir les animaux qui les habitent ; 
mais nous n'avons pas encore les moyens de les observer. Nous 
ne pouvons donc les établir que sur leurs demeures. 

Voici les particularités qu’elles présentent : 

Tube testacé contourné en spirales orbiculaire et irrégulière , 
d’une forme discoïde , renflée et convexe ; dernier tour détaché du 
premier , et se prolongeant parfois en un tube droit; ouverture 
ovalaire, terminée par un opercule solide, calcaire, conique et sur- 
chargé. 

Les Stoa ne peuvent être confondus qu’avecles genres Spirorbe, 
Serpule, Vermilie et Galéolaire, et surtout avec le premier, quoique 
celui-ci ait les plus grands rapports avec les Stoa. 11 en diffère 
cependant; en effet, les Spirorbes vivent appliqués à la surface des 


(1) La Faculté des sciences de Montpellier possède dans ses collections uñ 
Tridacna gigas, sur lequel plusieurs individus du genre Sloa ont pratiqué des 


galeries remarquables par leur profondeur. 1 2 


210 MARCEL DE SERRES. 


pierres et des fucus, tandis que les Stoa creusent des galeries dans 
l'épaisseur du test des coquilles ou des tubes calcaires sur lesquels 
ils habitent. 

Quant aux Serpules, aux Vermilies et aux Galéolaires, on n’a qu’à 
lire les phrases caractéristiques employées par Lamarck pour distin- 
guer ces différents genres, on y verra que les Serpules sont 
simplement fixées sur les corps où elles vivent; qu’elles ne les 
creusent pas , et que les tubes dans lesquels elles se logent sont 
irrégulièrement contournés, ce qui les éloigne complétement du 
genre Stoa. Les mêmes différences existent encore entre les Stoa 
et les genres Vermilie et Galéolaire. 

Il se pourrait toutefois que les espèces fossiles décrites parChenu, 
dans ses Zllustrations conchyliologiques(A), sousles noms de Spiror- 
bis disjuncta et striata, eussent quelques rapports avec les Stoa spi- 
rulæformis et perforans. Les premières , outre qu’elles n'ont été 
rencontrées qu'à l’état fossile, différent essentiellement des espèces 
vivantes par leurs petites dimensions ; enfin en ce qu’elles sont 
uniquement fixées sur les coquilles où on les observe, sans y avoir 
creusé la moindre cavité pour s’y loger. En résumé, les espèces 
vivantes et fossiles , décrites et figurées par Chenu comme des 
Spirorbes, quoique plusieurs d’entre elles semblent au premier 
aperçu se rapprocher des S4oa, ne sont en réalité que des espèces 
du premier genre. 

Il serait possible encore que la Vermulia subcrenata de Lamarck 
(t. V, p. 870, n° 5) appartint au genre des Stoa ; car cette espèce 
se creuse un lit sur un sillon profond dans le test des coquilles où 
elle habite, et particulièrement sur le Spondyle mutique. D'un 
autre côté, la Vermilia rostrata de Lamarck paraît être une espèce 
perforante, car elle s'enfonce dans l'épaisseur des polypiers pier- 
reux du genre des Porites. 

1° Stoa ammonitiformis. — Coquille discoïde , à tours continus 
et arrondis, diffère de la Stoa spirulæformis, en ce que les derniers 


tours ne se détachent jamais des premiers , et qu'ils sont fortement 
striés. 


(1) Pages 3 et 4, et planche int, figures 20 et 24. 


GENRE D'ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT. 2h1 

Grand diamètre , 0,020 à 0",0921; petit diamètre, 0",016 
à 0,047. 

2° Stoa spirulæformis.— Cette espèce est caractérisée par le der- 
nier tour détaché des premiers, qui se prolonge dans l’âge adulte 
enun tube légèrement recourbé, bien au delà de la spire orbicu- 
laire formée par l'ensemble de ces mêmes tours. Cette disposition 
rappelle en quelque sorte celle des Spirules, dont le dernier tour 
est également séparé des premiers. Seulement les Spirules con- 
servent plus complétement la forme circulaire que l'espèce de Stoa 
que nous lui comparons. 

Les dimensions de la Stoa spirulæformis sont plus du double de 
celles de la Stoa perforans, la troisième espèce de genre qui nous 
est connue. Ces dimensions sont de 0",026 à 0",028. 

3 Stoa perforans. — Cette espèce, à tube court, à spirale 
raccourcie, dont le dernier tour est surle même plan que le second, 
présente dans son ensemble une forme à peu près discoïde. L'ou- 
verture de la bouche ample, arrondie, est analogue à celle des 
Cyelostomes, -— Ses dimensions dépassent peu 0",010 à 0",012. 

Nous ne connaissons que l’opercule de cette espèce qui est 

arrondi, et formé par de très petites bandes circulaires presque 
subspirales. Cet opereule solide, calcaire, concave en dehors, est 
convexe et conique en dedans. Son diamètre est d'environ 2 à 
3 millimètres. 
& all est probable que l'opercule des Stoa, quoiqu'il ne soit pas 
corné comme celui des Serpules et des Spirorbes, est néanmoins 
pédicellé comme les opercules de ces deux genres qui appartien- 
nent à la même famille ; mais ne connaissant pas l'animal des St0a, 
nous n'oserions l’affirmer, malgré sa forme conique. 

Nous n’avons pas jusqu’à présent observé des Stoa vivant en 
parasites sur les coquilles de l'océan d'Europe , ni de la Méditer- 
ranée. Néanmoins nous en avons vu sur des coquilles qui appar- 
tiennent à diverses parties de l'Océan , et même à des mers inté- 
rieures, autres que la Méditerranée. Telles sont celles qui vivent sur 
les T'ridacna, genre propre aux mers des Indes et à la mer Rouge. 
Nous avons vu les deux espèces de Stoa logées dans l'intérieur du 
test des Tridacna gigas et squamosa. 

4° série. Zooz, T, IV. (Cahier n° 4.) 4 16 


242 MARCEL DE SERRES. 

La Stoa spirulæformis a été rencontrée sur la Pinna nigrina, 
coquille décrite par Lamarck comme de la mer des Indes, tandis que 
nous l'avons reçue de l’île de Zanzibar, des mers d'Afrique. Quant 
à la Stoa spirulæformis, elle paraît habiter sur les valves de quel- 
ques Modioles de l’océan Atlantique boréal, ainsi que des côtes de 
l'Amérique septentrionale. On trouve enfin la Stoa ammonitiformis 
sur les valves de la Perna isognomum, coquille bivalve des mers 
des Indes , d’après Lamarck. Nous n'avons pas une grande con- 
fiance dans cette désignation du célèbre zoologiste français, d’au- 
tant qu'elle parait avoir été appliquée à toutes les coquilles exo- 
tiques dont l’habitation était douteuse (4). 

Le genre Stoa, autant que l’on peut en juger par la forme de ses 
tubes calcaires, paraît appartenir à la classe des Articulés et à l’ordre 
des Annélides sédentaires tubicoles. Cet ordre est principalement 
caractérisé par le genre dés Serpules, qui offre cette particularité 
remarquable d’avoir paru dès que la vie s’est manifestée sur la 
terre, d’avoir traversé l’entière série des formations, enfin d’être 
arrivé jusqu'aux temps actuels , où ses espèces se rencontrent en 
assez grand nombre dans presque toutes les mers. 

Depuis que nous avons étendu le nombre des invertébrés marins 
perforants, nous avons cherché à nous assurer si les espèces 
terrestres et fluviatiles de cet embranchement n'auraient pas les 
mêmes habitudes. Au lieu d’en augmenter le nombre, nous l'avons 
restreint, du moins pour les derniers. Nous croyons, en effet, avoir 
démontré que le genre Æelixæ , dans lequel on avait supposé des 
habitudes perforantes à plusieurs espèces, se logent bien, dans la 
rude saison, dans les fentes ou les creux des rochers, mais ne les 
creusent jamais pour y passer leur vie. Quant aux Invertébrés 
fluviatiles, nous n’en connaissons aucun qui ait des mœurs lifho- 
phages, en sorte qu’elles semblent bornées jusqu’à présent à des 
espèces marines de différentes classes. 

(1) Nous venons enfin de découvrir la même espèce, c'est-à-dire la Stoa ammo- 
niliformis sur l'Haliotis californiensis. Cette observation nous a paru d'autant plus 
intéressante, que c'est le seul exemple qui nous soit encore connu de Stoa vivant 
en parasite sur une coquille d'un Mollusque gastéropode. Cette Stoa n'était pas en- 


croûtée comme toutes celles que nous avions précédemment observées ; nous nous 
sommes assuré que le test de cette espèce était fortement strié. 


SO + 


GENRE D'ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT. 213 


Ce fait est encore pour nous un objet de surprise et d’étonne- 
ment, depuis que l'on a découvert parmi les Mollusques aggluti- 
nants des espèces terrestres qui offrent les mêmes particularités 
que les rochus agglutinerus, œdificans et conchiliferus (4). Le 
gere ÆHehæ a fourni cet exemple jusqu'à présent unique. On a 
nommé Æelix agglutinans \ espèce qui, à l’aide de sa base, réunit 
un certain nombre de petites pierres dont elle entoure sa coquille. 
Rencontrée par A. Cuming dans les iles Philippines, elle a été 
décrite par M. Sowerby, d'après les individus qui lui avaient 
été fournis par cet infatigable conchyliologiste. 


EXPLICATION DES FIGURES. 
PLANCHE 8 C. 


Fig. 4. Stoa spirulæformis dans l'âge adulte, lorsque le dernier tour est com- 
plétement séparé des premiers ; de grandeur naturelle. 

Fig. . Sloû ammonitiformis dans l'âge adulte, de grandeur naturelle. 

Fig. 3. Opercule de la Stoa perforans grossi du tiers, et vu en dessus ou du côté 
qui correspond à l'ouverture du tube de celte espèce, 

Fig. #. Opercule vu par-dessous et par côté, grossi de plus du tiers. 

Fig. 5. Stoa perforans dans le jeune âge, et fixé sur une valve de Tridacna. 

Fig 6: Stoa perforans dans l’âge adulte , et détaché de la coquille dans laquelle 
il s'était logé; de grandeur naturelle, 

Fig. 7. Opercule de la Serpula pannmensis vu en dessus. 

Fig. 8. Opercule de la niême espèce vu par côté afin de faire juger de son apla- 
tissement, Ces deux opercules ont été représentés de grandeur naturelle, 


(1) M. Rew a créé uh nouveau geure pour les Trochus qui agglutinent des 
coquilles où de petites pierres autour de leur coquille. I lui a donné le nom de 
phorus, expression dérivée du verbe grec wéw, qui signifie porter. 


DEUXIÈME NOTE 


SUR 
LES SPERMATOPHORES DU GRYLLUS SYLVESTRIS, 


Par M. LESPÉS. 


Lorsque j'ai étudié les spermatophores du Grillon champêtre et 
de son congénère des maisons (1), j'avais inutilement cherché des 
mâles adultes d’une espèce très commune aux environs de Paris : 
le Gryllus sylvestris. À celte époque, je n’avais pu trouver que des 
larves et un petit nombre de nymphes. Plus heureux aujourd’hui, 
je puis donner le résultat de mes dissections sur cette petite 
espèce. 

C’est avec une vive satisfaction que j'ai observé chez cet insecte 
des faits analogues à ceux que m'’avaient offerts ses congénères. 
Sauf des détails de forme et de volume, tout est semblable : le 
spermatophore est plus petit, plus fragile , mais il est composé de 
même; l'armure génitale présente les mêmes pièces, mais elles 
diffèrent beaucoup pour la forme de ce que les deux autres espèces 
m’avaient offert. Je ne doute pas que des recherches analogues sur 
tous les Grilloniens ne fournissent les mêmes résultats. 

Le spermatophore du Grillon des bois est blanc, transparent, et 
extrêmement fragile. Il est fort difficile de l'obtenir bien entier. 
Comme celui des deux autres espèces, il se compose d’une ampoule 
et d’une lamelle. L’ampoule (2) est presque régulièrement sphé- 
rique; ses parois sont fort épaisses. La lamelle (3) est si étroite, 
qu'on l’aperçoil à peine comme un repli membraneux longitudinal 
du tube médian ; celui-ci est, au contraire, très facile à voir, et 
contient un filet corné comme dans les deux espèces que j'avais 
déjà examinées (4). 

Aïnsi que l’on peut le voir, cet appareil rappelle par sa compo- 

(1) Voyez t. III, p. 365. 

(2) PL. 8 B, fig. 4 a. 

(3) Fig. 1 c. 

(4) Fig. 1 d. 


SPERMATOPHORES DU GRYLLUS SYLVESTRIS. 245 


sition ee que j'ai décrit dans les Gryllus campestris et domestieus ; 
il en diffère seulement par des détails de forme et par son volume, 
en rapport avec la petite taille de l’insecte; il est long environ de 
2 millimètres. 

Je n’ai pas observé l’accouplement de celte espèce ; mais j'ai vu 
des femelles portant le petit appareil à l’ouverture vulvaire. Après 
un emps assez court, elles l'ont laissé tomber. 

L'armure génitale mâle du Grillon des bois présente au premier 
coup d'œil une complication extrême, et, comme son volume est 
peu considérable , il m’a été nécessaire de l’examiner avec grand 
soin pour m'en faire une idée exacte. 

Les deux épimérites (4) soudés sur la ligne médiane en forment 
la plus grande partie; ils se recourbent en dessous pour constituer 
une sorte de gorgeret ouvert; à leur extrémité libre, ils portent les 
tergo-rabdites (2) sous forme de crochets gros, courts, mais plus 
solides. 

Les épisternites (3), presque triangulaires , se surallongent en 
une pointe très peu dure qui suit le bord du sternite. Ce dernier (4) 
se compose d’une portion cornée très solide, et d’une lame 
extrémement mince el facile à déchirer. Les sterno-rabdites (5) 
sont représentés par deux filets cornés fort longs. 

Ainsi qu'on devait le penser, cette organisation rappelle dans ses 
parties principales ce que l’on trouve dans les deux espèces qui ont 
fait le sujet de mes premières observations; mais les différences 
de forme sont, il faut l'avouer, extrêmement considérables. 

L'appareil génital mâle ne présente dans sa portion interne rien 
de remarquable ; toutefois je dois signaler deux glandes (6) situées 
à droite et à gauche du canäl éjaculateur vers sa partie terminale, 
et qui s'ouvrent dans ce canal par un conduit très court. Ces mêmes 
glandes sont fort développées chez les Locustides. 


(1) Fig. 2 aa, et fig. 3 a. 

(2) Fig. 2 dd, et Gg. 3 d. 

(3) Fig. 2 cc, etfig.3 c. 

(4) Fig. 2h,etfig. 3h,1,m. 
(5) Fig. 2ee, et fig. 3e. 

(6) Fig. 3 i. 


246 LESPÉS. 

Les palettes qui soutiennent l’ampoule du spermatophore ne 
présentent non plus rien d’exceptionnel, de sorte que j'ai cru utile 
de lesdessiner. Elles ne sont pas portées par un stylet corné dépen: 
dant de l’épimérile, ainsi que je l’avais observé dans les Gryllus 
campestris et domesticus. Quand un spermatophore a été produit, 
et qu'il a pris place entre ces palettes, il ne peut être convert par la 
plaque dorsale (décato-tergite) qui est assez peu développée, de 
sorte qu'on le voit sous forme d’une papille ronde à Pextrémité 
de l'abdomen. 


Développement des zoospermes dans le Grillon domestique. 


Les zoospermes des Gryllus campestris el domesticus sont tou- 
jours immobiles dans le spermatophore , de même que. dans les 
diverses parties de lappareil génital mâle ; j'ai pensé qu'il serait 
utile de suivre leur développement, et d'examiner ce qu'ils devien- 
nent dans les organes de la femelle. 

M. L. Dufour a décrit l'appareil mâle des Grillons dans son 
travail sur l’AÆnatomie des Orthoptères. J'ai été assez heureux pour 
constater la parfaite exactitude de ses descriptions. 

Le testicule se présente sous la forme d’une grosse masse ova- 
laire ; mais si l’on enlève la membrane qui l'enveloppe, les eapsules 
spermifiques sont très visibles. Chaque glande renferme environ 
une centaine de ces parties, qu'il est facile d'isoler, mais dont on 
ne peut guère suivre le canal exeréteur, à cause de son extrême 
ténuité. 

La capsule est longue d'environ 2°%,5 ; dans sa plus grande lar- 
geur elle a 0"%,5; sa forme est celle d’un fuseau assez court, 
Arrondie à son extrémité libre, elle se‘termine à l’autre par le eanal 
excréleur. 

Les conduits desdiverses capsules d’un même testicule se réunis- 
sent pour former le canal déférent. Ce dernier est d’abord fort 
grêle; dirigé d'avant en arrière dans sa prémière partie, il se 
recourbe vers le septième anneau de l'abdomen, et, après avoir 
beaucoup augmenté de volume, s’enroule en spirale (épididyme de 
M. L. Dufour), et vient sur la ligne médiane se réunir à celui de 
l'autre côté pour constituer le canal éjaculateur. 


SPERMATOPHORES DU GRYELUS SYLVESTRIS. 247 


Au point où les deux conduits se confondent, on trouve un grand 
nombre de cæcums (vésicules séminales de M. L. Dufour) qui for- 
ment deux masses volumineuses fort difficiles à débrouiller. 

Le canal éjaculateur sort de ce lacis, et se termine , ainsi queje 
Vai déjà dit ailleurs, à l'extrémité du sternite de l’armure. 

Tout cet appareil ne renferme pas du sperme; je n’en ai trouvé 
que dans les capsules du testicule et dans le canal déférent, surtout 
dans sa partie élargie et contournée. Jamais je n’en ai vu dans les 
cæcums qui entourent l’origine du canal éjaculateur, et c'est à peme 
si j'en ai trouvé des traces dans ce dernier. 

Je n'ai pas besoin de dire que le spermatophore en est rempli. 

Chez la femelle, on ne trouve du sperme que dans la vésieule 
copulatrice : c’est une poche réniforme qui communique par un 
tube (rès étroit avee un vagin très court, dans lequel débouchent 
les deux oviductes. 

Si l’on examine une capsule spermifique avec un grossissement 
suffisant, on peut suivre en quelque sorte dans son intérieur le 
développement des zoospermes ; mais pour le bien voir, il vaut 
mieux la couper en cinq ousix parties dont on examine le contenu. 

Vers l'extrémité libre, dans sa partie rétrécie, la capsule ne con- 
tient que des cellules qui semblent se détacher de sa paroi : elles 
sont assez irrégulièrement arrondies, peu transparentes , et con- 
tiennent une masse d'apparence granuleuse. 

Un peu plus bas, et vers le point où la capsule se renfle, on 
retrouve ces cellules ; mais sur leur surface se montrent des tuber. 
cules qui tendent à se rétrécir de plus en plus à leur base, de sorte 
que bientôt ils sont portés par un pédicule très grêle. En même 
temps, les cellules, dont les bords étaient nettement dessinés, 
deviennent diffluentes, et se déchirent en un nombre de fragments 
ordinairement égal à celui des tubercules ; de sorte que l’on voit 
dans le liquide des filaments très fms et assez courts, terminés à 
chaque extrémité par une petite masse : l’une ovalaire et bien nette, 
c’est le tubereule qui va devenir la tête d’un zoosperme ; l'autre 
diffluente, c'est un débris de la cellule mère, 

Plus bas encore, le développement des zoospermes est plus 
avancé ; leur tête s'allonge ainsi que le filament qui les termine, et 


218 LESPÉS. 


le plus souvent le fragment de cellule mère se dissout en entier. 
On trouve pourtant quelques-uns de ces fragments adhérents à 
l'extrémité caudale, même beaucoup plus bas, mais c’est une 
exception. 

Enfin dans la moitié inférieure de la capsule, de même que dans 
le canal déférent et dans la vésicule du spermatophore , les 
zoospermes apparaissent sous la forme de filaments , longs d’envi- 
ron 0"*,4, composés d’une sorte de tête en ovale fort allongé et 
d’une queue filiforme. Ces filaments sontdroits, roides etimmobiles , 
mais avec eux se trouvent en grand nombre de petits corps ronds, 
dont les plus gros ont environ 0"”,004 de diamètre, et dont les 
plus petits sont à peine visibles avec les plus forts grossissements ; 
ces petits corps sont doués d’un mouvement brownien des plus vifs. 

Si l’on examine le contenu de la vésicule copulatrice d’une 
femelle jeune, quand cette poche contient peu de sperme, et si l'on 
délaie ce liquide dans l’eau, on peut facilement y apercevoir des 
filaments blancs fort longs, et dont la largeur est d'environ 0"",1. 
Ces filaments sont immobiles; examinés au microscope, ils parais- 
sent composés d'un nombre très considérable de zoospermes irré- 
gulièrement disposés. 

Il est, du reste, facile non-seulement de se rendre compte de 
leur formation , mais même de l’observer directement : il suffit de 
mettre dans l’eau un spermatophore que lon vient d'enlever à un 
mâle ; on voit le sperme s'écouler par l'extrémité de la lamelle, et 
conserver à sa sortie la forme d’un filament semblable à ceux que 
l'on trouve dans la vésicule copulatrice des femelles. 

Si l’on examine la liqueur fécondante dans une vieille femelle , 
quand les œufs sont fort avancés en développement, en outre, des 
cordons, on trouve des zoospermes isolés, provenant, sans doute, 
des cordons qui se sont désagrégés. Ces zoospermes sont un peu 
plus courts que ceux des faisceaux; ils n’ont que 0°*,08 de long, 
et c’est le filament caudal seul qui est raccourci. Ce filament est 
alors doué de mouvements très rapides, et le zoosperme nage dans 
le liquide. Quant aux corpuscules ronds qui se mouvaient si vive- 
ment lorsque les zoospermes étaient immobiles, ils sont à leur tour 
privés de tout mouvement, 


SPERMATOPHORES DU GRYLLUS SYLVESTRIS. 2h49 


Il est probable que les zoospermes mobiles sont seuls capables 
de féconder les œufs; du moins, j'ai toujours vu leur existence 
coïncider avec celle d'œufs développés. Sous l'influence de l'eau, 
les zoospermes immobiles prennent très vite la forme d’une boucle, 
ceux qui sont mobiles résistent plus longtemps. 

Les faits que je viens d'exposer sont analogues à ceux que 
M. Gratiolet a observés chez les Hélices; le zoosperme toutefois 
change moins de forme chez le Grillon que dans ces Mollusques. 

J'espère que je pourrai au printemps prochain suivre le déve- 
loppement des zoospermes du Grillon champêtre, et qu’il me sera 
possible de décrire les spermatophores de quelques autres espèces. 


EXPLICATION DES FIGURES. 
PLANCHE 8 B. 


Fig. 4. Spermatophore du Grillon des bois vu de profil : a, vésicule qui ne pré- 
sente pas de papille postérieure ; c, lamelle avec deux parties plus dévelop- 
pées qui représentent les deux crochets e et [; d, filet corné. 

Fig. 2. Armure génitale du même vue par derrière ; a a, les deux épimérites ; 
ce, les deux épisternites ; dd, les tergo-rabdites ; ce, sterno-rabdites : h, partie 
dure du sternite. 

Fig. 3. Armure génitale vue de profil, pour montrer la disposition de la lame 
qui sécrète le spermatophore, l'épimérite du côté gauche ainsi que le tergo-rab- 
dite, l'épisternite et le sterno-rabdite du même côté : a, épimérite droit ; 
c, épisternite ; d, tergo-rabdite; e, sterno-rabdite du même côté; h, partie 
dure du sternite qui se dilate pour former la lame /,m: gg, canal éjaculateur ; 
î, glande dont le conduit s'ouvre dans ce canal. 


OBSERVATIONS HISTOLOGIQUES 
SUR LE 
GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE, 
Par M. Ernest FASVRE. 

Les beaux travaux de Swarmmerdam, Lyonnet, Müller, Trevi- 
ranus, Strauss, Audouin et Milne Edwards, Nordmann, Newport, 
Krobn, ele. ,avaientdéjà attiré l'attention des naturalistes sur le sys- 
tème nerveux stomalo-gastrique des Invertébrés, lorsque Brandt, 


250 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS 


reprenant habilement les recherches de ses prédécesseurs, vint 
coordonner et étendre leurs observations. Dans ses intéressants 
mémoires, il fit connaitre avec détail, et sur un certain nombre 
d'espèces, l'organisation du stomato-gastrique chezles Insectes, les 
Crustacés, les Myriapodes et les Annélides. A ce dernier groupe 
appartient la Sangsue médicinale, chez laquelle on n'avait jamais 
signalé l'existence d'un systèmenerveux spécial analogue au système 
gastrique. Les recherches de Brandt lui démontrèrent quelques 
traces de ce système : il mit en évidence trois ganglions cérébroïdes 
qui partent du cerveau dela Sangsue, et il crut devoir rattacher le 
médian au système pair et les deux latéraux au système impair, I 
découvrit, en outre, un nerf médian situé au milieu de la partie 
ventrale de l'estomac, et qu'il crut l’analogue du récurrent des 
insectes ; mais il ne vit plus clairement, dit-il, la connexion de ce 
filet avec le ganglion médian antérieur (1). 

Plusieurs observateurs, depuis Brandt, ont repris l'étude du 
stomato-gastrique de la Sangsue ; aucun, à notre connaissance, n’a 
retrouvé le nerf que Brandt avait décrit : Charles Bruch n’en fait 
aucune mention dans son fravail (2); M. Moquin-Tandon nous 
dit, dans sa Monographie des Hirudinées , qu'il Va cherché en 
vain ; M. de Quatrefages, si habile cependant dans ces sortes de 
recherches, n’a pas été plus heureux (3). 

Nous-même, après tant d’autres, nous avons été conduit à 
chercher le nerf récurrent de Brandt, et, chose vraiment singu- 
lière, tandis que nos recherches échouaient sur ce point, elles nous 
conduisaient en même temps, et comme par une sorte de com- 
pensation , à une découverte tout à fait inattendue , la découverte 
d’un système de nerfs entièrement propres à l'estomac. 

Nous nous proposons dans ce travail de faire connaître avec 
détail ce réseau nerveux, qui avait jusqu'ici échappé à l'attention 


(1) Voyez le travail de Brandt sur le stomato-gastrique, publié dans les Ann. 
des sc. nat., 2° série, tome V. 

(2) Voyez Journal de Siebold et de Külliker, 1848-49. Ch. Bruch, Recherches 
sur les nerfs de la Sangsue. 

(3) De Quatrefages, Études sur le système nerveux des Sangsues et des Lombrics 
(Ann. des sc, nat., 1852), 


SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 251 


des observateurs ; nous sommes porté à croire que notre décou- 
verte, si minime qu'elle puisse paraître, est appelée à jeter quel- 
que jour sur les grandes questions histologiques et physiologiques 
que soulève le système nerveux. 

Si, par une vaste incision antéro-postérieure de la région dorsale 
de la Sangsue , on vient à ouvrir l'animal et à l’étaler sous l'eau , 
on aura sous les yeux la paroi ventrale de l'estomac , membrane 
très mince, recouvrant comme un voile toute l'étendue du cordon 
nerveux : c’est dans cette membrane qu'il faut chercher les nerfs 
dont nous parlons, Après avoir complétement vidé les poches laté- 
rales du sang qu'elles contiennent, on presse fortement avec la pulpe 
du doigt, où mieux on racle avee le manche d'un scalpel la face 
interne de la membrane gastrique; on enlève ainsi une sorte de 
couche pulpeuse, qui parait, au microscope , constituée par des 
globules graisseux très petits et très abondants, et qui est toujours 
un obstacle à l'observation nette et facile du réseau des nerfs. 

Cette petite opération effectuée, on détache avec une pince un 
fragment de la membrane de l'estomac dans le point à exami- 
ner, et on la soumet à un grossissement de 300 à 506 dia- 
mètres ; on distingue alors les détails suivants. Une membrane 
anhisle fait le fond de la préparation , et sur cette membrane se 
dessinent des plexus vasculaires très curieux à étudier. Ces plexus 
se composent de gros troncs vasculairesinégaux en volume, placés 
souvent parallèlement les uns aux autres, plutôt noueux que régu- 
lièrement cylindriques; leur volume est considérable, surtout aux 
points de leurs renflements ; ils donnent des branches d’un très 
petit diamètre, qui vont s’anastomoser avec d’autres canaux pour 
former un plexus d’une netteté extrême, et dont on peut , à l’aide 
de la glycérine, obtenir des préparations trés élégantes , surtout 
lorsque les canaux vasculaires sont remplis de liquide sanguin. 

Outre ces canaux qui mériteraient une étude spéciale, on ren- 
contre encore, en éxarninant la paroi de l'estomac, un grand nombre 
de fibres très fines de tissu conjonctif et quelques fibres museu- 
laires accessoires. 

Les réseaux de tubes ét de cellules nerveuses se répandent à la 
surface des lacis vasculaires, avec lesquels ils paraissent avoir des 


252 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS 


rapports d’une certaine constance , rapports qui ne nous sont pas 
encore connus. 

En dernière analyse, comme il est facile de s’en convaincre par 
des examens portant sur toute l'étendue de la paroi stomacale,, 
celte paroi est essentiellement formée par un nombre énorme de 
canaux qui jouent, sans doute, le rôle de vaisseaux absorbants. 
Au milieu des éléments que nous venons de décrire, on peut 
reconnaitre, avons-nous dit, des fragments de réseaux gastriques; 
ces réseaux se composent de cellules donnant naissance à des tubes 
isolés, longs et tortueux, se rendant dans d’autres tubes et dans 
d’autres cellules. 

Nous n’avons pas rencontré ces réseaux indifféremment sur 
tout l'estomac ; la membrane inférieure semble en être spéciale- 
ment lapissée, quoiqu'elle le soit inégalement dans ses diverses 
parties. En effet, les nerfs sont plus abonidants dans la zone médiane 
que dans les zones latérales ; ils nous ont semblé moins nombreux 
à la surface des loges latérales ; ils existent très nettement depuis 
l'orifice œsophagien jusqu’à l'insertion de l'intestin, c’est-à-dire 
sur cette énorme paroi de l'estomac qui représente plus des quatre 
cinquièmes de la longueur de l'animal. 

Nous n’en avons jamais rencontré ni sur l'intestin très court qui 
fait suite à l'estomac, ni sur les deux poches latérales qui, de chaque 
côté, prolongent l'estomac. Ces deux appendices ont cependant la 
même structure que l'estomac lui-même. 

L'œsophage très court de la Sangsue renferme-t-il des nerfs de 
la vie organique ? Cette question est d'autant plus intéressante que, 
comme on le sait, chez la plupart des Invertébrés, il y a des plexus 
pharyngiens et æsophagiens supérieurs. 

Les plus minutieuses recherches ne nous ont fait découvrir ni 
en avant, ni en arrière de l’æsophage, aucun plexus qui püt rappe- 
ler celui du Lombrie, par exemple; il y a plus, au sein des fibres 
musculaires qui forment le tissu resistant et contractile de l’œso- 
phage, nous n'avons jamais pu, malgré nos efforts, distinguer les 
cellules nerveuses si visibles sur la tunique de l'estomac. 

Nous avons fait connaitre la situation des réseaux nerveux; il 
s'agit maintepant d'en préciser les caractères histologiques. 


SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 953 


Éléments. — Les éléments qui entrent dans les réseaux ou dans 
les cordons sont au nombre de deux, les cellules et les tubes. 

Cellules. — Elles ont une forme généralement sphérique ou 
ovoïdale ; nous en avons représenté cependant qui sont comme 
fusiformes, d’autres sont plus ou moins irrégulières. 

Les volumes sont extrêmement variables : nous en avons mesuré 
detrès grosses qui ont en longueur 0"",06, et en largeur 0"*,05; 
d’autres, plus petites, n’ont que 0"",03 ou même 0°",02. 

Leur aspect , leur consistance, leur coloration générale, rap- 
pellent immédiatement les caractères analogues des cellules ner- 
veuses de la vie animale. 

Les cellules se composent d’une membrane extérieure et d’un 
contenu. La membrane extérieure est très mince, sans structure 
apparente ; elle a néanmoins une résistance notable. L'acide 
acétique et l’acide nitrique étendus la font pâlir sans la rompre; 
l'acide chromique en augmente la consistance d’une manière 
remarquable; la potasse caustique la fait disparaître; la glycé- 
rine, sans la détruire, la rend d’une transparence extrême, et 
la rétracte sensiblement. 

Dans le contenu de la cellule, on distingue facilement un 
noyau et une matière d'apparence graisseuse. 

Le noyau existe presque toujours ; son volume varie un peu 
avec celui de la cellule: il est en moyenne de 0"",007 à 0®®,008 ; 
généralement il est arrondi avec une ligne de contours d’apparence 
graisseuse. On y trouve quelquefois un nucléole; nous croyons 
avoir vu deux noyaux dans certaines cellules. 

La matière d'apparence graisseuse est celle même qui forme 
ce mystérieux contenu des cellules et des tubes nerveux. 

Ici elle parait offrir deux formes : tantôt la forme grenue très 
fine, qui est loin d’être la plus fréquente ; tantôt l'aspect de guttules 
graisseuses irrégulières, variables en volume, mal dessinées et 
sans ordre apparent. Nous ne saurions préciser ni la cause, ni les 
circonstances qui expliquent cet état; quoi qu’il en soit, il nous a 
toujours paru plus marqué dans les cellules de la vie organique que 
dans celles de la vie animale. Les acides acétique, chromique, 
nitrique , étendus, donnent au contenu une couleur foncée; la 


954 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS 
potasse expulse ce contenu et le dissout ; la glycérine le fait pâlir 
à la longue, ete. 

Le suc gastrique, laissé pendant trois heures en contact avécles 
cellules, ne sépare pas l'enveloppe du contenu, comme cela à si 
manifestement lieu dans les eellules de la vie animale : c’est un bon 
caractère différentiel. Nous devons noter ici que parfois la sépara- 
tion dont il s’agit se trouve faite naturellement. 

Tubes. — Hs offrent deux aspects : tantôt régulièrement cylin- 
driques , tantôt noueux, légèrement moniliformes, rappelant cette 
apparence si caractéristique des tubes nerveux cérébraux des 
Mammifères. Ce dernier aspect, qui n’est pas le plus commun, 
paraît devoir être un résultat de la préparation ; la longueur de ces 
tubes est quelquefois si considérable, qu'ils mesurent deux ou trois 
fois le champ du microscope. 

Leur coloration, leur consistance, sont les mêmes que celles 
des cellules. 

Leur volume est très variable ; c’est un point sur lequel nous 
nous plaisons particulièrement à insister. Les plus larges que nous 
ayons mesurés ont 0"",010, ils sont déjà rares; on les trouve dans 
les parties que nous désignons plus loin sous le nom dé cordons. 
Les tubes de deuxième ordre ont 0"",007 à 0*,008 ; ils forment 
les grandes mailles des réseaux. Enfin ceux de troisième ôrdre ont 
de 0"",002 à 0"",003: ils servent de communications secondaires 
entre les mailles. Nous devons faire observer aussi qu'un même 
tube peut changer de diamètre dans son trajet : ce tube se com- 
pose d’une paroi et d’un contenu. 

La paroi n'est pas, que nous sachions, différente de celle des 
cellules; elle a aussi une résistance propre et une grande souplesse : 
car, dans nos préparations , il nous est arrivé de voir les tubes 
former artificiellement des ondulations et même des nœuds. Rien 
de spécial à dire sur le contenu, qui ressemble en tous points à 
celui des cellules. 

Tissus.—Les éléments dont nous venons de donner la description 
s’arrangent entre eux pour former soit des plexus, soit des cordons. 

Les plexus se composent de tubes et de cellules qui , après un 
trajet irrégulier, vont se terminer les uns dans les autres. 


SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 955 


ILest manifeste que les tubes se continuent directement avec les 
cellules ; c’est la même enveloppe et le même contenu , il ne sau- 
rait y avoir aucun doute sur ce point. 

Sous le rapport du nombre des tubes qui partent des cellules, il 
règne une grande variété. Tantôt les cellules sont unipolaires , 
c’est-à-dire qu’elles n’émettent qu'un tube; ce cas se rencontre 
surtout au voisinage et sur les parties latérales du grand cordon. 
Tantôt elles sont multipolaires et plus communes que les précé- 
dentes, mais la plupart du temps elles sont bipolaires ; il n’est pas 
rare cependant d’en rencontrer dans les plexus, qui émettent trois, 
quatre et même cinq tubes. Dans une de nos observations , nous 
avons rencontré une cellule quadripolaire fort intéressante à étudier, 
Deuxdes tubes qu’elles émettent avaient environ 0"",006 de large ; 
deux autres, rapprochés et placés sur un même côté, n'avaient 
chacun que 0"°,002 de diamètre. Cette observation démontre elai- 
rement qu'on ne saurait accorder une importance bien justifiée 
aux caractères lirés du volume des tubes, du moins en ce qui con- 
cerne les animaux invertébrés ; il n'existe dans leur système ner- 
veux ni tubes minces, ni tubes larges, soit de la vie organique, 
soit de la vie animale. 

Lorsque la cellule est unipolaire, elle s'amincit graduellement 
pour donner naissance à son tube; lorsqu'elle est bipolaire, le 
second tube naît toujours à l'extrémité opposée du premier. 

Un point important à noter est relatif à la déformation successive 
que subit la cellule bipolaire ; il semble qu'étirée en sens inverse 
par deux tubes, elle s’allonge de plus en plus, perde de sa largeur, 
et finisse par devenir elle-même un tube. Nous avons bien observé 
ces divers états; ne devons-nous pas en conclure d’une manière 
encore plus rigoureuse à l'identité de l'élément nerveux, puisque 
la cellule peut devenir tube, et que cette transformation semble 
s’opérer SOUS n0S YEUX ? 

À diverses reprises, nous avons cherché à nous assurer de 
l'existence indépendante des cellules apolaires ; la raison semblait 
nous indiquer d'avance l'existence de ces cellules, jusqu'ici 
l'expérience n'a pas confirmé nos prévisions. 

Les tubes émanés des cellules se comportent de deux façons : 


256 ERNEST FAIVRE, —- OBSERVATIONS 


tantôt ils aboulissent directement à d’autres cellules, tantôt ils 
s’anastomosent avec d’autres tubes. Nous n'avons rien à dire du 
rapport des tubes avec les cellules; nous insisterons au contraire 
sur les anastomoses. 

Nous affirmons en premier lieu qu’elles existent, et qu’elles sont 
même très communes dans le système nerveux dont nous parlons. 
Nous savons bien que plusieurs auteurs ont déjà parlé de faits sem- 
blables dans les animaux supérieurs , mais les anastomoses y sont 
exceptionnelles. On en trouve dans les tubes des cellules soit du 
cervelet, soit des circonvolutions chez l’homme. R. Wagner en a 
signalé dans les nerfs de certains muscles, chez les Amphibiens et 
chez l'Homme; mais, nous le répétons, ce sont des faits par- 
ticuliers. 

Les anastomoses que nous avons vues el représentées ont lieu 
surtout de deux manières. Tantôt deux tubes se réunissent à angle 
aigu pour en former un (roisième. Dans un de ces cas, les deux 
tubes, avant leur réunion, avaient chacun 0"",006, et le tube 
commun n'avait que 0"",009 ; il avait done 0"",003 de moins que 
la somme des diamètres des st, autres tubes : d’où l’on peut con- 
clure que les deux premiers éléments n'étaient pas certainement 
des branches du troisième. 

Un deuxième mode d’anastomose consiste en ce qu'un petit tube, 
détaché un peu obliquement d’un long tube, va aboutir transver- 
salement à un troisième de ces éléments : c’est une sorte de sécante 
entre deux parallèles. Ce dernier mode est précisément l’analogue 
de l’anastomose par communication transversale des artères, par 
exemple de la communicante antérieure , tandis que le premier 
mode rappelle exactement l’anastomose artérielle par convergence ; 
nous n'avons pas vu un seul cas qui se rapporte à l’anastomose par 
inoculation ou par arcade. 

Des faits qui précèdent doivent découler certainement de hautes 
conséquences physiologiques, nous essaierons de les apprécier 
ailleurs. | 

Nous nous sommes borné jusqu'ici à parler des plexus , et nous 
n'avons fait que mentionner les cordons : nous appelons ainsi un 
ou plusieurs troncs très allongés, composés d’un nombre variable 


SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE, 257 


de tubes nerveux, qui paraissent parcourir une certaine étendue ; 
le cordon, le plus volumineux et le plus facile à étudier, paraît 
s'étendre sur toute la zone médiane de l’estomac, au point même 
où Brandt signale la présence de son récurrent. Si Brandt avait fait 
usage du microscope dans ses recherches, nous ne douterions pas 
que ce ne füt là le nerfqu'il signale ; mais tel que nous l'avons vu, il 
est trop petit pour avoir pu être reconnu directement par cet obser- 
vateur. Il n’a, en effet, dans son plus grand diamètre que 0"",050 ; 
nous lui conserverons cependant le nom de nerf sympathique de 
Brandt. 

Cetronc est composé de cinq à sept tubes fort volumineux, libres, 
sans névrilèmes , et fréquemment anastomosés d’une manière 
variable , que nous n'avons pas bien pu reconnaitre jusqu'à pré- 
sent. Les éléments tubuleux des réseaux contribuent directement à 
la formation de ces tubes, ainsi que les cellules latérales dont nous 
avons déjà parlé. 

D'où vient ce tronc de Brandt? comment se forme-t-il ? quelle 
est la direction des filets qui en émanent? Nous ne le saurions dire 
encore. 

Lorsqu'il faut examiner , parcelle par parcelle, la tunique de 
l’estomac sous le champ du microscope, il est bien difficile de 
reconnaitre les dispositions d'ensemble que présentent les tissus. 

Deux questions d'un haut intérêt resteraient à résoudre pour 
bien connaître le système gastrique que nous décrivons : 1° Quel” 
est le mode de terminaison des tubes nerveux par rapport aux 
divers tissus? 

2° Quelle est la connexion intime qui peut exister entre les nerfs 
gastriques et les nerfs de la vie animale , soit ganglions, soit con- 
nectifs ? 

La question de la terminaison des nerfs est loin, comme on sait, 
d’être résolue ; néanmoins , elle à fait un pas dans ces dernières 
années, depuis que plusieurs observateurs ont constaté très nette- 
ment que la terminaison en anse était moins commune qu'on ne 
l'avait pensé jusqu'alors, et qu'au contraire la terminaison des 
nerfs par des extrémités libres avait lieu avec une certaine fré- 
quence. 

#" série Zoou, T, IV, (Cahier n° 5.) ! É 17 


258 ERNEST FAIVRE, — OBSERVATIONS 

Nous avons à ce sujet une observation décisive, mais une seule 
malheureusement : nous avons vu dans un cas un tube nerveux 
aboutir sur un vaisseau, et s'y accoler ; cette terminaison est tout à 
fait en rapport avec celle que M. Doyère indique chez les Tardi- 
grades (L). 

L'étude des rapports du système nerveux de la vie organique 
avec le système de la vie animale n’est pas beaucoup plus facile 
que l'étude de la terminaison des filets nerveux ; aussi nos elforts 
sur ce point sont-ils restés longtemps infructueux. Cependant, en 
traitant un jour des ganglions et des connectifs, pourvus de leur 
enveloppe, par une goutte de glycérine bien pure, nous avons 
distingué, à une certaine distance des centres ganglionnaires, 
auprès des tubes de deuxième ou troisième dimension, quelques 
cellules unipolaires, dont les tubes, après un court trajet, allaient 
se rendre dans un filet nerveux , en suivant une direction opposéé 
au cours des fibres de ce dernier. 

