Skip to main content

Full text of "Annales des sciences naturelles"

See other formats


_ RATE tetuiinee 
Hotte pr Hi 


St 


E 
25 


2-B. 
ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


COMPRENANT 


LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE 
L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES 
ET L’HISTOIRE DES CORPS ORGANISES FOSSILES 
RÉDIGÉES 


FOUR LA ZOOLOGIE 


PAR M. MILNE EDWARDS 


POUR LA BOTANIQUE 


PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE 


QUATRIEME SERIE 


ZLOOLOGIE 


TOME XIII 


LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON 
PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE 


13560 


AOL EE, TOANON NE 


" 


es AMEL PUY Eh Ada MDN NE T7) 
"AT d 


0. acier than io GOT MORE EN 
"L. } A2. | +-16008 


Pipiéitne |4 dthé 


desilut CT Are RS MN 
£ 


ANAE AI ANT 


Re 


44 me . 


hibé nt HO: JFARCTIE ua # d . 


L RS ‘st Wé-rab io ta 


LLUAR 


ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


PARTIE ZOOLOGIQUE 


MÉMOIRE 


SUR LE 


SQUELETTE DES POISSONS PLECTOGNATHES 
ÉTUDIÉ AU POINT DE VUE DES CARACTÈRES 
QU'IL PEUT FOURNIR POUR LA CLASSIFICATION, 


Lu à l'Académie des sciences, le 9 avril 1860. 


Par M, H. HOLLARD, 


Professeur à la Faculté des sciences de Poitiers. 


En poursuivant mes études sur les divers groupes de Poissons 
réunis par G. Cuvier sous le nom ordinique de Plectognathes, je 
me suis proposé, en vue d’un travail plus général, de chercher 
dans l'ostéologie de ces familles des caractères qui nous permet- 
tent non-seulement de les coordonner entre elles, mais encore et 
surtout de leur assigner leur place dans la série ichthyologique. 

J'ai commencé cette suite de recherches par un travail analo- 
mique et zoologique sur la famille des Balistides ; je l'ai poursuivie 
par une étude des Ostracionides, et je lai terminée par une dé- 
términalion et une revue des types ostéologiques que nous offrent 
les Gymnodontes. Aujourd’hui, semble-t-il, il ne me resterait 


6 HW. MOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 

qu'à rappeler les caractères des familles et des genres qui ont suc- 
cessivement passé sous nos yeux, à résumer dans un lableau d’en- 
semble les types bien caractérisés que nous avons pu recomailre, 
surtout à l’aide du squelette, dans cette série de Poissons; à voir 
enfin si ces types tiennent d'assez près les uns aux autres pour 
représenter un type plus général, si les Plectognathes doivent ou 
non demeurer groupés sous une même dénomination. 

Mais je ne me dissimule pas que cette partie de la tâche que je 
me suis proposée résume aussi bien les difficultés que les résuliats 
définitifs de ce travail, et, pour mieux assurer la valeur de ceux-ci, 
je crois devoir revenir sur l'ostéologie des groupes qui m'ont 
occupé, pour corriger et compléter tour à tour ce que j'en ai dif, 
en profitant de l'expérience que j'ai pu acquérir depuis huit ans 
dans ce genre d’études, des matériaux que j'ai eu à ma disposition, 
des critiques qui m'ont été adressées, et des ouvrages qu'il m'a été 
possible de consulter. C’est ce que je vais faire successivement 
pour les Balistides, les Ostracionides et les Gymnodontes. 


IE 


Squelette des Balistides. 


La description que j'ai donnée du squelette des Balistides, et 
plus spécialement de celui des Balistes, laissait beaucoup à désirer. 
J'en ai reconnu les imperfections, à mesure que je me suis plus 
familiarisé avec l’ostéologie des Poissons et avec la déterminatiort 
des pièces qui la composent. Je me préparais à reprendre ce tra- 
vail et à le corriger, lorsque, pendant un de mes derniers séjours 
à Paris’, j'ai trouvé à la bibliothèque du Muséum l'ouvrage où 
M5 Brübl a consigné les résultats de ses études sur quelques-uns 
des squelettes de Poissons du cabinet d'anatomie comparée (4). 
L'auteur de cette publication a consacré un article assez étendu à 
l'ostéologie des Balises ; il honore, en outre, mon premier mé- 


(1) Docteur C. B. Brühl. Osfeoloyisches aûs dem Pariser Pflansengarten, 
fol. Vienne, 1856. 


DES POISSONS PLEGTOGNATHES, ÿ 
moire d'une critique détaillée, dont je ne dirai autre chose, sinon 
qu'en me signalant quelques corrections à faire, quelques traits 
à mettre en lumière, elle m'a décidé à revenir une fois de plus 
à l’examen des pièces que je possédais et à en étudier de nou- 
velles (1). De là un nouveau travail qui va nous donner plas 
exaciement et plus complétement que le premier les caracteres ci 
squelette des Balistes. 


Colonne vortébraie. 


Les vertèbres de ces Poissons ne dépassent pas le chiffre de 
dix-huit chez les espèces que j'ai étudiées; sur ce nombre, sept 
appartiennent à la région viscérale, onze à la caudale. Celle qui 
suit immédiatement le crâne se distingue des suivantes, comme 
l'a très bien remarqué M. Brühl, en ce que ses deux neurapo- 
physes, au lieu de se réunir sur la ligne médiane, de former un 
anneau et de porter une apophyse épineuse, S'éloignent l’une de 
l'autre, s'inclinent en avant, et vont border le trou oecipital. Le 
système apophysaire des vertèbres suivantes rentre dans les con- 
ditions de développement et de direction qui se voient le plus 
ordinairement chez les Téléostéens. Dans toute la région viscé- 
rale, je ne rencontre ici que de fausses apophyses transverses, qui 


(4) J'ai sous les yeux aujourd'hui, et pour la première fois, les pièces dont 
M. Brühl s'est servi, notamment un crâne de Baliste étiqueté par G. Cuvier, 
et que M. Rousseau a bien voulu mettre à ma disposition. J'en ai préparé moi- 
même un autre plus grand et plus complet dans le laboratoire d'ichthyolo- 
gie. C'est celui dont je donne le dessin. Les têtes qui avaient servi à mes pre- 
mières descriptions étaient trop petites, comme l'a fort bien compris M. Brübl, 
il ne s'est pas trompé non plus en mettant sur le compte de la lithographie une 
partie des reproches qu'il adresse à mes dessins. J'espère que ceux que je 
publie aujourd'hui ne les mériteront pas. En acceptant d'ailleurs comme parfai- 
tement fondées plusieurs des remarques critiques de l'auteur, en convenant 
même qu'il aurait pu en augmenter le nombre, je ne puis cependant lui donner 
raison sur tous les points, et M. Brühl verra, dans les pages suivantes, que le 
nouvel examen auquel je me suis livré m'a donné plus d'un résultat qui ne 
s'accorde pas avec sa manière de voir et de comprendre l'ostéologie des 
Balistes. 


8 H. HOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 

portent des côtes, il est vrai, mais qui gagnent graduellement la 
partie inférieure du corps des vertèbres, se dirigent de plus en 
plus en bas et en arrière, et finissent par former des arcs héma- 
faux, ce qui nous-révèle leur vrai caractère (4). 

La dernière vertèbre caudale se fait remarquer par la parfaite 
symétrie des deux apophyses lamelliformes, supérieure et infé- 
rieure, qu'elle dirige en arrière pour fournir un support aux 
rayons de la nageoire terminale ; de là une homocercie aussi par- 
faite que possible. 


Crâne. 


Dans la généralité des Poissons osseux, la forme du crâne se 
rapproche plus où moins de celle d’une pyramide, dont la base 
est représentée par le développement des pièces occipitales dans 
la direction d’un plan postérieur et vertical, A partir de celte face, 
la pyramide se partage en trois régions plus où moins inégales, 
qui sont, d’arrière en avant, une région postorbitaire, une région 
orbitaire, puis une région préorbilaire. En général, c’est la pre- 
mière, la postérieure, qui l'emporte en étendue dans tous les sens, 
tandis que l’antérieure est ordinairement la plus courte, ce qui 
ramène l’œil très en avant; dans ce cas, la voûte de l’orbite, plus 
longue que celte région antérieure, n'offre qu'une faible cour- 
bure (2). Chez les Balistes, nous rencontrons d’autres proportions 
et d’autres dispositions morphologiques. D'abord la face occipi- 
tale du crâne forme un plan très haut, assez large, et qui s’in- 
cline fortement en avant. La région poslorbitaire est la plus courte 


(4) Voyez, sur ce point de l'anatomie de signification, mon mémoire sur les 
Gymnodontes, dans les Annales, t. VIII de la 4° série, p. 28 el suiv. 
(2) Sur un crâne de Perche d’une longueur totale de 0,070, je trouve: 


Pour la région postorbitaire. . , . . . 0,028 
Pour la région orbitaire. . . . . . . . 0,023 
Pour la région préorbitaire . . . . . . 0,019 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 9 
des trois, et la préorbitaire de beaucoup la plus longue (4); enfin 
la voûte de l'orbite, paraissant obéir à la fois à une pression qui 
résulterait de l’inclinaison en avant du plan oecipilal, et à un re- 
foulement en sens contraire par suite du développement de la ré- 
sion fronto-nasale, se replie sur elle-même, et décrit les trois 
quarts d’une courbe circulaire ; de là une position de l'œil à la fois 
très haute et très reculée, et une forme du crâne qui, du somme 
de l'orbite, donne deux plans très inégaux, inclinés en contre- 
pente (2). Quant à sa composition, le crâne des Balistes nous offre 
toutes les pièces qui se trouvent dans la généralité des Téléos- 
téens , sans en excepler ni les pariétaux que M. Brühl regarde 
comme perdus dans le développement du frontal principal, ni le 
mastoïdien, ou n° 11 de Cuvier, que cet observateur admet tout 
au plus à l’état de vestige. Passons rapidement en revue tous ces 
os, éléments d’une série de quatre systèmes qui se succèdent 
d’arrière en avant dans l’ordre que nous allons suivre. 

Le système occipital, le seul auquel personne ne conteste le 
caractère d’une vertèbre, se compose, comme chacun le sait, 
d’une pièce basilaire, qui conserve encore chez les Poissons les 
formes d’un corps de vertèbre, puis de deux paires de pièces 
latérales et d'un os impair placé au sommet du système. La pre- 
mière paire latérale, celle qui part du basilaire , forme au-dessus 
de lui un double arc dont les branches viennent toujours se réunir 
sur la ligne médiane, et complètent à elles seules l'anneau que 
traverse la moelle en entrant dansle crâne. Ce sont les analogues 
des éléments condyliens de l’occipital des Mammifères : G. Cuvier 
leur donne, chez les Reptiles et les Poissons, le nom assez géné- 


(1) Sur un crâne de Bal. vetula, qui mesure dans sa longueur totale 0,115, 


La région postorbitaire atteint. . . . . . 0,024 
Lawrégiontorbitaireneu, LM te 03 0,028 
La région préorbitaire . . . . . . . . . . 0,063 

0,445 


(2) Voyez notre première planche, figure 4. Je renvoie une fois pour toutes 
à cette planche et à la légende placée à la fin du texte pour tout ce qui con- 
cerne le crâne des Balistes. 


10 4. UOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 
ralement accepté d’occipitauæ latérauæ. Participant chez les Ba- 
listes de l’inclinaison générale du plan occipital du cräne, ces os 
laissent entre eux avant leur réunion une longue ouverture très 
oblique, bordée, comme nous l'avons vu, par les neurapophyses 
divergentes de la première vertèbre du tronc. 

Les deuxièmes pièces occipitales paires sont celles que G, Cu- 
vier nomme les occipilaux externes, d’après la position qu'elles 
offrent chez les Tortues, où elles se trouvent rejetées en dehors 
des précédentes. 

Chez les Poissons, ces os se placent au-dessus des précédents, 
et se rapprochent plus ou moins de la ligne médiane, dont ils sont 
cependant écartés dans les types les plus nombreux par l’interpo- 
silion entre eux de l’occipital supérieur. Chez les Balistes, les occi- 
pitaux externes prennent un développement extraordinaire, en 
vertu duquel, repoussant l’occipital supérieur jusqu’au sommet de 
la tête, ils ne sont séparés l’un de l’autre qu’à leur extrémité supé- 
rieure , tandis qu'ils se touchent plus bas sur une longue ligne de 
suture qui continue celle des occipitaux latéraux, M. Brühl a fait 
ressortir avec beaucoup de raison les dimensions exceptionnelles 
et tout à fait caractéristiques des occipitaux externes des Balistes. 
Leur jonction sur la ligne médiane leur donne avec une parfaite 
évidence, dans la constitution de la paroi postérieure du crâne, la 
signification de la parlie inférieure de l’écaille occipitale, dont 
l'occipital supérieur représente la portion terminale (1). Cuvier 
regardait ces occipitaux externes des Balistes comme des parié- 
taux qui venaient par extraordinaire se réunir en arrière de l’os 
impair, qu'il nomme {antôt interpariétal, et tantôt occipital supé- 
rieur. Ce serait là une anomalie, et d’ailleurs tous les autres rap- 
ports des pièces en question s'opposent à cette détermination. 

Nous venons de dire que ces grands occipitaux externes s’écar- 
tent l’un de l'autre seulement à leur partie supérieure et anté- 
rieure. Là ils dépassent le sommet de la tête pour se mettre en 


(4) On sait que des deux portions de l'écaille occipitale, l'inférieure appar- 
tient, comme l'occipital articulaire ou latéral, au crâne primordial, tandis que la 
supérieure est une des pièces secondaires ou de recouvrement, comme les parié- 
taux et les frontaux. 


DES POISSONS PLECTOGNATHES, 11 


rapport avec l'occipital supérieur, en jetant au-devant de lui deux 
apophyses montantes dont ce dernier os vient remplir l'intervalle. 
Il est impossible de ne pas reconnaître, dans la relation de ces 
occipitaux externes avec l'os impair qu'ils reçoivent dans leur 
écartement, deux éléments d'un même tout; en effet, l’occipilal 
supérieur débute ici par sa partie la plus large pour s’atténuer 
ensuile, à mesure qu'il s'avance, d'abord entre les pariétaux, puis 
entre les frontaux qu'il sépare dans une grande étendue. La 
crête médiane, qui surmonte ce même os dans toute sa longueur, 
débute en arrière par deux branches qui vont non-seulement s’ar- 
ticuler avec les apophyses montantes des occipitaux externes, mais 
qui sont le commencement de deux crêtes occipitales continuées 
par ces derniers. Du point de cette bifurcation, la erête médiane 
s'abaisse graduellement en avant jusqu'à l'extrémité frontale de 
Vos en question. Bien que ces dispositions aient pour but de four- 
nir une surface d'appui et d’articulation au support de la nageoire 
épineuse des Balistes, j'ai eru devoir la rappeler ici, non pour 
compléter une description, dont je ne veux ni ne dois épuiser les 
détails, mais parce que ces dispositions jettent quelque jour sur la 
signification moins évidente ailleurs des occipitaux externes et de 
l’occipital supérieur. 

Chez les Balistes, les systèmes sphénoïdaux sortent peut-être 
encore plus que l’occipital de leurs conditions les plus ordi- 
naires. 

La pièce médiane, qui, chez les Poissons, fait suite à l'occipital 
basilaire, et qui a reçu de Cuvier le nom de sphénoïde principal, est, 
dans la généralité des cas, une tige étroite, allongée, indivise, un 
peu creusée en dessus, et qui, après avoir passé au-dessous de 
l'orbite, aboutit, dès qu'elle l’a dépassée, au frontal antérieur 
et au vomer, Chez les Balistes, cette pièce se présente dans 
des conditions plus complexes. D'abord elle est divisée, c’est-à- 
dire qu'une suture dentelée la partage bien près de l’occipital ba- 
silaire en deux portions très inégales. Puis, au lieu de s’arrêter au- 
dessous de la limite antérieure de l'orbite, elle prend sa part du 
développement extraordinaire de la région préorbitaire, ets’étend 
en longueur et en hauteur sous la forme d’une cloison verticale, 


12 NH. HOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


pour se mettre successivement en rapport avec le frontal anté- 
rieur, l’ethmoïde et le vomer. 

Ce développement et la modification morphologique qui s’y 
rattache constituent un trait caractéristique du crâne des Balistes, 
et doivent être remarqués à ce titre. Mais ce qui n'est pas d’un 
moindre intérêt, à un autre point de vue, c'est la suture que je si- 
gnalais lout à l'heure. Pour les personnes qui, faute d’une suture, 
considèrent avec Cuvier son sphénoïde principal comme le repré- 
sentant du sphénoïde postérieur, le fait que je signale ici est dé- 
cisif; la suture demandée existe, et dès lors les deux sphénoïdes 
se retrouvent, non superposés, comme le voulait notre illustre 
anatomisle, mais en série et dans leurs relations normales (1). 

Au corps très court du sphénoïde postérieur se rattachent les 
ailes temporales; elles ont très peu de développement antéro- 
postérieur, surtout à leur naissance, et ne fournissent à la boîte 
cérébrale qu’une bandelette osseuse très étroite, qui s'élargit ce- 
pendant à mesure qu'elle s'élève, et présente près de sa limite 
postérieure le trou qui donne passage au nerf maxillaire inférieur. 
En revanche, ces ailes fournissent de leur face externe une crête 
qui leur donne une forte saillie latérale bornée par le mastoïdien. 

Puisque nous venons de nommer ce dernier os, et quoiqu'il 
n'apparlienne à aucune des ceintures cräniennes, nous ferons bien 
d'en indiquer les caractères pendant que nous nous occupons des 
pièces qui l'entourent. Il s'éloigne beaucoup moins chez les Balistes 
de ses conditions ordinaires de développement que ne. le pense 
M. Brübl. Seulement l'espèce de flexion qu’a subie chez eux la 


(1) Faute d'une suture, G. Cuvier n'osait affirmer l'existence d'un sphénoïde 
antérieur chez les Crocodiles (Ossem. foss.,t. IX,p.159, 4° édit., in-8°), quoiqu'il 
en reconnût tous les caractères à une lame osseuse procédant du corps du sphé- 
noïde, C'est aussi faute d'une suture qu'il prend le sphénoïde basilaire des Pois- 
sons pour un seul os, et c'est à cause d’une suture qu'il donne la signification de 
sphénoïde antérieur à une petite tige posée sur cetos et dirigée de là vers l'orbite. 
Je crois qu'on pouvait, sans suture, en considération des deux ailes qui en 
naissent, voir dans le sphénoïde principal de Cuvier ce que nous voyons dans 
le corps sphénoïdal unique ou indivis de l'homme et de la plupart des vertébrés, 
ja réunion par soudure de deux pièces basilaires du crâne: en tout cas, la suture 
que je signale chez les Balistes lève à cet égard toute difficulté, 


DES POISSONS PLECTOGNATIIES, 15 
partie postérieure de l'orbite, y compris le frontal principal, 
jointe à la grande extension latérale et antéro-postérieure des occi- 
pitaux externes, a rejeté fort bas le mastoïdien, et modifié sa di- 
reclion. 

Bien Join de se réduire, par suite de ce changement, comme le 
eroit M, Brübl, à la petite surface articulaire à laquelle s'attache 
l'épaule, et de se trouver comme annulé entre l’occipital externe 
et l'aile temporale du sphénoïde, le mastoïdien des Balistes ré- 
elame, comme le voulait Cuvier, la longue apophyse verticale qui 
est en avant de cetle articulation, et que M. Brübl attribue à l'aile 
temporale. Ce masloïdien est ici, comme toujours, l'os auguleux 
que nous connaissons; seulement sa grande apophyse est devenue 
verlicale, par suile des modifications de la région supérieure du 
crâne. JL n'y a pas moyen, sans interverlir les relations normales 
des pièces qui composent cette parlie de la tête, d’assigner à ces 
pièces d’autres limites que celles qui se trouvent indiquées sur le 
dessin que je donne. Je retrouve également le rocher, ou n° 13 
de Cuvier, à sa place et dans ses relations ordinaires, c’est-à-dire, 
au-dessous du mastoïdien et de l’occipital externe, entre l’occipilal 
latéral et l’aile temporale du sphénoïde. Les sutures qui dessinent 
les limites de cette pièce du côté de l’occipital latéral sont toutefois 
moins distinctes que les autres. 

Du sphénoïde antérieur, immédiatement au-devant des ailes 
temporales, naissent les ailes orbitaires. Elles débutent chez les 
Balistes par une base triangulaire, anfractueuse et creusée de 
fosseltes en arrière, prolongée en pointe en avant, et qui n'est 
autre que Île soi-disant sphénoïde antérieur de Cuvier, son n° 15, 
que Hallmann à nommé plus heureusement sphénvïde supérieur, 
l'entosphénal d'E. Geoffroy , l'entosphénoïde de M. Owen, enlin 
l'ethmoïde crânien de M. Agassiz. Pour nous, comme pour Meckel, 
R. Wagner, Kôstlin et Brübl, la pièce désignée sous ce nom chez 
les Poissons n’est partout qu'une première portion de l'aile orbi- 
taire ; aux raisous qu'on à pu en donner ct déduire de la position 
sphénoïdienne de ce fragment osseux, s'ajoute pour nous la déter- 
wWination positive (par une suture) du véritable sphénoïde anté- 
rieur, point de départ de l'aile dont il s'agit. Chez les Balises, la 


lu H. HOLLARD. — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 

base de cette aile est séparée de sa congénère par une fosse qui 
atteint le fond de l'orbite, et constitue au-dessous d’elle un sinus 
profond, prolongé jusque dans le corps sphénoïdal. La paroi 
postérieure de l'orbite ou antérieure du crâne résulte d’ailleurs, 
dans toute la région moyenne, d’un large déploiement des 
ailes orbitaires et de leur jonction sur la ligne médiane, où les 
trous pour le passage des nerfs optiques, et des troisième et 
quatrième paires destinées aux muscles, forment deux ouver- 
tures superposées, impaires, percées dans les ailes elles-mêmes, 
et non, comme chez la plupart des Poissons, dans un espace 
membraneux. 

Le prolongement si remarquable du sphénoïde antérieur des 
Balistes, soit dans le sens antéro-postérieur, soit dans la direction 
verticale, les deux piliers inclinés qu’il envoie à la rencontre des 
frontaux antérieurs, et la lame à fibres rayonnantes qui va en se 
dédoublant recevoir celle qui descend de l’ethmoïde, et plus loin 
le vomer ; ces dispositions, dis-je, et ces développements sont la 
conséquence des proportions que prend chez les Balistes le sys- 
tème ethmo-vomérien. 

L'ethmoïde, en effet, qui termine la série des pièces médianes 
inférieures du crâne, est extraordinairement long, un peu plus 
dans sa lame verticale que dans sa partie horizontale. Il se fait re- 
marquer, en outre, par la large surface terminale et les apophyses 
articulaires qu’il offre en avant, la première à l’intermaxillaire, 
les secondes aux palatins. Au-dessous de cette même extrémité 
(qui rappelle d’une manière très frappante un corps de vertèbre, 
avee scs apophyses articulaires, et qui est le point de départ des 
fibres qui vont à la rencontre du sphénoïde antérieur) se trouve 
suspendu le vomer comme une sorte d'hémapophyse qui débute 
par une partie large, bifurquée, articulaire, et se porte en bas et en 
arrière sous la forme d’une tige qui est reçue dans un dédouble- 
ment inférieur de la grande aile sphénoïdale. Je reviendrai bientôt 
sur la structure de l’ethmoïde des Balistes ; elle nous permettra de 
constater la présence de l'élément nasal ou de recouvrefnent de ce 
dernier système crânien. Je passe, en effet, des pièces de la base 
et de leurs expansions directes aux pièces supérieures ou recou- 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 15 
vrantes, lesquelles, comme on le sait, ne procèdent pas du crâne 
primordial ou cartilagineux. 

Nous avons déjà parlé de la plus postérieure de ces pièces, de 
l'occipital supérieur, si directement rattaché au système occipital 
des Balises, que nous n'avons pas cru devoir l’en isoler dans cette 
revue des éléments crâniens de ces Poissons. 

Les pariétaux, tour à tour annulés ou exagérés dans les déter- 
minations qu'on en a essayées chez les Balistes, sont deux très pe- 
tits os placés sur les côtés du suroccipital, et à la limite supérieure 
des occipitaux externes. Le développement des os voisins les a 
refoulés et amoindris, mais non effacés, comme le veut M. Brühl. 
qui les dit absorbés dans les frontaux, tandis que Cuvier prenait 
pour eux les grandes pièces que, d’accord avec l’anatomiste de 
Vienne, nous nommons occipitaux eælernes. 

* Les frontauæ principauæ sont écartés lun de l’autre par ces 
mêmes occipitaux externes, puis longtemps encore par l’occipital 
supérieur, qui est en même temps interpariétal et interfrontal. 
Ces mêmes frontaux se rejoignent ensuile pour prendre part, et 
une part considérable, à la longue région préorbitaire du crâne des 
Balistes. C'est assez dire quelle est l'étendue de ces os, remar- 
quables, en outre, par le relèvement et la courbure de leur bord 
externe qui décrit la plus grande partie du cercle orbitaire. Celui- 
ci est continué en arrière par un frontal postérieur de peu d’éten- 
due, mais tout en saillie dans la même direction, et véritable 
apophyse postorbitaire; en avant, le frontal antérieur donne à ce 
même cercle, comme à la voûte elle-même dont il est la limite, un 
complément, augmenté d’une forte apophyse; un cordon fibreux, 
mais non une chaîne d’osselets, comme l’a figuré M. Agassiz (4), 
vient achever inférieurement le contour de l'orbite. Du reste, le 
frontal antérieur , creusé au-devant de celle-ci d’une véritable 
fosse nasale, s’allonge encore au delà, comme entrainé par le dé- 
veloppement extraordinaire du système ethmo-nasal, et dépasse 
inême le frontal principal après l'avoir côtoyé. 

A la limite antérieure des frontaux, nous retrouvons donc cet 


+ 
(1) Poissons fossiles, planches du 1° volume. 


16 H. HOLLARD. — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 
ethmoïde extraordinairement allongé, dont nous avons déjà si- 
gnalé non-seulement les dimensions, mais les formes les plus 
caractéristiques. Cette fois, c’est la partie supérieure ou de recou- 
vrement qui doit nous arrêter un moment. Le prolongement d'un 
sillon qui commence avec la fossette olfactive sur le frontal anté- 
rieur partage toute la face supérieure de la région préorbitaire du 
crâne en trois zones étagées, une médiane plus large et plus re- 
levée, deux latérales plus étroites, sur un plan à la fois plus bas 
et incliné ; ces dernières aboutissent aux apophyses articulaires 
destinées aux palatins, tandis que la zone moyenne se termine par 
la large surface creuse qui reçoit le prémaxillaire. Tout ce déve 
loppement en longueur et en largeur appartient-il à l’ethmoïde 
seul, et résulte-t-il de l’étalement de sa lame horizontale ? Mes des- 
sins répondent à celte question en offrant une coupe verticale des 
pièces dont il s’agit (4). On voit iei l'ethmoïde médian, vertical, se 
dédoubler à sa partie supérieure, et jeter ses deux lames séparées 
en une double voûte latérale à droite et à gauche ; puis au-dessus 
du vide laissé par cet écart, se place une lame de recouvrement 
qui représente toute la zone moyenne de la face supérieure de la 
région ethmo-nasale. Qu'est-ce que cette lame? Un nasal médian 
et unique. = 


Système facial. 


Les Balistes possèdent toutes les pièces qui composent ce sys- 
tème au complet. Leur temporal, articulé comme à l'ordinaire 
avec le frontal postérieur et le mastuïdien, est allongé, mais n’arrive 
cependant pas jusqu'au tympanique, et un petit espace membra- 
neux sépare ces deux os. En échange, ce même lympanique, réuni 
au jugal de Cuvier, au symplectique, puis supérieurement au pté- 
rygoïdien interne, suivi en avant d’un ptérygoïdien externe ou 
transverse (Cuvier), forme avec ces piècesune paroi continue, sans 
flexibilité; mais celle-ci ne s'attache solidement qu'au préoper- 
eule , tandis que supérieurement elle ne s'appuie que sur les 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 17 
feuillets membraneux qui complètent la voûte du palais, et tandis 
que le palatin, loin de l’assujeltir au crâne, tient à celte paroï, c'est- 
à-dire à l’arcade ptérygo-palatine, par un faible pédicule attaché 
par un ligament, s’articulant d'autre part avec le maxillaire supé- 
rieur et l’ethmoïde par une double apophyse mobile sur ces der- 
niers os. Les Balistes ne se distinguent done pas de ce côté par 
l'assujettissement du système plérygo-palatin au crâne, mais par 
une sorte d'indépendance, et par la réduction au minimum de l'os 
propre du palais. 

Les Balistes sont plectognathes au premier chef, tant les deux 
pièces de la mâchoire supérieure sont étroitement unies chez eux ; 
le maxillaire forme, comme ordinairement, une pièce labiale, mais 
qui, bordant en arrière le prémaxillaire, et faisant corps avec lui, 
le rend solidaire du moindre déplacement que lui impriment les 
muscles qui s’attachent en arrière à ses saillies apophysaires. Toute 
celte mâchoire est d’une brièveté remarquable, qui n’est surpas- 
sée que par celle de la mächoire inférieure, laquelle est aussi toute 
d’une pièce. 


Système operculaire. 


Il se compose d’un préopercule long, étroit, suspendu au tem- 
poral par une longue ligne de suture, et plutôt arqué que coudé; 
d’un petit opercule ovalaire, suspendu au même os par son extré- 
mité supérieure; d’an sous-opercule qui contourne l'angle infé- 
rieur de l'opercule ; enfin d’un interopereule transformé en majeure 
partie en une tige grêle plus ou moins incomplétement ossifiée, et 
qui passe en dedans du préopercule pour aller rejoindre la mâchoire 
inférieure (1). 


Système byo-hranchial. 


Ce qui mérite le plus d’être remarqué dans l’ensemble des 
pièces hyo-laryngiennes des Balistes, ce ne sont ni celles qui for- 


(4) Je rappellerai ici, comme je l'ai fait à propos des Gymnodontes, que c'est 
à M. Dareste que revient l'honneur d'avoir reconnu dans cette baguette un 
interopercule. 
4° série. Zooz. T. XII. (Cahier n° 4.) ? 2 


18 H. HOLLARD. — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 
ment la série médiane, et dans le nombre desquelles se trouve ici 
ce qu'on a nommé la queue de l'hyoïide, ni même les ares bran- 
chiaux, dont quatre paires partent des branchies, et la cinquième 
représente des pharyngiens inférieurs, comme à l'ordinaire ; c’est 
plutôt l'appareil branchiostége. 

Et d’abord la branche de l’hyoïde qui porte les rayons de ce 
nom est extrêmement courte, et participe d'autant plus à la réduc- 
tion des pièces operculaires, qu'ici la fente branchiale s’arrèle 
avant d'atteindre ce petit appareil, qui, dans les Poissons ordi- 
naires, complète le battant. Au lieu des cinq pièces qui forment 
chez ces derniers le support des rayons, nous n’en avons chez les 
Balistes que trois, les trois principales de la série : le styloïde 
(Cuvier) ou suspenseur, et les deux os qui portent les rayons. A 
l'ordinaire, c’est au plus avancé de ces deux os que s'attache la 
majorité des rayons, et assez souvent les plus larges; chez les 
Balistes, au contraire, nous comptons qualre rayons grêles sur la 
pièce postérieure, et deux, dont un au moins plus large sur l’anté- 
rieure. Le styloïde s'attache au préopercule et au tympanique, non 
au temporal ; la pièce qui lui succède rencontre, comme à l’ordi- 
naire, l'interopercule, mais un interopercule immobile, c'’est-à- 
dire fixé à la face interne du préopercule, en sorte queles mouve- 
ments de là première branche hyoïdienne et des rayons qu’elle 
porte se rattachent plutôt à ceux des mâchoires et de l’arcade 
ptérygo-tympanique qu'à ceux du battant operculaire, ee qui est 
la conséquence naturelle de l’état de réduction de la fente bran- 
chiale des Balistes. 


Appendices. 


Le membre pectoral des Balistes s'articule uniquement avec le 
mastoïdien, qui lui présente pour cela une petite tête oblongue et 
convexe derrière sa grande apophyse descendante. Au lieu des 
deux scapulaires, il n’en existe ici qu'un et médiocre. La pièce 
qui de là se dirige en avant, el que je considère avec G. Cuvier 
comme un humérus, est allongée comme le voulait Ja forme de fa 
tèle. Le cobital participe à cette élongation: tout en conservant une 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 19 
large surface. Enfin, de la partie supérieure de lhumérus part, 
pour se diriger en arrière dans les chairs, un os ensiforme ou 
coracoïdien (Cuvier et Ét. Geoffroy), composé d’une seule pièce. 

Rappellerai-je que le membre abdominal existe chez les Balistes, 
mais réduit à sa partie radicale, c’est-à-dire à une longue pièce 
lamelleuse arquée, impaire, terminée en pointe, et qui représente 
un bassin, dont les éléments pairs sont intimement soudés. 

Tel est le squelette des Balistes proprement dits. Il se modifie 
diversement chez les Monacanthes, d’une part, et chez les Tria- 
canthes de l’autre. Cette double modification, esquissée dans ses 
traits principaux, surtout en ce qui concerne la tête et plus spé- 
cialement le crâne, nous permettra de faire ressortir les caractères 
constants du type des Balistes. 


Modifications de la tête chez les Monacanthes (1). 


Le type Monacanthe semble être une réduction de celui des 
Balistes. En arrière de l'orbite, cet amoindrissement des traits 
les plus remarquables de ce type se complique d’une circonstance 
qui modifie en même temps la position relative des pièces, leur 
direction et la forme générale de cette région. Cette circonstance, 
c’est la nouvelle position que prend chez les Monacanthes le sup- 
port de la dorsale épineuse, qui, quoi qu'en ait dit M. Brübl, se 
retrouve ici comme pièce distinele du crâne, bien que soudée à 
celui-ci, 

Dans les Balistes, le support de la dorsale épineuse ne fait que 
s'appuyer au crâne, qui semble fuir en quelque sorte devant cette 
nageoire, et lui céder, en s’inclinant, la position avancée qu’elle 
prend. On remarque même, à l'endroit où la rencontre a lieu, une 
légère dépression, suivie bientôt d’une lacune dans le tissu osseux, 
destinée à recevoir un tubercule du support. Encore une fois, 
celui-ci trouve à la région postérieure du crâne un simple 
appui, fourni par la partie supérieure et médiane des occipitaux 
externes, et par la base de l’occipital supérieur. Ce fait peut être 


(1) Je ne sépare pas ici les Alutères des Monacanthes proprement dits. 


20 M. HOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 
considéré comme déterminant la direction spéciale de celte région 
du crâne, et surtout de sa zone moyenne, quise rapproche ainsi 
des zones latérales ; en tous cas, le développement en hauteur de 
la région occipitale ne perd rien à ce changement de direction. 

Mais, chez les Monacanthes, il n’en est plus ainsi. Le support de 
la dorsale épineuse prend une position plus avancée encore, et 
pour cela il pousse devant lui le plan médian des occipitaux 
externes, puis l’occipital supérieur, sur lequel même va se poser le 
grand rayon de cette nagcoire. Dans cette situation nouvelle, la 
pièce de support repose tout entière sur le plan qu'elle a en quel- 
que sorte ramené à l'horizontale, s'unit intimement à ce plan, et 
pèse en quelque sorte sur toute la région sous-jacente, qu’on dirait 
comme affaissée et ramassée sur elle-même. Au-devant de l'orbite, 
le crâne des Monacanthes offre tout simplement une réduction du 
développement signalé chez les Balistes. Le sphénoïde antérieur 
n’envoie point de processus au-devant du frontal antérieur, et 
laisse la lame verticale de l’ethmoïde venir à la rencontre de son 
corps simplement prolongé en forme de lame étroite, dédoublée à 
son bord supérieur. La portion ethmo-nasale est très étroite, et 
n'offre d'autre indice de ses ailes latérales que les deux petites 
apophyses, destinées aux palatins, qui se voient à droite et à gauche 
du renflement articulaire terminal; celui-ci offre à la mâchoire 
supérieure une fosselte tout à fait semblable à la dépression conique 
des extrémités des vertèbres des Poissons. 

A la face ce seraient encore des réductions que j'aurais à signa- 
ler ; qu'il me suffise de citer celle du palatin, qui n’est plus qu’une 
petite tige représentant la double tête articulaire du même os des 
Balistes, en sorte que le palatin des Monacanthes n’a plus même 
de relation avec l’arcade ptérygo-tympanique, et ne conserve de 
rapports qu'avec l’ethmoïde, d’une part, et le maxillaire, de l’autre. 
Ce dernier est lui-même plus petit et de forme plus simple dans les 
Monacanthes que chez les Balistes. 


Tête des Triacanthes. 


Les particularités qui distinguent le crane des Triacanthes de 
celui des Balistes sent d’une äutre nature que les précédentes. 


DES POISSONS PLECTOGNATHES, 21 
Celles de la région postorbitaire peuvent être aussi rattachées 
jusqu'à un certain point aux caractères et à la position de la na- 
geoire épineuse. Chez les Triacanthes, celte nageoire a pour sup- 
port une espèce d’équerre composée d’une branche horizontale 
qui porte les rayons et se dirige en arrière, et d’une branche ver- 
licale. C'est celle-ci qui s'appuie au crâne, et seulement par son 
extrémité inférieure. Sa direction noas indique celle de tout le plan 
occipital, qui, n'étant pas pressé d'arrière en avant, conserve sa 
verlicalité. L'occipital supérieur, loin de fuir devant la pression de 
la nagcoire épineuse ou de fournir une surface articulaire à son 
premier el grand rayon, demeure assez libre pour se porter, au 
contraire, en arrière, el former avec les très petits pariétaux placés 
sur ses bas côtés une saillie, non en forme de crête lamelleuse, 
mais en forme de toit, placée au-dessus et dans l’écartement supé- 
rieur des occipilaux externes (1). Mais plus bas, c’est-à-dire 
immédiatement sur l'arc neural, les occipitaux latéraux fournissent 
une petite surface horizontale, convertie en fossette par le prolon- 
sement sur ses côtés des crêtes qui descendent des occipitaux 
externes; c'est là que s'appuie la branche verticale du support de 
la nageoire. La position de cette branche dans les Triacanthes, en 
permellant à la face occipilale du crâne de se dresser, la sépare 
nettement des faces latérales, dont elle se trouvait rapprochée sous 
un angle très ouvert chez les Balistes, en vertu de son incli- 
naison. 

Les frontaux ayant plus de place pour se déployer en arrière, la 
courbe de leur ligne orbitaire est beaucoup moins prononcée chez 
les Triacanthes que chez les autres Balistides. Toutefois elle ramène 
encore l’apophyse du mastoïdien à Ja direction verticale, tout en 
repoussant cet os en arrière ; ee qui fait paraitre l'aile temporale 
plus avancée, mais non plus haute, que dans les genres précé- 
dents. 

Si la région postorbitaire des Triacanthes est morphologique- 
ment bien différente de celle des Balistes, la préorbitaire ne l’est 


(4) Ce suroccipital est très court et comme refoulé par le déploiement posté 


rieur des frontaux principaux, à la partie supérieure et postérieure d'un double 
plan incliné en forme de toit. 


22 I. HOLLARD,. — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 

pas moins. Elle contraste par sa brièveté avec la longueur qu'elle 
offre chez les autres Balistes; c’est-à-dire qu’elle est plus ou 
moins ramassée sur elle-même. 

Le sphénoïde antérieur n’est pas amoïndri comme chez les Tria- 
canthes ; il rejoint le frontal antérieur ; il se porte au-devant de la 
lame verticale de l’ethmoïde. Celui-ci, à son tour, réuni aux lames 
nasales, nous offre supérieurement une région moyenne qui do- 
mine deux expansions latérales placées sûr un plan inférieur, et 
séparées de la première par un sillon qui prolonge une fosse nasale 
très grande creusée dans le frontal antérieur. Enfin nous retrou- 
vons à l’extrémité de ce système ethmo-nasal la surface articulaire 
médiane destinée au prémaxillaire, et les apophyses latérales 
offertes au palatin, puis le vomer avec sa double surface articu- 
laire. Mais tout cela est contracté: au lieu d'une grande lame 
sphénoïdale, nous avons une sorte de saillie tuberculiforme ; au 
lieu d’un vomer à pédoneule cylindrique, une plaque triangulaire 
courte et large. 

A la face, je remarque : 4° la brièveté relative du temporal 
(Cuvier) et l’exagération de l’espace membraneux qui le séparait 
déjà chez les Balistes du tympanique ; 2° la concentration en avant 
du système ptérygo-palatin, y compris ce dernier os et un jugal pen 
développé; 3° un développement du palatin supérieur à celui des 
Balistes, et au moyen duquel cet os s’unit, d’une part, et par une 
double apophyse, à la mâchoire supérieure et à l'ethmoïde, de 
l'autre, par un large prolongement postérieur de son corps, au 
ptérygoïdien, par conséquent à l'arcade palatine; 4° le prolonge- 
ment du prémaxillaire en une apophyse supérieure, qui va cher- 
cher très haut la surface articulaire médiane de l’ethmoïde en 
glissant sur la face supérieure du vomer, modification qui rap- 
proche les Triacanthes de la généralité des Acanthoptérygiens, 
lesquels sont plus où moins labroïdes sous ce rapport; 5° enfin le 
maxillaire, moins complétement incorporé au prémaxillaire, s’en 
détachant même par sa partie moyenne, quoique lui demeurant 
uni à ses deux bouts. 

Le battant operculaire des Triacanthes est plus développé que 
celui des Balistes ; il descend davantage. 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 23 

Rappelierai-je enfin que ces Poissons ont un membre abdomi- 

nal composé d’un os pelvien eoudé, très différent, quant à sa 

forme, de celui des Balistes et des Monacanthes, et de deux forts 
rayons épineux articulés sur les côtés de cette pièce. 


Conclusion sur les caractères ostéologiques des Balistides. 


Nous avons maintenant sous les yeux le squelette des Balistides 
avec les particularités principales qu'il offre dans chacun des trois 
grands genres de cette famille. Ces particularités écartées, que 
reste-t-il comme lraits généraux appartenant à la famille entière. 

Il reste : 

: 1° Quant à la colonne vertébrale : le petit nombre des vertèbres; 

la symétrie parfaite des apophyses supérieure et inférieure qui 
forment la plaque eaudale, soutien de la nageoire de ce nom; 
l'absence de véritables apophyses transverses, comme dans la 
majorité des Téléostéens , et leur remplacement par des hémapo- 
physes auxquelles se suspendent des côtes; enfin la division de 
lapophyse épineuse de là première vertèbre , et l’écartement de 
ses branches qui vont se souder aux occipitaux latéraux et border 
le trou occipital. 

2° Quant au crâne : l'étendue de sa région occipitale, augmen- 
tée surtout par celle des occipitaux externes, par leur jonction sur 
la ligne médiane où ils s’interposent entre les occipitaux latéraux 
et l'occipital supérieur, sans préjudice d’une grande extension la= 
térale, qui rejette près de l'orbite le mastoïdien et l'articulation du 
membre thoracique; la brièveté du sphénoïde postérieur, dont la 
lite est indiquée par une suture à peu de distance du basi- 
occipital, d’où résulte le faible développement en tous sens des 
ailes temporales (déjà refoulées de haut en bas par l'abaissement 
du mastoïdien sous la pression des occipitaux externes) ; la prédo- 
minance marquée du sphénoïde antérieur, prolongé au delà de 
l'orbite et du frontal antérieur ; à la partie supérieure du crâne, la 
courbe de l'orbite plus ou moins prononcée, et donnant en arrière 
au mastoïdien la position abaissée que nous avons signalée, et en 
même lemps une direction verticale ; un grand développement du 


91 H, MOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 

frontal principal, qui rencontre les occipitaux externes derrière 
l'orbite ; un développement plus remarquable encore de l’ethmoïde 
qui, réuni au frontal antérieur et au sphénoïde, forme au-devant 
de l'orbite une région plus ou moins prolongée qui se compose 
d’une sorte de toit ethmo-nasal, couvrant une cloison médiane 
verticale formée par le concours du sphénoïde et de l’ethmoïde ; 
région qui se termine par plusieurs facettes articulaires, entre les- 
quelles se fait surtout remarquer une surface ethmo-nasale le plus 
souvent concave, et semblable aux extrémités articulaires en cône 
rentrant des vertèbres des Poissons. 

3° Quant au système facial : l'arcade palatine mal attachée au 
crâne, et ne tenant à lui que par un palatin réduit à son minimum 
de développement, en même temps qu'elle n’est ralliée au tempo- 
ral que par l'intermédiaire d’une membrane, ce qui établit une 
distance plus ou moins grande entre cet os et le tympanique; la 
brièveté des deux mâchoires, leur forte courbure, et les dents en 
petit nombre, mais plus ou moins tranchantes, qui s’y trouvent 
implantées sur deux rangs; la petitesse du maxillaire qui disparaît 
presque derrière le prémaxillaire et se réduit à une bande osseuse 
portant des apophyses pour l’attache des museles qui ferment la 
bouche. 

L° Quant au système operculaire, non-seulement le très faible 
développement de la pièce principale et des deux inférieures du 
battant, mais encore le prolongement de la partie de l’interoper- 
cule qui va joindre la mâchoire inférieure, sous la forme d’une tige 
grêle passant en dedans du préopereule et s’attachant à cet os 
(cette forme insolite est une conséquence de la brièveté de la 
mâchoire inférieure, dont les éléments postérieurs,c onsidérable- 
ment diminués, se retirent vers la pièce dentaire et se soudent 
avec elle). 

5° Quant au système hyo-branchial : d'abord la présence d’une 
queue de l’hyoïde au-dessous du lingual ; puis la réduction de la 
branche hyoïdienne qui porte les rayons branchiostéges à trois 
os au lieu de cinq, dont le styloïde (Cuvier) s'attache, non au tem- 
poral, mais au lympanique, en dépassant le préopercule, circon- 
stance qui peut signifier que le véritable représentant de lapo- 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 95 
physe styloïde n'est peut-être pas ce dernier os, comme le pense 
M. Vogt. Rappelons aussi la distribution insolite des rayons bran- 
chiostéges, c’est-à-dire leur majorité attachée à la pièce de la 
branche hyoïdienne, qui n’en porte ordinairement que le plus petit 
nombre, je veux dire à la pièce qui succède au styloïde. Enfin 
n'oublions pas qu'ici nous rencontrons quatre paires d’ares bran- 
chiaux, et une seule de pharyngiens inférieurs. ; 

6° Quant aux appendices : l'articulation de l'épaule au seul 
mastoïdien; la présence d'un scapulaire unique; l’existence du 
membre abdominal représenté au moins par un os pelvien qui est 
unique et médian. 

7° Enfin, quant aux nageoires médianes : deux dorsales, dont 
une première épineuse, composée d'un très petitnombre de rayons 
articulés sur un support qui s'appuie sur la face occipitale du 
crâne (le premier de ces rayons, le plus constant et de beaucoup 
le plus fort, constituant une arme que l'animal abaisse, redresse, 
et tient fixée dans son état de redressement au moyen d'un mode 
partieulier d’articulation) ; une deuxième, composée de rayons 
mous, en général nombreux, et occupant une grande partie de la 
région dorsale ; une caudale de douze rayons, et parfaitement 
symétrique ; enfin une anale proportionnée à la dorsale molle. 

An nombre des caractères que nous venons de faire ressortir 
dans l’ostéologie des Balistides, et qui dominent les différences 
que nous avions préalablement remarquées entre les trois genres 
dont se compose cette famille, il y en a probablement qui appar- 
tiennent à d’autres familles plectognathes. C’est ce que nous allons 
voir en revenant sur celles-ci, Nous dégagerons ainsi successive- 
ment les traits propres à chacune d’elles, et nous verrons, comme 
conclusion générale, si ce qu’elles ont définitivement en commun 
nous autorise à les grouper comme les représentants diversifiés 
d’un type général, 

Voyons d’abord la seconde famille des Sclérodermes, celle des 
Ostracionides. 


26 NH. HOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


IT. 


Squelette des Ostracionides. 


Rien ne met plus en évidence la réalité d’un type général que 
sa persistance, en dépit des plus grandes différences morpholo- 
“giques. Sous ce rapport, les Ostracionides sont singulièrement 
propres à faire ressortir la valeur des principaux caractères ostéolo- 
giques que nous avons déjà remarqués chez les Balistides Mor- 
phologiquement, rien ne ressemble moins à un Baliste qu'un 
Ostracion. N'’étaient la fente branchiale et les mâchoires, ils n’au- 
raient de commun que l’étrangeté de leur revêtement squamoïde 
comparé à celui des Poissons ordinaires, mais non son identité. 
Par leur ostéologie, au contraire, surtout par celle du crâne, ces 
deux groupes de Poissons se rattachent à un type commun; les 
ressemblances l’emportent de beaucoup sur les différences, bien 
que celles-ci soient nombreuses (1). 


Colonne vertébrale. 


Cette partie du squelette se fait remarquer chez les Coffres par 
un nombre de vertèbres plus petit encore que celui des Balistides, 
car il s'arrête à quinze. Ces os sont soudés entre eux dans toute la 
partie troncale, et la première vertèbre est intimement unie à 
l’occipital. L’are neural se réduit plus ou moins à sa partie annu- 
laire. On aperçoit des vestiges d’apophyses transverses, mais je 
n'ose affirmer qu'elles appartiennent à l'arc supérieur. Les côtes 
manquent complétement. En un mot, le squelette troncal se met 
en harmonie avec les conditions d’immobilité et de protection qui 
lai sont faites par la solidité et la presque inflexibilité de l’écail- 
lure, en même temps que par la réduction considérable des na- 
geoires dorsale et anale. 


(1) Les différences se coordonnent d'ailleurs à la grande diversité que nous 
offrent, dans la famille des Ostracionides, les formes tour à tour comprimées ou 
déprimées, trièdres ou tétraèdres du corps, surtout à partir du sommet de la 
tête. Bornons-nous donc à signaler les traits généraux. 


DES POISSONS PLECTOGNATHES, 27 


Tête des Ostracions (4). 


A la vue d’une têté d’Ostracion, on remarque avant tout les 
formes lamelleuses et le peu d'épaisseur de la plupart des pièces 
qui la composent. On dirait qu'ayant, selon l'expression de Gæthe, 
une certaine somme de matériaux à dépenser pour celte construc- 
tion, la force organisatrice, dispensée de donner de la solidité à 
des pièces que revêt et protége une écaillure solide, éburnée, a 
étendu la surface des os de la tête, pour amener au contact les uns 
des autres ceux qui ailleurs sont séparés par des espaces mem- 
braneux. 

L'amincissement des os est surtout prononcé, au crâne, sur toute 
la région frontale, etleur étendue superficielle prend des proportions 
tout à fait caractéristiques dans lé développement vertical du sphé- 
noïde antérieur, dans celui du vomer, aussi bien que dans celui du 
temporal ; mais procédons par ordre à la revue des pièces cépha- 
liques. 


Crâne. 


La face occipitale manque de hauteur verticale, et s'éloigne 
beaucoup dans cette direction du caractère qu’elle nous a présenté 
chez les Balistes et les Triacanthes, se rapprochant un peu de celui 
qu'elle revêt chez les Monacanthes. En effet, ce qui lui manque 
réellement, ce n’est pas l'étendue dans la direction de la ligne mé- 
diane, mais l'unité de direction. Cette face est d’abord presque 
horizontale, puis elle monte, puis elle se reploie, et redevient ho- 
rizontale, comme si elle fléchissait sous la pression des plaques 
écailleuses qui s'appuient sur ‘elle. Elle a donc tout autant d’éten- 
due que chez les Balistides; seulement elle la distribue autrement 
que chez ceux-ci par les flexions qu’elle subit. 

Nous retrouvonsici, au-dessus des occipitaux latéraux, des occi- 
pitaux externes réunis par une suture sur la ligne médiane, comme 


(1) Voyez, pour les détails que nous allons donner, notre deuxième planche, 
figure 6, 


25 H. DOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 

chez les Balistides; seulement ces dernières pièces sont plus 
étroites que celles des Balistes; c’est sur elles que porte la flexion 
supérieure de la face occipitale. Sur leurs côtés se voient de grands 
mastoïdiens, remarquables par la large lame apophysaire qu'ils 
dirigent, en bas à la rencontre de l'épaule, en arrière au-devant 
des muscles du tronc. 

En revenant vers la ligne médiane, au-devant des occipitaux 
externes, nous trouvons un très petit occipital supérieur terminé 
en arrière par une pointe horizontale, et qui contraste par sa dé- 
pression, autant que par ses faibles dimensions en tous sens, avec 
l'occipital supérieur des Balistes. 

Au système occipital succède chez les Ostracions, du côté de la 
base du crâne, un sphénoïde supérieur court et aplati, duquel 
partent des ailes temporales assez larges, mais qui, rencontrant 
au-dessus d'elles le masloïdien, comme il arrive à celles des Ba- 
listes, n'ont pas plus de hauteur que celles-ci. Vient ensuite un 
sphénoïde antérieur, qui non-seulement jette aussi au-devant de 
l'orbite une grande expansion lamelliforme, mais commence par 
en donner une inférieure dirigée en arrière, et qui se place en 
dessous du corps déjà caréné du sphénoïde postérieur et de l’occi- 
pital. Nous retrouvons, du reste, chez les Ostracionides, sauf 
quelques modifications de formes et des proportions plus larges, 
les mêmes dispositions des ailes orbitaires, la même rencontre 
avee le frontal antérieur et avec l’ethmoïde que chez les Balistes. 
Le développement des pièces qui concourent en avant, en arrière 
et en bas, à circonscrire l'orbite esttel, qu’il fournit à cette cavité 
un plancher complet et une cloison médiane. 

Enfin le système ethmo-nasal des Ostracions est conforme à 
celui des Balistes ; il se termine exactement comme celui-ci par 
une large surface articulaire destinée au prémaxillaire, et à la- 
quelle s'ajoute plus bas l'extrémité élargie du vomer; celui-ci dé- 
bute au-devant de la grande lame sphénoïdale par une portion la- 
melleuse qu'on prendrait facilement pour la partie la plus avancée 
du sphénoïde antérieur. On ne retrouve pas néanmoins chez les 


Ostracions les apophyses latérales de l’ethmoïde destinées aux 
palatins. 


DES POISSONS PLECTOGNATIES. 29 

Au sommet de la tête, on voit des frontaux principaux étalés et 
trés minces ; ces os se rétrécissent, et deviennent encore plus 
membraniformes en avant, puis ils font place à deux bandelettes 
qui représentent au-dessus de l’ethmoïde les os du nez. Ces deux 
paires de pièces laissent sur la ligne médiane une petite fontanclle. 


Système facial. 
\ 

Ce qui nous frappe ici avant tout, c'est le développement 
extraordinaire du temporal. Nous retrouvons cel os assez nelle- 
ment divisé en deux régions : l’une supérieure et articulaire, 
l’antre inférieure et faciale. La première était courte et étroite chez 
les Balistes ; elle est large, et descend très bas chez les Ostracions. 
Il résulte de cette modification que le préopercule est suspendu 
beaucoup plus bas chez ces derniers que chez les premiers, et que 
le temporal lui-même, dans sa région faciale, qui participe de 
l'élargissement général, va rejoindre l’arcade plérygo-tympanique. 
Celle-ci à son tour est rencontrée ou peu s’en faut par l'expansion 
lamelleuse et verticale du sphénoïde antérieur, laquelle, outre 
son développement, se dédouble en lames latérales divergentes, 
qui vont au-devant des susdites arcades. Si le temporal rattache 
largement le système facial au crâne derrière l'orbite, il n'en est 
pas de même du palalin en avant. Cet os est très petit comme chez 
les Balistides, mais solidement attaché au sommet du (ransverse 
et au ptérygoïdien. 

M. Brübl refuse le symplectique aux Ostracions ; mais ce petit 
os se distingue très bien sur les {êtes qui ont un certain volume ; 
il est attaché dans toute sa longueur, comme chez les Balises, au 
tympanique et au jugal, sans établir de communication entre ces 
os et le temporal, La remarque qui vient d’être faite au sujet du 
symplectique s'applique aux autres pièces faciales comme aux 
pièces crâniennes que M. Brübl refuse aux Ostracions ct à d’autres 
Plectognathes, notamment aux Alutères (1). 


(1) M. Brühl dit que chez les Ostracions les rapports de contact qui exis- 
tent entre le temporal et l'arcade palatine sont établis par le ptérygoïdien, et 


30 H. HOLLARD. —— MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


Les mâchoires des Ostracions nous rappellent celles des Ba- 
listes, et appartiennent au même type. Le prémaxillaire est court, 
arrondi en dessus, fortement fléchi sur lui-même, armé de dents 
marginales solidement implantées; enfin il est bordé en arrière 
par un petit maxillaire qui lui est bien assujetti, et qui le dépasse un 
peu inférieurement pour offrir un point d'attache au tendon supé- 
rieur du muscle qui abaisse cette mâchoire en même temps qu'il 
relève l’autre. 


Pièces operculaires. 


Le système operculaire des Ostracions est aussi du même mo- 
dèle que celui des Balistes ; seulement il est un peu modifié par 
suite du grand développement du temporal, et plus spécialement 
de la portion supérieure de cet os. La branche du préopereule 
supérieure au coude de celui-ci est à une grande distance du crâne 
et très courte; l’opereule se trouve par la même raison descendu 
et même un peu raccourci. 


Système hyo-branchial. 


Ici encore nous retrouvons des séries soit médianes, soit laté- 
rales de pièces minces et lamelliformes. Ce caractère est très pro- 
noncé dans celles qui portent les rayons branchiostéges, et ces 
rayons eux-mêmes, distribués d’ailleurs comme ceux des Balistes, 
sont plus courts et plus larges que chez ces derniers Poissons. 


Appendices latéraux. 


Le membre thoracique, le seul qui existe dans la famille qui 
nous occupe, reproduit une dernière fois le même caractère mor- 
phologique, surtout à partir de l'huméral. Cet os, le cubital et le 


non par le tympanique, qui manque. Rien n’est moins exact. Le tympanique 
des Ostracions est très grand, et le ptérygoïdien est une très petite pièce inter- 
calée entre lui et la transverse. 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. ol 
radial, sont très larges, et représentent inférieurement une sorte 
de bouclier sous-guttural, surmonté par des nageoires qui se diri- 
gent verticalement, au lieu de se porter en arrière. Le coracoïdien 
lui-même n’est plus la lame d'épée que nous voyons chez les Ba- 
listes, c’est une sorte de plaque courte et large qui se dirige droit 
en arrière. Ajoutons cependant, et ceci établit une autre différence 
très marquée entre la ceinture du membre ape des Ostra- 
cions et celle des Balistides, que la première s'articule non-seule- 
ment avec le mastoïdien par un scapulaire semblable à celui des 
Balistes, mais encore avec la portion de lame que le sphénoïde 
antérieur envoie sous l’occipital basilaire, et cela au moyen d’une 
tige qui me paraît représenter la première pièce qu'offre le cora- 
coïdien quand il est composé, ce qui serait le cas chez les Ostra- 
cions (1). 

En nous résumant, les Ostracions ressemblent aux Balistes par 
leurs occipitaux externes qui se rencontrent sur Ja ligne médiane 
au-dessus des latéraux, par leur système sphénoïdal lamelleux, 
par les formes de l’ethmoïde, par les dispositions des frontaux pour 
dessiner l'orbite, par les proportions et les formes des deux mà- 
choires, sans compter des traits analogiques plus effacés, mais non 
moins réels. En regard de cet ensemble de caractères ÉrRUe aux 
deux familles de Sclérodermes, je ne trouve guère que des diffé- 
rences de formes et de proportions qui se rattachent plus ou 
moins directement à la présence d’un tégument squamoïde so- 
lide, et à la substitution plus ou moins générale des formes dépri- 
mées ou élargies du corps aux formes comprimées des Balis- 
tides. 


Conclusion concernant le type ostéologique des Sclérodermes. 


Ce type me parait ressortir el se caractériser : 
1° Quant au crâne : par le développement des pièces occipitales 


{1) Chez les Balistes, il existe, à la place de la tige en question un cordon 
fibreux qui va de l'huméral au corps du sphénoïde. Ce cordon ne pourrait-il 
pas êlre considéré comme l'état rudimentaire d'une première pièce coracoï- 
dienne? J'en doute fort, mais je crois devoir le signaler. 


32 HI. HOLLARD. —- MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 
paires, plus que par celui des impaires, et surtout de l’occipital 
supérieur, qui est ramené à un rôle secondaire, et reporté tout 
entier au sommet de la tête par les occipitaux externes; puis par la 
médiocrité de la ceinture sphénoïdale postérieure contrastant avec 
le développement du sphénoïde antérieur et celui des trois fron- 
taux qui décrivent jusqu'aux deux tiers un cercle orbitaire; enfin 
par un ethmo-nasal allongé, formant avec le sphénoïde antérieur 
une région préorbitaire plus où moins longue, et se terminant par 
un renflement articulaire qui offre toujours une large surface de 
glissement sur laquelle vient se mouvoir la mâchoire supé- 
rieure. 

2° Quant à la face: par des mâchoires ramassées sur elles- 
mêmes, massives, offrant deux arcades dentaires à forte cour- 
bure et armées de dents, la supérieure présentant le maxillaire 
réduit à une petite pièce marginale et labiale assujettie derrière le 
prémaxillaire, et celui-ci appuyant la large convexité de sa sur- 
face supérieure sur la cavité articulaire de l’ethmoïde. 

3° Quant au système operculaire : par la médiocrité du préoper- 
cule et la réduction du battant à une très petite lame, qui offre 
toutefois ses trois éléments ordinaires, et dirige son interopercule 
vers la mâchoire inférieure, malgré la distance qui l’en sépare, et 
au moyen d’une tige étroite, allongée, et parfois demi-tendineuse. 

L° Quant au système hyo-branchial, par la distribution de six 
rayons en deux groupes, dont l’antérieur est de deux, le posté- 
rieur de quatre. 

5° Quant aux appendices latéraux , par la disparition graduelle 
du membre abdominal. 


IL. 


Squelette des Gymnodontes. 


J'ai donné de ce squelette une description et des dessins qui 
me dispensent de revenir sur les détails de sa structure et sur ses 
modifications ; je pourrais donc dès à présent me borner à en rap- 
peler les caractères, pour les mettre en présence de cenx que nous 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 38 
venous de reconnaitre au système solide des Sclérodermes. Mais 
ayant eu, depuis la publication de mes Études sur les Gymno- 
dontes, l’occasion de disséquer un exemplaire de Triodon que je 
dois à l’obligeance de M. Dareste, et ayant pu compléter ainsi et 
préciser, à l’égard de ce type, les notions que ce savant nous en 
avait déjà données il y a onze ans, je commencerai par esquisser 
d’abord ici les caractères ostéologiques des Triodons, tels que je 
les ai vus, en faisant ressortir ceux qui les distinguent des autres 
Gymnodontes. 


Squelette des Triodons. 
, Colonne vertébrale. 


M. Dareste a signalé dans son travail les particularités les plus 
intéressantes que présentent les vertèbres des Triodons. Nous 
rappellerons, en le confirmant, ce qu’il a dit de la présence ici de 
véritables apophyses transverses dépendant de l’arc neural, puis 
de l'absence des apophyses en apparence transverses, mais en 
réalité hématales, auxquelles s’attachent ordinairement les côtes 
chez les Poissons ; en sorte que ces appendices, qui existent chez 
les Triodons comme chez les Balistes, s'appuient dans les pre- 
miers directement sur le corps des vertèbres. Je remarque aussi 
avec M. Dareste l'absence non-seulement du dédoublement des 
premières apophyses épineuses, mais de ces apophyses elles- 
mêmes. Seulement, comme j'ai montré que, contrairement à 
l'opinion de M. Dareste et de quelques autres anatomistes, le 
spina bifida des premières vertèbres des autres Gymnodontes n’in- 
téresse pas l’arc neural, mais bien la neurépine et elle seule, pour 
moi l’absence de ce spina bifida se confond avec l’absence de la 
neurépine, et constitue un simple fait de réduction ; elle perd par 
cela même beaucoup de l'importance qu’elle peut et doit avoir 
pour mon prédécesseur. 


Crâne. 


Quant à la portion crânienne de la tête des Triodons, M. Dareste 
se borne à dire qu'il lui trouve une telle ressemblance avec celle 
4° série, Zooc. T, XIIL. (Cahier n° 4.) 5 3 


äi H, HOLLARWD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


des autres Gymnodontes, qu'il croit pouvoir renvoyer ses lecteurs 
aux traités d'anatomie où il est fait mention dé celle-ci. Après 
avoir comparé le crâne du sujet que je dois à son obligeance avec 
ceux des orbes épineux, j'avoue que je ne saurais que regretter la 
lacune qui se trouve ici dans le travail de M. Dareste ; je vais done 
essayer de la remplir (4). 

La face occipitale de ce crâne est, À la vérité, très déprimée, et 
nousrappelle sous ce rapport, én même temps que par son étendue 
transversale, un crâne diodonien ou tétraodonien. Cependant la con- 
figuration, la direction des plans et des contours ne sont plus les 
mêmes, etreproduisent quélques traits que nous avons vus chez les 
Balistes à côté de ceux qui distinguent lés Gymnodontes. L’anneau 
occipilal est tout entier dans le plan vertical, d’ailleurs assez court, 
par lequel débute inférieurement cette face, au lieu de se trouver 
encore dans la direction de la colonne vertébrale. Si le suroccipi- 
tal, par sa forme et sa direction horizontale, est celui des orbes 
épineux, s’il descend par sa partie inférieure jusqu’à écarter de sa 
ligne médiane non-seulement les occipitaux externes, mais même 
les latéraux ; en un mot, si la zone moyenne de la région occipitale 
réalise par sa dépression le type le plus ordinaire qu'elle offre chez 
les Gymnodontes , il n’en est pas de même des parties latérales. 
Celles-ci abandonnent leur première direction, qui est verticale, 
pour se porter obliquement d'avant en arrière, conservant ainsi à 
la boite cérébrale plus de hauteur qu’elle n’en offre dans la géné- 
ralilé des Gymnodontes. En même temps, cette portion latérale, 
tout en continuant à s'élever d'une pente sensible, décrit dans le 
sens lransversal une courbe concave qui relève le bord post-orbi- 
taire des pièces qui figurent ici, el nous reporte à ce que nous 
avons vu sous ce rapport chez les Balistes. Ce qui achève de rap- 
peler ceux-ci, c’est le mastoïdien avec son apophyse qui descend 
presque verticalement dans la fosse temporale, et la saillie angu- 
leuse qui le termine en arrière (2). 


(1) Voyez pl. 3, fig. 8, 9, 40 et 8 a. 
(2) Voyez pl. 3, fig. 8. Quand on pourrait conserver encore des doutes 
avec M. Brübl sur les limiles de l'aile temporale et du mastoïdien des Balistes, 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 35 

La surface oblique qui prolonge la région occipitale des Trio- 
dons, et sur laquelle se déploie la plus grande partie des occipitaux 
externes et la face supérieure très étendue du mastoïdien, cette sur- 
face que terminent en avant les pariétaux et les frontaux posté- 
rieurs, fait place à une surface horizontale dans sa direction antéro- 
postérieure, creusée dans le sens transversal, et où nous voyons 
figurer d’abord de grands frontaux “isjoints sur la ligne médiane, 
puis un petit système ethmo-nasal assez court. La courbe de l’or- 
bite estbien indiquée par le frontal principal et le frontal antérieur, 
mais très peu par le postérieur ; cette courbe à grand rayon dessine 
une région orbitaire plus étendue que celle des Sclérodermes et de 
beaucoup de Gymnodontes. Quant à la région préorbilaire des Trio- 
dons, elleest bien plus courte que la précédente, et ressemble néan- 
moins bien davange par ses formes à celle des Balistes et desOstra- 
cions qu’à celle des Tétraodons et des Diodons. Elle se termine 
comme chez les premiers par une surface articulaire verticale, et 
le vorer placé au-dessous complète cette ressemblance (4). | 
Le sphénoïde postérieur des Triodons est court. La limite qui 

le sépare de l’antérieur est indiquée par une suture. Les ailes tem- 
porales sont plus larges que hautes; les orbitaires débutent par 
une tige canaliculée qui monte rapidement au-devant des précé- 
dentes, et aboutit à une expansion si étroite, que les deux ailes 
orbitaires laissent entre elles un grand vide dans la paroi osseuse 
antérieure du crâne. L’élévation de la lige par laquelle elles dé- 
butent donne une certaine hauteur au sinus sphénoïdal dont cette 
tige forme les côlés, et en même temps elle met entre le sphé- 
noïde et la voûte de l'orbite une distance qui se voit rarement 
chez les autres Gymnodontes. Le sphénoïde antérieur ne déploie 
d'expansion lamelliforme que dans la direction de la voûte pala- 
tine ; arrivé au delà de l'orbite, il s’élargit pour recevoir entre 
ses lames la queue étalée d’un vomer qui s’y enchâsse solidement, 
et qu'on prendrait pour une dernière pièce axile de la charpente 
on n'aurait qu'à consulter le crâne des Triodons qui avec la configuration 
balistienne de cette dernière pièce, nous en donne très nettement les contours, 


el par cela même ceux de l'aile temporale. 
(1) Planche 3, fig. 8 a. 


36 H. MOLLARD. — MÉMOIRE SUR LE SQUELEITE 
cränienne, tant il continue en ligne directe le sphénoïde antérieur, 
qu'il sépare en même lemps de lethmoïde. Celui-ci, appuyé sur 
ce vomer, nous offre l'étendue, les formes et le mode de termi- 
naison que nous avons indiqués tout à l'heure, et le vomer finit ou 
commence en avant par une (ête bi-articulaire qui, par sa posi- 
tion, comme par sa configuration, complète la ressemblance si 
frappante que nous avons constatée entre lethmo-vomer des Trio- 
dons et celui des Balistes. 


Système facial. 


Si les dernières pièces craniennes qui viennent de nous oceuper 
reproduisent le type balistien par leurs formes terminales, les 
pièces faciales qui viennent s’y rattacher, rentrent, au contraire, 
tout à fait dans le type Gymnodonte, ce qui fait d'autant plus res- 
sortir, et donne d'autant plus de valeur aux ressemblances que je 
viens de signaler, Et d’abord le palatin des Triodons est très dé- 
veloppé, comme celui des orbes épineux ; il est de plus solidement 
attaché au crâne. 11 se distingue néanmoins du palatin assez simple, 
quoique très grand, des Tétraodons et des Diodons, par des rap- 
ports plus nombreux avec les pièces de l’avant-cräne; car, au lieu 
de s'attacher au vomer seul comme chez ces derniers, le palatin 
des Triodons tient à la fois au frontal antérieur, à l’ethmoïde et 
au vomer, ce qui entraine nécessairement des modifications de 
forme, dont on pourra juger en jetant les Yeux sur mes dessins. 
Ces modilications se retrouvent jusque dans l'articulation du pala- 
tin avec le maxillaire supérieur. Cette articulation demeure, il est 
vrai, ce qu'elle est, en général, chez les Gyninodontes, le point 
d'appui principal du levier représenté par les deux pièces réunies 
de la mâchoire supérieure. Toutefois, comme nous le verrons en 
parlant de celle-ci, la large surface articulaire de lethmoïde 
établira aussi des rapports directs entre la mâchoire supérieure et 
le erâne, comme ceux qui existent chez les Sclérodermes. 

Je ne trouve rien qui mérite une attention particulière dans le 
groupe de pièces faciales suspendu ou rattaché au palatin : le pté- 
rygoidien et le tympanique d'une part; le transverse, le jugal et 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 37 
le symplectique de l'autre. Mais ce qui doit être plus remarqué, 
c’est la largeur du temporal et l’étroitesse, en même temps que la 
fuble courbure du suspenseur de la mâchoire ou préopereule; 
c’est encore ici le type balislien qui prévaut sur celui des orbes 
épineux , el ce fait est, en partie du moins, une conséquence 
de la dépression générale de la tête chez ceux-ci, et de son éléva- 
tion chez les Sclérodermes. La tête triodonienne est plus haute 
que celle des Diodons et des Tétraodons ; dès lors, le préopercule, 
au lieu de se plier comme chez ceux-ci jusqu’à former un angle 
droit, et de s’étaler en un large talon postérieur, s’allonge et se 
courbe faiblement. 

La mâchoire supérieure demeure divisée, tandis que l’infé- 
rieure a ses moiliés soudées. Par leur degré de courbure, elles 
rappellent l'une et l’autre les mâchoires étroites des Tétraodoniens ; 
la supérieure nous offre un prémaxillaire prolongé par une petite 
branche montante qu'appuie un processus du maxillaire, et qui 
atteint la surface articulaire de l’ethmoïde; le maxillaire, solide- 
ment attaché au précédent, lui forme une bordure étroite et four- 
nit une apophyse médiocre pour l'attache du muscle abaisseur ; le 
processus qui appuie la branche montante du prémaxillaire offre 
à sa base la facelte articulaire qui correspond à celle du palatin, et 
plus haut il rencontre la tête du vomer (4). Ainsi la mâchoire su- 
périeure des Triodons porte à la fois sur l’ethmoïde, le vomer et le 
palatin, tandis que dans les autres Gymnodontes elle ne s'articule 
qu'avec ce dernier (2). Son mouvement s'exécute loulefois essen- 
tiellement sur le palatin, ici comme dans les orbes épineux. 


Opercule, système hyolaryngien, appendices. 


L'opercule des Triodons est petit, mais complet; la tige qui 
prolonge l'interopereule est lout à fait osseuse. 
Les piéces de support des rayons branchiostèges et les rayons 


(4) Voyez pl. 2, fig. 40. 
(2) Tout au plus et dans un seul genre létraodonien le genre Rhynchotus, Va 
branche montante du prémaxillaire arrive-t-elle jusqu'à l'ethmoïde. 


38 M, HOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


eux-mêmes sont ce que nous les avons vus dans les Tétraodons et 
les Diodons ; seulement le premier rayon ne forme dans les Trio- 
dons qu'une palette sous-gutturale étroite, comparée à celle que 
nous avons observée chez les précédents. 

Quant aux appendices locomoteurs, ce qu'ils offrent de plus 
caractéristique chez les Gymnodontes triodoniens par opposition 
aux autres, c’est un os pelvien allongé, et dont les deux moitiés 
sont incomplétement soudées; cet os, aussi bien que le grand fa- 
non qu’il soutient, nous rappelle le type balistien, et en particulier 
les Monacanthes. 

En esquissant, comme nous venons de l'essayer, l’ostéologie 
des Triodons, nous avons constamment comparé ces Poissons 
aux types Gymnodontes qui nous ont oceupé dans un travail pré 
cédent, et qui représentent le mieux le type général que désigne 
ce dernier nom. Nous avons par conséquent rappelé les traits les 
plus accentués de ce type, savoir : 

1° Le dédoublement des premières apophyses épineuses ; 

2 La dépression en même temps que l’étalement latéral du 
crâne, qui dirige de côté sa crête occipito-pariétale et ses saillies 
mastoïdiennes, tandis que l'occipital supérieur abaisse et dirige 
horizontalement en arrière sa crête médiane (4) ; 
© 8e Le rapprochement du sphénoïde antérieur de la voûte orbi- 
taire, comme conséquence de la dépression qui rapproche les par- 
lies supérieures du crâne de ses parties basilaires ; 

h° La brièveté de la région préorbitaire, en raison de celle, au 
moins très générale, de l’ethmoïde ; 

5° L’exagération des apophyses terminales du vomer converties 
en deux branches divergentes qui dépassent l’ethmoïde, et vont 
s'offrir aux palatins ; 


(1) La dépression du crâne, on se le rappelle aussi, provient : 4° de la posi- 
tion horizontale et rachidienne des occipilaux latéraux ; 2° du reploiement en 
avant des occipitaux externes après un court trajet vertical. En un mot, la por- 
tion occipitale et post-orbitaire ou portion cérébrale de la boîte crânienne est ici 
comme écrasée, mais regagne un peu en largeur et d'avant en arrière ce qu'elle 
perd dans le sens vertical. 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 39 
6° Le développement de ces derniers os, et l’attache solide qui 
les fixe aux deux branches du vomer ; 

7° La mâchoire supérieure appuyée plus ou moins exclusive- 
ment sur ces mêmes palatins, et envoyant néanmoins dans la di- 
reclion de l’ethmoïde, mais en général sans l’atteindre, une double 
branche montante du prémaxillaire. La mâchoire inférieure sus- 
pendue à un préopercule très large et fortement coudé ; 

8° Le préopercule proportionnellement beaucoup plus grand 
que celui des Sclérodermes ; 

9 Enfin le premier rayon branchiostège en forme de palette 
sous-gutturale; une seule paire de membres, sans aucun vestige 
de la seconde ou pelvienne. 

Nous possédons maintenant toutes les données nécessaires pour 
résoudre la question, en vue de laquelle nous avons commencé 
cette élude sur l’ostéologie des familles plectognathes, Cette ques- 
tion est celle-ci: Retrouvons-nous dans l’ensemble de ces familles 
des caractères ostéologiques qui, en les éloignant des autres Pois- 
sons osseux, les rapprochent assez les unes des autres pour jus- 
tifier les zoologistes qui, à l'exemple de G. Cuvier, continuent à 
les grouper sous une même dénomination et à en faire un ordre? 

Abordous done cette question, objet d'une controverse qui l'a 
plutôt posée que résolue (1). Elle présente d’ailleurs, indépendam- 
ment de son intérêt spécial, une certaine importance pour la zoolo- 
gie générale, nous conduisant à délerminer avec précision les 
vrais caractères typiques offerts par le squelette, à en apprécier 
la valeur zoologique dans la elasse des Poissons. Nous compléte- 
rons celle appréciation en faisant ressortir la corrélation de ces 
mêmes caractères avec ceux que fournissent d’autres organes. 


(4) M. Vogt disait ici, il y a quelques années, que « l'ordre des Plectogna- 
thes serait bientôt rayé des cadres ichthyologiques (Ann. des sc. nat., 3° série, 
1. IV, p. 6), » et M. Dareste a essayé, peu de temps après, de démontrer la 
vérité de cette simple assertion; mais la question demandait plus de rensei- 
gnements que ce savant n'avait pu en recueillir lorsqu'il a écrit son mémoire 
{sa thèse inaugurale, 4850, réimprimée dans les Annales, 3° série, Lt. XIV, 
sous le Litre : Recherches sur la classification des Poissons de l'ordre dés Pleclo- 
gnathes, 1850) 


h0 H, HOLLARD, —- MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


CONCLUSION GÉNÉRALE. 


Des caractères fournis par l'étude comparée du squelette des Plectognathes, et 
des conséquences qu’on peut en tirer pour la classification de ces Poissons 
et pour l'ichthyologie en général. 


En comparant l’ensemble des squelettes plectognathes avec 
ceux des autres familles téléostéennes, nous ne rencontrons peut- 
être pas un caractère qui réunisse les deux conditions qu’on a 
coutume de considérer comme nécessaires pour circonscrire un 
groupe et le séparer des autres, c’est-à-dire, qui soient à la fois 
constants et exclusifs. Mais nous en trouvons qui, constants chez 
les Plectognathes, ne se voient ailleurs que par exception. Puis 
nous en rencontrons d’autres auxquels on n’a peut-être pas atta- 
ché en zoologie l'importance qu'ils semblent mériter : je veux 
parler de certains traits, qui, sans être constants dans le groupe, 
non-seulement lui sont propres, mais se montrent dans chacune 
de ses divisions comme une empreinte quelquefois effacée, et 
toujours prête à reparaître. C’est seulement en tenant compte de 
ces deux ordres de caractères que nous pouvons nous faire une 
idée d'ensemble et précise des différences ostéologiques qui sépa- 
rent les Plectognathes des autres Poissons osseux, trouver leur 
place dans la série générale, et aborder leurs rapports mutuels. 

Un premier fait constant chez les Plectognathes, c'est le petit 
nombre de leurs vertèbres. Sauf deux exceptions, ce nombre ne 
dépasse pas dix-huit, et on peut dire que c'est ici que nous ren- 
controns le chiffre minimum de ces os. 

J'ai de plus constaté que les différences portent sur les caudales, 
et que les vertèbres du trone sont toujours au nombre de dix. 
C’est du reste la seule remarque générale qu’on puisse faire à 
propos de la colonne rachidienne de ces Poissons, car ses formes 
varient, et ne fournissent que des caractères de famille ; rappelons 
seulement la parfaite symétrie de la dernière vertèbre, qui pré- 
sente aux rayons de la nageoire caudale deux lames apophysaires 
égales, en sorte que les Plectognathes sont au nombre des Pois- 
sons les plus complétement homocerques. 


DES POISSONS PLECTOGNATHES, h 


Rien de plus hétéromorphe que la tête osseuse de ces Poissons. 
Cependant, dans toutes les modifications qu’elle subit, cette partie 
du corps s'éloigne toujours d’une manière ou de l’autre des types 
ordinaires, et ce trait général n’est pas aussi négalif qu'il peut le 
paraître au premier abord. 

En comparant ces têtes si différentes, ces types si diversifiés de 
Selérodermes et de Gymnodontes à une tête de Perche, deSaumon, 
de Morue, à bien d’autres encore, nous voyons ressortir quelques 
caractères dont il faut tenir compte. Le crâne chez tous les Plec- 
tognathes est comparativement plus développé dans ses régions 
orbitaire et préorbitaire qu’en arrière de l'orbite, c’est-à-dire dans 
sa partie cérébrale. Comprimée ou déprimée, celle-ci a peu de 
capacité dans toute cette série, et si nous cherchons sur quelle cein- 
ture du crâne porte cette réduction, nous trouvons que c’est sur 
la ceinture sphéno-pariétale. En effet, le développement des pièces 
occipitales est au moins égal et souvent supérieur chez les Plecto- 
gnathes, à ce qu'il se montre ailleurs, tandis que le sphénoïde 
postérieur est très court, les ailes temporales souvent étroites et 
toujours sans élévation, les pariétaux petits et pressés entre les 
occipitaux externes et les frontaux. Le système du sphénoïde an- 
térieur, dont ceux-ci sont les pièces supérieures ou de recouvre- 
ment, se développe chez, tous les Plectognathes dans une mesure 
très large, et même souvent avee une sorte d’exubérance, ce qui 
contribue à donner une grande projection à la région préorbitaire, 
et à porter les pièces ethmo-nasales, le vomer et les mâchoires bien 
plus en avant que nous ne les voyons dans les Poissons ordinaires. 
De là, la grande distance qu’on remarque généralement entre l'œil 
et le bout du museau, non-seulement chez les Balistes et les Ostra- 
cions, mais chez beaucoup de Gymnodontes, et qui contribue au 
facies plus ou moins singulier, quoique très divers, de toutes ces 
familles. 

Avant de quitter le crâne, prenons note d’un de ces traits dont 
je parlais plus haut, qui paraissent et disparaissent tour à {our d’une 
famille ou d’un genre à un autre, et qui n’en sont pas moins ca- 
ractéristiques , en raison de ce qu'ils n'existent que dans la série 
dont ces familles sont les termes successifs, et qu'ils se montrent 
au commencement comme à la fin de cette série. Nous voyons, en 


12 H. HOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


effet, chez les Balistes, puis chez les Monacanthes, puis chez les 
Ostracionides, en un mot, dans le groupe entier des Sclérodermes, 
l'ethmoïde s'avancer au-dessus du vomer en se renflant comme 
une des extrémités d'un corps de vertèbre, et présenter une large 
surface articulaire à la mâchoire supérieure; or nous retrouvons 
le même fait chez les Triodons, parmi les Gymnodontes, avec 
d'autres dispositions et d’autres formes des pièces conliguës; par 
conséquent c’est ici un vrai caractère de type zoologique, bien 
plus qu’un fail de corrélation harmonique, 

Les pièces faciales des Plectognathes sont toujours au complet, 
quoi qu'on en ait dit. Cependant, si nous voulions compter au 
nombre de ces pièces les sous-orbitaires, qui ne sont, à vrai dire, 
que des ostéides tégumentaires, nous devrions noter ici, et nous 
profitons de cette occasion pour rappeler comme générale dans 
tous ces Poissons, l'absence de cette série de pièces. Quant aux 
faciales proprement dites, elles sont diversement développées, et 
néanmoins dans des conditions assez générales pour nous fournir 
aussi quelques caractères communs à loutes les familles. De tous 
ces caractères, le plus remarqué, et incontestablement le plus 
important du système facial, est celui sur lequel G. Cuvier a le 
plus insisté pour grouper en un même ordre les familles qui nous 
oceupent , je veux dire l'union intime du prémaxillaire au maxil- 
laire, où mieux, et pour donner à ce fait sa vraie signification, el 
le séparer des cas ailleurs exceptionnels où nous retrouvons la 
même connexion des deux éléments de la mâchoire supérieure, ce 
qui nous paraît éminemment caractéristique chez les Plectognathes, 
c’est la concentration des pièces des deux mâchoires, la tendance 
des postérieures à se fusionner avec l’antérieure, pour constituer 
des mâchoires à branches courtes, à arcades dentaires robustes, 
donnant peu d'ouverture À la bouche, et assurant l'énergie des 
mouvements aux dépens de leur souplesse et de leur étendue, 

Je remarque ensuite, qu’à peu d’exceptions près, les mâchoires 
des Plectognathes attirent en quelque sorte vers elles et déplacent 
plus ou moins la plupart des autres pièces faciales, les éloignant 
de celle à laquelle elles sont ordinairement suspendues en arrière, 
le temporal. De là une tendance qui ne se réalise pas loujours, 
mais qui se réalise en proportion de cette concentration antérieure, 


DES POISSONS PLECTOGNATHES. 13 
je veux dire l’assujettissement du palatin au crâne, qui, ordinaire 
dans les Vertébrés supérieurs, est au contraire exceptionnel chez 
les Poissons, et a été donné par G. Cuvier comme un des carac- 
tères principaux des Plectognathes, quoique les Sclérodermes 
aient leur palatin simplement articulé ou attaché par des ligaments 
avec le crâne. 

En tous cas, à la médiocre ampleur de la bouche, s’ajoute chez 
les Plectognathes une médiocre mobilité de l’arcade palatine qui 
forme la paroi osseuse des joues. 

Cette disposition est en relation harmonique avec les caractères 
da système operculaire. Le préopercule est solidement attaché au 
temporal, et ne jouit par conséquent que de la faible mobilité de 
ce dernier os. Ainsi toute la cavilé qui renferme les trois ou 
quatre ares branchiaux des Plectognathes est limitée par des pièces 
qui ne se prêtent qu'à des mouvements très bornés. Ajoutons à 
cet ensemble de caractères la petitesse de l’opercule proprement 
dit, dont le développement semble arrêté en étendue comme en 
solidité par le pli cutané dans lequel il est engagé: 

Signalons aussi en passant la tige longue et étroite qui prolonge 
l'interopereule, et au moyen delaquelle celui-ci franchit la distance 
considérable que met entre lui et la mâchoire inférieure (autre 
trait caractéristique) la concentration ou l'annulation des pièces 
angulaire et articulaire de celle-ci. Enfin n'oublions pas que tous 
les Plectognathes ont six rayons branchiostèges, que le premier 
est le plus large, ce qui l'amène dans les orbes épineuæ à former 
une palette gutturale, et que ces rayons sont toujours distribués 
de la même manière sur la branche de l'hyoïde, savoir quatre sur 
la pièce qui succède au- styloïde de Cuvier et deux sur la sui- 
vante. 

Quant aux appendices, ils nous fournissent un senl trait carac- 
téristique, mais important par sa spécialité : c’est la présence in- 
termittente, il est vrai, d’un os pelvien qui, après avoir porté des 
rayons chez les Triacanthes, s’en dépouille chez les Balistes et les 
Monacanthes pour s’allonger et soutenir un pli cutané ou fanon 
abdominal plus ou moins développé, et reparait dans un pli sem- 
blable et plus grand chez les Gymnodontes triodoniens. 

Ainsi le squelette, étudié comparativement chez les Plecto- 


hh H. HOLLARD, — MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


gnathes de Cuvier et chez les Poissons osseux ordinaires, j’ajoute- 
rai même chez les vrais Ganoïdes, donne un ensemble de carac- 
tères qui sépare lés premiers de tous les autres, et ne permet pas 
leur dispersion dans la série ichthyologique. 

Rapprochées ainsi les unes des autres par leur ostéologie, 
comme elles le sont au fond par leur écaillure anormale et plus ou 
moins éburnée, tuberculeuse ou épineuse, ces familles se placent 
à la suite des Poissons squamoïdes, et séparent ceux-ci des 
Ganoïdes; d’une part, ils conservent, plus que les Ganoïdes, le 
type ostéologique des premiers; d'autre part, ils se revêtent déjà 
de plaques qui ressemblent plus à celles des Ganoïdes qu’à celles 
des Poissons ordinaires. 

Mais ces mêmes familles, dont nous constatons Ja distance à 
l'égard des autres, et par suite le rapprochement entre elles, nous 
offrent, en dehors de leurs caractères communs, de si grandes 
différences, que nous pouvons nous demander si elles représentent 
un seul groupe ordinique, comme le voulait G. Cuvier , ou si l’on 
doit en faire plusieurs ordres, comme l’insinuent les zoologistes 
qui ne veulent accepter que des caractéristiques absolues et exelu- 
sives. Les ordres étant, ce me semble, en zoologie, l'expression de 
types d'organisation très généraux, je ne vois aucun inconvénient 
à conserver sous une même dénomination ordinique un ensemble 
de familles qui nous offrent à la fois dans leur système solide, 
dans leur revêtement cutané et dans l’ensemble de leur anatomie, 
des analogies générales incontestables et vraiment typiques, en 
même temps que des caractères qui reparaissent après avoir 
disparu, et cela en dépit de toute condition biologique appréciable ; 
enfin des termes de passage qui conduisent d’une famille à l’autre 
dans un ordre sérial. 

Cet ordre sérial, qui exprime les véritables relations zoologiques 
des Plectognathes, comme on va le voir, achève de nous mettre 
à l'aise sur la question de la réunion de ces Poissons en un même 
groupe. Il nous reste à le mettre en évidence, et à déterminer ce 
que j'appellerais volontiers l'organisme de ce groupe. 

Je constate d’abord ici deux types subordonnés , celui des Sclé- 
rodermes et des Gymnodontes qui deviennent pour nous deux sous- 
ordres. Le premier comprend les familles les moins éloignées des 


DES POISSONS PLECTOGNATHES 45 
Poissons ordinaires; ce sont les Balistides, qui rappellent les 
formes ichthyoïdes normales, et dont le squelette et l’écaillure 
s’éloignent moins, par le degré d’ossification de l’un et la consis- 
tance de l’autre, des données les plus générales de la classe. Les 
Balistides sont suivis par les Ostracionides, dont les rapprochent 
et les distinguent à la fois, comme nous l'avons vu, leur squelette 
etleurs plaques squamoïdes. Les Gymnodontes, à leur tour, débu- 
tent par les Triodons, qui rappellent un peu les Balistides par plu- 
sieurs traits de leur tête osseuse, par leur fanon et los qui le sup- 
porte, et même jusqu’à un certain point par leur écaillure. Puis 
viennent les orbes épineux et d’abord les Tétrodoniens, dont le 
squelette conserve et reprend parfois plusieurs traits de celui des 
groupes supérieurs, entre autres le degré d’ossification et le déve- 
loppement de l’ethmoïde. Les Diodoniens se rattachent de près 
aux précédents, mais en exagérant leurs caractères de dégradation 
ostéologique. Enfin les Othagorisques, qui sont encore diodo- 
niens par les mâchoires, par l'effacement de l’ethmoïde, plus im- 
parfaits quant à l’ossification, s’éloignent de tous les autresGymno- 
dontes par la singularité de leurs formes comprimées et tronquées 
en arrière. 

Cette coordination nous donne des termes subordonnés, com- 
posés eux-mêmes d’autres termes subordonnés, qui se décompo- 
seraient de la même manière à nos yeux, si nous en poursuivions 
l'analyse. En définitive, c’est un ensemble de types de divers 
degrés, des séries générales composées de séries partielles. 

Avant de résumer ce résultat dans un tableau synoptique qui sera 
la conclusion dernière de ce travail, qu'il me soit permis d'exprimer 
l'espoir, non-seulement d’avoir jeté quelque jour sur une question 
spéciale d’ichthyologie, mais encore d’avoir concouru à démontrer 
les services que cette branche de la zoologie peut attendre de 
l’ostéologie comparée, et enfin d’avoir donné, du groupe z0o0lo- 
gique, de la diversité, des relations et de la coordination de ses 
éléments une idée qui pourra servir les progrès de la zoologie 
générale. 


U6 H. HOLLARD. —— MÉMOIRE SUR LE SQUELETTE 


Tableau de la distribution des Plectognuthes. 
Sous-classe Ordre Sous-ordres Familles Tribus 
des des des des des 


Î Triacanthiens. 
(PAPE ; | Baens 


Sclérodermes. . | Monacanthiens. 
Plectognathes 1e Aracaniens. 
al ee : Ostracionides. .  A'2Caniens 
Téléostéens. ou ÿ { Ostraciens. 
( Echinoïdes. / Loganiosomes ou Triodoniens. 


Sphérosomes en 
(Orbes épin.) {| Diodoniens. 


\ Gymnodontes. . 
liipsomes ou Othagorisciens. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 2. 


Fig. 1-4. Crâne du Balistes vetula sous ses divers aspects. 

Légende des lettres pour ce crâne el pour ceux de la deuxième planche : 
vr, première vertèbre rachidienne ; — ob, occipital basilaire ; — ol, occi- 

pital latéral ; — 0e, occipital externe; — os, occipital supérieur ; — sp, sphé- 
noïde postérieur; — ut, aile temporale. —m, mastoïdien; — r, rocher; — 
sa, sphénoide antérieur ; — ao, aile orbitaire ; — et, ethmoïde ; ein, ensem- 
ble ethmo-nasal ; — v, vomer ; — p, pariétal; —/, frontal principal; — 
f', frontal antérieur ; — f”, frontal postérieur; — n, nasal. 

Fig. 5. Coupe verticale de la région préorbitaire, pour mettre en évidence la 
composition sphéno-ethmo-nasale. 


PLANCHE 39. 


Fig. 6. Tête osseuse d'un Ostracion (indéterminé). 

Légende des os de la face, operculaires, etc.: 
te, temporal ; — ty, tympanique ; — pt, plérygoïdien interne ; — pa, pa- 

latin ; — tr, transverse ou ptérygoïdien externe ; — j, jugal; — sy, symplec- 
tique; — pm, prémaxillaire ; — mx, maxillaire ; — mi, pièces réunies de la 
mâchoire inférieure; — pp, préopercule ; — op, opercule; — sop, sous-oper- 
cule ; — iop, interopercule ; — ab, arc et rayons branchiostéges ; — s, scapu- 
laire; — er, coracoïdien; — h, huméral; — cbr, cubito-radial. 

Fig. 7, 8,9. Crâne du Triodon sous trois aspects. 

Fig. 40. Mâchoire supérieure du même. 

Fig. 1 a, 7 a, 8 a. Extrémité articulaire de l'ethmoïde chez les Balistes, les 
Ostracions et les Triodons. 


RECHERCHES 
SUR LES 
OSSEMENTS DES CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM 


(HAUT-RHIN.) 


Par M. Joseph DELBOS, 


Professeur à l'École des sciences appliquées de mulhouse, 


DEUXIÈME PARTIE. 
ÉTUDES SUR LES OURS FOSSILES. 


sI. 

Dans la première partie de ces recherches (1), j'ai décrit l'Ostéo- 
logie de l’Ours des Pyrénées. Je me propose, dans cette deuxième 
partie, de traiter des ossements d'Ours fossiles des cavernes de 
Sentheim, de les comparer avec ceux qui ont élé trouvés dans 
d’autres cavernes ainsi qu'avec les espèces vivantes, et de déduire, 
s’il est possible, de cette étude, des résultats généraux sur la na- 
ture, les caractères, la valeur des espèces. 

Peut-être trouvera-t-on surprenant qu'un travail d'ane certaine 
étendue, tel que celui qu'on va lire, n’offre pas comme couronne- 
ment l'établissement tout au moins de quelques espèces nouvelles, 
et conclue bien au contraire à la suppression de quelques-unes 
admises par plusieurs auteurs. Le but que je me suis proposé n’a 
pas été d'augmenter la liste des espèces, mais de soumettre à une 
critique sérieuse, celles qui figurent déjà dans les ouvrages, de 
discuter la valeur des caractères sur lesquels elles ont été fon- 
dées, et de déduire de cet examen des méthodes de comparaison 
et d'appréciation, dont l'application pourra s'étendre peut-être à 
d’autres branches de la paléontologie et aux procédés généraux de 
l'ostéologie comparée. 

L'établissement d’une espèce, d’un genre, ou de tout autre 
groupe en histoire naturelle, implique deux conditions : le dénom- 


(4) Voy. t. IX, p. 195. 


l8 J. DELBOS, 

brement des différences qui le distinguent des autres et l’apprécia- 
tion de ces différences. La réalisation de la première de ces condi- 
tion est l’œuvre de l'observateur, celle de la seconde est l’œuvre 
du naturaliste. 

Tout homme doué de bons yeux et d’une certaine dose de 
patience peut saisir des différences entre les êtres les plus voisins. 
La nature, en se répétant dans les types, s’est variée dans les in- 
dividus ; elle n’en a peut-être jamais fait deux absolument iden- 
tiques. La sagacité de l'observateur consiste à découvrir ces diffé- 
rences, mais là aussi finit son travail et commence celui du 
naturaliste. ‘ 

Si l’on s’en tient effectivement à la constatation pure et simple 
des faits, toute différence un peu constante pourrait donner lieu 
à l’établissement d’un type ; on pourrait ériger chaque type en une 
espèce ou en un groupe d’une autre valeur, et en cela on ne 
froisserait pas outre mesure les usages admis. Mais il me semble 
qu’une pareille méthode ne répondrait guère à ce que l’on est en 
droit d’éxiger, car après tout l’espèce veut être discutée, et avant 
de donner des noms distincts à deux individus qui ne sont pas iden- 
tiques, il faut examiner tout au moins s’ils ne pourraient être issus 
d’une même souche. La tolérance dont on use dans les recherches 
relatives aux fossiles des classes inférieures, sur lesquels il n’y a 
aucune enquête possible, et en vertu de laquelle toute différence 
reconnue peut donner lieu à un nom spécifique, pourvu qu’elle 
soit constante et saisissable, cette tolérance ne saurait être de 
mise quand il s’agit d’être d’un ordre élevé et qui ont été étudiés 
avec assez de soin, et depuis assez de temps pour que l’on possède 
les éléments d’une discusion sur la fixité et la signification de 
leurs caractères. 

C’est d’après ces principes que je me suis dirigé dans ces études. 
Le rôle important des Ours dans la faune quaternaire, le grand 
nombre des vestiges qu’il ont laissés dans les cavernes de l’ancien 
continent, justifieront, je l’espère, l'étendue des recherches et des 
discussions auxquelles je me suis livré. 

Je suivrai, autant que possible, l’ordre que j'ai adopté dans mon 
premier travail. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 19 


CHAPITRE PREMIER. 
TÊTE. 
ART. 7, — Description des pièces. 
SL. 

1. Tête entière d’un individu adulte. 

Celte pièce n’est nullement déformée par la fossilisation; elle est 
légèrement incrustée sur certains points d’un gravier ferrugineux 
consolidé. Les os ont conservé une assez grande solidité et ont 
pris une couleur gris noirâtre foncé. 

Les canines et les incisives manquent; les six molaires ne pré- 
sentent pas de traces d'usure. Les crêtes temporales sont bien mar- 
quées, quoique peu saillantes, la crête sagittale épaisse et très pro- 
noncée, la crête occipitale très accusée et presque tranchante. 

Les fosses lemporales ont été défoncées ; l’une des arcades 
zygomaliques manque, mais l’autre ne présente qu’une solution de 
continuité de 4 centimètres, toute aux dépens de l’apophyse zy- 
gomalique. Le quart antérieur des os nasaux à disparu; une 
ruplure peu étendue à la base du nez intéresse légèrement un des 
maxillaires et les intermaxillaires vers leur réunion au frontal. 
Le jugal gauche est enlevé, le palais est entier ; l'ethmoïde a 
presque complétement disparu, mais les crêtes plérygoïdes sont 
eonservées. Sauf ces altérations, toutes les autres parties sont . 
dans un état de complète intégrité. 

Les sutures des pariétaux, sur la crête sagittale, avec le frontal 
gauche et avec l’occipital, sont entièrement effacées, ainsi que celles 
des temporaux avec le sphénoïde et l’occipital. Les sutures pariéto- 
frontales du côté droit, des os incisifs avec les maxillaires, des 
palatins avec les maxillaires et le sphénoïde antérieur ; du sphé- 
noïde postérieur avec l’occipital, les temporaux ct les frontaux ; 
du temporal gauche avec le pariétal, sont complétement consoli- 
dées, quoique visibles. Les sutures des deux frontaux, des deux 
pasaux, des deux intermaxillaires et des deux masillaires, du jugal 

#° série. Zooz T. XIIT {Cahier n° 4.) # i 


50 J. DELEOS,. 


avec le maxillaire, des deux os palatins, du temporal gauche avec 
le sphénoïde postérieur, ne sont pas encore soudées, et offrent un 
léger écartement. 

Vers leur quart inférieur, les os nasaux présentent sur leur su- 
ture un petit trou qui, dans l’Ours des Pyrénées, est réduit à un 
très petit pertuis. Le trou ptérygo-palatin du côté droit ne donne 
dans le palais que par trois canaux, le postérieur étant oblitéré. II 
y a, à côté du stylo-mastoïdien, deux ou trois trous aveugles. Le 
trou déchiré postérieur est étroit et comme divisé en deux ou trois 
ouvertures. Tous les autres trous offrent la même disposition que 
dans l’Ours vivant. 

Cette tête se rapporte exactement au type à front bombé (TU. spe- 
lœus Blumenbach). Quoique adulte, elle n’a pas appartenu à un 
individu très âgé, car les molaires ne sont point usées, et toutes les 
sutures ne sont pas consolidées. Elle égale (1), à quelques milli- 
mètres près, les plus grands crânes mesurés par Cuvier (2). La 
tête décrite par Schmerling (3) est plus longue de 0",04 environ 
sur la ligne basilaire, et d’après l’ensemble des dimensions, de 1/8° 
à 4/10° plus forte. Enfin la tête de Sentheim diffère très peu par 
ses dimensions du petit crâne à front bombé de Schmerling : sur 
la ligne basilaire, elle est de 1/24° plus courte ; sur la ligne du pro- 
fil, de 1/10° plus longue ; la largeur des arcades zygomatiques 
est moindre de 1/15° ; la crête sagittale est de 1/15° plus longue. 
Les différences varient de 1/5° à 1/10° pour les autres parties. La 
comparaison des mesures indique qu'elle est un peu plus longue, 
. plus haut et moins large, mais les différences sont extrêmement 
faibles, 


$ IL 


2. Portion de crâne (calvarium) d’Ours jeune. 


Cette pièce comprend les frontaux brisés en avant, et laissant 


(1) Voyez, pour les dimensions, le Lableau de la page 59. 

(2) Recherches sur les ossements fossiles, 4° édit., 1835, 1. VII, p. 268. 

(3) Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la 
province de Liége. Liége, 1853, t. I, p. 102. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. o! 
voir leurs vasles sinus, les pariélaux, les temporaux et une partie 
du sphénoïde. L’occipital manque, et s’est détaché par désarticu- 
lation. Les os, quoique d'une médiocre solidité, ont déjà acquis 
une certaine épaisseur : le bord antérieur des pariétaux, par 
exemple, est épais de 2 centimètres; et le bord postérieur, qui 
s’arliculailavec l'occipital pour former la crête occipitale, de 0",03. 
A l'exception des sutures fronto-pariétale et pariéto-temporale qui 
commencent à se consolider, toutes les autres sont écartées. Du 
reste, les rapports des os, la disposition des trous et la forme des 
apophyses mastoïdes, ne permettent pas d'attribuer ce débris à un 
autre animal qu’à l'Ours. 

Ce qui frappe au premier abord dans cette portion du crâne, 
c’est la rondeur des parties et la convexité du profil. Les crêtes 
léinporales, peu marquées antérieurement, vont en s’effaçant en 
arrière, se transforment en de simples sillons, et ne se réunissent 
que vers l’épine occipitale. Plus en dedans, il existe de chaque 
côté de la suture médiane des pariélaux deux sillons plus faibles 
qui convergent vers l’épine de l’occiput, à peu près parallèlement 
aux crêles temporales. Ces sillons ne se prolongent pas sur la par- 
tie conservéé des frontaux. Il n’y a donc pas à cet âge de crête 
sagittale, et les impressions des muscles temporaux sont encore à 
peine marquées. Ce n’est qu'avec l’âge que le crâne s’allongera, 


que sa ligne de profil deviendra moins droite, et s’éloignera ainsi 


de plus en plus de la courbure que présente le crâne de l'Ours des 
Pyrénées. La crête occipitale est pourtant déjà fort marquée, à en 
juger par l'épaisseur du bord articulaire des pariélaux qui concou- 
rait à la former. 

Voici les dimensions de ce débris, comparées à celles du crâne 
adulte : 


Jeune. Adulte, Rapport. 
rm 


Longueur de la suture des pariétaux sur la ligne 


ie DA AURA SRE LORS 0,065 0,125 100 : 52 
Distance de celle suture au bord le plus voisin 

de la portion écailleuse du temporal , . . . 0.080 0,090 4100 : 88 
De l'épine occipitale au trou audilif . . . . . . 0,100 0,135 100 :73 
D'un frou auditif à l'autre . . , . . . . . . . 0,090 0,170 400: 53 


52 J. DELBOS. 


La moyenne de ces rapports est 2. Il en résulterait que celte 


tête serait de 1/3 plus petite que celle de ladulte. Mais comme 
l’âge ne détermine pas un égal accroissement dans toutes les par- 
ties du squelette, surtout dans la tête, qui est beaucoup plus grosse 
proportionnellement chez les jeunes, et particulièrement dans la 
région du crâne, je pense que l'animal dont il s’agit n'avait pas 
même atteint la moitié de la taille à laquelle il aurait dû arriver. 


$ IL. 


3. Portion de crâne (calvarium) d’Ours très jeune. 

Ce débris comprend les pariétaux complets, montrant intérieure- 
ment les ramifcations de l'artère méningée moyenne, et une por- 
tion des frontaux brisés à 0",04 de leur articulation avec les parié- 
taux. Ces os sont minces, blancs, légers, friables, leurs sutures 
écartées. Les crêtes temporales sont à peine indiquées par de 
faibles sillons convergeant vers l'épine de l’occiput. 

Cette portion de voüte cränienne est régulièrement convexe en 
arrière, renflée sur les tempes, déprimée en avant, où l'on voit 
une partie des sinus frontaux. Elle offre déjà des dimensions trop 
fortes pour être rapprochée des Chiens, d'autant mieux que l'ab- 
sence des crêtes dénote un individu très jeune. La forme diffère 
d’ailleurs beaucoup; elle est plus arrondie, surtout en arrière, et 
plus renflée vers les pariétaux. Elle a certainement appartenu à 
un Ours, mais extrèmement jeune, comme le prouve le peu 
d’épaisseur des os qui, pour les pariétaux par exemple, n'excède 
pas 5 à 6 millimètres dans les parties les plus solides. La longueur 
de la suture pariétale est de 0",060 ; la distance de cette suture 
à la portion écsilleuse du temporal est de 6",070, Ces dimensions 
sont encore inférieures à celles du morceau précédemment décrit. 
Il est probable que l'individu qui a laissé ces restes n’était guère 
âgé que de quelques mois. On verra d’ailleurs cette présomption 
se confirmer, lorsque j'aurai à décrire des os des membres pro- 
venant d'individus qui n'avaient même pas atteint le quart de leur 
croissance. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 53 


$ IV. 


h. Deux pariétaux du côlé droit, l'un provenant d’un animal 
qui avait atteint environ les trois quarts de sa taille , l’autre d’un 
animal {très jeune , car ses dimensions sont moilié moindres que 
dans le grand crâne. 

5. Six lemporauæ, lrois du côté droit, trois du côté gauche. 
Deux d’entre eux proviennent certainement d'un même crâne 
adulte, mais d’une taille un peu inférieure à la grande tête n° 1. 
Deux autres, à dimensions à peu près égales, sont peut-être dans 
le même cas, si l’on en juge par leur état de conservation. Un 
cinquième, du côté droit, annonce des dimensions à peu près 
semblables ; mais le sixième, du côté gauche, et qui comprend 
aussi une portion de l’occipitale, parait provenir d’un individu 
vieux et d’une stature un peu plus grande. 

Ve 


6. Quatre maæillaires supérieurs, dont trois du côté gauche et 
un du côté droit. 

Le dernier de ces fragments a conservé ses deux dernières 
molaires , dont la couronne est parfaitement usée; quoique ce 
caractère annonce un animal très âgé, les dimensions de ces mo- 
laires sont un peu moindres que dans la grande tête, où pourtant 
elles n’offrent aucune trace d'usure. Un deuxième morceau, encore 
pourvu de sa dernière molaire fortement usée, reste aussi au-des- 
sous du grand crâne par le volume de cette dent. Un troisième a 
été usé et roulé; il possède ses deux dernières molaires très in- 
tactes, et n'offrant que de faibles traces de détrition : les dents sur- 
passent pourtant par leurs dimensions celles des deux premiers 
morceaux ; elles égalent les plus grandes molaires décrites par 
Cuvier et par Schmerling, et dépassent un peu celles de la grande 
tête n° 4. Quant au dernier morceau, il ne contient qu’une canine 
en partie brisée. 

Ces quatre maxillaires ont une cerlaine importance, en ce qu'ils 
montrent que la grosseur des dents n'est pas toujours en rappor 


5{ J. DELBOS, 

avec l’âge, et qu'il existait dans la grotte de Sentheim des Ours 
très âgés, dont la taille était cependant notablement inférieure à 
celle d’autres individus à peine arrivés à l’âge adulte. Je revien- 
drai sur ces faits lorsque je m'occuperai des mâchoires inférieures, 
lesquelles donnent lieu à des observations semblables. 

7. Un bord incisif, fortement incrusté de limon endurei, à su- 
tures complétement effacées. Les cassures sont anciennes, et ce 
morceau parait avoir été roulé pendant longtemps. I comprend la 
parlie antérieure des intermaxillaires el une portion (palatine) des 
maxillaires supérieurs. Les alvéoles des incisives sont privés de 
leurs dents; leurs distances indiquent un animal sensiblement 
plus petit que celui auquel a appartenu la grande tête, quoique la 
solidité des sutures dénote un individu au moins adulte. 

8. Un inlermaxillaire gauche de la taille de la grande tête 
NE 

9. Un os palatin droit, presque aussi grand que celui du grand 
crâne. 

Je passe sous silence un grand nombre de débris trop incom- 
plels pour pouvoir être utilisés dans les recherches qui vont suivre, 
ou pour mériter d’être mentionnés d’une manière spéciale. 


8 VI. 


En tenant compte seulement du nombre des pièces que j'ai énu- 
mérées, il est possible d'arriver à quelques inductions sur le 
nombre des individus qui ont laissé des vestiges de leur existence 
dans les cavernes de Sentheim. Les temporaux et les maxillaires 
fournissent, en raison de leur abondance, les meilleures notions 
sur ce point. Les six temporaux recueillis jusqu'à ce jour pro- 
viennent au moins de quatre individus différents, puisque, parmi 
eux, quatre tout au plus peuvent être appariés avec plus ou moins 
de certitude; avec les trois crânes que nous possédons, nous arri- 
vons à un total de sept individus. Les maxillaires conduisent 
exactement au même nombre. L 

Mais ce chiffre lui-même n'est qu'un minimum qui est certai- 
nement bien au-dessous de la vérité : car je n'ai pas tenu compte 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 55 
dans cette évaluation de beaucoup de pièces trop frustes pour avoir 
une valeur ostéologique, et de plus j'ai supposé qu'un certain 
nombre de débris pouvaient provenir d'un même animal. Nous 
aurons d’ailleurs par la suite la preuve que les cavernes de Sent- 
heim recèlent les traces d'individus beaucoup plus nombreux. 

En supposant même que ce nombre füt réduit à sept individus, 
nous pourrions conslater entre eux des différences remarquables. 
En premier lieu, l’un était d’une extrême jeunesse ; un autre avait 
atteint peut-être à peine le tiers ou tout au plus la moilié de son 
accroissement. Parmi les individus que l’on peut considérer comme 
adultes, il va déjà une remarque à signaler : c’est que les plus 
grands ne sont pas toujours les plus vieux, et que les cavernes du 
Haut-Rhin ont été peut-être fréquentées par deux sortes d'Ours, 
l’une plus grande que l’autre. 


$ VII. 


Si l’on admet que les proportions générales de l’Ours fossile 
aient été les mêmes à l'égard de la tête que chez l'Ours des Pyré- 
nées, le squelette de l'animal auquel a appartenu la grande tête 
de Sentheim aurait dù avoir 1,90 de longueur totale, el 1° ,048 
de hauteur au garrot ; il aurait été par conséquent plus grand de 
moitié. 


ART. 2. — Parallèle entre les têtes de l’Ours fossile et de l’Ours 
des Pyrénées. 


& VIIL. 


La comparaison directe des dimensions des têtes de l'Ours vi- 
vant et de l'Ours fossile de Sentheim indique une supériorité con- 
slante et très marquée en faveur de ce dernier (1). Les différences 
évaluées en millimètres montrent bien en réalilé les excès du se- 
cond sur le premier, mais elles sont insuffisantes pour mettre en 
relief les différences proporlionnelles qui existent entre les mêmes 


(4) Voyez le tableau, page 59, colonnes 1 et 2. 


56 J. DELBOS. 

parties. Néanmoins ces différences deviendront comparables, si 
l’on rapporte les chiffres à une commune mesure convenablement 
choisie, et il sera dès lors possible de s’assurer si elles peuvent 
fournir ces caractères d’une valeur spécifique réelle. 

La méthode que j'ai employée consiste à évaluer les dimensions 
des parlies en fonction d'une longueur déterminée, telle que la 
ligne basilaire prise pour unité. En effectuant les calenls pour cha- 
cune des deux têtes, on obtient deux séries de rapports, dans les- 
quels les dimensions sont estimées en centièmes de la longueur de 
celle ligne. Or, comme ces centièmes sont des fractions d'unité 
égales, les rapports correspondants dans les deux séries sont ri- 
goureusement comparables entre eux. La longueur des deux têtes 
étant égale et exprimée en unités de même ordre, il s’agit de re- 
chercher maintenant de combien de ces unités les autres dimen- 
sions différent entre elles. 

Les numérateurs étant partout l'unité, nous pouvons les négli- 
ger pour comparer les dénominateurs, en nous rappelant qu'ils 
représentent des centièmes de celle unité. Nous obtiendrons ainsi 
une nouvelle série de rapports (colonne 6 du tableau), dans les- 
quels les différences des deux termes exprimeront en centièmes 
de la longueur du cràne les inégalités des dimensions dans les 
deux têtes. Sous cette forme, la comparaison des dimensions re- 
latives pourra se faire aisément, et avec toute l'exactitude dési- 
rable. 


$ IX. 


Si les formes des deux crânes que nous avons à comparer étaient 
identiques, il est clair que les deux termes de chacun des rapports 
de celte nouvelle série devraient être égaux. Mais il n’en est point 
ainsi (colonne 6); les numérateurs représentant les dimensions 
de l'espèce vivante, les dénonnnateurs celles du fossile, on trouve 
certains rapports dans lesquels les deux termes sont sensiblement 
égaux ou ne différent que par des quantités insignifiantes : ce qui 
indique des proportions semblables dans certaines parties, tandis 
que d’autres s'écartent plus où moins de cette égalité, dénotant des 
dimensions relatives plus grandes dans l'espèce vivante quand 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 57 
l'excès provient du numérateur, plus petites quand il appartient 
au dénominateur. Ces différences positives ou négatives pourront 
donc fournir la mesure exacte de la valeur des écarts dans les 
proportions relatives des deux têtes. 

Si l’on se bornait à comparer directement ces différences, on 
pe verrait point ressortir dans leur juste importance les inégalités 
de proportions des parties similaires ; en effet, une différence 
d’une unité dans les deux termes d’une fraction est d’une bien plus 
grande importance lorsque ces deux termes sont très petits, que 
lorsqu'ils deviennent très grands. Nous mettrons ces inégalités en 
relief, si nous exprimons en fractions ordinaires, aussi simples 
que possible, les différences entre les deux termes de chaque 
rapport. Pour cela, il suffira de soustraire du plus grand terme le 
plus petit, de donner au reste pour dénominateur le dénominateur 
de la fraction, et de simplifier. Cette simplification pourra se faire 
en divisant les deux termes du nouveau rapport par le numérateur. 
On obtiendra ainsi des fractions très simples qui auront loute 
l'unité pour numérateur, et qui exprimeront de quelle quantité 
fractionnaire l’un des deux termes surpasse l’autre. De cette ma- 
nière il suffira de diviser le dénominateur d’un des rapports de la 
colonne 6 par celui de la fraction, qui exprime la différence des 
deux termes, pour obtenir un nombre (colonne 7) qui, ajouté au 
plus petit terme ou soustrait du plus grand de ce rapport, réta- 
blira l'égalité. Ce nombre n’est autre, en effet, que le reste que 
l'on obtient en soustrayant le plus petit terme du plus grand. 

Il est important de remarquer que les fractions par lesquelles 
les différences numériques des deux termes des rapports ont été 
représentées n'indiquent pas toutes des inégalités du même sens. 
Les unes. en effet, déterminent l'excès des numérateurs sur les 
dénominateurs; les antres, l'excès des dénominateurs sur les numé- 
rateurs. Je proposerai de distinguer les premières par le signe +, 
les dernières par le signe —. Si les numérateurs des rapports de 
la colonne 6 s'appliquent à l'Ours vivant et les dénominateurs à 
lOurs fossile, les fractions marquées du signe négatif indiqueront 
un excès de proportion du fossile sur le vivant; celles marquées 
du signe positif, un excès du vivant sur le fossile. 


58 J. DELBOS. 
sx 


C’est d’après ces principes que j'ai construit le {ableau suivant 
des dimensions. Les colonnes 1 et 2 donnent les mesures prises 
directement ; la colonne 3, les différences en millimètre; les co- 
lonnes 4 et 5, les dimensions calculées en centièmes de la lon- 
gueur de la ligne basilaire prise pour unité ; la colonne 6, les rap- 
ports entre ces dimensions calculées ; la colonne 7, les différences 
entre les deux termes de chacun des ces rapports ; enfin la co- 
lonne 8, les différences exprimées en fractions ordinaires, celles 
qui indiquent un excès du numérateur étant affectées du signe +, 
celles qui indiquent un excès du dénominateur l’éfant du signe —. 


val 


Voyons maintenant quelle conséquence nous pouvons tirer de 
ce tableau. En considérant la colonne 6, on trouve un certain 
nombre de rapports qui nediffèrent, comme le montre la colonne8, 
que d’une manière tout à fait insignifiante. Je ne tiendrai pas 
compte des inégalités inférieures à 2 : 10, car elles peuvent dé- 
pendre de l’âgé ou des individus, et dans tous les cas elles sont 
trop faibles pour avoir une valeur spécifique. Je considérerai donc 
comme égales dans les deux têtes les proportions qui ne diffèrent 
pas de plus de 4 : 10. Onze rapports rentrent dans ce cas, savoir : 
1° la longueur de la face (n° 4); 2° celle du bord alvéolaire des 
mâächoires (n° 13); 3° la hauteur du point de réunion des côtes 
temporales (n° 26), de l'endroit le plus enfoncé du erâne (n° 24), 
de l'endroit le plus bombé (n° 27), et de l'épine occipitale (n° 28) 
au-dessus de Jaligne basilaire ; 4° la largeur du crâne d’une arcade 
zygomatique à l'autre (n° 12); 5° la longueur du palais (n° 48); 
6° la distance du bord postérieur des palalins au trou oceipilal 
(n° 29); 7° la largeur au bord postérieur des canines (n° 10) et 
entre les intermaxillaires (n° 9). 

Nous trouvons maintenant quatre rapports qui indiquent une 
supériorité de dimensions en faveur du fossile : 1° la distance des 
incisives aux os du nez (n° 35), plus grande de plus de 1 : 6; çe 


9 


6) 


IHIH+E 


D LE OÙ CV ci et en et eu 


ot ER 


em 


SENTHEIM, 


4 


CAVERNES DE 


1 


21 


rssmmsuss 


ARNASSIERS DES 


HR RER EEE 


C 


e 


“auoJa Ip sop 


La:8a 
SY:YT 
CT: 
9£:c€ 
LG: 8 
98 :8c 
Gr:0# 
Hr:8 
6:91 
61: 
L$:09 
91:08 
LI:08 
91:08 
96:08 
SE:0y 
LO:a&L 
0£:?€ 
61:08 
08 :&G 
Lr:08 
L£:0# 
0£:0% 
&9:08 
&9:#9 
6G:YG 
9G1:0Y1 
00:00! 


“snodduy 


*SAN1091V9 SNOISNAWIG 


LG 
L'L2 
£? 
9€ 
LG 
98 
ty 


61 


00+‘0|0L0‘0 
o9#‘o|o11‘o 
091‘0|011‘0 
0£+‘0|080‘0 
004‘0|0L6‘0 
£60‘0|[660<0 
#c1‘0/007°0 
010‘0|080‘0 
G£0‘0|0+0‘0 
0L0‘0|090‘0 
01%‘0|081‘0 
090‘0|0£0‘0 
Y90‘0|8#0<0 
090‘0|1080:0 
&60‘0|8L0‘0 
0Yr0|860°0 
<ra‘0|081‘0 
0110/8800 
010‘0|060°0 
&L0‘0|6c0‘0 
:90‘0|080‘0 
Sel'OlTIr'0 
&I1'0|001'0 
8c&‘0|008'0 
£cc 0|091'0 
£0F‘0/090°0 
09#‘0|08€‘0 
#98‘0|043'0 


en AT en count dei - ele En di “opeudi0 auid9,] 2p Jnopnef] 


seen: te + + oupio np 9quoq SNjd 97 HOApUa,] op None} 


enr e ttes t + * safeiodtuay $99919 S0p UOIUNYI BJ 2p AN9IN0F] 

verres tt tt ‘jeu np soueyqosod sestydode sop anagneg 
sers tt: ‘Zu NP 901 E] 9p poUoJuo SN[d of J104pU9,] op ananep} 
presses tte tt tt: ‘zou NP S0 S9p ANOHAIUE PIOQ NE AN9JNPH 
see tot te * jendio90 noaj ne simjed np anoigisod p10q np ooumsi 


sæjed np “12u2q29,| Re S21IRIOU soagiuan sop s0d paoq 91 10d op117 ouSi| un p oour1sIq 


ES ART CS “LED à F0 ee Es 5 Ut D GDANONURT 


OC ONCE. : 0 sopaossipid ca sa em po. ÉHLÉNE ONE 290459 j op anon$uo 
Mi mn No Dep ne toc seed np anon8uoq 
sreresesesets et tt tt * SOAR[OU S219100P SO] 91) U9 090P7SI(] 
prete atteste: tt ‘SoMe[ou Saad sf au ooue)sIq 
on ele o ge core 08 00Ù le ED SE le 2 om OUISIQ 
Deer ses ee 0 0 “on e SANTO 50] 1000N090 nb o0UsT 


D - exe rodE SAITNEP u[ ep 19191804 p10q ne SAUrU09 Sp 2HHUI pI0q N(] 
rss s etes: tt: “sonbremoñfz sapeoie Sop ano84e] opuri8 sn]q 
au, Sa “NOT ‘1mIUOA np souwiquosod sosâydode sof asjua ano8ae] 
A ee OR TS "tt" *SaUTUE) Sap ano119)sod pioq ne Ano8avT 


péseees eee eee ee ee SOMP{lINPUNNUE S0 S0f 0100 ana] 


russes tt st + *SOU17x0 SOAISIUL SP SO[ODAIE S0f QUO an9BaPT 


Ce ES Mes. 6 10 on ls 5 UM I0NIS M9 Up Non 


sonneries tes te 0 “ami0dm)oÿ0vpop anonsuo 
poses eessss st: + + “o[e7tdi920 97940 0j & a0If 0100 2poourIsI(] 


one | € 1MUO3y np auviquosod osfydode aun,p o941) QUAI EI & SOAISUL Soc 


EN se tt tt: "zou np S0 ap ANONQIUL PI0Q NE SOMSQUE 0 
peser esse eee ee te + + oedI000 01940 DIR SOASOU So(] 


Deer Re De En Se eee 0 20 QIUISUTOUSI] VÉOP inonsuof 


*ss0 


“JUVAIA 


"SATIAAU SNOISNANIQ 


"NOILYNDISHQ 


211880] SO 1 2P 12 TUDAIA SAN] 0P S0)P1 SP S0Q1/D]04 suoyuodoud Sp 19 ‘S0ÿ1N9)00 7 Sajap. SUOISUOUNP SAP AD2]QUE 


*Lorn 


LT Mr 


E 


q 


*auax0 
SOUARON 


60 J. DELBOS. 

chiffre montre que les fosses nasales étaient plus ouvertes dans le 

fossile, et que par suite les parties molles du nez étaient plus dé- 

veloppées ; 2° la hauteur au bord antérieur des os du nez (n° 23), 

plus grand de 4 : 6, ce qui montre que le museau devait être moins 

effilé du bout, plus élevé, plus droit; 3° la hauteur des apophyses 

postorbitaires (n° 25) de 1 : 8 plus grande, et qui correspond à 

cette forte saillie du front au-dessus du nez, qui est un des carac- 

tères de l'espèce; 4° enfin la portion horizontale des os palatins” 
située en arrière des molaires (n° 21) est de 1 : 4 plus grande, de 
sorte que la portion du tube nasal en arrière des dents est plus 
considérable. 

Tous les autres rapports, au nombre de douze, annoncent des 
dimensions inférieures dans le fossile : 1° la largeur de l’espace 
intercepté entre les crêtes ptérygoïdes (n° 20), plus étroit de 3 : 4 
(4 : 4,28), correspondant à la grande compression du crâne vers 
les fosses temporales, ce qui annonce une grande puissance des 
muscles masticateurs, les arcades zygomatiques ayant un écarte- 
ment égal dans les deux têtes ; 2° les crêtes temporales plus courtes 
de 1 : 3 (n° 6), et se réunissant par suite plus promptement ; 
3° le crâne plus court de près de 1 : 3 (n° 5), caractère impor- 
tant qui montre le grand allongement du museau; 4° la largeur 
moindre de À : 4 au niveau des canines et des molaires (n° 15 
et 17), confirmant l’étroitesse du museau; 5° la longueur de l’es- 
pace compris entre les crêtes ptérygoïdes (n° 19), moindre de 1 :4, 
par suite du grand allongement des os du palais en arrière; 6° la 
longueur de la crête sagittale (n° 7) inférieure de près de À : 5, 
ce qui doit être, attendu la brièveté du crâne; 7° les incisives plus 
rapprochées de 1 : 6 (n° 8), ainsi que les premières molaires 
(n° 16); 8° l’espace occupé par les molaires (n° 14) plus court 
de 1 : 6, ce qui est dû à la présence d’une petite molaire de plus 
dans l’Ours vivant; 9° la largeur entre les apophyses postorbi- 
taires du frontal (n° 11), moindre de 1 : 7, indice d’un front plus 
resserré et d’un moindre écartement des yeux; 10° la distance des 
incisives à la crête occipitale (n° 2), plus faible de 4 : 9, en rap- 
port avec la moindre courbure du profil, qui est en effet presque 
droit, sauf le brusque ressaut au-dessus de la base du nez. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 61 


$ XIL 


De ce parallèle entre les dimensions de l'espèce fossile et de 
l'espèce vivante nous pouvons déduire les traits principaux qui, 
indépendamment de la taille plus grande de moitié, éloignent la 
première de la seconde : 4° en premier lieu, la base du crâne était 
beaucoup plus resserrée dans le fossile, les fosses temporales bien 
plus profondes, et par suite les muscles crotaphytes plus puis- 
sants ; la face plus longue, les crêtes temporales réunies plus en 
avant en une crête sagiltale, le plancher osseux du palais plus 
prolongé en arrière ; 2° en deuxième ligne, le palais plus étroit 
et le museau plus comprimésur les côtés, plus droit, moins aminci 
du bout; 3° enfin le front plus resserré, beaucoup plus proémi- 
nent au-dessns de la base du nez, les veux moins écartés , le profil 
moins convexe, les cartilages du nez plus développés. 


Arr. 3. — Discussion des caractères. 


$ XI. 


Je viens de montrer que Ours des cavernes de Sentheim ne 
différait pas seulement par sa faille de celui des Pyrénées, mais 
qu'il s’en distinguait aussi sensiblement par la forme de sa tête. 
Une question très grave se présente ici : Les résultats que nous 
avons déduits de la comparaison des deux têtes ont-ils une valeur 
spécifique réelle ? Sont-ils suffisants pour autoriser la séparation 
des deux espèces ? Ou bien ne proviennent-ils que de différences 
de races, d'individus, de sexe, d'âge, d'habitation, et alors faut-il 
les considérer comme n'ayant qu'une valeur tout à fait secon- 
daire ? 

Pour répondre aux questions que celte discussion soulève, il 
faudrait connaitre exactement dans quelle mesure les formes de la 
têle peuvent varier dans une même espèce ; car 5’il était démon- 
tré que les variations peuvent égaler où excéder les différences que 
nous avons constatées entre l'ours vivant et l'Ours fossile, celles- 
ei se trouveraient réduites à la valeur de simples faits individuels, 


62 J. PELBOS. 

Il est clair qu'un tel problème ne saurait être résolu que par la 
comparaison directe d’un certain nombre de têtes de provenances 
diverses. Les circonstances ne m'ont malheureusement pas per- 
mis de disposer de matériaux en nombre suffisant pour ce genre 
de recherches. Je vais cependant tâcher de tirer parti de ceux que 
j'ai pu me procurer. 

Voici un tableau dans lequel se trouvent résumés tous les élé- 
ments de la discussion qui va suivre. J'ai réduit toutes les mesures 
que j'ai pu mé procurer en centièmes de la longueur totale, con 
formément à la méthode que j'ai décrite ; mais il m'a fallu prendre 
pour unité lt longueur de la ligne supérieure extrème mesurée 
suivant la courbure, celle de la ligne basilaire n'étant pas donnée 
par Cuvier, auquel j’emprunte la plupart des chiffres relatifs aux 
diverses espèces. Je ne donnerai que les résultats extrêmes, afin 
de ne pas multiplier les tableaux (voy. page 63). 


$ XIV. 


Cuvier donne les dimensions de six têtes d'Ours brun d'Europe 
d’origine et d'âge divers; c’est sur ces mesures que j’établirai 
d’abord la discussion, en y joignant celles de l'Ours des Pyrénées 
que j'ai décrit. Les deux premières colonnes du tableau donnent 
les minima et les maxima, réduits en eentièmes, observés dans 
ces sept lèles pour chacune des dimensions les plus importantes, 
La troisième colonne donne les valeurs de ces différences, expri- 
mées en fractions aussi simples que possible. 

Voici, d’après ces calculs, quelles sont les limites des variations 
dans les proportions des parties : 

1° Les parties qui paraissent offrir le plus de fixité dans leurs 
dimensions, les variations n’allant pas au delà de À : 10 en plus 
ou en moins, sont les suivantes : la longueur du crâne (le mini- 
mum chez un jeune, le maximum ebez un très grand Ours dé 
Pologne); la longueur de la face (le minimum chez uotre Ours des 
Pyrénées, le maximum chez un Ours de Pologne); la hauteur de 
l'endroit le plus enfoncé (le minimum chez le très grand Ours, le 
maximum chez un jeune). 


65 


DES GAVERNES DE SENTHEIM. 


CARNASSIERS 


n 


“529 
“ua4apiq 
“euIxe 


| 
( 


*“HANON ENOYX V 
suno) 


; ‘euuaton | 


Lol 


EU 00 DO 4 = = 
EN STE TE 


_ 
+ © — 


Nr 
ED 29 à 
E 2 20 


ui 
Sr 
S A1 2 4 


= 


| 


509 


MITTLLTT | 


“auuafop | 
‘329 
-U2J9}10 


Sussapra | 
"eUrxEG | 
“| 


“euur 


| 


D) 7" 


“AAdIMANV,A MION 


‘HUIVIOd SAO 
suno 


{ “ouua og | 


| 


"22 
| "vunxefQ | 


-n83241Q 


| 


"H4OUNA,A HION 
suno 


"s29 
-u23apiq 


‘AdOVAA,a Not 
syno 


++ + + + soutenu Sop ANaHQËNS p10Q NP INAIOUH 
ses + “gououo Snjd 2j HO1pU,I 2PANAIUEF 
“sateiquomsod ‘qdode sap xnap-aMu2,[ 2p IN2NEH 
veste: gquoq sajd of HOIPU,] 9P AN9TNEH 
*sa[u10duray 521919 Sap UOTUNYI p JULO( NP ANNE 
vues es et + * ajendio00 autd9,[ 2p 1n910tH 
ses + + + -sanbnemuoñiz sopeaie Sap ano310T 
ss + es + + * sojeiodua} S91919 Sap 
uorunyi EI & Sa11e71q107s0d sas£qdode sap aoue1si( 
sers est: + +08 | op Anansu0] 
poses eee tt ‘oupio np 1nansuoT 
-soneyqosod sasfqdode sa, enua 003187 
+++ + + + a[e11d190 91919 EI & S2AISEUL SA(f 


“NOILYNOISAQ 


“SO D s029d80 sas 12a1p Sa] SUDP suouuodoud sap soup4xa SUOUDIANA SAP NDA]QNI 


64 J. DELBOS. 

9 La différence des parties suivantes atteint L : 6 : largeur 
des arcades zygomatiques (le minimum dans l'Ours des Pyrénées 
etle grand Oursde Pologne, le maximum dans un Ours des Alpes); 
Ja distance des orbites à la réunion des crêtes temporales (minimum 
dans un Ours des Pyrénées jeune sans doute, maximum dans un 
jeune); hauteur du crâne en ce dernier point (minimum dans un 
Ours des Pyrénées, maximum dans le nôtre) ; hauteur du crâne à 
l'endroit le plas bombé (minimum dans le grand Ours, maximum 
chez un jeune). 

3° Les variations vont jusqu’à 1 : 4 dans la largeur entre les 
apophyses postorbitaires (minimum dans notre individu, maximum 
chez un jeune), et dans la hauteur au bord des os dunez (mini- 
mum dans le grand Ours, maximum dans un jeune). 

h° Enfin les parties qui varient le plus, au delà de 1/3, sont 
la hauteur du front entre les orbites (minimum dans notre Ours, 
maximum dans l'Ours de Pologne). et la hauteur de l’épine occipi- 
tale (minimum dans un Ours des Pyrénées, maximum dans l'Qurs 
de Pologne). 


$ XV. 


Les trois têtes d'Ours noirs d'Europe mesurées par Cuvier 
différent beaucoup moins entre elles. Le plus grand écart ne 
dépasse pas 1/5° (distance des apophyses postorbitaires à la 
réunion des crêtes temporales) ; la hauteur du bord supérieur des 
narines ne varie que de 1 : 6, celle de la crête occipitale que 
de 4 : 7. Toutes les autres dimensions ne dépassent pas 1 : 10 
dans leurs inégalités. 


$S XVI. 


Dans l’Ours noir d'Amérique, les variations sont plus étendues 
dépassent fréquemment 4 : 4. Les parties qui y sont le moins 
sujettes dans les cinq têtes décrites par Cuvier sont : la longueur 
de la face, celle du crâne, la largeur des arcades zygomatiques, la 
hauteur de l’épine occipitale et de l'endroit le plus enfoncé. Les 
différences peuvent aller jusqu'à 1/4 pour la largeur du front, 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 69 
la hauteur du point de réunion des crêtes temporales, de l'endroit 
le plus bombé, de l'entre-deux des apophyses postorbilaires et du 
bord des marines. Elles atteignent enfin 1/2 par la longueur des 
crêtes temporales. 


$ XVIL 


Dans l'Ours polaire, les différences n’excèdent pas 1/5°, si 
ce n'est pour la longueur des crêtes temporales, où elles s'élèvent 
à À: 4. I est vrai que les résultats ont été obtenus sur des têtes 
seulement. 


$ XVII. 


En généralisant les faits qui précèdent, on peut classer les di- 
mensions dans l'ordre suivant, d’après leur degré de variabilité, 
en procédant des plus stables à celles qui le sont le moins : 

1° Celles dont les varialions ne dépassent pas À : 8: longueur dut 
museau. 

2° Celles dont les variations ne dépassent pas 1 : 5: longueur 
de la face, largeur des arcades zy20matiques. 

3° Celles dont les variations peuvent aller jusqu’à 4 : 4: largeur 
du front, hauteur du point de réunion des crêtes temporales, de 
l'endroit le plus bombé, de l'endroit le plus enfoncé du bord des 
narines. 

L° Celles où elles atteignent 1 : 3 et même À : 2: longueur des 
crêtes temporales, hauteur de l'épine occipitale et de l'endroit le 
plus enfoncé. 

Les proportions de certaines parties de la tête peuvent done 
rarier, dans une même espèce, entre des limites fort étendues. 
Sans doute l'influence de l’âge et celle du sexe interviennent ici 
pour une large part. Chez le jeune, la tête est presque ronde (4), 
et s'allonge à mesure que lanmal vieillit, ainsi qu'on peut 
l'inférer d'ailleurs de ce qui a été dit plus haut. Peut-être, chez 
l'Ours comme dans le genre Felis, la femelle a-t-elle aussi la tête 


(1) Buffon, édit, de Lamoureux et Desmarest 11825), XX, p. 268: 
&° série. Zooz. T. XIE. (Cahier n° 2.) ! 5 


66 J. DLELROS,. 


plus courte que le mâle (4). Probablement encore les formes 
varient suivant les races et même les individus. 


XX: 


Le minimum des écarts nous est précisément offert par la 
grande espèce des cavernes. Voici les résultats obtenus par les 
mesures des huit têtes décrites par Cuvier, de la tête de Sentheim 
et d’une grande tête décrite par Schmerling : 

4° Le minimum des varialions porte sur la longueur du crâne 
(1 : 9), sur la hauteur de l'endroit le plus bombé (4 : 7), et de 
l’entre-deux des apophyses postorbitaires (4 : 7). 

2° La hauteur du point de réunion des crêles temporales et du 
bord supérieur des narines peuvent varier de 1 :5. 

3° La Jongueur de la face, la largeur des arcades, la hauteur de 
l'endroit le plus enfoncé, atleignent 1 : 4 dans leurs variations. 

h° La largeur entre les apophyses postorbitaires peut varier 
de 1 : 3; la distance de ces apophyses à la réunion des crêtes 
temporales de 4 : 2, ainsi que la hauteur de l’épine occipitale. 

Ce qu'il y a de remarquable, c'est que nous voyons varier dans 
l'Ours fossile, et dans des limites même assez étendues, certaines 
parties qui, dans l'Ours brun vivant, nous avaient paru douées 
d’une assez grande stabilité. Faut-il accepter tous ces résultats ? 
Alors les caractères tirés des proportions deviendront tellement 
fugitifs, qu'il sera bien difficile de leur accorder une grande im- 
portance, car je ne pense pas que l’on puisse vraisemblablement 
seinder la grande espèce des cavernes en plusieurs autres. Faut- 
il rejeter cette grande variabilité sur le compte d'erreurs de me- 
sures (2)? Cela ne serait point impossible en effet : certaines di- 


(1) Cuvier, Ossem. foss., t. VIT, p. #44 (grands Fehs vivants). 

(2) Il y a une erreur de ce genre dans les mesures données par Cuvier d'un 
Ours de Pologue. Elle porte sur la longueur du crâne, et s'élève à près de 
50 millimètres, ce dont il est facile.de s'assurer en additionnant la longueur de 
la face et celle du crâne. On conçoit que si cette erreur portait lout entière sur 
une de ces deux parties, les résultats seraient profondément modifiés. Plusieurs 
des mesures prises sur les Ours fossiles atteignent au moins ce chiffre. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 67 
mensions ont pu être prises sur des pièces mal conservées, plus où 
moins écrasées; d'autres ont été certainement déterminées d’après 
des dessins peut-être défectueux. Je ne puis me prononcer sur ce 
point; mais peut-être trouvera-t-on qu'en définitive la tête de 
l’Ours à front bombé diffère moins entre elle que les mesures 
données par les auteurs ne le font supposer. 


$ XX. 


Ces incertitudes dans l'emploi des proportions relatives des 
parties comme caractères spécifiques deviennent manifestes, si l’on 
compare les résultats extrèmes offerts par les diverses espèces. 
On trouvera, par exemple, en examinant le {ableau des dimensions 
réduites, que, pour l'Ours noir d'Europe, toutes les mesures tom- 
bent entre les limites extrêmes présentées par l'Ours brun. Il n°y 
à d’exceptions, el elles sont presque insignifiantes, que pour la 
largeur entre les apophyses postorbitaires qui s'élève quelquefois 
un peu plus dans l’Ours noir, puis pour la distance de ces apo- 
physes à la réunion des crêtes temporales et la hauteur de l’en- 
droit le plus enfoncé, qui descendent dans quelques individus au- 
dessous du minimum observé dans l’Ours brun. 

L'Ours noir d'Europe n'étant pas admis comme espèce distincte 
par lous les naturalistes, je passe à l'Ours polaire, espèce carac- 
térisée s'il en est, et sur laquelle il n’y a aucun dissentiment 
d'opinions. lei pourtant les dimensions des parties rentrent dans 
les mêmes limites, sauf la réunion plus prompte généralement des 
crêtes temporales, et la hauteur un peu plus grande du crâne et 
surtout du museau, en rapport avec la forme plus cylindrique de 
la tête. 

Quant à l'Ours d'Amérique, presque toutes les mesures sont 
comprises aussi entre les limites observées dans l'Ours brun, sauf 
la largeur du front, la longueur du crâne, la hauteur du point de 
réunion des crêtes temporales et Ja hauteur du bord supérieur des 
uarines, qui dépassent quelquefois le maximum constaté chez ce 
dernier. 

I ne sera donc point surprenant de ne pas trouver entre l’Ours 


‘ 


65 J. DELBOS. 

fossile et l'Ours brun, plus voisins sans doute l'un de l’autre que 
celui-ci ne l’est de l'Ours blanc, des différences ni bien conside- 
rables, ni bien constantes. C’est ce‘ qui a lieu en effet. Quelque- 
fois, dans le fossile, le front est plus large, le museau plus long, 
la tête plus haute que dans les Ours bruns, où les mesures attei- 
gnent leur maximum ; les proportions n'arrivent même pas quel- 
quefois au minimum pour la longueur du crâne et le point de 
réunion des crèles lemporales, qui par conséquent se joignent 
beaucoup plus en avant. Mais ces différences ne sont d'ailleurs ni 
plus ni moins marquées qu'entre lOurs brun et Ours polaire. 


$ XXL 


Au milieu de celte grande variabilité dans les proportions, il est 
bien difficile de discerner quelque chose de fixe, quelque carac- 
tère positif. J'ai pensé qu'en prenant les moyennes de toutes les 
dimensions, après les avoir réduites en centièmes, on obtiendrait 
des nombres qui pourraient représenter une sorle de type idéal, 
autour duquel les formes individuelles oscilleraient, par excès ou 
par défaut, dans des limites qui seraient alors fixées par la moitié 
des différences que nous avons remarquées entre les plus grands 
écarts. Ces moyennes sont en général fort rapprochées les unes 
des autres, comme on peul le voir dans le tableau, ce qui indique 
le peu de distance qui sépare les types. Cependent on peut en 
core y reconnaitre certains fails qui, pour n'être point d’une fixité 
absolue, méritent pourtant par leur généralité d’être pris en con- 
sidération. 

Ainsi nous voyons l'Ours fossile différer en général de l'Ours 
brun actuel: par son crâne plus court, par la plus promple réunion 
des crêtes lemporales, par plus de largeur des arcades zygoma- 
tiques, enfin par une plus grande hauteur de toute la ligne du profil 
au-dessus de la ligne basilaire. Il est remarquable de retrouver ici 
les principaux traits distinelifs que j'ai déduits de la comparaison 
de l'Ours des Pyrénées et de celui de Sentheim, en sorte qu'on ne 
peut se refuser à attribuer à ces caractères une certaine impor- 
tance, 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 69 

D'un autre côté, l'Ours fossile se rapproche plus de l'Ours noir 
que de l'Ours brun. Le crâne est constamment un peu plus court, 
les crêtes temporales plus vite confondues , les arcades zygoma- 
tiques moins écartées, ce qui est contraire dans l'Ours brun; la 
ligne du profil plus élevée, quoiqu'elle le soit déjà plus dans l’Ours 
noir que dans ce dernier. 

L'Ours fossile a le front plus étroit que l’Ours d'Amérique , le 
crâne plus court, le museau plus long, les crêtes temporales plus 
courtes, la tête plus haute et plus large. 

Entre l'Ours polaire et l'Ours fossile, il y a les différences sui- 
vantes : le crâne un peu plus court dans le fossile, la face un peu 
plus longue, les arcades plus dilatées, la ligne du profil plus éle- 
vée, à l'exception de la partie du maseau qui était plus amincie. 
La réunion des crêtes temporales se faisait à peu près à la même 
distance des apophyses postorbitaires dans l’une et l’autre espèce. 

Rien donc jusqu'ici ne parait justifier une réunion de l'espèce à 
front bombé avec l’une des espèces vivantes. On trouve, en effet, 
des différences du même ordre en comparant entre elles les 
moyennes relatives aux espèces vivantes. Ainsi l'Ours noir diffère 
de l’Ours brun par son crâne un peu plus court, des crêtes tem- 
porales plus rapprochées, sa tête plus large, plus haute. Il diffère 
de l’Ours polaire par son museau plus long, ses crêtes temporales 
moins promptement réunies, sa tête plus large et plus haute, son 
museau plus eflilé; de l’Ours d'Amérique par son crâne plus 
court, son museau plus long, ses crêtes temporales plus courtes, 
ses arcades zygomatiques plus dilatées, son profil un peu moins 
élevé. L'Ours polaire diffère de l'Ours brun par son museau plus 
court, la prompte réunion des crêtes temporales, les arcades moins 
élargies, la ligne de profil plus élevée ; de l’Ours d'Amérique par 
son front plus étroit, son crâne plus court, ses crêtes temporales 
plus vite réunies, son crâne moins élevé et son museau beaucoup 
moins effilé, Enfin lOurs d'Amérique a le front plus large que 
l'Ours brun, le crâne plus long et le museau plus court, les crêtes 
temporales un peu moins longues, toute la ligne du profil plus 
élevée. 


70 J. DELB0S. 


$ XXI. 


Il est curieux de voir à quel point les différences spéeifiques 
s’effacent lorsqu'onles généralise en comparant un certain nombre 
d'individus. Dans le genre dont nous nous occupons, il y a done 
peu de distance entre les espèces, en même temps que chacune 
d'elles est susceptible de grandes variations. On à vu, par exemple, 
les différences des proportions beaucoup plus marquées entre deux 
têtes quelconques qu’elles ne le sont dans les moyennes géné- 
rales. Ainsi deux têtes d’Ours brun, par exemple, diffèrent fré— 
quemmentde 1/4, 1/3, même 1/2, dans les proportions moyennes 
générales, et les différences ne sont guère plus fortes entre l’Ours 
brun et l'Ours polaire. 

Il ne faut pas, du reste, attribuer à la comparaison numérique 
des mesures moyennes une importance exagérée. Il est des carac- 
tères, et ce ne sont pas les moins importants, qui ne sauraient 
être exprimés par des chiffres. Toutes les dimensions n’ont pas été 
employées, et celles sur lesquelles j'ai basé mes calculs n’offrent 
pas toutes une égale importance, les unes étant sujettes à varier 
plus fréquemment et plus largement sans altérer profondément le 
type, les autres étant plus stables, plus fixes, et par suite d’une 
valeur supérieure. Enfin, je ne saurais répondre des mesures que 
je n'ai pas prises moi-même, el dans ces procédés, trop rigoureux 
peut-être , loute erreur de mesure ou de calcul peut entacher le 
résultat d’un vice radical. 

Cependant, au milieu de ces varialions nombreuses, on voit 
subsister quelques traits qui donnent aux diverses espèces leurs 
caractères parliculiers, et dont les chiffres ne sauraient rendre 
facilement raison. Ce sont ces caractères spéciaux de forme, 
d'aspect, de contour, dont je m'occuperai dans le paragraphe sui- 
vant. 


$ XXII. 


Des discussions qui précèdent, je crois pouvoir lirer les con- 
clusions suivantes : 


CARNASSIERS DES GAVERNES DE SENTHEIM. 71 

1° Toutes les proportions, dans une même espèce vivante, peu- 
vent varier dans d’assez largeslimites, quelques-unes jusqu’à 4 : 2 
en plus ou en moins. Celles qui paraissent offrir le plus de fixité 
sont la longueur du crâne, la longueur de la face et la largeur des 
arcades zygomatiques. 

2° Les écarts paraissent encore plus grands dans l'Ours fossile 
que dans aucune espèce vivante. 

3° Les proportions relatives des parties ne peuvent done point 
donner des caractères d’une application absolue. 

4° En effet, les proportions de la tête de l'Ours noir tombent 
presque toutes entre les extrèmes observés chez l’Ours brun; il en 
est de même pour l'Ours polaire, el à peu près aussi pour l'Ours 
d'Amérique. 

5° Puisque, d’après les proportions, l'Ours polaire se montre 
si peu différent de l'Ours brun, quoique ces deux espèces soient 
éminemment distinctes, 11 n'y a pas lieu de s'étonner que l'Ours 
fossile ne présente pas avec le second des différences bien pro- 
fondes, ces deux dernières espèces étant certainement plus rap- 
prochées que ne le sont les deux premières, 

6° Les moyennes des proportions de chaque espèce représen- 
tent une sorte de type idéal, autour duquel oscillent les formes 
individuelles. Le rapprochement de ces moyennes indique le peu 
de distance qui sépare les types spécifiques; mais on retrouve 
dans leur comparaison, quoique affaiblie, les principaux traits 
caractéristiques de ces types. 

7° La comparaison de ces moyennes montre que l’Ours fossile 
élait plus rapproché de l’Ours noir que des autres espèces. 

8° On trouve entre les espèces vivantes des différences du même 
ordre qu'entre elles et le fossile. 


Arr. 4.— Discussion des espèces. 
$ XXIV. 


Cuvier admet l'existence d'au moins deux espèces d'Ours dans 
les cavernes, et peut-être même de trois, en considérant les Ours 


72 J. DELBOS. 
à front plat comme différents de ceux à front bombé. Voyons sur 
quels caractères reposent ces espèces. 

La plus petite (Ursus priseus Goldf.) n’est connue que par un 
seul crâne trouvé dans la caverne de Guylenrenth; et par quel- 
ques autres débris. Elle se rapproche beaucoup plus des Ours vi- 
vants que les deux autres : de l'Ours brun, par son profil et par 
ses arcades zygomaliques médiocrement écartées ; de l’Ours noir 
d'Europe, par son front plat et la longueur du museau; de l'Ours 
d'Amérique, par la promple réunion des crêtes temporales. Elle 
diffère de toutes les espèces vivantes par la largeur du crâne aux 
tempes et à l’occiput. Mais c’est surtout par sa dentition qu'elle 
offre de l’affinité avec ces dernières, car elle possède les petites 
fausses molaires qui manquent aux autres Ours des cavernes. 

L'espèce la plus commune, Ursus spelœus Blum., ou grand 
Ours à front bombé de Cuvier, atteignait une taille beaucoup 
plus grande. Elle diffère de toutes les espèces vivantés par la 
grande élévation du front au-dessus du nez et par les deux bosses 
dont il est relevé; elle s'éloigne surtout de l’Ours polaire par ces 
caractères. Ses principales analogies sont avec les Ours noirs, 
surtout à cause de la saillie des crêtes et la convexité du front; 
mais ces derniers se distinguent constamment par l’aplatissement 
et le peu de saillie du front, ainsi que par la réunion moins 
prompte des crêtes temporales. En outre, on ne trouve qu'excep- 
tionnellement dans le fossile des vestiges de petites fausses mo- 
laires qui ne manquent jamais dans les Ours vivants. 

La lroisième espèce, Ursus arctoideus Blum., ou grand Ours 
à front plat de Cuvier, admis par Cuvier dans sa première édi- 
tion, considérée ensuite comme une variété de la précédente (1), 
ressemble encore plus que celle-ci à l'Ours noir d'Europe. Elle 
manque de petites molaires comme l'Ours à front bombé, et n’en 
diffère que par son front plus déprimé, la réunion moins rapide 
des crèles temporales, l’espace entre la canine ct la première mo- 
laire un peu plus long, enfin par les canines un peu plus petites. 


(1) Tome VII, p. 267. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 75 


$ XXV. 


Reprenons les caractères qui distinguent VU. spelœus de FU. 
arcloideus. 

La saillie du front, au-dessus de la racine du nez, dépend sur- 
tout de l’ampleur des sinus frontaux, qui donnent lieu, dans la 
grande espèce fossile, à deux fortes proéminences. Or, la capacité 
de ces sinus est sujette à de grandes variations suivant les indivi- 
dus ; l'espèce humaine pourraitelle-même en fournir des preuves, 
malgré le peu d’étendue que présentent relativement chez elle ces 
cavités. Ces sinus se dilatent d’ailleurs avec l'âge, et par suite les 
protubérances auxquelles ils donnent lieu doivent tendre à se pro- 
noncer de plus en plus. D’après cela, ne pourrait-on pas attribuer 
la grande saillie du front chez le fossile à un effet de l’âge ? 

Les crêtes temporales et occipitales se prononcent de plus en 
plus avec le temps. À mesure que les muscles se développent et 
se fortilient par l’exercice, leurs insertions deviennent plus mar- 
quées etse circonscrivent plus nettement, Dans l’extrème jeunesse, 
il n'y a pas de crête sagiltale, comme je l'ai montré; ce n’est que 
peu à peu que celte crête se forme, à mesure que les muscles 
lemporaux grandissent, et qu'elle s’allonge d’arrière en avant, 
reportant ainsi de plus en plus près du front le point de conver- 
gence des crêtes temporales qui se raccourcissent par suile forcé 
ment. I suffirait pour s’en assurer, à défaut d'autres preuves, de 
jeter un coup d'œil sur les mesures prises sur plusieurs crânes de 
la même espèce. On verrait, par exemple ‘tableau, p. 63), que, 
dass l'Ours à front bombé et dans l'Ours d'Amérique où les crètes 
sont très prononcées, la distance du point de réunion aux apo- 
physes postorbitaires peut varier du simple tu double. Nous ver- 
rous plus loin, du reste, que ce caractère à été contesté par 
Schmerling. 

Le crâne de l'U. arclvideus, figuré par Cuvier (pl. 185, fig. 3 
et 4), montre bien le peu de saillie du front; mais celui de la 
planche 489, figure 4, a les bosses frontales assez marquées, pour 
qu'il me semble difficile de le distinguer de l'U. spelœus. 


7h 3. DELEOS, 

La séparation des deux grandes espèces des cavernes ne repose 
done, comme on le voit, que sur des caractères bien peu impor- 
tants, et bien sujets, par leur nature, à varier. Cuvier d'ailleurs 
ne fut conduit à effectuer cette séparation que parce qu'il avait eu 
en sa possession deux sortes d’humérus qui lui avaient paru offrir 
des caractères spécifiques différents. L'existence de deux espèces 
d’humérus le porta à admettre celle de deux espèces de crânes. 
Cuvier ne tarda pas, du reste, à revenir sur celte première déter - 
mination, en déclarant que l’'U. arctoideus ne lui paraissait plus 
constituer qu’une simple variété. 

I faut convenir qu’en étendant jusqu’à l'U. priscus les obser- 
vations que je viens de rapporter, on voit s’atténuer singulière- 
ment l'importance des caractères sur lesquels celle espèce a été 
établie. On serait presque tenté de la considérer comme un jeune 
de la grande espèce, chez lequel les bosses frontales n'auraient 
pas eu le temps de se développer, el dont les fausses molaires 
n'auraient pas encore disparu, Je reviendrai un peu plus loin sur 
ce sujet. 

Eu comparant les proportions réduites, je trouve que, dans 
l'U. arctoideus, la longueur du crâne est égale à celle de la face, 
de sorte que le museau serait plus long que dans la plupart des 
têtes d'U, spelœus ; que la hauteur de l’occiput ne dépasse pas le 
minimum constaté chez ce dernier; que le point de réunion des 
crêtes temporales tombe entre les limites observées dans POurs à 
front bombé. 

Quant à l'U. priseus, ses proportions ne différent que peu des 
proportions moyennes de l'U. spelœus , la plupart tombant entre 
les extrêmes, à l'exception des chiffres relatifs à la hauteur du 
profil qui descendent presque tous au-dessous du minimum. Il en 
résulte une différence qui n’est pas sans valeur, savoir, que la tête 
de l'U. priscus était beaucoup plus déprimée et beaucoup moins 
haute verticalement. 


$ XXVL 


Avant d'aller plus loin, je crois utile de m'occuper des résultats 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 75 
des recherches de Schmerling. Cet auteur rapporte à VU. arctor- 
deus un crâne très âgé, plus long de 1 : 10 que le crâne d'U. spe- 
lœus décrit, qui lui a été fourni par la caverne de Goffontaine. 
Aux caractères donnés par Cuvier, il ajoute les suivants : 

1° Les canines dirigées plus horizontalement. Je ne trouve pas 
que ce caractère soit bien évident dans la planche 13. 

2% Le museau plus allongé, plus étroit. La longueur du museau 
élant égale dans les deux têtes, celle du crâne est en effet de 1 : À 
plus faible dans l'U. arctoideus (1). La largeur est aussi inférieure 
de 1 : {entre les incisives externes et les canines. Quant à l'espace 
vide entre la canine et la première molaire, il n’est que de 1 : 4 
plus long. 

& L'étroitesse du front et du crâne. Le front est en effet près 
de moitié plus étroit ; la distance entre les arcades zygomatiques est 
plus faible de 4 : 4. 

4° Contrairement à ce que dit Cuvier, les crêtes temporales se 
réunissent (rès promptement. La planche 43 le montre en effet 
très neltement; ce qui viendrait à l'appui de ce qui a été dit plus 
haut sur les modifications que l’âge apporte dans la disposition des 
crêtes. 

5° La crète sagiltale décrivant un arc de cercle. Ce caractère 
est tout à fait insignifiant dans la planche 13, d'autant mieux que 
la majeure partie de cette crête a disparu. La courbure, par la 
portion qui reste, n’est pas plus forte d’ailleurs que dans l'U. spe- 
lœus, pl. 9. 

| 6° L'orbite plus allongée, les arcades zygomatiques plus longues, 

| plus pue en dessus, plus minces. Ces caractères, peu mar- 
qués dans la figure, me paraissent d’une bien minime impor- 

lance. 

ù 115 ‘agit maintenant de savoir si cette tête appartient bien réelle- 

| ment au type à front plat de Cuvier. J'avoue que la comparaison 

| 


(A) J'ai dû réduire la dimension en centièmes, comme je l'ai déjà fait pour les 
autres têtes. Je ne donne pas le tableau, auquel j'emprunte seulement les chiffres 
indispensables pour la discussion. 


76 J. DELBOS. 

des planches ne justifie pas tout à fait cette association : car Ja 
saillie du front, pour être un peu moins prononcée que dans 
d’autres crânes, ne laisse pas envore de l’être beaucoup. D'autre 
part, un des caractères assignés par Cuvier à l'U. arctoideus fait 
ici défaut, car les crêles temporales se réunissent très vite et for 
ment un angle très ouvert. Cependant, en négligeant cette der- 
nière particularité et en tenant compte de l’étroitesse de la tête 
dans toutes ses parties, on pourrait encore l’assimiler à cette der - 
nière espèce, d'autant mieux que la planche 189, figure 4, des 
Recherches sur les ossements fossiles, montre encore un front très 
bombé. Mais on voit, en définitive, combien les signes distinetifs 
de l'Ours à front plat se réduisent à peu de chose. 


8 XXVII. 


Schmerling cependant ne s’en est point tenu À, car il à pré- 
tendu dédoubler chacune des grandes espèces établies par Cuvier. 
Voyons si ce dédoublement offre quelque légitimité. 

Parmi les crânes bombés, l'auteur a cru d’abord pouvoir dis- 
tinguer deux espèces ou tout au moins deux variétés, pour les- 
quelles il propose les noms d’U. fornicatus magnus et d'U. forni- 
catus minus. Schmerling attache une extrême importance à toute 
différence dans la taille : une différence de 4 : 15 dans la lon- 
gueur de la petite espèce lui parait d’abord un caractère assez im- 
portant pour être pris en considération. Les autres caractères 
distinctifs de cette espèce seraient : 1° la forme générale plus 
arrondie ; 2 Ia grosseur et la brièveté des canines, le museau plus 
court et plus élevé vers sa base ; 3° les bosses frontales plus éle- 
vées, le front plus large et plus déprimé au milieu ; 4° les crêtes 
lemporales réunies sous un angle plus aigu ; 5° la crète sagittale 
plus courbée, plus élevée an milieu; 6° les arcades zygomatiques 
plus étroites, les orbites plus grandes, un alvéole de fausse mo- 
laire devant la première molaire. 

En traduisant ces différences en chiffres d’après les mesures 
données par Schmerling, on trouve que le museau est plus long 


I 
Î 
| 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. T1) 
de 4: 26 dans la petite tête, la longueur du crâne étant moindre 
de 2 : 21 (1), sa hauteur ioindre de 4 : 9 à sa base, le front plus 
large de 4 : 18. Toutes les autres dimensions se rapprochent au 
même degré, aucune ne différant de plus de 1 : 6. Il serait diffi- 
cile de trouver une sinilitude plus grande entre deux têtes d’une 
espèce quelconque. Quant aux autres caractères, ils se réduisent 
à peu près à la même valeur, et il serait superflu de les analyser 
en détail. 

Je pense done qu'on ne peut considérer les petites têtes à front 
bombé de Schmerling comme constituant même une variété. Tout 
au plus leur forme un peu plus arrondie pourrait les faire consi- 
dérer comme provenant d'individus femelles, si leurs caractères 
ne sont pas tout simplement individuels. 


$ XX VII. 


Schmerling a fondé son U. leodiensis sur des caractères presque 
aussi peu importants. Cette espèce, qui appartient au type des Ours 
à front plat, différerait de ceux-ci : 1° par les canines plus minces 
et plus horizontales ; 2 par le museau plus long (de 1 : 6) et plus 
droit (de 1 : 8 à 1: 25); 3° parles narines plus longues (1 : 23) 
et les os du nez plus courts; 4° par le front plus élevé (4 : 7) et 
plus large : 4); 5° par les apophyses postorbitaires plus sail- 
lantes ; 6° par l'angle plus aigu formé par les crêtes temporales ; 
7° les orbites plus grandes et moins obliques ; 8° les arcades zygo- 
matiques plus arrondies en dehors et moins élevées. 

La plupart de ces caractères ne sauraient suffire pour légitimer 
l'établissement d’une espèce, à cause de leur peu d'importance et 
de leur nature variable d'un individu à un autre. On vient de voir 
à quoi se réduisent ceux qu'il est possible d'exprimer par des 
nombres. Les seules différences qui méritent d'être signalées sont 
Ja largeur du front etla hauteur plus grande de À : 5 au bord anté- 
rieur des os du nez. Toutes les autres n'atteignent pas 1 : 6, et 


(4) Dans la grande espèce, la longueur du museau est à celle du crâne 
::400 : 415. Différence — Æ. 


78 J. DELBOS, 


restent ordinairement beaucoup au-dessous. Je ne puis saisir au- 
eune différence digne d'être notée entre les planches 13 et 16 
de Schmerling. 11 ne reste donc que la taille, qui est inférieure de 
4 : 5 à celle de l'U. arctoideus, et l'angle aigu formé par les crêtes 
temporales. Schmerling assure que la tête qu'il a décrite prove- 
nait d’un individu très âgé. Si cela est, il faudra considérer cette 
tête comme constituant une variété dans le type des Ours à front 
plat, si toutefois encore ces différences ne sont pas tout simple- 
ment sexuelles ou individuelles. Dans tous les cas, je pense que 
l'espèce ne saurait être conservée, et qu’elle doit être rayée des 
catalogues. 


$ XXIX. 


Les deux nouvelles espèces établies par Schmerling étant écar- 
tées, je reviens aux trois types fondamentaux de Cuvier. 

I faut bien reconnaitre que l’ostéologie comparée n’est pas 
toujours suflisante pour caractériser les espèces; c'est déjà beau- 
coup qu'elle fournisse des moyens précis et infaillibles pour re- 
connaitre les genres; mais il ne faut pas lui demander plus qu’elle 
ne peut donner. Le Tigre etle Lion constituent certainement deux 
espèces distinctes ; on sait pourtant combien leurs têtes osseuses 
sont difficiles à distinguer, et combien sont légères leurs diffé 
rences. I en est de même pour le Lièvre et le Lapin. La tête du 
Chien de berger diffère beaucoup moins de celle du Loup que de 
celle d'un Dogue, et il est bien difficile, pour ne pas dire impos- 
sible, de saisir des caractères capables de reconnaitre le crâne 
d’un Renard de celui d’un Chacal ou de certaines variétés du Chien 
domestique. Il y aura donc toujours un peu de vague dans les 
spécifications déduites de l’ostéologie, et il ne saurait en être autre- 
ment tant que sera pendante la grande question de l'espèce, et tant 
que l'on verra les naturalistes différer de sentiment sur des ani- 
maux qui vivent pour ainsi dire Sous no$ Yeux, que nous pouvons 
étudier à loisir, vivants el morts, et sous tous les rapports imagi- 
nables. 

Si l’on voulait juger les caractères ostéologiques parleur impor- 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 79 
tance physiologique, il est bien certain qu'on devrait réunir le 
Lion au Tigre, parce qu'il n’y a en réalité entre eux que de légères 
différences dans les formes de leurs têtes ; mais on se trouverait 
dès lors en désaccord avec les résultats auxquels conduit la z0olo- 
gie. Il ne faut done point se hâter de prohiber comme insuffisants, 
à cause de leur faible signification physiologique, les caractères 
sur lesquels Cuvier a fondé les diverses espèces qu'il a admises 
dans le genre Ours. 

Ces caractères , comme nous l’avons vu, sont relatifs à la forme 
du front, à la disposition des crêtes et à la présence ou À l'absence 
des petites fausses molaires. Or, le front se relève de bosses avec 
l'âge; les crêtes deviennent plus saillantes ct tendent à converger 
plus rapidement l’une vers l’autre; les petites fausses molaires, 
presque rudimentaires et sans fonctions réelles, peuvent opérer 
leur chute à des époques variables suivant les individus, et elles 
ne manquent pas toujours chez les grandes espèces fossiles. 

Les proportions relatives de la tête sont sujettes, ainsi que je l'ai 
montré, à de grandes inégalités dans la même espèce. Il paraît en 
être de même à l'égard des proportions générales du corps et de 
la taille : « La hauteur relative de leurs jambes varie également, 
» dit G. Cuvier; etle tout sans rapport constant avec l'âge et le 
» sexe, Leur laille, même dans la même famille, n’est nullement 
» déterminée, car j'ai vu des Oursons devenir, en {rois ans, deux 
» fois plus grands que leur mère, tandis que d'autres restaient plus 
» petits (4). » S'il en est ainsi, on devra être très circonspect dans 
l'emploi de la taille comme caractère spécifique. 

En présence de celte ambiguïté dans les caractères, où trouver 
les signes des espèces? Par quel moyen reconnaitre que les diffé- 
rences observées ne sont pas purement accidentelles et peuvent 
être employées comme signalement de Lypes divers? Ce critérium 
de la valeur des faits, nous le trouverons dans leur fixité, dans la 
constance avec laquelle ils se manifestent. Si nous voyons, par exem- 
ple, se développer constammentà une certaine époque, dans un cer- 
tain nombre d'individus, des caractères qui n'apparaissent jamais 


(4) Art. Ouns du Dict. univ, d'hist, nat., t. TX, p. 257 (par Boitard). 


80 J. DELBOS., 


chez les autres; si certaines marques, en apparence peu impor- 
tantes par la nature des organes auxquels elles se rapportent, se 
rencontrent toujours el sans exception chez eux ; ces caractères, 
ces marques acquerropt par la régularité avec laquelle ils se ma- 
nifestent, ou par leur constance, le degré de valeur que leur défaut 
de permanence ou le peu d'importance physiologique qu'ils pa- 
raissent offrir auraient dû sans cela leur faire refuser, C’est en me 
fondant sur ces principes que je vais procéder à l'examen des trois 
espèces de Cuvier.— Il importe toujours, en histoire naturelle, de 
rapporter ce qui se ressemble et de séparer ce qui diffère constam- 
ment. Les groupes qu'on obtiendra auront foujours une certaine 
valeur ; peu importe le nom qu'on leur donnera, espèces, variétés, 
races, variafions. Sur ce dernier point, les opinions pourront varier 
suivant le point de vue auquel on se placera, En matière de 
classification, en effet, Ja plupart des questions débattues sont bien 
plutôt des questions de degré que des questions de fait, et le désac- 
cord se produit bien plus souvent sur l'interprétation des faits que 
sur ces faits eux-mêmes. 
$ XXX. 

Faut-il done, avee Cuvier, admettre trois espèces d'Ours dans 
les cavernes, où bien, avec de Blainville, ane seule? Dans cette 
dernière manière de voir, VU. priseus, à peine distinet des Ours 
bruns d'Europe, formera le premier terme d’une série de modifi- 
cations dont VU. arcloideus pourrait constituer le terme moyen et 
l'U. spelœus le terme extrême. 

Et d’abord l'U. priscus ne saurait être considéré comme un 
jeune, puisque la tête d'après laquelle celte espèce à été constituée 
a ses crêtes très fortes et ses molaires usées. La combinaison des 
caractères qui la distinguentdes autres Ours fossiles, la courbe du 
profil par exemple, et la présence des petitesmolaires, ne permettent 
done pas de la considérer comme un U. spelœus qui n'aurait pas 
atteint tout son développement. D'un autre côté, un très jeune crâne 
fossile figuré par Cuvier (pl. 185, fig. 5), quoique encore très peu 
bombé, montre un front plus protubérant qu'il ne l'est dans 
l'U. priseus adulte. Et cependant ce crâne très jeune, dans lequel 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 81 
lesmolaires n'ont pasachevé de sortir, n'offre pasles peliles fausses 
molaires que l'on trouve chez le vieil U. priseus. Je pense done 
que ce dernier doit être considéré comme spécifiquement distinct 
des deux autres. Quant à ses affinités avec les espèces vivantes, 
elles sont beaucoup plus prononcées ; mais comme elle n’est iden- 
tique avec aucune et qu'elle partage en quelque sorte les carac- 
tères de plusieurs d’entre elles, il faut bien admettre, avec Cuvier, 
que si l’on maintient comme espèces les Ours bruns et noirs, il 
faudra également maintenir l’'U. priscus au même titre. 

Ilest bien évident que si l’on considère l'U. priscus comme 
différent de nos Ours actuels, VU. spelœus s'en éloignera spécifi- 
quement encore davantage. La constance de la saillie de son front, 
de ses crêtes qui apparaissent déjà de très bonne heure, l'absence 
ou du moins l’extrême caducité de ses petites molaires le caracté- 
risent suffisamment. Il est vrai que dans la jeunesse le crâne est 
encore peu bombé, mais il a cela de commun avec toutes les 
espèces, dont il diffère cependant déjà d’une manière reconnais- 
sable. 

Telles sont les raisons sur lesquelles je fonde mes conclusions 
sur les deux principaux types fossiles. On pourra discuter sur la 
valeur de leurs caractères, mais on sera toujours bien obligé de 
convenir que ces caractères sont plus marqués que ceux qui dis- 
linguent la tête du Tigre de celle du Lion. 

Quant à l'U. arctoideus, il me semble reposer sur des données 
beaucoup plus incerlaines, et comme on retrouve chez lui tous 
les traits caractéristiques essentiels de l'U. spelœus, je crois que, 
comme Cuvier, on devra se borner à le considérer comme une sim- 
ple variété, ou du moins comme une espèce plus voisine de ce 
dernier que l’Ours brun actuel ne l’est de l'Ours noir d'Europe. 

Je me trouve ainsi amené, par cette longue discussion, à adopter 
entièrement les opinions de Cuvier. 


$ XXXI. 
Je terminerai par quelques mots sur la légitimité des espèces 


vivantes qui ontété établies par Cuvier. Elles n’ont pas été admises 
4° série. Zooz. T. XII. (Cahier n° 2.) ? 6 


82 J. DELBOS. 


par tous les auteurs, et plusieurs ont pensé que les Ours bruns, 
noirs et gris devaient être réunis en une seul et même espèce. 
L'opinion que l’on adoptera sur ce sujet dépendra entièrement du 
point de vue où l’on se placera et de la définition que l’on donnera 
du mot espèce, mais il faudra bien en définitive conserver les 
types à titre au moins de variétés. S'il est constant que l’Ours 
brun ne prend à aucun âge les fortes crêtes temporales et sagit- 
tales qui caractérisent l’Ours noir, que son museau est constam- 
ment plus court et son front plus convexe, il faudra bien l'en 
distinguer. I faudra mettre également à part l’Ours d'Amérique 
dont le poil n’est pas laineux, dont le museau est beaucoup plus 
court, le front convexe et les crêtes saillantes, dont les mœurs 
sont douces, le régime entièrement frugivore ou piscivore et dont 
le cri consiste en un hurlement et non en un grondement. Quant à 
l'Ours gris ou féroce, il ne nous est qu'imparfaitement connu, et 
c’est 1à une lacune bien regrettable, car lui seul paraît atteindre 
une taille comparable à celle des grandes espèces fossiles; il 
serait d’une bien grande importance de savoir jusqu’à quel paint 
il en diffère, et, s’il n’est qu'une variété particulière de l’Ours 
brun, comme le pensent Cuvier et M. Isidore Geoffroy Saint- 
Hilaire, quelles sont les modifications que l’âge et les circon- 
stances extérieures peuvent occasionner chez ce dernier. 


$ XXXII. 


Je me résume : si l’on admet les espèces vivantes établies par 
Cuvier, les deux espèces fossiles principales, U. priscus et{U. spe- 
lœus devront être admises au même titre, puisqu’ellesdiffèrentl'une 
de l’autre et de celle-ci autant que ces dernières diffèrent entreelles. 
Sion les réunit au contraire, il faudra considérer l'U. priscus 
comme leur prototype, mais il n’est pas certain qu'il faudra leur 
joindre l’'U. spelœus, qui s'en écarte en effet beaucoup plus. Je 
n'hésite pas, pour ma part, à me prononcer pour la première 
opinion. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 83 


CHAPITRE IT. 


MACHOIRE INFÉRIEURE. 


Art. 1. — Étude des mâchoires recueillies à Sentheim. 


XXXIIL. 


Les études qui vont suivre sont fondées sur l'examen de seize 
maxillaires inférieurs dont quelques-uns très entiers, et sur un 
assez grand nombre de débris plus ou moins incomplets. Sur les 
seize màchoires mentionnées, six appartiennent au côté gauche et 
dix au côté droit. 

Parmi ces pièces, on peut distinguer tout d’abord quatre formes 
reconnaissables, mais d’ailleurs assez peu différentes. 


XXXIV. 


L. Je choisirai pour terme de comparaison un maxillaire du côté 
droit, de taille moyenne, qui a appartenu à un individu très vieux, 
car toutes ses dents sont fortement usées, surtout la deuxième 
molaire. La canine est tronquée au sommet, et érodiée assez pro- 
fondément par détrition du côté interne. La dentition de cette 
pièce est du reste complète. Le tableau qui accompagne cet article 
en donne les dimensions en millimètres, ainsi que les proportions 
calculées en centièmes de la longueur totale, mesurée du bord in- 
cisif au milieu du condyle. 

La demi-mâchoire réunie par Schmerling au crâne de son 
U; leodiensis (pl. XV) est, de toutes les figures données par cet 
auteur, celle dont cette pièce se rapproche le plus. Les propor- 
tions sont les mêmes ; la seule différence à signaler, e’est que le 
bord antérieur de l’apophyse coronoïde s'élève plus obliquement 
dans mon échantillon. La mâchoire supposée d’U. arctoideus 
(pl. XHT) est plus grande, sa branche horizontale relativement 
plus haute, et sa canine beaucoup plus volumineuse. Quant aux 
figures attribuées aux Ours à front bombé, elles se distinguent au 
premier coup d'œil par la grande hauteur du corps (pl XVI). 


8h J. DELROS. 

A cette première forme se rattachent les maxillaires les plus 
communs dans les cavernes de Sentheim. Sur les seize échan- 
tillons recueillis, douze appartiennent à ce groupe. Cependant, 
parmi ces douze morceaux, il y à encore quelques nuances, peu 
importantes à la vérité, mais que je crois ulile de signaler : 

1° En premier lieu, six d’entre eux doivent être considérés 
comme identiques. Les proportions relatives sont les mêmes ; les 
molaires occupent le même espace; les canines, assez grêles, ont 
à peu près la même forme. L'un de ces morceaux, du côté droit, 
a des molaires assez fortement usées ; les autres, fous à très peu 
près de même faille, n'ont aucune trace de détrition sur les dents, 
et ont appartenu à des individus adultes, mais encore jeunes.” 

d% Un seplième maxillaire, du côté droit, a exactement les 
mêmes formes , mais sa canine est beaucoup plus grosse, surtout 
dans la partie de la racine, ce qui le rapprocherait de l'U. arctoi- 
deus (pl. XHI de Schmerling), dont il s'éloigne du reste par le 
peu de hauteur de la branche horizontale. 

3° Cinq autres un peu plus petits, quatre du côté gauche et un 
du côté droit, différent des précédents par leurs molaires moins 
grosses, etformant par suite une série un peu plus courte, On ne 
saurait attribuer d’ailleurs cette différence à l’âge, car quelques- 
unes de ces molaires ont leurs pointes plus profondément usées. 
Is se rapportent assez bien à la figure 2, planche XIX, de Schmer- 
ling, attribuée à l'U. leodiensis, L'un d'eux, et c’est le plus vieux, 
a l'intervalle entre la canine et la première molaire plus court que 
les autres dans la proportion de 2 à 3; mais on observe d'ailleurs 
des inégalités semblables dans les mâchoires précédentes. Un 
autre, à dernière molaire très petite, très fraiche, a sa branche 
horizontale moins élevée que tous les autres ; il a appartenu à un 
individu jeune. 

Le caractère commun à toutes ces mâchoires, c’est l’étroitesse 
de la branche horizontale, dont la hauteur est à la longueur 
:: 94 : 100 en moyenne. Les différences que j'ai mentionnées 
sont si légères, que je ne crois pas possible de les ériger en carac- 
ières ; elles peuvent tenir à l'âge el aux individus. La grosseur des 
molaires peut varier sensiblement dans une même espèce; ainsi 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 59 
dans les pièces qui offrent l'identité la plus complète sous tous les 
autres rapports, on peut constater des inégalités assez marquées. 
La dernière molaire est celle qui présente les plus grandes varia- 
tions. Quant au diamètre des trous mentonniers, il n’a rien de 
constant non plus ; il en est de même de leur nombre, qui peut 
varier de 0,2 à 5. Lorsque ces trous sont nombreux, quelques- 
uns sont réduits à l'état de canaux étroits ; il y en a au plus deux, 
quelquefois un seul d’un assez gros diamètre; la position de ces 
derniers est variable, mais je ne les ai jamais vus se porter en 
arrière au delà de la deuxième molaire. Is sont disposés généra- 
lement sur une même ligne, située au tiers inférieur de la hauteur 
de la branche horizontale du maxillaire. 


XXXV. 


I. Un maxillaire du côté gauche provenant d’un individu 
extrêmement vieux se rattache au groupe précédent par son corps 
étroit, sa taille et ses proportions générales; mais il s’en distingue 
par la forme de l’apophyse coronoïde, dont le bord antérieur 
s'élève beaucoup plus verticalement au-dessus du bord dentaire ; 
son bord inférieur est aussi un peu moins droit, et la canine plus 
oblique, plus inclinée en avant. Il offre, avec la planche XV de 
Schmerling (U. leodiensis), une telle identité, que l’on croirait 
qu'il a servi de modèle au dessinateur. La couronne de la canine 
est épointée par usure, et si profondément entamée du côté interne 
par le frottement contre l’incisive externe correspondante d’en haut, 
que les deux tiers environ en ont disparu; une sorte de canal 
moins profond a été produit par l'action de la canine opposée sur 
la partie postérieure du côté externe. La pénultième molaire, la 
seule qui reste, a sa couronne usée presque jusqu’à la racine. 


XXX VI. 


HE. Une énorme demi-mâchoire du côté gauche s'éloigne da- 
vantage de celle que j'ai choisie pour terme de comparaison, par sa 
taille et par la grosseur considérable de sa canine. Elle se rap- 
proche de la figure attribuée par Schmerling au grand Ours à front 


86 J. DELBOS. 

bombé (pl. XVUL, fig. 1). Elle est cependant un peu plus longue; 
le corps est un peu plus étroit, et la portion postérieure du bord 
inférieur offre une courbure moins prononcée. Les dimensions 
égalent ou dépassent celles des plus grandes mâchoires mesurées 
par Schmerling , mais la moindre hauteur de la branche horizon- 
tale ne permet pas de la rapporter aux dessins attribués à une 
nouvelle espèce d'Ours, qui aurait élé un peu plus grande que 
toutes les autres (U. giganteus Schmerl.). L’individu auquel a 
appartenu cette pièce était très vieux, car la canine qui seule sub- 
sisle est très profondément usée. La disparition des molaires re- 
monte à une époque ancienne , car leurs alvéoles sont presque 
tous remplis de limon. 


XXXVII. 


IV. Un maxillaire du côté droit, moins bien conservé que le 
précédent, s’en distingue par sa brièveté relative et par la plus 
grande hauteur de sa branche horizontale; plus court de 1/8, sa 
branche est cependant de 4 :8 plus haute. Ses molaires plus 
grosses , et formant une strie plus longue , l’éloignent , avec les 
caractères que je viens d'indiquer, du premier type. Celte pièce 
n’était pas pourtant fort âgée, car les quatre, molaires offrent à 
peine quelques indices d'usure. Elle est en outre remarquable par 
les grandes dimensions du canal dentaire et d’un des trous men- 
tonniers. Ses principales analogies sont avec la mâchoire, dont 
Schmerling a fait une nouvelle espèce sous le nom d'U. giganteus 
(pl. XVI, fig. 1); elle est seulement un peu plus courte. Elle 
en a aussi beaucoup avec la planche IX (U. spelœus) ; cette der- 
nière est seulement un peu plus longue, et ses molaires occupent 
moins d’espace. Aïnsi que le montrent ces dessins, le bord infé- 
rieur est moins rectiligne, plus convexe dans sa partie postérieure 
que dans les formes précédentes. Un deuxième maxillaire, du côté 
gauche, se rattache au même type par la grosseur de ses molaires, 
qui ne sont du reste aucunement usées, et, par sa forme raccour- 
cie, il en diffère cependant par sa branche un peu moins élevée et 
par son bord inférieur plus droit. La figure 2, planche XVIII de 
Schmerling (petit Ours à front bombé), lui convient assez bien, 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 87 


XXXVIII. 


La comparaison directe des dimensions absolues de ces quatre 
sortes de maxillaires prouve qu’il existe dansles cavernes de Sen- 
theim des restes d'Ours qui différaient sensiblement pour la taille, 
et cela indépendamment de l’âge : 

1° Les plus pelits étaient les plus nombreux. La longueur totale 
de leurs maxillaires ne dépasse pas 0",280 à 0*,290 chez les plus 
vieux ; leurs molaires sont d’un volume médiocre, leurs canines 
relativement grèêles, le condyle étroit, la branche horizontale peu 
élevée. A cette première sorte se rattachent les deux premières 
formes décrites; leur longueur dépasse de 2/5 celle de l’Ours des 
Pyrénées. 

2 D’autres, plus rares, atteignaient une faille beaucoup plus 
considérable. Leurs mâchoires, plus longues de 1/5, sont pour- 
vues de molaires et de canines plus fortes ; elles sont de 7/10 plus 
longues que celles de l’Ours brun des Pyrénées. 

3° Enfin, dans une troisième catégorie d'individus, les mà- 
choires, courtes relativement, puisqu'elles ne dépassent guère la 
longueur de celles de la première, se font remarquer par la grande 
hauteur du corps, le développement transversal du condyle ; leurs 
molaires sont aussi grosses que dans le type précédent. Ces carac- 
tères semblent indiquer un museau raccourci et élevé, une grande 
largeur du crane vers les temporaux. 


XXXIX. 


Il serait d’une certaine importance de savoir au juste quelles 
sont, parmi ces mâchoires, celles qui doivent être réunies à Ja 
grande tête que j'ai décrite. Cette tête ne comporte qu'une mâ- 
choire de longueur médiocre, c’est-à-dire de 0",280 de longueur. 
Les deux premières formes lui conviendraient done pour la taille. 
A Ja vérité, le volume des dents semble s'opposer à ce rappro- 
chement; nous avons vu en effet que, parmi les mâchoires supé- 
rieures récoltées à Sentheim, il en est qui différent des autres et 


88 ‘s. DELBOS. 

du grand crâne par leurs molaires plus petites ; elles iraient done 
avec nos mâchoires inférieures à corps étroits, et il faudrait rap- 
porter au crâne à front bombé celles dont les molaires sont les plus 
fortes, c’est-à-dire celles dont le corps est très élevé et la forme 
raccourcie. Cependant la brièveté de ces màchoires ne concorde 
guère avec la forme allongée du museau de la tête de Sentheim, 
et la grande largeur des condyles ne s'allie pas non plus avec la 
dimension des fosses glénoïdes, ni avec le resserrement du crâne 
dans la région temporale. Abstraction faile des dents, sur les- 
quelles je reviendrai d’ailleurs, ce sont donc les maxillaires de la 
première espèce qui s'adaptent le mieux au grand crâne. 


XL. 


En supposant que la longueur de la mächoire ait été relative- 
ment aux dimensions générales dans le même rapport chez les 
Ours fossiles que dans l’Ours des Pyrénées, les individus auxquels 
ont appartenu les maxillaires des deux premières sortes auraient 
eu 41",85 de longueur totale et 1 mètre de hauteur au garrot. Les 
plus grands auraient eu 2°,21 de long sur 1",22 de haut. 

Je donne ici le tableau des dimensions réelles et calculées en 
centièmes de la longueur totale des maxillaires les plus complets 
que j'ai vus des quatre formes que j'ai signalées ; tous ont appar- 
tenu à des individus adultes où même vieux. J’y joins, pour servir 
de comparaison, les mesures prises sur l'Ours des Pyrénées : 

En comparant les dimensions calculées, on peut voir que les 
trois premières sortes ne diffèrent que très peu, puisque les plus 
grands écarts n’atteignent pas 1/5. Les différences ne portent done 
point ici sur les proportions, mais sur la taille et sur quelques traits 
particuliers que les chiffres ne mettent pas en évidence. La qua- 
trième sorte s’écarte beaucoup plus de toutes les autres par sa 
forme raccourcie , par la grande hauteur du corps et par la lar- 
geur du condyle. 


8) 


“uuoiproq-ojÂtu uorssoadur j 8 enyoo19 asAqdode, | aq 


sms ess: + *opÂpuos np aneSieq 


vus ss tt * OIQIUOP PJ 219HN0p 
" * * oirejou oJouaud ej jueAep 
+ + + * ‘OlOIUUOJUOU 07919 PE] 8p 


080‘o l'oprououoo ‘de j ap jeuwos ne enyaouo ‘de ] ep 


020‘0 | * * * * * * * * * ‘epiououoo osAgdode j op mamnex 


090 0 |* * * * : ‘oseq es e eprououoo osqdode,] op anoñueT 
020‘0 l'e[Âpuoo ne oxejour exgtuiep ej ep anempscd pioq nq 
8200 | * * * * * * * * * *Selejou 8] Jed 9dn990 eoedsg 
ceo'o | * oxejouw ougruiaud ej 19 SOuUE sa] aqua EfIPAIAUT 


oovl oo‘ | © * * * * * * eÉpuoo ne JISWUL paoq np Anon8u07 


= 
= 
En 
A 
sl] 
n 
a 
A 
en 
rs] 
Z 
= 
A 
Eu 
2 
S 
72 
| 
a 
A 
A 
=] 
pa 
n 
< 
a 
el 
OS 


“SAINMIXA 50 
a  _—— LE NT *NOILVNOISTA 


suno 
“NIAHINAS 44 SUNO 


meme dns m4 ame er nn 


90 J. DELHOS, 


Art. 2. — Discussion des espèces. 
XLE, | 

Cuvier a distingué deux formes principales parmi les mâchoires 
inférieures qu'il a vues ; les plus communes différent des autres 
par leur apophyse coronoïde plus large, relativement à sa hauteur, 
par leur partie horizontale plus épaisse et plus haute, par leurs 
dents plus petites. Il incline à penser qu’elles ont appartenu aux 
têtes à front bombé, sans se prononcer d’ailleurs positivement sur 
celte question, d'autant mieux qu'il lui a paru que des différences 
semblables se présentaient dans les Ours vivants de même espèce. 

Je suis assez embarrassé pour distribuer dans ces deux groupes 
les mâchoires de Sentheim. Celles du type IV se rapporteraient à 
la première sorte par la hauteur du corps, tandis que la grosseur 
des denis les en éloignerait, ainsi que le peu de largeur de l’apo- 
physe coronoïde. Enfin le rapport entre la hauteur de l’apophyse 
coronoïde et sa largeur est dans une mâchoire du premier type, et 
dans une du troisième à peu près de 7 à 8, comme dans la deuxième 
sorte de Cuvier, c’est-à-dire dans les mâchoires à dents plus 
grosses et à corps plus mince. Il me semble donc que Cuvier n'a 
pas eu de mächoires semblables à celles dont j'ai fait mon qua- 
trième type. Peut-être faudrait-il chercher les deux formes décrites 
par cet auteur dans mon premier type. La grande mâchoire que 
j'ai décrite sous le numéro IT répond bien aux figures de l’atlas 
des Recherches (pl. 185, fig. 8, et pl. 189, fig. 7); mais je crois 
inutile d’insister davantage sur des distinctions auxquelles Cuvier 
lui-même ne paraît pas avoir attaché une grande importance, et 
sur des difficullés auxquelles je ne vois aucune solution possible. 


XLII. 


En 1830, M. Marcel de Serres a décrit, dans le Bulletin des 
sciences naturelles de Férussag (Et. XX, p. 151), un maxillaire in- 
férieur provenant des cavernes de Fauzan (Héraull), qu'il consi- 
dère comme ayant appartenu à une espèce nouvelle, plus grande 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 91 


que l'U. spelœus, et à laquelle il donne le nom d'U. Pitorru. Or 
tous les caractères énumérés par l’auteur conviennent tellement 
aux mâchoires de mon quatrième type, que je n'hésite pas à con- 
clure à l'identité de ces dernières avec celles de l'Hérault. Quant à 
décider si l'espèce doit être maintenue, c’est une autre question 
que j'examinerai un peu plus loin. 


$ XLIII. 


Parmi les sept sortes de maxillaires décrites et figurées par 
Schmerling, je trouve les suivantes dans les grottes de Sentheim : 
1° U. giganteus (l° lype), 2° grand Ours à front bombé (3° type), 
3° petit Ours à front bombé (l° type), 4° U, arctoideus (quelques- 
unes des pièces du 41° type), 5° U. leodiensis (le 2° type et la plu- 
part des pièces du premier). La variété de l'U. giganteus et 
V'U, priscus manqueraient jusqu'à présent. 


$ XLIV. 


En résumé , si l’on admettait toutes les espèces proposées par 
les auteurs, nous aurions les suivantes dans les grottes du Haut- 
Rhin : 4° U, Pitorriüi, M. de Serr. (U. giganteus, Schmerl.) ; 
2 U. spelœus major, Schmerl.; 3° U. spelœus minor, Schmerl.; 
L° U. arctoideus, Blumenb.; 5° U. leodiensis, Schm. — Mais, 
comme nous le verrons , je pense que le nombre d'espèces doit 
être considérablement réduit. 


$ XLV. 


Les quatre types que j'ai distingués parmi les mâchoires de 
Sentheim ont un caractère commun qui les éloigne de toutes les 
espèces vivantes, l’absence totale des petites fausses molaires entre 
la canine et la première persistante. Ils appartiennent done bien à 
un même groupe. Il s’agit de savoir maintenant s’il n'existe pas 
dans ce groupe des divisions comparables à celles qui se voient 
entre les espèces actuellement vivantes. 

Si le premier et le deuxième type s’éloignent de l'Ours des 
Pyrénées par une plus grande taille, ils s’en rapprochent singu- 


92 J. DELBOS. 


lièrement par la forme et par les proportions relatives, car les dif- 
férences n’ont guère au delà de 1/10, comme on peut s’en assu- 
rer en examinant le tableau des proportions calculées. Le troisième 
type, d’une taille de beaucoup supérieure, en diffère davantage, 
parce qu'il est plas mince et plus long relativement, les différences 
s’élevant quelquefois à 4/5. Enfin le quatrième, qui offre les plus 
grandes dissemblances, diffère en sens inverse par la grande hau- 
teur de sa branche horizontale et par sa forme raccourcie. 

Je manque de matériaux pour fixer les limites des variations 
dans une même espèce; mais si l’on en juge par les figures des 
trois têtes d'Ours bruns données par Cuvier (pl. 183), elles doi- 
vent être assez étendues. Ainsi l’apophyse coronoïde y est beau- 
coup plus droite dans l'Ours des Alpes, la ligne inférieure du corps 
beaucoup moius recliligne dans le deuxième Ours de Pologne. 
Les deux têtes d’Ours noir d'Europe (pl. 182) montrent des dif- 
férences presque aussi marquées. Il ne faut done point se bâler 
de fonder des espèces sur des caractères de forme et de propor- 
tions, sur la constance desquels on ne possède jusqu'à ce jour 
aucune garanlie. 

S'il est vrai, comme l'avance Cuvier, que la taille n'ait rien de 
fixe, même entre les individus issus des mêmes parents, ce der- 
nier caractère deviendra fort contestable, et il y aura beaucoup à 
retrancher des spécifications fondées par Schmerling et par quel- 
ques autres auteurs sur des différences de grandeur souvent bien 
plus considérables. 

C’est en ne perdant point de vue ces données, qui tirent une 
grande autorité du savant dont elles émanent, que je vais aborder 
la discussion des caractères fournis par les maxillaires inférieurs 
au point de vue de la distinction des espèces. 


$ XLVI. 


J'ai signalé quatre types différents parmi les mâchorres récol- 
tées à Sentheim. Les deux premiers types me paraissent devoir 
être réunis en un seul. Il n’y a entre le premier et le deuxième de 
différences que dans la position moins oblique de la canine, le 
bord inférieur plus droit, le bord antérieur de l’apophyse coro- 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 93 
noïde plus incliné en arrière. La forme, les proportions générales, 
la grosseur des dents, la taille, sont d’ailleurs les mêmes. Peut- 
être les particularités de la mâchoire très vieille, sur laquelle j'ai 
fondé le deuxième type, sont-elles uniquement le résultat de l'âge; 
la traction prolongée des muscles élévateurs sur l’apophyse coro- 
noïde peut sans doute déterminer le redressement du bord anté- 
rieur par l'expansion de la lame osseuse en avant, {out comme on 
voit chez beaucoup d'animaux des cartilages et des tendons s’ossi- 
fier dans la vieillesse. La planche 183 de Cuvier montre d’ailleurs 
dans l'Ours brun des différences équivalentes. 

Ce premier groupe sera donc caractérisé par le peu de hauteur 
de la branche horizontale et sa longueur relativement à l’en- 
semble. 11 comprend les mâchoires dont la longueur ne dépasse 
pas 0",290 dans les individus les plus âgés, et qui sont de 2/5 
plus grandes que celles de l'Ours des Pyrénées. 


$ XLVII. 


Le troisième type est de 1/5 plus grand que les deux premiers , 
mais sa forme et ses proportions sont à très peu près les mêmes, 
car si l’on ne tient pas compte de la grosseur des dents ni de ses 
fortes dimensions qui pourraient au premier abord induire en illu- 
sion, parce qu’elles sont réellement frappantes, on peut constater, 
en réduisant les mesures par le calcul, qu'il en diffère à peine. 
Ainsi ramené à la taille des premiers, il apparait même, ainsi 
qu'on peut s’en assurer par le lableau, un peu plus long, et réelle- 
ment plus grèle relativement à l’ensemble. Il ne lui reste donc 
que celte supériorité de 1/5 dans toutes ses parties. Mais est-là un 
caractère bien important et une raison pour en faire une espèce ? 
La taille ne peut-elle pas varier dans ces limites ? Une observation 
bien simple réduira ces différences à leur juste valeur : e est que 
nous pouvons en constater d'aussi grandes chez l'Homme lui- 
même; nous voyons, en effet, des Honimes dont la taille n'excède 
pas 4°,50, d’autres où elle atteint 1",80; la différence est ici 
de 4/5. Les observations de Cuvier établissent que les inégalités 
sont encore plus marquées chez les Ours de même espèce, et 
méme chez ceux provenant d'un même couple. Loin done de voir 


94 J. DELBOS. 


des vestiges d’une espèce particulière dans ces grandes mâchoires 
qu’on trouve dans les cavernes ossifères, je n’y vois que la preuve 
que certains individus, certaines races si l’on veut, pouvaient 
atteindre une taille supérieure aux autres, sans en différer spéci- 
fiquement. 


$ XLVIIL. 


Jusqu'ici nous avons vu la taille varier, mais la forme reste 
sensiblement la même. Dans le quatrième type, nous trouvons an 
contraire des différences qui portent sur les proportions elles- 

* mêmes. La principale pièce sur laquelle j'ai établi ce type est plus 
rapprochée des deux premiers que du troisième par sa longueur. 
Quoique moins âgée, puisque ses dents ne sont aucunement usées, 
ses molaires sont plus grosses que dans les deux premiers, et la 
série qu’elles forment de 4/10 plus longue. La hauteur du corps 
est de 1/8 plus grande, le condyle plus large de 1/6, les trous 
dentaires et mentonniers beaucoup plus volumineux, et à tout cela 
il faut ajouter la forme courbe du bord inférieur. Elle a les dents 
et la hauteur d’une mâchoire plus longue de 0",040, c’est-à-dire 
de 1/7. 

Ces différences sont trop marquées pour qu’on puisse les négli- 
ger. Elles semblent indiquer que l’animal auquel à appartenu ce 
maxillaire avait le museau relativement court, large et haut, le 
crâne très développé vers les oreilles. Il faut donc ici soumettre 
les caractères à une analyse quelque peu détaillée. 

Il est à remarquer d'abord que la brièveté de cette pièce dépend 
plus encore de la partie postérieure que de la branche horizontale, 
car la distance de la dernière molaire est de 1/8 moindre, tandis 
que le corps est au contraire relativement un peu plus long. Il en 
résulte que l’apophyse coronoïde est plus éfroile. Je me suis de- 
mandé si la longueur relative des mâchoires ne pourrait pas être 
une conséquence de l’âge. Il est notoire que le museau des Car- 
nassiers allonge à mesure que l’animal grandit, et il est probable 
que cet allongement se continue, quoique avec plus de lenteur, 
lorsqu'il a atteint l’âge adulte. On sait d’ailleurs que chez beau- 
coup d'animaux, et particulièrement chez les Singes, la face de- 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 95 


vient extraordinairement proéminente dans la vieillesse. Pourquoi 
n’en serait-il pas de même chez les Ours ? L'action prolongée des 
muscles élévateurs doit tendre à élargir l’apophyse coronoïde (1), 
et il en doit résulter un allongement de la partie postérieure. Or, 
dans la mâchoire de Sentheim, les dents sont d’une extrême 
fraicheur ; l'émail n'y est point entamé, ni même très adhérent à 
l'ivoire ; le tissu osseux y est de consistance terreuse, friable, et 
n’a pas atteint la solidité qu’il a prise dans les vieux individus ; 
les saillies d’engrenage de la symphyse sont peu tranchantes, 
comme si l'articulation n’eût pas acquis encore toute sa fermeté. 
Quant au canal dentaire et aux trous mentonniers, l'observation? 
montre qu'ils tendent à s’oblitérer avec l’âge, et leur grand vo— 
lame est encore un indice de jeunesse. Tout, dans le quatrième 
type, dénote donc un animal à peine arrivé à l’âge adulte. 

En parlant de cette supposilion, on sera conduit à considérer le 
quatrième type comme l’âge adulte d’une grande race ou de grands 
individus dont le troisième serait l’âge avancé. Le volume des 
molaires vient à l'appui de cette hypothèse : elles sont déjà aussi 
grosses que dans le troisième type, ce qui doit être, puisqu'elles 
se développent une fois pour toutes, et qu’une fois formées elles ne 
croissent plus. Que l’on suppose que ce maxillaire s'allonge, sur- 
tout par sa partie postérieure, on aura la forme que présente la 
grande mâchoire décrite dans le n° HI. 

Dans cette mâchoire encore jeune, les condyles ont déjà toute 
la largeur qu'ils prendront dans les plus grandes. Sans doute, le 
crâne a déjà acquis tout son développement en largeur, et ne gran- 
dira plus qu'en longueur. La forme plus sinueuse du bord infé- 
rieur peut être une circonstance individuelle, comme on pourrait 
l'inférer des figures de Cuvier dont j'ai parlé, et j'ai remarqué 
d’ailleurs, en examinant attentivement les mächoiïres de Sentheim, 
qne la ligne inférieure tend à devenir de plus en plus rectiligne, à 
mesure que l’animal avance en âge. Il ne reste done plus qu'à 


(1) Une vieille mâchoire, figurée par Schmerling, pl. XVIII, fig. 3, montre 
le bord de cette apophyse s'élevant presque perpendiculairement au-dessus de 
la ligne des dents. 


96 J. DELRBOS. 


apprécier celle plus grande hauteur du corps, qui est une des 
marques du quatrième type. Dans le tableau des proportions cal- 
culées, elle est de 4/5 plus grande environ que dans le troisième, 
et de 4/8 environ que dans le premier. Ces différences sont bien 
faibles, elles peuvent être individuelles, et d’ailleurs elles s’atté- 
nueront si l’on admet que le maxillaire pnisse s’allonger sans que 
sa hauteur varie. 11 y a du reste un fait qui sert de confirmation à 
ce que j'avance : une deuxième mâchoire, que j'ai signalée comme 
appartenant au quatrième type, a sa branche horizontale sensible- 
ment moins baute, et forme par conséquent une transition entre 

ce type et le troisième. Et d’ailleurs on peut constater des dis- 
semblances de la nature de celles que je viens d’énumérer en 
comparant les diverses mâchoires certainement semblables, spé- 
cifiquement du premier type. 


ENDIR Pr 


En résumé, il ne resterait des quatre types établis que deux 
formes assez voisines, et qui ne diffèrent en réalité que par la 
taille. Mais, même en adoptant la réduction que je propose, il n’est 
pas sans intérêt de savoir que les grottes du Haut-Rhin contien- 
nent les débris de deux races d’Ours, toutes deux beaucoup plus 
grandes que les Ours bruns vivants, et dont l’une, bien plus ro 
buste, atteignait une taille de 1/5 plus élevée que l'autre. En 
employant ee mot de races, mon intention est d'établir qu'il n'existe 
pas entres les maxillaires d’Ours fossiles assez de différences pour 
autoriser l'établissement de deux espèces et encore moins d’un 
plus grand nombre, et sans que je veuille en rien préjuger la 
question. Que ces deux espèces aient existé, je ne les nie pas à 
priori, mais je ne vois dans les mâchoires inférieures aucune dé- 
monstration à l'appui. 


SL. 


Les détails dans lesquels je suis entré me dispenseront de suivre 
M. Marcel de Serres dans les descriptions minutieuses qu'il a 
données de certains maxillaires dont il a fait son U. Pitorrii. J'ai 
dit plus haut que ces descriplions convenaient tellement à mon 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 97 


quatrième {ype, que je ne doutais pas de l'identité. Je me borne- 
rai donc à examiner les caractères ont je ne me suis pas occupé 
dans ce qui précède. 

L'espace moindre entre les molaires et les canines ne peut guère 
être admis comme caractère de l'U. Pitorrü, car je le vois varier 
dans des maxillaires d’ailleurs identiques sous tous les autres rap- 
ports. La direction plus perpendiculaire du bord antérieur de 
l'apophyse coronoïde varie également avec l’âge, ainsi que je l'ai 
montré. Le parallélisme des deux bords de la branche horizontale 
n'est pas non plus constant, el il parait se prononcer à mesure que 
l'animal vieillit. La fosse massétérine se circonscrit aussi avec le 
temps par des arêtes de plus en plus saillantes. Quant au volume 
des dents, c'est un caractère dont je me suis occupé, et sur lequel 
je reviendrai dans le chapitre suivant. La seule différence que je 
vois entre l'espèce de M. Marcel de Serres el mon quatrième type, 
est dans la forme plus droite du bord inférieur; mais j'ai déjà dit 
que cela pouvait dépendre de l’âge. Cependant, si je ne vois pas 
dans les descriptions de M. Marcel de Serres des motifs suffisants 
pour justifier la créature d’un nouveau type spécifique, je n’en 
dois pas moins constater qu'elles ont leur utilité, puisqu'elles mon- 
trent que les grands Ours des cavernes se trouvaient dans le midi 
comme dans le nord-est de la France, et, d’après l’auteur de la 
nolice, jusque dans les grottes de la Prusse. Si done quelques 
considérations ou quelques découvertes nouvelles venaient néces- 
siter l'adoption du type comme espèce, ce type devrait porter le 
nom d'U. Pitorrü que lui a donné l’auteur qui l'a fait connaître 
le premier. 


SL 


Schmerling a dégrit sept sortes de maxillaires trouvés dans les 
cavernes de la province de Liége. Je ne m'occuperai pas de ceux 
attribués à VU. priseus, parce qu'il n’y à rien de pareil à Sen- 
theim. Parmi les six autres, il en cst deux que l'auteur croit avoir 
appartenu à une nouvelle espèce, l'U, giganteus. Remarquables 
par leur taille qui n'excède guère pourtant la grande mâchoire de 
mon (roisiéme type, ils ne différent que très peu l'un de l'autre- 


é* série. Zocu, T. XIII. {Cahier n° 2.) 5 7 


98 J. DELEOS. 
quoique Schmerling en fasse deux variétés ; l’une d’elles est con 
sidérée comme identique avec l'U. Pitorrü. Sehmerling à voulu 
rapporter les quatre autres aux qualre sortes de erânes qu'il a dé- 
criles ; mais en cela il y a quelque peu d’arbitraire, car c’est sur la 
taille surtout qu'il a fondé ces rapprochements. En réalité, je vois 
deux types dans ces quaire sortes de mâchoires : un premier qui 
comprend les pièces attribuées aux deux Ours à front bombé, et 
entre lesquelles je ne saisis aucune différence importante; un autre 
qui comprend les pièces à corps peu élevé. Le premier de ces 
types ne parail devoir être réuni aux grandes mâchoires d’'U. gi- 
ganteus pour former un même groupe qui correspondra à Ja 
grande race de Sentheim. Le deuxième, comprenant les mâchoires 
attribuées aux U. arctloideus et leodiensis, correspondra en grande 
partie aux petites mâchoires de cette localité. 

Je n’insisterai pas sur les caractères énumérés par Schmerling 
à l'appui de la distinction des U. arctoideus et leodiensis, car je les ai 
déjà soumis à la diseussion daus le cours de cet article, et je ne les 
erois pas de nature à motiver le maintien de ces deux espèces. 


& LIT. 


En terminant ces études, je formulerai les conclusions aux- 
quelles je crois devoir m'arrêter : 

1° Il existe dans les cavernes de Sentheim quatre sortes de 
mâchoires inférieures d’Ours. 

2° Ces quatre sortes de mâchoires se rapportent à deux types, 
que rien, au moins dans ces mâchoires, n'autorise à considérer 
comme deux espèces. Ces deux types, qui différent surtout par la 
taille, constituaient deux races ou fout au moins deux sortes d’in- 
dividus, dont les uns avaient des formes beaucoup plus robustes 
que les autres. 

3’ La première race n'atteignait pas une très grande taille ; la 
longueur totale du corps était environ de 2/5 plus grande que dans 
lOurs des Pyrénées. 

4° 11 y a dans ce premier groupe des nuances peu importantes 
qui tiennent sans doute aux individus et au sexe. 

5° Le deuxième groupe comprend les Ours dans lesquels la 


CARNASSIERS DES GAVERNES DE SENTHEIM. 99 
taille pouvait être de 1/5 plus grande que dans le premier, et su- 
périeure de 7/10 à celle de Ours actuel des Pyrénées. 

6° Ilexiste des mächoires courtes, à grosses dents, qui re sont 
que des individus encore jeunes de ce dernier groupe, d’où il suit 
que le museau s’allonge avec l’âge, et que la forme de la tête de- 
vient de moins en moins ramassée. 