Nous ne saurions maintenant ajouter d’autres détails sur la 
connexion des systèmes nerveux; c’est un point très important qui 
exigera de nouvelles études. 


Considérations générales. 


Nous avons exposé les faits , cherchons maintenant à en appré- 
cier la valeur, soit par rapport à la Sangsue seulement, soit au point 
de vue de l'histologie générale du système nerveux. 

Relativement à la Sangsue , il est parfaitement démontré qu’elle 
a deux formes de système nerveux : l'un composé d’une chaîne 
régulière de ganglions et de conneclifs distribuant ses filets aux 
organes de la vie de relation ; l’autre composé de réseaux et de cor: 
dons spécialement distribués dans les parois de l'estomac. 

Les éléments dans les deux formes ont la plus intime analogie ; 
les cellules et les tubes ont, en effet, la même structure, et offrent 
des réactions exactement semblables ; en un mot, l'unité nerveuse 
(c’est-à-dire la cellule et le tube qui en émane) est la même dans 
tous ces cas. à 


(1) Consulter son Mémoire et les planches annexées, Ann. des sc. nat,, A840. 


SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 299 

Les différences essentielles portent sur l’arrangement mutuel 
des éléments ou des unités nerveuses. 

Dans les ganglions , les cellules sont groupées en une même 
masse ; les tubes qui s'échappent des cellules sont toujours accolés 
en faisceaux, et se dirigent en droite ligne ; ces ensembles sont 
toujours réunis par un névrilème. 

Dans le système gastrique , les cellules sont isolées, formant 
chacune un petit centre. Ces tubes sont solitaires, flexueux, for- 
mant des mailles ; s'ils se réunissent en cordons, ceux-ci sont tou- 
jours dépourvus d’enveloppe générale. 

Les cellules de la vie animale sont généralement unipolaires ; les 
lubes nerveux ne s’anastomosent ou ne se bifurquent qu'exception- 
nellement. 

Les cellules de la vie organique sont plus souvent multipolaires ; 
les anastomioses des tubes sont fréquentes. 

Ce simple exposé des analogies et des différences nous con- 
duit à admettre, comme terme légitime de nos observations, que, 
dans la Sangsue, le système nerveux est l'ensemble d’un nombre 
considérable d'unités nerveuses. 

Les nerfs de la vie animale ont cette forme, dans laquelle 
les unités sont intimement liées et régulièrement disposées par 
groupes pour former soit les ganglions , soit les connectifs et les 
nerfs. 

Le système de la vie organique est cette forme moins élevée, 
dans laquelle les unités sont éparses, irrégulièrement disposées, 
soit sous celle forme de réseaux, dans lesquels il n'entre que des 
cellules et des tubes isolés, soit sous forme de cordons , qu ne 
résultent que de l'apposition mécanique de plusieurs tubes. 

Si l'on admet que la cellule nerveuse soit un véritable centre 
indépendant (et cela parait très plausible , puisque les ganglions , 
qui sont incontestablement de grands centres nerveux, ne sont 
composés que des cellules distinctes), on doit en conelure que le 
grand sympathique a ses centres propres, et que par conséquent il 
est nécessairement indépendant du système de la vie animale. I 
est bien entendu que de cette assertion tout anatomique, on ne 
saurait nécessairement tirer des inductions physiologiques bien 


260 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS 


fondées; on ne peut faire sur les fonctions que des conjectures 
plus ou moins plausibles. 

Il nous reste à indiquer l'importance que peuvent avoir nos 
recherches, eu égard à l’histologie générale : 

4° En premier lieu, elles tendent à rendre indubitable la conti- 
nuation des cellules avec les tubes, point encore contesté par quel- 
ques observateurs. 

% Elles montrent les dangers qui s’attachent à la considération 
trop absolue du volume des tubes, et ne sont pas favorables aux 
idées de Remak, Robin, Kælliker, ete., sur les tubes minces et les 
tubes larges. 

3° Elles ne conduisent pas à des différences essentielles relati- 
vement à la structure, quant à ce qui concerne les tubes de la vie 
animale et eeux de la vie organique. 

k° Elles conduisent à admettre l'indépendance des centres ner- 
veux de la vie organique , sans que cependant on puisse nier pour 
cela les connexions intimes de ces nerfs avec ceux de la vie per- 
sonnelle. 

Nous remarquerons à ce sujet que l’école histologique alle- 
mande paraît portée depuis quelques années à admettre que le grand 
sympathique a ses racines dans le système cérébro-spinal, dont il 
est en grande partie une dépendance. 

Cette manière de voir ne serait pas, nous le répétons, d'accord 
avec nos observations. 

5° Les anastomoses entre les tubes nerveux sont bien plus fré- 
quentes chez la Sangsue que chez tous les autres animaux examinés 
À ce point de vue. 

Si l’histologie du stomato-gastrique des Invertébrés était mieux 
connue, il serait intéressant de mettre en parallèle nos observations 
avec celles qui auraientété faites ; mais la science étant trop peu 
avancée sous ce rapport, nous devons nous borner à attirer spé- 
cialement l'attention sur ces points encore si obseurs. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 6 A. 


Fig. 1. Fragment pris sur les parois lalérales de la membrane inférieure de 


SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 264 
l'estomac : à, cellule tripolaire ; b, cellule allongée, qui va passer à l’état de 
tube ; €, c, anastomoses transversales. 

Fig. 2 Fragment pris au même point que le précédent. 

Fig. 3. Une cellule nerveuse déformée, probablement pour devenir un tube. 

Fig. 4. Portion de cordon nerveux pris dans le milieu de la membrane gastrique : 
a,a, ce cordon composé de tubes sans névrilème (nous ferons remarquer que 
ces tubes sont, en réalité, beaucoup plus larges qu'ils n'ont été représentés 
dans cette figure); b,b, cellules dont les prolongements tubuleux concourent 
latéralement à la formation du cordon. 


Fig. 5. Une cellule nerveuse d'un très grand diamètre. 

Fig. 6. Deux cellules dans lesquelles le contenu est très séparé de la paroi, et 
dont les enveloppes , après avoir laissé écouler la matière grasse extérieure, 
sont revenues sur elles-mêmes. 


Fig. 7. Exemple de deux anastomoses : 4, anaslomose transversale ; b, anasto- 
mose par convergence. 


QUELQUES MOTS 
SUR 
LES CERCERIS DE M. FABRE (1), 
Par M. Léon DUFOUR. 


C’est avec le plus vif intérêt que j'ai lu et relu la piquante narration de 
M. Fabre sur les intelligentes manœuvres du plus grand Cerceris d'Europe, 
qui approvisionne sa progéniture avec un Cureulionite, le Cleonis ophthal- 
micus. Déjà Lepelletier de Saint-Fargeau, dans sa description du Cerceris 
rufiventris, qui habite l'Algérie, avait vu qu'il nourrissait ses petits avec 
des Cureulionites. Il y a plus de vingt ans que j'ai publié l’histoire , com- 
plaisamment citée par M. Fabre, du Cerceris bupresticida, qui, lui, ali- 
mente sa famille avec un repas somptueux de neuf ou dix espèces de 
Buprestides. 

Voilà des faits qui rekaussent singulièrement la véritable science ento- 
mologique, celle dont les Réaumur, les De Géer, les Bonnet, nous ont 
légué d’inimitables modèles. 

J'admire les habiles, ingénieuses et savantes expérimentations de 
M. Fabre pour constater le procédé de l'Hyménoptère , qui pique sa vic- 
lime cuirassée , en la rendant tout aussitôt non-seulement immobile et 


(4) Observations sur les mœurs des Cerceris. par M. Fabre (Ann, des sc. nat, 
ÿ° série, L. IV, p,. 129) 


262 L. DUFOUR. — QUELQUES MOTS 
asphyxiée, mais encore incorruptible. Je m'étais arrêté tout court devant 
la singularité du fait de cette asphyxie. Mieux avisé que moi, M. Fabre à 
su reconnaitre que son Cerceris piquait de son dard vénénifère le gan- 
glion prothoracique du Cleonis, et il a lui-même produit, par une opéras 
tion artificielle, ce même résultat. Cela est saisissant d’intérêt : c’est abso- 
lument comme la chloroformisation sur l’homme, La science est donc 
redevable à M. Fabre de la solution physiologique de ce phénomène, 

L'auteur que je viens de nommer m’a obligeamment transmis un indi- 
vidu femelle du grand Cereeris, auquel il a eu la généreuse attention de 
vouloir attacher mon nom, présumant que c’élait une espèce nouvelle. 
Cet insecte est très positivement le Sphex tuberculata de Villers, trouvé 
par celui-ci, il y a au moins soixante ans, précisément dans la contrée 
qu'habite M. Fabre. Rossi le nomma Crabro vespoides; M. de Spinola, 
Cerceris major ; et aujourd’hui, c’est le Cerceris tuberculata. La cou- 
leur jaune passe parfois au ferrugineux. 

Je dois aussi à M. Fabre deux petits individus de l'espèce qui nourri- 
rail, suivant lui, ses larves avec le Sphenoptera geminata, qui est un 
Buprestide. Ils appartiennent certainement aux nombreuses variations de 
taille et de couleur du Cerceris ornata Kabr., où variabilis Dahlb., dont 
le »inuta Lepel. n’est aussi qu'une modification. 

Mais il me naît, au sujet de ces individus , des doutes sur le légitime 
ravisseur du Sphenoptera , et je soupçonne qu’il y aura eu dans gette 
communication quelque méprise ou quiproquo : ceci demande explication, 

M. Fabre lui-même, en parlant du Cerceris ornata, s'étonne, avec 
raison, que son espèce pût être identique avec celle-ci, vu que l'ornatn 
nourrit ses larves non avec des Buprestides, mais bien avec des Hymé- 
noptères des genres Halictus et Andrena. Or voici un fait qui peut éclai- 
rer la question : 

Mon ami le professeur Graells m'a envoyé de Madrid, enfilés par la 
même épingle, un Cerceris bupresticida avec un Sphenoptera geminata 
saisis ensemble. C’est à Madrid qu’en 1808 je découvris pour la première 
fois mon Cerceris bupresticida, que primitivement j'avais appelé Argen- 
tifrons, et que Lepeletier a décrit sous ce nom en exagérant sa longueur, 
Remarquez encore que M. Fabre. dans le signalement de son espèce, 
met en première ligne : face couverte d'une fine pubescence argentée, 
trait qui précisément m'avait jadis inspiré Pappellation d’argentifrons. 
Vous ne trouvez pas ce caractère dans l’ornata. 

Le Sphenoptera geminata ne vient pas aux environs de Saint-Séver, 
et voilà pourquoi il ne figurait pas dans les nombreux Buprestides servis à 


SUR LES CERCERIS DE M. FABRE. 263 


la table des larves du Cerceris bupresticida. Et si M. Fabre n’a trouvé 
dans le nid de son Cerceris que quelques fragments du susdit Sphenoptera, 
c'est que ou bien il n’a pas eu occasion de visiter en temps opportun un 
assez grand nombre de terriers, ou bien qu’il n'existe pas aux environs 
d'Avignon beaucoup d'espèces de Buprestides. Je ne serais pas du tout sur- 
pris que, plus tard, M. Fabre ne vint à reconnaître que le véritable ravis- 
seur du Sphenoptera est un Cerceris bupresticida , dont il confirmerait 
ainsi l'instinct entomologique. 


ADDITIONS 


A LA 


NOTE SUR L'ABSENCE DANS LE NÉMOPTÈRE 


D'UN SYSTÈME NERVEUX APPRÉCIABLE (1), 
Par M. Léon DUFOUR., 


Et d’abord le mot appréciable répété, à dessein, dans le cours de mon 
article à ce sujet, témoigne assez de ma réserve. Cest précisément parce 
que ce fait négatif constituait une étonnante exception ou, si l’on veut, 
une anomalie, que j'ai multiplié les autopsies, que je me suis livré à des 
études plus scrupuleuses avant de me décider à les mettre en lumière. 

L’anatomie des insectes, animaux qui ont le remarquable privilége 
d’avoir un système vasculaire aérifère, et de n'avoir point de vaisseaux 
sanguins; cetle anatomie, malgré tous mes labeurs, est encore au ber- 
ceau. La génération qui nous suit a bien à faire et à défaire avant de for- 
muler une législation dans ces admirables organismes. Jai partagé et je 
partage l’étonnement de l'illustre rédacteur de la zoologie de ce recueil 
relativement à l'absence d’un système nerveux dans un insecte, qui exécute 
tous les actes physiologiques de ses congénères où ce système est complet 
et facile à mettre en évidence. Mais, je me plais à le répéter, quoique mes 
sens et mes moyens optiques aient été impuissants à découvrir et ganglions 
et nerfs dans le Némoptère, j'ai admis, avec conviction intime, une inner- 
yation par des centres et des conducteurs impalpables pour moi. J’appelle 
donc avec mon savant ami, de toute la sincérité de mes vœux, un scalpel 
plus habile, des yeux mieux exercés, ou plus heureux, pour résoudre le 


(4) Voyez ci-dessus page 153. 


264. MARCEL DE SERRES, — NOTE 

problème. L'étude des mœurs, des habitudes et du genre de vie du 
Némoptère, étude fort difficile, parce que l’insecte est crépusculaire ou 
nocturne, contribueront puissamment à confirmer ou à modifier la vérité 
anatomique actuellement en litige. Et pourquoi donc s’effaroucher de faits 
insolites, lorsqu'ils pullulent de toutes parts dans l’étude approfondie des 
organismes inférieurs ! Voyez plutôt les miraculeuses mutations de formes 
ou métamorphoses des Helminthes déroulées récemment par l’habile 
patience de von Siebold et de Van Beneden ! C’est à ne pas y croire, et j'y 
crois fermement. 


NOTE 


SUR 


UN VOMER GARNI DE CINQ RANGÉES DE DENTS 


DES TERRAINS DE LA CRAIE CULORITÉE OU À HIPPURITES , 


Par M. MARCEL DE SERRES, 


Professeur à la Faculté des sciences de Montpellier. 


Nous avons rencontré dans les terrains de la craie à hippurites 
des environs de Coniza, près les bains de Rennes (Aude), un 
vomer d’un Poisson ganoïde presque entier, garni de cinq rangées 
de dents. Ces dents sont toutes de forme elliptique, ce qui les 
éloigne d’une manière notable de celles des Phyllodus, et surtout 
des Gyrodus, chez lesquels leurs formes sont généralement arron- 
dies. Elles différent, en outre, des dents de ces deux genres de 
Poisson, en ce qu’elles sont plus régulièrement espacées. 

Les dents de la rangée moyenne offrent une figure plus elliptique 
que les palalines dessinées dans la planche 72, figure 23, du tome I° 
des Recherches sur les Poissons fossiles d'Agassiz, et rapportées 
par lui à l'espèce, à laquelle il a donné-le nom de Pycnodus rugu- 
losus. Nous ne pensons pas cependant que cette différence soit 
assez grande pour considérer notre vomer comme appartenant à 
une autre espèce qu'à celle désignée sous le nom de rugulosum: 
Toutefois les dents latérales sont plutôt arrondies qu’elliptiques 
dans le fragment figuré par le célèbre paléontologiste de Neuf: 
châtel, 


SUR UN VOMER GARNI DE CINQ RANGÉES DE DENTS. 9265 


Les dents latérales du fragment de Coniza , irrégulièrement 
elliptiques , sont loin d’être arrondies comme celles du vomer 
d'Angleterre, communiqué à l’auteur des Recherches sur les 
Poissons fossiles par M. Buckland. Une autre différence semble 
éloigner les deux fragments; elle porte du moins sur un point 
assez essentiel à la mastication. L'espace qui sépare les dents est 
plus grand dans le vomer de Coniza que dans celui du Nor- 
thamptonshire. 

Toutefois cette plus grande distance entre les dents des deux 

fragments peut tenir à l’âge des Poissons dont ilsnous démontrent 
l’ancienne existence, en même temps qu’à la diversité de dimen- 
sions des deux individus. L'avantage est ici en faveur de celui des 
terrains à hippurites du midi de la France, dont les dents sont plus 
éloignées les unes des autres, par suite peut-être de l'âge de l’indi- 
yidu auquel notre vomer a appartenu. 
: Quant au Pycnodus Bernardi de M. Thiollière , il a bien quel- 
ques analogies avec le Pycnodus rugulosus ; il en diffère cepen- 
dant en ce que les dents, quoiqu'au nombre de cinq rangées, 
offrent cette particularité que les latérales ont une plus grande 
dimension que les moyennes, ce qui est tout le contraire dans le 
fragment de l'Aude. 

Les dents du Pycnodus Bernardi sont également moins ellip- 
tiques, et plusieurs d’entre elles sont arrondies, forme que ne pré- 
sente pas l'échantillon de Coniza (4). Les dessins des maxillaires 
des diverses espèces de Pycnodus, que M. Paul Gervais nous a 
donnés dans la planche 69, figures de 21 à 25, de sa Géologie et 
Paléontologie francaise, et sur lesquels il a donné quelques détails 
page à, ne rappellent pas davantage les particularités de forme et 
des dispositions des dents du Pycnodus rugulosus. La figure que 
nous en donnons fera mieux saisir ces différences que ne pour- 
rait le faire une description même minutieuse. 

Nous avons fait observer que l'on ne pouvait guère rapporter le 
fragment de Coniza aux Phyllodus et aux Gyrodus , et nous ajou- 
terons que l’on peut encore moins le rapprocher aux Placodus, qui 


(1) Annales de la Société d'agriculture et d'histoire naturelle de Lyon , t, KV, 
planche X, année 1852 


266 MARCEL DE SERRES. — NOTE SUR UN VOMER , ETC. ” 
n'ont que trois ou quatre rangées de dents palatines. La forme des 
dents de ce dernier genre est tellement différente de celles de 
notre espèce, qu'il serait difficile de les assimiler même au Placo- 
dus gigas, avec lesquelles elles ont le plus d'analogie qu'avec 
celles des autres espèces du même genre, et particulièrement avec 
le Placodus Munsteri. 

Le vomer fossile des terrains crétacés du midi de la France se 
rapproche donc plutôt du Pyenodus rugulosus que de toute autre 
espèce, quoiqu'il en diffère par certains caractères qui ne sont 
peut-être pas spécifiques. 

M. Leymerie a fait figurer, dans son Mémoire sur le terrain 
crétacé de l'Aube (1), un vomer armé de cinq rangées de dents, 
analogue à celui de Coniza , à la taille près. I l’a rapporté à un 
Poisson du genre Pycnodus, qui paraît appartenir à la même espèce 
que le nôtre. Nous ajouterons que le Pycnodus de M. Leymerie se 
rapproche plus de celui faite par M. Agassiz que le vomer de 
Coniza. 

Il est, du resté, remarquable que le même Poisson fossile se 
rencontre sur le continent et dans les îles Britanniques, et cela dans 
des terrains très différents. En effet, le Pycenodus rugulosus, dont 
la dentition est si particulière , comme , du resté, celle de tous les 
genres que nous lui avons comparés, aurait véeu en Angleterre, lors 
du dépôt de l'oolithe, et en même temps dans les terrains crétacés 
du nord et du midi de la France. 

Cette circonstance, qui se représente pour tant d'autres habita- 
tions des espèces de l’ancien monde, prouve que la diffusion était, 
dans les temps géologiques, la loi la plus générale de la distribution 
des êtres vivants, 


EXPLICATION DES FIGURES. 
PLANCHE 8 C 


Fig. 9. Vomer du Pycnodus rugulosus ayant conservé ses cinq rangées de dents 
palatines, dessiné de grandeur naturelle, 


(1) Mémoires de la Société géologique de France, t. IV, 4"° partie, p. 33, 
pl. 18, fig. 6. Le vomer de l'Aube y est uniquement signalé par ces mots: Pha- 


ryngien de Pycnodonte. i 


MÉMOIRE 
SUR 


L'ORGANE DE BOJANUS DES ACÉPHALES LAMELLIBRANCHES, 
Par le Dr H. LACAZE-DUTHIERS. 


pe 


Dans presque tous les Acéphales lamellibranches, on trouve de 
chaque côté du corps, vers l'insertion des branchies, entre l’abdo- 
men, le muscle postérieur des valves, le cœur et le foie, une glande 
plus ou moins brunätre, sur les fonctions de laquelle on est loin 
de s'entendre. 

Bojanus (1) s'en est occupé le premier avec suite; cela explique 
pourquoi on la trouve souvent désignée par ces mots corps, 
sac , organe de Bojanus. I la regardait comme l'organe de la 
respiration; Poli (2) pensait qu'elle sécrélait la coquille ; Neuwy- 
ler (3) la considérait comme le testicule ; Treviranus (4), 
Carus (5), Garner (6), R. Owen (7), von Siebold (8), admettent 
qu'elle est le rein; MM. Deshayes (9) l'appelle l'organe dépu- 
rateur; Van-der-Hœven (10) et von Siebold (11) aussi, lui 


(1) Bojanus, sis, 1819, p. 46, pl. 1, fig. 1; 1820, p. 404. 

(2) Poli, Testacea utriusque Siciliæ hisloria et anatome , 1791-1798, int. 
p.48,2. II, p. 86, pl, 20, etc., p. 443, pl. 26, etc., p. 41, pl. 237. 

(3) Neuwyler, Die Generations-organe von Unio und Anodonta, dans les Neue 
Deuskrift. der Allgem. Schw. Ges. für die gessammt, Natur,, VI, A842, p. 4, 
pl. 4-3. 

(4) Treyiranus, dans Tiedemann, Zeitsch. für Physiol., 1, p. 53, 

(5) Carus, Zool., 1834, IN, p. 650. 

(6) Garner, Trans. of the phil, Soc,, p. 92, t. IT, pour 4844, 

(7) R. Owen, Leot, on the comp. Anat., p. 284. 

(8) Von Siebold, Anat. comp., t. 1, 2° partie, p. 280, not. 5. 

(9) Deshayes, £xploration scientifique de l'Algérie, les diverses Monographies. 

(10) Van-der-Hæven, Meckel's Archiv., 1828, p. 502. 

(44) V. Siebold, Loc. cit., p. 281, note 6. 


268 HN. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE 


trouvent beaucoup d’analogie avec les appendices veineux des 
Céphalopodes. 

Il est peu d'organes dont le rôle ait été, on le voit, plus diver- 
sement interprété. 

En face de tant d'opinions, il eût été difficile de prendre une 
décision absolue, surtout quand les fails n'avaient pas un caractère 
tel qu'ils pussent trancher nettement la question ; aussi le travail 
que je publie aujourd’hui est-il plus anatomique que physiolo- 
gique. Pour avoir une opinion définitivement arrêtée, de nou- 
velles recherches , où la chimie physiologique eût joué le plus 
grand rôle, étaient nécessaires. Des circonstances ne m'ont pas 
permis de les entreprendre ; j'ai dû cependant faire connaître les 
particularités qui, pendant un examen fréquemment répété, se 
sont présentées à mon observation. La structure de cette glande 
était d’ailleurs peu connue, et il existait quelques erreurs anato- 
miques à son égard, et une étude comparative sur un nombre suf- 
fisant d'espèces manquait absolument. Il y avait donc là quelque 
chose à faire; aussi le but de ma publication est-il principalement 
de combler une lacune. Si je présente à la fin quelques considé- 
rations sur la physiologie , elles doivent être regardées seulement 
comme des éléments pouvant servir plus tard à une étude appro- 
fondie des fonctions. 

Je place la description de l'organe de Bojanus à côté et après 
celle des organes de la reproduction , parce qu’il m'a paru y avoir 
un rapport constant entre les deux. Toujours ceux-ci s'ouvrent ou 
dans l’intérieur de celui-là, ou à côté ; et ce rapport des orifices 
excréleurs conduit à un rapprochement analogue à celui que l’on 
fait dans les animaux supérieurs, entre les glandes rénales et 
celles de la reproduction. 

On trouvera donc en définitive dans ce travail une étude détaillée 
de la structure de l'organe, son anatomie descriptive, des don- 
nées curieuses sur l’origine de quelques concrétions en forme 
de perles, et une appréciation des principales opinions des 
auteurs. 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 269 


II. 


ANATOMIE. 


S [LEA 


Description de l'organe. 


Le sac de Bojanus est toujours facile à trouver ; sa position est 
à peu près constante, mais sa forme, ses rapports-et ses autres 
caractères, varient avec les espèces. 


La teinte suffit le plus souvent pour le faire reconnaître. Quand 
on écarte les branchies après avoir placé l’animal sur le dos (L), 
c'est-à-dire sur la partie qui correspond à la charnière de la 
coquille, on voit de chaque côté de la masse viscérale, habituelle- 
ment blanchâtre, ou gristre, ou plus ou moins rouge, un corps 
oblong , qui se fait distinguer par sa coloration presque constam- 
ment brunâtre. Cette teinte cependant est dans quelques cas diffé- 
rente : ainsi dans la Lime squameuse , elle est d’un jaune clair; 
dans l’Anomie de la Méditerranée, je l'ai vu souvent d’un violet 
assez riche en coloris. Du reste, son intensité varie avec les indi- 
vidus, et probablement aussi avec les époques de l’année. 

On verra plus loin l'explication de cette différence ; toujours est- 
il qu’à part quelques exceptions, c’est entre le brun foncé, le brun 
olivâtre ou le jaune verdâtre, qu’elle varie. 


La forme dépend de celle du corps de l'animal ; elle change avec 
celle-ci. On ne peut, du reste, bien en juger qu’en enlevant soi- 
gneusement les branchies et tous les tissus blancs qui les 
unissent au péricarde , au cœur et au manteau. Alors on voit que 
le sac occupe tout l’espace compris entre la poche péricardique en 
dessus, le muscle postérieur des valves en arrière, le foie en avant, 
la masse glandulaire génitale en avant encore, mais en bas et en 
dedans , les muscles rétracteurs postérieurs du pied en dessous, 
L'espace dans lequel est comme enchässée la glande détermine 


(4) PL 5, L IV, 4 série, fig, 6 (Cardium rusticum), vu de face en dessous(r). 


270 H. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE 


naturellement sa forme; que l'animal soit allongé , et elle sera 
longue comme dans les Modioles (1), les Moules, l'Arche (2); qu'il 
soit, au contraire, court et ramassé sur lui-même, et la forme 
deviendra irrégulièrement globuleuse, comme c’est le cas le plus 
fréquent. 

Les proportions du muscle des valves, celles de la masse 
viscérale abdominale et des muscles du pied, causent aussi de très 
grandes variations dans la disposition; ainsi, dans les coquilles 
des Pèlerins, où le muscle des valves est si volumineux et où 
la masse abdominale s'étend beaucoup en arrière , les deux 
sacs font saillie dans les dépressions qui séparent les deux par- 
ties. Dans les Lucines, l'extrémité postérieure se contourne sur le 
muscle des valves ; aussi semble-t-il qué le corps de Bojanus pré- 
sente trois branches. Dans la Nacre (3), la masse de l'organe est 
globuleuse, et bien nettement limitée de chaque côté. 

Ces variations de forme n’ont rien d’important; elles corres- 
pondent toutes aux variations que présentent les animaux. Ce dont 
on juge très bien dans l'Anomie par exemple, où l’un des côtés du 
corps est fortement contourné, tandis que l'autre présente la forme 
habituelle. L'une des glandes décrit une courbe d’un très court 
rayon, tandis que l’autre est presque droite. 


Les rapports sont importants à connaitre ; ils présentent des 
différences qui tiennent encore à la disposition générale. 

Dans presque tous les cas, le sac de Bojanus s'applique en 
arrière sur le muscle des valves : c’est là un rapport constant (4), 
Quand il remonte sur le dos, il contracte un nouvéau rapport; il 
s'approche du rectum ; quelquefois celui-ci, après s'être dégagé 
du cœur , se loge en glissant sur la face dorsale du muscle des 
valves entre les deux sacs ; enfin le péricarde tapisse la partie dor- 

(4) Voy. Ann. des se. nat., 4° série, 1854, €. LV, pl. 5, fig. 10 (r). 

(2) Je renvoie, quand la spécification n’est pas donnée en note, à la liste des 
espèces qui a été publiée en 1854, Annales des sciences naturelles, 4° série, t. II, 
p. 242 et suiv. 

(3) Voy. Ann. des sc. nat., 4° série, 1854, t. IT, pl. 5, fig. 2. 

(4) Voy. id. t. WI, pl. 5, fig. 1; pl. 7, fig. 4; pl. 8, Mig. 14; L. IV, pl.5, 
fig. (2), (6), (10), (43). 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 271 


sale des deux glandes, qui forment comme le plancher inférieur 
de la cavité où se loge le cœur (1). 

Les cordons nerveux, qui unissent les ganglions buccaux aux 
ganglions branchiaux ; sont toujours en rapport immédiat avec 
l'organe; ils sont placés contre sa face interne, et dans les exemples 
où le corps est allongé, comme dans les Mulettes, les Anodontes, 
on doit les chercher au milieu de la substance même dela glande ; 
la couleur blanche de ceux-ci tranche vivement sur la teinte si 
brune du sac de Bojanus. 

Les branchies sont le plus souvent insérées sur une ligne qui 
partage en deux parties à peu près égales la glande. Aïnsi dans le 
Peigne varié, le Peigne glabre , et bien d’autres qu'il serait trop 
long de citer (2), lorsqu'on les a enlevées, on voit leur insertion 
qui se marque par un sillon. Cependant dans la coquille de Saint- 
Jacques et dans la Lime, la branchie est insérée en dehors; aussi 
la glande se trouve-t-elle dans ces espèces entre la masse abdo= 
minale et l'organe respiratoire (3). 

Les rapports qu'affectent les deux sacs l’un avec l’autre sont 
importants ; ils varient comme précédemment et dans les mêmes 
circonstances. Ainsi dans les cas où la masse viscérale s'avance 
beaucoup en arrière , elle empêche les deux extrémités inférieures 
des deux glandes de se réunir sur la ligne médiane ; on voit 
alors celles-ci, séparées et distinctes, former deux corps, l’un 
à droite , l’autre à gauche; il n’est question ici que de la partie 
apparente, sans autre préparation que l’écartement des branchies. 
Cette disposition existe à son maximum dans la Lime squa- 
ineuse (4). 

Dans le cas contraire, les deux sacs peuvent se rapprocher en 
bas sur la ligne médiane , et former comme un collier autour du 


(4) T. IV, pl. 6, fig. 3, 4. 

(2) Je renvoie, du reste, aux figures qui ont été publiées dans les Annales, 
sur les organvs de la reproduction. Voyez cependant particulièrement la figure 4 
de la planche 8, t. II. 

(3) Ceci est très marqué dans la figure 2 de la planche 6, t. IV. La masse 
abdominale est d'un côté, les branchies de l'autre, 

(4) TU, pl. 7, fig. 4. 


9279 H. LACAZÉ-DUTHIERS., — MÉMOIRE 


muscle du pied, sorte de pédicule de la masse abdominale; cela 
s’observe dans le Cardium rusticum, la Lucina lactæa, etc. 

Plus profondément, les deux glandes se rapprochent constam- 
ment du côté du dos. Dans l’Anodonte, la Mulette des peintres, la 
Lutraire solénoïde, la Bucarde frangée, la Pholade, etc., la dispo- 
sition est si nettement marquée, qu’en observant l’animal du côté du 
péricarde, après avoir enlevé le cœur , on croirait à l’existencé 
d’une seule masse glandulaire (4). 

Il ya même accolement des paroiïsinternes sur la ligne médiane 
et formation d’une cloison verticale, qui le plus souvent est percée 
d’une ouverture (2), établissant une communication directe entre 
le sac de droite et le sac de gauche. Je reviendrai sur cette dispo- 
sition en décrivant la cavité de la glande. 


A l'intérieur, la glande est assez compliquée, el sa dispo- 
sition n'a été que bien imparfaitement connue et décrite. 

Prenons l'exemple même étudié par Bojanus, l’Anodonte , 
l’Anodon cygnœum, comme il l'appelle. Du reste, dans la Mulette 
des peintres, dans la Lutraire solénoïde, la Pholade, les Bucardes, 
les Corbules, ete., les choses sont semblables. 

Si, après avoir enlevé les branchies, on incise l'organe suivant 
sa longueur , un peu de côté, on tombe dans une large poche où 
la teinte est encore plus marquée qu'au dehors ; on y voit appliqué 
sur la paroi interne une élévation qui fait saillie dans la cavité ; c’est 
cette masse saillante que Bojanus avait considérée comme la partie 
active de l'organe, comme le poumon. Une connaissance plus exacte 
et plus complète de la disposition eût empêché d'avancer une telle 
opinion. En effet, en déchirant cette partie saillante, on trouve dans 
sonintérieur une nouvelle cavité. Bojanus avait vu cette cavité, mais 
il la croyait close; ce quin’esl pas, car elle présente deux orifices 
très distinels. Sur un animal ouvert avec précaution, qu'on fasse 
une petite ouverture à la paroi de cette cavité interne, et puis qu'on 
pousse une matière colorante dans son intérieur, on verra cette 
matière s'échapper dans la première poche la plus extérieure , et 

(1) T. IV, pl. 6, fig. 3, Cardium. 

(2) T. IV, pl. 6, fig. 4, Lutraria. 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 273 
cela en arrière. Si l’on cherche avec soin dans la partie où s’est 
échappé le liquide, on trouve au milieu des replis glandulaires qui 
tapissent les parois , et le cul-de-sac voisin du muscle postérieur 
des valves, une très large et longue fente qui établit la communi- 
cation entre les deux cavités. On ne peut guère donner à cette 
large communication le nom d'orifice ; car elle a presque autant 
d’étendue que le diamètre du sac lui-même ; elle est masquée par 
les replis glandulaires dont les interstices lui ressemblent, ce qui 
certainement a empêché de la distinguer. 

S'il était encore besoin de critiquer l'opinion de Bojanus , on 
trouverait ici un argument bien fort contre sa théorie. Comment 
admettre, en effet, que la cavité centrale du poumon pourrait 
êtreremplie de sang, alors qu’elle communique avec la poche péri- 
phérique où, d’après l’auteur, entre l’eau servant à la respiration. 

En étudiant la partie de la glande qui forme le plancher du 
péricarde, on est frappé de l'existence de deux dépressions qui se 
trouvent en avant (1), tout près de l’endroit où le rectum sort de 
la masse viscérale pour pénétrer dans le cœur. En présentant la 
tête d'une épingle à insecte dans ces dépressions qui ressemblent à 
des orifices de quelques conduits, on la voit bientôt disparaître, et 
pénétrer assez avant. On cherche naturellement si l’épingle n’a 
pas pénétré dans l'organe de Bojanus placé au-dessous , et l’on 
n’est pas peu surpris de la rencontrer dans la cavité interne de la 
partie saillante, appelée poumon par Bojanus. 

Ce fait, par lui-même assez singulier, méritait d’être vérifié sur 
d’autres espèces; il était curieux de savoir si c'était une disposition 
exceplionnellement propre à l’Unio et à l’Anodonte ; aussi, dès que 
je pus me rendre sur les bords de la mer, ce fut une question que 
je me proposai de résoudre. L'année dernière (1854) et cette 
année (4855), j'ai pu observer sur les côtes de Bretagne deux 
espèces de Bucardes, la Dentelée et la Tuberculeuse , une Pholade 
d’une taille fort considérable, la Lutraire solénoïde, la Corbule 
slriée, et j'ai eu la satisfaction de voir se généraliser Je fait que 
j'avais observé à Paris. Plus tard, sur les Anodontes des environs 
de Lille, j'ai trouvé, il fallait s’y attendre, une semblable Gisposi- 

(1) T. IV, pl. 6, Gg. 3. Péricarde ouvert, le cœur enlevé. Cardium. 

4° série, Zooz, T, IV, (Cahier n° 5.) 2 15 


27h H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


tion. Garner avait vu celte communication dans l’Unio ; il la cite, 
mais il ne l’a pas cherchée dans d’autres espèces. Du reste, le peu 
de détail qu'il donne laisserait croire qu’il n’a point eu une connais: 
sance complète de toutes les dispositions. 

Si maintenant nous cherchons à considérer dans leur ensemble 
ainsi que dans leurs rapports les différentes cavités et leurs orifices; 
nous verrons que l'entrée du sac est placée à côté de l’orifice de la 
génération (1), en avant, dans l’angle où s’insère l'extrémité anté- 
rieure des branchies ; qu’à cet orifice d’entrée fait suite une grande 
cavité (2), quej’appellerai périphérique, dans l'intérieur de laquelle 
s'ouvre en arrière la cavité centrale (3), qui ellemême commu 
nique en avant, et tout près de l’orifice externe (4), avec la poche 
péricardique (5). 

La partie qui met en communication le péricarde avec l'organe 
de Bojanus est étroite, en forme de canal, et ne présente plus 
l'apparence glandulaire; elle passe en dessous de la fenêtre de 
communication des deux sacs, en croisant sur son côté interne 
l'extrémité antérieure du sac périphérique, tout près de son orifice 
excréteur ou externe. 

Ainsi le péricarde communique avec l'extérieur par l’intermé- 
diaire du sac de Bojanus, et le trajet que parcourt le sac, pris dans 
son ensemble, est une courbe aplatie, rentrante, dont le paint 
d'arrivée (orifice externe) (6) est voisin du point de départ (orifice 
péricardique) (7) ; l’un est supérieur, l’autre est inférieur. 

Cette communication du péricarde n’a pas été connue des anato- 
mistes, Garner seul en parle pour l'Unio dans un passage très 
court de son Mémoire sur les Acéphales lamellibranches. 

Il faut toutefois se garder de généraliser trop vite. 


(4) T. IV, pl. 6, fig. 2 (pe. ov.). Coupe un peu théorique du corps de Bojanus 
dans la Mulelte des peintres. 

(2) Id., fig. 2 

(3) 14. fig. 2 (cc). 

(4) Id., fig. 2 


SUR L'ORGANE: DE BOJANUS. 275 

Je dois dire, en effet, qu'on éprouve de grandes difficultés à 
reconnaitre si le péricarde communique avec le sac de Bojanus, 
lorsque certaines disposilions se présentent comme dans les Pec- 
ten, où on ne trouve plus les deux cavités que j'ai cherché à dé- 
erire plus haut, et où il n'y a évidemment qu'une seule poche. 
On sait que, dans cet animal, les oreillettes s’avancent vers les 
branchies, assez loin du cœur proprement dit. Le péricarde 
s’allonge, et forme un eul-de-sac très étroit, qui se place à côté 
du sac de Bojanus. Il est fort difficile de pouvoir s'assurer si, au 
fond de cet étroit conduit, il existe une communication ; malgré 
tous mes efforts, je n'ai pu arriver à une conviction qui ne laissät 
point de doute. 

Quant aux rapports des deux sacs, ils sont plus intimes ici que 
daus les exemples précédents. Dans le Pecten jacobœæus , les deux 
organes semblent se continuer (1) l’un avec l’autre par une por- 
lion membraneuse sous-péricardique, qui n’a plus l’apparence 
glandulaire ; aussi les deux organes réunis forment-ils un tout 
placé comme à cheval sur la dépression qui se trouve entre le 
muscle des valves et la masse viscérale ; les deux portions vérita- 
blement glandulaires pendent de chaque côté de la masse abdomi- 
male, entre elle et les branchies. 

Je n'ai pas vu non plus dans l'Huilre vermeille cette partie cen- 
trale, dont la cavité s'ouvre dans le péricarde. Je dois dire que, 
lorsque je pouvais disséquer cette espèce, je n'avais pas encore 
trouvé la communication dont je parle ; toutefois, d’après les dessins 
que j'ai faits eten particulier d’après celui que je publie (2), en 
réconnaitra la plus grande analogie avec ce qui s’observe dans le 
Pecten (3),et si la communication avec le péricarde peut m'avoir 
échappé, il me paraît difficile que la partie, considérée comme le 
poumon par Bojanus, ait pu passer inaperçue. 

Il me semble qu'il y a, à l'égard de la disposition dont il s’agit 
ici, deux types bien différents : dans l’un , une cavité centrale 
communique à la fois avec le péricarde et avec une cavité péri- 

(4) T, IV, pl. 6, fig. 4 (2). 

(2) T: IV, pl. 4, fig. 6. 

(3) T. IV, pl. 6, fig 4. 


276 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


phérique ; celle-ci s'ouvre au dehors, et a une large communication 
avec celle du côté opposé ; dans l’autre, le sac est simple, et 
s'ouvre d’une part au dehors, de l’autre dans le sac du côté 
opposé. 

Il est probable que cette grande différence est la conséquence 
d’une importante modification , qui a tellement déplacé les parties, 
que l’orifice profond , s'il existe, est devenu très difficile à recon- 
naître. 

Enfin, dans la Moule comestible et la Nacre, on trouve des 
dispositions sur lesquelles je dois appeler l’attention. 

Pour la Moule, von Siebold (4) s'exprime ainsi : « Les organes 
» urinaires sont encore plus singulièrement disposés... Leurs 
» deux sacs, qui sont situés à la base des branchies, sont fendus 
» dans toute leur longueur , de sorte qu’en écartant les branchies, 
» on aperçoit distinctement les compartiments et les cellules de ces 
» glandes. » Il renvoie à un travail de Treviranus (2), et semble 
formuler son opinion d’après celle de ce dernier. Il y a lune erreur 
que je me contenterai simplement de relever aujourd’hui ; peut- 
être un jour présenterai-je l'anatomie complète de la Moule, 
car elle me paraît offrir , à bien des égards , de l'intérêt. Comme 
cet animal n’est pas rare, comme on le trouve toujours et 
partout , il n'a éveillé la curiosité d'aucun malacologiste d’une 
manière sérieuse. 

Mais une particularité a causé l'erreur des auteurs allemands. 
Les vaisseaux sanguins, qui rapportent le sang du manteau aux 
branchies , passent sur un plan inférieur (3) au sac de Bojanus; 
entre chaque vaisseau, qui s’est comme détaché de la paroi du 
sac, sont des dépressions qui ont été prises pour les replis internes 
de la substance glandulaire; ce qui a conduit à admettre que le 
sac est ouvert d’un bout à l’autre. Si l’observalion de la circulation 
ne suffisait pas pour faire reconnaître l'erreur, la présence même 


(1) Manuel d'anatomie comparée, t. I, 2° partie, p. 279, note 2. 

(2) Voy. Treviranus, Beobacht. aus der Zoot. und Physiol., p. 51, s. 686. 

(3) On n'oublie pas que lorsqu'on examine l'animal en le plaçant sur le dos, 
ce qui semble supérieur dans cette position est en réalité inférieur quand l'animal 
est en place. 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 277 
d’une cavité dans la glande, l'existence d’un orifice sécréteur, 
viendraient donner sans aucun doute raison à la manière de voir 
que j’expose ici. 

Quant à la communication avec le péricarde, il m’a été impos- 
sible de m'’assurer de son existence. La portion d'une partie cen- 
trale, analogue à celle de l’Anodonte, etc., ne m'a pas paru très 
évidente ; je me réserve, du reste à cet égard, pour le moment où 
je présenterai l'anatomie de la Moule ; je désirais ici seulement 
relever l'erreur qui existait. 

Dans la Nacre (1), le corps glandulaire est très développé ; 
je l'ai représenté dans le dessin que j'ai donné des organes géni- 
taux de cet animal (2). Il forme deux masses noirâtres placées en 
avant du muscle postérieur des valves, et en arrière des organes 
génitaux. La teinte blanche du premier, celle rouge-brique des 
seconds, fait ressortir la couleur noire de celui-ci. Quand on exa- 
mine son intérieur, on trouve une disposilion qui ne laisse pas 
que d’embarrasser un peu tout d’abord. En arrière de l'organe de 
la génération, sur la ligne médiane, en regardant l'animal en des- 
sous et en face, on voit une dépression où paraît un pelit lobule 
antérieur : c’est l'entrée d’une arrière-cavité, d’un eul-de-sac qui 
s’avance vers le dos jusqu’au péricarde. Si l’on incise, avec pré- 
caution sur la ligne médiane, la masse viscérale, de manière à 
ouvrir largement celte cavité, on remarque qu’elle est con- 
tiguë à trois poches : une dorsale , le péricarde , et deux laté- 
rales fort grandes qui remontent sur ses côtes et sur le dos 
des muscles postérieurs du byssus (3). Ces dernières contournent 
complétement les muscles, et reviennent en dehors s'unir aux 
parties noirâtres qui sont véritablement le corps de Bojanus. Elles 
sont entièrement membraneuses, et semblent être le canal excré- 


(4) Pinna nobilis. 

(2) Voy. Ann. des sc. nat., 4° série, 4854, 1. IL, pl. 5, fig. 4 et 2. 

(3) Voy. pl. 5, fig. 4, 2, ou t. IT, 1854, 4° série des Ann. des sc. nat. — 
Toutes les membranes formant les cavités ont été enlevées dans les, dessins 
publiés. — On n'y voit plus que le lobule qui pend entre les deux glandes, ss’ 
eL surlout les deux muscles du byssus (m); la cavité dont il s'agit ici remonte» 
rait donc sur la face dorsale de ces muscles, 


278 M, LACAZE-DUPMHIERS, — MÉMOIRE 


teur de la glande démesurément dilaté. Elles représentent peul- 
être à certains égards les poches périphériques que l’on a vues 
dans l’Anodonte. 

Du reste, dans la masse noirûtre de l'organe, on trouve 
des plis épais de nature glandulaire, qui entourent une eavilé pro- 
fonde, moins étendue que la précédente, dans l’intérieur de 
laquelle celle-ci s'ouvre. 

La communication avec le péricarde n’a pu être observée , car 
les individus frais manquaient pour eelte étude. Ceux conservés 
dans l'alcool, que je dois à l’obligeance de M. le professeur Valen- 
ciénnes et de M. Rousseau, aide-naturaliste au Jardin des plantes, 
ne m'ont pas fourni de renseignements suffisamment nels, pour 
que je puisse assurer que la communication existe. 

Il doit, sans aucun doute, y avoir beaucoup d’autres variétés de 
forme et de disposition ; mais je crois cependant que toutes, plus 
ou moins, se rapprocheront des deux types principaux, que les 
Bucardes, les Lutraires, ete., d'une part, les Spondyles, les 
Peignes de l’autre, nous offrent manifestement. 


Voyons où et comment s'ouvre l'organe dont nous connaissons 
la disposition générale. C’est maintenant le lieu de nous occuper 
des orifices de la génération. Je disais, en effet, dans le travail où 
je présentais l’histoire des organes de la reproduction , que leurs 
ouvertures à l'extérieur offraient des rapports si intimes ayec ceux 
du corps de Bojanus , que je renvoyais au moment où je m'oceu- 
perais de celui-ci pour faire une étude détaillée de ces orifices ; il 
est done indispensable de consulter les planches qui se rapportent 
à la génération (4). 

Trois dispositions principales se présentent : tantôt les glandes 
de la reproduction s'ouvrent dans le sac de Bojanus , tantôt elles 
ont un orifice unique et commun avec celui-ci, tantôt enfin deux 
orifices distincts, et plus ou moins éloignés, appartiennent en par- 
ticulier à chacune des glandes. 

Examinons successivement ces trois cas. 


(1) Voyez les pl. 5, 6, 7, 8, 9,t. Îl1, 4° série, Ann. des sc. nat., 1854: et 
pl. #, 5, 6,t. IV, même série, 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 279 


- Dans les Spondyles et les Peignes , il est très difficile de décou- 
vrir les orifices génitaux. Par une sorte de fatalité, la première 
espèce sur laquelle je cherchai ces conduits fut le Spondyle , et 
j'employai plus de huit jours de recherches délicates et pénibles 
à ne pas trouver une chose que le hasard me fit rencontrer au 
moment où je m'y attendais le moins. J'avais ouvert le sac de 
Bojanus, à peu près comme dans la figure que je donne, pour en 
étudier la structure, quand je vis sortir, par un orifice (4) situé du 
côté interne, dans une partie moins glandulaire que le reste du 
sae , un cylindre rose , absolument de la couleur de la glande 
dont j'avais fait déjà l'étude. L'examen microscopique me 
montra bien vite que j'avais affaire à des œufs retenus dans une 
sorte de gelée albumineuse. Plus tard, je renouvelai l'observation, 
et dès ce moment, quand les orifices de la génération ne parais- 
saient point au dehors, je les cherchais dans l’intérieur même du 
sac sur la face interne, et c’est ainsi que j'ai pu les trouver dans les 
Limes, les Peignes bigarrés, de Saint-Jacques, à côtes rondes et 
glabres, alors que von Siebold et M. Humbert n'avaient pu les 
reconnaitre. 

Ce cas n'est évidemment pas le plus fréquent, au moins à ne 
considérer que les espèces étudiées. 

Dans les Nacres ou Jambonneaux, l'orifice génital est presque à 
côté (2) de celui du sac de Bojanus; et ici, comme précédemment, 
les produits de la génération et ceux de la glande qui nous occupe 
sortent par un seul et unique orifice. C’est ce qui a fait dire à von 
Siebold qu'il y avait là comme un petit eloaque. 

En ouvrant par-derrière la grande poche membraneuse et non 
glandulaire de cet animal, on voit les deux orifices très voisins, et l’on 
comprend que les œufs puissent tomber dans ce grand réservoir. 

Dans l'Arche (8), l'organe de la génération s'ouvre bien près de 
l'orifice externe, dans l'intérieur du canal excréteur de l'organe 
de Bojanus, par une fente en boutonnière, L’orifice unique externe 
est porté à l'extrémité d'une papille fendue en long à son extrémité, 

(1) Voy. t, IV, pl. 4, fig. 6 (or). 

(2) Voy. t. IE, pl. 5, fig. 4 (cc), 

(3) Voy, t. IV, pl. 5, fig. 3, 


280 H. LACAZE-DUTRIERS, — MÉMOIRE 


et placée à peu près vers le milieu de la longueur de l'organe. 
La même disposition s’est présentée dans la Modiole ou Dattile 
des Mahonais (1). 

En résumé, on peut dire que, dans ce premier cas, les deux 
glandes s'ouvrent par un seul orifice, et que le conduit de l’un, 
dans des proportions très variables , sert de canal excréteur à 
l’autre. 

Où se trouve donc l’orifice le plus extérieur, celui, en définitive, 
qui appartient au sac de la glande que nous étudions ? J'ai indiqué 
dans l’histoire des organes de la génération un rapport important 
que présente cet orifice avec le connectif nerveux, qui, des masses 
ganglionnaires branchiales, se rend à celles placées dans le voisi- 
nage de la bouche. C’est constamment en dehors du connectif, 
vers le point où il plonge dans la masse abdominale (2), que l’on 
aperçoit l'oritice. Dans les Peignes, les Spondyles, les Limes, l’ori- 
fice génital étant profondément placé, conserve néanmoins ses 
rapports ; mais celui du sac de Bojanus se trouve placé à l'extré- 
mité postérieure, non loin des ganglions branchiaux (3). 

Quand l’orifice de l'organe est placé au sommet d’une papille, 
celle-ci occupe presque toujours le milieu de la largeur de la glande, 
ainsi que cela s’observe dans la Modiole, l'Arche, la Moule, ete. 

Voyons maintenant le troisième cas, celui où les orifices peuvent 
être plus ou moins rapprochés, mais jamais confondus. 

Je prendrai d’abord l'exemple que nous avons étudié en commen- 
çant. Dans l’Unio et l’Anodonte (4), les orifices distincts sont placés 
côte à côte l’un de l’autre, tout à fait à l'extrémité antérieure du 
sac; on voit que la position est complétement opposée à celle que nous 
avons trouvée dans le Peigne. Dans des individus de belle taille ces 
deux orifices, fendus en boutonnières presque parallèles à l’axe du 
corps, sont longs d’un millimètre ; ils sont très évidents, aussi 
n’ont-ils échappé à aucun observateur : celui de la génération est 


(1) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 40 (ov). 

(2) Voyez pour ce rapport sur les planches 5 du t. IV, et en particulier, les 
fig. 6, Cardium rusticum ; fig. 11, Petricola rupella ; fig. 12, Cardita sulcata. 

(3) Voy. pl. 6, t. IV, fig. 1, 2 (pe). 

(4) Voy. pl. 5, t. IV, fig. 2 (pe) (ov). 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 281 


en dedans, on le reconnait facilement au moment de la reproduc- 
tion; car de légères pressions sur l'abdomen suffisent pour pro- 
duire une ponte artificielle. 

Dans beaucoup des espèces que j'ai étudiées c'est dans le milieu 
de la longueur du sac que se trouve l’orifice. Cela s’observe nette- 
ment dans les diverses Bucardes (1), les Chames (2), les Mactres, 
les Pétoncles, les Pétricoles (3), les Gastrochènes, les Pholades, 
ete. L'orifice de la génération est toujours en dedans , et souvent 
plus en avant. Il y a de légères différences qui tiennent à ce que 
l'éloignement est plus ou moins considérable. Ainsi dans la Chame 
gryphoïde (4) les deux orifices sont placés tout à côté l’un de l'autre 
sur une ligne qui va du pied au milieu de la longueur du sac. Celui 
de la génération étant percé dans la masse abdominale, l’autre doit 
être tout près du bord interne de la glande. 

Dans la Cardite (5) l’orifice génital un peu saillant descend sur la 
face inférieure du sac de Bojanus. 

Dans la Pétricole (6) le tissu de la masse abdominale accompagne 
un peu le canal excréteur de la génération et forme un rudiment de 
papille. Les rapports des orifices avec les nerfs sont dans ces deux 
dernières espèces extrêmement évidents. 

La Bucarde rustique et les autres espèces ainsi que la Mactre des 
Sots présentent les deux orifices assez éloignés; sur des individus 
de taille très ordinaire il y avait 2 millimètres de séparation. 
Dans ces exemples on a quelquefois de la peine à voir l’orifice 
du corps de Bojanus. Je pense qu'il ÿ a un sphincter tout autour 
delui, qui par ses contractions en masquecomplétement l'existence. 
Toutefois, en tirantlégèrement à la fois d'avant en arrière et d’arrière 
en avant, on finit par faire entre-bäiller l’orifice qui devient alors 
très évident. 

Enfin dans la Moule, j'avais cru d’abord que la glande génitale 
et le sac de Bojanus s’ouvraient par un même conduit qui terminait 

(4) T. IV, pl. 5, fig. 6. 

(2) T. IV, pl. 5, fig. 43 (ov pe). 

(3) T. IV, pl. 5, fig. 44 (ov pe). 

(4) T. IV, pl. 5, fig. 43. 

(5) T. IV, pl. 5, Gg. 12, Cardita sulcata (ov pe). 

(6) T. IV, pl. 5 


, g. 44, Petricola ruperella (ov}. 


282 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


une papille fort évidente; j'ai tout dernièrement, sur des moules de 
forte taille que l’on apporte sur le marché de Lille, reconnu au- 
dessous de la papille et en arrière d’elle, tout à fait à sa racine, un 
petit pertuis par où une injection a pénétré constamment et sans 
difficulté dans l'intérieur du sac. Ceci m'engage à mettre une certaine 
réserve à affirmer que dans le Lithodome dont l'organisation se 
rapproche à {ant d'égards de celle de la Moule, ces deux organes 
s'ouvrent au sommet de la papilles; je n'ai pas eu d'animaux des 
Dattiles (4) depuis mon voyage à Mahon et je ne saurais lever le 
doute qu'a suggéré dans mon esprit l'observation faite sur la 
Moule comestible. 

La disposition est tout à fait la même que l’on considère une 
femelle où un mâle. Il n'y a aucune différence; on devait s'y 
attendre puisque déjà entre les deux glandes génitales il n’y a de 
différence qu'entre les parties profondes élémentaires qui sécrètent 
les éléments caractéristiques. 


82. 


Circulation. 


Le passage du sang au travers de l’organe qui nous occupe a 
été l’objet d’une étude attentive de la part de Bojanus. C'est même 
la disposition du système circulatoire dans l’Anodonte qui a conduit 
le savant professeur de Wilna à son opinion touchant le rôle des 
glandes, dont le premier il faisait l’histoire. De Blainville, (out en 
critiquant le travail de Bojanus, reconnut que la circulation avait 
été soigneusement et exactement étudiée. Plus tard, Garner et 
Richard Owen indiquaient en quelques mots les principaux faits , 
et comparaient même la circulation de l'organe avec celle du foie, 
Is montraient dans ce rapprochement que la cireulation de la veine 
porte est tout à fait l’analogue de celle-ci; mais c’est toujours de 
l'examen de une ou deux espèces que les auteurs concluent et géné- 
ralisent ; aussi les résultats auxquels ils arrivent doivent-ils être 
modifiés en certains points. 

La description de Bojanus est l'expression de la vérité ; je ren- 


(1) Modiola lithophaga, Lamk., 2° édit., t. VII, p. 26, n° 22, 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 283 


voie done au travail de ce savant (1) pour ce qui est de l’Anodonte. 
Il y aura cependant quelques remarques à faire en ce qui touche 
les faits de structure se rapportant à la circulation. 

On trouve des différences dans le mode de distribution des vais- 
seaux, suivant que les animaux présentent l’un ou l'autre des deux 
types que nous avons reconnus en étudiant la forme et la disposi= 
tion des organes. Je prendrai successivement chacune des dispo- 
sitions. 

Posons en principe que le sang arrivant de l’économie pour 
aller respirer aux branchies doit traverser le corps qui nous 
occupe ; que les vaisseaux qui apportent le sang veineux sont pro- 
fondément situés ou intérieurs; et qué ceux, au contraire, qui le 
portent du sac aux branchies sont superficiels ou externes. 

Ceci nous permettra d’abréger et de rendre plus simple la dés- 
cription. 

Prenons d’abord comme exemple et comme type la Lutraire. 

On sait que le sang qui arrive aux organes de la respiration 
après avoir traversé en {out ou partie l'organe de Bojanus, vient , 
d'une part, de la masse abdominale, de l’autre des lobes du manteau. 

Voyons, en premier lieu, le sang des viscères ou de la masse ab- 
dôominale. Dans la Lutraire comme dans l’Anodonte, la Mulette des 
peintres et beaucoup d’autres , on trouve en injectant , et poussant 
un liquide au hasard dans la masse splanchnique, un système de 
lacunes qui finit par se résoudre en quelques veines , lesquelles , 
par leur réunion, donnent naissance à quelques gros troncs (2) 
dont la fusion produit bientôt un dérnier vaisseau médian (3) placé 
entre les deux muscles postérieurs du pied, et dirigé en arrière. 
Si l'on se rapporte à la description précédente dé l'organe, ces 
quelques mots suffisent pour néttement caractériser la position de 
ce vaisseau, On doit, en effet, le chércher à la partie inférieure de 
la cloison médiane qui sépare les deux sacs. IT passe au-dessous 


(4) Voy. Jsis, 4849, p. 46, pl. 1, fig. 4 a; et 4820, p. 404, Voy. l'analyse 
et la traduction de M. de Blainville, dans le Journal de physique, de chimie et 
d'histoire naturelle. 

(2) T. IV, pl. 6, fig. 6 (x). 

(3) T. IV, pl. 6, fig. 6 (sm), fig. 7 (sm). 


284 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


de l’orifice de communication (A) percé dans cette cloison. C’est 
même au-dessous de cette ouverture que se réunissent les vais- 
seaux venant du foie, des glandes génitales, et du pied pour former 
ce canal impair que je nommerai le sinus médian inférieur. 

En ouvrant ce sinus par sa face inférieure (2), on voit que 
ses parois sont criblées de petits orifices, surtout dans le haut. 
Ce sont les perluis qui fournissent le sang à la cloison médiane, et 
aux parties inférieures du sac ; quelques-uns sont plus grands que 
les autres : ils correspondent aux vaisseaux qui portent le sang plus 
loin dans la cloison. Le sinus médian naïten avant etse porte vers 
le muscle postérieur des valves, c’est-à-dire directement en arrière. 
Arrivé lout près de ce muscle il se divise en quatre branches prin- 
cipales : deux antérieures ou collatérales , et deux postérieures ou 
terminales. 

Les deux-premières (3) se contournent en haut en se portant 
un peu en dehors peur gagner l'extrémité postérieure de la partie 
centrale de la glande (4), de cette partie appelée poumon par 
Bojanus. Alors elles changent de direction , elles se portent en 
avant , et arrivent, en s’épuisant peu à peu, jusque vers l’extrémité 
antérieure de cette masse centrale. Il est facile d’injecter par le 
sinus médian ces branches collatérales, et de les suivre dans les 
parties que j'indique. 

Les rameaux de terminaison (5) se portent aussi en dehors et en 
haut, en se contournant sur les muscles postérieurs du pied , en 
dedans desquels ils se trouvent. Ils gagnent la paroi postérieure 
et externe du sac, dans laquelle ils doivent se ramifier et appor- 
ter le sang. Après avoir parcouru ce trajet flexueux ils changent 
brusquement de direction pour se porter en avant, et fournir ainsi 
à toutes les autres parties latérales et antérieures du sac qui ne 
reçoivent pas de sang, des ramuscules du sinus médian, ou bien 
des deux vaisseaux collatéraux. 


(A) T. IV, pl. 6, fig. 6 (z). 

(2) T. IV, pl. 6, fig. 7 (sm). 
(3) PL. 6, fig. 6 etfig. 7 (i). 
(4) PL. 6, Gg. 6 et fig. 7 (p}, 
(5) PL. 6, fig. 6 (1), 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 285 

Il est à peine utile d'ajouter que ces quatre vaisseaux se distri- 
buent symétriquement deux de chaque côté du corps. 

Ainsi voilà un vaisseau médian, résultat de la réunion des troncs 
veineux arrivant de la masse abdominale, qui se ranifie tout à fait 
à la manière des artères dans le tissu du corps de Bojanus; c’est 
une véritable circulation de la veine porte. Il n’y a pas seule- 
ment ressemblance quant à l’origine et à la division des vaisseaux, 
mais encore ce système circulatoire est placé sur le trajet du sang, 
qui des viscères va aux organes de la respiration, c’est-à-dire sur le 
trajet du sang veineux qui revient des viscères chargé de la matière 
alimentaire absorbée après la digestion, absolument comme dans les 
animaux supérieurs. À ne considérer done que la circulation , il 
n’est pas douteux que l’on ne trouve ici l’analogue du foie ; mais je 
reviendrai sur ce fait en parlant des fonctions de la glande. Je veux 
toutefois bien établir ce fait que les Mollusques présentent une petite 
cireulalion analogue à celle du foie des animaux supérieurs , avec 
celte différence qu’elle se passe dans un organe tout différent de 
ce dernier. 

Après s'être ramifiés dans le tissu du corps glandulaire les 
vaisseaux se résolvent en capillaires, dont je n'étudierai point ici 
la disposition, renvoyant pour cela au moment où je m’occuperai 
de la structure. 

Voyons maintenant les vaisseaux efférents. Ceux-ci reçoivent le 
sang des capillaires, et le portent aux branchies. Il y a bien une 
disposition générale et constante dans leur position, mais il se pré- 
sente de nombreuses et très grandes variations dans la forme et le 
nombre : la position seule est constante. Si les vaisseaux afférents 
étaient profondément placés, les vaisseaux efférents, au contraire, 
sont toujours en dehors à la surface externe de l'organe ; c’esteux 
que l’on apercoit d'abord quand on réussit bien les injections, ou 
bien quand, sur la paroi externe de l'organe, il s’en dessine sans 
préparation. 

Dans les Mulettes, les Anodontes, il y a des vaisseaux dis- 
tincts portant le sang de l'organe aux branchies en avant et en 
arrière, ainsi qu'au feuillet interne et au feuillet externe : Bojanus 
les a exactement indiqués; mais dans la Lutraire qui nous occupe 


286 H. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE 


il en est autrement : les rameaux externes couvrent d’un lacis 
très épais la paroi du sac , et débouchent, dans des sinus creusés 
dans la substance glandulaire, mais toujours placés en dehors. Ces 
sinus, quand on réussit bien à les injecter, font saillie sur le plan- 
cher du péricarde ou sur les parois latérales. En les ouvrant (4), 
on voit les pertuis nombreux qui apportent le sang dans leur inté- 
rieur. 

Tous ces sinus convergent vers un point latéral et symétrique 
placé de chaque côte dans la partie la plus dilatée transversalé- 
ment (2) de l'organe. C’est là que viennent aboutir tous les vais- 
seaux branchiaux. 

On doit reconnaître quelques sinus principaux, qui, dans la 
Lutraire, offrent une disposition constante. Il en est un long (je 
ne décris qu'une côte puisque la disposition est symétrique ), qui, 
de l’insertion branchiale à l’extrémité postérieure de l'organe , se 
dirige d'avant en arrière jusque dans le prolongement de la glande 
qui remonte sur le muscle postérieur des valves. Sur son bord 
interne, un peu au delà du milieu de la largeur en arrière, on voit 
un sinus plus petit, secondaire, qui se porte en dedans. Tandis que 
le premier mérite le nom de sinus latéral (3), celui-ci peut être 
appelé sinus dorsal (hi). 

L'extrémité antérieure du sinus latéral est fort dilatée et 
large; quand on en enlève la paroi externe , on distingue, sur 
la paroi profonde en dehors, du côté de l'insertion des bran- 
chies, une série linéaire de pertuis dont les deux derniers, en 
avant et en arrière, sont assez grands pour permettre l’introduc- 
tion d'une tête d’épingle. Ces orifices ne sont autre chose que les 
bouches des vaisseaux branchiaux , qui reçoivent le sang accu= 
mulé dans les larges sinus creusés dans la substance même de la 
glande. 

Vers l'extrémité postérieure du sinus latéral, on en trouvé un 
autre qui est plus inférieur que celui-ci : il mériterait le nom dé 


(4) T. IV, pl. 6, fig. 4#et 5 (m n q). 
(2) T. IV, pl. 6, fig. 4, 5 (m m). 

(3) T. IV, pl. 6, fig. # et 5 (get o). 
(4) ©. IV, pl. 6, fig. 4 et 5 (4). 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 987 


sinus inférieur (1). Son extrémité postérieure se contourne en 
dedans , plonge dans la substance glandulaire pour aller recueillir 
le sang qui a traversé la partie centrale de l’organe, le poumon de 
Bojanus (2). 

Ainsi, en résumé, le sang est porté profondément dans tout 
l'organe par les ramifications du vaisseau médian. 1] est recueilli 
par les capillaires , qui le déversent dans les sinus superficiels et 
externes, d’où il va, par la réunion én un même point de tous ces 
sinus , dans l’appareil de la respiration. 

Nous venons d'indiquer la marche que suit le sang apporté de 
la masse viscérale ; mais il ne vient pas tout de ces parties, il ne 
passe pas tout par la glande. 

M. Milne Edwards, dans ses beaux travaux sur la circulation des 
Mollusques, a montré qu'une partie du sang du manteau arrivait 
directement dans les oreillettes sans passer par l'appareil de la res- 
piration. Eh bien, une disposition analogue se présente pour la 
circulation, que nous étudions en ce moment. On trouve en avant 
et en arrière, mais surtout en haut et en bas du muscle des valves, 
un Jacis de canaux, à parois aussi vagues et aussi peu limitées que 
dans le reste de l'organisme, qui recoit postérieurement du sang 
des parties qui l’avoisinent, et qui le verse antérieurement en 
partie dans les tissus spongieux de la glande, en partie dans les 
branchies. Dans la Lutraire le manteau est très développé en 
arrière, et recoit une quantité de sang assez grande pour rendre 
turgides les tubes respirateurs ; une grande partie du liquide, en 
revenant de ces parties , tombe dans ce sinus latéral ou inférieur, 
et se rend directement aux branchies sans traverser par consé- 
quent l'organe de Bojanus, 

Mais cette particularité est loin d’être aussi nettement tranchée 
que dans les animaux que nous allons étudier maintenant, Si, dans 
la coquille de Saint-Jacques , les choses se passent un peu diffé- 
remment , toujours néanmoins les vaisseaux afférents sont pro- 
fonds, toujours les vaisseaux efférents sont superficiels. 

On sait que dans les Pecten dont il s’agit la masse viscérale est 

(4) T. IV, pl. 6, fig. 4 et 5 (n). 

(2) T. IV, pl. 6, fig. 6 et 7 (p). 


288 H. LACAZE-LUTHIERS. — MÉMOIRE 

divisée presque en deux moitiés : l’une, antéro-supérieure, compo- 
sée plus exclusivement du foie; l’autre postérieure, que j'ai com- 
parée à la bosse de polichinelle, formée par les glandes génitales ; 
entre les deux, est un étranglement où l’on voit le pied. Cette sorte 
de division des viscères conduit à une division analogue des vais- 
seaux ; il-faut donc étudier la marche du sang qui vient du foie et 
de celui qui vient des organes génitaux. 

En poussant le liquide par les lacunes périjécorales, il est facile 
d’injecter les vaisseaux veineux (1), qui se ramifient à la manière 
habituelle au milieu des lobules du foie. On voit alors qu'ils 
se réunissent en trones plus ou moins constants, qui toujours 
finissent par former un vaisseau distinct; celui-ci n’est plus impair 
et médian, mais il est double et symétrique , on le retrouve de chaque 
côté (2); en sorte qu'en définitive , tout le sang arrivant du foie est 
contenu dans deux vaisseaux, qui se dirigent du haut en bas et d’a- 
vant en arrière en passant sur les côtes de la bouche, et gagnant 
les côtes de la base du pied. Comme c’est au niveau à peu près de 
la bouche qu'a lieu la communication entre les deux glandes, le 
vaisseau dont il est ici question se trouve donc près de cette com- 
munication exactement entre elle et la bouche. 

Ce vaisseau afférent ne plonge dans la substance glandulaire 
qu'après avoir dépassé la base du pied, et être arrivé dans la 
partie vraiment parenchymateuse : il.y pénètre de dedans en 
dehors , et il faut alors, pour pouvoir continuer à le suivre, ouvrir 
le sac. 

Dans l'Huître vermeille (3), quand on ouvre la poche avant 
d’avoir étudié la circulation , on est frappé par l’apparence vascu- 
laire que présente son intérieur. On voit naître en face de l’espace 
qui sépare la masse abdominale de la masse hépatique, un faisceau 
qui seporte directement en dehors et en haut, en émettant de chaque 
côté des rameaux dont les anastomoses forment un lacis, qui laisse 
entre ses mailles des dépressions nombreuses donnant à la cavité et 
à l'organe tout entier l'aspect d’un tissu spongieux. A la première 


(a) T. IV, pl. 6, fig. 4 (j). 
(2) T. IV, pl. 6, fig. 4 (y) 
(3) Spondylus gæderopus. 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 289 
vue, on reconnait dans le Spondylus gæderopus (4) la richesse 
vasculaire du corps de Bojanus. 

Dans le Pecten (2) une disposition à peu près semblable se pré- 
sente aussi; mais les vaisseaux sanguins venant du foie sont plus 
difficiles à suivre, il est nécessaire de les injecter, ce qui permet 
de voir que le vaisseau dont je parlais il n’y a qu'un instant se 
divise en deux branches, dont les subdivisions secondaires s’entre- 
croisant dans tous les sens forment un lacis, véritable réseau d’où 
résulte un tissu spongieux. Les deux branches cheminent à la face 
interne : l’une est plus supérieure que l’autre. On remarque dans 
cette différence de la distribution des canaux sanguins quelque 
chose de correspondant à ce que nous avons vu dans la disposition 
générale de l'organe. 

Le sang qui revient de la masse abdominale aux organes de la 
reproduction , chemine dans des vaisseaux très faciles à distinguer 
sans aucune préparation (3). [ls sont arborescents et assez réguliè- 
rement disposés ; au premier abord on est disposé à les prendre 
pour des artères. Leur nature ne peut faire l'ombre d’un doute; 
car en poussant une injection par le cœur, on n'arrive à les injec- 
ter qu'après avoir fait des ruptures, à moins que l'injection n’ait 
tellement bien réussi que, les tissus se colorant d’une manière géné- 
rale, le liquide ne passe par les lacunes des artères dans les veines. 
D'ailleurs ils aboutissent par leur grosse extrémité à l’organe de 
Bojanus ; ils ne peuvent donc pas appartenir au système artériel, 
Ces vaisseaux se portent en dedans vers l'organe, et s'introduisent 
dans sa substance profondément du côté des vaisseaux venant du 
foie. 

Ainsi voilà deux voies différentes par où le sang arrive du corps 
à l'organe. Dans l’Anodonte, la Lutraire , un seul vaisseau médian 
impair distribue ses ramifications à tout l'organe; ici, au con- 
traire, des vaisseaux de deux ordres pour chaque côté, et portant 
chacun le sang d’une partie spéciale. 


(4) T. IV, pl. 4, fig. 6 (rr). 
(2) T. VE, pl. 6, fig. 4. Le sac de la glande a été ouvert, et les parois étalées 
permeltent de voir le lacis des vaisseaux entourant les deux trencs principaux. 
(3) T. IV, pl. 6. fig. 2 (v.). 
4" série. Zooc. T. IV. (Cahier n° 5.) 5 19 


290 M. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 

Les vaisseaux elférents (1) sont faciles à voir, même sans injec- 
tion, dans les coquilles de Saint-Jacques. Ils ne sont plus semblables 
aux sinus de la Lutraire, et ils ressemblent absolument aux vaisseaux 
veineux que l’on remarque sur la face externe de l'abdomen. On en 
voit sans préparation les arborisations dont les ramuseules les plus 
déliés sont tournés vers le bord interne, tandis que les gros troncs 
se portent sur la face inférieure vers le point où s’insèrent les bran- 
chies, et s'ouvrent directement dans le sinus branchial (2). 

Nous avons vu que dans la Lutraire, tout le sang qui allait aux 
branchies ne traversait pas l'organe de Bojanus. Il en est de même 
ici, mais la chose est plus nettement caractérisée. Au-dessous du 
musele des valves, si développé dans l'espèce que nous étudions , 
on trouve un lacis de vaisseaux qu'on injecte avec la plus grande 
facilité, et qui communique avec deux larges poches (3) piriformes, 
véritables sinus , placées sous l’attache de ce repli faleiforme, qui 
sertde base d'insertion aux branchies. Ces deux sinus, que l’on in- 
jecte avec la plus grande facilité, reçoivent aussi du sang qui revient 
du musele des valves (4), et de quelques autres parties postérieures 
du manteau. En avantils s’allongent et s’effilent en un véritable col, 
pour s’aboucher avec la base du vaisseau branchial dans un point 
tout voisin de celui où les vaisseaux efférents de l'organe de Boja- 
nus viennent eux-mêmes s'ouvrir. Il est facile de reraplir d’injec- 
tion à la fois les vaisseaux du corps de Bojanus et ces sinus en 
poussant le liquide coloré par le vaisseau branchial , qui court le 
long du bord concave de la branchie. 

On voit qu'au fond la cireulation se passe dans le Peigne comme 
dans la Lutraire ; et que les différences que nous signalons tiennent 
simplement à des modifications dans la forme de la glande. 

Dans la Moule comestible ainsi que dans l’Anomie , la glande 
génilale occupe en grande partie l'épaisseur du manteau. Le sang qui 
revient de ce dernier est en quantité très considérable, on le com- 
prend; il ne traverse pas tout le corps de Bojanus. Il y a, en 


(1) T. IV, pl. 6, fig. 2 (h). 
(2) T. IV, pl. 6, fig. 2 (sb). 
(3) T. IV, pl. 6, fig. 2 (ss). 
(8) T. IV, pl. 6, fige 4 (s). 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 9294. 


effet, des vaisseaux qui sont jetés comme des ponts au-dessus de 
la glande, surtout en dehors, entre le manteau et la veine bran- 
chiale, d'où résullent ces lamelles séparées par des sillons, ce 
qui a fait croire à Siebold que la glande était ouverte dans toute 
sa largeur. 

En résumé, on voit que le sang traverse en grande partie, 
avant d'aller s'hématoser, la glande de Bojanus ; mais que, s’il ne 
la traverse pas en totalité, cependant celui qui revient des organes 
de la digestion ne fait en aucun cas exception. Il ne peut done 
être douteux qu'il ne se passe dans la glande quelque action phy- 
siologique importante. 

A part l'étude faite par Bojanus sur la Moule des étangs, peu de 
travaux traitent d'une manière suivie la partie de la circulation dont 
je viens de faire l'histoire. Cependant M. Deshayes s’en est accupé 
dans les différentes monographies qu'il a publiées dans l £æplora- 
tion scientifique de l'Algérie. La circulation, telle que la décrit. 
le savant concnyliologiste dans l'organe dépurateur (c’est ainsi qu'il 
nomme le corps de Bojanus), n'est pas, si j'ai bien compris et inter- 
prété le texte de la publication, en rapport avec les faits que je viens 
de rapporter. 

M. Deshayes, après avoir dit, en s'appuyant sur l'opinion de 
quelques zoologistes, que l'organe dépurateur a de larges commu 
nications avec le système veineux général, « … que tout le sang 
» Sans exceplion devait passer à travers ses cavités avant de ren- 
» lrer dans le système aortique , » déclare que ce fait est pour lui 
indubitablement établi (4). Dans de très belles figures, il montre 
la connexion avec le système veineux général. 

Mais il devient difficile de le suivre dans les détails qu'il donne 
à propos de la communication de l’organe dépurateur avee l'oreil- 
lelte. Je citerai le passage. Au sujet des Pholades, il dit (2) : 
« L'extrémité postérieure de l'oreillette a des connexions avec l'or- 
» gane dépurateur , et c'est à qu'il faut chercher Ja communication 
» qui existe entre ces deux organes. Dans le Solen siliqua , l'extré- 
» mmité des deux piliers charnus vient se terminer en pointe aiguë 

(4) Loc, cit., p. 467. 

(2) Loc. cit,, p, 467, 48, fig. 4 (mn); fig. 3 (de). 


292 I. LACAZE-DUTHIERS. -— MÉMOIRE 

» à l'angle antérieur de la cavité de l'organe (pl. 18, fig. 4 m, n, 
» fig. 3 d, e), et c’est en suivant la direction de ces deux piliers que 
» l’on arrive à la petite ouverture communiquant avec l'oreillette. 
» Cette ouverture est ovale-oblongue (pl. 18, fig. 3 f); elle est 
» garnie de chaque eôté d’un petit pilier un peu plus épais, qui, 
» probablement, remplit les fonctions d’une valvule. » 

Il est difficile de savoir si l’auteur, quand il parle de communi- 
cations, a entendu désigner la cavité, le sac lui-même, ou les vais- 
seaux de ses parois. On ne peut guère admettre que ce soit la 
cavité du sac qui entrerait en communication avec l’oreilletie ; 
cependant la description de lorifice ayant deux piliers charnus 
servant de valvules semblerait l'indiquer. 

Dans tous les cas, en admettant que l'oreillette soit en commu- 
nication avec le tissu seul de l'organe , il y a là quelque chose que 
je n’ai point observé. J'ai montré dans ce qui précède que l'organe 
de Bojanus était placé sur le trajet du sang entre le corps et les 
branchies ; que le sang qui s’échappait de ses vaisseaux allait s’oxy- 
géner dans les organes de la respiration. Il ne peut done arriver 
aux oreillelles qu'après avoir traversé les branchies. Peut-être y 
a-t-il quelques vaisseaux qui, du corps de Bojanus, vont directe- 
ment aux oreillettes, comme cela se voit pour le manteau; mais 
je n'ai pas souvenance d’avoir jamais rempli les oreillettes en 
poussant mes injections dans les tissus de l'organe , et cependant 
bien souvent elles ont assez bien réussi pour remplir complétement 
les vaisseaux branchiaux. Toutefois je dois dire que M. Deshayes 
n’est pas seul de son opinion. Bojanus a décrit dans l’Anodonte des 
vaisseaux qui vont aussi à l'oreillette. I le dit en plusieurs endroits. 
Il appelle artères du réservoir des œufs les vaisseaux qui vont aux 
branchies, et veines ceux qui se rendent à l'oreillette. Le sang 
suivrait donc deux trajets à la sortie de l'organe pour revenir au 
cœur. Il irait, d’une part, directement , de l’autre indirectement en 
traversant les branchies. Je puis dire en {ous cas que la première 
communication est secondaire , mais on comprend que Bojanus 
ait dû lui attribuer une grande importance en raison même de son 
opinion, puisque les branchies n'étaient pas pour lui l'organe de 
la respiration, et que le corps glandulaire était le poumon ; dans 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 293 


cette manière de voir, il était naturel de ne pas admettre que tout le 
sang ayant respiré passät par le réservoir des œufs (branchies). 

Ce qui me porterait à croire que la cireulation n’a pas parfaite- 
ment été entrevue par M. Deshayes, c’est qu'il arrive à cet auteur 
d'injecter le tissu de l'organe dépurateur par l’artère postérieure. 

« Si l’on parvient à injecter l'aorte postérieure, ce qui est quel- 
» quefois très difficile, on voit alors les diverses surfaces de l’or- 
» gane..…. se couvrir d'un réseau vasculaire très riche, dont les. 
» rameaux communiquent entre eux par une multitude d’anasto- 
» moses. Lorsqu'on a l'organe ainsi injecté, la couleur de son tissu 
» est tellement changée qu'il faut un examen attentif, et des gros- 
» sissements suffisants pour reconnaitre que ce changement n’est 
» pas dù à une simple imbibition des tissus, mais à une véritable 
» injection. » 

D'après cela il y aurait un troisième ordre de vaisseaux aussi 
développé que les précédents, et qui porteraient du sang artériel. 
Je dois dire n’avoir rien vu de semblable, et l’aveu d’une grande 
difficulté à parvenir à injecter par l'aorte postérieure ferait croire 
qu'il y a eu quelques ruptures dans les cas de réussite. 

Richard Owen (1) et Garner (2) font remarquer que le sang tra- 
verse l'organe pour arriver aux branchies, mais ils ne donnent pas 
de détails. 


S 3. 


Structure et Texture. 


La structure et la texture de la glande sont faciles à reconuaitre, 
et si l’on sait peu de chose à leur égard, cela tient tout simplement 
à ce que les auteurs ne s'en sont occupés que secondairement et 
accidentellement , pour ainsi dire. 

M. von Siebold en parle ainsi : « Le parenchyme des parois 
» «le ces sacs est formé par un tissu lâche, qui, à la moindre 
» lésion, se décompose en petits corpuscules vésiculeux et gra- 
» nuleux. La plupart de ces corpuscules contiennent un noyau 


(1) Richard Owen, Lectures on comparative anatomy, vol. 1, p. 284. 
(2) Garner, The magazine of natural history by Charlesworth, p, 167, 1839, 


294 NH, LACAZE-DUTHIERS. —. MÉMOIRE 


» arrondi, d’un noir bleuâtre, auquel est due la couleur plus ou 
» moins foncée des reins, ele. » Et il ajoute en note : « La struc- 
» ture intime de ces organes n'a pas assez attiré l’attention jus- 
» qu'ici (4). » 

Rien n’est facile à obtenir comme l'élément anatomique dont il 
s’agit; en effet, il suffit de prendre au hasard une portion de la 
glande, et dela porter sous l'objectif du microscope pour voir dans 
le liquide flotter une multitude de cellules facilement reconnais- 
sables, et dont le volume, quoique variable, est cependant presque 
toujours assez considérable, Dans quelquesexemples, le tissu semble 
s’égrener, et les corpuscules qui le composent, devenus libres et 
gonflés par l’endosmose, paraissent très transparents et parfaite- 
ment sphériques. Cela s’observe avec une grande facilité dans la 
Chama griphoïdes (2), le Corbula siriata (3), la Spondylus Gæde- 
ropus (hi), la Lima squamosa (5), la Lucina lactœa (6), ete., et 
beaucoup d’autres dont je n’ai pu donner le dessin. 

Lorsque l’endosmose a ainsi gonflé les petites utricules, leur 
contenu se montre plus nettement, car il semble s'être limité 
davantage, et ramassé en une pelile masse autour d’un noyau; 
celui-ci présente dans son intérieur des nucléoles, ou tout au 
moins ces petits corpuscules que l’on est convenu d'appeler ainsi. 

La cellule a, du reste, des apparences très variables : quelque- 
fois elle est complétement transparente et vide de {out corpuscule 
autre que ce noyau, comme on le voit dans la Pandora rostrata (7). 
On peut presque poser celte règle : plus le noyau est bien dessiné, 
nettement limité, et moins le contenu de la cellule est abondant. 

: Ainsi dans la Pandore, le noyau est seul au milieu de la cellule ; il 
en est à peu près de même dans la Chame (8), dans la Telline, la 


T. IV, pl. 4, fig. 10. 

) pl. 4, fig. 3. 

(4) T. IV, pl. 4, fig. 7 et 8. 
(5) T. IV, pl. 4, fig. 2. 

(6) T. IV, pl. 4, fig. 41 et 12. 
(7) T. IV, pl. 5, fig. 45. 

(8) T. IV, pl. 4, fig. 10. 


v# à 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 295 


Lutraire (quand il n’y a pas une cristallisation), ainsi que dans la 
Pholade où j'ai observé aussi quelque chose de fort analogue. 

Mais il faut l'avouer, les choses varient avec l’époque à laquelle 
on observe , et souvent dans un même individu une partie de la 
glande à des cellules dont les noyaux sont très distinets et le con- 
tenu nul, tandis qu'à côté une autre partie a les cellules presque 
remplies de granulations épaisses et serrées. 

Toutefois, dans Ja Dattile (4) des Mahonais, j'ai presque con- 
stamment observé que le noyau n'était pas aussi distinet, et que la 
cellule était le plus souvent, je pourrais même dire toujours, rem- 
plie de granulations colorées, qui donnent au tissu son apparence 
particulière. 

Dans le Pectunculus pilosus (2), j'ai observé quatre, cinq petits 
noyaux, et quelquefois plus, qui n'étaient pas toujours rapprochés. 

Du reste, cette différence du contenu peut donner diverses 
apparences au tissu , comme on le verra plus loin. 

Les cellules sont de taille très variable ; dans la Pholade, la Pétri- 
cole, elles m'ont paru relativement fort petites. Dans cette dernière, 
le noyau est fort petit, peu considérable, très limité, et le contenu 
nul (3). Dans l'Huître vermeille, la Prère ou Corbule , elles ac- 
quièrent un développement plus considérable (4). 

J'ai dessiné le tissu de la glande de la Chama grip hoïdes dans la 
planche 4, figure 10, et l'on voit que sur une même espèce, un 
même individu et une même partie, il y a une grande différence 
dans le volume des éléments. 

Les dimensions sont déjà plus considérables dans là Lime (5) ; 
mais c’est surtout dans la Telline et la Lucine (6) que l’on observe 
les cellules de Ja plus grande taille. 

Dans quelques cas peu nombreux, il ua paru y avoir de petites 
cellules enfermées dans des cellules plus grandes ; on dirait une pro- 


(A4) T. IV, pl. 5, fig, 7 et 8. 
(2) T.1V, pl 5, fig. 46. 