7° Les caractères de ces différentes mâächoires pourront être 
expliqués, sans qu'on ait recours à l'établissement de plusieurs 
espèces, par des transformations résultant de l'accroissement et 
par des différences provenant d'une diversité de races ou de dis 
positions individuelles, comme on en voit chez beaucoup d'ani- 
maux et chez l'Homme lui-même ; l'observation ayant pronvé, de 
plus, que, dans une même espèce d'Ours, les individus issus d'un 
inême couple peuvent varier {rès notablement quant aux propor- 
tions ; les différentes mâchoires fossiles que j'ai décrites devront 
être attribuées à une senle espèce, l'U. spelœus de Blamembach 
ou grand Ours à front bombé de Cuvier, à moins que des faits, 
autres que ceux qui sont connus actuellement, ne viennent prou- 
ver que celle espèce doit être scindée en plusieurs. 


CHAPITRE TT. 
DENTS. 

Les descriptions de Cuvier et celles de Schmerling, excellentes 
aussi, me dispenseront d'entrer dans le détail des caractères 
propres à chaque espèce de dents. Je me bornerai à l'examen de 
quelques faits spéciaux. 


$ LU. 


Incisives. 


Elles sont rarement en place dans les alvéoles des mâchoires, 
et, dans les fouilles, la plupart échappent facilement à la vue, à 
cause de leur petitesse, Sauf leur volume beaucoup plus considé- 
rable, elles ont les mêmes formes que dans les Ours vivants. 

Trois incisives externes d'en bas, dont deux du côté gauche, 
ont 0,045 de longueur; les mêmes dents n’ont que 0,030 dans 
l'Ours des Pyrénées; elles sont done plus grandes de 1/3, Le lobe 


100 J. DELBOS. 


externe est beaucoup plus profondément détaché del'éminence prin- 
cipale. C’est un caractère assez peu important il est vrai, mais qui, 
joint à la taille, peut encore servir à reconnaître l'espèce fossile. 

L'incisive externe d'en haut est la plus grosse de toutes ; sa 
couronne, simple et crochue, dla fait ressembler, comme le dit 
Cuvier , à une pelite canine. J'en ai eu deux du côté gauche : la 
plus grande a sa couronne longue de 0",022 sur 0",090 de large; 
la couronne de la seconde a 0",018 de longueur avec une largeur 
égale à la précédente. Je trouve que le bord interne du bourrelet 
marginal est plus saillant dans lOurs fossile que dans le vivant, 
et sa couronne plus échancrée de ee côté. Le cône principal est 
par suite moins crochu dans l’Ours des Pyrénées. 

J'ai eu deux incisives moyennes d'en haut; lune d'elles est fort 
usée; sa longueur totale est de 0",030 ; l'autre, usée à la pointe, 
mais moins profondément, est un peu plus forte; sa longueur est 
de 0",035. Je ne vois aucune différence entre ces dents et celles 
de l’Ours des Pyrénées, si ce n’est dans la taille. 


$ LIV. 
Canines. 


Les canines se rencontrent beaucoup plus fréquemment; j'en ai 
sousles yeux vingt-sept, dont quinze détachées de leurs mächoires. 
La simplicité de la forme de ces dents leur ôte pour ainsi dire toute 
signification spécifique ; elles ne différent, en effet, que par le plus 
ou moins d'épaisseur de la racine, et par la longueur lotale. Mais, 
sous ces deux rapports, elles offrent de grandes inégalités, comme 
on peut en juger par les mesures suivantes : 


OURS 
OURS DE SENTHEIM. 


DES PYRÉNÉES. 
DÉSIGNATION, Re 
IV. | Supér. | Infér, 


Longueur en ligne droite. . . . . 0,120/0,415,0,090/0,08: » » 


— de la partie émaillée. . .[0,040/0,03810,03810,030]0,030/0,033 
—  antéro- postérieure de la 
base de la partie émaillée . . . -[0,030/0,028/0,025/0,025[0,019/0,020 
Plus grand diamètre de l'endroit le 
plus renflé de la racine . . . . .10,038|0,033,0,028/0,025 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 101 

Entre les plus grandes et les plus petites, la différence dans la 
longueur est de 1/3 ; mais en réduisant les mesures en centièmes 
de la longueur totale, on trouve qu'en définitive les proportions 
ne différent guère de plus de 1/30. 11 y à donc identité presque 
complète de formes, et les différences ne portent que sur les di- 
mensions absolues. 

Aussi est-ce uniquement d’après la taille que Schmerling a dis- 
tingué cinq sortes de canines dans les cavernes de Belgique. Quant 
à la répartition de ces dents entre les diverses espèces de crânes 
ou de mâchoires. elle me parail assez arbitraire. Parmi les canines 
que j'ai eues de Sentheim, deux (n° D) se rapportent exactement à 
celles attribuées à l'U. spelœus (pl. VIT, fig. 1) ; lane est libre, 
l’autre appartient à la grande mâchoire inférieure dont j'ai fait 
mon froisième lype; trois autres (n° Il) se rapporteraient à 
VU. arcloideus (pl. VIE, fig. 5), deux (n° IV) à FU. priscus 
(fig. 9), et le reste {n° HD) à FU. leodiensis (Nig. 7). 

Je ne distingue en réalité dans toutes ces canines que deux 
types qui ne différent d'ailleurs que par la taille. Les unes, beau- 
coup plus grosses, auraient appartenu aux plus grands Ours ; ce 
sont les plus rares, car je n'en ai eu que trois. Les autres, plus 
grêles et de beaucoup les plus nombreuses, auraient appartenu 
aux Ours de taille médiocre. Au premier type se rottacheraient les 
figures 1 à 6 de la planche VII de Schmerling, attribuées aux 
Ours à front bombé et à l'U. arctoideus ; au deuxième, les figures 7 
à 10 attribuées aux U. leodiensis et priscus. 

Il n’est pas très facile de distinguer les canines d'en haut de 
celles d'en bas. Cependant on peut v parvenir au moyen des sur- 
faces d'usure qui se voient chez les individus âgés ; en effet, la 
canine supérieure n'étant en rapport avec celle d'en bas que par 
son bord antérieur, ce bord seul s’use avec le temps, car il n'existe 
en arrière aucune dent qui puisse produire un effet semblable. La 
canine inférieure, au contraire, agit à la fois contre la canine d'en 
baut par son bord postérieur et sa face externe, et contre l’incisive 
externe d’en haut par son bord antérieur et une partie de sa face 
interne; celte double action donne lieu à deux surfaces de détri- 
tion plus ou moins profondes , selon les individus et la position 
particulière des dents. 


102 J. DELBOS. 

Quand on sait à quelle mâchoire une canine à appartenu, il est 
très facile de décider si elle est du côté gauche ou du côté droit : 
les deux arêtes de la partie émaillée divisent cette partie en deux 
portions inégales, dont la plus petite et la moins convexe est en 
dedans; la racine enfin est toujours déprimée du côté externe et 
convexe du côté interne. C'est d’après ces remarques que, sur 
quinze canines isolées de Sentheim, j'en ai pa rapporter trois à la 
machoire supérieure, toutes du côté droit, et sept à la mâchoire 
inférieure, dont quatre du côté droit et trois du côté gauche, Deux 
des grosses canines se (rouvent comprises dans ces dix dents : 
lune est de la mâchoire supérieure, l'autre de la mâchoire infé- 
rieure et du côté droit. 

Lorsque ces marques de détrition n'existent pas, ce qui est très 
fréquent dans les Ours fossiles, les caractères deviennent très 
vagues; dans les canines inférieures, la portion émaillée se porte 
un peu plus obliquement en dehors, ainsi que l'a fait remarquer 
Schmerling ; mais je ne vois aucun caractère constant dans la 
forme des racines. 


$ LV. 


Molaires supérieures. 


Tous les Ours vivants ont une petite fausse molaire rudimen- 
taire derrière la canine et une autre devant la première perma- 
nente ; elles existent l'une et l’autre dans l'U. priscus. La pre- 
mière n’a jamais été vue dans les grandes espèces des cavernes (1); 
Cuvier a vu deux fois l’alvéole de la seconde, et Schmerling une 
fois dans son crâne de petit Ours à front bombé. Je n'en ai apereu 
aucun indice dans les pièces récoltées à Sentheirn. 

La première molaire persistante où carnassière a les mêmes 
tubercules que dans l'Ours vivant , mais la forme de sa couronne 
est différente. M. Owen a fait remarquer que, dans le fossile, cette 
molaire est plus allongée dans son diamètre antéro-postérieur ; 
j'ai vérifié l'exactitude de cette assertion : la base de la couronne 
est franchement triangulaire dans l'Ours brun, parce qu'elle est 


(1) Excepté peut-être par Rosenmüller ; mais cette observation est fort dou- 
leuse (voy, Cuvier, Oss, foss., t. VIT, p. 251), 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM. 103 
plus élargie en arrière, et que son tubercule interne est propor- 
lionnellement plus fort. Les chiffres mettront ces caractères en 
relief : le diamètre antéro-postérieur est de 0",016 dans FOurs 
brun, de 0",020 dans le fossile; la largeur en arrière est dans 
l'un et l’autre de 0",014. La largeur de ces dents étant égale, leur 
longueur est donc dans le rapport de 4 à 5. 

J'ai eu huit de ces dents, dont cinq du côté droit. Les trois plus 
vieilles, fortement usées, ont les deux racines parallèles et très 
rapprochées ; les plus jeunes sont au contraire divergentes. Il 
semble done que les racines tendent à se rapprocher avec le 
temps. 

J'ai eu dix pénultièmes et dix dernières molaires ; elles ne dif- 
fèrent de celles de l'Ours vivant que par les rides plus nombreuses 
et plus prononcées du milieu de la couronne. Les principales 
éminences sont en même nombre. 


$ LVL 


Molaires inférieures. 


Dans tous les Ours vivants, il y a une très petite fausse molaire 
immédiatement derrière la base de la canine; quelquefois il y en 
a une où deux autres rapprochées de la première persistante, mais 
cela n’a rien de constant. La première de ces fausses molaires ne 
manque jamais dans l'U. priscus, et c’est là un des caractères de 
l'espèce; Schmerling dit avoir vu quelquelois l’alvéole d’une 
deuxième devant la première molaire en série. Quant aux grandes 
espèces fossiles, cette dernière n’a jamais été vue; la première 
manque aussi à peu près toujours : Cuvier dit cependant lavoir 
vue deux fois sur vingt-cinq mâchoires qu'il a examinées; Schmer- 
ling en a rencontré aussi parfois l’alvéole dans de jeunes mâ- 
choires. Quant à moi, je n’en ai vu aucun indice dans les mâchoires 
de Sentheim. L'absence presque constante de cette petite dent est 
donc un caractère des grandes espèces fossiles, mais ce caractère 
n'est pas absolu, puisqu'on en voit parfois des vestiges . 


8 LVIL. 


La première molaire persistante, seule fausse molaire bien dé- 
veloppée qui existe chez les Ours, est très importante, parce 


10û J. DELBOS. 

qu'elle porte des caractères spécifiques. Dans l'Ours des Pyrénées, 
celte dent est presque régulièrement ovale; son éminence conique 
s'élève à peu près au milieu, et il y a en arrière el sur le côté in- 
terne un petit tubercule arrondi. Dans l'Ours fossile, sa forme est 
plus quadrilatère, parce qu'elle est plus carrément coüpée en 
arrière ; l'éminence principale est placée beaucoup plus en avant, 
sa pointe correspondant au tiers où an quart antérieur, el il y à 
sur la face interne, au pied de cette éminence, deux tubereules, 
lun en avant, l'autre en arrière, formant avec elle un triangle ; 
une crête, qui part du sommet du cône principal, se prolonge en 
arrière jusqu’au bord postérieur. Ces caractères avaient été re - 
marqués déjà par Schmerling (p. 118), qui les employait pour 
distinguer l'U. priseus des autres espèces. M, Owen en 1854, et 
plus tard Laurillard (4), s'en sont servis depuis, et ont signalé ce 
tubercule antérieur additionnel comme caractéristique de PU. spe - 
lœus. Je dois dire cependant que ces deux tubereules se rappro- 
chent quelquefois beaucoup comme s'ils tendaient à se confondre, 
et que le tubercule postérieur est aussi parfois très faible; mais le 
tubereule antérieur qui manque dans l'Ours des Pyrénées est con- 
stamment bien marqué. Sur neuf de ces molaires que j'ai vues, 
six ont leurs tubercules très saillants et très séparés; dans les 
trois antres, le postérieur est plus pelit, et s'efface presque com- 
plétement dans l’une d’elles. 

Ainsi, dans les grands Ours fossiles, la première molaire d'en 
bas est moins simple que dans les Ours brans; la position plus 
antérieure du cône principal et l'existence d’an tubereule de plus en 
avant sur le bord interne, sont de bons caractères qui peuvent 
servir à la faire reconnaitre et dont l'importance spécifique est 
réelle. 

M. Marcel de Serres (loc. cit., p. 15h) prétend que dans son 
U. Pitorrü cette dent est longue et étroite, et qu’elle possède deux 
racines bien séparées et logées dans des alvéoles distincts, tandis 
que dans l’U. spelœus la couronne est presque ronde et les deux 
racines très rapprochées et logées dans un même alvéole. Ce der- 
nier caractère, contesté déjà par Schmerling (p.121), me paraît entiè- 


(1) Dict. univ. d'hist. nat., A849. 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 105 
rement variable et purement individuel. En général, il y a unalvéole 
pour chaque racine; c'est du moins ee que montrent dix échantil- 
lons sur douze que j'ai sous les yeux. Plus rarement, les deux ra- 
eines deviennent parallèles et se confondent plus ou moins com- 
plétement; elles sontcontenues alors dans un même alvéole. Quant 
à la forme dela couronne, elle varie bien un peu, mais sans que je 
puisse saisir dans ces variations rien de constant ni aucune liaison 
avec la forme de la racine non plus qu'avec celle de la machoire. 


$ LVIIT. 


L'antépénultième ou carnassière, quoique beaucoup plus com- 
pliquée. offre une grande constance de forme; tout au plus v voit-on 
quelques-uns des petits tubercules internes se bilober légère- 
ment. Les neuf échantillons que j'ai réunis sont absolument iden - 
tique, sauf la longueur un peu plus grande dans quelques-uns. Is 
n'offrent aucuae différence avec la dent analogue de l'Ours des 
Pyrénées ; il sont seulement un peu plus rétrécis en avant. Je ne 
vois ni dans lOurs vivant ni dans le fossile, aucun indice de ce 
lobe antérieur supplémentaire que M. Marcel de Serres a décrit 
dans VU. Pilorri 

SLIX. 

La pénultième varie un peu plus, mais non dans le nombre et la 
disposition des principaux tubereules qui sont les mêmes dans les 
douze échantillons que j'ai vus ainsi que dans l'Ours brun. Quel- 
ques dents ont seulement de petits tnbereules, des rides, un peu 
plus nombreux vers le milieu de la couronne, et sous ce rapport 
les fossiles offrent une complication un peu plus grande que les 
espèces vivantes, mais ces différences légères sont entièrement 
accidentelles, et d’ailleurs elles ne sauraient être susceptibles 
d’une description. 


$ LX. 


La dernière molaire est la plus variable de toutes. Les rides 
compliquées dont sa couronne est couverte échappent à la deseri- 
plion, mais elles sont plus nombreuses encore dans l'espèce fossile 
que dans l'Ours brun. Les dimensions sont moins constantes que 


106 J. DELEOS. 

dans les autres molaires, ce qui dépend de ce qu'à l'époque de son 
développement elle a été gênée par la position qu’elle occupe. Le 
contour de sa couronue offre aussi assez fréquemment des diffé- 
rences sensibles, mais tout à fait accidentelles: tantôt un pen plus 
longue, tantôt plus large, sa forme est ordinairement ovale, un peu 
arquée, tournant sa convexité en dedans; c’est le cas qui se pré- 
sente dans cinq échantillons sur huit que j'ai examinés ; dans deux 
autres, l’angle postérieur interne est cmme tronqué ou échaneré ; 
enfin, dans un dernier, il existe vers le milieu du bord externe 
un sillon qui semble diviser celle partie en deux lobes égaux. Il 
n'y à d'ailleurs aucune liaison entre ces différences peu importantes 
et la forme des autres dents, non plus qu'avec l’ensemble de la 
mâchoire à laquelle elles appartiennent. La forme de la racine, 
simple avec des sillons qui semblent indiquer un commencement 
de division, est suffisamment connue. 


$ LXI. 


Voiei le tableau des dimensions des molaires : 


OURS FOSSILE. OURS VIVANT. 
DÉSIGNATION. ES 


Mächoire | Mâchoire } Mâchoire | Mächoire 


sup. inf, sup. inf. 


Longueur antéro-postérieure de la pre- 
mière molaire. . . 


Longueur antéro-postérieure de l'anté| 0,018 
pénultième 


l'o,022 


pénultième 


0,033 


Lougueur antéro- postérieure de laf 0,028 
| 


Longueur antéro-postérieure de la der: ( 0,042 
nière. 


l'outes ces mesures se rapprochent de très près de celles données 
par Cuvier et annoncent une supériorité constante du fossile sur 


CARNASSIERS DES CAVERNES DE SENTHEIM, 107 
le vivant. Les tables de Schmerling indiquent des écarts un peu 
plus grands, surtout dans le sens des moindres dimensions, ce qui 
tendrait à prouver qu'il y a eu dans les cavernes de Liége des Ours 
dont la taille n'était pas supérieure à celle de lOurs brun actuel, 


$ LXIL. 


Dans le tableau que j'ai donné, les plus grandes différences 
dans le fossile ne vont pas à 1/6 pour une même sorte de dents ; 
elles restent donc au-dessous de celles que j'ai signalées entre les 
iâchoires, et Viennent encore militer en faveur de l'unité deT'es- 
pêce. Les plus pelites molaires sont en moyenne plus grosses de 
1/6 que celles de l'Ours des Pyrénées, les plus grandes de 1/3 ; la 
dernière d'en bas, la plus variable de toutes, est de 1/4 plus forte 
dans les plus petites et de 4/2 dans les plus grandes. 

Cuvier dit (4): « Il n'y a pari les crânes fussiles que les plus 
grands et les plus vieux qui aient leurs mâchoires usées. » La der- 
uière de ces propositions est vraie, maisla première ne saurait être 
applicable au crâne de Sentheim. J'ai trouvé en effet des molaires 
supérieures extrêmement usées qui étaient plus petites de 1/5 que 
d’autres qui n’offrent pas la moindre trace de délrition. 


$ LXII. + 


Voici la conclusion que je déduirai de ce chapitre : 

1° Il existe dans quelques dents des caractères propres aux 
grands Ours fossiles, el qui peuvent servir à les distinguer des 
espèces vivantes; ces caractères se trouvent dans les incisives ex- 
lernes et surtout dans les premières molaires pérsistantes de 
chaque mâchoire. Les molaires, en général, sont en outre un peu 
plus compliquées que dans l'Ours brun. Enfin l'absence, sinon 
absolue, du moins à peu près constante, des petites fausses mo- 
laires, caractérise la grande espèce des cavernes, ces dents ne 
faisant jamais défaut ni chez l'U. priscus ni dans aucune des 
espèces actuelles. 

2° [1 y a beaucoup moins de différences entre les dents des Ours 
fossiles qu'entre leurs crânes ou leurs mächoires inférieures. Sous 


(1) P. 249. 


1085 J. DELBOS. 


le rapport du volume, par exemple, les plus grandes inégalités ne 
vont pas à 1/6, tandis que dans les mâchoires elles atteignent 1/5. 
D’après les dents seules, on est donc conduit à conclure à l'unité 
du type. 

3° Les plus petites de ces dents sont supérieures en dimensions 
à celles des grands Ours vivants; elles étaient cependant dans le 
fossile plus petites, relativement à l’ensemble de la tête ou des 
mâchoires. Les plus grosses ont appartenu à une race plus grande, 
mais il y a des transitions de volume entre elles et les plus petites. 

L° Par toutes ces raisons l’Ours fossile, s’il ne constitue qu'une 
seule espèce, doit être séparé de toutes les espèces vivantes. 


Errata à la première partie (Ostéologie de l’Ours des Pyrénées). 


Page 158, ligne 2, au-dessous, lisez au-dessus. 

— 167, ligne 8 en remontant, effacez et sans facettes postérieures. 

— 184, ligne 12 el 30, et page 185, ligne 8, extrémité tibiule, lisez 

extrémité cubilale. 

— 186, ligne 15, externe, lisez interne. 

— 187, dernière ligne, en dehors, lisez en dedans 

— 192, ligne 10, l'interne, lisez l'erterne. 

— 192, ligne 41, l'externe, lisez l'interne. 

— 192, ligne 45,'en dedans, lisez en dehors. 

— 192, ligne 16, l'externe, lisez l'interne. 

— 192, ligne 17, effacez et l'interne avec le calcanéum. 

— 198, ligne 5, une antérieure, etc, lisez une antérieure ou interne, 


plus pelile; une postérieure ou externe, un peu concave et plus 
grande, etc. 


— 203, ligne 4, branches, lisez bandes. 
—, 216, ligne 20 (art. Radius), 0,052, lisez 0,025. 
— 216, ligne 21 — 0,025, lisez 0,052. 


— 


PE 


NOTE 


SUR 


LE TRICHINA SPIRALIS, 


Par M. VIRCHOW. 


J'ai eu l'honneur, l'automne dernier, de faire part à l'Académie 
des premiers résultais de mes recherches relatives au développe- 
ment des ‘frichines introduits dans l'économie par les voies di- 
geslives. 

Depuis lors, l'Académie a reçu communication des recherches 
du professeur Leuckart; celles-ci semblaient, contrairement aux 
miennes, démontrer que le Tricocéphale était un degré du déve- 
loppement régulier du Trichine. 

Des observations ultérieures ont montré que le Trichine repré- 
sente un genre particulier d'Entozoaire, et M. Leuckart lui-même 
a reconnu l'exactitude de mes premières observations. 

C’est sur les Lapins que j'ai pu suivre le développement du Tri- 
chine. Lorsque l’on fait manger à un Lapin de la viande contenant 
des Trichines, on voit, trois ou quatre semaines après, l'animal 
maigrir; ses forces diminuent sensiblement, et il meurt vers la 
cinquième ou sixième semaine qui suit lingestion de la viande 
renfermant les Entozoaires. Si lon examine les muscles rouges 
de l'animal ainsi mort, on les trouve remplis de millions de Tri- 
chines, et il n'est pas douteux que la mort n’ait été produite par 
une atrophie musculaire progressive, consécutive aux migrations 

“es Trichines dans l'économie. 

Dans un des cas, j'ai vu moi-même mourir l'animal ; il était si 
faible, qu'il ne pouvait se tenir sur ses pattes; couché sur le côté, 
il avait, de temps à autre, de légères secousses ; enfir les mouve- 
ients respiratoires cessèrent, tandis que le cœur battait encore 
régulièrement : la mort survinl après quelques mouvements spas- 
modiques. 

Par cette alimentation, j'ai obtenu cinq générations d'Ento- 
zoaires. J'ai d'abord fait manger à un Lapin des Trichines vivants 


110 VIRCHOW. 

occupant un muscle bumain ; il mourut au bout d'un mois : je fis 
alors ingérer à un second Lapin des muscles du premier, il mou- 
rut aussi un mois après. La chair musculaire de celui-ci me servit 
à en infecter trois autres en même temps; deux d’entre eux mou- 
rurent trois semaines après , et le troisième au bout d’un mois. 
Jen nourris alors deux, dont l’un avec beaucoup et l’autre avec 
peu de la chair de ces derniers : le premier mourut au bout de 
huit jours, sans que l’aulopsie révêlt d'autre lésion qu'un eatarrhe 
intestinal ; le second succomba six semaines après le début de 
l'expérience. 

Chez tous ces animaux, à l'exception de l’avant-dernier , tons 
les museles rouges, sauf le cœur, renfermaient une {elle quantité 
de Trichines, que chaque parcelle examinée au microscope en con- 
tenait plusieurs, quelquefois jusqu’à une douzaine. 

I s’agit donc ici d’une affection mortelle. L'observation atten- 
live faile sur ces animaux, ainsi que sur d’autres, donna les résul- 
lats suivants : peu d'heures après l'ingestion des muscles malades, 
les Trichines dégagés des muscles se trouvent libres dans l'esto= 
mac ; Us passent de là dans le duodénum, et arrivent ensuite plus 
loin dans l'intestin grêle pour s'y développer. Dès le troisième ou 
quatrième jour, on trouve des œufs et des cellules spermatiques, 
tandis que les sexes sont deveuus distincts. Bientôtaprès, les œufs 
sont fécondés, et il se développe, dans le corps des Trichines fe- 
melles, de jeunes Enlozoaires vivants, Ceux-ci sont expulsés par 
l'orilice vaginal situé sur la mojlié antérieure du Ver, et je les ai 
retrouvés, sous forme de pelits Filaires, dans les glandes mésen- 
tériques, et surlout en nombre considérable dans les cavités sé- 
reuses, particulièrement dans le péritoine et le péricarde; ils 
avaient, selon loute apparence, traversé les parois intestinales, 
suivant probablement la même voie que celle que parcourent les 
Psorospermies, d'après les recherches de l'un de mes élèves, le 
docteur Klebs, c’est-à-dire qu'ils pénètrent dans les cellules épi- 
théliales de l'intestin. Du reste, je n'ai pu en découvrir ni dans le 
sang, ni dans les voies circulatoires. 

En continuant leurs migrations, ils pénètrent jusque dans lin- 
lérieur des faisceaux musculaires primitifs, où on les trouve déjà, 


NOTE SUR LE TRICHINA SPIRALIS. 11 
trois semaines après l'alimentation, en nombre considérable et à 
un degré de développement tel, que les jeunes Entozoaires ont 
presque alteint les proportions de ceux qui étaient renfermés dans 
la chair ingérée par animal. 

Pour être certain qu'avant l'expérience Panimal n'avait pas de 
Trichines dans ses museles, j'ai examiné plusieurs fois, avant de 
le nourrir, un morceau de musele excisé sur le dos, et n’en ai pas 
trouvé de trace Jà où plus tard ils devaient se rencontrer en si grand 
nombre. 

Les Trichines progressent dans l’intérieur des faisceaux museu- 
laires primitifs où on les voit souvent, plusieurs à la file l’un de 
l'autre. Derrière eux, la substance musculaire s’atrophie ; autour 
d'eux, ils provoquent une irritalion, et dès la cinquième semaine 
commence leur enkystement ; le sarcolewm s'épaissit, et le contenu 
des fibres musculaires présente les signes d’une végétation cellu- 
laire plus active ; le kyste est donc le produit d’une sorte d'irrita- 
tion traumatique. 

Chez le Chien, on suit très bien le développement des Trichines 
dans l'intestin ; mais ils ne passent pas dans les muscles, soit que 
l'intestin, soit que les sucs digestifs du Chien soient nuisibles aux 
migrations ou à l’évolution ultérieure de ces êtres. 

Je dois à l'obligeance de M. le professeur Zencker (de Dresde) 
les muscles de la femme avec lesquels j'ai commencé cette série 
de recherches. Dans ce cas, la imort survint dans des circonstances 
entièrement semblables à celles que j'ai observées sur mes Lapins ; 
l'autopsie ne découvrit d'autre lésion que d'innombrables Tri - 
chines dans les muscles, et ni ici, ni dans les muscles des Lapins, 
ils n'étaient visibles à l'œil nu. 

De ces faits, il ressort done qu'il est des cas mortels d'infection 
par les Trichines qui ne peuvent être reconnus qu'avec le micro- 
scope, et que jusqu'à présent on n'avait pas observé d’autres cas 
que ceux où les Trichines élaient non-seulement enkystés, mais 
où ce kyste était déjà pour le plus grand nombre arrivé à un de- 
gré très avancé de crélification ; car ces kystes seuls sont visibles 
à l’œil nu. 

Or, comme les kystes ne se forment que de la quatrième à la 


112 VIRCHOW. 


sixième semaine, et la crétification probablement après des mois, 
on peut en conclure que jusqu'ici on n'a reconnu ces cas chez 
l'homme qu'après qu'était survenue une sorte de guérison , alors 
que les symptômes se rapportant à l'évolution récente des Tri- 
chines, étaient oubliés depuis longtemps. En recueillant exacle- 
ment les antécédents chez les malades qui ont éprouvé les sym- 
plômes précités, on verra probablement bientôt augmenter le 
nombre des cas de maladie à Trichines. 

Outre le mérite d’avoir constaté chez l'Homme les Trichines 
que j'ai découverts dans l'intestin du Chien , expériences que j'ai 
communiquées à l’Académie, le professeur Zencker à pu retrouver 
le reste des Trichines qui avaient infecté sa malade, et jeter ainsi 
un grand jour sur l'étiologie de cette affection. Comme la malade 
avait été transportée de la campagne à l'hôpital de Dresde, le pro- 
fesseur Zencker prit des renseignements, et trouva que, quatre 
semaines auparavant, on avait dans cette même habitalion abattu 
un Porc renfermant des Trichines ; que le jambon et les saucisses 
faits avec la chair de cet animal en contenaient un grand nombre ; 
qu’enfin le boucher qui avait écorché le Porc et mangé des Tri- 
chines frais, comme plusieurs autres personnes, avait, comme 
elles, présenté des symptômes rhamatismaux et typhoïdes plus ou 
moins graves; mais la malade transportée à Dresde suecomba 
seule à l'ingestion de la viande de ce Porc. 

Dès à présent, cet élat présente un grand intérêt hygiénique. 

L'ingestion de viande de Porc fraiche ou mal apprêtée, renfer- 
mant des Trichines, expose aux plus grands dangers, et peut agir 
comme cause prochaine de la mort. 

Les Trichines conservent leurs propriétés vitales dans la viande 
décomposée ; ils résistent à une immersion dans l’eau pendant des 
semaines ; cnkystés, on peut, sans nuire à leur vitalité, les plon- 
ger dans une solution assez étendue d'acide chromique, au moins 
pendant dix jours. 

Au contraire, ils périssent, et perdent toute influence nuisible 
dans le jambon bien fumé etconservé assez longtemps avant d’être 
consommé. 


ETUDES 


CHIMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR LES OS, 


Par M. Alphonse MILNE EDWARDS, 


Docteur en médecine, licencié ès sciences naturelles, elc., etc. 


0 


En choisissant pour sujet de mes recherches l'histoire de la 
composilion chimique des os, je n'ai pas voulu ajouter simplement 
des analyses nouvelles à celles si nombreuses que nous avons 
déjà. Je me suis proposé un autre but plus physiologique, et c'est 
particulièrement dans l’espoir de jeter quelques lumières sur 
l'histoire du mode de nutrition des os que j'ai entrepris ces études. 
Souvent j'ai eu recours aux {ravaux publiés sur ce sujet; mais, en 
général, j'ai préféré faire de nouveau les analyses nécessaires à la 
constatation des faits que j'avais à établir, pensant qu'il serait 
utile non-seulement de contrôler les expériences de plusieurs 
de mes devanciers, mais aussi d’agir autant que possible d’une 
manière comparative, et qu'en puisant à des sources diverses, je 
pourrais souvent rencontrer des résultats qui, obtenus dans des 
circonstances dissemblables, ne feraient que jeter des doutes sur 
les questions que je me proposais d'examiner, si je les employais 
sans pouvoir en discuter la valeur. 

J'ai cherché principalement à trouver la clef des variations quel- 
quefois considérables que l’on rencontre dans les os d'individus 
différents d’une même espèce. Il restait en outre quelques points 
sur lesquels les auteurs n'étaient pas d'accord, tels que l'influence 
de l'âge, etc., sur la composition des os, el j'ai pensé que quel- 
ques analyses nouvelles pourraient contribuer à lever les doutes 
sur ces faits contestés. 

4" série. Zooz. T. XIE. (Cahier n° 2.) 4 8 


Ain ALPHONSE MILNE EDWARDS, 


CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES SUR LA CONSTITUTION CHIMIQUE DES OS 


$ L. 


Les premiers analomistes qui ont étudié la charpente solide de 
l'organisme n’ont été préoccupés que de sa conformation exté- 
rieure et intérieure. Les formes diverses des os, leurs apophyses, 
leurs jointures, leurs impressions musculaires, ont été l'objet 
d’études sérieuses ; Colombus, André Vésale, Riolan , Monro, 
Albinus, Berlin, avaient poussé très loin les connaissances sur 
l'anatomie descriptive de cette partie de l’organisme. L'ostéogénie 
avait aussi été abordée avec succès par Duhamel, Haller, Troja. 
Mais à cette époque, où la chimie existait à peine comme science, 
personne ne s'élait encore préoccupé de la composition des os. 
De tout temps, on avait brülé de ces corps; on savait qu'après uné 
incinération convenable, ils laissent une substance blanche, po- 
reuse, tombant facilement en poussière, et conservant les formes 
extérieures de l’os. Quant à la nature de cette substance, on n'avait 
que des notions très vagues. Beccher, qui l'éludia avec plus de 
soin, remarqua qu'elle absorbait l'eau avec une grande facilité, et 
que si on l’exposait à une chaleur très intense, elle subissait une 
sorte de fusion, et ressemblait alors à de la porcelaine, qu'elle 
avait un grain serré et fin, une densité très élevée, el une demi- 
transparence. 

On considéra d’abord la substance inorganique des os Comme 
üne terre particulière que l’on appela terre animale où terre des 
os. Puis, on erut que c'était de la chaux ; mais les réactions de ces 
deux corps étaient trop différentes pour que l'erreur püt longtemps 
subsister. 

On savait aussi que lorsqu’au lieu de chauffer fortement les os, 
on les soumet seulement à une chaleur modérée, on voit d’abord 
se dégager de la vapeur d’eau , puis une matière grasse qui vient 
se décomposer et brûler à la surface ; enfin que l'os se charbonne : 
et devient d’un noir intense. Si, au lieu de pratiquer celle opéra- 
tion à l'air libre, on Ja faisait dans une cornue, de façon à recueillir 


ÉTUDES SUR/ LES OS. 115 
tous les produits de décomposition, on obtenait dans le récipient 
de l’eau, une huile brunâtre et d'une odeur fétide, des gaz et des 
produits ammoniicaux, tandis que dans la cornue restait un char- 
bon ayañt les mêmes formes extérieures que les os employés. Mais 
la connaissance de ces produits de distillation ne pouvait pas beau- 
coup éclairer l'histoire de la conslitution chimique des os; elle 
montrait seulement qu'il y existait une substance aniiiuale, et que 
c'était de cette dernière que provenait la matière charbonneuse. 
D'un autre côté, on savait également que, quand on fait bouillir 
les os dans l'eau, ils cédaient à ce liquide de la gélatine dont on 
fabriquait de la colle forte. On avait vu que si l’eau peut enlever la 
gélatine des os, les acides, au contraire, enlèvent la matière ter- 
reuse et laissent la gélatine. 

En 1758, Hérissant, dans un travail inséré dans le recueil de 
PAcadémie des sciences, examina avec plus de soin qu'on ne 
Pavait fait avant lui l’action de l’eau-forte, c’est-ï-dire de l'acide 
azolique sur les os, comme moyen d'isoler la matière animale de 
là matière terreuse (2); et bientôt après Haller recounut que les 
acides les plus faibles jouissaient de la propriété de ramollir les os. 
L'acide acétique, l'acide citrique, qu'il n'employait même qu’à 
l'état de jus de citron, produisent ce résultat, et ce physiologiste 
célèbre expliquait, par un mécanisme analogue, le ramollissement 
des os que l’on observe dans certaines maladies (2). 

Vers la même époque, un chimiste suédois, Henri Gahn, re- 
connut que la plus grande partie de la matière terreuse des os est 
constituée par du phosphate de chaux (3); mais cette découverte 
passa inaperçue; Gahn ne la publia pas, il en fit seulement fiart à 
Shéele, qui, dans son travail sur le spath fluor, imprimé en4774 (4), 
annonça que, d'après des recherches récentes, la partie terreuse 


(1) Hérissant, Éclaircissement sur l'ossificalion (Histoire de l'Académie royale 
des sciences, année 1758, p. 322) 

(2) Haller, Ælementa physiologiæ corporis humani, 1. VIIL, p. 328; 1778. 

(3) Voy. Macquer, Diet. de chimie, t. NL, p. 68; édit, de 177$. 

(4) Schecle, Untersuchung des Flussspats und dessen Süure. Abhandluñgen 
der Küniglich Schwedischen Acud. dér Wissenschaften, t. XXXIII, p. 129: 
4774). 


116 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


des os et de la corne est formée par un sel composé d'acide phos- 
phorique et de ehaux. Aussi pendant longtemps attribua-t-on à 
Sheele la connaissance de ce fait important ; mais Scheele a trop 
de litres à la gloire pour avoir besoin d'ajouter aux siens ce qui 
doit revenir si justement à Gahn. 

Poulletier de la Salle et Macquer reconnurent bientôt l’exacti- 
tude de l’assertion de Scheele, par une série de recherches qu'ils 
firent à Paris sur les différentes méthodes d'extraction du phos- 
phore des os (4). En 1777, Rouelle jeune (2) étudia avec le plus 
grand soin les différentes réactions, à l’aide desquelles on peut sé- 
parer des os le phosphate acide de chaux, que l'on supposait à cette 
époque être seulement de acide phosphorique. I démontra aussi 
d'une manière péremptoire que la base à laquelle est combiné 
l'acide phosphorique est bien de la chaux. Enfin Nicolas, chimiste 
distingué de Nancy, modifia les procédés à l’aide desquels Scheele, 
Poulletier de la Salle et Rouelle, isolaient le phosphate acide de 
chaux, et les moyens indiqués par cet auteur diffèrent peu de 
ceux que l'on emploie de nos jours pour l'extraction dn phos- 
phore (3). 

Ces premières notions sur la constitution chimique des os étant 
obtenues, on chercha à connaitre les rapports suivant lesquels 
l'acide phosphorique se trouve uni aux autres éléments du tissu 
osseux. Ainsi Berniard étudia comparativement les quantités 
d'acide phosphorique contenues dans différents os. Il examina des 
os fossiles, des os de Baleine, d'Éléphant, de Marsouin, de Bœuf, 
d'Homime, ainsi que les cornes, les dents, livoire. Le marquis de 
Bullon trouva l'acide phosphorique dans les arêtes des Poissons, 
d’où Rouelle n'avait pu en extraire. Enfin le premier pas était fait, 
et de nombreux observateurs, qu'il serait inutile de citer ici, vinrent 
apporter leur part d'observations à l’histoire du tissu osseux. 

Jusqu'à celte époque, on croyait donc que les os se composaien 


(1) Macquer, Dict. de chimie, 1. XII, p. 69 : 1778. 

(2) Observation chimique sur l'acide phosphorique retiré des os des animaux 
(Journal de médecine, chirurgie, pharmacie, ete., t. XLVII, p. 299; 1777). 

(3) Voy. Fourcroy, Système des connaissances chimiques, t. IX, p. 283. 


ÉTUDES SUR LES 08. 417 
seulement d'une matière animale et de phosphate de chaux associé 
à quelques traces de sulfate de chaux. 

Charles Hatchett (4), dans un mémoire publié en 1799 par la 
Société royale de Londres, étudia d’une manière approlondie, el 
avec un esprit d'investigalion remarquable, les différents éléments 
des os. IL y reconnut une troisième substance : le carbonate de 
chaux. Après avoir précipité dans une dissolution d'os le phos- 
pbate de chaux par lammoniaque, il observa que, par l'addition 
du carbonate d’ammoniaque, il pouvait toujours obtenir un second 
précipité, qui, en perdant son acide carbonique sous l'influence 
des acides même faibles, faisait une vive effervescence, et qui, par 
l'addition d'acide sulfurique, se transformait en sulfate de chaux. 
C'était donc bien du carbonate de chaux. 

Hatchett examina aussi différents os de Mammifères et de Pois- 
sons , ef toujours il y trouva du carbonate de chaux. 

Fourcroy et Vauquelin constatérent dans les os la présence du 
phosphate de magnésie (2), et ee qui prouve la précision de leurs 
recherches, c’est qu'ils purent doser la quantité de ce sel d’une 
manière exacte, quoique la série de manipulations à l'aide des- 
quelles ils arrivaient à l'isoler fût longue et délicate. Après avoir 
dissous des os dans de l’acide sulfurique, ils versaient dans la so- 
lution étendue et filtrée un excès d’ammoniaque, qui précipitait le 
phosphate de chaux et la magnésie à l’état de phosphate ammo- 
niaco-magnésien ; en faisant bouillir ce mélange salin avec de la 
potasse, ils mettaient en liberté la magnésie, qu'ils dissolvaient 
dans de l'acide acétique, tandis que le phosphate de chaux restait 
sur le filtre. L'acétate de magnésie était décomposé par le carbo- 
nate de soude, et ils obtenaient ainsi du carbonate de magnésie 
entièrement soluble dans l'acide sulfurique. Ces chimistes recon- 
nurent que la quantité de cette base est très faible dans les os, 


(1) £xperiments and Observations on Shell and Bone, 4799 (Philosophical 
Transactions of the Royal Society of London, t. LXXXIX, p. 315). 

(2) Sur la présence d'un nouveau sel phosphorique terreux dans les os des 
animaux, et sur l'analyse de ces organes en particulier (Ann. de chimie, t. XLVII, 
p. 264; an x1 (1803). 


118 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

qu'elle varie de 4,5 à 2 pour 400, tandis qu'il y a 60 pour 100 de 
phosphate de chaux. Ils en trouvèrent chez les différents animaux 
qu'ils examinèrent ; mais ils ne purent en découvrir aucune trace 
dans les 05 humains, circonstance qui les conduisit à penser que 
ceux-ci en étaient dépourvus, et ils cherchèrent à expliquer cette 
parüieularité par la nature de la sécrétion urinaire chez l'Homme, 
comparée à celle des autres animaux. Ce n'est qu'après eux que 
Berzelius reconnut et établit d'une manière incontestable que le 
phosphate de magnésie existe en très petite quantité chez l'Homme 
aussi bien que chez tous les animaux (1). Aussi est-on étonné de 
voir, quelques années après la publication du travail de Berzelius, 
l'existence de la magnésie révoquée de nouveau en doute dans les 
os de l'Homme (2). Mais cette erreur ne put subsister devant les 
expériences nombreuses de tous les chimistes qui s'occupérent de 
ce sujet, et maintenant il est bien constaté que tous les os con- 
tiennent une proportion faible, 1l est vrai, mais à peu près con- 
stante de magnésie. 

Foureroy croyait que les os contenaient du phosphate de fer, 
parce que, quand on précipite par l’'ammoniaque une dissolution 
d'os dans l'acide chlorhydrique, le précipité, soumis à l’action 
d’une haute température, se charbonne d'abord, puis prend une 
teinte bleue ; mais cette coloration parait due seulement au mé- 
lange d’une pelite quantité de malières organiques , ear elle dis- 
parait si on élève la température. D'ailleurs la quantité de fer qui 
peut se rencontrer dans les os est tellement faible, que c’est à 
peine si l’on en démontre l'existence à l’aide des moyens perfec— 
tionnés d'analyse que la chimie possède aujourd'hpr. 

En 1803, Moricchini, en examinant une dent d'Éléphant fos- 
sile, y reconnut la présence du fluorure de calcium (3). Kla- 


(1) Djurkemien : Stockholm, 1808, — Traité de chimie, trad. par Valérius, 
t. INT, p. 720 , Bruxelles, 1849. 

(2) Hildebrant, Expér. sur les os de l'homme (Ann, de chimie, t. LXXX VIT, 
p. 199: 1813). 

(3) Analisi chimica del dente fossile (Memorie di matemutica e di fisica della 
Sociela italiana delle scienze, &. X, p. 166; 1803). 


ÉTUDES SUR LES 05. 119 
proth (4), puis Fourcroy et Vauquelin (2) répétèrent ces expé- 
riences el arrivèrent au même résultat. Seulement Klaproth voulut 
voir dans le fluorure de calcium un produit de là transformation 
du phosphate de chaux. Mais celte erreur ne subsista pas ; elle fut 
aussitôt combattue et rectifiée dans un mémoire de Chenevix (3). 
— Moricchini el Gay-Lussac (4) cherchèrent à démontrer que le 
fluorure de calcium existe aussi bien dans l’ivoire récent que dans 
l'ivoire fossile et dans l'émail des dents. Au contraire, Wollaston, 
Brande (5), Fourcroy et Vauquelin, n’admetlaient pas ce fait. — 
Berzelius (6), qui reprit l'étude de cette question, démontra que 
non-seulement dans les dents, mais aussi dans les os comme dans 
l'urine, il existe toujours du fluorure spathique en proportions 
appréciables. — Cependant ce fait fut de nouveau mis en doute il y 
a une vinglaine d'années par Rees (7), ainsi que par MM. Girardin 
et Preisser (8), qui nièrent l'existence du fluorure de calcium dans 
les os. Enfin M. Fremy (9), employant des méthodes plus exactes, 
parvint à démontrer avec la plus grande évidence que l'acide 
fluorhydrique se rencontre {toujours dans le tissu osseux. Ce chi- 
mise éminent eut recours, pour arriver à ce but, au seul carac- 
tère de l'acide fluorhydrique, qui ne permet pas de doutes, c'est- 


(1) Untersuchung eines fossilen Elephantenzahns auf Flussspathsäüure (Gehlen's 
Journal, t. LI, p. 625; 1804). 

(2) Expériences failes sur l'ivoire frais, sur l'ivoire fossile, et sur l'émail des 
dents pour rechercher si ces substances contiennent de l'acide fluorique ( Ann. de 
chimie, &. LVII, p. 37 ; 4806). 

(3) Ann. de chimie, t. LIV, p. 207; 1805. 

(4) Lettreà M. Berthollet, sur la présence de l'acide fluorique dans les substan- 
ces animales (Ann, de chimie,, t. LV, p. 258 ; 1805). 

(5) Experiments showing contrary to the Assertions of Moricchini that the 
Enamel of Teeth does not contain fluorie Acid (Journal of Natural Philosophy 
Chemistry and the Arts, by W. Nicholson, L. XIII, p. 244 ; 4806). 

(6) Extr. d'une lettre à M. Vauquelin (Ann. de chimie, t. LXI. p. 256 ; 1807). 

(7) On the supposed Existence of fluorie Acid in animal Matter (Philosophical 
Magazine, 1. XV, p. 558 ; 1839). 

(8) Mém.sur les os anciens et fossiles, ete. ( Comptes rendus des séances de 

l'Académie des sciences, t. XV, p. 721 ; 1842). 

(9) Recherches chimiques sur les os (Ann. de chimie et de phys., &. XLEIT, p. 47 ; 
1855). 


120 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

à-dire de son action sur la silice. De la poudre d'os, de la cendre 
d'os, les sels calcaires, retirés des os an moyen d’une dissolution 
étendue de potasse, ont été soumis par lui à l’action de l'acide sul- 
furique en présence de la silice. Dans toutes ces expériences, 
M. Fremy à obteuu un dégagement de fluorure de silicium, qui, 
au contact de l'eau, S’est décomposé en donnant des quantités 
notables de silice. Mais si le fluorure de calcium existe dans 
les os d’une manière constante, il S'y trouve en quantité si mi- 
nime que l'on peut en faire abstraction dans les analyses qui ont 
pour but d'éclairer simplement l'histoire physiologique de ces or- 
ganes. 

Les principaux éléments constituufs du tissu osseux se trou- 
vaient alors fous connus. Depuis on a fait beaucoup d'analyses 
d'os différents, on a examiné leur constitation intime sous plu- 
sieurs points de vue, el cependant on n'a modifié que très peu les 
idées qui régnaient à l'époque où Berzelius publiait son traité de 
chimie animale. On a étudié plus à fond quelques points encore 
mal connus de l'histoire du tissu osseux, comme nous venons de 
le voir pour le fluorure de calcium. On y a découvert un nouveau 
sel, le phosphate ammoniaco-magnésien, dont on doit la connais- 
sance à M. Fremy. Mais la quantité que l'on en trouve dans les os 
est extrêmement faible : c'est à peine si, avec les moyens d'ana- 
lyse les plus exacts, on peut y découvrir plus d’un millième 
d’ammoniaque. 


RTE 


La matière animale des os a été aussi l'objet d’études impor- 
tantes sous le point de vue chimique. 

Cette matère, qui, unie aux sels térreux, constitue le tissu 
osseux, est connue depuis longtemps. 

Papin, en 1750, proposa d'extraire des os la gélatine, au 
moyen de la coction dans des vases clos et sous une haute pres - 
sion. 

En 1758, Hérissant, ainsi que je l'ai déjà dit, soumit des os à 
l'action des acides, et obtint de la gélitine. À partir de ce moment, 


ÉTUDES SUR LES OS. 121 
ce corps est entré dans le domaine de la chimie : on le trouve 
mentionné dans tous les traités, même élémentaires. 

Quand, par l’action des acides dilués, on a enlevé les sels cal- 
caires d’un os, on obtient une matière jaunâtre, transparente, un 
peu élastique, insoluble dans l’eau, et qui, par une ébullition pro- 
longée avec ce liquide, se transforme en gélatine ; mais cette 
substance, par ses propriétés, est complétement différente de ce 
dernier corps, qui n’est qu'un produit de sa transformation. Pour 
désigner cette trame organique des os, on était obligé d'employer 
différentes circonlocutions, puisque, depuis longlemps, on avait 
reconnu que le nom de gélatine ne pouvait plus s’y appliquer ; on 
l’appelait gélatine des os, matière cartilagineuse des os, matière 
collagène. Aussi MM. Robin et Verdeil (1) ont-ils cru devoir pro- 
poser pour ce corps un nom particulier, qui a été aussitôt adopté : 
ils ont appelé osséine ou ostéine la matière cartilagineuse des os. 

Si l'osséine diffère de la gélatine au point de vue physique et 
chimique, elle s’en distingue aussi sous le rapport physiologique. 
Magendie remarqua en effet que, comme substance alimentaire, 
ces deux corps ne jouaient pas le même rôle : il vit que, lorsque 
l’on nourrit des Chiens avec des os bouillis, ces animaux suc- 
combent rapidement avec tous les symptômes de l’inanition, tandis 
que si on leur donne des os non bouillis, ils continuent à vivre et 
à se bien porter (2). 

On était naturellement conduit à penser que si l'osséie, en se 
transformant en gélatine sous l'influence de l'ébullition, éprouve 
des modifications si profondes dans loutes ses propriétés, c’est 
que, par cette opération, elle fixe quelque élément nouveau, ou 
qu'elle perd quelques-uns de ses principes. Pour éclairer ce point, 
Bibra (3), le premier, soumit à un examen approfondi le cartilage 


(4) Traité de chimie anat. ebphys., etc., L, III, p. 368; 1853. 

(2) Expériences sur les os, dans le rapport fait à l'Aca‘lémie des sciences, au 
nom de la Commission dite de la gélatine (Comptes rendus des séances de lAcadé- 
mie des sciences, t. XUIT, p. 267 ; 4841). 

(3) F.-E. von Bibra, Chemische Untersuchungen über die Knochen und Zähne 
der Menschen und der Wirbelthiere. In-8 ; Schweïnfurt, 1844. 


122 ALPHONSE VILNE EDWARDS. 

des os. Du reste, Gay-Lussac et Thenard, Mulder (1), Scherer (2), 
avaient déjà analysé avee le plus grand soin la gélatine et quel- 
ques autres malières susceptibles de se transformer en gélatine 
sous l'influence de l’ébullition, les tendons par exemple. Plus ré- 
cemment, M. Fremy reprit ces expériences , et les nombreuses 
analyses faites par ces différents observateurs donnent pour 
l'osséine et la gélatine une composition élémentaire identique , 
comme on peut s’en assurer en consultant les résultals que je 
réunis ici. 


Gélatine retirée des os. 


D'après Mulder. D'après M. Fremy. 
Garbone . b0,048 50,0 
HYdrOPène-- ace 6,477 6,5 
ATOUT en et et eme 18,390 17,5 
OxYEPn ENT Te SENS 25,125 26,0 
100,000 100,0 


Osséine d'un os de bœuf. 


D'après M. Fremy. D'après Bibra. 

Garbone. 20000 ON 0 DA 50,130 
Hydrogène. . . . .. 7,79 7,073 
Axoideut UN Lt 17,86 18,449 
(6j TLC ONCE CNE 25,44 24,348 
100,00 100,000 


L'ensemble de ces résultats démontre clairement que, s'il y a 
des différences de propriétés entre la gélatine et l’osséine, il n°y 
en à pas quant à leur composition élémentaire. On peut les con- 
sidérer comme deux substances isomériques. 

Femprunte ici à M. Fremy quelques mots qui peignent parfaite- 
ment les analogies de l’osséine et de la gélatine : « S'il était permis 
de comparer des corps provenant de l'organisation animale à ceux 


(1) Bulletin des sciences physiques et naturelles en Néerlande, L. |, p.23 ; 1839. 
— Versuch einer allgemeinen physiologischen Chemie, p. 334. 

(2) Chemisch-physiologische Untersuchungen (Ann. der Chemie und Pharmac., 
t. XL, p. 46-49). 


ÉTUDES SUR LES 0S. 195 
qui résultent de l’organisation végétale, je dirais que l’osséine 
correspond à la cellulose des végétaux, tandis que la gélatine peut 
être comparée à la dextrine. En effet, l’osséine et la cellulose, 
également insolubles dans l'eau , éprouvent lune et l’autre des 
transformations isomériques par l'action de l’eau bouillante, et 
sous l'influence des acides, en donnant naissance à deux corps 
solubles, qui sont la gélatine et la dextrine. » 

Cette idée avait été déjà émise plus de dix ans auparavant par 
F. Marchand (1) dans son mémoire sur la composition chimique 
des os : « La transformation de la matière collagène en gélatine, 
dit-il, peut être, jusqu'à un certain point, comparée à la transfor- 
mation que subit l’amidon quand on le soumet à l’action de l'acide 
sulfurique étendu ; car, dans les deux cas, on n’observe ni déga- 
gement, ni absorplion de gaz. » 

Les expériences beaucoup plus anciennes de M. Chevreul (2) 
ont démontré d’une autre manière l’isomérie de la substance car- 
tilagineuse et de la gélatine. Ce chimiste fit bouillir dans l’eau un 
poids donné de matière gélatiniforme, et obtint ainsi le même poids 
de gélatine; la matière cartilagineuse n'avait donc rien perdu ni 
rien gagné. En agissant dans un vase elos, les choses se passaient 
de la même manière que dans un vase ouvert. 

Cette expérience a été répétée par M. Fremy, et il est arrivé 
exactement au même résultat : À gramme d’osséine très pure et 
desséchée à 430 degrés a été soumis à l’action de l’eau bouillante 
jusqu'à transformation complète en gélaline ; la liqueur a été éva- 
porée à sec, et le résidu a été desséché à 130 degrés ; il pesait 
exactement 4 gramme. Celle transformation en gélatine se fait 
plus ou moins rapidement, suivant la manière dont l’osséine a été 
préparée, suivant son degré de pureté. Quand elle est très pure, 
la transformation se fait lentement ; il en est de même si ce corps 
a lé extrait des os d’un individu âgé. Si, au contraire, l'osséine est 


(4) Weber die chemische Zusammensetzung der Knochen (Journal für prakti- 
sche Chemie, von Erdmann und Marchand, t. XXVIL, p. 85 ; 1842). 

(2) De l'influence que l'eau exerce sur plusieurs substances axolées solides (Ann. 
de chimie et de physique, t. XIX, p. #8; 1821). 


124 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


acide, ou si elle provient d'os jeunes, la transformation en gélatine 
est beaucoup plus rapide. 

Il était intéressant d'examiner si l’osséine était toujours iden- 
tique, c’est-à-dire si, retirée d'os d'animaux différents, tels que 
Mammifères, Oiseaux, Reptiles et Poissons, celte substance pré- 
sentait toujours la même constitution chimique. Les analyses de 
Bibra ont démontré que lorsqu'un os élait dans ses conditions 
normales de nutrition, quel que soit l'animal auquel il appartienne, 
toujours ses éléments constitutifs se trouvent dans les mêmes pro- 
portions. 

Voici les résultats obtenus par ce chimiste : 


Fémur de bœuf. Pipa. Tête de carpe. 
Carbone. . . . . 50,130 50,446 50,324 
Hydrogène. .. 7,073 7,083 7,225 
A7ObB. of ln 18,449 18,212 18,423 
Oxygène. . . . . 24,348 24,239 24,001 

100,000 99,980 99,970 


M. Fremy, sur d’autres animaux, est arrivé depuis aux mêmes 
résultats: il a trouvé : 


Veau. Hibou. Carpe. 

Carbone 0.11. Qi 49,9 49,05 19,8 

Hydrogène . . . . . 7,3 6,77 7,1 
A7nte st 17.2 
Oxygène . 25,6 
100,0 


L'eau bouillante n’est pas seule à transformer l’osséine en géla- 
tine, le temps agit de la même manière. Mais, pour effectuer cette 
transformation d’une manière complète, il ne suffit pas de quelques 
milliers d'années, il faut des périodes quine se comptent plus par 
siècles. 

Ainsi Bibra a constaté que les os retirés des tumulus de l'an 
cienne Germanie, et qui par conséquent remontaient à une époque 
très reculée, ne différaient pas, sous le point de vue qui nous 
occupe, des os frais. 


ETUDES SUR LES OS. 125 

Chez une momie égyptienne, cette transformation avait com- 
mencé à s’opérer; effectivement, bouillis dans l'eau, les os don- 
nèrent de la gélatine plus rapidement que dans les circonstances 
ordinaires” 

Des ossements trouvés dans une lourbière abandonnèrent toute 
leur gélatine après une ébullition qui ne dépassa pas un quart 
d'heure. 

Entin lamatière organique des os fossiles de l'Ours des cavernes, 
extraile par les procédés ordinaires, se gonflait à froid dans l’eau 
et s’y dissolvait quand on élevait la température. Dans ce cas, la 
tansformalion de l’osséine en gélatine était complète. 

Tous les os examinés sous ce point de vue sont relativement ré- 
cents. Ceux des tourbières datent vraisemblablement du commen- 
cement de notre époque; ceux de l’£lephas primigenius, de 
l'Ursus spelœus, etc., sonttous contemporains du diluvium, époque 
qui est aussi relativement récente, puisque l’on y trouve les pre- 
mières traces de l’industrie humaine. Il serait intéressant de sou- 
mettre à cette étude les os beaucoup plus anciens des Maminifères 
tertiaires, où la quantité de matière organique est souvent consi- 
dérable, et même ceux des grands Reptiles jurassiques, dont l’âge 
ne peut plus s'évaluer même par des périodes de siècles. I est 
aussi à noter que la gélatine, ainsi produite par l'action lente du 
temps, ne diffère pas, quant à la composition élémentaire, de celle 
que l’on oblient en faisant agir de l’eau bouillante sur des os frais. 
C'est à Bibra que l'on doit la constatation de ce fait. Voici les résul- 
tats de son analyse : 


CACDON ES te : 6: cer ua rech 2 50,404 
Hydropène 22e "7 “7 Dal ec HS 7,110 
RER CP AMENER EE PS 3 18,154 
CIRVPENO ACER NOR ONE. - © > 24,335 

100,000 


Mulder, à qui on doit, comme nous l'avons déjà vu, des travaux 
importants sur la gélatine. voulut pousser les connaissances rela- 
lives à ce corps plus loin que ses devanciers, et il tenta de détermi- 
ner l'équivalent chimique de ce principe. Pour arriver à ce but, il 


426 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 
se basa surtout sur la composition du précipité que forine l'acide 
{annique dans une dissolution de gélatine, et, sur une combi- 
naison qui se produit lorsque l’on fait passer un courant dé chlore 
à travers une dissolution de gélatine, il en déduisit la forinule 
C#H10A205 (4). Peut-être, cependant, est-il prématuré de vou- 
loir calculer ce poids atomique d’après les combinaisons dont nous 
venons de parler. En effet, suivant l’espèce de tannin que l’on 
emploie, la gélatine en absorbe des proportions différentes. Il 
est difficile de baser un caleul sur des données aussi peu stables. 
De plus, Mulder pense que les composés chlorés de la gélatine 
sont des composés définis de cette dernière substance et d'acide 
chloreux. Ce chimiste admet l'existence de plusieurs de ces corps, 
qu'il représente par les formules suivantes : 


(CHH0A205) € 
(C'IH10A7205)1 de 
(CH 104220%$ (C nu 
(C#H104205)5 (CIO 
Nous voyons done que l'acide chloreux pourrait s'unir à la gé- 
latine pour former quatre corps particuliers, Si maintenant nous 
examinons les proportions suivant lesquelles l'acide chloreux et la 
gélatine y sont combinés, nous les trouvons représentées par les 
rapports suivants : 


JEUN SALES FANS COUR SRE 


En examinant ces résullats on ne peut s'empêcher de douter 
de l'invariabilité des proportions consliluantes de ces composés, et 
de pensef qu'en variant les modes de préparatiofis oh pourrait 
obtenir d’autres combinaisons analogues. D'ailleurs, dans ce cas, 
a-t-on bien affaire à un composé d’acide chloreux? ne serait-ce 
pas une simple substitution du chlore à 4,2 ou 3 ot 
d'hydrogène de la gélatine ? Ce qui tend à le faire croire, c’est la 


(M) Mulder, Versucli einer allgmeinen physiologischen Chemie, p. 333. 

Ce chimiste écrit C/#H2A710%, au lieu de C'#H!0Az205 ; mais cela revient au 
même, et les différences entre ces formules ne tiennent qu'à la valeur relative 
attribuée à l’équivalent de l'hydrogène et de l'azote, 


ÉTUDES SUR LES 05. 197 
quantité d'acide chlorhydrique qui se forme lorsque l'on fait 
passer du chlore dans la dissolution de gélaline, production que 
Mulder explique par la décomposition de l’eau dont l'oxygène se 
porterait sur le chlore pour former l'acide chloreux. En un mot, 
ces composés animaux, {els que la gélatine, sont encore trop peu 
connus, non-seulement par eux-mêmes, mais par leurs combi- 
naisons, pour que l’on puisse ajouter quelque confiance à la déter- 
mination exacte de leur équivalent, surtout quand on pense aux 
difficultés que l'on trouve miême en chimie minérale pour établir 
d'une façon certaine le poids atomique de corps parfaitement 
condus, formant avec d’autres corps également bien connus une 
série de composés cristallisés et à proportions invariables. 
On peut encore mieux se convaincre de la nécessité de cette 
réserve en voyant ce qui reste aujourd’hui des travaux de Mulder 
sur les composés définis de la protéine. Comme on le sait, ce 
chimiste considérait ce dernier corps comme un radical formé 
« seulement de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote, et qui, 
en s’unissant à du soufre et à du phosphore en proportions diffé 
rentes, donnait naissance à des composés parfaitement définis, 
susceptibles eux-mêmes de divers degrés d’oxydation. On recon- 
nut bientôt que les corps sur lesquels portaient les recherches 
de Mulder, n'étaient même pas purs. qu'ils retenaient {toujours 
des quantités variables de matières salines, enfin que sa pro- 
téine, base de tout l'édifice, et qu'il considérait comme totale- 
ment dépourvue de soufre, en contenait toujours en proportion 
notable; enfin, que la quantité de ce dernier corps qui existe dans 
l'albumine, la fibrine, ete., est en réalité différente de celle qu'in- 
diquaient les formules de ce chimiste. Or, c'était justement à l’aide 
de ces quantités de inatières minérales que les poids atomiques 
des substances protéiques avaient été établis. 

Vers la même époque, J. Müller (1), en se plaçant à un autre 
point de vue, arriva à un résultat plus important sous le rapport 
physiologique. Il vit que les cartilages permanents, tels que ceux 


(1) Ueber die Structur und die Chemischen Eigenschaften der Thierischen Be- 
tandtheile der Knorpel und Knochen (Ann. der Physik und Chemie ; von Poggen- 
rf, 4836, t, XXVIII, p. 295). 


128 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

des côtes, du larynx, de la trachée-artère et le cartilage qui pré- 
cède la formation du tissu osseux, par la coction avec l’eau, ne 
donnaient pas de gélatine mais une autre matière également solu- 
ble dans l’eau chaude, se prenant en gelée par le refroidissement, 
mais dont les caractères chimiques différaient de ceux de la géla- 
üine. Il donna à ce corps particulier le nom de chondrine. 

La chondrine, avons-nous dit, se comporte avec l’eau comme 
la gélatine, cependant la gelée qu'elle donne est moins consis- 
tante. Ainsi, tandis que pour déterminer la formation de celte 
velée il suflit d’une partie de gélatine sur 100 parties d'eau, pour 
obtenir le même résultat avec la chondrine il faut un vingtième au 
moins de cette matière. Mais les différences capitales entre ces 
deux corps résident surtout dans la manière dont ils se compor- 
tent avec les réactifs. 

La solution de chondrine est précipitée par le sulfate d’alumine, 
l’alun, l'acide acétique, l’acétate de plomb, le sulfate de fer, l'acide 
chlorhydrique faible. La gélatine, au contraire, n’est précipitée 
par aucun de ces réactifs. 

Mulder, qui a analysé la chondrine, y a trouvé une petite quan- 
tité de soufre, 0,38 p. 100, tandis qu'il n'en avait pas rencontré 
de traces dans la gélatine ; cependant il paraitrait, d'après d’au- 
tres observateurs, que la gélatine, aussi bien que la chondrine, 
contiendrait du soufre : ainsi, Schlieper (4 )en a trouvé 0,12 à 0,14 
dans la gélatine extraite des os et de l’ivoire. 

Berzelius admet que ce corps existe dans les os, puisqu'il dit 
que dans le résidu que laissent les os après leur incinération si 
l'on trouve des sulfates alealins, c’est parce qu'ils ont été formés 
aux dépens du soufre des os. 

Les analyses de Bibra tendent à établir le même fait. Il a trouvé 
dans la gélatine 0,216 de soufre pour 100. 

La connaissance de la composition élémentaire de la chondrine 
est surtout due aux recherches de Mulder (2) et de Scherer (3). 


(1) Ann. der Chem. und Pharm., t. LVIIT, p. 379-381. 

(2) Journal für prat. Chemie, von Erdmann, t. XV, p. 490. 

(3) Chemisch-physiologische Untersuchungen (Ann. der Chemie und Pha rmac ië 
von Liebig u. Woehler, 1. XL, p. 49: 1844). 


. 


ÉTUDES SUR LES OS. 129 
Cette composition diffère peu de celle que nous avons indiquée 
pour la gélatine. Ainsi, Mulder trouva : 


CarDONB AE. - 0 «0 ANRT . . 49,96 
HYATOPENE SET RAR AMEN SE 6,63 
AZOTE Se RCE eee « Te ae tee CE A 
CPR CEE EME AERNETS FOUR: 00 
outre es hat Mis LHEMHM QU fé 0,38 

100,00 


Scherer, qui analysa la chondrine provenant des cartlilages 


coslaux de veau, trouva : 


DARDONBRT A EN ee lens ee aus ie 0e fetes ONE OO 
HydrOpene RETENUE ATARI ES QC PORTA 
Azale Me fine FN NN TEE TC . . 414,908 
Oxysénedrhs.c 11e TO ET O DUT Q . 28,463 

100,000 


Ainsi qu'il l'avait fait pour la gélatine, Mulder voulut détermi- 
ner le poids atomique de la chondrine. Pour arriver à cette déter- 
minalion il se basa, d’une part, sur la proportion du soufre con- 
tenue dans la chondrine; d'autre part, sur la composition d'une 
combinaison de ce dernier corps avec le sulfate de fer. 1 résulia 
de ses recherches qu’un atome de sulfate de fer se combinait avec 
10 atomes de chondrine, et que 20 atomes de chondrine conte- 
paient un atome de soufre, précisément comme il l’'admeltait pour 
les combinaisons de la protéine. A l’aide de ces données, Mulder 
établit la formule CH*6AZ'0"*, Mais d’après ce que nous avons 
déjà dit, la manière dont celte formule a été déterminée doit in- 
Spirer encore moins de confiance que pour la gélatine. 

Il y a peu de temps on à annoncé que la chondrine et la géla- 
line n'étaient qu'une seule et même substance. M. Friedleben (1), 

dans un travail sur la constitution du tissu cartilagineux, prétend 
| que c'est à tort que l’on distingue au point de vue chimique les 


Ê 

L (4) Zur chemischen Constitution des Knorpelgewebes (Ze üschrift fur Wissen- 
schafuliche Zoologie, von Siebold und Külliker, &. X, p. 20 ; 1859.) 

} % série Zoo. T. XIIT (Cahier n° 3). 1 9 


159 ALPRONSE MILNE EDWARDS. 

cartilages permanents et les carlilages préexistants à l'os, de la 
matière cartilagineuse des os. D'après ce que nous avons dit, les 
premiers par la coetion fourniraient de là chondrine, les seconds 
de la gélatine, et les différences entre ces deux corps sont bien 
tranchées. La gélatine n’est précipitée que par l'acide tannique et 
le bichlorure de mercure; la chondrine l'est, au contraire, non- 
seulement par ces deux réactifs, mais encore par les acides, l'alun, 
l'acétate de plomb, ete. M. Friedleben admet parfaitement ces 
différences, seulement il pense qu'elles sont dues au mode de pré- 
paration de l’osséine, et non point à la nature particulière des dif- 
férents tissus cartilagineux. El a soumis pendant quelque temps les 
cartilages permanents à l'action de l'acide chlorbydrique, comme 
on le fait quand on veut se procurer l’osséine d’un os, el il assure 
avoir constaté que par l’ébullition dans Peau ils ne fournissaient 
plus de chondrine, mais de la gélatine. Il a répété ces expériences 
sur les cartilages des côtes soit d'enfants, soit d'adultes, de veau 
et de bœuf, sur des épiphyses non soudées, et toujours il a ob- 
tenu le même résultat. 

Ayant examiné sous ce point de vue un cartilage costal d’adulte 
(homme de trente-six ans) qui s’élait ossifié, il trouva de même 
les réactions de la gélatine. De ses expériences il conclut que tous 
les cartilages doivent présenter une constitution chimique iden— 
tique, et que, s'ils paraissent présenter des différences, elles sont 
dues aux modes de préparation qu'on leur fait subir. 

J'ai repris ces expériences et je n'ai pas obtenu les mêmes ré. 
sultats que M. Friedleben. Pour cela, j'ai placé dans le même vase 
des cartilages costaux d'enfant et un morceau d'os, et je les ai 
traités par l'acide chlorhydrique, de manière à les soumettre aux 
mêmes influences. L'osséine provenant de l'os s’est transforméé 
en gélatine, tandis que la cartilagéine a donné de la chondrine 
parfaitement caractérisée, précipitant par l’acétate de plomb, l'a= 
lun, ete... Malheureusement le temps m'a manqué pour pour- 
suivre ces expériences, el je ne puis pas conclure avec aussi peu 
de preuves. Cependant, dans plusieurs cas, le traitement à l’aide 
duquel on obtient la chondrine et la gélatine est identique; ainsi, 
si on fait bouillir de la râpure d'os dans l’eau, on ne fait pas in- 


ÉTUDES SUR LES OS. 151 
tervenir d'acides, et cependant on à toujours de la gélatine, tandis 
que, lorsque l’on fait bouillir des cartiiges, où à de R chondrine. 
Je compte continuer à étudier d’une manière plus complète les 
produits fournis par les cartilages et par les os en les soumettant 
à des traitements identiques. 

Il me paraitrait donc prématuré d'admettre aujourd'hui que 
l'osséine et la carlilagéine soient deux substances identiques, et je 
crois que jusqu'à ce que l’on ait repris d’une manière approfondie 
l'étude de cette question, on doit continuer à considérer ces sub- 
slances comme différentes quant à leur constitution chimique 


propre. 
DE LA MÉTHODE D'ANALYSE DES OS. 


Parmi les nombreux éléments que j'ai indiqués plus hant 
comme se rencontrant d'une manière normale dans le tissu os- 
seux, tous peuvent ne pas être dosés quand on veut connaitre la 
composition d'un os à l'état physiologique. 

Quelques-unes de ces substances peuvent être négligées, le 
fluorure de calcium et le phosphate ammoniaco -magnésien par 
exemple. 

Mais il est souvent important de déterminer la proportion des 
autres éléments, c’est-à-dire : 

4° La matière gélatineuse, 

2° La graisse, 

3° Le phosphate de chaux, 

k° Le carbonate de chaux, 

5° Le phosphate de magnésie, 

6° Les sels solubles dans l'eau ; 
et encore peut-on pour la plupart des cas se borner à doser la 

“matière gélatineuse, le phosphate et le carbonate de chaux. En 
eflet, le phosphate de magnésie dépasse rarement dans les os 
4, 5 à 2 pour 100; la proportion des sels solubles n'est pas 

heucoup plus forte, et, en outre, il est probable que ce qu'on en 
uve provient de matières étrangères au tissu osseux, du sang 

r exemple. 


132 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

Je vais indiquer les procédés d'analyse qui fournissent les meil- 
leurs résultats dans la détermination des principaux éléments con- 
stituants de l'os. 

Les os doivent être d’abord complétement dépouillés de toutes 
les parties molles : périosle, tissu cellulaire, graisse. Pour cela, 
après les avoir soisneusement grailés, on les divise dans le sens 
de la Jongueur en fragments, soit à l’aide de forts ciseaux, soil avec 

-une scie, suivant la grosseur de l'os; on peut ainsi ler la moelle, 
et à l’aide d'un jet d'eau que l'en darde sur le tissu spongieux, on 
enlève facilement le sang dont ce dernier estimprégné ; on ne doit 
cesser celte opération que lorsque los est complétement blane et 
ne colore plus Peau dans laquelle on le laisse tremper quelque 
temps. On le porte alors dans une éluve pour chasser l'eau dont il 
est chargé, et qui lui donne une élasticité qui empêche de le ré- 
duire facilement cn poudre. Quand il est suffisamment sec, on le 
pulvérise, puis on le reporte de nouveau dans l’étuve. En effet, si 
on le laissait sécher en fragments, il retiendrait toujours un peu 
d'eau. La température de l'étuve doit être d'environ 120 degrés : 
à 400 degrés on ne pourrait chasser complétement l'humidité. 
Cette opéralion est importante et doit être continuée jusqu'à ce 
que l'os ne perde plus rien de son poids, ce qui arrive ordinaire- 
ment au bout de quatre à six heures. Pour mes analyses, je lais- 
sais les os dans l'étuve du jour au lendemain, de façon à être par- 
faitement sûr que toute l'eau était bien complétement chassée. En 
effet, si dans la même étuve on place un certain nombre d'os à 
sécher, il s'y forme une atmosphère de vapeur d’eau lente à se 
dissiper et qui relarde de beaucoup la dessiccation. Une étuve 
chauffée au gaz est extrêmement commode pour ces opérations, 
parce qu'on peut avoir pendant un temps indéfini une tempéra- 
ture presque constante. Lorsque l'opération est terminée, on pèse 
une pelile quantité de l'os, 4 à 5 grammes, et on la traite par l’é- 
ther pour doser la graisse. Cette opération exige encore certaines 
précautions : l'éther n’enlève à froid qu'une très petite proportion 
de graisse, il faut le faire agir à chaud-et pendant un temps pro- 
longé; pour cela on peut se servir avec avantage d'un petit ballon 
surmonté d'un serpentin continuellement refroidi par un courant 


| 


ÉTUDES SUR LES OS. 155 
d’eau ; la vapeur, à mesure qu'elle se produit, se condense et re- 
tombe dans le ballon. Lorsque l'os est bien dépouillé de graisse, 
on le lave de nouveau avec un peu d’éther, pour enlever celni qui 
le mouillait el qui était chargé de matières grasses, puis on pèse 
l'os après dessicealion. La différence de poids donne la quantité de 
graisse perdue. Je trouve ce procédé beaucoup plus expéditif que 
celui qui consiste à réunir les liquides qui ont servi à dégraisser l'os, 
à les distiller et à peser le résidu graisseux; il présente moins de 
causes d'erreurs et est très exact. Cette opération ferminée, on 
divise la masse d'os en deux parties : la première doit servir à Ja 
recherche de la matière organique, et la deuxième, au dosage de 
l'acide carbonique et des autres éléments. 

En général, on détermine le poids d’osséine contenue dans les 
os en incinérant ces derniers; la perte de poids représente à peu 
de chose près le poids de la malière cartilagineuse des os. Pour 
celte opéralion 4 gramme d'os suffit et au delà ; on place celte 
quantité dans une petite capsule de porcelaine, et on l’expose pen- 
dant une demi-heure environ à l'action d’une température du 
rouge vif, dans la moufle d’un fourneau de coupelle. De cette ma- 
nière, on peut faire à la fois plusieurs incinérations, et on les effec- 
tue d’une manière beaucoup plus rapide et plus complète, parce 
que l'os est entouré d’une atmosphère oxygénée et loujours renou- 
velée, tandis que dans un creuset chauffé soit au feu, soit sur la 
lampe à double courant, il est difficile d'enlever complélement 
toutes les particules charbonneuses, on est obligé pour cela de 
continuer l'opération pendaut longtemps et de remuer fréquem- 
ment la substance, ce qui expose à des pertes de matières. Quand 
l'os est devenu d’un blanc parfait, on retire la coupelle ; mais, si 
on pesait la cendre en cet élat, on aurait une quantité de matière 
terreuse trop faible, parce que le carbonate de chaux a été décom- 
posé par la haute température de la moufle et que l'acide carbo- 
nique à été chassé ; il faut alors humecter la cendre avec une dis- 
solution de carbonate d’ammoniaque, et chauffer de nouveau, mais 
avec ménagement : le carbonate de chaux se reconstitue, l'excès 
de carbonate d'ammoniaque est chassé, et l'on a, par ce que l'os: 
perdu, le poids de la matière animale. Si l'on veut se dispenser de 
chauffer avec lé carbonate d'ammoniaque, ce qui d’ailleurs ne pré- 


134 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

senle aucune difficulté, on peut ajouter au poids des cendres le 

poids de l'acide carbonique déterminé par une autre opération. 
De tous les appareils que l’on emploie pour le dosage de l'acide 

carbonique, celui qui m'a paru le plus commode se compose d’un 

flacon, À, communiquant d’une part avec un tube desséchant, C, 


rempli de chlorure de calcium, d'autre part avec un autre petit 
flacon, B, qui doit servir à contenir l'acide. Le poids de cet ap- 
pareil tout chargé d'acide, de la matière à analyser et du chlorure 
de calcium, peut ne pas dépasser 50 grammes, si on veut n’opérer 
que sur À gramme d'os, quantité d’ailleurs bien suffisante pour 
donner des résultats exacts. À l’aide d’un petit crochet, F, on peut 
suspendre cet appareil sous le plateau de la balance. Quand on 
veut en faire usage, on commence par prendre 4 ou 2 grammes 
d’os séchés et dégraissés, on les introduit dans le flacon A. On 
remplit le flacon B d'acide azotique, puis on lare exactement l’ap- 
pareil : on fait alors couler l'acide sur l'os, en aspirant par le 
tube D. L'action commence aussitôt el se continue lentement, 
l'acide carbonique se dégage en abandonnant au chlorure de 
calcium la vapeur d’eau qu'il pourrait entrainer; quand lopéra- 
tion est terminée, ce qui n’a lieu qu'au boet de plusieurs heures, 
on chauffe légèrement la solution acide pour chasser l'acide car- 
bonique qui aurait pu se dissoudre dans la liqueur, et on laisse 
refroidir, puis, par le tube E, on fait passer dans ce petit instru- 
ment un courant d’air sec pour enlever l'acide carbonique qui s’y 


ÉTUDES SUR LES OS. 135 
trouve ; on reporte alors l'appareil sous le plateau de la balance : 
la perte de poids représente la quantité d'acide carbonique conte- 
nue dans la matière examinée. 

L'appareil dont se servait Bibra se composait simplement d'un 
petit vase, communiquant avec un tube à chlorure de calcium. Ce 
chimiste, après avoir placé dans l'appareil une quantité d'acide 
plus que nécessaire pour décomposer tout le carbonate des os 
qu'il se proposait d'examiner, tarait soigneusement l'appareil, 
puis y portait un poids connu d'os ; la décomposition ayant lieu 
d'une manière lente, il avait le temps de reboucher le flacon sans 
qu'il se perdit d'acide carbonique. Mais ce procédé présentait un 
inconvénient : c'est que, lorsque l'opération était terminée, on ne 
pouvait chasser par un courant d'air l'acide carbonique contenu 
dans l'appareil el on devait nécessairement trouver des résultats 
trop faibles. 

Pour déterminer la proportion d'acide phosphorique contenue 
dans les os, on s’est servi de divers procédés. Berzelius et Ribra 
employaient la méthode suivante. Ils dissolvaient dans l'acide 
azotique la cendre obtenue par la ealcination des os : la liqueur 
acide élait saturée par l’ammoniaque, de façon cependant à ne pas 
précipiter le phosphate de chaux ; ensuite on ajoutait de l’acé- 
tate de plomb, qui précipitait l'acide phosphorique à l’état de 
phosphate de plomb. Mais dans cette opération la saturation de la 
liqueur acide par l'ammoniaque est difficile à faire d'une manière 
parfaite sans précipiter de phosphate, et d’un autre côté, comme 
le phosphate de plomb est un peu soluble dans les acides, on arrive 
souvent à un résultat trop faible. 

M. Fremy dosail l'acide phosphorique à l’état de phosphate am- 
momiaco-maguésien. Pour cela il dissolvait l'os frais dans l’acide 
chlorhydrique, précipitait la chaux par l’oxalate d’ammoniaque, 
ajoutait quelques gouttes d'ammoniaque et y versait une dissolution 
de sulfate de magnésie, contenant du sel ammoniac. Le phosphate 
ammoniaco-magnésien se précipitait alors, Mais, d’une part, ce 
dernier sel est légèrement soluble dans les liqueurs ammonia- 
cales, et, d'autre part, celle méthode exige des manipulations 
assez compliquées. 

Pour doser l'acide phosphorique des os, j'ai employé avec avan- 


156 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

tage le procédé que M. Chancel (4) a publié dernièrement, et qui 
est fondé sur l’insolubilité du phosphate de bismuth dans les li- 
queurs acides. Pour cela on prend une quantité quelconque de bis- 
muth pur, que l’on dissout dans de l'acide azolique, on évapore à 
consistance sirupeuse et on laisse refroidir : le nitrate de bismuth 
se prend en une masse cristalline que l’on pèse, on le redissontdans 
h parties d'acide azotique, et on y ajoute 30 parties d'eau; quand les 
matières employées sont suffisamment pures, la dissolution est par- 
faitement limpide. Si on veut se servir de cette solution pour do- 
ser l'acide phosphorique desos, on fait dissoudre, dans une quantité 
d'acide nitrique strictement nécessaire, un poids donné de cendres 
‘d'os, on ajoute quelques centimètres cubes d'eau distillée, et on 
y verse la liqueur préparée. Le phosphate de bismuth se précipite 
alors immédiatement, et se réunit aussitôt au fond da flacon, sur- 
{out si on à soin de faire bouillir la liqueur. On filtre alors cette 
dernière, on lave le précipité, puis, après l'avoir desséché, on in- 
cinère le filtre. Toutes ces opérations peuvent se faire très rapide- 
ment, parce que le phosphate de bismuth ne passe pas à travers 
les pores du papier, comme le font certains précipités ; de plus, il 
se lave avec une grande facilité, comme on peut s'en assurer en 
versant de l'acide sulfhydrique dans de l'eau que l'on aura fait 
passer sur ce précipité, après l'avoir lavé quelque temps. Cette 
dernière ne se colorera pas. 

Comme le phosphate de bismuth est très dense, qu'il se pré- 
cipite rapidement, et qu'en quelques instants la liqueur est claire, 
on peut, avec une solution fitrée d'azotate de bismuth, doser 
l'acide phosphorique ; pour cela on prend 20 gr. de bismuth, on 
les fait dissoudre dans 200 gr. d'acide azotique, puis on ajoute de 
l'eau distillée de facon à faire 4 litre. Chaque centimètre cube 
pourra précipiter 0 gr. 0068 d'acide phosphorique; on verse 
goutte à goutte cette liqueur dans la solution à essayer, en ayant 
soin de faire bouillir de temps en temps. Celle méthode donne des 
résultats suffisamment exacls, quoique cependant moins précis 
que la première; mais avec un peu d'habitude on peut arriver à 


(1) Recherches sur la séparation et le dosage de l'acide phosphorique (Comptes 
rendus des séances de l'Académie des sciences, t. L, p. 416; 1860). 


ÉTUDES SUR LES OS. 157 
doser ainsi, avec une grande rapidité, l'acide phosphorique des os. 
Pour déterminer la quantité de chaux de la matière osseuse, on 
peut se servir des eaux de lavage du précipité de phosphate de 
bismuth ; pour cela, après avoir saturé l'excès d'acide par ammo- 
niaque, on y fait passer un courant d'acide sulfhydrique qui en- 
lève l'excès de bismuth, on lave le sulfure, on réunit toutes les 
eaux de lavage, et, après les avoir portées à l’éballition, on les éva- 
pore de facon à réduire leur volume, et on y précipite la chaux 
par l’oxaiate d'ammoniaque. d 

A la rigueur, si lon n’avail que très peu de matières, on pour- 
rail rechercher la magnésie dans les eaux de lavage du précipité 
d'oxalate d'ammoniaque : mais cette base est en proportion si mi- 
nime dans les os, qu'en agissant ainsi on ne pourrait éviter de 
commettre des erreurs plus ou moins considérables. Pour doser 
la magnésie d’une manière exacte, il faut agir sur plusieurs gram- 
mes de matière; si la quantité d'os que l’on a à sa disposition le 
permet, il faut en prendre au moins 2 grammes, les dissoudre 
dans l'acide chlorhydrique, précipiter la chaux par loxalate d'am- 
moniaque, agiter ensuite la liqueur avec de l’ammontaque etla laisser 
déposer dans un endroit chaud ; le phosphate ammoniaco-magné- 
sien se précipite très bien, et le poids de ce sel permet de déter. 
miper Ja quantité de magnésie contenue dans l'os. 

La recherche des sels solubles dans l’eau présente peu d'intérêt 
et peu d’imporlanee, cependant il est des cas où elle est nécessaire. 
Si cela est, on fait bouillir dans l’eau, pendant plusieurs heures, 
les os bien dégraissés, on évapore la liqueur, et le résidu donne 
le poids des sels solubles; on peut facilement y rechercher les 
carbonates alcalins et le chlorure de sodium, dont le poids, d’après 
Bibra, ne dépasse pas 1/5 du poids total des sels solubles. 

Quand on a ainsi déterminé dans un os les différents éléments 
dont je viens de parler, si le dosage a été bien fait, on doit, avec 
les quantités d'acides phosphorique et carbonique, de chaux, et de 
magnésie, pouvoir retrouver exactement les phosphates de chaux 
et de magnésie, ainsi que le carbonate de chaux, d'après les for- 
rules 3 CaO Ph0Ÿ, 3Mg20 Ph0Ÿ. CO? CaO, sans qu'il reste en ex- 
cès aucun de ces éléments. Pour cela il faut se rappeler que 


138 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


À d'acide carbonique se combine avee 1,27 de chaux pour former 
du carbonate de chaux ; que À d'acide phosphorique se combine 
avec 1,16 de chaux pour former le phosphate de chaux des os ; que 
4 d'acide phosphorique se combine avec 0,83 de magnésie pour 
former du phosphate de magnésie tribasique, tel que celui que l'on 
admet exister dans les os. 

Quand l'analyse a été conduite avec soin, on trouve en effet 
qu'il n’y à jamais dans les os ni chaux, ni acide libre, mais que 
tout l'acide phosphorique et tout l'acide carbonique servent à satu- 
rer la chaux et la magnésie. 


DE LA NATURE DE LA SUBSTANCE OSSEUSE. 


An 


I. 


On a souvent agité la question de savoir si le tissu osseux était 
le résultat d’une combinaison chimique entre les sels calcaires et 
la matière animale, ou simplement un mélange de ces parties. 

Quelques auteurs ont commencé a priori par établir qu'un corps 
dont la composition n'était pas invariable ne pouvait être regardé 
comme une combinaison, et que par conséquent la substance os 
seuse ne pouvait être rangée dans celle catégorie ; d’autres au con- 
traire ont voulu voir dans le tissu osseux un composé chimique à 
proportions fixes et définies. 

Dans ces deux cas on a été trop loin, etentreces deux opinions 
où peut s’en former une moyenne parfaitement applicable au cas 
particulier dont nous nons oceupons. Ces divergences, en effet, 
dépendent en partie de la sfgnificalion que l’on veut donner au 
mot combinaison chimique. Celle expression ne doit pas seulement 
être appliquée aux composés à proportions rigoureusement défi- 
vies. Il existe parmi les substances organiques un certain nombre 
de corps doués de propriétés peu actives et susceptibles de s'unir 
en proportions non définies. Or, on ne doit pas donner au corps 
résultant de cette union le nom de mélange; il ÿ a plus, puisque 
les propriétés des deux éléments constituants sont modifiées sou- 
veut d'une manière complète, et qu'il faut une force parfois con- 
sidérable pour déterminer la séparation des corps unis de la sorte. 


G- 


ÉTUDES SUR LES 08. 139 

Ainsi l'iode s’anit à l'amidon pour constituer un précipité bleu, 
remarquable sous plusieurs points de vue. La plupart des chimistes 
refusent à ce corps le nom de combinaison chimique ; cependant ce 
n'est pas simplement un mélange d’iode et d’amidon, quoiqu'on 
ne puisse déterminer d’une manière exacte les proportions d'ami- 
don et diode qui concourent à le former. Les circonstances dans 
lesquelles la réaction à eu lieu font varier les quantités relatives 
de ces deux substances, et si l’on demande à ces chimistes dans 
quelle catégorie on doit placer ce composé, ils ne sauront que 
répondre. 

Il ya ici quelque chose d’analogue à ce qui se passe dans cer- 
taines opérations de teinture entre la fibre textile et divers ma- 
tières colorantes. Ces dernières ont souvent pour les tissus une 
affinité si prononcée qu'elles se séparenf de leurs dissolutions et 
viennent se fixer d’une facon définitive sur l'étoffe; cependant les 
proportions du composé, ainsi formé, sont loin d’être définies. 
M. Chevreul a parfaitement senti les différences qui séparent les 
corps ainsi unis des corps simplement mélangés, etje suis heureux 
de pouvoir m’appuyer sur une autorité si considérable (4). 

Je rappellerai aussi que le charbon, de même que les fibres tex- 


(1) J'emprunte à ce chimiste les passages suivants : 

« L'influence de l'affinité, dans toutes les opérations de teinture, où des ma- 
lières, en dissolution dans l’eau ou dans l'alcool, quittent ce liquide pour se 
porter sar le tissu, est incontestable, à mon sens, parce que j'admets qu'un s0- 
lide ne peut s'unir qu'en vertu d'une force chimique à un corps qui l’est déjà à 
un autre en vertu de l'affinité, et qui y resterait uni sans la présence du pre- 
mier. Un des exemples les plus frappants de cette affinité qu'on puisse citer est 
celle de la soie pour le peroxyde de fer ou plutôt pour un sous-sulfate de cette 
base; je l'ai étudiée avec soin dans mes généralités sur la teinture, en mettant 
en opposition la force dissolvante de l'acide sulfurique et de l'eau, pour le per- 
oxyde de fer, d'une part, et, d'une autre part l'insolubilité de celui-ci, qui con- 
court, avec l'affinité de la soie, à la décomposition du sel. 

« On peut encore citer l'union de l'acide sulfo-indigotique dissous dans l’eau 
avec la soie et la laine qu'on y plonge, l'union de ia malière colorante du brou 
de noix avec les mêmes éloffes, l'union du rocou avec la soie et le coton. » (Re- 
cherches chimiques sur la teinture, mémoire, 20 avril 4840 ; Mém. de l'Académie 
des sciences de l'Institut de France, t, XXIV, p. #09.) 


140 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

tiles, jouit d'une affinité considérable pour les matières colorantes ; 
il les retient et les fixe d’une manière très tenace. On attribue ordi- 
narement ce phénomène à la porosité du charbon, mais il y a 
quelque chose de plus : tous les corps poreux n'agissent pas de 
même, et le charbon fixe une trop grande quantité de matières 
colorantes et les retient avec trop d'énergie pour qu'il n°y ait pas 
là une sorte de combinaison. Je ne parle pas des composés chi- 
miques que Mulder a admis entre la fibrine, lalbumine, ete., et 
les substances minérales, leur existence est trop incertaine pour 
que l'on puisse en faire un argument. 

Je suis loin de vouloir révoquer en doute qu'il n’y ait une grande 
classe de corps qui ne se combinent que d’après un petit nombre 
de proportions fixes et invariables; mais, comme on le sait, natura 
non facit sallum. EL pourquoi ne pas admellre qu'il y aurait quel- 
ques passages entre ces composés stables et définis et les simples 
mélanges, et que l’amidon etl’iode, le charbon et les matières colo- 
rantes, les tissus et les matières colorantes, l'acide sulfurique et 
l'eau, ne seraient pas des exemples de ce passage? 1j y a dans 
leur union plus qu'une simple juxtaposition de particules, il y a 
aussi moins qu'une combinaison à proportions définies, et, quoique 
la composition du tissu osseux varie dans certaines limites, la 
proportion de malières terreuses et de substance organique est 
trop constante pour qu'on ne puisse faire rentrer ce tissu parmi 
les combinaisons chimiques. 

Nous allons d'ailleurs examiner les raisons qui sont favorables 
ou contraires à l'opinion que je viens d'exprimer. 


SI. 


Sion examine les os d'individus différents, soit de mémeespèce, 
soit d'espèces différentes, on y trouve des variations souvent con- 
sidérables, même si on a opéré, autant que possible, dans des con- 
ditions identiques d'âge et de constitution. Ainsi, j'ai examiné le 
fémur de deux chats adultes, à peu près du même poids et soumis 
aux mêmes conditions d'alimentation. Le rapport des différents 
éléments était loin d’être identique. 


ÉTUDES SUR 


Matière cartilagineuse. 
Graisse. . . . 


Phospbate de chaux, etc. . . . 


Carbonate de chaux. . . 


Matière organique. 
Matière inorganique. . . . . 


LES OS. 


Fémurin° 1. 


LUE 


Fémur n° 2, 


28,7 
0,9 
62,0 
8,1 


100,0 
29,6 
70,4 


Pour constater des différences analogues, il suffit d’ailleurs de 
jeter les veux sur les analyses d'os d'animaux de même espèce et 
de même âge. Ainsi Bibra (A) a trouvé chez deux lièvres adultes 
des variations au moins aussi considérables. 


Phosphate de chaux. . . . . 


Carbonate de chaux. . . . . . . 


Phosphate de magnésie . . 
Sels salubles. . . . 
Substance cartilagineuse. . 

(ERA ONE PRO RER 


Matière organique. . . . . . . 
Matière inorganique 


Fémur no |, 


: 1,74 


Fémur n° 2, 


60,60 
10,07 
1,33 
0,93 
25,87 
1,20 


100,00 
27,07 
72,93 


Si, au lieu de prendre le même os d'individus de même âge, de 
même espèce, on avait pris des os d'individus d'espèces et d’âges 
différents, on aurait pu avoir des variations bien plus fortes, comme 
on peut s'en assurer en comparant la composition des fémurs des 
chats et des lièvres n° 1. Pour l’un il y a 66,4, pour l’autre il y en 
a 75,45 de matières terreuses : plus de 40 de différence. Il est 
facile de comprendre qu'en voyant des varialions si notables on 
n'ait pas voulu admettre que l'os füt le résultat d'une combinaison. 
Mais il faut remarquer que, dans ces analyses, on a pris l’os en- 
tier dépouillé seulement du périoste et de la moelle : or les os sont 
plus ou moins vasculaires, par conséquent il vient ici se glisser 


(4) Loc, cil., p. 127. 


Ah2 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

une cause de variations considérables suivant [a quantité plus ou 
moins grande de vaisseaux dont l'os est parcouru. Les cel'ules 
osseuses, en nombre Yariable suivant les os, sont remplies d'un 
liquide qu'on doit considérer comme ne faisant pas partie de Ja 
substance osseuse propre ; de plus, il se fait dans los un mouve- 
ment continue} de nutrition qui doit nécessairement amener des 
changements dans les rapports de la matière animale et de la ma- 
lière calcaire. Or, pour pouvoir arguer de la variabilité de compo- 
silion des os, pour repousser l’idée d’une combinaison chimique, 
il faudrait se mettre autant que possible à l'abri de cette cause d’er- 
reur, ne pas examiner des mélanges de tissus diversement con- 
situés, mais agir sur de la substance osseuse réduite autant que 
possible à sa plus simple expression, c’est-à-dire sur du tissu 
compacte. Dans ce cas-là on trouve encore quelques différences, 
mais beaucoup plus légères. 

J'ai fait à ce sujet une série d'analyses de tissu compacte parfaile- 
ment desséché, dégraissé et privé, à l'aide de la lime, de toutes les 
parties spongieuses qui y adhéraient. Voici les résullats que j'ai 
oblenus : 


Chat femelle aduite (issus osseux compacte). 


Fémur, Tibia. Hamérus, 
Matière cartilagineuse . 31,40 31,80 32,70 
TASSE Le nt Cola 1,04 1,10 1,40 
Phosphate de chaux, etc. 58,33 58,00 57,10 
Carbonate de chaux . . 9,93 9,40 8,80 


———_ 


100,00 100,00 100,00 


Matière organique . . . 32,44 32,90 34,10 
Matière inorganique . . 67,56 7,40 65,90 


Chat femelle adulte (tissu compacte). 


Fémur. Tibia. Humérus. 
Matière cartilagineuse . 30,20 31,42 31,90 
(HÉtEESS homo t 0,90 1.00 1,25 
Phosphate de chaux, etc. 61,32 60,90 59,82 
Carbonate de chaux . . d 7,58 6,68 7,03 


—_ 


100,00 100,00 100,00 


: 5 ÉTUDES EUR LES 0$. 143 
Matière organique. . . 31,10 32,42 33,45 
Matière inorganique . . 69,90 67,58 66,85 


Chat mâle adulte (tissu compacte). 


Fémur, Tibia. Humeérus,  Cubitus, 


Matière cartilagineuse.. 29,5 30,3 30,00 30,9 
CEE Mer eee 1,1 0,8 1,05 0,9 
Phosphale dechaux, ete. 59,2 58,4 59,42 58,5 
Carbonate de chaux , . 10,2 40,5 9,53 9,7 


100,0 400,0 100,00 100,0 


Matière organique . . . 30,6 31,1 34,05, 34,8 
(4 Matière inorganique . . 69,4 68,9 68,95 68,2 


Femme de 30 ans (substance compacte). 


N Fémur. 
Î Æ- 
; MAUR ICATAIATINEUSOE L/,07 22084  Ql.ae 33,41 
! ER real RM ÉCOLE LE 1,2 
Û Phosphate de chaux, etc. . . . . . . . . . .. 54,2 
flaxbondte/daichaux 220.01 ua 2 4 Hs 14,5 

100,0 

MAUBrE OPBANIQUE-.2.0, 1.820. 205 SU. 0 34,5 

MALTE NOTE ADIUOS. 1. Ven à = Eulellelle re Dei ete 65,7 

Bœuf vieux (tissu compacte). 

Fémur 

Matière cartilagineuse . . . . . . : . . . . .. 27,2 

CAB ALMA Buts NOTE D 1,8 

Phosphate de chaux, etc. . . . . ... .... 59,3 

Carhonatatie Chaux. 2.2 ist ue 41,7 

100,0 

Matière organique . . . . . . . L'URL TN: 29,0 

Matière inorganique . . . . - . . ... + . . .. 71,0 


M. Nélaton, dans ses Liléments de pathologie chirurgicale, se 
prononce d’une façon très nette sur ce sujel : « J'ai pu,.dit-il, me 


Aku ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

convaincre, par une série d'expériences, que les proportions des 
parties terreuses et organiques sont les mêmes à tous les âges de 
la vie. Le tissu osseux n’est pas simplement un mélange de sels 
calcaires, il y à combinaison entre ces deux éléments, et cette 
combinaison s'opère constamment dans les mêmes proportions ; 
en un mot, le lissu osseux est un composé défini. » 

M. Sappey (1), voulant répéter ces expériences avec M. Néla- 
ton, incinéra des lamelles prises dans la substance compacte de 
différents os à différents âges. Il sépara ainsi quatre lamelles de 
À gramme chacune : 

4° Sur le corps du übia d'un enfant de cinq ans; 

2° Sur le corps du tibia d’une femme de vingt-cinq ans ; 

3° Sur le corps du fémur d’un homme de vingt-cinq ans; 

k° Sur le corps du tibia d’un homme de soixante et dix ans. 

Après l'incinération, le poids de chacune de ces lamelles était 
réduit, à quelques fractions près, à 68 centigrammes. 

Mais ce résultat ne peut être considéré comme normal, et doit 
tenir à quelques circonstances accidentelles; en effet, comme nous 
l'avons vu, le tissu compaele lui-même, bien purifié par l'eau et 
l'éther, puis desséché, n’a pas, chez des animaux du même âge et 
dans les mêmes conditions d'existence, une composition identique, 
et dans les expériences de M. Sappey le tissu osseux paraît avoir 
été incinéré tel quel, sans avoir été ni dégraissé, ni desséché; de 
plus, cet analomiste a agi sur des os différents et provenant d’in- 
dividus différents. Aussi ne peul-on pas accepter cemplétement 
la conelusion qu'il en tire : que dans le tissu osseux l'élément 
organisé est à l'élément inorganique comme 32: 68, el que ces 
éléments sont invariables dans leurs proportions. 

Jusqu'à présent les analyses que nous avons entre les mains ne 
nous autorisent pas à avancer que la composition de l'os est inva- 
riable, et qu’elle se fait suivant des proportions définies; peut-être 
en est-il ainsi, peut-être si l’on pouvait examiner un os privé de 
toutes les matières étrangères qu'il relient toujours, telles que la 
membrane des canalicules, le contenu plasmique des corpuscules, 


(1) Traité d'anatomie descriptive, 1. I, p.10. 


NÉS anal 


ÉTUDES SUR LES OS. 145 
peut-être, dis-je, trouverait-on une composition toujours la même ; 
mais ce n’est qu'une supposilion à côté de laquelle se trouve un 
fait : la variabilité dans la proportion des éléments constituants, 
variabilité trop grande pour pouvoir admettre un composé chi- 
mique défini à proportions invariables, mais aussi trop petite pour 
pouvoir admettre un simple mélange de matières inorganiques et 
organiques. D'ailleurs, si l’on avait affaire seulement à un mélange 
de matières, quand un os commence à se former, la substance ter- 
reuse devrait venir pelit à pelit se juxtaposer à la matière orga- 
nique, et dans le premier point d'ossification d’un os on devrait 
trouver moins de substance inorganique que dans un os bien 
formé. Cependant il n’en est pas ainsi. 

Quand un point d’ossification se forme, ce n’est pas par un dépôt 
de sels calcaires dans la trame de matière eartilagineuse déjà exis- 
tante, c'est par un phénomène histogénique ; la matière inorga- 
nique se dépose en même temps que la malière organique, et 
toutes deux déjà unies entre elles apparaissent dans la masse du 
cartilage, qui diffère par ses propriélés de la matière animale 
existant dans le premier point d’ossilication. Il n°y à done pas ici 
simple dépôt de sels calcaires, mais substitution de la substance 
osseuse formée d’osséine et de sels, à une autre subslance formée 
seulement de cartilage. S'il n’en avait pas été ainsi, on aurait vu 
dans le cartilage se déposer peu à peu les sels terreux, et le pre- 
mier point osseux, par l’ébullition, n'aurait pas fourni de géla- 
tine, mais bien de la chondrine. Du reste, comme l’a dit M, Che- 
vreul (4), il n'y a pas aujourd’hui un seul cas de transformation 
de tissu dans l’économie animale qui soit chimiquement démontré. 

M. Fremy a analysé quelques-uns de ces points osseux; il a 
trouvé qu'ils laissaient par l’incinéralion de 60 à 62 pour 100 
de cendres, tandis que la masse qui renfermait le point osseux 


(1) Réflexions sur la nécessité de l'intervention des sciences physico-chimiques 
dans les recherches d'organogénie, sur la formation des nouveaux produits sous 
l'influence d'une maladie et la transformation des tissus (Journal des savants, 
p. 722 ; Paris, 1840). 

4" série, Zooz. T. XIIT. (Cahier n° 3.) ? 10 


146 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


ne contenait que 2 à 3 cenlièmes de cendres formées principale- 
went de carbonate de soude (1 ). 

Ce résultat me paraît d’une grande importance ; en effet, com- 
ment supposer, si le lissu osseux n’est qu'un mélange, que du mo- 
ment où ce mélange se forme, le rapport des éléments soit déjà le 
même au milieu d’une masse complétement différente; comment 
n’y aurait-il pas transition insensible du point osseux au carti- 
lage ? 


$ IN. 