(3) T. IV, pl. 5, fig. 4 (a). 
(8) T. IV, pl. 4, fig. 3, 8. 
(5) T. IV, pl. 4, fig. 2. 

(6) T. IV, pl. 5, fig. 40 (b c). 


296 H. LACAZE-DUVHIERS, — MÉMOIRE 


duction endogène; c’est ce qui s’est offert avec évidence dans le 
Pectunculus pilosus (1). Bien que, dans cet exemple, ce mode de 
développement ne puisse être révoqué en doute, je n’oserais cepen- 
dant affirmer qu’il existe toujours, sans exception, car je ne l'ai 
pas retrouvé dans tous les cas. 

Il faut aussi indiquer ce qui se montre d’une manière à peu 
près constante dans les Lucines (2), ainsi que dans quel- 
ques autres espèces. Le noyau dont je reparlerai plus loin est 
nettement circonscrit ; il est volumineux, et fortement accusé par 
sa teinte brunätre. La cellule qui l’enferme est grande, et ses bords 
sont bien limités; mais en observant attentivement et faisant varier 
les inclinaisons du miroir du microscope, on distingue comme un 
léger contour qui entoure le noyau en dedans de la cellule; il y 
aurait presque l’apparence d’une cellule plus petite, incluse dans 
la plus grande. Certainement ceci conduirait à admettre un déve- 
loppement de la cellule autour du noyau comme Schwan l’a indi- 
qué; mais la même apparence se présente, alors qu'il y a deux ou 
trois noyaux. 

Je ne pourrais dire si celte apparence est due à la présence d’une 
substance, de puissance réfringente différente, entourant le cor- 
puseule central, ou si elle est la conséquence de l'inclusion d’une 
cellule. 

Dans une observation que malheureusement je n’ai pu répéter, 
les Lucines étant fort difficiles à trouver, quoique très abondantes 
sur les côtes de Bretagne, j'ai eru voir autour d’un noyau considé- 
rable, occupant une grande partie de la cellule, un cercle pellucide, 
entouré lui-même d’une zone obscure, où des granules très fins et 
peu développés se mouvaient d’un mouvement brownien. Je le 
répète, y a-t-il une substance hyaline entourant le noyau ? y a-t-il 
deux cellules emboitées ? C'est ce que je ne puis décider. 

Ainsi l'élément microscopique de l'organe est une cellule enfer- 
mant une matière brunâtre plus ou moins jaune verdâtre , tantôt 
éparse, tantôt limitée, et formant un noyau qui cause la coloration 
générale de la glande. 

(1) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 16. 

(2) Voy. t. IV, pl. 4, fig. 12(a bc). 


{ ÿ 


GR 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 297 


Le contenu offre encore quelques autres particularités ; mais je 
renvoie pour les faire connaître au moment où je m'occuperai des 
fonctions. 


Comment ces éléments se réunissent-ils, et forment-ils le tissu 
de la glande? C’est ce qui nous reste à étudier. 

Les cellules s’accolent les unes aux autres assez chement, car 
elles ne forment jamais un tissu dense et résistant, se compriment 
et deviennent polyédriques ; ce qui fait que lorsque l’on a du tissu 
sur les yeux, on croirait avoir parfois affaire à du tissu végétal. Dans 
quelques Mactres des côtes de Bretagne et de Normandie, quand la 
malière colorante n'est pas encore bien développée, illusion pour- 
rait être complète pour un observateur qui ne connaïtrait point 
l'origine de la préparation ; les cellules sont réunies par couches, 
dont l'épaisseur est mesurée par trois, quatre et même davantage. 

Ces couches de cellules, lichementunies, tapissent la paroi interne 
du sac. Les éléments les plus externes, ceux qui limitent la sub- 
stance glandulaire, sont hérissés de cils vibratiles , qui acquièrent 
souvent une grande largeur. Dans les Mactres surtout, les cils 
deviennent de longs filaments flabelliformes. Dansles Pandores (1), 
ils atteignent aussi un grand développement. Ici l’épithélium est 
formé par la substance elle-même ; car, à part les cils vibratiles, il 
n'y a aucune différence entre la cellule la plus externe et les deux 
ou trois qui la suivent. 

Dans l’Arche de Noé, au contraire, les cils sont fort peu allon- 
gés, et ils forment comme un fin duvet mobile à la surface interne 
du sac. 

Je dois appeler l'attention sur deux exemples , où les cellules 
grandes , bien développées, nucléolées, ne sont pas les plus 
externes. La couche vibratile est formée de cellules ou corpuseules 
assez petits qui, depuis la surface libre jusqu'aux parties profondes, 
augmentent de volume. Le Spondyle (2) et la Corbule (3) offrent 
cette disposition, qui m'a paru évidemment exceptionnelle. Y aurail- 

(4) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 45. 


(2) Voy. t. IV, pl. 4, fig. 
3) Voy.t, IV, pl. 4, fig. 3, 


298 I. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE 


il eu une erreur dans mon observation ? A côté d’une partie de tissu 
peu développée, serait-il venu se placer un tissu dont les cellules 
avaient acquis toutes leurs proportions ? 

Dans son ensemble, le tissu peut offrir deux aspects diffé 
rents : tantôt la séparation des cellules est marquée par un trait (4) 
obscur, tantôt au contraire par une bande plus claire (2). Le pre- 
mier cas à lieu quand le contenu des cellules est réuni en une 
petite masse bien distincte, en un noyau, où bien quand la cellule 
est vide et transparente ; le second se présente quand les granula- 
tions sont très nombreuses, la cellule paraissant alors entièrement 
obseuré, et les points de contact, les parois accolées des diverses 
cellules, produisant une petite bande transparente. C’est quelque 
chose de tout à fait semblable que l’on observe, lorsque le tissu 
végétal est gorgé de chlorophylle. Cette apparence s’est présentée 
assez habituellement dans les Dattiles ou Lithodomes du port de 
Mahon. 

Quand on ouvre le sac de Bojanus, on voit que la surface de la 
cavité est comme veloutée ou tapissée de sortes de papilles. Le 
dessin d’une portion grossie de la glande du Spondyle (3) que je 
donne est une représentation exacte de l'apparence de la face 
interne de la glande. Nous devons chercher maintenant qu'est-ce 
qui produit ces inégalités. 

Si l’on soumet à l'examen microscopique, mais à un grossisse- 
ment faible, une portion assez considérable du tissu de la glande, 
non plus pour en connaître les éléments, mais pour en étudier la 
disposition générale, on remarque, en comprimant légèrement, 
que les saillies dont il vient d’être question sont loin d’être pleines, 
qu'à leur centre est une cavité ; et si observation que j'indique 
est faite sur la glande d’un animal injecté, on voit que la matière 
colorante occupe cette cavité. 

En employant un grossissement un peu plus fort, on ne tarde 
pas à s'apercevoir qu'autour de cette cavité, véritable dépendance 
du système sanguin , est une couche mince et régulière de tissus 

(1) T. IV, pl. 6, fig. 7 port. (b). 

(2) T. IV, pl. b, fig. 7 port, (a). 

(3) T. IV, pl 4, fig. 9. 


‘SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 299 


glandulaires ; de telle sorte que l’on peut considérer chacune de 
ces élévations comme un prolongement en cul-de-sac de Parbre 
circulatoire, entouré par de la substance glandulaire. Il y a donc 
ici quelque chose qui rappelle un peu, mais avec beaucoup de sim- 
plicité, ce que l'on voit dans les villosités inteslinales, sauf, bien 
entendu, les fonctions auxquelles je ne veux nullement faire allu- 
sion. 

On peut dans l'étude du corps de Bojanus se représenter dans 
toute sa simplicité la marche de la sécrétion ; le vaisseau capillaire, 
qui forme une anse dans la petite élévation papilleuse du sac, entouré 
par un parenchyme capable de prendre, sans doute , par endos- 
mose les éléments de la sécrétion , fournit au tissu le liquide qui 
sert à élaborer les produits ; et la substance sécrétante est, on le 
voit, aussi rapprochée que possible du sang. 

lei se présente une question importante , la substance cellulaire 
de cette couche que nous venons de décrireest-elle en dehorsd’une 
paroi propre au vaisseau, où bien forme-t-elle la paroi même du 
vaisseau? En d’autres termes , les capillaires que l’on injecte dans 
la paroi de la glande sont-ils distincts de la substance, ou bien sont- 
ils des lacunes creusées dans cette substance ? Je dois avouer que, 
dans bien des cas, dans la Pinne marine (4), dans la Pétricole (2), 
Ja Bucarde (3) rustique, il semble difficile de ne pas admettre cette 
dernière manière de voir, car la couche cellulaire est épaisse sim- 
plement de deux ou trois cellules, et l’on distingue très nettement 
la cavité centrale, surtout dans Ja Pinna nobilis et la Petricola 
ruperella. 

Y a-t-il une pellicule mince, anhyste, qui limite cette cavité , et 
tapisse en dedans les contours du parenchyme glandulaire ? Cela 
est possible, mais la démonstration en est bien difficile, sinon 
impossible, 

Que si l'on admet la première des opinions , on voit encore ici 
plus nettement le rapport de la substance glandulaire sécrétante 
avec le liquide sanguin; et l'on peut presque dire que la substance 

(4) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 9. 

(2) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 4. 

(3) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 4. 


300 H, LACAZE-DULHIERS. — MÉMOIRE 


puise par un de ses côtés les matériaux qu’elle sécrète et verse au 
dehors par l’autre. 

Si maintenant on rapproche de ces descriptions la théorie mo- 
derne des sécrétions, qui explique la production des liquides par 
une mue et une déhiscence incessantes des cellules du parenchyme, 
on voit que le mouvement dans la production des cellules doit se 
passer du dedans au dehors, c’est-à-dire de la partie en con- 
tact avec le liquide sanguin à celle que couvrent les cils vibra- 
iles. On pourrait toutefois objecter à cette manière de voir les 
deux exemples que je présentais il n’y a qu’un instant, dans lequel 
les cellules les plus développées n'étaient point celles qui avoisi- 
naient les cils; mais on se rappelle quelles restrictions j'ai 
cru devoir faire. 

On a vu que quelques faits semblaient démontrer le développe- 
ment endogène des cellules. Dans la T'ellina solidula que je pêchais 
aux Hébiens, j'ai remarqué qu'entre les cellules fort grandes et 
renfermant des noyaux fort développés, il y avait de petits points 
d’une matière jaunâtre analogue à celle qui forme le noyau des 
cellules ; et je me demande si ces granulations ne sont pas destinées 
à devenir le noyau de cellules futures. Tei le développement ne 
serait plus endogène. 

Enfin il est une disposition queje ne dois pas passer sous silence, 
car elle peut, au premier abord, paraître embarrassante. Le 
tissu glandulaire de la Bucarde rustique (4), observé à un assez 
faible grossissement, paraît formé de petits prolongements creusés 
d’un cul-de-sac ; mais les cils vibratiles, au lieu d’être en dehors 
de ces prolongements , comme cela a lieu dans les autres espèces , 
se trouvent en dedans. On ne peut admettre que les vaisseaux san- 
guins soient ici dans le centre du prolongement là où paraissent 
les mouvements ciliaires. En observant le tissu de la glande de la 
Pétricole, on remarque (2) alternativement des dépressions et des 
saillies de la surface , on observe une même chose dans la Modiole 
lithophage (3). Aussi dans ces exemples trouve-t-on tous les pas- 

(1) Voy. pl. 5, fig. 4. 

(2) Voy. t. IV; pl. 6, fig. 1. 

(3) Voy. t. IV, pl. 5, Gig. 


4) 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 301 


sages entre les lobules saillants de à Pinna nobilis (4), et les culs- 
de-sac du Cardium rusticum (2). 

En résumé, que l’on considère les vaisseaux sanguins comme 
étant distincts, et formant un lacis considérable recouvert d’une 
couche de substance cellulaire de nature glandulaire , ou bien que 
l’on admette une couche glandulaire onduleuse dans les replis de 
laquelle sont creusés des canaux où s’épanche le sang dans son 
trajet du corps aux branchies, toujours aura-t-on une idée exacte 
de ladisposition et de la structure de la glande fort simple, en défi- 
nitive, comme on le voit. 


III. 


RÔLE PHYSIOLOGIQUE DU CORPS DE BOJANUS. 


C’est en faisant toute réserve que je présenterai quelques consi- 
dérations sur la physiologie de cet organe ; je l'ai dit en comimen- 
çant, il est nécessaire d'entreprendre quelques recherches nou- 
velles; je ne puis cependant à la fin de ce travail, presque 
entièrement anatomique, m'empêcher de faire connaitre les faits 
qui me paraissent résulter des observations nombreuses que j'ai pu 
et dû faire, tant pour étudier l'organe lui-même que pour faire 
l'histoire des organes de la reproduction des Acéphales. Je regarde, 
du reste, les considérations qui suivent comme destinées à servir 
de renseignements pour un autre travail. Ce travail, je l'espère du 
moins, S'accomplira plus fard, et je pourrai alors remplir la 
lacune que présente aujourd'hui mon mémoire. 


Il est utile d’abord de bien établir quelles opinions ont été sue- 
cessivement soutenues par les auteurs; il est peu d’organes 
dont le rôle ait été aussi diversement interprété. Bojanus (3) est le 
premier auteur qui ait sérieusement entrepris d’en faire connaître 
l'histoire. Dans un mémoire fort remarquable sur la respiration de 


(4) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 9. 

(2) Vo. pl. 5. fig. 4. 

(3) Voy. loc. cil., traduction de Blainville, et le mémoire original dans 
l'Isis, 1849. 


302 H. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE 


l’Anodonte, cet auteur cherche à prouver que le sae glandulaire des 
Acéphales est un poumon. Cette opinion n’est plus soutenable et 
soutenue aujourd’hui ; cherchons cependant comment Bojanus avait 
élé conduit à cette manière de voir qui, du reste, n’était pas 
nouvelle, comme l’observe avec raison de Blainville, puisque 
Méry l'avait déjà émise à l'Académie des sciences de Paris. 

Bojanus n'observant que l'Anodonte (Anodon cygnœum), et 
voyant toujours l'animal porter ses petits dans les feuillets de ses 
branchies, en conclut que ces organes étaient des matrices ou 
réservoirs des œufs. Dépossédant ainsi les feuillets branchiaux d’un 
rôle qui leur avait été jusqu'alors attribué, il lui fallait trouver 
ailleurs les organes de la respiration. 

En faisant des injections, il reconnut bien vite la richesse 
vasculaire des glandes brunâtres placées de chaque côlé du corps; 
il supposa que cette richesse devait être en rapportavec une fonc- 
tion importante : trouvant un sac onvert à l'extérieur, dans la large 
cavité duquel s'élevait une éminence, qu'il crut spécialement 
vasculaire, il fut conduit à admettre que le sac était la cavité respi- 
ratoire où entrait l'eau; que la masse saillante était le poumon, 
organe même de Ja respiration. 

S'il n'y avait à rien de nouveau, puisque déjà Méry avait eu 
cette opinion , il y avait au moins quelque chose d'incorrect et 
d'étrange. Quelque chose d'incorrect, car, ainsi que n'a pas 
manqué de le dire M. de Blainville, il n’y a pas de poumon quand 
la respiration est aquatique ; et quelque chose d’étrange, parce que 
tout le sang ayant respiré, tout le sang artériel aurait, avant 
d'arriver au corps, traversé un organe où la vitalité doit être très 
active au moment de la gestation. 

Ce qu'il y a d’exact dans le travail de Bojanus, c'est la description 
de la cireulation. 11 semble même que la circulation lacunaire y est 
entrevue ; mais comme le savant professeur de Wilna ne faisait ses 
études que sur une seule espèce, il ne devait et ne pouvait généra- 
liser ; aujourd’hui que les beaux travaux de M. Milne Edwards nous 
ont fait connaître complétement cette disposition de la circulation 
particulière aux Mollusques , nous pouvons dire que Bojanus avait 
vu la disposition, sans se rendre un comple bien exact de ce qu'il 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 303 
voyait. Voici ce qu'il dit; j'emprunte le passage à la traduction 
donnée par M. de Blainville: « Les veines du corps naissent de 
» toutes les parties... etil n’y a pas de doute qu'elles ne commu- 
» niquent avec les artères par des vaisseaux de transition d’un 
» diamètre assez considérable. Je doute que ce réseau et même ces 
» vaisseaux aient dans toute leur étendue de véritables parois 
» vasculaires, el je pourrais même affirmer qu'une grande partie en 
» est entièrement dépourvue. » 

Si Bojanus ne se füt point lenu à l'étude d’une seule espèce, il 
aurait bien vite acquis la conviction que les branchies ne sont pas 
des marices , ear un grand nombre d’Acéphales ne portent plus 
leurs œufs pendant l'incubation; et cependant les prétendues 
matrices, qui, dans ces cas, seraient devenues inutiles, n’en 
existent pas moins. 

J'ai rappelé ce fait pour montrer encore une fois combien il est 
nécessaire de multiplier les observations sur des espèces différentes 
et nombreuses , afin d'arriver à des données exactes. 

De Blainville, qui s’occupa de faire connaître en France le tra- 
vail du célèbre professeur de Wilna, voulut aussi émettre son opi- 
nion qui n'avait rien d'arrêté, et qui, sous la forme d’hypothèse, 
attribuait successivement differents rôles à l’organe. Il se demanda 
si la glande ne serait point une annexe de l'organe de la respiration 
destiné à retenir de l’eau pour le cas où l'animal se trouverait placé 
hors de ce milieu ; si elle ne représenterait pas un organe sécréteur 
appartenant à la dépuration du sang ou une sorte de rein; si elle 
ne serait pas une sorte de rate, de ganglion vasculaire, destiné à 
faire subir une modification au sang, avant d'arriver à l'organe de 
la respiration ; ou bien enfin si elle n’appartiendrait pas à la géné- 
ration, et si elle ne serait pas chargée de sécréter l'enveloppe des 
œufs. 

Dans ces opinions, dans ces hypothèses, que, du reste, le savant 
professeur ne démontre pas, on trouve un peu tout, et par con- 
séquent rien de précis. 

Je citerai l’opinion de Richard Owen : « Modern analysis has 
» detected a large proportion of uric acid in the peritoneal com- 
» partiment enclosing this veinous plexus, and has thus determined 


30 I. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


»itto be the renal organ. » Aïnsi pour M. Richard Owen, cette 
glande est un rein, parce que les analyses modernes y ont décelé 
une large proportion d'acide urique (1). 

Garner, dont j'ai souvent cité le travail vraiment remarquable 
sur les Mollusques, considère le corps de Bojanus comme un 
organe d’excrélion, qui doit rejeter certains produits hors de l’éco- 
nomie. Il observe une chose qui, à mon sens, a passé trop inaper- 
çue, à savoir qu'à certaines périodes, le corps produit une plus 
grande quantité de matière calcaire. Ce fait est démontré par les 
sillons qui se voient sur la coquille, et qui correspondent, comme 
je lai observé même pour des embryons microscopiques, à 
des moments de repos. L'animal peut avoir besoin de se débar- 
rasser, à certaines époques, d’un surcroît de matière calcaire, 
et l'organe glandulaire dont il est ici question rejette cette matière 
au dehors. C’est du reste l'opinion tout hypothétique de de Blain- 
ville, qui considère l'organe comme un rein dépurateur. Garner 
fait remarquer la différence toutefois qui existerait dans celte espèce 
nouvelle d'organe dépurateur, qui aurait une circulation analogue 
à celle que l’on observe dans le foie des animaux supérieurs. I 
avait, je l'ai déjà dit, connaissance de la communication avee le 
péricarde. Voici comment il l'indique pour l'Unio seulement : « In 
» the Unio an orifice close to that of the oviduct, leads into a large 
» cavity of the mantle under pericardium, into which the secreting 
» organ opens by an internal orifice ; » et il ajoute même que 
Bojanus n'aurait point soutenu son opinion s’il avait connu cette 
communication. 

On trouve quelques erreurs touchant les rapports des orifices de 
la génération et du sac. Ainsi, d’après Garner, l’oviducte est dis- 
ünet du sac dans les Lithodomes , les Moules; tandis que dans la 
Bucarde, la Mactre, la Pholade et la Mye, les œufs sont rejetés 
dans le sac (2). 


(1) Rich, Owen, Lectures on comparative anatomy, vol. I, p. 284. Mais il 
ne cite pas les analyses, il n'y a vraiment pas assez de détails pour que cette 
phrase soit une véritable démonstration. 

(2) Loc. cit., « Whilst in Tellina, Cardium , Mactra , Pholas, Mya and most 
» others the ova are discharged into the secretory organs, » p. 294. 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 305 

Il y a là une erreur, pour quelques espèces au moins. La 
Bucarde, les Mactres, sont les animaux chez lesquels, au con- 
traire, les deux orifices sont les plus éloignés, les plus séparés et 
les plus distincts (1). 

Les concrétions nombreuses que l’on trouve dans le sac de Boja- 
nus et dans son tissu même avaient été connues de Poli (2), etavant 
lui de Swammerdam(3). Ces deux auteurs avaient pensé, d’après la 
nature même de ces concrétions , que l'organe dont il s’agit avait 
pour rôle spécial de sécréler la coquille. Cette opinion est aujour- 
d’hui sans valeur : personne ne songe à la soutenir. 

Von Siebold a eu aussi son attention fixée sur ces concrétions , 
et dans son Anatomie comparée, il s'exprime ainsi à leur égard : 
«… Le tissu très lâche... se décompose en pelits corpuscules 
» granuleux et vésiculeux ; la plupart de ces corpuscules contiennent 
» un noyau arrondi. Ces noyaux sont très solides, et doivent être 
» considérés comme des corpuscules excrétés. Ils sont quelquefois 
» tellement grands, qu’on les aperçoit à l'œil nu sous la forme de 
» concrétion inorganique, qu'on peut d'autant mieux comparer à des 
» calculsrénaux qu’ils contiennent de l'acide urique. » Et il ajoute en 
note : « Étant parvenu à recueillir une quantité considérable de ces 
» calculs, j'en ai remis une partie à M. de Babo, de cette ville, qui 
» s’est chargé d’en faire l’analyse qualitative. Le résultat a été que ces 
» calculs, dont la cassure est conchoïde, sont composés principale- 
» mentde phosphate calcaire avec unetrace de phosphate de magné- 
» sie, et une faible quantité d’une matière organique se comportant 
» avec l'acide nitrique exactement comme l'acide urique. » La fin de 
cette note se termine ainsi : « L'opinion qui les regarde comme des 
» reins à trouvé beaucoup plus de partisans (Treviranus dans Tie- 
» demann, Zeitsch. f. Physiol., 1, p. 53, et Carus, Zool., 1834, 
» I, p. 650), d'autant plus qu’on affirmait qu'ils contiennent de 
» l'acide urique (Garner, Trans. of Phil. Soc. loc., p. 92, et Owen, 
» Lectures on the comp. Anat., p.28h),ce dont je n'ai pas pu m'as- 
» surer jusqu'à présent. La composition chimique de ces concré- 

(4) Voy. la planche 5, fig. 6. 


(2) Ouvrage de Poli sur les Mollusques des Deux-Siciles, 
(3) Biblia nature. 


4° série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 5.) 4 20 


306 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


» tions me confirme dans l'opinion que ces organes sont réellement 
» des reins (1). » 

Ainsi voilà l'opinion de von Siebold nettement formulée. L'or- 
gane de Bojanus est un organe dépurateur, et spécialement un rein. 

Il est impossible de ne pas relever, après bien d’autres, du resle, 
l'erreur de Neuwyller (2) sur les prétendues fonctions génitales 
mâles de cet organe. Les spermatozoïdes qu’il croit avoir aperçus 
ne sont évidemment que des cellules chargées de cils, si longs 
quelquefois, comme on l’a vu. 

M. Deshayes (3) considère l’organe comme jouant un rôle de 
dépuration, mais ne dit pas spécialement qu'il soit un rein. 

Enfin M. Milne Edwards (4) avait depuis longtemps, dans un 
travail sur quelques animaux inférieurs de la mer, indiqué, à propos 
du sexe du Pecten, que ces glandes pourraient bien concourir à 
quelque titre à l’accomplissement des fonctions de la reproduction. 
Dans des conversations particulières, M. Edwards, tout en donnant 
moins de valeur à cetle idée première, m’a paru pencher aujour- 
d’hui pour celle qui verrait dans l’organe de Bojanus un rein. 


Telles sont les opinions que l’on trouve dans les ouvrages. 


On ne peut tout d’abord s'empêcher de faire une réflexion en 
voyant quelles raisons déterminent l'opinion des auteurs. La plus 
vraisemblable, la plus accréditée aussi , est que le sac de Bojanus 
joue le rôle de rein. Or on se base sur la présence de l'acide urique, 
comme s'il était par avance démontré que la sécrétion urinaire 
était toujours caractérisée dans la série animale par la présence de 
cet acide. On se demande si la présence dans une partie de lor- 
ganisme de quelques concrétions se comportant comme de l’acidé 
urique est bien une preuve que cette partie est un rein. Nous savons 
si peu sur les fonctions des animaux inférieurs, que véritablement 

(A) Anatomie comparée, t. If, 2° partie, p. 280, et note 5. 

(2) Neuwyl., Neue Denkschr., VI, p. 26. 

(3) Voy. Deshayes, Ææploration scientifique de l'Algérie, Mollusques. Ar- 
ticles, Organes dépurateurs , des diverses Monographies. 

(4) Voy. Milne Edwards, Observations sur la structure et les fonctions de 
quelques Zoophytes, Mollusques et Crustacés des côtes de France (Annales des 
scivuces na‘urelles, 2° série, t. XVIIT, p. 321). 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 307 


c’est aller un peu vite en se prononçant catégoriquement sans 
autre preuve. 

On appelle foie dans les animaux supérieurs une glande bru- 
nâtre qui sépare du sang un produit jaune verdâtre, la bile, et qui, 
particularité importante, se trouve sur le passage du sang revenant 
de l'intestin, c'est-à-dire sur le trajet de la plus grande partie des 
matières alimentaires absorbées après la digestion. 

Quelle influence a sur ces matières alimentaires , désormais 
entrainées dans le torrent de la circulation, la glande hépatique ? 
Nous n'en savons encore vraiment pas grand’chose. Si les faits 
avancés par M. Bernard se vérifient complétement, s'ils sont 
acquis à la science , nous commencerons à entrevoir l’une de ces 
actions, et le rôle mystérieux du foie se dévoilera à nous. Nous 
verrons les matières amylacées transformées par lui en sucre ; mais 
resterait la bile, pour laquelle on doit encore se demander si elle 
est un liquide nécessaire à la digestion, si au contraire elle n’est 
qu'une sorte de matière excrémentitielle , résultat d’une première 
dépuration opérée sur celte substance alimentaire qui fait son 
premier pas dans l'économie. 

Quoi qu'il en soit, il ne peut être douteux pour personne quele foie 
n'ait un rôle important , et que ce rôle consiste à agir sur le sang 
Chargé des principes alibiles autres que ceux qui sont versés dans le 
torrent circulatoire par le canal thoracique ou l'appareil chylifère. 

Or, qu'on le remarque, le foie est justement placé sur le chemin 
du sang qui va au poumon , et à priori, ne serait-on pas tenté de 
croire qu'un organe placé dans les mêmes condilions serait 
appelé à remplir les mêmes fonctions? I faut bien le reconnaitre, 
ces considérations font naître dans l'esprit un doute sérieux à l’en- 
droit des fonctions du corps de Bojanus, qui se trouve précisément 
dans les conditions que nous venons d'indiquer. Il est placé sur le 
trajet du sang qui revient des organes de la digestion, et qui certai- 
nement est chargé des produits alimentaires. C’est done, si c’est un 
rein, un rein bien différent de celui des animaux supérieurs, car 
il est dans des conditions tout autres. 

Et après ces réflexions, quand on rapproche d'elles les preuves 
vraiment bien légères que l’on donne de la nature de la fonction, 


308 H. LACAZE-DUTBIERS. — MÉMOIRE 


on se prend à douter, surtout quand on songe au peu de notions que 
l'on possède sur les fonctions de ces animaux ; car l’acide urique ne 
se présente pas loujours dans l'urine, et quand il se rencontre 
dans une partie du corps, nous n'en concluons pas forcément que 
cette partie est un rein. Ce qu'il serait utile de chercher , dans la 
liqueur excrétée , c’est l’urée, car l’urée est l'élément caractéris- 
tique de l’urine; mais encore de l’urine des animaux supérieurs. 
Or nous n’avons aucune donnée sur la sécrétion urinaire dans les 
animaux inférieurs. 

Nous ne savons pas comment s'effectue la nutrition, par 
quelle voie et sous quelle forme sont rejetés les aliments ayant 
servi à l’accomplissement de la vie. Nous ignorons complétement 
si, de même que dans les animaux supérieurs, les matières azotées 
sont rejetées au dehors sous forme d’urée. On le voit, la question 
prend des proportions plus grandes qu'on ne le supposerait au 
premier abord. Envisagée sous ce point de vue, elle devient plus 
difficile à résoudre, et les preuves tirées de la présence d’un petit 
caleul d'acide urique, tout en ayant leur valeur réelle, n’en restent- 
elles pas moins insuffisantes. 


Quoi qu’il en soit de ces considérations, qui, du reste, mon- 
trent, je pense, tout le vague qui existe sur la question, voici les 
observations qu'il m'a été donné de faire : 

Quatre espèces ont surtout présenté les faits les plus carac- 
téristiques : ce sont la Nacre, la Lucine, la Lutraire et la Mactre. 

En étudiant à Mahon les organes de la reproduction dela Nacre, 
je fus frappé de la résistance des sacs de Bojanus; en les ouvrant, 
je trouvais dans leur fond une poussière noirâtre , et dans leurs 
tissus des concrétions. Cette particularité n'avait rien d’exceplion- 
nel, et dans tous les individus que j'observais à Mahon, dans ceux 
que je dus plus tard à l’obligeance de M. Valenciennes et de 
M. Rousseau, je retrouvai constamment les mêmes concrétions. 

L'examen microscopique de ces papilles qui hérissent la face 
interne des sacs, etqui constituent, comme on l’a vu, le tissu même 
de l'organe, montre (1) dans les cavités de chacune d’elles une con- 


(1) Voyez pl. 5, fig. 9. 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 309 


crélion sphérique perliforme, parfaitement arrondie, transparente, 
d’une teinte brunâtre, terre de Sienne, offrant des lignes concen- 
triques , qui indiquent, sans aucun doute, le dépôt de couches 
successives ; on a sous les yeux une véritable petite perle. On se 
rappelle que la cavité de la papille est occupée par un canal ‘san- 
guin; et l’on se demande si c’est dans le sang que s’est formée 
cette concrétion perliforme ? Je reviendrai plus loin sur cette for- 
mation et sur son origine. 

On rencontre fréquemment, dans toutes les parties du corps des 
Nacres, des perles souvent allongées, pyriformes, ressemblant un 
peu à des larmes bataviques, qu'il serait bien intéressant d'étudier. 
Une analyse comparative de celles-ci, et des concrétions perli- 
formes du corps de Bojanus , auraient, on le comprend, le plus 
grand intérêt. Malheureusement je n’ai point de données, et je ne 
puis dire si dans l’une et l’autre on rencontre les mêmes élé- 
ments; mais c'est là une lacune qui ne pourra et ne devra plus 
exister dans un nouveau travail. 

L'organe de Bojanus de la Lucine [de celle de l’étang de Thau 
près de Cette, et de celle des environs des Hébiens près de Saint- 
Jacut-la-Mer en Bretagne (Côtes-du-Nord) | est vivement coloré 
en brun. On se rappelle que cette coloration est due au noyau des 
cellules du tissu. Ces noyaux, moins développés et très vagues 
dans les cellules les plus jeunes (1) et les moins grandes, 
deviennent de plus en plus nets, et la matière colorante semble se 
concréter et augmenter de plus en plus, à mesure que les cellules 
son! plus anciennes (2). Sur un même individu, il est rare que l’on 
ne rencontre pas tous les passages, depuis un simple noyau jusqu'à 
un petit corpuscule sphérique composé de couches concentriques, 
disposées autour d’un centre plus clair, qui rappelle encore par son 
apparence ce noyau. On peut done admettre ici dans la Lucine 
qu'autour de ce noyau, comme centre d’attraction , est venue se 
déposer la substance calculeuse (3). Ces petites perles sont enfer- 
mées dans la cellule où elles se sont produites. 

(1) Voy. pl. #, 6g. 41. 

(2) {.,6g.12(abc). 

(3) 1, Gg 12 (c), 


310 I, LACAZE-DUVHIERS, -— MÉMOIRE 


Dans les Jambonneaux, on trouve les perles dans la cavité même 
du vaisseau sanguin (1) occupant le centre de la papille. Comment 
s'expliquer celle position ? Évidemment il y a eu rupture de la 
cellule dans laquelle s'était formée la concrétion , et chute de 
celle-ci dans la cavité interne. Si la rupture eût eu lieu en dehors, 
la perle serait tombée dans le sae même, ce qui rend compte de la 
présence de celte poussière noire que l’on trouve dans la poche 
de l’organe. 

Dans ces deux exemples, les dépôts sontirrégulierset amorphes ; 
dans ceux qui suivent, au contraire, il y a eu cristallisation de la 
malière inorganique, el ici encore c’est antour du noyau que sont 
venus se grouper les petits cristaux. 

Le corps glandulaire est, dans la Lutraire, d’un brun foncé; si 
on le déchire sous l’eau, on voit s'en détacher une poussière brune 
qui se précipite au fond du liquide. Si on lobserve au microscope, 
on voit qu'il est formé de petites élévations peu transparentes, 
paraissant bourrées de petites aiguilles ou corpuscules allongés et 
dirigés dans tous les sens. Sur une portion peu considérable de la 
glande, à un grossissement suffisant, ces particules se font lout de 
suite reconnaitre pour des cristaux (2), qui ressemblent singulière- 
ment à l'acide urique que l’on rencontre dans bien des cas chez 
les animaux supérieurs. Mais, chose remarquable, c’est encore 
cenoyau (3), à bords irréguliers, parfaitement reconnaissable, qui 
sert de centre aux cristaux. Ceux-ci sont groupés le plus souvent 
en croix; cependant il y a bien des variations de forme (4) : tantôt 
le noyau est au centre d’une lamelle ellipsoïdale qui rappelle les 
lames rhomboïdales dont les angles sont arrondis, comme cela 
s’observe même dans les cristallisations de l'urine de l’homme ; 
tantôt deux de ces plaques sont posées de champ l’une sur l’autre, 
et se coupent à des angles très variables, mais toujours le noyau 
est reconnaissable à l'intersection ; tantôt enfin de petites baguettes, 
plutôt acieulaires que véritablement lamellaires, ravonnent encore 


(1) PL 4, fig. 5, fig. 9. 

(2) Voy. t. IV, pl. 4, fig. 1. 

(3) Voy. t. IV, fig. 1 (n'). 

(4) Voyez les différentes formes de cristaux dessinées figure 1 dela planche 4. 


SUR L'ORGANE DE B OJANUS. all 
du même point central, et l’on a, à n’en pas douter, le commence- 
ment d'un groupe analogue à ceux que l’on trouve dans l'urine de 
l'homme. Tous ces corpuscules sont enfermés dans des cellules , 
de telle sorte que, entre l’exemple actuel et ceux étudiés précé- 
dermment, il n’y a pour loute différence que la disposition amorphe 
dans un cas, la forme cristalline dans l’autre ; et l’on peut ici dans 
cette différence apprendre à connaître l’origine même de ces petites 
perles. 

Mais la Mactre présente dans le corps de Bojanus des groupes 
de cristaux qui rappellent véritablement, à s’y méprendre, les 
cristaux d'acide urique, La forme, la teinte, tout est parfaitement 
semblable (1). Sans connaître les formes indiquées précédem- 
ment pour la Lutraire , il est difficile de comprendre leur origine 
et leur point de départ ; mais dans ce dernier exemple, on voit 
déjà le commencement du groupement des baguettes aciculaires. 
Ces baguettes, du reste, semblent rayonner d’un centre qui est 
le noyau primitif de l’une des cellules. Ces groupes de cristaux 
paraissent noirâlres, quand on les observe à la lumière réfléchie; 
au contraire , ils sont rougeâtres, éclairés par la lumière trans- 
mise. Je ne les ai jamais rencontrés enfermés dans une cellule; 
cela tient sans doute à ce qu'ils avaient acquis déjà trop de déve- 
loppement, et qu'ils avaient rompu les parois. La cristallisation ou 
la production de matière morganique, quoique placée en dehors de 
la cellule, n’en a pas moins continué et augmenté leur volume. 

Depuis que j'ai fait cette observation, le même faits’est présenté 
de nouveau; j'en parlerai dans un travail que je me propose de 
publier bientôt sur l'anatomie et le développement de la Bullée 
(Bullæa aperta). J'ai, en effet, rencontré dans le rein de cet ani- 
mal des cristaux groupés tout à fait comme dans la Mactre des 
côtes de Bretagne. 

Ces cristaux de la Lutraire ont été vus par M. Deshayes, qui les 
compare à des cubes à angles arrondis, à des navicules et des tour- 
niquels compresseurs ; il observe qu’ils sont solubles dans l'acide 
pitrique, mais il n’en indique pas la nature. Du reste , tous les 


(4) Voy, 4. EV, pl. 4, fig. 4. 


312 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


auteurs ont été frappés de la présence de ces concrétions solides 
inorganiques ; Poli avait même basé sur elle sa théorie de la sécré- 
tion de la coquille. 

Il était bien intéressant, on le comprend, de connaître la com- 
position de ces concrétions ; aussi en avais-je recueilli dans le but 
de les faire analyser. Toutefois, malgré les résultats que mon 
excellent ami et collaborateur pour d’autres travaux, M. A. Riche, a 
obtenus, je crois qu’il faudrait procéder à de nouvelles études. Pour 
moi, en effet, les analyses chimiques, quand elles s'appliquent à la 
physiologie, doivent avoir un but défini ; on doit chercher dans 
telle ou telle direction, et ce n’est pas seulement d’une analyse iso- 
lée que l’on- peut conclure quelque chose depositif. Des analyses 
isolées fournissent des renseignements sans doute; mais pour arri- 
ver à des faits caractéristiques, il faut des recherches comparatives. 
Ainsi les Jambonneaux présentent des concrétions dans le sac de 
Bojanus, dans les tissus du manteau, ete., ete. N’est-il pas évident 
qu’il faudrait faire l'analyse comparative de ces produits, et n'est-il 
pas hors de doute que leur composition devrait être opposée à celle 
de la coquille elle-même ? On le voit dans l'étude qui nous occupe, ces 
recherches prennent des proportions considérables, surtout quand 
on remarque que ce n’est pas sur une espèce isolée, mais évi- 
demment sur un grand nombre que le travail doit être entrepris. 

Je ne présente donc qu'avec réserve les quelques résultats que 
je dois à l’obligeance de mon habile ami. Voici le passage même de 
la lettre où il me rend compte des opérations qu’il a fait subir aux 
corps que je lui avais remis. 

« Les masses brunâtres que vous m'avez dit appartenir à la Lu- 
» traire solénoïde ont été desséchées à 50 ou 60 degrés, puis 
» mises en digestion à chaud avec une solution de potasse ; la solu- 
» tion, décomposée par l'acide chlorhydrique, a donné un précipité 
» blanc d'acide urique insoluble dans l'alcool et dans l’éther. Séché 
» sur un filtre séparé du papier, ce précipité, traité par l'acide azo- 
» tique, avec la chaleur et la vapeur d’ammoniaque, a donné la 
» coloration rouge caractéristique de l’acide urique. » Déjà , on se 
le rappelle , la simple observation microscopique m'avait conduit 
à admettre la présence de cet acide. L'analyse ici est démonstras 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 313 
tive ; elle a quelque chose de plus positif que celle rapportée par 
von Siebold et faite par M. de Babo. 

Dans la série des matières que j'avais données à M. Riche, se 
trouvait, mais en petite quantité, la glande de la Mactre, où l’on 
observait très nettement les cristaux paraissant d'acide urique , et 
dont j'ai parlé. Traitée de la même manière, un précipité très faible 
s’est encore produit ; il était insoluble dans l'alcool et l'éther, et 
coloré légèrement en rouge par la réaction de l'acide azotique et 
de l’ammoniaque ; mais la quantité de matière était très faible, 
etil y avait, bien que la réaction se présentât, moins de certitude 
que précédemment. 

Mais, chose curieuse dans les concrétions de la Pinne marine, 
concrétions perliformes et non cristallines, l’acide urique ne s’est 
point montré, si du moins on juge de sa présence par les réactions 
précédentes. Cependant le même procédé a été employé à plusieurs 
reprises, car la quantité de matière était plus considérable. 

M. Riche a cru y trouver de l’urée. « Il m'a paru y en avoir un 
» peu. J'ai essayé le dosage au moyen du procédé de M. Millon; je 
» n’ai eu que des traces d'acide carbonique, dégagé par l’action de 
» la substance sur l’azotite de mercure dissous dans l'acide azo- 
» tique. L'eau de chaux était troublée cependant , et en recueillant 
» le gaz dans un tube à potasse, j'ai eu une augmentation bien légère 
» de poids due à l’acide carbonique produit. » 

Malheureusement les analyses n’ont eu pour but que la recherche 
de l’acide urique et de l’urée. Elles auraient dû aussi faire connaître 
la nature mème des calculs qui ne présentaient pas d’acide urique, 
la substance manquait pour cela ; mais je ne puis admettre néan- 
moins que ces derniers résultats infirment les premiers. 

En effet, dans la vessie de l’homme se forment des calculs 
d’acide urique, mais tous ne sont pas d’acide urique. Il en est de 
phosphate ammoniaco-magnésien (ce sont les plus fréquents) où 
l'on chercherait en vain l'acide urique, et ce n'est pourtant pas à 
dire qu'ils ne soient caractéristiques de la sécrétion urinaire. Y au- 
rait-il ici quelque chose qui rappelle ce que l’on voit dans l’homme. 
L'acide urique est plus fréquemment cristallisé, tandis que le phos- 
phate ammoniaco-magnésien est presque toujours amorphe, déposé 


all H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


par couches concentriques. Je regrette beaucoup de n'avoir point 
la composition du sel qui forme les concrétions perliformes du 
corps de Bojanus du Jambonneau. 

C’est surtout l’urée qu'il serait important de chercher et de trou- 
ver ; mais les difficultés sont extrêmes dans ce travail, En eflét, 
l'organe est peu volumineux dans les espèces que nous pouvons 
facilement étudier, | 

Il faut donc le prendre sur un grand nombre d'individus. Or 
le sang qui est dans son intérieur est abondant, et il s’écoule en 
grande abondance par les blessures que l’on fait à l’animal ; on a 
done les glandes de Bojanus baignées dans une masse considérable 
de ce liquide. Or on ne sait rien sur la composition chimique du 
sang des Acéphales ou des Mollusques ; on se voit toujours en 
face de bien des questions quand on veut aborder les études de 
chimie physiologique des animaux invertébrés. 

Des faits qui précèdent, il semble découler, avec les observations 
des auteurs que j'ai cités précédemment, que la glande de Bojanus 
est un rein, 

Cependant , je l'avoue, il m'est difficile de croire que si, en 
effet, cet organe est chargé de séparer du sang ce que nous 
noïnmons dans les animaux supérieurs l'urine, il soit exclusive- 
ment destiné à remplir ce rôle. En effet, j'ai bien des fois été 
frappé, et cela avant de connaître l'opinion de M. Edwards (1), 
par la coïncidence évidente qui existait entre le développement des 
sacs de Bojanus et celui des glandes génitales. À Mahon, aux 
Martigues, à Cette, à la Rochelle, à Saint-Malo, à Courseulles, j'ai 
maintes fois observé que les animaux , au moment de la ponte, 
avaient leur corps de Bojanus vivement coloré et fort turgide ; 
que ce développement , annonçant une plus grande activité de 
la sécrétion, cessait ou diminuait beaucoup , au contraire, sur 
les individus chez qui la période d’excitation génitale était passée. 