Quand on soumet un os à l’action d’acides dilués, les sels cal- 
caires sont dissous et il ne reste que de la matière cartilagineuse, 
qui dessine encore toutes les formes de l'os; au microscope la 
structure intime ne parait nullement modifiée. Quand, au lieu 
d'employer un acide étendu, on emploiedes alcalis, tels que lasoude 
ou la potasse, l'inverse a lieu, la matière animale est enlevée et les 
sels calcaires restent seuls, conservant encore la forme et la struc- 
ture apparentes de l'os, sur lequel on à fait l'expérience. Si le tissu 
osseux n'était qu'un mélange d'éléments organiques et inorgani- 
ques, la disparition de l’une de ces substances devrait laisser dans 
Vos des vides perceptibles : on ne peut enlever dans un mélange 
l'an des éléments sans changer la structure de la masse, tandis 
qu’en admettant que les différents corps sont à l’état de combinai- 
son, on comprend que chacun d’eux doive êlre réparti également, 
et que, lorsque l’un d’eux vient à disparaître, l’autre puisse rester 
avec les formes que la masse présentait primitivement. On peut 
s'en convaincre en examinant ce qui se passe lorsque l’on soumet 


(1) En général, les résultats des incinérations de M. Fremy me paraissent un 
peu trop faibles, ce qui lient probablement à la décomposition du carbonate de 
chaux par la chaleur, et je n'ai pas vu dans son mémoire qu'il ait traité les cen- 
dres par le carbonate d'ammoniaque. Effectivement, si on examine la somme des 
matières inorganiques trouvées par la voie humide, elle dépasse toujours celle 
trouvée par incinération, et. si à celle dernière on ajoute le poids d'acide carbo- 
nique contenu dans le carbonate de chaux, on retrouve un résullat presque iden- 
tique avec celui que l'on a eu par le dosage direct des substances terreuses. 


ÉTUDES SUR LES OS. 147 
un animal à une alimentation mêlée de garance : les os, conme on 
le sait, se colorent en rouge, par une combinaison du phosphate 
de chaux avec la garance. I se forme dans ce cas une véritable 
laque, dans laquelle le phosphate de chaux joue le rôle de mordant 
et que l'on peut arlificiellement reproduire, en mettant du phos- 
phate de chaux dans une dissolution de garance. Si maintenant 
l’on soumet celle combinaison de la garance avec le tissu osseux à 
des réactifs appropriés, on pourra faire disparaitre complétement 
la coloration rouge, c’est-à-dire séparer du phosphate de chaux la 
garance qui y élait combinée, sans que pour cela on ait altéré en 
rien la structure intime de l'os. Or, ici les phénomènes sont du 
mème ordre que ceux qu'on observe lorsque l’on traite les os par 
un réactif pouvant enlever soit les sels minéraux, soit la matière 
animale. 

Autant que nos moyens d'investigation nous permettent d'ob- 
server, on ne peut apercevoir dans l'os aucune trace du mélange 
d'éléments hétérogènes. Si on fait une coupe très mince de tissu 
osseux, et que sur le porte-objet du microscope, on la soumette 
à l’action d’une dissolution de nitrate d'argent, la coloration jaune 
du phosphate d'argent se répandra uniformément, sans qu'on 
puisse apercevoir aucun point qui ait paru fixer le réactif d’une 
manière plus puissante que les autres parties avoisinantes. 

$ IV. 


Quand on fait bouillir un os dans l’eau, la matière animale se 
transforme en gélatine, mais cette transformation s'effectue bien 
plus lentement que si on opérait sur de la matière cartilagineuse 
des os pure et séparée de la matière inorganique. 

On est done en droit de penser que dans le tissu osseux, la ma 
tière animale est fixée aux sels, et qu'elle forme une combinaison 
pouvant résister davantage à l’action de l'eau bouillante. 

M. Fremy attribuait cette différence dans la rapidité de trans 
formation en gélatine, à la présence des sels calcaires, qui, au bout 
d'un certain temps, formeraient, à la surface de l'os, un enduit apte 
à préserver les couches intérieures de l’action de ee dissolvant ; 
pour le démontrer, il graila Jos qui avait été maintenu pendant 


148 ALPHONSE MILNE EDWARDOS. 


quelque temps dans l'eau bouillante, afin d'enlever les sels ter- 
reux, el il trouva qu’en agissant ainsi, l'os donnait dans le même 
temps des quantités de gélatine égales à celles qu'il produisait 
d'abord. 

J'ai répété cette expérience, et j'ai trouvé qu’en effet l’os don- 
nait des quantités de gélatine égales dans le même espace de temps, 
mais j'ai constaté aussi qu'il les donnait beaucoup moins rapide- 
ment que lorsque l'on employait la matière cartilagineuse pure et 
isolée. 

Jai pris de la râpure d'os, bien dégraissée de façon à ne pas 
empêcher l'eau d'agir sur loutes les parties, et je l'ai fait bouillir ; 
d'un autre côté, je soumettais à la même opération de la matière 
eartilagineuse, mêlée à du phosphate de chaux, dans les mêmes 
proportions qu'elle se trouvait dans l'os employé. Au bout de cinq 
heures d’ébullition, l'os n'avait donné qu’une proportion de géla- 
line près de moitié moindre que celle qu'avait fournie la matière 
cartilagineuse pure et simplement mêlée au sol terreux. 

I parait d’ailleurs bien évident que dans certains cas la gélatine, 
qui n’est, comme nous l'avons déjà démontré, qu'un produit de la 
transformation de l’osséine, peut se combiner au phosphate de 
chaux basique, pour former un de ces composés chimiques que 
l'on ne peut représenter par une formule, mais dont les éléments, 
loin d'être seulement juxtaposés à l'état de mélange, sont en réa- 
lité unis par une force d’aflinité souvent assez considérable. 


$ V. 


Si, après avoir dissous de la cendre d'os dans l'acide chlorhy- 
drique, on ajoute de la gélatine à la solution qu'on chauffe légè- 
rement, de façon à bien dissoudre ce dernier corps, et qu'on verse 
dans le liquide ainsi préparé, de l’'ammoniaque, le phosphate de 
chaux basique se précipite, et entraine toujours avec lui une pro- 
portion très considérable de gélatine, qu'il est impossible de lui 
enlever, même en lavant le précipité avec d'énormes quantités 
d’eau bouillante. Cette eau, après quelque temps de lavage, réduite 
de son volume par l’évaporation, et essayée par l'acide tannique, 


ÉTUDES SUR LES OS, - 149 
ne parait contenir aucune trace de gélatine. Cependant, si on exa- 
mine le précipité, on trouve qu'il relient encore une proportion as- 
sez forte de ce dernier corps, proportion que l'on peut évaluer, en 
calcinant le précipité après l'avoir desséché ; la perte du poids 
donne la quantité de matière organique. 

C’est en suivant cette méthode que Frerichs (1) découvrit ce 
composé et y trouva pour 100, 18,6 de gélatine. Le même chimiste, 
ayant répété ces expériences avec de la gélatine obtenue directe- 
ment par l'ébullition de l'osséine dans l’eau, remarqua que la pro- 
portion de matiere organique était alors plus considérable ; il 
trouva pour 100 de précipité, 28,2, 27,4, 24,4 de gélatine. 

J'ai répété les expériences de Frerichs, et j'ai reconna que effec- 
tivement la gélaline forme bien avec le phosphate basique de chaux 
un composé insoluble. 

Je n'ai pas pu constater de différence en employant de la géla- 
tine provenant de la matière organique des os ou de la gélatine du 
commerce, et les nombres auxquels je suis arrivé sont en géné- 
al plus faibles que ceux que Frerichs a indiqués ; ainsi j'ai trouvé 
pour 400 parties de précipité, 16,7, 18,3, 21,7, 15,9 de géla- 
tine. Cette différence dans les résultats tient probablement à la ma- 
nière dont je lavais le précipité; en eflet, je faisais passer sur ce 
phosphate des litres d'eau bouillante. 

On pourrait arguer de ce fait pour nier dans ce cas l'existence 
d’une combinaison chimique, mais cette objection ne me paraît 
avoir aucune importance ; en effet, combien n'y a-t-il pas de com- 
binaisons que les influences les plus faibles détruisent, dont les 
éléments se séparent quelquefois sans causes apparentes, tandis 
qu'ici au contraire, quelle que soit la quantité d'eau employée, je 
n'ai jamais pu enlever au sel terreux la totalité de gélatine qu'il 
retenait ? 

Pour être mieux fixé quant aux proportions suivant lesquelles 
ces substances se combinent, j'ai employé une autre méthode. 

Je prenais une dissolution de phosphate de soude, je Ia mélais 
à une solution de gélatine, puis je formais un précipité de phos- 


(1) Op. cit., p. 253. 


159 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


phate de chaux basique, en versant dans ce mélange du chlorure 
de calcium ; d’une part je pesais le précipité humide et non lavé, 
puis je le desséchais à 100 degrés : la perte de poids me faisait 
connaître la quantité d’eau dont il était imprégné ; d'autre part je 
prenais la liqueur où le précipité s'était formé, et, après l'avoir 
pesé, je l'évaporais, et je desséchais le résidu. J’obtenais ainsi le 
poids des matières solides contenues dans le liquide au sein duquel 
le précipité s'était formé, Je déterminais alors par l'incinération la 
quantité de gélatine qui se trouvait : 4° dans le précipité de phos- 
phate de chaux, 2° dans le résidu de lévaporation du liquide. 
Connaissant d’ailleurs, d’une part, la quantité d’eau retenue par le 
précipité, et, d'autre part, la proportion de gélatine dont cette eau 
devait être chargée, je déduisais du poids total de la gélatine exis- 
tant dans le précipité, le poids de la quantité de cette substance qui 
se trouvait dans l'eau dont le précipité était imprégné. L'excédant 
de gélatine devait évidemment être en combinaison avec le phos- 
phate de chaux. 

Or, en procédant ainsi, j'ai trouvé, pour 100 parties de ce 
composé insoluble, 18,75 de gélaline et 81,25 de phosphate de 
chaux basique. 

Ce nombre, comme on le voit, se rapproche beaucoup de celui 
que Frerichs à indiqué et de ceux que j'ai trouvés par la première 
méthode. 

Je ferai remarquer aussi que dans la substance osseuse le rap- 
port des sels terreux à la matière animale est à peu près le même 
que dans les combinaisons obtenues ainsi artificiellement. Chez les 
oiseaux, par exemple, où les os sont très denses, où, par const- 
quent, la substance osseuse est presque pure ; on trouve souvent 
75 de matière terreuse pour 25 de matière animale; quelquelois 
même la proportiondes sels calcaires estun peu plus considérable. 

Le phosphate de magnésie parait se combiner aussi à la géla- 
tine. Le carbonate de chaux en retient quelques traces, mais extrê- 
mement peu, el je crois que, dans ce dernier cas, on ne peut éta- 
blir l'existence d’une combinaison, 


ÉTUDES SUR LES 0S. 151 


DE LA PROPORTION ET DE L'ORIGINE DU CARBONATE DE CHAUX 
CONTENU DANS LES 08, 


SI. 

Si, dans le tissu osseux, les proportions relatives de matière or 
ganique et de substance minérale varient dans des limites assez 
restreintes, nous voyons que, suivant les individus, la quantité 
de carbonate de chaux, comparée à celle de phosphate, diffère 
beaucoup. 

Ainsi Fernandez de Barros (1), qui a comparé les quantités de 
phosphate et de carbonate de chaux dans les os de divers animaux, 
a trouvé, pour 400 parties de sels terreux : 


Phosph. de chaux. Carbovw. de chaux. 


CBAIBIION Re 95,0 2,5 
—#]p'mouton 1. 80,0 19,3 
Ib poulete. Le. . 88,9 10,4 
— la grenouille, . . . . . . . . 95,2 2,4 
TM POISSON. Ms 2 2e es le ee 91,9 5,3 


Je suis porté à croire que ces résultats sont un pen exagérés. 
Pour le mouton, on peut les considérer comme exacts, ou à peu 
de chose près; mais, pour le lion, la quantité de carbonate est évi- 
demment trop faible. Ainsi M. Fremy(2) a trouvé chez ce dernier 
animal, pour 400 parties de tissu osseux, 60 de phosphate de 
chaux et 4 de carbonate. 

Les résultats obtenus par Bibra se rapprochent davantage de 
ceux de Fernandez de Barros; il a trouvé chez le lion, pour 100 
d'os, 54,5 de phosphate de chaux et 4,8 de carbonate; mais les 
os qu'il avait à sa disposition étaient conservés depuis longtemps, 
et leur constitution avait pu être altérée. 

Mais, quelles que soient les discussions auxquelles les résul- 
lats de Barros puissent donner naissance, il n’en est pas moins éta- 
bli que les proportions relatives du carbonate et du phosphate 


(1) De l'analyse comparative des os des diverses classes d'animaux (Journal de 
chimie médicale, de pharmacie et de toæicologie, t. IV, p. 289; 1828). 
(2) Op. cit , p. 83. 


152 ALPHONSE MILNE EDWAR9DS. 

peuvent varier d’un manière très appréciable chez des individus du 
même âge et d'espèces différentes. Chez des individus différents, 
de même espèce et de même âge, on peut encore observer ces va- 
riations, quoique dans des limites plus restreintes ; en voici deux 
exemples, tirés des analyses que j'ai faites en vue de m'éclairer 
sur ce sujet. 


Femme de 30 ans. Homme de 30 ans. 

Fémur. Fémur. 

Phosphate de chaux, etc. 62,15 58,32 

Carbonate de chaux . . 4,52 9,98 

Matière animale . . . . 33,33 31,70 

100,00 100,00 

Matière organique . . . 33,33 x «3470 

Matière inorganique . . 66,67 68,30 
; S IE. 


Si, au Jieu d'examiner des individus du même àge, on étudie les 
variations qui peuvent exister suivant les différents âges, on lrouve 
des différences assez constantes. Ainsi, en général, chez les jeunes 
animaux, la proportion du carkonate est plus faible relativement 
au phosphate que chez les animaux adultes, et dans la vieillesse 
cette différence augmente encore. Ce fait ressort des nombreuses 
analyses faites par Bibra ; cependant ce résultat n'est pas admis 
par tous ceux qui se sont occupés de cette question: ainst Leh- 
mann (1) a cru trouver que la proportion de carbonate dimiuuait 
avec l’âge. Chez un enfant nouveau-né, il a vu qu’elle était, par 
rapport au phosphate, comme 1 à 3,8; chez un adulle, comme { 
à 5,9; chez un vieillard de soixante-trois ans, comme 1 à 8,1.; 

Il ne faut pas s'étonner de trouver à chaque pas de ces contra- 
dictions entre des chimistes dont on ne peut accuser les analyses 
d’inexactitude ; elles s'expliquent facilement par les variations in- 
dividuelles, qui, comme nous le savons déjà, sont très considéra- 
bles, et ces variations se rencontrent plus souvent et sont plus 
grandes encore chez l’homme que chez les animaux ; en effet, les 


(1) Fortsetzung. von L, Gmelin's ; Handbuch, der o>ganischen Chemie, von 
Lehmann und Rochleder, t. VIIT, p, 444 ; 1857. 


155 
os humains dont on peut faire l'analyse proviennent, dans la pres- 
que totalité des cas, d'individus morts à l'hôpital de maladies di- 
verses et dont la nutrition a été profondément altérée; il n’est donc 
pas élonnant que le tissu osseux s’en soil ressenti. Au contraire, 
quand on veut examiner les os d’un animal, on le sacrifie en gé- 
néral pour l'expérience ; il se trouve dans de bonnes conditions 
de santé, et, dans ce cas, on se met à l'abri des variations patho- 
logiques. Aussi aurai-je plus de confiance dans les expériences de 
Bibra, qui ont été faites surtout sur des animaux, que dans celles 
de Lehmann, qui a analysé des os humains. 

J'ai répété ces analyses, en agissant sur des animaux de la 
même portée, habitant le même endroit, nourris de la même ma- 
uière ; de cette facon, je me mettais à l'abri des causes d'erreurs 
qui peuvent provenir de différences dans le régime, l'exercice, ete., 
et en agissant de la sorte, j'ai été porté à me ranger à l'opinion de 
Bibra, car, dans ce cas, j'ai toujours vu la proportion du carbonate 
augmenter avec l’âge. 


ÉTUDES SUR LES OS. 


Fémurs de jeunes chats de la méme portée. 


Chat de 5sem. Chat de 2 mois. Chat de 4 mois. 


Chat nouv.-né, 


Phosphate de chaux, etc. 54,87 56,3 56,8 56,3 
Carbonate de chaux. . . 4,55 6,7 7,0 6,8 
Matière organique. . . 40,58 37,0 36,2 37,9 

100,00 100,0 100,0 100,0 
Matière inorganique. . 59,42 63,0 63,8 63,1 
Matière organique. . . 40,58 37,0 36,2 37,9 


Fémurs de jeunes chiens de la méme portée. 


Chien nouv.-né. Chieu de 4 mois. Chien de 3 mois, 


53,0 


Phosphate de chaux, etc. 55,7 58,00 
Carbonate de chaux. . . 3,0 4,5 5,01 
Matière organique. .. 44,0 39,8 36,99 

100,0 100,0 100,00 
Matière inorganique. . . 56,0 60,2 63,04 
Matière organique. . . . 44,0 39,8 36,99 


454 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


Bibra (A) a trouvé une différence dans le même sens en analy- 
sant les os de chiens nouveau-nés et de chiens de la même portée 
qu'il avait laissé vivre six semaines. 


Fémurs de chiens de la même portée. 


Chien nouveau-né. Chien de 3 mois. 

Phosphate de chaux. . . . 45,29 52,01 
Carbonate de chaux. . . . 6,40 7,32 
Phosphate de magnésie . . 1,80 2,16 
Sels solubles. . . . . .. 0,50 0,51 
Matière cartilagineuse. . . 44,80 36,77 
Grasse. Ph NE. 10e 1,21 1,20 

100,00 100,00 
Matière organique. . . . . 46,04 37,97 
Matière inorganique. . . . 53,99 62,03 


Il résulterait aussi des recherches de M. Fremy (2) que le car - 
bonate de chaux augmenterait de quantité avee l’âge; il a trouvé 
les résultats suivants : 

Fémur. 


D 


Phosph. de chaux, Carbov. de chaux. 


ETHenONABlE 1. ee. c'e 58,9 25 
Garçon de 418 mois. . . . . . .. 58,0 20 
Femme de 22 ans. . . . . . . . 59,4 TEA 
Homme de 30 ans. . . . . ve 57,7 9,3 
Homme de 40 ans . . . . . . . . 66,3 10,2 
Femme de 88 ans. . . . . . . . 60,7 9,3 


Il faut cependant s’attendre à trouver fréquemment des excep- 
tions: bien souvent on rencontre chez un jeune individu plus de 
carbonate de chaux que chez un individu adulte où même vieux, 
mais l’ensemble des faits que je viens d'exposer indique une ten- 
dance générale. 

J'ai fait aussi sur ce sujet quelques analyses d’os de nouvean- 
nés et de très jeunes enfants ; en voici les résultats : 


(1) Op. cit., p. 145. 
(2) Op cit., p. 79. 


ÉTUDES SUR LES 08S. 


Fille de douze jours. 


Fémur. Humérus. 

Phosphate de chaux, etc. . . . 55,08 55,70 
Carbonate de chaux . . . . . . 5,75 5,0% 
Gnaisagt tt) IAE NL HE NI: 1,04 0,92 
Matière cartilagineuse . . . . . 39,16 39,34 
100,00 100,00 

Matière organique. . . . . . . 40,17 40,26 
Matière inorganique . . . . . . 60,83 60,74 

Fille de seize jours. 

Fémur. Humerus. 

Phosphate de chaux, etc. . . . 57,10 56,41 
Carbonate de chaux . . . . . . 6,01 6,07 
GrABSE2 MIE CIS ARRUNES 0,85 1,00 
Matière cartilagineuse . . . . . 36,04 36,52 
100,00 100,00 

Matière organique. . . . . . . 36,89 37,52 
Matière inorganique . . . . . . 63,14 62,48 

Garçon nouveau-né. 

Fémur. Humérus. Tib1a, 

Phosphate de chaux, etc. . 57,11 56,90 56,00 
Carborate de chaux . . . 2,94 3,04 2,09 
LT LE de ter AA 0,85 0,70 1,00 
Matière cartilagineuse . . 39,13 39,39 40,91 
100,00 100,00 100,00 

Matière organique . . . . 39,98 40,09 41,94 
Matière inorganique . . . 60,02 59,94 58,09 


155 


On voit que chez ces enfants la proportion de carbonate n’a pas 
dépassé 6,07 pour 100; chez les adultes dont j'ai pu analyser les 


os, la moyenne était de 8 à 11, 


156 ALPHONSE MILNE BDWARDS. 


$ IL. 


Si nous continuons à chercher dans quelles circonstances les 
proportions relatives de phosphate et de carbonate de chaux va- 
rient, nous trouvons que dans le tissu spongieux la proportion de 
carbonate est plus considérable que dans le tissu compacte. Le tissu 
spongieux contient toujours une grande quantité de graisse dans 
ses aréoles, il est imprégné de sang, et il est toujours assez diffi- 
cile de le débarrasser complétement de ces matières étrangères , 
qui doivent amener des erreurs considérables dans le résultat de 
l'analyse. 

Pour arriver à ce but, on commence par couper le lissu spon- 
gieux en rondelles très minces que l’on soumet à un courant d’eau 
tombant d’une certaine hauteur ; de cette façon, on enlève méca- 
niquement tout le sang et une partie de la graisse, ensuite on le 
dessèche, ce qui fait fondre et couler encore une certaine quantité 
de malières grasses ; puis on le soumet à l’ébullition dans l'éther, 
de façon à enlever les dérnières portions de matières étrangères. 
En suivant cetle marche, le tissu spongieux ne retient plus rien ou 
presque rien, il se présente sous la forme d'aréoles fragiles et par- 
faitement blanches ; cependant il peut encore se trouver mêlé aux 
vaisseaux sanguins qui le sillonnaient, mais ces derniers ne s'y 
trouvent pas en quantité assez considérable pour pouvoir influer 
beaucoup sur les résultats de l'analyse, etils seront comptés comme 
matière gélatineuse. 

J'ai analysé comparativement : 4° la substance compacte de l'hu- 
mérus d’une femme de vingt-huit ans et la substance spongieuse 
de la tête de cet os; 2° la substance compacte du fémur d’un bœuf 
et la matière spongieuse de la tête du même os : dans les deux cas, 
comme on peut s’en assurer en jetant les yeux sur les résultats de 
ces analyses, j'ai constaté dans la substance spongieuse une quan- 
tité de carbonate plus considérable (4). 


(4) Dans ces expériences, la graisse n'a pu être dosée, parce qu'on l'avait 
enlevée complétement en traitant les os par l'éther. 


ÉTUDES SUR LES 08. 457 


Femme de vingt-huit ans. 


Subst, comp. de l'humérus. Subst, spong. de l'humérus, 


Phosphate de chaux, etc. . 57,05 50,53 


Carbonate de chaux. . . . 9,70 12,47 
Matière cartilagineuse, . , 33,25 37,00 

100,00 100,00 
Matière organique . . . . 33,25 37,00 
Matière inorganique., . . . 66,75 63,00 


Bœuf déjà vieux. 


Subst. compacte du fémur,  Subst, spong, du fémur, 


Phosphate de chaux, etc. . 57,55 52,06 
Carbonate de chaux. . . . 9,46 11,90 
Matière cartilagineuse. . . 33,29 36,04 

100,00 100,00 
Matière organique . . . . 33,29 36,04 
Matière inorganique. . . . 66,7 63,96 


Bibra (1), qui a fait quelques analyses du même genre, a trouvé 
une proportion de carbonate encore plus considérable dans la sub. 
stance spongieuse comparée au corps de l'os; ses expériences ont 
été faites sur des fémurs d'Homme, de Cheval et de Loup. 


Fémur d'homme de cinquante-huit ans. 


Substance compacte. Substance spongieuse, 

Phosphate de chaux. . . . 58,23 42,82 
Carbonate de chaux. . . . 8,35 19,37 
Phosphate de magnésie . . 1,03 1,00 
Sels solubles . . . . . . . 0,92 0,99 
Matière cartilagineuse. . . 31,47 35,82 

100,00 100,00 
Substance organique . . . 31,47 35,82 
Substance inorganique. . . 68,53 64,18 


(1) Op. cit., p. 160. 


155 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


Fémur d'un loup adulte. 


Substance compacte. Substance spongieuse 

Phosphate de chaux. . . . 61,40 38,58 
Carbonate de chaux. . - . 7,49 19,77 
Phosphate de magnésie . . 1,08 4,04 
Sels solubles. . . . : . . 0,93 1,00 
Matière cartilagineuse. . . 29,10 39,64 

100,00 100,00 
Substance organique . . . 29,10 39,6% 
Substance inorganique. . . 70,90 60,36 


Fémur d'un cheval de douze ans. 


Substance compacte. Substance spongieuse 

Phosphate de chaux, , . . 54,65 ARE 
Carbonate de chaux, . . . 14,74 18,93 
Phosphate de magnésie . . 1,48 1,32 
Sels solubles . . . . . . ; 0,86 0,9% 
Matière cartilagineuse., . . 31,27 37,67 

100,00 100,00 
Matière organique. . . . . 34,27 37,67 
Matière inorganique. . . . 68,73 62,33 


M. Fremy {4) a examiné comparativement la substance spon- 
gieuse et la substance compacte ; malheureusement il n’a pas tou- 
jours dose le carbonate de chaux. Une seule de ces analyses, sous 
ce rapport, est complète ; elle a été faite sur le fémur d'une femme 
de quatre-vingt-huit ans, et il se trouve que, contrairement à ce 
que je viens de dire, la proportion de carbonate était plus faible 
dans le tissu spongieux que dans le tissu compacte ; celle expé- 
rience à donné : 


Fémur de femme de quatre-vingt-huit ans. 


Partie dense Parlie spongieuse, 
LORUTES A UE NE 60,7 56,2 
Phosphate de chaux. : , . . 53,8 50,3 
Phosphate de magnésie . . . 1,3 1,3 
Carbonate de chaux , , . . . 978 7,0 


(1) Op. cit., p. TS. 


ÉTUDES SUR LES OS. 159 
Du resle, ce résultat contradictoire peut n'être qu'accidentel, et 
dù à quelque cause individuelle ou pathologique. 
Frerichs (1) n'a pas obtenu des différences aussi considérables 
que Bibra; ses résultats se rapprochent de ceux que j'ai con- 
states : 


Substance spongiense, Substance compacte, 

Ne. No, Nef laine: 

Phosphate de chaux . . 50,24 51,38 58,70 59,50 

Carbonate de chaux . . 414,70 10,89 10,08 9,46 

Matière organique . . . 38,22 37,42 31,41 30,45 
$ IV. 


Ces variabilités entre la proportion du carbonate de chaux et 
celle du phosphate contenu dans les os est remarquable ; on doit 
naturellement chercher à s’en rendre compte : pourquoi, dans un 
cas, voit-on la proportion du premier de ces sels s'élever, tandis 
que dans un autre elle s’abaisse ? Les données que nous avons déjà 
indiquées sur la composition des os ne peuvent nous donner la clef 
de ces différences ; cependant peut-être pourrait-on s’en rendre 
compte en examinant avec soin le mode de nutrition des os, 
c'est-à-dire comment le tissu osseux se forme, comment il se ré- 
sorbe, et surtout en étudiant ce dernier phénomène, c’est-à-dire 
celui de résorption. 

Depuis Haller, on savait que divers acides faibles jouissaient de 
la propriété de dissoudre le phosphate de chaux des os. Berzelius, 
dans ses recherches sur les eaux de Carlsbad, reconnut que l'acide 
carbonique lui-même pouvait agir de la sorte. Plus récemment, 
M. Dumas (2) étudia le mode d'action de l’eau chargée d’acide 
carbonique sur les os et d’autres tissus analogues ; il vit que des 
lames d'ivoire enfermées dans des bouteilles à eau de Sellz s'y 
ramollissaient rapidement; en vingt-quatre heures, tous les sels 
calcaires avaient disparu. 


(4) Ueber die chemische Zusammenselzung der menschlichen Knochen (Ann. 
der Chemie und Pharmacie, V. Liebig u. Wôbhler, 1. XLIIT, p. 251 ; 1842). 

(2) Note sur le transport du phosphate de chaux dans les élres organisés. 
(Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1, XXII, p. 4048; 1846). 


160 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


« J'appelle, dit M. Dumas, l’attention des physiologistes sur 
celte propriété ; elle explique ke transport du phosphate de chaux 
dans les plantes. Elle nous montre combien il serait intéressant de 
faire végéter des plantes en les arrosant avec de l’eau chargée de 
phosphate de chaux à la faveur de l'acide carbonique. Elle explique 
comment les os se désagrégent et se dissolvent, abandonnés sur 
le sol, sous l'influence prolongée de l’eau de pluie chargée d’acide 
arbonique. Elle montre comment, dans l’économie animale, les 
os peuvent se dissoudre par l'action du sang veineux, riche en 
acide carbonique. » 

Lassaigne (1), à la même époque, annonçait à l’Académie que 
l'eau chargée d'acide carbonique, à la température et à la pres- 
sion ordinaires, dissolvait le phosphate basique des os dans la pro- 
portion de 1/1333, ou, en d’autres termes, que 100 000 d’eau 
dissolvaient 75 de ce sel. 

Mais, dans les travaux que je viens de citer, on n'avait pas 
cherché à déterminer la manière dont cette dissolution du phos- 
phate des os s’opérait; c’est un point que j'ai soumis à de nou- 
velles études dont voici le résultat. Quand on fait réagir sur du 
phosphate de chaux basique pur de l’eau chargée d'acide carbo- 
nique, ce sel se dissout, comme nous le savons déjà; si mainte- 
nant on prend la solution, soit qu’on laisse l'acide carbonique se 
dégager à l'air libre, soit qu’on le chasse par la chaleur ou qu'on le 
sature par l'ammoniaque, peu importe le procédé que l’on emploie 
pour s’en débarrasser, on remarque qu'il se forme aussitôt un 
précipité qui, soumis à l'analyse, se trouve formé de phosphate de 
chaux basique pur. A quel état était-il done dissous dans l’eau ? 
Était-ce à l’état de phosphate basique? On pouvait admettre cette 
hypothèse : l'eau, chargée d'acide carbonique, aurait pu, à la ri- 
gueur, déterminer la dissolution de ce sel, insoluble dans l'eau 
ordinaire. Serait-ce à l’état de phosphate acide de chaux? Mais s’il 


(1) Lettre à M. Dumas concernant l'action de l'eau saturée d'acide carbonique 
sur le phosphate de chaux (Comptes rendus de l'Acad. des sciences, t. XXII, 
p. 4049 ; 1846). 

Mémoire sur le mode de transport du phosphate et du carbonate de chaux dans 
. les organes des plantes, elc. (Ann. chim. et phys., t. XXV, p. 346; 1849). 


ÉTUDES SUR LES OS. 161 
en élail ainsi, il aurait dù se former du carbonate de chaux, qui 
lui-même aurait été transformé en bicarbonate sous l'influence de 
l'acide carbonique ; et comment alors ne se serait-il pas déposé 
lorsque l’on aurait chassé l'acide carbonique? Au premier abord, 
celte hypothèse pouvait paraître improbable ; néanmoins, l'expé- 
rience démontre que les choses se passent ainsi : le phosphate ba- 
sique est bien réellement, dans la dissolution, à l’état de phosphate 
acide, et il se forme bien du carbonate de chaux; mais au moment 
où l’acide carbonique en excès se dégage, le phosphate acide 
réagit sur le bicarbonate, le décompose, pour s'emparer de sa 
base , et cependant , quand on met en présence du carbonate de 
chaux ordinaire et du phosphate acide, cette réaction ne se pro- 
duit pas, il n'y a pas de décomposition du carbonate par le phos- 
phate. 

Pour prouver que, lorsque le phosphate de chaux basique se dis- 
sout dans l’eau tenant de l'acide carbonique en dissolution, il se 
produit du carbonate de chaux, et que si l’on ne tronve plus ce 
dernier sel dans le précipité, c’est parce qu'il est décomposé 
aussitôt que l'acide carbonique en excès se dégage, j'ai pris une 
dissolution de bicarbonate de chaux préparée, en faisant agir de 
l'eau de Sellz sur le carbonate de chaux pulvérulent; par l'ébulli- 
lion, elle laissait déposer une quantité notable de carbonate de 
chaux, et je l'ai mêlée à une dissolution de phosphate acide de 
En laissant 
l'acide carbonique se dégager à l'air libre pour ne pas faire inter- 
venir l'action d'une température élevée, ou en saturant le gaz par 
l’ammoniaque, on voyait aussitôt un abondant précipité se former, 
el ce précipité n’était composé que de phosphate de chaux basique 
sans une seule trace de carbonate. Dans ce cas, il y avait bien 
évidemment du carbonate de chaux dans la liqueur , seulement il 
avait été décomposé par le phosphate acide. 

On peut donc établir ee premier fait, c'est que, quand du phos- 


chaux pur, ne contenant pas d'acide en excès. 


phale de chaux basique se dissout dans l'acide carbonique, il se 
{orne du carbonate de chaux. 
Si, an lieu de prendre du phosphate de chaux pur, on s’est servi 
de tissu osseux, on trouve dans la dissolution à la fois du phos- 
4° série. Zooz. T. XII. (Cahier n° 3 ) 5 11 


162 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

phate et du carbonate, et cela devait être, parce que, dans ce cas, 
le earbonale de chaux préexistant dans les os s’est dissous aussi, 
et, n'étant pas nécessaire à la reconstitution da phosphate basique, 
s'est déposé avec ce dernier sel. 

J'ai constaté que si l’on soumet à l'analyse un os qui a servi à 
cette expérience, c’est-à-dire qui, pendant quelques jours, à été 
soumis à l'influence d’une eau chargée d'acide carbonique, on 
trouve que les rapports du phosphate au carbonate sont légère- 
ment changés. Dans les expériences que j'ai faites, la proportion 
de carbonate de chaux, comparée à celle du phosphate, élait un 
peu plus considérable après la réaction, et cela parce que l'eau 
chargée d'acide carbonique dissout plus rapidement le phosphate 
que le carbonate qui entrait dans la composition du tissu osseux. 

Voici les résultats d’une des analyses que j'ai faites sur ce sujet : 


Lamelles du fémur traitées pendant quatre jours par l'eau de Seltz. 


Avant l'expérience, Après l'expérience, 
Phosphale de chaux, elc. . 56,7 42,8 
Carbonate de chaux . . . . 8,5 12,5 
Matière cartilagineuse. . . 34,8 k4,7 
100,0 100,0 
Matière organique. . . . . 34,8 44,7 
Matière inorganique. . . . 65,2 55,3 
SH 


Puisque l’on doit admettre que, lorsqu'un liquide chargé d'acide 
carbonique réagit sur du phosphate de chaux basique, il se pro- 
duit du carbonate de chaux, on comprend que si primitivement le 
tissu osseux n'était même composé que d’osséine et de phosphate 
calcaire, au bout d’un certain temps, il devrait contenir du car 
bonate de chaux formé par l'effet de la décomposition que le fluide 
nourricier, chargé d'acide carbonique, aurait effectuée au sein de 
l'os, aussi bien que dans nos appargils de laboratoire. Le carbonate 
de chaux serait ensuite repris par le sang et évacué au dehors par 
les sécrétions, et suivant que celte élimination se ferait plus ou 


ÉTUDES SUR LES OS, 16% 
moins activement, on devrait retrouver plus ou moins de carbonate 
de chaux dans l'os. Tantôt la combustion s'effectuant rapidement, 
et la résorplion des produits de décomposition se faisant lente- 
ment, le carbonate de chaux devrait s'aceumuler dans Fos; tantôt, 
au contraire, la résorption étant plus rapide que la production de 
carbonate, la quantité de ce dernier devrait diminuer. 

Cetle hypothèse, rendrait assez bien comple des varialions par- 
fois si considérables que l’on rencontre entre les proportions re- 
latives de phosphate et de carbonate de chaux dans la composition 
des os. Bien plus, elle pourrait expliquer quelques-unes de ces 
différences qui se reproduisent toujours dans le même sens : ainsi, 

Pourquoi chez les enfants la proportion de carbonate est-elle en 
général plus faible que chez l'adulte ete vieillard ? 

Pourquoi dans le tissu spongieux pour une même quantité 
de cendres trouve-t-on plus de carbonate que dans le tissu com- 
pacte ? 

Chez l'enfant, en effet, les produits de la décomposition du tissu 
osseux doivent être en très pelite quantité ; l'os se forme, mais il 
ne se résorbe que très lentement, et la circulation y étant très ra- 
pide doit enlever les produits de décomposition presque à mesure 
qu'ils se produisent. Une fois que le tissu osseux est complétement 
développé, la circulation s’y ralentit; le carbonate qui vient de se 
constituer peut s’accumuler plus facilement, et n'être éliminé que 
plus lentement. 

Nous avons déjà vu que, dans la plupart des analyses d'os de 
jeunesindividus dans de bonnes conditions de santé, 11 ÿ avait moins 
de carbonate que chez ceux d'adultes ; et ici ilest indispensable de 
ne prendre en considération que les expériences faites sur des indi- 
vidus dans un état hygiénique parfait. On comprend, en effet, que 
du moment où le mode de nutrilion est troublé dans: l’économie 
tout entière, la nutrition des organes en particulier peut aussi s’en 
ressentir, et que chez un enfant où le système vasculaire à sang noir 
prédominera, qui sera dans un état de veinosité particulier, on 
pourra rencontrer plus de carbonate qu'à ordinaire ; au contraire, 
chez un adulte, où la circulation veineuse sera peu active, là pro- 
portion de carbonate devra se rapprocher de celle qui se rencontre 


16h ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

en général chez les enfants. Pour ces expériences, il est, je le 
répèle, indispensable d'agir sur des animaux dont on connaîtra 
l'état de santé, de les sacrifier pour l'expérience, et de rejeter tous 
ceux qui présenteraient quelque phénomène pathologique. 


$ VI. 


Si maintenant on examine les cas accidentels où un os se 
forme, les résultats auxquels on arrive se rapprochent de ceux 
que nous avons trouvés pour les os d'enfants, c’est-à-dire que la 
proportion de carbonate y est moindre, ce qui s'explique par la 
même raison. : 

Nous avons examiné un eal, suite d'une fracture du tibia d’un 
Chien, et un os de nouvelle formation, reproduit au moyen du 
périoste, provenant des expériences de M. Flourens, et que je dois 
à l’oblisgeance de ce savant. 

Dans ces deux cas évidemment, la nature tendait plutôt à pro- 
duire qu'à détruire, et nous devions trouver une composition 
analogue à celle des jeunes os; c'est ce que l'analyse nous a 
donné : 


Tibiu de chien, Cal de ce tibia 
Matière carlilagineuse. . . . . . 33,87 36,02 
Phosphate de chaux, ete. . . . . 59,32 60,58 
Carbonale de chaux, . . . . . . 6,81 3,40 
160,00 100,00 
Tibiu de 


Tibia ordinaire. nouvelle formation, 


Matière cartilagineuse . . . . . . 392,7 38,90 


Phosphate de chaux, ete, . . . . 59,9 56,60 
Carbonate de chaux. . . . . sb 7,4 4.50 
100,0 100,00 


Je ne parle pas des concrélions osseuses accidentelles qui peu- 
vent se former sur différents points, dans l’épaisseur des parois 
des artères, dans les tendons, ete.; ce n’est plus du tissu osseux, 
ce sont des dépôts des mêmes sels calcaires, mais dans des pro 


ÉTUDES SUR LES OS. 165 
portions qui en général diffèrent de celles que lon trouve dans le 
tissu osseux ; et comme leur struelure n'est pas la même, on ne 
peut faire rentrer ces productions accidentelles dans là même ea- 
tégorie que les os. 

M. Fremy (1) a analysé les points osseux trouvés dans les ar- 
tères d'une femme. Jindique ici les résultats qu'il a obtenus : 


Points osseux de l'aorte d'une femme de quatre-vingt-huit ans. 


Céndres.#41 AUDEPL AN OMR END MEME PA NTET 
Chaussette nn fut Plans 
ABB) DONSROTIQUB Er ch OU 
AGIT CAFDONIQUE MN... ep ND 2 
Magnésie. . . . . .. I CALAIS 


Points osseux de l'aorte d'une femme de quatre-vingt-deux ans. 


Centres "CM | le Rom Ÿ ee V HER 
CAO PR OT LE. tonesto die LE 
Acide phosphorique . SAURESRASIR RO 28SS 
Acide carbonique . . . . . . . . . . PRRUES (ME, 0 
Magnésie. . . A Or er ARNO ITACES 


Je dois à l'obligeance de M. le docteur Cazalis : à° deux eon- 
crétions osseuses siluées sous la dure-mère, adhérentes à cette 
membrane, mais nées à la surface de l’arachnoïde; 2° un corps 
fibreux de l'abdomen, dans le sein duquel s'étaient déposés des 
sels terreux. 

L'examen microscopique n'a démontré que ces corps étaient de 
simples concrétions sans structure particulière, constituées par une 
masse amorphe creusée de vacuoles remplies de matières grasses. 
La substance animale de ces concrétions, soumise à une ébullition 
prolongée, ne s'est pas transformée en gélatine ; elle était done 
d'une autre nature que l’osséine du tissu osseux, c'élit plutôt ne 
matière fibrineuse. 

L'analyse a donné les résultats suivants : 


(4) Op. cit., p. 87. 


166 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


Concrétiens de l'arachnoïde. 


Matière animale. , . . . . . . . . a Mopti one 5) 
Phosphate detchaux elc, #7 AMEN ENUNE } "179,2 
Garbobate:der chaman .afsoe ml een ft à 5,8 

100,0 


Concrétion déposée duns un corps fibreux de l'abdomen d'une vieille femme 
de soixante-dix ans, morle de cancer. 


Malère animales à metre 4 dileue 25,3 
Phosphate/de chaux, etc, © ©". 66,3 
CATbORATE le CHAUX A UC RE EN AUTEr 7,9 
100,0 

$ VII. 


Si maintenant on se demande pourquoi le tissu spongieux est 
plus riche en carbonate de chaux que le tissu compacte, on peut, 
en appliquant les idées que je viens de développer, trouver la elef 
de cette différence. 

Eu effet, qu'est-ce que le tissu spongieux ? On sait, par les 
expériences de Dubamel, de M. Flourens et de plusieurs autres 
physiologistes, que c'est du tissu osseux en voie de résorption. 
Jamais un os ne commence par l'état spongieux pour arriver à 
l'état compacte, toujours l'inverse à lieu, et c’est avant de dispa- 
raîlre, que le tissu de l'os prend la structure spongieuse. Évidem- 
ment dans eelte portion en voie d'élimination, si ce que nous 
avons dit est juste, il doit se trouver plus de carbonate de chaux ; 
c'est en effet ce qui à lieu, comme on a pu s’en convainere en 
jetant les veux sur les analyses comparées du lissu compacte et 
du tissu spongieux, que nous avons données plus haut, 

Chez un même individu, plus un os est spongieux, plus aussi 
contient-il en général de carbonate de chaux. Chez des individus 
différents, on peut presque juger à priori, par l'examen d’an os, 
du rapport que l'on devra trouver entre le phosphate et le carbo= 
nate. Les os denses contiennent en général moins de carbonate 


ÉTUDES SUR LES 0. 167 
que les mêmes os où le système aréolaire et vasculaire se trouve 
bien développé. 

Parmi les pièces nombreuses que le docteur Cazalis a bien voulu 
me remettre, j'ai choisi, d’une part, un crâne de femme adulte, 
d'une épaisseur et d'une densité remarquables : le pariétal avait 
15 millimètres d'épaisseur ; d’une autre part, un crâne de femme 
assez épais, mais présentant, au lieu d’une structure serrée, un 
tissu spongieux el aréolaire, traversé par un grand nombre de 
vaisseaux, en un mot, où le système veineux paraissait très déve- 
loppé. L'analyse de ces os a confirmé l'opinion qu'à première vue 
nous nous étions faite de leur composition chimique, à raison de 
leur texture. 


Pariétal compucle, Pariétal aréolaire. 


Substance cartilagineuse. . . . . . 33,0 40,0 
Phosphate de chaux, etc. . . . . . 50,0 48,1 
Carbonate de chaux . . . . . . . . 8,0 11,9 

100,0 100,0 


VARIATIONS DANS LA COMPOSITION CHIMIQUE DES OS CHEZ LE MÉME INDIVIDU. 


$ I. 


Nous avons déjà vu que l’âge et l'individualité pouvaient faire 
varier la composition des os. Bien plus, chez un même individu, 
il ne faut pas croire que tous les os du squelette, même compléte- 
ment privés de graisse et de sang, aientune composition identique ; 
ils présentent, au contraire, des différences considérables, suivant 
qu'on les examine dans telle ou telle région du corps, et ces varia- 
lions ne peuvent être attribuées uniquement à la présence des 
vaisseaux sanguins où d'autres corps étrangers au tissu osseux 
propre ; carelles se retrouvent même quand on prend des lamelles 
de tissu compacte. 

Si l'on s’en lient aux rapports de la matière organique à la 
matière inorganique, on peut dire d’une manière générale que les 
os longs sont plus riches en matières terreuses que les os courts. 
D'après les résultats auxquels nous sommes arrivés, on devait 


168 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

s'attendre à ce résultat; en effet, j'ai déjà montré que la substance 
spongieuse, dans son état de pureté le plus parfait, contient moins 
desels calcaires que la substance compacte. Aussi les os qui, toutes 
choses égales d’ailleurs, sont constitués presque exelusivement de 
l’une ou de l’autre de ces substances doivent présenter une com- 
position très différente. Quant aux variations que l’on rencontre 
entre deux os longs, qui, au premier aspect, paraissent contenir à 
peu près les mêmes proportions respectives de tissu aréolaire et de 
matière compacte, on peut se les expliquer par la quantité plus où 
moins grande de canaux de Havers et de corpuseules qu'ils peuvent 
contenir, où bien par la grosseur variable de ces cavités. I faudrait 
ici que l'analyse chimique fût accompagnée d’une coupe microsco- 
pique ; on pourrait ainsi saisir les relations qui existent entre la 
structure intime de l'os et sa richesse en matières terreuses. 

Malheureusement ces documents nous font défaut. Nous n'avons 
que des coupes microscopiques isolées qui ne peuvent servir à 
éclairer ce point de l’histoire du tissu osseux. 

En effet, les corpuscules osseux et leurs prolongements, comme 
l'a montré Hoppe (1), sont tapissés par une membrane de nature 
albumineuse ; ils renferment un liquide plasmique. Les canalicules 
ou canaux de Havers servent à loger de pelits vaisseaux. Lors- 
qu'on analyse un os, on ne peut se débarrasser de toutes ces 
matières étrangères à la substance osseuse, et dont le poids vient 
grossir la proportion d’osséine qui s'y trouve. On comprend faci- 
lement que cette circonstance constitue une cause de variations 
qui peuvent être assez considérables, et qu'il serait assez impor- 
tant de connaitre. 

On peut déjà, à l'œil nu, apprécier jusqu'à un certain point la 
compacité d’un os. Ainsi de tous les os du squelette, celui que l'on 
doit placer en première ligne, sous ce rapport, c’est sans contre- 
dit le temporal, à cause de sa portion rocheuse. C'est aussi de tous 
les os du corps celui qui contient le plus de matières terreuses, 
comme l'ont démontré les analyses de Thilenius et de Frerichs. Ce 


(1) Ueber die Gewebselemente der Knorpel, Knochen und Zühne (Virchow’s 
Archiv. fàr Pathol., Anat. und Physiolog , &. V, p. 170; 1853). 


ÉTUDES SUR LES OS. 169 
dernier observateur a trouvé que la portion rocheuse du temporal 
contenait 2 pour 400 de sels calcaires de plus que les plus riches 
d'entre les autres os du même squelette. Dans les analyses de Thi- 
lenius, la différence était à peu près la même. 

Chez l'Homme, d’eprès Rees (1), l’humérus vient en seconde 
ligne, et sa composilion se rapproche beaucoup de celle des os 
du cràne, tels que l’occipital, le pariétal. Chez la plupart des 
Mammifères, au contraire, le fémur contient plus de sels calcaires 
que l'humérus ; d’ailleurs entre ces deux os la différence est très 
faible. 

Les os de la jambe et de l'avant-bras viennent se ranger après 
les os de la cuisse et du bras. D'après les analyses de Rees, le ra- 
dius et le cubitus peuvent être considérés comme ayant une com- 
position identique. Il en est de même pour le tibia et le péroné , 
mais, pour ces deux derniers os, la teneur en éléments inorga- 
niques serait un peu plus faible que pour les deux premiers. 

Dans les analyses que j'ai faites, j'ai presque loujours trouvé un 
résultat contraire ; le tibia et le péroné étaient plus riches en sels 
terreux que le radius et le cubitus. Ainsi j'ai trouvé : 


Chez une femme de vingt ans. 


, Tibia. Péroné. Radius. Cubilus, 


Matière organique. . 35,8 35,6 36,2 36,5 
Malière inorganique . 64,2 64,4 63.8 63,5 


Chez un homme de trente aus. 


Tibia, Péroné, Radius, Cubitus. 


Matière organique. . 33,3 33,7 36,1 33,9 
Matière inorganique . 66,7 66,3 65,9 66,1 


Mais comme on peut s'en assurer, les différences sont très 
faibles. Chez l'Homme et chez les Mammifères, le membre anté- 
rieur présente, à peu de chose près, la même composition que le 
membre postérieur. Viennent ensuite la clavicule, l’omoplate, les 


(4) Proportions of Animal and Earthy Matter in Human Bones(The London and 
Edinburgh philosoph. Mugaz. and Journal of Science, t. XL, p. 155 ; 1838). 


170 ALPIHONSE MILNE EDWARDS. 

osiliaques, les os du carpe, les côtes, qui présentent à peu près les 
mêmes rapports entre la matière organique et la matière terreuse. 
Les vertèbres sont généralement encore plus pauvres en éléments 
terreux que les os dont je viens de parler. Mais entre lous ces os, 
les différences sont peu considérables. 

Le tableau suivant, tiré des analyses de Bibra, donne une idée 
juste des varialions de composition des différents os et du rapport 
ordinaire de ces variations ; l'analyse a été faite sur les os d’une 
femme de vingt-cinq ans. 


Substance inoiganique, Substance organique. 
Hé SE en debug 69,25 30,75 
COS EEE RE 63,87 31,13 
RADUS RS TL se ui. AU 0S 31,32 
DÉDUIT ee rte er ee ee 68,64 31,36 
LASER ai Bus, DE LA 68,42 31,58 
BÉTONC ARRETE NUE. 68,54 31,46 
Mamionhau: uses Ha gi 67,51 32,49 
Omanlate Re CR 5 65,38 34,62 
COS ESS Eee 64,57 35,43 
Os iliaque. . . . . Fe Se TU 40,03 
VELTEDrES NS EE ED EE 45,75 
SERRE PES RUN, N, MUNOA TES 48,57 


Dans tous les individus, les différences ne se trouvent pas dans 
le même sens. Ainsi il est rare que les os de l’avant-bras contien- 
nent plus d'éléments calcaires que le fémur, souvent même ils en 
renferment moins que le bia et le péroné. Mais ce tableau fait 
ressortir les variations ordinaires que l’on rencontre entre les os 
des diverses régions. 

Chez le fœtus, les rapports sont à peu près les mêmes que chez 
l'adulte, eomme cela ressort des expériences de Rees. Ainsi les os 
longs contiennent plus de matière inorganique que les os du tronc : 
le membre supérieur est plus riche sous ce rapport quele membre 
inférieur. Mais, ce qu'il y a de remarquable, c'est que les diffé- 
rences entre les os du tronc et ceux des extrémités sont beau- 
coup moins considérables que chez l'adulte, 

D'après ce que nous venons de dire, on voit que, d'une ma- 


+ 


2e -mt Je-n 


ÉTUDES SUR LES OS. 171 
nière générale, les os les plus riches en éléments calcaires sont 
ceux qui sont destinés à résister ‘aux plus grands efforts. Ainsi, 
quand un os forme à lui seul l'axe d’un membre, comme lhumé- 
rus, le fémur, il doit être plus résistant que ceux qui sont aidés 
dans leurs fonctions par un autre os, comme pour l'avant-bras, la 
jambe. Aussi avons-nous vu que ce sont ces premiers Os qui con- 
tiennent le plus de matières terreuses. 

On pourrait même dire que, chez le même animal, les os qui 
agissent le plus souvent et avec la plus grande intensité acquièrent 
une plus forte proportion de sels calcaires. Nous avons dit qu'en 
général le fémur était plus riche en matières lerreuses que lhu- 
mérus , mais il n’en est pas toujours de même : ainsi il résulte, de 
quelques analyses faites par Bibra, que, chez les animaux qui se 
servent surtout de leurs membres antérieurs, soit pour grimper, 
soit pour fouir la terre, comme les Taupes, ete, c’est l’humérus qui 
contient la plus forte proportion de matière inorganique. En effet, 
le Blaireau présentait, pour l'humérus, 69,27 de malières ter- 
reuses ; Je fémur n’en avait que 68,99. Chez la Taupe, la diffé- 
rence était encore plus considérable. 

Chez les animaux qui se servent à peu près également de leur 
côlé droit et de leur côté gauche, les os symétriques ont identi- 
quement la même composition, comme j'ai pu le constater chez le 
Chat, chez le Chien, ete., et chez d’autres animaux. Voici les ré- 
sultats de ces analyses : 


Chat mâle adulte. 


Substance organique, Substance inorganique. 
Fémppdroit:s 4. Mio. 31,00 69,00 
Fémur gauche. . ..… . . . 31,00 69,00 
ADI ON OP et ne me ce 31,10 68,90 
Mibiatsauche =. . - . : 31,45 68,85 
Cubitus droit . . . . : . . 31,8 68,2 
Cubitus gauche . . . . . . 34,9 68,1 
Humérus droit. . . . . . . 30,8 69,2 


Humérus gauche. . . , . . 31,0 69.0 


172 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


Chat femelle adulte. 


Substance organique. Substance inorganique. 
Fémur droit . . . . . NL S 70,5 
Fémur gauche . , . . . 2 -129)6 70,4 
bar EEE, 308 69,2 
Tibia gauche... 305 69,2 
Humérus droit. . . , . . Me), NE2 68,8 
Humérus gauche . . . . . 31,3 58,7 


Chez l'Homme, qui, en général, fait fonctionner un côté plus 
energiquement que Pautre, les os du bras droit sont un peu plus 
riches en sels calcaires que ceux du bras gauche, comine j'ai pu 
m'en convaincre par quelques analyses que j'ai entreprises dans 
ce but, et dont voici les résultats : 


Femme de vingt-six ans. 


Mutière organique, Matière inorganique. 
Humérus droit . . . . . . . 32,10 67,90 
Humérus gauche . . . . . . 32,45 67,55 


Homme de trente ans. 


Matière organique. Mutière inorgauique. 
Humérus droite 242 ten 34,0 66,0 
Humérus gauche. . . . . ..+34;8 65,2 


Ces différences sont fables, il est vrai, mais elles se son! tou- 
jours montrées dans le même sens. D'ailleurs, ce qui tendrait à 
confirmer cette manière de voir, c'est ce que l’on remarque dans 
la composition des os des Oiseaux : en effet, chez ces animaux, à 
quelques exceplions près, l'organe de locomotion principal est 
l'aile; l'humérus est soumis à des fractions comparativement 
beaucoup plus fortes que le fémur, qui ne sert, pour ainsi dire, 
qu'à soutenir le corps. Aussi trouve-t-on chez tous les Oiseaux 
voiliers une proportion plus considérable de matière inorganique 
dans l’humérus que dans le fémur, et, ce qu'il est important de 
remarquer, c’est que les quelques espèces qui ne présentent pas 
ce rapport appartiennent à nos Oiseaux de basse-cour ; ce sont des 


ÉTUDES SUR LES OS. 173 
animaux lourds, et qui, on peut le dire, ne se servent qu'acci- 
dentellement de leurs ailes : ainsi la Poule, le Dindon et quelque- 
fois le Pigeon; encore est-il probable que celui qui a donné ce 
résultat était un Pigeon de volière. 

Parmi les Mammifères, la Chauve-Souris présente plus de sels 
terreux dans l'humérus que dans le fémur ; ainsi un humérus 
de Chauve-Souris contenait 64,70 de matières terreuses, tandis 
que le fémur n’en renfermait que 64,0. 


$ IL. 


Jusqu'ici on a peu étudié quelle est la quantité d’eau que con- 
tiennent les os frais; les seules recherches que l’on ait faites sur 
ce sujet sont dues à Stark (1) et à Nasse (2). 

Ce geure d’études présente de nombreuses difficultés ; il faut 
agir sur les os frais, et, pour peu qu'on les laisse à l'air pendant 
quelque temps, ils perdent rapidement une certaine quantité d’eau ; 
de plus, comme ils sont très hygroscopiques, suivant que l'air est 
plus ou moins saturé de vapeur, on trouve des résultats diffé- 
rents. Cependant il est souvent {très important de connaître non- 
seulement la composition du tissu osseux lui-même, mais encore 
la proportion d'eau, de moelle, ete., qui, dans los frais, se trouve 
unie à la substance osseuse pour constituer la masse de l'os. On 
comprend que, bien que la composition de ce tissu ne varie que 
peu, le rapport entre son poids et celui des autres parties puisse 
présenter de grandes différences. Sur ce point, nous n'avons 
aucune donnée. On n'a jamais pris la densité de l'os frais avant 
d'en avoir fait l'analyse. 

Les recherches de Stark et de Nasse ont conduit à un résultat 
que l’on pouvait prévoir : c’est que, plus un os est spongieux, plus 
la proportion d’eau qu'il renferme est considérable. En effet, la 
quantité d’eau se lie intimement à la quantité de sang dont l'os est 


(4) Chemical Constitution of the Bones of the Vertebrated Animals (Edinburgh 
med. and surg. Journal, 1. LXIIE, p. 308-325 : 1845). 

(2) Ueber die Bestandtheile der Knochen in einigen Krankheiten (Journal für 
prakt. Chemie, von Erdmann und Marchand, t. XXVII, p. 274; 4842). 


17h ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

corgé, et nous avons déjà vu que le lissu spongieux, étant beau- 
coup plus vaseulaire que le tissu compacte, devait renfermer né- 
cessairement une plas forte proportion de sang : ainsi, dans les os 
plats et dans les os spongieux, Stark trouva 12 à 30 pour 100 
d'eau, tandis que dans les os compactes il n'en trouvait que de 
5 à 7 pour 100. 

Ce que nous venons dedire sur la quantité d’eau peut s'appli- 
quer à la quantité de graisse contenue dans les os d’un même indi- 
vidu : ‘ainsi les os longs en renferment moins que les os courts, 
même si l'on a pris soin d'enlever le tissu spongieux qui retient la 
graisse avec beauconp d'opiniätrelé. On devait d’ailleurs s'attendre 
à ce résultat. 


$ Hi. 


Les rapports du carbonate au phosphate de chaux ne sont pas 
absolument les mêmes pour tous les os d'un même squelette. Nous 
avons déjà vu que la substance spongieuse contenait une propor- 
lion de carbonate plus considérable que la substance compacte. 
Nous devons donc retrouver plus de carbonate dans tous les os 
courts ou spongieux que dans les os longs. Cela est rendu évident 
par les analyses de Bibra : 


Chien adulte. 


Fémur, Côtes, Verlèbres. 
Phosphate de chaux, . . . . 54,63 49,49 49,54 
Carbonate de chaux . , , . . 12,63 19,58 12,51 


Renard adulte. 


Fémur, Vertèbres. 

Phosphate de chaux. . . . 62,29 56,97 

Carbonate de chaux . . . . 6,80 6,01 
Loup. 

Fémur, Côtes, 

Phosphaté de chaux. . . . . 57,87 54,76 


Carbonate de chaux . . . . . 11,09 10,90 


ÉTUDES SUR LES 08. 175 


Enfant de neuf mois. 


Humérus, Côles, 
Phosphate de chaux, . . . . 50,45 42,32 
Carbonate de chaux . . . . . 6,13 6,00 


Femme de vingt-cinq ans. 


Fémur, Côtes. Slernum, Verlèbres. Osiliaques, 
Phosphate de chaux. . . . 57,42 53,91 42,63 44,28 49,72 
Carbonate de chaux. . . . 8,92 8,66 7,19 8,00 8,08 


Sous ce rapport, on trouve quelques excéptions, mais, en 
général, on peut avancer que dans les os courts où spongieux, de 
même que dans le lissu spongieux des os longs, la proportion de 
carbonate est, relativement au phosphate, plus forte que dans ces 
derniers. 


VARIATIONS DANS LA COMPOSITION CHIMIQUE DES OS CHEZ DES INDIVIDUS 
DIFFÉRENTS. 


SI. 


Quand nous avons examiné les os d’un même individu, les 
recherches étaient faciles, tout le squelette était alors soumis aux 
mêmes influences, à moins de causes accidentelles que l’on pou- 
vait facilement éviter. Mais quand on vient à étudier la com- 
position du tissu osseux chez des individus différents, les condi- 
tions d'alimentation , de santé n'étant pas les mêmes, nous trou- 
vons alors des variations individuelles qu'il estdifficile d'expliquer, 
et qui se lient en général à un état pathologique particulier. 

Aussi, à chaque pas, voyons-nous, en consultant les auteurs 
qui se sont occupés de ce sujet, des contradictions que l’on ne 
peut mettre sur le compte d'une erreur d'analyse, mais qui s’ex- 
pliquent par les différences individuelles. Ensuite les analyses 
n'ont pas toujours porté sur le même os, el, par conséquent, 
beaucoup ne sont pas comparalives ; en effet, d’après ce que nous 
avons dit, il est impossible de comparer entre elles les analyses 
d'un fémur et d'une vertèbre où d’une côte, Dans ces recherches, 


176 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 
il faut toujours agir sur le même os, et choisir. autant que possible, 
un os long, tel que le fémur ou l'humérus, el, sous ce rapport, il 
faut se défier des résultats que donnent les os humains, parce que, 
comme je l'ai déjà dit, tous ceux que nous avons à notre disposi- 
on provenant d'individus morts de maladie, les causes patholo- 
giques ont pu agir d'une façon notable sur leur composition. 

Nous aurons ici plusieurs questions à étudier : 

4° L'influence de l’âge ; 

2 L'influence du sexe; 

3° L'influence du régime ; 

k° L'influence du groupe zoologique auquel l'animal appartient ; 

5° L'influence des causes accidentelles, telles que ligatures 
d’artères, section de nerfs. 


S IT. 
Influence de l'âge. 


Les différences que l’âge peul amener dans la composition des 
os ont été l’objet de nombreuses recherches, et cependant on est 
encore loin d’être d'accord sur cette question : à savoir, si chez 
un jeune individu les os sont plus riches en éléments cartilagi- 
neux que chez un adulle; si cette proportion diminue ou augmente 
chez le vieillard. 

Thilenius, Davy, Schreyer, Sebastian, Frerichs, Rees, Ribra, 
s'accordent pour admettre que, chez les jeunes animaux, les os 
contiennent moins de matières terreuses que chez l'adulte ; qu'il 
peut se trouver des différences, inhérentes plutôt aux circon- 
stances individuelles qu'à l’âge, mais que le rapport indiqué se 
rencontre d’une manière générale. Bien entendu que, pour ces 
recherches, on doit, quand on agit sur des os jeunes, enlever les 
épiphyses, qui, incomplétement ossiliées, viendraient empêcher 
les analyses d’être comparatives. 

Au contraire, Stark, Lehmann et M. Fremy, ayant trouvé, par 
leurs analyses, tantôt plus de sels terreux, tantôt moins, chez l'en- 
fant que chez l'adulte, sont portés à croire que l'influence de l’âge 
est nulle sur la composition de l'os, que l'os se forme tel qu'il doit 


ÉTUDES SUR LES 08. 177 
se conserver pendant toule la vie. Les analyses que M. Fremy a 
faites de différents points d’ossificalion, analyses dont nous avons 
déjà parlé, venaient confirmer cette opinion. 

!l est en effet plus que probable que la substance osseuse, c’est- 
à-dire le résultat de la combinaison de l’osséine aux sels terreux, 
doil loujours présenter une composition identique ; mais, dans un 
os, ce corps n'est pas seul ; loujours il se trouve sillonné de vais- 
SeauX, qui, dans une analyse, sont comptés comme malière Carti- 
lagineuse, et chez l’enfant los est plus vasculaire que chez l'adulte. 
C'est un fait que l'on ne peut nier ; il doit done y avoir plus de 
matière organique. 

Si l’on veut trancher la question, il ne faut pas accumuler les 
analyses d'os d’âges différents faites sur des individus soit ma- 
lades, soit soumis aux influences les plus diverses ; il faut, comme 
je l'ai déjà dit, expérimenter sur des animaux d’une même portée, 
qui {ous seront placés dans les mêmes conditions d'existence. 

Lorsque Lehmann el M. Fremy ont cherché à résoudre la ques- 
lion, ils ont presque toujours agi sur des os humains, où les va- 
riations individuelles sont souvent plus considérables que les va- 
riations dues à l’âge. 

Pour me mettre autant que possible à l'abri de ces causes d’er- 
reurs, j'ai opéré comme je viens de l'indiquer, c’est-à-dire avec 
des animaux de la même portée, ct voici ce que j'ai obtenu : 


FÉMUR. HUMÉRUS. TIBIA. 
DÉSIGNATIONS. AB 7 Ce 
Mat, Mat. Mat. Mat. Mat. Mat. 
org. inorg. org. iuorg. À org. inorg. 
Chat nouveau-n6. , . . .[#0,58/59,42/40,40/59,60/42,00/58,00 
— de 3 semaines. . . .137,00/63,0037,00/63,00137,20|62,80 
| — de2 mois. . . . . .[36,20163,80/35,70164,30137,30162,70 
|, — de 3 mois. . . . -137,90163,10136,10!63,90137,00!63,00 
$ | Chien nouveau-né. . . .1#4,00/56,00/44,70/55,30145,80|5%,20 
— de 1 mois. . . . . .[39,80/60,20/40,20/59,80140,901#9,10 
— de 3 mois. . . . . .136,99 FA 38,30,61,70139,70160,30 


—————"——". —  ——  " 


#° série. Zoo. T. XIIL. (Cahier n° 3.) # 12 


178 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


Dans l'ouvrage de Bibra, on trouve aussi une analyse faite sur 
lés os de Chiens d’une même portée, à différents âges, et dont 
nous avons déjà parlé (voir p. 153). 

Les résultats ainsi obtenus s'accordent parfaitement avec les 
iniens. Ainsi : 


FÉMUR. TIBIA. 
DÉSIGNATIONS. © | 


Mat. org. | Mat. inorg.[Mat. inorg.| Mat org. 


Chiens nouveau-nés. . . . . . . . . 46,04 | 53,99 » 


» 


Chiens de 6 semaines . . . . . 36 37,97 | 62,03 | 61.41 | 38,59 


Quant à décider si la richesse des os en malières minérales aug- 
mente encore de l'âge adulte à la vieillesse, c’est une des questions 
les plus difficiles ; car, chezles vieillards, les causes pathologiques 
viennent agir avec bien plus d'intensité que chez l'enfant. 

M. Cazalis a bien voulu me remettre un certain nombre d'os 


provenant de vicillards de l’hospice de la Salpêtrière, et un simple 
coup d'œil jeté sur ces organes suffit pour démontrer les varia— 
tions que doit offrir leur composition. En effet, on voit quelque- 
fois, chez des individus d’un âge très avancé, mais dont la consti- 
tution élait encore robuste, dont toutes les fonctions de nutrition 
s’effectuaient régulièrement, on voit les os présenter un tissu 
serré, dense et résistant; chez d'autres au contraire, d’un âge 
moins avancé, mais chez lesquels la nutrition se faisait mal, on 
trouve une grande prédominance de tissu spongieux : le canal 
‘inédullaire de l'os est agrandi, et toutes ces différences dans la 
constitution physique des os doivent, comme nous l'avons déjà 
élabli, se traduire par des différences dans la composition chi- 
nique. 
Aussi les opinions des physiologistes sont-elles très divergentes 
sur ce sujet. 

Pendant longtemps on a admis que la proportion des matières 
minérales continuait à s’accroitre de l'âge mur à la vieillesse. 
Cependant Thilenius a avancé que chez le vieillard Ja quantité de 


ÉTUDES SUR LES OS. 179 
sels calcaires est relativement moins cossidérable que chez 
l'adulte, qu'à partir de cette dernière période, elle décroit sensi- 
blement. Effectivement, à l'appui de cette manière de voir, on 
peut alléguer beaucoup de résullats d'analyses , mais on pourrait 
en ciler autant à l'encontre. Je crois que maintenant laquestion ne 
peut être complétement tirée à clair. I nous faudrait, non pas 
plus de matériaux que nous n’en avons, mais d’autres matériaux 
mieux discutés ; il faudrait qu'à côté de chaque analyse on trouvât 
les indications suivantes : 1° l'àge du sujet ; ®’la maladie à laquelle 


20 


il a succombé ; 3° son état babituel de santé ; 4° les particularités 
de structure que présentait l'os; 5° quelles sont les parties de cet 
o$ qui ont été soumises à l'analyse. 

On pourrait aivsi, en choisissant les résultats obtenus sur des 
individus ordinairement bien portants, enlevés rapidement à la 
suite de quélques maladies aiguës, arriver à une conclusion exacte 
sans risque de se laisser égarer par les variations pathologiques, 
si (fréquentes pendant la vieillesse. 

Jusqu'ici uous ne nous sommes occupé que du rapport existant 
entre la quantité de matière organique et celle de substance ter- 
reuse ; nous avons déjà traité des rapports entre le phosphate et le 
carbonate de chaux. Quant aux autres éléments, tels que les sels 
solubles, le phosphate de nagnésie, nous n’avons pas à nous en 
occuper, ces substances étant entrop faible quantité pour avoir une 
importance physiologique notable ; d'ailleurs leurs proportions ne 
varient que dans des limites très restreintes. 

L'âge ne parait pas influer sur la quantité de graisse qui se 
trouve dans les os. Il n’en est pas de même pour la proportion 
d'eau. Slark à trouvé que les os des jeunes individus en renfer- 
maient une quantité plus considérable que les os d'adultes, qu'il y 
en ävait encore moins chez le vieillard. Ces variations expliquent 
les différences que l’on observe dans l'élasticité des os à ces divers 
âges de la vie ; plus le tissu osseux contient d’eau, plus il est élas- 
tique et par conséquent moins il est cassant. 


180 ALPIIONSE MILNE EDWARDS. 


SRE 


Influence du sexe. 


Le sexe ne parail avoir aucune action sur la composition du 
tissu osseux, quoique, en moyenne, le squelette des femmes soit, 
par rapport au poids total du corps, plus léger que chez l'homme, 
A l’âge de vingt el un ans, par exemple, en moyenne chez l’homme, 
le poids du squelette est au poids du corps comme 10,5 : 100, 
et chez la femme comme 8,5 : 109, terme moyen. 

Ainsi, chez cette dernière, les os sont, relativement au reste du 
corps, plus petits que chez l'homme, ee qui s'explique d’ailleurs 
par le développement plus considérable du tissu adipeux. En outre, 
les os des femmes paraissent en général prédisposés à certaines 
maladies qui chez l'homme sont assez rares : le ramollissement 
des os, je ne parle pas ici du rachitisme, mais de l’ostéomalacie. 
Cette plus grande fréquence se lie probablement aux grossesses 
qui, à certaines époques, chez les femmes, exigent une consom- 
æalion bien plus forte de sels caleaires. 


$ IV. 


Influence du groupe zoologique. 


Je ne puis avoir la prétention de vouloir traiter complétement 
ce sujet : il faudrait avoir fait un grand nombre d'analyses d'os 
d'animaux différents, analyses que je n'ai pu faire; d’ailleurs 
d'autres expérimentaleurs se sont déjà occupés de ce point de 
l'histoire de la composition des os. 

Bibra et M. Fremy ont donné un grand nombre d'analyses 
faites sur des animaux de types différents, el par la comparaison 
des résultats ainsi obleuus, on voit que jusqu'à présent on n'est 
point arrivé à trouver de différences constantes entre telle ou 
telle espèce où même entre tel ou tel genre; je dirai plus, entre 
telle ou telle classe. Les différences individuelles sont plus consi- 


ÉTUDES SUR LES 05. 181 
dérables que les différences spécifiques et génériques. En con- 
sullant le tableau que M. Fremy a donné des résultats de ses diffé - 
rentes analyses, on reconnait qu'entre les animaux les plus dissem 
blables la composition des os varie peu. Ainsi les os d’un brochet, 
d’un homme, d'un vautour ont, à peu de chose près, la même 
composition et en présence de faits de cet ordre, il est impossible 
de vouloir assigner à lel ou tel groupe une composition particu- 
lière du tissu osseux. 

Cependant voici les principaux résaltats que MM. Fremy et 
Bibra s'accordent à admettre comme à peu près constants. 

Le squelette des poissons ossenx renferme autant de matières 
terreuses que celui des mammifères. 

Les reptiles ne présentent aucun fait remarquable dans la com- 
position de leurs os ; on peut aussi les comparer, sous ce rapport, 
aux mammifères. 

Les os d'oiseaux sont en général plus riches en matières ter 
reuses que les os des autres classes d'animaux, et cependant iln'en 
est pas de même pour tous les oiseaux; les gallinacés seuls pré- 
sentent cette particularité, les autres se rangent à côté des mam- 
mifères. On comprend que chez les oiseaux, où le tissu spongieux 
est si peu abondant, la composition des os doive s’en ressentir. 

Les mammifères herbivores, rongeurs, etc., ea un mot, ceux 
qui se nourrissent soit de grains, soit d'herbes, ont les os plus 
riches en matières calcaires que ceux qui se nourrissent de 
viande. 

Toutes ces différences sont d'ailleurs très faibles ; aussi, parmi 
les oiseaux, on trouvera des individus dont les os présenteront 
plus de matière organique que les mêmes os d’un mammifère, et 
réciproquement. On ne peut done rien conclure ici sur un petit 
nombre d'analyses, il en faut une grande quantité : c’est ainsi 
seulement qu'on pourra vérifier les tendances; autrement on de- 
vra s'attendre à trouver des contradictions à chaque pas. 


182 ALPRONSE MILNE EDWARDS. 


8 V. 


Influence du régime. 


Le régime peut exercer une influence considérable sur la com- 
position des os. Ce fait ne peut être mis en doute après les expé- 
riences de Chossat. Ce physiologiste reconnut que des animaux 
nourris avec des aliments {rès pauvres en sels de chaux, au bout 
d'an temps plus ou moins long, commençaient à dépérir, et enfin 
ne fardaient pas à succomber; leurs os étaient devenus extrême- 
ment minces, el quelques-uns, après avoir macéré, ressemblaient 
à une dentelle. Chez les Pigeons adultes, ces phénomènes arrivent 
au bout de huit ou dix mois. 

Chez de jeunes animaux, les effets de la privation de sels 
calcaires paraissent devoir se faire sentir beaucoup plus rapide- 
ment; ce quise conçoit facilement, puisque les os non formés ont 
besoin de puiser dans le sang une quantité considérable de sels 
terreux. 

Chossat n’a malheureusément donné aucune analyse des os 
ainsi dépouillés d’une partie de leurs éléments solides, de façon 
que l’on ne pouvait savoir si les os étaient simplement devenus 
plus minces, ou si la proportion d’osséine restant toujours la 
même, la proportion de sels terreux diminuait seule. 

Bibra (1) remplit cette lacune ; il prit deux Canes de la même 
couvée, ayant commencé à pondre depuis quelques jours. Il 
nourrit l’une avec des pommes de terre et de l'orge mondé; à 
l'autre il donna la même nourriture, plus des sels calcaires. 

Au bout de huit jours, la première pondait des œufs à coquille 
mince et fragile; un peu plus tard, les œufs n'étaient plus entourés 
que d’une pellicule; enfin elle cessa de pondre trois semaines 
après. 

L'autre Cane, que je désignerai par le numéro 2, continuait à 
pondre régulièrement un œuf tous les deux jours. 

On termina alors l’expérience et on soumit les os à l'analyse, 
En voici les résultats : 


(4) Op. cil., p.8. 


ÉTUDES SUR LES 0$. 185 


Feémur. Tihia, Humérus, 

Cane n° on n° | n49: Li no |, uo si nef. 
Phosphate de chaux . . 66,79 57,17 63,44 56,52 68,57 56,66 
Carbonate de chaux . . 10,26 8,27 10,46 9,30 8,03 10,54 
Phosphate de magnésie. 2,20 4,81 2,30 1,72 2,30 1,90 
Sels solubles , . . . . 0,40 0,60 0,70 0,60 0,70 0,80 
Substancecartilagineuse 49,55 34,25 22,30 30,93 19,80 29,40 
ÉTAPE PATENT 0,80 0,90 0,80 093 0,60 0,73 


100,00 400,00 100,00 109,00 100,00 100,00 


Substance organique. . 20.35 23,10 31,80 20,40 30,13 


Substance inorganique . 79,65 76,90 68,14 79,60 69,87 


Sous l'influence de l'alimentation, la quantité de graisse peut 
varier considérablement dans les os. Les animaux mal nourris et 
maigres présentent des os presque dénués de graisse; quel que 
soit cependant l’état de maigreur, on en trouve toujours une petite 
quantité, qui alors parait faire parlie inhérente du tissu osseux ; 
mais celte proportion est extrèmement faible, de quelques 
millièmes seulement, et, suivant toute probabilité, provient du 
liquide des corpuseules, car les canaux de Havers n’en contien- 
nent jamais. 

Chez les animaux hibernants, on trouve toujours plus de 
graisse dans les os avant l'hiver qu'après. Bibra trouva, sur 
un Blaireau examiné à Ja fin de l'été 3, 4, 5 p. 100 de graisse 
dans les os. Chez d’autres animaux de la même espèce et du 
même âge, il ne trouva plus à la fin de l'hiver que 0,8 à 0,5 
pour 100 de matières grasses. 

Le même observateur rencontra des différences semblables 
chez des Hamsters, considérés avant, pendant ou après leur som- 
meil d'hiver. Celte variabilité dans les proportions de la graisse 
des os se retrouvait pour le reste du corps. Avant leur hiberna- 
lion, ces animaux élaient chargés d’embonpoint; leur graisse dis- 
paraissait pendant hiver, el à leur réveilils étaient très maigres. 
Lehmann pense que les animaux hibernauts ne perdent qu'une 
pelile quantité de graisse pendant leur sommeil, que cette dernière 
disparait surtout après le réveil, parce que à ce moment il y a une 


184 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 

espèce de réaction, et que toutes les fonctions s’accomlissent 
avec une énergie plus grande. Mais Bibra a trouvé que, chez des 
Hansters surpris pendant leur sommeil, la même diminution de 
graisse se remarquait. 

On n'a fait que peu d'expériences sur Ja composition des os 
d'animaux de même espèce, soumis à des régimes différents. 
M. J. Guérin avait cependant remarqué que de jeunes Chiens 
nourris de viande au lieu de lait finissaient par devenir rachi- 
tiques ; il est probable que ce résultat dépend simplement de ce 
que ces animaux élaient trop jeunes pour profiter de celte nourri- 
ture substantielle, et que, ne pouvant se l’assimiler, leur nutrition 
en souffrait. 

Ce qui me porte à émettre eelte opinion, ee sont les résultats de 
quelques expériences que j'ai tentées dans cetle voie. 

J'ai étudié comparativement l'influence d’un régime féculent et 
sucré, et d’un régime azoté et gras sur des Chiens. 

J'ai employé des Chiens de Ja même portée, aussitôt qu'ils man- 
geaient seuls. Je choisissais les plus vigoureux pour les soumettre 
au régime féculent; les plus faibles, au contraire, étaient nourris 
de graisse et de viande; tous pouvaient d’ailleurs ronger des os 
bouillis, qui par conséquent ne contenaient guère que des sels 
calcaires et un peu de gélatine; tous mangeaient à discrétion les 
uns de la viande avec la graisse, les autres de la soupe, et Lous les 
jours 500 grammes de suere. Quand le poids de l'animal avait au 
moins doublé, c’est-à-dire trois ou quatre mois après, on les 
sacrifiait, et on examinait leurs os. fai trouvé que toujours les 
Chiens nourris de viande, de plus faibles qu'ils étaient, étaient 
devenus plus vigoureux, leurs os contentient une plus forte pro- 
portion de sels calcaires, et relativement plus de carbonate de 
chaux. Dans une de mes expériences, un des Chiens nourris de 
féculents était devenu presque rachitique , mais je ne puis rien 
présumer d’après ce résultat, qui n’était peut-être qu'inhérent à 
l'individu. 

On pourrait peut-être expliquer cette diminution de la prepor- 
tion de carbonate, chez les Chiens nourris de féculents etde sucre, 


ÉTUDES SUR LES OS. 155 
en admettant que le sang, chargé de matières sucrées, aurait pu 
agir sur le carbonate de chaux, et le dissoudre plus facilement à 
l'état de saccharate de chaux. 

Je n'ose cependant tenter de donner aucune explication à ces 
faits, je mentionne simplement les résultats obtenus : 


Chien tué au bout de trois mois Ve régime sucré. 


Fémur. Tibia. Humérus 

Matière cartilagineuse . . 34,4 34,7 35,0 
CAISSE te 1,1 0,9 4,4 
Phosphate de chaux, etc. 56,6 56,8 56,4 
Carbonate de chaux. . . . 7,9 7,6 7e 
100,0 100,0 100,0 

Matière organique, . . . 36,5 ° 35,6 36,4 

Matière inorganique. . . 64,5 64,4 63,6 


Chienne tuée au bout de trois mois de régime sucré. 


Feémur, Tihia. Humérus. 
Matière cartilagineuse . . 35,0 26,3 36,0 
Graisseier GE sl: 1,3 1,2 1,4 
Phosphate de chaux, etc. 57,6 56,8 56,7 
Carbonate de chaux . . . 6,1 5,1 5,9 

100,0 100,0 100,0 
Matière organique. . . . 36,3 37,5 37,4 
Matière inorganique. . . 63,7 62,5 62,6 


Chienne nourrie de viande et de graisse, tuée au bout de trois mois de ce régime. 


Fému . Tihia, Humérus. 
Matière carlilagineuse . . 33,1 33,9 32,2 
MAPS Lieu s ce 0,8 4,1 0,9 
Phosphate de chaux, etc. 56,4 55,5 56,1 
Carbonate de chaux. . . . 9,7 9,5 9,8 

100,0 100,0 100,0 
Matière organique . . . . 33,9 35,0 34,1 


Matière inorganique . . . 66,1 65,0 65,9 


1856 ALPHONSE MILNE EDWARDS, 


Chien nourri de viande et de graisse, tué au bout de trois mois de ce régime. 


Fémur. Tibiu. Humérus, 
Matière cartilagineuse . . 32,2 33,0 32,5 
Grasse 0. À 0,7 0,8 1,0 
Phosphate de chaux, elc. 58,3 57,5 57,3 Û 
Carbonate de chaux . . , 8,8 8,7 9,2 

100,0 100,0 100,0 
Matière organique . . . . 32,9 33,8 33,5 
Matière inorganique . . . 67,1 66,2 66,5 


Outre les analyses que je viens de mentionner, j'en ai encore 
fait deux, qui m'ont aussi donné les mêmes résultats. 


$ VI. 


Influence de l'arrêt du cours du sang. 


Restait enfin à examiner l'influence que l'arrêt du cours du 
sang pouvait exercer sur la composition des os, et la part que de- 
vait avoir le système nerveux. | 

Quand on empêche le sang d'arriver à un membre, de deux 
choses l’une : ou, au bout d’un temps plus ou moins long, la cir- 
culation se rétablit par les artères collatérales ; ou elle ne se réta- 
blit pas : dans ce dernier cas, la vie se suspend dans le membre, 
il s’atrophie ou se gangrène, 

L'os subit les mêmes phases que le membre dont il fait partie. 
Si la cireulation se rétablit, l'os continue à se développer et sa 
composition n’est pas changée, il y a seulement eu un temps 
d'arrêt pour sa croissance ; temps d'arrêt dont la durée varie avee 
plusieurs circonstances, et principalement avec l'âge. Aussi cet 
os est-il ordinairement plus léger que si on l'avait laissé dans ses 
conditions de nutrition ordinaires, Mais les proportions relatives 
de sels galcaires et de matière organiqne ne sont pas changées. 

J'ai fait cette expérience sur un jeune Chien, pensant que là où 
le développement est le plus rapide, j'aurais des résultats plus dé- 
cisifs, L'artère fémorale a été non-seulement liée, mais reséquéen 


ee À 


CMS 


ÉTUDES SUR LES 0S. 187 
sur une longueur de { ou 2 centimètres ; la plaie a paru causer un 
peu de gêne à l'animal, mais, aussitôt qu'elle a été cicatrisée , il 
s’est servi de sa paie malade presque aussi facilement que de 
l'autre. Au bout d’un mois, je l'ai sacrifié. Jai pu consiater par 
une injection que la cireulatien s'était parfaitement rétablie par les 
collatérales, et les muscles présentaient le même aspect que dans 
la patie saine. Il en élait de même pour les os; seulement le tibia 
et le fémur, qui, pendant un certain temps, n'avaient pas reçu 
une quantité de sang suffisante, étaient un peu plus légers que les 
autres, tandis que pour le membre supérieur les deux humérus, 
les deux radius, les deux cubitus avaient sensiblement le même 
poids : 


Poids du fémur à expérience, . . . . . . . . 14,9 
Poids du fémurEsain....,. 0. tu ou 16,5 
Pos du HA SAN 0 EL 10,7 
Poids du tibia à expérience . . . . . . . . . 8,4 


Les os avaient été pesés frais et contenant encore la moelle. 
Après avoir été dépouillés de cette dernière, lavés et desséchés à 
120 degrés, la même différence se faisait remarquer : 


RÉMUurMBernÉTiencen 58.200 20 EN PL frs di 835: 
HEnUr Saint AL CET ATREL. NET ESS Dir 
Mia ExpéTIODCe) 4 She nt. 104. ENORME 
DRESSÉ RER TE 7 5,6 


Mais à l'analyse on n’a trouvé de différence ni entre les fémurs 
ni entre les tibias, leur composition était à peu près identique. 


Fémur à expeér, Fémursain, ‘Tibiaà expér.  Tibia sain, 


Phosphate de chaux, etc. 55,5 55,3 54,9 54,3 
Carbonate de chaux, , . . 6,4 6,5 5,8 6,0 
TP ERNRMRAE FA DS NTE 0,8 1,0 0,9 
Malière cartilagineuse. . . 37,2 37,4 38,3 38,8 

100,0 100,0 100,0 100,0 
Matière organique . . . . 38,1 38,2 39,3 39,7 
Matière inorganique . . . 64,9 61,8 69,7 60,3 


Bibra (4) fitla mème expérience sur un Lapin adulte, il arriva 
1 


(1) Op. cit., p: 60. 


188 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 


au même résultat, seulement il ne chercha pas à constater entre 
les os des deux pattes la différence que j'ai indiquée pour le poids 
total. 


Fémur à expériences, Fémur sain, 

Phosphate de chaux . . . . , .. 58,27 58,09 
Carbonate de chaux . . . . , . . 14,86 15,0% 
Phosphale de magnésie. . . . . . 1,08 1,09 
Selsisolubles me tsne Arte HU 0,79 0,78 
Substance cartilagineuse . . . . . 23,79 23,80 
(RES oies GRENIER 1,21 1,20 

100,00 100,00 
Matière organique. . . . . . . . . 25,00 25,00 
Matière inorganique. . . « . . . . 75,00 75,00 


Bibra, dans une autre expérience, détruisit les artères, les 
veines et les nerfs du membre; cette fois la circulation ne se ré- 
tablit pas, la patte s’atrophia. A l'examen, l'os était rempli, au lieu 
de moelle, d’une sérosité rougeûtre, il était privé de vie, comme 
le reste du membre. A l’analyse chimique, on ne trouva aucune 
différence entre les os de la patte paralysée et ceux du côté 
opposé. \ 

Les os étaient en effet restés tels qu'ils étaient avant l'opéra- 
tion, ils n'étaient plus en rapport avec le reste de l'organisme et 
ils n'avaient par conséquent pu rien perdre ni rien acquérir. 


$ VIL. 


Influence de la section des nerfs. 


Nous voyons done que l'arrêt du cours du sang dans les ar- 
tères ne parait pas exercer de changement dans la composition M 
des os. En est-il de même pour l'influence nerveuse? si l’on coupe 
les nerfs se rendant à un os, observera-t-on des changements M 
dans la manière d'être de cet os? En 1854, M. Schiff (4) fit une 
série intéressante d'expériences, tendant à faire connaître si lan 
suppression de l'influence nerveuse provoquait du côté des vais 


(1) Recherches sur l'influence des nerfs sur la nutrition des os (Comptes rendus 
des séances de l'Académie des sciences, t. XXXVILL, p. 1050; 1854). 


ÉTUDES SUR LES 0. 189 
seaux et de la nutrition des os des effets analogues à ceux que 
celle suppression amène dans lœæil, les poumons, la langue et 
dans beaucoup de membranes muqueuses. Après avoir coupé 
tous les nerfs qui se rendent à un membre, il vit les petits vais- 
seaux du périoste et de la moelle se dilater, et au bout de quel- 
ques jours il y avait une hypérémie de ces parties. Cette dilata- 
tion ne tardait pas à amener une altération dans la nutrition de 
l'os et une exsudalion de matière osseuse à sa surface. Mais 
d'un autre côté, en coupant les nerfs d’un membre, il condam- 
nait ce dernier à l’immobilité, et au contraire cette immobilité 
tendait à faire diminuer l'os de volume. Il y a done dans ce cas 
deux forces qui sout en présence; il y à d’une part, une exsuda- 
tion à la surface de los, amenée par la dilatation des vaisseaux ; 
d'autre part, une diminution de volume résultant de l'immobilité 
du membre. 

Chez les jeunes animaux où la nutrilion est très active, cette 
hypertrophie ne tarde pas à se montrer; mais chez les individus 
adultes elle arrive beaucoup plus lentement ; au lien de grossir, 
immédiatement l'os, par suite de l'immobilité, commence par 
diminuer de volume, et ce n'est que six où huit mois après qu'il 
présente la production osseuse dont nous avons parlé. 

M. Schilf, pour mettre en évidence Fhypertrophie de l'os, et 
faire abstraction des effets de l'immobilité, a coupé le nerf maxil- 
laire d’un seul côté; les mouvements de la mâchoire s’exécutaient 
encore, grâce au jeu des muscles de l’autre côté, et la cause qui 
produit l'amincissement n'existait plus. Aussi, au bout de quelques 
jours, on voyail déjà de nouvelles couches osseuses se déposer 
sur l'os primitif, et au bout de quelque temps le côté de la mà- 
choire présentait une épaisseur et une densité considérables. 

J'ai pensé qu'il serait intéressant de rechercher l'influence que 
celle section des nerfs peut avoir sur la composition des os. 
J'ai done soumis à l'analyse des os ainsi hypertrophiés. Voici les 
résultats auxquels je suis arrivé. 


190 ALPHONSE MILNE EDWARDS 


Section du nerf maæillaire inférieur chez un chien de huit mois, sacrifié au boul 


d 


de cinq semaines. Le côté paralysé de la mâchoire est considérablement hyper- 


trophie. ; s 
Côté paralysé, CôLE sain. 

Phosphate de chaux, etc. . . 54,8 52,9 | 
Carbonate de chaux. . . . . . 8,7 10,3 à 

Matière cartilagineuse . . . . 36,5 36,8 

100,0 100,0 

Malière organique. . . . . . . 36.5 36,8 

Matière inorganique . . . . . . 63,5 63,2 


Section de deux nerfs de la jambe chez deux jeunes chiens sacrifiés 
après un mois. 


Côté sain, Côlé paralysé, 

n° {. & n°22. CN É AE 

Phosphate de chaux, ete. . . . 60,7 54,8 61,3 56,3 
Carbonate de chaux : : , . . . 139 6,3 5,2 4,7 
Matière cartilagineuse . . . . . 32,0 38,9 33,5 39.0 
100,0 100.0 100,0 100,0 

Matière organique. . . . . . . 32,0 38,9 33,5 39,0 
Matière inorganique. . . : . . 68,0 61,1 66,5 61,0 


Nous voyons done, comme résultat de ces analyses, que du 
côté paralysé el par conséquent hypertrophié, la proportion des 
sels terreux diminue un peu, et que la quantité de carbonate de 
chaux est de beaucoup plus faible; cela devait être, puisque nous 
avons ici affaire à un os jeune, dont une grande partie vient de se 
former depuis peu de temps, et, comme nous l'avons déjà dit et 
expliqué, en général, chez les jeunes individus, la proportion des 
sels terreux et surtout du carbonate de chaux est plus faible que 
chez les adultes. Cette expérience vient donc encore à l'appui de la 
manière de voir que je suis tenté d'adopter pour expliquer en partie 
la formation du carbonate de chaux. 


ÉTUDES SUR LES 08, 191 


CONCLUSIONS. 


En résumé, les faits que j'ai observés me paraissent conduire 
aux conclusions suivantes : 

4° La substance osseuse est le résultat de la combinaison de l’os- 
séine avec les sels calcaires de l'os. 

2% La gélatine peut former une combivaison chimique particu- 
lière avec le phosphate de chaux basique. 

3 C’est essentiellement ce composé chimique qui paraît consti- 
tuer le tissu osseux. 

h° Le carbonate de chaux des os parait n'être, en majeure 
partie, qu'un produit de la décomposition du phosphate, décompo- 
sition effectuée par les liquides de l'organisme. 

5 Les variations que l’on rencontre dans le rapport des pro- 
portions de phosphate et de carbonate de chaux contenus dans les 
os dépendent, d’une part, de la période plus ou moins avancée de 
là décomposition nutritive de l'os; d'autre part, de l'équilibre entre 
Ja rapidité de cette décomposition et la rapidité de la résorption 
des produits décomposés. 

6° Chez l'enfant la proportion de carbonate de chaux est moins 
considérable que chez l'adulte et le vieillard. 

7° Les os que l’on peut considérer comme de formation récente 
tels que le tissu adventif développé à la suite de blessures du pé- 
rioste ou de la section des nerfs de l'os, le cal, etc., sont moins 
riches en carbonate queles os arrivés à leur état de développement 
parfait. 

8° Le tissu spongieux, tissu qui est en voie de résorption, con- 
tient plus de carbonate de chaux que le tissu compacte. 

9° Chez l'enfant, la proportion des matières terreuses est moins 
forte que chez l'adulte ; mais celte variation ne parait pas dépendre 
d'une différence dans la nature de la substance osseuse, et semble 
tenir simplement au rapport qui existe dans l'os entre la propor- 
tion de cette substance comparée à celle des vaisseaux. 

10° L'influence du régime peut se faire sentir sur la composition 
les os. Des chiens soumis à un régime féculent et sucré ont 


192 ALPIHONSE MILNE EDWARDS. 
présenté moins de matières terreuses et particulièrement moins de 
carbonate de chaux que des chiens nourris exclusivement de viande 
et de matières grasses, tous ces animaux recevant du phosphate de 
chaux à discrétion. 

14° L'arrêt du cours du sang ne parait pas agir sur la compo- 
silion chimique des os. 

42° Les variations que l’on rencontre entre la composition des 
os d'individus différents d’une même espèce sont souventplus con- 
sidérables que celles que l’on voit exister entre les os des animaux 
de divers groupes zoologiques. 

13° Contrairement aux assertions de M. Al. Friedleben, la chon- 
drine et la gélatine, ainsi qu'on l’admettait avant lui, sont bien des 
substances différentes. 


RECHERCHES ANATOMIQUES 
SUR 


L’'ASCALAPHUS MERIDIONALIS, 


Par M. Léon DUFOUR. 


Il est un groupe d'élégants Névroptères qui, jusqu'à ce jour, 
avait éludé mon scalpel, et laissait dans mes recherches d’anato- 
mie entomologique une regrettable lacune : ce groupe est celui 
des Ascalaphiens. Aucun auleur, à ma connaissance, n'a parlé 
de son organisation viscérale. 

Depuis plus d’un grand demi-siècle que j'explore l’entomologie 
de la contrée que j'habite, je n'avais point rencontré un Ascalaphe, 
en sorte que ce fut pour moi et pour la science une bonne fortune 
de l’y découvrir en assez grand nombre pour pouvoir en sacrifier 
plusieurs à la dissection. 

Dans la première semaine de juin de la présente année 1860, 
je fis une excursion botanique fructueuse dans les collines calcaires 
de la commune de Pimbo, à une trentaine de kilomètres au sud= 
est de Saint-Sever, aux confins-du département des Landes avec 
celui des Basses-Pyrénées. Dans cette exploration, mon fils Albert 
saisit, le premier, un individu de l’AÆscalaphus meridionalis, ce 
qui fut l’occasion d’en faire une bonne provision. 

Avant de porter le scalpel dans les entrailles de cet insecte, il 
convient, dans le but d’un contrôle à bon droit, de donner une 
description sommaire de l'espèce, et de dire le peu que l’on sait 
sur ses MŒUrs. 


CHAPITRE I. 
ESPÈCE , MOEURS, STRUCTURE EXTÉRIEURE. 


Les Ascalaphes, par la texture de leur corps, leur composition 
squelettique, leurs habitudes chasseresses, rappellent les Myrme - 
#° série. Zooc. T. XIII. (Cahier n° #) ! 13 


19% L. DUFOUR. 

leo, Osmylus, Nemoplera, qui les avoisinent dans la série géné- 
rique ; mais leurs brillantes ailes étalées horizontalement, leurs 
longues et fines antennes terminées brusquement par un gros 
bouton dont je ferai connaitre bientôt la curieuse structure, des 
yeux partagés, dans la plupart des espèces, par une raipure trans- 
versale, et l’absence d’ocelles les en distinguent, et je partage le 
sentiment de M. Rambur qui veut élever ce groupe à la distinction 
de famille. 

Quand bien même l'analyse des contenta du tube digestif ne 
m'aurait point donné l'irréfragable certitude que l’Ascalaphe est 
insectivore, ses mandibules robustes etincisives, ses pattes courtes, 
fortes el hérissées de poils rudes, ses ongles longs et acérés, et 
ses larges ailes, m'auraient fait présumer que ce volage insecte 
était chasseur de profession, et devait se nourrir d’une proie vi- 
vante. Enfin j'ai eu la triste occasion de constater que des Asca- 
laphes vivants enfermés dans une boîte se sont horriblement entre- 
dévorés. 

Le vol de l’Ascalaphe est rapide, mais de courte durée. Quand 
on ne l'inquiète point, il plane, et franchit peu les limites de son 
habitat normal. A l'approche du danger, lorsqu'on le poursuit, il 
s’abat au milieu des herbes de la prairie, et se faufile si bien à tra- 
vers le gazon en déjetant en arrière ses antennes, qu'il devient 
fort difficile de l'y découvrir. 

Voici la diagnose aphoristique de l'espèce soumise à mes dis- 
sections : 

Ascalaphus meridionalis Charp. ex Rambur, Mévr., Roret, 
p. 34h. 

A. italicus Latr. (non F.), Gen. Ins., I, p. 194. 

À. ilalieus Panz., Faun. germ., fasc. 3, fig. 23 bona. 


Alter villosus ; facie sub antennis griseo densius villosa ; oculo- 
rum sulco transverso ; thorace punctis plurimis, facie macula or- 
bitali flavo-citrinis ; alis anterioribus marginisque interni macula 
flavis, spatio interjecto atro ; posterioribus basi macula magna atra 
postice attenuata, marginem internum attingente ; nervis apicalibus 
nebuloso.obscuris ; pedibus flavo variis, tarsis atris. 


RECHERCHES SUR L'ASCALAPHUS MERIDIONALIS. 4195 

Hab. In variis Galliæ meridionalis regionibus, nempe Brives, 
Saint-Sever, Cauterels, etc. 

Charpentier, et après Jui Rambur, ont distingué, avec raison, 
cette espèce du légitime ttalicus Fabr., avec lequel elle a été con- 
fondue par plusieurs auteurs. J'ai reçu jadis de Passerini (de Flo- 
rence) un couple de l’italicus Fabr., qui diffère surtout du meridio- 
nalis par l'absence de raie noire entre les deux taches jaunes des 
ailes antérieures, et par la grande tache noire des ailes posté- 
rieures qui, dans le meridionalis, s'atténue en pointe , ce qu’a très 
bien représenté Panzer, tandis que dans l’italicus cette même 
tache est arrondie et même un peu échancrée. 

Les archives de la science sont absolument mueltes sur les mé- 
tamorphoses, les habitudes, les amours des Ascalaphes, qui se 
bornent à faire l’ornement de nos collections. Leur anatomie 
pourra nous révéler quelques traits de leur vie privée, et provo- 
quer ainsi les investigations. 

M. Rambur, dans ses Généralités sur les Myrméléonides, parle 
d’une larve du midi de la France qui aurait des poils courts, ren- 
flés, des tubercules latéraux hérissés, des pattes très courtes, la 
tête excavée et des ocelles. Ce savant entomologiste demande si 
cette larve n’appartiendrait pas à un Ascalaphe : adhuc sub judice 
lis est. 

Les antennes qui forment le trait le plus caractéristique du genre 
Ascalaphus méritent de nous arrêter un instant. Leur longueur 
dépasse celle du corps de l’insecte ; elles sont d’une finesse extrême, 
parfaitement glabres, terminées par un gros bouton abrupt plus 
ou moins ovoide durant la vie. La tige se compose d’une trentaine 
d'articles pour la plupart oblongs, cylindriques, avec un renfle- 
ment terminal brusque, ce qui à la loupe leur donne l’aspect toru- 
leux ou noueux. Au voisinage de leur insertion à la tête, ces 
articles plus courts, plus rapprochés, se prêtent plus spécialement 
aux mouvements généraux de l'antenne, à sa projection en avant 
ou en arrière. Contre l’assertion de M. Rambur, malgré les inves- 
tigations serupuleuses d’ane loupe bien éclairée, je n’ai jamais 
constaté que le premier de ces articles füt vésiculeux. Je lui ai 
trouvé, avec un peu plus de grosseur, la texture et la solidité des 
articles suivants. 


196 L. DUFOUR. 

Les antennes des Ascalaphes sont de véritables balanciers, des 
avirons aériens propres soit à diriger le vol, soit à favoriser la sta 
üon atmosphérique et l’action de planer. 

Mais il était réservé au scrulateur de la fine anatomie des insectes 
de révéler dans ce bouton terminal des antennes autre chose qu'une 
forme capricieuse, d'y découvrir une texture, une organisation 
intime et des fonctions tout à fait inaperçues aux entomologistes. 
Ce bouton ne saurait être bien étudié que sur le vivant, où mieux 
encore après une convenable macéralion, pourvu qu'il n'ait pas 
été préalablement desséché. Dans ces conditions, il est composé 
d’une douzaine de cerceaux annulaires opaques, noirâtres, séparés 
par autant d'intersections linéaires, blanchâtres, membraneuses 
ou fibro-membraneuses, qui permettent aux cerceaux de s’écarter, 
de se rapprocher, de manière à faciliter le développement, le ren- 
flement subvésiculaire du bouton. C’est alors que celui-ci prend 
une configuration ou ovoïde, ou turbinée, ou ellipsoïdale, et que 
l'on constate mieux à son bout antérieur un petit appendice subulé, 
noirâtre, formant comme une clef de voüte. 

En ouvrant par déchirement cette capsule antennaire, j'ai re- 
connu dans son intérieur une pulpe spéciale très délicate, qui m’a 
paru, par son incoloration, de nature nerveuse, et où le microscope 
décèle d’imperceptibles trachéoles nutritives. 

Ce bouton, par sa pulpe intérieure, par la composition de son 
enveloppe dilatable et peut-être érectile, fait naître l’idée d'un or- 
gane, d'une fonction. J'aila conviction intime qu'il est le siége des 
deux sens, de l’ouïe et de l'odorat. J'ai déjà en 1850 (Annal. Soc. 
Lin. de Bordeaux) publié en commun, avec mon savant ami Perris, 
un petit travail sur cette double fonction dans les insectes. Un 
jeune naturaliste, d’une rare sagacité dans les investigations mi- 
croscopiques, M. le docteur Ch. Lespés, a pénétré l’organisation 
texturale des articles terminaux des antennes où réside la faculté 
de l'audition. 11 y a découvert, à la lueur des plus fortes lentilles 
amplifiantes, des points d’une organisation fort singulière. Toute— 
fois cette question ardue demeure encore pendante. 