Parmi les nombreux faits de ce genre que j'ai observés, je citerai 
l’un d'eux, que je trouve dans mes notes de 1854 sur mon voyage 
en Bretagne. 


(1) Loc. cit. 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS: 315 

Aux grandes marées d'août, j'avais trouvé sur les plages des 
Hébiens beaucoup de Pandores rostrées dont les organes dela géné- 
ration étaient gorgés par les produits de la sécrétion, et je me de- 
mandais si je ne pourrais en étudier la ponte et le développement. 
J'avais remarqué que les corps de Bojanus étaient vivement colorés, 
les corpuscules nucléolaires étaient fort nombreux et très gros. 
Comme ces Pandores habitaient un fond sablonneux assez profond, 
je fus empêché dans ces recherches par la morte-eau ou petite 
marée de la première quinzaine de septembre. A la grande marée 
suivante les Pandores avaient pondu, et je trouvai tous les organes 
génitaux vides. Chose remarquable, les glandes de Bojanus avaient 
perdu la vivacité de leur coloration, et il ne pouvait être douteux 
que la cessation du travail d’une glande ne coïncidât avee celui de 
l’autre. Dans beaucoup d’autres circonstances , cela m'a paru si 
évident que, dans les notes de mon voyage aux Baléares, je trouve 
le corps de Bojanus souvent désigné par le nom d’annexe de la 
génération. On se rappelle d’ailleurs le rapport presque constant 
qui existe entre les orifices des deux glandes. 

C'est en rapprochant ces fails de ceux que l'anatomie nous a 
montrés à propos de la circulation, que je n'ai pu, malgré les ana- 
lyses, arriver à prendre une détermination absolue, avant d’avoir 
préalablement fait de nouvelles recherches. 

Je suis loin cependant de nier que les sacs de Bojanus soient 
des organes dépurateurs analogues aux reins; mais je croirais 
volontiers qu’au lieu d’un seul rôle ils peuvent en jouer deux. Ainsi 
nous voyons dans la série animale , à mesure que l'organisme se 
simplifie de plus en plus, la division du travail être de moins en 
moins grande, et un même organe remplir plusieurs fonctions. 
N'y aurait-il pas ici quelque chose de semblable, ét la glande rénale 
de quelques auteurs né pourrait-elle aussi devenir glandé annexe 
de la génération à un moment donné, tout en conservant son 
rôle d'organe dépurateur? 

En résumé, on le voit par les détails que je viens de donner, 
la nécessité de recherches physiologiques sur l'ensemble des 
fonctions des animaux inférieurs ne doit faire aueun doute; ét 
c’est parce que les notions que possède la science à cet égard me 


316 H. LACAZE-DUTIIERS. — MÉMOIRE 
paraissent trop insuffisantes, que j'ai apporté une grande réserve 
dans les conclusions de mon travail. 

Je citerai en terminant un dernier fait. Sur une Mactre qui pré- 
sentait les cristaux d’acide urique dont j'ai parlé, je trouvai aussi 
dans l'ovaire une foule de petits corps brunâtres, qui n'étaient rien 
autre que des calculs; et en étudiant minutieusement le tissu , je 
rencontrai dans un œuf (1), entre la coque et le vitellus, un caleul, 
une masse de substance pierreuse. Il est difficile de trouver la 
matière calculeuse plus avant dans l’organisme. Or ne se pourrait- 
il pas faire que les Mollusques produisant des perles, quels que soient 
le nom ou la valeur des produits, ne fussent autre chose que des 
animaux placés dans une même condition que l’homme goutteux, 
ayant une diathèse calculeuse , une disposition à laisser précipiter 
dans tous les points de l'économie cette matière calcaire qui, nor- 
malement, se dépose par couches successives et forme la coquille ? 
N'est-il pas probable que, de même que l’acide urique et le phos- 
phate ammoniaco-magnésien se déposent, chez l'homme et les ani- 
maux supérieurs, dans la vessie ou autour des articulations pour 
former les calculs vésicaux, ou les concrétions tophacées des cal- 
culeux et des goutteux , de même ici, quand les matériaux se déve- 
loppent anormalement et outre mesure, ils peuvent se déposer 
partout, et donner naissance aux calculs que nous avons trouvés 
dans le corps de Bojanus, ou bien aux perles proprement dites? En 
un mot, le Mollusque produisant des perles n'est-il pas un être 
atteint d’une diathèse calculeuse ? 


Je me suis abstenu de donner un nom particulier à la glande, 
cela se comprend sans peine. La désignation que j'ai employée , 
corps de Bojanus , ne préjuge nullement le rôle. Que d'exemples 
de dénominations semblables je pourrais citer dans l’anatomie de 
l’homme ! Les corpuscules de Malpighi désignent des choses que 
l'on ne peut confondre avec d’autres , et cependant le nom ne fait 
en rien pressentir la fonction. Il était prudent d'ailleurs de se gar- 
der d'imposer un nom basé sur les fonctions , puisque je n'avais 
rien de positif, de fixe à leur égard ; il me suffirait enfin de rappeler 


(1) -Voy. t. IV, pl. 4, fig, 5 (c). 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 347 


que les noms de poumon, testicule, rein, organe dépurateur , appen- 
dice veineuæ, donnés successivement à l'organe , suivant les opi- 
nions différentes des auteurs, ont dû être tour à tour abandonnés, 
ce qui n’eüt pas eu lieu , si à la place d’un nom significatif on eût 
employé un nom sans valeur physiologique. 


EXPLICATION DES FIGURES. 
Anatomie de l’organe de Bojanus. 


PLANCHE A. 


Fig. 4. Cristaux de formes diverses, libres ou enfermés dans des cellules, trou- 
xés dans le tissu du corps de Bojanus de la Lutraria solenoïdes. (n)(n')noyau, 
(1) cellule. 

Fig. 2. Éléments microscopiques isolés de la même glande dans la Lima squa- 
mosa. On croirait à l'existence d'une seconde cellule incluse, 

Fig. 3. Éléments microscopiques isolés de la Corbulu striata. Ces éléments sont 
de deux grandeurs ; les plus petits portent les cils vibratiles. 

Fig. 4. Un groupe de baguettes aciculaires de la Mactra stultorum. La ressem- 
blance avec l'acide urique de l'homme est extrême. 

Fig. 5. Un œuf de la même, ayant entre sa coque et son vitellus une concré- 
tion pierreuse (c). 

Fig. 6. Corps du Spondylus Gæderopus dépouillé du manteau et des branchies, 
pour montrer le corps de Bojanus (r) (r) ouvert; (ov) orifice de l'oviducte ; (pe) 
orifice du sac ; (mp) muscle des valves. 

Fig. 7. Portion de tissu de la glande du même (b) ; cils vibratiles {c); corpus- 
cules moins développés que ceux placés en (a). 

Fig. 8. Corpuscules du même très développés, et qui se trouveraient après ceux 
marqués (a), fig. 7. 

Fig. 9. Une portion grossie de la substance du même, pour montrer l'apparence 
veloutée de la face interne. 

Fig. 40. Tissus du corps de Bojanus de la Chama griphoïdes. 

Fig. 14. Tissus du corps de Bojanus de la Zucina lactea peu développé; la 
matière colorante est encore disséminée , diffuse. 

Fig. 42. Id. : en (a) (b) (c) on voit le noyau se concréter de plus en plus, et 
en (c) il est devenu le centre d'une véritable petite perle. On voit dans ces 
cellules un second cercle, qui semblerait, comme dans la figure 2, indiquer 
une seconde cellule incluse. 


PLANCHE 9. 
Fig. 4. Portion (b) du tissu du corps de Bojanus de la Petricola ruperella, mon- 


trant l'épaisseur des parois des lobules et leur disposition; (a) éléments 
isolés. 


a18 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE 


Fig. 2. Coupe un peu théorique de l'organe (r) dans l'Unio pictorum ; (p) péri- 
carde; (ce) cœur ; (ov) oritice génital ; (pe) orifice externe de la poche périphé- 
rique (cp) ; (pi) orifice péricardique ou interne de la poche centrale (cc); 
(mp) muscle postérieur des valves. 

Fig. 3. Papille de l’Arca Noe fendue, pour montrer l'orifice génital dans la paroi. 

Fig. 4. Deux lobules de l'organe dans le Cardium rusticum, pour montrer les 
dépressions glanduleuses qui semblent renverser la disposition habituelle. 

Fig. 5. Éléments microscopiques du même, 

Fig. 6. Corps du même vu en dessous, pour montrer (p) le pied, (br) les bran- 
chies, (gb) les ganglions branchiaux , (co) le connectif bucco-branchial, (ov) l'o- 
rifice de l'oviducte , (pe) l'orifice externe du sac de Bojanus. 

Fig. 7. Portion de tissu de la Modiola lithophagu, pour montrer deux appa- 
rences (a) (b), et le commencement d'une dépression conduisant à la forme 
renversée, figure 4. 

Fig. 8. Éléments isolés du même. 

Fig. 9. Une portion du tissu de l'organe de la Pinna nobilis, montrant dans le 
centré de chaque lobule une perle. 

Fig. 10. Animal de la Modiola lithophaga, vu de profil, pour montrer (rr) le 
corps de Bojanus, (ov) la papille orifice de l'oviducte et du corps de Bojanus ; 
(mv) la masse viscérale, (p) le pied, (mp) le muscle postérieur des valves. 

Fig. 14. Corps de Bojanus avec les parties voisines de la Petricola ruperella, 
pour montrer ses rapports. Les mêmes lettres signifient les mêmes choses 
que précédemment. 

Fig. 12. Id. de la Cardita sulcata. 

Fig. 13. Corps de la Chama griphoïdes, pour montrer l'organe de Bojanus, 
Mêmes lettres désignant même chose que dans les figures précédentes. 

Fig. 14. Éléments microscopiques du Pecten glaber 

Fig. 45. Extrémité d'un lobule de la Pandora rostrata, remarquable par la net- 
teté des corpuscules solides et la longueur des cils vibratiles. 

Fig. 16. Éléments du Pectunculus pilosus. L'une des cellules, plus grande, semble 
en contenir quatre. 

PLANCHE 6. 


Fig. 4. Corps du Pecten jacobæus vu de profil, et débarrassé du manteau et des 
branchies pour montrer (f) le foie, (j) les vaisseaux sanguins veineux nés 
dans cette glande, (c) le cœur, (b) la bouche, (p) le pied, (r) le rectum, 
(a) la masse abdominale, (pe) l'orifice externe de l'organe de Bojanus, (y) le 
vaisseau unique qui résulte de la réunion des vaisseaux du foie, (s) le sinus 
qui reçoit le sang du muscle postérieur des valves et autres parties et le 
verse dans les branchies. 

Fig. 2. La branchie (br) droite est conservée, rejetée à gauche, pour laisser 
Voir (h) les vaisseaux veineux qui, de l'organe de Bojanus, portent le sang 
au sinus branchial (sb) qui se continue en une veine (vb), sinus qui verse le 


SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 319 


sang du muscle et des parties postérieures du corps dans le sinus bran- 
chial (sb). 

Fig. 3. Péricarde (pr) du Cardium echinatum ouvert par le dos, le cœur enlevé, 
pour montrer les orifices internes (pi) de l'organe de Bojanus, 

Fig. 4. Organe de Bojanus isolé et injecté de la Lutraria solenoïdes, vu par la 
face dorsale, avec les sinus (1) (0) (n) (g) ouverts ; (m) est la série d'orifices 
des vaisseaux branchiaux ; (r) rectum : (pi) orifice péricardique de la cavité 
profonde de l'organe; (vb) veines branchiales. 

Fig. 5. Organe de la même vu de profil; (n, 0, q, t, m) mêmes choses que dang 
la figure précédente ; (c) cœur. 

Fig. 6. 1d., l'organe ouvert, pour montrer les vaisseaux qui se distribuént dans 
les tissus ; (sm) sinus médian inférieur résultant de la réunion des veines du 
foie ; (n) (i) branche collatérale destinée à la partie désignée spécialement par 
Bojanus sous le nom de poumon; (p) (!) vaisseau terminal du sinus; (e) cœur; 
(3) orifice de communication entre les deux poches externes de la cavité 
externe, 

Fig. 7. La même figure que la précédente, mais vue de face et en dessous, pour 
montrer les mêmes parties ; le sinus médian impair (sm) ouvert et logeant les 
deux connectifs partant du ganglion g. 

Fig. 8. Apparence des capillaires à la surface du corps de Bojanus dans le 
Pecten maximus. 


REMARQUES 
SUR LA 


NOTE DE M. MARCEL DE SERRES 
RELATIVE AU GENRE ST04, 


Extraites d'une Lettre adressée au Rédacteur par M. SHUTTLEWORTH. 


L'auteur, sans vouloir examiner si le genre nouveau proposé par 
M. Marcel de Serres est suffisamment caractérisé, fait remarquer que des 
tubes semblables appartenant à des animaux invertébrés perforants sont 
connus depuis longtemps, et ont été classés parmi les Mollusques. M. d’Or- 
bigny, il y a fort longtemps, en décrivit et figura une espèce remarquable 
sous le nom de Vermetus corrodens (Partie conchologique de l'hist. 
phys. de l'ile de Cuba, t. Xr, p. 235, et pl. 48, fig. 1-3); elle est abon- 
dante dans la mer des Antilles, et l’auteur de cette communication l’a 
reçue de Saint-Thomas, de Porto-Rico, de la Jamaïque, etc., sur des 
coquilles de Gastéropodes, aussi bien que sur des Bivalves (Chiton piceus, 


320 PUBLICATIONS NOUVELLES. 


Vermetus sp., Turbo tuber, Trochus pica, Meleagris). Pour ces Mol- 
lusques, ou au moins pour ceux qui ne sont que superficiellement perfo- 
rants, MM. H. et A. Adams paraissent vouloir adopter le genre Spirogly- 
phus de Daudin (voyez le 12° fascicule de leur Genera, Londres, 185). 

M. Shuttleworth ne se prononce pas sur l'identité des genres Stoa et 
Spiroglyphus : mais il exprime le regret de voir un nouveau genre établi 
pour des tubes dont l’animal n’est pas connu. 

L'auteur de cette lettre fait remarquer aussi que le genre Phorus, dont 
M. Marcel de Serres parle comme ayant été récemment établi par 
M. Rew (lisez : Reeve), est fort ancien. Les Trochi agglutinants ainsi 
nommés ont depuis longtemps attiré l'attention des malacologistes, et ont 
reçu trois dénominations différentes : Onustus, Humphreys, 1797; Xeno- 
phora, Fischer, 1807; et Phorus, Montford, 1810. 

Une troisième observation de M. Shuttleworth est relative à l'exemple 
cité par M. Marcel de Serres d’une espèce agglutinante du genre Helix, 
dont la découverte est attribuée à M. Cuming; le Mollusque terrestre en 
question n’a jamais été rapporté au genre Helix, mais fut d’abord décrit 
par Sowerby sous le nom de Helicina agglutinans. 


PUBLICATIONS NOUVELLES. 


CRUSTACEA, ETC. (Crustacés recueillis pendant le voyage du capitaine 
Wilkes de la marine des États-Unis), par M. Dana, Philadelphie. 
L'atlas de ce bel ouvrage, composé de 96 planches in-folio, vient de paraître ; 


le texte, ainsi que nous l'avons déjà annoncé, fut publié en 4852: c'est une 
acquisition des plus précieuses pour la Carcinologie. 


A TREATISE , ETC. (Traité de la structure et des usages de la rate), 
par E. Cris, In-8, Londres, 1856. 


Dans cet ouvrage, l’auteur rapporte un grand nombre d'observations sur le 


poids , le volume et la structure de la rate dans les diverses classes d'animaux 
vertébrés. 


LA Z00LOGIE AGRICOLE, par M. É. BrancHarn. Ouvrage comprenant 


l'histoire entière des animaux nuisibles et des animaux utiles. In-8, 
fig. col. 


La 45° livraison de cet ouvrage vient de paraître, et, de même que les précé- 
dentes, est consacrée à l’histoire des insectes qui attaquent les plantes d'ornement. 


MÉM OIRE 
SUR LES 
ORGANES DE LA CIRCULATION CHEZ LE SERPENT PYTHON, 


Par le D" Henri JACQUART, 


Aide-naturalisté au Museum, 


J'ai injecté et disséqué dans le laboratoire de M. le professeur 
Serres, et aidé de ses conseils, quand il occupait encore la chaire 
d'anthropologie, le système vasculaire d’un Python molure; j'en ai 
fait une pièce d'ensemble, qui est placée maintenant dans la collec- 
tion d'anatomie comparée du Muséum. Ce Serpent a 2 mètres 
38 centimètres de long. 

Comme on trouve assez rarement l'occasion et le temps de faire 
une dissection semblable, car c’est un travail qui ne m'a pas 
demandé moins de trois mois, il m'a paru utile de dessiner cette 
préparation, parce qu'elle permet d'embrasser d'un coup d'œil 
l'appareil circulatoire, respiratoire et digestif des Ophidiens. I m'a 
semblé aussi qu'il serait intéressant de donner ici des figures 
réduites au quart de grandeur , et qui, coloriées de teintes diffé- 
rentes pour rendre les vaisseaux plus faciles à distinguer, suffiraient 
pour en montrer tous les détails; cela complétera en quelque 
sorte l'espèce de publication commencée, par une exposition de 
plusieurs années, dans les galeries d'anatomie du jardin des 
Plantes (voy. pl. 9, fig. 4 etfig. 2). La facilité de pouvoir vérifier 
sur une pièce d’un si grand volume tous les faits consignés dans 
mes dessins, offre pour l'étude des avantages incontestables. J'ai 
en outre fait en détail, et illustré par huit figures, l'anatomie du 
cœur, n'ayant trouvé, en fait de représentation du cœur des Ophi- 
diens, que la figure donnée de celui de la Couleuvre par M. le doc- 
teur Martin Saint-Ange, à propos de la circulation du fœtus 
humain, et celles du docteur Frédéric Schlemm, bien supérieures à 
la première, mais qui ne représentent que quelques points de l'ana- 
tomie du cœur. Nous regreltons que son auteur n’ait pas multiplié 
davantage les figures qu'il a jointes à son Mémoire (1). 

(4) Voyez dans le Journal de physiologie de Tiedemann et Treviranus, t, IH, 
4°" cahier, la description anatomique du système vasculaire sanguin des Ser= 

4° série, Zoo, T, JV, (Cahier n° 6.) ! 21 


322 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 


Iexisteune monographie du Python par les docteurs Hopkinson 
et Pancoast, lue à la Société philosophique américaine le 2 no- 
vembre 1832. Mais leur Serpent avait eu la tête enlevée avec une 

artie de l'œsophage. Ils n'ont pas représenté le cœur, et du 
este les planches qu'ils ont données laissent beaucoup à désirer. 
Leur Mémoire porte surtout sur le cœur, la splanchnologie et les 
gros vaisseaux. Ils donnent peu de détails sur la distribution des 
branches secondaires. Sur lé premier Python que j'ai disséqué, et 
que j'ai représenté ici, tous les systèmes de l'appareil cireulatoire 
furent successivement injectés. Seulement l'injection ne fut pas 
très pénétrante , à cause du séjour préalable de la pièce dans l'al- 
cool; mais un peu plus tard, j'ai eu l'avantage de pouvoir consulter 
deux injections beaucoup plus fines, que j'ai faites sur deux âutres 
Pythons molures. 

Je eommencerai par la description du cœur et de son enve- 
loppe. — Le cœur est situé, sur le Python représenté planche 9, 
figure 4, à 40 centimètres de la tête. Il a 7 centimètres de lon- 
gueur, de la partie la plus antérieure de l'oreillette droite à la pointe 
du cœur , et à sa face inférieure environ 5 centimètres de large 
d’une oreillette à l’autre. L'oreillette droite a 6 centimètres de lon- 
gueur à sa face inférieure, et sa largeur la plus grande, au niveau 
de l’abouchement du sinus veineux, non compris ce sinus, est de 
2 centimètres 1/2. L'oreillette gauche offre, dans le même sens, à 
peu près les mêmes dimensions ; elle n’a guère plus de 3 centi- 
mètres L/2 de longueur. L'oreillette gauche, à sa face supérieure, 
a 2 centimètres 4/2 de large, tandis que la droite, non compris le 
sinus veineux, n'a pas plus de 2 centimètres ; leur longueur est iei 
de 3 centimètres 1/2 pour l'oreillette droite, et de 3 centimètres 
seulement pour la gauche. Nous voyons done que la face inférieure 
de l'oreillette droite est plus large que la gauche , supérieurement 
c'est le contraire. 

La figure du péricarde que je donne ici a été prise sur un Boa 
(voy. fig. 4, pl. 40), le péricarde des Pythons que j'ai disséqués 
offrant un état pathologique. — Le feuillet fibreux du péricarde 
pents, avec une planche représentant le cœur du Boa constrictor, du Coluber 
natriæ et du Trigonocephalus mutus, par le docteur Frédéric Schlemm. 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 323 
forme une poche qui embrasse assez exactement le cœur et l'ori- 
gine des gros vaisseaux qui en partent, ou qui y aboutissent. Il 
s’insère sur la veine jugulaire droite (voy. n° 1, même figure), 
immédiatement au-devant de l'oreillette droite, et au même mveau 
sur la veine jugulaire gauche (n°2, id.). Il est traversé par la veine 
cave postérieure (n° 3, id.), à 2 centimètres environ de son embou- 
chure dans l'oreillette droite (n° 4, id.); mais celle-ci y adhère 
extérieurement à peu près dans la même étendue (voy.n°5, 6, id.). 

Le feuillet séreux ne dépasse pas les oreillettes en haut, et en bas 
le niveau de la pointe du cœur. La veine cave postérieure (n° 3, id.) 
en est revêtue partout, excepté à son côté supérieur et externe, où 
ce feuillet n'arrive pas tout à fait à s’adosser à lui-même. La veine 
jugulaire gauche, au moment où elle cesse d’être accolée à loreil- 
lette gauche, est embrassée par la séreuse du péricarde, comme 
l'intestin grêle par le péritoine; et il existe ici une disposition 
semblable à celle du mésentère, c’est-à-dire que la séreuse s'étend 
sur la face supérieure, et la face inférieure de ce vaisseau, pour 
venir s’adosser à elle-même au niveau de son bord concave, for- 
mant ainsi de ce bord , à l'enveloppe fibreuse du péricarde, une 
cloison composée de deux feuillets. Dès que dans ce point laséreuse 
a atteint le feuillet fibreux, elle le tapisse ainsi que toute la face 
supérieure des oreillettes. Elle passe de l'oreillette droite sur la 
veine jugulaire droite, et sur la veine cave postérieure, sans revê- 
tir le sillon qui les sépare de cette oreillette (voy. n° 7, 8; id.). 
Elle ne s'enfonce également qu'en partie dans les sillons auriculo- 
ventriculaires droit et gauche (voy. n° 9 et 40, id.). Elle recouvre 
la face inférieure des deux aortes et de l'artère pulmonaire, et 
leur forme une gaine collective à leur partie antérieure seulement 
(voy. n° 44 et 12, id.); car, postérieurement, elle ne fait que 
passer sur les sillons qui les séparent de l'oreillette droite et 
de la gauche, sans s’y enfoncer. La veine jugulaire droite n’est 
revêtue par la séreuse que sur ses côtés et inférieurement. Ai-je 
besoin d'ajouter que cette membrane séreuse, outre les dispositions 
particulières que je viens d'indiquer, revêt loute la face interne du 
feuillet fibreux du péricarde, pour se réfléchir ensuite sur le cœur 


, 


qu'elle enveloppe. — Sur deux des grands Pythons que j'ai dissé- 


821 I. JACQUART, — ORGANES DE LA CIRCULATION 


qués, dont l’un avec M. le docteur Duméril fils, nous avons trouvé 
les deux feuillets de la séreuse adhérents dans une multitude de 
points. En outre, cette membrane avait perdu son poli; elle était 
comme poisseuse, et garnie de fausses membranes. Évidemment, 
il y avait eu péricardite. 

J'ai eu l'occasion d'ouvrir des péricardes de Pythons qui ne pré- 
sentaient aucune adhérence entre les deux feuillets de la séreuse , 
et dont la surface interne était lisse et polie. Il est donc démontré 
pour moi que ces animaux dits à sang froid peuvent être atteints 
d’une inflammation de l'enveloppe fibro-séreuse du cœur, qui se 
manifeste par des lésions cadavériques aussi bien caractérisées que 
celles que nous rencontrons chez les animaux d'un ordre plus 
élevé. 

Si, dans les cas pathologiques que je signale, je n’avais trouvé 
que des adhérences, sans un état dépoli de la surface interne du 
péricarde et sans fausses membranes, j'apporterais quelque 
réserve dans mes assertions. Mais dans les cas dont je viens de 
parler, il n’y avait pas à douter. D'ailleurs Meckel nous dit, 
page 291, tome IX, de son Traité général d'anatomie comparée, 
que les adhérences qui unissent le cœur à son enveloppe fibro- 
séreuse sont moins fréquentes dans les Ophidiens que dans les 
autres Reptiles, et qu'il n’en a pas rencontré dans le Python, non 
plus que chez un grand nombre d'espèces d’Ophidiens qu'il a eu 
l’occasion d'examiner. 

Je suis heureux de rapprocher des cas de péricardites constatées 
par des lésions anatomiques sur des Pythons, l'observation de 
péritonite développée sur un Caïman, que M. Lereboullet, membre 
correspondant de l’Académie des sciences de Toulouse, a publiée 
dans les Mémoires de cette Société en 1846, 3° série, tome II, 
2° livraison. L'existence de la périlonite, développée à la suite 
d’une perforation intestinale, démontre la possibilité de l’inflam- 
mation chez les animaux à sang froid, niée à tort par M. Robert 
Latour dans un Mémoire publié en janvier 1840 dans la Revue mé- 
dicale, tome Ier, et dans un travail antérieur intitulé : Qu'est-ce que 
l’inflammation? Qu'est-ce que la fièvre? S'appuyant sur dix-huit 
expériences faites sur des Carpes et sur des Grenouilles. 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 325 
Rapports du péricarde. 


Situé comme le cœur, sur la ligne médiane, et un peu à gauche, 
le péricarde est en rapport en haut avec la trachée-artère , qu’on 
aperçoit par transparence à travers ses deux feuillets, avec l'æso- 
phage à gauche qui le sépare de la paroi thoracique , tandis qu’à 
droite il est immédiatement en contact avec elle : de chaque côté 
avec l’origine des deux poumons, en bas aveele foie et les parois 
de l'abdomen. J'indiquerai plus loin ses rapports avec les gros 
vaisseaux qui en partent. 

Pour exposer plus nettement foules les parties du Python que j'ai 
préparé , j'ai été forcé de dévier fortement à gauche du cœur la 
trachée-artère et les poumons. En outre, la crosse de l’aorte gauche, 
qui est naturellement située beaucoup plus en arrière que celle de 
la droite, s’y trouve, au contraire, plus portée en avant que celle-ci, 
soulevée qu’elle est par la trachée-artère. Mais j'ai rétabli ces 
rapports, dans toute leur rigueur, dans Ja figure 4, planche 10, qui 
représente le péricarde et les gros vaisseaux du cœur. J’aurais pu 
facilement corriger cela sur la figure 4 de la planche 9; mais on 
comprendra que j'ai voulu donner ici telle qu'elle est la prépara- 
tion placée dans la galerie d'anatomie comparée. 

Lorsqu'on à poussé dans le cœur une injection solide comme 
dans celui de la figure À de la planche 9, et celui de la planche 11, 
figure 5, représenté par sa face inférieure, et figure 6, même 
planche, par sa face supérieure, les formes des diverses cavités 
sont bien plus nettement caractérisées. On voit que le cœur est 
allongé, et que les oreillettes constituent plus de la moitié supé- 
rieure de sa longueur , et sont distinctes. Si l'on enlève le feuillet 
séreux viscéral du péricarde, on isole entièrement en avant et en 
arrière les deux oreillettes. On voit distinetement la forme de 
l'oreillette droite (voy. n° 3, fig. 5, pl. AL) et l’union de Ja veine 
jugulaire droite avec la veine cave postérieure, pour former un 
sinus veineux , séparé de l'oreillette droite par un sillon profond 
cireulaire qui répond à l'embouchure de ce sinus dans cette cavité 
(voy. n°12,13, des fig. 5 et6 de la pl. 12). Cette oreillette droite 
est en rapport en dedans avec l'origine des gros vaisseaux qui 


326 IH. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 

partent du cœur, et avec les veines jugülaire droite et cave posté- 
rieuure. Les rapports du cœur ont été précédemment indiqués 
én décrivant ceux du péricarde. 

Si l’on ouvre l'oreillette droite par sa paroi inférieure , et qu'on 
rabatte cette paroi en dehors (voy. fig. 7, pl. 16), on voit que la 
jugulaire droite et la veine cave postérieure (n° 4 et 2, même figure) 
communiquent avec l'oreillette droite par une seule ouverture allon- 
gée en forme de fente, garnie de deux valvules (voy. n°” 5 et 6), 
dont l'arrangement a été comparé par les docteurs Hopkinson et 
Pancoast à celui des paupières. Il existe une commissure antérieure 
(ne 15) et une postérieure qui complètent l’analogie. Le docteur 
Schlemm (ouvrage cité) l’a comparée, avec beaucoup de justesse, 
à la valvule iléo-cæcale. Les deux valves de cette soupape, à l’état 
de flaccidité de l'oreillette, sont libres et mobiles; mais quand celle-ci 
se contracte sur le sang qu'elle contient, ces deux valvules pous- 
sées par ce liquide s'accolent par leurs bords en ligne droite, et 
ferment ainsi la communication entre l'oreillette et le sinus. Mais 
si l’on écarte les bords de la valvule, on aperçoit une disposition fort 
curieuse à noter ; en effet, la veine jugulaire gauche, après avoir 
pénétré dans le péricarde de la manière que j'ai déjà indiquée ; 
s’adosse à l'oreillette gauche dans une goutlière que présente 
celle ci, se place dans le sillon auriculo-ventriculaire gauche, 
atteint l'oreillette droite, et s’y ouvre en haut et en arrière tout près 
de la cloison inter-auriculaire (voy. n° 16, 7 et 1, fig. 6, 
pl. 41). 

Cettedernière disposition a été fort bien indiquée par M. Schlemm, 
etaussi par Cuvier et Meckel dans leurs Traités d'anatomie compa- 
rée. Hopkinson n’en a pas parlé. Cette valvule est l’analogue de 
la valvule d’Eustache des Mammifères. 

Mais ce qui n’a pas encore été dit, que je sache, c'est que, si l'on 
regarde par la fente entr'ouverte de la valvule qui garnit l’entrée 
du sinus veineux dans l'oreillette droite, on voit que l'embouchure 
de la jugulaire gauche (n° 4, fig. 7, pl. 10), s'accolant à celle-ci 
(n° 3, même figure), forme avec elle un éperon (n° 14), et que son 
orifice se trouve abrité sous le tiers environ de la valvule, qui sert 
déjà , comme tous les auteurs l'ont indiqué , à fermer l'entrée du 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 327 
sinus veineux. J'insiste à dessein sur ce point, qui jusqu'ici, je 
pense, à échappé aux recherches des anatomistes. 

Ainsi trois veines fermées par une seule disposition valvulaire ! 
Quelle Simplicité dans les moyens! Je doute qu'on puisse trouver 
une plus heureuse application de {a loi d'économie exposée par 
M. le professeur Milne Edwards dans son livre intitulé : /ntroduc- 
tion à la zoologie générale. Plus d’un fois encore, dans le coùrs 
de ce mémoire, nous aurons occasion de rendre hommage à cétte 
loi, au sujet des dispositions particulières du système circulatoire 
des Ophidiens. Et, à priori , ne devait-on pas s’y attendre ? En 
effet, chez ces animaux , les organes resserrés , pressés les uns 
contre les autres, par la forme allongée qui préside à leur organi- 
sation , ont pu recevoir directement des branches artérielles uni- 
ques placées sur la ligne médiane dans leur intervalle, où réunir 
en un seul tronc les veines qui en rapportent le Sang. Ainsi il n'y 
à qu'une veine pulmonaire située dans la gouttière formée par 
l’adossement des deux poumons ; elle recoit directement les bran- 
ches qui en proviennent, et l’on ne voil ses deux racines que là où 
les deux sacs aériens se séparent. Ainsi les espaces intercostaux , 
droit et gauche, récoivent leurs artères d’un tronc unique, qui naît 
directement de la face inférieure de l'aorte, et ne se bifurque qu'au 
niveau de la colonne vertébrale, Ainsi se comportent les veines 
dé Jacobson. En effet, elles sont formées par des branches consti- 
tüant de nombreux rameaux comparables aux veinés azygos de 
l'homme , et qui vont alternativement le plus souvent se rendre 
dans la veiñe de Jacobson droite et dans la gaiche , et sont for- 
mées de cinq, Six, où d'un plus grand nombre de rameaux uniques 
qui proviennent eux-mêmes de la réunion des veines dé l’espace 
iftércostal droit et du gauche. 

Mais me voici entrainé bien loin de la description de la cavité 
dé l'oreillette droite ? je me hâte de Ja reprendre. 

Pour le passage du sang de l'oreillette droite dans le ventricale 
droit, il existe un orifice assez rétréci, semi-cireulaire, situé au côté 
postérieur de la cloison inter-auriculaire, et qui est fermé par une 
vaälvule (voy. n° 9, fig. 7, pl. 40). 

La eloison inter-auriculaire est membraneuse , sans ouverture 


328 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 


et sans colonnes charnues. Le reste, au contraire, de la face interne 
de la cavité est revêtu de petits piliers musculeux, libres seulement 
par une de leurs surfaces, et comme sculptés sur les parois, s’entre- 
croisant dans tous les sens, el comprenant entre eux de petits 
enfoncements ou dépressions (voy. n° 8,10, 44,12, fig. 7, pl. 10). 

La valvule semi-cireulaire qui ferme l'ouverture présente un 
bord droit, soudé à la partie moyenne du bord postérieur de Ja 
cloison inter-auriculaire , ou plutôt se continue avec elle à angle 
droit. Le bord convexe de cette valvule répond à l'ouverture ven- 
triculaire, qu’elle bouche exactement quand elle est tout à fait 
relevée. Nous l’avons représentée entre-bâllée, Nous reviendrons 
d’ailleurs sur la description de cette valvule à propos de la cavité 
du ventricule droit, car elle y joue un rôle important. 

L'oreillette gauche a environ la moitié du volume de la droite ; 
si à sa paroi inférieure elle est moins large que la droite , c’est le 
contraire supérieurement ; en sorte que la eloison inter-auriculaire 
est située un peu obliquement de haut en bas et de gauche à droite. 
Cette cloison (voy. ne 3, fig. 9, pl. 10) est membraneuse, com- 
plète et sans ouverture ; et il ne peut y avoir aucune communi- 
cation entre les deux oreillettes. Une grosse veine, la veine pulmo- 
paire, s'ouvre dans la partie postérieure de Ja face supérieure de 
celte oreillette, assez près de la cloison inter-auriculaire, et peu 
loin de l'union de l'oreillette gauche avec le ventricule corres- 
pondant (voy. n° 1 et 5, fig. 6, pl. 14, et n° 2, 6, fig. 9, 
pl. 10). Elle n’est pas garnie de valvule, et ramène le sang du 
poumon. Toute la surface interne de cette oreillette est revêtue de 
petits faisceaux charnus, ou colonnes moins finement sculptées et 
moins nombreuses que dans l'oreillette droite ; diversement entre- 
croisées, elles comprennent dans leurs intervalles de petits enfon- 
cemen{s. 

La cloison inter-auriculaire en est dépourvue, ainsi que la face 
supérieure de cette cavité, (Voy. n° 5, 4, 4, fig. 9, pl. 40.) 

Sur la paroi postérieure de l'oreillette gauche , au niveau de la 
partie moyenne du bord postérieur de la cloison inter-auriculaire, 
est l'ouverture qui mêne dans le ventricule gauche, garnie d’une 
valvule tout à fait semblable à celle qui a été déjà décrite dans 


Fr 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 329 
l'oreillette droite, symétriquement disposée comme elle par rap- 
port à la cloison, et formant avec elle un système fibreux continu, 
ainsi que je vais l’exposer en détail dans un instant. (Voy. n° 1, 
fig. 9, pl. 10.) 

En arrière des oreillettes se trouvent les ventricules droit et 
gauche , séparés des oreillettes pas un sillon très profond , qu'on 
rend très visible en enlevant la séreuse du péricarde qui ne s'y 
enfonce pas. 

A la face ventrale du cœur, les deux ventricules sont séparés 
par le sillon antéro-postérieur qui loge les vaisseaux coronaires 
(voy. n° 41, fig. 5, pl. 41). Ce sillon, peu marqué inférieurement, 
l’est encore moins en haut (voy. n° 14, fig. 6, pl. 11). 

Les deux ventricules ne sont qu'incomplétement séparés par 
une cloison qui s'étend du sommet du cœur à sa base, et qui à 
l'extérieur n’est que faiblement indiquée, comme nous l'avons dif, 
par les sillons antéro-postérieurs qui logent les vaisseaux coro- 
naires. Nous verrons aussi qu'il existe une ouverture de commu- 
nication entre les deux ventricules dont nous chercherons à bien 
préciser les éléments et la disposition. 

Si l’on ouvre le ventricule droit en divisant sa paroi inférieure 
par une première incision, sur les côtés de la cloison inter-ventri- 
culaire, et une autre menée de l'extrémité antérieure de celle-ci en 
suivant, à quelques millimètres de distance, l'insertion des gros 
vaisseaux , et qu'on enlève celte paroi comme on l'a fait, figure 8 , 
planche 10, on voit la cavité du ventricule droil et les nombreux 
détails qu'elle présente. (Le docteur Schlemm. figure 4, ouvrage 
cité, a bien représenté la partie de ce ventricule, qui appartient à 
l'artère pulmonaire.) On y trouve des colonnes charnues et des 
dépressions qui sont plus nombreuses vers le sommet , et en ren- 
dent la surface interne très irrégulière (voy. n° 13, 6, 7, fig. 8, 
pl. 410). Sur la paroi supérieure de ce ventricule commençant près 
du sommet du cœur, et allant se terminer vers l'embouchure des 
vaisseaux qui naissent de cette cavité, est une colonne charnue 
(voy. n° 8,9, fig. 8, pl. 10), libre par son bord inférieur, continue 
par le bord opposé avec la paroï du ventricule ; elle se dirige en 
avant, ef forme une cloison incomplète en bas, séparant le ventri- 


330 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 


cule en deux cavités ou loges : l’une , dite pulmonaire, où-se voit 
l'embouchure de l'artère pulmonaire, qui est la loge inférieure 
(voy. n° 7, fig. 8, pl. 10), et l’autre loge , aortique ou supérieure 
du ventricule droit, d'où partent les deux aortes droite et gauche 
(voy. n° 4, 5, 13, 15, id.), et aussi n° 40, 19, id. 

Le plus petit de ces troncs, l’aorte gauche (voy. ne 4, fig. 5, 
pl. 11; voy. aussi n°10, fig. 8, pl. 10), est situé au milieu, entre les 
deux autres et au-dessous d’eux ; son ouverture est placée au-dessus 
de la colonne charnue déjà décrite, qui eloisonne le ventricule droit, 
et s'ouvre directement dans la loge supérieure ou aortique du ven- 
fricule. En dehors de l'aorte gauche est l’orifice de l'aorte droité 
(voy. n° 12, même figure), qui est aussi, comme on le voit, située 
au-dessus du bord libre de la colonne charnue, et en communication 
avec le même compartiment du ventricule droit. Son calibre est in- 
termédiaire à celui de l'aorte gauche etde l'artère pulmonaire. Celle- 
ci, la plus considérable des trois , prend naissance immédiatement 
au-dessous de la cloison, et à la base du compartiment inférieur du 
cœur droit ; sortie du cœur, elle se place entre l’aorte gauche et la 
droite, d’une part, et l'oreillette gauche de l’autre, puis se dirige 
d’arrière en avant de la base du cœur vers le bord antérieur de la 
gouttière située entre les oreillettes en bas , et là se divise en deux 
branches pour se rendre à chacun des deux poumons. Les orifices 
des trois vaisseaux partant du ventricule droit sont garnis chacun 
d’une paire de valvules sigmoïdes, tout à fait analogues aux valvules 
sigmoiïdes des Mammifères. La fente qui sépare ces valvules est 
transversale pour chacune des deux aortes , et un peu obliquement 
dirigée de dehors en dedans et d’arrière en avant pour l'artère pul- 
monaire. Telle est la disposition admise par les docteurs Schlemm, 
Cuvier et Hopkinson (ouvrages cités), et que j'ai figurée ici sur le 
Python, mais qui est contestée par Meckel et Carus ; car ils n’admet- 
tent qu'un seul trone d'origine pour les deux aortes , garni d’une 
seule paire de valvules. 

Comment expliquer cette divergence d'opinions sur des faits 
d'observation ? Y aurait-il parfois des anomalies ? 

A l’origine de chacun de ces trois vaisseaux, on trouve deux 
ampoules ou bosselures régulières de leurs parois, au niveau de 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 331 
chaque valvule sigmoïde , correspondant à ce qu’on a désigné chez 
l'homme sous le nom de sinus de Valsalva. Le mécanisme est du 
reste le même , bien qu'il n’y ait que deux valvules , c’est-à-dire 
qu'elles se ferment dès que le ventricule cesse sa contraction , et 
s'ouvrent au contraire dès qu'elle recommence. Je ferai remarquer 
(voy. n° 8,9, 14,16, fig. 8, pl. 10), comme on peut le voir, l'inser- 
tion de la colonne musculeuse eloisonnante sur le bord adhérent de 
la valve supérieure de ces soupapes par son extrémité antérieure ; 
en tirant sur elles, elle doit tendre à ouvrir les vaisseaux pendant 
la systole du ventricule. Du eloisonnement du ventricule droit par 
la colonne charnue, il résulte que le sang qui est lancé par le ven- 
tricule droit se divise en deux courants : l’un , passant au-dessus 
de la colonne charnue , va dans les deux aortes situées au-dessus 
du bord libre de cette saillie musculaire, et l'autre, passant au- 
dessous, afflue dans l'artère pulmonaire. Le docteur Schlemm 
(ouvrage cité) fait observer que le cloisonnement incomplet en 
bas, dans l’état de flaccidité du cœur, devient complet, lors de la 
systole du ventricule, par l'application de la paroi inférieure 
contre la colonne charnue. Au-dessus et en dehors de cette der- 
nière existent deux ouvertures, qui ne sont séparées que par une 
cloison membraneuse ou appareil valvulaire auriculo-ventriculaire : 
lune d’elles conduit dans l'oreillette droite , et a déjà été indiquée 
en décrivant la cavité de cette dernière ; elle est située plus en avant 
que l’autre, c’est-à-dire plus près du sillon auriculo-ventriculaire. 
L'autre, plus postérieure, est le passage qui fait communiquer les 
deux ventricules. Une valvule que nous avons déjà étudiée à sa face 
auriculaire peut, en se relevant, boucher l'orifice auriculaire , ou 
en S’abaissant ouvrir ce dernier, el clore l'ouverture qui fait com- 
muüuniquer les deux ventricules. Mais il est utile de décrire avec 
soin cette valvule, dont la disposition, une fois bien connué, résout 
toutes les difficultés que présente l'étude du cœur des Ophidiens, et 
permet de bien comprendre comment est constitué le passage 
interventriculaire. Elle se présente sous deux aspects bien difté- 
rents, suivant qu'on l'examine du côté de l'oreillette droite 
(voy. n° 9, fig. 7, pl. 40) ou du côté du ventricule (voy. n° 16, 
fig. 8, pl. 10), c'est-à-dire par sa face antérieure ou ar sa face 


332 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 
postérieure. Dans le premier sens elle est légèrement convexe, 
semi-lunaire ; sa demi-circonférence, qui est libre, forme un 
rebord ou bourrelet, parce qu'elle est comme repliée du côté du 
ventricule. Son bord adhérent est uni au bord postérieur de la 
cloison inter-auriculaire (voy. n° 9,15, fig. 7, pl. 40) à sa jonction 
avec le ventricule droit. 

Du côté du ventricule elle est concave ; son bord vu ainsi est 
tranchant, festonné , convexe , et comme épaissi à son milieu ; il 
devient concave sur les côtés en se continuant vers le ventricule 
par deux pointes ou piliers fibreux, qui ne sont autre chose que le 
prolongement anguleux de la valvule (voy. n° 4, 14, 16, fig. 8, 
pl. 10) : linterne (n° 14, id.), inséré sur l'extrémité antérieure 
de la colonne charnue déjà décrite (n° 8, 9, id.), l’autre sur de 
petits faisceaux musculaires des parois du cœur (n° 4, id.). Je 
n'ai pas trouvé le lubereule indiqué par le docteur Hopkinson sur 
le milieu du bord libre de la valvule ; à la vérité son serpent était 
d’une grande taille. Cette valvule est tendue par la traction des 
fibres charnues dans la systole du ventricule; cette tension a pour 
effet de mieux la disposer à obéir à l'impulsion du sang chassé par 
le ventricule, et de l'appliquer plus exactement contre l’orifice 
auriculo-ventriculaire, La valvule auriculo-ventriculaire gauche 
est en tout semblable à la droite (voy. n° 1, fig. 9, pl. 40, et n° 9, 
fig. 7, pl. 10), si ce n'est qu'elle ne s’insère par ses piliers (voy. 
n® 7, 14, fig. 40, pl. 414) que sur de pelites colonnes charnues. 

Si l’on enlève ces deux valvules avec les colonnes musculaires 
auxquelles elles adhèrent, ainsi que le pourtour de l’orifice de 
chaque ventrieule, on voit qu’elles sont continues d’un ventricule 
à l’autre par l'ouverture interventrieulaire qu'elles contribuent à 
former; que c'est en quelque sorte une tente fibreuse quadrila- 
tère (voy. fig. 11, pl. 10). Cette tente est convexe en avant du côté 
de l'oreillette, où elle se continue au milieu avec la cloison inter- 
auriculaire qui s’insère sur elle perpendiculairement , concave en 
arrière du côté des ventricules (voy. n° 11, 2, 9, fig. 10, pl. 41; 
voy. aussi n° 4, 14,16, fig. 8, pl. 10). Deux bords opposés de 
cette tente sont festonnés et libres ; ce sont ceux qui répondent à 
chaque ventrieule, et qui appartiennent aux valvules des orifices 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 333 


auriculo-ventriculaires, et qui se voient facilement lorsqu'elles sont 
relevées (voy. n* 1 et, fig. 11, pl. 10). 

Nous avons dit que ces bords libres, convexes au milieu, con- 
caves vers leurs extrémilés, se terminent en pointe pour s’insérer 
sur les colonnes charnues du cœur. Deux autres bords opposés 
sont adhérents aux parois du cœur, et chacun d’eux s'étend hori- 
zontalement de chaque côté, à travers l'ouverture interventricu- 
laire, de l'extrémité du bord festonné, ou pilier d’une des valvules 
auriculo-ventriculaire , à l'extrémité correspondante de la valvule 
de l’autre ventricule (voy. l'an d'eux, n° 4, 7, fig. 10, pl. U). 

Si l’on étudie maintenant l'ouverture interventriculaire (n° 4, 
fig. 10, pl. 11; voy. aussi n° 5, fig. 8, pl. 10), assez vague- 
ment indiquée par la plupart des auteurs, on voit qu’elle est for- 
mée postérieurement par an éperon musculaire en forme de 
croissant à concavité antérieure (n° 8, fig. 10, pl. 11), et en avant 
par la voûte ou concavité des deux valvules auriculo-ventrieulaires, 
continues l’une à l’autre par leurs bords adhérents (voy. n° 7,1, 
11, 9, même figure). En sorte que l'ouverture interventriculaire 
est constituée en arrière par un simple éperon musculaire, et en 
avant, au contraire, est formée d’une manière assez compliquée, 
par la concavité ou voûte des valvules auriculo-ventriculaires. Si 
ces valvules ne sont pas entièrement relevées, de manière à bou- 
cher l'orifice veineux en regardant par l’un des ventricules dont 
on à enlevé la paroi inférieure, on aperçoit les bords festonnés de 
la valvule correspondante, qui circonserivent avec l'éperon museu- 
laire l’ouverture qui mène dans l’autre ventricule, puis plus 
profondément le bord correspondant de la valvule de ce dernier , 
comme je l'ai montré (voy. n° 4, 44, 16, fig. 8, pl. 10) pour le 
ventricule droit, et (n° 2,7, 9,14, fig. 10, pl. 14) pour le gauche. 
Lorsque les valvules sont relevées, la communication entre les 
deux ventricules est bien plus grande qu'on ne le croirait au pre- 
mier abord, Quant au mélange du sang venant de l'oreillette droite 
avec celui qui est envoyé du ventricule gauche par le passage 
interventriculaire, je ferai remarquer que la contraction des deux 
ventricules a lieu en même temps et cesse en même temps, c’est-à- 
dire que les ouvertures de communication avec les oreillettes se 


33h H. JACQUART, — ORGANES DE LA CIRCULATION 

ferment simultanément à droite et à gauche : ainsi le sang n'arrive 
du ventricule gauche dans le droit que lorsque ce dernier est déjà 
plein de sang veineux. Le mélange doit donc nécessairement avoir 
lieu. Si les deux orifices veineux droit et gauche sont fermés en 
même temps par leurs valvules respectives, ils s'ouvrent aussi en 
même temps, ef alors la valvule de chaque ventricule, en s’abais- 
sanf, bouche de chaque côté l'ouverture de communication qui 
exisie entre eux : ainsi, pendant la systole des ventricules, ee trou 
est fermé à droite et à gauche par un double appareil valvulaire. 
Les docteurs Schlemm et Hopkinson font remarquer que le sang 
hémalosé arrivant directement par l'ouverture interventriéulaire 
dans la loge supérieure du cœur, à la base de laquelle s’abouchent 
les deux aortes, il sera lancé par ces vaisseaux dans le système 
circulatoire général, landis que l'artère pulmonaire s’ouvrant dans 
la loge inférieure, complétement séparée de l’autre, eomme le fait 
remarquer le docteur Schlemm, au moment où le ventricule secon- 
tracte, ne recevra que du sang veineux. 

Cependant ce dernier auteur admet le mélange partiel du sang 
noir et du sang artérialisé, Je démontrerai plus Join que les choses 
ne se passent pas comme ces auteurs l'ont indiqué. En effet, si l’on 
ouvre le veniricule gauche en incisant d’abord la paroi inférieure 
sur Je côté de la cloison, parallèlement à celle-ci, puis que, déta- 
chant en haut cette paroï à quelque distance du sillon auriculo- 
ventriculaire, on la rabatte en dehors, comme je l'ai fait sur le 
cœur d’un Boa (voy. fig. 10, pl. 11), on a sous les yeux la cavité 
du ventricule gauche. Sur ce cœur dont j'ai figuré le péricarde 
(voy. fig. 4, pl. 10), la cavité du venirieule gauche (voy. n° 3,3, 
fig. 40, pl. 11) n'atleint pas la moitié de la capacité du droit; il 
semble que ce ne peut être là qu’une partie du ventrieule gauche, 
tant il est rétréci! On y voit des piliers charnus assez forts ; les 
parois en sont d’une épaisseur considérable (voy. n° 6,6, 5 et8, 
fig. 40, pl. 44). 1] n'existe dans ce ventricule que deux ouvertures. 
L'une est en avant, et tout près de la base du cœur ; elle conduit 
dans l'oreillette gauche {voy. n° 9, fig. 10, pl. 11); elle est garnie 
d’une grande valvule, que j'ai déjà décrite avec détail à propos du 
ventrieule droit. Cette valvule à été représentée presque tout à fait 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 339 
relevée vers l'oreillette ou plutôtentre-bäillée(voy.n*2, 4,7,9,14, 
même figure). L'autre ouverture est située au-dessous de cette val- 
vule (voy, n° 1, même figure); c’est celle qui mêne dans le ventri- 
cule droit. La valvule, qui a été déjà trop longuement décrite pré- 
cédemment pour que j'y revienne, est fixée, commie nous l'avons 
vu , entre les deux ouvertures qu'elle sépare , de telle manière 
qu'en s’abaissant, elle clôt le passage qui conduit d’un ventricule 
dans l’autre , et ouvre l'ouverture veineuse, el qu'en se relevant, 
au contraire, elle ferme celle-ci, et rend l’autre libre. 

L'épaisseur considérable des parois du ventricule gauche pro- 
duit un résultat qui ne parait pas avoir élé bien apprécié ; en effet, 
il est bien vrai qu'au moment où l'ouverture interventriculaire 
s'ouvre, les deux ventricules en train de se contracter sont égale- 
ment pleins, l’un de sang revivifié dansle poumon, l’autre de sang 
veineux. Si les deux ventricules avaient la même épaisseur de 
paroi , ils auraient la même énergie d’impulsion ; le sang ne ten- 
drait pas plus à passer du ventricule gauche dans le droit, que de 
celui-ci dans le gauche. Mais si l’on lient comple de la minceur 
des parois du ventricule droit par rapport à celles du gauche , on 
voit que le ventricule gauche lance énergiquement, par l’ouver- 
ture qui mène dans le ventricule droit, le sang artérialisé qui balaie 
en quelque sorte le sang veineux qu'il y trouve, le chasse de la 
loge supérieure du cœur vers celle de l'artère pulmonaire , d’où 
l'utilité d’un passage entre ces deux compartiments du cœur. 

Sans pouvoir rejeler entièrement le mélange partiel des deux 
sangs , on est amené à penser que la majeure partie du sang arté- 
rialisé est lancée dans les deux aortes , tandis que le sang veineux 
se porte dans l'artère pulmonaire. 

Mais une contradiction choquante se rencontre dans l'étude du 
cœur des Ophidiens ; leur cœur présente avec celui des Mammi- 
fères de nombreux points d'analogie. Chez les Ophidiens et les 
Mammifères, les oreilleltes, à part quelques détails de minime 
importance , sont calquées sur le même modèle ; même structure 
des parois, mêmes rapports de forme et de grandeur; mêmes vais- 
seaux qui viennent s'y aboucher, mêmes communications avec les 
ventricules; puis quand il s’agit de ceux-ci, qui ont conservé 


336 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 


cependant leur connexion avec les oreiïllettes, leur position et leur 
épaisseur respectives, toute analogie semble rompue. Le ventri- 
cule gauche ne donne plus naissance à aucun vaisseau. Les deux 
aortes , ou, suivant Meckel et Carus , l'aorte qui devrait naître du 
ventricule gauche , prend son origine dans le ventricule droit, et 
celui-ci, par contre, donne naissance à la fois à l'aorte et à l’artère 
pulmonaire ; de plus, il est divisé en deux loges par une cloison 
incomplète! Mais ne serait-il pas possible de démontrer que cette 
infraction à la loi, d'unité de plan, n’est qu'apparente? Supposons, 
pour un instant, que la cloison incomplète du ventricule droit 
représente la paroi interventriculaire complète des Mammifères , 
ainsi modifiée pour des raisons que j'ai déjà fait pressentir. Alors 
tout s'explique ; l'unité de plan n’est plus détruite; il y a seulement 
variété dans lPunité, et la loi des connexions vient nous guider 
dans la recherche des analogies qui nous échappaient. 

Le cône pulmonaire, on loge inférieure du ventricule droit, 
représente le cœur droit tout entier. La loge supérieure des auteurs 
n’est plus qu'un divertieulum du cœur gauche, bilobé en quelque 
sorte, rétréci, comme éfranglé, au niveau du trou interventrieu- 
laire, par un des piliers charnus qui garnissent sa cavité. Le ven- 
tricule gauche recouvre ainsi les vaisseaux aortiques auxquels il 
donne naissance; c’est qu'ici, comme chez les Mammifères, le 
ventricule gauche empiète sur le droit en arrière, tandis qu’en 
avant, c'est le droit que couvre le gauche. De plus, quand les 
valvules de la base des ventricules sont relevées, ces cavités com- 
muniquent non plus par un trou rétréci, mais par un passage 
assez large, et qui rend admissible l'hypothèse d’un rétrécissement 
entre les deux loges du ventricule gauche. Si l'on jette les yeux 
sur la figure 4 du Mémoire du docteur Schlemm , on ne pourra 
disconvenir qu’à son insu , il ne l'ait exécutée de manière à con- 
firmer les vues que je viens d'exposer. 

Nous passerons de la description du cœur à celle des vaisseaux 
qui font parlie de la grande circulation ; puis nous étudierons la 
petite circulation, ou circulation pulmonaire, composée de l’artère 
et de la veine du même nom. 

La loge supérieure du ventricule droit donne naissance, à sa 


nan" — 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 337 
base, à l'aorte droite où antérieure (voy. n° 4, 5, 6, fig. 5, pl. 41). 
Celle-ci est située à droite et au-dessus de l'aorte gauche (voy. 
aussi n* 12, 10, 114, fig. 8, pl. 10), qui l'accompagne jusqu’au 


. bord antérieur des oreillettes; elle marche d’abord entre cette der- 


nière et l'oreillette droite, se dirige en avant, longe le côté infé- 
rieur , puis l'extrémité antérieure de cette cavité, côtoie le bord 
antérieur du cœur , en décrivant une courbure dont la convexité 
est tournée en avant, au-dessous de la trachée-artère et de l’æso- 
phage, et se place entre ce dernier, la veine jugulaire droite et les 
deux azygos. Entre la crosse formée par cette artère, et la veine 
Jugulaire droite, passe le nerf pneumogastrique droit. Le nerf 
récurrent, auquel il donne naissance, se réfléchit sur le côté posté- 
rieur, puis sur la face interne de cette même crosse, pour se rendre 
à sa destination. L'aorte droite, accolée à l’œsophage, se dirige de 
bas en haut, d'avant en arrière et de droite à gauche, pour arriver 
au côté gauche de ce dernier, dont elle à ainsi côtoyé suecessive- 
ment les faces inférieure, latérale et supérieure. Considérablement 
diminuée par les branches qu'elle a émises dans son trajet, elle 
vient se réunir à l'aorte gauche, enlaçant avec celle-ci l'œsophage 
d'un lien vasculaire qui décrit les contours d’un cœur de carte à 
jouer, dont la pointe est tournée en arrière et l’échancrure en avant 
(voy. n°4, 10, 14, 20, 9, 8 et 3, fig. 6, pl. A ; voy. aussi n° 11, 
15,16, 14, fig. 1, pl. 9). 

Le docteur Schlemm (ouvrage cité) fait remarquer que l’inter- 
valle, que comprennent en arrière du cœur ces deux anses arté- 
rielles , avant leur réunion, est variable suivant les différents 
genres; ainsi il n'a que quelques lignes dans le Coluber natrix, et 
quelques pouces chez le Boa; je l'ai trouvé plus considérable encore 
sur les deux Pythons que j'ai disséqués (4). 


1) Je ne saurais m'empêcher de rappeler ici, d'après Cuvier, que chez les 
Ruminants, les Solipèdes, le Rhinocéros, le Cochon, le Pécari, l'aorte se sépare, 
presque immédiatement après la naissance, en deux gros troncs , dont l'un, 
plus petit, où aorte antérieure, se porte en avant, et produit les artères qui a 
chez l'Homme, les Primates, les animaux carnassiers, elc., naissent de la crosse 
de l'aorte, et l'autre, d'un diamètre plus grand, ou aorte postérieure, se dirige en 
arrière. 


Le » 


s" série, Zoo, l, IV, (Cahier n° 5.) 2 


+2 
19 


338 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 

L’aorte droite, avant de se réunir à la gauche, donne, dans son 
trajet, 1° les artères coronaires droite et gauche du cœur, un peu 
au-dessus des valvules sémilunaires qui garnissent son origine. 
L'artère coronaire droite marche dans le sillon, qui sépare l’oreil- 
lette droite du ventricule du même côté sur la face supérieure du 
cœur, et s'y ramifie. La gauche contourne la naissance de l'aorte 
gauche, se place dans le sillon antéro-postérieur, peu marqué, de la 
face inférieure du eœur, et s’y distribue (voy. n° 14, fig.5, pl. 41). 
— 2% L'arière céphalique du docteur Schlemm, ou carotide com- 
mune de Cuvier, c’est le trone commun qui fournit les deux artères 
carotides communes , l'artère vertébrale et la thyroïdienne infé- 
rieure ; il nait à peu près au milieu de la convexité de l’are formé 
en avant par l'aorte droite (voy. n° 41,15, 28, fig. 4, pl. 9; voy. 
aussi n° 17,41 et 15, fig. 3, pl. 9). 

Chez le Python comme chez tous les Serpents qui n’ont pas de 
membres, il n'y a pas d'artère sous-clavière. Or c’est elle qui 
donne chez les Mammifères les branches qui vont à la partie posté- 
rieure du cerveau et de la moelle; ces artères, chezles Ophidiens, 
sont fournies par l'artère carolide commune de Cuvier et l'artère 
vertébrale. 

L'artère carotide commune de Cuvier, céphalique du docteur 
Schlemm, dès son origine de l'aorte dalles se dirige obliquement 
en avant el à gauche, passe entre la crosse de l'aorte gauche et la 
trachée, à la face inférieure de l’'æsophage, sous lequel elle conti- 
nue son trajet, à gauche du conduit aérien jusqu'à la tête. Elle est 
accompagnée par la veine jugulaire gauche et par le nerf pneumo- 
gastrique correspondant, et leur est unie par du üissu cellulaire. 

Telle est la disposition que l’auteur a représentée (fig. 4), ouvrage 
cité, sur le Coluber natriæ. Elle donne une branche assez forte àune 
petite glande arrondie qui se trouve au devant du cœur etdes deux 
crosses aortiques, et des rameaux moins forts à deux corps glan- 
duleux , allongés et séparés, qui semblent être les analogues du 
corps thyroïde, et qui sont situés sous les veines jugulaires. Ces 
artères correspondent à la thyroïdienne inférieure des Mammi- 
fères. Après que l'artère céphalique à dépassé la crosse de l'aorte 
gauche, elle longe le côté correspondant de la trachée, fournit des 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 339 
rameaux nombreux à celle-ci et à l’œsophage , enlaçant la paroi 
inférieure de ee dernier d'un réseau artériel (voy. n° 45, fig. 3, 
pl. 9). Arrivée à l'articulation de la mâchoire inférieure avec l'os 
carré, elle fournit l’artère sous-maxillaire qui accompagne le nerf 
hypoglosse , donne des branches aux muscles de la région post- 
hyoïdienne, au pharynx, au larynx, à la langue et à son fourreau, 
et s’anastomose par inoseulation, sous l'extrémité antérieure des 
deux mâchoires inférieures , avec Partère sous-maxillaire du côté 
droit. Comme je n'ai pas à ma disposition d’injections, d’après les- 
quelles je puisse décrire la distribution ultérieure de cette artère, 
soit à l'extérieur de la tête, soit sur l'encéphale, je remettrai à 
plus tard le soin de combler cette lacune; et je dirai seulement , 
en résumé, que l’artère céphalique, après avoir donné la sous- 
maxillaire, contourne l'angle de la mâchoire inférieure, monte 
sur le côté gauche de la tête, fournit des ramuscules au pharynx, 
une branche plus forte aux muscles ptérygoïdiens, et se sub- 
divise en deux : la carotide commune gauche et le tronc com- 
mun des deux artères vertébrales, et de la carotide commune 
du côté droit. En un mot, on voit ici encore une application de la 
loi d'économie de M. le professeur Milne Edwards. Il n°y à qu’un 
seul tronc artériel jusqu'à la tête, au lieu des deux vertébrales et des 
quatre artères carotides externes et internes des Mammifères. C'est 
l'artère céphalique seule qui fournit toutes les branches qui sont 
données par ces six artères chez les Mammifères. Il est bien évi- 
dent qu'il y a là une cause de ralentissement de la circulation, qui 
est peut-être en harmonie avec l’état le plus ordinaire de (orpeur 
et d’engourdissement de ces Reptiles. 

Nous avons indiqué la disposition de la carotide commune, telle 
que le docteur Schlennn l’a trouvée sur le Coluber natriæ (voy. 
fig. 4 de sa planche), le Trigonocephale mutus (voy. lig. 3, id.) 
et le Boa constrictor (voy. fig. 4, id.). Mais ce n’est pas celle 
qu'on rencontre chez tous les Ophidiens ; elle varie suivant les 
espèces et même les individus. Ainsi Cuvier dit que la branche 
glandulaire la plus considérable naît de la crosse même de l'aorte 
gauche. Sur le Python molure que Fai représenté figures 4 et 2, 
planche 9, les deux artères carolides communes droite et gauche 


340 HI. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 
naissent de la crosse même de l'aorte par un tronc si court, qu’elles 
paraissent au premier abord partir directement de celle-ci. Mais la 
gauche est d’un très petit calibre , et son extrémité céphalique est 
presque capillaire (voy. n° 27, 28, fig. 4, pl. 9). 

Sur un autre Python molure représenté figure 3, planche 9, un 
trone commun de 2 à à millimètres donne naissance à la fois aux 
deux carotides communes. Mais la carotide commune gauche reste 
volumineuse, jusqu'à l'articulation de la mâchoire qu’elle con- 
tourne pour se terminer, conme le docteur Sehlemm la indiqué ; 
donnant, comme nous l'avons déjà dit, des rameaux à l’œsophage, 
à la trachée, à la veine jugulaire gauche et au pharynx ; fournis- 
sant, avant sa terminaison, derrière la mâchoire, l'artère sous- 
maxillaire qui accompagne les divisions du nerf hypoglosse. 
L'autre carotide commune ou droite n'ayant pas le tiers du volume 
de la gauche, fournissant un rameau thyroïdien assez fort au corps 
glanduleux, allongé, situé à gauche, puis d’autres plus petits à 
celui de droite. Elle affectait avec la trachée, et avec le preumo- 
gastrique et la jugulaire droite, les mêmes rapports que la earotide 
commune gauche ; donnait comme elle des ramuseules à la trachée, 
à l’œsophage et à la jugulaire, mais allait graduellement en dimi- 
nuant de calibre, et enfin, au milieu de la longueur du col, deve- 
nait filiforme pour se terminer près de la tête, à l’état capillaire, 
comme un rudiment de vaisseau, conservé seulement pour rappe- 
ler la disposition symétrique ordinaire dans les classes plus élevées. 

Sur le Python dont j'ai représenté le cœur (fig. 5, 6, pl. 10), 
ce n'étaitpas la carotide commune gauche qui faisait les frais 
de la circulation céphalique ou cérébrale , c'était au contraire la 
droite, si nous en jugeons, du moins, par le volume de cette der- 
nière presque double; car nous n'avons eu à notre disposition que 
l'origine des vaisseaux de la crosse aortique droite , et la carotide 
commune gauche, d’un calibre moilié moindre, naissait à ganche 
d'elle de cette même crosse. Enfin sur le Boa, dont le péricarde a 
été représenté figure 4, planche 40, deux earotides communes 
(46 et 18) étaient à peu près de même grosseur, el devaient se 
vartager la circulation de la tête et de l'encéphale. 

L'artère aorte droite, à l'extrémité supérieure de la convexité de 


GHEZ LE SERPENT PYTHON. 31 
sa crosse, fournit l'artère vertébrale de Cuvier, ou artère du col du 
docteur Schlemm (voy. n° 15, 31, tig. 4, pl. 9). Cette dernière 
correspond par sa distribution à la première intercostale des 
Mammifères, à la cervicale ascendante et à la transversale du col. 
Après sa naissance de l'aorte droite, dans le point indiqué, elle se 
place au côté droit des apophyses épineuses inférieures, et semble 
être la continuation de l'aorte sur la région cervicale du rachis. 
Elle est en rapport en bas avec l'æsophage, en haut avec la couche 
musculeuse inférieure de la région cervicale de l’épine. Elle four- 
nit en bas des rameaux œsophagiens, en haut des artères inter- 
costalesuniques, qui, au niveau desapophyses épineuses inférieures, 
se divisent en deux branches intercostales , lune droite, l’autre 
gauche. Cette origine des deux intercostales par un tronc impair se 
rencontre aussi, parmi les Mammifères, chezle Simia sabea et chez 
le Cochon. Arrivée à la huitième ou dixième vertèbre, en avant 
du cœur, l'artère du cou s'enfonce entre la face inférieure des 
vertèbres et les muscles qui s’y atlachent. Là elle donne naissance, 
selon l’auteur du mémoire précité, à des artères intercostales, qui 
naissent par paires upe à droite, l'autre à gauche, et enfin elle se 
termine dans les muscles de la région postérieure de la nuque. 
Encore ici, nous trouvons dans cette artère unique, et dans la 
veine qui lui correspond, une application de la loi d'économie. 

Sur le Python molure représenté figure 4 et figure 2, planche 9, 
et sur celui de la figure 3 de la même planche, l'artère du con , 
depuis sa naissance jusqu'à sa lerminaison, ne donne que des 
trones intercostaux aniques, qui se subdivisent ensuite en deux 
pour chaque espace intercostal. L'artère aorte droite fournit encore 
depuis l’origine de la précédente, jusqu'à sa rencontre avec l'aorte 
gauche , un assez grand nombre de troncs intercostaux impairs , 
qui se comportent ensuite comme nous l'avons indiqué. Hs sont au 
nombre de 48 sur le Python molure, représenté figure À de la 
planche 9 (voy. du n° 46 à 45 de cette figure). 

L'aorte gauche ou postérieure, ainsi appelée parce qu'elle fournit 
aux organes placés derrière le cœur, après être née de la base du 
compartiment supérieur du ventricule droit du cœur, qui est pour 
nous le diverticulum droit du ventricule gauche, séparant l'artère 


212 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 

aorte droite de l'artère pulmonaire , $e dirige en avant entre ces 
deux vaisseaux et l'oreillette gauche, contourne lé bord antérieur 
du cœur , se place sur le côté gauche et inférieur de l’æsophage ; 
forme uné crosse semblable à celle de l'aorte droite , mais dont la 
convexilé, qui est aussi antérieure, n’atteint pas le niveau de 
celle-ci. Elle se dirige ensuite en arrière sur le côté gauche et 
supérieur de l’æsophage en arrière du cœur, et s'unit avee l'aorte 
droite dans le voisinage du foie. Outre ces rapports que nous avons 
indiqués, elle est croisée en bas à angle droit par la veine jugulaire 
gauche, le pneumogastrique gauche, la carotide commune, ét 
embrassée par le nerf récurrent gauche (voy. n% 19, 43, 14, 16, 
fig. 1, pl. 9; voy. aussi n°5 12, 13, 18, 23, fig. 3, pl. 9). 

Elle se trouve dans le reste de son trajet placée sur la ligne 
médiane, distante des apophyses épineuses inférieures des vertèbres 
de toute la longueur des trones impairs des artères intercostales } 
qui naissent de son côté Supérieur, Située au-dessus des poumons, 
du canal digestif et du foie ; elle atteint la dernière vertèbre abdo- 
minale, sort de la cavité du même nom, et prend le nom d’artère 
caudale , qui se prolonge jusqu'à la dernière vertèbre. Depuis sa 
réunion avec l'aorte droite jusqu'à l’anus , l’aorte gauche donne ; 
par son côté supérieur, un nombre considérable de troncs impairs 
d’origine des intercostales, qui se comportent comme nous l'avons 
indiqué, et continuent la série commencée par les intercostales 
qu'a fournies la vertébrale de Cuvier (voy. n°16, 17, 48, 10°, 20, 
62, fig. 4, pl. 9: voy. aussi les n° 75, 76, 77, 78, 79, fig. 2 de 
la mème planche). 

De son côté inférieur naissent les branches viscérales , an 
nombre desquelles se trouvent, en première ligne , les artères du 
foie et de l'estomac. Il n'y a pas de tronc cæliaque, mais les artères 
hépaliques, au nombre de dix à douze, naissent du côté droit de 
l'aorte , se dirigent transversalement vers la scissure du foie ; en 
formant entre elles des areades, d’où partent de nombreux rameaux 
qui pénètrent dans la substance de cette glande. Ces branches hépa- 
tiques fournissent aussi des rameaux bronchiques pulmonaires et 
æsophagiens. Cinq à Six artéres se rendent à l'estomac: la dernière, 
qui l'emporté en volume sur toutes les autres, est destinée à la 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. BTE] 
région pylorique. Lesbranches supérieures et inférieures qui pro- 
viennent de ces artères se distribuent aux régions correspondantes 
de ce viscère. De même qu'il y a un grand nombre d’artères hépa- 
tiques et gastriques, il y a plus de deux artères mésentériques , et 
on ne pourrait les classer en mésentériques antérieures et posté- 
rieures qu'en ayant égard, d’après la loi de connexion, à la portion 
d’intestin auquel elles se distribuent. Or on sait que la mésenté- 
rique supérieure chez les Mammifères donne des branches à tout 
l'intestin grêle, et à la moitié du gros intestin qui fait suite à ce der- 
nier. Chez les Ophidiens la naissance de l'intestin grêle est nelte- 
ment donnée par le rétrécissement qui répond au pylore (voy. P de 
la fig. 2, pl. 9 ), et sa terminaison par la présence de l'appendice 
iléo-cæcale (voy. n° 65, même figure) ; du moins je l'ai trouvé chez 
le Python. Prenant ensuite la moitié antérieure du gros Intestin 
{voy. n° 65, 66 , même figure), les artères qui se rendent à tout 
l'intestin grêle et à cette portion du gros seront des artères mésen - 
tériques antérieures. Elles sont ici au nombre de sept. Ces artères, 
nées du côté inférieur de l'aorte, se dirigent en bas vers le bord 
adhérent de l'intestin, et tantôt au niveau de ce bord, tantôt à une 
certaine distance, suivant sa position plus ou moins éloignée de la 
colonne vertébrale , se subdivisent en deux branches , l'une anté- 
rieure, l’autre postérieure, lesquelles, par les anastomoses qu’elles 
forment entre elles, constituent des arcades d’où partent des ramus- 
cules qui couvrent la périphérie de l'intestin. La branche antérieure 
de subdivision de la première mésentérique antérieure se rend au 
pylore, s’anastomose avec l'artère gastrique la plus postérieure, et 
donne des artères à la vésicule du fiel, au pancréas et à la rate. 
Le rameau postérieur de la dernière mésentérique antérieure 
s’anastomose avec la branche antérieure de la première mésenté- 
rique postérieure. 

Les artères mésentériques postérieures , iei au nombre de cinq, 
naissent de la méme manière que les antérieures, et, à part la por- 
lion d'intestin à laquelle elles doivent se rendre, se comportent de 
la méme manière qu'elles. 

Si l'on a égard, chez les Ophidiens, à la disposition allongée de 
l'intestin, qui a nécessité l'existence d'un plus grand nombre d’ar- 


ll H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 

tères mésentériques , et diminue celui des arcades vasculaires , 
l’analogie de leur distribution avec celle qui a lieu chez les Mam- 
mifères est facile à saisir (voy. n° 82, 83, 84, 89, 90, 91, 93, 92, 
DOCTORAT EMANRELOS phares fe 
pl. 9). 

Au niveau du eloaque, Paorte qui lui est superposée Jui fournit 
directement plusieurs artères (voy. C, même figure). 

Les rameaux épiploïques sont fournis par l'aorte même, ou par 
les artères gastriques , rénales , ovariques, testiculaires , ou celles 
des oviductes. 

Les artères testiculaires , au nombre de trois , quatre ou cinq , 
pour chacune de ces glandes, naissent des côtés correspondants de 
l'aorte (voy. n° 85, 86, b, c, 3), ctaussi (n° 87, 88,2, même 
figure), se rendent directement à leur bord interne, traversent leur 
tunique fibreuse, et se ramifient dans la substance du testicule. La 
position plus antérieure du testicule droit modifie l’origine de ses 
artères. Même observation pour la naissance des artères ovariques 
droites et gauches : leur nombre varie de quatre à six. Les artères 
des oviductes, à cause de la position différente de ces deux conduits, 
naissent bien plus en avant pour l’oviduete droit que pour le gauche : 
elles sont aussi bien plus nombreuses pour le premier. Elles vien- 
nent de l’aorte , des rénales , des ovariques , ou enfin des artères 
mésentériques postérieures ou de celles du cloaque. Leur trajet 
très sinueux se prête à l’ampliation de ces conduits membraneux 
par le développement des œufs qui viennent à s'y développer. Les 
artères rénales, dont le nombre varie de quatre à six, par la posi- 
tion plus antérieure du rein droit, naissent plus en avant pour ce 
dernier (voy. n° 44, 100, etc, d, 12, même figure) 

Elles se rendent directement à la partie correspondante de la 
scissure de cette glande; chacune se subdivise en deux branches , 
qui, en s’anastomosant entre cles, forment des arcades de la con- 
vexité desquelles partent des rameaux, dont les subdivisions se 
rendent dans les lobules rénaux. Ces artères fournissent des ramus- 
cules au canal déférent et à l’uretère correspondant, qui en recoi- 
vent aussi directement de l'aorte, des artères mésentériques pos- 
térieures et du cloaque. 


Dar 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 345 
Les nombreux ramuscules vasculaires qui, après avoir fourni 
aux uretères, passent dans la duplicature du péritoine qui main- 
tient le canal déférent en rapport avec le rein, ont fait croire 
à tort, sur des pièces non injectées, qu'il y avait des communica- 
tions nombreuses entre les uretères et les canaux déférents. Après 
sa sortie de l'abdomen en arrière de l'anus, l'aorte prend le nom 
d’artère caudale, et diminue graduellement de volume jusqu'à 
lextrémité de la queue (voy. n° 68 et 80, même figure). 


Système veineux. 


Le sang qui a été porté par les artères dans tous les organes 
revient par les veines, dont les unes appartiennent au système vei- 
neux général : ce sont les veines jugulaires, les veines azygos anté- 
rieure et postérieure, et se rendent directement, ou par l’intermé- 
diaire d’autres veines, dans l'oreillette droite. Les autres ne 
se comportent pas ainsi, mais, méritant le nom de veines arté- 
rieuses, se forment à leur origine comme les veines ordinaires, 
et une fois constituées à l’état de trones, se terminent comme les 
artères en se ramifiant dans une glande. Parmi ces systèmes 
veineux , les uns, comme celui de la veine porte, appar- 
tiennent à tous les Vertébrés; les autres sont spéciaux à certaines 
classes, les Oiseaux, les Poissons et les Reptiles. Ce sont les veines 
de Jacobson. Enfin il existe un ordre de vaisseaux qui fait partie de 
la petite circulation ou circulation pulmonaire , c’est-à-dire l’ar- 
tère pulmonaire qui porte dans le poumon le sang veineux , et les 
veines pulmonaires qui le rapportent du poumon pour le verser 
dans l'oreillette gauche. Nous décrirons successivement ces vais- 
seaux dans l’ordre où nous venons de les énumérer. 


Veines jugulaires. 


Au niveau de l'articulation de la mâchoire inférieure avec l'os 
carré, de la réunion des veines sous-maxillaires et du tronc com- 
mun des veines faciales et cérébrales, naissent les deux veines 
jugulaires droite et gauche ; de là elles se dirigent en arrière vers 
le cœur, et reçoivent dans leur trajet les veines de la trachée, de 


346 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 


l'œsophage et des muscles. Elles sont en rapport, en haut ; avec 
l'œæsophage ; en dedans , avec l'artère carotide commune corres- 
pondante, qui n'existe le plus Souvent qu'à gauche, et avec le nerf 
preumogastrique; en bas, avee les muscles abdominaux. Leur 
calibre augmente considérablement, à mesure qu’elles approchent 
du cœur; et quand elles sont injectées, elles offrent des renflements 
énormes qui diminuent un peu en avant de ce dernier. La jugulaire 
droite est déjà volumineuse vers l'angle de la mâchoire inférieure, 
et augmente encore avant sa terminaison, cù elle se rétrécit ensuite 
considérablement. La jugüulairé gauche est, au contraire, très 
pelile à son origine (voy. n° 3, 4, 30 et 9, fig. 4, pl. 93 et 
n° 5, 6, fig. 3, même planche). Quand il y a deux artères caro- 
tides communes, et que c’est la droite qui est capillaire à sa ter- 
minaison , on trouve pour les veines une disposition inverse. 
Là où se termine l'artère, en gardant un calibre assez fort, com- 
mence une veine très grêle ; là, au contraire, où une artère est fili- 
forme à sa terminaison, commence une veine assez forte. Nous 
avons vu avec détail comment la veine jugulaire gauche passe 
sous Ja crosse de l'aorte gauche , pénètre dans le péricarde, et se 
termine dans l'oreillette droite. 

La veine jugulaire droite, avant de pénétrer dans le péricarde, 
reçoit les veines azygos antérieure et postérieure (voy. n° 3, qe 6, 
fig, 4, pl. 9; voy. aussi n°5, 4, 24, 24, 98, fig. 3, pl. 9). 

L'azygos antérieure, veine vertébrale de Cuvier, nait à l'angle de 
la mâchoire inférieure; elle est placée au devant du cœur, en 
dehors de l'artère correspondante, entre la colonne vertébrale et 
l’æsophage; elle recoit les branches impaires des veines inter- 
costales, au nombre de quarante environ, et celles du pharynx 

e de l’æsophage. 

L'azygos postérieure, beaucoup moins forte de calibre et moins 
longue, résulte de la réunion de dix à quinze rameaux impairs, 
formés, chacun, par la jonetion des veines intercostales droités et 
gauches siluées derrière le cœur. Ces deux veines azygos se réunis- 
sent au devant du cœur, et leur tronc commun se jette dans Ja 
veine jugulaire droite. 

Nous avons suffisamment indiqué comment la jugulaire droite , 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 3h7 
en se réunissant à la veine cave postérieure, forme un sinus , et 
comment ce dernier s'abouche dans l'oreillette droite. 

La veine cave postérieure est formée par la réunion à angle aigu 
des deux veines rénales efférentes (voy. n° 7, 8, 6, 4, 1, fig. 2; 
pl. 9); elle marche d'arrière en avant sous la colonne vertébrale, 
et, longeant le eôté droit de la veine porte (voy. n° 23, 22, 
2%, 21, 5,3, fig. 1, pl. 9), elle recoit dans son trajet les veines 
tesliculaires (voy. n° 5,2 et 3, lig. 2, pl. 1), et chez les femelles, 
les veines des ovaires et des oviductes. Parvenue dans le sillon du 
foie qui lui appartient, elle recoit directement les veines hépatiques 
(voy. les veines qui y aboutissent du n° 22 au n° 67, fig, 4, pl. 9), 
ce qui fait qu'elle grossit considérablement. De plus, at delà 
du tiers postérieur de la longueur du foie, sur le Python dont j'ai 
représenté (fig. 3, pl. 9) la région cardiaque, la veine cave posté- 
rieure, outre les branches Hépaliques, recevait encore par son côté 
gauche, comme j'ai pu le constater par un dessin que l’espace nous 
empêche de donner ici, six ou sept veines impaires, résultant de 
la réunion de deux branches, l’une antérieure, l'autre postérieure, 
lesquelles, en s’anastomosant les moyennes entre elles, la plus 
antérieure avec la naissance de l’azygos antérieure, et la plus posté- 
rieure avec quelques-unes des racines de la vemne porte, formaient 
une série d’arcades vasculaires en manière de veines azygos, qui 
recevaient de leur convexité chacune de six à douze râmeaux 
uniques, produits par la réunion des veines intercostales droites 
ét gauches. Disposition identiquement la même que celle que nous 
frouverons dans les racines de la veine porte et des veines de 
Yacobson , qui présentent ane série d’arcades, dans lesquelles se 
jéltent les troncs impairs résultant de la réunion des veines inter- 
éostäles droite et gauche. 


Veines de Jacobson. 


Il existe chez les Ophidiens comme chez les autres Reptiles, 
chez les Oiseaux et les Poissons, un système particulier de veines, 
découvert par le professeur Jacobson en 1815, et auxquelles on à 
donné son nom. (Voy. Jacobson, De syslemale venoso in permul- 
tis animalibus observalo, Hafniæ, 1824. 


318 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 

Swammerdam (voy. dans la Biblia naturæ, p. 848, pl. 49, 
fig. 4m, n, 0,0) avait figuré les veines rénales de la Grenouille ; 
seulement illes décrit comme partant des reins vers leurs racines, 
comme si le sang se dirigeait ainsi de ces glandes vers la queue. 
En 1839, M. Duvernoy (Leçons d'anatomie comparée de Cuvier , 
rédigées et publiées par lui, 2° édit., t. VI, p. 253 ; Paris) fait 
sentir la nécessité de confirmer ces faits pardenouvelles recherches. 
Enfin en 18/41, M. Martino répète les expériences de M. Duvernoy, 
en ajoute de nouvelles, et confirme la découverte de Jacobson. 
(Voy. le Mémoire du docteur Gruby, présenté à l'Académie des 
sciences le 8 novembre 1841, sur le Système veineux des Gre- 
nouilles.) 

Voyons maintenant l'origine de ces veines (voy. n° 20, 21, 99, 
23, 19, 31, 15, 24, 17, 27, 28, 30, 16 R, 99, fig. 2, pl. 9, 
pour la droite; voy. aussi n° 37, 38, 34, 35, 33, 32, même figure, 
pour la veine gauche). 

La veine caudale commence sous la queue, grossit dans son 
trajet par l'addition de chaque côté de branches latérales , pé- 
nètre dans la cavité abdominale, se place au-dessus du eloaque, 
reçoit quelques veines intercostales, puis se divise en deux bran- 
ches, qui sont les deux veines rénales afférentes où veines de 
Jacobson. Hopkinson, dans sa Monographie du Python, les a 
décrites comme l'avait fait Swarmmerdam , c'est-à-dire à contre- 
sens. 