Quant au cumul dans le même organe des deux fonctions de 
l'ouie et de l’odorat, me bornant pour le moment au bouton de 
notre Ascalaphe, je rappellerai que les agents qui président à 


RECHERCHES SUR L'ASCALAPHUS MERIDIONALIS. 197 
l'exercice physiologique de ces deux sens sont transmis par l'air. 
Pour l’ouïe, c’est le simple ébranlement, la succussion du fluide 
atmosphérique seul qui transmet le son. Pour l’odorat, c’est ce 
même ébranlement d’un air chargé d'atomes odorifiques qui pro- 
voque la fonction. Dans l'un et l’autre cas, les nerfs de ces articles 
antennaires transmettent l'impression à l’encéphale. 


CHAPITRE II. 


ANATOMIE. 


$ I. — Appareil sensitif. 


Comme le système nerveux dans les insectes ne varie, quant au 
nombre des ganglions, ni dans les genres d’une même famille, ni 
dans les familles d’un même groupe naturel, il doit avoir dans 
l’Ascalaphus la même composition que dans l'Osmylus, qui lui est 
contigu dans la classification, et dont j'ai représenté cet appareil 
dans un mémoire relatif à ce dernier Névroptère (Ann. sc. nat., 
1848), c'est-à-dire qu'il y existe un cerveau, trois ganglions 
thoraciques et six ganglions abdominaux. 

Malgré des dissections réitérées, je dois dire que je ne suis 
point parvenu à mettre en évidence dans son intégrité la chaîne 
ganglionnaire de l’Ascalaphe. J'ai parfaitement vu le cerveau avec 
ses lobes optiques, ainsi que le premier ganglion thoracique et les 
quatre derniers abdominaux; les autres m'ont échappé. 

© J'ai été assez heureux pour enlever la cornée aréolaire des 
veux sans blesser la pulpe oculaire sous-jacente; celle-ci avait 
conservé la forme ovalaire de l'œil, et elle m'a présenté un fait 
remarquable qui vient confirmer la validité d’un trait extérieur 
signalé par M. Rambur. Ce trait extérieur est une rainure trans 
versale qui partage la cornée du globe oculaire en deux parts iné- 
gales. Ce caractère a servi au savant que je viens de nommer pour 
établir deux divisions dans les espèces du genre Ascalaphus. 
fallait le secours du scalpel pour donner à ce caractère extérieur 
une confirmalion analomique qui en corroborât la solidité. La 
rainure dela cornée correspond à une intersection fibro-membra- 


195 L. DUFOUR. 


neuse de la pulpe optique. La lentille grossissante la plus seru- 
puleuse ne trouve pas à cette intersection la moindre trace des 
divisions opliques si nombreuses à la surface des deux portions de 
celle réline. 

Cette intersection traverse done de fond en comble toute l’épais- 
seur de la grande masse optique, et constitue ainsi pour chaque 
côté deux yeux aussi distincts par la rainure externe que par l’in- 
tersection rétinale. Cette constatation du scalpel témoigne haute- 
ment de la sagacité entomologique de M. Rambur, en même temps 
qu’elle confirme la valeur des conformités du squelette extérieur 
avec les viscères qu'il sauvegarde. La surface optique présente 
entre les ocellaires qui la hérissent une teinte blonde due à un léger 
pigmentum. 

La traverse cérébrale qui unit les deux hémisphères m'a paru 
percée au milieu d'un trou qui donne passage à l’œsophage, et 
constitue le collier æsophagien. 

Au sortir du crâne, le cerveau se continue en deux cordons 
rachidiens, qui relient entre eux les ganglions, comme daps Ja 
généralité des insectes. La figure me dispense d’autres détails. 


$ II. — Appareil respiratoire. 


A. Stigmates. — a. Stigmates abdominaux. — Je me vois 
contraint de répéter ici ce que j'ai déjà avancé dans l'anatomie de 
l'Osmylus , c'est que mes investigations les plus obstinées ne me 
les ont pas fait découvrir à l'abdomen de ce dernier Névroptère, 
non plus qu'à celui de l’Ascalaphus. Déjà, dans mon Anatomie 
des Névroplères (Mém. Acad., 1840), j'avais, d'accord avec le 
célèbre Sprengel, déclaré que, dans nos plus grands Névroptères, 
Libellula, Æshna, ainsi que dans les Ephemera , les stigmates 
abdominaux n'existent point, tandis que je les avais positivement 
trouvés dans les Myrmeleo et Phryganea. M. Fréd. Brauer (Bull. 
Soc. z0ol.-bot. de Vienne, 1855) avance que, dans l’Ascalaphus et 
la Mantispa, il existe six paires de stigmates à l'abdomen. Cette 
assertion, quoique trop brièvement généralisée et dépourvue de 
pièces à l'appui, ne laisse pas que de jeter quelque défiance sur 


RECHERCHES SUR L'ASCALAPHUS MERIDIONALIS. 199 


ma négation de ces stigmates dans l’Ascalaphus, et de tenir en 
suspens mon jugement définitif sur cette question toute microsco- 
pique. Je dirai toutefois, à l'appui de mon opinion négative, que, 
dans les autopsies scrupuleuses des viscères abdominaux de l’Asca- 
laphus, je n’ai point saisi cette disposition des trachées, qui ramè- 
nerait celles-ci à des troncs prenant leur origine à des stigmates 
latéraux. 

b. Stigmales thoraciques. — Quoique je ne les aie pas constatés 
eæ visu, je n’élève aucun doute sur leur existence démontrée par 
les trachées intra-thoraciques, dont les troncs partent des flancs 
de cette cavité. 


B. Trachées. — Ces vaisseaux de la circulation aérifère appar- 
tiennent presque tous à l’ordre des trachées tubulaires ou élas- 
tiques. Leur distribution n'offre rien de particulier ; mais on peut 
constater ici, comme dans la généralité des insectes, que Ja valeur 
physiologique des appareils organiques se mesure à la fréquence 
des vaisseaux nutrilifs. Aussi les trachées forment-elles un lacis 
inextricable autour des organes de la génération et de la digestion. 

Mais ce qui vient encore à l'appui de ma négation des stig 
mates abdominaux dans l’Ascalaphe, c'est l'existence de deux 
énormes troncs trachéens, rapprochés lun de l’autre pour franchir 
le détroit thoraco-abdominal ; ils vont constituer sur les flancs de 
l'abdomen les deux grandes trachées latérales, d’où émanent tous 
les rameaux et ramuscules qui vont insuffler la vie dans tous les 
viscères, dans tous les tissus. Évidemment, ces deux énormes 
troncs trachéens partent des stigmates thoraciques. 

Mais en ouvrant soigneusement le crâne de l’Ascalaphe récem- 
ment privé de vie, on y constate, sinon de véritables trachées 
utriculaires où membraneuses, du moins plusieurs dilatations des 
trachées élastiques qui servent de ballons aérostatiques , soit pour 
équilibrer les balanciers antennaires dans la progression aérienne, 
soit pour faciliter la station atmosphérique dans le but de viser 
une proie. 


200 L. DUFOUR. 


$ II. — Appareil digestif. 


C'’estune des plus vives satisfactions pour l’anatomiste des 
petits comme des grands organismes, de confirmer ces saisissantes 
conformités organiques, ces sublimes lois d'harmonie des actes 
de la vie extérieure, présidés par les instruments des cavités 
splanchniques. Rien n’encourage plus le scalpel que les consé- 
quences physiologiques qui découlent de ces anatomies com- 
paratives. Jai déjà dit que la composition et la structure du sque- 
lette tégumentaire de l’insecte traduisaient d'avance son genre de 
vie. L'appareil digestif de l’Ascalaphe va mettre en lumière cette 
vérité. Cet appareil consiste en glandes salivaires, tube alimentaire, 
vaisseaux hépatiques. 


A. Glandes salivaires. — Quoique simples, comme celles du 
Myrmeleo, de l'Osmylus et du Sialis, elles en diffèrent généri- 
quement. Dans ces trois derniers Névroplères, la glande se 
termine en arrière par un vaisseau sécréteur grêle suivi d’un 
réservoir renflé. Dans l’Ascalaphe, l’organe chargé de la sécrétion 
estune capsule ovale-oblongue, dont les parois élaborent l'humeur 
salivaire et dont la cavité est le réservoir. Cette capsule est munie, 
en avant, d’un col capillaire plus long qu’elle et les deux cols con- 
fluent dans la tête en un canal exeréteur fort court, s’ouvrant dans 
la bouche. Les figures rendent tout cela sensible. 


B. Tube alimentaire. —Ainsi que dans les animaux carnassiers 
de tous les ordres, il est court, c’est-à-dire que sa longueur ne 
dépasse point celle du corps et il n’a point de flexuosités. 

L'œæsophage, d'abord d’une ténuité capillaire, se dilate dans le 
thorax en un jabot plus ou moins prononcé, suivant quelques con- 
ditions digestives. Ce jabot, purement musculo-membraneux, 
reçoit en arrière, mais latéralement, une panse de même texture 
que lui, et dont le développement est fort variable. Dans l'état de 
vacuité elle devient presque insaisissable. Dans des individus qui 
en captivité avaient dévoré leurs semblables, je lai vue occupant 
le tiers antérieur de la cavité abdominale, et pleine d’une bouillie 


RECHERCHES SUR L'ASCALAPHUS MERIDIONALIS. 201 
noirâtre où la loupe reconnaissait les débris tégumentaires de la 
victime. 

Entre le jabot et le ventricule chylifique, un œil pratique aper- 
çoit un petit gésier ovalaire, d’une teinte légèrement roussâtre, qui 
au tâtonnement de l’épinglea une consistance élastique, témoignant 
d'une texture apte à la trituration. L'intérieur de ce gésier offre 
effectivement à son orifice antérieur une série circulaire de huit 
écailles brunes, coriacées, ovalaires formant par leur connivence 
une véritable valvule pylorique. Ces écailles se continuent sur la 
paroi interne du gésier par autant de fines paillettes roussâtres, 
où mes plus fortes lentilles n’ont pu découvrir ni dents ni aspéri- 
tés. Je constate seulement entreles écailles valvulaires un plan mus- 
culaire plus prononcé. 

J'ai cent fois, dans le cours de mes microtomies, provoqué l’ad- 
miration sur ces petites machines organiques à trituration, et 
j'y reviens toujours avec complaisance. La physiologie de ces 
organismes si infimes est soumise aux mêmes lois, aux mêmes 
applications rationnelles que celle des animaux le plus haut placés 
dans l'échelle. Ce presque imperceptible pylore de l’Ascalaphe a 
son mode de sensibilité, son degré de contractilité qui le font 
s’entr'ouvrir pour admettre les atomes bien élaborés de la première 
digestion stomacale, tandis qu'il demeure fermé dans la condition 
contraire. 

Le ventricule chylifique est grand, vu la taille de l’insecte et 
comparativement aux autres parties de l’appareil digestif; il est 
droit, conoïde, blane, d’une texture souple et molle, marqué d’es- 
pace en espace de contractures annulaires déterminées par des 
rubans musculeux. Sa surface est hérissée de très courtes papilles 
bien sensibles au microscope. 11 renferme un liquide brun invi- 
sible à l'extérieur, ce qui prouve l'épaisseur de ses parois, Son 
extrémité postérieure présente un anneau sombre qui dénote une 
valvule intérieure dont je parlerai bientôt. 

C'est après cette valvule que naît brusquement l'intestin sterco- 
ral. Celui-ci , d’abord cylindrique, se dilate bientôt en un cæcum 
ou rectum, comme on voudra, remarquable par six disques mus- 
euleux ovalaires plus blancs, plus compactes que la tunique qui les 


202 L. DUFOUR. 

supporte et disposés annulairement, peut-être sur deux rangées. 
Ces disques où muscles orbiculaires sont entourés d’un fin cer- 

ceau brun, où se fait l’attache des fibres; et ce sont eux qui, par 

leur contraction énergique, provoquent Pexpulsion des matières 

stercorales. Je me suis convaincu que celles-ci sont des crottes 

oblongues dures et noirâtres. 


C. Vaisseaux hépatiques. — Ces organes de la sécrétion biliaire 
sont, ainsi que ceux des Myrmeleo, Osmylus, Nemoptera, au 
nombre de huit, à bouts libres et flottants. Proportionnellement 
plus longs que ceux de la plupart des Névroptères, ils enlacent de 
leurs inextricables flexuosités tous les viscères, tous les tissus. 
Loin d’avoir cet aspect qui les faisait désigner par Malpighi sous le 
nom de vasa varicosa, ils sont lisses el unis. Leur longueur 
semble remplacer les varicosités, et dans les deux cas c’est une 
multiplication de la surface sécrétoire. La couleur de ces vaisseaux 
est constamment blanchätre ; je n’y ai jamais vu une bile ni verte, 
ni jaune, ni brune, Ils se fixent isolément autour d’un cerele bru- 
nâtre qui termine le ventricule chylifique ; c’est là le siége de la 
valvule ventriculo-intestinale, qui correspond à la valvule iéo- 
cœæcale des animaux supérieurs. Formée sur le plan de celle du 
pylore, on y constate huit écailles brunâtres, ovalaires, à chacune 
desquelles a lieu l'insertion des vaisseaux hépatiques. Ces écailles 
se prolongent en autant de filets roussätres qui rampent sur la pa- 
roi interne de la première portion de l'intestin. 


APPENDICE. 


TISSU ADIPEUX SPLANCHNIQUE. 


Dans toutes mes autopsies entomolomiques, j'ai signalé ce tissu 
comme se ratlachant évidemment à la nutrition. Il consiste, dans 
V’Ascalaphe, en nappes ou guenilles d’une graisse fine, d’un blane 
à peine jaunâtre, contenue dans des sachets fort grêles qui pour- 
raient en imposer pour des vaisseaux. Enchevètrés par des ramus- 
cules trachéens et nerveux, ces sachets sont répandus partout et 
protégent de leur édredon la délicatesse des organes, en même 


RECHERCHES SUR L'ASCALAPHUS MERIDIONALIS. 203 


temps qu'ils activent peut-être leurs fonctions. J'ai remarqué que 
ce tissu adipeux prenait, en revêtant les muscles du thorax, une 
teinte bistrée. 

Dans les temps de disette, lorsque les pluies prolongées s’op- 
posent à la chasse du menu gibier dont l’Ascalaphe se nourrit, 
cette pulpe graisseuse résorbée, comme celle des animaux hiber- 
nants, vient suppléer le manque de vivres, et maintient ainsi un 
cerlain temps l'existence de ces frêles volatiles. 


$ IV. — Appareil génital. 


A. Appareil génital mâle. — A l’époque de ma chasse aux 
Ascalaphes, dans la première semaine de juin, les mâles étaient 
tellement rares, que je ne pus en soumettre à la dissection que deux 
ou trois. 

On sait qu'au temps des métamorphoses des insectes, les mâles 
éclosent toujours les premiers, afin que les femelles plus tardives 
les trouvent en état de satisfaire au vœu de la prévoyante nature, 
à la reproduction de l'espèce. A l’époque dont je viens de parler, 
les femelles, qui toutes avaient subi l'approche des mâles, étaient 
dans une gestation avancée, tandis que ces derniers, en quelque 
sorte épuisés, étaient loin d'offrir celle turgescence séminale qui 
se prête à l’évolution des divers organes de l'appareil génital, et 
qui facilite ainsi les investigations de l’anatomiste. Il est résulté de 
là, et je dois cet aveu à la science, que mes dissections laissent à 
désirer sur quelques-uns de ces organes, et notamment sur les 
vésicules séminales et l'armure copulalrice. 

a. Testicules. — Placés de chaque côté de la base de la cavité 
abdominale, ils y sont fixés pour ainsi dire inamoviblement par un 
lacis de trachéoles, de nerfs et de tissu adipeux. Chacun d'eux se 
présente sous la forme d’une glande lisse, unie, ovale-oblongue, 
arrondie aux deux bouts, d’un blanc mat avec une légère teinte 
flavescente. Quand on parvient à déchirer adroitement sa tunique 
extérieure, on reconnaît qu'il est essentiellement constitué par 
une grappe, où mieux un épi serré müriforme, de capsules spermi- 
fiques vésiculaires, ovoïdes, sessiles, plus ou moins transparentes. 


204 L. DUFOUR. 


b. Conduits déférents. — Chacun d'eux, simple, droit et d’une 
finesse capillaire, a quatre fois au moins la longueur du testicule, 
I ne part pas précisément du bout postérieur de celui-ci, comme 
on pourrait le croire en l’examinant sur place, mais il s’insère en 
dessous, un peu avant ce bout, ainsi que l'indique la figure que 
j'en donne. 

ce. Wésicules séminales. — Je me suis déjà expliqué relativement 
à la cause de mes doutes sur ces vésicules. J’ai seulement constaté 
au bout de la cavité abdominale deux agglomérations arrondies, 
rapprochées et presque confondues, de petites utricules ovoïdes et 
sessiles, remplies d’un liquide prolifique. J’ignore complétement 
les connexions de ces vésicules, soit entre elles, soit avec les con- 
duits déférents, soit enfin avec le canal éjaculateur. 

On sait que le mâle des Ascalaphes se distingue extérieurement 
de l’autre sexe par la saillie, au bout de l'abdomen, d’un forceps 
dont les branches cornées et velues sont modérément arquées, et 
peuvent former par leur connivence une pince, une lenaille des- 
tinée à saisir, à retenir l'abdomen de la femelle dans l'acte de la 
copulation. 


B. Organe génital femelle. — a. Ovaires. — Chacun d'eux con- 
sisle en un faisceau de dix gaînes ovigères multiloculaires, où l’on 
compte de vingt-cinq à trente œufs ou germes. Ce faisceau, quand 
il demeure logé dans l’étroite cavité abdominale, est allongé, mais 
hors de celle-ci il prend de l'ampleur, comme tous les viscères 
qui pendant la vie sont emprisonnés dans une enceinte hermétique, 
et il devient conoïde, ainsi que le représente la figure. A la pointe 
du faisceau les gaines ovigères convergent en un ligament suspen- 
seur propre, et celui-ci, réuni à son congénère, forme le ligament 
suspenseur commun, qui se fixe dans le thorax. 

Payons encore ici un juste tribut d'admiration à la sage pré- 
voyance de la nature, qui maintient dans de convenables limites ces 
organes dépositaires des germes de la vie de l'espèce, et qui sait 
lutter si efficacement contre le volume et la pesanteur progressifs 
d'une active gestation. 

En arrière, les gaines ovigères s’abouchent isolément à un 


RECHERCHES SUR L'ASCALAPHUS MERIDIONALIS. 205 


calice cupuliforme, l’'émule d’une matrice, desliné au séjour mo- 
mentané, à la complète maturation des œufs à terme. Les deux 
calices plus où moins atténués en cols s'unissent en arrière pour 
former l’oviducte. 

Les œufs sont assez gros, ovalaires, obtus et blancs. 

La quantité des œufs ou des locules germifères, donne la 
mesure de la fécondité de l’insecte. En calculant sur le chiffre 
exprimé plus haut, chaque femelle d’Ascalaphe pourrait pondre de 
cinq à six cents œufs. Il y a certes là de quoi perpétuer l'espèce, 
mais il faut tenir comple de beaucoup de chances de réduction, et 
par l’intempérie des saisons, et par les parasites décimateurs que 
nous ne CONNAISsONS pas. 

b. Poche copulatrice. — On sait, surtout depuis Audouin, que 
cette poche destinée à recevoir le pénis dans l'union des sexes 
devient, après l’accomplissement de celle-ci, le réservoir de la 
liqueur prolifique qui doit, lors de la ponte, donner le baptême de 
la fécondation aux œufs qui passent à sa portée. 

Placée snr la face dorsale de l’oviducte, elle consiste en un sac 
arrondi, sessile, blanchâtre, d’un aspect charnu, mais creux en 
dedans. Au dos de ce sac est couchée une baguette, peut-être un 
étui, cornée, brunâtre, comme déprimée, paraissant s’insérer à la 
partie postérieure du sac. 

Celle singulière baguette, dont j'ai retrouvé l’analogue à la 
poche copulatrice de quelques autres insectes, a, je le sens, besoin 
d'être mieux étudiée pour en bien faire connaitre et la structure et 
les attributions physiologiques. 

c. Glandes sébifiques. — Indépendantes de la poche copulatrice 
qui les avoisine, ces glandes binaires occupent l'extrémité de la 
cavité abdominale, et sont destinées à fournir un enduit, un ver- 
nis conservateur aux œufs au moment de la ponte. Celle précau- 
tion de la nature semble indiquer que les œufs de l’Ascalaphe 
doivent être pondus dans un milieu où, sans cet enduit préserva- 
teur, ils seraient exposés à s’altérer et à compromettre ainsi la 
destinée de l'espèce. Or, comme c'est dans des prairies basses que 
séjournent ces gracieux Névroptères, il n’est pas improbable que 
leurs œufs soient déposés dans une terre humide. Les larves qui 


206 L. DUFOUR. 


en naissent doivent done avoir un genre de vie très différent de 
celui, par exemple, de leurs voisins classiques, les Myrméléons, 
qui recherchent les lieux secs et sableux pour y confier leur pro- 
géniture. On voit que l'anatomie bien comprise des insectes peut 
mettre sur la voie de plusieurs de leurs habitudes. 

Chaque glande sébifique de l’Ascalaphe est organisée comme la 
plupart des glandes de la généralité des insectes. Aïnsi on y 
reconnait : 1° un vaisseau sécréleur consistant en un boyau grêle, 
d’une finesse plus que filiforme, d’une consistance quelque peu roïde 
ou calleuse, offrant près de son bout flottant deux ou trois rameaux 
courts et simples, des espèces de bourgeons; 2° un réservoir qui 
n’est que la dilatation oblongue et légèrement rembrunie du vais- 
seau qui le précède ; 3° un conduit excréteur fort court, résultant 
de l’union des cols des deux réservoirs. Il s’insère à l'extrémité de 
l’oviduete tout près sans doute de la vulve par laquelle sont pon- 
dus les œufs. 

Lorsqu'on exerce sur le bout de l'abdomen d’une femelle 
vivante ou récemment morte, une compression expulsive ména- 
gée, on voit saillir au voisinage de l'anus deux pinces tégumen- 
taires arrondies et velues. Cesont les panneaux ou les lèvres de la 
vulve, qui, dans le repos, demeurent rétractées et invisibles. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


Toutes considérablement grossies. 


PLANCHE 1. 


Fig. 4. Tête et appareil digestif de l'Ascalaphus meridionalis. — a, tête et an- 

- tennes étalées ; b, glandes salivaires; e, œsophage et jabot: 4, panse latérale ; 
e, gésier; /, ventricule chylifique ; gg, les huit vaisseaux hépatiques ; h, intes- 
tin stercoral; i, cæcum ou rectum avec les ‘disques musculeux: , dernier 
segment dorsal de l'abdomen de la femelle. 


Fig. 2. Bouton de l'antenne encore plus grossi, pour mettre en évidence et les 


RECHERCHES SUR L’ASCALAPHUS MERIDIONALIS. 207 


cerceaux noirâtres et les intersections linéaires membraneuses, et une portion 
de l’article terminal du filet de l'antenne. 


Fig. 3. Glande salivaire détachée. 


Fig. 4. Portion détachée de l'origine du tube alimentaire, où l'on voit le jabot, 
la panse, le gésier et le début du ventricule chylifique avec ses courtes pa- 
pilles. 


Fig. 5. Gésier ouvert et renversé pour mettre en évidence la composition de 
la valvule pylorique. 


Fig. 6. Extrémité du ventricule chylifique et de l'origine de l'intestin, ouverte 
et renversée pour faire voir les écailles de la valvule ventriculo-intestinale, 
les insertions des vaisseaux hépatiques et les filets calleux qui rampent sur la 
tunique de l'intestin. 

Fig. 7. Portion du système nerveux ganglionnaire. — a, cerveau; bb, grands 
optiques où se voient, et les optiques ocellaires et l'intersection transversale 
qui partage l'œil en deux ; c, æsophage et son passage dans le collier œso- 
phagien ; d, premier ganglion thoracique ; æee, les quatre derniers ganglions 
abdominaux. 


Fig. 8. Appareil génital du mâle. — aa, testicules avec leur tunique vaginale : 
bb, conduits déférents ; cc, vésicules séminales ; d, dernier segment dorsal 
de l'abdomen avec son forceps copulateur. 


Fig. 9. Testicule détaché et dépouillé de sa tunique vaginale, pour mettre en 
évidence les capsules spermifiques et l'insertion du conduit déférent. 


Fig. 40. Appareil génital femelle. — a, ovaire en faisceau conoïde; b, ovaire 
avec ses dix gaînes ovigères séparées ; c, ligament suspenseur propre ; 
d, ligament suspenseur commun ; ee, calices avec des œufs à terme ; f, po- 
che copulatrice ; gg, glandes sébifiques ; 4, dernier segment dorsal de l'ab- 
domen ; i, panneaux ou lèvres de la vulve. 

Fig. 44. Portion détachée de la partie postérieure de cet appareil ; aa, cols des 


calices où matrices; b, oviducte; c, poche copulatrice avec sa baguette 
cornée ; dd, glandes sébifiques avec le conduit excréteur. 


PUBLICATIONS NOUVELLES. 


Mémoires pour servir à l'histoire naturelle du Mexique, des Antilles et 
des États-Unis, par M. Henri pe Saussure. Deuxième partie: Essai 
d'une Faune des Myriapodes du Mexique. In-4°, Genève, 1860, avec 
7 planches. 


M. H. de Saussure, qui avait déjà rendu d'importants services à l'entomologie 
par ses travaux sur les Hyménoptères, a recueilli, dans un voyage au Mexique, 
beaucoup d'objets nouveaux pour la science, et dans un premier fascicule de 
l'ouvrage que nous annonçons ici, il a fait connaître les Crustacés de cette partie 
du nouveau monde. Dans ce second mémoire, il s'occupe des Myriapodes du 
Mexique, qui jusqu'ici appartiennent tous, soit à la famille des Polydesmides et 
à celle des Iulides, soit à une division nouvelle établie par l'auteur sous le nom 
d'Oniscodesmides, et comprenant les genres Glomerodesmus et Oniscodesmus de 
M. Gervais. On trouve dans ce travail d'autres vues nouvelles sur la classification 
des Myriapodes et une étude très approfondie de beaucoup d'espèces, dont la 
plupart n’avaient pas encore été cataloguées par les entomologistes. 


Faune malacologique girondine." Essai sur la distribution géographique, 
orographique et statistique des Mollusques terrestres et fluviatiles 
vivants du département de la Gironde, par M. GrareLour. In-8°, Bor- 
deaux, 1858-1859. 


En 1827, M. Ch. Desmoulins donna un catalogue de ces Mollusques, et depuis 
lors MM. Gassies et Fischer ont publié diverses notes relatives au même 
sujet. Dans le travail que nous annonçons ici, M. Grateloup a mis à contribu- 
tion ces ouvrages de ses prédécesseurs, et a consigne beaucoup d'observations 
nouvelles qui lui sont propres. Cette faune locale sera donc très utile aux natura- 
listes qui s'occupent de la malacologie de la France. 


Description de quelques fragments de deux Céphalopodes gigantesques, 
par M. HarrTiNG. In-4°, Amsterdam, 1860. 


Dans ce mémoire, publié par l'Académie des sciences d'Amsterdam, l'auteur 
décrit et figure divers fragments de deux Céphalopodes gigantesques trouvés 
dans l'estomac d'un Requin de l'océan Indien. Il passe ensuite en revue les 
diverses observations faites précédemment sur des objets analogues. 


Recherches tératologiques sur l'appareil séminal de l'homme, par 
M. E. Goparp. In-8°, Paris, 1860. 


Dans ce travail, accompagné de 14 planches, l'auteur s'occupe principale- 
ment de l’absence congénitale, soit du testicule, soit du canal excréteur et du 
réservoir séminal. 

Beitrage zur Entwickelungsgeschichte der Pteropoden und Hetero- 
poden (Contribution pour l'histoire du développement des Ptéropodes 
et des Hétéropodes), par M. A. Kroux. In-4°, Leipzig, 1860, avec 
2 planches. 

Les recherches de M. Krobn portent sur les Clio, les Cymbulies et les Firoles, 


Les larves de tous ces Mollusques ressemblent beaucoup à celles des Aplysies 
et de la plupart des autres Gastéropodes, 


MÉMOIRE 


SUR 


L'ANATOMIE ET L’EMBRYOGÉNIE DES VERMETS, 


(VERMETUS TRIQUETER et V. SEMISURRECTUS Phil.) 


Par H. LACAZE DUTHIERS. 


PREMIÈRE PARTIE. 


ANATOMIE. 


En cherchant aux environs de Bonifacio pendant un été que j'ai 
en partie passé en Corse, je rencontrais des Vermets sur les 
roches quelque peu submergées des découpures de la côte des 
Bouches, depuis le phare de Pertuzato jusqu'au Cap, en face des 
iles de Lavezzi, devenues si tristement célèbres par le malheureux 
naufrage de la Sémillante. C'était au mois de mai et au commen- 
cement de juin. En détachant les individus des rochers où ils 
s'étaient fixés, souvent leur coquille se brisait et me présentait 
une série assez régulièrement disposée de petites vésicules remplies 
d'œufs. J’eus le désir, mais sans pouvoir le satisfaire en Corse, 
de suivre le développement. Entraïîné à faire des excursions au 
milieu des flottiles des Corailleurs, le temps et les études suivies, 
continues, nécessaires à l’'embryogénie, me manquèrent. Ce ne 
fut qu'à Mahon de Minorque, que je pus reprendre ces travaux ; 
je m’aperçus bientôt, en effet, dans cette localité de la présence 
d’un nombre immense de Vermets. 

Dans quelques anfractuosités du beau port de la capitale de 
Minorque , il était fort pénible de se livrer à la recherche des 
Mollusques nus et des autres animaux dont je poursuivais l'étude 

4° série, ZooL. T. XIII. (Cahier n° 4.) ? 1% 


210 H. LACAZE-DUTHRIERS. 


en raison des blessures aux mains, aux pieds, aux jambes, que me 
faisaient les tubes saillants, tranchants ou aigus des Vermets. 
L'une des anfractuosités, en particulier la T'auléra, avait ses 
pierres à peu près couvertes de tubes contournés de trois espèces 
au moins de Vermets. A l'époque, fin de juin, juillet et août, où 
j'étais à Mahon, la reproduction s’accomplissait ; je pus done 
continuer ce que j'avais commencé à étudier à Bonifacio. 


Les Vermets d’ailleurs excitent avec juste raison la curiosité ; 
il est intéressant de rapprocher d’une étude anatomique un travail 
sur le jeune embryon. Ces recherches faites parallèlement ne 
peuvent que conduire à de bons résultats ; je les entrepris donc, 
le temps seul en a retardé la publication. 


Les espèces qui ont servi à ces études sont peu variées. Sur 
les côtes de Corse, le Vermet géant (Vermetus gigas mivona) 
s'était présenté à mon observation ; à Mahon, je n’ai pu le ren- 
contrer dans le port; c’est done à une autre espèce qu'il faut 
rapporter les descriptions. 

Le Vermetus triqueter (1) a surtout servi aux disseclions et aux 
observations d’embryogénie. Il était mêlé constamment dans la 
T'aulera, derrière le Môle, avec le Vermetus semisurrectus (2) et le 
petit Vermet (7/ermetus subcancellatus) (3), dont la coquille noire 
s'enroule en spirale, se déjetté obliquement sur une côte, et 
s’accole aux pierres, tout en se redressant dans un point où elle 
reste saillante et libre. Je dois avouer que la petitesse de cette 
dernière me l’a fait négliger. 

Pour les travaux que l’on exécute en voyage, il me paraît né- 
cessaire de conserver des échantillons, afin de revoir, au moment 
de la publication, les choses que l’on à observées , dessinées et 
décrites. 


(1) Pour la détermination des espèces, j'ai consullé l'ouvrage de Philippi # 
Enumeralio Molluscorum Siciliæ, t. 1. Ce Vermet est décrit et figuré pl, IX, 
fig. 21, p. 470, n°2. 

(2) Voy. Philippi, p. 474, pl. IX, fig. 49, n° 8. 

(3) Voy, ibid, p.172, pl, IX, fig. 20, n° 5. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 214 
Les animaux que j'avais rapportés ne m'ont pas servi comme 
je l'espérais pour résoudre certaines questions, par conséquent 
il restera quelques doutes. Ils étaient sortis de leur tube et ne 
pouvaient plus être rapportés sûrement à ceux que les conchy- 
liologistes ont nommés 7”, triqueter et F. semisurrectus. Il reste 
done des desiderata; ils seront indiqués plus loin quand il sera 
question du manteau et de quelques autres organes. 


Au moment de partir pour un séjour peut-être long sur les 
bords de la Méditerranée, j'espère pouvoir combler cette lacune 
qui, dans une note très succincte, se trouvera plus lard dans les 
Anna les, | 

Quelques points de détails relatifs à l’organisation ont été, à 
dessein, peu développés, Il eût été difficile de pouvoir arriver à 
des résultats positifs ; le temps, qui nous fait si souvent défaut, 
ayant manqué, il est préférable d'annoncer les desiderata, ainsi 
que l'intention comme la nécessité de les combler. 

Le système nerveux est complétement étudié el décrit ; de même 
que les organes reproducteurs, peut-être la structure de l'ovaire 
devrait être un peu étendue, la description de la bouche a été 
laissée aussi de côté , car M. Troschel s'occupe activement d’une 
publication importante relative à ce point. 

Il eût été utile de pousser plus loin la recherche des artérioles. 
Quant à la circulation veineuse, elle laisse beaucoup à désirer ; 
vependant on trouvera des faits importants et bien utiles. 

Dans l’embryogénie, les observations ont été poussées assez 
loin pour pouvoir reconnaître dans {le jeune animal les princi- 
paux groupes d'organes de l’adulte. 


Il 


On ne trouve pas dans les ouvrages de très nombreux rensei- 
gnements, surtout pour l’anatomié. 

I y aurait toute une étude à faire sur l'extérieur de l’animal 
comparé à la coquille ; la détermination des différentes espèces de 


9219 H. LACAZE-DUTHIERS. 


Vermels doit comprendre sans aucun doute la description exté- 


rieure de l'animal. 

M. Philippi, dans son Énumération des Mollusques de Sicile, 
a donné quelques détails relatifs à ces animaux. Mais on ne peut 
véritablement considérer les faits qu'il indique comme formant 
un travail anatomique ; ils seront, du reste, mentionnés plus loin. 

Je ne trouve que des choses peu importantes dans le grand 
ouvrage de Poli. 

On sait que, lorsqu'il s’agit d'animaux invertébrés, des rensei- 
gnements for! nombreux se trouvent toujours dans les nombreux 
mémoires du savant zoologiste napolitain M. Delle Chiaje. Il est 
done à peu près toujours utile de ciler ses travaux lorsqu'il s’agit 
des Invertébrés marins; mais, en somme, l'anatomie des Vermets 
ne doit point être considérée comme fort avancée ; elle semble 
même plutôt négligée. 


Quant à l’embryogénie, on trouve quelques pages et une planche 
dans les Mémoires de l’Académie de Vienne (1) d'un zoologiste 
éminent, dont j'ai déjà cité les travaux à l’occasion de la Bonellie. 
M. le docteur Schmarda a placé une description des embryons du 
Vermet géant (V’ermetus gigas) dans son travail intitulé : Histoire 
naturelle de l Adriatique. Son travail n’est pas étendu ; nous au- 
rons, après l'avoir cité, occasion de rapprocher les résultats qu'il 
renferme de ceux que nous rapporterons. 

Il est juste d'observer aussi que M. Schmarda a donné une 
bonne description de l’animal au commencement de son travail, 
et qu'il cite, ainsi que je l'aurais fait moi-même, les observations 
de Philippi (2) et de von Siebold (3). 


(4) Denkschriften der Kaïiserlichen Akademie der Wissenschaften, Wien, 4 852. 
vierter Band. — Le travail est intitulé : Æiniges sur Entwikelungsgeschichte 
der Vermetus Gigas. Binova. 

(2) Viegman's Archives für Naturgeschichte, A839, I Bd, s. 428. 

(3) Vergleichende Anatomie der wirbellosen Thiere. Berlin, 4 848. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS, 23 


III 


Un mot d’abord de l'animal, tel qu’on l’obtient, sans le dissé- 
quer, en le sortant de sa coquille après sa mort, ou bien en l’ob- 
servant vivant. 

Le tube du Vermet est long relativement à son diamètre; dès 
lors et d'avance on peut prévoir que le plan habituel du Gasléro- 
pode turbiné se trouvera modifié dans la longueur. 

Il devient facile à priori de prévoir d’après cela sur quelles par- 
ües du corps portent les modifications. 

De plus, l'animal est fixé par sa coquille ; l'organe locomoteur 
est-il très développé ? On peut répondre qu'assurément il ne peut, 
il ne doit l'être. D'ailleurs l'ouverture circulaire du tube cylin- 
drique nous conduit d'avance à voir l'extrémité antérieure du 
corps représenté par une sorte de piston court et plus ou moins 
cylindroïde. 

L'auteur de l’article Verwer du Dictionnaire universel d'histoire 
naturelle, publié par M. d'Orbigny, s'exprime ainsi : « De l’en- 
» semble des observations faites par Adanson, MM. Delle Chiaje, 
» Philippi, Quoy et Gaymard, il résulte que l'animal a beaucoup 
» d’analogie avec les Mollusques de la famille des Trochoïdes ; 
» qu'il ressemble en général à celui d’une Dauphinüle ou d’un 
» Turbo qui serait déroulé. I ne marche point, et n’a pas, par 
» conséquent, de pied proprement dit ; mais la partie qui constitue 
» la queue chez les Gastéropodes ordinaires se reploie en dessous, 
» et se porte jusqu’en avant de la tête, où son extrémité se renfle 
» en une masse garnie d’un opercule mince... Quand l'animal 
» se retire, cette masse operculée ferme l’ouverture du tube. La 
» lête est peu distincte, surmontée de deux tentacules un peu apla- 
» (is, portant les yeux à leur base externe. La bouche consiste en 
» un orifice vertical, au-dessous duquel se montre de chaque côté 
» un filament qui ressemble à un tentacule, mais qui n’est en réalité 
» qu'un filet appartenant au pied. Les branchies ne forment qu’une 
» rangée qui longe le côté gauche dela voûte branchiale, L’orifice 


91h in. LACAZE-DUTHIERS. 
» du rectum et celui des organes de la génération se voient au 
» côté droit (1). » 

Il y a dans cette description de l'exactitude. Peut-être relative- 
ment au pied et à cette partie qui forme la queue dans les Gasté- 
ropodes ordinaires y a-t-il quelque chose à dire. Cependant, dans 
toute critique, il faut d’abord être d'accord sur la valeur des 
expressions, si, par queue, l’auteur a voulu désigner la partie 
postérieure du pied de l'animal, qu'on voit trainer, par exemple, 
à l'arrière d’un Limaçon, de quelques espèces de Doris, d’Aply- 
sies, ete., ete., cela est vrai; ici celle partie se rapporte en avant ; 
mais l’expression de queue ainsi appliquée doit certainement être 
critiquée. 

La tête, y est-il dit, est peu distincte ; cela n’est certes pas exact, 
elle est relativement extrêmement développée (2). Si l’on prend un 
Troque par exemple (Trochus cinereus), où une Toupie (Turbo 
litteralis), où bien enfin un Rocher (Murex trunculus, M. bran- 
daris, M. erinaceus, etc., elc.), une Pourpre (Purpura lapillus, 
P. hœæmastoma), ete., on ne distingue guère la tête qu'à la pré- 
sence des deux cornes tentaculairés. Ici, au contraire, la tête 
est globuleuse, franchement distincte du pied; seulement les ten- 
tacules et les yeux sont peut-être moins longs que dans bien 
d’autres Gastéropodes turbinés. 

Quand on regarde un Vermet de profil, soit lorsqu'il sort natu- 
rellement du tubé, soit lorsqu'on brise sa coquille et qu’il se con- 
trace (3), on lui trouve une physionomie toute particulière, qui 
est justement la conséquence du développement de la tête, opposé 
aux dimensions du pied; les deux tentacules sont très éloignés, 
mais le développement de la partie moyenne qui les sépare, et les 
points noirs oculaires très marqués, quoique peu saillants, se font 
bien reconnaitre. 

Quant à la forme du pied, malgré l’autorité de tous les auteurs 


(1) Voy. Dictionnaire universel d'histoire naturelle, t. XIE, p.187, art Ver- 
er, signé : (E. Ba.). 

(2) Voy. Ann, des sc. nal., Zool., &* série, t. XIII, pl. 5, fig. 4 et 2; pl. 6, 
fig. 1. : 
(3) Voy. tbid., pl. 5, fig. 1. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIR DES VERMETS. 215 
qui ont écrit sur ce sujet, il ressemble au plus haut degré à celui 
d’une Pourpre qui est très contractée ou d’un Troque, etc. On aura 
très bien l’idée du pied du Vermet en regardant un individu des 
genres Pourpre, Rocher, Troque, etc., contracté par l'alcool. 
Au-dessous de la tête, fort peu distinete de ces animaux, on verra 
une masse charnue, cylindrique, continuant en dessous le corps, 
et se lerminant en une languette musculaire, libre, qui sert à 
l'attacher à la coquille ; en avant, cette masse charnue, cylin- 
drique, s’élargit, et se trouve coupée par un plan à peu près per- 
pendiculaire à l’axe du corps, plus ou moins incliné en arrière, 
suivant l’état de contraction de l'individu ; aux proportions près, 
même chose dans l’on et l’autre, car un opercule, très variable par 
sa nature, s'attache sur l'extrémité tronquée. 

Dans les Gastéropodes libres, cette extrémité tronquée s'étale 
pendant la vie, se dilate,etrampe en s’attachant aux corps. Ici elle 
resle sensiblement la même dans l’animal adulte, puisqu'il est 
fixé par sa coquille et immobile dans la même place. 

Entre la tête et le pied, en avant comme sur les côtés, il y aun 
sillon de séparation qui rappelle parfaitement ce que l’on observe 
dans les autres animaux que nous venons de comparer au Vermet. 

L'opercule (1 'est petit dansles exemples observés, et placé assez 
haut sur la face antérieure verticale du pied, non loin du bord de 
la fente qui le sépare de la tête. 

Quand le Vermet, bien vivant, sort de sa coquille, on peut 
l'irriter sans qu'il rentre; il voit même très bien les corps qu’on 
lui présente, et alors tournant la tête de leur côté, il leur décoche 
des coups de langue très adroitement et avec beaucoup de-rapi- 
dité. Ces véritables morsures sont plus puissantes qu’on ne le pen- 
serait au premier abord ; souvent j'ai répété la même épreuve 
en présentant à portée l'extrémité de mes pinces fines à dissec- 
tion et de mes aiguilles: ils entr'ouvraient la bouche, faisaient 
saillir au dehors, en la renversant, leur langue hérissée de 
pointes fines, aiguës, brillantes, saisissaient le corps et le rete- 
naient avec une certaine force. I m'a paru que, souvent au lieu de 


(4) Voy. Ann, des sc. nat., Zool., &° série, t. XIII, pl. 5, Gg. 1 (0). 


216 H. LACAZE-DUTHIERS. 


se retirer, le Vermet renouvelait la morsure quand le corps restait 
dans son voisinage. Cette sorte de défense est assez rare chez les 
Gastéropodes qui habituellement s’enferment ou se roulent, et se 
contractent quand on vient à les toucher, même légèrement. 

La bouche est une fente ovale, relativement grande, verticale, 
placée sur l'extrémité arrondie antérieure de la tête et sur la ligne 
médiane; elle n’est point une trompe protractile; derrière elle 
paraît immédiatement la pièce cornée linguale. 

La physionomie particulière que donne cette grosse tête globu- 
leuse, au-dessus de cette partie cylindroïde coupée nettement par 
un plan antérieur, est encore rendue plus étrange par l'existence 
de deux longs filaments tentaculaires mobiles (4) qui sortent de la 
fente que l'on observe entre le pied et la tête. Nous aurons à 
discuter la nature de ces filets qui ne sont pas des tentacules cé- 
phaliques, mais qui appartiennent à un organe tout spécial. 


Le manteau est tout à fait semblable à celui des autres Gasté- 
ropodes pectinibranches ; il entoure la base du pied et de la tête. 

Mais tantôt il est fendu (2), tantôt il ne l’est pas. Le tube qu'il 
forme au-dessus du corps en arrière s'allonge dans un peu plus 
d’un tiers de la longueur totale de l'animal. On ne saurait établir 
de différence avec les autres Gastéropodes turbinés, quant aux or- 
ganes qui viennent s'ouvrir ou se trouvent dans son intérieur. 

Philippi n'a pas plus que Bivona vu, ainsi que le veut Sassi, le 
manteau profondément émarginé (3). Ceci montre encore une fois 
combien il faut éviter de trop vite juger d’une espèce par l’autre ; 
on trouve même sur bien des individus, dont le manteau ne pré- 
sente pas la fente longitudinale, une toute petite échancrure angu- 
laire sur le dos, derrière la tête, qui semble indiquer l’état rudi- 
mentaire de sa division. 

Du reste, le mélange qui s’est établi entre les animaux sortis de 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., 4° sér., Zool., t. XIII, pl. 4, 5 et 6. La partie 
marquée s'. 

(2) Voy. ibid., pl. 5, fig. 4. 

(3) Loc. cit,, « Pallium in adultis secus branchias profunde emarginatum, ut 
» vull Sassi, neque ego neque Bivona unquam vidimus..…. » p. 469. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 247 
leur coquille m'a empêché de pouvoir résoudre cette question. 
Est-ce chez le Vermetus triqueter ou le Vermetus semisur- 
rectus (Philippi) que le manteau est fendu sur la ligne médiane 
dorsale ? 

D'une autre part, j'avais cru d’abord trouver une relation entre 
la présence de la fente et le sexe. Bon nombre d'individus ayant : 
des œufs dans leur coquille, et par conséquent femelle, se tron- 
vaient avoir le manteau fendu; mais quelques exemples un peu 
douteux m'ont fait craindre d'affirmer que la relation existàt bien 
réellement; je laisse donc ces deux questions sans les décider 
pour les revoir. 

Si le prochain voyage que je compte entreprendre me le per- 
met, très probablement je chercherai les rapports qui lient les 
formes des animaux extérieures aux dispositions des espèces déter- 
minées par les conchyliologistes. 

Sous le manteau, à droite, on voit (1) courir le rectum tout à 
côté de la partie du corps fort allongée faisant suite à la tête, qui va 
jusqu’au fond du eul-de-sac, et à gauche on trouve la branchie (2). 
L'anus, comme l'extrémité de l'organe de la respiration, arrive 
tout près en avant jusqu’à la marge du manteau; quand celui-ci est 
fendu, l'organe branchial est séparé par la fente du tube digestif. 

Le reste de l’organisme se prolonge en un cylindre fort régulier 
qui s'enroule en spirale en suivant les tours de la coquille et se 
termine en un cône obtus. 

M. Schmarda, dans le résumé des dispositions extérieures qu'il 
a présenté sur le 7. gigas, avant d'étudier l'embryon, donne 
des détails avec lesquels ce qui précède concorde. 

La description de M. Philippi présente aussi sur l’extérieur de 
nombreux faits auxquels la description précédente ajoute peu de 
chose. 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., 4° série, Zool., t. XIE, pl. 5, fig. 2 (c); pl. #4, 


fig. 4 (c). 
(2) Voy. ibid. 1, 1. 


918 H, LACAZE-DUTMIERS, 


IV 


Tissu cellulaire conjonctif du corps. 


L'expression qui indique un tissu de l'organisme des animaux 
supérieurs, ne doit cependant pas rappeler ici quelque chose 
de tout semblable, comme on va le voir. 

A partir du cul-de-sac palléal, la partie postérieure du corps, 
celle qui renferme les viscères, m'a paru, sur les 7’ermetus tri- 
queter el semisurrectus, de la Taulera du port de Mahon, habi- 
tellement d’un blanc mat; parfois au milieu de ce blane mat et 
terreux on dislinguait des points jaunâtres et brun-verdâtre. 

Quand on place les Vermets dans la liqueur conservatrice de 
Owen, et qu'on les observe plus lard, celte teinte à disparu ; on 
voit même une effervescence se produire. La glycérine a suffi 
souvent à elle seule pour faire disparaitre la couleur. Dans l'acide 
nitrique fort étendu, on observe l’effervescence et la disparition 
de la teinte bien plus rapidement. 

Lorsqu'on a débarrassé ainsi chimiquement le corps de cette 
enveloppe blanche, on voit, sous les téguments et par transpa- 
rence, le foie d’une teinte vert-brunâtre, etles organes de la géné- 
ration d’un jaune orangé. Ce sont ces deux glandes qui forment 
comme des points au milieu de la couche blanche, quand, dans 
l'animal intact, cette couche se trouve interrompue en quelques 
endroits. 

Si l’on fait l'analyse microscopique des tissus interposés entre 
les lobules du foie et des glandes génitales, on reconnaît et la 
raison de la couieur blanche, et la cause des phénomènes parti- 
culiers qui viennent d’être indiqués. On trouve (1) que le tissu 
unissant les organes, qui est par conséquent conjonctif, est formé 
de grandes et volumineuses cellules polyédriques et irrégulières, 
bien plus grandes qu'aucun autre élément du corps. 

Ces cellules remplissent tous les intervalles des organes, et les 
unissent soit entre eux, soit avec les téguments du corps. 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 4, fig. 2 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 219 

Leurs parois minces et transparen(es ne présentent rien de par- 
ticulier. 

Leur contenu est granuleux (1), et les granules qui le com- 
posent sont de volume très varié. Dans quelques-unes, c’est 
comme une poussière impalpable qui s'échappe, et qui se meut 
d’un mouvement brownien très vif. 

Dans d’autres les granules sont volumineux et bien développés, 
régulièrement sphériques ; alors on croirait (avec un fort gros- 
sissement) avoir sous les yeux des cellules remplies de fécule, 
ou mieux de pelits grains d’amidon. 

Ces globules paraissent par la lumière transmise d’une teinte 
un peu noirâtre; l'encre de Chine rend bien leur apparence, 
quand on s’en sert pour faire les ombres des cellules et-des grains 
empilés les uns sur les autres. 

Chaque grain est assez transparent, ses bords paraissent noirs, 
et son centre clair; cela tient à une vive réfraction de la lumière. 

Quand, sous le microscope, on fait arriver une légère solution 
d'acide azotique, on voit immédiatement apparaître les bulles du 
gaz de l’effervescence, et les globules, granules ou grains, dis- 
paraissent, en laissant après eux à peine ou pas de trace. 

Évidemment ce sont des dépôts inorganiques qui se sont for 
més dans les tissus, et mieux dans la cavité des éléments du tissu 
cellulaire conjonctif. 1 y a là très probablement du carbonate cal- 
caire; je n'oserais cependant l’affirmer, les expériences décisives 
n'ayant pas été faites. 

Ne pourrait-on pas, remontant du particulier au général, voir 
là un fait qui pourrait venir en aide à l'explication de Ja formation 
des perles ? Que l’on suppose, en effet, l’une de ces granulations 
prenant plus d’accroissement et s’entourant de couches, on arri- 
vera à trouver quelque chose d’analogue à ces concrétions si 
nombreuses que l’on rencontre dans l'organe de Bojanus des 
Jambonneaux et autres Acéphales. Il y a là certainement un rap- 
prochement évident à faire. 

Il faut aussi remarquer que lous les individus ne présentent pas 


(4) Voy. Ann. des se. nat., Zool., 4° série, t. XHIT, pl. 4, 6g. 2. 


220 H. LACAZE-DUTHIERS. 


au même degré cet empâtement des organes au milieu d’une sub- 
stance granuleuse calcaire. Cela peut tenir à la localité, et à la plus 
ou moins grande quantité de matière tenue en dissolution dans 
l'eau. 


V 


Des organes de la digestion. 


Pour arriver à disséquer facilement, il est nécessaire de distin- 
guer d’abord les éléments et les organes qui se présentent à l'ob- 
servation. 

Ces organes sont assez simples à étudier, probablement par 
suite de cet allongement qui a disjoint les parties, et les a rendues 
par cela même plus distinctes et plus faciles à reconnaitre. 


La bouche, ou l'orifice extérieur, est linéaire en forme de fente, 
et placée, comme il a été dit, sur la ligne médiane, sans trompe, 
sans lèvres saillantes ou voiles particuliers, comme on l’observe 
dans tant d’autres Mollusques. Les lèvres sont verticales et en- 
foncées, quand l'animal se contracte, dans une petite dépression 
médiane. Cette description est du reste conforme à ce qui a été 
indiqué par MM. Philippi (4) et Schmarda (2). 


La cavité buccale est constituée sur le plan bien connu que l’on 
rencontre dans les Gastéropodes. Je n’en dirai que quelques mots, 
renvoyant aux belles publications de M. Troschel (3) et à celles 
que moi-même j'ai eu l’occasion de faire (4). 

La première partie du tube digestif est dorsale, membraneuse 
et mince ; elle se trouve placée immédiatement après l’orifice buc- 
cal, au-dessus d’une masse globuleuse qui est l’appareil Hingual. 

Cette masse, musculaire sur les côtés et en dedans, cartilagi- 


(1) Voy. loc. cit., p. 169. 

(2) Voy. loc. cit., p. 135. 

(3) Voy. Das Gebiss des Schenecken. 

(&) Voy. Histoire du Pleurobranche et du Dentale. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 221 
neuse dans son intérieur, est le support et la partie motrice de la 
langue proprement dite, de cette pièce cornée rhippidiforme ou en 
éventail, qui, hérissée de dents cornées, dures et résistantes, peut 
être rejetée au dehors pour attaquer, diviser, dépecer la proie qui 
passe imprudemment à sa portée. 

La partie motrice de la langue (1) est fort développée, et quand 
on ouvre la tête de l'animal, on remarque bientôt que c’est à cette 
masse qu'est dû son volume, car elle occupe tout le renflement 
compris entre les tentacules et le cou. 

On ne peut s'étonner que, avec un appareil moteur et des dents 
Jinguales aussi forts, les petits corps que l’on présente au Vermet 
ne soient pincés et retenus avec assez d'énergie. 

La pièce linguale proprement dite, indépendamment des parties 
motrices musculaires ou cartilagineuses, qui la supportent ou en 
aident l’action, se prolonge en arrière sous l’œsophage (2). Dans 
quelques espèces, ce prolongement de la langue est extrêmement 
considérable, comme dans les Patelles, ete. ; ici il a à peine un tiers 
de la longueur totale du bulbe. 


L’œsophage (3) paraît à la face supérieure de la masse active, 
et se détache en arrière au-dessus du prolongement lingual. I est 
cylindrique, fort allongé, comme le reste du corps, et logé dans 
cette partie que l’on voit au-dessus du muscle du pied, entre les 
deux moitiés du manteau et en arrière de la tête. 

On doit considérer comme æsophage toute cette portion du tube 
digestif comprise entre le bulbe lingual en avant et l'estomac 
eu arrière. Celte dernière cavité, bien limitée, très distincte, se 
trouve un peu plus loin que le cul-de-sac terminal postérieur de la 
voûte du manteau. 


Les glandes salivaires (4) sont assez bien développées. Elles se 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., &° série, t. XIII, pl. 4, fig. 4 B, et dans 
les autres planches la partie marquée B. 

(2) Voy. ibid. (b). 

(3) Voy. ibid. (a). 

(4) Voy. ibid., E. Ces dessins sont un peu trop théoriques, et les masses, 
comme les conduits, sont loin d'être aussi distinctes et arrêtées. 


222 W. LACAZE-DUTHIERS. 

présentent comme de petits paquets irrégulièrement introduits 
entre les nerfs et les parties centrales du système nerveux; on 
les trouve autour et en arrière du bulbe lingual. 

Elles sont formées de petits euls-de-sac sécréteurs groupés sur 
un canal excréteur qui vient se jeter dans la bouche, de chaque 
côté du point où l’æ@sophage se détache de la masse linguale. 

En cela , on reconnait la disposition habituelle. 

La structure n’a point été étudiée au microscope ; mais s’il est 
permis de juger par analogie, elle doit ressembler à celle que tant 
d’autres Mollusques gastéropodes présentent. 


Il est très facile de trouver, car elles sont nettement distinctes, 
les autres parties du tube digestif, les noms ordinaires leur sont 
bien mérités. 

Il suffit, en effet, d'ouvrir le corps du Vermet pour les voir en 
arrière du fond du eul-de-sae palléal, c’est-à-dire dans la première 
partie de la portion viscérale du corps, celle qui devient eylin- 
drique; celle que les organes remplissent en se touchant les uns 
les autres. 

Dans la partie postérieure du corps, on trouve les organes que 
nous allons étudier maintenant. 


L'estomac (A) est oblong, bien limité et distinct, d’une part de 
l’'æsophage, de l’autre de l'intestin. 

L'une de ses moitiés, voisine de l'intestin, est antérieure et 
pyriforme ; l’autre, postérieure, est arrondie. On voit à sa surface 
des bosselures et des dépressions, qui évidemment correspondent 
à des plis internes, divisant la cavité non pas en cavités secon- 
daires, mais en anfractuosités, comme cela s’observe dans tant de 
Mollusques, dans l’Haliotide par exemple. 

L'union de l'estomac avec l'intestin, l’œsophage et le foie, se 
fait de la manière suivante : 

D'abord l’œsophage (2), accolé à la face inférieure de cette 


(1) Voy. Ann. des sc. nat, Zool., 4° série, t, XIII, pl. 4, fig. 1 C. 
(2) Voy. ibid. (a). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 223 
cavité longitudinale, étendu de la tête au fond du eul-de-sac du 
manteau, pénètre dans la partie viscérale du corps, en restant tou- 
jours accolé à la paroï inférieure du corps. Après avoir dépassé 
le eul-de-sac palléal, il se porte un peu à droite, on mieux du côté 
de la courbure ou concavité du corps. 

Habituellement l'animal s’enroule à droite; mais il y a des 
exceplions nombreuses, et, après s'être enroulé d’un côté, il se 
porte brusquement de l’autre en sens inverse; mais, toujours for- 
cément lorsqu'il est courbe, le corps présente une concavité et 
une convexité. On trouvera une série de canaux dans la partie 
concave, qu’elle soit à droite ou à gauche. 

Si l'on pouvait supposer l'animal déroulé et étendu en ligne 
droite, le bord concave du corps correspondrait à la face inférieure 
de l'animal ainsi étendue ; c’est du reste de la sorte que presque 
toujours seront indiquées les positions dans les descriptions. 

L'œsophage se porte un peu à droite, et se trouve quand il 
se termine plutôt en arrière que vers le milieu de la longueur de 
l'estomac, dans un point où ce viscère semble éprouver un étran- 
glement qui le partage en deux boursouflures. 

Du reste, entre l'estomac et l’æsophage, il n'y a point ce passage 
insensible qui, souvent dans bien d’autres espèces, ne permet 
point de reconnaître où finit l’un, où commence l’autre. L’æso- 
phage, quoique fort long, est dans toute son étendue du même 
diamètre. 

L'intestin commence au sommet de la partie pyramidale anté- 
rieure de l'estomac ; de telle sorte que celui-ci, ayant sa plus grande 
dimension antéro-postérieure, a son orifice d'entrée ou cardia en 
arrière de son orifice de sortie ou pylore (4). 


Foie.— Le foie est bien développé comme, du reste, cela a lieu 
dans presque tous les Gastéropodes. Il présente très manifestement 
deux lobes de proportion tout à fait différente : l'un antérieur (2) 


(1) Voyez du reste Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, L. XIII, la planche 5, 
figure 2, où l'estomac est représenté en place avec le petit lobe du foie. 
(2) Voy. ibid., pl. 4, fig. 4 (5). 


22, H. LACAZE-DUTHIERS. 
est relativement fort petit, l’autre postérieur (4) occupe la plus 
grande partie de la portion postérieure du corps. 

Si l'on prenait d’une part l'ouverture du canal sécréteur de 
chacun de ses lobes, de l’autre le cardia et le pylore, pour l'indi- 
cation des positions, on trouverait le grand lobe plus antérieur 
que le petit, et la déformation pourrait être attribuée à la distor- 
sion générale du corps qui à ramené en arrière le cardia, et porté 
en avant le pylore. 

Remarquons que le petit lobe, qu'on peut appeler lobe pylorique, 
est toujours sur le côté droit de l'estomac (2), en arrière du paquet 
intestinal, au-dessus de l’œsophage, et en avant du cardia. 

Le lobe pylorique se dégage immédiatement en avant de la 
boursouflure pyriforme, en dessus et tout près de l’origine de l’in- 
testin. Son canal excréteur est très court (3); cela devait être, la 
longueur est en rapportavec les proportions même du parenchyme. 

Le lobe cardiaque est, en raison même de son développement, 
bien plus largement en communication avec l’estomac ; la bour- 
souflure, postérieure au cardia, est allongée, elle aussi, en dessus 
et un peu à droite en un tube très gros. C’est ce tube qui est le 
canal hépatique principal qui règne tout le long du bord concave 
du corps, et qui reçoit perpendiculairement à sa direction les ca- 
naux biliaires, secondaires, arrivant des lobules de la glande. 

En décrivant les organes de la cireulation et de la reproduction, 
les autres rapports seront complétés. 

Nous trouvons donc ici la disposition habituelle aux glandes 


composées. 


La teinte du foie est d’un brun verdâtre assez foncé, piqueté 
de points noirs fort petits, dont on verra l’origine en étudiant la 


texture intime. 
L'apparence générale sous la loupe est celle des glandes en 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, L. XIIL, pl. 4, fig. 4 (k), (k). 

(2) Voy. ibid. (j). Dans cette figure, le petit lobe a été rejeté à gauche et en 
dessus, afin de mettre à découvert le paquet intestinal et les conduits pyloriques. 

(3) Voy. ibid. (i). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 995 


grappe, un peu confusément conglomérées. On voit (1) les lobules 
correspondant vaguement aux canaux qui se jettent dans le con- 
duit principal, tous bosselés, et comme formés de petits grains 
que, dans l’ancien langage anatomique, on nommait les acini. Ce 
nom, qu’on peut conserver quand on ne lui attribue d’autre si- 
gnification que renflement des culs-de-sac sécréteurs, sera em- 
ployé ici avec ce sens. 


Les acini hépatiques chez le Vermet sont gros et volumineux, 
évidemment distincts dans leur partie renflée, mais réunis et plus 
ou moins confondus dans leur point de jonction avec les canaux 
excréteurs. 

Leur structure intime est facile et simple à observer; elle a la 
plus grande analogie avec celle que l’on trouve dans plusieurs 
autres Gastéropodes, et pour que les choses soient comparables, 
je renverrai surtout à la description donnée dans ce recueil, du 
foie des Pleurobranches. 

Soumis à un grossissement assez fort, les acini se décomposent 
en cellules volumineuses, que l’on reconnait très vite par leur 
contenu, leur forme, leur disposition, ce sont les éléments carac- 
téristiques de l’organe (2). 

La teinte brun-verdâtre foncée disparaît en partie par la trans- 
mission de la lumière, et l'on voit, quand la préparation est peu 
épaisse, une couleur générale d’un jaune légèrement verdâtre, 
parsemée de taches d’un bleu noirâtre foncé. 

Les cellules, très distinctes les unes des autres, sont assez lâche- 
ment rapprochées et unies pour n'être pas extrêmement compri- 
mées, et par cela même fortement polyédriques ; elles constituent 
la couche parenchymateuse productrice de la bile. 

Enfermées dans le cul-de-sac sécréteur, elles en tapissent la 
paroi interne en plusieurs couches. 

Leur contenu est caractéristique ; il se compose de granulations 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XII, pl. 4, fig. 4 (k, k). Les 
lobules et les canaux excréteurs ont été indiqués un peu vaguement pour ne pas 
trop s'éloigner de l'apparence naturelle. 

(2) Voy. ibid , fig. 3. Extrémité d'un cul-de-sac légèrement comprimé. 

£° série. Zooc. T. XIIT. (Cahier n° 4.) 5 15 


296 H. LACAZE-DUTBIERS, 


sphériques, volumineuses, qui les font, quand tous les éléments 
sont bien nets et développés, ressembler à des agglomérations de 
vésicules (4). Leurs parois sont minces el transparentes, et quant 
au noyau, il a été impossible de le reconnaître au milieu des nom- 
breuses granulations. 

Quelques-unes d’entre elles présentent de légères différences ; 
leur contenu est moins considérable ; les éléments, plus isolés, 
semblent aussi prendre plus d’accroissement; l’on en voit souvent 
une volumineuse, régulièrement globuleuse, très développée, et 
qui semble évidemment due à un dépôt de matière solide (2). 

Les globules, car ce nom est plus juste que celui de granule, 
contenus dans les cellules sont eux-mêmes tous pointillés, et sem- 
blent avoir une composition particulière. Ils donnent l’idée (3) 
de petits corps composés de granulations solides, dont la couleur 
est celle du foie observé dans son ensemble ; il est évident que ces 
éléments entrent dans Ja composition du liquide biliaire, on les 
retrouve dans l'intestin. 

La sécrétion varie quelquefois, et les corpuseules solides, en 
prenani plus ou moins d’accroissement, peuvent produire quelque 
chose d’analogue, à bien des litres, à un petit calcul. 

On a déjà vu que le tissu du foie paraissait à la loupe comme 
parsemé d’une multitude de petits points noirâtres, et que, sous le 
microscope, les acini semblaient, au milieu des cellules, comme 
semés de corpuscules pyriformes (4), allongés, gros, et d’une 
teinté bleu-noirûtre. 

Ne serait-il pas permis de considérer comme des calculs ces 
pelits corps, et de supposer qu'ils se sont engendrés dans les cel- 
lules hépatiques dont ils égalent à peu près le volume ? Les petits 
corps sphéroïdaux (5) qu’on vient de voir prendre naissance dans 
certaines cellules, ne seraient dès lors que leur commencement ; ils 
rappellent et par la teinte, et par la forme ou le volume, la dis- 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XII, pl. #4, fig. & (e). 
(2) Voy. ibid, (a). 

(3) Voy. ibid, (b). 

{4) Voy. ibid., fig. 3 (d), fig. & (d). 

(5) Voy. ibid, fig. 4 (c), 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 227 
position de ceux qui ont été indiqués dans le Pleurobranche 
orangé (1). 

Quand on fait arriver sur le tissu du foie un peu d’eau acidulée 
avec l'acide azotique, l’on voit disparaitre ces gros corpuscules 
ovoïdes, bleu-noirâtre, en même temps qu’ils font effervescence. 
Faut-il les considérer comme calcaires? Le phénomène seul a été 
observé ; les analyses n’ont pas été poussées plus loin. 

Il existe habituellement dans la cavité des culs-de-sac ou acini, 
un épithélium vibratil; la difficulté que l’on éprouve quelquelois 
à le reconnaitre lient le plus ordinairement à la couche épaisse de 
cellules et à leur contenu opaque, qui empêchent de distinguer par 
transparence le mouvement de ces éléments délicats, Il n’a pas été 
possible de l’observer ici; mais ce n’est pas s'engager que de dire 
qu'il doit exister, et l'analogie peut certainement conduire avec 
certitude à cette conclusion. 

On retrouve dans les liquides de l'intestin et de l'estomac les 
corpuscules des cellules et leurs granulations ; ce sont eux qui les 
colorent. 


L'intestin (2)est divisé en deux portions parfaitement distinctes, 
non pas qu'il y ait dans ses dimensions des différences très 
grandes, mais la position et la direction sont tout autres dans les 
deux parties. 

Après l'estomac, en avant de lui et un peu sur la droite, en 
dessous et en arrière du sac de Bojanus, à droite du péricarde et 
du cœur, on trouve assez nettement limitée par une membrane 
une cavité qui ne doit évidemment renfermer autre chose que 
du sang ; on n'y trouve point de ces cellules à granulations blan- 
châtres , que nous avons nommées éléments du tissu conjonctif 
cellulaire. Dans son intérieur flottent les circonvolutions de l'in- 
testin ; elle est à proprement parler la cavité péritonéale. 

L'intestin, parti du sommet de la boursouflure pyramidale de 
l'estomac, se contourne deux ou trois fois sur lui-même (3), puis se 


(4) Loc. cit, voir la planche qui le représente, elle a été publiée en couleur. 
(2) Voy. Ann. des se. nat,, Zool., 4° série, L. XIIT, pl. 4, Gg. 4 (e). 
(3) Voy. ibid. (à). 


298 HN. LACAZE-DUTHIERS. 


porte à droite, et sort de la cavité en remontant un peu vers le dos. 
L'œsophage se voit toujours sur un plan inférieur, dans un 
Vermet placé ainsi qu'il a été dit plus loin. 
On peut désigner par le nom de paquet intestinal (1) cette 
partie du tube digestif. 


Après sa sortie de la cavité péritonéale, l'intestin devient tout à 
fait droit; il pénètre entre les deux lames qui forment le manteau, 
el paraît par transparence sur le côté droit de la voûte palléale. 
Cette portion qui se termine par l'anus est bien désignée par le 
nom de rectum (2). 

Il n’a point paru exister dans le Vermet de glande anale comme 
dans les Mureæ et les Purpura ; mais je dois dire que je ne con- 
naissais pas l'existence de celle-ci, lorsque je faisais l'observation 
du Vermet à l’état frais, et sur les animaux conservés, il n'était 
point possible de juger absolument la question. 


Ainsi, on le voit, les organes de la digestion présentent non- 
seulement la plus grande analogie, mais encore la plus grande 
ressemblance avee ceux des autres Gastéropodes à coquilles tur- 
binées et Pectinibranches. 


VI. 


Organes de la respiration. 


La branchie (3) est simple, allongée, comme tous les autres or- 
ganes. Placée sur le côté gauche, accolée à la paroi interne du 
tube du manteau et parallèle au corps, elle s’avance à peu près 
autant que l'intestin, auquel elle se trouve aussi parallèle. 

Droite quand l'animal est bien étendu, elle présente une série 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t, XII, pl. 4, fig. 4 (d). 

(2) Voy. ibid., fig. 6 (c). 

(3) Voy. pl. 4, 5, 6, dans différentes figures de l'animal entier et la partie 
marquée 1. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 229 


d'ondulations ou de courbures dues aux contractions et au rac- 
courcissement du manteau. 

Elle n’est point large, et sa base, étalée sur la surface de la 
voûte palléale, est limitée en dedans et en dehors par des conduits 
ou vaisseaux, l’un efférent, l'autre afférent, que l'on distingue très 
bien. 

Le vaisseau efférent (1), celui qui rapporte le sang au cœur, est 
surtout parfaitement distinct ; il est aussi le plus apparent et le 
plus développé ; il est toujours le plus voisin du corps proprement 
dit. Si l’on ouvre le manteau sur la ligne médiane, et si l’on rejette 
en dehors le lambeau gauche, on le voit dans cette posilion sur 
le bord interne de la branchie. 

Quant au vaisseau efférent moins limité et distinct , il reçoit le 
sang veineux arrivant des parties environnantes du manteau, ce 
qui rend la paroi opposée à la branchie à peine distincte. 

La branchie elle-même est formée non de filaments isolés, 
comme on pourrait le croire en la regardant de côté, mais de la- 
melles parfaitement régulières (2). Chacun de ses éléments repré- 
sente un triangle isocèle, dont l’un des côtés, la base, est fixé au 
manteau ; les deux angles adjacents à cette base répondent l’un 
au vaisseau afférent, l’autre au vaisseau efférent ; l’angle du som- 
met est libre. C’est dans chacune de ces lamelles triangulaires que 
sont les capillaires où s'effectue l’acte respiratoire , l'échange 
gazeuse. 

Le plan de ces petites lamelles est perpendiculaire à l’axe du 
corps et à la surface du manteau. Chacune d'elles étant à côté et 
parallèle de la voisine, il en résulte un organe feuilleté lamelleux. 


Dans quelques Gastéropodes pectinibranches de Cuvier, on 
trouve sinon une seconde branchie, du moins un organe qui en 
a l'apparence la plus complète, avec toutefois des différences. 
Cet organe que l’on trouve très développé dans les Pourpres, les 


(W) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XILI, pl. 4, fig. 6 (a). 
(2) Voy. ibid. Dans le milieu à peu près de la longueur de la branchie, les 
lamelles ont été représentées séparées. 


930 H. LACAZE-DUTHIERS. 


Rochers, ete., est placé éntre la branchie etle corps ; en dedans 
de cette dernière, quand on a fendu le manteau et renversé le 
lambeau gauche en dehors. Dans quelques animaux très voisins, 
ce corps est réduit à un filet, mais toujours dans la même posi- 
tion parallèle à la branchie (1): c’est le cas des Toupies, des 
Paludines, ete., et enfin du Vermet. Qu’est cet organe ? Il n’a pas 
encore été possible de lui assignér un rôle bien spécial. Des re- 
cherches comparatives sont nécessaires ; il faut qu'elles soient plus 
nombreuses. Il en sera néanmoins encore question à propos du 
système nerveux; pour le moment son existence seule devait être 
constatée. 


VII 
Organes de la circulation. 


L'étude qui va suivre n’est pas complète. Pour arriver à une 
connaissance entière de toutes les particularités , il faudrait sur 
des animaux aussi pelits multiplier beaucoup les recherches, et le 
temps qui, dans un voyage, est toujours trop court, n’a pas permis 
de répéter suffisamment les injections fines. On ne doit done 
s'attendre à trouver ici que les faits généraux relatifs à la circula- 
tion centrale, et surtout à la portion artérielle. 


Cœur. — L'organe central d’impulsion est à gauche (2), dans 
un péricarde que l’on aperçoit par transparence, en arrière du 
cul-de-sac palléal, entre le corps de Bojanus en haut, l'estomac 
à droite et la cavité intestinale à droite et en arrière. 

La partie glandulaire (3) du corps de Bojanus est plus étendue 
ici que dans bien d’autres Gastéropodes ; elle recouvre par con- 
séquent un peu la poche péricardique en descendant sur le côté 
gauche. 


(1) Voy. Ann. des sc. nat,, Zool., 4° série, t. XIII, pl. 4, fig. 6, la partie 
marquée l’. 

(2) Voy. ibid. (à, e). 

(3) Voy. ibid. J. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 231 

Dirigé d'avant en arrière et à peu près suivant l'axe du corps, 

il est cependant un peu oblique de haut en bas; cela tient à la 

position de la branchie. Cette inclinaison disparaît quand on fend 

le manteau, le rejette en dehors, et va à la recherche du cœur en 
pénétrant par la cavité viscérale. 


L'oreillette (1) est en avant et un peu en haut, elle reçoit le sang 
du vaisseau efférent branchial dont il a été déjà question. Mince, 
transparente, elle n’offre rien de particulier. 


Le ventricule (2), toujours plus contracté et plus charnu que 
l'oreillette, en est séparé par un étranglement très manifeste, 
pyriforme et à base antérieure; il s’allonge et s’effile en plongeant 
vers le côté gauche et la face inférieure du corps (en supposant 
toujours l'animal posé comme il a été dit). 

Cette description rappelle ce qui s’observe en général dans les 
Pectinibranches. ” 


Artères. — Les artères qui partent du ventrieule sont réunies 
d’abord en un seul trone fort court, dont la longueur n’égale pas un 
millimètre. Ce tronc, qu'on pourrait nommer l'aorte primitive, se 
bifurque en deux grosses artères, que nous désignerons par les 
noms d'aorte antérieure (3) et d’aorte postérieure (h). 

Au point de vue de la morphologie, la distribution des artères 
est fort importante ; elle peut guider au même titre que les nerfs, 
quand il s’agit de remettre les organes dans leur position, en sup- 
posant qu'une déformation les ait contournés ou déplacés en appa- 
rence. 


L’aorte postérieure est volumineuse, et destinée à porter le sang 
arlériel à toute la portion viscérale du corps , aux organes repro- 
ducteurs et au foie, en un mot à toute cette partie qui est en arrière 
du tube digestif proprement dit. 


(4) Voy. Ann. des se, nat., Zool., 4° série, t. XII, pl. 4, fig. 6 (à). 
(2) Voy. ibid. (e). 
(3) Voy. ibid. (h). 
(4) Voy. ibid, (f). 


232 W. LACAZE-DUTHIERS. 


Elle se relève et remonte un peu vers le dos tout en se portant 
à droite ; elle rencontre bientôt l'estomac et le petit lobule du foie. 

D'abord elle passe à droite de la première portion de l'intestin, 
entre les circonvolutions intestinales et l'extrémité pylorique de 
l'estomac, qui se trouve ainsi à sa gauche ; elle continue sa marche, 
el se place entre le pelit lobe droit du foie et l'estomac proprement 
dit, de sorte que dans ce point elle disparait quand on ouvre sim— 
plement le corps; mais on la voit bien t reparaître en arrière 
du petit lobe et sur le côté droit de l'es ac, qu’elle croise 
vers le milieu de sa longueur à peu près à la hazieur du cardia 
pour gagner le bord concave ou inférieur du corps (1). 

Dans son passage entre le petit lobule pylorique et l'estomac, 
elle donne deux ou trois rameaux aux organes voisins. 

Arrivée à la paroi du corps, elle se bilurque brusquement, et 
ses deux branches se portent dans une direction absolument oppo- 
sée, de gprte que la direction de la branche antérieure (2) est 
exactement la continuation de celle de la branche postérieure, 
mais en sens inverse (3); l’une et l’autre sont dans la courbe du 
Corps. 

La branche antérieure va en avant, passe sous l'intestin, et 
marche parallèlement à l’œsophage sur le côté droit. Elle se 
distribue à la portion du manteau qui porte l'orifice génital et le 
rectum. 

Bien que sa distribution n’ait pas été observée bien loin, elle a 
paru surtout marcher entre les organes génitaux et la dernière 
portion de l'intestin, en donnant des rameaux secondaires sur les 
côtés, à droite et à gauche. Il n’a pas été possible de la suivre au 
delà de l'extrémité antérieure de l’orifice génital. 

Néanmoins, il semble qu'on peut la nommer artère palléale 
droile. 

Quant à la branche postérieure, elle marche à côté du canal 
hépatique ou biliaire jusqu’à l'extrémité du foie, en se tenant 


(1) Pour suivre cette description, il est utile d'avoir sous les yeux la figure 6, 
planche #, des Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XUII. 

(2) Voy. ibid. (m) 

(3) Voy. ibid. (n). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 235 


non-seulement parallèle, mais encore accolée à lui; elle affecte 
un autre rapport qui sera plus loin indiqué. 

Dans toute son étendue, elle fournit des branches à droite et à 
gauche quise séparent d'elle perpendiculairement à sa direction et 
à l’axe du corps, et se ramilient sur les glandes génitales et le 
foie. Les dernières arborescences de ces artères s’anastomosent, 
et on peut appeler génito-hépatique cette branche postérieure ou 
terminale de l'aorte postérieure. 


L'aorte antérieure se courbe dès son origine, et vient pénétrer 
dans la cavité du corps où l’on à vu l’æsophage, c’est-à-dire dans , 
celte partie placée sous la voûte palléale. On la distingue par 
transparence au travers des parois, à gauche, à peu près vers la 
ligne d'union du corps et du manteau. 

Les branches qu'elle fournit sont peut-être plus nombreuses et 
plus variées que celles de l’aorte postérieure ; cela se comprend, 
elle doit apporter le sang à tous les organes antérieurs, c’est-à-dire 
à une série d'organes très différents et très variés. 

D'abord tout près de son origine elle fournit trois branches 
assez grêles destinées à des organes placés en arrière du cœur. 

L'une (1) est pour l'intestin; on peul la voir s’accoler à lui, 
dans le voisinage du pylore, et le suivre assez loin. 

Les deux autres (2) passent sur le côté gauche de l'estomac, le 
dépassent, et arrivent jusqu'aux glandes génitales et au foie. 

Ces trois artérioles sont aussi opposées dans leur marche que 
les précédentes ; cela tient toujours à l'allongement considérable 
éprouvé par le corps qui présente des organes placés pour ainsi 
dire à la file les uns des autres. 

Le tronc principal de l'aorte antérieure (3) marche à gauche 
jusqu'à la base de la tête où du renflement céphalique ; là on le 
voit se courber et se porter à droite, en arrière du bulbe lingual 
qu'il semble entourer. 

Onretrouve pour les artères ce qui sera marqué bien plus encore 


(1) Voy. Ann. des sc, nat., Zool., &° série, &. XII, pl, 4, fig. 6 (k). 
(2) Voy. ibid. (i,j). 
(3) Voy. ibid. (h). 


23 H. LACAZE-DUTHIERS, 


pour le système nerveux ; l’asymétrie droite est masquée par une 
torsion de tout l’animal à gauche, mais cependant les rapports 
importants qui persistent dans la distribution des principaux ra- 
meaux la démontrent encore. 

L’artère antérieure ou céphalique se porte dans les Gastéropodes 
que j’ai eu l’occasion d'observer toujours à droite, et arrive de ce 
côté jusqu'au collier æsophagien. Si donc ici elle a paru d’abord à 
gauche, on voit que, lorsqu'elle doit arriver au point important où 
ses divisions vont se séparer d’elle, elle reprend sa position; et 
qu'on le remarque, ce n’est pas indifféremment qu'elle reprend 
cette position; ce qui prouve bien qu'elle ne l’a perdue qu’en 
apparence pour aller du côté gauche au côté droit. Paisqu'elle est 
assez bas, il eùt semblé naturel de la voir passer au-dessous du 
tube digestif; cela n'arrive pas, car si elle eùt passé en dessous 
plutôtqu'en dessus de cet organe, elle n’eût pas conservé son rap- 
port fondamental; elle l'aurait croisé, elle n'aurait plus été à 
droite et en dessus ; on voit là certainement une preuve de cette 
opinion que l’asymélrie gauche n’est qu'apparente. 

La marche terminale de ectte artère est ici tout à fait semblable 
encore à ce que l’on observe dans d’autres Gastéropodes ; elle 
passe dans le collier œsophagien (1) entre la commissure pédieuse 
et l'appareil lingual. Cela est parfaitement évident ; puis elle se 
relève, et vient à la face inférieure de la masse linguale se rami- 
fier et se continuer plus loin (2). Malheureusement les parties sont 
trop ténues pour avoir pu conduire assez loin les recherches, 
sans avoir mulliplié les injections. 

Quelques petits ramuseules se séparent du tronc terminal, et 
vont à la glande du pied (3); mais je n’oserais assigner l’origine 
des vaisseaux palléaux antérieurs et des vaisseaux pédieux, œso- 
phagiens, etc., etc. 

On trouvera néanmoins dans cette distribution des faits impor- 
tants qui permettront encore des comparaisons utiles, 


(4) Voy. Ann. des se, nat, Zool., 4° série, t. XIE, pl. 4, fig. 6 (p). 
(2) Voy. ibid. (q). 
(3) Voy. ibid. (0), 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS, 235 


VIII 


Circulation du corps de Bojanus. 


L'arrivée du sang veineux dans la glande, que l’on considère 
comme un rein, est un fait assez général dans les Mollusques ; 
mais il y a cependant de nombreuses variétés relativement à là 
quantité de sang qui passe par cet organe dépurateur avant d’arri- 
ver aux branchies. Dans les Acéphales, il y a une véritable veine 
porte rénale entre les organes et la branchie; mais si tantôt plus, 
tantôt moins de sang veineux traverse l'organe de Bojanus, habi- 
tellement il va néanmoins se jeter dans l'organe respiratoire 
avant d'arriver au cœur ; cela se voit dans la plupart des Gasté- 
ropodes. Or ici j'ai multiplié les recherches, et toujours le même 
résultat s’est présenté; toujours j'ai trouvé un gros vaisseau venant 
du corps de Bojanus, et s’ouvrant dans la veine branchiale tout 
près de l'oreillette. En poussant les injections par le cœur ou le 
vaisseau branchial, toujours des arborisations élégantes se mon- 
traïent à la surface extérieure de l'organe (1). 

Que conclure de ce fait ? Évidemment il faut admettre que si le 
sang veineux passe en plus ou moins grande quantité dans le corps 
rénal pour arriver à la branchie, il peut dans quelques exemples 
passer aussi directement de celui-ci dans le cœur sans traverser 
l'organe de la respiration. 

Les injections ont réussi avec tant de constance, que l’on ne 
peut mettre ce fait en doute. 

Cette différence est importante ; elle montre que, dans la géné- 
ralisalion des faits relatifs à la circulation des Mollusques, il faut 
évidemment apporter des réserves. 


IX 


Organe rénal. 
Le sac glandulaire (2), auquel on attribue des fonctions de dépu- 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 4, fig, 6 (b). 
(2) Voyez dans les planches la partie marquée J. 


+ 


236 H. LACAZE-DUTHIERS. 


ration analogues à celles du rein des animaux supérieurs, est chez 
les Vermets dans la position habituelle qu'on lui connait; on le 
trouve à gauche de l'intestin rectum près du péricarde, et en 
avant, au-dessus de l'estomac, de l’œsophage, il forme, par sa 
paroi antérieure, le fond du eul-de- sac de la cavité palléale. 

Adossée d’un côté au péricarde, sa paroi semble se confondre 
avec la sienne. I n’a pas été possible, en raison de la pelitesse 
des objets et de l’état des animaux, de reconnaitre s'il y avait 
une communication entre eux, communicalion importante, et que 
j'ai trouvée dans quelques autres Gastéropodes, ainsi qu'il sera 
plus tard indiqué. 

La paroi postérieure est un peu oblique de haut en bas et unie 
avec celle de la cavité péritonéale, où l'on a vu le paquet des cir- 
convolutions intestinales. On peut l'ouvrir sans pénétrer dans 
celle-ci, mais il est très facile de rompre la paroi des deux, tant 
sont délicates les membranes qui la forment. 

Son orifice (1) se découvre aisément; il est sur la face infé- 
rieure, au fond du cul-de-sac palléal. On le trouve toujours avec 
facilité quand les animaux sont morts; il a la forme habituelle, 
c’est-à-dire qu'ilest longitudinal en boutonnière avec des lèvres un 
peu épaisses. En fendant le manteau sur la ligne médiane el s’appro- 
chant davantage du côté gauche, il est possible de le faire bâller 
en tiraut sur les tissus à gauche, et opérant ainsi une traction sur 
la partie du sac de Bojanus restée adhérente. 

Sa cavité est vaste, mais ses parois se rapprochent l’une de 
l’autre par affaissement. D'ailleurs la surface n’en est pas lisse ; elle 
est chargée de lamelles qui semblent en certains endroits arbores- 
centesetramifiées ; les ramifications, forment le parenchyme sécré- 
teur, et semblent dirigées ou disposées d’après la marche des vais- 
seaux sanguins de l'organe; c’est là, du reste, ce que l'on observe 
dans les animaux plus gros et plus faciles à étudier par consé- 
quent. 

La teinte de la glande est d’un brun jaunâtre ; parfois elle a 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XUT, pl. 6, fig. 4 et 2. L'or- 
gane de Bojanus J est vu par la face palléale, et montre son orifice en forme de 
boutonnière. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 237 
semblé un peu grisâtre ; cétle dernière teinte est constante dans 
les animaux conservés. 


La structure intime est fort simple, et l’on retrouve des éléments 
tout à fait semblables à ceux que présentent les autres animaux. 
Aussi l’on reconnaitrait presque à la structure seule, à la disposi- 
tion, à la forme des cellules, le corps rénal. 

De grandes cellules (4), empilées les unes sur les autres, se 
comprimant à peine, et conservant par conséquent leur forme à peu 
près sphérique, composent le tissu. La couche la plus extérieure, 
relativement à la cavité, est couverte d'un épithélium vibratil très 
grand ayant un mouvement puissant. Il suffit d'enlever une par- 
celle du tissu et de la soumettre à l'examen microscopique pour 
voir tout de suite la disposition des choses telle qu’elle vient d’être 
indiquée. 

Les cellules sont fort transparentes et ne renferment presque 
pas de matière granuleuse, On trouve cependant sur l’un de leurs 
côlés un noyau opaque, quand on les regarde par transparence ; 
par réflexion, la teinte est un peu jaunâtre, grisâtre ou jaune- 
verdâtre; c’est à ces noyaux qu'il faut attribuer la couleur que 
présente la glande dans son ensemble. 

On trouve encore beaucoup de cellules qui, avec une certaine 
incidence de lumière, offrent dans leur centre comme une seconde 
sphérule incluse (2), qui paraît alors sous la forme d’un nuage un 
peu moins transparent, mais dont les bords sont très limités. 
Est-ce un développement endogène? Dans les différents exem- 
ples dont j'ai publié la structure du corps de Bojanus, j'ai retrouvé 
la même particularité. 

Il y a en dehors des cellules des corpuscules jaunâtres ana- 
logues aux noyaux, et qui peuvent être sans doute considérés 
comme les points autour desquels se développent les cellules, si 
l'on prend du moins, comme dans la théorie cellulaire, le noyau 
pour point de départ de la formation des cellules. 


(1) Voy. Ann, des sc. nat., Zool,, k° série, t. XIII, pl. #, fig. 5. 
(2) Voy. ibid. La cellule qui est en avant des cils vibratils, 


12 
©2 
œ 


H. LACAZE-DUTHIERS. 


X 


Glande pédieuse. 


Voici une glande dont le nom est tiré des rapports et de la po-" 


sition. Elle mérite loue l’attention, en raison de la grande impor-- 
tance qu'elle doit avoir. Le nom s’expliquera plus loin quand la 
description sera complète. 

Entre le pied et la tête (4), qui sont l’un et l’autre (rès voisins, on 
voit sorlir, d’une dépression qui les sépare en avant, deux longs 
tentacules, que l'animal vivant agite, écarte, et relève comme deux 
organes du tact, 

La position insolite de ces appendices m'avait vivement intri- 
gué ; il s'agissait de déterminer à quelle partie de l'organisme ils 
appartenaient. On verra en ce qui les concerne, à propos du sys- 
tème nerveux, des considérations importantes. 

Des dissections minutieuses ont conduit à voir qu'ils correspon- 
dent évidemment à un organe de nature particulière, dépendant 
sinon du pied absolument parlant, mais ayant des rapports de 
position constants avec lui, et surtout tirant les filets nerveux qui 
les animent du centre ganglionnaire inférieur ou pédieuæ. C'est 
là une des raisons qui ont fait donner le nom particulier à la glande 
qui va nous occuper. 

Les tentacules (2) ne sont que les lèvres prolongées d’une fente 
transversale, au fond de laquelle on trouve un orifice conduisant 
dans la cavité de la glande. 

Ces tentacules fort longs, quand l'animal ne les contracte pas, 
sont'creusés d'une cannelure qui est la prolongation de la fente, au 
fond de laquelle se trouve l’orifice ; ils sont, si l’on veut, creusés 
en une pelite goultière qui regarde en dedans. 

Leur base est unie par une membrane transversale qui cache 


(1) Voy. Ann. des se. nat., Zool., 4° série, t. XII, fig. 1, s’, fig. 7, d; 
pl. 6, fig. 1 et2 (s’). 

(2) Voy. ibid., fig. 7. Les tentacules rabattus en arrière montrent le canal 
ou la gouttière de leur bord antérieur, et la lèvre supérieure (e) a été fendue 
pour laisser voir celui-ci, 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 239 
en haut l’orifice, tandis que sur le côté inférieur ou sur la face du 
pied, ellese continue avec un petitmamelon aplati à peu près rond. 
Si l’on prend les deux lamelles des tentacules en supposant l'ani- 
mal couché en long, la lamelle supérieure d’un côté se continue 
avec celle de l’autre, tandis que les lamelles inférieures se soudent 
avec la base du tubercule où mamelon placé sur le pied même. 

Après celte union des bords de la fente et des tentacules, la base 
se rélrécit en une sorte de pédicule (1), qui se prolonge jusqu’à 
la glande en glissant sous {ous les organes à la face dorsale de la 
couche musculaire du plancher inférieur de la cavité du corps, et 
qui esten fin de compte la face supérieure du pied. 

Ce pédicule tubuleux passe sous les ganglions pédieux qui, 
quoique assez éloignés comme on le verra, sont réunis par une 
commissure bien évidente (2). L'organe qui nous occupe est ma 
nifestement sous la commissure. 

A partir du système nerveux, l'organe glandulaire va en s’élar- 
gissant, puis en se rétrécissant, ce qui lui donne la forme d’un fer 
de lance, ou d’un rhombe long, obtus ou arrondi sur les côtés. 

En l’observant attentivement, on trouve que, sur sa face supé- 
rieure, il est parcouru par un sillon médian longitudinal, d'où 
partent de petits sillons secondaires obliques, dirigés d’arrière 
en avant et de dedans en dehors. 

En le fendant sur la ligne inédiane (3) ou dans le sillon supé- 
rieur, on arrive bientôt dans la cavité. L'épaisseur des parois 
est considérable, tandis que la résistance est des plus faibles ; cela 
tient à la nature glandulaire, 

La structure de cette poche est curieuse ; elle doit nous arrèter 
particulièrement, en raison même de la disposition toute spéciale 
qu'elle présente, et qui, à bien des égards, mérite l'attention. 

L'apparence striée qu'on remarque à l'extérieur à sa raison 
d'être dans les plis très nombreux que l’on trouve dans l'intérieur. 
Voici quelle est la disposition : sur la ligne médiane et sur la face 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIIN, pl. 4, fig. 7 (f); voyez 
“aussi la Gg. 3, pl. 6. 

(2) Voy. ibid., pl. 6, 5g. 3. 
(2) Voy. ibid., pl. 4, fig. 7 (g). 


240 NH. LACAZE-DUTMIERS, 


inférieure de la cavité, on voit comme un bourrelet régulier qui 
arrive à peu près jusque vers le milieu de la longueur (1). De 
chaque côté de lui, il part des plis (2) dirigés d'avant en arrière et 
de dedans en dehors. Plus ces plis s’éloignent du bourrelet mé- 
dian, plus ils deviennent saillants, plus ils sont épais ; de sorte que, 
arrivés sur le bord de l'organe, ils forment de véritables lamelles 
saillantes dans la cavité, et toutes ces lames, parallèles les unes aux 
autres , se réfléchissent sur le bord, se continuent en dessus, et 
reviennent jusqu’au sillon médian supérieur. Ce sont les bases 
de ces plis qui, se dessinant en dessus, font paraître tout l’orgame 
comme strié. 

Ces lamelles se détachent les unes des autres avec la plus grande 
facilité, surtout en dessous ; la membrane externe de l'organe sur 
lequel elles sont soudées offre très peu de résistance, et se dé- 
chire très aisément. 

Dans son ensemble, cet organe présente donc une cavité et des 
parois feuilletées, lamellaires, d'une nature glandulaire. 

Malheureusement je ne puis en faire connaître l'histologie ; 
mon départ rapide, au moment où je continuais les recherches, 
m'a fait laisser de côté, avec beaucoup d’autres dispositions, 
celle-ci. 


Orifice de la face inférieure. 


J'apporte une grande réserve relativement au fait suivant. Je dé- 
clare ne l'avoir constaté que sur des animaux conservés soit dans 
la glycérine, soit dans l’alcool, soit enfin dans une liqueur saline, 
et je dirai, en passant, que je n’oserais jamais faire!l’étude de la 
structure ou de la texture microscopique d’un organe sur des ani- 
maux conservés dans de la glycérine, bien que quelques personnes 
aient prétendu que tout revenait à l'état primitif quand on plon- 
geait dans l’eau les animaux ainsi conservés ; c’est là même ce qui 
m’empêche de dire ce que j'ai pu observer au microscope sur des 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 4, fig. 7 (i). 
(2) Voy. ibid. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 241 


individus qui cependant paraissaient parfaitement frais en appa- 
rence, et qui semblaient, quand la glycérine qui les imprégnait 
était dissoute, sortir de la coquille d’un animal frais. 

Je présente donc les faits observés sur des individus dans les 
conditions indiquées, chacun jugera de leur valeur, et je déclare 
d’ailleurs vouloir les vérifier encore sur des animaux vivants et 
faire quelques expériences. 

La glande pédieuse m’a paru constamment ouverte en dessous. 
Depuis la terminaison de l'extrémité postérieure du bourrelet mé- 
dian d’où rayonnent les lamelles, jusqu'au sommet pointu de 
l'organe, on trouve exactement sur la ligne médiane une fente qui 
continue la direction du bourrelet médian (1). 

Voici sur quels faits j'appuie l’existence de cette glande : 

En ouvrant l'organe par la face supérieure avec la plus grande 
attention, afin de ne lui faire éprouver en dessous aucun tiraille- 
ment, etle laissant complétement en place, j'ai toujours vu, en 
examinant sous de forts grossissements, qu'il n'y avait pas de trace 
de débris sur les lèvres de la fente ; d’où j’ai été conduit à conclure 
qu’elle n’était point le résultat d’une déchirure. 

Ajouter cependant que les lamelles s’isolent très facilement en 
dessous et surtout sur le milieu de l'organe est nécessaire. Ceux qui 
interpréteront les faits pourront juger de la valeur des recherches, 
suivant qu'ils verront ce fait favorable à telle ou telle opinion. 

Une autre expérience qui n’a jamais manqué de réussir est 
celle-ci : en poussant des injections dans la cavité générale du 
corps ou en injectant les vaisseaux, ce qui conduisait alors la 
malière dans la cavité du corps, toujours j'ai rencontré de l'in- 
jection dans l'organe, et l'injection avait toujours évidemment 
pénétré par la fente longitudinale inférieure. 

Faut-il encore voir ici le résultat d'une déchirure produite par 
le liquide ? 

Enfin peut-on expliquer cet orifice par la contraction des ani- 
maux, qui aurait déterminé des tiraillements propres à séparer les 
lamelles médianes? 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIE. pl. 5, fig. 7 (h). 
4° série. Zoo. T. XIII. (Cahier n° 4.) 4 56 


212 H. LACAZE-DUTHIERS, 

Voilà les faits et les objections; observer de nouveau sur 
des animaux vivants, est mon intention, et je serai le premier à 
faire connaitre les résultats différents, s’ils venaient à se présen— 
ter par l'étude d'individus dans de meilleures conditions. 

Mais tels qu’ils s'offrent maintenant, ils ont une grande valeur ; 
en effet, la poche glandulaire pédieuse peut avoir, sans doute, 
un role particulier difficile à définir, mais elle sert d’inter- 
médiaire entre la cavité générale du corps et l'extérieur; or ne 
voit-on pas là le moyen pour l'animal de verser au dehors le 
liquide abdominal, qui n’est autre que le sang, ou bien encore de 
faire pénétrer dans les cavités splanchniques l’eau apportée par 
l'orifice externe, et conduite par ces longs tentacules pédieux 
creusés en gouttière ? 

On comprend maintenant toute l'importance qu’il faut attacher 
à cet organe, puisqu'ici il nous montre la communication avec 
l'extérieur de l'appareil cireulatoire. 

Voilà un nouveau fait très curieux qui vient s'ajouter à ceux 
déjà si probants que j'ai observés sur les Dentales et Pleurobran- 
ches, et auxquels je vais prochainement en ajouter d’autres par 
l'observation d'animaux tout aussi différents des premiers que 
celui-ci. 

On peut remarquer que si c’est bien réellement iei le lieu de 
communication entre l’extérieur et l'appareil de la circulation, il 
y à évidemment une grande différence entre les Mollusques, 
dans la position de cet orilice de communication. 

Les Vermets ne sont pas les seuls Gastéropodes qui présentent 
une glande pédieuse. Il en est beaucoup d’autres qui offrent des 
choses semblables au fond, mais différentes dans les détails ; il y 
aura lieu à chercher l’analogie, 


(1) Voyez, pour ces animaux, les articles intitulés : Orifices extérieurs de la 
circulation, loc. cit. È 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 243 


XI 


Organes de la reproduction. 


Des animaux fixes ei ne pouvant changer de place, sont des 
êtres qui évidemment doivent ou bien se féconder eux-mêmes, ou 
bien avoir les sexes séparés et se féconder à distance comme 
les plantes dioïques. Dans le premier comme dans le second cas 
il n’esl pas nécessaire pour les animaux d’avoir des organes copu- 
lateurs, les rapprochements sexuels ne pouvant pas avoir lieu, 
les organes qu'ils supposent et impliquent sont par cela même 
inutiles. Dans les Mollusques Acéphales dioïques on trouve seu- 
lement les glandes génitales sans les accessoires. 

Ici, d’après ces considérations, on devait s'attendre à ne point 
rencontrer d'accouplement et d'organes spéciaux. 

L'appareil est donc réduit aux organes fondamentaux, aux 
glandes génitales proprement dites. 

Nous constatons done d’abord un fait : les sewes sont séparés, il 
n’y a pas d'hermaphrodisme, les individus sont mâles ou femelles, 

On peut rapprocher cette opinion de ce que disent dans son 
travail M. Schmarda (4) et avant lui V. Siebold. 

Il faut rejeter l'opinion de MM. Quoy et Gaymard, qui décla- 
rent nettement qu'ils sont hermaphrodites (2). 


a. De la glande en général. — La glande génitale, qu'elle soit 
mâle ou femelle, offre à peu près la même disposition, quelques 
différences extérieures de coloration, ete., etc., la font cependant 
distinguer. 

Elle à une posilion constante à côté du foie, sinon dans toute a 
largeur, du moins dans la plus grande partie. Le foie, a-t-il été dit, 
occupe tout le corps en arrière de l’estomac; c’est sur le côté droit 
formant une lamelle assez mince que se place la glande génitale(3), 


(1) Voy. loc. cit., p. 135, Nach den Untersuchungen Siebold’s sind die Ge- 
schlechter getrennt. Voy. Anatomie comparée de V. Siebold. 

(2) Voy. Voyage de l'Astrolabe, mouLusques, p, 285, 

(3) Voy. Ann. des sc. nat, Zool., 4° série, t. XIIT, pl, 5, fig. 2 (c et k), Il 


2h I. LACAZE-DUTHIERS. 


souvent on trouve quelques-uns de ses cæcums sécréteurs du côté 
gauche, mais toujours quand ils existent de ce côté ils sont en 
très petit nombre. 

Le canal excréleur reçoit les produits de la sécrétion dans toute 
la longueur de la glande et est placé à côté du tube biliaire principal 
et du vaisseau sanguin artériel que nous avions considéré comme 
la terminaison de l'artère aorte postérieure. 

Dans une coupe du corps où les glandes et les vaisseaux sont 
dans leur position respective, les trois canaux se trouvent en bas, 
à côté les uns des autres, et les glandes en dessus (1). 


b. Orifice. — L'ouverture extérieure de la glande génitale se 
fait, dans un point facile à déterminer, c'est comme dans les autres 
Gastéropodes, au côté droit qu’on la trouve (2). 

Elle est très grande relativement, chose qui s'explique pour les 
femelles et un peu moins pour les mâles. 

Exactement entre le rectum et le corps, dans la cavité palléale, 
plutôt en arrière qu'en avant, elle s’avance dans les femelles 
beaucoup vers la tête. 

Sa forme est celle d’une longue fente répondant à une bourse en 
forme de nacelle coupée de compartiments perpendiculaires à sa 
direction, c’est au fond d’une longue cavité une série de dépres- 
sions ou de culs-de-sac, qu’on peut considérer comme des cel- 
lules ouvertes. 

Le canal excréteur des glandes vient s’ouvrir à l'angle posté- 
rieur de celte poche, et verse ses produits dans le sillon qu'elle 
forme ; j'ai presque toujours constaté vers l’orifice du canal pro 
prement dit, deux petits points jaunes, dont la nature m'a paru glan- 
dulaire (3). Ils faisaient loujours aisément reconnaître l'ouverture. 


est important de remarquer qu'une séparation existe dans celte figure entre les 
deux moitiés du corps. L'animal est supposé enlier; mais, tandis qu'en avant 
il est représenté femelle jusqu'en (d), à partir de (e), il est mâle. 

(1) Voy. Ann. des sc nat., Zool., 4° série, t. XIII, fig. 3 : (a), artère abdo- 
minale postérieure et ses rameaux; (b), glande génitale: (c), foie. Les canaux 
correspondent au côté inférieur ou concave du corps. 

(2) Voy. ibid., fig. 2 (0), animal femelle, 

(3) Voy. ibid. (a). 


| 
| 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 245 


Dans le mâle (1), la poche qui semble la terminaison du eanal 
excréteur, n'offre pas aussi développées les cellules secondaires; 
dans les femelles, au contraire, ces dépressions sont extrême- 
ment prononcées; il est très probable que c’est dans leur inté- 
rieur que se forment les paquets d'œufs, et les parois doivent 
certainement sécréler le liquide qui donne naissance à ces em- 
poules ovoïdes où l’on verra enfermés les jeunes embryons. 

Je dois mentionner un fait que j'avais cru d’abord concluant, 
mais que je n'ose maintenant affirmer, car tous les animaux que j’ai 
étaient sortis des coquilles et mélangés. Je ne pourrais dire exacte- 


ment s'ils correspondent au Ÿ”. triqueter ou au V. semisurrectus. 


Il m'avait semblé trouver une certaine relation entre la forme du 
manteau et le sexe (2); j'avais cru voir que toutes les coquilles 
portantdes œufs avaient aussi un animal dont le manteau était fendu 
sur le dos. Cette relation était naturelle, elle concordait avec l’idée : 
que l’on pouvait ou devait se faire de la manière dont étaient dépo- 
séesles capsules. Mais quelques exemples un peu douteux par l’état 
de la glande, venant s'ajouter au mélange des individus des deux 
espèces, ne me permettent de présenter ce fait qu'avec réserve. 


C. Structure des glandes. —Glande mâle.—Elle se présente sous 
forme d’arborisations délicates peu étendues et assez simples ; les 
culs-de-sac sécréteurs isolés, un peu éloignés les uns des autres 
et par cela même très distincts, sont rendus plus évidents encore 
par leur couleur jaunâtre d’un orangé presque vif qui tranche avec 
le brun-verdâtre sombre du foie sur lequel ils reposent (3). 

Is ne sont guère superposés, et même ils ne sont pas assez 
rapprochés pour donner à l'esprit l'idée d’une couche continue. 

Soumis à l’examen microscopique, on les voit formés d’une 
membrane transparente extérieure limitant le parenchyme, dont 
la disposition et les éléments ressemblent à ceux que l’on voit 
dans d’autres Mollusques (4). 


(4) Voy. Ann. des sc, nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 6, fig. 2,0. 
(2) Voy. ibid., pl. 5, fig. 4. 

(3) Voy. ibid., pl. 5, fig. 2 de(e) en (f). 

(4) Voy. ibid. fig. 5. 


9h6 fi. LACAZE-DUTUIERS. 

De toutes ptites cellulés transparentes, agglomérées et préssées 
les unes contre les autres, forment ce parenchyme sécréteur de 
l'élément mâle, ou du spérmalozoïde (1). 

Parmi elles on voit des points de matière jaune orangé qui 
donnent l'apparence et la couleur à la glande vuë én général. 

Les spermatozoïdes libres sont longs et actifs. 

Leur tête (2) est un peu courbée, un peu effilée et pointue à son 
extrémité; du reste, elle he présente pas un développement en 
travers très considérable, et elle ne sé distingue de la quete que 
par un peu plus d'épaisseur, mais voilà fout. 

Avant d'être libres, les filaments spermatiques sont réunis en 
paquets par la tête, ét, comme dans bien d’autres exemplés, on 
les voit encore unis, vibrer déjà, par leur extrémité caudalé (3). 

On en réncontre, aû milie des éléments caractéristiques dû 
“parenchyme , qui sont én partie dégagés de là cellule produe- 
trice (4). Ce reste de l'élément, aux dépens duquel ils sont dévé- 
loppés, est tantôt à la tête, tantôt au milieu où à l'extrémité de la 
queue ; il ne faudrait done pas trop affirmer que c’est par telle ou 
telle de ses parties qu'il se dégage dés corpuscules, qu’on regarde 
généralement aujourd'hui comme leur point de départ. 


Glande femelle. — Ovaire.— Il occupe une position toute sem- 
blable à celle du testicule ; mais son apparence est un peu diffe- 
rente, plus blanchâtre, ou d’un jaune orangé moins vif; il est 
habituellement plus distendu par les produits de sa sécrétion ; aussi 
tous les culs-de-sac sécréteurs se touchent-ils et sont-ils bosselés, 
boursouflés. A la seule inspection extérieure, quand du moins on 
a été guidé par un premier examen microscopique, on arrive à 
distinguer les sexes à la simple vue (5). 


(2) Voy. ibid., fig. 9 (a). 

3) Voy. wid., fig. 7 et 8. 

(4) Voy-ibid.} fig: 9 (b): 

(5) Voy. ibid., fig. 2. La moitié antérieure du corps à été de (6) en (d), repré- 
sentée avec la glande femelle, que l'on Supposerait prolongée jusqu'en f, si l'on 
voulait se faire une idée de l'ensemble 


(1) Voy. Ann: des sc. nat., Zool., 4° série, t. XII, pl. 5, fig. 6. 
) 
( 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 2h7 

L'œuf est remarquablement gros (1) et développé dans les Ver- 
mets ; on peut en juger par la gfüsseur même des éléments de son 
vitellus. Cette condition s'oppose à ee que les recherches de struc- 
ture intime soient aussi faciles que sur bien d’autres espèces ; on 
a en effet une grande difficulté à débarrasser quelques débris du 
eul-de-sac sécréteur de la plupart des éléments qui le composent, 
et à ne conserver que quelques œufs suspendus à lui. 

Tout semble devoir faire admettre un parenchyme cellulaire 
comme dans d’autres animaux. Les œufs se développent dans des 
cellules, et deviennent saillants dans la cavité des acini ou culs- 
de-sac sécréteurs. Le grand développement que prennent l'œuf et 
surtout ses granulations vitellaires (2), masque la disposition de 
la téxture intime. 

Mais, du reste, on rencontre au milieu dés préparations des 
œufs à différents états de développement, et l’on peut par cela 
ième juger à la fois de leur composition quand ils sont mürs et 
de la disposition générale (3). 


Remarque. — 1 ne paraît pas probable que la séparation des 
sexes soit seulement une apparence due à la ponte ou au rejet de 
tous les produits de la glande femelle, qui ne laisserait plus que 
l'élément mâle. 

Une semblable interprétation, qui certainement peut être sou- 
tenue pour quelques Mollusques hermaphrodites paraissant tantôt 
mâles, tantôt femelles, ne peut ici être avancée, et voici pourquoi. 
Dans beaucoup d'exemples examinés, il n’est: pas douteux que la 
ponte ne s'effectue successivement et non à la même époque ; 
d’après ce fait seul on aurait dû trouver réunis à da fois et les 
spermatozoïdes et les œufs. Cela n’est pas arrivé ; de plus, sur 
quelques individus, les glandes femelles paraïissaient comme flé- 
tries ; elles avaient évidemment versé leurs produits, et cependant 
on ne rencontrait en elles ni l’aspect, ni les caractères du testicule. 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XII, pl. 5, fig. 41. 
(2) Voy. ibid., fig. 12. 
(3) Voy. tbid., fig. 41. 


218 H. LACAZE-DUTDIERS. 


XII 


Organes de la locomotion. 


Dans la description générale, on a vu que le pied était repré- 
senté par une sorte de piston eylindrique inférieur à la tête, coupé 
perpendiculairement à l'axe du corps, et portant un petit opercule 
central trop petit pour pouvoir fermer complétement l'orifice de 
la coquille ; du reste, il y a, il doit y avoir des différences spéci- 
fiques relatives à cette disposition. 

Charnu et contractile, il se durcit quand on l’irrite. 

Il forme par ses fibres longitudinales et postérieures le plan in- 
férieur du corps, et se continue avec les paquets des fibres allon- 
gées qui s’enroulent au côté concave de la coquille en s’attachant 
à elle (4). 

Le manteau est un tube placé au-dessus et au-dessous du pied 
et de la tête, qu’il entoure et enferme dans sa cavité. Tantôt fendu, 
tantôt complétement tubulaire, il est la représentation de la coquille 
qu'il a sécrétée. 


XIII 


Organes de l'innervation proprement dite. 


Le système nerveux, ici comme dans tous les animaux, peut 
être divisé en deux groupes, suivant que les phénomènes auxquels 
il préside sont en rapport avec la vie animale ou la vie végétative. 
Nous suivrons cette division. 


1° Système nerveux de la vie animale, 
Dans des publications qui ont précédé celles-ci, j'ai insisté sur 


l'insuffisance de cette distinction; en effet, tantôt l’un des systèmes 
est plus exclusivement destiné à la vie animale, tout en fournissant 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool,, 4° série, t. XII, pl. 5, Gg. 4. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 249 
aux besoins de la vie végétalive; tantôt, au contraire , l’autre, 
tout en étant en grande partie destiné à des organes volontaires, 
fournit à des appareils, que l'on peut regarder à bon droit 
comme indépendants de la volonté, du moins dans les animaux 
supérieurs. 

Ceux qui ont, avec tant de joie, attaqué cette belle distine- 
tion de Bichat trouveraient bien certainement dans les Mollusques 
des exemples démonstratifs de leurs opinions opposées à celles 
du grand physiologiste et fondateur de l’anatomie générale. 
Cette distinction n'en a pas moins jeté le plus grand jour sur 
l'anatomie physiologique, et la rejeter, bien qu’elle présente des 
exceplions sans doute importantes, presque des inconvénients, 
serait se priver d'un moyen commode dans les descriptions. 

Le système nerveux des Vermets, malgré leur petite taille, n’est 
pas à beaucoup d’égards aussi difficile à disséquer que dans bien 
d’autres animaux. 

Il sera décrit, tel qu’on peut le voir, en faisant successivement 
les préparations suivantes : 

Quand on fend (1) le manteau jusqu’au fond de son cul-de-sac, 
et qu'on rejette à droite et à gauche les lambeaux avec quelques 
légères préparations, on arrive à voir de très nombreux rameaux 
se dégager au-dessous de la tête et aller au manteau. On voit 
surtout deux cordons parallèles au corps qui descendent jusqu’au 
niveau du corps de Bojanus, et qui s'unissent l’un à l’autre en for- 
mant une arcade (2). 

Pour voir l’origine de ces nombreux filets, il faut fendre les 
parois de la tête ; on arrive alors à la préparation la plus ordinaire 
que l’on trouve représentée dans presque toutes les planches (3). 


Ganglions.— En arrière de la masse linguale, on rencontre les 
ganglions formant par leur rapprochement un cercle qui entoure 
l'æsophage, immédiatement après l'appareil lingual (4). 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 6, fig. 4. 
(2) Voy. ibid. (p', Z!", à). 

(3) Voy. ibid., fig. 2. 

(4) Voy. ibid, V,Z. 


250 M. LACAZE-DÜPUIERS. 

Les ganglions ainsi groupés en cérele Sont au nombre de six, et 
{orient trois paires. On voit aussi à côté d’éux quelques développe- 
tnents Secondaires dépendant de la racine des principaux nerfs, 
ais qui ne doivent évidemment être considérés autrement que 
comme des renflements accessoires secondaires. 

La teinte jauñe-orangé et la forme globuleuse qu'ils présentent 


{oiis, Sont assez inarquées pour qi'ils soient toujours facilement 
reconnus. 


Centre supérieur où ganglions céphaliques sus-æsophagiens. 


Il est composé de deux petites masses ovoïdes placées sur les 
côtés de l’origine de l'ésophage tout près de la masse linguale (1). 


La commissure qui unit ses deux moitiés est longue, aussi 
relativement à la taille de l'animal les deux ganglions sont-ils éloi- 
onés. Le rapprochement et l'éloignement des masses sont très 
différents suivant les espèces, et n’ont pas certainement l’impor- 
tance générale qu’on a voulü lui attribuer. 


Les #erfs qui en naissent sont tous exclusivement destinés à la 
têle. 

Leur nombre est assez variable cependant, mais on peut au 
milieu de ces variations reconnaître de chaque côté le plus habi- 
tuellement trois paires importantes (2). 

Unie est interne où supérieure; elle envoie des filets à la partie 
antérieure et supérieure de la tête et des lèvres. 

Nommons la paire des nerfs labinux supérieurs. 

Une autre naît près de celle-ci ; elle va à la partie moyenne de 
la lête et des lèvres : c’est la paire des nerfs labiauæ moyens et des 
sens. On voit, en effet, se détacher, ou mieux se séparer du tronc 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 6. Dans les diverses 
figures la partie marquée V: 

(2) Voy. bid., fig. 3. Les nerfs ont été laissés en place avec la paroï de la 
tôle à droite ; on pourra donc, bien qu'ils ne soient pas isolés, reconnaître leur 
position; ils ont été désignés collectivement par la lettre (x). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS 951 


commun qu'ils forment avec elle, les nerfs deslinés à l'œil et au 
tentacule. 

Tantôt cette séparation se fait plus ou moins près du ganglion, 
ce qui évidemment montre qu'il n’y à qu'un simple accolement. 


Le tentacule céphalique (1), celui qui mérite bien ce nom, et qui 
correspond à ces organes souvent si développés, des Doris, des 
Actéons, des Aplysies, des Tethyes, ete., est court et petit, pointu 
à son extrémité libre ; il est le plus habituellement courbé en arc 
en dedans; il ressemble à une petite corne. 

Ce sont ces tentacules qui sont considérés comme les organes 
de l'olfaction. L'état des animaux n’a pas permis de voir quelle 
était la disposition des ramifications nerveuses pénétrant dans 
leur intérieur déjà petits par eux-mêmes, et très réduits quand il 
est contracté ; la dissection en devient extrêmement difficiles. 

On peut remarquer que le développement considérable du bulbe 
lingual, relativement à célui de la tête proprement dite, a rendu 
celle-ci presque globuleuse. Il faut ajouter que ses parois se mou- 
lent sur le bülbe lingual ; de là l’écartement considérable des deux 
tentacules. 


Les yeux (2) sont noirs et petits, supportés aussi par un petit 
mamelon charnu placé à la base du tentacule olfactif. 

Les deux nerfs olfactifs et optiques, après s'être séparés du nerf 
labiäl moyen, réstent encore assez longtemps unis, et souvent ne 
se séparent guère qu'à leur entrée dans les organes auxquels ils 
sont destinés (3). R 


Une troisième paire est celle que l’on peut nommer supérieure ; 
elle nait toujours sur le côté des précédentes, et se dirige en 
dessus en contournant la masse linguale pour aller se distribuer 
surtout aux parois supérieures de la tête. 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoul., 4° série, t. XIIE, pl. 6, la partie marquée Q. 
(2) Voy. ibid. fig. 3. 
(3) Voy. ibid., fig. 3 et %, V. 


252 H. LACAZE-DUTHIERS. 


Toutes ces branches sont longues et volumineuses, flexueuses et 
plusieurs fois ramifiées ; leurs flexuosités s'expliquent aisément, en 
raison des mouvements nombreux qui se passent dans la tête que 
remplit le bulbe lingual, organe éminemment actif. 

Suivant que leurs ramifications commencent plus ou moins près 
des ganglions, le nombre des paires semble augmenter ou di- 
minuer. 


Il faut encore rapporter au centre sus-æsophagien deux petits 
nerfs, qui naissent plutôt d’un connectif que d’un ganglion, et 
qui vont se distribuer aux féguments postérieurs de la tête (L). 

On les a vus dans les Haliotides très évidents. Morphologique- 
ment, ces deux petits rameaux ont de l'importance ; ils doivent 
être signalés. Ce n’est que dans un travail général que leur signi- 
fication exacte sera établie. 


Centre inférieur ou ganglions pédieux. 


La paire de ganglions, formant le centre le plus régulier et tou- 
jours constant, est certainement celui qui fournit des nerfs au pied ; 
on la trouve tout à fait au-dessous de l'æsophage et de la langue, 
entre le tube digestif et l’organe glandulaire pédieux (2). 

Ces ganglions sont ovoïdes età peu près de la même taille que 
les supérieurs ou sus-æsophagiens ; distants l’un de l’autre, une 
commissure les unit; on les trouve à peu près sous le ganglion 
supérieur, auquel ils correspondent exactement sur un plan infé- 
rieur. Ils fournissent deux paires principales et quelques autres 
ramuscules secondaires. 

Les nerfs principaux (3) se distribuent au pied ; par conséquent, 
ils se dirigenten avant. Ils rappellent par leur volume, leurs flexuo- 
sités, les nerfs céphaliques ou labiaux , et ne se divisent qu'après 
avoir pénétré dans le pied , et être sortis de la cavité céphalique. 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., &° série, L. XIIL, pl. 6, fig. 3 et 4, a. 
(2) Voy. ibid. fig. 3. 
(3) Voy. ibid., sa partie marquée X. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 253 

La paire externe (1) se distribue à la partie correspondante du 
pied. 

Quant à la paire interne (2), elle longe le bord externe de la 
glande pédieuse, et pénètre même dans la base de ces deux ten- 
tacules que l'on voit entre la tête etle pied. Arrivée à la base de 
ceux-ci, elle leur fournit un rameau, tandis qu'elle continue son 
trajet vers la partie médiane du pied. 

Voici une démonstration certaine de la nature des seconds 
tentacules, si déjà les détails anatomiques précédents n'avaient 
montré qu'ils n'ont rien de commun avec les organes tactiles que 
porte la tête. 

On voit comment, en prenant le système nerveux pour guide, 
on a été conduit à considérer et la glande et les filaments tentacu- 
laires comme des dépendances du pied. 

Sur les côtés de la paire interne (3), ce ganglion fournit un petit 
nerf qui a paru constant, et qui, s’accolant au bord de la glande, 
se dirige en arrière en passant sur sa face inférieure. 

Enfin en dehors de ces nerfs principaux on en trouve encore 
deux ou trois secondaires qui se perdent dans le tissu sous-jacent, 
el ne vont pas jusqu’au pied lui-même (4). 


Centre moyen ou ganglions asymétriques. 


Je ne puis que renvoyer à ce qui a été dit relativement au Pleu- 
robranche et à l'Haliotide pour la discussion des noms qu'on 
peut donner aux ganglions cervicauæ de M. Blanchard, pallio- 
splanchnique de M. Huxley, ou bien enfin pallio-génilo-respi- 
raleurs. 

Ici grande, très grande, est la différence avec ce qui s’observe 
dans les deux animaux cités précédemment. 

Les ganglions sont bien en effet sur les côtés, et le nom de cer- 
vicaux pourrait bien ici leur être appliqué. 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIE, pl. 6, figures diverses, s'”. 
(2) Voy. ibid., s. 
(3) Voy. ibid. (1). 
(4) Voy. ibid. (r). 


254 H. LACAZE-DUTHIERS. 

Relativement aux deux groupes supérieurs et inférieurs, ils sont 
moyens. Il suffit de les étudier dans une préparation latérale pour 
s’en convaincre (1 

On les voit donc en arrière des ganglions cérébraux, au-dessous 
d’eux, mais au-dessus des ganglions pédieux. Comme les ganglions 
supérieurs et inférieurs sont à peu près au-dessus l’un de l’autre, 
il n’est pas possible de ne pas reconnaître immédiatement ceux qui 
vont maintenant nous occuper. 

Ovoïdes, sans être très allongés, ils ont une extrémité un peu 
effilée dirigée en arrière, L'un droit est plus en dessus que le 
gauche, qui se glisse un peu en bas sous l’œsophage. Ces formes 
et dispositions sont la conséquence de la direction des nerfs et, 

ec l'asyméte. 

Voilà bien une paire de ganglions, mais à coup sûr on ne (rou- 
yera pas dans la position, le volume, etc., de chacun de ces gan- 
glions, une régularité semblable à celle qu'on vient de voir dans 
les autres ganglions, 

Déjà il y a un peu d’asymétrie dans cette partie centrale. 

Avant de décrire les nerfs de ce centre ganglionnaire, il faut 
étudier isolément les connectifs qui unissent toutes ces petites 
masses nerveuses. 


Des connectifs. 


C’est de leur étude exacte que découlent nos connaissances géné- 
rales sur l’ensemble du système nerveux ; aussi a-t-on vu dans les 
études sur l'Haliotide, etc., avec quel soin la description en à été 
faile. 

Du côté opposé à la commissure des ganglions sus-æsophagiens, 
on trouve deux gros troncs nerveux qui se dirigent en bas vers 
les deux autres masses ganglionnaires (2). L'un antérieur plus long 
aussi, puisqu'il doit aller plus loin, se porte au ganglion pédieux F 
et se dirige un peu en avant. Longueur et direction, voilà deux 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XITL, pl, 6, fig. 4. Ils sont 
du reste désignés dans les figures par la lettre Z. 
(2) Voy. ibid,, fig. 4(b). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS, 255 
choses qui sont la conséquence de la position assignée aux centres 
supérieurs et inférieurs. 

L'autre postérieur (4) plus court se dirige un peu en arrière 
pour atteindre l'extrémité renflée du ganglion moyen; il suflit de 
bien examiner les choses de eûté pour reconnaître la disposition et 
les caractères qui en sont la conséquence. Mais le ganglion moyen 
n’est pas isolé du ganglion pédieux ; il lui est uni par un connectif 
qui est très court, et qui se dirige en avant. Ainsi sur les côtés du 
tube digestif, immédiatement en arrière de la masse linguale, si 
l'on fait une préparation latérale, on aperçoit un triangle, dont les 
angles sont occupés par les ganglions (2). 


Commissures. 


Si les ganglions différents sont reliés par des connectifs, de 
même ceux qui sont semblables, c’est-à-dire ceux qui se ré- 
pètent symétriquement des deux côtés, doivent être unis entre 
eux près des commissures; nous ayons déjà trouvé des cordons 
transverses entre les ganglions supérieurs et inférieurs; il reste à 
les trouver entre les ganglions moyens. : 

La recherche de cette bande transversale a un grand intérêt, 
voici pourquoi : le nom de moyen imposé aux ganglions que nous 
étudions implique une position relative absolue ; cetle relation est 
la conséquence des rapports de tout le système nerveux avec le 
tube digestif. 

Ce sont certainement les commissures qui nous font juger des 
rapports du tube digestif et du système nerveux; cela n’est pas 
douteux pour les ganglions pédieux et sus-æsophagiens. 

Dans quelques Nudibranches, les ganglions pédieux remontent 
sur les côtés de l'æsophage, de telle sorte que, loin d’être infé- 
rieurs absolument parlant, ils seraient plutôt supérieurs et latéraux. 

Mais néanmoins la position reste toujours la même; ils sont 
inférieurs par rapport à l'œsophage, sous lequel passe leur com- 
missure. 

Où donc trouver la commissure de la paire asymétrique ? A 


(4) Voy. Ann. des sc, nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl, 6, Gg, 4 (c), 
(2) Voy. ibid, 


256 H. LACAZE-DUTMIERS. 


droite et à gauche, on voit partir deux ou trois cordons volumi- 
neux des ganglions moyens, qui se dirigent, les antérieurs, dans 
le manteau, les postérieurs différemment des deux côtés. 

A gauche, le cordon se bifurque tout de suite après sa naissance. 
L'une des branches (1) va s'anastomoser avec celle du manteau de 
droite ; l’autre (2), la plus grosse et la plus importante, passe sous 
tous les organes, sous la poche pédieuse même, et gagne le côté 
droit du corps, dont elle suit le bord de la cavité jusqu’au fond du 
cul-de-sac palléal. Cela se voit par la plus simple préparation, sur- 
tout sur les individus conservés dans la glycérine. 

A droite, le ganglion moyen donne aussi comme à gauche deux 
nerfs, destinés, comme il a été dit en avant, au manteau, après 
l'union du nerf venant de gauche. 

Mais la branche fort importante (3), qui doit surtout fixer l’atten— 
tion, se courbe au-dessus du tube digestif, et par conséquent se 
porte à gauche. Si donc on considère la branche gauche placée sous 
les organes et celle-ci, on verra qu’elles se croisent comme les 
branches d’un X. C’est donc ici tout à fait la même chose que ce 
qui s’est présénté si nettement dans l’Haliotide. 

Ce cordon venu de droite et allant à gauche se renfle dans la 
paroi même du corps en un petit ganglion (4), d’où part un nerf 
volumineux qui suit le bord de la cavité de la partie antérieure du 
corps jusqu'au fond du cul-de-sac palléal ; il est donc parallèle à … 
celui du côté opposé. 

Les deux nerfs, qui, par un entrecroisement, ont en apparence 
abandonné leurs côtés respectifs, se rencontrent en arrière vers 
le fond de la cavité palléale. Là ils forment une arcade qui se 
renfle en un ou deux petits ganglions (5). 

L'ensemble de cette longue anse, dont une moitié s’est, par 
suite d’un déplacement, portée à gauche, unit donc évidemment 


(1) Voy. Ann. des sc, nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 6, fig. 2 et 3; elle 
s'anastomose avec (u) et (q). 
(2) Voy. ibid. (p). 
) Voy. ibid., v 
(4) Voy. ibid., Z', 
) Voy. ibid., Z!". 


| 
| 
| 
| 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 957 


les deux ganglions moyens transversalement. Est-ce une commis- 
sure ? L’affirmative me parait bien naturelle; cependant ne pour- 
rait-on pas dire que la branche interne de gauche, qui s’est anasto- 
mosée avec le nerf palléal droit, peut être considérée comme 
l'union transversale ? Cette question, pour être discutée et résolue, 
demande plus de données : si l’on compare les faits que présentent 
trois exemples bien différents, le Pleurobranche, l'Haliotide et le 
Vermet, on entrevoit déjà la solution; mais les exemples inter- 
médiaires sont encore nécessaires avant de formuler le résultat 
définitif. 

Qu'on le remarque, l’anse qui vient d’être décrite est toujours 
inférieure au tube digestif; au premier abord ceci paraît faux ou 
paradoxal. Mais en y regardant de près, on verra qu'il n’en est 
rien. Qu'on suppose la partie gauche de l’anse rabattue à droite, 
et l'œsophage sera au-dessus; seulement dans une partie de sa 
longueur, l’anse a pu se trouver entraînée à gauche et au-dessus 
de l’æsophage, et néanmoins conserver son rapport général ; l’anse 
forme un véritable huit de chiffre, dont la boucle postérieure, la plus 
grande et surtout la plus allongée, est remontée sur l’æsophage. 


Nerfs du groupe moyen. 


On voit ici mieux que dans l’Haliotide ce qu'il faut entendre 
par ce nom de groupe moyen ; il désigne non-seulement les gan- 
glions moyens, mais encore les ganglions secondaires nés sur cette 
anse si longue, unissant les ganglions supplémentaires, que l’on, 
peut considérer comme formant tout un groupe. 


Nerfs palléaux. — Dans l’Haliotide, on a vu des nerfs palléaux 
de deux ordres, les uns destinés au manteau supérieur, les autres 
au manteau inférieur ou collerette de dédoublement qui borde le 
pied. lei cette partie manque ; dès lors point de ces gros et grands 
nerfs qui l'animent. 

Le reste est semblable, et correspond à ce qui a été appelé dans 
l'Haliotide les nerfs palléaux supérieurs. A droite comme à gauche, 
on trouve un gros nerf qui va se distribuer au manteau en avant (1). 

(1) Voy. Ann. des se. nat., Zool., 4° série, L, XII. pl. 6, (d) (y). 

#° série. Zoor T. XIIL. Cahier n° & )! 17 


9258 H. LACAZE-DUTIIIERS. 


Les deux se rencontrent et s'anastomosent en dessus du pied. Si, 
par la pensée, on suppose raccourci le pied de l’Haliotide, le man- 
teau supérieur paraîtra en dessous du pied et l’entourera, et ce 
repli, si allongé en arrière, aura ses nerfs qui correspondront à 
ceux qui ont élé nommés nerfs palléaux supérieurs extérieurs. On 
a vu dans les deux cas naître ces nerfs directement du ganglion 
moyen. Cette analogie est importante ; on doit la remarquer, puis- 
que les ganglions sont ici très séparés, tandis que dans l'Halio- 
tide ils sont comme confondus non-seulement entre eux, mais 
encore avec les ganglions pédieux (1). 

Les nerfs palléaux internes (2) sont, par suite de l'allongement 
du corps, plutôt postérieurs. À gauche, ils se détachent du ganglion 
respiratoire, exactement comme dans l’Haliotide ; mais à droite, 
comme il n’y a point de dédoublement de la branchie, el pas de 
formation d’un ganglion droit, ils se détachent du palléal anté- 
rieur qui à reçu une anastomose du ganglion gauche, où du côté 
externe de l'anse, unissant les deux ganglions. 


On ne doit point oublier les anastomoses à angles aigus des nerfs 
venant des deux ganglions moyens, car elles peuvent jeter un peu 
d'embarras sur les distinctions ; mais une anastomose ne doit point 
par sa présence faire perdre de vue le point capital et important de 
la recherche. On trouve aussi un petit filet qui, du ganglion moyen 
gauche, va aux nerfs palléaux nés de l’anse à droite. C’est même 
un fait intéressant à noter que la multiplicité des anastomoses qui 
existent entre les nerfs des deux côlés dans le Vermelt. 


Ganglions et nerfs respirateurs.— Le petit ganglion (3), qu’on 
a dit naître sur le cordon allant à gauche en passant en sautoir 
sur l’æsophage, représente complétement ce que l’on a vu dans 
V'Haliotide. Il fournit des nerfs au manteau, à la branchie, et donne 
l’une des branches postérieures de la grande anse. 


(1) Voy. Anatomie du système nerveux de l'Haliotide (Ann, des sc, nat., Zool,, 
4° série, t. XII. 

(2) Voy. Ann. des se. nat., Zool., 4° série, L XII, pl. 6, fig. 2, 

(3) Voy. ibid., figures diverses, Z, 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 259 

Les nerfs palléaux passent sous la branchie en allant plus loin 
qu’elle, et se distribuent au repli palléal (D). 

Mais chose bien importante encore que je ne vois pas indiquée 
d'une manière spéciale, c’est la présence d’un cordon blanchâtre, 
parallèle à la branchie, placé sur son côté interne quand le man- 
teau est raballu, ou, si lon aime mieux, placé à gauche entre la 
branchie et le corps. Qu'est ce cordon (2)? Est-ce un ganglion ner- 
veux, longitudinal? Est-ce une seconde branchie? La seconde 
question parait inulile, ou même absurde dans le cas. Mais si l'on 
étudie les Pourpres, par exemple, on trouve de chaque côté de 
ce cordon des replis faciles à injecter, et l'on peut croire dans 
l'exemple à l'existence d'un second organe de la respiration. 

Le Vermet ne présente qu’un cordon flexueux et onduleux. La 
question de savoir ce qu'est ce filet ne peut donc être résolue pour 
les premiers cas. 

Mais ce qui certainement existe, c’est l'entrée de nombreux 
filets dans le cordon. En étudiant la Paludine, on verra que la 
disposilion est toute semblable, et que la nature nerveuse au 
moins, en s'en tenant aux simples dissections, semble probable ; 
mais encore des études comparées mèneront seules à cette con- 
naissance. Je crois qu'il sera peut-être possible de tirer parti de la 
disposition, de la forme, etc., au point de vue de la classification. 

Isoler les nerfs branchiaux proprement dits est chose fort diffi- 
- cile ; l'analogie seule a donc conduit ici à admettre qu'ils viennent 
de ces ramifications. 


Nerfs des parois du corps. — IIS naissent en plus ou moins 
grand nombre des deux côtés de la grande anse, et s’anaslo- 
mosent même au-dessus du corps (3). 


1 
Nerfs génitaux et péricardiques nés des ganglions postérieurs 
où génito-cardiaques (h).— On retrouve ici encore la même dis- 


(4) Voy. Ann, des sc. nat,, Zool., 4° série, t. XIII, pl. 6, Ng. 1 et 2, 
(2) Voy. ibid., fig. 4 et 2, l'. 

(8) Voy. pl. 6, fig. 4 et 2, Les nerfs nés des cordons iel p, 

(4) Voy. ibid, 77", 


260 M. LACAZE-DUTHIERS. 

position que dans l’Haliotide, aux proportions près ; mais quelques- 
uns des nerfs, appelés péricardiques dans ce dernier animal, 
paraissent ici destinés à la partie du corps renfermant les viscères, 
que cela avait déjà été pressenti. 

Les ganglions sont très variables; tantôt il y en a deux, mais 
bien souvent on n’en voit qu’un (1). Quand il en existe deux, le 
second se développe à gauche du premier, qui persiste, et se trouve 
comme fixé par l’origine constante du nerf qu’il donne au rein et 
au cœur. 


Le nerf génital droit (2) naît loujours un peu à droite du bord 
des ganglions, se place en dedans du canal excréteur des organes 
reproducteurs, et peut être suivi jusqu’à l'extrémité du corps, 
toujours du côté concave de l’enroulement. 

Quelques ramuscules secondaires s’en séparent, puis s’anasto- 
mosent de même avec le cordon principal. 


Le nerf génital gauche (3) a son origine en dehors et à gauche 
des ganglions du fond du eul-de-sac palléal, et se tient dans les 
parois du corps du même côté. Au delà de l'estomac, on voit ses 
ramifications s’anastomoser avec le précédent, 


Le nerf de l'organe de Bojanus (h) se détache directement du 
ganglion le plus constant, et se bifurque en formant par les 
anastomoses multipliées de ses ramuseules un réseau facile à 
voir sur la paroi du sac. 


Le nerf cardiaque (5) qui va jusqu'à l'oreillette nait de la branche: 
gauche du nerf du sac de Bojanus. 


On le voit, ce groupe des ganglions moyens est constamment le 
plus étendu, et il fournit aux organes les plus variés de l’éco- 
nomie. 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl 6, fig. 1 et 2, Z!# 
(2) Voy. ibid., o. 

(3) Voy. ibid., 0”. 

(4) Voy. ibid, k. — J, organe de Bojanus. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS, 261 


Grand sympathique ou nerfs stomato-gastriques. 


Le second des noms qui servent à désigner la partie du système 
nerveux qui va maintenant nous occuper est préférable au pre- 
mier : les raisons en ont été données, soit à propos du Vermet 
lui-même, soit surtout à propos des Pleurobranches, des Haliotides. 


L'origine du connectif qui met en communication celte portion 
du système nerveux avec celle que l’on est habitué à nommer 
système de la vie animale doit être remarquée. Elle n’est pas di- 
recle, c’est sur la paire labiale inférieure qu'on la rencontre. Déjà 
l'occasion s’est présentée de faire remarquer le double rapport qui 
existe, d’une part avec les nerfs labiauæ, de l’autre avec le nerf 
labial inférieur. On trouve, jusqu’à un certain point, une raison 
dans cette origine commune entre les nerfs des lèvres et ceux qui 
vont à l’appareil buccal et au reste du tube digestif. 

Bien souvent j'ai dit combien il importait d’être prudent dans 
les généralisations : serait-ce manquer à cette recommandation en 
supposant que l’origine de ce que l’on nomme le grand sympa- 
thique est, dans les Gastéropodes, ou commune avec celles des 
nerfs labiaux inférieurs, ou à côté du nerf de la lèvre sur les 
ganglions cérébroïdes. 

Le connectif est fort long, et présente toujours de nombreuses 
flexuosités ; ce qui s'explique : le bulbe lingual est très gros, très 
musculaire, fort actif; les mouvements qui s’accomplissent, quand 
la langue est dardée au dehors, sont nombreux et étendus ; le 
perf stomato-gastrique eût été tiraillé, si sa longueur n’eût excédé 
la distance de son origine à son point d'arrivée, Une autre condition 
devait encore causer cet allongement : le connectif vient très en 
avant du bulbe lingual pour pénétrer dansles muscles qui le forment, 
et rétrograder ensuite en arrière pour arriver aux ganglions (1). 

Si donc le connectif n’eût pas été et fort long et très flexueux, 
il aurait été vigoureusement tiraillé pendant l’action de la langue. 


(4) Voyez pour cela la figure de profil, pl. 6, fig. # — x, connectif. 


262 &,. LACAZE-DUVMIERS. 


Ganglions stomato-gastriques, 


Les deux ganglions du système nerveux du tube digestif sont 
bien limités et arrondis, d’un volume assez considérable, sans 
égaler cependant celui des ganglions pédieux et céphaliques (4). 

Leur couleur est habituellement semblable à celle des autres 
centres nerveux, c'est-à-dire un peu jaune orangé. 

Très distincts l'un de l’autre, ils sont unis par une commissure 
assez courte, mais bien évidente, qui passe en sautoir au-dessus 
du prolongement lingual. 

Il est à peine utile, tant ce rapport est constant, de dire que leur 
position est celle que l’on observe dans tous les Gastéropodes ; ils 
sont au-dessous de l'æsophage, eu arrière du bulbe lingual et au- 
dessus du prolongement de la langue. Celte position existe toujours. 


Nerfs. 


Connectifs, commissures et ganglions, tous fournissent des nerfs 
qui paraissent relativement plus difficiles à disséquer et à trouver 
que ceux, bien plus petits et plus grêles, du système nerveux de la 
vie animale. 

Les nerfs qui naissent du connectif forment trois paires princi= 
pales. L'une, antérieure (2), se détache à l'angle de réflexion, quand 
le connectif se porte en arrière en pénétrant dans les muscles ; elle 
va en dessous dans la base de l'appareil lingual que l'on voit dans la 
bouche formant comme une sorte de piston ; un peu plus loin, tantôt 
deux pelites ou une seule, où même trois branches très grêles se 
détachent du côté supérieur du connectif (3), quand il traverse les 
muscles pour se rendre aux ganglions. Enfin, tout près du centre 
lui-même, on en trouve une troisième, plus volumineuse que ces 
dernières, et qui se porte sur les côtés latéraux de l'appareil lingual. 


(1) Voy. Ann. des sc. nat, Zool., 4° série, t. XIIE, pl. 6, fig. 4, Y. 
(2) Vos. ibid. (c). 
(3) Voy. ibid. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMEIS. 263 

On trouve ici une grande analogie avec ce que présente l'Halio- 
tide, où le connectif, fort long, fournit la plupart des nerfs du 
bulbe lingual (4). 

Du ganglion même nait une paire considérable et surtout impor- 
tante; c'est en haut et en dedans, tout près de l'æsophage, qu'on la 
voit se détacher un peu en arrière du ganglion et du connectif (2): 
c’est la paire linguale dorsale; elle fournit à toute la partie supérieure 
du bulbe de nombreux ramuscules , ainsi qu'aux glandes sali- 
vaires, et elle donne la branche œsophago-stomacale principale. 

Cette dernière est vraiment une des plus importantes; elle four- 
pit à tout l'appareil de la digestion, et dans quelques espèces, l'Ha- 
liotide, l’Aplysie, la Bullée, on la voit se ramifier et former avec 
celle du côté opposé un réseau qui couvre tout le tube digestif. 
Ici je dois avouer qu'il m'a été impossible de pouvoir la suivre 
bien loin, et que je l'ai perdue bientôt sur l’œsophage ; malgré 
tous mes efforts, les nerfs sur l'estomac n’ont pu être mis à nu, 
mais je dois dire que c’est surtout sur des individus conservés 
dans la glycérine que les dernières dissections étaient faites. 

On peut considérer comme naissant, aussi bien de la commissure 
que des ganglions, une paire de nerfs qui va à la face inférieure de 
l'œsophage, et que pour celte raison, mais surtout à cause de sa 
posilion, on peut appeler æsophagienne inférieure (3). On a vu quel- 
que chose d’analogue dans l'Haliotide. L'origine réelle est à l'angle 
d'union de la commissure et du ganglion tout à fait en arrière. 

Sur le côté antérieur de la commissure, on voit encore naitre 
deux paires qui sont destinées l'une et l’autre à la partie moyenne 
etinférieure du bulbe et au fourreau de la langue, et qui dépassent 
en arrière l'appareil actif (4) : c'estencore la même chose que dans 
l'exemple eité. 

Il faut ici faire la même remarque que pour l’'Haliotide et 
d’autres espèces. La partie du système nerveux séomalo-gastrique 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., 4° série, Zool,, t. XI, pl. 41, fig. 3 : H. Lacaze- 
Duthiers, Mémoire sur le système nerveux de l'Haliotide. 

(2) Voy. ibid., t. XIII, pl. 6, fig. 7 (8). 

(3) Voy. ibid., d. 

(4) Voy. ibid., k, a. 


264 N, LACAZE-DUTIIIERS. 

destinée à la langue ressemble, par la disposition de ses ramifica- 
tions, complétement aux nerfs de la vie animale, tandis que dans 
la partie destinée au tube digestif proprement dit, la physionomie 
générale de la distribufion (bien que je n’aie pu la suivre très 
loin), est toute différente, et rappelle même l'irrégularité que l'on 
trouve dans le système grand sympathique des animaux vertébrés. 


RÉSUMÉ. 


Les Vermets, au pointde vue où l’on peut se placer après les dé - 
tails qui précèdent, sont, par la disposition de leurs organes, des 
Gastéropodes Turbinés pectinibranches ordinaires: seulement ils 
se modifient dans certaines parties de leur organisme en raison 
même des particularités toutes spéciales de leur existence. 

La séparation des sexes est parfaitement évidente. La féconda- 
tion à distance est abandonnée au hasard : c’est une conséquence 
de Ja fixité de la coquille. 

L'existence des différentes parties du tube digestif, telles qu’on 
les rencontre ordinairement, mais simples, n’a pas fait de doute; 
il faut reconnaitre une disposition complexe et bien déterminée 
dans l’appareil lingual. 

Une branchie feuilletée, placée à gauche du tube palléal, accom- 
pagnée d’un cordon blanchâtre parallèle qui, dans d’autres Gasté- 
ropodes, prend l’apparence d'une seconde branchie, nous a con- 
duit à admettre, comme dans d’autres Moilusques, une asymétrie 
gauche démontrée par la disposition du système nerveux. 

Le cœur n’a qu’une seule oreillette, il a suivi dans son déplace- 
ment la branchie, on le trouve à gauche ; ajoutons que dans 
tous les organes il y a une exagération des déplacements dans le 
sens de la longueur : les Vermets sont, pour ainsi dire, passés à la 
filière et fort allongés, leurs organes ont des proportions trars- 
versales relativement fort restreintes. 

Le pied, le manteau et la tête n’offrent rien de différent avec 
les Gastéropodes pectinibranches de Cuvier ; la tête seule est fort 
grosse : c’est au développement du bulbe lingual qui la remplit 
qu’il faut rapporter ses grandes proportions. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 265 


Le système nerveux offre très nettement quatre groupes gan- 
glionnaires, un supérieur, un inférieur, un moyen et un stomato- 
gastrique : le premier fournit à la tête, aux lèvres, aux organes 
des sens, c’est le ganglion cérébral de tous les auteurs; le second 
fournit au pied, c’est le centre pédieux. 

Quant au troisième, il est moyen par sa position entre les deux 
précédents, et forme un groupe considérable, que l’on pourrait 
désigner par une série de noms, en employant la nomenclature 
mise en avant par les différents auteurs. Ce groupe, déjeté à droite, 
passe sous le tube digestif, mais présente une sorte de torsion à 
gauche ; l'asymétrie à droite, qui est son caractère, se trouve ren- 
versée et masquée par le déplacement vers la gauche. Cependant 
les connexions des filets nerveux, leur origine et la position des 
ganglions, tout permet de rapporter au plan d’asymétrie droite les 
dispositions organiques du Vermet comme celles de l’Haliotide. 

C’est de ce groupe ganglionnaire asymétrique ou moyen, et de 
ses dépendances avec les cordons ou ganglions secondaires, que 
l'on voit naître : 1° les nerfs du manteau; 2° ceux de la respira- 
tion, renforcés en un point par un ganglion, et peut-être par un 
centre linéaire important, non encore parfaitement déterminé à 
côté de la branchie ; 3° ceux du cœur et de l'organe de Bojanus 
comme aussi ceux des organes génitaux. Qu'on le remarque, ces 
derniers nerfs partent du renflement ganglionnaire postérieur, qui 
se lrouve sur le cordon d'union qui joint les deux centres moyens 
antérieurs. 

Une particularité bien digne d'intérêt s’est présentée. La glande 
placée dans la cavité du corps, qui s'ouvre entre le pied et la tête, 
est très probablement l’intermédiaire entre la cavité générale du 
corps et l’extérieur. Si donc il n'a pas été possible de découvrir 
ailleurs l'orifice extérieur de la cireulation , on pourrait le consi- 
dérer comme existant à la face inférieure de la glande. 

Les tentacules très longs qui partent des bords de l’orifice de 
la glande sont les prolongements de ses lèvres, et non pas des 
tentacules à proprement parler, comme ceux de la tête. Leurs 
nerfs ne viennent pas de la partie encéphalique sus-æsophagienne, 
ce qui permet de les rapporter au pied, puisqu'ils ont pour ori- 


266 M. LACAZE-DUTHIERS. 

gine le ganglion pédieux. Lei donc la loi des connexions conduit à 
déterminer exactement une partie que l’on serait tenté au premier 
abord de rapporter à tout autre chose. 


Telle est l’organisation du Vermet de la Méditerranée. Sur le 
V. gigas, il eût peut-être été plus facile de pousser les recherches 
plus loin à certains égards, mais il n'a pas été possible d'en 
avoir en assez grand nombre. Plus favorisé peut-être une autre 
fois, pourrai-je combler les desiderata, les lacunes qui ont été 
signalées. 


DEUXIÈME PARTIE. 


EMBRYOGÉNIE. 
1 
Fécondation. — Ponte, 


On connait déjà la disposition des organes de la reproduction, 
il ne reste que peu de chose à dire sur la fécondation et la ponte. 

Le mâle doit, sans aucun doute, lancer sa semence, et les sper- 
matozoïdes arrivent à la rencontre de l'œuf, au hasard, suivant 
que le mouvement des eaux leur est plus ou moins favorable. 

Mais où se fait la fécondation, c’est-à-dire où a lieu la rencontre 
de l’œuf et du spermatozoïde? 

D'abord comment se fait la ponte? Les œufs ne sont pas 
rejetés par la femelle, et abandonnés à eux-mêmes, comme on 
le voit dans bien des cas : comme les Oscabrions, les Fissurelles, 
le font, ainsi que tant d’autres. La femelle forme de petites coques, 
qu'elle remplit de dix jusqu'à trente œufs à peu près, et qu'elle 
fixe et colle contre la paroi du tube de la coquille. Quand on 
casse le tube, surtout du côté opposé à la partie soudée à la 
pierre, on voit, avec la plus grande facilité, la disposition en série 
de quatre, cinq, six et même plus de ces petites coques ovigères. 

De l'observation de ces coques il résulte un fait positif : le 


ANATOMIE ŒT EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 267 


moment de la ponte ou de la formation de ces petites vessies en 
ampoules n’est pas le même; car le volume décroit à mesure que 
l'on s’avance davantage dans le fond de la coquille vers l'animal, 
et le volume des petites vésicules est en rapport avec la taille des 
embryons qu'elles renferment. Dans les premières, les plus voi- 
sines de l’orifice, on trouve des embryons parfaitement formés ; 
dans les dernières, souvent les œufs ont à peine commencé à se 
fractionner : on ne peut done admettre que tous les œufs aient été 
pondus en même temps, el que la fécondation ait eu lieu au même 
moment (1). 

Quant au mode de formation de ces coques, il est peut-être 
difficile de l'indiquer. C’est donc avec réserve que l’on peut avan- 
cer quelques suppositions. Dans le fond de l'orifice génital, lon- 
guement fendu en boutonnière, de l'oviducte, on a vu qu'il exislait 
des dépressions celluleuses, et ce sont elles qui peuvent peut-être 
servir de moule où se déposent les œufs et où est sécrétée la 
matière destinée à les englober ; on peut done penser alors que 
la femelle fait sortir ces capsules ovigères toutes formées pour les 
coller contre la paroi de son tube, 

Quoi qu'il en soit et de la formation de ces capsules, et du mo- 
ment ou du mode de leur formation, toujours est-il qu’il faut très 
probablement que la fécondation ait lieu en plusieurs fois, et qu’elle 
s'accomplisse avant la formation des sacs; par conséquent, ce doit 
être vers l’orifice de l’oviducte et au moment de la sortie des œufs 
qu'elle à lieu. Il est très probable qu'il doit y avoir autant de 
pontes successives qu'il y a de pelites capsules ovigères, et par 
conséquent autant de fécondations partielles, car on ne trouve 
dans les organes génitaux aucune disposition qui puisse, comme 
dans tant d’autres espèces , faire admettre un dépôt de la liqueur 
fécondante pour être utilisée quand besoin est. 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIIL, pl. 5, fig. 4, une coquille 
cassée, pour montrer, et la forme de l'animal, et la disposition des capsuies ovi- 
gères, dont le volume décroît beaucoup avec la position 


268 H, LACAZE-DUTHIERS. 


I 


De l’œuf et du fractionnement. 


L'œuf du Vermet triquètre est fort volumineux (1), très opaque ; 
par conséquent il est difficile de pouvoir juger très nettement de 
ce qui se passe à son intérieur, et des modifications que ses élé- 
ments peuvent éprouver. 

Cependant il est facile de voir et de reconnaître les différentes 
phases de la division du globe vitellaire en globes secondaires, et 
finalement de la production d’une masse framboisée. 

Il est bien difficile, quand on ne voit pas pondre un animal, de 
diviser les études que l’on peut faire sur son développement en 
périodes ou stades marqués. J'ai d’ailleurs trouvé tant de diffé- 
rences dans les espèces que j'ai eu l’occasion d'étudier, que 
j'attache de moins en moins d'importance à des divisions qui sont 
faites bien plus pour nos études à nous que pour représenter 
exactement ce qui se passe dans la nalure. 

Aussi rencontrera-t-on ici les divisions suivantes bien simples : 
d'abord étude du fraclionnement jusqu'au moment où la masse 
embryonnaire est formée; ensuite apparition des organes loco 
moteurs, cils vibratiles, ete.; puis apparition des premiers rudi- 
ments de la forme du jeune animal; enfin, à partir de ce moment, 
il est mieux de prendre chaque organe , et d’en suivre le déve- 
loppement en partant du moment où on l’a vu paraître. 


Le fractionnement est souvent précédé ou accompagné par un 
phénomène remarquable, que l’on a bien observé dans les Acé- 
phales, les Annelés et beaucoup de Gastéropodes. Je veux parler 
de la sortie du globule transparent, dont le rôle, tout indéterminé 
qu'il est encore, semble pourtant ne pas être sans importance. 

Ici il a été impossible de voir la sortie de ce globule ; cela se 
comprend facilement, on ne peut guère espérer de tomber sur des 


(1) Voy. Ann, des se. nat, Zool., 4° série, Lt. XILF, pl. 5, fig. 14. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 269 


œufs venant de sortir de l’oviducte, el au premier moment de 
l'activité embryonnaire : or la gouttelette ou globule tombé 
dans le liquide de la capsule ovigère ne peut être vu facilement, 
car l’on détruit et rompt toujours quelques œufs en ouvrant une 
capsule, et les granulations vitellines remplissent le champ du 
microscope. 


La division du globe vitellaire en sphère secondaire marche 
assez lentement ; elle n’a point cette rapidité de changements de 
formes que l’on trouve dans le Dentale, les Hermelles, etc. , ete., 
et tant d’autres. Cependant il ne faudrait point en conclure que le 
travail se fait dans un temps fort long; ce n’est donc que, rela- 
tivement aux cas où les choses marchent assez vite, comme, 
par exemple, le mouvement de la grande aiguille d’une montre, 
que l’on peut dire qu'ici la marche est lente. 

Il ne sera question que des états présentés sur des œufs di- 
vers qui ont pu être dessinés et considérés par analogie comme 
autant de stades du travail que l’on connaît, et que l’on a parfaite- 
ment étudié sur d’autres animaux ; car il n’a pas été possible de 
suivre un même œuf pendant sa transformation. 


Je n’ai point rencontré de division en deux, presque tous les 
œufs étant partagés en quatre segments (1); mais en cela rien 
d'étonnant, car dans bien des cas on voit les œufs que l’on 
peut suivre dès les premiers moments de la ponte, sur les Bullées, 
par exemple, passer immédiatemeut aux quatre sphères par le 
fractionnement. 

Souvent ces quatre sphères sont égales, et une sorte de croix, 
résultant de la ligne de démarcation, les indique (2); mais bien 
fréquemment aussi on voit qu'elles sont inégales, et placées 
dans un même plan; elles semblent unies deux à deux en se croi- 
sant (3). 


(4) Voy. Ann. des sc. nal., 4° série, Zool., t. XII, pl. 7, fig. 2, 3, 5,6 
(2) Voy. ibid., fig. 2. 
(3) Voy. ibid. fig. 3. 


970 Hi, LACAZE-DUTHIERS. 


Les sphères dont il s’agit sont bien évidemment le résultat du 
morcellement du vitellus, car les granulations, la teinte, tout est 
semblable à l'œuf même (1). 

Le nombre de ces grandes sphérules ou parties du fractionne- 
ment est el reste un certain temps sans augmenter, puis il devient 
plus grand ; souvent il a paru s'arrêter à six où à une dizaine : si 
bien que l'on reconnait encore les grandes sphères résullant de 
ce fractionnement (2) sous l’enveloppe de l'embryon ayant déjà 
des organes locomoteurs, des cils vibratiles. 


Mais il apparait d’autres sphérules d’une nature différente, dont 
la connaissance est fort importante. 

Celles-ci sont beaucoup plus petites et d'une teinte plus claire ; 
elles renferment des granulations peu nombreuses et d’une dimen- 
sion telle, que leur transparence n’en est que peu altérée. 

On a pu voir dans les œufs du Dentale se développer sur un des 
côtés de grosses masses résullant du premier fractionnement ; 
vers l’angle d’entrecroisement des lignes qui les séparent, de pe- 
ttes vésicules transparentes produites sur l’un des côtés de l'œuf et 
donnant naissance à une masse framboisée qui se développe paral- 
lèlement au morcellement du reste du vitellus. Dans quelques 
exemples dont je publierai bientôt l'embryogénie, on verra que 
ces nouvelles cellules ne sont pas le résultat de la multiplication 
par dédoublement de sphérules existant déjà, mais bien le résultat 
d’une sorte de croissance se faisant sur un des côtés de l'œuf (3). 

Ici on voit ces sphérules naître non pas directement, cela ne 
peut guère être observé, en raison du volume et de l’opacité du 
vitellus, mais la masse framboisée résultant de la multiplica- 
tion de ces éléments, vue de profil, montre très bien les deux 
parties : l’une (4) est formée de grosses masses granuleuses jau- 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 7, fig. 2, 3, 4. 

(2) Voy. ibid, fig. 8. 

(8) Voy. ibid., pl. 7, fig, 5, 6 : (a), la portion dont il est ici question; 
(b), les grandes sphères résulla nt du fractionnement du vitellus, 

(4) Voy. ibid., (b), 


| 
| 
| 
| 
| 


| 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 271 
nâtres; l’autre (4) ne présente que des éléments transparents, 
incolores, qui la font ressembler à un amas de cellules très lche- 
ment unies et rapprochées, exerçant les unes sur les autres peu 
de compression, et conservant par cela même un état sphé- 
roïdal. 

L’analogie ne permet pas de méconnaitre dans cette division de 
la masse framboisée de l'œuf les deux parties désignées par 
M. Vogt (2) sous les noms de périphérique et centrale; mais il 
faut le dire, les noms, qui pour d’autres exemples sont heureux, 
ne semblent pas ici très bien choisis et très applicables, ear la 
masse jaunâtre , celle qui est dite centrale, paraît bien plutôt laté- 
rale; cependant peu importe, car elle deviendra centrale, elle for- 
mera le foie et une partie des organes de la digestion. 

La partie périphérique est celle qui sert de point de départ 
aux premiers organes de la locomotion, c’est d'elle que naissent 
les disques moteurs et le pied, c'est au milieu d'elle que se forme 
la bouche. 

Cela se passe dans les Vermets comme dans les autres Mol- 
lusques; seulement ici les cellules, ou mieux les sphères vitellaires 
résultant du fractionnement du jaune restent latérales, et ne sont 
englobées et enfermées que plus tard par une production transpa- 
rente, dépendant probablement de la partie dite périphérique, mais 
qu'il est difficile de pouvoir reconnaitre comme sa prolongation. 

Il ne faut pas oublier, encore une fois, que le volume de l'œuf 
et les nombreuses granulations colorées qu'il renferme ne per- 
mettent guère de décider ces questions si difficiles et bien délicates, 

Quoi qu'il en soit, le fractionnement aboutit à partager l'œuf en 
deux masses, l’une composée d’un petit nombre de sphères, déria 
vant évidemment du vitellus simplement fractionné; l’autre, formée 
d’un grand nombre de petites vésicules empilées, transparentes, 
qui semblent s'être détachées latéralement de l'œuf en travail, et 
qui tendent à former de plus en plus une masse cellulaire, 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIIL, pl. 7, la partie marquée(a), 
(2) Voy. C, Vogt, Embryogénie de l'Actéon (Ann. des sc, nat., 8° série, 
Zool., t. VI, pl. 24 et 22). 


272 NW. LACAZE-DUTHIERS, 


C’est à partir de ce moment que les organes locomoteurs appa- 
raissent, et que la seconde période, celle qui va nous occuper 
maintenant, commence. 


III 


Apparition des organes locomoteurs, 


Les organes dela locomotion, chezles embryons des Mollusques, 
sont de deux ordres, ou bien des cils vibratiles, ou bien des 
organes locomoteurs proprement dits, tels que le pied, les disques 
rotateurs. Les premiers nous occuperont d’abord. 

Les cils vibratiles sont, quand ils commencent à paraître, fort 
difficiles à distinguer, et cela sur tous les embryons, qu'ils soient 
ou non transparents ou volumineux. Ils forment en effet d’abord 
comme un léger. duvet qui se meut à peine, et comme ils sont 
très courts, il y a une grande difliculté à les apercevoir ; quand, 
done, on les distingue nettement, on peut croire qu'ils existaient 
déjà depuis quelque temps. Où commence-t-on à les voir ? 

11 faut se représenter l'œuf arrivé à la période de framboisement 
comme un ovoïde, où d’un côté on trouve les grandes cellules, 
résultat du fractionnement du vitellus, où de l’autre on reconnait 
la masse composée de cellules transparentes ; c’est sur les por- 
tions saillantes de celle-ci que l’on voit d’abord les premiers 
cils (4). 

L'œuf arrivé à la période désignée est allongé, et quand on le 
regarde de face, c’est-à-dire l’une des masses étant au-dessus de 
l’autre, on voit deux petits bouquets (2) plus près de l’une des 
extrémités. Ces cils indiquent l'origine des véritables organes 
primitifs de la locomotion, c’est-à-dire des disques moteurs. 

Dès qu'ils apparaissent, ils ne cessent de s’accroître en longueur, 
et par conséquent ils deviennent de plus en plus évidents. 

Le pied et les disques moteurs se montrent du même côté; 
il est même probable que les cils en marquent la limite. 


(1) Voy. Ann, des sc. nat., Zool., 4° série, t. XI, pl. 7, fig. 8. 
(2) Voy. ibid. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 273 

Quand on parvient à observer de profil l'œuf déjà cilié (1), on 
voit que la portion qui correspondait à la partie périphérique 
s'allonge et devient proéminente ; mais qu'elle est plus saillante 
du côté où elle est plus éloignée de l'extrémité de l’ovoïde (2). 
Que l’on observe un embryon un peu plus développé, et l’on 
reconnaitra (3), sous une forme à peine appréciable, déjà le lobe 
médian ou le pied (4), et les lobes latéraux, ceux qui deviendront 
les disques locomoteurs (5). 

Ces parties, qu'on le remarque, forment sur le côté de l'œuf 
ainsi vu de profil trois mamelons, dont un médian impair, plus 
étroit, dirigé dans le sens de la longueur, les deux autres laté- 
raux. Dès ce moment, on arrive à une autre période du déve- 
loppement. 


IV 
Des premières formes de l'embryon. 

Sans aucun doute, ce n’est pas par des transitions brusques 
que loutes les transformations apparaissent : nos divisions seules 
sont tranchées, dans la nature tout marche d'une manière conti- 
nue et suivie; mais enfin il faut s'entendre, et dès que le pied, les 
lobes locomoteurs et la coquille sont formés, on peut déjà recon- 
naître le jeune animal, on peut le poser. 

Déjà dans les états précédents, en y revenant, après avoir élu- 
dié des individus plus avancés, on peut établir : que la masse 
périphérique ou cellulaire transparente est du côté abdominal 
de l'embryon (6), tandis que les grandes sphères sont du côté 
dorsal (7). 

Quant aux extrémités, celle qui est dirigée en avant est celle 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 7, fig. 8 (c). 
(2) Vov. ibid., fig. 9. 
(3) Voy. ibid., fig. 9 (p). 
(4) Voy. ibid., fig. 10 (p). 
(5) Voy. ibid., fig. 10 (d) 
(6) Voy. ibid , fig. 5,6 (1) (a). 
(7) Voy. ibid, (b) (b) (b). 
4° série, Zooz. T. XIE. (Cahier n° 5.) ? 453 


274 il. LACAZE-DUTHIERS. 


qui est la plus voisine des bouquets de cils vibratiles (1). Lorsque 
la coquille sera développée, il sera bien plus facile encore de poser 
le jeune Vermet, en considérant la coquille comme étant posté: 
rieure (2). 

Ainsi quand lé jeune animal est suffisamment développé pour 
que l'on reconnaisse ses parties, il a déjà quelque chose d'assez 
irrégulier et de monstrueux. La partie périphérique est fort pe- 
tite (3), relativement à la partie centrale, qui reste toujours fort 
volumineuse. 

Cela est très marqué et très frappant. I n’est pas possible 
d'avoir suivi le développement d’un autre Gastéropode quel- 
conque, sans être frappé par celle disproportion entre les deux 
moitiés de l'embryon. 

Or, qu'on le remarque, tout le travail à partir de ce moment 
consiste en ceci : l’une des parties s’accroitra d'une manière 
constante, tandis que l'autre au contraire diminuera relativement, 
et peut-êe même absolument parlant. 

Cette remarque, bien certainement, ne pourra manquer de 
frapper ceux qui chercheront, pour les appliquer à la classification, 
des distinctions dans les formes embryonnaires. 


V 
Développement des différents organes. 


Dès que l'embryon peut être posé, et que ses formes sont suf- 
fisamment reconnaissables pour que les organes soient déterminés, 
il est sans aucun doute plus simple de prendre chaque organe, et 
de voir par quelle transformation successive il passe pour arriver 
à ce qu'il sera dans l’animal complet. 


(4) Voy. Ann. des se. nat, Zool., 4° série, t. XIIT, pl. 7, fig. 8. L'œuf, dans 
cette figure, est vu par le dos, et son extrémité antérieure regarde vers le haut 
de la planche. 

(2) Voy. ibid., fig. 41, La coquille el les disques sont distincts; on voit 
les grandes sphères en dessus et la coquille en arrière, donc l'animal est vu par 
le dos, et la tête est en avant. 

(3) Voy. tbid., fig. 10 (d-p). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIR DES VERMETS,. 275 
1° Coquille. — 1] faut rapporter à la grande opacité des cellules 
jaunâtres vitellines la difficulté que lon éprouve à voir les pre- 
inièrés traces de la coquille. S'il m'était permis d'en juger par ce 
que j'ai pu observer sur d’autres exemples, les premiers linéaments 
du test doivent être extrémement délicats; à peine sont-ils distincts 
de l'enveloppe ou de la paroi, et si les condilions d'observation ne 
sont pas favorables, il est extrêmement difficile et même impos- 
sible de les apercevoir. 

L'embryon (1) qui présente la coquille la plus petite est déjà 
bien formé, et tout porte à croire, surtout d’après des observa- 
tions sur d’autres animaux, qu'elle doit avoir paru plus tôt. Sans 
doute, c’est sur l'extrémité postérieure qu'elle se forme d’abord 
comme une pelile nacelle; puis elle s'accroil progressivement 
en s'avancant vers l'extrémité antérieure. On trouve bientôt les 
preuves de cel accroissement progressif dans les lignes qui se 
montrent parallèlement au bord antérieur de son ouverture (2). 

Quelle forme assigner à cette enveloppe solide? D'abord c’est 
une sorte de cul-de-sac, elle est arrondie, fermée en arrière, et 
taillée en biseau en avant. Quoique fort petite, elle n’est point symé- 
tique ; elle est déjà penchée ou oblique, à droite et en avant. 

Plus tard, et à mesure que son allongemnent augmente, elle se 
continue, et devient une coquille régulièrement turbinée. 

Si l’on regarde par le dos un des embryous les plus avan: 
cés que l'on trouve dans les sacs ovigères, alors qu'il n’a plus de 
disques locomoleurs, et si on (3) le place de manière à avoir la 
marge de l’ouverture de la coquille en avant, dans cette position le 
tube se dirige à gauche, et présente en arrière et à droite un cul 
de-sac (4) qui semble remonter vers le dos. Que l’on oppose cette 
forme et cette disposilion à celles que l’on remarque en observant 
un jeune embryon qui commence à avoir seulement ses disques 
bien évidents (5), et l'on trouvera la plus grande analogie entre 


(1) Voy. Ann. des sc, nat, Zool., 4° série, t. XIII, pl, 7, fig. 40 (g). 
(2) Voy. ibid, pl. 8, fig. 2. 

(3) Voy. ibid., pl. 9, 6g. 6. 

(4) Voy. ibid., q. 

(5) Voy. ibid, pl. 7, fig. 41. 


276 H. LACAZE-DUTIHIERS. 
cette partie latérale et postérieure de la coquille de embryon le 
plus développé et la coquille tout entière du plus jeune Vermel. 

Que l’on suppose la marge de l’orifice du plus jeune embryon 
se portant à droite, en s’allongeant et se courbant en dessous, que 
l'inflexion soit assez forte et l'allongement assez considérable, et 
l'on verra bientôt apparaitre la marge et l’orifice à gauche de la 
première partie dont on est parti. Si l'allongement continue, on 
arrivera à la forme que présente l'embryon le plus développé (4). 

Ainsi, on le voit, l'enroulement se fait de gauche à droite en 
dessus, etde droite à gauche en dessous. Sil’on voulait le déterminer 
plus catégoriquement, on pourrait dire: à partir du premier cul-de- 
sac formé par la coquille, l'allongement se fait en marchantd’arrière 
en avant et de gauche à droite en dessus, puis de droite à gauche et 
de haut en bas latéralement, ensuite de gauche à droite et de bas 
en haut en dessous, et ainsi de suite, mais toujours en avançant. 

Les signes d’accroissement paraissent sur les tests les plus dé- 
veloppés, et ils se traduisent par des lignes parallèles au bord de 
la marge de l'orifice; ils indiquent ici, comme ailleurs, des temps 
d'arrêt ou d'activité de l'accroissement. 

Tandis que, dès le commencement, la coquille ne peut recevoir 
qu'une très petite partie de l'embryon, plus tard elle abrite tout le 
corps; le jeune Vermet peut alors s’enfermer et se cacher souvent 
longtemps, ce qui finit par rendre l'observation difficile. 


de Pied. — Le pied se développe en suivant la marche progres- 
sive des autres organes ; il se complique peu à peu, et commence 
par être d’abord peu apparent et distinct des parties environnantes. 

C’est aux dépens de celte masse framboisée, et formée de cellules 
petites, différentes de la masse vitelline, que l'on a vue naïître sur 
l’un des côtés de l’ovoïde fractionné, qu'il se forme. Dans toute 
son étendue, il n’a pas la même grandeur ; il s’allonge, et de= 
vient plus saillant en arrière (2) ou, si l’on aime mieux, vers 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zuol., 4° série, t. XII, pl. 9, fig. 6. Dans la 
figure 5, où l'animal est vu de profil, la première partie qg est cachée, puis vient 
la portion qui va passer en dessous g', et enfin celle qui remonte en dessus gl 

(2) Voy. ibid., pl. 7, fig. 9 (p). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 277 
l'extrémité, qui pour cela devient distincte, et que l’on pourra 
désigner bientôt par sa position. 

Cette saillie de la partie périphérique va en augmentant, et, 
s'isolant de plus en plus, elle forme comme une languette qui se 
recourbe un peu en arrière et en bas, à mesure qu’elle s’allonge 
davantage (4). 

Plus tard, mais avant cependant que les parties secondaires 
se produisent sous la face qui est en rapport avec le corps, et qui 
est supérieure quand le pied rampe et s'appuie, apparait une lame 
semblable à la coquille : c’est l'opercule (2). 

Le premier changement qui s'opère sur le pied, que recouvre, 
comme on le pense bien, un duvet serré de cils vibratiles, est dù 
à l'apparition d'un tubercule sur la face inférieure, vers la racine, 
c'est-à-dire vers le point où il est uni au corps (à). Ce tubercule 
s'avance et s’allonge de plus en plus, et semble se diviser ; alors il 
présente, quand on le regarde de face, un peu l'apparence d’un 
cœur de carte à jouer, dont l'échancrure serait tournée en avant (4). 

Enfin la partie s’allonge si bien que, lorsque l'embryon se pré- 
sente de profil, le pied peut arriver en avant, presque aussi loin 
que l'extrémité antérieure des tentacules : l’'échancrure se présen- 
tant ainsi dans certaine position, on croirait le pied comme bi- 
lobé (5); mais cette première forme s’efface peu à peu, et l’extrémilé 
antérieure finit par présenter réellement deux lames superpo- 
sées (6). 

Est-il permis de supposer que c’est entre ces deux lamelles que 
viendra s'ouvrir l'organe glandulaire du pied (7), et que l’une des 
lames, en s’allongeant et se divisant, formera les tentacules qui ont 
paru être les prolongements des lèvres de lorifice ? 


(4) Voy. Ann. des se, nat., Zool., 4° série, t. XIII, pl. 7, fig. 40 (p), 


(2) Voy. ibid., pl. 8, fig. 2, 7 et 8 (0, 0, o). 

(3) Voy. ibid., fig. 3, p’. 

(4) Voy. ibid., pl. 9, fig. 2, p. 

(5) Voy. ibid., fig. 4, 5, p'. 

(6) Voy. ibid., fig. 6, p'. 

(7) Voy.ibid., précédemment la glande décrite sous le nom de glande pédieuse, 


218 BH. LACAZE-DUTMIERS. 

Quand l'embryon est bien développé, on trouve, vers la fin de la 
fente qui sépare en deux lames l'extrémité antérieure du pied, une 
tache, quelquefois trois, d'un jaune plus clair et transparent. Il 
parait bien naturel de supposer que c’est la trame aux dépens de 
laquelle se développera la glande pédieuse. 

Cependant, n'ayant pas suivi assez longtemps les embryons, il 
reste impossible d'affirmer d'une manière absolue. 

De chaque côté et au milieu de la longueur, on trouve aussi 
deux mamelons (4) assez variables pour leur grandeur; ils sont 
constants chez les embryons les plus développés. Sans doute, ils 
s’elfacent avec les progrès du développement, car on n’en trouve 
plus trace sur l'animal adulte. 

Quant à l'extrémité postérieure, elle est longue, et disposée en 
forme de languette. 

I suffit de comparer l'animal adulte avec l'embryon le plus dé- 
veloppé pour être frappé de la différence que présente le pied dans 
les deux : dans le premier, la surface est plane et très courte, 
presque circulaire ; dans le second, elle est allongée, et relative- 
ment presque anssi étendue en longueur que le corps (2). C'est 
que, dans nn cas, l'animal est fixé, et ne se sert point du pied 
pour la locomotion ; c'est que, dans l'autre, l'animal rampe abso- 
lament comme les autres Mollasques du fond de eau, sans doute 
jusqu'au moment où sa coquille s'attachera aux rochers. 


6 Disques locomoteurs. — L'origine de ces organes est tout à 
fait analogue à celle du pied; c’est de la même partie de l'œuf 
fractionné qu'ils paraissent naitre. 

On voit, en effet, la masse cellulaire périphérique produire trois 
mamelons : l’un, postérieur médian impair, forme le pied ; les 
autres, situés l’un à droite et à gauche, un peu en avant du pied, 
sont continus avec lui. Si l’on regarde de face (ce qui est fort 
difficile) un embryon très jeune au moment où ses disques et 


(1) Voy. Ann. des se. nat, Zool , 4° série, t. XUL, pl. 9, fig. 2,3, #, 5 {p!!). 
(2) Voy. wbid., les planches 4, 6, 7, où l'animal adulte est représenté avec 
le pied entier, et la planche 9, fig. 5. 


ANATOMIE ET EMBRYOGENIE DES VERMETS. 279 
son pied se forment, on voit les deux parlies unies en un tout 
qui rappelle an eœur de carte à jouer très fortement échancré 
en avant (l). Celle apparence ne dure pas longtemps : entre 
le tubereule pédieux et les lobes latéraux, il se forme deux dé- 
pressions, conséquence, d’un côté de l'allongement, et de l’autre 
de l'arrêt du développement des tissus entre les parties et 
les lobes qui, en formant les disques, s’éloignent peu à peu du 
COTps. 

Séparés d'abord dans le fond de l’échancrure antérieure du 
cœur de carte à jouer, ils finissent bientôt par se rejoindre, sans 
que jamais pourtant le sommet de l’échancrure cesse d'exister. 

Éminemment contractiles, ils sont tantôt plus, tantôt moins 
étendus dans un sens : c’est ainsi que tantôt ils sont comme 
échancrés sur leurs bords latéraux {2), tantôt au contraire presque 
circulaires (3). 

A mesure que le développement avance, le bord libre de ces 
voiles circulaires se renfle en un bourrelet qui devient de plus 
en plus saillant et marqué, landis que le milieu se déprime 
ou s’amincit, et devient d’une très grande transparence ; alors 
on le voit parcouru par des filaments de nature sans doute 
museulaire. 

Du reste, la ressemblance entre ces lobes moteurs et ceux de; 
embryons des autres Gastéropodes est des plus marquées , et la 
physionomie générale qui en est la conséquence fait aussi ressem- 
bler beaucoup l'embryon d'un Vermet à celui d’un Gastéropode 
turbiné pectinibranche ordinaire ou même nudibranche. 

Le bord du bourrelet est couvert d'une double rangée de longs 
et gros cils vibratiles qui déterminent les mouvements et déplace- 
ments de l'animal en battant l’eau avec force. 

Les disques moteurs disparaissent quand l'embryon, devenu 


assez grand, présente les yeux, les tentacules, les organes cen- 


traux de l’innervation, et le commencement de l'appareil de la res- 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool,, 4° série, t. XIIT, pl. 8, fig. 1. 
(2) Voy. ibid., pl. 9, lig. 2 et 3. 
(3) Voy ibid., pl. 8, fig. 6 et 5 


280 M, LACAZE-DUTHIERS, 
piration. Je n'ai point constaté de visu si ces organes disparais- 
sent en tombant, et se détachent du col de l'animal ; cela peut être. 
Dans la même poche ovigère, on trouve de jeunes Vermets abso- 
lument de Ja même taille, dont les organes semblent également 
avancés, et cependant les uns ont des disques, les autres n’en 
ont plus ; la disparition ne doit certainement pas s’accomplir très 
lentement et progressivement, mais je n’ai point vu la séparation 
s'effectuer brusquement sous mes yeux. 

Plus tard, on verra exactement le point d'insertion quand le 
corps aura été décrit dans son ensemble. 

Nous reviendrons aussi sur la direction des courants que déter- 
minent à la surface des disques, comme à celle du pied, les nom- 
breux cils vibratiles qui les couvrent. 


k° Des organes de la digestion. — Avant de décrire d’une ma- 
nière générale le corps d’un jeune embryon, il faut nécessairement 
connaître les organes de la digestion, qui se forment de très bonne 
heure, à peu près en même temps que ceux dont il vient d’être 
question. 


a. La bouche est certainement, dans quelques espèces que j'ai 
pu étudier, la conséquence de l’englobement de la partie centrale 
par la partie périphérique; celle-ci, en s'étendant autour des 
grandes sphérules résultant du fractionnement du vitellus, les 
enferme, et comme elle part d’un côté du globe vitellaire, elle se 
trouve, après l’englobement, arriver au côté opposé, et là former 
comme un orifice d'autant moins grand, que son développement 
s’avance davantage. Si je comprends bien ce qui se passe dans ce 
cas, je pourrais en donner une idée en comparant ce qui a lieu ieï 
à ce qui se produit quand le Hérisson s’enferme. Le muscle 
peaucier dorsal se trouve d'un côté de l’ovoide, représenté par 
le corps; lorsque l'animal se reploie en dessous, le peaucier 
s'avance, et recouvre bientôt tout; ses bords seuls forment 
comme un orifice, d'autant plus petit que la contraction est plus 
grande. Si le peaucier représente la partie périphérique , et si le 
corps de l’animal est considéré comme la partie vitellaire centrale, 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 281 
on aura l’idée à Ja fois de l’englobement de l’un par l’autre et de 
la formation d’un orifice. 

Quand le vitellus ou les grandes cellules fractionnées ont été de 
la sorte englobées, la partie périphérique, au pourtour de l’orifice 
qu’elle laisse en ne se soudant pas à elle-même, produit trois 
tubercules qui sont, l’un médian postérieur et inférieur, les deux 
autres semblables, latéraux et antérieurs; ceux-ci forment les 
disques moteurs, celui-là le pied. La bouche se trouve done, on 
le voit, entre le pied et les disques moteurs. 

Mais il y a évidemment quelque différence suivant les espèces, 
si fant est que le mode de formation indiqué plus haut soit exact. 
Voici ce qui se présente chez le Vermet. 

Sans aucun doute d’abord la bouche est entre le pied et les deux 
lobes moteurs (1); plus tard ceux-ci se rejoignent en avant, elle 
est alors tout à fait enfermée entre les trois organes (2) : cela ne 
semble pas être ainsi en commencant. 

Si donc on entend par partie périphérique celte portion de 
l'embryon qui entoure le vitellus proprement dit fractionné en 
graudes sphérules, et d’où se développent le pied et les roues 
motrices, on pourra remarquer qu'ici celle parlie est toute latérale, 
et qu'avant d'avoir englobé le vitellus, elle a donné naissance 
aux organes qui paraissent les premiers dans son tissu. 

La bouche n'en reste pas moins formée par l’espace laissé entre 
ces {rois parties, el si les deux disques se rejoignent plus tard par 
les progrès de leur développement en avant, il n’en est que mieux 
établi que la bouche parait, dans tous les cas, n'être que le résultat 
d'un recouvrement incomplet du globe vitellaire, dans un certain 
point, mais aussi que cet englobement peut varier pour les diffé- 
rentes espèces dans la manière dont il s'accomplit. 

Ainsi done, ici la partie périphérique semble d’abord rester 
latérale et produire les rudiments de trois organes, puis elle s'étend, 
et certainement alors elle recouvre tout le vitellus. Dans les Bul- 
lées, Aplysies, Cérithes, Actéons, ete., ete., l’englobement pré- 


(1) Voy. Ann. des se. nat., Zool., 4° série, t, XILX, pl. 8, Gg. 4 (s). 
(5) Voy. ibid. fig. 4. 


282 M. LACAZE-DUVHIERS. 

cède la formation du pied et des disques. Dans les Vermels, 
l’englobement est ou consécutif ou simultané à la formation des 
lobes et du pied. 

De là la formesingulière desembryons de ces derniers (L) : à une 
certaine époque, on voiten avant une portion du vilellus dépasser 
les rudiments des disques qui sont nés du tissu latéral près d’une 
des extrémités de l'œuf. 

La bouche parait comme un point noir dans l'endroit qui a été 
indiqué (2) précédemment, et se déprime de plus en plus. Bientôt 
elle est au fond d'un véritable infundibulum, dont les parois sont 
tapissées d’une ceinture de cils puissants, qui déterminent des 
courants rapides vers l’orifice (3). 


b. Cavité digestive. — La cavité digestive se forme progressi- 
vement par le creusement de la substance vitellaire, dont on 
distingue fort longtemps les grandes cellules même au milieu 
du foie déjà formé et reconnaissable. 

En donnant du carmin aux jeunes embryons qui présentent à 
peine formés etle pied et les lobes, on voit un courant très vif qui 
s'établit à la face antérieure du pied, et qui entraine les granules 
rougeñtres au fond d'une dépression peu profonde, où ils s'accu- 
mulent. Ce courant démontre bien la position de la bouche telle 
qu'elle vient d’être indiquée (4). 

IL est très probable qu'ici comme ailleurs, la cavité stomacale 
se forme par érosion, et que des éléments vitellaires détachés sont 
entrainés et rejetés par les courants qui s’établissent. 

C'est d’abord un cul-de-sac, ainsi qu’on peut en juger sur un 
embryon peu développé et dont les sphères vitellines dépassent 


(1) Voy. Ann. des sc. nut., Zool., 4° série, t. XII, pl. 7, fig, 10, 41 et 42; 
pl. 8, fig. 1. e 

(2) Voy. ibid., pl. 8. fig. 4 (s). 

(3) Voy. ibid. pl. 8, 6g. 4 ; pl. 9, fig. 2 (s,s). 

(4) Voy. ibid., pl. 7, fig. 42. Le courant déterminé par les cils vibratiles 
se brise sur l'extrémité du pied et se partage : une partie passe sur la face 
supérieure, une autre suit la face inférieure et va à la bouche. De petites flèches 
indiquent ce fait. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 255 
encore beaucoup en avant les disques moteurs. Mais à mesure 
que le développementéloigne le pied et les disques dela masse cen- 
trale, l’orilice externe s'éloigne du fond du eul-de-sae, et un tube se 
forme, pour les joindre : c'est l'œsophage, qui se distinguera avee la 
plus grande netteté quand les jeunes Vermets serontplus avancés (4). 

L’estomac devient peu à peu une cavité oblongue assez irrégu- 
lière, qui se voil au côté gauche (2). 

Dans les embryons les plus développés, on trouve au milieu de 
la longueur un élranglement qui le partage en deux culs-de-sac 
peu distincts. mais qui indiquent bien évidemment le commence- 
ment de la disposition qu'on observe dans l’adulte (5). 

Quant à l'intestin, il devient très évident lorsque l'embryon est 
avancé, mais pour dire aux dépens de quoi il se forme, c’est plus 
difficile. L'opacité et le volume énorme de la partie centrale 
jaune empêchent de pouvoir rien affirmer. 

L'anus s'ouvre sur le côté droit de l'animal, dans l'épaisseur du 
manteau, quand la cavité palléale est formée, et alors on reconnait 
bien la disposition de l'animal adulte. 


Le foie se développe aux dépens de la masse centrale à peu près 
toul entière, moins cependant la partie creusée à son centre qui 
forme l'estomac ; très tard encore, même quand l'embryon n’a plus 
de disque moteur, on reconnaîl les grosses granulations du vitellus, 
et avant une époque avancée les grandes sphérules résultant du 
fractionnement paraissent au travers de la coquille et des tégu- 
ments (4). 

C’est là un fait important que celte transformation presque com- 
plète et constante de tout le globe vitellaire en nne glande toujours 
distincte, et ordinairement très développée dans les Mollusques. 


(1) Voy. Ann. des sc. nut., Zool., 4° série, t. XI, pl. 9, fig. 4,2, #, 6 (e). 

(2) Voy. ibid., Gg. 4, 3, 4 (g). Dans toutes ces figures, les embryons sont 
représentés ayant dans le milieu de l'æsophage, de l'intestin et de l'estomac, 
du carmin, qui est indiqué par des points noirs. 

(3) Voy. ibid., ig. 5 (g). 

(4) Voy. ibid. les différentes figures de la planche 9. La partie marquée f, 
en remontant aux embryons moins âgés, pl. 8, on trouve tous les passages, et 
planche7, on arrive progressivement au vilellus, lig. 1. 


28/1 Bi. LACAZE-DUTHIERS. 

Caractériser l'embryon du Mollusque qui nous occupe par un 
mot serait une chose bien heureuse, mais ce ne pourra évidem- 
ment avoir lieu que lorsque les faits se seront accumulés, alors 
qu'on pourra aussi le faire pour les autres espèces. 


Maintenant que la disposition du tube digestif est connue, il 
est ulile d'indiquer la disposition des courants qui apportent la 
matière alimentaire dans la bouche (4). 

La totalité du pied est couverte de cils vibratiles fins, irrégu- 
lièrement semés, qui cependant produisent des courants dont la 
direclion est constante. 

Sur la face inférieure du lobe antérieur du pied, on voit les 
granules de carmin se placer en file sur les bords, et venir 
rencontrer deux autres courants parlis de la pointe du lobe posté- 
rieur, pour former un courant nouveau qui se dirige de chaque 
côlé du pied et vient à la bouche. 

Les longs cils qui garnissent les bords des disques appellent 
aussi les grains de carmin sur leur côté interne, et là on les voit 
suivre d'arrière en avant, depuis le tentacule jusqu’à la bouche, 
la base d'insertion des cils. 

Quelques petites différences se présentent avec les modifications 
de forme des parties; mais qu'elles soient plus ou moins grandes, 
toujours les courants conduisent à la bouche, qui, béante, reçoit tout 
ce qu'il lui arrive ; aussi voit-on l'estomac se remplir et se colorer 
peu à peu. L'introduction des matières est incessante, et l'intestin 
et l’œæsophage sont également colorés par l'entrée et la sortie. 


5° Manteau. — Que peut-on et que doit-on appeler manteau 
dans l'embryon ? 

Quand la masse vitellaire a été englobée par la partie périphé- 
rique, la coquille se développe à l’une des extrémités, et les lobes 
moteurs et le pied à l'autre. Le développement finit par faire 
allonger la base du pied et des disques, et la coquille, remontant 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4#° série, t. XII, pl. 7, fig. #. Des flèches 
et des granules indiquent la direction des courants. 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 289 


jusqu'à l'origine de ces derniers, enferme seulement la masse 
vitellaire (1) ; alors, si l’on considère comme formant la tête toutes 
les parties extérieures, on voit comme un col au-dessous d’elles, et 
la coquille entoure ce col. 

Supposons que les tissus unissant la coquille et ce qui pour le 
moment vient d’être désigné par le nom de col ne se développent 
que peu; si le col s’allonge et si la coquille s'étend en avant, 
comme les tissus accompagnant celte dernière ne peuvent man- 
quer de la suivre, il se formera une cavité autour du col, et suivant 
que l'arrêt de développement sera plus marqué, cette dépression 
se transformera en un cul-de-sac circulaire. C’est en effet ce qui 
arrive ; mais il faut observer que c’est surtout à droite que l'arrêt de 
développement est d’abord plus marqué. De là une cavité en cul-de- 
sac, très profonde, qui est rendue bien apparente par le carmin, 
car elle est tapissée de cils vibratiles produisant des courants. Il doit 
y avoir aussi une tendance au retrait des tissus dans le point indi- 
qué, car l'arrêt de développement n’expliquerait pas seul, dans 
le commencement du moins (2), d’une manière suffisante, cet 
accroissement de la cavité. 

Plus tard il est évident que la cavité se forme tout le tour du 
corps, c’est-à-dire tout le tour de ce que nous avons appelé pour 
les besoins de la description, le col de l'embryon. 

La partie des tissus qui a suivi le bord de la coquille se renfle 
peu à peu en un bourrelet que couvrent des cils vibratiles, et qui 
passe tout le tour de l'animal comme l'orifice de la coquille ; c’est 
là évidemment le bord du manteau, et la partie membraneuse qui 
lui fait suite et double la coquille est le manteau proprement dit. 

De cet arrêt de développement est résulté comme conséquence 
un pédoncule isolé qui unit et joint les disques moteurs et le pied 
au reste du corps; on le distingue très bien au milieu du tube du 
manteau et de la coquille (3), lorsque le jeune animal s’allonge 
pour sortir. 

La cavité du manteau est traversée par un courant dont la 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIIL, pl. 8, fig, 3. 
(2) Voy. ibid. pl. 8, fig. 7. 
(3) Voy. ibid., pl. 9, 6g. 5: pl. 00, Gg, 4. 


286 H. LACAZE-DUTHIERS, 


direction est constamment du dos vers la face inférieure ; les gra- 
aulations que l’on fait flotter dans l’eau entrent surtout en arrière, 
vers le milieu de la tête, et sortent principalement du côté gauche, 
quand l'embryon commence à être bien développé (4). 

On à vu précédemment que, dans les premiers momerts de la 
formation de la cavité du manteau, le courant se dirigeait plutôt 
du côté droit; plus tard ce changement s'explique naturellement 
par la position de l’organe respiratoire. 


G° Organes des sens et système nerveux. — Les organes des 
sens se développent de bonne heure chez les embryons des Ver- 
mets, el cela pour quelques-uns du moins, bien plutôt relative- 
ment que dans beaucoup d’autres exemples. 


a. Dans les Gastéropodes, les otolithes appartissent généra- 
lement de fort bonne heure; on les aperçoit à la base du pied. 
Pour le Vermet, il n’y a pas d'exception, et la coquillé ne peut 
encore recevoir qu'une moilié de la totalité du corps (2), que déjà 
l’on voit de chaque côté de la base du pied un globule transparent, 
sphérique, enfermé dans une capsule. Aveë les progrès du déve- 
loppement, la capsule auditive devient de plus en plus évidente 
et nettement limitée (3). 

Un seul globule, sans trépidation, s’est toujours présenté pour 
chaque capsule chez les embryons les plus développés. 


b. L'œil, contrairement à ce que l’on observe aussi dans la 
plupart des Gasléropodes, se développe ici de très bonne heure. 
C’est chose assez rare, car on le voit apparaitre le plus souvent 
un peu tard. | 

Dans l'embryon qui commence à peine à avoir sur le côté les 
trois lobes origine des disques et du pied, et alors qu'un peu moins 
de la moitié du vitellus est enfermé dans la coquille, et que les 
sphérules dues au fraclionnement sont encore bien évidentes (4), 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo!., 4° série, t. XIII, pl. 8, fig. 4, Les flèches 
indiquent la direction des courants. 

(2) Voy. ibid., pl. 7, fig. 12 (ot). 

(3) Voy. ibid., pl. 8, g. 4, 3, 7; pl, 9, 6g. 2 (pt). 

(4) Voy. ibid., pl. 7, fig, 40 (y), 


| 
| 
| 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 287 


on voit à la base et en avant des lobes, un point noir qui ne peut 
être confondu avec l’otolithe par plusieurs raisons. D'abord sa 
teinte est brune, et son opacité n’est pas le résultat de la réfrac- 
tion plus où moins forte de la lumière ; dans le globule otolithe, 
au contraire, la substance lransparente réfractant vivement la 
lumière, le centre est clair, brillant, et le pourtour fort obscur ; 
d’ailleurs la position est bien différente : lune est très en avant, 
l’autre est en arrière. 

L’œil va toujours en se caractérisant de plus en plus; on ne 
manque jamais de le remarquer avec la plus grande facilité. Sur 
les embryons les plus avancés, on voit même qu'il est contenu 
dans un tout petit tubercule (1), comme dans l'animal adulte. 

Quand on regarde de face un embryon qui à encore ses disques 
locomoteurs , on trouve très bien les otolithes et les yeux régu- 
lièrement disposés, occupant les quatre angles d’un trapèze au 
centre duquel on voit l'orifice buceal (2) 


e. Les lentacules se développent aussi assez lardivement dans la 
plupart des Gastéropodes; mais ici c’est encore le contraire qui 
arrive , on les voit naître de fort bonne heure, mais cependant un 
peu après les veux. 

Quand la coquille s’est accrue suflisamment pour enfermer 
l'embryon tout entier, on voit cette partie périphérique qui à 
donné naissance aux disques et au pied former un bourrelet ou 
une proéminence en avant et en dessus, et le point oculiforme (3) 
se fait reconnaître au milieu d'elle. 

C’est en dedans et un peu en avant du point oculaire que l’on 
voit les tubercules tentaculaires se former; ils prennent vite d'assez 
grandes proportions, et quand les voiles ou disques locomoteurs 
sont bien étendus, ils peuvent encore les dépasser en longueur, 

Ils paraissent à la posilion ordinaire qu'ils occupent dans 
l'adulte après la chute des disques locomoteurs ; il suffit pour 


(4) Voy. Ann. des se. nat., Zool.,"4° série, t, XIII, pl, 9, fig. 2, 3, 4. 
(2) Voy.ibid., Gg, 2: y, yeux ; ot, otolithes; s, bouche, 
(3) EN ibid., pl. 8, fig. 2,1. 


9288 H. LACAZE-DUTHIERS, 


cela de regarder, soit de face par-dessous, soit de face par- 
dessus, soit de profil, les embryons ayant ou n'ayant plus de 
disques (2). 


d. Le système nerveux élant en général difficile à voir naître , 
il y aurait des critiques à faire de quelques observations un peu 
trop vite publiées et données comme représentant ce qui se passe 
dans la nature ; mais c’est plutôt le cas d’un travail général que 
d'une étude particulière comme celle-cr. 

Sur les embryons les plus développés et vus par la face dor- 
sale (2), en avant de la tête, entre la base des tentacules et les deux 
yeux, on voit deux grosses taches plus opaques que le reste des 
issus et d’une teinte légèrement jaunûtre ; l’œsophage (3) passe 
en dessous : il ne me parait guère possible de ne pas reconnaitre 
dans ces deux taches les représentants des deux ganglions céré- 
broïides où sus-æsophagiens. 

Déjà, dans quelques individus ayant encore les disques moteurs, 
on voit, même en les regardant en dessous, les deux laches jau- 
nâtres correspondant à ces ganglions (4). 

Quand on observe de profil, on distingue entre l'œil, un peu en 
arrière de lui, et la racine du pied, deux taches jaunâtres placées 
l'une à côté de l’autre (5). Ne serait-il pas permis de croire que la 
tache la plus voisine de l'œil est l’origine du ganglion céphalique, 
que l'autre est celle du ganglion pédieux, ou bien, et peut-être 
avec plus de raison, celle du ganglion moyen ? 

A la base du pied et dans le pied même, on aperçoit tantôt une 
tache un peu jaunâtre et plus claire que les tissus environnants : 
c’est probablement le point d’origine des ganglions pédieux ; mais 
les observations n’ont pas été poussées assez loin pour poavoir 
affirmer, Quant à la tache bien nette placée dans le pied, on pour- 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, t. XIE, pl, 9, fig. 2, 3, 4,5, 6 : 
(t), les tenlacules. 

(2) Voy. ibid., fig. 6 (x). 

{3) Voy. ibid., (e). 

(4) Voy. ibid., fig, 2 (x). 
(5) Voy. ilid., fig. 3 (x). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS, 289 


rait peut-être la considérer comme le point de départ de la glande 
pédieuse. 


7° Organes de la respiration et de la circulation. — Assez 
généralement, dans les Gastéropodes dont j'ai pu suivre le déve- 
loppement, le cœur se développe après les organes de la respira- 
tion. Ici les choses se passent ainsi, tandis qu’il n’a point été pos- 
sible de reconnaître de trace du cœur ; au contraire, la branchie, 
bien simple et bien rudimentaire, semble paraître à cette époque, 
car on voit sur le côté gauche, dans l'épaisseur de la paroi de la 
voüle du manteau, comme un fer à cheval formé par une sorte de 
cordon que frangent des cils vibratiles (1) longs et puissants. 

Quel organe serait-ce dans ce point, si ce n’est la branchie ? 

La position, la disposition des cils, tout conduit à admettre là 
le commencement de l'organe de la respiration. 


Quant au cœur, il se développera sans doute en arrière et non 
Join de ce premier rudiment de la branchie. On le reconnaitrait 
sans doute à ses contractions; mais il faut être très prudent à l’en- 
droit de ce caractère, car les parois du corps se contractent dans 
un point assez restreint, et imitent les pulsations du centre de la 
circulation. 


Les organes de la reproduction n'ont point été observés ; cela 
se comprend et devait être. 


VI 


Description générale d'un embryon bien développé. 


Après avoir passé en revue successivement la formation de tous 
les organes, comparons l'animal adulte à un des embryons les 
mieux formés (2). 

La coquille est libre de toute adhérence ; elle est turbinée, et le 


(1) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 4° série, 1. XHIT, pi. 9, Gg. 3, 4, 6 (r). ! 
(2) Voy. ibid., Mig. 6. 
£° série, Zoo. T, XII. (Cahier n° 5.) 3 19 


290 NH. LACAZE-DUTHIERS. 


fond de son eul-de-sac renferme le foie, fortement coloré et gra- 
nuleux. Cet organe, qui dérive sans aucun doute du vitellus pro- 
prement dit, c’est-à-dire de celle masse jaunâtre offrant long- 
temps encore, pendant les stades du développement, les traces 
du fractionnement, finit cependant par s'isoler des tissus et en 
particulier de la coquille, et par se lober en petites masses, où 
les granulations semblent devenir plus petites. 

Sur le côté gauche, on voit la cavité stomacale, puis l’intestin 
qui va s'ouvrir en avant à droite, en rampant dans l’épaisseur de 
la paroi du manteau. 

Quant à l'æsophage, on le distingue au centre du-pédicule qui 
unit le pied et la tête aux parties placées au fond de la coquille ; 
c’est évidemment l’analogue de cette partie que l'on peut appeler 
le corps, et que l’on trouve quand on fend le manteau d’un Vermet 
adulte (4). 

Les parois du corps sontéminemment élastiques et contractiles ; 
on les voit tout à coup se resserrer, se contracter, puis, par une 
dilatation brusque qui ressemble à une détente, s'étendre surtout 
dans la portion la plus éloignée de la tête, et acquérir un assez 
grand volume. 

Ces alternatives de dilatation et de contraction semblent rap- 
peler les mouvements de diastole et de systole du cœur; je dois 
même dire que, pour quelques autres animaux, ces mouvements 
m'avaient paru appartenir au cœur, ce qui plus tard est devenu 
évidemment peu juste. 

Ces mouvements toutefois sont en rapport avec le déplacement 
des fluides. Que le cœur les chasse on que les parois du corps se 
chargent d'accomplir ces changements de position, le même but 
est atteint. Dans le commencement donc la circulation est oscilla- 
toire, et consiste dans un simple balancement des liquides opéré 
par les contractions des parois du corps. 

Le tube de la cavité du manteau rappelle tout à fait ce qui existe 
dans l'adulte ; il suffit de remarquer que le pédicule, ou le corps 
portant la tête et le pied, est entouré ici, comme dans l'animal par- 


(1) Voy. Ann, des se. nat. Zool., 4° série, L. XIIT, pl. 9, fig. 6 (n), fig. 5 (n). 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 291 
fait, par une sorte de collerette qui, en se fermant, peut cacher tout 
l'animal quand il se retire dans sa coquille (1). 

On a vu les premiers rudiments de la branchie à gauche comme 
dans l'adulte. 

Le pied est évidemment très différent, et celte différence tient 
à ce que l'adulte est fixé, et que le jeune, libre de ses mouvements, 
rampe avec son pied, qui doit être d'abord un organe servant à la 
locomotion. 

A l'extrémité antérieure du pied, on observe deux lamelles su- 
perposées ; probablement c'est Porigine de lorifice de la glande 
pédieuse et des lèvres prolongées en forme de tentacules. 

Quant à la tête, elle ressemble beaucoup à celle de l'adulte ; les 
tentacules sont fort éloignés, el s'insèrent tout à côté des tuber- 
cules qui portent les veux ; entre eux on voit les premières traces 
des ganglions sus-æsophagiens, et l'œsophage se montre beaucoup 
plus large en arrière de ceux-ci; sans aucun doute, parce que 
dans ce peint se développe l'appareil lingual. 

En petit donc, on retrouve dans le jeune Vermet des disposi- 
tions qui rappellent l'organisation du Gastéropode, et déjà l’asy- 
métrie signalée dans l'étude de l'animal adulte. 


VII 


Remarques générales. 


Établissons, en terminant, quel a été l’ordre d'apparition des 
différents organes, et enfin quelles particularités présente le Ver- 
mel dans son développement. 

La coquille se forme de très bonne heure, probablement au 
moment où l'on voit se dessiner le pied et les lobes locomoteurs ; 
l'œil paraît à peu près en même temps que lotolithe, et les tenta 
eules le suivent de près, 

L'estomac se forme comme une dépression qui reçoit passi- 


(4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo! , #° série, t. XII, fig. 3: (m), rebord du 
manteau entourant le corps, et le pédoncule soutenant la Lête eu le pied (x). 


209 IH. LACAZE-DUTBIERS. 


vement tout ce que lui apportent les courants, et déjà il est 
indiqué quand la moitié du corps est à peine recouverte par la 
coquille. 

Le foie, étant exactement le résultat de la transformation des 
sphères vilellaires, apparait, par cela même, dès le début du 
développement. 

La cavité palléale ne se dessine que lorsque les lobes moteurs et 
le pied sont bien formés, et alors, «il, tentacules, otolithe, bouches, 
estomac et intestin sont formés. 

La brancliie commence à paraître plus tard, sous la forme 
d’un bourrelet en fer à cheval, couvert d’une rangée de cils vibra- 
tiles; elle est à gauche dans la cavité du manteau, elle occupe donc 
la place qu’elle aura dans l'adulte. | 

Quant au système nerveux, les ganglions sus-æsophagiens 
paraissent déjà bien nettement avant la disparition des disques 
locomoteurs. 

Ceux-ci ne cessent d’exister ou de paraître que vers l’apparition 
de la branchie. 

Enfin la particularité suivante parait digne de remarque. 

Les deux parties primitives qui composent l'œuf après le frac- 
. tionnement affectent un rapport un peu différent de celui qu’on 
leur remarque dans les autres Gastéropodes : l’une, se fraction 
nant peu et présentant les granules du vitellus, forme une masse 
ovoïde,le long des côtés delaquelle on voit apparaître l’autre, plus 
transparente, qui, dans bien des cas, semble englober la première : 
ici celle dernière, ou la partie périphérique, parait rester latérale 
jusqu’après le développement du disque et du pied ; de 1à la forme 
toute spéciale que semble avoir l'embryon quand il apparaît après 
la période du fractionnement. 


VIN 


Tel est l'ensemble des faits que j'ai pu réunir, à Bonifacio 
‘Corse) et à Mahon (Minorquedes iles Baléares), sur l’histoire des 
Vermels ; quelques-uns paraitront, je l'espère, pleins d'intérêt. 

La disposition du système nerveux, la présence d’une glande 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS. 293 
pédieuse s’ouvrant à l'extérieur, entre le pied et la tête, et ser- 
vant probablement d’intermédiaire entre l'extérieur et la cavité 
générale du corps; enfin, les particularités relatives au déve- 
loppement, voilà, sans aucun doute, assez de points qui méritaient 
d’être connus. Je m'estimerai heureux si les résultats de mes 
observalions ont pu paraître de quelque valeur aux yeux des per- 
sonnes qui eullivent la science de la malacologie, non plus pour 
la description de quelques tubercules, de quelques taches placées 
à l'extérieur des coquilles, mais pour la connaissance des ani- 
maux qui les habitent. 


EXPLICATION DES PLANCHES. 
PLANCHE A. 
Organes de la circulation et de la digestion du Vermet. 


Fig. 4. Tube digestif et ses annexes; animal vu de profil et du côté gauche. 

4, bouche; B, bulbe lingual; Æ, glandes salivaires ; (a), œsophage; (b), sac 
liugual prolongé en arrière du bulbe ; (c), rectum accolé au manteau ; (d), pa- 
quet intestinal ; (/), œsophage et cardia ; (e), origine de l'intestin et pylore; 
C, estomac; (7), lobe pylorique du foie; (1), son canal; (k-K\, grand lobe 
hépatique ; (g-g), canal biliaire cardiaque. 

Fig. 2. Cellules très grandes qui composent le tissu conjonctif des organes, 
Elles renferment des granulations nombreuses de nature probablement cal- 
caire, car elles font effervescence avec l'acide nitrique. 


Fig. 3. Extrémité d'un eul-de-sac du foie. Les cellules du parenchyme, avec 
leur contenu, semblent empilées les unes sur les autres sans se comprimer , 
(b), corpuscules isolés, enfermés dans ces cellules hépatiques ; (d), sorte de 
corps pyriformes noirâtres, qui font aussi effervescence dans l'acide nitrique. 

Fig. 4. Les éléments du foie isolés et que l'on voit et reconnaît dans la figure 
précédente, où ils sont en place. Dans la cellule (a) on voit un gros corpus- 
cule sphérique. 

Fig. 5. Texture du corps de Bojanus. 

Fig. 6. Vermet ouvert, pour montrer les principales dispositions des organes 
de la circulation : (d), ventricule; (e), oreillette ; (f), aorte postérieure; 
(a), aorte antérieure; (i,j,k), artères nées de l'aorte antérieure et allant en 


294 B LACAZE-DÈ NII 


Rs. 

arriére à l'intestin et aux autres organes au-dessus de l'estomac ; (mn), artère 
palléale, née de l'aorte postérieure ; (n), artère splanchnique terminant 
de l'aorte postérieure : (p), origine de l'artère bulhaire linguale (q) ; (0), petite 
branche allant à la glande pédieuse: (a), vaisseau arrivant de la branchie Z, et 


allant à l'oreillette (d). Qu'on remarque un vaisseau (b) qui rapporte le sang 
venant du corps de Bojanus J. 


Fig. 7. La glande pédieuse avec son orifice et ses tentacules; (/), col de la 
glande; (g), bourrelet médian antérieur et inférieur ; (i), plis qui partent 
de celui-ci; (1), ouverture s’ouvrant sur la face inférieure ; (e), orifice de 
la glande; T, pied; (a), petit tubercule placé sur la face supérieure du pied 
et uni aux lévres inférieures (b) des tentacules ; (c), lèvre inférieure du ten- 
tacule qui se joint au-dessus de l'orifice (e) à celle du côté opposé. 


PLANCHE D. 


Organes de la reproduction du Vermet. 


Fig. 1. Une coquille cassée, pour montrer l'animal entier avec ses formes, 
son union avec la coquille et les paquets d'œufs. 

Fig. 2. Un Vermet ouvert, pour montrer les organes de la reproduction. 
Jusqu'en (d) l'animal est femelle; de (e) en (j, le corps représente un 
mâle. On n'aurait qu'à supposer la glande de l'un ou l'autre sexe, dans toute 
l'étendue, pour avoir l'idée de la disposition sur un seul individu, O, orifice 

- génital avec les cellules qui paraissent dans son fond; (a), taches jaunes, 
peut-être glandulaires, qui marquent le point où s'ouvre le canal excréteur (b). 

Fig. 3. Coupe du corps d'un Vermet supposé déroulé et étendu, la concavité de 
sa base étant en bas; (a), vaisseaux sanguins: (b), glande génitale placée à 
droite en debors du foie (c). 