La veine porte s'anastomose avec la veine rénale afférente droite, 
non loin de son émergence de la veine caudale, Chacune de ces 
veines marche du côté correspondant de la face supérieure du 
rectum , parallèlement à l’uretère, dont elle recoit quelques vei- 
nules, et auquel elle est unie par du tissu cellaleux {voy. n° 43, 
2, MA, 12, 40 et 39, 11, fig. 2, pl. 9), atteint l'extrémité posté- 
rieure du rein, suit son côté externe et inférieur, en dehors de 
l’'uretère qui la sépare de la veine rénale efférente. Elle donne, dans 
son frajet dans le rein, des rameaux à chacun des lobules, et dimi- 
nue ainsi graduellemeni de volume jusqu'à l'extrémité antérieure 
de cette glande, où elle se perd dans son épaisseur {voy. n° 4, 
fig. 49, pl. 11). 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 349 


Les ramuseules qu'elle répand dans chacun des lobules sont 
capillaires , et vont en rayonnant vers leur surface. Je m'en suis 
assuré sur un Python par une injection très fine, qui a passé de là 
dans la veine cave inférieure et dans la veine porte, mais sans 
pénétrer dans les artères, répétant l'expérience faite déjà par le 
docteur Schlemm. ) 

Je suis étonné que Jacobson , et après lui le docteur Schlemm 
(ouvrages cités), n'aient pas indiqué un plus grand nombre d’anas- 
tomoses entre les veines rénales afférentes et la veine porte. Sur 
le Python que j'ai représenté figures Let 2 de là planche 9, il y en 
avait en tout cinq, à plein calibre, et presque de la grosseur d’une 
plume de corbeau {voy. n°16 et 29; n° 28, 27, 30 (4, 32), 
3, 35), et un certain nombre d’autres plus petites. De plus, ce 
ne sont pas seulement quelques veines intercostales qui se jettent 
dans les veines de Jacobson, mais bien la plupart des veines inter- 
costales et musculaires situées en arrière des reins ; c’est-à-dire 
que des rameaux impairs, provenant eux-mêmes de la réunion des 
deux intercostales, constituent alternativement, à droite et à gauche 
de l'artère aorte, depuis l'anus jusqu'au voisinage du rein, une 
série de petites azyges, lesquelles communiquent entre elles, et le 
plus souvent alternent leur abouchement dans les veines afférentes 
droite et gauche (voy. n° 24, 27, 37, 38, 33. fig. 2, pl. 9); et 
nous avons vu précédemment qu'elles se continuaient directement 
ou médiatement avec les petites azygos qui se jeltent dans la 
veine porte, et celles qui se rendent dans la veine cave inférieure 
dans le sillon du foie, et enfin les deux azygos antérieure et posté- 
rieure. 


Veine porte. 


Nous avons indiqué lanastomose de la veine porte avec la veine 
de Jacobson droite, qu'on peut regarder comme une de ses ori- 
gines ; de là elle se place au-dessus de l'intestin, et arrive jusqu'au 
foie; elle recoit les troncs impairs formés par la réunion , en 
manière d'azygos, de la veine intercostale droite et de la gauche, 
depuis l'extrémité postérieure des reins jusqu'au delà de l’extré- 
mité postérieure du foie (voy. n° 4h, 35 À, 27, 28, 50, 29,51, 


350 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 

52, 53, 15, 46, 47, 48, 49, 50, 54,74, fig. 2, pl. 9). Elle recoit 
dans ce trajet les veines du canal intestinal (numéros déjà indi- 
qués), de l'estomac , de la rate (voy. n° 55, 56, 57, 58, 59, 60, 
64, 1’, 2, 3', L, fig. 2, pl. 9; voy. aussi n° 63,64, 59, 37, 58, 
61, 57, 56, 54, 53, 52, 51, fig. 1, pl. 9) et de l’épiploon, si 
remarquablement chargé de graisse, qu’on le prendrait pour un 
magasin ou réserve de substance, dont l'animal pourrait se nourrir 
par résorption (voy. n° 74, 74, 74, 74, même figure). Arrivée 
au foie, la veine porte se place dans un sillon situé à gauche, et, en 
rapport avec l’œsophage, recoit quelques branches intercostales et 
œsophagiennes, et se divise en branches transversales (n°25), qui 
communiquent avec les veines hépatiques qui vont dans la veine 
cave postérieure. Alors elle diminue graduellement de volume, et, 
comme épuisée par les branches qu'elle a fournies au foie, près de 
l'extrémité antérieure de ce viscère, elle est réduite à un très petit 
calibre, et s’y termine (voy. n° 67, même figure). 


Petite circulation ou circulation pulmonaire. 


Nous avons étudié l’origine de l'artère pulmonaire et ses rap- 
ports jusqu'au bord antérieur du cœur; plus loin, elle se divise 
en deux branches, dont le volume est proportionné à celui des deux 
sacs aériens (voy. n* 10, 12, 69, 65, et n* 70, 71, 80, 84, 
fig. 4, pl. 9). La branche droite est presque double de l’autre en 
volume; elles marchent d'avant en arrière sur la face inférieure de 
chaque poumon (n° 38, 39, même figure); la division du gauche 
ne s’éfend guère que sur le liers antérieur de sa longueur, et celle 
du droit ne va pas plus loin que la fin de son quart antérieur. Les 
branches secondaires sont transversales, naissent latéralement de 
la branche principale de chaque poumon, s’anastomosent avec des 
rameaux semblables de la veine pulmonaire, et s’épuisent en se 
subdivisant dans les aréoles de cette partie antérieure de l’organe 
qui est seule vasculaire. Ces ramifications se trouvent en rap- 
port avee les ramuscules des nerfs preumogastriques , qui sont 
disposés aussi transversalement jusque dans leurs dernières divi- 
sions. Au moment où ces deux branches contournent la face supé- 
rieure du cœur, elles sont en rapport, en haut, avec la trachée et 


Re 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 351 
les deux nerfs pneumogastriques; en bas, avec le cœur et la veine 
pulmonaire, le foie et les parois abdominales. Les veines pulmo- 
naires constituent d’arrière en avant, sur la face inférieure des 
poumons, une branche principale pour chacun d'eux. Cette branche 
est formée par des rameaux transversaux, qui prennent naissance 
dans les aréoles pulmonaires , et communiquent avec l'artère du 
même nom ; puis, à l'endroit où les deux poumons s’adossent, ces 
deux branches se réunissent en une seule veine, qui, presque 
double de volume, marche vers le cœur, en recevant dans son 
trajet des rameaux transversaux de chacun des poumons, passe 
entre la trachée et les deux branches de l'artère pulmonaire, le 
cœur et la veine cave supérieure, derrière l'embouchure de Ja 
jugulaire gauche, et vient se jeter dans l'oreillette gauche, dans le 
point que nous avons déjà indiqué (voy. n° 65, 41, 68, 8, 66 
et 40, même figure ; voy. aussi n° 5, fig. 6, pl. 14). 

Pour donner quelque intérêt à ces détails sur l’anatomie des 
Ophidiens, dont l'aridité a pu lasser le lecteur, il est nécessaire de 
leur appliquer ces grandeslois établies par les maîtres de la science. 
La loi d'unité de plan s'y liten quelque sorte partout , et ce n’est 
pas sansun certain étonnement qu'on voit ces Vertébrés si abaissés 
offrir avec les Mammifères de si nombreux points d’analogie. 
J'espère avoir été assez heureux pour démontrer que le cœur des 
Ophidiens, peut être ramené à celui des êtres plus élevés dans 
l'échelle ; comme j'ai pu, m'appuyant sur mes observations, et 
celles de M. Lereboullet, établir la possibilité de l’inflammation chez 
ces animaux à sang froid. La loi d'économie peut être souvent invo- 
quée dans l'étude de l'organisation des Ophidiens. Mais il ne faut 
pas s’y tromper, c’est souvent l’atrophie d’un ou plusieurs organes 
qui lui fournit ses applications. Ainsi pour les vaisseaux de la tête 
et du col dont un seul subsiste, et donne toutes les branches 
nécessaires, tous les autres troncs élant atrophiés, De plus, comme 
il y à alternance de côté, c'est-à-dire comme c’est tantôt à droite, 
tantôt à gauche, que le vaisseau manque ou est filiforme, comme 
il y a balancement , comme l'aurait dit Geoffroy Saint-Hilaire , la 
loi de symétrie ou de dualité se trouve maintenue, I y a évidem- 
ment atrophie ou même disparition d’un organe d’un côté, comme 


392 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 


cela à lieu pour un des sacs pulmonaires chez certains Ophidiens , 
et pour un des ovaires chez les Oiseaux. Un rapprochement se 
présente naturellement entre la circulation cardiaque du fœtus des 
Mammifères et celle des Serpents : chez tous deux, l’un par le 
trou de Botal, l’autre par lorifice interventriculaire , il y a mélange 
dans le cœur du sang venant du poumon et de celui apporté par 
les veines du corps. Chez tous deux, les reins sont multilobés et 
très volumineux. Mais il y a chez les Ophidiens un système parti- 
culier de veines , qu'on pourrait appeler veines portes rénales , et 
qu'on désigne sous le nom de veines de Jacobson. Évidemment, 
ces vaisseaux apportent dans les glandes urinifères une quantité 
énorme de sang, dont l'élaboration dans les reins doit jouer un 
rôle physiologique considérable. Les artères rénales ne sont que 
des vaisseaux nourriciers où vasa vasorum de ces glandes. Quant 
aux poumons des Serpents, la partie antérieure seule est vasculaire, 
etc'est là seulement que le sang peut être revivifié par son contact 
avec l'air. A quoi sert l’autre portion de ces sacs aériens, dont le 
plus long s'étend très loin en arrière dans la cavité abdominale 
chez la feselle et sur l'un des côtés des ovaires? Ne serait-ce pas, 
comme le pense M. Serres , un appareil incubateur ? Une dissec- 
tion du pneumogastrique sur les poumons d’un Python, et que j'ai 
représentée par un dessin, que je ne donne pas dans ce mémoire, 
est venue confirmer ici comme chez les Mammifères, le défaut de 
satellitisme des rameaux de ce nerf avec les vaisseaux, quoique 
transversaux comme eux ; EL nous trouvons là encore un nouveau 
point d’analogie entre les Mammifères et les Serpents. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 9. 


Fig. 1. Cette figure et la figure 2 représentent, réduit au quart de la grandeur 
naturelle, l'ensemble du système circulatoire respiratoire, et digestif d'un ser- 
pent Python , qui avait 2 mètres 38 centimètres de longueur. Tous les vais- 
seaux ont élé remplis d'une injection solide ; les organes sont écartés et main- 
tenus en place, alin qu'on saisisse d’un coup d'œil jusqu'aux moindres détails 
anatomiques. Les rapports n'ont pu être conservés dans toute leur rigueur ; 
cependant ils sont assez peu différents des rapports naturels pour qu'on puisse 
les rétablir par la pensée; d'ailleurs nous aurons soin d’avertir, lorsque la clarté 


CHEZ LE SERPENT PYTHON, 393 


de l'exposition des parties a forcé de les présenter dans des situations qui ne 
sont pas celles qu'elles offrent ordinairement les unes par rapport aux autres. 

N° 1. Oreillette droite du cœur. 

2. Oreillette gauche. 

3. Sinus veineux formé par Ja réunion de la veine cave postérieure, des deux 
azygos antérieure et postérieure, et de la jugulaire droile. 

4. Veine jugulaire droite, très écartée ici de la ligne médiane par l'œsophage 
distendu (consultez, pour la position normale, la figure 3); elle suit les par- 
ties latérales de la trachée-artère; elle naît au niveau de l'articulation de la 
mâchoire, comme nous l'avons indiqué dans le texte, et reçoit les veines du 
pharynx, de l'æsophage et de la trachée. 

5. Veine cave postérieure. 

6. Veine jugulaire postérieure , formée par la réunion d'une douzaine de troncs 
veineux impairs qui reçoivent chacun la veine intercostale droite et la gauche. 

7. Veine vertébrale de Cuvier, azygos antérieure du docteur Schlemm, née au 
niveau de la première vertèbre cervicale ; elle reçoit une vingtaine de bran- 
ches impaires, formées elles-mêmes par la réunion des veines intercostales 
droite et gauche. 

8. Tronc de la veine pulmonaire. 

9. Veine jugulaire gauche. 

10. Tronc de l'artère pulmonaire. 

11. Artère aorte droite ou antérieure 

12,13, 14. Idem gauche. 

15. Aorte droite qui a formé sa crosse, et se dirige en arrière sur la ligne médiano 
pour s'unir à l'aorte gauche. 

16. Point de cette réunion. 

47,18, 19, 20. Aorte postérieure, fournissant par son côlé supérieur un 
grand nombre de rameaux intercostaux impairs, qui, au niveau de la colonne 
vertébrale, se subdivisent en deux. 

21, 22, 23, 24. Portion de la veine cave postérieure. 

25. Veine porte ramifée dans le foie par branches transversales. 

26. Trachée-artère, fortement déviée à gauche et en bas par la traction du 
poumon dans le même sens. Elle devrait être en rapport, sur la ligne médiane 
et en bas, avec la séparation des deux crosses de l'aorte, au moment où elles 
cessent d'être accolées. 

27. Artère carotide commune droite de Cuvier, céphalique du docteur Schlemm, 
semblant naître de l'aorte directement, tant est court le tronc commun d'ori- 
gine avec l'artère carotide commune gauche; le plus fréquemment il n'existe 
qu'une artère carolide commune , et c'est à gauche. La disposition que nous 
trouvons ici est cependant loin d'être rare. 

28. Carotide commune gauche de Cuvier, céphalique du docteur Schlemm, 
existe ordinairement seule; c'est elle qui, après avoir donné la sous maxil- 

4" série. Zooc. T. IV. (Cahier n° 6.) 5 23 


394 I, JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION 


laire au niveau de l'articulation de la mâchoire inférieure avec l'os carré, four- 
nit seule toutes les artères de la tête et de l'encéphale; en un mot, c'est un 
seul tronc qui chez les Ophidiens donne le plus souvent les branches fournies 
par les deux vertébrales, les deux carotides internes et externes. Ainsi, il 
représenle six troncs principaux à lui seul, Cette circonstance nous offre une 
des applications les plus frappantes de la loi d'économie, et doit avoir, pour le 
ralentissement de la circulation, des conséquences physiologiques incontes- 
tables (4). * 

29. Terminaison filiforme de la carotide commune gauche, au niveau de l'articu- 
lation de la mâchoire avec l'os carré.  « 

30. Origine de la veine jugulaire droite dans le même point. 

31. Artère vertébrale de Cuvier, artère du col du docteur Schlemm , fournissant 
par son côté supérieur, depuis son origine à l'aorte droite jusqu'à sa termi- 
naison, un grand nombre de troncs intercostaux impairs : elle est satellite de 
la veine vertébrale ou azygos antérieure. 

32. Tête du Serpent. 

M, son maxillaire inférieur. 

33. La langue. 

34. Portion de l'os hyoïde. 

35. Pharynx et œsophage distendus, comme au moment du passage de la proie. 

36. Estomac. 

37. Pilore. 

35. Poumon gauche, ou petit poumon qui manque chez lesOphidiens, d'où l'on a 
argué, à tort, contre la loi de symétrie de M. le professeur Serres, si l'on 
prouve que dans l'état embryonnaire il existe Loujours deux sacs aériens, dont 
l'un s'atrophie et disparaît plus tard. 

39. Poumon droit ou grand poumon. 

40. Racine gauche de la veine pulmonaire. 

41. Idem droite. 

42, 43, 44, 45. Côtes et espaces intercostaux du côté droit. 

46, 47. Idem du côté gauche. 

£8. Région cervicale gauche. 

49. Idem droite. 

50. Ventricules du cœur. 

51. Une veine de l'estomac, l'une des racines de la veine porte. 


(1) Peut-être y a-t-il ici un effet de la dégradation dans l'échelle des êtres? 
(Voyez l'ouvrage cité de M, le professeur Milne Edwards, chapitre nt, De l'in- 
fluence de la division du travail physiologique sur le perfectionnement des orga- 
nismes.) Chez les Ophidiens , la circulation de la tête et de l’encéphale, qui n'a 
plus lieu que par trois vaisseaux, une arlère et deux veines, doit se faire moins 
bien que parmi les animaux plus élevés, où la même tâche est remplie par un 
plus grand nombre de vaisseaux, 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 905 

52, 53, 54, 55. Sorles de veines azygos, formées par la réunion de troncs im- 
pairs, où se jettent les intercostales, 

56, 57, 58, 59. Racines de la veine porte dans l'estomac, 

60. Exlrémité anlérieure du grand épiploon. 

61. Tronc de la veine porte. 

62, 63, 64. Racines de cette même veine, — Nota, On trouvera les branches 
de l'estomac répétées sur la figure 2, ainsi que la portion correspondante de ce 
viscère etquelquesautres parties voisines, afin de s'en servir comme de point de 
repère, ayant été obligé de diviser la représentation du Python en deux moitiés. 

65. Point du petit poumon où s’arrétent les vaisseaux, 

66. Point correspondant du grand poumon. 

67. Exlrémité antérieure de la veine porte dans le foie, 

GS, Tronc unique de la veine pulmonaire 

69, Branche gauche de l'artère pulmonaire, d'un calibre moilié plus pelit que 
celui de la droite. 

70. Branche droite de l'arlère pulmonaire. 

74. Point où l'artère pulmonaire se divise en deux branches, une qui reste sur 
le poumon droit, et l'autre qui va se rendre au gauche, 

72. Branche droite dela bifurcation de l'artère pulmonairerestantau poumondroit 

73. Autre branche de celte bifurcation allant au poumon gauche, 


Fig. 2. — N°1. Tronc de la veine cave postérieure, 

2. Teslicule droit. 

3, Idem gauche. 

£. Point de réunion des veines efférentes des deux reins, et de la veine lesticu- 
laire gauche. 

5, Cette veine, 

6. Veine efférente ou émulgente rénale gauche, accolée au lesticule gauche, 

7. Idem droite. 

8. Veine rénale efférente gauche au sortir du rein. 

9. Canal déférent gauche, 

10. Zdem droit, 

411. Rein gauche vu par sa face inférieure (voyez-le représenté de grandeur 
naturelle, fig. 12, pl. 41). 

12. Rein droit vu dans le même sens. 

43, 14. Suite du canal déférent gauche. 

45. Une des racines de la veine porte dans le grand épiploon anastomosée à 
plein calibre avec la veine de Jacobson, ou afférente rénale droite (1). 


(1) Les anastomoses entre la veine porte hépatique et les veines portes rénales 
sont si nombreuses el si volumineuses, qu'oh peut dire qu'il y a fusion entre les 
deux systèmes. 


356 II. JACQUART, —— ORGANES DE LA CIRCULATION 


16. L'un des rameaux de la veine de Jacobson droite formé par trois branches ; 
deux proviennent des veines intercostales, une autre R établit une large anas- 
tomose au point marqué par le n° 29, avec la veine porte. 

17. Rameau considérable de la veine porte anastomosé avec la veine de Jacobson 
droite. 

18. Sorte d'azygos formée par des intercostales, qui sont une des racines de la 
précédente. 

19. Point de la veine rénale afférente droite, où viennent se jeter les veines du 
cloaque et de la partie voisine du gros intestin. 

20. Point de la veine de Jacobson droite, voisin de sa naissance. 

21. Tronc venant se jeler dans la veine rénale afférente droite, et résultant de 
la réunion des veines de la portion la plus postérieure du gros intestin. 

22, 23. Ces veines. 

24, 25. Veine azygos, déjà indiquée, se jetant dans la veine de Jacobson droite, 
dans le point marqué par le n° 48. 

26. L'une des racines de la veine rénale afférente droite, constituée comme je 
l'ai indiqué plus haut. 

27. Sorte d'azygos formée par des veines intercostales, et s'ouvrant dans la 
veine de Jacobson droite. 

28. L'un des racines de cette dernière, anastomosée, en outre, avec la branche 
considérable de la veine porte n° 30 , après qu'elle a reçu trois troncs prove- 
nant de la réunion des intercostales. 

29. Anastomose à angle droit avec la veine porte du tronc veineux R formé 
par la réunion de deux troncs impairs des veines intercostales avec l'une des 
racines de la veine de Jacobson droite, 16, 26. 

30. Anastomose de la veine porte avec cette dernière. 

31, Rameaux veineux du grand épiploon, qui se jettent dans la veine rénale 
afférente droite. 

32. Veine de Jacobson gauche, avant d'arriver au rein. 

33. Sorte d'azygos, l'une de ses racines. 

34, 35. Origine d'une de ses branches dans la veine porte. 

36. Une azygos formant une des racines de la veine de Jacobson gauche. 

37. Premiers rameaux de la veine de Jacobson gauche. 

38. Tronc d'une azygos déjà indiquée plus haut, l’une des racines de la veine 
afférente gauche. 

39, 40. Uretère gauche injecté. 

41, 42, 43. Uretère droit également injecté. 

44. Racines de la veine porte. 

45,46, 47, 48,49, 50, a’ L' c'. Racines de la veine porte dansle grand épiploon. 

51, 52, 53. Racines de la veine porte. 

54. Réunion des veines du grand épiploon avec les veines intestinales. 

55. Veines azygos, racines de la veine porte. 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 397 


56. Tronc commun des veines du pilore. 

57. Veines spléniques. 

58. Tronc de la veine porte. 

59, 60, 61. Veines gastriques et piloriques anastomosées entre elles, et se jetant 
directement dans le tronc de la veine porte ou une de ses branches d'origine, 

62, Vésicule du fiel. 

P, pilore. 

63, 64. Intestin grêle. 

65. Appendice iléo-cœcal. 

66, 67. Gros intestin. — !, milieu en longueur du gros intestin. Toute la por- 
tion d'intestin comprise entre l'appendice vermiculaire et ce point reçoit des 
artères mésentériques antérieures; toute la partie du tube digestif située entre 
ce point / et l'anus reçoit des artères mésentériques postérieures. 

68. Anus. 

69, 70. Ouverture des gaînes des deux organes excitateurs mâles. 

71, 72. Ces deux gaines. 

73. Prolongement osseux, qui paraît être l’analogue de l'os marsupial. — 
1, ostéide garni d'un ergot. 

74. Grand épiploon chargé de graisse. 

75, 76, 77, 78,79. Aorte abdominale. 

80. Artère caudale. 

81. Une des artères de l'estomac. — H, une artère hépatique. Elles viennent 
ici d'un tronc qui fournit aussi une artère splénique ; mais il y en avait une 
foule d'autres allant au foie et à l'estomac, et qui ne sont point figurées ici. 

82. Première artère mésentérique antérieure, 

83,84. Ses deux branches de bifurcalion, 

85, 86, b,c. Artères testiculaires gauches. 

87, 88. Idem droites. — a, d, artères rénales, formant une série d'arcades 
vasculaires , d'où partent les rameaux qui pénètrent dans les lobules rénaux. 
89. Anastomose de la branche antérieure de la première mésentérique antérieure 

avec la suivante. 

90. Deuxième mésentérique antérieure. 

91. Branche postérieure de celle-ci, anastomosée avec la branche antérieure de 
la troisième mésentérique antérieure, 

92, Rameau postérieur de cette dernière. 

93. Troisième mésentérique antérieure. 

94%. Anastomose entre la précédente et celle qui suit. 

95. Quatrième artère mésentérique antérieure. 

96, 97, 98. Sa division en trois branches. — f, première artère mésentérique 
postérieure; g, son rameau postérieur; À, point d'anastomose de la première 
mésentérique postérieure avec la quatrième mésentérique antérieure; i, ana- 
stomose de gavec k, branche de la troisième artère mésentérique postérieure. 


398 MH. JACQUART, —- ORGANES DE LA CIRCULATION 


99. Deuxième artère mésentérique postérieure, qui se ramifie presque entière= 
ment dans le mésentère. 

100. Artère rénale gauche, offrant la même disposition que la droite. — ÿ, troi- 
sième artère mésenlérique postérieure ; #, son anastomose avec la précédente ; 
1, quatrième , dem; m, cinquième, idem ; o, Sixième, idem ; p, septième, idem ; 
q, builième, idem ; »,°s, ses deux branches de bifurcation : {, neuvième artère 
mésentérique postérieure. 


Fig. 3. — Celle figure représente le cœur et les gros vaisseaux qui on partent 
dans les rapports nalurels; elle a été prise sur un autre Python que celui 
des figures 1 et 2. 

N° 1. Oreillette droite du cœur. 

2. Oreillette gauche. 

3. Ventricules. 

4 


CP] 


. Tronc résultant de la réunion de la veine jugulaire droite , de la veine verlé= 
brale, et de l'azygos postérieure, On pourrait lui donner le nom de veine: cave 
“antérieure. 

Veine jugulaire droite. 

Veine jugulaire gauche. 


2 © 


. Embouchure de la veine cave postérieure dans le sinus veineux. 

8. Abouchement de la jugulaire gauche dans l'oreillette droite. 

9. Veine pulmonaire. 

10. Branche droite de l'artère pulmonaire. 

11. Aorte droile ou antérieure. 

12,13. Aorte gauche ou postérieure; 

14. Artère carotide commune droite. 

15. Idem gauche, naissant avec la précédente, de l'aorte droite, par un tronc 
commun très court. 

16. OEsophage. 

47. Aorte droite, marchant à la rencontre de la gauche pour se réunir à elle. 

18. Cette réunion. 

19. Veine vertébrale de Cuvier. 

20. Artère vertébrale du même auteur, 

21, Veine azygos postérieure, 

23. Poumon droit. 

21. Aorte gauche, avant de se réunir à la droite. 

24. Veine vertébrale. 

25. Artère vertébrale. 

6. Veine cave postérieure. 

7. Branche droite de l'artère pulmonaire. 

8. Partie moyenne de la veine azygos postérieure. 

9. Portion de l'oreillette gauche. 


De 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. | 399 


PLANCHE 10, 


Fig. 4. — Cette figure représente la cavité du péricarde et le cœur d'un Boa. — 
Pour mieux apprécier les lésions pathologiques que nous avions observées sur 
le cœur et son enveloppe libro-séreuse chez deux Pythons, lésions qui se rat- 
tachaïient évidemment à des péricardites , il a fallu donner un spécimen de 
l'état sain et normal de cette membrane. La paroi inférieure a été enlevée, 
pour qu'on püût bien saisir tous les détails de la disposition de la séreuse sur 
le cœur, ses vaisseaux et l'enveloppe fibreuse, 


N° 4. Tronc veineux formé par la réunion de la veine jugulaire droite et de la 
veine vertébrale, 

2. Veine jugulaire gauche. 

3. Veine cave postérieure, 

4, Oreillette droite. 

5, 6. Veine cave postérieure avant son entrée dans le péricarde; ces numéros 
indiquent dans quelle étendue elle est adhérente à ce dernier. 

7, 8. Les lignes qui partent de ces numéros marquent les limites de l'embou- 
chure du sinus veineux, formé en avant par la veine jugulaire droite et en 
arrière par la veine cave postérieure, 

9. Ventricule droit. 

10. Ventricule gauche. 

A1. Artère aorte droite, et la gauche recouvertes par la séreuse du péri- 
carde. 

12. L'artère pulmonaire enveloppée dans une gaîne incomplète qui lui est com- 
mune avec les deux vaisseaux précédents. 

13. Cavité du péricarde d'un aspeet lisse el poli, sans adhérence ni fausse mem- 
-brane. 

4%. Un point de la surface externe de la membrane fibreuse de ce dernier, à 
travers lequel on aperçoit les origines des deux aortes, de l'artère pulmonaire 
et des deux carotides communes, | 

15, Artère pulmonaire à sa sortie du péricarde, 

16. Arlère carolide commune gauche. 

17. Arlère aorte droite, 

18. Artère carolide commune droile. 

19. La trachée-artère, 

20. La veine vertébrale de Cuvier, azygos antérieure du docteur Schlemm. 

21. Veine jugulaire droite de Cuvier, vena collaris du docteur Schlemm. 

22. Œsophage. 

23. Poumon droit, 

24, 24. Oreillette gauche du cœur, 


l 


Fig. 7. — Celte figure représente la cavité de l'oreillette d'un Python ouverte 


360 MH. JACQUART, -— ORGANES DE LA CIRCULATION 


par sa paroi inférieure, dont le bord supérieur seul n'a pas été incisé : cette 
paroi a été rabatlue à droite. 


N°1. Veine jugulaire droite. 

2. Veine cave postérieure 

3. Orilice d'abouchement du sinus veineux dans l'oreillette droite. 

4. Embouchure de la veine jugulaire gauche dans la même cavité, séparée de 
celle du vaisseau précédent par un éperon membraneux. 

5. Valve externe de la valvule de l'oreillette droite analogue de la valvule d'Eus- 
tache chez l'Homme et les Mammifères. 

6. L'autre valve ou valve interne. Cette valvule, dont la disposition a été com- 
parée par Hopkinson à celle des paupières, et par le docteur Schlernm à la val- 
vule iléo-cæcale, couvre à la fois et ferme complétement, quand ses deux bords 
sont rapprochés, l'orifice du sinus veineux et celui de la jugalaire gauche. Je 
pense être le premier à signaler cette particularité curieuse. — Tous les au- 
teurs avaient indiqué l'existence de cette valvule; mais aucun, je pense, n'a- 
vait dit que la lumière de la veine jugulaire gauche fût abritée et close par 
celle valvule , ainsi que l'embouchure du sinus veineux. 

7. Ventricule droit. 

8,10, 44, 12. Colonnes charnues, sculptées à la surface interne de l'oreillette 
droite, 

9. Valvule auriculo-ventriculaire droite relevée, de manière à fermer l'ouverture 
de ce nom, rendue légèrement béante par une traction sur le point n° 8. 

43. Cloison interauriculaire lisse et sans ouverture. 

A4. Éperon membraneux séparant les orifices du sinus veineux et de la veine 
jugulaire gauche dans lesquels on a passé des crins. 

45. Bandelette arrondie, ou commissure antérieure de la valvule. 

16. Veine jugulaire gauche avant de s’accoler à l'oreillette gauche. hu 


Fig. 8.—Elle représente la cavité du ventricule droit du cœur du même Python. 
— Toute la paroi inférieure de ce ventricule a été enlevée, afin de permettre 
de mieux saisir les détails anatomiques de cette cavité. Les deux aortes, ainsi 
que l'artère pulmonaire, ont élé ouvertes à leur face inférieure, et des crins 
passés de leur embouchure entre les deux valvules sigmoïdes, à travers les 
ouvertures faites à leurs parois, 


N° 1. Aorle gauche. 

2. Idem droite. 

3. Artère pulmonaire. 

4. Pilier supérieur de la valvule. 

5. Crin passé dans l'ouverture interventriculaire. 

6. Épaisseur musculaire de la loge supérieure du ventricule droit, se continuant, 
sans ligne de démarcation, avec les colonnes charnues de cette cavité. 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. 2361 


7. Loge inférieure du ventricule droit, qui, pour nous, représente le ventricule 
droit tout entier des Mammifères. 

8, 9. Gros pilier charnu, cloisonnanñt le ventricule droit en deux compartiments, 
l'un inférieur ou pulmonaire, n° 7, l'autre supérieur ou aortique. Cette colonne 
musculeuse naissant de la pointe du ventricule, se dirige vers les deux val- 
vules sigmoïdes qui garnissent les orifices des deux aortes. Elle reçoit aussi 
l'insertion du pilier droit (n° 44) de la valvule (n° 46). 

10. Crin passé dans l'aorte gauche, entre les deux valvules sigmoïdes. 

11. Crin passé dans l'artère pulmonaire, également entre les deux valvules qui 
la garnissent à son organe. 

12. Les deux valvules sigmoïdes de l'aorte droite et le crin passé entre elles. 

13. Colonnes charnues de la loge supérieure du ventricule droit, rétrécissant 
beaucoup cette loge, lui donnant un aspect très irrégulier, et se continuant 
avec la couche musculeuse, assez épaisse, des parois, sans qu'on puisse saisir 
où finissent les colonnes charnues , et où commence la paroi correspondante 
du ventricule : contraste manifeste avec la minceur des parois de Ja loge infé- 
rieure du cœur droit ou loge pulmonaire ; ce qui confirme les vues que nous 
exposons à la fin de notre mémoire, où nous établissons que la loge inférieure 
représente seule le ventricule droit, landis que la supérieure, à parois 
épaisses et cavité très rétrécie, est une dépendance du ventricule gauche. 

44%. Pilier inférieur de la valvule n°16. 

15. Soie passée à travers l'ouverture auriculo-ventriculaire. 

16. Valvule qui ferme, en se relevant, l'orifice précédent, et qui est ici entre- 
bâillée par une légère traction sur la paroi du cœur. 

17. Aorte droite. 

18. Artère carolide commune droite. 

19. Idem gauche. 

20. Oreillette gauche. 

21. Surface externe du ventricule droit. 


Fig. 9. — Cavité de l'oreillette gauche du même Python, ouverte en incisant 
son bord postérieur et son bord inférieur, et rabattant le lambeau. 


N° 4, Valvule auriculo-ventriculaire, 

2. Orifice de la veine pulmonaire non garni de valvules. 

3. Cloison interauriculaire, lisse, sans ouverture qui puisse faire communiquer 
les deux oreillettes, et sans piliers charnus à sa surface. 

%, 4. Piliers charnus sculptés à la surface des paroïs de l'oreillette gauche. 

5. Portion de la surface externe du ventricule gauche, 

6. Veine pulmonaire, 


Fig. 11.—Celte figure représente la face inférieure ou ventriculaire de l'appareil 
valvulaire droit et gauche, étalé, après avoir été enlevé avec les deux orifices 


262 H, JACQUART. —- ORGANES DE LA CIRCULATION 


auriculo-ventriculaires, les petits piliers musculeux les plus voisins, et une 
portion de la grosse colonne charnue qui cloisonne le ventricule droit, On voit 
que cette tente fibreuse forme un tout continu soudé à sa face antérieure ou 
auriculaire, avec le bord postérieur de la cloison interauriculaire, et qu'elle 
répond par sa face postérieure aux ventricules , limitant dans ce sens le pas- 
sage qui fait communiquer ces deux cavités. 


N°1. Valvule auriculo-ventriculaire droite. 

Idem gauche. 

. Pourtour de l'orifice veineux gauche. 

Petites colonnes charnues appartenant aux orifices veineux, ou donnant inser- 
tion aux piliers des valvules. 

6. Insertion d'un pilier de la valvule droite sur la grosse colonne musculeuse. 
7. Cette colonne cloisonnante. 

8. Orilice auriculo-ventriculaire. 


19 


= ww 


PLANCHE 41. 


Fig. 5. — Cette figure représente la face inférieure du cœur d'un Python, dé- 
pouillée, par la dissection, de la séreuse et du tissu celluleux qui existe dans 
l'intérvalle des vaisseaux, dans les sillons qui les séparent des différentes 
parties du cœur, ou réunit celles-ci entre elles. 


N° 1. Tronc commun résultant de la réunion de la veine jugulaire antérieure 
droite, de la veine vertébrale ou azygos antérieure du docteur Schlemm, et de 
la veine azygos postérieure”: il pourrait être appelé veine cave antérieure, car 
il n'existe pas seulement hors du péricarde, et il se prolonge dans la cavité 
de ce dernier jusqu'à la rencontre de la veine cave postérieure, dans une 
étendue mesurée par les lignes (voyez fig. 4, pl. 10) qui correspondent aux 
numéros # et 7.. 

. Veine jugulaire postérieure. 

Oreillette droite. 

Artère aorte gauche. 

Aorte droite. 

Artère pulmonaire. 

Oreillette gauche. 

Veine jugulaire gauche. 

Ventricule gauche. 

. Ventricule droil. 

. Artère coronaire gauche. 

Embouchure du sinus veineux , déjà indiquée dans l'oreillette droite. 
Crosse de l’aorte droite. 

. Artère carotide commune gauche. 

Idem droite, qui est ici d'un calibre double de la gauche. 


= = © OH O Où Fu 19 
CERTA DÉTENU - 


19 


>= > = 
Œ à œ 


CHEZ LE SERPENT PYTHON. * 8363 


Fig. 6.— C'est la face supérieure du cœur du Python, dont la face inférieure a 
été représentée figure 5, planche 11, 

N° 1. Oreillette gauche. 

. Oreillette droite. 

Aorte gauche. 

. Aorte droite. 

. Veine pulmonaire s'ouvrant dans l'oreillette gauche, toul près fe l'angle pos- 

térieur et supérieur de la cloison interauriculaire. 

6. Division de l'artère pnlmonaire en deux branches, 

7. Veine jugulaire gauche s'ouvrant dans l'oreillelte droite, en avant du sinus 
veineux auquel elle s'accole. 

8, 9. Aorte gauche ou postérieure. 

10. Aorte droite ou antérieure. 

11, Réuniou des deux artères précédentes. 

42. Veine jugulaire droite. 

13. Veine cave postérieure. 

14. Face supérieure des ventricules, sur laquelle on aperçoit quelques-unes des 
branches de l'artère coronaire droite. 

45. Gouttière de l'oreillette gauche qui loge la veine jugulaire. 

16. Cette veine placée dans le sillon qui sépare l'oreillette gauche du ventricule 
gauche. 

47. L'artère carolide commune droite. 

18. Idem gauche. 

19. Portion de l'orcillette droite. 

20. Tronc résultant de la réunion des aortes droite et gauche dans le point 
marqué par le n° 41. 


Cr Æ Co 19 


Fig. 10.— Cavité du ventricule gauche du cœur du Boa; dont j'ai représenté le 
péricarde (fig. #, pl. 40). Il a élé ouvert par deux incisions se rencontrant 
inférieurement à angle droit, l'une dirigée de bas en haut, parallèlement au 
sillon auriculo-ventriculaire gauche, l'autre partant du même point que la pré- 
cédent», et dirigée d'avant en arrière sur le côté gauche de la cloison inter- 
ventriculaire jusque vers la pointe du cœur. On écarte avec effort les parois, 
afin d'apercevoir l'intérieur. La cavité est tellement petile, et la couche 
musculeuse du ventricule si épaisse, que je ne puis m'empêcher de comparer 
ce ventricule gauche ainsi ouvert à un gésier. 


° 4. Passage interventriculaire. 

Valvule auriculo-ventriculaire gauche entre-bâillée. 

Piliers charnus sculptés à la surface du ventricule gauche. 
Partie concave du bord libre de la valvule n° 9. 

5. Bord de l'orifice auriculo-ventriculaire. 


= © © Z 


36/4 nm. SACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION , ETC. 


7. Pilier supérieur de la valvule n° 9. 

8. Éperon musculaire à concavité antérieure, formant la partie postérieure du 
passage interventriculaire. 

9. Partie moyenne convexe de la valvule auriculo-ventriculaire, où Hopkinson 
décrit un tubercule d'Arantius que nous n'avons pas trouvé, mais où son bord 
est seulement épaissi, 

40. Portion de la surface externe du ventricule gauche. 

41. Pilier inférieur de la valvule auriculo-ventriculaire gauche. 


Fig. 12,—Rein gauche du Python, représenté figures 4 et 2 de la planche9, vu 
par sa face inférieure et de grandeur naturelle. Les vaisseaux ont été injectés, 
ainsi que l'uretère. Le tissu celluleux qui unissait les lobules rénaux a été 
enlevé avec soin. 

N° 1. Canal déférent, maintenu en rapport avec l'uretère par un repli du péri- 
toine, dont une partie, couverte de vaisseaux artériels et veineux, a été lais- 
sée vers l'extrémité antérieure du rein. 

2. Veine rénale efférente, l'une des origines de la veine cave postérieure, et ses 
racines dans les lobules rénaux. 

3. Uretère injecté , ainsi que ses racines, dans les lobules rénaux. Ces dernières 
naissent du côté supérieur de ce conduit et existent sur la pièce, mais n'ont 
pu être figurées à cause de leur position. 

4. Veine de Jacobson gauche ou veine rénale afférente. On pourrait, à juste 
titre, l'appeler veine porte rénale. 

5, 5, 5, 5. Lobules rénaux. 

6, 6. Artères rénales, dont on n'a représenté ici, pour ne pas compliquer la 
figure, que les capillaires qui se rendent au canal déférent et à l’uretère en 
passant entre les deux feuillets du péritoine, qui maintiennent le premier 
en rapport avec le second. ; 


NOTE 
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES 


OBSERVÉES DEPUIS QUELQUES ANNÉES EN EUROPE. 


Accompagnée d'observations sur les deux espèces anciennement connues (Grenouilles 
rousse et verte), dont elles différent par la structure et par les mœurs. De l'hivernation 
des Batraciens anoures et urodèles. 


Par M. A, THOMAS, de Nantes. 


Les erpétologistes ont cru longtemps qu’il n'existait en Europe 
que deux espèces de Grenouilles : la Grenouille verte (Rana viri- 
dis) et la Grenouille rousse ( Rana fusca), toutes deux admirable- 
ment représentées dans le bel ouvrage de Roësel. 

En 1898, un naturaliste distingué, M. Millet, d'Angers, publia 
la faune du département de Maine-et-Loire, et, dans cet intéressant 
ouvrage, il décrivit, sous le nom de Grenouille rousse (Rana tem- 
poraria, Linn.), une Grenouille très différente de celle connue sous 
ces deux noms, et donna à la véritable, Rana fusca ou temporaria, 
le nom de Grenouille à ventre jaune (Rana flaviventris), prenant ce 
Batracien pour une espèce nouvelle, tandis qu'il était déjà connu 
depuis longtemps, et que l'animal qu'il nommait Grenouille rousse 
était au contraire une espèce nouvelle qu'aucun naturaliste n'avait 
distinguée avant lui. 

Voici Ja description qu'il en donne, tome IT, page 664 : 

«GRENOUILLE Rousse (Rana temporaria), Linn., vulg. leGraïsset, 
» a Pisseuse. 

» Brune ou roussätre en dessus, avec trois ou quatre bandes 
» transversales brunâtres sur les bras, les cuisses, les jambes et les 
» larses ; une tache post-oculaire triangulaire, noire; parties infé- 
» rieures blanches, rarement tachetées de brun ; taille de la Gre- 
» nouille commune, mais plus élancée. 

» Cette espèce, qui est un peu bossue et dont la peau est presque 
» lisse, si ce n’est sous l'abdomen et sous les cuisses, où elle est 
» granulée , vit solitaire dans les lieux frais et ombragés , les prés, 


366 A. THOMAS. 

» les bois, u’allant à l’eau qu’au printemps , époque de la ponte, 
» Elle fait des sauts de 4 à 5 pieds, en lançant par l'anus une liqueur 
» très abondante ; ne coasse point ou rarement : aussi Dauben- 
» ton, d'après cela, l’avait-il nommée la Muete. 

» On ne mange point ses cuisses en Anjou, quoiqu’elles soient 
» aussi bonnes que celles de la Grenouille commune ; peut-être cela 
» vient-il de ce que cette espèce y est peu répandue. » 

M. Millet est le premier qui ait signalé cette nouvelle espèce , 
quoiqu'il crût qu’elle élait anciennement connue; et, comme je 
l'ai fait remarquer plus haut, e’est en cilant comme nouvelle une 
espèce déjà décrite, et en donnant comme ancien un animal non 
encore décrit, qu'il a enrichi la science d'une nouvelle espèce de 
Grenouille très intéressante dont je vais essayer de compléter l'his- 
toire, en faisant connaitre les différences qui existent dans son 
squelette, et celui de deux autres espèces dont je parlerai tout à 
l'heure, et qui sont la Rana fusca (Roësel) et la Rana oæyrrhina , 
nouvellement découverte en Allemagne et dans le nord de l'Eu- 
rope , et en publiant les diverses observations comparatives que , 
depuis bien des années, j'ai faites sur les mœurs des trois espèces 
de Grenouilles qui vivent dans les environs de Nantes, 

Ce Mémoire serait déjà publié depuis deux ans, si M. Auguste 
Duméril, à qui j'en avais parlé et à qui j'avais communiqué plu- 
sieurs exemplaires de eelle nouvelle Grenouille , ne n'avait averti 
qu'il y a quelques années trois célèbres naturalistes, MM. Sieen- 
strup de Copenhague, de Siebold, et le docteur Sehiff de Franefort- 
sur-le-Mein, avaient fait connaitre sous le nom de Rana oxyrrhina 
une Grenouille différente de la Grenouille rousse de Roësel et de 
la Grenouille verte (Rana esculenta). 