Fig. 4. Une portion du testicule vue à un faible grossissement (5). 

Fig. 5. Id,, mais à un fort grossissement. — 500 diamètres, 

Fig. 6. Éléments corpusculaires ou cellulaires du même isolés. 

Fig. 7. Paquet de spermatozoïdes. 

Fig. 8. Id., plus avancés et près de se séparer. 

Fig. 9. Spermatozoïdes isolés (a). Ils ne sont pas encore tout à fait isolés du 
corpuscule qui les a produits, dans la partie de la figure marquée (b). 

Fig. 10. Cellules couvrant le parenchyme de l'ovaire. 


Fig. 44. Un œuf : ses granulations vitellines sont énormes, ses proportions 
sont considérables. 


Fig. 12. Granulations vitellines vues à un fort grossissement 


ANATOMIE ET EMBRYOGÉNIE DES VERMETS, 295 


PLANCHE 6. 


Système nerveux du Vermet. 


Fig. 4. Vermet dont le manteau seul a été fendu pour montrer les nerfs qui 
paraissenL sans préparation (comparez celte figure à la suivante). 

Fig. 2. Animal ouvert ; V, ganglions cérébroïdes ; Z, ganglion moyen ; Z’, gan- 
glion branchial; Z’”', ganglion génito-cardiaque ; (i,p,v), cordon d'union des 
ganglions moyens avec les ganglions branchiaux et génito-cardiaques ; (k), nerf 
allant au corps de Bojanus et jusqu'à l'oreillette ; (0,0), nerfs génitaux; 
(/'), cordon parallèle à la branchie qui reçoit de nombreux filets dés nerfs 
palléaux gauches supérieurs. 

Fig. 3. Tête et pieds ouverts; V, ganglions sus-æsophagiens ; X, ganglions 
pédieux ; Z, ganglions moyens ou asymétriques ; Z’, ganglion branchial ; 
(u,u'), nerfs palléaux de droite; v’, nerf palléal gauche; (s,s/,s'”'), nerfs 
pédieux, dont un (s')est destiné au tentacule ; (1), nerf de la glande pédieuse; 
(z), nerfs labiaux ; (a), nerfs des téguments de la tête. 

Fig. 4. Coupe de profil de la tête et du pied, montrant les rapports des gan- 
glions et des nerfs stomalo-gastriques; Y, ganglion stomato-gastrique ; 
(g); nerf æsophagien allant au tube digestif; (a), nerf lingual inférieur ; 
(k), nerf du fourreau de la langue; (e), nerf lingual supérieur; (xx), con- 
nectif d'union des ganglions stomato-gastriques et cérébroïdes, par l'intermé- 
diaire de la paire linguale inférieure. Ce rapport est important; de ce connec- 
tif se détachent des ramuscules secondaires, dont un (c) allant au support de 
la langue en avant. 


PLANCHE 7. 


Embryogénie du Vermet. 


Fig. 1. Œuf. 

Fig. 2, 3, &, 5, 6, 7. Fractionnement ; transformation de l'œuf en une masse 
framboisée dans la Ggure 7; deux parties sont formées: (b), vitellus ou partie 
centrale ; (a), partie périphérique. 

Fig. 8. Apparition des cils vibratiles (c). 

» Fig. 9. La portion périphérique (a) devient saillante ; (p), pied. 

Fig. 40. Embryon dont quelques parties sont déjà reconnaissables ; (y), œil ; 
(d), disques; (p), pied ; (b), partie centrale; (q), coquille. 

Fig. 14. Id., vu par le dos. 

Fig. 42. Id., de profil, vu par le côté droit. {ci un courant s'établit dans un 
cul-de-sac qui sera l'estomac. La direction est indiquée par des flèches 
placées à côté des granulations de carmin : (ot), otolithe. 


296 H. LACAZE-DUTIHIERS, 


PLANCHE 8. 


Embryogénie du Vermet, 


Les lettres semblables répondent aux mêmes choses, 


Fig. 4. Embryon vu de face, pour montrer la bouche (s). 

Fig. 2 et 3. Vue de profil par le côté droit. 

Fig. 4,5, 6, 7, 8. Embryons de plus en plus développés. Dans la figure 7, les 
granulations de carmin ont été indiquées pour montrer le courant établi dans 
la cavité du manteau. 


PLANCHE 9. 


Embryogénie du Vermet, 


Les figures représentent des jeunes añimaux de plus en plus développés. Dans 
les n°° 4, 5, 6, les disques ont disparu, et l'on reconnaît déjà très bien les 
formes de l'animal adulte, moins, toutefois, la déformation du pied et de la 
coquille qui est la conséquence de la soudure du test aux corps sous-marins. 


Remarque. — Pour toutes les figures d'embryogénie, le grossissement est 
le même, et par conséquent les choses sont comparables, 


Observation. — Les mêmes lettres ont élé employées dans loules les figures. 


a), partie périphérique, formant les organes locomoteurs; (b), partie centrale, 
formant le foie, vitellus fractionné ; (2), cils ; (d), disques moteurs ; {e), œæso- 
phage ; ({), foie; (g), estomac; (i), intestin ; (m), bord du manteau ; (n), corps; 
(a), opercule de la coquille; (ot), otolithe; (p), pied; (p’), lobe antérieur du 
pied ; (p"), lobe latéral du pied ; (g), coquille ou premier du cul-de-sac; (g'}, 
premier tour inférieur ; (a!'}, deuxième tour inférieur; (r), fer à cheval cilié, 
orifice de la branchie ; (s), bouche ; (1), tentacules; (v), origine des ganglions 
cérébroïdes ; (y). œil. 


DES ESPÈCES PERDUES 


ET 


DES RACES QUI ONT DISPAKU 


DES LIEUX QU'ELLES HABITAIENT PRIMITIVEMENT, 


Par M. Marcel de SERRES, 


Professeur à la Faculté des sciences de Montpellier. 


Les faits semblent prouver que la venue de l’homme et le rem- 
plissage des cavernes sont des événements postérieurs à la rentrée 
des mers dans leurs bassins respectifs. Is ne peuvent done pas 
coïncider avec le dépôt des terrains tertiaires qui a eu lieu bien 
auparavant, c’est-à-dire lors de la séparation des mers intérieures 
de l'Océan. On ne doit done considérer comme fossiles que les 
restes des corps organisés qui se trouvent dans les couches ter- 
restres contemporaines de la période tertiaire, et nécessairement 
celles qui sont antérieures à cette période. 

Aussi avons-nous réservé le nom d’humatiles (4) aux débris de 
la vie que l’on découvre dans les dépôts plus récents que la pé- 
riode tertiaire, caractérisée par la première apparition des mers 
méditerranées. Cette période a été également signalée par plusieurs 
autres circonstances non moins importantes, telles que les alter- 
nances souvent répétées des dépôts d'eau douce et marine, enfin 
la présence, pour la première fois, de nombreux restes de Mam- 
mifères monodelphes qui n'avaient pas encore paru, du moins en 
certaine quantité. 

Du reste, dans la plupart des travaux qui ont été publiés à ce 
sujet, on a donné beaucoup trop d'importance aux races perdues 
et tout à fait éteintes, puisque plusieurs de ces races ont vécu pen- 
dant les temps historiques. C’est maintenant un fait incontestable 


(4) Le mot humutile dérive de l'expression latine Aumatus, qui signifie corps 
enseveli ; ce qui se rapporte plutôt à un dépôt artificiel que naturel. 


295 MARCEL DE SERRES. 

quecertains animaux, et même plusieurs végétaux, ont cessé d’exis- 
ter, où se sont grandement éloignés des lieux qu'ils habitaient 
primitivement, et cela depuis l'apparition de l’homme, quoique 
ces espèces l’eussent très probablement précédé. 

Si quelques-unes de ces races ont péri si tard, c’est que par 
suite du développement de la civilisation, l’homme à senli que, 
s'il devait rapprocher de lui les espèces qui pouvaient lui être 
utiles, il devait faire tous ses efforts pour anéantir celles qu'il avait 
à redouter et dont il ne pouvait rer parti. [l est arrivé à ce double 
résultat, en soumettant à son empire les premières, et en favori- 
sant leur développement, tandis qu’à l’aide des armes qu'il s'était 
créées, il a exterminé, autant que ces armes lui en donnaient les 
moyens, les animaux dangereux qui n'étaient pas susceptibles de 
se plier à ses caprices et de devenir ses auxiliaires. 

Aussi les premiers peuples se sont adonnés à la chasse avec 
ardeur, non comme les nations modernes, par désœuvrement, 
mais par nécessité, et pour assurer leur existence. En détruisant 
un certain nombre d'individus des races qu'il avait à reuouter, 
l’homme a empêché tout au moins leur développement. Ainsi du 
moment que, par suile de cette circonstance, la mort a frappé des 
espèces en plus grande quantité que les naissances destinées à ré- 
parer les effets de cette destruction, elles ont dû tendre nécessaire- 
ment à s’éteindre. 

Tels ont été les effets de notre influence sur les races animales, 
d'autant plus manifeste que la civilisation a été avancée. Elle a 
entrainé en quelque sorte avec elle le perfectionnement des arts, 
et, par suite, les moyens de destruction dont nous faisons usage. 
Ce que nous venons de dire des animaux peut également s’appli- 
quer aux végétaux ; car certaines plantes, sans être proprement 
nuisibles par elles-mêmes, le sont pour nos cultures, et dès lors 
elles ont été l’objet de l'attention de l'homme. En effet, à toutes les 
époques, nous avons fait tous nos efforts pour les extirper de nos 
champs, tandis que nous avons favorisé, autant qu'il était en notre 
pouvoir, le développement de celles qui peuvent servir à notre 
alimentation ou nous défendre contre les rigueurs des saisons. 

Ces causes, toutes simples qu'elles sont, n'en ont pas moins 


DE LA DISPARITION DES ESPÈCES. 299 
exercé une puissante influence sur la perpétuité de certaines espèces 
comme sur l’extinclion de plusieurs autres. Toutefois elles sont 
loin d’être les seules qui aient produit de pareils effets; car qui 
peut douter que l'organisation n'y ait pas eu une grande part. En 
effet, les animaux perdus depuis des temps peu éloignés de nous 
se apportent presque tous à des races qui, par suite de leur or- 
ganisme, n'ont pas pu échapper aux poursuites dont elles étaient 
l'objet. 

Tels sont le Dinornis el l'Epyornis, oiseaux colossaux de la 
Nouvelle-Zélande et de Madagascar, ainsi que le Dronte (Didua), 
qui vivail encore à l’île de France en 1626. Il en a été de même du 
Cerfà bois gigantesque, que les Romains ont figuré sur leursmonu- 
ments, et qu'ils faisaient venir d'Angleterre à cause de la qualité et 
de la bonté de sa chair. Ce Cerf ne figure cependant plus parmi nos 
races vivantes. Nous ne connaissons pas davantage le Sanglier 
d'Érymanthe, figuré sur les anciens temples de la Grèce, et que 
Geoffroy Saint-Hilaire a considéré comme une espèce perdue. I 
en est de même des Crocodilus lacunosus et laciniatus, que ce 
grand paturaliste a découverts dans les catacombes de l’ancienne 
Égypte. Il est du moins certain qu'aucune de ces races n'a été 
rencontrée depuis l’époque où les unes ont été gravées sur les 
anciens monuments et les autres embaumées avec des races dont 
l'existence s’est prolongée jusqu’à nos jours. 

Enbn, plusieurs animaux figurés et peints sur les monuments 
de Palestrine avec des espèces actuelles, ne se retrouvent plus 
maintenant ou ont enlièrement disparu des lieux qu'ils habi- 
tient primitivement. Ils doivent donc être considérés comme tout 
à fait éteints. Seulement ces animaux ont dû périr plus tard que 
les Crocodiles retrouvés par Geoffroy Saint-Hilaire dans les cata- 
combes de l'ancienne Égypte, qui datent de la construction des 
grandes pyramides. 

L'extinction des espèces que nous venons de signaler ne s’est 
pas effectuée à une seule et même époque, ainsi qu'on pourrait le 
supposer ; mais comme la plupart des phénomènes de notre monde, 
- etsurtout de ceux sur lesquels l’homme a exercé quelque influence, 

leur perte a eu lieu successivement et à des intervalles divers. Ces 


200 MARCEL DE SERRES, 


intervalles, liés à l'existence de l’homme, n’annoncent pas, toute- 
fois, une bien haute antiquité à notre espèce, évidemment posté- 
rieure à toutes les autres manifestations de la vie. 

Le difficile est de circonscrire avec une certaine précision la 
date de la disparition des espèces éteintes, disparition qui rentre, 
du reste, dans les phases qu'a subies l'humanité elle-même. Tout 
ce qu'il est possible de faire dans l'état actuel de nos connais- 
sances à cet égard, où règnent encore tant d'incertitudes, c’est de 
les rapporter à un certain nombre de périodes déterminées par les 
produits des arts. 

D’après les travaux récents des archéologues de la France, de 
l'Allemagne et de la Scandinavie, auxquels sont venues se joindre 
les recherches de plusieurs géologues des deux dernières contrées, 
on peut réduire à trois le nombre des périodes pendant lesquelles 
des espèces animales et végétales se sont éteintes depuis notre 
apparition ici-bas. Ces périodes sont : 1° l’âge de pierre, 2° l’âge 
de bronze, 3° l’âge de fer, en les classant par ordre d'ancienneté. 

Le premier âge, celui de pierre, qui est le plus ancien, se rap- 
porte au temps où l’homme, encore peu avancé en civilisation, 
faisait à peu près uniquement usage d'outils et d'instruments de 
pierre. Celte période, ou le premier âge de l'humanité, comprend 
les espèces éteintes qui se trouvent dans les mêmes limons que di- 
vers objets de l'industrie humaine. Ces instruments, la plupart de 
pierre de différente nature, sont ordinairement des haches de silex, 
de trapp, de jade ou autres pierres dures. Les mêmes objets de 
l'industrie sont parfois accompagnés de fragments de poteries, de 
fourneaux bâtis de briques grossièrement préparées, et qui le plus 
souvent ne paraissent pas avoir été cuites au feu, mais seulement 
séchées à l'air et au soleil. 

A cetle époque se rapportent les différents outils de silex dé- 
couverts par M. Boucher de Perthes (d’Abbeville) dans les gra- 
viers de la Somme , considérés, probablement à tort, comme des 
graviers diluviens. Il paraît, du moins, que les véritables terrains 
de transport diluviens, où nommés aussi simplement diluvium, ne 
contiennent pas le moindre vestige d’ossements ou de produits de 
l'industrie humaine, pas plus que des ossements de notre espèce. 


DE LA DISPARITION DES ESPÈCES. 301 


On peut considérer comme de la même époque les divers dé- 
pôts graveleux ou sablonneux où abondent en grand nombre les 
haches de pierres dures, ainsi que d’autres objets de ce genre, ou, 
en un mot, tous les matériaux de pierre qui ont été façonnés et 
travaillés par l'homme. 

La seconde période, celle de bronze, comprend les espèces per- 
dues que l’on découvre dans les brèches osseuses, ainsi que dif- 
férents outils fabriqués avec diverses substances métalliques, par 
ticulièrement le cuivre ou le bronze, mais presque jamais le fer. 
Plusieurs des grottes ossifères ont cela de remarquable que, parmi 
les ossements ou les bois des races éteintes, il s’en trouve un cer- 
tain nombre travaillés par les mains des hommes. Quelquefois 
même ces débris osseux ont été raclés pour en détacher les chairs 
qui les recouvraient. Dans d’autres circonstances, ces débris os- 
seux ont été calcinés dans des fourneaux que l’on a trouvés à si 

| peu de distance, qu'il a été facile d’en comprendre l'usage. 

Ces diverses circonstances sont si fréquentes dans la plupart des 
grottes ossifères, qu’on vient de les voir se répéter dans la caverne 
de Mentone, située près de Nice, sur le littoral de la Méditerranée. 
Cette caverne offre de nombreux débris de grands animaux des 
genres des Chevaux, des Bæœufs, des Cerfs, ainsi que des Rongeurs 

» de petites dimensions du genre des Lièvres. Les dents y sont en 
grand nombre, ainsi que les os très résistants, tels que les canons, 
les astragales et les calcanéums. Ces divers débris y sont mélan- 
gés dans les mêmes limons où sont disséminés des fragments de 
polerie grossière, ainsi que des outils divers de silex. 

… On peut probablement rapporter à la même époque les silex 
taillés que M. Gosse (de Genève) a rencontrés dans les environs de 
Paris, mêlés dans les mêmes limons, avec des ossements de Che- 
vaux, du Bos primigenius, d'une race analogue à l’Aurochs et de 
P£lephas primigenius ; nous avons depuis longtemps indiqué ces 
espèces comme se trouvant dans les mêmes circonstances et dans 
des gisements analogues. Ces divers instruments avaient, ainsi que 
a fait observer M. Gosse, la forme de flèches ou de lances, et 
Élaient accompagnés par divers objets de l’industrie humaine, 
Comme couteaux, haches en fer de lance où présentant des figures 


302 MARCEL DE SERRES. 


ovalaires ou allongées. Tous ces objets, confusément mélangés 
dans les mêmes dépôts, ne peuvent qu'être de la même époque, 
c'est-à-dire de l'époque historique, puisque plusieurs de ces in 
struments ont été travaillés et façconnés par la main de l’homme, 

On a cependant fait observer qu'outre les Mamraifères éteints, 
tels, par exemple, que le Bos primigenius que nous venons de 
signaler, on trouve réunies, dans les mêmes circonslances, des 
espèces qui paraissent appartenir à tout autre temps. On a cité à 
cet égard le Megaceros hibernicus, le Cervus somocensis, le Rhi- 
noceros tichorhinus, toutes races évidemment éteintes. 

On peut répondre à cette observation que tout ce que prouvent 
ces espèces perdues, c’est que leur extinction doit avoir eu lieu 
plus tard qu’on ne l'avait supposé, ce qu'annonce, du reste, leur 
mélange avec des races actuellement vivantes et des objets de lin- 
dustrie humaine. 

Cette opinion n’a pas cependant été adoptée par l’un de nos 
plus babiles paléontologistes, M. Lartet, qui a interprété ces faits 
d’une tout autre manière. 

Nous sommes heureux, du moins, d'être d'accord avec lui sur 
ce fait remarquable, qu'il n'existe pas la moindre trace de l’action 
humaine sur les os des Éléphants des terrains quaternaires ni sur 
les grands carnassiers de la même époque. Les seuls ossements 
que M. Lartet et moi avons rencontrés ouvrés et travaillés, se rap- 
portent à des ruminants des genres Bœuf ou Cerf, et à des soli= 
pèdes du genre des Chevaux. 

Les races qui portent ces marques du travail de l’homme sont 
parfois mélangées avec des espèces tout à fait anéanties ; il s'ensuit 
qu’elles sont loin d’avoir l'importance qu'on leur avait supposée 
et la valeur qu’on leur avait accordée relativement à la date qu Re 
pouvaient nous donner. . 

En effet, si plusieurs espèces ont totalement disparu de la sur 
face du globe, et n’y sont plus représentées maintenant, il n’est 
pas moins certain que quelques-unes d’entre elles en ont totale= 
ment disparu depuis notre existence. C’est donc une grave erreur 
de prétendre que la disparition d’une ou de plusieurs races 
ait la moindre influence sur l’antiquité de l’homme, puisqu'il em 


DE LA DISPARITION DES ESPÈCES. 903 


est tant dont l’anéantissement est évidemment postérieur à notre 
apparition ici-bas. 

L’erreur serait plus grande encore si l’on confondait la date du 
globe, date qui se perd dans la nuit des lemps, avec la vie si 
brève de l’humanité tout entière, Nous ne sommes, en effet, que 
d'hier sur notre vieille terre, ainsi que le disaient avec toute rai- 
son à Solon les prêtres de l’ancienne Égypte. 

On peut également rattacher à la période de bronze les restes de 
l'Ursus spelœus que l’on découvre dans la plupart des cavernes 
de l’Allemagne, de la France el de l’Angleterre. Quoique cette 
espèce soit complétement éteinte, on ne la rencontre pas moins 
avec le Renne et l'Élan, qui offrent cette particularité remarquable 
de ne plus vivre maintenant dans les contrées où leurs débris sont 
disséminés, ayant depuis lors été refoulés plus au nord. Cet Ours 
paraît, dans certaines circonstances, avoir vécu avec le Ahinoceros 
tichorhinus et l’Elephas primigenius qui, l'un et l’autre, sont dis- 
séminés dans les mêmes limons. 

Nous devons à M. le professeur Steenstrupp (de Copenhague) 
Ja connaissance de faits non moins curieux que ceux dont nous 
venons de faire saisir l'importance. Ils nous apprennent, en effet, 
que plusieurs espèces végétales et animales se sont éteintes dans 
des temps bien postérieurs à l'apparition de l’homme, et que d’au- 
tres ont disparu depuis lors des lieux qu'elles habitaient primiti- 
vement, et ont été remplacées par de nouvelles espèces. 

” Ainsi, l'Emys lutaria borealis Nilson, le Castor fiber Lin., le 
Petrao urogallus et V Alèa impennis, qui jadis avaient habité le 
Danemark, ne s'y trouvent plus aujourd’hui (1). On le eonçoit 


ral 
# 


Wr) Le grand Pingouin (Aléa impennis), que l'ontrouvait naguère dans l'une des 
s du Danemark située près de l'Islande, nommée en raison de cette circons 
ce, le du Pingouin ou Gvirfügleskjer, ne s'y rencontre plus aujourd'hui. 
ne le voit pas davantage ailleurs, quoique nos musées en renferment quel= 
individus empaillés. Les ossements de cet oiseau qui, comme le Dronte, ne 
Jlait pas, sont assez nombreux parmi les débris osseux agglomérés à dessein, 
débris ont été souvent raclés pour en enlever les chairs. (Voyez le mémoire, 
ié en 1857 à Copenhague, sur l'histoire de cet oiseau, par M. le professeur 
strupp. 


BU MARCEL DE SERRES. 


facilement, quant au Coq de bruyère, qui se nourrit principale- 
ment des jeunes pousses des Pins, puisque ces Conifères ont com- 
plétement disparu de cette contrée. 

Ce qui est non moins remarquable, une foule d'arbres dicotylé- 
dones, tels que les Hètres, les Bouleaux, les Aunes, les Noïsetiers 
et les Chênes, leur ont maintenant succédé. Un pareil changement 
dans la végélation a dû nécessairement exercer une grande in- 
fluence sur les animaux; aussi certains d’entre eux se sont éloi- 
gnés et ont disparu peut-être pour toujours des lieux qu'ils fré- 
quentaient auparavant, et dans des temps historiques qui ne 
paraissent pas remonter bien haut. 

On peut rapporter l’époque où ces espèces vivaient en Dane- 
mark à celle où l’homme a réuni de grands amas d’ossements, 
après s’être nourri des chairs qui les recouvraient. On découvre 
dans ces amas le Bos primigenius, dont les dimensions, et surtout 
celles de ses cornes, étaient des plus considérables. Ce Bœuf 
n’était accompagné d'aucune race domestique, si ce n’est par 
quelques vestiges du Chien. On n'y aperçoit pas, en effet, le Bœul 
ordinaire, le Mouton, la Chèvre, le Cochon et le Cheval. On y 
rencontre, toutefois, le Sanglier, et ce qui est non moins parlieu- 
lier, l'Huître ordinaire, la Moule et la Bucarde comestible (Myti- 
lus edulis et Cardium edule); enfin, les quatre espèces de vertébrés 
que nous venons de signaler. 

Les amas d’ossements du Danemark sont disséminés dans qua= 
rante localités différentes, et cela à des intervalles plus ou moins 
éloignés. Les plus distants de Copenhague en sont à trente ou quaz 
rante lieues, et les plus rapprochés se trouvent à environ cingou 
six lieues. Ces amas forment de si grands tas, que leur hauteur 
moyenne, d'environ 1 mètre à 1,50, arrive parfois à celle de 
3 mètres à 3",20. Leur étendue n’est pas moindre, dans certaines 
localités, de 325 à 350 mètres. Ils présentent partout les mêmes 
circonstances et les mêmes animaux. On y distingue le Chatsau- 
vage, le Lynx, généralement d’une grande taille, le Blaireau, ainsi 
que plusieurs espèces du genre Cerf. 

Ces différentes races ne sont pas représentées cependant en 
Danemark, ni dans la plus grande partie de l'Allemagne. 


DE LA DISPARITION DES ESPÈCES. 309 


La faune de ces agglomérations d’ossements, toute particulière, 
n'offre pas la moindre trace des pachydermes de haute taille, tels 
que les Éléphants, les Rhinocéros, pas plus que les grands Chats 
ou les Ours des cavernes, ni même les Hyènes des mêmes lieux. 
Ce qui donne de l'importance à cette faune contemporaine de notre 
espèce, c'est qu'un grand nombre de débris osseux qui en font 
partie ont été évidemment travaillés par la main de l'homme. 

La raclure des ossements, constamment accompagnée par des 
instruments {ranchants de diverses variétés de silex, rend ce fait 
extrêmement probable. Il le devient surtout par cette circonstance, 
que les ossements avaient été placés à dessein auprès de petits 
fourneaux contenant encore des cendres et du charbon. 

Du reste, plusieurs de ces débris ont été exposés au feu, et la 
plupart évidemment façonnés, principalement les grands bois des 
Cerfs, travaillés à l’aide d'outils particuliers ; ils paraissent parfois 
avoir élé préparés pour en servir eux-mêmes, à en juger par les 
formes qu’on leur a données. 

Les tourbières de la Suède offrent également des faits analo- 
gues. Elles recelent en effet les restes de l’Ursus spelœus, mè- 
lés et confondus avec des os de Rennes et d'Élans, quoique ces 
animaux ne s’y voient plus aujourd'hui et soient maintenant relé- 
gués plus au nord. | 

La dernière période, celle de fer, la plus récente des trois, est 
aussi la plus compliquée, et par conséquent susceptible de plu- 
sieurs divisions. 

La plus ancienne des époques de la troisième période paraît se 

rapporter à l'extinction des Crocodiles décrits par Geoffroy Saint- 
- Hilaire sous les noms de Crocodilus lacunosus et laciniatus. C’est 
probablement vers la fin de cette époque que se sont éteints, pre- 


“ mièrement le Sanglier d'Érymanthe, et successivement, plusieurs 
des races figurées sur la mosaïque de Palestrine. 


La seconde époque de l’âge de fer a vu périr peu à peu le Cerf 

à bois gigantesque ou l'Élan d'Irlande, le Dronte, ainsi que les 

oiseaux colossaux de la Nouvelle-Zélande et de Madagascar, nom- 

“més Dinornis et Lpyornis. Quoique ces derniers aient été proba- 

blement anéantis plus lard que les autres espèces avec lesquelles 
te série. Zooz. T. XIIL. (Cahier n° 5,) # 20 


306 MARCEL DE SERRES. 


nous les rangeons, on doit les comprendre plutôt avec les races de 
celle seconde époque qu'avec celles qui appartiennent à la date la 
plus ancienne de la troisième époque de l’âge de fer. 

Cette dernière époque de l’âge de fer est celle où plusieurs es- 
pèces végétales et animales, sans cesser d'exister, ne se trouvent 
plus maintenant dans les lieux où elles avaient primitivement fixé 
leur séjour, el en ont complétement disparu. 

On voit, en effet, dans plusieurs cavernes à ossements, même 
dans celles qui recèlent des espèces totalement perdues, divers ob- 
jets de l’industrie humaine de date très différente. Les uns se rap- 
portent à l’époque romaine ou gallo-romaine, et d'autres aux temps 
druidiques. Les mêmes faits se représentent aussi bien dans les 
tumuli, les dolmen et autres monuments de ce genre, que dans 
les cavités souterraines. On peut eiter, comme exemple de la réu- 
nion de ces circonstances, les cavernes de Mialet, et, jusqu'à un 
certain point, celles de Bize, où l’on découvre quelques bois de 
grands Cerfs d'espèces perdues travaillés et façonnés de différentes 
manières par l'homme. 

On peut également signaler, sous le même rapport, la caverne 
de Cabrières , près de Pézénas, quoiqu'elle soit remplie par des 
objets de l’industrie et des ossements humains d’une date plus ré- 
cente que ceux que l’on observe à Mialet et à Bize. Il est difficile, 
cependant, de ne pas reconnaitre que ces divers instruments et 
les os qui les accompagnent, ne sont pas lous du même âge. 

La plupart de ces faits se rattachent non-seulement à notre pré- 
sence, mais à notre influence; les uns se rapportent à une extinc- 
lion totale de certaines espèces, et les autres à leur disparition des 
lieux qui les avaient vues naitre. 

Les Lions, les Léopards, les Lynx, les Panthères, les Ours, et 
autres animaux analogues connus, du moins plusieurs d’entre eux, 
en Grèce, du temps de Xénophon, ne s'y voient plus aujour- 
d’hui (4). Leur disparition peut faire présumer que ces carnassiers 


(1) On peut voir, dans l'ordre qu'Eurysthée donne à Hercule de tuer le Lion 
de Némée, une preuve de l'existence de ce carnassier en Grèce, et cela à une” 
époque peu éloignée de notre temps. (Voyez du reste, en ce qui concerne l'his- 


DE LA DISPARITION DES ESPÈCES. 307 
ue tarderont pas longtemps à cesser d'exister en Algérie, si nous 
en conservons la possession, et surtout s'il s'y trouve des chasseurs 
aussi valeureux et aussi intrépides que le capitaine Gérard. 

I n'a pas fallu à l'Angleterre des siècles pour détruire les Loups 
qui infestaient son territoire et menaçaient ses troupeaux. La France 
elle-même voit leur nombre diminuer d’une manière sensible de- 
puis quelques années, sans que l'on ail mis beaucoup d’ardeur à 
les poursuivre. Les Cerfs, les Sangliers, ont tout à fait disparu de 
nos régions méridionales, où naguère ils fréquentaient nos bois 
taillis composés de Chênes verts. 

Les Ours subiront bientôt le même sort : il est du moins certain 
que leur nombre devient, pour ainsi dire, chaque jour, de moins 
en moins considérable, et que ces animaux tendent à s’éteindre 
aussi bien dans les Alpes que dans les Pyrénées. Les Bouquetins 
et le Chamoïis, quoique herbivores et utiles à l'homme, diminuent 
sensiblement d'une année à l'autre, comme le Castor, qui dispa- 
raitra bientôt des rivages du Rhône, auprès desquels on le trouvait 
naguère avec une certaine fréquence. 

Ces races ne sont pas les seuls Vertébrés qui, par notre influence, 
se perdront probablement bientôt dans les contrées les plus eivi- 
- lisées et les plus populeuses ; il en sera probablement de même 
des espèces des diverses classes des Invertébrés qui nous servent 
d’aliment. 

La diminution de plusieurs Verlébrés marins, el principalement 
des races qui nous sont utiles , est si réelle, que les gouverne- 
ments eux-mêmes s'occupent de porter remède à un pareil état de 
choses. Dans ce but, on tente de toutes parts de repeupler nos 
fleuves, nos rivières, nos lacs, ainsi que les mers elles-mêmes. 

La consommation des Huitres est devenue si énorme, qu’elles 
cesseront bientôt d'exister, si nous continuons d'en user avec la 
même profusion que par le passé, et cela quelque grande que soit 
leur fécondité. Ce qui arrivera peut-être pour les Huitres de 


toire des animaux que nous venons de mentionner, le Traité de la chasse de 
Xénophon, chap. x1, & VI, p. 725, de l'édition des OEuvres complètes de 
Xénophon, publiée en fructidor an XI, par le professeur Gail.) 


308 MARCEL DE SERRES, 

l'Océan, est déjà arrivé à celles de la Méditerranée, ainsi qu'aux 
Clovisses, coquilles de la même mer, dontnous nous privons depuis 
quelque temps, dans l'espoir de les voir se repeupler auprès de 
nos rivages (1). 

Si nous avons façonné le sol dont nous tirons nos aliments, nous 
avons également réglé à notre profit la distribution des végétaux et 
des animaux. Nous avons éloigné de nous les races qui pouvaient 
nous nuire, el nous avons favorisé par {ous les moyens en notre 
pouvoir le développement des espèces dont nous pouvons tirer 
parti. Ce n’est pas là un des moindres bienfaits de la civilisation et 
des progrès que les sciences, et en particulier la navigation, ont 
faits de nos jours. 


(1) Les coquilles bivalves nommées Clovisses dans le midi de la France, et 
Arcelys en patois languedocien, appartiennent à plusieurs espèces décrites par 
Lamarck sous les noms de Venus decussata et virginea (Système des animaux 
sans vertèbres, t. V, p. 597 et 600). 


RAPPORT SUR LE TARET, 


Par M. Vrolik (1). 


(exrrair..) 


Dans la séance ordinaire de l'Académie des sciences d'Amster- 
dam du 27 novembre 1858, le secrétaire, M. Vrolik, fit une 
communication sur les ravages du Taret à Nieuwendam , et, à la 
suite de cette communication, une commission fut chargée de 
réunir tous les faits qui se rapportent à l’histoire naturelle de ce 
Mollusque et aux dégâts qu'il occasionne sur les côtes des Pays- 
Bas. M. Vrolik, secrétaire de la commission, vient de publier sur 
ce sujet un intéressant rapport. 

Ce travail comprend, dans un premier chapitre, la description 
du Taret ; le second chapitre a pour objet le genre de vie de cet 
animal ; le troisième, l’histoire des ravages qu'il cause sur les côtes 
des Pays-Bas; enfin, dans le quatrième, sont réunies les expé- 
riences qui ont été faites pour préserver le bois des attaques de ce 
Mollusque. 

Le second chapitre renferme plusieurs observations intéressantes 
dues à M. Kater, qui n’est pas naturaliste, mais qui raconte ce 
qu'il a vu. 

D’après cet observateur, les premières traces de l'apparition de 
ce Mollusque dangereux ont été remarquées au mois de juin et dans 
les premiers jours de juillet 1850, à Nieuwendam. A l’aide d’une 
loupe, on apercevait, dit-il, des corps vivants fort petits, portant 
une couronne à l’un de leurs bouts, et ces corps devinrent des 
Tarets qui pénétrèrent le bois. 

Ils nagent d’abord librement autour du bois, et ensuite ils s’y 
attachent. Ils n'ont que la grosseur d’une tête d’épingle. 


(4) Verslag over den Paalworm (Bulletin de l'Académie des sciences d'Amster - 
dam, 1860). Cette commission était composée de MM. Vrolik, Harting, Storm 
Buysing, Van Oordt et Von Baumbhauer. 


910 VUGLIK . 

Comme l'a dit M. de Quatrefges, les Tarets sont dioïques, et 
les femelles pondent des œufs qui échappent par un des siphons. 
On ignore comment se fait la fécondation. 

Les larves, après avoir nagé librement, s'allachent, à une époque 
donnée de leur évolution, au bois qu'ils veulent envahir; puis, 
plus tard, elles pénètrent dans son intérieur. C’est vers le 15 du 
mois de juillet qu'elles affectaient la forme de Taret complet. 
M. Kater a eu encore de jeunes larves de ces animaux au mois 
de septembre La pénétration du jeune Mollusque s'effectue au 
bout de vingt à trente-cinq jours. 

C'est le mois de juin qui est le plus favorable au développement 
du Taret, mais les plus grands ravages ont lieu au mois de juillet 
et d'août. 

Ces larves pénètrent perpendiculairement dans le bois, puis, à 
une certaine profondeur, elles suivent la direction des fibres 
en se dirigeant communément de bas en haut. C’est au fond de 
l'eau, immédiatement au-dessus de la vase, que l’on trouve les 
larves, et c'est Fi aussi que le bois est attaqué d’abord. 

C'est par un moyen mécanique que le bois est creusé. 

Comme les naturalistes du dernier siècle l'ont déjà fait remar- 
quer, les Tarets sont accompagnés dans leurs loges par un Anné- 
lide de 40 à 15 centimètres de long, qui cohabite avec eux, C’est 
le Lycoris fucala ; les larves de cet Annélide vivent pêle-mêle avec 
les larves de Taret. 

D'après le rapport, cet Annélide poursuit et dévore le Taret, et 
M. Kater en a vu qui étaiententourés de la peau de ce Mollusque, 
dont ils étaient en train de détruire et de sucer les viscères. 
M. Kater a même vu un Lycoris fucala saisir un Taret libre avec 
ses pinces et le dévorer si complétement, qu'il n’en restait que les 
valves. 

Ce chapitre se termine par les conclusions suivantes : 

Ao Que les larves de Taret pénètrent dans le bois an mois de 
juin ; 

2° Que ces larves proviennent d'œufs engendrés par des Tarets 
femelles logés encore dans le bois; que ces larves en cours de 
développement sont évacuées par ua des siphons, et qu'elles xi- 


KAPPORT SUR LE TARET. o11 
veut librement un certain temps en subissant des métamorphoses 
avant de se choisir un gite ; 

3° Que les Tarets perforent le bois à l’aide du pied et des 
coquilles, pendant que leurs palettes les soutiennent et que les 
siphons floltent dans l’eau ; 

k° Que le bois, au fur el à mesure qu'il se creuse, se tapisse 
d’une nouvelle couche de calcaire ; 

5° Que le Taret croit dans le bois et que les canaux qui le logent 
doivent s'étendre en longueur et en largeur ; 

6° Que le Taret, une fois qu'il a pénétré dans le bois, suit de 
préférence la direction des fibres ; 

7° Que le Taret passe l'hiver dans le bois, et que ceux qui ont 
ainsi hiberné donnent naissance à la nouvelle progéniture ; 

8° Qu'en général, le bois attaqué par le Taret loge en même 
temps un Annélide (Lycoris fucata), mais que eelui-ei n’altaque 
pas le bois ; 

9° Que le Taret adulte ne peut vivre hors de l’eau, tandis que 
l’Annélide habite aussi la vase ; 

10° Qu'il n’y a pas de raison de détruire l'Annélide, mais plu- 
tôt des motifs de le propager. 

Le troisième chapitre traite de l'histoire des ravages cansés par 
le Taret sur les côtes de Hollande, depuis qu'il a été reconnu jus- 
qu'aujourd'hui. 

Ce Mollusque a été connu depuis la plus haute antiquité. Vitruve 
et Ovide en font mention. « Occulla nitiata teredine navis, » dit 
Ovide. Vallisneri, Deslandes et Réaumur en font également men- 
tion, mais c’est surtout, il y a un siècle, vers 1730, qu'il a parti- 
culièrement excité l'attention. 

Ce chapitre se termine par les conclusions suivantes : 

1° Que le Taret vit régulièrement sur les côtes de Hollande ; 

2° Qu'il ne nous vient pas des Indes ; 

3° Qu'il ne disparait pas à certaines époques pour reparaitre 
plus tard ; 

h° Mais qu'il y a des époques plus favorables que d’autres à son 
développement : les années 1731, 1770, 1827, 1858 et 1859, 
qui ont été remarquables sous ce rapport ; 


312 VROLIK. 

5° Queles circonstances qui correspondent à ce grand dévelop- 
pement sont la rareté de la pluie, par conséquent les eaux inté- 
rieures peu élevées, et le remplacement de l’eau douce par l’eau 
salée. 

Dans le quatrième chapitre, le rapporteur s'occupe des expé- 
riences qui ont été faites pour préserver le bois des ravages du 
Taret. 

Différentes essences de bois ont été mises en expérience à Nieu- 
wendam, Flessingue, Harlingen et Stavaren. 

Les expériences se rapportent à trois catégories : 

Dans la première sont comprises les expériences qui consistent 
à couvrir la surface du bois de diverses matières. 

La seconde catégorie comprend les expériences faites à l’aide 
d’injections. 

La troisième catégorie comprend les expériences faites sur des 
bois étrangers, et les bois qu'on emploie habituellement aux con- 
structions. 

Les expériences sur le bois créosoté méritent d’être mentionnées 
ici, puisque ce bois seul a été généralement à l'abri des attaques 
du Taret. 

A Flessingue, trois essences de bois créosoté, parmi lesquelles 
il y a du chêne et du sapin, après un assez long séjour dans la 
mer, montrent une surface lisse et unie (sans Algues et sans 
Balanes), et, examinés avec la plus grande attention par la com- 
mission, celle-ci n’a pu y trouver aucune trace de Taret. 

A Nieuwendam, l'expérience donne un résultat opposé : le 
Taret a pénétré dans le bois de chêne créosoté. 

Sur six pieux, mis en expérience à Harlingen et à Stavaren, 
le 21 et le 23 mai, la commission ne trouva aucune trace de Taret, 
tandis que le bois non créosoté, qui les tenait ensemble, en était 
altaqué (4). 

Le rapporteur cite dans ce travail d’autres expériences qui sont 


(1) Du bois créosoté, mis en expérience. à l'entrée de l'estacade d'Ostende 
par M. Crépin, ingénieur belge, a été trouvé intact au bout de deux ans. — Voyez 
aussi Bethell's patent Creosoting Process fur preserving Timber. London, 1856. 


RAPPORT SUR LE TARET. 315 
presque toutes favorables à l'efficacité de la créosote contre l’in- 
vasion du Taret. 

Ce rapport est terminé par un travail spécial du professeur 
Harting sur le mécanisme à l’aide duquel le Taret perfore le bois. 

Dans ces derniers temps, M. Hancock a prétendu que le Taret 
perfore à l’aide de son pied, et non par sa coquille. M. Deshayes, 
qui a écrit longuement sur le Taret, ne lui reconnait pas de pied, 
mais un sphincter, qui agit comme une ventouse, et il suppose 
que cet organe sécréterait un liquide apte à ramollir le bois. 

M. de Quatrefages ne partage pas ces opinions ; il pense que 
le Taret perfore par un moyen mécanique, mais il ne fait pas non 
plus intervenir la coquille. 

La coquille, au contraire, serait, d’après Osler, Defrance et 
Caillaud, le seul instrument que possède le Taret pour perforer le 
bois. 

M. Harting partage ce dernier avis. 

Il décrit avec le plus grand soin le système musculaire, surtout 
les muscles des valves, puis il fait connaitre en détail la composition 
de la coquille, et il signale sur chaque valve de celle-ci, d’un côté 
4000 denticules, et sur une autre partie jusqu'à 10000, de 
manière que ces deux surfaces agissent comme une véritable lime. 

Ce travail intéressant de M. Harting est accompagné de quatre 
planches in-8°, et la planche 3 montre une des valves fortement 
gratlées, par suile de son action mécanique sur le bois. 


NOUVELLES EXPÉRIENCES 


SUR LES 


EFFETS DE LA GARANCE MÉLÉE AUX ALIMENTS 
DES MAMMIFÈRES ET DES OISEAUX GRANIVORES, 


Par M. ie D" N. JOLY. 


Professeur à la Faculté des sciences de Toulouse, 


Dans une importante communication qu’il a faite récemment 
à l’Académie des sciences de Paris (1), M. Flourens annonce qu'il 
est parvenu à colorer les os d’un fœtus de Pore en soumettant la 
mère à un régime mêlé de garance pendant les quarante-cinq der- 
niers jours de sa gestation. 

De cette curieuse expérience, l’illustre secrétaire de l’Institut 
tire la conséquence que voici : 

« Le sang de la mère communique avec celui du fœtus ; il com- 
munique si pleinement avec celui du fœtus, que le principe colorant 
de la garance, ce même principe qui colore lesos de la mère, colore 
aussi ceux du fœtus. » 

Ainsi se trouve résolue, et résolue d’une manière indubitable, 
l'une des questions les plus intéressantes, et naguère encore les 
plus controversées de l’embryogénie. 

A l'occasion de cette communication, M. Coste rappelle un fait 
bien connu des pêcheurs : c’est que le contenu des œufs pondus 
par les femelles des Poissons osseux appartenant à la famille des 
Salmonidés est plus ou moins rougeâtre, quand la chair de ces fe- 
melles est de couleur dite saumonée. Cette teinte particulière 
vient-elle à disparaître dans les muscles, elle disparait aussi dans 
les œufs : ils sont blancs comme la chair de la mère dont ils pro- 
viennent. 


(1) Voyez les Comptes rendus de l'Institut, séance du 4 juin 1860, et Ann 
des sc. nat., 4° sér., t. XII, p. 245. 


EFFETS DE LA GARANCE SUR LES OEUFS, ETC. 515 

De cette observation (rès simple, M. Coste tire des consé- 
quences très graves au point de vue de l'hérédité physiologique, 
et, s'appuyant sur la dernière expérience de M. Flourens, il ex- 
plique comment ces redoutables transmissions, que l’on appelle 
diathèse cancéreuse, tuberculeuse, ete., peuvent s'aggraver pen- 
dant la gestation, puisque les éléments introduits artificiellement 
dans l'organisme de la mère passent dans celui du fœtus. 

A l'appui de ces idées, nous pouvons aujourd’hui citer un nou- 
veau fait qui, lui aussi, nous semble avoir son importance. Déjà 
en 1843 ou 1844, en soumettant une Poule au régime de la ga- 
rance, nous avions obtenu un œuf dont la coque était légèrement 
colorée en rose. A celle époque, nous ne songeämes pas à en exa- 
miner le contenu Désireux de savoir s’il participait lui-même à 
celte coloration, nous avons, cetle année même, recommencé 
l'expérience dont il s’agit, et nous avons pu nous convaincre que 
non-seulement la coque de l'œuf, soit pondu, soit pris au bas de 
l'oviduete, mais encore le blanc et le jaune, offraient une teinte 
rose plus où moins prononcée (1). 

Doit-on voir dans ce double résultat un fait réel de nutrition? 
ou bien faut-il y voir un fait parement chimique ? Le phénomène 
me parait complexe. En ce qui concerne la coque, il est évident 
que la nutrition est tout à fait étrangère à la coloration qu’elle 
présente. Iei le principe tinctorial, mêlé aux fluides versés dans 


(4) M. F.-A. Pouchet a vu le vitellus offrir une couleur brun foncé dans des 
œufs pondus par des Poules qui avaient mangé une très grande quantité de 
hannetons {voy. Hétérogénie, p.323). Quant à la coloration de la coque des œufs, 
naturellement tachés, nous n'avons pas été médiocrement surpris de voir Dar- 
win chercher à l'expliquer par la seule influence de l'imagination !! « Like the 
» fable of the Cameleon (dit le célèbre auteur du Zoonomia), all animals possess 
: à tendency to be colonred somewbhat like the colours they most frequently in- 
» spect,and finally that colours may be thus given Lo the egg-shell by the imagina- 
» tion of the female parent ; which shell is previously a mucous membrane, indued 


.» With irritability, without which it could not circulate its fluids , and increase in 


» its bulk, Noris thismore wonderful than that a single idea of imagination should 
» in an instant colour the whole substance of the body of a bright scarlet, as in 
» the blush of shame, though by à very different process. » (Erasmus Darwing, 
Zoonomia, or the Laws of Organic Life, t 1, p. 511. London, 4794, in-4°.) 


316 N. JOLY. 


l'oviducte, s’est combiné chimiquement avec les sels calcaires, et 
notamment avec la petite quantité de phosphate de chaux qui entre 
dans la composition de la coquille, et là il a formé une véritable 
laque insoluble. 

Quant au contenu de l'œuf, c’est encore dans le sang chargé 
du principe colorant de la garance, que nous devons chercher la 
cause de la teinte légèrement rosée qu'il a offerte à notre obser- 
vation. En effet, c’est le sang qui apporte à l'ovaire les matériaux 
qui devront constituer le vitellus ; c'est encore lui qui, à l’aide de 
certaines glandes renfermées dans l’oviducte, fournit l’albumen 
au blanc d'œuf. Est-il donc étonnant que le jaune et le blanc soient, 
le premier surtout (4), légèrement colorés? Ne sait-on pas que 
l'urine et le lait(2) prennent, sous l'influence du régime garancé, 
une couleur rouge assez intense? La graisse et la bile elle-même, 
d'après MM. Serres et Doyère, perdent sous cette même influence 
leur couleur caractéristique. Enfin le produit des membranes sé- 
reuses est également teinté en rose {3). Tous ces faits s’enchainent 
admirablement, et sont la conséquence, en quelque sorte forcée, 
de l’action du principe tinctorial ‘que le fluide nourricier charrie 
partout avec lui. 

MM. Serres et Doyère disent avoir vu les membranes séreuses, 
le tissu cellulaire et les aponévroses, se rubéfier plus où moins 
chez le Chien à la suite du régime garancé. Nous n'avons rien 


+ (1) On sait que Von Baer d'abord, et après lui Allen Thomson, ont vu sur la 
membrane interne de l'ovaire les orifices des vaisseaux sanguins qui, d'après le 
premier de ces habiles observateurs, apportent directement le sang destiné à 
nourrir le vitellus, « the open mouths of blood vessels, by means of which the 
» yolk my be nourished by the direct access of blood to it. » (Cyclopædia of Ana- 
tomy and Physiology, article Ovox.) 

(2) Hermstaedt, Ueber einige abnorme Zustände der Milch (Pharmaceutisches 
Centralblatt, 1833, p. 404).— Voyez aussi nos Recherches sur le lait, travail qui 
nous est commun avec M. le professeur E. Filhol, inséré dans le tome III des 
Mémoires de l'Académie royale de médecine de Belgique, et couronné par celte 
Académie (Bruxelles, 1856). 

(3) Serres et Doyère, Exposé de quelques faits relatifs à la coloration des os 
chez les animaux soumis au régime de la garance (Comptes rendus de l'Institut, 
21 février 4842.) 


EFFETS DE LA GARANCE SUR LES OEUFS, ETC. 317 


observé de semblable chez les Poules soumises à nos expériences, 
et nous sommes encore à nous demander la cause de cette diver- 
sité d'action d'un même principe linctorial. En revanche, nous 
avons vu le jabot et l’épiderme de la membrane interne du gésier 
offrir dans toute leur épaisseur une teinte rouge au moins aussi 
foncée que celle du pantalon de nos soldats. La coloration de la 
membrane sous-jacente à l’épithélium du gésier, et surtout celle 
de l'intestin proprement dit, étaient beaucoup moins prononcées. 

Ici évidemment il y a eu un fait de teinture locale produit, soit 
par imbibition de tissu, peut-être même par voie d’affinité chimique 
(épithélium corné du gésier, qui contient du phosphate de chaux), 
soit par voie d'absorption vitale (muqueuse de l'intestin). 

Nous ne dirons rien de la coloration des os, si bien étudiée dans 
ces derniers temps, d’abord par M. Flourens, puis par MM. Serres 
et Doyère, enfin plus récemment encore par MM. Brullé et Hu- 
gueny, dont la théorie nous semble moins exclusive, et par cela 
même plus vraie que celle de leurs devanciers. 

Mais nous ne saurions passer sous silence un résultat fort im- 
portant, selon nous, qui contredit d’une manière formelle l'asser- 
tion de M. Flourens, lorsqu'il prétend que les os et l’ivoire des 
dents sont les seules parties que colore la garance. 

Nous avons en notre possession, et nous avons fait voir plus 
d'une fois à nos collègues et à nos auditeurs, une mâchoire infé- 
rieure de Chien (4), dont toutes les dents offrent sur leur émail 
une teinte rose presque aussi foncée que celle de l’ivoire. Or si ja 
vie et par suite la circulation existent dans l'émail, elles doivent 
l'une et l'autre y être assez obscures ; aussi l'émail est-il un peu 


(1) « Dans les dents , c'est la partie osseuse seule qui se colore (disait 
M. Flourens en 1840), l'émailne se colore point, il reste blanc, il ne rougit pas, 
et c'est ce qui se voit avec évidence sur toutes les pièces qui sont sous les yeux 
de l'Académie. » 

Or, sur la mâchoire de Chien dont il est ici question, il n'est pas moins évi- 
dent que l'émail est presque aussi coloré que l'ivoire. D'après les expériences 
déjà anciennes de MM, Brullé et Hugueny, et d'après les observations toutes 
récentes de M. Alphonse Milne Edwards { Études chimiques et physiologiques 
sur les os), la différence d'âge des animaux soumis à l'expérimentation pourrait 
bien expliquer la différence des résullats. 


218 R, LEUCKART. 

moins coloré que l’ivoire. N’avons-nous pas là précisément la 
preuve la plus évidente d’une simple action chimique, d’une affi- 
nité-prononcée entre le principe colorant de la garance et le phas- 
phate de chaux qui compose en grande partie l'émail? 

En résumé, le phénomène qui nous occupe serait complexe, 
et, suivant les organes ou les produits étudiés, il semble qu'il 
faudrait l'attribuer tantôt À une action chimique proprement dite 
(affinité du principe colorant pour les sels calcaires des os, des 
dents, de la coquille); tantôt à une pénétration directe de ce même 
principe dans les tissus par voie d'absorption vitale ou de simple 
imbibilion (coloration des muqueuses, épithélium du gésier, ele.); 
tantôt enfin au mélange pur et simple de lalizarine contenue dans 
le sang avec les produits sécrétés (urine, lait, ele.). Partout, en 
un mot, ce serait un fait de teinture s'opérant d’après les lois des 
affinités chimico-vitales, et modifié par la nature des organes 
mêmes où il a lieu. 


RECHERCHES SUR LE TRICHINA SPIRALIS 
‘DES REMARQUES SUR LES MALADIES VERMINEUSES (1), 


Par M. R. LEUCKART. 


(Extrait.) 


Dans ce travail intéressant, l’auteur arrive aux conclusions 
suivanles : 

1° Le Zrichina spiralis est le jeune âge d’un petit Ver rond, 
inconnu jusqu'à présent , el auquel on doit conserver le nom gé- 
nérique de T'richina. 

2° Le T'richina ayant ses organes reproducteurs développés 
habite le canal intestinal d’un grand nombre d'animaux à sang 


(1) Untersuchungen über Trichina spiralis; zugleich in Beitrag sur Kenninis 
der Wurmkrankheiten, In-4, Lepzig et Heidelberg, 4860, 


RECHERCHES SUR LE TRICHINA SPIRALIS. 319 


chaud, principalement celui des Mammifères, entre autres de 
l'Homme, et toujours il est en grand nombre. 

3 Le Trichina intestinal atteint son développement sexuel 
complet dans la deuxième journée après sa migration. 

k° Les œufs du Trichina femelle se développent dans le 
vagin de la mère, elil en provient des embryons exigus qui ont la 
forme de Filaires, et qui éclosent le sixième jour sans enveloppe 
de l'œuf. 

5° Les jeunes nouveau-nés commencent tout de suite leurs 
migrations ; ils percent les parois de l'intestin, parviennent directe- 
ment des cavités du corps dans le système musculaire de l'animal 
qu'ils infestent, et, si les conditions sont favorables, ils s'y déve- 
loppent sous la forme décrile par les auteurs. 

6° La voie qu'ils affectionnent le plus pour parvenir dans les 
muscles est par les amas du tissu cellulaire intermusculaire. 

7° Le plus grand nombre d’embryons bornent leurs migrations 
aux groupes des muscles qui enveloppent les cavités du tronc 
(thorax et abdomen), surtout aux plus petits et plus riches en tissu 
cellulaire. 

8 Les embryons pénètrent dans l’intérieur des faisceaux mus- 
culaires primitifs, et acquièrent dès le quatorzième jour le volume 
et l’organisation du Trichina spiralis des auteurs. 

9% Les faisceaux musculaires infestés perdent leur structure 
normale, bientôt après que les parasites y ont pénétré. Leurs 
fibriies se transforment en une substance finement granuleuse, 
en même temps que les corpuscules musculaires deviennent des 
cellules nucléaires ovales. 

10° Les faisceaux musculaires infestés conservent leur forme 
naturelle, celle d’un boyau, jusqu'à ce que les jeunes Trichina 
aient atteint leur développement complet; alors le sarcolemme 
s’épaissit, el commence à se ratatiner par ses extrémités. 

11° Les points occupés par les parasites enroulés sur eux- 
mêmes offrent des élargissements fusiformes, dans lesquels, et 
sous le sarcolemme épaissi, se forment les kystes bien connus, 
globuleux ou en forme de citron, produits par l'endurcissement et 
l'encroûtement calcaire de la substance granuleuse. 


320 LEUCKART. —- RECHERCHES SUR LE TRICHINA SPIRALIS. 

12° La migration et le développement des embryons s'effectuent 
encore après la translation du Trichina prolifique dans l'intestin 
d’un nouvel animal propre à le recevoir. 

13° Le développement ultérieur du Trichina des muscles, 
celui qui le rend apte à se reproduire, est tout à fait indépendant 
de la formation de la coque calcaire; celle-ci n’a lieu qu'après ce 
développement. 

14° On peut distinguer dès le jeune àge les individus mâles des 
individus femelles. 

15° La migration de jeunes Trichina en nombre considérable 
produit des accidents très graves etmême la mort, savoir : la dou- 
leur, la péritonite (à la suite de la perforation des parois de l’in- 
testin par les embryons), et l’impotence musculaire résultant de 
la désorganisation des faisceaux musculaires infestés. 

16° L'emploi de la viande infestée de Trichina comme matière 
alimentaire peut déterminer, selon le nombre des parasites que 
celte substance renferme, des accidents plus ou moins graves, el 
souvent même mortels, savoir : l’entérite avec excrétion d’une 
matière analogue à celle du croup, rejetée bientôt en lambeaux 
(observée chez le Lapin et le Rat), et se transformant en corpus- 
cules purulents (ainsi que cela a été constaté chez le Chat et la 
Souris), ou en protospermes (par exemple chez le Chien). 


DE L'INFLUENCE 
DU 
SYSTÈME NERVEUX SUR LA RESPIRATION DES DYTIQUES, 


Par M. Ernest FAIVRE. 


De nombreuses recherches ont été faites sur la respiration chez 
les Insectes. Dès le xvn° siècle, Malpighi et Leeuwenhoek avaient 
écrit sur ce sujet. Au xvin siècle, on fit des observationsi mpor- 
tantes sur les phénomènes chimiques et mécaniques. Réaumur 
en 1734, Lesser et Lyonnet en 1742, Martinet en 1753, de Geer 
en 1771, fixèrent leur attention sur les mouvements abdominaux 
et le rôle des stigmates. Ils mirent hors de doute l'existence d’une 
véritable respiration chez les Insectes. 

A la fin du xwin° siècle, l'absorption de l'oxygène et l’exhalation 
de l'acide carbonique furent démontrées par Schele, Spallanzani et 
Vauquelin (1). 

Depuis cinquante ans, la question a été reprise par les meilleurs 
observateurs : M, Léon Dufour, auquel l'anatomie des Insectes 
doit ses plus remarquables progrès, a écrit sur les divers modes 
de respiration aquatique des Insectes (2) ; M. Dutrochet a traité le 
même sujet en 1833 (3); Newport a publié, en 1836, ses études 
sur l'absorption et l’exhalation du gaz pendant l'acte respira- 
toire (4). 

Aucun de ces auteurs n’a étudié, à notre connaissance, l’in- 
fluence des nerfs sur les mouvements respiratoires, et c’est en 


(1) Consulter, pour tout ce qui concerne la respiration des insectes, Fischer, 
De la respiration des animaux ( Introduction, Paris, 4798 ). M. Milne Edwards 

- résume également tous les travaux dans son excellent ouvrage : Leçons d’ana- 
— tomie et de physiologie (Paris, 4858-1860). 

(2) Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XXIX, p. 763. 

(3) Ann. des sc. nat., 1° série, t. XXVIIL, p. 31. 

(4) Philosophical Transactions, 1836, et Institut, t. V, p. 22. 

4 série, Zooz. T. XII, (Cahier n° 6.) ! 24 


DA FAIVRE, — SUR LES FONCTIONS 


vain que nous avons consulté, dans l'intention d'y puiser des ren- 
seignements, les ouvrages généraux de Burmeister, de Lacordaire, 
de Kirby et de Spence. 

M. Yersin, qui a fait des recherches récentes sur la physiologie 
des Insectes, n’a pas non plus expérimenté sur le point qui nous 
occupe (1). 

Chez les animaux supérieurs, au contraire, le sujet que nous 
traitons dans ce mémoire a été l’objet d'expériences approfondies 
et fondamentales. 

Nous citerons avant tout les travaux devenus classiques de 
M. Flourens (2). La méthode, les découvertes de l’illustre physio- 
logiste nous ont guidé, éclairé dans nos délicates investigations. 

Nous essayons, dans ce travail qui fait suite à des recherches 
antérieures, de déterminer la part des divers centres nerveux dans 
la production des mouvements respiratoires. Mais, avant d'exposer 
nos expériences, nous croyons utile de faire connaître en quelques 
mots la disposition anatomique des organes respiratoires exté- 
rieurs et des nerfs qui s’y distribuent. 


l 


La respiration des Dytiques s’accomplit au moyen des mou- 
vements de l'abdomen. L’abdomen de ces Insectes se compose de 
huit anneaux. Tous portent latéralement une paire de trachées qui 
s'ouvrent en dehors par deux stigmates percés au milieu d’une 
membrane molle. Chaque anneau se termine latéralement par deux 
lames verticales susceptibles de s'élever et de s’abaisser alterna- 
tivement sur les ouvertures des trachées. C’est le mouvement de 
ces lames et des segments dorsaux de chaque anneau abdominal 
qui constitue l’acte mécanique de la respiration. Les trois segments 
dorsaux postérieurs sont plus spécialement en rapport avec les 
fonctions de l’armure génitale qu’ils entourent. 


(4) Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, 4858, t, III, 
p. 487. 

(2) Flourens, Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du 
système nerveuæ, 2° édit., p. 196 et suiv. (Paris, 4842), et Comptes rendus de 
l’Académie des sciences, octobre 4851, et 22 nov. 1858. 


DU SYSTÈME NERVEUX DES DYTIQUES. 323 


Tous ces détails sont connus des anatomistes. Nous n’insiste- 
rons donc pas davantage sur ce point. 

Nous avons disséqué avec soin tous les nerfs qui se rendent aux 
organes respiratoires ; ils sont au nombre de sept paires dont la 
disposition est la suivante : 

La première paire est une branche de nerfs génito-splanchni- 
ques ; elle se porte, après s’être divisée en deux filets, au stig- 
mate de l’antépénultième anneau, et se distribue dans les muscles 
qui l'entourent. 

La deuxième paire naît directement de l'extrémité postérieure 
du dernier ganglion abdominal ; elle se porte en arrière au stig- 
mate du troisième anneau. Dans son trajet, elle fournit aux 
muscles du segment dorsal correspondant une branche volumi- 
neuse (branche interne). 

La troisième paire de nerfs respiratoires naît sur le dernier gan- 
glion, un peu au-dessus de la précédente; elle aboutit, après 
avoir fourni la branche interne, aux stigmates du quatrième 
anneau. 

La quatrième paireason origine en arrière de l’avant-derniergan- 
glion abdominal ; elle se termine aux stigmates du dernier anneau. 

La cinquième paire naît sur le même ganglion au-dessus de la 
quatrième ; elle se porte au sixième anneau et à ses stigmates. 

La sixième paire sort du troisième ganglion abdominal ; après 
avoir fourni sa branche interne très volumineuse, elle se distribue 

“aux sligmales du seplième anneau. 

Enfin la septième paire se distribue au huilième anneau, après 
avoir pris naissance sur le quatrième ganglion abdominal. 

Nous avons suivi aussi loin que possible le quatrième nerf respi- 
ratoire ; nous avons vu sa branche externe donner naissance, 
presque perpendiculairement, à deux rameaux qui se distribuent 
aux muscles abaisseurs de la lame correspondante du cinquième 
anneau. Quelques ramuscules entourent l’origine du stigmate. Les 
branches internes dont nous avons parlé plus haut se terminent 
dans les muscles qui rapprochent ou éloignent les anneaux. 

En employant le microscope, nous ne sommes pas parvenu à 
Suivre les nerfs sur les troncs des trachées. 


321 FAIVRE. — SUR LES FONCTIONS 


Il 


Pour comprendre la perturbation qu’apportent dans les mou- 
vements respiratoires les opérations pratiquées sur le système 
nerveux, nous devons faire connaître d’abord le mécanisme des 
mouvements de la respiration à l’état normal, soit pendant la 
marche, soit pendant la nage. 

Sur un Dytique auquel on a enlevé les ailes, on observe à la 
région abdominale deux mouvements bien distincts. 

Le premier consiste : 1° dans l’abaissement des lames latérales 
des deux côlés; %% dans l'élévation des segments dorsaux de 
l'abdomen ; 3° dans la direction d’arrière en avant et de bas en 
haut de ces segments ; 4° dans l’allongement et l’inflexion légère 
de haut en bas ou de bas en haut des trois derniers anneaux. Ce 
temps est l’analogue de l'inspiration, el il a pour résultat l’agran- 
dissement de la cavité abdominale. 

Le second mouvement succède presque immédiatement au pre- 
mier; il s'accomplit par un mécanisme tout à fait inverse : il 
répond à l'expiration. 

Les Dytiques n’exécutent en moyenne que douze inspirations 
par minule. 

Lorsque les ailes sont intactes, et que les Insectes marchent 
librement, on voit le dernier anneau abdominal s’allonger au-des- 
sous du bord postérieur des élytres et s’abaisser un peu, comme 
pour faciliter l'entrée de l’air pendant l'inspiration. Dès qu’on 
saisit l’animal, l'anneau se rétracte, s'applique contre le bord des 
élytres, et ferme l’espace compris entre l'abdomen et les ailes. 
Tels sont les mouvements apparents de respiration chez l’Insecte 
à l’état normal pendant la marche. Si l'on enlève les élytres et les 
ailes de la seconde paire, on constate souvent que, dans le pre= 
mier temps, les derniers anneaux de l'abdomen se redressent au 
lieu de s’abaisser. 

Lorsqu'on examine l’Insecte pendant la nage, les mouvements 
respiratoires sont plus complexes. Il revient de temps à autre à la 
surface du liquide ; il élève hors de l’eau l'extrémité abdominale, 


DU SYSTÈME NERVEUX DES DYTIQUES. 929 
abaisse les trois derniers anneaux pour prendre de l'air, puis il 
les applique de nouveau contre les élytres, et descend avec rapi- 
dité. Chaque fois qu'il descend, il se contracte, et laisse échapper 
quelques bulles d'air. On peut produire à volonté les mouvements 
abdominaux postérieurs. Dès qu'on sort le Dytique de l’eau, les 
derniers anneaux s’abaissent et s'allongent; mais quand on l'y 
replonge, les anneaux s’appliquent contre les élylres. Ainsi, soit 
que l’Insecte marche, soit qu’il nage, deux ordres de mouvement 
interviennent dans la respiration : les mouvements respiratoires 
proprement dits, qui s’exécutent à l’aide des lames latérales et des 
anneaux, et les mouvements secondaires, qui ont lieu pendant la 
marche et la nage, à l’aide de l’abaissement et de l'extension des 
trois derniers anneaux de l’abdomen. Nous désignerons désor- 
mais ces mouvements sous le nom d’abdominaux postérieurs. 

Il importe de remarquer que le moindre trouble dans la respi- 
ration suffit pour altérer les rapports et la fréquence de ces mou- 
vements; on voit les lames se contracter isolément ; quelquefois 
celles d’un côté seulement s’abaissent et s'élèvent. Dans d’autres 
cas, les anneaux s'élèvent ou s’abaissent, sans que les lames laté- 
rales exécutent un seul mouvement. 

Nous avons très rarement observé comment se comporte la 
respiration pendant le vol ; mais nous avons reconnu dans quel- 
ques cas un rapport entre les mouvements d'inspiration et d’expi- 
ration et ceux exécutés par les ailes de la première et de la seconde 
paire. Voici ce qui se passe alors : à chaque inspiration, les deux 
ailes de la seconde paire s’abaissent sur l'abdomen et les deux 
élytres s'élèvent. L'inverse a lieu pendant l'expiration. 

On remarque souvent sur les. Insectes qui marchent librement 
de légers mouvements d’élévation des élytres correspondant à 
l’abaissement et à l'extension des derniers anneaux. 

Les détails qui précèdent suffiront, sans doute, pour l’intelli- 
gence des expériences dont nous avons maintenant à indiquer les 
résultats. 

Toutefois, pour mettre les observateurs à même de contrôler 
nos recherches, nous décrirons rapidement quelques-uns des pro- 
cédés opératoires auxquels nous avons eu recours. Les deux opé- 


326 FAIVRE, —— SUR LES FONCTIONS 


A 


rations difficiles à pratiquer sont : la séparation des ganglions 
métathoraciques et mésothoraciques; la section des connectifs 
entre les centres nerveux du thorax et les centres nerveux de 
l'abdomen. 

Pour arriver au premier résultat, nous procédons de la manière 
suivante. On fléchit fortement le prothorax en arrière; on incise 
la membrane qui l’unit au métathorax : on aperçoit alors le gan- 
glion mésothoracique. On coupe, à l’aide de ciseaux fins, la lame 
triangulaire osseuse placée en avant des pattes de la seconde pgire; 
on enlève les trachées qui se présentent à l'ouverture, et l’on 
distingue en arrière le ganglion métathoracique. Une scissure 
transversale marquée indique le point de séparation des deux gan- 
glions postérieurs du thorax. 

Il y a plusieurs procédés pour couper les connectifs qui pré- 
cèdent les ganglions. On peut opérer comme il vient d’être dit ; 
alors on coupe les connectifs en introduisant un scalpel en arrière 
du centre métathoracique. Nous préférons préparer les Dytiques 
par la région dorsale de la manière suivante, On enlève les élytres 
et les ailes de la seconde paire ; on fixe J’insecte sur un liége, et 
l’on enlève, à l’aide de ciseaux, le tergum des anneaux méso: et 
métathoraciques ; on n’a plus qu’à écarter et à couper l’œsophage 
pour avoir sous les yeux les quatre renflements abdominaux bien 
distincts. Avec une loupe, on voit les connectifs placés en avant, 
et on les coupe avec exactitude. Ce mode opératoire permet encore 
d'étudier les fonctions de chacun des ganglions de l'abdomen. 

Chez les femelles, cette dernière opération est très difficile. Les 
ganglions de l'abdomen ne forment qu'une seule masse allongée, 
très profondément placée en arrière sous les tissus. Le rapport des 
parties n’est plus le même que chez les mâles. 


Il 


Pour déterminer l’influenee des nerfs sur les mouvements respi- 
ratoires, nous avons enlevé ou lésé successivement chaque gan- 
glion. Nous allons faire connaître, avec précision, les consé- 
quences des opérations ainsi exécutées sur les ganglions de la tête, 
du thorax et de l'abdomen. 


DU SYSTÈME NERVEUX DES DYTIQUES. 221 

Nous choisissons deux Insectes bien agiles, sur l’un desquels 
nous enlevons dans sa lotalité le ganglion sus-æsophagien. Ces 
deux Insectes étant placés dans l’eau, on constate aisément que 
leurs mouvements généraux offrent une notable différence : 
l'Insecte sain nage en tous sens, monte et descend avec faci- 
lité; l'Insecte opéré a perdu, au contraire, la possibilité de se 
diriger ; il tourne sans cesse du même côté en restant à la surface. 
Les mouvements respiraloires s'effectuent chez tous deux, et se 
traduisent par des mouvements dont nous avons déjà parlé, qui ont 
leur siége dans les trois derniers anneaux. 

Si l’on maintient les deux Insectes plongés dans l’eau, les seg- 
ments postérieurs s'élèvent, et s'appliquent de la même manière 
contre les élytres. Fait-on revenir les Dytiques à la surface, alors 
les segments s’abaissent el s’allongent pour donner passage à 
l'air. Les mêmes mouvements s'accomplissent lorsque les Insectes 
sont abandonnés à eux-mêmes; ils ne dépendent nullement du 
sanglion sus-æsophagien, puisqu'ils s’accomplissent après son 
ablation. 

L'influence qu'exerce le centre cérébral est spécialement rela- 
tive à la direction des mouvements généraux. Ils sont coordonnés 
de manière que l’Insecte puisse, de temps à autre, venir à la sur- 
face pour y chercher de l'air. C'est la seule façon indirecte dont le 
centre nerveux sus-œsophagien paraît intervenir dans la respira- 
tion pendant la nage. 

Si les Insectes marchent sur le sol, aucune différence ne se 
manifeste dans les mouvements respiratoires apparents. Tels sont 
les effets produits dans les premiers instants de l’opération 

Si l’on enlève les élytres et les ailes de la seconde paire, de 
manière à examiner les mouvements respiratoires réels, on voit 
qu'ils persistent très bien à la suite de l’opération. Au début, ils 
sont fréquents et même très nombreux, puis ils deviennent inter- 
mittents. Enfin ils se rétablissent avec une certaine régularité, et 
durent cinq à six heures après l’ablation du ganglion sus-œsopha- 
gien. Ces expériences, répétées un grand nombre de fois, ont 
toujours donné le même résultat; elles prouvent que les mou- 
vements respiraloires sont indépendants du centre cérébral. 


328 FAIVRE, — SUR LES FONCTIONS 
Les lésions de ce centre ne paraissent exercer d'autre influence 
sur ces mouvements qu'une perturbation momentanée. 

L'ablation du ganglion sous-æsophagien produit dans les mou- 
vements respiratoires des troubles que nous avons longtemps 
interprétés d’une manière inexacte. Si l’on enlève ce ganglion, ou 
plutôt si l’on coupe les connectifs qui le suivent, on observe des 
phénomènes dont l'expérience suivante donnera une juste idée. 

A une heure vingt minutes, l'opération est pratiquée. Les élytres 
et les ailes de la seconde paire sont enlevées. Après quelques 
mouvements convulsifs, la respiration diminue et cesse immédia- 
tement. 

A deux heures, point de mouvements respiraloires d'ensemble ; 
quelques mouvements partiels seulement dans les lames latérales. 

A deux heures et quart, les mouvements ont augmenté. 

A quatre heures, la respiration est très active, et les mouve- 
ments sont en rapport avec ceux des patles natatoires. 

A cinq heures, la respiration est très active, spontanée ; elle 
s’accomplit également bien par action réflexe. 

Ainsi, dans ce cas, les phénomènes consécutifs à l'opération 
sont de trois sortes. Il y a une période d’affaiblissement pendant 
laquelle la respiration est comme suspendue. C’est parce que nous 
nous étions borné à observer l’Insecte pendant celte période, que 
nous avions eru d’abord que le ganglion sous-æsophagien prési- 
dait aux mouvements respiratoires, Îl y a une période dans laquelle 
les mouvements reparaissent d’abord faibles et intermittents, puis 
continus et réguliers. On voit alors avec évidence qu'ils sont indé- 
pendants du centre sous-æsophagien. Enfin, après dix ou douze 
heures, l'animal s’affaiblit el la respiration cesse complétement. 

Pendant la seconde période, les mouvements respiratoires 
s’exécutent spontanément, mais souvent avec une grande irrégu- 
larité. On les provoque aisément soit en pinçant les pattes, soit en 
élendant les ailes, soit en excitant légèrement les anneaux de 
l'abdomen. Ces mouvements réflexes s'exéculent avec beaucoup 
d'énergie deux ou trois heures après l'opération, par suite d’une 
plus grande excitabilité des centres nerveux. Si l’Insecte fait mou- 
voir spontanément une de ses pattes, une inspiration se produit 


DU SYSTÈME NERVEUX DES DYTIQUES. 329 
presque immédiatement. !| y a done une intime connexion entre 
la locomotion et la respiration. 

L’ablation du ganglion sous-æsophagien entraine-t-elle l’abo- 
lilion des mouvements que nous avons signalés dans les derniers 
anneaux et qui se lient à l’acie respiratoire ? L'animal étant dans 
l'impossibilité de marcher après l'opération, on ignore ce qui se 
passe alors ; mais nous pouvons déterminer ce qui a lieu pendant 
le repos et la natation. Voici les résultats d’une expérience tentée 
dans ce but : 

A trois heures, on coupe à un Dytique les connectifs entre le 
sous-æsophagien et le ganglion du prothorax; l'animal reste 
immobile, et fait saillir, comme à l’état normal, le dernier anneau ; 
il le rentre aussitôt qu'on le saisit. Dans l’eau, les choses parais- 
sent se passer comme à l’état normal. 

Une heure après, les mouvements persistent ; seulement ils ne 
se coordonnent plus avec la respiration. Les segments abdominaux 
s’abaissent dans l’eau ; ils ne s'étendent plus lorsque l’animal en 
est retiré. Ainsi, bien que les mouvements abdominaux posté- 
rieurs existent, ils ne sont plus coordonnés avec la respiration ; 
et c’est l'absence du ganglion sous-æsophagien qui a amené ce 
résullat. 1] semble donc que le ganglion sous-æsophagien coor- 
donne les mouvements abdominaux postérieurs avec la respira- 
tion. Voici une expérience qui légitime cette conclusion : 

A trois heures, nous pratiquons sur un Dytique femelle la sec- 
tion des connectifs qui unissent le ganglion sous-æsophagien au 
ganglion du prothorax. Une vive excitation se produit immédiate- 
ment dans tout le système nerveux. L'animal reste immobile ; à 
terre, il ne meut pas les derniers anneaux de l'abdomen ; dans 
l’eau, soit à la surface, soit au fond des vases, on ne constate 
aucun mouvement dans cette partie. 

A quatre heures, l’Insecte n’accomplit dans l'eau aucun des mou- 
vements abdominaux postérieurs ordinaires. À terre, on distingue 
dans cette région quelquesmouvements irréguliers dus, comme ceux 
des pattes, à l’excitalion générale qui se manifeste de plus en plus. 

A cinq heures, aucune modification n’est survenue. L’Insecte 
allonge quelquefois sous l’eau ses anneaux postérieurs. 


330 FAIVRE. — SUR LES FONCTIONS 


A six heures, quelques mouvements abdominaux se manifestent 
lorsque le Dytique est plongé dans le liquide. Ces mouvements 
abdominaux ne se montrent pas régulièrement, et ne ressemblent 
en rien à ce qui à lieu à l’état normal. 

A huit heures, aucune manifestation appréciable, 

Le lendemain matin, seize heures après l'opération, les mou- 
vements réflexes et abdominaux postérieurs sont beaucoup plus 
actifs. Il est facile de reconnaître, en examinant comparativement 
un Insecte sain, que ces mouvements sont seulement dus à l’exci- 
tation des centres nerveux, et ne s’accomplissent pas comme à 
l’état normal. Ils ne présentent pas surtout ces mouvements alter- 
natifs, si caractéristiques chez les Insectes qui n’ont pas été opé- 
rés; ils ne sont plus en harmonie avec les mouvements des 
Dytiques dans l’eau et hors de l’eau. 

Pour mieux juger de l'influence spéciale du ganglion sous- 
œsophagien sur les mouvements abdominaux postérieurs, nous 
avons enlevé en même temps sur un autre Dytique le centre sus- 
œsophagien. Nous comparions régulièrement les animaux entre 
eux et avee un Insecte non opéré. Dès la première heure qui suit 
l'opération, le Dytique continue à marcher et à nager. Il ne se 
dirige ni sur le sol, ni dans l’eau; mais il continue à exécuter en 
arrière des élytres les mêmes mouvements que s’il n'avait pas été 
opéré. Quatre heures après, les mouvements abdominaux posté= 
riéürs sont exagérés pendant la marche. Dans l’eau, Panimal 
ferme l'abdomen lorsqu'il est plongé; il en abaisse les anneaux 
postérieurs dès qu'il revient à la surface. 

Nous avons continué l’observation pendant plus de huit heures, 
sans constater de modifications appréciables. Nous tenons donc 
pour certain, comme nous l'avons dit plus haut, que lablation du 
ganglion sus-æsophagien n'apporte aucune perturbation notable 
dans les mouvements respiratoires apparents exécutés par les 
Dytiques. 

La piqûre du ganglion dont il s’agit amène des troubles consi- 
dérables dans la respiration; elle en active, elle en exagère les 
mouvements, qu'elle rend presque convulsifs. Les lames latérales 
sont fortement abaissées comme pendant l'inspiration; il n'y à 


DU SYSTÈME NERVEUX DES DYTIQUES. 939 


rien de particulier dans ces effets. L'excilabililé transmise du 
centre lésé aux autres centres les explique facilement. 

Les opérations exécutées sur les ganglions du méso- et du 
mélathorax ont consisté soit dans des lésions directes, soit dans la 
section des connectifs qui séparent ces ganglions du centre ner- 
veux prothoracique et du cerveau. Voici les résultats de ces der- 
nières Opérations : 

Dès que la section est exécutée, les mouvements respiratoires 
sont brusquement accélérés ; puis ils se ralentissent, et deviennent 
très rares. Une heure environ après la section, on les voit reprendre 
successivement, et le doute n’est pas possible sur leur conserva- 
tion et leur spontanéité. 

En examinant altentivement l’Insecte pendant six ou sept 
heures, nous nous sommes convaineu quela respiration ne dépend 
ni du centre nerveux céphalique, ni du ganglion prothoracique ; 
elle paraît liée à l’intégrité des deux derniers renflements nerveux 
du thorax. 

Si, au lieu de se borner à la section des connectifs, on sépare 
entièrement la tête et le mésothorax du reste de l’animal, les mou- 
vements respiratoires continuent à s’exécuter pendant longtemps 
encore avec une grande régularité ; c’est une preuve incontestable 
du rôle essentiel des centres thoraciques dans la respiration. Dans 
quelques eas, la respiration n’est pas activée au moment de l’opé- 
ration, mais elle commence à s'établir quelque temps après. Tantôt 
elle s’affaiblit, tantôt elle s'accélère ; parfois même elle reste 
longtemps sans se produire. On la voit reparaître de temps à 
autre, et elle suit le plus ordinairement les mouvements exéeu— 
tés par les pattes nataloires. Nous avons déjà signalé cette 
remarquable coïncidence entre le mouvement des pattes nata- 
toires et la respiration ; elle est telle, que lé mouvement respi- 
ratoire est plus accusé du côté de la patte natatoire en mouve- 
ment. 

En définitive, toutes les expériences conduisent au même résul- 
lat, savoir : la persistance des mouvements respiratoires après la 
section des connectifs en avant du ganglion mésothoracique. 

Nous avons recherché si, dans ce cas, les mouvements abdo- 


392 FAIVRE. — SUR LES FONCTIONS 

minaux postérieurs persistent ou sont abolis. L'expérience nous a 
montré qu'aucun mouvement de ce genre n’a lieu, soit que l’Insecte 
marche, soit qu'il nage. Lorsqu'on a enlevé les élytres, on ne voit 
également aucun mouvement rhythmé dans les anneaux abdomi- 
naux postérieurs. Le point de départ de ces mouvements se trouve 
done en avant de la section, et nous avons déjà reconnu qu'ils 
cessent par l’ablation du ganglion sous-æsophagien. 

L'irritation directe des ganglions méso- et métathoraciques 
confirme les inductions tirées de la section des connectifs; elle 
produit, en effet, une notable augmentation dans le nombre et 
l'intensité des mouvements respiratoires. Si la lésion est plus pro- 
fonde, et qu’elle porte à la fois sur les deux ganglions, elle abalit 
complétement la respiration. ù 

Nous avons voulu savoir si les ganglions méso- et métathora- 
ciques étant séparés, la respiration pouvait persister. Nous avons 
réussi à pratiquer cette opération délicate, et nous avons constaté 
que le ganglion métathoracique seul peut suffire à l’entretien de 
cet acte important. Ce point est fondamental ; aussi nous rappelons 
quelques expériences : 

A trois heures, l'opération est pratiquée. La respiration s'active 
immédiatement, à tel point que nous pouvons compter jusqu’à 
quarante mouvements par minute. La respiration diminue ensuite 
et se régularise. , 

Une heure après, nous constatons encore des mouvements respi- 
ratoires. 

A cinq heures, la respiration n'existe plus. Nous irritons alors 
légèrement une des pattes natatoires, et les mouvements reparais- 
sent avec continuité et régularité. 

A six heures, la respiration paraît avoir cessé; mais un léger 
attouchement la ranime, et elle s'exécute un instant. Je constate 
qu'elle se rétablit spontanément après quelques moments. 

Il fallait done conclure d’une expérience aussi nelle que le gan- 
glion métathoracique est le centre respiratoire, en même temps 
que le centre de la natation. 

Le lendemain matin, dix-huit heures après l’opération, une 
légère excitation des anneaux de l'abdomen produit la respiration, 


DU SYSTÈME NERVEUX DES DYTIQUES. 399 
qui s'établit très régulièrement et dure plus de vingt minutes. 
Nous constatons qu'il suffit, pour exciter la respiration, soit de pin- 
cer une des pattes natatoires, soit de toucher l'abdomen. Ce centre 
nerveux méfathoracique est donc le centre de ces mouvements 
réflexes capables d’exciter et d'entretenir la respiration. 

Pour nous assurer de ce fait par des expériences confirmatives, 
nous avons séparé le ganglion mésothoracique du métathoracique 
chez deux Dytiques opérés la veille par la section des connectifs 
antérieurs au mésothorax. Malgré l'état de l'animal, la respira- 
tion n’a pas été abolie, et les mouvements réflexes, devenus très 
intenses, l’ont facilement activée ou produite. Nous l'avons vue 
aussi s'établir spontanément et persister quelques instants. 

Lorsque les deux ganglions du (horax sont intacts, mais séparés 
des autres centres, les mouvements imprimés aux pattes et aux 
ailes de la seconde paire réagissent sur l'abdomen et excitent une 
respiralion plus vive. Dans ce cas, le ganglion mésothoracique est 
le centre des actions réflexes, qui cessent dès qu'il est enlevé. Nous 
avons déjà dit que l’irritation directe de ce ganglion a une influence 
manifeste sur la respiration. 

En résumé, nous avons constaté, à l’aide de l'analyse expéri- 
mentale, que le ganglion métathoracique est le centre qui excite, 
coordonne et entretient les mouvements respiratoires, soit sponta- 
nément, soit par suite d'actions réflexes. Ces mouvements liés à 
ceux des pattes nataloires peuvent durer plus de vingt heures 
après l'opération. 

Ce ganglion et celui qui le précède n’ont pas d'influence sur les 
mouvements abdominaux postérieurs. 

Le rôle du ganglion métathoracique est expérimentalement 
établi, puisqu’en séparant tous les centres nerveux qui le pré- 
cèdent, les mouvements respiratoires sont immédiatement abolis. 
Telle est la preuve indirecte ; mais on peut en donner une directe 
el confirmative, soit en irritant, soit en enlevant ce ganglion lui- 
même. Dans le premier cas, la respiration est activée; dans le 
second, elle cesse aussitôt, 

Il nous reste à faire connaître les résultats des expériences 
exécutées sur les ganglions abdominaux. Ces expériences con- 


331 FAIVRE, — SUR LES FONCTIONS 


sistent surtout dans la section des connectifs qui joignent les centres 
du thorax à ceux de l’abdomen. Cette section, qui peut s’opérer à 
l’aide de divers procédés déjà décrits, nous a donné les résultats 
les plus précis. 

Dès que la séparation a eu lieu, les mouvements d'inspiration 
et d'expiration cessent complétement, et l’on ne peut les provoquer 
ni par l'ivritation des pattes natatoires, ni par celle des anneaux 
de l'abdomen. Les lames latérales restent immobiles ; cependant 
les nerfs respiratoires sortent des centres nerveux restés intacts 
et en communication avec l'abdomen. Ces centres ne se compor- 
tent donc, à l'égard de la respiration, que comme des conducteurs 
des impressions nerveuses ; ils sont, par rapport aux ganglions 
du thorax, ce qu'est la moelle épinière chez les Mammifères, par 
rapport au bulbe rachidien. C'est certainement un fait curieux que 
de voir les ganglions d’où naissent les nerfs respiratoires dépour- 
vus d'influence sur la respiration. 

On peut irriter directement les centres nerveux de l'abdomen ; 
il suffit pour cela de les mettre à nu en enlevant le tergum des 
anneaux thoraciques et en coupant l’œsophage. L'opération n’est 
possible que chez les mâles; chez les femelles, les ganglions sont 
situés dans les tissus les plus profonds. L'irritation des trois gan- 
glions supérieurs amène des mouvements dans les anneaux de 
l'abdomen ; ils chevauchent l’un sur l'autre, et font décrire à 
l'ensemble des parties une courbe à concavité supérieure. Ces 
déplacements ressemblent à ceux qu’exécutent les anneaux pen- 
dant la respiration. Les lames latérales sont d’ailleurs compléte- 
ment immobiles. 

Le dernier ganglion préside à des actes spéciaux, comme nous 
le dirons ailleurs. En ce qui touche les mouvements généraux de 
l'abdomen, il relève et abaisse les deux ou trois derniers anneaux. 
Il intervient donc très activement dans ces mouvements abdomi- 
naux postérieurs qui se lient à l'acte respiratoire. Ces mouvements 
ont pour centre immédiat les ganglions abdominaux ; ils se mani- 
festent dès que ces centres excitent et même convulsivement après 
leur irritation, Mais ils ne sont mis en harmonie avec la respira- 
tion que par l'influence d’un autre centre nerveux, le ganglion 


DU SYSTÈME NERVEUX DES DYTIQUES, 339 


sous-æsophagien : c’est à un nouvel exemple de la hiérarchie et 
de la subordination des puissances nerveuses. Chaque ganglion 
exerce une aclion spéciale; mais il dépend, quant à l'exercice de 
cette action, d’un ganglion dont il reçoit l'influence. 

Après la section des connectifs, qui lient les centres thoraciques 
aux ganglions abdominaux, les mouvements des lames latérales 
sont entièrement abolis. On ne peut même les produire en irritant 
directement les ganglions. Il en est autrement à l'égard des anneaux 
de l'abdomen. Sans doute, ils ne se meuvent pas directement sans 
irritation, mais ils se déplacent sous l'influence, soit de l’'irritation 
de la région dorsale de l'abdomen, soit de l’irritation des ganglions. 
Ce déplacement continue parfois à la suite de l'excitation des 
centres nerveux, surtout si ceux-ci ont été rendus plus excitables. 
Il résulte de ces faits que les ganglions abdominaux président au 
mouvement des anneaux, et nullement à celui des lames latérales. 
Mais ce mouvement des anneaux unis à celui des limes, pour 
produire l'inspiration ou l'expiration, n’est possible que par l’exis- 
tence du ganglion métathoracique. A l'égard de ce centre, les 
ganglions abdominaux jouent le rôle de conducteurs. 

Des expériences que nous venons de rapporter, nous tirons les 
conclusions suivantes : 

1° Le ganglion métathoracique préside aux mouvements respi- 
raloires chez les Dytiques; il les excite, les coordonne et les 
entretient. On le démontre en isolant successivement tous les 
ganglions situés en arrière et en avant du métathoracique. Si l'on 
isole les ganglions placés en arrière, la respiration persiste; si l’on 
coupe les connectifs situés en avant, la respiration cesse immé- 
diatement. 

2° Les mouvements abdominaux postérieurs liés à la respira- 
tion, puisqu'ils mettent en communication les organes respira- 
toires et l'air extérieur, sont sous l'influence du ganglion sous- 
œsophagien. Ils cessent si l'on enlève ce ganglion, tandis que les 
mouvements respiratoires persistent. 

3° Les ganglions abdominaux, origine des nerfs respiratoires, 
jouent le rôle de conducteurs, par rapport au centre respiratoire 
ou ganglion métathoracique, I suffit, pour le prouver, de diviser 


396 FAIVRE, — SUR LES FONCTIONS, ETC. 


transversalement les connectifs qui séparent les centres du thorax 
de ceux de l'abdomen. On n'obtient plus alors que des mouve- 
ments respiratoires partiels, et seulement sous l'influence d’irri- 
tations directes des centres isolés. 

Ainsi, chez les Insectes, trois centres nerveux interviennent 
dans le jeu du mécanisme respiratoire. 

Le ganglion métathoracique produit, entretient ces mouve- 
ments. Le ganglion sous-æsophagien les coordonne avec les mou- 
vements abdominaux postérieurs pendant la natation et la marche. 
Les ganglions abdominaux jouent le rôle de conducteurs des exci- 
fations produites dans les deux centres. 

En arrivant à de pareils résullats, nous avons été frappé de 
leur concordance, à certains égards, avec les belles recherches 
de M. Flourens. Chez les Dytiques comme chez les Mammifères, 
les mouvements respiratoires ont leur principe, leur point de départ 
dans une région spéciale du système nerveux. Cette région, chez 
les Dytiques, correspond au centre métathoracique.% | 

Les ganglions de l'abdomen, d’où partent les nerfs respiratoires, 
jouent le rôle de conducteurs, comme la moelle épinière chez les 
animaux supérieurs. Ils ne peuvent, après la séparation des cen- 
tres thoraciques , entretenir la respiration; mais ils produisent , 
s'ils sont irrités, quelques mouvements respiratoires partiels et 
incomplets. 


NOTE SUR L'HISTOIRE 


DE 


PLUSIEURS MONSTRES HYPERENCÉPHALIENS 


OBSERVÉS CHEZ LE POULET, 


Par M. Camille DARESTE, 


J'ai entrepris, depuis plusieurs années, de poursuivre et d'étendre 
les mémorables travaux de Geoffroy Saint-Hilaire sur la produc- 
tion artificielle des monstruosités. Je n'avais obtenu, jusqu’à ces 
derniers temps, que des résultats incomplets. J'ai été plus heureux 
celle année, et je suis arrivé, en changeant les conditions nor- 
males de l’incubation, à déterminer, dans les embryons de Poulet, 
un certain nombre d'anomalies. Malheureusement, l’état avancé 
de la saison m'a contraint d'interrompre mes expériences, au 
moment même où elles commençaient à me donner d'importants 
résultats. 

Je me vois donc contraint d'attendre l’année prochaine pour 
compléter mon travail, et pour publier mes expériences avec tous 
les détails nécessaires et toutes les conséquences qui me parais- 
sent en résulter. 

Mais si je crois devoir ajourner actuellement la publication de 
l'ensemble de mes recherches, je puis toutefois faire connaître 
. aux savants quelques cas fort curieux de monstruosités que j'ai 
obtenus dans mes expériences, et qui, même en dehors des cir- 
constances de leur production, peuvent offrir aux physiologistes 
un assez grand intérêt. 

Geoffroy Saint-Hilaire, en publiant le second volume de la 
Philosophie anatomique, a décrit, sous le nom d’hyperencéphale, un 
- monstre humain fort curieux (4), qui est devenu, pour M. Is. Geof- 


(4) Philosophie anatomique, 1. WI, p. 156 à 224, 
4 série. Zoo. T. XIIL. (Cahier n° 6.) ? 


2Ÿ 
12 


398 C. DARESTE, — MONSTRES HYPERENCÉPHALIENS 


froy Saint-Hilaire, le type d’un genre de la famille des monstres 
exencéphaliens. Le nombre de monstres appartenant à ce genre 
est encore très restreint, et, lorsque M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire 
publia son Traité de tératologie, 1 considérait l'hyperencéphalie 
et même, à un point de vue plus général, toute la famille des 
monstres exencéphaliens, comme ne s'étant rencontrée jusqu'alors 
que très rarement dans l'espèce humaine. Depuis cette époque, 
plusieurs faits d’hyperencéphales humains ont été publiés, et ont 
même donné lieu à des publications intéressantes. 

Toutefois, dans un mémoire fort peu connu, et publié dans les 
Archives générales de médecine (1 )sous ce litre: Des adhérences de 
l'extérieur du fœtus considérées comme le principal fait occasionnel 
de la monstruosité, et observations nouvelles à l’appui de cette 
théorie, Geoffroy Saint-Hilaire avait décrit plusieurs faits d’exencé- 
phalie observés chez le Poulet. I ne paraît point que ces faits aient 
été provoqués. 

Il parle d’abord des deux Poulets jumeaux (2) chez lesquels les 
lobes cérébraux se trouvaient en dehors du crâne, et au-dessus des 
frontaux que celte interposition d’une partie de l’encéphale main- 
tenait à distance l’un de l’autre ; les lobes optiques étaient égale- 
ment en dehors du crâne, mais le cervelet, retenu par ses con- 
nexions avec la moelle épinière, occupait le fond de ce qui res- 
taitde la boîte crânienne. Du reste, cette hernie encéphalique était 
recouverte par les téguments communs ; et ceux-ci étaient revêtus 
de plumes sur la hernie comme partout ailleurs. Le seul signe 


(1) Tome XIII, page 392 (1827). 

(2) 1 y a ici dans l'observation de Geoffroy Saint-Hilaire une lacune fort 
regrettable à bien des égards. Ces Poulets jumeaux s’étaient-ils développés sur 
un vitellus et sur une cicatricule unique, sur deux vitellus soudés et possédant 
chacun leur cicatricule, ou sur deux vitellus complétement séparés. Ces faits 
sont d'une grande importance pour déterminer la cause des naissances gémel= 
laires chez le Poulet, et aussi la cause de la monstruosité double. Les observa- 
tions que nous possédons sur ce sujet sont encore beaucoup trop peu nombreuses 
pour nous permettre actuellement aucune généralisation. Dans un mémoire que 
je rédige actuellement et que je publierai bientôt, j'ai réuni les faits épars dans 
les archives de la science, et quelques observations que j'ai pu faire moi-même 
sur cette importante question. 


OBSERVÉS CHEZ LE POULET. 339 


extérieur de la hernie cérébrale consistait dans une tumeur assez 
considérable sur le vertex. Cette monstruosité réalise très exacte- 
ment les caractères du genre Proencéphale de M. Is, Geoffroy 
Saint-Hilaire. 

Un autre Poulet monstrueux présentait les caractères de l’hyper- 
encéphalie. Ce Poulet provenait d’un établissement d’incubation 
artificielle à Bourg-la-Reine; établissement qui, institué sur une 
grande échelle, ne pouvait, au début, par suite de l'insuffisance des 
procédés de chauffage, produire partout une répartition égale de 
la chaleur. Je rapporte ici l’observation entière; elle est curieuse 
à bien des égards. « Ce Poulet est né le 1* du présent mois 
(avril 1827). Il a vécu un jour entier, non de graine qu’il n’avait 
pu prendre avec le bec, maisavec son jaune (1) : car l’état de gêne 
que je vais décrire l’avait frappé d'inaptitude aux mouvements de 
la déglutition. Il est sorti de sa coquille sans se déployer à la 
manière des autres Poulets, sans pouvoir tendre le cou et allonger 
la tête; comme celle-ci avait été repliée et renversée sur l’abdo- 
men avant la naissance, elle s’est depuis maintenue. Des adhé- 
rences avaient réuni les parties en contact, et joignaient la tête au 
vitellus. La tête était ainsi attachée par sa région crànienne, et les 
tiraillements de ses brides la tenaient couchée sur le flanc gauche. 
Une production de forme cylindrique, consistant en une peau unie 
et rougeätre, de deux lignes de diamètre et de six de longueur, 
servait de lien. Le jaune, un peu avant et après la naissance, 
par suile de l'absorption de son liquide, pénétrait de plus en plus 
dans le ventre, el approchait graduellement de celui-ci la tête 
qu'il trainait après lui, rendant de plus en plus pénible la situation 


de l'animal. 


» J'ai ouvert la tunique rougeätre qui joignait la tête au vitellus, et 
je l'ai trouvée remplie par l’encéphale. Dans ce cas, la tunique n’était 


autre que la dure-mère, mais devenue muqueuse à la surface ; on re- 


trouvait à l'intérieur les autres couches qui constituentlesenveloppes 


(4) Ce fait, que Geoffroy Saint-Hilaire paraît indiquer comme une exception, est 
“en réalité la règle même. Ce n'est qu’un jour après l'éclosion que les Poulets 
commencent à manger; pendant toute la durée du premier jour, ils vivent aux 
dépens de la matière alibile contenue dans le vitellus, 


340 €. DARESTE, — MONSTRES HYPERENCÉPHALIENS 


des méninges. L'encéphale, entrainé par les adhérences de sesenve- 
loppes, était hors de son crâne. Celui-ci, dont toutes les pièces ont 
cependant été produites, s’est arrangé sur cette première combi- 
naison ; c’est-à-dire que celles des pièces qui eussent formé sur le 
vertex des os de recouvrement, sont demeurées frappées d'atro- 
phie, et que, petites, elles s’en sont tenues à se placer sur les côtés, 
à se ranger comme les parties d’un anneau. Quant à l’encéphale, 
on observait les dispositions suivantes : A sa place accoutumée était 
resté le cervelet, protégé et parfaitement maintenu par ses con- 
nexions avec la moelle cervicale; et au contraire on trouvait 
écarté de lui tout le surplus, savoir, les lobes cérébraux et les 
lobes optiques, ayant ensemble cédé sous l’action d’un tirage évi- 
demment exercé par les lames enchaînées qui leur servaient d’en- 
veloppes. Ce qui remplissait immédiatement le tronçon visible 
exlérieurement était le lobe cérébral droit, de forme oblongue : il 
reposait sur la face, dont la situation était transversale; et au-des- 
sous de celle-ci se retrouvait couché le lobe cérébral gauche, un 
peu plus court que l’autre, et témoignait par un peu plus d’aplatis- 
sement que ce dernier avait été davantage gêné dans son évolu- 
tion. » 

Ce cas est extrêmement curieux à divers égards. Il appartient 
évidemment à l’hyperencéphalie. De plus, il nous offre, dans l’adhé- 
rence des méninges au vitellus, une circonstance très remarquable, 
et qui, ainsi que Geoffroy Saint-Hilaire en a fait justement la 
remarque, a dû exercer une grande influence sur la production de 
la monstruosité. 

Il paraît que Geoffroy Saint-Hilaire avait encore observé plu- 
sieurs faits d’exencéphalie dans l'établissement d’ineubation arti- 
ficielle d'Auteuil où il faisait ses expériences sur la production des 
monstres (1). Mais il n’a point donné de détails sur ce sujet ; et il! 
n’a point dit si ces cas d’exencéphalie s'étaient produits spontané- 
ment, ou s’ils avaient été provoqués. 

Il y a quelques années, M. Davaine publia, dans les Comptes 
rendus de la Société de biologie (1849), l'observation d’un embryon 


(1) Voyez le mémoire déjà cité, p. 392 et 399. 


OBSERVÉS CHEZ ‘LE POULET. BIEL 
de Poulet, probablement hyperencéphale, qui n'avait qu'un œil. 
Ce Poulet avait été trouvé dans un œuf ouvert, pour montrer, dans 
un cours, le développement de l'embryon. 

Il est fort curieux que l’hyperencéphalie soit l'une des anomalies 
qui se soient présentées le plus souvent dans mes expériences sur 
la production artificielle des monstruosités. 

Le cas le plus remarquable, en ce genre, m'a été offert par un 
Poulet arrivé au neuvième jour de l’incubation. Ce Poulet était 
plein de vie, comme l’attestaient les mouvements qu'il exécutait 
dans la cavité amniotique. Ce qu'il y avait de remarquable en lui, 
c'est que toute la masse encéphalique était en dehors et en dessus 
du crâne, et y formait une tumeur considérable, partagée d’avant 
en arrière, par un sillon médian, en deux moiliés, qui étaient elles- 
mêmes divisées en trois parties représentant l'hémisphère cérébral, 
la couche optique et le lobe optique. I n’y avait rien dans la tumeur 
qui représentl le cervelet, soit que cet organe füt resté en dedans 
des téguments, soit peut-être qu'il n’exislàt pas encore à cette 
époque de l’incubation. Cette masse encéphalique était beaucoup 
plus volumineuse que la tête, qu’elle débordait des deux côtés. Le 
reste de la tête était assez régulier. Seulement les yeux étaient 
beaucoup plus petits qu'ils ne le sont ordinairement chez l’embryon, 
où leur développement est si précoce. L'œil gauche présentait une 
fente palpébrale : l'existence de l’œil droit ne se manifestait que 
par une tache noire visible au travers des téguments. Cette inéga- 
lité de volume des yeux était, du reste, le seul fait d’asymétrie 
que présentait la tête, et même l'embryon tout entier : fait impor- 
tant à noter, car dans tous les cas d’hyperencéphalie qui ont 
été décrits, on a signalé une très grande inégalité des deux 
moitiés de la tête, et par conséquent une absence complète de 
symétrie. 

Le reste du corps était parfaitement régulier ; les cavités thora- 
cique et abdominale élaient fermées. 

Une circonstance très intéressante était l'existence d’une bride 
membraneuse étendue entre le côté droit de la tumeur encépha- 
lique et l’allantoïde. 

Ce cas de monstruosité artificielle m’a paru être assez impor- 


302 ©. DARESTE. — MONSTRES HYPERENCÉPHALIENS 

tant pour pouvoir être communiqué à l’Académie (1). Or, immé- 
diatement après sa publication, j'ai été assez heureux pour rencon- 
trer deux nouveaux cas d’hyperencéphalie, qui ressemblent au 
premier par l’ensemble des traits essentiels, mais qui cependant 
en diffèrent d’une manière notable. 

L'étude de ces deux monstres aurait été fort intéressante ; 
malheureusement , je n’ai pu la faire aussi complétement que je 
l'aurais voulu. Lorsque j'ai ouvert la coquille, les deux embryons 
étaient morts depuis quelques jours, et déjà trop altérés, pour 
pouvoir être soumis à une étude complète. Toutefois, j'ai pu con- 
stater des faits curieux, et qui complètent, à plusieurs égards, ma 
première observation. 

Dans l’un de ces embryons, l’allantoïde avait atteint le volume 
d’un baricot : elle était, d’ailleurs, parfaitement libre d’adhérences 
avec l'embryon lui-même. Latête était recouverte par une tumeur 
formée par l’encéphale tout entier, sauf probablement le cervelet; 
Mais cette tumeur était plus élevée, el par conséquent plus volu- 
ineuse au côté droit qu’au côté gauche. Elle était soudée avec 
l'amnios en plusieurs endroits : aussi je n’ai pu l’étudier qu’en 
déchirant cette enveloppe, et je n'ai pu bien voir comment la 
tumeur adhérait à l'amnios, bien que cette adhérence n’ait point 
été douteuse pour moi. 

L'œil gauche manquait entièrement; l'œil droit était atrophié, et 
ne se manifestait que par l’existence d’une tache noire visible sous 
les téguments. 

Le bec présentait une conformation très remarquable. Les inter- 
maxillaires étaient à peine développés, et ne dépassaient point 
en avant les maxillaires supérieurs et les maxillaires inférieurs. 
Il en résultait que la bouche était largement ouverte. 

Les parois thoraciques étaient incomplètes. Le cœur était en 
dehors de la poitrine ; sa pointe faisait saillie en avant et était sou- 
dée avec le vitellus. 

Dans l’autre embryon, la tumeur encéphalique était réduite au 


(1) Voyez le compte rendu de la séance du 6 août 1860, t. LXIT, p. 219 : 
Note sur un Poulet hyperencéphale, 


OBSERVÉS CHEZ LE POULET. 313 
lobe optique du côté gauche. Ce lobe optique adhérait à l'allan- 
toïde à l’aide d’une bride membraneuse, comme dans le sujet de 
ma première observation. 

Les yeux étaient atrophiés. 

Les cavités thoracique et abdominale n'étaient point fermées, et 
les viscères étaient plus ou moins complétement en dehors de -ces 
cavités. Le cœur était complétement renversé, la base en bas et la 
pointe en haut. [ci l'état de l'embryon ne m’a pas permis de savoir 
s’il y avail eu des brides membraneuses retenant les viscères en 
dehors des cavités du corps. 

Après avoir décrit ces trois cas d’hyperencéphalie lotale ou 
partielle, je dois signaler quelques conséquences qui résultent de 
leur comparaison. 

Il est très intéressant de retrouver dans l'espèce de la Poule 
certaines formes de monstruosités que l’on avait pu considé- 
rer comme apparlenant en propre à l'espèce humaine. Je ferai 
remarquer à ce sujet que si, jusqu'à présent, on n’a pas constaté, 
dans la classe des Oiseaux, un certain nombre d'anomalies 
observées chez l'Homme, cela lient peut-être, non pas à ce qu’elles 
ne se produisent point, mais à ce qu’elles se produiraient dans des 
erconstances qui les empêcheraient d’être étudiées. En effet, sur 
les trois embryons que je viens de décrire, deux étaient morts, 
lorsque j'ai ouvert la coquille au huitième ou neuvième jour de 
l'incubation. Le premier était bien vivant; mais il n’était qu'au 
neuvième jour, et peut-être n’aurait-il pas pu atteindre le moment 
de l’éclosion? Si done la plupart des embryons hyperencé- 


_phales, sinon lous, périssent de très bonne heure, ils doivent, 


par cette circonstance même, échapper à l'observation ; ear on 
ne remarque guère que les monstres qui éclosent, et il doit être 
très rare que l’on aille rechercher, dans l’intérieur même de la 
coquille, les embryons qui ne sont point éelos. D'ailleurs, au vingt 
et unième jour, ils seraient certainement trop altérés, non-seule- 
ment pour que leur étude püt être utilement faite, mais même pour 
que l’on püt constater leur état de bonne ou de mauvaise con- 
formation. 

Il est donc très probable que dans toute la classe des Oiséaux, 


3là C. DARESTE, — MONSTRES HYPERENCÉPHALIENS 

et dans l'espèce de-la Poule en particulier, an certain nombre de 
monstruosités échappent complétement à l'observation, parce 
qu'elles exposent l'embryon à périr dans l’intérieur de la coquille, 
à une époque plus où moins rapprochée du commencement de 
l'incubation. 

Une autre remarque assez curieuse, est de voir comment ces cas 
d'hyperencéphalies dans la Poule reproduisent jusque dans les 
moindres détails les cas d’hyperencéphalie observés chez l'espèce 
humaine. C’est ainsi que le défaut de symétrie de la tête qui exis- 
tait dans notre seconde observation, et dans celle de M. Davaine, 
existait chez le pelit nombre d'hyperencéphales humains, d’après 
lesquels M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire a décrit ce genre dans son 
Traité de tératologie. On la retrouve également dans un cas que 
M. Belhomme a décrit en 1846, et qui présentait une atrophie 
complète de l'œil droit (4). L'état d'imperfection de la face que 
présentait ce même monstre ressemble plus ou moins au bec- 
de-lièvre, et le bec-de-lièvre est également un des caractères 
les plus fréquents de l’hyperencéphalie. Bien que mes deux der- 
nières observations soient très incomplètes, il y avait dans ces 
deux cas une éventralion thoraco-abdominale , assez semblable à 
la célosomie qui se retrouve également dans presque tous les 
hyperencéphales humains. Enfin, pour montrer jusqu’à quel point 
ces ressemblances peuvent aller, il n’y a pas jusqu’à ce petit fait 
du renversement du cœur, que j'ai signalé dans le sujet de ma 
troisième observation, qui ne soit également la reproduction d’un 
fait observé dans l'espèce humaine. Geoffroy Saint-Hilaire l’a 
signalé dans le monstre qui fait le type de son genre Hyperencé- 
phale. 

Mais parmi cette répétition des diverses particularités des hyper- 
encéphales humains par les hyperencéphales de l'espèce galline, 
les plus curieux, sans contredit, consistent dans l’existence des 
adhérences et des brides membraneuses entre certaines parties de 
l’embryon et ses enveloppes, l’amnios, l’allantoïde et le vitellus. 


(1) Belhomme, Note sur un monstre hyperencéphale (Comptes rendus de l'Aca= 
démie des sciences, 1846, t. XXII, p. 66). 


OBSERVÉS CHEZ LE POULET. 905 
Dans l’hyperencéphale dont Geoffroy Saint-Hilaire a donné la 
description anatomique, il existait de même une bride membra- 
neuse étendue du placenta à la tumeur encéphalique, et probable- 
ment d’autres brides analogues qui venaient s'insérer sur la tumeur 
thoracique. Or, ces brides placentaires paraissent être une des 
conditions les plus générales de l’hyperencéphalie existant dans 
le cas de M. Belhomme. Tout récemment encore, M. Houël, 
conservateur du Musée Dupuytren, a insisté sur ce fait dans un 
mémoire (1) où il a donné la description d’un nouvel hyperencé- 
phale humain. Ces adhérences du fœtus aux enveloppes ont, pour 
la science, une assez grande importance. En effet, tous les anato- 
mistes savent que Geoffroy Saint-Hilaire, prenant son point de 
départ dans l'anatomie de son hyperencéphale, a vu, dans l'existence 
de ces brides, la cause, ou comme il le disait, l’ordonnée de la 
monstruosité, el qu'il a essayé de généraliser cette explication, en 
l'appliquant à un très grand nombre de faits tératologiques. Il est 
donc fort intéressant de voir que dans mes expériences sur la 
production artificielle des monstruosités, j'ai produit des brides, 
non point placentaires assurément, puisqu'il n’existe point de pla- 
centa chez les embryons d'Oiseanx, mais vitellines, allantoï- 
diennes et amniotiques. 

Maintenant quel est l’action de ces brides dans la production des 
anomalies ? Certainement, je suis très porté à croire que ces brides 
jouent un grand role. Que l’on relise l’observation déjà citée de 
Geoffroy Saint-Hilaire, on se convaincra que l'existence d’une 
bride membraneuse a été l'élément le plus important de la mons- 
truosité, et la cause de la mort après l’éclosion. Mais n’y aurait-il 
pas de l’exagération à voir dans ces brides la cause unique de 
l’anomalie? Pour ma part, autant du moins que j'ai pu étudier 
la question, autant que j'ai pu m'instruire par l'observation des 
monstruosités que j'ai produites, et par l'étude des récits des 
monstruosités qui sont citées dans les recueils tératologiques, je suis 
très porté à croire que la monstruosité a une autre cause plus éloi- 


(4) Mémoire sur les adhérences du placenta ou des enveloppes à certaines par- 
lies du corps du fœtus (Mémoires de la Société de biologie, 1857, p. 55), 


3h16 C. DARESTE. — MONSTRES HYPERENCÉPHALIENS 


gnée, et qu’elle dépend, dans un grand nombre de cas, d’une 
position différente de l’embryon par rapport au vitellus. Je ne 
puis aujourd'hui qu'indiquer cette pensée. Et, en m'exprimant 
ainsi, je ne prétends en aucune façon nier l'importance des 
observations de Geoffroy Saint-Hilaire sur les brides placen- 
tairés ou autres, et le rôle qu’elles jouent dans la formation 
des monstruosités. Mais je crois que ces brides ne sont elles- 
mêmes qu'un résultat, et que, si elles concourent à la production 
des monstruosités, si elles deviennent, à un certain moment, de 
véritables causes, en ce sens qu’elles sont elles-mêmes le point de 
départ d'événements tératologiques, elles sont en même temps les 
effets d'événements tératologiques antérieurs. Je ne puis d’ailleurs 
aujourd’hui qu'indiquer cette manière de voir ; mais j’espère que 
mes expériences sur la production artificielle des monstruosités me 
fourniront prochainement les éléments nécessaires pour reprendre 
cette question avec des documents nouveaux, et pour la traiter 
avec les développements qu’elle mérite. 

Si j'ai insisté sur ces rapprochements, c'est parce qu’ils nous 
donnent un exemple bien remarquable du fait de la fréquente répéti- 
tion des mêmes types en téralologie, sur laquelle MM. Geoffroy 
Saint-Hilaire père et fils ont si souvent appelé l'attention des 
savants. C'est vraiment chose merveilleuse que de voir toutes les 
anomalies qui accompagnent l’hyperencéphalie dans l'espèce 
humaine, bien qu’elles n'aient avec elle, au moins dans l’état actuel 
de nos connaissances, que des rapports de coexistence, se retrou- 
ver exactement les mêmes dans une espèce comme la Poule, 
dont l'organisation est si différente de l’organisation humaine. 
Malheureusement, il ne nous est pas plus possible aujourd'hui 
qu'à l’époque où MM. Geoffroy Saint-Hilaire publiaient leurs tra- 
vaux, d'expliquer ces coexistences, et de trouver leur cause 
inconnue, cause qui doit exister nécessairement, mais qui ne se 
laisse pas encore entrevoir. 

En terminant ce travail, je dois encore signaler aux tératolo- 
gistes une particularité assez intéressante, quoique d’une tout autre 
nature. On considérait généralement les monstruosités hyperen- 
céphaliques comme n'étant pas viables. Il est très probable que 


OBSERVÉS CHEZ LE POULET, 347 


cette opinion n’est pas complétement vraie. Dans ma première 
observation, l'embryon hyperencéphale était très vivant et en 
parfait état de santé ; il ne paraissait différer en rien des embryons 
du même âge, et l’on peut penser que si l’incubation s'était pro- 
longée jusqu’à l’éclosion, l’hyperencéphalie n'aurait point été, 
pour l'animal, une cause nécessaire de mort. L'observation de 
Geoffroy Saint-Hilaire le démontre d’ailleurs d’une manière très 
évidente, puisque le Poulet qu'il a observé était bien vivant au 
moment de l’éclosion, et qu’il n’a péri que par l'effet d'une cause 
accidentelle qui l’empêchait de se nourrir. Nous retrouvons 
d’ailleurs quelque chose d’analogue dans l’hyperencéphale "de 
M. Belhomme. Ce monstre, chez lequel l’hyperencéphalie s’ac- 
compagnait de l’atrophie d’un œil et d’une imperfection très grande 
de la voûte palatine, a vécu pendant huit jours après la naissance, 
eb n’a péri qu'accidentellement, par suite d’une inflammation aiguë 
de la tumeur encéphalique. Or, le monstre de M. Belhomme, celui 
de Geoffroy Saint-Hilaire et celui que j'ai observé moi-même, 
présentaient tous les trois cette particularité, que les anomalies 
de la tête ne s’accompagnaient point d'anomalies des viscères 
thoraciques et abdominaux. On peut donc supposer que l’hyper- 
encéphalie simple n'est point par elle-même un obstacle à la 
viabilité ; et que ce sont seulement les complications fréquentes de 
cette anomalie qui produiraient des obstacles absolument incom- 
patibles avec la vie extra-utérine pour l'Homme, ou la vie hors de 
l'œuf pour le Poulet. Si la suite de mes expériences conduisait à 
justifier mes prévisions, il serait possible d'obtenir des Poulets 
hyperencéphales vivants; et peut-être la physiologie expérimentale 
trouverail-elle quelques moyens d'étude dans ces monstres dont 
l'encéphale est hors de la tête, et pourrait, par conséquent, se 
prêter sans mutilations à des expériences de diverses natures. 


PUBLICATIONS NOUVELLES. 


Paléontologie lombarde.$ Les pétrifications d’Esino, ou Description des 
fossiles appartenant au dépôttriasique supérieur des environs d'Esino, 
en Lombardie, par l'abbé A. Sroppanr. — 1 vol. in-4. Milan, 1860. 


Les études géologiques ont pris depuis quelques années un grand essor dans 
le nord de l'Italie, et la discussion approfondiede plusieurs questions importantes 
touchant les âges relatifs de divers dépôts de la région subalpine a fait naître 
des recherches qui seront fortutiles, non-seulement pour la paléontologie stratigra- 
phique, mais aussi pour la zoologie. L'ouvrage dont nous annonçons ici l'achève- 
ment en est une preuve. Ce livre se compose d’une série de monographies con- 
sacrées aux Gastéropodes, aux Acéphales, aux Céphalopodes, aux Zoophytes, etc., 
de divers dépôts triasiques des environs du lac de Côme. L’auteur y fait con- 
naître un grand nombre d'espèces nouvelles dont il donne des descriptions très 
détaillées et d'excellentes figures. Son atlas se compose de 30 planches dont 
l'exécution est remarquable. 


Histoire du développement de l'œil humain, par le docteur d’Ammon (de 
Dresde), traduit par M. Van Brervuier (de Bruges). — 1 vol. in-8, 
avec 12 planches. Bruxelles, 1860. 


Dans ce livre, le docteur d'Ammon, l’un des premiers ophthalmologistes de 
l'Allemagne, traite d'abord du développement de j'œil considéré d'une manière 
générale, puis du mode de formation de chacune des parties de cet organe consi- 
dérées isolément. On y trouve beaucoup d'observations intéressantes. 


Observations et expériences physiques sur plusieurs animaux marins 
etterrestres, par madame Power. —. 1 vol. in-8. Paris, 1860. 


L'auteur de cet ouvrage est connu depuis longtemps des naturalistes par 
ses expériences intéressantes sur le mode de développement et de séparation 
de la coquille de l’Argonaute. Dans ce volume, l'ensemble des observations 
de madame Power sur ce mollusque se trouve réuni, ainsi qu'une série de 
notes sur plusieurs autres animaux dont cette dame a étudié les mœurs avec 
beaucoup de soin et de persévérance pendant un long séjour à Messine. On y 
remarque ses observations sur l'instinct et l'intelligence des Martres, sur le 
mode d'alimentation des Bulles, etc. 


La pathologie cellulaire, par le professeur VircHow, traduit de l’alle- 
mand par M. Picarn. — 1 vol. in-8. Paris, 1860. 
Ce livre contient, sur la structure intime et-le mode de développement des 


tissus, beaucoup d'observations qui intéressent à un haut degré la physiologie 
et l'histologie. 


NOTE 
SUR 


LE FOLLICULE PILEUX DU CUIR CHEVELU DE L'HOMME, 


Par Jac. MOLESCHOTT, 
Professeur à Zurich, 


Présenté à l'Académie des sciences, le 12 novembre 1860. 


J'ai l'honneur de présenter à l’Académie une série de prépara- 
tions concernant le follicule pileux, et je me permets d’y ajouter 
une énumération succincte des faits nouveaux ou des solutions de 
quelques points en lilige auxquelles je suis parvenu, d’après des 
recherches faites en commun avec M. Chapuis, jeune médecin 
très habile de Bonfol près Porrentruy. 

4. Le fond du follicule pileux, dans le cuir chevelu de l’homme, 
qui seul est en question pour tout ce qui suit, n’est pas renflé en 
forme de ballon, comme on le représente ordinairement, mais il 
se termine en pointe arrondie au-dessous de la papille. 

2. Des trois tuniques qui constituent la paroi du follicule pro- 
prement dit, la moyenne est la plus forte. 

3. Les fibres qui se distinguent au milieu du tissu conjonctif de 
la tunique moyenne du follicule sont élastiques et non pas muscu- 
laires. Ces fibres élastiques mesurent de 0"®,04 à 0"",06. Les 
petites sont plus fréquentes que les grandes ; mais on en rencontre 
assez souvent qui mesurent de 0°",095 à 0°*,04. On en trouve 
ordinairement deux à trois et même quatre dans l'épaisseur de Ja 
tunique moyenne. 

k. La tunique vitrée monte du fond du follicule jusqu’à la hau- 
teur de la glande sébacée, sans dépasser jamais la limite supé- 
rieure de celle-ci. Nous ne l'avons jamais vue atteindre le bout 
supérieur de la tunique vaginale interne; elle ne revêt pas la papille. 


350 J. MOLESCHOTT. 


Son épaisseur, qui varie de 0"",003 à 0"",04, est en moyenne 
0"",06. 

5. La papille n’est ni claviforme, ni pétiolée, ni ovoïde, mais 
conique. Sa base est toujours légèrement rétrécie ; le sommet est 
assez souvent tronqué. Les mesures moyennes de ses dimensions 
sont : 


Ow®,213 pour la hauteur ; 

0®%,0641 pour le diamètre à la base ; 

0®®,102 pour le diamètre dans sa plus grande épaisseur, qui 
se trouve un peu au-dessous du milieu de la 
papille; 

0"",046 pour le diamètre au sommet, 


6. La papille n’est pas formée d’un tissu conjonctif, comme on 
Pa cru jusqu'ici ; mais elle est composée de cellules renfermant un 
noyau entouré d’une substance finement granulée. Ces cellules 
mesurent de 0,01 à 0°",019; en moyenne, 0"",013. 

7. La tunique vaginale externe ne se prolonge pas jusqu'au 
fond du follicule, mais elle diminue rapidement d'épaisseur après 
avoir dépassé la limite supérieure du sixième inférieur; elle se 
termine par une simple rangée de cellules, et Le bulbe pileux n’en 
est pas revêtu du tout : effectivement, dans l'étendue de plus d’un 
quart de millimètre, au bout inférieur de la racine du poil, il 
n’est que de la tunique vaginale interne, qui est immédiatement 
entourée par la tunique vitrée du follicule. 

8. Tandis que la tunique vaginale externe n'atteint pas le fond 
du follicule, la tunique vaginale interne n’en atteint pas le sommet; 
elle se termine au tiers moyen du follicule, à une hauteur variable, 
toutefois sans jamais atteindre l'embouchure du canal excréteur 
de la glande sébacée. Sur ce point, nous sommes d'accord avec 
M. Külliker et en opposition avec M. Reissner (de Dorpat), qui, du 
reste, a étudié le follicule avec beaucoup de soin. 

En descendant, la tunique vaginale interne accompagne le bulbe 
du poil jusqu’à sa terminaison. 

9. Les cellules de la tunique vaginale externe sont d'autant 
plus petites, dans le sens radial du follicule, qu’elles s’approchent 
plus de la tunique vaginale interne ; la rangée voisine de la tunique 


FOLLICULE PILEUX DU CUIR CHEVELU CHEZ L'HOMME. 201 


vitrée consiste en cellules un peu allongées, dont le plus grand 
diamètre correspond à la direction d’un rayon du follicule. Les 
rangées internes, au contraire, consistent en cellules aplaties, qui 
assez souvent produisent l'aspect d’une troisième couche vaginale 
(moyenne), parce que, sur les coupes transversales, ces cellules 
aplaties forment une bande qui est moins foncée que la tunique 
vaginale interne et que les rangées de cellules moins aplaties de 
l'externe. Quant aux cellules allongées qui forment la rangée 
externe, elles ont été remarquées déjà par M. Külliker. 

10. D'après ce que nous avons observé sur la terminaison 
supérieure de la tunique vaginale interne et sur la différence des 
diamètres propres aux cellules de la tunique vaginale externe, 
dans le sens radial du follicule, il est évident qu’on doit considérer 
la tunique vaginale interne comme appartenant au poil, tandis que 
la tunique vaginale externe forme pour ainsi dire un épithélinm 
du follicule. Autrefois on a regardé la tunique interne comme 
représentant la couche cornée de l’épiderme. Cette manière de 
voir perd sa valeur, depuis qu'il est démontré qu'il n’y a pas de 
continuité entre l’une et l’autre. Si l’on tient à retrouver les deux 
couches de l’épiderme, le corps muqueux et la couche cornée, 
dans l’intérieur du follicule, on devrait les chercher dans la tunique 
vaginale externe seule. Les rangées internes de cellules aplaties 
correspondraient à la couche cornée de l’épiderme ; mais l’ana- 
logie n'a rien de frappant, puisque l’on sait que les cellules dessé- 
chées qui forment les couches les plus superficielles de l’épiderme 
ne contiennent plus de noyaux, tandis qu’on en trouve loujours 
.dans les cellules de la rangée qui avoisine le plus la tunique vagi- 
nale interne. Aussi la ligne de démarcation qui pourrait engager à 
diviser la tunique vaginale externe en deux couches, est-elle loin 
d’être toujours sensible. 

11. Les muscles des follicules pileux, qui ont été envisagés 
jusqu'ici comme élant seulement des muscles de l’horripilation, 
embrassent si étroitement les vésicules de la glande sébacée, que, 
sans contester leur action dans l'érection du follicule, il est néces- 
saire d'admettre que le rôle qu'ils jouent le plus souvent, et cela 
lors même qu'ils ne se contractent qu’assez faiblement, doit con- 


352 J. MOLESCHOTT. - 
sister dans l’exercice d'une pression sur la glande sébacée, pres- 
sion qui chasse la graisse sécrétée par celle-ci dans le follicule 
où elle enduit le poil. En examinant des coupes transversales 
du follicule prises dans le tiers supérieur, on trouve bien souvent, 
entre le poil et la tunique vaginale externe, une couche de graisse 
sous la forme de deux croissants réunis par leurs pointes, et 
occupant l'endroit qui, dans les deux tiers inférieurs du follicule, 
appartient à la tunique vaginale interne. 

12. Les fibres musculaires lisses des muscles appartenant au 
follicule mesurent de Omm,11 à 0"",26 ; leur longueur moyenne 
est de 0"*,17. Leurs noyaux ont, en moyenne, 0°*,016 de lon- 
gueur. 

43. C’est une exception assez rare que les follicules soient 
courbés dans leur bout inférieur, mais on en trouve cependant 
qui sont courbés au-dessus de la papille, tant qu'ils sont enfermés 
dans le derme. 

44. Les follicules pileux ne sont pas dispersés irrégulièrement 
dans le cuir chevelu, mais groupés le plus souvent par deux ou 
par trois, et quelquefois en nombre plus grand. Le dernier cas, 
qui, chez nous, fait l’exception, paraît constituer la règle chez les 
Hottentots ; ear Prichard (Researches into the Physical History of 
Mankind, vol. Il, p. 267) cite le passage suivant de Barrow : 
« The hair is ofa very singular nature : it does not cover the whole 
» surface of the scalp, but grows in small tufts at certain distances 
» from each other, and when clipt short, has the appearance and 
» feel of a hard shoe-brush, » 


RECHERCHES 


SUR LA 


STRUCTURE DES POILS ET DES FOLLICULES PILEUX, 


Par DM. P. CHAPUIS, 
Docteur en médecine et en chirurgie de la Faculté de Berne. 


CHAPITRE PREMIER. 
HISTORIQUE. 


Les recherches sur la structure des poils, qu'on voit commencer avec 
Maipighi, restèrent pendant de longues séries d'années sans faire de pro- 
grès sensibles. On ne parvint pas même à distinguer exactement la nature 
des deux substances principales de la tige, qui fut, comme il est facile de 
le concevoir, le premier objet d'investigation. Nous ne nous arrêterons pas 
à rapporter les différentes opinions des savants qui se sont occupés de ce 
point d'anatomie microscopique; ces opinions, variées à l'infini, sont plus 
propres à satisfaire la curiosité qu'à éveiller un véritable intérêt. Du 
reste, MM. Henle (1) et Reissner (2) se sont occupés avec le plus grand 
soin de l'historique de ces temps-là, et l’on trouvera dans leurs ouvrages 
tous les renseignements désirables. 

Nous nous hâtons donc d'aborder une époque plus rapprochée de nous, 
et de dire qu'avec M. Mayer l'étude de la tige des poils prend une nou- 
velle direction, tandis que M. Henle attire plus spécialement les yeux sun 
le follicule pileux et lui donne l'importance qu'il mérite. 

M. H. Mayer, en traitant les poils par l’acidesulfurique concentré, prouva 
que les stries transversales qu’on remarque à leur surface, et si différem- 
ment interprétées par les auteurs, ne sont ni des fissures de la substance 
corlicale, ni des fibres élastiques roulées autour du poil, mais les bords 
libres de lamelles qui se détachent en lambeaux plus ou moins grands 
sous l'influence de cet acide (3). 


(4) Henle, Allgemeine anatomie, p. 314-320. 
(2) E. Reissner, Beitrüge zur Kenntniss der Haare des Menschen und der 
Süugethiere. Breslau, 1854. 
(3) G. H. Mayer, in Froriep's neue Notizen, n° 334, p. 51. 
4" série. Zooc T. XL. (Cahier n° 6.) 5 23 


36k P, CHAPUIS. 


Les expériences de M. Mayer étaient frappantes, aussi sa découverte 
fut-elle acceptée par tous les auteurs, et c’est à peine si l’on en trouve un 
seul, M. Van Laer, qui, tout en admettant l’existence de l’épiderme, con- 
sidère les raies de la surface des poils comme les plis de cette mem- 
brane (1). 

Parmi les micrographes, les uns, répètent les expériences de M. Mayer, 
les autres cherchent des réactifs plus puissants encore à détacher l’épi- 
derme et à en rendre les éléments sensibles. 

M. Donders essaye l’effet des solutions de potasse et de soude sur 
l’épiderme, et trouve que, par un contact assez prolongé, les lamelles de 
cette tunique s’isolent et finissent par se dissoudre sans jamais se changer 
en cellules (2). 

On étudie encore aujourd’hui l’épiderme au moyen de l'acide sulfurique, 
mais on donne généralement la préférence à la potasse ou à la soude. 

M. Kôlliker emploie ce dernier réactif. Il décrit avec beaucoup de 
soin les lamelles épidermiques, dont il donne les dimensions. Il fait 
observer aussi que la couche épidermique diminue d'épaisseur de bas en 
haut, et dirige son attention sur la distance que les bords des lamelles 
laissent entre eux (3). 

M. Reissner préfère la potasse à l’acide sulfurique, parce qu’elle a sur 
celui-ci l'avantage de détacher l’épiderme sans attaquer la substance cor- 
ticale. Il fait remarquer que les poils peuvent, contrairement à l'opinion 
de M. Donders, rester plusieurs jours dans la potasse sans que l’épi- 
derme se dissolve. — Différence d'opinion qui ne vient, comme M. Moles- 
chott l’a fait observer, que de l'inégalité de concentration des solutions 
potassiques employées. — L’acide sulfurique concentré, qui avait servi à 
découvrir l’épiderme, fut employé avec non moins de succès dans l’étude 
du reste de la tige. Ge réactif, toujours dans les mains de M. H. Mayer, 
lui fit reconnaître les lamelles de l'écorce, qu’il prit pour des fibres. 

Plus tard, M. Valentin (4), en traitant des poils par ce même acide, 
reconnaît que la substance corticale est formée de lamelles rhomboïdales 
souvent pourvues de noyau. 


(1) Van Laer, De struct. capill. hum.lobservat. microsc. illustr,, dissert. inaug. 

(2) Mikrosk. und mikroch. Untersuch. thier. Geweb. ( Holländische Beiträge, 
von J. Van Deen, F. C. Donders und J. Moleschott, 1° Bd., p. 253-254), 

(3) Handb. der Geweb. des Mensch., 3° Auflage, p. 137. 

(4) Valentin, Gewebe des menschl. und thier. Kürpers (Handw. der Phys. von 
D' Wagner, p. 664). 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. 955 


On admet généralement aujourd’hui que l'écorce est composée de 
lamelles fusiformes à noyau et ordinairement pointues à leurs extrémités. 
Ces lamelles ne sont autre chose que des cellules desséchées et cornées 
(Harting, Gerlach, Külliker, Leydig, Reissner). 

M. Bruch seul regarde l'écorce comme composée de fibres qui sont les 
derniers éléments de cette substance. Ces fibres seraient, selon lui, pro- 
duites par la fusion intime de cellules allongées. 

Les lamelles de l'écorce sont appelées fibres-cellules par M. Külliker ; 
leurs faces, dit-il, sont inégales et leurs bords irréguliers. Elles présentent 
souvent une raie noire dans leur milieu et semblent être plus intimement 
unies entre elles par leurs extrémités que par leurs faces; c’est ce qui 
permet de diviser si facilement les poils en long. 

M. Reissner prétend que les éléments de la substance corticale sont 
lisses à leur surface et ont des contours réguliers ; ceux qui offrent des 
aspérilés ou dont les bords sont irréguliers sont des lamelles mutilées. 
L'opinion de cet auteur sur la jonction des lamelles entre elles diffère 
encore de celle de MM. Külliker et Gerlach. En effet, il pense que ces 
lamelles en forment par leur réunion de plus grandes roulées autour de 
la moelle comme axe. M. Reissner n’a pas été plus heureux qne M. Kolli- 
ker, et n’a pas réussi à faire gonfler les lamelles de l’écorce au moyen des 
alcalis (1). 

Les taches, les points foncés et les stries que présente l'écorce pro- 
viennent de granulations pigmentaires, de vésicules d’air renfermées dans 
les lamelles de cette substance, ou enfin des noyaux de celle-ci, comme le 
pensait déjà M. Henle. | 

Vers la partie inférieure de la racine, les éléments de l’écorce sont plus 
faciles à isoler, changent petit à petit de nature, deviennent plus ovales, et 
finissent, en arrivant au bulbe, par prendre une forme complétement 
arrondie (Kôlliker, Gerlach). 

Selon M. Reissner, les cellules du bulbe ne diffèrent pas notablement de 
celles de l’écorce, seulement elles sont plus distinctes et leurs contours 
apparaissent plus facilement sous l'influence de la potasse (2). 

La moelle mesure, selon MM. Henle.(3) et Gerlach (4), le quartet même le 


(1) Reissner, op. cit., p. 52. 

(2) Idem, bid., p. 89. 

(3) Henle, op. cit., p. 296. 

(4) Gerlach, Handb. der allg. und speciel. Gewebel. des menschl. Kürp., A854, 
p. 541. 


396 P. CHAPUIS, 

tiers de l'épaisseur du poil. Elle consiste, selon le premier, en granulations 
pigmentaires réunies en masses, et en globules brillants semblables aux 
molécules de graisse ; le tout est entouré d’une légère membrane. 

MM. Gerlach et Kolliker étudient la moelle au moyen d'une solution 
potassique concentrée. Elle existe, dit le premier, toujours dans les gros 
poils, quoique souvent interrompue, mais ce n’est qu’exceptionnellement 
qu'on la rencontre dans les poils follets. Ses cellules sont carrées, à noyau, 
renferment des molécules de pigment ou de graisse qui communiquent 
entre elles sans qu’on sache comment (1). 

L'existence de l'air dans la moelle fut trouvée en 1840 par Griffith. 
Il observa qu’en chauffant des poils dans l’alcool ou dans l’eau, on les 
rend transparents, parce que l’air en est chassé et remplacé par le liquide. 

M. Kolliker admet jusqu’à cinq rangées longitudinales de cellules dans 
la moelle. Celles-ci sont rectangulaires ou carrées, plus rarement arron- 
dies ou fusiformes, et renferment des vésicules d'air qui communiquent 
entre elles par de peliles ouvertures (2). 

M. Reissner, pour étudier la moelle, traite les poils par la potasse à 
chaud, l'acide sulfurique ou chlorhydrique. Les cellules de la moelle sont 
granulées, ne forment qu’une seule rangée longitudinale dans les poils 
fins, et jamais plus de deux dans les gros poils (3). 

L'air n’est pas contenu dans les cellules, comme on le croit générale- 
ment, mais entre celles-ci; ce qui s'explique, du reste, très bien par 
son déplacement rapide et sa disparition quand on chauffe un poil dans 
un liquide. 

Les cellules de la moelle ont pour caractère de ne jamais se dureir, de 
conserver leur nature cellulaire beaucoup mieux que celles de l'écorce, et 
enfin de se présenter avec leur long diamètre souvent dirigé perpendicu- 
lairement à l’axe du poil. Elles ne contiennent jamais de pigment diffus, 
mais on en rencontre souvent du grenu dans leur intérieur. 

La moelle enfin n'est pas exclusivement composée de cellules, mais 
renferme encore un prolongement de la papille si fin, que les cellules qui 
l'entourent le dérobent facilement à la vue (4). 


(1) Gerlach, op. cit., p. 541 
(2) Külliker, op. cit., p.136. 
(3) Reissner, op. cit., p. 75 
(4) Idem, Jbid ,p 76-77 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS, 397 


M. Henle décrit la forme, la direction et la composition du follicule 
d’une manière beaucoup plus exacte que ses devanciers. I] le divise en 
follicule proprement dit et en gaine de la racine. 

Le premier se distingue peu du derme, dont il se laisse difficilement 
séparer, et forme autour de la gaîne une couche de fibres à direction 
longitudinale possédant çà et là des noyaux de cellules. Son extrémité 
inférieure, terminée en cul-de-sac, est plus épaisse et plus dilatée que le 
reste du follicuie (1). n 

De chaque côté de la racine se trouve un corps qui part du bulbe et 
s'élève vers le sommet du follicule : c’est la gaîne de la racine. 

Cette gaine est formée de deux couches, dont l'interne, plus claire et 
plus mince, présente partout la mème épaisseur ; l’externe, de couleur jau- 
nâtre, s’amincit à ses extrémités et est composée d’une substance claire, 
formée de cellules semblables à celles du bulbe. 

En haut, la gaine passe sans ligne de démarcation dans lépiderme 
cutané, landis qu’en bas les deux couches se confondent et se perdent 
dans le bulbe. ë 

Lorsque l’on a été assez heureux pour arracher un poil avec la gaine 
interne, et qu’on le place sous le microscope, on peut, au moyen d’une 
légère pression, séparer cette gaîne de la racine qu’elle entoure et en 
obtenir ainsi une vue plus complète. 

Elle a l'apparence d’une membrane diaphane, molle, présentant des 
fentes plus où moins ovalaires, auxquelles elle doit son aspect troué. 
Souvent à sa face interne sont accolées les lamelles qui recouvrent l'écorce 
(épiderme), tandis que d'habitude ces lamelles restent adhérentes au poil. 
Dans le premier cas, la face interne de la gaîneressemble exactement à la 
surface du poil (2). 

Depuis M. Henle, les deux couches dont il parle ont été considérées 
comme des membranes distinctes, et désignées sous les noms de gaînes 
externe elinterne, où tunique vaginale externe etinterne. 

On regarde l’externe comme l’épiderme du follicule et l’interne comme 
une membrane propre du poil. M. Reichert propose, en conséquence, 
d'appeler cette dernière simplement gaine de la racine. 

Le point de terminaison de la gaine interne est encore un sujet de 
controverse pour les auteurs : M. Kolliker (3) prétend qu’elle se termine 


(1) Henle, op. cit., p. 304. 
(2) Idem, /bid., p. 300 303. 
(3) Külliker, op. cit, p. 440. 


\ 


38 P. CHAPUIS. 


dans le voisinage de la glande sébacée, tandis que MM. Reissner (1) et 
Reichert veulent qu’elle arrive jusqu’à la surface de l’épiderme cutané et 
croisse avec le poil. 

En 1843, M. Kohlrausch démontra la nature celluleuse de la gaine 
interne et éleva les premiers doutes sur la nature des fentes qu’elle 
présente. Depuis, tous les auteurs regardent ces fentes comme artificielles, 
à l'exception toutefois de M. Gerlach, qui se refuse encore à les prendre 
pour l'effet du tiraillement ou des agents chimiques. 

Depuis la découverte des tuniques vaginales par M. Henle, c’est sur- 
tout M. Külliker qui a étudié le follicule avec le plus de succès. Il y 
distingue trois tuniques : l’externe est la plus épaisse et est composée de 
tissu conjonctif; la moyenne, qu’il nomme tunique fibreuse interne, est 
plus mince que la précédente et se termine à l'embouchure des glandes 
sébacées. Les fibres qui la composent rappellent celles des muscles 
lisses, mais ne peuvent être isolées complétement, de manière à permettre 
de constater qu’elles sont véritablement fusiformes et à noyau unique. La 
troisième est une membrane homogène qui prend naissance au fond du 
follicule, où elle adhère intimement à la papille, et s'étend aussi loin et 
peut-être plus loin encore que la gaîne interne de la racine (2). 

M. Gerlach dit que les cellules de la gaine externe sont rondes ou 
allongées et à noyau, tandis que celles de l’interne sont plates, toujours 
allongées et sans noyau. 

D’après M. Kolliker, les cellules de la gaine externe sont les mêmes 
que celles du corps de Malpighi de l’épiderme, seulement les externes 
sont verticales; opinion contre laquelle s'élèvent MM. Reissner et Rei- 
chert (3). La gaine interne est composée de deux couches : l’externe est 
la gaîne interne de Henle, composée seulement d’une couche de cellules 
polygonales allongées et dépourvues de noyau ; l’énterne est la pellicule 
épidermique de la gaîne de la racine découverte par Huxley. Cette der- 
nière est composée d’une ou deux couches de cellules un peu moins allon- 
gées que celles de la couche externe, mais elles sont plus épaisses et 
renferment un noyau (4). 

Selon M. Reissner (5), les bords libres des lamelles épidermiques de la 


(1) Reissner, op. cit., p. 143. 

(2) Külliker, op. cit., p. 138-139. 

(3) Canstatt’s Jahresb. üb. die Leist. in den physiol. Wiss, imJahre 1854, p. 33. 
(4) Külliker, op. cit., p. 140-142. 

(5) Reissner, op. cit., p. 114, note 2. 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. ,3b9 


gaîne interne sont tournés en bas, tandis que ceux de l’épiderme du poil 
ont une direction contraire, de telle sorte que les lamelles de ces deux 
tuniques s’enchâssent les unes dans les autres, sans toutefois s’unir étroi- 
tement. 

Tous les auteurs sont d'accord que la tunique vaginale interne se ter- 
mine au-dessus du bulbe, tandis que l’externe entoure encore une partie 
de celui-ci. 

La papille est une partie du follicule qui répond aux papilles du derme. 
Elle a été appelée germe, pulpe du poil, etc. On lui donne généralement 
la forme bulbeuse (Reissner) (1), ovoïde (Kélliker) (2). On sait très- 
peu de chose sur sa structure. M. Gerlach (3) dit qu’elle renferme un 
réseau capillaire, dont l'injection lui a réussi plusieurs fois. On suppose 
qu’elle contient des nerfs, mais personne jusqu'ici n’est parvenu à en con- 
slater la présence. 


CHAPITRE II. 


RECHERCHES, — INTRODUCTION. 


Bien que les travaux les plus récents sur la structure des cheveux 
aient atteint un haut degré de perfection, il reste encore, comme on a pu le 
voir dans la partie historique de notre thèse, différents points litigieux ou 
laissés indécis par les auteurs. En outre, il ne peut être inutile de sou- 
mettre à un nouvel examen certains points de délail regardés comme 
définitivement acquis à la science. 

Nous avons abordé ce sujet avec d’autant plus de sécurité, que M. Moles- 
chott, qui a bien voulu guider et partager nos travaux, a mis entre nos 
mains une méthode nouvelle d'investigation. En effet, ce professeur 
distingué a eu l’heureuse idée d'appliquer à l'étude du follicule pileux du 
cuir chevelu la méthode des coupes transversales, qui donne depuis un 
assez grand nombre d’années de si beaux résultats dans les recherches sur 
la structure des différents tissus. 

M. Moleschott possède deux mélanges, qui lui rendent chaque jour 
d’éminents services dans ses recherches microscopiques, et dont nous 


(4) Reissner, op. cit., p. 417. 
(2) Külliker, op. cit., p. 139. 
(3) Gerlach. op. cit., p. 543. 


360 P, CHAPUIS. 


avons eu l’occasion de contrôler la valeur dans l'étude de la structure des 
cheveux. 
Le premier de ces mélanges, appelé par l’auteur mélange d'acide acé- 
tique fort, se compose de : 
A volume d'acide acélique (p. sp. 1.070). 


A volume d'alcool. . . . . (p. sp. 0,845). 
2 volumes d'eau distillée. 


Ce liquide rend les follicules pileux distincts, et les prépare, après une 
macération de quelques semaines, aux études microscopiques. 
Le second, ou mélange d'acide acétique faible, contient : 


1 volume d'acide acétique (p. sp. 4,070). 
25 volumes d'alcool . . . . (p. sp. 0,815). 
50 volumes d'eau distillée. 


Ce dernier mélange est principalement desliné à conserver intacts les 
tissus traités par le mélange d'acide acétique fort. Des préparations de 
tout genre peuvent y séjourner plusieurs années sans présenter la moindre 
altération. 

Les follicules qui nous ont servi dans nos recherches avaient été prépa- 
rés et conservés au moyen de ces liquides. 

M. Moleschott conserve dans son mélange d'acide acétique fort des 
bandes de cuir chevelu, dont la longeur est environ 2 centimètres et la 
largeur 5 millimètres. Ces bandes sont divisées en plus petites portions 
et séchées. Après deux ou trois jourselles offrent une consistance assez 
forte pour en obtenir des coupes très fines, longitudinales ou transversales, 
selon qu'on dirige le tranchant du scalpel perpendiculairement à la sur- 
face de la peau ou parallèlement à celle-ci. 

Les coupes obtenues de cette manière sont ramollies pendant quelques 
semaines dansle mélange d'acide acétique fort, qui les pénètre énergi- 
quement. Elles montrent alors distinctement les diverses parties constituant 
le follicule pileux et plusieurs organes du derme, tels que les glandes 
sébacées et sudoripares, les muscles de l'horripilation, etc. 

Si l’on veut conserver des préparations précieuses, de manière à les avoir 
toujours sous la main et les consulter à volonté, on prend des plaques de 
verre de 35 millimètres carrés, sur lesquelles on construit de petites cases 
avec des lamelles de verre minces et étroites. Ces lamelles sont soudées à la 
lame de verre principale au moyen de gomme-laque. 

Les cases sont destinées à recevoir la préparation qu’on désire conser- 
ver ; elles sont ensuite remplies de mélange d'acide acétique fort et 


RECHERCHES SUR LA SIRUCTURE DES POILS, 561 


recouvertes d’un verre assez grand pour ne laisser libre aucune partie de 
la case. 

Après s’être assuré que celle-ci ne contient pas d'air, on fixe le verre 
supérieur au moyen d'une substance composée de deux parties de colo- 
phane et une partie de cire jaune. Le tout est enfin recouvert d’un vernis 
d’asphalte, à l’exception de la partie occupée par l’objet. 

Nous ferons observer encore qu'on peut quelquefois remplacer le 
mélange d’acide acétique par la glycérine, qui donne toujours des images 
qui se distinguent par leur clarté. 


I. — Du FoLLICULE. 


Le follicule du cuir chevelu est une espèce de poche qui s’étend 
de la surface de la peau jusque dans le tissu cellulaire sous-cutané. Sa 
forme est un peu elliptique. 

Son étendue et sa largeur varient selon le volume des cheveux. 

Sa longueur chancelle entre 3,8 et 2mw 7, et est en moyenne de 
3®®,3 [ comp. Gerlach (1) et Külliker (2) ]. 

Sa largeur varie selon qu'on le considère à sa partie supérieure, vers 
son milieu, ou dans sa partie inférieure. Son plus grand diamètre se 
trouve vers l'insertion du muscle de l’horripilation, où il est en moyenne 
de 0,3. Il se rétrécit sensiblement en montant et ne mesure plus à 
l'embouchure de la glande sébacée que 0®m,153, 

Son volume diminue de mème en descendant, d’une manière moins 
marquée, il est vrai, mais plus irrégulière. Il se rétrécit légèrement au- 
dessus de la partie destinée à recevoir le bulbe, puis offre un renflement 
où est logé celui-ci, et à partir de ce point son volume va toujours en 
diminuant, de sorte que son extrémité inférieure se termine presque en 
pointe. Cette partie du follicule estriche en noyaux et en fibres élastiques 
(voy. pl. X, fig. 3). La transition est si rapide, que le follicule, qui 
mesure en moyenne 0"®,228 à la hauteur de la papille, a un diamètre de 
0% ,12 à Owm 16 au-dessus de celle-ci. 

Le follicule est oblique de haut en bas et dirigé dans le sens du muscle 
de l’horripilation (voy. pl. X, fig. 4, f). 

D’après ce qui précède, il est facile de voir que la base du follicule 
n’est pas renflée en forme de ballon, comme on la décrit ordinairement, 
et que le renflement qu’on y remarque n'est ni si considérable, ni si régu- 


(4) Gerlach, op. cit., p. 543. 
(2) Külliker, op. cit., p 138. 


362 i P. CHAPUIS. 
lier qu’on pourrait le croire, à en juger d’après les dessins d’un grand 
nombre d'auteurs. 

Quant à la préparation du follicule, elle est des plus faciles ; on arrive 
sans peine à l’isoler sur des coupes longitudinales ramollies dans le 
mélange d’acide acétique fort. — La tunique externe du follicule est 
formée de tissu conjonctif assez serré et de cellules allongées, fusiformes, 
qui lui donnent l’aspect foncé et granuleux qui la caractérise. Cette tunique 
a dans toute son étendue une largeur peu variable et mesure en moyenne 
Owm,02 (sur 21 mesures prises sur des follicules où celte tunique était 
sensible). Nous ne l’avons vue quetrès rarement égaler la moyenne et une 
seule fois la dépasser. A la base du follicule, les fibres de tissu conjonctif 
se resserrent et s’entrelacent d’une manière plus intime ; les cellules y 
sont en plus grande quantité, et l’épaisseur du fond de cet organe est trois à 
quatre fois plus forte que celle de ses parois. C’est celte partie qui supporte 
la papille qu’on voit s’élever du fond du follicule comme un fruit qui s’élève 
du sol (voy. fig. 3, e). 

La tunique externe devient moins distincte vers la partie supérieure du 
follicule, et finit par se perdre dans la couche superficielle du derme, sans 
ligne de démarcation bien sensible. 

La tunique moyenne du follicule est notablement plus large que l’ex- 
terne, et nous ne pouvons sur ce point nous ranger à l'opinion de 
M. Külliker, qui est d’avis contraire (1). Cette membrane paraît être sen- 
siblement égale dans les divers points deson étendue. Sa largeur moyenne 
est 0"" 031, sa largeur maximum 0"",043, et sa minimum 0°" ,015. 
Elle s’étend d'habitude du fond du follicule jusqu’à la partie supérieure 
de celui-ci; il arrive cependant quelquefois qu’elle n’est pas très sensible 
dans son tiers supérieur. M. Kôlliker (2) pense qu’elle se termine à 
l'embouchure des glandes sébacées; il estvrai que sur des coupes longitu- 
dinales il est difficile de la poursuivre jusqu'au sommet du follicule, mais la 
chose n’offre plus les mêmes difficultés sur des coupes transversales. Les 
éléments qui la composent sont, dans ce point, moins distincis et 
plus petits que dans le reste de son étendue, mais dans le plus grand 
nombre des cas cette tunique est parfaitement sensible et plus volumineuse 
que l’externe. 

Les fibres transversales qu’elle contient sont de grandeur variable; 


(1) Külliker, op. cit., p. 138. 
(2) Idem, /bid., p.138. 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. 363 


leurs bords sont foncés et leurs extrémités très effilées. Elles sont généra- 
lement très étroites et n'offrent aucun renflement dans leur milieu 
(voy. fig. 7). — En un mot, elles réunissent tous les caractères de jeunes 
fibres élastiques. 

Lorsqu'on traite des coupes transversales par une solution potassique à 
10 p. 400 (10 gram. de potasse caustique dissous dans 90 gram. d’eau 
distillée), on voit ces fibres, dans l’espace de dix minutes à un quart 
d'heure, s’isoler si parfaitement, qu’on peut les observer dans toute leur 
étendue. Elles mesurent en largeur de Ow,0016 à 0"",0022; en lon- 
gueur 0,01 à 0®*,06. Les petites sont plus fréquentes que les grandes, 
mais on en rencontre assez souvent qui mesurent de 0"",025 à 0"",04. 

Ces fibres traitées par la solution potassique à 35 p. 100 ne changent 
point de caractère, même après avoir séjourné vingt-quatre heures dans 
ce liquide. Le follicule se dissout en entier, pendant le même espace de 
temps, dans une solution potassique à 10 p. 100. 

Nous avons eu l’occasion de comparer, sur les mêmes préparations, les 
fibres du muscle de l’horripilation et les fibres de la tunique moyenne du 
follicule, en traitant des coupes transversales prises à la hauteur du 
muscle, par la solution potassique à 35 p. 100, mais nous n’avons jamais 
pu reconnaître aucune analogie entre ces deux espèces de fibres. Les 
fibres musculaires se gonflent instantanément sous l'influence de la potasse ; 
leurs extrémités ne sont pas eflilées, leur cours est moins tortueux que 
celui des éléments de la tunique en question ; enfin elles sont plus claires 
et présentent dans leur milieu un léger reñflement, dans lequel on aper- 
çoit souvent encore le noyau (voy. fig. S). 

Outre les éléments dont nous venons de parler, la tunique moyenne 
est encore composée de tissu conjonctif. 

On observe souvent sur des coupes transversales une espèce de mem- 
brane qui limite intérieurement la tunique moyenne du follicule. Cette 
membrane est plissée dans le sens radial du cheveu, et prend l’aspect d’un 
jabot dont serait entourée la tunique vitrée. Elle a environ le double de 
l'épaisseur de la tunique vitrée elle-même et occupe tantôt toute la circon- 
férence du follicule, tantôt elle n’en occupe que la moitié, le quart ou 
moins encore. Nous ne la considérons pas comme une membrane par- 
ticulière du follicule, mais seulement comme une partie de la tunique 
moyenne où le tissu est plus serré qu'ailleurs. Elle prend, sous l'influence 
de la solution potassique à 10 p. 100, un aspect granuleux qui rappelle 
celui de la tunique externe du follicule. 

La membrane vitrée prend, sur les coupes longitudinales, l’aspect d’une 


364 P, CHAPUIS. 


raie blanche qui sépare la tunique moyenne du follicule de la tunique 
vaginale externe, Cette membrane a, sur les coupes transversales traitées 
par le mélange acétique, une forme ondulée, et ne paraît que rarement 
être de même épaisseur dans loule son étendue, Elle existe souvent 
dans une partie de la circonférence du follicule, tandis que dans l’autre 
elle semble manquer complétement, ou du moins être interrompue de 
distance en distance. Elle est, d’après nos mesures, beaucoup plus forte 
que ne la donne M. Kôlliker (1), ce qui peut venir de ce que celui-ci l’a 
mesurée sur des follicules entiers, et que nous avons eu l'avantage d’em- 
ployer des coupes transversales. Son épaisseur minimum est 0"",003 ; sa 
maximum 0"",01 et sa moyenne 0"",06. 

Celte tunique part du fond du follicule et se perd dans le voisinage de 
la glande sébacée, qui occupe le tiers moyen du follicule (voy. fig. 4, h). 

Son point de terminaison n’est pas arrêté d’une manière exacte. Pour 
nous, nous n'avons pu la poursuivre, tant sur des coupes longitudinales 
que sur des coupes transversales, au delà de la limite supérieure de la 
glande sébacée. Elle reste complétement indifférente à l'action de la potasse 
ou des autres réactifs, n'offre jamais trace de cellules ou de noyaux, et 
c’est à juste titre qu’elle est regardée comme une membrane homogène 
appartenant aux membranes vitrées, comme la tunique de Demours. 

Je dois ajouter qu’on rencontre un assez grand nombre de follicules où 
celte membrane n’est pas visible, sans que pour cela il soit permis d’élever 
des doutes sursonexistence. [l n’est pas difficile de comprendre que, sur des 
coupes transversales très fines, une membrane aussi délicate puisse se déta- 
cher ou être rendue invisible parle gonflement des tuniques environnantes. 


Papille. 


Du fond du follicule s'élève, comme il a été dit, la papille, qui est de 
forme conique. Elle est limitée par une ligne noire, très distincte lorsque 
la papille est complétement isolée. L'opinion de Dalzell, qui prétend que 
la papille est recouverte par la tunique vitrée, ne nous paraît pas admis- 
sible ; sur des coupes transversales nous avons loujours vu la première 
immédiatement limitée par le bulbe, et en examinant des papilles isolées, 
nous n'avons jamais rien observé d’analogue à la tunique vitrée. Une 
seule fois, nous avons vu une papille, traitée par une solution polassique 
à 35 p. 100, s’entourer d’un liséré blanc qui disparut à mesure que les 
effets de la potasse se firent sentir sur le reste de l'organe, ce qui prouve 
assez que nous n'avonspas eu affaire à la tunique en qu cstion. 


(1) Külliker, op. cit., p. 139. 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS, 365 


La surface de la papille présente des points noirs, qui sont des noyaux 
de cellules et forment comme des aspérités semblables à celles qu’on 
remarque sur certains fruits. 

Les auteurs ont donné différentes formes à la papille, mais sa forme 
typique, et dont elle s’écarte généralement fort peu, est celle que repré- 
sente la figure 3 de notre planche. Eile porte à sa base un rétrécissement 
trop faible pour être considérée comme un pédicule, puis se renfle en 
montant, pour présenter son plus fort diamètre un peu au-dessous du 
milieu de sa hauteur. Elle décroît ensuite d’une manière as ez rapide, et 
son extrémité supérieure, qui prend quelquefois l'apparence d’un cône 
tronqué, se termine le plus souvent en pointe. 

M. Külliker donne le dessin d’une papille de la Brebis qui, abstraction 
faite du prolongement qu’elle porte, a beaucoup de ressemblance avec la 
nôtre (1). Quant à ce prolongement dont M. Reissner assure l'existence 
dans les poils de l’homme, il ne nous a jamais été donné d’en voir de 
trace, malgré le grand nombre de papilles entières et complétement iso- 
lées que nous ayons eues à notre disposition, dans nos recherches sur ce 
point. 

M. Kôlliker (2) donne comme longueur de la papille 0"",056 ; nombre 
qui, comparé avec nos mesures, n'est pas même le tiers de notre mini- 
mum. Il n’est pas étonnant que l’auteur ait ici commis une erreur, attendu 
qu'il n’a jamais eu affaire à des papilles isolées. 

Le tableau suivant, tout en donnant une idée des différents diamètres 
de la papille, appuiera la justesse de notre asserlion. 


Dimensions de la papille. 


HAUTEUR. DIAMÈTRE À L'ORIGINE.|DIAMÈTRE AU MILIEU. DIAMÈTRE AU SUMMET. 
0,290 0,090 0,145 0,020 
0,200 0,055 0,085 0,040 
0,195 0,060 0,090 0,010 
0,190 0,050 0,120 0,047 
0,220 0,060 0,125 0,007 
0,180 0,060 0,090 0,045 
0,240 0,050 0,060 0 050 
0,170 0,060 0,085 0,003 
0,235 0,060 0,425 0,815 


(1) Reissoer, op. cit., Taf. LE, fig. 9, c 
(2) Kôlliker, Mikrosk. Anal, p. 127, 


366 P. CHAPUIS. 


On voit, d’après ce tableau, que la hauteur de la papille chancelle 
entre0"#,17 e10"",29; sa hauteur moyenne est0"",123, par conséquent 
plus du seizième de la longueur totale du follicule. Son diamètre moyen 
dans sa plus grande épaisseur est 0"",103, nombre qui correspond assez 
bien à celui de M. Külliker. Tandis que la papille à sa base mesure 
0"%,061 en moyenne, elle n’atteint plus à son sommet que 0"",016. 

Sur des coupes transversales, la papille est grise et paraît de structure 
entièrement homogène ; sa forme est ronde ou souvent elliptique; dernière 
forme qui provient de l’aplatissement de cet organe. Son diamètre varie, 
sur des coupes semblables, de 0"",030 à 0"",110. 

Nous nous sommes servi, dans nos recherches, de papilles qui s'étaient 
détachées d’elles-mêmes et sans l'intervention d'aucun moyen mécanique, 
des bandes de cuir chevelu que M. le professeur Moleschott conserve, 
depuis plus de trois ans, dans son mélange d’acide acétique fort. Pour se 
procurer des papilles libres, il transvase de temps en temps le liquide, et, 
en l’examinant soigneusement, il y pêche un grand nombre de follicules 
parfaitement isolés. Ces follicules ne sont pas entiers ; ils ne comprennent 
généralement plus que la moitié ou le tiers inférieur du follicule complet. 
Une partie de ces fragments de follicules montre le bulbe dans sa position 
nalurelle, tandis qu’une autre partie le présente, non-seulement détaché 
de la papille, mais même soulevé à une certaine distance. La papille, 
dans ce cas, est ou parfaitement libre, ou recouvérte encore de quelques 
cellules arrondies, qui ne sont autre chose que des cellules détachées du 
bulbe. 

Il est évident que, dans ce dernier cas, la papille a été mise en liberté 
par un gonflement du bulbe, dont quelques cellules se sont détachées et 
forment de petits groupes encore adhérents à la première. Le bulbe, qu’on 
voit alors à quelque distance au-dessus de la papille, présente souvent des 
fentes dont nous avons vu quelquefois le nombre s’élever jusqu’à quatre. 

En général, on a l’occasion d'observer le détachement du bulbe, dont 
la papille est coiffée comme d’un bonnet, dans ses phases les plus variées. 
Pour cela, il ne faut pas mépriser les fragments qu’on voit nager dans le 
liquide, Ces fragments se distinguent par une tache brunätre qui est le 
bulbe, et, au-dessous de celui-ci, se voit à l'œil nu un prolongement 
blane, qui est le fond du follicule. En observant ces débris sous le micros- 
cope, on remarque quelquefois le fond du follicule avec le bulbe intact; 
d’autres fois celui-ci est en train de se détacher de la papille, et il n’est 
pas rare de le voir arrêté par la partie renflée de cette dernière, d’où 
naissent ces figures claviformes, comme M. Kôlliker les a dessinées. Il 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. 367 


peut arriver aussi que l’extrémité inférieure du bulbe reste attachée à la 
partie renflée de la papille, qu’elle entoure comme une couronne, tandis 
que le reste de la racine est arraché et assez éloigné de la papille dont le 
sommet apparaît libre à l’œil de l’observateur, 

Quant à la structure de la papille, il n’y a rien d'arrêté. M. Ger- 
lach (4) lui donne une structure homogène; M. Külliker (2) dit que, 
comme les papilles du derme, elle est formée de tissu conjonctif vague- 
ment fibrillaire, avec des noyaux isolés et des granulations graisseuses; 
mais elle ne contient jamais de cellules. 

Au moyen de l’acide acétique concentré et d’une solution potassique à 
39 p. 100, nous avons reconnu cependant que la papille est composée 
de cellules, renfermant un noyau entouré d’une substance finement gra- 
nulée. Ces cellules mesurent de 0"",01 à 0"",019; en moyenne 
0"",013. 

Il nous a été impossible de découvrir dans cet organe des vaisseaux ou 
des nerfs, en traitant des papilles isolées, et nous n'avons pas été plus 
heureux en l'étudiant sur des coupes transversales. 

M. Moleschott a vu, une seule fois, des fibres nerveuses à bords foncés 
atteindre le fond du follicule, sans qu’il ait pu les poursuivre jusque dans 
l'intérieur de la papille. 

Hors les cellules décrites, il n’a vu qu’un petit nombre de noyaux ellip- 
tiques ressemblant à ceux des vaisseaux capillaires, Quant à ces derniers, 
ils ne se sont jamais présentés à son observation. 


Tuniques vaginales. 


Sous la tunique vitrée se trouve la gaine ou tunique vaginale externe 
(voy. fig. 2, c), qui doit être considérée plutôt comme une tunique du 
follicule que comme une gaine de la racine. C’est la continuation du 
corps muqueux de l’épiderme, qui se prolonge dans le follicule et le tapisse 
dans presque toute son étendue. Cette tunique est de couleur brure, 
beaucoup plus foncée que l’interne, et offre dans sa partie moyenne un 
diamètre plus considérable qu’à ses extrémités, dont l’inférieure surtout 
est très amincie. Son épaisseur varie, dans le tiers supérieur du follicule, 
de 0"",015 à 0°",06 et est en moyenne de 0"",03, tandis que dans le 
voisinage de l'insertion du muscle elle augmente sensiblement de volume 


(1) Gerlach, op. cit., p. 543. 
(2) Külliker, op. cit., p. 139. 


368 P. CHAPUIS, 


et atteint en moyenne 0"",05. Enfin, nous l’avons vue mesurer suc- 
cessivement à son extrémité inférieure 0"",05, 0"",017, 0"",027, 
0,037. 

Cette tunique se compose, comme on sail, de cellules arrondies et 
polyédriques. L'observation nous ayant fait remarquer que les cellules 
internes de cette tunique s’aplatissent sensiblement, surtout vers son 
extrémité supérieure, où elles prennent l'aspect de fibres circulaires, nous 
les avons mesurées, dans le sens radial et circulaire du follicule, etavons 
constaté que le diamètre radial varie, selon que l’on a affaire aux cel- 
lules des couches internes ou à celles de la couche externe. Le diamètre 
des cellules internes est en moyenne de 0"",004, et celui des externes de 
0,009. 

Le diamètre, dans le sens circulaire et pris indifféremment sur des 
cellules situées, tantôt un peu plus en dedans, tantôt un peu plus en 
dehors, varie de 0"",005 à 0"",01 et est en moyenne de 0"",007. 

On voit par là que les cellules les plus internes de celte tunique sont 
réellement aplaties; que celles de la couche externe, au contraire, sont 
allongées comme M. Källiker l’a fait observer (1). 

Voyant que les auteurs font ordinairement arriver la gaine externe 
jusqu’au fond du follicule, où ses cellules se confondent avec celles du 
hulbe, nous avons dû donner une attention toute spéciale à ce point. 
Nous avons mesuré, sur seize follicules isolés à leur tiers inférieur, la 
distance qui sépare le fond du follicule du point de terminaison de cette 
tunique, et nous avons trouvé que cette distance varie entre 0"",160 et 
0"",370 et est en moyenne 0"*,258. La hauteur moyenne de la papille 
n'étant que 0"",213, la tunique vaginale externe ne descend pas, en 
général, jusqu’à son sommet, et laisse par conséquent le bulbe pileux 
libre dans une assez grande étendue. 

La tunique vaginale externe, en descendant vers la base du follicule, 
diminue assez rapidement d'épaisseur; on la voit d’abord n'être plus 
composée que de trois rangées de cellules, puis de deux, et enfin d’une 
seule; de sorte qu’au premier abord il est assez diMicile de se prononcer 
si cette tunique ne se continue pas, sous forme de ligne noire, jusqu’à la 
base du follicule. Cependant, avec un peu d’attention ou des préparations 
plus appropriées, on voit que cette raie noire, qui pourrait êlre prise pour 
la continuation de la gaine externe, appartient en réalité à l’interne. On 
la voit en effet, là où les deux tuniques sont parfaitement distinctes l’une 


(4) Külliker, op. cit., p. 140. 


| 
| 
| 
| 
| 
| 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. 269 
de l’autre, faire partie de la tunique interne, et offrir dans cet endroit les 
mêmes caractères qu’elle présente plus bas. 

Nous ne nous sommes pas contenté de cela, et nous avons trailé par la 
solution potassique à 10 pour 100 des préparations propres à lever nos 
doutes, et nous montrer si les cellules si caractéristiques de la gaine externe 
n'accompagnaient pas, même en ne formant qu'une seule rangée, la 
tunique vaginale interne jusqu'à sa fin. Mais cette manière de procéder 
est venue confirmer nos premiers résultats. Il en a été de même de nos 
recherches sur les coupes transversales. Dans ces coupes offrant une sec- 
tion de la papille (fig. 6, a), on ne trouve qu’exceptionnellement une 
indication de la gaîne externe, et en dehors du cercle foncé que forme le 
bulbe, autour de la section de la papille, on ne remarque que la gaine 
interne immédiatement suivie de la tunique vitrée. On voit que les cel- 
lules qui entourent le bulbe appartiennent à la gaine interne, en les 
traitant par une solution potassique à 35 pour 100, sous l’influence de 
laquelle ces cellules prennent bientôt le caractère qui les distingue. 

La gaine externe ne parait pas toujours tapisser d’une manière égale 
la face interne du follicule, car il n’est pas rare de la voir, sur des 
coupes transversales, former autour de la gaîne interne deux renflements 
en forme de croissants. 

La gaîneinterne, où tunique vaginale interne, est beaucoup plus mince 
et plus régulière dans toute son étendue que l’externe. Elle est claire et 
bordée de chaque côté d’une ligne noire, qui la sépare, d’une part, du 
cheveu, et d'autre part de la tunique vaginale externe. Les cellules qui la 
composent ont été fort bien décrites par M. Kôlliker, et en conséquence 
nous nous contenterous d’en donner les dimensions. 

Ces cellules, disposées avec leur long diamètre parallèlement à l’axe du 
cheveu, mesurent en longueur de 0®",027 à 0"",047, et en moyenne 
0"®,037. Sur des coupes transversales, les cellules de la gaîne interne, 
unies les unes aux autres et dans leur position naturelle, mesurent, selon 
la direction radiale du follicule, de 0"",005 à 0®",01, et en moyenne 
0%%,007. Dansle sens circulaire, nous avons obtenu pour le maximum, le 
mininum et la moyenne, exactement les mêmes nombres que dans le sens 
radial. 

Les cellules de la gaine interne, mesurées dans le sens circulaire, pré- 
sentent le même diamètre que celles de la gaîne externe dans le même 
sens. 

Les cellules de la gaîne interne, en sens radial, surpassent générale- 
ment de 0"",003 les cellules les plus internes de la gaine externe, tandis 

4° série. Zooz. T. XIII. (Cahier n° 6) # 24 


310 P. CNAPUIS. 


que celles de la rangée externe de cette gaîne, mesurées dans le même 
sens, dépassent celles de la gaine interne d'environ 0"",002. 

La gaîne interne est composée, presque dans toute son étendue, de 
trois rangs de cellules allongées, ce qui explique que l'épaisseur de cette 
tunique est plus constante que celle de l’externe. Son épaisseur, sur des 
coupes transversales, balance entre 0"",01 et 0"",037, et est en moyenne 
0®",022, épaisseur qui harmonise très bien avec une triple couche de 
cellules de 0"",007 dont elle est composée. 

Les cellules de cette tunique ne conservent pas, dans toute son étendue, 
les mêmes caractères ; en descendant vers le fond du follicule, elles sont 
moins allongées, les noyaux sont plus épais, et c’est à peine si l’on peut 
encore les dislinguer des cellules du bulbe, surtout quand on les voit isolées. 

Nous n'avons jamais observé de fentes entre les cellules de cette 
tunique, sur des préparations conservées dans le mélange d’acide acé- 
tique fort de M. Moleschott. 

Tandis que la tunique vaginale externe n’arrive pas jusqu’au fond du 
follicule, l’interne cesse bien avant d’arriver à son sommet, en sorle que 
l'étendue dans laquelle cette dernière manque dans le haut du follicule 
est beaucoup plus considérable que celle dans laquelle la première fait 
défaut à la partie inférieure de celui-ci. 

On ne peut assigner à la gaîne interne des bornes bien étroites. Tandis 
qu’une fois elle arrive jusqu’à la hauteur moyenne de la glande sébacée, 
d’autres fois elle cesse vers le bout inférieur de celle-ci, ou bien s’étend 
jusqu’au niveau de son conduit excréteur. Nous ne l'avons jamais vue 
dépasser cette dernière limite, de sorte qu’en règle générale, on peut dire 
qu’elle se termine entre les deux derniers points. 

Nous devons ici nous ranger de l’opinion de M, Klliker (1), qui veut 
que cette tunique se termine dans le voisinage de la glande sébacée, contre 
M. Reïssner (2), qui prétend qu’elle monte jusqu’à la superficie de la 
peau. — Sa terminaison est oblique, de bas en haut, ce qui provient pro- 
bablement de ce que toutes les cellules n’arrivent pas à la même hauteur 
(voyez fig. 1, c'). 

Les cellules de la tunique vaginale externe se prolongeant comme une 
couche d’épithélium dans le conduit de la glande sébacée, il est naturel 
que la graisse fournie par cet organe se trouve entre le cheveu et la 
gaîne externe. Aussi est-il fréquent de voir, sur les coupes transversales 


(4) Külliker, Mikrosk. Anat., p. 129. 
(2) Reissner, op. cit., p. 113-144. 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. 371 


superficielles, le poil entouré d’un cercle de graisse (voy. fig. 4, e). En 
dehors de celui-ci, se trouve la gaîne externe, et immédiatement après 
vient le follicule proprement dit. 

La gaïîne interne arrive ordinairement à la base du bulbe, qu’elle con- 
tourne quelquefois jusqu’à la rencontre de la papille. Sur des coupes 
transversales conduites par l’extrémité inférieure du follicule, elle forme 
un cercle clair autour du bulbe, qui est foncé et laisse apercevoir dans 
son milieu la section grisâtre de la papille (voy. fig. 6, c). 

Entre la gaine externe et l’interne, on aperçoit assez rarement un cercle 
clair, de l'épaisseur environ de la tunique vitrée. Ce cercle, qu’on pour- 
rait prendre pour une nouvelle tunique, n’est que l'expression de l’aplatis- 
sement des cellules internes de la tunique vaginale externe, aplatissement 
qui rappelle celui des cellules superficielles de l’épiderme 


Muscle de l'horripilation. 


Nous ne pouvons quitter le follicule pileux sans parler du muscle de 
l’horripilation, avec lequel il a des rapports intimes. Ce muscle, décou- 
vert par M. Külliker, prend naissance sous l’épiderme, dans la couche 
superficielle du chorion, et forme en ce point un ou plusieurs faisceaux 
de fibres musculaires. Ces faisceaux, qui sont quelquefois au nombre de 
trois ou quatre, se réunissent bientôt en un seul, qui a une direction 
oblique de haut en bas et de dehors en dedans, direction correspondant à 
celle du cheveu lui-même. En arrivant près de la glande sébacée, le 
muscle la contourne et la serre de très près pour venir enfin s’attacher au 
follicule (voy. fig. À, g). 

M. Moleschott (1), qui s’est beaucoup occupé d'isoler les fibres mus- 
culaires lisses, a fait observer que l’acide acétique à un haut degré de 
concentration fait apparaître promptement le noyau de ces fibres, mais 
fait en même temps gonfler ces dernières à un tel point, qu'iln’est plus 
possible d’en distinguer les extrémités. Si au contraire on emploie l'acide 
acétique à un degré de concentration trop faible, les noyaux des fibres ne 
sont plus sensibles, et les fibres elles-mêmes ne s’isolent que très diflicile- 
ment, parce que l’acide n’a pas la force de dissoudre le tissu conjonctif 
qui les unit les unes aux autres. C’est pourquoi ce savant a cherché à déter- 
miner le degré de concentration que doit avoir l’acide acélique pour con- 
duire sûrement au but qu’on se propose. 


(4) Moleschott, Unters. 3. Naturgesch des Mensch. und der Th., 6° Bd., 
p. 380. 


372 P. CHAPUIS, 


Il à trouvé que cel acide à 1 pour 100 de concentration, dans lequel on 
fait macérer pendant cinq à dixminutes les parties qu’on veut examiner, est 
un excellent réaclif pour rendre également sensibles les fibres musculaires 
et leur noyau. — Si l’on ne veut isoler que les fibres musculaires sans 
s'occuper des noyaux, on y arrive facilement en faisant macérer dans une 
solution potassique à 32,5 pour 100 les muscles qu'on désire soumettre 
à l'observation microscopique. Enfin, en faisant macérer dans le mélange 
d'acide acétique fort, pendant quelques semaines, les muscles qu'on veut 
étudier, et en les conservant alors dans le mélange d'acide acétique 
faible, on a sous la main des préparations dont on peut à volonté isoler des 
fibres. 

M. Moleschott arrive à cette conclusion, qui se vérifie chaque jour 
davantage, que dans les mains du micrographe le meilleur instrument est 
un réaclif bien choisi. 

Cet auteur porte l'épaisseur du muscle de l’horripilation à 0"",04 
à 0"",1 ; sa longueur à 1"",5 à 2 millimetres. 

Quelques fibres isolées au moyen d’une solution potassique à 35 pour 
100 mesuraient 0"",14 à 0"®,26, en moyenne 0"",18 (1). D’après des 
mesures plus récentes, ces fibres varient de 0"",11 à 0"",26 et alteignent 
en moyenne 0"",167. Leurs noyaux ont en moyenne 0"",06 de longueur. 
Lorsqu'on débarrasse le muscle de l’horripilation du tissu cellulaire qui 
lenvironne, et qu'on le traite alors par la solution potassique à 35 pour 
100, on trouve qu’il renferme un assez grand nombre de fibres élastiques 
entremélées avec ses fibres musculaires. 

C’est à la présence de ces fibres élastiques qu’on doit attribuer la diM- 
culté que les fibres de ce muscle, comme celles des parois des vésicules 
pulmonaires de l’homme, présentent à être isolées. 

La glande sébacée et l'insertion du muscle de l’horripilation se trouvent 
dans le liers moyen du follicule, et l'or pourrait donner ce dernier point 
comme limite approximative du liers moyen avec letiers inférieur. 


II, — Des PoILS PROPREMENT DITS. 


Pour l’étude de la tige, l’'ammoniaque surpasse tous les agents employés 
jusqu’aujourd’hui, par la netteté des images qu'on obtient et par son 
influence égale sur les différents éléments du poil. 

M. Moleschott conserve, depuis un an et demi, dans ce liquide, des 


(1) Moleschott, op. cit ,p. 401. 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. 373 


poils de la barbe de couleur châtain. Ces poils sont devenus mous, blan- 
châtres, transparents, et se laissent diviser avec une facilité merveilleuse. 
Nous nous en sommes servi dans nos recherches sur le poil proprement dit. 

Lorsque les poils ont séjourné dans l’ammoniaque pendant quelques 
semaines, les lamelles de l’épiderme se soulèvent, et laissent apercevoir, 
de chaque côté de la tige, une bordure ondulée. Par une macération plus 
longtemps prolongée, ces lamelles se soulèvent encore davantage, leur 
bord supérieur se replie, et donne au poil l’aspect feutré qu’on obtient en 
traitant la tige au moyen d’une solution potassique à 2-5 pour 100 (1) 
(voy. fig. 9, e). 

Les lamelles épidermiques détachées des poils traités par lammo- 
niaque n’offrent aucune trace de gonflement qui puisse les faire considé- 
rer comme des cellules, pas plus que celles détachées des poils traités par 
une solution polassique à 1/2 pour 100 (voy. fig. 12). 

Veut-on étudier les éléments de l'écorce sur des poils conservés pen- 
dant un an et demi dans l’'ammoniaque, il suffit de les diviser au moyen 
d’aiguilles, ou de leur faire subir une légère pression, pour obtenir un 
grand nombre de ces lamelles parfaitement isolées. Elles sont, comme on 
sait, fusiformes (fig. 10, b), pourvues le plus souvent d'un noyau court, 
cylindrique, et ont leur long diamètre dirigé parallèlement à l’axe du poil. 
Les deux extrémités de ces lamelles sont rarement semblables, et tandis 
que l’une se termine en pointe unique, l’autre, plus large, en présente 
deux ou trois, à la vérité plus petites, plus irrégulières et d’inégale longueur. 

Les éléments de l'écorce ont une longueur qui varie de 0"*,05 à 0"",09, 
et qui est en moyenne de 0m®,07. Leur largeur chancelle entre Omw,01; 
0"*,028, et est en moyenne 0"",018. 

Leur épaisseur est beaucoup plus faible; elleégale en moyenne 0"" ,007. 
Ces éléments présentent deux faces larges et deux bords (fig. 10, a) ou 
faces étroites. Les premières sont parallèles aux rayons de la tige; les 
seconds, au contraire, sont dirigés dans le sens de la périphérie du poil. 
Les lamelles corticales sont unies beaucoup plus étroitement par leurs 
faces que par leurs bords ; aussi, quand on fait subir une légère pression 
à un poil bien ramolli par l’ammoniaque, le voit-on se diviser en groupes 
nombreux de lamelles ayant un de leurs bords tourné vers l'observateur. 
Ces groupes prennent un aspect strié et fibreux, d'autant plus trompeur 
qu’à leurs extrémités on remarque quelques lamelles dont les pointes sont 
entièrement libres. 


(1) Molescholt, loc. cit, 4° Bd., p. 115-116, 


37h P. CHAPUIS. 


La racine des poilsn’est pas toujours rectiligne, comme Je pense M. Külli- 
ker (1), nous en avons observé un assez grand nombre coudés au-dessus 
du bulbe. — Les éléments de cette dernière partie du poil ne sont pas 
semblables à ceux de la tige. Ce sont des cellules arrondies dont le dia- 
mètre est en moyenne de 0"%,006; par conséquent, pas même la moitié 
aussi fort que celui des cellules de la papille. Leurs noyaux sont un 
peu plus foncés que ceux de celle-ci. 

En continuant nos recherches sur les poils traités par l’'ammoniaque, 
nous avons isolé les cellules de la moelle sans la moindre difficulté et en 
nombre prodigieux. Ces cellules (fig. 41) sont irrégulières : arrondies, 
coniques, polygonales, rectangulaires, etc., formes qui résultent de la 
pression qu’elles exercent l’une contre l’autre; car dans les poils qui n’ont 
qu'une rangée de cellules, celles-ci sont beaucoup plusrégulières et ordi- 
nairement arrondies. Leurs contours sont quelquefois assez foncés pour 
prendre l’aspect des lignes qui sépareraient ces cellules les unes des autres. 

Leur direction est aussi irrégulière que leur forme ; on s’en persuade 
facilement en examinant des poils qui n’ont séjourné que quelques 
semaines dans l’ammoniaque. La substance corlicale est assez transparente 
pour permettrede voir les cellules de la moelle avec leurs contours (fig. 9, a). 

Quant aux cellules allongées, les unes ont leur long diamètre dirigé per- 
pendiculairement à l’axe du poil, les autres parallèlement à celui-ci. Le 
grand diamètre est au petit comme 0"",050 : 0"",036 ou comme 10 : 7. 

Les cellules de la moelle renferment ordinairement un noyau distinct, 
rond ou ovale, dans lequel il n’est pas rare d’apercevoir un nucléole. Le 
reste de la cellule est occupé par une substance finement granulée, dans 
laquelle brillent de petits corps en nombre variable. Le volume de ces corps 
est loin d’égaler celui du noyau. — Le diamètre de ces cellules varie de 
0,02 à 0,07, et est en moyenne de 0m®,04. — Les noyaux des 
cellules de la moelle et de la substance corticale des poils traités par l’am- 
moniaque élant ordinairement sensibles, il suit de là, d’après les expé- 
riences de M. Moleschott qu'ils résistent mieux à l’action de cet aleali que 
ceux des lamelles des ongles, dans lesquelles on ne trouve plus que des 
débris de noyaux, après qu’elles ont été gonflées par l’'ammoniaque (2). 


(1) Külliker, op. cit., p. 130. 
(2) Moleschott, op. cit., 4° Bd., p. 442. 


RECHERCHES SUR LA STRUCTURE DES POILS. 315 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 10. 


Toutes les figures, dessinées d'après nature, concernent les poils de l'homme. 
Celles du follicule ont rapport aux cheveux, et celles de la tige aux poils de la 
barbe. 

Les figures 9 et 10 ont été dessinées par M. O. OEsrenen; les figures 8, 
10 b, et 12, par M. Morescæorr, et toutes les autres par moi, 


Fig. 4. Cheveu avec son follicule en position naturelle : a, tige ; b, racine ; 
ce, tunique vaginale ou gaine interne dont on voit la terminaison en ct; 
d, tunique vaginale ou gaineexterne ; e, passage dela tunique vaginale externe 
dans le corps muqueux ; f, follicule pileux; g, muscle de l’horripilation; 
h, glande sébacée ; i, épiderme ; k k, derme; 1, tissu adipeux. 

Fig. 2. Follicule pileux isolé: a, racine du cheveu ; b, tunique vaginale interne ; 
€, tunique vaginale externe; d, tunique vitrée du follicule; e, tunique 
moyenne du follicule ; f, tunique externe du follicule; g, bulbe; h, papille 
vue par transparence. 


Fig. 3. Follicule pileux isolé dans lequel le bulbe du cheveu s’est éloigné de la 
papille : a, bulbe du cheveu; b, tunique vaginale interne ; c, tuniqué moyenne 
du follicule ; d, tunique externe du follicule ; e, papille libre. 

Fig. 4. Coupe horizontale à travers la racine du cheveu et le follicule, dans 
le voisinage de l’épiderme : a, cheveu ; b, moelle; ce, couche de graisse entre 
le cheveu et la tunique vaginale externe; d, tunique vaginale externe; 
e, tunique moyenne du follicule. 

Fig. 5. Coupe horizontale à travers la racine du cheveu et le follicule, dans le 
voisinage de l'insertion du muscle de l'horripilation : a, cheveu; b, tunique 
vaginale interne ; €, tunique vaginale externe; d, tunique vitrée du follicule ; 
e, tunique moyenne du follicule ; f, tunique externe du follicule. 


Fig. 6. Coupe horizontale à travers le bulbe du cheveu, la papille et le follicule: 
a, papille; b, bulbe; c, tunique vaginale interne ; d, tunique vitrée du folli- 
cule ; e, tunique moyenne du follicule ; f, tunique externe du follicule. 

Fig. 7. Fibres élastiques de la tunique moyenne du follicule pileux. 

Fig. 8. Fibres lisses du muscle de l'horripilation. 


Fig. 9. Tige d'un poil de la barbe: a, moelle; b, substance corticale; €, épi- 
derme du poil. 


276 * GRATIOLET. 
Fig. 40. Lamelles de la substance corticale de la tige: a, vues par un de leurs 
bords; b, vues par une de leurs faces. 
Fig. 11. Cellules de la moelle isolée. 
Fig. 12. Lamelles épidermiques de la tige. 
Les figures de 1 à 8 ont été dessinées d'après des préparations qui avaient 
séjourné plus de deux ans dans le mélange d'acide acétique fort de M. Moleschott 


Les poils de la barbe qui ont fourni les figures de 9 à 12 avaient été con- 
servés pendant plusieurs mois dans l'ammoniaque caustique. 


RECHERCHES 


SUR LE 
SYSTÈME VASCULAIRE SANGUIN DE L'HIPPOPOTAME, 


Par M. GRATIOLET. 


(Extrait) 


Les recherches que j'ai l'honneur de soumettre à l’Académie ont eu 
pour objet le système vasculaire de l’'Hippopotame, considéré surtout 
comme animal plongeur. Je vais essayer de les résumer en quelques mots. 

Les artères qui émanent de l'aorte ont la même distribution que dans 
le cochon, et nous n’y insisterons pas. Elles sont en général assez grèles, 
et, à l'exception de la tête, ne se résolvent nulle part en réseaux admi- 
rables. La crosse de l'aorte est très peu élevée, au contraire de ce qui a 
lieu dans le Phoque, et elle n’a point ces dilatations qui ont été signalées 
en général dans les Mammifères plongeurs. Les carotides primitives sont 
peu volumineuses. Nous insistons ici sur l’extrême gracilité de l'artère 
vertébrale, de la cervicale ascendante, de l'occipitale et de la carotide 
interne, en un mot, de toutes les artères postérieures de l’encéphale ; quant 
à la carotide externe, elle est, chose remarquable, un peu plus volumi- 
neuse que la carolide primitive elle-même, et présente dans son trajet et 
dans sa terminaison des particularités qu'il importe de signaler. 

Elle s'engage, à l'ordinaire, entre la pièce basilaire de l’hyoïde, située à 
son côlé interne, el un petit groupe de muscles qui passent en dehors 
d'elle. Ce rapport n’entraîne en général aucune compression de l'artère : 
santôt, en effet, ces muscles, c'est-à-dire le stylo-hyoïdien et le digastrique, 
sont altachés au sommet d’un talon osseux qui les éloigne du corps de la 


SYSTÈME VASCULAIRE SANGUIN DE L'HIPPOPOTAME. 371 


pièce basilaire, et laissent à l'artère un libre passage ; tantôt c’est la pièce 
basilaire elle-même qui fait un coude pour s'éloigner des petits muscles. 
Mais dans l’Hippopotame il n’en est point ainsi : la pièce basilaire n’a point 
de talon, elle ne fait point de coude, et les muscles dont j’ai parlé sont 
immédiatement appliqués sur elle, à sa racine; or c’est précisément en ce 
point que la carotide externe s’engage, et les moindres contractions de ces 
muscles doivent exercer sur elle une compression plus ou moins forte; les 
injections que l’on pratique rendent cette conséquence manifeste. Ainsi, 
par le fait seul d’un mouvement d’élévation de l’hyoïde, le cours du sang 
dans la carotide externe peut être interrompu. Cette conséquence doit avoir 
sur la circulation cérébrale une grande influence, par suite du mode de 
terminaison tout à fait exceptionnel de cette artère; en effet, elle se termine 
par deux branches équivalentes, l’une pour le réseau admirable de l’or- 
bite, l’autre qui pénètre par la fente sphénoïdale dans le réseau admirable 
carotidien, et qui joue le rôle d’artère carotide interne antérieure. Ainsi 
les compressions exercées sur la carotide externe peuvent tarir, à un 
instant donné, la source la plus considérable du sang qui arrive à la tête. 
Cette disposition anatomique semble avoir pourbut de prévenir les conges- 
tions céphaliques pendant ces longues suspensions de la respiration qui 
sont familières à l’Hippopotame; hâtons-nous de dire qu’elle n’a sur la cir- 
culation veineuse aucune influence, les veines jugulaires passant en dehors 
des petits muscles dont nous avons parlé. 

Les particularités principales que présentent les veines peuvent être ainsi 
résumées : 

1° Les veines sous-cutanées forment de grands plexus, abondants sur- 
tout vers la région inguinale ; celles des membres se déversent dans la 
veine iliaque externe el dans l’axillaire : c’est à ces plexus sous-cutanés 
qu’aboutissent presque en entier les veines collatérales des doigts. 

2° Les veines satellites des troncs artériels principaux des membres et 
de leurs artères musculaires sont remplacées par des réseaux veineux uni- 
polaires, qui forment à ces artères une enveloppe épaisse et chevelue à 
partir de Ja base des doigts. Ces réseaux, très abondants, se gonflent énor- 
mément quand on les injecte. 

3° La veine cave inférieure est grande ; elle se dilate sensiblement au 
niveau du foie, se loge presque en entier dans le bord postérieur de cet 
organe, el recoit en ce point, par l'intermédiaire d’un grand sinus, des 
veines hépatiques énormes. Au-dessus du diaphragme elle se rétrécit et se 
termine dans l'oreillette droite par un canal cylindrique d’un diamètre 
relativement fort petit. 


378 GRATIOLET. 


&° Vers le point où cette région cylindrique se sépare de la région dila- 
tée, existe, dans les parois mêmes de la veine, une couche annulaire de 
fibres musculaires striées, formant une sorte de sphincter tout à fait ana 
logue à celui que Burow a fait connaître dans le Phoque. 

5° Tandis que la veine cave inférieure s’ouvre dans l'oreillette par un 
orifice étroit, la veine cave supérieure, au contraire, se déverse par un 
sinus largement ouvert; ces ouvertures et celle de la veine coronaire n’ont 
point de valvules. . 

6° Les artères pulmonaires sont grandes; leurs valvules sigmoïdes, et 
il en est de même de celles de l’aorte, manquent de tubercules d’Aran- 
tius. Les veines pulmonaires ont dans l’oreillette gauche trois orifices 
distincts; elles n’ont point de valvules, et leurs orifices en sont également 
dépourvus. 

7° L’oreillette droite a moins de capacité que l'oreillette gauche; le 
trou de Botal est à peu près oblitéré chez l'animal naissant, et il en est 
de même chez l'adulte, suivant les observations de Gordon; ajoutons que 
le canal artériel s’oblitère aussi très promptement : dès le quatrième jour, 
il est à peine perméable au sang. 

8 Les ventricules sont grands, presque équivalents, et leurs extrémi- 
tés étant séparées par un pelit sillon, le cœur semble avoir deux pointes : 
c’est là peut-être un indice de cette division du cœur qui a été signalée 
dans les Rytina, les Dugons et les Lamantins. Les valvules auriculo-ventri- 
culaires sont remarquables dans l'Hippopotame par le petit nombre de 
leurs colonnes charnues. La plupart des filaments fibreux qui les sous- 
tendent, émanent, comme cela a lieu dans le Phoque, des parois mêmes 
du cœur. 

9 Je passe sous silence les veines porte etombilicale, qui ne présentent 
chez l’animal nouveau-né rien de remarquable dans leur volume ou leur 
distribution. 

Essayons maintenant d'expliquer par ces faits comment une longue 
suspension des mouvements respiratoires peut chez l'Hippopotame se con- 
cilier avec la vie. 

L'existence d’un anneau musculaire comprimant la veine cave infé- 
rieure a pour cette explication une importance capitale, ainsi que Burow 
Va fort bien indiqué. Il me semble utile d’en développer ici les principales 
conséquences. Supposons d’abord une complète oblitération : dans ce cas, 
le sang que ramène la veine cave inférieure n’arrivera point au cœur, il 
s’accumulera dans les trames vasculaires, dans les réservoirs veineux, 
quels qu'ils soient; le sang de la veine cave supérieure, au contraire, 


SYSTÈME VASCULAIRE SANGUIN DE L'HIPPOPOTAME. 379 


reviendra librement dans l'oreillette droite, d’où il passera dansle poumon, 
et de là par l’aorte dans toute l’étendue du système artériel : une partie de 
ce sang s’engagera donc dans les origines de la veine cave inférieure et 
s’ajoutera à la masse du sang immobilisé. Ce sera une nouvelle quantité de 
sang enlevé à la circulation pulmonaire, et les mouvements du cœur con- 
tinuant, il se fera à chaque instant, et de la même manière, une soustrac- 
tion nouvelle à certains organes, et en particulier à ceux d’où viennent 
l’azygos et la jugulaire, c’est-à-dire aux centres nerveux et aux principaux 
organes des sens. Ainsi l’imminence de cette congestion des centres ner- 
veux, qui est l’une des principales causes de la mort par axphyxie, sera 
de plus en plus éloignée, résultat auquel vient en aide la faculté que possède 
l’'Hippopotame d’oblitérer en partie son système carotidien. Mais cette 
curieuse organisation a encore une autre conséquence. On sait que les 
Mammifères plongeurs ont la faculté d’obturer leurs narines et d’emporter 
sous les eaux une grande quantité d’air; or il est évident que cetle quantité 
d'air suffira d'autant plus longtemps, que les courants sanguins qui agi- 
ront sur elle seront plus faibles et plus lents. La flamme se fait donc plus 
pelite, si je puis ainsi dire, pour vivre plus longtemps dans une atmosphère 
limitée. Il est évident que des résultats analogues seraient obtenus dans le 
cas d’une oblitération incomplète de la veine cave inférieure, à la condi- 
tion que le sang rendu par elle fût en quantité inférieure à celui qu’elle 
recevrait des artères. 

Les libres communications de l’azygos etdes veines mammaires avec la 
xeine cave supérieure indiquent clairement que les muscles du troncet ceux 
des membres antérieurs sont, ainsi que les centres nerveux, soustraits aux 
causes de congestion ; l’existence des réseaux admirables veineux autour 
des artères des membres a également pour but de retarder limminence 
des congestions musculaires : l’animal soustrait donc à cette congestion 
son cerveau, ses yeux, ses muscles, ses poumons, et il conserve ainsi, avec 
la vie, l'intelligence et la liberté des mouvements volontaires. 

En résumé, les faits et les réflexions que je viens d’avoir l'honneur de 
soumettre à l’Académie sont une confirmation de cette idée, instinctive- 
ment acceptée dès l’enfance de la physiologie, que les Mammifères plon- 
geurs acquièrent celte faculté en détournant de leurs poumons la plus 
grande partie de leur sang; se faisant ainsi par instants, et par une suite 
d'artifices très simples, semblables, à certains égards, aux Reptiles, chez 
lesquels la circulation pulmonaire n’est qu’une dérivation partielle de la 
cireulalion générale. 


RECHERCHES ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES 


LES NERES DE SENTIMENT ET DE MOUVEMENT 
CHEZ LES POISSONS, 


Par M. Armand MOREAU. 


Quand on examine avec soin sur un poisson cartilagineux, tel 
que la Raie, le Squale, etc., les nerfs rachidiens, on peut voir qu'ils 
présentent une ligne fine qui est comme leur axe, et qui divise 
longitudinalement ce ruban nerveux en deux moitiés presque 
égales. On peut engager une pointe fine dans cette ligne, et écarter 
avec précaulion les deux moiliés. Le névrilème fin qui les recouvre 
doit être incisé, afin de l'empêcher de se froncer; écarlant donc 
les deux moitiés accolées, on voit que chaque rameau, qui part 
du nerf que l’on examine, résulte de l’accolement de deux filets 
nerveux faisant suite aux moiliés que l’on écarte; on peut pour- 
suivre celte séparation jusque dans les divisions nerveuses les plus 
fines que l’œil puisse voir. Or, les deux moiliés de chaque nerf 
sont précisément les racines ganglionnaires et non ganglionuaires 
prolongées. En effet, si l’on poursuit cette séparation en remon- 
tant vers la moelle, et que l’on prenne la peine de sculpter avec 
patience la vertèbre, de façon à dégager le nerf mixte qui la tra- 
verse, on reconnait que l’un des rubans nerveux fait suite à la 
racine antérieure, et l’autre à la racine postérieure ou ganglion- 
naire. Ainsi, les deux racines sorties de la moelle, aù lieu de se 
mêler d’une façon presque inextricable pour constituer le nerf 
mixte, se juxtaposent chez ces poissons sans se confondre. 

Cette disposition anatomique permet de faire sar l'animal vivant 
la distinction des propriétés physioïiogiques des racines avec la 


NERFS DES POISSONS. 951 
plus grande facilité. Ainsi, on peut opérer, comme je l'ai fait, de 
la manière suivante : 

Sur une Torpille vivante, j'incisai la paroi abdominale, et, 
écartant sur un des côtés les viscères, je mis à découvert les 
nerfs rachidiens. Une aponévrose mince el transparente tapisse Ja 
cavité. Je l'incisai le long du nerf que j'examinais ; puis, j'enga- 
geai la pointe d’une aiguille à cataracte dans le sillon du nerf, et, 
écartant les deux moitiés avec des crochets, j'eus ainsi les deux 
racines distinctes dans un espace de quelques centimètres. Je cou- 
pai alors les deux racines, et formai ainsi quatre bouts. Les deux 
bouts de la racine antérieure furent pincés : le bout central ne 
donna aucun mouvement, mais le bout périphérique fit contracter 
les muscles dans lesquels il se termine. La racine antérieure 
est donc une racine de mouvement. Le pincement des deux bouts 
de la racine postérieure n'ayant donné lieu à aucun mouvement, 
je pensai que ces résultats étaient dus à la petitesse même de cette 
racine, et, pour rendre les mouvements réflexes plus manifestes, 
je coupai la moelle épinière à son origine. Le pincement du bout 
central de la racine postérieure produisit alors des mouvements 
réflexes très violents. Le bout périphérique de cette racine ne 
donna, à l’occasion du pincement, aucun mouvement, non.plus 
que le pincement du bout central de la racine antérieure. 

La simplicité extrême de ce procédé permet done de montrer 
sur les Poissons tous les caractères physiologiques des racines 
rachidiennes, sauf le phénomène de la sensibilité récurrente, phé- 
nomène que j'ai parfaitement constaté sur le Chien en suivant les 
indications très précises données par M. CI. Bernard (4), mais 
que j'ai vainement cherché sur les Poissons (2). 


(1) Claude Bernard, Cours de médecine au collége de France, 1858. 

(2) Stannius (*) ec Wagner (“) ont fait, depuis plusieurs années, des expé- 
riences sur les racines nerveuses des Poissons. Je n'en avais pas connaissance 
lors de la publication de cette note devant la Société philomatique; je m'em- 
presse de citer ici les passages où ils en parlent. 


(*) Stannius, Das peripherische Nervensystem der Fische, p. 11%. 
(*) Wagner, Handwôrterbuch der Physiologie, Bd. IT, Abth. 6, f, 363. 


382 A. MOREAU, — NERFS DES POISSONS. 


J'ai voulu tenter aussi dans la classe des Oiseaux une recherche 
analogue. Après avoir échoué, en expérimentant sur plusieurs 
espèces de Gallinacés, les oiseaux ayant péri avant la fin de l'expé- 
rience, je réussis constamment surl'Oie (Anas Anser). Je pratiquai 
l'ouverture du canal rachidien, au niveau des origines des nerfs 
brachiaux, et conslatai sur les quatre bouts des racines rachidiennes 
antérieure et postérieure l'existence des caractères physiologiques 
que je viens de citer à propos des Poissons. En suivant ce procédé, 
qui est le même que celui que l’on emploie sur le Chien, on ren- 
contre une difficulté particulière, résultant de la présence d’une 
mousse ou écume produite par le mélange du sang sortant des 
vaisseaux divisés, et de l’air qui s'échappe à chaque mouvement 
respiratoire des canaux aériens contenus dans les vertèbres et 
rompus avec elles. 


FIN DU TREIZIÈME VOLUME. 


TABLE DES ARTICLES 


CONTENUS DANS CE VOLUME. 


ANIMAUX VERTÉBRÉS. 


Études chimiques et ES sur les os, par M. ND Mie 
Enwarns . . 
Nouvelles expériences sur les efrets de as jaranée mêlée aux aliments des 
Mammifères et des Oiseaux carnivores, par M. le docteur N. Joux. 
Note sur le follicule pileux du cuir chevelu de l'homme, par M. Moces- 
CHOTT . . 

Recherches sur ‘la structure des poils et des follicules pileux, par 
M. Cuapuis. 

Recherches sur le système vasculaire sanguin de l'Hippopotame , par 
M. GRATIOLET . . 4 

Recherches anatomiques et ‘physiologiques s sur es nerfs de sentiment et 
de mouvement chez les Poissons , par M. A. Moreau. 

Recherches sur les ossements des carnassiers des cavernes de Sentheim 
(Haut-Rhin), par M. Joseph Desos. 

Note sur l’histoire de plusieurs monstres hyper eneéphaliens observés chez 
le Poulet, par M. DarEstE. . . ” 

Mémoire sur le squelette des Poissons ‘plectognathes: par M. ou. 

Des espèces perdues et des races qui ont disparu des lieux qu'elles habi- 
taient primitivement, par M. Marcel de Serres. ns 


ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 


Mémoire sur l'anatomie el Rip des Vermets, par M. Lacaze- 
Durmiers . Ce AE 

Rapport sur le Taret, par M Vaoux. 

Recherches anatomiques ur Ascalaphus meridionalis, par M. EL Dee 

De l'influence du système nerveux sur la respiration des Dytiques, par 
M. Favre . = TE Re EEE 

Note sur le Trichina spiralis , ‘par M. Vincaow. Ve se 

Recherches sur le Trichina spiralis, par M. H. Levxarr. : 


TABLE DES MATIÈRES 


PAR NOMS D'AUTEURS. 


Awwox. — Sur le développement Danesre (C.). — Note sur l’his- 
de l'œil (annonce), . . . 348| toire de plusieurs monstres 
Crapuis (P.). — Recherches sur hyperencéphaliens . 
la structure des poils et des Deusos (J.).— Recherches sur les 


follicules pileux, , , . . 353] ossements des carnassiers des 


337 


oôl 


cavernes de Sentheim ( Haut- 
Rhin ). . 31% 

Durour ( Léon). — Recherches 
sur l’Ascalaphus meridionalis. 

Epwanos (Alphonse). -— Études 
chimiques et physiologiques 
sur les os 

Favre. — De l' inflüence ‘du sys. 
tème nerveux sur la respiration 
des Dytiques. . 

Goparr. — Recherches tératolo= 
giques sur l'appareil séminal 
(annonce). 

GRATELOUP. — Faune malacolo- 
gique girondine (annonce). 
Gnariouer. — Recherches sur le 
système tosculaire sanguin de 

l'Hippopotame . 

Harric. — Fragments do Cé- 
phalopodes gigantesques . 

Hozrarp. — Mémoire sur le sque- 
lette des Poissonsplectognathes. 

Jocx. — Nouvelles expériences 
sur les effets de la garance 
mêlée aux aliments des Mam- 
mifères et des Oiseaux carni- 
vores/daehur 

Kroux. — Sur le développement 
des Ptéropodes et des Hétéro- 
podes (annonce). . . . . 


TABLE 


DES 


208 


MATIÈRES. 


Lacaze-Durniens.— Mémoire sur 
l'anatomie et NES des 
Vermets. 

LEuKanT. — Recherches sur le 
Trichina spiralis. 

Mozescaorr. — Note sur le folli- 
cule pileux du cuir chevelu de 
l'homme. AMENER) 

Moreau (A.). — Recherches ana- 
tomiques sur les nerfs de senti- 
ment et de mouvement chez 
les Poissons. UxE OA 

Power (madame). — Observa- 
tions et expériences sur plu- 
sieurs animaux marins et ter 
restres (annonce). 3 

Saussure (H. DE). —_ Myriapodes 
du Mexique (annonces). 

Senres (Marcel de). — Des esp 
ces perdues et des races qui 
ont disparu des lieux qu'elles 


habitaient primitivement. 
Sroppani. —- Paléontologie lom- 
barde (annonce). 
Vincuow. — Note sur le Trichina 
spiralis . où da 
— Pathologie cellulaire (an- 
nonce). 


VRoLIK. — Rapport su sur te Taret. 


380 


348 


208 


297 
348 
47 


348 
309 


TABLE DES PLANCHES 
RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. 


Planche 14, 


Ce 


Anatomie. de l'Ascalaphe. 
2 et 3. Ostéologie des Plectognathes. 
4. Organes de la digestion et de la circulation du Vermet. 
5. Organes de la reproduction du Vermet, 
6. Système nerveux du Vermet, 
7, 8et9. Embryologie du Vermet. 

10. Structure des follicules des poils, 


FIN DE LA TABLE. 


l 


Ann. des Scene. nat. £° Surce Zool. 1omr 13: PE. 24 


Jeéin se 


Zoo. Fome 13. LS 


Ostéologre des Pectognathes 


“Jeree 


Ann. des Soénc. nat. 4 


Annedauche se 


Lool. Tome 13. Pl. 4 


4 Srrie. 
Organes de la digestion et de la ctreulation du lermet . 


Hands den. mat 
DL Da nat, dut 


’ _ 


Ann des Jocene. nat. 4° Serie: #ool. Tbme 18. PA, 6 


VAT AT CE Anndouche vo 


Organes de la réproduction du Vernet. 


A Rément top. r. Piville-Ærémpeute. 15 duré. E 


Ann.udes Jesenc, nat. $°Jerie . Zoot. Tome 13. PE 7. 


Annetouche se 


Æmébryogente du Vermet . 


M Aémont énp.r. Véalls-Æstrapude, 18 Pari - 


ù 1 


Ann. des Juiene. nat. g' Série. Zool. Yonu 18. PL. 


AUD. ad nat del - Annédouche se. 


Æmbnryogente du Vermet. 


Ve hemont impr. Fille Æstrepude 15. Paris. 


Zool. Tome 13. PL 9. 


Annetouche se 


Zményogente du Vermet. 


CAT 


FRS 
en 


Zool. Tome 13. PI. 1 


AMEN 


11] Lampe 
RSS TE LE? 


Ann des Jrienc. nat. À Jeree 


VA 


follicutes des Vas 


des 


S'ruclure 


Ficitle-Æstrapeute 18. Jurce 


Ve Hémend émpr, r