M. Auguste Duméril m'engagea , avec raison, avant de publier 
mon travail, de prendre connaissance des observations des rois 
erpétologistes cités plus haut, ct nr'offrit, avec son obligeance 
habituelle, de me les communiquer. 

Il eut la complaisance d'écrire exprès à M. Schiff, qui, de son 
côté , eut la bonté de lui adresser ne notice de M. de Sichold , et 
ses propres observalions sur celte même Grenouille, pour qu'elles 
me fussent transmises. M. Schiff joignit à ses noles quelques 


SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 2067 
exemplaires de la Rana oæyrrhina, priant M. Duméril de me les 
adresser, et désirant que ses observations fussent insérées dans 
mon Mémoire. 

De mon côté, pour que M. Schiff püt vérifier lui-même la dif- 
férence qui existe entre sa Grenouille et la mienne , je lui envoyai 
plusieurs exemplaires vivants de cette dernière , et quelque temps 
après il m'adressa une certaine quantité d'individus également 
vivants de sa Grenouille. De cette manière nous reconnümes 
tous les deux que nous avions affaire à deux espèces très dis- 
linctes. 

Avant de publier mes observations sur la Grenouille que je 
nomme Grenouille agile { Rana agilis), qui est la même que celle 
que M. Millet appelle Grenouille rousse (temporaria, Linn.), car 
j'ai vu les deux espèces chez M. Millet lui-même, je ferai connaitre 
les observations de MM. Steenstrup, de Siebold et Schiff. J’accom- 
plirai ainsi le désir de ce dernier en joignant aux miennes ses 
remarques loutes pleines d'intérêt. 


Ogservarions pe M. pe Sisocn ( Archiv für Naturgeschichte , 
rédigées par Troschel, 1859, L. [, p. 14.— Siebold, Zoologische 
Nolizen über Rana oæyrrhinus et platyrrhinus. ). 


« Les deux espèces de Grenouilles distinguées par M. Steenstrup, 
dont jusqu'à ce jour on n'a pas voulu admettre la différence spé- 
cilique, sont en effet deux bonnes espèces que je peux distinguer 
maintenant au premier aspect. 

» 4° Rana oæyrrhinus est, dans la plupart des cas , plus petite 
et plus grèle que À. platyrrhinus (M. Steenstrup donne ce dernier 
nom à la véritable Grenouille rousse’. 

» 2° Elle a, comme Aana esculenta, la tête plus pointue, et l'in- 
tumescence à la racine du doigt externe soutenue par un os plus 
gros et plus volumineux. 

» 8° Elle se distingue de la ARana esculenta {rès facilement par 
ses couleurs, ; 

» li" Elle n'est jamais verte ; et ses couleurs ressemblent plutôt 
à celles de la Rana platyrrhinus avec laquelle elle a été confondue, 

» 5° Celle confusion a été plus facile , puisque ces déux espèces 


368 A. THOMAS. 

sont des Grenouilles terrestres qui, toutes les deux , au premier 
printemps et à la même époque, recherchent l’eau pour s’ac- 
coupler. 

» 6° La vessie vocale de la Rana esculenta manque à ces deux 
espèces. Leur voix, au temps de l’accouplement, est très différente. 
Les mâles de la Rana platyrrhinus , à cette époque, font entendre 
une epèce de grognementuniforme, continu et très sonore. La voix 
de la Rana oxyrrhinus est un chant interrompu , qui ressemble 
beaucoup au bruit produit par l'air qui s'échappe d’une carafe vide 
que l’on tient sous l’eau pour la remplir. 

» 7° Si, au temps de l’accouplement, ces Grenouilles nagent 
dans l’eau , alors ces deux espèces se distinguent encore par un 
autre caractère très remarquable qui a déjà été noté par Steenstrup. 
Les mâles de la Rana oæyrrhinus , à celte époque , apparaissent 
comme enduits d’un nuage bleuâtre sur toute la surface de leur 
dos qui, par cet enduit, acquiert souvent un reflet de bleu de ciel. 
Cette coloration disparait dès qu'ils quittent l’eau. Les mâles de la 
Rana platyrrhinus n'ont pas ce reflet bleuûtre. 

» 8° Une autre différence secondaire par laquelle ces deux 
espèces se distinguent de la Rana esculenta , c'est que la Rana 
oxæyrrhinus et la R. plalyrrhinus nourrissent dans leurs poumons 
le Distomum cylindraceum, qui, chez la Rana esculenta, est rem- 
placé par le Distomum variegatum. 

» 9e Stcenstrup a trouvé les deux espèces en Suède et en Danc- 
mark, et selon les différentes localités, tantôt l’une, tantôt l’autre 
est la plus commune. En Allemagne, Sleenstrup a trouvé la Rana 
oæyrrhinus aux environs de Slettin et de Leipzig. 

» Steenstruperoit qu'en Écosseil n'existe que la À. platyrrhinus. 

» M. de Siebold ajoute qu'il a trouvé les deux espèces ensemble 
à Kœmigsberg, età Dantzig en Prusse, à Erlangen en Franconie, et 
à Breslau en Silésie ; mais que partout la Rana oæyrrhinus à paru 
être l'espèce la plus rare. » 


Remarques INÉDITES DE M. Scnirr. — « Ces deux espèces (la 
Rana oæyrrhina et la R. temporaria ) ont, dans KR partie anté- 
rieure, une physionomie si différente, quemon frère lui-même, qui 


SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 369 
ne s'oceupe pas de zoologie, mais qui m'a accompagné plusieurs 
fois dans mes excursions , les reconnaît au premier aspect. De 
mon côté, je distingue très bien les adultes avant de les avoir pris, 
quand ils sautent encore à terre, notamment par leurs formes ; 
mais la À. oæyrrhina saute aussi plus loin qu'une À. platyrrhina 
de la même grandeur. 

» 2 La À. oæyrrhina adulte est toujours plus pelite que Ja 
R. temporaria adulte. Les échantillons que j'envoie sont des plus 
grands. Ce sont surtout les extrémités antérieures qui sont beau- 
coup plus grêles dans la R. oæyrrhina que dans la R. femporaria. 

» 3° L'intumescence des pouces, à l'époque des amours , dans 
la R. oxœyrrhina, est aussi moins verruqueuse; et en Ja traitant 
avec de l'acide nitrique délayé, on ne parvient jamais à en isoler 
les fibro-cellules des muscles organiques aussi bien et aussi dis- 
tinctement que dans la R. temporaria. 

» 4° I n'y a pas de différence tranchée dans les couleurs ; mais 
dans la plupart des R. omyrrhina que j'ai trouvées, la gorge était 
d’un blanc pur, quoique la poitrine fût d’un blanc sale et tachetée 
de noirtre ou de brunâtre. Chez la R. temporaria, la gorge est de 
la mème couleur que la poitrine. Les temporaria des environs de 
Francfort (excepté celles qui vivent dans les eaux ferrugineuses de 
Carben, à deux lieues d'ici, n’ont pas cette large raie noire ponctuée 
le long des côtés que l’on trouve si souvent chez les À. tempo- 
raria du midi de l'Europe ; mais celle raie se trouve {rès souvent 
chez notre R. oxyrrhina. Du reste, chez la R. oæyrrhina, la peau 
est plus luisante. 

» 5° La À. oæyrrhina se trouve loujours dans les lieux humides 
près de l'eau, et, quoique terrestre , elle ne s’en éloigne jamais 
beaucoup. Je ne l'ai pas une seule fois rencontrée, comme la 
R. temporaria, dans les terres cultivées et élevées. 

» 6° J'ai toujours trouvé la R. oæyrrhina accouplée un peu 
plus tard (quinze jours ou trois semaines en moyenne) que la 
R. temporaria. Du reste, il n’est pas exact de dire qu'elle recherche 
l’eau à cette époque, car il ne parait pas que les mâles quittent 
l'eau qu'ils habitent l'hiver avant l’accomplissement de l'acte de la 
génération. 

4° série, Zooc. T, IV. (Cahier n° 6.) 4 24 


370 A. THOMAS. 


» 7° La voix est toujours différente. Les remarques de M. de 
Siebold sont très exactes pour le temps de l’accouplement. Plus 
tard la voix du mâle de la R. oxyrrhina devient très sonore, rauque 
et tres basse, comme enrouée. Elle est toujours moins continue et 
plus souvent répétée que celle de la À. temporaria , et ressemble 
à « Rouen, rouen, rouen,» pendant que la À. temporaria crie d’une 
manière beaucoup plus sonore : « Ouorrr, ouorrr. » Les femelles 
de la R. oxæyrrhina, quand on les attrape ou quand on les pince, 
crient souvent, mais pas foujours cependant, comme les petites 
Souris : « 2, à, 1, »prononcé par le nez et d’une manière fort aiguë. 

» 8° Le reflet bleuûtre indiqué par M. de Siebold ne me paraît 
pas être constant chez la Rana oæyrrhina , et s'il l'était, je ne 
voudrais pas en faire une marque distinctive, parce que très 
souvent j'ai vu ce mème reflet chez la À. esculenta , et quelquefois 
chez des individus pâles de Ja À. temporaria. 

» 9° Moi aussi, comme M, de Siebold , je n'ai vu le Distomum 
variegatum que chez la Rana esculenta, et le cylindraceum que 
dans les poumons des deux autres espèces. M. Blanchard a égale- 
ment indiqué déjà cette différence (Ann. des sc. nat., 1847, I, 
p. 296). Mais il est à remarquer que Diesing (Syst. helminthum, 
1, p. 368) raconte que Braun et Zéder ont (trouvé le cylindraceum 
aussi chez la Rana esculenta. Une différence semblable consiste en 
ce que, jusqu'à présent, je n'ai trouvé le Zaplodelphis rachidis, 
Dies. [Diplostomum rachiœum, Henle (Dujardin, Helminthes, 
p. 475) ], que dans les À. temporaria et esculenta , jamais chez la 
Rana oæyrrhina , quoique j'aie examiné la moelle épinière d’un 
bon nombre d'individus de celle espèce; mais puisque ce Zaplo- 
delphis est assez rare , el que le nombre des oæyrrhina dont j'ai 
examiné la moelle est beaucoup inférieur au nombre des deux 
espèces, je ne crois pas que celte différence , en tous gas très 
secondaire, soit réelle. 

» 40° De ce que les deux espèces sont également répandues en 
Suède, Steenstrup probablement s'est cru engagé à rayer lotale- 
ment le nom de {emporaria, et à donner deux nouveaux noms ; 
mais en Allemagne, partout la Rana platyrrhinus est la plus fré- 
quente, et en France il parait en être de même; c’est pour cela 


SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 371 
que.je crois que cette dernière espèce doit garder le nom de tem- 
poraria. Il y a encore une autre raison : dans la dernière édition 
du Systema naturæ de Linné, à l’occasion de la R. temporaria, on 
trouve cité Roësel (Hist. ranarum). Or la figure de Roësel, que j'ai 
comparée dans la seconde édition de son ouvrage, montre évi- 
demment et très distinctement la vraie temporaria. 

» Du reste, je crois que la À. oæyrrhinus de Steenstrup doit 
être changée en À. oæyrrhina. Aux environs de Franefort, la 
R. oxyrrhina ne se trouve que dans deux localités : à Enkheim, 
dans la Hesse électorale, dans les grandes lourbières où elle est 
relativement rare, et vit en société avec la À. temporaria ; et dans 
un endroit maréeageux, entre Bockenheim et Hoeschst, où, en été 
et en automne , on ne trouve que celle espèce, sans y rencontrer 
des temporaria adultes. Dans les environs de Heidelberg et de 
Karlsruhe , dans le duché de Bade, que j'ai parcourus plusieurs 
lois, et dans quelques excursions que j'ai faites aux environs de 
Berne, en Suisse, en 1848, je n'ai trouvé que la temporaria. A 
Paris, où j'ai examiné, en 1844 et 1845, plusieurs centaines de 
Grenouilles que j'ai achetées au marché pour mes expériences 
physiologiques , je n'ai jamais vu la Rana oæyrrhina. J'ai alors 
très bien reconnu et dit, en 4849, la différence de la tête dans ces 
deux espèces , et je crois aujourd'hui que la Grenouille que j'ai 
donnée à plusieurs musées sous le nom de À. anguslifrons est 
identique avec la R. oæyrrhina de Steenstrup, dont le nom publié 
le premier doit avoir la préférence. » 


Dans le courant du printemps de 1855, M. Schiff eut l’obli- 
geance de m'envoyer, comme je l'ai déjà dit, plusieurs individus 
vivants de la À. oæyrrhina , qu'il avait pris dans les environs de 
Francfort-sur-le-Mein. 

J'en donne ici la description d’après l'examen que j'en fis alors. 

Kana oxyrrhina, Si. — Dessus du corps d’un roux plus ou 
moins vif où d’un brun grisätre, couvert de petites verrues assez 
espacées ; peau des flancs un peu chagrinée; dessus des cuisses, 
des jambes, des tarses et des orteils, de la même couleur que celle 
du dos, ainsi que la partie supérieure des bras. Les quatre 


372 A. THOMAS. 

membres sont coupés transversalement par des bandes brunes. 
Chez quelques individus, il existe, depuis le milieu de la tête jus- 
qu'à l'anus, une bande assez large et plus pâle que le reste du dos. 
Latèle est pelite et plus pointue que chez la R. agilis (Muni) et la 
R. fusea (Roësel). Une ligne noire ou brune part de chaque œil, et 
va jusqu’au bout du museau; entre cette ligne et la lèvre supé- 
rieure qui est brunâtre , il existe une autre raie de couleur plus 
claire, qui part du bout du museau et se prolonge jusqu’à l'épaule, 
immédiatement au-dessous de la tache noire, dans laquelle est 
encadrée Ja membrane du tympan. Sous chaque pli glanduleux 
situé longitudinalement au-dessus des flancs, il existe une rangée 
de laches noires ou brunes. Les flancs sont d’un brun grisâtre et 
jaunâtre dans leur partie inférieure; de plus, ils sont verruqueux , 
et couverts de larges marbrures noires. Les veux sont de la même 
couleur que ceux de la À. fusca et de la À. agilis. 

La gorge, la poitrine et le ventre, sont d'un jaune clair ; mais 
on aperçoit sur la gorge et la poitrine quelques marbrures bru- 
nâtres. Les parties internes des cuisses sont jaunâtres, et couvertes 
de granulations dans la région voisine de l'anus. Les fesses, dans 
la portion qui est près du même organe, sont d’une couleur car- 
née el granuleuse, et dans les autres parties olivâtres et marbrées. 

Grenouille agile (Rana agilis, Muni; Grenouille rousse, Faune 
de Maine-et-Loire). — Je vais essayer maintenant de donner de 
la Grenouille nommée par M. Millet d'Angers Grenouille rousse et 
par moi Grenouille agile, une description un peu plus détaillée que 
celle qui est contenue dans la Faune de Maine-et-Loire. 

Dans cette espèce, le mâle possède deux sacs vocaux semblables 
à ceux du male de la À. fusca, Roësel. 

La langue est plus petite. 

Les dents vomériennes m'ont paru être différentes de celles de 
la R. fusca et de la R. oxyrrhina. 

Le museau est moins obtus et moins recourbé que celui de la 
R. fusca, et non-seulement le museau , mais tout l’ensemble de la 
tête est proportionnellement plus long et moins effilé que chez 
la Grenouille oxyrrhine. 

Les veux sont semblables dans les trois espèces. 


SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 373 

La tache située derrière l'œil est pareille. 

Les membres postérieurssont plus longs et moins épais que chez 
la R. fusca, et ils sont proportionnellement encore plus grands que 
ceux de la À. oæyrrhina ; les marbrures qui les coupent transver- 
salement sont aussi disposées différemment. 

La peau, chez le mâle, est loujours lisse, et elle est quelquefois 
couverte de points très pelits el très rares. Le fond de la couleur 
du dessus du corps et des membres est tantôt brun ou gris feuille 
morte, et tantôt d’un roux plus ou moins vif ou d’un rose tendre 
parsemé de petites ombres brunätres et de très petits points noirs. 
Chez les mâles, la couleur du dessus du corps est généralement 
plus foncée que chez les femelles. 

Les deux plis glanduleux , qui sont situés au-dessus des flancs, 
sont couverts de points et de taches noirs; de semblables points 
et taches existent sur la face externe des cuisses et des jambes ; Ja 
face externe des bras est également ornée d’ane petite bande noire. 

Une raie brunälre part de chaque côté du bout du museau, etse 
prolonge jusqu'à l'œil. 

Les lèvres sont plus foncées chez le mâle que chez la femelle , 
et au-dessus de la lèvre supérieure il existe une ligne étroite et de 
couleur pâle, qui prend naissance au bout du museau, etse termine 
un peu au-dessous de l'angle formé par les deux mâchoires. Ces 
particularités relatives à la coloration du museau et des lèvres sont 
les mêmes que chez les deux autres espèces. 

La gorge et la poitrine sont le plus souvent d’un blane pur; mais 
cependant elles sont quelquefois lavées de noirâtre chez le mâle et 
de rose chez la femelle. L'abdomen est toujours d’un blanc pur et 
brillant dans les deux sexes; les flancs, vers la partie inférieure 
et en se rapprochant des cuisses, Sont jaunâtres ; les fesses sont 
granuleuses et de couleur verdàtre en dessus, et carnées à la partie 
inférieure. La partie interne des cuisses est plus jaune, et celle des 
pieds fire un peu sur le carné, parsemé de très petites taches d’un 
jaune clair. Les aisselles sont jaunâtres. 1 y a donc aux régions 
inférieures el aux cuisses, comme on le voit, quelques légères dif- 
férences comparativement à ce qui se remarque chez la À. oœyr- 
rhina. M existe, comme chez nos autres Grenouilles, une tache 


37h A. THOMAS. 
noire sur la partie interne du bras, à l'endroit oùil prend naissänce. 

La palmure des pieds m'a paru plus développée que chez la 
R. oæyrrhina. Du reste, chez la fusca, l’agilis et l’oxyrrhina ; 
cette palmure est toujours plus considérable chez le mâle que chez 
la femelle. M. Schiff avait fait les mêmes remarques. 

D'après une observation que ce zoologisle n'a communiquée, 
le lympan touche presque l'angle postérieur de l'œil chez la Gre- 
nouille agile, tandis que chez la fusca de Roësel il en est plus éloigné: 

Dimensions d'une Grenouille agile femelle de grande taille. — 
Longueur du corps, depuis le bout du museau jusqu’à l’anus, 
0",070 millim.; des membres postérieurs jusqu'à l'extrémité du 
grand orteil, 0",126. 

Grenouille agile mâle, taille moyenne. — Longueur du corps 
depuis l'extrémité du museau jusqu'à Panus, 0,053 ; des muscles 
postérieurs au bout du plus grand orteil, 0",102. 

Description de la Grenouille rousse (Rana fusca, Roësel) 
temporaria de plusieurs auteurs. — Quoique cette Grenouille soit 
connue depuis longtemps , et qu'elle ait été très bien décrite par 
plusieurs naturalistes, je me crois néanmoins obligé d'en parler un 
peu longuement, puisque, dans le cours de ce travail, je l'ai citée 
très souvent. 

Je vais done en donner une description aussi succincte que 
possible. 

Individu mâle. — Dos d’un brun roussâtre tirant sur le vert 
olivâtre, couvert de taches noires disposées le long des carènes du 
dos et sur son milieu. 

Les bras, les cuisses, les jambes et les tarses, sont coupés par 
de larges bandes irrégulières brunâtres ; les flancs sont marbrés 
de roux et de verdâtre mélangé de jaune pâle. Les cuisses sont 
également marbrées des mêmes nuances; la partie supérieure des 
jambes, des tarses et des pieds, est roussâtre ; la partie inférieure, 
au contraire, quant aux jambes, est d'un fond jaune vert, maculé . 
de taches d’un brun rougeñtre. Le dessous des tarses est d’un 
rouge carné pointillé de jaune. La palmure des orteils est plus 
développée chez le mâle que chez la femelle. 

Les l'essés Sont d’une teinle verdâtre très claire, el couvertés de 


SR 


SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 375 


graäñulations jäünâtres. Lé ventre est d’un jaune elair marbré de 
taches rosées et quelquefois jaune sale sans taches, et la gorge est 
d’un blanc bleuâtre avec une teinte rosée. 

Parfois les taches du dos sont noïres où brunes, et le centre est 
d’une couleur plus claire. 

Chez certains individus, la peau est mamelonnée ; quelquefois 
il n'y a pas de taches sur le dos. A l'époque de l’accouplemernit , il 
se développe au pouce du mâle une protubérance rugueusé Et heart 
coup plus volumineuse que ëhez nos deux autres Grenouilles 
(fig. 7). 

Individu femelle. — La palniure des pieds ëst moins développée 
que chez le mâle ; la peau est aussi ordinairement moins lisse ; le 
dos, les membres, ainsi que les flanes , Sont couverts d’aspérités 
de différentes grandeurs et très fapprochées ; il existe, en outre, 
sur les flancs de larges taches noires. Le ventre est jaune, forte: 
ment marbré de noir où de brun, et le plus souvent de rouge. La 
gorge est d’une nuance un peu plus foncée. 

Dimensions. — Individu de taille ordinaire : Longueur du bout 
du museau à l'anus, 0,068 ; des membres postérieurs jusqu’au 
bout du plus grand orteil, 0,107. 

Je dirai plus loin quelques mots sur les différéniees que j'ai 
remarquées dans le squelette de trois Grenouilles qui nous occupent 
dans ce moment. 

En attendant, je vais faire connaître les mœurs de l'espèce que 
j'ai décrite plus haut sous le nom de Rana agilis, et celles de la 
Grenouille figurée et décrite dans Rœæsel sous le nom de R. fusca. 

Li Grenouille agile (Rana agilis) a des formes plus élégantes et 
plus élancées que la R. fusca, et elle saute aussi bétucoul plus 
loin en lançant par l'anus une liqueur très claire, comme le fait 14 
Grenouille verte. Ses thœurs sont très différentes de celles de la 
R. fusca. Elle S'accouple ordinairement six ou sept semainés après 
celle-ci, depuis le 5 ou le 6 mars jusque vers le 45 du même 
mois. Ce fut le 42 mars 1843 que je la trouvai pour la pretiière 
fois aceouplée, quoique bien longtemps avant je l'etisse distinguée 
de la À. fusca, 

Pendant l'accouplement (chose assez singulière: la voix du mâle 


376 A. THOMAS. 


ressemble à celle que produit le mâle de la R. oæyrrhina, et dont il 
a été parlé plus haut; pourtant ce sont deux espèces bien distinctes. 

A l’époque de l’accouplement, il se produit sur le pouce du mâle 
de la R. agilis un petit gonflement de couleur noire moins volu- 
mineux que celui qui se développe sur le même doigt du mâle de 
la R. fusca. Chez cette dernière espèce cette protubérance est 
hérissée de petites pointes , et, au contraire, elle est lisse chez la 
R. agilis. 

Aussitôt que le temps de leurs amours est passé, les Grenouilles 
agiles quittent l’eau pour le reste de la saison et ne s’y lancent que 
par hasard, quand, par exemple, elles se trouvent près d’un ruis- 
seau, ce qui du reste est assez rare, et qu'un danger les menace. 

Elles se tiennent dans les lieux frais et tranquilles, les prés, 
loin des habitations , au milieu des grandes herbes , dans les bois , 
et quelquefois dans les terres élevées, quand elles y trouvent de la 
fougère et de l’ombrage. Je ne les ai jamais rencontrées, comme 
les Grenouilles rousses , dans les jardins des villes et des villages, 
ni parmi les Orties , les Chardons et les Ronces qui poussent dans 
les chemins et le long des murs. 

J'ai cru pouvoir donner à cette Grenouille le nom de Grenouille 
agile (R. agilis), à cause de la longueur des bonds qu'elle fait lors- 
qu'elle est poursuivie; car je puis affirmer l'avoir vue franchir 
d’un seul bond un espace de près de 2 mètres. 

Elle est assez commune dans quelques localités du département 
de la Loire-Inféricure ; mais on la trouve rarement avec la rousse. 
Il y a des endroits où j'ai rencontré plusieurs milliers de la rousse 
et pas une seule agile; d'autres où je n’ai vu que cette dernière , 
et d’autres enfin dans lesquels depuis bien des années je vois plu- 
sieurs agiles et fort peu de rousses. 

Le tètard de la À. agilis se développe comme celui de la 
R. fusca, et lui ressemble beaucoup: mais quand ces deux espèces 
ont subi leurs métamorphoses, quand elles sont encore très petites, 
on les distingue fort bien. 

La Rana fusca de Roësel s'accouple loujours environ six ou sept 
semaines avant la À. agilis , ce qui me parait être un point très 
essentiel à noter, Lorsque le mois de janvier n’est pas rigoureux, 


a ne 


SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES, 3717 


l’accouplement a souvent lieu dès le 16 de ce même mois, et quel- 
quefois un ou deux jours plus tôt; d’autres fois il éprouve un peu de 
relard et se fait vers le 24, comme cela a eu lieu cet hiver. Quand 
le froid se prolonge, l’accouplement n’a lieu alors que dans les pre- 
miers jours de février. À cette époque, les Grenouilles rousses se 
réunissent en grand nombre dans les mares et les fossés , et les 
mâles s’y disputent les femelles en faisant entendre une espèce de 
grognement. 

J'ignore si tous les mäles de cette espèce, ou même si quelques- 
uns d’entre eux, parvenus à l’âge adulte, passent l'hiver sous l’eau, 
mais je ne le crois pas : parce que tous les aps j'en trouve qui sont 
accouplés dans de simples rigoles pratiquées dans des champs, et 
jusque dans les moindres trous situés au milieu des chemins, et 
dans lesquels il n’y a que quelques centimètres d’eau , et encore 
cette très petite quantité n’y est-elle souvent que depuis quelques 
jours seulement. 

J'ai vu fréquemment, au commencement de l'automne, une assez 
grande quantité de Grenouilles rousses des deux sexes dans des bar- 
riques à moilié remplies d’eau. Ces barriques se trouvaient placées 
dans des jardins, auprès des puits ou sous l'égout d’une dalle pour 
recevoir les eaux pluviales, et les Grenouilles qui y étaient entrées 
ne pouvant plus en sorüir, paraissaient beaucoup souffrir dans 
leur captivité, ei cherchaient à s'échapper. Malheureusement je 
n'ai pas pu m'assurer de ce qu'elles devenaient. Mais , à la fin de 
ce Mémoire , je ferai connaitre sur l'hivernage de ces Batraciens 
et de quelques autres espèces des observations que le basard m'a 
mis à même de faire. 

Après l’accouplement, ces Grenouilles disparaissent et ne com- 
mencent à se montrer que vers les premiers jours d'avril. 

Elles ont une manière de vivre tout à fait différente de celle de 
la R. agilis, qui est essentiellement terrestre; car elles passent 
presque toute la journée dans l’eau pendant le printemps et une 
grande partie de l'été. Elles ont, de ce côté, beaucoup de rapport 
avec la Grenouille verte, et c’est un motif de plus pour séparer 
cette espèce de celle que j'ai nommée R. agilis. 

Tous les ans , au printemps et dans le commencement de l'été , 


378 A. THOMAS. 


je trouve une très grande quantité de Grenouilles rousses des deux 
sexes dans les fontaines, les mares, les fossés et les carrières 
abandonnées qui contiennent de l’eau, et où elles vivent comme les 
Grenouilles vertes, se tenant tantôt dans l’eau et tantôt sur le bord. 
Il résulte de ces observations que ces Grenouilles sont beaucoup 
moins terrestres que la Grenouille agile, qu’on ne trouve que rare- 
nent auprès des eaux. 

Quant à l'hivernage de certains Batraciens, voici les observations 
que j'ai faites : 

Il y a déjà plusieurs années , lorsque je parcourais souvent là 
campagne, afin de surprendre les animaux accouplés et de pouvoir 
les étudier à loisir, j'avais remarqué une petite source située sur 
une hauteur, et auprès de laquelle je passais fréquemment. Cette 
Source vomissait du sable fin qui, au soleil, présentait de brillantes 
couleurs. Un jour, c'était dans le courant de février 1845, je déga- 
geai l'ouverture de cette source en ôfant quelques poignées dë 
Sable. L'eau bouillonna aussitôt avec plus de force, et rejeta, à mon 
grand étonnement, un petit animal, que je reconnus être une jeune 
Grenouille appartenant à l'espèce nommée par Roësel Rana fusca ; 
ce ne fut que dans l’année 1847, et dès le 12 janvier, qué je 
recommençai mes excursions. Je dirigeai mes pas directement 
vers celte source, et la trouvai, demême que les années précédentes, 
bouillonnant presque à fleur de terre. J'en relirai, comme précé- 
demment , quelques poignées de sable, et l'eau jaillit avee plus de 
facilité. Cinq ou six minutes après, j'en vis sortir trois jeunes Gre- 
nouilles rousses dont le ventre était parfaitement jaune. Elles 
n'étaient nullement engourdies. 

Un instant après, l'eau rejeta un téêtard de Salamandre terrestre ; 
il était long de 4 centimètres environ. 

Le lendemain, je revins au même endroit, el ayant encore 
dégagé l'ouverture de la souree et facilité la sortie de l’eau en 
Ôtant quelques pierres qui l'obstruaient, je vis sortir einq petiles 
Grenouilles. semblables aux premières, et quatre têtards de Sala- 
mandre également pareils au premier, Enfin, le 47 du même mois, 
je retournai voir cette Source qui me fournissait des observations 
si intéressantes , el, après avoir agité l'eau à une profondeur de 


SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 379 
20 centimètres environ, je fis Sortir de leur retraite deux petites 
Grenouilles. 
Tous ces jeunes Batraciens appartenaient à l'espèce nommée 
Raña fusca, comme je l'ai fait remarquer. Parmi eux , il y avait 
plus de femelles que de mâles. 

Pendant quelques années, j'interrompis mes recherches sur 
Vhivernage des Batraciens pour m'occuper spécialement de leur 
mode d'accouplement , et je les recommencai en 1855, avec un dé 
mes amis M. Arthur Delisle, qui voulut bien m'aider dans mes 
recherches. 

Dans les premiers jours de février 1855, M. Delisle et moi 
fimes plusieurs fouilles dans de vieilles carrières abandonnées, et, 
äprès avoir creusé à une petite profondeur une terre mélangée 
de schiste décomposé, nous trouvâmes des 4lytes, des Pélodytes 
ponctués des deux sexes, quelques femelles du Bufo calamita pleines 
d'œufs, et une femelle de la Rana fusca qui ne s'était pas encoré 
débarrassée de ses œufs. On trouve quelquefois, mais en très petil 
nombre, quelques femelles retardatäires, Surtout lorsque c'est là 
première année qu'elles engendrent; de plus, nous trouvimes 
une grande quantité de Tritons palmipèdes de tout âge et de tout 
sexe. Les mâles n'avaient pas encore la palmure des pieds déve- 
loppée; ni les arêtes dorsales aussi apparentes qu'ils lès ont plus 
tard, mais ils avaient déjà l'anus gonflé. 

Du reste, je dois dire aussi que j'ai vu plusieurs fois , dans les 
derniers jours du mois de janvier, des individus des deux sexes de 
ce Triton dans l’eau, et préluder aux jeux amoureux que Spallan- 
zani et Rusconi ont si bien décrits. | 

Sans oser tirer des faits qui précèdent aucune conclusion rela- 
livement au mode d'hibernation des Batraciens anoures eturodèles, 
j'ai cru devoir les faire connaître, parce qu'ils sont le résultat 
d'observations attentives que j'ai répétées pendant un grand nombre 
d'années. Je pense d'ailleurs qu'elles ne seraient peut-être pas sans 
utilité pour les zoologistes qui voudraient s'occuper de nouveau de 
cette importante question de physiologie. 

Dans ce mémoire, j'ai fort peu parlé de laGrenouille verte(Rana 
esculenta), parce qu'elle est très connue; et, en outre, elle est si 


380 A. THOMAS. — SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 
différente des trois autres espèces, qu'il est impossible de la con- 
fondre avec aucune d'elles. 

Chez nos quatre espèces de Grenouilles les os frontaux nasaux 
ont une forme très différente. De plus, chez la Rana oæyrrhina, 
l'apophyse du premier os cunéiforme est beaucoup plus volumi- 
neuse que chez les trois autres espèces. 

Je joins ici le tableau comparatif des dimensions des trois espèces 
suivantes. 


Tableau comparatif des dimensions des trois espèces de Grenouilles dont les noms 


suivent. 


LONGUEUR 
des membres po-térieurs] 
jusqu'à l'extr, 
du plus grund urteil. 


LONGUEUR LONGUEUR 


de la tête, du tronc. 


Rana fusca (taille moyenne). | 0,020 0",052 0,117 
Rana agitis (grande taille). . 0,048 0,047 0,120 
Rana oxyrrhina (idem). . . 0,015 0®,043 0®,090 


On voit par ce qui précède que nous possédons en Europe quatre 
espèces de Grenouilles bien distinctes, tant par les formes exté- 
rieures que par les mœurs : 1° R. fusca, Roësel, vel temporaria, 
Linn.; % R.viridis, Roës., seu esculenta, Linn.; 3° R. oæyrrhina, 
Steenstrup ; 4° R. agilis, Thom., vel temporaria, Millet. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 7. 


Fig. 1. Portion antérieure du corps de la Grenouille agile vue en dessus. 
Fig. 2. La même vue en dessous. 

Fig. 3. Patte antérieure du mâle. 

Fig. #. Squelette de la même. 

Fig. 5. Grenouille oxyrrhynque 

Fig. 6. Squelette de la même. 

Fig. 7. Patte externe de la Grenouille verte, comme terme de comparaison. 


A QE Es à + 


OBSERVATIONS 


SUR 


L'HERMAPHRODISME DES ANODONTES, 
Exrraires D'uxe Letrre Apressée PAR M. VAN BENEDEN, 


Par M. LACAZE-BUIHIERS, 


Professeur à la Facullé des sciences de Rennes. 


Vous avez imprimé queles Anodontes sonthermaphrodices. Leeuwenhoeck 
et M. de Siebold les déclarent à sexes séparés, et portés par des individus 
distinets. Moi-même je ne pouvais me ranger à votre opinion. Ayant quel- 
que chose à vérifier, au sujet de l'organe de Bojanus, sur ces Acéphales, je 
fis ouvrir environ cinquante individus, et , il faut le dire, j'examinai leurs 
glandes génitales presque par hasard, et pour voir si, à la simple vue, je 
reconnaîtrais le mâle et la femelle. Mon examen était superficiel, à ce point 
que je me contentai d’une large incision du pied et de la masse viscérale 
qui renferme les glandes génitales. La blessure des mâles laissait échapper 
un liquide visqueux qui ne se désagrégeait pas dans l’eau, tandis que celle 
des femelles laissait écouler un liquide dont les éléments s’éparpillaient, et 
que je reconnaissais, par l'habitude acquise pendant de longues recherches 
sur ce sujet, pour des œufs. Or, sur un exemplaire, il me sembla que la 
blessure laissait couler à la fois ces deux liquides. Dans des questions de ce 
genre, le doute, même le plus léger, doit être éclairei, et l'examen micros- 
copique me fit reconnaître sans aucun doute des œufs et des spermato- 
zoïdes. J'allai plus loin, j’examinai attentivement. Les glandes, et les 
lobules , d'un jaune plus clair, plus brillant, m'offrirent la structure et la 
composition de la glande femelle. Ceux, au contraire, qui présentaient une 
teinte un peu plus obscure étaient exclusivement mâles, et, après cet examen 
décisif, le seul qui mérite aujourd’hui confiance quand il s’agit des sexes , 
je rapprochai des animaux entièrement mâles ou femelles , et l'apparence 
des parties différentes sur les individus hermaphrodites était semblable à 
celle des mêmes parties sur des animaux unisexués. 

Il n’est plus douteux pour moi aujourd’hui que, rarement il est vrai, les 
Anodontes des Cygnes ne puissent être hermaphrodites ; et je m'explique 
maintenant comment votre opinion était en opposition avec celle de Leeu- 
wenhoeck et de Siebold, bien que la vérité existât de part et d’autre. Je crois 


382 LACAZE-DUTHIERS. — HERMAPHRODISME DES ANODONTES. 


que l’hermaphrodisme est exceptionnel et rare, et que c’est une de ces 
exceptions qui a dû tomber entre vos mains et déterminer votre opinion. 

On rencontre , dans cette question de l’hermaphrodisme des Acéphales , 
de telles discordances d'opinions, que parfois on est étonné, surtout en 
voyant des observateurs si recommandables en opposition complète. Mais , 
à mesure que l’on étudie en grand nombre les mêmes espèces, on reconnaît 
les causes des discordances, et je crois devoir porter à la connaissance des 
naturalistes l'observation qu'il m'a été donné de faire. 

Il est inutile , je pense , de faire ressortir toute l'importance de ce fait. 
Il montre d’abord combien la question dont il s’agit devrait, pour être élu- 
cidée el conduire à des résultats satisfaisants, s’étayer de l'examen non-seu- 
lement d’un grand nombre d’espèces, mais aussi d'individus; combien on 
doit avoir garde de trop se hâter de conclure touchant le rôle des glandes ; 
combien aussi, avant de croire à des erreurs de la part des observateurs, il 
faut multiplier ses observations propres. Pour moi, monsieur, je suis heu- 
reux , après avoir cru à une erreur de votre part, qu'il me soit donné de 
trouvér un fait qui explique votre opinion, et je m’empresse de vous le faire 
connaître. (Académie de Bruæelles, décembre 1855.) 


FIN DU QUATRIÈME VOLUME. 


TABLE DES ARTICLES 


CONTENUS DANS CE VOLUME. 


PHYSIOLOGIE. 
Mémoire sur l'assimilation du sucre, par M. Gips. . . | 
pere sur la fonction glycogénique du foie, par M. Ficuien. s'e exe) 1 
ur le mécanisme de la formation du sucre dans le foie, par M. CI. 
BERNARD. . . 109 
gur la présence du sucre dans le sang de la veine > porte. par À M. Luusang. 158 
echerches sur l'influence de la lumière sur la production de l'acide car- 
bonique des animaux, par M. Mosescuorr. 207 
Du sulfocyanure de potassium considéré comme un des éléments nor- 
maux de la salive, par M Loxcer . . 225 
Mémoire sur |’ infuence qu'exerce sur le développement du Poulet appli- 
cation partielle d'un vernis sur la coquille de l'œuf, par M. Daresre. . 4119 


ANATOMIE ET ZOOLOGIE. 
1° VERTÉBRÉS. 


Mémoire sur les organes de la cireulation chez le serpent Python, par 


M. Jacouarr. , . 321 
Note sur deux espèces de Grenouilles observées “depuis quelques années 

en Europe, par M. Taomas. . . nd ciel ++ 1868 
Monographie des Balistides, par M. Ho: . « 5 
Note sur le vomer garni de cinq rangées de dents des terrains de la 

craie chloritée, par M. Mancez DE SERRES. . . . . . . . . 264 


20 INVERTÉBRÉS. 


Observations sur les mœurs des Cerceris, et sur la cause de la longue 
conservation des Coléoptères dont ils approvisionnent leurs larves, par 


M. Faune. . . RP es De ET 
Quelques mots sur les Cérceris , par M. Léon Durou. ne Smic ide CT] 
Note sur l'absence, dans le Vemoptera lusitanica, d'un système nerveux 

APPISOEMIE PAL IE MOINE PERD... MORE MEME SENS 
Additions à la Note précédente. . . gone Tropic ll 
Lettre sur les mœurs des Abeilles, par M DE BéAOVOrE . ME 151 


Deuxième note sur les spermatophores du Gryllus sylvestris, par M. “Lesrés, 244 
Note sur un nouveau genre d'Annélide perforant , par M. Mancez DESERRES. 238 
Remarques sur la note précédente, par M. SuurrLewonrTu . . 319 
Mémoire sur les Vers rubanés et vésiculaires de l'homme et des animaux 
(Tænias, Oysticerques), etc.), et la production des Helminthes en géné- 


ral, par M. Siesoun. . . . 48et172 
Mémoire sur l'organe de Bb ‘des Acéphales lamellibranches , par 

M. Lacazz-Doraitas LP UE SEC 
Observations sur l'hermaphrodisme des Anodontes, par le même. MO: | 


Observations histologiques sur le grd D on de la a a médi- 
cinale, par M. Faivne. . . - FACE et |: : 


TABLE DES MATIÈRES 


: PAR NOMS D'AUTEURS. 
Beauvoye (pe). — Lettre sur les l'organe de Bojanus des Acé- 
mœurs des Abeilles. 151 phales lamellibranches. 287 
Bernanp(Cl.).—Sur le mécanisme — Observations ES AA 
de la formation du sucre dans disme des STONE 381 
le foie 109 
DAREsTE. — Mémoire sur li in- sucre Pt le sang dé la veine 
fluence qu'exerce sur le déve- porte. e 158 
loppement du Poulet l'applica- Lespés.— Deuxième Note sur r les 
tion partielle d'un vernis sur spermatophores du Gryllus syl- 
la coquille de l'œuf. . 119 vestris. 244 
Durour (Léon). — Note sur l' ab- Loncer. — Du sulfocyanure de 
sence, dans le Nemoptera lusi- potassium considéré comme 
tanica, d'un système nerveux un des éléments normaux de 
appréciable. ; 153 la’salive. =... 225 
—- Additions à la Note précé- Manrce DE SERRES. — | Note sur 
CON at ad fé 263 un nouveau genre d Annélide 
—— Quelques mots sur "les Cerce- lubicole perforant. 238 
ris de M. Fabre. 263 | — Note sur le vomer garni de 
Favre. — Observations sur les | cinq rangées de dents des ter- 
mœurs des Cerceris, et sur la rains de a craie chloritée ou à 
cause de la longue conserva- | Hippurites . : 264 
tion des Coléoptères dont ils Mouescuorr, — Recherches sur 
approvisionnent leurs larves. 4129 l'influence de la lumiere sur la 
Ficuiën. — Mémoire sur la fonc- | production de l'acide carbo- 
tion glycogénique du foie. . 91 nique des animaux, 207 
Faivre. — Observations histolo- Saurrcewonr. — Remarques sur 
giques sur le grand sympa- la Notede M Marcel de Serres 
thique de la Sangsüe médici - relative au genre Stoa. 319 
nale, . 249 | Sinon. — Mémoire sur les Vers 
Gins. — Méunoire sur  l'assimila- rubanés et vésiculaires de 
Lion du sucre. 27 l'homme et des animaux (Tæ- 
Hozrann. — Monographie ‘des nias, Cysticerques, etc.), et 
Balistides (suite). 5 sur la production des Hel- 
Jacquaur., — Mémoire sur les or- mintbes en général. 48 et 172 
ganes de la circulation chez le | Tuowas. — Note sur deux espèces 
Serpent Python. 324 de Grenouilles observées de- 
Lacaze-Duraiers. —_ Mémoire sur | puisquelquetemps en Europe. 365 
TABLE DES PLANCHES 


RELATIVES AUX 


À. Alutères (Balistides). 


2, 3. Développement des Helminthes… _ 
2 


# 5, 6. Organe de Bojanus. 
! Rana agilis, Rana oxyrrhina. 


“ 4 


MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. 


8. Structure du grand sympathique, armatiité génitale ‘du Grillon, genre Stoa. 
9, 40, 44. Appareil circulatoire du Python. 


FIN DE LA TABLE. 


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Ana. des Soins. rat. 4° Série. 


Zoot. Jome 4. 74, | 


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Zoo. Tome 4. Pt3 


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